O E U V R E S POSTHU.MES D E, FREDERIC Ili RO I DE P R U S S E, Tome VI: A AMSTERDAM, o a ez D. J. CHANGÜIONi I7 8 9-:   CONSIDERATXONS SUR L'ÉTAT PRÉSENT DU CORPS POLITIQUE DE L E U R O P E. Jamais les affaires publiques n'ont plus mérité 1'attention de 1'Europe qu'a préfent. (*) Après Ia fin des grandes guerres, la fituation des empires change, & leurs vues politiques changent en même temps: de nouveaux projets fe font, de nouvelles alliances fe traitent, & chacun en particulier prend les arrangemens qu'il croit les plus propres a 1'exécution de fes deffeins ambitieux. S'il eft digne de la curiofïté d'un bomrae raifonnable de pénétrer dans les fecrets des cceurs, d'en approfondir les abymes & de découvrir les (*) Frisderic II * compofé cette piècs commc Prince royal dans 1'année 1736; elle fait voir quelles valles connoiflances il avoit déja acqiiifes alors. 11 em'fte une corres-. pondance qu'il a entretenue avec le Maréchal & Minjftre «TEtat de Grumbkow depuis 1732 jufqii'k la mort de ce général en 1739 fur toutes les affaires du temps, dans laquelle le Miniftre lui fit part de tout ce qui fe paifoic dans le gouvernement, & le Prince royal lui réjjondit par les riHlexions les plus fines & les plus juftes, A 2  4 CQJSrSIDERJTIONS SUR LE CORPS effets dans leurs caufes ; il eft néceflaire qu'im pr.ncp, pour peu qu'il figure dans 1'Europe, ai£ I'oeil fur la conduite des cours, qu'il foit informé des vrafs intéréts des royaumes, & que fa prévoyance arracbe, pour ainii dire, a la poiitique des ininiftres des cours les deffeins que leur fageffe prépare, & que leur diffimulation cache aux yeux du public. Comme un habile mécanicien ne fe contenteroit pas de voir 1'extérieur d'une mor.tre, qu'il 1'ouvriroit, qu'il en examineroit les reffortb & Ls mobiles ; ainfi un habile poiitique s'applique a. connoïtre les principes psrmanens des ccurs, 'es refforts de la poiitique de chaque prince , les fources des événemens; il ne donne rien au haz:rd ; fon efprit tranfcendant prévoit 1'avenir, & pénètre par 1'enchairjement des caufes jufques dans les fièeles les plus reculés; en un mot, il eft de la prudence de tout connoitre, pour pouvoir tout juger & tout prévenir. Vu 1'état léthargique de plufieurs princes da l'Europe,j'ai cu qu'il ne feroit pas hors de propos de faire un expofé de la füuation préfente oii fe trouve ce corps poiitique: r.on point que j'aye la préfomptipn de me croire plus éclairé qu'une infinité de miniftres, dont les valles connoiffances -& la longue routine des affaires me paroitront toujours refpeétables & infiniment fupérieures a mes foibles lumières; mais fimplement peur communiquer mes idéés au public, & lui faire part de nes penfées.  POlmOÜE DE L'EUROFt. j Si mes raifonnemens fe troüvent juffes, ón eh pourra profiter, & voila tout ce que je demande; s'ils fe trouvent peu conféquens & faux, on nr'a iqu'a les fejeter: du rnoins me ferai-je amufé -.n les faifant. Pour avoir üne idéé jüfte Je ce qui fe paffe a' préfent en Europe, il faudra prenIre les chofes cfe plus haut, & remonter Jtffqu'a'la fource des affaires.- A la fin de la campagne de 1'année 1735 lesnégociatrons entre les cours de Vienne 6: de Verfailies prirent leur commencement; les opérations de guerre furent fufpcnJues, & les intéréts des deux cours, au lieu d'étre décidés par' 1'épée, Ie furent par Ia plume. Ni 1'Efpagne ni Ie Roi da Sardaigne n'aecédèrent d'abord a cette négociation, & il ui a remarquer que ce ne fut qu'après la chute du Sr. Chauvelin que 1'Efpagne y foufcrivit. La guerre s'étoit faite d'une manière beaucoupfnoins vive au Rhin, qu'bn ne la faifoit en Italië. L'Empereur avoit, pour ainfi dire, extorqué Ia décla-ation de guerre faite par les Etats de 1'Eaipire en 1'année 1733 a Ratisbonne: 1'él'ect.ïon de Pologne, troublée par les.troupes eampées fur les^ confins de la Siléffe & prêtes a entrer dans eer royaume, avoit caufé une fciffiön pnrmi les é'vêques & les palatins, dont Ie plus grand nó'mbre-' embraffoit les intéréts de Stanislas. Ces défordres1 n'intéreffbient en aucune manière les provinceï d'Aüemagne. L'Empereur s'étoit affez témé aireJBent obügé, par un traité fecret avec' la' Ruffie-cc A *  € CONSIDERJTIONS SUR LE CORPS la Saxe, a placer 1'Elefteur Augufte II fur le tróne éieftif dé Pologne: les miniflres impériaux n'ayant peut-être pas prévu les fuites de cette démarche, & contre 1'avis du Prince Eugène, fe fondant fur le cara&ère pacifique du Cardinal Miniftre, avoient enga^é trop légèrement leur maitre dans «ne affaire de cette conféquence rl'Empereur s'étoit mêlé lui feul avec la Ruffie, & fans Ia participatien de 1'Empire, dans les troubles de la Pologne; c'étoit a lui feul a s'en tirer. La France, qui d'un autre cóté avoit travaillé avec toute la prudence poffible depuis la mort du Duc Régent a rétablir fes affaires dérangées, y avoit fi bien réuffi, que fes finances étoient dans ie plus bel ordre du monde, fes magafins pourvus de toutes les chofes néceffaires, & fes troupes dans 1'état oü elle les pouvoit défirer. Avec ces avantages fa fituation fe trouvoit fi heureufe, qu'elle fe voyoit en paffe de profiter de tous les événemens. La mort d'Augufte I lui fourniffoit un prétextc fpécieux pour fe mêler des afFaires de la Pologne, & pour exécuier, ou bien pour ébaucher les vaftes prcjets que la poiitique avoit cor.cus & mürement digérés. La France ne négligea rien; eüs prépars les événemens. elle fe mit en-état d'agir avec fuccès, elle lia fes alliances tar.t avec 1'Efpagne qu'avec la Sardaigne ; par des pratiques fourdes elle difpofa quelques princes d'AUemagne è une efpèce de neutraliié; elle endormit les puiffances  POLITIQÜE DE LEUROPE. 1 ïiaritimes; après quoi elle publia le manifefte de fa conduite, & attaqua 1'Empereur, qui'étoit en quelque facon 1'agreffeur , vu les troubles qu'il avoit fomentés en Pologne, & que fes armées étoient prêtes a foutenir, s'il ne s'étoit vu luimême affailli. ^ L'Empereur, qui fe voyoit fur le point d'être attaqué de tous cötés, remua toutes fes machines pour entrainer 1'Empire k courir la même fortune: tous les plus habiies négocia;eurs furent employés de la part du miniftère de Viennepour inviter 1'Empire a déclarer la guerre a la France. Les vues de 1'Empereur étoient premièrement de tirer du fecoors de 1'Empire; en fecond lieu.de divifer les forces de la France, qui 1'ayant déja attaqué en Italië, n'auroit pas manqué de 1'y accabler. 11 eft bon de remarquer en paffant, que fi 1'Empire ne s'étoit point mêlé de cette guerre, elle auroic été plutót terminée. L'Empereur auroit perdu,en Italië ce que les alliés ont conquis ; mais on n'auroit pu démembrer la Lorraine de 1'Empire, fans donner lieu a de nouvelles brouilleries, & fans exciter un nouvel embrafement. La guerre fe fit très-nonchalamment en Alleman gne, d'un cöfe paree que la poiitique de la cour de Verfaüles ne vouloit point donner d'ombrage' aux puiffances maritim^s, qui fe feroient indu'oitablement déclarées en faveur de 1'Empereur, fi elles avoient vu fes affaires a 1'extrêmité; & d'un autre-cóté, par une compücation de raifoiis difFé-  8 CONSWERATIONS SUR LE CORPS rentes, dont phaque campagne en fournifloit de particulières, & qui mettoient 1'Empereur hors d'état d'agir vigoureufement fur le Rhin. En Italië les Efpagrols s'emparoient du royaume de Naples & de la Sicile, tandis que les Francois avec les troupes piémontoifes s'emparoient du Milanois & de prefque toute la Lombardie: & comrr.e c'étoit une claufe du traité des trois couronnts alliées de partager les dépouilles de 1'Empereur en Italië , ces puiffances fe donnoient tous les mouvemens imaginables pour mettre en exécution leurs vaftes deffeins; mais j'ofe affurer que ce qai eontribua le plus aux heureux fuccès des alliés, ce fut le msuvais état dans lequel fe trouvoiect toutes les provinces de 1'Empereur. La raifon de Ia chute des plus grands empires a toujour.s été la Bième; elle s'eil toujours trouvée dans lafixbleffe de Ia conftilution des Etats. La décadence de 1'empire romain trouva fon période marqué dans le temps qu'il n'y eut plus d'ordre parmi les troupes, que Ia difcipline fut anéantie & qu'on négligea lts précautions que Ia prudence .dióte peur la fureté des Etatc. La perte que 1'Empereur vient de faire en Italië eft fondée fur les mêmes principes. Point d'arméï pour fermer le paffage a 1'ennemi, point de magafins, ni de troupes fuöïfarjtes pour garder les fortereffes, point de généraux habiles pour défendre les places. Enfin 1'Empereur au bout üe trois campagnes perdit ce qu'il n'avoit acquis que par huit années de guerre coufécutives. Ob  POLITIgUE t>t VEÜROPE. » On s'imagineroit qü'après tant de défaites esferoit a 1'Empereur a folliciter Ia paix; mais qu'on" ne s'y trompe point, & qu'on apprenne a mieux connoitre 1'efprit pacifique & défintéreffé du Cardinal Minifbe: que ceci foit dit a 1'honneur de' la France & en témolgnage de fa modération : ces vainqueurs chargés de lauriers, & apparemmentr fatigués de leurs viftoires, offtent la paixa 1'Empereur , leur ennemi vaincu. II eft a préfumer 'que M. de Villars aura communiqué fon fyftême au Cardinal, tel qu'on letrouve dans fes mémoires, & que le Cardinal ayantadopté les idéés de ce grand homme, aura prispour principe d'établir une union parfaite & ftable entre 1'Empereur & la France, a 1'imitation dtï triumvirat d'Augufte, d'Antoine & de Lépide. O» fait que ce triumvirat s'étoit cimenté par des. profcriptions. Aufli la France , par Ie premier article des préliminaires, fe trquve-t-elle en poiïélfion du duché de Lorraine démembré de 1'Empire» L'Empereur, pour faire Ia paix, dëpou'lle for> gendre de fes Etats héréditaires. Le facrifice1 paroit affez grand pour exiger par une efpèce de réaftion une reconnoiffance proportionnée: mais gour contiouer la comparaifon, il eft a préfumer que la France avec le temps jouera le röle d'Au» gufte. La fimple confidération de eet événement auroit peu d'utilité, fi elle n'étoit accorapagnée d3 quelques réflexions que le fujet même fournit. D'abord on voit par rapport aux Frahrois ut» A 5  io CONSIDERJTIONS SUR LE CORPS fyftême de poiitique bien Hé, uniforme, & qui ne varie jamais. Lorfqu'ils firent la paix d'Utrecht, leur but étoit de recommencer la guerre, non tout de fuite, a caufe que leur réputation étoit perdue, que leurs finances étoient épuifées & qu'üs n'avoient pas encore amené les événemens au point de maturité qu'ils fouhaitoient; mais ils n'en avoient pas moins dans 1'efprit d'épier le moment oü ils pourroient attaquer 1'Empereur avec avantage. Or il régnoit un préjugé dans Ie monde qui portoit un préjudice, infini aux deffeins de la France; ce préjugé défavantageux avoit pour fondement une ancienne erreur, qui s'étant perpétuée, n'en acquéroit que plus de poids; on fe difoit tout bas a 1'oreille que la France afpiroit a la monarchie univerfelle; en quoi cependant on lui faifoit gr3nd tort. Cette feule idéé avo't arrêté tous les ïnagni* fiques projets de Louis XIV & n'avoit pas peu contribué a rabaiffer fa puiffance; il falloit néceffairement déraciner un préjugé fi pernicieux & en effacer jufqu'a la mémoire, La forture qui préfide au bonheur de la France, ou pour parler felon le ftyle des prêtres, 1'ange gardien qui veille è fon agrandiffement, contribua a détruire une opinion fi préjudiciable aux intéréts de la France. Louis XIV, dont Pambition avoit fi fouvent fait trembler 1'Europe, après avoir éprouvé fur la fin de fon règne les révolutions de Ia fortune, termina fa gloiieufe carrière. L'ernpire tomba es  POLITIOUE DE L'EUROPE. ïi üutelle , & le gouvernement fe reffentit de Ia foiblefle de fon monarque & de tous les malheursinféparablement attachés aux minorités. Le Duc Régent, prince éclairé, & qui avec toutes les. qualités qui font les charmes de la fociété & la fortune des particuliers, n'avoit pas aifez de cette' fermeté abfolument néceffaire a ceux auxquels le-. gouvernement des empires eft confié, embrouilla' les affaires intérieures du royaume par ces fameufesa&ions qui ruinèrent prefque tous les particuliers dont 1'argent n'entra que dans les caiffes du Roi & dans celles de quelques commis de La<» Le Duc de Bourbon devint Régent du royaume après; la mort du Duc d'Orléans; mais ce ne fut qu'unerégence paffagère; le Cardinal de Fieury lui fut. fubftitué, & prenant le timon des affaires, il nc répara pas feulement les finances & les pertesinternes du royaume; il fit plus: par fon habiletéj, par Ia foupleffe de fon efprit & par les apparence^ d'une modération extréme , il s'acquit Ia réputatió» de Miniftrè jufte & pacifique. Pour connoitre lei profondeurs & la fagelfe de fa conduite, il eft néceffaire de remarquer que rien n'attire plus l£' confiance des hommes qu'un'cara&ère généreux & défintéreffé : Ie Cardinal foutint -fi bien ce carac-Cère, que 1'Europe, ou plutót 1'univers entier fe.' perfuada qu'il étoit tel. Les voifins de la Francs: dormoient en paix auprès d'un fi bon voifin, & les miniftres dont la poiitique étoit la plus renoHüjnée avoieat mis au mmbre de leurs grinc^e* A 6-  12 CONSIDEIUTIONS SUR LE CORPS in variables que tant que le Cardinal vivroit, (vu fon caraftère & fon grand age,) on pourroit être tranquille fur les entreprifes de la Franc-.'. C'étoitla le chef - d'ceuvre du Cardinal & en quoi fa poiitique peut être préférée a celie des Ricnelieu & des Mazarin. Ce Miniftre habile ayant conduit les chofes au point oü il les défiroif , fit éciater tout a coup fes deffeins. Le manifefte du Roi Tiè -Chrétien foutint encore les profondes impreffions que le caraftère jufte du Cardinal avoit faites fur les efprits; il conter-oit en fubflance: (3rwis n'étoient point de reculer les hornes de fa domination. Ce{ endant les fuites ont fait voir que l'amour de la paix uniquemect a obligé S. M. d'accepter Ia Lorraine, & de débarraffer 1'Allemagne ü'une province qui i la vérité lui avoit appartenu depuis un temps immémorial, mais qui lui étoit a charge, vu fa fituation peu convenable & ifolée. D'ailleurs, pour établir la paix fur un fondement folide, il falloit néceffairemer.t que la Lcrraine fut cédée a la France, paree qu'e le auroit pu fournir de fréquens fujets de brouil'eries, & que de plus on devoit indemnifer la France des frais de la guerre; ce qui bien c^nfidéré, met ej] évidence que le Roi a entièremei t r^mpli les engagtmens pofitifs qu'il avoit pris par ion manifefte.^  P0L1TIQUE DE L'EUROPE. f.j Lorfqu'on voudra donner Ia même attention a Ia conduite qu'a tenue 1'Efpagne, on verra qua le traité de Vienne, (*) (ou bien le traité de Succeffion,) n'étoit point un ouvrage folide, & que Ie Roi d'Efpagne, en renongant aux Etats de la fucceffion fitués en Italië , n'y re- (jCorps Diplom, par Dtimont. Toms Vilt. 172,1. Part. fie. psg. 197.)' Art. V. En vertu de Ia renonciation faite paT S. M. I. dans les deux précédens articles, le Roi Catho> lique cède a fon tour, & en fon nom, & en celui de fes héritiers , defcendans mliles & femelles, tous les droits fans exceptio» quelconque co général & en particulier fur les royaurnes, provinces.& domaines lefquels Sa Majefté Impériale a poffédés effeélivetiient en Italië ou en Flandre , & qui ont autrefois appartenu a Ia monarchie d'Efpagne; entre lefquels eft Ie marquifat de Finaf, cédé a la république de Gènes par Sa Majefté impériale en 1713, & 4 préfent düment occupéifur le fujet duquel aéles folemnels de renonciatbn ont été expédiés en ia plus due forme, qu'on aura foin de publier , & en lieux congrus ón en panera Pafte , qui iera remis a Sa Majefté impériale & aux parties iBtéreiTées. Sa Majefté cathofique renonce pareillement au droit de réverfion Ji la couronne d'Efpagne, qu'elle s'eft réfervé fur le royaume da Sicile , 4 toutes ïutres aöions, prétsntions , fous le prétexte desquelles pourroit être inquiétée Sa Majllé impériale, ou fes hériders, fuccefleurs, direétement eu indireélement, non feulement darfs les fusdits royaurnes ou f rovinces , mais auiïi dans tous les autres domaines qu'il pofl'ède aclue'lemcnt en Flandre, en Italië, eu iiHeuWi A 7  H CONSlDER/iTlONS SUR LE 0ÖRP5- noncoit qu'autanc qu'il n'étoit pas en état de les recouvrer. Je n'avance rien que je ne fois en état da prouver. Le traité de Séville (*) fi fameus entre ZExtTêlt du traité ie Séville conclu entre Liurs M. T. Co£? Britannique & Cath. le 9 Noy. 1729.) (*) Ce traité que les Aoglois nomtnent la fource de leure larraes, confiftant en douze articles, & deux articles lècrets, CO Cosfirme les traités précédens, & contient 1'araniftie de part & d'autre. CO R les lois fondamentales de 1'Empire il a appelé Ie fecours des puiffances étrangères en Allemagne , 1'Impératrice de Ruffie lui ayantenvoyé un corps de 10,000 hommes au Rhin. On verra en troifième lieu que le traité entamé avec la France, & dont les préliminaires ont été fignés fans la confirmation de 1'Empire, porte une atteinte & un préjudice a 1'aiticle VI (*) de la capitulation impériale. L'Empereur a fait en quatrième lieu une infraction contre 1'Article X (**) de fa capitulation, une diète: comme 1'i'ntérêt de 1'Etat demande quelquefois de la célérité & de la promptitude, nous devons & voulons obtenir ce confentement a un temps marqué, & cela dans une affeinblée collégiale,& non par des déclarations particuiières , jufqu'a ce qu'on puiffe parvenir k une diète générale; comme cela fe'pratique dans les au tres affaires qui concernent la fureté de 1'Empire. S'il arrivoit que nous fiffions quelque alliance a 1'égard de nos terres particulièves, cela n'arrivera qu'autant que cela ne porera aucun préjudice a 1'Empire, ni ne feta oppofé au contenu de X'lnflrumcntum Tacis. (*■) Voyez a la fin de la note précédente. (**) Art. X. pag. 59. De plus nous devons & voulons si domjer, troquér, aiiénêf ,ni moleltef par des impèts, rien de ce qui appartient a 1'Empire, fans la volonté & le confentement des élcfleurs, princes & états: muis nous devons & voulons nous abftenir de tout ce qui pourroit donner occafion a quelque exemption ou retranchement de quelques panies de 1'Empire: nous vonlon» h«out nous abftenir de tous piWiiéges ou immuuiiés  *o CONSIDERATIONS SUR LE CORPS en ce qu'il a aliéné le duché deLorraine, qtïi/ étant un fief de 1'Empire, ne fauroit felon ios conftüutions fondamentales de 1'Empire être féparé , ou retranché du corps germanique fans le confentement formel de la diète & des Etats. On pourroir encore reprocher a 1'Empereur la guerre qu'il a déclarée aux Turcs, & les fut?, fides qu'il a exigés de 1'Empire au firjet de cette guerre; mais cela nYengageroit dans de tropgrands détails , & j'ai encore quelques réflexions plus importantes a faije. Nous avons jugé a préfent des caufes par leurs événemens : il nous refte encore a juger des événemens que nous avons è attendre par ies caufes que nous pouvons pénétrer. II ne s'agit pas fimplement d'approfondir les fecrets de Ia poiitique & de porter un regard profane jufque dans le fanftuaire des miniftres, il faut encore obferver les voies différentes 'que fuivent les miniftres pour parvenir k leurs fins. Rien ne fait mieux connoltre le caraéïère des cours que de remarquer les facons différentes dont Ieur poütique agit fur les mêmes fujets; leurs pafïïons, leurs finefTes, leurs rufes, leurs vices & teursbonnes qualités, tout s'y découvre. exorbitantes & nous appliquer au contraire avec beaucoup de foin a acqadiir de nouveau & a conferver enruite les principamés ei:gatdes ou sliénées, les tems confifquées«u tombées prtr voie illégi;ime en des raains dirangérss,.  POLITIQUE DE L'EUROPE. 2i Pour bien juger des miniftres de 1'Empereur Sc de ceux de France, metcons leur conduite en parallèle, & voyóns comment dans les affaire* de la Pologne ils ont tenu des routes différentes; nous y verrons une expreffion de m pofé, & il exigera de nous plus d'étendue & plus de détail. Le principe permanent des princes eft de s'a» grandir autant que leur pouvoir le leur permet; S: quoique eet agrandiffement foit fujet a des modifications différentes & variées a 1'infini, ou felon la fituation des Etats, ou felon la force des voifins, ou felon que les conjonétures font heureufes, le principe n'en eft pas moins invariable , & les princes ne s'en départent jamais: il y va de leur prétendue gloirej en un mot, il faut qu'ils s'a« gtandiffent. . La France eft bornée a 1'occident par les monts Pyrénées, qui la féparent de 1'Efpagne, & qui torment une efpèce de barrière que la natur©  8 4 CONSWERJTIOXS SUR LE CORPS mcme a pofée. L'océan fert de bornes au cóté feptentrional de la France, la mer Méditerranée & les Alpes au midi; mais du có:é de 1'orient elle n'a d'autes limites que celles de fa modération & de fa juftice. L'Alface & la Lorraine, démem. brées de 1'Empire, ont reculé les bornes de la domination de la France jufqu'au Rhin. II feroit a fouhaiter que le Rbin püt continuer a faire la lifière de leur monarchie. Pour eet efFet il fe trou; veroit un petit ducbé de Luxembourg a envahir, un petit éleftorat de Trèvesi acquérir par quelque traité , un duché de Liége par droit de bier/éance, les places de la Barrière, la Flandre & quelques bagatelles femblables devroient étre néceffairement comprifes dans cette réunion; & il ne faudra a la France que le miniftère de quelque homme modéré & doux, qui prêtant, s'il m'eft permis de m'exprimer ainfi, fon caraftère a la poiitique de fa cour, & qui rejetant toutes les rufes & tous les détours de fes artifices fur le compte des miniftres fubalternes, conduife a 1'abri de dehors refpectables fes deffeins a une heureufe iffue. La France ne fe précipite en rien. Conftam' ment attachée a fon plan, elle attend tout des conjonftures: il faut, pour ainfi dire, que les conquêtes viennent s'offrir d elle naturellement; elle cache tout ce qu'il y a d'étudié dans fes deffeins, & il femble, a n'en juger que par les apparences, que la fortune la favorife avec un foin tout particulier. Ne nous y trompons point: la fortune f  POLITIQUE DE L'EUROPE. 4$ fortune, le hazard font des mots qui ne fignifient Tien de réel. La véritable fortune de la France c'eft la pénétration, la prévoyance de fes miniftres, & les bonnes mefures qu'ils prennent. Voyez avec quel foin le Cardinal fe charge de la médiation entre 1'Empereur & le Turc. L'Empereur en reconnoiffance de ce fervice ne peut faire moïns que de céder a Louis XV fes droits fur le Luxembourg. Ce duché, fe'on toutes les apparences, doit être une des premières acquifitions qui fuivront la Lorraine ; cu comme la France a eu des égards en toute chofe pour les arrangemens que 1'Empereur a cru dévoir prendre, il femble que la juftice exige de femblables égards du cóté de 1'Empereur pour les arrangemens de la France: ce n'eft qu'un flux & reflux de reconnoiffance, que la poiitique de ces princes fait rendre utile i leur grandeur. Quant aux autres pays que la France pourroit eonquérir, il eft de fa prudence de ne point trop fe hater", afin de s'affermir dans fes anciennes conquêtes & de ne point effaroucher fes voifins : un trop grand fracas de fuccès pourroit réveiller les puiffances maritimes, qui dorment a préfent dans les bras de la fécurité & au fein de 1'indolence. J'entrevois encore dans ce qui peut entrer dan* le fyftème de la France des projets plus grands & plus vaftes que ceux dont j'ai parlé; & le moment que la providence a marqué pour 1'exécution d» Oew. pojlh. ie Fr, 11. T. VI. B  26 C0NS1DERATI0NS SUR LE CORPS ces grands deffeins, femble être celui du décès de Sa Majefté Impériale. Quel temps plus propre pour donner des lois a 1'Europe? quelles conjonctures plus heureufes pour pcuvoir teut ofer ? Tous les Elefteurs fetrouventa préfent défunis par les intéréts qui les partagent;les uns cherebant des avarotages particuliers fe jeteront dans les tras de la France & facrifieront 1'intérêt commun; d'autres difputeront entr'eux a qui aura 1'Eropire; d'autres fe déchireront pour Ia fucceffion de 1'Empereur; d'autres, enflés par les efpérances que leur donnent de grandes alliances, porteront partout le flambeau de la guerre , le trouble & la confufion; & ceux qui pourroient s'oppofer a la force majeure de 1'ennemi commun, n'entreprendront rien, & abandonneront leur deftinée au hafard. De plus, par le dernier traité de pacification la France s'engage a la garantie de Ia pragmatique Sanétion ; cela 1'oblige a fe mêler indifpenfablement des affaires d'AHemagne après la mort de 1'Empereur; & cè qui en cette occafion rendra les démarches de la France beaucoup plus dangereufes que dans d'autres, c'eft qu'elles auront une apparence plaufible de juftice, & que leurs violences même auront un dehors d'équité. Remarquons encore avec que! foin la France écarté les puiffances mxritimes de cette garantie. Croit-on que ce foit fans deffein qu'on les éloigne des affaires ? Pourroit-oir s'imaginer que quelque penfée frivole d'orgueil y auroit donr.é lieu? &  POLITIQUE DE L'EUROPE. S7 feroit - il poflible de fe figurer qu'un miniftre qui a donné jufque dans fes moindres démarches des marqués d'une prudence confommée, qu'un pareil miniftre, dis-je, ait des vues fi peu étendues? Rendons juftice a la poiitique francoife; elle n'eft jamais fi bornée qu'on pourroit Ie croire. II feroit poflible qu'on füt bien aife de procurer du repos aux miniftres anglois , qui font affez occupés par les brouiüeries inteftines du royaume; & avec cela on eft bien aife de ne point mêler les puiffances maritimes dans les traités fecrets des deux cours contractantes, afin que le cas de la fucceflion venant a exifter , ces puiflances n'ayent aucun prétexte quelconque de fe mêler des troubles d'Allemagne. On pouffe les précautions plus Ioin encore. On paye des fubfides aux cours de Suède & de Danemarck, ou pour les contenir fimplement, ou pour qu'elles foient en état de s'oppofer a ceux qui voudront prendre des mefures contraires aux intentions & aux arrangemens de la cour de France. Autant la poiitique de la cour de France eft excellente, autant faut-il avouer auffi qu'elle eft favorifée par un concours de certaines circonftances. Tous les princes dont Ia grandeur & la puiffance pouyoient lui donner de Pombra^e, fe trouvent défunis. II ne refte a Ia France qu'a ns point laifler éteindre le feu de la difcorde, & a 1'attifer plutót. Et en quoi la France a un avantage B 2  28 COKSIDERATiONS SUR LE CORPS infinimect plus grand encore , c'eft qu'elle na prefque perfonne en tête , dont la profondeur d'efprit , la hardieffe & 1'habileté , puiffent lui être dangereufes; a eet égard elle acquiert moins de gloire que n'en acquirent les Henri IV & les Louis XIV. Que diroit RicheÜeu , que diroit Mazarin, s'ils reffufcitoient de nos jours? Ils feroient fort étonnés de ne plus trouver de Philippe III & IV en Efpagne, plus de Cromwel & de Roi Guillaume en Angleterre, plus de Prince d'Orange en Hollande, plus d'Empereur Ferdinand en Allemagne, & prefque plus de vrais Allemands dans Ie Saint Empire: plus d'Innocent II a Rome, plus de Tilly, plus de Montécuculi, de Marlborough, d'Eugène a Ia tête des armées ennemiesj de voir enfin un abatardiffement fi général parmi tous ceux a qui eft confiée Ia deftinée des hommes dans la paix & a la guerre, qu'ils ne s'étonneroient point qu'on put vaincre & tromper les fuccefieurs de ces grands hommes. Autrefois les Frangois étoient otligés de combattre contre toute 1'Europe, liguée & conjurée contr'eux, & c'étoit a leur valeur feule qu'ils devoient leurs conquêtes ; a préfent ils doivent leurs plus beaux fuccès a leurs négociations, & c'eft rnoins a leur force qu'a la foibleffe de leurs .ennemis qu'on peut attribuer le cours triomphant de leurs profpérités. II n'y a pas de meilleur moyen de fe faire une idéé jufte & exacts des chofes qui arrivent dans Ie mondö  POLITIQUE DE L'EUROPE. 29 que d'en juger par comparaifon, de choifir dans 1'hiftoire des exemples, d'en faire Ie parallèle avec les faics qui arrivent de nos jours, & d'en remarquer les rapports & les reffemblances. Rien de plus digne de la raifon humaine , de plus inftruccif s & de plus capabls d'augmenter nos lumières. L'efprit des hommes eft le même dans tous les pays & dans tous les fiècles; ils ont a peu prés les mêmes paffions; leurs inclinations ne différent prefque en rien; ils font quelquefois plus furieux , quelquefois moins, felon qu'un malheureux démon d'ambition & d'injuftice leur communiqué fon fouffle infecté & contagieux. Ceriaines époques fe font diftinguées, paree que les paffions des hommes y ont été plus agitées & fouvent récompenfées. Telle eft celle des conquêtes de Cyrus parmi les Perfes, la bataille de Salamirie & de Platée parmi les Grecs.lerègne de Philippe & d'Alexandre le grand chez les Macédoniens, les guerres civiles de Sylla, les triumvirats, le règne d'Augufte & des premiers Céfars chez les Romains. En un mot 1'amour des arts & la fureur de la guerre ont parcouru tout le monde, & onttoujours produit les mêmes effets dans tous les endroits oii ils ont établi leur domicile. La raifon en eft fimple. L'efprit de 1'homme, & les paffions qui le gou /ernent, font toujours les mêmes: il faut donc nécefTairement qu'il en réfulte toujours les mêmes effets. Tout ce que je viens de dire des B 3  30 CONSIDERATIONS SUR LE CORPS arts & de la guerre, fe trcuve encore plus vrai a Pégard de la poiitique des grandes monarebies; elle a toujours été la même; leur principe fondamental a conftamment été d'envahir tout pour s'agrandir fans ceffe, & leur fageffe a confifté * prévenir les artifices de leurs ennemis, & a jouer au plus fin. Examinons a préfent les procédés de Philippe de Macédoine envers les Grecs, & voyons fi nous n'y trouverons pas quelques traits de Ia poiitique francoife; parcourons enfuite quelques événemens de 1'hiftoire romaine, & le leéteur verra s'il ne s'y trouve point, je ne dis pas une refTemblance, mais une conformité entière avec les événemens qui font arrivés récemment en Europe & avec ceux dont nous avons fait entrevoir 1'aurore. La république des Grecs ne fe foutenoit que par 1'étroite unfon qui lioit les différentes petites répu» bliques enfemble: les villes de Sparte & d'Athènes fe diftinguoient cependant de toutes les autres; c'étoient elles qui donnoient le branie aux délibéïations, & aux grandes chofes qui s'exécutoient, & les petites républiques n'étaient que dépendantes de celles-la. Si Philippe avoit attaqué cette ligue entière, il auroit trouvé des ennemis redoutables, qui non feulement lui auroient réfifté, mais qui même auroient pu faire de fes propres Etats le tbéatre de Ia guerre. Que fit Ia poiitique de ce prince pour vaincre cette république? Elle ema la dilTentioa & la jaloufie parmi ces petites  POIITIQUE DE L EUROPE. 31 villes alliées, elle cimenta leur défunion, elle corrompit les orateurs, elle prit le parti des plus foibles, pour les foutenir contre les plus puiffms, & ceux - ci abattus, les autres furent bientót a fa difcrétion. Que fait la poiitique de la France pour parvenir a la monarchie univerfelle? Ne voyez-vous pas avec quelle finefle elle fème la divifion parmi les princes de 1'Empire , fon adreffe a gagner 1'amitié des fouverains dont elle a le plus de befoin, comme elle fait artificieufement foutjnir les intéréts des petits princes contre les plus puiflans. Admirez Ie tour qu'elle a pris pour faper le pouvoir des puiffances maritimes, fon habileté a les intimider a propos, fa foupleffe a les amufer de bagatelles , tandis qu'elle frappe les grands coups. Qu'on voie en même temps la plupart des princes de 1'Europe, auffi infenfés que les Grecs, qui piongés dans une fécurité léthargique, négligèrent de fe réunir avec leurs voifins pour prévenir un malheur certain & leur ruine infaillible. Jetez encore un moment les yeux fur 1'artifice des Frangois qui amufent les puiffances du nord par des fubfides, afin de laiffer ceux qui ne font point gagnés comme abandonnés a leurs propres reffources, & jugez fi ce ne font pas les fuites d'une poiitique femblable a celle de Philippe de Macédoine. Qu'on me permette de pouffer cette comparaifon plus loin. On verra que 1'hiftoire de Philippe fournit plus d'un événement conforme a B 4  32 CONSIDERATIONS SUR LE CORPS ceux de nos jours & digne de la poiitique de Verfailles. Ce Roi de Macédoine avoit déja gagné les Thébains, les Olynthiens & les Mefféniens; il iéduific enfuite les Athéniens, affoiblis & peu en état de lui réfifter, a lui céder les villes d'Amphipolis & de Potidée , qui lui fervirent de barrières. Ayant auffi la Phocide & les Thermopyles, il tenoit comme la clef de la Grèce, & il lui étoit facile de 1'attaquer toutes les fois qu'il le jugeoit convènable a fes intéréts. L'hiftoire de France nous fournit un exemple qu'il n'eft pas poflible de lire fans fe fouvenir du trait de l'hiftoire ancienne que je viens de citer. On comprend bien que c'eft de Pacquifition de 1'Alface & de Strasbourg dont je veux parler. Ces Etats aliénés de 1'Allemagne, en étoient.autrefois comme les Thermopyles ou csmme le boulevard, & la Lorraine qui vient d'être envahie récemment.répond a la Phocide par rapport a fa fituation. Une manière d'envahir fi reffemblante a celle du Roi Philippe découvre, ce me femble, afféz clairement une conformité de deffein parfaite : philippe ne s'en tint pas aux Thermopyles, ilpaffa outre. Je me rappelle a cette occafion ce qu'un fage difoit a un Roi d'Epire en voyant les préparatifs. immenfes qu'on faifoit pour la guerre: pourquoi, demandoit- il a ce prince,. amaffez-vous toutes ces armes & ce bagage? Pour conquérir VItalië, répmdit Pyrrhus. Mais VItalië conqafi, Seigneur,  POLITIQUE DE L'EUROPE. 33 Seigneur, ou allons-nous? Alors, cher Cynêas, nous nous rendohs maüres ie la Sicüe; de la il ne fuut qu'un bon vent , cï? Carthage tombe entre nos mains> nous traverferons enfuite les déferts de la Lybie; l'Arabie tj? /''Egypte ne pourront nous réfifler, la Perfe la Grèce ftror.t cgalement affujetties. Ca prince n'avoit pas de moindre projet que d'établir fa domination fur tout 1'univers; fon langage étoit celui de 1'ambition , & Pambition penfe & agit toujours de même: je n'en dis pas davantage. Quant aux Grecs, ils n'envifageoient que d'une manière fuperficielle les progrès de Philippe, & ils s'imaginoient follement que la mort de ce Prince les débarrafferoit d'un ennemi dangereux, duquel ils avoient tout a craindre. C'eft précifément le langage qu'on tient a préfent en Europe : on fe flatte que la mort de 1'habii'e poiitique frangois mettra fin a la poiitique francoife, qu'un autre miniftre lui fuccédant, il n'aura pas les mêmes vues, les mêmes deffeins. Enfin on s'amufe de petites efpérances, qui font ordinairement les confolations des ames foiblej '& des petits génies. Qu'on me permette de rappeler ici le reproche que Démofthène faifoit a fes Athéniens dans fa première Philippique. Voici fes paroles: ,, Phi„ lippe eft mort, dira 1'un; non, répondra Pautre,' „ mais il eft malade .... Eh! qu'il meure, ou „ qu'il vive, que vous importe? quand vous ne „ 1'aurez plus, bientót, Athéniens, vous vous „ ferez fait un autre Philippe, fi vous ne chanjez B S  34 C0NS1DERATI0NS SUR LE CORRS „ pas dc conduite; car il eft devenu ce qu'il eft, „ non pas tant par fes propres forces, que par „ votre négligence." II me refte encore quelques réflexions a faire fur les points oü la conduite des Romains répond parfaitement a celle de nos Romains modernes, je veux dire les Frangois. Que 1'on confidère 1'attention extréme que les Romains avoient a fe mêler de toutes les affaires du monde: ils affectoient même de décider toutes les querelles des princes. Rome étoit le tribunal de 1'univers, &les rois & les princes avoient reconnu (je ne fais comment) la fouveraineté de ce tribunal; ils rernettoient le jugement de leur caufe au peuple romain, de tous les peuples le plus puiiTant & le plus fier. Le fénat, accoutumé a juger en dernier reffort de la fortune des princes, s'érigeoit en arbitre fouverain de tous leurs différends. C'eft par ce moyen qu'ils fe rendirent les malires de la Grèce, qu'ils acquirent 1'héritage d'Eumène, Roi de Pergame, & ce fut encore 'par cette voie que PEgypte fut réduite. au nombre des provinces lomaines. On va voir que la France en a fait tout autant r mais ce que les Romains n'ont jamais fait, Louis XIV Pa ofé. II a érigé un tribunal de réunion, qui fous prétexte de la recherche d'anciennes dépendances, réduifoit des provinces entières fous te joug de fon obéiifance. H eft' temps a préfent de parler de la fucceffion  POIITIQUE DE L'EUROPE. 3? de Charles II, dernier Roi d'Efpagne, & du teftament fubftitué ou tronqué par lequel le fang frangois a empiété fur les droits de celui d'Efpagne: des intrigues par lefquelles la France a voulu relever le parti du Prétendant en Angleterre, & faire ce Prince Roi de la Grande Bretagne: & pour alléguer des exemples plus récens, qu'on faffe atlention a l'envoi de Don Carlos en Italië, aux menées de la France dans les troubles de Ia Pologne. Je pourrois citer encore le droit d'arbitrage que Ia France s'arroge dans les conteftations de Juliers & de Bergue, entre le Roi de Pruffe & Ie Palatin de Sulzbach: cette affaire ne devroit proprement toucher que 1'Empire, fi par Ia paix de Weftphalie Ie Roi Trés - Chrétien n'avoit trouvé moyen de s'en mêler. On pourra voir ci-deflbus tout ce qui en eft dit dans ce traité. (*) II n'y a pas jufqu'aux démêiés de la ville de Genère dont Ia France ne fe foit mêlée; foit par corruption ou par d'autres voies, les Genevois fe font jetés entre fes bras. La guerre que 1'Empereur fait en Hongrie ne fe {.Art. IV. (le Tinft. de la paix de WejlpUUe. §. 57.) (*) Et comme 1'affaire de la lucceffion de Juliers-entre. les intérefles pourroit dans la fuite du temps exciter degrands troubles dans TEmpire,G on ne les prévient point T on eft convenu que la paix faite, cette caufe fera accommodée par les voies oriinaires devant Sa Majefté ImpcV riale, ou par une compofition amiable, ou par quelqve autie voie légitime, fitvt Que faire 1'e pourra, B 6  36 CONSJDERJTIONS SÜJi LE CORPS terminera pas non plus, fans qu'il y foit paris de la France; & les Corfes apprendront dans peu de ces mêmes Frangois quel doit être leur fort. Enfin , a-t-on des différends ? la France les décide. Veut-on faire la guerre ? la France eft de Ia partie, S'agit-il de régler les articles de la paix? la France donne la loi & s'érige en arbitre fouveraine de 1'univers. Voila les faits que j'ai cru pouvoir mettre en parallèle avec ceux que j'ai choifis dans l'hiftoire romaine: je les rapporte impartialement & fans qu'aucune autre raifon me détermine que Pamour de la vérité. Je n'ajou'erai a tout ceci qu'une feule remarque: elle roulera fur une conformité de génie entre les négociateurs des Romains & les Frangois. Lorfque la France eft parvenue a fon but & qu'elle n'a plus befoin de certains ménagemens, on remarquera dans fes négociateurs une fierté & une arrogance extréme; fouples lorfqu'ils recherchent Paffiftance des princes, & d'une hauteur infupportable loifque 1'intérêt ne requiert plus les fecours de ces mêmes princes. II eft néceffaire de fe rappeer l'ambaffade que les Romains envoyèrent a Antiochus , Roi de Syrië , pour le détourn d'attaquer Ptolémée & Cléopatre, qui en qualité de Rois d'Egypte étoient alliés du peuple romain. Popilius, fimple citoyen romain, fut chargé de cette commiflion; il demanda a Antiochus en termes aflez fiers une réponfe cathégorique fur ce qu'il lui  P0LIT1QUE DE L'EUROPE. 37 avoit propofé. Ce Roi fe trouvant a Ia tête d'une armée, & pret a fondre fur l'Egypte, étonné d'une pareille propofition, balanga derépondre: Popi; lius, avec une baguette qu'il teno.it entre fes mains, tracé un cercle autour du Roi, & lui prdonne de répondre avant d'en fortir. Qu'on reinarque Ia hauteur & la manière abfolue dont 1'Ambaffadeur de France s'y eft pris dans les affaires de Genève. Qu'on jette les yeux fur le mémoire (*) que M. de Fénelon a préfenté aux Etats généraux a ia Haye touchant la fucceffion de Juliers; qu'on fe rappele les difputes puériles (**) entre eet Ambaffadeur & celui d'Angleterre fur une préféance auffi fin^ulière que nouvelle, & on pourra découvrir a tant de traits reffemblans, des deffeins auffi ambitieuxchez ces modernes que chez les anciens; des vues auffi étendues chez les uns que chez les autres; enfin un rapport exact entre Ia conduite de la France & celle de Philippe, Roi de Macédoine, ainfi qu'entre la France & Ia république romaine. C*) A la fin de.ee traité. ('*) Cette difpute venoit de ce qu'a un feftin que donnoient les Etats généraux fe trouvèrent Mrs. les Ambafladeurs de France & d'Angleterre; 1'Anglois porta la fanté de 1'Empereur ou celle de la profpérité des Etats géné. raux: M. de iFénelon dit que c'étoit k lui a porter cette fanté: la chofe alla fort loin. On appclle cette difpute *a guerre du BuSet. Cette hiftoire eft généralement connue, * B 7  38 CONSIDERJTIONS SUR LE CORPS II eft facile de remarquer par ce qu'on vient de voir que le corps poiitique de 1'Europe eft dans une fituation violente; il eft comme hors de fon équilibre & dans un état oü il ne peut refter longtemps fans rifquer beaucoup. II en eft comme du corps humain, qui ne fubfifte que par le mélange de quantités égales d'acides & d'alcalis; dès qu'une de ces deux matières prédomine, le corps s'en reffent & la fanté en eft confidérablement altérée. Et fi cette matière augmente encore, elle peut caufer la deftruction totale de Ia machine. Ainfi dès que Ia poiitique & Ia prudence des princes de 1'Europe perd de vue le maintien d'une jufte balance entre les puiffances dominantes, la conftitution de tout ce corps poiitique s'en reffent: la violence fe trouve d'un cöté, Ia foibleffe de 1'autre: chez 1'un le défir de tout envahir, chez 1'autre 1'impoffibilité de 1'empécher; le plus puiffant impofe des lois; Ie plus foible eft dans la néceffité d'y foufcrire; enfin tout concourt a augmenter le défordre & la confufion: le plus fort, comme un torrent impétueux, fe déborde, entralne tout, & expofe ce malheureux corps aux révolutions les plus funeftes. Ce font-la en peu de mots les confidérations que m'a fournies 1'état préfent de 1'Europe. Si quelque puiffance trouve que je me fuis expliqué avec trop de liberté, elle doit favoir que le fruit conferve toujours un goflt de terroir, & que né dans un pays libre, il m'eft permis de m'énoncer  POLITIQUE DE L'EUROPE. 39 avec une noble hardieffe, & avec une fincéritê incapable de feindreque la plupart des hommes ne connoiffent point , & qui paroitra peut-être criminelle a ceux qui, nés dans la fervitude, onc été élevés dans 1'efclavage.- Après avoir repaffé la conduite des politiques de 1'Europe, après avoir développé le fyftème des cours felon 1'étendue de mes lumières, & fait voir les dangereufes fuites de 1'ambition de quelques princes: j'ofe pouiTer la fonde plus avant dans la plaie de ce corps poiitique; je pourfuivrai le mal jufques dans fes racines, & je m'effo.cerai d'en découvrir les caufes les plus cachées. Si mes réflexions ont le bonheur de parvenir aux oreilles de quelques princes, ils y trouveront des vérités qu'ils n'auroient jamais apprifes par la bouche de leurs courtifans & de leurs flatteurs: peut-être feront-ils même étonnés de voir ces vérités fe placer auprès d'eux fur le tróne. Qu'ils apprenrent donc que leurs faux principes font la fource la plus empoifonnée des malheurs de 1'Europe. Voici 1'erreur de la plupart des princes. Ils croient que Dieu a créé exprès, & par une attention toute particuliere pour leur grandeur, leur félicité & leur orgueil, cette multitude d'hommes dont le falut leur eft commis, & que leurs fujets ne font deftinés qu'a être les inftrumens & les miniftres de leurs paffions déréglées. Dès que le principe dont on part eft faux, les conféquencgs ne peuvent être que vicieufes a 1'infini. & de Ik  40 CONSIDERATIONS SUR LE CORPS eet amour déréglé pour la fauffe gloire\ de la C2 défir ardent de tout envahit, de la la dureté des impóts dont le peuple eft chargé, de la la parefle des princes, leur orgueil, leur injuftice, leur khumanité, leur tyrannie, & tous ces vices qui dégradent Ia nature humaine. Si les princes fe défaifoient de ces idéés erronées & qu'ils vouluffent remonter jufqu'au but de leur inftitution, ils ver» roient que ce rang dont ils font fi jaloux, que leur élévation n'eft que 1'ouvrage des peuples; que ces milliers d'hommes qui leur font commis, ne fe font point faits efclaves d'un feul homme, afin de Ie rendre plus formidable & plus puiffant; qu'ils ne fe font point foumis a un citoyen,pour être les martyrs de fes caprices & les jouets de fes fantaifies: mais qu'ils ont choifi celui d'entr'eux qu'ils ont cru le plus jufte pour les gouverner, le meilleur pour leur fervir de père, le plus humain pour compatir a leurs infortunes & les foulager, Ie plus vaillant pour les défendre contre leurs ennemis; le plus fage, afin de ne les point engager mal a propos dans des guerres deftructives & ruineufes: enfin 1'homme le plus propre a repréfenter le corps de 1'Etat, & en qui la fouveraine puiffance put fervir d'appui aux lois & a la juftice, & non de moyen pour commettre impunément les crimes & pour exercer la tyrannie. Ce principe ainfi établi, les princes éviteroient conftammenc les deux écueüs qui de tout temps ont caufé la mine des Etnpires & bouleverfé le  POIITIQUE DE LEUROPE. 4» monde, favoir 1'ambition déméfurée, & la lkhe négligence des affaires. Au lieu de projeter fans ceffe des conquêtes, ces dieux de la terre ne tra , vailleroient qui affurer le bonheur de leur peuple, ils eraploiroient toute leur application a foulager les miférables & a rendre leur domination douce & falutaire: il faudroit que leurs bienfaits fiffent défirer d'être né leur fujet; qu'il régnatune genereufe émulation entr'eux , è qui furpafferoic les autres en bonté & en clémence; qu'ils fentiffent que Ia vraie glotre des princes ne confifte po.nt a oppri'mer leurs voifins , pöint a augmenter 13 nombre de leurs efclaves, mais è remphr les "devoirs de leurs charges & a répondre en tout a 1'intention de ceux qui les ont revêtus de kur pouvoir, & de qui ils tiennent la grandeur fuprênjes Ces monarques devroient fouger que 1'ambition & la vaine gloire font des vices qu'on punit gné. rement chez les particuliers, & qu'on abhorrs toujours dans un prince. D'un autre cóté les princes ayant fans ceffe leur devoir devant les yeux, ne négligeroient point leurs affaires, comme des occupations indigne* de leur grandeur;ils ne commettroient point aveug'ément le falut de leur peuple aux foins d'un miniftre, qui peut être fuborné, qui peut manquer de talens, & qui prefque toujours eft moins intéreffé que le maltre au bien public. Les princes vcilleroient eux-mêmes fur les démarches de leurs voifins ; ils auroient une attention extreme a  42 CONSIDERATIONS gV. pénétrer leurs projets, & i prévenir leurs entréptifes: ils fe précautionneroient par de bonnes alliances contre la poiitique de ces efprits remuans qui ne ceffent d'envahir, 4t qui femblables au cancer rongent & confument teut ce qu'ils touchent. La prudence refferreroit les Hens d'amitié & les alliances que formeroient de pareils princes: la fageffe feroit leur confeil & feroit avorter les deffeins de leurs ennemis ; ils préféreroient un travail affidu & qui auroit toujours pour but Putilité publique , a la vie fainéante & voluptueufe des cours. En un mot,c'eft un opprobre & une ignominio de perdre fes Etats: & c'eft une injuftice & une rapacité criminelle de conquérir ceux fur lefquels on n'a aucun dxoit légitime,  E S S A I SUR LES FORMES DE GOUVERNEMENT, ET SUR LES DEVOIRS DES SOUVERAINS. ~~ * '\ Lettre de la propre main du Roi ,par laqueLc en 1781 il envoya au Miniftre a"Etat de ' Hertzberg fon petit livre fur les formes du gouvernement tjf fur les devoirs des Souyerains. '„ Voici quelques réflexions fur le gouverne^ % ment, que je vous confie: elles ont été impri" méés dans ma maifon; elles ne font pas faites " pour le public, & refteront entre vos mains. " Je fuis &c. Frêdeeic. Rèponje du Miniftre d'Etat de Hemberg au R 0 r. Sire, „ Votre Majefté m*a donné, * ma plus refpeci „ t'ueufe reconnoiffanee, une marqué très-précieufe „ de fa bienveillance , en me confiant fes ré„ flexions fur les formes du gouvernement & fur „ les devoirs des fouverains. Cet excellent livret „ ne fortira pas de roes mains felon fes gracieux  f 'ii ordres, quoiqu'il mérite d'étre Ie manuel de „ tous les fouverains, & qu'il ne laiffera pas de „ 1'être un jour. Ils y trouveroient .un idéal, „ auquel il leur paroitra difficile d'atteindre, mais dont Votre Majefté a pourtant donné un exemple „ au deffus de toute exception. Elle a donné en „ même temps par fon règne une preuve décifive „ en faveur du gouvernement monarcbique, & ce „ fera bientöt la forme de gouvernement favorite », de Ia plupart des nations, depffls que V. M. a infpiré aux Monarques fes contemporains Ie „ goót de gouverner par eux-mêmes , & de „ marcher fur fes traces a 1'immortalité. „ J'ai toujours été porté en mon particulier '„ pour la monarchie, & je fuis très-perfuadé que „ les fujets & les paiticuliers peuvent y exercer „ des vertus patriotiques avec plus d'effet réel, „ quoique avec moins d'éclat, que dans d'autres „ formes de gouvernement. Je regarderai con„ ftamment comme mon plus grand bonheur „ d'être né & d'avoir vécu fous Ie règne de „ V. M., & je ne cefferai d'étre jufqu'au derniet „ moment de mon exiftence avec Ie plus refpec„ tueux dévouement, Sire, de Votre Majesté Berlin', le 26 Janvier 1781. le plus humble, plus obéiflant & plus foumis ferviteur . Hertzberg.  o u s trouvons, «en retnontant a 1'antiquité li plus reculée, que les peuples dont la connoilTance nous eft parvenue, menoient une vie paftorale, & ne formoient point de corps de fociété: ce que la Genèfe rapporte de l'hiftoire des patriarches, en eft un témoignage fuffifant. Avant le petit peuple juif, les Egyptiens devoient être de même difperfés dans ces contrées que Ie Nii ne fubmergeoit pas; & fans doute il s'eft écoulé bien des fiècles avant que ce fleuve dompté permlt aux légnicoles dé fe raffembler par bourgades. Nous apprenons par l'hiftoire grecque le nom des fondateurs des villes, & celui des légiflateurs qui les premiers les raffemblèrent en corps: cette nation fut longtemps fauvage, comme le furent tous les habitans de notre globe. Si les annales des Etrusques, de; Samnites, des Sabins &c. nous étoient parvenuts, nous apprendrions affurément que ces peuples vivoient ifolés par families, avant de s'être raffemblés & réunis. Les Gaulois formoient déja des affociations du temps que Jules-Céfar les dompta. Mais il paroit que la Grande Bretagne n'étoit pas p.erfeftionnée a ce point, lorfque ce conquérant y paffa pour la première fois avec les troupes romaines. Du temps de ce grand homme les Germains ne pouvoient fe comparer qu'aux Iroquois , aux Algonquins, & pareilles nations fauvages; ils ne vivoient que de Ia chaffe, de Ia pêche, & du lait de leurs troupeaux. Un Geimain  46 ESSAI SUR LES FORMES croyoit s'avilir en cultivant la terre; iVemployoit & ces travaux les efclaves qu'il avoit faits a la guerre : auffi la forêt d'Hêrcynie couvroit - elle prefque entièrement cette vafte étendue de pays qui compofe maintenant l'Allemsgne. La nation ne pouvoit pas être nombreufe, faute de nourriture fujflfante \ & c'eft la fans doute la véritable caufe de ces émigrations prodigieufes des peuples du feptentrion, qui fe précipitoient vers le midi, pour chercher des terres toutes défrichées & un climat moins rigoureux. On eft étonné quand on fe repréfente le genre humain vivant fi long-temps dans un état d'abru.tiflement & fans former de fociété;& 1'on recherche avidement quelle raifon a pu le porter a fe réunir en corps de peuple. Sans doute que les violences & les pillages d'autres hordes voifines ont fait naltre a ces peuplades ifolées Pidée de fe joindre a d'autres families, pour affurer lenrs pos. feffions par leur mutuelle défenfe. De la font nées les lois , qui enfeignent aux fociétés a préférer 1'intérêt général au bien particulier. Dès-lors perfonne, fans craindre de cbètiment, n'ofa s'em. parer du bien d'autrui; perfonne n'ofa attenter fur la vie de fon voifin; il fallut refpecter fa femme" & fes biens comme des objets facrés : & fi la fociété entière fe trouvoit attaquée, chacun devoit accourir pour la fauver. Cette grande vérité, qn'il faut agir envers les autres comme nous voudrions qu'ils fe ccmportaffent envers nous, devient le  DE GOUVERNEMENT. 47 principe des lois, & du pa&e focial; de la nait ï'amour de la patrie, envifagée comme 1'afile de notre bonheur. Mais comme ces iois ne pouvoient ni fe maintenir ni s'exécuter fans un furveillant qui s'en occupat fans ceffe , ce fut 1'origine des magiftrats que Ie peuple élut & auxquels il fe foumit. Qu'on s'imprime bien que la confervation des lois fut Punique raifon qui engagea les hommes a fe donner des fupérieurs, puifque c'eft la vraie origine de Ia fouveraineté. Ce magiftrat étoit le premier ferviteur de 1'Etat. Quand ces fociétés naiffantes avoient a craindre de Ia part de leurs voifins, le magiftrat armoit Ie peuple, & voloit a la défenfe des citoyers. Cet initinft général des hommes qui les anime a fe procurer le plus grand bonheur poflible, donna lieu a la formation des différens genres de gouvernement. Les uns crurent qu'en s'abandonnant a la conduite de quelques fages, ils trouveroient ce bonheur; de la le gouvernement ariftoJ cratique: d'autres préférèrent 1'oligarchie: Athènes & la plupart des républiques grecques choifirent Ia démocratie. La Perfe & 1'Orient plioient fous la defpotifme. Les Romains eurent quelque temps des rois; mais las des violences des Tarquïns, ils tournèrent la forme de leur gouvernement en ariftocratie. Bientöt fatigué de Ia dureté des patrïciens, qui 1'opprimoient par des ufures, le peuple s'en fépara, & ne retoutna a Rome qu'après que le fénat eut autorifé les tribuns que ce peuple  £8 • ESSJI SUR LES FORMËS avoit élus pour le foutenir contre la violence des grands; depuis il devint prefque le dépofitaire de 1'autorité fuprême. On appeloit tyrans ceux qui s'emparoient avec violence du gouvernement, & qui ne fuivant que leurs paffions & leurs caprices pour guides, renverfoient les lois, & les principes fbndamentaux que la fociété avoit établis pour fa confervation. Mais quelque fages que fuffent les légiflateurs, & les premiers qui raffemblèrent le peuple en corps, quelque bonnes que fuffent leurs inftitutions, il ne s'eft trouvé aucun de ces gouvernemens qui fe foit foutenu dans toute fon intégrité. Pourquoi ? Paree que les hommes font imparfaits, & que leurs ouvrages le font par conféquent; paree que les citoyens, pouffés par des paffions, fe laiffent aveugler par 1'intérêt particulier, qui toujours bouleverfe 1'intérêt général; enfin paree que rien n'eft ftable dans ce monde. Dans les ariftocraties, Pabus que les premiers membres de 1'Etat font de leur autorité, eft pour 1'ordinaire caufe des.révoIutions qui s'enfuivent. La démocratie des Romains fut bouleverfée par le peuple même; la maffe aveuglée de ces plébéïens fe laiffa corrompre par des citoyens ambitieux, qui enfuite les affervirent, & les privèrent de leur liberté. C'eft le fort auquel PAngleterre doit s'attendre, fi Ia chambre bafle ne préfère pas les véritables intéréts de la nation a cette corruption infame qui 1'avilit. Quant au gouvernement monarchique, on en a vu bien  DE GOUVERNEMENT. 4$ bien des efpèces différentes. L'ancien gouvernement féodal, qui étoit prefque général en Europe il y a quelques fiècles, s'étoit établi par le.s conquêtes • des barbares. Le général qui menoit uirt horde, fe rendoit fouverain du pays conquis, & il partageoit les provinces entre fes principaux officiers : ceux-lè a la vérité étoient foumis au fuzerain, & lui fourniffoient des troupes s'il en demandoit: mais comme quelques-uns de ces vaffaux devinrent auffi puiffans que leur chef, cela formoit des Etats dans 1'Etat. C'étoit urre fource de guerres civiles, dont réfultoit le malheur de Ia fociété générale. En Allemagne ces vaffaux fonc devenus indépendans ; ils 'ont été opprimés en France, en Angleterre & en Efpagne. La feu1© image qui nous refte de eet abominable gouvernement, fubfiüe encore dans Ia république de Pologne. En Turquie le fouverain eft defpotique, il . peut commettre impunément les cruautés les plus révoltantes; mais auffi lui arrivé-t-il fouvent, par une viciffitude commune chez les nations barbares, ou par une jufte rétribution, qu'il eft étranglé a fon tour. Pour le gouvernement vraiment monarchique, il eft le pire ou le meilleur de tcus, felon qu'il eft adminiftré. _ Nous avons remarqué que les citoyens n'ont accordé la prééminence & un de leurs femblables, qu'en faveur des fervices qu'ils attendoient de lui: ces fervices confiftent a maintenir les lois, a faire exactement obferver la juftice , i s'oppofer d« 0 tuy.tojlh, is fr, II. T. f i" 'fi '  p 50 Essjr sur les formes toutes fes forces a la corrup'tion des mceurs, 4 défendre 1'Etat contre fe6 ennemis. Le magiftrat doit avoir 1'ceil fur Ia eulture des terres; il doit procurer 1'abondance des vivres a la fociété, encourager 1'induftrie & le commerce: il eft comme une fentinelle permanente qui doit veiller fur les voifins & fur la conduite des ennemis de 1'Etat. On demande 'que fa prévoyance & fa prudence forment a temps les liaifons, & choififfent les alliés les plus convenables aux intéréts de fon alTociation. On voitpar ce court expofé quel détail de connoiffances chacun de ces articles exige en particulier. II faut joindre k cela une étude approfondie du local du pays que Ie magiftrat doit 'gouverner, & bien connolfre le génie de la na. tiön; paree qu'en péchant par ignorance, le fouverain fe rend auffi coupable que par les péchés qu'il auroit commis par malice: les uns font des défauts de pareffe, les autres des vices du cceur; mais le mal qui en réfulte eft le même pour la fociété. Les princes, les fouverains, les rois ne font donc pas revêtus de 1'autorité fuprême, pour fe plonger impunément dans la débauche & dans Ie luxe: ils ne font pas élevés fur leurs concitoyens, pour que leur orgueil fe pavanant dans la repréfentation, infulte avec mépris a la fimplicité des mceurs, k la pauvreté, k la mifère: ils ne font point i la tête de 1'Etat, pour entretenir auprès de leurs perfonnes un tas de fainéans dont 1'oifiseté & rinutilité.engendrent tous les vices. La I  DE GOUVERNEMENT. 51 raauvaife adminiftration du gouvernement monarchique provient de bien des caufes différentes, qui ont leur fource dans le caradrère du fouvetain. Ainfi un prince adonné aux femmes fe laiffera gouverner par fes makreffes & par fes fav'oris, lefquels abufant du pouvoir qu'ils ont fur foa efprit, fe ferviront de eet afcendant pour commettre des injuftices, protéger des gens perdus de mceurs, vendre des charges, & au'.res infamies pareilles. Si le prince, par fainéantife, abandonne le gouvernail de 1'Etat en des mains mercenaires, je veux dire & fes miniftres; alors 1'uh tire a droite, 1'autre a gauche, perfonne ne travaüle fur un plan général, chaque miniftre renverfe ce qu'il atrouvé établi, quelque bonne que foit la chofe, pour devenir créateur de nouveautés, & pour réalifer fes fantaifies , fouvent au détriment du bien public: d'autres miniftres qui remplacent ceux-la, fe hatent de bouleverfer a leur tour ces arrangemens, avec auffi peu de folidité que leurs prédéceffeurs, fatisfaits de paifsr pour inve/.teurs. Ainfi cette fuite de changemens & de variations ne donne pas aux projets le temps de pouffir racine. De la naiffent la confufion, le défordre, & tous les vices d'une mauvaife adminiftration» Les prévaricateurs ont une excufe toute prête: ils couvrent leur turpitude par ces changemens perpétuels; & comme ces fortes de miniftres fe contentent de ce que perfonne ne recherche leur conduite, ils fe gardent bien d'en donner 1'exemple. en C 2  54 ESSAI SUR LES FORMES féviffant contre leurs fubalternes. Les hommes s'attachent a ce qui leur appartient: 1'Etat n'appartient pas a ces miniftres; ils n'ont donc pas fon bien véritablement a cceur, tout s'exécu'te avec nonchalance, & avec une efpèce d'indifférence 'ftoïque, d'oii réfu!te le dépériffement de-la juftice'? des finances, & du militaire. De monarchique qu'il étoit , ce gouvernement dégénéré en une véritable ariftqcratie, oü les miniftres & les généraux dirigent les affaires felon leur fantaifie : alors on ne .connoit plus de fyftème général; chacun fuit fes idéés particulières, & le point cen'ral, le point d'unité eft perdu. Comme tous les refforts d'une montre confpirent au même but, qui eft celui de mefurer le temps, les refforts du gouvernement devroient être montés de même , pour que toutes les différentes parties de l'adminifbation concouruffent également au plus grand bien de 1'Etat,objet important qu'on ne doit jamais perdre de vue. D'ailleurs, 1'intérêt perfonnel des miniftres éi-des généraux fait pour 1'ordinaire qu'ils fe contrecarrent en tout, & que quelquefois ils cmpêchent 1'exécution des meilleures chofes, paree que ce ne font pas eux qui les ont propo,£ées. Mais le mal arrivé a fon comble, fi des ames perverfes parviennent a perfuader au fouverain que fes intéréts font différens de ceux de fes fujets: alors le fouverain devient Pennemi de fes peuples fans favoir pourquoi; il devient dur, févire, inhumain par mal-entendu; car le principe  T>E G O Ü FE RN E ME NT. fjr aörïril part étant faux,les conféquences le doivent ètre néceffairement. Le fouverain eft attaché par des liens indiffolubjes au corps de 1'Etat: par conféquent il reffentpar répercuiïïon tous- les maüx qui affligent fes fujets; & la fociété fouffre égalerhent des malheurs qui touchent fon fouverain. II n'y a qu'un bien, qui eft celui de 1'Etat en général. Si le prince perd des provinces, il n'eft plus eri état comme par le paffé d'affifter fes fujets: fi le malheur fa forcé de contracter des dettes, c'eft aux. pauvres citoyens a. les acquitter: en revanche, fi' le peuple eft peu nombreux, s'il croupit dans Ia mifère, le fouverain eft privé de toute reffource. Ce font des vérités fi inconteftables, qu'il n'eft' pas befoin d'appuyer darantage la - deffus. Je le répète donc , le fouverain repréfente 1'Etat: lui & fes peuples ne forment qu'un corps, qui ne peut être heureux qu'autant la concorde les unit. Le prince eft k la föciété qu'il gou*verne, ce que la tête eft au corps: il doit voir, penfer, & agir pour toute la communauté , afin de lui procurer tous les avantages dont elle eft fufcepti.ble. Si 1'on veut que le gouvernement monarchique 1'emporte fur le républicain, 1'arrêt du fouverain eft prononcé ; il doit être actif & intègre , & raffembler toutes fes forces pour* fournir la carrière' qui lui eft ouverte. Voici 1'idée qus je me fais de fes devoirs. « II doit fe procurer une cónroiffa'nce exacte & .détaillée de la. force & de la foibleffe de fon pars, C 3  54 ESSAI SUR LES FORMES tant pour les reffources pécuniaires, que pour Ia population, les finances, le commerce, les lois, & le génie de Ia nation qu'il doit gouverner. Les lois, fi elles font bonnes, doivent être exprimées dairement, afin que la chicane ne puiffe pas les toumer a fon gré, pour en éluder l'efprit, & décider de 15 fortune des particuliers arbitrairement & fans règle: la procédure doit être auffi courte qu'il eft poflible, afin d'empêcher Ia ruine des plaideurs, qui confumeioient en faux frais ce qui leur eft dó juftetnent & de bon droit. Cette partie du gouvernement ne fauroit être affez furveillée, pour mettre toutes les barrières poffibles a 1'avidité des juges & des avocats. On retient tout le monde dans fon devoir par des vifites qui fe font de temps a autre dans les provinces; quiconque fe croit léfé, ofe porter fes plaintes a la commifilon, & les prévarieateurs doivent être févèrement punis; il eft peutêtre fuperflu d'ajouter que les peines ne doivent jamais paffer le délit, que la violence ne doit jamais être employée au lieu des lois , & qu'il vaut mieux qu'un fouverain foit trop indulgent que trop févère. Comme tout particulier qui n'agit pas par principes, a une conduite inconféquente, il importe encore plus qu'un magiftrat qui veille au bien des peuples, agifle d'après un fyftème arrêté de poiitique,de guerre, de finance, de commerce, & de Jois. Par exemple, un peuple doux ne doit point avoir des lois févères, mais des lois adaptées a fon caractère. La bafe de ces fvftèmes  DE GÖUFÉRNEMENT. 55 M toujours être relative au plus grand blen de la fociété; les principes doivent être adaptés i la fituuion du pays, a fes anciens ufages (s'ils font bons), au génie de la nation. Par exemple, en poiitique c'eft un fait connu que les alliés les plus naturels , & par conféquent les meilleurs ,^ font ceux dont les intéréts concourent avec les nötres, & quine font pas fi proches voifins, qu'on puifie être engagé dans quelque difcuffion d'intérêt avee eux. Quelquefois des événemens bizarres donnent lieu a des combinaifons extraordinaires. Nous 'avons vu, de nos jours, des nations de tout temps rivales , & même ennemies , marcher fous les mêmes bannières;mais ce font des cas qui arrivent rarement, & qui ne ferviront jamais d'exemples. Ces fortes de liaifons ne peuvent être que momentanées, au lieu que le genre des autres, contracties par un intérêt commun, peut feul être durable. Dans la fituation oh. i'Eu'ope eft de nos jours; oii tous les princes font armés,parmi lefquels il s'é'ève des puiffances prépondérantes, en état d'écrafer les foibies , la prudence exige qu'on s'allie avec d'autres puiffances, foit pour s'affurer des fecours en cas d'attaque, foit pour réprimer les projets dangereux de fes ennemis, foit pour foutenir, a l'aide de ces alliés, de juftes prétentions contre ceux qui voudroient s'y oppofer. Mais ceci ne fufiit pas: il faut avoir chez fes voifins, furtout chez fes ennemis, des oreilles & des yeuxouverts qui rapportent fidellement ce qu'ils ont v* G 4  507 ESSAr SUR LES FORMES - & entendu. Les hommes font méchans; il faut fe gsrder furtout d'étre furpris , paree que tout ce qui furprend effraie & décontenance: ce qui n'arrive jamais quand ön eft préparé , quelque facbeux que foit 1'événement auquel on doit s'attendre^ La poiitique européenne eft fi fallacieufe, que le plus avifé peut devenir dupe , s'il n'eft pas toujours alerte & fur fes gardes» . Le fyfième militaire doit être également affïs fur de bons principes, qui foient fürs, & reconnus par 1'expérience. On doit connoitre le génie de la nation, de quoi elle eft capable, & jufqu'oü 1'on ofe rifquer fes entreprifes en la menant a 1'ennemj. Dans nos temps il nous eft interdit d'employer i la guerre les ufages des Grecs & des Romains. La découverte de la poudre a canon a changé entière^ ment la facon de faire la guerre. Maintenant c'eft Ia fupèriorité du feu qui décide de la vidtoire: -les «xercices, les-régiemens, & la taftique ont été re.fondus, pour les eonformer a eet ufage; & récem-ment, 1'abus énorme des nombreufes artillerjes' qui appefantiffent les armées.nous for.ee également ■d'adopter-cette mode, tant pour nous foutenir dans •nos poftes,- que pour attaquer 1'ennemi dans ceux -qu'il occupe ,au cas que d'importantes raifous 1'exi.gent. Tant de rafSnemens nouveaux ont donc fi fort changé l'art de la guerre, que ce feroit de nos jours une térnérité impardonnable a un--général, én imitant les Turenne, les Condé, les L'uxembourg, -4c rifqutr une. bataiüa en fuivant les difpofitions  -DE GOUVERNEMENT. S7 que ces grands généraux ont faites de leur temps. Alors les victoires fe remportoient par la valeur & par la force; maintenant 1'artillerie décide de tout,. & Thabileté du général confifte a faire approeher fes troupes de 1'ennemi, fans qu'elles foient détrui* •tes avant de commencer a Tattaquer. Pour fe procurer eet avantage, il faut qu'il faffe taire le feu' ds 1'ennemi par la fupèriorité de ceiui qu'il lui ■ ©ppofe. Mais ce qui reftera éternellement ftabie dans Part militaire , c'eft la -cajlrwnéirie, ou Part: do tirer.le plus grand parti poflible d'un terrainpour fon avantage. Si de-nouvelles découvertes fefont encore, ce fera une néceffitc que les généraux:; de ces temps-la fe prêtent a ces nouveautés, &- ' changent a notre tactique ce qui exige correclion. • Il eft des Etats qui par leur Iocal , & par leur> conftitution, doiver-t être des puiffances maritimes;» telles font PAngleterres la Hollande, la France,1'Efpagne, le Danemarck: ils font environnés de-' la mer, & les colonies éloignées qu'ils poffèdent,.* les obligent d'avoir des vaiffeaux pour entretenir la; communication & le commefce entre la mèrepatrie & ces membres dé achés. Il eft d'autres: Etats, comme 1'Autriche, la Pologne, la Pruffe,. & même la Ruifie, dont les uns pourroient fe paffer de marine, & les autres commettroient une faute.' impardonnablé en poiitique s'ils divifoient leurs: forces. en voulant-employer fur mer des troupes; dont ils ont un befoin indifpenfable fur terre, Le-aombre des troupes qu'un Etat entretient, doi>; C 5.  5S ESSAI SUR LES FORMES être en proportion des troupes qu'ont fes ennemis; il faut qu'il fe trouve en même force, ou le plus foible rifque de fuccomber. On objeftera peut-être que le prince doit compter fur les fecours de fes alüés. Cela feroit bon, fi les alliés étoient tels qu'ils devroient être j mais leur zèle n'eft que «siédeur , & 1'on fe trompe a coup fiir j fi Ton compte fur d'autres que fur foi-mêmè. Si la fituation des frontières permet de les défendre par des fortereffes, il ne faut rien négliger pour en confhuire, & ne rien épargner pour les perfe£tLonner. La France en a donné I'exerople, & elle e» a fenti 1'avantage en différentes occafions. Mais , ni la poiitique , ni le militaire ne peuvent profpérer , fi les finances ne font pas entretenues dans le pius grand ordre, & fi le prince lui - même n'eft économe & prudent. L'argent eft comme la baguette des enchanteurs, par le moyen de laquelle ils opéroient des miracles. Les grandes vues politieues, 1'entretien du militaire, les meilleures intentions pour le foulage-ment des peuples, tout cela demeure engourdi, S 1'argent ne le vivifie. L'économie du- fouverain eft d'autant plus utile pour le bien public, que s'il ne fe trouve pas avoir des fonds fufïifans ®n réferve, foit poar fournir aux frais de la guerre fans cbarger fes peuples d'impóts extraordiBaires, foit pour fecöurir les citoyens dans des calamités publiques, toutes ces charges tombent fur les ftijets, qui fe trouvent lans reflburce dan*  UE GOUVERNEMENT. 59 des temps milheureux, oü ils ont fi grand befoin d'affiftance. Aucun gouvernement ne peut fe paffer d'impóts; foit républicain, foit monarchique, il en a un égal befoin. 11 faut bien que le magiftrat, chargé de toute Ia befogne publique, ait de quoi vivre; que les juges foient payés, pour les empêcher de prévariquer; que le fóïdat foit entretenu,.afin qu'il ne commette point de violence , faute d'avoir de quoi fubfifter ; il faut de même que les perfonnes prépofées au maniement des finances foient affez bien payées pour que le befoin ne les oblige pas d'adminiftrer infidellement les deniets publics. Ces différentes.dépenfes demandent'd.'s fommes confidérables; ajoutez-y encore quelque argsnt mis annuellement de cöté pour les cas extraordinaire^. Voila cependant ce qui doit être néceffairement pris fur Ie peuple. Le grand art confifte a lever ces fonds fans fouler les citoyens. Pour que les taxes foient égales & non arbitraires, Pon fait des cadaftres, qui, s'rli font claffés avec exaftitude, proportionnent les charges felon les mo'yens des individus; cela eft. fi néceffaire, que ce feroit une faute impardonnable en finance, fi les impóts mal - adroitementr répartis dégoütoient le cultivateur de fes travans j. il doit, ayant acquitté fes droits, pouvoir encore vivre avec une certaine aifance lui & fa familie» Bien loin d'opprimer les pères rourriciers ds 1'Etat , il faut les encourager a bien cujTthrêB leurs tsrres; c'eft dans cette culture que confitW C &  fP. ESSAI SUR LES FORMES' Ja véritable richefle dupays.. La terre fournit leg. comeftibles les plus néceffaires, & ceux qui Ia' travailient, font, comme nous I'avons déja dit» les vrais pères nourriciers de Ia fociété. Oa m'oppofera peut-être que Ia Iiollande fubfiiïe,, fans quev fes charops lui rapportent' la centième jpartie de ce qu'elle confomme. Je réponds a cette Qbjeftion que c'eft un petit Etat, chez lequel Ie commerce fupplée a 1'agriculture ; mais plus un gouvernement eft vafte, plus 1'économie rurale a befoin'- d'étre encouragée. Une autre efpèce d'im. ".po s qu'on léve fur les villes, ce font les accifes: elles, yeulent être maniées avec des m'ains adroites , pour ne. point charger les comeftibles les plus néceffaires a Ia vie, comme le pain , la petite Dière, Ia viande &c,; ce qui r.etomberoit fur les ibldats, fur les ouvr.f rs, & fur les artifins; d'ou "il s'enfuivroit , pour le malheur du peuple, que "ia main-d'ceuvre rehaufferoit de prix; par confé.quent les marcbaMdifes. deviendroient fi chères, qu'Qn en pérdroit le. débit étranger. CVft ce qui •arrivé, maïntenant en Hollande &. en Angleterre. Ces deux nations avant contraété des. dettes injmenfes dans les dernières guerres, ont ciéé de nouveaux impóts pour en pay.er les intéréts; mais comme leur mal -adreffe en a. chargé Ia maind'ceuvre, ijs ont prefque écrafé. leurs npnufacture.v 3De la. !a cherté en Hollande étant su^mentée, ces -républicains font. fabriquer leurs draps a Verviers a Liége , & ?Angleterrè."a perdu un débit  DE GQUV ERJSIEMENT. m confidérable de fes laines en Allemagne. Pour . obvier a. ces abus, le fouverain doit fouvent fe fouvenir de 1'état du pauvre peuple, fe raettre a Ta place-d'un payfan & d'un manufacturier, & fe dire alors : fi j'éto's né dans la 'claffe de ces citoyens dont les bras font le capkal, que défirerois-je du fouverain? Ce que Ie bon fens alors Tui ind'iquera, fon devoir eft de Ie mettre en pratique. II le trouve des provinces , dans la plupart des Etats de 1'Europe, oii les payfuns attachés a la glèbe font ferfs de leurs gentilshommes: c'efi de toutes lês conditions Ia plus malheureufe & qui révolte Ie plus 1'bumanité. AfTurdment auc-jn homme n'eft hé pour être 1'efclave de fon femhlabie: on détefte avec raifon un pareii abus, & Pon croit qu'il* ne fauJroit que vouloir pour aholir cette coutume barbare; mais il n'en eft pas ainfi, elle tient a d'anciens contrats faits entre les poffeffeurs. des terres & les colons. L'agriculture eft arrangée en conféquence des. fervices des payfans : en voulant aboiir tout c'un coup cette 'abominable geftion-, on bouleverferoit entiétement 1'économie des terres, & il faudroit en partie indemnifer la nobieffe des pertes qu'elle fóufFriroit en fes revenus. Enfuite s'offre Partiele dès manufaftures & dii commerce , non moins important. Pour qu'un pays fe confèrve dans une fituation floriffante, ii eft de toute néceffité que la.balance du commerce lui foit avantageufe: s'il paye plus pour les imporC 7  6z ESS'AI SUR LES FORMES tations qu'il ne gagne par les exportations , iï faut néceffairement qu'il s'appauvriffe .d'année en année. Qu'on fe flgure une bourfe oü il y a cen£ ducats: tire? - en journelleinent un, & n'y remettez rien, vous conviendrez qu'au bout de cent jours la bourfe fera vide. Voici les moyens d'obvüer a cette perte: faire manufacturer toutes les premières matières qu'on poffède, faire travailler les matières étrangères, pour y gagner la maind'ceuvre, & travailler a bon marché, pour fe procurer le débit étranger.. Quant au commerce, il roule fur trois points; fur le fuperflu de vos denrées que vous exportez :fur celles de vos voifins qui vous enrichiffent en les vendant; & fur les marchandifes étrangères que vos befoins exigent & que vqus importez. C'eft fur ces productions que nous venons d'indiquer, que doit fe régler le commerce d'un Etat; voila de quoi il eft fufceptible par la nature des chofes. L'Angleterre, la Hollande, la France, 1'Efpagne, Ie Portugal ont des poffeffions aux deuxlndes , & des reflburces plus étendues pour leur marine marchande que les autres royaurnes: profiter des avantages qu'on a, & ne rien entreprendre au deli de fes forces-, ' c'eft le confeil de la fageffc. II nous refte a parler des moyens les plus propres pour maintenir invariablement 1'abondance des vivres dont la fociété a un befoin indifpenfable pour demeurer floriffante. Le .premier eft d'avoir fain que les terres foient bien cultivées j de  DE GOUVERNEMENT. 6§ défricher tous les terrains qui font capabl'es de rapport; d'augment'er les troupeaux, pour gagner d'autant plus de lait, de beurre, de fromage, & d'engrais; d'avoir enfuitè un relevé exact de la qirantité des différentes. efpèces de grains gagnés dans de bonnes, dans de médiocres, & dans demauvaifes années; d'en décompter la confommation; & par ce réfultat de s'inftruire de ce qu'il y a de fuperflu , dont 1'exportation doit être permife; ou de ce qui manque a Ia confommation., & que le befoin demande qu'on fe procure. Tout fouverain attaché au bien public eft obligé de fe pourvoir de magafins abondarhment fournis, pour füppléer.i la mauvaife récolte & pour prévenir 1a famine. Nous avons vu en Allemagne , dans les mauvaifes années de 1771 & de I772> les malheurs que la Saxe & les provinces de 1'Empire ont foufferts, paree que cette précaution fi utile avoit été négligée. Le peuple broyoit 1'écorce des chênes; qui lui fervoit d'aliment: cette miférable •nourriture aceéléra fa mort; nombre de families périrent fans fecours , c'étoit une défolation univerfelle; d'autres pales, blêmes, & décharnés, s'expatrièrent pour chercher des fecours ailleurs r leur vue excitoit la compaffion, un cosur d'airain ' y auroit été fenfible. Quels reproches leurs magiftrat» ne devoient-ils pas fe faire, d'étre lesfpectaleurs de ces calamités, fans y pouvoir porter de remède?' ïfou.5 palans maintenanï a un autre artiele^  ** ES-S AI SUR LES FORMES' auffi intéreffant peut - être; Il eft peu ds pays oh ■ les citoyens ayent les mêmes' opi ions fur la' reügiori; elles. différent fouvent entièreraent; il en eft qu'on appelle fectes: la queftion s'élève alors, faut - il que tous les citoyens penfent de même? ou peut-on permettre a chacun de penfera fa guife? De fombres politiques vous diront:tout ]e monde doit être. de la même opjnion,. pour que rien ne divife les citoyens; le théologien ajoute: quiconque ne penfe pas comme moi,.. eft damné, & il ne convisnt pas qus mon fouve. rain foit un roi de damnés : il fuut donc les. détruire dans ce monde pour qu'ils profpèr'ent, d'autant mieux dans 1'autre. On répond a cela que jamais fociété ne penfeia de même; que chez le» nations chrétiennes la plupart font anthropomorphites; que chez. les catrjoliques le grand, nombre eft idolatre, paree qu'on neme perfua. dera jamais qu'un manant fache diftinguer le culte' de latrie & è.'hyper dulie; il adore de bonne foi 1'image qu'il invoque. Voila donc nombre d'héré.. tiques dans toutes les fectes chrétiennes ;. de" plus, chacun croit ce qui lui paroit vraifemblable. On peut contraindre un pauvre miférable a pro^ noncer un certain formulaire, auquel il refufe fen confentement intérieur; ainfi le perfécuteur n'a rien ga,p,né. Mais fi 1'on remonte a 1'origine de Ja fociété, il eft tout a fait évident que le fouverain n'a aucun droit fur Ia faeon de penfer dés fitoyens. Ne faudroit-ii pas être en. démescs.  BE GOUVERNEMENT. es prmr fe figurer que des hommes ont dit k un* homme leur femblable : nous vous élevons aa deffus de nous, paree que nous aimons 1'efclaVage , & nous vous donnons la puiffance de .diriger nos penfées a votre volonté? Ils ont dit, au contraire: nous avons befoin de vous pour maintenir les lois auxquelles nous voulons obéir j pour nous gouveiner fjgement, pour nous défendrej du refte , nous exigeons de vous que vous refpectiez notre liberté. Voila Ia fentence prononcéejelie eft fans appel, êTmêaie cette tolérance eft fi avantagèufe aux fociétés oü elle£ft établie, qu'elle fait le bonheur de 1'Etat. Dès que tout culte eft libre, tout le monde eft tranquille; avt. lieu qüe la perfécution a donné lieu aux guerreseiviles les plus fanglantes, les plus longues, & les plus deftruftives. Le moindre mal qu'attire la perfécution, eft de faire émigrer les perfécutés; dans certaines provinces de France Ia population a fouffert & fe reffent'encore de la révocation de 1'édit de Nantes. Ce font la en général les devoirs qu'un princedoit remplir : afin qu'il ne s'en écarté jamais, il" doit fe rappeler fouvent qu'il eft homme, ainfi que. k moindre de fes fujets: s'il eft le premier juge, te premier général, le premier financier, Ie premier^ miniftre de la fociété ;. ce a?eft pas pour qu'il rcpréfente, mais afin qu'il remplifie les devoirs ' que ces noms lui impofent. II n'eft que le premies ó^viteur. de 1'Etat, Qbli^é. d'agit .avec probité ,  46 ESSAI SUR LES FORMES avec fageffè, & avec un ectier défintéreffement comme fi a chaque moment il devoit rendre compte de fon adminiftration è fes citoyens. Ainfi il eft eoupable s'il prodigue 1'argent du peuple, le pro-' duit des impöts, en luxe, en fafte, en débat* ches; lui qui doit verller aux bonnes mceurs, les gardrennes des lois; qui doit perfe&ionner 1'éducation nationale, & non la pervertir par de mauvais exemples. C'eft un objet des plus importans que laconfervation des bonnes mceurs dans leurintégrité: Ie fouverain peut y contribuèr beaucoup en diftinguant ■& récompenfant les citoyens qui ont fait des actions vertueufes , en témoignant da mépris pour ceux dont Ia dépravation ne rougi: plus dc fes déréglemens. Le prince doit "défapprouver hautement toute aétion déshonnête ;. & refufer des diftinccions a ceux qui font incorrigibles. 11 eft encore un objet intéreffant qu'il ne faut pas perdre de vue, & qui, s'il étoit négligé, porteroit un préjudice ir'réparable aux bonnes mceurs; c'eft quand Ie prince diftingua trop des perfonnes qui, fans mérite ; poffèdent de grandes iicheffes. Ces honneurs prodigués mal-a-propos confirment Ie public dans le préjugé vulgaire, qu'il fuffit d'avoir du bien pour être confïdéré. Dès-Iors 1'intérêt & Ia cupidité fecouent le frein qui les retenoit; chacun veut accumuler des richeffes; on emploie les voies les plus iniques pour les acquê> rir; la corruption gagne, elle s'enracine, elle devient générale; les hommes è talens, les hommes  BE GOUVERNEMENT. <5f Tertueux font mcprifés, & le public n'honore que ces batardè de Midas dont la grande dépenfe & le fafte 1'éblouiffcut. Poür empècher que les mceurs na-ionales ne fe pervertiffent jufqu'a eet hor'ribla exces, le prince doit être fans ceffe attentif a ne dillinguer que le mérite perfonnel, & a ne témoigner que du mépris pour 1'opulence fans mceurs & fans vertus. Au refte, comme le fourerain efÉ proprement le chef d'une familie de. citoyens, le père de fes peuples, dans toutes les occafions il doit fervir de dernier refuge aux malheureux, tenir lieu de père aux orphelins, fecourir les veuves, avoir des entrailles pour le dernier miférable, comme pour le premier courtifan, & répandre des libéralités fur ceux qui, privés de tout fecours, ne peuvënt trouver d'affiftance que dans fes bienfaits. Voüa , felon les principes que nous avons étabiis au commencement de eet Effai, 1'idée exafte qu'on doit fe former des devoirs d'un fouverain , & de la fcule manière qui peut rendre bon & avantageux le gouvernement monarchique. Si bien des princes ont une conduite différente, il faut 1'attribuer i ce qu'ils ont peu réfléchi fur leur inftitution, & fur les devoirs qui en dérivent. lis ont poité une charge dont ils ont méconnu le poids & 1'importance, ils fe font fourvoyés faute de connoiffances. Car dans nos temps 1'ignorance fait eommettre plus de failtes que la méehanceté. Cette efquiffe du fouverain paroitra peut- ê'tre aux ce»  SS ESSAI SUR LES FORMES g& feurs 1'archétype des Stoïciens , lTdée du fage ■ qu'ils avoient imaginé.qui n'exifta jamais, & dont Ie feul Mare-Aurèle approcha le plus. Nous fouiaitons que ce foible effai puiffe fermer des MareAurèles; ce feroit la plus belle récorapenfe a laquelle nous puffions nous attendre,. & qui feroit en même temps le bien de 1'humanité. Nous devons cependant ajouter a ceci, qu'un prince qui fourniroit la carrière laborieufe que nous avons tracée ,i:e parviendroitpas è uneperfeétion entière, farce qu'avec toute la bonne volonté poffible, il pourroit fe tromper dans le choix de ceux qu'il emploiroit a 1'a jminiftration des affaires ,-. paree qu'on pourroit lui repréfenter les chofes fous un faux jour, que fes ordres ne feroient pas exéeutés ponftuellement, qu'on voileroit des iniquités de facoh ou'elles ne parviendroient pas a fa connoiffance, que des employés durs & entiers mettroient trop de rigueur & de hauteur dans leur geftion; ■enfin, paree que dans un pays étendu le prince ne' fauroit être partout. Tel eft donc & fera le deftin des chofes d'ici-bas, que jamais on n'atteindra au degré de perfeftion qu'exige le bonheur des peuples, & qu'en fait de gouvernement, comme. pour toute autre chofe, il faudra fe contenter ds. *e qui eft ie moins défeétueux.  DIALOGUE DES MORTS ENTRE LE PRINCE EUGENE, MILORD MARLBOROUGH , ET LE PRINCE DE LICHTENSTEIN.' . Mar lborough. (3 aro n va mourir inceffamment de faim; on ne paffe' plus fur fa barque; depuis quelques jours nous n'avons point regu de couriers de 1'autre monde: ii cela continue, nous ne faurons plus ce qui s'y paffei ce fera bien dommage. • • Eugène. Tous ceux qui meurent ne parviennent pas a i «es heureux. champs que nous habitons; beaucoup s'en vont au Tartare, & puis les maladies con•tagieufes', les peftes, la famine ne ravagent pas toujours la terre : donnez-vous patience, il en viéndra de felle. MarlbortugK Les Anglois fe pendent affez volontiers dans 1'arrière- faifon; cependant je n'en vois point arriver; peut- être qu'un biÜ du parlement a défendu a mes compatriotes de fe pendre. Eugène. Vous avez eu sn derniet lieu Milord Cheifer;  7caus les peuples yu inc-sde. £> I ■  fff D I J L O G U K' Ghoifsuh Je ne fuis pas tant haï dans ce royaume qny vous le croyez. Réellement roi de France,j'avoiseu Ie fecret de m'attacher beaucoup de perfonnes, foit par des fervices que je rendois, foit par des places que j'avois a donner, foit par des largeffes qui ne me coutoient rien: j'ai été regretté. II n'y ipas en toute la France un homme qui m'égale en génie. Quel röle je jouois! Je troubiois 1'Europe è mon gré, je furpaffóis Richelieu & Mazarin. S oer at e. Oui, en tracaiferies, en intrigues malignes, en friponneries, cartu étois très-fripon de ton métier.. Mais fais-tu que la réputation de tes femblables n'eft enviée de perfonne? Les gens vertueux W déteftent, leur déciiion 1'emporte a la fin dans le public, & ils dictent 1'arrêt de la poftéritë. Tu ne pafferas dans l'hiftoire que pour un brouiüon célè' tre, pour une fufée qui éblouit un moment, & qui s'éclipfe dans la fumée qu'elle exhale. Chaifeul. Vraiment , M. Socrate , vous avez de l'hu< meur; car il faut en avoir pour ne pas approuves-' mon miniftère. La monarchie frangoife eft bien-" autre chofe que la ville d'Athènes. Socrate. Tu te crois encore a Verfailles avec ta femme;' jo-yeux dire avec ta fceur Madame de Giamrooniy  DES MORT S. $y Brtouré de ferviles adulateurs: la, la fauffeté déguifée en politeffe te prodiguoit le menfonge. Les uns par crainte de ton pouvoir, les autres par un vil intérêt t'encenfoient & fe rendoient les panégyriftes de tes folies; mais ici 1'on n'a befoin de perfonne , on n'encenfe perfonne cv 1'on ne difc que la vérité. Choifeul. Oh , Ie défagréable féjour! Qu'il eft facheux pour un courtifan de Verfailles, que dis-je , pour un miniftre roi, de vivre avec d'auffi plats ruitres. Mais que vois-je? quel objet nous envoie-t-on de 1'autre monde? Qu'eft-ce que eet animal, il n'a point de tête; je crois, Dieu me damne, que c'eft Monfieur Saint Denys. Qui es-tu, homme fans tête?' Strutpfèe. Je n'ai point Pbonneur d'étre faint, je fuis même hérétique. Je fuis venu ici fans tête, paree qu'on avoit befoin de la mienne dans ie pays oii en me 1'a coupée, faute d'en avoir d'autre, ChtifeuL On n'eft pas fi brutal en France. Les lois y font pour le peuple & non pour les grands. On ne coupe point nos têtes. Mais quel róle as-t». joué, & pourquoi t'a-t-on traité ainfi? Struenfée. je fuis le Gomte de Swuenfée & ds ces ^  Sp DIAL Ö GrU~E ': qui doivent tout a leur mérite. Je fuis l'auteurde»* ma fortune. Je profeffois Ia médecine dans Ie Hol-* ftein , Iorfque Ie fouverain de l'islande-, ds Ia»' Norvège , du Holftein & du Danemarck viu èr Kiel;- il étoit abymé de maladies; je 1'en guéris? beureuferoent. Je gagnai fa faveur, & plus encorecelle de Ia Reine, qui ne me regarda p?.s aveo des yeux indifférent Je devins miniftre & je : voulus-être fouverajn. Je per.fois comme Pompée, je ne voulois point avoir d'égal. Je tröuvai le moycn de captiver mon maltre, &" pour le main* ténir dans Ia fujétion, je 1'abrütis a force de lui faire avaler de 1'opium en guife de médecine; enfuite Ia Reine & moi nous vbnümes nou..'ren.ire régens du loyaume. Q'uand on eft le fecond , qti veut êtrë le premier, je me fis un grand, pam'. Nous étions fur le point de déclater le mönaiqué inhabile au gouvernement. Inopinément je fus «rrêté la nuit & mis aux fers. Ces Danois, qui ne connoiffoient point Machiave!, ne purent fetnir ■ce qu'il y avo't 'de fublime dans ma condui'e; &" après avoir été vraiment 'rot, on •' me trancha Ia tête. Mais qui êtes-vous, vous qui m'interrogez? '' Choifeu Je fuis le'fameux Duc de Choifeul, ci devarit roi de France, comme vous 1'avez été du Danemarek. Je fus le feul initrument de'ma forrüne; mes inttigues m'ont placé prés du tröne ou fur le ttrö/ie, comme vouï vo\jd;ez> cü 'j'ai jetc ie^Ius -  ft É S M 0'R T S. n mnd éclat.'je fuis 1'auteur du fameur pacte de familie par lequel j'engageois 1'Efpagne a facrifier fa flotte & une partie de fes- poflêffions de 1'Amérinue, pour avoir 1'honneur d'affifter la France aux abois par la guerre qu'elle faifoit aux Anglois en Allemagne, battue fur terre & fur mer; je paivins a faire la meilleure paix poflible dans la fituauoft oü.fe trouvoit le royaume & Socrate. C'eft Ia feule. aftion fage que tu ayes faite de ta vie. Choifeul. Te me fens flatté qu'il y en air au moins unsque vous a?p-ouviez. Depuis je 'chaffai les jéfuïtesde France, paree qu'étant ambaffadeur a B-ome* je me brouillai avec leur général. Socrate., Cétte engeance n'exiftoit pas de mon temps;. mais des mores m'ont appris que ce font des fopbiftes armés dé po'gnards' & munis de poifons. Monfieur le Comte de Struenfée ne feroit ■ il pas de leur fefte? Strue nfê e. Je fuis de celle de Cromwel, de Céfar Borgia & de Catilina; mais continaez, M. le Duc, a jai'inftruire. C/j o ife u l. Après un auffi beau, coup je m'emparai d'A\'k  S8J B I A L O G ü É gnon; i'en chaffai le Pape, afin d'annexer poar jamais le comtat au royaume de France; j'y ajoutai encore la Corfe ,. que j'efcamotai adroitement asx Génois, Socrate. Tu étois donc un conquérant? Ch»ife u 1. Ce fut de mon cabinet que je fis ces corquêtes, & nageant dans les plaifirs, livré aux diffipations, du fèifl des volupte's je troubiois 1'Europe. Plus les autres puiffances étoient agitées.plus la France pouvoit fe maintenir en paix. Les guerres & la mauvaife adrrriniftration précédente avoient épuifé nos finances, le crédit étoit perdu, & la banquefoute prefque certaine. St rueti fée. De quelle facon troublates - vous 1'Europe ? C'hoifeul. Jamais rien de plus fin, de plus adroit, de plus fublime ne s'eft imaginé. Premièrement je placai de grands fonds dans la compagnie oriëntale d'Angleterre fous des noms fuppofés. Mes agens, qui faifoient hautTer & baiffer les fonds ,a plaifir, déroutoient tout Ie monde, & ils brouiilèrent les directeurs de Ia compagnie , tandis que par mesmanoeuvres adroites je foulevois les nababs du Mogol contre 1'Angleterre; Ia guerre fe fit entr'eux: & Ia compagnie fut fur le point de fuccomber; je penfai §n mourir de joie,  D £ S M O R T S, S* Socrate. La belle ame! Ck oifenL D'un autre cóté j'excitois les Neucbatellois a fe révolter contre le Roi de PrulTe, pour donner i eet efprit inquiet de 1'occupation chez lui. Non content de tant de chofes que je menois de front comme les Romains leurs quadriges, a force de fommes répandues dans le.divan j'obligeois les Turcs i déclarer la guerre aux Ruffes, fmtOO* la confédération en Pologne pour tailler de la be> fogne i Catherine, je voulois foulever contr'eile les Suédois, pour qu'une diverfion entreprife de leur part foulageat la Porte accablée par les armées luffes ; j'aurois même perfuadé a llmpératnce Reine de feconder Muftapha, fi mes ennemis ne Hi'avoient culbuté. Struenfêe. Quel dommage que tant de beaux projet* n'ayent pas été exécutés! Choifeul. Sans doute. J'aurois fait tant de bruit, j'suroia tant tracaffé, que toute 1'Europe n'eut parlé que de moi. Socrate. Souviens-toi d'Eroftrate, qui brula le temp!** d'Ephèfe pour avoir de la réputaüon.  P JjTl A L Ö G U E Choifeui. C'étoit un incendiaire, & je fus un gtantï homme. Je jouois fur notre globe le röle de la providence; je réglois tout, fans que perfonne s'appercüt des moyens que j'employois ; on voyoit Jes coups, fans voir ia main dont ils partoienc. Socrate. InfenféJ ofes - tu bïen te comparer a la providence, tes fourberies avec Ia toute - fageiTe; te« crimes avec 1'archéiype de la vertu? C'hoife ui. Oui, M. Socrate, je Poft: Que votre tête pelée apprenne que les coups d'Etat ne font pas des crimes, & que tout ce qui dónne de Ia gloire «ft grand. Souvenez- vous que vos Grecs ont 'étïgé endeml-Dfeux des hommes qui ne me va>lotent pas. ■ Socrate. II a des tranfports au cerveau-; ce font-des redoublemens d'accès. Vas-t'en confulter Hippocrate; il eft ici prèe, il guérira ta folie. Cheife u'L M. Ie Corate de Strueiifé&,eft: pIu5'proche; il me rendroit bien ce fervice, fi j'en avois befoin, (cependant :fans opium.). Ah-1 ce philofophe tacitume prend pour folie une noble fierté, & la jufte eonfiance que tout grand homme doit ■ avoif en liii - même.-  § E S MOR T S. Ü Struenfée. • Vous n'avez pas befoin de remèdes ? vous mérifez les plus grands • éloges. Macbiavel vous efi£ donné la couronne des politiques; mais pourquoi futes-vous exilé ? Choifeui. Un dharicéiier, plus fin fripon que moi,.en ..Tint a bout a 1'aide d'une catin favorite fous laquelle mon orgueil ne voulut pas plier. Struer.f ée. Après les belles chofes que vous aviez fi heui teufement exéc.utées, de quel prétexte put - on fe fervir pour vous exiler? Choifeui. On allégua Tépuifement des finances. Louis avoit quelque répugnance a fe voir auteur d'uné banqueroute; il voulut trainer les chofes, pour laiffer a fon petit-fils^en héritage 1'horreur publi« que que eet événement devoit lui attirer. On m'accufa donc d'avoir prodigué les efpèces pendant mon règne; & il eft vrai que je méprifois ce vil métal; je faifois des largeffesj'étois né avec les fentimens nobles d'un roi, qui doit être généreux & même prodigue. Sosrate. Ma fpi, tu étois un maltrc fou d'achevei Ja üuine d'un royaiune.  DïALOGUg Choifeui, 1 Mon efprit étoit porté au grand, & fans doute qu'il y a de la grandeur a une monarchie comme ]a France de faire banqueroute. Ce n'eft pas la faillite d'un marchand; il s'agit de milliards; 1'événement fait du bruit, frappe les uns, étonne les autres, & bouleverfe tout - a - coup nombre de fortunes. Quel coup de théatre! Socrate. Le fcélérat! Choifeui. M. le philofophe, fachez qu'il ne faut pas avoir la confcience étroite quand on gouveme Ie monde. Socrate. Vis, pour r'endre des millier's de citoyens malbeureux, il faut avoir la férocité d'un tigre & un cceur de roche. Choifeui. Avec de telles difpofitions vous pouviez brille? au Céramique, mais vous n'auriez jamais été qu'un pauvre miniftre. Struenfée. Sans doute, un vafte génie fe fignale par del entreprifes hardies; il veut du i.ouveau, il exécute des chofes dont.il n'y a point d'exemple, ii laiffe les petits fcrupules -aux vieilles femmes, & marché droit a fon but, fans s'embarrafier des moyens qui  D E S M O R T S. .9 § fy conduifent. Tout le monde n'eft pas fait pour fer.tir notre mérifce, les philofophes moins que les autres, & cependant nous fommes pour 1'ordinaire ies vittimes des intrigues de cour. ■Choifeui. Voila précifément comme j'ai fuccombé. Le mérite a notre cour ne tient pas contre les caprices d'une catin; encore étoit-elle foufflée par un cuiftre a- rabat,* car que pouvoit-elle d'elie-même que ranimer Ie feu^fefque éteint d'un prince en toue temps efclave du fexe? Struenfée. Si vous aviez employé 1'opium pour engourdir votre monarque, les intrigues auroient été vaines, vous feriez encore miniftre ou plutót roi; car celui qui a le pouvoir & qui agit, eft effectivement Ie maltre, & celui qui le laiffe faire, eft tout au plus 1'efclave de 1'autre. Choifeui. L'opium étoit fuperflu. La nature avoit fait mo* tnaitre tel que vos remèdes ont rendu le vótre. Socrate. Ton opium t'a bien fervi, malheureux apoftat d'Hippocrate; tu as été emprifonné ni plus ni moins^ & puni plus doucement que tu ne 1'avois mérité. Struenfée. C'étoit un coup de la fatalité, que 1'on ne  06 E 1 A L O G -Ü E pouvoit prévoir. Quelle cataftrophe d'étre déplacé, ;& encore par quelles ,ge»s! Socrate. "Non, c'eft une fuite de Ia'juftice éternelle, afin que tous les crimes ne foient pas heureux, & qu'il y en ait quelques - uns de punis pour 1'exemple des pervers. Choifeui. Je me fiatte pourtant que vous plaignez mi difgrace;ear fi j'avois continué mcflPrègne, j'aurois étonuj 1'Europe par les grandes chofes que mon génie auroit produites & exécutées. Socrate. Tu aurois continué a faire de brillar.tes fottifes : fi 1'Europe avoit des petites-maifons , on devoit t'y loger. Et toi, Danois, les fupplices d'ixion & de Prométhée feroient encore trop doux peur punir ta noire ingratitude envers ton maitre, & tous les attentats qu'une ambition effrénée t'a fait commettre. ■ Choifeui. Voila donc la gloire que j'attendois! Struenfée. Voila donc Ia réputation que je m'étois promife! Socrate. Allez, malheureux, & cboififfez un autre féjour gue le mies; affociez• vous aux Catilina, aux Crofflwel,  & e $ Mor t s. r, Cromwöl, & ne fouülez plus par votre préfence iffipure la demeure des fages. Choifeui. Quittons ce raifonneur impertinent qui m'exenjtlc. Struenfée. Eloignons-nous de ce fombre moralifte; mais oü tourner nos pas ? Je vais chercher la fociété des Alleraands mes compatriotes, & me confoler avec Wallenftein de mes infortunes. Adieu, roi fans Etats. Choifeui. Pour moi, je m'affocierai aux Frangois, & je vais joindre Pepin, le Maire du palais. Adieu, miniftre fans tête. eeuv.pellh.de Fr. 11. T.pj. E  DIALOGUE ENTRE MARC AURELE ET UN> RE COL LET. Le Recollet. _/\.h! qu'eft-ce que je vois dans notre églife? nn revenant! vite de 1'eau bénite, & un goupillon. Mare Attrile. Que faites-vous la avec votre eau Iufirale ? vous êtes fans doute prêtre de Jupiter. Ecoutez-inoi un moment. Le Recollet. Moi, prêtre de Jupiter! Ah! c'eft fans doute Un damné ou un diable. Mare Aurèle. Je ne vous entends point. Qu'eft-ce qu'un diable? Le Recollet. M. Satan , ne m'emportez pas , je fuis en pêché mortel. Mare Aurèle. Qu'eft-ce que Satan? Qu'eft-ce qu'un pêché mortel ?  DIALQGVE DES MORTS. 53 Le Recollet. Voila un revenant bien ignorant! Saint Fran. £ois, ayez pitié de moi. Qui es-tu, mon ami? Mare Aurèle. Je fuis Mare Aurèle, Je reviens voir cette Rome qui m'aimoit, & que j'ai aimée, ce capitole oü j'ai triomphé en dédaignant les triomphes, cette terre que j'ai rendue heureufe; mais je ne reconnois plus Rome. J'ai revu la colonne qu'on m'a érigée, & je n'y ai plus retrouvé la ftatue du faga Antonin mon père; c'eft un autre vifage. Le Recollet. Je le crois bien, M. Ie damné. Sixte Quint a relevé votre colonne;mais il y a mis la ftatue d'un homme qui valoit mieux que votre père & vous. Mare Aurèle. J'ai toujours cru qu'il étoit fort aifé de valoir mieux que moi; mais je croyois qu'il étoit difficile de valoir mieux que mon père. Ma piété a pu m'abufer. Tout homme eft fujet a Terreur; mais pourquoi m'appellez-vous damné? Le Recollet. C'eft que- vous 1'êtes. N'eft - ce pas vous qui avez tant perfécuté des gens a qui vous aviez obligation, & qui vous avoient procuré de la p-uie pour battre vos ennemis? E 2.  I0o DIALOGUQ Mare Aurile. Hélas! jJétois bien loin de perfécuter perfonne; je rendis graces au ciel de ce que par une hen' reufe conjonfture il vint a propos un orage, dans le temps que mes troupes mouroient de foif; mais je n'ai jamais entendu dire que j'euffe obligation de eet orage aux gens dont vous me pariez. Je vous jure que je re fuis point damné ; j'ai fait trop de bien aux hommes pour que 1'effence divine, a laquelle j'ai toujours taché de me conformer, veuille me faire daut rillufion n'eft pas aiTez forte, pour qu'on ne s'appercoive pas des inconféquences & des con = tradidtions dans lefquelles il tombe fouvent, & des aveux contraires a fon fyftème que la force de la vérité parofc lui arracher. Les matières de méta» phyfique qu'il traite , fost obfeures, & bérifféts des plus grandes difficultés. II eft pardonnable de fe tromper, quand on s'engage dans ce labyrïnthe oii tant d'autres fe font égarés. II femble ceperi dant qu'en enfüant cette route ténébreufe-, on peut la parcourir avec moins de rifque , fi 1'on fe défie de fes lumières, fi 1'on fe fouvient qu2 dans ces recherches le guide de Texpérience nous a-bani donne, & qu'il ne rous refte que des probabiKtés' plus ou moins fortes pour appuyer nos opinionr^ Cette réflexion eft fuffifante pour infpirer de la retenue & de la moleftie a tout philofophe a fyftè-  loö EXAMEN CRITÏOUE me:notre auteur apparemment n'a pas penfé ainfi, puifqu'il fait gloire d'étre dogmatique. Les points principaux qu'il traite dans eet ouvra ■ ge font (i) Dieu & la nature, (2) la fatalité, (3) la morale de la religion comparée avec la morale de la religion naturelle, (4) les fouverains, caufes de tous Ier- malheurs des Etats. Quant au premier point, on eft un peu furpris, vu fon importance, des raifons que Tauteur allé» gue pour rejeter la divinité. II dit qu'il lui en coüte moins d'admettre une matière aveugle que le mouvement fait agir, que de recourir a une eaufe intelligente agiffant par elle-même; comme li ce qui lui coftte moins de peine a arranger, étoit plus vrai que ce qui lui coüte des foins a éclaircir. (*) II avoue que c'eft 1'indignation que lui ont donnée les perfécutions religieufes qui 1'a rendu athée. Sont-ce des raifons pour fixer les epinions d'un philofophe , que la pareffe & les paffions? Un aveu aufli ingénu ne peut qu'infpirer de la défiance a fes lecteurs, & le moyen de Ten eroire, s'il fe détermine par des motifs auffi ftivoles 1 Je fuppofe que notre philofophe fe Iivre quelquefois avec trop de complaifance a fon imagination, & que frappé des définitions contradictoiKes que les théologiens font de la divinité , il confond ces définitions que le bon fens lui facrifie, avec une nature intelligente qui doit nécefiaire- (*) Ghap. 2ÜI. Tom, l£.  DU SYSTEM Ë DE LA NATURE. xo7 ment préfider au maintien de 1'univers. Le mande? entier prouve cette intelügence; il ne faut qu'ouvrir les yeux pour s'en convaincre. L'homme eft un être raifonnable, proJuit par la nature; il faut donc que la nature foit infiniment plus intelligente que lui, ou bien elle lui auroit communiqué des perfeftions qu'elle ne poffède pas elle-même; ce qui feroit une contradiction formelle. Si la penfée eft une fuite de notre organifation , il eft certain que la nature immenfementplus organifée que l'homme (partie imperceptible du grand tout) doit pofféder 1'intelligence au plus haut degré de perfection. La nature aveugle, aidée du mouvement, ne peut produire que de la- confuflon ; & comme elle agiroit fans combinaifons, elle ne pourroit jamais parvenir k des fins déterminées , ni produire de ces chef- d'ceuvres que la fagacité humaine eft obligée d'admirer dans 1'infiniment petit comme dans 1'infiniment grand. Les fins que la nature s'eft propofées dans fes ouvrages, fe manifeftent fi évidemment, qu'on eft forcé de reconnoitre une caufe fouveraine & fupérieurement intelligente qui y préfide néceffiirement. En examhant l'homme, je le vois nalcre le plus débile de tous les animaux, privé d'armes offenfives & défenfives, incapable de réfïfter aux figueurs des faifons, expofé fans ceffe a être dévoré par les bêtes féroces. Pour compenfor la foibleffe de fon corps & afin que 1'efpèce ne pérlt point, la nature 1'a doué d'u;ie intelügence fu&éE 6  i©8 EXAMEN CRITIQUE rieure a celle des autres créatures; avantage par lequel il fe procure a'rtificiellement ceque d'ailleurs la nature paroit lui avoir refufé. Le plus vil des animaux refferre en fon corps un laboratoire plus artiftement fabriqué que celui du plus habile chimifte ; il prépare les fucs qui renouvellent fon étre, qui s'affimilent aux parties qui le compoient & qui prolongent fon exiftence. Comment cette organifation merveilleufe & néceffaire a tous l es étres animés pour leur confervation, pourroit-elle étnaner d'une caufe brute, qui opéreroit fes plus grandes merveilles fans même s'en appercevoir? Jl n'en faut pas tant pour ccnfondre notre philofophe & ruiner fon fyftème; 1'ceil d'un ciron, un brin d'herbe font fuffifans pour lui prouver 1'intelligence de 1'ouvrier. Je vais plus loin; je crois même qu'en admettant comme lui une première cauie aveugle , on pourroit lui démontrer que la génér^tion des eff èces deviendroit incertaine, & dégénéreroit au hafard en êtres divers & bizarres. 31 n'y a donc que les lois immuables d'une naiure intelligente, qui dans cette multitude de production puiffent maintenir invariablement les efpèces dant, leur ei tière intégrilé. L'auteur tache en vain de fe faire ibufion ; la vériré, plus forte cue lui, le contraint de dire (*) que la nature raffemble dar.s fon laboratoire immenfe des matéliaux pour former de nouvelles produflions: elle (?) I Pi.rt. Chap. VI.  DU STSTEME DE LA NATURE. i©£ fe propofe donc uxe fin ; donc elle eft intelligente. Pour peu qu'on foit de bonne foi, il eft impoffible de fe refufer a cette vérité; les objections mêmes tirées du mal phyfique & du mal moral ne fauroient la renverfsr : Téternité du monde détruit cette difficulté. La nature eft donc fans contredit intelligente, agiffant toujours conformément aux lois éternelles de la pefantenr, du mouvement, de la gravitation &c. qu'elle ne fauroit ni détruire, ni changer. Quoique notre raifon nous prouve eet être, que nous 1'entrevoyions, que nous devinions quelques - unes de fes opérations, jamais nous ne pourrons affez le connoitre pour le définir , & tout philofophe qui attaque le fantóme créé par les théologiens, combat en effet contre la nue de PIxion, fans efaeurer en aucune facon eet être auquel tout 1'univers fert de preuve & de témoignage. On fera fans doute bien étonné qu'un philofophe auffi éclairé que notre auteur s'avife d'accréditer les erreurs anciennes des géné ations fans germe & par corruption ; il cite Needham, ce médecin anglois , qui, trompé par une fauffe expérience, crut avoir fait des anguilles. Si de tels faite étoient véritables, ils pourroient convenir aux opérations d'une nature aveugle; mais ils font démentis par toutes les expériences. Croiroiton bien encore que le même auteur admet un déluge univerfel ? abfurdité, miracle inadmiffib^g pour un géomètre, & qui ne peut en aucune facon s'ajuiter a fon fyftèrae. Ces eaux qui fubmergèrent E 7  ncy EXAMEN CRITIQUE notre globe furent-elles créées expres? Quelle maffe énorme , pour s'élever au defllis des plus hautes montagnes! Furent-elles depuis anéanties? Que devinrent-elles ? Quoi! il ferme les yeux pour ne pas voir un être intelligent, prélidant k eet univers, que toute la nature lui annonce, & il croit au miracle le plus oppofé a la raifon qu'on ait jamais imaginé? J'avoue que je ne concois point comment tant de contradiétions ont pu fe concilier dans une tête phitofophique, & comment en compofant fon ouvrage 1'auteur ne s'en eft pas apperxu lui-même. Mais allons plus loin. II a prefque copié 'ittéralement le fyftème de la fatalité tel que Leibnitz Texpofe & que .Wol ff 1'a commenté. Je crois, pour bien s'entendre, qu'il faut défïnir 1'idée qu'on attaché a la liberté. J'entends par ce mot tout acte de notre volonté qui fe détermine par elle-mêïie & fans contrainte. Ne penfez pas qu'en partant de ce principe, je me propofe de combattre en général & en tout point le fyftème de la fatalité; je ne cherche que la vérité, je la refpeccs partout óü je la trouve, & je m'y foumets quani oii me la mon re. Pour bien juger de la queftion; rapport ms 1'argument principal de 1'auteur. Toutes nos idéés, dit-il, nous viennent par Les feos & par une fuite de notre órgarufation: ainfi toutes uos aftions font néceffaires. On convient avec lui que nous devons tout a nos fens com ne a nos or<*anes ; mais 1'auteur devoit s'appurcsvoir que des idéés recues donnent  DU SYSTEME DE LA NATURE, ui lieu a des combinaifocs Eouvelles. Dans la première de ces opérations 1'ame eft paflive, dans la feconde elle eft aftive. L'invention & Pimagina■ tion travaillent fur des objets que les fens nous ont appris aconnoitre: par exemple , comme lorfque Newton apprit la .géométrie , fon efprit étoit patiënt, il recueilloit des notions, mais lcrfqu'il parvint a fes découvertes étonnantes, il étoit plus qu'agent, il étoit créateur. 11 faut bien diftinguer dans l'homme les différentes opérations de l'efprit, efclave dans celles oü 1'impulfion domine, & trèslibre dans celles' oii fon imagination agit. Je conviens donc avec 1'auteur qu'il y a un cer'tain enchainement de caufes dont 1'influence agit fur l'homme & le domine par reprifes. L'homme recoit en naiffant fon tempérament, fon cataftère, avec le germe de fes vices & de fes vertus, une portion d'efprit qu'il ne peut ni refferrér ni étendre, des talens ou du génie, ou de la pefanteur & de 1'incapacité. Auffi fouvent que nous nous laiffons emporter a la fougue de nos paffions, Ia fatalité, viclorieufe de notre libetté, triomphe; auiïi fouvent que la force de la raifon dompte ces paffions, la liberté 1'emporte. Mais l'homme n'eftil pas très-libre, quand on lui propofe différens partis, qu'il examine , qu'il penche vers Tun ou vers 1'autre, & qu'enfin il fe détermine par fon choix? L'auteur me répondra fans doute que la néceffité dirige ce choix. Je crois entrevo:r dans cette réponfe un abus du terme de néceffité cojï-  112 EXAMEN CRI TIQUE fondu avec ceux de caufe, de mstif, de raifenv Sans doute que rien n'arrive fans caufe,mais toute caufe n'eft pas néceiXiire. Sans doute qu'un homme qui n'eft pas infenfé , fe déterminera par des raifons relatives a fon amour - propre ; je Ie répète, il ne feroit pas libre, mais fou a lier, s'il agiffoit autrement. II en eft donc de la liberté comme de la fageffe, de la raifon, de la vertu, de la fanté, qu'aucun mortel ne poffède parfaitetnent, mais par intervalles. Nous fommes, en quelques articles, patiens fous I'empire de Ia fatalité, & en quelques autres , agens indépendans & libres. Tenons-nous en a Locke. Ce philofophe eft trés perfuadé que lorfque fa porie eft fermée, il n'eft pas le maitre d'en fortir; mais que lorfqu'elle eft ouvertc, il eft libre d'agir comme bon lui femble. Plus on quinteffencie cette matière, plus elle s'embrouille; on parvient a force de raffinemens a la rendre fi obfcure , qu'on ne s'entend plus foi ■ même ; il eft furtout facheux pour les partifans du fatalisme que leur vie active fe trouve fans ceffe en contradiétion avec les principes de leur fpéculation. L'auteur du fyftème de la. nature , après avoir épuifé tous les argumens que fon ima^ination lui fournit, pour prouver qu'une néceffité fatale enchai»e & dirige abfolument les hommes dans ieutes leurs adtions, devoit rlonc en cocclure que nous ne fommes que des efpèces de machines, ou fi vous voulez des marionnettes, mues par les mains d'un agent aveugle. Cependant il s'emporte conue  DU SISTEME DE LA NATURK u? les prêtres, contre les gouvernemens & eontre1'éducation ; il croit donc que les hommes qui occupent ces emplois font libres, en leur prouvans ' qu'ils font des efclaves. Quelle abfurdité! quelle contradiaion! Si tout eft mu par des caufes néceffaires, les avis, les inftructions, les lois, les peines, les récompenfes deviennent auffi fuperflues qu'inutiles; c'eft dire a un homme enchainé, brife tes liens; autant vaudroit-fl fermonner un chêne, pour le perfuader de fe transformer en oranger. Mais 1'expérience nous prouve que 1'on peut parvenir a corriger les hommes; il faut doac de néceffité en conclure qu'ils jouiffent au moins en partie de. la liberté. Tenons-nous, en aux Iecons de cette expérience , & n'admettons point un principe que nous contredifons fans ceffe par nos aélions. Du principe de la fatalité réfultent les plus funeftes conféquences pour la fociété : en padmettant Mare Aurèle & Catilina, Ie Préfident de Thou & Ravaillac feroient égaux en mérite. I! ne faudroit confidérer les hommes que comme des machines, les unes faites pour le vice, les autrea pour la vertu, incapables de mériter ou de déméïiter par elles-mêmes, & par conféquent d'étre punies ou récompenfées; ce qui fappe la morale, les bonnes mceurs, & les fondemens fur lefquels la fociété eft établie. Mais d'oü vient eet amour que généralement tous les hommes ont pour la liberté? Si c'étoit un être idéal, d'oü le connoltioient-ils? II faut donc qu'ils en ayent fait 1'expé-  1X4 EXAMEN CRITIQUÈ rience , qu'ils 1'ayent fentie; il faut donc qu'elle exifte réellement , ou il feroit improbable qu'ils puffent 1'aimer. Qjoi qu'en difent Calvin, Leibnit?, les Arminiens & 1'auteur du fyftème de la nature, ils ne perfuaderont jamais a perfonne que r.ous fommes des roues a moulin qu'une caufe néceffaire & irréfiftible fait mou^oir au gré de fon caprice. Toutes ces fautes dans lefquelles notre auteur eft tombé, viennent de la fureur de l'efprit fyftéma. tique ; il s'eft prévenu pour fes opinions; il a rencontré des phénomèues, des circonftances & des morceaux de détail qui cadroient bien avec fon principe; mais en généraüfant fes idéés, i! a trouvé d'autres -combinaifons & des vérités d'expérience qui lui étoient contraires: pour ces dernières, a force de les tordre & de leur faire violence, il les a ajuftées Ie mieux qu'il a pu avec le refte de fon fyftème. II eft certain qu'il n'a négligé aucune des preuves qui peuvent fortifier le dogme de la fatalité, & en même temps 8 eft clair qu'il le dément dans tout Ie cours de fon ouvrage. Pour moi , je penfe que dans un cas pareil un véritable philofophe doit facrifier fori amour-propre a 1'amour de la vérité. Mais paffons a Partiele qui regarde Ia religion. On pourroit accufer 1'auteur de féchereffe d'efprit & furtout de mal • adreffe, paree qu'il calomnie la religion cirrétienne en lui imputant des défauts qu'elle n'a pas. Comment peut - il dire avec vérité que cette religion eft caufe de tous les malheurs  DU STSTEME DE LA NATURE. du genre humain ? Pour s'exprimer avec jufteffe, il auroit pu dire fimplementquel'ambition&l'inté. rêt des hommes fe fervent du prétexte de cette religion pour troubler ,1e monde & contenter les paffions. Que peut-on reprendre de bonne foi dans la morale contenue dans le décalogue? N'y eüt-il dans Pévangile que ce feul précepte : „ ne faites pas* aux autres ce que vous ne vou„ lez pas qu'on vous fafle ," on feroit obligé de convenir que ce peu de mots renferme la quinteffence de toute morale. Et le pardon des offenfes, & la charité & 1'humanité ne furentelles pas prêchées par Jéfus dans fon excellent fermon de la montagne ? 11 ne falloit donc pas confondre la loi avec Pabus, les chofes écrites & les chofes qui fe pratiquent, la yéritable morale cbrétienne avec celle que les prêtres ont dégradée. Comment donc peut-il charger la religion chrétienne en elle-même d'étre la caufe de ïa dépravation des mceurs? 1***»* P°"rr°1(: accufer les eccléfiaftiques de fubftituer la foi aux vertus de la fociété , des pratiques extérieures aux bonnes ceuvres , des expiations légères aux remords de la confcience, des indulgences qu'ils vendent a la néceffité de s'amender; il pourroit leur reprocher d'abfoudre du ferment, de contraindre & de violenter les confciences. Ces abus criminels méritent qu'on s'élève contre ceux qui les introduifent & contre ceux qui les autorifent: mais de quel droit le peutril faire, lui qui fuppofe les /  ïiS EXAMEN CRITIQUE lommes machines ? Gommenf peut - il reprendre' «ne machine tonfurée, que la nécefilté a forcée ds tromper, de friponner, & de fe jouer infolemment de la crédu'ité du vulgaire? Mais faifons un moment trève avec le fyftème' de la fatalité & prenons les chofes comme elles font réellement dans le monde. L'auteur devroit tëvoir que la religion, les lois, un gouvernement quelconque, n'empêcheront jamais que les Etats ne contiennent plus ou moins de fcélérats dans le grand nombre des citoyens qui les compofent: partout la groffe maffe du peuple eft peu raifonnable, facile a fe livrer au correct des paffions, & plus encline au vice que portée au bien; tout ce qu'on peut attendre d'un bon gouvernement, c'eft que les grands crimes y foient plus rares que dans wn mauvais. Notre auteur devroit favoir que des «exagérations ne font pas des raifons, que des calomnies décréditent un philofophe comme un auteur qui ne 1'eft pas, & lorfqu'il fe fiche, ce qui lui arrivé parfois-, on pourroit lui appliques ce que Ménippe dit a Jupiter„ Tu prends ton „ foudre, tu as donc tort." II n'y a fans doute qu'une morale; elle contient ce que les individus fe doivent réciproquement, elle eft la bafe de la fociété; fous quelque gouvernement, de quelque religion qu'on foit r elle doit être la même; celle de 1'évangile, prife dans toute fa pureté, feroit utile par fa pratique. Mais fï.nous admeitons le dogme du fatalisme, il n'y a plus ni morale*  J.. DU SYSTEME DE LA NATURE, tlf ai vertu, & tout 1'édiftce de la fociété s'écroule. II eft ineoateftable que le but de notre auteur eft de renverfer la religion; mais il a choifi la route Ia plus détournée & Ia plus difScile pour y parvenir. Voici, ce me femble, Ia marche Ia plus naturelle qu'il devoit fuivre : attaquer la partie hiftorique de Ia religion , les fables abfurdes fur lefqueiles» on a bati fon édifice, les traditions plus abfurdes, plus folies, plus ridicules que tout ce que Ie paga« nifme débitoit de plus extravagant. C'étoit la moyen de prouver que Dieu n'a ,point parlé c'étoit Ie moyen de retirer les hommes de leur fotte & ftupide crédulité. L'auteur avoit encore une voie plus abrégée pour aller a cette même fin. Après avoir étalé les argumens contre 1'immortalité de 1'ame, que Lucrèce expofe avec tant de force dans fon troifième livre, il devoit en conclure, que tout finiffant pour l'homme avec cette vie, ét ne lui reftant nul objet de crainte, ni d'efpérance après fa mort, il ne peut fubfifter par conféquent aucun rapport entre lui & Ia divinité, qui ne peut ni le punir, ni le récompenfer. Sans ce rapport 'il n'y a plus ni culte, ni religion, & Ia divinité ne devient pour l'homme qu'un objet de fpéculation & de curiofité. Mais que de fingularités & de contradiftions dans 1'ouvrage de ce philofophe! Après avoir laborieufement rempli deux volumes de preuves de fon fyftème, (*) il avoue qu'il y a Vol. II. Caap. XIII,  Il8 . EXAMEN CRITIQUE peu d'hommes capables de 1'embraffer & de s'y fixer. On croiroit donc, qu'auffi aveugle qu'il fuppofe la nature, il agit fans,caufe, & qu'une nécesfité irréfifüble lui fait compofer un ouvrage capable de le précipiter dans les plus grands périls, fans que lui, ni perfonne en puiflent jamais recueillir le moindre fruit. Venons-en a préfent aux fouverains, que 1'auteur a fingulièrement pris a tache de décrier; j'ofe Taffurer que jamais les eccléfiaftiques n'ont dit aux princes les fottifes qu'il leur prête. S'il leur arrivé de qualifier les rois d'images de la divinité, c'eft fans doute dans un fens très-hyperbolique, quoique 1'intention foit de les avertir par cette comparaifdh de ne point abufer de leur autorité, d'étre juftes & bienfaifans felon Tidée vulgaire qu'on fe forme de la divinité chez toutes les nations. L'auteur fe fioure qu'il fe fait des traités entre les fouverains & les eccléfiaftiques, par lefquels les princes promettent d'honorer & d'accréditer le clergé , i condition qu'il préche la foumiffion aux peuples; j'ofe TaiTurer que c'eft une idéé creufe, que rien n'eft plus faux ni plus ridiculement imaginé que co foi-difant pafte. II eft très-probabie que les prétres tachent d'accréditer cette opinion, pour fe faire valoir & pour jouer un róle; il eft certain que des fouverains par leur crédulité , leur fuperfti» tion, leur ineptie, & leur aveuglement pour 1'églife 'donnerit lieu de les' foupconner d'une pareille intelügence; mais tout dépend effeftivement du carac-  DU STSTEME DE LA NATURE. 119 stère du prince. Lorfqu'il eft foible & bigot, les eccléfiaftiques prévalent; s'il a le malheur d'étre incrédule, les prêtres cabalent contre lui, & faute de mieux, calomnient & noirciffent fa mémoire. Je paffe encore ces petites bévues aux préj'ugés de 1'auteur; mais comment peut-il accufer les .rois d'êire la caufe de la mauvaife éducation de leurs fujets ? II s'imagine que c'eft un principe de poiitique , qu'il vaut mieux qu'un gouvernement commande a des ignorans qu'a une nation éclairée. Cela fent un peu les idéés d'un recteur de collége, qui refferré dans un petit cercle de fpéculations, ne connoit ni le monde, ni les gouvememens, ni les élémens de la poiitique. Sans doute que tous les gouvernemens des peuples civilifés veillent k 1'inftruction publique. Que font donc ces colléges, ces académies, ces univerfités dont 1'Europe fourmille, fi ce ne font pas des établiflemens deftinés a inftruire la jeuneffe ? Mais prétendre que dans un vafte Etat un prince réponde de 1'éducation que chaque père de familie donne a fes enfans,' c'eft la prétention la plus ridicule que 1'on ait jamais formée. II ne faut pas qu'un fouverain fouille dans Tintérieur des families & qu'il fe mêle de ce qui fe fait dans les maifons des particuliers, ,ou il n'en peut réfulter que la tyrannie la plus odieufe. Notre philofophe écrit ce qui fe préfente au bout de fa plume, fans en examiner les conféquences; & il a de 1'humeur affurément, lorfqu'il qualifie poliment les cours de foyers de la corrup. -  jao EXAMEN CRITIQUE sion publique; en vérité j'en fuis honteux pour is philofophie. Comment peut-on exagérer i ce point? Comment peut-on dire de telles fottifes? Un efprit moins véhément, un fage fe feroit contenté de remarquer que plus les fociétés font nombreufes, & plus les vices y font raffinés, plus les paffions ont occafion de fe déployer, plus elles agiffent. On pafferoit la comparaifon du foyer k Juvenal , ou a quelque fatyrique de profeffion, •mais a un philofophe je n'en dis pas davan- tage. Si notre auteur avoit été fix mois fyndic dans la petite ville de Pau dans le Béarn, il ap. précieroit mieux les hommes qu'il n'apprendra jamais a les connoitre par fes vaines fpéculation?. Comment peut-il s'imaginer que les fouverains encouragent leurs fujets au crime. & quel bien leur Teviendro't - il de fe mettre dans la néceffité de punir les malfaiteurs? II arrivé fans doute de loin a loin que quelques fcélérats échappent a la rigueur ■des lois; mais jamais cela ne provient d'un deffein fixe d'encourager les attentats par 1'efpérance de 1'impunité; il faut attiïbuer ces fortes de cas a la trop grande indulgence du prince. II arrivé fans doute dans tout gouvernement que des coupables, par intrigue, par corruption, ou par 1'appui de protecteurs puiffans, trouvent le moyen de fe foustraire aux punitions qu'ils ont méritées; mais pour arrêter ces fortes de manéges, d'intrigues , de corruptions, il faudroit qu'un prince poffédat 1'omnifcience que les théologiens attribuent k Dieu. Ea  DU .STSTEME DE LA NATURE. 121 £n fait de gouvernement, notre auteur bronche a chaque .pas ; il s'imagine que Ia néceffité & la mifère provoquent les hommes aux plus grands crimes. Ce n'eft point cela. Il n'y a aucun pays oü tout homme qui n'eft ni pareffeux ni fainéant ne trouve fuffifamment par fon travail de quoi fubfi. fter. Dans tous les Etats 1'efpèce la plus dangexeufe eft celle des diffipateurs & des .prodigues; leurs profuüons épuifent en peu de temps leurs ieffources; ce qui les réduit a des extrêmités facheufes, qui les forcent enfuite a recourir aux «xpédiens les plus bas, les plus odieux, les plus Marnes. La troupe de Catilina, les adbérens de Jules Céfar.les frondeurs que le Cardinal de Retz .avoit ameutés, ceux qui s'attacbèrent a Ia fortune de Cromwel, étoient tous gens de cette efpèce, oui ne pouvoient s'acquitier de leurs dettes, ni réparer leur fortune délabrée qu'en bouleverfant 1'Etat dont ils étoient citoyens. Dans les premières families d'un Etat les prodigues friponnent & cabalent; chez le peuple les. diffipateurs & les pareffeux finiffent par devenir brigands, & par commettre les attentats les plus énormes contre Ia ffireté publique. Après que 1'auteur a prouvé évidemment qu'il ne connolt ni les hommes ni comment il faut les gouverner, il répète les déclamations des fatyres de Boileau contre Alexandre le grand, il fait des forties contre Charles Quint & fon fds Philippe II, quoiqu'on s'appercoive a ne .s'y point tromper qu'il en veut a Louis XIV. De Qiuv.poflh.ileFr.ll.T.jrl. F  ia2 . EXAMEN CR1TIQÜE tous les paradoxes que les foi -difant-philofophes de nos jours foutiennent avec le plus de complaifance, celui d'avilir les grands hommes du fiècle paffe paroic leur tenir le plus I cceur. Quelle répu. tation leur reviendra-t-il d'exagérer les fautes d'un ioi qui les a effacées k forcë de gloire & de grandeur ? Les fautes de Louis XIV d'ailleurs font connues, & ces foi-difant philofophes n'ont pas ftulement le petit avantage d'étre les premiers k les découvrir. Un prince qui ne régnera que huit jours, en commettra fans doute; k plus forte raifon un monarque qui a paffé foixante années de fa vie fur le tróne. Si vous voulez vous ériger en juge impartial, & que vous examiniez la vie de ce grand prince vous ferez obligé de convenir qu'il a fait plus de bien que de mal dans fon royaume. Il faudroit remplir un volume, fi 1'on vouloit faire fon apologie en détail ; je me borne ici aux chefs principaux. Attribuez donc, comme de raifon, la perfécution des huguenots a la foibleffe de fon age , k la fuperftition dans laquelle il avoit été élev'é comme k la confiance imprudente qu'il avoit en fon confeffeur; mettez 1'incendie du Palatinat fur le compte de 1'humeur dure & altière de'Louvols- il ne vous reftera gucre de reprodies a lui faire'que fur quelques guerres entreprifes par vamté ou par efprit de hauteur. Au refte vous ne pouvez lui refufer d'avoir été le proteftêur des beaux arts. La France lui doit fes manufaftures & fon commerce; elle lui doit de plus 1'arrondiflsrnent de  DU SYSTEME DE LA NATURE. 123 fes belles frontières & Ia confidération dont elle a joui de fon temps en Europe. Rendez donc hommage a fes qualités louables & vraiment royales. Quiconque de nos jours veut entamer les fouverains, doit attaquer leur molleife, leur fainéantife, leur ignorance ; ils font la plupart plus foibles qu'ambitieux, & plus vains qu'avides de dominer. Les véritables fentimens de 1'auteur fur les gouvernemens ne fe découvrent que vers Ia fin de fon ouvrage; c'eft-la qu'il nous apprend que felon lui les fujets devroient jouir du droit de dépofer leurs fouverains,Iorfqu'ils en font mécontens. C'eft pour amener les chofes a ce but qu'il fe récrie contre ces grandes armées qui pourroient y porter quelque obftacle; on croiroit lire Ia fable du loup 6c du berger de la Fontaine. Si jamais les idéés creufes de notre philofophe pouvoient fe réalifer, il fau. droit préalablement refondre les formes de gouvernement dans tous les Etats de 1'Europe, ce qui lui paroit une bagatelle; il faudroit encore, ce qui me paroit impoffible, que ces fujets érigés en juges de leur maitre fuffent & fages & équitables; que les afpirans au tróne fuffent fans ambition; que ni I'intrigue, ni Ia cabale, ni un efprit d'indépendance nepuffent pré valoir; il faudroit encore quela race détrónée fut totalement extirpée , ou ce feroient des alimens de guerres civiles , & des •chefs de partis toujours prêts a fe mettre a la tête des faaions, pour troubler 1'Etat. II réfulteroit F *  ïH EXAMEN CRITIQJJE encore , en conféquence de cette forme de gouvei> nement, que les candidats & les prétendans au tróne remueroient continuellement, animeroient le peuple contte le prince, & fomenteroient des féditions & des .révoltes i la faveur defquelles ils fe flatteroient d'ilever leur fortune & de parvenir- a la domination; de forte qu'un gouvernement pareil feroit fans ceffe expofé a des guerres inteftines, mille fois plus dangereufes que les guerres étrangères. C'eft pour éviter de -femblables inconvéniens que 1'ordre de fucceflion a été adopté & établi dans plufieurs Etats de 1'Europe. -On s'eft appercu du trouble que les éleclions enttainent après elles, & 1'on a craint, comme de raifon, que des voifins jaloux ne profitaflent d'une occafion auffi favorable pour fubjuguer 'ou dévafter Ie royaume. L'auteur pouvoit facilement s'éclaircir fur les conféquences -de fes principes ; il n'avoit qu'a jeter un coupd'ceil fur la Pologne, ou cbaque éledtion de Roi eft 1'époque d'une guerre civile & étrangère. C'eft une grande eireur de croire que dans les chofes humaines il puiffe fe rencontrer des perfec.tions; Timagination peut fe forger de telles chimères, mais elles ne feront jamais réalifées. Depuis que Ie monde dure, les r.ations ont effayé de toutes les formes de gouvernement, les hiftoires en fourmillent; mais il n'en eft aucun qui ne foit fujet i ^es inconvéniens: la plupart des peuples ont cepen4ant jautorifé 1'ordre de fucceifipn des -families  tU SYSTEME DE LA NATURE. 123 ïégnantes, paree que dans le ehoix qu'ils avoient a faire, c'étoit Ie parti le moins mauvais. Le mal qui réfulte de cette inftitution, confifte en ce qu'il eft impoffible que dans une familie les taléns & le mérite .foient tranfmis fans interruption de père en fils pendant une longue fuite d'années, & qu'il arrivé que le tróne eft quelquefois occupé par des princes indignes de le remplir. Dans ce cas même retle Ia reffource d*habiles miniftres, qui peuvent réparer par leur capacité ce que i'ineptie du fouverain gateroit fans doute. Le bien qui fuit évidemment de eet arrangement, confifte en ce que des princes nés fur le tróne ont moins de morgue & de vanité que des nouveaux parvenus , qui enflés de leur grandeur & dédaignant ceux qui furent leurs égaux, fe complaifent a leur faire fentir en toute occafion leur fupèriorité. Mais obfervez furtout qu'un prince qui eft für que fes enfans lui fuccéderont, croyant travailler poisr fa familie, s'appliquera avec bien plus de zèle au vrai bien de 1'Etat qu'il envifage comme fon patrimoine; au lieu que dans les Etats électifs les fouverains ne penfent qu'a eux.a ce qui peut durer pendant leur vie, & a rien de plus; ils tachent d'enrichir leur familie , & laiffent tout dépérir dans un Etat qui a leurs yeux eft une poffefiion précaire, a laquelle il faudra renoncer un jour» Si quelqu'un veut s'en convaincre, il n'a qu'a s'in« former de ce qui fe paffe dans les évêchés de F 3  xa«- EXAMEN CRITIQUE £f epinion que nous foyons; que 1'amitié & Ia compaflion font des devoirs univèrfels: en un mot la réflexion corrige en nous tous les défauts du tempérament. Tel eft le véritable ufage des fciences, & voila par conféquent la règle de 1'obligation que nous devons.avoir a ceux qui les cultivent & qui tachent d'en fixer 1 ufage parmi nous. M. de Voltaire, qui embraffe toutes ces fciences , m'a toujours paru mériter une part a la gratitude du public, & d'autant plus grande, qu'il ne vit & ne travaille que pour le bien de 1'humanité. Cette réflexion, & le déiir que j'ai eu toute ma vie de rendre hom. mage a la vérité, m'ont déterminé a procurer cette édition au public; je 1'ai rendue auffi digne qu'il m'a éte poflible de M. de Voltaire & de fes lecteurs. En un mot, il m'a paru que donner des marqués d'eftime a eet admirable auteur, c'étoit en quelque fagon honorer notre fiècle, & que du moins la poflérité fe rediroit d'age en age, que fi notre fiècle a produit des hommes célèbres, il en a ïeconnu toute Pexcellence, & que 1'envie ni les cabales n'ont pu opprimer ceux que leur mérite & leurs talens diftinguoient du vulgaire & même des grands hommes.  DIS'SERTATION ERREURS DE L'ESPRlTi M owsiettr, Je me crois obligé de vous rendre raifon de mon loifir & de 1'ufage que je feis de mon temps. Vous connoiffez le goüt que j'ai pour la philofophie; c'eft une paffion chez moi;. elle accompagne fidellement tous mes pas. Quelques amis qui connoiffent- en moi ce gout dominant, foit pour s'y accommoder, foit qu'ils j trouventplaifir eux-mêmes, m'entretiennent fouvent fur des matières fpéculatives, de phyfique, de métaphyfique, ou de morale. Nos converfation? font d'ordfnaire peu remarquables, paree qu'elles roulent fur des fujets connus, ou qui font au deffous de 1'ceil éclairé des favans. La converfation que j'eus hier au foir avec Ptilante, me parut plus digne d'attention; elle portoit fur un fujet qui intéreffe & partage prefque tout Ie genre humain. Je penfai d'abord a vous; il me fembla que je vous devois cette converfation; je montai incontinent dans ma chambre au retour de la promenade; les idéés toutes fraiches & l'efprit plein de notre difcours, je le couchai par écrit le mieux qu'il me fut poflible. Je vous prie, Monfieur, de m'en dire votre feiitiment, & fi je fuis affez heureux SUR. L'INNOCENCE DES  D'ISSERTJTION (ft. taz pour 1'avoir rencontré , votre fincérité fera le falaire de mes petnes; je me trouverai richement récompenfé, fi mon travail ne vous eft pas défagréable. II faifoit hier le plus beau temps du monde; le foleil brilloit d'un feu plus beau qu'i Pordinaire; ie ciel étoit fi ferein, qu'on n'appercevoit aucun nuage a la plus grande diftance; j'avois paffé toute la matinée a 1'étude, & pour me délaffer du travail, je fis une partie de promenade avec Philante; nous nous entretinmes affez iongtemps du bonheur dont jou inent les hommes , & de i'infenfibiüté de la plupart, qui ne goütent poinf ies douceurs d'un beau foleil & d'un air pur & tfanquiile. De coniidérations en confidérations, nous nous appercumes que notre difcours avoit infiniment allongé notre promenade & qu'il étoit temps de rebrouffer chemin pour arriver au logis avant I'obfcurité. Philante,qui 1'obfer vale premier, m'en fit la guerre ; je me défendis en lui difant que fa converfation me paroiflbit fi agréable, que je ne comptois pas les momens lorfque je me trouvois avec lui, & que j'avois cru qu'il étoit aflez temps de penfer a notre retour, lorfqu'on verroit baiffer le foleil. Comment! baiffer le foleil? repartic-il. Etes-vous Copernicien ? & vous accommodez-vous aux facons populaires de s'exprimer & aux erreurs de Tycho Brahé? Tout doucement, lui repartis-je, vous allez bien vite. D'abord H •ne s'agifibit point ici de philofopbie dans une conwfation familière, & ü j'ai failli en péchant contre  I42 DISSERTATION SUR L'INNOCENCE Copernic, ma faute doit m'être auffi facilement pardonnée qu'a Jofué , qui fait arrêter le foleil dans fa courfe, & qui étant divinement infpiré, devoit bien être au fait des fecrets de la nature. Jofué parloit dans ce moment comme le peuple, & moi je parle a un homme éclairé, qui m'entend également bien, d'une ou d'autre manière ; mais puifque vous attaquez ici Tycho Brahé, fouftrez que pour un moment je vous attaque a mon tour. 11 paioit que votre zèle pour Copernic eft bien animé; vous lancez d'abord des anathèmes contre tous ceux qui fe trouvent d'un fentiment contraire au fien. Je veux croire qu'il a raifon ; mais cela eft- il bien fur? Quel garant en avez-vous? eftce que la nature, eft - ce que fon auteur vous ont révélé quelque chofe fur 1'infaillibilité de Copernic? Quant a moi, je ne vois qu'un fyftème,c'eft a dire l'arrangemenü des vifions de Copernic, ajuftées fur les opérations de la nature. Et moi, reprit Philante en s'échauffant, j'y vois la vérité. La vérité, & qu'appellez- vous la vérité? C'eft, dit-il, 1'évidence réelle des êtres & des faits. Et connoltre la vérité? continuai-je. C'eft,merépondit - il, être parvenu a trouver un rapport exact entre les êtres qui exiftent réellement ou qui ont exifté , avec nos idéés, entre les faits paffes ou préfens, & les notions que nous en avons. Suivant cela, mon cher Philante,'nous pouvons peu nous flatter de connoltre des vérités: elles font prefque toutes douteufes, lui dis-je, & il n'ya, felo*  DES ERRREURS DE L'ESPRIT. 143 la défïnition que vous venez de me faire vous» même, il n'y a que deux ou trois vérités tout au plus qui foient inconteftables. Le rapport des fens, qui eft ce que nous avons prefque de plus für, n'eft point exempt d'incertitudes. Nos yeux nous trompent, lorfqu'ils nous peignent ronde de • loin une tour que nous trouvons quarrée en ap. prochant. Nous croyons quelquefois entendre des fons, qui n'ont lieu que dans notre imagination, & qui ne confiftent que dans une impreffion fourda faite fur cos oreilles. L'odorat n'eft pas moins infidelle que les autres fens; il femble quelquefois qu'on fente des odeurs de fieurs dans des prairies ou dans des bois , qui n'y font pas cependant; & a préfent que je vous parle, je m'appercois au fang qui coule de ma main qu'un moucheron m'a piqué: la chaleur du difcours m'a re'ndu infenfible a cette douleur, 1'attouchement m'a fait faux bond. Si donc ce que nous avons de moins douteux, 1'eft fi fort, comment pouvez - vous parler avec tant dè certitude des matières abftraites de la philofophie ? C'eft, repartit Philante, qu'elles font évidentes, & que le fyftème de Copernic eft confirmé par 1'expérience: les révolutions des planètes y font marqüées avec une précifion admirable ; les éclipfes y font calculées avec une jufteffe merveilieufe ; enfin ce fyftème explique parfaitement I'énigme de Ia nature. Mais que diriez - vous, rtpartis - je , fi je vous faifois voir un fyftème trés-différent affurément du vötre, & qui par un  14 4 BISSER TJ.TION SUR L'INJXOCENCE principe évidemment faux explique les mêmes mer» veilles que celui de Copernic ? Je vous attends aux erreurs des Malabares, reprit Philante. C'eft jaiftement de leur montagne que j'allois vous parler; mais erreur tant qu'il vous plalra, ce fyftème, mon cher Philante, explique parfaitement bien les opérations aftronomiques de la nature; & il eft . étonnant, que partant d'un point auffi abfurde que Peft celui de fuppofer le foleil uniquement occupé & faire le tour d'une grande montagne qui fe trouve dans le piys de ces barbares, ces aftronomes ayent pu fi bien prédire les mêmes révolutions & les mêmes éclipfes que votre Copernic: l'erreur des Malabares eft grolTière, celle de Copernic eft peut-être moins fenfible. Peut-être verra-t-on un jour quelque nouveau philofophe dogmatifer du haut de fa gloire , & tout boufii d'arrogance (de quelque découverte peu importante & toujours fuffifante pour fervir de bafe aun nouveau fyftème,) traiter les coperniciens & les newtoniens comme un petit effaim de miférables qui ne méritent pas qu'on relève leurs erreurs. Il eft vrai, dit Philante, que les nouveaux Philofophes ont eu de tout temps le droit de triompher des anciens. Descartes foudroya les faints de Pécole, & ü fut foudroyé a fon tour par Newton , & ce'ui-ci n'attend qu'un fucceffeur pour fubir le même fort. Ne feroit-ce poict, repris-je, qu'il ne faut que de 1'amour - propre pour faire un fyftème ? De cette haute idéé de fon mérite naic un fentiment d'infail.  DES ERREURS DE L'ESPRIT. 14J d'infaillibilité; alors le philofophe forge fon fyftème. II commence par croire aveuglément ce qu'il veut prouver; il cherche des raifons pour y donner un air de v»aifemb!ance, & de la une fource intarisfable d'erreurs. II devroit tout au contraire commeneer par remonter, au moyen de pluiïeurs obfervations , de conféquences en conféquences , & voir fimplement a quoi elles aboutiroient, & ce qui en réfulteroit : on en croiroit moins, & on apprendroit favamment a douter, en fuivant les pas timides de la circonfpe&ion. II vous faudroit des anges pour philofopher , me dit vivement Philante; car oii trouver un homme fans prévent-ion & parfaitement impartial? Ainti, lui dis-je,' Terreur eft notre partage. A Dieu ne plaife! reprit mon ami; nous fommes faits pour la vérité. Je vous prouverai bien le contraire, fi vous voulez vous donner la patience de m'écouter , lui dis-je, & pour eet effet, comme nous voici proche de la maifon, nous nous affeyerons fur ces bancs; car je vous crois fatigué de la promenade. Philante, qui n'eft pas trop bon piéton, & qui avoit plutót marché par diftraction & machinalement que de propos délibéré, fut charmé de s'alTeoir. Nous nous placames tranquillement, & je repris a peu prés ainfi: je vous ai dit, Philante, que l'erreur étoit notre partage; je dois vous le prouver. Cette erreur a plus d'une fource. II paroit que Ie créateur ne nous a pas deftinés pour pofféder beaucoup de fcience & pour faire un grand chemin dans le pays Osuy.poji/i. fa Fr. U. T, n, G 6  Ï54 DISSERTATION SUR L'INNOCENCE fort éionné de ne plus fe trouver au ciel, maia dans un appartemeht affez approchant d'un cachot, & environné d'une compagnie qui n'avoit rien d'angélique, s'empqrta extrêmement contre le médecin, J'éto's bien dans le ciel, lui dit-il: ce E'étoit pas a vous de rn'en fa-re fortir; je voudrois que pour votre peine vous fuffiez condamné a peupler réellement le pays des damnés dans les enfers. Vous voyez par-la, Philante, qu'il eft d'hcureufes erreurs; il ne rn'en eoütera rien de vous montrer qu'elles font innocentes. Je le veux bien, dit Philante; aufti bien nous foupons tard, & nous avons encore pour Ié moins trois heitres a notre difpoOtion. Ii ne m'en faut pas tant, repris-je, pour ce. que j'ai a vous dire; je ferai p'us ménager de mon temps & de votre patience. Vous êtes convenu il y a un moment que l'erreur étoit involontaire chez ceux qui en font infe&és; ils croieDt tenir Ia vérité, & ils s'abufent lis font exeufabies dans le fait, car felon leur fuppofition ils fot>t fürs de la vérité ; ils y yont de bonne foi, ce font ies spparences qui leur en impofent, ils prennej.t Pombre pour le co'ps. Confidérez encore, je vous prie, que le motif de ceux qui tombent dans Terreur eft louable; ils cberchent la vérité, ils s'éga> rent dans le chemin, & s'ils ne !e trouvent poiat., ce n'en étoit pas moins leur volonté; ils mantquoient de guides, ou ce qui pis eft , ils en avoient 4& maiïvais;. ils cheichoient le chemin de la. vérité*  DES ERREURS DE L' EST RIT. itf mais leurs forces n'étoient pas fuffifantes pour y aniver. Pourroit-on conciamner un homme qui fe noyeroit en paffant un fleuve extrêmement large qu'il n'auroit pas la force de franchir?' A moins que de n'avoir rien d'humam , on compatiroit a fa. trifte detlinée , on plaindroit un homme fi plein de courage, capable d'un defTein auffi généreux 6c auffi hardi, de n'avoir point été affes fecouru da la nature; fa témérité paroitroit digne d'un fort plus heureux, & fes cendres feroient arrofées de larmes. Tout homme qui penfe , doit faire des efforts pour connoitre la vérité; ees efforts font dignes de nous , quand même ils furpafiëroient notre capacité. C'eft un affez grand malheur pour nous que ces vérités foient impénétrables; il ne faut pas I'augmenter par notre mépris pour ceux qui font naufrage a la découverte de ce nouveau monde ; ce font des Argonautes généreux , qui s'expofent pour le falut de leurs compatriotes , 6c c'eft affurément un travail bien rude que celui d'errer dans les pays imaginaires; Pair de ces con* trées nous eft contraire,nous ne connOiffons point le langage des habitans ,' & nous ne favons pas marcher a travers ces fables mouvans. Croyezmoi, Philante, ayons du fupport pour l'erreur,c'efl un poifon fubtil qui fe gliffe dans nos cceurs, fans que nous nous en appercevions. Moi qui vous parle, je ne fuis pas fur d'en êcre exempt. Ne donnons jamais dans le ridicule orgue.1 de ces iavans wfaillibles, dout les paroles doivect pafTa G 2  IS8 DISSERTATION SUR UINXOCËNC& pour autant d'oracles; foyons pleins d'indulgence pour les erreurs les plus palpables, & ayons de la condefcendance pour les opinions de ceux avec lefquels nous vivons en fociété. Pourquoi troublerions-nous la douceur des liens qui nous uniffent, pour 1'amour d'une opinion fur.laquelle nous manquons nous-mêmes de conviétion ? Ne nous én. geons point en chevaliers défenfeurs d'une vérité inconnue, & laiffons a 1'imagination de chacun la liberté de compofer le roman de fes idéés. Les fiècles des héros fabuleux , des miracles & des extravagances chevalerefques font paffés. Don Quichotte fe fait encore admirer dans Michel de Cervantes; mais les Pharamond, les Roland, les Amadis s'attireroient la rifée de toutes les perfo> nïs raifonnables, & les chevaliers qui voudroient marcher fur leurs traces, auroient le même deftin. Remarquez encore que pour extirper l'erreur de 1'univers, il faudroit exterminer tout le genre humain, Croyez-moi , continuai - je, ce n'eft pas no'.re facon de penfer fur des matières fpéculatives qui peut influer fur le bonheur de la fociété, mais c'etLnotre manière d'agir. Soyez partifan du fyftème de Tycho Brahé ou de celui des Malabrres, je vous le pardonnerai fans peine , pourvu que vous foyez humain; mais fufllez-vous le plus orthodoxe de tous les dofteurs, fi votre caraclère eft cruel, dur & barbare, je vous abhorrerai toujours. Je me conforme entlèrement a vos fentimens, me dit Philante. A ces mots nous entendiraes nom  DES ERREURS DE L' ESP RIT. 159 loin de nous un bruit fourd, tel que celui d'une perfonne qui marmotte quelques paroles injurieufes. Nous nous tournames & nous fümes tout furpris d'appercevoir a Ia clarté de la lune notre aumónier, qui n'étoit qu'a deux pas de nous, & qui vraifemblablement avoit entendu la meilleure partie de notre difcourc. Ah! mon père, lui dis-je, d'oü vient que nous vous rencontrons fi tard? C'eft aujourd'hui famedi, reprit-il; j'étois ici k compofer mon pröne pour demain, lorfque j'ai entendu a moitié quelques mo'.s de votre difcours, qui m'ont engagé a écouter le refte. Plüt-au-ciel, pour le bien de mon ame, que je ne les euffe point entendus! Vous avez excité ma jufte colère, vous avez fcandalifé mes oreilles; profanes! qui préfércz i'humanité, la charité & 1'humilité, k la puiffance de la foi & k la fainteté de notre croyance. Eh! de grace, repartis-je, mon père , nous n'avons point touché des matières de religio;]; nous n'avons parlé que de fujets de philofophie trés indifférens, & a moins que vous n'érigiez Tycho Brahé & Copernic en pères de Téglife, js ne vois pas de quoi vous avez a vous plaindre. Allez,allez, nous dit-il, je vous prêcherai demain. Nous voulumes lui répondre ; mais il nous quitta brufquement, marmottant toujours quelques paroles que nous ne pümes pas bien diftinguer. Nous nous retirames trèsmortifiés de 1'aventure qui nou3 étoit arrivée, & fort embarraffés des mefures que nous devions prendre. II me femWoit que je n'avois rien dit  i6o DISSERTATION @ci q.ui'düt choquer perfonne , & que ce que favcsis avancé a 1'avantage de Terreur étoit conforme ai Ia droite raifon, & par conféquent aux principes de notre très-fainte religion , qui nous ordonno même de fupporter mutuellement nos défauts, & de ne point fcandalifer ou choquer les foibles. Je me fentois net a 1'égard de mes fentimens, mais la feule chofe qui me faifoit craindre, étoit Ia facon de penfer des dévors, On connolt trop juf. qu'oü vont leurs emp ortemens, & combien iis font capables de prévenir contre 1'innocence, lorfqu'iis fe mêlent de répandre Talarme contre ceux qu'ils ..ont pris en averfion. Philante me raffura de fon mieux , & nous nous retirames après le foup-.T chacun de fon cóté, rêvant, je penfe, au fujet de notre converfation & a la malencontreufe aventure du prêtre. Je montai incontinent dans ma chamire, & je paffü la meilleure partie de la nuit a vous marquer ce que j'avois pu retenir de nocre. converfation.  p O E S I E S. K P I T R E S . ... v,.,a ■ MONSIEUR JORDAN. Jordan, cher atome fceptiqus, Dont le regard percant de lynx Et la rigoureufe critique Te fait du peuple poëtique Plus crairidre qu'a: Thèbes le fphynx, Voici de nouveau bavardage, Que ton efprit judicieux N'eftimera point comme ouvrage D'un didaftique férieux. Ma Mufe badine & volage, Au lieu d'imiter le ramage De que.'que cygne harmonieux, Se contente dans Ton jeune age D'un chant aifé moins ennuyeux. Qui n'a point part comme Voltaire Ds prendre fon vol jufqu'aux cieux, Doit humblement rafer la terre, Cédant aux plus audtcieux L'art de Toifeau porte-tonneire Qui plane & vale au haut des airs, Taudis que le ferin en cagea  Stf2 * O E $ I E 9. Malgré Ia prifon & fes fers, Sait goüter au moins 1'avantage De plaire par fjn gazouillage. Tiens, je t'abandonne mes vers: Corrige, efface, ajoute, lime; Ne crains point qu'ils foient è couvere D'un amour-propre folliflime. Je te verrois la plu-me en main Rigoureufemont les détruire, Avec le fang froid du romain Qui bróla fa main fans rien dire. Vous aurez la bonté de me renvoyer ma pièce avec vos remarques ce foir. Adieu, Mars m'ap. pelle. F ce p de Mai 1739. Pour ie coup je vous reconnois. Et votre efprit fe manifefte Par la facon légere & prefte Dont vos aimables vers font faits. Que votre grande ame alarmée Sans peur chemine vers 1'armée; Vous n'y trouverez fur ma foi Aucun hafard, point d'embufcade , Et très-paiflblement chez moi Vous pourriez boire rafade. Si eet appat infuffifant N'eft pas ce qui vous détermine,  P O E S 1 E S. 163 Sachez qu'a Brieg on voit par cent Des bouquins rongés de vermine, Et de ces gros in-folio Ornés de pédantefque mine, De ces livres vraiment brutaux Dont on vous cafferoit 1'échine, Et qui font le charme des fots. Si tout ceci ne peut vous plaire, Je vous garantis le plaifir Que le long du jour a loifir Vous n'aurez rien du tout a faire. Tenez, je vous offre a 1'encan Tous les charmes de notre camp; Car pour vous tenter par la gloire Mes vers arriveroient trop tard, Vous qui long-temps avez eu part Au temple immortel de mémoire. Au camp de Molwitz, ce 16 de Mai 174a. J)e ma cbétive infirmerie A votre fuperbé hópital, Salut è voire feigneurie, A fon air grave & magiftral. La fièvre qui me perfécute, M'arrête ici cruellement; De quatre a quatre jours je lutte Contre fon trifte acharnement.  ï 6"# JP O £ S I È Si Algarotti, Dieir du genie Et de la -bonne compagnie, Diffipe mes défagrémens, Et Maupertuis qui le fecondi, Pétrit & applatit le monde', Afin de diftraire mes fens. Cepencant ma rude ennemis Revient toujours a pas pefans Ronger la trame de ma vie Avec fes fanguinaires dents. Tu fais que du Dieu d'Epidaure Je ne fus jamais fectateur, Et que convaincu de l'erreur Que 1'ignare vulgaire adore, J'ai ri du dupé, dur trompeur. Ainfi, 5ien qu'elle s'en ofFenfe, Je négligé la faculté, Et je iaiffe a ma tempérance Tout i'embarras de ma fanté. Je ne faisquand la fièvre me paftera,mais elle commence pourtant a diminuer; ce qui me donr.e bonne efpérance qu'elle me quittera bien tót. Pour toutes vos bellt s nouvelles, je n'en ai aucune autre i vous dire, finon que je compte de voir Voltaire dimanebe. Comme je ne faurois voyager, j'efpère qu'il fe rendra ici. Je partirai jeudi pour Hamm. J'irai lettement, fi la fièvre ne me quitte; mais fi je rn'en .défais, j'arriverai plus promptement,A,dieu} cher Jordan, '"'« • i . M> ~ ' -  r O E S I E $, s€S •Que le Ciel veurlle préferver De malheur .& de maladie, Pour qu'on puiffe le retrouver Gai, content & rempU de vie! A WeTel, ce 7 Septembre" 1740. Déja vous tremblez a Breslau, Lorfque nous marchons a Grotkau, Et les fiéges & les batailles Vous attendriffent les entrailles. En un mot, paifible Jordan, Jamais aucun licvre en fon gite Ne s'apprête a courir fi vlte Que vous quand vous levez le camp. Mais raifonnons, je vous en priej Que devient donc en ce moment Cette grave philofophie Dont vous nous parlez fi fouvent, Et cs ftoïcifme infolent Qui vous fait méprifer la vie Quand le danger n'eft pas préfent? Le canon gronde, & fon tonnerre Ebranle le fond' de la terre, II tombe une grêle de fer, Le plomb vole & remplit tout Pair," Et la mort qu'enfante la guerre, Ouvre un gauffre tel qu'un enfer.  X6G P O E S I E S. II fort une fiamme infernale De cette gueule triomphale, Qui porte Ia deftruftion. Ici c'eft le feu de Bellone, Et plus bas le glaive moiffonne Sans pitié., fans compaffion. Tel qui dans le fein de la fiamme,1 De Ia mort, de mille dangers, Garde Ia tranquillité d'ame Egale aux objets étrangers, Mérite en effet 1'apoftrophe De vrai fage & de philofophe; Les autres font des importeurs. Voyez donc, Meffieurs les auteurs, Qu'elle eft grande la différence Du folide & de 1'apparence; Combien les dehors impofteurs Sont' différens de 1'évidence? Dans vos ftudieufes erreurs, Au fond d'une bibliothèque, Vous faites trés-bien les do&eurs; De votre valeur intrinfèque Le danger peut nous éclaircir; 11 paroit, on vous voit courir. Nous plus forts d'efprit que ces fages, Nous oppöfons a ces orages Le flegme & Tintrépidité. Que tout périffe & fe confonde, Que tout fe bouleverfe au monde, Rien n'ébranle ma fermeté.  P O E S I E S. r6"y C'eft ainfi que d'un camp très-guerrier je prends la liberté de faluer votre fapience. Le compliment que vous fait ma Mufe, fent un peu fon militaire; mais vous y trouverez du vrai, & je vous prie par parenthèfe de vous fouvenir que la vérité a toujours été ma maiireffe. Lorfque je me mê'erai de eeurtoifie, ma Mufe vous fera un compliment plus obligeant. En attendant je vous prie de croire que je n'en fuis ni plus ni moins Votre admirateur £? ami. Au camp de Grotkau, ee 5 de Mai 1741, Je Vous écris de ce beau camp Oü tout le danger qu'on y trouve Exerce la valeur, 1'éprouve; Oü mille Mirmidons de Mars, Autrement nommés les houfards, Viennent vingt fois dans la journée Nous fouhaiter la bonne année; Oü les bombes & la batterie Vers Brieg font un feu de furie. Or donc dans ce camp -fi terrible ; Oii tout femble annoncer la mort, Nous vivons tranquilles, paifibles: Tout ce qui reluit n'eft pas or. Vous voyez, Monfieur, par les belles chofes que j'ai Phonneur de vous dire, qu'on peut.prendre la peur a tort; c'eft ce qu'on appelle être  ié* f O E S I E s. poltron en pure perte. Je m'étois flatté jufqu'ici, mais fans fondement, que j'aurois de vous une apparition béatifique; mais les dangers nous féparent fi bien, que je crains de ne vous pas pofleder de fitöt. On débite que votre dernier voyage vous a caufé de li grandes incommodités, que les médecins de Breslau ont été obligés d'ufer de tous les aftringens poffibles, pour arrêter les efTets que votre grande prudence avoit opérés fur votre tempérament. Vous n'ignorez plus que la ville de Brieg s'eil rendue; nous Pavons trouyée entourée de mines & de fougaffes. Vous êtes bien heureux d'avoir évité 1'affaut général, fans quoi a califourchon fur une bombe on vous auroit vu arriver en paradis. Hélas! pauvre Jordan, qu'eüt dit alors le bel Horace, votre bibliothéque, Margot de la pjante &c? Pour re vous pas diftraire plus long-temps de votre laborieufe étude, je finis une lettre que vous trouverez peut-ê're déja trop longue,en vous affurant qu'une autre fois j'uferai plus du vertatur ftylui. Soyez perfuadé que malgré tous les petits reproches que je viens de vous faire, on vous eftime autant dans mon camp qu'on pourroit vous ptifer au Portique ou au Lycée, & que dans mon petit particulier les qualités de 1'ami effaceront les défauts du poltron. Adieu. Au camp de Molwitz, ce 6 de Mai 1741.  p O E S l E S. .165 Au camp retranché de Mihvitz, Endroit oü mortier, cü hiu'AtZ, Oü canon 6? fufd décharge, Et d'oü Jordan gagna le large. C°mment! vous prenez-gravement Mes vers, mon épltre volage? Je vous connoiffois autrement; Vous me trompez, c'eft grand dommage. Le ton léger du badinage Vous auroit-il pa u mordant ? ^ Si t'efprit pêche, c'eft 1'ufage; Mafs pour le cceur eft innocent. C'eft ainfi que je répons a la très-férieufe Iettre que vous venez de m'écrire. Je ne fuis pas aujourd'hui d'humeur affez atrabilaire pour m'aflliger d'un malheur qui n'exifte pas encore, & je plains votre efprit de tout mon cceur des tourmens inu« tiles qu'il vous caufe. C'eft plutót quelque vent malin, Qui s'arrêtant dans fon chemin, Ou cheminant avec pareffe, - Dans votre corps fait le lutin, Et vous angoiffe & vous oppreffs. Voila ce qu'en dit la faculté; c'eft a votre garderobe d'en décider, car je crois qu'en ces fortes d'affaires elle peut paffer pour ju ie cotnpétenc. Oeuy. tofih, de Fr. II. T. VI.' H  i70 P O E S I E S. Si vous ne jugez pas k propos de promener vos hypocondres, ni de vous crotter comme un barbet, vous ferez admirablement bien de refter a Breslau. Je n'ai k vous parler depuis quelques jours que de pluie.de neige, de grêle & de mauvais temps; il n'y a pas la de quoi vous mettre de bonne humeur; mais j'y renonce,car je n'y réufllrois pourtant pas. Je fuis, ni plus ni moins, un des plus zélés amis de M. Jordan. Adieu. ce 9 de Mai 1741- j[^on, ces vers ne font qu'empruntés, Cela ne s'appelle point rire; Vos efprits n'étoient pas montés Pour plaifanter ni pour écrire. J'aime mieux vos vivacités Et votre mordante fatire Que ces belles moralités Qu'un autre avant vous a pu dire. Vous êtes aimable & charmant, Dites ce que votre ame penfe; II nous fuffit de 1'agrément Dont elle fera la dépenfe: Tout fera nouveau, naturel, Affaifonné de ce bon fel Que produtfit jadis Athènes,  P O E S I E S. ijr Et que plus d'un favant par haine Mafque des horreurs de fon fiel. Hélas! quiftez donc par fageffe Ce grave & froid raifonnemsnt, Ennuyeux affaifonneinent De notre infipide vieillefte, Et Iaiffez au calculateur Qui diftingue, fomme & arguëj Et qui flottant parmi l'erreur Croit qu'un chacun a la berlue, L'avantage fi peu flatteur De fon algèbre qui le tue. N'oubliez donc pas qu'en effet II faut profiter de la vie, Que c'eft la ma philofophie, Comme ceci votre portrait. En vérité, Monfieur d'un autre monde,penfez donc enfin que deux lettres joviales ne fuffifent pas pour convaincre la chrétienté de votre bonne hu« meur, & qu'il faut de la continuation a vos charmes. Puiffiez-vous demeurer a Breslau tant que la peur vous y retient, puiffe 1'ennemi être auffi timide que vous, & moi avoir toujours l'avantage de votre amitié! Ce font les vceux de celui qui a Phonneur d'étre, trés-prudent, très-grave, trés" favantiflime Jordan, Monfieur, De votre docciffime fap'ence Li très-religieux aimirateur. Au camp de Molwitz, ce 13 de Mai 1741, H %  fff P O E S I E-9-. Vif> ou plutèt fort pétulant, Vous voulez donc, mon cher Jordan , Quitter les champs.de Siléfie? Quel peut être dans votre plan La raifon qui vous y convie? Vous étes trop bon couitifan Pour me dire de votre vie Que c'eft chez nous oü 1'on s'ennuie; Mais rempli de fincérité, Charmant Jordan , je vous en prie, Dites ici la vériié. N'eft-ce pas la bibliothèque Dont 1'attrait puiffant & vanté, Le belrHorace ou le Sénèque, Ou peut-être quelque beauté, Dont 1'enchantement vous attire? Et lorfque votre. cosur foupire, Trap fenfible a la volupté, Ce vous eft trop peu que d'écrire. Car, après tout, votre hópital, ,. .Jlempli d'extravagans qu'on lie, Siniftre & funefte arfenal Des mifères de notre vie, Ce lieu fi trifte & fi fatal Ne vaut pas notre compagnie. Ce n'eft que Ia légéreté Des Frangois, engeance frivole,  P O E S I E S* 373 'Suprème & defpotique idole, Votre unique Divinité, Dont les charmes & 1'inconftance Vous font penfer que dans Pabfence Git toute la profpérité. J'ai cru, moi, dans mon innocence Que dans l'art de la jouiffance Se trouvoit la félicité. ■ Jordan,. j'apprends a te connoltre : Si tu logeois au paradis, Pour mieux trouver le vrai bien-être ƒ Par changement tu voudrois 'être Dans 1'enfer auprès des maudits. Voüa tout ce que j'ai a vous dire en vers; ce que je vous écris en profe n'eft pas moins vrai, & j'ofe vous affurer qu'il eft bien difficile, pour ne pas dire impofiible, de t'ouver un endroit oii vous feriez d'accord de vous tenir en repos. Nous partirons dans peu de notre camp pour aller a S'.rehlen;. il ns s'agit ici d'ailleurs que d'affaireg de houfards. Adieu , cher Jordan. Mes refpefts au Porti' que.au Lycée. Ma philofophie eft la très-humbie fervante de la vótre , comme je fuis moi votre trés - humble ferviteur. Au camp deFreywalde, ce 13 de juin 1741. H 3  3 74 f O E $ I E & D 'un brin de raifon, dans ce camp, Qui ne vaut pas un fol la Iivre, Ce fot monde s'applaudit tant, Que pour I'êire moins il s'enivre. Le fage & libertin Jordan Veut cette épigramme en préfent. Quelle diftraftion extréme! Car il oublie en ce moment Qu'il en eft le fujet lui - même. Ce i de Juillet 1741. T ,orfque les bleds fauchés Ia cohorte ennemie EtTayera quelque hafard, Tupeux, pour affurer ta vie, Eviter 1'ennemi, te fouftraire aux houfards Dans les murs de Breslau, centre de Siléfie; Mais tant que le farouche Mars ■ Exaltera notre furie, Tranquille en ta philofophie Tu peux compter que mes égards Pour ta dofte poltronnerie Te fauveront chez les beaux arts, Avant que Ie péril & la peur t'y convie, ■ 'Fait au camp de Strehlen, ce 12 d'Aoiit 174I.  P O E S I E S. 175 ^^ous nous croyez dans ces combats Que votre valeur n'aime pas, Et vous penfez que notre armée, Dans fon courroux trop animée, Difperfe dans ces champs épars L'Autrichien & fes houfards. Tout doucement, Monfieur le fage, Sachez qu'on fait cent argumens Plutót qu'on ne gagne avantage Sur des enne nis vigilans. Attendez donc pour voir éciore Ce beau foleil de notre aurore Que nous favorifect les vents. Tout pilote pour faire voile Guette les plus heureux momens, Que le fecours des élémens Le feconde en enflant la toile. Ce font ces momens favorables que nous attendons pour ne point manquer notre coup. Je tiens nos arrangemeris prefque certains, & je préfume qu'en jouant a jeu fur, on ne m'en faura pas plus mauvais gré. Nous avons ici Ie plus beau camp de la Siléfie;.cela forme le plus fuperbe payfige du monde, dont la beile & nombreufe armée qui y campe ne fait pas Ie moiadre ornement. Adieu, ami Jordan. Faites mes complimens O E S I E S, Changeant & d'état & de nomj 'Ira fournir la carrière D'un tendre & paifible pigeon , Tenant en bec branche d'olive; Non loin de la natale rive Vous vous pavanerez en paix: Et fi, colombe fugitive, Vous alliez périr par les traits Que d'une main toujours acïive Le chaiTeur lance avec fuccès, Alors votre pauvre ame errante, Habitant nouvelle maifon, Choifira Ia troupe bêlante Pour fe changer en doux moutort. Jamais autre métamorphofe: Et fur mon falut je réponds, Que de tout être qui compofe Le monde que nous habitons, Votre ame en fa métempfycofe Exclura fur toute autre chofe L'aigle , Ie cancre & les lions. Votre plume débonde de ce dont votre cceur .eft plein. Vous voulez la paix a toute force, & par malheur vous ne 1'aurez pas ; mais je vous promets en revanche une prompte fin de campagne. Venez ici le 27 au plus tard, je veux vous parler;. après quoi il dépendra de vous de prendre les devans pour Berlin. Berlin, oü les arts réunis Rappelent de I'antique Grèce H 7  ï8'2 P O E S I E & Les favans & pompeux débris J Berlin, dont les puiffans abris Surent couvrir votre jeunefle, Gii la paix habite en Déeffe, Qu'entoure mainte fortereffe, Affurant fon facré pourpris, Berlin, oü git votre maitreffe, Votre cceur & tous vos efprits, Berlin, dépot de vos écrits, Seul témoin de votre fageffe, Ce Berlin, votre paradis. Vous y retournerez donc dès qu'il vous plaira „ pourvu que vous me promettiez de m'aimer toujours & d'étre fur du réciproque de mon cóté. Adieu, Au quartier général de Neintz, ce 25 d'O&obre 1741. X) 'un manoir bien peuplé de faints y Dont 1'habitant fimple & créduleAu faint père baife les mains, Ou bien auffi la fainte mule, Oü règnent encor les forciers, Et tous les antiques vertigesDe vampires, de vains prodiges-, Long-temps bannis de nos quartiersj. D'un gtte oü la plus noire envie En vérité n'enviroit rien, Oir je ne ferois de ma vie,.  F O E S I E 35 ï$$ Si Ia gloire, cette folie, Ne rn'en eut frayé le chemin. De 1'endroit le plus diabolique de la Moravie, & de 1'Europe entière, des chemins les plus déteftables, de la fatigue la plus infupportable; revenu un moment a moi-même , je vous écris pour vous montrer que je n'oublie pas au milieu de mes travaux le plus laconique des griffonneurs. Mandez a Maupertuis que mon voyage de Moravie lui préparera celui de Berlin, ce qui prouve bien 1'axiome de Wolff que tout eft lié dans le monde. Cette connexion ici eft véritable, mais je ne fais pas fi chacun la devinera. En un mot la paix ramènera chez moi tous les arts & toutes les fciences. Dites a Maupertuis que je me réferve alors a lui témoigner. ma reconnoiffance du paffe. Ecris-moi des lettres de fix cahiers, bavarde beaucoup, & mande-moi tout ce qui te paffera par la tête. Adieu au plus aimable & au plus quinteux mortel de Berlin. Souviens-toi quelquefois du philofophe guerrier qui foupire après Rheinsberg & fes amis. „. . A Grofsbitifch, ce ri de Févner 1742. J'ai recu votre fecönde lettre en vers & en poiitique; elle eft charmante, & je crois qu'il n'y a  ré* F O E S 1 E $i qae vous qui puiffiez dire de jolies chofes tor Cependant cela n'eft pas étonnant ;, car vous posfédez parfaitement bien cette matière & 1'on voie même que vous fentez ce que vous dites* A Vienne fur les toits perchés Et s'armant de Iongues lunette3 Les gens a la cour attachés Lifent leur fort dans les planètes.. Une comètc s'eft fait voir. Le fexe, qui veut tout favoir, Bemande, comment 1'a -1 - on vue ? .. '. Trés flamboyante & chevelue. L* ** dit, fe Iaiffant choir: „ Dans fa queue étoit mon efpoïr; „ On n'en voit point, je fuis perdue. De Ia les politiques concluent que le moment tatal a la maifon d'Autriche ne tardera guères a venir & que tout eft perdu pour eux. 11 eft bien fur que nous aurons une bataÜIe; il: fe pourroit même que ce fut 1'anniverfaire de Molwitz. Je ne vous dis point ceci pour vous effr?yer, mais paree que la chofe eft vraie & qu'elle ne fauroit manquer. J'ai meilleure efpérance que jamais, & je crois être fur de mon fait, autant qu'on peut I'étre en chores humaines. Envoyez-moi un Boileau, que vous acheterez en ville; envoyez-moi encore les lettres de Cicéron depuis Ie tome III jufqu'a la fin de l'ouyrage, quetous acheterez de même; il vous plaira de plu?  P O E S I E $° l8S d'y joindre les Tufculanes, les Philippiques, & les Commsntaires ds Céfaf. Adieu Jordan. Je vous erabraffe de tout mon cceur, en priant Dieu de vous avoir en fa bonnf & fainte garde. Mes complimens a mes amis. , A Sclowitz, ce,i9 de Mars 1742. Je n'ai 'jamais autre' chofe a vous dire qu'i mt louer de vos lettres. On y trouve de ce bon fel, Epice de qui fait écrire; On y trouve de la fatire, Du fublime & du naturel, Et ces vers qu'avec nonchalance Vous faites en dépit de 1'art, Se reffentent de 1'éloquence De' ceux qui boivent ie neEtar. J'ai vu ce que' voui prédifez fi favamment l Pégard de la comète qui vient de paroitre. Maupertuis a pris la fièvre chaude de cette comète, qu'il n'a pas annoncée comme de regie, & bé de faint Pierre fe fait fort d'ajufter " Pintérêt des princes de 1'Europe auffi facilement que vous compofez vos vers. Ce grand ouvra*e ne s'accroche a tien qu'au confentement des parties intéreffies. Vous connoiffjz ces vifions d'arbitra • ge, & ces folies fynonymes. Je n'ai rien a vous dire d'un endroit oü il ne fe paffe rien, finon que nos foldats font autant de Céfars, & que je vous aime toujours, malade, mélancolique, ou gai & fain, également. Adieu. Leitomifcliel, ce 15 d'Avrit 174.2. D ive Jo'dane, a préfent les vers coulent chez vous comme un torrent. Je crois que vous avez Apollon a gage, & les neuf foeurs pour fertantes; il n'eft pas poflible autremert de travailier comme vaUs faites. II faut de plus que vous ayez .trouyé I 3  ÏSB P 0 E S T E & ane mine de Jolies chofes dans le Pinde, & quel». que nouvelle veine de beiles penfées.- Pas même Ia moindre faillie, ** Ni vaudeville, ni bon mot, Ne me vient a ma faniaifie; Vous gardez pour vous feul l'efprit & le génie-,. Les agrémens font votre lot, Hélas! Ie mien eft d'étre un fot. Voila ce qu'on gagne i faire la vie de chien. «que nous menons ici pour 1'amour de la gloire, comme difoit notre ami Chauiieu. De eet aimable trépaffé Célébrons encor la mémoire; Pour vous, qui 1'avez furpaffé, Méritez encor plus de gloire. II n'en eft po'nt qui ne doive ceindre votre front. Cette prudence inféparable de rotte courage n'eft pas une des molndfes qualités qü'ïl faut admirer en vous. La prudence du vrai courage Eft la fource & le fur appni; Le refte eft une aveugle rage Que d'un inftineï brutal féduits Admirent tant de faux efprits. Vous favez trop bien que 1'on ne peut jamais être plus brave que lorfque la circonfpeclion ne nous expofe aux dangers que par réceflité ou par raifon, & comme vous êtes extrêmement pré-  P O E S I E S, voyant, vous ne vous y_expofez jamais; d'oü je dois conclure que peu de héros vous égalent en valeur. Votre bravoure conferve encore fon pucelage , & comme toutes les nouvelles chofes font meilleures que les vieilles , il s'enfuit que votre courage doit être quelque chofe de tout a fait admirable. C'eft une fleur qui eft pres d'éclore, qui n'a encore fouffert ni des ardeurs du foleil ni des vents du nord: enfin c'eft un être fi digne d'eftime, qu'il eft digne de Ia métaphyfique & desdifiertations de la Marquife fur la nature du feu. II ne vous manque qu'un plumet blanc pour „ ombrager les bords de vos auJaces, une longue rapière , de grands éperons , une voix urj peu moins grêle, & voila mon héros tout trouvé. Je' vous en fais mes complimens , divin & héroïque Jordan, & je vous prie de jeter du haut de votre gloire quelque regsrd débonuaire fur vos amis, qui rampent ici dans les fanges de la Bohème avec le refte du troupeaü des humains. Je crois que d'Argens eft fou; ne luj en dis rien cependant, & garde - toi bien d'aigrir Ia bile dé notre philofophe , qui me paroit avoir plus de cette marchandife que de bon fens.Adieu. Tu connois tous les fentimens que j'ai' pour toi. A Chruilim, ca 21' d'Avril 1742.  ioo F O E S I E S; Fhébus qui dans tous vos écrits Sait répandre fon abondance, Econome dans fa dépenfe II en refufe è mes efprits. Phébus imite 1'Eminence (*) Qui n'accorde qu'a fes amis Le droit lucratif d'étre admis Dans les faveurs de la finance. Apiès cela je ne m'étonne point que vous m'écriviez tant de vers & fi peu de nouvelles. Vous êtes plus infpiré par les neuf aimables fceurs, proteftrices des arts & des fciences, que par ce monftre aux yeux de lynx, aux oreilles de kvrier, & -a la chevelure de Médufe. p£ Amant favorifé des Graces, Elles vous bercent dans leurs bras; Vous eftimez plus leurs appas 1 Que ce monftre qui dans les places, Aux halles & dans les villaces Répand avec un grand fracas Ce qu'il fait ou qu'il ne fait pas. Tout cela fait que j'apprends peu de nouvelles «le Berlin & que je recois beaucoup de vers; un peu (.*; Fleury.  P O E S I E S. 2<->i p»u de Tim-S: un peu de 1'autre me feroit un grani plaiiïr. Vous ne me dites rien de toutes les fotti. fes qui fe font régulièrement & périoliquemsnt. Vous ne m'apprenez rien de vos correfpondances de favans, de mes édifices, de mes jardins, de mes a'mis , en un mot de toutes les chofes qui m'iutéreffent. Tous les divers événemens Du grand théatre politiqu3 ■ Refferriblent a ces 'changemens Que fait la lanterne rna|3que; Marquez-en donc vos fentimens. Du moins .d'une feinpiternelle Cont«z-moi les égaremensj- L'hiftoire de- la bagatelle Par vous recoit des agréraens; Car tout ce qu'on nomme "nouvelle' De la demeure paternelle, A du charme pour les abfens. Vous me croyez peut-être trop occupé pour penfer i mes amis; mais vous devén fentir qu'ils vont de pair'avec les plus grandes affaires. Ce font les intéréts du coeur Quö 1'on préfère a la durée, A 1'ambition égarée, Ei même au plaiffr fuborneur Dont fouvent 1'arne eft animée£« Et qui pour un peu de fumée Abandonne fon vrai bonhtur. I 5  202 i> O E S 1 E S. Amitié , chsfïe.& gure ;'amme,( ■ Amitié, préfent que les Cieux Nous firent pour nous rendre heureux, Régcez a jamais dans mon ame. • J'en viens è préTent a notre' :itïnérairé. Jé fuiV avec Ia grande armée %n Bohème.= Le Prince d'Anhak va commander en haute 'Siléfie : Ie Prince Didier a quitté. Ia MoravieVo!fute d*y trouver de quoi fubfifter. Nous refterohs aPPanmrotnt dans cette iitU2tion jufqü'a ce que le ven vienie, ce qui peut encore aller a deux rrois. Voi:;) tout cc? qu« j'avois a vous dire, en vous afi'utant des fentimens- que' j'ai pour vous. Adieu, , A Cbrudim, ce 27 d'Avril 17^2. Enfin Ia «tfemeire éthérée Aux aftronomes confacrée, Qu'une troupe d'Au'richiens Gardoit a fes fiers fouverains,. De tout le mon.'e féparée, Fréquentant au lieu des humains. Les chats-huans de la conirée, Ou quelque oinbre trifte, égarée, Qui plaignoit encor fes dtftins, Environnée de P.ruffiens, "De tout fecours défefpérée,,  P O £ i £ Sv' '2®3 Ses tours, fes forts, fes ravelins Sont tombés ce jour dans nos mains. C'eft- h-dire que Glatz s'eft rendu le 28 de ce teois par capitulation, de forte que je fuis a préfent maitre fans réferve de toute la Siléfie, Monfieur ,* * * , mauvaife copïe de quelque chétif original anglois, vient de prendre le parti décifif de nous quitter. Vous pouvez vous inwginarf jufqu'a quel point je regrette fa perte. Cet imitatcur fans génie De 1'extérieur des Anglois, En a copié la folie, Mais il manqua leurs meilleurs trafïs.Sans le vrai, tout eft ridicule; Mars n'a jamais l'air d'Alcidon, Sans la force on n'eft point Herculs Ni fans la fageffe un Caton. Pardonnez a ce trait qui m'eft échappé «ratte ' m homme que vous honorez de votre eftim-S; mais je crois que cette eftime eft du nombr«T de celles Que tou5 les jours de nouVel an L'on fe débite en compliment, Qu'on fe jure & qu'on fe protefte, Quand fous la bsrbe doucement L'on voudroit plus férieufement Que 1'autre crevat de Ia pefte» Tous ne me dite* 'rien des nouvelle* •bexKc^ I «  «O* P 0 E S I E S. fes, du Tourbillon, de Céfarion, ni de MtffloJaa' de la galanterie. Ni de votre aimable goutteux Qui devient fi fort amoureux,. Que cette violente fiamme . Aux incurabies met fon ame, Ni de fon vigoureux tenuion » Qui lorfqu'on joue au corbillon Répond de fa bouche de rofe , Avec connoiffance de caufe, Quand cm derrjande, qu'y met-on"? Tenez, voila affez de fottifes pour une fois; comentgz - vous - en , cher Jordan , jufqu'au premier ordinaire, oü j'efpère de ne point. demeurer en refte, Adieu.. A Chruiiim, ce 20 d'Avril 1742, Jour fttifique, d'un foleil clair, & le premier du bourgeonnement de. quelques arbult.es. T) ASoBiffm Dt&or Jcrdane, je vous demande des nouve les de Berlin è cor & a cri, & vous avez la dureté de me lts réfufe'r. Je r.e recois de vousque des ^azettes. du Pinde & les oraclep d'ApoIlon. Vos vers font charmans; mais je veux des nouvelles. Ma&dez-moi donc quel temps il fait k Bttiin , ce qu'on 'y fait , ce qu'on y dit; & S tguies les Amices font taries , parlez^mci au moins dj\.,che v al de. bronze■  P O E S I E $.. m Et de eet équeftre héros Que Ton a décoré d'efclaves, Pour avoir mis dans fes entraves Les Suédois, les Vifigoths. Entretenez-moi de toutes les bagatelles qu'il vous plaira, pourvu que ce que vous me direzy foit relatif a ma patrie, & daignez entrer un peu plus dans les détails» Vous qui fi poliment habilléz la fatire, 'fenez pour un temps fon journal; Permettez aux abfens de badiher & rïre Sur quelque fot original, Que très-abondamrnent Berlin peut vous produire; Marquez-en le trait principal, Et faehez , lorfqu'on veut pla're en fe faifant lire, Qu'au lieu d'un ftyle doctoral, Elégart, fimple, ou trop égal, 11 faut que la malice en écrivant iufpsre. Peut • être avez - vous trouvé de cette malice en trop copieufe portion dans la dernière lettre que je vous ai écrite; je vous cn fais bien des excufes en ce cas, quoique vous fachiez bien qu'il ne dépend pas de *ous d'étre triftes ou gais, & que c'eft un effet du tempérament, comme tant d'autres opérations machinales de notre corp». Feut-être croyez-vous qu'il en eft autrement de Ia fatire, &• qu? cette drogue fe trouve toujours en même abondance chez les perfonnes qui j itciinent. " • I 7  2CJ- F O K S I E' SJ Jamais je ne fus entiché ^ De cette bavarde folie; Tour Ta voir il faut du génie, Je n'en ai point, j'en fuis fiché. Il ne me rede qu'a ramper géométriquernene fur les pas de Tufage, & a fuivre en gros Texernple de nótre bon & ridicule genre hunuin, Qui fans afficher fon deffein, Soit ennul, foit par complaifanc*,Déchire entre foi le prochain, Et dans les bras de Tindolence Diftille ce mortel venin Dont il nourrit fa médifance, Cé qui vraiment n'eft pas 'chrétien. Mais nous ne nous piquons pas trop de Têtrê.,' nous autres , & l'on penfe affez communément qu'il vaut mieux être père d'un bon mot que frère en Jefus - Chrift. On oublie un peü ce qu'eit cette tendreffe fraternelle, quand on a fait la guerre. Tous ces talpatfchs & ces pandours Qui nous entourent tous les jours, Sur mon Dieu ne font pas mes frères; De Satan je les crois vicaires, Et batards de finges & ours. ' Comment voulez-yous qu'on refpe&e Thumahité dans des gens qui n'en ont tout au plus que de légers veftiges? Je ciois qu'une reffemblance «Te mwurs fait plus de liaifon parmT les hommes  p O B S I E $1 207-, qu'une ftructure de corps egale; je difpute 1'un & 1'autre a nos ennemis, Le moyen après cela de les aimer!' Nous nous préparons a Pöuvemire de la tam» pagnc, qui n'aura pas encore lieu fitót, & il fe pourroit fort bien que nous 'paffaffions encore leao "e ce mois fous les toits. Nous fommes affez tranquilles.'a préfent. Le vkux Prince d'Anhalt couvre la haute Siléfie, & vdre fsrviteur raffemblo ici f s pnrvcipales forcee. pour tomber avec üre grande fapérior té fur 1'ennemi; ce qui ne peut fe faire qu'a 1'arrivée du fourrage. . Tenez, voici une petite lecon militaire pour vous arranger les idéés de ce que vous devez penfer fur nos opérations, & pcwj que, fi Ton en pa-Ie devant vous, vous fachiez que ciire. La Moravie, qui eft un très-mauvais.pays, ne pouvoit ètre foutenue faute ds vivres, & la ville de Brunn ne pouvoit être prifo, a caufe que les Saxons n'a-oient pas de canons, & qua lorfqu'on veut entrer dans une ville, il faut faire un trou pour y paffer. D'ail leurs ce pays eft mis en tel état, que Pénnemi ne fauroit y fubfifter.^c que dans peu vous 1'ea verrez reffortir. Adieu dtSiffime Jordane. . Travaillez bien a 1'honneur de" la fcience, & comptez-moi au premier rang de vos admirateurs & de vos amis. Valt. A. Chrudim, co 5 de Mai i?43a .  2'o8: J» O E S r E S. Federkus Jordano, fiM J'ai recu une lettreder Knobelsdorf dont je fuis affez content ; mais tout en eft trop fee, il n'y a pas- de détails; je voudrois que la defcription de cbaque aflragale de. Gharlottenbourg contint quatre pages in-quarto,, ce quf m'amuferoit fort. Vous voila donc enfin devenu poiitique,& plus; Mazarin que Mazarin même. Le roman de la conjeceüre Et la fureur des intéréts Font la monftrueufe figure D un poiitique i grands projets; Sur tout il combine, il augure, Et fes foupcons, rêves inquiets, Qui fouillent tout en vrais furets, Même en la plus fimple aventure Penfent découvrir des fecrets. Toujours fous 1'emprunt d'autres traksAu public , fot de fa nature , II donne de la tablature. Sous les voiles les plus épais 11 cache fa noirceur impure Et fes dangereux trébuchets. C'eft cette poiitique fur Iaquellè rotrs raifonaez felon la facon- des hommes , -qui imputent toujours a leur prochain tout le mal qu'ils feroient , s'ils étoient en leur place; mais enfin il eft permis>  f O E S 1 E s. 20f a Jordan de faire ma fatire; le temps me jufti&era devant le public. Jordan, votre efprit de poëte Débite poëtiquement Que de fait politiquemene Je fais un peu la girouette. Ah! fi c'étoit affurément, La Renommee eüt hautement Sonné le cas fur fa tompette. Vousvoyez par tout ceci que votre efprit courc «n peu trop en. avant. dans la campagne des événemens. Nos deftins font cachés aux cieux Et toute la fcience humaine Pour les approfondir eft vaine;. Nul tube jufque dans ces lieux Ne rend les objets a nos yeux* Et la poiitique incertaine Sufpend fes défirs curieux. Les gazettiers néceffiteux De la fable que Ton promène. Font des événemens pour eux; Les fots que leur fuffrage entrairtc, Ajoutent foi, ne fachant m'eux; Mais vous que les eaux d'Füppocrène Ont foülé de leurs fiots vineux, Mais vous dont la raifon eft faine, Groirez-vous encor de Lorraine' Tous les contes faftidieux ?  Sie- POËSIS S. Tenez, voila toute Ia poiitique ea vers; il ns nous manque p'us pour nous achever de peindre, qu'un traité de paix avec fes prélj^ainaires en poëme dramatique. Je vous ai fait dans ma letfre 'd'avant - hier votte catéchisme fur nos opérations 6; je vous ai détaillé au long & au large ce qui fe paffoit ici; fajoute aujourd'hui que mon pronoiTic's'eit accompli , puifque' les Au'.ricbiens ont quitté Ia Moravie , faute de fubfiüance. Vous _ vèrrez bientót les fuites qu'auront toutes ces grandes affaires, & ce que tant de mouvemens compliqués des deux ■ armées cauferont d'effets. Adieu, dive Jordan* Tinialierfis. A Chrudim, ce 8 de Mai 1742. J'étois né pour les arts, nourrifTon des neuf fceurs; Tout y convioit ma jeuneffe, Un cceur compa-iffant, avec de fimples mceurs, M'infpiroient- peu de goüt pour I'orgueil des grandeurs; Je n'eflimois point Ia prouefTe D'un héros tyrannique entouré de rlatteurs. Les graces, Ia déiicatefTe, Les folatres erreurs d'un craur piein de téndrefïe, Le Dieu des doux plaifirs, ies chajmes fédufteurs La voiupté de toute efpèce Dans Plte de Cypris me parèrent de fleurs.  E O E S T E S, 11 a De eet état heureux j'ai gouté les douceurs. Bientöt uu coup du fort fur un plus grand théatrej Sujet, a des revers fameu::, M'a fait monter malgré mes veeux; La d'un air triompkant, altier, opiniatre. D'un kiftte éblouiffant, bouillant & valeureux,. La Gloire, cè fantóme, apparüt a mes yeux-; J'encenfai fe autels, & ce culte idolitre, Brillant dans fes erreurs non moins que dangereux, Rendit mes'pas audacieux. Mais Ia Gloire bien'ót, me traitr.nt en marlt; c, Me rappelarit k tooi, dans fes pl-.ifirs aUreiix. ' Me fit vbïr les malheurs dés hum'aihs furieus, Et ce hideux mor.ttre qui nage Dans des torrens de fang' répandus paf fa rage,. Immole les humains pour illuftrer fon nom, Pour humer de 1'encens, ou'pour celndfe fon front. Que périffe plutót a jamais ma mémoire ! jNTon, je n'ai point l'efprit farouche de Néron;. Le fang de mes amis verfé pour ma victoire Me pénètre Ie cceur du plus affreux poifon. Serai. je plus heureux en vivant dans l'hiftoire? Ün feul fiècle écoulé, que dis-je? — une faifoa Replonge dans 1'oubli Ie plus fameux renom. Dans ce monde étonnant que contient 1'Elyfée, De tous ceux dont la mort trancha la deftinée, Penfez-vous que les morts nouveaux Auront le pas fur. ces héros? Vous mourrez; votre nom que déchire 1'envie, Même après le trépas ne peut trouver de. port  ils P O E S I 1 S. Contre la noire calomnie. Heureux eft le mortel de qui le bon génie Sait vivre dans 1'oubli fatisfait de fon fort! On m'ignoroit avant ma vie, Que l'on m'ignore après ma mort. .Voila de la morale cadencée & toifée , j'efpèrr que vous en ferez content. Je me fiatte quelquefois de pouvoir encore paffer un bout d'automre i Charlottenbourg , & rsifonner avec vous fur Ie vide & la nullïfé de toute* fes chofes de cette vie. J'ai conclu Ie marché pour Ie fameux cabinet du Cardinai de Polignac; je Paurai en entier, on 1'erfverra par Rouen a Hambourg. Ce fera pour Charlottenbourg un ornement de plus, & qui vous. amufera autant que votre bibliothèque. Encouragez Franche ville jufqu'a mon retour. . Gasettt. Charles dé Lorraine & Lobkowitz fe font joints; ils ontpaffé Ia Moldau,& chaffent devant eux un ttoupeau de Trancois dont Broglio eft le4 berger. Les Prufliens vént marcher a Prague, pour remettre les Frangois 'dans- le bon chemin 3 ou pour faire Ia paix. Adieu, cher Jordan. Je ne vous dis rien de1 Peftime, de I'amitié & de tous les fentimens dtv votre ferviteur. Au camp de Kuycuberg, ce 10 de Juin 1742;  r o-e s I E s. 213 Les palmes de la paix font ceffer les alarmes; Au tranquille oliner nous fufpendons nos armes. Déja l'on n'entend plus le fanguinaire fon Du tambour redoutable & du tonnant clairon; Et ces champs que la Gloire en exercant fa rage Souilloit de fang humain, de morts & de carnage, Cultivés avec foin fourniront en trois ffióis L'heureufe & 1'abondante image D'un pays régi fous des lois. Ces vaillans guerriers que 1'intérêt des maitres, Ou rendoit ennemis, ou t«hf falfoit paroitre, De la douce. amit'é refforrant les liens, Se prêtept des fecours & partagent leurs biens.' La Mort 1'apprend, frémit, & ce monftre barbare Du.' la Difcorde en vain feeouant les flambeaux, Se repbnge dans le Tartare, Attendant des crimes noureaux. O Paix! heureuie Paix! répare fur la terre Tous les maux que lui lit la deftrutfive guerre, Et que ton front paré de renaiffantes fleurs Jufqu'a jamais ferein prodigue tes faveurs! Mais quel que foit l'efpoir fur lequel tu ts fon.les Je le dis fans détour, & tu n'auras rien fait, Si tu ne peux bannir deux monflres de ce monde, L'Ambition & 1'intérêt. Ma Mufe , qui s'emporte quelquefois , vient de produire ces ftances; 1'ima^inatiori fe réchaufFe  224 f "© E S 1 E S. encore de temps en temps chez moi, lorfque 'Ie* affaires dont je fuis fouvent furchargé le permettent. Ce fera a Charlottenbourg que je ccmpte retrouver mon ApoIIon, quoique les foins & 1'age Pour amufer les auditeurs: IIS feront bailler les spótres, Qui je crois du.goüt da nous autresy Cormoiffent des plaifirs meilleurs. II efi des raifons plus de mille. K 7  239 P O E S I E S. Pour vous faire quitter la ville. Une grolTe & jeune catin, D'accès & d'abord très-facile, Dont vous nous avez'fait le fin , Croit qu'une beauté de Berlin Captivant votre creur docile , Vous retient chez elle fous main.' Revenez a votre catin, Et rendéz-Iui le crcur tranquille, Sans quoi nous verrons un mati» La pauvre-fille, en vrai lutin, De dépit & de jaloufie Se poignarder par fantaifie. Pour Chazot, qui dans. fon réduit En damné travaille fa fiüte, Qui fait enrager jour & nuit Tous fes voifins qu'il perfécute, D'un inftrument tendre & charmant II tire des fons de trompette», Willich en a mal a la tête, Et fes voifins par conféquent. Le fameux chantre de la Thrace L'auioit puni de fon audace. Vous lui direz éloquemment, D'un ton doux & d'un air bonace, De 1'iiiftoire de Marfyas, Chazot, ne vous fouvient-il pas? Nos plaifns, Joroan, vous féftuöent, Pour le coup mes raifons fuffifent, Vous allez redoubler vos pas.  POESJES. 231 Ah! je vous vois chercher vos bottes, Et vous couvrir de ce manteau Qui dix ans paffé fut nouveau, Equipage d'ames dévotes. Volez fur 1'aile de 1'amour; Catin Vénus vous y convie, Elle qui veut faire a fon tour Tout le bonheur de votre vie. Cela fignifie qu'on ne fauroit fe pafler de vous l Rheinsberg; nous en avens fait 1'épreuve pendant trois jours, qui nous ont paru des années d'amans. Vous qui avez paffé par-Ia, vous devez favoir que ces années font du triple plus longues que les années ordinaires; ainfi tene2-nous compte de notre impatience. La table a befoin de votre fecours,-la phiïofophie encore plus. Nous vqus attendons tous lundi au foir k Rheinsberg. Faites provifion d'un fatras de bonte humeur: apportez - nous toute 1'érudition de votre bibliothèque , fans en apporter la pouffière, & comptez d'étre recu comme un homme qui nous eft néceffaire. Au fier Jordan qui fe rebèque Quand il doit quitter pour un temps 'L'appas de fa bibliothèque Pour d'autres plaifirs moins piquans;  P Q E ' S~ ï 1 S. ©n diroit qu'il part pour Ia' MeCque Quand de fes favans erremens II s'éloigne de quelques milles; Car hors Berlin point d'agrémens, Et dans ces petits nids de villes II ne vit que des imbécilles, Comme moi, votre ferviteur, Et bien d'autres de ma valeur; Get appat ne peut faire'mordre La crème, la perle, la fleur Des favantas du premier ordre,' Pour nous honorer de 1'honneurDe fa préfence tant aimable. S'il le fait, c'eft a contrecceur,Et fe vouant cent-fois au diable. Envoie-moi, s'il te plait, Mahomef, que je; H'ai ni vu, ni oui'. Tu as raifon de.croire que je travaille beaucoup; je Ie fais pour vivre, car rien ne reffemble tant a la mort que 1'oifiveté. Je fuis Ie très-humble ferviteur des *■***, des' Céfars, du Chevalier Bernin, de M. des Eguilles & du propriétaire de ces pièces; ainfi que Tonne compte pas fur moi pour les vendre. Fais mes plaifanteries au Satyre boiteux , mes regrets=-a Brand, mes complimens a Madame de Catfch éimes amours a Finette: au moins, fripon,' ne-fais pas trop bien le dernier article, car tu fais qu'env eela peu de gens te reflemblent. Adieu.  T O E S l E S. SS3 Jordan, mon critique & copifts, Vous qui pourfuiv-sz a Ia pifteMes fautes en digne limier;, Degrace, daignez coiriger, Raturer, efFacer, tranfcrire Ces vers que fous un oliviet Quelque Mufe m'a fait écrire,, Ces vers que vous voudrez produir* Au bruxellois double-coupeau, Oii Voltaire rlotre héros. Régit les Mufes, & préfide Au bureau d'efprit, & décida De l'efprit, du goüt & des mots. Adieu. Crainte de vous déplaite Je renonce i mes chalumeaux, Et dans votre antre folitaire Mes vers vous vaudront, des pavots. Je crois te voir, mon bon Jordan, Te trémouffant d'inquiétude, Quitter brufquement ton étude, Chercher Chazot, ce fin Normand,. Ce Chazot qui fert par femeftre ©u Diane, cu tantót Vénus, Et que retiennent en féqjaeftrs,.  *3+ t O E S I E S. De leurs remèdes tout perclus," Les difciples de faint Comus. Je vous vois partir tous les deux Du paradis des bienheureux • . Pour arriver au purgatoire, Hélas! Si je fuivois mes vceux, J'irois peupler ces mêmes lieux Dont vous quittez le territoire, Trop fage & trop voluptueux Pour 'rechercher la vaine gloire De vivre en cent ans dans lï.iftoirc Sur les débris de mes tïeux. Je crains ces honneurs ennuyeux," L'étiquette, .& tout acceilbire D'un rang briilant & fafludux: Je fuis ces chemins dangereux ; Oü nous entralne la vicïoire, Et ces précipices fcabreux Oü les mortels- ambitieux Viennent au temple de mémoire Eriger en préfomptueux Quelque trophée audacieux. Une ame vraiment amoureafe . Du doux, de.Taimable repos, Dans un rang médiocre heureufe, N'ira point en impétueufe Affronter ia mer & fes flots, Dans la tempête périlleufe Gagner le tifre de héros. . . Qu'importe que le monde enccafe  r O E S I E S. 235 Un nom gagné par cent travaux? L'univers eft plein d'inconftance; L'on veut des fruits toujours nouveaax, De l'efprit & de la vaillance, Et des lauriers toujours plus beaux. Laiffons aux Dieux leur avantage, L'cncens, le culte & la grandeur; C'eft un bien pefant efclavage Que ce rang il fupérieur: L'amitié vaut mieux que 1'hommage, Le plaifir plus que la hauteur; Et le mortel joyeux, volage, Gai, vif, briilant, de belle humeur , Mérite feul le nom de fage, Lorfqu'il reconnoit fon bonheur. Le bruit, les foins & le tumult* Ne valent pas la liberté; Et tout Tembarras qui réfulte De 1'ambitieufe vanité, Ne vaut pas le paifible culte Qu'en une heureufe obfcurité L'efprit rend a la volupté. Heureux qui dans 1'indépendance Vit content & vit ignoré, Qui fagement a préféré A la fomptueufe opulence L'état frugal & modéré Qui fait méprifer la richefie • Et qui par goüt & par figeile A fidèlement adoré  i3* ? O E S I Ê &, ■ Lé Dieu de la délicateffe, Des fentimens, de la nobleffe, Seul Dieu "d'un efprit éclairé! Hélas! d'une main importune-' Déja Je me fens entralner, Et fur le char de la fortune Mon fort me force de monter. Adieu, tranquillité charmante, Adieu, plaifirs jadis fi doux, Adieu, folitude ftvante, Déformais je vivfai fans vous. Mais non, que peut fur un cosur ferme L'aveugle pouvoir du deftin, Le bien oa le mal que renferme Wn fort frivole &• clandeftin? Ni ia fureur de Tifiphone, Ni 1'éclat impofant du* tróne' / Sur moi- n'opéreiont rien. Pour la grandeur qui m'environne Mon cceur n'eft que ftoïcien; Mais plus tendre que Philomèle, A mes amis toujours fidelle, Er moins leur roi, leur fouverain, Que frère, ami, vrai citöyen, Du fein de la phiïofophie Et des voluptés de la vie Tu me verras-, toujours huraainv D'une allure fimple & unie,. lacifier le genre humain»  ? O E S I E S. 437 ÜLêveur, grognard, fombre Jordan, De qui la triiteffe profonde Se confume le Jong de 1'an Sur le mal qui fe fait au monde. Enfin dites-moi jufqu'a quand, Trifle imitateur d'fjéraclite, Dans votre niche hétéroclite Morfondrez - vous tous vos talens ? Efprit né pour les changemens, Suivez du-joyeus Démocrite JLVxemple les amufemens. J'admire fort votre fageffe, Mais qu'a Saiente l'on me feffe, Si je n'y préfère le fel D'un mot plein de délicateffe, Joyeux, piquant & naturel. Voila tout ce que vous aurez de* moi pour lf Que te dirai-je, finon que tu fais des vers comme Tibulle, & que tu penfcs comme Sc3rron. Et fur votre lyre favante J'entends encor la voix qui chante De l'immortel Anacréon; coup.  838 P O E S I E S. Mais cette volupté qu'il vante, Etoit beaucoup moins indolente Que celle de votre Apollon. Pourquoi, malgré votre foiblefiev Afficher la froide fagefle D'un auftère fils de Platon? Perfonne ne vous en fait gré. Vous martyrifez Votre chair dans ce monde, fans obtenir la couronne du martyre dans 1'autre. Quelle trifte occupation! Pour moi, qui vis felon les lois d'Epicure & qui ne me refufe point au plaifir, je ne tire point vanité d'une fageffe que je ne poffède pas, ni ne me vante des fottifes que je fais. Adieu. Je vais écrire au Roi de France, compofer un folo, faire des vers a Voltaire, changer les régiemens de 1'armée , & faire encore cent autres chofes de cette efpèce. Crois-tu, Jordan, mon cher enfant, Qu'a ce maudit frère d'Argens Je rumine a chaque moment? Chez moi font d'éternels tourmens: L'un me dit un mot un inftant, Un autre me préfente un plan, La Ie procés d'un payfan, Ici dégoüts d'un courtifan; Et moi que ce bruit infolent,  P O E S I E S. s3» Ce vrai tapage de Satan Etourdit tout le long de 1'an, Malgré ce fracas que j'entends Puis-je encor penfer a d'Argens? Fais donc venir de d'Argens ce que tu j'ugeras a propos, fans me donner la queftion pour une douzaine de bouteilles de vin de plus ou de moins, & fans me fatiguer des vétilles de la Pro» vence. Voici d'autres vers en réponfe a Voltaire, Je ne fais cas que de la vérité; Mon coeur n'eft pas flatté d'un féduifant menfonge. Je ne regrette point, dans Terreur de ce fonge, La perte du haut rang ou vous étiez monté; Mais ce qui vous enrefte, & que vous n'ofez dire,; S'il eft vrai que jamais il ne vous foit óté, Vaut i mes yeux le plus puiffant empire. Nos deux faquins de cabrioleurs ont été rattraï pés, & leur procés fera inftruit dans les formes. Ces coquins ont voulu efpadonner ; il faut une punition pour mettre des bornes a leur imperti^ nence. Adieu. Je t'admire & me tais. T^u m'as nommé dans ta lettre un mot barbare d'un iivre dont Voltaire s'eft fervi. Dis - moi ce qu'il fignifie, car Je n'y comprends rien. Ce que je puis t'affurer , c'eft que Voltaire a fait une fubtile collection de tous les ridicules de Berlin,  240 P 0 E S I E S. pour la produire en temps & lieu, & que le feciétaire des impromp'tus y trouvera fa place comme moi la mienn?: j'ai per Ju ces vers qu'il a écrits daris des tablettes', renvoie - les - moi. Ah! ne croyez jamais ilncères Les beaux propos des beaux efprits; lis fofit charmans dans les écrits, Mais quand ces Sirenes légè es Par leurs chants extraordinaire* Efpèrent vóus avoir furpris, A ces raviffantes chimères On entend fuccéder des cris-; Ils prenncnt tout a coup des langues de vipères, Ft leurs lotianges merceaaires Dsviennent d'accablans mépris. C'eft ' u"e petite lecon da ton ttès-humble ferviteur, dont tu peux profiter; & comme je fais que pour tout au monde il ne faut point pirler profe dans ta maifon , je te I'habille en rimes, oü a la faveur des je.ux & des rii eile pourra fe préfenter devant ton tribunal. X^ermets, fage Jordan,. que plein de bile noira Des maux de mes égaux je te faffe l'hiftoire, Ft qu'en examinant 1'numiine infirmité,- • Elle nous apprivoife a fa néceffité. L'homme, dès le moment que fa foiblè paupière S'ouvre,  P O E S I E S. 24» S'ouvre, & qu'il voit du jour 1'éclatante lumlère, Nous femble par fes cris & par fon air chagrin Preffentir quel feta fon malheureux deftin. En effet la douleur d'abord lui fait la guerre: De ce monftre odieux tel eft le caractère, Sous des noms différens il cache fon venin; 11 eft cruel, barbare, & toujours inhumain. D'abord d'un os aigu revêtant la figure, 11 perce la gencive a 1'abri de 1'enflure. Tantót en nous couvrant de fes bourgeons hideux, II laiffe de fes rnaux des fouvenirs affreux.^ C'eft fa rage qui fouffle aux feuxardens dèsfièvres! Voyez ce malbemeux; fon ame eft fur fes lèvres, Et fon fan? óctaauffé, preffé violemment, De canaux en canaux roule rapidement. Et toi, fille d'enfer, implacable migraine, Quel démon t'engendra dans les flancs de la haine? C'eft ta douleur horrible & ton affreux poifon, Qui vainqueur de nos fens troublent notre raifon. Et toi goutte chronique, & toi trifte gravelle, Et toi le mal de Roi d'invention nouvelle, Vous qui le difputez a tous les autres maux, Inflexibles tyrans, ou du moins leurs égaux, Hélas! que le plaifir en vos tourmens s'expie! Que les jours paffagers d'une fi courte vie D'ennemis conjurés, ligués & dangereux Sentent de noirs complots fe préparer contre eux! De notre foible corps les maux & la mifère Nous obligeant enfin d'abandonner la terre, Alors de tous ces maux le mal le plus facheux, Oetw. poflh. de Fr. II T. VI. L  242 P O E S I E S. C'eft Ie médecin même, auffi barbare qu'eux. C'eft lui qui fait en grec nommér la maladie; A hater le trépas fon métier s'étudie, Si chez quelque malade on cioit a fon favoir, On 1'appelle, & fa vue écarté tout efpoir. Que le malade creve, ainfi le veut la mode : De Galien, dit - il, j'ai fuivi la méthode. Reconnois a ces traits ramaffés au hafard, Peints par ma main novice, & fans fecours de 1'art, Les dangeri menagans dont la trifte cohorte, Soit chez nous, foit ailleurs, fans ceffe nous efcorte. Ni le fombre réduit oü fe tapit Ie gueux, Ni Téclatant dehors d'un palais fomptueux, Aux dures lois du fort ne peuvent nous fouftraire: De la mort chaque humain eft né le tributaire; Mais pour que fon afpect nous femble moins hideux, Ayons le cceur, Jordan, d'en occuper nos yeux. Quiconque fans effroi penfe a fe voir détruire, Atteint Ie plus haut point oü Ia raifon afpire. Le fage eft au defius des troubles de la peur, Et c'eft lui feul qui fait méprifer la douleur. Jordan, tout bon poëte & tout peintre fameux Doit exceller furtout par le rapport heureux Des traits hardis, frappans, dont brille fon ouvrage, Avec 1'original dont il offre 1'image. Le peintre fcrupuleux doit dans tous fes portraits Iuiiter le maintien, le coloris, les traits,  P O E S I E S. 245 Et les effets divers que produit la nature. Le poëte évitant des mots la vaine enflure, De juftes attributs habile a fe faifir, Doit pofféder furtout 1'art de bien définir. Le jugement de 1'un eft le coup d'ceil de 1'autre. On ne peint point Caton avec un pater - notre, NiSt. Pierreen pourpoint.ni la Viergeen pompons. Les modes ont leur temps, ainfi que les faifons; Chaque age différent porte fon caradère: L'un eft vif & briilant, 1'autre eft trifte& fevere* Et comme chacun d'eux a d'autres paffions, II faut pour chacun d'eux d'autres exprefiions. Que fuyant 1'ignorance & fuyant la parede, Un rimeur n'aille point, plein d'une folie ivreiTe; Dépeindre la Fortune ou ftable ou fans bandeau,| Ou dérober au Temps fes ailes & fa faux; Ou douner a Ia Mort Ie teint frais d'un chanoine, Confondre le nectar avec de 1'antimoine. Car pour apprécier un ornement féant, Un nain ne doit jamais lui paroltre un géant,1 Un- Zoïle ignoré, fameux comme Voltaire, Broglio pris fans vert, un Condé qu'on révere* Tout poëte & touft peintre exaft, également, Doit füir furtout du faux le trifte aveuglement. Rigide obfervateur de toute bienféance, Qu'il place les objets felon leur convenance Et qu'un roi fur le tróne ait Ie fceptre a la main i Que Céfar foit vêtu comme un héros romain ; Que choififfant le vrai dans 1'air, dans 1'attitude, Ua Erasme, un Jordan foit dépet/it en étude, L %  24* f O E S I E S. S'appuyant fur un bras, Treil vif, fpirituel Et l'efprit au deffus du monde fenfuel, Méditant gravemer.t quelque phrafe oratoire, Empoignant le papier, Ia plume & 1'écritoire. Mufe, tout doucement! Sage, difcret Jordan , Plus aimable qu'Erafme, autant ou plus favant, Mais plus gutux de beaucoup , grace au deftia ; peu fage , Qui réunit fur toi ton bien, ton équipage , Qui de livres rongés t'a rendu 1'héritier, Sans feu, fans lieu d'aiileurs, méme fans encrier; Ma Mufe ne pouvant chanter ton écritoire, Sans faire a nos neveux une impoflure noire, Mais n'en rendant pas moins hommage a tes vertus, Elle te fervira de ce que fert Plutus. Recois donc par mes mains Pinftrumentdeta gloire; Aux enfans d'Apollon il fert de réfeftoire, De tout auteur favant fidelle compagnon, Organe de qui veut faire afficher fon nom, Dans Ie greffe, au barreau, le commis, le notairï Et Bernard, (*) & Fleury, Réaumur & Voltaire,' En'font a leur honneur fortir 1'encrea grands flots, Et Rollin des anciens en tire les travaux. Du .fond de ton efprit je vois déja d'avance Découler des torrens de fublime fcience; Je vois déja rangés fur mes rayons nouveaux De tes heureux écrits les gros in - folio; C*J Le banquier.  ? O E S I E S. 245 Crohre * multiplier, ainfi qu'une familie , Les livres projetés dont ton efprit fourmille; Je te vois éclipfé fous leurs nombreux monceaux, Oublier d'Hans Carvel Ie merveilleux anneau. O! Jordan, fouviens-toi que toute étude eft vaine,' Qu'on y perd & fon temps, fa vigueur & fa peine , Enfin, qu'on n'a rien fait en ces terreftres lieux, Si Ton n'a point appris le fecret d'être heureux. Vous aurez la bonté de faire la criüque de la pièce. Les hyperboles y font outrées ; mais je vous jure qu'il n'y a rien de plus fee & de plus aride que le fujet de 1'écritoire que je vous envoie. II auroit é:é beaucoup plus naturel de 1'accompagner fimplemenc d« deux mots de profe : tout homme fenfé en auroit ufé ainfi. C'eft a Ia métromanie que je dois reprocher cette fottife , & bien d'autres que j'ai faites dans ma vie. Souhaitez-moi par'réconnoiiTance que celleci foit la dernière. A la nn j'ai vu ces *** _ Dont vous avez chanté la gloire, A qui nous faifons le procés, Et dont Vénus pourroit difter l'hiftoire; Ce peuple fou, léger, galant, Superbe en fa fortune, en fon malheur ramparrt, Ce chanfonneur impitoyable D'un bavardage infupportable L 3  246 P O E S I E S. Veut cachet- fon efprit auffi fot qu'ignorant. II adore la bagatelle; A cette idole il eft fideile, Mais d'ailleurs toujours inconftant. ' Non, de ce peuple, ami ,vous n'étes plus du nombre; De cette fange impure on vous vitpercer Pombre, Et le ciel des enfers ne peut étre plus loin: Vous penfez, ils ne penfent point. Fin du Tome Sixieme.  TABLE DES MATIÈRES, Contenaes dans le Sixième Volume. Corfidérations fur l'état préfent du forps poiitique de 1'Europe. Pag. 3. Effai fur les formes de gouvernement, £p fur les devoirs des fouverains. 43 Dialogue des mcrts entre le Prinre Eugène, Mikid Marlborough, le Prince de L'chtenflein. 69, Dialogue des morts entre le Duo de Choifeui, le Comte de Struenfée Socrate. 8 5 Dialogue entre Mare- Aurèle un Recolltt. 98 Examtn critique du Syftèmt de la nature. 105 Avant-propos fur la Henriade de M. de Voltaire. 127 Differtation fur Vinmcence des erreurs de l'efprit. 140 P O E S I E S. Epitres a Monfieur Jordan. 161