O E U V R E S POSTHUMES D E FREDERIC II, R 0 1 DE P RUS-S E. ToME VIL A AMSTERDAM, c h e z D. J. CHANGUION. I 7 8 p.   POESIES. A i   A U MARQUIS D'ARGENS. Redoutez-vous, Marquis, la clameur importune De nos entiernis les bigots ? Enhardis par mon infortune Vous les voyez fur moi s'élancer a grsnds flots. Je compare ces cris des dofteurs idiots A ceux d'nn gros matin aboyant ^ Ia lune; L'aflre, fans y prêter attention aucune, Continue en repos fon majeftueux cours. Ayon?un fensdemoins,Marquis/endons-nousfourd<» Et facbant imv.er cette augufte planète, .Lairtons le fanatique au fond de fa retraite Librement cotrtre nous tempéter & Tiurler, Ses malédiéïions ne pourront nous troubler. Que m'importe que me refpe&a Un fcarabée, un vil infefte ? 11 ne raéiite pas qu'on daigne 1'écrafer. Ce font la les beaux fruits que m'ont valu mes ceuvres. J'ignore par quel tour & par quelles manoeuvres Quelque fcélérat de métier A TaiJe du larcin a pu' res publier; Amant refpeftueux des filles de mémoire, Recu chcz Cfilliope, admis prés de Clio, A 3  6' P O E S I E S. Sans être infenfible a la gloire, J'écois poëte incognito. Je n'ai jamais vouln m'affichant pour poëte, Etourdir les palTans du bruit de ma trompête,. Ni répandre mes vers dans Pidïot public, De fes.vains préjugés efclave pour la vie: Je ne fuis pas fi fou, & n'eus jamais Ie tie D'éclairer fon foible génie Aux rsyons du flambeau de Ia philofophie* Peut-il fentir, peut-i! goüter Des vers oü le bon fens s'allie Aux gtaces de la poëBe? H n'eft fait que pour végéter. Je fabandonne a fabêtife: L'erreur eft fa divinité; Et tout auteur Ie fcandaüfe Qui lui montre la vériié. Quand encor le démon du Piude me domme, Que mon efpric appefanti Se ranimant excite un feu presque amorti, S'il m'échappe en riant une pièce bsdine, Sans que mon nom foit compromis, Sans penfer au public, ma Mufe la deftina A déïetuiuyer mes amis.  POESJES. 7 E P I T R E JU MARQUIS D'JRGENS, fur la P'rife de Schwe'.dnitz. Si j'étois le bon homme Homère, Je chanterois en beaux vers grecs Ni chevilléSj ni durs, ni fecs, Le grand exploic qu'on vient de faire. Si j'étois Monfieur de Voltaire, ?ar ie Dien du goüt infpiré, Et par conféquenc fur de plaire, Je vous peindrois Schweidnitz livré A Tauenzien, a ce Le Fèvre, Donc ls.-s bras 'font réeupéré. Et de loin de coBre outré, Laudon, q'.ii s'en raord bien Ia lêvre, Ne me croyez point aflTez fou Pjuv fabriquer une Iliade Sur ce fiége achevé par nous: Je laiffe Ia rodomontade A 1'orgoeil révoltant & fade Dont s'infatuent nos jaloux. Enfin la place efl donc reprife» Et nous réparons Ia fottife De ce butor de Commandant Qui la perdu naguère un aiu A 4  « P O E S I E S. Les poftillons pourronc vous dire Ce que j'omets ici d'écrire Du feu , des bombes, du canon, Des approches, fappes, tranchées, Des palilTades arrachées, Du globe de comprefïïon, Des aiïaut?, des brèches joncbées De pandours fans ronfeflkm Précipités dans 1'Achéron. Ma Mufe humaine & plus timide;,. Ni de fsng, ni de mort avide, Abhorre ce lugubre ton. Qu'une amre Mufe bourfouffiee,. Chante TEurope défolée, Viélime de 1'ambitionr Dans les champs de la fiftion Je clioifis plutót des images Qui plaifent- aux efprits volages* Oue les feax & i'explofion Du Véfuve & de fes ravages. Quand de Ncé le beau pigeon , Vrai melTager de patriarche, L'olive au bec, volant a 1'arcbe, Apportera dans ce canton La nouvelle tant défirée D'une paix füre & de durée; Alors tout rempli d'Apallon, Cédant a 1'ardeur qui m'embrafe, Et piquant des deux mon Pégafe, je volerai vers 1'Héïicon. Mals en palfant, je vous fupplie,  P O E S 1 E S. 9 Que ma Mufe fort afFoiblie, Et que le froid de 1'age atteint, Raiiime fon feu presque éteint Au brafier de votre genie. Ah! Marquis, quelle efï ma manieI Tandis que par Bellone aflreint A risqner chaque jour ma vie Pour les foyers de ma patrie, Plus Don Quichotte que jamais Je ferraille encóre a 1'excès f] Contre la grande hydre amphibie Que eompofe la Germanie, Au trèi-Chrétien Roi des Francois • Par la Pompadour réunie, Jointe a ia Suède, a la Ruffie, Dois-je, hélas! penfer a Ia paix? Cette paix fe fera fans doute: Quand? & comment? je u'y vors gouter Mon ame lente a s'agiter, TST'a pas le don de s'exaker. Très-incredule en fait d'augure, J'ignore encore inceiTamment Quelle efpèce d'événement Produira 1'aurore future; Et bien moins puis- je deviner Quand ces potentats en démence, Las enfin de nous ruiner, Arrêteront leur infolence» Ah! quel Roi, quel fot antmal! S'écrira mon Marquis cauftique , Qui trottant comme un caporal, A5  w P 0 E S I E S.. Ignore de la politique Le grimoire conjeftural. Quoi! d'ur.e infortune imprévue II s'«n prend au fort, il s'en plaint? Un Monarque a fi courte vue üevroit loger aux Quinze- vingts. Ah! Marquis, n'allez pas fi vitejSovffrez plutfft que je vuus cite Un trait du Nouveau Teftament. Apprenez donc par mon organe Que les fcribes impunément A l'homme-Dieu cherchant chicane,. Lui raontrèrent publiquement Une Ifraëlite aduUère, Lui dcmandant quel chatiment Elle méritoit pour falaire? Lhomme-Dieu, doux & débonnaire,. Leur répondit tres- fenfément,. Pace péchertffe & perfide, Qui de vous fe eruit innocent,. Léve une pierre & la lapide. Aucun fcribe ne lapida, Et confondu par le Mtffie Chacun fe tut & s'en alla, Et voila mon apologie. Croyez,'Marquis, que ce tratt-ïa A mon fujet très.bien s'applique.. Depuis Machiavel a Kaunis, De Richelieu jusqu'a Bernis, li ne fut point'de politique, Puffiez-vaus tous les réunir»-  P O E S I E S. n Dbnt la raifon gdométrique Aic pu déchilfrer l'ayenir. Qu'ils viennant donc a la barrière,Ces grands fcrutateurs du deftin, Et qu'un infaillibie devin, En levant la main la première, A l'honneur de 1'efprit humain Sur moi lance a l'inftant fa pierre. A U MARQUIS D'JRGENS, fur un rhiime, que lui 'güérijfoit le Médecin Lieberkulm.- "Vous ignorez jusqn'a preTent D'oü vous vient cette ma'adie Qui "vous mêne toulfant, crachant, Sous terre en trifte compagnie. De votre dofleur ignorant, Qui jafe avec effronterie, Et vous farcit trés lourdement Des drogues de fa pharmicie Et de grands mots d'anatomie, Vous croyez le raifonnement. Que vous dit-il? Que votre vie Eft daus un dangtr imminent. A 6  K» P O E S I E S. On voit que votre ma! empire y C'ell une vérité de fait. 1 Le médecin doit-ii redire Ce que par malheur chacun fait? Vous foulager eft fon affaire;. Mais faifir ies fources du mal, C'eft ce donr votre original Paroit ne s'embarraffer guère. Hier au foir tout folitaire Je réfléchiifois a loifif Sur les moyens de vous gudrir; Je difois: ó Deftin contraire! Contre d'Argens qui peut t'aigrir? Ne pourfuis plus en ta colère Sa perfonne qui m'eft fi chère; Le Marquis ne doit poinr mourir. De- lartnes mes yeux s'abfcurcirent;. Fatigué, mes lens s'affoupirent, Et las de m'emendre gérair, Le doux fommei! vint m'endormir. Pendant qu'ainfi-je me repofe, _ L'efprit encore plein des regrets De vos maux & de leurs prog:ès, Ma paupière a peine étoit clofe, A peine je m'afToupifibis, Qufr foudain du fond d'une nueParoh un fantóme a ma vue, Tout environné d'argumens, A Toeil vif, aux regards percans; La Vérité, fi peu connue, ' L'aimoit comme uu de fes amans».  P O E S I E S. t$ Eï de fes rayons éclatans Ombrageoit fa tête chenue. C'étoiï Bayle, qui fi long.temps Lutta contre les vrais croyans. „ Je viens du palais d'Uranie, „ Dit tl, pour te fauver d'Argens : „ C'eft mon rils, je fuis fon Elie; „ Qae mon efprit le fortifie. „ Set doéleurs font des ignorans; „ Son mal n'eft point la puimome,. „ C'elt réplétion de génie; „ II faut que fon cerveau purgé 9 „ Soit fubitement déchargé, „ Par une main fage & hardie, „ Du fiel que contre les bigots „ 11 a diftillé dans fon ame: „ Sinon, tu verras qu'Atropos „ Va fans pitié rrancber fa irarae* „ Laiffe- lui déchirer ***; „ Qu'il travaille fur Ocellus, „ Et que fon ardear ranimée ,T Commente Ionguement Timée, „ Eu frondant eet arnas d'abus „ Dont tous les peuples font imbus."' II difparoit, & je m'éveille. Ah! Marquis, mettez a profit Le récit de cette merveille; Qu'il foit ainfi que Bayle a dit. Déja votre teint s'éclaircit, Votre peau redevient vermeille» A.?  T4 P O E s r E s. La mort vous refpeéte & s'enfuit, La fanté paroit: votre rhume, Se diftillant par votre plutne, Répandra fon impureté, Son venin & fon acreté Sur plus d'un monflrueux volume. Tremblez, pédans, dofteurs fourréSj,- Q ui de vos myftères facrés, Et d'un ramas d'abfurdes fables, Amufez les fots méprifables Dont vos autels font entourés. Déja fa trompette refonne, La renommée en tous lieux fonne, Partout on rentend proclamer Que votre toux vous abandonne, Que vous vous fentez enflammer ... De courroux contre la forbonne. Tous les bigots de s'alarmer, Chacun d'eux craint pour fa perfonne'5 On croit dans leur tripot boufFon Que vous, nouveau Bellérophon, Vous terralferez la Chimère: Leur faint troupeau s'en défefpöre. Tel quand de fes puiiïantes maiosJupiterfaifit fon tonnerre, On voit de crainte fur la terre Trembler Paraas des viis humains. Ainfi le 'Marquis de fon foi dre Va frapper & réduire en poudre L'erreur, les prêtres & les faints.  POESJES. 15 A U MARQUIS U AR G E NS, fur le rhume qui, avec Lüberkuhn>.k' tenoit au lit. "Vous ignorez jusqu'a préTent D'oü vous vient cette maladie Qui vous mène crachant, touilant,. A la fin de Ia comédie Que tout mor.el joüra céans. N'en croyez point Ia pharrnacie,, Ni l'abfurde raifonnement D'un dofleur dont l'effronterie Veut prouver par 1'anatomie Que vous fouffrez réellernent, Et qui pour vous rendre a la vie Va vous droguer cruellement. Long-temps, a tète réfléchie, Sur vos maux que Babet public, Pavois ufé mon jugement. Une nuit oü tranquillement ]e donnois, mon arae afloupie S'abmdonnoit tout mollement Aux accès de fa rêverie, Lorsque je crus voir Uranie Dans la maüxun compas tenaiu:-  & P O E S I E S. je Tuis depuis long - temps 1'amie, Dit-elle, de mon !it s'approchanr, De ce d'Argens qu'on vous envie. Apprenez quelle eft 1'ennemie Qui le pourfuir fi vivement; Son nom eft la Théologie. Non, il n'eft point dans tout 1'enfcr Un monftre plus abominable, Son coeur efl plus dur que le fer, Sa haine eft toujours implacablei • Son courroux naquit ftirernent D'un mot que paï plaifantsrïe D'Argens a laché fur * **, Ou d'un trait plus fin, plus fanglant Gontre le *♦»•*•. Depuis ce jour fincèrement Elle hait fans difcernemenr Philofophe & philofophie. Dans fon premier emportemem» Son poil affreux fe hériflant, Tout ce qui s'ofFre a fa furie D'abord elle Pexcominunia. Eh quoi! 1'on cfe m'attaquer? Dit'elle; & quelle main hardie, Sans trembler peut me critiquer £t publiquement démasquer Mes tours de charlatanerie? Ah! qu'il apprenne h refpecter, v Cet infame apoftar, ce traïtre, Tous ceux a qui fans les connoltre II a Is c*ur de fe frotter.  POESJES. 17 Qn'importe que mon crédit baiffe, Que Ia fainte inquifuion Ne rótiife plus en mon nora, Par zète & par déticateiTe, Tous ces fous dont Topinion, Contraire a mon ambition, Ou me fcandalife, ou me blefie ? Non, non, je ne fuis pas fi bas, Pour dévorer ces attentats, Sans manifefter ma vengeancer: J'ai des nioyens en abondance; Je veux m'en fervir dans finfianc. Elle part, & va promptement Chez fa foeur la Sorcellerie. La tout ne vit que par magie; Son anire affreux n'eft point réel; On y voit des images vaines, Et des fantómes par centaines, Mercure , Aflaroth , Gabriel, Des Saiyres & des Syrènes; La penfant lire dans les cieux, On. bouflic les ambiileux Des vains objets & des chimères Qa'avoient trop adoptés nos pères^ La. s'eft tapis le vieux ferpent, Et fon, tortueux inftrument, Dont Eve fut un peu tentée, Quand Ia pomme elle eut entameej Ce qui très-malheureufemenc Nous maudit éternellement. C'eft- la qu'arriva la harpie  il POESJES. Digne d'habiter ce féjour; Elle fe prefle avec furie Entre les farfadets de cour, Et prés du tröne auffitós crie: Sachez, ma fceur, qu'on m'humüie;' Un Francois, un Marquis maudit, ' Veut nous ravir notre crédit: C'eft un philofophe, un impie; II rit de la crédulité, Et veut pour corable dë folie N'adinettre que la vérité. Ah! mafoeur, il faut qu'on le tlie,- Ou pour jamais je fuis perdue; Et vous aufli, car vos deftins ■ Sont en tout femblables aux miens. AHons, que votre art s'évertiie; Broyez- moi, fans perdre de temps-, Les poifons les plus violens. Oui, répondit la forcière, pexaucerai votre prière; ]e veux que ce Marquis d'Argens, Notre ennemi depuis long. temps, Pour payer fon elTronterie, Soit atteint de la pulmonie. Mais il nous faut des actionsEt non pas de vaines paroles; Faifons nos conjuratious, Leurs vertus ne font pas frivoles, Puis fon efprit aiiéné Se trouble & tombe en frénéfie»Telle montant fur fon trégied,  POE S I E $r £ Parut a Delphes la Pyihie. Son corps s'agite , elle frémit, Puis d'un ton terrible elle invoque L'aftre préfidant a la nuit; Aux durs accens de fa voix rauque La terre tremble & le jour fuit; Tout fe confond dans la nature, Et pa'rmi ce trouble & ce bruit On entend un affreux raurraure» Éole a déchafné les vents; Déja la forcière impure, En foulevant les élémens Avec les aquilons barbares, Sur un tas de vapeurs chargea Des afthmes, rhuraes & catarres , Et les poulfant les obligea De fondre tous fur la retraite Que le' bon Marquis s'éroit fake» Précédés de longs finlemens Arrivêrent les ouragans; A vous par un eiTec rnagique Tout leur venin fe commuuique. Voila mon Marquis alité- TouiTant, crachant comrae un étique», Et moi dans la perplexiié. Tandis que fur vous fe dêploie Le mal avec fon apreté, Quel eft le triomphe & la joie Qui brille avec férocité Dans Les yeux de votre MégèreJ  *o P O E $ I E S. C'en eft fait de la vérité, , Dit-elle, &.mon règne profpère. Elle croit que dans les poumons Confifte toute 1'éloquence, Et qu'un rhurae & des fluxions Réduifent un rage au filence; Car eile entendoït 1'ignorance Plus applaudir dans des fermons Les cris aigus que la fcience. Mais mon Majquis 1'aitrapa bien-t Si Ia toux le force a rien dire, ' Sans pérorer il fut éerire, Et lui dédia Julien. AU MARQUIS D'ARGENS. Ah ! cher Marquis, quel grand fujet d'envie ï Vous n'êtes plus Ie feul dont Atropos* Dans nos cantons ait menacé la vie ; Tout comme vous j'eus une maladie; Un gros catarre en m'accablant de maux A de Berlin réjoui les bigots. Mon fang prelTé trottant de veine en veine, S'accumulant oppreftoit mon cerveau, Et redoubloit Ia fièvre & la migraine. De mes poumons en forme de jets d'eau Ofl vit jaillir des gerbes d'éearÜKe.. ■  p o e s r e s. as j'ai vu paiïr les enfans d'Hippocrate; Mais glorieux qu'avec ces maux exquis Je puifle au moins reflembler au Marquis, Je m'en confole & mou orgueil s'en flate. Mon corps étoit de rouge taeheté , Ainfi qu'une panthère marqueté. Ah! ce récit vous émeut & vous touche, Vous m'enviez, 1'eau vous vient a la bouche; J'en lis la marqué en votre ceil irrité; Car vous oroyez qu'un chacun vous degrade, Qui comme vous prétend être malade. Mais, calmez • vous, je ne fuis qu'appreutif; Je n'atteins point a la longue tirade De tous vos maux au cortège plaintif. Gardez-les donc, mais fans qu'ils vous excèdent; Selon vos vceux de long - temps ils poifèdent Sur votre corps privilége exclufif. Obflruaions, vapeurs d'hypocondrie, Relachement, colique, ftrangurie, Tranfports ardens, catarres, fLixions, Poumons crachés, fiévre d'esquiuancie, La gaie aux doigts, des ébullitions, Un flux de fang, tantót paralyfie, VomiiTemens, vertiges, pamoifons, Sont tous des maux remplis de courtoifie, Prêts d'obéir-è votre fantaifie ; Et que chez vous, cher Marquis, tour a tour ■ Exaftement on trouve être du jour; Ainfi qu'on voit d'infames parafues, Des fouverains ferviles fatellites, ( De leur effaiia déshonorer la cour.  22 POESJES. Ces manx affreiix caufent notre msrtyve, Par eux enfin nous nous voyons détruire; Mais prés de vous trop familiarifés, Par mauvais goüt ou par bizarrerie, Depuis vingt ans^ Marquis, vous vous piaifc-2 Dans leur funefle & tritte compagnie, Et préférez par fingularité L'état facheux de foutTrir maladie Au doux plaiiir qui nait de Ia fanté. Malade enfin par état, par coutume, Un poële ardent dans le lit vous confume, Et s'il advient dans un temps limiié Qu'Éguille un jour proprement vous inhume, Sur votie tombe, au pied du grand autel, Serontces mots crayounés par ma plume: „ Ci- git, paffant, 1'auteur de maint volume, „ Mort de frayeur d'avoir été mortel." Ah ! qu'un héros dans une tragédie En cent périls fe puiffe embarraffer, Qu'a tout moment on tremble pour fa vie, C'efl-la Ia règle, il dok intéreffer. Mais vous, Marquis, qui favez qu'on vous aime, Comment? pourquoi? par quel travers extréme De vos dangers nous faut- il menacer? La, prés de vous, poudreufe de 1'école Ne vois je pas 1'infolente hyperbole , Aux yeux taillés en deux tubes parfaits» Amplifier, groflir tous les objets? Elle gangrène une foible piqüre, Ou par malheur fi fur votre encohira Dans le miroir vos regards inquiets  P O E S I E S. 23 Om le foupcpn d'une legére enflnre, Elle p/édit votre procham décès; Et quand Êole en vos boyaux murmure, •Vous fuppofez qu'il va dans les forêts Pour vous cueillir de funèbres cyprès. ChafTez, Marquis, ce monflre qui m'outrage; Qu'il r.'entre plus dans le palais d'un fage: Je hais Terreur, je hais la faufleté, Des fifbions le frivole étalage Qui déftgure & perd la vérité. Ne penfez plus a tous ces noirs fantómes; Ne craignez plus Ia mort, ni fes fymptómes, Qui jusqu'ici de vos plus heureux jours Ont fans relache empoifonné le cours. Et que mon bras a jamais vous délivre De ces frayeurs qui troublent votre fort: P.nfez-y bien; vous négHgez de vivre Par la terreur que vous donne la mort. En attendant le temps fuit & s'envele. Déchirez - moi ce vüain protocole Que vous tenez, & de votre uriiial, Et de ce pouls au galop inégal. Tandis qu'encor Lachéfis pour vous file, Sans toujours craindre & fans toujours ouir Ce que vous dit un docteur imbécile, De votre temps apprenez a jouir.  a 4 P O E S I E S. E P I T R E AU COMTE HODITZ fur Roswalde, O fingulier Hoditz! vous qui né pour ïa cour, Avez fui, jeune encore, ce dangereux féjour, Libre des préjugés qui trompen: le vulgaire, Vous riez de ces fous dont 1'efprit mercenaire N'amafle des tréfors que pour les dépenfer; De ces fats dont 1'orgueil fait fi bien s'encenfer, Se drefie, fe rengorge, & fe mire en fes plumes; Et de ces fombres fous qui dans les amertumes, Toujours pour leur grandeur occupés de projets, S'épuifent en ttavaux fans réuflir jamais, Mécontens du préfent it leurs voeux peu fortable, Cherchent dans 1'avenir un fort plus favorable. Vous avez rejeté ce dangereux poifon; Vous born;z vos défirs a fuivre la raifon. Etre heureux en effet, c'eft bien la grande affaire: L'orguei! eft a mes yeux une rrifte chimère. A quoi vous eüt fervi que valet grand feigneur, Vous eufliez quarante ans déchaufl'é 1'Empereur? II'eft beau d'approcher de prés du diadème; Mais il vaut mieux encor dépendre de foi.mémei Ainfi vous avez fu d'un choix prémidité Pré-  P O E S I E S. 25 Préférer aux grandeurs 1'heureufe liberté; Sans fafte & fans apprêts, guidé par la nature, Même fans y penfer difciple d'Epicure. Roswalde en héritage entre vos mains paffé Le difputa bientót au palais de Circé, Et ce bourg ignoré du Tanaïs a 1'Ebre, Graces a vos talenséft devenu céïèbre: Ce n'eft plus ce donjon forabre & peu fréquenté Qu'a peine on toléroit pour fon antiquité; C'eft un féjour divin; les yeux & les oreiiies S'étonnent d'y trouver cent charmes, cent mer veilles; Le Tafle & 1'Ariofte en deviendroient honteux, S'ils voyoient vos travaux les furpafler tous deux. La des enchantemens 1'ingénieux preftige Produit a chique inftant prodige fur prodige; Tout refpire, tout vit, tout être eftanimé. Par un charme foudain ce bois eft transformé; C'eft un jardin fuperbe, & la • bas par miracle Vous lifez dans un puits les arréts d'un oracle. La nature parolt obéir a vos lois; Tout s'arrange, fe fait, fe plie a votre choix. Tandis qu'en avanpant, 011 examine, on caufe, L'oeil eft foudain frappé d'une métaraorphofe: En fuyant Apollon, plus prompte qu'un courfier, Daphné fubitemeut fe transformé en laurier. La j'appercois.Renaud dans le palais d'Armide; lei font tous les Dieux célébrés par O vide, Venus, Pallas, Diane, Apollon, Jupiter, Neptune, Mars, Mercure & le Dieu de 1'enfer. Ces Dieux, quin'exiftoientqu'aucode poëtique, Ont retrouvé chez vous autels & culte aniique: Ocuv. pojih, ie Fr. U. T. VU, B  P O E S I E S. Des prétres revêtus d'habits pontificaux Amènent Ia viclime, & puis de leurs couteaux L'égorgent en 1'offrant aux Dieux en facrifice; lis afpergent 1'autel du fang de la génifle; lis invoqueut ces Dieux, 1'encens fume pour eux. Que 1'ombre de Symraaqueapprouveroitvos jeux, Si dans ce norabre outré de cultes ridicules Dont on charge a plaifirles peupies trop crédules, II voyoit par vos foirfs reflufciter le fien! Mais vous aimez la fable en reflant bon chrécien, Et fans que la vraie foi puifie en être alarmée, Vous pouvez vous créer tout un peuple pigmée: Je crus dans leur cité, quand leur eflaim parut, Etre avec Gulliver tombé dans Lilliput: Je femblois un géant envers cette peuplade, Typhée, ou Géryon, ou du moins Encelade; Et la cité batie a leur proportion N'avoit point de clocher qui m'atteignlt au front Telle Virgile a peint la naiflante Carthage, Oii tout un peuple aftif s'emprelïbit a 1'ouvrage, Et travailloit aux murs qu'avoit tracés Didon. Bientót d'autres objets nous font diverfion: De voix & d'inftrumsns Ia douce mélodie Par un plaifir nouveau change & diverfiffe Tout ce qu'ont prodigué les charmes-précédens: Tant 1'efprit des humains fe plair aux changemens! Tantöt c'eft 1'opéra, tantót la tragédie, Ou bien le pantomime, ou bien la comédie, Qui vienuent tour a tour par leur variété Ecarter les ennuis de Tuniformité. Mais ferai-je muet au fujet des actrices,  P O E S 1 E S. *7 Ces Veftales qu'encor je ne crois pas novices, Qui venant étaler leurs graces, leurs appas, Semblent briguer 1'honneur de paiTer dans vos bras ? Ce férail de beautés qui forment les fpeflacles, N'airaent que leur Sultan, relpeétent fes oracles; Sa volonté décide & marqué leur devoir; II fixe leur deltin en jetant fon mouchoir. Ce Sultan, cher Hoditz, vous ledevez connoïtre; Deceslieux enchantés n'efl-ce pas 1'heureux raaicre? Génie infatigable, inépuifable, égal, Et qui toujours nouveau demeure original. Ainfi vos jours heureux fans embarras s'écoulent, Les Amours enfantins & les plaifirs les moulent. Lorsque dans vos jardin»,versla Sn d'un beaufoir, La rivale du jour vient de fon crêpe noir Obfcurcir les objtts de la nature entière, Vous parlez, & d'abord reparoic la lumiére. Tel Dieu créant ce monde auquel il fe complut, Dit: que le jour paroiiTe, & la lumière fut. A Roswa'.de «ufïïré-c cent raquettes s'élancent, Et rempliflent les airs des feux qu'elles difpenfent, De leur gerbe brillante éclairent 1'horizoa Et femblent fuppléer au char de Phaè'ton. Vos preftiges de 1'art égalent la nature. Mafs ce jour fortuné penche vers fa clóture, Pour le frnir ainfi qu'il avoit coinmencé, Mon Comte va choifir dans fon peuple empreiTé Un teudron de quinze ans: grauds Dieux qu'elle étoit belle 4 Le fameux Phidias,félégant Praxitèle, E 2  a8 P O E S I E S. En elle auroient cru voir une Divinité; Si ce n'étoit Vénus, c'étoit la Volupté; Les charmes enchanteurs, les grSces 1'ont pétrie. Elle doit cette nuk lui tenir compagnie; L'Amour qui 1'appercoit, en rit maligneraentj Ses rivales en feu s'en plaignent vivement. Ah 1 qu'il eft difficile en un férail de belles De contenter fon gout fans caufer des querelles! Toutes comme Vénus & Pallas & Junon, S'attendoient au mouchoir; chacune avoit raifon. Le plus fage des rois en entretenoit mille; S'ü pouvoit y fuffire, il étoit plus qu'habile; Mais mon Comte après tout peut bien être aujourd'hui, Sans qu'il foit Salomon, plus Hercule que lui. Comment pourrai je enfin tout conter,tout décrire? Les mots me manqueroient pour peindre &vous redire Les plaifirs différens qu'on favoure en ces lieux; Vousn'enapptochezpas, triftes plaifirs descieux! C'eft ainfi qu'au deflus des pompeufes chimères Qui flattent les mortels de deftins plus profpères, Vous vous êtes choifi le plus fortuné fort, Et libre de foucis, tranquille au fein du port, O Comte! vous favez jouir, penfer, produire; Auffi des voluptés 1'ingénieux délire Partout fème de fleurs les traces de vos pas. C'eft dans ce choix furtout qu'on diftingue ici - bas , Le jugement du fou du jugement du fage. Dans les jours fugitifs d'un court pélérinage, L'un s'accablant de foins, de peines, d'embarras, Eft toujours projetant furpris par le trépas;  P O E S I E S. 49 L'autre voit des objets Ie néant, la folie, Profite des plaifirs & jouit de la vie. C'eft votre lot, cher Comte, il faut vous y teuir: Le plaifir eft le Dieu qui vous fait rajeunir. Puiffiez • vous en fanté, dans le fein de la joie , PaiTer encor longtemps des jours filés de foie! E P I T R E A L A REINE DOUAIRIÈRE DE SUEDE. ^^uoi donc, ó tendre foeur! Pamcmr de vos parens Vous a fait affronter Neptune & les autans? Les abymes ouverts d'une mer orageufe N'ont point épouvanté cette ame courageufe, Qui vous faifant quitter le tróne & vos Etats, En comblant tousnos vceux vous remetennos bras. C'eft en vain que leteinps,I'éloignement,l'abfence, Ont fourdement miné votre auflère conftance; Six luftres révolus n'ont donc pu réufïïr A nous óter, ina foeur, da votre fouvenir? Des droits facrés du fang 1'inviolable empreinte De noeuds jadis formés refferre encore 1'écreinte. Qu'un auffi grand exemple éclaire les mortels! Affez & trop longtemps auprès de fes autels L'Amitié languifToit ifolée en fon temple; Dans nos jours dégradés il n'étoit point d'exempla B 3  3o I> O E S I E S. Que deux cceurs généreux, vrais & conftans amiï, Sans un vil intérêt fuiTent toujours unis. Le teraple étoit défert, il menacoit mine, Quand pour le répnrer parut une héroïne: Sur fon front éclatant luit 1'étoile du nord, La douce majefté s'annonce a fon abord: Elle eft par la DéelTe en fon temple recue; Ses décombres plaintifs ont attrifté fa vue, Mais c'eft par fon fecours qu'on va les relever. Ma feeur, c'eft donc ainfi que vous ofez prouver, En dépit des fureurs & des cris de 1'envie Contre les cours des rois, & leurrègne & leurvie, Qu'en nosjours la vertu peut trouver dans ces cours Des coeurs aflez parfaits dignes de fes amours, Allez, vils artifans de fraude & de menfonge, Répandre (*) fur les rois tout le fiel qui vous ronge ; Vos efforts infenfés font-déformais perdus; UIrique en prendra foin , on ne vous croira plus. Psr des traits trop frappr.ns elle a fu vous confondre; Contre 1'expérience il n'eft rien a répondre. Rentrcz dans Ie néant dont vous êtes fords, Méprifés, détsftés, confondus, avilis; Le coup qui vous écrafe, eft émané du tróne: C'eft venger noblement lés droits de la couronne, Quand par 1'afpeét frappant de toutes les vettus On atterre a- fes pieds les monftres confondus. Vous allez donc, mafceur, fur les traces d'HercuIe C») L'autcur du Syttème de Ia nature, qui confeille !e régicide. L'auteur des Préjuges, qui adopte les mêines maximes. lis appellent les cours les foyers de Ia ccïruption publique.  POESJES. 31 Par de nobles travaux vous reudre fon émule, Ecrafer fous vos pas les calomniateurs, Du vulgaire égaré difïiper les erreurs, Venger les opprimés, & rnontrer qu'une Reine Peut encor fur les coeurs réguer en fouveraine. Qu'il eft beau de donner d'auili grandes lecons! Ah ! pour vous adrnirer, ma fceur, que deraifons! Avez - vous vu nos coeurs voler fur le rivage, Vous accendre a Stralfund a votre heureux pnfTage, Les peuples vous bénir, nos vosux vous dévancet ? Sans doute en ce moment vous avez du penfer, Quelque odieux que foit 1'éclat du diadème, Si le vice me craint, tout coeur vertueux m'aimej Mes fiètes; mes paVensj ma familie, ffies fils, Sont tous par fentimcnt mes fidelles arais. Ah! puiffiez vous.ma foeur,un temps immémorable Profiter & jouir d'un fort fi favorable ! Le rang, ni les grandeurs, ne font pas les heureux; II en eft moins encor chez ces ambitieux, Qui de commandemens & de puiflance avides, Par des tourmens pareils a ceux des Danaïdes, Sans remplir leurs défirs fe lailTent confuiner. Mafcenr,on n'eft heureux qu'autant qu'on fait aimer. B4  32 P O E S I E S. A MA SOEUR AMELIE, en pajjant la nuit fous fa fenêtre pour aller en Siléfie. Sommeil, auteur du doux repos, Reftaurateur divin de Ia fanté perdue, Répands & jette tes pavots Sur les yeux de ma fceur dans foa lit étendue. Fais voltiger fur fon chevet Les rêves les plus agréables; Qu'elle entende en rêvant les voix, fur fon du vet, Des Nymphes d'Apollon, de Sirênes aimables, Chantant en choeur & d'un fon net La tablature chromatique, Du Contrapunto pathétique, Mêlé des plus favans motets Tous harmoniques & bien faits. Qu'aucun rève effrayant n'altère Ou n'échauffe fon fang en fa courfe ordinaire ; Que la fanté, dés fon réveil, Et la vigreur, fa foeur cadette, L'accompagnent a fa toilette, Demain dès que )e jour finira fon fommeiL Pour moi, que le deüin lutine, Toujours dans des travaux, toujours forcé d'errer, De fatiguer fans fin ayant pris la routine, le confens que Morphée ofe encor me fruftrer J Dj  P O E S I E S. 33 Du doux repos,ma fceur,que mon cceur vous deftine,- Et fi vous en jouiflïez, Mes veilles & mes foins feroient tous oubliés. Puifliez.vous donc dans votre afile, Loin du fracas, loin de 1'ennui, En confervant 1'ame tranquile, Pafier des jours heureux, & de plus douces nuits! Pendant, mafceur, quepartoutoü jefuis, En quelque temps que ce puiffe être, Abfent, ou bien a vos genoux, L'attachement ne peut s'accroitre Que jusques au tombeau je conferve pour vous. A LA REINE DE SUEDE. Non, ma fceur,les grandeurs,les couronnes,les mitres, L'amas accumulé des plus fuperbes titres, Ces fymboles pompeux de notre vanité, Ne fauroïent cimenter notre félicité. Du plus vil des humains aux têtes couronnées, Tout mortel eft foumis aux lois des deftinées, A fouffrir, a fe plaindre, a déplorer fes maux. Les dehors font divers, les états font égaux. Qu'importe donc quel rang décore ma rnifêre ? Le bonheur n'eft point fait pour ce trifte hémifphère. Sous la pourpre ou la bure obligé de fouffrir, II eft égal des deux qui fert a me couvrir. A trouver ce bonheur on confume fa viej B 5  I 3+ POESJES. Feu d'fiumains ont joui de fa fuperficier L'nn penfant le trouver en de vaftes palais, Quitte en le pourfuivant fes paifibles forêts, Et fes troupeaux féconds, fon champ, fon toie de chaume; II arrivé, & foudain difparoit le fantóme. Les grnnds, remplis d'efpoir,d'orgueil,d'ambition, Adorent du bonheur 1'aimable fiftion, Et pour le pofféder, de 1'ardeur Ia plus vive lis pourfuivent en vain eet te ombre fugitive; Au lieu de Ia faifir, ó perfides deftins ï lis tronvent des foucis, des revers, des chagrins. Tel eft Ie fort coramunde ces rois qu'on enviej Par leur éclat trompeur la vue eft éblouie: En les voyant de prés on gémit en feeree De leur fort que de loin Pignorance admiroir. Vous, dont Péclat naiftant d'une beauté rouchante Fixa fur vous les yeux de Ia Suède inconfhnte, Vous montates au tróne on vous plica leur choix, Et quoique fille, fceur, femme & mère de rois, Le bonheur de chez vous s'échappa comme un ombre; Sons vos pas les revers s'accumuloient fans nombre. La Suède n'étoit plus PEtat jadis fameux, Vengeur des libertés des Germains belliqueux;. De fon gouvernement la fortne différente Enervoit de ce corps la maffe languiffante. . Dès lors n'éprouvant plus Ie pouvoir fouverain, L*anarchie opprimoit Pétac répubiieain: Des grands dégénérés de leur nobieflè amique L'intérêt perfonncl bornoit la politique i  P O E S IE S. 35» ïls couvröient des beaux noras de lois, de liberté, La hortte de fe vendre avec impunité. Rien de plus rare alors, tam tout abus excède, Qu'un citoyen zélé, & fidelle a la Suède. Vous voulütes, ma fceur, dans ces cosurs dépravés Ranimer des vertus les germes énervés: Ce fut en vain; long-temps le vice qui les dompte, Effaca de leur front la pudeur & la home j Par le lache afcendant de la corruption L'amour de leur pays n'étoit plus qu'un vain nom. Dans les convulfions des difcordes civiles, Momens fi dangereux, en défaftres fertiles, Au fort de la tempête un flot impétueux Penfa vous engloutir dans fes flmcs orageux; Des efprits échauffés la fureur effrénée, Par des confeils cruels aigrie, empoifonnée, Confondoienttous lesdroits,ce qu'on pouvoittenter, Et les objets facrés qu'on devoit refpefter. Ils ofèrent fapper les fondemens du tróne; Mais votre fermeté foutint votre couronne. Depuis, votre prudence éludant leurs alTauts, Sut appaifer leur haine & mater leurs complots. Qu'il en coüte, ma fceur, pouracquerir la gloire! Depuis ce temps encore une trame plus noire, Attaquanr vos appuis, voulut vous ifoler; Sans honte a fes projets ofitnt tout immoler, Elle alluma foudain le flambeau de la guerre, De fes bras énervés nous lanca fon tonnerre, Pourfuivit votre fang établi dans le nord, Et contre un Empereur dirigea fon effbrt. A peine a tant de traits étiez-vous échappée» E 6  36 P O E S 1 E S. A peine voyoit-on Ia diète occupée A rétablir la paix, objet de tous les vceux, Que des troubles nouveaux & non moins dangereux Remplirent votre ccenr des plus vivres alarmes. Que ce royaume, ó Dieux! vous a conté de larmes! La Difcorde en foufflant 1'ardeur des factions, Sut ranïmer le feu de leurs diflentions, Et tournant contre vous leuruoire perfidie, En vous calomniant aliéna la Ruffie. La Cabale depuis, marchaut le front levé, De 1'ordre fe jouant parl'Etat approuvé, Epuifoit tous les fonds par fa folie dépenfe, Et fe plaifoit a voir renaïtre 1'indigence. Le Roi trop rabailTé, fe vit, fiélas! réduk A voir en fpectateur fon royaume détruit; II fallut qu'il cédat a 1'effort de 1'orage, Qu'il s'unit au parti qui lui faifoit outrage; Et fans que fes cliens en fulfent compromis, II agit de concert avec fes ennemis. Ces traitres endurcis bientót vous traverférent; A rompre vos deffeins leurs chefs fe fignalèrent, C'étoit a Norkiceping, au fort des démêlés. L'indigne Maréchal des Etats aflémblés Vous manqua, vous trahit & vous devint parjure. Aucun tigre jamais n'a changé de nature, Et jamais vos Suédois, républicains fougueux, N'atteindront aux vertus dont brilloient leurs aïeux. II vous reftoit au moins un époux cher & tc-ndre, Qui favoit partager vos maux & vous défendre; L'impitoyable mort le frappa dans vos bras. Voila, ma fceur, voila le fort des potentats,  p O E S I E S. 37 Surtout des rois privés du pouvoir monarchique, Tachant de réfifter au torrent anarchique. Des rofeaux jusqu'au cèdre & des rois auxmanans, Tout mortel eft enproie aux chagrins dévorans; Un pauvre laboureur dont périt la génifle, Sent fa perte auffi bien, fouffre même fupplice Qu'un roi qui voit foudain avorter fes projets: La douleur eft égale, autres font les objecs. Le pauvre a des parens ainfi que le monarque; L'un & 1'autre gémit des rigueurs de la Parque. Un ami tendre, un père, une fceur, un feul Als, Nous déchirent le cceur quand ils nous font ravis, Et nos fragües corps, moulés fur un modèle, Cèdent a la douleur quand elle eft trop cruelle. Ainfi tout eft égal, foit grands, foit plébéïens, La fomme de nos maux 1'emporte fur les biens. Epicure, autrefois contredit dans la Grèce, Mais dont on recotïnut le grand fens, la fageffe, Prefcrivoit pour maxime a tous fes auditeurs D'éviter avec foin les piéges des grandeurs. Fuyez, leur difoit-il, les affaires publiques, Et lailTant confumer ces fotnbres politiques, Confervez dans vos cceurs la paix & le repos. Atticus, qui 1'en crut, au milieu des coraplots Qu'enfantoit chaque jour une guerre civile. Fut refpefté de tous & fe maintint tranquile; Tandis que dans le trouble & Pompée & Céfar Abandonnoknt 1'empire & leur fort au hafard. Quand 1'ame eft fortement & longtemps agitée, Par un efTor fi vif hors d'elle tranfportée, Sa gaité difparoit, & laifTe dans 1'efprit B 7  S« POESJES. Un funeffe Ievain qui Je ronge & 1'aigrit; De fes noires vapenrs 1'ambition 1'enivre. Ah! pour ü peu de jours que nous avons a vivre, Dans d'auffi vains projets fant-il fe confumer? Ce roi, ce fouverain qne 1'on vient d'inhumer, Voila fes monumens qu'aufliiót on renverfe, Tout s'élève, s'accrott, enfin fe bouleverfe. Alexandre conquit les plus valles Etats, II meurt: tout auffitót des courtifans ingrats Partagent a leur gré les dépouilles du maltre; Ses enfans font exclus. Un capitaine, un traitre A fes fouverains nés fait fouffrir le trépas. Ainfi ce conquérant a livré cent combats, Pour qu'un Démétrius & pour qu'un Ptolémée Jouic de fes travaux, hors de fa renommée. Voila, ma fceur, a quoi mènent ces grands defieins: Les politiques font pareils aux Quiuze-vingts, lis agiiTent fans voir; le deltin les attrape; II fit que Rornulus travailla pour le Pape, Que David éleva Sion pour Mahomet. Enfin aucun de nous ne fait trop ce qu'il fait, De projets en projets notre efpoir nous engage 5 11 eft, vous le favez, des hochets pour tout age. Rejetant de ces jeux la folie illufion, Vous détournez vos pas du bruyant'tourbilloa De ce gouvernement tant agité d'itnrigues, Et loin de fes complots, a 1'abri de fes brigues, Vous jouirez enfin des charmes de la paix. Ah! puiffiez-vous, ma fceur, oublier pour jamais Vos ennuis, vos chsgrins, vos revers & vos pertes Par des profpérués, a 1'avenir couvertes l  P O E S I E S. 3* A 1'abri des malheurs, dans un tranquille cours, Puifliez-vous voir couler Ie refte de vos jours Au fein de l'ttmiöé! C'eft le bonheur fuprême. Ce font les vceux, ma fceur, d'un frère qui vous airae. AU S I E U R N O E L, Maitre d'hStel. Je ne ris point; vraiment, Monfieur Noël, Vos grands talens vous rendront immortel. Sans doute il eft plus d'un moyen de 1'être; Qui dans fon art furpafTe fes égaux, Qui s'applanit des chemins tout nouveaux, Eft dans fon genre un habüe, un graud maitre \ Des cuifiniers vous êtes le héros. Vous polTéJez 1'exacr.e connoiitance Des végétaux; & votre expérience Affimilant difcrétement leurs fucs, Sait les lier au genre de fes fauces, Au doux parfum des jasmins & des rofes , Qui font le charme & des rois & des ducs. Si quelque jour il vous prend fantaifie D'imaginer un ragoüt de momie, En 1'apprétant de ce goüt für & fin, Et des extraits produits par la chimie; L'illufioii, Ie prettige & la faim Nous rendront tous peut-être antropophagcs.  40 POESJES. Mais non, Iaifions ces repas aux fauvages; Même épargnons la chair des aniraaux; Prodiguez-nous plutót les végétaux, lis font plus fains, plus faits pour nos ufages. Que de filets par vous imaginés, Que de patés par vos mains faconnés, Que de hachis, de farces déleftables, Dont nos palais fouvent trop enchantés Sont mollement chatouillés & flattés! Auteur fécond de ces mets admirables, Que cent feflins ne fauroient épuifer, Vous inventez & favez compofer Ce que jamais aucim de vos femb'.ables Ne produifit pour s'immortalifer. Aufll jamais, croyez-moi, la cuifine Egyptienne, ou grecque, ou bienlatine, Ne put atteindre a la perfeftion Oü la porta votre efprit qui combine, Et votre vive imagination. Ce Lucullus, famenx gourmet de Rome, Dans fes banquets au fallon d'Apollon, Feftins fameux que Cicéron renomme, Ne goüta rien d'aufli fin, d'aufïï bon Que cette bombe a la Sardanapale, Ce mets des Dieux qu'aucun ragout n'égale; Dont vous m'avez régalé ce midi. Si 1'on pouvoit ranimer Epicure, Si la vertu de quelque faiut hardi ■ Pouvoit encore le rendre a la nature , Ah! que Noël en feroit applaudi! 11 choifiroit Noël pour fon apótre;  P O E S I E S. V II 1'eft déja, car fon travail vanté A tout palais prêche la volupté; A nous temer plus féduifant qu'un autre, II eft vainqueur de la frugalité, Êt furpaffant le philofophe antique, Noël réduit fes lecons en pratique; Ses mets exquis amorcant les Pruffiens Les ont changés en Epicuriens. Au temps paffé la volupté groffière, Sans méditer fur des mets délicats, Se contentoit de furcharger les plats, Pour affbuvir fa dent carnafllére; On étoit loin de nos raffinemens, On ignoroit nos affaifonnemens, On recherchoit la viande la plus rare; Ce qui coücoit le plus, paffbit pour bon. Pétrone ainfi peint le feftin bizarre Que lui donna certain Trimalcion. On y fervit avec profufion Des animoux entiers de toute efpèce; D'un porc furtout le cadavre hideux Si revoltant, fi choquant a nos yeux, Fut étalé, róti tout d'une pièce,Dès que fes flancsfurent tranchés en deux, On en tira 1'oifeau brillant du Phafe, Chapons, dindons, becs-figues & perdrix: Les conviés tous ravis, en extafe, A oet afpect. jetèrent de grands cris; Le cuifinier fut loué par bêtife, Chacun mangea felon fa friandife, On dévora le porc & fes débris.  42 POESJES. Qui ferviroit a préfent a fes hótes Un tel repas? Au lieu d'étre lcmé Des fuccefieurs des Térences, des Plautei, En plein théatre on feroit bafoué. Les fins gourmets h table délicate Ne fouffient point qu'un chétif gargotier Grofïïèrement travailie a Ia Sarmate. On veut furtout qu'habile en fon métier, Par des ragoüts dont la faveur nous flate, L'artifte ait 1'art de nous raffafier. Il faut encor, & j'allois 1'oublier, Que toute table élégamment fervie, Evite en tout l'air d'une boucherie; Qu'un rót coupé ne foit jamais fanglant: Un tel objet d'horreur eft révoitant. Un cuifinier qui brigue la louange, Doit déguifer les cadavres qu'on mange", En cent fapons il peut les diftéquer, D'ingrédiens il compofe un mélange, La farce enfin lui fert a tout masquer. Voila par oü le fameux Noël brille. II imagine & jamais il ne pille De vieux menus d'autres maitres d'hótels; C'eft un Newton daas 1'art de' la marmite, Un vrai Céfar en fait de léchefrite, Et furpalTant nos héros aétuels, II les vaut tous aux palais fenfuels. Mais fi ces vers tomboienc a rimprovifle Entre les mains d'un bourru janféflifte, Zélé dévot & prompt a s'enfiamer, Je crois d'ici 1'entendre déclamer  P O E S I E S. 45 Contre ce monflre ïmpie & fibarite Qui próne trop la volupté maudite, Et vous loger 1'auteur, fans le nommer, Au gouffre affreux que Lucifer habite. Tout doux,tout doux.Monfieur le cénobite. Plus de bon fens, de grace, moins d'huuieur-, Entre nous deux c'eft la raifon, dofteur, Qui feule doit juger notre querelle. A fes décrets ne foyez point rebelle; Elle vous dit, fi vous pouvez 1'ouir, Prétends-tu donc laiffer évanouir Les dons du ciel qu'il verfe en abondance ? S'il les donna, felon toute apparence, Ce fut afin que 1'on püt en jouir. Ufer de tout, c'eft le confeil du fage; Savoir jouir fans abufer de rien, Sojffrir le mal. s'il vient, avec courage, : Et bien goüter 1'avantagc du bien. Hatez-vous donc, Noël, fervez la labiele fens déja le parfum déleétable De vos ragouts, on- vient me les offrir. Allons goüter de vos métamorphofes ; Car puisqu'enfin, fi 1'on ne veut raourir, Tout homme doit chaque jour fe nourrir, Ne nous donnez que d'excellentes chofes.  44 P O E S I E S. A. U N E C H I E N N E. Je t'envie, 6 bichon! ta fortune prochaine, Mon cceur voudroic te la ravir; Le fort te fait palier dans les mains de la Reine, Et te dévoue a la fervir. Ah! file ciel vouloit par grace Me métamorphofer fous ton extérieur, D'abord j'occuperois ta place: La fervir', 1'admirer, ce feroit mon bonheur. VERS POUR MADEMOISELLE SCHIDLEY, qui avoit envoyé au Roi une charrue angloife. O Mils! vous penfez donc a moi? Cet inftrument d'agriculture Dont vos bontés m'ont fait 1'envoi, Défigne trop a quel emploi Vous allez mettre ma figure; Tout autrement organifé, Par vos mains métaraorphofé, Je m'en vais donc changer d'efpèce. Vous favez quelle fut Circé: Vous lütes dans votre jeunefle  P O E S I E S. 45 De quel effroi parut glacé Le fage, le prudent UlyiTe, Lorsque Circé par artifica Transforma tous fes courtifaus En autant d'animaux broutans. Dans votre généalogie . Circé, dit.on, tient le haut bout, Et vous lui reflemblez en töut, Autant en beauté qu'en magie. Mais pourquoi voulez-vous fur moi Eprouver 1'effet de vos charmes? Vous favez que de bonne foi Vous voyant je rendis les armes. Déformais leur pouvoir fatal Va charger ma tête chenue Du joug pefant de la charrue, Et me change en eet animal Dont le pas lourd tracé avec peine Un léger fillon dans la plaine. Certain Nabuchodonofor Eut autrefois un pareil fort. Jupiter prit bien 1'enveloppe D'un jeune & raviflant taureau Pour enlever la belle Europe. Quand 1'Amour leur ceint fon bandeau On a vu les Nymphes, les belles, Vers les Dieux faifant les cruelles, S'adoucir pour les animaux. Ces traits ne nous font pas nouveaux. Léda foupira pour un cygne: L'or même fut 1'amant indigne  4« P O E S l E S. Qui triompha de Danaé; Vous favez de Pafiphaé Le goüt bizafre & le caprice. Mais le fexe eft plein de malice. Si pour gagner votre faveur II faut pafler par telle chofe, Je risque la métamorphofe, Afin de flfchir votre cceur. Quelle qu'enfin foit la figure Ou vous voudrez me transformer, Je la prendrai, je vous Ie jure, Si vous promettez de m'aimer. A VOLTAIRE. Sur la fin desbeaux jours dont vous fites 1'hifioire, Si brillans pour les arts, oü tout tendoit au grand, Des Francois ur. feul homme a foutenu la gloire. II fut embralTér tout: fon génie agiflant A la fois remp'.aca Bofluet & Racine, Et maniant la lyre ainfi que le corapas, II transmit les accords de la Mufe latine Qui du fils de Vénus célébra les combats. De 1'immortel Newton.il faifit le génie, Fit connoitre au Francois ce qu'eft 1'attraction; 11 terralTa Terreur, la fuperftition. Ce grand homrne lui feul vaut une académie.  P O E S I E S. 47 A VOL T AI R E. Combien Tiriot a d'efprit Depuis que le trépas en a fait un fquelette! Mais lorsqu'il régétoit dans ce monde inaudit, Du Parnafie francois compofanc la gazette, 11 n'eut ni gloire ni crédit. Mainteuant il paroit par les vers qu'il écric Un philofophe, un fage, autant qu'un grand poëte. Aux bords de 1'Achéron oü fon deflin le jete, II a trouvé tous les talens Qu'une fatalité bizarre Lui dénia toujours lorsqu'il en étoit temps, Pour les lui prodiguer-au fin fond du Ténare. Enfiu le? trépafl'és & tous nos fots vivans Pourront donc afpirer a briller comme a plaire, S'ils font aflez adroits, avifés & prudens, De choifir pour leur fecrétaire Virgile, Orphée, ou mieux Voltaire. A VOLTAIRE. N^on, plus je ne veux a Paris Avoir de courtier littéraire. Je n'y vois plus ces beaux efprits Dont nombre d'immortels écrits  4.S P O E S I E S. En ffi'inftruifant favoient me plaire. Je ne venx de correfpondaus Que fur les confins de la Suifie, Province quijadis étok trés-fort novice En arts, en elprit, en talens, Mais qui contient des bons vieux temps Le feul auteur qui me ravifle Par 1'art harmonieux de modeier fes chants. Ces Grecs, vos favoris, chercherent en Afie Les fciences, la vérité: Platon jusqu'en Egypte avoit même tenté D'éclairer fa philofophie. Déformais nos cantons charmés de fes attraits, Sans chercher pour 1'efprit des aümens dans 1'Inde, Trouvent le Dieu du goüt comme le Dieu du Pinde Tous deux réunis dans Ferney. Vous m'enverriez votre extrait baptiftère,que.je ii'en croirois pas davantage a votre curé. On juge mal, on eft décu En fe fiant a Papparence; Je fuis tiès-für & convaincu Que Voltaire en fecret a bu De la fontaine de Jouvence. Jamais aucun héros n'approcha de fon fort, Immortel par fa vie, ainfi qu'après fa mort. EPIT RE  P O E S I E S. 49 E P I T R E. D nns ce vafle univers, le globe oü nous vivonr, Lui fert a mon avis de petites maifons. De fous, d'extrdvagans, la bizarre Gohue De Lisbonne a Peckin offre en grand a ma vue Un pré de mille fleurs richemenr émaillé: Sur cette ample pature, un efprit éveillé Saifit malignement la fleur du ridicule, L'extrait & 1'alfaifonne au fond de fa celluie. Un Quaker me dira d'un air fombre & chagrin Qu'il faut toujours couvrir les défauts du prochain: Mais lorsqu'un fat abonde en traits de balourdife, Loin d'en verfer des pleurs, je ris de fa fottife. J'aimea rire, il eft vrai, même aux dépens des rois' Je hais le mifantrope & les fronts trop fournois. Je préfère & ce fou que 1'on nomme Héraclite, Ce fou plus gai que lui, fenjoué Déraocrite: Sans fe facher dexien, il s'amufoit de tout; De nos frivolités il avoit vu le bout. Et qu'iinporte en effet qu'un efprit fot & louche D'un flux de pauvretés jailliiTcmr de fa bsuche M'étourdifTe un moment, bavardant fans erprit? Cet arbufte eft reftreint a porter un tel fruit: A m'amufer de lui mon penchant me convie, Son ridicule eft fait pour égayer ma vic, G\ii, je te le confefle Lei, mon cher D.tmon-, Oiuy.pJih.diFr.U.T. VU. C  50 ' POE S I E S. Ma rate qui fans toi risquoit 1'obftruétioii, T'entendant pérorer d'une mine efFrontée, En riant eet hiver, s'eft fi bien dilatée, Qu'a ton feul fouvenir mon mal a difparu. Au beau monde, a la cour, Damon s'étoit intrus > II décidoit de tout fans jamais rien comprendre; Un cercle autour de lui fe formoit pour 1'entendr»; La s'empreflbit en foule un peuple curieux, Tendant Ie cou, ouvrant les oreilles, les yeux, Se pamant de plaifir des traits de balourdife Qu'innocement Damon leur iachoit par bêtife. Je m'emprelTe, & je perce a travers le concours Oü notre fat s'épanche en fublimes difcours. La M*** a fu, dit-il, toucher moname..".. Ah! Monfieur,c'eft beaucoup d'allumer une flame Afoixante & dix ans.... Elle en a trente au plus, Hépond le difcoureur; telle parut Vénus Quand on la vit flotter fur le fein d'Amphitrite Sur fon difcernement chacun le félicite; U avoue a la fin qu'il ne la connoit pas. Quelqu'un d'officieux fentant fon embarras, De difcours en difcours vous Ie promène en France. C'eft le pays, dit-il, oü brille la finance Eh! Monfieur, ce royaume eft fi fort endetté.... C'eft le dernier effórt de fon habifeté D'épuifer les tréfors de voifins économes; Berneainfiqu'Amfterdam lui fournifTentdesfommes. Ah! quel plaifir aura Ie plus chrétien des rois, Lorsque 1'abbé Terray, par de nouveaux exploits Englobant les voifins dans Ia chute commune, D'un coup de plume.uu jourravira leur fortune.  P O E i I E S. 51 Voyez-vous, dans ceci tout eft grand & nouveau; Faillite d'un banquier n'a pour moi rien de beau ; Mais quand un grand Etat vife a la banqueroute, Le crédit abymé, le richard en déroute, La confteruation qui trouble les efprits, D'un coloffe ébranlé les étonnans débris, La chute des Créfus tombés de leur pinacle, L'ébranlement affreux que prcduit ce fpeftacle, Le rend en même temps rare & majeftueux.... Eh I quoi! vous plaifez-vous au fort des malhenreux ?.... Non pas, mais on en parle, & ce fujet amufe.... Voila vraiment, Monfieur,une excellente excufe... On 1'interrompt. L'un dit,en France on voit au moins Que pour le militaire on épuifa fes foins. Tant de fameux héros , il eft vrai fans pratique, Dans leurs favans écrits enfeignent la uftique; II n'eft dans leurs vieux corps pas jusqu'au caporal Qui ne figure allleurs comme un bon général: Chez eux de ce grand art il faudra nous inftruire Oui, dit le Schach Babam; mais j'y trouve a redire Qu'a préfent la colonne a moins d'admirateurs; Les Thébains s'en fervoient, & tous nos vieux auteurs Trouvent cette. ordonnanc* admirable & requife; Sa maffe enfonce tout, & même dans Moyfe Vous voyez précéder le Juif guidé par Dieu Une colonne d'air, ou colonne de feu.... Quelle érudition, s'écrioit tout le monde! Science univerfelle, ó caboch- profonde! Mais le canon, Monfieur, ce foudre des guerriers, Ecrafe la colonne & flétrit fes lauriers; C 2  ga P O E'S I E S. Elle eft détruite avant que d'agir... Je m'en moque... Comment la garantir?... Jemarche,avance & choque.. Cela pourroit manquer... vous êtes trop craintif; Trois rangs ne peuvent den contre un corps fi maflïf. Si 1'on m'écoute, il faut que Monteyrjard ordonne Que toujours le Francois vous attaque en colonne. Ah! vous aurez le temps de mürir vos projets: Nous jouilfons ici d'une profonde paix ; Du temple de Janus ies portes fout fermées, Les arts font floriiTans a 1'abri des armées, L'envie eft enchainée, & les grands potentats Font dans ce calme heureux profpérer leurs Etats.... Cela vous plait a dire, a répondu mon homme; Del'EfpagneenEcolTe, & dn Pont jusqu'aRome, Des efprits agités la fermentation Va metrre inceflamment 1'Europe en netton. Pouvez vous fuppofer que de fang froid on fouffre Qu'un royaume en trois £ai:s par trois voifins s'engouiFre, Qu'ons'arroge des droits, que trois princes d'accord N'aient pas même imploré les arbitres du fort?.... Qui font-ils,s'il vous plait?..La France dkl'Angleterre. Vous les verrez bientót portant partout la guerre, Corriger & punir des écoliers mutins, Qui jouant les grands rois.ne font que desgredins.... Ah ! pour la Prulfe au moins nous vous deman- dons grace Peine perdue, il faut que juftice fe fafie. Que diroit Richelieu, PhMippe deux, Cromvvel, Grands hommes qu'illuflra 1'art de Machiave!, Si dans nos jours dépus, de laches politiques  P O E S 1 E S. 53 Craignoient de s'égirer fur leurs pas héroïques? On connoitra dans peu la France & d'Aiguillon; Le Sarmate a chez eux fonné le réveillon. Vous allez voir du nord la fie-rté confondue; Catherine fera par Muttapha battue, Du fond de la Gothie un innombrable effaim Des murs de Pétersbourg changera le dcftin; L'Hellefpont raffuré ne verra plus de RulTe, Et 1'on extirpera jusqu'au nom de la Prufle.... Ah! votre ame s'exalre, & vous prophéiifez, Dit doucement.quelqu'un.... Les faux font attifés, Lui repartit mon homme; on va voir des miracles: Ce lont des vérités & non pas des oracles.... La Lippe a Buckebourg s'en réjouira bien-, Reprit.on, fans la guerre il ne tient plus a rien; Voila 1'occafion, il pourra reparoïcre II eft mort.... Ce matin j'en recus une lettre.... Non, il eft mort, vous dis-je, un gros marchand forain, Revenu de Bronfvvick, fut préfent a fa fin.... Mais ce marchand, Monfieur, eft mal inftruit fans doute Eh! quoi! faut-il douter de tout ce qu'on écoute?... C'eft qu'aucun mort jamais du tombeau n'écrivit, Qu'un marchandn'a d'objet que celui du crédit, Et qu'on fe voit moqué quand on eft trop crédule.... Non, répliqua Damon, je fuis né fans fcrupule; Je crois tout bonnement: comment examiner, Vétillerles propos, fans fuccès me peiner; L'efprit toujours tendu, pefer dans ma balance La vérité dans 1'un, en 1'autre 1'apparence ? Non,j'y vais rondement. je crois tout oequ'oa dit * C 3  54 P O E S I E S. Journal, folliculaire, imprimé, raanufcrir, Miracles, s'il le faut, rien ne m'eft indigefte; Je figure, il fuffit, que m'importe le refte? Mais, Monfieur,.... mais, Monfieur... mais La Lippe eft vivanc.... Que m'impone qu'il vive ou foit agonifant. Voila comme on entend raifonner Ie vulgaire. Diderot prévenu croit tout homme un Voltaire. II fe porte avec zè'.e a vouloir 1'éclairer; II y perdra fes foins, fans le régénérer. Mais vous, mes chers amis, qui dévorés de gloire, Vouiez trscer vos nomsau temple de mémoire, Hélas ï examinez le public en détail, Stupide» ignorant, fot, méprifable bétaü; C'eft la 1'organe impur de votre renommée; Au prix de votre fang il vous vend fa fumée: Vous placez le bonheur dans 1'appat décevant D'être applaudi, loué par ce peuple ignorant; Mais il blame fouvent, car la chance eftdouteufe. Trompé par des fripons, fa lsngue venimeufe Flétrit ce Julien qu'on nomma 1'Apoftat; Ce philofophe étoit la gloire de 1'Etat. Un pontife infolent, natif de Naziance, Calomniant fes mceurs, fa bonté, fa clémence, En fit un monftre aux yeux de la poftérité. Après plus de mille ans parut la vérité. D'Argens rendit juftice aux vertus du grand homme: La fuperfiition en frémit jusqu'a Rome, Et le menfonge impur etTacé de fon nom Pvétab'.it pour jamais fa réputation. Qae nous importent donc les rumeurs du vulgaire ?  P O E S I E S. SS I! critique, il approuve, il outrage, il révère, II tourne a tous les vents; qui connolt fes refforts, L'excite en fe jouaut, ou calme fes tranfports. C'eft l'immortalité dont 1'efpoir nous enivre. En fauvant notre nom, nous croyons encor vivre; Mais fitót que la tombe a renfermé nos corps, Les vains bruits du public font perdus pour les mores; Ce font des prejugés, il n'en faut point au fage, II faura méprifer ce vil aréopage. Mais que fais-je? & demoi que penferoitZinon? Tnndis que je combats la vanité du nom, D'un afcendant vainqueur fentant 1'efFort fuprême , Mon cceur de ma raifon contredit le fyftème. Je repolis "ces vers au point de m'énerver, Pourquoi?Pour qu'a Ferney 1'on puiffü m'approuver, Et qu'on imprime un jour dans quelques vers gro■4 tesques: „ II eft le moins mauvais desrimailleurs tudesques." E P I T R E 'A PA L E M B E R T. ous ne le croirez point, fage Anaxagoras, Qu'au fiècle oü nous vivons, il foit en ces Etats, Même au fein révéré de notre Académie, Un ennemi fecret de Ia philofophie, Qui jadis reconnu pour très-mince Aumónier, Fait métier maintenant de nous calomnier. C 4  56 P O E S I E .S Cependant il s'érige en écrivain habi'e. Ce bel efprit pefant, nourri ***♦, Soutient que tout penfeur qui régimbe a fon freiti, Que tout bon raifonneur n'eft qu'un franc libertin, Aux plaifirs adonné, féduit par Epicure, Qui fuit brutalement 1'inftinct de la nature; Mais qu'il attend Ie jour de deuil, d'adverfité, Oü ce penfeur hardi trifiement alité Verra de prés la mort qui de fa faux tranchante Dans fes fens affoiblis portera 1'épouvante; Qu'alors fes goüts charnels fe réduifant a rien, La peur du vieux Satan Ie rendra bon clirétien. PaiTe qu'en un fermon un fot ainfi s'exprime, Mais mon docleur écrit, ce vil fatras slmprime, On le lit en baillant a 1'honneur du Midas. Faut-il donc me guetter au moment du trépas» Pour me perfuader que deux fois deux font quatre? Je le crois en fanté, fans même en rien rabattre;. Mais quand un imbécille, un bavard importun Soutient efFrontément que tFois ne valent qu'un, Je renvoie auiTitót ce zélé fanatique Aux premiers élémens de fon arithmétique; Ou je lui dis: Monfieur, quelle eft la penfiou Que le fynode attaché a votre fonétion? ... Mille écus... Mais, Monfieur, fi contre votre attente On vous dit, les voila; vous comptez trois eens trente: Les yeux tout enflammés, frémiiïant de fureur, Vous vcus rürez d'abord fur ce mauvais payeur... Diftinguo, me dit-il, c'eft un fait ordinaire, L'autre eft de notre foi 1'ineffable myflère.... Et garde donc pour toi ton merveilleux fecrer. Pour>  p O E S I E S. 57 Pourquoi le divulguer? tu'n'es qu'un indifcret, Qui, 1'efprit tout farci de contes incroyables, Vien's pour des vérités nous débiter tes fables. Crois-tu donc, fi j'étois malade , agonifant, Obfédé par malheur d'un caffard infolent, Qui ine dit qu'en ce jour Jupiter par la tête Accoucha de Minerve, & qu'en chómant fa fête, Je pourrois al'inftant recouvrerma vigueur, Crois-tu que ce propos m'induiroit en erreur? Non, ce fourbe y perdroit toute fon induftrie. Le cigne de Léda, **** jndïs om fait fortune auprès des potentats, Lorsqu'on étoit crédule & qu'on ne penfoit pas. Le monde étoit tombé dans ces temps en fyncope; Maintenant la raifon, 1'efprit fe dévelope: Rien n'eft cru s'il n'eft pas clairement démontré, On rejete un verbiage obfcur, mais confacré: Aux mots vides de fens ont fuccédé des chofes, Par des effets certains nous remontons aux caufes, La nature muette apprit a s'exprimer, On fut 1'interroger,' & même 1'animer. Les miracles dês-lors a nos yeux difparurenc, La vérité régna, les charlatans fe turent, La critique éclairée étonrdit les dofteurs, Et partout la raifon pourfuivit les erreurs. Non, non, dit mon caffard, c'eft parlibertinage Que 1'incrédulité prévalut en eet age.... Eh! quoi donc! grand doéteur,connois- tu Spinofa? Qui jamais de débauche en fon temps 1'accufa? Et Bayle, plus profond, qu'un faquin méprifabl» Perfécuta longtemps d'un zèle charitable , C 5  5S P O E S I E S. Nul perjehant fenfuel ne putle détourner Du plaifir de penfer & de bien raifonner. Et ce bon Empereur, de tous rois le modèle, Cet homme en tout parfait, le divin Mare Aurèle, Penfes-tu que ce fut un gros voltiptueux, Un pourceau d'Epicure, un prince crapuleux^ Peux-tu d'un Antonin faire un Sardanapale? O fureur de parti! rage théologale! C'eft toi qui corrompis la probité, les mceur» De ces fourbes tondus & de leurs feétateurs. Pour maintenir la foi chancelante & douteufe, Tout cagot fans rougir aima fraude pieufe; L'audace ofa forger les livres Sybiliins, La légende s'enfla de faux piartyrs chrétiens, On fuppofa depuis de faufles décrétales, Et la religion n'ofFrit que des fcandales. Fan:- il pour appuyer la fiuiple vérité Qu'un menfonge odieux fouille fa pureté"? jamais Newton, ni Locke en leur philofophie N'ont mêlé des poifons aux fucs de 1'ambroifie; L'expérience en main ils furent fe guider. lis prouvent ;c'eft ainfi qu'il faut perfuader. Mais fi 1'on en croyoit Ia troupe confacrée, En foutane, en rabat, a té te tonfurée, Dieu, qn'ils nous ont dépeint tout aufli méchaat qu'eux, Deviendroit un objet indigne de nos vceux, lis 1'out fait Ie tyran le plus inexor-able; Pour afibuvir fa rage, il rend 1'homme coupable; Non content d'exercer fur lui fa cruauté, II prétend le punir durant 1'éternité >  P O | 5 / E S. 59 Si Lucifer fur nous eüt ufurpé Pempire, Notre condition ne pourroit être pire. Ce n'eft point la le Dieu dans mon cceur adoré; Le mien doit mériter un hommage éclairé. La terre me 1'indique & le ciel me Pannonce; Un but marqué dans tout, en fa faveur prononce: Mon eftomac digère, & des fucs nourriftans Vont réparer mon être & prolonger mes ans; Mon ceil eft fait pour voir, 1'oreille pour entendre, Le pied pour me porter,le bras pourmedéfendre, Et fi j'ai de 1'efprit, celui dont je le tiens, En doit polTéder plus que n'en ont les humains. Qui pourroit me donner ce qu'il n'a paslui-même? Voila pourquoi j'admets ce mobile fuprême. Le fameux Copernic, vos Newtons, vos experts Ont deviné les lois qui meuvent 1'univers; Les adres dans leur cours ont une allure ftable; Comment un pur hazard, inconftant, variable, Pourroit-il maintenir ces étemelles lois, Dont 1'art poulTe & fufpeud tant de corps n la fois? C.>nvenons donc qu'un être intelligent préfide Au reiTort qui produit ce fpetfacle fplendide; Mais faus le définir mon cceur doit 1'adorer. Sans lui je ne pourrois vivre ni refpirer: Donc ce divin moteur efl: bon par excellence; Au delTus des mortels, è 1'abri de 1'ofrènfe , Rien ne peut 1'exciter a la méchanceté. Je me fuis vu fouvent fur les bords du Léthé, Et j'aurois entendu hurler de prés Cerbère, Si 1'enfer n'étoit pas un être imaginaire. Dxas ce moment fatal oü la mort m'apparut, C 6  ft> P O E S I E S. Ia peur ne m'a jamais fait payer de tribut; Recueülant mes efprits, concentré en moi.même,. Je fus inébranlable, & ferme en mon fyfième; L'erreur que je bravois, étant plein de fanté, Ne prit point a mes yeux fair de la vérité; Aucun doute importun ne troubla ma confcience,. Et je fixai la mort d'un ceil plein d'alTurance. C'eft lorsque notre efprit jouit de fa vigueur Qu'il faut examiner, fonder la profondeur Des fecrets enfouis au fein de la nature, Trouver la vérité dans cette nuit obfcure, Pefer tout müremeut, avancer a pas lents. Quand on s'eft décidé fur ces points importans, Rien ne peut plus dés • lors troubler la paix de 1'ame» Mais quoi! déja ces vers font.ils rugir ***? N'entends-je pas Ies.noms de relaps, d'apoftats? Nous fommes a fes yeux plus vils que des forcats;, Je fuis un échappé des bancs de fes galères, Ses droits fur moi font tels que s'en font les corfaires Sur ceux que la viétoire a rendus leurs captifs. Que 1'on ine compte donc partni ces fugitifs Dont 1'efFort généreux a fu brifer les chaines. Heureux qui délivré de ces lois iuhumaines, De ce joug de 1'efprit, mortel a la raifon, Méprife égalemenc Satan comme Pluton; Qui d'un bfas vigoureux terralTe le menfonge, Et foule aux- pieds Terreur oü TEurope fe plonge. Tels font mes fentimens, ó profond d'Alembert !. Et neutre eutre Calvin, Ganganelli, Luther, Je tache en tolérant leur fougueulé féquelle, D'éteindre ou d'amortir la fureur de leur. zè!e^  P O E S I E S. 6* Mais ces foins font perdus & mes efforts font vaias, Un mortel rendroit - il des tigres plus humains? Aufli froid au fujet de difpute & de faaine, Au fanatifme affreus dont leur mal fe gangrène, Qu'exempc des paffions dont la frivolité Eniraine a décider avec témérité, J'ai confacré mes jours a la phüofophie. J'admets tous les plaifirs innocens de la vie-, Et fachant que dans peu ma courfe va finir, Je jouis du préfent fans peur de 1'avenir. Quel eft après la mort répouvamail a craindre? Seroit ce ces enfers qu'Ovide eut 1'art de peindre, Et que nos fots dévots ont depuis adoptés? Quittons, quittons 1'amas de ces abfurdités: Penfons comme on penfoit dans le fénat de Rome. QueluiditCicéTon, ceConful, ce grand homme? ^ „ Rien nerefte de nous, Meffieurs, après la mort." Mais'faut-il s'affliger que tel eft notre fort? Si ie corps & 1'efprit fouffrent la même injure, Je rentre & me confonds au fein de la nature; S'il échappe au trépas un refte de mon feu, »> Je me réfugïrai dans les bras de mon Dieu. mbmb mwmmm mmmm tgmggi mgmgD mam mmmm\ JU BARON DE POELLNITZ fur fa réfurreEtion. .A-h! vous voila reffufcité , Baron ! Et prés d'entrer dans la fatale barque, Heureufement repouffé par Caron * C 7  62 POESJES. Des bords du Styx, des rives d'Achéron, Vous vivrez donc en dépic de la Parque. Avouez nous que vous étes plus fin Que Caron, joint avec 1'efprit malin. II efpéroit d'un Baron bonne aubaine; II fe flattoit qu'il viendroit la main pleine De bons ducats, louis, fréderics d'or, Pour lui payer tous les frais du tranfport. Mais le Baron poliment lui protefte Qu'il n'eft venu qu'en équipage Iefte, Que rnéprifant 1'or & les vils métaux, Et que n'ayant fu payer de fa vie Crésnciers qui fervoient fa folie, II n'eft féant de payer fes bourreaux. Tout auflïtót cle ces morts qui paflerent Aux fombres bords, mille voix s'élevèrent; lis difoient tous: nous lui fimes crédit, Et notre argent jamais il ne randit. Difiinétement, la mine refrognée, Le vieux Caron ces propos entendit, . Et d'un grand coup de fa rame empoignée Qui durement fur votre dos fondit, Vous repoufla de fi barque & de 1'onde; D'un foubrefaut vous revintes au monde, Et notre vieux Baron il nous rendit. Qu'on eft heureux quand domptant fes foibleiTes On fe refufe a 1'appat des richeffes! Un avare eft un faux calculateur, Qui fe méprend fur le fait du bonheur, Qui fans jouir, fournois dans fa celluie, Sans cefl£ amalTe & fans cefle accumule,  J> O E S I E S. 61 Un ruftre enfin, dont 1'efprit fot & lourd Ne connut point les charmes de 1'amour, Des beaux efprits les fines gentilleflès, Et les plaifirs des princes, des princeffes, Qui, hors Plutus, pour tout le refteeft fourd. Mais vous, Baron, peu foucieux d'efpèces, Vos jours font purs, & votre efprit ferein N'elt point diftrait des foins du lendemain; Vous ignorez & calcul & finance, Et ne vivez que de bonne efpérance. Ainfi penfoit la grave antiquité. Souvenez-vous qu'en Grèce les fept fages Ont reconnu de plus grands avantages Dans 1'humble état d'honnête pauvreté, Qu'a poiTéder de vaftes appanages, Les vils objets de la cupidité. Votre Mentor vous a dans la jeuneïïa Souvent parlé du puiiTant Roi Créfus Nageant dans for, plongé dans la moleiTe, Et d'un manant nommé le pauvre Irus. L'orgueil du Roi fe fondoit fur Plutus; II s'égaloit aux Dieux par fa richeiTe, Quand tout a-coup le conquérant Cyrus Dans des combats détruifit fon armée. L'ame du Roi, de douleur abymée, Ne fentoit plus qu'horreur, que défefpoir; Tandis qu'Irus, infenfible & tranquille, Vit 1'ennemi s'emparer de la ville, Voier, piller, biüler, fans s'émouvoir. La pauvreté, qui nous met hors d'atteinte, Nous met encore a 1'abri de la crainte.  C4 P O'tÉ S 1 É S. Sans biens on a 1'efprit toujours égal; Tandis qu'on voit ces grands, ces ames vainesr Se confumer en d'inutiles peines, Pour fe fouftraire a leur deftin fatal. Loin des chagrins qui rongent ces ülnilres, Vous avez fu, pour avoir mieux choifi, Sur votre chef raflembler feize luflres, Vivant toujours joyeux & fans fouci. Ne changez donc jamais de conduite, Dépenfez tout, foyez bon parafite, Et vous vivrez fatisfait & content, Toujours heureux & toujours jouiiTant Des biens qu'enfin vous laiifa la fortune. Lorsquevos yeux font chargés de pavots, Un rêve affreux d'une image importune Ne troublera jamais votre repos. Permettez donc encor que je compare Votre deftin au fort d'un vieil avare. Quand le jour vient, ce jour tam odieux, Qu'il lui faudra dénicher de ces lieux , Ce gros richard qu'on dit homme de mife, Tout moribond pénibletnent s'épuife A fabriquer un araple teftament. Aux tribunaux, quoiqu'on s'en formalife,. Viugt avocats affamés, difputant, Trouvent pour eux fes biens de bonne prifer Et vont réduire, en vous le commentant, Ses volontés & fes dons il néant. Vous êtes ftir, en perdant la lumière, Qu'exacteinent on exécutera Et codicille & volomé dernière;.  p O E S I E S. 65 Car, vieux Baron, rien ne vous reftera, Et vous ferez votre hériüer vous-même. Que j'applaudis encor fur ce point-li, Ainfi qu'en tout votre prudence extréme ! Mais je m'égare en n'appercevant pas Que ce n'eft point, ó Pcellnitz! votre cas; Car fi Caron veut que notre féquelle Du noir Pluton n'habite les Etats Qu'en lui payant le fret de fa nacelle, Exetnpt, Baron, a jamais du trépas, Vous jouirez d'une vie éternelle. E P I T R E A MADEMOISELLE DE KNESEBECK, fur le faut qu'elle fit de fon carojfe, lorsque fes chevaux prirent le mors aux dents. Qui m'auroït dit qu'un jour fur ma guitare, Dont les accords font peu mélodieux, je chanterois, a 1'envi de Pindare, Des Prufliens les exploits glorieux; Non ces combats qui renverfent les trónes, Mais les hauts faits d'illuflres Amazones, Plus beaux, plus grands & plus merveilleux.  €6 P O E S I E S. Viens Cüüiope, il faut que tu m'infpires, Pour bien chamer ces exploits étonnans. Ah! je te vois, en me rebutant, rire Qu'un vieux foudard , chargé du poids des ans, Le front ridé, les cheveux blanchiflans, Se croie encor dans 1'Age du délire, Et d'Apollon veuille toucher la lyre. Hé bien! fans toi, fans tes puiiTans fecours, Pour réveiller cette flamme divine, II fuffira que ma Mufe mesquine Se repréfente avec tous res atours La Knefebeck , cc- vrai phénix des cours, Et de nos temps la plus grande héroïne: Oui, je Ia vois; fon air eft afluré, Son front ferein; fon efprit ferme & calme, Qu'aucun péril n'a jamais altéré, Eft toujours fur de remporter la palrae. Telle autrefois, défendant les Latins, Prés de Turnus parut cette Camille, Tant célébrée autrefois par Virgile, Djnt la valeur retsrda les deftins Du bon Enée & des guerriers troyens. Notre Nymphe eft plus belle & plus jolie, Peut-être aux chatnps de Mars moins aguerrie, Moins fanguiuaire en livrant des combats; Mais préférable en pudeur, en appas, A ce qu'étoit la Nymphe d'Italie. Aurai-je aflez de force en mes poumons, Pour vous chanter fans abaiffer mes fons, Sans verbiage, en rapporteur fïdelle, Ce qui rendic cette fille immortelle t  P O E SI E S. $7 Non, ce n'eft point 1'adrefle des courtier» Qui triornphoient aux joütes olympiques, Et dont Pindare en fes vers héroïques Peint les héros couronnés de lauriers; Mais ce feront des tfforts de courage Qu'Hercule auroit eu peine d'égaler: Voir de Ia mort Ia redoutable image, Et cependant agir fans s'ébranler. Venons au fait; tableau d'après nature N'a pas befoin d'être orné de bordure; Ceci n'eft point la légende d'un faint, Mais un grand fait teconnu pour certain. La Knefebeck, fur un beau char portée, Se promenoit au pare prés de Berlin; D'un ciel tout clair 1'afpeft 1'avoit teutée De refpirer un air pur & ferein, Qu'en toute ville opulente, habitée, 11 faut chercher dans les champs au lointain. Son char a peine a paffé la limite D3 nos remparts, que fes courfiers ardens Trop relTemblans aux chevaux d'Hypolite, Bientót fougueux prennent le mors aux dents Mais aucun monftre a gueule flamboyante, Le dos couvert d'écaille janniiTante, Du fond des eaux fur eux ne s'élanca; Un hafard feul ainfi les courrouca. Mon héroïne, en gardant contenance, Vit fans palir, la grandeur, 1'éminence, Du fort affreux qui fes jours menaja. Lit fe préfente è fon arae aflurée Les flots profonds des rives de la Sprée.  58 P O E S 1 E S. Ah! quel fpeftacie affreux & plein d'horreur D'être expofée a fe voir bien mouillée, Et qui pis eft, engloutie ou noyée! Quand a la cour on eft Dame d'honneur, Que faire, hélas! en un pareil malheur? Défefrérer eft chofe forc commune; Mon héroïne avoit un plus grand cceur: Elle fut bien gouverner la fortune, Et fe fauver par excès de valeur. Tel & moins fier parut ie grand Eugene Quand de Belgrad a demi ruiné Accélérant la conquête prochaine, II fut foudain des Turcs environné; II foutint bien 1'honneur du diadême, Prenant d'abord un parti décifif, I! marche au Turc dans ce péril extréme, Le bat, le ftrrce, & Ie rend fugitif. Mon héroïne agit en tout de même, Sans s'émouvoir, lamenter ou pleurer, Hors de fon char, lans fe défefpérer, L'air aiTuré, Ie maintien toujours libre, Elle s'élance, & connoiflant a fond Les lois qu'obferve un corps en équilibre, Elle retombe heureufement a plomb; Tandis qu'au loin, d'une courfe rapide, Ses fix courfiers entraïnèrent leur guide. Tout étoit grand; la réfolution, Et le projet, & 1'exécution, Qui délivra notre illuftre héroïne Du foin facheux, plus qu'on ne 1'imagine, De préfenter fes charmes a Piuton,  P O E S I E S. 6> Ou d'afïïfter dans ce gouffre profond Au grand couvert de D'me Proferpine, Ce qui n'eft plus a préfen: du bon ton. Que Rome encor avec falie publie La fermeté , 1'audace de Clélie, Dont le cheval rapidement nagea, En ia fauvant du camp de Porféna; Au quadrupède en eft tout le mérite; Mais la Romaine ainfi prenant la fuite, A fa parole indignement manqua. La Knefebeck n'étoit point en ótagej Elle pouvoit felon fa volonté Sauter d'un char dont Ia rapidité Prés de quitter les dunes du rivage Alloit noyer elle & fon équipage. Plus d'un guerrier a partagé 1'bonneur De fes exploits avec toute 1'armée; Quand d'un beau feu fa troupe eft animée, Ce- feu peut rendre un ignorant vainqueur. Mais notre belle a le noble avantage Plus recherché, plus rare & plus flatteur, Que fes exploits lui font düs fans partage; Par fa valeur furmontant Ie danger, Elle dédaigne un fecours étranger. Si tout concourt a fa folide gloire, II manquera pourtant a fon hiftoire Un grand poëte, un célêbre artifan, Comme il en fut aux bords de 1'Eridan. Combien de noms,bien digues de mémoire, Sont peu connus dans ce vafte ünivers ? Un exploit perd, s'il n'a pour Ie répandre  P O E S I E S. Un fier próneur qui le vante en beaux vers. A tout propos on nous ciie Alexandre, Sans rappeler les faits d'un conquérant Aufli rapide, & dans le fond plus grand, Qui fubjugua lui feul 1'Afie entière. Si 1'on nég'.ige a ce point Tamerlan, C'eft, qu'il ne put trouver dans le Levaut, Pour relever fa vertu guerrière, Un Quinte-Curce, unVirgile, un Homère. Ce Tamerlan fe trouvoit dans le cas Oü vos exploits feront réduits, ma chère; Pour les chanter vous ne trouverez pas Un Ariofte, un Dryden, un Voltaire. De ces grands faints, je fuis 1'humble valet. Et leur trompette en mes mains eft fifflet. Quel prix auront des vers velches, tudesques, Sans élégance, encor moins pittoresques, Et réprouvés par 1'Abbé d'Olivet. Un rimailleur rebuté d'un purifte A devant lui la perfpeftive trifte, Qu'étant beaucoup rabaiffé fous Brébeuf, II eft clianté par le coq du Pont.neuf. Mais en dépit des talens que refufe Le Dieu des vers a mon ingrate Mufe, Jepuis pourtant, fans trop m'aventurer A 1'univers prouver & démontrer Qu'on trouve ici parmi nos pruffiennes Autant & plus que n'a fouvent vanté La uès-bavarde & dofte antiquité Dans les hauts faits de fes concitoyennes; J'honore fort Homère & fes Siiènes,  POE S l E S. 71 Mais quoi qu'ait die ce grand poëte grec, Je lui foutiens que fa Pentéfilée Ne peut en rien jamais être égalée A notre illuftre & brave Knefebeck. AU PRINCE FREDERIC DE B R 0 N S IVI C. 1_/?.s fruits nés dans les fols arides De Berlin & de Sans-Souci, Quand tout a Ie mieux réufll, Ne valent pas les fruits fplendides Du beau jardin des Hefpérides: lis étoient d'or, & leurs appas Eblouiilbient les cceurs avides, Qui préféroient ces biens folides A des fruits bien plus délicats. Virgile aux chants de 1'Enéide Nous peint d'un trait de fon pinceau Enée, ayant Vénus pour guide, A peine hors de fon vaiffeau, Qu'il trouve au milieu des bois fombres La pomme d'or & le rameau: II le faifit; un don fi beau Fut pour le Roi des pales ombres. Pour moi, fi par faveur du fort Je cueillois un fruit aufil rare, Je n'olTrirois pas ce tréfor Au noir fouverain du Ténare, Mais vous auriez la pomme d'or.  P O E S I E S. E P I T R E AU COMTE DE HODITZ fur fa mauvaife humeur de ce qu'il a 70 ans. Je vous ai vu, cher Comte, accablé de triftefie. Vous voulez fecouer le jóug de la vieillefle , Vous voulez être tel que vous f avez été. Mais on regrette en vain Ia vigueur, Ia ihmé; Ce temps ne revient plus, il s'écoule, il s'envole. L'amour-propre eu gémit, le fage s'en confole. Dix luftres furchargés de vingt hivers complets Rangeroient Mars lui-même au rang des ****: Hercule a feptante ans ne feroit plus Ilercule, Sa maflue orneroit le bras de fon émule. Rien n'eft llable, & le temps abforbe & détruit tout. Vous vivez cependaiu & vous êtes debout. Combien peu de mortels ont atteint a votre age? Vous en avez joui, que faut - il davantage? Remerciez plutót le ciel de fes bienfaiis. Si vos fens épuifés ne trouvent plus d'attraits Dans le fein des plaifirs, au milieu de ces fêtes Oü vous entaffiez conquêtes fur conquêtes, Songez donc que Voltaire & même Richelieu Ne vont plus a Paphos en invoquer le Dieu. Ce ferail fi peuplé , ce féjour de délices, Devieni a vos regards un gouffre de fupplices. Vous  POESJES. 73 Vous avez confumé ces feux dont le retour De défirs renaiflans attifoit votre amour, Et d'un corps languiffant la vigueur affoiblie Vous livre aux noirs foupcons, même a la jaloufie. De ces ferpens cruels votre cceur eft rongé. Ah! cherComte,ace point peut-on vous voirchangé? Qu'un Efpagnol jaloux, pofledé de co'.ère, Qu'un fier Napolitain, cruel & fanguinaire, De leur amour trahi brülent de fe venger; Ce n'eft pas fur leurs pas qu'il faut vous éngager. La jeuneiTe a des droits & peut au moins préteudre; Mais qui ne jouit plus, doit favoir condefcendre La jploufie enfin doit- elle confumer Un cceur que la nature a formé pour aimer? Philis eft inconftaute & Chloé trop volage: De quoi vous plaignez-vous & qu'importe a votre age, Si 1'amour a leurs pas enchaine des araans ? Gardez-vous de troubler leurs doux embraflimens: Vous eütes votre tour; que d'autres en iouiiT'en;. Ces fentimeus fi vifs, trop tót s'évanouifTent. Quel Roi pourroit lier par fon autorité Au vieillard décrépit la naiflante beauté? Ni 1'amour ni les goüts ne font point a commande, Et chacun de fon cceur fait librement rofFrande. Mais, Comte, examinez nos cheveux blanchiflatK, Nos fronts cicatrifés & nos membres tremblans; Qui penfera qu'encor ces déteftables charmes Puiflent porter aux cceurs Ie trouble&lesalarme ? Oni, nos vceux doivent être a coup für rejetés. Quittons plutót un Dieu, puisqu'il nous a quittés, Oeuv. pofth, de Fr. 11. T. VU. D  f4 P O E S I E S. Et d'un cceur magnanime abandonnons a d'autres Ces plaifirs enchanteurs qui ne font plus les nötres. La nature abondante & prodigue en fes dons Nous en a difpenfé pour toutes les faifons. Au printemps de nos jours, heureux temps d'in. nucence, La joie eft dans les pieds, on court, on faute,on danfe. Bien ót le plaifir monte, & les adolefcens Au centre de leur corps ont le fiége des fens. Au midi de nos jours, ce feu s'élève aux têtes; Le gain, 1'ambition y caufent des tempêtes. Et quand 1'hiver des ans amortit notre ardeur, La raifon nous enchante & fait notre bonheur. Ainfi par une loi conftante, irrévocable, La nature a voulu que tout füt variable. Tout ce qui nait,s'accroït,fe mine, & fe détruit,Le plus beau jour fe voit fuccc'dé par la nuit. Le Inge a cette loi fe fóumet fans murmure; II profite en paffant des dons de la nature; 11 ne peut en hiver exiger le printemps. Mais vous, que Ia nature a comblé de préfens, Soyez reconnoiflant, a fes faveurs fenfible. Qu'un fou préfomptueux,.ingrat, incorrigible, Lui demande a grands cris d'augmenter fes bienfaits 5 Que la volupté feule ait pour lui des attraits. Comment peut.il toujours nager dans les délices? L'homme eft a chaque inflant au bord des précipices. Affoibli, décrépit, & furchargé de jours, Qu'il laifle loin de foi folatrer les amours. Que vois-je? ah, quel iegard & qu'eft-ce que m'indique  P O E S I E $. 75 Ce vifage allongé, eet air mé'ancolique? Votre efprit accablé fe livre au défefpoir. Avouez fianchement que fans vous érnouvoir La male auftérité de la philofophie Répugne a votre efprit, 1'abat, le mortifie. Au lieu d'un ami vrai, vous cherchez un flatteur, Afin d'autorifer, d'aigrir votre douleur. Je voudrois la guérir, en arracher le germe. Et rendre votre efprit plus tranquille & plus ferme. Les temps qui font paifés ne fauroient revenir, Mais vous pouvez encor, cher Comte, rajeunir. ïN'eft-il d'autres plaifirs que dans la fource impure Oü s'en vont fe vautrer les pourceaux d'Epicure? Voyez ces partifans des fales voluptés, N'en font-ils pas enfin & las & dégoücés? II eft, il eft, croyez, des plaifirs pour tout dge. Ecoutez cequ'adit un grand homme, un vrai fage, Ce fauveur des Romains, l'immortel Cicéron; Déchu de fes honneurs, paifible en fa maifon, Au fe'm tumultueus de la guerre civile, Déteftant les tyrans, gardant fefpric tratiquile, Voici comme il s'exprime en parlant aux Romnins: Les lettres font, dit-il, le bonheur des humains: La jeunelTe a leurs foins doit fa courfe brillante, Par elles la vieilleffe eft moins fombre & pefante; L'hsureux extravagant y reprend fa raifon, Le miférable y voit fa confolation; Chez nous, chez nos voifins, exilés, folitaires, Leur fecours en tout temps adoucit nos mifères. Qnel plus noble plaifir que d'apprendre a penter? Tout ce que vous perdez, ne peut le compenfer. D 2  7g P O E S I E S. Le tempte des beaux arts vous ouvre fon afile; C'eft-la qu'eft réuni 1'agréable a 1'utüe, C'eft-la que vous pourrez a fabri des foucis Voir d'un foleil couchant les rayons éclaircis, Contempler le néant des vanités du monde, De vos plaifirs paiTés 1'illufion profonde, Refter inébranlable aux divers coups du fort Et jouir du préfent fans redouter la mort. L'unique & 1e feul bien digne qu'on le réclame, Eft la fanté du corps & le repos de 1'ame. ODE A MON FR ERE HEN RL Tel que d'un vol hardi s'élevant dans les nues, Et déployant dans fair fes ailes étendues, II échappe a nos yeux, L'oireau de Jupiter fend cette plaine immente Qui du monde au foleil occupe la diftance, Et perce jusqu'aux cieux: Ou te'le que foudain dans 1'ombre étincelante Dans fon rapide cours la coraète brillante Eclaire 1'horizon; Eile éclipfe les feux de la célefte voüte, Et tracé au firmament dans fon oblique route Un lumineux rayon:  p O E S I E S. 77 Tel fubjugué du Dieu dont la fureur m'infpire, Plein de 1'enthoufiasrne & du fougueux délire De fes tranfports divins, Je prends un fier efl'or des fanges de la terre Au palais d'ou les Dieux font tomber le tonnerre Sur les pales humains. Mes accens ne font plus ceux d'un mortel profane; C'eft Appollon lui-même animant mon organe Qui parle par ma voix. Des deftins éternels la volonté fecrète Se dévoile a mes yeux, je deviens Tinterprète De leurs auguftes lois. O Pruffieus! c'eft a vous que 1'oracle s'adrelTe, A vous que le deftin bavbarement opprefie Par tant d'adverfiiés; Sachez qu'aueun Etat dans fa grandeur naiflante Ne fournit fans revers la courfe triomphante De fes profpérités. Rome parut fouvent au bord du précipice, Sans que pour fon fecours 1'appui d'un Dieu propice Repouflfat fon affronr. Les fénateurs en deuil pleuroient la république, Lorsqu'Annibal vainqueur,de fes guerriers d'Afriqu» Eut écrafé Varron. Rome au fein du danger accrut fon efpérance; Elle maintint fes mars bien plus par fa conftance Que par fes légions. Mars, pour récompenfer ce fublime courage, Sufcita pour vengeur d'un fi cruel outrage L'alné des Scipions. D 3  rS P O E S I E S. Du Tfbfë défolé le Démon de la guerre' Tranfporte aux régions de la coupable terre Le carnage & 1'horreur. Dans les champs africains 1'ennemi prend la fuite; Scipion fauve Rome, & Carthage eft réduite Sous les lois du vainqueur. L'arbitre des deftins, de fes mains libérales, Verfe fur les moreels, de deux urnes égales, Et les biens ik les maux; Ec fa fécondité fur les champs répandue Fait croitre également la cafle & la cigue, Le cèdre & les rofeaux. Ce mélange fdcheux d'infortune & de gloire De 1'archive du temps remplit la longue bitloire De tent revers cruels. Une profpérité dont féclat fe conferve, Se refufe a nos vceux, le deftin la réferve Pour les Dieux immortels. Dans nos jours défafireux, la guerre qui vous mine Semble annoncer, Prufïïens, Ia prochaine ruine De vos vaftes Etats; L'Europe conjurée, a 1'ceil brulant de rsge, Porte jusqu'en vos champs la flamme, le carnage, L'horreur & le trépas. Cette hydre en redreffant fes têtes enflaramées, Vomit des légions, enfante ces armées Qui s'éianccnt fur vous; En vain elle fentit de vos mains triomphantes Les redoutables traits, fes têtes renaiflantes Bravent encor vos coups.  P O E S I E S. 79 De ces fiers potentats 1'efpérance fuperbe Déflre que nos murs enfevelis fous 1'herbe Atteltent notre deuil. O guerriers généreux! abattez leurs trophées; Leurs couleuvres dans peu fous vos pieds étouffées Confondront leur orgueil. C'eft dans les grands dangers qu'une ame magnanime Déploie avec vigueur la fermeté fublirae Du courage d'efprit. Le lache , qui frémit au bruit de la tempête, Plein d'efFroi du péril qui menace fa tête, Eft le feul qui périt. Au courage obftiné la réfiftance cède; Un noble défefpoir eft 1'unique remède ., ■ Aux maux défefpérés. Le temps termine tout, rien n'eft longtemps extréme, Et fouvsnt le malheur devient la fource même Des biens tant défirés. Les vents impétueux d'un ormeau qu'on négligé . Par leurs fougueux efForts font inclfner Ia tige, Et courber fes rameaux: Mais de la molle arène & du niveau de 1'herbe II s'élance, & dans peu de fa tête fuperbe II brave leurs affauts. Dans les bras d'Amphitrite, oü fon éclat expire, Le foleil de la terre abandoune 1'erapire Aux ombres de la nuit; Ses rayons renaiffans au point du jour éclipfent Le feu de fes rivaux; tous les allres paliffent, Et 1'obfcurité fuit. D 4  «• P O E S I E S. Telle m'apparoifTant, couverte de ténèbres, Ma patrie éplorée, a fes voiles funèbres Attachanc fes regards, De nos calamités fame encor effrayée, Sur nos lauriers flétris trillement appuyée, MaudiiTan: les hafards. Avec elle pleurant fss revers métnorables, Accablé par le poids des deltins irnplacables Contre elle déchainés, J'entrevois,dans Thorreur dePombre que j'abhorre, Les prémices charmans & la nailTante aurore De fes jours fonunés. Les Dieux en ce féjour ne font plus de miracles Les mortels entourés de gouffres & d'obftacles, Qui bordent leur chemin, Ont recu d'eux en don Pefprit & le courage, Utiles inftruinens dont Padxirable ouvrage Coirige le deitin. La mort eft un tribut qu'on doit a la nature; C'eft lui rendre fon bien dont on lira 1'ufure Dans Page florilTant: Mévius le paya de même que Virgile, £t le lache Paris, & le vaillant Achille; Aucun n'en fut exeinpt. Cette mort dont on craint la redoutable image, Peut vous rendre immortels, fi vous vengez Poutrage „De vos lares, Pruffiens. L'amour de la patrie a Rome fecourable Changeoiten demi-Dieux de ce peuple adorable Les moindres citoyens. Eb  P O E S I E S. tl Eh qiloi! notre Gècle eft-il donc fans mérite? Du monde vieillifTant Ia malTe décrépite Eft.elle fans vertus? Par fes produétions Ia nature épuifée Laiiïe.t.elle en nos jours Ia terre fans rofée, L'océan fans reflux? Non, non, de ces erreurs écartons les chimères: Rome, de tes guerriers les vertus étrangères Ont illufiré nos camps. Nos triomphes fondés fur cent faits héroïques Transmettent des Prufiiens aux faftes hiftoriques. La gloire & les talens. Vous, que notre jeuneffe avec plaifir contemple, De fes futurs exploits le modèle & 1'exempie, L'ornement & 1'appui, Soutenez eet Etat dont Ia gloire paffee, Mon frère, fur le point de fe voir éclipfée, S'obfcurcit aujourdhui. Ainfi les temps féconds qui jamais ne s'épuifent, Fourniront des appuis, tant que les aftres Iuifent, O Prufie! a ta grandeur. Ainfi ma Mufe annonce en fes heureux préfages Du bonheur de 1'Etat jtisqu'a Ia fin des ages La durable fplendeur. Que le fein déchiré des ferpens de 1'Envie, Maudifiant nos Iauriers, 1'afFreufe Calomnie Frémifie de fureur; Qu'elle lance fur nous dj fes armes fatale» D;s traits empoifonnés aux ondes infernales Pour noircir notre honneur. I>5  KI P O E S I E S. Qu'importe a ma vertu fa colêre implacable? Je retrouve un vengeur dans 1'arrêt équitable De la poftérité. Une ame magnanime, amante de la gloire, Malgré fes envieux fait palier fa niémoire A rimmorcalité. C'eft ainfi que ma Mufe au pied d'un vieux trophée A pu refiufciter de la lyre d'Orphée Les magiques accords, Que par des fons hardis ma trompette guerrière Des Prufïïens aux combats d'une illuftre carrière Excita les tranfports. Dans le trouble des camps, aux rives de la Saaie, Tandis qu'a fes fureurs la Difcorde infernale Livroit tout 1'univers, Que des antres du nord les neiges pacifiques S'apprêtoient a voiler tant d'images tragiques, 1'hébus diéta ces vers. Fait a 1'Eckartsberg, le 6 d'Octobre 1757.  jp O E S I E S. 83 ODE AU PRINCE FERDINAND DE BRONSfVIC, fur la Retraite des Francois en 1758. A.infi prés du Capitole Le vaillant Cincinnatus Difperfe, pourfuit, immole Les cohortes de Brennus; Comme des épics fauchées, Les plaines en font jonchées, Et tous les champs du vainqueur. Ce confulaire fi üluftre, A Rome rendant fon luftre, Fut fon fecond fondateur. Ainfi lorsque de la terre Les enfans audacieux Ofèrent porter la guerre Au brillant féjour des Dieux, Tandis qu'ils 1'efcaladêrent Qu'avec peine ils entaffèrent L'Ofla fur le Pélion, Jupiter faific fon foudre, Et les réduifant en poudre, Punit leur rebellion. D 6  54 P O E S I E S. Tels ces peuples de la Seine Armèrent leurs foibles mains, Sürs de fubjuguer fans peine Les indomptables Germains. De la gloire voyant 1'ombre S'appuyaut fur leur grand nombre D'un trophée ils font 1'apprêtj Mais des ruines fatales Sont leurs pompes triomphales , Et leur gloire difparoit. Pendant que leur infolence Ne tronve dans fon chemin Nul corps dont la réfifiance Peut balancer Ie deftin, Ils s'enflent, ils s'enhardifTent, Et les fleuves qn'ils franchjiTent, Se couvrent de leurs rofeaux; La gloire tont méprifée De cette entreprife aifée D'orgueil bouffit ces héros. Jusqu'en fes grottes profondes Le Rhin fe fent outrager, II s'indigne que fes ondes Portent un joug étranger. Le Véfer dans 1'efclavaga Appelle fur fon rivage Ses défenfeurs enflammés,11 aiTemble la tempête Qui, Francois, fur votre tête Verge fes bords opprimés.  P O E S I E S. *5 En faveur de leur vaillance, Et des plus nobles defleins, On excufe farrogance Des triomphateurs romains. Mais vous, montrez>moi les marqués (Grands écrafeurs de monarques) De vos fuccès couronnés. Je veux voir de vrais trophées, Des querelles écoufFées, Non des peuples ruinés. Quoi, eet armement immeafe, Qui devoit nous extirper, Comrae une ombre fans fubflance» Vient donc de fe difliper? Quoi, ce fautóme eiTroyable Ne lailTe de méraorable Que fes veftiges fanglans? Comme la Hotte invincible, Dont Pappareil fi terrible Devient le jouet des vents. Sous 1'ombre douce & trompeufè D'imaginaires lauriers, La fécurité flatteufe Endormoit tous vos guerriers; Rafiafiés de pillage, Ils eftimoient leur courage Par 1'amas de leur butin. O tranquillité traltrefle! Tu voilois a leur molleffe L'affreux réveil du macin. D7  i$ P O E S l E S. Tel, en ouvrant fa carrière, Du tendre fein de Thécis Dardant fa vive lumière Par les airs appefantis, Le flambeau qui nous éclaire, Abat Ia vapeur legére Qui déroboit fon retour; Elle'fuit, s'affaiiTe & tombe, Et le brouillard qui fuccombe Cède aux doux rayons du jour. Tel Ferdinand, eet Alcide, Par des coups prémédités Diffipe en fon cours rapide Les Francois épouvantés; L'ennemi manque d'audace, II fuit, un Dieu le terralTe, II redoute les combats. Voila le jutte falaire, O nation téméraire! De vos derniers attentats. Devant Ferdinand tout plie: 11 affranchit Ie Véfer, 11 tire la Weftphalie Du joug du Francois altier; Les ennernis en déroute De Paris prennent la route. La Gloire d'un air chagrin Les retient a la frontière; Mais ils n'ont point de barrière Qu'au dela des boids du Rhiu»  P O E S I E S. Le héros dont rien n'arréte Le cours rapide & triomphaut, Signale d'une conquête Chaque pas & chaque inftant; Et du Rhin Tonde captive Soudain fur fon autre rive Voit flotter fes étendards. Créfeld, témoin de fa gloire, Dans les bras de la vi&oire Le prend pour le fils de Mars. Ainfi le püiiTant génie, Dont Tinfatigable ardeur Veille fur la Germanie, Lui fufcite un défenfeur; Cette multitude immenfe, Dont nous inondoit la France, Conduite par un Varus, Dans fa courfe triomphanre Trouve, contre fon attente, Un nouvel Arminius. O nation frivole & vaine! Quoi! font- ce la ces guerriers Sous Luxembourg, fous Turenne, Couverts d'immortels lauriers? Ceux- la zélés pour la gloire, AfFrontoien: pour la viétoire Les périls & le trépas. ! Vous, je vois votre courage Aufli bouillant au pillage Que foible dans les combats.  tt POESJES. L'intérêt, ce vice infame, S'il devient tyran d'un cceur, Etouffe la noble flame De la gloire & de 1'honneur. Fran9ois, vantez vos richelTes, Votre luxe , vos moleffes, Et tous les dons de Plutus; Ma nation plus frugale, Aux inceurs de Sardanapale N'oppofe que fes vertus. Quoi! votre foible Monarque Jouet de la Pompadour, Flétri par plus d'une marqué Des chaines d'un vil amour, Lui qui déteftant les peines, Au hafard remet les rênes De fon royaume aux abois; • Cet efclave parle en maitre, Ce Céladon fous un hêtre Croit difter le fort des rois. Par quel droit, ou par quel titre, Croit-il doinptetles deftins? L'orgueil ne rend point arbitre Des droits d'autres fouverains. Qu'il foutienne fes oracles A force de grands miracles; Mais déja Pennui 1'endort, II ignore dans Verfailles Que par le gain des batailles Du monde on fixe le fort.  POESJES. %$ De 1'Europe en Amérique L'intérêt, 1'ambition, La barbare politique, Sement la confufion; L'Allemagne encor fumante, Et da carnage fanglante, ReiTent la fureur des rois; La licence & 1'avarice, Et la force & 1'injuftice, Y règnent au lieu de lois. Quel démon de vous s'empare, Monarques de 1'univers ? . Quelle vengeance barbare Change nos champs en déferts? Vos parïïons facriléges Vous attirent dans les pïéges, Par ks crimes apprêtés; Vous que le pouvoir feconde, Nés pour le bonheur du monde, C'eil vous qui le dévaftez ? Cette grandeur palTagère Dont fe bouffit votre orgueil, Peut par un deftin contraire Se brifer contre un écueil; Vous êtes ce que nous fomraes, Monarques, mais toujours hommes, Et votre temps accompli, La fortune de fa cime Vous fair tomber dans 1'abyme De la mort & de 1'oubli. Fait a Grieffau, le 6 d'Avril 1785,  §a P O E S IE S. ODE AUX GERMAINS. O malheureux Germains; vos guerres inteftines, Vos troubles, vos fureurs annoncent vos ruines. Que de cris douloureux font retenir les airs! Quels monument aiTreux de vos longues alarmes l Vos cite's font en pou'dre & vos champs des déferts, Et des fleuves de fang ruiflellent fous vos armes. Vos triomphes odieus Précipitent la patrie Dans faffreufe barbarie Qu'ont bannie vos sïeux. L'ceii brülant de furenr, la Difcorde infernale Excite en vos efprits cette haine fatale, La foif de vous détruire & de vous égorger. Vos facriléges mains, déchireut vos entrailles; Le ciel, le jufte ciel, qui fe fent outrager, N'e'claire qu'a regret vos triftes fuuérailles; Et craignant de fe fouiller, Déja le flambeau célelle, Comme au feftin de Thyefte, Eft tout prêt a reculer. Tels dans ce gouffre affreux, impur, abominable, Oü la haine établit fon tróne impitoyable, Ondépeint ces efprits orgueilleux, malfaifans,  P O E S I E S. *>l Dont Ia troupe inquiète infolemment conjure, Dont Ia rcbellion & les vceux impuiflans Tendeot a renverfer 1'ordre de Ia nature. Ils difent dans leurs complots: Des cieux brifons la barrière, Et replongeons la matière Dans fon antique chaos. Perfides'. vous craignez qu'au tranchant de 1'épée Du fang des citoyens une goutte échappée Ne reproduife encor de nonveaux défenfeurs. Enfans dénaturés d'une commune mêre, Pour confommer le crime & combler vos noirceurs, Vous armez des brigands d'une terre étrangère; Compagnons de vos exploits Déja leur fureur confpire A renverfer dans 1'Empire Et féquilibre & les lois. Telle s'ahandonnant a fa fougue infenfée, Par trop d'ambition a foi - même oppofée, La Grèce s'épuifa par fes divifions; L'impérieufe Sparte & 1'orgueilleufe Athéne, Se brifant par 1'efFort de leurs dilfentions, Virent paffer le fceptre a la ligue achéenne ; Par fes troubles inteftins La république ébranlée, Demanda, trop aveuglée, L'appui des confuls romains. Mais de fes défenfeurs le fecours redoutable L'alTaiffa fous le poids d'un joug iafupportable,  52 POESJES. Et les Grecs de faifceaux partout environnés, Par leur expérience apprirent a connoitre Que de leurs paflions les tranfports effrénés Au lieu d'un proteéteur leur donnèrent un maitre. Ainfi par rivalité, Et par leurs complots iniques, Ces puiiïhntes républiques Perdirent leur liberté. Vous appellez ainfi pour accabler la PruiTe Le Fran90is, le Suédois, & 1'indomptable Ruiïe. Malheureux! vous creufez des gouffres fous vos pas; Vous leur payerez cher leur funefte affiftance; Ces fuperbes tyrans, intrus dans vos Etats, Vous coraptent afiervis fous leur obéiflance. Que leurs dangereux effaims Vous feront verfer de larmes! Vos mains aiguifent les arraes De ces perfides voifins. Que n'armezvous vos bras comme au temps de vos pères, Pour réprimer 1'orgueil de puilTans adverfaires, Des fiers üfurpateurs dont le fer s'efl foumis Du Danube & du Rhin les plus riches provinces, Redoutables voifins, éternels ennemis, De votre liberté, de vos droits, de vos princes? Mais vos cruels armemens, Applaudis des Euménides, Souillent vos bras parricides Du meurtre de vos parens.  P O E S 1 E s. n Conquérez, abattez ces remparts de la Flandre, Secondez les Hongrois, iïiettez Belgrad en cendre.' A ces noms votre ardeur devroit fe réchauffer. Dans ces champs glorieux , fur ce fanglant théatrej On vit en 1'admirant Eu géne triompher De tous les ennemis qu'il avoit a combattre. Ah! tout doit vous enhardir, Et tout cceur patriotique A ce deffein héroïque Doit vivement applaudir. Lafignalant vos bras, votre ardeur peut détruire D'un voifin envieux le redoutable empire, * Immenfe réfervoir d'ennemis beiliqueux, Dont les débordemens fi fouvent inondèrent D'un innombrable amas de combattans fouguenx Ces champs qu'en gémifiant vos aïeux cultivèrent. Ce font vos vrais ennemis: Votre audace extravagante, Dans fa fougue violente; N'accable que fes amis. N'appercevez-vous point aux rives du Bosphore L'impérieux Sultan dont 1'orgueil vous abhorre? 11 béni: votre rage & vos cruels débats; Votre difcorde affreufe avance fon ouvrage. C'eft vous qui lui prêtez vos fanguinaires bras, Pour épargner aux fiens le meurtre 6c le carnage, Et de fes pompeufes tours II contemple, plein de joie, L'aigle & le faucon en pfóie Au bec tranchant des vautours.  P4 P O E S I E S. Tel Ie Romain vainqueur voyoit an Colife'e Des ennemis captifs la troupe méprifée Pour fon amufement fe livrer des combats, Oü des gladiateurs que dans ces jeux atroces Un plaifir inhumain dévouoit au trépas, Se laiiToient déchirer par des bêtes féroces: II s'abreuvoit en repos, Sans fe reprocher fes crimes, Du fang de tan: de viftimes Que moiiTonnoi: A:ropos. Mais n'avez.vous,crueIs,que l'étranger h craindre? Le péril eft preffant, il n'eft plus temps de feindre. Rerjardez 'e Danube enfamer vos tyrans. Tandis qu'aveuglement votre audace me brave, La Liberté s'indigne, & fes rega-ds mourans Pkurent un peuple vil qui veut fe rendre efclave. Ah ! déteftez vos écarts , Votre étrange fanatifme Va fonder le defpotifme Qu'ont préparé vos Céfars. Leur noire ambition nous a tendu Ie piége: Ah! que prés d'y tomber la raifon vous protégé! RougilTez de fervir de laches inftrumens Au tyran dont 1'orgueil guida votre vaillance, Et ne cimentez point les fecrets fondemens D'une trop rigourenfe & durable puiflance. Vous triomphez aujourd'hui, Enivrés de votre gfoire; Hélas! de votre victoire Les fruits ne font que pour lui.  P O E S I E S. 95 Que des antiques faits le récit vous éclaire. Voyez.vous Charles Quint dans ion deftin profpère, Des Germains divifés chef trop ambitieux, Par fes fiers Efpagnols fubjuguer vos provinces, A fon joug abfolu fa9onuant vos aïeux, Enchalner a fon char vos plus illuftres princesj Et bientót Ferdinand trois, Verfant le fang hérétique, Par fon pouvoir tyrannique Prêt a fupprimer vos lois. Mais je vous parle en vain : mes difcours VOUS déplaifent. Répondez , malheureux!.. les perfides fe taifent. Ils ont dégénéré de 1'antique vertu. Leur liberté qu'enchaine une main infolente, Sous un fervile joug baifle un front abattu; Aux pieds de fes tyrans elle eft fotiple & rampante* Ils fe laiflent opprimer, Et ces laches, par foibleiïe, A leurs fers avec balïefle Sout prêts a s'accoutumer. Partez, partez, Prufliens, & quittez cette terre En proie è 1'iujuftice, aux fléaux de la guerre, Oü 1'efprit de vertige aveugle vos parens; Et puisque le Germain rempli d'ingratitude Profcrit fes protecteurs pour fervir fes tyrans, Trahit fa liberté pour vivre en fervitude, Abandonnons ces pervers; Qu'ils deviennent la viétime Da tyran qui les opprime, Puisqu'ils ont forgé leurs fers.  $6 P O E S I E S. Sous un ciel plus heureux cherchonsunocontre'e, Ou renaiffent les jours de Saturne & de Rhée. Le repaire oü fe tienc 1'homicide Iroquois, Les flériles rochers que baigne 1'eau du Phafe, Les déferts donc le Tigre enfanglante les bois, Les antres ténébreux qu'enferre le Caucafe, Sont pour nos cceurs ulcérés Des demeures préférables A ces bords abominables, A tous les forfaits livrés. Mais non, braves amis, une ame raagnanime 'un deiTein fi honteux & pufillanime Etouffe lorsqu'il naïc 1'indigne (entiment. Sauvons au moins 1'honneur, bravons la deflinée; Les équitables Dieux par un grand chatimenc Vengeront & Thémis, & la paix profanée. Volez, vaillans efcadrons; Elancez-vous dans la foale; Que le fang perfide coule, Et lave tous.vos affroms. A tant de nations contre vous conjurées, D'ambition, d'orgueil & d'audace enivrées, Portez fans vous troubler les plus vigoureux coups. Et que de vos fuccès le cours inaltérabie LaifTe au monde un trophée unique & mémorable. Dans fardeur dè vous venger, Penfez au fein du carnage , Qu'il n'eft pour un vrai courage Point de gloire fans danger. Fait a Freyberg, !e 19 Mars 17(0. ODE  P O E S I E S. 97 ODE JU PRINCE HEREDITAIRE DE BRONSWIC. Lorsque les nations, fougueufes, égarées, Offrent dans les combats, de leur fang altérées, Des objets abhorrés; Qu'au milieu de 1'erFroi, des horreurs, des alarmes, La pitié recueille & fait fécher les larmes Des peuples éplorés: Tandis que du deftin la maligna influence S'obftine a fatiguer par fa perfévérauce Les Prufllens accablés; Que par les longs aflauts de vingt rois en furie Les fondemens du tróne & ceux de ma patrie Déja font ébranlés: Tandis.que dans les camps de ces peuples perfides, Des gouffres infernaus je vois les Euménides Sortir de chez les morts, Mêlerleurs noirs flambeaux aux foudres meurtriè'es, Auxfeux de ladifcorde, aux Hammes incendiaires Qui défolent ces bords: Mes efprits accablés d'une douleur percante Ont entendu foudsin une .voix confoiame, Otuy. poflh. de Fr. 11. T. PU* £  98 P O E S I E S. D'gne de les calmer, Qui réveille en rnon cceur, a fes chagrins en proie, Un fentiment éteint d'efpérance & de joie, Lent a fe raniiner. Ainfi, quand l'Aquilon par de fougueux ravages, D'un póle jusqu'a 1'autre amaflani les nuages, Répand 1'obfcurité, En per9ant 1'épaifleur de cette vapeur fombre, L'aftre éclatant du jour darde a travers cette ombre Un rayon de clarté. Ainfi, dans les horreurs du deftin qui m'oppreflë La clarté reparoït, j'apper9ois ma Déefie, J'entens fes fons flatteurs: Êlle ne fème point la crainte & 1'épouvante; Le plaifir, 1'efpérance, & leur troupe charmante Sout fes avant-coureurs. Dans les airs je la vois, de cent bouches armée, Faire en tous les climats de fa voix renforcée Retentir les échos; Je 1'entens entonner la trompette guerrière, Tra9anc dans un cartouche éclatant de lumière Quelques noms de héros. On ne la vit jamais plus briljante & plus vive, Plus prompte a publier a 1'Europe attentive De rapides progrès. Quel eft ce nom chéri que profère fa bouche? Qui 1'occupe tout feul, qui ravit & qui touche Mei fens par fes attraits ?  P O E S I E S. 99 Sans interruption 1'indifcrèce révèle Sa vertu, fes exploits, fa valeur immortelle, Si dignes de fon rang; Ce héros dont 1'efprit unit dès fa jeuneffe Le folide au brillant, 1'ardeur a la fagelTe, Eft de mon propre fang. Regardez-le, ma fceur, 1'amour vous y convie; Dans vos flancs vertueux ce héros prit la vie, Et fes rares talens: Votre belle ame en lui retraca fon image; De fon augufte père il a tout le courage v Et les grands fenümens. Dans fes plus beaux fuccès,toujours doux & modefte, Lorsque fon bras vainqueur au Fran9ois trop funefte Remplit leur camp de deuil, Dans le cours triomphant d'une heureufe fbrtune, Toujours fans s'éblouir fon ame peu commune A repoulfé 1'orgueil. Ces viftimes de Mars prés du Rhin moiiTonnées, PaiTant les fombres bords, aux ombres étonnées Ont publié fon nom: Le dépit des héros troubla tout 1'EIyfée; Mais votre ombre en courroux parut la plus léfée, O Henri le lionl Des abymes profonds que Ie Cocyte enferre Elle part indignée, & cherche fur la terre Son fils & fon riv2l: E 2  ïao P O E S I E S. Elle en apprend bien plus que de la renommee?, Elle voit le héros au milieu d'une armée Sur un char triomphal. „Je vous cède, dit-elle, & jamais mon courage „ N'a produit les hauts faits qui dès votre jeune age „Etonnent les humains: J'ai dü tous mes fuccès a ma grandeur fans borne; „ Vos lauriers font, ainfi que toutce qui vous ome, „ L'ouvrage de vos mains. „ Heureux font les parens aufii tendres qu'habilc-s " Dont les fages confeils a votre auróre utiles, „Mon nis, vous ont conduit: „Ils font récompenfés par une immenfe ufure; " D'un champ reconnoifiantau foin de leur culture ' „ Ils jrecueillent le fruit. , Adieu, vivez heureux; qu'une tête fi chère ^ " Soit a 1'abri des coups dont un deftin contraire „Peut menacer les jours; Et que le jufte ciel dont le bras vous protégé, Vous préfervant du plomb & du fer facrilége, „En prolonge le cours!" Enfiniflant ces mots, cette ombre magnanime S'éloigne en gémifiant, s'élance dans 1'abyme, Et fe dérobe aux yeux; Par trois coups redoublés les Dieux.de leur tounerre, Ont daigné confirmer & promettre a la terre Des préfages heureux.  POESJES. ioi Tandis que fans penter cette foute commune De guerriers indolens a blanchi fans fortune Dans les travaux da Mars, Et voit fans protlter ce que 1'expérienca Des fublimes fecrets de la haute fcience Découvre a fes regards: O vous, jeune héros! dans un age débile, Comment avez-vous pu dans ce fiècle ftérile, En tout abatardi, Vous élever tout feul a cóté des Tureines, Des Weimars, des Condés & des grands capitaines, Par un voi fi hardi? Ce généreux effjrt c'eft 1e fceau du génie, Qui libre en fes tranfports, loin de la route unie, Vole fe fignaler; Par fa rapide courte au bout de la carrière II voit que lentement la méthode en arrière j Rampe fans 1'égaler. N'allez pas foupconner qu'unelacha tendreiïe, D'un fang qui vous chérit la force enclianterefie, Puiflent m'en impofer; J'en attefte vos faits, votre ama noble & pure; Ce font mes préjugés: quelle eft donc 1'impofture' Qui puilte m'abufer? Ah! périfie a jamais toute éloquence irnpie, Qui pour empoifonner une aulfi belle vie, D'orgueil veut 1'infeéter! E 3  jot P O E S I E S. Qui prodigue au hafard Pencens & Ie menfonge, La remplit de dédains & dans Perreur la plonge, Trop lache a la flateer! Mais quand les nations du rnéme ton s'expriment, Lorsque nos ennemis a regret vous eftiinent, Et chantent vos exploits, Dans ce concert charmant que 1'univers répète, Par quel droit faudra-t-il que ma bouche muette Vous refufe fa voix ? Jamais la politique, ou l'intérêt infame, Tachant de remuer les refforts de mon ame , Ne purent Pébranler: Trop fiucère ennemi de toute extravagance, Ma Mufe auroit mieux fait en gardant Ie filence, De la difllmuler. Ncn,non,Ies plus grands rois.fi fiers deleur puilTance, Ne forcèrent jamais ma libre indépendance A vanter leurs talens; L'audace couronnée, avide de louange, N'attirera jamais, fi mon cceur ne s'y range, L'odeur de mon encens. Et comment célébrer ces fardeaux de la terre, Fantómes qu'a leur hoüte on arma du tonnerre, Sur le tróne engourdis? ' Ou carefier Porgneil de ces ames altières, Vivant dans la moleffe, inflexibles & fières, Dignes de nos mépris?  P O E S I E S. lö3 On ne me verra point par des foins fi frivoles Trahiflant ma raifon., aux pieds de ces idoles, Parer leurs vains autels; Malgré ma probité, malgré ma confcience, Par d'infidelles poids pefer fur ma balance La vertu des mortels. Ah! ne profanons point les fons de l'harmonie, Et le charme enchanteur qui rend la poëfie Le langage des Dieux. Loin de proftituer les accords de ma lyre, Je laiffe déchirer aux dents de la fatjire Les vices odieux. Mais lorsque la vertu s'ofFre avec la victoira, En brulant d'élever un trophée a la gloire, J'entonne mes concerts: Charmé de fon éclat, fes beautés immortelles Raniment de mon feu les vives étincelles, Et m'infpirent des vers. Tandis que mon ardeur au Pinde me tranfporte, Et que 1'enthoufiafme & fa brillante efcone Subjugaent ma raifon, Qu'échauffé des exploits du héros que j'admire, Leur charme tout-puiflant, auteur de mon délire, Me tienc lieu d'Apollon: Sur mon front décrépit les fleurs fe font fanées; Le temps amène en hate & 1'age & les annéei Sur fes rapides pas; E 4  ïc-4 POESJES. B: mes jours pafTagers Ia briêve durée, Trop prompte a s'écouler, dans peu fera livrée A Ia faux du trépas. Ah! quoique de mes fens la force s'évapore, Cher Prince, fatisfait d'avoir de votre aurore Vu les premiers rayons, Si mes yeux ne font plus te'moins de votre gloire., Si la mort me ravit d'une aufïï belle hifloire Grand n-ombre d'aétions: Je puis au moins préVoir par mes heureux préfsges, En percant 1'avenir & de la nuit des ages La fombre obfcurité, Qn'après les longs travaux d'un courage intrépide. Votre nom s'accroifTant ira d'un vol rapide A rimmortalité. ODE A MA SOEUR DE BRONSWIC, fur la mort d'un Fils tué en 1760. O jours de fang, dedeuil, de regrets & de larmes!: Les crimes effrénés, échappés des enfers Itépandent en tous lieux la terreur, les alarmes; Tous les fléaux unis défolent 1'univers. L'aurore & le c.ouchant, 1'océan & Ia terre Aux funêftes lueurs des flambeaux de la guerre Coiïr  P o es ie s. 105" Contemplent leurs malheurs. Ün cruel brigandage, La fureur du carnage, Ont étouffé les mceurs. L'ardeur de dominer, la foif de la vengeancfr, Ont infefté les rois de leurs poifons mortels: La loi, c'eft leur pouvoir; leur droit.la violence; Ec la terre eft en proie a ces tyrans cruelsj Les yeux étincelans de rage & de furie, Ils excitent de loin rafrreufe barbarie De leurs cruels foldats; Si leur foi brille aux temples, Ils donnent les exemples De tous les attentats. OppreiTeurs des humains, fanguinaires monarques, D'efclaves profternés fouverains odieux, Vous dont 1'orgueil outré, malgré tantd'Ariftarques, Malgré tant de forfaits, vous met au rang des Dieux, Jufqu'a quand verrons-nous vos difcordes fatales, Vos défirs effrénés, vos haines infernales, Perpétuer leur cours, Caufer ces incendies, Tramer ces perfidies Qui dégradent nos jours? Dans fa fauffe éloquenceun flatteur vous compare Aux Dieux, de nos deftins arbitres éternels, Vous qui fcmblez vomis des gouffres du Ténare, Nés parmi des Démons, comme eux durs& cruels* Eblouis de 1'éclat de vos titres fuprêmes, EoUemeut eaivrés de 1'amour de vous - mêmes,.  100 F O E S I E S. Vous vous croyez chéris: Que ce fonge s'efface, La vérité vous place Au rang des Bufiris. Oui, les traits de ces Dieux que vous chargez d'ou trages, Ont perdu leur empreinte en vos cceurs malfaifans; Leur immenfe bonté leur valut nos hommages; Mais jamais les Démons n'obtinrent notre encens. Dévafter des cités, & les réduire en poudre, C'eft imiter ies Dieux Iorsqu'ils lancent la foudre. Imitez leurs bienfaits; Terminez cette guerre, Et confolez la terre En lui rendant la paix. Oü tendent ces complots que des reflbrts iniques Out tramés pour remplir vos projets inhumains? Téméraires mortels! aveugles politiques! Vous croirez-vous toujours arbitres des deftins? Quoi! vous n'apprïtes point par votre expérience Que les plus beaux defleins de 1'humaine prudence Aux revers font fujets, Et que de la fortune L'inconftance commune Renverfe vos projets? Quelle époque a produit des mceurs plus déteftables Que notre age fécond en illuftres forfaits? Vit-on comme a préfent des rois impitoyables Envers leurs ennemis, comme envers leurs fujets? L'ambition, 1'orgueil font leurs Dieux en ce monde; Le fang de leurs fujets dont le flux nous inonde  P O E S I R S. 1*1 Ne leur caufe aucun deuil; II en périra mille, Sans que leur cceur ftérile, Y jete üri feul coup d'ceil. Parcourez les recueils d'exploits & de batailles, Ces monumens d'audace & d'intrépidité Ne vous fourniroient point autant de funérailles Qu'un feul de nos combats vous en a préfenté. Cette terre de fang, de carnage abreuvée, Cette foule de morts par le fer enlevée, Redoublent mes regrets, Et des pompes funèbres Couvrent nos faits 'célèbres De lugubres cyprès. Vous cimentez d'un fang a vos regards fervile Votre gloire abhorrée, atroces conquérans. Les humains font-ils donc d'une efpèce affez vile Pour s'égorger entre eux au gré de leurs tyrans? Mais vos cceurs endurcis & faconnés aux crimes Méprifent ces guerriers, généreufes viflimes, Offertes au trépas, Et dans vos jeux infames Vous perdez cent mille ames, Pour gagner des Etats. Voyez ce peuple en deuil, ces femmes défoléai, Donc les fanglots amers réclament leurs enfans, D'aufïï vives douleurs font-elles confolées Par 1'efpoir d'amaffer leurs triftes offemens? Rois, écoutez ces cris, que vos cceurs en gémifTent: Ces foupirs douloureux,ces voix qui vous maudiüent, E 6  r«S. POES IE & Sonr un prix réfervé A tout tyran farouche Qu'aucun malheur ne touchs Qu'il n'a point éprouvé. Je te pera's donc auffi, doux efpoir de ma via Prince aimable, que Mars auroit dü préferver Des flèehes du trépas que laucoit en furie Le parricide bras que ton cceur fut braver! Sur la fin de mes jours ma vieillelfe pefante. A pn ravir a peine a la mort dévorante Tes membres palpitans. Je vois donc la lumière,. Pour fermer la paupière A mes plus chers parens.. II n'eft point de mortel dont 1'ame courageufeRéfifte fans fre'mir a ces coups d'Atropos. O v.ous, ma tendre fceur, mère trop malheureufe!' En perdant votre fils vous perdez un héios; Comme un rapide éclair, rayonnant de lumière, A peine brille-1 • il entrant dans la carrière, Qu'il difparoic foudain. Telle au printemps la rofe Demeure a peine éclofe L'efpace d'un matin. Ton glaive deftrudïeur, ó malheureufe Europefi Répand le fang abjeér. & le fang précieux; 13 frappe également & le cèire & 1'hyfope, Et le foldat pbfcur & le chef genereus. L'agedu vieux Neftor, la jeunefle d'Achille Les &rices,. les vertus ne fervent point. d'afile.  p O E S I E S. IOJr Contre 1'arrét du fort. Cette race profcrite Tombe & fe précipite Dans les bras de la mort. Ahlpourquoi n'ai-je point Ia voix douce& fublïme De 1'amant d'Eurydice, ou du tendre Amphion? Jirois, j'irois pour vous, ö Prince magnanirae! Fléchir dans les enfers Rhadamanthe & Pluton; Mes fanglots toucheroient la Parque inexorable,, Mes chants feroient tomber de fa main redoutable Les rigoureus cifeaux; Plus heureux que Théfée, J'irois de 1'EIyfée Ramener mon héros. Malheureux! oü m'égare un fortuné délire 7 Quel mortel peut palTer 1'Achéron a deux fois? Tout efpoir eft perdu. Mufe, brifons ma lyre,Terminons les accens de ma tremblante voix; Ces chants que m'infpira ma plainte douloureufe. Trop foibles pour percer la voüte ténébreufe,. De nos triftes clameurs Retracent des peintures, Qui r'ouvrent nos blelfures, Ei redoublent nos pleurs. Fait a Breslau i?6ii  119 P O E S I E S. E P I T R E A MA- S O EUR BE BAREUTH. En 1757. O doux & cher efpoir du refte de. mes jours! O fceur 1 dont 1'amitié fi fertile en fecours Partage mes chagrins, de mes douleurs s'attrifle, Et d'un bras fecourable au fein des maux m'aflïfte. Vainement le deftin m'accable de revers, Vainement contre moi s'arme tout 1'univers. Si fous mes pas tremblans la terre eft entr'ouverte, Si la foule des rois a conjuré ma perte, Qu'importe? Vous m'aimez, tendre & fenfible fceur: Etant chéri de vous, il n'eft plus de malheur. J'ai vu, vous le favez, s'épaiffir les nuages Dont les flaucs ténébreux ont vomi ces orages. J'ai vu, vous le favez, tranquille & fans eiTroi, Ces dangereux complots fe trauier contre moi. La fortune ennertfie excitant la terapête, M'óta jusqu'aux raoyens d'y dérober ma téte. Soudain en s'élancant du gouffre des enfers, La Difcorde parut & troubla 1'univers. Ce fut dans ton fénat, ó fougueufe Angleterrej Oü ce monftre inhumain fit éclater la guerre, D'abord ce feu s'embrafe en de lointains climats, D'Europe en Amérique engage des combats.  P O E S I E S. III Lti mer en eft émue en fes grottes profondes; Neptune au joug anglois voit aiTervir fes ondesj LTroquois, qui devient le prix de ces forfaits, Détefte les tyrans qui troublent fes forêts. La Difcorde aufïïtót contemplant fon ouvrage, S'applaudit des horreurs que produifit fa rage, Rit des foibles mortels qui pour fe déchirer Traverfent 1'océan fait pour les féparer. Dans fes brillans fuccès aufïïtót elle afpire A rendre univerfel le trouble & fon empire: Elle pafTe en Europe, elle s'adreffe aux rois: „ Jusqu'a quand ferez-vous efclaves de vos lois? „ Eft-ce a vous de plier fous 1'aveugle caprice „ De préjugés ufés d'équité, de juftice? „ II n'eft de Dieu que Mars, laforcefait vosdroits, „ Dit-eUe,& tout monarque eft népour les exploits." O fille des Céfars! 1'ambition ardente Se ranirne a ces mots dans ton ame flottante. Laprobité, 1'honneur, les traités, le de voir, Trop fragiles liens pour borner ton pouvoir, S'effacent de ton cceur; tes mains peu fcrupuleufei Dégagent de leur frein tes pafïïons fougueufes. Au Germain généreux, ace peuple indompté, Tu brüles de ravir fa noble liberté, D'abaifTer tes égaux, d'anéantir le fchifme, Et fur tant de débris fonder ton defpotifme. A d'aufïï grands projets il faut de grands moyens; Chez les plus puifrans rois tu cherches des foutient. Tes confeillers experts, rompus aux artifices, Par 1'impofture & 1'or ameutent tes complices. II n'eft point de forfait, il n'eft point d'attentat  K* F Ö E S ÏÉ s. Qu'on n'emploie a formsr ce fier triumvirat. Ce complot monftrueux opprima en une anué«' De fon terrible poids 1'Europe confternée. L'ami timide feint de craindre le danger, L'ami perfide a Vienne accourc pour s'engager. Depuis le Rouffillon jusqu'au cliinac fauvage Ou Ie Rune glacé croupit dans 1'efclavage, "Tout s'armepour 1'Autriche, onmarche fous fes lois»On conjure ma perte, on foule aux pieds mes droics. La fille des Céfars dévoroit fa conquête, Préfageoit fon triomphe, en préparoït la fête, Vivoit dans 1'avenir, & gontoit les douceurs De recueillir les fruits de fes projets flatteurs. Tel eft le fort des grands dont la vertu commune,BalTe dans les revers, haute dans la fortune, S'enivrant du poifon de la profpsrita,. Ne peut pofer de terrne a fa cupidité. L'infolent intérét, abufant du délira , Nomme au triumvirat les rois qu'il doit profcrirr, Et ces tyrans ingrats par le crime liés S'immolent fans remords leurs plus chers alliés. O jour digned'oubli! Quelle atroce imprudence! Thérèfe, c'eft 1'Anglois que tu vends fi la France» Ton généreux foutien dans tes premiers malheurs, Lui qui réfifta feul au nombre d'opprelTeurs Dont 1'efpoir divifoit ce puilfant héritage Que ton pêre en mourant te laiflbit en partage. Tu règnes, mais lui feul a fauvé tes Etats. Lesbienfaits chez les Rois ne font que des ingrats* Toi, Monarque indolent, que Ia pourpre embarrafie,, EJe te.fouvient.il plus qufdélivra 1'Alface-?.  P O E S I E S. 11$ Mes regirds indignés dans tes camps amollis Ont vu tl otter un aigle entre les fleurs de lis. L'injure & le bienfait fe perd de ta mémoire. Efclave d'une femme, eft-il pour toi de gloire? Ton trone & ton pouvoir font le prix de f amour, Et Vienne a fubjugué ta maitrefle & ta cour. Pompadour en vendant fon amant au plus riche, Rend la France en nos jours efclave de PAutriche, Le Canada bientót eft en proie aux Angloisr Mais qu'importe a Louis la gloire des Frangois ? Thérèfe, après ces coups, 1'ame de 1'alliance, Veut par de grands exploits fignaler fa puiiTance. Aufïïtót tout s'émeut en fes vaftes Etats, Et PAutriche en travail enfante des foldats. La Bohème opprimée & faignant de fes pertes, Voit par des camps nombreux fes campagnes couvertes.. Le trouble, la terreur, le défordre s'accroit, La paix s'envole aux cieux, Péquité difparoit; Oü refpire le fang, le meurtre, les alarraes; Les champs reftcnt déferts, tout peuple eft fous les armes. Cet Ange qui préfide au deftin des combats, Qui dirige ou retient les flèches du trépas,. Arrache la fortune ou foudain la ramène, Soufenoit nos drapeaux d'une main incertaine; 11 permet que le nombre accable la vertu. L'Autrichien fouvent par nos coups abattu Sur des moms efcarpés s'afïïed plein d'arrogance, Pcovoque nos foldats & brave leur vaillance. Tout ce qu'ont pu jamais le courage» Phonueur^  114 P O E S I E S. Le mépris des dangers, la gloire, la valeur, Parut en ce combat: les affauts fe fuccèdent, Lesmontsfontemportés, déja nos rivauxcèdent; Mais le nombre nous manque, en ce moment fatal La Viftoire s'envole au camp impérial. De la PrulTe aux abois on crut Ia chute füre; On préfageoit fa mort d'une foible blelTure. Ce qu'il reftoic (fe rois jusqu'en ces jours d'horreurs f De nos combats fanglans tranquilles fpeaateurs, L'efprit préoccupé de frivoles attentes, Flattés de partager nos dépouilles fanglantes, Des triumvirs vainqueurs grolfiflent Ie parti. Ce peuple confiné vers le póle applati, Sous des rois belliqueux fi redouté naguère, Qu'avilit miintenant un fénat mercenaire, La Suède longtemps I'émule des Germains, S'arme pour profiter de leurs maux inteftins. Que dis-je? mes pareus, pour combler lamefure, En outrageant leur fang étouffent la nature, Ou féduits, ou craintifs, tntrainés ou trompés, Dans ce complot u'horreürs de même enveioppés,Couvrant leur trahifon de voiles hypocrites, Des heureux triumvirs fe font les fatellites. O décrets inconnus de la fatalité! Qui prefcrivez un terme a la profpérité, O fortune inconftante! ó Déefle légêre! Que tout ambitieux au fond du cceur vénère, On ne m'entendra point profauant 1'art des ver» Célébrer tes faveurs, déplorer mes revers. Je fais que je fuis homme & né pour la fouffrance, je dois a tes rigueurs oppofer ma conflance.  P O E S I E S. JiS Et toi, peuple chéri, peuple objet de mes vceux, O toi! que par devoir je devois rendre heureux» Ton danger que je vois, ton deftin lamentable Me perce au fond du cceur;c'eft ton fort qui m'accable. J'oublirai fans regret le fafte de mon rang, Mais pour te relever j'épuiferai mon fang. Oui, ce fang t'appartient; oui, mo n ame attendrie Immole avec plaifir fes jours a ma patrie. Longtemps fon défenfeur, j'ofe du même front Ranimer nos guerriers a venger fon affront, Défier le trépas au pied de fes courtines, Vaincre, ou m'enfevelir couvert fous fes ruines. Tandis que je rn'apprête a braver mon deftin, Dieux! quels lugubres cris s'élèvent de Berlin? A travers les fanglots d'une douleur amère Se diftingue une voix.. la mort frappe ta mère ,^ Les ombres du trépas, que dis-je?.... c'en eft fait. Ah! du fort irrité voila le dernier trait. Tous genres de malheurs fur moi fondent en foule, Ma vie en vaius regrets funeftement s'écoule, J'ai trop vécu, hélas! pour un infortuné. Malgré moi de vos bras, ó ma mère! entrainé, Que ce dernier congé dans ces momens d'alarmes Par mes preffentimens fut arrofé de larmes! Mon cceur, mon trifte cceur, facile a s'attendrir, Ne m'annoncanc que trop ce cruel avenir. J'efpérois qu'Atropos, flexible a ma prière, Contente de mon fang refpeéleroic ma mère. Hélas 1 je me trompois, la mort fuit mes malheurs, Pour étendre fur vous fes iivides horreurs. Ce fombre monument eft donc ce qui conferve  Iiö POESJES. Vos reftes précieux, mon augufte Minerve? Je vous devois le jour, je vous devoïs, bien plus; Votre exemple inftruifoit a fuivre vos vertus: Malgré PafFréux trépas je les refpeéle encore, Votre tombe eft pour moi le lieu faint que j'honore. Si tout n'eft pas détruit, fi fur les fombres bords Les foupirs des vivans pénètrent chez les morts, Si la voix de mon cceur de vous fe fait entendre, Permettez que mes pleurs arrofent votre cendre, Et qu'emplifl'ant les airs de mes triftes regrets, Je répande des fleurs aux pieds de vos cyprès. Du déclin de mes jours la fin empoifonnée D'un tifiu de tourmens remplit ma deftinée. Le préfent m'eft affreux, 1'avenir inconftant. Quoi! ferois-je formé par un Dieu bienfaifant? Ah! s'il étoit fi bon, tendre pour fon ouvrage, Un fort égal & doux feroit notre partage. Müntenant promoteurs de menfonges facrés, D'un long amas d'erreurs organes révérés, Egarez des humains 1'efprit rempli de craïnte Dans les détours obfcurs de votre labyrinthe. L'enchantement finit, le charme difparoic. Je vois que du deftin tout homme eft Ie jouet. Mais s'il fubfifte un Etre inexorable & fombre, D'un troupeau méprifé laiffant grofïïr le nombre, D'un ceil indifférent il voit dans 1'univers Phalaris couronné, Socrate dans les fers, Nos vertus,nos forfaits,les horreurs de la guerre, Et les fléaux cruels qui ravagenr Ia tc-rre. Ainfi, mon feul afile & mon unique port Se trotive, chère fceur, dans les bras de la morr„.  P O E S I E S. tïf E P I T R E A MA SOEUR AM ELI E. "Vous fouffrcz donc aufïï de nos cruelles guerres? Et le Francois fougueux, infolenc & pillard, Conduit par un obfcur Céfar, A, dir-on, ravagé vos.terres, Tandis que fans raifon , guidé par le hafard, Un ennemi cent fois plus dur & plus barbare, Par Ie fer & le feu fignalant fes exploits, Par le Cofaque & le Tartare A réduit la Prulfe aux abois. ErTacons de notre mémoire Des objets révoltans qui doivent lui peter; Nous rappeler toujours notre funefte hifloire, Seroit aigrir des maux que 1'on doit. appaifer. Moi, dont les blelTures ouvertes, Saignent encor de tant de pertes, M'approchant du bord du tombeau, Pourrai-je en rimes enfilées Peindre, d'un languiiTant pinceau, Dans le deui), dans 1'eusui tant d'heures écoulée,s, Et de nos pertes fignalées llenouveler 1'affreux tableau? Lorsque de 1'occident amenant tes ténèbres, Etendant fur 1'azur des cieux Les crêpes épaiffis de fes voiles funèbres,  153 P O E S 1 E S. La nuit vient cacher a nos yeux De 1'aftre des faifons le globe radieux; Philomèle au fond d'un bocage Ne fait plus retentir de fon tendre ramage Les échos des forêts alors lllencieux: Elle attend le moment que la brillante Aurore, Verfant le neétar de fes pleurs, Avec 1'aube nous faiTe éclore Le jour, les plaifirs, & les fleurs. Ma fceur, en fuivant fon exemple, Muet dans ma douleur, fenfible a nos revers, Laiflant pendre mon luth, laiiTant dormir les vers, J'attends que la fortune, a Ia fin, de fon temple Me rende les fentiers ouverts. Mais fi je vois que Ia cruelle D'un caprice oblh'né me demeure infidelle, Du fond de fes tombeaux & des urnes des morti Je n'entonnerai point la plaintive elégie, Dont 1'artifice & la magie, Par fes lamentables accords, Verfant fur les efprits fa trifte léthargie. Les endort fur fes fombres bords. Ah! plutót fur le ton de la vive allégrefle J'aimerois a monter mon luth; Suivre des ris Ia douce ivrefie, Aux plaifirs payer mon tribut. C/ui fe trouve au milieu de fleurs a peine e'clofes, Refpirant leurs parfums, comemplant leurs attraits, Choific 1'ceillet, les lis, les jafmins & les rofes, En fe détournant des cyprès: Tandis que ces riaus objets  P O E S I E S. tl» A moi fe préfentent en foule, Emporté d'un rapide cours, Le temps s'enfuit, 1'heure s'écoule, Et m'approche déja de la fin de mes jours: Pourrai-je encor fur le Parnafie Me tratnanr. fur les pas d'Horace, Monter en étalant mes cheveux blanchiflans ? Quand neuflultres complets dontmechargentles ans, Me montrent la frivole audace D'efforcs déformais impuilfans. Les Mufes, on le fait, choififient leurs amans Dans 1'age de la bagatelle; Hélas 1 j'ai palfé ce bon temps. Si pourtant m'honorant d'une faveur nouvelle, Calliope daignoit, en réchaufTant mes fens, M'infpirer par bonté des fons encor touchans, Rempli des feux de 1'immortelle, Croyant mes beaux jour renaifians, Je chanterois vos agrémens, Votre amitié tendre & fidelle, Vos graces, vos divers talens. Par les accords de 1'harmonie, De 1'émule de Polymnie Je pourrois attirer les regards indulgens. Trop promptement, hélas! de eet aimable fonge Se diflipe 1'illufion. Déja le réveil me replonge Dans la trifle réflexion. Qu'importe qu'une Mufe folie M'égare par légéreté? Heureux, quand Terreur nous confole Des ennuis de la vérité!  P O E S I E S. EPITRE CHAGRINE. Ici-bas toüt eft vanité: Ce Roi fage & couvert de gloire, Ce Roi des Hébreux tant vanté, t Salomou nous 1'a répétë: Puisqu'il 1'a dit, il faut Ten croire Sur cette trifte vérité. Pour moi, qui-n'ai point 1'honneur d'être Auflï favant que ce grand maitre, L'école de 1'adverfité Me 1'a malgré moi fait connoltre. J'ai tout vu, j'ai de tout goiïtd; La bonne & mauvaife fortune M'ont fouvent, k leur tour chacune, Impertinemment balloté. Las de la blonde & de !a brune, J'abandonne a de plus heureux Ma place, qui fürenient tente Les novices défirs de ceux, Qui voyant fa face brillante, N'ont pas vu fon revers affreux. Sur cette fcène fi mouvante Oü 1'Europe nous repréfente Ces bizarres événemens, Oü Ia cruelle politique, Chauffant le cothurne tragique, Se plait a culbuter les grands, Acteur malgré moi dés longtemps, Quel-  P O E S I E S. 121 Quelquefois, contre mon attente, j'entendis la voix confolante De légers applaudiiTemens. A préfent de longs fifflemens Dont mon oreille s'épouvante, De toutes parts glacent mes fens. Ah! quittons, lorsqu'il en eft temps, Ce théatre qu'a tort fon vante, Et toute la troupe infolente D'aftrices, d'aéteurs fans talens, Race infame autant qu'ignorante, Qji n'a raifon, efprit, ni fens. Iroi-je encor fur mes vieux ans Flotter au gré de Tonde errante Qu'agite le fouffle des vents, Ou de la fortune inconftante Gueufer les frivoles prélens? Toujours dans la cruelle attente De fes dons ou de fes"~refus, Sentir dans mon ame flottante Le choc des mouvemens confus? Pourrai je après Texpërience De tant de malheurs fuperflus, M'tn retourner par imprudence, Dans Tempire de Tinconftance, Exilé de chez fes élus, De la crainte & de Tefpérance Eprouver le flux & reflux. Non, non, il eft temps d'étre fage, Puisque la fortune m'outrage, Suffit: je ne fimp!ore plus. Oeuy. fojlh. di Ft. II. T. FII. F  122 P O E S I E S. Que 1'ame joyeufe & ravie, La jeunefle au front ceint de fleurs Ivre de plaifirs & d'erreurs, Soit idolatre de la vie, Elle en écrème les douceurs. Le charme pafle: elle eft fuivie D'affliétions & de malheurs, Et ce cercle qui fe répète, Au mouvement de la navette Mélant le bien avec le mal, Me rappele cette coquette, Dont 1'efprit fans cefle inégal, Par un caprice de toilette, Décidant de fon amourette, Quitte 1'amant pour fon riva!. Qu'elle aille donc offrir fes charmes A quiconque en voudra jouir; Ni fes carefles, ni fes larmes, N'ont plus le don de m'attendrir. Mon ceil dans 1'avenir difcerne, Sans le fecours de la lanterne Dont Diogène fe para, Tout ce que le deftin fera; Pourrai- je donc en fubalterns Souffrir que finfolent me berne Aulfi longtemps qu'il Is pourra? Ah! qu'il berne qui le voudra, Des fous que fans cefle il gouverne. Bien fin qui m'y ratrappera; Et s'il ne fe peut par !a porte, Par ia fenètre fauvous • nous.  P O E S I E S. 123, F 4 Une arne généreufe & forte Du moindre outrage entre en courroux. Sans que 1'amour.propre me flate, v Je vois fans paür les revers Dont m'atteint la fortune ingrate, Et las d'en avoir trop fouffert, L'exempie de plus d'un Socrate, Pour defcendre dans les enfers, Me montre des chemins ouverts. Rempli des vapeurs de ma rate, J'imite un amiral que mate Un graud nombre d'autres vailTeaux; Sitót que fon navire éclate D'un coup qui perce fous les flots, Et qu'il voit le cruel pirate . Prés d'aflaillir fes matelots, Pour fe fauver de 1'abordage, Pour prévenir fon efclavage , L'officier courageux & fier Se détennine, & fait réfoudre Ses foldats d'allumer la poudre: j-Le vaifleau faute, & vole en 1'air. A Leipfic , ce 15 Oftobre 1757.  tï4 F O E S I E S. E P I T R E AU MARQUIS D'ARGENS. A mi, le fort en ed jeté, Las du deftin qui m'importune, Las de ployer dans I'infprtune Sous le poids de 1'adveifité, J'accourcis le terme arrêté, Que la nature notre mère A mes jours remplis de mifère A daigné départir par prodigalité. D'un cceur afluré, d'un ceil ferme, Te m'approche de 1'heureux terme Qui va me garamir contre les coups du fort. Sans timidité, fans effort, J'entreprends de couper, dans les mains de la Parque, Le fil trop allongé de fes tardifs fufeaux; Et fur de 1'appui d'Atropos, Te vais m'élancer dans la barque, Oü fans diftinaion le berger, le monarque, PaffettC dans le féjour de féternel repos. Adieu, lauriers trompeurs,couronnes des héros. II n'cn coüte que trop pour vivre dans 1'hiftoire; Souvent quarante ans de travaux ï>3e valent qu'un inftant de gloire, Et la haine de cent rivaux.  P O F, S I E S. Adieu, grandetirs; adieu, chimères; De vos bluettes paffagères Mes yeux ne font plus éblóuis: Si votre faux éclat dans ma naiffante aurora Fit trop imprudemmem éclore Des défirs indifcrets, longtemps évanouis; Au fein de la philofophie, Eco'.e de !a vérité , Zénon me détrompa de la frivolité Qui fait 1'illufipn du fonge de la vie, Et je fais avec inodeflie Rejeter les poifons qu'ofFre la vanité. Adieu, diviue volupté; Adieu, plaifirs channans, qui flactez Ia molleffe, Et dont la troupe enchantereffe Par des iiens de fleurs enchalnant Ia gaité, Compagnons dans notre jeuneffe Da Ia brillante puberté , Qui fuyez de nos ans 1'infipide viailleffe, Les arides glacons de Ia caducité. Ah! que i'Araour me le pardonne, Plaifirs, fi je vous abandonne. (Ma Mufe ne fait point flateer.) Quand neuf luftres complets m'annoncent mon automne , Plaifirs, je vous .voyois tous prêts a me quitter. Mais que fais-je, grand Dieu! courbé fous Ia triffeffe Eft-ce a moi de nornmer les plaifirs, 1'allégrefla? Et fous les griffes du vautour, Voit-on Ia tendre Philoméle, Ou Ia plaiutive tourterelle, F 3  ï:<5 P O E S I E S. Chanter ou foupirer d'amour? Depuis longtemps pour moi 1'aflre de Ia lumière N'éclaira que des jours fignalés par nos maux. Depuis longtemps Morphée, avare de pavots, N'en daigna plus jeter fur ma trifte paupière. Je difois au matin, les yeux chargés de pleurs, Le jour qui dans peu va renaltre, M'annonce de nouveaux malheurs: Je difois a la nuit, ton ombre va paroïtre Pour éternifer mes douleurs. Laffe de voir toujours Ia fcène injurieufe D'un concours de cnlamités, Des coupables mortels Ia rage audacieufe Décharger contre moi leur haine furieufe, Et les traits dangereux de leurs iniquités; J'efpérois que du temps le tardif bénéfke Feroit renaitre enfin un deftin plus propice, Que les cieux longtemps obfcurcis, Livrés aux ténébreux ravages Des aquüons & des onges, Seroient a Ia fin éclaircis Par 1'aflre Iumineux, qui percant les nuages, De fes rayons brillans dortnt les payfages, Ramèneroit des jours par fes feux radoucis. Je me trompois, hélas! tout accrolt mes foucïs. La mer mugit: 1'éclair brillant dans la tempête, Le tonnerre en éclats va fondre fur ma tére; Environné d'écueils, couvert de mes débris, A 1'afpeft: des dangers qui partout me menacent, Les cceurs des pilotes fe glacent, lis cherchent, mais en vain, un port ou des abris»  P O E S I E S. 127 Du bonheur de TEtat la fource s eft tarie; La palme a difparti, les lauriers font fanés. Mon ame de fo'upirs & de larmes nourrie, De tant de pertes attendrie, Pourra-t-elle furvivre aux jours infortunés Qui font prés d'éclairer Ia fin de ma patrie? Devoirs jardis facrés, déformais fuperflas! Défenfeur de 1'Etat, mon bras ne peut donc plus Venger fon nom, venger fa gloire, En perpétuant Ia mémoire De nos ennemis confondus? Nos héros font détruits, nos triomphes perdus: Par le nombre, par la puiffance , Accablés, a demi vainctis , Nous perdons jusqu'a 1'efpérance De relever jamais nos tempies abattus. Vous, de Ia liberté héros que je révère, O manes de Caton! ó manes de Brutus! C'eft votre exemple qui m'éclaire Parmi Terreur & les abus; C'eft votre flambjau funéraira Qui m'inftruit du chemin, peu connu du vulg.üre, Qu'ont aux mortels tracé vos amiques vertus. Tes fimples citoyens,Rome,en des temps fubiïtnes Etoient-ils donc plus magnanimes Qu'en ce fiècle les plus grands rois ? II en eft encor un qui jaloux de fes droits, Fermément réfolu a vivre & mourir libre, Da laches préjugés ofaut braver les lois, Imite les vertus du Tibre. Ah! pour qui doit ramper, abattu fans efpoir F 4  128 P O E S I E S. Sous Ie ryrannique pouvoir De nouveaux monftres politiques , De triumvirs ingrats, fuperbes, defpotiques, Vivre devient un crime & mourir un devoir. Le trépas, croyez-moi ,n'a rien d'épouvantable; Ce n'eft pas ce fque'ette au regard eifroyable, Ce fpeétre redouté des timides humains; C'eft un aüle favorabie, Q.ii d'un naufrage inévitable Sauva les plus grands des Ilomains. J'écarte ces romans, & ces pompeux fantómes Qu'engendra de fes flancs la fuperftition, Et pour approfondir la nature des hommes Je ne m'adreiTe point a Ia dévotion. J'apprens de mon maitre Epicure Que du temps Ia cruelle injure DilTout les ètres compofés; Que ce fouffle, cette étinceile, Ce feu vivifiant des corps organifés, N'eft point de nature immortelle; II naït avec le corps, s'accroic dans les enfans, SouiTre de la douleur cruelle; II s'égare, il s'éciipfe,. il baifie avec les ans; Sans doute il périra quand la unit éterneile Viendra pour nous vuiler I'empire des vivans. Je vois qunn.i 1'ame eft écüpfée, Qu'il n'eft plus hors des fens mémoire, ni petifée, Et que 1'inftant qui fuit la mort, Se trouve en un parfait rapport Avec le temps dont 1'exiftence A précédé notre naiflTance. Ainfi  P O E S I E S. ï2tj Ainfi par un ancien accord Tout homme eft obligé de rendre Au fein divers des éléinens Ces principes moteurs, invifibles agens, Que Ia nature avoit fu prendre Pour former Ia texture & le jeu de nos fens. Tout difparolc enfin de ce fonge bizarre: Mégère, Tifiphone, & le fombre Tarcare, La vérité détruit ces fantómes favans. Lieux que Ia vengeance prépare, Vous êtes vides d'habitans. Ainfi donc, cher ami, d'avance je m'attends Qne ton efprit un peu profane Ne prendra pas le ton des uiyltiques pédans, Djnt Ia rigidité condamne Tous fentimens hardis, des leurs trop différens. Je ne m'étonne poinr, d'Argens, Qae ta fageffe aime la vie; Enfant des arts ck d'Uranie, Be/cé par la douceur des chants Des Grlces, & de Polyinnie, Sybarite tra:iquille, abreuvé d'ambroifie, Tes deftins font égaux, tes délïrs font conten?. Ainfi fans crainte & fans envie, Sans chagrins, nairceurs, ni tourmens, Ta prudente phiiofophie Trouve dans ces amufemens Que ton goüc fagement vnrie, Avec ta moitié tant chérie, Sur le tróne des agrémens, Couvert des ailes du génie, > 5  13° POESJE S. Le paradis des fainéan*. Pour moi, que le torrent des grands événemen? Entralne en fa courfe orageufe, Je fuis 1'impulfion facheufe De fes rapides mouveinens : Vaincu, perfécuté, fugitifdans le monde, Trahi par des arnis pervers, J'éprouve en ma douleur proton de, Plus de maux dans eet nnivers, Que dans la fiaion , dont la Fable eft fe'conde,. Wen a fouffert jamais Prorcéthée aux enfers. Ainfi, pour terminer mes peines, Comme ces malheureux au fond de leurs cachots, Las d'un defiin barbare, & trompant leurs bourreaux, D'un noble elfort brifent leurs chaines,. Sans m'embarrafier des moyens, Je romps les funeftes liens Dont la fubtile & fine trame A ce corps rongé de chagrins Trop longtemps attacha mon ame. Adieu, d'Argens, dans ce tableau De mon trépas tu vois la caufe. Au moins ne penfe pas du néant du cavenu Que j'afpire a 1'apothéofe. Tout ce que 1'amitié par ces vers te propofe, E'efl: que tant qu'ici-bas le célefte flambeau; Eclairera tes jours tandis que je repofe, Er lorsque le printemps paroiflant de nouveau De fon fein abondant t'offre les fleurs éclofes, Ghaque fois d'un bouquet de myrtb.es & de rofes, 1u daigries parer mon tombeau. A.Erfort, ce 23 de Septembre 1757*.  P O E S I E S. *J1 EPITRE SUR LE HASARD A MA SOEUR AMELIE. Non, vous ne croyez point que 1'humaine mifère Attire les regards du Dieu qui nous éclaire, Et c'eft avec raifon: de fa félicité Rien ne peut altérer rimpaiTibilité. Ce Dieu, fourd a nos vceux, ignore nos demandes, Infenfible aux parfums dont on vient 1'encenfer, Sans daigner nous punir, fans nous récompenfer, A d'aufïï vils objets loin d'attacher fa vue, Ne gouvernant qu'en graud cette maiTe étendue, ~Et ces globes nombreux qui flottent dans les airs, Aux primitives lois il foumet 1'univers. Mais quelle, direz.vous, eft Ia fource féconde Des deftins différens que 1'homme a dans le monde ? Si Dieu ne prévoit rien, s'il n'a rien réfolu, S'il n'étend point fur nous fon pouvoir abfolu, De ce nombre infini de fortunes diverfes, De fuccès, de revers, de grandeurs, de traverfes, Qui de nos triftes jours rempIiflTent le courant, L'homme feroit • il feul le puiifant artifan ? Nous a-t-on bien prouvé ce qu'avance Voltaire, Oü Vimprudent périt, ia prévoyant profpire? Je ne veux pas, ma fceur, mifantrope facheux, Outrant de notre état le deftin malheureux., F 6'  132 P O E S I E S. Ravaler devant vous avec trop de rudeflj Les lneurs que fouvent accorda la fagefle. La nature aux humains difpenfant fes faveurs, Fut avare en tout temps de dons fupérieurs-, Cependsnt 1'on a vu 1'art & la politique Préparer des fuccès au vainqueur du Granique, Céfar joignant Taudace a fes prndens deiTeins, Par fon puifTant génie alTervir les Romains. A cóté des héros que leurs exploits figrtalent, Mahomct ou Vafa peut - être les égalent. De ces ages nombreux avant nous écoulés, Parmi tant de grands faits fans choix accumulés-, II eft bien peu de noms dignes qu'on les rappelle La vertu rarement a le bonheur pour elle. N'appercevez-vous pas la foule d'incomius» De fous, d'extravagans aux honneurs parvenus,. Sans grace, fans talens, fan? efprit, fans mérite, PaTer étourdiment A leur grandeur fubite Les regards éblouis d'un éclat emprunté, Dédaigneux, arrogans, ivres devanité, Djs peup!es profternés méprifer les hommages, Tandis que Ie malheur perfécute les Giges? Le monde eft donc, ma fceur, 1'empire du htfard II élève, il détruit: bizarre a notre égard., II ufurpe les droits de notre prévoyance. Ne vous ftgurez point cette aveugie puiiTance, Ce Dieu du paganisme , émule du Deftin, Qui-diipofe de tout fans choix & fans ded'ein. Le hazard eft 1'effet de ces caufes fecóndes Dont les relTorts couverts de téaèbres profondes  POESJES. 133 Sous leur déguifement fachant nous échapper, Par leur faufle apparence ont 1'arc de nous cromper. Le philofophe fait que dans toutes les chofes Les effets font produits du fein fécond des caufes; D'un pas für, mais tardif, par le raifonnemeut II remonte au principe après 1'événement. L'infolent politique, ambitieux & fombre, Porte d'un bras hardi fa lumière en cette ombre; I! perce 1'avenir fans 1'avoir appergu; II règle, embrouille tout, & fe trouve dégu. L'aveug'e en taconnant prend pour des certitudes La trompeufe apparence & les vicilïïtudes, Et dans ce labyrinthe ardent a pénétrer, Sans fil pour le guider, il y court s'égarer, Bronchant a chaque pas au bord des précipices. Qui peut lui révéler les bizarres caprices De tant de foibles rois pêtris d'illufions, Changeans dans leurs faveurs, jouets d<'.s pafïï ms? Quels feront les devins, ou que Is efprits fublimes Pourront lui défigner 1'efpèce de viflitnes Que 1'Ange deflrufteur, armé par le trapas, MoiUbnnera 1'hiver au fein de tant d'Eiats ? Qu'un roi foit emporté, que fon fils le remplace-, Le monde politique en prend une autre face; Par d'autres pafïïons fe lailTant dominer, Sur un plan différent ce roi va gouverner; De nouvellcs erreürs chafTent les anciennes, Et changent les motifs des faveurs 011 des haines. Mais que dis je ? au confeil un moindre choc fuffit. Qu'on exile un miniflre, une femuie en crédit, Jamais les fuccefl'eurs dans ces premières places. F 7  134 P O E S I E S. De leurs de'vanciers n'ont pourfnivi les tracés, Et. fouvent dans les cours pour un moindre fujet Tout prend une autre forme & changë de projet. Tant d'intérêts divers, tant d'intrigties horribles, Des.révolutions les fecoulTes terribïes, C'eft 1'océan en proie aux aquilons fougueux: De leur contraire elrort Ie choc impétueux Fait foulever les flots, les eufle, les irrite, Les poufle avec fureur, les rompt, les précipite, Et la mer mugiiTante en frappant a fes bords, Y jette en reculant des débris & des morts. Notre frêle vailTeau, fans mats & fans bouïïble, Flotte fans avirons au gré du vaguejiole, II range des écueils, il défire un abri; L'un trouve fon falut oü Pnutre avoit péri: La prudence n'eft donc qu'un art de conjefture. L'exemple prouve bien cette vérité dure. Etoit-ce fon mérite, étoit-ce fa beauté Qui du rang Ie plus bas & de 1'obfcurité Quand fes attraits flétris touchoient a leurautomne, Eleva Catherine & la mit fur Ie tróne ? Si d'un ceil amoureux Ie lubrique regard Ne feut dans fes tranfports fait convoiter au Czar, A fon deftin obfcur a jamais condaranée, Le Pope dans Mofcow ne Feilt pas couronnée. Mais confultons fans choix les faftes de 1'amour; Entre mille beautés qui brilloient a fa cour,. Pour remplacer trois fceurs qui furent fes makrelTes, Louis n'adreiïa point fes vceux a des ducheiTes; L'indigne rejeton d'un financier profcrit Devlent 1'heureux objet dont fon cceur fe nourrit..  POESJES. 135 Toujours plus amoureux & refTerranc Tes chaines, En fes mains de 1'Etat Louis remit les rênes. Ce d'Amboife en fontange eft f Atlas des Francois, A fon bureau fe vend & la guerre & la paix. Pompadour ne fait point filer le fils d'Alcmène, C'eft 1'indolent Bourbon que 1'habitude enchaine, Et ces charmes divins que nous n'aurions connus Qu'en quelque temple obfcur, fous les lois de Vénus, Décident a préfent des deftins de 1'Europe. Dites moi quel devin habile en horofcope, En confultant les cieux & fon aftre en naiflant, Pouvoit lui préfager ce deftin floriftant ? Elevée en exil depuis fa tendre enfance, De fon ambition 1'orgueilleufe efpérance N'avoit ofé former des vceux auflï hardis; D'Etiol en 1'époufant Ia mit en paradis. Nous,que 1'expérience inftruifit dans les brigues,, Qui connoilTons les cours & leurs fourdes intrigues , L'artifice commun a tous les courtifans, Qui pour mieux fupplanter des rivaux tout-puiiTans Flattent des fouverains les paffious fecrètes, Les charment au moyeu d'aimables marionnettes Dont ils font avec art jouer tous les relTorts, Et maïtres de leurs cceurs en règlent les tranfports; Nous voyons l'intérêt, les rufes, les adreiTes, Qui font naitre ou'baifler le crédit des maitrefies, Et dans ce vil emploi qui dégrade les grands, Us femblent tour a tour efclaves ou tyrans. Parmi ces demi-Dieux, entre ces perfonnagei Que la faveur créa, 1'Europe a vu des pages, Des brigands de lïnaace, arbitres des humains,.  I3t> P O E S 1 E S, Des reclus tonfurés, devenus fouverains, Et des greffiers poudreux, en France connétables. Cesexemples récens, mafcejr, font innombrables.L'occafion fert mieux que ne font les projets. Mais pour en revenir a de plus grands objets» Abandonnons des cours Thabitant idolatre. La guerre me fournit un plus vafte théatre. C'eft-la que la fortune étale avec orgueil Et fon mépris bizarre & fon flatteur accueil. Parmi tant de guerriers dont le nombre i'afilége, Ses dons font prodigués h ceux qu'elle protégé; Elle embellit leurs traits de brillantes couleurs, Et noircit les talens de leurs compétiteurs. Dans la noble carrière oü le héros s'élance, Son génie au hafard difpute 1'influence; Mais il épuife en vain fes foins & fes efforts, 11 dépend malgré lui des plus foibles refibrts. Ces hommes ramaffés dont fe forme une armee,. Sont les vils inflrumens qui font fa renommée; La crainte, le défordre, ou 1'ardeur du foldat, Fixent 1'incertitude & le fort du combar. . Parmi tant de hafards qu'il court ou qu'il évite, Ses folides projets attellent fon mérite: C'eft d'eux qu'on doit jugor, & non fans fondement L'applandir, le blèmer, felon 1'éve'nement. Dans ce fens, des héros coniïtlérons 1'hilloire. Eugène, dont le nom préfageoit la viftoire, Parut trop confier fes fuccès aux hafards, Alors qu'il infulta les fameux boulevards Dont 1'Ottoman fuperbe environna Belgrade; 11 brave les périls, fon cceur le perfuade.  P O E S I E S. 137 Qu'il peut forcer fes murs & renverfer fes tours, Avanr que 1'ennemi lui porte des fecours. Le Vifir indigné vient 1'affiéger lui-même; . 11 envoie aux Chréciens la difette au teint blême; Le défefpoir, la mort s'ofFrent a leurs regards. PreiTés par le Vifir, accablés desremparts, Le Danuba a leur dos rend leur retraite vaine: Tout coiifpiroit enfin a la perte d'Eugène. 11 faut mourir ou vaincre: un noble défefpoir L'oblige a tout risquer, ainfi qu'a tout prévoir. II fond fur 1'ennemi couvert par des tranchées: Tout cède; des mourans les campagnes jonchées Laifient un libre cours aux vainqueurs emprelTés; Les Ottomans confus fon: pris 011 difpcrfés. Longtemps !e vieux Vifir :in: par fa réfiftance ■ Le fort des deux Etats en egale balance; De fes nob'es delTeins les beaux commencemens Furen: mal fecondés par les événemens; Le Germaiu couronné des mains tie Ia Viétoire, En emporta lui feul 1'avantage ik la gloire. Ah! fi jamais, Eugène, un de res hau:s projets Aux yeux d'un guerrier fage annonga des fuccès, Ce fu: prés de Luzare, oü res foins & ta rufe Ont préparé le piége au Frangois qui s'abufe. Te dérobant tu pars, & plus prompt que 1'éclair Des digues du Zero, ton camp eft a couvert. A ces bords dangereux, fans nulle défiance, Vendóme conduifoit les guerriers de la France. Eugène attend 1'inftant que le foldat mutin Sorte du camp frangois pour courir au burin; Pendant tout" ce défordre il veut par la furprife  I3S POESJES. Fixer en fa faveur la fortune indécife. Quel fut Feffet d'un plan fi bien imaginé? Un Francois curieux, par Ia digue borné, Y monte fans deflein; il voit dans la campagne Eugène & fes héros vengeurs de 1'Allemagne: II vole en rapporier Ia nouvelle en fon camp; Bientót on fe rafiemble, on combat fur Ie champ. Eugène fut battu. Tel eft le fort des armes. Dans ce métier fi dur& pourtamplein de charmes, Souvent un rien peut nuire, & dérober le fruit Du plus favant deflein presque a la fin conduit. Eugène 1'e'prouva lorsqu'il furprit Crémone; Par un canal fecret que ne connolt perfonne, II entje dans la ville, il borde le rempart. On Pen croit déja maitre. Admirez Ie hafard. Un Irlandois aftif, qui veilloit pour la France, Accourt auprès du Pó, prépare fa défenfe; La garnifon 1'apprend, tout fe joint a fon corps, On combat, on'repoufle, on redouble d'efforts; Le F.-ancois enhardi que Ie fort favorife, Force enfin le héros d'tibandonner fa prife. Le hafard rit ainfi de Porgueil des huraains, En fe jouant dérange & confond leurs deffeins; Injufte dans fes choix, capricieux, volage, 11 fert le téméraire & fe refufe au fage. En vain de 1'avenir 1'efprit eft occupé; Quel homme a fon deftin jamais eft échappé? II eft bien des malheurs qu'un infenfé s'attire; Bornons-nous aux revers qu'on ne fauroit prédire. Marlborough que PAnglois a fi bien défigné, Qui livrant des combats les avoit tous gagnés,  P O E S I E S. 139 Qui n'affiégea jamais de place fans Ia prendre, Libérateur du Rhin, conquérant de la Flandre, Madborough, le héros, 1'ame du parlement, S'elt vu précipiter par Madame Marsham, Qui d'Anne jusqu'alors fuivante peu connue, Anima contre lui la Reine prévenue; Cette intrigue de cour pour un frivole objet De vingt rois alliés dérangea le projet. Vous parlerai-je encor de la flotte invincible , De ce grand armement, formidable & terrible, Dont 1'immenfe appareil couvrant le fein des mersAux Bretons d'un tyran alloit porter des fers. L'Angleterre frémit & parut confondue: Un* grain de vent s'élève & la flotte eft perdue. Mats oü vit-on jamais plus de calamités, L'enchainement fatal de plus d'adverfités, Qu'en fournit d«s Stuarts la malheureufe hifloire ? J'en rappelle it regret la fanglante mémoire. Ces peuples defcendus des Piftes indomptés, Contre leurs fouverains fourdement irrités, A 1'abri de leurs lois ont esilé leur Reine: Auprès d'Elifabeth , Marie a fui lsu,t haine; Elle y cherche un afile, elle y trouve un cachot, Et 1'Anglois fon vengeur la traine a 1'échafaud, Mais après fon trépas a fa familie illuflre Le trótie des Bretons rendit fon premier luflre j Ce théatre fanglant, entouré de dangers, Lui laiflh du bonheur des momens paflagers. Aux tranfports turbulens d'un peuple fanatique On voit Charle oppofer fa foible politique; II trouve un ennemi cruel & faftieux,  140 P 0 E S I E S. Profond, entreprenant, fage, arttficieüx, Qu'aucun travail n'abat, qu'aucun dangern'étonne, Qui d'un bras téjnéraire ofe faper le tróne, Abufe le vulgaire, écrafe le puiiTanr, Et couvre fes forfaits du nom du Dieu vivant. Cromivel de tous cótés fyanc tendu fes piéges, Dans le fang de fon Roi teint fes bras facriléges, Et Charle fouffre enfiu pour comble d'attentats Un fupplice inouï, digne des fcélérats. Ainfi finit ce prince, exempie mémorable, Que Ia grandeur mondaine, un rang fi refpefhble Ne garantiffent point contre un dur afcendant. Bientót Jacques fecond, plus foible & moins prudent, • Tremblant, déconcerté par fa fille & fon gendre ' De ce tróne fanglant fut contrairrt de defcendre. Er ce jeune Edouard que nous avons tous vu, Au rang de fes aïeux a demi parvenu, En héros vagabond courir a fa ruine, Prouve par fes defiins fa funefte origine. Sans aller parcourir 1'hifloire du levant, Que ne dirai. je pas du fort du jeune Iwan? D'un monarque déja pourfuivi dès 1'enfance, Une nuit renverfa fon tróne & fa puifiance ; Une femme tremblante, ivre de voluptés, Ralfemble des foldats a la bate ameutés, Enchaine le monarque au fein de fa patrie, Et le faic tranfporter captif en Siberië. Quels faits htunilians pour 1'orgueil des humains Que de vils infirumens ont d'étonnaus deftins. J'ai fouvenc reconuu par mon expcrience  POESJES. 141 vJombien peu fert 'le fil de la vaine prudence. Quand j'entrai dans le monde en ma jeune faifon, Je dus tout au hafard & rien a la raifon. Ardenc, préfomptueux, je m'en fouviens encore > Je brülois d'imiter des héros que j'honore: Du centre des plaifirs & des bras du repos Sur les traces de Mars je volois aux travaux. Un vieux Sertorius de I'Ecole d'Eugêne Pour trav^rfer mes vceux fut envoyé de Vienne. Tout ce que peut fournir fexpérience & 1'art, Fut employé par lui pour fixer le hafard. Dans ma lécurité Neuperg m'alloit furprendre. J'ignorois ce qu'un fage étoit p>ès d'entreprendre; J'ignorois jusqu'aux lieux oü s'afieuibloient fes coips, Son approche, ik furtou: fes delleins, fes efforts. Un transfuge arrivé découvrit le myflère. On fe prépare ; on marche, on joint fon adverfaire, La Victoire pour nous décida des combats. La Fortune en ces temps accompagnoit mes pas} Sous fa proteclion mon efprit devint fage; Depuis, par fon penchant inconfiant & volage, Défertant nos drapeaux, prompte a m'abandonner, Chez Daun & fur fes camps nous la vïraes planer. La perfide, en marquant fa barbare allégrefle, Perfécute è préfent ma prochaine Vieillelfe ; Les dangers, les écueils remjjiificnt mes chemins, Et la plume & 1'épée échappenc de mes mains. Vous avez vu,ma fceur,dans des jours que j'abhorre, Ce monftre politique, infolent, égaré, De rapines, de fang, de meurtres altéré, Qui réunit en lui tant d'imérêcs contraires,  I+i P O E S I E S. Qui ralTemble en fes flancs d'éternels adverfaires, Carefle avec fureur fes dangereux fcrpens, Prêt a fe déchirer tient fa rage en fufpens, Pour aflurer ma chute & prelfer ma ruine. Apprenez a préfent quelle eft fon origine, Par combien de forfaits des peuples ignorés L'enfer de tant de rois a fait des conjurés. Quel myftère odieux faut-il que je découvre? DeVienne a Pétersbourg,& de Stockholm au Louvre, La fraude, rimpofture, & 1'intrigue de cour, Font fervir a leur but & la haine & 1'amour. L'Autrichien répand 1'or & la calomnie: Ce tyran, pour dompter la libre Germanie, Flatte, éblouit, corrompt des rois ma! confeille's, De fes vrais ennemis fe fait des alüés. Sa fiére ambition , fa vengeance infernale, Au fond de leur palais introduit la cabale. D'un paifible automate on aigrit les efprits; La pleure une princelTe, iei des favoris. II communiqué ainfi fes fureurs politiques Aux dociles efprits despriuces pacifiques, Qui fans s'appercevoir de leur égarement, Vienne, de ta grandeur deviennent 1'inftrumenr. Je relTens les effets du crime qui les lie; C'eft moi qui fuis puni de leur vague folie; Perfécuté, vaincu, mon fort m'a fait la loi, Ou de vivre en efclave, ou de mourir en roi. C'eft en vain que 1'on penfe éviter fon naufrage. L'homme a-t-ii Ie pouvoir de conjurer 1'orage, Et comment détromper des princes aveuglés, Par des fourbes chéris fans cefle enforcelés?  P O E S I E S. 143 Pouvois je enfin gagner des maitreiTes perfides, Ou réchauffer le cceur de nos amis timides? Pouvoit-on préfager que jamais les humains Verroientmarcherenfemble & Frangois & Germains, Et Rufles & Suédois, tous étouffant leurs haines, Réunis & d'accord pour me charger de chaines? Que 1'Empire entrainé par ce fougueux torrent, Contre fon protefteur s'armat pour fon tyran? Mais quittons ces faux Dieux qui font gémir la terre. Retournons aux hafards que j'éprouve a la guerre. De nos fleuves germains tous les bords font couverts De peuples raflemblés des bouts de 1'univers. A leur nombre accablant il faut que je m'oppofe. Si je couvre un pays, c'eft 1'autre que j'expofe; Je vole a 1'ennemi Ie plus audacieux, Je 1'atteins, une voix m'appelle en d'autres lieux. Luttant de tous cótés contre une hydre de princes, Mon bras feul ne peut plus garantir nos proviiices. Tandis que mon Etat par eux eft ehvahi, Mes propres alliés m'ont kchement trahi. Ai-je pu raffetmir la vertu dans leurs ames ? • Ai-je pu déchirer tant de paétes, de trames, Qui les rendront un jour,loin d'accompiir leurs vceux, L'opprobre ik le mépris de nos derniers neveux? Lorsque de tant de maux mon ame eft oppreiTée, Un Démon des foldats dérange la penfée; Ce qui me paroit blanc a leurs yeux parolt noir. Leurs chefs auflï troublés n'ont plus des yeux pour voir; , • Un brouillard trifle & fombre offusque leurs idéés.  Ï44 P O E S I E S. Je fuis envirouné d'ames intimidées, J'attife les lueurs de leur foible raifon; J'oppofe, mais en vain, 1'antidote au poifon. Le nombre d'ennevnis, !e danger qui s'augmenre, Des revers tout récens accroiiTent l'épouvante. Cependanc fennemi remuant, inquiet, Roule dans lbo elprit un dangereux projet. II faut ou le combattre, ou fuccornber fur 1'heure; 11 faut que d'un héros Tame fupérieure Donne 1'exemple en tout, du dernier au premier. Ainfi prés de 1'Euphrate un antique palmier Elève l.es rameaux de fa fuperbe tête, Brave, fans s'êbranler, l'alTaut de la tempête, Tandis que 1'aquilon au bord des vives eaux Courbe les tendres joncs & brife les rofeaux. Mais ces rofeaux,ma (beulde nos combats décident, Et que peut rcfficier quand leurs cceurs s'imimident ? Ainfi dans les palais, ou dans les champs de Mars, En ce monde maudit il n'eft que de» hafards. Malgré tous les calculs qui rég ent fa conduite, L'orgueilleufe raifon fc trouve enfin réduite A confefler ici que 1'homroe en tout borné Suit Ie torrent du fort dont il eft entrainé. Mais a quoi, ,dira-t-on, peut fervir Ja prudence, Si fes fecours font vains.fes efforts fan* potiTance? Autant nous vaudroit-il dans nos jours mal ourdis En fecouant fon joug agir en étourdis. La prudence n'eft point, il eft vrai, panacée Qui chaflé tous les maux dont l'ame eft opprefl'ée; Son art ne s'étend pas a rendre 1'homme heureux, Mais a calmer nos maux, s modérer nos vceux. Elle  p O E S I E S. HS Elle cèie aux rigueurs du fort qui fe foulève; C'eft un lil qui conduit, mais ce n'eft pas un glaive Propre a trancher les nceuds de la difficulté. . De tant d'écueils oü 1'homme auroit été jeté, Des maux qu'on nppergoit fon fecoursnous préferve; Sa eirconfpeaion quiveille, & nous couferve A travers les dangers d'un pas prémédité, Nous guide, entre la'crainte & la témérité, Par une route étroite aux humains peu commune. Souvent fa patience a IaETé la fortune. Elle attend tout du temps, mais fans Ie prévenir, Et jamais fon orgueil ne régla 1'avenir. LaiiTons donc le deftin dans fes demeures fombres ■ Nous voiler fes arréts d'impénétrables ombres, En fouffrant les revers, fans en être abatcu, II faut s'envelopper, ma fceur, dans fa vertu. A O. Pretfchendorf, le 7 Janvier 1763. .tvummt 11 E P I T R E A MA SOEUR DE BAREUTH. Enfi n, chère fceur, je refpire, Et ne refpire que pour vous; Le fort eft'las de fon courroux, La Fortune vient de me rire. ( Ces fiers Autrichiens de nos deftins jaloux, Dans les champs de LiiTa diffous,. Qeuv. pcjlk. de Fr. 11. T. VU. G Xi,nlin, chère fceur, je refpire, Et ne refpire que pour vous; Le fort eft las de fon courroux, La Fortune vient de me rire. 1 Ces fiers Autrichiens de nos deftins jaloux, Dans les champs de LiiTa diffous,. Oeav. pejlk. de Fr. 11. T. VU. G  T4(T P O E S I E S. D'un triomphe idéal ont perdu le délire, Et vont dans Ia Bohème oublier leurs dégouts. Recevez de mon cceur cette offrande futile, La feule qu'a vos pieds je puis mettre aujourd'hui. O mon fupport! ó mon afile! Ma divinité, mon appui! C'eft vous dont 1'amitié fi ferme & fi durable Me tendit un bras fecourable, Lorsque nos combattans paroiflbient terraüés, Et d'un empire formidable Les fondemens bouleverfés. Mes parens, mes amis, timides & glacés, M'abandonnoient déja dans ce péril extréme, Le feul qui me refta, ma fceur, ce fut vous méme. Fort de eet appui précieux, Je ne redoutois plus le fort injurieux. O célefte amitié! divine & pure flamme! Suprème bien d'une belle ame, Dont la main avare des Dieux Daigne fi rarement favorifer la terre! Faut - il la voir livrée en proie aux envieux, Aux furéurs de la haine, aux fiambeaux de la guerre? Ah! faut-il voir d'ingrats un corps aflbcié, Monarques arrogans du bruit de leur tonnerre, Fermer leur cceur d'airain aux cris de Ia pitié, Et l'intérêt avide, étincelant de rage, Convertir 1'univers, a lui facrifié,En théatre fanglant de menrtre & de carnage, Oü la deftruétion nait de 1'inimitié? Dans 1'exécrable cours de ces mceurs infernales, Parmi ces horribles fcaudales,  P O E S I E S. H7 Votre cceur conferva, quoiqu'il füt épié, Le feu facré de 1'amitié, Ce feu cent fois plus pur que celui des Veftales. En vain les moreels corrompus De 1'infidélité vous ont tracé 1'exemple; Leurs perfides regards, honteux & confondus, Sont forcés d'avouer que votre ame eft le temple, Le refuge facré des antiques vertus. C'eft vous qui rendez véritable Touc ce qu'a rapporté la fable D'Orefte, de Pylade & du tendre Nifus. Si j'avois le pinceau d'Apelle, Je peindrois votre cceur fidelle, Et la conftance & la ferveur Dont, ó mon adorable fceur !* Vous avez combattu ma fortune cruelle. Voyez, parens ingrats, quelle eft votre noirceur. Comparez-vous a ce modèle, Vous tous qui pour votre malheur Ne fendtes jamais fi vous aviez un cceur. Que eet exemple vous rappe/e Touc le fublime & la grandeur De la tendrelTe fratemelle. Ahl mon augufte fceur, pour chanter votre nora, Je laifie aux eaux de 1'Hippocrène Les foins de ranimer une vulgaire veine, Et les Mufes de 1'Hélicon Ne font pas les Dieux que j'invoque. Plein d'une arnitié réciproque, Mon cceur me tient lieu d'Apollon; Pour expriraer comme il vous aime,  148 P O E S I E S. Pour s'ouvrir ou fe dévoiler, Le fentitnent fuffit, il fe peint de lui-méme, Et c'eft a lui feul' de parler. Eclatez , doux tranfports de ma reconnoiflance; Portez au bout de 1'uüivers Le récit des complots de tant de rois pervers Qui préparoient ma décadence, Et le récit de la conflance D'une fceur qui pendant mes plus affreux revers De tous mes ennemis a bravé la puiflance, Et voulut par perfévérance Partager avec moi Ie trioinphe, ou les fers. Publiez fes vertus au dela des déferts Oü le Guèbre a genoux adore Les rayons naiiTans de 1'aurore, Les portant au dela des mers Oü Neptune étend fon empire, jusqu'aux lointains climats oü Ie foleil expire; Ut que d'un póle a 1'autre on entende en tous lieux Qu'un mérite aufïï grand, fi digne qu'on 1'admire, L'élève jusqu'au rang des Dieux. Ces fentimens, ma fceur,avec.destraitsde ilamme Sont gravés au fond de mon ame. Vainqueurs de 1'abfence & du temps Ils feront fermes & conftans, Jusqu'au terme fata!, oü vers la trifte rive, Caron transportera mon ame fugitive Dans le fombre féjour oü 1'univers s'eufouit, Oü nos projets, nos vceux, 1'amitié la plus vive, Nos peines, nos plaifirs, oü tout s'évanouit. A Stricgsu, le 23 Déeembre 175T'  I> O E S I E S. 14$ CONGÉ De l'Armée Impériale' ê? du Maréchal Dam 3 après la bataille de Liffa. Partez, l'occafion eft bonne, Grand Général del'Empereur; Pour prouver que je vous pardonne, Je vous fais mon Ambaffadeur Chez les robins de Ratisbonne. Preflez-vous donc, &portez-leur Ma réponfe eu propre perfonne, Et rendez a ce tribunal, Attefté fur 1'original, Au PréfiJent, a chaque membre, Sans qu'aucun puiffe être dépu, Tout ce que vous avez regu A Liffa le cinq de Décembre. . Quel beau jour pour le fieur Anis, Fifcal du gertnanique Empire, Lui qui fous 1'ombre de Thémis Se pavanoit de me profcrire, Lorsque vous aurez pu Tinftruire De ce qu'a vos foins j'ai commis! Enfuite, de vos pas le maïtre, Courez il Vienne & faites naïtre Grand nombre de nouveaux projet» Pour conquérir la Siléfie, G3  150 T 0 E S I E S. Et pour ruiner mes fujets. Vous pouvez fur tous ces objets Contenter votre fantaifie, Etudier tout eet hiver, Dirigé par le vieux Neuper. Mais quaud la faifon radoucie Des frimats purifiera 1'air, Que des champs Ia fuperficie Se couvrira d'un duvet vert, Alors, comme un nouvel Achille, Retournez dans mon domicile, Tout aufli vain, tout au (li fier, Avec tout eet amas agile De canons dont on compte mille, Avec vos princes du bel air, Et vos pandours armés de fer. Ce canton en combats fertile Vous reflera toujours ouvert. Etudiez bien votre thème. N'oubliez pas, pour le retour, Des chemins qui vont en Bohème De vous ménager le plus court. A ce prix après le carême Revenez, a condition Qu'en obteaant permiffion, Nous prenions congi tout de méme. A Durgau, le 8 Déceinbre 1757.  P O E S I E S. 15* AU SIEUR GELLERT. La Ciel en difpenfant fes dons Ne les prodigua point d'une mam libérale, II nous refufe plus que nous ne recevons. Pour tout peuple a peu prés fa faveur eft égale. Les Frangois font gentils, les Anglois fonrprofonds; Mais s'il dénte a 1'un ce qu'il accorde a 1'aurre, Notre orgueil fait changer en rofes nos chardons: Au talent du voifin nous préférons le nótre. A Sparte régnoit la valeur; Mars fe plut d'y former de fameux capitaines, Tandis que la raolle douceur Des beaux arts enchanteurs refpiroit dans Athènes. Da Sparte nos vaillans Germains Ont hérité 1'antique gloire. Combien de grands exploits on: rempli leur biftoireï Mais s'ils ont trouvé les chernins Qui vont au temple de mémoire, Les fleurs fe fanent en leurs mains Dont ils couronnent la viétoire. C'eft a toi, Cygne des Saxons, D'arracher ce fecret a la nature avare; D'adoucir dans tes chants d'une langue barbars Les durs & diteftables fons. Ajoute par les vers qua ra Mufe prépare, (Sur les pas du divin Maron,) Auxpalmesdesvainqueurs don: leGerrnainfe pare, Les plus beaux lauriers d'Apollon. G 4  152 P O E S I E S. EPITRE A PHYLLIS, Fahe pour Vufage d'un Suijfe.' u n certain Dieu qu'on ndore a Cythère M'ayoit, PhyJlis, engagé fous vos lois. Je foupirois, je me flattois de plaire, E: mon bonheur paffoit celui des rois, Lorsqu'un Démon au regard fanguinaire, Démon cruel qui fème le trépas, Au fein affreux des fureurs de la guerre, M'entrafna loin de ros divins appas. Hélas! Phyllis, quelle eft la différence Du fort heureux & de la jouiiTance Qu'un tendre amour m'offroit entre vos bras, Au fort affreux qu'a préfent votre abfence Me fait trouver ici dans la licence D'un camp oü Mars remplit tout de fracas. Je vois ici la briljante Viftoire Mener gaiement dans 1'horreur des coinbats Cent jeunes fous que Mars de ces climats S'en va dans peu plonger dans la nuit noire» Hélas! Phyllis, toutce peuple d'ingrats Au tendre amour a préféré la gloire. Que vois-je encor? de rapides repas, Rempüs d'ennui, fans qu'un mot d'allégrefre. Öfe égayer le front de Ja fagefle. Pouï  P O E S I E S. i53 Pour s'efcrimer on engloutic les plats. Tels font mes jours, rnes ennuis, ma détreffe. Ah! qu'ils font loin de la délicatefTe, Et des plaifirs qui naiiTent fur les pas De mon aimable & charmante.maltreffel Quand même ici parmi tous ces foldats On donneroit des banquets d'Epicure, Oü prodiguant les dons de Ia nature' On fèrviroit des piles d'ananas, Sans ma Phyllis dont je fais tant de cas, Ce luxe exquis & tout ce qu'il procure Nou, par 1'Amour, ne me toucheroit pas. Pour achever cette noble peimure, Snchez qu'ici 1'on couche fur la dure ; Point de repos, 1'on trotte nuit & jour. Au lieu de voir ces beaux yeux d'oü 1'amour Lance le trait dont je fens la blefiure, Je vois des yeux avides de capture, Au regard dur, & dont le nuintien fier Paroit peu fait a fupporter 1'injure, Mais bien plutót felon Ja conjoncture A défïer & Thérèfe & 1'enfer. Qusnd tout ému mon cceur fe repréfente Le beau corail d'une lêvre charmante Qui m'irivitoit a des baifers ardens, Voila.c-il pas, dans un. gros d'infolens, De vieux foudards retrouffant leur mouflachï, Dont le petun tient lieu d'odeur, d'encens. Tout aulfitót de ces lieux je m'arrache, Ecdépité, plein d'horreur pour les camps,. De mon amour ia bleffure rouverte G 5  ?54 P O E S I E S, Me renouvelle a chaque indam Ia perts De vos appas & de vos agrémens. Ainfi Vénus punk un cceur volage, Qui fans raifon imprudemment s'engage Chez ia Fortune, au camp, dans les hafards» Fuit de Cythère, & porte fon hommage Malgré 1'amour a fhomicide Mars. Ainfi fou vent, fans qu'il fe le propofe, Suivaut i'inftinét d'une inconftante ardeur, Le papillon s'envole de la rofe , Et voltigeant fans fin de fleur en fleur, Sur un muguet 1'infenfé fe repofe, Et par dépit en fuce la liqueur. Je crois, Phyllis, a la métempfycofe; Et votre amant trop léger & mutin, En s'éloignant de vos attraits fans caufe, Du papillon a fubi le deftin. Si toutefois un repentir fincère Pouvoit, Phyllis, fléchir votre colère, Si j'efpérois qu'un être tout divin Ne fouffrit pas qu'on 1'implorat en vain, Je jurerois que fidelle & plus tendre, Et dégoüté de Bellone & de Mars, A tout jamais je renonce a prétendre Aux lauriers d'Eugène ou d'Alexandre, Pour mériter un feul de vos regards.  P O E S I E S. 155 AU MARQUIS D'ARGENS, que la peur des ennemis avoit déterminé £ quitter Berlin. l^eftez, Marquis, dans eet afile Ou mes Pénates & mes Dieux Protégenc Ie féjour tranquille Que j'héritai de mes aïeux, Sans crainte que dans d'autres lieux Le RuiTe infolent vous exile. Envoyez pour vous a Paris De Mons affronter la chicane, Y recueillir tous les débris De ces biens qu'un père en foutane Vous ota, pour plaire a Fleuris, Dont votre jeunelTe profane, Livrée au tendre amour, aux ris, Jadis ne connut pas le prix. Puiffe toute la pharmacie Vous fournir de puillans fecours, Pour allonger de votre vie L'agréable & fortuné cours 1 Mais, cher Marquis, fans vous déplaire, Je crois, en dépit du docfeur, Que ce n'eft point 1'apotbicaire Qui peut nous vendre le bonheur, G 6  ts?s P O E S IE S. Un efprit libre de frayeur Que Ia pliilofophie éclaire, Peut nonobflant fon méfentère, Et foie, & rate, avec tumeur, Un fquirre, un cancer, un cautére, Triompher des maux. qu'il reiTerre,. Par le fonds de fa belle humeur. Quoi! dans ces lieux remplii d'alarmes Le guerrier boit, s'amufe & rit; " Ni la mort, ni le bruit des armes Ne fauroit .émoufler les charmes Du plaifir qui fe reproduit: Et vous pourriez vous en défendre, Vous r qui libre de tous les foins, N'avez point de rempans è prendre ? Vous, qui fans travaux, fans befoins*, Chaque nuit pouvez vous entendre *i» Avec Babet, & fans témoins? Ah ! tsndis que moi miférable, En don Quichotte véritable, Je cours les grands événemens, En domiant chaque jour au diable Les triumvirs impertinens,- De votre fort plus favorable Puiffiez.vous jouir fort longtemps! En 1758, vers Ie temps de Ia bataïlle de Zorndorf,. au fiége u'Olmutz, a Klein Laten.  POESJES. 15? E P I T R E A MA SOEUR DE BAREUTH, fur fa maladie. Chère fceur, de tout temps riiommepeuraifonnable Languit ftupidement fous Ie joug de fes fens. Le tonnerre gronda, Ia crainte formidable Erigea les autels, alluma fon encens. Le grand, le merveilleux lui parut adorable. Sa peur lui fit des Dieux de tous les élémens: L:on confacre des bois au culte des Furies , Sous le nom d'Amphitrite on adora les mers, L'éther devint Saturne, & tant d'idolStries Durent leur origine aux terreurs des enfers. Ceux que 1'ambition embrafa de fa rage, , • Heureux triomphateurs, tyrans de leurs égaux, Brillans par leurs exploits, brillans par leur courage* Jouirent des honneurs deftinés aux héros. Dès-lors 1'apothéofe eut des routes aifées: Le ciel tout étotmé de ces cultes nouveaux Fut peuplé de mortels, de plantes, d'animaux, Et fi quelques vertus furent divinifées, Les vices a leur tour trouvèrent leurs dévots. Mais parmi tant de Dieux que s'étoit forgéa 1'homme, Auxquels fa folie erreur avoit facriié, G 7  158 POESJES. L'encens ne fuma point dans Athênes, ni Rome, Pour le premier de tous, le Dieu de 1'amitié, Seul être, s'il en fut, qui méritac des temples. Tant le vulgaire foible, & fait pour s'égarer, Confond ce qu'il doit craindre oü qu'il doit adorer. Sans doute 1'univers manquoit de grands exemples : Le fidelle Euryale & le tendre Nifus, Et Théfée & Pirithoüs, Leurs héroïques faits, leurs faftes refpeélables, Wétoient que d'anciennes fables. Pour donner du iuftre aux vertus, II faut des héros véritables, Et des exemples plus connus. Vous, ma divine fceur, que j'honore & révêre Dont mon orgueil féduit fe vante d'être frère, Si Delphes, fi Colchos, en des temps fortunés, Avoient pu rencontrer dans leurs murs étonnés , Un cceur comme le vótre, une vertu fi rare, Les temples, les autels de feftons couronnés, Le peuple, lepontife, a vos pieds prolTe-rnés, La viétime tombant fous un glaive barbare, Tout vous eüt afluré f hommage des mortels. Leur amour, leur reconnoilfance, Du prix de 1'amitié connoiiTan- 1'excellence, Vous auroient fous fon nom confacré des autels. Qui fentit mieux que moi fa bénigne infiuence ? Dans mes jours fortunés & dans ma décadence Vous goütiez mon bonheur,vous pleuriez mes revers. Ah! pourrai- je oubüer cette amitie confiante, Senfible, courageufe, & toujours agiffante, Qui a fu compenfer les maux que j'ai foufferts?  P O E S I E S. 159 Lorsque ma fortune expirante Offroit ma dépouille fanglante Aux tigres de carnage & de fang affamés; Lorsque mon propre fang, rebelle a la nature, Dans ces jours défaftreux & de malheurs femés, Joignit les triumvirs, pour aigrir ma bleflure; Lorsque j'étois enfin, profcrit, infortuné, De tout fecours abandonné, O vous, mon feul refuge! ó mon port, mon atlle I Vorre amitié calmoit ma douleur indocile, J'oubliois dans vos bras mes opprefleurs altiers, Mon cceur dans votre fein épanchoit fes complaintes; Votre tendre pitié partageant mes revers, Diffipoit par un mot mes mortelles atteintes, Et fort de vos vertus , je bravois 1'univers. A combien de dangers votre ame généreufe S'expofa pour me fecourir, Moi, qui préférois de périr k f image trop douloureufe Des maux que je craignois de vous faire fouffrir! Jamais on ne vit de modcle D'une tendrefTe aufïï fidele Que celle que vous m'accordez. Si la vertu rend immortelle, Ses Iauriers vous font deflinés. Qu'un cceur pétri de boue, ame vile & communea Fermée au fentiinent, infenfible a 1'honneur, Place le fouverain bonheur Apofféder ces biens, jouets de Ia fortune, Recherchés, pourfuivis avec trop de chaleur, Et dout ia jouifTauce eft toujours importune;  leb P O E S I E S. Pour qui polTède votre cceur, Efpoir fur lequel je me fonde, Le doit préférër, chére fceur, A tous les. tréfors de ce monde. Si ces ambitieux, ces fuperbes efprits Qui trament ma ruine & pourfuivent ma vie, Pouvoient de ce grand cceur connoftre touc Ie prix, Mon tróne cefleroir d'attirer leur envie, lis ne combattroient plus, ils ne feroient jaloux Que du bonheur qne j'ai d'être chéri de vous. Mais quel trouble foudain me coupe laparole? Tandis qu'une image frivole, ■ Me rappele mes jours fereins, Quand, pour adoucir mes chagrins, Votre fouvenir me confole, Des cris lugubres & pergans Me fonc frémir d'efFroi, me glacent tous les fens. Mes yeux chargés de pleurs fe couvrenc de ténèbres;: Les Graces, les Vertus, fous des voiles funèbres, Fontretentir ces lieux de longs gémilfemens; L'ceil éploré, bailTé,négligeant tous leurs charmes, Elles vont publier, fe baignant dans leurs larmes,. Et vos dangers & mes tourmens. La mort, l'affreufe mort ménace- votre vie; Les Dieux jaloux de leurs bienfaits A mon gonheur portent envie, Et le trépas, d'un bras impie, S'apprête a déchirer, ö comble de forfaits! Les vertueux liens de deux amis parfaitsNon , jamais la nature avare N'avoit de fes fécondes mains.  POESJES. l6l Vu fortir un préfent plus parfait, ni plus rare, Que celui qu'elle fit, vous donnant aux huinains. Peut-être le féjour oü 1'audace & le crime Ne ceflent de fe déborder, Eft indigne de pofTéder Un cceur fi généreux, une ame fi fublime. Hélas! quand je voyois 1'univers infetfté De perfides complots, de trahifons atroces, Malgré de fages lois des mceurs toujours féroces, Je m'étois cent fois révolté Contre tant de fcélératefle, Et fouvent de 1'auftérité PouiTant a 1'excès la rudefle, Ma haine confondoit fans cette Le crime avec 1'humanité, Mais par un retour de fagelTe Moö efprit rappeloit, pour fortir de l'ivrefle, De vos rares vertus la diviue fplendeur, Et pardonnoit en leur faveur A tous les vices de 1'efpêce. Dieux proteéteurs des malheureux, Dieux fenfibles & pitoyables, Qui recevez les pleurs des humains miférables, Toi, qui de 1'amitié forma les premiers nceuds, Mes Dieux, foyez-moi favorables-, Eatendez mes cris douloureux, Et ne permettez pas qu'en vain je vous implore. Dérobez au trépas une fceur que j'adore, Agréez mon encens, mes larmes, mes foupirs. Si jtisque dans les cieux ma voix fe fait entendre, Exaucez les vceux d'un cceur tendre,  tf)2 POESJES. Et daignez accorder è mes ardens défirs Le feul bien qu'a jamais de vous j'ofe prétendre. Confervez les précieux jours De votre plus parfait ouvrage; Que la fanté brillante accompagne leur cours, Et qu'un bonheur égal foit toujours leur partage. Si 1'inflexible fort qui nous donne la loi Demande un fanglant facrifice, Daignez éclairer fa juftice , Que fon choix rigoureux ne tombe que fur moi. J'attends fans murmurer, viftime obéiflante, Que 1'inexorable trépas, De ma fceur détournant fes pas, Veuille émoulfer fur moi fa faux étincelante. Mais fi tant de faveurs que j'ofe demander, Sur un foible mortel ne peuvent fe répandre, O mes Dieux! daignez m'accorder Que nous puiffions tous deux au même jour defcendre Dans ces champs ombragés de myrthes, de cyprès, Séjour d'une éternelle paix, Et qu'un même tombeau renferme notre cendre. A MILORD MARECHAL fur la mort de fon frère. Vous pleurez, cher Mylord! votre douleur amère Redemande ün héros, un ami tendre, un frère. La gloire qui 1'ombrage aux porces du trépas,  /» O E S I E S. 163 Quoiqu'illuflrant fou nom, ne vous confole pas. Cette noble union que le fort a détruite, Fut moins 1'effet du fang que 1'effet du mérite. J'ai vu de fes beaux jours éteindre le flambeau Et j'ai de fes lauriers couronné fon tombeau. Dans ce combat affreux, s'il eüt encor pu vivre, Son bras auroit forcé la viétoire a le fuivre; Mais de 1'airain tonnant les foudres en courroux Prêt a triompher d'eux 1'abattent fous leurs coups. Fatale ambition, que d'illuftres viétimes Que d'amis, de héros moiffonnés par tes crimes! Nos hameaux, nos cités, tous nos Etats font pleins De parens éplorés, de veuves, d'orphelins, Qui réclameut en vain par leurs cris, par leurs Iarnies, Nos vengeurs moiffonnés par letranchant des armes. Ah! la gloire s'achête au prix de trop d'horreurs; Mes lauriers teints de fang font baignésde mes pleurs. Dans ces calamités, dans ces douleurs publiques, Je me vois accablé de malheurs domeftiques: En moins de deux hivers, tel eft mon trifle fort, Sur tout ce que j'aimois j'ai vu fondre Ia mort: Elle enleva ma mère, & fon fils & fa nlle. O jours de défefpoir! Quel coup pour ma familie} Une mère, fefpoir, 1'honneur de notre fang, Un frète jeune encor, i'héritier de mon rang, Uue fceur, vrai héros, vatte & puiffant génie, A laquelle a jamais mon ame étoit unie. Pour ne point fuccomber fous de pareils tourmens, II faut un cceur d'airain, privé de fentimens, Aux cris de la nature obftinémenc rebelle, Qui ne connut jamais d'amitié mutuelle.  ïc?4 P O E S I E S. Dans 1'abyme des maux oü le fort m'a plongé, Le cceur rongé d'ennuis & 1'ceil de pleurs chargé} D'une réflexion mille fois repoulTée La ténébreufe horreur occupe ma penfée. On nous dit que ce Dieu qu'au ciel nous adorons Eft doux, jufle & clément: & Milord,nous fouffrons. Comment concilier fes entrailles de pêre Avec 1'homme accablé du poids de fa tnifère? Jeune, foible, imprudent, éperdu, fans repos, Dés ma première aurore en butte a tous les maux, Les vices, la douleur, & le péril m'affiége. J'iguoremon deftin: d'oüviens-je? oü fuis-je? oü vais-je? J'éprouve en parcourant ce cercle étroit des ans De fouffrance & de maux les douloureux tourmens ; Quand je touche a la fin de ma trifte carrière, La fïlie Atropos vient clore ma paupière, Et la vertu divine & le crime infernal Dms ce monde maudit ont un deftin égal. Rien ne fléchic ce Dieu, ni le prix des offrandes, Ni 1'odeur des parfums; il eft fourd aux demandes Des mortels écrafés par fes cruels décrets. Les voila révélés, ces importans lecrets. Milord, qu'importe donc la trifte connoilfance De ce bras qui m'accable & caufe ma fouffrance, Si la raorr de mes maux peut feule me fauver? II eft, il eft des maux qu'un mortel doit braver; La fto'ique raifon dont le flambeau m'éclarre, M'apprend a me roidir contre un malheur vu'güre, A calmer le chagrin , a riilfiper 1'effroi D'un-défaftre qui peut n'influer que fur moi»  t O E S I E S. t€4 i On a vu des mortels donc 1'ame peu commune Foule aux pieds la grandeur, méprife la fortune, D'un infame intérêt déchire les liens, Tranquille, inébranlable en perdant les faux biens, Et dans fa décadence, aux trahifons en butte, Oppofe un front ferein aux apprêts de fa chute. Ne croyez pas, Milord, que j'emprunte le ton De 1'homme chimérique inventé.par Platon: Loin de vous étaler 1'emphafe feolaftique, C'eft moi qui parle , inftruit par ma dure pratique. J'ai vu mes ennemis faccager mes Etats, J'ai vu mes vceux trahis par le fort des combats, Près~de mes oppreireurs fe font rangés mes proches, Sans m'emporter contre eux en de juftes reproches; J'ai vu fouvent la mort prête a fondre fur moi, Sans qu'un trouble feeree m'aic faic palir d'effroi. Dans nos calamicés la commune épouvante N'a pu rendre un moment ma conftance flottanceï Le pouvoir abfolu, le fafte, la fplendeur Etoienc des objets vils pour mon fuperbe cceur. Prêc a perdre cent fois la vie & mes provinces, Le fort qui contre moi réunit tant de princes, N'a pu me rendre encor un objet de pitié. Mais s'il touche aux faints nceuds que forme 1'amitié Par eet endroit cruel, cher Milord, il m'accable. Achille au talon prés étoit invulnérable. A tout autre malheur on trouve des fecours; Le temps après 1'orage amène de beaux jours. Mais qui peut réparer des pertes éternelles; Quand la mort a bleiTé de fes flêches cruelle» Ces parens, ces amis, objets de nos fouhaitis,  1S6 POESJES. On s'en voit féparé, cher Milord, pour jamais: Réclamez-les aux cieux, évoquez 1'enfer même, L'Achéron ne rend plus ceux qu'on pleure & qu'on aime; L'irrévocable loi de la fatalité A oe terme arrêta notre témérité. Pour toujoursjchère fceur, je vous ai donc perdue 1 Le bras d'un Dieu cruel fur ma tête étendu, Par des coups redoublés a me perdre occupé, Au plus fenfible endroit a Ia fin m'a frappé. Avec mille regrets, ó manes que j'adore! je rappele les jours de ma première aurore, Oü fitót que mon cceur a paru s'animer, Mes premiers fentimens fureut de vous aimer. De 1'amour des vertus 1'heureufe fympathie Forma notre union par 1'efiime nourrie, Et bientöt la raifon développée en nous Confacra pour jamais des fentimens fi doux. De notre attachement telle étoit 1'origine: Dés notre berceau même il a poulTé racine; Nous croiffions ainfi fous l'augufte pouvoir De parens dont les mceurs diéloient notre devoir; Nous n'avions entre nous ni feeree ni myftère, Et la fceur ne faifoit qu'une ame avec le frère. Dès.lors combien de fois, fenfible a mesdouleurs, Ses généreufes mains onteffuyé mes pleurs? Comme dans les jardins on voit de jeunes plantes S'entre-prêter 1'appui de leurs tiges naifiantes, Pour éluder les coups des vents impétueux; Nous nous prêtions ainfi des fecours vertueux. Depuis, dans les dangers d'un plus terrible orage,  P O E S I E S. 167 Son héroïque exemple affermit mon courage. Combien de fois enfin facile a m'égarer, Du piége oü je tombois elle fut me tirer? Le vice a fon afpeft n'ofoit jamais paroïtre; De mes fens mutinés elle m'a rendu maitre: C'étoit par Ia vertu qu'on plaifoit a fes yeux. Une auffi fage amie eft un bienfait des cieux. Les avis, les fecours s'y rencontrent en foule, Tandis qu'au premier choc fe difïïpe & s'écoule L'hypocrite ramas d'amis fans probité, Parafites rampans de la profpérité. Quand au bruit d'un revers leur troupe m'abandonne, Je fens le prix d'un cceur qui cbérit ma perfoune, Qui dans 1'adverfité redouble de ferveur, Confole, agit, s'empreiTe, affronte mon malheur. Rare félicité, trop courte & peu goütée, Que le deftin barbare a trop peu refpeftée! O jour rempli d'horreurs! ó fouvenir affreux ! Sur mon.front paliffant fe dreffent mes cheveux. Je crois le voir encor 1'exécrable rainiftre, Organe & meffager de ce trépas finiftre, Quand en percant mon cceur il penfa m'immoler. La force memanqua, je ne pus lui parler. Stupide, inanimé, fans voix & fans penfée, Tout d'un coup éclata ma douleur oppreffée. La mort n'égale point tout ce que j'ai fouffert; C'eft un pire tourment que celui de 1'enfer. Je déteftois le jour, je fuyois la lumière,. Et j'anrois de ma main abrégé ma carrière, Quand pour comble de maux la voix de mon devoir Me forpa ci'arréter le cours du défefpoir.  Ifj8 P O E S I E S. Vains fonges de 1'orgueil, ó majefié 'fuprème! Un roi moins que le peuple eft maitre de lui-mêmei L'Etat prefque abattu, coloiTe chancelant, Ne corifervoit d'appui que mon bras languilTant: II falloit s'oppofer a 1'Europe en furie; II fallut m'immoler au bien de la patrie, Voler dans les combats, vivre pour. la venger. Je refpirois la mort, j'appelois le danger. Mais quel cruel emploi pour une ame égaréa, Dans un chagrin mortel au défefpoir livrée, De porter dans 1'horreur qui dévoroit mes jours Aux places en danger de rapides fecours, D'oppofer aux effaims que vomilToit la terre, .; De peuples ramalTés dévoués a la guerre, En cent endroits lointains les mêmes défenfeurs, De prévoir, calculer, conjurer les malheurs? Je fens que ce fardeau m'accable & m'importune. Heureux qui dégagé. du joug de la fortune, Inconnu, mais tranquille en fon obfourité, S'afflige fans témoins & pleure en liberté. Quand pourrai-je brifer mes entraves dorées,Quand pourrai-je quitter ces fuüeftes contrées, Et hater ce moment, a mes chagrins fi doux, Qui me réunira, divine fceur, a vous? Nos ombres, dès ce jour des Dieux favorifées, Parmi le peuple heureux des plaines élyfées, Sans craindre le deftin qui ne peut les troubler, De tant de maux foufferts pourroient fe confoler; Et nos deux cceurs brülant de flammes éternelles, Aux refpedables lois de 1'amitié fidelles., Cultiveroient en paix cette tendre union. Quoi!  P O E S 1 E S. i<$9 Quoi! ma raifon s'égare, ah! quelle ülufion Ma dépeint de ces liaux 1'image menfongère ? D'un fonge féduifant la vapeur paffagère Sur nos fens engourdis règne dans le fornmeil; L'auftère vérité le diffipe au réveil. Oui, Ia raifon déiruit par fa clarté réelle Le fantóme chéri d'une vie immortelle. Tout ce qu'on fe promet du cifeau d'Atropos, C'eft un oubli profond, un durable repos. L'irrévocable loi met nos cendres éteimes Hors dü pouvoir des Dieux, a 1'abri des atteintes. La nous ne craindrons plus ces troubles orageux, D'un aveug'.e deftin enfans impétueux. Da cent rois conjurés les armes triomphantes Contre des corps detruits deviennent impuilTaiites. Le chagrin dévorant qui nous ronge le cceur, Et 1'abreuve a longs traits d'une amère douleur, En de froids olTemens ne trouve plus fa proie. Da Ciel en vain fur eux le courroux fe déploie: On ne viole point 1'afile de la mort; Elle eft des malheuraux le rt fuge & le port. C'eft donc un bien réel que da cefler de vivre. Ce moment fortuné de nos maux nous délivre; Dés que nous avons bu des fources du Léthé, Tout ce qui fut eft tel que s'il n'eüt point été. Tant d'illuftres Romains,dans das revers extrêmes, Ont fu par le trépas s'en délivrer eux-mêmes. Que d'exemples fameux, foutenus de grands noms, Les Catons, les Curius, les Brutus, les Othons! On les imite a Londres, & 1'Anglois libre & ferme Aux rigueurs du defiin prefcrit lui-même un terme. Qcuy. pofth. de Fr. U. T. FU. H  Ï7ö POESJES. Qu'un miférable efclave, encor flétri des fers, Redoute plus Ia mort que des affronts foufferts, II peut vivre en infame & mourir comme un Iache; Sa balie ignominie a nos regards fe cache; Par Ia honte avili, par 1'opprobre écrafé, Son exemple odieux eft partout méprifé. L'école des héros fburnit d'autres maximes; La gloire en recueillit les fentences fubümes: Son crayon nous trarpa les chemins de Thonneur, Nous apprit a dompter Ia foibleffe & la peur, Et nous dit que fouffrir que Ie fort nous onmgQ,] C'eft moins humilité que défaut de courage. Les Dieux.par un accord conforme a nos fouhaits, Promirent a nos jours d'attacher leurs bienfaits. Si ce bien corrompu un bien ne peut p!c«s être, On doit y renoncer, tout homme en eft Je maitre: Rompant le fil fatal de fes jours ddfaftreux, On leur rend tout le bien que 1'on a regu d'eux. Voila, dans les horreurs du deftin qui m'accable, Les fentimens fecrets d'un cceur inébranlable, Qui fans importuner le Ciel par fon encens, Sans mendier de lui ni faveurs, ni préfens, De fon joug dégoüté, défabufé du mdnde, Vit par funique efpoir fur lequel il fe fonde, Que s'il fauve 1'Etat, quitte de fon emploi, 11 pourra difpofer en liberté de foi. De Breslau, en Décêmbre 175S,  P O E S I E S. 171 E P I T R E JU MARQUIS D'ARGENS. N on, Marquis, ton efpoir s'abufe, Si tu crois qu'auprès d'Apollon Jamais une folatre Mufe Me ramène au facré vallon. Détrompé de Terreur d'un nom, Et de Ton'peau da la gloire, Je lailfe au temple da mémoire Courir qui voudra s'y placer, Sans que dans la gliifante route Aucun poftulant me redoute, Ou que j'y puiffe embarralTer. Mon corps s'ufe, mon efprit tombe. Des fo'ms, des cbagrins dévorans Creufent fous mes pas chancelans Imperceptiblement ma tombe. Chargé de fardeaux accablans, Et glacé par le froid des ans, Irai-je d'une voix tremblante Chevroter des hymnes divins, Et de Calliope expirante Ranimer les feux presqu'éteints? Au fein de Thorreur, des alarmes, Dans le tumulte & les hafards, Crois-tu que fous nos étendards, H 2  P O E S I E S. Parmi le carnage & les armes, Et 1'énorme fracas des camps, Les Graces prodiguent leurs charmes, Et daignent m'infpirer leurs chants? Je vois ces Nymphes fugitives, Timides, errantes, craintives, Chercher des afiles plus doux: Leurs pas fe détournent de nous, Pour fe fixer fur cette rive Oü la paix habite avec vous. Vois ici, de meurtres avides, L'ceil enflammé, de rang en rang, Les implacables Euménides Se baigner dans des flots de fang. Comment h. cette race impie Le Ciel uniroit-il jamais Ces tendres filles du génie, Des beaux arts & de 1'harmonie, De 1'opulence & de Ia paix? Qui voudroit joindre a la fanfare La flüte ou Ia douce guitare, Feroit un mélange odieux. 11 faut qu'en ce monde bizarre Chaque chofe foit en fon lieu; C'eft pourquoi Ia Nature fage Aux êtres,.par un julie choix, De dons divers fit le parrage. L'inftinét qui leur prefcrit des lois, Aftreint chacun a fon ufage. Une sgréable & tendre voix Echut a ces chantres des bois  P O E S I E S. Qui nous charmem par leur ramage. L'aigle, le vautour dévorant, Armés d'un cceur plein de courage, De ferres & d'un bec tranchant, Des airs appercevant leur proie, PouiTent des cris aigus de joie, Et la déchirent en volant. Le fort de notre foible efpèce Eft (n'en déplaife a ta fageffe,) Comme celui des animaux. Chacun recut dès fa jeuueffe Certains talens, certains défauts. L'homme que la raifon éclaire, Sait fe limiter dans fa fphère, Ou s'il en fort mal a propos, II devient le jouet des fots. Hercul'e, dont la main fatale Acheva tant de grands travaux, Lorsqu'il filoit aux pieds d'Omphale, Mettoic en pièces fes fufeaux. Moi, qu'un aveugle deftin guide Sur les pas du fameux Alcide, Moi donc, qui m'oppofe aujourd'hui A des brigands aufli perfides, A des monftres plus homicides Que ceux qu'il écrafa fous lui, Prétends • tu que ma main dépue, Faite a manier fa maffue, Déchire du premier début Les cordes de 1'aimable luth De Tibulle & de la Chapelle, H 3  •f/4 P O E S I E S. Ou la lyre a mes doigts rebelle Sur laquelle Homère chonta, Et rendit la fable immortelle Que fon beau génie inventa? Ah! laiiTe ma Mufe groffière, Avec fon harnois martial, Couvert de fang & de pouflïère, S'efcriiner comme un Annibal, Comme Amadis, ou Diomède, Don Quichotte, Ajax ou Tancrède, Et de Ia guerre qui m'excède Abréger le cours infernal. Bientót la gazette fidelle T'apprendra Ia grande nouvelle Que nos preux chevaliers errans, Marchant en pompe folemnelle, Ont attaqué, rempli de zèle, Des moulins qu'agite le vent Dont ils emporteront une aile. La très fainte religion, Ainfi qu'un fublime héroïfme, Ont infpiré le fanatifme. Bien des héros, grands de renom, Poufiant Ia gloire a 1'optimifme, Sont Don Quichones dans le fond. Mais, fans acharner ma critique Sur cette dérnence héroïque, Je fens, ó Marquis! mon appui, Combicn ma verve germanique Sur ta cervelle académique Répand un fornbre & froid enaui.  P O E S I E S. IfS Crois-m'en, il eft dur pour moi-même D'ennuyer un ami que j'aime Par des vers tracés au hafard; Mais je veux, fi je ne t'arnufe, T'inftruire comme a leur égard II faut que ta fageffe en ufe. Au crépufcule, quand Ia nuit T'apparolt fur fon char d'ébène, Quand ton efprit, las de Ia gêne Oü le travail 1'avoit réduit, Quitte Euripide & Démofthéne, Pour chercher le duvet du lit, Prends alors ce foporifique: Je te vois au premier diftique En commencant de c'aflöupir, Soupirer, briiller & dormir. Puiifent ces vers peu fupportables, A ton repos plus favorables» De ton afile ténébreux Bannir ces fantómes hideux, Enfans de rêves effroyables, Et t'amener felon mes vceux Toujours des fonges agréables! A Landshut, le 29 d', 'Avril 1759. H4  POESJES. LETTRE A VOLTAIRE. Non, fi ma Mufe vous pardonne Vos farcafmes injurieux, Jamais elle n'unic Pétrone Aux écrivains ingénieux Qni m'accompagnent en tous lieux, Et.partagenc avec Bellone Des momens courts & précieux Qu'un Ioifir fugitif me donne. Je détefte 1'impur bourbier Oü ce bel efprit trop cynique A trempé fa plume impudique. Je n'eus point le front de fouiller Les Graees dans ce vil fumier. La mémoire eft un réceptacle; II faut qu'un jugement exquis Ne remplifle ce tabernacle Que d'ceuvres qui fe font acquis Autant de crédit qu'eut 1'oracle Qu'a Delphe adoroient les Gentils. C'eft pourquoi, lorsque fans obftacle J'ai 1'efprit libre de foucis, Je vous lis & je vous relis; J'allaite ma mufe francoife Aux tetons tendres & polis Que Racine m'offre a mon aife. Quelquefois, ne vous en déplaife,  POESJES. ' 177 Je m'entretiens avec RoulTeau. Horace, Lucrèce & Boileau, Font en tout temps ma compagnie; Sur eux j'exerce mon pinceau, Et dans ma fantasque manie J'aurois enfin produit du beau, S'il ne manquoit a mon cerveau Le feu de leur divin génie Vous en ufez envers la reügion comme envers moi & envers tout le monde : vous la careflez d'une main & 1'égratignez de 1'autre. Vous avez, je le préfuine, Pour chaque genre une plume. L'une confite en douceur, Charme par fon ton flatteur L'amour.propre qu'elle allume. L'aiure eft un glaive vengeur, Que Tifiphone & ia fteac Ont plongé dans le bitume De 1'infernale noirceur; II blefle, & fon atnertume Perce les os & le cceur. Si Maupertuis meurt du rhume, Si dans Bale on vous 1'inhume, L'akikia qui le confume, De fa mort etï feul 1'auteur. Pour moi, nourriiT^n d'Horace, Je ne veux po.n; du bonheur Qu'otTre 1'éclat d'une placa Sur le fommet du Parnalle. HS  I7f P O E S I E S. Chez le peuple rimailleur. Cette dangereufe race, Si folie & pleine d'aigreur, Se déchire & fe tracatTe Sans raifon & par humeur. De ce tripot enchanteur Vous étes le coryphée. Accordez.moi donc, Orphée, Cette legére faveur. Je vous demande pour gr^.ce, Si jamais mon nom s'enchaffe Par hafard én vos écrits, Qu'en faveur de faint Denys La bonne plume 1'y tracé. Fait a WiJsdruf 1759. A U T R E LETTRE A VOLTAIRE, qui conjuroü te Roi de faire la paix. V otre IVIulè fe rit de moi, Quand pour Ia paix elle m'implore: Je défire de bonne foi Dès ce jour qu'on Ia voie éclore ; Mais je n'impofe point la loi Au Trés Chrétien , ce puiiTant Roi, A la Hongroife qu'il adore.  P O E S I E S. I7P A cette RutTe que j'abhorre, A ce tripot d'ambitieux Dont les remèdes merveilleux Que Tronchin fait & que j'ignore, Ne guériront jamais les cerveaux vicieux, Qu'en leur donnant de 1'ellébore. Mais vous , pour Ia paix tant enclin , Vous qu'on dit avoir 1'honneur d'être Le Vice-Chambellan de Louis du moulin, A la paix, s'il fe peut, difpofez votre maitra A Wilsdruf 1759. LETTRE A VOLTAIRE. Cjrand merci de la tragédie de Socrate: elle de* vroit confondre 1'abfurde fanatifme d; vos évéques & de vos moines. Ces gens ne pouvant exercer leur defpotifme ambitieux fur des fujets de politique, s'acharnent fur les ouvrages que les apótres du bon fens publient. Les fronts tondus, mitrés & couverts d'écarlate, Liront en frémiiTant Ie drame de Socrate: Je vois fe foulever ces docteurs, ces cagots, Des rayons du bon fens implacab'es rivaux. Quand pour vous dilater Ia rate, En leur donnant un coup de pat'e, Du peuple athénien vous empruntez Ie dos, Ils le fentiront trop, ces malheureux bigots. H 6  iSo P O E S I E S.. Voyez-vous leur cabale accrue Des Mélites de vos barreaux, Déplorer qu'en ces temps nouveaux La bonne mode s'eft perdue D'employer a leur gré le fer & la ciguë. Leur vengeance reftreime a de moiudres travaux, Ne peut entafler des fagots A 1'honneur de la troupe élue; On les élève, & 1'on y frit Un ennemi de Dieu pour le bien de fon ame. De joie en ce moment la Sorbonne fe pame, Et pour vous mieux fervir de fagots renchérit. Le feu prend, il s'élève un tourbillon de flainme Qu'allume la main de 1'infame, Pour confumer ce bel-efprit Qui la perfiffle & nous éclaire; Mais au lieu de rótir Voltaire, Elle ne peut brüler que fon malin écrit. Je vous en fais mes condoléances. Cependant, tout bien examiné, il vaut infiniment mieux qu'on brüie 1'ouvrage que 1'auteur. Je ne fais fur quel fondement vous m'accufez de vous mordre: c'en feroit bien le temps I environné comme je le fuis d'ennemis, prelfé partout. L'un me piqué, 1'autre m'éclaboufle; gare qu'un troifième ne me ren. verfe. II eft pardonnable en cas pareil d'avoir de I'humeur & 1'efprit aigri. Je fuis a préfent Comme un fanglier écumant, Qui fans s'ébranier fe defend Contre les durs aflauts d'une meute aguerrie,  p o e s ie s. m Qui fur lui s'élance en furie: II attaque, il bleiTe, il pourfend, II donne a propos de fa dent Des coups a la race enneraie. Plus il en met hors de combat, Et plus cette engeance aboyante Par un nombreux concours s'augmente. II foutient ce cruel débat; Mais la fureur 1'emporte, & fougueux dans fon ire, II ne voit ni connoit la grandeur du danger, Ec s'enfbnce fans y fonger L'homicide épieu fur lequel il expire. Laiftez-moi donc ronger mon frein tant que durera cette pénible guerre. Votre imagination. poëtique me promène fiatteufement jufqu'a Vienne. Vous m'introduifez au confeil de chafteté: fachez que je n'ai pas befoin de ce confeil, & que 1'expérience m'a fuffifamment appris ce qu'on doit craindre quand on fe frotte a de méchantes feinmes. Hélas! penfez-vous qu'a mon age L'on cherche d'amour agité, Le corps en feu , 1'efprit volage, De Vénus le doux badinage, Les plaifirs & la volupté ? Ce temps heureux, c'eft bien domraage? Loin de moi s'eft préc-ipiré, Et les eaux du fleuve Léthé En ont méme effacé fimage. La tendre fleur du pucelage, u7  P O E $ I E Si Ni Pempire de la beauté, Sur un vieillard cofirbé, voüté, N'ont plus de prife & d'avantage. Le confeil de la chafteté Devient par force mon partage, Continence eft néceffité; A cinquante ans on eft trop fage. Je n'ai point eu cette campagne de vifion bêa. tifique. Malheureufement les Tartares, Rulles & Cofaques n'ont pas voulu me montrer Ie derrière: en revanche, ils ont brulé, ravage & pillé des contrées & dévafté beaucoup de pays. La fortune inconftante & fiére Ne traite pas fes courtifans Chaque jour d egale manière, Et nous n'avons pas tous les ans La faveur de voir Ie derrière. De cette vafte fourmilière, Moitié héros, moitié brigands, Qui viennent défole'r nos champs. Le hafard très-fouvent décide une bataiüe. Si je lui dois plus d'un beau jour, A 1'ennemi par repréfaille 11 m'a fait montrer a mon tour Tout le revers de la médaille. Cependant eet homme bénit Par 1'antechrift fiégeant a Rome, Ce Fabius, ce plaifant homme, Lui qui naguêre fe mUnit D'une toqué, brillant fymbole De gloire & de vanité folie,  P O E $ I E S. 183 Cotntnence a décamper de nuir. Je ne vous dis pas qu'il nous fuit; Mais fi le ciel nous fait la grace Qu'il nous montre au plutót 1'oppofé de fa face, Alors un certain Duc s'illuflrant a jamais. Armé de fon trident comme on nous peint Neptune, Appaifera d'un mot la tempéte importune; C'eft lui qui fauvera votre empire frangois, Sans capitaine, fans finance, Saus Canada, fans prévoyauce, Jusqu'en fes fondemens fapé par fes Anglois: II leur dira, plein de décence, Par Saint George & par fa croyance, Bonnes gens d'A'bion, accordez-nous la paix. Quand cette nouvelle échappée Sortira des antres fecrets Des politiques cabinets, Je quitte & le casque & 1'épée, Et m'envolant foudain d'ici, J'irai, confortant ma "killeire Par 1'étude de la ïagfeflè, M'enfevelir a Sans-Souci. En attendant jouifléz en paix de votre foütude. Ne troublez plus les cendres des grands hommes. Que la mort mette fin a votre irijufte haine, & que Maupertuis trouve au moin» Üh aiyle dan? Ie tombeau. Songez que les rois, après s'être longtemps battus, font la paix. Je crois que vous defcendriez aux enfers comme Ophée, non pas pour en ramener 1'immortelle Emilie, mais pour perfécuter dans ce féjour, (fuppofé qu'il exifïe,)  IS4- 1' O E S I E S. un homme que votre rancune a pourfuivi violemment. dans ce monde-ci. Immolez cette haine qui vous flétrit, & fait tort a votre réputation. Que le plus beau génie de la France foit le plus généreux des hommes: c'eft la vertu, c'eft le devoir qui vous parient par ma bouche; ne foyez pas infenfible a cette voix. Pratiquez les beaux fentimens que vous exprimez eu vers avec tant d'élégance & de force. Croyez-moi, un exera. ple de magnanimité perfuade plus que tous les beaux préceptes qu'étale la tragédie. Que le Dieu des philofophes vous infpire des fentimens plus doux & plus modérés, & que le Dieu de la fanté vous conferve pour 1'ornement des belles lettres & du ParnaiTel A Wilsdruf 1759. AU MARQUIS D'ARGENS. IVIarquis.quel changement! moi chétif.moi profane, Qui fréquente peu le faint lieu; Moi fans toque & brevet dont la faveur émane Du facré ferviteur des ferviteurs de Dieu, Qui m'anathématife & me damne; Moi dunt 1'attachement au culte naturel Ne reconnut jamais que Ia pure doclrine, Empreinte dans nos cceurs par une main divine, Ne fervis ni Baal, ni le Dieu d'Ifraè'1, Moi que l'adverfité nourrit ü fon école, Qu'a Vienne un frauduleux écrit  P O E S I E S. l&5 A dépeint errant & profcrit, Moi que plus d'un miniflre en fon cerveau frivole, Plus d'un cafard tondu, décoré d'une école, Sur le vague récit d'un téméraire bruit Avoit cru de long-temps détruit; Par un coup imprévu 1'inconftante fortune, Qui me facrifia pour plaire a mes rivaux , Contre et» a tourné fa rancune Et me relève fur les flots: Et eet homme bénit, ce dévot perfonnage, Qui dévore fon Dieu cinquante fois par an, Qui pour triompher de Satan ( De Vienne a Clofier-Zell trotte en pélérinage, Héros qui par brevet eut Ie titre de fage, Sans avoir été terralfé, Recule chaque nuit de village en village, Comme un barbet meurtri qui fuit le voifinage Du cuifinier qui 1'a feflTé. O fantasqde fortune! enfin en eft-ce afRz? Comme de notre fort ta cruauté fe jouel Celui - ci fous un dais eft par ta main placé, Et celui-la du tróne eft jeté dans la boue. Mais la fouvenir du palfé Sur 1'avenir enfin m'éclaire; '\ Toi-même tu m'appris le cas Que d'une coqueite on doit faire: Nonobfiant tes divins appas, Ni ta tendrelfe menfongère, Ni ton brillant retour ne me féduirom pas. Mais dis-moi par quelle fottife Yas - tu te frottcr a fégüfe ?  ï U P O E S I E S. Contre un faint qu'elle canonife, Tu prens l'intérêt d'un damné; Dis-moi quel pouvoir t'autorife A pourfuivre un prédeftiné? Que diront dans les cieux & la ** & Bellone De la farce que tu leur donnés, Et que dira fa fainteté? Ne penfe pas qu'on te pardonne Ce tour de ta déloyauté. Crains qu'outré de ta manie, A Rome on ne t'excommunie. En ce cas 1'univers en trelTaillant d'effroi, Frappé de cette dure & terrible fentence, (Tandis que tout mortel au fond du cceur t'encenfe,) Par crainte de 1'enfer s'enfuira loin de toi; Et ton temp'e déferc & vide Nous fera la même pitlé Que Ie facré tempte oü réfide La Déeffe de 1'amitié. Depuis en ruminant fur cette ample matière, Marquis, j'ai trouvé la raifon Pourquoi eet homme orné de toque & de toifon D'une écreviff: a pris Ia démarche en arrière. Le vieux Satan, efprit malin, A nous nuire toujours enclin, Nagnêre rinis,qui fous difFérens titres Des droits des natious s'érigeoient en arbitres; Votre Dieu de la Seine & vos rois plébéïens,  2» O E S I E S. ï8j> Depuis que la fortune]échappe a leurs Hens, Répriment en feeret cette fougue effrénée Qui prétendoit des rois diéter la deftinée: L'abattement fuccède a ces bruyans transports, Voyez votre patrie en proie a fes reraords; Elle fort a la fin d'un rêve fantaftique, Et libre des ardeurs d'un accès frénétique, Recouvrant fes efprits, le jour & la fanté, La France ouvre les yeux & revoit la clarté; D'un rayon de bon fens 1'éclatante lumière Abat les préjugés qui couvroienc fa paupière. Ces fantómes qu'un fonge engéndre avec Terreur, Dont un fang bouillonnant nourrilToit la vapeur, Se diffipent foudain, & la vérité nue Par cent objets facheux vient occuper fa vue. A fes regards furpris quel odieux coup d'ceil! s Elle voit le faux Dieu (*) créé par fonorgueil, Ce monüre qu'engendra fa haine dévorante, Au facrilége fein da la difcorde ardente, Dont les membres divers font autant da tyrans, Prêts a fe déchirer pour leurs vains différens, Qui prompts a la fervir, prompts a tom ber fur elle, Sont Tappui dangereux de fa trifte querelle. Elle-même s'étonne en trouvant en tous lieux Les effets qu'ont produits fes tranfports odieux, Terribles monumens de cruauté, de rage, D'un orgueil infenfé trop déplorable ouvrage; Da Ia Viftule au Rhin cent pays défolés, Leurs murs encor fumans, leurs peuples immolés, Toute Thorreur qui fuit une infernale guerre. CO Le triumvirat.  Jjo POESJES. C'eft el!e enfin qui ravagea la terre. Hélas 1 on ne fent point dans fon égarement Jusqu'oü peut en'rainer un fougueux fentiment; Elle-même en rougit, elle a peine a le croire: Voltaire effacera ce trait de fon hiftoire, Et fon Roi dégoüté d'inutües forfaits, Las de tant dVmbarras, refpirera la paix. Cette paix lui devient utile & nécelTaire: Ses peuples opprimés périfient de mifêre, Ses tréfors par TAutriche ont été épuifés, Ses héros par f Anglois vaincus ou difperfés, Ses vaiffeaux fouverains d'Eole & de Neptune, Echoués oubattus, maudiiTenc leur fortune. Un vafte Etat fondé dans nn climat lointain, Qui portoit pour tribut du bord américain Ces poiflbns recherchés du zèle apoftolique, D'abflinence & de jeüne aliment catholique, Ce Canada conquis par fes fiers ennemis, Aux hérétiques mains des Bretons eft foumis. LaFrance fans tréfors, fansvaifleaux, fans fyftème, Sans Québec, eft réduite a manquer au carème. La paix, la feule paix, peut enfin la tirer Du malheur que le temps doit encor empirer. Dans fon accablement, fon orgueil plus fiexible Aux maux du genre humain entr'ouvre un cceur fenfible, Et paroit s'empreiTer d'en termtner le cours; La modération éclate en fes difcours; De fon efprit altier les funeftes maximes Font place aux fentimens des ames magnanimes. Le peuple qu'éblouit ce généreux efTort,  P O E S I E S. ipt Penfe qu'il va jouir des biens de 1'age d'or, Qu'éiouffant la difcorde, ainfi que la vengennce, Son bonheur & la paix lui viendront de la Fianee. Mais ce peuple imbécille eft dupe par les grands, OppreiTeurs des Etats, du monde fous-tyrans, Qui fans cefle abforbés dans des projots liniftres Des attentats fameus font les cruels ininillres. Que de leurs fons flaneurs la douce imprc-ffiott Ne vous détrompe point de leur ambition; Leur dehors eft couvert du fard de la juftice, Leur cceur impénétrable eft rempli d'artifice. Vainement fous un masqué ils penfont fe eacher; D'une main alfurée il le faut arracher, II faut, en découvrant leurs pafiions iniques, Expofer au grand jour ces démons politiques. Ces farouches mortels fi durs & fi hautains, Tendres pourfintérêt, pour nous pleins de d'édains^ Si fouvent arrofés des pleurs des miférab.'es, N'ont jamais amolii leurs cceurs impitoyables. Trop hauts dans le fuccès, trop bas dans le malheur, Le deftin régie feul leur haine & leur faveur. S'ils font compatiflans, c'eft qu'ils font fans reiTource, Et 1'amour de la paix n'eft qu'au fond de leur bourfe. Non , le Sphinx qui dan; Thibe exercoit Sa fureur, Ces monftres qui d'HercuIe éprouvoient la valeur, Les maux contagieux, les famines, les peftes, Sontmoins a redouter, font cent fois moins funeftes* Que tous ces fcélérats dont les complois pervers Jusqu'en fes fondemens ébranlent 1'univers. Craignez 1'infeétion & le poifon que verfe Dans un cceur fimple & pur leur dangereux commerce.  to* P O E S I E S. D'abord on les obferve, on craint d'étre tromré, Tót ou tard dans leur piége on eft enveloppé; 11 faut joüter contr'eux, 1'artifice a fes charmes, Et 1'on fe fert enfin de leurs perfides armes. Ah! pafibns dans le fein du repos & des arts La fin d'un jour obfcur troublé par les hafards; Etbornant nos défirs au charme d'être jufte, Fuyons-Tigellius, & Néron & Locutle. A Freyberg, ce 13 Décembre 1759. JU MARQUIS D'ARGENS, fur ce qu'il avoit écrit qu'un homme s'érigeoit en prophéte d Berlin, & qu'il avoit déja des feStateurs. O n recherche toujours des fciences fecrètes, Et dans les fiècles ténébreux Le peuple ftupide & peureux Suppofa que fes Dieux avoient des interprètes, Et s'empreflbit en foule aux oracles fameux; Tant on aimoit Ie merveilleux. En nos jours éclairés, dans les lieux oü vous êtes, Le vulgaire ne vaut pas mieux. Des aftrologues, des propheies, Empiriques, devins, impofteurs, charlatans, Fabricateurs d'événemens, Vous lifent dans le cours des aftres, des comètes, Du üvre des Deftins les décrets éternels, Et vous debiteui Jeurs foruettes, Aux  P O E S I E S. t *rf Aux efprits fuperfkiels Des douairières en cornettes, Des imbécilles a lunettes, Des idiots anachorètes, Fanatiques matériels, Dont les talens eiTentiels, Sont de croire h toute irnpofiure, Rêve, fantóme, oracle, augure, Surtout aux plus furnaturels. Tous ceux qui comme vous connoilTent Ia nature, Les difciples de Lock, de Bayle & d'Epicure, Des vifions qu'enfante un cerveau né raal.fain Regardent en pitié la rêverie obfcure. Pour votre infenfé de Berlin, C'eft dans 1'apocalypfe, oü Newton ne vit goutte, Qu'il a trouvé notre deflin; Du vieux Démon 1'efprit malin Jamais ne l'infpira fans doute; Et s'il falloit 1'apprécier, Je paiïrois, quoi qu'il en coüte, Que certes il n'eft pas foreier. Abandonnons dans fon délire Le peuple a fes préventions: Qu'il aime Ie clinquant par oü l'erreur 1'attire En mille lüperftitions. Du brillaut merveilleux Ie chimérique empire Le réduit en fujétion; II ne fait pcint ce qu'il admire, Le préjugé fait fa raifon. II craint les maux qu'il envifage: Si par trop de foibleffe il fe livre it l'erreur, ' Octiy.paJIh.rU Fr.lI.T. Pil. I  J94 P O E S I E S. S'il croit légèrement au fortuné préfage Que lui débite un impofteur, C'eft qu'il fent ne pouvoir réfifter au malheur. Non, non, fage Marquis, quand même notre courfe Nous offriroit encor d'autres calamités, Contre les traits cruels des deftins irrités Cherchons dans la vertu notre unique relTource; Oppofons la raifon a nos fens révoltés: Contre une apre & longue fouffrance Une inébranlable conftance Triomphera du forr & des adverfités. Un homme courageux, dont le male génie S'élance hardiment par un fublime efFort Des fanges de la terre au palais d'Uranie, Des hautes régions de la philofophie Jette un coup d'ceil égal fur la vie & la mort: Son ame, inaltérable aux fecoulfes du fort, Comemple le néant du monde, La vanité, 1'orgueil, l'erreur dont il abonde, Et voit que tout commence & que tout doit fiuir, Ainfi lorsque 1'orage gronde, Le fage dans fon cceur garde une paix profonde, Et fans s'inquiéter d'un funefte avenir, 11 1'attend fans le prévenir. II s'arme contre i'infortune, Quel qu'en foit le décret cruel, Puisque fans fe fouftraire a cette loi commune, Mortel, il doit fubir le deftin d'un mortel. A Pretfckendorf, le 5 Janvier 1760.  P O E S I E S. SUR LA LECTURE DU SALOMON DE VOLTAIRE. "Hé bien, j'ai vu dans Salomon Que 1'enchantement de ce monde La gloire, l'intérêt, 1'amour, 1'ambition, Le charme fédufteur oü mon bonheur fe fon Je, Qu'enfin tout eft illufion. Si 1'homme eft malheureux, c'eft par réflexion. Dans fon égarement par pitié qu'on le laifle. Quand Salomon fur moi s'afïaifld, Quoique fans doute il ait raifon, II me remplit de fa triftefle,- II exagère encor le deftin qui m'opprefle: Cet impitoyable doéteur Même en la réveillant irriie ma douleur. Non, fon hypocondre fagelfe Ne vaut point 1'agréable fagciTe Oü me plonge une douce erreur; Et fi la vérité n'eft faite pour perfonne, S'il faut être trompé, qu'ainfi Ie ciel 1'ordonne, J'aime mieux, puisqu'il faut choifir, (Que Salomon me le pardonne,) Ne 1'être que par le plaifir. I 2  jptJ P O E S I E S. A FOLTAIRE. De combien de lauriers vous vous étes couvert! Au théatre, au lycée, au temple de 1'hifloire, Amant de filles de mémoire, Leurs immenfes tréfors vous font toujours ouverts; Vous y pui fez la doublé gloire D'exceller par la profe ainfi que par les vers. Doué de la grace efficace üu Dieu du goüt & du Parnaffe II vous a de plus départi L'art heureux d'infiruire & de plaire Que tous les peuples ont fenti Dans ces écrits divins dont vous êtes le pêre. Un laurier manque encor fur le front de Voltsire: Malgré tant d'ouvrages bien faits, Avec 1'Europe je croirois, , Si par une habile manoeuvre Vos foins nous ramenoient Ia paix, Que ce feroit votre chef-d'ceuvre. EPITRE A D'ALEMBERT, fur ce qu'on avoit défendu 1'Encyclopédie cjf brülé fes oüvrages en Frame. Un fénat de Midas, en étole, en foutane, Aprofcrit, nous dit-on, vos immortels écrits?  P O E S I E S. W Son imbécillité condamne Les fages & les beaux efprits. La fuperftkion , Terreur & Tignoranee, Les juges du bon fens feroient-ils a Paris? Avec quelle fureur, avec quelle impudence, Ces prêcres de Baal que Tenfer a vomis, Ont exercé leur violence Sur Tart de raifonner a leurs arrêts foumis! Telle parut jadis dans ce jour de ravage De leurs cruels aïeux la fanguinaire rage, Quand Paris s'égorgeoit, la Saint Bauhélemi. Barbares vifigoths, qu'ofez-vous emreprendre? Opprobre de nos jours, votre férocité Vous empécbe donc de comprendre, Que malgré les complots de votre iniquité, La raifon & la vérité Sont comme le phénix qui renait de fa cendre? Nonobftant les brouillards qu'exhaloient leserreurs De vos conciles & fynodes, Galilée eut raifon; & vos inquifiteurs N'ont pu par les büchers, ni les cris des doctïurs, Anéantir les antipodes, Mais qui vous rend perfécuteurs? Pourquoi votre ra^a infetifée, Par les convulfions de fa fureur preffée, S'offenfe-1- elle enfin que de favans auteurs, Organes du bon fens, non pjignent leur peifée? O comble de forfaits! ófièale! ótemp,! ó mceursl Je lailfe en paix Pamas de vos fonges trorapeurs, De votre fyflème apocryphe: Le crime vous décèle, indignes impofteurs; I 2  jp8 P O E S I E S. Le vicaire de Dieu, votre premier pontife, Protégé des confpirateurs, Des monftrcs portugais dont les complots perfides Armoient contre leur Roi des fujets parricides; L'événemenc Pattefte, & 1'Europe en frémit, Le fage qui 1'apprend, en filence gémit. Quoi! Rome en ce fiècle fervile Devient le refuge & 1'afile Du crime qui s'y rafrermit! Un ordre qui d'Ignace a recu fa doctrine, Complote dans fon fein le meurtre & Ia ruine Des Etats & des citoyens. Ofez.vous, féroces Chrétiens, Qui jusqu'au fanctuaire, au milieu de vos temples,(*) D'attentats inhumains fourniiïez des exemples, Calomnier encor Ia vertu des Païens ? Si vous les accufez de crimes, Furtnt-ils comme vous barbares & cruels? Songez au nombre de viélimes Dont 1'inquifition a rougi les autels. Votre Dieu, des ames fublimes Exige des vertus, non le fang des mortels. Platon diroit voyant vos fêtes triomphales , Ces innocens menés aux büchers folemnels, Que vous facrifiez ces viótimes fatales A des Deités infcrnales. Ah! jusqu'a quand les nations SouiTn'ront-eiles ces fcandales Et i'abtis des religions? (•) I.'hollie empoifonnée qu'ils donnerent a un Empetvtt i je crois Henri VII.  P O E S 1 E S. 199 Voila, voila, pourquoi ces monftresa tonfure, Ces charlatans de 1'impofture, Dé.snfeurs criminels des intéréts du ciel, Sont pleins d'acharnement, de fureur & d'envie, Et contre la raifon & la philofophie. Voila pourquoi des flots d'amertume & de nel Sont répandus fur votre vie. Ces fourbes, en tremblant dans leur obrcurité, Craignoient que la raifon d'une vive lumière, N'éclairant de trop prés leur coupable carrière, Nous décelac la vérité. Laiffez ramper dans la poufTlère Ces fléaux de 1'humanité. Qu'ils infultent le fage en difant le bréviaire, Qu'ils coofondent 1'orgueil avec 1'humilité; De leur croaffement la clameur paffagère , O fage d'Alembsrt! pour votre efprit auftère, N'eft qu'un fon frivole, un vain bruit, Qui fur faih, des vents fe diffipe & s'enfuit. Amant de vérités folides, éternelles, Sans vous embarra(Ter en d'abfurdes querelles, Du haut du firmament a vos calculs foumis Méprifez tous vos ennemis. Continuez en paix, loin de leurs cris rebelles, Vos découvertes immortelles. Tandis que leur audace ameute des pervers, Et qu'a. fon tribunal 1'idiot vous afligne, Par un fort plus noble & plus digue Vous éclairerez 1'uniVers.  too • P 0 E S 1 E S. JU MJROUIS D'JRGENS fur des louanges qu'il donnoit au Roi. NFon, jamais courtifan au langage flatteur, N'a d'un encens plus fin fu nourrir fon idole, Que; vous qui prodigucz a votre ferviteur Un parfum qui pour lui ne vaut pas une obole. Je ne fuis plus, .Marquis, frais de Técole, Ni dans ce.bel age enchanteur Oü notre ame ingénue, encor novice & folie, Avale avidement.un poifon fédu&eur. La louange eft une vapeur Qui devant le bon fens fe diflipe & s'envolej La vérité févère, a 1'ceil plein de rigueur, ie montre & mes regnrds, & pourfuit de Terreur Un fantóme aimablé & frivole, Que Tamour-propre allaite & forme dans mon cceur. Elle m'offre un miroir oü, lorsque je m'y mire, Je puis de mes défauts compofer 1» fatyre; J'y vois avec étonneraent Ce. bonnet redoute que fur ma tête grife Avec fes deux mains lourdemenc A fait ciifoncer la fottife. Quel que foit mon penchant enclin a m'admirer, Marquis, dans eet état je ne puis m'y livrer. Ah! qu'il eft different,, au fein de la viétoire, Tout couvert de lauriers moiffonnés par la gloire, D'avoir dompté, foumis des peuples belliqueux, Ou  F O E S IE S. 201 • Ou d'être maltraité, chalTé, battu pareux. Ce n'eft pas le chemin du teraple de méraoire, Mais bien de 1'hópital, ou d'un deftin affreux. A mes foibles talens je fais rendre juflice, Et dans ces jours de fang, dans ces temps orageux, Sans ceffe au bord du précipice, Mes malheurs me fervent d'indice De mon peu de capacité, Et me font étouffer ma folie vanité. Non, mon ame n'eft pas affez fiére,' aGez haute, Pour ne point avouer que fouvent par ma faute J'effuyai de cruels revers. Sous mes pas incertains mes ennemis pervers Ont a loifir creufé des gouffres, des abymes. j'eus 1'art d'en éviter que je vis entr'ouverts; Mais i'honneur dont je fuis les altières maximes, M'a peut-être entrainé dans des piéges couverts.. Trop peu fait pour goüter un remède timide, J'ai fu lui préférer un confeil généreux: En le prenant toujours pour guide II me fembloit moins odieux, S'il falloit être malheureux Sous le bras qui me perfe'cute, Qu'une audace intrépide eüt fignalé ma chute, Que de brüler a petit feu. Rien de parfait en notre efpèce: Certain démon qui nous oppreffe, Par un affemblage fatal En nous a réuni ie bien avec le mal, Le vice a la vertu, l'orgueifca la foiblefle, Et la folie a la l'agalfe. 1$  ao2 P O E S I E S. m De ce bizarre cornpofé Je fuis pétri, je Ie confefTe; Mais je n'ai point Ia petiteiTe De m'en fentir défabufé. Contentons-nous de ce mélange Auquel notre deftin, Marquis, nous a réduits. L'bomme tient de Ia brute & tant foit peu de 1'ange, De Ia clarté du jour & de 1'ombre des njits. Par charité pour mes ennuis Epargn?z-moi toute louange, Et prenez- moi tal que je fuis. De Freyberg, ce ao de Mars 1700. A VOLTAIRE, Toujours fur la paix. Peuple charmant, aimables fous, Qui paricz de la paix fans fonger a la faire, A la fin donc réfolvez-vous: Avec Ia Prufie & 1'Angleterre Voulez. vous Ia paix ou Ia guerre? Si Neptune fur mer vous a porté des coups, L'efprii plein devengeance& le cceur en courroux, Vous formez ie projet de fubjuguer la terre} Votre bras s'arme du tonnerre. Hélas! tout, je le vois, eft a craindre pour nous: Votre milice eft invincibla, De vos héros fameux le Dieu Mars eft jaloux, La fougue francoife eft terrible f  P O E S I E S. 203 Et je crois déja voir, car Ia chofe eft plaufible, Vos ennemis vaincus tremblant a vos genoux. Mais je crains beaucoup plus votre rare prudence, Qui par un fortuné deftin, A du fouffle d'EoIe, utile a la finance, Abondamment enllé les outres de Bertin. Vous par/ez k votre aife de cette cruelle guerre. Sans doute les contributions que votre feigneurie de Ferney donne a la France nourris. fent Ia conftance des miniftres a la prolonger. llefufez vos fubfides^au Trés-Chrétien & la paix s'enfuivra. Quant aux propofitions de paix dont vous parlez, je les trouve fi extravagantes, que je les afli^ne aux habkans des petites mai* fons, qui feront dignes d'y répondre. Que diraije de vos miniftres ? Ou ces géans font fous,ou ces géans font dieur. Ils peuvenr s'attendre de ma part que je me défendrai en défefpéré: le bafard décidera du refte. De cette affreufe tragédie Vous jugez en repos parmi les fpeétateurs, Et fifïïez en fecret la pièce & les acteurs; Mais de vos beaux efprits la cervelle étourdie En a joué la parodie. Vous imitez les rois, car vos fameux auteurs De fe perfécuter ont tous la maladie. Nos funeftes débats font répandre des pleurs, Quand vos poëtiques fureurs Au public né moqueur donnent la comédie. 1 e  50(t POESJES. Si Minerve de nos exploits Et des vötres un jour faifoit un jufte choix, EUe préfdreroit, & j'ofe le prédjre, . Aux fous qui font pleurer les peuples & les rois Les injenfés qui les font rire. Je vous ferai payer jusqu'au dernier fou, pour cue Louis du moulin ait de quoi me faire la guerre. Ajoutez dixième au vingtième, mettez des capitations nouvelles, créez des charges pour avoir de fargent: faires en un mot ce que vous vo-drez. Nonobftant tous vos efforts, vous n au> rez la paix fignée de mes mains qu'a des cond.Sus honorables a n,a natiou. Vos gens bouffis de vanicé & de fottife peuvent. compter fur ces |-arples fr.cramemales.. ■ Cet oracle eft plus fór que celui de Chalcas. Adieu, vivez heureux. Et tandis que vous Wu„ tous vos efforts pour détruire a Pruffe. penfóz que perfonne ne 1'a jamais moins péhté cue mor, ni de vou<,ni de vos Francois. De- Freybeug, ce 2o de Mars J.7s0. ~~J V MJROUIS D'JRGhNS,. fur Védition qu'il ënvoya au Roi des Poë: ' Res de Sans-Souci. .'.•iFclatrt i i j ;..>•:'..«!«•;,.sa sl a«.t Grand merci, Marouis, de roorr rirame,, Que nralgrë Né.ulme C') & & femma £*) Librai're»  p O E & I E S* S05 Vous vous preflez de, publier. Et fi la calomnie infame Se complait a me dCcrier, Si chez le PaïtFe on me diffame,. Vofs (*.) pourra me juftifier. Croyez que moi tout le premier En père conrroucé je blame Ces vers qui me font fommeiller. Le curieux qui les réclame,. Peftera dans Ie fond de 1'ame Du pris qu'il en faudra payer. J'entends des cenfeurs aboyer, Et d'une mordante épigcamme Crudlement m'hurmlier. Ah ! ma disgracie'ïfe veine, ' Voila comme ils payent la peine Que tu pris de les ennuyer. Un rimeur qui femble avoir 1'afihme „ Et p.'oyant toujours fous le faix, Sans vigueur, fans enthoufia'ïne, Glacé dans (es plus forts accês» Espire aux cris de l'ironie, Et le public qui le dénie, Enterre fon nom pour jamais. A fon convoi fous des cyprèï Des brocards la cacophonie : Vient fe joindre a la compagnie Des trop tardifs & vains regrets. Alors fes mathe'.üreux ouvrages. C) Libraire qui imprima 1'ouvragc.  aof5 P O E S I E S. Etalés au coin des marchés, Ont a fouffrir tous les outrages A ceux de Pradon reprochés. Elevez donc un cénotaphe A mes écrits in fortunés, Véridique hiftonographe. Tracez y ces mors mieux tournés Qu'ils ne font dnns cette épitaphe: „ Ci-gifent, (d'Argens Ie psrafe) „ Ces vers morts le jour qu'ils font nés." De 1760. AU MARQUIS D'ARGENS, Après que les Autrichiens eurent pris Schweidnitz. "Les biens & les maux confondus, Dont le ciel a fetné Ie cours de nos années, - Par leur flux & par leur reflux Bouleverfent fans fin nos frêles deftinées. L'avenir efl caclié, les Dieux feuls l'ont connur L'homme a Ie pénérrer s'abufe & perd fes peines; Ses calculs font fautifs, fes efForts fuperflus, II fe trouve écrafé par des coups imprévus. Ahl Marquis, les chofes humaines Sont toutes frivoles & vaines. Lorsqu'un malheur fubit vient de nous arriver, Nous cornmencons par 1'oggraverï  P O E S I E S. 207 II eft défefpérant, infupportable, extréme. Bientót ne penfant plus de même, Nous finiflbns par le braver. Pourquoi nourrir en nous autant d'inquiétudes? L'empire des vicilTitudes Eft le lieu que nous habitons. Au fein des maux que nous foufFrons, Dans les épreuves les plus rudes, Ainfi que le fage penfons. Aujourd'bui des revers le poids nous importune, Demain finconttame fortune Nous favorilé'.a, Marquis, & nous rirons. Nemurmurons donc plus & ceflbns de nous plaindre D'un mal qui ne fauroic durer; Le fage ne doit pas trop craindre, Et moins encor trop efbérer. A Nullen, ce 3 d'Octobre 1761» A LA PRINCESSE AMELIE, fur une negociation de paix qui èchoua* ^7"olez, mes vers, a Magdebourg, Allez chez ma fceur pour lui dire Que de fa troifiéme Hégire (*) Nous atteignons le dernier jour. Ce fier triumvirat qui vouloit meprofcrire, (*■) Fuite de Mahomet de Ia Mecque. Pendant la guerre la cour fe reiira trois fois deBerlin h Magdebowg,.  ,ao8 P 0 E S I E S. Paroit agonifiin?, & la fureur expire. Du Très-Chrétien battu les guerriers afFoiblis, Revenus d'un profond délire, Ne feront pius flotter les lis Parmi les aigles de 1'Empire. Mais après leur défeétion L'orgueil, 1'acharnement, 1'extrême ambirioa Donc brüie 1'implacable Reine, Le formidabls apprèt joint au puiiTsnt eflört De la fouveraine du nord, Feront encor rougir 1'arêne D'un fang dont leur rsge inhumaine Vaudroit défaicérer 1'Mfatiable Mort. Ainfi nos vceux fervens ont adouci le fort. Jouet des aquilons & des futeurs de 1'onJe, Dans peu notre nef vagnboude Sur les flots appaifés pourra voguer au port. Mais qu'il en coütera de travaux cette année, Avant d'avoir atteint c'etre heureufe journée, Oü la paix amenant Ia joie & les plaifirs, Arrétera le cours dts pleurt & des foupirs! Courez, volez, heures trop lenies, Surpaflez, s'il fe peut, mes rapides défirs; Conduifez fur nos bords ces Déités charmantes, Les Mufes, Mineive & Thémis. Que Mars au front d'airain de fes.flèches fanglantes N'atteigne que nos ennemis, Et que nos demeures riantes Dans leurs retraites innocentes Nous raflemblenc enfin avec tous nos amis. Alors loin de ces champs que Bellone défole,.  P O E S I E S. Au bout de mon pénible róle, Déteflant ce théatre oü fouvent j'ai monté, Et fouvent mal repréfenté D'un tragique héros le faltueux fymbole, Je pourrai vivre en liberté, Sacrifiant avec gaieté Au bonhe.ur d'un peuple frivole L'ambition cruelle & folie Et 1'ennuyeufe gravité. De Mciffen 1760, LE TTRE A VQLTAIRE. Quelle rage vous anime encore contre Mauper. tuis? Vous faccufez de, m'avoir trahi. Sachez qu'il m'a fait remettre fes vers biens cachetés après fa mort, & qu'il étoit incapable de me manquer par une pareille indifcrétion: Laiffez en paix la froide cendre Et les manes de Maupertuis; La vérité va le défendre , Elle s'arme déja pour lui. Son ame étoit noble, & fidelle; Qu'eile yous ferve de modèle. Maupertuis fin vous pardonner Ce noir écrit, ce vii Iibelle Que votre fureur crimmelle Pric foiu chez moi de griffonner.  210 POESJES. Voyez quelle eft votre manie. Quoi*! ce beau, quoi! ce grand génie, Que j'ad.nirois avec tranfport, Se fouille par la calomnie, Même il s'acharne fur un mort! Ainfi jetant des cris de joie, Planant en fair, de vüs corbeaux S'affemblent autour des tombeaux Et des cadavres font leur proie. Non, dans ces coupables excès Je ne rcconnois plus les traits De fauteur de la "Henriade: Ces vertus dont il fait parade, Toutes je les lui fuppofois. Hélas! fi votre ame eft fenfible, Rotigiffez en pour votre honneur, Et gémiflez de la noirceur Da votre cceur incorrigible. Vous en revenez encore a Ia paix. Mais quelles conditions! Certainemenc les gens qui la propo. fent, n'ont pas envie de la faire. Quelle dialectique que ia leur! Cédar le pays de Clèves, paree qu'il eft habité par des bêtes! Que diroient ces miniftres, fi on demandoit la Champagne, paree que le proverbe dit: nonante-neuf moutons & un Champenois font cent bêtes. Ah! lailTons tous ces projets ridicutes. A moins que le miniftère francois ne foit polTédé de dix légions de démons auttichiens, il faut qu'il falie la paix. Vous m'avez mis en colère; votre repemfr obtiendra votre  P O E $ I E S. 211 pardon. En attendant je vous abandonne a vos remords & aux furies vengerelTes qui pourfuivent les caiomniateurs, jusqu'a ce que certe religion naturelle que vous dites innée, renouvelle les traces qu'elle avoit autrefois imprimées dans votre ame. Vale. ' ., _. AFreyberg, ce 3 d'Avnl 1700. E P I T R E AU MARQUIS D'ARGENS, En lui envoyant les lettres de Phiphihu que le Roi avoit compo/ées: elles contiennent une fatyre du Pape, qui avoit envoyé au Maréchal Daun une toque ci? une épée bénites. jVIarquis, je vais fur vos brifdes, Tantót Suifle, O tantót Chinois, Je rede incognito fous ces formes ufées, Et débite mes billevefées Contre ces potemats fournois, Geas durs & de mauvais atoi. Je révèle au pubüc, me cachant fous uu mafque, La honte d'un pontife & les crimes des rois Que ma plume en jouant, par un travers fantasque, Avec ménagement perfiffla quelquefois. (*) II avoit paru des Lettres d'un Suifle,dans lefquelks le Roi developpoit la politique de la cour de Vienne.  212 POESJES. Je fais flèche de tous les bois. Puisque mon fer s'émoufie, il faut bien que ma plume Me venge des afFronts dont 1'ennui me confume, Et verfe felon fon pouvoir Les flots de la plaifanterie, Et d'une modefte ironie, Sur le Saint Père, unique efpoir De 1'augufte & fiére héroïne Qui refpire le fang & trame ma ruïne; Sur Ia cour ennemie & le cceur traitre & noir D'une pfincefie a haute mine, Que dans le fond du nord oü fa grandeur domine, Jadis Algarotti fut voir: Sur ce prétre infenfé qui contre moi fulinine L'anatheme raatiu & foir, Ayant au ** Ia crifialline, En main Ie fceptre & 1'encenfoir: Je 1'avonrai, ma confcience Voudroit qu'avec plus d'indulgcnce Je pardonnafie en bon chréiien De tant d'affronts recus 1'irréparable orTenfe. Non, je n'en vois pas Ie moyen; On nous dit, & chacun le penfe, Que le plpifir de la vengeance Eft uq plaifir des Dieux, & pour le goüter bies Je fuis en ce moment païen. Comment I par refpecr. pour le tróne Nous faut il laifl'er outrager, • Et flatteurs rampans ménager Ces avonons de ïiliphone, Ces rois qui n'épargnent perfonne,  p O E S I E S. 213 Lorsque la force en main ils peuvent fe venger? Si j'avois du brillant génie Recu le rare don du ciel, J'aurois plus finement fu draper la manie De ce tas d'écoliers qui de Machiavel Ont fait lecon de perfidie, Qui prêrs a fe canouifer, Avec un air de modeflie, Ne parient que de m'écrafer. Mais après les Lettres perfannes, Et les écrits d'un certain Juif, Le lecteur fort rébarbatif Rira de mes ceuvres profanes, Et d'un regard un peu trop vif Aux ongles connoilfant la béte, J'ai trouvé, dira r-il,«dans 1'écrit que 1'on fète, Au lieu d'un maitre un apprentif. Ah! pauvre chantre d'Arcadie, Ainfi tu te peinas en vain, Pour imiter la mélodie Du roffignol ou du ferin: Tes airs en font la parodie. La Princeffe Amélk avoit écrit au Roi qu'elle cr'algnöit bien que la paix ne fe fit pas fitót Ê? le Roi lui répondit par ces vers. Lorsqu'un fils d'Apollon que fon Démon lutine, Dans le fort du travail embrouille étourdimeut  2l4 P O E S I E S. Un fujet compliqué qu'au théatre il deftine, Son efprit, fatigué dans eet épuifement, Emprunte pour fon dénoument Le fecours d'un Dieu de machine. E P I T R E. Enfin le trifte hiver précipite fes pas, II fuit enveloppé de fes fomhres frimats; Le foleil vient dorer le fommet des moniagnes, Ses rayons renaifians ont fondu les glacons, Les torrens argentins tombent dans les vallons, Et leurs flots ferpentant humeéteut les campagnes. Les autans rigoureux, les fougueux aquilons, Dans les antres du nord ont cherché leur afile. Le printemps vient, tout rit,Ie fouffle des zéphirs Rend le fein de la terre abondant & fertile; II ramêne aux mortels la faifon des plaifirs. La narure aux abois, fans force & décrépite, Que 1'hiver a pendant fix mois Eufevelie fous fes lois, Triomphe du tombeau & d'un fommeil ftupide, Comme 1'infeéte chryfalide Reflbrt de fon cocon plus brillant qu'autrefois. La jeune, la charmante Flore, Profitant de ces jours fereins, IncefTamment va faire éclore Ses fleurs, 1'ornement des jardins. Les doux parfums de 1'air, lachaleur, toutconfpire  p O E S 1 E S. 215 A ranimer 1'eflbr de nos fens morfondus, A nous réunir aux élus, Sous le voluptueux empire Qu'étend fur tout ce qui refpire Le preflige enchanteur des charmes de Vénus. Déja fon feu divin infpire L'amour qu'en gazouillan: expriment les oifeaux; Elle échauffe 1'inftinct des habirans des eaux; Par elle le berger pour fa Phyllis foupire, Tandis qu'un même amour enflamme lés troupeaux; Reine de la nature, elle amollit & touche Le cceur fanguinaire & farouche Des tigres, des lions, des cruels léopards; Les accens de fa belle bouche Ont fu fléchir jusqu'au Dieu Mars. Mars lorsque toute la nature S'abandonne a 1'inftic.cï d'une volupté pure, Que l'amour de fes feux paroïc tout ranimer, Que fair retentit du murmure Des amans qui fous la verdure Chaiitent le doux plaifir d'aimer; Uu aulière devoir m'ordonne de m'exclure Des charmes enehanceurs que je viens de nommer. L'houneur parle, la gloire altière Va m'entralner dans la carrière, Oü 1'implacable Mars, au regard inhumain, Parmi des tourbillons de flamme & de pouffière Fait dans des flots de fang rouler fon char d'airain. L'efprit eft occupé par des exploits rapides, II n'eft plus la d'Amour, de Cinyre, ou dTris; Ou ne voit que des Euménides,  216* f.OESIES. Parmi le meurtre & les débris, Exciter, animer, par 1'éelac de leurs cris, Dans 1'effort du combat ces guerriers homicides, Du vif défir de yaincre & de la gloire épris; Et 1'on n'appercoit d'autre image Que rapt, violence & carnage. Tandis que 1'univers ne paroit afpirer Qu'au noble emploi de réparer L'immeufe & mémorable perte Que 1'efpèce humaine a foufferte , Quand Ia nature,enfin vi partout s'occuper Du donx plaifir de reprodnire, Une fatale loi nous condamne rVdétruire Tous ceux que Mars a tardé d'txurper. Eh quoi! la nature féccndfl Dans fa profufion n'apu nous départir Qu'un éoyen pour entrer au monde; II en eft cent pour en fortir. Ne devrions- nous pas diminuer Ie nombre De ces chemins femés de douleurs & de maux? Mais 1'homme airabilaire & fombre En invente avec foin chaque jour de nouveaux. Ah! quelle fureur nous enivre, Pour t'immoler, ö Mars, nos-plus tendres de'firs! Qu'il en coüte, ó gloire, a te fuivre! Nous avons deux momens a vivre, Qu'il en foit un pour les plaifirs. De Freyberg. Avril i~6o. CON-  P O E S I E S. si? g O N T E. Les amours d'une Hollandoife cj? d'un Suijfe, par correfpondance. Dans ces beaux jours oü renaït la nature, Oü fair pefant de fes frimats s'épure, On voit éclore & fleurs & papillons, II natt anflï des Amours par millions. Les uns font gais, libertins & volages, Les autres font rêveurs & férieux, Ceux- ci hautains & tant foit peu fauvages, Ceux-la plus vifs, ardens, impétueux, Tracafliers, changeans, capricieux. Mais en faifant ces divers perfonnages, Dans leurs efprits ils ont mêmes travers. Défiez-vous de leurs donx gazouillages, De leurs tranfports, de leurs fermens légers, Que les zéphirs eraportent dans les airs; Retenez bien, fi vous rn'en voulez croire, Ce conté-ci, recueilli de mon temps Dans les replis fecrets de ma raémoire. Or eet Amour dont je vous fait Thiltoire, Vers le début de ce préfent printemps, Recut le jour de grotesques pareus; II naquit donc chez une Hollandoife, Folie d'orgueil, & qui fe pamoit d'aife, Oeuy. pojlk, de Fr, II. T. vil. K  215 poesje s. Lgrfque I'efpoir de titres éclatans. Enfioit fon cceur tout pétri de fadaife. Coucfcée un jour mollement fur fa cbaife, Soit vanicé, foit par amufement, Elle voulut fe donner un amant; Qüoique fon cceur, felon la voix publique, Füt réputé dans les pays flamands Pour des plus froids, pour flegmntique. Donc il avintque t'Auwur qu'elle fit, , Très-refTemblant a fa mère, naquit Plein d'intérêc, le cceur paralytique, Digne par-la,fi 1'ou y réfléchit, D~> devenir un jour grand politique. Ce gros Amour néanmoins piéteodit De devenir le concurrent pudique De Cupidon, nommé le Cythérique. Voici commeut norre balourd s'y prits II jeta 1'ceil fur uu honnéte Suifle; II fe flatta fans trop fe fatiguer, Qu'il pourroit bien au gré de fon caprice Prendre d'afTaut ce cceur encor novice. II le falloit de fort loin fubjnguer; I! ne pouvoit préfenter a fa vue De deux tetons les gentüs boutonneaux, Toujours flottans, tantót bas, tantót hauts, Sur le fatin d'une gorge charnue. II recourt donc alors trés a propos A ce bel art, qui peignant nos idees, Les fait palier par des fflains afïïdées Aux doux amaus, ou bergers, ou héros. La leure vieut, on la lit, que d'alarmes!  p O E S I E S. 213 Elle difoit en ftyle gracieus: ,Tai des tréfors, ce font-la de vrais charmes; „Ca, que 1'on m'airae, & qu'on rende les armes. • Huit fois par mois ces aimables poulets Venoient d'Utrecht a Freyberg par exprés, Pour rendre un Suifle amoureus & fidelle, Le pauvre Suifle, affez mal en fequms, Pour ce métal fe fentant quelque zèle, Auroit voulu foupirer pour la belle; jViais comme on fait qu'ici bas les deflins De toute chofe ont difpofé la courfe, Notre bon Suifle, imbu de projets vains, Ne fe fentit épris que de la bourfc; Pour elle enfin s'allumoit fon brafler. L'Amour d'Utrecht, balourd & non forcier, Ne favoit point le code de Cythère; 11 ignoroit que le grand art de plaire A Cupidon valut plus d'un laurier. Qu'arriva-t-il de 1'atTaire entaraée? Le voici net, & le monde faura, Ainfi par moi que par la renommée, Que notre Suifle affez froid demeura; Le feu languit, la cendre s'affaifla, Tout s'éteignit, & parmi la fumée L'Amour d'Utrecht 'dans les airs s'envola. A tout Amour de pareil caractère, Intérefle , Hoid & fans paflion, Du petit Dieu trèi-difforme avorton, Vénus difta, pour l'honneur de Cythère, Cette fentence équitable & févère: „ Quicónque aura léfé de Cupido» K 2  220 POESJES. La mnjcfté, pour fa pnnition , „ En qnalité de fourbe & de fauflaire, „ N'arteindra pas a 1'itnage légère „ Du vrai bonheur dont. jouir a foifon „ Quiconque fert & 1'Amour & fa Mère. Si cependant par rufe le félon ,, Entrelalfoic les nceuds du mariage, „ Le jour d'hymen fera pour Ie fripon Le premier jour d'e'temel cocuage. A Freyberg. Avril 1760. A VOLT AIR qui avoit fait un compliment flatreur au Roi fur des vers qu'il lui .avoit envoyés. De 1'art de Cefir & du vórre J'étois trop atnoureux dans ma jeune faifon; Mais je vois an fiambeau qu'allume ma raifon Que j'ai mai réufli dans 1'un comme dans 1'autre. Depuis ce grand Romain qu'on ofii malTacrer, Dans les noms que l'hiftoire eut foin de confacrer, li n'en eft presque aucun, en exceptant Turenne, Condé, Guftave Adol^be, Eugèae, Que 1'on ofe lui comparec. Sur Ie Parnaffe après Virgile je.trouvé fur dix-fept cents ans Que le genie bumain firile Fut dépourvu de grands talais.  P O E S> I E S. 321 Si Ie TalTe depuis réuffic a nous plaire Par les beaux détails de fes chants. Sa fable mal ourdie altère Tout 1'éclat de fes traiti brillans. Enfin Ie feul digne advetfaire Qu'au cygne de Mantoue on ait droit d'oppofer, On va le deviner, je me Ie perfuade, C'eft 1'au'teur que la Henriade Mérita d'immortalifer. Pour moi je me renferme en mes jtiftes limites. Et loin de me flatter d'atteindre en mon chemin Au talent du poëte & du héros rovnain, Je borne mes foibles mérites Aux foins de fècourir la veuve & 1'orphelin. L E T T R E AU MARQJJIS D'ARGENS., D e notre camp de porcelaine, Au fidelle & b'on citadin Des murs antïques de Berlin, Salut & fanté fouveraiue Parix & tranquillité prochaine. Or dites-nous, mon cher Marquis, Que faites-vous & Ia Marquife, Séqueftrés dans votre taudis ? Tous djttix viVans enfevelis, K 3  ,t si POESJES. Redoutez-vous toujours la bife, Et le perfide vent coulis, Qui perce rideaux, & méprife L'épais tiffu de vos habits? PaiTez-vous les jours & les nuits, Selon vos us & votre guife, Sans fortir tous deux de vos Hts? Ou bien commentez-vous enfembls Quelque vieux philofophe grec, Ouvrage charmant, quoique fee, Devant lequel fimprimeur tremble Et s'agenouille par refpeft? Mais non, mon efprit imagine, Ou pour mieux dire, je devine Le train de vos jours ufité : Je crois vous voir en votre chambrs, Oü n'emra jamais odeur d'ambre, Dans ia flanelle empaqueté, De pelilTes emmaillotté, Les pieds fur votre chaufferette, Le bonnet de nuit fur les yeux,. Diflerter avec Ie prophéte Sur le deftin que nous appréte L'obfcure volonté des cieux. Moi, dont 1'ame matérielle N'a pas le don de s'exalter, Je puis, fans vouloir empiéter Sur votre difeur de nouvelle, Vous en révéler aujourd'hui D'aufli vraifemblables que lui. Je les tire de ce grimoire  P O E S I E S. 22J Que me donna ce vieux Djffau, A l'ceil fier, a mouftache noire, Magicien dès le berceau. Voici ce que dit ce bon livre Sur 1'hiftoïre de favenir; Gardez-vous bien de le honnir, Oa bien malheur pourroit s'enfiiivre: De croyance il faut vous munir. , Dès que 1'ardente canicule „ Aura por'té dans les cervcaux „ Ce feu pénétranc qui les brüle, „ Alors les princes, les héros, „ EmprelTés fur les pas d'Hercule Aux combats iront a grands flots. „ Notez que d'iceux les plus fots, „ Di Pruflé, d'Aucriche & Ruffie „ Achamés fur la Siléfie, , Aux autres tourneront le dos." Si cependant je vous dois dire Ce qui fe paiTe dans mon cceur, Tandis qu'en ce moment flatteur Avec vous je ui'efforce il rire, Tout en badinant je foupire, Et fens le poids de mon malheur. Plein- de chagrin & de fureur Je donne a tous les mille diables Les cercles & leur empereur, Les Oarfomanes exécrables, Vos Frangois, quoique plus aimables, Avec leur Louis du moulin, Ses miniftres* & fa catin, K 4.  a24 POESJES. Madame & Monfieur Ie Dauphin, Et la guerre & la politique. Je confefie fincèrement Que ce petit emportement N'eft point dans le goüt du portiqtfe. Et n'a point eu pour élément L'impaflïbilité ftoïque. Mais j'aurois voulu voir Zénon , Socrate & le divin Platon, Contre trois femmes enragées Da hauteur, d'org.ueil rengorgées-, Se débattre dans ce canton, Et dans ces plaines ravagées EiTuyer fur leur trifte front Chaque jour un nouvel affront-; Leur fang froid & leur patience, Dans cette épreuve d'infolence, N'auroit pas longtemps tenu bon. Et quand p'auroit été Caton, Dans fon cceur rempli de fouffrance: II auroit fenti, j'en réponds, Les aiguillons de la vengeance. Et que peut la froid* raifon Contre le cri de Ia nature? On s'aigrit a force d'injure, Et felon mon opinion On verra toute créature Penter de même que Timon. Voila, Marquis, comme raifonne L'efprit, ce fophifte éloquent. Puis-je cacher gar ce clinquanr  P O E- S I E S. 225 La'paÜïon qui m'empoifonne ? Quoi qu'il en foit, en ce moment Jé puis efpéfer fermement Que tout bon Chrétien me pardonne, lit que Dieu, fi doux, fi clément, En fera par clémence autant. Vous furtout dont j'ambitionne, Soit dans mon camp, foit fur le tróne, Lés fuffrsges & 1'agrément, Vous m'abfoudrez tout doucement" De ce pêché que la Sorbonae, Même 1'archange Gabriel, S'il argumentoit en perfonné, Trouveroic un pêché véniel. E P I T R E AU MARQUIS D'ARGENS, comme les- RuJJ'es 6f les Autrichiens Uoquoient le- camp du Roi, H/i philbfophe des Marquis, Le Provencal Ie plus fidelle, Ne ra'a de deux grands mois transmis ' Ni mot, ni bille:, ni nouvelle.' Ce n'eft paj lui que je querelle, Mais ce vil ramas de brigands, - A MeitTen, en Mai 17S0. K5-  2»5 POE SI E S. Ces baibares qui tous les ans Vieunent au milieu de Pautomne, Des riches faveurs de PomoneDépouiller nos fertiles champs. Comme un vafte & fombre nuage Renferme en fes flancs ténébreux La grêle, la flamme & 1'orage, Eft dévancé par le ravage Des aquilons impétueux: Ainfi eet eflaim de barbares De nos troupeaux, de nos tréfors* Pilleurs & ravilfeurs avares» En inondant ces triftes bords, Ont été précédés des corps De leurs Cofaques & Tartares, Artifans de deftruftion, D'horreur, de dévaflation. Ils ont enlevé pour prélude Vos lettres & mon poftillon. Bientót leur vafie multitude, Jöinte a 1'Autrichien Laudon, Nous entoure avec promptitude ; Tous leurs guerriers font un cordon. Voila notre camp qu'on affiége; L'Autrichien veut batailler, Tout orgueilleux de fon cortége. Le RulTe craiut de ferrailler. Mais le Dieu de 1'intelligence, Qui n'entre point dans les confeils De ces gens a Thrafon (*) pareils, ^*) Brave de Térence.  P O E S I E S. aj Nous fit trxmver dans la conftance Notre rempart, notre alTurance Et non dans de grands appareils. La méfiante vigilance, Tous les matins, au trait vermeil Que dardoit la nailTante Aurore, De nos yeux 'tout prêts il fe clore Chaflbit les pavots du fommeü. Et Mars qui felon fa coutume Se rit d'un catarre ou d'un rhume, Gagné dans fes champs périlleux, Au lieu de la douillette plume, Nous fournit des lits plus pompeux Que n'ont les courtifans oifeux, Qui dans la moüeiTe, a Verfailles, En étourdis de nos batailles Se font les juges fourciileux. Une colline en batterie, Monument de notre induftrie, Fut notre fomptueux palais, Et des javelles que fans frais AmalToit une main guerrière, Nous offroient leur douce litière; La terre portoit notre faix, Et des cieux 1'immenfe carrière De notre lit formoit le dais. La quinze jours, & plus encore, Nous vimes la naifiante Aurore A fa toilette le matin De vermillon haufTer fon teint, 5e parer de fes éméraudes,  »25< f o e S i e s: De fes rubis, montés aux modesQui de Paris vont a Berlin. De même vers le crépufcuïe, Tant que dura Ia canicule, On nous vit, fans nous relacher,. Affiüer au petit coucher De Phébus , qui chez Amphitrite Toutes les nuits fait fa vifite. Enfin.par un heureux hafard, Ou bien quel qu'en foit le principes, Des bataillons 1'épais brouillard En moins d'un clin d'ceil fe difiïpe. Oü font ces hommes qu'ont vomis s Les bords glacés du Tanaïs, Les marais empeftés du Phafe* Ou les cavernes du Caucafe ? Je n'appercois plus d'ennemis. Non, non, ils n'ont point de fcrupules Ils vont fuyant vers la Viftule, Pour cacher la home & 1'affront Dont cn a fait rougir leur front. Qu'ils retouruent dans leur repaire i Chez les farouches animaux, Et qu'ils de'chargeut leur colère Sur cette engeance fanguinaire, De tigres, d'ours, de lionceaux. . PourLaudon, cevaillant Achille,-. Qui traite a. préfent d'imbécille Ce Daun qu'il méprife & honnit? Quoique du Saint Père bénit, Laudou & fa troupe dorée,  FOESI'-E'Si »J- Et fes guerriers & fes ateliers, Se font-une belle foirée, Blottis der-rière un rocher, Oü nous n'irons pas les cherchsr.' Tels font les geiles véridiques, Les faits, lês exploits héroïques, Qu'ont vus les champs fitéfiens Des Rulfes & des Pruffiens, ■ Mais tandis que ma Mufe accorte Très-fuccintement vous rapporte Les proueffes de nos foldats, Subitement devant ma porte Arrivé, avec un grand fracas, Cette bavardé (*) a 1'aile prompte Qui fans refpirer vous raconte Ce qu'elle fait ou ne fait pas, Et qui répand a chaque pas La gloire tout comme la honte r Des belles & des potentats. Cette rapide Renommée Dont 1'homme Ie plus éverué, Et le fage par vanité, Convoitent tous deux la fumée, Nous apprend par des bruits confus Que Daun & Broglio font battus. (t) . C'eft ainfi-que le Ciel fe joue De ce que 1'homme croit prévoir; Ce plan oü fe fondoit i'èfpoir Que la grande alb'ance avoue, Et que Laudon fans s'arrêter (*) Faufle nouvelle, (t) Cela étoit faux. K7  gjo P 0 E S I E S. Contre nous dut exécuter, Ce plan dans un moment échoue. Ceci merappele, Marquis, La montagne de la Fontaine, Qui hurlant & jetant des cris, Du travail d'enfanter en peine, Waccoucha que d'une fouris. GAZETTE MILITAIRE. Dans ce moment, de grand matin, Nous apprenons par le Sarmate Qu'un de nos héros", nommé Plate, Vient de donner un coup de patte Au Mofcovite Butturlin. 11 a pris un gros magalln Et deux mille hommes a Koblin; Mais, ce qui pafle la croyance, Et facbe la rulTe Excellence, Ce font cinq mille chariots, Tóus bien chargés par prévoyance Du butin que fit ce héros. Oh, que la guerre eft impoii'e! De plus, voici ce qu'on apprend: Qu'une cité trés-bien tnunie, Capitale de Posnanie, Par un bonheur tout aufti grand, Signale le,bras triomphant Du vainqueur du peuple ourfomnn. Neuf bataillons portent nos chaines,  f O E S 1 E S. aït' Et ce Butturlin fi rétif, Cet ardenc dévafteur de plaines Chez le Sarmate fugitif Se cache pour pleurer fes peines. Ainfi, bonnes gens de Berlin, Ne craignez plus pour cette automne Les maux que vous feroit Bellone Sous la forme de Butturlin. Pour éviter votre ruïne, Nous avoas eu 1'art de traiter D'une alliance a la fourdine Avec Madame Ia Famine; Lorsque fur elle on peut compter, Jusqu'aux ours tout peut fe dompter. Ah! puiftent-ils dans la mer noire Tous-ces facheux, tout d'un plein faut, La tête en bas, le cul en haut S'abymer eux & leur mémoire! Du camp de Bunzelwitz 1761.' EP I T R E Aü MARQUIS D'ARGENS. Orgueilleufe raifon I ce trait doit te confondre: Que de maux inouïs fur nous viennent de fondreï L'ceil n'a pu les prévoir, ni 1'art les prévenir. Un voile impénétrable a caché 1'avenin  jgf, f O E S I É S. Nos regards curieux fans fin fur lui s'exercent;" Leurs efforts font perdus, jamais ils ne Ie percent,, La campagne, Marquis, approchoit de fa fin, On ofoit fe flatter d'un plus heureux deftin; Déja difparoiflbit 1'immenfe multitude De ce peuple cruel, né dans Ia fervicude, Qui tel qu'aux Appennins les orageux torrens, Ravageoic nos cités & dévaftoit nos champs. lis avoient fui: 1'efpoir commengoit il renaitre, Qu'ayant moinsd'ennemisonles vaincroitpeut-être. Ce calme inefpéré ne dura qu'un moment: La foudre avec 1'éclair partit au même inftanr. L'Autrichien caché, tapis dans fes montagnes, Prémédite fon coup, defcend dans les campagnes. Les travaux dont Vauban, le digne nis de Mars, Par des folTés profonds défendoic les remparts Dont Schweidnïz afliiroit fa redoutable enceintë, N'ont pu contre un afiaut la préferver d'atteinte. Sous un bras téméraire autant qu'audacieux Elle tombe une nuit, presque a nos propres yeux. Dès-lors les embarras de tout cóté nous prelTentJ Depuis ce coup fatal tous les troubles renailfent. De 1'Oder jusqu'au Rhin, de Cofel a Colberg On voit 1'airain tonnant, & la flamme & Ie fer Déployer leur horreur fur toutes mes provinces, N'épargnerni les grands ,ni les peuples, ni princes; Tout 1'Etat eft en butte a ce commun danger. Je ne puis me défendre, & je dois me ve->ger? Les ptojéts des Céfafs, des Condés, des Engènes Dans cect-"ï extrêmité font des fciences vaines. II faudroit que le Ciel, favorabte il nos vceuxi  P O E S I E S. Daignat manifefter fon bras miraculeux. Nos moyens font a bout, 1'adrelTe & la vaillance Succombent fous le nombre & fous la violence De 1'univers entier conjuré contre nous. Le fage doit prévoir; il le peut, direz- vous; Des faits bien combinés lui tiennent lieu d'augures., 11 fe prépare ainfi d'heureufes conjonaures. La prudence, Marquis, eft un fil incertain; II guide, égare, & cède au pouvoit du deftin. L'apparence fouvent dement ce qu'elle indique; Ce qui paroit probable au fond eft chimérïque. Tel eft ce labyrinthe oü 1'homme fans flambeau Se perd en tatonnant, 1'ceil chargé d'un baudeau. Le perfide métier que celui qui m'occupe! En calculant mes pas je n'en fuis pas moins dupe Des caprices du fort & des événemens. Je perds en vains projets de précieux ïnomens.Ma conftance aux abois du fardeau qui m'excède, D'un foin opiniatre y veut porter remède; Mais-quel efprit percant pourra me confeiller Par quel are ce chaos pourra fe débrouiller? Ahl.quelque fermeté qu'ait 1'ame la plus forte, Un torrent de malheurs fur elle enfin 1'emportei Quand on n'a plus d'efpoir, le courage tarit, Et 1'efprit révolté contre fes fers s'aigrit. Le fatal afcc-ndant du fort qui m'enveloppe,.. Infecte mes efprits d'un poifon mifantrope; J'ai pris ma vie en haine & le jour en horreur: Et lorsque Ia raifon adoucit cette aigreur, Qu'un intervalle heureux permet que je refpire--, D'ua défafire nouveau 1'on s'emprefie. a m'iuftruiïs».  23v P O E S I E S. Pour rjQiirrir ma douleur, hélas! que d'alimeus! J'épanche en votre fein mes fecrets fentimens. Jamais 1'ambition, ni l'intérêt infame, N'ont pu tenter mes fens, ni fubjuguer mon ame,; Un fentiment plus grand, plus noble & gériéreux Au fortir du berceau m'embrafa de fes feux. Mon cceur vous eft connu;vous favez qu'il dédaigneLes fymboles poinpeux d'un defpote qui règne, Que fouvent entouré d'un appareil fi vain, Vous m'avez toujours vu moins roi que citoyen. Mais ma philofophie & mon indiiférence Ne vont point a foufFrir 1'injufte violence De ce complot de Rois, qui fans fe rebuter, D'un tróne chancelant veut me précipiter. Qui foule aux pieds 1'orgueil, détefte lafoiblefie; Endurer un afffont, cher Marquis, c'eft baflefles De ce tróne envié, tout prêt a fuccomber, Je defcendrois fans peine &n'enveuxpastomber. Peut. être qu'autrefois enchanté par 1'hiftoire J'ai trop facrifié a l'amour de Ia gloire: L'exemple féduifant de tant d'hommes fameus Me remplit du défir de m'élever comme eux. Mais bientót redrc-fie par la philofophie, J'appris par fes confeüs a réformer ma vie-, Arejeter l'erreur, chérir la vérité, Et mon efprit alors, par ce charme emporté, Connut que pour atteindre a la gloire mondaine?^ II avoit pourfuivi fans fruit une ombre vaine, Qu'il n'eft qu'illufions, que tout s'évanouit. Revenu de 1'objet qui long-temps m'éblouit;, Je me difois: Je vois la fin de ma carrière >  P O E S I E S. sgs B'tentót Ie froid trépas va clore ma paupière, Faut- ü par taat de foins, de chagrins & d'ennuis. De jours fi douloureux, de plus cruelles nnits, Arriver a ce gïce oü nous devoas nous rendre? Oü le temps détruira nos noras & notre cendre? Ah! s'il faut tout quitter au moment du trépas, A des foins fuperflus pourquoi perdre nos pas? Terminons les travaux d'une vie importune: Eft-ce a nous,vils mortels, a dompter la fortune? Non, non, il faut choifir pour aller a fa fin, Une voie applanie, & le plus doux chemin: Lailïbns aux conquérans entourés de ruines Ces fentiers hérilTés de ronces & d'épines. Vaines illufions! fonge vague & flatteur! Ceffbns de nous tromper pour vaincre la douleaïï Efclave fcrupuleux du devoir qui me lie, Un joug fuperbe & dur m'attache a ma patrie. Je vois en gémilTant fes honneurs abolis, Tant d'Etats inondés d'avides ennemis, Du danger renaiflant 1'intariflable fource, L'ennemi triomphant, le peuple fans reflburce^ Et partout le ravage & la deftruftion. s, Patrie! ó nom chén i dans ton afHiélion Mon cceur, mon trifte cceur te voue & facrifie Les reftes ianguilfans de ma funefle vie. Loin dé me confumer en foins infruétueux, Je m'élance auftïröc dans ces champs périlleux. La vertu me ranime, un nouveau jour m'éclairej Courons venger 1'Etat, foulager fa mifère; Oublions tous nos foins pour ne penfer qu'a lui, Que 1'effort de nos bras lui procure un appui;  s'3$ POESJES. II faut dans le torrent nager malgré fa pente» Périr pour Ia patrie, ou remplir fon attente. Si quelque ambitieux, avide du danger, De ce pefant fardeau vouloit me foulager, Qu'avecplaifir, Marquis, ddgagé de contrainte,• Sans befoin d'étaler 1'indifférence feinte, J'abdiquerois d'abord ma trifte dignité. Dans Ie fein du repos & de 1'obfcurité, Loin des yeux importuns d'une foule indifcrète,J'irois m'enfevelir au fond d'une retraite. Si jamais votre ami, hors de ce tourbiüon, D'un vaio défir de gloire éprouvoit l'aiguülon; Si ce monde pervers, ingrat, cruel & traicre, L'abufoit ete nouveau, lui qui 1'a fu connoitre;.. „ Ah! vous verrez plutót & le ciel & les fiots Confondus a 1'inftant rétablir Ie chaos. Non, non,.fans défirer dans eet heureux afilt Ces honneurs, ces grandeurs, cette gloire ftérile, Au fein de la vertu, moins crainc, moins envié, J'élèverois un temple au Dieu de 1'amitié; Et faurois conferver 1'unique bien du monde, L'innocence du ceeur, dans une paix profonde. La, foit que le deftin düt proionger mes jours» Ou qu'il eüc réiölu d'en abréger le cours, D'un ceil indifferent que la raifon éclaire, Je verrois dans la mort la fin de ma mifère; Certain que de ce corps par les maux accabléLe foufHe qui 1'anime a peine eft exhalé, Que eet inftant rapide, en détruifant mon étre, Rend 1'homme tel qu'il fut avant qu'on le vit naïtret Ainfi ceux que ce jour a vasmectre au tombeau  P O E SIE s. n? *E-t tous ceux dont Ia mort éteindra le flambeiu, Seront également par une loi durable Abforbés a jamais par 1'age irrévocable. A Screhlen, le £ Novembre 1761. E P I T R E Jur la méchanceté des hommes. Je penfois autrefois, encor jeune & novice, Etranger dans Ie monde, étranger dans le vice, Que fhomme eft Ie meilleur de tous les animaux, II eft bon, me difois-je, il a peu de défturs, II n'eft point furieux, cruel, ingrat, ou traitre, Je le prenois enfin pour ce qu'il devoit étre; Et dans le fond du ceeur j'étois bien convaincu Qu'on rencontroit partout 1'honneur & Ia vertu. Cette charmante erreur qu'eufantoit i'ignorance, Se diftïpa trop tót; dans peu 1'expérience, . s Dins le tumulte affreux oü je me vis jeté, Fit briller a mes yeux Ia trifte vérité. Je cherchois des vertus & je trouvois des crimes, Que da tours odieux , que d'infames maximes ! Menteurs, fourbes, fripons ,fous, perfides, ingrats, La foule d'envie'jx environna mes pas, Et mon ame étonnée, interdite, éperdue, S'en fioit avec peine au rapport de ma vue. Je confeffois enfin, frappé de tant de maux, 7 Que malgré fa raifon de tous les arumaux ,  £38' p O ESIES. L'homme eft le plus cruel, de tous le plus Féroce. Non, 1'nnimal n'a point ce carnflère atroce: La faim le rend avide & non difïimulé, Son courroux,s'il s'enflamine,eft bientót exhalé; Mais l'homme étant vengé conferve eiicor fa haine. Cependant cette race envers eile inhumaine, Perverre, & fi portée a Ia inécfaanceté, Au milieu des horreurs & de finicfuité, Produific quelquefois de ces ames divines Qui fans doute des cieux tirent leurs origines, Efprits confolateurs des maux que nous foiifFrons, Qui paroiiTent des Dieux au milieu des Démons. Mais d'un préfent fi beau , fi précieux, fi rare, La main de la nature en tout temps fut ayare. Le mal affurément doinine ici partout, II efl dans 1'univers de 1'uu a 1'autre bout, On le trouve en autrui, trop fouvent en foi-même. Eh quoi! 1'être parfait, ce Dieu grand & fuprême, Fait-il également de fa divine main Cet ange que j'honore & ce monftre inhumain? Jem'arrête, interdit, au bord de cet abyme, Oü fe perd en fondant 1'erprit le plus fublime. Mes yeux refpeftueux de ces profonds fecrets Détournent auffitóc leurs regards indifcrets. II nous fufïït ici, malbeureux que nous fommes, Tous les jours expofés aux trahifons des hommes, D'apprendre en contemplant ce fpeftacle touchant, Combien le cceur humain eft perfide & méchant. II le paroit furtout quand libre de contrainte, Du frein facré des lois il étouffe la crainte, Ou quand impunément il ofe les braver,  i> O ES I E S. ,s29 0a rang oü la fortune a daigné 1'élever. De ces lieux éminens, aJ'abri du tonnerre., Enjvré d'amour-propre il écrafe la terre. C'eft de ia que des rois les folies paffions Percent maJgré leur voile aux yeux des nations. Ennerni déclaré de leur culte idolatre, -Je parus malgré rooi furie même tbéatre: Le hafard qui nous place ici.bas a fon choix, Voulüt qu'un philofophe eüc Ie fceptre des rois'. Mais Ie rrone auflltór me fit des adverfaires; Je les crus des héros, & c'étoient des corfaires. Que ce récit apprenne aux peuples ignorans Pour quels indignes Dieux a fumé leur encens! Le bonheur autrefois, compagnon de ma vie, Excita contre moi la fureur & 1'envie Des rois ambitieux dont les fanglans complots De mes voifins jaloux ont foulevé des flots; De leurs bras réunis 1'efrort me perfécute, Leur'haine a préparé leur triomphe & ma chute. Dans la brülante foif qu'ils ont de dominer II n'eft rien de facré qu'ils n'ofent profaner, Ni rien que n'ait atteint leur foudre vengereflTe; L'orgueil qui les pofrède augmentant leur ivrefTe, Leur dépeint leurs forfaits fous les traics éclatans Des Dieux qui de 1'Olympe écrafent les Titans. Mais mon cceur en ce trouble, atteint d'un coup plus rude, Eprouve de mon fang Ia noire ingratitude; Des princes élevés & nourris dans mon fein Ont taché d'y plonger le poignard affaffin. Un luftre entier, témoin de ce fanglant ravage,  a4 p O E S I E S. A vu renouveller le crime & mon outrage, Et malgré tar.t d'aiTauts mon bras foible & tremblant Sourenir fans fecours ce tréne chancelant. Le feul peuple en Europe auquel la foi nous lie, Triomphaceur des mers nous plaint & nous oubiie. Nceuds facrés, mais nceuds vains entre les nations, De 1'amitié des rois douces illnfions, Nés' de Ia politique & de la conjondture, Vousgardez le limon de cette fource impure; Vous éblouilfez 1'ceil qui ne fait pas prdvoir, Et trompez qui fur vous croit fonder fon efpoir. Ces nob'es fentimens & cette grandeur d'ame Que la vertu nourrit & que 1'honneur enflamme, A 1'efprit des traités n'ont pu s'alfocier; L'intérêt y domine, & marche le premierSes perfides confeils, fon funefle artifice Au cceur des fouverains altèrent la juftice; Sous le nom de Minerve il fait connoitre au roi Comment en confcience il peut mauquer de foi, En rnettant fa parole, au cas qu'il Ia révoque, Sous Ie frivole abri d'une phrafe équivoque. Dans cette affreufe école inftrnit a s'avilir, On apprend a tromper, on finir par craUir. Les traités chez les grands font le fceau des parjures. Voila d'autres amis témoins de nos injures, Indécis, incertains, pleins de crainte & glacés, Eoibles confolateurs de nos malheurs palfés; Ils out dreiTé d'avance un pompoux cénotaphe, Décoré de nos noms, chargé d'une épitaphe, Satisfaits de latfler au monde confterné Ub léger fouvenir d'un peuple exterminé. En  P O E S I E S. 241 En foufFrirons-nous moins? Pour guérir nos atteimes II faut de vrais fecours, non de vaines complaintes, Une male affiftance, un vigonreux foutien, Un ami qui partage & le mal & le bien. Quittez le nom d'amis.vous que lacrainte arrête, Qui tranquilles du port contemplez la tempéte, Qui fans tendre la main b. ceux qui vont périr Par les flots courroucés les laiflez engloutir. Vos cceurs a la pitié toujours inacceffibles, Aux malheurs étrangers demeurent infenfibles. Le nom de 1'amitié, pour moi faint & facré, Ne décorera point qui 1'a déshonoré. Je le refufe a vous, placés au rang fuprême, Dont l'amour concentré n'a d'objet que lui-même; Je le refufe a toi, barbare fouverain, Dont le cceur eft de fer, les entrailles d'airain. Mais qu'on m'apprenne, ou bien qu'un de ces rois m'explique, Sur quel principe abfurde agit fa politique, Et comment de fang froid il a pu regarder Ce torrent orageux courant tout inonder, Dévafter les Etats, en efFacer la tracé, Qui s'approchant de lui d'afTez prés le menace D'un fort non moins funefte & plus injurieux. Ce n'étoit pas ainfi que penfoient nos aïeux, Lorsque de Charles Quint le fanglant héritage A Philippe ou Jofeph retomboit en partage? A peine la difcorde armoit ces héritiers, A peine couvroient-ils les champs de leurs guerriers, Que 1'Europe agitée, attentive aux alarmes, Oeuv. poflh. de Ft. II. T. fll. L  ■ «4* F O E S l £ S. Par un eflbrt-fpudain parut d'tbord en arme?, Mefura fes fecours, & par un jufte choix Rétablii 1'équilibre & protégea les rois: Si de la liberté fa main pric la défenfe, Si fa prudence aiors redrelfa la balance Qu'tn monarque puiflant fait pencher a fon gré,. Le mal étoit moins proche & moins défefpéré Que le danger préfent donc 1'afpeéc la menace. Rien ne peut égaler la criminelle audace De ce complot de rois, monarques conjuiés Contre la liberté des Germains atterrés. Le Frangois a poids d'or achetant des complices, Da nord & du couchant les deux Impératrices, Cruels perturbateurs de ce trifte univers, Le partagent encr'eux & préparent fes fers. De ce corps monftrueux 1'efprit eft defpotiquej Uni par 1'anince & par la politique. C'eft un feu dévoraut qui veut tout confumer. Si libre en fes efforts, on lui laiiTe opprimer Un prince magnanime, ardent a fe défendre, Alors fans réfiftance ofant tout entreprendre, Gouvernant 1'univers au gré de fes projets, 11 réduira les rois au rang de Ces fujets. Volli dans 1'avenir ce que tou.t ceil peut lire. Qui peut vous empêcher, Princes, de vous inftruire? Peuples trop amonreux de votre oifiveté Affoupis dans les bras de la fécurité, De votre inaéh'on goutez longtemps les charmes» Lai(fez "erfer le fang & répandre des larmei t?) La Hollande.  P O E S I E S. 243 A ceux dont les efforts ont au moins combattu; Et piiisqu'enfin 1'Europe eft ftérüe en vertu, Ptiisque dans mes revers en vain je vous implore, Puisque votre tendrelfe en regrets s'évapore, En dédaignant 1'effet de vos fecours douteux, Je fonde déforraais mon efpoir & mes vceux Sur 1'orient rempli d'enfans de la victoire, Réfervoir de heros, d'efprits nés pour la gloire. J'y découvre de loin un peuple plein d'honueur, Ami de 1'opprelTé, fl^au de 1'oppreffeur.Votre infidélité, ce déteftable crime, N'a jamais pénétré dans les murs de Solime f/}. Voyez vers 1'Hellefpont ces puiffans srmemens; Ces guerriers vont voler, & remplir leur ferment. Qu'importe a ma raifon & le rite & le culte D'un ami généreux qui vcnge mon infulte? Qu'on 1'apprenne en dépic de tous mes envieux: Qui daigne ra'affifter eft chrétien a mes yeux, Et cent fois plus chrétien qu'un ennemi barbare, De tréfors & d'Etats ufurpateur avare. De la religion & 1'efprit & la loi Confifte dans les mceurs & non pas dans Ia foi, Celui qui veut ma pene eft le feul infidelie. Ah l laiflbns tonner Rome & frémir Ie faux zèle; Qu'importe qu'un docteur imbécille, indifcret, Maudiffe abfurdement Platon ou Mahomet? Jadis le fanatifme, en allumant la guerre, (*) On efpéroit le fecours des Turcs: ils avoient fn't avancer des troupes a Belgrad; mais la mort de l'Iinpératrice de Rullie rendit vaines ces tlémonftmtions. L a  m P O E S I E S. Pour de vains argumens a faccagé la terre: De nos jours ce prétexte aux regards pénétrans N'eft plus qu'un mafque ufé des fureurs des tyrans. Vous rapidesvainqueurs.vous braves janiflaires, Accourez, corubattez, frappez nos adverfaires: Aux champs de la viftoire allez vous fignaler; Vos pales ennemis commencenc a trembler. Puiflént- ils h vos pieds expirer leurs parjures, PuiiTe notre triomphe effacer nos injures, Puifle un noble delTein, d'un bon fuccès fuivi, Rendre aux lois du croiflant le Danube aflervi I Accourez immoler d'une main enhardie Les crimes de 1'Europe aux vertus de 1'Afie. De ces climats loiutains va fortir le vengeur, De la PruiTe aux abois heureux libérateur; Le tróne des Sultans, aux ennemis terrible, A produit un héros dont le cceur eft fenfible: Digne de fes aïeux & du fang ottoman, Je vois revivre en lui 1'efprit de Soliraan; II va, noble héritier de ce puifiant génie, D'un innombrable camp couvrir la Pannonie, Et du nord confterné prefier en méme temps Des bords du Tanaïs les craeU habitans. Mais vers ces grands travaux qu il eft prés d entreprende, Ces combats que pour nous fon courage va rendre, N'eft-ce que 1'amitié qui dirige fes pas? Comment peut-on s'aimer ne fe connoilTant pas? Srrutateurs indifcrets d'une vertu bornée, Refp:aons d'un héros la courfe fortunée,  P O E S I E S. «45 Dont les fecours réels donnés comme promis Traverferont les vceux de tous nos ennemis. Si d'un ceil pénétrant il a prévu les fuites Qu'aura 1'ambition fans frein & fans limites De deux puiifans voifins accrus par nos débris, Si pour tant de hafards il fe propofe un prix, En cueillerons-nous moins, fortsde fonafïïftance, Les fruits de fes fecours & ceux de fa vaillance? Ah! foyons dans ces temps fi fouillés d'attentats Reconnoiflans outrés, piutöt qu'amis ingrats. Voila le fort des grands qui gouvement le monde : Des chagrins, des revers, une douleur profonde, Des piéges, des dangers, des ennemis cruels, Des foins pour des ingrats, des foucis éternels; Et fi fe confumant en des travaux utiles, Le deftin les traverfe, on les croit malhabiles. Aux malheurs, aux hafards plus que d'autres foumis, Ils ont des envieux & point de vrais amis. Si je m'en étois cru, j'aurois cent fois moi-mème Arraché de mon front ce fatal diadèrne. Le tróne eft un objet qui ne m'a point tenté, L'éclat qui l'environne eft fafte & vanité; L'honneur & Ie devoir forcent a le défendre. S'il eft de la grandeur de favoir en defcendre, C'eft un opprobre affreux de s'en laiffer chaffer; Et puisque le deftin a daigné m'y placer, Je ne veux,quels quefoient les malheurs quejebrave, Ni régner en tyran, ni mourir en efclave. Le bonheur au pouvoir ne fut point attaché, Le vulgaire Ie croit fous la pourpre caché; L 3  S4« POESJE S. Mais le yjlgafre enfin juge fans connobTance, Prend pour réolité ce qui n'eft qu'apparence. Pour moi qui dans le monde ai de tout éprouvé, Dans ces divers états mon cceur vide a trouvé Qu'au milieu de ces maux le feul bien véritable, Aux grandeurs, a la gloire, aux plaifirspréférable, Seul bien étroitement a la vertu lié, C'eft de pouvoir en paix jouir de 1'amitié. Ah! je 1'ai pofl'édée une foïs en ma vie Dans le fein d'une fceur que la mort m'a ravie. Amitié, don du ciel, feul & fouverain bien, Tu n'es plus qu'un vain nom, fon tombeau fut le tien. A Snelden, le n Novcmbre ij-ör. LE STOÏCIEN. O mortels mécontens! ó raifonneurs coupables i De vous-mémes, des Dieux ennemis iinplacables, Des moindres accidens confternés, accablés, Toujours féditieux, incertains & troubiés, Sous vos palais dorés, ou fous vos toits de chaume 9 Du bonheur fugitif embrafiant le fantóme, De fon image en vain vous occupant toujours, En foins infruétueux vous confumez vos jours s Êcartez ces brouillards & laifitz vous inftruire. La nature ici-bas vous placa fous 1'empire Desfonges, des erreurs & des illufions;  1' O E S I E S. -itfy Votre bonheur dépenci de vos opinions. Vos défirs infenfés, guidés par 1'ignorance, Ont pris pour le vrai bien fa trompeufeapparence; Etrangers en vos cceurs vous ne fütes jamais Ce qui vous fatföit craindre , ou former des fouhaits. Le foi enehantem-nt, 1'ivreffe de la vie Retient vos yeux diflraits fur fa fuperficie. Ah! pouvez-vous, mortels, toujours vous ignorer? Dans 1'abym'e de l'homme il faut votis éclairer. Vous êtes compofés d'efprit & de mr.tière: L'unpenfe&vousconduit,rautre n'eflquepou{Tière. , Cette ame, fouveraina & maitreffe du corps, Fait a fa Volonté mouvoir tous fes relTorts: Dès p:é ens que da ciel a regus l'homma iniufle, Sans en excepier un, Tams eft le plus augufte, Elle doit occuper chez vous le premier rang. Sacrirlez-lui donc cette chair & ce fang; Cela na fuffit point, tèchez de la connoltre, Voyez a quelle fin le ciel lui donna 1'ëtre. L'homme eft-ïl pour lui feul dans Tunivers jetéf Ou tient-il aux liens de la fociété? Nos défafires égtux, nos communes mifè-cs Hëlasl prouvent affez que nous fommes des frères, Et que par nos fecours adouciflant nos maux, li faut nous emr'atder a porter nos fardeaux. D'un fi noble défir entretenez la fijmme, Placez dans la vertu le bonheur de votre ame. C'eft le fouverain bien, vous pouvez Ie trouver; Mais en le pofiedant, il Ie faut conferver. Lorsqü'un efprit docile aux lois de la nature L 4  243. P O E S I E S. A la vertu qu'il aime obéit fans munnure, Il trouve, chaque fois qu'il rentre dans fon cceur, Au temple des vertus 1'afile du bonheur. - L'ame en faifanfle bien peut donc fe rendre heureufe: La moins intérelTée eft ia plus vertueufe; Elle immmole au public fans peine & fans regret Ses travaux & fa vie & fon propre intérêt, Et fur tous fes défauts rigide & vigilante, * Dompte des pafïïons la révolte naiffante. Le fage eft doux, humain, fenfible cjc généreux; II connoït des mortels 1'égaremenc affreux; Pour eux juge indulgent, il eft pour lui févêre. L'abfinthe a votre .goüt eft apre & trop amêre; Vos cris font vains, fon fuc n'en eft point radouci: Tolérez les méchans, puisqu'ils font faits ainfi. Qu'importe fi la main d'un ingrat, d'un perfide O fe attenter fur vous, le prendrez-vous pour guide ? Son crime & fa noirceur vous le font dételler; Mais votre emportement eft prés de 1'imiter. Songez qu'en votre cceur le ciel mit la clémence, Pour furmonter la haine & pardonner 1'offenfe. Cette aimable vertu, fans fruit pour vos amis, Ne peut briller en vous qu'envers vos ennemis, Qu'envers des fcélérats, des trattres, des parjures. Certain paffant, dit-on, éclatant en injures, Etendu fur le bord du plus clair des ruiffeaux, De fange & de liraon voulut fouiller fes eaux; Mais fon paifible cours en pourfuivant fa pente, Augmenta la clarté de fon eau tranfparente. Varus au défefpoir paroic s'abandonner: D'oa  P O E S I E S. H9 D'oü provient fa douleur? il faut 1'examiner: La gloire le poffède, il s'emporte, il s'enflamme De ce qu'un inconnu dans fes difcours le blame. Ami, ibis en repos, écoute Ia raifon; Sois docile a fa voix & fouple a fa lecon. Quel eft 1'objet facheux dont fafpeft te dérauge? Quels font cesvains.proposdeblameoudelouange? J'entends de quelques fons fébranlement léger, Des mots articulés, & diffipés dans l'air. Quelle immortalité te peut donner la gloire? Tu veux de nos neveux étourdir la mémoire, Et voir tout 1'avenir de tes hauts faits frappé, De ton nom, de toi feul, a jamais occupé. Approche, & ton erreur va d'abord difparoitre. Pendant 1'éternité qui précéda ton être, Dis-moi, fus-tu fenfible a ce qu'on dit de toi, Ménippe ou 1'Arétin font-ils rempli d'effroi? Si de tous leurs difcours tu n'eus aucune idéé, De quelle rage enfin ton ame poffédée, Peut-elle s'agiter de ce qu'après ta mort Le monde, en te jugeant, aura raifon ou ton? Lorsque la froide mort étend fur nous fes ailes, Du feu qui nous anime éteint les étincelles, Nous couche dans la tombe a jamais étendus, Dès ce moment pour nous tout 1'univers n'eft plusr Dans cette fombre nuit que Ie vulgaire abhorre, Aucun ne fentira Ie ver qui Ie dévore. Les plus grands ennemis, les plus ambitieux, Qui penfoient fe placer fur le tróne des Dieux,. Qui de tout funivers fe difputoient fempire,, L5  -f3o POESJES. Acharnés t fe pefdre, ardens a fe détruire, Ces fiers compétiteurs & Pompée & Céfar, Lépide, Autoine, Augufte, enfin Charle & Ie Czar, De toutes leurs fureurs, leurs combats & leurs haines Ont a peine laiflé quelques images vaines; Leurs chr.grins font perdus, ainfi que leurs travaux, Et leur ambition fe borne a leurs tombeaux. Leur exemple fufiit, leur fort devroic nous dire Que le héros, Ia gloire & qu'enfin tout expire. O gloire, ambition, richefies, dignlté! Images du bonheur, tout n'eft que vanité: Entrainé par le cours d'un mouvement rapide, C'eft un éclair qui paffe, il n'a rien de folide. - Ainfi qu'en diiïblvant des êtres compofés," Pour jan but différent tous corps organifés, La nature s'en fert, & par eux renouvelie De fes produclions 1'abondance éternelle, Et de la pourriture & du fein des tombeaux Produit, & rend la vie a des étres nouveaux. Ainfi le temps qui fuit, ce torrent qui s'écoule, Sar.s fin d'événemens poulfe & produit la foule; Son cours impétueux, fecond en changemens, S'en fert même a fixer les faifons & les ans. Il enfante, il détruir, il éiève. il abaifTe; A varier le monde il s'occupe fans celfe; Amenaut le préfent, elfucant le pafië, II eft toujours mobile & n'eft jamais laffe*. Et je murmurerois, & je ferois rebalie A la loi générale, immuable, éternelle? Et je m'eroponerois contre f événement  POESJES. 251 Qui fourci b tous mes cris n'a point de fentiment ? Tes elforts font perdus, ame dure & rétive: Ce qui doit arriver également- arrivé, Et tel étaüt 1'arrèt de la fataüté, Apprens a te foumettre a la néceflué. Notre courfe ici-bas eft coune & paflagêre; Nous traverfons en hare une terre é'trnngè.e, Oürien ne nous eft propre, oü rout a dü refter; Nous pouvons en jouir, mais il la faut quitter. Déja nos fuccefléurs demandent notre place, Nos pères 1'occupoient, & le temps nous en chaffe. Ah! ne pouvons'nous pas, modérés & difcrets, Pofl'éder fans orgueil & perdre fans regrets Les biens qu'on nous prêta dans cet inflantdevie? Ces méprifab'es biens, objets de tant d'envie, De nos voeux inlenfés 1'efpoir & le fléau, Ont la légéreté qn'a le vol d'un oifeau; Tandis qu'on le contemple, i! echappe a la vue, Et prend en fëndant 1'air une route inccnnue. Les dél'aftres fameux peints dans 1'antiquité Se répètent aux yeux dé Ia poftéiité; Si le uom des seleurs, fi Ia fcêne différg, L'aétion eft Ia même & frappe le vulgaire. Lorsque la faétion qui déchiroit les grands Mit Rome tour a tour aux fers de deux tyrans, L'un Cajus Marius, par Ia guerre civile Forcé jusqu'en Afrique a chercher un afile, Par un préteur cruel rebuté de ces lieux, Sans trouver un abri contre fes envieux, Refiemant de Sylla la haine vengerefie, L &  252 POESJES. Courbé par les revers, mais rempli de nob'efle > Répondit au préceur: appaife enfin tes cris, Vieris repaitre tes yeux, vois Marius aflis Sur les débris fumans de Carthage détruite. Les grands & les Etats ont des borrres prefcrites, Us ont un temps pour croitre & pour fe maintenir; Mais tout ce qui commence étoit fait pour finir. J'ai connu Charles fept, j'ai vu le vieil Augufte, J'ai vu le fameux Czar,grand prince,mais injufte: Ils fe confumoient tous en projets fuperflus; Je n'ai fait que pafier, ils n'étoient déja plus. Oü font les compagnons de mon adolefcence? Oü font ces chers parens auteurs de ma naifi'ance? Ce frère qui n'eft plus, & vous, ó tendre fceur! Vous qui ne refpirez que dans ce trifte cceur? Que dis-je! oü font enfin ces families entières, Ces générations anciennes & demières ? Ah! tout fut moifionné par la faux du trépas. Examinez le fort des plus puiflants Etats, Les. Perfes & les Grecs,& Rome après Carthage; Leur éciat un inftaut précéda leur naufrage; ColoiTes redoutés, par fage ils ont péri, Ne laiflant qu'un vain nom couvert de leurs débris. Et vous, toujours rebelle aux lois de la nature, A Findocilité vous joignez le murmure; Indifférent au bien & trop fenfible au mal, Vous,voulez vous fouflraire au deftin général. Goótez, goütez plutót, fupprimant votre plainte, Un bonheur limtté qu'étouffe votre crainte; 11 vous fut accordé, mais court, mais pafiager»  P O E S I E S. 25* Et jamais pnr; le mal a da s'y mélanger. Mais vous me répondez: je vis, je fuis fenfible, Mon corps a la douleur n'eft point inaccelïïble, Je fais qu'il faut fouffrir le mal & le trépas; Votre néceffité ne me confole pas. Quoi! vous ne voyez point qu'ici bas la fouffrance N'épargne ni vertu, ni pouvoir, ninaifïance, Atteint un criminel,ainfifqu'un innocent? Chacun s'y voit fujet, & nul n'en eft exempt. Tout ce que Ia vertu partage avec le crime, N'eft un mal qu'a 1'égard d'un cceur pufillanime. A quoi fert Ia conftance & 1'intrépidité, Si ce n'eft pour braver les coups d'adverfité ? Dès que Ie mal eft long, il devient fupportable; S'il eft court, il finic, il eft plus tolérable. Votre corps en effet en peut être abattu, Mais il ne peut blefferl'honneur, ni Ia vertu. Si le temps vous guérit, fi tandis qu'il s'envole, En efluyant vos pleurs enfin il vous confole, II conviendroit au fage éclairé par Zénon Qu'il dut cet heureux calme aux fruits de fa raifon. Vos tourmens.vos foucis font fouvent des chimères,. Préjugés appuyés des erreurs populaires, Que de 1'efprit d'un fage il faut déraciner. Quel charme a 1'univers a pu vous enchalnerï La terre a mes regards eft un amas de boue Dont la viciflitude infolemment fe joue, Le monde a peine un point du tout illimité, Et nos jours un clin d'ceil envers 1'éternité. L'inftant préfeut s'enfuit, il vient de difparoitre, 1*7  aSt P O E S I E S. Le pa!Té n'eft plus rien, & favenir doit naftre; Et dans ce tourhillou notre efprit inconftanr, A peine fur de vivre un court & prompt inftant, D'un défir altéré d'heureufes deftinées, Enchaine dans fes vceux un nombreux cours d'années. Quel mêiange étonnant de gaieté, de foupirs, De tranfports, de reg^ets, de dégoüts, de défirs! Ce contrafte éterné! aü deTordre vous livre; Déteftant votre fort vous dsTirez de vivre. Décidez-vous enfin: fatigué de vos jours Qui peut vous empêcher d'en abréger le cours? •Sortez de cette terre en maux inépuifable, Et ne refpirez plus fa vapeur exécrable. 'Qu'eft l'homme en ce féjour frivole & décevant? C'eft une ame qui traine un cadavre vivant; Par fes diftraétions toujours hors d'elle.même , Et qui fans réfléchir végete fans fyftème. D'un regard intrépide envifagez la mort: C'eft notre feul afile & notre dernier port; Chaque jour nous la montre, & pourroit nous apprendre Que tout homme lui doit le tribut de fa cendre. Lorsque le doux fommeil nous couvrant de pavots, Eend le corps infenfible aux biens ainfi qu'aux maux, Privée entre fes bras des fens de la genfée, L'ame éprouve la mort tant qu'eüe eft écüpfée, ' Et le corps fe diilipe & s'accroit tous les jours: D'atomes étrangers le nombre & le concours Répare en slimens la force qui s'altère; Mais ce n'eft plus ce corps qu'allaita notre mère.  POESIES. 255 LTnvifible progrès de tant de chgngemens Forme un être nouveau par ie fecours des a-ns; S'il fiibfifie & s'il vit per fa métairio-phofe, Du trépas dans fon fein rien (T-affjibHt ia coufe;. La mort nous attend tous prés de fou étendard L'un y vole'a la bate & 1'autre y va plus tard. Ainfi que les ruifiëaux & les grandes rivières,. Par des canaux divers fe creufant leurs carrières, D'un cours égal au fleuve, au rapide torreut, Vont fe précipiter au fein de 1'océan De leurs flots confondus Ie tribut le ranime, Dans fon immenfiié leur nom & tout s'abyme. Efprit féditieux! fpeétateur plein d'orgneil! Entouré de débris, afiïs fur un écueil, Si tandis que tu vis tout ce que tu cor nples De Ia dellruétion t'offrit les grands exen ies, Apprends a te foumettre, a refpedter tr fort. La vie étoit pour toi i'école de la mort. Si ce fouffle inconnu qui t'anime & qui penfe, SoutTre du changement & fent la décadence, Si lorsque tu péris un même coup 1'éteint, Après cet attentat qu'eft.ce donc que 1'on craintf La mort a la douleur te rend inacceflib'e; Tes organes détruits, ton corps efi infenfible. Mais fi ce même efprit par un bienfait des Dieux Triomphanc du trépas te furvit dans les cieux, CeiTe de t'alarmer, ton cceur n'a rien a craindrer Bénis plutót le ciel & rougis de te plaindre. Dieu, 1'étre feul parfait, eft débonnaire & doux;. Son immenfe bonté s'oppofe a fon courroux-}.  s5ó POESIES. Nous, foibles vermifleaux, qui rampons fur Ia terre, N'attirons point fur nous les éclats du tonnerre. L'homme ici-bas tremblant, de dangers efFrayé, Eft a fes yeux divins un objet de pitié, Et devient par fa mort un objet de clémence. En ce Dieu bienfaifant place ta. confiance, Et fur de fon fecours au jour de ton trépas, Va, plein d'un doux efpoir, te jeter daas fes bras. A strelilen, ce ï5 de Novembre 1761, Fin du Tomé VII.  TABLE DES MATIERES, Contenues dans ce Volume. POESJES. Au Marquis d'Argens Pag. 5 Epitre au Marquis d'Argens fur la prife de Schweidnitz 7 Au Marquis d'Argens fur un rhume que lui guériffoit Is mêdecin Licberkuhn. ... 11 Au Marquis d'Argens fur le rhume qui, avec Lieberkuhn, le tenoit au lit. . . 15 Au Marquis d'Argens 20 Epitre au Comte de Hoditz fur Roswalde. 24 Epitre a la Reine douairière de Suède. 29 A ma fceur Amélie, en paffant la nuit fous fa fenêtre pour aller en Silifia. ... 32 A la Reine de Suède . . 33 Au Sieur Noël, Maitre.d'hótel. ... 39 A une chienne 44 Vers pour Mademoifelle Schidley, qui avoit envoyé au Roi une charrue angloife. ibid. A Voltaire. , 46"  TABLE. 'A Volt air e. •47 A Voltai'rc ibid. Epitre 49 Epitre a d'Alembert. ....... 55 Au Baron de Pozllnitz fur fa rêfurre&ion. 61 Epitre a Ma'demoifelle de Knefebeck fur le faut qu'elle fit de fon carroffe, lorfque fes chevaux .prirent le mors aux dents. . . 65 Au Prince Fiéderic de Bronswic. . . .71 Epitre au Comte de Hoditz fur fa mauvaife humeur de ce qu'il a yo ans 72 Ode h mon frère Henri 76 Ode au Prince Ferdinand de Bronswic fur la retraite des Frangois en 1758. . . 83 Ode aux Germains 90 Ode au Prince héréditaire de Bronswic. Ode a ma fceur de Bronswic, fur /<* mort d'un fik tué en 1761 ^4- Epitre a ma fceur de Bareuth. En 1757. no Epitre a ma fceur Amilie. • 117 Epitre chagrine 120 Epitre au Marquis d'Argens 124 Epitre fur le hafard a ma fceur Amélie. 13"  TABLE. Epitre k ma fceur de Bareuth. . . . . 14$ Congé de Varmée imperiale & du Marichal Daun, après la ba taille de Li fa. . . 149 Au Sieur Gellert \ïl Epitre a Phyllis, faite pour fufage du» Suife 15* Au Marquis d'Argens, que la peur des ennemis avoit déterminé a quitter Berlin. 155 Epitre a ma fceur de Bareuth fur fa maladie. 157 A Milord Maréchal fur la mort de fon frère. 162 Epitre au Marquis d'Argens 171 Lettre a Foit air e 176 Autre lettre a Voltaire, qui conjuroit le Roi de faire la paix, . ..... 178 Lettre a Voltaire. .. . . . . . . . 179' Au Marquis dArgens 184 Epitre il t'cltaire, quivouhit négocier la paix. 187.' Ju Marquis d'Argens, fur ce qu'tt avoit icrit qu'un homme s'èrigeoit en prophete d Berlin, & qu'il avoit déja des fecla. tcurs . . ipj Sur la leciure du Salomon de Voltaire- 105 A-Velt airc. . . . ip» t»e ta paix ne Je fit pas fttót, & le Roi lui répondit par ces vers. 213 Epitre 214 Conté. Les amours d'une Hollandoife & d'un Suijfe, par correfpondance 217 A Voltaire, qui avoit fait un compliment flat.  u TABLE. teur au Roi fur des vers qu'il lui avoit envoyés 420 Lettre au Marquis d'Argens 2a I Epitre au Marquis d'Argens, comme les Ruffet & lesAutrichiens bloquoient le camp du Roi. 2i$ | Gazette Militaire 230 Epitre au Marquis d'Argens 331 Epitre fur la mèchanceté des hommes. . . 237 Le Stoïcien 246 Fin de la Table.