OEUVRE PO ST H ü MES D E FREDERIC II, R 0 I DE P R U S S E. TOME VIII. a AMSTERDAM, c h e z d. j. changuion, 1789.   P O E S I E S EPITB,E A CA TT. O Catt! nos jours, nos ans s'e'coulent,Qui peut hélas 1 les arrêter? Le temps, les deftigs qui nous roulcnt> Ne ceflent de nous emporter. Nous avons deux temps dans la vie: . L'un eft 1'empire de 1'erreur, Oü nous poffédons le bonheur; L'autre eft pour la philofophie, II eft trifte, morne & rêveur. Encor dans la fleur de votre a^é, Le premier eft votre partage. Le charme des illulïons Et 1'ivrefle des paiïions Rempliflent votre coaur volage; La vive imaginacion Du plus frivole badinage Vous fait une occupation; Tout vous rit, & tout vous engage A rendre un éternel hommage Au plaifir fans réflexion. Votre ame toujours difïïpée, Tourbillonnant dans le* plaifirs, Par 1'abondance des défirs A 2  4 P O E S I E S, Se trouve fans cefle occupée. Ici 1'Amour en badinant Décoche une flèche dorée, Dont voos fentez incontinent Dans Ie cceur la pointe acérée: Vous foupirez, vous vous troublez, Soudain vos feux font redoublés; Vos fentimens, toute votre ame, Sont a 1'objet qui vous enflamme; Vous domptez ce cceur rigoureux, Un moment vous êtes heureux; Mais 1'inconftance vous réclame, La jouiffance éteint vos feux. Vous quittez donc votre maitrefle, Et revenu de votre ivrefle, L'amour a dirigé vos pas Vers les filets que tend Sylvie; Vous y tombez, & votre vie Se termine par le trépas, Si vous ne contentez 1'envie De pofleder autant d'appas. Bientót une autre lui fuccède, Vient fon tour; & celle-la céde Votre cceur au nouvel objet Dont l'amour vous rend le fujet. Ainfi courant de belle en belle, Un heureux inftin& vous appelle A goüter des plaifirs nouveaux. Des foucis Ia troupe cruelle, La prévoyauce & fa féquelle  P O E S I E S. 5 Ne tuoublent point votre repos! Votre cceur ouvert fe deploie Au fein de la focieté , Aux épanchemens de lajoie. Dans votre heureufe liberté, Tout femble créé pour vous plaire; La vérité fans contredit, Souvent dure & toujours févère, Ne vaut pas lorsqu'on 1'applaudtt Une jouiflance en chimère; Etre heureux, c'eft la grande affaire, Et dans ce féjour impofteur Oü tout eft fiftion & fonge, Qu'importe qu'en nous le bonheur Naiiïe dans le fein de Terreur ? Chériflbas - en jusqu'au menfonge. On 1'a tant dit, nous fommes tous. Les uns plus, les autres moins fous; Ce fait me femblant trés - probable, Choififiez la folie aimable; De tous les agrémens pour nous Elle eft fa fource intariflable. Pour jouir long-temps de ce bidi, Gardez-vous d'approfondir rien. T6ut eft preftige en cette vie. Des objets de votre folie, En fidelle Epicurien, Effleurez la fuperficie. Vos plaifirs font comme une fleur, Cueillez-la d'une main légèrej A 3  * f> O E S I È S. A fa nuance, a fa couleur, Au doux parfum de fon odeur S'attaclie un prix imaginaire. Ah! uqs fens ont tout a rifquer De qui veut métaphyfiquer: La rofe fous la rnain profane Qui s'obftine a la dïlfêquer, Perd tout fon celai & fe fane. Le monde, ex fans rion excepter.. S'échappe dès qu'on le pénétre; L'examiner & le connoitre» C'eft apprendre a s'en dégoutei. Pour moi qu'une longue infortuae, Le temps & les maux ont flétrï, Sous le fardeau qüi m'importime J'ai fait divorce avec les ris, Je touche aux bornes de ma vie, L'erreur de chez moi s'eft enfuie, Et la raifon a mes efprits Mostrast fon auflère figure, Me force a fuivre fon allure, Et prétend qu'en mes fonftions Avec fon compas je mefnre La moindre de mes aftions. Cette raifon a fes apótres; Mais dure, inflexible envers nous, C'eft un pédagogue en courroux Qui nous nuit en fervant les atures. Aprês tous les deflins divers Oue 1'un elTuie & 1'autre évite.  p O E S IE S. f Préfens que dans eet univers Répand la fortune maudite, Nous allons tous au même glte; Les ignorans & les experts Pafleront tous l'eau du Cocyte. Mais lorsque la mort décrépite Vers fes abymes entr'ouverts Voudra diriger votre fuite, L'amour & les plaifirs légers Jusqu'au portique des enfers En foule iront a votre fuite; Et pour moi, révant triftement Au coup du cifeau de la Parque, J'irai mélancoliquement PaÜer dans la fatale barque. N'allez donc pas vous defTaifir Des erreurs, charmes de la vie: O Catt! un moment de plaifir Vaut cent ans de philofophie. De Breslau en Janvier 176* E P I T R E A MONSIEUR MITCHEL, Sur ttrigine du mal. IVjiniftre vertueux d'un peuple dont lesloiï Ont a leur fage frein alTujetti les rots, A +  t POESJES. Chez vous la liberté refpiie auprès du tróne, Et contient Ie tyran s'il fulmine & s'il tomie. Vos princes jouiflant d'un droit vraiment royal, Sont libres s'il font bien, enebainés s'ils font mal; Que leur fort eft heureux Iqu'ils font dignesd'envie ! Ils font a Ia vertu lies toute leur vic; La jnftice & les lois ont régie" leur devoir, Et leur caprice en vain réclame leur pouvolr. Pourquoi, non cher Mitche!, pourquoi 1'Etre fupréme N'a-1 - il donc pas daignénous enchnlner de roême ? Kous garderions empreint le fceau de fa bonté, Nous n'aurions point hélas! la trifte libenc De quitter la vertu pour embraffer le vice; Pourquoi nous expofer au bord du précipice ? Moins libres dans nos choix, nous ferions plu? heureux, Et la néceffité nous rendroit vertueux: L'innocence & la paix habitc-roient la terre, Plus de deftruftion, d'afMinats, de guerre. Quel grand fujët, Mitchel, a nos réflexions? Comment concilier ces contradiétlons ? L'Etre fupréme eft bon, & l'hoinmeeft miférablej Pour nos foibles efprits abyme impénétrable, Mais fecret important loin de nos yeux placé, Auquel tout notre fort fe trouve intérefté. D'oCi vient le mal moral ? d'ofi vieutle mal phyfique ? Votre Locke profond, fi fage &méthodique, Et Clarcke & Shaftsbury n'auroient ofé risquer De toucher cette énigrne & de nous 1'expliquer. .  P O E S I E S. 9 ]'écarte de vos yeux ces vifions trop folies Dont la Grèce égarée inondoitfes écoles; Elle attribuoit tout au pouvoir du hafard. Un fyftème lié par la fageffe & 1'art, Dont 1'ordre, le rapport, le but fe manifefte, i Démontre ouverternent un ouvrier célefte. i Le hafard n'eft qu'un mot, fans rien fignifier, A 1'orgueil ignorant qui fert de bouclier. Voulez-vous de Manès adopter le fyftème, Concevoir de deux Dieux 1'égalité fupréme? L'un eft 1'auteurdesbiens, 1'autre répand les maux. La difcorde auffitót rendra ces Dieux rivaux. Si Rome fuccomba quand Céfar & Pompée Luttoient pour s'arracher leur puiftance ufurpée, Quelferoit, penfez-vous, le fort de 1'univers, Si Ie ciel combattoit le pouvoir des enfers ? Du trouble & du défordre obligés de s'accroitre Un chaos plus confus auroit donc du renaltre. Pour foutenir ce monde, & pour leprotéger, Un Dieu fuffit; fon bras ne peut fe partager. Ce Dieu dont la nature a publié la gloire, Dont chaque aftre en fon cours rappelle la mémoire Eft non feulement grand, écernel & puiffant, Mais clément, débonnaire, & furtout bienfaifant; Ce font ces attributs que 1'univers adore. N'eft - ce pas fa bonté que tout mortel implore? Telsfont les traits frappans qu'il grava.dans nos cceurs* Un être mal - faifant, objet de nos terreurs, Ne peut être le Dieu que des antropophages; L'unique auteur du bi _?nrecoit 1'encens des üg9$.  itr POE S IE S. Venons au nceud gordien 011 git toutl'embarras; Pope en le maniant ne le dénoua pas. Comment, medirez-vous, unDieu fi döbonnaire De maux accumulés accabla-t-il la terre? Quel eft 1'auteur du mal? Je ne vous réponds rien. Le mal peut ■ il venir de 1'autenr de tout bien? De ce fujet abftrait les ténèbres fublimes Effrayant ma raifon, découragent mes rimes : Moi qui chez faint Thomas n'ai point pris mes degrés, Modefte adorateur des myftères facrés, Je crains d'être profane en touchant ce problème. Pafte pour votre Roi des Henri le huiüème, PoffelTeur du favoir de nos loyaux aïeux, Plein de fa fcolaftique & d'auteurs ténébreüx, Qui verfa fur Luther pour la gloire papale Tous les flots érudits d'horreur théologale; Be fon travail ingrat dont Léon dix fit cas, L'écrit au Vatican fut rongé par les rats. Si cependant, Mitchel, vous défirez d'apprendre Ce qu'ont dit des auteurs qu'onnefauroit eutendre, Sur leur pas hafardeux ofons nous eflayer; Mais, hélas! ces dofteurs n'ont pu que bégayer. Nous devons convenir, ignorans que nous forames, Que 1'Etre tout • pulffant ne devoit rien aux hommes 5 Uien n'ayant pu gêner fon pouvoir abfolu, 11 a pu les forrner felon qu'il a voulu. L'éternel artifan débrouillant la nature, Ne fit point de contrat avec la créature. Saus qu'elle y comendt, il lui donna le jour.  P O E S I E S. tl Nous fümes condamncs a vivre en ce féjour Pour qu'on verlat fur nous de deux tonneaux célefteS Des biens fi paflagers & des maux fi funeftes. Mais d'autres animaux font auffi malheureux: Tout être éprouve ici des deftins rigoureux. L'homma ne tient-il pas a la nature entière? II eft un compofé des corps de la matière. Voyez ces élémens en guerre & divifés, Par leur choc éternel 1'un a 1'autre oppofés, La chaleur & le froid, & le fee & 1'humide Prêts a brifer le frein qui les retient en bride % Et vous vous étonnez du choc des pafiïons, Enfans féditieux de nos fenfations? L'homme étant le jouet de la vicHïïtude, Joint a quelques vertns beaucoup de turpitude, Si dans ce tourbillon il fe change en effet, II re pouvoit pas être impaflïble & parfait; C'eft de 1'éternel feul Tattribut légitime. Mais quel eft le principe enfin qui nous anime? Vous le voyez, tout corps vit par le mouvement^ Rien ne peut fe mouvoir que par le changement. Tandis que notre fort par néceflké change, Nous nepouvons jouir d'unbonheur fans mélange, Nos parens, nos amis doivent naitre & mourir, Nous devons pleurer, rire, efpérer & fouffrir. Mais pourquoi, direz-vous, l'homme eft-il dans le monde? Ces Stres qu'enfanta la nature féconde, La chaine qui defcend de l'homme aux végétaux? Du fublisue Newton aux moindres vermifleaux» A  a4 p O E S I E 5. Enfonce dans ton fein fon glaive parricide; Ce fer dont tu 1'arinas contre tes ennemis, L'ambitieux Céfar en perce tes amis. Udévoueaux forfaits les vertusdun grand homme> S'il eft heros en Gaule, il eft tyran dans Rome: Ce cruel deftructeur de notre liberté Contre un fénat de rois citoyen révolté, Bouleverfe 1'Etat, 1'attaque, le déchire;' Tout tombe, tout périt, la république expire. - Et nous vivons encor? & nous fommes témoins Des crimes que n'ont pu conjurer tous nos foins? La vertu combattoit pour la caufe commune; Les lois étoient pour nous, pour Céfar la fortune: L'univers eft foumis aux fers des fcélérats. Qu'il tègne le cruel fur des Catilinas, Dignes d'accompagner fa pompe triofflphale. O héros immolés aux plaines de Pharfale! O manes généreux des derniers des'Romains! Du fond de vos tombeaux, de ces cbamps mhu- mains, Ou fans difthiftion repofe votre cendre, A mes fens éperdus vos voix fe font entendre: „ Quitte, quitte, Caton, ce féjour détefté ', Oii le crime infolent détruit la liberté; Jouet infortuné des guerres inteftines, " Vole t'enfevelir fous nos triftes ruïnes.,, " Oui, vengeurs malheureux de nos augufteslois, Caton ne fera point rebelle a votre voix; Mais fauvons nos débris épars fur ce rivage, Qu'üs voguent loin des bords oü donnnoit Carthage,  POESJES. *5, Loin du joug qu'un tyian voudroit leur impofer. Alors de mon deftin je puurrai difpofer. Et toi, mon feul efpoir, a qui je donnai 1'être r Quejelaifleenmourantfous le pouvoir d'un maitre> Fuis les lieux corrompus, le féjour profané Oü ce vainqueur répand fon fouffte empoifonné; D'un tyran orgueilleux fuis 1'afpefl effroyable , Cherche en d'autres climatsunciel plusfavorable. Et te maintenant libre en ce fiècle odieux, Souviens - toi des vertus dont brilloient tes aïeux., Que ton cceur en conferve un fouvenir modefte, Et loin de t'oppofer a ce deflin funefle, Qui renverfe 1'Etat en détruifant fes lois, Laiffe aux Dieux irritésleur vengeanee & leurs droits. Sans chagrin, fans douleur vois expirer ton père; Bénis, bénis le jour qui fmit ma mifère. Je veux d'un front ferein m'élancer a tes yeux Des fanges de la terre au temple de nos Dieux; Dans eet afile faint, la gloire & la juflice Abreuvent la vertu d'un torrent de délice; La je retrouverai Pompée & Scipion, Et ces héros dont Rome a confacré le nom. Oui, Céfar,a ma mort tuporterasenvie; Un illuflre.trépas va couronner ma vie. Véritable Romain, libre, & maitre de moi, Je préfère la mort a vivre fous ta loi. II eft temps, finiffons; donnez-moi mon épéo; Du fang des citoyens elle n'eft point trempée, Mon fang eft le premier qui la fera rougir. Mais quoi? .... tenteroit-on de me défobéir? Qtmi. ftfih, de Fr. 11. T. VIII. B  t& P O E S I E Si Forme -1 - on des complots ? qu'enferrae ce myftère ? Ah ! timides amis , que prétendez- vous faire? Croyez-vous m'empécher de terminermon fort? II eft mille chemins pour courir a la mort, lis me font tous ouverts, ma mort eft néceHaire. Voulez-vous donc livrer votre ami, votre père, Vivant & défarmé dans les bras du vainqueur, Le défenfeur des loïs a leur perturbateur, Un vrai républicain au tyran qui le brave? Caton ornera-t-il fon triomphe en efclave? Ah! tels étoient les fruits de votre aveuglement. Déteftez vos erreurs, penfez plus noblement. Le fage avec mépris voit la mort fans la craindre. Louez mon aftion, gardez-vous de me plaindre: Quand on voit fa "patrie & fes amis périr, Un lache y peut furvivre, un héros doit mourir. Fait è Strehlen le 8 Décembre 1761. ALLEGORIE. J)eux voyageurs jeunes & curieux De 1'orieut parcouroient divers lieux. On leur apprend qu'une grotte enchantée, Depuis long - temps des peuples refpeftée, Setrouvoitla; pleins d'admiration, Us vont la voir, mais fous condition. Car;mon lefteur faura qu'en Ia caverce. Nul curieux u'ofoit porter lauterne; J^mbre en 4mt Ie ténébreux féjour,  P O E S I E S. $ Et 1'enchanteur furtout craignoit le jour. Jamais lueur n'en éclaira 1'interne. S'il avenoit que quelque impertinent Ofat léfer cette règle abfoiue, Aveugle étoit, d'abord perdoit la vue. On en faifoit plus d'un conté étounant, Propre a tourner une tête innocente ; Car rien ne gagne aulïï vite a l'inltant Que la terreur d'une fainte épouvante. Nos étrangers vont felon ce traité, Sans éclairer leur démarche tremblante, Dans 1'antre fourd braver 1'obfcurité. (Mais que ne peut la curiofité ?) Tout en entrant, 1'un dit a fon confrère: „ Ceci fent 1'art d'un grand magicien. „ Que de beautés cette caverne enferre? „ J'aime le grand & i'extraordinaire. }, Vois -tu ce jafpe, & remarques - tu bien „ Ces chapiteaux au deffus des colonnes? „ Ah! quels tréfors! c'eft de 1'or le plus fin. „ Cette corniche a palmes & couronnes, „ Quel bel ouvrage &; quel riche deflein?,, Son compagnon confidére, exainine: Le préjugé lui troubloit le cerveau, (Ce n'eft pas-la,direz vous, du nouveau ,) II penfe voir tout ce qu'il examine. Après qu'en foi longuement il rümine, „ Ces chapiteaux, dit-il, ne font point d'or, ,, Mais bien d'argent; ces colonnes encor, „ Sont de lapis, & ces grandes ftatues, B s  a P O E S I E s. „ Tout a 1'entour dans ces niches recues, „ Sont du plus clair & transparent crifta!.,, „ Oh! tu rêves, dit l'autre , ou tu vois mal: „ De 1'argent la font vifions cornues.,, Le partifan de 1'argent, très-brutal, Soutient fa caufe, en gros mots fe querelle; L'entètement, la eolère s'eu mêle; On jure, on pefte, on veut avoir raifon, Et le bon fens n'étoit plus de faifon. Tout en criant on regagne la rue, Du peuple fot 1'imbécille cohue Accourt, s'attroupe: &bientót difputant Entre les deux champions fe partage,Tel eft pour 1'or,. un autre pour 1'argent. Parmi ces fous il fe rencontre un fage: Ce n'eft pas trop de ce mondê 1'ufage; Mais il y fut; de vous dire comment, Mon chroniqueur n'en rend point témoignage. 11 foupira de la myftique rage Qui s'emparoit des efprits échauffés, Car ils étoient pareils aux fous fieffés. Bien informé du point de la difpute, Le fage veut lui-même examiner D'enchantement ce qu'on vient de próner. Sans dire mot il part, il exécute Tout doucement 1'entreprife fans bruit; Sous fon manreau il cache une lanterne, 11 voit la grotte, il entrè, il y difcerne Tout auffi loin que fa lumière luit. Ne trouve point colonnes ni ftatues,  POESJES. 4* Chapiteaux d'or, les beautés appe^ue?.- „ Jevois, dit.il, des roebes toutes nues, ., Onvrage brute öu rien ne reffent 1'art, ,, Tel que partout la groffiére nature „ Ën a produit cömme il plak au hafard'. ,, Sublirae objet de fraude & d'impcfture-,„ O grotte! il faut que tu refle3 obfeure, „ Tu n'as de prix que par 1'illufion. ,> Vers fon logis il reprit fon allure, Point aveuglé ne fut, on nous Taffure» Point ne fronda la fuperftition, Monftre & tyran du fublunaire empire» 11 fut garder au fond de fa maifon La vérité, fans daigner la produire. Ah! cher lecteur, il avoit bien raifon. L'erreur fe cache, elle craint & redouteL'éclat brillant dont luit la vérité: TJu feul rayon qui perce dans fa voute,En éclairant fa fombre obfeurité, Met impofteurs & dupes en déroute. Fait a B/eslau ce 23 Fév. I76i. B 3  3 J> 0 E S I E S. F A C E T ï E AU S1EUR D'ALEMBERT, grand géomètre, indigné contrt le frivole plaifir de la poëfte. A mans des filles de mémoire, Surchargés des lauriers & couverts de la gloire Qu'Apollon diftribue a fes chprs favoris, Abjurez déformais vos célèbres écrits. L'oracle des hautes fciences Toifant de fon compas les accens de vos voix , A dö fon tribunal prononcé vos fentences; Tremblez & refpeftez fes lois. Peintre de Ia nature, hsrmonieux Homère, Qui chantesJes Troyens & les Grecs & les Dieux, Agiflant, combattant, entretenant la guerre Oft périffent Priam & fes lils malheureux, A quoi fervent ta force & ta noble harmonie, Tes tableaux enchanteurs, tant de traits de génie Qui jusques a nos jours ont ravi tes Iefteurs ? Un barbare, fameux chez les calculateurs, Perché fur un nuage a cóté d'Uranie, ■Confond tes fots admirateurs, Et prétend voir dans fon grimoire Qu tu n'étois qu'un fablier. Au pays des badauds la mode eft de Ten croirer Et dut il te calomnier,  P O E S I E S. 3i Nos bon Grecs arabat qui tremblent pour tagloire, Sont prés de la facrifier. Je vous plains tous les deux, Théocriteöi Virgile-, Vous qu'infpitoient jadis les Graces & 1'Amour, Quand ils vous diftoient tour a tour, Sur le ton funple de 1'idylle, Ces vers qu'avec plaifir on relit chaqne jour, Ces tableaus fi rians d'un afile charapêtre , Ce ruiffeau prés duquel couchée au pied d'un hétrs Phyllis careffe fes rnoutons. Les tendres fentimeïis que Lycidas fent naitre Ne nous font après tont connoitre Que d'amans ingénus les douces paflions, Sans un feul mot d'algèbre ou de géoraétrie, De courbes ou d'équations, Quelle étoit votre frénéfie ? II nous faut des calculs & des folutions. O fubliraes efprits I desqucls la noble audaceD'un vol d' aigle perca le vafte champ des cieux-, Vous franchites 1'immenfe efpace Qui fépare a jamais la race Des enfans des mortels du tröne oü font les Dieuxi Sachez, Pindare, & vous Horace, Qu'infenfible a vos chants les plus mélodieux, La farouche philofophie Traite 1'entboufiasme & 1'ode de folie, Et leurs auteurs de furieux. Que vous dirai je? o tendre Ovidel Vmti déJiates 1'art d'aimer A ia Divinité de Gnide, B 4  5» POESJES. Mais vons ne pütes préfumer Que ia fécondité d'une Mufe 'fluïde Vous feroit des Gauloïs un jour mdfeftiraer: Que n'alliez vous chez eux confuïter un DruideT 11 vous auroit appris que Tart de les charmer Confifte a renoncer au Dieu qui vous poflede, A courir, arpenter fur les pas d'Arehiinède, O feeret des beaux vers inconnu jusqu'a nous 1 Comment s'eft-il donc fait que tant d'illuftres fous » Penfant que leur gdnie enfantoit des merveilles, Confacrèijent leurs foins, leurs travaux & leurs veilles A peindre les objets qu'enferre 1'univers, A toucher, émouvoir, & plaire por leurs vers? De ce goür furannd fon abolit la mode. Un rabbin riewtdtóeö rtfoime notrecode; Des pouires du calcul au bout de l'occid-enc Le Pavnafi'e' a vu nnitre & fortir fon tyran. Tout Rj coufond, tout change, il n'eft rien qu'il conferve, II foule fous fes pieds la poëtiqne verve^ Chez lui; jeunes auteurs, recevez des lecons: Plus d'images en vers, ni de comparaifons; Son auftère rigueur en feroit orrenfde, Et fa prolixité fenfiblement bleflee. Que ddformais vos versfoientdurs&décharnds, Va plus b minus x , & de calculs ornds. Au lieu.de travailler fur des fujets épiques, MetteYen beaux foi-nets les fedions coniques. Pour amufer un roi d'ennuis toujours munv, Que fur un vaudeville un des chantres lyriques  P O E S I E S-, Lui détonne au Pont-neuf le calcul infini. S'il vous faut captiver le cceur. d'une maitreffe> Ne lui dépeignez point la peine qni vous prefle; Sans vanter fon efprit, fes charmes, fes appas, A toifer tous fes traits employez le corapas, De leur proportion comparez la mefure, Et puis laiffez errer la vague conjeéture: Vous ferez un ouvrage & phyfique & profond, En vers , comme en faifoient Muffchenbroek &' Newton. Dans des cerveaux brulés jadis lafable éclofe Enfanta les vains Dieux de la métamorphofe, linpropreinent donna le nom de Jupiter A 1'efpace infini qu'on appelle 1'éther, Par Venus défigna la féconde nature, Eacchus étoit Ie vin, Cérès 1'agriculture. Nouvel iconodafte, armez-vons de rigueur:' Extirpez tous ces Dieux, fantómes de■ Terreur5.. Rejetez le fens clair de leur allégoriev ! La vérité voilée eft a demi (létrie. Au lieu de nous conter comment le Dieu desea-ux Protégca contre Pan Syrinx dans les rofeaux, Philufophe folide il faudra vous rabattrs A prouver en rimant que deux Fois deux font quatro. O 1'excellent fecret dé plair'e & de charmer! Flairez , flairez 1'encens qui va vous enfumer. Aux hautes régions le voyez-vous parokres Au fourcil refrogné ce fombre géomètre Applaudir en bdillant a ce genre nouveau9. Digne de fon aride & ftérile cerveau,  34 P O E S I E S. Donner au rimailleur de ces docles fornettes? Le titre faftueux de premier des poëtes? Pour acquérir ce nom par de hardis efTais, Des algébriques vers ébauchoiis quelques trait?; Leur charme lèvera le fatal anatheme Que la haute fcience a lancé contre nous. En faveur de ce théorème Nous nous coïïcilierons- tous. Théor è me. Apprenez qu'en tous les triangles, Si 1'on réunit les trois angles, lis ferout égaux a deux droits. Démotiftration. A la figure en deux endroits Vous tracerez des paralléles, Doétement comparez entfelles Les différentes feétions, Et au moyen d'équations. Toujours deux angles droits réfulteront d'icelles. Id quod erat demonflrandum. A Dittmansdorf U s d'Aoftt 176  p O E S I E S. 35 ,AU MARQJUIS D'ARGENS, après l'affaire de Reichenbach. J"Jé bien voila ces poftillons, Vous les voulez., je les envoie. PuiiTent-ils de nos camps & de nos pavillotK Reconduire chez vous le plaiflr & la joie, La vive & faillante gaïcé, Compagne de votre bel age! Puiffe le récit non flatté D'un affez léger avantage. Rétablir la féréniié, Le calme & la tranquillité Dans votre ame abattue aprés un long orage! Ces rapides courriers-n'annoncent pas Ia fin D'un pénible & vigonreux fiége;Mais vous apprendrez d'eux par quel coup ledeftiu Dans certain combat clandoftin . Nous a ta garamir du piége Que 1'implacable Autrichien Nous tendoit en mauvais chrétien. Vraiment ce n'étoit pas la peine Qn'avec tant d'appareil le peuple en fut iiiftrah* Jamais ni Condé ni Turenne Pour fi petits exploits ne firent fi grand biEtt, Le politique , d'une ame hautaine Vous foutiendra qu'on eft réduiï B 6  3j P O E S I E S, '._ A no'urrir d'efpérance vaine Le public aveuglé fait pour être féduir,. A * * * ainfi * * * ie rocne Du Canada jusqu'en Ukraine,Qui fait le tromper, le conduit. Pour moi qui nai jamais rccu eet évangile.. Je ne prétends point par 1'etreur Abufer lachement en fcélérat habile } La conSance & la candeur D'un pjuple frivole & faciie. Ah! faffe d'un ciron qui veut un éléphant; J'aime la vérité, le vrai feul eft charmant. Jene veux point de bruit, de pompe folennelle,. Pour immortalifer le fuccès d'un moment. Cefujet, Marquis, me rappelle Ce trait d'un Suiffe goguenard :. II mangëoit gras, c'étoit carême ; Un orage furvint avec un bruit extréme. Certain dévot, maitre cafard, Au front fournois, a 1'ceil hagard, Lui dit, vous excitez la célefte colèré. L'autre s'écrie en vieux foudard, Grand Dieu, que de fracas! épargne tontonnerre, Ce n'eft qu'une omelette au lard. Mes vers vous expliquent mes penfées furies poftillons que vous avez vus arriver a Berlin. II eft £on defe réjouird'un grandmalheur quenousavons évitói cependant, mon cher Marquis, il yaloin de ce point il unefortune entière; & pour vous parler tout a fait nature.l!ement., je crois que nous au-  POESJES. 3? rons encore une crife avant la réduction de Schweidnitz. II arrivera de tout ceci ce qu'il plaira au hafard, a Ia deftinée, ou a la providence; car certainement tous les trois, ou 1'un d'eux a plas de part aux. événemens du monde que la prévoyarce des hommes. Je vous laifie faire vos petites rcflexions philofophiques fur cette matière obfcure & irnpénétrable; fi vous y faites quelque heureufe découverte, vous me ferez plaifir de me la communiquer. En attendant je vous prie, mon cher Marquis, de ne me point oublier. AU MARQUIS D'ARGENS, Sur fon Timée de Loeres quTUui avoii envojé. Dans la fleurde mesans jem'occupoisd'Ovidè, Ou je fuivois Renaud dans le palais d'Armide, Et lorsqu'ün poil naiffiuu orabragea mon menton Je pris goüt pour Sophocle , Horace & Cicéron; Plus mür j'ètudiai Céfar dans fon allure, Leibnitz & Gaffëndi, mais furtout Epicure. A préfent, cher Marquis, que 1'age injuriëuxj Enervant.ma vigaeur grifonne mes cheveux, Et m'averdt qu'en peu le joindrai mes ancêtres, J'ai choifi pour hochets ces fcélérats de prétres; La lolle ambition de ces faquins mitrés, B.7 A' Péters walde 19 Aoüt 1762.  s*. POESJES. La Iuxure & 1'orgueil de ces fronts tonfurésAmufe en m'irritant ma pefante vieilleiTe. Je m'emporte en voyant la honteufe foibleffe De Iaches fouverains fous la tiare rampans Par baffeffe embrafTer les pieds de leurs tyrans. Je me gauffe des faints & ris de leurs reliques; Je plains 1'aveuglement des querelles myfliques, Bavardage idiot, futile jeu de mots D'impofteurs révérés, abufer pour les fots. Le cerveau tout rempli de leur faint brigandage , Je regois, cher Marquis, votre élégant ouvrage. Un plus fage que moi n'auroit pu différer. De fe jeter deffus & de le dévorer; Mais mon efprit tout plein de buiies, de vigiles, Dedofteurs, demartyrs, d'interdits, deconciles, De ce fatras inepte, indigne & menfonger, Doit, Marquis, pour vous lire avant tout fepurger Atteudez, Fil vous plait, que ces folies chimères Sortant de mon cerveau dégagert fes vifcères, Et que mon efprit pur & net de ces erreurs Se prépare a fe joindre a vos adrnirateurs. Avant que 1'Orion annonce Ia froidure, Sufpende les torrens & glacé la nature, En ledeur diligenr, au métier aguerri, J?aurai, n'en doutez point, expédié Fleury: Alors, en renoncant a Ia théologie, Je me vouerai, Marquis, a Ia phtlnfophie, Et retrouvant en vous la belle antiquité, J'irai dans votre fein puifer la vérité. Nous examinerons la nature des chofes;  POESJES. Remontant par degrés a leurs premières caufes, Nous verroas avec Lock combien fur notre corpr La méchanique influe & régie fes refforts; Et comment notre efprit, fi fier dans fa carrière, N'eft qu'un effet brillant des lois de la matière. Mais, hélas! cher Marquis, pour remplir ces projets, II faut voir refleurir 1'olive 'de la paix. Les Mufes, on le fait, redoutent les alarmes,. Leur chafte troupe fuit le tumulte des armesj. Si leur temple s'entr'ouvre au défir des héros, C'elt dans des jours fereins, a 1'ombre du repos: Mais dans des champs fanglans, parmi Ia barbarie, Mars même iroit envain courtifer Uranie. Nos yeux ne font frappés que d'objets inhumains-, Déteftables effets des troubles des Germains, Fruits de 1'ambition & des haines des princes, Qui penfant conquérir, défolent les" provinces. L'Europe tout en feu va fe bouleverfer: Parmi ces chocs affreux comment peut-on penfer? De tant d'événemens le cours prompt & rapide M'entraïne vers Bellone en m'éloignant d'Euclide; Dans 1'agitation de ce flux & reflux II faut rendre le calme a mes fens éperdus. Vous direz, rappelant un exeinpie a votre aide Qu'on vit a Syracufe un certain Archimède, Tandis que Métellus & la fleur des Romains Sur ces murs écroulés fe frayoient des chemins, Qui demeurant tranquille & maitre de lui-même, Au fond de fon jardin réfolvoit un problème.  #a P O E S I E S. J'eftimerois bien plus ce fage indifférent, sCi chargé de la ville & du commandement, Accablé de travaux, rempli d'inquiétudes, II eat malgré ces foins pu fuivre fes études. Moi, dont„l'efprit pefant & peu développé Par un objet unique eft long-temps occupé,. II faut pour qu'en détail ma raifon le digère, Ne la point furcharger de plus d'une matière. Je n'ai point en naiffant eu des-bienfaits du ciel Un génie étendu, Jublime, univerfel: C'eft pourquoi prudemmentje meborne & refferre Dans les confins marqués de mon étroite fphère. Vous, formé, né, müri fous le ciel provencal, Loin de fombres frimats d'un climat glacial, Doué d'un efprit vafte, ingénieux, faciie; Vous nous fuppofez tous pétris de même argile, Et croyez coinme vous que nous nous élevons D'un vol audacieux aux hautes régions, Non, Marquis, les efprits n'ont pas la même trempe; Si 1'un peut s'élever, le plus grand nombrerampe; Pour un Jules Céfar quel nombre de Varus ? Et contre un feul Virgile il eft cent Mévius. Des dons. les plus exquis Ia nature eft avare, Le médiocre abonde & 1'excellent eft rare. Confervez les beaux dons qui vous font départis. Grand nombre de mortels fous les fens abrutis Végettent beaucoup plus qu'ils ne penfent & vivent, Et fans réflexions leurs jours vides fe fuivent. L'image qu'imprima fur eux le créateur  P O E S I E S. 4-1 Du temps qui ronge tout feut le bras deftruéteur, Supportez leurs défauts en plaignant leurs mifères; Encor qu'abatardis, fongez qu'ils font vos frères. N'exigez jamais d'eux des pro^rès violens, Qui paffent a la fois leur force & leurs talens: Ne les mefurez point felon votre opulence, Rapprochez-les plutót de vous par indulgence. Aanfi, fi vous daignezm'accorder quelque temps, Maigré tous les travaux aulfi durs qu'importans Quldemandent mes foins & ceux de mon armee, Je vous promets dans peu d'avoir lu le Timée. Ces vers fe refientenr, mon cher Marquis,. du temps ou ils font produits. J'ai des foucis pdlitiques, des inquiétudes militaires, des tracafferies de iinance, enfin uae raultitude d'occupations défagi-éabies-qui m'obfèdent. Mes vers vaudroient peutètre un peu mieux, s'ils avoiem été enfantés dans un temps plus tranquiüe; ils feront toujours bons pour 1'ufage que vous en ferez. Quiconque n'écrk pas comme Racine,. devroit renoncer a la poëfie. Mais on dit que les poëtes font fous; voila mon excufe. Vous m'avouerez que cette folie n'eft pas dangereufe pour le public, furtout lorsque le poëte- ne viole pas le monde pour lire fes ouvragès, qu'il ue fait des vers que pour s'amufer, & qu'il eft le premier a rendre juftice a fon foible talent. j'aimerois mieux, je vous 1'avoue, faire a préfent un beau & bon traité de paix qu'u.i poërae épique, & au défaut de cela, baure bien ferré les Autrichiens, plutóc que de compofer une odecora-  42 P O E S I E S. me Rouffeau. Vous en feriez content aufïï, je le crois bien. Cependant il faut avoir patience, laisfer agir les caufes fecondes, puisque nous ne pouvons remonter aux premières, & plier fous le joug des événemens qui ne dépendent en vérité aucunement de notre prudence. Adieu, mon cher Marquis; lailTez-moi mes inquiétudes, confervez pour vous une tranquillité inaltérable, & foyez fur de mon amitié. A Fétcrs'.va'de le a» 0£obre 1762 VERS faits pour être envoyés par un Suiffe a certaine Denioifelk ULRIQUE dont ij ét uitamoureux* Je vois ici comment on prend des villes; .Leurs défenfeurs, pareils a des Achilles, Mènent grand bruit & nous réfiftent bien; Ces beaux exploits, en lauriers fi fertiles, Toujours cruels, ne me touchent en riea, J'aimerois mieux le beau fecret de prendre* Un jeune cceur enclin"a fe défendre, Surtout lui plaire & par mon entretien Faire paffer mon amour dans le'fien. A mon avis eet art eft difficile-, Je le croirois toutefois plus utile Que les travaux foneftes des guerriers  P O E S I E S. 43 Couverts de fan?, de fange & de lauriers. Quel trifte jeu d'abymer des murailles, Vieux monumens d'habiles ouvriers, De s'acharner dans ie fort des baiailles Et de caufer nombre de funérailles! Que fi j'étois auprès de vos foyers, Je 1'avourai, j'aurois plutót envie De m'occuper a procurér la vie, En retirant des cachots du néant De 1'univers un futur habitant. S'il fe pon voit que celle que j'adore, En concourant a ma félicité, De fon beau fein quelque jour fit e'clore Un rejeton de ma fécondité, Ce trait parfait ajouteroit encore A fes vertus, qu'on ne peut trop prifer; C'eft, croyez-moi, (foit dit fans métaphore) Le vrai moyen de s'immortalifer. Le Dieu d'hymen autorife ces gages. Le bien dé voir croitre & multiplier N'eft point celui de ces ames fauvages, Des Iroquois & des antropophages; C'eft un plaifir qu'on peut concilier Avec les mceurs que prefcrivent les fages, Et Ia vertu doit le jufHfler. Voila pourquoi Mars, ce Dieu fi terrible 9 Me vit révéche, inexorablé & fourd, Quand il voulut m'engager a fa cour; Vous le favez, mon cceur tendre & fenfible Sous vos drapeaux & fous ceux de 1'Amour  44 P O É S I E S. S'étoit naguére enrölé fans retour. Ce Dieu charmant m'a tenu lieu de père; Dans fon école a Paphos, a Cythère, De fes fecretsil daigna m'infoimer: Retenez bien, dit-il, que 1'art de plaire t Doit en tout temps précéder 1'art d'aimer. II me montra fon arfenal, fes armes; Je ne vis point des tonnerres d'airain, Mais de beaux yeux brillans de mille charmes, Dont la tendrefTe exprimoit quelques larmes, Et qui des Dieux feroient 1'heureux deflin. Tous fes fujets vivent en affurance: Leurs travaux font exempts de violence; Attentions, fentimens délicats, Soupirs, doux foins, égard & complaifance, De tendres vers écrits fans embarras; Pour leurs exploits, ce fontbaifers de (lamme,. Qui font couler la volupté dans l'ame, Qu'il faut fentir, mals qu'ou n'exprime pas. Vous le voyez, j'ai l'ame trop humaine Pour me complaire au danger, a la peine, Que dans les camps au Dieu Mars départis Egalement fouffrent les deux partis. Habitant doux des rives d'Hippocrène, Toujours foumis a ma belle, a ma reine, Je voudrois fort, fi j'avois a choifir, En lui donnant recevoir du plaifir. A ce propos, ma divine maitreffe, Je vous dirai le mot d'un ancien; SLufie n'étoit, non plus qu'Autrichien;  P O E S I E S. 45 ,, Dieu me fit homme, ainfi je m'intéreffe w Aux biens, aux maux de toute notre efpèce.,, A DicHmansdorf 1762. AUTRE EPITRE. pour Famoureux Snifte. Réponfe a Démoifeüe ULRIQJJE. que j'eftime les monarques, Surtout lorsque c'eft vous qui les faites parler! Oui, s'ils pouvoient vous reffembler, Les cours n'entendroieiit plus la voix des Ariftarques En vaines plaintes s'exhaler; La vérité dans fes remarques N'auroit rien a dilïïmuler; Ces rois atrroient le don de plaire,' Et 1'art plus précieux de régner fur les cceurs; Par-la cent fois fupérieurs A tout fouverain arbitraire Qui fur un peuple tributaire Etablit fon pouvoir a force de rigueurs, Mais votre empire eft doux, votre ame eft débon- nuire, Vous m'avez fubjugué, mon joug eft volo itaire, ■ Et ce feroit pour moi le coinble des malheurs, Si jamais le deftin contraire Entreprenoit de me fouftraire  46 P O E S I Ë S. A la douce rigueur de mes fers enchanteurs Tandis que grand nombre d'efclaves, Foulés par le fceptre des rois, S'efforcent vainement de rompre leurs entraves, Pour fe gouverner a leur choix; Tandis que le peuple de Corfe, Toujours obftinément fe raniine & s'efforce A brifer les fers des Génois; Mon cceur ne veut d'autre avantage Qu'a vos attraits de rendre un éternel hommage, Et pour vous, maDivinité, Je renonce a ma liberté, D'un Suiffe le feul héritage, Qui fait des humains en tout Êge La fupréme félicité. Idole de mon cceur, vous l'ame de mot ame, Vous détruifez en moi f efprit républicain. J'abhorrois autrefois le nom de fouverain. Que le confeil des cent de nos Bernois me blame, Que 1'efprit du grand Teil dans fon tombeau s'en- flamme, Qu'il m'appelle parjure, efclave de Tarquin, Vous ferez, quoqu'il me réclame, Souveraine de mon deftin. Prenez donc déformais les rênes de 1'empire Sous ces aufpices fortunés. Sougez, en me voyant a vos pieds proflerné, Que des Brutus, ces forcenés, Déteflant a vos yeux le ftoïque délire, Je ferai, j'en fais le ferment,  P O E S I E S. 47 Fidelle & dévoué jusqu'au dernier moment Au monarque nouveau que mon cceur vient d'élire. A Dittmar.sdorf. Aoüc 1762 ENCORE EPITRE du Suijfe au cabinet de Mademoifelte U L R I Q,U E. J^.ecever, charmant cabinet, Ce tas de rimes infenfées; Déformais confident feeree De mes amoureufes penfées, Soyez prudent, fage & difcret. Combien je vous porte d'envief Vous êtes dans 1'appartement De celle par qui vivement Mon ame en extafe eft ravie; Vous la voyez a tout inftant, Elle vous touche en écrivant. Si par un beau trait de magie Je me pouvois pour un moment Transformer a ma fantaifie, Je ferois, non en Siléfie, Mais a Berlin affurément Le cabinet de mon amie. La nuit, lors'elle dormiroit, Toujours vigilant auprès d'e>le, Je me tiendrois en fentinelle;  43 PüESIES, Lorsqu'elle fe réveüleroit, L'obj et premier qu'elle verroit, Ce feroit fon amant fidelle. Si le matin elle tracoit Sur moi, bureau, quelque billet, Jebaiferois, briilant.de zèle, Cette main fi blanche & fi belle. Qu'avec plaifir je porterois Ce beau fein de neige & d'albatrei Qu'amoureufement idolatre Doucement je le prefferois; Que fi j'ofois je lui dirois Tout ce qu'Antoine a Cléopatre A dit fur de pareils fujets. Que j'aurois de cuifans regrets, Si trop vite & fans me rien dite Elle achevoit trop tót d'écrire; Mais du moins en me refermant Elle toucheroit fon amant; Cette faveur fans conféquence Pour moi feroit d'un prix immenfe. Au lieu de ce bruit fourd que fait En fefermant tout cabinet, Je m'écrirois, C * * * vousadore, Et fitót qu'on me heurteroit, Je le répéterois encore. Mais la trifte réalité, A 1'ceil plein de féverité, Diifipe de ma douce ivrefle La fiction enchanterefle,  POESJES 4% Et de co'.ère tranfporté; Je me trouve ici rejeté Dans un camp loin de ma malcreflTe. Je le vols, la félicité T\!'eft pour nous qu'un aimable fonge: II vaut donc mieux, tout bien compté, Etre trompé par le menfonge Qu'éclairé par la vérité, A Dittmansdorf. Aoflt 1761. D' U N SUISSE. A la Divinité mère du tendre Amour J'ofois, me recueillant un jour, Du fond d'une antique chaumiére Adreffer humblement ma dévote prière; Je lui difois tout doucement: O DéefTe aimable! en qui brille Ce qu'on imagina jamais de plus charmant, Je vous en conjure ardemment, Daignez protéger votre fille; C'eft votre fang, votre familie, C'eft de 1'aimable Cupidoa La compagne & la fceur cadette; C'eft elle dont l'amour, dit-on, En m'embrafant met fit poëte, Dont vous connoiffez bien le nom, Qui rime richement en ique; Omv.foJlh.de Fr.llT.VllU C  5 v p o e s i e s. Sur elle répindez, verfez fur fes defiinj Tous les biens que des Dieux la faveur magr.ifiquï Peut diftribuer aux humaius: Qu'autant qu'elle eft charmante & belle, Elle foit, s'il fe peut, auffi tendre & fidelle; Que ni 1'abfenee ni le temps N'éteignent dans fon cceur de nos feux innocens La flamme pure & mutuelle, Ainfi que vos appas digne d'étre immortelle. Qu'elle connoiffe bien le cceur D'un certain Suiffe qui 1'adore, Qui pafTe jour & nuk a compter chaque aurore Dont 1'éclat importun diffère fon bonheur. Puiffiez-vous, ó Vénusl acceptant mon hommage, Bénir le deftin qui 1'engage A former ce nceud folennel! Et puifle-telle enfin dans cette union fainte, En n'éprouvant jamais de la lune d'abfinthe N'y goüter pour toujours que la lune de miel. A Péterswa'de. Septembre 1762. E P I T R E A MA SOEUR DE BRONSIVIC. Qu'il eft des plaifirs pour tout dge. Dans le monde, ma fceur, tout ce qui naitpent. Une éternelle loi tour a tour y proferk  P O E S I Ê $. 51 Ces générations qui conftammen: rcnaiffent, Et fous Ia main du temps auflïtót difparoiffent. Si Ia rapidité d'un fi prompt mouvement Ne fe fait pas pour nous fentir a tout moment, C'eft qu'on fait chaque jour une perte infenfible, Que chaque homme, entrainé par quelque foinpé- nible, Ou rempli d'un deflein dont 1'efpoir Ie féduit, Laiffe échapper Ie temps qui Ioin de nous s'enfuit. Mais a peine le cours de deux luftres s'achève, Que nos jours écoulés paroiflent moins qu'unrêve. Quand 1'age irrévocable a fillonné nos fronts, Alors nos yeux furpris découvrent fes affronts. Comment a difparu le feu de ma jeuneffe? De mes fens enchantés 1'impetueufe ivrefTe, Ce fonds inépuifable & fertile en défirs, Ces aües pour voler de plaifirs en plaifirs ? J'exifte, & cependant je ne fuis plus Ie méme. O vérité cruelle, humiliant problême, Qui dévoilant les lois de la fatalité. Aggrave encor mes maux par leur néceffité l Offusqué des vapeurs de la mifantrepte, Las de perdre en détail les reftes de ma vie, Au point de renoncer a 1'efpqir du bonheur, L'amour propre auffitót s'ernpare de mon cceur; De ce flatteur adrolt le difcours me confole. Appaife, medit-il, ce murmure frivole, Ecart féditieux de tes fens révoltés; Tu perdis moins de biens qu'il ne t'en eft refté. Le printemys de tes jours fait place aleurautomme, > C s  5, P O E S 1 E S. Flore en fuyant tes pas te confie a Pomone; Tu promettois jadis, a préfent tu produis, Et dépouillé de fleurs, tu dois porter des fruits. Dans ta maturité la raifon te décore; Ton gorlt, ton jugement, vient a peine d'éclore: Ce fil guida jadis Ariftide & Platon Trajan, les Antonin, Titus & Scipion. Que la raifon t'éclaire en eet affreux dédale Ojü 1'intérêt, 1'orgueil, 1'envie & la cabale S'empreffent d'égarer tes pas mal aflurés. EUe fauva tes jours de périls entourés. Ta jeuneffe a bien pu jeter des étincelles; Compare leur éclat, leurs beautés peu réelles, A la fageffe enfin, a ce don précieux Dont Minerve elle-même a fait trophée aux cieux. J'entendois fon difcours en répandantdeslarmes. Amour, me faudra-t-il renoncer a tes charmes, Difois-je, & faut-il donc qu'infenfib'.e a jamais, Mes organes ufés rejettent tes bienfaits? Mais cent plaifirs rtouveaux s'offrent a mapenfée, Plus vrais, plus affortis a ma courfe avancée. Plions, puisqu'il le faut, fous les lois du dertin; Du couchant d'un jour fornbre embellilfons la fin: Prés de frapper au but d'une pénible courfe, Cherchons pour nos défirs encor quelque reffource; Couronnons-nous des fleurs du tendre Anacréon ; J'en veux le front paré traverfer 1'Achéron. Jusqu'au temps oü des morts je nocher me réclame, Que la férénité fe maintienne en mon ame. ]e renpnee. au fracas de ces plaifirs fougueux,  P O E S I £ S. 53 Si peu fatisfaifans & toujours dangereux. Vous, molle oifiveté, ehanfons,douceurs futiles, Je vous quitte en faveur d'amufemens utiles. Je vis avec les morts; leurs doftes monumens A d'auftères le9ons joignent les agrémens. Au coin de mon foyer, tranquille & folitaire, Je converfe avecLock, Tacite, ou bien Homère. Si quelque fage vient, je me plais al'ouïr; Les talens font un bien dont 1'efprit doit jouir. Mes organes flattés des fons de 1'harmonie Chériffent tous les arts qu'a produits le génie; J,'aime fur le théatre a voir Sémiramis Frémir au fouvenir de fes crimes couirais, Ou dans les murs pompeux qu'elle élève a Carthage, L'amoureufe Didon, dans fexcês de fa rage, Pour un amant ingrat, mais qui fut la toucher, Abandonner le tróne & courir au bücher. Je me plais dans les traits de la vive peinture Des fentimens qu'en nous a gravés la nature; Surtout fi le poé'te a 1'eKcellent fecret De nourrir, d'échauffer, d'accroitre 1'intérêt, D'exciter la terreur, d'augmenter mes alarmes, De m'attendrir au point de répandre des larmes. Si je n'habite. plus cette orageufe cour Oü tant d'illufions environnent l'amour, Un fentiment plus fin, plus noble & plus folide, De ce bonheur perdu fait remplacer le vide. O divine Amitié! préfent chéri des cieux! Ce n'eft que dans ton temple od vivent les heureux. J'ai connu le bonheur depuis que dans mon ame C 3  54 P O E S I E S, Tu daignas allumer cette pudique flamme;. Tón doux contentement n'eft jamais combattu Par les érroits devoirs qu'impofe la vertu, C'eft toi, fille du ciel; dont 1'appui fecoarable Du déclin de mes jourrend la fin fupportable Par le cceur dont ta main m'a rendu poflefleur. Ce noble fentiuient vous Téprouvez, ma fceur. Ce cceur que je chéris, quel eft-il? c'eft levótre; Lui feul il me fuffit, je renonce a tout autre, Qui volage, indifcrer, habile a m'impofer, De la vertu fe pare afin d'en abufer. Je trouve tout en vous, efprit, vertu, tendreffe, Et 1'indulgent fupport qu'exige ma vieilleffe; A vous a cceur ouvert je puis me confier. Quel malheur quand d'amis il faut nous défier! On fent, on vit en eux, c'eft un autre foi-méme; J'exifte doublement dans une fceur que j'aime. Que la jeunefle, aveugle en fes égaremens, Se livre au tourbillon de fes plaifirs bruyans; Que de cent nouveautés la lanterne magique Réveille fon ennui d'un fommeil létbargique Je vois fans l'envier profpérer fes beaux jours. J'ai pour calmermes maux trouvé d'autresfecocrs; Vousavez vu,mafceu'vjusqu'oü s'éïendleur nombre_ Ainfi, fans que les ans merendentmorneou fcmbre,. Des faveurs que fur moi Ie ciel daigna jeter, En bornant mes défirs,'je fais me contenter, Votre amitié, ma fceur, en eftla principale. C'eft un bien qu'a mes yeux aucun autre n'égale. Daignez me conferver ce tréfor précieux  POES IE S. 55 Er de tous les mortels je fuis le plus heureux. - Que m'importedès lors que mes fens s'affoibliflent, Que mon ardeur s'éteigne & mes cheveux blanchiffent ? Je renonce a l'amour, j'embraffe 1'amitié, Et loin d'être a mes yeux un objet de pitiéV Sans redouter du temps 1'irréparable outrage, j'ai fu trouver, ma fceur, des plaifirs en tout age» A Pot Ham 1e i f ; S'obftine a vouloir dès ce jour Que la raifon, cette pédante, Sur mon efprit règne a fon tour. Vous voyez maintenant quelle eft la différence De 1'hiver de nos ans & de 1'adolefcence; L'une jouit de tout, 1'autre n'ufe de rien. Selon le fentiment d'un fameux moralifle, Le jeune eft un fou gai, le vieillard un foutrifte; Cependant le Leibnitien Dans 1'école a grands cris obftinément perfifte A foutenir que tout eft bien. A Potzdam U 20 de Févitr 17*  p O E S I E S. 59 E P I T R E Sur le trop & le trop peu, A MADAME DE MORIAN. O vous qu'enmonprintempsjeconnusfousle noia De la folatre Tourbillon, Eft-ce vous qui voulez dans une cour polie Que les difciples d'Uranie, Le compas ft la main; du trop & du trop ?ea Vous marquent le jufte milieu ? Rappelez-vous ces temps oü fans philofophies Un tiiïu de plaifirs ei\ chaiaoit votre vie, Oü fans fouci du lendemain, Vous confiant aux foins de la naiflante aurore,. Vous faviez qu'a chaque matin Pour vous elle feroit éclore, Avec les riches dons de Flore, La foule des plaifirs naiffans fous votre main. Ah! trop aimable créature, Que vous étiez , Morian, gaie & fage autrefoiSy. Vous qui teniez de la nature L'inépuifable fonds d'une joie fi pure , Qui fans jamais bleffer les loïs Dont la pudeur fixa le choix, Vous laiffoit favourer le plaifir fans rnefure ï Par quel enchantement eft - ce donc que je vois, C 6"  & P O E S I E S. Qu'en quittant les fentiers oü marchoit Epicure, Vous voulez qu'une raifon müre Pèfe les plaifirs a fón poids. Touteerreur, croyez-moi, dont 1'attrait nous fait p'aire, Vaut mieux que le trifte fiarabeau. De Ia raifon qui nous éclaire. Et qu'apprendrez-vous de nouveau Par l'ceii de la raifon qui voit tout fans bandeau, Sinon qu'en gdnéral ce que le monde enferre, Tout n'eft que vanité, féduaion, chimère ?> Nous fommes ici tous fous la fujétion Du fceptre de 1'illufion. Choififfons donc la plus aimable, Et qu'avec fon air vénérable L'importune réflexionN'ariive qu'au fortir de table. Allons, mettons a part toute prévention : Trouveriez - vous hors de faifon, Que fi je rencontrois un plaifir fur ma route, Ma main Ie cueülit fans facon? Vous me répondriez fans doute Que votre ferviteur 1'a fait avec raifon. Retournez donc auxjeux, aux ris, a rallégreffe, Aux hochets de votre printemps; Qu'ils rempliffent tous vos momens, C'eft le confeil de la fagefle. Et fur Ie trop & le trop peu Du temple d'Epidaure interrogez les Dieux, Vous appreridrez par leur prêirefie,  P O E S I E $. dt Que tout paroit trop peu dans la verte jeimeffe, Et tout eft trop quand on eft vieux. Fait au mois de Mars 1765. Ven rêcités a Sans-Souci a'la DUCHESSE DE BRONSWIC par une actrice dèguifée en bergère, qui Pinvitoit a voir une comédie prépai êe pour elle. Les Nymphes, les Sylvains de ces épaisbocages Viennent vous offrir leurs hommages, Rultiques, ingénus comme eux Ah! daignez recevoir de nous, grande Princeffe , L'encens qn'on brüle a la Déeffe Protectrice de ces lieux. Vous remplirez furtout nos vceux, Si par votre extréme indulgence D'uu moment de votre préfence Vous daignez honorer nos danfes & nos jeux, Sitót que vous ferez fous notre toit champêtre, 11 va transformé vous paroitre Comme celui de Philémon, Dont des Dieux le fouverain maitre En temple changea la maifon. a7  ge POESJES. A L'ABBE BASTIANI. Croyez» Abbé, qu'un front tonda Ne perd riea lorsqu'on lui confère Ce boanet par le haut fendu Que tout rnoine & tout fot révère; Ce bonnet vous eft déja da Et je regarde cette affaire Comme un problème réfolu. Ah ! qu'on dit biea mieux fon bröviaire Lorsqu'on tient de bons revenus! Les tréfors de la terre entière Sont deftinés pour les öLus. Vous avez Ie bouheur de plaire Au vieux fuceefleur de faint Pierre, Que Luther prend pour 1'antechrift; De plus vous êtes favori De la Déefle de Cythère» L'un doit vous décorer un jour De la pourpre de fes apótres, Et la rnère du tendre Amour Attend de vous qu'a votre tour Vous de'coriez le front des autres. A Potsdam en 1766.  P O E S I E S. Fers de la levrette Diane A LA PRINCESSE DE PRUSSE. XJne chienne en ce jour vous donne un grand exemple. J'ai mis au monde deux petits; Tout curieux qui les contemple, Les trouve comme moi beaux, bienfaits & gentiis. Soyez marraine a leur baptéme; Et mes voeux feront accomplis, Si, Madame, dans peu vous en faites de même. Signé Diane. A Potsdam ce s° dc Novembre 1767. AU 'BARON DE POELEN 1TZ, für fa convalefcence. 1 vous voila, mon vieux Baron r De retour des bords du Cocytè E t du redoutable Achéron, D'oü le nocher du noir Pluton Renvoya votre ombre maudite, En contrebande, au doux canton Que votre ferviteur habite. Vous fites friffonner Caron; 11 craignit tout pour Proferpinej Femme de réputation, Qui n'aime point qu'on la badine;-  4l ? O E S IE & II fait crue vous avez le don De turlepiner du bon ton Amis, parens, voifin, voifine- Tout 1'enfer étoit attentif, Comme il appritvotre venue,. Tifiphone en fut éperdue, Minos même en parut craintifj Tous deux avec un ton plaintif Ils vinrent chez le noir monarque, En plëurant ils dirent: „ Seigneur, „ Ne fouffrez point que dans fa barque „ Caron paffe un perturbateur, „ Qui des mortels le perfiflenr, „~ Seroit ici notre Ariftarque ; Renvoyez-le en tout honneur, „ Bien vite & s'il fepeut fans langue, „ Car fi la-haut en belle humeur „ II jafe, pérore, ou harangue , „ Nous allons mourir de douleur „ Des traits percans de ce railleur. Ayant recu cette requête,Pluton fit un figne de tête,L'enfer en parut ébranlé, Mégère en rit par ironie,Et le Baron fut exilé Au fin fond de Ia Germanie. Demeurez donc chez les vivans, Ils font de bonne compagnie, Moins cruels & plus endurans Que ce Pluton que }e renie;  J» O E S I E S. 6? Kt de vos propos raédifans Ils connoiffent depuis long-temps Le fel attique & la folie. Reftez donc toujours confmé r Vieux Baron, fous notre tropique, En vous gardant de la colique. Déjapar Minos condamné, Attendez , damné pour damné, Que fa rnajefté diabolique, Pour ragoüter 1'engeance inique De fon grand peuple infortuné, Peuple pervers a cceur de roche, Lui ferve un jour pour déjeuner D'un chambellan cuit a la broche, Bien apprété, düment offert , Par les mannitons de 1'enfer. Jusqu'au. temps que le jour approche Oü vous irez chez Lucifer Paffer joyeufement 1'hiver, Dans un refte de jouiffance Réveillez votre médifance. Vous n'irez que trop tót la^bas Auprés de 1'iufernale engeance; Ne hatez pas votre trépas. Et que gagneriez vous au change? Ici vous vivez comme un angc, Chacun vous porte fur les bras. Dans 1'enfer un vieux fi.tirique Eft plongé par un vieux Démon Au fond d'une chaudiére antique,,  €6 POESJES. Et bout aux eaux du Phlégéton Dans fa cuve mélancolique: On lui donne pour compagnon Juvenal, ou bien Hamilton. Tout ceci, Baron, vous engage A ne point hater ce voyage. Jouiffez donc, comme a crédit, Des jours heureux que dans votre ige Le Ciel encor vous départit. F»it a Eerln 1767. A LA PRINCESSE AMEL1E. Dans un T£dü\t philofophique Daignerez-vous prendre un foupé, Trés-fimp!e, & même un peu ruftique? L'hóte de vous feule occupé,Sait que d'un apprét magnifiqua Votre efprit fage & méthodique Ne feroit que trés-peu frappé. 11 compte y voir a votre fuite Les deux Grices de votre cour, La Duègne dont le mérite Prés de vous fixa fon féjour, Et la Nymphe de notre mêre, Qui brava Stockholm & Cythère,Et voulut a perpétuité Conferver fa vtrginité: Mais ne cherchez poinr, dés l'entrés  P O E S I E S. D'un afile purifié D'orgueil & d'une raorgue outrée, La troupe imbécüle & dorée De courtilans qui font pitié. Les convives que j'ai priés Sont la Joie en tout modérée, Avec la divine Amitié. Puiffent ces compagnes aimables Etre toujours inféparables Chez vous, chez moi, dans tous les temps,-. Et de leurs faveurs délectables Adoucir nos derniers momens! A Berlin ce 31 Décembre 1767. PROLOGUE DE COMEDIE, Acteurs: Les neuf Mufcs. Trois par leut dans le iialagut: les au tres avec leurs uttribitts ne fait ty.taclc .de imfiritu». Celles jks parient fint: Mclpomène. Oilliope & Thalie. Mclpomène. J^Jotre gloire eft donc écüpfée, Mes fceurs,que deviendra notre antique grandeur ? Le mérite fupérieur  69 r O E S I E S. D'une augufte PrincefTe au doublé mont placée Ternit notre fpendeur. Calliope. Nos talens partagés font réunis en elle, Mes fceurs, elle eft univerfelle. En naiffaat tous les Dieux Ia comblèrent de dons; Apollon la doua de ce puiffant génie Sublime créateur de nos productions; Le Dieu du goüt, fuivi du Dieu de 1'harmonie, Lui départirent leurs préfens; Minerve couronna tant de divers talens En y réuniffant fa divine fageffe.. Mais que redoutez vous ? Ce n'eft pas tous les ans Que le Ciel peut former pour 1'exemple des grandsUn modèle parfait d'une augufte PrincefTe ^ Et quand par fes bienfaits fignalés, éclatans Le Ciel aux mortels s'intérefle, i On peut leur céder fans baftefle. Me lp om ine. Cédons a fes vernis, malgré moi j'y confens. Calliope. Ses mains d'un vafte Etat ont gouvemé les rènes: Tous fes fujets étoient heureux; Elle effuyoit leurs pleurs, elle allégeoit leurs pei- nes, Elle étoit Tobjet de leurs vceux-, Et ces mains dont la force étayoit un empire, A 1'égal d'Amphion en maniant la lyre Savoient spprivoifer les fauvages humains; Thébes auroit pu voir pas fes accords divins-  P O E S I E S. 69 Sesinurs long temps détruitsfoudain fe reproduire. Dans fes vers aifés & coulans, Je dois vous 1'avouer fans feindre, On trouve de ces traits frappans Auxquels nous ne pouvons atteindre. Melp omene. Et pourquofdonc nous obliger A comparoltre devant ëlle ? Des beautés que notre art recèle Rien pour elle n'eft étranger. Ah! fi je rn'en croyois, Calliope. Imitez mon zèle: Ce jour fe doit folennifer. Si les efforts de 1'art que nous pouvons produire, Sont infuffifans pour 1'inftruire, Nous pouvons du moins 1'amufer. Momus aux traits de la folie ÏTêlant le fel attique & la vive faillie, Caufoit dans le banquet des cieux ■Ce rire inextinguible oü fe livrent les Dieux \ De Momus nous avons la rivale en Thalie, Même fonds de gaké, même propos joyeux. ' Revéts tes brodequins, ma fceur, je t'en fupplie; Que la fatire fur tes pas Anime tes portraks d'un noble badinage; Les fots font placés ici bas Pour les menus plaifirs du fage. Th al ie. Je fuistoute éperdue, & fens mon corps trembler; ■Ce rire inextinguible oü fe livrent les Dieux;  70 P 0 E S I E S. A 1'afpect impofant d'une illuftre Princeffe Sais-je fi je pourrai parler? .., Mais enfin, fans plus me troubler, Domptanc la frayeur qui m'oppreffe, Je puis fans me déshonorer j Mes fceurs, moi feule lui montrer Ce que dans Ie fond de fon être Elle n'a pu jamais ni trouver ni connoitre, Les vices, les défauts des vulgaires humains, Le ridicule, la fottife, Faux pas & tours de balourdife Dont le monde fécond nous produit des eflaim». Et fi je vous parois encor rrop circonfpeéte, C'eft crainte de mes nourriffons; II eft dur d'ennuyer les grands que 1'on refpecte , Palede mauflades hiftrions. Ah! tout dégénéré au Parnafle, Les Rofcius & les Barons Etoient ma véritable race; Ceux que vous allez voir en font les avortons: Et quoique par mes jeux je n'ofe me promettré Un fuffrage bien mérité , Puisque le fort en eft jeté, Avancez, mes batards, il eft temps de paroltre. /  POESJES. 7i E P I T R E. CONTRE MESSIEURS LES ECORNIFLEURS, J\hl quelle infupportable engeance Que ces traitans, que ces commis» Vrais excrémens de la finance, Brigands que 1'enfer a vomis! Sans les voir, je baille d'avance En tracant leurs noms ennemis. Pour des vers remplis d'élégance Quel nom difcordant que Boué, Par Apollon défavoué; Ma plume refufe d'écrire Ces mois, vrai jargon de 1'enfer De Wurm, van Zanen ou * *; Mon oreille en eft le rnartyre, Ces noms feuls fervent de fatire. Mais voyez les originaux Chargés du fatras de leurs baux, GrifFonné de leur écriture; Lesvoila-t-ilpas, échauffé» Par 1'intérêt & par 1'ufure, Qui me faliffent de 1'ordure en grec PHILOCOPROS.  ?fl Pt) E S I ES, Du change, de contrats biffés, De grimoire, de tablature, De billets fignés , parafés, Et de leur banque qui m'ennuie. Les fottes gens, la fotte vié, Je me confume & je maigris Pour qu'un tour de nécrommancie, Que le jufte Ciel leur dénie, Mette leurs billets al-part. O plats revendeurs de carotte! De la gloire a jamais profcrits, Connoiffez-vous les Ariftote Les Locke, ou du moins les La Mothef Non, grace a vos pefans efprits, Vous ne lifez point leurs écrits; Votre féquelle fainélique Ne trouve de puiflant attrait Qu'aux régies de 1'arithmétique,• Pouffer a quinze 1'intérêt, Entaffer, c'eft votre logique. Venez, Meffieurs du bois, venez; Les fages du Péloponnèfe. (Soit dit fans qu'il leur en déplaife) N'avoient 1'efprit fi raffiné Que vous, débitant votre thèfe: „ L'argent donne au plus hébété , „ Dites-vous, defhabileté" Ah! Meffieurs, je me pame d'aife Aux rayons de votre clarté; Quelle abominable fadaife, Digne  ? O E S I E s> ?$ Digne de 1'hnmortalité! Quel eft ce feigneur débonnaire ? C'eft le grand fléau des brafleurs; Les étriller eft fon affaire, lis font fripons, ils font voleurs; On le croit, mais c'eft un my fiére Du plus fin des écomifleurs. S'il fuce ardemrnent le vulgaire, C'eft qu'il croit, fuivant fes docteurs, La pauvreté trés-néceffaire Pour le maintien des bonnes mceurs. Ah! fort des rois, fort des hurnains, Quel deflin bizarre & baroque Me fourra parmi ces vauriens! Quand leurs propos, leurs entretiens, Quand en eux enfin tout ine choque, Ah 1 falloit-il quitter pour eux Ces héros qué mon cceur invoque, Et ces chants fi mélodieux D'un Homère qui nous enflamme, D'un Virgile qui touche l'ame, Parlant le langage des Dieux, Pour les cris d'un tripot infame? Fuyons promptement vers ces bols. Oü les Mufes diélent leurs lois, Ou ces neuf filles de mémoire Remplifibient mon cceur autrefois Du brülant défir de la gloire. Mes crimes doivent s'expier; Pabjure mes erreurs fans peine; Otuv, p.Jtb O E S I E S. 77 De tous les biens auxquels les mortels font admis. 3e vous reverrai donc, momens reinplis de charmes. O fceur! a qui mes maux ont coüté tant delarmes, O fceur! mon efpoir, mon appui, Vous m'écrivez: mon mal a fui. Ah! fi je vis, fi je refpire, Si je fuis délivré de mon cruel martyre, Amitié, doux lien fi peu connu des rois, C'eft a toi feul que je le dois. Encor je jouirai de votre amitié tendre; Je pourrai refïerrer ces fidelles liens, Vous voir, vous parler, vous entendre, Profiter de vos entretiens, A quoi pourrois-je plus prétendre? Ce font-la mes fuprêmes biens. Et vous beaux arts qui dans tout age Couronnez le bonheur du fage, Malgré tous les aflauts que 1'enfer en courroux M'a livrës dans fa fombre rage, Relevé du tombeau je vis encor pour vous. Mont révéré, mont oü j'honore Les chaftes filles d'Apollon, Je pourrai te revoir encore , Et baiflant ma lyre d'un ton , Au lieu de célébrer 1'aurore, Et 1'appareil pompeux d'un beau folsil levant, Je faurai defliner mon chant A vanter. la douceur d'un foleil qui colore De fes derniers rayons les rives du couchant. Ainfi nous peignons les images D 3  78 P O E S I E S. Des objets qui frappent nos fens. Lorsque j'étois dans monprintemps, Je ue pouvois chanter que les amours volages; A préfent je ge'mis des funeftes ravages Des foucis, des maux & des ans. Tout doit fe fuccéder, chaque chofe a fon temps. Mais aux noires vapeurs ne foyons point enproiei Nos jours ne durent qu'un moment; Si ce moment eft plein de joie, II s'ccoule plus doucemént. Vivons autant que va le fufcau de la Paique, J'oublie & Caron & fa barque. Illufions, douces erreurs, Semez encor de quelques fleurs Le bout de ma longue carrière, Et que la volupté me fermant la paupière, Sur mon tombeau verfe des pleurs. Ainfi, fans que mon ame eprouve des terrenrs} Tranquille entre les bras de la philofophie, De fhiver de mes ans fupportant les rigueurs, Je verrat s'écouler les reftes de ma vie, Et j'attends fans peur qu'Atropos, Tranchant mon fil de fes cifeaux, Change foucis, douleurs & peines, [ Erreurs, projets & grandeurs vaines, •fin éteruité de repos, Le 3 d'Avril 1779,  P O E S I E S. 75. ELEGIE A MA SOEUR AME L IE', pour laconfokr de la perte de Madcmoifelle Hertefeld, Ivaretnent en nos vreux le deflin nous fee inde. Les biens avec les maux font raêlés dans' ce monde*; Jupicer, de fes deux tonneaux, Sans qu'a nos foubaits il réponde, Les verfe fur nous a grands flots. Rien n'eft ftable ici-bas, tout fe métamorpbofe; On nait, on s'affoiblit, le temps nous décompofe„ Et ces matations, ces changemens divers Sont les effets de cette caufj Qui renouvelle 1'univers. Si vous éprouvez des revers, Si le bonheur vous fuit quand le deflin fe change, Songez au moins, ma fceur, que les Dieux en échange Ont orné votre efprit des plus précieux dons, Et qu'è moins de vous faire un ange, Ils n'ont pu vous donner plus de perfeftions. Mais quel que foit 1'heureux partage D'efprit, devertus, de grandeur, Dont vous poffédez 1'avantage, Dans ce haut degré -de fplendcur Qui ne fouffïe aucun parallèle, D 4  I* POESJES. ■ ^Vous demeurez enfin mortelle, ' Comme nous fujette au malheur. II n'eft, ma fceur, pour fe défendre Contre les caprices du fort, Que de s'y préparer, de favoir les attendre, De réfifter a leur effort. Mais vous êtes frappée en un endroit fenfible; Votre amitié reffent un mal irréfiftible. O malheur! pour jamais il faut vous féparer D'un cceur.anquel le vótre avoit pu fe livrer. O jeune Hertefeld! 1'éclat de votre aurore, Qui dans mes fens glacés ranimoit le plai.fir, N'a pu fléchir, ni radoucir La Mort qui lentement vous mine & vousdévore: Je vois fon fer tranchant moiffonner vos appas; Tandis que vos amis, que Berün vous honore, Vous vous échappez de nos bras. Les graces, la beauté, nos foupirs & nos larmsj, N'ont donc pu vous fournir des armae Contre les affauts du trépas? Telle une tendre fleur a peine encor éclofe P.talo en nos jardins fon coloris brillant; Mais rofe elle a le fort qu'éprouve toute rofe , Elle fe fane en un moment. Des deftins rigoüreux 1'arrêt irrévocable Marqua les bornes de nos jours, Et Néméfis inexorable Aitend 1'inftant inévitable Pour qu'un coup de cifeau tranche a jamais leur cours. O mortel aveuglé! mortel plein d'imprudence!  ? O E S I E S. «I Trop ébloui du merveilleux, Enivré du plaifir, privé de prévoyance, Tu formes infenfé de ridicules vceux, Tu comptes de remplir un long amas d'années Par des profpérités rune a 1'aucre enchalnées. Dans ce tableau qu'un rêve a tes yeux vientoffrir, Tu te crois habitant des lies fortunées; Mais un pouvoir fatal régie tes deftinées. Tu ne vis que pour voir fouffrir, Te plaindre, gémir, & mourir. Après avoir perdu tout ce que ton cceur aime, Ton tour vient, tu péris toi-même. Voila comment 1'illufion Êifparolt au flambeau qu'allume la raifon. Le fort du genre humain au vrai, tel qu'il exifte, De maux & de chagrins rempli, Seroit plus funefte & plus trifte Sans 1'aide & le fecours du bienfaifant oubli; Avec une éponge il elFace Des maux les plus euifans jusqu'alamoindre tracé,* Par lui le fouvenir en efl même aboli. Rien n'eft fait pour durer, le bien & le mal paffe. Mais, ma fceur, fi le temps peut calmer la douleur, S'il bannit a la fin le défefpoir, 1'horreur D'une perte vive & récente, Pourquoi donc la raifon iï fage & fi prudente Ne pour'roit-elle pas dominer fur nos fens, Ramener nos efprits par fa voix éloquente, Et tenant lieu pour nous de 1'éponge du temps, Lnpofer le fitence a nos gémifTemens ? D 5  ta P O E S IE S. Si tont eft arrangé, fi tout eft néceflaire, Ce qui fe fait a du fe faire; Dans 1'Olympe nos cris ne font point entendus, Et les jours qu'en fe défefpère Ne font que des momens perdus. Paffe encor qu'une ame commune En des malheurs inattendus Succombe fous fon infortune; Mais quand on a regu dü Ciel Le noble coeur d'une héroïne, Lorsqu'on a comme vous l'ame toute divine, On dompte les fanglots èk le chagrin cruel, Le monde dés notre naiffance Eft 1'école de la fouffrance; Des inftans de profpérités Sont emportés dans la balance Par des torrens d'adverfités. Tous les temps ont fourni des fpeclacles tragiques. Nos malheurs ont rempli les faftes hiftoriques; Tant l'homme eft né fujet d'un deftin ennemi. Achiile aux champs troyens enterra fon ami, Orphée a par deux fois perdu fon Eurydice, Théfée aux fombres bords laiffa Pirithoüs, Pénélope long- temps pleura fon cher Ulyffe, La mort de Scipion foudroya Lélius ; Cicéron, défolé du trépas de Tullie, Prétend que fa tombe anoblie Se transforme en un temple oü vivront fes vertus, Et cette attente encor ne put étre remplie, Se$ cendres, fon tombeau, rien n'eu exifte plus»  P O E S I E S. „«3 Nous fommes tous foumis a cette loi commune, Tout homme du malheur fans ceffe eft meiiacé, Le temps préfent eft tel qu'étoit le temps paflë. Quen'ai je point o Dieu! fouffert de lTnfortune! A quel défaftre o Ciell m'avez-vous expofe! De mes pleurs mille fois je me fuis arrofé. O jour de défefpoir! jour affreux de colère! Mes propres yeux ont vu dans 1'horreur du tombea» A pas lents defcendre ma mère; D'une fceur *) qui m'étoit fi fidelle & fi chère Je vis pour mon fupplice éteindre le flambeau; Des amis que j'aimois naguère Se font évanouis comme une ombre légêre, Et je refpire encore en les ayant perdus. Mais en vain de leur fort mon cceur fe défefpère, Malgré tous mes cris fuperflus, On ne ranime point ce qui n'exifte plus. Telle eft ma trifte expérience Je le fens trop, & je connois L'anèantiffement ou plonge la fouffrance. Je ne blame donc point vos vertueux regrets; Penfez ma fceur penfez en répandant des larme», Que 1'objet de vos pleurs, ombragé de cyprès, N'a den a redouter des terreurs, des alarmes; Rien ne peut altérer fa paix. Si j'avois le fecret de ranime'r fa cendre, Si fon ame pouvoit vous voir & vous entencke, Ah', ma fceur, elle vous diroit: *) De Barsuth.  «4 XP O £ S I E S ,, PrincefTe, modérez une douleur fi tendre, „ Pour un fantéme hélas! qui fuit & difparoit: Cette douleur un jour peut vous être cruelle. „ Un corps débile&foiblea tout a craindre d'elle; „ Par Ie chagrin rongeur la fanté fe tarit: „ Si vous en éprouvez, Tatteinte la plus frêle, j, C'eft une bleffure mortelle „ Pourun frêrè qui vous chérit,, A peinej ma foeur, je refpire Veuille le Ciel pour vous exaucer mes fouhaits! Les morts ont le droit de tout dire, Moi, jf vois refpeéte & me tais. A Potsdam & i Ia Vigna, ce 18 Avril I7:t>. VERS DE L'EMPEREUR DE LA CHINE. J£n dépit de TEurope & du mont Hélicon Ma gloire eft affurée & mon poëme eft bon; Les ver* qu'un empereur & fon confeil travaillent Sont IusparlesChinois, fans que jamais iis batllent. Welches occidentaux, gens pefans ou légers, Cenfurez vos écrits, mais refpeétez mes vers. L'éloge de ma ville eft hors de toute atteinte; Elle vaut & Paris & votre cité fainte. Vous me nommez encor un certain Fréderic Dont ;amais a Pékin n'a parlé le public. Je vois du hant du tróae ou le Cban-ti me range,  P O E S I E S. Cet infeéte du nord rimailler dans la fafige, Et cheviller fes vers froids, ennuyeux & plats. Et qu'un Roi fcandinave , excédé des frimats Dont les fombres vapeurs offusquent fa patrie, Aille a Paris chercher & bal & comédie, Empereur du Catay devrai-je 1'imiter? Tousrnes voeux dans Pékin pourrontfe contenter; Je fuis de mes Etats le plus fameux poëte, Ni céfure, ni fens, ni rime ne m'inquiète. Qui pourroit me fiffler? feroient-ce les lettrés? En payant leur encens mes vers font admirés. On trouve ici des fous comme on en voit en France Bigots ou rimailleurs, gens pétris d'infolence; L'homme eft partoutt^même, & fes traits différens Ne changentpointl'efprit, lescceurs, les fentimens. Ce font d'autres travers & d'autres ridicnles. Et j'irois a Paris pour y voir nos émules, Pour qu'un peupleindifcretme défignant des doigts, S'écrie en meheurtant, il a 1'air bien chinois? Que m'importeaprès tout, qu'alléguant Ariftote, Ou faint Thomas, ouScot, en Sorbonne on radote, Qu'on damne Confufée, invoquant faint Denys, Qu'on vous peuple 1'enfer comme le paradis, Au gré d'un tonfuré dont 1'étrange caprice Dans un monde fiétif vous envoie au fupplice. Mon bon fens, que Terreur n'a jamais obfcurci, Rit de cet autre monde & tient a celui - ci. Ici tout bon Chinois fixe fa réfidence, 11 eft fort en vertus, mais débile en croyance, Chérit Ia vérité, répugne aux fictions, D7  fg P O E S I E S Dur comine un géomètre en fes opinions, Au Bonze fanatique, aïignorantBracmaue II Iaifle avec mépris un culte tout profane. Tandis que me livrant aux jeux de mon loifir, Mes vers fans nul effort coulent avec plaifir, Et que mon ame heureufe en rien n'eft alarmée, Je vois vers 1'Eucatay voler la Renommée; Elle paroit manquer d'organes fufiïfans Pour publier partout des fuccès étonnans. Aux bords du Pont-Euxin, mon illuftre voifine Fait trembler le crolffant au nom de Catherine, De 1'Araxe au Danube étendant fes exploits, Tient les fiers Mufulmans fous fes auguftes lois; La fortune eft pour elle idttle a fa gloire, Elle va conftamment de viftoire en viftoire, Et fon grand cceur préfère, au comble des fuccès, A fes lauriers fanglans 1'olive de la paix. Moi Mantchou chinoifé mon tapabor en tête, De fon rare bonheur je me fais une fête, Et ne puis envier fes triomphes voifins, Qui font le digne fruit des plus vaftes deffeins. La Renommée , après ces fameufes querelles. Des peuples d'occident nous donne des nouvelles, Elle fuffit a peine a ces vaftes récits, Et nous raconte enfin en des termes choifis, Qu'il fe fait a Paris des chofes fans pareilles. Les Welches depuispeu produifent desmerveilles; Ils couverr m projet plus digne des Anglois, Des Grecs &desRomains que des légers Fraucois. Moi qui toujours fisé dans ma terre natale,  P O E S I E S. # tf Sucois avec Ie lait Ia morgue imperiale, N'aurois jamais quitté qu'au moment de Ia mort Mes fujets, mes Etats, & mon tróne tout d'or, A préfent un défir quf paffe la croyance, Digne d'un empereur & d'un fage qui penfe, M'entrahie vers Paris, oü malgré les cenfeurs On veut récompenfer les talens enchanteurs. A 1'Homère francois s'érige une ftatue. Ah! pour me rajeunir qu'on 1'éléve a ma vue» ] Ce fpeflacle charmant réveille mes efprits, Partons fubitement, & volons a Paris. J'aime a voir le grand homme honoré dés fa via Ecrafer fous fes pieds les ferpens de 1'envie, Refpirer a longs traits cet encens, ces parfums Que le public cruel n'accorde qu'aux défunts; Mais cela vu, je pars, fans parler a perfonne, Fuyant avec dédain les fous de la Sorbonne, Les grimauds du Parnaffe, phènomènes d'un jour0 Les lourds financiers, les freluquets de cour, Les faifeurs de projets, les charlatans de prétres. Les ignorans titrés, & les fats petits-maitres. Au rives de la mer je vole en palanquin; Les vents & mon vaiffeau me rendront a Pékin, Oft tandis qu'au couchant tout reffent le défordre j Je chafferai chez moi Saint Ignace & fon ordre.  88 , POESJES. AU MARQUIS D'ARGENS, JLn ce grand jour naquit le fameux JeanBaptifte, Non pas ce dur dofteur baptifant les Hébreux ' Dont le peuple au défert alloit fuivant la pifte, Mais le Marquis d'Argens, auteur fort lumineux, Et qu'en lieu folitaire on ne voit de coutume; Ce fage a pris fon glte en un bon lit de plurne; L'impafïïbilité 1'éloigna des travaux , 11 s'endort raollement dans les bras du répos. A Philisbourg fon front fut furchargé d'un casque, Bientöt après d'un Juif il emprunta le masqué, Pour draper librement les fous & les bigots. Que fon front foit totu'ours ombragé de pavots, Et que fans fe nourrir de miel, de fauterelles, ïl puiffe un jour atteiudre aux ans de Fontenelle! Par fin tris-humble & très'-iKiJfimt ftrvitmr Le Poëte de fa cour. fur fon jour de naiffance.  F O E S I E S. tfj C0D1CILLE. 23'Elbètie *) avoit raifon, j'adopte le fy (terne: Le monde, difpit-il, fe gonvc-mc lui même. Les trónes, de fon temps, étoienc tous c-ccupé* Par de foibles efprits de fiftc cnveloppés, Qui flottant incertains au grd des QMljoil< Signaloient tous leurs pas par dc TauiTei mcfarcs. Les rois depuis fon temps ne fe font point cbaugéi ; Par ia bonte des grands le. Le fiècle nous fournit des fouverair.» cn fou'x Jetés & modek's dans cet si ]'en fais d'inferieurs a ceux dc cc temps-U. Autrefois Julien au public ddvoila De fes douze Céfars 1'efprit, les caraftères. Si j'ofois, comme lui, révéler des myftères, J'uferois mes couleurs, j'uferois mes pinceaux, Avant que d'achever ces indignes tableaux. Ariftarque des rois, de mordante mémoire, O toi! fage Arétin, le fléau de leur gloire, IVIa voix t'invoqueroit, afin que ton inftinét. IVl'infpirat dans ton goüt quelque couplet malin. Cependant, cher le&eur, fi la phifanterie Peut diftraire ou charmer ta fombre hypocondrie, ]e vais légèreraent & fans art te croquer *) Miniftre des Médicis 4 Florence, grand Prieur de Pife,  90 P 0 E S I E S. Des traits rendus au vrai, mais non pour t' en rnoquer. J'ofe efpérer que Dieu tout bon me le pardonne. Je refpefte les grands, & ne nommant perfonne Je brave la Baftille, & je ne m'attends pas D'habiter des cachots peuplés de fcélérats. Mes traits font dmouffés, ma plume circonfpe& Jamais d'un fiel amer en fes jeux ne s'humefte. Mais allons droic au fait & contons uniment. Vojs ces rois; ils font-Ia pour ton nmufement. Tel prrolt dans fa cour comme un lourd automate» Exténué d'ennuis, fujet au mal de rate, Maitreffe, favoris, miniftres, courtifans Lui cherchent des plaifrs en y perdant leur temps» II faut pour ranimer fa maffe léthargique Expofer a fes yeux la lanterne magique, Et lorsqu'a fon confeil il fe trouve préfent, II entend fans entendre & reffort en baillant. O fortuné pays! heureufe monarchie! Confeil de quatre rois, règne de 1'anarchie! Mais toujours fous la main du bon fiére Lourdis, Guide par des fripons, ou par des étourdis. Que voyez-vous la-bas? un enfant fur le tróne, Tremblant, & redoutant la cour qui 1'environne, Rofeau, jouetdesvents, quiplieaumoindreerfort, Servilement foumis aux lois de fon Mentor, lmpitoyablement le peuple le ballotte; Le meilleur perfifleur paffe pour patriote; Ce pauvre potentat, honni, turlupiné, Voit & le diadème & fon noin profané.  P O E S I E S. 9\ Cet autre eft occupé d'une geuiffe blanche, En' lui preflant le fein-, c'eft fa foif qu'il étancae Aux bords de ce ruiffeau, les.yeux fur 1'hamecon; Tout fon falut depénd d'attraper un poiffon. S'ilmanque de favoir, d'efprit, ou de courage, II emprunte le tout d'un miniftre qu'il gage. Parmi les végetaux il auroit figuré. Quel fcarabée, ah Dieux! a-t il donc engendré? C'eft un Roi; le voila, dans fa cour attroupée, Avec fa femme encor il joue a Ia poupée. Non loin de fes Etats eft un vieux radoteur, Plus fourbe que bigot, mais cruel exacteur De fes fujets foulés, du pauvre qu'il opprime, 11 détefte a préfent fon vieux métier d'efcrimej De 1'Abbé de Saint Pierre adoptant les projets, 11 s'attend a jouir d'une éternelle paix. La dans Ie fond du nord un autre Roi réfide, Eon chevalier errant, mais bourfe & tête vide. Quittons fa cour, paffons ce court trajet de mer, Dans ce pays fécond en foldats comme en fer Règne fur des fujets accablés de mifère Un Roi; mais il n'en eft que le Roi titulaire, Le fénat prudemment s'empare de fon feing, Pour promulguer fes lois au norn du fouverain La-bas, ^n autre fou, Roi de nouvelle date, Se pavane & s'encenfe en vainqueur du Croate, Mais bourgeois-gentilhomme il prétend être intrus Chez ces vieux fouverains, fi fiers & fi bourrus; Un refus a fa fuite attire une bataille.  9i POESJES. De tous fes ennemis le fcélérat fe raille; Mais devenu vieux loup, n'ayant griffes ni dents, Ses voifins font en paix a 1'abri de fes ans, A moins que le Démon qui 1'obféde & 1'infpire Ne verfe encor fur eux les flots de fa fatire. Dans la proximité des Etats de ce Roi Sur un peuple abruti, fans police & fans loi, 11 eft un feuverain, vrai Roi de 1'anarchie, Elevé par hafard a cette monarchie, Amoureux de ruelle, & prince fans vigueur, II eft Ruffe, il eft Turc, rien dans le fond du cceur: Tandis que Ia difcorde a fes yeux fe déchaine, Que le royaume en feu ne fe foutient qu'a peine, Tranquille en fon palais, fon ame eft fans reffort, II laifle la fortune arbitre de fon fort. Si je voulois encor groffir ce catalogue J'aurois un magafin de matière analogue; Mais il eft des fujets que 1'on doit refpecter. N'écrira jamais bien qui ne fait s'arrêter, Ah! qu'en réflexions cette matière abonde! Voyezces vilsmortels; ilsfont maitres dumonde? Qui ne paftera pas, s'il s'arrête a leurs mceurs, Du mépris de ces rois a celui des grandcurs? Arbitres des humains, & demi-Dieux fur terre, Ce font ces fainéans qui lancent le tonqgrre. Tout accourt a leur voix, leurs fujets de tout rang Vont répandre pour eux Ie refte de leur fang, Tout leur Etat confpire a les couvrir de gloire; Mais 1'avenir dans peu ternira leur mémoire.  P O E S I E S. 93 En quelles mains, grand Dieu, mltes vous le pouvoir! Au travers de leur fafle il eft aifé de voir. Que leur röle emprunté, ce fardeau quilespeine, Veut de plus forts afteurs pour briller furlafcène. Voyez a 1'entour d'eux, miniftres, confeillers Intriguer, cabaler pour être les premiers. Souvent tout eft réglé par un roi fubalterne, Qui pour fon fainéant travaille, agit, gouverne; Tandis que dans la cour la contradiétion Replonge encor 1'Etat dans la confufion; Voiia comme en nos jours le ridicule abonde. Qui donc, répondez-moi, qui gouverne le monde) Sont-ce ces potentats? je vous réponds que non; Seroit-ce leur confeil rempli de déraifon, Qui bronche a chaque pas, qui vit fans prévoyance, Péchant ou par foibleffe ou par trop d'arrogance? Quoi! ces fous ignorans dans 1'art de gouverner, Qui rivent fans penfer, juger, ni combiner, Prétendent hardiment qu'un fage les houore? Ah! qu'on doublé pour eux la dofe d'ellébore, Pour purger leurs cerveaux de projets gangrenés. Qu'ont-ils produit de grand, ces rêveurs forcenés? Du bruit & peu d'effet, de Ia tracafferie, La difcorde des rois, les maux de la patrie, Et le plaifir flatteur pour un plat poliffon De voir le gazetier occupé de fon nom. Mais la fatalité qui des humains dipofe Qui lia les effets a leur fecrite caufe, Se rit de leurs projets iüfpirés par Terreur,  $4 P O E S I E S. Et choquant leur orgueil, & blefiant Ieurhauteur, Fait voir que leur courfier n'étoit qu'une haridelle; On leschanteau Pont-neuf? fottife, bagatelle Contens de leur mérite ils pourfuivent leurs pas vEn digne rejetons du pur fang de Midas. Comme on voit par hafard dans des terrains fau- vages De grands chènes chargés de frais & beaux feuil» 4 Iages, II fe rencontre aufïï parmi les potentats, Dans ce nombre infini de pofieurs d'Etats, Quelque efprit moins fujet a de lourdes fredaines. L'univers eft furpris par do tels phénomènes. On prodigne pour lui 1'encens & le.parfum; Quelle merveille l im prince avoir le fens commun? L'Europe fe récrie, elle a peine a le croire. Bientöt un envieux barbouiile fa mémoire; Les fots & les pédans fe mettent a crier: C'eft unambitieux, c'eft un tfacaffier, 11 refpire le trouble, il cherche les querelles, Envoyons:le rödr aux flammes éternelles. D'autres difent tout bas; il fait, il régie tont, Mais pour le voir tomber attendons jusqu'au bout. Tant ce vieux préjugé s'eft gravé dans leur tête, Qu'on ne peut être roi fans qu'on foit une béte. Les confeils & les chefs de tant de nations Devroient donc tous loger aux petites maifons. Ce n'eft pas mon arrét, Princes, qu'on vous y loge^ Je refpecte le droit que le public s'arroge,  f O E S I E S. 9§ Je fais que 1'Arétin pouroit vous corriger; Les bons témps font paffes, il faut vous ménager. Accoutumés aux vceux d'une cour idolatre, Vains de repréfenter fur un vafte théatre, Qui voudroit devant vous glofer en badinant, Périroit foudroyé dans votre appartement> Le calus endurci réfifte a la cenfure. Que les rois a leur gré fuivent donc leur allure| Que le fot ait le pas fur les gens a talens, Que finfenfé parvienne aux poftes importans, Qu'un pilote hébeté les guide a 1'aventure, Que fon vaiffeau fe brife & rompe fa mature, Je ne dirai plus rien a ces cerveaux perclns; Précher devant des fourds font des difcours perdus. D'Elbène avoit très-bien réfolu ce problème, Car le monde en effet fe gouverne lui-méme. E P I T R E AU LIT O TJ MARQUIS VAR GE NS, O meuble fait pöur channer 1b repos! Toi que Morphée ombragea de pavots, Du doux fommeil compagnon légitime,  p6 POESJES, Soulagement a 1'apreté des maux, Souffre un moment que ma Mufe t'anime, Et fens, ó Lit! tout le prix que tu vaux. Tu ne fais point quel eft 1'efprit fublime Que tu foutiens mollement fous fon dos; C'eft ce d'Argens, la terreur dés bigots, Ce grand Ifaac que tout Paris eftime, Qui foudroya les préjugés, les fots. Sur ton chevet fa cervelle féconde. Concoit des plans, & mürit fes écrits Si promptement publiés dans le monde, Et dont Bordeaux *) connok fi bien le prix, Mais, mon cher Lit, u nature ftupide N'a point fenti jusqu'oü va ton bonheur. Jamais la flamine amoureufe d'Ovide N'eut pour Corinne une auffi vive ardeur; Sa paflion n'eut point cette fureur Que ton Marquis tèmoigne pour tes charmes; Quand il te quitte, en proie a fa douleur, II veut en vain nous cacher fes alarmes; Jamais ne fut un plus fidelle amant. Plutót Ninus dans fa courfe fatale Auroit trahi fon fidelle Euryale; Plutót Orphée auroit vécu content Seul & toujours féparé d'Eurydice; OuPénélope, abfente encor d'Uiyffe, Auroit donné au premier pourfuivant Avee *) Libraire de Berlin.  \ - - x POESJES. !fel, ce a de Septtmbre 1740.  CGRRESPONDANCE. 107 folu de faire venir votre favant fourré de grec,fyriaque & hébreu. Ecris aVoltaire, que quoique je l'aie refufé, je me fuis ravifé, & que je voudrois de fon petit Founnont diminutif. J'ai vu ce Voltaire que j'étois fi curieux de connoïtre, mais je 1'ai vu ayantmafièvre quarte, & 1'efprit auffi débandé, que le corps affoibli. Enfin avec gens de fon efpèce il ne faut point étre malarfe ,• il faut même fe porter trés-bien, & être mieux qu'a fon ordinaire fi 1'on peut. U a 1'éloquence de Cicéron, la douceur de Pline, & lafageffe d'Agrippa-, il réunit en un mot ce qu'il faut rallembler de vertus & de talens de trois des plus •grands hommes de t'arKiquitg. Son efprit travaille fans ceffe, chaque goute d'encre eft un trait d'efprit pr.rtant de fa plume. 11 nous a céclamé Mahom et 1 , tragédie admirable qu'il a fake; il nous a tranfponés hors de nous mêmes, & je n'ai pu que 1'admirer & me taire. La du Chatelet eftbienheureufe de 1'avoir; car des bonnes chofes qui lui échappent, une perfonne qui ne penfe point & qui n'a que de la mémoire pourroit en compoferun ouvrage brillant. La Minerve vient de faire fa phyfique; il y a du bon. C'elt Koenig qui lui a difté fon thème; elle 1'a ajufté & orné par ci par-la de quelque motéchappé a Voltaire a fes foupers. Le chapitre fur 1'étendue eft pitoyable, 1'ordre de 1'ouvrage ne vaut rien; il y a méme de trés- grofles fautes, car dans un •cndroit elle fait tonrner les aftres d'ocsident en E 6  ie>8 CORRESPONDANCE oriënt. Enfin c'eft une femme qui écrit & qui fe mêle d'écrire au moment oü elle commence fes études; car quatre ou ciuq ans ne font pas fuffifans pour ces matiêres, & il ne faut prendre la plume qu'après avoirbien digéré ce qu'on a a dire & lorsqu'on fe fent maitre de fa matière; mais lorsqu'on fe mêle d'espliquer ce qu'on ne comprend pas foi-mcme, il femble voir un bègue qui veut enfeigner 1'ufage de Ia parole a un muet. Après tout, puisqu'elle trouve du plaifir k écrire, qu'elle écrive, quoique fes amis devroient lui confeiiler charitablement d'inftruire fon fils fans inftruirel'uniTers, de ne point parler d'algèbre dans un livre de métaphyfique, & de ne point defiiner des figures lorsqu'on peut s'expliquer clairemeut fans leur fecours. J'attends demain mon acces de fièvre. Je fuis un peu harafTé du voyage, fans avoir cependant perdu 1'envie de bavarder. Tu me trouveras bien bavard a mon retour; mais fouviens-toi que j'ai vu deux chofes qui m'ont toujours beaucoup tenu k cceur, favoir Voltaire, & des troupes francoifes. fii je n'avois pas eu la flévre, j'aurois été a Anvers & a Bruxelies, j'aurois vu le Brabant, & cette Emilie fi aimable & fi favante. On en dit beaucoup de bien d'ailleur*, & ce que j'en dis, ne regarde que fon livre , qu'elle auroit pu s'épargner. Adieu, trés-favant, très-doéte, très-profond Jordan, ou plutót três-galant, très-aimable & trés»  CO RRESP OND ANCE. 109 joviaï Jordan; je te falue en t'aiïurant de tous ces vieux fentimens que tu fais infpirer a tous ceux qui te connoiflent comme moi. Vale. Ecris Ie moment de mon arrivée. Ami, faism'en gré, car j'ai travaillé & je vais travailler encore comme un Turc, ou comme un Jordan. A Pots-iam, ce 24 Septembre 174». Seigneur Jordan, te voila riche en inclufes; j'espère que tu les délivreras totites. Tu verras encore fureraent des fcènes a Berlin qui nous divertiront tous deux. Mande-moi ce que tu fais & ce que tu ne fais pas. Des nouvelles du poëte , des nouvelles de 1'Italien, de politique, de littérature, de bavardage, enfin tout ce que tes oreilles entendent & ce que tes yeux voient. Rien n'eft indifférent dans un temps de crife, & les ba-, gatilles tiennent quelquefois de plus prés aux grandes chofes qu'on ne le penfe. Je travaillé ici, & pour me délaffer je fais des vers les plus fous du monde. Je ferai vendredi après midi a Berlin, oü j'aurai le bonheur d'entendre Jordan. Ton avare boira la lie de fon infatiable défir de s'enrichir-, il aura 1300 écus. Son apparicion ie fix jours me coütera par journée 5^0 écus. C'eft bien payer un fou, jamais bouffon de grand 1'eigneur n'eut de pareils gages. E 7  110 CORRESPONDANCR Adieu, 1'ami. Ne m'oublie pas, écris-moi fouvent, & trouve-toi dans mon antichambre veudredi a quatre heures après midi. A R.ippin, ce s8 de Novembre 1740. Seigneur Jordan , ta lettre eft fupérieure a un grec & hébreu, & afturément elle ne fent point la doéte poudre de fantiquité, qui gate tant d'esprits, & appefantit tant d'heureux génies. La cervelle du poè'te eft auffi légère que le ftyle de fes ouvrages, & je me flatte que la féduction de Berlin aura affez de pouvoir pour 1'y faire revenir bientót, d'autant plus que la bourfe de la Marquife ne fe trouve pas toujours auffi bien fournie que la mienne. Tu rendras a cet homme, extraordinaire en tout, la lettre ci-inclufe, avec un petit compliment en ftyle de favante maquerelle; tu en feras autant aux graces d'Algarotti, aux courbes de Maupertuis, & a la tour babyïonienne de Des Molards. Mande-moi beauconp de f.>lies, ce qu'on dit, ce qu'on penfe & ce qu'on fait. Berlin , dit-on, a 1'air de dame Bellone en travail d'enfant; j'efpère qu'elle accouchera de quelque chofe de bon, & que je gagnerai Ia confiance du public par quelques entreprifes hardies & heureufes. Enfin me voici dans une des plus belles circonftances de ma vie, & dans des conjonctures qui pourront pofer une bafe folide a ma réputation.  CORRESPONDANCE. ui Ton prêtre en a une fauffe; hélas! je n'ai jamais entendu nommer fon nom, & les fyllabes qui le compofent, n'ont jamais frappé mes oreilles dans 1'ordre oii vous me les marquez. Mes foins ne font ni d'aujourdhui ni d'hier pour les bleds, mais c'eft de longue main. Dans des temps calamiteux on n'eft pas maitre des événemens , & tout ce que 1'on peut faire, c'eft d'être industrieux. Heureufement mes foins n'ont pas ëté inutiles. Adieu. Je te reverrai vendredi, & fi tu me dis, ma foi, je--ne fais rien, je te donnerai le fouet. Ma lettre commence comme une ode & finit comme un lampon. A Ruppin, ce so de Novembre 1740. Seigneur Jordan, ta lettre m'a fait beaucoup de plaifir par rapport a tous les raifonnemens que tu me marqués, Demain j'arrive au dernier quartier auprés de Glogau, que j'efpère d'avoir dans peu de jours. Tout favorife mes defftins, & Tefpère de revenir a Berlin, après les avoir exécutés glorienfement & de facon qu'on aura lieu d'en être content. Laifie parler les envieux & les ignoransj ce ne feront jamais eux qui ferfrlront de boufible a mes defieins, mais bien la gloire; j'en fuis pénétré plus que jamais, mes troupes en ont le cceur enflé, & je te réponds du fuccès. Adieu, cher  ns . CORRES PONDANCE Jordan. Ecris-moi tout le mal que Ie public te dit de ton ami, & fois perfuadé que je t'aime & i'eflimerai toujours. Au quarcier de Miïchsu, proche de Glcgiu. ce 19 Oic. 174S. \^ive Jordan & fa belle humeur 1 Tu n'engendrois pas le fp'éen, mon ami, lorsque tu m'écrivis ta dernière lettre, Pour nous autres, qui fommes ici par voie & par chemin, nous nous flattons avec raifon d'être dans peu au bout de notre carrière, & d'avoir fait un petit exploit qui méritera quelque confidération. Les bons cdupsvont fe faire, & je meflatteque dans huit jours je pourrai t'écrire quelque chofe de plus fubftantiel que les billevefées dout je t'ai entretenu jusqu'a préfent, Nous fommes aux portes de Breslau : Glogau doit fe rendre dans peu; lavilleeflaux abois, & d'aiileurs nos affaires commencent a prendre ie train qu'elles devoient naturellement prendre. Adiau. Divertis-toi bien, & étudie auprès de ton bon fourneau, tandis que nous nous battrons a travers la boue, ou dans la neige. N'oublie pas, je t'en conjure^ ton admirateur, qui crêvera un de ces jours de teftime qu'il a pour toi. ANeuraarck, ce 30 de Dicembre 1740.  CORR.ESPONDANCE H3 jLifte des nouveaux livres qui font' fous prefle & qui vont fe débiter a Breslau ce 3 de Janvier 1741. Le Baron en mauvaife humeur, ou le Sr. P... piqué d'une mouche. Ce livre n'eft guère goüté, paree qu'on y r?marque beaucoup de paffages d'un, auteur F. mal entendus & mal traduits, ce qui fait croire au Public que 1'auteur P. s'eft trop précipité en le compofant. Le jugement du public peut fervir de règle aux auteurs qui ont envie d'écrire, pour bien digérer leur matière avant de la produire. On débite encore, quoique fous le manteau, un autre livre intitulé: la léthargie poliiique, ou facon de guérir le mal hongrois, a Vieune, & fe vend chez Bartenfteiu. Nouveau ftrataghne du Dialle pour efcamoter une ame au bon Dieu, ou les tours de pafepafe de maitre Conin dans les enfers, déduits par un évêque fruftré de fon diocèfe, & enrichi des notes d'un dragon embourbé. Vamant inconfolable, ou le cocn en herbe, ou le trompeur & demi. Ouvrage, rare, écrit pat' un Italien, fe vend a Ferïare, a 6 gros. Généalogie deTane de Balaam. Ouvrage trés-' curieux & rare, avec les armes de tous fes ancêtres, gravéespar Picart, grandiu■ folio, travaillé  U4 CORRESPONDANCE par un Anglois & augmenté par un Allernand. Pèfe 24 livres & 2 quincaux. Tableau de la réfurreclion, oü 1'on voit repréfentés la perplexité des chanoines troublés dans leur mollefle par le bruit du tambour; le plaifir des * * * en fe retrouvant pucelles; & la rage des bigots en fe voyant damnés. Lanalyfe du droit canon, écrit parle trés-érudit Sieur de Linger, avec un commentaire du P. d'A. Ouvrage admirable pour les jurisconfultes, & de grand ufage pour les rois; le tout enrichi de vignettes dans le goüt de Watteau. La bibliothèque des fots, ou recueil des bonsmots des autres répétés jusqu'a la troifième génération, & retournés dans la friperie des beaux efprits, a 1'ufage des ignorans de la poftérité. Traité de la cbafe forcée, par le Pr. M. ou le cerf en rut, avec une très-profonde differtation fur les propriétés de * * *. Le diminutif du rien, ou 1'art de la bagatelle, par le même auteur. Traité nouveau d"éloquer,ce par un muet, la propriété des couleurs par un aveugle, & Part de penfer par un extravagant. Ouvrage admirable de philofophie, plus clair que tout ce qui a été produit jusqu'a préf;nt. * Si 1'on fouhaite quelqu'un de ces livres, on les trouvera a Breslau, rue du bon fens, chez 1'hora»e de Platon.  CO RRESPONDANCE U5 M on cher Monfieur Jordan, mon doux Monfieur Jordan, mon paifible Monfieur Jordan, mon bon, mon benin, mon pacifique, mon humainiffime Jordan, J'annonce a ta férénité la conquéte de la Siléfie, je t'avenis du bombardement de Néifle, je te prépare a des projets plus imporians, & je t'inftniis des fuccès les plus heureux que les flancs de la Fortune ayent jamais enfantés. Voilla qui doit te fuffire Sois mon Cicéron quant au droit le ma caufe, je ferai ton Céfar quant a fexécution. Adieu, tu fais fi je ne fuis pas avec Ia plus cordiale amitié ton fidel'e ami. A Ottmachau, ce 14 de Janvier 1741. J'ai 1'honneur d'apprendre a votre humanité que nous nous préparons chrétiennement a bombarder Neilfe, & que fi la ville ne fe rend pas de bon gré, néceffité fera de 1'abymer. D'ailleurs nos affaires vont le mieux du monde , & tu n' entendras bientót plus parler de nous; car dans dix jours tout fera fini, & j'aurai le plaifir de vous revoir & de vous entendre environ dans qüiiize. Je n'ai vu ni mon frère ni Kayftrl.ng; je les ai  Iitf CORRESPOND ANCE laiffés a Breslau, pour éviter de les expofer aux dangers de la guerre; ils en feront peut-être un peu fachés, mais je ne fauroïs qu'y faire; d'autant plus que dans cette occafion on ne peut participer a la gloire a moins que d'être mortier. Adieu, Monfieur le Confeiller. Allez vous amufer avec Horace, étudier Paufanias, & vous ëgayer avec Anacréon; pour moi, qui n'ai pour mon amufement que des merlons, des fafcines & des gabions, je prie Dieu qu'il veuille bientót me donner une occupation plus douce & plus paifible, & a vous fan té, fatisfaction, & tout ce que votre cceur défire. A Ottmtchaa, ce 17 de Janvier 1741. ' A mi Jordan, tu me feras plaifir de me venir joindre avec Maupertuis; prends le chemin de Breslau , & refte la jusqu'Ét nouvel ordre. J'avife a préfent a nos furetés, & je prépare tout pour pouvoir faire avec fuccès la campagnè prochaine. Je ne fais d'óïi vient ta mélancolie.j raais j'efpèreque tu n'auras pas befoinde 1'aiigmenter. J'aime la guerre pour la gloire; mais fi je n'étois pas prince, je ne ferois que pliilofophe. Eufin il faut dans ce monde que cbacun falTe fon métier, & j'ai la fantaifie de ne vouloir rien faire t demi.  CORRESPOND ANCE Ne rn'oublie pas ou mort ou vif, & fois per. fuadé que de philofophe devenu guerrier, je ne feu eilime pas moins dans le fond du cceur. Fale. A Sclnveidnijz, ce 24 Février 174W ( jordan, je fuis bien fachd de 1'accldent qui vient de t'arriver. Mes vcenx feront toujours pour ta confervation & pour tout ce qui peut t'étre agréable. Je ne te fuis guère refïé en arriére; je viens de féchapper belle d'un gros parti de houfards, qui a penfd nous envelopper & nous prendre. Sans vanité, ma petite habiletd m'a tiré d'affaire. Je n'ai pas perdu un chat de mon monde; mais Je malheur en a voulu a un efcadron de Schulenbourg*, fur lequel 400 de ces houfards font tombés', & . leur ont tué lo maitres. Mes complimens a Maupertuis; dis-lui qu'ilne dépend que de lui d'opter entre 1'Islande & la Silétie, &: que de quelque cóté qu'ilfe tourne,moa amitié & mon eftime 1'accompagneront toujours. 11 n'a pas tort; je fuis accablé d'arTaires, j'en ai de toutes les fortes & facons. Mafoi, files hommes étoiait fages, ils négligeroient plus qu'ils ne font un fantóme de réputation qui leur caufe bien des peines, & qui leur fait tourner a la peine un temps que le Ciel leur avoitdonné pour jouir. Tu me trouveras plus philofophe que tu ne i'as cru*  u8 CÖRRESPOND ANCE Je fai toujours été, un peu plus, un peu moins. Mon age, Ie feu des paffions, Ie défir de la gloire, la curiofité même, pour ne te rien cacher, enfin un inftinét fecret m'on arraché a la douceur du repos que je goütois, & Ia fatisfaftion de voir mon nom dans les gazettes & enfiiite dans 1'hiftoire m'a féduit. Adieu, cher & fidelle ami. Mes cornplimens a Céfarion. A un village dont j'ignora la figure & le nom , ce 3 de Mars 1741. C/her Jordan, pour le coup Glogau eft pris d'emblée; 28officiers, 2généraux& 1004hommes ont été faits prifonniers de guerre, & nous y avons perdu en tout un lieutenant & entre 20 & 30 hommes. C'eft une action auffi unique dans fon genre qu'il s'en foit trouvé dans 1'hiftoire, & la valeur de nos troupes s'y eft fignalée. Je fuis perfuadé, qu'en bon patriote tu te réjouiras fort de cette nouvelle. Pour a préfent nous alions mettre la dernière main i 1'ouvrage, & diriger toutes les opérations de la guerre de facon que nous en ayons de 1'honneur. Si tu n'espas content de moi pour Ie coup, tu ne le feras jamais, car comme il y a un Dieu je fais ce que je puis. Mande-moi donc un mot de Kayferling; j'en fuis en peine, n'ayant abfolument point de fes nou-  CÖRRESPONDANCE 119 velles depuis mon départ de Berlin, Fais-Iuirail* le amitiés de ma part. Viens me joindre lorsque ta fanté le permettra, & fois perfuadé que je t'aime toujours fmcère-, ment. Cher Jordan, lorsque ta fanté te permettra de venir ici, tu me trouveras tout difpofé a te faire boune réception. Je fuis ici en fituation avantageufe, &nos affaires, graces au Ciel, vont a merveille; mais la philofophie n'en va pas moins fon train, & fans ce maudit penchant que j'ai pour Ia gloire, je t'affure que je ne penferois qu'a ma tranquillité. Adieu, cher Jordan. J'efpère de te voir bientót ici. Ne m'oublie pas , & fois perfuadé de 1'eftime & de 1'amitié véritable que j'ai pour toi. Mes complimens a Céfarion. ASchweidnitz ce 10 de Mars I74t. A Schweidnitz , ce 1 $ de Mars 1741. Sieur Jordan, je marche demain fur Breslau & j'y ferai en quatre jours. Vousautres Berlinois, vous avez un efprit prophétique que je ne con-  120 CÖRRESPONDANCE cois pas. Enfin je vais mon train & tu verras dans peu la Siléfie rangée au nombre de nos provinces. Adieu. Voila tout ce que j'ai le temps de te dire. La religion & nos braves foldats feront Ie refte. Dis a Maupertuis que j'accorde les penfions de fes academiciens & que j'efpère trouver de bons fujets pour dfs élêves dans le pays ou je fuis? fais-lui bien mes complimens. ce 27. M on cher Jordan, nous allons nous battre demain. Tu connois le fort des armes, la vie des rois n'eft pas plus refpectée que celle des particu. liers. Je ne fais ce que je deviendrai. Sima destinée eft finie, fouviens-toi d'un r.mi qui t'aime toujours tendrement; fi le Ciel prolonge mes jours, je t'écrirai dès demain, & tu apprendras notre victoire. Adieu, cher ami. Je t'aimerai jusqu'a lamorr. A Pogrel, ce 8 d'Avril 1741. Seigneur Jordan , Pcellnitz m'e'crit qu'il m'envoie des versj pour moi je lui écriraique je lui en-  CORRESP ONDANCE isi; envoie de 1'argent. Je n'ai point recu de poè'fie par fa lettre, & il ne recevra aucune monnoie par lamienne. Tu ne me dis pas le mot du cher Céfarion, & tu ne me parles que de ton chien de libraire & de fon fichu livre. Nous nous battrons trois fois, livrerons quatre affauts, & engagerons cent efcarmouches; aprês quoi tu me re verras, humble Gamaliel, aux pieds de Paul Jordan, apprendre de toi la fageffe, & 1'art de la paix. Adieu, cher ami. Ménage-toi; penfe, fe t'cti prie, a la part que prennent a ta fanté les demoifelles du Werder & de la Ville-ueuve. SaJut., Au camp de Grotkau, ce i de Juin 1741. Efft-il permis de m'écrire religion pour me perfua-der, de vous laiffer aller a Berlin ? Ne devezvous pas mourir de honte de votre irnpatience enfantine pour partir? Vous viendrez ici, s'il vous plait, pour en faire amende honorable en plein champ, & vous me fléchirez plutót par la pitié que me fera votre poltronnerie que par 1'attachement que vous ayez pour Melïïre Jean Calvin. Mes vers ne lêront pas de votre goüt afTurément, Oshv. Pvfth dc Fr. II. T. VUL p  112 CORRESPONDANC E paree qu'ils font hardis & vrais: *) mais je m'en confole, paree que j'en fuis content, & que vous pouvez les conferver comme étant ma confeflion de foi. Mandez-moi, je vous prie, s'il eft vrai que Ia paix eft conclue, fi les troupes pruffiennes refleront ici, ou fi 1'on parle de bataille , en un mot bavardez un peu. T^omine, j'envoie a ta doclorale fcience une trésbadine lettre pour GrefTet, que je te charge de lui envoyer, de copier, de critiquer & de para. fer. Si tu trouves cette lettre jolie, envoyes-en une copie comme en ton nom a Voltaire. Adieu. J'ai beaucoup a faire aujourdhui. Une autre fois ma lettre fera plus longue, & par conféqueut t'eanuiera davantage. Fais bavarder Pcellnüz. Ce 24 Sep'embre 1741. Hf^vi me fais la guerre, impitoyable Jordan, fur ce que je ne t'enjoinds point de Ia facon Ia plus *) Ces vers fe tiouvent apparerrraent parmi les Efitret i Jtrdaa.  C ORRE$PONDANCE 1 13 pofitive de m'écrire. N*W - tu pas affez d'efpric pour comprendre que quand même je défendrois a tous les fors & a tous les importuns de m'écrire, cela ne regarde point mon cher Jordan? Doutes-tu du plaifir que j'ai a te lire, & de la fatisfaction que je reffens dans mon exil de recevoir des lettres de ma patrie ? & quand même routes ces raifons ne te frapperoient pas , fache & apprends que deux mots fortis de Ia plume de mon «mi me font plus précieux que toutes les pointes les plus fubtiles qu'enfantent les cervelles ftupidement prodigues de gcns nés fans amitié ou fans génie; concois que ma fenfibilité trouve des appas jusque dans tes grands caraélères , & que pour peu que le permette Ie foin de tes audiences & de ta bibliotheque, je me buerai beaucoup de ta correfpondance. Quant aux nouvelles qui me regardent, je ne puis te rien dire , finon que le Démon qui me promène en Moravie, me ramènera a Berlin. Je fuis un grand fou, cher ami, de quitter ce repos pour la frivole gloire de fuccès iucertains; mais il y a tant de folies dans le monde , & je compte celle ci au nombre des vieilles. Je te recommande les idees couleur de chair, & 1'exclufion des noires. Pendant mon abfence peins toi tout en beau, & fers - toi des touches, de Watteau préférablement a celles de Rembrand. Adieu. Je te prie ne demande pas des vers d'un homme qui n'a que de la paille hachée & du F s  12+ CORRESPONDJNCE foin en tête; plains-moi, mais aime toujours ton êdelle ami, A Olmutz , ce sdf Fövrier 1741. M on cher Jordan, a en juger par vos lettres, vous étes fhomine du monde le plus occupé; vous croquez des nouvelles & vous pnroiffez avare de votre temps. Peut-être rédigez-vous un in folio en un in-dcuze; car j'ai trop bonne opinion de vous pour vous croire capable d'écrire un gros livre. Si vous jugez au contraire d'après mon bavardage, vous vous imaginerez que je fuis ici désceuvré, & pour tout palTe- temps occupé a votre contenance favorite; mais non, je puis vous confier entre nous qu'il ne s'agit pas de moins que de porter de grands coups a la maifon d'Autriche, & que de la facon dont les chofes vont, peutêtre peu de femaines feront d'une décifion infinie dans les affaires de 1'Europe. Mes houfards approchent jusqu'a quatre milles de Vienne. Lobkowitz fuit, Khevenbuller accourt, enfin la confufion eft totale chez 1'ennemi. Dites a K*** que j'ajouterai quelque chofe il fa penfion pour le contenter , & que j'efpére qu'alors il me donnera du repos. Adieu. Souyiens-toi que j'aime autant les lougues lettres  CORRESPONDANCE 125 que je hais !es gros ouvrages. Ne m'oublie pasa & dis a Kayferling qu'il eft un ingrat, un paresfeux, un perfide d'oublier les abfens ,• mais ce n'eft pas le premier a qui l'amour a fair tourner la tête. Adieu. her Jordan , Meffieurs les houfards m'ontefcamoté le plus joliment, ou pour mieux dire, le plus vilainement du monde les lettres oü il y en avoit une pour vous. Savoir fi 1'ennemi en profitera. C'eft de quoi je doute; car amant que je m'en reflbuviens, c'étoit un tiflu de mifères & de pauvretés. Vous y profitez le temps que vous nuriez perdu a les lire. Le public aura peut-être 1'avantage d'en pofféder Tindal jordaniea quelques femaines plutót, & moi j'aurai la mortification de manquer un jour de pofte de vos lettres. Voila. bien des confèquences que caufe une lettre égarée. Je vis ici a Znaim du jour a la journée, queiquefois fort occupé & quelquefois trés-dés» ceuvii. Je ta'applique cependant, lorsque j'en ai le Ioifirv je lis, je compofe & je penfe beaucoup C'eft tirer profit de fa machine, direz-vous; il eft vrai, mais je réponds que 1'on fait bien de profiter de fon ertomac, d'autant plus que Ia digeflion eft quelquefois incertaine. De même doit-ou dans 8 3 A Znaïm, ce 25 de Févricr 1742.  H6 €ORRESPONDANCE cetre courte vie ufer foi-même de fes reflbrts, car iis s'ufent fans cela iuutilement & par le temps, fans que 1'on en profite. Les maifons ont toutes ici des toits plats a 1'italiennne, les rues font fort ma! -propres, les montagnes apres, les vignes fréqiientes, les hommes fots, les femmes laides & les anons trèscommuns. C'eft la Moravie en épigramme. Dans ce moment je refois votre lettre moitié profe moitié vers, dont je vous remercie; mais **lle n'eft pas encore affez longue, & vous devez favoir que je fais une grande différence entre les longs ouvrages & les jolies lettres. Mettez tout Berlin dans vos vers , des bagatelles , des riens; car ma curiofité eft un gouftre infatiable, furtout en fait de raifönnemens politiqties , qui pour Ia plupart du temps font fort biscornus. Les nouvelles de 1'ennemi que j'apprends incesfamment, me font croire que nous en viendrons aux mains; alors je fouhaite fort que la fortune des Prufliens me favorife pendant quelqnes heures, ou pour mieux dire pendant ce jour, afin que faffaire fe termine par-la auffi giorieufement qu'elle a été commencée. Ne vous inquiétez pas en attendant. Guériffez-vous, & n'oubliez pas vos amis abfens qui vous aiment bien. Adieu. A Znaïm, ce i8 de Fsvrier 1741.  CO RRESPQNDslNCE 127 Cher Jordan, fi je voulois vous faire un détail de tout ce qui fe paffe ici, je ferois bien occupé; car nous avons de 1'ouvrage amant que nous|ert pouvons fupporter. Je ne faurois vous parler de favenir; il eft trés-incertain ; tout ce que j'en fais, c'eft que nous avons de la befogne devant nous, & qu'aiïlirément Ie batimcnt n'eft pas encore totalement élevé. L'orgueil des Autrichiens me paroït le précurfeur de leur ruine. Cette ruine nous coütera , mais elle ne s'enfuivra pas moins. Je crois a préfent Berlin le féjour de 1'ennui & des femmes. J'imagine qu'il y a de quoi défefpérer un honnête homme d'y être, & que ceux qui s'en trouvent éloignés doivent des actions de graces a la providence. Je vis fort philofophiquement, je travaillé afin. fini, je m'amufe autant que je le puis, & du refle je ne penfe qu'a me réjouir. Je t'en fouhaite autant de tout mon cceur & prie Dieu d'avoir le cher Jordan en fa fainte garde. A Znaïm, a 8 de Mars 174»' F 4  aaï CORRESP ONB ANCE lYjoii cher Jordan , que te diraï - je d'ici ? rien de nouveau. Que nous marchons , que nous allons bloquer Brunn; que nous avons pris trois cents prifonniers a Gceding, que nous en prendrons davantage, & que Ia guerre fe fera plus vivement que jamais. Juge aprés cela fi je reviendrai a Berlin , & fi la douce paix paroit proche? Je crois que cette année nous préfentera de plus grands événemens encore que la précédente. Les chofes s'embrouillent de plus en plus, & il n'eft aucune prudence humaine qui dans un état auffi critique puiffe juger folideinentdes affaires. Le temps tirera le voile qui couvre a préfent les événemens, & alors de nouvelles fcénes fe développeront. On a vu une comête a Vienne, & tout le monde dit Ia-bas que cela leur préfage du bonheur. Pour moi, je fuis d'un fentiment contraire, & je m'imagine que ce n'eft pas dans Ie ciel mais fur terre qu'il faut tirer des horofcopes; c'eft par de bonnes mefures prifes a propos, par de müres délibérations , par des réfolutions promptes & juftes que 1'on peut juger des entreprifes & de leur fuccés. Adieu , cher Jordan. Je te crois las de mon bavardage, mais j'efpère que tu ne Ie feras pas de 1'ainkié & de 1'eftime que j'ai pour toi. Vals. A Pph-Iitz. ce ii de Mars 1741.  CORRESPONDANCE 129 TPrês- cher Jordan, Ia différence qu'il y a entra le loifir de Berlin & les occupations de Sclowhz font, que 1'on fait des vers a 1'un, tandis que 1'on fait des prifonniers a 1'autre. Je vous jure qua j'ai été fi fort tourmenté, & quelquefois inquié» té, qu'il ne m'a guère été poffible de penfer avec cette liberté d'efprit qui eft la mère de 1'imagination, & par conféquent de la poëfie. Les ennemis, forts de 4,000 hommes, ont at' taqué un village oü Truchfefs &Varenne étoient commandés avec 400 hommes , & ne pouvant dompter ces braves gens , ils ont mis le feu aa village. Tout ceci n'a point fait perdre contenance a nos troupes, qui ont tué prés de 200 hommas & quelques centaines de chevaux a 1'ennemi. Truchfefs, Varenne & quelques officiers onr été légèrement blelTés;. mais rien ne peut égaler la gloire que cette journée leur vaut. Jamais Spartiates n'ont furpafTé mes troupes; ce qui me doaueune telle confiance en elles, que je me crois dis fois plus puilfant que je 11'ai cru 1'être par le paffé.. Nous avons fait de plus 600 prifonniers hongrois,, & nos braves foldats, qui ne favent que vaincre ou mourir, ne me font rien redouter pour ma gloire. Donnez cette peinture a Knobelsdorf pour marqué de mon fouvenir. Marquez-moi quel eft le  I30„ CORRESP OND ANCE Marquis d'Argens, s'il a cet efprit inquiet & volage de fa nation, s'il plait, en un mot li Jordan l'approuve.? Si je vous revois un jour, vous devez vous attendre a un débordement de babil extréme. Ma foi, 1'honneur de faire tourner la grande roue des événemens de 1'Europe, eft un travail très-rude; 1'état moins brillantde findépendance, de 1'oifiveté & de 1'oubli, eft felon moi plus heureux, & le vrai lot du fage dans ce monde. |e penfe fouveut a P«.émusberg, & a cette application volontaire qui me familiarifoit avec les fciences & les arts; mais après tout il n'eft point d'étatfans amertume. J'avois'alors mes petits plaifirs & mes petits revers; je naviguois fur 1'eau douce, a préfent je vogue en pleine raer, une vaguem'emporte jusqu'aux nues, une autre me rabaifte dans les abymes, & une troifième me fait remonter plus promptement encore jusqu'a la plus haute élévation. Ces mouvemens fi violens de l'ame ne font pas ce qu'il taut aux philofophescar, quoi qu'on dife, il eft bien difficile d'être indifférent a des fortunes diverfes, & de bannir la fenfibilité du cceur humain. Vainement veut - on paroitre froid dans la profpéri- té, & n'étre point touché dans 1'affiiction; les traits du vifage peuvent fe déguifer, mais 1'hom. me, 1'intérieur, les replis du cceur n'en font pas moins aftéétés. Tout ce que je défire pour moi, c'eft que les fuccés ne corrompent point 1'humanité & ces venus dont j'ai toujours fait profelïïon. j'efpère & je me flatte que mes amis me retrou«  CORRESPOND/iNCE 131 veront toujours tel que j'ai été, quelquefois plus occupé, rempli de foucis, inquiet, furchargé d'affaires, mais toujours prêt a les fervir, & i vous prouver furtout que je vous eftime & vous aime de tout mon cceur. Adieu. Au quartier de Sclowitz, ce 17 Mars 1741. IVlon cher Jordan, vous irez chez Madame de * * *, & lui direz qu'après que je 1'ai affez inftruite de mes volontés fur le fujet de fon fils, dont elle a difpofé malgré mes intentions, fi elle ne le faitrevenir incelTamment, je me vengerai d'elleen maitre irrité, qui punit une mauvaife citoyenne qui agit contre 1'Etat. Annonce- lui ma vengeance, & dis lui que j'ai des moyens en main plus qu'elle ce penfe pour-me faire raifon de fon infidélité& de fatrahifon: qu'elle a trouvéle moyen de fe brouiller avec tout le monde, & qu'a la f;n je fuis obligé d'avouer que le monde a raifon, mais qu'il y a des maifons de corredtion pour les méchantes femmes, comme il y a des endroits oü 1'on met en féqueftre iesmauvais citoyens. Adieu, fois perfuadé que je t'aime de tout mon cceur. A Sclowitz. ce 28 de Mars 1742- F 6  t& CO RRESPO ND dNCE Cher Jordan, j'ai la tête fi écourdie par un chaos d'affaires qui m'eft furvenu tout a la fois, que je te demande quartier pour le coup. Je fuis fi occupé, j'ai tant a penfér, tant & écrïre, tant d'or- • dres a expédier, qu'il m'eft impoflïble de te parler beaucoup raifon. Tout ce que fe puis te dfre, c'eft que nous camperons le 13 de ce mois, que les Autrichiens marchent a nous, & que certainement, s'il n'arrivepas quelquemiracle, jenepourrai revenir a Berlin que vers Ia fin d'Oétobre ou te commencement de Novembre. Adieu. Je te recommande a la garde de la philofophie & du Dieu par-la même impofïïble qu'ils jugent bien de !# conduite de ceux dont ils ne connoiffent ni les pro» jets ni les moyens. II eft facheux que les aélions des hommes d'Etat ibient foumifes a la critique de tant de juges auffi peu capables que le font ces gens décififs que la fainéantife & 1'efprit de médifance rendent politiques; mais ce ne font que les moindres défagré» mens qu'ont a effuyer ceux qui comme moi font dévoués au fervice de 1'Etat. Vous avez bien a vous plaindredufoinquevousdonnent vingtgueux fur lefquels vous avez jafpeftion; j'en ai des millions & conduite & a nourrir, & je ne m'en plains point. Mais vous étes parefleu.x, & vous ne vous êtes appercu qu'a préfent que les affaires du Par» naffe font plus faciles a terminer que celles qui regardent Ia fociété. Je crois que les vers du Poméranien a la Morrien font de Manteufel; je ne fais pas trop ce qu'ils veulent dire, mais j'ai admiré le tour de 1'épifode qui fe trouve au bas de la lettre; je crois même que Madame Morrien a compofé elle- même ce ver*.  CO RRESP OND ANCE. 149 pour fervir de véhicule a des chofes qu'elle étoit bien aife que j'apprifle. Les vers fur l'^ne font miférables, ceux au Comte Podewils font ordinaires, mais ceux du Faune font jolis. j'ai recu de Greflet une épitre charmante, dont je vous regais» rar a mon retour. II falloit la paix en Bohème,: De Polignac le cabinet, Pour changer votre face blême, Et votre chagrin de carême En air ouvert & fatisfait. Jordan, votre joie eft extréme; Mais je vous plains de tout mon cceur' Da rechercher votre bonheur En tout autre lieu qu'en votis-méme. ïe n'ofe en dire davantage après ce trait de mo-' rale. Recevez en attendant mes proteitauons ue la1 fincère ettme & de tous les fentimens avec les-1 quels je fuis &c &c. && Au camp de Kuttenterg, oü je te refterai pas lorg.. temps, ce 24 de Juin 1742. Federicus Jordano, falut. Ecoute , 1'ami Jordan,j'ai trop a faire ici, fortification, juflice, économie militaire, pour t'écrire beaucoup; mais je te parlerai davantage a Berlin. Adieu. Tes vers allesia.ids font de 1'hébreu pour moi. A Glatz, ce 21 de Juin 174*» "  150 CORRESPOND ANCE. •* edcricus J$rdano, falut. Votre lettre m'a beaucoup diverti par rapport aux propos du public. Je ne connois point le magafin dont vous me parlez, & perfonne ne 1'a méme ici. Les vers de Francheville font trainans & ennuyeux; la pointe du conté n'eft pas aflez aiguifée, en un mot il ne fait point rire, c'eft pourquoi je le condamne. Vous voyez par les lieux d'oü je date mes lettres comme je m'approche tout doucement de chez vous, & comme les événemens fe fuccèdent. Je fais travailler ici a de grands ouvrages; cet endroit doit devenir la barrière de 1'Etat, & la fa. reté de mes nouvelles conquétes. Je dirige d'ici les nouveaux arrangemens de la province; je règle les affaires de droit, & j'arrange les économiques, peut-étre aufïï dérangées que les premières. Enfin, je compte toujours être a Berlin le 12 de ce mois, & vous y aiïurer verbalement de tout Je galimathias de tendreffes & proteftations que 1'on fait a fes amis 1'orsqu'on ne les a vu de longtemps. Vale. A NeiiTe, ce 1 da Juillet 1742. ■Federicus Jordano, falut. Voici la dernière lettre *jue je vous écrirai de ce veyage. J'ai rempli ma  CO RRESPO ND JNCE. 151 röche en entier, j'ai fini toutes mes affaires, & je reviens dans ma patrie avec la confolation de n'avoir aucun reproche a me faire envers elle. Vous me trouverez plus philofophe que je ne 1'ai jamais été, & plus encore praticien que fpéculatif. J'ai eu beaucoup a faire d'epuis que je nevous ai vu; auflï fuis-je fi étourdi de tout cet ouvrage, que je rendrai graces a Dieu d'en être délivré ; il y a de quoi faire tourner la cervelle a un honncte homme. Préparez-vous a bien philofopher avec moi dans les belles allées de Charlottenbourg. Adieu, cher Jordan. Le 12 je vous en dirai davantage. A B.-eslau, ce 5 de Juillet 1742. ■Federicus Jordano, falut. J'ai reeu & ld le premier chant du poè'me filéfien, trop mauvais pour qne j'en parle, & d'une louange trop effrontée pour que je permette qu'on 1'imprime. Je fouhaite que 1'opéra réuffiffe mieux; du moins le poëte a-t-il été inftruit de 1'idée que j'ai fur ce fujet. J'ai trouvé beaucoup d'affaires qui pourrontpro» longer mon féjour ici de quelques jours. Je fais a préfent quelques vers; mais je fuis encore troprépandu pour en faire de bons. Les buftes du Cardinal de Polignac arriveront bientöt a Berlin, & les chanteurs de même. Je G 4  *$2 CORRESPONDJNCE, me réjouis de fun & de 1'autre; mais plus encor*de revoir mon cher Jordan de bonne humeur, & plein de ce contentement d'efprit qui va fi bien k lout le monde, & principalement aux philofophes. Vtk. A Breslau, ce s« de Septembre 174*. Federicus Jordano, falut. J'ai reeu la lettre que 1'émdic, le charitable, le théologique, 1'impeo cable, le politique Jordan m'a écrite, & je me fuis fort diverti des on dit, oü pour 1'ordinaire lVtfiveté ou la malignité du public fait que je trouve ma part. J'aurai achevé dans peu de temps ma tournée filéfienne, oü je n'ai pas lailfé que da trouver une occupation infinie. J'ai dépéché plus d'affaires en huk jours que les coramiflions de la mai/bn d'Autriche n'en ont terrainé en huitannées, . & j'ai réuiïï presque généralement eu tout. Ma tête ne contient a préfent que des calculs & des nombres; je la viderai de tout cela a mon retour, pour y faire entrer des matiéres plas choifies. J'ai fait des vers que j'ai perdus; j'ai commencé a lire un livre que. 1'on a brülé; j'ai joué furun clavecin qui s'eft calTé, & j'ai .monté un cheval .? qui eft devenu eftropié. II ne me manque plus , pour m'achever de peindre , que de vous voi: payer d'ingratitude 1'amitié que j'ai pour voi:;., A Breshn, ce 37 de SSptémVrft, .  CORRESPONDANCE. E53 Fédericus Jordano, falut. Fais-moi venir des quinze cfpèces de figues de Marfeille, favoir en tout quatre cents figuiers, tous en caiffons & tous en état de porter du fruit la même année. Cependant je fouhaiterois plus de figuiers verts que des autres. Je voudrois auffi que 1'on m'ènvoyat trois cents ceps de vigne qui foient tous en état de parter du fruit la feconde année: pour ceux-la il fat> droit les faire partir cet hiver, très-bien empaque:és cependant. Je t'envoie'd'ailleurs 1 etiquette de^ ' chofes & raretés proven9ales que je fouhaiterois avoir. J'ai fait un article de gazette pour Berlin, oü Potier eft tympanifé de la belle manière. J'ai déja écrit pour avoir un autre maltre debaïïets, & j'eü aurai affurément un moins fou, car il eft impofïïble de 1'être plus que Potier. Je fuis bien aife d'être défait de cet extravagant, & ftcné que la Roland ait quitté avec lui; mais nous vivrons fans Potiers & Rolands, & nous ne nous eh di~ ; vertirons pas moins - Ta philofophie dit que j'ai : raifon, & moi j'en conclus que j'ai trés-fort rai- ' fon, puisqu'un fage m'approuve. Vak. A Potsdam, ce 20 d'Acut 1745, i' os-  154 CORRE'SPOND ANCE. T >6rsgue Voltaire viendra Avec fa valeur intrinféque, Doctijftme le logera Dans fa belle bibliothèque. Voilö. tout ce que j'ai a te dire pour Ie logement dc Voltaire. Quel plaifir pour un Jordan de posféder en même temps Ie bel Horace relié en marroquin rouge, & le cacochyme Voltaire relié en vette de drap d'or! Meffieurs Achard & Monfleur Boëtiger diront: Ah ! le grand homme que Jordan, il loge chez lui ce qu'il y a de plus célèbre! On te fera une ode comme au cabaretier des Mufes. Que de belles productions vont éclore! Jordan,divin Jordan, je touche au moment de ton apothéofe, a ce moment que j'attends avec tant d'impatience, a ce moment oü tous ces titres de livres appris par cceur, tout ce fatras immonde de littérature va enfin illuftrer mon favantafie. Je te vois, mon cher coryphée, Sur un tas de livres poudreux, Tous fymétrifés en trophée, Placé comme un vainqueur heureux. Mon iditiotifme fe mettra mercredi très-humbleme'nt aux pieds de ta fapience. Je me flatte de te voir alors chez moi & de t'afl'urer &c. A Potsdam, ce 56 d'Aoftt 1743.  CORRESPONB ANCE. 155 M on cher Jordan *) je te remercie de tes deus lettres, que je viens de recevoir. Je voudrois pour rna confolation que tu me donnafles des nouvelles de ton entiére convalefcence. Sois tranquille, mon enfant, pour ce qui nous regarde. Nos affaires font en bon train , & je crois quenousferons dans peu de jours maïtres de Prague. L'ami Duhan fe porte fort bien, & trotte comme un jeune homme. Nous avons beaucoup de fatigues , que je fupporte mieux que je n'aurois du 1'attendre de mon tempérament. Je fuis fort occupé a préfent a régler les préparatifs du fiége. Notre gros canon eft arrivé un peu tard,fans quoi la viüe feroit déja a nous. Adieu, cher Jordan. Ménage ton individu pour l'amour de ma monade, & fois perfuadé que 1'attradion de ton bon cceur opère toujours fortement fur moi en' raifon inverfe du quarré des diiiances. Dieu te ]\/f on enfant, donne cette inclufe a la Monbai!, & allure - la de mon amitié. Tu es bien cruel dese me pas dire un mot de ta fanté. Tu me pai* *) Les lettres fuivanMfl font fans date. . G 6  I5<5 . CQRkESPONDANCE." les de Prague deux pages de fuite, & pas un > mot de Jordan. Si tu retombes dans la même faute, je ne te la pardonne pas.. Ne t'embarraffe pas de moi; mais u'oublie pas ton ami, quj t'aime bien. Adieu. Federicus Jordano , falut. Je te plains , mon cher ami, de ce que tu es encore malade. Je m'intéreffe véritablement a ton individu, & je ne fais pourquoi, mais je voudrois que Jordan fe portüt bien. Ne fois pas inquiet de ce qui me regarde. Nos affaires vont, graces au Ciel, bien; & quans a ma perfonne, c'eft fi peu de chofe dans 1'univers, qu'a peine peut-il s'appercevoir que les atomes qui me compofent, exiftent. Tu trouveras ce trait bien.métaphyfique, mais tu fais que la guerre ne détruit les arts que lorsque ce font desbarbares qui la font. Nous ferons dans quelques jours a Prague, oü les affaires commenceront a devenir férieufes. Nous en tirerons bon parti, & je me perfuadé qu'a 1'égard de notre militaire, rien ne ternira la réputation des troupes. , Nous avons eu bien des fatigues,de mauvais chemins,&un temps bien plus mauvais. encore; mais qu'eft-ce que la fatigue, les foins & Je danger en comparaifon de la gloire? C'eft une paffion fi folie, que je ne cot;cois point comment elle ne tourne pas Ia têt» ii toHt ie «oude, .  CO ARE SP ONT) ANCE. 15; Tu ne connois jusqu'a ce jour Qae le contentement de boire, Et tu préféras a la gloire Les touchans plaifirs de l'amour. Adieu. En voila affez. Ecris-moi fouvent, & fois perfuadé que je t'aime toujours, & que rail. lerie a part, je m'intéreffe a ton bien & a ton bonheur autant & plus que ne le peuvent faire les Boëtiger, les Achard.&c. &c. &c. O'aro Jordano, falut. Je xompte, cher ami, de te revoir au mois de Novembre. Je défire ta guérifon de tout mon cceur. Notre campagne eft finte, Je philofophe, je moralife & jepenfe beaucoup. Ne m'oublie pas, & fois für que je t'aime de tout mon cceur; mais porte-toi mieux & ;conferve-toi pour ton ami. Federicus Jordano, falut. J'ai recu votre lettreavec bien du plaifir, & j'ai vu que votre fanté n'eft ni fi bonne ni fi füre que je le défire. Tu feras, mon enfant, ce que tu trouveras i propos pour ta fanté, & tu iras dans la contrée de la HBk< re la plus propre pour la rétablir. S 7 i  ïj8 CORRESPONDANCE. Je vous mande que j'ai fait des vers, mais qua je les veux corriger avant que de vous les envoyer. Vous vous attendiez peut - être a recevoirdes des nouvelles d'un genre tout différent,- mais voila comme eft fait le monde, il s-'y paffe fouvent le contraire de ce que 1'on imagine. Faites mes complimens a 1'aimable témoin goutteux & au perfide Duhan; dites a 1'un & a 1'autre que je les aime bien. Je fuis ici parmi toutes les contregardes, enveloppes, ravelins & avant - fofTés de 1'univers. J'ai beaucoup d'occupations, de foucis & d'inquiétudes; mais je ne me plaindrai de rien, pourvu que je puiffe bien fervir la patrie, & lui être aufïïutile que j'en ai la volonté. Adieu, cher Jordan. Jé vous fouhaite tous les biens imaginables, & principalement la fanté , fans Iaquelle il ne nous eft pas poffible de prendre part a quoi que ce foit. Aimez-moi toujours, &n'oubllez pas les amis abfens. T >orsque le lion de foriènt paftera le capricorne de la canicule, les puiffances terreftres feront émues, & le chien tt trois têtes aboiera, les élémens treffailliront, & 1'on entendra de toutepartla trompette des événemens qui annoncera les changemer.3 de 1'univers; alors le cheval chauvemour»  CORRESPONDANCE. 15$ ï3 de famine, & fhirondelle fera en proie au vautour. Mortel, fonge a ta fin qui s'approche. Je m'attendois a recevoir a tout moment la nouvelle que cette fluxion qui te lutine t'avoit rendu tout a fait aveugle,& j'avois préparé pourcefujet de fort beaux vers que j'ai été bien mortifié, dene pouvoir t'envoyer. J'aurois tant fouhaité que cet aveuglement eüt été enfin accompli; car alors tu n'aurois plus eu de prétexte pour t'abfenter d'ici, & ma rivale, ta bibliothèque, te feroit devenue auffi inutile qu'une Vénus le pourroit être a un impuifiant. Tu me fais trembler pour cette bonne Europe par la comète que tu prophétifes. Je voudrois que le prophéte & le phénomène fuffent tous les deux audiable, plutót que devoir notre aimable petit globe fervir de nourriture a la voracité ennemiede ce brigand d'aftre. Ecoute, dofte &fublime Jordan , je t'avertis que fi déformais tu pronoftiques encore des chofes funeftes& malheureufes, & furtout des calamités publiques, ton nom fera rayé du nom des grands hommes, ton ame errante fera aveugle dansl'autte monde, tes ftatues feront couronnées de cbardons & ta mémoire fera effacéede tnon cceur.  Ifo CORRESPOND ANCE. EL E G I E de la vitte de Berlin , adrejjée au Baron de P O EL L N I T Z. ^/iens èinoi, fille descieux, Déefie de la douleur, des cceurs tendres, que tes Jannes généreufes coulentaujourd'hui en faveur d'une amanteabandonnée, que tes cheveux épars & flottans foientles modêles de rnon ajuftement, que ma voix foit 1'écho de tes aecens plaintifs. C'eft a toi d'anoblir ma douleur, & de donner des graces audefefpoir dans lequel me plonge le plus perfide des hommes. Jours heureux que je paffois avec lui vous ne faites qu'aigrir ma peine & mon nolr chagrin, lors» que je vous compare a la fituation délaiftée ou je me trouve a préfent; ces beaux jours oü mes fiacres, régis par la fageffe de mon amant, me réjouiflbient par chaque fecouffe qu'ils donnoient a mon pavé, prenant ces fecoufles pour des agaceries de mon infidelle; ces jours oü il régloit toutes ces cérémonies ridicules qui paflbient par mes rues ou dans mes maifons; ces jours oü mesHaude&mes des Champs chantoient fes éloges dans toutes les gazettes. O jouts heureux! c'eft en vain que je rsppelk votre uémpire} ia uiaja da Temps ,ars)és  CORRESPOND ANCE. ï&i de fon dponge irrévocable, vous a effacds dunom* bre des êttes > & vous-n'exiftez plus que dans moircceur. Oui, perfide, c'eft dans ce cceur ulcéré que tu es encore profonddraent gravé & que le bouleverfement de mes murs & de mes tours pourra feul t'effacer. Si encore tu me quittois, ó le plus volage de tous les amans! pour une beauté fupérieure a la mienne , comme celle de Paris ■ mpm nous reconnoifföns toutes pour la plus parfaite, comme celle de Rome la coquette, de Londres la débauchde, d'Amflerdam la groffe mirchande, ou de Vieime la dédaigneufe-, raai» tu me quittes pour me préfdrer qui? une petitegueufe dont le nom même eft presque iaconnu parmi nous. Je fuis auffi outrée que. fi-la Vé*nus de Medicis fe voyoit prdfdrer une petite Dubuifl'on. Ah! cruel, eft ce ainfi que tu oublies la bourfe de mon public tant de fois ouverte k ton induftrie, les boutiques de mes marchands tant de fois piêtes k fe vider pour toi, ma Ville-neuve empreffde a te procurer des petitesmaifans &c. &c. Sec? La douleur me fuffbque. Mais du moins aurai-je la confolationqueBareuth ne fera pas mieux traitée que Berlin, & quand mon chagrin aura fapd le fondement de tous mes édifices, que mes habitans tes créanciers feront tous morts de faim par les foins que tu as pris de les plonger dans la mifère , alors tu pourras lire fur ma tombe ces triftes paroles: Quand le monde trompeurméprifera tes channas»  correspo ndjnce: Tu viendras arrofer mon tombeau deteslarmes, Et les yeux tout en pleurs tu diras triftement, C'eft toi feule , Berlin, qui m'airaas conftamment* Attejlation du médetin. Moi, Hippocrate, par lacrédulité des bumains Dieu de la médecme,. j'attefte, affirrne, confirme & garantis que depuis le départ frauduleux du Baron de Pcellnitz Ia ville de Berlin n'a ni bu ni mangé de chagrin; que ce printernps, attaquée d'une mélancolie violente elle a voulu fe uoyer dans la Sprée, que nous 1'avons a la vérité fauvé alors par la faignée, rnais que depuis qu'elle prend les pales, couleurs, & une fiévre étique qui la mine & lui ©ccafionne des chaleurs fi violentes, qu'il fort de fa téte degrofles ;& noires fumées de falpêtre, on doit craindre pour fa vie, & il y a periculem in mora, fi 1'amant chéri ne vient point la fléchir par fes Joumiflions & la confoler par de nouvelles affurances de fidélité. 'li 7'fff }jj ioów- iv ?i v. t ^ÏBp';i"j <-r< M on cher Jordan, on dit que ta fanté s'eft dérangéè de nouveau, d'autres difent que tu te remets, je ne fais qu'en croire. Je ferai dans peu de jours a Berlin; & fais du moins que quelqu'un qui t'aura vu, me dife a mon arrivée pofitivement de tes nouvelles. Adieu. Je fouhaitequ'ellés foienr bonnes.  CORRESPONDANCE. 163 \/oici une lettre que j'ai recue de Voltaire, avec la réponfe que j'y ai faite. Ayez la bonté de • me marquer ce qu'il faut y corriger, & je lechangerai. Comme ce n'eft pas mon delTein de la transcrire, ne marquez rien dans la lettre même. Voiei auflï 1'épitre a Kayferling, que vous pouvez copier corrigée , telle que la voila. Comme je 1'envoie a Voltaire, vous voudrez bien vous hater de copier r réponfe,afin que demain a midi tout ptrhTe être de retour ici. Faites mes amitiés a la PrincefTe, & dites lui que je lui écrirai demain fi j'en ai le temps, & que je lui recommande le foin de fa fanté. Mes amitiés a toute 1'aimable fociété. Sv.m totus a toi. Knobelsdorf pourra me rapporter tout ce fatras d'écriture. M ou cher Jordan, ayez la bonté de refter a Berlin jusqu'a dimanche, le Comte Truchfefs vous donnera quelque commifïïon pour moi; il vous faudra louer une chaife pour m'apporter ce dont il vous chargera. Je vous rembourferai 1'argent, dés que vous arriverez a Rémusberg. Je partirai demain au foir d'ici. Dans quinze jours au plus tard je pourrai rembourfer vos frères & me tirer des dettes.  104 CORRESPOND ANCE. Ayez la bonté de faire commander par eux une' tabatière d'or qui ait le poids de i 50 écus, & qui avec la fagon , qui fera toute fimple, puiffe monter au prix de 200 écus.' 11 faudra de plus qu'on achette a part mon portrait en miniature, & qu'on. 1'y place quand elle fera achevée. Cette pièce eft deitinée a gagner quelque bonne ame ; ainfi faites qu'on fait au plutót. Je me repofe fur votre dextérité, fur votre prudence & fur votre difcrétion, étant tout a vous. JTaites copier, s'il vous plait, la lettre que je vous adreffe, & marquez-moi les fautes que vous y trouverez. Je fuis fi occupé , que j'ai eu a peine le temps d'écrire & V. Machiavel eft è moitié achevé. Nous avons juré aujourd'hui que c'eft une bénédiétion, & j'efpère de faire cette année une heureufe entrée & fortie a Berlin. La chanfou du grenadier francois a éte faite a tète repofée. Ordinairement ces fortes de vaudevilles ne font pas rimés avec autant de jufleffe: ii me paroit que la chanfon eft trop exacte pour un grivois, & trop platte pour un bel-efprit. Adieu, a revoir jeudi.  CORRESPOND ANCE. 16$ JVJbn cher Jordan, ne me chagrine pas par ta maladie. Tu me rends mélancolique, car je t'aime de tout mon cceur. Ménage-toi, & ne t'embarraffe pas de moi. Je me porte bien. Tu apprendras par les nouvelles publiques que les affaires de 1'Etat profpèrent. Adieu. Aime-moi un peu,. & guéris-,toi, s'il y a moyen, pour ma ccnfcla« tion.  LETTRES A MONSIEUR DE VOLTAIRE. 3\/fonfieur, c'eft une épreuve bien difficile pour un écolier en philoibphie que de recevoir des louanges d'un homme de votre mérite. L'amour propre & la préfomption, ces cruels tyrans de l'ame, qui en la flattant 1'empoifonnent, fe croyant auto*rifés par un philofophe, & recevant des armes de i vos mains, voudront ufurper un empire fur ma raifon que je leur ai toujours difputé: mille fois heureux, fi en les vainquant, & mettant la philofophie en pratique, je puis répondre un jour a 1'idée, peut-être trop avantageufe, que vous avez de moi. Vous faites, Monfieur, dans votre lettre le portrait d'un Prince accompli, auquel jene mereconnois point; c'eft une leconhabilléede la maniére la plus ingénieufe & la plus obligeante du monde; c'eft enfin un tour artificieux pour faire parvenir la timide vérité jusqu'aux oreilles d'un Prince. Je me propoferai ce portrait pour modèle, & je ferai tous mes efforts pour me rendre digne difciple d'un maitre qui fait fi divinemert enfeigner, je me fens déja infiniment redevable a vos ouvra-  CO R RE S P O ND ANCE. 167 ges; c'eft une fource oü 1'on peut puifer des fentimens & des connoiffances dignes des grands hommes. Ma vanité ne va pas jusqu'a m'arroger ce titre ; mais il m'eft permis d'avoir fambition de la mériterun jour; ce fera a vous, Monfieur qu» j'aurai cette obligation, Et d'un peu de vertu fi PEurope me Ioue, Je vous.la dois, Seigneur, ilfaut que jel'avoue. Je ne puis m'empêcher d'admirer ce généreux caraftère, cet amour du genre humain, qui devroit vous mériter les fuft'rages de tous les peuples: j'o« fe même avancer qu'ils vous doivent autant&plu* que les Grecs a Solon & a Lycurgue, ces fages législateurs dont les lois firent fleurir leur patrie, & furent le fondement d'une grandeur a Iaquelle fans eux la Grèce n'auroitofé prétendre. Les auteurs font en un certain fens des hommes publicsj leurs écrits fe répandent dans toutes les parties du monde, & connus de tout 1'univers, manifeftent aux lefteurs les idéés dont ilsfonr empreints. Vous publiez vos fentimens: leur beauté, les charmes, de ia diétion & de 1'éloquence, en nn mot toutce que le feu des penfées & la force de 1'élocution peu vent produire d'achevé, frappe vos leéteurs; ils en font touchés, & bientót par votre heureufe impulfion tout un monde refpire cetamourdugenre humain. Vous formez de bons citoyens, des amis fidelles, & des fujets qui abhorrant la rebellion, font zélés pour le bien public. Que ne vous doit-on pas! Si 1'Europeentièrenereconnoit point  ïSS CORRESPONDJIVCE. «ne vérité qui n'en eft pas moms viaie, & n'a pas pour vous toute la reconnoiflance que vous méritez, afturez-vous du moins de ia mienne; regar«iez mes actions déformais comme le fruit de vos lecons, je les ai recues, mon cceur en a été ému9 & je me fuis fait une loi inviolable de les fuivre «oute ma vie. Je vois, Monfieur, avec admiration, que vos connoiffances ne fe bornent pas auxfeules fciences; vous avez approfondi les replis les plus cachés du «eeur humain, & c'eft - la que vous avez puifé le confeil falutaire que vous me donnez en m'avertiffant de me défier de moi-même; je vous en resaercie, Monfieur, & jevoudrois pouvoir me le répéter fans celle. C'eft un déplorable effet de la fiagilité humaine, que les hommes ne fe reflemblent pas tous les jours: fouvent leurs réfolutions fedéiruifent avec la même promptitude qu'ils les ont prifes. Les Efpagnols difent très-judicieufement, tel homme a été brave; ne pourroit - on pas dire de même, que les grands hommes ne le font pas toujours ni en tout. Si je défire quelque chofe avec ardeur, ce feroit d'avoir des gens favans & habiles autour de moi. Je ne crois pas que ce foient des foins perdus que ceux que 1'on emploie a les attirer. C'eft un hommage qui eft dü a leur mérite, & c'eft un aveu du befoin que 1'on a d'étre éclairé par leurs lumières. Je ne puis revenir de mon &onuement, quand je penfe qu'une nation culti- yée  CO RR.ES PO ND ANCE. ]6p yée par les beaux arts, fecondée par le génie, qu'une nation depuis long-remps en poflefïïon du bon goüt , ne recomioic point le tréfor q i'elle renferme dans fon fein. Quoi! ce mêrne Voltairea qui nos mains érigent des autels & des ftatues, eft négligé de fa patrie & vit en folitaire dans le fond de la Champagne! C'eft un paradoxe, une énig. me, un effet bizarre du caprice des hommes, Non, Monfieur, les querelles des favansneme dégoüteront jamais du favoir; je faurai toujours diftinguer ceux qui avilhTent les fciences des fcien. ces mêmes. Leurs dilputes viennent ordinairement, ou d'une ambition déméfurée & d'une avidité infatiable de s'acquérir un nom, ou de 1'envie qu'un moindre mérite porte a 1'éclat brillant d'un mérite fupérieur qui 1'olfusque. Les grands hommes font expofés a cette dernière forte de perfécutiont les arbres dont les fommets s'élèvent jusqu'aux nues, font plus en butte a l'impétuofité des vents & aux injures du temps, que les urbris. feaux débiles qui croifient fous leur ombrage. C'eft ce qui du fond des enfers fufcita les calomnies répandues contre Defcartes & contre Bayle. C'eft votre fupériorité & celle de M. Wolf qui révolte les ignorans, & qui fait crier ceux dont la préfomption ridicule voudroit p.erdra tout homme dort i'efp-it, les connoiffances & les lumiéres effacent les fiennes. Suppoföns pour un moment que de grands hommes s'oublient jusqu'a s'animer les uns contre les autres, doit-on pour cela leur ra- Ochv. Pofih dt Fr. Ü] T. VIII. H  l7o CO RRESP O ND A NCE trancher le titre de grands, & les priver de 1'eftime qae plufieurs éminentes qualités leur ont meritée? Le public d'ordinaire ne fait point grace; il con. damne les moindres fautes, fon jugement ne s'attache qu'au préfent, il compte le pafte pour rien; mais ce n'eft pas le public que 1'on doit imiter. Je cherche des hommes favans, d'honnêtes gens, mais non des hommes parfaits. Quand Ia nature a-t-elle fonné urrmodèle de vertu qui foit exempt de tout blame? Je me trouverois heureux, fi 1'on vouloit avoir Ia même indulgence pour mes défauts que j'ai pour ceux des autres. Etourdi par Ia querelle de ces fretons du Parnafle, je les renvoie \ la préface d'Alzire, oü vous leur faites, Monfieur, une lecon qu'ils ne devroient jamais perdre de vue, & a Iaquelle on ne peut rien ajouter. Al'égard des thèologiens, ilparoit qu'ils feresfemblent tous en général, de quelque religion, ou de quelque nation qu'ils foient : leur delfein eft toujours de s'arroger une autorité defpotique fur les confciences; cela fuffit pour les rendre perfécuteurs zélés de tous ceux dont Ia noble hardieiïe ofe dévoiler Ia vérité. Leurs mains font toujours armées du foudre de 1'anathème, pour écrafer ce fantóme imaginaire d'irréligion qu'ils combattent fans cefle. Cependant, a les entendre, ils vous prêchent 1'humilité , vertu qn'ils n'ont jamais pratiquée, & fe difent miniftres d'un Dieu de paix, qu'ils fervent d'un cceur rempli de haine & d'ambition. Leur conduite, fi peu conforme a leur  CORRESPO'ND/INCË. 171 morale, feroit a mon avis feule capable de décré«liter leur doctrine. Le caractère de la vérité ell tout different, elle n'a pas befoin d'armes pour fe défendre, ni de violence pour engager les hommes a la croire; elle n'a qu'a paroltre, & dés que fa vive lumière a diffipélesnuages qui lacachoient, fon triomphe eft affuré.. Voila, ce me femble, quelques traits qui défignent affez bien les eccléfiaftiques, & qui, s'ils les voyoient, ne les porteroient pas a nous choilïr pour leurs panégyristes. Je Zeur connois cependant affez de défauts pour qu'en confcience 011 foit obligé de leur rendre la juftice qui leur eft dóe. Defpréaux, dans fa fatyre contre le fexe, a 1'équité d'excepter trois iemmes de Paris dont la vertu reconnue les mettoit a 1'abri de fes traits. Je puis vous citer a fon exemple deux prélats dans les Etats du Roi qui aiment la vérité, qui font philofophes, & donc 1'intégrité & la candeur mériter.t qu'on ne les confonde pas dans !a multitude. Je dois ce témoignage k la vertu de Mrs. deBeaufobre&Reinbeck, deux hommes qui mérient également le nom de célêbres. II y a un certain vulgaire, dans la même profeffiou, qui ne vaut certainement pas affez pour que 1'on defcende jusques a s'inftruire des diffentions qui 1'agitent. Je laiffe voloutiers a ces hommes la liberté d'enfeigner & de croire ce qui peut leur procurer quelque fatisfaftion , d'autant plus que mon caractère n'eft point violent, Mais ce même caraétère qui me rend défenfeur de la |iII 2  i72 CORRE S PON D A NCE. berté, me fait également haïr la perfécution. Je ne puis voir les bras croifés finnocence opprimeer il y auroit de la timidité & de la lacheté a lefouffrir. Je n aurois jatnai6 einbraffe avec tant dechaleur Ia caule de M. Wolf, fi je n'avois vu des hommes qui fe difent raifonnables, fe répandre en fiel & en amertume contre un philofophe qui ofe penfer librement; fi je n'avois pas vu que ces hommes portent leur fureur av.eugle jusqu'a haïr, fans favoir donner d'autres raifons.de leur haine que ladiverfité de leurs fentimens: tandis qu'ile exaltent lamémoire d'unfcélérat, d'un perfide, d'un hypoerite, qui n'a d'autre avantage que d'avoir penfé comme eux. Je fuis charmé Monfieur, de voir le glorieux témoignage que vous donnez aux quatreplus grands philofophes que l'Europe ait produits. Leurs ouvrages font des tréfors de vérités & d'erreurs; la diverfité de leurs fentimens nous fait connoitre combien 1'imaginarion eft fujette a s'égarer & les bornes étroites qui limkent notre entendement. Si Newton, fi Leibnitz , fi Locke , ces'génies fupérieurs, ces hommes accoutumésapenfer pendant toute leur vie, n'ont pu fecouer entièrement le joug des opinions, pour parvenir a des connoiffances certaines, a quoi peut s'attendre un nouvel écolier en philofophie? M. Wolf fera fort flatté de 1'approbation dont vous honorez fa métaphyfique; elle la mérite en effet; c'eft undes ouvrages les plus achevés qui fe foient faits dgns ce genre,  CORRE SP O ND ANCÈ. 173 & il y a plaifir a le fovunettre aux yeux d'un juge' jruquel les beaux endroits & les foibles n'échap. pent point. "Je fuis faché de ne pouvoir accompagner cette lettre de la traduction delamétaphyfique que je vous ai promife. Vous fave«z, Mon-< fieur, que ces fortes d'ouvragesne fe font que lentement: je fais copier cependant ce qui en eft aohévé , & j'efpère de Ie joindre a Ia première de mes lettres que vous recevrez. J'accompagne celle - ci de la lojique de M. Wolf, tradii'te par la Sieur des Champs, jeune homme né avec affez dé talens; il a eu 1'avantage d'être difeïpte del'auteur, ce qui lui a pro:uré beaucoup de facilité dans fa traduction: il me paroit qu'il y a affez heureufement réuffi; je fouhaiterois feulement pour l'amour de lui qu'il eüt corrigé & abrégé 1'épitre dédicatoire', dans Iaquelle il me prodigue de 1'encens k pleines mains, & qui auroit trouvé infinirrent mieux: fa place dans un prologue d'opéra au fiècle da Louis XIV. Cc n'eft pas en faveur de la feule Henriade, unique poëme épique qu'ayent les Frangois, que jemedëclare, mais en faveur de tous vosouvralres; ils font généralement marqués aucoin del'immortalité. C'eft 1'effet d'un génie univerfel & d'un efprit bien rare que de fe foutenir dans une élévation égale dans tant d'ouvrages différens. 11 n'y avoitque vous, Monfieur, premettez-moidevous le dire, qui fufïïez capable deréunir laprofondeur d'un philofophe, les talens d'un hiftorien & 1'imaH 3  #74 CORRESPONDdNCE. nation brillante d'un poè'te dans la métne perfonne. Vous me faites un plaifir bien fenfible en me promettant de m'envoyer tous vos ouvrages; jene les mérite que par le cas infini que j'en fais. Les empereurs & les monarques peuvent donner des tréfors, même des royaumes, & tout ce qui peut flatter 1'orgueil, 1'avarice & la cupidité des hommes; ce font des chofes qui reftent hors d'eux, & qui bien loin de les rendre plus éclaüés & plus vertueux, ne fervent ordinairement qu'a les corromp e. Le préfent que vous me promettez, Mon» lieur, eft d'un tout autre ufage; par fa lecïure on corrige les mceurs & on orne 1'efprit. Bien loin d'avoir la folie préfompcion de m'ériger en jugede vos ouvrages, je me contente de les admirer: le but que je me propofe dans mes leftures, eft de m'mftrnire. Comme les abeilles je tire le mie! des fleurs, & je laiffe aux araignées le foin d'en fucer le venin. Ce u'tft pai par ma foible voix que votre renommée, déja fi bien établie, peut s'accroltre; mais du moins fera -1 on obiigé d'avouerque les defcendans des anciens Goths & des Vandales, que les habitans des foréts de 1'Allemagne, favent rendre juflice au mérite éclatant, a la vertu &aux talens des grands hommes de toutes nations. Je fais, Monfieur. a quels chagrins je yous expoferois fi j'ufois d'indifcrétion a 1'étard de vos ouvrages: repofez-vous je vous prie, fur mes engagemens, ma foi eftinviolable. Je refpecte trop les liens de 1'amitiépour vouloir  CORRE SP O ND ANCE. *7 S vous arracher d'entre les bras d'Ërailie; ilfaudroit avoir le cceur dur & infenfiblepourprétendre de vous un pareil facrifice: & d'ailleurs il ne faudroit jamais avoir connu par expérience la douceur qu'il y a d'être auprès des perfonnes que l'*iaime, pour ue pas fentir la peine que vous cauferoit une pareillë féparation. Je n'exigerai de vous que de rendre mes hommages a ce prodige étonnant d'efprit & de connoiffances. Que de pareilles fernmes fjnt rares! Soyez perfuadé, Monfieur, que jeconnois tout le prix de votre eftitne, mais que je me reffouviens auffi en méme temps d'une lecon de la Henriade: un nom trop fameux elt un poids bien pefant: peu de perfonnes le foutiennant, & la plupart accablées fuccombent fous le faix. 1! n'eft point de bonheur que je ne vous fouhaite & aucun dont vous ne foyez digne. Cirey fera déformais pour moi Delphes, & votre correfpondance, que je vous prie de continuer, mes oracles. Je fuis avec une eftime fingulière, Monfieur, Votre trés affeftionné ami. A Rheinsberg, le 4 Novembre 1736. IVÏonfieur, non, je ne vous ai point envoyé mon portrait, uue pareille idéé ne m'eft point ve« H +  1/6 CORRESPONDANCE. uue dans 1'efprit. Mon portrait n'eft ni affez beau, ni affez rare pour vous être envoyé. Un mal-entendu a donné Iieu a cete méprife. Je vous sï envoyé une bagatelle pour marqué de mon eftime: un bufte de*Socrate en guife de pomme de canne, & la facon dont cette canne a été roulée reffemblant a celle donton roule les tableaux, aura donné lieu a cette méprrfe. Ce bufte de toute facort étoit plus digne de vous être envoyé que mon portra:t. C'eft i'image du plus grand philofophe de rantiquité, d'un homme qui a fait la gloire des païens, & qui jusqu'a nos jours eft 1'öbjet de Ia jaloufie & de 1'envie des chrétiens. Socrate fut calomnié; & quel grand homme ne 1'eft pas? Son efprit aiffiani la vérité revit en vous; auffi vous féul méritez de conferver le bufte de ce célèbre philofophe. j'efpêre, Monfieur, que voudrezbien le retirer avec quelques lettres que je vous ai écrttes, & qui je crois pourront vous être envoyées en même temps. Madame la Marquife du Chatelet me fait bien de 1'honneur de paroitre s'intéreffer pour mon foi- difant portrait; elle feroit propre ame donner meilleure opinion de moi que je n'ai jamais eu, & que je ne devrois avoir. Ce feroit a moi a défirer fon portrait. |e vous avoue que les charmes de firn efprit m'ont fait oublier fa matière: vous trouverez peut- être que c'eft penfer trop philofophiquement pour mon age, mais vous pburriez vous tromper: 1'éloignement de 1'objet & fimpólïïbilité de le pofféder, peuvent y avoir  CO RRESP O ND A NCE, 177 autant de part que la philofophie: elle ne doit pas nous rendre bfenfibles, ni empêcher d'avoir le cceur tendre, auquel cas elle feroit plus de mal que de bien aux hommes. II femble en effet que quelque démon familierfoit abouché avec tous les gazetiers de Hollande pour leur faire écrire unanimement que vous m'ètes venu voir. J'en ai été informé par la voie publiqne, ce qui me fit d'abord douter de la vérité du'fait. Je me dis auffitöt, que vous ne vous. ferviriez pas des gazetiers pour antipncer votre voyage, & que dans le cas oü vous me feriez le plaifir de venir dans ce pays, j'en aurois des nouvelles plus particulièfes. Le public me croit plus? heureux que je ne fuis; je me tue de le détrom*per: je me fens d'ailleurs fort obligé au gazetier.d'effe&uer. en idéé ce qu'il juge trés - bien qui peut' m'être iufiniraent- agréable. Quoique vous n'ayez en sucune manière befoin1 de vous perfedtionner par de nouvelles études dans* la connoiffance des fciences, je crois que la con>verfation du fameux. M. s'Gravefand pourra vour être fort agréable; il doit pofféder la philofophie' de Newton dans la dernière perfeclion.' M.Bcerr. have ne vous fera pas d'un raoindre fecours fivous; le confultez fur 1'état de votre fanté. Je vous U recommande, Monfieur. Porté naturellement ala' confervation de votre corps, ajoutez, je vous-' prie, quelques nouvelles attentions a celles que* vous avez déji, pour l'amour d'un ami qui s'inté*H 5  i;S CORRESPONDANCE. rede vivement a tout ce qui vous regarde. J'ofe vous dire que je fais ce que vous valez, & que ie connois Ia grandeur de Ia pene que Ie monde feroit en vous; les regrets que 1'on donnera I vos cendres vous feront inutiles, & feront fuperflus pour ceux qui les reflentiront. Je prévois ce malheur & je le crains; mais je voudrois le différer. Vous me ferez beaucoup de plaifir , Monfieur, de m'envoyer vos. nouvelles productions; je les attends avec une grande impatience. Les bons arbres portent toujours de bon fruit; la Henriade & vos autres ouvrages immortels me rép'ondent de Ja beauté des futurs. Je fuis fort curieux de voir la fuite du Mondain, que vous voulez bien me promettre. Le plan que vous m'enmarquez, eft tout fondé fur la raifon & fur la vérité. En effet Ja fagslfe du créateur n'a rien créé d'inutile dans ce monde. Dieu veut que l'homme jouifle des créatures, & c'eft contrevenir au but du créateur que d'en ufer autrement. 11 n'y a que les abus & les excès qui rendent mauvais cé qui eft d'ailleurs bonen foi-mêrne. Ma morale, Monfieur, s'accorde trés - bien avec la vótre. J'avoue que j'aime les plaififs & tout ce qui y contribue: ia briéveté de Ia vie m'avertit d'en jouir. Nous n'avons qu'un certain temps, duquel il faut profiter. Ce principe n'eft point dangereux; il n'y a qu'a n'en point tirer de faufles conféquences. Je m'attends que votre Effai de morale fera 1'hiftoire de.mes verSées. Quoique mon plus grand plaifir 6ü! t& V  '■ CORRESPONDJNCE. 179 tude & la culture des beaux arts, vous favez, Monfieur, rnieux que perfonne qu'ils exigent du repos, de la tranquillité, & durecueillement d'efprit. Car loin du bruit &. du tumulte Apollon s'étoit retiré Au haut d'un cóteau confacré - Par les neuf Mufes a fon culte-; Pour courtifer ces doftes fceurs, II faut du repos, du fi.ence, Et des travaux en abondance Avant de goüter leurs faveurs. Voltaire, votre nom, immortel dans 1'hiftoire, Eft gravé par leurs mains aux faftes de la gloire. II y a bien de la témérité a un écolier, ou pour mieux dire a une grenouille du facré vallon, d'ofer coaffer en préfence d'Apollon. Je le reconnois, je me confeffe, & vous en demande 1'abfolution. L'eftitne que j'ai pour vous me la doit mériter. II eft bien difficile de fe tai'e fur de certaines vérités, quand on en eft bien pénetré, au hafard de i'exprimer bien ou mal. Je fuis dans ce cas-, c'eft vous qui m'imitez, & qui par conféquent devez avoir plus d'indulgence pour moi qu'aucun autre. Je fuis a jamais avec toute la confidération que vous méritez Votre très-affecuonne ami. . Ce 16 Janvier J7S7- H (  rlo CORRESPONDANCE. IVToniieur, j'ai recu avec beaucoup de plaifïr la défenfe du Mondain, & le joli badinage au fujet de la mule du Pape; chacune.de ces pièces eft charmante dans fon genre. Le faux zèle.de votre voifin le dévot repréfente très-bien celui de beaucoup de perfonnes qui dans leur fhipide fainteté taxent tout de pêché, tandis qu'ils s'aveuglent fur leurs propres vices. II n'y a rien de plus heureux que Ia tranfition du vin dont.le vótre humecte fon gofier féché a force d'argumenter; le pauvre.qui vit des vanités des grands;.les Dieux qui dutemps de Tulle étoient de bois, & d'or fous le confulat de Luculle &c. font des endroits dont Jes beautés marchent a grands pas vers 1'immortalité. Mais, Monfieur, pourrois-je vous préfenter mes doutes ? C'eft le moyen de rn'inftruire par les bonnes raifons dont vous vous légitimerez fans doute. Peut-on dqnner 1'épithéce de chimérique a 1'hiftoire romaine, avérée par Ie témoignage de tant d'auteurs, de tant de monumens refpeétables de I'antiquité & d'une iftfinjté de médailles, (dont il ne faudroit qu'une partie pour établir les vérités de Ia religion). Les étendards de foin des romains me font inconnus. Mon ignoranee me peut fervir d'excufe; mars autant que je puis me. reffouvenir de 1'hiftoire, les premiers étendards des romains furent des mains ajiiftécs. au haut d'une perch?; Vous v^yez, Mon-  CORRESPONDJNCE. 181 fknir, un difciple qui demande a s'inftruire. Vousvoyez en même temps un ami fincère qui agkavec franchife, & j'efpè're que votre efprit jufte & penetrant s'appercevra facilement que mon amitié feul-! vous parle; ufez-en, je vous prie, de même a mon égard. J'avoue que mes réflexions font plutót celles d'un géomètre que les remarques d'un poè'te ; ma:s 1'eftime que j'ai pour vous étani trop bien établie, fera toujours la même, étant a jamais &c. ]\j[onfieur, vos ouvrages font fiins prix; c'eft une vétité de Iaquelle je fuis convaincu il y alongtemps; cela n'empêche pas cependant que je ne vous doive beaucoup de reconnoiffance. Les bagatelles que je vous envoie ne font que des marqués de fouvenir, des fignes auxquels vous devez vous rappeler le plaifir que m'ont fait vos écrits. II femble, Monfieur, que les fciences & les arts, vous fervent par femeflre; ce quartier paroit être celui de la poëfie. Comme vous metiez Ia dernière main aune toute nouvelle tragédie, d'oüprenez-vous votre temps? Ou bien eft-ce que les vers coulent chez vous comme de la profe? Autant de queftions, autant de problèmes. Ou bien il faut que vous ibyez courbé jour & nuk fur votre II 7 Cé 23 Jariyfcr i"37.  ld* CO RRESPOND ANCE. ouvrage, ou il faut que le Ciel vous ait accordé, outre les excellens talens que vous pofledez, une facilité tout a fait extraordinaire. Mérope ne fort point de mes mains; il en revient trop a mon amour propre d'être 1'unique dépofitaire d'une pièce a Iaquelle vous avez travaillé: je Ia préfère a toutes les pièces qui ont paru en France, hormis a la mort de Céfar. Les intrigues amoureufes me paroiffent le propre des comédies; elles en font comme 1'effence, elles font le nceud de Ia piêce, & comme il faut finir de quel. que manière, il femble que le mariage y foit tout •propre. Quant a la tragédie, je drois qu'il y a des fujets qui demandent natureliement de l'amour, tels font Tite, Bérénice, Ie Cid, Phèdre & Hippolite; le feul inconvénient qu'il yait, c'eft que l'amour fe reflemble trop, & que quand on a vu vingt pièces, 1'efprit fe dégoüte d'une répétition continueJle de fentimens doucereux, & qui font trop éloignés des mceurs de notre fiècle. Depuis qu'on a attaché avec raifon un certain ridicule % l'amour romanesque, on ne fent plus le pathétique de la tendreffe outrée, on fupporte le foupirant pendant le premier acte, & on fe fent tout porté fe moquer de fa fimplicité au quattiéme ou au cinquième; au lieu que la paflïon qui anime Mérope, eftun fentiment de la nature dont chaque cceur bien placé connolt Ia voix. On ne fe moque point de ce qu'on fentfoi-même, oü decequ'on eft capable de fentir. Mérope fait tout ce que fe-  CORRESP O ND ANCE. i% roit une tendre mère qui fe trouveroit dans fa fituation; elle parle comme nous parle le cceur, & facteur ne fait qu'exprimer ce que 1'on fent. J'ai fait écrire a Berlin pour la Mérope du Marquis Maffei, quoique je fois très-affuré que fa piéce n'approche pas de la vótre. Le peuple des favans de France fera toujours invincible, tant qu'il aura des perfonnes de votre ordre a fa tête; j'ofe même dire que je le redouterois infinlment plus que vos armées avec tous vos Maréchaux. Voici une ode nouvellement achevée, moins mauvaife que les précédentes; Céfarion y a donné lieu; cepauvre gargon a la goutte d'une violence extréme, il me l'écrit dans des termes qui me percent le cceur. Je ne puis rien pour lui que de lui prêcher la r patience, foible remède, fi vous voulez, contre des • maux réels, remède cependant capable de tranquillifer les faillies impétueufes de 1'efprit auxquelles les douleurs aiguè's donnent lieu. J'attends de votre franchife & de vorre amitié que vous voudrezbien me faire appercevoir les défauts qui fe trouvent dans cette piéce; je fens quej'en fuis père, & je me fais mauvais gréde n'avoirpas les yeux aflez ouverts fur mes productions, Tant 1'erreur eft notre appanage; Souvent un rien nous éblouit, Et de Pinfenfé jusqu'au fage, S'il juge de fon propre ouvrage,  ï?4 CO RRESPO NL ANCE', Par l'amour propre il eft féduit. Vous n'oublierez pas de faire mille aflurances d'eflime a Madame fa Marquife duCbateIet;dont 1'efprit ingénièux a bien voulu fe faire connoltre par un per.it échantillon. Ce n'eft qu'un rayon de foleil qui s'eft fait appercevoir a travers les images, que n'eft-cè point lorsqu'on le voit fans voileJ' Peut-être faut-il qne la Marquife cache fon efprit, comme Moyfe voiloit fon vifage, a caufè que le peuple d'Ifraëln'en pouvoït supporter la clarté. Quand même j'en perdrois la vue, il faut avant de mourirque je voie cette terre dè Canaan, ce pays des fages, ce paradis terreftre. Comptez fur 1'eftime parfaite & fur l'amitiê inviolable avec Iaquelle je fuis &c. ]\j.onfieur, j'ai été agréablement furpris par les vers que vous avez bien voulu m'adreffer; ils font' dignes de leur auteur. Le fujet-le plus ftérile devient fécond entre vos mains: vous parlez de moi,. & je ne me reconnois plus; tout ce que vous touchez fe convertit en or. - Ge sö Févier 1737. Mon nom féra connu par tes fameux écrits; Des temps injurieux affrontant les mépris, ]e rcnaitrai fans cefle autant que tes ouvrages  CORRESPOND ANCE. Triomphans de Penvie iront d'ages en ages De la poftérité recueillir les fiiffrages, Et feront en tous temps le charme des efprits. De tes vers immortels, un pied,un hémifliche Oü tu places mon nom comme un faint dans fa niche, Me fait participer a 1'immortalité Que le nom de Voltaire avoit feul mérité, Qui fauroït qu'Alexandre le grani exifla jadis, fr Quinte Curce & quelques fameux hifloriens n'euffent pris foin de nous transmettre 1'hiftoire de fa vie? Le vaiilant Achille & le fage Neftor auroient-ils échappé a 1'oubli des temps fans Homére qui les célébra? Je ne fuis, je vous affure, ni une efpèce ni un candidat de grand homme; je ne fuis qu'un fimple individu , qui n'eft connu que d'une petite partie du continent, & dont le nom, felon toutes les apparences, ne ft-rvira jamais qu'a décorer quelque arbre de généalogie, pour tornber enfuite dans ï'obfcurité & dans 1'oubli. Je fuis furpris de mon imprudence , lorsque je fais réflexion fur ce que je vous adrefl'e des vers.- je défapprouve ma témérité dans le temps que je retombe dans la même faute. Defpréaux dit: Qu'un &ne pour le moins, inftruit par Ia nature, A 1'inftincT: qui le guide obéit fans murmure, Ne va pas follement de fa bizarre voix DéHer en chanfons les rofiignols des bois.  18Ó CORRESPONDANCE. Je vous prie, Monfieur, de vouloir être moa maitre en fait de poëfie, comme vous le pouvez être en tout Vous ne trouverez jamais de difciple plus docile & plus fouple. Bien loin de m'offenfer de vos correftions , je les prendrai comme les marqués le plus certaines de 1'amitié que vous avez pour moi. Mon loifir entier me donne le temps de m'occuper a telle fcience qu'il me plak: je t|che de profiter de cette oifiveté, & de la rendre fage en m'appliquant a 1'étude de la philofophie & de 1'hiftoire, & en m'amufant avec la poëfie & la mufique. Je vis a préfent comme homme, & je trouve cette vie iufiniment préférable a la majeftueufe gravité & a la tyrannique contraitue des cours. Je n'aime pas un genre de vie mefuré a la toife; il n'y a que la liberté qui ait des appas pour moi. Des perfonnes peut-étre prévenues vous ont fait un portrait trop avantageux de moi; leur amitié m'a tenu lieu de mérite. Souvenez-vous, Monfieur, je vous prie de la defcription que vous faites de la Renommée. Dont la bouche indifcrète én fa légèreté Prodigue le menfonge avec la vérité. Quand des perfonnes d'un certain rang remplisfent la nnitié d'une carrière, on leur adjuge le prix que les autres ne recoivent qu'aprés 1'avoir achevée. D'ou peut venir une fi étrange différence ?  CORRESPONDANCE. 187 Ou bien nous fommes moins capables que d'autres de faire bien ce que nous faitons, ou des adulateurs viis relèvent & font valoir nos moindres actions. Le défunt roi de Pologne calculoit de grands nombres avec affez de facilité: tout le monde s'empreffoit a vanter fa haute fcience dans les mathématiques; il ignoroit jusqu'aux élémens de 1'algèbre. Difpenfez-moi, je vous prie , de vous citer plufieurs autres exemples que je pourrois vous alléguer. 11 n'y a eu de nos jours de grand prince véritablement inftruit que le Czar Pierre I. II étoit non feulement législateur de fon pays, mais il poffédoit parfaitement 1'art de la marine. 11 étoit architefte, anatomïfte, chirurgien, (quelquefois dangereux,) foldat expert, écono. me ,confommé enfin pour en faire'un modèle detous les princes, il auroit fallu qu'il eüt eu une éducation moins barbare & moins féroce que celle qu'il avoit reque dans un pays oü 1'autorité abfolue n'étoit connue que par la cruauté. On m'a affuré que vous étiez amateur de lepeinture; ('eft ce qui m'a détarminé a vous envoyerla téte de Socrate, qui eft affez bien travaillée. Je vous prie de vous contenter de mon intention. J'attends avec une véritable impatience cette philofophie & ce poëme qui mènent tout droit a la ciguë : je vous affure que je garderai un fecret inviolable fur ce fujet; jamais perfonné n'apprendra que vous m'avez envoyé ces deux pièces, &bien moins feront-elles,vues; je m'en fais une affaire  m CORRE SP O ND ANCE. d'honneur; je ne puis vous en dire davantage* fentant toute 1'incignité qu'il y auroit a trabir, foiï par imprudence, foit par indifcrétion un ami que j'eftime & qui m'oblige. Les miriftres étranger» font des efpions privilégiés des cours: ma confiance n'eft pas aveugle, ni deftituée de prévoyance fur leur fujet. D'oü pouvez-vous avoir 1'épigramme que j'ai fake fur M. la Ctor.e? Je ne 1'ai donnée qu'a lui. Ce bon grosfavantoccafionna ce badinage , c'étoit une faillie d'imaginatiou, dont la pointe confifte dans une équivoque affez triviale, & qui étoit palfable dans les circonftances dans lesquelles je la compofai , mais qui d'ailleurs eft affez infipide. La piéce du père Tournemine fe trouve dans Ia Bibliothêque fraricoife; M. la Croze 1'a lue. li hak les jéfuites comme les chrétiens le Diable, & n'eitime d'autres religieux que ceux de la congré» gation de faint Maure, dans 1'ordre desquels il a été. . Vous voila donc parti de Hollande: je fentkai le poids de ce doublé éloignement; vos lettres feront plus rares, & mille empêchemensfacheux concourront a rendre votre correfpondance moins fréquente. Je me fervirai de 1'adreffe que vous medonnez du Sieur du Breuil; je lui recommanderai fort d'accélérer autant qu'il pourra 1'envoi de mes lettres & le retour des vötres. Puifïïez vousjouir i Cirey de tous les agrémens de la vie! Votre bonKeur n'égalera jamais les vceux que je fais pour.  CORRESPOND ANCE. i?g -vous, ni. ce que vous méritez, Marquez, je vous prie, a Madame Ia Marquife du Chateler, qu'il n'y a qu'a elle feule a qui je puifl;e me réfoudre de céder M. de Voltaire comme il n'y a auffi qu'elle feule qui foit digne de vous poiTéder. Quand même Cirey feroit a 1'autre bout du monde, je ne renonce pas a la fatisfaétion-rïé m'y rendre un jour. 'On a vu des rois voyager pour demoindresfujets, & je vous allure que ma curiofité égale 1'eüime que j'ai pour vous Eft-il étonnant que je défire de^voir l'homme le plus digne de 1'immortalité, & qui la tient de lui - même ? Je fuis avec toute 1'eftime imaginable Votre trés - affeetionné ami. Je viens de recevoir des lettres de Berlin, d'ou fon m'écrit quele Réfident de 1'Empereur a reeu la Pucelle imprimée: ne m'accufes pas d'indifcrétion. Kérnjsberg, le 6 Mars 1737. JVIonfieur, il n'y a pas jusqn'a votre maniêre de cacheter qui ne me foit garant des attentions obligeantes que vous avez pous moi. Vous me parlez d'un ton extrêmement flatteur. Vous me comblez de Iouanges, vous me donnez des titres qui n'appartiennent qu'a de grands hommes , & je fuccombe fou3 le faix de vos Iouanges. Mon  Ijo CORRE&PONDANCE. empire fera bien petit, ivlonficur,s'il n'esr compofé que de fujets de votre mérite. Faut-ildes rois pour gouvernerdes philofophes ? designorans pour conduire des gens inftruits ? en un mot des hommes efclaves de leurs paffions pour contenir les vices de ceux qui les fuppriment, non paria craintedes chatimens, non par la puérile appréhenfion desenfers & des démons, mais par amour de la vertu? La raifon eft votre guide; elle eft votre fouveraine. Henri le grand eft le faint qui vous protégé ; une affiftance étrangère vous feroit fuperflue. Cependant, fi je me voyois, relativeinent au pofte que j'occupe, en état de vous faire reftentir 1'effet des fentimens que j'ai pour vous, vous trouveriez en moi un faint qui ne fe feroit jamais invoquer en vain. Je commence par vous en donsier un petit échantillon: il me paroit que voas fouhaitez d'avoir mon portrait; vous le voulez,je 1'ai commandé fur 1'heure. Pour vous montrera quel point les arts font en honneur chez nous, apprenez, Monfieur, qu'il n'eft aucune fcience que nous ne tachions d'anoblir. Un de mes gentilshommes, uommè Knobelsdorf, (qui ne borne pas fes talens a lavoir manier le piuceau,) a fait ce portrait: 11 fait qu'il travaillé pour vous & que vous étes connoifleur, c'eft un a:guillon fuffifar.t pour 1'animer a fe furpaiTer. Un de mes intimes amis, le Baron de Kayfer» ling, ou Céfarion, vous readra mon effigie; il feia a Cirey vers la fin du mois prochain; vous  CO RR ESP O ND ANCE. lp: jugerez en le voyant s'il ne mérite pas 1'eftime dé tout honnête homme. Je vous prie, Monfleur, de vous confier a lui. II eft chargé da vous prelTer vivement au fujet de la Pucelle,de Ia Philofophie de Newton, de 1'Hiftoire de Louis XIV & de tout ce qu'il pourra vous extorquer. Comment répondre & vos vers, a moins que d'étre né poëte? Je ne fuis pas affez aveugléfur mol-même pour m'imaginer que j'aye des talens pour la verfification. Ecrire dans une langue étrangère, y cornpofer des vers & qui pis eft fe voir défavoué d'ApolIon, c'en eft trop. Je rime pour rimer, mais eft-ce être poëte Que de favoir marquer le repos dans unvers, Et fe fentant prefTé d'une ardeur indifcrète, Aller pfalmodier fur des fujet divers? Mais lorsque je te vois t'élever dans les airs, Et d'un vol affuré prendre 1'effor rapide, Je crois dans ce moment que Voltaire me guide. Mais non, Icare tombe. & périt dans les mers. En vérité, nous autres poëtes, nous promettons beaucoup & tenons peu. Dans le moment même que je fais amende honorable de tous les mauvais vers que je vous ai adreffés, je tombe dans la même faute. Que Berlin devienne Athènes, j'en accepte 1'augure; pourvu qu'elle foit capable d'attirer M. -ie Voltaire , elle ne pourra manquer de devenir  i$a CO R RE SPO ND ANCE. une des villes les plus célèbres de 1'Etirope. Je me rends, Monfieur, a vos. raifons; vouS juftifiez vos vers k merveille. Les Romains ont eu des bottes de foin en guife d'étendards, j'y confens. Vous m'éclairez , vous m'inflruifez , vous favez me faire tirer profit de mon ignorance même. Par oü mon régiment a-t-i'1 pu exciter votre curiofi-té ? Je voudrois qu'il ftït connu par fa bravoure & non par fa beauté Ce n'eft pas par un vain appareil de pompe & de magiiificence, par un éclat extérieur qu'un régiment doit briller. Les troupes avec lesquelles Alexandre s'alïiijettit la Grèce & conquit la plus grande panie de l'Afie , étoient conditionnées bien différemment. Le fer faifoit leur unique parure , elles étoient par une longue & pénible habitude endurcies aux travaux ; elles favoient endurer la fairn, la foif & tous les maux qu'entralne apré? foi 1'apreté d'une longue guerre; une vigoureufe & rigide difcipline les uniffoit intimement enfemble,les faifoit toutes concourir a un même but, & les rendoit propres a exécuter avec promptitude & vigueur les deffeins les plus vaftes de leurs généraux. Quant aux premiers temps de 1'hiftoire romaine, je me fuis vu engagé a foutenir fa vérité, & cela par un motif qui vous furprendra. Pour vous 1'expliquer, je fuis obligé d'entrer dans un détail que je tacherai d'abréger autant qu'il me fera poffible. II  CORRESPOND ANCE. l'i y a quelques années qu'on trouva dans un manus» crit du Vacican 1'hifloire de Rémus & de Rornulus rapportée d'une manière toute différente de eelt» qu'on connolt. Ce raanufcrit fait foi que Rémus s'échappa des pourfuites de fon frète, & que pour fe dérober a fa jaloufe fureur, il fe réfugia dans les pro vinces feptentrionaies de la Gerinanie, vers les rives de 1'Elbe; qu'il y batit une ville fituée auprès d'un grand lac, k Iaquelle il donna fon nom, & qu'après fa mort il fut inhumé dans une ile, qui s'élevant du fein des eaux forme une efpèce de montagne au milieu du lac. Deux moines furent ici il y a quatre ans de la part du Pape pour découvrir 1'endroit que Rémus a fondé. Salon la defcription que je viens de faire, ils ont jugé que ce devoit être Rémusberg, ou comme qui diroit Monte Rémus. Ces bons pères ont fait creufer dans File & de tout cöté, pour découvrir les cendres de Rémus. Soit qu'elles n'ayent pas été confervées affez foigneufemeut , ou que le temps qui détruit tout, les ait confondues avec la terre, ce qu'il y a de für, c'eft qu'ils n'ont rien trouvé. Une tradition, qui n'eft pas plus avérée que celle-la , c'eft qu'il y a environ cent ans, qu'en pofant les fondemens de ce chateau , on trouva deux pierres fur lesquelles étoit gravée 1'hiftoire du vol des vautours; quoique les figures ayent été fort effacées, on en a pu reconnoitre quelque chofe. Nos gothiques aïeux, malheureufeinent fort ignorans, & peu curieux d'antiquités, Oeuv. Pofih.de Fr, ILT.VIIl. I  194 CORRESPOND ANCE. ©nt négligé de nous conferver ces précwux monumens de fhiftoire , & nous ont par conféquent laiifés dans une incertitude obfcure fur Ja vérité d'un fait fi important. On trouva il n'y a pas trois mois en remuant la terre dans le jardin une urne & des monnoies romaines , mais qui étoient fi vkilles que le coin en étoit presque touteffacé; je les ai envoyées a M. la Croze; il a jugé que leur antiquité pouvoit être de dix-fept a dix-huit fiècles. J'efpére, Monfieur, que vous me faarez gré de 1'anecdote que je viens de vous apprendre, & qu'en fa faveur vous excuferez 1'intérêt que je prends a tout ce qui peut regarder 1'hiftoire d'uu des fondateurs de Rome, dont je crois conferver Ia cendre: d'aüeurs on ne m'accufe point de trop de crédulité; fi je pêche, ce n'eft pas parfuperfiition. Ma foi fe défiant même du vraifemblable, En évitant l"ferreur cherche la vérité; ' Le grand, le merveilleux approchent de la fable, Le vrai fe reconnolc a fa fimplicité. L'amour de la vérité & 1'horreur de 1'injufiice m'ont fait embraffer le parti de M. Wolf. La vérité, nue a peu de pouvoir fur 1'efprit de la plupart des hommes; pour fe montrer, il faut qu'elle foit revêtue du rang, de la dignité & de la proteétion des grands. L'ignorance, le fanatisme, la fuperftiiion, «n zèle aveugle mêlé de jahjufia ont pour-  CORRESPONDANCE. 105 fuivi M. Wolf; ce font eux qui lui ont imputé des crimes, jusqu'a ce qH'enfin le monde commence d'appercevoir 1'aurore de fon innocence. Je ne veux point m'arroger une gloire qui ne m'eft point düe, ni tirer vanité d'un méiite étranger. Je puis vous affurer que je n'ai point traduit la méraphyfique de Wolf5 c'eft un de mes amis a qui fhonneur en eft dü. Un enchainement d'événemens l^a conduit en Rufïïe , oü il eft depuis quelques mois, quoqu'il méritat un meilleur fort. Je n'ai d'autre part a cet ouvrage que de 1'avoir occafiunné, & celui de la correction; le copifte tient le refte de la traduction entre fes mains, je I'attends tous les jours, vous l'auraz dans peu. Le fouvenir d'Emilie m'eft bien flatteur; je vous prie de 1'aflurer que j'ai des fentimens trés-diftingués pour elle. Car 1'Europe la compte au rang des plus grands hommes. Que pourrois-je refufer a Newton Venus, a Ia plus haute fcience revêtue des agrémens de la beauté, des charmes de Ia jeuneffe, des graces & des appas? La Marquife -du Chatelet veut mon portrait (ce feroit a moi a lui demander Ie fien ;^ j'y foufcris; chaque trait de pinceau fera foi de 1'admiration que j'ai pour elle. J'envoie cette lettre, par le canal du fieur da Breuil Tronchin, a 1'adreffe que vous m'avez indiquée. Je crois qu'il feroit bon de prendre des mefures avec Ie mattre de pofte de Treves pour I 2  jjrtS CORRESPOND ANCE. régler notre petite correfpondance. J'attendrai que vous ayez pris des arrangemcns avec lui fur ce fujet, avant de me fervir de cette voie. Quand le plus grand homme de la France n'aura-t-til plus befoin de tant de précautions? Vos compatriotes feront-ils les feuls k vous envier la gloire qui vous eft düe ? Sortez de cette ingrate patrie, & venez dans un pays oü vous ferez adoré; que vos talens trouvent un jour dans cette nouvelle Athènes leur rémunérateur. Amène dans ces lieux la foule des beaux arts; Fais-nous part du tréfor de ta philofophie. Des peuples de favans fuivront tes étendards; Eclaire-les du feu de ton puifTant génie. Les myrtes, les lauriers foignés dan ces cantons Attendent que cueillis par les mains d'Emilie Ils fervent quelque jour a te ceindre le front; J'en vois crever RoufTeau de fureur & d'envi?. ( Vos lettres me font un plaifir infini, mais je vous avoue que je leur préfèrerois de beaucoup la fatisfaétion de m'entretenir avec vous, & de vous affurer de vive voix de la parfaite eftime avec la. quelle je fuis a jamais &c. Rémusberg, le 7 d'Avril 1737.  CORRE SP O ND ANCE. *97 jjyionfieur, je viens de recevoir votre lettre fous date du 17 Avril; elle eft arrivée affez vite; je ne fais (Foü vient que les miennes ont été fi long-temps en chemin. Que votre indulgence pour mes vers me paroit fufpefte! Avouez-le, Monfieur, vous craignez le fort de Philoxène 5 vous me eroyezuti Denys; fans quoi votre langage auroit été tout différent, ün ami fincère dit des vérités défagréables, mais falutaires. Vous auriez critiqué le monument & les funérailles placés avant les batailles dans la flrophe quatrième de 1'ode, vous auriez condamné la iïgure du chagrin défarmé qui eft trop hardie &c. En un mot, vous m'auriez dit, émondezmoi ces rameaux trop épars. Que fert-il & un borgne qu'on 1'affure qu'il a la vue bonne, en; voit-il mieux? Je vous prie , Monfieur, foyez mon cenfeur rigide, comme vous êtes déja mon exemple & mon maitre en fait de poëfie. Ne vous en tenez pas aux ongles de Ia figure d'un trèsignorant fculpteur, corrigez tout 1'ouvrage. Je vousenvoie la fuite de la traduétion de Wolf jusqu'auparagraphe 770. Vous en aurez la fin par mon cher Céfarion, mon petit ambaiïadeur danslapro-vince de la raifon, au paradis terreftre. Je ne chercherois pas ma fouveraine félicité dans 1'éclat; de Ia magnificeuce, mais dans une volupté pure, & dans le commerce des êtres les plus raifonna1 3  !J»8 CQRRESPOND ANCE. klas parmi les mortels: en un mot fi je pouvots «lifpofer de ma perfonne, je me rendrois moi - méme a Cirey, pour y raifonner tout mon foul, je vous compte a la téte de tous les étres penfans j certes le créateur auroit de Ia peine a produire uo ffprit plus fublime que Ie votre, Génie heureux que Ia nature De fes dons combla fans mefure. Le Ciel, jaloux de fes faveurs, Ne iait que rarement de brillans caraftéres-; U pétrit la de ces humains vulgaires, De ces gens faits pour les grandeurs, Mais hélas J dans mille ans qu'on voit peu de Voltaiies! Mon portrait-s'achevera anjourdhui, Ie peintre s'évertue de faire de fon mieux. Je vous dois déja quelques coups de gra-ces, mais en conference j'ai cru devoir vous en avertir. Pourrois-je finir sa a lettre fans y inférer un article pour Emilie? Faites-lui, je vous prie, bien des affiirances de ma parfaite eftitne. Vous devriez bien me faire avoir fon portrait, car je n'oferois le lui demanAsr. Si mon corps pouvoit voyager comme mes penfées, je vous affurerois de vive voix de Ia parfaite eliime & de la confideration avec Iaquelle je fuis &c. A Rerausberg le 9 Mai 1737,  CORRESPO ND ANCE. 19* IVïonfieur, je vous prie d'excufer Pinjuflice qne j'ai faite a votre fincérité dans ma dernière lettre: je fuis charmé de m'être trompé & de voir qne vous me connoilTez affez pour vouloir me corriger. Je paffe condamnation au fujet de mon ode; je conviens de toutes les fautes que vous me reprochez; mais loin de me rebuter, je vous iraportunerai encore de quelques unes de mespièces, que je vous prierai de vouloir corriger avec te même févérité: fi je ne profite autre chofe, je trouve toujours ce moyen heureux pour vous efcroquer quelques bons vers. Les graces qui partout accompagnent vos pas, En prêtant a mes vers le tour qu'ils n'avoient pas, Suppléent par I«urs foins a mon peu depratique , Ornent de mille fleurs mon ode profaïque, Et font voir par 1'effet d'un affez rare effort Que ce que vous touchez fe convertit en or. Je paffe a préfent a la philofophie. Vous fuivez en tout la route des grands génies, qui loin de fe fentir animés d'une baffe & vilc ja loufie, efiiment le mérite oü ils le rencontrent, & le prifent fans prévention. Je vous fait des complimens a ia place de M. Wolf fur la manière avautageufe 1 4  200 CORRESPOND/iNCE. dont vous vous expliquez fur fon fujet. Je vors > Monfieur, que vous avez trés - bien compris les difficultds qu'il y a fur 1'être fimple; foufltez quë j'y réponde. Les géomètres prouvent qu'une ligne peut être divifée a l'infini, que tout ce qui a deux cótés ou deux faces, ce qui revient au même, peut 1'étre également; mais dans la propofition de M. Wolf, il nes'agit, fi je nemetrompe, ni de ligne, ni de poinrs; il s'agit des unités ou parties indivifibles qui compofent la matière: p  CO RRESP OND ANCE. 203 tiroient aucun profit de la courte durée de leur vie, Que j'approuve un philofophe qui fait fe délalTer dans les bras d'Emilie! je fais bien que je préfèrerois infinimentfa connoiffauce a celle du een. tre de gravité, de la quadrature du cercle, del'or potable &c. Vous parlez, Monfieur, en homme inftruit fur ce qui regarde les princes du nord; ils ont inconteftablement de grandes obligations a Luther & a Calvin, (pauvres gens d'ailleurs,) qui les ont affranchis du joug des prêtres, & ont augmentd leurs revenus tres - coufidérablement par la fécularifation des biens eccléfiaftiques: leur reltgion cependant n'eft pas purifiée de fuperüitieux & de bigots. Nous avons une feéte de bdats qui ne reflemblent pas mal aux presbytériens d'Angle. terre, & qui font d'autant plus infupportables-, qu'ils font d'une aigreur & d'une roideur inflexi» ble envers tous ceux qui ne font pas de leur avis. On eft obligé de cacher fes fentimens pour ne fe point faire d'ennemis mal a propos. C'eft unproverbe commun , & qui eft dans la bouche de tout le monde, de dire: cet homme n'a ni foi r.i icü Cela vaut feul la décifion d'uuconcile. L'011 vous condamne fans vous entendre, & 1'on vous perfécute fans vous connoitre r. & d'ailleurs atwquer la religion refiie dans un pays, c'eft attaquer dansfon dernier reiranchement l'amour propte des-hommes, qui leur fait préférer ce qu'ils croient , fans favoir pourquoi, a toute foi dtrangère & a toutes les obje&ions qu'on pourroit leur faire. 1 6  ae-4 CORRE SP 0 ND ANCE. Je penfe comme vous, Monfieur, au fujet de M. Bayle. Cé Jurieu qui le perfécutoit, oublioit le premier devoir de la religion, qui eft la charité. M. Bayle me parolt d'ailleurs d'autant plus eftimable, qu'il étoit de la feéte des académiciens, qui ne faifoient que rapporter fimplement le pour & Ie contre des queftions, fans décider témérairement fur des fujets dont nous ne pouvons découvrir que les abymes. II me femble que je vous vois a tablè, Ie verre en main, vous reftbuvenir de votre ami, II m'eft plus flatteur que vous buviez a ma fanté, que de voir élever en ma faveur les temples qu'on érïgeoit a Augufte. Brutus fe contentoit de 1'approbation de Caton Les fuftrages d'un fage me fuffifenr. Que vous prêtez un fecours puilTant a mon amour propre! Je lui oppofe fans ceffe 1'amitié que vous avez pour moi: Mais qu'il eft difficile de fe ren* dre juftice, & combien ne doit-on pas étre en garde contre la vanité a IaqueUe nous nous fentons ■une pente fi naturelle! Mon petit ambafiadeurpartira dans peu, muni d'une lettre decréance, &du portrait que vous voulez avoir. Des occupations militaires ont retardé fon départ; il eft comme le Mefllè annoncé, jè vous en parle toujours & il «'arrivé jamais. C'eft a lui que je vous prie de remettre tout ce que vous voudrez confier a ma Jifcrétio». Je fuis avec une trés - parfaite eftime &c. Ruppin , ce sa de Msi i737«  CORRESPONBANCE. 20$. Je n'ai pas été le dernier a m'appercevoir que notre oorrefpondance languilToit. II y avoit enviroti deux mois que je n'avois recu de vos nouvelles, quand ie fis partir il y a kuit jours un grand paquet pour Cirey. L'amitié que j'ai pour vous m'alarmoit infinirnent; je m'iraaginois que des indifpofitions vous empêchoient de me répondre, & j'appréhendois quelquefois méme que Ia délieateffe de votre tempérament n'etit ,cédé a la violence & a 1'acharnement de la maladie; enfin j'étois dans la fituatiou d'un avare qui croit fes tréfors en un danger évident. Votre lettre vient fur ces entrefaites; elle diffipe non feulement mes craintes, mais elle me fait encore fentir tout le plaifir qu'un commerce comme le votre peut produire. Etre en correfpondance, c'eft être en trafic de penfées; mais j'ai cet avantage de notre trafic que vous me donnez de retour de 1'efprit & des vérités. Qui pourroit être affez brut ou affez peu intéreffé pour ne pas chénr un pareil commerce ? En vérité, Monfieur, quand on vous connoit une fois, on ne fauroit plus fe paffer de vous; & votre correspondance m'eft devenue comme une néceffité indifpenfable de la vie: vos idéés fervent de nourriture a mon efprit. Vous trouverez dans le paquet que je viens de dépêcher fhiftoire du Czar Pierre I; celui qui 1'a 1 7  *o6 CORRE SPONDANCE. écrite a ignoré abfoluiuent a quel ufage je la deftinois: il s'efl imaginé qu'il n'écrivoit que pour ma curiofité, & par cette raifon il s'efl cru permis de parier avec toute la liberté poffible du gouvernement & de 1'état de la Ruffie. Vous trouveres daas cette hiftoire des vérités qui dans le fiècle ou. nous fommes ne fe component guêre avec 1'imprefïïon. Si je ne me repofois entièrement fur votre prudence, je me vèrrois obligé de vous avertir que de certains faits contenus dans ce manufcrit doivent être ou retranchés tout a fait, ou du moins traités avec tout le ménagement imaginable; autrement vous pourriez vous expofer au relTenth ment de la cour de Rufiie ■> on ne manqueroit pas de me foupconner de vous avoir fournir les anecdotes de cette hiftoire, & ce foupcon retomberoit infailliblement fur 1'auteur qui les a compilées. Cet ouvrage ne fera pas lu, mais tout le monde ne laifTera pas de vous admirer. Qu'une vie con» templative elt différente de ces vies qui ne font qu'un tiffu continuel d'aétions ! Un homme qui ne s'occupé qu'apenfer, peut penfer bien & s'exprimer mal; mais un homme d'aftion, quand même il s'exprimeroit avec toutes les graces imagiuables, »e doit point agir foiblement-, c'eft une pareille foibleffe qu'on reprochoit au Roi d'Angleterre Charles II. On difoit de ce prince qu'il ne lui étoit jamais échappé de parole qui ne fut bien placée, & qu'il D'avoit jamais fait d'aétion qu'on put aommer louable. II arrivé fouvent que ceux  COR R E SPOND ANCE. 307 qui déclament le plus contre les aftions de autres, font pis qu'eux Iorsqu'ils fetrouvent dans lesmêmes circonftances. J'ai lieu de craindre que cela ne m'arrrve un jour, puisqu'il eft plus facile de critiquer que de faire, & qu'il eft plus facile de donner des préceptes que de les exécuter: & après tout les hommes font fi fujets a fe laiiï'er féduire, foit par la préfomption , foit par 1'éclat de leur grandeur, ou par 1'artifke des méchans, que leur religion peut être furprife, quand même ils auroienc eu les intentions les plus intêgrcs & les plus droites. L'idée avantageufe que vous vous faites de moi ne feroit-elle pas fondée fur celle que mon cher Céfarion vous en a donnée ? En vérité on eft biert heureux d'avoir un tel ami; mais après tout fouffrez que je vous détrompe & que je vous tracé en deux mots mon caractère, pour que vousne vous y mépreniez plus, a cpndkion toutefois que vous ne m'accuferez pas du défaut qu'avoit défunt votre ami Chaulieu, qui parloit toujours de luiméme. Fiez-vous a ce que je vais vous dire. J'ai peu de mérite & peu de favoir, mais j'ai beaucoup de bonne volonté & un fonds inépuifable d'eftime & d'amitié pour les perfonnes d'une vertu diftinguée; & avec cela je fuis capable de toute la conftance que la vraie amitié exige* j'ai affez de jugement pour vous rendre toute la juftice que vous méritez, mais je n'en ai pas affez pour m'em«. pécber de faire de mauvais vers.  tot CORRESPONDANCE, Vous recevrez de ces mauvais vers en affez: bon nombre par le dernier paquet que je vous ai adrelfé. La Henriade & vos magnifiques piècesde poëfie m'ont engagé a faire quelque chofe de fembiable; mais mon defi'ein eft avorté, & il eft jufte que je rec-oive le correétif de celui dont m'eft venue la tentation. Rien ne peut égaler la reconnoiffance que j'ai de ce que vous vous êtes donné la peine de corriger mon ode; vous m'oblibligez fenfibletnent par la; auffi ne faurois-je affez me louer de votre généreufe fincérité. Mais com« ment pourrois-je remettre la main a cette ode, après que vous l'avez rendue parfaite? & comment pourrois-js fupporter mon bégayement, après vous avoir entendu articuler avec tant de charmes? Si ce ce n'étoit pas abufer de votre amitié, & vous dérober de ces momens que vous employez fi utilement pour le bien du public ,. pourrois-je vous prier de me donner quelques régies pour diftinguer les mots qui conviennent aux vers, de ceux qui appartiennent a la profe ? Defpréaux ne touche point cette matière dans fon art poëtique, & je ne fache pas qu'un autre auteur en ait traité. Vous pourriez, Monfieur, mieux que perfonne, m'inftruire d'un art dont vous faites 1'honneur & dont vous pourriez être nommé le père. L'exemple de Fincomparable Emilie m'anime & m'encourage 1'étude. J'implore lé fecours des deux Divinités de jCirey, pourm'aider a furmonter les difficultés qui s'offreii: daus mon ch,emiHvous êtes mes La-  CORRESP O N D A NCE. zo? rss & mes Dieux tutélaires, qui préfidez dans mon Lycée & dans mon Académie. La fublime Emilie, & le divin Voltaire, Sont de ces préfens précieux Qu'en mille ans une fois ou deux Daignent faire les Cieux pour honorer la terre. V. .1 il n'y a que Céfarion qui puiffe vous avoir communiqué des pièces de ma mufique. Je crains fort que des oreilles francoifes n'ayent guère été flattées par des fons italiens, & qu'un art qui ne touche que les fens ne puifle pas plaire a des per. fonues qui trouvent tant de charmes dans des plaifirs intelleftuels. Si cependant il fe pouvoit que ma mufique eüt eu votre approbation, je m'engagerai volontiers a chatouiller vos oreilles pourvu que vous ne vous laffiez pas de m'inftruire. Je vous prie de faluer de ma part la Déefte Emilie, & de 1'aflurer de mon admiration. Si les hommes font eftimables defouler aux pieds lespréjugés & les erreurs, les femmes le font encoredavantage, paree qu'elles ont plus de chemin a faire avant d'en venir la, & qu'il leur faut plus détruire que nous avant de pouvoir édifier. Que Ia Marquife du Chatelet eft louable, d'avoir préféré l'amour de la vérité aux illufions des fens, & d'aban» donner les plaifirs faux & paifagers de ce monde pour s'adonner entièrement a la recherche de la philofophie la plus fublime!  aio CO RRESPOND A NCE On ne fauroit réfuterM. Wolf plus poliment que vous ne le faites. Vous rendez juftice a ce grand homme, & vous remarquez en méme temps les endroits foibles de fon fyftême; mais c'eft un défaut commun a tout fyftême d'avo'run cóté moins fortifïé que le refte. Les ouvrages des hommes fe reflentent toujours de 1'humanité, & ce n'eft pas de leur efprit qu'il faut attendre des productions parfaites. En vain les philofophes combattent-ils Terreur: cette hydre ne fe laiffe point abattre; il y parolt toujours de nouvelles têtes amefure qu'on en a coupé quelqu'une; & fouvent i! arrivé que des cendres d'une erreuren renaiflent de nouvelles.' En un mot, le fyftême qui contient le moins de con» tradiétion, le moins d'impertinences, & les abfurdités les moins groffières, doit être regardé comme le meilleur. Nous ne faurions exiger avec justice que Meffieurs les méthaphyficiens nous donnent une carte exafte de leur empire. On feroit bien embarraffé de faire la defcription géographique d'un pays qu'on n'a jamais vu, dont on n'a aucunes nouvelles, & qui eft inacceffible, auffi ces Meffieurs 11e font ils que ce qu'ils peuvent: ils nous débitent leurs romans dans 1'ordre le plus géométrique qu'ils ayent pu imaginer, & leurs raifonnemens, femblables a des toiles d'araignées, font d'une fubtilité presqae imperceptible. Si des Descartes, des Locke, des Newton, des Wolf, n'ont pu deviner le mot de 1'énigme, 1'on peut sroire & même affirmer que la poftérité ne fera  CORRESPONDANCE. au pas plus heureufe que nous dans fes découvertes. Vous avez confidéré ces fyftèmes en fage. Vous en avez vu finfuffifance, & vous y avez ajouié des réflexions três-judicieufes; mais ce tréfcrque je pofledois par procuration eft entre les mains d'Emilie; je n'oferois le réclamer, malgré 1'envie que j'en ai, & je me contenterai de vous en faire fouvenir modeftement, pour ne pas perdre mee droits. En vérité, Monfieur, fi la nature a le pouvoir de faire une exception a la régie générale , elle en doit faire une en votre faveur; & votre ame devroit étre immortelle, pour la récom» penfe de vos vertus. Le Ciel vous a donné des gages d'une prédileélion fi marquée, que dans le cas d'un avenir j'ofe vous répondre d'une félicité éternelle. Cette lettre vous fera remife par Ie miniftère de Thiriot. Je voudrois non feulement que mon efr prit eut des ailes, pour qu'il put fe rendre a Cirey,mais je voudrois encore que ce moimatériel, enfin ce véritablemoi-tnêmeen eüt, pour vous affurer de bouche de 1'eftime infinie avec Iaquelle je fuis &c. ~ En 1737. IVIonfieur, fi j'étois poëte, j*auroïs répondu en vers aux ftances charmantes de votre dernière lettre; mais des revues, desvoyages, des coliques  212 CO RRESPONDANCE. & des fièvres ont fi fort bouché ma veine, crue Phébus eft demeuré inexorable aux prières que je lui ai faites de m'infpirer fon feu divin. Rêmusberg eft Ia feule oü je voudrois aïïerï Ce vers m'a caufé le plus grand plaifir du monde; je 1'ai Lu plus demiile fois. Ce feroit une apparition bien rare dans ce pays qu'un génie de votre ordre,un hommelibre de préjugés,& dont 1'iniagi* nation viveeft gouvernée par la raifon. Quel bonheur pourroit égaler le mien, fi je poavois nourrir mon efprit du votre, & me voir guidé par vos foins dans le chemin du beau! Je ne vous ai donné 1'hiftoire de Rémus qne pour ce qu'elle vaut. Les origines des nations font poHr Ia plupirt fabuleufes; elles ne prouveni que 1'antiquité des établifiemens: mettons 1'anecdote de Rémus a cóté de 1'hiftoire de la fainte ampoule & des opérations magiques de Merlia. . Les antiquaires a capuchon ne feront jamais ni »es hiftoriographes ni les directeurs de ma confcience. Que votre facon de penfer eft différente de celle de ces fuppöts de 1'errenr! vous aimezla vérité, ils aiment la fuperftition; vous pratiquez les vertus chrétiennes-, ils fe contentent de les en* feigner; ils calomnient, & vous pardonnez. Si j'étoits catholique, jene choifirois ni faint Francois d'Afiife, ni faint Br'uno pour mes patrons;, j'irois droit a Cirey, oü je trouverois des vertas  CO R RE S PO ND ANC E. si3 & des talens fupérieurs en tout genre a ceux de la haire & du froc. Ces rois fans amitié & fans retour dont vous me parlez, me paroilTeut reflembler a labücheque Jupiter donna pour roi aux,grénouilles. Je ne con« nois 1'ingratitude que par le mal qu'elle m'a fait; je puis même dire, fans vouloir affecter des fentimens qui ne me font pas naturels, que je renoucerois a toute grandeur, fi je la croyois inconv patible avec 1'amitié; vous avez bien votre part a la mienne. Votre naïveté, cette fincérité & cette noble' confiance que vous me témoignez dans toutes les occafions, méritent bien que je vous donne le titre d'ami. Je voudrois que vous fufliez le profefleur des princes, que vous leur apprifliez a être hommes, a avoir des cceurs tendres, que vous leur filïïez connoltre le véritable prix des grandeurs, & le devoir qui les oblige è contribuer au bonheur des bumains. Mon pauvre Céfarion a été arrété tout court par la goutte: il s'en eft défait tant bien qu'il a pu, & s'eft mis en chemin pour Cirey; c'eft a vous de juger s'il ne mérite pas toute 1'amitié que j'ai pour lui. En prenant congé de mon pet:": ami, je lui ai dit: fongez que vous allez au paradis terrefire, & a un endroit mille fois plus délicieux que 1'lle de Calypfo ; que la Déefle de ces lieux ne le cède en rien a la beauté de l'enchanterelTe de Télémaque, que vous trouverez en elle les agrémens de 1'efprit fi préférables a ceux du corps, que cette  *H CORRE SP O ND ANCE. merveille occupé fon loifir par Ia recherche de Ia vérité; c'eft la qne vous verrez 1'efprit hnmain dans fon dernier degréde perfeétfon, la fagefle fans auftértté entourée des tendres amours & des ris. Vous y verrez d'un cóté le fublime Voltaire, & de 1'autre 1'aimable auteur du Mondain, celui qui fait s'éleverau niveau de Newton, & qui fans s'avilir fait chanter Phyllis devenue Marquife; de quelle facon, mon cher-Céfarion, pourra-t-on vous faire abandonner un féjour fi plein de charmes? que les liens d'une vieille amitié feront foibles contre tant d'attraits! Je remets mes intéréts entre vos mains; c'eft a vous, Monfieur, de me rendre mon ami ; il eft peut être 1'unique mortel digne de devenir citoyen de Cirey; mais fouveiiez-vous que c'eft tout mon bien , & que ce feroit une injuftice criante que de me Ie ravir. j'efpère que mon petit ambaffadeur reviendra chargé de votre toiforr d'or, c'eft a dire de votre Pucelle, & de tant d'autres pièces a moitié promifes, mais plus encore impatiemment attendues. Vous favez que j'ai un goüt déterminé pour vos ouvrages; il y auroit plus que de la cruauté a me les refufer. II me femble que la dépravation du, goüt n'eft pas fi générale en France que vous Ie croyez. Les Francois connoiftent encore un Apollon a Cirey; des Fontenelle, des Crébillon, des Rollin pour la clarté & la beauté du ftyle hiftorïque, des Olivet pour Ia traduction,des Bernard& des Gteilet, dont les Mufes naturelles & po*  CORRESPONDJNCE. lies peuvent trés -bien rempracer les Chaulieu & les la Fare. Si Greffet pêche quelquefois contre Pexaaitude, il eft excufable a caafe du feu qui 1'emporte; plein de fes penfées, il négligé les mots. Que la nature fait peu d'ouvrages accomplis, & qu'on voit peu de Voltaires! J'ai penfé oublier M. de Réaumur, qui en qualité de phyficien eft en grande réputation chez nous, Voila, a ce qui me paroit, la quinteffence de vos grands hommes;les autres auteurs ne me femblent pas fort dignesd'at» tention. Les belles - lettres ne font plus tant récompenfées qu'elles 1'étoient du temps de Louis le grand. Ce prince, quoique peu inftruit, fe faifoit une affaire férieufe de protéger ceux dont il attendoit fon imrnortalité; il aimoit la gloire, & c'eft a cette noble paffion que la France eft jedevable de fon académie, & des arts qui y fleuriffent encore. Quant a la inétaphyfique, je ne crois pas qu'elle faffe jamais fortune autre part qu'en Angleterre. Vous avez vos bigots, nous avons les nótres. L'AUemagne ne manque ni de fuperftitieux ni de fanatiques entêtés de leurs préjugés, & malfaifans au dernier point, & qui font d'autant plus incorriglbles, que leur ftupide ignorance leur interdit 1'ufage du raifonnement: il eft certain qu'on a lieu d'être prudent dans la compagnie de pareils fujets. Un homme qui paffe pour ne point avoir de religion ( füt-Ü le plus honnête homme du monde) eft généralement décrié. La religion eft 1'idole des peupics; quiconque ofe y toucher d'uue  ai6 CO RRE SF O ND ANCE. main profane, s'attire leur haine, & leur eft en abominatïon. j'aime infiniment Cicéron; je trouve dans fes Tufculanes beaucoup de fentimens conformes aux miens je ne lui confeillerois pas de dire s'il vivoit de nos jours: Mourirpeut être unnial, mais être mort n'eft rien. En un mot, Socrate a préféré la ciguë a la gêne de contenir fa langue; maïs je ne fais s'il y a plaifir a être le martyr de l'erreur d'autrui. Ce qu'il y a de plus réel pour nous dans ce monde, c'eft la vie: il me femble que tout homme raifonnable devroit tacher de la conferver. Je vous allure que je méprife trop les jéfuites pour lire leurs ouvrages: les mauvaifesdifpofitions du cceur éclipfent en eux toutes les qualités de 1'efprit. Nous vivons d'ailleurs fi peu, & nous avons pour la plupart fi peu de mdmoire, qu'il ne faudroit nous inftruire que de ce qu'il y a de plus exquis. Je vous envoie par cet ordinaire 1'hiftoire de la Vierge Czenftochow par M. deBeaufobre; j'efpère que vous ferez content du tour & du ftyle de cette pièce. Autant que je m'y connois, je n'y ai point remarqué de fautes contre la pureté de la langue: il eft vrai que la plupart des réfugiés la négligent beaucoup; il s'en trouve cependant quelques uns qui, je crois, pourroient ne pas êtreréprouvés par 1'académie. Nos univerfités & notre académie des fciences fe trouvent dans un trifte 6tat; il parolt que les Mufes veulent déferter ces climifs.  CO RRE SP O ND ANCE. 21? cümats. FréJeric I. Roi de PrulTe, prince d'un genie fort borné, bon, mais facile, a fait aifez fleurir les arts fous fon règne. Ce prince aimoit Ia grandeur & Ia magnificence ; il étoit libéral, même jusqu'a la profufion ; épris de toutes les Iouanges qu'on prodiguoit a Louis XIV, il crut qu'en choififTant ce prince pour fon modèle , il ne pourroit pas manquer d'être loué a fon tour. Dans peu on vit la cour de Berlin devenir le fmge de celle de Verfailles; on imitoit tout, cérémonial, harangues, pasmefurés, mots eontés, grands moufquetaires, chevau-légers &c. Souffrez que je vous épargne 1'ennui d'un pareil détail. La Reine Charlotte, époufe de Fréderic, étoit une princefle qui avec tous les dons de la natt;re avoit regu une excellente éducation : elle étoit fille du Duc de Lunebourg (enfuite Electeur de Hanovre). Cette princelTe avoit connu particuliêrement Leibnitz a la cour de fon père. Ce favant lui avoit enfeigné les principes de la philofophie , & particuliêrement de la métaphy fique. La Reine confidéroit beaucoup Leibnitz; elle étoit en commerce de lettres avec lui; ce qui caufirde fréqueus voyages a Berlin. Ce philofophe aimoit naturellement toutes les fciences; aufll lei poflédoit-il toutes. M. de Fontenelle, en parlant de lui, dit trés fpirituellement qu'en le dicompofant on trouveroit afiez de matière pour ftfrrhej beaucoup d'autres favansi L'attachement de Leibnitz pour les fciences ne lui laifloic jamais Oenv. Pcfth de Fr, II. T. VIII. K  218 CORRESPONDANCE. perdre de vue le foin de les établir; il concut Ie deffein de former a Berlin une académie fur le modèle de celle de Paris, en y apportant cependant quelques légers changemens. II fit ouverture de fon deffein a Ia Reine, qui en fut charmée, & lui promit de raffifter de tout fon crédit. Ou paria un peu de Louis XIV. Les aftronomes affurèrent qu'ils découvriroient une infinité d'étoiles dont le Roi feroit le parrain: les botaniftes & les médecins lui confacrèrent leurs talens; quilauroit pu réfifter a tant de genres de perfuafion ? Auffi en vit-on les effets. En moins de rien 1'obfervatoire fut conftruit, le théatre de 1'anatomie ouvert, & 1'académie toute formée eut Leibnitz pour proteéteur. Tant que la Reine vécut, 1'académie fe foutinc affez bien; mais après fa mort il n'en fut pas de même. Le roi fon époux la fuivit de prés. ..D'autres temps, d'autres foins. A préfent les arts dépériffent de jour en jour, & je vois, les larmes aux yeux, le favoir fuir de chez nous, & 1'ignorance arrogante & la barbarie des mceurs s'en approprier la plaee. Du laurier d'Apollon dans nos ftériles champs La feuille négligée eft déformais flétrie. Dieu! pourquoi mon pays n'eft-il plus Ia patrie Et de la gloire & des talens? Je crois avoir porté un jugement jufte fur 1'Enfant prodigue; il s'y trouve des vers que j'ai d'a-  CO RRESPOND ANC E. srp bord reconnus pour les vótre, mais il y en d'autres qui m'ont paru plutóc 1'ouvrage d'un écolier que d'un maltre. Nous-avons 1'óbligation aux Francois d'avoir fait revivre les fciences chez eux, après que des guerres cruelles, 1'établilTement du chriftianifme & les fréquentes invafions des barbares eurent porté un coup mortel aux arts réfugiés de Grèce en Italië. Quelques fiècles d'ignorance s'écoulèrent, au bout desquels enfin ce flambeau fe ralluma chez vous. Les Franc:ois ont écarté les ronces & les é'pines qui avoient presqtie interdit aux hommes le chemin de la gloire qu'on peut acquérir dans les belles lettres. N'elt-il pas jufte que les autres nations confervent 1'obligation qu'elles ont a la francoife du fervice qu'elle leur a rendu généralement? Ne doit-on pas une reconnoifiance égale a ceux qui nous donnent la vie & a certx qui nous fourniffent les moyens de nous inftruire? Quant aux Allemands , leur défaut n'eft pas de manquer d'efprit; leur caraftére approche affez de celui des Anglois. Les Allemands font Iaborieux & profonds; quand une fois ils fe font emparés d'une matière, ilspresfent deflus; leurs livres font d'un diffus affommant. Si on pouvpit lescorrigerde leur pefanteur, & les familiarifer un peu plus avec les Graces, je ne désefpérerois pas que ma uatiou ne produifit de grands hommes. II y a cependant une difficulté qui empêchera toujours que nous n'ayons de bons livres en notre langue: elle confifte en ce qu'on n'a pas fixé 1'ufage des mots; & K 2  sao CORRESPOND/INCE. comme 1'Allemagne eft partagée entre une infinité de fouverains, il u'y aura jamais moyen de les faire confentir a fe foumettre aux décifions d'une académie. II ne refte donc plus d'autre reffource a nos favans que d'écrire dans des langues étrangéres, & comme il eft très-difficile de les polTéder a fond, il eft fort a craindre que notre littérature ne ifaffe jamais de fort grands progrés. II fe trouve encore une difficulté qui n'eft pas moindre que la première. Les princes méprifent généralement les favans. Le peu de foin que ces Meffieurs donnent a leur habillement, la poudre du cabinet dont ils font couverts, & le peu de proportion qu'il y a èntre une tête meublée de bon écrits & la cervelle vide de ces feigneurs, font qu'ils fe moquent de 1'extérieur des favans, tandis que Ie grand homme leur échappe. Le jugement des princes eft tróp refpefté des courtifans , pour qu'ils s'avifent de penfer d'une manière différente, & ils affeétent égaleinent de méprifer ceux qui les valent mille fois; o tempora, o mores! Pour moi, qui ne me fens point fait pour le fiècle oü nous vivons, je me contente de ne point imiter 1'exemple de mes égaux; je leur prêche fans ceffe que le comble de 1'ignorance eft 1'orgueil; & reconnoiffant la fupériorité de vous autres grands hommes: je vous crois dig;ies de mes encens, & vous, Monfieur, de toute mon eftime; elle vous eft extrêmement acquife. Re ardez-moi comme un ami défintére r-, & d ::t vous ne devez la connoiffance qu'a  CORRES POND ANCE. 221 votre mérite. Je fuis a jamais, Monfieur, votre très-affectionné ami. Ecrit un pied dans 1'étrier & fur Ie point de partir; je ferai de retour dans quinze jours. A Ruppiu, le 6 Juillet 1737. (^uoi! fans celTe ajoutant merveilles fur merveilles, Voltaire, a 1'univers tu confacrés tes veilles ? Non content de charmer par tes divins écrits, Tu fais plus, tu prétends éclairer les efprits. *t Tantöt du grand Newton débrouillantlefyftême; Tu rnorftres a nos yeux fa profondeur extréme, ■ Tantót de Melpoméne arborant les drapeaux, Ta verve nous prepare a des charmes nouveaux; Tu paffes de Thalie au pinceau de 1'hiftoire; Du grand Charle &du Czar éternifaut la gloire, j Tu marqueras dans peu de ta favante main , Leurs vices, leurs vertus & quel fut leur deftinj De ce héros vainqueur*) la briljante folie, De ce législateur **) les travaux en Ruflie, Et dans ce parallèle, effroi des conquérans, Tu montreras aux rois Ie feul devoir des grands. Pour moi, de ces climats habitantfédentaire, Qui fans prévention rends juftice a Voltaire, *) Charles XII. **} Le Czar Pierre I. K 3  »aa CORRE SP O ND ANCE. J'admire en tes écrits de diverfe nature,., Tous les dons dont le Ciel te combla Cins mefure. Que fi la colomnie avec fes noirs ferpens Veut flétrir fur ton front tes lauriersverdoyans, Que du fond de Bruxelles unBeiïus***) en furie Ofe lancer fon fiel au fond de ta patrie, Que mon fimple fuffrage, enfant de 1'équité, Te tienne du moins lieu de la poftérité. D'oü prenez-vous, Monfieur, tout le temps pour travailler? ou vos momens valent le triple de ceux des autres , ou votre génie heureux & fécond furpalTe celui de 1'ordinarre des grands hommes. A peine avez -vous achevé d'éciairer la philofophie de Newton, que vous travaillez a enrichir lethéatre francois d'une tragédie nouvelle, Si* cette piéce , qui felon les apparences n'a pas encore quitté le chantier, eft déja fuivie d'un nouvel ouvrage 4ïfè vous projetez. Vous vöufez fafrê au Czsr 1'honneur d'écrire fon hiftoire en philofophe. Nou content d'avoir furpasfé tous les auteurs qui vous ont précédé, par 1'élégance, la beauté & 1'utilité de vos ouvrages, vousvoulez encore les furpafTer par le nombre. EmprefTé a fervir le genre humain, vous confacrez votre vie entiêre au bien public. La providence vous a réfervé pour apprendre aux hommes a. préférer la lyre d'Amphion qui élevoit les murs de Thèbes, a ces inftrumens belliqueux qui ***) Rouüeau , caloraniateur de Saurin , & trattre * fes amis.  CORRESPO ND A NCE. 4sJ faifoient tomber ceux de Jéricho. Les témoignage de quelques vérités découvertes & de quelques erreurs détruites eft, a mon avis, le plus beau trophée que la poftérité puiffe ériger a la gloire d'un grand homme. Que n'avez vous pas a prétendre, vous qui êtes auffi fidelle au culte de la vérité que Zélé deftruéteur des prejugés & da la fuperftition? Vous vous attendez fans doute a recevoir par cet ordinaire tout les matériaux néceffaires pour commencer 1'ouvrage auquel vous vous êtes propofédetravailler. Quelle fera votre furprife quand vousne recevrez qu'une métapbyfique & des vers? C'eft cependant tout ce que j'ai pu vous envoyer par cet ordinaire: une métaphyfique diffufe & un copifte parefieux ne font guère de chemin enfemble. J'ai lu avec beaucoup d'attention votre raifon« ment géométrique & preffant fur les infiniment petits: je crois que nous ne différons que dans la facon de nous exprimer. Je vous avoue tout ingénument que je n'ai aucune idéé de Pirifini; je vous avoue encore que je ne connois que deux fortés de nombres, des nombres pairs ou impairs: orl'infini étant un nombre, il n'eft ni pair ni impair, qu'eft-il donc? Si jc vous ai bien compris, votre fentiment, (qui eft auffi le mien, ) eft que la matière , relativement aux hommes, eft divifible infiniment, paree qu'ils auront beau décompofer la matière, ils n'arriveront jamais aux unités qui la compofent; mais que réellement, & relativement a 1'effence des chofes, la matière doit néceffaireK4  a2+ CORRE&PONDANCË. ment étre compofée d'un amas d'unités, qui cn font les feuls principes, & que 1'auteur de la n.iture a jugé a propos de cacher. Or, qui dit matière fans 1'idée de ces unités jointes & arrangées enfemble, dit un mot qui n'a aucun fens. La modification de ces unités détermine enfuite Ia différence des êtres. M. Wolf eft peut-être le feul philofophe qui alt eu Ia hardieffe de faire Ia définition de 1'être fimple. Nous n'avons de connoisfance que celle des chofes qui tombent fous nos fens, ou qu'on peut expliquer par des fignes; mais nous ne pouvons avoir de connoiftance intuitive des unités, paree que jamais nous n'aurons d'inftrumens affez fins pour pouvoir féparer la matière jusqu'a ce point. La difficulté eft a préfent de favoir comment on peut expliquer une chofe qui n'a jamais frappé nos fens. 11 a fallu néceftairement donner de nouvelles définitions, & des définitions différentes de tout ce qui a rapport a la matière M. Wolf, pour arriver a cette définition, vous y prépare par celle qu'il fait de 1'efpace & de 1'étendue; fi je ne me trompe, il s'explique ainfi: L'efpace, dit-ü, eft le vide qui eft entre les parties, de forte que tout étre qui a des pores occupe toujours un efpace entre eux. Or tous les êtres compofés doivent avoir des pores, les uns plus fubtili que les autres, felon leur différente compofuion; donc tous les êtres compofés, coatiennent un efpace; mais une unité u'ayant point de partie & par conféquent d'interftice ou de po-  CORRESPOiVDJNCE. 225 res, ne peut par conféquent point contenir d'espace. Wolf nomme 1'étendue , Ia continuité des êtres. Par exemple, une ligne n'eft formée que par 1'arrangement d'unitds qui fe touchent les unes les autres & qui peu vent fe fuivre en ligne courbe( ou droite; ainfi une ligne a de 1'étendue; mais un être un, qui n'eft point continué, ne peut occuper d'étendue; je le répète encore, 1'étendue n'é« tant felon Wolf que la continuité des êtres. Un petit moment d'attention vous fera trouver ces définitions fi vraies, que vous ne pourrez leur refufer votre approbation. Je ne vous demande qu'un coup d'ceil; il vous fuffit, Monfieur, pour vous élever nou feulement a 1'être fimple, mais au plus haut degré de connoifiance auquel 1'efprit humain peut parvenir. Je viens de voir un homme a Berlin, avec lequel je me fuis bien entretenu de vous; c'eft notre Miniftre Borck, qui eft de retour d'Angleterre; il m'a fort alarmé fur 1'état de votre fanté. II ne finit point quaud il parle des plaifirs que votre converfation lui a caufés: 1'efprit, dit-il, triomphe des infirmités du corps. Vous ferez fervi, Monfieur, en philofophe & par des philofophes, dans Ia commiffion dont vous m'avez jugé capable. J'ai tout auffitót écrit a mon ami en Ruffie, qui répondra avec exaótitude & avec vérité aux point fur lesquels vous fouhaitez des éclairciiTemens. Non content de cette démarche, je viens de déterrer wn fecrétaire de la cour qui ne fait que de revenu? K 5.  32 ion, le poumon fee,. Pamoureux le tempérament robufte &c. Enfin,, comme je trouve to«aea ces chofes difgefées de cette facjpn dans notre.  CORRESPONDANCE. ajï corps, je conjefture de la qu'il fautnéceflairement que chaque individu foit déterminé d'une facoro précife, & qu'il nedépendpas de nous de ne point étre du caractère dont nous fommes, Que diraije des événemens qui fervent k nous donner de» idees & a nous infpirer des réfolutions? comme, par exemple, le beau temps m'invite k prendre 1'air, la réputation d'un homme de bon goüt quï me recommande un livre, m'engage a le lire, & ainfi du refte. Si donc on ne m'avoit jamais dit qu'il y avoit un Voltaire au monde, fi je n'avois? pas lu fes excellens ouvrages, comment ma volonté, eer. agent libre, auroit - elle pu me déterminer a lui donner toute mon eftime? En un mot comment puis-je vouloir une chofe, fi je ne la connois pas? enfin, pour attaquer la liberté dans fes", derniers retranchemens, comment un homme peur., il fe déterminer a choix ou k une aaion,- fi' les événemens ne lui en fourniffent pas l'occafionr & ces événemens qui les dirige? Ce ne peut être Ie hafard, puisque le hafard eft un mot vide de fens? ee ne peut donc être que Dieu. Si donc Dieu dirige les événemens felon fa volonté, il dk rige & gouverne néceflairement les hommes; & c'eft ce principe qui eft la bafe & comme Ie fondement de la providence divine, qui me fait eonv cevoir la pius noble, la plus haute & la plus ma*« gnifique ïdée qu'une créature auffi. bornée que j-'homme puiflè fe former d'un être aulTr immenfé qjie 1'eft le créateur. Ce principe me fait conuoiL é>  SS2 CORRESPONDANCE. tre en Dieu un étre infiniraent grand & fage, n e*. tant point abforbé dans les plus grandes chofes, & s'avilliflant point dans les plus petits détails. Quel-. le immenfité n'eft pas celle d'un Dieu qui embraffe généralement toutes chofes, & dont la fagelTe a préparé dés 1'origine du monde ce qu'il exécute i la fin des temps ? Je ne prétends pas cependaut mefurer les myftères de Dieu felon la foiblefte des conceptions humahies; je porte ma vue auffi loin que je puis; mais fi quelquesobjetsm'éckappent, je ne prétends pas pour cela renoncer a ceux que mes yeux me font appercevoir clairement. Peut-être qu'un préjugé, qu'une prévention, que Ia flatteufe penfée de fuivre 'une opinion particuliére m'aveugle, peut-être que j'avilis trop les hommes. Cela fe peut, je n'en difconviens pas; mais fi le Roi de France étoit en compromis avec le. Roi d'Yvetot, je fuis fur que tout homme fenfé zeconnoitroit la puiffance de Louis XV fupérieure & 1'autre. A plus forte raifon devons-nous nous déclarer pour la puiffance de Dieu, qui ne peuten aucune farpon entrer en ligne de comparaifon avec ces êtres fugitifs que le temps produit dont Ie fort fe joue que le temps détruit après une durée courte & pafl'agére. Lorsque vous parlez de la vertil, on voit que vous étes en pays de connoiftance; vous parlez en maitre de cette matière dont vous connoiffez la théorie & la pratique;en un mot, ilvous eft facile de difcourir favamraent de vous - méme. 11 eft certain que les vertus n'ont lieu que relativement k la fociété, Le principe pri- L  CORRESPONDANCE. *53 mitif de la vertu eft 1'intérét, (que cela ne vous effraye point,) puisqu'il eft évident que les hommes fe détruiroient les uns les autres fans 1'intervention des vertus. Z,a nature produit naturellement des voleurs, desenvieux,des faulTaires, des meurtriers- ils couvrent toute la face de laterre, & fans les lois qui répriment les vices, chaque individu s'abandonneroit 's. 1'inftinér. de la nature & ne penferoit qu'a foi. Pour réunir tous, ces intéréts particuliers, il falloit trouver un tempérament pour les contenter tous; & 1'on obnviat qu'on nefedéroberoit point réciproquement fon bien, qu'on n'attenteroit point a la vie de fes femblables & qu'on fe porteroit mutuellement a tout ce qui pourroit contribuer au bien commun. 11 y a des mortels heureux, de ces ames bien nées qui aiment la vertu pour l'amour d'elle-même; leur cceur eft fenfible au plaifir pür qu'on trouve a bien faire ;il vous importe peu de favoir que 1'intérêt ou le bien de 3a fociété demande que vous foyez vertueux; le créateur vous a heureufement formé de facon que votre cceur n'eft point. accefïïble aux vices, & ce créateur fe fert de vous comme d'unorgane, comme d'un inftrument, comme d'un miniftre, pour rendre la vertu plus refpeaable & plus aimable au genre humain. Vous avez voué votre plume a la vertu, & il faut avouer que c'eft le plus grand préfent qui lui ait jamais été fait. Les temples que les Romains lui confacrérent fous divers titres fervoient a 1'honorer; mais vous lui gagnez des  254- CORRESPONDANCE. difcrples, vous travaillez a lui former des fujets, Sr a donner par votre vie un exemple de ce que 1'humanité a de plus louable. J'attends la philofophie de Newton & 1'hiftoire de Louis XIV, qui avec Céfarion me joindront le 15 de Janvier; la goutte, la fiévre & Pamour ont empêché mon petit arnbaftadenr de me joindre plutót; il ne faut qu'un de ces maux pour déranger furieufement la liberté de notre volonté. Je ne manquerai pas de vous d're mon fentiment avec toute Ia franchife poITible fur les ouvrages que vous avez bien voulu m'envoyer; c'eft Ia marqué la plus manifefte que je puilTe vous donner de 1'eftime que j'ai pour vous. Sijevousexpofemesdoutesr ce n'eft point par arrogance, ce n'eft point non plus que j'aye une haute opinion de mon habileté, mais c'eft pour découvrir la vérité. Mes doutes font des interrogations, afin d'étre plusfoncièrement inftrtiit, & pour éviter tous Iesobftacles qui pourroient fe rencontrer dans une matière aufil épineufe que 1'eft celle de la métaphyfique. Ce font-la les raifons qui m'obligent a ne vous jamais déguifer mes fentimens: il feroit a fouhaiter que tout commerce put être un trafic de vérité; mais' combien y-at-il d'hommes capables de 1'écoucer? Une malheureufe préfomption ,une pernicieufe idéé rfinfallibilité, une funefte habitude de voir tout piier devant eux, les en éloigne: ils ne fauroient fouffrir que fécho de leurs penfées, & ilspoufient' Ia tyrannie jusqu'a vouloir geuverner auffi*defpoti'  CORRESPONDANCE. 25S quement fur les penfées & fur les opinions, que les Ruffes peuvent gouverner une troupe fervile d'efclaves. II n'y a que la feule vertu qui foit digne d'entendre la vérité: puisque le monde aime Terreur & qu'il veut fe tromper, il faut 1'abandort nest fon mauvais deltin; & c'eft felon moi 1'hommage le plus flatteur qu'on puifle rendre a quelqu'un que de lui découvrir fans crainte le fond de fes penfées; en un mot, ofer contredire un auteur, c'ell rendre un hommage tacite a fa modération, a fa juftice & a fa raifon^ Vous me faites naitre des efpérances charmantes; il ne vjus fuffit pas de m'inftruire des matières les plus profondes, vous penfez encore a ma récréation; que ne vous devrai-je pas? II eft fürque le Ciel me devoit pour mon bonheur un homme de votre mérite; vous feul m'en valez desmilliers» Vous aurez recu a préfent une bonne quantité de mes vers que j'ai fait partir a la fin de Novembre pour Cirey. J'aiuie la poëfie e Ia paillou, maisj'aj; trop d'obftacles a vaincre pour faire quelque chofe de pafiable; je fuis étranger,. je n'ai point 1'iraagination afiez vive, & toutes les bonnes chofes ont été dites avant moi. A> préfent il en eft de moi" comme des vignes qui fe reflentens toujours du terroir oü elles font plantées; il femble que celui de Rémusberg eft afiez propre pour les vers, mais*que celui - ci ne produit tout au plus que de la profes Vous voudrez bien aiTurer Tincomparable Eta&li» da toute mon sftime; elle a-défarmémonccHiE^  256 CORRESPONDANCE. roux par le morceau de votre metaphyfique que je viens de recevoir; j'avois regret, je 1'avoue, de trouver en elle la moindre bagatelle qui put approcher de 1'imperfeftion; la voila a préfent comme je défirois qu'elle füt. Si je ne trouve pas vos noms dans mes titres, je fens toutefois que vousêtes faits pour m'inftruire & moi pour vous admirer. 11 feroit fuperfleu de vous répéter les aiTurances de mon eftime; je me flatte que vous en êtes convaincu, ainfi que de tous les fentimens avec lesquels je fuis &c, Ce i Janvier 1738. JVIonfieur, j'efpêre que vous aurez regu a préfent les mémoires fur le gouvernement du Czar Pierre & les vers que je vous ai adrelTés. Je me fuis fervi de la voie d'un Capitaine de mon régiment nommé Plceetz, qui eft a Luneville, & qui apparemment n'aura pas pu vous les remettre plutót , a caufe de quelques abfences, ou bien faute d'avoir trouvé une bonne occafion. Je fais que je ne risque rien en vous confiant des pièces fecrètes & curieufes. Votre difcrétion & votre prudence me raffurent fur tout ce que j'aurois a craindrc Si je vous ai averti de 1'ufage que vous devez faire de ces mémoires fur les Mofcovites,mon intention n'a été que de vous faire connoltre la néceffité oü  CORRESPONDANCE. 357 Ton eft d'employer quelque ménagement en traitant des matières de cette délicatefle. La plupart des princes ont une paflion fingulière pour les arbres généalogiques; c'eft une efpèce d'amour propre qui remonte jusqu'aux ancêtres les plus recuIés, & qui les intérene a Ia réputation non feulement de leurs parens en droite ligne, mais encore de leurs collatéraux: ofer leur dire qu'il y a parmi leurs prédécefleurs des hommes peu vertueux, & par conféquent fort méprifables, c'eft leur faire une injure qu'ils ne pardonnent jamais, & malheur a 1'auteur profane qui a eu la témérité d'entrer dans le fanftuaire de leur hiftoire & de divulguer 1'opprobre de leur maifon. Si cette délicatefle s'étendoit a maintenir la réputation de leurs ancétres du cöté maternel, encore pourroit-on trouver des raifons valables d'un zèle auffi ardent: mais de prétendre que cinquante, foixante aïeux ayent tous été les plus honnêtes gens du monde, c'eft renfermer Ia vertu dans une feule familie, & faire une grande injure au genre humain. J'eus un jour 1'étourderie de dire en préfence d'une perfonne, que Monfieur un tel avoit fait une aftion indigne d'un cavaiier; il fe trouva pour mon malheur que celui dont j'avois parlé fi librement, étoit le coufin a la mode de Bretagne de 1'autre, qui s'en formalifa beaucoup. J'en demandai Ia raifon, on m'en inftruifit, & je fus obligé de pafler par un long détail généalogique, pour reconnoltre en quoi confiftoit ma fottife; il ne me reftoit d'autre res-  S58 CORRESPONDANCE. Jouree que de facrifier a Ia colère de celui que j'avois ofFenfé tous ceux de mes pareus qui ne méritoient point de 1'être. On m'en blama fort; mais je me juftifïai en difant que tout homme d'honneur, tout honnête homme étoit mon parent, & que je n'en reconnoiflbis point d'autre. Si un particulier fe fent fi grièvement offenfé du mal qu'on peut dire de fes parens, a quel empor'ement une fouveraine ne fe porteroit-elle pas, fi elle apprenoit le mal qu'on a dit d'un parent qui eft refpec table pour elle & dont elle tient toute fa grandeur? Je me fens très-peu capabte de cenfurer vos ouvrages; vous leur imprimez un caractère d'immortalité auquel il n'y a rien a aputer , & malgré 1'envie que j'ai de vous être utile, je comprend* que je ne pourrai jamais vous rendre le fervice que la fervante de Molière lui rendoit, lorsqu'ii lui lifoit fes ouvrages. Je vous ai dit mon fentiment fur Ia tragédie de Mérope , qui, felon le peu de connoiffance que j'ai du théatre & des régies du-draraatique, me parolt ra pièce la plus régulière que vous ayez faite: je fuis perfuadé qu'elle vous fera plus d'ronneur qu'Alzire ; je vous prie de vouloir bien m'envoyer la correftion des fautes de copifte que je vous indique. J'eiTayerai la voie de Trèves, felon que vous me Ie mandez, & j'efpère que vous aurez foin de vous faire remettre mes lettres de Trèves a Cirey j & d'avenir le maitre de pofte du foin qu'il dok:  CORRESPONDANCE. *5J> prendre de cette correfpondance. Vous me parlez d'une manière qui me fait entendre qu'il ne vous feroit pas désagréable de recevoir quelque pièce de mufique de ma facon; ayez donc la bonté de me mander combien de perfonnes vous avez pour 1'exécuter, afin que fachant leur nombre & en quoi confiftent leurs talens, je puiffe vous envoyer des pièces propres a leur ufage. Je vous enverrai la le Couvreur en cantate: Que vois je! quel objet! quoi! ces lèvres charmantes &c. ■ Mais je crains de réveiller en vous le fouvenir d'un bonheur qui n'eft plus; il faut au contraire détacher 1'efprit des objets lugubres. Notre vie eft trop courte pour nous abandonner au chagrin ; * peine avons-nous le temps de nousréjouir; aufit ne vous enverrai-je que de la mufique joyeufe. L'indifcret Thiriot a trompeté dans les quatre parties du monde que j'avois adrelTé une épirre en vers a Madame de la Popelinière. Si ces vers avoient été paffables, ma vanité n'auroit pas manqué de vous en importuner au plus vlte; mais la vérité eft qu'ils ne valent rien; auffi me fuis-je bien repenti de leur avoir fait voir lejour. Je voudrois bien pouvoir vivre dans un climat tempéré; je voudrois bien mériter d'avoir des amis pareils a vous, d'être eflimé des gens de bien; je renoncerois volontiers a ce qui fait 1'objet principal de la  a6o CORRESPONDANCE. cupidité & de 1'ambition des hommes; maisjefenr trop que fi je n'étois pas prince, je ferois peu de chofe. Votre mérite vous fuffit pour être efiimé, pour être envié, & pour vous attirer des admirations. Pour moi, il me faut des titres, des armoiries & des revenus pour attirer fur moi les regards des hommes. Ah ! mon cher ami, que vous avez raifon d'être fatisfait de votre fort! Un grand prince étant fur le point de tomber entre les mains de fes ennemis, vit fes courtifans en pleurs qui fe défefpéroient autour de lui; il dit ce peu deparoles qui renferment un grand fens: Je fens, dit-il, a vos larmes que je fuis encore Roi. Que ne vous dois-je pas de reconnoiffance pour toutes les peines que je vous caufe ? Vous m'inftruifez fans cefle, & vous ne vous laflëz pas de m'inftruire. En vérité, Monfieur, je ferois bien ingrat, fi je ne fentois pas tout ce que vous faites pouf moi. Je m'appliquerai a préfent amettre en pratique toutes les régies que vous avez bien voulu me donner , & je vous prierai encore de ne vous point laffer de me corriger. J'ai penfé plus d'une fois d'oü pouvoir venir que les Francois , fi amateurs des nouveautés, reffufcitoient de nos jours le langage antique de Marot. II eft certain que la langue francoife n'étoit pas a beaucoup prés auffi polie qu'elle 1'eft a préfent. Quel plaifir un oreille bien née peut-elle trouver a des fons rudes, comme le font ceux de ces vieux mots, oncques, preux, la machine publique, les acoutremens, On trou- _  CORRESPONDANCE. z6t veroit étrange a Paris, fi quelqu'un y paroiflbit vétu cornme on 1'étoit du temps de Henri lV,quoique cet habillément püt étre tout auffi bon quele moderne. D'oü vient, je vous prie, que 1'on veut parler, & qu'on aime a rajeunir la langue contemporaine de ces modes qu'on ne peut plus fouffrir; & ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'eft que cette langue eft peu entendue a préfent, que celle qu'on parle de nos jours eft beaucoup plus correcte & beaucoup meilleure, qu'elle eft fufceptible de toute la naïveté de celle de Marot, & qu'elle a des beautés auxquelles 1'autre n'ofera jamais prétendre, Ce font la felon moi des effets du mauvais goüt & de la bizarrerie du caprice; il faut avouer que 1'efprit humain eft une étrange chofe. Me voila fur le point de m'en retourner chez mói pour me vouera 1'étude, ccpourreprendre la philofophie, 1'hiftoire, la poëfie & la mufique. Pour la géométrie, je vous avoue que je la crains; elle fèche trop 1'efprit; nous autres Allemands ne 1'avons que trop fee; c'eft un terrain ingrat qu'il faut cultiver & arrofer fans cefle pour qu'il produife. Aflurez la Marquife du Chatelet de toute mon eftime, & dites a Emilie que je 1'admire au poffible. Pour vous, Monfieur, vous devez être perfuadé de 1'eftime parfaire que j'ai pour vous; je vous lerépête", encore, je vous eftimeraitant que je vivrai, étant avec ces fentimens d'amitié que  ï6t CORRESPONDANCE. vous favez infpirer a tous ceux qui vous con« noiflent. Monfieur, Votre très-fidellement'affeftionné ami. Ce 26 Janvier 1738. IVfonfieur, on vient de me rendre votre lettre du 28 de Janvier, qui fert de réponfe ou plutót de réfutation a celie du 25 Décembre que je vous avois écrite. Je me repens bien de m'être engagé trop légèrement & peut - être inconfidérément, dans une difcuffion métaphyfique avec un adverfaire qui va me battre a plate couture; mais il n'eft plus temps de reculer lorsqu'on en a déja tant fait. Je me fouviens a cette occafion d'avoir été préfent a une difpute oü il s'agiflbit de lacomparaifon de la mufique francoife avec la mufique italienne. Celui qui faifoit valoir la francoife fe mit a. chanter miférablement une ariette italienne; en foutenant que c'étoit la plus abominable chofe du monde, ce dont on ne difconvenoit point; a- ■ prés quoi il pria quelqu'un-qui chantoit très-bien en franeois, & qui s'en acquïtta a merveille, dei faire les honneurs de Lully. II eft certain que fi on avoit jugé de ces mufiques différentes fur ces i  CORRESPONDANCE. aÓ3 échantillons , on n'auroit pu que condamner le goüt italien, quoi-qu'au fond je crois qu'on eüt mal jugé. La mécaphyfique ne feroit-elle pas entre mes mains ce que cette ariette italienne étoit dans la bouche de ce cavalier qui n'y entendoit pas grand chofe? Quoi qu'il en foit, j'ai votre gloire trop a cceur pour vous donner gain de eauie fans faire de réfiftance. Vous aurez 1'honneur d'avoir vaincu un adverfaire intrépide, & qui fe fervira de toutes les défenfes qui lui reftent & de tout fon magafin d'argumens, avant que de battre la chamade. Je me fuis appercu que Ia différence dans la maniére d'argumenter nous éloignoit le plus dans les fyftémes que nous foutenons. Vous argumentez apofkrioriSt moi a priorij ainfi pour nous conduire avec plus. d'ordre & pour éviter toute confufion dans les profondes ténèbres métaphyfiques qu'il nous faut débrouiller, je crois qu'il feroit boa de commencerpar établir un principe certain, ce fera le póle d'après lequel notre bouffole s'orientera; ce fera Ie centre oü toutes les lignes demon raifonnement iront aboutir. Je fonde tout ce que j'ai a vous dire fur la providence, fur la fageffe & la prefcience de Dieu. Ou Dieu eft fage, ou il ne 1'eft pas. S'il eft fage, il ne doit rien laiffer au hafard, il doit fe propofer un but, une fin en tout ce qu'il fait, & de la fa prefcience, fa providence, & la doftrine du deftin irrévocable. Si Dieu eft fans fageffe, ce n'eft plus un Dieu, c'eft un  2^4 CORRESPONDANCE. être fans raifon, un aveugle hafard, un affemblage contradictoire d'attributs qui ne peuvent exifler réellemeut. II faut donc nécéffairement que la fageffe, la prêvoyance & la prefcience foient des attributs de Ia Divinité ; ce qui prouve fuffifamment que Dieu voit les effets dans leurs caufes, & qu'en qualité d'être infiniment puiffant, fa volonté s'accorde avec tout ce qu'il prévoit. Remarquez en paffant que ceci détruit les futurs contingens a 1'égard de Dieu: car 1'avenir ne peut point avoir d'incettitude a 1'égard d'un être toutfcient, qui veut tout ce qu'il peut, & qui peut tout ce qu'il veut. Vous trouverez bon que je réponde a prefent aux objeélions que vous venez de me faire. Je fuivrai 1'ordre que vous avez tenu, afin que paree parallèle Ia vérité en devienne plus palpable. La liberté de l'homme, telle que vous la définiffez, ne fauroit avoir felon mon principe une raifon fuffifante; car comme cette liberté ne pourroit venir uniquement que de Dieu, je vais vous prouver que cela même implique contradiétion, & qu'ainfi c'eft une chofe impoffible. i ) Dieu ne peut changer Vej/ènee des chofes; car comme il lui eft impoffible de donner quatre cötés a un triangle, en tant que triangle,& comme il lui eft impoffible de faire que le paffé n'ait pas été, auffi peu pourroit il changer fa propre effence. Or il eft de fon effence (comme Dieu fage, tout 'puif. fant, & counoifl'ant 1'avenir de fixer les événemens  CORRESPONDANCE. 265 siens qui doivent arriver dans tous les fiècles qui s'écouleront; il ne fauroit donner a Fhomme la liberté d'agir d'une manière diamétralement oppofée a ce qu'il a une fois voulu; d'oü il réfulte qu'on avance une contradiétion lorsqu'on foutient que Dieu peut donner la liberté a l'homme. 2) Lbomwe penfe, opère des monvemens & agit, j'en conviens; mais c'eft d'une mantère furbordonnée aux lois immuables du deftin. Tout avoit été prévu par la Divinité, tout avoit été réglé; mais l'homme, qui ignore 1'avenir, ne s!appercoit pas qu'en femblant agir indépendamment, toutes fes aétions tendent a remplir les décrets de la providence. On voit la liberté, cette efclave il fiere, Par d'invifibles nceuds, dans ces lieux prifonnière; Sous un joug inconnu, que rien ne peut brifer, Dieu fait 1'aiTujettir fans la tyrannifer. Henr. 3) Je vous avoue que j'ai été ébloui par le début de votre troifième objeétion. J'avoue qu'un Dieu trompeur, fortant de mon propre fyftême, m'a furpris; mais il faut examiner fi ce Dieu nous trompe autant qu'on veut bien le faire croire. Ce n'eft point 1'être infiniment fage, infiniment conféquent qui en impofe a fes eréatures par une liberté feinte qu'il femble leur avoir donnée;il ne leur dit point, vous étes libres, vous pouvez agir felon votre volonté &c. mais il a trouvé a propos de cacher k leurs yeux les reflbrts qui les font agir. II ne s'agit point ici du miniftère des pafilons, qui eft une QtH-v, Popi dc Fr. Ü. T. VUL M  *66 CORRESPONDANCE. voie entièrement ouverte a notre fujétion; au contraire, ii ne s'agit que des motifs qui déterminent notre volonté. C'eft 1'idée d'un bonheur que nous nous figurons, ou d'un avantage qui nous flatte , & dont Ia repréfentation fert de régie a tous les afles de notre volonté. Parexemple, un voleurne déroberoit point, s'il ne fe figuroit un état henreux dans Ia poffefiion du bien qu'il veutravir. üu avare n'amafleroit pas tréfors fur tréfors, s'il ne fe repréfentoit un bonheur idéal dans fentaflement de toutes ces richeffes. Un foldat n'expofèroit pas fa vie, s'il ne trouvoit fa félicité dans 1'idée de Ia gloire & de Ia réputaticjn qu'il peut acquérir: d'autres dans 1'avancement, d'autres dans les récompeofés qu'ils attendent. En un mot, tous les hommes ne fe gouvernent que par les idéés qu'ils ont de leur avantage & de leur bien-érre. 4) Je crois tailleurs que fai fuffifament développé la contradiaion qui fe trouve dans le fyftême du franc.arbitre, tant pour rapport aux perfeftions de Dieu que relativement a ce que 1'expérience journalière nous confirme. Vous conviendrez donc avec moi que les moindres aaions de ia vie découleiit d'un principe certain, d'une idéé d'avantage qui nous frappe, & de ce qu'on appelle motifs raifonnables, qui font felon moi les cordes & les contre poids qui font agir toutes les machines de 1'univers; ce font h\ ces refforts cachés dont ii plait a Dieu de 'e fervir poUr afTujettir nos aaions a fa volonté fuPrême. Les tempéramens des homiaas & les caufes  CORRESPONDANCE. * 267 ■occafionnelles, (toutes également aiïervies a la volonté divine,) donuent enfuite lieu aux modificalions de leur volonté, & caufent la différence fi notable que nous voyons dans les aftions des humains. 5) fee me femble que les révolutions des corps céleftes, & 1'ordre auquel tous ces monde s font aflujettis, pourroient me fournir encore un argument bieu fort pour foutenir la néceffité abfolue.Pour peu que 1'on ait connoiflance de 1'aftronomie, on eft inftruit de la régularité infinie avec Iaquelle les planétes font leur cours; on connoit d'ailleurs les lois de la pefanteur, de 1'attraélion, du mouvement, toutes lois immuables de la nature. Si des corps de cette nature, fi des mondes, fi tout 1'univers eft afiujetti a des lois fixts & permanente?, comment lvlrs Clarke & Newton viendront-ils me dire que 1'komtne, cet être fi petit, fi irnperceptible en comparaifon de ce vafte univers, que dis-je, ce malheureux reptile, qui rampe fur la furface de ce monde, qui n'eft qu'un point dans 1'univers, cette iniférable céature aura feule le droit d'agir au hafard, de n'étre gouverné par aucune loi, & en dépit de fon créateur de fe déterminer fans raifon dans fes aftions; car qui foutieut la liberté entiére des hommes, nie- pofitivement que les hommes foient raifonnables, & qu'ils fe gouvernement felon les principes que j'ai allégués ci-deflus. Fausfeté évidente. II ne faut que vous c;,nnoitre pour en être convaincu. 6) Ayant déj'a répondu a votre fixéme objeftion, il me fufïïra de rappeler ici que M 2  a6i CORRESPONDANCE. Dieu ne pouvanc changer 1'effence des chofes, ne fauroit par conféquent fe priver de fes attributs. 7) Après avoir prouvé qu'il eft contradictoire que Dieu puilfe donner a l'homme la liberté d'agir, il feroit fuperflu de répondre a Ia feptième objecrion, quoique je ne puilfe m'empécher de dire, au nom des Wolf & des Leibnitz,aux Clarcke&aux Newton, qu'un Dieu qui dans le gouvernement du monde entre dans les plus petits détails, dirige tous les aftions des hommes, en même temps qu'il pour» voit aux befoins d'un nombre innombrablede mondes qu'il maintient, me paroit bien plus admirable qu'un Dieu qui , a 1'exemple des nobles & des grands d'Efpagne adonnés a 1'oifiveté, nes'occupe de rien. Et de plus, que deviendra riinmenfité de Dieu, fi pour le foulager nous lui ótons les foins des petites chofes ? Je le répète, le fyftême de Wolf explique les motifs des actions des hommes conformément aux attributs de Dieu, & a 1'autorité de 1'expérience. 8) Qiiant aux emportemens & aux patïïons violentes des hommes, ce font des reflbrts qui nous frappent, puisqu'ils tombent vifiblement fous nos fens; les autres n'en exiftent pas moins, mais ils demandent plus d'application d'efprit & plus de méditation pour être découverts. 0) Les défirs & la volonté font deux chofes qu'il ne faut pas confondre, j'en conviens; mais le triomphe de la volonté fur les défirs ne prouve rien en faveur de la liberté; au contraire, ce triomphe ne prouve autre chofe finon qu'uue idéé de gloire  CORRESPONDANCE. 269 qu'on fe repréfente en fupprimant fes défirs, une idéé d'orgueil,quelquefois auffi deprudence,nous détermihent a vaincre les défirs; ce qui eft équivalent k ce que j'ai établi plus haut. 10) Puisque fans Dieu le monde ne pourroit pas avoir été créé, comme vous en convenez, & puisque je vous ai prouvé que l'homme n'.eft pas libre, il s'enfuit que puisqu'il y a un Dieu, il y a une néceffité abfolue, & puisqu'il y a une néceffité abfolue, fhomrne doit par conféquent y être affujettï & ne fauroit avoir de liberté. 11) Lorsqu'on parle des hommes, toutes les compraifons prifes des hommes peuvent cadrer; mais dés qu'on parle de Dieu, il meparott que toutes ces comparaifons deviennent faulTes , puisqu'en cela nous lui attribuons des idéés humatnes, nous le faifons agir comme un homme, & nous lui faifons jouer un róle qui eft entièrement oppofé a fa majefté. Réfuterai-je encore le fyftême des foelniens, aprés avoir fuffifamment établi le mien ? Dès qu'il eft démontré que Dieu ne fauroit rien faire de contradictoire a fon effence, on en peut tirer la conféquence, que tout raifonnement qu'on peut faire pour prouver la liberté de l'homme, fera wujours également faux. Le fyftême de Wolf eft fondé fur des attributs que 1'on a démontrés en Dieu; le fyftême coatraire n'a d'autre bafe que des fuppofitions; & comme il eft fur que la première de ces fuppofuions eftévidemment faufl'e, vous comprenez bien que toutes les autres s'écroulent d'elM 3  afo CORRESPONDANCE. les-mémes. Pour ne rien laiiïer en arrière, je d. is tous faire remarquer quelque inconféquence que je trouve dans le plaifir que Dieu prend a voir agir» «Jes créatures libres. On ne s'appercoit pas qu'on juge de toutes chofes par un' certain retour qu'on fait fur foi même; paree que, par exeraple un homme prend plaifir a voir une république laborieufe de fourmis pourvoir avec une efpèce de fageffe è! fa fubfifiance, on s'imagine qne Dieu doittrouver le même plaifir aux aftions des hommes. On ne s'appercoit pas, en raifonnant delaforte, que le plaifir eft utie paffion humaine, & que comme Dieu n'eft pas un homme, qu'il eftparfaitementheureux en lui-mé*me, il n'eft fufceptible ni dejoie, ai de triftefie, nl d'amour, ni de haine, ni de toutes )es paffions qui troublent latranquillitédeshumains. On foutient, il eft vrai, que Dieu voit le paffé, le préfent & 1'avenir, que le temps ne ie vieillit point, & que le moment d'a préfent, des mois, des années , des mille milliers d'années, ne changent rien a fon être , & ne font en comparaifon de fa durée (qui n'a ni commeBcement ni fin) qu'un inftant & moins encore qu'un clin d'cejl. Je vous avoue que le Dieu de M. Clarcke m'a bien fait rire ; c'eft un Dieu affuTément qui fréquente les caffés qui eft a politiquer avec quelques miférab'es nouvelliftes fur.les con^jonftures préfentes de 1'Europe: il doit bien étre tmbarraffé a préfent pour deviner ce qui fe fera la campagne prochaine en Hongrie, & attendre avec  CORRESPONDANCE. 271 grande impatience 1'arrivée de ces événemens, pour favoir s'il s'eft trompé dans fes conjeftures ounon. Je n'ajouterai qu'une réflexion a celle que je viens de faire, c'eft que ni le franc-arbitre, nila fatalité abfolue ne difculpent la Divinité de la participation au crime- car que Dieu nous donne la liberté de mal faire, ou qu'il nous poufle immédi. atement au critae, cela revient & peu prés au méme : il n'y a que du plus ou du moins, Remontez a 1'ongine du mal; vous ne pouvez que 1'artribuer a Dieu, k moins que vous ne vouliez embraffer 1'opinion des manichéens touchant les-deux principes- ce qui ne laiffe pas que d'être hériffé de difficultés. Puis donc que felon nos fyftèmes Dieu eft également pére des crimes ainfi que des vertus, puisque Mrs Clarcke, Locke & Newton ne me préfentent rien qui concilie la fainteté de Dieu avec le fauteur des crimes, je me vois obligé de conferver mon fyftême. 11 eft plus lié, plus fuivi; & aprés tout je trouve une efpèce de confolation dans cette fatalité abfolue, dans cette néc:ffi é qui dirige tout, qui conduit nos aftions & qui 11 xe les deftinées. Vous me direz que c'eft une maigre confolation que celle que 1'on tire des confidérations de notre mifère & de 1'immutabilité de notre fort. j'en conviens; mais il faut bien fe contenter de cette confolation, faute de mieux, Ce font de ces remèdes qui affoupiffent les douleurs, & qui laiffent a la nature le temps de faire le refte. M 4  *7» CORRESPONDANCE. Après vous avoir fait un expofé de mes opinions, j'en viens comme vous a 1'infuffifance denos lumières. II me paroit que les hommes ne font pas faits pour raifonner profondément fur des matières abftraites; Dieu les a inftruits autant qu'il leur eft néceiïaire pour fe gouverner dans le monde, mais non pas autant qu'il faudroit pour contenter leur curiofité. C'eft que l'homme eft fait pour agir & non pas pour contempler. Prenez-moi, Monfieur, pour tout ce qu il vous plaira, pourvu que vous vouliez croire que votre perfonne eft i'argument le plus fort qu'on puilfe me préfenter en faveur de notre étre. J'ai une idéé plus avantageufe de la perfeétion des hommes en vous confidérant, & d'autant plus fuis je perfuadé qu'il n'y a qu'un Dieu, ou quelque chofe de divin, quipuisfe ralTembler dans une même perfonne toutes les perfections que vous poftédez: ce ne font pas des idéés indépendantes qui vous gouvernent; vous agiffez felon un principe, felon la plus fublime raifon; doné Vous agiflez felon une nécefïïté. Ce fyftême, Wen loin d'étre contraire a 1'hnmanité & aux vertus, y eft même fort favorable, puisque trouvant notre intérêt, notre bonheur & notre fatisfaétion dans fexercice de Ia vertu, ce nous eft une néceffité de nous porter toujours k tout ce qui eft vertueux, & comme je ne faurois être ingrat fans devenir infupportable a moi-méme, mon bonheur, mon repos & 1'idée de mon bien étre m'o» bllgent a la reconnoiffance. J'avoue que les hom*  CO RRESPOND/iNCE, 273' mes ne fuivent pas toujours la vertu, & cela ne vient que de ce qu'ils ne fe font pas tous la même idéé du bonheur; que de caufes étrangères ou que les paffions leur donnent lieu de fe conduite d'une manière différente, & felon ce qu'ils croient être de leur intérêt dans ces momens oü letumulte des paffions fait furfeoir les müres délibérations de la raifon. Vous voyez, Monfieur, par ce que je viens de vous dire, que mes opinions métaphyfiques ne renverfent aucunement les principes de la bonne morale, d'autant plus que la raifon Ia plus épurée nou» fait les feuls véritables intéréts de notre confervation dans la faine morale. Au refte j'agis avec mon fyftême comme les bons enfans en vers leur père; ils connoiffent fes défauts & les cachent. Je vous préfente un tableau du bon cóté, mais je n'ignore pas que ce tableau a un revers. On peut difputer des fiècles entiers fur ces fortes de matières, & après leg avoir pour ainfi dire épuifées, on en revient au point d'oü 1'on étoit parti: dans peu nou» en ferons a 1'ane de Buridan. Je ne faurois afiez vous dire, Monfieur,'jusqu'a quel point je fuis charmé de votre franchife; votre fincérité ne- mérite pas un petit éloge. C'eft par la que vous me perfuadez que vous êtes de mes amis, que votre efprit aime la vérité, & que vous ne me la déguifez jamais. Soyez perfuadé, Monfieur, que votre amitié & votre approbation fons M 5  i;4 CORRESPONDANCE. plu's flatteufes pour moi que cel es de la moitié d» genre humain; je me dis avec Cicéron: Les Dieux font pour Céfar, mais Caton fuit Pompée. Si j'approchoisde la divine Emilie, je luidirois: vous êtres la bénite d entre les femmes, car vous polfédez un des plus grands hommes du monde; & j'oferois encore lui dire: Emilie a choifi le bon parti, elle a embraffé la philofophie. En vérité, Monfieur, vous étiez bien néceffaire dans le monde pour que j?y fuffe heureux. Vous vene? dem'envoyer deux épitres qui n'ont jamais eu leurs femblables. II fera donc dit que vous vous furpasférez toujours vous-même Je n'ai pas juge des épitres que vous m'avez envoyées comme d'un thème philofophique; mais je les ai confidérées com-me des ouvrages tiffus parties mains des Graces. Vous avez ravi a Virgile la gloire du poëme épique, Jr Corneille celle du théatre; vous en fakesautant- k préfent aux épitres de Defpréaux. II faut avouer- que vous ê es un terrible homme C'eft la' cette monarchie que Nabuchodonofor vit en rêre &■ qui engloutit- toutes celles qui 1'avoient précédëe; Je fhis en vous pria;u de ne pas laiffer longtemps dépareillées les belles épitres que vous avez bien vdlüliv m'envoyer ; j'attends avec la dernière impatience, & avec cette avidité que vos ouvrages infpirent a leur ledteur. La philofophie me prouve que vous êtes 1'étre du monde le plus digse.de mon eftime; moi; cceur m'engage a le crofe>  [CORRESPONDANCE.. 275 & la reconnoiffance m'y oblige-,- jugez donc de tous les fentimens avec lesquels je fuis &c. ce ïo Fëvrier 1738.- JVIonfieur, j'ai recu votre lettre du 8 de ce inois avec quelque forte d'inquiétude fur votre fanté. Thiriot me marqué qu'elle n'eft pas bonne; ce' que vous me confirmez encore. II fembl'e que lanature, qui vous a partagé d'une maniére fi avantageufe du cóté de 1'efprit, a été plus avare pour' ce qui re^arde votre fanté , comme fi elle avoit regret d'avoir fait un ouvrage achevé. 11 n'y a queles infirmités du corps qui puiffent vous faire préfumer que vous êtes mortel;, vos ouvrages dofventv >us perfiuder du contraire. Les grands Hommes de 1'antiquité ne craignoient jamais plus lMmplacable malignité de la furtune qu'après les grands fuccè; : votre fièvre pourroit étre comptée a ce pri» comme un équivalent ou comme un contre -poids' de votre Mérope. Pourrois-je me flatter d'avoir deviné les correftions que vous voulez faire a cette piéce? Vous qui en êtes le père, vous 1'avez1 jagée en Brutus; pour moi que ne 1'ai point faite;. moi qui- n'y prends d'autre intérêt que celui qüe' m'infp.re 1'auceur, j'ai lu deux fois la Mérope avec' toute 1'attention dont je fuis capable, fans y apper»«evoir de dofauts.. II en eft de vos ouvrages coreiM SS  276 CO RRESPONDANCE. me du foleil; il faut avoir le regard bien percaot pour y découvrir des taches. Vous voudrez bien m'envoyer les quatre actes corrigés, comme vous me le faites efpérer; fans quoi les ratures & les correftions rendroient mon^rigiHal embrouillé, & difficile a déchiffrer. Defpréaux & tous les poëtes n'atteignoient-a la perfecYton qu'en corrigeant: il eft facheux que les hommes, quelques talens qu'ils ayent, ne puiflenr'produire quelque chofe de bon tout d'un coup; ils n'y arrivent que par degré; il faut fans ceffe effacer, chatier, émonder, & chaque pas qu'on avance eft un pas de correétion. Virgile, ce prince de la poëfie, étoit encore occupé de la correélion de fon Enéide, lorsque la mort le furprit. 11 vouloit fans doute que fon ouvrage répondit k ce point de perfeclion qu'il avoit dans 1'efprit, & qui étoit femblable a celui de 1'orateur dont Cicéron nous fait le portrait. Le Maximien de la Chauflee n'eft point encore parvenu jusqu'fr moi. j'ai vu 1'Ecole des amis, qui eft de ce même auteur; le titre en eft excellent, & les vers ordinaires, foibles, monotones & ennuyeux. Peutêtre y a-t-il de la témérité a moi étranger & presque barbare, de juger des pièces du théatre francois; cependant ce qui eft fee ou rampant dégoüte bientót. Nous choififlbns ce qu'il y a de meillenr pour le repréfenter ici. Ma mémoire eft fi mauvaife, que je fais avec beaucoup de difcernemeDt le tirage des chofes qui doivent la remplir: c'eft comme un petit jardin oü. 1'on ne fème pas indifc  CORRESPONDANCE. S77 féremment toutes fortes de femences, & qu'on n'or* ne que des fleurs les plus rares & les plus exqui" fes. Vous verrez, par les pièces que je vous envoie, les fruits de ma retraite & de vos inftruétions; je vous prie de redoubler de fincérité pour tout ce qui vous viendra de ma part. J'ai du loifir, j'ai de Ia patience, & avec cela rien de mieux a faire que de changer les endroits de mes ouvrages que vous aurez réprouves. On travaillé aétuellement a Ia vie de la Czarine & du Czarowitz; j'efpère de vous envoyer dans peu ce que j'aurai pu ramasfer fur ce fujet. Vous trouverez dans ces anecdotes, des barbaries & des cruautés femblables a celles qu'on lit dans 1'hiftoire des prémiers Céfars. L* Ruflle étoit un pays oü les-fciences & les ars n'avoient point pénétré; le Czar n'avoit aucune teinture d'humauité.demagnanimité & de vertu til avoit été élevé dans Ia plus crafle ignorance, il n'agiffoit que felon 1'irapulfion de fes paffions déréglées. Tant il eft vrai que 1'inclination des hommes les porte au mal, & qu'ils ne font bons qu'a proportion que 1'éducation ou 1'expérience a pu modérer la fougue de leur tempérament. J'ai connu Ie grand Maréchal de la cour, Printz, qui vivoit encore en 1724; fous Ie règne du feu Roi il avoit été Ambafiadéur chez le Czar; il m'a raconté que lorsqu'il arriva a Pétersbourg, & qu'il demanda a préfenterfes lettres de créance, 011 le menafurutï vaifleau qui étoit encore fur le chantier: peu accoutumé a de pareilles audiences, il demanda 0% M 7  fa7$ CO RRESP0N3JNCE. étoit Ie Czar. On Ie lui montra qui accommodoit les cordages au haut du tillac.' Lorsque le Czar. eut appar$u M. de Printz. il 1'invita a venir a luipar le moyen d'une échelle de corde; &: comme il s'en excufoit fur fa maladreffe., ie Czar defcendit comme un matelot, & vint le joindre. La eommiflion dont M de Printz éioit chargé lui ayantété trés-agréable, ce prince voulut donner des marques éclatantes de fa fatisfaétion; pour cet effet il fit préparer un feftin foraptueux, auquel M, de Printz fut invité. Ony buta la facondesRuffes de 1'eau de vie, & on en but brutalement. Le Czar, qui vouloit donner un reliëf particulier a cette fête | fit amener une vingtaine de Strélitz qui étoient détenus dans les prifon dePétersbourg, & a chaque grand verre qu'on vidoit, ce monftre af. freux abattoir la tête de ces miférables. Ce prince dénaturé voulut, pour donner une marqué de confidération particulière a M. de Printz , lui procurer, fuivant fa fagon de parler, le plaifird'exercer fon adrefl'e fur ce.- malheureux. Jugez de 1'effet qu'une pareille propofnion dut faire fur un homme qui avoit des fentimens, & le cceur bien placé. M. de Printz, qui ne le cédoit pas en fenti. mens a qui que ce fut, rejeta une offre qui en tout autre endroit auroit été regardée comme injurieufa au caraftère dont il étoit revétu, & qui n'étoit qu'une fimple civilité dans ce pays barbare. Le Czar penfa fe. facher de ce refus, &i! ne put s'eru. gécber de lui donner quelques marqués de fon in*-  CORRESPONDANCE. 279- dignstion, ce dont cependant il lui fit le lendemain réparation. Ce n'eft point une hiftoire faiteaplarfir: elle fi-vraie, qu'elle fe trouve dans les relations de M. de Printz. 1'on conferve-dans les archives. J'ai même parlé a plufieurs perfonnes qui ont été a Pétersbourg dans ce temps-la, lesquelles m'ont attefiê ce fait: ne n'eft point un conté fu de deux ou de trois perfonnes, c'eft un fait notoire. De ces horribles cruautés paflbns a un fujet plus gai,. plus riant,plus agréable; cefera lapetitepièce qui fuivra cette tragédie.. 11 s'agit de la Mufe de GrelTet, qui a préfenteft une des premières du Parnafle francois. Cet aimable poëte a le don de s'exprimer avec beaucoup de facilité, fes épithètes 'font juUts & nouvelles ; avec cela i! a des tours qui lui ton propres ; on airae fes ouvrages malgré leurs défaut?. II eft trop peu foigné fans contredit, & fa pareffe dont il fait tant 1'eloge, eft la plus grande rivale de fa réputation. Grefiet a fait une ode fur faraour de la patrie, qui m'a plu infiniment; elle eftpleine de feu & de morceaux nchevés; vous aurezremarqué les vers de huit fyllabes réufiiiTent mieux a ce poëte que ceux de douze. Malgré Ie fuccès des. petites pièces de GrefTet, je ne crois pas qu'il reuC frfle jamais pour le théatre ou pour 1'épopé? :il ne fuffit pas de fi nples bluettes d'efprit pour des pièces de fi longue haleine; il faut de la force, il faut de la vigueur, & un efprit vsf & mür pour y réilfir. . '.cjad' 'löcv "iïu:  283 CORRESPONDANCE. On copie, felon que vous Ie fouhaitez, la cantate de Ia le Couvreur; je 'enverrai échouer aCirey. Des oreilles frangoifes, accoutumées a des vaudevilles & a des antiennes, ne feront guères favorables aux airs méthodiques & expreffifs des Italieos. 11 faudroit des muficiens en état d'exécuter cette piéce dans le goüt oü elle doit êtrejouée; fans quoi elle vous paroitra toute auffi touchante que le róle de Brutus récité par un acteur fuifteou autrichien. Souvenez-vous, jevousprie, que vous m'avez envoyé il a quelque temps les deux premières épitres morales, des quatre que vous avez compofées. Céfarion vient d'arriver avec toutes les pièces dont vous l'avez chargé, dont je vous remercie mille fois. Je fuis partagé entre 1'amitié, la curiofité & la joie. Ce n'eft pas une petite fatisfaftionquede parler a quelqu'un qui vient de Cirey, que dis-je ... a un autre moi-méme, qui m'y transporte, pour ainfi dire; je lui fais mille queftions a la fois, & 1'interrompant autant de fois, je 1'empêche même de me fatisfaire. 11 nous faudra quelques jours avant d'être bien en état de nous queftionner.- Je m'amufe fort mal a propos a vous parler de 1'amitié , a vous qui la conuoiffez fi bierr & qui en avez fi bien décrit les effets. Je ne vous dis encorerien de vous ouvrages; il me les faut lire a tête repofée pour vous en dire mon fentiment; non que je m'ingère a les apprécier, ce feroit faire tort a ma. jnodeftie. Je vous expoferai nies doutes, &vous  CORRESPONDANCE. 281 confondrez mon ignorance. Mes falutations a la fublime Emilie, & mes encens pour le divin Voltaire. C^ 17 Mars 173$. M on cher ami, c'eft la marqué d'un génie bien fupérieur que de recevoir comme vous le faites les doutes que je vous propofe fur vos ouvrage. Vosla Machiavel raye de la lifte des grands hommes, & votre plume regrette de s'être fouillée de fon nom. L'Abbé Dubos', dans fon parallèle de la poëfie & de la peinture, cite cet Italien politique au nombre des grands hommes que 1'italie a produits depuis le renouvellement des fciences: il s'efttrompé aflurément, & je voudrois que dans tous les li* vres on póf rayer le non de ce fourbe politique du nombre de ceux oü le vötre doit tenirle premier rang. Je vous prie inftamment de vouloir continuer 1'hiftoire du fiècle de Louis legrand; j'amaisl'Europe n'a vu de pareille hiftoire, & j'ofe vous aflïirer qu'on n'a pas même 1'idée d'un ouvrage auffi parfait que celui que vous avez comraencé. J'ai mérae desraifonsqni me paroiflent plus preftantes encore pour vous prier de finir cet ouvrage. Cette phyfique expérimentale me fait trembler; jecrains levifargent, je crains le laborato ire, & tout ce que ces expériences entrainent après elles de nuifible a la fanté; je ne faurois me perfa ader que vous ayez  252 CORRESPONDANCE. Ia moindre amitié pour moi, fi vous ne voulez vous ménager. En vérite, Madame Ia Marquife devroit y avoir 1'ceil; j'étoits a fa place, je vous donnerois def occupations fi agréables, qu'elles vons feroient oublier toutes vos expériences. Vous fupportez vos douleurs en véritable philofophe. Si nous voulions ne point omettrele bien dans le compte des maux que nous avons a fouffrir au monde, nous trouverions toujours que nous ne fommes pas tant malheureux. Une grande partie de nos maux ne confifte que dans la trop grande fertilité de notre imagnination, mêlee avec un peu de rate. Je fuis fibiea au bout de mamétaphyfique,qa'il me feroit impoffible de vous en dire davantage. Chacun fait des efforts pour deviner les efforts cachés de la nature; nefe pourroit-il pas que les phüofophes fe trompafient tous? Je. connois* autant de fyftèmes difFérens qu'il y a de philofophes: tous ces fyftèmes ont un degré de probabïlité ; cependant ils fe concredifent tous. Les Malabares ont calculé les révolutions des globes cdlefl.es fur le' principe que le foleil tournoit autour d'une grande montagne de leur pays, & ils ont calculé jufte. Après cela qu'on nous vante les prodigieux eiTorts de la jaifon humaine & la profondeur de nos vaftes connoiffances. Nous ne favons que peu de chofes réellement; mais notre efprit al'orgueilde vouloir tout erabrafler. La métaphyfique me paroiffbit autrefois un pays propre a faire degrandes décou-  CORRESPONDANCE. 283. verte*-- a préfent elle ne me préfente qu'une mer fameufe en naufrages. Jenue j'aimois Ovide, a préfent c'eft Horace. Boir. La métaphyfique eft Comme un charlatan; elle promet beaucoup, & 1'expérience feule nous fait connoitre qu'elle ne tientrien. Après tout ce qu'on obferve, foit en étudiant les fciences, ou 1'efprit des hommes, on devient naturellement enclin au fcepticiftae. & vouloir beaucoup connoitre eft fouvent apprendre a douter. La philofophie de Newton, a ce que je vois, m'eft parvenue plutót qu'a fon auteur. Le titre m'en paru affez fingulier, & il paroït bien que ce livre le tient de la libéralité du libraire. Un habile algébrifte de Berlin m'a parlé de quelques légères fautes decalcul; mais d'ailleurs les connoiffeurs en ont paru charmé. Qjanta moi, qui juges beaucoup de coanoiffance de ces fortes de matières, j'aurai un jour qjelques éclairciffemens a vous demander fur ce vide qui me parolt fort merveilleux & incompréhenfible, & fur le flux & le refluxde de la mer caufé par 1'ar.traction, encor: fur la raifon des couleurs &c. Je vous demanderai ce que Pierrot ou Lucas vous- demanderoient, fi vous les ïn> ftruifiez fur de pareils fujets, & il vous faudta quelque peine encore pour me convaincre. Je ne diC conviens point d'avoir appercu quelques vérites frappantes dans Newton-, mais n'y auroit il point de principes trop étendus, en un mot du filigrans  284 CORRESPONDANCE. mêlé avec des colonnes de 1'ordre tofcanDés que je ferai de retour de mon voyage, je vous expoferai tous mes doutes. Souvenez-vous que. Vers la vérité le doute les conduit. A propos de doute: je' viens de lire les trois derniers actes de Mérope. La haine aflbciée a Ia plus noire envie ne pourront a préfent rien trouver a cette admirable piéce. Ce n'eft point paree que vous avez eu égard a ma critique, ce n'eft point que 1'amitié m'aveugle; mais c'eft la vérité, mais c'eft paree que Ia Mérope eft fans reprochej toutes les régies de la vraifemblance y font obfer▼ées, tous les événemens y font bien amenés. Le caractère d'une mêre tendre que Ia tendreffe trahit, vaut tous les originaux van Dick; Polyphonte cónferve a préfent 1'unité de fon caraétère, & tout ce qu'il dit répond è ce caractère de tyran foupconneux; Narbas a dans fes confeils toute Ia timidité ordinaire des vieillards, il refte natureliement fur le thé4tre; Eurycles parle comme parleroit Voltaire s'il étoit dans fa place ; il a le cceur trop noble pour comraettre une baflefie, il a du courage pour venger les manes de fon père, il eft modefte aprés fes fuccés & reconnoiflant envers fes bienfaiteurs. Seroit-il permis a un Allemand, a un ultramontain de faire une petite remarque grammaticale fur les deux derniers vers de la piéce? O tempora, o mores! Un Béotien veut accufer Démofthêne d'un folécifme! II s'agit de ces deux vers: Allons monter au tróne, eu y placant ma mére,  CORRESPONDANCE. Et vous, mon cher Narbas, foyez toujours mon père. Cet fi? vous, mon cher Narbas, eft ce a dire qu'on placera Narbas fur le tróne en y placant ma mère & vous? ou eftce a dire, Narbas, vous me fervirez toujours de père? Ne pourriez-vous pas mettre? Allons monter au tróne, & plafons y-ma mère; Pour vousy mon cher Narbas, foyez toujours mon père. Voila qui eft bien impertinent, jemériteroisd'étre, chaffé a coups de fouet du Parnaffe francois: il n'y a que 1'intérêt de mon ami qui ma fade commettre des incongruités pareilles. Je vous prie, reprenez-moi, & mettez moi dans mon tort. Vous aurez trouvé que ceplacons 31 n'eft pas affez harmonieux; je 1'avoue, mais il eft plus intelligible. Voila ma pièce politique telle que j'ai eu deffein de la faire imprimer ;j'efpère qu'elle ncüfortira point de vos mains, vous en comprendrez vous-même les conféquences.' Je vous prie de m'en dire votre fentiment en gros, fans entrer aucun détail des faits; il y manque un mémoire que j'aurai dans peu, & que vous pourrez toujours y faire ajouter. Les mémoires de 1'academie que je fais venir, feront ma tache pour cet été, & pour l'automne; Je vous fuis, quoique de loin, dans mes occupations, comme une tortue qui rampe fur la pifte d'un cerf. Le jeune homme, auteur de 1'allégorie, charmé  s8Ö CORES RPOND/tNCE. de votre approbation, fent échauffer fa veine; elle a déja produit quelque échantillon nouveau, comme vous Ie pourrez voir: il n'y a que Ie nom de Voltaire qui nous faffe.compofertous tant que nous fommes; ce n'eft point notre colêre qui nous vaut un Apollon, c'eft vous qui nous Ie valez. La Mérope du Chevalier Maffei eft en chemin; elle doit arriver dans peu. Le paquet dont on vous a avifé & que le fubftitut de Trouchinne vousa point envoyé, contient quelques bagatelles pour Ia Marquife. C'eft un meuble pour fon boudoir: je vous prie de 1'siTurer de 1'eftime que m'infpirent tous ceux qui favent vous airaer, Céfarion me paroit un pea touché de la Marquife: il me dit: quand elle parloit, j'étois amoureux de fon efprit, & lor;qu'elle ne parloit pas, je 1'étois de fon corps. Heureux font les yeux qui 1'ont vue & les oreilles qui 1'ont entendue! Plus heureux ceux qui connoiflent Voltaire & qui le poffédent tous les jours! Vous ne fauriez croire a quel point je fuis impatient de vous voir. Je me laffe horriblemtnt de ne vous connoitre que par les yeux de la foi; je voudrois bien que ceux de la chair euflent auffi leur tour. Si jamnis on vous enlève,comptez que ce fera moi qui ferai Ie róle de Paris. . Soyez perfuadé de tous les fentimens avec lesquels je fu;s Votre trés-fidelle ami. fe 18 Juin 1738.  TABLE DES MATIERES. P I ë J~ i e s. Epitre a Catt. ' Pag. 3. Epitre a Monfieur Miichel, fur P origine du mal. 7. Le conté iu violon. i<5. Les deux clxens & rhomme. Fable. 18. Discours de f Empereur Othon ii fes amis après la perte de la batailie de BéJiiac. 1$. Discours de Caton d'Utique a fon fik cj? a fes amis avant de fe tuer. 23. Allègorie. 26. Facit ie au Sieur cf Alembert, grand géomètre ,in- digr.é contre le frivole plaifir de la poëfie. 30. Au Marquis tTArgens, après l'aftairede Reichtn- bach. 24. Au Marquis ePArgens, fur fon Timée de Lteres qu'il lui avoit erivójé. 37. Ftrsfaits pour être envoycs par un Suiffe a certai- ne Deinoifelle Ulrique dont il étoit amoureux. 42. Autre Epitre pour l'amoureux Suiffè. Réponfe a Demoifelle Ulrique. 45, Encore Epitre du Suiffe au cabinet de Mademoi- felle Ulrique. 47, D'un Suiffe. 49 Epitre a ma fceur de Bronswic, Qu'il eft des plaifirs pour tout dge. 50.  A mes tieveux les Princes Fréderic S? Guillaume £ de Bronsivic. 55» Epitre fur le trop & le trop peu, a Madame Morian. 59. Fers rècités a Sans ■ Sonci d la Ducbeffe de Brons- wie par une actrice déguifée en bergère, quiPin- vitoit ü voir une comédiepréparée pour elle. 61. A PAbbé Bafliani. , 62. Fers de la levrette Diane a la Prince fe de Pruffe. 6 3. Au Baron de Pcellnitz, fur fa convalefcence. 63A la Princeffe Amélie. 66. Prologue de comédie. 67. Epitre ■ contre Meffieurs les Ecornifleurs, en grec Pbilocoprat- 71. Epitre a Foltaire. 74. Epitre fur ma convalefcence, 75. Elégie a ma fceur Amélie, pour la confoler de la perte de Mademoifellc Ilertefeld. . 79. f Fers de PEmpereur de la Cbine. 84. Au Marquis dP Ar gens, furfon jour de naiffance. 88. Codicille. 89. ,Epitre au Lit du Marquis tf Argens. 95. Correspokdakcë. Lettres a Monfieur Jordan. 99. -165. Lettres a Monfieur de Foltaire. 166.-285.