,0 E U V R E S PO S TH U M ES D E OFREDERIC II, RO I .D E P R US S E. T OME X. SU1VANT LA CÓPIE IMPRIMë'e A BERLIN chkz YOSS ETlDEC.K^Rr x 7 8 9«   CORRESPONDANCE. SUITE DES LETTRES MONSIEUR DE VOLTAIRE. 'M on neveu m'a écrit qn'il fe propofoit de vifiteï en paffant le philofophe de Ferney; je lui envie la plaifir qu'il a eu de vous entendrc. Men nom étoïs de trop dans vos converfations, & vous aviez tans , de matières a traker,, que leur abondance ne voug impofoit pas la néceffité d'avoir recours au folitaira de Sans Souci pour fournir a vos entretiens. Vous me parlez d'une colonie de philofophes qui fa propofent de s'établir a Clêv-es ; je ne m'y oppofs point, je puis leur accorder ce qu'ils demandentt au bois prés, que le féjour de leurs compatriotes apresque entièrement détruk dans ces forêts; toutefois a condicion qu'ils ménagent ceux qui doivent être ménagés & qu'en imprimant ils obfervent da la décence dans ieurs écrits. La fcèue qui s'eft palTée a Auiiens eft tragique; mais n'ya-t-il pas de la faute de ceux qui onc été A 2 A  4 CO RRESPO ND ANCE. punis?Faut-il heurter de front des préjugés que le teirps a confacrés d*ns 1'efpri: des peuples, & fi 1'oh veut jouir de la liberté de penfer, faut-il infulter a Ia croyance établie? Quicouque ne veut point remuer, eft rarement perfécuté. Souveuez. vous de ce mot de Fontenelle: „fi j'avois la main „pleinede vérités, difoit il, j'ypenferpis plus d'urie ,fois avant de 1'ouvrit." Le vulgaire ne mérite pas 'd' êire éclairé, & fi vos patlemens ont févi contre ce malbeureux jeune homme qui a frappé ce figne que les chrétiens révèrent comme le fymbole de leur falnt, accufez-en les lois du royaume; c*eft felon ces lois que tout magiftrat fait ferment de iuger; il ne peut prononcer fa fentence que felon ce qu'elles contiennent, & il n'y ,a de reflburce pour 1'accufé qu'en prouvant qu'il n'eft pas dans le cas de la loi. £i vous me demandez, fi j'aurois prononcé un arrêt auffi dur, je vous dirai que non, & que felon mes lumiêres naturelles j'aurois propor« tionné Ia punition au délit: vous avez brifé une flatue, je vous condamne a Ja rétabün vous n'avez pas óté le chapeau devant le curé de la paroifle qui portoit ce que vous favez, eh bien! je vous condamne a vous préfenter quinze jours confécutifs fans chapeau a 1'églife; vous avez lu des ouvrsges de Voltaire, oh .ca, Monfieur le jeune homme, »1 eft bon de vous farmer le jugtment, & pour eet efct on vous enjoint d'étudier Ja fomme de faint Thomas; & le quidam de M. Ie Curé, 1'étourdi atuoit peut-être été pimi plus févèremem de cette  CGRRESPOND A'NCE. aianièïe qu'il ne Ta été par ces juges; car 1'ennui e'ft un fiêcle & la mort un moment. Que le ciel ou la deftinée écartent cette mort de votre téte, & que vous éclairiez doucement & paifiblement ce fiêcle que vous illulfrez! Si vous venez a Cléves, j'aurai encore le plaifir de vous revoir & de vous aflurer de 1'admiration que votre beau „ .ie nVa toujour's infpiré.' Sur ce' &c.' Je crois que vous avez deja recu les lettres que je vous ai écrites fur ie fujet des émigrans. II ne dépend que des philofophes de, partir & cTétabl ï leur fdjour dans le lieu de mes États qui leur conviendra le mieux. Je n'entends plus parler cte Tronchin; je lê crois parti, & fuppofé qu'il foic encore ici, cela ne le rendra pas plus inftruit de cs qui fe pafle chez moi & de ce que je vous écris. Qaant a ceux dft Beine, je fuis très-réfolu a les" Jaiiler bruler des livres, s'ils y trouvent cu plaifir» paree que tout le monde eft msiire chez foi, &' qu'importe a nous autres qu'ils brülent M. de Fleury ? N'avezvous pas fait palfer par les flammes* les cantiques de Salomon pour les avoir mis en bsaux vers francois? Lorsque les magiftrats & les ihéologiens fe mettent en train de brüler, ils jete*' roient la bible au feu, s'ils la rencontroient fous leürs mains. ïoutes ces chofes qui viennent d'airiveï 4' 3  f CORRESPONDANCE. aux Calas, aux Syrven, & en dernier lieu a Amiens, me font foupconner que la juftice eft mal adminiftrée en France , qu'on fe précipite fouvent' dans les procédures & qu'on s'y joue de la vie des hommes, ie Préfident Montesquieu étoit prévenu pour cette iurisprudence qu'il avoit fucée avec le Uit; cela ae m'empêche pas d'être perfuadé qu'elle a grand befoin d'être réformée, & qu'il ne faut jamais laifler aux tribunaux le pouvoir d'exécuter des fentence* de mort, avant qu'elles n'ayent été revues par des tribunaux fuprêmes & dgnées par - lé fouverain. C'eft une chofe pitoyable que de caffer des anêts & des fentences • quand les vi&imes ont péri; il faudroit punir les juges & les relheindre avec tant d-exaditude, qu'on n'eüt pas déforraais de pareiHe» -echutes a craindre, Sartcho Panca étpit un grandiurisconfulte; il gouvernoit fagement fon 11e de Barataria; il feroit a fouhaiter que les préSdiaua «uflent toujours fa belle fentence fous les yeux; ils rtfpeéteroienc au motos davantage la vie des malheoicux, s'ils fe rappeloient qu'il ftut mieux fauver un coupable que de perdre un innocent. Si je me ïe rappele bien, c'eft a Touloufe oü il y a une meiTe fondée pour la pie, qui couvre encore de bonte la mémoire des magiflrats inconfidérés qui firent exécuter une fille innocente , accufée d'un vol qu'une pie apprivoifée avoit fait; mais ce qui me révolte le plus, eft eet ufage barbare de douner la queftion aux gens condamnés, avant de les mener au fupplice: c'eft une crtistué en pure perte  ÖORRESPO ND A NCE. f & qui fait horreur aux ames compatiflantes qui onc encore confervé quelque fentiment d'humanité. Nous voyons encore chez les nations que les lettres ont le plus poües, des reftes de 1'ancienne férocité de leurs mceurs,' II eft bien difficile de rendre la genre' humain bon & d'achever d'apprivoifer cec animal le plus fauvage de tous. Cela me confirmd dans mon fentiment, que les opinions n'influene que foiblement fur les a&ions des hommes car ja vois partout que leurs paffions 1'emportent fur le raifonnement. Suppofons donc que vous parvinfïïrr a faire une révolution dans Ia facon de penft r, ta fëcte que vous formeriez feroit peu nombreufe, paree qu'il faut penfer pour en étre & que peu da perfonnes font capables de fuivre un raifonnement géométrique & rigoureus. Eens comptez-vous pour rien ceux qui par état font öppofés- aux rayons de lamière qui découvrent leur turpitude? ne comptez» vous pour rien les primes auxquels on a inculqué qu'ils ne règnent qu'autant que Ie peuple eft attaché; t la religion? ne comptez-vous pour rien ce peuple qui n'a de raifon que les préjugés, qui hait les nouveautés en général & qui eft incapable d'em* bralTcr celles dont il eft queftion, qui demandenc des tétes métaphyfiques & rompues dans la dialecti que pour ètre concues & adoptées? Voilé de grandes difficultés que je vous propore & qui je cfois fe trouverout étemellement dans le chemin de céux qui voudront annoncer aux nations uns religion fimple & raifonnable. . A 4  correspondance: Si' vous avez quelque nouvel ouvrage dans votr* portefeuille, vous me ferez plaifir de me 1'entover les livres nouveaux qui paroiffent a préfent, font re'gretter ceux du cotnmencement de ce fiêcle.. L'hiftoire de 1'abbé Veliy eft ce qui * P*™ de meilleur; car je n'appelle pas des livres torn cetaad'ouvrages foits fur Ie commerce & fur lagncu.tnre, par des auteurs qui n'ont jamais vu ni vaifleaux ni charmes. Vous n'avez plus de poëtes dtamat!-. aues en France, plus de ces jolis- vers de fociété dont on en voyoit tant autrefoi» Je «marqué u» efprit d'analyfe & de géométrie dans tont ce-qu on écrii; maia les belles lettres font fur leur déclffl* plus d'orateurs célèbres, plus de vers agreables, «lus de ce. ouvrages charmans qui falfoient autrefois une partie de la gloire de la nation franco.fe. vous avez le dernier foutenu cette gloire; mats vous rfaurez point de fucceiTeurs. Vivez donc long, temps.confervez votre fanté & votre belle humeur, & quê le Dieu du goüt, les Mufes & ApoUon, p» leur puiffmt fecours, prolongent votre carrière & vous rajeuniiTent plus réellement que les filles de Pclée n'eurent intention de rajeunir leur père! jy prendrai plus de part que.perfonne. Au moins ayant Lrlé d'Apollon , il ne m'eft plus permis , fans commettre un me'ange profane, de vous recommaadet a la fainte garde de Dieu. Vous  CO RR.ESP ON~D ANCE. £ vs aurez vu par ma iettre précédente que des ptiilofophes paifibles doivent s'attendre d'être bieu recus chez moi. Je n'ai ni vu ni parlé au fils dè 1'Hippócrate moderne. Je ne fais ce qui peut être sranfpiré du deflein de vos philofophej; je m'en lave les mainp. Jé fuis ici dans une province' oü Fön préfère la phyfique a la métaphy fique; oö culcive fes charaps, on a rebaii huit mille niaifons & 1'on fait des milliers d'enfans par an, pour rempkeer ceux qu'une fureur politique & guerriêre a fait périr. Je ne fais fi, tout bien confidéré, 11 n'eft pas plus avantageux de travailler a> lapopulation qn'a faire de mauvais argumens ? Les feigaeurs & le peuple, occupés des foius de leur rétablis.' fement, vivent en paix; ils font fi pleins de leur ouvrage, que perfonne ne fait attention au culte de fon voifin. Les étincelles de haine do reiigion" qui fe ranimoient foüvent avant la gutue , font éteintes, & 1'efprit de tolérance gagne journalle*' ment dans la facon de penfer générale des h^bitans. ' Groyez que ie défoeuvrement donne lieu a la plupart des difputes; pour les éteindre en France, il ne' faudroit que renouveler les temps des défaites de Poitiers & d'Azincourt.' vos eccléfiaftiques & vos pariemens , fortement occupés de leurs propres affaires, ne penferoient qu'a eux & laifieroient le public & le gouvernement tranquilles. Cefl: una propofition a faire a ces Meffieurs; je doute touteA 5  10 CORRESPONDANCE. fois qu'ils 1'approuvent. Vos ouvrsges font répandus ici & entre les mains de tout le monde; il n'y a Point de peuple, point de climat oü votre nom ne perce, point de fociét.é policée oü votre réputation ne brille. Jouiffez de votre gloire, & jouiflezen long-temps. Sur ce &c. Vo u s n'avez pas befoin de me recommander les philofophes; ils feront tous bien re9us , pourvu qu'ils foient modérés & paifibles. Je ne puis. leur donner ce que je n'ai pas; je n'ai point le don des miracles & ne puis reffufciter le bois du pare de Clèves que les Francais ont coupé & brülé; mais d'ailleurs ïls trouveront afyle & fureté. 11 me fouvient d'avoir lu dans ce livre brülé dont vous me parlez, qu'il étoit imprimé a Berne; lesBemois ont donc exercé une jurisdiftion légitime fur eet ouvrage; ils ont brülé des conciles, des controverfes, des fanatiques &des papes,a quoi j'applaudis fort en qualité d'hérétique. Ce ne font que des niaiferies en comparaifon de ce qui vient d'arriver a Amiens; rótir des hommes, pafïe la laillerie ; jeter du papier au feu, c'eft humeur. Vous devriez par reprét'ailles faire un auto- da-fé a ?erney, & condamner aux flammes tous les ouvrages de théologie & de controverfe de votre voifinage, en railémblant autour du brafier des théolo-  CORRESPONDANCE. i'ï giWs de toute fecte, pour les re'galer de ce doux fpetfacle; pour moi, dont la foi eft tiède , je tolère tout le monde, a condition qu'on me tolére moi; fans m'embarraiTer même de la foi des autres. Vos miffionnaires deffilleront les yet'x a qüelques jeunes gens qui les liront ou les fréquen. teront; mais que de bêtes dans le monde qui ne penfent point, que de perfonnes livrées au plaifir que le raifonnement fatigue, que d'ambitieux occupés de leurs projets ? Sur ce grand nombre corabien peu de perfonnes airaent a s'inftruire & a s'éclairer? Le brouillard épais qui aveugloit 1'humanité du Xme au XlUme fiêcle eft diffipé; cepeudant la plupart des yeux font myopes, quelquesuns ont les paupières collées. Vous avez en Frauce des convulfionaires, en Hoïïande on connoit les fins, ici les piétiftes; il y aura de ces efpèces • la tant que le monde durera, comme il fe trouve des chênes ftériles dans les foréts & des frelons prés des abeilles. Croyez que fi des philofophes fondoient un gouvernement, au bout d'un demi - fiêcle le peuple fe forgeroit des fuperftitions houvelles & attacheroit fon culte è un objet quelconque qttf frapperoit fes fens; ou il fe feroit de petites idolesi ou il révéreroit les tombeaux de fes fcmdateurs, ou il invoqueroit le foleil, ou quelque abfurdité pareille 1'emporteroit fur le culte pur & fimple de 1'être fuprême. La fuperftition eft une foiblefle de 1'efprit humain; elle eft inhérente a eet étre; elle a toujours été, elle fera toujours; les objets d'a*A' 6  42 CORKESPONDANCE. doration pourront changer comme vos modes de France; mais que m'importe- qu'on fe profterne devant une pate de pain-azyme, devant le bceuf Apis, devant l'arche de 1'alliance, ou devant une flatue? le cboix ne vaut pas la peine, la fuperftition efl la même, & la raifon n'y gagne rien; mais de fe bien porter h 70 ans, d'avoir 1'efprit libre, d'être encore 1'ornement du Parnafle & eet 4ge,. comme dans fa première jeuneffe, cela n'eft pas indifférent; c'eft votre deftin, je fouhaite que vous en jouiffiez longtemps & que vous foyez auflL fceureux que le comporte la natute humaine. Sur ce -&c Ja vous fais mes remerciinens pour la belle tra. gédie que je viens de recevoir, & pour lesouvrages intéreflans que j'attends encore & qui newrderont. pas d'arriver. J'ai donné commiffion de chercher 1'abrégé de Fieury , s'il s'en trouve a Betlin, pour vous 1'envoyer. On prétend qu'undofteur Ernefti a réfüté eet ouvrage ; mais ce= qu'il y a de plaifant, c'eft qu'étant luthérien il- s'eft vu néceffité de plaider la caufe du pape, ce- qui a fort édifié la cour. de Saxe, Je vous- envoie en même temps un poëme fin» julier pour le chois du fujet, ce font les réflexions. «ie-l'Bfflpereur Mare- Aurèle, mifes. en vers. J'aime.  COKRESPONDdNCE. t3 encore la poé'fie. Je. n'ai que de foibtes'talens; jnais comme je ne barbouille du papier que pour m'amufer, aufïï peu importe-1- il au public que je joue au wisc ou que je lutte contre la difficulté de la verfification; ceci eft plus facile & moins hafardeux que d'attaquer 1'hydre de la fuperfthion.Vous croyez que je penfe que le peuple a befoin du frein de la religion pour é;re contenu; je vous* afiure que ce n'eft pas mon fentiment;au contraire, 1'expérience me range entièrement de 1'opiuion de Bayle. Une fociété ne fauroit fubfifter fans lois, mais bien fans religion, pourvu qu'il y ait un pouvoir qui par des peines aflMives contraigne la multitude a obéir a ces lois; cela fe confirme par 1'expérience des fauvages qu'on a trouvés dans les lies Marianes, qui n'avoient aucune idéé métaphyfique dans leur tête; ceia fe prouve encore plus par le gouvernement chineis oü le théisme eft Ia> religion de tous-les grands de 1'état. Cependant, Comme vous voyez que dans cette vafte monarchie le peuple s'eft abandonné a la fuperftition des bonzes , je foutiens qu'il en arriveroit de méme ailleurs, & qu'un Etat purgé de toute fuperftition ne fe Ibutiendroit pas longtemps dans la pureté, mais que de nouvelles abfurdités reprendroient la place des anciennes, &■ cela au bout de peu de temps. La petite dofe de bon fens répandue fur la furface de Ce globe eft, ce me femble, fuffifante pour fonder une fociété généralement répandue, i peu p{è*, comme celle des Jéfuites, mais non pas un A 7  u CORRESPONDSJNCE. Etat. J'envifage les travaux de cos philofophes d*a préfent comme très-utiles, paree qu'il faut faire home aux hommes du fanatisme & de 1'iutolérance, & que c'eft fervir l'humaniié que de combattre ces folies cruelles & atroces qui ont transformé nos ancêtres en bêtes carnaflleres: détruire le fanatisme, c'eft tarir la fource la plus funefte des divifions & des haines préfentes a la mémoire de 1'Europe, & dont on découvre les veftiges fanglans chez tous les peuples. Voila pourquoi vos philofophes, s'ils viennent è Clèves, feront bien recus; voila pourquoi le Baron de Werder, Préfident de Ia chambre, a déja été prévenu de les favorifer pour leur établiflement; ils y trouveront fureté, faveur & proteftion; ils y feront en liberté des vceux pour 1q patriarche de Ferney j & quoi j'ajouterai uu hymne en vers au Dieu de la fanté & de la poëfie, pour qu'il nous conferve longues années fon vicaire helvétique, que j'aime cent fois mieux que celui de faint Pierre qui réfide a Rome. Adieu. P. S. Vous me demandez ce qu'il me femble ' de Roufleau de Genéve? Je penfe qu'il eft malheureux & il plaindre. Je n'aime ni fea paradoxes, ni fon ton cynique. Ceux de Neuchatel en ont mal ufé envers lui; il faut refpefter les infortunés, il n'y a que des ames perverfes qui les accablent.  CORRESP ONDJNCE. iS £J 21 extrait du didionnaire de Bayle donJ vous parlez, eft de moi; je m'y étois occupé dans un temps ofi j'avois beaucoup d'aftaires; 1'édition s'en eft reflentie. On en prépare a préfent une nouvelle, oa les articles des courtifannes feront remplacés par ceux d'Ovide Sc de Lucrèce, & dans laquelle on reftituera le bon article de David. Je vous envoie, comme vous le fouhaitez , eet extrait informe, qui ne répond point a mon delTein; il fera fuivi de la nouvelle édition, dès qu'elle fera achevée; mais ce ne (ont que de légères. chiquenaudes que j'applique fur le nez du fanatisme; il n'eft donné qu'a vous de 1'écrafer. 11 a eu le fort des catins; il a été honoré tant qu'il étoit jeune; a préfent dans fa décrépitude cfaacun 1'infulte. Le Marquis d'Ar» gens Pa afféz maltraité dans fon Julien: eet ouvrage eft moins incorrefl que fes autres produdions; cependant je n'ai pas été content de la fortie qu'il fait a propos de rien contre Maupertuis. II ne faut point troubler la cendre des morts. Quelle gloire y a -1 - il a combattre un homme que la mort a défarmé? Maupertuis fans doute a fait un mauvais ouvrage; c'eft une plaifanterie gravement éerite; il auroit da 1'égayer, pour que petfonne ne püt s'y tromper. Vous prites la chofe au tragique, vous attaquÉtes férieufement un badinage, & avec votre redoutable maflue d'Hercule vous écraCkes un moucheron. Pour moi, qui voulois  45 CLOjlRESPONDANCEs conferver la paix dans la maifon, je Cs ce que je pus pour vous empêcher d'éclater. Malgré tour ce que je vous difoïs, vous en devlnteS le peitarbateur; • vous compofétes un libelle presque fous mes yeux, vous vous fervtes d'une permiffion que jevous avois donnée pour un autre ouvrage pour unprimer ce libelle. Enfin vous avez eu tous les torts du monde vis-a-vis de moi; fai fouffert ce aai pouvoit fe foufftir, & je -fapprime tout ce que votre conduite me donna d'ailleurs de juftes fuje.s de Plainte, paree que je me fens capable de pardonner. Vous n'avez rien perdu en quittant ce pavs; vous voila a Ferney entre votre nièce & des occupations que vous aimez, refpefté comme le dieu des beaux arts, comme le patriarche des écrafeurs, couvert de gloire & jouillant de votre vivant de toute votre réputation, d'autant plus, qu'éloigné de plus de cent lieues de Paris, on vous confidère comme mort & 1'on vous rend juflice. Mais de quoi vous avifez-vous de me demander des vers? Plutus a-t-il jamais requis Vulcain de lui fournir de fot? Thétis a-t-elle jamais folhcne le Rubicon de lui donnet fon filet d'eau? Pmsque dans un temps oi» les rois & les empereurs étoient acliamés * me dépouiller, un miférable iaUiant avec eux me pilla mon livre; puisqu'il a paru, je vous <-n envoie uue é dition en gros caraftere. Sivotre nièce fe coiffe a la grecque ou è i'éclipfe', elle pourra s'en fervir en guife de papillotes. J'ai fait des poëlks médiocres; en fait de vers, les  CORRESPONDANCEi Vf médiocres & les mauvais font égaux, & il faut écrire comme vous, ou fe taire. II u'y a pas long-temps qu'un Anglois qui vous a'-vu a paifé ici j il m'a dit que vous étiez un peu voüté; mais que ce feu que Prométhée déroba ne ■vöus manque point; c'eft l'huile de la lampe. Ce feu vous foutiendra, vous irez a 1'age de Fontenelle, en vous moquaut de-ceux qui vous patent des rentes viagères & en faifant une épigramme quand vous aurez achevé le fiêcle. Enfin , comblé d'années, raffafié de gloire & vaisqueur, je vous vois monter 1'Olympe, foutenu par les génies ds Lucrèce, de Sophocle, de Virgile & de Locke, placé entre Newton & Epicure fur un nuage brillaut. Penfez 3t moi quand vous entrerez dans votre gloire.-- Sur quoi je prie Dieu &c. J^J o n 4 il n'eft point de plus plaifant vieillard que vous. Vous avez confervé toute Ja gaieté & 1'aménité de votre jeunefle. Votre lettre fur les rniracles m'a fait poufler de rirej je ne m'attendois pas a m'y trouver, & je fus furpris de m'y voir placé entre les Autrichiens & les cochons. Votre efprit eft encore jeune, & tant qu'il reftera tel, il n'y a rien & craindre pour le .corps. • L'abondance du fluide qui circule dans les nerfs & qui anime le ceiveau, prouve que vous avez encore des resfources pour vivre. Si vous m'aviez dit il y a dix  sf" e&RRF.SP O ND ANCÉ. m ce que vous dites en finiffint votre lettre, vous feriez encore ici. Sans doute que les hommes ont leurs foibleflès, fans doute que la perfeftion n'eft point leur partage, je le reffens moimême, & je fuis convaincu de 1'injuftice qua y a d'exiget des autres ce qu'on ne fauroit accomplir & a quoi foi - même on ne fauroit atteindre. Vous d*viez commencer par-la, tout étoit dit, & je vÖus aurois aimé avec vos défauts, paree que vous avez afiez de grarids wiens pour couvt.r quelques fdiblefles.' II n'y a que les talens qui dillinguent ies grands hommes du vulgaire. On peut s'ein. pêcher de commettre des crimes, mais on ne peut corner un tempérament qui produit de certams défauts,-comme U terre la plus fèrtile, en même temps qu'elle porte le ffömeat, fait éclore de fraai". La' fuperftition'né donne que des herbes vénéneules; il vous eft réfervé de fécrarer avec ; votre redoutable maffue, avec le ridicule que vous répandez fur elle, qui porte coup plus que tous les argumens: peu d'koinmes favent raifonner, tous craignent le ridicule. 11 eft certain que ce qu'on appelle honnêtes gens en tout pays comménce a penters dans la fuperftiïieufe Bohème, en Autriche, ancien fiége du fan»tifme, les perfonnes de mife commencent a ouvrir les yeux, les images des faints ne jouiflent plus du cuite qu'on leur rendoit autrefois. Quelques barrières que la cour oppofe a 1'emrée des bons otivrages, la vétité petce nonoblUnt toutes ces  CaRRESPONDANCS. fjfe précamions: quoique fes progrès ne foient pas ra* pides, c'eft toutefois un grand point que de voir un certain monde qui déchire le bandeau de la fuperftition. Dans nos pays proteftans on va plus vite, & peut-étre nefaudra-t.il plus qu'un fiècie pour que les animofités qui naquirent des partis fuh tttraque & fub una ne foient entiêrement éteintes. D? ce vafte damaine du fanatisme, il ne relte guères que la I'ologne & la Baviêre oü Ia crafle ignorance Öi-fengourdilTeinent des efprits maintiennent encore ]a fuperftition. Pour vos Genevois, depuis que vous y êtes, ils font non feuleraent mécréans > ils font encore tous devenus beans efprits-, ils font des converfations entières en aatithèfes, c'eft un mitacle par--vous opéré, • Qu'efl- ee que reflufciter un mort encoinparaiiöu de donner de 1'imagination a qui ia nature ea a refufé ? En France aucun coma de balourdife qui ne roule fur un Suifl'e; en Allemagne, quoique nous ne pallions pas pour les plus découplés du monde, nous plaifamons cependant la nation helvétique. Vous avez tout changé, vous créez des êtres la oü vous réfidezs vous êtes le Prométbée de Genève.- ,Si vous étiez demeuré ici, nous fetions a préfent quelque chofe, Une fatalité qui préfide aux chofes de la vie, n'a pas voulu que nous jouiffions de tant d'avantages. A peine eótes-vous quitté votre pan ie que la belle littératute y tomba en langueur, & je crains que la géométrie n'étouffe en ce pays le peu de germes qui pourroient reproduire les  CO'RÏRE'SPÖND'ANCZ: beaux arts.' Le bon goal fut enterré a Rome dansles tombeaux de Virglle, d'Ovide & d'Horace; je crains que la France en vous perdaöt n'ait le fort des Romains. Quoi qull arrivé, j'ai été votre1 contemporain, vous durerez autant que j'ai a vivre, & je m'embarrafle peu du goüt, de la ftérilité ouf de 1'abondance de la poftérité. Adiëu. Cultivez votre iardiu, car voila ce qu'il y a de plus fage. J^VcciDEKT'quivouseflWivé attrifiëtous ceux qtii Pont appris; nöus nous flattons cependant qu'il' tfaura point de fakes. Vous n*avez presque poinf de corps , vous' n'êtes qu'efprit , & cét efpm triomphe des maladies & des infirmités de la maiiere1 qu'il vivifia; Je vous félicite des avantages qu'a: remportés le peuple de Génêve fur ie confeil des' deux ■■ cents & fur fes méoiateurs; cependant il mer paroit que ce fuccès paflager ne fera pas de durée." Le canton de Berne & le Roi 'trés-Chrétien fontdes ogres qui ava'.ent de pêtites républiques en fe jouaut; on ne les offenfe pas impunément, & Cr ces ogres fe mettent de raauvaife humeur, c'en eft fait a tout jamais de notre Rome calvinifte: les' caufes fecondes én décideront; je fouhaite qu'elles tournent les chofes a Pavantage des bourgeois qui' me paroiffent avoir le droit pour eux: eu cas de malheur ils trouveront Pafile qu'ils ont demandé &' les-avantages qu'ils défirent, i  ■GO-RR-ES>P-0 NDANCE. Je vous.reniercie des correétions de mes vers^ fen feraibon ufage: la poè'fie eft un délaflemene pour moi. Je fais que le talent que j'ai d'en faire eft des plus bornés; mais c'eft un plaifir d'habitude dont ie me priverois avec peine, qui ne porte préjudice a perfonne, d'autant plus que les pièces que je corapofe n'ennuyeront jamais le public, qui ne les verra pas. Je vous envoie encore deux contes. .C'eft un genre différent que j'ai ejTay.é, pour varier la monotonie des fujets graves par des matières légères & badines. Je crois que vous devez avoir re9U des abrégés de Fleury, autant qu'on en a pu trouver chez le libraire. Voila les jéfuites qui pourrotent bien fe faire cfcafier d'Efpagne: ils fe font mêlés de ce qui ne les regardpit pas, & la .cour prétend favoir qu'H* ont excité les peuples a la fédition. Ici dans mon yoifinage 1'Impératrice de -Ruflïe fe déclare proteatice des diffidens; les évêqucs polonois en font furieux. Quel malheureux fiêcle pour la cour de Rome! On 1'attaque ouvertement en Pologne, on a chafTé de France & de Portugal fes gardes du corps; il paro!t qu'ón en iera autant en Efpagne. Des philofophes.fapent ouvertement .les .fondemens du tróne apoftolique; on perfiffle le grimoire, on éclaboufTe la fefie, on prêche la tolérance, tout eft perdu: ,il faut un miracle pour relever 1'églife ; c'eft elle qui eft frappée d'un coup d'apoplexie terrible, & vous aurez encore la confolation de l'eor Xerrer & de faire fon épitaphe, comme vous fïtfii  jia CORRESPOND ANCE. autrefois celle de la Sorbonne. L'anglois Woolfto» porte la durée de la fuperftition felon fon calcul a deux eens ans: il n'a pu calculer ce qui eft arrivé tout récemmenr. II s'agit de détruire le préjugé qui fert de fondement h eet édince; il s'écroule de lui-même, & fa chute rt'en devient que plus rapide. Voila ce que Bayle a comraencé de faire 5 en quoi il a été fuivi par nombre d'Anglois , & il vous a été réfervé de raccomplir. Jouiflez long*temps en paix de toutes les fortes de lauriers dont vous vous étes couvert; jouiflez de votre gloire & du rare bonbeur de voir qu'a votre couchant vos produ&ions font' auffi brillantes qu'il votre aurore. Je fouhake que ce couchant dure long-temps, & je vous aiïure que je fuis un de ceux qui y prendront Ie plus d'intérêt. J'aurois été faché de vous favoir fitót dans la compagnie de Bayle; hatez-vous lentement de faire ce voyage, & fouvenez- vous que vous fakes 1'ornement de la littérature francoife dans ce fiêcle oü les lettres humaines commencent a dépérir; mais vous vivrez long-temps. Votre vieilleffe eft comme 1'enfance d'Hercule; ce Dieu écrafoit des ferpeus dans fon berceau, & vous, chargé d'années, vous écrafez le fanatifme. Vos vers fur Ia mort du Dauphin font beaux; ie crois qu'ils ont attaqué fainte Geneviêve mal a propos, paree que  CORRESPOND ASQCk *3 la Reine & Ja moitié de la cour oot fait des. vojax ïidicules, au cas que Ie Dauphin cn rechippdr. La Reine a voulu aller a pied de Vcrfaillcsft l'Eglifc 4e faint Médard. Vous n'igcorcz pas faas doute la fainte converfation de l'ifdquc dtf Bcanvaü avec Dieu, qui lui répondit: «ous verrons ceque nous avons a faire. Dans. un temps oü des évêques parient a Dieu & oü les Reines font des pélérinages, les oflemens des bergères 1'emportent fur les '-ftatues des héros, & on plante la les philofophes & les poëtes. Les progrös de la raifon humaine font plus lents qu'on ne le croit. Eu voici Ia véritable caufe: prefque tout le monde fe contente d'idées vagues des chofes, peu ont le temps de les examiner & de les approfondir; les uns, garTottés par les chaines de la fuperftition dès leur enfance, ne veulent ou ne peuvent les brifer; d'autres, livrés aux frivolités, n'ont pas un mot de géométrie dans leur tête, & jouiflent de la vie fans qu'un mement de réflexion interrompe leurs plaiilrs. Ajoutez a cela les ames timides, les femmes peureufes , & ce total compofe la fociété des hommes. S'il fe trouve donc un homme fur mille qui penfe, c'eft beaucoup. Vous & vos femblables écrivez pour lui, le refte fe fcandalife & vous damne charitablement. Pour moi, qui ne me fcandalife point, je ferai mon profit honnête du mémoire des avocats & de toutes les bonnes pièces que vous voudrez m'envoyer; ja crois qu'il faut que toute la cprrerpondance de la  a+ CORRESPONDANCE* SuhTe pafle par Francfort fur le Mein pour-nous parvenir; je n'en fuis cependant pas informé au jufte, vous pourrez 1'apprendre la - bas facilement. Ah l fi du moins vous.aviez fait quelque féjour ,4 JNeuchatel, vous auriéf donné de Pefprit au mo» dérateur & a fa fainte fequelle. A préfent ce canton eft comme la Béotie, en comparaifon de Ferney & des lieux que vous habitez, & uous comme les Lapons. N'oubliez pas ces Lapons; ils aimenc vos ouvrages & s'intéreffent a votre confervation. J e ne fuis pas le feul qui remarque que le génie & les talens font plus rares en France & en Europe dans notre fiêcle qn'a la fin du fiêcle pré. cédent, 11 vous refte trois poëtes, mais qui font du fecond ordre, la Harpe, Marmonrel & Saint Lambert. Les injuftices les fuppots & les tromoettes du fanatisme. Cet édifice, fapé par fes fondemens, va s'écrouler, & les nations inarqueront dans leurs annales que Voltaire fut le promoteur de cette révolution qui fe fit au XVIUme fiêcle dans 1'efpiit humain. Qui auroit dit au XUP* frcle que la lumière qui éclairerojt le monde viendroit d'un petit bourg fuifie nommé Ferney? Ceft ainfi que les grands hommes communiquent leur célébrité aux lieux qu'ils habitent & au temps oü ils fkurifient. On m'écrit de Paris qu'on m'enverra-les -Scytnes. 7e fuis bien für que cette pièce fera intérefiante fc pathétique; henteux talent qui fait le charme  CORRESPONDJNCE. «9 dé tou'tes vos tragédies. J'ai vu des tragédies & des panégyriquës du jeune, poëte dont vóus me parlez; il a du feu & verfifie bien; je vons luis obligé de fon épitre, que vous voulez me communiquer. ' On m'a envoyé le Bélifaire de Marmontel: II 'faut que la forbonne ait été de bien mauvaife humeur pour condamner 1'envie que l'auteur a de fauver Ciceron & Mare-Aurèle. Je foüpconnerois plutot que le gouvernement a cru appercevoir quelques allufions du règne de Juftinien h celui de Louis XV, & que pour chagriner 1'auteur, il a laché contre lui la forbonne comme un mütin accoutumé d'aboyer contre qui on l'excite. Confervez • vous toutefois & ménagez votre vieülefle dans votre quartier-général de Kern?>y. Soivvenez-vous qu'Arcbiméde , pendant qu'on döanoit 1'alTaut a la ville qu'il défendoit, réfolvoit tranquillement un problème , & foyez perfuadé que le Rói Hiérón s'imérelToit moins a Ia confer-' vation de fon géomètre que moi a celle du grand homme que le cordon des troupes francoifes entoure. Je félicite 1'Europe des productions dont vous l'avez enrichie pendant foixante & quatorze années, & je fouhaite que vou.i en ajoutiez encore autant que les Fontenelle, les Fleury, & les Weftor en ont vécu. Avec vous finit le fiêcle de Louis XIV\ C 3  CORRESP ONDANCE. de cette époque G féconde en grands homme: vous étes le dernier qui nous refte. Le dégout' des lettres, la fatiété des chef-d'ceuvres que Tefprit humain a produits, un efprit de calcu!, voila le goüt du temps préfent. Parmi la 1'oule de gens d'efprit dont la France abonde, je ne jrouve pas de ces efprits créateurs, de ces vrais génies qni s'annonctnt par de grandes beautés, des trairs brillans & des écarts même. On fe ptótt a analyfer toui; les Frar^ois fe piquent a préfent d'ètre profonds ; leurs livres femblent faits par de froids raifonneurs ; & ces graces qtsi. leui étoiem fr naturelles, ils les négligent. Un des sneülcurs ouvrage* que j'aye lus depuis longtemps eft ce faclum pour les Calas, fait par un avocat dont le nom< ne me revient pas. Ce facïum efV plein de traits de véritable éloquence , & j'en crois 1'auteur digne de marcher fur les traces des ■Boffuet, non comme théologien, mais comme orateur.. Vöus êtes envlronné d'orateurs qui haranguent a coups de baïonnettes ik de cartouches ; c'eft un voifinage défagréable pour un philofophe qui vit en retraite , plus encore pour les Gênevois. Cela me rappele le conté du SuifTe qui avoit mangé une omelette au lard un jour maigre, & qui entendant tonner s'écria, grand Dieu! voila bien du btuit pour une omelette au lsid. Les Genevois pourront ifaire cette exclamatton en s'adreflam a Louis XV. A la fin ce blocus ne tour.  CO RRESP OND ANCE. '3* nera pas a 1'avantage dw peuple; ca qu'ils pouf. roient faire da plus judicieux feroit de céder aux c'önjontftures &: de s'ticcomjiodet, fi robftwarión & i'animofité ne' les empichent. Leur derniêre refïburce eft YÈSfB tfUttf je leur prepare & qui fe trouve dans un lieu,: comme vous en jugez rrèsbien, qui leiö fera cohvenable. Je ne fais que! eft le jeune homme dont vors me parlez. Je m'infórmerai s'il fe troaye a VVéfel qttelqu'un de ce nom; en cas qu'il y foit, votra recommandation ne lui fera pas inucile. Voila, de faire trois jugetnens bien honteux pou1: ks pailemens de France | ks Calas, les Syrven & la BaVrè devroient ouvrir les yeux au gouvernement & le porter a la réforme des procédures;, mi is on ne corrige ks abus que quand ils font parvemis a leur comble. Quand ces cours de juftice auront fait rouer quelque Dirc & Fair par diflraétlon, les grandes maifons crieront, les «rartiftus meneront grand bruit , & les calamités publiqu.s parviendront tra tróne. Pendant la guerre il y avoit une contsgion h Breslau; on enterroit fix-vingts perfonnes par jour, & une cornteiic dit: Dieu merci, la grande nobkiTe eft épargnée, ce n'eft que le pëuple qui meurt! Voila 1'image de ce que panfent les gens en place qui fe croient pétris de molécuks plus précieufes que ce qui fait la compofition du peuple qu'ils oppriment. Cela a pftsqüe de tout temps été ainfi. L'allure des grandes monardiies eft li mène; ü n'y a que ceux B 4  3f CORRESP0NDJNC&", qui ont fouffert 1'oppreflion qui la connoiflent & la déteftent: ces enfans de la fonune quMle a engourdis dans la profpéihé, penfenc que les moux du peuple font exagération , que des injuftices font des méprifes, & pout-vu que le premier resfort aille, le refte importe peu. Je fouhaite, pursque la deftinée du monde eft d'être raené ainfi, que la guerre s'écarte de. votre habitation & que vous jouiflkz. paiftblement dens. votre retraite d'un repos qui vous eft dü fous les ombrages des lauriers d'Apollon, & je fouhaite encore que dans cette douce retraite vous ayez autant de plaifir que vos ouvrages en ont donné a vos lecleurs; a xnoins d'étre au premier ciel, vous ne fauriez êtte 5 lus heureux» . Je vous plains de ce que votre retraite elf eniourée d'armes. II n'eft donc aucun féjour a 1'abii du tumulte; car qui croiroit qu'une république düt être bloquée par des voifins qui n'ont aucun empire fur elle? Mais je me fiatte que eet orage palTera & que les Genevois ne fe roidiront pas contre la violeuce, ou que le miniftere. frar.cois modérera fa fougüe. Vous voulez favoir le'mot du conté? II ne regarde que moi. Ce conté fut fait Tan ij6i & convenoit affez a ma fituation. relle qu'elte étoit slors. J'ai cotrigé eet ouvrage depuis la paix St Je  CDRRESPONDANCE. 33 je vous f ai envoyé. Je fuis fi ennuyé de Ia po litique, que je la mets de cóté dans mes momcns de loifii & d'étude; je laifTe eet art conjeétaral a ceux dont 1'imagination aime a s'élancer dans Fko» menfe abyme des probabiiités. Ce que je fais de Flmpératrice de Ruftte, c'eft qu'elle a été follicitée. par les diflidens de leur prêtcr fon affiftance & qu'elle a fait, marcher des f argumens munis de canons & de baïonnettes, pour convaincre les évêques polonois des droits que ces diffidens prétendent avoir. il n'eft point réfervé aux artnes de détruire la fuperftition, elle périra par le bras 'de la Vérité & par Ia féduélion de 1'intérêt. Si vous voute? que je développe cette idéé, voici ce que j'entends. J'ai remarqué, & d'autres comme moi, que les endroits ott il y a le plus de couvens & de moines font ceux oü le peuple eft le plus aveuglément livré a la fuperfti. tion. 11 tfeft pas douteux que fi' 1'on parvient a déttuire ces afiles du fanatifme , le peuple ne devieune dans peu indifférent & tiêde fur ces objets qui font aauellement ceux de fa vénération. II s agiroit donc de détruire les cloltres, au moins de commencer a diminuer leur nombre; ce moment eft venu, paree que le gouvernement. francois & celui d'Autriche font endettés, qu'ils ont épuifé les refTources de 1'induftrie pour aCquitter leurs dettes, fans y parvenir. L'appat de ricbes abbayes & de coiwehs bien rentés eft féduifant: en leur lepréfeutant le mal que les cénobites font a la pa13 5  34 CORRESPO ND A NCE. pulation de leurs Etats, ainfi que 1'abus du grand nombre de cuculati qui rempliflent leurs provinces, en même temps que la facilité de payer en partie leurs dettes , en y appliquant les tréfors de ces communautés qui n'ont point de fuccefleurs, je crois qu'on les détermineroit a commencer cette réforme; & il eft a préfumer qu'après avoir joui de Ia fécularifation de quelques bénéfices , leur avidité engloutira fucceflivement le refte. Toutj gouvernement qui. fe déterminera a cette opération, fera ami des philofophes, & partifan de tous les livres qui attaqueront les fnperftitions populaires & le faux zèle des hypocrites qui voudroient s'y oppofer. Voila un petit projet que je foumets a 1'examen du patriarche de Ferney. C'eft a lui, comme .au père des fidelles-, de le rectifier & de 1'exécuter. Le patriarche me demandera peut-être ce que Ton fera des évêques? Je lui réponds qu'il n'eft pas temps gEe„ II n'auroit point avec vergogne Vu fes fpahis mis en hachis, Et de certaine Impératrice, (Qui vaut feule force èmpereurs,) Recu pour prix de fon caprice Des lecons qui devrcient rabaiiTer fes hauteurs» Vous voyez comme elle s'acquitte De tant de devoirs, importans. J'admire avec le vieil hermite Ses immenfes projets, fes exploits éclatans. Quand on polTède fon mérite, On peut fe palier d'affiftans. C'eft pourquoi il me fuffit de contempler fes, grands fuccês, de faire une guerre de bourfe tres. philofophique & de profiter de ce temps de tranquillité pour guérir entièrement les plaies que la dernière guerre nous a faites & qui faignent encore. Et quant a. Monfieur le vicaire, • Je dis vicaire du bon Dieu, Je le laifle en paix en fon lieu S'amufer avec fon bréviaire.  g CQRRESPONDJNCZ. Ilélast il n'eft que trop puni ■ En vivant de cette maniêre, Du fage en tout pays honni, Payé pour tromper le vulgaire, 11 trerable qu'un jour en fon nid 11 n'entre un rayon de lumière Dardé du foyer de Ferney. A fon éclat, -a fes attraits •Difparoitroit le fortilége ; Lors adieu Ie facré colle'ge, La fainte eglife & fes fecrets. LorêKS feroit a cóté de ma vigne que certainement je n'y .toucherots pas. Ses tréfors pourroient féduire des Mandtins, des C ....., des R . & leurs pareils. Ce n'eft pas que je refpedte des dons que 1'abrutiflement, a confacrés; mais il faut épargner ce que le public vénère; il ne faut point donner'de fcandale, & fuppofé qu'on fe crcie plus fage que les autres, il faut par complaifance, par commifération pourJeur foiblelTe, ne point choquer leurs préjugés. dl feroit ii fouhaiter que les prétendus philofo-, pfces de nos jours penfaflent de même. Un ouvrage de leur boutique m'eft tombé entre les mains; U m'a paru fi tétnéraire que je-.n'ai .pu m'empêcher de faire quelques remaiques fur le fyflème de la nature que 1'auteur arrange & fa facon. ]e vous communiqué ces remarques, & fi je me fuis rencontré avec votre facon de ptufer, je m'en ag-  COllRESPONDANCE. 49 -spplaüdïrai; j'y joins une élégie fur la mort d'une dame d'honneur de ma fceur Amélie, dont la perte lui a 'eté trés - fenfible. Je fais que j'envoie ces balivernes au plus grand poëte du fiêcle, qui le difpute k tout ce que 1'aniiquité a produit de plus parfait; mais vous vous relTouviendrez qu'il étoit d'ufage aux temps reculés que les poëtes portaffent leurs tributs au temple d'Apollon; il y avoit même du temps d'Augufte une bibliothèque confacrée k ce Dieu, oü les Virgile, les Gvide & les Horace Jifoient publiquement leurs écrits: dans ce fiêcle oü Ferney s'élève fur les ruines de Delphes, il eft bien jufte qu'on y envoie fes offrandes; il ne inanque au génie qui occupe ces lieux que 1'im. mortalité» Vous en joutrez bien par vos divins écrits, Us font faits pour plaire a tout age; lis favent éclairer le fage Et r'épandre des fleurs fur les jeux & les ris. Quel illuftre deftiu , quel fort pour un poërne D'aller toujours de pair avec 1'éternité! Ah! qu'a cette félicité Votre corps ait fa part de même ! Ce font des voeux auxquels tous les gens de lettres doivent joindre les leurs; üs doivent vous confidérer comme une colonne qui foutient feule par fa force un batitnent ruineux prés de s'écrouIer, dont des barbares fapent déja le fondement. Un effiim de géomètres mirmidons perfécute déja  5» CORRESPONDJNCE. ies belles lettres, en leur prefcrivant des Ipje pour les dégrader; que n'arrivera-1-il pas lorsqu'elles manqueront de leur unique appui, & lorsque de froids itnitateurs de votre beau génie s'efforceronr en vain de vous remplacer ? Dieu me garde de n'avoir pour amufement que des courbes, & d'arides folutions de problèmes plus ennuyeux encore qu'inutiles! Mais ne prévenons point un avenir aufli ükheux, & contentous-nous de jouir de ce que nous poiTédous. O compagnes d'une Déeiïe! Vous que par des iöins aflïdus Voltaire fut en fa jeuneffe Débaucher des pas de Vénus, Gtaces, veillez fur fes années, Vous lui devez .tous vos fecours; Apollon potir jamais unit vos deftiuées, Obtenez d'Atropos d'eu prolonger le cours, E cachex point votre lumiïre fous le boijfeau : c'étoit fans doute a vous que ce paffage s'adrefloit. Votre génie eft un flsrubeau qui doit éclairer le monde; mon partage a été celui d'une foible chandelle qui fufSt a peine pour me guider & dont la prLle lueur difparott a 1'éclat de vos rayons. J'éctis pour m'inftruire & pour m'amufqr, cela ine fi,ffit. Lorsque j'eus aclievé mon ouvrage  CO R RE S PO ND ANC E. $t ■ contre 1'ailiée, je crus ma réfutation trés-orthodoxe , je la relus & je la trouvai bien éloighée de 1'être. II y a des endroits qui ne fauroient-pa» roitre fans eiTaroucher les timides & fcandalifer les dévots. Un peiit mot qui m'eft échappé fur 1'éternité du monde me feroit lapider dans votre patrie, fi j'étois particulier & que je 1'eufle fait itnprimer. Je fens que je n'ai pas du tout ni 1'ame ni le flyle théologiques; je me contente donc de conlerver en liberté mes opinions, fans les répandre & Ic-S femer dans un terrain qui ne leur eft point favo* rable: il n'en eft pas de même des vers au fujec de 1'Iinpératrice de Ruftte, que j'abandonne k votre difpofition, tandis que fes troupes par un enchaiuement de fucc.es & de profpérités me juftifient. Vous verrez dans psu Ie Sultan demander la paix itCatherine, & celie-ci par fa modération ajouter un nouveau luftre a fes viétoires. J'ignore pourquoi 1'Empereur ne fe mêle point de cette • guerre: je ne fuis point fon allié, mais fes fecrets doivent étre connus de M. de Choifeul, qui pouna vous les expliquer. Le cordelier de faint Pierre a brülé mes écrits & ne m'a point excommtmié a Piqués comme fes prédécefléurs en ont eu la couturae. Ce procédé me réconcilie avec lui; car j'ai l'ame bonne. Jé pars pour Ia Siléfie & vais trouver 1'Empereur, qui m'a iuvicé a fon camp de Mo» ravie, non pas pour nous battre comme autrefois, irnrfa pour vivre en bons voifins. Ce prince eft C 2  je CORRESPONDANCE. aimable & plein de mérite; il aime vos ouvrages & les lit autant qu'il peut; il n'eft rien moins que iuperfiitieux; enfin c'eft un Empereur comme de long-temps il n'y en a eu.un en Aliemagne. Nous n'aimons ni fun ni 1'autre les ignorans & les barbares, mais ce n'eft pas une raifon pour les extirper; s'il falloit les détruire, les Turcs ne fe» roient pas les feuls dans le cas. Combien de natjons plongées dans Fabrutiflement, & deveuues agreftes faute de lumières! Mais vjvons & laiflbns vivre les autres. Puifïïez- vous furtout vivre longtemps & ne point publier qu'il e/r des gens dans le nord de 1'Alletnagne qui ne ceflent de rendre jqflice a votre beaja génie I Adieu. A mon retour de Moravie je vous en dirai davantnge. J e n'ai point été füché que ies fentimens que j'annonce au fujet de votre ftatue dans une lettre a M. d'Alembert ayent été divulgués: ce font des vérités dons j'ai toujours été intimément convaincu, & que Maupertuis ni perfonne n'ont effacées de mon efprit. II t'toit tiès-juGe que vous jou.iffiez vivant de la reconjioillance publique , & que je me irouvafie avoir quelque part a cette démonftration de vos contemporains, en ayant tant eu au plaifir que m'ont fait vos ouvrages. Les bagatelles que j'gcris ne font pas de ce genre; elles font un araufement pour moi, je m'inftruis moi-  CORRE SPOND/INCÊ. même en pen fan t a des raatières de philofophie fut I'esquelles je grifFonpe quelquefois trop hardiment mes penfées. Cec ouvrage fur Ie fyftème de la nature eft trop hardi pour les lecteurs aftuels auxquels il pourroit tomber entre ies inains. Je ne veux fcandalifer perfonne, je n'ai parlé qu'a moi. même en 1'écrivant; mais dès qu'il s'agit de s'énoncer en'public, rria maxime conftante eft da ménager la délicateffe des # oreilles fuperftitieufes, de ne choquer perfonne & d'attendre que le fiêcle fóit affez éclairé pour qu'on puiflè impunément penfer tout haut. LailTez donc, je vous prie, cè foible ouvrage dans 1'obfcurité oü 1'auteur 1'a eöndamné, & donnez au public en fa place ce qué vous avez écrit fur le même fujet & qui fera préférablé a tout mon bavardage. Je n'entends plus parler des Grecs modernés; fi' jamais les fciences refkuriflent chez eux , ils feront jaloux qu'un Gaulois par fa Henriade ait furpalTé leur Ilómére, quei se même Gautois l'ait emporté fur Sophocle, fe föit égalé a Thucydide, laiffant loin derrière lui Platon, Ariftote & toute 1'école du portique. Pour moi je crois que les barbares pofilffturs de ces belles contrées feront obligës d'implofer la clémence de leurs vainqueurs, & qu'ils trouveront dans 1'ame de Catherine aütant de modération k ebnclure la paix que d'énergie h poufler vivemenï ia guerre-, & quant a cette fatalité qui préfide aür événeraens felon que le prétend 1'auteur du fyAèsuede la nature, je ne fais quand elle amènera des pi* C 3  39 CORRESPONDJNCE. volutions qui pourront refiufciter les fcierces enfe- veües depuis fi long - tems dans ces contrées fffer\ies, & déchues de leur ancienne fplendeur. Mon occnpation principale eft de combattre l'ignorance & les préjugés dans les contrées que le hafcrd de }a raiflance me fait gouverner, d'éclairer les efprits, de cultiver les njceurs & de rendre les bommes aufil heureux que le cornportc la nature huinaine & que le pttmettent les rnoyens que j'y puis employer. A préfent je ne fais que de revecir d'rne longue eourfe. J'ai été en Moravie, oü j'ai revu eet Empereur qui fe prépare a jouer un grand róle en Europe. Né dans une cour bigotte, il en a fecoué la fuperftition; élevé dans le fafte.il a adopté des rnceurs fimples; nourri d'encens, il eft mo> defte ; enflammé du défir de la gloire, il facrifie ■ fon ambition au devoir filial, qu'il remplit avee ftrupule; & n'ayant eu que des mattres pédsns, i! a affez de goüt pour lire Voltaire & pour en cftimer le mérite. Si vous n'étes pas fatisfait du portrait fidelle de ce prince, j'avoue que vous êtes difficile a contenter. Outre ces avantages, il posléde trés-bien la littérature italienne; il m'a cké presque un chant entier du Paflor fido, & quelques vers du TalTe. II faut toujours commencer par-lè; après les belles lettres vient la philofophie dans fage de la réflexion, & quand nous 1'avons bien étudiée, nous fommes obligés de dire comme Montagne, que fais-je? Ce que je fais eet-  CORRESPONDANCE. & tainement, c'eft que j'aurai une copie de ce bufte auquel Pigile «availle, ne pouvant pbffédet 1'ociginal. C'eft fe conrenter de peu, lorsqu'on fe fonvient qu'autrefo's on a poüédé ce divin génie même.- La jeuneffi eft 1'age des bonnes aventai Tes; quand on davient vieux & décrépit, ii faut tenoncet aux beaux efprits, comme aux maitreiTes. Confervez- vous roujours, pour éclairer encore fur vos vieux jours la fin de ce fiécle, qui fe glorifie de vous poiféder & qui fait recotlnoitre le tréfor qu'il pofïède. "^_Jn e mite qui végèie dans le nord de l'Allemagne eit un miuce fujet d'entrétien pour des philofophes qui difcutent les mondes divers fbttans dans 1'efpace, 1'infmi en grand comme en petit, le principe du mouvement & de la vie, le temps & 1'étertiité, t'efptit & la roatière, les chofes poffibleti & celles qui ne le font pas. J'appréhenie fort que cette mite n'ait diftrait ces deux grands philofophes d'objets plus importans & plus dlgnes de le3 occuper. Les einpereurs ainfi qae les rois difparoiiTent dans 1'immenfe tableau que la nature c!T:e aux yeux des fpéculateurs. Vous qui rétf nilfez tous les genres, vous defcendez quelquefoij dè 1'empyrée; tantót Anaxagoras, tantót TriptoBtftie, vous quittez le portique pour 1'agriculture & veils offirez dans vos terres un afile aux malheureux. C 4  56 CORRE SPOND ANCE. I \ Je préférerois bien les colonies de Ferney dons Voltaire eft le Iégislateur-, a celles de Philadelphie auxquelles Locke donna des lois'. Nous avons ici des fugitifs d'un autre genre, ce font des Polonois, qui redoutant les déprédütions, les pilbges & les cruautés de leurs compatriotes, ont cherché un afile fur mes terres; plas de fix-vingts families nobles fe font expatriéesv pour attendre des temps plus tranquilles, qui leur permettent le retour chez e;ix. Je m'apper9ois ainll de plus en plus que les hommes fe reflemblent d'un bout de notre globe a 1'autre, qu'ils fe perfécutent, & troublént mutuellëment autant qu'il eft en eux leur félicité; leur unique reflburce eft: dans quelques bonnes ames qui les recueiilent chez eux & les confolent de leurs adverfités. Vous prenez. donc part a la perte. que je viens de faire a 1'armée rufle de mon neveu de JJronfwic. Le temps de fa vie n'a pas été alTez long pour lol! laifier appercevoir ce qu'il pouvoit connoltre ou ce qu'il falloit ignorer. Cependant, pour laifler quelque tracé de fon exiftence, il a ébauché un poëme épique; c'eft la conquêre du Mexique par Fernand Conès: 1'ouvrage contient douze chsnts* mais la vie lui a manqué pour le rendre moins défeftueux. S'il étoit poffible qu'il y eüt quelque chofe aptés cette vie, il eft certain qu'il en fait a préfent davantage que nous tous enfemble; mais il y a bien de 1'apparence qu'il ne fait rien du tout. Un philofophe de ma connoilTai;ce, homme aflez- déterminé -  CORRESPONBANCE. $7 dërermïné dans fes fentimens, croit que'nous avons sflez de degrés de ptóbabilités pour arriver a la ceriitude que poft mortem nihil eft; il prétend que Fhomme n'eft pas un être doublé, que nous ne fommes que de la matièce animée par le mouvement , & que dès que les refiorts urés fe refufenr a leur jeu, la machine fe détruit & fes parties fe dliTolvent. Cephitofophe dit qu'il eft bien plus difficile de parler de Dieu que de fhomme, a caufe que nous ne parvenons a foupconner fon exiftsnce qu'a force de conjeftures, & que tout ce qtie notre raifon nous peut foumir de moins inepte fur fon fujet eft de le croire le principe intelligent_ du mouvement & de tout ce qui anime la nature. Mon philofophe eft ttès - perfuadé que cette intelligence ne s'embarraffe Pjs plus de Muftapha que dti trés - Chrétien , & que ce qui arrivé aux hommes, rmquiète auffi peu que ce qui peut arriver a. une fourmilière qu'un meffager écralè fans s'en appercevoir. Man philofophe envifVge le geuie animal comme un accident de !a tutute, comme le fabla> que des roues mettent en- mouvement, quoique ces roues ne foient faites que pour transporter rat ptdement un char. Cet étrange homme avance qu'il 11'y a aucune relation entre les animaux &• 1'intelligence fdprême, parcj que de foibles créa.tures ne peuvent ni lui nuire ni lui rendre fervice; que nos Vtces & nos vertus font relatives a la fociété, & qVil nous fuffit des peines ou des récompenfes qua nos en obteuons. S'il-y avoit ié\ e s  o 3 CO RRESPOND ANCE. yn faeré tribuna! d'inquificion, j'aurois été tenté de faire griiier mon philofophe pour 1'édincation du prochain; mais nous autres hérétiques, nous fommes privés de cette douce confolation, & puis leur feu auroit pu gagner jusqu'è moi. J'ai donc, Ie cceur contrit de fes difcours, pris le parti de lui faire des remontrances. Vous tfetes point orthodoxe, lui ai-je dit, mon ami; les conciles géné» raox vous condamnent unanimement, ainfi que le faint père, qui a toujours les conciles a fes ordres, pour les confulter au befoin, comme Ie dofteur Tamponet fa fomme de faint Thomas; vous voyez, mon cber philofophe , qu'indubitablement vous • ferez quelque beau jour plongé dans la chaudière ce BéeJzebuth. Mon raifonneur, au lieu de fe rendre a de fi forces raifons, repartit qu'il me félicitoit de connoitre fi bien les chemins du paradis èi de 1'enfer, qu'il m'exhortoit a dreiTer la carte du pays & a donner un itinéraire pour régler les gjtes des voyageurs, furtout pour leur annoncer de bonnes auberges. Voila ce qu'on gagne a vouloir convertir le> incrédules; je les abandonne a leurs voies. C'eft le cas de dire, fauv-e qui peut: pour nous, notre foi nous conduira en ligne directe en paradis. Toutefois ne vous hatez pas d'entreprendre ce voyage; un tien dans ce monde 1'églife, & je parierois qu'il s'embarrafleroit plus c'Avignon que de la Jérufalem célefte. Pour moi je m'avertis d'étre difcret, & de ne pas importuner un homme auquel il faut faire confcience de dérober un moment; fes- momens font fi bien employés, que je lui en fouhaite beaucoup, & qu'il. p.uifle durer autant que fa liatue. Vale. E n lifant votre (ettre j'aurois cru que Ia eorre* fpondance d'Ovide avec le Roi Cotys continuoit, encore, fi je n'avois vu le nom de Voltaire au basde cette letire; elle ne diffère de celle du poëtelatin qu'en ce qu'Ovide eut la complaifance de» compofer des vers en langue thrace, au lieu que,. comme Je raifon, vos vers font dans votre languenatale. J'ai recu en même temps ces queftionsencyclopédiques, qu'on pourroit appeller a plusjufte tiire iuftruétions encyclopédiques. Cet ouvrage eft plein de chofes. Qaelle variété, que de. connoiflances, que de profondeur & quel artpour sraiter tant de. fujets avec le même agrément! En ftyle précieux je pourrois vous dire qu'entre vos. mains tout. fe convertit en or.. Je vous dois encore des remercimens au notndes militaires pour le détail que vous donntz des évolutions d'un bataillon. Quoique je vous con-> tufte grand Uuérateur, grand philofophe, grand,  CO RRESPOND ANCE. 6» poè'se, je ne favois-pas que vous joigniffiez a tam de talens les connoiflances d'un grand capitaiue. Let régies que vous donnez fur la taétique font une marqué certaine que vous jugez-cette fiêvre intermittente des rois, la guerre, moins dangereufe que< de certains auteurs ne la repréfentenu- Mais quelle. circonfpeftion édifiante dans les articles qui reg^rdent la foi! Vos protégés, lesfediculofi, en auront été ravis, la forbonne vous agrégera a fon corps, le trés - Chrétien (s'il lit) bénita le ciel d'avoir un gentilhomme de la chatnbre aufli orthodoxe, & 1'évêque d'Orléans vous affignera une demeure auprès • d'Abraham, Ifaac & Jacob. A coup fur vos reliques feront des miracles & 1'églife célèbrera fon ttiomphe. Oü dono eft cet'"efprit philofophique du XVIUme fiêcle, files philofophes par ménagement pour leurs leóteurs ofent a peine leur laiffer emrevoir la vérité ? II faut avouer que 1'auteur du fyftèTie de la nature a trop imprudemment cafl'ó les vitres. Son livre a fait beaucoup de mal, il a rendu la philofophie odieufe pat de certaines conféquences qu'il tire de fes principes; & peut-être faut-il i préfent de la douceur & du ménagement pour- réconciiier avec la- philofophie les efprirs que eet auteur avoit effa. rouchés & révoltés. II eft certain qu'ft Pétersbourg on fe fcandalife moins qu'a Paris, & que la vérité n'eft point rejetée au tróne de votre fouveraine, comme elle 1'eft chez le vulgaire-de nos pfillCêS. C 7  W CO RRESPÖ ND ANC E„ Mon frére Iïenri fe trouve acïuellemem a la cour de cette princeffe; il ne ceffe d'adffiirer les grands établiffemens qu'elle a faits & les foins qu'elle fe donne de décraffer, d'élever & d'éclairer fes fu» "ets. Je ne fais ce que vos ingénieurs fans génie ont fait aux Dardanelles? Ils font peut-être canfe de 1'exil de Choifeul. A fexception du Cardinal de Fleury, Choifeul a tenu plus long-temps qu'aucun autre miniflre de Louis XV. Lorsqu'i! étoit ambaffadeur a Rome, Innocent XIII le définiffoit, un fou qui avoit bien de 1'efprit. On dit que les parlemens & la nobleffe le regrettent, en le comparant a Richelieu; en revanche fes ennemis difent que c'étoit un boute-feu qui auroit embrafé 1'Eürope. Pour moi, je laifle raifonner tout le monde, il ne m'a pu faire ni bien ni mal, je ne 1'ai pas connu, & je m'en repofe fur les grandes lumiêres de votre monarque pour le choix ou le renvoi de fes miniftres & de' fes malueffes. Je me méle de mes affaires, & du carnaval qui dure encore. Nouj avons un bon opéra, & a 1'exception d'une f»u!e actrice, nne mauvaife comédie. Vos hiflrions" welches & vouent tous a 1'opéra comique, & des platitudes mifes en mufique font chantées par des voix qui hurlent & détonnent a donner des convul-' fions aux afiiftans. Durant les beaux jours de Loui? XIV ce fpe&acle n'auroit pas tait fortune;il paffe puur bon dans ce fiêcle de petiteffes, oü le génie eft auiïi rare que le bon fens, oü la médiocrité en tout annonce le mauvais goüt, qui proba-  CÜRRÉSPONBANCE. 63 blement replongera 1'Europe dans une efpèce de barbarie dont une foule de grands hommes 1'avoient tirée. Tanrque nous conferverons Voltaire, il n'y aura rien a craindre, lui frul eft 1'Atlas qui foutient par fes forces eet édifice ruineux; fon tombeau fera celui du goüt & des lettres. Vivez donc, vivez & rajeuniffez, s'il eft poffible. Ce font les vceux de toutes les perfonnes qui s'intéreflent k la belle littérature, & principalement les miens. I l eft agréable d'avoir le monument de toutes les penfées des hommes qu'on a pu recueillir; pour ces ouvrages d'imagination, }e prévois qu'il faudra nous en tenir a Homère, Virgile, le Tafle, Voltaire & 1'Ariofte. 11 femble qu'en tout pays les cervelles fe defféchent & ne produifent plus ni fleurs ni fruits. Pour les ouvrages hiftoriques, il faudroit , fi l'oo pouvoit, les purger de 1'efprit de parti, de faufles anecdotes & de menfonges, pour lés rendre utiles. Quant aux métaphyficiens, on n'apprend chez eux que 1'ineompréhenfibilité de nombre d'objets que la nature a mis hors de la portee de notre efprit; & quant a tout le fatras théologique, les auteurs hypocondriaques & fanatiques qui 1'ont compofé, ne méritent pas qu'on perde fon temps è lire les chimères ineptes qui leur ont paffé par le cerveau. Je ne dis rien de Mes. fieurs les géomètres, qui calculent éternellement  ótp UOR'RE STOND ANC Es des courbes inutiles "i je les laiffe avec leurs poters* fans étendue & leurs ligneS fans profondeur, ainll qae Meflieurs les raédecins, qui s'érigent en arbi* ires de notre vie & qui ne font que les témoins denos maux. Qae vous dirai-je des chiiniftes, qui au lieu de créer de Tor , le diffipent en fumée par leurs opérations ? II ne rede donc pour notre utilité & pour notre confolation que les belles lettres,qu'ona nommées è jufte titre les lettres humaines,* & c'eft a elles que je m'en tiens; Ie refte peut être ■utile dans une capitale oü des amateurs mal partagés' das dons de la fortune ne peuvent pas vérifier des citations qu'ils ont rencontrées dans d'autres livreï & dont ils trouvent la les originaux; & voila a quoi cette bibliothèque eft deftiuée; mais les oeuvres de Voltaire y occupent la place la plus briljante comme de raifon. La belle édition de Paris in 4^° y eft étalée dans toute fa pompe. Vous me propofez un M. de *** pour bibliothécaire; mais je dois vous apprendre que nous en avons déja trois & que felon faxiome des nominaux il ne faut pas multiplier les étres fans néces-ftté; je crois qu'il faudra nous en tenir au nombre qüe nous avons. Je vous avouerai que j'ai eu Ia bêtife de lire eet ouvrage de ce de *** pour lequel il a été banni de France: c'eft une rapfödie in« forme, ce font des raifonnemens fans dialeéttque & des idéés chimériques qu'on ne fauroit pardonner qu'a un homme qui éerit dans 1'ivreife, & non h un homme qui fe donne- pour un penfeur. S'il fe  CORRESPO NDAN CE-, 65 fait folliculaire i Arofterdam ou bien a Leyde, il pourra y gagner de quoi fubfifter, fans facrifier fa liberté aux caprices d'un defpote en venant s'établir ici. II y a eu des ex-jéfuites a Paris qui aprés la fuppreffion de 1'ordre fe font faits fiacres; je n'ofe propofer un te! métier a M. de ***, mais il fe pourroit qu'il fut habile cocher, & a. tout prendre, il vaut mieux être le premier cooher de 1'Europe que le dernier des auteurs. Je vous parle avec une emiêre franchife, & fi vous coHnoilTez 1'original en queftion, vous convien. drez peut - être qu'il ne perdroit rien au troc. Pour mon trés • indigne pupille le Duc de Wurtêmberg,, je fuis bien. éloigné d'excufer fes mauvais procédés. 11 ne faut pas fe rebuter; on gagn'e plus avec lui en 1'importunant qu'en le conya'n? caut de fon droit, tk feffère encore de- pouvoir ériger un trophée, a Voltaire vaiuqueur du Duc. Je fuis fur le point d'aller a Berlin donner le carnaval aux autres, fans y participer moi - même; il s'y trouve un Comte deMontmorency-Laval, trés-aimable garcon que j'ai vu en Siléfie. Je difpute avec lui; il veut apprendre 1'allemand; je lui dis que cela n'en vaut pas la peine, paree que nousn'avons pas de bons auteurs, & qu'il ne veut apprendre cette langue que pour nous faire la guerre. II entend raillerie & n'eft certainement pas ennemi des Pruffiens. Puifle la nature fortifier les fibres du vieux patriarche! je ne m'intérelTe qu'a fon corps, car fon efprit eft immortel. Vak.  $6 CORRESPONDA N CE. J'ai cru' avec le public que voils aviez chsngé de domicile; des lettres de Paris nous afluvoienc que vous alliez vous établir a Lyon,& j'auribuois votre leng filenee a votre déménagement; la caufe que vous en alléguez eft bien plus facheufe. Le poëme fur les Genevois m'étoit parvenu par Thiriot; je n'en ai que deux chants , & vous me ferez plaifir de m'envoyer fouvrage en entier» J'admirois en le Krant ce feu d'imagination que les frimats de la Suiffe & le froid des ans n'ont pu éfeindre; & comme eet ouvrage eft écrit avec autant de gaieté qtfe de chsleur, je vous croyois plus vivant que jamais,'- Enfin vous êtes échappé de ce nouveau-dangèri & vous al'ez-faris- doute nous régakr de quelque poëme fur Ie Styx, fur Caron, fur Cerbèfe,&c. Et fur tous ces objets que vous' avez vus de 11 prés. Vous nous devez la relation de ce voyagej vous vous trouverez a votre aife en Ie faifant, iuftruit par 1'exemple de tont de voyageurs qui ne fe font pas gênés en nous racontant ce qu'ils n'ont jamais vu dans des pays réels; votre champ vous fournit la mythologie, la théologie & la métaphjfique. Queüe carrière pour 1'imagination 1 Mais revenons a cè monde-cu On y vieillit prodigieufement, mon cher Voltaire; tout a bien' cbangé depuis le temps pafTé que vous vous rappelez. Mon eftoraac, qui ne digère presque plus,  CORRESPONDJNCË. 6? ai'a contraint de renoncer aux foupers; je lis le foir ou ie m'amufe a la converfation; mes cheveux ont blanclii, mes dents s'en vont, mes jambes font abyaiées par la goutte; je végète encore, & je m'appercois journellement que le temps fixe une difFérence fenftble entre 40 & 56 ans. Ajoutez a cela que depuis la paix j'ai été furchargé d'affaires, de forte qu'il ne refte dans ma ■ tête qu'un peu- de bon fdtH, avec une paiïion renaiffante pour les fciences & pour les beaux arts, qui font ma confolation & ma joie. Votre efpric eft plus jeuHe que Ie mien; fans doute que vous avez bu a la fontaine de Jouvence, ou que vous avez trouvé quelque fecret ignoré des grands hommes qui vous ont dévancé. Vous allez retravailler le fiêcle de Louis XlV;; mais n'eft- il pas dangsreus d'écrite les faits qui titnnent è nos temps? C'eft farche-du feigneur, il ne faut pas y toucher. Ceci me donne lieu de vous propofer un doute que je vous prie de réfoudre: on dit le fiêcle d'Augufte, le fiêcle de Louis XIV; jusqu'a quel temps doit s'étendre ce fiêcle ? combien avant Ia nauTance de celui qui lui donne fon nom , & combien après fa mort? Votre réponfe décidera un petit différend littéraire qui s'eft élevé ici & cette occafiön» J'envie a Lentulus le plaifir qu'il a eu de vous voir. Comme vous me parlez de lui, je fuppofe qu'il aura été a Ferney; j^vous a vu fackm ad fackm, comme le grand  <& QORRESP Ö NDA NCE; Gondé mourant efpéroit- de voir Dieu; pour mol, je ne vois rien que mon jardin, Nous avons célébré des noces, & puis des «lancailles. J'établis ma familie; j'ai plus de neveux & de nièces que voüs n'en avez. Nous menons tous une vie paifible & philofophique. On? parle aulfi peu ici des diilidens & de ce qu'ils dé. cideront, que des Genevois & des héros qui les en* tourent; toutefois j'ai appris avec piaifir qu'on les laiffë tranqutlles. S'ils font fages, ils fe hèteront de s'accommoder & ne rechercheront plus doréna» vant 1'arbi trage de voiiins plus puifl'ans qu'eux;Vivez donc pour 1'honneur des lettres, qne votre corps puilTe rajeunir comme votre efprit, & li je ne puis vous entendre, je puis vous lire, voos adrairer & faire des voeux pour le patriarche de' ferney*' J~) k s trois raifons qui vous ont empêché dé me répondre, la première & la feconde font une ftiite des lois de la nature, mais la troifième eft un eiTet de- la raéchanceté des'hommes, qui me les feroit haïr tous, fi par bonheur pour 1'humanité il n'y avoit encore des ames vertueufes en faJ veur desquelles on fait grace a 1'efpèce; mais quelle' cruelle méchanceté de perfécuter un vieillard & de prendre piaifir a empoifonner les derniers jours de'  CORRE SPONDslNC-E. 6? ia vie! Cela fait horreur & me révolte de telie forte contre les bourreaux tonfurés qui vous perfécutent, que je les ferois difparoltre de delTus la face de la terte, -fi j'en avois le pouvoir. Le pauvre Morival, qui jeune encore a elTuyé leurs perfécutions, en a eu le cceur fi navré, & pnndpalement de 1'inhumanité de fes parens, qu'il a en ces jours paffés une attaque d'apoplexie; on efpère cependant qu'il s'en remettra: c'eft un bon & honnête garcon, qui mérite qu'on lui veuille du bien par fon application & le défir qu'il a de bien faire; je fuis perfuadé que vous compatirez è fa Gtuatioti. Ceux qui vous ont parlé du gouvernement francois, ont, ce me femble, un peu exagéré les chofès. J'ai eu occafion de me mettre au fait des revenus & des dettes de ce royaume. Ces dettes font énormes, les reflburces épuifées & les impóts multipliés d'une manière exceffive. Le feul moyen de diminuer avec le temps le fardeau de ces dettes, feroit de reflreindre les dépenfes & d'en rer trancher tout le fuperflu; c'eft a quoi on ne parviendra jamais; car au lieu de dire: j'ai tant de revenus, j'en puis dépenfer xmtx on dit: il me faut tant , trouvez des jefïburces. Une grofie faignée faite a ces tonfurés pourroit en procurer une; cependant elle ne feroit pas fuffifante pour éteindre dans peu les dettes & procurer au peuple les foulagemens dont il a le plus grand befain Cette fituation ddieufe a fa fource dans  jo CQRRESPONDANCE. les gouvernemens préeédens, . qui ont coutradé des dettes & ne les ont jamais acquittées; a pré. : fent la maffe en eft fi énorme, qu'il ne refte plus qu'une banqueroute a faire pour s'en libérer. Si la guerre s'allume avec 1'Angleterre, ce qui parolt inévitable; il faudra des fonds pour la foutenir: 1'impofiibilité d'en trouver fera fuspendre le psyement des rentes, & voila quarante mille families au moins d'écrafées dans le royaume. Comptez qu'il ne rede d'autre moyen au gouvernement d'éviter une cata« flrophe aulïï cruelle que de faire une banqueroute réfiéchie; s'entend de réduire les rentes & leespital a la moitié de fa valeur. Vous me demandez, fi j'approuve ce par.ti? Non certainement, fi j'en vovois un meilleur. Toutefois en examinan; bien ies conjonaures préfentes, c'eft le meilleur, & comme dit le proverbe , de deux maux il faut cboifir le moindre. C'eft ce dérangement des finauces qui iufiue maintenant fur toutes les branches du gouvernement; il a arrété les fages projets de M. de Saint Germain qui ne font pas même a demi exécutés ; il empêche le miniftère de reprendre eet afcendant dans les sfrïiires de 1'Europe, dont la France étoit en poUeffion depuis Henri IV. Enfin pour ce qui eft de votre parlement, en qualité de penfeur j'ai condamne fon rappel , paree qu'il étoit contraire aux principes de la dialeélique & du bon fens. Tenez, yoila comme on décotivre & comme on voit les fautes des autres, tandis que 1'on eft  CO RRESP O ND ANCE. ft sveugle fur fes propres défauts; je ferois bien mieux de régler mes aftions & de m'ernpècher de faire des folies que de difTéquer les reflbrts qui sneuvent les grandes monarchies. Vous me parlea d'un auteur allemand qui fe inéle anffï de diriger la politique européenne. Je puis vous alTurer qua c'eft uu fonge ■ creux qui règle des partages a 1'iuflar de ceux qui fe firent en Pologne. Ce grand liotnme ignore que ces ibrtes de partages font rares & ne fe répandent jamais durant la vie des mêmee hommes. Le peu .de vérités qu'il y a dans les allertions de ce grand politique, fe röduifent a la poffibiiité des nouveau* troubles qui ,s'é!èvent ea Criraée entre la Ruflie & la Porte, & a 1'envie déuufurée de TErapereur de s'agrandir vers Andrinople. Ce prince eft jeune & ambitieux. Mes 65 ans paffés doivent mettre mes intentious hors de foupcons ai-je le temps encore de faire des projets? . .. Je vous envoie ci-joint, au lieu de mauvats vers que j'aurois pu faire, un choix des meilleures pièces -de Chaulieu & de Madame Deshoulières que j'ai fait impiitneï a mon ufage & ii celui de mes amis. do ia'i jieai u Pour en revenir enfin au divin patriarche des incrédules, je crois qu'il fera bien-de-tromper fes ennemis; leur iniention eft de le chagti.ier; il ue doit leur oppofer que de 1'indifféience puifle faire, je fens bien que mon efprit n'eft pas de nature a pouvoir fe tirer de toutes les difficultés qui fe préCentent dans cette carrière. 11 femble que le créateur nous ait donné amant de raifoa qu'il en faut pour nous conduire fagement dans ca monde, & pour pourvoir a tous nos befoins; mais il femble aufïï que cette raifon ne fuffile pas pour contenter ce fonds infatiable de curiofité que nous avons en nous & qui s'étend fouvent trop loin. Qcuy. Mn- * Fr'lI'T'x' D  74 CORRES-P O ND 4 NCE. Les abfurdités & les contradicïions qui fe rencontrent de toute part, donnent fans fin nailTance au pyrrhonisme; & a, force d'imaginer, on ne paria plus qu'a fon imagination. Aprês tout, ce que je tiens pour une vérité certaine & incontelïable, c'eft le piaifir & Tadmiration que vous me caufez, ce n'eft point une illufion des fens, ce n'eft point . un préjugé frivole, mais c'eft une parfaite connoisfance de l'homme le plus aimable du monde. Je fuis avec une trés - parfaite eftime, Monfieur, Votre très-fidellement affectionné ami. Je m'en vais rayer toutes les trompettes, corriger, changer & me peiner, jusqu'a ce que vos remarques foient éludées. Mérope ne fort point d'entre mes mains; c'eft une vierge • dont je garderai 1'honneur. OÜI> voas verrez cet Empere^r Qui voyage afin de s'inftruire, Porter fon hommage a 1'auteur De Henri quatre & de Zaïre. Votre génie eft un aimant Qui tel que le foleil attire A foi les corps du firmament, Par fa force victorieufe. Amêne les efprits a foi. Et Thérèfe la fcrupuleufe Ne peut renverfer cette lqi.  CO R RES PO ND J NC E. 7$ 'Jofeph a bien paffe par Rome, •Saus qu'il lüt jamais introduit ■Chez Ie prêtre que Jurieu nomtne Tres - civilemeut 1'ante ■ chrift. Mais a Genève qu'on renorame Jofeph plus fortement féduit Révèrera le plus grand homme Que tous les fiècles aient produit. Cependant les Autrichieus ont jusqu'a. préfen: , encore mal profité des lecons de tolérance que vous avez données a 1'Europe. Voila en Moravie dans le cercle de Prérau quarante viliages qui fe déclarent tous a la fois proteftans; la cour, pour les ramener au giron de 1'Eglife, a fait marcher des -xonvertifTeurs avec des argumens a poudre & k balie, qui ont fufillé une douzaine de ces mal» heurtux, en attendant qu'on brule les autres. Ces fairs, que nous nous communiquons., font par malheur peu confolans pour 1'hum.anité. Je ne fais ü .je me trompe, mais il me femble qu'il y a un levain de férocité dans le cceur de l'homme, qui reparolt quelquefois quand on croit 1'avoir détruiti ceux que les fciences & les arts ont dé■crafles, font comme ces ours auxquels des conducteurs ont appris a. danfer fur les pattes de derrière. Les ignorans font comme les ours qui ne danfent point. Les Autrichiens , Q'en excepte TEmpereur) pourroient bien être de cette derniêre chlle. II eft bien fachcux que les Francois, d'ail-, D a  CORRESPONDANCE. leurs fi aimables, fi polis, ne puiflent pas dorapter cette fougue barbare qui lés porte fi fouvent * perfécuter -les innocens. -En vérité plus 1'on examine les fables abfurdes fur lesquelles plufieurs religions font fondées, plus on prend en pitié ceux qui fe paffionnent pour ces balivernes. Voici un rêve que je vous envoie, qui peutêtre vous arnufeia un moment. Vous donner ^de tels ouvrages d'une jmagination tudefque, c'eft |eter une goutte d'eau dans la mer. Je vous remercie du beau projet de politique dont vous me 'faites 1'ouverture; ce feroit une chofe a exécuter fi j'avois vingt ans. Le pape & les moines fiotront fans doute ; leur chute ne fera pas 1'ouvrsge delaraifon, mais ils périront a mefure que les finances des grands potentats fe dérangeront. En 'France, quand on aura épuifé tous les expédiens pour avoir des efpêces, on fera forcé de féculanfer des abbayes & des couvens; eet exemple fera imité & le tTombre des cuculati réduit a peu de chofe. En Autriche le même befoin d'argent don. nera 1'idée d'avoir recours è la conquête facile des Etats du faint fiége, pour avoir de quoi fournir aux dépenfes extraordinaires. On fera une grofle penfion au faint père; mais qu'arrivera-t-il? La France, 1'Efpagne, la Pologne, en un mot toutes les puilTances catholiqjes ne voudront pas reconnoitre un vicaite de jéfiis- Chrift fubordonné a la maifon impériale; chacun créera un patriarche chez foi, on allemblera des conciles uationaux, pettt a  COKRESPOND ANCE. ft petit chacuii s'écartera de Funicé de 1'Eglife, & 1'bn finira paf avoir dans fon royaume fa religion comme fa langue a part. Cömme^e ne fixe aucune epoque a cette prophétie, perfonne né pourra me reprendre; cependant il eft trés. pro'jable qu'avec le temps les chofes prendront le tour que je viens d'indiquer. Je fuis fort fenfible aux marqués de votre fouvenir. Vous-vous rappelez la mémoire des vieux temps. Hélas ! que retrouveriez-vous è SansSouci, s'il étoit poffible d'efpérer de vous f rêvoir ? Un viéillard glacé par les ans , Froid, taciiurne & flegtnatique, Dont le propos foporifique Fait bailler tous les affiflans. Au lieu de mots affez plaifans Aflaifonnés d'un fel attique Qu'il débitoit darts fon bon temps, Un radotage politique Et d'obfcüre métaphyfique Plus ennuyeux, plus révoltans Que ne font les nouveaux romans," Au- lieu d'entrechats, des béquilles ;J Au lieu de vigüeur, des guenillesj Dieu, quels funeftes changemens! Ainfi quand le moëlleux zéphire Des airs cède 1'immenfe empire Au" fongueux fouffle d'aquilon,' D' 3  CORRESPONDANCE. La nature aux abois expire: Le champ qui portoit la moilTon A perdu fa belle parure, L'atbre eft dépouillé de verdure, Le jardin eft privé de fleurs. L'homvne ainfi refient les riguenrs Du temps qui vient miner fon être. • Si jeune il fe nourrit d'erreurs, Dês qu'il juge & qu'il fait connoitre, L'dge, les maux & les langueurs Le font pour toujours difparoltre.- Toutes ces variations font pour le commun dï 3'efpèce, mais non pour le divin Voltaire: il eft' comme Madame Sara, qui fuifoit tourner la tête r,ux roitelets arabes h 1'age de cent foixante ans. Son efprit rajeunit au lieu de vieillir, pour lui le temps n'a point d'ailes; mais il eft a craindre que la nature n'ait perdu le moule oü elle 1'a jeté. On nous conté que Jupiter prolongea la nuit qu'il paiTa avec Alcmène pour fe donner le temps de produire Hcrcule. Je fuis perfuadé que fi 1'on examinoit les phénomcnes de l'année 1693 , pareilie merveille s'y tronveroit. Enfin j outfit a long-temps des prodigaliiés de la nature. Perfonne ne s'intéreffe plus a votre confervation que le folitaire de Saas-Souci. Vak>  CORRESPONDANCE. 7$ JVJonsieuk, je vous avoue que j'ai reffenti une fecrète joie de vous favoir en Hollande , me voyant par la plus a portée de recevoir de vos nou» velles, quoique je craigne, de la facon dont vous me marquez que vous y êtes, que quelque fachcufa raifon ne vous ait obligé de quiuer la France & de prendre 1'incognito. Soyez für , Monfieur, que ce fecret ne transpirera pas par mon indifcrétion. La France & 1'Angleterre fout les deux feuls Etats of: les arts foient en coufidération, c'eft chez eux que les autres nations doivent s'inftruite: ceux qui nê peuvent pas s'y tranfporter en perfonne, peuvent dn moins dans les écrits de leurs auteurs célóbres puifer des connohTances & des lumicres; leur» langues méfitent bien par confëquem que les étrangers les étudient, principalemeiu la francoife, qui felon moi pour 1'élégance, Ia Ciieiï'e des tours, &£ 1'énergie a une gtace particulière: ce font les motifs puiflans qui m'ont engagé a m'y appliquer. Ja me fens richement récompenfé de mes peines, par 1'approbation que vous m'accordez avec tant d'in* dulgence. Louis XIV étoit un prince grand par une infinité d'endroits; un folécit'me, une faute' d'onhographe ne pouvoit ternir en rien 1'dclat de fa réputation établie par tant d'actions qui Tont ira» 'mortalifé; il lui convenoit en tout fens de dire Cafar eft fupcr grammaiicam; mais il y a des cas p&rticuliers qui ne font pas généraleinent applica» ü 4  ia CORRESPONBANCB. bies; celui-ci eft de ce nombre, & ce qui étöh un défaut imperceptible en Louis XIV, deviendroitane négligerce condamnable en tout autre. Je ne fuis grand par rien, il n'y a que mon applicatkm qui puifle peut - être un jour me rendre utile a ma patrie, & c'eft la toute la gloire que j'ambitionne* les arts & les fcienees ont toujours été les enfansde 1'abondance: les pays oü ils ont fleuri, ont tw vn avautage inconteftable fur ceux que la barbarieaourriflbit dans 1'obfcurité, outre que les fcienees conttibuent beancoup a la félicité des hommes. Je roe trouverois fort heureux de pouvoir les attirer dans nos climats reculés, oü jusqu'a préfent elles» n'ont que foiblemem pénétré. Semblable a cesconnoifleurs de tableaux' qui favent en juger, q * connoiiTent les grands maiires, mais qui ne s'entendent pas même a broyer les couleurs; je fuisfrappé par ce qui eft beau, je 1'eftime,- mais je a'en fuis pas moins ignorant. Je crains férieufe-ment, Monfieur, que vous ne preniez une idee nop avantageure de moi; un poè\e ofe s'abandonjjer au feu de fon imagination, & il pourroit fortfien arriver que vous vous forgeafïïez un fantóme auquel vous attribueriez mille qualités, mais quitte devroit fon exifteuce qu'a la fécondité de votre' lieureufe imagination. Vous aurez iu fans doute lepoëme d'Alaric de MUe. de Scudéri; il commence , fi je me ne trompe, par ce vers: Je chante les vainqueurs des vainqueurs de1 la terre.  ÜORRE SP O ND A NCE. £1" Voila certainement tout1 ce qu'on peut dire m'ais uialhc-ureufement le poëte en refte-la, & a fuperbe idéé que 1'on s'étoit formée du héros diminue & chaque page. ]e crains beaucoup d'être dans le rnême cas, & je vous avoue, Monfieur, qüéj'aime infiniment mieux ces riviêres qui coulant doucement prés de leurs fources, s'accroisfeiit dans leurs cours, & roulent parvenues a leur embouchure des' flots femblables a ceux des1 mers. Je m'acquitte enfin de ma promefie & je vous envoie par cette occafion ia moitié de la métaphyfjque de Wolf: 1'autre moitié fuivra dans peu, Un de mes amis qüéj'aime & que j'eftime, s'ëftchirgé' cette traduflion par amiiié pour moi. La traduction en'eft très-exafte & trés - fidelle: il en auroit cbatié le flyte, fi des affaires indifpenfables ne 1'avoient 'arraché de chez moi, J'ai pris foin' de marquer les endroits'principaux. Je me flatte que eet ouvrage aura votre approbaticn; vous' avez 1'efprit trop jufte pour'ne pas lé göüter. La pröpofition de 1'être funple qui, eft une efpèce u'atome ou de monade dont parle Leibnitz, vous parOiira peut» être un peu obfeuré; pour la bien comprendre;, il faut faire attention aux définitio^s que 1'auteur fait auparavant de 1'elpace, de t'étendue , des limites & de la figure. Le grand ordrè dé eet ouvrage & la connexion inïime qui lie toutes les propufuions les unes avec les autres efï," 4 mon avis , ce qu'il y a de plus admirdble dans' D 5  CORRESPONDANCE. ce livre. La facon de raifonner de 1'auteur eft applicable a toutes fortes de fujets. Elle peut être d'un grand ufage a un politique qui fait s'en fervir: je dirois presque qu'elle peut être applicable a tous les cas de la vie privée. La leflure des ouvrages de M. Wolf, bien loia de m'offusquer les yeux fur ce qui eft beau, me fournit encore des motifs plus puiflans pour y donner mon approbation. Le mérite de vos ouvrages eiTla raifon fuffifante de mon admiration, & n'y ayant que la connoilTance de la perfeaion qui nous caufe du piaifir, il s'enfoit que vos ouvrages ayant ces perfeaions, doivent indubitablement me caufer du piaifir & de la fatisfaaion. J'attends un ouvrage en vers & en profe avec une égale iinpatiencetvous augmenterez de beaucoup, Monfieur, la reconnoiflance que je vous dois déja. Vous pourriez donner vos produaions a des perfonnes plus éclairées que je ne le fuis, mais jamais è aucune qui en fit plus de cas. J'entrevois tant de modeftie dans la facon dont vous parlez de vos propres ouvrages, que je crains de la choquer même en ne difant qu'une partie de la vérité. J'avoue que j'aurois une grande euvie de vous voir, 3c de connoirre, Monfieur, en votre perfonne ce que le fiêcle & la France ont produit de plus accompli. La philofophie m'apprend cependant a mettre un frein a cette envie. La confidération de votre fanté, qui, è ce qu'on m'alTure, eft délicate; .vos arrangemens particuliers joints aux motifs  CORRESPONDANCE. 83 qae vous pourriez avoir (Tailleurs pour ne point porter vos pas dans ces conuées, me font des raifons fuffifantes pour ne vous point poffer fur ce fajet. J'aime mes amis d'une manière défimé*rellée, & je préférerai en toute occafion leur in tére! a mon agrément. Suffit que vous me laifliez 1'efpérance de vous voir une fois dans mi vie. Votre correfpondance me tiendra lieu de votre perfonne; j'efpère qu'elle fera plus facile a préfent, vu la commodité des potles, j'envoie cette lettre-ci conformément a 1'adrelTe que vous m'avez indiquée. Quand vous voudrez me faire réponfe, je vous prie de 1'adreiTer a M. de Borck, Colonel d'un régiment d'infanterie au fervice de S. M. le Roi de Prufle, & Wéfel. Votre lettre, fous ce couvert, parviendra furement a bon port. Ce fera par lui que je vous ferai dorénavant tenir mes lettres. Je vous prie de m'avertir quand vous quitterez la Hollande pour aller en Angleterre: en ce cas vous pouves iemettre vos lettres a notre Envoyé Borck. Je fouftre bien en voyant qu'un homme de votre mérite eft la viftirae de la méchanceté de fes femblables; je les défavoue, & le fuffrage que je vous donne, doit par mon éloignement vous tenir iieu de celui de la poftérité. Trifte & frivole confolation! qui a pourtant été celle de tan: de grande hommes, qui avant vous ont fouffert de la haine qu • les ames bafles & envieufes portent sux génies fupérieurs. Des gens peu éciairés fe iaiffeiit éblouir par la malignité des méchans, femD 6  84 CORRESPONDJNCE: biables a ces chiens de meute qui fuivent en tout le premier chien de tête, qui aboient quand ils1'entendent aboyer, & qui prennent fervilement lechange avec lui. Quiconque eft éclairé pat la vérité fe dégsge des préjugés; il découvre la fraude, il la détefte , il dévoile la calomnie, il 1'abhorre. Seyez für, Monfieur, que ces confi— clérations font que je vous rendrai toujours juftice; je vous croirai toujours femblable a vous-même, je m'intérefTerai toujours vivement a ce qui vous regarde; & la Hollande, pays qui ne m'a jamais plu, deviendra pout moi une terre facrée, puisqu'elle vous convient. Mes voeux vous fuivront partout, & la parfaite eftime que j'ai pour vousétant fondée fur votre mérite, ne ceflera quequand il plaira au créateur de mettre fin a monexiftence: ce font les fentimens avec lesqusls. je fuis-, Votre trêsr parfaitement affeétionné ami. J'ai fait remettre trois lettres avec un paquetpour vous a Thiriot. Je, vous prie de les retirer de fes mains.- JVÏ ° n cIier am'' r*v°"!s cru avec le pu^iic ice' yous aviez recu le meilleur accueil du monde de> lout Paris, qu'on s'empreflbit de vous rendre detu honneurs & de vous fake des civilités, & quevette .féjour dans* cette ville-imsneniè ne feroit mêlé*  COR RESPO ND ANC E* . *S: d*aucune amertumé. Je fuis faché de m'être trompé fur une chofe que j'aurois fort fouhaitée, & il paroit que votre fort eft celui de la plupart, des grands hommes, d'être perfécutés pendant leur vie, & adorés comme des Dieux après leur mort.La vérité eft que ce font quelques brillans, qui vous peignant l'avenir-, vous offrent le feul tempsdont vous puifliez jouir fous une face peu agréable ; mais c'eft dans ces occafions oü il faut fe munir d'une fermeté d'ame capable de réfifter a la peur & a tous les facheux accidens qui peuvent arriver. La feéte des- ftoïciens ne fleurit jamais davantage que fous la tyrannie des méchans emperturs •, pourquoi ? paree que c'étoit alors une néceffité pour vivre tranquille de favoir méptifer, la douleur & la mort. Que votre ftoïcifme, moncher Voltaire,. aille au m-jins -a vous procurer une tranquillité inaltérable. Dites avec Horace: je. m'enveloppe de ma vertu. Ah! s'ir fe pouvoit, je vous recueillerois chez moi, ma maifon feroit pour vous un afile contre tous les coups de la for-. tune, & je m'appliquerois a faire Ie benheur d'un homme dont les ouvrages ont répandu tant d'agrémens fur ma vie. - J'ai recu les deux nouveaux actes de Zopire;-. je ne les ai lus qu'une fois, mais je vous répondsde leur fuccès; j'ai penfé verfer des larmes en les lifant, La fcène de Zopire & de Saïde, celle de SsTJe &' de Palmire, lofsque Süde s'apprète è commsttre le parricide, & la fcène oü Mahomet  fff . CORRESP O ND ANCE. patlant Jt Omar' feint de condamner l'accion de Saïde, font des endroits exeellens. II m'a pjru a la vérité que Zopire venoit fe confeiTer expres fur le théêtre pour mourir en régie, que le fond du shéÉtre ouvert & feimé fentoit un peu la machine; mais je ne faurois en juger qu'a la feconde lecture. Les caraftères, les expreffions des mceurs & 1'art de motivoir les paffions y font connoftre la main du grand, de 1'excelletit maitre qui a fait cette pièce, & quand méme Zopire ne vièndroit pas aiTez naturellement fur le théètre , je croirois que ce feroit une tache fur Iaquelle on pourroit palier i 1'égard d'une beauté parfaite, & qui ne feroit remarquée que par des vieillards qui examinent avec des lunettes ce qui doit être vu avec faiilflement & fenti avec transport. Vos fêtes de Taris n'ont fatisfait que votre vue; pour moi je ferois pour les fêtes dont 1'efpric & tous les fens peuvent profiter. II me femble qu'il y a de la pédanterie en favoir & en piaifir a choifir une matière pour nous inflruire, un goüt pour nous divertir; c'eft vouloir rétrécir ]a capacité que le créateur a donnée k 1'efprit humain, qui peut contenir plus d'une connoisfance, & c'eft rendre inutile 1'ouvrage d'un Dieu qui paroit épicurien, tant il a eu foin de la vohipté des hommes. J'airae le luxe & méme la mollefle, Et les plaifirs de toute efpèce; Tout hormête homme a de tels fentimens.  CO RRES P O ND /INCE'; tf Nous avons eu ici Milord Baltimore & M. Algarotti, qui s'en retournent en Angleterre. Ce Milord ell un homme trés - fenfé, qui poffède beaucoup de connoiflances, ■& qui croit comme nous que les fcienees ne dérogent point a la* noblefle & ne dégradent pas d'un rang illuftre.» J'ai admiré le génie de eet Anglois comme u» beau vifage a travers un crêpe. II parle trèsmal francois, mais on aime pourtant a 1'entendre parler, & Fanglois il le prononce fi v!te, qu'il n'y. a pas moyen de le fuivre. II appdle un Pruffien un animal mécanique; il dit que Péters» bourg eft 1'ceil de la Ruflie avec lequel elle re* garde les pays policés; que fi on lui ótoit eer teil, elle ne manqueroit pas de retomber dans la barbarie dont elle eft ii peine fortie. II eft grand partifan du foleil, & je ne le crois pas trop éloigné des dogmes de Zoroaftre touchant cette p'.anète; il a trouvé ici des gens avec lesquels il pouvoit parler fans contrainte, ce qui m'a fait cotnpofer 1'épitre fuivante, que je vous prie de corriger impitoyablement. Le jeune Algarotti que vous connoilTez, m'a plu, on ne fauroit davantage; il m'a promis de revenir ici aufiitót qu'il lui feroit poiïïble Nous avons bien parlé de vous,' de géoméirie , de vers, de toutes les fcienees, de badinage, enfin de tout ce dont on peut parler. II-a beaucoup de feu, de vivacité & de douceur, ce qui ai'accommode on ne- fauroit mieux. II a com.  • t' corresp o nd aivce:< pófé une cantate, qu'on a mife auffitót en mU frqite & dont il a été ttès-fatisfait. Nous nous fommes féparés avec regret, & je crains fort de^ ne revoir de longtemps dans ces contrées d'aufli' aimables perfonnes. Nous attendons cette femaine le Mafquis de la' Cbétardie, duquel il faudra prendre encore un' uifte congé. Je ne fais ce que c'eft que ce M. de Valory, mais j'en ai ouï parler comme d'un homme qui n'avoit pas'le ton dé la bonne compagnie. M. le CaTdirial auroit bien pu fe pafler de nous' envoyer eet homme - la & de nou» óter la Chétardie qui eft en tout ' fens - un trés - aimable' garcon. i Soyez für qu'ici a Rheinsberg nous nous em* barraffons auöi peu de guerre que s'tl n'y en avoit point dans le monde.; Je travaille acluellement K Machiavel, interrompu quelques fois paT des impor-" tuns dom la race n'eft pas éteinte, malgré les coups de foudre que leur lanca- Molière. Je refute Machiavel, chapitre par chapiire: il y en a quelques - uns de faits, mais j'attends qu'ils foietarr tous achevés pour les corriger alors. Vous ferez le premier qui verrez 1'ouvrage, & il ne fortira-' de mes mains qu'après que 'le feu de votre génie 1'aura épuré. . J'attends vos eorreaions fur la préface de hr Henriade, afin d'y changer ce que vous avez trouvé a propos; aprés quoi la Henriade völerafous la .paffe, jita  CORRESPOND ANCE. *9' x*ai fait conftruire une tour, au haut de latruelle je placerai un obfervatoite. L'étage d'en bas devient une grotte, le fecond-nne falie pour des inftrumens de pbyfique, le trolfième une Petite imprimerie. ^ Cette tour eft jointe- a ma btbliothèque par le moyen d'une colonnade, au haut de laquelle règne une platte - forme. Je vous en envoie le delfein pour vous amufer, en attendant que 1'on conflruife l'hótel gien eft 1'orifice de 1'éfophage nommé pharinx. Ah! pour le coup, dis-je, me voila devenu bit a habile; les explications font fouvent plus obfcures que le texte même: revenons il la mienne. J'avoue préfentement que les hommes ont un E 3-  302 CORRESPOND ANCEZ fentiment de liberté; ils ont ce qu'ils appellent la' puiffance de déterminer leur volonté, d'opérer des mouvemens; fi vous appellez Facte d'opérer des mouvemens, Facie 'de prendre une réfolutioa, facie de faire quelque aétion, fi vous appellez , dis-je, ces acles la liberté de Fhomme, je conviens avec vous que Fhomme eft libre: mais fi ■vous appellez liberté les raifons qui déterminent Tes réfolutions, les caufes des mouvemens qn'it ©père, je puis prouver que Fhomme n'eft point libre. Mes preuves font tirées de 1'expérience, & des obfervations que j'ai faites- fur ces motifs de mes aftions & de celles des autres. Je foutiens que rous les hommes fe déterminent par des raifons (tant bonnes que mauvaifes, ce qui ne fait rien k mon hypothêfe;) & ces taifons ont pour fondement une certaine idéé de bonheur ou de bien-êire. D'oü> viem qne iorsqu'itn libraire m'apporte Ia Henriade ou les épigrammes orduriéres de Roufleau a vendre, d'ou vient eil-ce que je choifis la Henriade? C'eft que Ia Henriade eft un ouvrage parfait & dont mon efprit & mon cceur peuvent tirer un ufsge excellent; au lieu que les épigrammes de RoulTeau faliflent mon imagination. C'eft donc 1'idée de mon avantage, de mon bitn qui porte ma raifon a fe déterminer en faveur d'un de ces ouvrages préférablement a Fautre; c'eft donc 1'idée de mon bonheur qui détermine toutes mes aclions; c'eft le reflbrt dont je dépends, & ce reffcrt eft lié a un autre reflbrt qui eft mon  CÖRRESPONDJNCE. ?o$ Tempérament: c'eft la précifétnent la roue avec laquelle le créateur monte notre machine. L'homme a la même liberté que la pendule; il a de certaiues vibradons, il pjut faire des aétions, mais toutes aflervies a fon tempétament, & a fa facon da penfer plus ou moins bornée. Demandez a un homme, quelque ftüpide qu'il foit, la raifon de fon aclion; il vous en alléguera une qui 1'a déterminé. L'homme agit donc felon une loi, & en conféquence du ton que le créateur lui a donné: concluons-en qae tous les hommes portent ca" eux le mobile qui détermine ou qui cau'.e leurs réfolutions. Jè vöudrois, pour l'amour de la fatalité abiblue, qu'on n'euc jamais cherché de fobterfuge contre la liberté dans de faux raifonnememv Tel eft celui que vous co.nbanez trés-bien, & que vous détruifez' totalement. En effet rien de moins conféquent.' II y a beaucoup dé témérité a vouloir raifonnet des chofes qu'on ne connoit paiut, & il y en a encore inliniment plus a vouloir prefcrire des limites a la toute - puiflauce divine. J'examine fimplement les vérités qui me font connues, & de la je conclus que puisqu'elles font telles, Dieu a voulu qu'elles fulTent: mon raifonnement ne fait qu'enchainer les effits de la nature a leur caufe primitive, qui eft eu Dieu. Selon ce fyftême Dieu ayant prévu les etTets du tempérament & de3 earaaères des hommes, conferva la prefcience, £ 4  i©4 CO.RRESPOND/iNCE. ' & les hommes ont une efpèce de liberté, quoi-" que trés - bornée, de fuivre leur facon de penfer. • II s'ag't a préfent de montrer que mon hypothêfe ne contient rien d'injurieux ni de contradictoire è FeiTence divine; c'eft ce que Je pourrai prouver. L'idée que j'ai de Dieu eft celle d'un être toutpuilfant, trés-bon, infini, & raifonnible a un degré fuprême. Ce Dieu fe détermine en tout par les raifons les plus fublimes; il ne fait rien que de trés - raifonnable & de conféquent. Ceci ne renverfe en aucune manière la liberté de Dieu: car comme Dieu eft la raifon même, il eft fur qu'il fe détermine par la raifon; c'eft dire qu'il fe détermine par fa volonté • ce qui n'eft en ce fens qu'un jeu de mots. Dieu peut prévoir fes propres aélions, puisqu'elles feront a 1'infini slïervies a 1'excellence de fes attributs, & qu'elles portelont toujoufs Ie caraétère de la perfeélion. Si done Dieu eft lui-même le Deftin , comment en peut-il êue 1'efclave? Et fi ce Dieu qui, felon M. Clarke aiéme, ne peut fe tromper, s'il prévoit les aflions des hommes, il faut dire qu'elles arrivent néceflairement. M. Clarke même 1'avoue, fans s'en ap. percevoir. Mon raifonnement fe réduit a ce que Dieu étant 1'excellence même, il ne peut rien faire que de trés - excellent; c'eft ce qu'atteftent les ceuvres de Ia nature, c'eft de quoi tous les hommes en gros nous font un témoignage, & de quoi sous nous perfuaderions, s'il n'y. avoit que nous dans -  CORRESP O'ND A NC E: lc$ dans le monde. II faut cependant fe garder da juger du monde par partie; ce font 1es membres d'un tout oü 1'aflbriiment eft nécefTaire; c'eft perdre la totalité de vue, c'eft confidérer un point dans un ouvrage de miniature, & négliger 1'effee du gros pris enfemble. Comptons que tout ce que nous appercevons dans !a nature concourt aux vues du créateur. Si nos yeux de taupes ne peuvent appercevoir ces vues, ce défaut eft dans notre ceil & non dans 1'objet que nous envifageons. Voila ce que mon imagination a pu vous fournir fur le roman de la fataüté abfölue. Du refte je refpetfe beaucoup Cicéron, protecteur de la liberté, quoiqu'a dire vrai fes Tufculanes foient de tous fes ouvrages ceux qui me conviennent le mieux. Vous annobliflez le Dieu de M. Clarke d'une facon que je commence déja. k fentir du refpea pour cette Divinité. Si vous aviez vécu du temps de Moyfe, vous nous auriez fait une defcription du Dieu d'Abraham digne de nos hommages. Je me réferve de vous parler une autre fois de votre excellent eflai de phyfique. Cet ouvrage mérite bien d'occuper une lettre particulièrement deftinée a ce fujet. Je remplirai égaleraent mes en.» gagemens tonchant le fiêcle de Louis le grand, & je joindrai a cette lettre quelques confidérations fur fétat du corgs politique de 1'Europe, que je vous prierai de ne communiquer a perfonne. Mon deffeia étoit de le faire imptimer en Angleterre, E 5  lorS CORRESP ON D ANCE. comme 1'ouvr.ige d'un anonyme; quelques raifons m'en ont empêché. J'attends l'épitre fur 1'amitié, comme une pièce qui couronnera les autres. Je fuis aufil affimé de vos ouvrages, que vous êtes diligent a les compofer. Je fus tout furpris en vélité lorsque je vis que la Marquife du CMtelec trouvoit ma lettre ft admirable: j'en ai recherché avec Leibnitz la raifon fuffifante, & je fuis tetïté de croire que cette admiration ne vient que d'un petit grain de parefle; • elle n'eft pas aufïï libérala que vous de fes momens. Je me déclare incontinent le rival de Newton, & föivant la mode de Paris, je vais compofer un libelle contre lui; il ne dépendra que de la Marquife de rétablir la paix entre nous* Je cède volontiers a Newton la préférence que 1'ancienneté de connoifTance & le mérite fupérieur lui ont acquis, & je ne deraande que quelques mots écrits a temps perdu; moyennant quoi je tiens Ia Marquife quitte de toute admiration quelconque. J'ai fonné mal a propos le tocfin touchant Thiriot. Vous voudrez bien continuer notre correfpondance par lui; j'aurai plus promptemem de vos réponfes. Vous ne fauriez croire a quel point j'eftime vos penfées, & combien j'airne votre cceur. Je fuis bien facbé d'étre le faturne du ciel planétaire dont vous êtes le foleil: qu'y faire ? mes feminiens me rapprochent de vous & 1'alTiétion que j'ai pour vous n'en eft pas moins vive.  C O RR ESP O ND A NCE. 107 MoNcherami, depuis la dernière lettre que je vous ai écrite, ma fanté a été fi tanguiflante, que je ne puis travailler a quoi que ce foit. L'01fiveté m'eft un poids plus infupportable que le travail & que la maladie. Mais nous ne fommes formés que d'un peu d'argile, & il feroit ridicule au fuprême degré d'exiger beaucoup de fanté d une machine qui doit par fa nature fe détraquer fouvent, & qui eft obligée de s'ufer pour périr enfin. Je vois par votre lettre que vous êtes en bon train de corriger vos ouvrages. Je regrette beaucoup que quelques grams de cette fage critique ne foient pas tombés fur la pièce que je vous ai adreffée; je ne 1'aurois point expofée au foleil, fi ce n'avoit été dans 1'intention qu'il la purlfiat. Je n'attends point de louanges de Cirey, elles ne me font point dues; je n'attends de vous que des avis & de fages coufeüs. Vous me les devez affurément ,• & je vous prie'de ne point ménager mon amour propre. J'ai lü avec un piaifir infiui le morceau de la Henriade que vous avez corrigé: il eft beau, il eft fuperbe; jè voudrois bien, malgré cda, avoir fait celui que vous retranchez. Je fuis defliné a fentir plus «u* ment que les autres les beautés dont vous ornez vos ouvrages. Ces beaux vers que je viens de lire m'ont animé de nouveau du feu d'Apollon: telle eft la force de votre géaie, qu'il fe corumuniiue aplus E 6  2o8 CORRESPO N D-ANCEi de deux cents lieues. Je veux monter mon luth, pour former de nouveaux accords. 11 n'y a point lieu de douter que vous ne réufliffiez dans la nouvelle tragédie que vous travaillez. Lorsque vous parlez de la gloire, on croir entendre difcourir Jules Céfar. Parlez-vous de 1'humanité? c'eft la nature qui s'explique par votre ■■ organe, S'agit-il d'amour?'on croit entendre le tendre Anacréon, on le chantre divin qui foupire pour Lesbie» En un mot, il ne vous faut que cette tranquiilité d'ame que je vous fouhaite de tout mon cceur, pour réuffir, & pour produire des merveilles en tout genre. 11 n'eft point étonnant que 1'académie royale ait préféré quelques mauvais ouvrages de phyfique it 1'excellent eflai de la Marquife. Combien d'irapertinences ne font point dites en philofophie? D» quelles-abfurdités 1'efprit humain ne s'eft-il point avifé dans les écoles? Quel paradoxe refte-t-il a débiter, qu'on n'ait point foutenu? Les hommes ont toujouts penché vers le faux: je ne fais par quelle bizarrerie la vérité les a toujours moins frappés. La prévention, les préjugés, l'amour propre & 1'efprit fuperficiel feront, je croisi pendant tous les fiécles les ennemis qui s'oppoferont au progrès des fcienees; & il eft bien naturel que des fa vans de profeffion aient quelque peine a recevoir les lois d'une jeune & aimable Dame, qu'ils reconnoltroient tous pour f objet de leur admiration dans 1'empire tks ■ giaces, mais qu'ils. refufent de reconnoitre  CO RrRE S P OND ANCEi 10% pöur 1'exemple de leurs études dans 1'empire des fcienees. Vous rendez un hommage vraiment phüofophiqueala vétité. Ces intéréts, ces raifons petites ou grande., ces nuages épais qui obfeurciffent pour 1'ordinaire 1'ceil du vulgaire, ne peuvent rien fur vous, & lesvérités s'approchent autanr de votre intelligence, que les aflres que nous confidérons par un télescope fe manifeftent plus clairement a notre vue. II feroit a fouhaiter que les hommes fuifent tous au deffus des corruptions, de Terreur & du menfonge; que le vrai, &■ le bon goüt ferviffent généralement de régie dans les ouvrages fé ■ rieux & dans les ouvrages d'efprit. Mais combien de favans font capables de facrifier a la vétité les préjugés de reftime, le poids de la beauté & la force de 1'amitié? II faut une ame vigouteule pour vaincre d'aufll puiflantes oppofitions, & le triomphe qu'on remporte en ce fens-la fur 1'amitié ell plus grand que celui qu'on remporte fur foi-même. Lesvents, comme vous en convenez, font trèsbien dans la caverne d'Eole, d'oü je crois qu'il ne les faut tirer que pour caufe. J'ai été vivement touché des perfécutions qu'on vous a faites :ce ior>t des tempetes qui ótent pour un temps le calme a 1'océnn, & je fouhaiterois bien d'étre le Neptune de 1'Knéide, afin de vous procurer la tranquillité qne- je vous fouhaite très-fiocèrement. Souffrez que je vous rappele ces deux beaux vers de 1'épicre a.Emiüe, oü vous vous faites fi bien votre legon; E 7  ffit CO RRESPOND ANCE. Tranquille au haut des cieux qae Newton s'eft fóumis, II ignore en effet s'il a des ennemis. Laiftez au deflbus de vous, croyez-mól, eet effaitn méprifable & abjeét d'ennemis auffi furieuxqu'impuiflans. Votre mérite, votre réputation vous fervent d'égide. C'eft en vain que 1'euvie vous pourfuivra; fes traits s'émoüfleront & fe briferont tous contre 1'auteur de la Henriade, en un mot contre Voltaire. De plus, fi le deftein de vos ennemis eft de vous nuire, vous n'avez pas lieu de les redouter, car ils n'y parvieudront jamais; & s'ils cherchent a vous chagriner, comme cela eft plus apparent, vous ferez trés-mal de leur donner cette fatisfaétion. Perfuadé de votre mérite, euve=' loppé de votre vertu, vous devez jouir de cette paix douce & heureufe qui eft ce qu'il y a de plus défirable en ce monde. Je vous prie d'en' prendre la réfolution. Je m'y intérefle par amitié pour vous & par la part que je prends a votre fanté & a votre vie. Mandez - moi, je vous prie, oü, par qui, & commenr je dois faire parvenir ce que je vous defiine & a Ia Marquife: tout eft prêt & emballé. AgilTez rondement, & mandez-moi, comme je le fouhaite, ce que vous trouvez de plus expédient. La Marquife me demande fi j'ai recu I'extrait de Newton qu'elle a fait? J'ai oublié de lui répondre fur eet artic!.'; dites-lui, je vous prie, que Thiriot me 1'avoit envoyé & qu'il m'a charmé  CORRESPOND ANCE. ui comme tout cé qui vient d'elle. En vérité, la Marquife en fait trop, elle veut nous dérober a nous autres hommes tous les avantages dont notre fexe eft privilégié. Je tremble, fi elle fe mêle de commander des armées, qu'elle ne fsffe rougir les cendres de Condé & de Turenne. Oppofez-vous a ces progrès qui nous en font envifager encore d'aatres dans 1'élotgnement, & faites du molrrs qu'une forte de gloire nous refte. Je fuis rempli de projets ; pour peu que ma fanté revienne, vous ferez inondé a Cirey de mes ouvrages, comme le fut 1'Italie par 1'invafion des Goths. Je vous prie d'êtré toujours mon juge & non pas mon panégyrifte. ]V1 o n cher Voltaire , votre Dévote eft venue le plus a propos du monde; elle eft charmante, les caraflères font bien foutenus, l'intrigue eft bien conduite & le dénouement naturel. Nous l'avor» lue, Céfarion & moi, avec beaucoup de piaifir, fouhaitant fort de la voir repréfentée ici en préfence de fon auteur, de eet ami que nous défirons tant de voir. Mon amphibie vous fait des complimens de ce que, tout malade que vous étes, vous travaillez plus & mieux que tant d'auteurs pleins de fanté. Je ne concois rien a votre être trés-particulier; car chez- nous autres mortels, 1'efprit  IT2 CORRESPOND J1YCE,- fouffrë toujours des langueurs du corps; la mom. dr'e chofe me rend incapable de penfer, mais votre efprit fupérieur a fes organes triomphe de tout; puiiTe- t-il tiioalpher de la mort même! Vous liréz, s'il vous plalt, un petit conté alTez fnal tourné que je vous envoie; & une épkre oü. je me fuis avifé de parler èrune forte de gens qui né font guêre d'humeur a régler leur conduite fur la morale des poëtes. Machiavel fuivra quand il pourra; vous voudrez bien attendre que j'aye la temps d'y mettre la main. Le monde eft'fi tracafïïer ici, frinquiet, fi turbulent , qu'il n'eft presque pas poffible d'e'chapper a ce mal épidémique; tout ce que je puis faire quelquefois, c'eft de rimer des fottifes. J'attends tnne trouver'dans une affiette plus tranquille pour reprendre des occupations plus férieufes & qui demandent de la réflexion. A préfent voila une mafJaeureufe fuite de jours de fêtes, qu'il faut fêter quoi que 1'on en ait, & des difcours très-inconi féquens, auxquels il faut applaudir d'un air de conviction. Je fais ce'manége a contre - cceur, haff. fant tout ce qui approche de 1'bypocriire & de la faufleté. Algarotti m'écrit que Pine n'avoit pas encore achevé fon impreffion de Virgile , & que la Henriade feroit pendue au croe en attendant; j'en ai •fort gronde, car il m'a femblé que Virjilu nous cédant la place Qu'il obtint jadis au ParnafTe, ,  CORRESPOND ANCE* 113 Nous devoit bien le même honneur' Chez maitre Pine Timprimeur. Vous voyez, mon cher Voltaire, la differente qu'il y a des décrets d'Apollon & des fantaifies d'un impiimeur. Je foutiens la gloire de ce Dieu en accélérant la publication de votre ouvrage, & j'efpère de réduire bientót l'estravagancc de TAn» glois en contenant fon avidité intéreffée. Affurez, s'il vous plait, la Marquife de mes attentions. Méungez la fanté d'un homme que je chéris, & n'oubliez jamais que m'appartenant, vous devez porter tous vos foins a me conferver le bien le plus précieux que j'aye recu du Cie'1. Donnez-moi bientót des nouvelles de votre convalescence, & comptez la-deffus que de toutes celles que je pourrai recevoir pendant ma vie ce me ftra la plus agréable. Adieu. Je fuis tout a vous. Voici un petit paquet que Céfarion vous envoie. J'efpère que fon fóuvenir ne vous fera pas indifférent & que vous apprendrez avec piaifir que fa fanté fe fortifie de jour en jour. ,^Jonsieür, vóus'me faites la plus jolie galanterie du monde: je recois un paquet fous mon aUreffe, je reconnois & 1'adreffe & les cachets;» j'ouvre, & je trouve Mérope, je lis, je fuis  fri) CORRESPOND ANCE. charmé, j'admire & je fuis obligé d'augmenter l'ó-' bligation que je vous ai, que je ne croyois plus fufceptible d'accroiiTement. Mérope eft une des plus belles tragédies qui jamais fe foient faites: Pé« conomïe de la pièce eft menée avec fagefle, la" terreur s'accroft de fcène en fcène, & la tendreiTe maternelle fubftttuée a l'amour doucereux m'a charmé. J'avoue que la voix de la nature me paroit infiniment plus pathétique que celle d'une paffion frivole*' Les vers font pleins de noblefTe, les fentimens expliqués avec dignité; enfin la conduite de la pièce, 1'expreflion- des mceurs , la" vraifemblance,' le dénouement, tout y eft aufïï Mureufement amené qu'on puiffe le défirer. II n'y a que vous au monde capable de faire une pièce aufiT parfaite" que Mérope5- j'en fuis charmé ', j'en fuis extaöé', & je ne finirois point,' fi ce n'étoit pour ir,énpger votre modeftie. Si je ne puis vous payer en méme monnoie, je re veux pas cependant ne vous point témoigner ma gtatitude; je vous prie, confervez la bague que je vous envoie comme un monument" du piaifir que votre incomparable tragédie m'a caufé. Si vous n'aviez jamais fait que Mérope, cette pièce fuffiroit feule pour faire palTer votre nom jusqu'aux liècles les plus reculés, & vos ouvrages fourniroient de quoi immortalifer vingt grands hommes dont aucun ne manqueroit de gloire. Vous rn'avez obligé fenfiblement par 1'atteution que vous me téfuoiguez en toutes les occafions qui fe préfeuunt v  CORRESPONDslNCE. U$ jé refte toujours en arrière avec vous, & je m'impatiente de ne pouvoir pas vous témoigner toute 1'étendue des fentimens pleins d'eftime avec lesquels je fuis votre trés - fidellement affeftionné ami. JN'oubliez pas de faire mille amitiés de ma part a Fincomparable Emilie. Ii s'eiT trouvé quelques fautes de copifte dans Mérope; je les noterai & je vous les enverrai par le premier' ordinaire, pour vous prier de me les corriger.- Céfarion n'eft pas encore arrivé. II faut avouer que l'amour eft un grand rrraitre. ]\j[on cher ami, j'ai recu deux de vos lettres presque en même temps & fur le point de mon départ pour Berlia, de fa^ön que je ne puis que répondre en gros a toutes les deux. Je vous ai une obligation infinie de ce qae vous rn'avez communiqué les changemens que vous avez faits a la Henriade. II n'y a que vous qui foyez fupérieur a vous-même. Tous les changemens que je viens de lirs font du dernier bon , & je ne cefle de m'étonner de la force que Ia langue fraucoife prend dans vos ouvrages. Si Virgile fut nd citoyen de Paris, il n'auroit pu rien faire d'approchant du combat de Turenne: il y a un feu dans cette defcription qui m'enlève. Avouez - nous la vérité; vous y fütes préfent a ce combat, vous 1'avez vu de vos yeux, & vous avez'écrit fur vos tablettes chaque coup d'épée, pons, rccu & paré;  n€r CVR'RVS PONV/HSTCE. vous avez noté chacun des geftes des champions'/ & par ceite force fupérieure qu'ont les grands génies, vous avez lu dtfns leur cceür tout ce qué' penfoient ces vaillans' cörob'attans. Le Carachej' n'ertt pu mieux deiüner les "attitudes difficiles de ce duïl, & le Brun avec tout fon coloris n'auroit affurémènt' rien fait de femblabie au petit portrait de réfraftion que fait 1'aimable, le cher poëte philofophe. L'ehdroit ajouté au chant' VII eft encore admirable, & très-propre a occuper une piace dans l'édition que je fais préparer de la Henriade. Mais,-mon cher Voltaire, ménagez la race des bigots & craignez vos perfécuteurs. Ce feul article eft capable de vous faire des affaires de nouVêau'5 'il n'y a rien de plus cruél que d'être foupconné d'irrélig?on.' On a beau faire tous les effórts imaginables pour fortir de ce blame, cetté accufation dure toujours. Jkn patle paf expérrence, & je m'appercois qu'il faut étre d'une circonfpeaion extréme fur eet article.' Vos vers font cónformes a la raifon, ils doivent donc 1'étre a la vérité, & c'eft juftement poutquoi les Ifflbts & les ftupides s'en formalifent: ne les communiquez donc point a votre ingrate patrie, traitez-la comme le foleil traite'les'Lapons; que la vérité & la beauté dè vos produaiorts ne briilent donc que dans un endroit oü 1'auteur eft eflirnë & vénéré, dans urr pays enfin oü il eft permis de'ne point étre ftnW pide, oü 1'on ofe penfer & oü 1'on ofe tout dire; Vous voyez bien que je parle de i'Acgleterre; c'eft-  CORRESPOND ANCE. >lf ftt que j'ai trouvé convenable de faire graver la Henriade. Je ferai 1'avant-propos, que je vous communiquerai avant que de le faire imprimer. Pesne compofera les tailles douces & Kuobelsdorf les vignettes. On se -fauroit alTez honorer eet ouvrage, & on ri'en peut afi'ez eftimer 1'auteur refpectable. La poftérité m'aura 1'obligation de la Henriade •gravée, comme nous fommes redevables a ceux qui nous ont confervé 1'Enéide ou les ouvrages de Phidias ou de Praxitèle. Vous voulez donc que mon nom entre dans vos ouvrages? Vous faites comme le prophéte Eiie, qui montatu au ciel abandonna fon manteau au prophéte -Elifée; vous voulez me faire participer a votre gloire: mon nom fera comme ces cabanes qui fe trouvent placées dans de belles fituations; on les fréquente a caufe des payfages qui les envirounent. Après avoir parlé de la Henriade & de fon auteur, il faudroit tirer 1'échelle & ne point parler d'autres ouvrages. Je dois cependant vous rendre compte de mes occupations: c'efl aetuellement Machiavel qui me fournit de la befogne, je travaille aux notes fur fon Prince, & j'ai déja commencé un ouvrage qui réfutera entié. rement fes maximes par 1'oppofition qui fe trouve entre elles & la vertu , auili bien qu'avec les véritables intéréts des princes. 11 ne fuffit point de montrer la vertu aux hommes, il faut encore faire agir les rcCTous de 1'jméiêt, fins quoi il y cn a  Ii8 CORRESPOND ANCE, trés - peu qui foient portés a fuivre la droite raifon. Je ne faurois vous dire le temps oü je pour» rois avoir rempli cette tache; car beaucoup de diffipations me viendront a préfent diftraire de 1'ouvrage: j'efpère cependant, fi ma fanté le permet, & fi mes autres occupations le fouffrent, que je pourrai vous envoyer le manufcrit entre-ci & trois mois. Nifus & Euryale attendront, s'il leur plalt, que Machiavel foit expédié: je ne vais que 1'aliure de ces pauvres mortcls qui cheminent tout doucement, & mes bras n'embralTent que peu de matière. Ne vous imaginez point, je vous prie, que tout le monde ait cent bras comme Voltaire Briarée» Un de fes bras faifit la phyfique, tandis qu'un autre s'occupe de la poè'fie, un autre de 1'hittoire & ainfi a 1'infini. On dit que eet homme a plus d'une intelligence unie a fon corps & que lui feul fait toute une académie. Ah, qu'on fe feniiroit tenté de feplaindre de fon fort, Iorsqu'on réik'chit fur lepartage inégal des talens qui nous font échus! On me pariera en vain de 1'égalité des conditions, je foutiendrai toujours qu'il y a une différence infiuie entre eet homrae univerfel dont je viens de parler & le refie des mortels. Ce me feroit une grande confolation ft la vérité de Ie connoitre; mais nos deftins nous conduifent par des routes fi différentes, qu'il paroit que nous fomraes deflinés è nous fair. Vous m'enveyez des vers pour Ia nourriture de  CORRESPOND ANC E. ïj# mon efprit, & je vous envoie des recettes pour ie rétabliffement de votre corps; elles font d'un irès-habile médecin, que j'ai confulté fur votre inaladie; il allure qu'jl ne défefpère point de vous guérir. Servez ■ vous de fes remèdes; car j'ai Tefpérance que vous vous en trou.verez foulagé. Comme cette Lettre vous trouvera felon toutes les apparences a Bruxelles, je puis vous parler plus librement fur le fujet de fon Éminence & de toute votre patrie. Je fuis indigne' du peu d'égard qu'oa a pour vous, & je m'employerai voloniiers pour vous procurer du moins du repos. Le Marquis de la Chétardie, a qui j'avois écrit, eft malheureufement parti de Paris; mais je trouverai bien le moven de faire infinuer au Cardinal ce qu'il eft bon qu'il fache au fujet d'un homme que j'aime & que j'eftime. Le vin de Hongrie & 1'ambre partiront dés que je faurai fi c'eft a Bruxelles que vous iixeront votre étoile errante & la chicane. Mon marchand de vin Honni vous reudra cette lettre; mais lorsque vous voudrez me répondre, je vous prie d'adrefler vos lettres au Général de Borck a We'fel. Le cher Céfarion, qui eft ici préfent, ne peut s'empècher de vous réiturer tout ce que 1'eftime & Tamitié lui font fentir fur votre fujet. Vous mnrquerez bien a la Marquife jusqu'a quf-I point j'admire t'auteur de 1'ËlTai fur le feu , & combien j'eftiaie l'amie de M. de VoJtaiie. Je fuis £:c.  *2o CORRESPOND ANCE. y ^ a goutte m'a tenu lié & garotté* pendant quatre fematnes, s'entend que je 1'ai eue aux deux pieds, aux deux genoux, -aux deux mains & par iurcrQit de faveur au coude. A préfent la fièvre & les douleurs ont ceffé, & je ne fouffre plus que d'un grand épuifement. Pendant ces accês j'ai recu de Ferney deux lettres charmantes: euflent« elles été du Deraiurgos, je n'aurois pu méme dicter la réponfe. J'ai lié connoilTance avec ApoIIon, Dieu de la médecine. ApoIIon, Dieu du ParnaiTe, fi jamais il m'infpire , ne me cpmmuniquera fes dons qu'après que mon corps aura repris alTez de force pour en communiquer a mon cerveau. Divus Etallondus vient d'arriver; c'eft un enfant arraché aux griffes de Ia fureur & aux flammes de 1'inquifuion; il a été trés-bien recu, paree qu'il m'a affuré que les médecins donnoient encore dix années de vie a fon généreux défenfeur, au fage du mont Jura, qui fait rougir les Welches de leurs lois & de leurs procédures barbares. D'Etallonde aflure que vous avez plus d'huile de vie dans votre lampe que n'en avoient toutes les vierges de 1'évangile; puiffe-1-eile durer toujours & puiiTe au moins votre corps fubfifter a proportion de ce que durera votre réputation ! vous toucheriez k 1'immortalité. J'attends Ie retour de mes forces & de mes penfées pour vous écrire d'uu ftyle  CORRESPOND ANCE. vn flyle moins laconique; en vous affurant que Ie maladede Sans-Souci aimera toujours le patriarche de Ferney. Vak. ■ J e lus ces jours paffés avec beaucoup de piaifir la lettre que vous adreiTez a vos infLlelles libraires de Hollande. La part qua je prends k votre réputation , m'a fait participer viveoient k 1'approbation dont le public ne fauroit manquer de couronner votre modération. C'eft cette modération qui doit étre le caraftêre propre de tout homme qui cultive les fcienees. La philofophie, qui éclaire 1'efprit, fait faire des progrès dans la connoiffance du cceur humairrj & Ie fruit le plus folide qui en revient, doit étre un fupport p'.ein d'humanité pour les foibleffes, les dé» fauts, & les vices des hommes. II feroit a fouhaiter que les favans dans leurs difputes, les théologiens dans leurs querelles & lis princes dans leurs différends vouluflent imïter votre modération. Le favoir, la véritable religion, les caraéïéres refpeéhbles parmi les hommes devrcrient élever ceux qui en font revêtus au deffus de certaines paffions, qui ne devroient étre que le partage des ames baffes. D'ailleurs le mérite reconnu eft comme dans un fort k 1'abri des traïts de I'envie; tous les coups portés contre un ennemi inférieur déshonorent celui qut les lance. Oeuy, pojili. de Fr. II. T. X. F  122 CORRESPOND ANCE. Tel cachant dans les airs fon front audacieux Le fier Athos paroit joindre la terre aux cieux: U voit fans s'ébranler la foudre & le tonnerre Brifés contre fes pied«, leur faire en vain la guerre. Tel du fage éclairé le repos précieux N'eft point troublé des cris de laches envieux; ■ II méprife les traits qui contre lui s'émouflent j Son ulence prudent, fes vertus les repoulTent, ■Et contre ces Titans le public outragé, Du foin de les punir doit étre feul chargé. L'art de rendre injure pour injure eft le partage des crocheteurs- quand même ces injures feroient des vétités, quand même elles feroient 'échauffées par le feu d'une belle poêfie, elles reftent toujours ce qu'elles font; s'entend, ce font des armes bien placées dans les mains de ceux qui fe battent a coups de batons, mais qui s'accordent mal avec ceux qui favent faire ufage de 1'épée. Votre mérite vous a fi fort élevé au deflus de la fatire & des envieux, qu'aflurément vous n'avez pas befoin de repoufier leurs coups • leur malice n'a qu'un temps, après quoi elle tombe avec eux dan. un oubli éternel. L'hiftoire , qui a confervé la mémoire d'Ariftide , n'a pas daigné conferver les noms de fes envieux: on les connott auffi peu que les perfécuteurs d'Ovide. En un mot, la vengeance eft la panton de tout homme offenfé; mais la générofité n'eft que la paffion des belles ames; c'eft la vótre, c'eft elle afiurément qui vous a dicté  CORRESPOND ANCE. 123 cette belle lettre (que je ne faurois atïez admirer) que vous adreffez a vos libraires. Je fuis charmé que le monde foit obligé de convenir que votre philofophie eft aufli fubliine dans la pratique, qu'elle 1'eft dans la fpéculatiou. Mes tributs accompagneront cette lettre; les diffipations de la ville, certains termes in» connus a Cïrey & a Rémusberg de devoir, de • refpect, de cour, incommodes dans la pratique,. m'enlèvent tout mon temps; vous vous en appercevrez fans doute, car je n'ai pas feulement pu abréger ma lettre. Aiïurez, je vous prie, de mes adorations cette Déeffe qui transforme Newton en Vénus, & fi vous voyez un certain poëte philofophe, 1'auteur de la Henriade & de 1'épltre * U..., afturez-le que je 1'eftime & le confidêre on ne fauroit davantage. ,P. S. Apropos. Comment fe porte Louis XIV? Vous allez dire, quel importun! Cet Apicias n'eft jamais raffaflé de mes ouvrages. F »  LETTRES LA MARQUISE DU CHATELET. M adame, fi j'ai pu vous obliger par 1'encrier que j'ai pris la liberté de vous offrir, j'en ai été récompenfé fuffifamment par la lettre que vous me faites le piaifir de m'écrire. Je me troave ex«êmement flatté des fentimens avantageux que vous témoignez fur mon fujet; & je craindrois fort qu'une partie n'en difpatüt, fi j'étois aiTez heureux pour vous voir. Ü faut que le digne Voltaire vous ajt connu , Madame, lorsqu'il compofa fa -Henriade, & je juferois presque que le -caraaère de la Reine Elifabeth d'Angleterre eft tracé d'après le vótre; en effet on ne trouvé nulle part en Eurcpe, ni dans le monde entier, de Dame dont l'efprit folide ait pu produire des ouvrages fur des matières auffi profondes que celles que vous tcaitez en vous jouiftt. J'efpère de les admirer plus eu détail ces excellens ouvrages, lors» que je tiendrai de votre faveur les deux differtations dont vous avez honoré 1'académie. II ne me convient point de m'ériger en juge, mais il peut me convenir d'interroger. Je me tiendrai honoré de vos inftruaions; puhTé-je en recevoir fur tou«  CORRESPOND JNCE. Ï25 tes fortes de fujets! Fontenelle dit que les hommes, font des fautes, & que les grands hommes les avouent. M» de Voltaire ne dement ce caractére en quoi que ce foitè J'ai hafardé des doutes que j'avois fur quelques vers de fes épltres, & il les corrige. II faut avoir autant de fupériorité qtfil en a fur le reite des hommes' pour avoir autant de condefcenJance. Vous connoiffez fon mérite, & j'ofe m'adreffer a vous, Madame", pour i'affurer que je le cornpte au rang de mes vrais amis , c'eu a dire que je me fte a fa ftncéiké. Que vous étes heureufe, Madame, de polféder un homme unique comme Voltaire, avec tous les talens que vous tenez de la nature! Je me fentirois ten.é d'être envieux, fi je n'abhorrois 1'envie: mais je fens bien que je ne pourrai m'empêcher d'être de vos admirateurs. Je lais que vous en» chantez les perfonnes par vos gtaces, & que vous les furprenez par la profondeur de vos connoiflances. J'ai vu de vos vers charmans, je viens de recevoir de votre profe; mais malheureux qui ne vous entretient que par lettres, & qui ne vous connoit qu'a la diilance d'une centaine de lieue.*. J'en dirois bien davantage, il je ne craignois de vous importuner, & de vous ennuyer, ainfi que ces acteurs qui jafent comme des pies borgnes & qui récitent des tirades de deux cents vers d'ar» rache - pied fur Ie théatre. Et je fens trop que ma iettre ne pourroit vous dédommager d'un quart F 3  né CORRESPOND ANCE. d'heure de converfation avec Voltaire, dont la jnaladie.me touche vivemenr. Je vous quitte, Madame, pour lui écrire, vous afiurant que je fuis avec toute reftime qui vous eft due, & qu'on ne fauroit vous refufer, Votre trés - affeflionné ami & admirateur. ame, j'ai recu presque en même temps la lettre que vous me faites le piaifir de ra'écrire, & 1'ouvrage infirurtif & laborieux que vous avez compofé fur la nature du feu, Ce ne feront pas des ouvrages fortis de vos mains qui courront le risqne de m'ennuyer; ils m'infpireront toujouts 1'admiration qu'ils mentent. Aflurf'ment, Madame, fans vouloir vous flatter, je puis vous affurer que je n'aurois pas cru votre fexe, d'ailleurs avantageufement panagé du cóté des graces, capable d'auffi vaftes connoiiTances, de recherches pénibles, de découvertes folides, comme celles que icnferme votre bel ouvrage. Les Dames vous devront ce que la langue italienne devoit au TafTe; cette langue, d'ailleurs molle & dépourvue de force, prenoit un air m&le & de 1'énergie, lorsqu'elle étoit maniée par eet habile poëte. La beauté, qui fait pour 1'ordinaire le plus grand méiite des Dames, ne pourra étre comptée qu'au sombve de vos moindres avantages. Quant a  CORRESP O ND ANCE. 127 tïöi, j'ai lieu de me louer du fort, qui me privant du bonheur d'adnirer votre perfonne, me permet au moins de cotinoitre toute 1'étendue de votre éfprit. Mon ouvrage politique ne mérite pas toutes les louanges qu'il vous plak de lui donnar; il n'y a qu'a penfer librement pour en faire tout amant: le fecret n'eft pas bien grand , & je crois, pour peu qu'une perfonne eet connoiffance des affaires de 1'Europe, qu'elle en feroit autant & qu'elle le feroit mieux. Je me fens né avec a peu prés les mêmes inclinations que les refpeclibles habkans de Chey, a cette différence pré; que ce fruit qui nutrit fi bien cbez vous, ne réuffit pas de même chez moi. Je voltige de la métaphyfique a la phytlque , de lamorale a h logique, il 1'hiftoire, de la muilque a ia f&öëfb. Je :>e fsi? nuVfa^ui^ tout, fans réuffir en rien. Votre exemple, Madame, me fervira toujours d'aiguillon, pour me faire courir après cette gioire que vous avez so quife a fi jufte titre. Le plus grand piaifir que pniiTe gölirer un étiS sui pesfei eff felon mot celui de faire du bien, & après, celui d'acquéilt des connoiffances; & les obflacles qu'il nous faut vaincre pour acquérir ces connoiffances, font encore un phifir nouveau. Vous connoiffez ttop ce piaifir pour que je vous en paile davantage; mais peut être ne connoiffez-vous point celui qu'on prend a vous écrire. II eft caufe que les lettres s'allongent quelquefois plus qu'il ne faiidrpit: F 4   COZRÈSPOND/tNCE. 131 ribt pour juger lequel des deux doit étre au deflus de la critique de 1'autre. J'ai d'abord foupcoimé quelque ferpent caché fous les ilaurs, lorsque Thirlot m'a annoncé d'un ton triomphant qu'il avoit fait changST les épitres de notre digne ami: en un mot, Thiriot eft très-propre a vous fervir & a vous amufer. Son fond d'amour propre eft le principe des foins qu'il fe donne pour vos commiülons & vos divertilTemens. 11 m'écrit quelqutfois des lettres oü il paroit brouille a j tinais avec la bon fens: il n'a jamais le thume que je n'en fois info'tnë par un galimathias de qüatre pages; mais il fe furpa'fle furtout dans le juge'ment & la critique q fit fait des buvr3ges d'efptit: & il escalade la fuper'. latif, lorsqu'il refoud en fon ftyle les penféts limens avec lesquels je ferai toute ma vie, &c. A Berlin, le 23 Janvier 1735. M iiuHi, je fuis extrémement faché, tant pour l'amour de votre repos que pour celui dü digne Voltaire, de ce que des Fontaines & Rouffeau ne fe laffent jamais de blafphèmer contre TApoIIon de la France. J'ai fait eenre Jt Thiriot que je voulois avoir ce libelle, quelque affreux qu'il Fut étre* mais ^ ne me l'a Pas envové en* core. Lorsqu'on s'intérefle amant a quelqu'un que je le fais a M. de Voltaire, tout ce qui peut le regardet d'une manière relative ou directe devient in* téreflant; & quelque répughance que j'aye a lire ces éctits qui font 1'opprobre de Phumanité & Ia bonte des lettres, je me fu's. néanmoins impofé cette pénitence, afin d'être indruk des fairs q lifer. Je fuis &c- A Rémusberg, ce 8 Mars J/3J).-' M a dame , les cbagrins du digne Voltaire m'ont été extrêmement fentibles. Je fuis tout de feu pour mes amis, & tout ce qui les regarde me touche autant que fi cela me regardtnt perfonne!lement; je n'aime point les amis qui fe tiennent comme ces tranquilles Euménides de 1'opéra, lorsque leurs amis ont befoin de leurs fecours.. AuHI"  CCRRES POND ANCE. MI vais-je m'intércfler pour le digne Voltaire fans qu'a ra'en ait follicité •, j'écrirai pour eet eftet par l'or« dinaire prochain au Matquis de la Chétardie, & je fer2ijouer tous mes relTorts pour rendte le ca lang a un .homme qui a fi fouvent travaillé pour ma facisfaétion. II faut que Voltaire fe contente de méprifer fes ennevnis: c'eft eu vérfcé toute la grace qu'il leur peut faire; il fe rabaiff^roi: trep en fe racttant en compromis avec eux, & fa plume eft trop noble pour s'efcrimer contre des armes qui n'ont de force que tant que la malice & la calomnie les foutiennent; je -fuis donc bieu aife qu'il ait pris le parti du filence. Vous m'attaquez, Madame, du cóté de la phyfique, & je ne trouve de falut que dans Ia fuite. J'ai fait fi p:u de progrès dans la connoiffance de la nature, que je me garderai bi;n d'entrer en lice avec vous: ce de quoi je conviens cependant trèsvolontiers, c'eft qu'il y a beaucoup de chofes dans la nature qui nous font cacbées, & qui apparemment le feront toujours. Je me confolerois a la vérité facilement d'ignorer Ie reflbrt de l'air, la cohérence &c. fi j'avois 1'avantage de vous connoitre perfonnellement. Vous jugez bien , Madame , qu'il m'eft d'autant plus doulonreux de vous favoir fur les confins des Etats du Roi mon père & de ne pouvoir profiter de ce voifinage. ' Je ne fais quelle force centrifuge me poufle ms-lgré moi en Piulli j mais je fens bien quï  jfs CORRESPOND ANCE. je porte en moi un principe qui dirigeroit mes pas d'un cóté tout différent. Soyez-en perfuadée, Madame, comme de tous les fentimens avec lesquels je fuis, Votre trés - affectiouné ami. A Rémusberg, ce 15 Avril 1739. M adame, aprés avoir fait cent milles d'AIJemagne en quatre jours, ii ne me falloit pas moins qu'une lettre de votre part pour me rappeler a la vie. Dans ilx femaines d'abfence j'ai patcouru une infinité de pays, de contrées & de villes: j'ai vu quelqnes millions d'uommes; mais je puis vous juter , Madame, que parmi cette prodigieufe quantité il ne s'en eft pas trouvé un digne de.recevoir la bourgeoifie de Cirey. Je fuis bien aife d'apprendre que Ie petit hommage d'ambre que vous a fait la Pruffe vous a été agréable. L'ambre eft de 1'encens , on s'en fert dans toutes les églifes cathoüques, & même les Indiens en parfument leurs idoles; pourquoi eet er> cens ne futneroit-il point it Cirey, dans ce temple de la vérité & de 1'amitié, oü 1'ufage en eft plus légitime que dans ces lieux confacrés par Terreur & peuplés par la fuperftition? Si j'apprends que le vin de Hongrie faffe du bien a notre cher & digne ami, & s'il eft de voite  C0RRESP0ND/1NCE. ,14$ goüt, je continuerai de vous en foürnir; ii eft bien jufte que chnque pays vous F.£yJ 1* tribut de ce qu'il produit de plus exquis. Vous voulez, Madame, qua ja m'appltque a la phyllque, pour que votre coramerce ne m'ennuie point, comme il vous plalt de le dire; il me femble cependant que cette précaution eft prife de fort loin; un jeune homme , pour peu qu'il ait de fenfib'ilité, ne reftera pas court avec une jeune, belle & airaable Dame. Je fens bien que fi j'avois le piaifir de vous voir, je vous parlerois de toute autre chofe que de phyfique , & que Newton» Maupertuis, Mairan & Locke ne ra'occuperoieat guères en votre préfence; ménageons- nous les fecours d^ ces favans honwnes pour 1'age oü le cceur glacé ne nous fournit plus rien a dire, & permettez-moi, Madame, de préférer 4 mon êge li trj> vacité des fentimens aux charmes llegmatiques d'une corrcfpondance phyfi-ue. Je fuis occupé a préfent ft réfuter l'entiemi de 1'humanité, & le calomniateur des princes; j2 me délafierai de eet ouvrnge entre les bras da la poèïie & je rampera!' fur vos pas dans h carrière de la phyfique. II n'eft pas permis, Madame, a tout le monde d'être univerfel i il en eft des génies comme des fcienees; les uns embraflént beaucoup plus d'objets que les autres. Pour moi je m'appercois bien que l'iinmenfité eft auffi peu mon partage qua 1'umvers en.ier étoit celui d'Alexandre; ji fais des efi'orts pour conquérit quelque petite proviace vo>  •144 ■CORRESPOND ANCE. fine, a peu prés comme la France, qui s'empare tout doucement de 1'ile de Corfe, après s'étre mife en poffefïïon de la Lorraine, avec cette différence pourtant que la conquéte de ces Etats fe fait ou par violence ou par fupercherie, & que le pays des fcienees ne fe gagne que par un travail afïïdu, que toute fineffe , que tout artifice pour s'en rendre le maitre devient inutile, & que nous n'avons d'autres raoyens pour nous 'les approptier que les forces de Pefprit. Vous autres qui marchez a pas de géans, vous vous imaginez que tout le monde a l'honneur d'être géant comtne vous; mais je fuis charmé que vous ayez ce défaut de 1'humanité, que vous jugiez les au» tres par vous mémes; daignez a 1'avenir vous resfouvenir, Madame, que les hommes peuvent fe reffembler, mais que malgré tout cela ils différent beaucoup d'efprit & de capacité. Je fuis bien aife d'apprendre que 1'ami Voltaire a lieu d'être content de la manière dont on lui a fait jufiice a Paris. II a trés bien fait de ne point écrire, & la fatisfaclion qu'il repoit lui fait plus d'honneur que tous les faétums ou tous les écrits par lesquels il fe feroit compromis. Je fais faire une édition magnifique de la Henriade; tout y fera digne de fon auteur; je lui écrirai dans quelques jours, & lui enverrai la préface, pour qu'il la corrige s'il le jüge S propos. Tout ce qui me vient de vous, Madame, me fera toujours uès - agréabie: les nouvelles de Paris  CORRESPOND ANCE. Paris paiTant par vos mains gagneront 1'éclat qu'un diamant brut recoit des mains du lapidaire habile, & d'ailleurs ce qui vous regarde & ce qui touche votre aimable ami, ,me fera toute ma vie un piaifir infini. Je vous prie de me croire avec tous les tentimens de la plus parfaite eflime, Madame, Votre irès-aiTecïionné ami. A Berlin, ce to Aotit 1739. M ADAME, i'étois vis a vis da Machiavel lorsque j'eus le piaifir de recevoir votre lettre & Ia traduction italienne de la Henriade. Je me fuis vu infiniment encouragé par les fulFrages que vous donnez a la préface de la Henriade. Ce font Ia vérité & la perfuafion qui fe font exprimées par ma plume. Cet ouvrage fe loue de lui-méme &. je n'ai d'autre mérite que celui d'avoir arrangé les phrafes. M. de Voltaire n'a pas befoin .de panégyrifte pour 4tre eftimé & gouté de fEurope; auili n'eft-ce que d'un foible rofeau que j'ai voulu étayer 1'édifice de fa réputation. Vous me demandez des nouvelles de Machiavel? Je compte de 1'achever dans quinze jours. Je ne voudrois point préfenter un ouvrage informe & mal digéré aux yeux du public. J'écris beaucoup, & Ocuv.pojlh.de Fr. U. T.X. G  I4ö CORRESPOND ANCE. j'efface davantage. Ce n'eft encore qu'une msfis d'argile grofÏÏère, a Iaquelle iJ faut donner la facon & le tour convenable; cependant je vous envoie 1'avant-propos, pour vous faire juger dans .quel efprit eet ouvrage eft cotnpofé. II y a des .matières férieufes oü il a fallu des réfutations folides; mais il y en a d'autres oü j'ai cru qu'il étoit permis d'égayer le leéteur: je ne fais rien de pire que 1'ennui, & je crois que 1'on inftruit toujours mal le leéteur, lorsqu'on le fait baiiier. Peut-étre y a -1- il de la préfomption h mon age de me flatter d'inftruire le public; mais peut-étre n'y en a-t-il point a vouloir lui plaire. J'aurois bien voulu femer par-ci par-lè de ce fel atticue tant eftimé des anciens; mais ce n'eft pas 1'affaire de tout le monde. J'enverrai 1'ouvrage chapitre par chapitre a M. de Voltaire; votre jugement & votre goüt me tieudra lieu de celui du public: je vou3 demande en amitié de ne point me déguifer vos fentimens. Mais je m'appercois que comme 1'éternel abbé de Chaulieu je ne parle que de moi-même; je vous en demande mille pardons, Madame, la ma. tière m'enuaine & Machiavel m'a féduit. Poer changer de difcours, je vous dirai que nous avons vu ici 1'aimable Algarotti, avec un certain Milord Baltimore, non moins favant & non moins sgtéable que lui. J'ai fenti tout le prix de leur bonne compagnie pendant huit jours; après  C0RRESP0ND/1NCE. jj£ quoi ils ont dié relevés par ce Marcus Curtius des Franpois, qui fe ddvoue pour le bien de fa patrie, & qui va s'abymer, dit - on, dans Ie plus grand . gouffre des mers hyperbordes; j'ai penfd le confefler en le voyant partir, regrettant toutefois qu'un auffi aimable homme allat fe morfondre dans un climat & dans un pays auffi peu digne de lui qua la Ruffie. II m'a dit mille biens de fon monarque, & il a penfé me ranger de 1'opinion de ces philofophes qui difent que c'eft l'amour qui débrouille Ie chaos. Que ce foit l'amour ou ce qu'il vous plaira, je ne m'en embarralTe point, mais je vous prie de croire .que je ne fuis pas auffi indifférent fur les fentimens que j'ai pour vous, & qu'il m'importe beaucoup que vous vouïiez vous perfuader de 1'efttme avec laquelle je fuis, Madame, Votre très-affeclionné ami. Ayez Ia bonté de faire mes amitiés a notre digne ami. A Rémusbcrg, ce 27 d'Oétobre 1739. -VTada-me, les ouvrages d'une Dame qui réunit un efprit mdle & profond è la délicatefTe & au goüt qui eft le partage de fon fexe, ne fsufoient que m'ètre bien agréables: ce ne fera plus de G 2  CORRESPOND ANCE. Wolf, mais ce fera de la bouche de Minerve que je recevrai mes inftruftions. II eft a croire, Madame , que vous rendrez Wolüens ceux qui iiront votre ouvrage. L'efprit eft facile a convaincre lorjque Ie coeur eft touché; je vous réponds de ma conviclion; il ne dépend a préfent que de vous de 1'entreprendre, en m'envoyant eet abrégé précieux. II falloit a notre didaflique & pefant philofophe allemand le feqours d'un génie vif & écktiré comme le vótre, pour abréger 1'ennui de fes répétitions & pour rendre agiéable fon extréme fécherefle: fon or paffe" par votre cteufet n'en deviendra que plus pur. La réfutation de Machiavel dont votre indulgence m'applaudit, auroit peut-étre mieux réuffï, fi j'avois eu.tout Ie loifir néceffkire; mais il y a quatre moïs que je fuis ici, c'eft a dire dans I'endroit du monde le plus tumultueus & le moins propre a ce recueillement d'efprit que demandent des ouvrages réfléchis. J'ai fait une trève avec Voltaire , le priant de m'accorder quelques femaines NrJe délai: aprês quoi je lui ai promis d-'être impitoyable a fégard des fautes qui me font échappées dans la compofition de eet ouvrage. Céfarion convalefcent vous marqué lui - méme par la lettre ci-jointe combien il eft fenfible a 'votre fouvenir. Nous pailons de Cirey comme les Juifs de Jérufalem, En efftt votre maifon mérite bien amant d'être appelég un temple que eet  CORRESPOND ANCE. 143 édifice fuperbe conftruit par Salomon, k la difFt?rênce prés que fouvent la fuperftition & 1'ignorance habitoient les facrés portiques & le fanftuaire de ces lieux détruits par Titus, & qüe la fagefle & les plaifirs out établi leur domictle dans Taimable inaifon dont vous & Voltaire êtes les divinités. Si vous vous appercevez a Bruxelles'de quelque legére fumée d'une odeur d'ambre & d'un vent du nord, fouvenez-vous que ce'font nos encens, & que vous ne recevez d'aucun lieu de la terre oo culte auffi pur & des hommages auffi fincères que le font les nótres. Je fuis" avec une trés - parfaite eftimé, Madame, Votre trés - affeaionné atni.' A Berlin, ce'i3 Mars 1740.' IVIadame, on ne fauroit lire fans étonnemerit 1'öuvrage d'un profond métaphyficien allemand, traduit & refondu par une aimable Dame franeoilë. Vous démentez fi fort les défauts de votre nation, que je crois que je puis Vous difputer avec quelque fondement a la France'votre patrie, & fi vous ne faites pas 1'honneur aux Germains d'être Allemande tout a fait, du moins vous doit-on compteï G"3"V ï  t#i CORRESPOND ANCE. parrai ces intelligences fupèrteures que produiient lou-es les naiious, qui font un corps enfemble, & qu'on peut nommer des citoyens de l'univers. La France n'a produit jusqu'a nos jours que des femmts d'efprit, on des pedante». Les Rambouillet, 1< s De*hou!iêres , les Sévigné ont briüé par la beauté de leur génie & la finelle de leurs penfées: les Dacier étoient favantes , mais rien de plus. Vous nous faites voir un phénoméne bien' plus ex- traordinaire, & fon peut dire, fans bleffer votre modeftie, que les fcienees que vous pofledez, & votre facon de penfer & de vous esprimer, font amant fupérifures a celles de ces Dames, que J'eil' le génie de Voltaire a celui de Boileau, ou celui de Newton a celui de Defcartes. Vos inititutions pbyfiques féduifent, & c'eft beaucoup pour un • livre de méiaphyfique^ S'-tfSn&ll permis de vous dire mon fentiment fans déguifement, je crois qu'il y a quelques chapitres oü vous pourriez refTerrer le iaifoBflcrrrem fans 1'affoiblir, & principalement celui de 1'étendue, qui m'a paru tant foit peu diftus. Vous me terra d'ailleurs piaifir & honneur de m'envoyer tout 1'ouvrage achevé. ■ On ne fauroit affez vous encourager dans ce goüt fi rare que vous avez pour les fcienees. J'efpère que la facilité avec laquelle vous y faites des progiès fi merveilleux encouragera les Dames 4 vous fuivre, & •qu'elles .renonceront-enfin a C3 miférable goüt pour le jeu qui les avilii , & qui ailürément ue peut que les rendre méprififclw.  CORRESP O ND ANC E. 151 j'ai conivj par la ccrrefpondance do M. da Voltaire qu'il étoit ami tolérant; & que feroit 1'amitié fans iBdgigóoce oc fans politeffe? Li haiae exerce un pouvoir tvra.miquc fur les efprits, elle fait des efclaves; mais 1'amitié vent que tout foit libre commé elle-, il lui faut le cceur, mais elle eft in-; différente fur les opinïons & les fentimens de 1'efprit. Si 1'on" confiJère d'ailleurs ce que c'eft que les opinioris & les fecles, on verra que ce font de> points de vue différens d'un même objet apper; r par des yeux presbytes ou myopes: ce font dSs combinaifons de raifonnemens qa'una bagatella fonvent fait naitre &'qu'un'rien détruit; ce font des fal'.lies de notre imagination, plus 011 moins vive, plus ou moins bridée; c'eft donc le dernier e:<:is de la déraifon que de renoncer a 1'amitié d'une perfonne , paree qu'elle" avo'rt cru que le foleil tourna autour du monde,. & qu'elle eft perfuadée a préfent que c'eft Ia monde qui tourne autour du foleil.' Je penfe que lofsqu'on aima véritablemenr, famitié na doit point être altérée par la maladia de Tamij qu'il ait la petite vérola ou qu'il foit hypocondre, cela n'y changera rien, d'autant plus que la nceüd da 1'amitié n'eft ni la fanté du corps, ni la force du raifonnement. Je vous demande bien pardon, Madame, de mort bavardage; je me natte que ce fera la Marquife dut Chatelet qui lira ma lettre, & non pas 1'auteur de te métaphyfique, entouré d'algèbre & armé d'un G 4  i$2 CORRESPOND ANCE: compas; je ne puis vous envoyer rien de fembiable aux admirables ouvrages que je tiens de votra fagaciré & de vos bontés. II ne me refte qu'è vous aflurer que j'ai plus que des raifons fuffifante-s pour être avec une trés-parfaite efiime, Madame, Votre trés fidelle ami & admirateur. A Rémusberg, le «9 Mai 1740. V E T-  L E T T R E S A U M A R QU I S D'JRGENS. Je fuis fi occiipé ici, mon cher Marquis, d> Tiös'fottifes héroïques, que je crains fort de vou; feconder foiblement dans votre iouable projet. J i n'ai point battu 1'ennemi, paree que je n'en ai point eu 1'occafion, ' Mi tache fera bien difficflè a rempiir. L'ennemi que j'ai vis-a-vis de la Si léfie eft de quatre - vingt - dix mille hommes ; j'en ai k pëu près'cinqüante mille pour lui rélifter. L'embarras commenceta a fe faire fentir dés que les ar* mëes entreront en campagne; il faudra beaucoup d'adrelTe, d'art & de valeur pour fe tïrer ;!u dangefc ;qui nous menace. Mon fiére n'a poinr envoyé de :troupes a Nuremberg;' ce feroit mie Érês - grarfilè faute, s'il avoit poutTé cette pointe dans les cir conflances préfentes. Au contraire 3 il doit 4cga'. gner la Saxe promptement, pour détachèr contre les Ruires. II n'eft pas temps encore de'chanrer •vi&oire, ni de préfager faverfir; le gros de la e'fogne. le nceud de la drfficuiré nous attend, & il faut voir ce que le deftin ordonnera des événemens; quels qu'ils foient', ils ne dénngeront pa> ma phi .lófophie. Pour ma fanté, & pour le conrentement de moft cceur, ce font des chofes auxuielles je ne G 5  15+ CORRESPOND ANCE. penfe pas & qui me font trés-indifférenies. Je vois bien, mon cher Marquis, que vous êtes féduit comme le public. Ma fituation peut jeter peut-être un certain éclat de loin; mais li vous en approchiez, vous ne trouveriez qu'une grofle & ëpailTe fumée. Je ne fais presque plus s'il y a un Sans-Souci dans le monde; quel que foit 1'endroit, le nom ne me. convient plus; Enfin, mon cher Marquis, je fuis vieux, trifte & chagrin. -. Quelques lueurs de mon ancienne bonne humeur reviennent de temps en temps,- mais ce font des étinceU les qui s'évanouiflent, faute d'un brafier qui les nourriffe; ce font des éclairs qui percent des nuages orageux & fombres. Je vous parle vrai; fi vous me voyiez, vous ne reconnoltriez plus les traces de ce que je fus autrefois. Vous verriez un vieil» ïard- grifonnant, privé de Ia moitié de fes dents, fans gsieté, fans feu, fans imagination; & moins que les veftiges de Tufculum , dont les architectes ont fait tast de plans imaginaires, faute de ruines qui leur indiquent les fonds de la demeure de Cicéron, Voila, mon cher, les effets, moins des aunées que des chagrins; voila les trifies prémices de la caducité que 1'automne de notre age nous amêne infailliblement.' Ces réflexions, qui me iendent trés - indifférent pour la vie, me mettene ptéciférnent dans les difpofitions oü doit être un ïomme deftiné a fe battre a outrance"; avec ce détachement de Ia vie on fe bat de mdlleur coeur, & 1'on quitte ce fejour fans regret. Pour vous,  CORRESPOND ANCE. 155 mon cher, qui n'étes point dans cette carrière da fang, confervez votre bonne humeur, jusqu'a ce qu'un j'ufte fujet d'affiiéïion vous arrivé ; & morttjlez nos ennemis par votre 'pltune, pendant que de mon cóté j'emploierai le peu de talens que j'ai pour les confondre a grands coups d'épie & de canon. Adieu, cher Marquis. Que le ciel vous conferve en paix & fous fa fainte garde! A fceich HcnnersdoiF, ce 28 Mai 7759. \ o 1 r. a Berlin a la vérité hors de danger. Le3 RuiTes font ü Guben & h Forft; mais je fuis encore enviromié d'embarras cruels , de piéges & d'sbyüies. 11 eft fort aifé , mon cher Marquis, de ' dire il faut faire une guerre défenfive; mats j'ai un fi grand nombre d'cnnemis que force m'eft d'embrnfler l'offeiifive par néoeffité. Je fuis ici dans uf ttiangle oii i'ai les Rulles k gauche, Paun a droitc & les Stiédois i dos. Faites la guerre défenfive, je vous en conjure. C'eft tout le contraire; je ne me foutiens jusqu'rci qu'en attaquant tout ce que je puis, & en me procurant de petits avantages que ie tacfce de multiplier le plus qu'il m'eft pófltble. Je fais depuis la guerre mon noviciat de jzénonisme; je crois, fi cela dure, que je deviendrai plus indifférent, plus impaffible qu'Empedocle .& que Zénon même. Non, mon cher Msrquis, je n'cxigerai point de'vous que vous veniez me G (5  t$6 CORRESPOND ANCE. trouver. Si je vis, je ne penferai a vous revoii que lorsque 1'hiver aura établi une bonne trève pour iix mois. Entre-ei & ce temps il y aura bien du fang de verfé & beaucoup d'événetnens bons & mauvais qui nous éclairciront de notre fort. Adieu. Je vous embraiTe, mon cher Marquis. A Cotbus, le 17 Septembre 1759. 3j^ES marmites & les cuillers des Francois më paroiflent de plaifantes relTources pour faire la guerre. C'eft une momerie pour faire illufion au public. Je fuis perfuadé que 1'objet en fera mince; mais comme les lettres imprimées du lvlaréchal de Belle-Isle crrent mifère, ils ont voulu en itnpofer a leurs ennemis, & leur perfuader que 1'argent cifelé & godronné du royaume leur feroit fuffïïant pour pouffer 1'année qui vient une campagne vi* goureufe. II n'y a certainement que eet objet-la qui leur ait fait imaginer la comédie qu'ils jouenti Voila Munfter pris par les Hanovriens, & 1'on as* fure que le 25' les Francois font partis de GielTen, pour marcher fur Friedberg & repalTsr le Rliin. Kous autres, nous fommes ici vis a-vis de 1'ennemi , cantonnés dans des villages; la derniêre botte de paille & le dernier morceau de pain déct»deront de celui de nous deux qui reftera en Saxe; & comme les Auirichiens font extrémement rellertés & ne peuvent-rien tiier de la Bohème, je me  CORRESPOND ANCE. ïj? flatte qn'ils partiront les premiers; patience donc jusqu'au bout, & voyons la fin que prendra cette campagne infernale. J'ufe cette année-ci toute ma philofophie; il n'eft point de jour que je ne fois obligé de recourir a l'impaiTibilité de Zénon. le vous avoue que c'eft un dur métier, quand il faut le continuer. Epicure eft le philofophe de 1'humanité, Zénon eft celui des Dieux, & je fuis homme. Depuis quatre ans je fais mon purgatoire; s'il y a une autre vie, il faudra que le père étetnel me tiénne compte de ce" que j'ai fouffert dans celle-ci. Tout état, toute condition éprouve des traverfes & des infortunes;- il faut que je porte mon fardeau (quoique très-pefant) comme un autre, & je me dis: ceci panera comme nos plaiiirs, nos goats, nos peines & nos heureux deftins. Adieu, mon cher Marquis. Mes lettres vous paroitront bien noires; je ne faurois, je vous jure, vous- en écrire d'autres. Quand 1'efprit eft inquiet & chagrin, on ne voit pas couleur de rofe. Je vous embraffe,- & je fouhaite de vous revoir bientót. A Wilsdruf, le 28 \759- Jè me fuis appereu, mon cher Marquis , que ï vous avez eu la fièvre, a 1'édition que vous m'avez envoyée; elle s'eft trouvée fi incorrefte, que je vous- la- renvoie corrigée ; faites - la reimprimer & jetez ces vingt ex.emplair.es au feu. Ces gens font G 7  fgfJ .CO RRESPOND ANCE. fi gauches, qu'ils ont entièrement chartgé le feu» de mes penfées par les plus lourdes bévues. Le p;tit Beaufobre pourroit bien y donner plus d'attention. Les Huns & les Vifigoths, s'ils avoient eu des imptimeurs, n'auroient pas plus mal fait. Vous me parlez beaucoup des Francois & de leurs pettos; cela eft manifefte, mais la pais n'en eft pasune fuite certaine. Mes affaires font encore dans une aiTcz mauvaife fituation. Des fecours m'arrivent a préfent; mais les neiges font fi abondames ici, la quantité qu'il en eft tombé fi confidérable, qu'il n'eft presque pas poffible de faire agir des tioupes vis-a.~vis des ennetnis. Voila ma fituation, environné de difficultés de tous les cótés, d'embarras & de pérüs; quand j'ajoute a tout cda les trahifons de la fortune dout j'ai eu tant de tcmoignnges dans cette campagne, je n'ofe me fkr a elle dans mes entreprifes, ni dans mes forces non plus; il ne me refte donc que le hafard, & je n'efpèrè que dans 1'enchainement des caufes fecondes. Quand vous aurez fait achever l'impreflion de eet ouvrage-, ayez la bonté de m'en envoyer trois exempiaires. Le Comte Finck me les fera tenir, & les couriers ne refuferont pas fes paquet?. Adieu, mou cher Marquis. Je ne fais ni quand mes avtntures finiront, ni quand je vous reverrai mais je fais, a n'en pas douter, que je vous ai. merai toujours. A Freyberg, le ló Décembre 175?-  CORRESPOND ANCE. 15? J.e vous rémereie, mon cher Marquis, de la peine que vous avez eue a faire imprimer mes balivernes; cela n'en valoit pas tant. Vous avez trop d'indulgence pour les vers que je vous ai envoyés. Comment pourroient-ils étre bons? mon ame eft trop inquiête, trop agitée & trop accablée, pour que mon efprit produife quelque chofe de paflable. Ce trifte vernis fe répand fur tout ce que j'écris & fur toutes mes adions. La paix n'eft rien moins que certame; on 1'tfpêre, on s'en flatte, mais voila touf. Tout-ce que je puis faire eft de lutter conftamment contre l'adverfité; mais je ne puis ni ramener la fortune, ni diminuer le nombre de mes ennemis. Cela étant, ma fituation demeure la méme; encore un revers & ce fera le coup de gr-ace. En vérité, la vie devient tout k fait infupportable, quand il faut la trainer dans les chugrins & dans de mortels ennuis; elle celfe d'être un bkn» fait du ciel; elle devient un objct d'horreur qui relTemble aux plus cruelles vengeances que les iyrans exercent fur des malheureux. Vous m? 'ueriez plutót, mon cher Marquis, que de me faire changer de fentiment. Vous voyez les objets d'un point de vue qui les adoucit en les affoibbffuit; mais fi vous étiez une heure ici, que ne verriezvous pas? Adieu. fÜ vous fatiguez point 1'eipttt de foins inutiles, & fans prévoir 1'avenir, confervez votro tranquillité tant que vous le pourrez. Vous  CÖR R.ESPOND ANCE: n'êtes point roi, vous n'avez ni a défendre PEïaï, ni a négocier, ni a trouvet des expédiens ü tout, B-i-a répondre des événemens. Pour moi, qui fuccombe fous ce fardeau, c'eft a moi feul d'en fouf» frir la peine; laiflèz-la moi, cher Marquis, fans la partager. Je vous embralTe, en vous affurant de mon eftimé. Vale. hè 15 Janvier i7ffc. o Teë corijecture fur le ftyle des auteurs vaut mieux, mon cher Marquis, que celle fur la politique; cependant il y -auroit encore bien des cho'fes a répondre. 1) je crois que 1'on pourroit plutót reconnoiire mon ftyle a de certains foléeistnesqu'a la tournure des phrafes. 2) II y a bien des gens qui penfent & écrivent avec liberté, pourquoi ne voulez-vous pas que fon foupponne Rouffeau de Genève, & tant d'autres auteurs que je ne conuois pas, d'avoir fait des ouvrages frivoles comme ceux - la ? 3) Ne pourroit - on pas croire que je fuis trop occupé de chofes importantes pour perdre mon temps a écrire des balivernes? 4)-Les lettres du Chmois ne difent rien de plus herdi que .les' lettres periannes. 5) La lettre de la Pompa. döur fent plu-.ór 1'ouvrage d'un homme défoeuvré rde Paris que celle" d'un Allemand qui commande tune armée. Enfin, mpn cher.Marquis, s'il s'agif.foit de plaider ma caufe en juftice, j'aurois encore  C O R RE WO ND A NCE. 16? aflez de raifons pour me faire abfoudre par mes juges. Ce n'eft póint la lettre de la Pompadour qui perpétue la guerre; elle ignore parfaitement que j'en fuis 1'auteur, & perfonne ne m'en foupponne a Paris; il y a d'autres raifons trop longues & trop amples a détailler- Vous convenez donc qu'il eft impoffible de démêler d'avauce les effets des caufes occailonnelles; vous comprenez donc que tout art de conjeaure eft un art ingrat &- trompeur ? C'eft le métier que Je fuis obligé de faire. J'aimerois amant naviguer fur le vafte océan fans mit & fans bouflble. Votre petite expérience dans 1'arrangement du fyftème politique de 1'Europe vous en a pu convaincrë. Jé me donne dix fois par jour au diable; mais je n'en avance pas pour cela davantage.'- Je vous félicite, mon cher Marquis, de ce-que vous devenez poè'te; ma veine eft tarie pour la campagne, .elle fait carême & je ne me permettrai pas un diftique jusqu'a ce que les événemens nous deviennent plus favorables qu'ils ne font. Votre fervice avance; il ne pourra cependant partir d'ici que dans quinze jours; il y aura a terrines, 4 grands plats, 4 petits, 2 plats longs pour le róti, des vinaigriers & huiliers, 4 falières & 4 douzaines d'affiettes; il fera réellement beau, dans un goüt tojt nouveau, dont j'ai fourni les deflèins; je me fla:te que vous en ferez content. Les nuages s'aflemblent pour 1'ouverture de la campagne; les foudres fout encore enfermés dans  ;ö2 C0RRESP0ND/1NCÉ. lés noes, mais gare le moment oü ils éclateront. Adieu , mon cher Marquis. Je vous fouhaite tout re qui me manque pour être heureux , tranquillité, repos, comentement & fanté. Jé n'ai plus rien. Mon tempérament s'ufe ; la fortune, la fanté, la gtiieté & la jeuneiTe m'abandonnent; je ne fuis plus bon que pour peupler le pays de Proferpine. SI' vous avez quelque commiffian a donner la-bas, vous n'ave-3 qu'a m'en ehargEr. Adieu. A IMsiflen, le 1 de Juin 1760. Je rf'cois, mon cher Marquis, votre lettre du 22 dans un remps oü je reikns de nouveau, comme je 1'avois prévu, les effets du malin acharnement de ma mauvaife fortune. Vous feurez- fansdoute a préfent les malheurs qui me font arrivés en' Silclie, ik vous ferez obligé de convenir que je n'ai été que trop vrai dans mes phophéties. Veuille le ciel que je ne le fois pas jusqu'au bout! J'ai commandé votre fervice dans 1'iutention qu'il vous plüt; je fuis bien aife que vous m'appreniez vousmême qu'il vous a fait piaifir. Hélas 1 mon cher Marquis , je fuis un mauvais immortalifeur. Je voudrois feulement étre moi - même au bout du temps qui «feil prefcrit pour végéter dans cette vallée de ténèbres & de tribuladone. La fin de ma carrière e(i dure, trille & functie. J'aime la philofophie, paree qu'elle modère mes paflious, &  CORRESPOND ANCE. itfj paree qu'elle me donne de 1'indiffërence pour ma diffolution & pour ranéantiflement de ma penfée. Je voudrois voir la comédie que 1'on a faite contre les philofophes. 11 faut avouer qu'il y en a beaucoup qui ufurpent ce titre & qui fourniiTent au ridicule; mais, en général, c'eft 1'opprobre de notrê fiêcle que de vouloir dégrader la fcience qui fait le plus d'honneur a 1'efprit huinain, & 1'école d'oü font fonis les plus grands hommes. Je uouve comme vous la préfa.ce que vous m'envoyez écrite avec trop d'aigreur; il y a de certaines perfonnalités qui déplaifenc 8f> marquent un efprit emporté, qui ne refpire que la vengeance, & qui par-li .même eft indigne de la facon de penfer d'un vrai philofophe.- On auroit pu , ce me femble, fe contenter de comparer nótre fiêcle it celui de Socrate, Is'nouvelle comédie de Paris a celle d'Athónes oü un hiftrion introduit Socrate dans un chceur de nuées, fa ciguè' a nos perfécutions modernes &c. y mettre de la plailanterie, mais point de ïnéchanceté. Mais les hommes reftent hommes; le moindre reptile qui fe fent pouiTé darde fa langue pour fe défeudre. Cette préface a été faite.dans un premier mouvement d'emportement; il falloit attendre pour écrire qu'il füt paffé. Ah, que 1'école del'adverfité rend fage, modéré, endurant & doux! C'eft une terrible éprenve; mais quand on 1'a furmontée , elle eft mite pour Ie rede de la vie. Adieu, mon cher Marquis, ayez quelque indulgenee pour mon aflMionj elle eft légitime. De>  rifc CORRESPOND ANCE. puis deux ans je ne fais que fouffrir, & je ne vois* pas le terme de mes peines. Je vous fouhaite une Hierüeure fortune , plus de tranquillité & moins d'embairas. Adieu. A' Grofs Dobritz, ce 26 Juin 1760. V^ous vous flattëz vainement, mon cher Mar^ qüis." Nos affa'res prennent un tour déteiiable : j'ai cru les réparer en venant meitre le fiégê devant Dresde: je prendrar la ville- &■n*avancerai en rieri mes'affaires par 18ï Faites'mónépiraphe d'avance, &"croyez que je'vois aflez clair dans ma fituation pour ne la pas juger au hafard défefpérée. Les flöttes angloifes agiflènt avec fuccès de tous cótés, de forte qu'il n'y a aucun reproche a leur faire. Le Prince Ferdihand n'a que foixante & dix mille hommes, au lieu de cent mille que vóus lui don* nez; cela change un peu 1'ordre du tableau. Vous raifonnez fur les gazettes- mais cês gazettes ne font pas'véridiques, & voiia ce qui vous'trofnpé. Laudon a perdu dix mille hommes a 1'affaire de Landst hut, nonoböant quoi il refie encore quatrè vingtquinze mille hommes aux Auitrichiens contre moi; les Rulles en ont foixante mille • voila notre fitua' tion, fans compter bien des chofes fur lesquelles je dois garder le filence a préfent, mais que je pourrai dire quand les chofes feront paffées. La comédie des Philofophes eft aflez bién faite }■  CO AR ESPOND ANCE. .16$ „mais-il y a des allufions qui ne m'ont pas frappé, ^ faute de connoitre fur quoi elles portent, comme par exemple: jeune homme, prends & lis, le père de familie &c. Mélas 1 inon cher Marquis, tout cela m'auroit fort amufé dans un autre temps; mais i préfent je ne vois devant mes yeux que le gouf&e oü jé fuis prés de m'abymer. Adieu , rnon cher. Ne vous abandonnez pas a des efpérances chimériques; plaignezmoi d'avance, Veuille le ciel que mes oracles foient tro:npeurs! Mais, quoi qu'il Errive, faites notre épitaphe d'avance. Je vous embraiTe. Auprès de Dresde, le 15 JuiUet 170*0. £y e fiége de Dresde, mon cher Marquis, s'en elt ailé en fumée; a préfent nous fommes en pleine rome pour Ia Siléfie. Nous nous battrons iftdabic tablement fur la fromière, ce qui pourra arriver entre le 7 & le 10 de ce mois, Glatz eft perdu; on affiége Neiffe; H n'y a pas de temps a perdre. Si nous fommes heureux, je vous le mauderai; s'il nous arrivé malheur, je prends d'avance congé de vous & de toute la compagnie. Le pauvre Forefla a été tué, & c'eft un facritice inutile. Enfin, mon cher , toute ia boutique s'en va au diable. Nous marcherons après- demain. Je prévois toute 1'horreur de la fituation qui m'attend, & P« pris mon parti avec fetmeté. Adieu. Je vous en»,  166 -CORRE S PO ND ANCE. forafle. Penfez quelquefois a moi & foyez perfuadé de mon eftimé. ,A GroiTenhayii, ce i d'Apüt 17^0. A .utree ais, mon cher Marquis, 1'afraire du 15 auroit décidé de la campagne; a préfent cette aftion n'eft qu'une égratignure; il faut une grande bataille pour décider notre fort; nous lz donnerons bientót felon toutes les apparences, & alors ou pourra fe réjouir fi 1'événement nous eft avantageux. Je vous remercie cependant de la part fincère que vous prenez a eet avantage. 11 a fallu bien des rufes & bien de 1'adrefle pour amener les chofes h ce point. Ne me parlez pas de dangers; la derniêre adion ne me coüte qu'un habit & un cheval, c'eft acheter a bon marché la viétoire. Je n'ai point recu 1'autre lettre dont vous me parlez; nous fommes comme bloqués, pour la correfpon. dance, par les RuiTés d'un cóté de 1'Oder & par les Autrichiens de 1'autre; il a fallu un petit combat pour faire palier Coccéji; j'efpère qu'il vous aura rendu ma lettre. Je n'ai de ma vie été dans une fituatiou plus fcabreufe que cette campagne - ci. Croyez qu'il faut encore du miraculeux pour nous faire furmonter toutes les difficultés que je prévois. Je ferai furement mon devoir dans 1'oceafion; mais fouvenez - vous toujours, mon cher Marquis, que je ne difpofe pas de Ia fortune & que je fuis  ■ CO ÜRF.S POND ANCE. obligé d'admettre trop de cafuel dans mes projets, faute u'avoir les moyens d'en former de plus folides. ,Ce font les travaux dTIercuIe que je dois. flair dans un age oü la force m'abandonne, oü mes infirmités augmentent, & a dire vrai quand 1'efpérance (Teule confolation des malheureux) commence même a me manquer. Vous n'étes pas alTez au fait des chofes pour vous faire une idéé nette de tous les dangers qui meuacent 1'Etat; je les fais, je les cache , je garde toutes les appréhenfions pour moi, éc je ne communiqué au public que les efpéranees ou le peu de bonnes nouvelles que je puis lui apprendre. Si Je coup que je médité réufiït, alors, inon cher Marquis , i! fera temps 'd'épancher fa joie; mais jusques.la ne nous fhttons pas, de crainte qu'une mauvaife nouvelle inattendue ne vous abatte trop. Je méne ici la vie d'un chartreux militaire; j'ai beaucoup a penfer a mes affaires; le refle du temps je le donne aux lettres, qui font ma confolation, comme elles faifoient celle de ce conful orateur, père de Ia patrie & de féloquence. Je ne fais fi je furvivrai a cette guerre; mais je fuis bien réfolu, au cas que cela arrivé, a paffer le refle de mes jours dans Ia retraite, au- fein de la philofophie & de -1'amitié. Dés que la correfpondance deviendra plus libre, vous me ferez piaifir de m'écrire plus fouvent. Je ne fais oü nous aurons nos quartiers ca hiver. Ma maifon a Breslau a pci; duraut !c bombardement; nos ennemis nous envient jusqu'a  1568 CORRESPO JVD ANCE. la lumière du jour & a 1'air que nous refpirons. < \\ faudra, pourtant bien qu'ils nous Iaiflent une place, & ii elle eft füre, je me fais une fête de vous voir. Hé bien, mon cher Marquis, que devient la paix de la France? Vous voyez bien que votre na» tion eft plus aveugle que vous ne 1'avez cru; ces fous perdront le Canada & Pocdicheri pour faire piaifir a la Reine de Hongrie & a la Czarine. Veuille le Ciel que le Prince Ferdicand les paye bien de leur zêle! Ce feront des officiers innocens de ces maux & de pauvres foldats qui en feront les vicïimes, & les illuflres coupables n'en fouffriront pas. Je fais un trait du Duc de Choifeul que je vous conterai lorsque je vous verraf; jamais procédé plus fou ni plus inconféquent n'a flétri un miniftre de France depuis que cette monarchie en a. Voici des affaires qui me furviennent; j'étois en train d'écrire, mais je vois qu'il faut finir, & pour ne pas vous ennuyer & pour ne point manquer a mou devoir. Adieu, cher Marquis. Je vous embraffe. A Hermannsdcif pits de Breslau, le 27 Ao15t 1760. J'ai recu vos deux lettres, mon cher Marquis. II eft fur que j?ai échappé a un trés - grand danger & j'ai eu a Lignitz tout le bonheur que comportoit ma fituation. Ce feroit beaucoup dans une guerre ordinaire; cette bataille ne devient qu'une efcar-  .■CORRESPOND ANCE. jfiQp efcarmouche dans celle • ci, & en général mes affiires n'en font guères avancées. Je ne veux point vous faire des jérémiades, nivous alarmer de tous les objets de mes craintes & de mes inquiétudesi mais je vous allure qu'elles font grandes. La crife . oü je me trouve, change de forme; mais rien ne fe décide, rien ne nous amène au dénoueraent; je'brüle a petit feu; je fuis comme un corps q.ie 1'on mutile & qui chaque iour perd quelques»tais de fes membres. Le Ciel nous afïïfte! nous en avons un grand befoin. Vous mé'parlez toujours de ma perfonne. Vous devtiez bien favoir qu'il n'eft pas néceffaire que je vive, mais bien que je faffe mon devoir & que je combatte pour ma patrie, pour la fauver s'il y a moyen encore, J'ai eu beaucoup de petits fuccès & j'ai grande envie de prendre pour ma devife, maximus in minimis & minimus in maximis. Vous ne fauriez vous figurer les horribles fatigues que nous avous; cette campagne • ci furpalfe toutes les précédentes; je na fats quelquefois a quel faint me vouer. Mais je ne fais que vous ennuyer par le récit de mes in-quiétudes & de mes chagrins. Ma gaieté & ma bcnne humeur font enfeveltes avec les perfonnes chêres & refpeétables auxquelles mon cceur s'étoit atiaché. La fin de ma vie eft douloureufe & trifte. N'oubliez pas, mon cher Marquis, votre vieil ami. Les poftes, les correfpondances, tout eft interrompu; il faut bien des intrigues pour faire paffee des lettres, & encore hafarde-t-on beau> Otuy. fuph.ii Pr. II. T. X, II  170 ■CORRESPOND ANCE. coup. Ecrivez- moi a tout hafard. Que les Ava* res ou les Urfomans prenuerft vos lettres , qu'y verroient-ils ? & elles me font toutefois un fujet de confolation. Adieu, mon cher Marquis. Je vous embraffe. A Reifendoif, lc 18 Septembre 1760. \^ o u s appellerez, mon cher Marquis, mes feflr timens comme il vous plaira. Je vois que nous ne nous rencontrons point dans nos penfe'es, & que nous partous de principes trés - différens. Vous faites cas de la vie e-n Sybarite; pour moi je regarde la mort en ftoïcien. Jamais je ne verrai le moment qui m'obligera k faire une paix défavantageufe; aucune perfuafion , aucune éloquence ne pourront m'engsger a figner mon döshonneur. Ou je me laifl'erai enfevelir fous les ruines de ma patrie, ou,G cette confolation paroiffoit encore trop douce au deftin qui me perfécute, je faurai mettre fin a mes infortunes lorsqu'il ne fera plus poffible de les foutenir. J'ai agi & je continue d'agir fuivant cette raifon imérieure & le point d'honneur qui dirigent tous mes pas; ma conduite fera en tout temps conforme a ces principes; Après avoir facrifié ma jeuneffe a mon père, mon age mur a ma. patrie, je crois avoir acquis le droit de difpofer de ma vieilleiTe. Je vous 1'ai dit & je le répête; jamais ma mailt ne Cgneia une paix humiliante. Je finirai  CORRESPOND ANCE. Vfi v fans doute cette campagne, réfolu a tout ofer & & temer les chofes les plus défefpérées, pour réuffir, ou pour trouver une fin glorieufe. J'ai fait quelques remarques fur les talens mili» taires de Charles XII; mais je n'ai point examiné s'il devoit fe tuer ou non. Je penfe qu'après la prife de Stralfund il auroit fait fagement de s'expédier; mais quoi qu'il ait fait ou qu'il aic omis, fon exemple n'eft pas une regie pour moi. II y a des; hommes dociies a Ia fortune , je ne fuis pas né ainfi; & fi j'ai véeu pour les autres, je veuxi -mourir pour moi, trés • indifférent fur ce qu'on en dira; je vous réponds même que je ne l'apprendrafi jamais. Hemi IV étoit un cadet de bonne maifori qui faifoit fortune; il n'y avoit pas la de quoi fe pendre; Louis XlVéioit un grand roi, il avoit de grandes relTources, il fe tira d'aifai:e: pour moi je n'ai pas les forces de eet homme-la, mais ffibv neur m'eft plus cher qut lui, & comme je vous i'ai dit, je ne me régie fur perfonne. Nous comptons je penfe cinq mille anj depuis la création du monde; je crois ce calcul beaucoup inférieur a 1'age de I'univers; le Brandebourg a fubfiflé tout ce temps avant que je fuffe au monde , il fubfi,ftera de même après ma mort.' 'Les' Etlts fê foutiennent par la propogation de 1'efpêce, & tant qua 1'on travaiilera avec piaifir a multiplier les êtres, la foule fera gouvernée par des miniflres ou par des fouverains; celr fa réduit a peu prés au même; un. peu plus de folie, un peu plus de fageffe, ces. H a  17* CORRESPOND ANCE. nuances font fi foiblcs, que la totalité du peuple ^s'en appercoic a peine. Ne me rabattez donc point, mon cher Marquis, ces vieux propos de courtifans, &ne vous-imaginez pas'que les préjugés de l'amour propre & de la vanité puiflent m'en irapofer, ou me faire le moins du monde changer de fentiment. Ce n'eft point u*i acte de foiblefle de termitier des jours malheureux, c'eft tune politique judicieufe, qui nous perfuade que 1'état le plus heureux pour nous eft celui oü perfonne ne peut nous nuire, ni troubler notre repos. Que de raifons Lorsqu'on a cinquante ans de mépriier la vie ? La perfpective qui me refte, eft une vieilleffe inörrae & douloureufe, des chagrins, des tegrets, des ignominies .& des outrages a fouffrir. En vérité, fi vous entrez bien dans ma fituation, vous devez moins condamner mes projets que vous ne le faites. J'ai perdu tous mes amis, mes plus chers parens: je fuis malheureux de toutes les fapons dont on peut 1'être; je n'ai rien a efpérer, je vois mes ennemis me traiter avec dérifion, & leur orgueil fe prépare a me fouler aux pieds. HélasJ Marquis, Quand on a tout perdu, quand on n'a plus d'efpoir La vie eft un opprobre & ia mort un devoir. Je n'ai rien a ajouter è ceci. J'apprendrai i votre curioilté que nous paffames 1'Elbe avanthier, que demain nous marchons vers Leipfic, oü je compte être le 31, oü j'efpère que nous nous-bat-  CORRESPOND ANCE. Tft trons, & d'oü vous recevrez de nos notivelïes, telles que les dvénemens les produiront. Adieu; nion' chér Marquis. Ne m'oubliez' pas, & foyez afluré de mon eilirne. Le 28 Octobre 1760. J s recois aujourdhui , 5 de Novembre , une lettre que vous m'écrivez, mon cher Marquis, da 25 Septembre. Vous voyez que notre correfpondance eft bien rdgtde. Dieu! que d'événemen;, font paffes denuis. Nous venons de battre les Autrichiens; eux & nous avons perdu prodigieufenienc de monde. Cette victoire nous donnera peut-4tre quelque tranquillité durant 1'hiver, & voila tour. Ce fera a recommencer 1'année qui vient. J'ai ou un coup de feu qui m'a iabouré.Ie haut de la poi«ine; mais ce n'eft qu'une cotstufion, un peu de douleur fans danger, & cela ne m'empéchera point d'agir comme a mon ordinaire. Je fuis occupé da bien des arrangemens néceffaires. Enfin je finirai cette campagne le mieux qu'il me fera poffible, & voila tout ce qu'on peut prétendre de moi. Au refte, ma facon de penfer eft la même que je vous le marquai il y a huit jours. Adieu, cher Marquis , ne m'oubliez pas & foyez für de moa amitie'. A Torgau, Ie 5 Novembre 1769. H -s  ijl CORRESPOND ANCE. Vous devez être inftruit a préfent de tout ce qui me touche, par une lettre que je vous ai écriie de Torgau. Vous faurez par-la, mon cher Marquis, que ma contufion ne s'eft pas trouvée dangeieufe; la balie avoit perdu une partie de fa force en traverfant une grolTë peüffe & un habit de velours que j'avois, de forte" que le fternum s'efl nouvé en état de réfifier a fon impulfion; c'eft de quoi, je vous affure, je me fuis le moins foueié, n'ayant d'autre pcnfée qne de vaincre ou de rnourir. J'ai pouffé les Au-richiens jusques aux portes de Dresde; ils y occupent leur camp de 1'année derniere; tout mon favoir-faire eft infuffifant pour les en -déloger. On prétend que la ville eft dépourvue de mogsfins,, Si cela eft vrai, il fe pourra que la famine fera ce que fépée ne pourroit faire. Si cependant ces gens s'opiniatrent a refter dans leur pofition, je me verrai réduit a paffer eet hivt r comme le précédent en cantonnemens excefïïvement refferrés, & toutes les troupes feront ernployées a former un cordon pour nous foutenir en Sa-xe. Voila en vérité une trifte perfpeétive, & un prix peu digne des fatigues & des travaux int» menfes que cette campagne a coütés. Je n'ai de foutien au milieu de tant de contrariétés que ma philofophie ; c'eft un baton fur lequel je m'étaye, & mon unique confolation dans ces temps de troubles & de fubverfion de toutes chofes. Vous  CORRESPOND ANCE. »75 vous appercevrez, mon cher Marquis, que je ne m'enfla pas iie mes fuccés; je vous articule les chofes telles qu'elles font; peut-étre que le minde, ébioui par 1'éclat que jete une viétoire, en juge autrement: De loiti on nous envie, ici nous gémijfons. Cela arrivé plus fouvent qu'on ne fe Firn-gine, comptez la - deflus: pour bien apprécier les chofes^ il faut les voir de prés. De quelque facon que je m'y prenne, le nombre de mes ennemis m'accable; c'eft en cela que confifte mon infortune, & c'eft-la la caufè réelle de tant de malheurs & de revers que je n'ai pu éviter. Je ne crois pas que je puiffe vous revoir eet hiver, a moins qua 1'Eujope ne "prentte des fentirrtns pftj? pacifiques. Jc' 3e fouhaite, mais je n'ofe m'en flatter. Nous avons fauvé notre réputation par la journée du 3. Cependant ne croyez pas que nos ennemis foient aflez abattus pour être contraints i faire la paix. Les affaires du Piince Ferdinand font en mauvais train-, ' je crains que les Frarcois ne confervent eet hiver les avantages qu'ils ont gagnés fur lui cette campagne. Enfin je vois noir comme fi j'étois dans 3e fond d'un tombeau, Ayez quelque cotnpafïïon de la fituation oü je fuis; concevez que je na vóus déguife rien & que cependant ja ne vous détaille pas tous mes embarras, mes appréhenfions & mes peines. Adieu, cher Marquis, écrivezrafel qudquefois, & n'oubliez pas un pauvre diable 11-4  776 CORRESPOND ANCE. qui inaudit dix fois par jour fa fatale exifknc?., & qui voudroit déja être dans ces lieux dont perfonne ne revient pour en dire des nouveiles. A MeilTen, le 10 de Novembre 1760. J,e vois, mon cher Marquis, qu'on me fait parler & écrire lorsque j'y ai le moins penfé. Ja n'ai point écrit a Seidliiz depuis le jour de la bataille ; ces «ouvelles de la fuite de nos prétendus fuccês ont affi-rément été envoyées par quelque particulier que j'ignore. Nous avons fait des ptifonniers; mais leur nombre n'approche que de 8,000 hommes & non de 12,000. Nous n'anrons point Dresde; nous paflèrons un hiver défagréable & fachcux, & 1'année qui vient ce fera a recom meneer. Voila des vérités que je vous marqué; elles font défagréables; cependant vous pouvez y ajouter plus de foi qu'aux bruits populaires que 1'on répand, foit pour les faire parvenir ij nos ennemis & pour les intimider, foit pour rauimer une étincelle d'efpérance dans 1'ame des citoyens & leur rendre le courage: appliquez• nous ce vers de Sémiramis: Ailkurs on nous enviè, ici nous gémijfons. Nous fommes obligés de nous faire des frontières; ce font des lifières de pays que nous dévafious, pour empêcher rennend de nous troubler 1'hiver  CORRESPOND ANCE. 177 iTilver dans nos quartiers. Tout ce mois s'écoulera avant que nous puiffions nous féparer. Jugez des fatigues & des défagrésnens que j'efluie; jugez de mes embarras, en vous repréfentant que je fuis réduit a faire fubfifter & a psyer mon armée par jnduftrie. Avec cela je n'ai pas "la moindre compagnie , privé de toutes les perfonnes que j'aimois, réduit a moi-même, & pallhnt ma vie a panager mes momens entre un travail infruftueux & entre mille appréhenfions. Voilé un- tableau qui n'eft » point flatté, mais qui vous peint au vrai les chofes , & ma fituation défr.gréable. Qti'il eft différent, mon cher Marquis, d'appercevoir ces objeti d'une longue diftance, & par un verre trompeur qui les embellit, ou de les examiner de prés tout nUds, & dépouillés du clinquant qui les ome! Vanité des vanités! Vanité-des batailles ! Je finis par Bette fentence du fage, qui comprend tout, qui renferme en foi des réflextons que tous les hommes devroient faire & que trop peu font. Adieu, cher Maiquis , ne foyez plus fi crédule fur les nouveiles publiques & confcrvez » moi votre amitié. A Uckersdotf, Ie 16 Novembre 1760. jS^ous voici encore', mon chfr Mirquis, dan» !a même fituation qu'a noire arnvée. Ce profond Cflme pourra devcnir le précurfeur j' me leurpête violente vla fin de ce mois paioit 1'annoncer. Je H 5  v- CORRESP O NT) ANCE. fuis préparé a tour, a la bonne comme a la mau. vaife fortune. Chantez un petit hymne i cette For une dont nous avons befoin d'être protégés. La Reine de Hongrie elt acharnée a la guerre; j'ai fervi cinq ans de plaftron aux traits de la cour de .Vienne & a la barbarie de fes troupes & de fes alliés. II eft dur de fouiTrir toujours, & je fens que la vengeance peut être un piaifir divin, comme le diftnt les Italiens; il ne s'agic que d'en faifir le moment. Ma philofophie recoit de fi rudes affauts, qu'il y a des momens oü elle s'échappe. On ca« noniferoit quiconque, après avoir été outragé comme je le ftrfg', auroit aflez d'empire fur luie même pour pardonner a fes ennemis fans diffimulation-• Pour moi, qui cède ma place a qui la voudta dans la'légcnde , je vous confefie que ma foible vetui ne ïauioit atteindre a eet état de perfeftion, & que je rnonrro:? content fi je pouvois me vengir en partie du wai que j'ai foflffeS*. II en fera ce qu'il plaira a tnoU boe arge, au hafard, ou a la fortune; je fuis, en atten-:ant ce que le fort ordonnera, tranquiüe & folitaire ; ie réfléchis (puisqu'il le faut) fur Ta ven ir; je lis & je m'occupe sn- fiïence. II y a ici des prophêtes dont 1'un veut la paix, 1'autre ces batailles; le troifième nous renvoie pour la paix, a 1'nn 1763 11 faut bien que 1'un ou 1'autre ait raifon; après 1'événement oa criera au mtracle. Ces prophêtes font comme les cakndriers oü les aftronoaias annoncent de la  CORRESPOND ANCE. 1*9 ;;!uie, du foleil, du rent, du beau temps, Ie ehaud & le froid, pour contenter Ia fuperftition du peuple. Je ne fais fi vos Francois feront Ia paix ou s'ils continueront la gueire ; je fuis comme un dofteur, je ne fais rien, fiuon que je fouhaiterois fort de me revoir avec vous dans notre petite retraite, loin des ctimes, des cabales, des fottifes héroïques des fo!3 , &. du tti» mulie d'une vie trop sgitée, qu'on trouve dans ma place & dans la cohue du graud monde. Adieu, mon cher Marquis , n'oubliez pas ceux qui corfibattent pour vous & foyez perfuadé de ma parfaite amitié. A Kunzendorf, Ie j7 Juin i?Sr. J' a 1 achevé de lire votre GalTendi, mon cher Marquis, & je vous rends compte de 1'impresfion qu'il a faite fur moi. Je trouve fa partie phyfique , en tant qu'elle regarde la formation des corps, les unités dont Ia matiére eft com> pofee, en tant qu'il éclatre le fylième d'Epicure, je la trouve trés bot/iie; j'avoue qu'on peut lui faire bien des difficuttes fur fes atomes crochus, .ronds, pointus &c. cependant s'il y a des corps primordiaux , comme on n'en fauroit douter, il faut bien que leur genre & leur efpèce dffére, pour que leur diverfe compofnion 0.1 anangeraent li 6  l«cs CORRESPONDENTE. puilTe donner 1'être aux quairc éJémeus, & ai>x produétions infinies de la r.aiire: il faut eucor» que ces élémens- de la matiére foient impénétrafoles, durs & a 1'abri de tomes les atteiutes de la deftruétion, comme Epicure & Gaifendi le foutiennen'. Ainfi voila furement des vérités qu'ils ont pénétrées, malgré le voile presque impénétrable qui les cache a notre curiofité. Je trouve des chofes fort inftruftives dans fon traité de phyfique fur les hommes, les plantes, les animaux & les pierres, fur Ia génération & fur la corruption des êtres animés. Epicure & lui ont été obligés d'admettre le vide, pour que le mouvement fut poffible. II parle encore de 1'attraction, de la lumiére, comme s'il" avoit deviné les vérités que les calculs étonuans de Newton ont démontrées. ■ Jé vous avoue qoe je ne fuis pas auffi content de fon aftronomie que du refle; quoi qu'il ne s'ea explique pas, il parolr pencher pour le fyftêtrre de Ptolomée & n'ofer recevoir celui de Copernic qtfavte Ia difpenfe du pape; Sa morale eft fans contredit la partie la pus foible de fon ouvrage? je n'y ai trouvé de bon que ce qui regarde Ia prudence de ceux qui gouvernent des Etats: Ie refle dé 1'uuvrage fent trop fon reéteur qui di1» vife , fubdivife , définit des mots , & emplcie beaucoup de paroles pour dire peu de chofe. L'anicle de la liberté tft le plus foibie de tous 5 il femble qu'il fe foit baté dans ce feptiême vo* t-irae^de Snit?- fon ouvrage. II fe peut que 3êj>  CORRESPOND ANCE. i8i nier fon tradufteur & fon abréviateur ne l'ait pas bien fervi. C'eft'done i-vous, qui pouvez puifer a la fource, a m'apprendre fi ces fautes que je lui reproche appartiennent au philofophe ou au voyageur. Voila, mon cher Marquis, une grande lec* ture d'achevée. Je me fuis preffé de finir, de crainte que ce Laudón, qui n'eft affurément pas philofophe, n'interrompit groffièrement mes études. J'ai choifi i préfeni des lectures que je puis ab'andonner fans regret. A propos de ces leflures, on dit qUe Voltaire a fait un feccnd tome a Candide. Je vous prie de charger le petlt Beaufobre de me 1'envoyer. J'ai re9u aujourd'hui des melöns de Sans-Souci & je me fuis écrié en les voyant: ó trop heureux meions ! vous avez jooi de la vue du Marquis qui m'eft interdite. Comraent prend-iLfes eaux?'lui font-elles du bien? eft-il gai? Se proraène-t-il? prend-t-il de 1'exercice? A cela le melon ne m'a pas répondu un mot. Pour le punir de fon ftlence, je 1'ai mangé a votre fanté. Après Juillet, Aoüt, Septenibre & Oftobre j'efpère de vous écrire, non fur le fujet de la philofophie fpéculative, mais fur la pratique. Adieu , mon cher Marquis. Calfeutrez bien votre corps, pour qu'il parvienne & Ia c'urée des atomes de Gaifendi, & qu'il foit a 1'abri des maladies, des infirmités & des fecoulfes qui menaeent notre ftegile machine. Pliilofoohez tranquillement 5 prouvez lbuvent a Babet H 7  ï82 COÜRESPONDJNCE, que votre vigueur n'admet point de vide dans Ia nature & foyez perfuadé de mon amitié. Gtand fcrutateur de Ia nature, Malgré fon ftyle & fon Iatin, Gaffendi demeure incertain Entre Monfieur Moyfe & fon mattre Epicure, D'un fyflènie boiteux' je fuis le ferviteur; Sans vétité point de fcience. Si'd'un pas affiiré , ferme & plein de vigueur, II fe gutde par 1'évidence; L'autre pas chancelant & vactllant de peur S'appuie infcnfémeut, par excês de prudence, Sur les béquilles de l'erreur. Le 2 Juillet 17Ö1.' ' V-o tue lettre, mon cher Marquis, mefourniroit matière a un gros coramentaire philofophique» 11 faudroit donc examiner 1'étendue de la raifon humaine, les nuages qui robfcurciHent & les illufions qui lui font erreur. j'aurois è citer quantité d'exemples que 1'hiftoire foumit des faux railönnemt-ns & de la mauvaife dialeétique de ceux qui gouvernent les Ktats, & on trouveroit, fi 1'on y prenoit bien garde, que Ia facon différente d'envifager les objets, les préjugés, les paffions , quel- ' qvrefois un excès de raffinement. pervertifl'eDt ce bon fens natutel qui femble le pauage de tous les  CORRESPOND ANCE. 183 hommes, au point que les uns rejetent avec mé. pris ce que les autres défirent avec chaleur, Vous n'avez qu'a donner de l'étendue a ces réflexions, & les appliquer a ce que vous m'écrivez, pour deviner tout ce que je pourrois vous dire fur ce fujet. Je fuis faché que vous n'ayez pas continué ft prendre tranquillement vos eaux a Sans - Sóuci. Quoique votre inquiétude foit une marqué de la, part que vous prenez a ma fituation, je crains qu'elle ne vous faffe tort, fans que cette inquiétude change en rien la fuite des événemens de cette campagne, que le Doaeur Pariclos vous dira né> ■ceflaires dans Ie meilleur des mondes poffibles. Nous touchons au moment oü Ie uceud de la pièce va fe débrouiller & oü tout entrera en Aélion; Souvenez-vous des vers de Lucrèce, ce poëce philofophe: 'Ileurtux qui retiré dans le temple du fage, Voit tranquéle a fes pieds la terapête & 1'orage &C. Vous favez le rede. C'eft 1'affaire de cent dix jours jusqu'au mois de Novembre; il faut les pafTer avec fermeté & avec une hér. ïque indiffétcnce. Relifez E'pféèéite & les réflexions du Marc-Antoine; ce font des tontques pour les fibres relachées de 1'ame. - J'ai pris ici toutes les mefures que j'ai jugées 'propres pour me bien défenJre. M. Kaunitz fe prépare a me livrer des alfauts redoublés. Je vois  f84 COltRESPOiVÜANCE. fans frayenr tout ce qui fe prépare, bien réfolu «fe périr ou de fauver ma patrie. Si nous ne fommes pas mai'res des événemens, du móins foyons«Ie de notre ame, & ne déshonorons. pas la dignité de notre efpèee par un lache attachement a ce monde, qu'il faut pourtant quitter un jour. Vous me-trouvcz un peu ftoïque, Marquis; mais il faut avoir dans fon arfenal des armes de toute trempe, pour s'en fervir felon 1'occafion. Si j'étois avec vous a Sans-Souci, je me livrerois aux agrémens de votre converfation; ma philofophie feroit plus douce & mes- téflextons moins noires. Dans Ia tempête il faut que le pilote & les mateio's travaillent; il letrr eft permis dé rire & de fe' repofet quand ils font dans le port; Je vous ai écrit ce que je penfe de votre conrpatriote GatTendi- j'y trouve beaucoup de chofes fupérieures a fon fiêcle; je n'y condamne que Ie projec de combtner Jefus-Chrift avec Epicure. Gaflen'di étoit ihéologien; ou c'étoit une fuite dés préjugés de fon éducatión , ou c'étoit la peur de 1'inquifition qui lui firent imaginer ce bizarre con* cordat; on voit mé.ne qu'il n'a pas le courage de juftifier le grand Galilée. Bayle a étendu tous les argumens que GatTendi avoit ésancéS; & 51 aie ftmble que ce premier 1'einporte en qualité de dialefticien par fa dextérité a manier ■ s matières-, .& par la■ juflefle de fon efprit a poufler les conféquences oes principes p!u> loin qu'aucun philofophe les ait pwufl'ées avant & apiés lui. Je n'ai  CORRESP ON D ANCE. i%$ point vu eet ouvrsge de GaiTendi fur Descartes, dont vous me parlez; je n'ai-de ce philofophe que ce que Bernier en a traduit. Je concois qu'on a un beau champ , s'il s'agit de réfuter les tourbillons, le plein, la matière rameufe, & les idéés innées. PuifTent les projets de campagne de mes ennemis étre auffi ridicules que le fyflème de Descarres! puiffé-je les réfuter auffi factlement a grsnds arguraens, non in barbara, mais de fatïo! J'en reviens toujours & mes moutons, mon cher Marquis, & je vous avoue que, malgré tous les bons raifonnemens de Gaifendi, ce Laudon, eet Odonel , & ces gens qui me perfécutent, m'ont fouvent caufé des diftraétions dont je n'ai pas été maiire. Ne m'oubliez point, mon cher Marquise écrivez-moi tant que les chemins feront iibres, & foyez perfuadé de toute 1'amitié que j'ai pour vous. Adieu.» J e vous remercie, mon cher Marquis, des éclaircifTemens que vous me donnez fur les opinions de Gaffendi. Je m'étois bien douté qu'un efprit auffi conféquent ne donneroit pas dans de cer■ tains préjugés, que j'ai d'abord mis fur le compte de Bernier. Cert bien dommage que nous n'ayons pas une traduftion fidelle & compléte des ceuvres Aü camp du Pülzen, 9 Juillet 1761.  :Ï6 ëORRÈSPONVANCE. ie ce philofophe. Moi, p.fuvre ignorant, j'y penis le plus; vous autres, vbus lifez le latin, ie grec, fhebreu &c. petuiant que je ne fais qu'un peu de francois; & quand celui-la me manque, je denieure plongé dans Ia plus craffe ignorance» Cependant je vous en crois plus fur la philofophie que fur vos prophéties politiques, II eft trésvrai qu'en jugeant par les apparences il femble que 3a paix avec 1'Angleterre & la France doive être une fuite de la viétoire du Prince Ferdinand; cependant rien n'eft moins certam, & je ne crois ces lortes de chofes qu'aprés que 1'événement les c réalifées. Vous me demandez fans doute des nou"> velles de ce qui fe paffe ici, ik je comprends bien qu'un citadin'de Berlia doit être curieux de favoir comment nous göetroyons en Siléfie ? Je puis vous fatisfaire en peu de'mots: L'-aadon a le 20 débou» ché des montagnes & s'eft avancé vers Munfierberg; j'ai marché le 21 a Nimptfch, le 22 j'ai palTé a Muhfterberg a fa barbe & je fuis venu ici pour m'oppofer a la joh ftion qu'il projette avec les Ruffes. Ceux-ci font a Namslau; j'ai des corps qui les obfervent; ahfi de quelque cóté qu'ils veuü.lent touiher , j'efpère d-2 pouvoir les prévenir. Toute cette affaire doit fe décider dans peu de jours; vous ferez inftruit de tout & je ne manquerai pas de vous srticuler les faits avec Ia plusgrande vérité. Je vous en dirois davantage; mais Ie courier qui eft chargé de dépêches importan»  CORRESPOND ANCE. ■ ll?' ies, eft far Ie point de partir; ce qui m'oblige a ; vous affurer fimpleraent de mon amitié & de moa eflime. Adieu. Au camp d'Otttnacliau, Ie 25 Juillet 17G1. |S[ous ne faifons jusqu'ici que des mouvemens j mon cher Marquis. Nous avons eu beaucoup de petits avantages dont je ne vous parle pas, paree qu'ils font indignes de votre attention. Les Rusfes pillent felon leur coutume en Siléfie de 1'autre cóté del'Oder. Laudon dort a Wartha, & nous ne faifons pas grand'chofe. Que votre imagination n'aille pas trop vite. Vous allez dire: on fera fans doute fur le point de convenir d'un armïftice. Rien moins que cela. Je vous allure qu'il y a moins d'apparence a préfent que jamais a toute fufpenfion entre les parties belligérantes, foit Francois & Anglois, foit Pruffiens &. Auttichiens, foit Suédóis, Cërcles &c. Ces nouveiles pourront déconcerter votre politique. Cependant la viétoire du Prince Ferdinand, la prife de Pondicheri & des Antilies n'a amolli en rien 1'efprit belliqueux de la cour de Vetfaiiles. Notre campagne trainera ft.Ion les apparences, & il eft a croire qu'elle ne deviendra férieufe que vers 1'automne. Faites des vceux a Ia Fórtrne, pour qu'elle nous feconde. Ce fera 1'épéé . & non la plume qui amènera les chofes a la paciScaiion générale. L'épuifetnent d'argent fera ce  GORRËSPOIYD ANOE. que la raifon & 1'humanité auroient dü faire, te combat finira faute de combattans; enfin on verra du nouveau, & je crois p'resque qu'il faudra faire encore une campagne, outre celle que nous avons corrfthencde. Je vous donne matiêre a d'amples conjeétures. Je voudrois vous fournir des nouveiles plus agrdables; prenez-les telles qu'elles eonviennent au temps qui court;' travaillez- tranquillement fur Plutarque & foyez un peu moins pa. relïèux a me donner de vos nouveiles. Adieu, cher Marquis. Je vous embraffe. Ï-/a joié des habitans dë'Berlin que vous me dé» crivez, mon cher Marquis, s'eft commuhiquée i mon ame, & j'aiTenti un avant-goüt de la fenfation qué' j'éprouverai quand la paix générale fera faite. Nos nouveiles de Pétersbourg font telles que nous les pouvons fouhaiter; il fe pourroit même au moment préfent qne Ia paix y füt fignée. Je n'ai pas encore toutes les nouveiles d'un certain lieu ; mais je fais que les troupes marchent & qu'on a-une grande peur a Vienne. J'ai tout lieu d'efpérer que je réuflïrai. Dès que j'en' ferai plus für, je vous communiquerai la fatisfaflion que ce bon événement me caufera. Enfin, mon cher Marquis, lés nuages orageux fe diffipent,- & nous pouvons efpérsr de revoir un beau jout ferein, brillant des A'Strehien, Ie 8 d'Aofït ij6i.  CORRESP O ND ANCE. «Q* ayotis éclatans dn foleil. Je vous envoie un conté que j'ai fait; j'étois plein en le cornpofant de la leclure de Boffuet & de fes imperdnentes variations, oü toutes les rèveries myftiques de 1'école voir pas befoin de commentaire. Réjouifiez-vous, mon cher Marquis, & foyez tranquille & bien portam. Le courage me revient avec 1'efpérance, & j'efpère encore avant de mourir de vous revoir a Sans Souci, oü nous philofopherons tranquillement & fans étre in perieuü mortis. Adieu, mon cher. Dieu vous bénifle! A Breslau, ce 6 Mars 1762. V ous êtes gai & de bonne humeur, mon cher Marquis, & ce ne fera pas moi qui voudraj vous affliger par mes rêves mélancoliques. D'ailleurs penfer triftemeut ou gaiement ,ne fait rien aux chofes; elles vont leur train, & 1'événement bon oü mauvais, il faut enfuite le recevoir, & dévorcr fon chagrin, fi la fortune nous eft contraire. Je. fuis a préfent dans les négociations par delïiis les yeux; tout va a fouhait a Pétersbourg, & j'ofe vous dire que ce pays dont vous n'efpJrez rieiij  1159 C O R RE SP O ND ANCE. rempüra ce que j'en attends, mais un mois plus tard que je ne 1'aurois défiré. Sur la fin de Mal il y aura un beau fabbat dans cette pauvre Europe, & ce fera de cette facon-la que nous trouverons la fin de cette détefiable guerre. Je relis ü préfent 1'hiftoire de Flettry, dont je m'accommode irès-bien- cela tiendia bon jusqu'au mois de Juillet; c'eft une pièce de réfiftance .qui foumit des alimens pour une demi - campagne. Je ne vous erdis pas davantsge è préfent, mon cher Marquis. J'attends de grandes nouveiles, que je vous enverrai toutes chaudes, dès que je les aurai recues. Adieu, mon cher, je vous embraffe. Le 8 Avril 1762. Je commen.cois a languir comme une fleur qui n'a pas été arrofée de long-temps, lorsque Catt m'a rendu votre lettre. Cette divine rofée m'a ranimé & m'a donné une nouvelle vie. II eft plaifant, mon cher Marquis, que vous ttavailliez fur Ie nouveau teftament & moi fur les pères de 1'églife. Quel démon nous a fourni ces idéés? Ditesmoi par quel concert notre efprit s'eft • il dirigé en même temps fur ces matières ? Je crois que nous n'en favons rien ni 1'un ni 1'autre. Je vous avaue que je m'étoune de 1'égarement extreme de l'efpnt humain toutes les fois que je relis ces difputes fur des dögmes & des rayflères. Cependant, je  CORRESPOND ANCE. . 101 , ne vous dis rien que ce que vous favez déja, & je vois d'ici a voire air que vous voulez de bonnes nouveiles. Je trie trouve aflez heureux pour vous fervir corntne vous le défirez. Du cóté de la Ruflie j'attends le ccurier avec le traité de paix & 1'alliance' de la part de la Suède. Les raédiateurs crèvent tons les cbevaux de pofte, pour arriver, & figner tout de füite la paix, Ce n'eft pas encore tout, le fucceffcur de Mithtidate fe rnet a&uellement en campagne & ra'envoie un grand fecours, & ces peuples que le foleil regarde eu naiffant, font en mouvement égaletnent: les traités fotX faits, tout eft arrangé , de forte que nous pouvons compter fur faccomplifTement de mes efpérances» :Ce font des nouveiles qui fe font fait attendre; mais elles font fi bennes, qu'on peut leur pardon* ner leur lenteur. J'efpère donc a préfent avec fondement que 1'année préfente fera la clóture de nos travaux. Catc m'a parlé du pauvre Comte Gotter comme d'un homme & 1'agonie. Hélas! je ne retrouverai i Berlin que des murailles & vous, rnon cher Marquis; plus de connoilTance, perfonne, & moi j'aurai fhrvécu a toute cette malheureufe génération. J'ai quelque affaire qui m'empêche de continuer. Je vous ea-dirai-davaniage dés que j'aurai dn loif.r. Adieu, mon cher, mon bon, mon unique Mi:vquis. Je vous embraffe de tout mon coeur. A Breslau, le 29 Ayrij vGi-  ip2 CORRESPOND ANCE. V oos m'avez fourni, mon cher Marquis, • 1« meilleur ragoüt du monde pour ma table; j'y ai produit,votre eftampe des jéfuites; tout. le monde a dit fon mot fur ce fujet & nous avons ri, ce qui n'eft pas ordinaire dans ma maifon depuis les tribuIations que nous avons fouffertes. Les francois font de plaifans fous • j'aime des ennemis qui donnent occafion de rire , & je hais mes Autrichiens rébarbatifs, bouffis d'orgueil & d'impertinence« qui ne font bons, qu'a faire baitler , ou a infulter les malheureux. Je n'ai aucune nouvelle 4 vous apprendre aujourd'hui; j'attends mes couriers d'une heure a 1'autre. Vous trouvez peut-être que depuis quelques mois j'attends.toujours des couriers; cela eft vrai; cependant ils arriveront a la fin, & il n'y aura que notre impatience qui aura fouffert de ces délais: .ce -n'eft pas une affaire ; on y gagne plutót en foumettant fon inquiétude naturelle a un petit cours de patience qui nous fait avancer dans la morale pratique & dans 1'étude de la fagefle. Je raffemble aétuellement 1'armée & je mets la dernière main aux préparatifs de cette campagne. Veuille le ciel qu'elle foit heureufe & la dernière de celles que j'aurai a faire i Je fuis bien aife que vous alliez è Sans -Souci; mon imagination faura oü vous trouver; je vous fuivrai dans la maifon & dans les allées du jardin jusqu'au pare; je dirai, a préfent le Marquis joue de  CO RRE S P ON D ANCE. 193 de la viole, a cette heure il commente le nouveau teftament grec, le voila répétant avec Babet des lecons de tendrefle; dans cette allée il fait des projets de politique, & revoyant mes appartemens il fe reiTouvient de moi. Enfuite j'aurai un petit dialogue en idéé avec vous; mais quelque nouvelle de Daun viendra a la traverfe diiïïper cette illufion agréable, & autant en emporte Ie vent. Ma fituation n'eft pas encore a I'abri de certains nuages qui obfeurciflent de temps a autre la férénité de quelques rayons qui me luifent ; c ment fe fait long-temps attendre, & qu'il en coüte pour que 1'Europe en travail aceouche de cette paix tant défirée! Soit en paix, foit en guerre, heureux ou malheureux,abfentou préfent, vous me rettouverez toujours le même, c'eft a, dire vous aj. mant & vous eftimant comme j'ai toujours fait. Adieu, mon cher Marquis, & bon foir, je vais me coucher. A Brcslau, le 8 Mai 1762. Ocuv.poflh. de Fr. II. T. X. 1  194 CORRESPOND ANCE. Je me féliché, mon cher Marquis, de ce qqe Sans-Souci peut vous fervir de derneure agréable pendant les beaux jours du printemps, & s'il ne dépendoit que de moi, tous les évenemens fe feroient déja arrangés de facon que je pourrois vous y joindre; cependant il faut encore ajouter la cara. pagne qui va s'ouvrir aux fix précédentes, foit que le nombre de fept qui paffe pour myflique chez les péripatéticiens & les moines, doive étre remp!i, & qu'il foit dit de toute éternité dans le livre des defiinées que nous n'aurons la paix qu*apiès fept campagnes, il faut que nous en pafïïons par la. Mon fiére a bien débuté en Saxe; mais je ne fais quels contes on fait fur notre chapitre. Nous cantonnons encore; il n'y a que quelques partis ' de boufards en campagne, & ni Daun , ni Beek, ni tous les autres Autrichiens ne font attaquables jusqu'a préfent. Notre campagne ne peut com. meneer au plutót qu'au 20 Juin; jusqu'a ce temps re vous attendez pas de notre part a des coups d'éclat. J'ai déja penfé aux moines de Siléfie; dês que j'ai appris qu'on les chaffoit de France, j'ait fait mon petit projet en conféquence & j'attends a voir nettoyé le pays d'Autrichiens, pour pouvoir y faire ce qui me plait. Vous comprenez donc, mon cher Marquis, qu'il faut attendre que la poire foit rruïre pour la cueillir. Quelle différence de revoir  ■ CORRESPONDJ NCE. i o£,! Sans- Souci i préfent, aprês y avoir demeuré avant la guerre! de comparer 1'e'tat de profpérité oiï nous étions alors avec notre mifêre préfente, la bonne fociété qui s'y raffembloit, avec la folitude ou la mauvaife compagnie qui nous refle! Tout cela, mon cher Marquis , m'tSlige & me rend tiifie & têvcur. Je fuis fort de votre fentiment au fujet de d'Atem* bert; il vaut mieux ne point écrire que de dire des paradoxes & des pauvretés. Blaife Pafcal, 'Newton & eet homme ci , tous trois les plus grands géomètres de 1'Europe, ont dit force fottifes, 1'un dans fes apophthegmes moraux , 1'autre dans fon commentaiie fur l'ayocalypfe & celui cl fur la p.-é'lie- & 1'hifluire. La geométrie pourroit donc bieu ne pas rendre 1'efpric aufïï jufle qu'on I3 lui attribue. Le préjugé favorable a la géométria en avoit fait un axiome; ce n'eft pas même un problème aprês les trois grands g 'omètres que ja viens de citer & qui ont tous trois fi pitoyablemenc raifonué. Tenons - nous - en, mon cher Marquis, aux arts d'agrément. La perfection n'eft point faite pour nous; on a quelque indu'gence pour les écarts d'un poëte, on les met fur le compte de fon imagination; mais on ne pardonne rien au géomètre, il doit être exact & vrai. Pour moi, qui fens qu'on ne fauroit 1'être toujours, je m'attache plus fortement que jamais aux agrémens de la poëfie «Sc a toutes les parties des études qui peuvent orner & éclaira l'eifrit; ce feront les hochets de ma I 2  CORRESPOND ANCE. vieilleiTe avec lesquels je rn'amuferai jusqu'a ce que ma lampe s'éteigne. Ces études, mon cher Marquis , adouciflént 1'efprit & font que i'apreté de ,1a vengeance, la dureté des punitions, & enfin tout ce que le gouvernement fouverain a de févére, fe tempère par un mélange de philofophie & d'indulgence, néceffaire quand on gouverne des hommes qui ne font pas parfaits & qu'on nel'eft pas foi-méme. Enfin, mon cher Marquis, foit age, foit réfiexion, foit raifon, je regarde tous les événemens de la vie humaine avec beaucoup plus d'indilTérence qu'autrefois. Quand il y a dts chofes qu'il faut faire pour le bien de 1'Etat, j'y mets encore quelque vigueur; mais, entre nous foit dit, ce n'eft plus ce feu impétueux de ma jeunefle, ni eet enthoufiafme qui me pofledoit autrefois. II eft temps que la guetre finiffe, car mes hoinélies baid'ent, & bientót mes auditeurs fe moqueront de moi. Adieu, mon cher Marquis ; je fouhaite de vous donnar d'agréables nouveiles; vous aurez dans peu celle de la paix avec les Suédois; pour les autres, vous ne les aurez qu'a la fin de Juin. Aimez- moi toujours, plus etrant que Don Quichotte & tous les chevaliers de la Calprenède. A Bettlcrn, Ie 25 Mai 1762. V o u s plaifantez , mon cher Marquis , dans votre lettre fur mes routiers. Le malheur eft que  CORRESPOND ANVEl rep tout ne va pas auffi vite que je le voudrois. Voila' la paix des Rulles, qui efl a la vérité un événement ttès-avantageux, mals qui m'a dérangé d'uri autre cóté ma négociatión a. Conftantinoplë. IT faut bien des chofes pour mettre tant de têtes foüs un bonnet, principalement pour cori.cifier des intéréts auffi différens. On négocie, le temps fe paffe & nous nè fortons point d'embarras. 'Les Tartares raarchent ni plus ni' moins. C'eft toujours cent mille'hommes, & il faut efpérer qu'en les mettant en jeu les autres fuivront. Votre parabole eft admirable. Il faut des moyens pour la pratiquer. . La grande difficulté eft d'abattre cette puilTance; le refte fera aifé. On va vite en fpéculation, mon cher Marquis, & lentement en befogne, paree qu'on rencontre certt empêchetnens dans fon chemiu. Je m'a!5niidonne a la deftinée qui mène le monde è fon gré: les politiques & les guerriers ne font que des marionnettes de la ptovidence; inflrumens nécefïaires d'une main invifible, nous agiffons fans favoir ce que nous faifonS; fouvent le produit de nos foins eft le rebours de ce? que nous efpérions. Je laiflé donc aller les chofes comme il plalt a Dieu, travaiilant dans 1'obfcurité & profitant des conjonclnres favorables lorsqu'elles fe préfentent, Czernichef eft en marche pour nous joindre. Notre campagne ne commencera que vers la fin de ce mois, mais alors il y aura beau bruit dans cette pauvre Siléfie. Enfin, mon cher Marquis, ma befogne eft dure & difficile, & 1'on ne I 3  >?s CORRESPOND ANCE. fauroit dirs encore pofitivement comment tout ceci tournera. Fakes des vceux pour nous & n'oubliez pas un pnuvre diable qui fe démèue étrangerneut dans fon harnois, qui nicne Ia vie d'un damné, & qui malgré tout cela vous aime & vous eflime fincèrement. Adieu. Le S Juin 1762. Si j'entrois avec vous dans Ie détail, mon cher Marquis , fur ce qui s'eft paffe en oriënt, vous trouveriez peuc-être que j'avois raifon de croire qu'il arriveroit de bonnes chofes la - bas. Certainement fout n'eft pas défefpéré & il me refie des lueurs favorables, Le Tartare doit étre en pieiné marche, & pour lui je mé flatte au moins qu'il me donnera uhe vingtaine de miliïers d'auxiiiaires. A.Confiantinople il y a une rebellion parmi les janiffaires; ils en veulent au grand Vizir: au départ de ma lettre Ia huitiéme partie de la ville étoit déja. en cendres & l'incendie duroit encore. Vous avez bien raifon de dire que nos raifonnemens fur 1'avenir & tout ce qui eft conjefture politique n'eft que frivolité. Qui peut en mieux parler que moi , qui me vois agiié depuis fix ans da toutes les tempêtes politiques de 1'Europe, toujours prés de faire naufrage , confervé jusqu'ici comme par miracle, & néanmoins toujours dans de nouveiles fortes de dangers? Tout ce qui fe paffe en Ruffie n'a pu étre  CORRESP ONDANCE. 199' prévu pat le Cointe de Kaunitz; touc ce qui s'elV pailé en Angleterre & dont vous ignorez ce qu'il y a de plus odieus , n'a pas dü entrer dans mes cotribinaifons. Da tout cela il réfulte que 1'on fait le métier de dupe quand 011 gouverne des Etats dans des temps d'agitations & de troubles. C'eft ce qui ae dégoüte furtout de ce travail ingrat & infruc tueux, & qui meramèue plus que jamais % l'amour des lettres, que 1'on peut cultiver en filence & dans le feia de Ia paix. Un homme de lattres opère fur quelque chofe de certain; au lieu qu'un politique n'a presqae aucune donnée. Les Rulles nous joindront le 30; leur arrivée terminera notre inaétion. J;- tenterai derêchef les grandes aventures, au risq ie de ce qui pourra en réfulter. Voici le feptième afte de cette tragédie; la pièce eft tropTongue; 1'Etripereur de Ruffia y a. fait la peripetie; il faut que je travaille au dénouement pour la terminer le moins mal qu; poftble. Une muhitude d'arrangemens préalables m'occupent a préfent; il faut tout difpofer & tout prévoir autant que cela fe peut;- ajoutez a cela la vivacité des négociations qui fe font a préfent, & vous jugetez facilement des foins, des embarras & du travail qu'il m'en coüte, & du poids que mes pauvres épaules portent. Enfin, mon cher Marquis, nous touchons aux événemens qui vont décider de cette campagne & de toute cette guerre; il faut fe réligner a les attendre patiemment, puisque la moindfé partie de ce qui doit arriver dépend de nous. I 4  |2c0 CORRESP O ND ANCE. Adieu, mon cher. Vivez en paix, écrivez-'nioi fouvent, & conjptez fur mon amitié. Je n'ai point, mon cher Marquis, de ce beau pa. pier orné de contours élcgnns qui donne tant de grace aux lettres de vos compatriotes; fans quoi je m'en fervirois pour vous répondre. Vóus voudrez donc bien que je vous mande fur ce papicr-ci tout fimplement ce qui fe païïe. Vous nous retrouvez dans ce camp oü nous fümes 11 long-temps 1'année paffée; nous allons sduellement entrer dans les montagnes, pour tourner le Maréchal Daun, & 1'oblfc ger de rentrer en Bohème. Je ne fais jusqu'a quel point nous réuflïrons; cependant il n'y a rien autre chofe a faire. C'eft une grande entreprife que celle de débusquer un habile général de toutes les pofitions avantageufes qu'il a prifes d'avance. La Fof. time y fera fans doute beaucoup; mais qui peut fe fier a cette volage ? Vous me demandez des nouveiles du Tartare. On ine mande qu'il va m]envoyer tout a préfent des ttoupes; la lettre eft du-n Juin. Cétte diverficm aura lieu plus tard que je ne 1'avois efpéré ; mais elle fera toujours effet. Notre paix & notre alliance avec la lluffie, admirables d'un cóté, ont caufé d'un autre quelques ahérations dans les bonnes difpofitions oü Le 19 Juin 1762.  CV R R Ë'SP O ND ANCÊ. 10Y oü étoient les orientaux; refle a favoir fi nos ennemis n'en profiteront pas. Toute la politique, n»ön cher Marquis, eft appuyée fur un pivot mobile, & 1'on ne peut compter fur rien avec certitude; c'eft ce qui m'en dégoüte prodigieufement. Les calamités des années paffées, la ruine de la plupart des provinces, jointe a toutes fortes de malheurs qui me font arrivés, m'ont rendu plus philofophe ou plus indifférent fur toutes les chofes hnmaines que Socrate ne pouvóit l'être: je parviendrai bientót a une quiétude parfaite. 11 eft temps, mon cher Marquis, que cette guerre finiffe; je ne vaux plus rien, mon feu s'éteint, mes forces m'abandonnent, je ne fais plus que végéter; avec cela on peut encore fervir d'ornement a la laure d'un cénobite, mais on n'eft plus propre aa monde. Le Prince Ferdinand a remporté un avantage confidérable fur les Francois; j'en fuis bien aife. J'auTois défiré que 1'affaire eüt été plus décifive; 4,000 hammes de 8o,ooo, refle 76,000; c'eft plus qu'il n'en faut pour le Prince Ferdinand, qui n'en a que 50,000 au plus a leur oppofer; mais cela lui fait gigner du temps, & eet échec découragè un Soubife, un des plus médiocres généraux qu'aient eu les Francoii. Man pauvre Margrave Charles eft mort; j'en fuis fenfibtement afiiigé, c'étoit bien le plus honnète homme du monde. II faut que nous allions tous la-bas le rejoindre ; un peu plutót, un p:u plus tard, c'eft la même chofe. Adieu, 15  203 CORRESPOND ANCE. mon cher Marquis. Ecrivez - moi quelquefois, & foyez petfuadé de mon amitié. A Eunzelvvitz, Ie 4 Juillet 1762. Xy 'art conjeélural eft borné, mon cher Marquis, & Ie fera tant que le monde durera. Prendre fon parti galamment & laiffer aller les chofes comme elles vont, c'eft fans doute 1'unique parti fage qui nous refte a prendre. Vous conviendrez a préfent que je vous ai dit vrai en réfutant les appréhenfious que des bruits populaires avoient accréditées. Nous avons été fi long-temps a 1'école de 1'adyerfité, que le public eftcrédule fur les malheurs que Ia crainte faifoit prévoir. Ni tout le mal qu'on sppréhende, ni tout Ie bien qu'on efpère, n'arrive pas cependant, Je vous annoncerai, pour vous reitaurer, que mon entreprife fur Schweidnitz va jusqu'ici a merveille; il nous faut encore onze jours heureux , & cette épreuve fera remplie. Je vous donneroü encore nombre de bonnes nouveiles; j'attends que votre crédulité fe toutne du cóté des événemens heureux pour vous les annoncer. J'attends donc ce que vous m'écrirez, pour vous fervir en conféquence de vos défirs. Adieu , mon cher Marqiuj, je fuis farigué & mon age me rend 1'exercice plus rude que par le paffé. Ecrivez-moi donc, & 31e.dout.ez point de mon amitié. A' Péterswalde, le 13 Aoöt 1762.  Vous êtes fans contredit le plus galant des Marquis, de m'envoyer de fi beaux livres, fi bien dorés & reliés; il n'y manque, mon cher, que 1'étoffe, qui eft mince & qui ne vaut pas la couverture ; mais enfin je vous remercie de la bonté que vous avez de penfer a moi. Je iéiicite le libraire de trouver a débiter fon édition en Ruffie; ce ne fera probablement qu'en ce pays-la que je pourrai palfer pour bon poëte francois. Vous avez peut-être cru m'envoyer ma récompenfe pour mon fiége de Schweidnitz; vous vous êtes trompé, mon chsr; je fuis auffi mal -adroit a prendre des places qu'a fair* des vers. Un certain Gtibeauval, qui ne fe raouche pas du pied , & dix mille Antrichiens nous ont arrêtés jusqu'è préfent. Cependant je dois vous dire que le commandant & fa garnifon font a 1'agoiiie; on leur donnera inceflamment le viatique. Nous fommes a la paliffade, & une mine qui jouera dans quatre jours ouvrira la contrefcarpe & fera brèche a fenveloppe ; ce qui mettra fin a cette dilTicile opératton. Ces gens favent q/on les veut prifonniers de guerre; c'eft pourquoi ils attendent iusqu'au dernier moment: je vous avoue qu'ils n'ont pas tort. J'ai vu z ma grande édificaaon que M. de Beatifobre penfe a perpétuer fon illufire maifon, felon le commsnJeraent de Dieu a nos premiers pères: féconds & multiplier J'attends patiemroent la paix & la conridence qu'il me veut faire de fa pafïïon & I 6 CORRESPOND ANCE. 203  «tf CTÏKIIESPONDAN'CE: de fes projets, réfigné a tout ce que le hafard ordonnera de lui & de nous tant que nous fommes.Gette paix , mon cher Marquis, me paroit devoir arriver aiTurément. Comment! C'eft une énigme plus obfcure que celle que ie fphinx propofa aux Thébains. La politique préfente de 1'Europe eft un Iabyrinthe oü 1'on s'égare; j'y fais quelques pas,puis je me décourage & je me recommande au faint hafsrd, patron des fous & des étourdis. S'il eft für que les Anglois aient pris la Havane, ils feront ieur paix féparée avec 1'Efpagne & Ia France. Voila oü cela aboutira, & pour nous, nous gtierroyeronaavec cette Reine obflinée, jusqu'è ce que fa bourfe fe trouve a fee., & alors elle fera la princeffe la plus pacifique de 1'Europe. Voilé, mon cher Marquis , comme ce- grands princes font fairs, dévorés d'ambition en faifant les hypocrites & les pacifiques. Cependant la Reine s'eft découverte durant le cours de cette guerre, & je ne crois pas qu'on J'en croie fur fa parole, fi elle s'avife de vouloir jeter de Ia poudre aux yeux du public. Je trouve le petit Beaufobre plus fenfé; il veut repeupler le monde que cette guerre a presque dé«uit, & je trouve trés-fage è tout homme de lettres de penfer a la multiplication; car il vaut mieux faire un enfant qu'un mauvais livre; Pour moi je ne ferai ni 1'un ni 1'autre. Je prépare les poft;':* low que,je me flatte de vous dépécher bientót pour. voi$s annoncer 1'heureux événement qui me pal iuit prtsque für dés aujouru'hui. Enfuite de ncu-  CORRESPOND ANCE. 205 vecux embarras fe préfenteront; inais n'y penfons pas é préfent , & levons les difficultés * mefure qu'elles fe montrent, fans- trop nous inquiéter de l'avenir. Cela eft philofophique, mon cher Mar-quis. Vous voyez le progrês que je fais; mais asfurément tout autre que moi, qui fe feroit trouvé ces fept campagnes le jouet du hafard & 1'opprobre des puiflances prépondérantes , feroit devenu un Mare- Aurèle. C'eft le philofophe par force J mais enfin il eft toujous bon de 1'être de quelque manière qu'on le devienne. AdieuT mon-cher, mon riivin Marquis. Soyez tranquille, & attendez paifiblement ce qu'ordonnera de nous ce je ne fais quoi qui fe moque des projets des hommes & arrange tout d'une facon inattendue. Mes complimens a la bonne Babet. - A PéterswalJe, le 6 Septembre 1761. Je vous dois fans doute bien des excufes, mon cher Marquis, de vous avoir 'annoncé avec trop de préfompiion la fin de notre fiége au 12 de ce rrois. Nou*y fommes encore, les mines nous out beaucoup arrêtés. A préfent nous Tommes maitres du chemin - couvert, & comme voilé le plus grand obftacle levé, je me Batte que le refte ira plus vite. II nous faut employer fix femaines h reprendre une place que nous avons- perdue en deux heures, Cela ne fait pas l'éloge de notre haI 7  id(5 CORRESPOND ANCLi büeté ou de notre courage. Je fuis venu ici moimême pour pn-fler autant qu'il eft poffible nos tra-, vatïx & hater 1'ouvrage. Je ne veux plus être prophéte, ni vous annoncer le jour de Ia réduction; mais je crois que cela pourra durer encore quelques jours. Le génie de Gribeauval défend la place plus que la valeur des Autrichiens. Ce font des chicanes toujours renaiflantes qu'il nous fait de toutes les fncons. Enfin, mon cher, je fuis obligé de faire ici Ie métier d'ingénieur & de mineur; il faut bien que nous réufliffions » la fin. Nous faifons è préfent une mine pour faire fauter 3'enveloppe; j'en attends 1'effet; après quoi nous donnerons 1'alïaut au fort que nous attaquons, & ce fera piobablement ce qui réduira le commandant a capituler. Ce point. ci applani, il en refte encore bien d'autres pour parvenir a la paix. N'y penfons pas; levons les difücultés les unes après !es autres. Songeons a ce qu'il faut faire aujourd'hui,& demain nous penferons è ce que les con> joncïures différentes exigeront de mefures de notre part. Voila , mon cher Marquis, oü nous en fommes logés pour le moment préfent. Supportez avec patience notre mal-adreffe & notre ignorance. Votre poule en profpérera davantage & en deviendra plus grafie, & ce qui fe fait attendre fait plus de piaifir que ce qui eft obtenu facileman. Voila tout ce quj je puis vous dire de nouveau, car rien n'eft pljs vieux ni plus durable qae 1'amitié que j'ai pour vous. Adieu. A Ccejotidoif, ce ï.6 Septeinbre i.-fc. >  CORRESPOND ANCE. 207 J e voudrois pouvoir vous dire, mon cher Marquis , que Schweidnitz eft pris, mais il ne 1'eft pas encore. La chicane des mines nous a arrêtés quatre femaines. Nous fommes 2t préfent aux palifTades. Hier 1'ennemi fit fauter une mine qui nous a détruit un logement; toute cette journée a été employée a le rétablir. Enfin il faut avoir patience , car ce Gribeauval fe défend comme il doit. Comptez, mon cher, que la garnifou au commencement du fiége a été de 11,000 hommes. Zaftrow n'en avoit que 3,000. Cela ne le difculpe pas tout a fait; cependant il eft certain que trois font presque le quart de onze, & que ces gens-ci font bien mieux en état de fe défendre que lui. Vous avez pris la colique de la révolution arrivée en Ruflie; c'eft que tout ce qui me touche, vous affefte vivement. Cependant, s'il fe peut, témoignez.moi votre amitié en vous portant bien. Prenez les eaux a Sans • Souci & comme vous le jugerez convenable; je fouhaite de tout mon cceur qu'elles rétablifient votre fanté. Pour moi je fuis fi fait aux revers & aux contretemps, & je deviens fi indifférent fur tous les événemens de ce monde, que les chofes qui m'auroient fait autrefois les plus profondes impreffions, gliflent ï préfent légèrement fur mpn efpiit. Je puis vous 1'aiTurer, mon cher Marquis, j'ai réellement fait quelques progrès dans !a pratique de la philofophie. Je deviens vieüx,  6öJ CORRESPOND ANCE? je touche aux hornes de mes jours, & mon ame fe détache infenfiblement de la Cgure du monde qui paffe & qué j'abandonrïerai biéntór. La fituation dé 1'hiver paffé, la révolution de Rufïïe, la përfidie des Anglois, que de fujets de devenir raifonnable fi 1'on y réfléchit! & qui voudroit toute fa vie s'encanailler dans ce pire des mondes poffibles ? Je ne vous cite que quelques caufes de dégout; mais j'en ai tant eu duranr. cette guerre, que la fenfibilité de mon ame eft épuifée, & qu'il s'eft formé un calus d'indiiTérence & d'infenfibilité qui ne me rend presquë bon a rien." Nous n'avons ici ni Neptune, ni ApoIIon contre nóus, mais un Gribeauval, 8,000 hommes encore, & des mineurs qui -exercent bien notre patience; il n'y a point de belle Héléne dans Schwcidnitz; mais il nous manque un Achille, dorlt je ferois plus de cas que de St. Népomucène, St. Denys ou St, Nicólas, fi je 1'avois. Nous pouffons néanmoins touS les ouvrages autant que la prudence le permet. Et autant que j'en puis juger, je ne crois pas que depuls le coratnêiicement du fiége il y aft eu fix jours de perdus, & dans quel fiége n'y en a t-il pas? Nóus ne perdons du moins pas notre temps a haïaflguer comme vos bavards de Grecs, ni a nous rriettre en oraifon comme les croifés devant Jérufalem & devatt Damiette; mais Schweidnitz fe prendfa, je n'en fuis pas embarraffé; cela fait, il reffe encore une dure befogne, oü jè vois un brouillard impénétrable, qui empécbe ma vue de dïcouvriï  CO-RRES POND ANCE. 209 fes objets & les contitigens futurs. Ste. Hedwige ne m'éclaire point; quoique ma célefte parente, j'en tire peu de fecours. Auffi j'abandonne 1'avenir a la deftinée, & je végète attendant 1'événement, Je vous écris nattirellement comme je penfe. Cela vous ennuiera un peu ; cependant croyez qu'il y a du foulagement a décharger fon cceur; ayez quelque égard a la fituation oü je fuis. Adieu, mon cher Marquis, je n'en dirai pss davantage pour.cette fois, & je finis en vous aflurant de töuM mon amitié* - A Boegendorf, le 27 Septembre 1762. "V^°TRE Iettre> mon chef M31^'8' achève 'Ae* m'óter les appréhenfions que j'avois pour votre fanté. Vous étiez malade la veille de mon départ; mais on m'avoit aflaré que vous vous ■ étiez-mis en chemin le lendemain. Le grand reflbrt de 1'air & 1'exereice de la voiture vous om guérij ce qui prouve bien 1'alTertion de Boerhaave, que la fanté eft incompatible avec un entier repos. Je ne fais 4 quelle deflination la nature nous a placés dans le monde.- A en juger par notre fanté, il paroiimu qu'elle nous a faits plutót pour devenir des poftillons que des philofophes. J'ai été a MeilTen depuis notre féparation. Nous avons recu des lettres de Vienne qui difent que les préliminaires y ont caufé une joie univerfelle, & que 1'Imrératrice a penfé  Üf» CORRESP O ND ANCE. embralTer Ie porteur. Les ratifkations arriveron: demain ou après-demain au plus tard. Selon mon peiit calcul, je ne crois pas qtiiatr la Saxe avant ié 12 Mars. II me faut quinze jours pour achever mes affaires en Siléfie, & felon uue fupputation arbitraire, je ne crois pas pouvoir êire a JBeilin avant le 29 du mois prochaln. Ce qu'il y a de bon a tout ceci, ce n'eft pas moi, mon cher Marquis, c'eft la paix; il eft jufte qlte les bons citoyens & Ie public s'en réjouiffenr. Pour moi, pauvre vieillard, je retourne dans une ville oü je ne connois que les murailles, oü je ne retrouve perfonne de mes connoiffances, oü un ouvrage immenfe m'attend , & oü je laifferai dans peu mes vieux os dans un afile qui ne fera troublé, ni par Ia guerre, ni par les calamités, ni par la feé.' lérateffe des hommes. Je fuis ici dans une maifon de campagne oü je paffe ma vie en retraite & avec mes occupations ordinaires; il n'y a que le cher Marquis qui y manque; mais j'efpère de le revoir a Berliu. Promenez-vous ^donc quelquefois en voiture, mon cher; faites ce facrifice a votre fanté. Vos chevaux vous attendent a Potsdam Ut y font déja, & moi indigne je vous prie de ne me point oubfier. Adieu. Mes complimens a Babet. A DsHch, le 25 Février 1763.'  CORRESPOND ANCE. mf J^nfin voila Ia paix faite tout de bon, mon cher Marquis; vqus aurez cette fois a bonnes enfeignes des poflillons & tout 1'attirail qui les accompagne. Voila, Dieu foit loué, 1'époque de la fin de mes travaux militaires arrivée. Vous me de» mandez ce que je fais ici? J'entends haranguer Ci» céron tous les jours, j'ai depuis long-temps achevé les Verrines, j'en fuis a fon discours pro Murena, outre cela j'ai achevé le Batteux. Ainfi vous voyez que je ne fais pas Ie pareffeux. Pour vous, mon cher, ne vous impatientez pas, la rivière eft déjü navigable, & vous aurez tout le temps de transporter vos meubles a Potsdam avant mon arrivée. Je refierai ici ou a Torgau jusqu'au 13. Mon voyage de Siléfie m'occupera -15 ou 17 jours, de manière qua je ne puis être a Birlin que Ie 31 de ce mois ou le 2 d'Avril; car je neveux pas arriver chez vous le premier du mois prochain; les facé* tieux fe moqueroient de moi, & me diroient poisfon d'Avril. Si la paix fait piaifir aux Berliuois, il n'en eft pas de même ici des Saxons. A peine quittons - nous les villes, a peine les contrées fontelles évacuées , qu'auliitót 1'exécution faxonne y arrivé; payez, payez, il faut de l'argent au Rot de Pologne. Le peuple fent 1'inhumanité de ces procédés; il eft dans la mifére, & au lieu de le foulager on précipite fa ruine. Voila, mon cher, un tableau de la Saxe peint au naturel. Pour moi  ïtï CORRESP O ND d NC'E. jë regarde toutes ces exécutions en fpeclatënf indifl férent; mais en qualité de cosmopolite je ne faurois fes approuvery-' Je travaille ici tout doucement a l'arrangement' de 1'intérieur: des provinces; le gros détail de 1'armée eft achevé. Les Francois ont figné leur paix cinq jours avant nous. Avouez que nous les avons5 fuivis de prés, & qu'on ne pouvoit gtière conclure un auffi grand ouvrage plus galamment que nous na 1'avons fait. Sa Majeilé Polonoife n'eft pas encore guérie. ' Sa fanté eft chancelaute. Son retour eft envifagé par les Saxons comme une calamité pUblique, comme un fléau plus'crüel que celui de la guerre & de la famine: mais que vous importé* & a moi cette Saxe, fon Roi, fon miniflre & tout ce tripot ? J'afplre a me trauquillifer 1'efprit & a me débarraifer un peu des affaires, pour me donner du bon temps & réfléchir dans le filence des pas« fiöns fur moi-mêmè, pour me trouver rehfermé dans 1'intérieur de mon ame, & m'éloigner de toute repréfentation , qui a vous dire vrai me devient de jour en jour plus infupportable. A proposy d'Ailembert a refufé toutes les offrés de Ia- Ruffie; J'applatfdis fort il cette marqué évidettte de fon désintéreiTement & je crois qull a pris un parti fage jde ne point s'expofer a la fortune vagabonde; mais bafta: cette corde eft trop délicate pour Ia toucher." Bon foir, mon cher Marquis; il eft tard, j'ai demain encore bon nombre d'affaires a expédier, & j'efpère recevoir durant mon féjour de- Saxe  CO RRESBONDANCE. ai^ quelques lettres de votre part. Adieu, mon cher Marquis, viyezcontent,-foignez' votre fanté & ne m'oubliez pas. A Dahlen, le i Mars 1763. . Leur es fans date. Out, mon cher Marquis, j'ai fait des fautes & le pis eft que j'en ferai encore- N'eft pas fage qui a envie de 1'ètre. -Nous reftons toute noire vie tels a peu prés que nous fommes nés. Ce qu'il y a de plus facheux dans les cireonlknces prérentes, c'eft que toutes les fautes deviennent capitales; cette feule idee me fait frémir. Repréfentez. vous le nombre de nos ennemis irrités de ma réfiftance, leurs efforts pernicieux & redoublés ,& 1'acharnement avec lequel i'ls voudroient m'accabler; voyez ie deftin de 1'Etat ne tenir qu'a un cheveu. Rempli de ces idéés, les belles efpérances que vous donne votra p,ophète s'évanouirout comme la fumée que le vent chaffe & difïïpe en un moment. Pcrr me diflra!re de ces images trifles & lugubres, qui rendroient 4 la fin mélancolique & hypocondre jusqu'a. Démoctite même, j'étudie, ou je fais de mauvais vers. Cette application me rend heureux pendant qu'elle dure; elle me fait IHufiori fur ma fituation préfente & me procure ce que les médeeins appeilent de lucides intervalles; mais auffitót que le charme eft diffipé, je retombe dans mes  514 CORRESPOND ANCE. fombres rêveties, & mon mal, qui avoit été fut pendu, reprend plus de force & d'empire. A propos, votre Iroquois eft en pleine fonction; i! peut mêrne dès aujourd'bui, fans pafTer pour homicide, tuer autant d'Autrichiens qu'il lui plaira. Vous me faites des complimens fur mes vers , qu'affurétnenc ils ne méritent pas. Mon efprit n'eft pas affez tranquille, & je n'ai pas affez de temps pour les corri#er,ce fout des efquiffes, ou plutót des avortons, qu'un démon poè'iique me fait enfanter par force, que vous accueillez par un effet de votre indu!» gence, & qui vous paroilTent moins mauvais quand vous les rapprocliez de la fituation affreufe oü je me trouve. Ecrivez- moi quand vous n'aurez rien de mieux a faire, & n'oubliez pas un pauvre philofo phe, qui peut-être pour expier fon incrédulité eft condamné a trouver fon purgatoire dans ce monde. Adieu, mon cher Marquis. Je vous fouhaite paix, fanté & contentement, en vous embrafiknt de tou; mon cceur. Je me fuis. fait trainer ici, mon cher Marquis. Demain je joindrai mon armée, & je me flatte que Daun & fes Autrichiens ne s'appercevront pas que j'ai la goutte. Dans huit jours j'efpère que la Saxe fera entiérement nettoyée d'ennemis & que tout fera tranquille. Si vous vous portez bien alors & que vous puifüez trouver une voiture herraétiquement fermée,  CORRESPOND ANCE. 2:j vous me ferez piaifir de me joindre a Dresde, pü j'établirai mon quartier, & oü j'aurai foin de vtyre logement. J'ai tant a faire a préfent qu'il m'eft impoffible de me mêier du clabaudage de votre folie; attendez que la campagne foit finie, & nous 1'en- fermerons dans telle petite maifon qu'il vous plaira. Adieu, cher Marquis. Je vous embraffe. TT out ceque vous me dites,mon cher Marquis. ne ne perfuadera jamais que notre fituation foit bonne. La fottune eft contre moi; j'ai pa (Té 1'Elbe J j'ai voulu attaquer Lascy avanthier; mais il s'eft retiré fort a propos. Voila comme mes projets échou» ent les uns après les autres. L'armée des cercles arrivé demain a Dresde, cü on la laiffera, &• Daun gagne alors une fi grande fupériorité fur moi, que je ne puis rien augurer de bon de tout ceci. Lau* don affiége Glatz; il n'y a qu'une poignée d'hommes en Siléfie, qui-ne.peut porter des fecours. Je périrai par tous les cótés. La politique m'eft tout auffi contraire que la guerre; je ne puis réuffir en rieu dans les chofes que j'entrepfends, & je me prépare a tout- ce que la fataüté de mon fort me fait prévoir de funefte. Vous ne voyez les objets qtie deloin, vous ne favez les chofes qu'a demi; ce qui produit en vous une fécurité que vous n'att-riez pas fi 1'éviJence de Ia vérité vo'ns • frni-ipoit. Soyez tiès.fürquc s'il n'arrive pas quelque ti&ifflè}  si6 CO RR ESP O.ND ANCE. nous fommes perdus; fi - cela traine jusqn'au mois de Septembre, ce fera beaucoup. Tout 1'art & toute 1'habileté d'un général fe trouvent courts dans la fituation oü je fuis; il faudroit des événemens furnaturels, & vous favez que de ceux - la il ne s'én fait.plus: enfin je me trouve dans. la plus affreufe fituation oü un fouverain puifiè être; je me vois dépérir infenfiblement -comme un hydropique qui compte de jour en jour les progrès de fa maladie, & qui voyant les froids avant-coureurs de la mort lpi enlever fuccefiivement fes membres, attend d'uu moment a 1'autre qu'elle lui porte le dernier coup au cceur. Votre porcelaine eft partie, & doit être arrivée a Berlin. Servez-vous- en, fi cela vous fait piaifir, & ne vous fiattez pas trop par des efpérances incertaines qui pourroient vous jeter dans une étrange erreur. Adieu, mon cher. Je vous embraife. Vou s voyez, mon cher Marquis, que les myftères de Madame Taliazuchi étoient des mifères, comme je 1'avois prédit; j'ai cependant ordonné qu'on arrêtat ce manan, fi grand corrupteur: pour favoir mes fecrets, il faut me corrompre moi-même, & cela n'eft pas facile. Cet homme ne peut d'ailJeurs donner a 1'ennemi que des nouveiles puifées dans des • fources boutbeufes, plus propres a 1'induire qu'a 1'éclairer. Je fuis ici au même point oü j'étoii  CORRESPO ND A NCE*.. §«jr fétois il y:a hjit, jours; mais 1'ennemi va pank dans peu; il prépare tout pour .fa marche ; cela tecminera la campagne que j'ai faite cette année contre les-Rufles. Mais cect fini, il me refle encore une booms t&che a rempiir. Je fuis malada; cela ne m'arrêtera pas fc je ferai fidelle a mes devoirs tar» qu'il me reftera des forces. i Je travaille encore fur Charles XII. Mon ouvrage n'eft qu'un enchainement de réflïxionsj cj'a veut 'être fait avec fotn , a tête repofée; ce qui fait que je vais lentement. L'idée m'en eft venue, paree que je me trouve précifément fur le lieu qui 8elvJlenboatg a rendu fatneux par fa retraite. S.;;is ceffj occupé d'idées militaires, mon efprit, que jfe veux aiffip#i s'oc'cupj plutöt de ces matières' que je ne pourrois le fixer a préfent fur d'autres fiijets. La guerre linie, je folliciterai and place aux invalides; c'eft oü j'en fuis réduit. Si vous me revoycz jamais, vous me trouverez 'bien vieilli: mes ch> veux griibnnent, les dsnts me tombent, & fans doute que dans p.eu je rr.doterai. II ne- faut pas. trop barnier nos relTorts; un trop grand effort les Üfx. détendre. Vous fivez ce que 1'on conté de Bfetófe Pafcal. Vous ra'av.ez dit vous-même que Ia compofition vous avoir tellement épuifé en Hollande qu"il vous a fallu un long repos pour vous remettre. Dayle votre dév.mcier a éprouvé Ia même chofo. Moi, indigiia de vous délier les- fabots-, -quoiqtw je n'en-fois pas la encore, je fens les .infirmkés s'accroï re, mes forces défaillir, & je perds petit Qtui, pöjlh. de Fr. U, I, $. K  SI« CORRESPOND ANCE. ö petit le feu qu'il faut pour bien faire le métiex dont je fuis chargé. II refte encore un grand mois pour schever cette campagne, & il faudra voir ce que'fhiver amenera. Envoyez- moi en attendant les révolutions rotnaines & de Suède de Vertot. N'oubliez pas vos amis en purgatoire, & foyez perfuadé de mon amitié & de mon eftimé. Adieu, Marquis. X i> y a, mon cher Marquis, une grande différence entre la dialeétique & Tart conjeétural. Les rai. fonnemens des géomètres font rigoureux & exacts, paree qu'ils portent fur des objets pofïïbies ou pal» pables de la nature; mais lorsqu'il faut deviner des combinaifons, la moindre ignorance de faits incertains & obfeurs interrompt la chalne, on fe trompe a tout moment; ce n'eft point faute de jufteffe d'efprit, jtnais faute de notions conformes a Ia vérité, & paree que 1'efprit des hommes change & qu'il eft impoflible de dêviner tous les caprices qui leur palTent par la tête. Voila pourquoi, mon cher Marquis, vous vous êtes trompé fur Ie jugement que vous portez des Francois," ils ne feront la paix que lorsqne leur fubvetfion fera parvenue a fon comble. ' Vous vous trompez de méme fur le fujet.d'une autre nation, paree que vous n'étes pas devin, & que par conféquent il vous eft impofilble de vous repréfemer Jes chofes dans la vérité. Vous  CORRESPOND ANCE. 219 vous trompez encore fur le fujet de mon armée. •Toutes ces erreurs que je vous cite, votre efprie n'en eft point coupable; mais votre raifonneraent (conféquent d'ailleurs) s'appuie fur de faux principes. Oui, j'ai dit qu'avec cinquante mille hommes un général qui entendoit fon métier pourroit tenit tète a quatre-vingts mille; mais je n'ai jamais dit qu'avec cinquante mille hommes 011 püt fe foutenir contre fix-vingts mille; car pourvu que le général qui commande cette grande armée ne foit pas un automate, il viendra a bout de fon ennemi par fes détachemens, & dans peu il 1'écrafera. Pour moi, mon cher Marquis, que ma malheureufe étoile a condamné a philofopher fur les futurs contingens & fur les probabilités, j'emploie toute mon attention a bien examiner le principe dont il faut partir pour raifonner, & a me procurer fur ce point toutes les connoiffances pofïïbies; tout 1'édifice que j'élève fans cette précaution périt par fa bafe & tombe comme une maifon de carte. Je fuis bien aife qua vous philofophe, vous vous foyez convaincu par votre petite expérienee de la difliculté qu'il y a de guidcr fa marche dans ces ténèbres, iorsqu'on man■que de fanal & même de feux foliets pour s'é» clairer. Voila pourquoi il faut juger avec indulgence les politiques & les guerriers. II faut que 1'on convienne qu'uue fauffe nouvelle, un mouvement de fennemi que le général ignore, lui font commettre nombre de fautes, & il fe trouve des cas oü fon ignotance eft invincible. Les politiques eu K 2  253 CO URE SP OIV D ANCE. font logés IJl tout de même-; Ia fantaifie d'un (buverain, quelque intrigue de cour, la mo:t d'une créature chêrement achetée détraque tout leur fy-néme, & malgré toute leur prévoyance ils ne peuvent empêcher la fortune d'exercer fon empire. Pasfez-moi ces réflexions; elles peuvent me fervir d'apologie , & vous convaincre au moins que je ne ïüis pas Ia caufe cirefte de toutes fes fottifes qu'il m'eft arrivé de faire. Si je vous faifois le fideüe tableau de ma fituation, vous trouveriez du premier coup d'ceil les fujcts des grands embarras oü je fuis, ti vous feriez obligé d'avouer que la prudence humaine fe trouve rrop courte pour s'en défn'iïeri j'en viens au graveur. II ne faut donner au libraire que les ptanches qui conviennen: aux Puëïiés 'diverfes, & il faut que Schmidt garde les autres. Je vous félicite, mon cher Marquis, fur vos beatix meubles. On trav'aille a votre fervicé a force, & je me flatte que vous en fcrez ttès- content; j'efpère qu'il fera achevé dans la quinzaine; je ie ferai partfr tout auffitót, fi je me trouve encore ici. ' Adieu, mon cher Mntquis. Phüofophez trsnq-uillement I Berlin, & rendez graèés a votre étoile, qui ne vous oblige pas de philofopher fur les futur. contingens & fur les caprices des hommes. Je fuis'votre fidelle ami. Vak. Yoos en ufaez, mon cher Marqu's, avec mon pavttge coramj vuur !c trf.uvcrez '"ben. Je fuis fi  CORRESPOND ANCE. tn étourdi du malheur qui vient d'arriver au général Finck, q ic je na puis pas encore revenu- de mon é.tonnemenb Ceia dérange routes mes mefures &. me pénètre jusqu'au vif. L'infortune qui perfécute ma vieülefïè, m'a fuivi de la Marche en Saxe. Je lutterai contre tant que je pourrai. Ce petit hymne que je vous ai envoyé, adrefTé il la Fortune, a été fait trop vite ; il ne faut chanter viaoire qu'aprés avoir vaincu. Je fuis fi excédé des revers & des dé^aftres qui m'arrivent, que je fouhaite mille fois la mort, & que de jour. en jour je me laffe davantage d'habiter un cprps' ufé & condamne a fouffür. Je vous écris dans le premier moment de ma douleur. L'étonnement, le chagrin, findignation , le dépit confondus enfemble déchirent mon ame. Voyons donc la fiu de cette exécrable campagne, & alors je vous écrirai ce que je deviendrai moi-même, & nous arrangerons le refle. Ayez pitié de mon état & n'en faites point de bruit, car'les mauvaifes nouveiles fe répandent affez d'elles - mêmes. Adieu, cher Marquis. Qjtando avrai fine il mio tonuento ? Nos affaires, mon cher Marquis, commencoienc a prendre un train alTez honnéte, quand tout a coup je me vois dérangé par un de ces événemens politiques que 1'on ne peut prévoir ni empêcher; vous 1'apprendrez de refle. La paix que j'ai faite avec la Ilufïïe fubfiltera; mais l'alliance s'en va a vauK 3  22ü CORRESPOND ANCE. Peau. Les troupes retournent toutes en Ruflïe, & ine voici réduit a moi-même. Cependant nous avons encore frotté deux détachemens d'Autrichiens; ii faut voir fi cela pourra nous mener a quelque chofe de folide; j'en doute, & me voilé de nouveau dans une fituation gênante,difficile & délicate.. Je fuis la toupie de la fortune, elle fe moque de moi. Nous avons pris aujourd'hui mille hommes & quatorze canons; cela ne décide de rien, & tout ce qui ne décide pas, augmente mon embarras. Je crois bien que beaucoup de chofes vont de travers a Berlin & autre part; Mais que voulez-vous que je vous dife ? Le dellin qui mène tout eft plus fort que mei, je fuis obligé de lui obéir. J'ai le chagrin dans le cceur, mon embarras eft des plus grands; mais que faire ? Prendre patience. Si je vous écris aujourd'hui une fotte lettre, prenezvous-en ala politique; j'en fuis fi las, que fi une fois je pouvois trouver la fin de cette malheureufe guerre, je crois que je renoncerois 'au monde.. Adieu, mon cher. Je vous embrafiè. Vo tbe lettre m'a trouvé, mon cher Marquis, dans les travaux de 1'enfantement; je dois accoucher de Schweidnitz 5 je fuis obligé de la couvrir de tous cótés contre ce Daun qui fait roder une douzaine de fes fubdélégués pour faire échouer notre entreprife. Cela m'oblige a une attention perpétuelle fut  CORRESP ONDA ff CE. aa$ les raouvemens de 1'ennemi, & fur les nouveiles qae je tache de me procurer. Vous pouvez juger par-la que ma pauvre tête n'eft guère poëdque. Ce vers que vous reprcnez fera corrigé fans faute; c'eft un rien; mais je demande du détai jusqu'a la fin de notie fiége, qui d'ailleurs va bien jusqu'ici. Je n'ai, je vous jute, aucune vanité & je donne tant de patt au hafard & aux tronpes dans la réufïïte d K €  c:S CORRESP O ND ANCE. Aït le trouble a Paris; mais que dira mon fiére le trés-ebreuen Roi de France, s'il apprenü que mon Chambellan, ce monflre, vient pour dévorer les enfans du pare de Verfailles, du bois de Senar & de la forêt de Fontainebleau? On a envoyé contre vous un efcadron de dragons en Provence ; ü Paris on fera marcher les gardes francoifes, & quelque adreffe (a ce qu'on dit) que vous ayez a fauter de branche en branche, les coups de fufil pourront vous attrnper. Si méme vous contenez cette voracité & qu'en allant a Paris vous vous contentiez de vous ncurrir de poisfons & de viande comme tous les honné;es gens qui habitent ce globe, quel bruit ne feront pas les gazetiers ? Ces gens ont dit que vous étiez chargé de commiffions fi fecrêtes que je les ignore; en vous fachant a Paris, ils donneront une couleur a leurs menfonges & les accréditeront dans 'le public; tout le corps diplomatique fera ému cn apprenant votre arrivée; les efpions de trotter & les faufl'es conjeclures de s'étendre; ce feront la les fruits de votre voyage ; & puis qu'y ferezvous ? vous avez une rente fur Phótel de ville qu'on vous paye régulièrement. Vous voulez parler a vos amis? Vous pouvez faire la même chofe en vous arrêtant a un village proche de la ville, oü les gens auxquels vous avez a faire viendront vous trouver. Vous ferez bien de retomber par Bruxelles fur Wéfel; mais pour Dku ne dévorez point d'enfans daos votre voyage: la viande eft a  CORRESPOND ANCE. 22$ bon marché, vous pourrez en avoir partout, & fi votre imagination s'eft échauffée au foleil ardent de Provence au point de vous faire jouer le monflre, que le foleil flegmatique de la Weftphalie rafraichifl'e votre tête au point de vous rendre a vo„e retour tel .que je vous ai vu partir. Je vous attends, Marquis, au mois de S.ptembre; encore aurez-vous fait une prodigieufe diligence; car autant que je m'en fouviens, les trois rois ne faifoient en quinze jours que treize milles. Enfin vous en uferez en tout ceci felon votre piudence ordinaire, & je recommande cela, ainfi que tout ce qui vous regarde, en la fahue garde du père éternel. J B ne fuis encore ni mort ni euterré, mon cher Marquis, ma fièvre m'a quitté & je fuis a pré. fent tout comme un autre. Votre imagination vous repréfente 1'avenir avec un pinceau flatteur; mais la mienne, moins vive & moins riante, ne me rnontre qu'embarras, peines, difficultés, dangers 6c malheurs qui nous menacent. J'ai a la vétité recu des nouveiles de Solime; mais 1'affaire n'eft pa's finie; on me nourrit de belles efpérances & il me faut des effets ; cependant vers le 10 je dois recevoir un courier qui nous apportera Moyfe & les prophêtes. Tout va bien en Rufïïe; je ne puis avoir de la-bas des nouveiles pofitives que le 16 ou le 18 de ce mois. Attendons donc, mon cher K 7  22» CÖRRESPONDANCE. Marquis 5 patience ; car tout ceci eft pour moi une école de patience oü ma vivacité s'eft éteinte. Je ne vaux plus rien qu'a végéter, 1'huile de ma Jsmpe s'eft ufée avant le lumignon, tout au plus ferois-je bon a faire un chartreux. Voyez après cela a quelle fauce vous me mettrez, fi la paix fe fait jamais; a broyer les couleurs poür la Marquife ou 4 copier des notes pour votre viole de gambe. Enfin tranquillifez-vous, mon cher; qae ma fanté ne vous inquiète plus & mandez-moi les nouveiles. que vous pourrez, furtont les littéraires. Adieu, mon cher. Je vous embralfe. 01la ce qui s'appelle une lettre; il y a de quoi y répondre & je rends gtaces a votre rhumatisme de me 1'avoir procurée. Vous voyez que toutes les efpérances de la paix font évanouies; vous voyez que nos ennemis font les plus grands préparatifs. J'aurai dans trois femaines deux eens vingt mille hommes fur les bras; j'en ai a peu piés la moitié, de forte qu'il eft aifé de comprendre qu'il faut nécefTafrement que je périffe du cóté oü je ferai le plus foible & oü je ne pourrai rien oppofer su nombre qui m'sccable. II ne me refte donc qu'une reffource qui n'eft pas certaine; fi celle-ia vient a s'évanouif, je dois m'attendre a ce que les événemens m'annoncent & a ce que le raifonnemer.i ordinaire me p.-ouve. La tête me tourne réguliète*  COFCRESPONDANCE. 231 ment trois ou quatte fois par jour, que je me tue a trouver desexpédiens & que je n'en faurois venir ii bout. Les Francois font enforcelés, je crois, & il n'y a rien h faire avec eux; je ne leur préfage rien de bon de leur conduite , qui eft foifcle, pitoyable & indigne du róle qu'une grande monarchie doit jouer. Les flottes angloifes vont entrer Inceflamment en mer; la Martinique, Mom-Réal & peut - être Pondicheri feront les objets de leurs conquêtes, & les Francois apprendront combien de mal leur font des ** qui gouvernent. Je vous en* voie une petite lettre de la Pompadour, que je fis 1'année paffëe, &'quiTa mife au défefpoir. Pour votre prépuce, mon cher, il branie au manche & je ne vous le garantis pas; car certainement jamais mon exiftence, ni celle de 1'Etat n'ont été en fi grand hafard que dans les conjonaures préfentes, & vous connoiffez trop ma facon de penfer pour vous flatter que je voudrois furvivre Jt ma naüon & fouffrir tous les opprobres & toutes les ir> dignités auxquellés je ferois expofé de la part de mes ennemis. J'ai vu la lifte des tahlesux, dont je mé fuis amufé un moment; pour que la colleaion für parfaite, il y faudroit un beau Corrège, un beau Jnles Romain, un Jordanus itafien; mais oü m'égarcnt mes penfées! Je ne fais quel malheur m'attend peut-être dans peu* & je diflerte de tableaus, & de galeries. En vérité, Marquis, le temps qui coutf, dégoüte des plus jolis hochets,& les chofes font fi nafardées, qu'il n'y a presqüe pas moyen  232 CORRESPOND ANCE. d'y penfér, a moins qu'un événement favorable ne répaude un doux rayon qui éclaire les ténèbres dans lesqudies nous cheminons. Ne craignez rien pour votre fervice; il s'y trouve une devife prife d'Ariftote; le dottu eft le premier pas vers la fagejfe. Je me flatte que vous ne la défapprouverez pas; je crois que 1'ouvrage pourra être achevé dans quinze jours, & on vous 1'enverra tout de fuite. Adieu, mon cher Marquis: faites dire quand il en fera temps des meffes pour mon ame; réellement je ciois être les yeux ouverts en purgatoire. Je vous embriflé. Vo the lettre , mon cher Marquis, m'a trouvé avec la fièvre; c'eft une récidive d'une fièvre épidémique qui-court ici Ia ville, & dont Catt pourra -vous faire Ia defcription. Vos deux nouveiles de Paris ont bien le caradère de la frivolité, Déeffe de ce pays. Cependant je ne crois pas que Ma» dame Rairaon accouchant è Verfailles auroit fait chaffer Ia Pompadour, paree que le Roi de France eft un homme d'habitude , & qu'il a placé fa confiance dans cette femme-la, qui depuis fept ou huit ans gouverne fon royaume a fa fatisfaflion: & quand même cette malheureufe feroit chaffée, ne penfez pas que j'y gagnaiTe grand'chofe. II s'eft formé dans ce pays-la une faétion faxonne qui me feroit également contraire. Quelle petitelTe de la  CORRESPOND ANCE. *33 cour de faire le procés * des poHffoM qui ont aP- ■ plaudiace vers de Tancrède! En vérité tout eeh eflbien mifcrable, de méme que ce cpnoattj confeil & du parlement,pour & coutre les icfmtes. Mais, mon cher Marquis, ma tête eft fi fo^le, que Ie ne puis vous en dire davantage , finon que VEmpeteur de Ruffie eft un homme diviu , auquel je dois- ériger des autels. Adieu , moB cher Marquis. Je n'en puis plus. Tb vois par votre lettre du 16, mon cher Marquis, que vous avez 4 préfent exaftement faifi la fituation oü font nos affaires. Vous coraprenez touc a merveille, & vous voyez que votre miniftre de Danemarck n'eft qu'un fot. Nous avons aftuellemeut ici un Ruffe, le même qui comme courier a paffe par Berlin; je fuis trés-content de lui, u a moins que tous les principes du raifonnément humain ne foient des abfurdités, il faut que nous faffions la paix avec les RulTes & les Suédois, encore avant 1'ouverture de la campagne. Quant & ce qui eft relatif a d'autres efpérances, je n'en pourrai avoir des nouveiles certaines que vers le commencemet'du mois prochain; cela nous feroit bien dü , car depuis (ix ans dans quelle amertume & dans quelle douleur n'avons-notis p:fle la vie? 11 faut de 1'onguent pour la brülure ; croyezmoi, cc'a eft néceüaire & bon. Je fujs bien aife d; vous  »34 CORRESPONDANCE. avoir guéri ; ce fera ce que j'aurai faic de rriieua' dans ma vie politique: je fouhaite que cette lettreCi vous ferve de nouveau confortarif & qu'elle achève de vous tranquillifer. Je vous envoie pour vous divertir une fable que je me fuis avifé de faire ; elle fera bientót fuivie d'une autre. Je n'ai pas Pefpric alTez tranquille pour faire des ouvrages férieux ; je m'amufe aux fables. Ah! mon cher Marquis, quand ferai • je hors de cette maudite ga'ère? Je vous avoue que pilore politique & général héros de romans font les plus fichus'métiers qu'on puiffe faire en ce bas monde. Epicure avoit raifon', fon fage ne de vois' jamais ie'méler des affaires publiques. Peut-.étre' fcrionr-nöus mieux ft nous choiüffions notre place dars- le monde; maisle deflin fait tout, il nous jete dans un emploi & puis il faut s'y tenir.. Ecrivez. ïrioi fi 1'ön eft bien aife Berltn, & foyez perfuadé que je- vous aime toujours. Adieu. On m'a envoyé mes fottifes imprimées telles qu'on les a débitées en France; j'y ai trouvé beaucoup de traits qui ne conviennent pas a la politique; je les ai tous changés le mieux que j'ai pu, & lés envoie avec un volume corrigé a Néaulmé, pour qu'il les imprime. • Je vous prie de dire au petit Béaufobre qu'il ait foin que 1'édirion foit correcte, fans quoi ce fera fans fiti a recommencer. Comptez nue  CORRESPOND ANCE. *3S c'eft par malice que 1'on « fait imprimer eet ouvrage, pour aigrir contre moi peut-être le Rot d Aneleterre & la Ruffie; c'eft pourquoi il eft très-necelBire que cette édition paroilfe & faflè tomber les autres; Je fuis malheureux & vieux; voila, mon cher Marquis , pourquoi 1'on me perfécute, & Dieu fait quel avenir m'aitend pour cette année. Je crains de relfembler a la malheureufe CalTandre pat mes prophétiesj mais comment augurer bien de 1*fituation défefpérée ou nous fommes & qui ne flut ou'empirer? Je fuis fi fort de mauvaife humeur aujourd'hui, que je ne faurois vous en dire davantage,Adieu, cher Marquis. Je vous embraffe. P. S. J'efpère de faire partir demain le livre eft' ' qüeftion, & il faut que Néaulme fe preffe.' Vos appréhenfions , mon cher Marquis , font mal fondées; nous n'avons rien a craindre de la Ruftte; toutes les troupes s'en vont en Mofcovie. Quant a cette révoiution, je 1'ai appréhendée; ja» même averti 1'Empereur de prendre fes metures5 mais fa fécurité a été trop grande; il fe ttchoit quand on lui parloit de précautions, & j'ai encore la lettre qu'il m'a écrite en réponfe aux avis que je W avois donnés. Son malheur vient de ce qnü a voulu prendre certains biens au clergé; les pre>ïes out tramé la révoiution, qui s'eft exécutée tout  i2ert s«*16»r«i>a vü .lil lil Mmr> Qette année, mon cher Marquis, a etc5 teN rible pour moi. terne & j'cmreprends l'impofïï-' ble pour fauver l'Etat;mais en vérité j'ai befom plus que jamais' du fecours des caufcs feeorides .pon» réuGir. L'affaire du 5 Nov. a été trés • heureufe; nous avons 8 généraux francois, 260 officiers, paffe 6,000 hommes de prifohniers.. Nous avons perdu tin colonel, 2 autres öfficiers & 67 foldats i il y a 223 bleffés. C'eft a quoi-je ne devois pas afpirer; il faut voir ce qui arriver è-l'avenir. J'ai été oblisé de faire arrêter 1'abbé; il a fait 1'efpion & j'en ai beaucoup de preuves évidemes: cela eft bien infame & bien ingrat. J'ai fait prodigieufement de vers. Si je vis, je vous les montrerai au quariier d'hiver; fi je péris, je vous les lègue & fai ordonné de vous les remettre. A prélent nos bons Berlinois.n'auront plus tien a craindre de la vifue ni des Autrichiens ni des Suédois, & en ga. gnant une bataille je n'y pronte que de pouvoir m'op. pofer avec fureté a d'autres ennemis. Ces temps affreux & cette guerre feront fürement époque dans 1'hifloire. Vos Francois ont comtnis des cruautés dignes des pandours;ce font d'indignes pillards. Et) vérité 1'acharnement qu'ils me marquent eft bien houtens; leurs procédés ne tendent qu'a fe faire uft  a38 CORRESPOND A NCE. ennemi irréconciliable d'un ami qui leur a été attaché feize ans. Adieu, mon cher Marquis, je vous crois au lit; n'y pourriflez pas, & fouvenez- vous que vous m'avez promis de me joindre au quartier d'hiver. Vous avez encore du temps pour vous repofer, & jusqu'è préfent je ne fais oü je pourrai vous donner rendez. vous. J'ai le fort de Mithrtdate, il ne me manque que deux fils & une Me» Dime. Adieu, mon aimable pareiTeux. '757' o u s voyagez, mon cher Marquis, avec poids & mefure; au lieu que je cours le pays & me tranfporte ck & la comme notre Dame la folie. Je crois bien que vous avez été è ma maifon de Sans» Souci & que vous en êtes revenu; mais je parie bien que toute la journée a été employée a ce laborieux exercice. je ne vous parle point de mes courfes; elles ont une doublé fin, le militaire & Ia finance, deux chofes qui ne vous in» téreffent guère. J'ai recueilli chemin faifant des anecdotes.du voyage qu'a fait 1'limpereur fur nos frontières, & je m'appereois, mon cher, que les tableaux gagnentplus a être vus de loin qu'esaminés de prés. Nous autres princes, nous ne devons nous montrer que dans notre gloire , comme le Dieu de la meffe: on élève un ciboire doré, tout le peuple adore, la meffe fe dit,des icftrumens bar-  CORRESPOND ANCE. t& rnonieux faccompagnent, 1'exemple de Ia multitu" de infpire une efpêce de refpeft fombre & ténébreux; un quidam vient, examine toute cette cérémonie, prend le calice & y trouve une pate faite de pain azyme & rit de ia fuperftition du vulgaire. Voila, mon cher, unefable morale dont vous pouvez faire votre profit. J'ai fait aujourd'hui quatre milles en voiture & quatre 4 cheval; cela m'a un peu fatigué & je finirai par 1'apophthegme du Roi Pagobert qui aimoit beaucoup fes chiens ; quand ii falloit les quitter, il ne manquoit jamais de leur dire: U ny a fi bpnne compagnie qui ne fe fèpare. Adieu , mon cher Marquis , je prie Dieu qu'il vous ait en fa fainte garde. 5 ouvenez-vous , mon cher Marquis , que fhomme eft plus fenfible que raifonnable. J'ai lu 6 relu le troifième chant de Lucrèce; mais je n'y ai trouvé que la nécefïïte du mal & 1'inutilité du reméde. La reffource de ma douleur eft dans le uavaü journalier que je fuis obligé de faire & dans les continuelles diffipations que me fourniifent le nombre de mes ennemis. Si j'avois été tué a Ko« lin, je ferois a préfent dans un port oü je ne craindrois plus les orages. .11 faut que je navigue encore fur cette mer orageufe, jusqu'a ce qu'un petit coin de terre me procure ie bien que je n'ai pu trouver daas ce monde - ci. Adieu, mon cher. Je vous  a4o CORRESPOND ANC E. fouhaice Ia fanté & toutes les efpèces de bonheur qui me manquenr. Js vous vois avec piaifir a Ia campagne ,'rnon WW Marquis; fi 'vous y prenez quelque cxercice, cela contribuera a votre fanté & vous y ferez plus tranquilte qu'.i Berün. Je vous renis graces de ce que vous n'oubliez pas la verfion de Plutatque dont je vous avois prié de vous eharger ; c'eft nn fervice important que vous rendez a la répubiique des lettres & a tous les amateurs de 1'antiquité. Veuille le ciel que Ia paix précède h fin de votre traduftion! Je crains bien qu'il n'en foit autrement. Je fuis auffi incrédule fur les fentimens pacifiques de certaines puiflances que vous 1'étes fur Ia faince ampoule. Je prévois qu'il y aura encore des flots de fang répandus, & que Ia Fortune a laquelle toutes les puiffances reméttent leur fort, en décidera fouveraineraent. Chantezrlui quelque antienne , mon cher Marquis, dites lui un.bout de votre bréviaire , & tachez , s'il fe peut, de nous Ja rendre favorsble; je lui promets une image d'or, a -1'imitation de la petite ftatue que les empereurs romsins confervoient ptécieufetuent dans la chapèWe de leurs lares. Adieu, mon cher Marquis, ne m'oublic-z pas &. foy.z perfuaié de 1'eflirae que j'ai pour vous. Vors  CORRESPOND ANCE. 24! V o u s me croyez , mon cher Marquis, 1'efprit beaucoup plus libre que je ne 1'ai. Je fuis ici nc cablé d'affaires, & la fin de ma campagne n'eft pas une chofe auffi facile a amener que vous I'imaginez. Ce feront mes fuccès ou mes pertes qui décideront des contributions de Eerlin, Si je fuis heureux , Berlin ne payera pas le fols; fi la fortune m'eft contraire comme par le paffé , nous aviferons au parti qu'il faudra prendre pour foulager le peupie. Voila tout ce que je puis vous dire. Quelques couleurs que vous donniez aux attentats de nos ennemis & aux calamités de la patrie, ne penfez pas que je ne voie clair h travers les nuages dont vous croyez couvrir des infórtunes qui font réelles & accablantes. La fin de mes jours eft empoifonnée & mon couchant auffi funefte que 1'a été mon aurore. Ni les fuccès des Anglois, ni les avanta. ges du Prince Ferdinand ne peuvent contrebalancer les affreufes fituations oü j'ai été cette anuée; ce feroit a recommencer 1'année qui vient. Quoi que je puiffe faire, je pré vois, vu le nombre de mes ennemis, que fi je réfifte d'un cóté, je fuccomberai de 1'autre; je n'ai ni fecours, ni diverfion, ni paix, ni tien au monde a efpérer. Vous m'avouerez donc qu'un homme fage, après avoir lutté un certain temps contre le malheur, ne doit point s'opiniatrer conrre fon étoile, & qu'il eft pour des hommes courageux des moyens de fortir de peine plus Ocuy. pofth.deFr. II. X. X. L  242 CORRESP O ND ANCE. - courts & plus glorieus. Je renvoie Ie pauvre Göuskowsky k peu prés comme il eft venu; je ne puis rien decider qu'entre' ci & quir.ze. jours. U faut auparavant finir la campagne de freon ou d'autre: c'efl le terme que je me fuis prefcrit & dont dépemua, comme vous voyez, une partie du defiin que favenir nous caché. Adieu, mon cher Mar-, quis, ne m'cubliez pas & foyez tranquille fpectateur de ce qu'il plaira a la fataüté, & a la brutale rage de nos ennemis, d'ordonner do nous. V anité des vanités,'vanité de la politique ? ces paroles du fage que moi indigue je vous rap. porte, mon cher Marquis, conviennent trés-bien aux beaux raifonnemens de politique que nous avons fairs eet hiver a Leipfic. Tant il eli vrai que ce qui paroit le plus vraifemblable ell fouvent Ie moins uai. Les Autrichiens ont changé deux fois leur piojet de campagne depuis que je fuis ici. Je vous allure que je ne fuis pas. les bias croifés & que je me roidis contre toutes les atteintes que mes eui.emis veulent me poner. Ne comptez plus cette ar.r.ée fur Ia paix j malgré les raifonnemens les plus concluans, raalgté tant de différentes probabilités, il n'tn fera rien. Si la Fortune ne m'abandonne pas, je me lircrai d'affaire comme je pourtai; mais faudra-t-il encore 1'année prochaine danfer fur la coide & faire le faut périlkux, s'il plait a leurs  CORRESPOND ANCE. 243 majefiés apoflolique , trés - chrétienne & très-mbfcovice de dire, faute Marquis? ■ Vous rdfonnez trés - bien fur le fujet des cirsonces. Ah, que les hommes ont le ccsur dur! On dit, vous avez des amis: oui, de beaux amis qui les bras croifés vous difent: en-vérité je vous fouhaite beaucoup de bonheur. . . . Mais je me noi?, tendez-moi donc une corde; . . . Non, vous 113 vous noyerez pas; ... Si fait, je vais être fubmergé a Pinflant,... Oh! nous efpérons le contraire; nrais fi cela anivoit, foyez perfuadé que nous vous ferons une belle épitaphe. Tenez , Marquis, voila comme le monde eft fait & les beaux com« primers dont on m'accueille de tous les có'tés. 11 faut que Pheureux génie de notre Empire, & plus que lui la fortune, foient nos alliés; ajoutez. y nos bras, nos"jambes, Ia vigilance, Pactivité, la valeur & la perfévérance; avec tout cela nous pourrons encore établir un équilibre dans cette balance dctangée dont M. Pitt n'a pu trouver le centra de g"avité. Tout cela me fait donner au dir.ble quitte fois par jour ; enfuite j'en reviens a mon Gaifendi , enfuite au troifième livre de Lucrèce; ce qui fait dans mon ame un combat fingulier d'ambition & de philofophie. Je fuis fi occupé du préfent, & de cent rcüle difpofitions & faire , qu'a peine je penfe a SSftS» Souci; je ne fais fi je Ie reverrai de ma vie; mais vous, mon cher Marquis, vous, dis-je, & la philofophie, vous faites ma confolation 9 mon afiie L a  4+4 CORRESPO ND ANC E. & ma gloire. Pour vous donner cependant des nou» velles qui puiffent vous intéreffer, je vous ditai que de ce cóié.ci tout refiera tranquille jusqu'au 15 du mois de Juillet, & que fi la fortune me rit peut* etre entre»ci & ce temps, il fe frappera un coup auquel cos ennemis s'attendent le moins". Vous apprendrez bientót ce que c'eft ; tout a été ttès-bien calculé , refle a favoir fi 1'exécution y répondra. Adieu, mon cher Marquis. Je vous embraffe, P. S. Pardon, mon cher Marquis & de Ia mauvaife écriture & de la négligence du flyle ; mais quand un homme a le diable au corps, il n'écrit ni dans le goüt élégiaque ni dans le goüt attique. Js fuis charmé, mon cher Marquis, de vous favoir arrivé a. bon port a Berlin. C'eft un grand voyage pour vous & voila votre campagne ache« vée. En vérité je fuis auffi impatient que vous o'apprendie la reddition de Caffél, & je commence a craindre que malgré tous les avantages du Prince Ferdinand, il ne faffe un pas de clerc qui le recule a'autant qu'il eft avancé. Les Fiancois font muets comme des carpes, ils ne difent rien aux Anglois. Enfin nous touchons a 1'ouverture de la campagne, & probablement elle fe fera avec les mémes défagrémens & dangers que la précédente. Je vous  CORRESPOND ANCE, 2+5 avoue que cela ine rend rêveur & mélancolique quand j'y penfe. Je me dis fouvent qu'on ne peut réfifter au torrent des événemens qui nous entralne, & a cette fatalité qui pöufle les hommes comme les vents agitent les Tables & les flots. Cette confolation n'eft guère confolante, mais tout eft dit. Je vous rends giaces de la defcription que vous me faites de Sans • Souci. Dieu fait fi jamais j'y remettrai le pied. Cependant ce que vous m'avea dit m'a fait grand piaifir. Je penfe a ce lieu comme les Juifs a Jérufalem, ou comme Moyfe k h terre fainte, oü il voulut eonduire le peuple d'Ifraël & oü il lui fut interdit d'entrer lui • même. Que vous dirai-je, mon cher Marquis, duRoi ie Portugal? N*** a fait du mal partout & e;j fera, tant que les fouverains ne feront pas comme Céfar fouverains pontifes chez eux. Ces gens abufent trop impunément du nom de Ia religion, qu! devroit être le plus grand frein du crime j ils s'arment du couteau facré qu'ils prennent fur 1'autel pour égorger les rois, & de la piété des foibles pour fonder ou étendre les vceux de leur cupidité & de leur ambition. La conduite du papa dans cette affaire eft inconcevable; il faut qu'il foit un jmbécille & fon Cardinal fecrétaire un fcélerat a rouer vif; mais que nous font ces gens a préfent ? Je fuis plus en peine de CalTel on de mes détachemens que de tous les jéfuites de 1'univers. J'ai fans ceffe devant les yeux la difficile tache que j'ai ir remplir. Je n'ai qu'un grand fonds de bonne vo; t 3  54<5 CORRESPOND ANCE. lonré & tin attachement inviolable a 1'Etat; voila toutes mes ctmes. Enfin je me précipite les yeux fermés dans une mer agitée de divers vents & fans l'avoir cü j'aborderai. C'eft la le vrai fond de ce qui me regarde & de ce que j'augure pour 1'avenir. Je tache d'affeéter de la tranquillité; cependant jugez vous même fi la philofophie peut donner cette impaflibilité parfaite a un homme né avec des paflïons vives ? Adieu, mon cher Marquis, écrivez • moi fou* vent, Faites mes complimens a la bonne Bibet, & foyez peifuadé de 1'eflime que je vous conferverai toute ma vie. Gr, ces, Marquis, de votre miffive. Je n'ai aujourd'hui ïien de finiflre a vous rpprendre; j'ai au contraire des fujets de confolation & des vues d'efpirances a vous communiquer. Broglio vient ce repafitr le Mein, il n'a lailfé que 2,000 hommes a Caffel; de forte que eet acte de modération annonce de nouveau les difpofitions pacifiques de la France. Les Autrichiens continuent il avoir des appréhenfions fondées pour leurs poffeffions d'Iialie; •la révolte en Uongrie continue, la cour commence è prei>dre des fentimens pacifiques, & il y a toute «pparence que cette cruelle & funefle guerre tend a fa fiu; cela relève un peu mes efpérances & me dosine au moins une gaieté paflagère; c'eft amant;  CORRESPOND ANCE. 247 éè gagné fat 1'ennemi. Je rn'occupe ici a charger ma métnoire, pour décharger monanej & alléger le fardeau littéraire dont il a 1'honneur d'être le dépofitaire. Je fuis fur le point d'achever le de Thou; ce livre eft trés • bien écrit, & j'en fuis trés» content. Le cticique de Voltaire a, ce me fernble, aflez bi:n rencontré; il eft cependant trop févöre. Quoi qu'on dife, fi 1'hiftoire de Voltaire n'eft pas inftrucTtva, elle eft au moins jolie; c'eft une gentilktfe, une rriiaiaturi faite par un Corrêge, & certes, perfonne de nous ne voudroit que eet ouvrage füt fupprimé. Je compte dans peu de vous donner encore quelques bonnes nouveiles de notre expéditioa du Vogdand , dont j'attends a tout moment les rapports. Adieu, mon cher Marquis. Dormez eti repos, rien ne troublera votre fécurité de quelques femaines, & alors comme alors. Je vous embraffe. Adieu. J'aimeuois mieux vous parler de paix, mon cher 'Marquis, que de nos ptéparatifs de campagne; cependant pour ne vous point abufer, je vous apprécie ies chofes a leur jufte valeur. Trop d'imlices & trop d'anecdotes me perfuadent que Ia Reine de Hongrie ne veut point la paix. On vient de rorapre de nouveau le cartel j malgré les eSgage* mens folemnels qu'on avoit pris avec nous pour L 4  348 CORRESPOND ANCE. Pexécurer, Un trait auiïï fort que celui-la, t>n manque de foi auffi évident marqué bien que la Reine de Hongrie , réfolue a tenter le halard de cette campagne , juge qu'il eft de fon intérêt de me priver de mes troupes prifonniêres le plus longtemps qu'elle pourra. Ce n'eft pas fur ce trait feul que je porte mon jugement; il en eft bien d'autres qui s'accordent a me découvrir ce myftère d'iniquiré. Laiffez donc au peuple la fiatteufe efpé» rance d'une prompte paix , & fans vous y laifl'er entrainer, ne le détrompez pss. Je m'attends a peu ptès aux mêrnes' événemens qui nous arrivèrent 1'année paffée, fans favoir fi nous aurons le méme bonheur. Un inftant fatal peut renverfer 1'édifice que nous avons foutenu jusqu'ici tant bien que ma! par des travaux immenfes. Il en arrivera ce qu'il plaira au Ciel. J'entre dans cette campagne comme un homme fe précipite dans les flots, la téte la première. Vouloir tout prévoir,. c'eft Ie moyen de devenir hypocondre; ne penfer i rien, c'eft fe' mettre par fa faute dans le cas d'être pris au dépourvu. Je me dis a moi-même que tout le mal que 1'on craint & tout Ie bien que 1'on efpère n'arxivent jamais au pied de la lettre; il faut beaucoup rabaitre de 1'un & de 1'autre. D'ailleurs, avec ie nombre d'ennemis que j'ai, il ne me refte qu'a faire la guerre a 1'ceil, a agir du jour a la journée. En voila aflez pour Ia politique militaire. Je paffe a préfent au fujet de votre lettre, oü vcus me parlez de la tragédie nouvelle de Voltaire. Je  C&R RE SP OND ANCE. 145? Jë M encore lue ; il y a des fituatlons attendrifThntes dont il a tiré parti; mais }e ne me déclareral' certainement pas partifan de fes vers croifés; je né fais quel effet ils produifent a la déclamation; a la lecïure ils me femblent profaïques, & dans q, ■ H ques endroits, du ftyle d'opéra. Cette pièce n'eft pas bonne en général. L'expófition eft émbróui!lée , beaucoup de raifonnemens inutiles, des caractères mal développés & mal annoncés, peu de ver» fentemieux dignes d'être retenus, & dans plus d'uti endroit un manque de vraifemblance qui choque & révolte le leéteur. Je- crois que fi Voltaire vit en» core quelque temps, il mettra toute fon hiftoire univerfelle en madrigaux ou en épigrammes. 11 7 a, il eft vrai, du radotage dans la pièce , mais convenez que c'eft le radotage d'un grand homme; 51 faut être jufte & rendre a fon talent l'hommage qui lui eft dü. J'ai vu une criiïque qu'un quidam fait de fon hiftoire univerfelle. Je crois que 1'auteur eft janfénifte; il appuie beaucoup fur la religion, & fur des oplnions indifférentes que Voltaire a foutenues. Ce morceau feroit paffable d'ailleurs, fi 1'auteur n'y diftilloit pas le fiel & l'amertume, & s'il avoit ménagé quelques expreffions trop dures. En vérité, mon cher Marquis, j'ai home de la-lettre que je vous écris. Moi qui dois penfer a me battre & a faire ma campagne , je- vous fais 1'analyfe des nouveaux ouvrages qui paroiflent. Cela me fait fouvenir d'un mot qu'une dame d'atour d'Anne d'Autriche dit a Louis XIII qui enfiloit des L 5  i$o CO URE S PO ND ANCE. petles: Sire, vous /avez tous-les métiers, hors tg vótre. Paffez - rnoi ce petit trait d'érudition & I'ennui de ma longue lettre en faveur de famitié & de 1'efiime que je vous couferverai toujours. Adieu. L A Difcorde vint auprès dïAmate Êf lui empoifouiia le cceur; elle s'éveilla furieafe contre Enée. Vous voyez bien qu'il ne fuffit pas de fe battre, & qu'il eft plus difficile de réduire de méchantes fr-mmes que des hommes vaillans. Je défire autant la paix que mes ennemis ont d'éloignement pour elle, & fi nous faifons des clTorts, il faut 1'attribuer a la néceffité. Vous pourrez vous amufer encore cette année-cl par les gazettes, non de ce qui fe paffe fur la raontagne de 1'Apallache & de la quereüe des Morlaques, mais de ce qui decidera de Ia liberté ou de 1'efclavage de 1'Europe, qu'un nouveau triumvirat veut fubjuguer. Si j'en avois le choix, j'aimerois jnieux me trouver dans le parterre que de repréfen* ter fur le théatre; mais puisque le fort en eft jeté, il en faut temer 1'aventure. ■ Heureux qui retiré dans le temple du fage &c. Je fuis &c.  CORRESPONDANCK =51 Voila de ces coups que j'avois appréhendcs dès mm paiTé. Voila, Mafqnis, ce qui me dict0ic ces Tèttres que je vous ai fi foftvent écrites fur ma m.lheuréufe fiiuation. Il n'a pft fiflM Wèüns ecrivez pour ia bonne caufe, furtout n'oubliez pas vos vieux amis, maudits de Dieu fans doute, puisqu'ils fout obligés de guerroyer toujours. - Je recois, votre lettre, mon cher Marquis, dsns les tourmens de la goutte, & je me fuis reffouvenu que le philofophe Pofidonius ,lorsque Pompée paffa p&r Athètlës & lui fit dematidêr s'il pouvoit 1'entendre fans que cela 1'irrcommoddt, lui répondit: il ne fera pas dit qu'un auffi grand homme que Pompée veulffe m'entendre & que la goutte m'en em< pêche, & il fit a Pompée un beau discours fur Ie mépris de la douleur! en s'écriant quelqliefois, 6 couleur f qttoi que tu fsffes, tu ne me feras pas avouer que tu fois un mal, J'imite ce philofophe, & je vous réponds a vous, dont le caraétère vaut mieux que ceux de tous lss Pompées pris cnfemble. Vous voulez favoir mon mal, mon cher; perclus du bras gauche, des deux pied.t, & du genou droit, ma main droite, le feul membre dont jusqu'a préfent j'ai 1'nfage libre, me fert a\ vous éerire, & a vous prier encore dé venir a Glogaa. Je me fais porter demain a * * * 'qui eft a un demi - mille d'ici. Vous pouvez comprendre en combinant ces différefts malheurs, infortunes, maladies, pertes d'a-  CÖRRESPOÜD/IN'CE. m mis, incapacité d'agir lonque cela feroit nécêlfaire, que cela ne réjouit pas. Vous n'avez nen acramdre, les Rufles vont ft Pofen, & de la a Thorn, lecbemin eft für par Berlin, Francfort, Croflen, iusqu'ici; ainfi vous pourrez voyager comme en pleinepaix. Adieu, mon cher, ma grande f<* bleffe m'empêcbe de continuer. Te vous avoue, mon cher Merquls, que je fuis uès-faché de patoitre devant le public en quali.é de poëtei tous ces gens font en mauvaife réputation ; le jugement le moins défavorable qu on erf porte, c'eft qu'ils font fous. Pour le diftlonnaae des athées, il eft du dernier ridicule. J'ai ete un peu fftché de voir qu'on nous a donné ce faqum de la Beaumelle pour collègue; ce miférable n'a jama.s «enfé, &il fe trouve du nombre-de ceux qui font Lte * la Philofophie par foibleffe, comme ces transfers qui fe fauvent des armées par lacheté. Une des rufes dont les théologiens fe fervent avec le plus de fuccès eft celle de confondre les hbertins & les philofophes. Ces premiers, qw te livrent plutót aux MM impétueufes de leur terapérament qu'i leur raifon , fe jetent Convent d un excès dans 1'autre, de 1'incrédulité dans la foperftftiorii C'eft-li que les théologiens triompnent, & les conféquences qu'ils tirent de la conduite de ces hommes qui n'en ont aucune, leur fourmffeM  1*5- CO RR ESP ON D ANC E. leurs meilleures arrnes. Mais aprês tout j'ai d'sutresgcns a combnttre que des théologiens, & il me faut recourir it la plus fine indufirie & aux plus excellens ftratagèmes pour réfifter aux démons politiques qui me perfécutent impitoyafalement. Ces idéés abforbent toutes les autres dans mon efprit, comme un violent mal rend infenfible a un moindre. Enfin , mon cher Marquis, je ne fuis bon è rien qu'a güerroyer, puisque tel eft mon facheux deftin. Ecrivez-moi toujours & foyez perfuadé de mon amitié. Adieu. Il eft vrai, mon cher Marquis, que tous les événemens favorables ou facheux fe fuccèdem alternativement. Nous en avons eu tant de malheureux, de cruels & d'affreux, qu'il falloit bien que quelque autre chofe vlnt y apporter quelque adouciiTement. Cependant refte a voir jusqu'oü nous pourrous porter nos efpérances. J'ai été fi malheureux dans toute cette guerre & par la plume & par 1'épée* que cela m'a donné une grande méfiance dans toutes les oecafions', de forte que je n'en crois plus que mes oreilles & mes yeux uniquement. Je pourrois compofer un grand chapitre des facons différentes dont les politiques s'égarent dans leurs conjeétures, uü les exemples ne me manqueroient pas, & cela pour s'étre laifïé emporter par leur imagination & avoir précipité leur jugement. Voila ce qui  CORRESPOND ANCE. sf? ne tend retenu & circonfpeét, O que 1'expérience eft une belle chofe! Moi qui étois étourdi dans ma jeuneiTe comme un jeune cheval qui bondtt fans ftein dans une prairie, me voila devenu leut comme le vieux NeUor; mais auffi fuis-je gnfon, rouge de chagrin, accablé d'infirmités & bon en un mot a être jeté aux chiens. Votre nouvelle de port-Mahou eft fauffe, mon cher, de même que celle des 2,000 prifonniers du Général Seidlitz. Je ne m'étonne point de ces bruits de ville; nous en avons ici égalemeflt. Quan* on remonte a leur foarce, on les perd comme les origines des grandes maifons. C'eft it préfent le moment pour les forgeurs de contes & les fabrtca. teurs de nouveiles ^pourvu qu'il n'y entre ni géant, ni féerie , tout le refle peut ê.re croyable, & bienpeu de particuliers fauront débrouiller 1* vérité traveftie en paffant par tant de bouches, Vous m'avez toujouts exhortéa me bien porter; le moyen,mon cher, quand 0.1 eft houfpillé comme je le fins! Des oifeaux qu'on abandonne aux caprices des enfans, des toüpies fouettées par des marmots ,ne font pas plus agités & plus maltraités que je ne 1'ai été jusqu'ici par trois ennemies acharnées. Adieu , mon cher; dès que j'aurai quelque nouvelle adouciiTante, confolante & reftaurante, je ne manquerai pas de vous la communiquer en gros; mais fi le contraire anive,je vous le dirai de même. P-uitTé-je vous donner bientót de bonnes nouveiles-. Adieu encore. Ne m'oubliez pas.  Ö58 CORRESPOND ANCE. lx- me femble, mon cher Marquis, que votre prophéte ftife le bel efprit; il faut que ce foit tm giand génie, qui s'ouvre une carrière nouvelle: Car, Marquis, jamais Ifai'e Ou Ilubacuc, ou Jérémie, Chez les Juifs vaiuctis & contrits IVeurent, je penfe, la manie De palier pour des beaux efprits. Le malheur rend craintif & la pettr fifperff?. fieux. Je ne m'étonne pas que des gens qui an-' öoncent 1'avenir avec effronterie & alTurance, tróu** vent des efprits crédules quiajoutent foi a leurs pré* diftions: Un foi trouve toujours un plus fut qui Tadmire. Je fouhaiterois que nous puflions rire plus n notre aife de ces balivefnes; mais fenvie de rire m'eft paffée: je fuis frappé de trop de malheurs, & environné de trop d'embarras; avec cela il me refle trop peu d'efpérance pour que je puifle m'égnyer. Je vous envoie une ode que j'ai faite pour mon neveu; ce qu'il y a d'extraordinaire, c'eft que cette ode n'eft point remplie de menfonges & qu'elle n'eft que trop modefte pour la perfonne qui en eft Ie héros, j'ai eu une fluxion a la joue qui m'a fait foufftir le manyre. J'ai été attaqué par tous les fléaux du ciel, & malgré cela je vis, & je vois cette In» mière que je défire cent fois qui foit éteinte pour  CORRESPOND ANCE. 2;y fliöi. Enfin il faut que tout homme fubiife fon deftin. Je fouhaite que le vótre foit heureux & que vous n'oubfyiea pas un ami qui eft dans un vrai pur- gatoire , mais qui vous aime & qui vous aimera toujours. Adieu. Le vers de 1'épitre au Maréchal Keith peut être' corrigé ainfi; alors il n'y a qu'un mot de changés „ Allé»» lachcs humains,que!es feux éternels" &c* Voici la ftropheque vous réprouvez, telle que je 1'ai eorrigée: Ah! Si ce fang couloit comme au temps de vos pères Pour abaifler 1'orgueil de ces rois fanguinaires, De ces ufurpateurs dont le fer s'eft foumis De vos vaftes Etats les plus riches provinces, Rivaux toujours jaloux, éternels ennemis De votre liberté, de vos droits, de vos princes $ Mais vos cruels armemens Souillent vos bias parricides, Guidés par les Euménides, Du meurtre de vos pareus. Voila , mon cher Marquis, tout ce que j'ai pu faire pour votre fervice. A préfent le démon de la guerre chaffe celui de la poéfie, & le nombre ds mefures & d'arrangemens k prendre abfojbe presqus  26b CORRESPOND ANCE. tout mon temps. Je vous rends graces des foirrs que vous prenez pour cette édhion qui fait tant crier; j'efpère que la nouvelle adoucira tant foit peu les efprits; (mon je rn'en confole, & je ne m'en pendrai pas de défefpoir. Adieu, mon- cher; Jè vous embraffe. N on,-Marquis, votre édhion Ne vaut pas mieux que ma campfgney Toiites deux fans préventiön Font petr d'honneur a 1'Allemagne;' Commetifons derechef4 tous deux A mieux corriger notre ouvrage, Et penfons que c'eft un hommage' Que nous rendons a nos neveux. Je vöus' ai rëpondu;' j'ai mieux fait, je vous ai remvcyé 1'imptimé corrige' & revu fur 1'originai, J'efpère plus que jamais que les Auttichiens vont reprendre le chemin de la Bohème & qu'enfin dans peu de jours nous póurrons fïn'r Ia plus malheureufe' & la plus ruMe campagne que j'aye faite de ma vie. Mon neveu avance avec un gros fecours & 1'en. rïemi fait des prcparatifs qui dénotent fa retraite prochaine. Je ne vous dis point Ie martyre que j'ai puffen pendant un gros mois, ni toutes les .irrcommodiiés dont cette affreufe fituation a été aceómpagnée. Je fuis fi las de me pJsindre de laFor-  CORRESPOND ANCE. «5* tune qae je lui fais grace par ennui. Tachez, tnon cher, de roe faire avoir le didtionnaire encyclopédique, que je voudrois acheter pour eet hiver- Ja ne vous dis rien fur ce que je deviendrai eet hiver, paree que foi d'honneur je n'en fais rien. Adieu, cher Marquis, je vous fouhaite fanté, paix & cop* «mentent. V ous trouverez bien ridicule, mon cher Mar» quis, que depuis fi loog-temps je vous promette des nouveiles & que je ne vous en donne jamais: ce n'eft aflïirément pas ma faute, mais plutót celle des événemens qui fe font atténdre, & des diftances que les couriers ont a parcourir pour arriver. Je ne puis donc vous rien dire, foit politique, foit guerre, finon que le Maréchal Daun a fait camper la nombreufe armée & que je fuis encore en carttonnemens, mais Ie pied a Fétrier. On m'a écrit quelques bonnes nouveiles de Saxe; cèla m'eft trés. fcgréable, & j'en ferois plus ravi, fi les coups avoient été plus déciGfs, il nous faut de grandes 1'ortunes pour nous donner des avantages fur nos eMemis: je les demande au Ciel; mais comme je n'ai point 4e St. Siméon le flylite , ni de St. Antoine, ni de St. Jean Chryfoftome, pas même de St. Fiacre, je doute que le Ciel exauce la prière d'un pauvre profane ués-peu croyant & eucere  £02 CORRESPOND ANCE. moins illuminé. Dés que j'aurai quelque chofe de bon a vous mander, vous le faurez tout-auffirót. Enattendant, mon cher Marquis, je m'amufe avec les Papes Nicolas &i\drien, avec i'Emperetir Louis & le Roi Lothaire, avec Mesdames Teutberge & Valrade. Je fuis fur Ie point de voir naitre le grand fchistne'd'occident & je me fens porté a croire que tout 1'nnivers a été imbéciïïe depuis Conftantin jusqu'a Luther, fe difputant dans un jargon inintelligiblthur des vifions abfurdes, & 1'épiscopat établifTant fa puiflance temporelle a 1'aide de la crédulité & de la fottïfe des princes & des uatious; la fuite de 1'hiftoire de la religion conGdérée en ce Cens préfente un grand tableau aux yeux d'un philofophe & devient une leéiure inflruaive pour quiconque penfe & réfléchit fur 1'efprit humain, Cet abbé de Fleury a rendu en vérité un grand fervice au bon fens en compofant cette hiftoire. Vous allez faire un terrible livre, a. ce qu'il me parolt, mon cher Marquis; fi vous voulez ramaffi r toutes les comradiétions & toutes les abfurdités des théolologiens, vous vous engagez dans un énorme ou, vrage. Je vous crois Grec comme Déinoflbêne fur votre parole. Vous étiez déja 'un grand Grec pour moi qui ne fais que Ie Pater emon; auffi y parut il bien a ce fouper oü fe tronva le Duc de Niver. uois, oü vous fomlntes la moitié de .la converfa.cion en grec, & oü je voulois un tMionnaire pou?  CORRESPOND ANCE. -S% pouvoir en quelque facon enrendre quelques rabts des favans propos que vous tintes vous deux. Pour moi je.n'ai. point. profité a cette rnnlheureufe guerre comme vous; j'y fuis devenu philofophe pratiqucj j'ai d'ailleurs oublié Ie peu que j'ai fu, & je n'ai apptis qu'a fouffrir patiemment les mrux que je ne pouvois éviter. Adieu, mon dïvïa i Marquis. Voüs pouviez garder les ouvrages nouveaux de d'Alembert, qui en vérité font du poids de notre momioio courante. Je vous prie de bien, conferver votre fanté & de vous reffouvenir de vos amis, qu'un efprit malin lutine par le monde felon fon caprice. Vak. J'ai, mon cher Marquis, une petite commifïïon a vous donner. Vous favez que Gottskowsky a encore de beaux tableau? qu'il me defline. Je vous prie d'en éxaminer le prix & de favoir de lui s'il aura le Corrège qu'il m'a promis. C'eft une curiofité qui me vient. Je ne fais encore ni ce que je deviendrai ni quel fera le fort de cette campagne, qui me paroit bien hafardée, & trop infenfé que je fuis je m?enquiers de: tableaux. Mais voila comme font faiis les hommes ; ils ont des feniefrres de raifon.&des femeftres d'égarement. Vous qui êtes 1'indulgence même , vous devez compatir k mes foiblelfes. Ce qua vous m'écrirez m'amufera au moins , & remplira pour quelques momens mon  264 CORRESPOND ANCE. efprit de Sans - Souci & de ma galerie. Je vous avoue qu'au fond ces peufées font plus agréables qae celles de carnage, de meurtres, de tous les malheurs qu'il faut prévoir & qui feroient trembler Hercule même. Le quart d'heure de Rabelais va fonner; alors il ne fera plus queftion que de nous entr'égorger & de courir la pretantaine d'un bout de 1'Allemagne a 1'autre, pour y chercher peut- être de nouveiles infortunes. J'ai fait une petite brochure qui paroit a Berlin; c'eft une relation de voyage d'un émiffaire chinois a fon empereur. Le but de 1'ouvrage eft de donner un coup de patte au Pape qui bénit les épées de mes ennemis & qui fournit des afiles a des moines parricides. Je cröis que la pièce vous amufera. Je fuis le feul qui ait ofé élever fa voix & faire entendre le cri de Ia raifon ontragée contre la conduite fcandaleufe de ce pontife de Baal. L'ouvrage n'eft ni long ni ennuyeux, mais il vous fera rire. Dans ce fiêcle-ci le feul moyen de faire de la peine a fes ennemis eft de ies accabler de ridicules; vous jugerez ft j'y ai réufü. Adieu, mon cher Marquis. Vos lettres font pour moi une con. folation pareille è celle que donnoit a Elie 1'apparition des corbeaux qui venoient ie nourrir dans Ie défert, ou ce qu'une fource d'eau eft pour un cerf ,qui brame de détreffe, ou ce que l'afpect d'Anchyfe füt pour Enée lorsqu'il l'appetfut aux enfers. Ne me privez donc pas de ma feule joie durant mes  CORRESPONDA'NCÊ. 265 mes longs déplaifirs, & foyez für de 1'amitié que je conferverai toute ma vie pour vous. Adieu. Je vous écrivis hier de venir, mais je vous le défends aujourd'hui. Daun eft'a Cotbus, il marche fur Luben & Berlin. Fuyez ces malheureufes contrées. Cette nouvelle m'oblige d'attaquer les RuiTes de nouveau entre-ci & Francfort. Vous pouvez croire que c'eft une réfolution défefpéïée. C'eft l'unique retTourcc