O E U V R E S POSTHUMES D E FREDERIC II, R O I DE PR U S S E. TOME XII. SUIVANT LA COPIE IMPR1MEE A BERLIN CHEZ V0SS ET DECKER. I789.   CORRESPOND ANCE. SUITE DES LETTRES A MONSIEUR UALEMBERT. jNJon; mon cher Anaxagoras, vous n'êtes pas entré dans le fens de ma lettre. A Dieu neplaife que je m'en prenne a vous puur m'avok envoyé ce nouveau fyftême de philofophie! II ne s'agit pas d'un lage comme vous dans ce qui a excité mon zèle: ce n'eft que contre 1'auteur que je m'emporte; je ne puis lui pardonner que fur la fin da XVIIIme fiècle il veuiüe s'dcarcer de 1'expénence, pour 's'égarer dans un labyrinthe de chimères: que fon imagination enfante. Que deviendra la philofophie, fi on s'écarte du chemin fage qu'om lui a tracé & qu'on lui óte le baton de 1'aoalo* gie & celui de fexpérience pour fe conduire? Si le livre de ce fonge-creux prond faveur, voila d'abord nombre de jeunes écervelés qui vous débiteront des paradoxes pour fe faire lire, la philofophie recombera comme jadis dans Athènes enA 2  4 CORRESPONDANCE. tre les mains des fophiltes, & Pon fubftituera aux vérités évidentes un jargon obfcur, & entortillé de phrafes métaphyfiques, qui replongera laFrance dans 1'ignorance. J'aime le fiècle oü je fuis né: je m'affeétionne a toüs ceux qui 1'honorent, & j'abhorre tout ce qui nous menace de replonger notre poftérité dans la barbarie, Que des moines ambicieux perfécutent les philofophes & s'élêvent contre les vérités les mieux prouvées par les apótres de la raifon, je ne 1'approuve pas; cependant je vois qu'ils agiffent felon les principes de leur intérêt, qui veut qu'ils dominent feulsfur les hommes: mais que de préiendus philofophes fapent eux-mêmes les vérkés les mieux reconnues, qu'ils dégradent la philofophie autant qu'il eft en eux, qu'ils refTufcitent les erreurs He nos ancétres, en vérité c'eft ce qui n'eft paspardonnable. Tenez, voila ce qui a mis ma bile en mouvement ; & quiconque aime que les hommes foient éclairés, éprouvera a la le&ure de ce livre les mêmes fentimens d'indignation contre Ion auteur. Vous me parlez d'un autre livre que vous avez la bonté de m'envoyer: il ne m'eft point encore parvenu; je vous prie néanmoins d'en remercier ceux qui ont daigné me 1'envoyer La répiitation du collége Ma/.arin a été célèbre depuis long temps; les jéfaites .ivoiem u'habile.« profeffeurs, la rhéionque étoit fupérieuretnent traicée a  C0RRESP01VD ANCE. 5 Port - royal. . Pafcal, Racine, Arnaud & Nicole étoient des gens d'un grand mérite & qui étoient fortis de cette école. Je voudrois,pour la confolation de ma vieillefle, voir germer & éclorequelques plantes qui pulTent remplacer celles qui onc honoré le fiècle précédent. 11 femble que les grands hommes meurent fans poftérité. Je défirerois qu'il y etit mie filiation d'ames fupérieures dont fans ceffe les unes remplacaffent les autres. Aprés tout, mon temps eft bientót fini; j'ai joui du mare du fiècle de Louis XIV. Je bénis le Ciel de m'avoir fait naiire dans ce temps, & pour fe confoler de 1'avenir ii faut dire, après moi le déluge. Le monde eft un théatre perpétuel devicisfitudes, c'eft une fcène mouvante oü tout chan. ge: ici les arts, les fciences & les empires s'élèvent; la c'eft la barbarie qui fuccède aux connoiffances & les potentats dont les trónes fe renverfent. Vous autres Fran9ois, vous n'y allez pas de main morte; vous ne fapez pas mal le tróne britannique. Cette nation, qu'on dit fi profonde, avoic des miniftres fuperficiels pour la gouverner, qui 1'ayant dépouillée de richefles abufives qu'elle poflédoit, & lui ayant fait perdre des pofleffions qui lui étoient a charge, ont bravement travaillé a fon abaiflement, fans doute pour tempérer 1'excès oü elle pouffoit fa fierté, & fon dédain pour le refte de 1'Europe. Dans cent ans d'ici quiconque relTufciteroit de nos contemporains ,ne reconnoltroit plus notre continent. En attendant je A 3  6 CORRE SPONDANCE. vous fouhaite famé, profpcrité & contentemeut. Sur ce &c. Le 16 Avril 1781. Xl m'arrive comme a vous d'admirer la moraledes ftoïciens & de m'affliger de ce que leur lage fi refpedtable n'eft qu'un êire de raifon. C'elt bien a ce fujet qu'on peut appliquer ce beau vers de Vcltaire. Tesdefiinsiontd'unhomme & tes voeux font d'un Dieu. Quelqu'amour que nous ayons pour le bien de 1'humanitd, aucun législateur, aucun philofophe ne changera la nature des chofes. Notre efpêce a dü être probablement telle que nous la connoif. fons, un bizarre aflemblage de quelques bonnes & de quelques mauvaifes qualités. L'éducation & 1'éiude peuvent étendre !a fphère de nos connoiflances, un bon gouvernement peut former des hypocrites, qui arborent le mafque de la vertu, mais jamais on ne parviendra a changer la trempe de notre ame. Je regarde l'liomme comme une machine mécanique aflujeuie aux refl&rts qui la dirigent; & ce qu'on appelle fagelfe ou raifon, n'eft que le fruit de 1'expérience qui influe fur la crainte ou fur 1'efpérance qui déttrminent nos aftions. Ceci, mon cher Anaxagoras, eft unpeu iurailiaut pour notre amour propre; par malheur  CORRESPONDANCE. f cela n'eft que trop vrai. Quoi qu'il en foit,j'eftime les ftoïciens, & je les remercie d'un cceur pénétré de reconnoiflance de ce que leur fefte a produit un Lélius, un Caton d'ütique, un Epictète, furtout un Mare - Aurèle. Aucune des autres feftes philofophiques ne peut fe vanter de tels élèves, & je voudrois pour le bien de 1'Europe que la race n'en fut pas éteinte. II eft facbeux que tous ceux qui fouffrent, foient obligés de donner un démenti tout net a Zénon; il n'en eft aucun qui nc convienne que la douleur eft un grand mal. Je voudrois bien que notre bonne mère nature vous difpenfat du pénible ein. ploi de produire des Pyrénées & des Alpes au fond de votre veffie. C'eft un mal trop férieux pour que j'en badine, principalement lorsquevous en fouffrez, vous que le Parnafle & tous les gens qui penfent, défireroient qu'il fut immortel. J'ef. père donc d'apprendre au moins que cette fa> eheufe maladie n'empire pas & que vos amis peuvent fe flatter de vous conferver encore Iongues années. * Que vous dirai-je du faint père? II a perdu fon infailiibilité, depuis qu'il s'eft avifé d'aller i Vienne comme témoin de fa dégradation. Voila une affaire finie pour 1'Autriche. Vos Francois n'imiteront point la conduite de 1'Empereur. II règne dans votre patrie plus de fuperftition que dans aucun Etat de 1'Europe. Vos prêtres ont ufuipé une autorité qui baiance celle du fouve A 4  « "CORRESPONDANCE. rain, & votre Roi n'bfe entreprendre contre un corps aufli puiflant, fans avoir pris les plus fages mefures pour faire réuffir un deffein aufli hardi. Ainfi tout bien confidéré, les Etats de 1'Empereur feront les feuls qui profiteront de ce fchifme de TEglife, les autres fouverains manqueront ou de cceur, ou de fagefle, ou de moyens pour 1'imiter: cependant ne vous flattez pas que nous en foyons arrivés au temps oü la raifon dominera fur Jes hommes. Rappelez - vous que naguère un Prince d'Allemagne a faifdire des meffes fur le ventre de fon époufe,affuré qn'elle en deviendroit enceinte. Sachez qu'une fefte en Saxe évcque les morts comme la pythoniffe d'Endor: apprenez que les francs -macons forment dans leurs loges une fefte religieufe (c'eft beaucoup dire) plus abfurde que les feftes connues. Telle eft notre pauvre efpèce, & telle fera-t-elle jusqu'a la fin des (lécles. Des folies, des fables, le merveilleux 1'emportent toujours fur la raifon & fur la vérité. Fontenelle avoit bien raifon de dire que s'il avoit une main plelue de vétités, il nel'ouvriroit pas pour la répandre dans le public, paree que le peuple n'en eft pas digne. Mais favez- vous ce qui vient d'arriver aujourdhui ? Moi qui croyois 1'Abbé Raynal enfermé dans quelque prifon de votre inquifition, je le vois artiver ici. II viendra chez moi cette aprês-dinée, & je ne le quitterai point ^ue je ne 1'aye coulé a fond. Enfin j'ai vu 1'auteur du ftaihou-  CORRESPOND ANC E. $ derat & du commerce de 1'Europe. II eft plein de connoiflances, qu'il doit aux recherches curieufes qu'il a faites; j'ai cru m'entretenir avec la providence. Tous les gouvernemens font pefés a fa balance, & 1'on rifque le banniflement a ofer avancer modeftement devant lui que le commerce d'uue puilTance eft de quelques millions plus lucratif qu'il ne 1'annonce. Refte a favoir (i ces notions qu'il a recueiliies ont toute 1'authenticité qu'on défire dans de pareilles matières. Si vous me parlez de 1'Europe, je vous eniretiendrai de mon tonneau que je roule comme le fit Diogêne durant les troubles de la Grèce. Le nord défire ardemment la paix; malgré les afiociations maritimes & le code de Catherine pourl'empire de Nepiune, il n'eft pas moins molefté pac les fortes aiTurances que les pirateries obligent de payer. Un grand génie qui habïte le cinquième dans quelque rue du faubourg faint Germain &. qui de la gouverue defpotiquement 1'Europe, vient de m'adreiTer un beau projet de pacification générale. L'efprit de 1'abbé de faint Pierre eft def» cendu fur iui,avec une profonde politique, digne de Gargantua. La France puliule de grands hommes , qui dans leur obfcurité travaillent a fon plus grand avantage. C'eft dommage que d'aufïï beaux génies n'ayent pas au moins quelques royaumes & brüler, je veux dire a gouverner. Qu'il arrivé da 1'Europe ce qu'il pourra, je borne mes vceux a la confervation du fage Anaxagoras. Nous ferons A 5  fo CORRESPOND ANCE. une ligue pour notre départ de cette valide de mifêre & pour voyager enfemble, afin de nous rendre zéro. Sur ce &c. le 18 Mai 17S2, Je vous fuis obligé de Ia part que vous prenez a la perte que ma familie vient de faire. A en jager par les événemens, il femble que le mauvais tonneao de Jupiier eft plus grand & plus plein que celui dont il répand fes faveurs fur les hommes. Dix mauvaifes nouvelles pour une bonne. II y a des perfonnes qui renoncent volontairement a la vie, mais je n'en fache aucune morte de douleur. Si des malheurs nous accablent qui ne regardent que notre perfonne, 1'amour propre Fait gloire d'y oppofer Ia fermeté; mais dès que nous faifons des pertes irréparables pour 1'éternité, il ne refte rien dans le fond de Ia boite de Pandore pour nous confoler, fi ce n'eft pour un vieillard de mon age Ia ferme perfuafion derejoindre dans peu ceux qui nous ont devancés. II faut 1'avouer: 1'homme eft plus fenfible que raifonnable. Le cceur eft atteint d'une bleflure, le floïcien vous dit: tu ne dois pas fentir de douleur; mais je la fens malgré moi, elle me confume, elle me déchire, un fentiment intérieur plus fort qua moi m'arrache des plaintes & d'inutiles  CORRESPOND ANCE. i» regrets. Je ne vous pariera! pas davantage fur ua objet trifte & qui ne peut engendrtt que des penfdes fombres & mélancoliquc*,' ")*:A abandonDe" tout ce qui tient aux lettres dw/tptff pinle» & l'exception de 1'abbé de L'hle,ie ft'ul dignefeioa. moi du fiècle de Louis XIV, & je ne me foucie ni de votre tbéatre, ni de vos farces, ni de votre Ramponet, ni de tous vos bateleurs comiques. II ne refte pour la fin de ce fiècle que la phyfiq.uer dans laquelle il s*e(t fait des- recherches curieufes. Si les abfurdités chéologo-métaphyfiques avoient pu être anéanties, elles 1'auroient été pat ïes foudres philofophiques lancées contre elle» Gependant fakes réflaxion que ceux de notre eGpèceötant formés avec un penchant prefque irréfiflible pour le merveilleux & la fuperftition, lesmoines & les voyans n'ont pas eu grand'peine a. leur remplir 1'ëfprit de ce fatras dégoütant d'abfurdités par lefquelles ils les gouvernent» Lepeuple, qui partout fak le grand nombre, fe laiffera toujours conduire par des fourbes, des fripons; faifeurs & coramentateurs de fables puériles, &: le nombre des- fages fera toujours réduit a pen d'iudividus ; le grand nombre d'imbécilles doit donc probablement prévaloir fur le petit nombrede ceux qui penfent & qui favent faire ufage de; leur raifon» Si TE-inpereur détruit des couvens, jë rebatiss des égüfes catholiques qui éioient brülées, je lailfe a chacun la. liberté. de penfer a fa.guife » A &  12 C'ORHESPONDANCE. & je crois que Fontenelte a dit très-fagement» que s'il avoit la main pleine de vérités, il ne 1'ouvriroit pas, paree que le peuple n'en vaut pas la peine. Cela n'eft malheureufement que trop vrai. Un ane ploie fous le poids qnand on 1'a furchargé; mais un fuperftitieux porte tous les fardeaux dont fon prêtre 1'accable, fans s'appercevoir de la manière indigne dort il fe trouve avili. A 1'égard des guerres préfentes, je penfe comme vous, & j'applaudirai aux efforts prodigieux des puilTances belligérantes, fi tous ces immenfes préparatifs nous ramènent promptement la paix. J'ai fait une abfence de trois femaines & je n'ai point entendu parler pendant ce temps - la de 1'abbé Raynal. On m'a dit qu'il a été chez mon frère, je n'en fais pas davantage. Je fouhaite que la coqueluche ou le mal du nord vous guérifle de toutes vos infirmités, & que ni la vesfie ni les poumons ne vous caufent de ces facheufes distractions qui rendent la vie onéreufe & infupportable. Sur ce &c. Je crains que ma lettre ne vous égaye pas. Un peu de patience & le temps feront ce que la raifon a inutilement entrepris. Le 8 Septembre i;Sa»  CORRESPOND ANCE. \^ous me faites un grand plaifir de m'apprendre vous même la nouvelle de votre convalefcence. C'eft le plus facheux don que la «taferè ait pu faire aux hommes que éè fo^mer n e carrière dans leurs inteftins. De tous les maux que nous fommes condamnés a fouffoir. ceux de la pierre font les plus v/iolens & exigent le plus de com. paffion, furtout quand des gens de mérite comme Anaxagoras en font sffli^és. Pour moi je m'attends dans pen a queiq'v.' cadeau de la part de Madame la üoutte, qui n'eft pas non plus une aimable commère. Oh, mon cher d'Alembert, autrefois nos le'tres ne parloient ni d'infirmités, ni des progrès de la caducicé; a préfent chaque jour nous arrache quelque chofe de notre exiilence. Cela me fait fouvenir de ce mot celcbre d'une Spartiate a laquelle on apprit que fon fils avoit été tué a la bataille de Leuctres: Je ne Tavois pas mis au monde pour être immer tel. Si vos amiiaux & les Efpagnols font laguerre, c'eft en veillant a la confetvation de leur monde, & ils font fort bien, paree que la paix va fe conc'.ure. L'idée des batteries flottantes étoit aflurement très-hétérodoxe & ne pouvoit réufilr. Les hommes les plus déterminés peuvent entreprendre des chofestdifficiles, -mais les impoffibles ils les abandonuent aux fous. On menace fans doute A7  14 CORRESP OND ANCE. 1'orient d'une nouvelle guerre. On veut placer !e derrière du marmot Conftantin fur le fopha de Muftapha, & 1'on dit que le Céfar Jofeph veut partager les dépouilles: les houris du férail feront bien pour iuL Voila au moins ce qn'aunonceni les bulletins de Vienne. L'abtré Raynai écrit fur la révocation de 1'édit de Nantes, & quand 1'ouvrage fera imprimé, il 1'enverra a Louis XIV par le premier courrier qui partira pour les champs élyfées. Pour moi je me fuis prefcrit la règle d'imiter toutes bonnes actions anciennes & modernes, & de n'ïmiter jamais les mauvaifes. Je laiffe chacun adorer Dieu comme il le juge a. propos, & je crois que chacun a le droit de prendre le chemin qu'il préfère pour aller dans le pays inconnu du paradis ou del'enfer; je me contente de Ia liberté de fuivre de même l'impulfion de Ia raifon & de ma facon de penfer, & pourvu que par de juftes entraves on empêche les moines de troubler la fociété, il fautles tolérer, paree que Ie peupleles veut. Ce M. de Villars, qui n'eft pas le Maréchal de Villars, peut faire imprimer ce qu'il lui plak a Neuchatel, pourvu qu'il ménage les puilTans & ne choque point les grands de la terre, gens chatouilleux fur les prérogattves de leur infaillibilité & fur leurs dignités. Vous favez que les prêtres les appellent les images de Dieu fur terre; ces fotis le croient de bonne foi, & les folliculaires font dans lanécefiité de lesrefpecleren ménageatic  CORRESPONDANCE. 15 !ent délicateffe infinie avec la plus fcrnpuleufe attention. Si 1'image de Dieu de Verfailles défend la publication des oeuvres de Voltaire, les libraires fuifles, hollandois & allemands gagneront a 1'impreflton ce que des libraires francois auroient pö proficer, & vos prêtres, quoi qu'ils faffent, ne reflufciteront pas a la fin du XVlIIeme fiècle la bienheureufe flupidité des fiècles X & Xleme. Les gens qui penfent & qui combinent des idéés font très-défabufés de fables. La forbonne défend les brèches faites au corps de I* place de la ftupidité & elle fe contente que la maffe imbécille du peuple la fuppofeinvulnérable. Je vous fouhaite la bonne année; furtout n'ayez plus de eolique néphrétique & fufpendez votre voyage jusqu'a mon départ. Sur ce &c. Le 30 Décembre 1781; J^e vous avoue qn'aprês avoir bien étudié lesopinions des ftoïciens, il m'a parn qu'ils avoienc trop exalté la nature humaïne. Leur amour propre leur perfuada que chacun poffédoit en foi une parcelle de 1'ame de la nature, & que cette par« celle pouvoit atteindre aux perfe&ions de Ia Divinité, a laquelle elle fe rejoignoit après la mort de celui qu'elle avoit animé. Ce fyftème eft beau. & fublime \ il n'y inauque que la vérité. Cepeu-  ï6 CORRESPöNDANOë dant il y a de la noblefle a s'élever au deflus des événemens facheux auxquels nous forames aflujettis, votre Beaumont archevêque par la colère de Dieu votre Brafchi au Monte Cavallo, & mieux encore fi les intéréts de 1'aflbciation militaire 1'exigenr.Voila tout ce qui dépend de moi; & comme nos armes font de plumes, & que dans nos contrées perfonne ne nous empêche de les manier, que daplus les prelTes gémilTent pour ceux qui les occu* pent, vous n'avez qu'a m'affigner ma tache & je> m'efForcerai de la remplir. Ce que vous m'apprenez au fujet de findigner traitement que vos moines ont fait au cadavre de Voltaire, m'excite a le venger de ces fcélérats,, qui ofent exercer leur vengeance impuuTante fur les telles éteints du plus beau génie que la Franceait produit. Je vous prie de m'envoyer le bufte-de eet homme rare & unique; je placerai foa effigie dans notre fancluaire des fc'tencesoü il: pourra refter a demeure; au lieu que fi on leroettoit dans une églife, fon ombre en feroit indignée,. fans compter les hafards que cette ftatueauroit a courir après ma mort, oü peut êtrele faux zèle poneroit quelque prétre dans la rage deB 5  3 + CORRESPONDANCE. fon fanatifme a imi:iler ou a brifer le fimulacrt de 1'apótre de 'la tolérance. Je retourne maintenant au commencement de votre lettre, oü il étoit queftion de nos nerfs, pour vous apprendre que j'ai eu la goutte quatre femaines de fuite , que j'ai beaucoup foulTert & qu'a force de régime j'ai cbaiTé le marafme & Ia maladie: mes doigts ne font point engourdis, & s'il eft queftion de prétres, je répa-idrai avec mon encre fur eux les flots de ma bile & de mon fiel héré'ique. Allons, mon cber Anaxagoras , recueillez vos forces, ranimez ou refiufekez votre belle humeur. Sur ce &c J^our que vous ne croyiez pas qu'après la mort de notre patriarche perfonne ne travaille plus a la vigne du Seigneur, j'accompagne cette lettred'une production des frêres de Ia Baltiqne, qui aflèmblent autant de pierres qu'ils peuvent pour en lapider leur ennemi. Ce commentaire eft fait fêlon les principes de Huet, de Calmet, de Laba* die & de tant d'autres fonge-creux dont 1'imagination égarée leur a fait trouver dans de eertains livres ee qui n'y a jamais été. L'autre ouvrage ddveloppe le fondement des liens de Ia fociété & de eertains devoirs de ceux qui vivent & qni  CORRESPONDANCE, 35 font réunis par le pafte focial. Tout celanefait pas grande fenfation; mais fi de mille perfonnes on en convertit une, 1'auteur a de quoi s'applaudir & il peut fe flatter de n'avoir pas perdu fon temps. Le bufte de Voltaire dont vous me parlez me donne grande envie de 1'acheter, n'étoir, que la guerre coüteufe dont a peine nous fortons, nous a mis a fee pour un temps. Ce feroit une affaire pour fannée prochaine, oü les plumes commenceront a nous revenir. Vous favez le prover» be: point tTargent point de Suiffe, point d'argent, point de bufte. J'apprends par votre lettre que vous avez été a !a campagne pour vous dittraire de vos Iaborieux travaux. C'eft bien fait, ear il faut donner quelque relache a 1'efp.it; s'il étoit toujours tendu, il fe relacheroit tout a fait. ^ous me fakes en même temps entrevoir en perfpeftive Tefpérancederevoir; Protagoras dans ces üeux. Je voudrois que vous eufliez la fliche d'Abaris ou 1e char d'Elie pour. vous tranfporter plus vke & plus commodément, Si Voltaire vous a légué fon cheval Pégafe, cette voiture feroit la plus commode de toutes. Auflï dirai-je a nos aftronomes de braquer toutes leurs lunettes vers 1'éther, pour m'avertir de votre ventte. Toutefois je dois ajoutet que ft ce voyage fe diffère trop, il fe pourrok que vous ne me retrouvafliez plus: je fuis vieux, caffé & affoibli,la mort n'a pas befoin de fa faux pour trancaer la B 6  i$ CORRESPONDANCE. tntme de mes jours, c'eft un ril d'araignéequ'on' peut détruire fans efFort. Mais cela ne m'embarrafle pas, un peu plutót,un peu plus tard^nous, la génération qui nous fuit, & toute la poftérité, & circulus eirculorum, fera le même chemin que nos prédécefTeurs nous ont enfeigné en le frayant les premiers. Quant a Ia politique des Etats, elle me paroit avoir quelque affinité avec la religion; 1'une a fe^ fchifmes comme 1'autre; il y a des mqmens oft les fedtateurs d'Ali 1'emportent fur ceux d'Omar: ce qui eft le plus vrai prévaut a Ia longue, 1'évidence des véritables intéréts des Etats, 1'emporte fur les illufions paflagères. Ce qui caractérife Ia1 vérité, a quelque chofe de fi fimple & de fi palpable, que pourvu qu'on n'ait pas 1'efprit naturellement ou louche ou faux, il faut y adhérerrtout le monde eft obligé de convenir que deux fois deux fait quatre, perfonne ne s'avife de difputer que les angles d'un triangle rectangle foientégaux a deux droits; il en eft de même de bien des chofes dans la politique, qui peuvent fe prouver avec une certitude approchante de celle des géoBiètres; il dépend alors du temps & des circonflances que telle idéé ftappe plus dans un moment que dans 1'autre, furtout quand de eertains préjugés n'offufquent plus les yeux de certaines perfonnes qui fervent de cheville ouvrière a 1'Europe. "Voila. un beau galimatias politico - algébiique>  CORRESPONDANCE. 3? Vous fentirez par-la que je commence a radoter. Venez donc viterou je ne ferai plus au logis. Sur ce &c. Il faut que les mauvais cbemins ayent retardé 1'arrivée des poftes; il n'y a ni pirates ni capres fur terre ferme entre nous & Paris, de forte que 1'interruption de notre correfpondance ne peuts'attribuer qu'a la debacle des rivières & a la crue des eaux qui ont gaté les routes. Votre lettre également doit avoir été trois femaines en chemin; elle n'en a pas été moins bien recue, les belles Dames gagnent a fe faire attendre. A Pè? gard de ma fan té vous devez préfumer naturelle, ment que parvenu a foixante huit ans, je me reffens des infirmités de lage. Tantót la goutte». tantót la feiatique, tantót quelque fièvre éphémère s'amufent aux dépens de mon exiftence & me préparent a quitter fétüi ufé de mon ame. IV femble que la nature veuille nous dégoüter de la vie par le moyen des inGrmités dont elle nous aecable fur Ia fin de nos jours. C'eft le cas de dire avec 1'Empereur Marc-Aurèle, qu'on fe réfigne fcns murmurer a tout ce que les lois é'ternelles de la nature nous condamnent a fouiFtir. Mais quittons un fujet fi grave pour des objets plus amufans. II fe peut que Barbebleue vous ait. B 7  33 CORRESPONDANCE. amufé, 1'idée n'en étoit pas mauvaife. Si «e fu> jet avoit été traite par Voltaire, fa plume auroic bien fu auirement 1'embellir. J'ai maintenant ici un dofleur de forbonne qui me donne des lecons d'abfurdités théologiques dont je profite a vue d'ceil: j'ai appris de lui ce qu'etr 1'intention interne & 1'intention externe, chofes curieufes que tout grand philofophe que vous étes vous ijnorez; il m'a enfeigné des formules d'une déraifon inconcevable , dont je compte faire ufage dans le premier ouvrage théologique que j'écrirai. Enfin je me flatte de pouvoir damer le pion a Tamponet, a Ribailler & même a Larchet, a toutes l familier, qu ne s'adapte pas trop a ce genre d'iS•rire, qui exige quelque éiévatión fans er&'arcu La manière de M. de Fontenelle étoit peut • êtref trop fatitique, comme il paroit par quelques uiis; de fes Eloges, qui font puót des critiques qut! ««s panégyriques. Je fouhaite que la France vouss CS;  5« CORRESPONDANCE. fournifle des fujets qui méritent par leur génie & par leurs talens qu'on en fafle des Eloges dignes 'de tenir leur place a córé de ceux de leurs prédécellëurs. Sur ce je prie Dieu &c. A potsdam, ce n de Mai 1785. ^'ai recu votre lettre, mais j'attends votre ouvrage, qui n'eft pas encore arrivé. Je vous remercie de me favoir communiqué, & je tn'en tiendrai a la préface, comme vous mel'indiquez:. car les ignorans de ma claHe fe contentent du réfultat de vos calculs, fans fonder des profondeurs infinies, A 1'égard de vos opinions touchaut lapeine du délit, je fuis bien aife que vous foyez du même fentiment que le Marquis Beccaria. Dans la plupart des pays , les coupaWes ne font punis de mort que lorsque les actions font atroe- Sm. Un fils qui tue fon père, 1'empoifonnement & pareils crimes, exigent qne les peines foient griêves, afin que la crainte de Ia punitton retienne les ames dépravées qui feroient capables de le commettre. Pour ce qui concerne la queftion, il y a ptès de cinquante ans qu'elle eft profcrite ici, eorame en Angleterre. La raifon en eft des plus Gonvainquanres; elle ne dépend qne de la force ou de la vigueur du tempérament de celui auque! «n fapplique : un moyen qui peut produire un  CORRESPONDANCE. 39 sveu de la vérité ou un menfonge que la douleuc extorque , eft trop incertain & trop dangereux pour qu'on pniiTe 1'employer. Je comprends malheureufement que la philofophie n'ofe pas marcher tête levée dans tous les pays. Je vous fuis trés • obligé de Ia perfonne que? vous me propofez a la place de M. Thiebaultfje 1'accepterai tres-volontiers, fi vous pouvez: Fy difpofer, & au cas qu'on ne puifle point lui obtenir cette penfion dont il efpèie de jonir en France, on pourra lui en accorder une fur fa re» traite, s'il ne pouvoit plus vaquer a des emplois*. J'écrirai d'ailleurs au Baron de Goltz ,pourefl"ayeir d'obtenir cette penfion de la France ; & en cas der refus j'arrangerai le tout. Pour fa ThéJgonie, if pourra Ia publier ici felon fon bon plaifir. E+ï gros, je fuis de fon opinion, que les planètes & ie globe que nous habitons, font infiniment plug anciens qu'on ne !e débite: & de toutes les hypo» rhèfes que fon foutient fur ce fujet, celle de PPternité du monde eft la feule oü fe rencontre Is moins de comradictions & ceüe oü il y a.le plusd'app^rence de vérité. Je concois que pour trouver un profeïïeur de? philofophie & de belles-lettres, il faut du temps & du choix j. ainfi je ne vous prelTerai pns fur cjfujet , fi ce n'eft que je vous prie de vous reflbu'venir quelquefois d'un nombre de jeunes gens rafferublés dans une académie, attendaiu avee: sm»; C 6  60 CORRESPONDANCE. preflement des inflructions qui leur manquent peadant i'abfence d'un profefleur,. Sur ce &c. Potsdsm ce oy de Juin 1785. J'ai recu Ia médaille, de M.. d'AIembert que vous avez eu Ia bonté de m'envoyer. J'aurois voulu qu'on lui eüt laitTé fa perruque comme il la portoic d'ordinaire, paree que rien ne contribue plu» a la reiTemblance que de graver les hommes dans l'ajuttement oü on étoit accoutumé de les voir. II eft fiagulier que M. de Saint Remy ait fondé. un prix pour les médailles des philofophes, & que beaucoup de geus de lettres qui avoient des oblir gations a M, d'AIembert,. fe foient difpenfés d'en faire 1'éjoge. Rien de plus rare dans le monde, que Ia reconrjoiffance : toutefois la mémoire da M. d'AIembert n'y perd pas grand'cbofe -, & il vaut mieux n'être point loué que de 1'étre mal.. Les beaux jours de la Iktérature font palTés, il a'y a que des rrónes vacans §t peu de poftulans dignes de s'y placet. Vous qui avez été 1'élève du grand homme que nous regrettons, vous feul. j»ouyez liti. fuccéder. Sur ce &c. A Potsdam ce 9 d'Aoöt 17*5,  CORRESPONDANCE. ér Je vous fuis très-obligé de la peine que vous vous donnez pour me procurer les inftituteurs dont notre académie a grand befoin. Jeconcois qu'il y a des lenteurs tant pour le choix des fu« jets que pour les déterminer a accepter les potles qu'on leur propofe , & je ne doute point que vous ne réulïïflïez & me procurer des gens babiles, de quoi je vous aurai une grande obligation. J?en viens a Partiele des lois que M. de Bcccaria a fi bien expliquées & fur lesquelles vous avez également éciit. Je fuis entièrement de votre fèminK-nt, qu'il ne faut pas que les juges fe preflent a prononcer leurs fentences, & qu'il vaut mieux fauver un coupable que de perdre un innocent. Cependant je crois m'être apper9u par fex» périence, qu'il ne faut négliger aucnne des brides par lesquelles on conduit les hommes, favoir los ptines & les récompenfés; & il y a iels cas oü Patrocité du crime doit être punie avec rigueur. Les alTalmis & le* incendaires, par exemple, méritent la peine de mort, paree qu'ils fefontattribué un pouvoir tyrannique fur la vie & fur les poflefions des hommes. Je conviens qu'une prifon perpétuelle eft en effet une punition plus cruelle qoe la mort; mais elle n'eft pas fi frappante que celle qui fe fait aux yeux de la multitude, farce que dj pareils fpectacles font plus d'imgr«s--  62 CORRESPONDANCE llon que des propos paiïagers qui rappellent les peines que foulTrent ceux qui languiffent dans les prifons. J'ai fait dans ce pays-ci tout ce qui a dépendu de moi pour réformer la juftice & pour obvier aux abus des tribunaux. Les anges pourroient y réuflir, s'üs vouloient fe charger de cette befogne ; mais n'ayant aucuue connexion avec ces Meflieurs - la, nous fommes réduits a nous fervir de nos fembiables, qui demeurent toujours beaucoup en anière dans la perfection. Sur ce je prie Dieu'&c. A Potsdam ce 24 d'Oclobre 1785. Je vous fuis infiniment obligé des Eloges académiques que vous venez de m'envoyer. Je fuis de votre avis, que 1'age afFoibiic auffi bien le ftyle des prorateurs que la verve des poëtes, & qu'il faut dire avec Boileau a tous le» hommes de lettres agés: Maiaeureux, Iaifle en paix ton cheval vieillisfant, De peur que tout a coup efflanqué, fans haleine, II ne jette , en tombant, fon maltre fur 1'a. réne. Je compte toujours que vous voudrez bien vousdonner lapeine.de me procurer un certain M, fE>  CORRESPONDANCE. 65 vesque, dont j'ai entendu dire beaucoup de bieu, pour remplir la place de profcfleur de philofophie dont mon académie a fi grand befoin. Je fuisfenfible a la part que vous prenez a ma fanté Amon age il faut toujours avoir un pied dans fétrier, pour être pret a partir quand le quart-d'hèure de Rabelais fonne. Sur ce je prie Dieu qu'il vous ait en fa fainte & digne garde. A Potsdem, ce H de Dicembre 1785. Je vous ai beaucoup d'obligation de ce que vous voulez avoir foin que cette correfpondance que j'ai eue avec feu M. d'AIembert ne paroilTepas. Mes lettres ne méritent que d'être vouées a Vulcain; elles ne font ni amufantes, ni intéreiTantes pour le public. On eft d'ailleurs déja aflez furchargé dans ce fiècle, plus abondanr en mauvais ouvrages qu'en bons écrits, fans y ajouter encore les miens. Vous m'avez rendu un vrai fervice en me procurant un purifte & un autre profeiTeur pour I-académie militaire ; ces jeunes gens attendent avec impatievce leur artivée , paree que leur éducaüon eft négligée jusques - la. Sur ce &c. A Potsdam, ce 6 Fevrier ÓMff:  CORRESPONDANCE, Jenvifage comme une chofe trés - favorable Ie fort que mes lettres ont eu d'être brülées; c'étoi't Ie moyen le plus fur dTen empêcher 1'impreffion; car il m'eut été défagréable de voir courlr dans la public des lettres qui n'étoient pas faites pour lui. II n'appartient qu'aux quarante plumes , dépofitaires de Ia pureté du langage francois, de vous donner des cbef-d'ceuvres en tous les genres, qui méritent 1'honneur de 1'iraprefïïon. Je ne fais ceque deviennent les deux profelTeurs pour mon école militaire: ces jeunes gens font trop long-temps fans inuruftion, pendant qut je fuis convent de leurs doublés penfions, frais de voyage &c. Jene comprends donc pas ce qui peut les arrêter, & j'avoue qu'un plus long retard peurroit naire z 1'idée que je m'étois faite d'etix; mais cela ne diminue en rien les obligations que je vous ai, & je fens tout Ie prix des peines que vous avez eues dans cette affaire. Sur ce &c; A Potsdam, ce 25 Mai i?ts. A MONSIEUR GRIMM. J'ai eu des ttttqcei d'aflbme qui quelquefoi* »'•« rtads aftz nulade, & je «e troave dans  CORRESPONDANCE. 65 cette fituation aujourd'hui. Je me contente donc de vous accuter Ia réception de votre lettre & de ce les qui 1'acdbmpagnoient, fans entrer dans de plus grands détails. Vous voudrez bien avoir la bonté de faire parvenir les inclufes a leurs adresfes. Sur ce &c. Votre lettre du 5 Février me parvint avant-hier. Je vous remercie de 1'intérêt que vous prenez a ce qui me regarde & mes parentes du calendrier chritien; ma fsinte n'approuvera pas 1'application de la remarque de J. Jaques, peut-être judieieufe, fur rorchedre de Paris. Quoi qu'il en foit, il faudra tirer parti des pères. Ce que vous me dites de vos converfations .fur mon fujet avec Sa Majelté impériale, me flatte & m'intéreffe; rien ne peut étre pkw enehsnteur pour moi que le fouvenir de cette grande piincefie, pour laquelle j'ai une vénération infinie. Je vous ai entretenu de fes talens , de fes grandes vues , de 1'élévation de fon ame & de cette bonté avec laquelle elle accueille ceux qui ont le bonheur de 1'approcher. Vous avez eu tout le temps de vous rappaler & de vérifier tout ce que je vous ai dit: je conpois aifément quels doivent ètre tous vos regrets &quevous ne retrouverez rulle part rien qui puifle vous dédoramager de tout ce qu^ vous avez vu. C'eft  66 CORRESPONDANCE. avec plaifir que je vous verrai a votre pa/lage & que je vous entendrai fur un fujet qui a tant de droits de rn'intérefler. Sur ce je prie Dieu &c. A Potsdtm, ce 25 Févtier 1774. Lorsque je m'adrefle a M. de la Grimmalière, Colonei des gardes Préobrafchinsky deS. M. rimpérattice de toutes les Rulïïes, je crbis êrre fur de prouver la définltion de ce mre-la, tant par acte public, que par fes pateutes; mais je n'entends point le titre de fouffre-douleur, ni la traduftion d'un mot rufle que je ne comp/ends pas, par conféquent auquel je pourrois donner un fens qui ne feroit pas, clair. Pour le titre. de plastron, il me femble ne convenir nullement a Monfieur le Baron, fi ce n'eft qu'on pourroit dire que quiconque a la proteclion de Monfieur le Colonei , peut la confidérer comme 1'égide de Minerve, qui rond invulnérable ceux qui la poffédent. Vous me permettrez donc de remplacer un plastron par une égitte, & de vous regarder comme celui qui protégé Monfieur le Duc de Saxe-Gotha en France, qui a protégé les jeunes Romanzovv contre les féduéhbns de la jeunefie, & qui, cn quelque facon, peut étre comparé a ces cardinaux protecteurs de ia France & de 1'AUernagne  CORRESPOND ANCE, 67 a Rome; ainfi & de même il protégé les intéréts de la grande Catherine dans 1'empire des Gaules. M. de la Grimmalière aura la bonté de voir paree que je viens de lui expofer, combien je fuis éloigné de vouloir lui lancef des traits, & combien je me recommande a fa puiffante protection. Je lui aurois répondu fans doute plutót, fi je n'avois été accablé d'une douzaine de maladies a la fois, qui m'otif privé de la faculté de tous mes membres. J'ai été très-faché de le favoir fi prés de mes frontières & d'avoir été privé de fa vue béatifique; 1'ArioÜe dit, que les montagnes tiennent ferme a leur racine , mais que les hommes peuvent fe rencontrer, de forte que je ne défespère pas qne quelque heureufe influence de mon étoüe ne me procure un jour Ia fatisfaftion de le tevoir & de 1'admirer. Sur ce &c. A Potsdam, ce 19 Février r?82. Vous pouvez bien cro're que j'ai été fort touché de la mort de d'AIembert, d'autantplus que je 4'ai cruatteint d'une maladie chronique, mais quine raenacoit pas direftement fa vie. Je doute que la Trance tépare cette pene de fitót. Si la maladie a afibibli fon efprit dans Ie dernier temps, cel;*  68 CORRESPONDANCE. n'eft pas étrange, puisque la mort, en attaquant toutes les partïes organifées de notre corps, doit leur óter lenr aéüvité en les détruifant. Je vous fuis obligécependant de m'avoircommuniqué cette trifte nouvelle, & je me fuis dit a moi-même: il faut mourir, ou il fant voir mourir les autres, ü n'y a pas de milieu. Sur ce &c. A Potsdam, ce n de Novemkre irSj. Je vous fuis fort obligé des foins qne vons avez pris ponr empécher que ma correfpondance avec d'A'emhert ne fut imprimée. Plufieurs raifonsme Font fait défirer: car premièrement cela n'en avrroit pas valu la peine, & fecondement la réputation de M. d'AIembert eft fi bien établie, qu'elle »'a aucunement befoin, ni de mon appui, ni de mon fuffage. Cependant, je vous avoue qu'il eft Wen trifte de voir toutes les perfonnes que j'avois eftimées, mourir les unes après les autres, &cela eft d'autant plus facheux qu'il ne dépend pas de moi de mourir, ni de voir mourir les autres. Tout cela n'ett qu"une fuite du jeu des caules iecondes, qui par leurs combinaifons différentes amênent tous les événemens terribles. II eft vraique j'ai fait ériger des monumens a Algsrotti & a d'Arjens que j'avois beaucoup airoés, & qui avoient  CORRESPONDANCE. <9 vécu long-temps chez moi: & je fuis eucore ea refte d'un cénotaphe que je m'étois propofé de faire élever en PruiTe a fhonneurdeCopetnic. Du refte, fi la littérature francoife offte quelque chofe de curieux, vous me ferez plaifit de m'en faire part, fans toucher a ia claffe des littérateurs fubalternes, dont je n'aime guêre a m'occuper. Sttr ce je prie Dieu &c. - A Fetsdim, ce 1» de Décembre 1783- Je vous fuis fort obligé de la lettre de M. de Condorcet que vous m'avez envoyée , dont je vous remets la réponfe, que vous voudrez biea lui faire tenir. II me femble que les beaux arts & les belles lettres éprouvent un deftin pareil en Europe a celui qu'elles ont éproové aRomeaprès le beau fiècle d'Augufte, oü la médiocrité fuccéd» aux talens. Après avoir pouiTé la partie des belles lettres i leur perfeftion, la nation, comme rasfaffiée des chef-d'ceuvres dont elle jouit, commence a s'en dégoüter •, alors le Béologisme commence a détériorer le langage qui a été poufTé a une certaine petfeftion: la févère acreté de 1'efprit philofophique combat reffervefcence de 1'imagination, & le génie, reflerré dans des bornes trop étreites, ne fournit plus que des productions mé'  70 CORRESPONDANCE. djocres. Je vous remercie de m'avoir fétéfurmon vieux jour de naiflance. Je ne fuis que trop vieux. Ii faut que chacun vive jusqu'au terme qui devide tout le chapelet de fottifes que le deitin Ta condarané a faire dans ce inonde. Selon le défunt Prince de Deux-ponts, il n'y avoit de falut qu'a Paris; il faut donc nécelTairement que ceux qui vivent ailleurs, végètent dans le purgacoire ou dans les limbes. Si vous trouvez a redire a ce fentiment, vous n'avez qu'a vous en prendre au feu Prince de Deux-ponts, & fi vous vous trouvez trop foible pout attaquer cette familie, vous n'avez qu'a vous joindre a 1'Empereur, avec lequel vous avez été a Spa; il vous affiftera volontiers de toutes fes forces, pour vous donner gain de caufe. Sur ce &c. A Potsdam, ca u de Mai 1785. Je vous fuis fort obligé.de Ia médaille de M. d'AIembert, que vous rn'avez fait parveinr. J'au. rois fouhaité qu'elte fut plus reffemblante. II fe peut cependant qu'il ait fort changé depuis vingt ans que je ne 1'ai vu. Je n'ai jamais entendu le mot de eet officier d'artillerie dont vous me parlez ; mois il n'eft pas furprenant qu'une nation aufli policée que Ia francoife aille éclairer des na-  CO R.RESP OIV D ANCE. r?J tïorts barbares, & leur communiquer des parcelles du magafin imineiife de fes connoifiances. Les Turcs doivent admirer leur législateur en artillerie , & je doute qu'ils veuillent ufer de violence envers lui. Sur ce &c. Je vous fuis fort obligé de Ia lettre de M. de Condorcet que vous m'avez fait parvenir. Voici la réponfe : vous voudrez bien Ia lui faire teniï également. Je n'ai guère pu jouir de 1'apparition de quelques Francois dans ce pays - ci, entr'autres de M. de Ia Fayette. J'ai paffé quatre femaines dans la compagnie de la goutte, plus défagréablement que dans celle de ces Mefïïeurs, Je félicite Monfieur de Ia Grimtnalière deraugmentation que 1'Impératrice de Ruffie fait dans fes troupes, paree que la fuite naturelle de ce changement fera fans doute de vous avancer d'un grade, & que peut-êcre dans la guerre qui fe prépare contre la Porte, ce fera vous qui prendrez Conflantinople a la tére d'une armée victorieufe. Je ferai lefpectateur de ces hauts faits d'armes; & fi la foiblefie de 1'age me donne de trop fortes entraves , je compte célébrer ces merveilles de nos jours & A Potsdam, ce 9 d'Acnt 1785.  fft CORRESPONDANCE. piicer vocre nom entre celui d'Alexandre, de Céfar, & celui de 1'autocratrice de toutes les Rusfies entre ceux de Jupiter & de Neptune. Sur ce je prie Dieu Ötc. A Potsdam, ce 24 Oftokre ir«J. LET;  L E T T R E S < DE MONSIEUR JORDAN AU ROI. On dit que la tronpe ennerale Les blés cueillis avanceravers nous, Que la votre très-aguerrie Languit après le rendez-vous, Rendez-vous marqué par la gloire Pour faire éclater leur valeur, Dans tout le monde trés-notoire Par le dernier combat vainqueur. Pour moi, Sire, je vous fupplie, De m'accorder la liberté, De pouvoir aflurer ma vie A Breslau, lieu de fureté. ( Permettez que 1'on félicite Votre inviucible Majefté De 1'heureufe réulïïte, Qu'on ait ce lieu par la rufe emporté: Ce fait, très-brillam pour 1'hiltoire, Fera bouquer vos ennemis; Neuperg ne voudra pas le croire, 9f«v. lojlk. it Fr. II, T. XII D Sire ,  4. CORRESPONDANCE. Wallis en fera peu furpris.) La j'entendrai la renommée Chanter vos exploits éclatans: Mais fi je marche avec 1'armée, La frayeur me privé des fens. Ce n'eft 11 que trop ma foiblelTe, De ne rien voir, ni rien ouïr; Pour peu que je fois en détrefle Je rafiemble mes fens pour fuir. Quoi 1 diraz-vous« n'avez-vous donc pas honte De vouloir pafler pour poltron ? A cela ma réponfe eft prompte : J'imire Horace & Cicéron. Quoi! faut-il expofer les refte de ma vie, Et risquer de me voir prifonnier malheureuxP Je ne vis que pour étre heureux, Bn fervant le héros qui tient la Siléfie. \^os vers font aimables, charmans, Et ma foi, je me donne au. Diable Si jamais prince en fit amant: Vous êtes homme inimiiable, Pour le fait & pour le talent. J'aurois dü vous faire réponfe, Par votre trés - humain courfier; Mais mon Apollon trop ratier  CORRESPONDANCE. Iuuülement je femonce: Eh, qui ne feroit enchanté, De votre vive poëfie? Greffet en tireroic trés-grande v*nité; J'en ferois 1'ornement de ma ftvante vie. • Oilirfi B,tf ii ïf.«i li il^i^i^yM ÊÊTIt Les beaux vers de V. M. m'ont 4encrlanté; mais le reproche de défertion m'a fait frémir. Je rre fuis point un déferteur Soit de la foi, foit de 1'armée: Et jamais pareille équipée Chez moi ne fut un effet de la peur. C'eft un effet de ia prudence, dont un ordre ,de V. M. m'auroit guéri, li elle 1'avoitbien voiilu. Quoiqn'obéir foit un devoir Que 1'on fait avec répugnance, Il ne 1'eft plus quand 1'ordonnance ( Sort de votre royal tnanoir, de ce manoir que 1'art qui 1'a formé, que celui qui Fhabite , rendent un féjour délicieux, furtout quand la foudre repofe fous le iit, & que les graces occupent le fauteuil. Je me donne au mahre du Styx, fi V. M. exigê de moi des vers: D 2  ts CORRESPONDANCE. Jamais je n'ai fait de bons vers, A peine fai-je écrire en profe: Et tentet impoflible chofe, C'eft avoir 1'efprit a Penveri. Elle eft impoflible pour moi; je me contente d'avoir afl«z de connoiffances pour goüter le plai'fir des vers, & pour envter le bonheur de ceux qui en font de bons. La maladie de la fatire, que V. M. veut bien m'imputer, eft de toutes les maladies de 1'efprit, fi c'en eft une, celle que je crains le plus: elle 1'eft a coup für dans un particulier. Qui oferoit avoir le cceur De fe livrer a la fatire? L'art féduifant de médire N'eft bon que pour un grand feigneur. ' Je ne demanderai pas ce talent au bon Dieu; mais je lui demanderai le talent de Ia patience, lorsque Por? eft attaqué par plus fort que foi. V. M. me fait toujours le reproche de ma mauvaife hum.ur: oferois-je dire qu'a eet égard V. M. eft femblable a ce médecin qui fouhaitoit a fon malade la fièvre, afin d'avoir le plaifir de la lui guérir? Vous pöuvez me guérir, Sire, en ra'ordonnant d'aller au camp, pour me menre a vos pieds ,'& vous afluter du re'peft profond avec Zequel j'ai l'honneur d'étre &c. A Brahu, le t-pne j jur de moa exil.  CORRESPONDANCE. Ti Sire, . . J'ai recu deux pièces du camp écrites avec beaucoup d'efprit, & d'une plaifanterie trés-fine. 11 eft facile d'en reconnoitre 1'auteur : d'ailleur* on y cite un paffage qu'on dit être du Roi Saloraon , & qui ne fe trouve pis a coup für dans le» livres qui nous en font reftés. Je fuis trop zè!é partifan d'Hotace, pour ne pas revendiquer cette réfiexion, qui lui sppartienr. Mais Horace ne vaut - il pas Salorr.on pour 1'auteur de ringénieufe, mais mordante fatire? Voici de trés mauvais & impertinens vers venus de Hollande, & envoyés ici a nos libraires. J'ai cru devoir les envoyer a V. M. Une nouvelle généraleaient ici répandue, c'eft que V. M. allant de Schweidnitz a Lignitz, un archiprétre avoit publiquement exhorté fes chères ouailles a recevoir les troupes prufliennes avec tous les égards qu'elles méritent, & a les affifter en tout ce qu'elles pourront. Cette aétion ne me paroit pas niarquée au coin d'un zèle catholique, Les gazettes, & par conféquent le public, affurent que M. le Comte de Rottembourg eft envoyé il Berlin de la pa t de la cour de France, pour y négocier une affaire de la dernière imporunce. D 3  7* .ËÖRRESPONÜANCBl Ce qu'on affirme avec une certitude opiniatre, c'eft que V. M. doit s'aboucher avec-le grand Due de Lorraine, & les affaires terminées, aller pafl'er avec ce prince le carnaval a Venife. J'ai l'honceur d'êire avec tout le refpect poffibte &c. A Berlin, la troifième fète de Noêl 1740, Sire , Tout le monde e'ft ici dans f attente de 1'événement dont la plupart ne peuvent déterminer ni la raifon, ni le but. Je fuis charmé de voir une partie des Etats de V. M. dans le pyrrhonifme: c'eft un mal qui eft devenu épidémique. Ceux qui femblables aux théelogtens fe croient en drt it de certitude, prétendent que V. M. eft attendue avec une impatience reügieufe par les protéftans i que les catholiques efpèrent de fe voir délivré? d'une inftnlté d'irhpöts, qui déchirent cruellemëris le beaü fein de leur Egüfe. Vous ne pouvez que téufllr dans votre courageux & ftoïque deffein, puisque la religion & rÓtetêf trouventéga? lement leur compte a fe ranger fous vos étendards. Wallis, qui commande, a ce qu'on dit, a fait panir un Siléften , cornrm; calomniateur: il an-  CORRESPOND ANCE. 7$ noncoit 1'arrivée prochaine d'un nouveau Meffie. J'ambitionne ce genre de martyre. Les critiques croient la démarche préfente direétement oppofée aux maximes renfermées dans le dernier chapitre de 1'Anti - Machiavel. Le mot de manifefle termine a préfent presque toutes les converfations: on veut qu'il en paroifle un aujourd'hui, qui ne doit être que la préface d'une araple déduction a laquelle un jurisconfulte travaille. On court chez les libraires, comme on s'emprefle a voir un phénomène célefte qu'ors auroit annoncé. Voila le début de magazette, qui ne peut être placée aux pieds facrés de V. M. que deux fois la femaine, vu 1'arrangement des pofles. Je pafferai Ia matinée de vendredi en priêres & en oraifons: les ailronomes prétendent que Mars entrera ce jour. la dans Ia conltellation de Ia doublé aigle. J'ai 1'honneur d'être avec un trés - profond refpeft &c. A Berlin, Ie Décembre. 1740. Sire, IL/e manifefle enfin paroit: tout Ie monde elï furpris de fa briéveté. On attendoit & on voulois une déduclnon ample & circonltanciée; & au Herx B 4,  lo CORRESPONDANCE. de cela, on recevoit un compliment fait auxpuiffance», que Ton croit fort alarmées. On éplucha cette déclaration, comme un théologien prêchanr, un texte de 1'Ecriture.' Chacun 1'explique a fa manière : 1'un prétend y trouver une frappante elarté, 1'autre au contraire y croit voir une obfcurité affectée & politique. Le peuple prétend ici que le grand Duc de Lorraine a été incognito a Rheinsbeig. Un mot de M. de Beauvau m'a furpris- On parloit des circonllances préfentes. Le Marquis, d'un air de réferve, me dit: Je tCe fais qui a fait naitre au Roi Pidée ie la démarche préfente, mais je crois qu'il ne fait pas tant mal. Perfonne n'entendra mieux le fens de ces paroles que Votre Majefté. Une nouvelle qui m'a paru originale, & qui eft alTez répandue: 1'Eleéteur de Saxe a decuifans remords de confcience de fon changement de religion. 11 ne fait comment obtenir cette tranqu'tllité d'ame que lui donnoit autrefois le luthéranifme. Ce n'eft point au Pape auquel il s'adrelTe, pour lever fes fcrupules; mais c'eft au Roi de Prufle qu'il ouvre fon cceur, pour Affermir fa foi chancelante, & pourdonner a fon credo la confiftance nécefiaire. O tempora! Une chofe eft fure, c'eft que rout Paris eft plein du changement de religion de V. M.: les lettres écrites a Berlin en font pleines. Cette nouvelle me fait na'ure une idéé, que les théologiens ne  CORRESPONDANCE. tx veuleut point que le ciel perde. Puisqu'un Roi fe privé par fon abjuration de fes droiis, Parure les revendique par fa repentance. J'ai l'avamage d'étre avec un refpeft profond, & un parfait dévouement &c. A Berlin,le 17 Décembre 1740yjïit 19BP s uui'jü M .mw ammcd taii Sire, L»Wl »?■»»•« ev jo Miqsa-je'i laa'lïï'l .«run? a nouvelle la plus récente que je puifle préfenter a V. M. c'eft le départ de M. Beauveau. II finit bier de parcourir le cabinet de médailles, dont il eft autant charmé que 1'eft le public du riche préfent qu'il a recu. On dir que celui du Roi de France, donné a M. de Camas, lui eft fort inférieur en valeur. On publie une alliance entre V. M., Ia Frati' ce,. & Ia Suède. On dit plus qne tout cela. On veut que la Reine de Hongrie foit morte en couche; je n'en crois rien. On implore dans toutes les églifes le fecoursda Ciel pour la profpérité des armes de V. M., & on allègue pour raifon unique de cette guerre 1'intérèt de Ia religion proteftante. A Pouïe de ce» mots, le zèle du peuple fe réveille : on bénit Dieu qui a fufcité un défenfeur aufli puiiïant. On fe récrie de ce qu'on a ofé le foupconner d'indifD 5  t» CORRESPONDANCE. férence pour ie proteftantifme. On aflure, fans 1'avoir examiné, que les droits de V. M. font inconteftables. Oh , le beau coup d'Etat! Le brave Pafcal, qui pourroit 'bien un jour décorer fa boutontiière des oreilles de Voltaire, eontre lequel il eft fort irrité, a fait une action d'un homma d'honneur. Ne fachant a quel faint ie vouer, il vint trouver M. de Maupertuis, & lui emprunta dix louis pour faire fon voyage. M» de Beauveau, touché de 1'état de eet officier, lui offrlt place dans fa voirure, pour retourner en France. Pafcal 1'accepte, & va rendre 1'argent a i'aftronome bienfaiteur, qu'il rernercie. J'ai l'honneur &c. A Berlin, le io Déeembre 1740. 1" 5 SS 2>ri:>& "AÓÏ ahjjfl'rfl 90 SttïéJï • :p JBO.v éz lettre dont il a plu a V. M. de m'hono» rer, me remplit de joie & de contentemenr. Je a'ai jamais douté de la réulïïte de fes deffeins: c'eft un batiment bien étayé, qui peut même fou~ tenir la tempête & 1'prage. Des troupes qui fe voient commandées par un roi, ne fauroient être fens gloire. Tirer un' peuple d'une faraine preste inévitabie, conquérir une province.au tsüieii  C O R R E S P O ND /i NCE. tj, ie 1'hiver, c'eft le plus beau commenceraent de règne qu'on life dans l'hiftoire. La ville annoncoit déja V. M. dansBreslau, & tout cela fondé fur une lettre qu'un marchand avoit recue. Jamais circonftance n'a mieux. été étofféedans un roman que ne 1'étoit cette nouvelle. Depuis qu'on croit V. M. agir en faveur du protestamifme, on la fait marcher a-pas- d'Achille aux. extrémités de la Siléffe. Ce qu'il y a de für & de trés - certain r c'eft que les cours étrangères ont fait ici a leurs miniftres des reproches fur leurs relations r ils n'ont pu s'imaginer le but de 1'armement,. ils les ont accufés' d'une trop grande erédulité. * Ce n'eft que depuis que V. M. fe trouve au milieu dtü camp & que la Siléfie eft en partie conquife,. qu'on commence a le croirè. Wolf a été recu a Halle a peu prés comme les Juifs recevroient leur Meffle , qu'ils attendent depuis fi long-temps. Une pédante cohorte fa efaorté jusque dans fa maifon. Lange, fon ennemi, eft venu le voir, & Ta comblé depoliteffes, au grand étonnement de k faculté; Madame de Rocoules, plus gaie qu'a Pbrcfr»naire, m'a chargé- d'envoyer k V. M. les trois; pièces ci-jointes, qu'elle croit convenir commela principale piêce d'une teilette a une dame ï c'eftl'appendice d'un équipage guerrier» fat l'hanneur d'être &Ci A Berlin, le 24 Décembre i7"4p*.  *4 CORRESPONDANCE. Sire, Berlin eft rempli de la prife de Glogau , les gazettes en parient; on circonftancie ce fait jusqu'au point de dire que Ie fiège en a duré quatre heures, & que chaque heure a cotité cent hommes, qui y ont perdu Ia vie. Mon barbier, d'un air emprelTé, me vint annoncer cette nouvelle; le mot de Glogau lui échappe, il fe le rappelle enfuite, & d'une joie vive & impétueufe il m'annonce que Ie Roi de PrulTe a pris le grand Mogol. V. M. pourroit-elle croire que dans Ie livre de Xofterus, publié il y a ttès ■ long-temps, on lui donnoit la Siléfie & la Moravie? Le partage que eet auteur y fait des Etats de 1'Empereur, mérite d'être lu par fa fingularité. J'ai eu foin de faire tranferire les palTages en queftion, qui traduits ne peuvent que divertir V. M. L'Eleaeur George Guillaume, frappé (a ce que dit Bayle) des révélations de ce fanatique, voulut le voir, le fit examiner par les théologiens de Francfort fur l'Oder: & il fe rendit a Berlin, par ordre de ce prince, en 1625,, 1626: 1'Electeur eut avec lui divers entretiens. Le miniltre Achard eft inquiet fur le fujet de fón beau - frêre Horguelin, un des plus riches marchands de Breslau, comme V. M. pourra Ie voir  CORRESPONDANCE. «5 par ce billet qu'il m'écrit: je 1'ai afïuré qu'il devoit fe tranquillifer & qu'il n'avoit rien a craindre dans cette circonftance, ni pour fon parent, ni pour fon bien, qui y eft en dépót. J'ai vu une lettre de Paris dans laquelle on dit que la mifère y eft toujours plus grande. Ou embarque ici force canons; ce nouvel envoi donne lieu a bien des réfiexions: on va les confidérer d'un air d'étonnement: on necomprend point quel en doit être 1'ufage, puisqu'on croit déja Ia Siléfie fous 1'autorité de V. M. J'ai 1'honneur & le bonheur d'être avec un profond refpeft & un parfait dévouement &c. A Berlin, le 31 Dicembre 1740- Sire, "J"e commence ma lettre par trois on dit , qus j'aurois bien de la peine a garamir. On dit que la Reine de Hongrie a tellement été fenfible k 1'enireprife de V. M., qu'elle a juré par le Styx, qu'elle aimoit mieux livrer tous les Pays-bas a la France, que de voir la Siléfie inanger fon pain & boire fon vin fous les éiendards. brandebourgeois. Cette nouvelle a pafFé a travers cinq ou fix oreilles politiques, qui Ia ruminent. On dit que la France prête deux miilions i.Ia D 7  96 CORRESPONDA NCE. Bavière, pour qne cette dernière puiffe foutenir fes juftes prétentions. Enfin en dit que la Rnflie prendra fortement le parti de 1'Empire, Voila trois objets propres a exercer la politique de ceux qui s'en occupent ane partie de la journéff. Une chofe eft également certaine & particuliere, c'eft que le bruit de la prife de Glogau étant parvenu a Glogau , tout le monde a été dans la joie, & buvoit a la fanté de celui qui rétabliflbit les murs de Sion, dans un pays oü 1'erreur avoit toujours cherché a les abattre entiérement. Voici deux morceaux de la gazette de Cologne que je crois devoir envoyer a V. M., du 20 Déeembre 1740. „M. de Borek donna jeudi dernier un „grand repas aux miniftres d'Etat & étrangers. „On allure que cefeigneur fe trouvant depuis peu „ a une table dont le Marquis de Mirepoix étoit „aufii, eelui-ci lui dit qu'il couroit un bruit que ,,S> M. pruffienne faifoit marcher des troupespour „ le fervice de notre Gour, & que M. de Borck „ répondit que non feulement ce bruit étoit fon„.dé, mais que le Roi fon maltre étoit prèt a en„faire marcher un plus grand nombre pour le fier. „vice de la Reine de Hongrie & de Bohème. „Le même Miniftre s'eft,,dit-on, expliqué apeu ^près de la même manière dans le repas de jeudi „ deniiet. Quoi qu'il en foit de eË  CORRESPONDANCE. i? „ tain que la cour ne parok aucunement intr.igi3ëe ,,d» la marche des troupes de Prufle. Le fecond article fe termine par cette réffexion, qui fuit un détail fait des préparatifs pour 1'éxpëdition préfente. „La deliination de ee corps , „ dans cette faifon, & dans ja conjonéture pré* „ fente, eft toujours un myftêre qu'aucun miniftre V étranger n'ofe peut - étre fe vanter d'avoir péné„ tré. „ J'ai 1'honn'eur &c. A Berlin, le 7 Janvier 1741. S1 R.E., L» déduction dés droits incontetlables de V. M. fur la Siléfie a paru famedi dernier: c'eft fur ce fujet que roule a préfent la converfation des politiques. On convient afiez généralement fur lé droit; mais les articles 15 & 16 font exporés a Ia critique. Les uns prétendent que 1'auteur auroit dü les oraettre, puisqu'ils femblent aftbiblir la fbrce des précédentes preuves :. les autres voudroient les voir raunis d'une autorité. Les per» fonnes qui n'entendent pas i'ailemand, attendent avec impatience la traducüon de tout 1'ouvrage. On alTure que V. JYL a les clefs de Breslau entre lies mains,. que les bourgeois de ce pays font charmé^ d'ltre. fous fa grote&ion. Je n'en fuis'goins;  «8 CORRESPONDANCE. furpris: & ils me paroiflent agir fon conféqueramenc. On a impriroé en Saxe la vie du feu Roi en 2 vol. in 8. J'ai parcouru eet ouvrage, qui a peine mérite d'être feuilleté. Le ftyle francois n'en vaut rien, il eft écrit fans goüt, fans jugement, & même fans prudence. Celle qui paroit en HolJande, & qae la Martinière dirige, fera entièrement tomber celle ■ ei. Je fais traduire a du Molard 1'ouvrage fur les converfations angloifes de Swift, dont, Textrait a diverti autrefois V. M. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, Ie 10 Janvier 174». Sire, Il eft arrivé un courrier (a ce que prétend tc peuple,) il y a trois jours, qui annonce au public curieux la reddition du grand Glogau , avec perte de cinquante grenadiers & de deux officiers. II y eu grande alarme a eet égard dans le quarlier des dames de Betlin; des pleurs ont été répandus, avant que la nouvelle füt confirmée. C'eft commencer par oü 1'on doit finir. J'ai été fort tranquille fur ce fujet, paree que je fais que V. M. eft fort au dela de Breslau, en trés -boiine fanté» & que ceux a la confervation desquels je  CORRESPONDANCE. 83 «'intérelTe, ont 1'avantage & 1'honneur de 1'accompagner. J'ai remis a M. Gautier, gsrde du cabinet des antiquités, les fept médailles, contre quittance. II feroit bien a fouhaiter que toutes celles qui ont été trouvées en PiufTe fuiviiTent la méme route. II y avoit dans la gazette d'Utrecht un article que je crois devoir envoyer a V. M.; c'eft dans celle du vendredi, 6 Janv. art. de Ratishoune. „ On écrit de Nuremberg qu'on y paroifloit crain„dre que le Roi de Pruffe ne renouvelat quelques „anciennes prétentions fur cette ville.„ Le bruit eft ici généralement répandu que Berlin aura la confolation de voir V. M. fur la fin du mois. Cette nouvelle eft trop agréable pourpouvoir étre fifacilement crue. J'ai 1'honneue d'être, en attendant que jepuifle me mettre aux pieds de V, M., après la glorieufe conquête, avec un refpect profond & un attachement iuviolable &c. Sire , Toutes les lettres qui viennent de Siléfie ne fauroient aflez fe louer des troupes de V. M., ds bon ordre & de la difcipline qui y règnent. On imprima famedi dernier, dans les gazettes A Berlin, le 14 Janvier 1741.  pó CORRESPONDANCE. de Bwlin, une lettre d'un officier prufïïen, qui veut bien rendre compte au public de ce qui s'eft pallé depuis 1'expédition de Siléfie jusqu'au mo-' ment du départ de fa lettre. II y a des perfohnes, qui prétendant fonder leur raifonnenient fur une expérience militaire de plufieurs années, ne fauroient fe perfuader que tout ce qui eft dit par 1'auteur fur 1'ordre des marches, & fur la rareté des traineurs, ne foit un peu exagéré. J'ai entendu fonement difputer fur ce point: & 1'on convint que ce qui paroitra exagéré fur ce ffijet a un étranger, ne le fera point a une perfonne qui fera un pevi au fait de 1'ordre de nos troupes. Douze miniftres partent aujourd'hui pour le pays conquis, ce qui fait beaucoup de plaifir k tout le monde: on les a vus fe deftiner a ce voyage, avec la même joie que les peuples d'autter fois ceux qui partoient pour la Terre fainte. Le miniftre de 1'Empereur eft, ace qu'on m'a affuré, fort chagria de n'avoir poiut depuis fix ordinaires recu des lettres de fa cour. II eft du nombre de ces honnètes gens qui ont 1'avantage de pouvoir s'affliger pour les intéréts de ieur maitre. II s'eft palTé a Hanovre une affaire entre les dotneftiques de M. de Beauveau, & ceux de faubergifte chez lequel il étoit logé : le différent ne rouloit que fur quelques gros: il y eu it cette occafion des épées tirés, des geus bleffés,, & un tapage de diable. J'ai bien remarqué que cette  CORRESPONDANCE. nouvelle ne faifoic pas plaifir aux amis de ce miniftre. D'ailleurs les gazettes de Hollande Tont rapportée d'une facon a en faire un peu feniir le ridicule, j'ai 1'houneur &c. A Berlin, le i? Janvier 1741. Sire, L'on allure que V. M. a donné un texte aux prédicateurs de Siléfie, fur lequel ils doiventprêcher. Ces paroles font fi bien choifies, qu'elles méritent d'être rapportées. On les trouve dans le ier livre des Macchabées chap. ir5. §. 33. 34. „ Mais Simoa lui répondit £f dit, nous n'avons point „pris le pays a"au trui, tif nous n'en temns point „d'autre: mais c'eft Pbéritage de nos pères, quia „ été pendant quelque temps injuftement pojfédépar „ nos ennemis; mais lorsque le temps nous a ètéfa„vorable, nous avons. repris Pbéritage de nos pi,, ris." Ce qu'il y a de facheux dans tout cela pour nos proteftans zèle's , c'eft que ce livre, comme V. M. le fait parfaitement, n'eft point recu parmi nous, il ne 1'eft que par les catholiques. La Nouvelle bibliothèque , de Nov. 1740 % fait un exrrait de 1'Ami -Machiavel, dont il patolt des traductions en allemand, en italien &  $i CORRESPONDANCE, anglois. „Nous ne connoiflbns, dit Ie journaille, aucun auteur ou plutót aucun livre de mo- ,,ra!e comparable a celui-ci ce qui nous „étonne, c'eft ce langage fi pur, eet ufage fi jin„guJier d'une langue qui n'eft pas, dit-on, celle „ de 1'auteur. Plufieurs morceaux nous ont fem„blé écrits dans des termes fi énergiques, le mot „propre nous a paru fi fouvent employé, & fi „fouvent mis a fa place, que nous avous douté „ quelque temps que 1'ouvrage foit d'un étranger." L'auteur fait un parallèle de Télémaque & du Machiavel; il dotine toute la préférence au dernier, foit par rapport au ftyie, foit par rapport aux chofesi Ici, dit-il, on voit un ftyle ur.i, mais vigoureux, & plein, un langage male, fait pour les chofes férieufes que 1'on traite. Enfin il remarque qu'il y a des endroits dans ce livre qui fuppofent uue connoifiance profonde de la méta* phyfique. Je ne penfe, ma foi, plus depuis le départ de V. M. II y a des ténêbres, & des ombres fortes dans mon efprit. J'ai 1'honneur & le bonheur d'être avec reconnoifiance & un refpect profond Sic. A Berlin, le 21 Fcvtier 1:41.  CORRESPONDANCE. >3 Sire, "V. M. a 1'art da guétir les malades d'une manière plus naturelle que le Roi de France ne gué» rfc les écrouelles; a 1'arrivée de la charmanre lettre dont elle a bien voulu m'honorer, il m'a femblé fentir mon mal diminuer: & j'efpère même étre bientót en état d'obéir a 1'ordre gracieux que j'ai recu. Je ne doute point que M. de Maupertuis ne fe rende toujours trés-volontiers aux ordres de V. M., & ne fafle le voyage avec moi. Je viens de recevoir dans ce moment une lettre adreiTée a un ami, de Marfeiile, oü il y a une ftropbe qui, je crois, mérite que V. M. la Iife: Tous ces raifonneurs du portique Sous des habillemens grolfiers Cachoient la gloire fantaftique D'être des hommes finguliers; Le corps & 1'efprit a la gêne, Au fond d'un tonneau, Diogéne Ne cherche pas la vériié; Mais ce cynique y vient attendre L'inilant oü le grand Alexandre Viendra fiatter fa vaniié. J'ai 1'honneur d'être avec un profond refpeS &c. A Bsilia, le 48 Fêvrier 1741.  ffr CORRESPONDANCE. Sire. \^oici une kyrielle de nouvelles qui me fontvenues,& qui divertiront peut-être V. M.,quelque occupée qu'elle foit a de grands delTeins. Le Roi de Pruffe, dit un gazetier de Hollande, fait faire de grandes perquifnions touchant 1'affaffinat de Saiut Clair. A cette nouvelle on ajoute celle-ci, que Ie Roi de PrulTe a envoyé des prédicateurs en Siléfie „ d'autant que ce prince marqué beaucoup de zéle „pour les intérê s & pour raccroilTement de laré,,ligion proteftante. On obferve dans toutes les „églifes de Siléfie d'y réciter la prière que ce prince „a dreffée lui-mêine." Pour ee qui regarde le gazetier de Cologne, je n'en pirle point a V. M., qui fans doute eft inforuiée des impertinences inférées dans fa dernière gazette. Le bruit eft ici général que nous aurons la confolation de voir V. M. dans quinze jours a Berlin: cette nouvelle m'a fort occupé, & me feroit beaucoup de plaifir, d'autant plus qu'on allure que 1'armée d'obfervation n'aura plus lieu. - On parle ici d'une action qui s'eft paffee fous les yeux de V. JVI. Trois cents Prufliens fe font fait jour au travers de huk cents houfards impé-  CORRESPONDANCE. 9S riaux; ce qu'il y a de particulier, c'eft qu'on débite ici que trois ou quatre cents étudians de.Prague, qui fe font avifés de vouloir guerroyer, ont éié menés prifonniers a Kuftrin. J'ai 1'honneur d'être avec un refpect profond &c A Berlin, Ie 4 Mars 1741. Sire, Le nombre des nouvelles eft fi grand, & elles varient tellement, qu'on a peine a fe déterminer dans le choix. Trois cents étudians déguifés tentent fentreprife d'enlever le chef de 1'armée pruflienne: un jéfuite lés commande, fous les aufpices d'un faint abonne réputation, Ils font pris; envoyés a Kuftrin. Cette nouvelle, quelque ridicule qu'elle foit, eft affirrnée, & paroit tous les jours dans le public fous une nouvelle forme, revétue de dilFérentes circonftances. On dit ici gravernent que quatorze mille Bavarois font entrés en Autriche. On continue a protefter le retour de V. M. dans quinze jours : ma raifon fur ce fujet combat les fuggeftions de 1'amour propre. Je le fouhaiterois tellement, que je crains de ne pas avoir ce plaifir.  f6 CORRESPONDANCE. On affirme d'une maniére pofitive qu'il n'y aura point de campement formé pat les troupes de Hanovre. On patle beaucoup de paix: je conté cela avec autant de joie qu'un dévot auquel on patle dubonheur célefte. On eft ici frappé de la promptitude de 1'ordre donné aux gendarmes de partir inceflamment. Tout cela femble nous éloigner de la paix. On eft furpris de ne rien apprendre de pofitif & de déterminé fur les opérations de la campagne. A la fuite de tout cela j'aurai 1'honneur d'apprendre a V. M. que je fuis en partie rétabli, & pret a obéir aux ordres qu'il lui plaira me donner. J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlin, le r Mars 1741. Sire, La lettre dont il a plu a V. M. de m'honorer eft divine. Que cette philofophie eft belle! Qu'il eft rare de voir quelqu'un parler contre 1'ambition, quand il marche heureufement dans le chemin de la gloire! Qu'il y a de réflexions a faire furie ca. *iaftère du conquérant, & fur fes peioes: mais je me fouviens de la réflexion que fit un philofophe hé'  CORRESPONDANCE, s>7 héros, après avoir entendu certain prédicateur, & je me tais. Vous afpirez, dit-on, a la dignité impériale; & la confeflion de foi de V. M. a été remife au faint père. Cette nouvelle eft des pays étrangers. En voici de la ville", ou plutót de mon cabinet, oü des nouvelliftes les débitent, depuis que je ne fors point. M. Borck 1'Adjudant eft allé a Vienne pour trailer. A 1'ouïe de pareille nouvelle, il fortinvolontairement de ma bouche une prière éjaculatoire, pour que la paix fe falTe. Je crains, ma foi, autant le courage de V. M. que 1'ennemi que vous combattez. La ehambre des communes condamne le canw pement fait a Hanovre, & ne veut en rien y contribuer. Je trouve qu'elle a raifon, paree qu'on ne gagne guère a combattre. M. de Brackel offre de parier contre qui voudra la fomme de cent louis, que la paix fera faite en trois mois de temps. Si je pouvois 1'aecélérer en facrifiant toute ma bibliothèque, j'y mettrois le feu avec autant de zèle qu'Eratoftrate Ie ruit au temple d'Ephèfe. Mon Horace, mon bel Horace y pafleroit, je le jure. On dit ici une nouvelle bien trifte, que M. de Reyfewitz a été enlevé. Je fouhaite que cette nouvelle foit faufle. M. de Maupertuis part demain, pour aller fe niettre auxpieds de V. M. Comme mafamécomOeuv. to/lk. 4e Fr. u» r. XII. E  $t CORRESPONDANCE. mence 1 fe rétablir, j'attends les ordres de V. M., pour avoir Ia confolation de voir Ie plus cher&le plus aimable des maltres. II vient d'arriver un courrier qui annonce la reddition de Glogau: cette nouvelle m'a comblé de joie. J'ai 1'honneur d'être avec un trés-profond refpecl &c. A Berlin, Ie n Mars 174'- Sire, La gazette francoife de Berlin en parlattt de la confpiration a effrayé & fait frétnir tous les honnêtes gens: j'avouerai a V. M. que je n'ai fespric occupé que de cette idéé, que j'ai tout le temps de confidérer dans le filence du cabiner. Le fait une fois avéré , les perronnes capables d'un aufli noir delTein, ne peuvent êtrequecouvertes de confüfion & d'ignominie. Les eccléfialtiques catholiqucs ne font pas moins a crainére: ils le font même peut-être plus, paree que leurs démarches font cachées , & couvertes du voile ténébreux de la religion. Dieu veuille préferver V. M. d'accidens! Je m'appliquerai plus foigneufement a la vertu , afin que mes prières foient exaucées, car on dit qu'il n'y a que celles des juftes qui le foient.' La cour de Saxe, dit-oa, demande une Prin-  CORRESPONDANCÉ. cefle de cette maifon pour le Prince royaldePologne. La Reine de Hongrie cédera toute la Siléfie moyennant quarante mille hommes que V. M.lui accorde: voila deux nouvelles qui n'ont pas méme de Ia vraifemblance: celle-ci en a une nuance , c'eft que la cour impériale eft fort embarralTée. Le voyage de M. de Valory Iburnit matióre £ bien des conjectures politiques: il y a, ma foi, de quoi épuifer 1'art conjectura! , quand il aura été alTervi a des régies fines & in variables par M. Wolf, comme il le promet. Madame de Rocoules , qui fe porte un peu mieux , m'a chargé de la mettre aux pieds de V. M. Quand aurai - je Ia confolation de ponvoir faire ma cour a Berlin, après une paix ftable & conftante, a celui qui eft la confolation de tout Ifraël ? Je demande grace pour ces derniers raots théologiques, & j'ai 1'honneur &c. A Berlin, le 14 Mars 1741. Sire, prife de Glogau a rempli de joie tout Ie public, & on attend, avec une impatience qui me fait plaifir, le détail de cette belle action dans les gazettes. II n'eft point de paniculiat' £ s  ,oo CORRESPONDANCE. qui n'y prenne part. Ce que Pon admirelepras, c'tft qu'on ait pu arrêter le foldat, qui dans de pareilles circonftances a presque toujours le droic du pillage. Voila les avantages réels qu'on retire de la dicipline militaire de ce pays. On fe dit ici a Poreille que la France déclarera la guerre aux Hollandois. J'ai peine a le croire; cependant les oracles de la politique 1'affirment, a ce qu'on prétend: & je m'en tiens fur ce fujet a la foi de mon curé. On croit la paix fur le point de fe faire, paree que le Prince de Lichtenftein s'eft abfenté de Vienne , & qu'on foupconne qu'il eft allé au camp pru'ffien, pour déterminer V. M. a ne point écouter les propofuions de la France, & * recevoir Ia balie Siléfie que lui ofFre la Reine de Hongrie, qui afpire a une alliance avec V. M., paree qu'elle la croit plus ce.taine & moins fujerte a caution. Ce font les raifonnemens d'un nouvellifte, qui après maintes grimaces convulfives accoucha hier de ce fyftème. Du Molard eft allé a Paris attendre les ordres de V. M., par la crainte qu'il avoit de nepouvoir arrlverfans la difette au point de féreétion de PA/•■irlpmie. J'ai la douce efpérance de partir au milieu de la fetaaine prochaine, pour aller me mettre aux pieds du conquérant de la Siléfie. J'ai 1'honneur d'être avec un profond refpeft&c. A Berlin, le 17 Mars i74»>  CORRESPONDANCE. ior Sire, J'efpère d'avoir 1'honneur de me mettre auxpieds *de V. M. dimanche prochain. Je fuis impatieut de voir arriver ce moment, pour jouir de eet avantage. Le Roi d'Angieterre, a ce qu'on dit, veut luimême commander fon armée; on parle même ici de la beauté de fes équipages: on ajoutea cette nouvelle Ie transport de douze mille Anglois pour l'AHemagne. On ne parloit que de paix il y a quelques jours. On dit a préfent qu'elle eft fort éloignée; que V. M. ayant pris des engagemens avec d'autres puiflances, Ia Reine de Hongtie avoit trop tardé ; qu'elle auroit dü hater fes négociations. On débite bien des chofes fur le pauvre M. de Reyfewitz , qui me paroiflent dtre fans fondement : on allure que fix cents hommes font entrés par furprife dans Brieg, fans que le blocus s'en foit appercu. Toutes ces nouvelles vanent chaque jour, font crues pendant un temps , & rejetées dans un autre. J'ai vu avec furprife un ouvrage anglois, qui renferme le déifme tout pur, traduit en allemand, fe vendre ici publiquement. Voila de quoi exerE 3  loa CORRESPONDANCE. «er Meflïeurs les théologiens; ce fera pour quelque temps la pomme de difcorde. II parolt une excellente hiftoire de j'établiflement des religieux de la compagnie de Jéfus. Je fuis perfuadé que eet ouvrage fera beaucoup de bruit. On dit que le Comte Pickler a été enlevé paf les houfards & tranfporté a NeiiTe. Dieu veuilie conferver V. M,J Je puis rendte cette juftice au public de Berlin, c'eft que tout le monde fait bien des vceux pout fa confervation, J'ai 1'honneur d'être avec un rejpect profond &c. A Berlin, le 20 Mars 174.1. Sire, Je fus bier dans de terrïbles alarmes: Ie bruit du canon entendu , la fumée de la poudre vue du haut des tours, tout cela fit foupconner qu'il y avoit un cornbat entre les deux armées. Lefait a été confirmé ce matin, mais d'une manière inSniment glorieufe aux troupes de V. M.: la joie a été répandue chez tous les habitansproteftans, qui commencoient a craindre a caufe des faux bruits que les catholiques prenoient plaifir a répandre. Des perfonnes qui ont été préfentes a 1'action ne faurorent r.(Tez exalter le fang fvoid &  CORRESPONDANCE. im% la bravoure de V. M. Pour moi je fuis au comble de la joie. J'ai couru toute la journée pour annoncer cette bonne & glorieufe nouvelle aux Berlinois qui fe trouvent ici. Je n'ai jamais fenti. une fatisfaction plus parfaite. Monfieur de Camas eft ici fort mal depuis deux jours, attaqué d'une fièvre chaude. Le médecia fe flatte qu'il le tirera d'affaire. On vient de publier une relation imprimée, mais qui me piroit mal circonftanciée; je me (latte qu'elle parol'ra bientót d'une main plus habile: un fait auffi glotieux mérite un détail raifonné, & mieux développé. Dieu veuille conferver V. M., pour la confolation & le bonheur de 1'Etat t J'ai 1'honneur d'être avec un trés-profond respect &c. A Berlin, le u Avril 1741. Sire , On tronve au coin de toutes les rues un orateur plébéïen qui exalte les . fairs guerriers destroupes de V. M. J'ai fouvent allifté, pat oifiveté, a ces difcours, que le cceur dicloit plutót que 1'art. J'ai quitté ce roatin M. de Camas, quipourroit bien ne pas palier la journée, Le médecin, fon ehirurgien le condamnent; je ne 1'ai guère quitté pendant fa maladie. E 4,  io4 CORRESPONDANCE. On fait ici courir le bruit depuis deux heures que Brieg s'eft rendu. Dieu le veuille! J'attends les ordres de V. M. aBreslau, n'ofant pas me rendre a Ohlau, pour me mettreafes pieds, fans permiftion. Cette femaine arrivent'Meflïeurs de Valory, le miniftre de Suède, & Poellnitz. On dit que le Cardinal eft retenu ici prifonnier. II y avoit fur eet arrét dans la gazette francoife de Berlin un article qui a fait plaifir a tout le monde. On ne fait oü eft M. de Maupertuis, qui eft apparemment pris prifonaier. V. M. en aura fans doute des nouvelles. J'ai 1'honneur etc. A Berlin, le 14 Avril 1741. Sire, \\ parolt une nouvelle édition de 1'Anti-Machiavel , publié par Voltaite, dans laquelle on a inféré ce qui avoit.été retranché de la première. La traduftion allemande faite a Gcettingen parolt ici. Dans la feuille hebdomadaire que le Chevalier de Mouhy comptoit de faite imprimer a Berlin, & qu'on refufe d'imprimer, il y a les paroles fuivantes. „ M. le B. de Cbambrier . . . eut  CORRESPONDANCE. '„ audience la femaine dernière du Roi, lui rendit un» „lettre de la part de fon mattre, & fit a fa Ma„jefté le détail de 1'affreufe confpiratlon que le „Roi de Prufle a décou verte heureufement. Le „projet des conjurés étoit de fe défaire de ce „monarque a la première occafion favorable, ou „de 1'enlever, s'ils pouvoient: plus de foixante „perfonnes étoient de concert pour eet odieux „projer; c'eft leur nombre qui les a rendus fuf„pects ... Le chef des conjurés étoit chargé de ,, lettres en chiffres, dont on 1'a obligé de donner „la clef. Cette affaire fait un bruit épouvama„ ble. Le Roi de Prufle a donné ordre a tous fes „miniftres dans les pays étrangers d'en faire con„noitre 1'horreur: Le criminel a été remis fous „une garde fure,-& fe Roi de Prufle a obtenu du „collége électoral qu'il feroit jugé a la diète de „Francfort, oü toutes les piéces jüftiffcatïves fe„ront examinées par les Eleéteurs aflemblés pour ., en faire la juftice qui cönviendra. „ Le Roi d'Angleterre a fait publier qne cette „confpiration avoit été fuppofée par le Roi de „Prufle, de concert avec le Duc de Bavière, „pour perdre ie grand Duc de Tofcane dans „1'efprit des Eleé>eurs & de toute 1'Europe, „pour le fruftrer de la couronne impériale,, a „laquelle il fembloit qu'il auroit été appelé; „mais il y a bien pen rTapparence. L'on at„ tend des lettres de Vienne qui doivent nous „inftruire des moyens que la Reiue de Hongrie * 5  ,o C&RRESPONDANCE. ' „mettra en ufage pour feu ver au grand Duc ra „honte dont cette aftion affreure le couvrira, fi „1'pn ne parvient pas a faire connoitre la fauf„feté de cette ignominieufe accufation. „ On a chanté le Te Deunt a Vienne: j'ai fait fur le champ ce quatrain a 1'ouïe de cette nouvelle. Croyez-vous que pour la vicroire Le Tê Deunt a Vienne s'eft chanté? Kon: mais Neuperg a Dieudonnelagloire D'un grand péril promptemeiit évité. Dieu conferve V. M.! je ne fais plus d'autre yrière, c'eft mon Pater de tous les jours. J'at ïkonneur d'être &c. A BreslMi, le aS Avril I741- Sire, Oue V. M. eft charitablel Elle ne me donne paTfeulement de quoi vivre, mais elle a encore la bonté de fournir a mon ame une noumture fptzituelle. ]'ai recu les pfeaumes italiens fur les airs •a mélodieux LobwalTer. Si je prends plaifir a chanter Ce ne font point les faits desanges* Les dévots peuvent les fêter» Jordaa ehsntera vos- louanges..  CORRESPONDANCE» lof Le refte de mes pauvres poumons ne doit être confacré qu'a cela-. On dit, Sire, que vos ingénieurs font un feu d'enfer autour de Brieg, que 1'on voyoit hier ce feu de nos clochers, que le Commandant ne s'eflr appercu que fort tard qu'on travailloit au pied da , mur de fa forterefle. Mais ce qui fait plaifir i j toute la ville, c'eft qu'après la reddition de Brieg J on alTure que 1'armée de V. M» viendra camper, vers les portes de Breslau. A 1'abri des crueis houfards Et des furprifes de la guerre, Je verrai mon Dieu tutélaire, Et fes glorieux étendards. On !es voit plus tranquillement, quand on le* ¥oit fans crainte. La gazette flamande rapporte un fait bien particulier, que j'ai ofé mettre en vers, que voici,. Le Pape plein de charité Pour Ia Régente de Hongrië, Pendant trois jours s'eft abfenté.De fa très-fainte compagnie:: Un cardinal, a fon retour,. Humblement demaiide au faint père; Ce qu'au ciel il eft allé faire, Et les raifons de ce féjour?' Ah , dit-il, d'un ton lamentable* A» ciel je me fuis tranfporté,, £ 6 -  I08 CORRESPONDANCE, Pour implorer la Vierge charitable , Et le fecours de fa bonté. Mais, ó cherscardinaux, quelle fut ma furprife , Quand approchant cette Divinité, Je la vis fur fon tróne afïïfe L'ordre pruffien a fon cóté! Quotque V. M. aille toujours de victoire en Viftoire, je ne celTerai de fouhaiter la paix, paree que c'eft le feul moyen de vous conferver au milieu de vos peuples.dont vous êies toute Ia confolation. Plüt a Dieu que tout le monde aimat auffi peu les lauriers qae moi! Je n'afphe point a la gloire, Je ne veux lauriers, ni guerdemt Tout le beau temple de mémoire Vaut-il les lauriers d'un jambon ï Jai 1'honneur, 1'avantage & le bonheur d'être &c. A Breslau, le a Mai 1741. Sire, J'ai 1'honneur de féliciter V. M. fur la prife de Brieg: fa campagne fe finira, lorsqu'a peine les autres y entrent; rien de plus glorieüx que tout cela aux armes de V. M. Dieu veuïlle feulement la conferver au milieu de toutes fes viftoiresl  CORRESPONDANCE. 109 J'ai recu une lettre de Paris dans laquelle on m'a envoyé 1'épitaphe de RoulTeau , faite par lui ■ même, deux années avant fa mort. De eet auteur noirci d'un crayon fi malin, PaiTant, veux-tu favoir quel fut le caractère? II avoit pour amis, Titon, Brumoi, Rollin, Pour ennemis Gacon, Pittaval & Voltaire. Une nouvelle qui me furprend, c'eft que M. Voltaire fait repréfenter fon Mahomet a Lille; je regarde cela comme une efpèce d'injure faite au théatre de Paris. J'ai 1'honneur d'être avec uo profond refpeft &c. A Breslau, le s Mai i74-* Sire, T'ai re9U la lettre dont il a plu a V. M. de m'bo. norer: c'eft la première qui m'ait canfé de la douleur. Je n'en ai pas 1'obligation .a ma mauvaife étoile. Je n'ai quitté le camp que lorsque V. M. ma ordonné de le quitter: fi j'ai fait connolire quelque fentiment de crainte, c'eft une preuve que j'ai été plus naturel que prudent: d'ailleuts aquoi m'auroit fervi de cacher des foiblefles qui n'auE 7  iio CORRESPONDANCE roient pu échapper aux yeux clairvoyans de V. M., qui a la bonté de fupporter les hommes tels qu'ils font, & de conniver a mes défauts? L'hiftoire du médecin de Breslau débitée a V. M. feroit fort jolie, il elle ne regardoit pas un homme qui n'a de maladie que celle d'&imer trop le genre humain & de penfer triftement. Je n'attends que les ordres de V, M. pour me mettre a fes pieds, pour avouer ma foiblefle, & pour 1'affurer du zèle & du retpect profond avec lesquels j'ai 1'honneur d'être &c. A Breslau, le 8 Mai 1741. Sire, "J['ai reen la jolie defcription ie V. M. touchant Maupertuis ; fon domeftique partit hier , & ne doute point que fon maitre ne tevienne a Breslau fliremenu Ou ne parle ici que de la paix, que 1'on allure prochaine; je le fouhaite plus que je ne 1'efpère» Les ennemis, a ce qu'on dit, fuient quand 1'armée de V. M. fait mine de les approcher. On dit qu'ils l'ont fait a Strehlen. La gazette de Leyde dit que le cheval de RL. Maupertuis ayantpris le mords auxdentsau milieu de la bataille, l'avoit jeté dans 1'armée ennemie. Je ne fat ce que c'e£ que mauvaife hume*?;  CORRESPONDANCE. iïï fen puis même alléguer une pteuve; j'ai pris Ia liberté d'envoyer a V. M. deux lettres dans lesquelles il y avoit des vers: & je ne fais des vers que lorsque la joie ne me permet pas deraifonner. J'entendis hier bon nombte de melTes, paramureraent, puisque je ne puis aller a 1'églife par dévotion: nous n'avons point ici de culte au rh réformé, & Pour moi, comme une humble brebis * Sous la houlette je me range; " II ne faut aimer le change, Que des femmes & des habits. ■Btyh, dans Part. de Racan,.i ccyicjttrmt* Ce qui me remplit de joie, c'eft qu'on allure que V. M. fe porte a préfent a merveille, &que les maux de tête font diffipés. J'ai 1'honneur &c. a Breslau, le 12 Mai 1741. On eft ici extrêmement impatient d'apprendre des nouvelles fur la marche de 1'armée de V. M. On dit que les ennemis fe retirent a mefure que V. M. avance. On ne feroit pas mieux quand ja feois a i* tête du confei! autricbien^ Qui pess  lis CORRESPONDANCE. tenir contre 1'ardeur guerriére des troupes de V. M.? II y a encore une nouvelle édition de 1'AntiMachiavel, avec quantité de pièces juftificatives, en faveur de M. de Voltaire. Voici une épigramrne imprimée dans la Bibliothèquebritannique fur f éditeur de eet ouvrage. Des auteurs peu confidérables Ont eu d'illuftres éditeurs; Er les plus illuftres auteurs, Des éditeurs très-miférables; L'éditeur & 1'auteur font aufli quelquefois Deux fots obfeurs qu'unit leur geut pour les fornettes: Mais ici nous voyons le prince des poëtes Editeur du prince des rois. Dieu veuille ramener bientót V. M. dans nos quartiers! J'ai 1'honneur d'être &c. A Breslau, ce 26 Mai 1741. Sire, La lettre qu'il a plu a V. M. de m'accorder, peut me garantir contre dix jours de trilteiTe. Vous favez guérir tous les maux, plus efficacement que Ie Roi de France ne guérit les écrouel-  CORRÉSP O ND ANCE, 133 les. Monfieur le Baron ne manquera pas de vous envoyer les vers; il y eft doublement inréreffé. Céfarion eft arrivé a Berlin en bonne fa'nté; il a fait le voyage en quatre jours: on va toujours vite, quand on va oü la tranquillité règne ; c'eft ce que j'écris a M. de Kayferling, lui qui regarde comme un malheur de ne pas voir de fes yeux les effets triftes de la guerre. La lettre de V. M. me fait frémir: trois batailles, quatre alTauts, cent efcarmouches, ne font pas trembler Jordan, mais ils épouvanteroient le Diable. Vous aimez Ie bruyant tumulte De Bellone & du champ de Mars: Quoiqu'a fes traits toujours en butte, Vous n'aimez que fes étendards. Les dons précieux de Minerve, Et les biens facrés de Cérês, Tout ce bonheur ne fe réferve Qu'aux chers miniftres de la paix. V. M. me fait bien de 1'honneur, ou plutót elle fe moque bien de moi, en me parlant de Gamaliel qui étudie 1'art de la paix. Que je fuis heureux quand V. M, eft a Berlin, ou a Rheinsberg! Je partage mon temps entre Ie plaifir de fervir V. M., & celui du loifir agréable de ma retrait*.  114 CORRESPONDANCE, La tranquille en ma retraite ]'attends les décrets du Deflin: Ma joie n'y eft point inquiête Entre Bacchus & ma catin. II n'y a que le befoin des hópitaix & de la conférence qui fait que je penfe a Benin. L'hópital de la charné Humblement Jordan vous demande, Qui n'eft d'aucune utilité Partout oü Bellone comraatide. Conquérant de la Siléfie, Prince guerrier, quoique benin, Je vous conjure & vous fupplie Pe m'envoye.r vite a Berlin. Tout m'attrifte en cette contrée ï L'on n'y boit que de mauvais vin, L'on n'y voit que fille infecléa. Que ne puis-je aller a Berlin! L'on ne parie ici que de guerre Et le foir & dés le matin; Mars eft le Dieu qu'on y révère. Que ne puis je aller a Berlin! Le bruit du canon me réveille Le cri du foldat inbumain Ne permet pas que je fommeille. Que ne puis-je aller a Berlin!  CORRESPONDANCE. 113 Ce qui m'engage a demander cette grace a V. M., c'eft qu'on allure ici la paix comme une chofe certaine. Cela me fait tourner la cervelledejoie ; je veux célébrer ce beau jour dans Pendroit oü je brille le plus, dans ma bibliothéque, oü mes livres ne difent mot, & écoutent mes pauvretés, & on allure que dans peu Berlin aura le bonheur de voir V. M. J'ai 1'honneur d'être &c. A Breslau, Ie 3 Juin 1741. Sire, 1"'ai recu vos aimables vers Êcrits de facon trés-normande: Que Dieu m'accable de revers, Si je fais ce qu'on y commande.f Je puis alTurer a V. M. que j^gnore fi elle m'ordonne d'aller a Berlin ou de refter k Breslau: A quoi donc nous fert la critique? Nous rend • elle moins incertains, Puisque 1'efprit académique Toujours nous ofFre deux chemins ? Ce n'eft pas le premier chagrin que m'a caufé le pyrrhonifme. Une dofe de la philofophie dog= «arique m'auroit d'abord déterminé : mon pes-  n6 CORRESPONDANCE. criant pour la fecte de 1'académie, la crainte de manquer a mon devoir, tout cela me rend indéterminé. La jérémiade envoyée il y a cinq ou fix jours difïïpera peut-être ces doutes. Car en bonne foi de chrétien Je ne puis féjourner en ville Oü le culte calvinien Eft rejeté comme acte de Sibyile. Je n'ai jamais été courtifan; vous n'avez pas befoin de cette engeanee, qui dégüife perpétuellement la vérité, & on ofe la dire devant V. M. Pourquoi ne la dirois-je pas? Je m'ennuie a Breslau, puisque je n'y puis faire ma cour a V. M., & que je n'y ai point ma bibliothèque, ot Je goüte la tranquillité, Repofant dans le fein des Mufes,Mon bel Horace a mon cóté M'engage a méprifer les rufes Du monde, & de fa vanité. Les Francois font inconfians, cela eft vrai: ils le font par légèretê , j'ai affez d'efprit pour 1'être pat volupté. Je ne le fuis jamais en amitié. Je ne fuis jamais inconltant A 1'égard d'une aimable belle: Dés qu'un mérite eft éminent, On cefie alors d'être infidelle.  CORRESPONDANCE. 117 Ce n'eft pas tout: oferois-je demander i V. M. une grace? Três-humblement je vous fupplie, Conquérant de la Siléfie , De me donner un billet a Vorfpann, Pour que je puifle en ménageant, Conferver ma bourfe garnie, Et la garantir d'étifie. 'J'ai' 1'honneur d'être &c. P. S. On ne parle ici que de paix, On croit y voir finir la guerre , £t tout profpérer a fouhaits, Sous Fréderic que le monde vénire. A Breslau, Ie 17 Juin 1741, Sire, J'ai home cTaccabler V. M. par la fréquence da mes lettres, & de mes vers, qui doiveui paroltre a vos yeux ce que parolt un portrait de barbouilleur aux yeux de Pefne. Ce n'eft que mon oifiveté Qui produit tout ce bavardage, C'eft trop de témériié, Que de riraer amon age:  n8 CORRESPONDANCE. Ce qui rae paffe, c'eft la bonté des vers qne V. M. cornpofe, dans un temps oü elle fe promêne par toute la Siléfie avec fon armée, & y porte la terreur. Les neuf fceurs du facré vallon, Ëxalteront par des chants d'allégrelTe Les nobles faits du germain Apolloii , Qu'eut adoré la refpectable Grèce. Je remercie trés - humblement V. M. de la gr*, cieufe permiflion qu'elle a bien voulu me donner d'aller voir ma chêre bibliothêque, qui fait le plus réel bonheur de ma vie. Chacun eft heureux a fa guife: Victorieux en province conquife, Votre bonheur eft folide & parfait; Le mien étoit ici trés - imparfait, Puisque j'étois en entière difette De livres, vin, & de faine fillette. Votre bonheur eft fous vos étendards; Je fuis heureux, puisque je pars. Le bonheur dépend de 1'idée qu'on s'en forme. Je fuis fortement embarralTé fur la nature de mon bonheur. Je le cherche dans 1'étude, quoique la réflexion nous rende fouvent malheureux, & que la diftradtion nous divercilTe & nous égaye. Tous les hommes fe reflemblent; ceux qui pourroient etre fort heureux, s'appliquent a ne p„as 1'êtr».  CORRESPONDANCE. n> Un quidam 1'autre jour fortement foutenoit Que le bonheur étoit trés - volontaire, Que qui fortement le vouloit, Pouvoit par fon efprit au malheur fe fouftraire: Je répondis a cela viveraent, Que les efprits font de trempe diverfe; C'eft oeuvre de tempérament, Quand on fe rit de la détrelTe. Mais ce qui beaucoup furprenoit, Ceft que tel qui pouvoit rendre fa vie heureufe, Au lieu de cela s'appliquoit A fe la rendre malheureufe. Dieu ramène bientót V. M. dans le fein de fa capitale! Un bonheur fur lequel mon pyrrhonisme ne fauroit mordre, c'eft celui d'être avec un entier dévouement & un refpeft profond &c. A Breslau, le 19 Juin 174I, Sire, "Voici des vers irréguliers, faits fort irréguliêre» fflent, par un homme qui n'a jamais été régulier. Énvifagez-Ies comme ces bordures dans-le goüt de Barroc, qui ont eut cependant 1'avantage de vous plaire. J'ai une envie déuaéfarée de voir vos  120 CORRESPONDANCE. troupes monter la garde fur le marché de Breslau, de la boutique d'un libraire nommé Kom,• vous ne fauriez, Sire, refufer cette confolation a Siméon , qui veut voir le falut, non d'Ifraè'1, mais de 1'Allemagne. Les troupes de V. M. ont acquis a très-jufte titre cette prérogative. Je pourrois alléguer a V. M. des raifons de fanté ; elle eft fi délicate, que je ne puis en jouir que par de fréquens hommages, toujours involontaires, rendus a la faculté. II y a fix mois que j'eus la témérité de les refufer; mais la néceffité m'y force préfentement. j'ai 1'honneur &c. A Berlin, le 11 Aoüt 174»- Sire, Te fuis arrivé a Breslau, que j'ai vue avec grande joie, ornée & parée par vos belles troupes. Les filles y regardent voluptueufement les foldats de V. 1VI. Je n'en fuis point du tout furpris, Ils donnent de 1'amour par l'air & par la taille, Hercules dans un jour oü vous donnez bataille , Hercules en vigueur dans file de Cypris.  CORRESPONDANCE. lm On fe dit ici a foreille que V. M. eft fur le point de conclure une alliance avec Ia France; je n'en fais rien; une chofe fais-je bien furement, c'eft que le voyage imprévu de M. de Valory donne de la tablature a tous les miniftres: comme une comète a vafte queue en donne a Meffieurs les aftronomes. On prétend qu'en moins de trois jours il y aura une bataille: j'ai peur de ce mot, comme les Ro. mains en avoient de ceux qui expriment la mort: Je n'airae point ce qui détruit, J'aime bien ce qui multiplie; Un combat peut priver votre corps de la vie Que 1'amour pour nous a conflruit. C'eft une obligadon que votre pays a a 1'amonr, & il y a, j'ofe Ie dire, de 1'ingraiitude a ne pas la conferver. On attendoit ici V. tvï., il y a quelques jours. Monfieur de Bulau a quitté pour cela 1'hótel qu'il occupoit. Vous ferez recu ici comme les Juifs recevroient le Merite, s'il jugeoit a propos de venir. J'ai 1'honneur &c. • A Breslau, le ip Aoüt 1741, Ctav pojlh. de Fr, II T. XII. p  j22 CORRESPONDANCE. Sire, Robinfon arriva hier; il furprit par fon arrivée les grands & les petits de la ville: les idéés de paix fe réveillent. Ce qui me charme, c'eft que tout cela contribue a la gloire de V. M. Ce redouté Roi pruulen Fait le róle d'une coquette: Tous afpirent a la conquête Et lui ne fe gêne pour rien Le Francois a 1'air un peu capot, mais mordant; le Milord eft gai; le Hollandois enrage, & dit que ce voyage eft fait inutilement, que 1'heureux négociateur n'a que des. pauvretés a propofer. Pcellnitz étoit hier aux prifes avec le Hanovrien j ce dernier difoit: le Roi mon maitte parottra bientót dans toute fa gloire ; 1'autre d'un air cauftique ripofte: ce fera apparemment quand il ira a 1'autre monde pour juger les morts. On dit qu'il y a fix cents houfards qui battent 1'eflrade entre Breslau & Neumarck: je n'irai pas a coup für m'dclaircir du fait. Dieu veuille conferver V. M.! ]'ai 1'honneur d'être &c. A Breslau, Ie 80 Aoü: 17+t.  CORRESPONDANCE. -33 Sire, Vos vers font charmans. Je ne faurois affez les lire. Ils ne fe relfentent pas de la facilité avec laquelle voüs les fair.es. , On ne parle ici que du beau róle que vous jouez : on allure que le Saxon vient demander en grace a V. M. qu'il puifle contribuer en quelque chofe a la gloire de votre maifon; Le trés-fin miniftre Bulau, Avec un air foumis que fhumilité donne, Vient vous offrir comme un cadeau Tout le pouvoir de fa couronne. Je me flatte que V. M. voudra bien luiaccorder cette glorieufe prérogative. Je bénis Dieu, & je rends graces aux foins de V. M. de ce que les affaires vont fi bien. A 1'abri de vos ailes, je dors aufll tranquillement que je le ferois, fi j'étois maitre du palladium. Les Berlinois craignent une feconde baraille: pour moi je ne la crains plus, paree que je fuis afluré de la viétoire; & fi j'étois a portée de faire Ie Jean Baptifte a ces bonnes gens, je les exhorterois a s'en fier entiêrement a leur Meflle. Je fuis fort tranquille & content, Fréderic eft comblé de gloire,F 2  lH CORRESPONDANCE. ' II met a profit fa viétoire Et fon politique talent. Cependant V. M. ne fe léve pas fi matin que le Roi d'Angleterre, qui fue fang & eau pour ne rien faire. Le monarque anglois tous les jours Se léve au point du jour,pour ne faire qu'eau claire, Tandis que leprufllen n'Lnterrompt point le cours De fes exploits guerriers, pour écrire a Voltaire Les Mufes feront toutes glorieufes de voir que V. M. veut bien ne les pas oublier. Quand je ferai au milieu de mes livres, je ne manquerai pas de leur dire ce que V. M. m'ordonne: Le Roi, votre Dieu tutélaire, Ne regarde fon ami Mars Que comme un ami néceffaire , Pour lequel il faut des égards. Mais pour vous, filles du PermeiTe, II vous careffe par plaifir; Les amufemens du loifir, Marchent avec lui fans cefle. J'ai 1'honneur d'être &c A Breslau, Ie a Septembre 1741.  ORRES PONDANCE. is5 Sire, J'ai recu vos vers admirables, & ceux dont vous honorez Voltaire, que j'ai d'abord fait partir. Qui, ces beaux vers dont le fensprophétique De Robinfon nous fixe le deltin: Son maltre & lui fe trémouflent en vain Pour nous montrer leur peu de politique. V. M. fait parler a Noftradamus un langage bien fpirituel, qu'on ne trouve pas dans les ouvra. ges que tout le monde lit, & qu'on n'entend ' point. La manière ironique dont il plalt a V. M. d'apoftropher mon pauvre petit efprit, n'eft-elle pas anti-morale? Quoi! j'aurois tout 1'efprit qu'on trouve en Sjléfie? C'eft de moi joliment fe ficher de bon coeur: Moi, qui n'aurai, pour mon malheur Jamais qu'un filet de génie: comme le beau-parleur dit, en parlant d'une fauce, un filet de vinaigre. Votre efprit eft comme un torrent, Qui s'étend & qui tout embrafi'e, F 3  tiS CORRESPONDANCE. Et rien ne peut lui faire face, Qu'il ne le renverfe a 1'inftant. Je n'ai de 1'efprit que ce qu'il faut de goüt a un honnête homme pour diftinguer quel eft le bon vin de Champagne. C'eft tout ce qu'il m'en faut. Je fuis d'ailleurs a préfent comme un économe qui ne fèrne point fes terres faute de grain. V. M. eft fur le point d'entrer en Bohème, & mon magafin d'efprit eft a Berlin. On dit que la Lune ne luit Que par fecours de lumière empruntée; Otez-lui Ie foleil, elle eft ce qu'eftlanuit, Et l'on voit fa fplendeur tout acoupéclipfée. V. M. donne de Ia tablature a tous les politiques. Les partifans de la Reine de Ilongriecherchent fur le vifage du Miniftre faxon les effets de fon voyage a 1'armée. II eft fort pour 1'artifice. On ne peut découvrir en rien Ce qui fe paffe dans fon ame; Car toujours un égal maintien Cache adroitement ce qu'il trame: Ce maintien, jamais iuégal, Eft, dit on, aufïï néceflaire Que jugement au fieur Voltaire, Qu'oeil de Jordan a 1'hópital. Je demande en grace a V. M. une ceuvre de  CORRESPONDANCE. i* furérogation, c'eft la continuation de fes bonneï graces, que je tacherai de mériter. J'ai 1'honneur d'être &c. Sire, N e vous plaignez pas de ce que le proiet de Neifie n'a pas réufli: tout le monde fait que ce n'eft pas la faute de V. M.; 1'action dont parle le public, relève cette ombre du magnifique tableau de la guerre de Siléfie. Quoi! votre illuirre Majefté Va de fang froid, arméé de courage, Brüler un magafin tout rempli de fourrage, Aux yeux de 1'ennemi planté 1 On s'eft dit même a 1'oreille que V. M. éroit légèrement bleiTée au bras; un homme a ofé attu. rer qu'il 1'avoit vu en écharpe. Ce bras que votre peuple adore, Et fous lequel on vit en fureté, Que 1'ennemi redoute encore, Que le public a juftement vanté. Cette nouvelle me fit beaucoup de peine: mon imagination trifte ne pouvoit fe réfoudre a la F 4 A Breslau, Ie 4 Septembre 174j.  lag CORRESPONDANCE. croire fauffe : car, a parler naturellement a V. M., Ce bras eft un palladion Que bien humblement je révère: Ma foi, de tout je défefpère S'ii refte dans 1'inaction. V. M. fait un magnifique portrait du plaifirque l'on goütera a Berlin a 1'abri de cette paix qu'elle voudra bien accorder a 1'Europe, qui 1'en prie. Quand verrai-je ce falut de mes yeux? M. Pcellnitz voudroit être franc - macon: V.M. veut-elle permettre qu'il Ie foit? Voici une lettre qui ne fera bonne qu'autant qu'elle aura le bonheur d'amufer V. M. C'eft la le fruit de mon oifivetd, Ce ne 1'eft point de mon indifférence: Des ftoiques rigueurs nullement entêté, Je goüte le plaifir comme un étre qui penfe. Pour être indifférent il faudroit ne pas penfer. Defcartes a dit pédamment: je penfe, donc je fuis; pour moi j'aurois dit: je goüte le plaifir, donc je penfe. Une indifférence que j'ambitionne, c'eft celle qui me porteroit a ne plus faire des vers. Sire» je n'ai que poëfie en tête, Et mauvais vers coütent autant que bons  CORRESPONDANCE. A ceux qui d'ApoIlon n'ontpas recu des dons i Vous & 1'amour m'avez rendu poëte. Je fais a 1'égard des vers ce que fait Petrini a fégard du violon. Je ne fuis pas affez aveugle pour ne pas fentir que je fuis poëte comme je fuis foldat. Je me dédommage du malheur que j'ai de ne pouvoir me vanter de ces diftin&ions, par Ie bonheur que j'ai, (bonheur contre lequel findifférence ne tient point) d'être avec un trèsprofond refpeft &c. ,. • A Bre.'Iau, Ie 18 Septembre 174.1. Sire , M. Algarotti eft arrivé avec Ie Miniftre de R.uffie , qui eft gai & content: Car il eft tout glorieus Des faks pruffiens qui décoretit gazette* Et il reffemble a la trompette Qu'au jugement on entendra des cieux. Le pauvre Suédois eft trifte & capot, quelques efforts qu'il fafle pour cacher fa trifteffe par un extérieur compofé: il fait cependant efpérer une chaace plus bsureufe. t 5  «30 CORRESPONDANCE. Le fort d'ailleurs eft journalier: II n'en eft pas chez nous de même; Puisque dans tout exploit guerrier, Le foldat fent le prix de fa valeur extréme. On allure commme un fait pofitif la prife de Linz, on ajoute même que 1'armée francoife va A grands pas faire le fiége de Vienne, pendant que vous ferez celui de Neifle: Dieu veuille qu'il foic bientót fait, pour que V. M. puifle goüter, après tant d'exploits guerriers qui vous font, Sire, Q glorieux, la tranquillité & le repos l Vous goüterez les plaifirs d'une paix, Que vous procurez a la terre: Jupin quittoit par fois fon glaive & fon tonnerre, Pour goüter du plaifir les feduifans attraits. J'écris aujourd'hui a Voltaire & a Maupertuis, fuivant 1'ordre de V. M. Fréderic, Mauperruis, Voltaire, Ces beaux efprits ingénieux, Nous feront goüter fur Ia terre Des plaifirs enviés des Dieux. C'eft pour moi de 1'ambroifie que des difcours iels que ceux que j'ai eu 1'honneur d'éntendre quelquefois prononeer a ces trois tétes penfantes. A rimitation des poëtes du fiècle paffé j'ai  CORRESPONDANCE. 131 choifi une maitrefle a laquelle je puifle quelquefois adreffer des vers, ne pouvant lui préfenter autre chofe. Je ne fai fi V. M. fera contente de cette petite pièce fur 1'accord du cceur & de 1'efprit. L'efprit n'a fur le cceur qu'un trés- foible pouvoir, Et le cceur tient l'efprit toujours en efclavage: L'efprit prefcrit au cceur un auflère de voir, Mais le cceur prend, Iris, le plaifir eu partage. Voulez-vous fur 1'amour fonder votre bonheur % Ufez dans votre choix d'une fage prudence, Ne confiez le bien de votre tendre cceur, Qu'a celui des amans qui réfléchit, qui penfe. Qui pourroit condamner femblable liaifon ? Ma raifon fut toujours fenfible a Ia tendrefle: Mon cceur vons aime, Iris, puisqu'il vous le confefle, Et mon efptit convient que mon cceur a raifon. Ce n'eft pas feulement en amour que mon cceur & mon efprit s'accordent, quelque brouillés qu'ils foient quelquefois. Mon cceur eft charmé de fervir Un Roi que mon efprit admire: Tous deux reflentent le plaifir De fon airaable & doux empire. '..MA * Ui H  I3i CORRESPONDANCE. Car j'ai 1'honneur & 1'avantage d'être &c. A Breslau, le 24 Sejptembre 1741. Sire, I^a ville fourmille de nouvelle» que je crois ftufl'es. II femble que 1'efpérance de la paix tombe, & qu'on n'y veut plus penfer. On allure que 1'armée de V. M. vient fe camper vers Brieg, dans 1'ancien camp. On a écrit de NeilTe que la ville étoit ouverte aux deux partis , & que le magiftrat avoit donné une fomme très-confidérable pour obtenir cette efpêce de neutralité. Cette ■nouvelle, toute ridicule qu'elle eft, s'accrédite. On flatte le public du bonheur de voir V. M. a 'Breslau Ie 20 de ce mois; & les Etats s'y aflemfcïeront deux jours aprês pour 1'hommage. On yretend que la chofe eft impoflible: 1) paree que ceux qui font dans la haute Siléfie ne peuvent vesir , quelque bonne volonté qu'ils ayent, fans courir de grands risques; 2) paree qu'on ne laifle jas alTez de temps a plufieurs vaflaux pour receToir les pleins pouvoirs de leurs chefs refpectifs. On m'a afiuré que la belle armée de V. M. enireroit dans les quartiers d'hiver le ip & que Ie l«r de Novembre toute la cour feroit a Berlin. J'ai écrit a Voltaire & a Maupertuis, comme V. M. me i'a ordoneé.  CORRESPONDANCE. 133 La pauvre Madame de Rocoules eft mone : c'eft une lumière qui s'eft éteinte faute d'huile. On dit Ia Reine de Hongrie entièrementbrouil» lée avec fon époux, J'ai 1'honneur d'être &c. A Breslau, Ie 6 Octobre 174-. Sire, M ilord Hinford arriva hier, pour Ia confolation des politiques; il a apporté deux nouvelles: 1'une que 1'armée de Neuperg étoit en meilleut état qu'on ne le croyoit: 1'autre qu'il attendoit que 1'armée de V. M. entrat dans les quartiers d'hiver pour en faire autant. La gazette de Cologne, du 6 Octobre, dit „que le bruit eft général a Dufleldorf, que Ia „grande affaire de Juliers & de Bergue eft entiè„rement ajuftée en faveur du Prince & des Prin„ceffes de Sulzbach, le Roi de Prufle ayant,dit„on, renoncé a fes prétentions, moyennant un „équivalent qu'on lui procure ailleurs.,, Le public de Breslau eft impatient de voir arrU ver V. M. pour 1'hommage. Ils ont Ia déman» geaifon des illurainations: ils fe flattent qu'on le leur ordonnera. Thiriot m'a écrit de Paris, & me parle de li anort du pauvre Rollin» F 7  134 CORRESPONDANCE. Ci-gtt le trés-bigot Rollin, Qui quitta les plaifirs de 1'êrre Et ce qu'on a de plus certain, Pour 1'efpoir d'un trés-grand peut-étre. Jai 1'honneur d'être &c. Le long féjour que le Miniitre d'Angleterre fait a NeilTe, fait tourner la tête aux politiques; les uns difent qu'il y eft malade & les autres qu'il y négocie. 11 va paroitre, a ce qu'on dit, une hiftoire crilique de la ville de Breslau, compofée par un jeune officier, qui, dit-on, en eft fort mécontent, furtout des dames, dont il fe plaint. L'ouvrage eft en francoison en a même vu des feuilles, qu'on tache de fupprimer. Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour en avoir, & en envoyer a V. M. On baptifa avant-hier le fils du Baron de Schwertz, dont V. M. eft le parrain; il fenomme Fréderic Guillaume Maximiiien Jean Népomucène. A Breslau, le n Oftobre 1741. Sire, L'enfant de Schwertz eft baptifé Du nom de Fréderic Sc de Népomucène s  CORRESPONDANCE. 135 Le voila bien favorifé, Recevant de deux faims 1'aflïitance certaine. Le premier me parolt d'un plus paiflant fe-, cours; II peut, il fait aux befoins fatisfaire; Pour le fecond, il faut au Ciel avoir recours, Encore n'y fait-on fouvent que de 1'eau claire. • On fait iet force préparatifs pour 1'hommage que les Etats de Siléfie doivent rendre a V. M". On prépare le tróne dans la falie des chevaliers que le Cardinal occupoit il y a un an. J'ai recu les devifes qu'on m'a envoyées par ordre de V. M.: j'ai remis celles que me fit faire 1'oifiveté, a fon Excellence M. de Podewils. II feroit a fouhaiter que tous les favans des Etats de V. M. en envoyaflent, ce feroit le moyen d'en avoir de bonnes. J'ai &c. L/es titres dont il plait a V. M. de m'honorer, n'ont rien qui me touche: l'mfpeftion générale des infirmités humaines révolte l'efprit & le cceur, & ma raifon me fait méprifer les autres. A Breslan, Ie 12 Octobre 1741. Sire,  t3£ CORRESPONDANCE. Je n'eus jamais la vanité De vouloir un orgueilleux titre v Je n'en fus point, Sire, entêté. Qu'on mette au deflus d'une épltre s A Jordan, ferviteur de Votre Majefté^ Je ne troquerois pas ce titre refpecté Contre ceux que donne la mitre. Les titres font aux gens raifonnables ce que fou les pompons a une femme fenfée; ils fout même fi peu de chofe, qu'ils n'ont pas 1'avantage d'orner. Une femme paree, quelque laide qu'elle foit, fixe les regards pour un moment, fi 1'économie de fa parure eft régulière; & on ne fauroit par des titres, quelque ronflans qu'ils foient, engager les perfonnes raifonnables a jeter les yeux fur un homme qui n'a pas d'autre mérite. D'ailleurs Je fuis fait pour les hópitaux Tout auffi peu que pour Cythêra: L'un eft le rendez-vous des maux, L'autre un féjour qni défefpère. Et je ne veux être ni défefpéré, ni malade. Le cauftique correfpondant de V. M. quimeditamoureux, me fait plus d'honneur que jane mérite. Je ne fuis point, Sire, amoureux; Je ne le fus qu'une fois en ma vie Et je hais de 1'amour les feux, Comme vous la bigcHerie*  CORRESPONDANCE. 13? J'avouerai a V. M. que ma raifon a été fur Ie point d'elTuyer un échec par 1'amour; mais elle eft trop vieille pour être fi aifément dupe. Le puiffant, mais fot Dieu d'amour Qui loge aux yeux de Célimène, Ne s'eft logé chez moi qu'une feule femaine ; Encore eft-ce un trop long féjour. Je ne lui donnois que du grec & du latin a lire; & je lui ai prouvé par de bons argumens pris de la plus fine métaphyfique, qu'il devoit s'es aller au diable. Je n'ambitionne pas fes faveurs; j'aimerois mieux celles du Dieu des vers, pour répondre a cent quarame deux, marqués au boa coin, qui partent d'un main Qui fait frémir par fon tonnerre Tous fes orgueilleux ennernis, Et qui va donner a la terre, La paix que vous avez prorais. Si ce Dieu m'étoit favorable, je ne ferois pas auffi embarraiTé que je le fuis a préfent. Quoi! cent quarante vers auxquels il faut répondre? C'eft m'impofer un fardeau trop pefanr: Mon Pégafe eft rétif, il trotte en haletant\ Un travail aufli fort ne peut que le mosfondre.  !38 CORRESPONDANCE, Quand je fuis rnonté fur ce poëtique animal, H me femble voir Don Quichotte monté fur fa Roffinantc. J'admire Ia poIitelTe de V. M,, qui me nomme le transfuge de la pédanterie; p!uta-Dieu que cela fut! C'eft un écueil contre lequel tous les gens de lettres vont fe heurter. C'eft une maladie de l'efprit, dont je ne me crois pas exempt. Ma fine galanterie eft un être de raifon. Jordan eft fait pour la galanterie, Comme oifeau laint Luc pour voler, Comme le font vos foldats pour trembler Devant la cohorte ennemie. La defcription de la vie du foldat pendant 1'automne eft charmante. Ce qui me parolt étonnant, C'eft qu'au milieu de cette bife, Vous compofez a votre guife; Et vos vers n'ont rien de glacaut. Quand je les lis, ils m'échauffent 1'imagination, comme la voix de Farinelli échaufferoit celle de Graun. Sans cela mon efprit eft fee & froid; j'ai beau 1'exciter, il me manque au befoin. Qu'il faffe froid, qu'il fafle chaud, Mon efprit eft toujours le même: Bizarre jusques a fextrême, II n'obéit jamais quand il le faut.  CORRESPONDANCE. 139 Ma volonté eft obligée de faire avec mon efprit ce que fait un homme fage avec fa femme qui eft chagrine: il gémit, il prend patience, & fe tait. On affure ici, comme une chofe pofitive, le départ de Neuperg pour la Moravie. Dieu leconduife! 11 laifte a V. M. te champ libre; il a raifon de le faire, puisqu'il y va de fon intérêt, & it fait bien de vous laifler prendre Neifte , puisque la réfiftance qu'il voudroit faire, ne pourroit que lui coüter beaucoup de monde, & fa Reine n'en a pas trop. J'ai 1'honneur d'être &c. A Breslau, Ie 18 Oftobre 1741* Sire, On dit que Ie Prince Léopold elt devant Neisfe, & que la garnifon ne fauroittenirlong-temps; qu'elle abandonnera bientót la place aux troupes de V. M. On allure ici pofitivement que Neuperg a eu 1'honneur de s'entretenir avec V. M. a deux reprifes; tout cela fait foupconner la paix prochaine. Ce qu'il y a de particulier, c'eft qu'on a recu ici des lettres de Venife, dans lesquelles on marqué que V. M. y eft attendue eet hiver. Cette nouvelle m'a fait plaifir, paree qu'elle a réveillé  140 CORRESPONDANCE. en moi I'efpérance que j'ai toujours eue de voir 1'ltalie. On dit que Cataneo confirme ce bruit. La bourgeoifie fe prépare a faire des illuminations; il paroit même qu'elle a beaucoup d'empreffement a fe dillinguer fur ce fujet. II eft arrivé ici une aventure alTez fingulière. Le libraire Korn, revenu de Leipfic , veut aller rendre vifite a M. Blockmann , dont toute la bourgeoifie eft charmée. Au lieu d'aüer chez ce premier , qu'il n'a jamais vu , il entre chez M. Vockel, Confeiller faxon, qu'il croit le Directeur de la ville. Le complimens faits, ce dernier lui demande des nouvelles de Leipfic: Korn qui croit parler a M. Blockmann, lui dit qu'on étoit fort mécontent en Saxe, qu'on ne payoit perfonne, qu'on y perfécutoit les luthériens, & mille autres chofes femblables. M. Vockel ne pouvoit comprendre Ja raifon de ce difcours; enfin cette comédie fe termina au moment que le librafre demanda des chofes relatives aux fonétions du Directeur, & le libraire s'appercut de fa bévue. J'ai 1'honneur d'être &c. A Breslau, Ie u Oftobre 1741. Sire, Les fentimens font fortement pariagés fur votre rtto&f: les uns aflurent que ce fera le iade Mars,  CORRESPONDANCE. 141 d'autres le 15, d'autres enfin le 25. 11 y en a qui veulent parier que ce ne fera qu'au mois de Novembre. Ceux qui cherchent a découvrir la raifon de tous les événemens, difent que fi V. M. vient a Berlin, c'eft une preuve indubitabled'une paix prochaine, a laquelle toute 1'Europe afpire; d'autant plus qu'on allure que les grenadiers fe font rejoints a leur régimens refpeftifs, & que les belles troupes de V. M. rentrent en quartier d'hiver pour fe repofer. D'autres prétendent que tout cela eft faux, que la guerre commencera de nou» veau au printemps. Certaines gens, qui veulent tenir un milieu , affurent comme une chofe indubitable qu'il y a une fufpenfion d'armes fur le tapis. On dit la France embarraiTée ,■ que les troupes fe confument en Allemagne ; que le Maréchal de Belle-Isle vient a Berlin, a fon retour de Paris ; que V. M. a envoyé un Adjudant a Dresde, qui y eft venu a coup fur pour une affaire de la demière conféquence, mais qui eft fort fectète; qu'il ne fauroit y avoir porté la nouvelle de la prife d'une place ; que le Cardinal a dit qu'il voyoit dans fon miroir magique les aétions de tous les princes, de 1'Europe, qu'il n'y avoit que celles du Roi de Prufle qu'il n'y voyoit point. Je fuis mortifié d'être au bout de mes O» dit. Pefne a fini le tableau de V. M.; c'eft la plus belle pièce que l'on puifle voir. II feroit dire des meffes, fi on vouloit le lui permettre, pour qu'on  142 CORRESPONDANCE. eüt en Siléfie & dans ce pays lafureurdu jeu. J'ai J'honneur d'être &c. A Berlin, Ie 17 Janvier 1741. Sire, Je fuis tout glorieux de ce que V. M, daigne m'écrire & m'envoyer des vers dans un temps oü elle eft occupée par les affaires les plus importantes & les plus épineufes. V. M. n'eft pas a coup fur en pays de connoisfance, quand elle eft au milieu de cette cour célefte, qui n'eft ma foi pas digne d'occuper le manoir oü vous habitez. II faut avouer que la gloire conduit V. M. par une route bien peu agréable. J'ai remarqué que tous les chemins qui conduifent a 1'immortalité font de même. Je frémis pour la fanté de V. M., & je crois pouvoir démontrer en bonne logique & par de bons argumens que j'ai raifon. Je crois avoir fi bien raifon, Que je me fens prét a combattre Sur ce fujet contre Sexte, ou Pyrrhon, Qui vous apprit 1'art d'en terraffer quatre. Je connois par mon expérience que vous en démonteriez même plus. A peine fuis-je guéri  C© RRESPONDANCE. 143 des bottes de logique que V. M. me portoit autrefois. Je m'en glorifie, comme Sr. Francois de fes ftigmates. Les Hollandois ont acheté le Luxembourg quinze millions, les politiques de Berlin font fort charmés de eet achat: -ils regardent cela comme un raffinement de rufe digne d'être admiré. Les partifans de la France condamnent cette conduite; on fuppofe déja M. Fénelon faifant tapage a la Haye, & remettant les chofes fur l'anc>en pied. On dit que la gazette de Hollande marqué que 1'Empereur ira d'abord a Cologne, poury adorer les trois Rois, dont les noms font furement connus de V. M., qui n'ignore pas des faits de cette nature. V. M. m'ordonne de bavarder; j'obéis: Vous voulez que Jordan bavarde, Etbavardons, puisqu'il le faut: Le trilte Dieu d'ennui vous garde, De fréquent & pareil alTaut 1 On étourdit en Angleterre ces fonge creux par le bruit des cloches: Dieu veuille que mon babil vous amure! J'aimerois presque mieux qu'il endormlt V. M.; cela feroit du bien a fa fanté, Sc je lui ferois alors fort utile. Quoi! Votre efprit, occupé fortement Des intéréts de Pruffe Sc de 1'Empire,  i44 CORRESPONDANCE. Liroit comme un délaflement, Tout ce difcours qui tient fort du délire ? J'en fuis, ma foi, três-fortement furpris: Mais dans Ie fond, peut-on fi bien éstire ? Quand on n'a pas ce dont on eft épris, On ne fauroit ni badiiler, ni rire. D'ailleurs j'ai perdu ma fanté, & je fuis con. damné a boire trois bouteilles de tifane par jour pour la recouvrer. Eft - il poflïble de faire des vers & d'avoir de l'efprit a ce prix-Ia? Je ne connois point Ie chemin qui conduit a la gloire, je lecrains même, par une poltronnerie réfléchie; mais ce que je fai bien, c'eft que celui qui conduit a Ia fanté, eft bien difgracieux. Au diable foit Efculape & remède, Et tout réparateur de 1'humaine fanté: Ils minent par leurs foins ma cbére humtnité; Je meurs, en guériflant, fi Dieu ne m'eft en aide. J'ai 1'honneur d'éire &c. A Berlin, le 29 Féviier 174a. Sire, Enfin Madame la Comète a fait un tour de fon mé-  CORRESPONDANCE. 145 métier; elle a caufé la mort du Cardinal de Fleury, qui eft enfin allé faire vifite a 1'autre monde: une de fes camarades avoit déja rendu le méme fervice a\i monde a la mort de Mazarin. Cette importante nouvelle amufe infiniment Meflieurs les nouvelliftes politiques, & leur fournit ample matière a rétlexions. On eft impatient de favoir qui lui fuccédera: fi le gouvernement de 1'Etat fera confié au Cardinal Tencin, fin renard s'il en fut jamais, créature des jéfuites, qui pour le malheur du genre humain influent beaucoup fur les événemens. On croit que ceite mort changera le fyftème préfent de 1'Europe, que Chauvelin pourroit bieu remonter fur fa béte. On attribue eet accident imprévu aux divers changemens arrivés depuis peu. 11 tomba, dit-on, en foiblefle, lorsqu'il apprit la chute de Walpole; la conduite de la Sardaigne { la troifième augmentation de Hollande, ont été les inftrumens dont la Morr s'eft fervi pour actiever fon important ouvrage. Enfin on eft impatient de voir fi cette mort accélérera la paix, ou fi la guerre continuera. Monfieur Finck, Miniftre d'Angleterre, eft arrivé ici depuis deux jours: il compte, a ce qu'on dit, de repartir mardi prochain. On allure qu'il n'y a plus de bataille a craindre pour nous; je refpire a 1'ouïe de cette nouvelle: on dit même plus, que V. M. a formé unechaine pour fe mettre a 1'abri de toute furprife, & qu'aprés que eet ouvrage fera achevé, nous aurons la Oc.iv. joflk, d( Fr, II, T. XII, G  i4Ct CORRESPONDANCE. confolation de la voir. Cet ouï-dire me redonne la fanté: je fuis efrectivement foni depuis quelques j ours, pour aller voir le Colonel de Cannenberg , qui eft retombé malade. • On allure que les troupes autrichiennes font alIées au devant de 1'armée francoife, pour les empêcher de fe joindre a V. M. M. de Pcelinitz eft arrivé depuis quelque temps; U fe met aux pieds de V. M.; il ne fait s'il ofe 1'incommoder par fes lettres. Pesne fe retablit ; il a employé fes premières forces a finir le tableau du cocuage, qui eft une pièce achevée & parfaite, fuivant le fentimentdes connoifleurs. Je fuis au bout de mes nouvelles. On m'éctit de Paris que Voltaire y eft arrivé, & qu'il y féjournera trois mois: que fon Mahomet pourroit bien paroitre : que le Canapé couleur de rofe de Crébillon le fils n'a pas eu le fuccès qu'on avoit lieu d'efpérer. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, le tS Mars 1749. Sire, Je fuis tout orgueilleux de 1'approbation dont V. M. veut bien honorer mes lettres: cela eft bieu propre a m'encourager.  CORRESPONDANCE, ttf Vous louez mes vers profaïques, Mais plaignez-en plutót 1'auteur; Car il n'eft vetfificateur Qu'en dépit des lois poëtiques: Son fel eft un fel frelaté Qui ne fent point du tout 1'Attique; Son goüt eft un peu trop gothique Pour imiter 1'antiquité. Pour revenir a la comète, j'avouerai a V. M. que je fuis fort peu fatisfait de fa conduite; a peine daigne - t-elle fe faire voir; on dit pourtant qu'elle a des talens, qu'elle peut parolcreavecdécence, & qu'elle gagne a être vue. Je n'en fais rien ; j'ai fait tout ce que j'ai pu pour lui rendre mes hommages: on m'a dit qu'elle fe placoit vers 1'étoile polaire, & que de la elle vous contldéroit feataillans. Je fuis malheureux, car ma vue Voit fouvent les objets bien peu diftinéte, ment; Mes yeux & mon efprit ont fouvent la berkje, Et me manquent a tout moment. II ne me refte que 1'ouïe, 1'attouchement, & !e goüt. Pourvu que ceux-Ia ne diminuent point, je fuis content, paree que j'ai appris a me contenter. G s  ï48 CORRESPONDANCE. Jordan peut être fort heureux , S'il conferve du goüt pour un bon vin qui moufle, S'il fe fent rajeunir en touchant peau bien douce, S'il entend les récits de vos faits glorieux. Que lui faudroit il davantage? Voir un peu moins, eft-ce être malheu« reux ? Pénétrer tout par Pèfprit & les yeux N'eft pas toujours un avantage. ■ II en eft, Sire, de nos raifonnemens politiques comme de ceux que l'on fait fur les tours d'adrelTe d'un joueur de gibecière. V. M. ne veut abfolument point que le Ciel fe méle de cequiregarde les hommes. » Le Ciel n'a point de part a ce qu'il nous voit faire, C'eft la ce que nous dit le pur raifonnement: Mais les reflbrts fecrets de maint événement Font que mon cceur me dit tout le contraire. V. M. recevra aujourd'hui les Tufculanes de Cicéron, les Philippiques, les Commentaires deCéfar: comme je n'ai pu trouver ce dernier a Berlin , Madame de Montbail me les a donnés pour V. M. Les autres feront prêts fur la fin de la femaine. Les gazettes ne patiënt que des matheuis de 1'Empire: tout cela me touche beaucoup.  CORRESPONDANCE. 14* Je plains les malheurs de PErnpire: Qui mettra fin a fes calamités? Celui qui fut un Empereur élire, Saura le déüvrer de fes perplexités. Le tróne impérial pour lui n'a d'avantage Que celui d'être ami de Votre Majefté; Quand pourra-t-il avec tranquillité Jouir du fruit de votre ouvrage? Tandis que la comète eft fur notre hémifphère, elle jouit encore du droit de prophétifer: ce n'eft que lorsqu'elle a difparu qu'il faut interprétet le but de fon appaiition: il s'agit de voir ce qu'elle a pu occafionner d'extraordinaire. Un Empereur fans terres, fans argent, JN'eft pas chofe trop ordinaire: Un Electeur, Evêque proteftant, Qui crée Evêque qu'on révère: Un Roi qui dans un an de temps, Sans qu'il en coüte a fon peuple une obole, Sait conquérir pays vafte & puiflant: Et que Jordan attrape * * * Ce lont tous ra de grands événement Que le dertin aux curieus apprête, Que l'on re cok avec empreffemens, Qu'on ne peut voir fans fecours de comète. V. M. nj'avok chargé d'une commiflion pour K**.*, que j'ai exécutée: eet honnéte homme ne demanderoit pas mieux que de fervir V. M.; G 3  i5o CORRESPONDANCE. maïs il voudrok ne pas être dans 1'oifiveté a Ton ige , tandis que fes amis font a 1'armée ; il regarde fon état comme un état de honte. II protefte d'ailleurs qu'avec fon revenu il n'eft pas en «kat de vivre a Berlin, oü effeftivement tout eft fort cher. V. M. m'a renvoyé Ia requête du jeune philofophe de Vaiel, fans m'ordonner ce que je dois lui irépondre. Vous m'ordonnez, Sire, de faire vos complimens a vos amis & a vos amies: je ne faurois exéeuter les ordres de V. M., paree que Ie nombre en eft trop grand. Je n'ai été que chez les élus. Dieu veuille conferver V. M. ! Mes prières éjaculatoires u'ont d'autre but. J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlin, le 3 Avril 1743. Sire, J'ai été enchamé des derniers vers qu'il a plu a V. M. de m'envoyer. Quelque accoutumé que je fois a être furpris de vos talens, je ne puiscepenj • dant comprendre. Comment on peut en occupant le tröne, Faifant tapage en 1'univers, N'ayant de foins que pour Mars &BelIone, Avoir efprit, öt faire debeaux vers.  CORRESPONDANCE. i^t Le Pégafe de V. M. eft infatigable, & ce qui me fait donner au diable, c'eft qu'il ne bronche point dans fon allure: celui des autres eft haletant, dés qu'il eft un peu fatigué. II n'«n eft pas de même du vótre. Je fais qu'Apollon le protégé; Le mien ne peut fouffnr les lois D'un pas régulier de manég?, Qu'il ne feit d'abord aux abois. J'ai beau lui donner de 1'épcron dans les reins, il éft aufli immobile que le cheval de Troie ; j'ai beau lire vos vers, pour animer mon efprit, & pour le monter fur le bon ton, tout devient im> tile. J'ai beau m'aueoir fur fauteuil veloutd Qui, fuivant vous, reflemble au Pinde, Mon efprit eft roujours rétif, & dégoüié De voir qu'en vain il fe gêne & fe guinde. Ma vieille Raifon vient alors a mon fecours, qui me confeille de ne plus faire des vers, & de me contenter de la profe. Je lui réponds dansl'accès de ma colère: Apprenez, Raifon, a vous taire: Mon héros veut abfolument De moi des vers, en dépit du talent; Qne ne fait-on pas pour lui plaire? G 4  153 eORRESPONDJNCE. Bayle dit de la Bourrignon, qu'elle avoit une chafteté pénéttative. Votre efprit eft pénétratif, Et m'échauffant par fa divine flamme, II porte l'efprit dans mon ame Par un pouvoir qui me rend plus actif. Que je plains V. M. d'être engagée , par des circonflances inévitables, dans un genre de vie qui ne peut que lui déplaire a la longue, & alté. rer fa fanté 1 C'eft le motif qui me fait fouhaiter paflionnément la paix, quelque intérét que je prentte a la gloire de V. M. Je m'attends toujours a quelque grand coup de théatre de fa part. Tel qu'un nocher qui craindroit le naufrage, Nous vous verrons arriver dans le porti Vous ferez feul, par un fecret relTort, Succéder le calme a 1'orage. Que je ferai heureux, quand j'aurai 1'honneur a Rheinsberg ou a Charlottenbourg de faire ma cour a V. M., de la voir, dépouillée de ce foudre qui fait frémir 1'Europe, goüter les agrémens d'une paix folide. Je me repréfente ce plaifir, comme les dévots celui d'être a table avec Abraham & Jacob. Quand je le goüterai, je ne troquerai pas mon bonheur contre celui de favourer 1'arabroifie.  CORRESPONDANCE. 153 Quelque plaifir qu'on ait a la table des Dieux , Pareil plaifir n'eft fait que pour une ombre: Ceux que l'on goüte fous votre ombre, Sont moins divins, mais plus délicieux. Dieu veuille garantir la fanté de V. LVL, & la conferver! C'eft le ptincipal objet qui m'occupe. L'homme n'eft jamais fans une idéé favorite, qui tient le rang entre celles qui fe promènéwt dans le vafte pays de l'efprit: celle-la marche a la tête des autres, paree qu'elle a le droit de prééminence. Je vai aflez fouvent chez le Tourbillon , pour pariet raifon, & pour m'entretenir fur ce fujet. Nous fommes alors comme ces dévots qui ne font jamais plus heureux que quand ils parietic de leur patron. J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlin, le 6 Avril I742* Sire, Le pyrrhonifme de V. M. eft un ennemi dan-i gereux a combattre; on ne fait par quel endroit le preudre. Dans Part de douter fort expert, Vous favez aux raifons donner de 1'apparence» G 5  ■Ï5+ CORRESPONDANCE. C'eiT une anguille qui fe perd £11 la fenant a toute outrance. Je ne me ferois jamais iraaginé que le pyrthonifme feroit employé pour démontrer 1'accufation que je crois fauffe dans toutes fes parties. J'ai cru au coutraire que rien ne m'étoit plus favorable que ce pyrrhonifme même: Ce phénomène rubicond Qui s'étoit placé fur ma face, Indique a des yeux de Pyrrhon Que du venin il eft douteufe tracé. Je fuis a eet égard fain comme 1'enfant qui eft a naltre; il y auflï peu de venin dans mon poips, qu'il y a de vertu guerriêre dans mon ame. Vous dont l'efprit eft fi difpos Pour foutenir les droits du pyrrhonifme, Prouverez - vous par congru fyllogisme Que je puis paffer pour héros? I! y a long • temps qu'on peut me ranger au nombre des invalides du Dieu de 1'amour, dont je ne prononce cependant jamais le nom qu'en tremulant, non paree que je fuis tout a fait inhabile a fon fervice, mais paree qa'en général nos facultés s'ufent & dépériflent. Tout dépérit & s'ufe dans le monde, L'efprit vieillit, & perd de fa vigueurt  CORRESPONDANCE. 155 Or je conclus par raifon très-profonde, Que je ne puis éviter ce malheur. D'ailleurs le pourpoint de Scarron s'ufoit, d'oü vient mes facultés ne jlh, de Fred II. T. Xlf, ft  ï70 CORRESPONDANCE, Qui u'a de foins dans ces bas lieux Que d'éloigner tout fouci qui 1'intrigue, Le roi eft fait pour les plaifirs, Et Ie favant eft né pour Ia mifère: Le premier, quand il veut, fatisfait fes défirs, Tandis que le dernier de faim fe désefpère. La comète a jugé a propos de cbanger les chofes. II eft* un pays commandé par un Roi, qui fait la guerre en hiver, qui fouffre les injures de l'air; tandis que par fa grace fon homme de lettres eft mollement aflis dans un canapé', jurant contre fa maladie, qui lui défend 1'ufage des plaifirs qu'il feroit en état de fe procurer. Ne penfe pas qui veut couleur de chair: 1'efprtt humain eft fi peu maitre de foi, que cela fait piiié; j'en ai vraiment compaflion. J'ai tort de m'affliger du mal qui arrivé dans la fociété, paria même raifon qui me porte a me chagtiner de ce que la récolte des vins n'eft pas bonne en France. La fociété ne fait qu'un corps. La Fontaine a bien prouvé dans fa fable de 1'eftomac la nécesfité qu'il y a que les parties réclproquement s'affligent du mal que reffent Ie tout dont elles dépendent. Je ne fai fi 1'Europe a perdu la raifon % mais fine chofe fai-je bien, c'eft qu'elle eft fort * plaindre de ce qu'en ia lui a fait perdre. Si l'on refufe a f homme faüj Ses plaifirs & fa nourriiuve,  CORRESPOND ANCE. 171 Et que du foir jusqu'au matin On le tourmente fans mefure , Cet homme fain perd a 1'inftanc Cette fanté dont il abonde, Et n'a plus de contentement, Ni de plaifirs dedans ce monde. II faudroit que 1'Europe eüt la cervelle biea forte pour rëfifter a deux lêtes qui lui donnent de la tablature. II eft permis au nonagénaire abbé St Pierre de vouloir entreprendre d'ajufter les intéréts des princes de 1'Europe, comme on permet aux jeunes gens de faire des folies en faveur de leurs maitrefles. J'excufe le delfein de cet abbé, comme j'excufe Alexandre , qui pleurok de ce que le monde étoit trop petit. Enfin la maifon de travail aura lieu; il falloit 1'aetivité de Monfieur le Miniftre d'Etat de Happe pour le fuccés d'une pareille entreprife, a laquelle V. M. a bien voulu contribuer. Je lui en rends graces en mon particulier, par 1'intérêt que je prends a ce qui regarde la fociété. La police fera bien réglée; il uianque encore une chofe, c'eft que V. M, commette au chef dé police le foin du pavé & des batimens de la ville, J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlin, le 24 Avril 1742, temps pluvieux. II 2  i72 CORRESPONDANCE. Sire, Je ne parlerai aujourd'hui a V. M. qne politique & que guerre, & je ferai dans la règle, puisque ce font- la vos plaifirs chéris ; ces occupations font auffi chères a V. M. que 1'eft a une coquette faffortiment de fa toiletce. Car Toujours combattre vaillamment, En politique éviter la furprife, Et découvrir adroitement Cequ'Envoyé cache & déguife, Dans un travail même accablant Se repofer, occupant fon génie, Regarder tout comme un amufement, Savoir quittcr les plaifirs de la vie, c'eft la le fort de V. M. Le goüt de la politique commence pareillement a s'introduire a Berlin. On commence toutes les converfations par fe demander: que font les armées, oü font elles? Les gens de lettres quit, tent leurs üvres, pour lire les gazettes, qui mentent & qui ne nous font jamais favorables , je ne fais pourquoi. On dit ici que 1'armée ennemie s'eft emparée d'Olmutz: d'autres difent au contraire qu'elle s'eft redrée en Auttiche, paree qu'elle crain: d'atre  CORRESPONDANCE. 17J attaquée par devant & par derrière Les plus affinés politiques alTurent que dans moins d'un mois Meffieurs les Autrichiens auront la bonté de déguerpir de la Bavière. On ne patle a préfent que de la harangue de Milord Stairs aux Etats de Hollande. On fait un commentaire fur ces paroles; „Quand V. H. „P. auront ainfi mis toutes leurs fronti|res en „ état de ne craindre aucune furprife, elles pour„ ront protéjer leurs alliés de la manière qu'elles „le trouveront le plus couvenable : & par la „ d'autres princes qui auront envie de fe joindre „ aux puiffances maricimes , pour maintenir la „liberté de 1'Europe, pourront le> faire plus li„brement & fans crainte.,, On deraande de qui on veut ici parler? Ce ft ia-deffus que les raifonnemens varient. C'eft une énigme dont chacun croit avoir le mot. . Certain quidam a mine politique Sur ce fujet vouloir. mon fentiment: Je répondis, fans nul détour oblique, Que je pouvois alTurer par ferment N'en rien favoir; mais qu'avec alTurance, Quoique jamais je n'eufle été devin, Je pouvois bien, en toute confiance Lui déclarer qu'on campoit a Chrudin. Pai lu une relation que l'on dit venir de 1'armée, auffi circonftanciée que relation puifle l'être, d'un fait que je crois faux dans toutes fes H 3  '474 CORRESPOND ANCE. parties, dans laquelle on parle da deflein qu'u» commandant d'une place autrichienne avoit formé contre la vie de V. M.; deflein échoué par la dextérité d'un Juif. V. M. veut-elle une nouvelle auflï comique qu'elle eft faulTe?' c'eft que le père de Maupertuis a fait mettre fon rils dans un couvent, paree que e«*fils vouloit époufer une fille qui ne lui convenoit point. Que j'aime ar Voir une telle foiblefle Dans Ie cceur d'un mathématicien! Fut - on même ftoïcien, Jamais, en pareil cas, la raifon n'eft maitreiTe. J'ai 1'honneur d'être avec un trés-profond refpeft, & un dévouement parfait, auxquels m'en» f agent la raifon & la reconnoiflauce &c. A Berlin, Ie i Mai 1742. S HE , "J'ai recu deux lettres de V. M. également fpirituelles, comme le font toutes celles qui partent de fa main. La dernière eft pleine d'efprit, mais de cet efprit qui aflaifonne ce qu'il dit d'un fel préparé par la Satire même:  CORRESPONDANCE. \ft Vous connoilTez égalemént L'art de toucher parfaitement !a lyre, Vous guerroyez bsbilement, Vous excellez dans la fatire. Votre Majeflé veut des nouvelles: on dit que le Roi de Pologne a acheté un brillant a Leipfic, qui coüte buit cent mille écus: qu'il y a ua abbé a Vienne, de la part de la France, nomméFargé, qui y négode, & qui y eft trés-incognito: qu'il y aura une fufpenfion d'armis., Pour ce qui rcgarde les nouvelles littéraires, Graces je rends a Votre Majefté De demander nouvelles littéraire?: J'en fuis fourni; je puis fans vanité Vous en donner, & des moins ordinaire?. On a pris la défenfe de Machiavel, que Patri teur de 1'Anti -Machiavel a fort dénigré:le*dëfè*. feur eft anonyme, & fon ouvrage eft imprimé en Hollande. Son anonyme qualité Eft un efFet de fa prudence: Car il mérite en vérité D'être réduit a pénitene-e. Voltaire y eft furieufement malrraité. V. M. a re9U quelques livres, qu'il ne fera pas néceffaire de lui enyoyer: de nouveaux tomes de fé«Jition in quarto de Rollin, le beau poëme de H 4  1/6' CORRESPONDANCE. Racine fur la Religioii, un nouveau recueil de pièces d'éloquence & de poëfie. Tout celaattendra dans la chambre de V. M. le moment d'être feuilleté par fes royale» mains. Quand viendra cet heureux moment Oü la paix faite & confirmée, Nous vous verrons tranquillemenc Bien profiter de votre deftinée? Le Tourbillon a été malade, & a gardé la chambre pendant quinze jours. J'ai eu 1'honneur de Ia voir quelquefois. Je vai faire chez le Tourbillon une partie de raifon, comme on va ailleurs faire une partie d'ombre. La difpute de la DucheiTe avec fon philofophe a occupé presque tout le monde, furtout les dames; le Toutbillon a fu s'y fouliraire, en prenant fouvent le parti de la retraite. Knobelsdorf partit hier pour Rheinsberg: Céfarton eft toujours le même; mais ce qui m'afflige, c'eft qu'il perd fa gaieté, &,peut être fa fanté. Voici une lettre de Voltaire, écrite a un eccléfiafiique de Londres, qui eft chatmante. J'efpère par la pofte de mardi envoyer a V. M. le commencement d'un poëme dans le goüt de Scarron, fur les travaus d'Hercule,qui me parolt charmant. L'auteur lui - même me Pa communiqué. On m'a demandé mon fentiment fur cette queftion: s'il faut ufer du plaifir toutes les fois qu'on Ie peut?  CORRESPONDANCJS. 177 Je foutiens que oui, & qu'on pêche en agiffant autrement. J'expoferai mon fentiment a la ciitique égalemenc fure & fine de V. M. J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlin, Ie 5 Mai 1741. Sire, Ï^J'eft- il pas furprenant qu'on me demande mon avis fur cette queftion: s'il faut ufer du plaifir quand il fe prérente a nous ? Je ferois renté de ne point répondre, car II faut penfer bien gaieme«t Pour décider cet important problème: Quand on eft trifte par foi-même, On ne peut du plaifir parler que foiblemenr. Et j'avouerai a V. M. que fi j'ai de Ia joie c*e n'eft que dans l'efprit; je n'en ai point dans le cceur; ainfi cette joie n'eft point naturelle, c'eft une joie auffi fauffe que 1'étoit 1'air majeftueux de Baron quand il jouoit le róle de Mithridate. J'en» . treprendrai la décifion de cette queftion moyen» nant que je ne confülte que l'efprit: je prouverai fous fes aufpices, non feulement qu'il faut ufer du plaifir quand il fe préfente a nous; mais même cju'ort commet un pêché quand on ne le fait pas.  178 CORRESPONDANCE. Fuir le plaifir, c'eft héréfie; En profiter, c'eft agir fageinent: L'un eft pêché, qui damne furement, L'autre a fon prix en 1'une & 1'autre vie. Je n'aurai pas beaucoup de peine a prouver qu'il faut ufer du plaifir quand ii fe préfente, puisque notre inclination nous y porte tous: a la vérité les uns plus fortement que les autres. Vouloir prouver cette vérité, c'eft vouloir prouver qu'il eft néceflaire de boire quand on a bien foif. Le fentiment eft toujours écouté; Nous le fuivons même avec complaifance: Ce précepteur n'eft jamais rebuté, Et fon autorité jamais ne nous offenfe, paree que le fentiment nous prefcrit des devoirs qui conviennent non feulement a notre goüt , mais même a nos befoins. J'ai une foule de rai-* fons a alléguer a V. M. pour prouver ma thèfe. La première, c'eft que nous devons remplir les devoirs de notre voffation. Qui pourroit douter que nous ne foyons faits pour le plaifir? Ce n'eft que par fon fecours que nous confervonsnos organes, & que nous les fortifions. Chaque organe a une portion déterminée de plaifir qui lui eft. adjugée: les uns ont a la vérité été plus avantagés que les autres: mais comme il y a des plaifirs auxquels ils participent tous, ils fe trouvent en cela dédommagés de ce qu'ils ont recu de mofB«?  CORRESPONDANCE. 179 Cette compenration forme une efpèce d'égalité entre eux. Ce plaifir que nos organes reffentent eft un aliment qui les entretienr. Dès qu'il eft ménagé a proportion de la capacité de chacun, ft ne nuit jamais. Un mouvement proportionné a nos forces rétahlit nós organes; eft - il exceffif, ii les affoiblit, & les détruit eufuite. Qui voudroit imiter Hercule, Qui fatisfit cent filles en un jour? On craint toujours pareil émule Dans la carrière de 1'amour. A beau mentir qui vient de loin; or cette bi» ftoire nous eft venue du pays de la fable; pays aufii éloigné de nous que le fent les terres auftrales de notre continent. Nous fommes donc faits pour le plaifir, comme le poiffbn eft fait pour 1'eau. La difpofition de nos organes a la vue du plaifir prouve que nous fommes faits pour lui: cette difpofition change a proportion de la force de 1'lmprellion qu'occafionne la préfence du plailir. Nous fentons de la répugnance pour ce qui peut nous nuire, & nous fentons une force qui nous entraine vers les objets qui peuvent nous caufer de la fatisfactfou. Un pouvotr fecret nous entraine Vers le plaifir malgré notre raifon: Elle a beau fufciter obftacles a foifon , Nature fait les furmonter fans peine. H 6  iao CORRESPONDANCE. Cette force eft fl puilTante, qu'elle difïïpe même la crainte naturelle au beau fexe : 1'amour infpire du courage_ & de la fermeté aux perronnes qui naturellement en ont Ie moins. Cette paffion fait plus de héros que 1'ambition & 1'amour de Ia gloire. La préfence du plaifir a eet avantage, c'eft que par fon influence, dont j'ignore 1'origine, elle concentre tellement 1'homme, qu'il n'eft plus occupé que des moyens de rendre les hommages qu'on exige. A la vue du danger la raifon de notre confervation & 1'amour de la .gloire fe trouvent dans un eonftit de juridiction: chacun fe croit en droit de la prééminence, & fe ïécrie fur fes prérogatives. II n'en eft pas de même du plaifir; il étouffe toutes les idéés qui ne fe rapportent point a fon fervice, & il en bannit soutes celles qui n'y font pas accelToires:perfonne a'ofe lui conteftër 1'avantage de Ia fupériorité. Quand 1'amour une fois s'eft emparé du cceur j On ofe alors tout entreprendre: On ne connolt dans le pays du Tendre, JNi la crainte, ni la terreur. Tout cela prouve que nous fommes faits pour 3e plaifir. Je prouverai dans Ia lettre fui van te qu'on peut aulïï peu fe refufer au plaifir, fans commettre un pêché, que je puis me fouflraire a 1'obligation des nouvelles. Voici des vers d'un M. de 5t André qui eft a Berlin; j'y joins la cpmédie  CORRESPONDANCE. 181 du Marquis d'Argens fur 1'embarras de la cour, qui a mon avis eft trop férieufe. Pourquoi d'Argeïis dans cette comédie Semble du rire ignorer les appas? C'eft que jamais philofophe en fa vie JN'a de la cour mieux fenti lYmbarras. D'Argens partit avant-nier. Ginkel, a ce qu'on dit, a recu une lettre de Pdtersbourg. dans laquelle on marqué que notre miniftre eft fort lié avec celui de la Reine de Hongrie. J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlin, le 8 Mai 1742» Sire, J'ai féqueftré mon Apollon, Adieu j'ai dit aux neuf pucïlles, J'ai quitté le facré- vallon, Pour vous débiter des nonvelles. V. M. doit avoir recu deux ou trois de mes lettres, remplies de nouvelles de politique, de littérature, & de ville: la précédente rouloit fur le plaifir; mais a parler naturellemeut, ce n'eft qu'afin d'en entendre parler V. M. H7  I8a CORRESPONDANCE. C'eft l'efprit qui nous fait connoitre Ce que plaifirs ont de plus féduifant; Vous en avez infiniment, Qui pourroit mieux que vous nous en parler en maltre? On dit icf que Bruhl de la cour de Saxe eft entièrement difgracié, que le Prince de WeiiTenfels en eft 1'unique caufe, qu'il a repréfenté art Roi que 1'armée faxonne manquoit de tout. Oui, le bonheur d« Bruhl nous eft vanté partout, Car il a tout le bien qu'en ce monde il défire; Les Saxons cependant n'ont rien, manquent de tout: Ah, Ie beau champ pour la fatire. On ajoute que Rutowsky a eu le même fort, qu'il a quitté 1'armée. Voila des difcours que je ne garantis point, & qu'on débite ici d'un air myftérieux. II fait fort mauvais temps a Berlin: le vent du nord fernble avoir pris a taciie de nous faire donner tous au diable, & le foleil eft allé je ne fai oü: s'il paroit , ce n'eft qu'en rechignant. Je foypconne qa'il paroit dans fon beau a Chrudim , paree que V. M. y eft, & que le foleil connoit le dévouement que vous avez-pour lui. Le cbeval de bronze porte toujours fon héros, devant lequel je ne paffe guère fans faire un falatnalec; car pour ne rien déguifer a V. M., c'eft  CORRESPONDANCE. 1S3 desprinces morts celui que fhonore &quej'eftime le plus: s'il y avoit des faints parmi les éle&eurs, *Je n'en choifirois point d'autre. On bénit Dieu de ce qu'on ne voit plus de pauvres en ville, & de ce qu'on a fu délivrer le public de cette engeance. La DucheiTe part dimanche pour les terres du Comte de Gotter: rout le monde lui donne fa bénédiftion, & lui fouhaite unbonvoyage. D'Argens eft le précurfeur; il partit il y a trois jours, en jurant contre les bienféances qui lui fonc faire cent milles d'AIlemagne fort inutilement. II en appelle toujours a Ia raifon, que les hommes ne connoiffent plus. D'Argens ne connoit pas fibien Ie pays de la raifon, que V. M. connoit celui de la fatire, qui eft pour moi un labyrinthe dont je redoute même 1'entfée. Tout le monde n'a pasIe fecret du fil d'Ariadne. C'eft un préfent que les Dieux ne font qu'aux priuces, quand ils leur accordent la prérogative de 1'autorité. La K*** eft fort trifte de voir que K*** attquel elle a promis fa rille ainée, & qu'elle regardoit comme le foutien futur de fa familie, eft fur le point de partir. Ja crois qu'elle cherche a fe retirer fur fes terres en Oftfrife , & qu'elle en demandera la permiffion. Tavouerai naturellemen» a V. M. que je plains fon fort: K*** ne peut digérer Ia mortification de refter a Berlin, tandis que tout le monde eft a 1'armée. je ne fai ü V. M. a recu tous les livres qw  184 CORRESPONDANCE, j'ai expédiés pour 1'armée, conformémsnt a fes ordres. J'ai fhontleur & le bonheur d'être &c. A Berlin, Ie 12 Mai 1742. Sire, J'ai recu la dernière lettre de V. M», qui eft écrite d'un ftyle politique, qui renferme beaucoup de fens, fous peu de paroles. Le portrait du politique y eft tracé au vrai. J'en entendis hier un avec autant de foumifïïon & de docilité, que V. M. entendroit le Sr Epicure, s'il revenoi* au monde pour y prêcher la volupté. II préteudoit que 1'Angleterre faifoit a V. M. des propofitions trés - avantageufes ; qu'elles tendoient a affermir la poiTeftjon de la Siléfie; qu'on ne voyoit point qu'il füt de 1'intérët de la maifon de Prufle 'que la guerre continuat, puisqu'eJlepolTèdeactuellement au d«la même de ce qu'elle prétendoir. Tout mauvais politique que je fuis, je juroisqu'il n'y avoit pas dans tout ce difcours le bon fens, & qu'il en étoit des aétions des princes apeuprés comme des énigmes, dont le fens paroit contradictoire tant qu'on en ignore le mot. On croit aflez généralement qu'il y a une fuIpenQon d'armes fur le tapis» p0ut moi, je n'en  CORRESPONDANCE. 185 fai rien du tout: ce que je fai bien, c'eft que tout le monde loue & admire Charlottenbourg , & qu'on eft charmé des réparations faites au pare. J'ai eu 1'honneur d'apprendre a V. M. la mort de 1'abbé du Bos: une particularité néceiTaire a cette nouvelle, c'eft qu'on a trouvé vingt cinq mille jetons de l'académie dans fa chambre, qu'il a fu s'approprier. En voici une aflez divertUTante. Le père Patau, abbé de Ste Geneviève, recoit un préfent de confitures Sr. de fieurs, accompagné d'une lettre arabe, fans qu'on lui dife de quelle part elle vient. L'abbé Fourmont ambitionne 1'honneur d'en être lui feul l'interprète: il y travaille pendant quatre jours ,feuillète pour cela diftionnaires arabes, tures & perfans. 11 trouve enfin fortheureufement que la lettre eft écrite par des Turcs de la fuite de 1'AmbaiTadeur , qui veulent fe faire chrétiens. L'abbé Patau en fait grand bruit, en parle a la Reine d'Efpagne. La Reine fait de grands éclats de rire, & protefte qu'il n'y a pas un mot de tout cela dans la lettre. On s'adrêffe a M. de Ftennes,qui l'interprète fur le champ, & y trouve un compliment a la turque, oü Dieu & Mahomet font invoqués en faveur de l'abbé, & oü on lui marqué que ces fieurs & ces fruits contentetont le goüt & les yeux. Pour coupercourt: c'eft la Reine d'Efpagne qui avoit jotié ce tour a l'abbé, en lui faifant écrire une pareille lettre par  186* CORRESPONDANCE. un petit marchand d'Alep qui vend des bijoux a* palais royal. J'ai 1'honneur d'êire &c. |Ce n'eft pas la dernière lettre dont il a pfu a V. M. de m'honorer qui pourra me combler de joie, & diffiper les vapeurs d'une triftefle angoife: elle eft toute propre a en répandre. Les Aunichiens avancent vers 1'armée que V. M. coramande; c'eft le défefpoir qui les guide, les armes font journalières, ce n'eft qu'a travers un océan de fang qu'on parvient a la victoire. Ces objets me paroilfent pau récréatifs: j'avouerai que je n'en connois pas de plus triftes, puisqu'on fe voit en proie a tout ce que le fort, fouvent bizarre, a de plus funefte , & qu'on rif que d'être fruftrédubien que l'on aime & que l'on chérit le plus. Mais tirons le rideau fur ee fujet. Ginkel a recu fon rappel, il part dans peu de temps, a ce que l'on dit. La DucheiTe eft partie ; voici des vers que t'on dit être de fa cempofition, contre la comédie de 1'Embarras de la cour. A Beilh, le 15 Mai J742. Sire,  CORRESPONDANCE. 187 Pendant au croc toute philofophie, Pour fe livrer aux appas de 1'amour, Frère d'Argens fit trés -,humble folie , Et fe rendit 1'embarras de la cour. Sur ce fujet jamais fa comédie IN'a pu paroltte au coin d'un bon auteur, Ni réjouir, malgré tout fon génie, ün public las de rire de facteur. J'ai lu une pièce qui me parolt aflez ingénieufe fur 1'état préfent des affaires dd 1'Europe, qui efl repréfenté fous 1'idée d'un bal que V. M. ouvre avec la Reine de Hongrie , qui fe plaint que cette danfe fa mife fur les dents. Le Duc fon époux ne danfe pas, paree qu'il a fait venir des fouliers de France qui le bleffent. Pour les Hollandois, ils ne,jugent a propos de danfer qu'a ]a danfe des flambeaux. L'allégorie eft poufTée alTez loin, ma mémoire ne m'en fournit pas toutes les circonftances. On dit que la Hollande aaccordé cent mille écus par moif a Ia Reine de Hongrie: que les Anglois vont beaucoup au dela, qu'ils lui ont accordé deux cent mille livre ftcrling. On m'a afluré que le Général Prcetorius entroit au fervice des Etats de Hollande, qui manquent d'officiers d'éiat major. J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlin, le ao Mai 1741»  188 CORRESPONDANCE. Sire, Je féücite V. M. de la vidtoire rempprtée fur fes ennemis: les Prufliens font faits pour vaincre, comme les Autrichiens le font pour être battus. Jamais prince ne fit campagne plus glorieufe. Tirer fon bien des mains de 1'ennemi, Deux fois fur lui rempotterla victoire, Et tout cela dans un an & demi C'efi, ma foi, la le comble de la gloire. V. M. ne fauroit s'imaginer la joie générale que cela caufe a tous fes fujets.' Pour moi, quand la nouvelle en eft venue ,' j'ai couru la publier, pour qu'elle fe répandlt plutót: j'ai fait arrêterdes perfonnes dans des voitures, pour la leur annoncer, & j'arrêtois les palTans, pour les engager a participer & ma joie. Je trouvai lë Tourbillon dans une joie excelïïve, qui me décocha en entrant ces paroles: parlez-moi d'un tel Roi. Le fecrëtaire de Baviére, dés qu'il en eut appris la nouvelle, vint courir chez une perfonne, pour en entendre Ia confirmation:' cette perfonne, d'un air grave & férieux, lui dit: voila encore une couronne que le Roi de Prufle donne a votre njaltre. Vous avez 1'art de faire un empereur; Par vos exploits vous fevez nous convaincre  CORRESPONDANCE. 180 Que fous vos lois on parvient au bonheur, Que vous avez 1'art de rdgner & vaincre. Que V. M. ne foit point furprife de ce que ma lettre *eft irrégulierement compofée; la joie s'eft emparée de ma raifon, & il en eft de la joie comme de 1'ivreffe caufée par le vin de Champagne, qui fournit a l'efprit des idéés qui amufent. Je crois voir le Roi d'Angleterre , qui eft mortifié du premier iranfport de fes troupes, jaloux des fuccès étonnans de fon cher neveu: les Hollandois, ne favent de quel cóté fe tourner. On a fait une^chanfon que l'on chante a Paris, & qui marqué bien la légèreté de ce peuple. Par le confeil de 1'Eminence, En diminuant fa dépenfe Louis croit fouiager nos maux; Confeils indécens, & profanes! Ah Sire, gardez vos chevaux, Mais défaites-vous de vos anes. Que comme un vrai foudre de guerre Broglio foit armé du tonnerre, On en eft furpris, & commenc Radote-t-on fous Ia calotte? Non , il ne va précifément Que pour rechercher fa culotte. J'ai 1'honneur d'être &c. A Berim, le ai Mai i74=ï  190 CORRESPONDANCE. Sire, O n atrertd ici avec une très-grande impatience 1'arrivée d'un fecond courrier qui nous donne un détail circonltancié de la bataille: l'on eft méme extrêmement curieux d'apprendre quelle a été fifiue de ia pourfuite des ennemis. On regarde cette bataille comme déclfive, & elle eft d'autant plus glorieufe a V. M. que ni la France nilaSaxe n'y ont part. Les feuls Prufliens ont jusques icri foutenu avec gloire tout Ie poids de la guerre, & ils ont conduit les chofes au point oü elles font préfentement. Si la paix fe fait, c'eftaV. IYJ. feule que 1'Europe en eft redevable. Pendant que V. M. gagne des batailles, on chanfonne en France, on danfe a Mofcou, on pefte a Londres, & l'on calcule en Hollande. II paffe ici tous les jours des comédiens, des muficiens, des artiftes, des peintres qui vont a Mofcou. Les artiftes vont voir Knobelsdorf. Le fameux Valeriani lui a rendu vifite, & a été extrêmement content des defleins qu'il lui a memtrés de 1'opéra &c. Cet Italien convenoit que tout y reffentoit 1'antique, & le goüt de Palladio. Voici des vers du jeune Vatel, qui attend Ia décifion de fon fort, préfentés a Sa Majeflé la Reine mère a 1'occafion de la dernière bataille.  CORRESPONDANCE. 191 On dit ici Ie Comte de Rottemboutg mort, je n'en crois rien: je me flatte qu'il fe rétabiira, puisque V. M. m'a fait 1'honneur de me dire que l'on avoit efperance qu'il fe rétablïroit. N'eft-il pas facheux que les hommages que l'on rend a la gloire, foient accompagnés de tant de risques? J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlin, Ie aö Mai 1742» Sire, ne par'e ici que de la vic>oire remportde fur les Autrichiens, quoique dans cette joie il y entre un peu d'inquiétude fur ce qu'on n'a pas des nouvelles des fuites de cette adion glorieufe aux troupes de V. Ivl. Le peuple conté l'hiftoire fuivante. Un jeune homme inconnu, au plus fort du combat s'eft mis a Ia tête de quelques efca« drons, & a combattu avec une valeur qüi a tellement furpris V. M., qu'elle lui a fait -demander fon nom pour le récompenfer. Ce jeune homme n'a jamais voulu le dire, & s'eft retiré, fans que jusques ici on ait pu découvrir qui il étoit. Voila une hiftoire fur laquelle le .peuple , qui eft toujours fuperftitleux, fait des comraentaires. Voici une chanfon qui par fa naïveté divertira V. M. L'auteur n'en veut pas être connu; j'ai eu beaucoup de peiae a la lui arracher.  1^2 CORRESPONDANCE. Les deux plus jeunes princes de Wurtemberg ont beaucoup diverti leur gouverneur par la joie exceflive qu'ils ont témoignée a 1'ouïe de la bataille; mais dès qu'ils ont appris que le Comte de Rottembourg étoit blelTé, ils fe font mis a pleurer très-amèrement, en déplorant le malheur qu'ils avoient de fe voir expofés a la perte de-leur meilleur ami. Le pauvre Kayferting eft au lit depuis huit jours: c'eft un violent accès de goutte qui 1'y obligé: il m'a chargé de le mettre aux pieds de V. M. Je ne fais fi V. M. recoit toutes les pièces que je lui envoie; elle recev.a la femaine proehaine la fuite des Travaux d'Hercule, avec une comédie oü Ie portrait du philofophe brouillé eft repréfenté au naturel. II y a ici un homme qui a fait un vafe de fieurs en haute-lice, que tous les connoifleurs admirent: Knobelsdorf & Pefne fouhaiteroient bien que V. M. püt le voir; c'eft un moreeau achevé. L'ouvrier eft des Gobelins; la mifère ne lui permer pasd'attendre le retour de V. M. Pefne travaille a force aux plafonds de Charlottenbourg. J'ai &c. A Berlin, le t? Mai 1741.  CORRESPOND ANCE. '93 Sire, Toutes les gazettes font remplies des faits glorieux de 1'armée pruffienne, qui dans l'hiftoire figurera cóte a cóte de la légion fulminante , fous 1'épithète d'invincible. On dit ici que nonobftant la défaite de 1'armée autrichienne on a chanté le Te Deum a Vienne. Je ne faurois m'imaginer que cela foit vrai; on n'en dit rien dans les nouvelles publiques. II y a une feuille qui paroit en Hollande, qu'on nomme le Magafin politique, qui n'a pas 1'art de ménager fes exprefiions. Le Spectateur en AUemagne, qui fe fait a Berlin, lui donnera fur les doigts comme il le mérite. On fait ici des gageures fur 1'arrivée du transport des troupes angloifes; il y en a qui prétendent que le premier en eft arrivé a Oftende, & d'autres qui difent le contraire. S'il n'eft pas fait encore, la victoire de V. M. pourroit bien 1'empêcher pour toujours. On dit ici que ie Maréchal de-Belle Isle ira a Vienne, après avoir été a Dresde, a Prague, & au camp de V. M. Cette démarche fait entrevoir une lueur de paix, qui fait plaifir a tout le monde. \ Algarotti quitte Dresde, & s'en va en Italië, Oenv. pfih, Ut Fr. II. T, XII. I  tn CORRESPONDANCE. . fort degouté de rAIlemagne. Ses amis croient qu'il fe jetera dans 1'Eglife. On 'dit ici les Francois devant PalTau: on voudroit voir les troupes de V. M. dans 1'inaétion pendant le refle de la campagne: c'eft une belle qu'il faut ménager, & ne pas mettre ftirlesdents. V. M. a fupporté jusques ici tout le poids de Ia guerre; fes alliés n'ont rien fait. C'eft a eux'n ptéfent a payer leur quote -parr. Voila les discours du public politique. Tous les Francs -macons m'ont chargé de demander a V. M. la permiffion de faire le jour de la St. Jean une procelïïon avec la mufique, comme cela fe pratique en Angleterre. J'attends les ordres de V. M. fur ce fujet, pour les leur communiquer. Céfarion continue toujours a tenir le lit. Que 1'efpérance de voir bientöt ici V. M. eft une efpé'ra'nce agréablel Qu'elle a de vertu & d'efficace fur mon efprit! J'ai 1'honneur d'être. &c. A Berlin, le 2 Juin 174*. S IR E, T'ai recu deux lettres de V. M. en même remps: voila plus d'honneur & de plaifir que je n'en mérite : cet avantage me fert de remède ; c'eft un excellent lénitif pour un hoame qui depuis le mois  CORRESPONDANCE. ïjtJ ie Noverabre eft entre les mains de la faculté meurtrière : mon corps eft trés - cacochyme, & l'efprit qui le fert. Je fens malgré tout cela de la joie dans le cceur depuis le gain de la bataille, & depuis le moment oü l'on a commencé a fe flatter que V. M. reviendroit a Berlin. Haude në bat que d'une aile: Francheville faifoit une feuillepeV riodique qui auroit pu devenir fort intérefl'ante; mais il n'eft point encouragé, & le cenfeur Ie rebute. Ma bibliothèque fait mes délices, paree qu'en la feuilletant je me perfuade de plus en plus que tout eft frivole dans le monde littéraire. La feule étude falutaire aux hommes eft celle qui nous apprend a vivre avec eux, a les connoitre; Sr. celle qui contribue a notre confervation & a notre plaifir. Je regarde les autres comme des jouets •qui amufent les enfans. Perfonne n'eft plus convaincu de tout cela que V. M., qui a tant philofophé en fa vie. Le batiment de 1'opéra croit a\ vue d'ceil; c'eft une obfervation que tout le monde fait: les plafonds de Charlottenbourg avancent, & Pefne y travaille avec beaucoup d'afliduité. Dn étoit impatient de voir une relation de Ia bataille, faite par la cour de Vienne: elle a enfin paru dans les gazettes; on voit par cette relation que les Autrichiens avouent qu'ils ont été battus par les redoutables Pruffiens en due & bonne forme. On prétend que le Comte de Toerring va a Vienne. I 2  ,5,6* CORRESPONDANCE. Dieu veuille conferver V. M., & que j'aye ia confolation de la voir bientót dans les fuperbes jardins du riant Charlottenbourg! J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlin, le 5 Juin 1741. Sire, Je me fiattois que nous aurions bientót 1'honneur de voir V. M. jouir tranquillement a Charlottenbourg du fruit de fes travaux militaires; mais la lettre dont il a plu a V. M. de m'honorer ,' femble m'avoir envié le bonheur de cette efpérance. On dit que le Maréchal dé Belle-Isle ne quittera V. M. que pour aller a Vienne: je voudrois pouvoir me le perfuader, ce feroit un lénitif, toujours bon a prendre; mais ma diable de raifon, toujours enneniie de la tranquUlité de mon ame, nfobjefte que fi le Maréchal alloit a Vienne, les préliminaires de la paix feroient au moins fignés. Je regrette le pauvre Prirz, cVtantd'honnêtes gens, victimes volontaires de 1'amour de la gloire. On prétend que les ennemis font dans le desfein de hafarder une feconde bataille; on allure la chofe trés -pofitivement. Quoique je ne les craigne plus, je voudrois bien cepeudant qu'ils Te linffent en repos.  CORRESPONDANCE. 197 On dit ici qu'uu jeune officier a été tué dans un duel, en faveur des beaux yeux de Ia galante ComtelTe de Breslau. Cela m'a furpris. La falie de mufique fera faite famedi prochain, ellerepréferite le Partiaffe & les Mufes: dans une quinzaine de jours il y en aura encore deux d'achevées. On ne fauroit être plus affidu h fon travail que ne 1'eft Pefne. La goutte de Céfarion eft h la main: il me parolt d'ailreurs affez bien depuis huit jours, foit pour la fanté, foit pour 1'humeur. La K*** ira, je crois, fur fes terres; elle continue a être malade: je la plains: ne pas fe bien porter, avoir cinq filles a marier, un fils qui fait le vagabond, ne pouvoir pas difpofer d'un homme dont on voudroit faire fon gendre; il y a dans tont cela de quoi fe chagriner. J'ai recu des bijoux de la part de V. M. pour les vendre: ils ont été expédiés le 23 de Mai & ne font arrivés ici que le douze. J'en rends raifon a Frédersdorf, pour ne pas importuner V. M. Les Francs -macons attendent avec impatience la permiffion de V. M., & d'Argens 1'exemption des droits d'accife pour fes effe-ts. J'ai l'honneur d'ê:re &c. A Berlin, Ie 12 Juin 1742. I 3  t?t CORRESPONDANCE. 5 rit e , J ai vu par la lettre de V. M. qu'elle n'eft point du tout contente des Francois; ils viennent de faire une bévue bien grande a 1'égard du corps de Khevenhuller: les gazettes de Leipfic difent mème qti'irs ont été battus par les Autrichiens. V. M. m'ordonne de lui dire ce que penfe le public fur les affaires préfentes» Comme je ne fai qu'obéir, je parlerai fur ce fujet avec toute Ia franchife dont mon ame eft capable, & je rapporterai fcrupuleufement les différens oux-dire. V, M. peut déja être aiïi.rée d'une chofe, c'eft qu'«n général les Francois ne font point aimés: ort voit avec peine qu'ijs foient dans Ie cceur de 1'Allewagne, pour y porter le défordre, & pour y pêcher enfuite en eau trouble: on n'a pas vu avec plaifir que V. M. fe foit alhée a Ia France, qui, a ce que l'on prétend, voudroit voir la puiffance de V. M. affoiblie. On le préfume, paree qu'ils n'ont envoyé que de fort mauvaifes troupes en Aliemagne, qu'ils n'ont encore rien fait en faveur de leurs alliés depuis le comraencement de la guerre, que tout le poids en a été furV.M.feule. Avec tout cela bien des gens croient que V. M. dupera le Cardinal, qu'il n'eft pas encore oü il croit en être. Les plus raffinés politiques difent  CORRESPONDANCE. 199 que V. M. pourroit tirer plus d'avamages de 1'alliance avec la Hollande & 1'Angleterre, qui accorderoienc tout ce qu'il plairoit a V. M. pour Ia faire erstrer dans leur parti. On compare V. M a une bellle que tout le monde recherche, & qui eft en droit de vendre fes faveurs a un fort haut prix. Voila , foi d'homme d'honneur, la qninteiTence de ce que j'entends dire depuis fort long-temps. j'ai toujours répondu par les paroles de la Sévigné: on ne peut juger des événemens, a moins qu'on ne connoifle le deffous dei cartes. La dernière victoire fait encore beaucoup d'honneur a V. M.; toutes les relations vantent 1'intrépidité qu'elle y a fait paroitre: on eft furpris des talens de V. M. dans 1'art militaire. Le peupie a témoigné beaucoup de joie a 1'ouïe de cette victoire ; & s'il y a une raifon qui 1'engage a fouhaiter que V. M. revienne, c'eft afiu de ne la plus voir expofée aux risques de la guerre. Voici des lorgnettes de toutes les facons:V. M. aura la bonté de choifir celle qu'elle croit luipouvcir csüwêütf, & dé ffiê rcnvcyer les auirs?: J'ai eu de la peine a les trouver. Le tapiffier dont j'ai eu 1'honneur de parler a V. M., qui a fait ce beau vafe defleursenhaute-lice, attend la décifion de fon fort. Dieu veuille conferver la fanté de V. M. & Ia ramener bientót au milieu de nous! Si je croyois aux mefles, je vendrois jusques a mes livres pour l 4  »eo CORRESPONDANCE, en faire dire, & je ne bougerois des autels. J'aj 1'honneur d'être &c. Sire, J'avouerai h V. M. que depuis famedï dernier mon corps a fubi une agréable mêtamorphofe. Je n'ai, Sire, plus de douleur, Je réfléchis couleur de rofe, Mon ame eft exempte de peur, Ah, 1'heureufe mêtamorphofe! La paix faite, le cabinet du Cardinal de Polignac acheté, font des événemèns contre lesquels la mauvaife humeur la plus angloife ne faurok tenir. Le peuple débite que le Miniftre de Podewils eft allé a Vienne; je ne fais fur quel fondement cette fau£fa nouvelle s'eft répandue : une chofe fai-je bien, & qui me comble de joie , c'eft que V. M. fink bien glorieufement une carrière qu'elle avoit glorieufement commencée. Le beau morceau d'hiftoire que celui de la conquête de \t Siléfie! Voici une lettre qu'un inconnu a écriteauTourbillon; elle donneroit tout au monde pour en fa- A Berlin, Ie 16 Jiin 1742,  CORRESPONDANCE, sar voir 1'auteur: je lui en ai demandé copie; elle a eu la bonté de me Penvoyer. J'ai cru devoir Ia. eommuniquer a V. M., qui aura bien Ia bonté de n'en point parler. J'y joins plufieurs autres piè> ces, qui pourront amufer V. M. Mes occupations prérentes ne m'ont pas laiiTé le temps de répondre aux beaux vers deV.M.: je puis lui alTurer qu'elles fe multiplient tous le» jours» Tantöt il faut placer un profeffeur, Puls ordonner qu'aucun gueux dans la rue (Que cependant faim, ou foif exténue) Waille troubler-le bourgeois promeneur. II faut figner les ordres falutaires, Frais émanés du grand confeil francoisi. Quand on a tant de troubles a la fois, On peut gémir fous le poids des affaires» Bientót il faut arpenter long chemin, Sur mes deux pieds, voiture apoftoliquSj, Pour vifiter les pauvres qu'au matin On a tirés d'une place publique. }'f.i 1'honneur d'être clrcr. AR.cr.lin, Ie 19 Juin -5  soa CORRESPONDANCE. Sire, On ne parle ici depuis quelques jours que de Ia paix: je ne fai d'oü ce bruit s'eft répandu. On dit que V. M. a donné des ordres qui Ia fuppofent infailliblement; que les gardes voru>a Ruppin ; qu'on a pris des arrangemens néceflaires pour les régimens qui reviennent de fannée, on nomme même ceux qui feront a Berlin en garnifon. On dit que V. M. arrivé le 25 a Breslau, enfin une inflnité de chofes ferablables. La derrnète lettre dont il a plu a V. M.de m'ho» rorer, mérite d'être gravée fur 1'airaint c'eft la lettre Ia plus fenfée qu'on puifle écrire; elle figureroit plaeée dans Jules Cefar & Cicéron: j'en fuis enthoufiafmé. La démarche de V. M. porte avec foi fa juftification: il en eft des aliances comme des coutrats; ils ne valent qu'autant que les par•ies contractantes en rempliflent les conditions réciproquement. Le bon fens, le droit naturel font & feront les apologiftes de cette conduite, qu'a tenue autrefois le grand Eieéteur a 1'égard de la France. D'ailleurs les moraliftes ne conviennentils pas généralement qu'on eft autorifé a faire un petit mal pour en éviter un plus grand? Je défie les cafuiftes les plus rigides de pouvoir répondre d'une manière fenfée aux raifons que V.M. allègue dans fa lettre.  CORRESPONDANCE. 203 Quand je confidère en gros les différens événemens arrivés depuis la mort de 1'Ernpereur, ils rae paroiflent tous concourir a la gloire de V. M. Le Roi de Prufle, qu'on ne croit occupé que de fes plaifirs & de la leéhire, commence le prémiér a faire tête a une puiflance redoutable, dans un temps oü. l'on devoit s'y attendre le moins: 1'Europe eft frappée de la témérité de cette entreprife; la bataille de Molwitz, des villes rendues, en fontentrevoir la réuflïte. II n'eft aucune puiflance qui ne travaüle t roettre dans fon parti le jeune vainqueur de la Siléfie. La France réuflït a legagner, & fe croit a 1'abri de tout fous les aurpices heureux de cette alliance. L'Elecleur de Bavière eft placé fur le tróne impérial, & obtient Iacouronne de Bohème par la valeur des troupes prufliennes, & par la négociation de Ia france. Les Autrichiens femblent par un coup heureux, mais imprévu, de la providence, fe releverdeleurchute. Le Roi de Prufle, jaloux de cette efpèce de gloire, les reraet par une viétoire nouvelle dans 1'etat d'abaiflement. Ses conquêtes que le temps multiplioit , fes fuccès heureux demandoient , pour Itre affermis & confirmés, d'abandonner des alliés dont les démarches fourdes indiquoient des deflëns peu favorables a la gloire de la maifon de Prufle t on abandonne incontinent ces alliés, fans craindre leur puiflance, qu'on affoiWit paria, & dont ou dérange tout d'un coup les defleins. Ge tableau, que mon imagination peint mieux I 6  a»+ CORRESPONDANCE.. qne ma plume, fe préfente toujours a mon efprit; je ne puis le perdre de vue. Harper a été invité par 1'Impératrice de Ruflie a. venir a Mofcou: Chétardie lui a écrit fur ce fujet une lettre que j'ai vue. Knobelsdorf 1'a dé? tourné de ce deflein. Le maitre des ballets eft arrivé,-avec la dan? feufe Roland, & quelques autres. On travaille k. Force a. Charlottenbourg, oü je fus dernièremenu J'y trouvai des archkeftes qui venoienrdeDresde» pour s'y former le gpüt. Cela flattent ma vanité * je ne fai pourquoi. J'ai 1'honneur d'être &c. SlR.F. , V . M. traite bien mal les médecins: il eft für qu'ils- vont fouvent a tatons dans tout ce qu'ils font ; le pays dans lequel ils marebent , eft un pays de ténèbres & d'obfcurké : la nature leur eft peu connue. II en eft cependant qui par leur habileté favent prévenir les dangers. Rien de plus Utile dans un pays qu'un bon chirurgien. Si j'étois prince, je voudrois avoir a cet égard ce qu'il y a de meillaur en Europe. J'ai eu 1'honneur d'entretenir V. M. des difcour* que riant le public fur la grande & intéreüarusr A Berlin , la »3 Juin 17441  CORR.ESP0 NDA NCE, 205. nouvelle de la paix. V. M. peut êire affuréa d'une chofe, c'eft que généralement tout lemonr de en eft pénétré de joie. On eft en particulier charmé de voir le Cardinal éloigné de fes vues, & fes deffeins échoués. II n'y a fur ce fujeu qu'une feule voix. On doit publier ici la paix ce raatin : je me prépare a aflifter a cette cérémonie , j'aurai la confolation d'être Ie témoin de la joïe qu'en restant Ie peuple. Le Tourbillon ne peut comprendre quel eft eer rerrain afligné par fon époux , oü il eft impoflible de combattre ; cette énigme , a coup für iagé? nieufe, eft pour nous indëchiifrable. V. M. fait de bien belles réflexions fur ï'eipric féger & inconfidérê dü peuple: fa légêreté peut cependant être fixée; V. M. en a Tart. II eft dé cenains coups de theatre qui favent fixer Tefpric par le fecours dë 1'admiration. Les fuccès heureux de Ia campagne charmoient lë peuple; mais comme ces fuccès fembloient éloigner le moment défiré de la paix, on fe Ii'vroit a la ctaintèj ce moment eft arrivé dans le temps qu'on y penloit le moins, & V. M. 1'a fait naicre pat des moyens qu'on n'avoit pas lïeu de prévoir. C'eft la Iè coup, de tbeatie qui frappe. V. M. me fait t»rt, fi elle rne croir capable ce me plaindre de 1'occupation que me donne la disection de la maifon de travail. Je n'ai qu'un bue; dans ce monde, auquel je fuis toujours ptêta.taut: . *3  aoiS CORRESPONDANCE. facrifier , c'eft de montrer mon parfait dévouement au fervice de V. M., & de me rendre utile a ma patrie , fi l'on m'en croit capable. Mon efprit, indéterminé quelquefois , ne varie point fur ce fujet. J'ai 1'honneur & le bonheur d'être &c. Sire, O n attend avec bien de ffimpatience Ia nou* veile de la prife de Prague. Dieu veuille qu'elle arrivé bientót, & celle de la confervation de Ia fanté de V. M.! On eft partout enehanté de 1'élégance & de la beauté du refcrit communiqué k la cour d'Angleterre: c'eft effeétivement une pièce d'une éloquent ce parfaite. Ma fanté continue toujours a être dérangée. Le Baron de Pcellnitz eft arrivé fe* portant fort bien.; il a écrit a V. M., & il en attend les or« dres. J'ai 1'honneur d'être 8cc. A Berlin, ce 30 Juin 1742. A Berlin 1744.  CORRESPONDANCE. **7 Sire, L'on eft fort impatient d'apprendre des nouvelles du Rhin, mais furtout de la Bohème: rien de plus fingulier que les bruits qui fe répandent fur tous ces événemens, en voici quelques uns: que les Autrichiens font entrésdans le pays de Clé vest que la Saxe eft menacée par la cour de Vienne d'un corps de troupes qui entreront dans cepays, pour les punir de ce qu'ils ont accordé Ie paflage libre aux Pruffiens: que les Hanovriens font dans une fi grande confternation, qu'ils ne s'appercoi«e» pas même qu'elle éclate trop fenfiblement: que le Prince Charles a paiTé le Rhin. Te ne fuis point encore forti de mon Téduit littéraire: je commence a me rétablir, mais les procrès que je fais vers la fanté font fort lents. Le manifefte a été coramenté : les notes en ont été fort goütées ; on en foupconne M. de Spon. , , je me flatte que V. M. a lu 1'Obfervateur hol» landois qui s'imprime \ Berlin, & qui y paroit une fois par femaine : j'eftime 1'auteur heureux, s'il a gagné par ces deux feuilles 1'approbation de ' V. ÉA. 3'ai 1'honneur &c. h Berlin, le Aont J744>  so§. C&R.RE SPOND A NCE.. S I R E , La lettre dont il a plu a V. M. de m'honorer s été un puuTant lénitif a mon mal, qui ne m'a point encore quitté. Je bém's Ie Ciel de voir toutes les circonltances favorifer les deffeins de V. M. La défaite du Prince Charles a répandu une grancte Joie dans la ville, & foutient Fefpérance des ames timides. Que cet atome, dont parle II modellement V. M., fait de fracas dans le monde! Ceft une monade qui forme de grands projets, qui faitfurmonter les difficultés qui fe préfentent, & qui vilë toujours au grand. Je fuis impatient d'apprendre Ie fort de fa ville de Prague. Tout retentit ici du combat avec les houfards de Feltetitz, & de Ia prife de Kcsaigsgrjetr. Dieu veuille feulement, au milieu de ceb'rillant appareil de gloire, conferver Ia fanté de V. M., dont 1'Empereur, & les Etats de Brandebourg & de Prufle ont befoin! Je crains au;ant cet amour -xcelïïf de Ia gloire , qu'un amant paffioraié les , charmes vainqueurs de fa maïtreflë. On dit ici a. Fer-eillt que la Reine de Hongrie tS. brouillée plus que jamais avec Ia cour de Rua-  CORRESPONDANCE. aoc> ge} nouveau fujet de joie pour le pauvre philofophe malade. J'ai 1'honneur d'éire &c. A Eeriin, Ie S Septembre 1744. Sire, La mort du Prince Guillaume m'a extrêmement frappé, & me fait toujours craindre pour V. M. On dit ici qu'un page de Monfeigneur le Prince Henri a été tué a fon cóté. Au nom de Dieu, Sire , ménagez une fanté dont la confervatioa intérefle tout 1'Etat. J'en frémis, & je pleure les effets finiftres qu'un excès d'amour pour la gloire peut produire» Hier on débita déja Ia nouvelle de la prife de Prague; je la crois prémaiurée. Le public parolt fort content de la réponfe a la déclaration de la eour de Vienne. Je fai lue avec plaifir : mais rien ne m'a tant frappé que la déclaration faite a i'Angleterre. II parolt une critique de 1'Obfervateur hollandois: cette pièce occafionnera quelque altercation litiéraire, qui ne laiffera pas d'amufer. V. M. m'ordonne de 1'entretenir de ma fanté: elle eft toujours mauvaife , & je ne vois poiat jusques ici qu'elle prenne le train de dev.ernï  aio CORRESPOND ANCE. meilleure. II faut foufcrire aux volontés de Ia providence. Dieu veuille feulement conferver V. M.! Jai 1'honneur d'éire ókc Sire, On ne peut être plus fenfible que je ne le fui* a la part que veut bien prendre V. M. a ma mala. die, qui continue toujours. La prife de Prague, Fheureux accouchement de Madame h PrincefTe, font des événemens qui font diverfion -a 1'impresfion que peut caufer mon mal, 11 me feroit bien difficile de ne pas être inquiet fur le fujet de V. M., qui tous les jours eft expofée aux dangers les plus imminens. On dit ici que Ie Prince Charles eft a Pifeck: que V. M. va droit a lui pour fauaquer: que les iiongrsis ne veulent paint monter a cheval j «omme la Reine de Hongrie le demande: que les Francois voyant leur Roi malade, cherchent a faite Ia paix:que 1'Impératrice de Ruffieenverra huit mille hommes, pour fe joindre, Dieu fait quand, a 1'armée autrichienne. Voila les nouvel» les qui fe débiteur. Dieu veuille conferver V. M., & que j'aye A Berlin, Ie 18 Septembre 1744.  CORRESPONDANCE. sU bientót la confolation de pouvoir 1'affurer de bqu^ cbe que je fuis avec ün refpect profond &c. A Berlin , le 3 Oitobre I74+- S IR E , On ne parle ici que des progrès victorieus de V. M.: de telles nouvelles ne contribuent pas peu au réiabliflement de ma fanté. Ce qui m'afilige cependant quelquefois, ce font les fauftes& impeitinentes nouvelles que quelque efprit méchant & mal intentionné prend plaifir a forger, pour avoir celui de les voir répandues. Suivant ces nouvslles les Pruffiens ont été battus, leur cavalerie entièrement abymée, le Feldmaréchal de jScnwérin pris prifoarier, deux cents prifonniers ont été arquebufés, paree qu'ils fe font révoltés; & cent nouvelles de cette nature. Ce qui m'a fait plaifir, c'eft de voir la joie de tout le peuple a la naiffance du Prince, & que jVi appris que V. M. fe portoit parfahement bien. Cette rouvelle eft d'une nature a difliper le fpleen le plus opiniatre, & a réjouir un pauvre philofophe qui crache le fang, & qui aime la vie, paree qu'il a 1'avantage d'y être heureux. J'ai 1'honneur & le bonheur d'être &c. A Berlin i le 10 Oftobre 1744»  £12 CORRESPONDANCE. Sire, Puisque V. M. rn'ordonne fi graeieufement de 1'entretenir de ma farué, j'ai 1'honneur de lui dire qu'elle eft toujours trés-mauvaife; feus la femaitie derniére un violent crachement de fang, & la tous continue fon rnêrria train. Nonobftant tout cela M. Eller me fiatte, & me f.it e'pêrer ma guérifon. On eft ici fort inquiet fur ce qu'on ne recoit point des nouvelles de far,mée : on dit que le Ftldmaréchal de Schwérin a eu ordre d'attaquer les Saxons, ou de leur propofer de fe retirer; que le Prince Charles a odr' en'éviter autant qu'il le pourra les occafions d'un combat. Voila les nou' velles qui fe débitent. Les réflexions naturelfes, compotes par Milord Cheflerfield fur la conduite de V. M., paroilïent aujourd'hui, imprimées chez Haude, enallemand, en francois & en anglois: il parolt une traduction francoife de cet ouvrage, faite a Paris, que l'on débite a Leipfic: celle de Bielefeld eft fort bonne & la traduction eft exacte. J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlii, le 17 oftobte 174^.  CORRESPONDANCE. 213 Sire, je fuis encore dans Ie même'état ou j'étois k>rsque j'eus 1'honneur & 1'avantage de faire ma cour a V. M. Les pas que je fais vers la guétifon me poroiffent fort lents, ce qui ne lailTe pas que d'embarraffer quelquefois la faculté, qui fe voit alTez fouvent déforientée par des accidens qu'elle ne pouvoit prévoir; malgré tout cela ils veulent & prétendent que j'entrepreune le voyage de Mompel-lier fur la fin d'Avril ou au commenceraent de Mai: je tóffe a la providence le foin de déterminer a cet égard ce qui fera convenaWe. J'ai 1'honneur d'être &c. A BerÜn, le 20 Mars 174S. Sire, ]VT.on mal augmente d'une facon a me faire eroire que je n'ai plus lieu d'efpérer ma guérifon. Je fens bien- dans la fituation oü je me trouve la néceflïté d'une religion édairée & réfléchie. Sans elle nous fommes les êttes de 1'univers les plus a plaindre V. M. voudra bien après ma mort me rendre la juftice, que fi j'ai combattu la fuper-  214 CORRESPONDANCE. itition a\ec acharnement, j'ai toujours foutena les intéréts de la religion chrétienne, quoiqae fort éloigné des idéés des théologiens. Comme «n ne connoit la néceffité de la valeur que dans le péril, on ne peut connoitre 1'avantage confolant qu'on retire de la reiigion que dans 1'état de fouffrances. Les païens en ont fu tirer parti, & j'en fais 1'expérience. V. M. peut m'en croire; elle m'a toujours foupponné de focinianifine: comme j'ai toujours abhorré le nom de fefte, je crois que chaque honnée homme a fa religion formée fuivant les lumières de fon efprit, & confirmée fuivant fes befoins. Que je meure, ou que je vive, je mourrai, je vivrai dans les fentimens de la plus vive reconnoiiTance, due a toutes les graces dont il a plu a V. M. de m'honorer. J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlin, Ie 24 Avril 1745. Lettres f»ns date. Sire, J'ai une grande nouvelle a apprendre a V. M.; nouvelle intérelTante j nouvelle qui ne te paffe point fur la terre, & que les mortels n'ont point occafionnée; nouvelle qui nous vient de la première main, & qui excite 1'attention de tous ceux qui s'iotéreiTent a la nouveauté. C'eft une grande  CORRESPONDANCE. ais comète a queue, qui parolt au ciel depuis trois jours, qui a déja caufé trois ou quaire rhumes a ceux qui ont voulu la voir marcher dans fon orgueilleufe route. Les fentimes font partagés fur les effets qu'elle produit, ou les accidens qu'elle annonce. Les uns la croient de malais augure, & penfent qu'elle n'eft venue que pour allumer le feu de la guerre dans route 1'Europe; & d'autres au contraire ont la politefle de la p<étendre bienfaifante. La feule chofe que je ciains, c'eft que d'un coup de fa queue elle ne dérange toute fiéconomie de notre pauvre globe. II paroit un mauvais journal en Hollande, fous le titre du Cyclope errant. Voici deux paffages que j'en ai tirés. II eft bon de remarquer que cet auteur eft toujours allégorique. „II y en a un pour le Roi de Prufle, dont nous „avons repréfenté la vertu héroïque: je 1'ai tiré „d'une figure que j'ai vue au palais Farnèfe, qui ., repréfenté un Hercule, avec la peau de lion, & ,appuyé fur fa mafiue: il- tient dans une inaiii , trois pommes cueillies dans le jardin des Hefpérides, qui repréfeutent trois fortes de vertus: la "modération de la colèrc, /* tempérance, le géne„ reux mépris des délices du monde. „ Je viens de recovoir un ordre pour une ar^mure deftinée aux académiciens qui voudront „ fuivre Bellone, d'autant qu'un des premiers de '„'l'académie de Berlin , ayant é>é curieux , & ,étant venu trop « la légere, fon cheval n'ayaat  m6 CORRESPONDANCE. „point la charge ordinaire qu'un Bucéphale acou„.rume de porter, 1'a ernporté dans 1'armée enne„ mie, ce qui a inquiété les gens de lettres, qui „fe réjouilfent fort de ce qu'il eft retrouvé. Je „lui ai envoyé uc télefcope, afin qu'il puifle dé„couvrir les objets, fans courir les mêmes ris„ques.„ Le pauvre Pefne eft fort mal, il eft au lit depuis quatre jours. La DucheiTe de vVurtemberg eft fi contente des graces de V. M., qu'elle vous canoniferoit, s'il étoit permis aux femrues de fe mêler des intéréts du ciel. Vous feriez, Sire, fon faint, comme V. M. 1'eft de bien d'autres. Nous fommes fort bons amis avec le Marquis d'Argens: elle a a fa fuite un jeune homme noramé Defpars, qui a tout l'efprit poflïble: je u'ai guère vu de perfonnes s'exprimer dans la converfatioii d'une facon plus ingénieufe. Nous avons un nouveau philofophe qui paroit fur 1'horizon de Berlin: c'eft ce jeune Vatel, qui a fi bien défendu la philofophie de Leibnitz. J'ai 1'honneur d'être &c. Sire, On eft impatient de voir 1'eiTet que la dernièie viétoire aura produit. La gazeite de Leyde mar- quóit  CORRESPONDANCE. n7 quoit que cette nouvelle avoit caufé de laconfternation dans l'efprit du peuple anglois. On cherche en Hollande a fe perfuader que cette bataille n'eft point décifive. On dit avec tout cela qu'il y a un peu de méfintelligence enire la Hollande & 1'Angleterre. On ne comprend point les raifons du cantonnement. Voila des nouvelles échap*pées par hafard de la bouche des maltres politiques, qui fouvent font auffi filencieux que 1'étoient autrefois les difciples de Pythagore. Les réflexions que fait V. M. fur les révolutions qu'un feul homme peut occafionner, fontégalement juftes & ingénieufes. Je parlerai franchement a V. M. Ces révolutions ne m'ont pas furpris. Je n'ai pas eu 1'honneur de lui faire ma cour pendant quatre femaines, que j'ai été convaincu que V. M. étoit deftinée a faire de grandes chofes. Tout le monde étoit alarmé de voir une guerre au commencement du règne de V. M., paree qu'on ne prévoyoit pas que cette carrière feroir glorieufement parcourue. V. M. a fait voir a 1'Europe fes talens dans 1'arr rnilhaire, & dans Ia politique. V. M. rnontrera toujours a fon peuple, que fi elle fait être le deftructeur acharné de fes ennemis, elle fait auffi être le père tendre de fes peuples. V. M. a par cette guerre montré qu'on ne fattaque point imptinément, & qj'elle a des troupes redoutables. Les batimens croiflent a vue d'ceil, le poè'te a presque fini fon premier opéra, les danfeurs font Otie degré de latitude, qui ne fondent jamais, & M. de Tournefort, dans fon voyage du Levant, rapporte qu'a Trébizonde il géloit toutes les nuits au mois de Juillet jusqu'au lever du foleil; cependant les régions font plus méridionales que les nótres, & le foleil eft par conféquent beaucoup plus long temps fur 1'horizon, & M. de Tournefort , qui a examiné la terre des climats, 1'a trouvée très-chargée de fels & de nitre. Ce que V. A. R. dit fur les grottes de Befancon eft trés- vraifemblable; mais ces deux caufes, les parties nitreufes que la chaleur du foleil fond & fait couler dans les grottes, & la terre qui en forme le lit, qui abonde vraifemblablement auffi en nitre & en fels, contribuent a ce phénomène; mais il me femble qu'il ne s'en. fuit pas que les fleuves duflent géler en été; cac il eft rare que dans nos climats la chaleur du foleil foit aflez forte pour élever une aftez grande quantité de particules nitreufes pour caufer la nuit en retombant ea congélation deseauxcourantes, C'eft la une des raifons pour lesquelles ce phénomèce  CORRESPONDANCE. au eft plus cornmun dans les pays chauds; mais il eft néceffaire de plus, pour 1'opérer, que la terre abonde en nitre & en fel. Avant de quitter la phyfique , oferois-je demander a V. A. R. fi Thiriot lui envoya il y a environ trois mois un petit exirait du livre de M. de Voltaire inféré dans le journal des favans de Septembre 1738. Je n'avois pas ofé le préfenter moi-métne a V. A. R ; mais j'avoue quejeferois bien curieufe de favoir fi elle en a été contente. Puisque V. A. R. eft informée de 1'horrible libelle de l'abbé des Fontaines, elle ne fera pas fachée fans doute d'apprendre la fuite de cette affaire, a laquelle vos bontés pour M. de Voltaire font que V. A. R. s'intéreffe. Tous lesgens de lettres maltraités dans ce libelle ont figné des requêtesk qui ont été préfentées aux magiftrats, & il y a lieu d'efpérer qu'ils feront unejufticeque le lieutenant-criminel auroit faite a leur place; ainfi la caufe de M. de Voltaire devient la caufe commune, & c'eft en effet celle de tous les nonnêtes gens. On m'avoit trompée en me mandant que Thiriot avoit envoyé le libelle a V. A. R., & je voudrois bien que tous fes torts dans cette affaire ne fuffent pas plus réels; mais il s'eft trés-mal conduit, & je ne 1'attends au point oü les fentimens de reconnoiffance qu'il doit a M. de Voltaire auroient dü toujours le tenir, que quand V. A. R. le lui aura ordonpé. II a eu 1'imprudence K 3 >  222 CORRESPONDANCE. ie me mander qu'il avoit envoyé a V. A. R. une lettre qu'il m'a écrite & dont j'ai été très-offenfée; je ne fai trop fous quel prétexte il a crupouvoir m'éctire une lettre oftenfible, & comment il a ofé envoyer cette lettre a V. A. R., quidevoit lui paroitre une énigme , fi elle ne connoiflbit point la Voltairomanie. Ce qui eft bien certain , c'eft que Thiriot ne devoit jamais fans ma participaiion montrer cette lettre a perfonne; or non feulement il 1'a presque rendue publique fans ma permiflion, mais il 1'a envoyée a V. A R. Je ne me foucie point du tout que le public foit infotmé que Thliot m'écrit, & il ne lui convenoit en aucune facon d'ofer me compromettre. C'eft ainfi qu'il a réparé les torts qu'il avoit avec M. de Voltaire. Je ne m'attendois pas a être obligée d'écrire un faclum fur Thiroit a V. A. R.v mais 1'imprudence de fes démarches m'y a forcée. II faut encore que vous me permettiez, Monfeigneur,de vous envoyer la copie de la lettre que Madame la Préfidente de Bernières a écrite a M. de Voltaire fur cette malheureufe affaire; elle fera voir a V. A. R. a quel point les hommes peuvent potter la méchanceté & 1'ingratitude, & combien Thirior eft coupable de n'en avoir pas ufé avec M. de Voltaire comme a fait Madame de Bernières, qui cependant lui doit bien moins. Je fuis défefpérée de penfer que je vais ce printemps dans un pays oü V. A. R. étoit 1'année faffée; cependant je me confole par 1'idée quece  CORRESPONDANCE. 223 voyage me rapproche de V. A. R. & des pays qui font fous la domination du Roi votre père* Les terres que M. du Chaftellet va retirer, font enclavées dans le comté de Loo & ne font pas loin du pays de Clèves; on dit que c'eft unpays charmant & digne de faire la réfidence d'un grand Roi; ceite idéé m'empêchera de vendre ces terres, qui d'ailleurs font, a ce qu'on m'aflure, trésbelles. Je vais aufïï folliciter des procés a Bmxelles, & je me flatte que V. A. R. voudra bien alors m'accorder quelques recommandations, Tout cela fera un peu de tort a la phyfique; mais 1'envie de me rend e digne du commerce de V. A. R. me fera furement trouver des momens pour 1'étude. Je demande a V. A. R, la perraidion de mettre une lettre pour M. de Kaiferling dans fonprquet, ne fachant oü le prendre. J'efpère.Monfeigneur, que vous voudrez bien aufli me permetire d'envoyer fous votre couvert deux exemplaires de moa ouvrage fur lè feu dont 1'académie vient de faire schever 1'imprelïïon , 1'un pour M. Jordan & 1'autre pour M. de Kaiferling. II faut enfin que je demande pour dernière grace a V. A. R. de me pardonner la longueur de cette lettre en faveur des feminiens de refpeft & d'admiration qui m« font dictee , & avec lesquels je fuis &c. A Cirey, ce 16 Fiivrier 1737. P. S. RotiiTeau eft retourné faire de mauvaifes K ♦ •  224 CORRESPONDANCE. odes a Bruxelles. Je prie V- A. R. de rn'écrire toujours par tvl. Plets. Monseigneur, JL*a lettre dont V. A. R. m'a honorée, a verfé du baume ffir les blefïiires que les ennemis de M. de Voltaire & du genre humain ne ceffent de lui faire. II a fuivi le confeil que V. A. R. daigne lui donner; il n'a point fait paroitre fon mémoire, il s'eft plaint a M. le Chancelier; 1'affaire eft renvoyée a M. Héraut, lieuténant - général de police, & j'efpère que M. Héraut, qui a déja condamné l'abbé des Fontaines en 1736 pour un libelle contre plufieurs membres de 1'académie francoife, vengera M. de Voltaire & le public. Tout ce que je défire, c'eft que M. de Voltaire ne foit point obligé a quitter 'Cfrey, & fes études, pour aller pourfuivre fa vengeance a Paris, & je me fiatte que le miniftére public s'en chargera. L'intérêt que V. A- R. veut bien y'prendre, me perfuade qu'elle fera bien aife de favoir a quoi en eft une affaire qui eft venu troubler fi cruellement le repos d'un homme que V. A. R. honore de tant de bontés. A 1'égard de Thiriot, il eft inexcufable d'avoir ©fé rendre publique une lettre qu'il lui a plu de rn'écrire, que je ne lui demandois pas, & qu'il  CORRESPONDANCE. **$ a montrée non feulement fans ma permiffion,mais même comre mes ordres,- je ne cache po'mt a V. A. R. combien j'en ai été offenfée, & je ne crois pas qu'il s'avife davantage de compromettre ainfi mon nom. Je ne doute point que la lettre que V. A R. lui a fait écrire ne le fafie rentrer dans fon devoir, & j'ofe alTurer qu'il en avoit befoin. II eft vrai que c'eft une ame de boue, mais quand la foiblelTe & 1'amour propre font faire les mêmes fautes que la méchanceté , ils font auffi cöndamnables. Je crois, Monfeigneur, que vous faites bien de la grace a fa vertu de la comp^rer a quelque chofe ; mais j'avoue que lans application votre comparaifon du thermomètre m'a paru charmante; elle eft trés -jufte pour la plupart des hommes; elle a de plus un petit air de phyficien qui me plalt Infiniment; mais, Monfeigneur, j'aurois bien quelques reproches a faire a V. A. R. fur Ia dernière lettre qu'elle a écrite a M. de Voltaire: j'avois cru que la phyfique feroit dans mon département; mais je fens bien que ce Voltaire eft ce que les Italiens appellent cattivo vicino. L'expérieuce de Ia montre fous le récipient eft' très-ingénieufe; elle a été faite a Londres par M. Derham, & V. A. R. peut en voir le détail & le fuccès dans les Transactions philofophiques, Nro. 294. La pri/ation de l'air ne caufa aucune altération au mouvement de cette montre, ce qui eft une belle preivvë contre 1'explication que les K 5  ssd CORRESPONDANCE, Csrtéfiens donnoient du relTort; car fi Ia matière tubtile en étoit la caufe, l'air, qui eft une matiere três-fubtile, devroit y contribuer. II y a «Tailleurs d'autres raifonnemens qui prouvent, premièrement, que cette matière fubtile n'exiftepas, & fecondement que quand elle exifteroit, elle ne j»ourroit caufer le relTort. Mais, Monfeigneur, on aft bien embarraffé pour favoir ce que c'eft que Se relTort. M. Keills 1'a expliqué par 1'attraction , siais je ne fais fi fon explication eft fiuisfaifante; car l'attrafrion n'eft pas toujours bonne a toute fauce, & on en a un peu abufé dans ces derniers temps; j'ai bien peur qu'il ne faille recourir a, Dieu pour le relTort, & que ce ne foit un attribut donné par lui a Ia matière, comme 1'attraétion, Ia mobilité & tant d'autres que nous connoiflbns & que nous ne connoiflbns pas; mais je fuis encore bien ignorante fur tout cela. Je vais prendre auprés de moi un élève de M. Wolf, pour me conduite dans le Iabyrinthe immenfe oü fe perd la nature; je vaisquitter pour quelque temps Ia phyfique pour la géométrie. Je me fuis appercueque j'avois été un peu trop vite; il faut revenir fur mes pas; la géométrie eft la clef de toutes les portes & je vais travailler a 1'acquérir. Je fuis au désefpoir du contretemps qui rend les marehes de V. A. R. fi contraires aux miemies; mais je nie confole par le plaifir d'avoir une serre qui touche presqu'aux Etats du Roi votre  CORRESPONDANCE. **| père, & par l'efpérance de vous y aflurer quelque jour des fentimens refpeftueux avec lesquels je fuis &c. A Cirey, ce S7 Février 1737." Monseigneur, Ie viens de recevoir la galanterie charmante de V. A. R., & ïe m'en fers Pour lui en mar1ueir ma reconnoilTance. Si vous aviez pu, Monfeigneur, m'envoyer votre génie, je pourrois me flatter de répondre aux vers dont vous avez accompagné ce joli préfent, d'une facon digne de V. A. R.; mais je fuis obligée de ne lui envoyet que de vile profe pour toutes les bontés dont elle m'honore. J'ai fu par Thiriot que vous défiriez un ouvrage trés-imparfait , & trés-indigne de vous être préfenté, que Mrs de 1'academie des fciences ont traité avec trop d'indulgence ; je prendrai donc la liberté de 1'envoyer a V. A. R.; mais le.paquet eft fi gros, & le mémoire fi long, qu'il me faut un ordre pcfitif de votre part \ je crains bien, quand vous me 1'aurez dcnné, que V. A. R. ne s'en repente, & qu'elle ne perde la bonne opinion dont elle m'honore, & dont je fats atfurément plus de cas que des prix de routes les académies de 1'Surope. j'efpère, que cette K 6  228 CORRESPO NDANCE. Jectare engagera V. A. R. a m'éclairer de fes lumiêres. Je fais, Monfeigneur, que votre génie s'étend a tout, & je me flatte bien pour fhon■eur de la phyfique, qu'elle tient un petit coin dans votre immenfiié. L'étude de la nature eft digne d'occuper un loifir que vous devrez unjour au bonheur des hommes, & que vous pouvez emplpyer a préfent a leur inftruftion. M. de Voltaire eft aftuellement trés - tourmenté de cette maladie dont M, de Kaiferling a faitrécit 3t V. A. R.; fon plus grand chagrin, Monfeigneur, eft de fe voir privé par la du plaifir qu'il irouve a vous marquer lui-même fon admiration & fon attachement. Les lettres dont vous 1'houorez, augmentent tous les jours 1'un & 1'autre. V. A. R. a trouvé deux fautes dans la dernière Epitre qu'il vous a envoyée, qui lui avoient échappé dans la chaleur de la compofnion , & dont je ne m'étois point appercue en la lifant; il les a corrigées fur le cbamp, tout malade qu'il eft; ainfi, Monfeigneur, c'eft vous qui nous inftruifez même dans eê qui concerne une langue qui vous eft êtrangère, & qui nous eft naturelle. Je me flatte que M. Jordan & M. de Kaiferling feront auffi difcrets que V. A. R. & que cette Epitre, qui n'a point encore paru en France, ne courra point; c'eft encore une obligation que nous aurons a V. A. R. Pour moi , Monfeigneur, qui vous admire depuis long-temps dans le filence, la plus grande que je puifle vouï avoir, c'eft.  CORRESPONDANCE. 22? de m'avoir procuré 1'occafion de vous marquer moi-même les fentimens que les lettres dont vous honorez M. de Voltaire m'ont inipirés pour vous, & avec. lesquels je fuis &c. A Cirey, ce 26 Aoüt 1738. Monseigneur , I_/es louanges dont V. A. R. a daigné honórer 1'ElTai fur le feu que j'ai eu 1'honneur de lui envoyer, font un prix bien au deflus de mes efpérances; j'ofe même efpérer, Monfeigneur, qu'elles font une preuve de vos bontês pour mol, & alors elles me flattent bien davantage. Les critiques que V. A. R. a bien voulu faire fur mon ouvrage dans fa lettre a M. de Voltaire, me font voir que j'avois grande raifon quand j'efpérois que la phyfique entreroit dans votre im« menfité. J'aurois aflurément eu grand tort fi j'avois affuré que 1'embrafement des forêts étoit ce qui avoit fait connoitre le feu aux hommes; mais il me femble que 1'attrition étant un des plus puiffans moyens pour exciter la puiflance du feu & peut-être le feul, un vent violent'pourroit faire embrafer les branches des arbres qu'il agiteroit: il eft vrai qu'il faudroit un vent trés-violent, mais avec un vent donné, cela me paroit trés K 7  33Ö CORRESPONDANCE. pöflible, quoique j'avoue que cela n'eft que dans le rang des pofllbles. A 1'égard des étangs qui gèlent pendant 1'été dans la Suiffe, j'ai rapporté ce fait d'aprés M. de Muflcheflbroek, qui en fait mention dans fes Commentaires fur les tentamina ftorentina. II y a en Franche-comté un exemple de ce phénomène, dans ces grottes fameufes par leurs congélations; car un ruiffeau qui traverfe les grottes, coule 1'hiver & gèle 1'été. Je crois avoir rapporté ce fait au même article de la congélation; or ce qui arrivé fous la terre, peut arriver a la furface par les mêrnes caufes, qui fout vraifemblablernent les Iels & les nitres qui fe mèlent a 1'eau. J'ai été charmée , Monfeigneur, d'apprendre que V. A. R. fe faifoit une bibliothêque de phyfique; je me flatte que vous me ferez part de vos lumières. Je m'eftimerai bien heureufe fi mon goüt pour cette fcience me procure quelquefois des occafions d'aflurer V. A. R. de mon refpectueux attachement. Je ne veux pas laiffer échapper celle de la nouvelle année; j'efpére que vous me permettrez , Monfeigneur, de vous admirer toutes celles de ma vie, & de vous exprimer quelquefois les fentimens pleins de refpect avee lesquels je fuis &c. A Ciiey, ce ap Dc'cembre 1738. f ?. S. Je crois que V. A. R. a bien ri de lafaiuité de Thiriot, qui s'eft lailTé perfuader  CORRESPONDANCE. «31 que le changement que M. de Voltaire a fair a fa première Epitre le regardoit, & qui a eu la fimplicité de 1'écrire a V. A. R.; mais je me flatte que V. A. R. ne 1'a pas cru; je la fupplie cependant que cette plaifanterie refte entre elle & moi, & fi elle veut m'y répondre, je la prie que ce foit par une lettre particulière, par la voie de M. de Plets ou par quelqu'autre qui ne foit pas la voie ordinaire de Thiriot. Si vous me le permettez , je vous en dirai quelque jour davantage fur cet article. M. de Kaiferling a dtï dire a V. A. R. de quelle facon je lui en ai parlé; je me flatte que vous me pardonnerez cette liberté 5 je compte donner a V. A. R. une marqué de mon refpeét & de mon attachement en lui faifant cette petite confidence, & je la fupplie de n'en rien témoigner a M. de Voltaire, ni a Thiriot, jusqti'a ce que je lui en aye dit davantage» Monseigneur, ^^uand j'eus 1'honneur de parler a V. A. R» dans ma dernière lettre du Sr Thiriot, & que je lui demandai la perraiiïïon de lui en dire davantage, je ae croyois pas être obligée d'anticiper estte perraiiïïon» & j'étois bien loin de croireque  a32 CORRESPONDANCE. j'euiTe a 1'inftruire aujourd'hui de chofes bien plus impoitaotes que celles dont je lui parloisdans cette lettre. Les bontés fingulières dont V. A. R. honore M. de Voltaire, & 1'amitié, (le plus facré de tous les nceuds) qui m'unit a lui, ne me permettent pas de différer a vous inflruire de plufieurs faits dont V. A. R. fait peut - ètre déja une partie. Je fais par le Sr Thiriot lui-même , & je ne 1'ai pas appris fans étonnement, qu'il envoie a V. A. R, toutes les brochures que les infecres du Parnaffe & de la littérature font contre M. de Voltaire; il m'alTura que V. A. R. le lui ordonnoit: Je ne fais, lui dis je, fi M. le Prince royal vous tordonne ; mais ce que je fais bien, c'eft que fi vous lui aviez appris les obligations que vous avez ü M. de Voltaire, qu'il ignore, c}? qu'en envoyant a S. A. R. toutes ces indignités, vous y eujjiez mis le correüif que la reconnoiffance exige de vous, le Prince, loin de vous en favoir mauvais gré, tut cotifu pour votre caraclère une eftime que votre conduite préfente eft bien loin de mériter. Malgré cette remontrance il a continué a envoyer a V. A. R. tous les libelles qu'il peut ramalTer contre M. de Voltaire; mais comme j'ai vu par les lettres de V. A. R. a M. de Voltaire que routes ces infaraies, détefiées du public,ptofcrites par les magiftrats, & fouvent igno ées £ Paris, loin de diminuer les bontés de V. A. R. pour M. de Voltaire, les augmemoienc encore,  CORRESPONDANCE. 232- j'ai laiffé faire le Sr Thiriot, d'autant plus que M. de Voltaire n'en a jamais lailïé échapper la moindre plainte. On me mande que Thiriot a envoyé en dernier lieu a V. A. R. un nouveau libelle de l'abbé des Fontaines, intitulé la Voltairomanie; comme il y eft queftion du Sr Thitiot, je crois qu'il eft bon de faire connoitre a V. A. R. quel eft 1'homme au nom duquel on ofe donner dans ce libelle un démenti a M. de Voltaire & qui ofe 1'envoyer a V. A. R. Quand le Sr. Thiriot ne devroit a M. de Voltaire que ce que les devoirs les plus fimples de la fociété exigent, la facon dont on parle de lui par rapport a M. de Voltaire dans cet infame libelle, devroit le révolter, & il ne devroit pas laiflerfubfifter un moment le doute qu'il eüt démenti fes lettres & fes difcours pour un fcélétat généralement méprifé, tel que l'abbé des Fontaines. Mais que V. A. R. penfera-t-elle quand elle faura que le même Thiriot, qui veut aujourd'hui affecter la neutralité entre M. de Voltaire & fon ennemi, n'eft connu dans le monde que par les bienfaits de M. de Voltaire; qu'il n'eft jamais entré dans une bonne maifon que comme fon portefeuille , comme un homme qui le répétoit quelquefois ; que M. de Voltaire , dont la générofité eft bien au deffus de fes talens, 1'a nourri & logé pendant pius de dix ans; qu'il lui a fait préfent des lettres philofophiques, qui ont valu a Thiriot  334 CORRESPONDANCE. de fon aveu même plus de deux cenis guniees & qui ont penfé perdre M. de Voltaire; & qu'il lui a enfin pardonné des infidélités , -ce qui eft plus que des bienfaits: que penferez-vous, Monfeigneur , d'un homme qui ayant de telles obligations a M. de Voltaire , loin de prendre aujourd'hui la ^éfenfe de fon bienfaiteur & de celui qui vouloit bien le traiter comme fon ami , affeéte de ne plus fe fouvenir des chofes qu'il a écrites plulleurs fois, & dont M. de Voltaire a les lettres & qu'il a répétées eneore devant moi ici cet automne , & craint de fe compromettre, comme fi un Thiriot pouvoit jamais être compromis, & comme s'il y avoit une facon plusignomineufe de 1'étre, que d'être accufé de manquer a tant de devoirs, & a tant de liens, & de les trahir tous pour un des Fontaines? Je me flatte que V, At R. pardonnera la facon vive dont je lui écris, en faveur du fentiment qui allume ma jufte indignation. M. de Voltaire respecle fes bienfaits & fon amitié, & je fuis bien füre qu'il n'eut jamais intyuit V. A. R. des faits que cette lettre contient; mais plus il eft incapable de faire connoitre Thiriot a V. A. R., plus je crois remplir un devoir indifpenfable de l'amitié que j'ai pour lui , & du refpect que j'ai pour V. A. R., en 1'inftruifant de 1'tngratiiude du Sr. Thirior. Je ne fais s'il eft poflible de Ie corriger; mais ce «ont je fuis füre, c'eft que le défir de plaire a V,  CQRRESPOND ANCE. *35 A. R. & de mériter les bontés d'un Prince aafli vertueux peut feul 1'engager a 1'étre. Vous favez, Monfeigneur, que les perfonnes publiques dépendent des circonftances;ainfi, quel. que fingulier qu'il foit que la conduite de Thiriot puifle porter quelque coup, cependant il feroit défirable pour M. de Voltaire qu'il rendit publiquement dans cette occaOon ce qu'il doit a la vérité & a la reconnoiflance, & je fuis perfuadée qu'un mot de V. A. R. fuffira pour le faire rentrer dans fon devoir. Je fupplie encore V. A. R. d'éire perfuadée que jamais Thiriot ne feroit venu a Cirey, fi le titre d'un de vos ferviteurs ne lui en ent ouvett 1'entrée. M. de Voltaire, qui 1'a comblé de tant de Wenfaits. & qui refpefte eacore une connoiflance de vingt années, le connoit cependant trop bien pour lui avoir jamais montré une feule ligne des lettres dont V. A. R. 1'honore, ni de celles qu'il a 1'honneur de vous écrire. Quelque méprifable que foit 1'auteur de 1'infara* libelle dont j'ai parlé a V. A. R. dans cette lettre, il eft, je crois, du devoir d'un honnêtehomme de repoufler publiquement des calomnies publiques. M. duChaftellet, moi, tous les parensöt tous les amis de M. de Voltaire lui ont donc coufeillé de publier le mémoire que j'envoie a V. A. R.; il n'eft pas encore imprimé, mais le refpeéï de M. de Voltaire pour V. A. R. lui fait croire  23$ CORRESPONDANCE. qu'il ne peut trop tót lui envoyer la juftification d'un homme qu'elle honore de tant de bontés. Je fupplie V. A. R. de ne point faire paffer par M. Thiriot la réponfe dont elle m'honorera; elle peut 1'adrelTer en droiture a Pally en Champagne. Nous avons eu 1'honneur, M. de Voltaire & moi, d'écrire a V. A. R. par M. Plets. Malgré !a longueur de certe lettre, je ne puis Ia finir fans marquer a V. A. R. combien je fuis flattée de penfer que les affaires de ma maifon qui m'appellent ce prin-;emps en Flandre, me rapprocheront des Etats du Roi votre père, & pourront peut • être me procurer le bonheur d'afTurer moi-même V. A. R. des fentimens de refpect &. d'admiration avec lesquels je fuis &c. A Clrey, ce 12 Janvier 1730, Monseigneur, J'ai tant de remercimens a faire a V. A. R., & tant de pardons a lui demander, que je fuis embarralfée entre ma reconnoiffance & ma confufion. V. A. R. a fu la vie errante que j'ai merée depuis trois mois, & c'eft encore fur Ie point de partir que j'ai 1'honneur de vous écrire; je vais paffer une quinzaine de jours a Paris, & je voudrois tien pendant que j'y ferai recevoir quelques ordres  CORRESPONDANCE. 237 de V. A. R., & couper 1'herbe fous le pieda Thiriot. Mon féjour en Flandre a été rempli par vos bienfaits. Vous avez fu fans doute, Monfeigneur, que celui qui en étoit chargé nous trouva a Enghein répétant une comédie ; nous defcendimes promptement du théatre, pour aller jouer une partie de cadrille avec ces boites charrnantes & pleines de graces & de galanterie que V. A. R. m'a fait 1'honneur de m'envoyer. Quelques jours après, le Duc d'Aremberg vint célébrer ici la fanté de V. A. R. avec ce bon vin de Hongrie, qui eft véritablement du nectar; nous avons encore pris cette liberté avec M. Shilling. Car V. A. R. doit bien me rendre Ia juflice de croire que dés que je fais un Prufïïen dans Bruxelles, mon plus grand foin eft de faifir cette occafion de parler de vous, & de m'informer d'un Prince qui m'honore de tant de bontés, & que j'admite par tant de titres. Je n'ofe demander a V. A. R. des nouvelles de fes progrès en phyfique; car je vois par les lettres dont elle honore M. de Voltaire que Machiavel & Ia poè'fie ont la préférence ; j'efpère pouftant- que quelque jour vous donnerez quelques momens a une fcience fi digne de vous occuper, & je vous avoue, Monfeigneur, que mes défirs la - deflus font un peu intérelfés; car je me flatte que mon commerce en feroit plus agréable a V. A. R. Je ne puis vous expriroer la triftefle que j'ai fenti dans mon voyage au pays de Liége, quand  235 CORRESPONDANCE. j'ai penfé que 1'annêe paffée V. A. R. écoit presque dans ces cantons; mais, Monfeigneur, n'y reviendrez - vous jamais? Je prévois que je jouerai long-temps ici le róle de la comteiTe de Pimbèche , & je m'en confole dans 1'efpérance què mes procés me feront gagner le temps oüleRoi votre père viendra voir fes Etars méridionaux; car je compte revenir de Paris ici pour mon hu ver, & plus. V. A. R. a fu fans doute que l'abbé des Fontaines a été obligé de désavouer Ia Voltairomanie entre les mains de M. Héraut, lieutenanc de police, & que fon désaveu a été mis dans les gazettes. L'intérêt que V. A. R. a daigné prendre a cette malheureufe affaire, & la facon pleine de bonté dont elle a bien voulu m'en parler, m'ont fait croire que ce détail lui feroit agréable. Nous reverrons Thiriot a Paris, & je me fens fort portée a ufer envers lui de cette iuduigence dont la foibleffe de fon caradère me parolt trèsdigne & a laquelle V. A. R. ra'a exhortée; c'eft 4 vous, Monfeigneur, a donner 1'exemple de toutes les vertus; ceux qui les admirent de prés font plus heureux , mais perfonne ne peut être avec plus de refpect & d'attachement que moi &C A Bruxelles, ce 1 Aoüt 1739.  CORRESPONDANCE. 23* Monseigneur, Je ne veux pas être la demière a marquer aV.A. *R. combien la préface de la Henriade m'a paru digne du plus fmgulier éditeur qu'il y ait jamais eu. L'honneur que V. A. R. fait a M. de Voltaire eft bien au deflus du triomphe que l'on avoit décerné au Tafle; fon attachement pour V. A. R. en eft digne, & fa reconnoiflance eft proportionnée «u bienfait. Je ne fuis pas alTez ennemie du genre humain pour tirer V. A. R. du bel ouvrage qu'elle a entrepris d'en réfuter le corrupteur, pour lui faire apprendre quelques vérités de phyfique. Jevois, Monfeigneur, que vous encouragerez cette fcience; mais que vous avez uh emploi plus précieux a faire de votre temps que de vous y appliquer; & pourvu que V. A. R. me conferve les mêmes bontés, je plaindrai la phyfique, mais je ne pourrai m'en plaindre. Je prends la liberté de lui envoyer la traduction italienne du premier chant de la Henriade; je vais un peu fur les droits de M. de Voltaire; mais il a tant de ces fortes de préfens a faire a V. A. R., que j'efpère qu'il nem'enviera pas cette petite occafion de lui faire ma cour. Je fais peu de vers, mais je les aime pafllonnément, & je crois que vous ferez content de la fi.  24o CORRESPONDANCE. délité & de la précifion de la traduction que j'ai 1'honneur de vous envoyer 1'auteur alTure qu'il donnera le refte tout de fuite. Je fuis arrivée a Paris dans un temps oü tout étoit en feu & en joie , & j'ai retrouvé cette ville & fes habitans aufll aimables & aufïï frivoles que je les avois lailTés. Pour la cour, il s'y eft fait de grandes révolutions & il me femble qu'elle eft a préfent ce qu'elle doit être. Je quitte tout cela, non fans quelque regrét, pour des procés ; j'efpère que V. A. R. adoucira mon féjour de Bruxelles par les marqués de fon fouvenir; elle n'en peut honnorer pérfonne qui en fente mieux le prix & qui foit avec plus de dévouement que moi &c. A Paiis, i l'hótel de Richelieu, ce 13 O&ebre 1739. Monseigneur, Jl n'eft pas poffible, après avoir lu la réfutation de Machiavel, de n'en pasremercierV. A.R. C'eft bien de cet ouvrage que l'on peut dire ce que l'on difoit du Télémaque, que le bonheur du genre humain en naitroit, t'ti pouvoit naitre d'un livre; j'efpère, Monfeigneur, que vous nous enverrezla fuite de ce bel ouvrage.  ■CORRESPONDANCE. -41 M. Algarotti m'a mandé avec quelle furprife il avoit vu V. A. R.; la mienne eft qu'il ait puvous quitter. Mon refpeft & mon attachement pour V. A. R. „0 .ïonnpnt h ancune coutume, mais toutes celles -qui me procurent une occafion de 1'en affurer me i. *„. » : :„ Ar. ln nnllvpllp iin- Monfeieneur. les afluran- j„ .~„., ioc rrniiimcns avec lesauels ie ferai tOUtc uia vie »ji.>-. A Bruxelles, ce 29 Décjmbre 1739. Monseigneur, Je lis a&uellement la fuite du bel ouvrage de V. A.R.; mais j'ai trop d'impatience de lui dire combien j'en fuis enchantée pour attendre que j'en aye fini la lefture; il faut, Monfeigneur, pour le bonheur du monde que V. A. R. donne cet oüvrageaupu blic; votte nom n'y fera pas, mais votre cachet, je veux dire cet amour du bien public & de 1'humanité y fera, & il n'y a aucun de ceux qui ont le bonheur de connoitre V. A. R. qui ne 1'y doive reconnoitre; en lifant 1'Anti Machiavel on croiroit que V. A. R. ne s'eft occupée toute fa vie que j„„ j„ i„ „ni;,miio • mals mni rmi fais que fes talens s'étendent a tout, j'oferois lui par- Qenv pijlh, 4e Fred II. T. XII. L  242 CORRESPONDANCE. Ier de Ia métaphyfique de Wolf & de Leibnitz, dont je me fuis imaginée de faire une petite exquilTe en francois, fi Ia lecture des ouvrages de V. A. R. me lailToit affez de témérité pour lui en-, voyer les miens. Ces idéés font toutes nouvelles pour les têtes francoifes, & peut-être qu'habillées a notre mode, elles pourroient réuffir; mais il faudroit 1'éloquence & la profondeur de V. A. R. pour remplir cette carrière. Cependant, fi vous fordonnez, & fi vos occupations vous en lailfent le temps, j'aurai 1'honneur d'en envoyer quelques chapitres a V. A. R. ; il me femble que les habitans de Cirey, en quelque lieu qu'ils foient, vous doivent les préinilTes de leurs travaux , & fi V. A. R. daignoit corriger 1'ouvrage, je ferois bien füre du fuccès. Je fuis &c. A Bruxelles, Ie 4 Mars 1740. Monseigneur $ J'en voie enfin a V. A. R. mon EfTai de méta« phyfique ; je fouhaite & je crains presqu'également qu'elle ait le temps de le lire. Vous ferez peutêtre auffi étonné de le trouver imprimé, que j'en fuis honteule ; les circonftances qui 1'ont rendu public feroient trop longues a expliquer a V. A. R. J'attends pour favoir ü je doü m'en re-  CORRESPONDANCE. 24 j pentïr, ou m'en applaudir, ce que V. A. R. en penfera. Je me fouviens qu'elle a fait traduire fous fes yeux la métaphyfique de Wolf, & qu'elle en a même corrigé quelques endroits de fa main; ainfi j'imagine que ces matières ne lui déplaifenc point, puisqu'elle a daigné employer quelque patde de fon temps a les lire. V. A. R. verra par la préface que ce livre n'étoit deftiné que pour 1'éducation d'un fils unique que j'ai, & que j'aime avec une tendrelTe extréme; j'ai cru que je ne pouvois lui en donner une plus grande preuve qu'en tachant de le rendre un peu moins ignorant que ne 1'eft ordinaireraent notre jeonelle; & voulant lui apprendre les élémens de la phyfique, j'ai été obligée d'en compofer une, n'y ayant point en francois de phyfique compléte, ni qui foit a la portée de fon age; mais comme je fuis perfuadée que la phyfique ne peut fe paffer de la métaphyfique, fur laquelle elle eft fondée, j'ai voulu lui donner une idéé de la métaphyfique de M. de Leibnitz, que j'avoue être Ia feule qui m'ait fatisfaite, quoiqu'il me refte encore bien des doutes. L'ouvrage aura plufieurs tomes, dont il n'y en • encore que le premier qui foit commencé a imprimer. Je crois qu'il paroltra vers la pentecóte, & je prendrai la liberté d'en préfenter un exemplaire a V. A. R., fi elle eft contente de ce que j'ai f honneur de lui envoyer aujourd'hui. Je m'apperpois que ma lettre eft déja três-lonL %  244 CORRESPONDANCE, gue & que je n'ai point encore parléaV.A.R.de ma reconnoiiTance de la boite charmante qu'elle m'a fait la grace de m'envoyer. Je n'ai jamais rien vu de plus joli & de plus agréableraent monté; mais V. A. R. me permettra de lui dire qu'il lui manque fon plus bel ornement, & que quelque bien qu'elle m'ait traité, je fuis très-jaloufe du préfent dont elle a honoré M. de Voltaire. Je crois qu'il a déja envoyé a V. A. R. fa métaphyfique de Newton, & vous ferez peut • être étonné que nous foyons d'avis fi différent; mais je nefais fi V. A. R. a lu un rabacheur francois qu'on appelle Montagne, qui en parlant de deux hommes qu'une véritable amitié uniffoit, dit: ils avoient tout commun, lors le fccret des autres, & leurs opinlons. II aie femble mème que notre amitié en eft plus refpeftable & plus füre, puisque même la diverfité cfopinion ne 1'a pu altérer; la libertéde philofopher eft auffi néceflaire que Ia liberré de confcience. V. A. R. nous jugera, & 1'envie de mériter fon fuffrage nous fera faire de nouveaux efforts. V. A. R. me permettra de Ia faire fouvenir du Machiavel; je m'intérefle a la publication d'un ouvrage qui doit être fi utile au genre humain , avec le même zèle que j'ai 1'honneur d'être &c. A Verfailles, ce *s Avril I74--  CORRESPONDANCE. 345 Sire, Permettez-moi de venir joïndre ma joie a celle de vos Etats, & de 1'Europe entière. Je me préparois a répondre a la lettre philofophrque dont le prince royal avoit bien voulu m'honorer; mais je ne puis parler aujourd'hui- a V. M. que des vceux que je fais pour elle, & du iefped avec lequel je fuis &c. A Bruxelles, ce n Juin 1740. Sire, J'efpère que M. de Camas aura rendu compte & V. M. du plaifir que j'ai eu de le voir, & de m'entretenir avec lui de tout ce qu'elle adéjafaic pour le bonheur de fon peuple, & pour fa gloire. V. M. peut aifément s'imaginer combien il a eu de queltions a elTuyer \ je puis vous alTurer que j'ai trouvé le jour que j'ai paffé avec lui bien court, & que je ne lui ai pas dit la moitié de ce que j'avois a lui dire, quoique nous ayons toujours parlé de V. M. Je vois par le choix quelle a fait de M. de Camas, & de fes compagnons, qu'elle fe connoit auffi bien en hommes qu'en philofophie. Je n'ai guéres comme d'hommeplus aima.~ L 3  .44$ CORRESPONDJN CE. ble, & qui infpire plus la confiance; aulïï n'ai-fe pu m'empêcher de lui laiffer voir le défir extréme que j'ai d'admirer de prés V. M, Nous en avons examiné enremble les moyens, & j'efpère qu'il en aura écrit a V. M. II y en avoit un, qui n'eft plus a préfent en mon pouvoir; je m'en confole dans 1'efpérance que le voyage de V. M. a Clèves me mettra a portée de lui fairemacour, & de ne devoir cecte fatisfaction qu'a mon attachement pour V. M. & au défir extréme que j'ai de 1'en aflurer moi • même. Je rougiflbis d'en avoir 1'obligation a d'autres, & il me fufïït que V. M. daigne le défirer pour que je fafie 1'impofïïblepour y parvenir. V. M. doit bien croire que puisque Ie commencement des Inftitutions de phyfique nelui a pas déplu , je vais prefler Ia fin de l'irnpreflion, & j'espêre les préfenter a V. M., fi j'ai Ie bonheur de Ia voir cet automne. Mais, Sire, il faut que je vous dife que le cceur me faigne de voir le genre humain privé de la réfutation de Machiavel, & je ne puis trop rendre de' graces a V. M. de Ia bonté qu'elle a de m'excepter de la loi générale, & de m'en promettre un exemplaire; c'eft Ie don le plus précieux que V. M. puifle me faire. Je ne crois pas que 1'éditions'en achèveen Hollande; mais j'imagine que V. M. en fera tirer quelques exemplaires a Berlin, & qu'elle n'oubliera pas alors la perfonne du monde qui fait le plus de cas de cet incomparable ouvrage; je ne connoisrieft  CORRESPONDANCE. 247 de mieux écrit; & les penfées en font fi belle & fi juftes, qu'elles pourroient même fe palier des charmes de 1'éloquence. J'efpère que V. M. fera fervie comme elle le défire, & que ca livre ne paroitra point. M. de Voltaire ira même en Hollande, fi fa préfence y eft néceflaire, comme je le ctains infiniment; car les libraires de ce pays-la font fujets a caution, & je puis aflurer V. M. qu'il ne lui fera jamais de facrifice plus fenfible que celui de ce voyage; j'epêre cependant encore qu'il pourra s'en difpenfer. V. M. a fans doute bien des admirateurs qu'elle ne connoit point; mais je ne puis cependant finir cette lettre fans lui parler d'un des plus zélés, qui m'appartient de fort prés, & que M. de Camas a vu ici; c'eft M. du Chaftellet, fils du Coloncl des gardes du grand Duc; il a paifé expres a Bareith en venant de Vienne ici, pour avoir le plaifir de parler de V. M. & de connoitre la princelfe fa foeur; il en eft parti comblé des bontés que l'on a eues pour lui dans cette cour, & le cceur tout plein de Féderic. Madame la Margrave lui a donné un air de la compofition de V. M.; nous 1'avons fait exécuter, & je travaille a 1'apprendre, car la mufique de V. M. eft bieu favante pour un gofier francois, & je ne défirerois de perfectionner le mien que pour chanter fes ouvrages, ,&. fes louanges. V. M, eft a préfent occupée a recevoir les hommages de fes fujets de Prufle; mais j'efpère qu'elle eft bien perfuadée L 4  248 CORRESPONDANCE. qu'on ne lui en rendra jamais de plus fincères & de plus refpectueux que celle qui a 1'honneur d'être &c. A Bruxelles, ce 14 Juillet 1740. Sire, Si le bonheur de voir V. M. & de connoitre celui que j'admire depuis fi long-temps n'étoirpas la chofe du monde que je défire le plus, ce feroit celle que je craindrois davantage. Ces deux fentimens fe combattent en moi; mais je fens que Ie défir eft le plus fort, & que quelque chofe qu'il puifle en coüter a mon araour propre, j'attends 1'honneur que V. M. me fait efpérer avec un empreflement égal a ma reconnoiflance. J'ai recours a votre aimable Céfarion, & je le fupplie , lui qui me connoit, de bien dire a V. M. que je ne fuis point telle que fa bonté pour moi me repréfenté a fon imagination , & que je ne mérite tout ce qu'elle daigne me dire de flatteur que par mon artachement & mon admiration pour V. M. Croirez - vous, Sire, qu'a' la veille de recevoir la grace dont V. M. veut m'honorer, j'ofe lui en demander encoro uneautre? M. de Valory a inaudé a M. de Voltaire, & les gazettes le difent presque, que V. M. honorera la France de fa préfence; jes ne chercbe poiut a pénêtrer fr l^Miniflre  C& RRESPO ND ANCE. 24J & la gazetiet ont raifon; mais j'ofe repréfenter a. V. M. que €4rey eft fur fon chemin, & que je ne me confolerois jamais, fi je n'avois pas 1'honneur d'y recevoir celui a qui nous y avons fi fouvent adreffé nos hommages. J'ai prié M. de Kaiferling d'être mon intercefleur auprès de V. Mpour m'en obtenir cette grace: les grandes ames s'attachent par leurs bienfaits, c'eft la mon titr.e pour obtenir de V. M. la grace que j'en efpère. V. M. ne fait point fans doute de gtace a demi; ainfi j'ofe efpérer qu'elle ne mettra point de bornes a celle qu'elle m'accotde , & qu'elle me mettra a pottée de profiter de tous les momens qu'elle daigne m'accorder; j'implore encore ici rintercefiion de Céfarion, avec lequel j'entredans. des détails que je n'ofe faire a. V . M. Je travaille a me rendre digne de ce que VY M. veut bien me dire fur 1'ouvrage dont j?ai pris. la liberté de lui envoyer le commencemenr. II eft fini depuis long-temps, & j'efpère le préfenter a V. M. J'ai le deflein de donner en francois une philofophie entière dans le goüt de celle da M. Wolf, mais avec une fauce francoife. Je taeherat de faire la fauce courte; il rne femble qu'ün tel ouvrage nous manque ; ceux de M. Wolf rebuteroieut la légéreté francoife par leur forme feule? mais je fuis perfuadée que mes compatriotes gotW teront cette facon précife & févère de raifonueo^ qdand on aura foia de ne les point effrayer par ks- mots de. icniiiies, de théorèmes , &. de; dé? L 5,  2jo CORRESPONDANCE. ïhonftration, qui nous femblent hors de leurfpbère quand on les emploie hors de la géométrie. II eft cependant certain que la marche de l'efprit eft la même pour toutes les vérités; il eft plus difficile de la démêler & de la fuivre dans celles qui ne font point fournifes au calcul; mais cette difficulté doit encourager les perfonnes qui penfent, & qui doivent toutes fentir qu'une vérité n'eft jamais trop achetée. Je crains de prouver Ie contraire a V. M. par cette énorme lettre , & que quelque vrat que foit mon refpeft & mon attachement pour elle, V. M. n'ait pas la patience d'aller jusqu'aux aflurances que prend la libertéde M en réitérer &c» A Bruxelles ce tl Aoüt 1740. Sire, J'ai partagé bien fènfiblement le p'aifir que KL de Voltaire a eu d'admirer de prés le Marc-Aurèle moderne; les lettres qu'il m'écrit ne font pleines que des louanges de V. M , & du bonheur qu'il y a a. paffer fes jours auprès d'elle. Jai pris le temps qu'il eft occupé a exécuter en Hollande les ordres de V. M.,. pour venir faire un tour a la cour de France, oü quelques affaires m'appeloient, & oü. ['ai voulu juger pas  CORRESPONDANCE. 251 moi-même de 1'état de celles de M. de Voltaire; il a eu 1'honneur d'en parler a V. M.; il n'y a rien de pofitif contre lui ; mais une, infinité de petites aigreurs accumuldes peuvent faire le même elfet que des torts réels. II ne tiendroit qu'a V. M. de diffïper tous les nuages, & il fuffiroit que M. de Camas ne cachet point les bontds dont V. tó. l?honorè, & 1'intérêr qu'elle daigne prendre a lui; ie fuis bien certairie que cela fuffiroit pour procurer a M. de Voltaire un repos dont il eft jufte qu'il jouifle & dont fa fanté a befoin. Je ne doute pas que V. M. ne lui donne cette nouvelle marqué de fes bontés, &'qu'elle ne falie aujourd'hui par M. de Camas ce qu'elle daigna faire par M. de la Chétardie dans un temps ou nous n'ofions pas même en prier V. M. Louis XII difoit qu'un Roi de France ne devoit point venger les injures d'un Duc d'Orléans;. mais je fuis perfuadée que V. M., faite pour furpalfer en tout les meilleurs Rois,penfe qu'un Roi de Prufle doit protéger ceux que le Prince royal honoroit de fon amitié. Je fuis bien affligée de me trouver a une atitre cour qu'a celle de V. M.; j'efpère toujours que je pourrai fatisfaire quelque jour le défir extréme que j'ai de 1'admirer moi-même, & de 1'allurer de vive voix du refpect & de 1'attaehement avec lesquels je fuis &c. A Fontainebleau, ce 10 Otftob. 1740. L 6  tg» CO RR ESP 0 ND.AlSrCE. Sire,, M on devoir & mon attachement pour V. Mv m'ordonnent également de 1'aflurer de raon refpect; au commencement de la nouvelle annéek C'eft; avec ces feminiens que je ferai toute ma vie &c A Bruxelles Ie, 24 Décembre 1740. Sire, Jl m'eft impoflible de contenir ma joie, & dï ne la pas marquer a V. M.; les bontés dönt elle m'honore m'autorifent a prendre cette liberté, & a jorndre ma voix au concert delouanges qui retentit ici au nom de V. M. Nous lui devons les avantages de la guerre, cc je me flatte que-nous lui devrons encore ceux de la paix ; pour moi qui ai le bonheur d'avoir la première connu & admiré V. M., je ferai toute ma vie celle qui prendrai le plus de part a fa gloire, & qui ferai avec le plus profond refpect & je. défire que V* h& continue  254 CORRESPONDANCE, de m'hotiorer de fes bontés, & qu'elle foit biea perfuadée du refpect avec lequel je fuis &c. A Paris, ce i Janvier 1744. Sire, ' j Je prens la liberté d'envoyer a V. M. une nouvelle édition de quelques piêces qu'elle a daigné recevoir avec bonté, lorsqu'elles parurent pour la première fois^ les occafions de faire ma cour a V. M. me font trop précieufes pour en négliger aucune. J'efpère qu'elle recevra avec fa bonté ordinaire ce nouvel hommage que je rends plus encore au philofophe qu'au roi. Si j'ofois, je fupplierois V. fVT. de ine permettre de lui témoigner la joie que je reflens de voir S. A. R. la PrinceiTe Ulrique remplacer par fes talens la Reine Chriftine; elle étoit feule digne de rempür le tróne de cette iiluitre Reine. Je fuis avec 1'attachement le plus inviolable & le plus profond refpeét &c. A Cirey, ce 30 Mai 1744, Sire* Je ne fais ce .qui m'affiige Ie plus, ou de favoir  CORRESPONDANCE. 255 V M. malade, ou de perdre 1'efpérance de lui faire ma cour; j'efpère qu'elle me faura quelque gré du facrifice que je lui fais, & que la préfence de celui qui vous rendra cette lettre, (& que j'efpère que V. M. ne gardera pas long-temps,) lui prouvera mieux que tout ce que je pourrois lui dire le refpeft & 1'attachement avec lesquels je fuis &c. A Bruxellc, ce ft Rept. 1744,  LETTRE DE LA MARQUISE EP ARGENS AU ROL "Sire, D epuis deux mois que j'ai perdu mon mart, on ne cefle de me recommander d'écrire partour. qlu'il eft mort comme un faint, Iorsque la vérité veut que je dife fimplement qu'il eft mort comme un fage. On a abufé de ma douleur pour offus. quer ma raifon, Sire; elle 1'éroit au point, qu'il a fallu que je me fafle violenee pour obéir aux ordres de V. M., qui me demandoit compte de la vérité. Je le lui ai rendu fidellement; mais je crains d'avoir affoibli le tableau par le mélange de couleurs étrangères; j'ai perdu le flambeau qui m'éclairoit fi bien! C'eft a la lumière de vos précieufes lettres, Sire, que j'ai recouvré cette fermeté qui jusques la m'avoit abandonnée. Persnettez, Sire, que je répare le tort que des expreflions rrop ménagées ont pu faire k la mémoire de mon mari. Je puis dire de lui, Sire, avec Péciat que demande la vérité, ce que V. M. die du Général de Goltz: Caton n'eft pas mort avec plus de fermeté; parlant comme Lucrêce, fa feule inquiétude étoic 1'anivée de fon, frère» qu'il  CORRESPONDANCE. 257 attendoit pour prendre fes derniers arrangemens avec lui; il a méprifé les vaines terretirs de 1'autre vie; enfin il eft mort en grand philofophe. J'ai eu 1'honneur d'écrire a V. M. qu'il s'entretenoit pendant fa maladie des ouvrages des plus illuftres philofophes. Llabbé, comme homme d'Eglife, vouloic fouvent difputer fur fes principes; mais la politefTe 1'emptchoit de difputer trop obftinément contre un horame fort ofl'oibli, & 1'nbbé cédoit par cette raifon aux difcours qui lui paroiffoient peu orthodoxes. J'ai écrit a V. M. que la crainte de 1'erïet que feroit a mon mari 1'avertiffetuent qu'on vonloit lui donner de penfer alui, étoit un des motifs que j'alléguai pour empêcher l'abbé d'approcher de fon lit; mon mari n'ignoroit pas que fa fin s'approchok. il me le difoit tous les jours; mais je me fervisdetouslesmoyens pour éviter a mon mari 1'ennui qu'un pareil entretien pouvoit 'ui caufer. Quand je fai quitté , Sire, il étoit hors d'état de voir, de'parler & d'entendre; V. M. ne doit pas s'étonner que l'abbé , qui a afïïfré a fon dernier foupir, fe trouva la è la rninute; c'eft un ami de fes frêres, qui Iogeoit chez la baronne a fon palTage a Toulon, oü il eft encore refté quelques femaines aprêsnous; il épioit ce trifte moment. Quel pays, Sire! On wie dit, au dernier remède qu'on donna a mon cher Marquis, qu'il falioit abailLr les vapeurs de l'efprit, & fauver Paine, fiit-ce aux dépens dit corps. Quel fyflèine barbare! Un efpoir plus humain m'y avoit feul déterminée, & j'attendois d*  25$ CORRESPONDANCE, ce reraède fon retour a la vie. Je vous demande humblement pardon, Sire, fi j'ai importuné de nouveau V. M.; des fcrupules ridicules ru'ont fait ménager la vérité dans ma première lettre; des fcrupules légitimes m'ont diété cette feconde, oü j'ai cru devoir mieux vous obéir, Sire, & rendre a mon mari toute la juflice qui lui eftdue. Comment ne feroit-on pas ébranlé dans un pays oü l'on me dit que le plus grand fervice que je puifle rendre aujourd'hui a mon mari eft de brüier tout ce qui me refte de fes ouvrages, de meitre au feu quelques tableaux qu'il avoit apportés ici avec lui, comme fi plus on brüle de chofes dans ce monde-ci, moins on eft brülé dans-1'autre ? La lecture de vos divines lettres, Sire, m'a rendue a la raifon, a mon exact devoir envers V. M. & envers mon mari; ma douleur m'avoit ó:é ce que 1'approche de la mort n'a pu lui ravir. Les deux derniers bons mots qu'il dit dans le dérangement même de 1'imagination, montrent combien fes fentimens/ étoient folides; il avoit formé Ie plan d'un ouvrage qui n'étoit pas au deflbus de ce qu'il avoit écrit deplus fort; il s'en occupa, du moins en efprit, pendant tout le couts de fa maladie; le fort a trahi fes projets. II eft trop heureux, fi après fa mort 1'exacte vérite prouve a V. M. qu'il n'étoit pas indigne des bontés dont V. M. 1'a honoré. Je fuis avec un trés - profond refpecT: &c. A Eguillej prés d'Aix, ce 19 Mars 1-71.