O E U V R E S POSTHUMES D E FREDERIC II, R 0 I DE P R U S S E. T OME XIII. S'JIVAHT LA COÏIE imprimée A BERLIN chez VOSS et DECKER. * 7 8 9i   CORRESPONDANCE. LETTRES DU MARQUIS UARGENS AU ROL Sire, J'ai retardé de deux ou Crois jours d'dcrire 4 Votre Majefté pour pouvoir lui faire un détail circonftancié de tout ce qui m'eft arrivé jufqu'au moment que je fuis parti de 1'armée, pour aller 1 Liége reprendre ma compagne de voyaje, & con* tinuer ma route pour Paris en paflant par Bruxelles. Ne recevant pas mes paffe-ports a Wéfel, aprè* les avoir attendus cinq jours, je partis pour Airla-Chapelle, oü. a peine je fus arrivé que je let recus par une eftafette que m'envoya M. Ie Maréchal de Doflbw. D'Aix-Ja - Chapelle je me rendis a Liége avec une efcorte de dix hommes que me donnèrent les Autrichiens, & qui vint de leur camp me prendre è Aix, En arrivant è Liége, j*y laiflai Mat&nne, & je yins avec une efcorte juiqu'au camp, A *  4 CORRESPOK DANC E. Je m'adreffai le même jour a M. de Puifieux, Miniftre des affaires écraDgères, qui me fit beaucoup de politeffes, & qui m'en a toujours fait pendant mon féjour a 1'armée. II me préfenta le kr.demain auRoi, qui me recut très-gracieufement. 11 fe mit a rixe en me voyant, & dit a M. de Puifieux affez haut: voyez dor.c amme il rejjemble a fon ftère. 11 me demanda enfuite des nouveües de ]a fanté de V, M., quand j'étois parti de Berlin &c. Le jour que je fus préfemé au Boi, je dinai chez le Maréchal de Saxe , le lendemain chez le Duc de Richelieu, le furlendemain chez M. d'Ar. genfon, Miniftre de Ia gucrre, & hier chez M. de Puifieux. Aujourd'hui, fuième jour XCZ, recrues avec nffez de facilité, & on léve dans l©:royaune cinquante bataillons qui encore feront ha. billés & armés pour Ie mois de Mars. Je travaille a mes affaires, & j'efpère que gr&ce a la protection de V. M. elles fe termineront promptement & heureufement. J'ai déja pris quelques arrangemens avec mon frère, qui eft pénétré des- obligations qu'il a a V. M. Le Roi vient de lui accorder 1'agrément d'une charge de Préfident 4 mortier & lui en a fait expédier gratis les parentes, ;„c:cft une récompenfe tres - confidérable. je commence è croire volontiers qu'il faut qu'il ait couru quelque rifque d'être pendu, & que les plaifanteries de 1'hiver paffé n'étoient pas fans fondement; il affure cependant n'avoir jamais été en danger d'effuyer aucune avanie, & il continue a fe louer beaucoup des Anglois: je crois qu'il fera. bientó: employé dans queïque cour; c'eft une raifon de plus pour preffer la concluiion de mes affailes; je regarde le moment oü elles finiront comme bien heureux, puifque ce fera celui oü je partirai pour. aller faire ma cour a V. M. & revoir le jneilleur. maltre du monde. M. Darget me marqué que V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire deux fois. Je n'ai point été aflez heureux pour recevoir aucune de fes lettres. ]| la fupplie de m'apprendre oü eft ce qu'elle me les 2 adreffées, pour que je puiffe les retirer, & d& vouioir adrefter celles dont elle m'ftonore; d Uil Q.ombelhn- k Mvmfy 4'Atgtns , e l'kètel 4c  CO R RE SP ON DA N CE. j &: Scras'jourg , rus du jépulcre , faubourg jaint Cfr» miin, a Parh. Je n'ai point encore été è la comédie italienne, ni a la francoife, mais j'ai vu déja-deux' fois 1'opéra, ayant la loge du Duc de Duras, au»iiefois Duc Durfort, donc j'ai la c'ef; cela m'évite une dépenfe confidérable. V. M. voit que les anciennes connoiffances fervent toujours, & que 1'office que je chantai k Philipsbourg chez le Duc de Richelieu, m'eft encore utile aujourd'hui. J'ai trouvé 1'opéra très-foible, eu égard k ce quo' je 1'avois vu. ïoutes les chanteufes font médiocres. La le Maure & ia Peliffier n'y font plus; tel danfeurs, excepté Duprès, qui vieillit cependant, font mauvais. J'ai déji parlé k V. M. des danfeufes. II y a une haute - contre; c'eft ce que les Italiens appellent un contt'alto, qui eft la plus belle voix que j'aye ouïe de mes jours. Ce rnufïcien s'appelle Gelio. On joue un opéra de Rameau t qui m'a paru au deflbus du médiocre; ce •■ n'eft ni de la mufique francoife, ni de la mufiqu» italienne. II ne parok ici aucun livre nouveau, que quelques miférables brochures de politique.oü il n'ya pas le fens commun. Voltaire a fait une épltre fiir la bataille donnée en dernier lieu auprès de Maftricht, elle eft imprimée; mais il la défavoue, & niétend ne 1'avoir point faite ainö qu'eile paroitj je ne 1'envoie point a V. M-.', paree que \§ 60 Ai  & CORRESPONDANCE* doure point qu'elle ne 1'ait déja recue par le canaï de Thirior. J'ai 1'honneur &c. A Paris, ce 15 Aofit 1-47. Sire» J'a 1 regu par la voie d'un banquier une des deux lettres que V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire. Elle me permettra de lui dire qu'elle me foup« cor;ne a tort d'être pareffeux. Depuis un mois que je fuis è Paris, j'ai entièrement fini mes affaires, mes parens ont enfin pris confidération , il ne s'agit plus que des ergagemens que je dois prendre avec eux, pour éviter de reiomber a 1'avenir dars le même inconvénient. Ils m'offrent de me céder pa» contrat public , tels fonds que je voudrai; fnr lefquels fonds feront hjpothéqués mes rever.us, Cela eft pour moi fi important, que quoiqu'il y art trois cents üeues pour aller ou pour revenir de Provence a Paris, je pars en pofte pour Aix a la fin de ce mois; je ferai de retour vers la fin ie. Septembre a Paris; j'en partirai le premier ö'Octobre, & allant en pofte j'arriverai le quinze èïïerlin; ainfi MUe Cochois y fera plus de fix fjemaines avant 1'opéra. La Laurette ne vient point ifii'i elle s'eft engagée a Londres.: on a fait jouer fïjelqiies refforts pour engager la Cochois a entree  CORRESP ONDANCE. a>3 ai 1'opéra; mais ils ont été inutiles; elle a raêmo refufé de danfer. D'ailleurs, j'ai déclaré ici publiquement qu'elle étoit engagée. Enfin je réponds k V. M. de cette affaire. Le Duc de Richelieu eft arrivé a Paris depuis trois jours. II va a Gètes. J'aurois été avec lui jufqu'en Provence, mais il refte encore une douzaine de jours k Paris & pendant cé temps-la je ferai déja arrivé a Aix; ainfi je n'irai point avec lui. J'ai été diner il y a quelques jours a Patïy chez Madame de Tencin, foeur du Cardinal; c'eft le rendez - vous des beaux efprits fexagénaires; el'a eft fortpolie, elle a de 1'efprit; elle me fitvunequeftion que je düai un jour a V. M. Je foupe fouvent avec 1'abbé de Bernis dansune des meilleures maifons de Paris; il y lut 1'autrejour deux pièces de vers; je les lui demandai, pour les envoyer a V. M.; je crois qu'elle trou»vera 1'une bien fupérieure k 1'autre. L'abbé Bernis eft d'une figure aimable cc d'un caraftère fort doux.J'ai vu deux fois le jeune Prétendant; j'ai même dlné une fois chez lui; c'eft un Prince bierr fait, dont 1'air eft modefte, qui parle peu, & qui pan it avoir beaucoup de jugement; il me dit qu'il avoit appris avec une fatisfacïion infmie que pendant qu'il étoit en EcofTe, V. M. avoit parlé de lui avec bien la bonté. II eft ici fort mal a foii aife, & parolt fupporter fon état avec beaucoup de fermeté; J'ai bien des chofes k dire la-deffus k V. M. A 7;  CORRESPONJJJNCE. Js ne vous ai point encjre parlé, Sire, dans mes lettres ni de la comédie francoife, ni de 1'italienne. La dernière fe foutient affez bien; la Sylvia eft toujours la meilleure actrice du royaume, 1'arlequin eft un grand fujet, la Coraline joue avec plus de vivacité que de génie, mais elle eft jolie; de Haye eft un excellent valet, & Lélio eft trés-bon pour les petits - rnaltres, & certains róles de caraftères. Quant a la comédie francoife, je la trouve tombée affreufement. La Dumenil, fi vantée par M. de Voitairü, a une voix fépu'.crale, &.eft outrée trés - fouvent; la Gauffin eft jolie, mais elle n'a que certains róles tendresj elle eft dans les autres au deffous du médiocre; la Carville a d :s entrailles, mais elle ne raifonne point aflez fes róles. Ces comédiennes font toutes auili éloignées de la le Couvreur & de la de Seine, que 1'hyfope eft au deffous du cèdre. Quant aux acteurs, Grandval joue médiocrement le tra. gique, & divinement bien les petits-maitres amoureux; Lanou feroit un grand comédien, fi une figure affreufe ne gatoit tous les talens qu'il a. Tous les autres comédiens font ou médiocres ou mauvais», J'ai dit a V. M. dans mes autres lettres ce que je penfois de 1'opéra. J'ai vu M. de Maurepas, il m'a fait beaucoup de politeffes & même quelques offres de fervice. On attend ici le Roi vers Ie dix ou le douse ia mois prochain; ainfi je n'irai a Verfailles qu'a «jon retour de Provence, le voyage que je pacr-  GO'RRESPONDINCE. 15 rats y faire a préfent me paroiflant d'une-très petite utilité. Je dois diner demain chez le Duc d'Elbeufj" prince de la maifon de Lorraine, avec Crébillon le père; je manderai par ma première lettre a V. M- des nouvelles de eet auteur, &. de fa tragédie de Catilina, qu'il doit y réciter. Je fuis avec un profond refpeft &c. A Paris co :6 Aoüt 1747' SlEE, }*a i recu le duplicata de la lettre de V. M. dans le moment que j'allois partir pour la Provence. Je n'ai point encore été alTe'. heureux pour que fa • lettre en original me parvint. j'ai été a la pofte, oü j'ai fait un. bruit épouvantable; on m'a promis de chercher, & de faire toutes les perquifuions poffiblesi J'exécuterai les commiffions de V. M. Ie mieux qu'il me fera poffible. Celle de 1'homme de lettres qui ne foit point pédant, & qui ait un caraftère aimablé, ms paroit la plus difficiie. Tout ce qui a dans ce pays un certain mérite , eft prefque impoffible a déplacer. Gteffet, par exemple.dont V. M. meparle, a deux emplois qui lui rendent deux mille écus; il faut ajouter a cela une des plus jolies femmes de Paris pour inaïtreiïe; un homme d'ailleurs prévenu en faveur de fa patrie ne la quitte point, brfqu'il y eft'rctenu par le cosur Sr  ïö C0RRE3P O N D A NC E. par Pifltérêr. L'inclination que les Francois gens dtr lettres ont pour Paris eft il grande, ils font fi contens des agrémens qu'ils penfent y avoir, qu'il eft mê'me difficile d'en faire fortir des gens médiocre?, Cet abbé le Blanc que V. M. a voulu avoir, & qu'elle eft fort heureufe de n'avoir point eu, eft un homme trés - peu confidéré; c'eft un bei efprit fubalterne , & trés-fubalterne-; cependant eet- homme trouve des reffources Sc des agrémens a Paris dans bien des mailbns, paree qu'aujourd'hui en France tout le monde a la rage du bel efprit, & que- les financiers, ainfi que les ducs, veulent' qu'il foit dit qu'ils recoivent chez eux les favans. Il y a quelques jeunes gens qui ontdes connoiiTances, mais les uns manquent totalement par le ton de Ia bonne compagnie, & ne font précifément que des auteurs; les autres font des gens qui ayant de 1'efprff ont un caraflère méprifable, & qui comme 1'abbé' Eréron ont été a Bicêtre ou a Vincennes pour desactions flétriffantes. Malgré ces difficultés V. M. peut être aflurée qu'au retour de mon voyage de Prevence, qui r.e durera en tout que vingt jours, je lacherai tje Ia fatisfaire. Quant au peintre, cet article eft plus aifé que 1'autre; mais il faut que je m'y prenne finement; fans'cela cet homme demanderoit tout ce que V.M. uoulöit donner a Vanloo, & je fouhaiterois 1'engager a meilleur marché. Je viens aux comédiennes: les deux filles dont garle Petit chantent au concert de Rouen ; ellee  CORRESPONDANCS. i? n-ont jamais joué la comédie ; on dit qu'elles font affez'jolies , mais je crois qu'il te taut avoir recours a cela que fi je ne trouwe point a Lyon j oü je ferai dans quatre jours, ou a Strasbours; i mon retour, quelques bons fujets; lis font bien rares, même a P;ris, & je puis protefter a V. M. que fur la réputaiion de Mademoifelle Babet,- qui paffe ici pour une rille de beaucoup d'efprit, on m'a fait a fon fujet quelques propofitions k la comédie francoife. V. M. n'auroit pu s'empêcher de rire de voir la grimace que je fr ; je me contema, ce-endant de répondre que fes perfonnes qui avotent du talent & du mérite ne quittoient jamais Ie fervice de V. M. Elle a fait pour fon fpedacle une perte dans Cochois le nis; c'ëtoit, il eft vrai, m fou & un infolent; mais c'étoit un excellent comédien süÉ au deffjs de tous tes coniques de la comBfiê frarcoife de Paris que Hauteviüe étoit en folie au deffus de tous fes camaraies. J'aurai phonneur de rendre compte inceffamment a V. M, de ce que j'aurai vu ï Lyon. Je fuis avec un profond refpect &c. ^ ^ ^ g ^ ■Sire, A 'a diligence que je fais, V. M. ne m'accufera p!us de pireffe. Je fuis arrivé en Provence il y a huit jours, mes affaires font termirées a ma fatisfe&on. Je pars Eour Paris dans fix jours, oü je  jS CVR R KS'P O ND ANCS. vais ch'ercherla Cochois, & V. M. peut éireaffürée que nous ferons rendus a Berlin feloa fes ordres k Ia fin du mois d'Oftobre. Voila prés de fix cents Iieues que j'aurai faites en deux n.ois. Après cela que V. M. dife que je voyage lentemect. Je finirai en arrivant a Paris 1'engagement du peintreque V. M. fouhaite d'avoir: Elle peut étre aflurée que • je ne lui donnerai que de 1'excellent. J'ai vu en allant en Provence prefque toutes. les troupes du royaume. Dans celle de Dijon tous les fujets font au deflbus du mediocre, dans celle de Lyon il y a un comique bon, mais qui demande des appointemens extraordinaires, une amoureute médiocre entretenue par un amant, ainil difficile i avoir, & qui ue vaut pas le quart de la penfion qu'elle m'a demandée. La troupe d'Aix, ma chère patrie, eft exécrable; il n'y a pas une feule perfonne. capable de jouer des feconds róles dans une bonne comédie. Enfin 1'enaui de ne trouver rien. qui put convenir a V. M. m'a obügé d'aller a Marfeille. J'y ai trouvé les trois plus exceüens fujets du royaume. Je n'excepte pas méme ceux de Paris, au defius defquels je les mets, fi 1'on excepte la Dumenil; deux dj ces fujets font le fieur Rouflelois & fa femme, quiavoient été autrefois engagés pour Ie fervice de V. M. '& qui ne furent point aflez heureux pour aller a Berlin. Le mari joue fupérieurement dans Ie tragique, ainfi que dans le comique; il a la nobieife & le bon fens de Baron, le feu- de Dufrêne & Ia voix de Quinault 1'ainé.  $0RR£SPON.DJ S'C&. if Cet homme feroit depuis longtemps 4 Paris, ou, i?' a débuté avec un fuccès extraordinaire, fi un Gsnülhomme de la chambre qui croyoit avoir quelque raifon perfonnelle de fe plaindre de lui, ne s'étoiE Jéclaré ouvertement fon ennerai. Enfin, Su«, je B'ai jamais rien vu de fi parfait que cet acteur, $ il eft auffi au defius de tous les comédiens que nous avons * Berlin , que la Cochois eft au deiïus de 1'Augufte & de 1'Artus. Quant a fa femme, c'eft une jeune beauté de vingt ans.le vifage ovale ,les yeux vifs & tendres, le nez cfulé, la bouche peüte & rempüe de.graces ; elle eft un pöü plu« grande que Marian.ne, a la taille fine & charmante, elle joue avec avec beaucoup de délicateffe & debon fens; c'eft "dans le tragtque te fon de voix touchant de la de Seine, & dans les grandes amoureufes la nobleffe de la le Couvreur; elle a la poitrine un Pêu foible ; mais comme elle joue ici la comédie fix fois par femaine, elle ne fe reffentira. plus de cette ir.commodité a Berlin s oü elle pourra fc repofer trois ou quatre jours de la femaine. Le troiüème fujet eft une grande fille *gée dedix fept ans, appelée Drouin fceur d'un comédien oui joue les premiers róles a Paris; elle ett faite au tour, elle a les yeux remplis de feu, la.bouehe gracieufe ', le tour du vifage bien fait; elle a au théatre beaucoup d'intelligence, joue les amoureufes avec efprit, & les foubrette- en cas de befoin; elle déclame auffi fort b:en dans le tragique. Ces trois fujets, Sire, font prê's a s'engager. rour-.le fervicede V. M. J'ai uou-'é d'abord :js--  s« CORRESPONDANCl. que difficulté dans le fieur Rouffelois & fa femme, attendu qu'il fe plaignoit qu'on lui avoi fait quitter un engagement conficérable qu'il avoit a Bourdeaux; mais je lui ai fi bien fait connoitre les avantages qu'il y avoit d'être au ferviee de V. M., qu'il eft aujourd'hui charmé d*y entrer. Je n'ai rien voulu conclure avec ces trois fujets que je n'aye eu 1'bonneur auparavant de favoir les ► inter-tions de V. M, paree que je ne faisfi les eonditions qu'ils propofent pourront lui convenir. J'ai vu ici les engagemens cu fieur Rouffelois & de fa femme ; ils ont chacun mille éeus de France , & ils demandent mille écus chacun d'Allemage ; je leur ai offert huit cents écus. J'ai péroré & harangué inutilement pendant une heure. Quant a la petite Drouin , je dis petüe, paree qu'elle eft remplie de grkes & qu'elle a encore ces manièïes enfantinea qui conviennent il bier 4 la jtuneffè , elle confent de s'engager pour fix cents écu»'. II y a encore une autre chofe dont il faut que je prévienne V. M. c'eft que ces fujets ne peuvem venir qu'a paques, paree qu'ils fontengagés jufqu'alors & il faut que je falfe faire 4 ce fujet une réflexion a V. M. Elle ne trouvera aujourd'hui que de très-mauvais eomédiens, tout ce qu'il y a de bon eft engagé dans les troupes jufqu'a paques. Je dirai plus 4 V. M., c'eft que je ne lui confeillerois pas de prendre ceux qui défer«eroient, paree qu'ayant fait une mauvaife aftion, ils feroient capables d'en faire une fecor de & de quitter ainfi le fetvise de'v. M. Je crois douc  CORRESPQKDANCE), mn «üelle devroit prendre patience jufqüa piqués. La troupe paiTera 1'hiver comme elle pourra, & je ma charge avec les acteurs qu'elle a de faire repréfenter jufqu'a paques une bonne comédie par femaine. Que V. M. me permette de lui dire une chofe. Nous faifons toujours de grandes recrues , mais elles ne font guère bonnes En vérité, Sire, depuis que je fuis en France & que j'ai vu la comédie de Paris & celle de Marfeille, je fuis encore p'us convaincu que je ne 1'étois que V. M. n'a que deux coméiiens a qui le titre d'aóteur convienne, Favier & la Cochois. Grand Dieu, que tout le refte paroitroit mauvais a cóté des fujets que je vous propofe! Et quant aux filles dont Petit parle, cela fait des adrices fi médiocres, qu'on n'en a pas voulu même dans les troupes ordinaires; elles chantsnt dans les chceurs du concert de Rouen. D'ailleurs, Sire, je crois qu'il nous faut des fujets fiits & non point a faire, qui peut- étre ne pourroient jamais étre formés. Je fuis &c. A Marfeille, 27 Septembre 1747. Sire, J e fuis arrivé a Paris depuis deux jours, & j'en ferois d'abord reparti, fi MUe Cochois ne m'avoit demandé quatre ou cinq jours pour finir quelques affaires. Je les lui ai accordés fans peine , paree §ue j'ai compris que vu la défertion de Lani, &  m CORRESRCNDJNCE. Ses autres miférables qui Pont fuivi, elle arriveroit a lemps pour les répétitions de 1'opéra, Sodi «& les autres fujets qu'on a engagés ne pouvant par-tir que vers le dix ou le douze de ce mois, tetnps -auquel la Cochois fera déja en chemin. II n'e'ft den de fi affieux que 1'action de Lani; il mériteroit que V. M. lui fit fentir tout lepoids de fon indignation. J'ai dit dans tout Paris ce que je devois dire au fujet de ce faquin & de fes compagnons de défertion & de friponnerie; & je continuerai a les faire fi bien connoiire avant que de partir d'ici , qu'ils fe repentiront de leur fottife. Lani a placé fa fceur a la comédie francoife, oü die a déja danfé, & joué deux róles; mais un des directeurs de 1'opéra que je connois, m'a promis qu'il 1'obligeroit a quitter , attendu qu'ayant été sutrefois a 1'opéra , elle ne pouvoit plus entrer è la comédie. Comme je fais que je ne faurois mieux faire ma cour a V. M. qu'en lui difant toujours la vérité, je fuis perfuadé de ne point lui déplaire en 1'afliirant qu'on a eu tort- de lui dire que Teiffier avoit tenu quelques difcours qui méritoient fa difgrace. Elle fait que j'aimerois mieux mourir que de lui en impofer dans la plus petite chofe. Je puis lui protefter que pendant le temps que j'ai refté a Paris, quoiqu'il fut preffé par les directeurs de 1'opéra d'entrer a leur fervice, il a toujours parlé avec le refpeét le plus profond de tout ce qui peut avoir le moindte rapport aV. M, J'ai voulufavoir  CORRES P OND ANC E. a§ •fi pendant mon abfence il auroit commis quelque foute ; j'en parlai hier a M. le Chambrier, voici les propres termes du Miniftre de V. M.: il faut que je rende juftice a Teiffier; il eft Hen différent des autres , il m'ejl toujours revenu qu'il avoit parlé avee tout le zèle pffible de Berlin, fi? du Roi; c'eft un témoignage que je dois a la vêrhè, & quejeferois charmé de lui rendre, fi le Roi me le demmdoit. Cette réponfe de M. le Chambrier, Sire, m'a déterminé a vous écrire a ce fujet, d'autant qu'il ne faut pai que je cache aV.M. que nous avons grand befoiu de Teiflier. Tout ce que nous avons engagé ici en hommes eft mauvais; il n'y a que Sodi de bon, tout le refte ne vaut pas Giraud a beaucoup pres; c'eft ce qu'elle verra elle-même dans peu. V. M. demandera peut-être pourquoi j'ai fouffert que Pe • tit engagedtdes fujets fi médiocres; je luirépondrai que je n'étois pas a Paris lorfqu'il lee a arrêtés, & que mêuie fi j'y avois été, j'aurois fait comme lui, puifque la briéveté du temps, & la nécefllté d'avoir un ballet pour 1'opéra cet hiver, ne laiflbit pas la liberté du choix. Ainfi 1'on a été obligé de fe contenter de ce que Ton n'auroit pas arrêté dans un autre temps. Si j'avois ofé prendre quelque chofe fur moi, j'aurois voulu faire avec ces gens des engagemens pour un temps plus court.quoiqu'i parler naturellement je crois que la plupart d'en> tr'eux fe donneront ï eux-mêmes leur congé dans 'moins de deux ans. Si je connoiflbis un autre danfew férieux qui appiocMt de Teiffier, j'appuye-  24 CORRESPONDJNCE. rois moins, Sire, fur Partiele de fon rappel; mait je fuis faché que nous laiilïons aux Pariilens un Tiomme fi difficile a remplacer, & qu'ils deftinent dans leur opéra a fuccédtr a Duprès dans quelque temps, & il eft vrai qu'il a été très-goüté. La Caroline n'a point voulu partir pour huit mille francs; elle en.demande dix. Je dois encore avertir V. M. qu'elle avoit été fans doute trompée par le nom de Carcline; vous avez cru, Sire, que c'étoit fa foeur ainée la comédienne,qui plait infiniment a Paris; c'eft fa cadette, qui n'eft encore qu'un enfant; elle eft de la taille qu'avoit la petite Lani, lorfqu'elle arriva a Berlin; elle a moins ds mérite qu'tlle, & danfe bien moins régulièrement; il eft vrai c^cllc a plus d'ame, & qu'elle eft plus jolie; mais, Sire, donner huit mille francs a un enfant qui n'a qu'un quart de part a Ia comédie italienne, ce qui p;ut faire dix-huit cents livres, •n'eft-ce pas aflez bien payer? Si V. M. me permet de le dire, les appointemens trop forts payés a des fujets qui ne font excellens, font caufe que ceux qui le font, demandent dans Ia fuite des augmentaMons,& que.quoiqu'ils foient bien payés, ils fe figurent ne 1'ètre pas aflez. II eft venu ce matin chez moi une nömmée Mme. Ribou qui a penfé m'arracher les yeux; ells m'a dit que j'étois caufe qu'on ne 1'avoit pas engagée, par rapport aux fujets que j'avois arrêtés & ■Marfeille ; je lui ai répondu que j'avois jufqu'au moment qu'elle me parloit ignoré fi elle étoit fur  CO R R. E S P 0 N D 4 N CE. 25 ia terre; elle m'a dit que c'étoit tant pis pour moi; je n'ai rien répliqué , car j'ai craint d'être battu, & je- lui ai promis, pour m'en débarrafler, d'écrire a fon fujet kV. M. On m'a dit qu'elle a . oit voulu donner mille écus k cette aftrice , vous aurkz été un peu furpris, Sire, lorfque vous auriez vu une femme agée de quarante ans , & aflez laide. Je ne fais au refte fi elle eft bonne ou mauvaife. Ce qui me donne une foible idéé de fes talens, c'eft qu'elle eft depuis plus de huit mois fur le pavé de Paris, fans trouver aucune troupe; il me parol' qu'on arrête un peu trop aifémeut des fujets pour le fervice de V. M. fans les examiner < & furtour qu'on difpofe bien libéralement de fa bourfe. Un certain Loinville , qui eft venu me voir, m'a dit qu'on avoit écrit pour lui, & qu'il demandoit huit mille livres; j'ai plié les épaules, & je lui ai tourné le dos; je cqnrjois ce Loinville , & 1'ai vu en Provence il y a prés de trente ans; c'eft un bon comédien de province, & pu s c'eft tout: inférieur a Favier , & fupérieur. aux autres que nous avons. M. Petit m'a fait voir une femme qu'il vouloit engager pour jouer les róles de reine, lescaraclères; elle n'eft pas d'une figure brillante. nimême jolie; mais elle n'eft pas bien laide; je 1'ai entendue. dë« clamer quelques vers avec bon fens, & elle a joué une fcène comique avec beaucoup de feu; elle vouloit mille écus; j'ai mis cela k fix cents écus, & j'ai fignifié a M. Petit que je ne fignerois pas au, trement fon engagement; je regarde cela comm? Üeuy. pojlh. de Fr. U. T. XUT ■ B  16 CO RRESPONDANCE. une affaire faite, & V. M. 1'aura a fon fervice. Petit m'a encors préfenté deux jeunes gens, pour jouer des confidens dans le tragique , & des feconds amoureux; j'en ai été extrêmement content.; ils font jeunes, d'une jolie figure ; ils ont de la.yoix & de 1'intelligence; ie les ai entendus déolamer deux 'ou trois fcènes, & quoiqu'ils ne fe don Jient que pour des confidens, je les ai trouvés auffi bons , peut- être meiileurs .que Desforges & Rofemberg; du moins ils joaent avec plus d'efprit & de vérité; je leur ai offert quatre cents écus, & j'ai déclaré qu'autrement je ne prenois aucune part a leur engagement. Nous trouverons dans le courant de l.a femaine les deux confidentes dont nous avons tncore befoin, pour rendre Ia troupe de Berlin la plus compléte & la meilleure de 1'Europe. M. Darget m'écrit Ia deflus les volontés de V. M-, & je vt ux engager , pour le même prix que les conQdens, deux jeunes filles jolies, qui ayent des talens & de la vei tu ; car fi je prenois des catins, elles déferter^ient, ou elles mettroient encore le défordra dans la troupe. J'ai envoyé 1'engagement définitif a Rouffelois ft a femme ; je Ie dis encore a V. M , elle a dans ces deux fujets, aprés la Dumenil & Ia Noue, ce qu'il y a de miilleur dan» le royaume. Ils partiront au commencement du carème avec la petite Drouin , auffi jolie que la Barbarini, mieux faite qu'elle , & qui fera avant ÜN an la plus aimable actrice de 1'Europe. M. Lenfant, commiffaire ordonnateur en Provence, nVenverra a Berlin leur  CORRESPONDANCE. 27 ^engagement , qu'ils lui donneront a mefure qu'il leur remettra le mien. Je trouverai le leur air.fi en arrivant a Berlin. J'aurai avant qu'il foit trois jours engagé un des plus grands peintres de Paris ;j'en ai deux enmain, je prendrai le plus raifonnable; car dès que les gens a talensque fouhaite V. M. me font despropofitions qui me paroiffent tant foit peu déraifonnables, je leur ris aunez,& j'en cherche d'autrep. Je ne donne aucune nouvelle des arméesaV.M., paree qu'elle les fait auffitót que moi. J'ai pris ■ pendant que j'ai été en Provence des mémoires fur les deux dernières campagnes dTtalie , qui pourront amufer V. M. J'oubliois de lui dire que n'ayant eu d'avis qu'a mon arrivée de Paris d'engager la figurante dont j'avois parlé a V. M , Boa Philippe, qui 1'avoit déjè. vue a Marfeille, & qui 1'avoit trouvée jolie, ainfi que moi, lui fit propofer de s'engager pour feconde danfeufe dans une troupe qu'il compte faire aller cet hiver dans la ville ou il reftera, & qu'il a fait venir a Nice en. attendant; 1'aimable danfeufe eut cependant la fermeté de balancer entre lePrince&leCharubslIan, •elle me dit que fi j'étois aflliré de la faire recevoir, elle partiroit pour Berlin. Jen'avoispoint'd'otdre, je craignois de faire perdre a cette fille une efpècg de fortune: je n'ofai rien prendre fur moi, elle partit pour Nice. Ah, Sire, pourquoi n'ai - je pas été alfez heureux pour recevoir en Provence Ia lectire oü M. Darget me difoit de 1'engager. J'ai perdu la confolation de mss vieux jours. B 2  H CORRESPONDANCE. Pius gente cbérubine ne fe vit onc , Blarjcheur de lis & croupe de cbanoine. Cependant fi V. M. fouhaite voir cabrioler fur le théatre de Berlin cette merveille de nos jours, tl e m'a dit qu'elle y viendroit, fi on 1'engageoit a paques , '& qu'elle accompagneroit dans le temps B-ouffelois & fa femme. J'aurai 1'honneur d'écrire h V. M. par le premier courier fur 1'afFaire du peintre. Voltaire eft 4 Fontainebleau, dont il reviendra mercredi ; je fouperai avec lui chez Madame du Chitelet. Cela pourrame fournir quelque nouvelle littéraire, pour euvoyer a V. M. Je fuis avec un profond refpeft &c. A Paris ce 3 Novembre 1747. REQUETE D'UN PAUFRE MALADE A VN GRAND ROI QUI SE PORIE BIEN, S iee, 1 e m'étois flatté depuis deux jours de 1'heureufe 3fpérance que je pourrois étre aflez fortuné pour faire ma cour a V. M.; mais me voila encore perclus depuis hier de Ia moitié du corps. Une miférable humeur fcorbutique prend a chaque moment diverfes formes. M. Cothénius m'aflure qu'al'aide d'une cure de dix ou douze jours , il me rendra auflï vigoureux qu'un athlète des jeux olympiques,; mais j'ai, Sire, une autre maladie que V. M. peut feule guérir; cette maladie c'eft la crainte que j'ai de lui déplaire, & tous les remèdes ne font rien  eORRESPONDANCE. 29 au corps , fi 1'efprit eft malade. V. M. peut st 1'exemple du Meffie me guérir dans un inftant, en me faifant aflurer de fa part par le faiut abbé de Prades ,que je puis avaler enpaix tous les diabolique3 breuvages que Gothénius ordonnera. N'allez pas vous figurer-, Sire , que le métier de faifeur de miracles ne convient pas a V. M'., rappelez- vous qua les grands princes ne l'ont méprifé. Vefpafien, qui après tant de mauvais fouverains mit tin aux maux de 1'empire, daigna s'abaiiTer a guérir unboiteux en lui marchant fur la jambe, en Syrië, & un aveugle en JuJée en lui frottant lss yeux de fa falive. V. M. peut faire un miracle avec moins de peine-, & elle conviendra que quelque peu que je vaille, je vaux bien un vieux Juif borgne. J§ me recommande donc a fa bonté, & j'ai 1'honneur, étendu fur mon chalit entre deux vieux bouquins, 1'un grec & 1'autre latin, de me dire avec le plus profond refpaft &c. A Potsdam, 28 Mars 1750, Sire, J'aurois eu 1'honneur d'écrire a V. M. en arrïvant a Paris, fi je n'avois craint de lui déplaire. Dans 1'idée oü j'étois qu'elle étoit mécontente de ma conduite, j'appréhendois qu'elle ne condamnat cette liberté. Je ne faurois exprimer la joie que j'ai reffèntie, lorfque M. le Chambrier m'a dit que vous aviez la bonté , S;re, de ma permettre de vous écrire, puifqua cela me fournit l'occaiion B 3  29 'CORRESPONDJNCE. d'affurer encore V. M. que j'ai été forcé par une. maladie opiniatre & dangereufe de ne point obéir auffi ponctuellernent afes ordres que j'euiTe fouhaité de le faire. Il y a environ fopt mois , Sire, que j'arrivai a Paris dans un état déplorable. M. le Chambrier a dü ceitifier a V. M. qua je ne lui en impofe point , & que je ne lui en ai jamais impofé a. ce fujet. Je fus obligé parl'ordredes plus Jhabiles médecins d'aller paiTer 1'hiver dans ur; pays extrémement chaud. Si je n'avois pas été malade, pourquoi n'aurois-je pas paffé ce même hiver a Paris , au lieu d'aller au pied des montagnes de Gènes? J'en fuis revenu, Sire, il y a un mois, dans la meilleure fanté du monde. Mon premier foin en arrivant a Paris a été d'aller chez M. le Chambrier, pour favoir s'il n'avoit point d'ordre è me donner; il m'a répondu qu'il ne favoit rien de précis fur mon compte; cela m'a empêché de continuer ma route jufqüa Berlin ,ne fachart fi j'avois ]e malheur d'être entièrement difgracié de V. M* Qu'elle me permette donc de lui demander avec Pempreffement le plus refpeftueux Ia grace de m'in-flruire de fes ordres; je m'eflimerai trés - heureux, s'ils me procurent le bonheur de continuer d'être au fervice du meilleur maitre du monde. Je n'ai jamais perdu de vue, Sire, un feul inftant, depuis que j'ai été éloigné de V. M., les bontés dont elle m'a honoré; & dans tous les pays oü je vivrai, elles feront également gravées dans ma mémoirev Je fuis avec le plus profond refpeft &c. A Parts, ce 14 Mai l75l>~  CO RÊESPONDJNCE. 31 Xl étoit deux heures avant' Ie jour, lorfque Ie poftillon que V. M. m'a fait Ia grace de m'envoyer a frappé a ma portejtous mes gens dormoient profondénent,& ayant é;é le premieral'entendre,je erie a gorge déployée , qu'on ouwe a M. Carita mon apothicaire qui m'apporte 1'émulfion que je dois prendre ce matin. Mon laquais un moment après entre dans ma chambre, avec un homme botté , habillé de bleu , tenant un paquet a Ia main ; je me frotte les yeux , je les ouvre tant que je puis, & je ne comprtenois pas par quel enchantement m apothicaire a?oit été métamorphofé tout | coup cn poftillon & une bouteille d'émulfion en lettre. Enfin revenu' a moi -même, je fors de' deffous nta couverture un bras a demi paralytique: . j'ouvre la lettre & a 1'aide d'une bougie que tenoit mon laquais a demi nu, je lis les vers de V. M. (qui, par parenthèfe , quand ils ne feroirfnt faits que par un particulier, feroient paffer mon chalit a rimmortalité; ils font dignes de Chaulieu). Ma lefture finie, je me fais étayer de couffins, & foutenu, ainfi qu'un vieux batiment qui va crouler , j'ai 1'honneur d'écrire ces lignes a V. M., qui m'ont coöté bien des hai 1 & des hé! car vous favez, Sire, que je ne fuis rien moins que ftoïcien. Au rede V. M. ne me rend pas jultice en croyant que la pareffe me tient au lit: paffe encore, Sire, fi vous aviez cette penfée iorfqu'il faut que de ' B 4  3a CO R R E SP QND jtNC£. Potsdam je vienne a Berlin: mais pour refter i Berlin , quand je puis étre a Potsdam, il faut que je fois auffi paralytique que 1'étoit celui de 1'évangile. Je guérirai pourtsnt, j'efpère, dans trois ou quatre jours; & la pharmacie aiïure que je n'aurai pas pris encore dtux douzaincs de clyfières, trois médecines & fix bouteilles d'émuliion, que 1'on. me dira, prends ton lit £ƒ marche, & va è Potsdam., j'ai 1'honneur &c. A Berlin , le 8 Février 1754» Sire, X)firuis qu'il a plu a V. M. de joindre au. titre de conquérant celui de réconciliateur des. enfans prodigues, & qu'elle a bien voulu prendre; fbin de ramener dans le giron de 1'Eglife un père de 1'Eglife du XVUIèBie. fiècle 1'abbé de Pradesj, j'ofe me flatter qu'elle voudra bien me procurer le fort d'Efaü , & que déshérité comme cet ancien. Juif, j'aurai cependant le bonheur de recevoir la> bénédiétion patemelle. V. M. peut me rendre ca fervice, qui me fera profpérer dans ce monde & dans 1'autre. Mon père & toute ma familie m'ont écrit les lettres les plus preffantes, pour que V. M, veuilla bien faire écrre a fon Miniftre a Paris de recommander a M de Sechelles un nommé M. Pfeautier, Directeur des poftes en Provence, lorfque 1'occafiqin fe préfentera oü M. de Sechelles pourra lui rendre quelque fervice, Cet homme ne demande qu'iiE..'  COR R ESPONDANCE. 33 eju'une lettre de recommandation vague & dont l'effet n'aura peut-être jamais lieu; cependant ua jour cela pourroit lui faire avoir un meilleur pofte. Mon- père, qui depuis vingt ans ne m'a jamais écrit que fort froidement, me traite de la fagon du wonde la plus tendre dans fa lettre, & me dit que C' je 1'oblige dans cette occafion, il faura un jour réparer une partie du mal qu'il m'a fait. J'avoue a V. M. que s'il me laiffbit dans fon teftament quatre ou cinq mille écus au deffus de ma légitime, je n'en ferois pas fiché. Je fais qüétant attaché a V. M., je n'aurai jamais befoin de perfonne; mais , Sire , le? coups de canon tuent les Turenne, les Bsrwick & même les Charles XII. Si V. M. veut me donner caution qu'elle ne commandera plus fes armées, je renonce de tout moncceur a ce que je puis avoir après la mort de mon père; ayant dis ans de plus qua' V. M., trente coliqucs & quinze rhumatifmes par mois, je dois, par d;S régies plus fures que toutes celles des algébriftes décamper d'ici-bas quinze ans avant V, M'. Je fuis' &c. , A Potsdam, ce 7 Novombre 1754» SlEE, Ja ne Bis fi Ia let re que j'ai l'honneur d'écrire a V. M, lui fera rendue a Vienne ; car en vé'rité. de Ia maniè'e dont elle conduit fes' affaires, 00 dok toujours fiippofer que tous les quinze jours -elle prsnd -une province. II y a un mois que vous  34 CORRESP OND ANCE. êtes parti de Potidam , vous voila maitre de Ja~ Saxe , & Ia viétoire glorieufe que vous venez de lemporter fur les Autrichiens met fous votre puiffance Ia moi.tié du royaume de Bohème. Toute J'Europe retentit du bruit de vos aftions éclatantes, & les papitrs publics lui ont déja appris que c'eft principalement a votre célérité, a votre courage, a 1'étcndue de vos lumières que font dus les prcvgrès& les viótoires de vos armées. II ya pourtsnt, Sire, une chofe qui m'afflige. On dit que vous avez paffé ca -alièrement trente-Iïx heures fans prendre sucune nourriture, & que vous ne vous <êtes pas donné le loifir la veille de la bataille de margtr un feu! morceau. Je prie V. M:de fonger a ce beau paffage du Palladium: le -pain fait le Joldat. Vérité trés - importante. La gloire nourrit 1'ame 5 jnais il faut quelque chofe de plus a 1'eftomac, jüitout Iorfqu'il eft foible, & que de Ia fanté decet eflomac dépend le bonheur d'un grand Etat. Faites jeüner les Saxons tant que vous voudrez^ j'y confens de trés - bon cceur; mais n'allez pas leur donner Ie pernicieux exemple de leur apprendre è fe paffer de manger. A propos des Saxons, lorfque je penfe a Ia facon dont vous les traitez, je fuis tenté de croire qu'a la qualité d'archevêque de Magdebourg vous voulez ajoüter celle de grand pénitencier, & que vous jugez nécelEiire de faire jeüner Ie Roi de PologLe & fes foldats jufqu'a ce que le temps de la pénitence que vous leur avez impofée foit ac-compli. En atteadant ils n'auront pas befoin de  CORRESPONDANCE. 35 rhubarbe, ni de poudres digeftives. L'indigeftion eft une maladie a laquelle ils ne feront pas fujets; & M. le Comte de Bruhl fortira de ce camp avec la taille d'une jeune rille de quinze ans. Permettez, Sire, avant de finir ma lettre, que je fupplie V. M. d'abfoudre en qualité d'évêque 1'abbé de Prades fi par hafard il a affbmmé quelque Autrichien & a encouru les cenfures de la fair.» te mère Eglife. J'ai 1'honneur &c. A Potsdam, ce 4 Oftober 1756. S x r £ , \^o 1 l a donc Albe incorporée dans Rome, & par votre prudence les ennemis de 1'Etat en deviennent les citoyens & les défenfeurs. Après des aftions auffi éclatantes, quel eft l'homme, quelque prévenu qu'il foit, qui ne fe trouve obli^é de convenir de Ia fupériorité de vos lumières ? Les Francois vous condamnent; c'eft ainfi que les Athé niens déclamoient contre Philippe, quand il devenoit 1'arbitre de la Grèce. Vous allez 1'être de 1'Europe. 11 eft naturel que les Athéniens modernes, aufïï frivoles que les anciens, en imitent la conduite; les difcours injurieux des Francois font le panégyrique de votre gloire. Je fouhaite, Sire, que ces infenfés, féduits par un efpoir trompeur-, faffent des feux de joie dans la plus petite maladie que vous aurez, & qu'ils publient que vous êtes mort: de pareils feux indécens ont fait le plus b;au trait de rtiitoire de Guillaume III. B C  *6 CORRESPONDANCE. J'ai foigneüfement exécuté la commiiïion dorft M. le Comte de Finckenftein m'a chargé; mais comme je n'entends pas l'allemand, & qu'il a fallu fe fervir de 1'imprimeur qui a prêté ferment & qui imprime au chateau tous les manufcrits qu'on veut tenir fecrets jufqu'a leur publication, j'ai été obligé de me fervir, pour la correétion de I'imprimerie, de M de Francheville, qui eft de même a ferment, qui feit 1'alkmand & qui a corrigé 1'éditionv des ouvra^es de V. M. C'eft du confentement & de 1'avis de M. Ie Comte de Fiackenftein que j'ai agi dï même. Quant a la lettre de V. M., elle eft charmante, écrite avec toute la nobleffe poftlble; on- n'y a changé qu'un feul mot. M Ie Comte de Fkckenftein m'ayant dit que les Suédois s'em. preiïbie.t depuis un mois de témoigner beaucoup de bonne volonté & qu'il craignoït qu'ils ne fuffent vivement offenfés de 1'épithète d'ariftocratie truelle e? farguinaire, & j'ai mis ariftDcratie tumultueuft. J'efpère que V. M. ne condamnera pas ce petit aJoucifiement, puifque fon miniftre me païpiflbit dans une véritable peine. Nous avons été iet, Sire, dans une douleur ineoncevable, M. Frédersdorf & moi, fur des lettres vennes de B,erlin, qui difoient que vous aviez é;é blefie dans une embufcade & qui aifuroient que vous étiez prifcnr ier. Ces nouvelles étoient aiTez bien eirconftanciées pour nous jeter dans le défefpoir. Neus avons d'abord envoyé a Berlin, pour aller è la fbince, & après fept heures de fouffiances, aous avqns appris mis tout ce qu.'ou nous avoit  CORRESPO1STD ANCL 37 raconté & même écrit, n'étoit qu'un tiflii de men • fonges. V. M. per mettra qu'a 1'occafion de ces fa. bricateurs de mauvaifes nouvelles, je lui rapporte un bon mot de M. de Mittchel, Envoyé. d'Angle» terre: O i voit, a-t-il dit, des Jaaibites a Bartin* É? il n'y a point de Rrécendant, cela ejl fingulkn J'ai &c.- A Potsdsm , ce 17 OQobre 1756. S i r e Lobs que je recus la lettre que V. Mt, m'av fait 1'honneur de m'écrire, je n'avois aucune connoiiTanca du malheur arrivé au Généra! Fouquet,. & cette affaire n'eft connue a. Berlin que depuis trois jours. Mais il me femble par toutes les lettres qui font venues de Breflau, qu'a Ia gloire prés d 'avoir pris quelques drapeaux & une trentaine de canons, cette aftion eft auffi nuiiïble auxi ennemis qu'elle nous 1'eft. II vint hier è Berlinquatre de leurs déferteurs, dont trois font des Pruffiens, qui ayant été pris a Maxen, s'étoient engagés chez les Autrichiens-, dans 1'efpérance de pouvoir trouver 1'occafion de retourner dans leur pays. Ces gens aflurent que les Autrichiens orJ eu plus de vingt mille hommes de tués ou deblelfés: ie veux que nous ayons perdu fix mille hommes de tués ou de prifonniers; c'eft vaincre bien chèrement que de perdre trois fois plus que celui qui eft vaincu. D'ailleurs toutes les~4ettr.es de Breflau aiïureiit qu'il arrLve tous les jours en> B 7  38 CQRR ESP ONDANCE. core des troupes de foldats par'centaines, qu'on croyoit morts ou prifonniers, & qui ne font qu'é* g'arés. Je fens bien que V. M. fera.obligée da détacher un corps de fon armée, & que cela 1'affoiblira; ma.is le Général Daun a commencé par . détacher Ie premier. Une des chofes qui me confolent dans cette affaire malheureufe, c'eft 1'intrépidité qu'ont marquée les troupes , a 1'exception d'un régiment qu'on dit, a Berlin, avoir mal fait;, tous les autres ont fait des prodiges de valeur. Cela imprime une terreur & une crainte, même au vainqueiir, lorfqüil fonge a attaqusr de nouveau. Si la prife de Glatz coüte aux Autrichiens autant que celle de Landshut, avant la moitié de Ia cam-• pagne ils auront perdu entièrement une armée confidérable, & s'ils viennent a effuyer un échec, Landshut & Glau ne leur ferviront de rien pour 1'exécution des prétendus- grands • projets • qu'ils ont formés. Permettez - moi' Sire-, de vous demander ce que fait le Prince Ferdinand; il a aujourd'hui cent mille homme effeclifs d'excellentes troupes, & il refte prefque dans 1'inaction ; cependant fi les Francois étoient batius, il pourroit aifément détacher QQ Saxe un corps de quinze mille hommes. Permettez enore, Sire, que je vous dife qu'il n'y a rien de fi fingulier quj la conduite des Anglois. Hs ont quatre • vingts vaiffeaux afmés dans leurs ports, nous voila au mois de Juillet, & ils ne les font po.'nt fortir; quand comptent-ils de les employer ? aux mois de Décembre & de Jan»  CORRESP ONDANCE. vier? En attendant, les Francois, a qui il refte a peine fix ou fept vaiffeaux délabrés, les battent en Amérique, c: leur ont peut-être déja enlevé Quebec. Cela eft affreux, il faut que le* Anglois ayent perdu 1'ufage de la raifon; les Francois les ont menés par le nez ; ils leur joueront encore bien d'autres tours, s'ils n'agiffent jêê* avec plus de vigueur. V. M. me marquoit dans une de fes lettres que les flottes angloif^s aurojenS : pour objet cette année-ci la Martinique , Montréal & Pondichéri; voila bientöt la belle faiforr paffee , & ces redoutables flottes boivent de ladoublé bière a Portsmouth & a Plimouth: en attendant leurs ennemis profitent du temps & font i la veille de reprendre en quinze jours ce qui a coüté deux ans de peine & de combat a 1'Angleterre. J'ai 1'bonneur d'envoyer a V. M. le feul exemplaire qu'il y ait ici de la comédie des philofophes. Diderot & Rouffeau y font les plus maltraités ; il eft vrai que le premier n'eft qu'un difeur de galimatias, & le fecond révolte par les paradoxes étranges qu'il embraffe dans' toutes les occafions. V. M. fe rappelle fans doute d'avoir lu les penfées philofophiques de Diderot; les chofes les plus triviales y font dites avec une empbafe ridicule; dans 1'ouvrage fur l'éftalité des conditions par Rouffeau, il y a non feulement des fetatimens finguliers mais des op'nions dangereufea au gouvernement de tous |e$ Eiats. Je plairs d'Alembert, homme de ménte . de i 'ê^re ailbcié avec cette troupe de fous; mais il en eft dans les  4* CORRESPONDANCS, belles-lettres ainfi que dans la politique, on n'eft pas toujours libre de choifir les amis que 1'on voudroit: la nécefllté & les différens événemens «léterminent le parti que 1'on prend. J'ai 1'honneur d'être &c. A Berlin, ce-2 Juillet. Siee, J'ai trouvé dans la lettre que V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire de nouvelles marqués de fes bontés. Vous reffcinblez, Sire, a ces génies biei> faifans des anciens, qui fe faifoient connoltre & ■ceux qu'ils protégeoient en les accablant toujours de nouveaux bienfaits. Quand ferai-je aflez heureux pour piuvoir vous remercier è Sans-Souci de toutes vos graces, & vous y voir jouir d'une piix que vos glorieux travaux vous auront procuXéê! Vous me dites que vous vous préparez a aller eombattre vos ennemis; c'eft me dire que vous allez les vaincre: mais je n'en fuis pas moins alarmé. Je c'rains fans ceflë, ainfi- que tous vos fedelles fujets, dont vous êtes le père, qu'il ne vous arrivé quelque accident. C'eft dans vous feul ijué réfide la gloire & le bonheur de tous vos Etats. Je ne fais, Sire, iï je pourrai profitcr dü fongé que vous avez daigné m'accorder, a caufe de la grande foibleffe dont je fuis encore. Pour Faeiliter un voyage qui m'eft fi néceflaire, V. M. pourroit me rendre le plus grand fervice, fi a tact de graces qu'elle m'a- faites elle en ajoutöit  € OR RESP O iV.0 ANC El 41 encore une dernière ; car après cela ce ferort abufer des bontés de V. M. que de 1'importuner davantage. J'ai trouvé a Berlin un dè mes coufïns germainsi M. de Mons-, Capitaine au régiment de Piémont; c'eft un jeune homme de trente-trois> ans, dont la conduite a Berlin & a Magdebourg; a mérité 1'eftime publique, & 1'amitié de M. de: Seidlitz, qui pourra rendre compte a V. M. de; fon caraclère. SI elle daignoit lui accorder la permiflion d'aller. a Aix fur fa parole, il m'accom-pagneroit jufques- a Chambéri, après quoi je continuerois ma route par la Savoie pour Nice & lui: 3a fienne- pour Aix par le Dauphiné. II me feroia de la plus grande utüité d'aroir la compagnie; d'un officier francois jufques en SuiiTe, & fortoutr. d'un parent & d'un ami. J'ofe ajouter a ces pre. mières raifons que toutema familie, &.mamère furtout, dont j'attends la plus grande partie- de ce que je dois avoir, me faura un gré infini de. ce congé. Ainfi, Sire, fi vous m'accordez cette: grace , après m'avoir vous -.même accablé de. bienfaits, vous me procurerez de nouveaux biens; dans ma patrio., & vous me ferez terminer aifé» ment les difcuffions que je ferai peut-êcre obligé. ' d'effuyer. Pardonnez-moi, fi je vous éeris auffilonguement dans le temps que vous êtes occupé. des affaires les plus férieufcs ; mais- je connois.L'excès de vos bontés , & vous ne fauriez croira le bisn que vous me ferez, il vous m'accor.iez la grèce que je prends la liberté de vous demandex» gai 1'h.cnneur &c. A.Betlin, ce 29 Avrü 1753.  42" COÉ.RÊSPONDANCE. S i be , jAlPeès avoir rendu a V. M. un miilion d« graces de la bonté qu'elle a eue de permettre que jè pufte rétablir ma fanté & prendre du temps' pour me remettre d'une maladie cent fois plus dangereufe & p'us longue que celle que j'ai faite aV Breflau; j'oferai lui dire que je fuis beaucoup p'us courjgeux qu'elle ne le penfe, & que je pars dans cinq jours pour Berlin , prefque privé de 1'ufage d'une jambe. Si les bains d'herbes & 1'été ne me forifient pas les nerfs, me voila appuyêtriftement fur une béquille pour le refte de mes jours. Du moins fi j'étois eftopié pour le fervice de V. M. , je m'en confolerois; mais devenir percfus dans un lit & dans un fauteuil, cela eft bien facheux; cependant une chofe me confole, c'eft que depuis trois ans vous êtes fi accoutumó ï voir des boiteux, des borgnes , des manchots, enfin de toutes fortes d'eilropiés , que vous ne trouverez pas mauvais que je paroifie devant vous Ia hanche gauche plus haute que Ia droite & une jambe a demi p'.iée: je voudrois avoir 1'autre en auffi mauvais état, & vous voir une fois paifible jouir tranquilfcment a Potsdam de la gloire im-mortelle que vous vous êtes acquife. J'efpère que 1'automne vous rendra a vos peuptes, heureux & jouiiTant de Ia plus par faite fanté. Voila de rouveaux alliés, qui vont faire en Italië une puiftantediverfion en votre faveur, & jamais le-Roi d'Ef-  CORRESPONDJNCE. 43 pagne ne pouvoit mourir.plus k propos, Encore un effort, Sire , cette campagne & tout eft gagné; vous pourrez dire alors comme difoit David: j'ai vu les nations frémir, s'élever contremoi, fcf/or. mer des projets pleins de vanité; elles ont été diffipéettom-ne le vent difiipe I's r.uages, £? kun efpérances „'or.t é$è que de vaines illufims. A propos de poëte hébreu, je prends la liberté d'envoyer k V. M. des vers fur le Cardinal Cötin, qu'on affure ètre de; Fréron; peut - être qu'elle ne les a pas encore vus„ & je. crois qu'ils ne lui paroltront pas mauvais. J'ai 1'honneur &c. a Hambourg, ce oi Février iffpi Sire, Ja i recu la lettre que V. M. m'a fait la gr ace de m'écrire, dans le moment que je partois de Hambourg , & j'ai attendu d'être a Berlin pour avoir 1'honneur* de lui répondre ; car a^ant d'y arriver je n'ai jamais été certain un feul moment a caufe de ma foiblefte, du temps oii je pourrois être aflez heureux pour la revoir. Enfin, après quatorze jours de route, je fuis venu gloricufement a bout de faire trente milles. Ma fanté fe rétablit pourtant, & fi vous voutez me permettre de faire une campagne de fix femaines ou de deux mois, je compte d'être en état pendant les mois de Juillet & d'Aout de vous fuivre jufqu'd Vienne ; cela ne 'me caufera aucune dépenfe , ni aucuns frais è V. M. J'ai été obligé d'acheter des-  €ÖR RESPOND AN~CE.- chevaux, puifqu'en paix comme en guerre une de mes jambes ne peut plus me fervir une heure de faite; j'ardonc pris un caroiTe.- Malgré ce*que V. M. me dit de la fupérioriti du nombre de fes ennemis, je fuis toujours convaincu qu'elle viendra a bout de les réduire a lui accorder une paix glorieufe. La France eft por rapport aux finances dans 1'état le plus pitöyable j elle n'a plus aucun crédit dans les pays étrangers, & fon commerce eft entièrement ruir.é. Les Anglois' s'y prennent de Ia manière qu'il convient pour la réduire a fe prêter aux conditions qu'on Toudra lur ofFrir. Si les Anglois fe rendent mal* tres-de Québee, ils fbrceront-, s'ils en ont envie, les Francois a faire la guerre a la Reine de Hongrie. Cette dernière prife de Ia Guadeloupe a achevé. de jeter dans Ia- confternation tous les négocians du royaume. Enfin, au pied de la lettre, il n'y a plus en France ni finances, ni marine, ni commerce, comment continuer a payfer les fublides? 11 s'agit de faire encore un effort cet été ' &-Ia paix ne peut manquer de fe conciure en automne. J'ai, vu depuis un mois plufieurs^folus gros négocians de Hambourg, deux entrWwtres qui venoient depuis quinze jours de France-, 1'un de Marfeille, 1'autre de Bourdeaux; le premier m'a affuré qu'au lieu de quatre eens foixante vaif. fcaux que les Marfeillois envoyoient tous les ans dans le levant, il n'en étoit parti depuis deux, ans que dix-fept, tous les autres ayant été pris, ou b idés,. ou coulés a fond, Le négpeiant. de-  CQ RR ESSQND JNCS. & Bourdeaux m'a dit que depuis onze mois il n'étoit parti de cette ville que trois vaiffeaux pour les ües de 1'Atnérique .& paur le nord, au lieu de cinq a fix cents qui partoient..toutes les années pour différens endroits. Enfia, Sire, un fait certain, c'eft que depuis dix huit mois les Francois n'ont pas reen une livre de fucre de leurs plantations. Ce font les Danois qui prennent le fucre aux raffineries de Hambourg, qui le vont vendre en France, & achèvent d'en faire fortir 1'argent. Les Frangois n'ont jamais été fi bas pour les finances dans les plus grands malheurs de Louis XIV. Ajoutez i cela un mécontentement général de la nation, qui demande la paix; un efprit de vertige répandu dans leur confeil d'Etat; des miniftres qui fe haïiTent, qui cherchent a fe détruire, qui font prefque tous les jours remplacés par de nouveaux , & vous vetrez, Sire , qu'il faut que la France fonge férieufement a Ia paix. Et fi elle eft épuifée, qui donnera des fubfides aux barbares & aux Tartares, qui foudoyera ces Suédois ? qui payera ce tas de cuiftres raflemblés, a qui 1'on donne le nom de 1'armée de 1'Empire ? Je con» viens que les Autrichiens font de braves gens & des ennemis qu'on ne doit pas méprifer ; mais vous les avez battus fi fouvent, que vous les re» battrez toujours de nouveau, lorfque vous voudrez vous fervir des lumiètes fupérieures que Ia nature vous a données. L!Europe, Sire, eft perfuadée de ce que je,dis.a V. M., .& vos ennemis malgré leur nombre ne paroiffent rien moins qu'aflü-  49 C0RRESP0NDA1VCE. rés de leur bonne fortune. Je fais les diicoura qu'ils tiennent, paree que je viens d'un pays oti ils ont beaucoup de partifans: la feule chofe qui pourroit rendre vos ennemis vainqueurs, c'eft ft Vous veniez a périr. Vous devez donc funger, Sire , a votre confervation , non feulement par rap. port a vous, mais encore par rapport a tout votre peuple. Quant è moi, Sire, je fuis plus obligé que qui que ce foit au monde de faire des vceux pour V- M.; car fi j'étois aflez malheureux pour la perdre , j'aimeröis mieux aller vivre dans quelque colonie ang'oife de l'Amérique que de retourner en France. Je ne faurois exprimer a V. M. les inj'uftices que 1'on m'y a fait efluyer depuis quel. ques mois, & j'ai été fort heureux de tirer d'abord aHambourg trerte-deux mille livres ; car on ne veut plus laifler fertir les quinze mille qui devoient m'être payées au commencement de Février. Mon frère m'a éerk que tout ce^ qu'if pouvoit faire, c'étoit de me payer les intéréts de cette fomme, qu'il garderoit jufques a ce qu'a la ,paix lés chofes priflent une autre face. Pour me chagriner davantage, les gens du Roi ont dénoncé ma philofophie du bon fens au parlement de Paris comme un livre impie, & il a été brü.é par la main du bourreau; 1'arrêt qui le condamne, a été enfuite mh dans toutes les gazettes étrangères. Je prie V. M. de fe fouvenir que ce livre eft imprimé depuis vingt-trois ans, qu'il a été fait en Holiande, par conféquent dans un pays oii  CO RR ES PO N DANCE. 47 les Francois n'ont aucune jurifdiétion, que perfonne jufques ici en Fiance ne s'étoit avifé d'y erouver rien de contraire ni aux mceurs ni a la Divinité. Peut-on montrer plus de haine & de paffion ? ces gens-la ne cherchent pas même a les couvrir, car ils ont fait brüler par le même arrêt le poè'me de Voltaire fur la religion naturelle, & ils ont eu 1'infolence de rnettre dans leur arrêt qu'ils ont fait imprimer: Poè'me par le Sr. de Voltaire , déiié au Roi de Prujfe. -Ce qui m'afflige le plus, c'eft que malgré tant de fujets de me plaindre, je fuis obligo de me taire , de diflimuler, & d'attendre la paix pour ravoir ce qui me revient, & furtout le bien de ma mère, qui a quatre - vingts ans paffés. Mais je puis protefter a V- M. que li j'avois Ie malheur de la perdre, j'aimerois mieux être privé de tout ce que j'ai dans Je monde que de vivre dar.s un pajs oü de pa. reilles indignités font autorifées. Si j'avois vingt ans de moins, je demanderois a V. M. la permiffion de faire la campagne dans 1'armée dit frince Ferdinand. J'ai 1'honneur Sec. A Berlin, ce 26 Mars 1755» S I E E , "Vous avez permis que je prille Ia liberté de vous écrire que'.quefois; je n'ofe cependant !e faire auffi fouvent que je le fouhaiterois, dans la crainte de détourner V. M.' des chofes importanr.es dont  jfl CO R& ES POND ANC E. .elle eft fans ceffe occupée; mais les fuccès de vos .armes dans la Bohème & les commencemens hea,reUx de cette campagne me donnent trop de joie ne fuccède bientót a tant de tempêtes. Je regarde la ligue d'aujourd'hui comme celle de Cambray; elle ne produira ainfi qu'elle aucun effet & s'en ira de même en fumée. V. M. a bien lort de me dire que le mal d'autrui n'eft que fonge. Je vous 1'ai déja dit plufieurs fois, Sire, mon fort, par les arrangemens que j'ai pris, eft fi fort attaché a la confervation de V. U., que fi j'avois le  'CORRËSP ONDANCE. 45 'Ie malheur de la perdre, Dieu fait ce que je deviendrVs. Ce qu'il y a de certain , c'eft que j'irois pluiót a la Jamaïque ou a la nouvelle EcofTe que de retourner en France. Mais a propos de ma très-chère patrie, vous venez de mettre en deuil plus de trente femmes que vous avez ren. dues veuves par le changement des prifonniers de guerre; en revanche vous ave^ tari la fource de cinquante fauffes nouvelles que ces Meflieurs publioient tous les jours; c'étoit ainfi qu'ils payoient les politeffes dont on les accabloit. j'ai recu une lettre de Voltaire; il y avoit quatre ans qu'il ne m'avoit écrit; miis il n'a pa réfifter a 1'envie de favoir ce que je penfois du révérend père Malagrida & des autres jéfuites por* tugais. Que dit V. M. de ces honnêtes gens ? L'aventure du Roi de Portugal 'eft une belle lecon pour tous les rois, & furtout pour les rois proteftans. C'eft une chofe aflïeufe que le Pape ofe foutenir d'infames parricides , & qu'un prince cruellement afTaffiné n'ofe pas chaffer de fes Etats les principaux auteurs de fon affaflinat. Voila ua beau fujet pour faire fous le nom d'un quacker ua fermon contre toutes les religions qui ont des prêtres. Si je n'étois pas encore incommoJé & toujours fouffrant de ma jambe, j'aurois déja donnê matière a une nouvelle brochure. J'ai 1'honneur, &c. A Berlin, ce 20 Avril 4755, 8euv, pojïh, it Fr. U. T, X.UI. C  ■ Sö CO RRESP O ND ANCE. Sire, J'a i recu les vers que V, M. m'a fait la grace de m'envoyer. Comment peut-on être occupé du commandement d'une armée de eert mille hom. mes , & trouver encore le temps de faire des vers auffi ingénieux , & infmiment plus corrects que ceux de la Fare & de Chaulieu? Vous exécutez tout ce que vous voulez; & je crois que fi vous en aviez la fantaifie, vous friezen même temps un admirable plan de bataille, & un fermon auffi beau que le font ceux de Saurin. J'avois déja vu dans tous les pipiers publics cette toque & cette épée que le Pare a envoyées su Maréchal.Daun; je voulois engager Ie ga^etier de Berlin a mettre dans fa gazette que le Prirce Ferdinand attendoit de Londres un chapeau & une épée bénits par 1'archevêque de Cantorbery; & qu'on ne doutoit point chez tous les proteftans que Ja bénédiction de Cantorbery ne fut plus tfficace que la romaine. 11 faudroit accabler de plaifente ries les Autrichiens & les Francois: ces gens-la publient cent fottifes qui font beaucoup d'impresfion, & on les laifie faire. Au lieu de tant de - mauvais fermons que font nos miniftres, pourquoi ne prennent-ils pas occafion d'écrire une lettre paftorale dans laquelle ils feroient voir la ruine entière du proteftantifine.fi les ennemis de V. M. viennent malheureufement a bout de leurs desfeins? J'écrirois bien quelque brochure a ce fujet:  CO RRESPO ND ANC E. cr ma's c'eft en allemand qu'il faut que foit fait un pareil ouvrage, pour être répandu parmi le menu peuple & lu de tout le monde. Jj n'ai vu qu'une feule pièce en faveur de la bonne caufe qui foit écrite avec gout; c'eft une lettre fur les libelles; je vous ai d'abord reconnu, Sire, & vous pouvez être affuré qu'a la cinquantième ligns j'étois auffi certain que vous étiez 1'auteur de cet ou;rage que fi vous ms 1'euffiez dit. On l'a traduit en allemand, & par-la il devient encore plus utile. J'aurois envie de faire une feuille tous les mois fous. letitre de Mercure de Hambourg, dans lequel je tournerai cn ridicule fans aigreur & fans invectives toutes les impertinences que publient les ennemis. Je ferai imprimer c.t ouvrage en francois & en allemand; perfonne ne faura que j'y travaille que celui qui Ie traduira, car le traduc teur deviendra auffi néceffaire que 1'auteur, puifqua c'eft le peuple qu'il faut inftruire, & les gens qui parient francois en Allemagne ne font qu'un petit objet, eu é^ard a ceux qui n'entendent que 1'allemand. Si V. M. ne défapprouve pas mon idéé, je commencerai dès qu'elle me fera favoir fa volonté. II me parolt que ce projet peut être utile pour la publication de quelques pièces qua V. M. s'amufe d faire & que j'inférerai dans le Mercure de Hanrjou'g, comme venant des auteurs fous Ie nom defquels il plaira a V. M. de mettre fes ouvrages. Je ne fuis point étonné des fottifes & des impeuinences de plufieurs officiers francois; je les C a  ft CO RRESPONDANCE. avois prévues, & V. M. peut fe rappeler que j'eus 1'honneur de lui dire a Breflau pourquoi elle avoit la> complaifance de placer un tas de jeunes étourdis dans fa capitale. Je n'en ai grace au ciel pas vu un feul pendant tout le féjour qu'ils orit fait dar.s cette ville. Dieu les maintienne en joie a Spandau! Tout ce que je puis dire a V. M., C'eft que nous n'entendrons plus a chaque inflant quelque nouvelle qui n'avoit sucune réalilé , & qui pourtant ne laiffoit pas que d'inquiéter pendant deux cu trois jours tous les honnétes gens de Berlin. J'ai 1'honneur &.c. A Berlin ïe 5 Mai 1753. SlBE, Je n'ai jamais rien lu d'auffi plaifant que votre bref du Pape & votre lettre du Prince de Soubife : je fdis perfuadé que les ennemis mêmes de V. M. feront forcés d'avouer qu'on ne peut rien voir de plus ingénieux. J'ai changé le plan de mon ouvrage, & le titre. Je prendrai celui-ci, qui me parolt plus intéreffant & plus conforme a mon idéé: Mémoires de l'académie des r.ouvellijles du caffé de faint James. Je feindrai que quelques Anglois ont formé une fociété dans laquelle chacun eft obligé de lire a toutes les afTemblées quelques pièces politiques. Voila le moyen de placer a chaque féance de Ia prétendue académie toutes les fatires que je voudrai. Le  CO Rit ESP O ND ANCE, f$ iitre de mon ouvrage me fournira encore 1'occafion de toumer bien des chofes en ridicule; & je tócherai de faire un livre qui foit aflez intérefïanS pour être lu même a la fin de la' guerre & lorfqu'il aura perdu le prix de la nouveauté. E/iSn, Sire, fi vous voulez bien m'aider & faire valoir mon projet en m'envoyant ce que vous ferez dans vo& jnomens de loifir, je fuis affuré que mon ouvrage réuffira; je compte d'en envoyer dans fept ou huiC jours a V. M. la première partie imprimée. Le bref du j?ape m'a para fi plaifant, que je' le traduirai en latin, & je le ferai imprimer esi deux colonnes, le latin d'un cóté & le francois de' 1'autre: ce qui lui donnera encore un plus grand air de vraifemblance, paree que tous les brefs da' Pape font toujours en latin, lprfqu'ils font aJreffé? a la cour impériale, ou aux mintftres de cette cour. Dans le moment que j'ai 1'honneur. d'écrire a V. M., le bruit fe répand dans la ville que le Prince Henri eft entré dans Nurembetg, & que V. M. a repouffé &. battu un gros corps d'Autrichiens. Je fuis perfuadé, Sire, que vous terez. dans cette campagne tout ce qu'il faut pour vaincre .vos ennemis de tous les cötés, & cje ne doutc pas d'aroir Ie bonheur de vous revoir tranquille p Potsdam a la fin de cette annés, comblé de gloire' & jouiffant d'une parfaite fanté; car felon moi. ce dernier artide eft auffi important au bonheur des; héros qu'il 1'eft a la tranquillité de nous autrgs; jpwjes fimples mortels. J'ai 1'honneur &c. ^\ Berlin , ce 17 Mai. 475»»-  54 CORRESPONDJNCE. SlR 2, J'auïois eu 1'honneur d'écrire plutót è V. M,, li 1'on pouvoit venir a bout des imprimeurs; ce» gens-lè ne finiffent jamais. J'ai fufpendu pour quelques jours mes Mémuires de l'académie des nouvellijies, paree que j'ai cru que je pouvois faire quelque chofe de plus utile dans un goüt férieux. Voici deux lettres fous le nom d'un miniftre du faint évangile. Dans la première je me fuis propofé de prouver que robjet de la maifon d'Autriche & celui de la France avoit été dans tous les temps d'anéantir la réformaiion: dans la feconde lettre j'ai montré que 1'Autriche & la France croyoient que le moment de l'exécution de leur deflein étoit arrivé. Si j'avois cette éloquence vive & perfuafive que la nature vous a accordée fi libéralement, j'aurois pu faire quelque chofe de trés - bon; mais outre la médiocrité des talens que le Ciel m'a donnés, la foiblefie de mon corps s'eft communiquée a mon ame, & mon efprit n'eft guères moins énervé que mes organes. J'ai taché de réparer par 1'expofition de la vérité les défauts de 1'orateur, & j'ai eu recours a la raifon toute nue, ne pouvant la préfenter avec des ornemens qui 1'auioient rendue plus convaii cante. C'eft cette raifon qui a fait , trouver gra.ee a cet ouvrage auprès des lecteurs: & puifque ces lettres out été plus heureufe.- que je n'ofois m'en flatter, je compte d'en publier encors  CÖRRESVONDjt NC E. 5? cinq ou fix nouvelles, fi j'ai la force de les faire, J'ai 1'honneur d'envoyer a V. M. le bref du Pape avec la traduction latine. II y a plus de fel & plus d'iraagination dans cette pièce que dans tout ce qu'on a publié & qu'on publiera pendant le cours de cette guerre. Perfonns ne fait que je fuis 1'auteur des lettres qua j'ai 1'honneur d'envoyer a V. M.: rimprimeur mSme qui les imprime 1'ignore; il n'y a que M. de Beauibbre a qui j'en aye fait la confidence, qui eft chargé de 1'imprelfion. Je fupplie V. M. de ne point me nommer, car tout le public eft perfuadé que cet ouvrage eft véritablement écrit par un miniftre du faint évangile,. & nous perdrions tout le fruit qu'on peut en retirer, fi 1'on favoit que c'eft la production d'un auteiir dont les Iwres ont été biulés dans plufieurs pays pour caufe d'irréligion. J'aurois un grand befoin de prendre les eaux minérales a Sans - Souci, fi vous vouüez bien me permettre d'y aller pour une quin?aine de jours. Ja fouhaiterois calfeurer mon pauvre étui,qui s'en va périffant de tous có'és. Les médecins m'affurent que les eiux & 1'exercice me feront grand bien. Je me pr .nène ici en caroffe, mais 1'on veut que je marche a pied. Je n'ai point fait encore parortre la lettre de M. de Soubife, paree que je la garde pour mes Mémirts des nowelliftes; j'y travaillerai dès que j'aurai fait encore deux lettres du miniftre réfugié. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 18 Juin 1759V C 4  5 de vous pour pouvoir vous dire fans ceiTe ce quej'ai 1'honneur de vous écrire. Au nom de votrw peuple, au nom de votre gloire qui fera a jamais immortelle, malgré les événemens facbeux qui peuvent vous arriver, ne vous livrez point'a tlèss moavemens, qui en altérant votre fanté»loet gS» , C ft ■ ......  S* 'CORRESPONDANCB. cuifib'es è votre Peup!e que Ia perte de pluffenw batailles. Sorgez que Louis X:V a éprouvé les p!uï grands revers, & qu'il paffe pour plus grand d'avoir fu. les foutenir, que pour avo'r cor.quis rombre de provinces. Quel eft votre but, de défendre votre Etat , & fi vous venez a manquer a cet Etat, il eft perdu a jamais & fans reffource. La paix faite dans certaines occafions n'eft, ni bon. teufe , ni préjudiciable. Quel eft Je prince, Ie héros qui n'ait pas été forcé de céder quelquefois au torrent des événemens ? Enfin, Sire, je vous adore , vous Ie favez. Si vous périffez, votre peuple vous accufera éternellement de fon malheur; ft vous vivez, de quelque facon 'que les chofes' tournent, H vous adorera, car vous ftul pouvez le fauver du malheur oü il tomberoit en vou- perd'ant. Excufez, Sire, la liberté que je prends, mais elle eft pardonnable dans un homme qui, s'il: avoit cent vies au lieu d'une, les dqnneroii avec plaifir pour vous voir heureux. J'ai 1'honneur &c. Le 14. Acüt 1759, après les bataillen perdues de Zullichau .reufe vous feul qu'on peut a-tendre le moyen de réméV dier aux maux préfens. Si V. M. vouloit me permettre d'avoir 1'honneur de Palier joindre, je me rendrois auprès d'elle avec la première efcorte qui part de Berlin , & il en part prefque tous les jours, & ie ferois le refte de la campagne. Je me porie paffablemenf & je fuis en état de pouvoir monter a cheval;; ainfi je ne cauferai aucun embarras a V- M. J'atv tends U - deffus fa réponfe. Je Ia fupplie de nouveau de prendre foin de f& -conferva-ion & de ne pa~ être trop fenfible & dfeW revers que les plus grand» héros Snt fouvent etiktyé* Eien n'eft plus grand que Marius profcrit, &giö£> e 6'  *Q CORRESPONDENTE. bravant Ia fortune. Sertorius, recogné dans ■** coin de I'Efpagne, foutenant avec autant de patience que de fermeté les caprices du fort, ma paroit Ie plus grand des Romains; & Caton dans Utique n'eft confidéré que comme uae ame foible, incapable de foutenir 1'adverfiié. J'efpère, Sire, que tout ira beaucoup mieux que vous ne penfez, & que vous ne tarderez pas tongtemps a reprendre 1'avantage que vous avez eu tant de fois fur vos ennemis; je fonde mes efpérances fur les Iumières Sc les talens de V. M. j'ai 1'honneur Sec. A Berlin , ce ïü Aofic 1759. Sire,. Je fuis au défefpoir de n'étre pas auprès de vous-; inais puifque vous me 1'ordonnez, je m'éloignerai de quelques milles de Berlin. Je vais attendre 3 Tangermunde Ia rouveüe de la vicloire que vous ï.eroporterez fur vos ennemis. Ce n'eft pas Ia valeur ni la bsnne volonté qui a manqué a votre infanterie, mais la chaleur exceflive qu'il a fait 2© jour de la bataille avoit épuifé fes forces: Ia nature n'en a- accordé qu'une certaine quantité aux hommes; quelque courageux qu'ils foient, ils ns jjeuvent cependant s'élever au, delTus de cette même- nature. Je fuis convaincu-qu'ils rérareront JfiUB- faute a la première occaiion, & que w?US tetrouverez de véritable? foidat? pruflïens. La foi«JUJBy pour. vous avoir abandonné une fcule fois-, ■l*vo«s a point touraé le dos. Dès que vous vo»  CORRESPO N ü AN CE, fc dtez fonger a la confervatiou de votre perfonne, les chofes prendront biemót une face riante. Je voudrois pour tout au monde être auprès de vous, J'aurois un million de chofes a vous dire, & je vous prouverois, rnalgré votre douleur, que votre pcrte feule peut entralner celle de 1'Etat. Vivez, confervez-vous, quelles qug foient les affaires„ tót ou tard elles deviendront bonnes. Et quand même, Sire, la perte de la bataille nous auroit amené a Berlin les ennemis, ce qui n'eft pourtant pas arrivé: paree que nous aurions payé une con- tribution, tout auroit-il donc été détruit? Penfez, Sire, que Ie Prince Ferdinand peut, s'il veut, aujourd'hui entrer en Franconie , dévafter cette partie de 1'Empire qui nous eft contraire, &: forcer une partie des Autrichiens a courir vers In Bohème. Vous avez. perdu., mais vos ennemis ont encore plus perdu que vous. Je corinois votre fen- fibilité, Sire, & c'eft elle que j'appréhende plus que vos ennemis. II eft vrai qu'il eft bien ficheus qu'un Roi qui s'expofe plus que les fimples foldats, foit abandonné de ces mèrnes foldats; mais enfins Sire, s'ils font des merveilles a la première occa. fion, tout fera réparé, & ils les feront ces mer- veilks, paree que je fuis affuré que V. M. les ramènera a leur devoir, par 1'efpérance de la ré* compenfe, & par 1'aflurance de 1'oubli du pafïë,. J'ai répondaa M. Bernoulli, ainfi que V. M. m'a fait la grace de me 1'ordonner.. j'ai 1'honneur &c. 'A Gerün, ca 21 Aout 1759 C 7  «2 C-ORRE SP ON D ANC Ë. Sire, Je vais me rendre a Berlin ; j'y atteridrai les nouveaux ordres de V- M. & je fuis toujours prêt a alle?' oü vous fouhaiterez. Je vous fupplie , Sire , de n'avoir aucun égard a ma fanté; quand e'Ie feroit encore plus foible , elle deviendra forte dès le moment que je pourrai avoir le bonheur de vous voir. Quand j'arrivai a Tangermunde , tout étoit il rempli d'étrangers, qu'il me fut impofilble de trouver Hn logement. Je ne vouius pas refter dans des viilages a caufe des petits partis de 1'armée del'Empiie qui rodoient aux en^irons de Magdebourg & de Halberftadt, & jepouftai ma route jufqu'a Wolffenbuttei, oü je fuis encore, & d'oü je partirai demain. Je n'ai jamais douté , Sire , que vous ne réparaffiez bientót 1'échec de la dernière bataille, & je fuis convaincu que tout ira bien a la fin, & beaucoup mieux que vous r,e le penfez , pourvu que vous conferviez votre perfonne ; c'eft en elle feule que réfide Ia confervation de votre Etat V M. aura fans doute vu la lettre dü Maréchal de Belle-Ifle qu'on a trouvée è Detmold dans les papiers du Maréchal de Contades. II n'y a rien de fi affreus que les proiets de renouveler dans le pays de Hanovre les horreurs du Palatinat, & de faire un 'éje-t tvant k mits de Septemhre (ce font les propes termes de M. de Belle - Ifle) de cet électorat. Cet homme deviendra le mépris de tous les honnêtes gens dans quelques parth qu'ils foient. Je ne doute pas que le Roi d'Angleterre nepeDfedorénavantférieufemest-  tORRESPONDANCE. 6j aux affaires de 1'AUemagne; il connolt aujourd'huü ee qu'il doit attendre de fes ennemis; qus deviendroient fes Etats en Allemagne, fi malheuren 'ement vous veniez a fuccomber ? Si 1'on a décou >ert par cette lettre jufqu'oü va la fureur du miniftè e de France, on y a vu d'un autre cóté 1'état miférable de leurs finances, puifque le Marécha! écrit que fans les contributions que Fifcher doit le^'er, il eft impoffible de fubvenir aux befoins les plu* treffans de 1'armée. Que feia-ce donc fi les Anglois font quelque coup d'éclat avant la fin de cette année? Je ne doute pas que vous n'ayez encore bien des peines & des travaux avant la fin de la campagne; mais pour mener les chofes 4 une heureufe fin , vous n'avez pas befoin de va'incre, mais de temporifer. La guerre défenfive eft la ruine de vos ennemif. II faut que la campagne fmifle dans fix femaines, les neiges & les glacés vous rendront la tranquillité. Comment vos ennemis pourront- ils vivre dans un pays oü ils n'ont ni vivres , ni magafins ? Quel argent immenfe frudra-t-il 1'année prochaine aux Francois pour continuer la guerre &pour payer le» fubfi^es a, des alliés qui faiis ces mêmes fubfides ne peuvent agir. J'ai 1'honneur &c. A W.iirTetibuttel, le 9 Septembre 1759. Sire, Je connoiffois a\ V. ML toutes lesqualitésdeCéfar, mais je ne favois pas qu'elle yjoignit celles du grand  ft GOR RE SP O ND'J NCE, Amiral de Coiigny, pluscraint, plusadmiré, plag' redoutable a fes ennemis après la perte d'une bataille qu'avant le combat- Voila vos affaires remifesentièrement, ou peu s'en faut. Votre armée a cédé la vicloire a vos ennemis, mais vos lumières les ent prtvés de tout le fruit qu'ils auroient pu rem" ■ porter de leur avantage. Pendant que vous remettez les affaires au point de fmir la campagne heureufement, les Angiois viennent de hater la paix en détruifant la flotte francoife. Il ne refte pas un feul vaiffeau a la France dars toute la Méditerranée, & les Angiois peuvent y donner la loi av.ee une feule efcadre de trois ou qmttre vaifTeaux. Et voila la prétendue defcente en Angleterre évanouïa, le Canada perdu, car je ne doute pas que Québec ne foit pris dans le moment' que j'ai 1 honneur d'écrire s V. M. La flotte de Brefl n'oferoi.t fortir; les Francois fentent trop que fi elle étoit battue, leur marine feroit entièrement ruinés& anéantie. Toutes les colonies de I'Afrique & de PAmérique , toutes les cótes du royaume font en proie aux Angiois. De quel endroit les Francois pourront- ils tirer de Pargent pour fuppléer a celui qu'ils ont déjadépenfé avec tantde profufion? Les parlemer.s refufent obftinément d'enrégiftrer lesnoaveaux impóts. Enfin Ia défaitedela flotte de Ia €lue conté cinq mille matelots pris ou noyés, perte irrèparable pendant vingt ans. Lorfque 1'on confidère «ou;es ces circonflances.il eft naturel'd'en conc! ure que fi les Angiois- offreut aux Francois une paix. . staat foit jjeu. nrifonnable, ilsl'accepteront&quitte-  CORRESFONBANCÜ. 6$ ront leun alliés, s'ils ne veulent pas concourir i un» paix générale. Je fuis perfuadé, Sire, que lesi Francois 2t déjè renoncé 4 s'emparer de 1'éleftorac de Hanovre; toutes les démarches qu'ils font encore, ne font que de vaines oflentations. Le defert da Maréchal de Belle-Ifle eft upe chimère uont la bataille de Minden aura défabufé le miniflere de Verfailles; ajoutez a tout cela les neiges & les glacés qui vont venir dans trois femaines , les avantages que le PrinceHenri&leGénéralFinckontrempovtés, & vous conviendrez, Sire, que j'ai raifon de dire que la fin de la campagne va bicntót redoaner au? Angiois le raoyen d'offrir aux Francois une pais qu'il faut qu'ils acceptent bongré ou malgré, pour peu qu'elle foit raifonnable. J'ai toujours penf,, Sire, & j'en fuis encore fermementconvamcu, que eette ligue monftrueufe qni s'eft formée contre V. M. aura la fin de celle de Cambray. Enfin, Sire,tout ira bien , pourvu que vous conferviez votre perfonne fiprécieufea votre Etat, & è laquelle eft attaché non feulenwnt le bonheur de tous vos fujets,mais la liberté de toute 1'Allemagne. J'ai 1'honneur &c. A Berlin » ce 29 Septembic 1759- SlRE, TThe femme nommée Madame Taliazuchi, qui m'avoit toujours été inconnu^, m'écrivit hier qu'elle s'adreffoit a moi pour cue j'avertiffe V, M. queiie «tót des chofes de la plus yande confequcncs. t  6C> CORRESPONDANCE. lui révéler & qui regardoiert direftement vo're perfonne. J'envoyai fur le champ chercher cette femme j elle me dit qu'elle étoit 1'époufe du poete qui fait les opéra. Je lui demandai d'aöord ü ce qu'elle favoit, regardoit quelque atterfcant contrè la perfonne de V. M. j elle me dit que non, &q„e ce qu'elle vouloit déclarer , étoit cependant trésimportant, quoiqu'il ne regardat pas la perfonne facrée de V. M. Je la queftionnai beaucoup lB)ai| elle ne youiut jamais s'ouvrir entièrement a moidifant toujours qu'elle ne confieroit fon fecret qu'è V. M., ou a la perfonne è qui V. M. m'écriroitde lui dire de s'adreffer. Cependant, Sire, qu0ique cette femme ait voulu me faire un myflère de fon fecret, je crois 1'avoir découvert par les queftions captteufes que je lui ai faites. & voici ce que je penfe : cette femme eft née fujette de la Reine de Hongne.elle voyoit ici beaucoup d'ofiiciers étrangers & furtoutdes italiens; quelqn'un de ces officiers aura cru cette femme capabie d'entretenir ure eorrefpondance & de donner des avis a Ia cour de Vienne. Soitque cette femme ait d'abordété féduite & que Ia crainte de ce qui pouvoit lui arriver 1'ait fait changer de deffein , foit qu'elle n'ait agi que pour tromper Ia cour de Vienne & poUr fe faire un mérite auprès de vous; il eft certain qu'elle m'a dit dans Ia converfation, qu'elle avoit des pièces très«npoitantes. Je ne doute pas même qu'elle ne remette des chiffres que Ia cour de Vienne lui aura fait donner par ceux qu'elle aura chargés de lacorïompre, & ces chiffres pourront être utiles a V. M.  CURR&SrONDANCE. 67 pour déchiff er d'autres lettres. Ce qui me fait croire qu'elle a des chiffres , c'eft que je lui dis qu'elle faifoit fagement d'être fidelle a V. M. & qu'on auroit bientót connu fon infidéilié, fi elle eüt lié quelque correfpondance avec la cour de Vienne, a moins d'avoir un chiffie;elle me répondit que cette riifficulté ne 1'auroit pas embarraiTée , fi elle avoit voulu manquer a ce qu'elle vousdevoit. Enfin, Sire, lorfque V. M. nommera quelqu'uh a qUi cette femme doit s'adreffer, vous ferez bientót inftruit de tout. Je prie donc V. M. de vouloir me mander ce que je dois dire a cette femme, qui me preffe ^our avoir une réponfe de V. M. & qui m'affure que ce qu'elle a a découvrir eft trés - important & ne fouffreaucun délai. Enfin , Sire, quand il feroit vrai que tout ceci ne fut qu'une tête italienne qui fe feroit échauffée & qui auroit pris des chimères pour des vérités.ce qui pourroit encore bien être, car cette femme ne parolt rien moins que prudente & tranquille; je crois cependant que la peine qu'on auroit prife de favoir ce qu'elle veut déciarer, feroit fi legére, qu'on ne la regretteroit pas, quand même on découvriroit que cette femme n'eft qu'une folie. 1'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 6 Octobre I759- Sire, J'aurois bien peu profiié, fi après avoir vécu vingt ans avec des gens fenfés en AUemagne . j'avois eonfeïvé une cervelle provencale. Vousvencz ,Su«y  «55 C O R RE SP ON DA NC E, par Iemémoireque m'a remis Madame Taliazuchi de quoi il eft queftion, & vous déciderez enfuite. Si V. M. ne m'avoic point écrit en proprts termes -r quoi que cette femme puijje vous dire, gardez - vous bien d'y ajouter foi, j'aurois prié le Commandant de faire arrêter le nommé Ranuzzi , jufqu'a ce qu'elle eüt mandé ce qu'elle veut qu'on enfafle, cet homme me paroiffant un efpion des plus avérés;mais je irie fuis contenté de dire a Madame Taliazuchi que fi cet homme fortoir, de Berlin avant laréponfe de V. M., elle en répondroit, & elle m'a affiiré qu'elle Ieretien* diok. J'ai 1'honneur &c. A rserlin, 12 Octobre 1759» o ike, JLo e s q u e je Ioue la conduite de V. m. , la vérité diéte mesdifcours, & Iecaraclère de courtifan n'y a aucune part. Ainfi vouspermettrezque je vousdife encore qu'il n'y a rien de plus beau que votre dernière marche en Siléfie; & je fuis convaincu que vos ennemis en conviennent eux-mêmes. Je fuis bienafiligé d'apprendre que vous êtes incommodé , & fi j'ofe demander avec la plus grande inftance une grace a V. m.,c'eft demetirerdel'inquiétüdecruelleoüje fuis , & de me donner des nouvelles de fa fanté. J'efpère que vous n'aurez qu'une fiuxion; c'eft une maladie qu'on prend aifément dans cette faifon. J'attends avec impatience de voir votre ouvrage fur Charles XII. Commentpouvez- vous dire que lefstt ■de votre génie s'éteint? Par la manière dont vou^  CORRESPONDJNCE. 69 tous exprimez, vous montrez qu'il n'a rien perdu, ni de fa force.ni de fon agrément. Si vous voulez être cru, il faut vousréfoudreanepas parler ftane point écrire. Je recois votre lettre famedi au foir; je ne pourrai avoir que lundimatin chezNéaulme les rëvolutions romaines & cellesde Suéde; je les ferai partir fans faute. II me tarde bien que la campagne foit finie, pour avoir le bonheur d'aller me mettrea vos pieds. Je fuis inconfolable que vous n'ayez pas voulu que j'allafTe a Furftenwalde. j'efpère que cet hiver nous donnera la paix. Les Francois viennent encore d'être totalement battus dans les Indes onentales; ils.ont éte obligés d'abandonner le fort David. On leur a pris leurs établiffemens les plus coufidérables, & les affaires font auffi délabrées dans les Indes orientales que dans les occidentales. Cesnouvelles font certaines, car elles ont été appottées par trois vaifTeaux arrivés fucceffivement a Londres. Si les Angiois veulent, la paix eft affurée. V. M. diraque les°Francois peuvent fe retirer de 1'alliance, fans que les autres puiffances ceflent la guerre. Mais qui payera les barbares ? qui donnera des fubfides aux ennemis de Stralfund ? La maifon d'Autriche a-t-elle jamais fait la guerre fans 1'argent des Hollandois & des Angiois ? & fi elle veut continuer la guerre, 1'armée du Prince Ferdinand peut pénétrer jufqu'aux portes de Vienne, n'ayant plus a faire aux Francois.x Quelplaifir alors pourle Roid'Angleterredemortifier une Reine, qui oubliant toutes les obligations qu'elle lui avoit , a voulu favorifer une armée qui youloit faire un véritaJ/le défert de fon émorat, §  r» CO R RESP O NDANCE. occafionner urfe defcente en Angleterre qui le renverfoit du tróne lui & fa maifon! Des attentats de cette Oature nes'oublient jamais, quelques démarches que lapolitiquepuiife faire. J'ai toujours pris lal.berté de aire a V. M. que fi lesFra, cois quittbient cette alliance , (qu'ils regretteront pendant trente ans d avoir contraclée) tout lerefte de la ligue tomberoit bientot. V. M, aurapu voir paria première lettre que j'eus 1'honneur de lui écrire au fujet de Madame I aaazuchi, que je regardols cette femme comme une tode & un aflez mauvais fujet; mais il n'en eft pas moins vrai cependant que ledit Ranuzzi que vous avez conné ordre d'arrêter, étoit un efpion envoyé par Daun, qui avoit le deflein en fortant de Berlin d aller a votre armée, & que Madame Taliazuchi auroit fort bien fait de cbaflèr de fa maifon dès le moment qu'elle le connut, fans,entrerdans tous ces pour-parlers qui ne font peut - être pas auffi innocens que Ie pretend ladite Dame. Enfin, Sire, je remercie V. M. ce m'avoir débarraffé de toutes ces tracafleries qui commencoient a bien fatiguermapaifiblephilol fophie. J'ai 1'honneur &c. A Be.Iiri, ce :o Otfobre 1759. Slfi e, Je recois la lettre de V.M. dimanche matin Ie 28. Je parti'aifarisfauteaprès-demain Ie 30, & j'arriverai a Glogau dans Ie même temps qu'elle yarrivera. Queque foible que je fois dans ces temps d'biver, i'uois a pied au bout du monde pour avoir le plaifir  CQRRES POND ANC E. «e vous voir. Je craflfc que vous ne vous fafllez potter trop tót a Glogau;ii vous venez a vousrefroidir, cela peut allonger votre maladie. Je (ens bien que vous devez être fiché de ne pouvoir pas achever le refte de la campagne; mais vous pouves ordonner de faire ce que vous auriez exécuté, fi votre fanté 1'avoit permis. D'ailleurs dans quinze jours, fi vous vous foignez bien , vous ferez en état de fupporter la voiture, & vous pourrez vous faire transfporteroü vous jugerez a propos. Enfin il eft des chofes qui font au deffiis des foress hurïaines,& contre lefquelles le meilleur remède, c'eft de peufer qu'on n'a pu les éviter, ni les prévenir. Vous avez recu.ily adeux ou trois jou; s,la nouvelle de la prife de Québec. Voila donc toute 1'Amérique feptentrionale perdus pour les Francois, & les Angiois peuventffirerevenir cet hifer en Europe prés de dix mille hemmes de troupes, plus de trente vaifleaux de guerre, & en laiiTer encore affez pour prendre Ia Martinique au mois de Mars. Croyez, Sire,que cet hiver verra les Francnis abandonner tobs leurs alliés , & par conféquent nous aurons la paix au printemps, & nous «ons a Sans - Souci voir la galerie qui fera, a ce que m'a dit aujourd'hui 1'infpefteur des tableaux , qui arriva hier de Potsdam, la plus belle chofe qu'il ait vue dans le monde quoiqu'il ait été fix ans en Italië. J'ai 1'honneur &c. p. S. T'entfoie a V. M. des vers qu'on dit avoir été affichés pendant la nuit a la porte du chiteau -de Verfailles,  jrfi CQRRESPONDANCE* Bateaux plats a vendfe, Solciats a louer, Généraux a pendre , Miniftres a rouer. O France! une femelle Fit toujours ton deitin; Ton bonheur vient d'une pucelle Et ton malheur d'une catin. A Berlin, ce 28 Octobre 1759. Sire, D. ruis la dernière lettre que j'ai eu 1'honneur d'écrire a V. M., j'ai eu encore un accès de fièvre; mais comme il-y a deux jours que je ne 1'ai plus, j'efpè.re que.j'en ferai quitte. Je fuis bien charmé de voir V. M. rétablie; mais il fautqu'elle fegarantiffe •du froid. Je ne doute pas que vous ne faffiez a la fin une campagne très-heureufe ; püiffe-t-elle vous rendrs en fanté & content a tous vos fujets! Ma pauvre philofophie vient encore d'être troublée. On a bien raifon de dire qu'il fimtéviter jufqu'a la moindre fréquentation avec les fous. Madame Taliazuchi, dont je n'avois plus entendu parler depuis que cet homme a été arrêté, vient cl» m'écrire la lettre que j'envoie a V. M.; elle eft fi impertinente , que quelque ftoïcien que je fois, je n'ai pu m'empêcher d'y être un peu fenfible. Jene fais ce que cette folie veutme dire, & j'ignore tous les contes & toutes les tracafieries dont elle me parle. J'avois bien raifon d'écrire a V. M. la première fois que  CORRESPONDJNCE. 73 ■que je lui parlai de cette femme , que fa tête me paroiffoit dérangée. Je vois-bien ce qui la met de mauvaife humeur; je lui a[ dit, & je 1'ai dit a M. Kircheifen : pourquoi elle avoit attendu a déchrer cet homme que la cour de Vienr.e eütexigédefimrfonnom £r d'être f rrie gra'is pendmt trois mois. Voila , je crois, les horribles difcours qu'elle ne peutmepardonner.. Je ferois ob!igé è V. M, fi elle vouloit faire due a M- Kircheifen de dire a cette Mégère de .m'oublier & de me laiffer paifible. Comment cette folie s'eft - elle avifée de s'adreffer a moi, qui depuis dix-huit ans que j'ai 1'honneur d'êcre au fervice de V. M. name fuis jamais trouvé dans aucune tracaffe. rie? V. M. dira que je dois méprifer les difcours de cette femme ;j'en convien;: .nais il eftpourtant disgraci ux que fur des dffcours des rues ou. je n'ai 'aucune part, je'fois obligé d'effuyer lesinjures les plus atroces & les p'us groffière";. Les dévots m^ttent tous leurs chanrins aux ■■ ieds du crucifix . je metrrai les miens entte les mains de la philofophie, & i&t cette femme me régaler tous les jours d'une pareille épitre , je ne parlerai plus a V. M. de femblables mifères. J'ai 1'honneur &c. A Berlïi, ce 7 Novem^'s 1759. Sire, Je viens de lire avec un plaifir infini vos réflexions fur Charles XII; elles font parfaitement bien écrites, le ftyle en eft précis & fentencieuxj il a tout ia Otuy, puph, dt tr. Ui T, XM O  ?4 CQRRESPONDANCE. bon de celui de Tacite , fans en avoir 1'obfcurité. Quant aux penfées , je me contenterai de dire a V. M. qu'eiles m'ontconvaincü par kurjuftefle qu'il n'y a que de grands générauxquipu:ifentécrirefur d'autres grands généranx, & que ce que peuvent faire fur ces hommes rares de fimplesécrivains, quelque bons qu'ils foient, ne produit jamais qu'un élégant . verbiage. Mon Dieu, que 1'hiftoire de Charles XII m'a paru miférable en lifant vos réfl xions! II faut que chacun fe mê'.e de fon métier. Je ne frouverien de fi ridicule qu'un prêtre , qui enfermé dans fon •couvent écrit les campagnes deM de Luxcmbourg & de M. de Turenne. Cc pendaacombien d'biiloires militaires n'avons - nous pas , compofées par des jéfuites.des bénéd'étins & des péres de 1'oratoir.e? Je ne manquerai pas , Sire, de faire knpriffler votre ouvrage avec toute i'attention pofiible , & foyez alfuré, Sire, qu'il n'y aura aucune faute d'impreffion. J'aurois envie d'en faire tirer cinqüante exemplaires, & d'en cacheter trentedansunpaquetquejelaiflerai au ehateau dans la chambre de 1'imprimerie & que vous retrouverez a la paix. Ctt ouvrage eft admira. ble, & vous ferez bien aife dans la fuite d'en donner quelques exemplaires a vos généraux. J'attendrai vos ordres la - delTus. On commence cependant de travasller demain a ranger les caractères de la première feuille. Je donnerai a cet ouvrage la forme inquarto, pour qu'il puifle être joint a vos autres ouvrages hiftoriques, & a votre poëme fur 1'art de la guerre. Ne doutez pas un feul inftant, Sire, que je ne parte pour la Saxe, dès que vous me 1'ordonneiez. Si L  CORRESPONDANC E. je fuis malade, ce voyage me guérira; & le plaifir de vous revoir après Ia fin d'une fi belle & fi glorieufe campagne me redonnera la fanté. J'ai une gr&ce a demandtr a V. M., c'eft que je puifle mener Madame d'Argens. Voici trois ans de fuite que je fais toutes les années une maladie confidérable. J'efpère que cela n'arrivera pas cette année.par la diète que j'obferve j mais fi V. M. n'avoit pas eu la bonté de permettre qus ma femme m'accompagnat a Breslau , livré aux foins de mes domeftiques , je ferois allé faire ma révérence au pére éternel, & je vous prie d'être bien; perfiadé que fans vouloir faire le courtifan, j'aime beaui-oup mieux être avec vous a Sans-Souci, qu'avec lui dans fon paradis O Sans -Souci! ó Sans-Souci! Pourquoi ne puis-je pas donner mon friefel a la R * * *, ma diarrhée a la C * * * & mes indigeftions alf***J Si cela pouvoit avoir lieu, ces trois perfonnes fongeroient plus è la pnarmaciequ'a la guerre. J'ai 1'honneur &c. A Berlin , le 17 Novembre 1759. Sire, S 1 la Fortune vous perfécute, Votre fermeté & vos lumières vous mettront au deffus de fes caprices. L'exemple du pafTé m'affure de 1'avenir & je ne doute pas un feul inftant que vous n'ayez déja réparé eu partie une infortune i laquelle vous n'avez aucune part. Quand on a agi dans les régies les plus exactes, on ne répond point, dans quelque métier que ce foit, des é vénemens, & moins dans celui de la guetre qua D 2  16 CO R RE SP O N DA NCE. dans tous les autres. Je comprends combien vous devez fouffrir, paree que quelque courage & quelque j?ér ie qu'on ait, on ne peut s'élever au defius de rhumaniti; roais les grands homme? comme vous ont ioujours vaincu par leur conftance ce qui auroit accablé desames communes. 11 faut que cette campagne finifle,les glacés & les neiges vort ramener Ia tranquillité pendant quelques mois, &j'efpèreque le printemps donnera la paix a 1'Europe , quand les Frar,cpis aurontachevédefondre'let vieiliescuillers qu'ils envoient a la monr.oiepour a oirdel'argert: feront-ils la guerre avec leurs marmiies.& leurs cafferoles ? & payeront- ils en monnoie de cuivre les fubfides aux RuiTes & aux Suédois ? Si les Angiois avoient voulu envoyer 1'été paffé ur e flotte dans la Baltique de quinze vaifleaux, nousaurions aétuellement la paix , & s'ils veulent 1'envoyer au commencernent du printemps, nous verron- biemói ia fin dela guerre. Le prétexte qu'ils ont pris de leur commerce avec la Ruffie eft ridicule; car les RuiTes n'auroient ofé rompre avec eux;d'oü auroient- iis tiré l'or& 1'argent que Uur fourniflent le? Angiois pour leur monnoie ? & fi les RuiTes avoient voulu faire les mechans , pas un feul vaiffeau n'etit pu arriver a Pétersboürg. J'ai beaucoup de refpect pour le Roi d'Angleterre; mais il ne foit pas ufage des notions les plus communes , s'il ne fent pa; que fon éleftorat feioit détruit & ruiné de fond encomble, & cela dans moins de fix femaines, fi vous veniez malheureufement a fuccooaber fous vos ennemis. J'ai, &c. ' '• A Berlin, ce as Novembre 1759»  cpRRRSFONDANCB* ?f Sire, X l vient de paroitre ici un grave perfonnage', auprès de qui Daniël , Jérémie , Jofias & tous les prophètes grands & peeits ne font rien. Cet homme depuis dix-huit mots paiTbit pour un fou, paree qu'iï avoit prédit I'année cinquante-huitque vous eftuyerieg; de grands malheurs dans I'année cinquante-neuf II a été depuis quinze jours chez tous ceux a qui il avoir annoncé fes prédiftions & leur a dit fort iérieulement? „ Meflieurs , j'ai paiTé pour fou auprès de vous „ parcë que je vous avois annoncé la vérité; 1'é vé ne „ ment a juftiné tout ce que je vous avois dit; prenez-„ moi encore pour un fdu, fi vous le jugez aJ propos „ je vous affijie que le Roi va être bientó" au deffus „ de tous fes ennemis , & que jufqu'a la fin de \p „ guerre il n'aura plus que des fuccès heureux.''" Comme les difcours de cet homme fingulier forit: I'entretien de toute la ville, j'ai été curieux de m'ir»former de quoi il étoit queftio i. M. Gottskowskyjfe d'amres gens feöfés qui connoiiTent cet homme, difene q.ue véntablement ii leur avoit dit en cinquante huit: que les Pruifiens auroient de grands reders en cinquante neuf, & qu'il avoit toujours ajouté ce~ gu*il ' annoneoit encore aujourd'hui , qu'en foixante les; Pruifiens feroient & plus heureux & plus g'orieuE qu'ils ne 1'a voient-jamais éré. Quant a moi, fans Ütre prophéte & fans avoir 1'honneur d'exalter mon ame * je fuis bien perfuadé qus vous réparerez tous les-maus: . 81* Peyvent avoir caufés des fautes oii vous n'ave?D a,  7* CO RRE SP O ND A X CE. jamais eu aucune part & qu'humaintmc-nc vous r.e pouviez ni prévoir, ni éviter, les caufes fecondes étant au deffus- de foute la prudence humaine. Vous ête.< comme ces habiles architectes, qui par la grande connoiffance qu'i ls ont de leur art, favent raffermir & refferrer les cre^aiTes qui fefont faites ades batimens que des orages imprévus ou des tremblemens de Jerre avoient ébranlés. J'ai remis a 1'impreffion les réfl'xions &c. & je ine flatts que vous fere.ï plus content de cette édition que de !a première. Mais permettez, Sire, que je prenne la défenfe de votre campagne contre vousmême. L'on ne pourra jamais vous en imputer les malheurs , paree que vous n'en avez point été la caufe ,'& qu'ils font arrivés indépendamment des foins que vous avez pris ; votre gloire, Sire, n'en a pas recu la moindre atteinte. Je ne puis pas dire la même chofe de 1'édition des réfisxions; mais il eft pourtant vrai que la copie du manufcrit m'a induit dans plufieurs erreurs. J'en envoie lapreuvea V. M. L'ancien manufcritdit, on diftingue ceux; lanouvelle correftion dit, 01 ne fait attention fi'a ceux. La cor • re&ion nouvelle dit, un vqfte damp aux rimirqves, dans l'ancien manufcrit rewjwjefl effacé. Dans Ia nouvelle correfbion il y a , je crains bien que ce beau plénix; dans le manufcrit, je crois qut ce phé ix. Je pourrois envoyer encore plufieurs autres endroits a V. M.; mais cela 1'ennuyeroit. D'ailleurs je dois «onvenir qu'il y a deux ou trois fautcs, & entre autres une aflez Iourde dont je fuis coupabls; je I'avois corrigée trois fois, & ces maudits imprimsursl'ont eccpisJ  CORR E SF O N D ANCE. 79 caBimifa en tirant la dernière épreuve. J'ai déj* donuéordre de faire venir 1'encyclopédie de Hollande; car les libraires ne font venir ce livre que pour' céax qui ledemandent, attenduiacherté duprix, & ils ne 1'ont pas dans leur boatique. Vous voulezdonc, Sire, parcourir cet hiver unocéanimmenfedemaiïvaifes chofes, dans lequd flottentqueiques exceilentes differtations géométriques de d'Alembert. & que'ques ballons métapnyfiquss enflés de vent, qui en faifant défendre cet ouvrage , lui ont donné uner réputation qu'il a déja perdue dans tous les pays oüï il efl: permis de 1'avoir. Les derniers articles que' Voltaire a mis dans ce livre , fe reiTentent de fa? vieilleffe & ne valent guères mieux que fon Candide de 1'efprit fouvent, peu de jugement & point de profondeur. Mais vous verrez tout cela par vousmême, & vous en jugerez bien mieux que moi. J'ai 1'honneur Sec. A Berlin, ce 24. DécembrJ 1759» Sire, J'ai 1'honneur de fouhaiter a V. M. uneheureufè' année ; èjïft Ia rende glorieufe, contente & en parfaitsfanté a. fes.fujets. Je Ia remercie infiniment des marquss de bonté dont elle daigne m'honorer , & je la priy d'êtreperfuadée que j'en conferverai lefouvenir jufqu'a la mort. J'en voie a V. M. quatre exemplai • res de la nouvelle édition de Charles XIT; je joins ?; ces exemplaires celui quu V. M. m'a renvoyé corrigé de la première éditlon, pour qu'eilo puiflejugerqu.j.(' D 4  %t> CORRESPOND ANCE. n'y a plus une feule faute dans lafeconde. Je voas prie d'être perfuaiié que ce n'eft pas ma faute, s'i! y en a eu dars la première. J'avois la uis m'empêcher de céder a cenains prefféiitiraens, qui me difeat que vous ré'fïfleres.è tous vos ennemis , & qu'a la fin vojs prendre* enrière nent fe defTus fur eux. Avant-les bataiiles de Rosbach &. de Liffa je vous écrivois la rnêrriecbcffiJ. L i utuation des affaire? étoit bien différente de celle-d'auiourd'hut.;-ma fécurité fembloit enxore plus déplacée,., le temps ne tarda pas a la juftifler. Monfeigpeur le Prii.ce de Bévern trfa écrit une iettre- en faveur d'un gentilhomms francais qui lui avoit été recomman .'é & dont je c -nnois toute la, Éamiile. Je 1'aL vu lui - même, il y a quelques an-nëes, lorfque j'étois en France, üne affaire d'hon» Meur qu'il eut, 1'öbligea de fortir- du, royaume &. de fe retirer a Nice. Sa familie m'ayant écrit pour xae fo recommaader,. il vint me voir a Menton. Depuis ce temps ne \pouvant plus rentrer en FranQfc, il oafïji au. contencement de la guerre au.  CORRES PUNDJNCE. 85 Canada, oü il a fervi avec diftinction. N'y ayant plus rien a faire dans ce pays , & ne pouvant refter en France, il a pris le parti de fèrvir dans les autres pays. Je puis répondre a V. M. a fon ■ fujet de trois chofes; la première c'eft qu'il a beaucoup de valeur, la ftconde c'eft qu'il a de Ia probité, & la iroifième qu'il eft d'une des meilleutes maifons, je ne ois pas de fa province, mais de tout le royaume. Quan t au bon fens, c'eft un article dont je ne fuis jamais caution pour un Francois, & furtout pour un Prover.cal. Il fait fort bien l'.talien & paffablement 1'allemand, du moins II s'espl que affcz pont être entendu dans cette deinde . i gue. II fouhaiteroit entrer dans un bataiLlö franc. II a enviion trente deux ans, eft d'une jolie figure. Lorfqu'il quitta la France, il étoit Lieutentnt dans le régiment de Champagne; en Canada i-t étoit Capitaine, & a fouvent eu 1'hon» neur de ver rótir & m-mgcr des hommes par lesfauvages. Si V. M. juge a propos de lui faire donna une lieutenance , il fera trè=-fatisfait,' & comme il ne manque de rien, il fera d'aborj I'équipage dont peut avoir befoin un Lieutenant d'un bataillon franc. J'aurai 1'honneur de dire encore a V. M., que je réponds pour le fujet que je Xti propofe, de la naifl'ance, de la probité & de la bravoure, . Je la fupplie de me faire Ia grace deme répondre un mot, pour que je ne falfe point manger fon argent inutilement a ce jeune homens» j'ai i'honneur &c. A iïcrlin, le 4 Févricr 176e, B 3  CORR ESP ONO ANCE: Sire,. X l s'en faut de beaucoup que mon prophéte n'annonce plus 1'avenir; il foutient toujours que nour ferons auffi heureux cette année que nous avons été malheureux I'année paffee: il offre d'être puni comme un importeur, & d'être enfermé comme un. fou, &'il fe trompe dans fes prédiftions. Quant a moi, fans avoir 1'honneur d'être prophéte, je fuis convaincu que nos affaires irónt trés-bien. Vous vous défie2 de la fortune; je ne faurois, Sire, vous bl&mer a ce fujet; elle vous a été peu favorablé dans cette dernière campagne; mais ce quime raflure , c'eft que je vois que lorfqu'elle a femblé vouloir entièrement vous' abandonner , elle a tout a coup fourni des moyens pour réparer lespertes qu'elle avoit'caufées. 'On doit cïaïndre pour la caufe publique, quand fes funeftes événemens font arrivés par la faute de cette caufe publique}mais dans toutes nos infortunef paflees, je ne vois que des particuliers en faute, & jamais- 1'armée, ni le fouverain. La bataille de Francfort contre les Ruffes n'auroit jamais eu lieu, fi lorfque 1'armee pruffienne entra en Pölogne , elle eüt été con-iuite différemment qu'elle ne le füt. Les foldats p.ufikns fe font rendus prifonniers i Maxen & oit mis 'es armes bas: mais les foldats pruifiens ïre font pas les capitulations, ce font ceux qui les oommandent.- La dixième légioa fe feroit rendue prifonnière , fi Céfar étant abfent, les chefs d&.  CORRESPONDJNCE. 87? cette légion avoient jugé a propos de fe rendre^ On dit ici a Berlin une nouvelle qu'on affure être certaine , c'eft que vous commanderez la grande armée contre les Autrichiens, le Prince Henri 1'armée contre les Ruffes, & le Général Fouquet un corps detaché. Je ne fais pas, Sire, le fecreü d'exalter mon ame & de lire dans les myftères des Dieux; mais fur cette fïmple difpofition des forces & des armées de V. M., je veux perdre la tête,, fi vous ne vous mettez pas au defius de tous vos ennemis. Votre plus grande peine, Sire, pendant la durée de cette guerre, a été de réparer des fautes oü vous n'aviez aucune part, & vous allez em. ployer des généraux qui r/en ont jamais commis. Toutes les gazettes aflürent que les Angiois enverront une flotte dans la mer Baltique; s'ils le font, c'eft une des meilleures chofes qu'ils auront exécutées pendant cette guerre. Si quelques mifé* rables vues de commerce les empêchent d'agir auffi fenfément, ils méritent de perdre l'eftime que les belles chofes qu'ils ont faites depuis deux ans leur ont acquife. V. M. a trop de complaifance de faire la moin« dre attention aux foibles remarques que j'ai ofé lui communiquer; les changemens qu'elle a faits me paroiflent excellens, & rendent cette épiue de la plus grande correffcion. Les vers, Sire, que vous faites pendant la guerre.ont toute 1'narmonie & 1a. douce mélodie de ceux que les Mufes dicrent dans-, 4a plus grofoude paix. j'ai 1'honneur &c. A. Berlin j. ce. z Mmm 1760+  *8: CORRESPONDANCT. . S i e e , S'i l étoit vrai que je vous parlaffë en courtifan, je ftrois charmé de 1'avoir fait, puifque j'aurois1 occafionné pjr la Ie; beaux, mais trés-beaux, versque vous m'avez fait la grace de m'envoyer. Vousallez encore dire que je 'cherche a vous flatter; je vous répondrai que j'aime encore mieux que vous m'accufie« de flatterie, que fi ma confcience me reprochoit le menfonge. Je prends la liberté de dire a V. M. ce que je penfe, ma bouche eft Finterprè'.e de mon cceur. Vous croyez avoir fait des fautes, moi je penfe au contraire que vous avez r-éparé celles des autres. J'ai pour moi aujourd'hui la faine pai'tie du public ; la poftérité décidera dans 1'avenir qui de vous ou de moi a.raifon: je fuis convaincu que V. M. en fera admirée, & qu'elle prendra votre défenfe contre vous - même. Nous ne finirions jamais , Sire, fur cet articie; nous le difcuterotjs tin jour a Sans-Souci après la paix, que nous aurons peut - être plutöt que vous ne Fefp érez. Combien d'évéremers imprévus ne peuvent pas furvenir, qui donreroient a 1'Europe cette paix qui lui eft fi néceflaire &. qu'elle attend avec impatience?- V. M. m'a ordonné de lui écrire toutes les .fcalivernes; en voici une,: votre cuifinier Champion ne vous fera plus des ragouts ni trop falés, ni trop poivrés. On lui a coupé rafibus ce qui -ffirvit au premier homme i peupler le genre hu-  CO RR ES PO ND A NCE. 0 mam; il en eft mort le 'troifième four. On dudans toute la ville que le chirurgien qui a fait 1'opération et qui eft une efpèce de fou (c'eft un nommé Cofte) a mis entre deux afïiettes ce qu'il avoit coupé & 1'a envoyé a une femme nomméc le Gras que Champion entretenoit. Cette mauvaife plaifantetie met ici en rumeur toutes les femmes & tous les dévots. Au refte V. M. perd fort peu a la mort de Champion. Actuellement qu'il n'c.it plus, je puis en parler naturellement a V. Af , fans craindre de lui nüire: c'étoit un fert mau ars fujet, qui s'étoit trés-mal comporté -pendant fe temps qu'il y 'avoit a Berlin des officiers frarjcois & autrichiens; il les avo^t pris a 1'auberge chez lui, & tenoit devant eux tous les jours des difcours qui auroient mérité qu'il fut a la brouettei On me les avoit redits, & je le fis avertir que je Ie dénonceiois au Commandant; il me promit de fe corriger ffi-je crus qu'il ms tiendroit parole; mais j'ai appris par ceux qui m'ont raconté fa mort , qu'il avoit toujours continué fa première conduite. Vous voyez, Sire, que le Ciel Ten a puni plus févèrementque vos juges n'auroient fait, car certainemsnt ils ne 1'auroient pas fait chatrer.. Niez a préfent une providence fublunaire. Voili des exemples bien parlans & qui valenc bien au. tant que tous ceux fur lefquels 'les théologiens fondent tant de mauvais raifonnemens. Que vousks dépeignez bien , Sire, ces ignorans fanatiques,. dans les ,vers charmans que vous avez faits m fcjjet. du Dicïiotnaire des. prétendus athées.1  9* CORRESPOND ANCE. Je ne doute plus, Sire, que 1'édition de vos ouvrages n'ait été faite fur une copie volée fur un des exemplaires qui fe trouvoient a Paris, paree que 1'édition de Hollande n'eft qu'une copie da celle qu'on a faite a Paris. Il y a déja plufieurs exemplaires de celle de Hollande a Berlin; elle ne contient. a ce que 1'on m'a dit, que quelques odes, plufieurs épitres & le poëme fur la guerre, Tout cela eft de ia plus grande beauté; & a par. Ier naturellement a V. M., je ne fuis faché que de l'aftion du voleur & point du tout du vol, puifque ce livre fera les délices de tous les gens qui penfent, & les élémens du bon fens pour tous ceux qui voudront apprendre a penfer. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 16 Mars 1760. Sire, Je recois Ia lettre de V. M. a minuit & j'y réponds dans Ie moment. Il y a déja deux feuilles de 1'édition imprimée. Voyant qu'on ne finiroit jamais avec la Néaulme, j'avois fait dire par M. de Btaufobre a Vofs qu'il pouvoit comne'cer d'imprimer deux feuilles, a cocdition que fi V. M. ne trouvoit pas a propos qu'il continuat, ce qu'il auroit imprimé feroit en pure perte pour lui. Dans douze jours l'ouvrage fera fini; il y a qu?tre prefTes qui font employées. M. de Beaufobre corrige nuit &jour, car les imprimeurs travaiilent fans cefTe. J>i bien fenti, Sire, lanéceflité d'aller v'te en  CO RRESPONDANCE. 91. befogne, & c'eft ce qui m'a obligé d'envoyer d'abord l'Ans du lihraire, que j'ai fait imprimer. J'en ai fait partir trente exemplaires pour M. de Kniphaufen a Londres, & Is libraire Vofs en a expédié plus de cinq cents pour cette ville , & foixante pour Pétersbourg par la voie de Dantzic. Cela prénent tou ours pour quelque temps Ie public, & donne le loifir de faire la nouvelle édition. Enfin, Sire, elle fera finie dans douze jours; je ne crois pas que fi on Ia faifoit faire par le fecours des fées, elle put aller plus vite; elle fera malgré cela uès-correcte, paree qu'H eft cent fois plus aifé aux imprimeurs de travailler d'après un livre imprimé que d'aprè.i un manufcrit. Je fupplie donc V. M., 'accablée par tant d'autres foifls, de fe tranquillifer fur cette affaire, & de compter fur Ia diligence & le zèle de M. de Beaufobre , plein de bonne volonté pour le fervice de V. M. Voila donc le redoutable Turot tué & toute fon efcadre prifonnière. Si les Francois ne font la paix au commencement de cette campagne, il faut qu'ils foient poffédés de dix légions de diables autricbiens. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce aa Wars 1760. S i E e , J'ai 1'honneur d'envoyer a V. M. la rouvetle édution; je'lui avois protsis qu'elle fexWt -"ris- >  32 CORRESPOKDANCE. douze & eile 1'a été le neuf du mois. C'eft urnquement au zèle de M. de Beaufebre que la promptitude & l'exaccitude de cette édition font dues. Je n'ai été que 1'admirateur dts foins qu'il a pris & des peines qu'il a eues avec les impiimeurs, furtout pour les er.gager a travailler pendant les fêtes de paques. Si nous avions eu a faire avec la Néaulme, i peine 1'édition fero t ccmmencée, & Dieu fait quand elle feroit linie. D'ailieurs cette édition eft un gain sifuré pour le moins de deux mille & cinq cents écus• pourquoi ne pas les faire gagr.er plulót a un citcyen de Berlin qu'a un étranger? Ce font de fl bor.r.es gens, Sire, que ces bourgeois de Berlin! Je les ai-'.us dan- les temps les plus ép'neux cent fois plus occupés de ce qui pouvoit regarder V. M. que de Iturs propres affaires. Les actions rendent les hommes célèbres felon le théatre cii la fortune les place. J'ai vu ici, après la bataille de Francfort, vingt bourgeois & peut - être cent , au deffus de tous ces citoyens romains dont Tite-Live a immortalifé la fermeté & le zèle pour leur patrie. J'ai exécuté la commiflion que vous in'avez donnée , Site, pour les tableaux de M. Gottskowsky; il a affemblé depuis trois ans une collection fuperbe de tableaux de Charles Maratte , CiroFerri, Titien &c. il a un Corrége & un admirable Titien; mais tout cela n'eft rien en comparaifon d'un Raphaël qu'il a acheté a Rome & qu'il a. trouvé le fecret avec de llargent de fairs forti*:  CORRËSPONDANCE. 9$ en contrebande'; car comme c'eft fans doute Ie plus beau tableau qu'ait fait Raphaël ,on n'auroit jamais confenti a Ie laiiTer fortir de Rome. Le fujet eft trés - gracieust; c'eft Lot que fes d'eux fiiles enivrent. Elles font a demi nues, mieux colorées que fi elles étoient peintes du Corrége & deftinées de la plus grande manière de Raphaël. Enfin pour moi j'avoue que je n'ai jamais rien vu de fi beau. Ce'a me paroit préférable a la fainte familie de Raphaël, qui eft le principal tableau du Roi de ïs'rance. Vous verrez, Sire, fi j'ai tort de louer fi fort ce morceau. lorfque le bonheur de vos peuples vous ramènera content & heureux dans votre capitale. J'oubliois de dire a V. M. que ce tableau eft a peu prés de la grandeur de la Léda du Corrége. Quant au prix des tableaux, je ne puis en nen dire è V. M., paree que M. Gottskowsky m'a dit qu'il falloit auparavant qu'elle vit les tableaux; & je crois qu'il a ra.fon, paree que tel tableau vous paroltroit bon marché, qui feroit cher s'il ne vous p aifoit pas lorfque vous le verriez; & tel autre voas 'embleroit d'un trop grand prix, que vous ne trouverie/. pas c er après 1'avoir vu. D'ailleurs j'ai jugé par ie prix de p'ufieurs tableaux dont je me fuis informé que ce qu'on en demandoit n'étolt . point exorbuant. Quand vous les verrez vousmêtne . vous rabattrez après cela ce que vous jugerez a propos. M. Gotts lowsky gardera foigneufement les tableaux qu'il a ramalfés cc li'en vendra aucu avant que V. M. les ait vus & ait choifi «eux qu'elle voudra. Je fuis trés - content de la  34 CORRESPONDJNCE. facon dont il m'a parlé a ce fujet; c'eft un brave homme, véritablement attaché aV.M. & un de nos bons citoyens de Berlin. Si V. M. Ie fouhaite, j'irai pour vingt quatre heures a Sans-Souci, & je lui donnerai des nouvelles exactes & détaillées de la galerie & du refte du jardin. Je vois, malgré tous vos ennemis, armer bientöt le temps oü vos peines & vos inquiétudes feront fin ies. Plus j'examine la fituation des affa-res des Francois & plus je deviens affüré qu'ils feront la paix" avant qu'il foit deux mois; & fi V. M. veut me le permtttre, je parierai contre elle mes fix'plus belles efiampes contre fix autres qii avont la faint Jean les Francois auiont fait la paix. V. M. dira peut-être que je ne fais pas grand fond fur mon pari, puifque je ne rifqiie que fjx i.;oiceaux de papier; mais j'aurai 1'honneur de 11. .époiidre, que üans ma facon de penfer une eftampe n'eit pas une badinerie, & que je donnerois jufqu'a ü fit des üècles tous les Francois au diabLü, s'iis me faifoient perdre mon pari, leur fouhaitant d'être encore plus fous qu'ils ne le font, plus gueux qu'ils ne le de.iei.nent tous les jours & battus qu'ils ne 1'ont été a Rosbach & a Minden, i'ils me jouoient un pareil tour. J'ai 1'honneur &c. P. S. Lorfque la correction du vers de 1'épltre du Maréchal Keith eft arrivée, 1'édition étoit déja faite; mais je Vais faire mettre un canon; il eft, dans 1'exemplaire que je vous envoie & dans ceux qui font prefque reliés, comme je 1'avois corrigé. A Berlin, ce 9 Aviii i;6o.  ature a accordés aux hommes, la médiocrité me paroit un des plus grands; par la médiocrité j'entends un peu plus que le néceffaire bonnéte, c'eft-la tout ce qu'il faut a 1'humanité pour la rendre heureufe. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 27 Mai i^Co. Sire, J'a 1 1'honneur d'envoyer a V. M. Ia première feuiüe de la belle édition in 4t0. des Poëfies diT verfes. Elle verra que cette édition fera pour le moins auffi belle que celle ojii a été faite au chateau; elle eft déja vendue entièrement d'avance & prefque toute en Angleterre. Vous favez fans. doute que 1'on vous a érigé une ftatue de bronze a Dublin, & qu'elle a été placée dans la plus belle rue de la ville , qui eft appeiée aujourdJhui Ia Rue de Pruffe. Toutes les gazettes ont parlé ün mois de fuite de ce monument. Je ne. vous en ai rien.  CORRESP ONDANCE. 105 rien dit jtïfq&'a préfent', paree que je fais cpmbien votre caraftère archiphilofopbique eft peu fenfible a ces^fortes d'apothéofe. Je vous paffe en qualité de Roi de vous tnettre au deffus de la gloire.mais du moins comme héros vous devriez la cbérir. Cependant, content de Ia mériter, vous êtes indifférent pour les honneurs qui la fuivent. Vous faites bien mentir le proverbe qui dit, que jamais poëte ne fut moiéré dans fon ambïtion pour la gloire. Vous êtes bon poëte, & vous fuyez les lóuanges; il y a dans votre modeftie de qaoi faire bonte a tous les gens de lettres. J'ai lu, Sire, avec adrniration la lifte du beau fervice de porcelaine dont vous vouten me faire préfent. J'ai d'abord été vifiter mon armoire, &. je 1'y ai rangé en imagination en attendant le jour' oii je pourrai Ie faire en réalité. V. M. me permettra de lui dire qu'une coquette a qui 1'on promet des- pompons d'un gout nouveau:, n'eft pas plus impatiente de-les recevoir qua je ne le fuis de voir ces porcelaines.- Les quinzaines des ouvriers de la fabrique me paroiffent les femaines du prophéte Daniël; & fans. vouloir médire de Msffieurs les faifeurs de porcelaines, je devrois, felon la première lettre oü V. M. me faifoit la-grace de m'en parler, les-avoir depuis quinze jours-; & par fa dernière lettre, j'ai vu encore une nouvelle quinzaine; V, M. m'écrit qua je fuis devenu poëte. Ha! fi je Fétois, je ferois une.ode dans le goüt d^Horace pour la remsreier, &-.une fatire du ftyle de Juvenal cor.tre les nrdifs fabricans.  10a CORRESPONDANCE. Tous les gens de goüt & tous ceux qui connoiiTent les arts, font ici le voyage de Berlin a Potsdam, pour aller voir la galerie, avec autant d'empreffement que les dévots font celui de Lorette oü de faint Jaques de Compoftelle. Ceux qui ont vu 1'ltalie & la France conviennent unanimement qu'après faint Pierre de Rome, il n'y a aucun batiment auffi fomptueux & auffi élégant. J'efpère le voir avec V. M. au commencement de 1'automne, & fi nous n'avons pas la paix , vous ferez une campagne heureufe qui vous rendra cet hiver a votre peuple & a tous vos bons & fidelles ferviteurs, a qui votre vie eft auffi précieufe que la leur. .J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 7 Juin 1760. SlRE, J e fens bien les peines & les embarras oü doit fe trouver V. M.; mais elle trouvera dans fon génie & dans fa fermeté de quoi les furmonter glorieufement. Je vois une certaine efpérance répandue dans tous les cceurs, qui m-'eft un fur garant de raccomplifiëment de celle que j'ai toujours eue, & qui malgré les revers n'a point encore été trom» pée. J'ai eu 1'occafion de lire ici quelques 'eitres écrites par des officiers de 1'armée de V. M. ; tlles annoncent la rneilleure volonté dans toutes les troupes, qu'elles dépeignent comme remplies de zèle pour la patrie & pour le fouverain. Ces lettres m'ont psru du meillew augure du monde  CORRESPONDANCE. 107 pour le fuccès de la campagne; elles montrent véritablement quel eft 1'efprit de rofficier & du feldat, puifqu'elles font écrites par des gens qui n'avoient aucune raifon de déguifer ce qu'ils penfüient, aux perfonnes a qui ils les adreffbient. Je conviens, Sire, que vos ennemis ont une grande fupériorité par leur nombre; mais vos talens militaires , la valeur de vos troupes fuppléeront au défaut d'égalité. Ce que vous appellez un miracle, je 1'appelle un événement heureux, procuré par votre pruderce & par votre courage; & cet événement arrivera tót ou tard dans le cours de cette cimpagne, pourvu que vous ménagiez votre perfonne & que vous réfiéchiffiez fars ceffe combien elle eft néceffaire au bien des affaires, qui ne peuvent a la fin manquer de prendre une face heureufe. Je fuis dans un étonnement dont je ne re.'iens pas, en voyant les nombreufes . flottes angloifes refter tranquillement dans la Tamife: nous voila bientót au commencement de Juillet, & elles font encore dans 1'inacVon. Je fuppofe qu'il y a des négociations entre PAngieterre & la Frunce ; la meilleute manière d'en preffer la conclufion , c'eft de faire agir cent vaiffeaux de guerre contre des gens qui n'en ont pas qui; ze & qui ont tout k craindre pour ce qui leur refte de leurs colonies. Les Fraijcois me paroiffent comme certains efpn'ts forts qui ne veulent pas fe confeffer pendant' leur maladie, mais qui font venir vingt prêtres lorfque ic médean leur annonce qu'elle eft moncLe; la fiotte angloife agiffanf, c'eft le médecin annoncant E &  io8 CORRESPONDANCE. la mort, & les prêtres appelles, c'eft la conctu> fion de la paix. V. M. a bien raifon de dire ma pttite expêrier.ce fur les affaires de 1'Europe, & quel eft, je ne dis pas Phomme, mais le demi-Dieu qui, voyant 1'amitié & la liaifon apparente de 1'Efpagne avec 1'Angleterre, les préteniions & les droits de 1'Efpagne fur plufieurs Etats d'Italie, ne renonce a toute réflexion politique, lorfqu'il voit cette même Et pagne faire venir de Naples & de Sicile a Barcelone tous les boulets, canons ccc. cc les autres provifions de guerre qui s'y trouvent. Vous favez, Sire, les raifons fecrètes de toutes ces démarches; mais auffi fi vous avez cet avantage fur les autres hommes, vous avez le défagrément de voir une quantité de démarches ,* de manoeuvres' & de négociations, oü le bon fens n'a guères plus de part que dans les ouvrages des théologiens. Je remercie encore de nouveau V. M. des porcelaines; faffe le Ciel que je puiffe bitntót m'en fervir, une fois, avant de vous voir, pour célébrer la première bataille que vous gagner. z, après quoi les renfermer jufques a ce que je les trunfporte a Potsdam, oü je vous verrai iranquille, heureux éc comblé de gloire! J'ai 1'honneur ccc. A Hetlin , ,7 Juin 1760* S i e e, Je viens de recevoir le beau & magnifique fervice«fe gorctlalne que V. M.'m'a fait 1'honneur de  CORRESPONDANCE. tof m'envoyer. Le delTein en eft charmant, la peinture trés - fine, & les fymboles dupyrrhonifme inventés avecgoüt. En voyant tant de bel les chofes, j'avouerai naturellement a V. M. que je les ai td'abord contemplées avec beaucoup de plaifir, mais bientót a ce mouvement de plaifir, en a fuccédé un de confufion, réflécbiflant combien peu je méritois que V. M. me fit un aufïï beau préfent. Oui, Sire , plus les graces dont vous m'horrorez font grandes, p'us elles me font fentir que je ne les dois qu'a votre bonté. Vous en agiffez cpmme Ie créateur.qui de laplus vile argile fe plalt quelquefois a forger un vafequ'elle rend précieux. Quelle gloire n'eft-ce pas pour moi que vous daigniez me témoigner une bonté qui pendant ma vie me faitobtenir 1'eftimede tous les gerisqui penfent, & qui dans la poftérité m'affure une immortalité a laquelle je n'avois point aflez d'anic ur piopre pour ofer prétendre par quelques foibies ouvrages. La faveur, Sire, que vous venez d'accorder a un philofophe auffi médiocre que je le fuis , fera aux yeux du public une réparation de 1'injure que le fanatifme & la foïie viennentdefaireen Francea la philofophie & aux grands hommes qui la cultivent. On les a joués publiquent fnr le théatre dans une comédie intitulée les Pkiiofophes. En vain les honnêtes gens fe font élevés contre cet énorme abus; les miniftres , les évêques , plufieurs magiftrats ont appjyé Ijs ennemis de lataifon , & 1'on a joué vingtfix fois de fulte la comédie des Philofophes, dans une des fcènss: de iaqueüe Rouffeau de Genève entrei E 7.  iio CORRESPONDANCE. quatre pieds futlethéatre comme une bete-, & vient foutenir fon fentiment fur 1'égalité des conditions. Ona vendu a Paris dans huit jours vingt mille exemplaires de cette pièce, dontun partifan de la philofophie a fait une critique fort ingénieufe, mais trop violente; elle parolt plutöt étre écritepar Iacolère que par la modération, qui faitle fond ducaracière de la véritable philofophie. Je 1'envoie a V. M.; elle pourra 1'amufer un moment. J'ai 1'honneur &c. a Berlin, ce 22 Juin 1760. Sire, Personne ne fent mieux que moi Iafituation embarraiTante oü fetrouve V. M. ,&fi j'avois moins de confiance que je n'en ai dans fes lumières & dans fa fermeté, je craindrois les événemens les plus iacheux. Mais, Sire, s'il vous faut des miracles pour vous tirer d'affaire , vous les faites ces miracles. N'en eft-ce pas un que de voir la Siléfieaprès 1'échec de Landshut, prefque vide d'ennemis ?N'efi> ce pas encore un miracle de vous voir devant Dresde détruire une partie des magafins des ennemis &tenir Daun dans un état de fufpeafion fur toutes les opérations qu'il avoit projetées? Les chofes femblent prendre une face plu* riante. Le Prince votre neveu, ce héros que vous aimez tendrement, a bientöt réparé la perte qu'il avoit elTuyée , & voila un corps de Frarcois totalement détruit ou prifonnier. Les Angiois viennert de gagner une bataille décifive dans les Indes orienta'es , ' & il n'y a auxun doute que  CORRESPONDANCE. iie Pondichéri ne foit pris, toutes les gazettes de Hollande le difent; mais quand même il ne le feroit pas encore , cela ne peut manquer d'arriver, & par le premier vaiffeau 1'on doit recevoir cette nouvelle: les Francois étotent déja dans le plus trifte état avant cette perte irréparable pour eux , que vont-ils devenir aujourd'hui ? Voici, Sire, Ie commencetnent des dernières remontrances du parlement, qui fontimprimées dans tous les papiers publics: II n'eft rien, Sire, de fi manifeft; que Vépuijement total des fi;ances; mais ce qui l'eft encore plus, c'eft l'iwpoffibüité di les rètablk: Voila comment on parloit en France avant la prife de Pondichéri, que dira -1 on aujourd'hui, oü la moitié du royaume qui avoit tout fon bien dans la compagnie des Indes eftréduitea 1'aumóne paria deftruaion & le renverfement total de cette même compagnie ? Les Angiois vont encore envoyer de nouveaux fecour3 en Allemagne C'eft a préfent qu'ils doivent faire les plus grands efforts , s'üs veulent avoir la paix, en faifant perdre toute elpérance aux Francois de pouvoir s'emparer de 1'éleétorat de Hanovre , & en vous donnant tous les fecours qui dépen • dront d'eux, pour vous empêcher de fuccomber fous vos ennemis. J;ai appris que le jeune Provencal a qui V. M. • avoit eu la bonté de donner de 1'emploi dans fon armée avoit été tué a 1'attaque du faubourg de Dresde; je 1'ai plaint, paree que c'étoit un très-honnête fcomm.ï; mais ce qui fait maconfolation , c'eft qu'il eft more au fervice de V. M. & en faifaa fon devoir. Je voudrois avoir i'age qu'il avoit, pouvoir être de  ii?. CORRESPOND ANCE, quelque utilité a V. M. & rifquer dix fois par jour fa fort qu'il a eu. Je meurs de douieur de me voir dans 'ces temps orageux un inutile fardeau de la terre-, moins Utile a fon maitrequeïemoindrepayfan qui conduic une charette de fourrage, ou quimèneles chevaux d'un canon. Ma caducité ne m'avoit paru jufqu'a préfent que facheufe, elle me femble aujourd'hui honteufe & déshonorante. J'ai 1'honneur &c. A Beriin, ce 25 Juillet 1760.- S i re, T. es nouvelles delaSiléfienousappprennentque V. M. y eft arrivée heureufement avec fon armée. Votre dernièrè kttre m'avoit jeté dans laplus grande confternation, paree que conno ffant combien vous vous expofez , je craignois qu'il ne vous arrivat quelque accident, s'il y avoit une bataille. Et que deviendrions - nous tous. fi nous avions le malheur de vous perdre! Depuis la lettre dontvous m'avez honoré, le Frince Hënri a chafféles Autrichiens , & fait lever le iiége de Breslau ; votre neveu le Prince héréditaire de Bronfrvic a battu & diffipé entièrement 1'armée francoifecommandée par M. du Muy, vous êtes arrivé en Siléfiëmalgrélesoppofitions de Daun. J'efpère que tout ira bien le refte de la eampjgne. J'aime bien mieux voir le théatre de la guesre dans un pays oü vous êtes entrefix ou fept glacés de guerre qui vous appartiennent,quedansla-  CORRESPONDANCE. 113 Saxe, pays ouvert & dont les villes font de peu dè réfiftance. J'ai un prefïentiment qui nes'efi jamais démenti, & qui me dit qu'il arrivera quelque événement heureux. SilePrinceFerdinand, qui avec le nouveau fecours qu'il a recu eft aujourd'hui auffi fort que les Francois, vient a les battre, cela vous mettra j raife du cóté de la Saxe, oüilpourroitalorsfaire un détachement confidérable. Enfin, Sire, pourvu. qua vous conferviez votre perfonne, tout fe rétabiira avec le temps. V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire que Glatz étoit perdu; mais 1'on affure ici qu'il n'y a que la ville de prife & que la citadelle n'eft point encore entre les mainsdes Autrichiens, & il femble par les articles de Vienne inférés dans toutes les gazettes, que la citadelle n'eft pas encore prife. Jö fouhaiterois bien que ce bruit fut véritable* mafs V. M. ne m'ay ant fait aucune mention de la citadelle, • je'crains bien qu'elle ne foit prife* Maisquand ce'aa feroit, voila auj'ourd'hui toutes les autres places délivrées, la faifon avapce', &dans fix femaines le temps des fiéges commence a pafTer, furtout fi, commej't m fuis convaincu, npus ne perdons point de bataille. Si nous en donnons une, nous la gagnerons: mais je donnerois, malgré cette idéé oü je fuis, tout ce que j'ai dans le monde, pour qu'il n'y etit point de bataütele refte de cette campagne. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 19 Aoflt 1760,  .Ti4 C0RRES.P0ND4NCÊ. SlEE, :L a joie que me caufe la nouvelle de la vic"toi-ré que V. M. vient de remporter eft fi grande, que je lui écris au milieu de la nuit dans le moment que j'en fuis inftruit. V. M. aura peut - être déja recu une de mes lettres que j'eus 1'honneur de lui écrire il y a tiois jours, dans laquelle je lui marquois que la crainte oü j'étois pour les dangers oü vous vous expofiez, me faifoit fouhaiter qu'il n'y eüt point de bataille, quöique je fuffe très-affuré que vous la gagneriez, s'il s'en donnoitune. La vérité a juftifié monpreffentiment, & je fuis convaincu qu'elle prouvera dans la fuite ce que j'ai tant de fois mandé k V. M. dans mes lettres, que vous viendrez k bout de furmonter tous vos ennemis. Mais au nom de tous vos fujets & de tous vosfidelles ferviteurs, je dis encore plus, Sire, au nom de cette gloire immortelle que vous vous êtes acquife, confervez votre perfonne dans laquelle rédde non feulement tout Ie bonheur de 1'Etat, mais encore fa durée & fa ftabilité. Jeprie V. M. d'excufer le peu d'ordre qu'il y a dans ma lettre; mais je fuis i vre de joie, & je puis protefter a V. M. que mon ame eft dans une fituation a ne pouvoir joindre deux idéés enfemble. Votre dernière lettre m'avoit accablé d'une douleur mortelle, jugez de 1'efFet que la nouvelle de votre viftoire a dü produire fur mon efprit. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce xy Aoüt 176a, a une heure après-minuit.  CORRESPONDANCE. ir$ Sire, J'e s p e r e que V. M. aura recu trois lettres que j'ai eu 1'honneur de lui écrire depuis la dernière bataille qu'elle a gagnée. Vous me mandiez il y a environ un mois quelaboutiques'enalloitaudiable. Depuis ce temps vous avez payéa vue les lettres de change de Laudon , vous avez acquitté celles de Beek : Hulfen votre commis en Saxe, a fatisfait aux différentes remifes du Prince des Deux-Ponts ;il me paroit que fi vous payez encore une feule dette avant le mots de Noverr.bre, vous ferez un des négocians dont iaboutique & les affaires font les mieux réglécs» La claffe de phyfique & de chimie a perdu fon Directeur par la mort de M. Eller. L'académie. en corps, les curateurs & les directeurs ont élu d'abord felon 1'ordonnance de V. M. & 1'amcje $me du reglement de l'académie, pörtant: LorfqiCun direcleur viendra a mourir, fa place fera donné-: a lanominatkn de tous hs académkiens a un membre penfionnaire de la claffe duiit direiïeur mort. En conféquence du règlement l'académie a nommé M Margraff, fans contredit le plus habile cbimifte de 1'Europe, grandpbyficien & que les académies de Paris & deLondresconfuitent comme un oracle. L'académie m'a chargé, Sire, comme directeur d'une claffe, d'inltruire V. M- de fon choix, & de fon exaftitude a fuivre les règlemens que vous lui avez fait prefcrire par feu M. deMaupertuis & qu'elle obfervera toujours avec la p'us grande rigueur, pour méritei de plus en plus pai foh  nó CORRESPONDANCE, ïèle pour 1'hönneur dès fciences & par fon obéiffance a vos ordonnances, la continuation de votre augufte protection. Il'meparoit, Sire, quevoiladegrandes&nobles pbrafés j & que parlant en directeur chargé ücs ordres de l'académie, je n'ai point leftyled'unaJgr^h/»/ar trra%t que le Juf dóntj'empruraai jadis £? le Jlyls £f le tnafque. V. M. a t-elle vu un petit poëme de Voltaire intitulé le pauvre diable? c'eft une pièce ford plaifante.mais remplie de traits fatiriques contre plufieurs auteurs qu'il n'aime pas; je 1'exiverrai par le premier courier a V. M> Je penfe qu'il importe fort peu aujourd'hui a Ia politique defavoiroü fe trouvelePrétendant; cependant je" crois devoir copier ici Partiele d'une lettre écrite a un de nos académieiens , Suille de nation', nommé Merian, intime ami de feu Maupertuis, & homme fage & de beaucoup de mérite. Cette lettre eft écrite de Bouillon auprès de Sedan. Nous avons ici un perfomage qui a bien fait du huit par fespréten* tions cïf dont iap'ftériiéparkraavantageufementjufqu'au moment de fa fottie de France ;il vit ici en boutgeois, je le vois fouveit; ma's je cefferai bientót de le voir, paree qu'il eft d'un caratlère infupportable. Ii tftfingulier de voir tatt de bizarrerie, de baffeffe & d'orgueil joints erfemble; ajiuteza-cela de mawaife humiur. J'attends, Su-e;desnouveIlesdelafantéde V. Mc avec le même emprefTementquéles Juifs attendentle Meflïe & les Janféniftes la grlce efficace. Si vous B'ayez pas le temps dem'écrire un mot, faites-moi fevoirparquelqu'un que vous vousportezbien. Voila:  CO RRESPÖNDJ NCE. ai? ■tont ce qui rn'intérefTe^ il me paroit que cela eft bien vite écrit: Le Roife portebien. C'eft tout ce que jfi veux fa voir. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 25 Septembre 1760. Sire, C^N-rte faÜToft être plus joyeux que je ne 1'ai été i Iai réception des deux dernières lettres que V. M. m'a fait la grace de m'écrire. Je commence enfin a conce» voir une véritable efpérance de vous revoir tranquille a Potsdam & a Sans - Souci, jouiffant en paix des fupiröe' embelliiTsmens que vous y avezfaits. Je ne faurois comprendre que les Frar cois pouvant faire autant de mal au Prince Ferdinand, ayent pris le partï de-fe retirer, de lui donner ie temps de ferétablir & de fe fortifierdans un bon pofte, s'ils ne regardoient pas Ia paix comme prochaine. D'ailleurs 1'inaftion de la flotte angloife me paroit s'accorder avec Ia retraite des Franco's. La facilité avec laquelle fe font vos levées contribuei a encore a la paix. V M. ne me dit rien del'échange; 1'on dit ici qu'il aura lieu , mais quel fond peut-on faire fur les gazettes, qui nous 1'annoncent comme étant commencé ? Je prends Ia liberté d'envoyera V. M. lecorr.pte des deux médailles d'or que M. Etchel doit lui avoir remifes. C'eft M. Su'.zer, !e chef des foufcdvans, qui me 1'a donné, & qui ayant avancé i'or, turoit befoin d'être rembourfé pour avoir de quoi battre les médailles d'argent. II y avoit trente un ducatt d'ör a chaque  zig CORRESPONDANCE. médaille, & puis il y a vingt cinq écus de la monnoie courante d'aujourd'hui pour la foufcription ducoin. Je prie V. M. de me faire fa voir oii cet argent doit être compté, paree qu'il a été avancé fur les fonds que nous avions des foufcripteurs, & 1'on ne pent pas aüer en avant fans cette fomme. Je comptois envoyer paree courier la tragédie de Tancrède de Voltaire. La verfification m'en paroit très-foible & profaïque, les iituations romarrefques & fouvent cortraires a la raifon; ilyadesendroits touchans & quelques beautés de détail; il a dédié fa p.ièce a la Pompadour ; cette épitre dédica/oire eft 1'ouvrage d'un vrai faquin. Cet homme devient tous les jours plus méprifable. Je ne puis avoir cette tragédie que demain , 1'exemplaire que j'ai lu ne m'appartenoit pas ; mais j'enverrai par le premier xourrier celui que doit m'apporter un libraire. . Je fuis bien charmé que V. M. foit contente de 1'hiftoire de de Thou. C'étoit un homme rempli de bon fens, ayant de Ia probitéék. desconnoiffances, & voila les principales qualités qu'il faut dans un hiftorien. J'ai 1'honneur &c F En Septembre 17É0. Sire', J'aubois eu 1'honneur d'écrire a V. M. dès le moment qu'elle eft entrée en Saxe & que la correfpondance avec fon armée a été rétablie; mais j'ai jugé qu'elle feroit d'abord fi accablée d'affaires, qu'il étoit  CORRESPONDANCE. 119 inutile que je joigniffe ma letttreatantd'autres plus importantes qu'elle aura recues. Je m'acquilte aftuel. lement, Sire, de mon devoir, & je vais lui écrire en peu de mots tout ee qui s'eft paffé, dans la plus exacte vérité & comme en ayantété témoin oculaire. Vers la Sn du mois do Septembre il arrivé un avocat de Glogau , nommé Sack, a Berlin , qui étoit envoyé du Général Tottieben pour terminer fes affaires avec le banquier Splittgerber. Cet homme ayant eu une converfation particuliere avec notre Commandant, celui-ci en parut frappé commed'un coup de foudre; pendant deux jours ilfembloit qu'il avoit apprislaplus terrible nouvelle. Enfin fa frayeur fe communiqua a tout Berlin , & comme on en ignoroit Ia caufe, le bruit fe répandit que V. M. avoit éte bleffée mortellement. Cette fauffe nouvelle jeta toute Ia ville dans la plus grande confternation. Quant a moi,j'en pris une fièvre avec des convulfions. J'avois recu une lettre de V. M. datés du 18; mafs 1'on difoit que vous aviez été bleffé le 19. Enfin pour mon bonheur & pour celui de toute la ville, M. Kceppen recut une de vos lettres datée du 21 & te cal me fut ré'tabli. Le lendemain tous les généraux s'affemblèrent, & 1'on fut que ce qui avoit cauféla frayeur du Commandant, étoit lacrainte d'une irrup» tion des Ruffes dans le Brandebourg. Trois jours aprè-s le Général Tott'eben parut a nosportes , & fit fomner la ville. Comme il n'avoit que des troupss irrégulières, on réfolut de fe défendre ; il tira des boulets rouges & des bombes depuis 5 heures du foir jufqu'a 3 heures dumatin. 11 iit donner deux affauts  3-2© CORRESPONDJNCjï. s deux différentes portes; mais H fut toujours repouffe avec perte par nos batailions de garnifon. lTfaut, Sire, que je rende ici lajuftice que tous les citoyens de'Berlin doivent au Général Seidütz & au Général Knoblochjce font ces deux hommes, tous les deux blefTés, qui ont paffé la tuita labatterie des port.es attaquées , qui vous ont fau é votre capitale; Ie vieux Maréchal Lehv/ald a faitaufli tout ceque fon grand age lui permettoit de faire. Le lendemain du bombardement le Prince de Wurtembergarrivaavec fon corps; mais il étoit fi fatigué, qu'on ne put attaquer les Ruffes que Ie lendemain ; on les pouffa jufqu'a Kcepenick, & on réfolut de les attaquer le lendemain; mus comme on apprit que les ennemis avoient été fortifiés du corps de Czernichef & de celui du Géi.éral Lafcy, on réfolut de feretirer & delaiffer capitulex la ville, qui furement auroit été prife & pillé par les Autrichiens, pendant que notre armée auroit attaqué les Ruffes. Le corps du Prince de Wurtemberg & celui du Général Hulfen défiièrent donc au travers de la ville pendant la nuit, pour fe rend; e a Spandau. La grande quantité de bagage qui devoit défiier fur Ie pont, un canon qui fe rompken» che min & quelques autres embarras furent caufe aue le fecond bataiüon de Wunfch fouffrit'beaucoup & que nousperdimesenviron cenfcinquantechaffeurs. En arrivant a Spandau le Prince ne trema aucun arrangemet dans cette place ; ce fut le Capitaine Zechün & quelques autres officiers qui difpofèrent les canons fur les remparts & qui tirent 1'office de eanonniers. Le Prince de Wurtemberg continua fon  CORRESPONDANCE. 12t fon chemin vers Brandebourg & laiiTa a Spandau le Capitaine Zechlin avec un bataillon de conva. lefcens: les Rulles n'ont point ofé attaquer cette place. Nous comptions de les avoir ainfi que les Autrichiens encore quelque temps a Berlin, lorfqu'ils fe retirèrenc avec la plus grande vlteffe & même avec confufion. Dans le temps qu'ils ont été dans la ville le Comte do Reufs, feul de vos miniftres qui ait ofé refter dans Berlin, a rendu a la ville bien des fervices, en agiffanC auprès des Gécéraux toutes les fois qu'il a été néceffaire de le faire, fans crainte d'être pris pour ótage; il a voulu fufqu'a la fin fe montrerbon citoyen. En patlant, Sire, a V. M. de ceux qui ont fait paroitre un véritable zèle pour fon fervice, je ne dois pag oublierl'Envoyé de Hollande,M. deVerelft. Lorfque) je verrai V. M. .j'aurai 1'honneur de lui dire tout ca qu'il a fait. En attendant, Sire, je puis vous affurec avec la plus grande vérité que s'il vivot deux cents ans, vous & les Rois vos fucceffeursnefauriez trop» lui témoigner de reconnoiffance. Vousenconviendrez , Sire , lorfque je pourrai parler Iibrement z V. M. Les Autrichiens ont arrêté, Sire, unelettra en date de Hermannsdorf du 27 Aotit, que V.M. m'avoit fait 1'honneur de m'écrire. Ils ont envoyó" 1'original a Vienne & en ont donné ici plufieurs copies; j'ai trouvé le moyen d'en avoir uné, que jo renvoie a V. M.: il n'y a rien que de grand, que da noble , que de vertueux dans cette lettre; elle a donné envieè plufieurs généraux autrichiens de me ccnnoitre, mais je n'ai voulu en voiraucun. Je me fuis informé de ceux qui les ont vus des difcours OftV. pcfik, de Fr. IL 1.2JU, S  1*4 CORRESPONBJNCE. qu'ils ont tenus. II femble par ceux du Général Erentano , qu'ils font un grand cas du Général Wunfch & qu'ils font charmés qu'il foit prifonnier. Vous favez déja fans doute,Sire,que 1'on n'a pas caufé ]e moindre dégit a Potsdam, ni a Sans-Souci. Quant a Charlottenbourg, on a pillé les tapifferies & les tableaux, mais par un cas fingulier, on a laiiTé les trois plus beaux, les deux enfeignes de Watteau & le portrait de cette femme que Pefne a peinte a Venife. Quant aux antiques, on les a feulemeni renverfées par terre ; les têtes & les bras de quelques-unes font caffés; mais comme onlesa trouvés auprès des figures, cela fera fort aifé a raccommoder. L'on n'a rien fait aux plafonds ni aux dorures. Le conciërge ayant été obligé de fe fauver en chemife moitié mort i Berlin, j'ai envoyé au momertoü les Ruffes fe font retirés un de mes domeftiques avec l'infpecleurdes tableaux de la galerie de V. M. Le tout a été remis dans 1'ordre. Le conciërge eft retourné aujourd'hui. Ainfi ce pillage a fait plus de bruit que d'effet; & aux meubles cc aux tableaux prés, tout peut être rétabli dans huit jours. II faut avant de finir cette lettre que je rende juftice a la ville entière de Berlin. J'ai entendu dire aux bourgeois, au peuple, a la nobleffe pendant le liége & après la réduclion de la ville ;que dira notr$ cher bon Roi! C'eft une vérité conftante que je n'ai pas entendu une feule perfonne fe plaindre de fon fort; mais l'objet public a toujours été de fon cher £f bon Roi. Confervez-vous donc, Sire, pour d'auffi braves gens que vos fujets. Tant qu'ils vous auront pour leur maitre, ils fe regarderont comme heuteux,  CORRESPONDANCE. 123 malgré les événemens de Ia fortunequine font point dans vos mains. Puifïe une paix honorable finir les alarmes publiques, & nous rendre a Betlin notre bm & cher Roi! Je fuis &c. P, S. Vous favez fans doute", Sire, la punitionqu» les Ruffes ont faite a nos gazetiers. Le pauvre Beaufobre, caufe innocente de tout cela, en a penfé mourir de frayeur. A Berlin, ce 19 Oétohre i?6 F 4.  528 CORRESPONDANCE. ques qui regardent le militaire font affez bounes; les autres me paroiffent ou fauffes, ou bien foibles, J'ai 1'honneur, &c. A Berlin. ce 23 Mars 17(11. SlKE, jEprer.ds la liberté d'envoyer a V. M. la lettre fur Voltaire dont j'ai eu 1'honneur de lui parler dans ma dernière lettre;on m'avoit repris 1'exemplaire qu'on m'avoit prêté , & je n'ai pu en avoir un chez les libraires qu'aujourd'hui. On débite ici des nouvelles facbeufes fur un echec que doit avoir eu 1'armée du Prince Ferdinand ; mais j'efpère qu'il n'y aura pas la moitié du mal que 1'ón dit. Si Caffel n'étoit pas pris, cela feroit bien facheux. Pour réparer ces mauvaifes nouvelles, on a la relation a Berlin de 1'avar.tage remportéparle Général Sybourg furl'atméedel'Empire; celacon. fole un peu de 1'échec des aüiés. Voici un avis, Sire, que le zèle que j'ai pour V. M. m'oblige de lui donner. Tant que M. de Catt fera auprès de vous, vous aurez un des plus honnêtes garcons qu'il y ait ; le fecret le plus profond fera gardé fur vos occupations littéraires, & la curiofité du public & de bien des particuüers ne fera point contentée, comme elle 1'a été autrefois; les pièces les plus fecrètes que vous avez compofées il y a quatre ou cinq ans, fontentrelesmains de centperfonnes. M. de Catt, Sire, ignore, & ignorera éternellement la juftice que je lui rends: mais j'ai' des  CORRESPONDANCE. 120 des raifons, plus effentielles peut-être que vous ne le penfez, pour vous donner cet avis, & vous pouvez bien croire que je ne vous parle pas de pat eille chofe en étourdi & fans fondement. Ne mettez jamais dans 1'intérieur de votre appartement qu'un homme que vous ayez éprouvé. J'efpère que V. M. jouira d'une bonne fanté, & qu'elle aura cette année fur fes ennemis tous les avantages que fa fermeté , fon courage & fa prudence méritent. Je fuis toujours convaincu que tout ira bien a Ia fin , tX que vous aurez la gloire, après avoir ré fi fté a toute 1'Europe, de faire une paix bonne & honorable. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce s8 Mars 176'; S i-re, V otbe édition va toujours grand train, & vous pouvez être affijré que vous 1'aurez vers le 1 2 dece mois. Nous fommes fort heureux d'avoir ici un exemplaire tel qu'il a été imprimé au chateau, car celui que vous nous avez envoyé de 1'édiiion de Hollande eft plein de fautes & de mots tronqués. Vois 1'avez lu a, la héte, & il vous eft arrivé ce qui arrivé a tous les auteurs; c'eft que fachant a demi par cceur leurs ouvrages , ils s'appercoivent moins que les autres des fautes d'impreffion ; dès que nous en troirJ vons une nous recourons a mon exemplaire & nous la corrigeons. Je ne fais, Sire, fi vous favez que les mimflrs* F 5  13© • CORRESPONDANCE. x. * Sire, J'a 1 eu 1'honneur d'écrire è V. M. par Ia voie d*a Commandant de Glogau. Je ne fais fi elle aura recu ma lettre. Je lui aurois écrit de nouveau, fi je n'avois voulu être certain auparavant d'une nouvelle a laquelle je ne pouvois ajouter foi. Lorfque j'ai fu qu'elle étoit véritable, je me fuis dit a O *  143 CORRESPONDANCE. moi-même ce que je voudrois que vous vouï diifiez pour vous confoler: c'eft que, quelque génie que vous ayez, vous n'êtes pas un Dieu, § tju'après avoir agi avec toute la prudence humatne, vous ne pouvez ni empêcher, ni prévoir des chofes qui paroifient abfolument impoflibles. Voi-. la , Sire , ce qui vous regarde perfonnellement dans la perte de Schweidnitz; mais comment une gamifon a-t-elle pu être forcée dar.s deux heures de temps dans une ville qui médiocrement défendue doit tenir trois femaines de tranchée ouverte? Je ne condamne perfonne, paree que je ne fuis inftruit que par des bruits publics & par le rapport de plufieurs'foldats de Ia garnifon de Schweidnitz , qui ont trouvé Ie moyen de fe fauver & qui font venus a Berlin. Mais quand je penfe qu'avec deux bataillons de milice nous avons tenu cinq jours a Berlin contre plus de'trente mille hommes foutenu deux aflauts, & qu'enfuite de cela je vois Drefde pris fans tirer un coup de canon, douze mille hommes fe rendant prifunniers a Maxen, & le Général Wunfch qui avoit percé, obligé de retourner fur fes pas par 1'ordre de fon Général, Schweidnitz enlevé dans deux heures, Glatz pris dans quatre, je ne trouve plus fi extraordinaire la facon dont les Angiois ont agi avec TAmiral Bing, Je Ie répète encore, je ne juge perfonne, paree que j'ignore la caufe des événemens; mais celui de Schweidnitz eft fi extraordinaire, qu'il eft impoffible que tous vos véritables ferviteurs n'en foient •utrés de douleur. Je fuis perfuadé, Sire, que vous  CORRESPONDANCE. Uf ne tarierez pas a réparer ce flcheux accident; mais il eft bien mortifiant que vous foyez occupé toutss les ca npagnes a -réparer des fautes oü vous n'avez point de part. Les affaires vont fort bien dans laPoméranie, & la jonction du Général Platen avec le Duc de Wurtemberg n'a pas coüté trente hommes, pas un feul chariot de bagage, ni de vivres. Voila ce qui s'appeüe un homme que ce Platen! Les Autri» chiens qui écoient a Halle fe font retirés cu par défTus tête a Tapproche du brave Général Seidlitz, qui a donné deux fois les étrivières cet été a 1'armée de TSmpire. Je ne dis rien a V. M. du Prince Henri, qui' s'eft conduit, pendant le temps que vous étiez entouré, avec la prudence de.M. de Turenne, & qui nous a toujours fait aflurer a Berlin , que nous n'avions rien a craindre. Les Francois fe font préfentés de nouveau devant Wolfenbuttel & ils bombardent cette place • lis ont fait en Oft - frife des cruautés & des exactions cent fois pires que celles des Cofaques. Le Prince Ferdinand a détaché un corps pour les chiffer du pays de Bronf.vic. Les Angiois ayant rappelé leur miniftre de Paris, agiront apparemment avec leur flotte, qui a refté tranquilleme.it toute la campagne dans les ports de Yarmouth & de Pieimoutri. II faut convenir que les Francois fe font bien moqués des Angiois avec leurs prétendues négociations; ils leur ont fait perdre tous les fruits qu'ils auroient pu retirer pendant la campagne de G 3 '  25e CORRESPONDANCE. leur force maritime. Cette conduite défeft ére teus les partifans de la bonne caufe. J'ai 1'honneur &c. f A Berlin , ce ia Octobre 1761. Sire, Je crois que V. M. aura recu deux letttres que j'ai eu 1'honneur de lui écrire depuis le commencement de ce mois, une par Ia voie du Commandant de Glogau, & 1'autre par la pofte ordinaire. Comme je n'ai aucune nouvelle de V. M., je fuis dans une grande inquiétude que fa fanté ne foit altérte par les fatigues & par cette mauvaife faifon. Les Francois ont été chaflés & battus devantBronfwic, ils en ent levé le liége & ont abandonré tout de fu.te Wolfenbuttel. Cette fuite leur coüte. autour de douze cer.ts hemmes bies philofophes épicuriens eft infiniment rneilleure' que celle des théologiens; que toutes les préten» dues raifons philofophiques par lefquelles ils prétendent expliquer la nature divine & celle de 1'ame;, font des ballons enflés de vent. J'ai admisvérités de la religion, paree qu'elles étoient révé» léés; je rendrai bon compte de cette révélation* dans ma traduction de Timée de Loeres, & je la' tirerai au clair. Mais en détruifant tous les raifón»nemens des théologiens, il falloit, pour ne pas faire crier les fanatiques & les imbécilles, ne paitoucher a la frêle refiburce de la révélation, èfc je m'en fuis même fervi avantageufementpeur détruire toutes les objeétions philofophiques desdévo's. J'ai déja mandé a V. M.- ce qui m5a»fah; entreprendre cet ouvrage ;' j'ai été indigné deslibelles que les janféniftes répandent a 1'envi'- des uns des autres contre les phi'ofophes, & fiUJ&SfC contre ce qu'ils appel'ent la fociété ptnJJJenm. Lsmauffads & ridicule ouvrage intitulé- l'A-üi- &M>. ■Ss,ici ,a achevéde me mettre demauvaifc BDMP^  IJ6 CORRESPONDANCE. & j'ai voulu une fois pour toutes démafquer ui tas de faux dévots & de fcribes mercenaires qui mérhent d'être I'opprobre de tous les hor.nêtes gens. J'ai été obligé d'abandonner la Mettrie j c'eft un enfant perdu qu'il m'a fallu facrifier dans le combat;mais s'il eft devenu une victime néceffaire, j'ai bien arrofé fon tombeau du fang des théologiem; & j'efpère qu'a 1'avenir on ne dira plus avec 1'auteur-des nouvelles eccléfiaftiques, qu'on peut juger de la facon de penfer du philofophe de Sans - Souci & des gens de lettres qui 1'approchent, par les ouviages du médecin la Mettrie. Je n'ofe. me flatter que mon ouvrage puiffe mé liter 1'eftime de V. M.; je connois trop fes lumières & la foibleffe de mes talens. Mais enfin, en faveur de mon zèle pour la bonne caufe, j'efpère qu'elle fera indulgente & qu'elle me pardonnera les défauts qu'elle n'appercevra_que trop fouvent dans mon livre. Ce qui peut m'arriver de plus heureux , c'eft que vous me jugiez , Sire, non fur mon ouvrage, mais fur la vo'onté que j'ai eu en le faifant. J'ai 1'honneur &c. P. S. Je ptie V. M. de lire le difcours préli. minaire pour prendre une idéé d'Oceüus & de fa philofophie. A Berlin, ce 12 Noverrb-e 1761. SlKK, J'a i lu vos vers avec admiration, & vous me les avez envoyés dans un temps oü il ne falloit pas  CORRESPONDANCE. 157 moins que le plaifir qu'ils m'ont caufé pour foulager 1'abattement oü m'ajeté un miférable mal d'eftomac qui me Iaiffe a peine 1'ufage de la penfée; mais je prends patience, & lorfque je fouffre ou que je languis je répète ces vers: Quoi! vous ne voyez pas qu'ici-bas Ia fouffrance, Sans eonnoitre de rang, de roture ou naiffance, Atteint un criminel, ainfi qu'un innocent? Chacun s'y voit fujet, & nul n'en elt exempt. Je puis aiTurer V. M. qu'a mongré & felon mon frêle jugement je n'ai pas vu un de fes ouvrages oü ily ait plus de force & de correftion que dans ce dernier. J'ai réfolu de 1'apprendre par cceur, car c'eft un véritable fecours dans tous les événemens de la vie. Je penfe bien, ainfi que V. M., que tous ces anciens philofophes grecs ont été de trés-mauvais phyficiens; mais voulant donner dans les difieitations que j'aijointesamatraduétion une idéé des différentes opinions des philofophes , en montrant Ia foibleiTe des anciens , je relève la pénétratioD des modernes. Ocellus avoit peu de raifon de croire Ia tranfmutation des élémens: miis les épicuriens parmi les philofophes anciens nièrent cette prétendue tranfmutation, & Bosrhaave en prouva de nos jours rimpoflibilité par les plus curieufes expériences chimiques; & cela fait Ie fujet de la note oü j'examine Ie fentimeni d'Ocellus, de 1'opinion duquel je ne fuis prefque jamais. V. M. verra que j'ai précifément dit dans la diffsrution fur 1'éternité G 7  tg! CO R RESP ö N~D ANCE. du mende ce qu'elle auroit fouhaité qu'Ocetlus euï" dit. Si V. M. me fait la grace de lire mes differtations, elle verraque je n'ai pas fait la fauce pour le poiffon. mais que j'ai cuit le poiffon peur avoir le prétexte de faire la fauce. Paffez-moi , Sire , ce mau -ais proverbe, paree qu'il explique bien 1'idée que j'ai eue en traduifmt Ocellus. Voici des temps qui me font trembler pour la fanté de V. M. Votre dernière lettre a un peu calmé mon inquiétude, car lebruit s'étoitrépandu a Berlin que "ous aviez la goutte. J'efpère que vous prendrez des précaut'ons qui vous en garantiront pour tout 1'hiver. J'ai vu les préfens que vous envoyez a la Porte GttomEtrne. On ne peut rien faire de plus riche de plus fuperbe & en même temps de plus galant. Si cela produit un bon effjt, je ne regrette point les fommes que peuvent couter cas préfens , qui furement font plus confidérables que ceux que laFrance donne dans cent ans.. J'ai 1'honneur &c; A Berlin, ce 20 Novembre 1761. S i e e , J_,e conté que vous m'avez fait 1'honneur de m'en- voyer eft bien écrit & bien verfifié; mais i! ne manqueencore qu'une corde au violon , &■ l'habile artifte k qui il appartient, en jouera enroreparfaiten>ent& ne fouffrira p3s qu'on coupe les autres; c'eft de quoi je fuis très-affuré j & ce n'eft pas fa faute fi 1'on a coupé ia première»  CORRESPONDANCE. iS5E, Vos changemens dans le Stoïcien font plutót des variantes que des corrections; car il y a des premiers vers que j'aime bien autant qua les autres; enfin les uns & les autres font fort bons. J'ai trouvé deux endroits dans les changemens qui ne me paroiffent pas corrects. JJai vu George & Augufte , & le Czar, prince atroceJ'aï vu George & Augufte &c. il y a Ia une efpèced'hiatus; Gsorge & va fort bien, mais rjf Augufte, malgré le t qui ne fe prononce pas dans le mot, forme une efpèce d'hiatus; c'eft la le defaut condamné par Boileau: Gardez qu'une voyelle a courir trop hatée, Ne foit dans fon chemin d'une voyelle heurtée. Enfin, Sire, vous êtes maitre en Jéfufalem. Cen'eft pas a. un petit fcribe comme moi a condamner legrand maitre du tempte , a qui tous les myftères de fanftuaire font connus; mais il me femble que ce vers devroit être changé; voici 1'autre endroit oü je trouve a redire, il ne s'agit point de pöëfie , mais de la conftruction grammaticale: Quoi! ne voyez- vous point qu'ici-bas la fortune B.efpecle ni vertu, ni pouvoir, ni naifTance. il faut abfolumen Ne refpeiïe ni vertu etc. la fuppreffion de ne eft une trop, grande lieence. Voila, Sire, tout ce que la critique la plus aufters apume faire découvrir dans votre Stoïcien,qui felon> mon foib.'e jugement eft la rneilleure chofe que vous, ayez faite, parmi tant d'excellentes que vous avezs graiuitei.  iGè 'CÖRRÈSPONDANCÈ. II eft arrivé ici une affaire dont lerécit vous amufera peut-étre.- Porporini a été accuféparunefille de lui avoir fait un enfant; il a été condamné en juftice a payer a cette fille cent écus & a nourrtr 1'enfant dont il a été déclaré le père. Bien loin que Porporini ait appellé a un autre tribunal de ce jugement, il a d'abord payé les cent écus, a recoanu être le père de cet enfant, qu'il apris & qu'il fait élever chez lui, & a été remercier fes juges de ce qu'ils avoient eu Ia bonté de réparer le dommage que lui avoient fait les chirurgiens de Venife. Cette aventure fait rire toute la ville. Je n'ai pas encore vu Porporini, mais je 1'ai fait prier de pafier aujourd'hui chez moi On dit qu'il eft dans lajoiedefoncceur d'être déclaré père aux yeux de tout 1'univers. J'ai prié , Sire, le Commandant d'envoyer en chiffre a V. M. une lettre qu'un homme porté de la rneilleure volonté m'a écrite. J'aurois mandé a V. M. tout de fuite 1'original de cette lettre; mais comme il me paroit que les poftes ne font pas extrêmement füres, j'ai mieux aimé prendre la voie du Commandant. Si V. M. ne croit pas avoir befoin de 1'offre que fait 1'auteur de cette lettre , elle verra cependant qu'il y a des gens qui lui font véritablement affection nés , & cette perfonne' eft digne de louange a cet égard. Quoique je fois affuré que V. M. n'a aucun befoin de 1'offre de cet. homme, je penfe qu'elle fera fort bien del'en faire remercier gracieufement par Ie Commandant; car 1'on ne fait pas ce qui peut arri ver dans les années prochaines, & Ia perfonne doi.tje parle a v. M. s'eft conduite cet été dans une ou deux  CORRESPOND ANCE. Ml fimationsqui paroiffoient délicates, avec 1'approba* lion & a la grande fatisfaction de tous l'es citoyens, & furtout de quelques uns des plu; utiles a 1'Etat. V. M. aime Ia vérité & ne trouve pas ma.uvais que les gens qu'elle connolt lui être dévoués de cceur & d'arne, lui parient fincèrement. Ainfi, Sire,-je fais que V. M. nedéfapprouverapasquejeprennelaliberté de lui dire naturellement ce que je penfe ce a fujet. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 8 Decembre 1761.' Sire, J'a rjEois eu 1'honneur d'écrire il y a dix jours & V. M.; mais j'ai cru que je n'aurois jamais plusce bonheur. J'ai eu une inflammation caufée par mes maudites crampes, & 1'on a cru pendant trois jours que j'étois hors de toute efpérance. A la fin après quatre faignées.une boifibnd'eaudequir.quinapour éviter la gangrène , & une légere médecine quand Ie mal a été calmé, je fuis hors d'affaire pour cette fois. J'avois regardé comme un conté ce que 1'on débitoit fat 1'acVon affreufe de Waikotfch & duprêtre catifolique; mais quand j'ai vu la citation de ces deux miférables dans les gazettes , que j'ai appris. qu'ils avoient été arrêtés tous les deux & qu'on les avoit laiffé échapper, je me fuis écrié, ö Fréderic ! comment êtes - vous fervi, pendant que vous fervezfi bien vos fujets & la patrie! Gottskowsky eft venu chez moi meparlerde fon affaire, 11 eft fort trifte, paree que fou crédit paroit  Ï62 CORRESPONDANCE. foüffrir beaucoup del'aventuraqui lui eftarrivée. IF m'avoit prié de vous écrire a ce fujet, iruis ma maladie eft venue pendant ce temps. II me parelt par les raifons qu'il m'a dites qu'il eft innocent & qu'il étoit véritablement dans la bonne foi. II m'a témoigné que cette affaire 1'obligeroitpar Ie dérangement qu'elle lui caufe d'abandonner une partie de fes fabriques: je lui ai dit de bien fe garder de Ie faire , avant qu'il ent de V. M. une réponfe ; il m'a promi's qu'il ne prendroit aucun arrangement jufqu'alors. Les Angiois , par les manreuvres qu'ils font, trouweront le fecret avec trois eens foixante vaiffeaux dc gua're de Iaiffer fortir huit miférables vaiffeaux & fixfregattes duportdeBreft , qui les empêcheront de prendre la Martinique: il faut qu'il y ait un démon déchainé des enfers qüi fe méle de toutes ces affaires. Le feul chagrin que j'ai ois fi j'étois mort ily adix jours, c'étoit de ne plus vous revoir, & ma confolation étoit de quitter un monde auffi abominable & auffi infenfé. J'en dirois davantage, mais la foibleffe dont je fuis encore m'en empêche. J'ai 1'honneur &c. A Eerlin, ce 39 Décerebre 17(11. Sire, La foibleffe m'empêche d'écrire, dans ladernière lettre quejvu 1'honneur de vousenvoyer, bien des chofes dont je ne pms croire qu'elle foit véritablement inftruit. La douleur oü je fuis de voir comment vous êtes fervi , me rend Ia vie a charge. Vous  CORRESPOND ANCE. 163 connoiffez, Sire, mon ïèle pour vousjjugez dónc de 1'amertuHie dont mon cceur eft rempli, quani je fuis convaincu & quejevoisde mes yeux que toutes les foctifes qui nous ont fait perdre Colberg & la moitié de la Poméranie viennent, ou des brouille, ries, ou des mauvaifes manoeuvres des gens en qui nous avions ici toute notre efpérance. Si vous aviez envoyé, Sire,en Poméranie une de vosbottes, ou que votre frère le Prince Henri eüt envoyé une des fiennes pour commander , nous aurions encore Colberg. L'un va au fecours de 1'autre & lui mène douze mille hommes fans convoi , qu'il pouvo't prendre trés- aifément avant queButturiinfut arrivé en Poméranie ;il s'enfuit de cela que le lendemain arrivé a Colberg il eft obligé de repartir avec fon corps , pour aller chercher a manger; il fe laiffe couper, perd ehemin faifant le corps de Ksobloch & eft caufe que ce Général eft fait pr.ifonnier. L'autre, qui étoit refté devant Colberg, fait encore pis ; il abandonne fes retranchemens fans les détruire. po r faciliter k Romanzow le moyen de s'y placer 5 il laiffe les prifonniers ruffes dans Colberg, pour acnever d'y confumer les provifions; il perd deux mille hommes dans des attaques inutiles, & enfin, pour couronner 1'osuvre, il fe laiffe enlever a Stargard trois efcadrons& les timbales du régiment. Jenedis ici a V. M.que ce que tous les officiers & foldats du corps qui eft ici , publient bautement. Malgré les fatipues énormes que ces gens ont effuyées, ils font tous pleins de bonne volonté; ceu'eft pas le courage qu-i leur u.anque, ni le zèle go- s le f» vice de V. M.  16\ CORRESPONDANCE. Ho! que vous avez bien eu raifon, Sire, de m'écrire plufieurs fois dans vos lettres quecene feroientpas les bras qui nous manqueroient , mais les têtes! Jamais prédiétion malheureufement plus véritable. Mais enfin , Sire , tout cela peut fe réparer. Le grand article c'eft la fanté de V. M. Voici qu'elle va avoir un peu de repos. On m'a dit que vous aviez eu une groffe fluxion dans la tête. Avec Ia fatigue énorme que vous avez effuyée, comment cela peut-il être autrement ? J'efpère que la cbaleur & la tranquillité auront guéri cette douleur. Donnez-moi pour 1'amour de Dieu des nouvelles de votre fanté. Quant a moi, je commence a me remettre un peu, & eu égard a la dou'eur dont mon cceur eft pénétré, je ne me porte que trop bien. J'ai 1'honneur &c. A Berlin ce 30 Décembre 17C1. Sire, Je viens de recevoir dans ce moment les deux pièces que V. M. m'a fait la grace de m'envoyer; elles font parfaitement écritesjje les ai d'abord lues deux fois de fuite , & j'ai trouvé deux vers qui ne font pas défe&ueux, mais dont 1'un me paroit foible, & 1'autre contient un terme dont un Romain n'a jamais pu fe fervir , car il n'a été inyenté que dans le premier fiècle du chriftianif ne. Le premier de ces vers eft dans Othon & le fecond dans Caton. Au moins k cette fois je puis vous être utile.  CORRESP ONDANCE. 16$ Au moins a cette fois me paroit profaïque; d'ailleura il feroit plus correct de dire au moins cette fois je puis vous être utile, mais le vers ne s'y trouveroit pas; cela eft très-aifé a changer. Quant au fecond vers, il eft trés - beau: Oui, glorieux martyr de Rome & de fes lois... • Mais le mot de martyr ne fut jamais connu de Caton: c'eft un terme né dans les perfécutions que fouffrirent les chrétiens. On peut bien s'en fervir aujourd'hui , paree quel'ufagel'aétabli; ainfi 1'ondira, il eft le martyr de la dureté d'un tel, il eft le martyr de fon entétement &c.; mais dans la bouche de Caton ce mot ne me paroit pas bien placé , furtout quand c'eft Caton qui parle, & qui parle a d'autres Romains. Voila, Sire, ce que la critique Ia plus févère apu me fournir fur deux pièces véritablement excellentes, & trés-bien verfifiées. Je viens, Sire, a ce que V. M. me fait la grèco de me dire au fujet de mes prédirftions deLeipfic: elles ont été trés - vraies, car vous aviez fait Ia plus belle campagne qu'on pfit faire. Mais a coup fur , ni moi, ni qui que ce foit dans lèmonde, ne prévoira qu'un homme laiffe emp'orter une place défendue par trois mille hommes dans une heure de temps. Car enfin, je fuppofe qu'il eut été attaqué dans les formes & qu'ayant huit mille hommes de garnifon, il en eut perdu cinq a la défenfe de fes ouvrages extérieurs, ne mériteroit- il pas d'être puni, fi ayant encore trois mille hommes ilrendoit faplaceavar.tquelabrèche fut faite au corps de la place? Etqucn'a-t-ildéfendu «e même corps de !a place, s'il étoit trop foible pou?  ï6S CORRESPONDANCE. garder fes ouvragesextérieurs ? Non, cela eft inconcevable, qu'un homme fe laiffe forcer derrière un rempart flanqué de baftions, avec un bon foffé en avant de cejnême rempart. Voila , Sire , ce que furement je n'avois pas prévu & que je ne prévoirai jamais. V. M. me parle du commiffariat de Ia Poméraaie; e'.le doit ére cent fois mieux inftrtüte que moi, ainfi je n'ai rien a dire; mais ce commiffariat n'étoit pas en dernier lieu dans le Mecklenbourg a Malchin. Si j'avois moins de zèle pour V. M., tout cela m'afHigeroif moins, mais je meurs de douleur quand je vois que les foirs , que les fatigues que vous prenez, que les bonnes &glorieufes chofes que vous faites, font détruites, oupar les étourderies, oupar le peu d'expérience des autres. Dans tous mes chagrins je n'ai qu'une confolation , c'eft de favoir que vous vous portez bien; pour la crainte des ennemis je n'en ai aucune ,& je refte toujours dans la parfaite conviftion qu'après.tantd'événemens ficheux il faut a la fin qu'il arrivé quelque coup heureux qui remette toutes les affaires dans un bon état. Voila la guerre déclarée entre les Angiois & les Efpagnols; j'en fuis bien aife, & je crois avoir de bonnes raifons pour cela. Les Angiois n'ont plus de paix particulière a faire, & Dieu fait a la longue ce qu'ils auroient pu conclure, féduits par lesceffions que leur offroient les Francois; d'ailleurs avec deux cents vaiffeaux ils font reflés les bras croiféstoute Ia campagne paffee & fe font laiffés duper & amufer par le miniftère de Verfailles, quj cherchoita faire föa  CORRESPONDANCE. só? traité avec les Efpagnols. Je crois qu'ils penferant difFéremment aujourd'hui. Ce qu'il y a de bien eertaiu, c'eft que vous leur devenez actuellement pour le moins auffi néceffaire qu'ils vous le font, & cela par cent mille raifons que V. M. connoit fans doute cent fois mieux que moi. V. M. vit folitairement, je n'en doute pas; mais certainement fi elle refiemble a un chartreux, je puis bien dire que je fuis un père de la Trappe. II y a au pied de la lettre huit mois quejene fuis pas forti une feule fois de mon appartement. Heureufement je fuis fort bien logé, & j'étourdis mon chagrin a force de lire les gazettesangloifesquejemefaistraduire, & des livres grecs que j'étudie pour pouvoir les entendre. J'ai 1'honneur &c. a Berlin, ce 19 Juin 17C2. i SlXE, Vo tse dernière lettre a augmenté mon inquié-' tude; & les embarras dont je vous vois pour ainfi dire accablé, me font craindre qu'a la fin votre fantè ne s'a'tère entièrement; mais la nouvelle que vous aurez recue fans doute peu d'heures après que vous avez écrit la lettre que vous m'avez fait 1'honneur de m'envoyer , vous aura convaincu que la Fortune changera a la fin fes rigueurs & qu'elle vous favorifera avec autant de gloire qu'elle 1'a fait autrefois. Enfin voila dans 1'empire de Piuton quelqu'un qui n'en reviendra plus pour augmenter le feu de la aifcorde. Cette nouvelle nous a tous furprisd'autanl  m CORRESPONDANCE. plus qu'aucun de nous ne s'y attendoit; on 1'avoit débitée tant de fois fauffement, qu'on croyoit quand on 1'apprit ici que c'étoit un conté. Le Général Seidlitza fait deux mille prifonniers dans la dernière affaire qu'il a eue avec 1'armée de 1'Empire; cela vaut mieux que des prifonniers autrichiens , puifque c'eft prefque autant de recruesque dé prifonniers. II y avoit longtemps que Je foupconnois les horreurs & les perfidies dont me parle V. M.; mais enfin quand lesmaux qu'on a voulu nous faire n'ont pas eu lieu, il faut ne s'en affliger qu'autant qu'on auroit a les craindre pour 1'avenir & je vois les chofes dans unefituation oü il eft impoffibleque la m'auvaife volonté de certaines gens puiffe avoir lieu, du moins pour le préfent. J'ai fait une grande marqué a mon almanach au jour que V. M m'a fait la grice de m'annoncer & que je ne penfois pas encore fi prochain. J'ai eu 1'honneur de Ie dire fouvent a V. M.; tout ira bien i la fin , pourvu qu'elle jouiffe d'une bonne fanté & qu'elle puiffe agir. V. M. faura fans doute que les Francois doivent avoir remis le 6 de Décembre Fort - Mahon entra les mains des Efpagnols. S'il leur prenoit fantaifie aujourd'hui de faire la paix, qu'auroient-ils a donner en échange aux Angiois ? Je ne vois point aucun moyen pour eux d'en venir a un accommodement,' que. la guerre n'ait ou augmenté leurs pertes ou amélioré leur état préfent. On a découvert que 1'Envoyé de Danemarck favoit  CX) RRESPONDANCB. 169 / ïavoit trois jours plutót Ia mort de 1'Impératrice de Rufïïe que 1'on ne 1'a apprife par tous les couriers qui foat arrivés ici , dont le premier ne vint qje le mardi matin, & le dimanche auparavant 1'Envoyé dit a quelques perfonnes: il eft mort une des priacipales têtes couronnées de 1'Europe. On eut beau le preffer , il ne vouiut pas s'expliquer davantage. J'ai 1'honneur &c. a Rerlin , ce - 2 janvier 1762. Sire, V. M. peut bien penfer quelle doit avoir été ma joie e.j recvant fa lettre: c'eft le jour le plus heureux de ma vie. J'ai toujours étéperfuaié qu'a la fh tous les projets de vos ennemis s'eri iroient en fumée ; mais je craignois qu'avant qu'il n'arrivat quelque événement décifif, vous ne fuc•combafïiez fous les fatigues que vous a/ez eflUyées depuis fix ans. Enlin , après un orage épouva iiable Ie calmi eft re?enu , & je connois trop i'étendue de vos lu.nières, pour ne pas être aiTuré que ojs profiterji autant qu'il vous fera podiiie du tour heureux que prennent les affaires. Voj devriez bien par pitié me donner encore quelque bonne nouvelle. J'ai déja relu fans exagératio.i depuis fix heures trente fois votre lettre ,& avant que la jouméa finiffe.je i.irelirai b en encore autant de foi-, Mais il me fem ile que vous ne m'avez dit que Ia moitié dei chofes nejreufes qui font arrivées. Vous m avea traité comme un maladequi par fa foibloffe ne peut Üeuy. poftli, de Fr, 11. T. 7UU, H  170 CORRESPONDANCE. pas encore foutenir tout a fait le grand jour. Danste fond vous r'avez pas mal agi pour ma pauvrecervelle, car encore un degré de f lus de plaifir, je n'aurois pas répondu d'elle. O! fi j'avois a préfent le bonheur d'être auprès de V. M., que je lui dirois de chofes! II s'en préfente tant a mon efprit, que je crois que je pounois en faire un gros volume in - folio. Je voudrois bien vous en écrire ici quelques unes ,mais j'attends pour cela votre première lettre. J'ai encore befoin d'un élixirqui achèvede rétablir entièrement ;mes forces. JereflVmb'eacesmalades.quiayant été longtemps entre la vie & la mort, ont peine a fe perfuader qu'ils n'ont plus de rechute a craindre. J'attends donc encore une ou deux lignes de V. iVl , pourmslivrer entièrement a cette joie vive qui nous fait goüter dans ce monde terreflre les plaifirs que les dévots fe promettent dans le célefte. II dépend donc, Sire, de V. M. de me mettre au rang des bienheureux & de me canonifer tout vivant, chofe que tous le6 papes du monde ne fauroient faire. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 2 Fevrier 1761. S iee, J'a t t e n d s 1» première lettre deV. M. comme les Juifs attendent le Meffie ,& k vous dire Ie vrai, j'ai grand befoin d'un peu de confolation; le batiment croule de tous cótés , je fuis toujours ineommodé depuis ma dernière maladie, & fi je n'étayepas n;i peu monpauvrecorps, iltombera bientótparterre.  CORRESPONDANCE. 171 "'T'aurois befoin de faire des remèdes , mais pour qu'ils agiffent il faut un peu de gaieté. J'efpère que par la première lettre V. M. m'en donnera beaucoup. Les Autrichiens affectent de répandre danspref- ■ que tous les papiers publics que vous penfez a faire la paix avec eux. J'ai lu dans les articles de Vienne qu'ils ont envoyé un nouvel amballadeur oii vous envoyiez ce que j'ai vu il ya trois mois a Berlin. Je penfe qu'ils ne font courir tous ces bruits que pour faire accroire a certaines gens que vous ne les affifterez pas s'ils viennent a fe déclarer, & que vous avez offert de vous accommoder avec la cour de Vienne. Je me défie de tout après ce que j'ai vu. Les directeurs de l'académie font venus chez moi, pour me charger de prier V. M. de vouloir bien permettre qu'un de leurs mgmbres .c'tftM. Sulzer, excellent citoyen, & SuilTs de nation, puiffe faire un voyage de deux ou trois mois chez lui, pour y régler quelques affaires domefliques. Ce M. Sulzer eft après M. Euler ce qu'il ya de mieux aujourd'hui dansl'acaJémie; il eft grand littérateur & bon géomètre. Ajoutez a cela qu'il n'a pas un fois depenfion de l'académie; il s'eft pourtant fagement foumis au réglement que nous avons fait a l'académie , que pendant la guerre aucun académicien ne pouna s'éloigner fans une permiffion de V. M. Je prie V. M. de me répondre un mot fur 'cet article; car nous ferions une perte irréparable, li cet homme, qui n'a point de penfion , difoit qu'il ne veut plus être membre ordinaire. En vous écrivant tout ce long détail, j'a Ia fièvre, & ma lettre eft bien digne d'un H 2  172 CORRESPONDANCE. homme qui ne jouit que de Ia moitié des facu^tésde fon ame. Je voudrois pouvoir , s'il m'étoitpoffible vous parler un peu Iittérature; mais dans le moment préfent j'en raifonnerois comme un homme qui n'a pas le fens ccmmun. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 12 FeVrier 1762. SlKE, o u s faites des miracles auffi grands que ceux du Meffie. Votre lettre a produit fur moi le même efFet que les paroles du Seigneur fur leparalytique, prends ton Ut, vas-t-en marche. J'étois couché avec une fluxion accompagnée d'un peu difièvre; je me fuis habillé, j'ai fauté, cabriolé comme un chevreuil dans ma chambrë & je me porte a mer vefile: pas la moindre douleur de corps , pas la moindre inquiétude d'efprit. En vérité, vous êtes tout a Ia fois le plus grand Roi & le plu: grand apothicaire de 1'Europe; vospoudres & vos émulfions valent mieux que tous les remèdes de la ph?rmacie ancienne & moderne. Si la diverfion dont V. M. me fait 1'honneur de me p ïrler arrivé, la Fortune réparera bien dans trois mois de temps tout le mal qu'elle a fait pendant fix ans; fi elle n'a pas lieu, la paix avec les Ruffes & les Suédois eft un fi grand bien, qu'elle nous fera fupporter patiemment le défaut de ce fecours, dont je fens bien toute 1'utilité. Ce qui me donne bonne efpérance pour la diverfion, c'eft que les Autrichiens  CORRESPONDANCE. 173 commencent a la eraindre férieufement, étjelevois clairement par leur affiftation a faire mettre dans les pppiers publics que vous fongez è conclure la paix avec eux: je fuis convaincu qu'ils veulent fe fervir du ftratagème d'une paix prochaine , pour éviter la diverfion. L'Envoyé de Daneraarck , grand prophéte de malheur dans nos temps de chagrins, fait une aflez trifte mine : il s'eft efforcé de répandre partout qu'il n'étoit point queftion de paix entre les Ruffes & les Prufficns; & quand il a vu arriver les prifonniers de Magdebourg, il a foutenu hautement a tous nos miniftres d'Etat, que c'étoit un fimple échaoge de prifonniers, qui n'étoit que dans le genre de celui que vous aviez fait faire par Ie Général Willich. Nos bons Berlinois ont été affez fimples pour le croire, & les pauvres gens étoient tous affligés. Le Comte de Reufs vint chez moi tout confterné me raconter lss difcours du Danois. J'avois recu une heure auparivant la lettre de V. M. & je 1'affurai, fans entrer dans aucun détail, qu'il n'y avoit pas un mot de vrai-dans tous les difcours du Miniftre de Danemarck , & que je lui garantiffois que nous aurions furement la paix avec les Ruffes & les Suédois. La joie eft revenue dans le cceur de tous nos Berlinois, Votre nom paffe en bénédiftion de bouche en bouche; & vous devez vous bien porter, car depuis vingt-quatre heures 1'on a bu plus de cinquante barriques de vin dans Berlin è votre fanté. Le» officiers ruffes qui ont paffé ici, ont marqué laplus grande joie d'être amis des Pruffiens ; ils ont été H-3  17* CORRESPONDANCE. régalés magnifiquement pendant trois jours dans-: plufieurs maifons, oü 1'on a largement bu a votre fanté & & celle de 1'Empere ar Pierre III, que Dieu béniffe & fafie profpérer! Puiffent tous fes ennemis, ainfi que les vótres, mourir dedépit & dehontede voir leur odieufe cabale détruitedans un moment, & puiffent - ils encore effuyer autant dechagrins qu'ils en ont fait effuyer a tant d'honnêtes gem! Ce que je. dis-la n'eft pas trop philofophe, mais il n'y aphilofophie qui tienne. J'ai 1'honneur &c. a Berlin » ce 16 Févner 176ï. Sire, Vod s me demandez fi 1'on eft bien aife a Berlin ? On y eft dans Ia plus grande joie. Les gens riches donnent desfêtes, ceux dont la fortune eft médiocre, régalent leurs families, partout on vous donnemille bénédiftions, ainfi qu'a 1'Empereur de Ruffis, &. vous devez vivre tous les deux trois cents ans, fi les vceux que 1'on fait le verrei Ia main font exaucés. Toutes les gazettes étrangères parient comme d'une chofe arrêtée & finie de 1'union entre la PrulTe & Ia Ruffie; ainfi tout le Brandebourgparticipe a la joie de Berlin , & 1'on n'eft pas moins content, a ce qu'affurent toutes les lettres qui viennent ici, dans les autres villes que dans Ia capitale. Quant a moi,' V. M. p eut être affurée que fi la diverfion en queftion a lieu dans lemoïs de Mars, raapauvre cervelle n'y tiendra pas: j'ai été deux jours a mettre aux petites maifons a force de gaieté. Ja fuis fort le ferviteu;.  CORRESPONDANCE. 175 dfe la philofophie, mais il eft des fituaions oü Héraclite lui-même diroit avec Horace qu'il eft doux; d'extravaguer. Je penfe bien comme V. M. qu'il nous faut de* 1'onguent pour la brülure & que cela eft très-bon.' G'eft le moyen d'óter aux mal - intentionnés les' moyens de nous rebrtiler une feconde fois. V. M. penfe toujours bien, &dans cette occafion admirablement bien. La fable que V. M. m'a.fait 1'honneur de m'envoyer eft charmante , & écrite avec cette élégante fimplicité qui convient a ce genre de poëme. La nouvelle de la ceffion de Port - Mahon aux: Efpagnols par les Francois, que je mandai il y a quelque temps a V. M., & qu'elle regarda alors' cornme un conté, fe vérifie: Ia Franceretirera trois millions de piaftres de cette cefCon. J'avois cru jufqu'a préfent que je n'aurois jamais fouhaité de vieillir; mais je me fuis trompé fur ce fujet comme fur tant d'autres: je voudrois être plus agé de fix femaines. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 1 Mars iifiit Sire, Les nouvelles que V. M. m'a fait Ia grace de m'écrire font admirables, & je ne doute pas qu'in. ceffamment vous n'en receviez qui accomjliront toutes vos efpérances. L'on n'eft pas feu ement joyeux a Berlin d'être débarrafTé de notre plus danH-4  I7« CORRESPONDANCE gereux enr.emi, mais 1'on eft charmé de voir que Vo& pcurra rendre a nos deux prir.cipaux antagoniftes. tout le mal qu'ils vouloient nous faire & celui qu'ils. nous ont fait. Ce font de bonnes gens que vos citoyens de Berlin, & qui méritent bien 1'amitié que vous leur témoignez. On fe prépare ici a des. iêtes dont Je vous enverrai le récit, pour vous smufer j dès que Ie fimple armiftice oula fufpenfion d'armes aura été figné a Stargard. Jugez ce que 1'on. fera a la fignature de la paix avec la Ruftie: caron eft fi ouiié contre les Autrichiens & les Francois qu'on fe foucie fort peu d'avoir la paix avec eux. Votre conté tft charmant, ingénieux, léger;pas un vers , pas un mot , pas une fyllabe a changer», L'idée en tft nouvelle, 1'application très-jufte. J'ai 1'honneur de le répéter aV. M. ;ce petit ouvrsge eft charmar.t, vous y avez répandu toute la gaieté. dor.t votre efprit doit fe refiëntir dans 1'heureufe fituaüon des affaires. Je fouhaite que la diverfion ait lieu, cela acheveroit de punir vos ennemis de leur audace effrénée & a laquelle ils comptoient ne meitrepoirt de bomer; mais ces fuperbes Autrichiens & ces fiers Frarcoïs commencent a ne plus avoir d'avantages réels que v dans les gazettes de Hollande, dont ils ont acheté tous les gazetiers. II y avoit dans celle du 29 Février, 6i dans celle du 2 , un démenti formel qu'il y eut aucune négociation, encore moins aucun armiftice entre la Pnifle & la Ruflïe. J'attends la première lettre de V. M., oü elle daigne m'apprendre fi je pu r g'der ces Meffieurs d'un petit ouvrage intitü'é : Leute.  CORRESPONDANCE. 177 Lettre d'un Baron Weftphalien k un bourgeois d'Amfterdam ? II y a aflez longtemps que je fuis excédé des rodomontades autricbiennes & des gafeonnades francpifes. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 9 Mars 17^2. S IÏI, . M. aura fans doute recu la lettre que j'ai eu 1'honneur de lui écrire en réponfe k fa letttre du 6 de ce mois; ainfi je ne lui redirai point ici combicn j'ai trouvé ingénieux & d'un gout charmant fon petit ouvrage en vers. Les grandes &.bonnes occupations que vous avez actuellement, doivent emporter même vos momens ordinaires deloifir. Je ne puis pourtant ro'empêcher de vous mander deux chofes fort plaifantes, dont vous faurez peut - être déja Ia première. Le Roi de France a nommé au moment delanaiffance un batard qu'il a eu d'une Mademoifelle de Roman, Duc de Vendóme & Prince légitimé du fang. On prétend que fi cette maltrefie avoit accouché k Verfailles, Ia Pompadour étoit ren voyée fur le champ, & que M de Richelieu avoit arrangé cette affaire le mieux qu'il avoit pu pour la faire réuflïr. Cette nouveile vient de 1'ambaffadeur de Hollande , a qui celui de Paris 1'a écrite. L'autre aventure fait beaucoup de brult k Verfail'es. Le jour que le Maréchal de BrogÜo fut extié , on jouoit a Paris a la comédie francoife Tancrède de Voltaire; il y a dans la fcène 5meou 6rae du premier acte des vers dont le fens & les H 5  CORRESPONDANCE. paro'es difent a peu prés: Tancrède eft un héros; malgré la cdbale qui le fait exiler, le peuple l'aime £f conr.olt fon mérite. Soit que 1'aftrice eiit en vue d'appliquer cet endroit a M. deBroglio, ou qu'elle ■ cherchat a les bien déclamer, ces vers firent un grand i efFet fur tout le parterre, qui les appliqua a M. de Broglio; on frappa des mains avec excès, & forca 1'aftrice a les-répéter plufieurs fois. La cour a ordonné au lieutenant général de police de pourfuivre cette affaire. L'aétrice a été obligée de prêter ferment qu'elle n'avoit fongé a autre chofe qu'a bien jouer fon róie, &l'on a arrêté une foixantaine des applaudiffans, coatre lefquels on inftruit un procés , en forme. Y a-t-il rien de plus ridicule, fi ce n'eft les arrêts des pariemens pour chaffer les jéfuttes & ceux du confeil pour les protéger ? Cela occupe plus Paris que la Martinique , oü toutes les gazettes affurent que les Angiois, après avoir étérepouffés . <3eux fois, ont enfin débarquédouze mille hommes.: «Je troupes réglées. J'ai 1'honneur, &c. A Berlin, ce 53 Mars i?6t. Sire, J'ai eu la douce fatisfa£tion''depouvoirparlerpen«' dant deux heures de fuite de V. M. avec M. de Catt qui a bien voulu contenter ma curiofité & répondre a toutes mes queftions. Combien de fois ne vous ai-je pagrace>  iEo CORRESPONDANCE. fi elle veut bien le permettre, vers la fin du mois: prochain , pour remettre entièrement ma fanté, & pour faire ma cour a V. M., lorfque j'aurai le bonhsur de Ia revoir, avec une afliduité qui répare Ie. chagrin que m'a donné fon abfence. J'ai 1'honneur &c A Berlin, ce 26 Mars 1762. S ire, Jfiréponds a Ia lettre que V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire , dans le moment oü je la recois., L'homme n'eft pas fait pour être heureux longtemps. J'étois tranquille , joyeux depuis quatre jours, & -voila que 1'incertitude oü je fuis fur I'état de votre fanté me caufe mille inquiétudes. J'efpère pourtant que votre maladie n'aura point de fuites  CORRESPONDANCE. its falresdes plus confidérables qu'eulTsnt les Francois; la perte de cette ile leur coüte d'un feul article trente millions de livres. On embarquoit pour la France toutes les années de la Martinique cent mille c.iflës de fucre z fix cents livres la caiffe: cela fait foixante millions de livres de fucre. Metteï la livre de fucre i dix fous, qui font la valeur de trois nos anciens gros; vous trouverez , fans grandcalcul,que cela fait trente millions de livres', par conféquent le doublé de ce que peut rendre 1'électorat de Hanovre dans Ia plus fijriftante paix. Il efi vrai que ce font les fujets du Roi de France & non pas lui qui perdent ces fommes confidérables; mais la plaie n'en eft pas moins pour le royaume, & elle faignera longtemps. On dit ici que vous faites mettre en ordre le chateau de Charlottenbourg. Si V. M. fe rappele les jolies tapifferies de papier pour les cbambres des officiers & des dames, que je lui fis voir i Leipfic & qu'elle veuille en employer quelquesunes vulebon marché, une chambre ne coütant guères que quarante écus monnoie courante, I'entreprereur de la fabriqua de Rheinsberg, qui eft in gentilhomme du Prince Henri & qui eft venu me prier de le recommander a V. M., lui enverra tous les plus beaux échahtillons. M. de Catt fe porte mieux; il a trouvé ici un chirurgien fort babile, qui 1'a déja trés-foulagé, & qui lui promet de le mettre en état dans une douzaine de jours d'aller rajoindre V. M. & de faire la campagne fans incommodité , pourvu qu'il veuills  io6 COR R ESP O ND ANCE. fe ménager un peu, & ne plus être auffi mauvais écuyer que faint Paul de.chrétienne mémoire. On dit dans tous les papiers publics que la flotte qui a pris Ia Maitinique va rendre une vifite aux Efpagnols a la Havace & leur emprunter a coups de canon quelques millions de piaftres. Ainfi foit-il! J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce n Avril 1762. SiH B,. J e me doutois bien , par certaines chofes que' j'avois lues dans les papiers publics, des mauvaifesmanceuvres qu'on faifoit dans une cour, oü depuis 16 changement de miniftère la foiblefie paroit avoir fuccédé a Ia fermeté, malgré les avantages inefpérés que la fortune femble vouloir donner è des gens qui en favent fi mal profiter. J'efpère que fi les anciens fujets de Mithridate fe mettent en mouvement, tout ira a merveille, & que vous pourrez laiffer faire a ceux qui fe conduifent contre toutes les régies de la politique autant de fottifes qu'ils voudront, fans qu'elles vous portent préjudice. J'attends donc avec une impatience infinie la confirmation des nouvelles des anciens ennemis de Pompée. J'ai beaucoup plus de foi en leurs promefTes qu'en celles des gens que j'ai vus autrefois avec M. d'Andrefel. J'ai prié M. de Catt, qui aura 1'honneur de rendre ma lettre a V, M., de lui dire une chofe  GO'RRESPONDJNCE. 1S7 mi peut lui être utile, & que je crois ne de voir pas confier au papier, paree qu'on ne fait ce qui peut arriver a un voyageur. Le même M. de Catt, ave*qui j'ai eu la confolation de m'entretenir tous les jours" de V. M., pourra lui dire le genre de ■yic que j'ai mené depuis dix mois. j'ai 1'honneur &c. ABeiUn, ce 23 Avril ij-fa. S 1E E i, _ I'avois oublié de remettre a Mi de Catt lesdeux pièces de M. d'Alembert que V. M. m'avoiS: fait la grace de me communiquer. J'ai 1'honneur de les lui renvoyer: il y a dans tout cela du bon, du fingulier & du mauvais. II eft fa.che.ux nu'au beau génie du. fiècle de Louis XIV fuccède un efprit de paradoxe, qui tót ou tard ruinera le boR' gofit & détruira a la fin le bon fens. V. M. travaille donc furies pères de 1'Eglife? J'avois eu 1'honneur de lui dire plufieurs fois qu'il ne manquoit p'us a fes leftures qu'une nlouzaine de tomes in-folio; après quoi ellepourroitdifputer avetf Dom Calmet & tous les bénédidins de 1'univers. Je parcours 1'Ecriture, & les remarques que je fais doivent fervir aux notes que je fais fur Timée de Loeres, dont j'ai traduit les ouvrages, qui n'ont jamais paru en langue vulc-aire. C'eft un fou de la première claffe qus ce Timée de Loeres, pas un wot de bon fens dans fes,, ouvrages; mais fa philo-  1é8 CORRESPONDANCE. fophie a fervi de bafe . celle des Pytbagoriciens & des premiers cbrédens, & cela me fournit de bonnes differtations. J'ai quitté V. M. balbutiant Ie grec, & ]e Ia reverrai Ie fachart comme les Dacier & les Saumaife. C'eft aux chagrins que j'ai effuyés depuis dix-buit mois que je firn redevable de la connoiffance d'une langue qui fert a mön amufement. II fa'Ioit que je mouruffe de doulcur, ou que j'occupaiTe mon efprit, pour le diftraire des chagrins que lui caufoit cetie maudite guerre. Soyez perfuadé, Sire, qu'après vous perfonne n'a été plus fenfible aox malheurs que nous avons ifluyés quelquefois. J'étois aceab-Té par deux morteles inquiétudes; Ia première regardoit Ie fort de tout 1'Etat; mais fa feconde, qui étoit bien plus confidérable" tomboit fur votre perfonne. Enfin, grace au Ciel, voila toutes nos inquiétudes finies, & j'efpère dans peu de mois avoir Ie plaifir de voir V. M tranquille & heureufc dans Ie fein de la paix, goütanC un doux repos que fes veilles & fes fatiglIes ont bien mérité. J'attends amourd'hui ou demain une lettre de V. M. Je fuis dans la ferme efpérance que j'« trou.erai la confirrhatioh des bonnes nouvel'es que V. M, m'a fait la grace de :ne mander & qui m'ont caufé une joie qui m'a rendu entièrement Ia fanté. J'ai 1'honneur &c. En Avril ï752.  CORRESPONDANCE. is9 Sire, "V. M. aura pu juger d'avance de la joie que j'aurois en recevaru la dernière lettre qu'elle m'a fait 1'honneur de m'écrire. J'ai été d'autant plus charmé, que connoiffant tout le bien qui pouvoit arriver de 1'orient, je n'avois jamais été perfuadé que ce bonheut.nous arrivat. C'eft a préfent, Sire, qu'il faut fonger aconferver votre f.mté,pour achever de conduire toutes les chofes a leurs perfections, & venirenfuite fe tranquillifer a Sans-Souci, & fe refaire de toutes les fatigues énormes que vous avez effuyées depuis fix ans fans relache. Je n'ai aucune nouvelle littéraire a faire favoir a V. M., mais deux qui prouvent que les méchans font que'quefois punis, s'ils te le font pas toujours. La Pompadour a perdu ua ceil, & 1'autre aura bientót Ie même fort; cette femme aura le deftin ■d'Oedipe; c'eft toujours quelque chofe pour prouver la providence, quoiqu'il faliüt qu'elle eüt Ie fort as a Sans - Souci avant Ie mois de Septembre. La R.dne du Hon^rie, a ce que difent des lettres de Vienne qui viennent de trés-bonne main, paffe la moitié de 'fa vie depuis quelque temps a prier la Vierde & 1'autre a pleurer. Je fouhaite, pour la panir des maux que fon ambition a faits depuis 'fept ans au genre humain, qu'elle ait le fort des fceurs de Phaëton & qu'elle fe fonde en eau. J'ai 1'honneur d'être &c. " A Potsdam, ce 24 Mai i7<5i. Sire, ^ t vos couriers fe font fait autant attenJre que le Meiïïs, ils ant proluit de plus grai.ds effets; il fallut au Meffie & a fes difciples quatre fièclej pour amener au chriitianifme un ümpsreur romain & il ne vous faudra que quat e mo;s pour iamener a la raifon une I npératrice. Ceft bien un autre niïracle de rendre une femme raifonnable que de baptifer un prince qui caerchoit a fe faire un parti parmi les chrétiens qui put le garantir de fes ennemis. Si Je n'avois pas été prévenu depui- quelque temps , les deux de-nières lettres que j'ai recues de V. M. auroient bien pu produire fur moi le même effet que !a joie de la paix a caufé fur la tére d'ua des pn.cipaux mi iftres de Berlin ,• le pauvre homme en eft devenu fou le jour du Te Dem; il a fair. mettre dans toutes nos gazeues qu'il prêcheroit-le lendemain en vers, & il Qeuv. jnjtt. de Fr. II. J, Mll. 1  r )\ CORRESPONDANCE. a fait véritablement fon fermon, oü toute Ia ville eft accourue. Ses confrères font fort fcandalifés, & ne parient de rien moins que de fufpendre le prédicateur poëte. Si vous continuez de m'écrire d'auffi bonnes nouvelles, ne foyez donc pas étormé, Sire, fi 1'on vous écrit que j'ai fait un difcours en ïingua franca, qui eft le provencal algérianifé, k l'académie des fciences. En vérité a ia lefture de vos dernières lettres j'ai été pendant plus d'une heure comme un homme pétrifié & que la joie rend entièrement ftupide. II faut, comme le dit fort bien V. M., avoir fenti 1'état oü nous étions il y a fix mois, pour connoltre tout le bon & le merveilleux de celui oü nous fommes aujourd'hui. J'ai eu la fatisfaction d'être le premier qui ait célébré votre union avec 1'Empereur de Ruffie , ce brïve & digne prince, que le Ciel comble de toutes fes faveurs! Dès que j'eus recu la lettre de V. M., je priai a diner les bourguemaitres & plufieurs des bons bourgeois de Berlin; j'empruntai de la maifon de ville deux petits canons de quatre livres de balie, dont les bourgeois fe fervent dans leurs fêtes; je les fis conduire fur le chemin au pied de la colonnade de Sans-Souci, & depuis midi jufqu'a fept heures du foir que dura le diné nous tirlmes 80 coups de canon, en buvant a votre fanté & a celle de 1'Empereur votre bon alhé. Mier dimanche les bourgeois firent ï Potsdam de grandes iréjouifiances; je les ai pourtant prévenus de trois jours. Je voudrois être plus vieux d'un mois; cepen-  CORRESPONDANCE. 19S <ösnt je trouve qu'il n'eft pas gracieux de vieiilir; mais je fens tout le plaifir que j'aurai dans les mois de Juület, d'Aoüt & de Septembre. Quoiqus je fouhaite Ia paix avec la plus grande impatience, je ferois pourtant fiché de la voir conclure avant que vous n'ayez recu de la Reine de Hongrie une bonne bouteille de baume, qu'elle eft obligée de vous donner pour guérir toutes les cicatrices qui pourroient refter aux bleffures qu'elle nous a faites. rermettez que je vous dife une petite parabole: Un honnête homme traverfoit une certaine forêt; trois brigands 1'attaquèrent, lui firent plufieurs bleffures, & i;on contens de lui voler fon argent, ils vouloient encore Ie tuer. II arrivé pendant ce temps deus hraves gens qui volent au fecours de 1'honnête homme & fe faififfent des larrons. Un des défenfeurs du voyageur lui dit: croyez-moi, tuons vos ennemis. Si nous les laiflbns aller, avant d'arriver a la Sn de votre courfe vous avez encore une autre forêt a paffer; ces gens-la iront de nouveau vous y drefler des embüches. Le voya. geur cru: le confeil de ceux qui 1'avoient garanti: les brigands furent exterminés, & il acheva fa route 09 fureté. Ce n'eft rien d'avoir culbuté par terre fon ennemi,fi 1'on ne prend des précautions pour qu'il ne puiffe plus nous attaquer en fe relevant. Je termine ici mon ftyle oriental, & j'ai 1'honneur d'être &c. A Potsdam, le * Ju'mtJ^S»; I s  ivj6 CORRESPONDANCE. Sire, I l s'en faut bien que je plaifante fur vos couriers, ils ent apporté de trop bon es nouve lles. Je veux que les Turcs ne faflent a«cun mouvement cette année ; la fituaiion des affaires n.e paroit cepertiant .adrrirable. jè ne fuis pas M, Kuier; ma s je fais p ourtant afftz calculer pour voir que foixnnte mille Ruffes & vingt mille Suédois font quatre-wnas mille ennemis de moins; que vingt ei' q mille hommes que nous avions contre les Ruf< Cs, cinq mille contre les Suédois font trente mille hommes, auxquels vingt mille Ruffes réunis, ferment une armée de cinquante mille homu.es qui peuvent agir cette année contre les Autrichiens. Quant aux Turcs, je n'y ai jamais compté, paree que j'avois vu & lu une lettre écrite le 20 d'Avril de Conflantinople par un miniftre trés-bon pruffien è un auue miniftre auffi ptuflïen que moi, c'eft tout dire, qui 1'affutoit que tout étoit tranquille a Corftantinople ói. que les Turcs ne marcheroient point cette année: mais pourvu qu'a leur place les cent mille Tartares qui font en marche, achèvent de tenir leurs promeffes, je ne vois pas ia Reine fort a fon aife. Je conviens que fi les Turcs avoient marché , cela finiffoit i'affaire dans %ux mois; mais fi cent mille Tartares entrent en H;ngrie, il faudra bien que les Autrichiens détachent pour le moins un corps de vingt mille hommes. Dès que j'apprendrai que ce détachement a  CORRESPONDANCE. 197 lieu, je jugerai de la certitude de la promelTa desTartares & j'en tirerai un augure certain pour la paix au mois de Novembre ou de Décembre. S'il faut en croire les papiers angiois, & furtout le Mmiter, la fa;;efTe de SalomDn ne règne pas dans les confeils d'litat a Londres. II paroit contre le favoritifme du Comte Bute des pièces bien fortes & bien énergiques. La haran.'ue de M. Pitt au parlement eft digne de Démofthène, & avec tout cela, voila le Duc de Newcaftle, qui après avoir fervi quarante cinq ans la maifon de H inovre & avoir mangé cinq cent mille livres dading, pour fon fervice, eft obligé de demander Ca déroiffion ; il a généreufement refufé fix mille livres (lading da penfion qu'on lui aoffartes. Q13 diroit a tout cela le bon Rui 'otre oncle, s'il venoit au monde, &,a bien d'autres chofes qua je n'oie confier au papier, mais qua V. M. devine aifémant? Si Pévénement arrivé en Rufïïe ne montroit pas le pan de fondement de tous les projets humains, ce qui fe paffe en Angleterre en feroit une excellente preuve. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, en Juin 17G2» Sire, U n e fluxion fur un ceil, qui a été aflez forte, ne m'a pas permis d'écrire plutó: a V. M. Elle tient d'cxécuter, fans perdre un feul homme, par 1 a  jo8 correspo ndance:. les plus belles manoeuvres qu'elles a faites, ce qji paroilToit ne pouvoir avoir lieu qu'après une oudeux batailles. Vous voila donc maitre de toutes les montagnes de la Siléfie & des p-ffages dans Ia Bohème? Je fouhaiterois y voir toute votre armée rendre aux Autrichiens le mal qu'ils nous ont fait, & forcer enfin ces hommes infenfés a finir ure guerre qui fait depuis fept ans ie malheur de 1'Europe & que le feul orgueil autrichien & Ia folie francoife entretiennent & fomentent avec tant de fureur. On dit ici comme une chofe fftre que 1'Empereur de Ruffie vient de prendre le commandtment de fon armée. Si mes défirs étoient accomplis paria providence, ce bon & digne prince ne feroit venu en Allemagne qu'a la paix générale. Tout' le bonheur & toute la tranquillité de 1'Europe ré* fident fur fa perfonne &c.: V. M. fent tout ceque contient cet &c. J'ai vu ici le miniftre rufle qui vient d'arriver^ c'eit, a ce qu'il me paroit, un homme trés - fage, très-attaché a fon maitre,& entièrementdépouillé du ridicule myftérieux de la plus grande partie des politiques & de bien des miniftres. Je fuis convaincu que V. M. fera contente de celui-ci, s'il a jama's llhonneur de la voir. Quand aurons - nous donc, Sire, le plaifir & le bonheur de vous voir ici? Jamais le Meflle ne fut attendu avee plus d'impatience, & jamais fon arrivée ne fut auffi néceffaire auxjuifs, que Ia, vötre ne peut 1'fcre. Mais je fens, ainfi que lom  CORRESPONDANCE. i& fes gens raifonnables, qu'il faut prendre patience, & fonger qu'après avoir obligé vos ennemis a faire la paix, vous rétablirez bientót ce que votre abfence'peut avoir dérangé. Le proverbe le plus vrai, Sire, c'eft celui que, quand le chat n'y eft pas, les rats danfent. J'ai 1'honneur &c. a Berlin, ce 14. Juillet i^Ciz. Sire, Loesque j'ai eu 1'honneur de recevoir votre dérnière lettre, je favois depuis quaire jours 1'événement arrivé en Ruffie. Comment eft - il poffible qu'on n'ait pu ni le prévoir ni 1'empêcher, dans le temps que tout fembloit fe réunir pour m mtrer qu'on devoits'y attendre ? La facon dont penfoient fes Ruffes qui paffbient par Berlin, les difcours du Miniftre de Ruffie a la Haye, les lettres qui venoient dePétersbourg, tout cela préfageoit ce trifte événement. 11 y a fix femaines qu'un miniftre étranger a la cour de Ruffie écrivit ici i un miniftre bien intentionné pour vos intéréts tout ce qui eft arrivé; il lui prédifoit qu'on verroit bientót, fi 1'on n'y prenoit garde, ce qui n'a été que trop effectué. Ayant vu cette lettre, je confeillai a ce Miniftre de parler au Comte de Finck, & il 1'avertit de ce qu'on lui mandoit. Malheureufament cet avis n'a fervi de rien. Si V. M. fe rappelle ma dernière lettre , elle verra aétuellemcnt qua les craintes que je lui témoignai & que j'exprimai I 4  sec CORRESPONDANCE. a mots couverts, n'étoient que trop bien fondé'eï, Dieu veuille que celles que j'ai fur la continuatiorj de la paix foient fautTet! Vous me dites, Sire, que toutes les troupes ruffes retourneront en Ruf-' fie, je Ie fouhaite; mais M. de Saldern, Envoyé du Holftein, homme dévöué a V. M. , me die encore hier qu'il n'en croyoit rien; les paquets qui arrivent de la PrulTe font cachetés avec lts aimes ruflknnes, & le manifeöe que te cour de Pétersbourg a fait publier pour reprendre poffeiTio» de. ce pays, a jeté ici tout le monde dans Ia coi fternation. Comment, Sire, pouvez-vous vous réfoudre a laiffer Stett'n dans un état a ne pas réfifter a un coup de main? Trois bataillons de moin* dans votre armée & deux bataillons dans cel e du Prince Henri font-ils donc le fort de ces arméet ? Mais i:s le font de la principale & même de lafeu'.e ville qui affure Berlin & tout le Brandebourg. Excufez-moi, Sire, fi je prends la liberté de vous dire ce que je penfe a ce fujet. C'eft un véritable zèle qui me fait parler. Plut-a- Dieu que je ptffe voir V. M. tranquille , heureufe ; & mourir une heure après! Je facrifierois peu de chofe > car la vie me devient a charge, & je fuis las d'être dans un monde gouverné par une aveugle fortune, & habité par des hommes plus méchans. que les animaux les plus féroces. Le Prince Ferdinand a remporté un avantage fur les Francois, dor t V. M. aura déja recu la nouvelle. Mon affi:ction eft fi grande, qu'a peine ai-je été fenfible a cet événement; il n'y a plus que la conL'rvation dft  CORRESPONDANCE. de V. M. qui puiffe m'affefter, & l'efpjlr de vous voir furmonter k Ia fin les caprices d'une fortune bizarre. J'ai 1'honneur &c. A Perlin , Ie 27 Juille: 1762. Sire, O serois-je demander k V. M. ce que font nos bons amis les Tartares ? Je voudrois bien qu'ils fuffent déja en Hongrie. Les Danois ont fait ce que nous aurions du. faire; ils ont emprunté a coups de canon un million cPécus des Hambourgeois » j'en fuis faché, paree que ce font les Danois qui ont cet argent; mais d'ailleurs Ie peuple eft en général autrichien k Hambjurg. Je me réjouis de voir les villes impériales qui font dévouéss fans raifon a la cour de Vienne, punies par cette même cour, qui tire parti de tout. Je ne doute pas que Ia bataille que les Francois vienrent de perdre enAllemagne, n'augmante le crédit de M. Pitt dans le parlement; il y avoit prédit de la facon la plus affurée, dans fa harangue., ce que le Prince de Bronfwic vient d'accomplir. Tou' le monde dit ici que vous avez en Siléfie la plus belle armée de 1'Europe. Puiffe t-elle répondre aux efpérances de fon Roi qui la commande, & montrer par fa valeur qu'elle eft digne de fon chef! Je remercie infinimentv. M. de la bonté qu'elle I 5  202 CORRESPONDANCE. a eue de me permettre de refter fix femaines ï, Sans-Souci. Je rétourne a Berlin dans quatre jours, pour être a portée de recevoir plus promptemejit des nouvelles de la fanté & des viftoires de V. M. J'ai 1'honneur &c. A Potsdam, ce 28 Juin 1762. ' SlfiE, Vous avez ramené la tranquillité dans mon ame,. & mon chagrin a fait place a 1'efpérance de vous:. voir encore heureux & tranquille, avant que je quitte le féjour de cette planète, pour aller prouver Epicure dans quelqu'un de fes mondes qu'il a le premier établis en philofophie & que Defcartes lui a volés: ce n'eft pas la un grand crime , & je pafferois volontiers aux célèbres géomètres de fe piller les uns les autres, pourvu qu'ils confervaffer i le fens commun lorfqu'ils ne calculent pas. II n'y a rien, Sire, de plus charmant que 1'épltre que vous avez eu la bonté de me faire envoyer par M. de Catt- Que vous plaifantez a propos & que vous peignez bien ces calculateurs exacts, ennemis éter-nels du gofit & deftructeurs de 1'imagination!1 Dans les cerveaux brülés jadis la fable édofe Créa fous les Dieux vains de la métamorphofe, Improprement donna le nom de Jupiter Aux régions dei cieux occupés par 1'éther. Par Vénus défigna Ia féconde nature, Bacchus étoit le vin, Cérès 1'agriculture.  CORRESPONDANCE. 203 Nouvel iconoclafte armez - vous de rigueur, Extirpez & ces Dieux & leur aimable errcur, Et rejetant le fens qu'offre 1'allégorie, Vous la remplacerez par la géométrie. Au lieu de nous conter comment leDieu des eaux Protégea contre Pan Syrinx dans fes rofeaux, Philofophe folide il faudra vous rabattre A prouver en rimant que deux fois deux fontquatre. O 1'excellent fecret de plaire & de charmer 1 Si V. M. veut troquer ces quinze vers contre un gros volume in-douze auquel je travaille affidument depuis un an & que je compte d'avoir 1'honneur de lui envoyer dans peu de temps, je ferai fort content de vous donner le travail de douze mois pour celui d'une heure de temps, & je croirai avoir gagné encore cent pour cent a ce troc. II y a un vers dans votre épitre qu'il faut abfolument changer. Ne lui dépeignez point le martyr qui vous preiTe: il faut abfolument Ne lui dépeignez point le martyre qui vous preiTe; alors le vers n'y eft plus. Voila la fsule chofe que j'ai trouvée a redire dans votre charmante épitre. J'ai vu la promife de M. de Catt; elle m'a paru tres-aimable, elle eft fort jolie & tout le monde dit beaucoup de bien de fon cara&ère. Ce n'eft pas pour un homme de lettres une petite affaire que d'avoir une bonne femme. Je ferois mort dix fois on devenu fou depuis trois ans, fi je n'avois pas I 6  2oj. CORRESPONDANCE. été afLz heureux pour avoir la miemie. On doit dire des femmes ce qu'Efope difoit de la langue i il n'y a rien de meilleur, & rien de plus mauvais. Je prends Ia liberté d'envoyer a V. M. la feuille d'une gazette d'Utrecht dans laquede il y a un article concernant les anciens fujets de Mithridate. Je ferois bien fiché qu'il fut véritable, & je ne m'étonnerois plus, s'il 1'étoit , de voir que ce dont V. M. m'avoit fait la grace de me parler n'a point eu lieu. On affure que V. M. fait affiéger Schweidnitz. Lorfque vous 1'aurez pris, envoyez - nous donc des poftillons, pour réjouir un peu les bons Berlinois, & ne faites pas comme la dernière fois que vousle rer.rites,oü vous ne daignates pas nous envoyer une fïmple eftafette. Nous avons tant eu de chagrins , il eft bien jufre que nous ayons un peu de plaifir. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ce 9 Ao6t 1162. Sire, J e me bate d'avoir 1'honneur de faire mon com»'pliment a V. M. fur 1'avantage confidérable & trèsutile qu'elle vient de remporter fur les Généraux Lafcy, Bedt & Odonel. J'efpère que cela batera bientót 1'arrivée des poftillons dont vous voulez. bien avoir la complaifance de régaler les bons Berlinois. Si Ia prife de Schweidnitz nous procure la paix a Ia fin de la campagne, ou pendant le cours, d&l'hjver, elle vauira la prife d'un, royaume en?  CORRESPONDANCE. 2®5 {Ier. Après fept ans d'une guerre aff.eufe neferoitII pas temps que la paix réparat tant de maux , & que le barbare acharnement de vos ennemis ceflat j & ne tentat pas davantage d'inut'les eiïorts, qui ne fervent qu'a entretenir une horrible confufion & un cruel défordre dans toute 1'Europe. On parle beaucoup de la paix entre la France' & 1'Angleterre. Si cette paix peut occafionner celle de toutes les puiffmf es belligérantes, je la fouhaite; mais fi elle ne produ't pas cet effetje ne vois pas qu'elle puiffe nous être de grande utilité, furtout ft elle a lieu comme 1'infinuent les papiers publics.' V. M. doit favoir mieux que perfonne ce qui fe paffe a ce fujet; ainfi, comme je 1'a vois contente,, je Ors tranquille fur tous les bruits qui courent. Toutes les fois que vous me parlez-, Sire, de votre prétenoue vieilleffe , je cours, ouvrir mon almanac, & j'y veis que j'ai neufans plus que vous, é'tant entré depuis un mois dans mes foixante ans : je ferme tout doucement mon livre fans dire mot, & je refte fort confus qu'ün homme qui a deux luftres moins que moi fe plaigne de fa vieilleffe. Si jamais vous étiez tranquille a Sans-Souci, vous rajeuniriez de dix ans & moi de quinze: alors dans la joie & dans la tranquillité vous vivriez autant qu'Abraham & moi que Jacob; Sans-Souci fera pour nous le climat de 1'Arabie. Nous attendons ici avec impatience quelques détails du dernier ava. tage que vous venezde remporter, dont nous n'a^ons recu qu'une nouvelle en> gros , mais qui a répandu una joie générale dans.  20(5 CORRESPONDANCE. . tout Berün. Puiffions-nous avoir bientót le plaifir de vous y voir arriver heureux, content, &jouiffant d'une parfaits fanté 1 J'ai &c. A Berlin, le 19 Aofit 1762. Sire , J'espere que dans Ie temps que V. M. recevrala; lettre que j'ai 1'honneur deluiécrire, Schweidnitz* fera pris. Vous avezeu, Sire, Ia bonté de nous promettre des poftillons. J'envoie a V. M.a mon tour un petit paquet dontj'efpère qu'elle fera contente ; il contient deux exemplaires d'une nouvelle édition des Poëfies diverfes , d'un format trés-commode pour porter a la poche. On ne peut d'ailleurs rien voir de plus élégant que cette édition, & 1'on ne fauroit en faire une plus belle a Londres , ni a Paris. La moitié de cette édition part aujourd'hui pour Danzic; les officiers ruffes en ont demandé neuf centsexemplaires. • Vous avez I'art de gagner les cceurs des gens qui ont été vos plus grands ennemis. M. de Beaufobre a pris foin de 1'impreffion nouvelle des Poëfies diverfes, & il s'en eft acquitté avec tout le zéle poffible. C'eft un fort bon enfant; il trouveroit a la paix a s'établir , fi vous jugiez a propos de le placer dans quelque pofte, quand vous ferez tranquille & débaraffé de tout foin. Votre gloire eft immortelle, mais vous êtes trop bon philofophe pour penfer que votre corps puiffe jamais Ie devenir. Si ce jeune homme avoit un jour Ie malheur de vous perdre, que deviendroit-ü? S'il trouve  CORRESPONDANCE. 207 ane femme qui lui donne un certain bien, fon fort devient aiTuré; mais pour trouver cette femme; il faut un pofte,& pour avoir ce pofte,il faut attendre la paix. Dieu nous la donne! Nous en avons tous befoin. D'ail'eurs je penfe bien , ainfi que V. M., qu'il la faut bonne, honorable & durablo: j'aime mieux fouffrir encore dix ans, s'il le faut, & tous les bons citoyens doivent penfer & penfent de même. Voila la Havane prife par les Angiois nombre: de millions , plufieurs vaiffeaux de guerre. Les Efpagnols n'étoient - ils pas poffédés du diable: d'aller fe déclarer uniquemer.t pour fe faire écrafer^ & pour rendre Ia paix plus difficile? V. M. peut juger de 1'inquiétudeoünous fommes & de Pimpatience que nous avons d'apprendre Ie fort de Schweidnitz- C'eft aujourd'hui le fecond de Septembre. Je ne puis croire que les afliégés reflent encore longtemps a cspituler, s'il ne 1'ont pas déja fait. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, le 2 Septembre 1762. Sire, J'aurois eu 1'honneur de répondre depuis plufieurs jours a la dernière lettre que V. M. m'a fait la grace de m'écrire; mais j'ai été mala'ependant deux femaines; il y en avoit plus de fix que je me fentois déja incommodé. Heureufement un vomiffement des plus violer.s que la nature m'a procuré" fans le fscours d'aucun remè .'e , m'a tiré d'affaire. Mon mal venoit d'une bile recuite, qui féjournoit  zog CORRESPONDANCE, dans le corps & me caufoit des crampes trés - doulou» reufes. Je puis appeler juftement ma maladie, la maladie de la révolution de Ruffie. Il eft furprenant qu'ayant fupporté avec affez de fermeté tous les événemens facheux qui nous font arrivés pendant cette guerre, toute ma pbilofopbie fe foit évanouie a la première nouvelle de cette révolution. Enfin les chofes ont tourné heureufement.il n'yfautplus penfer. Mon inquiétude au,ourd'hui roule fur Schweidnitz, & je ne faurois mepeifuaderqu'il ne foit pas pris, lorfque V. M. recevra ma lettre. Elle a bien raifsn de dire que M. de Gribeauval ne fe mouche pas du pied. Comment cet! omme fe défend11 pendant deux mois dans une place qui nous aété enle'.-ée dans deux heures ? Mon médecin m'ordonne depuis le matinjufqu'aufoirdenepas me mettre en co'ère; mais quel eftl'angedu ciel qui puiffe fonger a la manière dont vous avez été fervi quelquefois dans cette guerre, fans jurer plus que Belzébuth & toute la fuite infernale. Je vois nombre de fouverains, buvant, mangeant, dormant & ne faifact rien de mieux, fervis avec le plus plus grand zèle,'& vous, bataillant, fouffrant Ie chaud & le ffoid, parta. geant toutes les fatigues de vos foldats & ne faifant guères rneilleure chère qu'eux pendant toute la cam. pagne. Votre plus grande occupatiou eft de réparer les fautes de ceux que vous comblez de biens. Je n'en dis pas davantage a ce fujet, car je ne veux pas reprendre la fièvre , & je ne puis y penfer de fang froid. Y. M. me fait trop de grace & trop d'honneur  CORRESPONDANCE. lof de fe fouvenir de ma femme; je lui ai l'obligatfoa dans bien des occafions de m'avoir rappelé a la raifon, & elle a p'us fait que toute ma philo'bphie, qui m'au'oit fouvent fervi de peu, fi les confcils de Pamitié ne lui a 'oient pas prêté urenouvelle force. Je ferois bien obligé a V. M. fi elle vouloitbien permettre quej'al'nffe boire douze bouteilles d'eau de Spa è Sans-Souci. On m'a ordonné de faire un peu d'fxercire . pour redonner , s'il tft poflïble, par Ie moyen de ces eaux un peu de force a mon eftomac & a mes inteftirs. Je penfe quelemeilleur confortatif pour moi, après celui d'apprendre que V. M. jouit d'une bonne fanté, fera la nou "elle de Ia prife de Schweidn'tz ;. je 1'attends avec la plus grande impatience , & je me flattè qull faut enfin que ce m?udit Commandant capitule, eüt-il dans fa place faint Jean Népomucène & tous les faints autrichiens. Troie fut bien prife malgré Neptune & Apollon; ces Dieux d'Homère ne valoient-ilspas mieux que tous ceux- que font les papes ? J'ai 1'honneur &c. A Berlin, le 21 Septembre r?ff2.' 'Sire, Je commence par remercier V. M. de la grace: qu'elle m'a faite de me permettre d'aller a SansSouci. Le mauvais temps qui a commencé depuis plufieurs jours & ma fanté toujours langniffante me nennent a Berlin malgré moi. J'ai repris courage „puifque V. M. m'afiure qu'elle  CORRESPONDJNCÊ. prendra Schweidnitz & qu'elle n'en eft pas embar. raffée. Vous dercandez un Achil.'e pour prendre cette ville. Et ne 1'êtes-vous pas? Ge n'eft pas cela qui vous manque; c'eft un ingénieur auffi bon que ce Gribeauval dont V. M. fait 1'éloge avec tant d'impartialité. Le génie, cette partie effentielle de la guerre fi cultivée en France ,a malheureufement été négligé en Pruffe. Le feu Roi n'en faifoit aucun cas : vous étiez trop éclairé pour ne pas en connoitre Ia nécefïïté; mais il eft des abus araquels il faut bien du temps pour remédier. Le fiège de Schweidnitz eft un exemple qu'un habile ingénieur eft quelquefois plus effentiel & plus néceffaire que dix officiers généraux. C'eft Vauban feul qui par les plaees qu'il avoit fi bien fortifiées a fauvé la: France dans la guerre de Ia fucceffion. Les alliésgagnoient une bataille & perdoient Ie refte de Iacampagne a prendre une ville qui leur donnoit deux» lieues de terrain. Je m'attends a tout de Ia part du miniftère An-' glois. Dès que Pitt eut quitté, je prévis tout ce qui arrivé , & j'eus 1'honneur de 1'écrire a V. M. & de lui communiquer mes craintes. Cependant il me refte encore quelque efpérance, qu'une paix auffi honteufe pour les Angiois, qui manquent tout ala fois a leurs alliés & a eux-mêmes, n'aura pas lieu. Le gros de la nation eft dans la plus grande indignation de voir les conquêtes qui ont coüté tant de fang rendues fans raifon , & la bonne foi de l'Angleterre perdue auprès de tous les princesqui pourroient être tentés de s'allier avec elle. Après  CORRESPONDANCE. S.11 Fexemple de la paix d'Utrecbt & de celle-ci, fi elle a lieu, qui pourra jamais fe fier aux Angiois"? Enfin , quoi qu'il en arrivé, prenons Schweidnitz & nous verrons enfuite comment les chofes iront. Toute 1'Europe a les yeux fur ce fiége , & fa finpeut arranger les chofes d'une manière bien différente , felon qu'elle fera heureufe ou malheureufe; je ne doute point qu'elle ne tourne a nes fouhaits,. & qu'avar.t la mauvaife faifon cette difficile expédition ne foit enfin terminée» J'ai 1'honneur, &c, A Berlin, le 5 Oftobre 1762. S-I S EI: Les voila donc arrivés ces poftillons regus avee tant de plaifir. Au premier coup de leurs cornets ma poularde & mon dindon ont été occis, & nous les mangeons ce foir.en buvant de grandesrafades de vin a la fanté de V. M. J'avois auffi certain jambon dans un garde-manger, deftiné a la même fête , qui fera un grand ornement fur la table^ entourée de nos principaux acadéraiciens, qui font de très-bons citoyens, qui aiment plus votregloire & votre mémoire immortelle que celle de tous les philofophes paffés, préfens & futurs. Vous nous avez tous réjouis , & moi en vous envoyant un nouvel ouvrage que j'ai fait , crains bien de vous ennuyer; je me fuis cependant efforcé de le faire le moins mauvais que j'ai pu ; je 1'ai travaillé affidumtnt pendant un an de'fuite. V. M..  mm CORRESPO ND A N~C E. y reconnoltra aifémeEi lei différentes fituations de mon ame. J'ai fait les differiations fur let troispremiers chapitres pendant nos perplex-ités; celles fur le quatiième & les premères du cinquième,. lors durèire dc Pierre III; & la fin demon livre, après ,a ré olufion. Mon but a été de détruire a jamais la fupt i (h'tton , a laquelle on adonré Ie nom de religion. Differrations fur ies her nap' rod tcs, & fur les tribades;, les r. bbins prétendent qu'Adarn étoit h rmap^roJite , & que Dieu lui créa deux femmes; h.ftoire de ces deux femmes. Differ ation fur la mufique francoife & ita'ienne; fur les poënes1 épiques; fur Cicéron; Voltaire amplement ent qué fur tous ces fujets: réflexions fur ce prétendu fiècle' pbüofophique. .Toutea ces derniè es differtations ont été faites pendant notre alliancea t c Pierre ![!. Voici celles qui ont été compofées aprè^ fa mort: les plus grands maux qui ont accablé 1'univers depuis deux mille an3 ont été caufés par les prêtres; ils ont affaffiné les rois & les empsreurs; les pèfes de1'Eglifu ont é:é les premi. rs promoteurs du dogme, qu'il eft permis aux fujets de fe révo'ttr & de tucc leurs princes; ils ont corrrompu I'biftoire. Conftartin & Clovis, les deux premiers princes chrétiens, ont é'é plus méchans que les Néron & les Calyula : 1'Empereur Julien, Ie mo 'èle des bons princes, a é.'é fauffement dér, igré par tous les pères de 1'Eglife. Après avoir lu cet extrait de mon ouvrage , V. M. me demmdera fans doute comment j'ai été affez hardi pour écrire Ia vérité avec tant de hberté; quand elle aura achevé Ia lechire demon  CORRESPONDANCE. 213 ©uvrage, e'le convien dra qua je me fuis condutt de manière que le dévot 1? plus outré ne tauroit ■m'a: aquer. J'ofe due que la manière dont j'ai attaqué la fupetftition eftnouvelle & julicieufe. L'idéa «me j'ai eue eft peut-ê re la feule chofe paffable qu'il y ait dans mon ou-rage. Plüt-aa-Ciel qu'il y eut le quart de 1'efprit qu'il ya dans vos jolis vers fur Schweidnitz! A préfent que Schweidnitz eft pris, je prendrai la liberté de vous rappeer unpe.it traité que V M. avoit bien voulu faire a ec moi, mais qut n'a pu_ • être exécuté par 1' «pofition qu'y mirent les Autrt. chiens, que je donne tous de bon cceur au di3ble. II y a deux certains pa. fages de M. Harper qui m'avoieat été promis par Fréderic Ie grand, fi je •reftois trois femaines fans être malaie; j'en avois déja paffé deux, jouilTant de la fanté d'un Hercule, & voili qu.É la troifième Fréderic part de Potsdam, pour aller en Saxe changer fon no n de sirand en celui de ttès-grand: & moi, je vois lespayfages, gagnés de plu - de Ia moitié, s'en aller en fumée, comme les projets das Saxons. Aujourd'hui donc qua vous avez pris Schweidnitz, ce qui felon moi n'eft pas une des moins bonnes chofes que vous a ez faites, vous devriaz bien ;n co^fcience me payer mes deux femaines de fanté , & m'ordonner dans votre première lettre de prendre les deux tableaux qui font par terre, faifant trifte figure; au lieu que jdans ma chambre je les mettrai dans un cadre ; ils ïéjouiront mon efprit dan-; les momens d'hypocon-drie, &je dirai a tous ceux qui .ne vieniro.jt yoir,  214 CORRESPONDANCE. regardez, voila deux tablcuxque le Roi m'a donnés? il me fallbit encore huit jours pour qu'ils fuflent •totalement & de droit a moi; mais ie Roi ne fait pas comme ces vilains Autrichiens, qui violent tant qu'i s peu vent les capitulations; il a écrit de fa ■main dans fa dernière lettre:accordé, & il auroit pu .cependant fans manquer a fa parole mettre: refufi. J'ai 1'honneur &c. A Berlin , Ie 14 Octobre 1762. Sire, -V . M. a trop de eomplaifance en approuvant Ie foible ouvrage que j'ai eu 1'honneur de lui envoyer. Si quelque chofe peut mériter de V. M. un peu d'indulgence en fa faveur, c'eft 1'intention que j'ai eue en le compofant. Vous aurez pu vous appercevoir en le parcourant que le fanatifme auquel des iornmes aveuglés ont donné Ie nom de religion.y tft toujours attaqué, foit directement, foit indirectement. Voila ce qui peut faire lire mon livre avec quelque plaifir a des gens raifonnables. Mais d'ailleurs qu'eft-ce qu'un ouvrage d'érudition a cóté d'un ouvrage d'efprit & d'imagination? c'eft un pefant & tardif chameau marchant a cóté d'un genét d'Efpagne. Une feule de vos épltres contient plus de penfées & detraits ingénieux que trois volumes in-folio de Scaliger. Je comparela première a un écrin qui dans fa petitefl'e contient un million en diamans, & les- feconds a un gros cofFre cü 1'on a enitimé pêle-mêle des pièces de toile , de drap &  CORRESPONDANCE. 2ï| quelques autres marchandifes , bonnes a la vérité dans ce qu'ellea font, mais du prix le plus modique «u égard aux diamans.' . i Que V, M. me permette de la remercier des deux tableaux qu'elle m a fait la grace de maccprder avec tant de bonté. Ce font deux pièces qus vous fites peindre autrefoispar le rils de H-arper, lorfqu'il lui falloit quelque argent pour aller a Rome. Vous n'avez jamais jugé a propos de les placer & ils étoient par terre dans la chambre qui touche celle qu'occupoit le Prince Ferdinand de Bronfwic; vous les aviez réellement deftinés a me les donner, comme j'ai eu 1'honneur de vous 1'écrire; ils font fuperbes pour mon cabinet, & ils étoient véritablement trop médiocres pour aucun de vos appartemens; fans quoi je ne vous aurois pas rappelé la plaifanterie que vous aviez faite fur ce qu'il falloit que je fifTe pour les avoir, V. M. ne doit pas douter de la joieque j'auraia la revoir; c'eft la chofe que je défire le plus dans la vie. Ainfi, quelque foible que foit ma miférab!e fanté , ayant prefque toujours des diarrhées qui me rendent d'une foibleflë extréme & que tout 1'art des médecins ne peut entièrement rétablir, je penfe que s'il eftqueftion de faire un voyage de dix-huit ou vingt milles, ce que je puis exécuter dans quatre jours, j'aurois aflez de forcespour le foutenirjmais s'il faut que j'aille jufqu'a Breflau., ce que je ne faurois faire dans moins de neuf ou dix jours, dans la foibiéffj oü je fuis, je craL;s bien qu'il ne m'arrive ce qui m'.-ft déja arrivé daas le deinier voyage qua  ti6 CORRESPONDANCE. j'ai fait, & que je n'entreprenne inutilement ce que je ne pourrois pas finir; & ce feroit un bien grand embaïras , fi j'allois refter malade dans quelque endroit également éloigné de Berin & deBuflau: dans 1'état oh je fuis aujourd'hui, c'eft un bien grand voyage pour moi que celui de quatre-vingts lieues au milieu de 1'hiver. 11 s'en faut bien . Sire, que j'aye oublié la traduftion de Piutarque ; j'en ai déja fait un quart; mais cet ouvrage fait un gros vo'une in-folio, & il faut plus d'un pour en verir a t>our. Vous me óivn fms doute: m^is pourquoi ave/-vous tra uit d'autres ouvrages? P.tniièrement, Sire 'es deux ouvrages que j'ai traduits, ne fo:it pas enfemblela valeur de vingt pages de Piutarque, & cela ne m'a coüté quefou peu de temps. Quant aux differtations que j'y ai joh tes, deux raifons m'ont obligé de les faire: j'ai compote celles fur Ocellus pour répondre in 'ir dement a trente libslles qu'o i publiolt en Allemague & en France contre les philofophes, & cela pour en revend toujours a celui de Sans-Souci & a ceux qu'il honoroit de fes bontés. J'ai compofé les difiertations fur Timée de Lectes, pourrépandre ftir ce monde, le plus déteftable dvspolfibles, une partie de Ia bile que nos ennem's me faifoient faire,& pour vilipender toute cetteprètraillequi fe réjouiflbit de nos infortunes; c'étoit la feule confolation que j'avois dans ces temps mal eureux. Je conliois mon chagrin au pi.pier; c'étoit toujours ua foulig-ment. Mon aa*e étoit trop abforbée dans ces ptnfées pour s'occuper umqueinent de celles d'ua  CORRESPONDANCE. 217 iincère & le plus agréable compliment, aüquel j'efpère faire fuccéder bientót celui que je vous écrirai fur la prife de Dresde. Sans être grand calculateur , je vois vingt mille Autrichiens de moins dans quinze jours , dix mille pris dans Schweidnitz , fix mille dans la bataille que le Prince Bhtil vient de gagner & quatre mille tués ou bltfleè fur le champ de bata.ile. Je crois que vous ferez pourtant content de cette campagne. La Fortune n'eft plus une Déeffe efclave des caprices des Autrichiens; elle s'eft affranchie du jo.ug fous laquel ils fembloient 1'avoir foumife. Que dira üute & toute ii clique, qui vouloit fi lacbement nous abandonner ? J'aurois, Sire, encore bien des chofes a oire a  CORRESPONDANCE. aio V- M. ; mais dans ce moment ma cuifinière entre peur me demander fi je ne donnerai pas ce foir une pctite fête, & ceque je veux pour mon fouper, ayant, dès que j'ai entendu les cornets des poftillons, fait prier quelques-uns de nos académiciens a vunir philofophiquement célébrer | la gloire du Prince Henri & des armes prufliennes. Nous ne nous couronnerons point de rofes, paree qu'il n'y en a pas dans cette faifon: nous ne boirons point de vin de Falerne , paree que nos marchands n'en vendent pointjmais hous verferons quelques bonnes bouteilles d'excellent pontac, qui feront bues en vous fouhaitant ainfi qu'au Prince Henri toute forte de bonheur & de profpérité: car pour de gloire, vous en regorgez tous les deux, & ce feroit vouloirporterde 1'eaua la rivière. J'ai &c. A Berlin, Ie 31 Octobre 1762. Sire, L'on ne peut rien voir de plus naturel & de plus fpirituel que les derniers vers que V. M. m'a,ait 1'honneur de m'envoyer. On diroit que les manes de Chaulieu & de la Fare font fortis des champs Elyfées , pour vous les dicler en commun. Si l'on pouvoit gronder les Rois, je vous gronderois de tout mon cceur & bien fort, pour parler avec tant d'indifférence d'une production charmante , que Voltaire mettroit au nombre de fes bonnes pièces fugitives. je doute qu'il put peindre auj >uiU'h-; K 2  2ZO CORRESPONDANCE. avec tant de force & tant de vérité lMndignatioa que l'on rtlTent en lifant 1'hifloire des forfait,- & des imptflures que de prétendus miniflres de la ïeligion ent perpétués de fiècle en fiècle & qu'ils s'erTorcent d'augmenter dans celui - ci. Je crains bien que quar,d vous viendrez a lire tout de fuite mes differtations fur Timée , vous ne perdiez !e peu de bonne opinion que vous en avez concue; enfin jjefpère que vous me ferez grage, en faveuc.de la.bonne volonté, & qua vous pardonnerez a 1'ouvrage par rapport au but de 1'auteur. J'en ai eu plus d'un en écrivant mon livre vous vous en appercevrez aifément; mais les deux prii cipaux ont été de détruire la fuperftition, & da venger dans la perfonne cu vertueux JuÜen tantde rois & de grands hommes outragés par ceux a qui dfs- imbécüies ont donné ie- nom de pères; üs étoient véritablement dignes d'être les pères de ceux qui les appelloient ainfi. J'ai cru devoir enfuite montrer le ridicule de cette philofophie platoni, cienna fur.laquelle on a enté certains dogmes du chriftiar.ifme, dont des tyrans fns foi , tels que C)nflantin § Öovis, fe fervirent habilement pour pirveoir a leurs deffeins , & pour s'acquérir uu pirti qui favorifat leur injufte pouvoir. J'efpère que j'aiprouvé tous ces faits éviciemmentparl'aveu des hiflorlens lts plus dévots: c'eft, fi je ne me trompe, avoir attaqué Terreur jufques dans tondernier retrtuichement. J'ai 1'honneur &c. A Berlin, ea Octobre 176Z.  CORRESPOND/iNCÈ. sai Sire, L * rneilleure facon , felon mon petit j'ugement, c'ert de faire marcher d'un pas égal Ia politique avec Ia guerre, c'eft de continuer a battre vos eri. namis & a les mener auffi vertement que vou» avez fait cette campagne. On répand dans ce moment la rouveile comme certaine que les préliminaires font figné; er.tre la Franca, 1'Angleterre & 1'Efpagr>e ; on dit même que le courier qui en porte Ia nouvelle a V. M. , doit avoir paffé le 5 de ce mois a Rotterdam. Si cela eft vrai, quelque condamnable que foit Ia conduite de Bute, elle ne me furprenl pas , paree que je 1'ai prévue, dès que M. Fict quitta Ie miniftère. Une chofe me co .fola, c'eft qu ; les armes étant journalières, après bian des victoires Ia Prince Ferdinand pouvoit pedra une bataille , & en ce cas nous aurions eu des Francois a Halberftadt & tout Ie long da I'Elbe, & paut-ère de plus grands embarras. Si tous les Francois s'en retournent, quand même ils remtttroient Wéfel aux Autrichiens, c'etl une épine de moins dans notre chemin. Je ne crains guères les Autrichiens feuls, & le fuccès de votre campagne eft une preuve que mon fentiment eft fondé ftr 1'expérienca. Vous me demandez, Sire, pourquoi depuis que'que temps je purge toujours, & Ia raifon pour quoi mes boyaux font relachés? C'eft que jepur^e K 3  222 CORRESF ONDANCE. 1'enlèvemeut de Schweidnitz dans deux heures, ?s prife de Colberg & la malheureufe fin de Pierre III. A chacun de ces événemens j'ai fait une maladieè; tuer un cheval vigoureux.' Jugez de Peffet que cela a produit fur mon corps déja affoibli. J'ai, Sire, cinquante-neuf ans ; je fuis né le 24 de Juin 1'an quaire de ce fiècle; & lorfque vous vous appeliez vieux, jugez donc comment je dois me regarder. Cependant je ne doute pas, Sire, que je ne puiffe faire le voyage de Leipfic , & même fans aucun rifque; car je travaille férieufement depuis quelques jours a me remettre, & quoique vous me traitiez de glouton , je vis auffi fobrement qu'un novice capucin. Avec ce régime & quelques remèdes fortifians , mon médecin m'a donné fa parole que je ferai remis pour le premier de Décembre,qui eft le jour que V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire devoir être celui de mon départ: je me fuis donc arrangé en conféquence. M. de Catt fe maria hier. II a eu le bon fens de faire fon manage fans cérémonie &n'apdéque fes plus proches parens. En vérité il n'y a qu'une feule voix dans le public fur fa femme; tout le monde en dit mille biens & je crois qu'il fera -véritablement heureux. Je penfe qu'il n'y a rien en général de fi mauvais que les femmes, mais Iorfqu'on eft aflez heureux pour en avoir une bonne, c'eft un grand bien pour un fimple particulier, quelque philofophe qu'il foit. Que ferois-je devenu fans, les. fecours que j'ai trouvés dans la mienne depris  CORRESPONDANCE. {rois ans? II y a longtempi que je ferois enterré. Le raai a la vérité feroit fort petit pour le public, mais grand pour moi, qui ai tant fouhaité depuis deux ans de pouvöir encore avoir lé bo;i« heur de vous revoir. J'ai' &c. A Bsrlin, Ie 10 Novembre 1762. S IttE, > En recevant la lettre de V. M. j'ai d'abord fait retcntir le bruit de hache fur les chênes, j'ai fair. allumer les forges de Vulca'in, j'ai fait dépouiller de leurs peaux les habitans des forêts. Tout celay dit profaïquement , fignifie que j'ai fait venir ua pelletier, pour acheter une bonne peliffe , un ehairon & un mareend , pour refaire mon caroiïe.' 3 demi ruiné, & le mettre en état de me conduire par les mau -ais cbemins fans accident. J'attend» donc les derniers ordres de V. M. & le chaffeur qu'elle veut bien m'envoyer pour me guider dans ma route. V. M. m'ayant permis dans les voyages que j'ai faits jufqu'a préfent de mener Madame d'Argens, pour foigner ma^ dolente & vieille machine, qui n'eft ni meilleu-e ni rajeunie depuis ces voyages, je ne fais pas ce que je dois faire,puifquej'ignore fa volonté a ce fujet. J'attendrai donc, pour prendre mes arrangemens fur cet article,ce qu'il vousplaira de décider. J'ai 1'honneur, Sire.de vous remercier des por» K 4  2ï+ CORRESPONDANCE. eelaines dont vous me parlez ; mais je puis affurer V. M. que mon zéle pour elle reffemble a 1'amour de Dieu des Janfénifles, qui ne 1'aiment que pour lui feul ; & quand même vous ne me témoigneriez pa? toutes les bontés dont vous m'honorez.jen'en ƒ rois pas moins le plus zélé de vos fujets & le plus grand de vos admirateurs, quoique tous les gens qui refptftent les grandes vertus & les qualités béroïques foient de leur nombre. Et quel eft 1'homme raifonnable qui, après ce qui s'eft paffé depuis fept ans,puiffe vousrefufer fon admiration? - J'ai 1'honneur &c. A Berlin, le 02 Novembre 1762. SlïE, M on premier foin, en arrivant a Berlin , doit ètre de remercier V. M. des bontés dont elle m'a honoré cet hiver a Leipfic: mais je fais qu'elle hait autant les complimens qu'elle aime a faire le bien ainfi je ne lui exprimerai que fciblement les fentimens de la refpectueufe reconnoiffance dont je fuis pénétré. J'ai trouvé Ia ville de Berlin dans une joie quï ne peut être exprimée , mais quf cependant fera encore augmentée lorfque vous y arriverez. La paix a répandu un air de gaieté furtous les vifages, & vous croire i, lorfque vous re verrez les bons Eeiiinois, qu'ils font tous des Sybarites enivrés de plaifirs & qu'ils n'ont jamais connu les chagrins  CORRESPONDANCE. 225 grins , fi fort ils 011 oublié ceux que leur a caufés la guerre. V. M. ne m'accufera plus de pareffe; j'ai fr.it Ie voyage de Leipfic a Berlin dans-deux jours , pendant lefquels j'ai couru nuit & jour fans fonir ce mon carroffe. Je partis quatre heures après V. M , malade, fouffrant des dou'eurs. A peine fus-je a une lieue de Leipfic que je me trouvai beaucoup mieux, & 1'envie de revoir notre fainte terre de Brandebourg acheva de me guérir. Lorfque j'eus paffé un certain petit ruiffeau qu'on me dit féparer la Saxe du Brandebourg , je fis comme les Juifs quand ils arrivent a la vue de Jérufalem,& jelouai le Seigneur d'être dans le pays des é!us & des enfans de Dieu. En vérité, Sire, vous avez bien fait de faire Ia paix; grace a elle, j'efpère que les plus longs voyages que je ferai le refte de ma vie feront de Potsdam a Berlin. C'eft a vous qui avez dotnpté 1'Europe a la parcourir, fi bon vous femble; pour moi je fuis bien.content de bomer mes courfes a aller du cbateau de Potsdam a celui de Sans-Souci. Je voudrois, Sire, vous y voir déjè jouir de la gloire immortelle que vous vous êtes acquife; mais après avoir pris patience fept ans, je puis bien Ia prendre encore cinq femaines. Cependant, Sire, ce temps me paroitra bien long, ainfi qu'a tous vos fujets, qui n'afpirent qu'au plaifir de vous reio r. J'ai 1'uonneur Sec. A Berlin, le so Février 1763. K s  12 Ó CORRESPONDANCE. Sire, J'ai eu 1'honnèur d'écrire è V. M., Ie lendemain de mon arrivée a Berlin, la joie & la fatisfaftion ere j'y avois trouvées parmi tous les habitans; elles vont tous les jours en augmeiatant. On ne voit ici cue feftins, que bals chez les grands & que fêtes chez les petits. Au milieu de tous ces plaifirs, je fais des vceux pour 1'heureux retour de V. M. Je (raduis Piutarque. J'envoie dix fois par jour favoir fi les bateaux vont , & dix fois l'on m'annonce qu'ils ne navigeront pas de quinze jours; ce qui me dérar.ge fort pour le tranfport de mes meubles; car s'il faut que je les faffe tranfporter par terre, il me faut pour le moins douze chariots , qui a vingt écus par chariot me couteront'deux eens quarante écus', au lieu de vingt-cinq que je payerois l f faire. II me reile encore cependant une trés-grande foibleffe, & je ne puis fortir de chez moi: mes jambes font encore trés - enfiées ,• car a force de quinquina ét d'autres remèdes que m'avoit donnés le premier médecis pour m'arrêter la tièvre, il m'avoit caufé un cömmencement d'hydropifie, dont cependant je n'ai plus rien a craindre 'aujourd'hui* Voila, Sire, ce qui m'a empêcbé de m'acquitter de mon devoir, ei d'écrire A. V. M, Quoique ja me flatte qu'elle connoit aflez ma probité & ma droiture pour ne pas penfer que je cherche a lui en impofer pour juftiiïer mon retardement a me rendre a Potsdam; cependant, Sire, pour ma propre fatisfaciion, & pour calmer la crainte ou je fuis de déplaire i V. M. , j'ai 1'honneur de lui envoyer le certificat du médecin a qui je. dois la vie ; c'eft unHiomme célèbre dans fon art, un philofophe aimable, ami ancien de Milord Maréchal, a qui il écrit une lettre a mon fujet. J'ai fait iégalifer ledit certificat par- les premiers magiftrats de la ville, paree que la feule chofe aujourd'hui qui puiffe empêcher Tender rétabliffement de ma fanté, c'eft Tappréhenfion que V. M, ne me crüt capab'e de chercher de vains prétextes pour prolonger mon voyage. Elle verra par le certificat que je lui envoie, que je ne puis me mettre en chemin que dans fix femaines, & qu'il faudra voyager encore bien lentement. La faifon alors fera fort lifcourfiufe, furtout vers le milieu de mon voyage.  24o CORRESPONDANCE. Si V. M. vouloit m'accorder la permilïïon de refter ici jufqu'au premier de Mars, j'arriverois k Potsdam vers le milieu d'Avril, & je ferois ce voyage d'autant plus commodément, que mon frère qui commande le régiment de Royal-vaifftau, & dont le régiment eft en garnifon a Maubeuge en Flandre, m'accompagneroit jufqu'a Bruxelles & même jufqu'a Wéfel, étant en Provence aétuellement en femeftre & retournant au mois de Mars a fon régiment. Sur tout ce que je propofe ici a V. M. je la fupplie inftamment de n'être pas fachée; elle n'a qu'a ordonner, & dar.s quelque état que je fois, jé pattiiai ,fi elle le fouhaite fa lettre recue, fi elle daigne m'en honorer , ou fur les ordres qu'elle me fera donner. Je laprie, fi tlle me fa t 1'honneur de me répondre, de me faire remettre fa leyre par la voie de M. Schutz , banquier a Beiiin, qtü me la fera remettre de banquier en bandier, fans qu'elle paroiffe a mon adreffe; fans cela elle court rifque d'être r^tenue au bureau de Paris, dès que moi nom paroltra defius. La dernière lettre dont V. M. m'a honoré, qui me vint par la voie de MM. Girard & Michelet.a été fort bien jufqua Paris a M. Mettra; mais celui-ci me 1'a'yaat adreffée en droiture de Paris, elle a été retenue pendant trois mois, & je ne 1'ai recus que quatre jours après que j'étois en route pour Berlin; elle me fut renvoyée d'Aix, oü elle ne faifb.it que d'arriver. Je ne paflerai point a Paris, Sire, & qu'irois-je faite dans cette ville, oü tous les efprits  CORRESPONDANCE. 2il tfprits font dans une agitatie* encore plus Êrjrte que celle qui trouble le cerveau des gazetiers ? On m'a dit, Sire, que d'Alembert vient de faire un ouvrage qui lui attirera un jour bien des ennemis; je ne ferai pas faché s'il eft perfécuté, pourvu que cela 1'attire i Potsdam. On m'affüre qu'il a penié mourir dans le temps que j'étois fort malade; nous aurions été très-furpris tous les deux de nous voir tout i coup dans le féjour du grand Belzébuth , qui tient dans fa puiffance les Trajan & les Platpn, j'ai 1'honneur &c. A Avignon, ce 10 Septembre 17G5. SlEE , Permettez qu'au commencement de cette année je fouhaite a V. M. tout ce qu'elle peut défirer. Je crois , Sire , que je ne puis faire de vceux dont 1'accompliffement lui foit plus avantageux que de demander au Ctel qu'elle jouiiTe d'une fanté auffi bonne que fa gloire eft grande. Vous auriez, Sire, la force d'Iiercule, ainfi que vous avez acquis fon immortalité fur la terre; car j'ai trop 1'honneur de connoltre V. M. pour penfer que. vous vouliez vous brüler dans ce monde pour aüer être immortel dans 1'autre. J'ai eu 1'honneur d'écrire a V. M. après la maladie qui m'avoit conduit aux portes du trépas & qui m'obligei de refter a Montelimar en Dauphiné & de me faire tranfporter ei.fuite a Avignou, oü Oeuv. po;lh. de Fr. 12. T. MU. L  242 CORRESPONDANCE. j'ai été obligé de demeurer fix femaines. Je me porte apjöu'd'bui fort bien & je partirai Je premier de Mars pour arriver le plutót pofiible a Potsdam; je cömpte tf'y étre vers' le quinze d'Avril..V. M. ne jr.'ayant pas fait 1'honneur de me faire favoir fes ordres , ayant pris la libertó de lui écrire d'Avignon, je crains qu'elle ne foit fichée contre moi; mais je Ia ftipplié de cor.fidérer que Ia meilleure volonté ne peut réfifier a une force fupérieure. M. de Catt m'a mandé que V. M. avoit trouvé inutile que je lui eufie envoyé des certifkats. J'aurois fouhaité, s'il avoit été pofiible, de vous envoyer Ie vice - légat dans une lettre & tous les protonotaires apoftoliques qui font a Avignon; car je n'ai jamais rien craint autant que de manquer dans la moindre chofe au refpect que je dois aux ordres de V. M. Mais enfin, Sire, vous me permettrez de répéter encore qu'è Pimpoffible nul n'eft tenu, & je connois trop la juftice de V. M. pour vouloir m'imputer une négligence qui n'a pas dépendu de moi. Voici, Sire, les nouvelles que je fais dans ma folitude. La fanté du Dauphin eft toujours déplor^b e; fa perte .ietera les deux tiers du royaume dans la confternation, I'aiitte tiers s'en réjouiia dans le fond du cceur, fans ofer le faire paroltre: ce tiers eft compofé des janfénifies, dont il étoit 1'ennemi déclaré. j D'Alembert'eft allé fe fourrer dans les affaires des jéfuites & das janfénifies; il a écrit un ou-  CORRESPONDANCE. 243 vrage fur la deftruftion des jéfuites, dans lequel il les juflïfie quelquefois & les condamne fouvent. Dans ce même ouvrage les janféniflss Tont cruelle-j ment outragé3 & beaucoup plus que les jéfuites;de forte que tous ces gens fi oppofés entre eux fe font réuni5 pour attaquer d'Alembert. Ils ont dévoilé fa naiiTance, ils ont critiqué fes aftions, enfin ils ont inondé la France de libélles dans lefquels il eft traité fans ménagement. Quelque phiiofopha qu'on foit, cela déplalt, furtout quand la phiïofo. phie ne nous a pas dépouillés de 1'amour propre. En vérité un homme fage ceffe de 1'être, lorfqu'il va fe mêler de toutes ces querelles de prêtres & de moines; il faut être auffi étourdi & auffi pétu-, lant que le font en général les Francois , pour entrer dans de .pareilles difputes. Corneille a dit des Romaios : Romains contre Romains, parens contre parenS Combattre follemsnt pour le choix des tyrans. L'on peut dire avec autant de vérité des Francois : Francois contre Francois, parens contre parens Combattra fo;:cment pour le. choix des pédans. J'ai écrit a d'Alembert. & je n'ai pas manqué de lui dire le paffage de Molière, qwdiabl; all it-ii fair' dans cntt gjÜiètt ? En véri é , Sire, outre les obligstions qua j'ai a V. M., j'en ai ene > e de très-granies i rous les Allemmls. C'eft en vivant chei eux qua je me. fuis dépouillé de cet efprit L %  244' CÖRRESPQND/1NCE. turbulent qui femble inféparable'du génie francois. Qu'a de commun la phüofophie avec la bulle mi. Sf-ritus, & qu'importe a un difciple de Bayle ou de GalTerdi 1'état des janféniftes ou des molimfte6? Que diroit-on d'un homme fage ou qui voudroit paffer pour 1'être, qui s'ocaiperoit du rang que doivent tenir les fous dans 1'hópital qu'ils habi. tent? Janféniftes, jéfuites, calviniftes, luthériens, anaKaptiffes, quakers, tous ces gens-la ne font-ce pas des fcus pour un pbifofophe ? 1'ai recu une lettre il y a quelques jours de Voltaire, qui m'a envoyé fes ouvrages, & qui re manque pas de me dire que lorfque je pafferai a Lyon , il feroit honteux que le frère Ifaac ne virt pas-voir le frère Voltaire; qu'il vouloit, a 1'exemp'e des hermites Antoine & Paul, recevoir ma bénédiétion avant de mourir. Mais je ne pafferai pas par Genève, fi je n'en ai une permifiion expreffe de V. M. & tous les hermitts &'pères du dgfert, fans I'ordre de V. M., ne pourront rien fur moi. J'ai 1'honneur &c. Le i Janvier 1766. Sire, J'ai eu 1'honneur d'écrire a V. M. il y a quelques joa-s pour avoir le bonheur de lui fouhaiter une bonne année, fans inquiétule d'efprit & fans dou-.eur de corps. .Si jamais un grammarien ccm  CO R RE SP ON D ANCE. *45 mentoit ma lettre, il diroit que Iorfqu'cn écrit a un Roi philofophe, ce que Ton entend par les inqiiétudes d'efprit, ce font les intrigues des cours étrangères, paree que tous les évéaemans qui dé* pandent du fage , ne lui donnent jamais aucun fouci; mais toute la fageffe du monde ne peut rien contre des accidens caufés par la folie. Souiaiter donc a un Roi tel qre vous la tranquillité de 1'efprit, c'eft fouhaiter que le bon fens rèrne cette amée dans toutes les cours de 1'Europe. Ainfi foit-ül Q:lje de France vient de perdre un grand Prince, qui aimoit le peuple & qui 1'aaroit randu heureux, & cela avoit un jour dépendu de lui; il eft mort non feulement comme un faint, ce qui pour nous philofophes n'sft pas grand' chofe , mais avsc la fermeté d'un héros. Peu de momens avant fa mort il fit venir fes trois enfins; il dit au Duc- de Berry qui doit régner ua jour, les chofes les plus nobles & les plus touchaates. Je crois que les janféniftes gagneront beaucoup moins a fa> mort qu'ils ne Pont efpéré. Le Roi dans trois mois a détruit totalement deux pariemens , celui da Eau & celui de Rennes: l'on fait te procés crimine' a fept mambres da ca dernier, qui ont pouffé la licence jufques a écrire les lettres anonyrnes les plus infolantes au-Roi. Un da ces criminels eut Tauiace de dire un jour ea paffant dans la place oü eft la figure équeftre du Roi autour de laquelle il y avoit plufieurs perfonnes: M'JJi.urs, c'eft contre cette ftatue que nous- defenirms L 3  s46 CORRESPONDANCE,. vos droits. La clémence dont on avoit ufé depuis dix ans envers toutes ies infultes que des .bourgeois revêtus d'une charge qu'ils avoient achetée faifoient journellement a la majefté & a l'autoritó royale, les avoit enhardis a ne plus garder aucune bienféance. Le parlement de Touloufe avoit décrété le Duc de Fitz James, Gouverneur dö Languedoc, de prife de corps; celui de Rouen avoit caffé deux édits du confcil du Roi & dé fee du. fous peine de la vie de les exécuter. Ces robitis fe croyoient des gens d'importance; ils viennent d'apprerdre h leurs dépens que pour les anéantir le Roi n'a eu befoin d'autres moytns que de le vouloir. V. M. a-t-elfe vn la nouvelle édition du Dictionnaire philofophique de Voltaire? II m'a mis dai.s Ia préface comme auteur de 1'article Gerèfe. II a été chercher dans mon Timée ce que j'ai dit fur Moyfe & fur le Pentateuque; il a ajouté a cela fept ou huit bonnes impiétés. , Ce qui 1'a engagé è me faire ce tour, c'eft que fon livre a été mis par 1'affemblée du clergé fous 1'anathème éternel , & pour diminuer ja flétriffure de cette condamnation, il a mis dans cette nouvelle édition le nom de plufieurs perfonnes qu'il dit lui avoir envoyé les principaux articles de fon Dictionnaire. Cet homme mourra comme il a vécu.. Je viens de recevoir quatre exemplaires de fon Dctionnaire, qu'il m'a envoyés en préfer.f. Je r.e puis pas nier que le fond de fon article. C .r.:y  CORRESPONDANCE. 247 ne foit de moi, puifqu'il eft extrait de mes notes fur Timée; mais je ne lui ai rien envoyé, j'ai encore moins écrit quatre ou cinq impietés très- p'aifantes, mais trés-capables de faire crier les dévots & toute leur clique. Si V. M. ne trouve pas ce livre a Berlin, j'aurai 1'honneur de lui en remettre un en arrivant; car elle aura auffitot cet , exemplaire que celui qu'elle pourroit faire venir, étant fermement réfolu de partir a la fin du mois de Février de ce pays , le temps y étant déja aftez beau. Je prie encore inftamment V. M. de n'ê re pas fachée fi je ne fuis pas arrivé au com- mencement de cet hiver; mais quelque envie que j'en aye eu , la chofe m'a été impofli ilc , & après la cruelle maladie que j'avois faite, j'é'.ois trop foible pour pouvoir entreprendre un long voyage dans !a mauvaife faifon. J'ai Thonneur &c. A Eguilles, le 4 Janvier 1766. Sire, J'aurai l'honneur de me mettre aux pieds de V. M. avant la fin du mois d'Avril; je pars d'ici dans trois jours pour Strasbourg en droiture; ma voiture eft déja arrêtée , & qui plus eft payée jufqu'a Befancon; je ferai le voyage dans un bon carroffe fans courir la pofte , car en vérité j'ai reconnu que pour aller plus vite, je devois me foumettre a la néceffité d'être obligé de faire les L 4  243 CORRESPONDANCE. jcurnées que Ie cocher avec lequel j'ai fait marchi peur me conduite, a réglées par fou accord. C'efi la uri moyen afiuré que j'ai trouvé pour me garantir des attaques & des tentstions de Ia pareffe: quant aux maladies, j'ai une ft grande attention £ rra fanté, & je ménage fi fort mon eftomac, Que je défie bien toux, fièvre, apoplexie, De pouvoir de cent ans attenter & ma vie. Je ferai depuis Lyon jufqu'a Berlin mon voyage avec M. Stofch, qui vous a vendu, a ce qu'il m'a dit, un magnifique cabinet de tableaux & de raretés. II eft ver.u me voir ici a Eguilles trois fois, & il m'attend a Lyon, oü il avoit que'ques affaires qui 1'obligeoient de s'arrêter' dans cette ville. Vous enrichiffez donc toujours vos palais, Sire, & furtout Sans-Souci, des précieufts reli. ques de 1'antiquité, dont la plus petite vaut mieux que toutes celles que poffède 1'églife de Magdebourg ; je n'excepte pas même la pantoufle de Ia Vierge. J'aurois, Sire , bien des cboC-s a dire ici & V. M. au fujet de ce qui fe paffe dans ce pays. Le Roi vient enfin de s'appercevoir que des gens. faits pour juger les procés, vouloient marcher de pair avec lui; il les a punis, & les a fait rentrer dans 1'état oü ils doivent être. Jamais les parlemens fous Louis XIV n'ont été fi humiliés; tous les gens de" bon fens en font charmés; ces préten. dus défenfeurs des peuples devenoient infupporta- bles  CO KR ESP O ND ANCE. 24; bles au peuple par leur fierté. Je n'ai jamais mieux compris combien il eft néceffaire qu'un roi feit ÉBafcre abfolu . que depuis que je fuis en France;. touj les prétendus états mitej ens entre le pcupe & le roi ne font que da pofiits' t>,rans, qui manquant également a leur mate» & k ^ * toyens. L-'on a beau dira que fous un mauva.s roi des perfonnes qui balancenc fon pou-'oir font tresuciles; je ré >onds a c-!a que je ne-doute pas que le-pinple n'ait été infinimanc plus heureux & plus-, tra.-.quille en France fous Louis XI, gjj'fn A-igletarïè fous le regSê de ia maifon de Stuart, dont la puiffanca étoit fi ba'a céa. V. M. fora étonnée de voir qua je fuis devenu fi anti- parlementaire; c'ef qua j'ai appris pendant cinq ans 4' Barftn le |an qui réfute da n'avuir qu'un maitre, qui fait fe 'faire obéir; & qua ja n'ai jamais mieux coanu ca bian qua depuis qua j'ai .u tout ce qui fo-paffe en France. Dapu's que ie fois ici, j'ai voulu connoitra les taifons, les caufas da bian des chof s: & je fais venu è bout da ca que fe fouhaitois. Ei Vérité, Sire, ce feroit domuiage que je fufTa mort a Avignon, car j'ai bien fait une bonne provifion pour les founés philofophiquis de Sans-Souci; j'ai en vieilliffant ramafla de q tói fuppléer 4 la perte de rimagination & au dépéritfemenc de Tefprit ; & j'ai meublé ma mémoire de trente contes, pour dédommagar mon a,na da la pefantaur dont elle devient tous les jours , & du peu de. vivacité qui L 5.  •tSo . CO RRES P O N*D ANCE. WH refte. Un autre qua moi regretteroit cVavdh* perdu ce peu d'imagination dont la nature 1'avoit doué, & craindroit de paroitre comme dépouillé de ce qui a pu le faire goüter dans le monde; mais je fais que V. M. ne fera point fécher un figuier, paree qu'il ne porte plus que des feuilles, dans une faifon oir il ne peut avoir des fruits» Voila, Sire, ce qui me raffure. J'ai Thonneur &c. A Eguilles, ce 20 Mars 1766.. Sibe, J'a 1 Thonneur d'envoyer a V. M. des vers qu'on débite fous mon nom a Potsdam & a Berlin. Je voudrois les avoir faits, paree qu'ils font excellens, dignes de Voltaire ou de vous, & fi vous n'y étiez pas loué, je croirois que vous en êtes 1'auteur; car je ne connois perfonne dans ce pays capable d'en écrire de pareils. Si vous ne les trou>vez pas bons, je dirai alors en vain contre le CU' un Miniftre Je ligue &c. Vers au Roi de Ptuffe. La mère de la mort, la vieilleffe tremblante A de fes bras d'airain courbé mon foible corps, Et des maux qu'elle entraine une fuite effrayante; De mon ame immortelle attaque les reflbrts. Je brave tes affauts, redoutable vieilleffe;.  €0 R RES? OND ANCE. »5ï Je- vis auprès d'un fage, & je ne te crains pas; II te prêtera plus d'appas Que le plaifir trompeur n'en donne a la jeuneiTe. Coulez , mes derniers>urs, fans trouble & fans, terreur; Coulez prés d'un héros dont le male génie Vous fait goiïter en paix le fonge de la vie," Et depouille la mort de ce qu'elle a d'horreuri Ma raifon, qu'il éclaire, en eft plus intrépide 3, Mes pas par lui guidés en font plus affermis v , Tout mortel que Pallas couvre de fon égide, Ne craint pas les Dieux ennemis. Philofophe des rois, que ma carrière eft belle | l'irai de ce palais par un chemfn de fleurs Aux champs élyfiens parler a Mare-Aurèle Du plus grand de fes fuccefleurs ;^ A Sallufte jaloux je lirai votre hiftoire, A Lycurgue vos lois, a Virgüe vos vers: Je furprendrai les morts, ils ne pourront m'en croire; Nul d'eux n'a raffemblé tant de talens divers. Mais lorfque j'aurai vu les ombres immortelles, N'allez pas après mol confirmer mes récits; Vivez, rendez heureux ceux qui vous font foumis, £t n'all'ez que bien tard rejoindre vos modèles. Le Marquis a'Argens, Le poëte, Sire qui place mon nom au delTóus de c^s vers & qui me le> atm'uia, me fut furament bien de l'hon.eur; mus ilfetr mpe fort (quelque admirateur que je fois de la gloire da V. M.) L 6  CORR E ST O NBANCE. ili croit que je fuis preffé d'en aller entr^nir Mare.- Aurèle. Affez d"autres, Seigneur, s'acquitteront fans moi: Sur ces funeftes bords d'un fi brillant emploi. A propos, Sire, comme 1'état naturel de 1'hoaime eft d'avoir toujours des rhumat'fmes ,.des crampes, des Sèvres, & que perfonne ne rempüt mieux cet état que moi; la volonté de V. M. tft - elle (fipar hafard en foignant ma fanté je venois contre l'ordre des chofes a me porter paiTablement) qua j'aille a Berlin ? Je la fupplie de me faire donner tes ordres a ce fujet par M» de Catt,pour que je puiffe p;endrealors quelques gouttes de p'üs, &. quelques paques de poudre, pour violer toutes les Iois du meillenr monde poffibl» , eü l'on doit toujours avoir dés courbatures. Je ne murmurerois pas contre ces lois., fi je pouvois faire d'auifi bons vers que ceux que j'ai 1'honneur d'envoyer a V. M. & que j'aimeroü mieux avoir compofés. Que ceux qu'a faits, fait, & fera Monfieur le Chcvniier d'Ora. ' J'ai 1'honneur &c. A Potsdam, ce 14 Ddcembre 1767; SlBE, "Votee Eloge du Prince Henri m'a dégelë pendant une demi • heure & votre éloquence a produit fiir moi ce que le poële le plus ardent n'a pa.  CORRESPONDANCE. 255 fa:re depuis trois fcmaines. Vous avez Ie feu de Démofthène, la noble véhémence de Bourdaloue, & vous tempérez cela, lorfque vous voulez, par lei graces de Fléchicr. Pourquoi avez-vous répété deux fois dans la même page une phrafe expritnant la même penfée & dite dans les mêmes termes ? Voici cette phrafe: d'un enfant qui n'a laijfè aucune tracé de fon exijlence. Si vous n'aviez pas commis cette légere inadvertence, vous auriez fait ce qui n'eft pas réfervé a un. mortel, un ouvrage fans défaut. Les pages 8 & 9. de votre difcours valent mieux que le Diftionnaire de Suidas; & j'aimerois mieux avoir écrit Ja page 20, que tous les livres de Scaliger. Quant a la page 2 7, elle eft au deffus de mes louanges: c'eft aux Bourdaloue, aux Patru &. aux autres maitres de 1'art d'en faire 1'éloge. J'ai 1'honneur ccc. A Put«dam, ce 5 Janvier 1768. SlR E, jPaemi les maut dont V. M. fait I'énumération dans les vers qu'elle m'a fait 1'honneur de m'envoyer, elle a oublié le mal aux dents, & c'eft précifément celui qui m'a empêché de remsreier plutó.t V. M. de fon Eplcre.dont les vers fo:;ttrès-bons. Je 1'ai relue deux fois, j'ai toujours a.lmiré combien V. M. a Tart de peindre les chofes les plus ümples avec une vérité qui les fait valoir : la defcription du friefel eft admirable, on ne peut renlre plu& \> 1  254 CO R RE SP O ND ANCE. hoblement un détail qui paroit d'abord fi com'mun. 'Le coup de patte que vous donnez en pafl'ant -iux bigots, m'a fait bien rire d'un < óté; car Ia douleur de ma dent- m'empêehoit de remuèr )a machoire 'de 1'autre. Enfin, Sire , tout bypocondre que mè fuppofe V. M., j'ai trouvé votre ouvrage charmant; il n'y a que i'épitbè'te de joürnbis que vousms donnez , qui m'a fcandalifé. Si vous aviez pl'acé ce mot a la fin d'un vers , je n'aurois rien dit, jè connois jufqu'oü la néceffiié de la rime emporte "quelquefois les meilleurs poëtes ; mais m'appeller foumois au milieu d'un vers , en vérité cela n'eft guères chrétien. Continuez , Sire, de faire de bons ouvrages, duffiez - vous les écrire tous contre mes maladies, & moi de mon c6té je continuerai de boire mes bouteilles de tifane, pour foulagcr une poitrinequi ne vaut guères mieux que celle que Maupertuis humectoit d'eau des Barbades & qu'il conduifit bientót par cette Iiqueur a la parfaite maturité. Quant 4 moi, je veux encore refter vert, s'il eft pofiible. pendant quelques années, parco que ja n'ai point 2chevé de compiler tous les paffages dont j'ai befoin pour compofer une douzaine de volumes in-folioqui pourront être d'une grande utilitéalapoftérité pour tous ceux qui auront la diarrhée. J'ai 1'honneur Sec. A Potsdam, cè 5 Février I7<58*v  CORRESPONDANCE. 25S I S iaJt, J?oor répondre aux queftio"s que V. M. m'a fait la grace de me propofer , faWtt 1'hohneur de lui dire avec 1'impartialité dun Juif qui nedéci ie point entre Genève & Rome, & qui regarde d'un même teil le focinien & Ie catholique , 1) que la dlvinité du fils de Dieu n'a poir.t été crue dans les trois premiers fiècres ; on a feulement regardé jé lus comme une créa'ure ir finitrent plus parfii'e que lts autres, mais cependa-t bien inférieure a &feü le père, qui n'étoit , pour ainfi dire , celui do Jéfu- que par . ado;tion. C'eft ce que r.ous voyons c'airement par le témoignage des plus frands pères de 1'Eglife, qui ont vécu 'avant le concile de Nicée. Origène, qui naquit vers 1'an 185, & qui fleurt au troifième fiècle , dit dans fon ouvrage contre Gilfe, que de ' fon temps il y avoit quelques gens de Ia "multitudt qui croyoient que le fils étoit égal au père 3c Die» comme lui j mais que ces geus étoient des ignorans Aujourd'hui les dodtcurs catholiques tAchent de juftüïer Origène & donn.ent la torture a certains endro;t3 de fes ou rages, mais cette conduite eft pitoyable & ne peut fervir qu'a tromp er quelques gens qui ne connciffent pas les écrits de ce père. St. Jérome étoit de rneilleure foi que les fhéolo, giers modemes; car il accufe ntttement Origène dVoir avancé que le fils en comparaifon du père itoit une petite lueur; qu'il n'étoit pas la vérité,  -»5tf CQRRESPOND-ANCEl mais 1'image de la vérité; qu'il étoit vifible & !e pèreinvifible. Le faneuxM. Huet.évêqued'Avranches , eftconvenu dans ees derniers temps qu'Origèrie dit clair-emer.t que le fils en comparaifon du père n'étoit point la bonté même,mais feulement 1'image de la bonté. Cette doctrine étoit celle des pères qui avoient précédé Origène. Aucun d'eux n'avoit fait Jéfus égal a fon père. St. Juftin, qui vivoit vers Tan 150, di' dans fon Dialoguepag. 356 & 357, quelepère eft invifible & le fils vifible, & que la grandeur du fils n'approche point de celle du père. Jepourrois, fi je voulois, placer ici les autorités de dix autres pères de 1'Eglife; mais je renvoie ceux qui feront' curieux de les voir a Pouvrage du père Petau (*-). Ils verront dans Ie huitième chapitre du premier livre de cet auteur trois faits établis; le premier eft que la do&rine conc'amnée par le concile de Nicée dans la perfonne d'Arius ne lui étoit pas particu'ière, mais qu'elle avoit été commune a beaucoup d'écrivains qui Vavoient précédé. Le fecond eft que Ie dogme de la divinité du fils de Dieu n'étoit pas bien établi , ni expliqué, avant le concile de Kicée. Enfin le troifième eft quece n'a été que parcxagération qu'AIexandre, Evêque d'Alexandrie, s'eft plaint dans fa lettre rapportée par Théodoret, qu'Arlus avoit inventé un dogme nouveau . & que perfonne n'avoit enfeigné avant lui. Que peut-on C*) Cat ouvrtge elt imituié : Petavii dogmata theologica*  CORRESPONDANCE. 257 demander de plus que cette coufeffion d'unthéologien catholique, & qui plus eft jéfuire? Je conviens que le père Pctau fut dans la fuite trés - fiché de 1'avoir faite; il avoit d'abord eu pour butderepré-, fenter naïvement la doctrine des premiers fiècles, & il n'avoit point déguifé les opinions des pères; mais il feritit bientöt que c'étoit apprendre au public une chofe qu'il devoit ignorer; on cria contre lui, non feulement en France, mais même en Angleterre , oü plufieurs théologiens proteftans le mal. traiterent dans leurs éc. its; il fit donc une préface dans le but de détruire ce qu'il ajoit établi auparavant; il changea du blanc au noir; il facrifia la réputation de bon critique k celle de théologien orthodoxe ; il fit amende honorable aux pères, & dit mille puérilités pour preuver leur orthodoxie fur la trinité. 2) Ce fut au concile de Nicée que le faint Efprit fut déclaré troifième perfonne de la trinité. 3) II n'y a aucun concile général qui alt établi 1'infaillibilité du pape ; au contraire, des conciles généraux ont qudquefois dépofe des papes. La doccrins de Tinfaiüibilité du pape eft feultmejat fouienue publiquemmt par tous les théologiens ultramontains , & fourdemsat en France par les jéfuites. 4) Le dogms iafenfé de la tranflubftantiatlon a coinmeiicé a s'établir dans les écoles de théologie au ondème fiècle , & a éié confirmé par le cor.ciie de Trente, a 1'occafion de ce qu'il avoit  S5* C'0R RESP O NDAKCË. été rejeté par Luther & Calvin, comme une nouveauté ridicule. 3) Le dogme du purgatoire eft plus ancien