O E Ü V R E S POSTHUMES D E FREDERIG II, R 0 I DE P R U S S E. Tome XIV. su1vant la coeie imprimee a berlin chez vos3 et DECKER. I789.   CORRESPONDANCE LETTRES. DE MONSIEUR UALEMBERT J'ai trop bonne opinion de ma patrie pour imagiaer qu'elle me faffe un crime de lareconnoifiance; mais düt-il m'en arriver des malheurs que je ne dois ni prévoir ni craindre, je cède a unfentiment plus fort que moi. Je fupplie donc V. M. de recevoir mes très-humbles & très-refpeftueux remercimens pour la belle épttre dont elle vientdem'ho. norer. Rïon amour-propre, Sire, en elt fi flatte, & a fi jufte titre, que mes éloges doivent être fufpefts; cependant, ma vanité mife a part, il ne me paroit pas poffible d'exprimer avec plus de farce & de nobleffe des vérités hnportant.es au genre ksmïin, & nwlheureufement trop peu connue» de A z AU ROL S I P E }  4 - CORRESPONDANCE. ceux qui devroieut en être les plus puifians defenfeurs. Les circonftances préfentes, & monrefpeft pour les occupations de V. M., ne me permettent pas de lui en dire davantage. Puiffions-nous, Sire, pour le repos de f humanité, & pour le bien de la philofophie, qui a fi grand befoin de vous, jouir bientöt de cette paix fi défirée! Elle me procurera le faul bonheur que je fouhaite, celui d'aller mettte aux pieds de V. M. ma profonde vénérati* on, & mon attachement inviolable. Cette profe, Sire, ne vaut par les vers de V. M.; mais les fentimens qu'elle exprime font fimples & vrais comme elle. Je fuis avec le plus profond refpeét- &c. A Ptris, ce n Mars 1760. Sire, J'ai refpefté, comme je le devois, les grandes & glorieufes occupations de V. M. durant cette campagne j & c'eft par ce motif que je n'ai pas cru devoir 1'importuner même de ma reconnoiflance. V- M. vient d'y acquéiir de nouveaux droits par !a belle écritoire de porcelaine qu'eile a bien voulu me dönner; je l'ai re9ue, Sire, le 15 Aoüt, jour dont les gcnéraux Autrichiens; malgré leurs épées bénites, fefouviendront aufli lonj-temps que  CORRESPOND ANCE. 5 rhoi. L'ufage le plus digne que je puifle faire d'u-n pareil préfent, ce ftroit de 1'employer, Sire, è écrire l'hiftoire de V. M. ,• mais cec ouvrage eftré» fervé a une plume plus eloquente que la mienne. PuiITé-je, Sire, voir arriver bientöt le moment auquel j'afpire , celui de mettre aux pieds de V. M. mes profonds refpe&s, mon adrairation, ma reconnoifTance ctenielle, & rattachement inviolable avec kquel je ferai toute ma vie. &c. A Paris, ce 22, Décembrs 1760. Sire, j'a' refpeflé, fuivant la loi que je me fuis toujours impofée- les occupations de V. M. durant cette campagne- elles ont d'ailleurs étéfibrillantes, que je me ferois fait un fcrupule de les troubler, quelque preffé que je fuiïe d'arracher bien ou mal les traits dont V. M. me perce impitoyablement dans la charmante épitre qu'elle m'a fait 1'honneur de m'adreffer. Apréfent, Sire, que le MaréchalDauti vient de terminer fes glorieufes expéditions ce feroit a moi indigne a lai fuccéder; car le fort de V. M. eft d'être toujours en guerre, 1'été avec les Autrichiens, 1'hiver avec la geometrie. Mais, Sirej puisque la fiére & redoutable maifon d'Autricha a la modeftie de fe tenir pour battue, 1'humble gdométrie ne fera pas plus difficile; elle n'ariend» A 3  * CORRESfO ND A NCE. ttieux a faire que d'imiter Mrs de BaMberg & de Wurzbourg, c'eft a dire de payer, & de fe taire. Je n'ai presque plus d'efpérance de revoir V. M.; je ne fais plus quand finira cette guerre affreufe & deftruftive; je fais feulement, SuoutefEurcpe le fait comme moi, qu'il ne tient pas a V. M. que 1'humanité ne refpire enfin après tant de malheurs; mais puisque vos ennemis ne foutpoint •ncore las de faire égo'ger & périr de mifère un fi grand nombre d'hommes, il me fera du moins permis, a préfent que la maifon d'Autriche n'eft plus jiotre alliée, de donner un libre cours a mes vceux; de fouhaiter a V. M. tous les fuccês & toute la gloire que méritent fa grandeur d'ame, fon couiage, fes talens & fes travaux; de fouhaiter furtout que fa tranquillité & celle de fes peuples foient bientót aflurées par une paix durable & glorieufe, quand même, au grand fcandale de la géométrie, le traité devroit être en vers. Je fuis avec le plus profond refpeét. &c. A Paris, Ie 23 Décembre 17S1. Jl m'eft dene permis de refpirer enfin, après tant de tourmens & d'ïnquiétude , & de laiffer agir en fiberté des feniimens fi long-temps renfermés & «ontraints au fend de mon ame. II m'eft permis  CORRESPONDANCE. f deféliciter V. M. fur fes fuccès& furfa gloire,fat» craindre d'offenfer perfonne, fans trouble pour le préfent, & fans frayeur pour 1'avenir. Que n'a-telle pu lire dans mon cceur depuis fix ans les-mouvemens qui 1'ont agité; la joie que m'ont caufée fes viótoires (excepté celle de Rosbach, dont V. M. elle-mêaie m'auroit défendu de me réjouir,) & 1'intérêt plus vif encore que j'ai pris a fes malheurs; intérêt d'autant plus grand, que je fentois ce qu« ces malheurs pouvoient coüter un jour a mon pays, & que je plaignois ia France, fans ofer même le lui dire! Je ne fais fi nous traiterons les Autrichiens corcme nous avons traité les jéfuites; les premiers nous ont fait pour le moins autantdemalque les feconds, & nous ne pouvons pas dire comme les chrétiens, que/« nouvelle attiance vaut mieim que Fancienne; mais enfin ma patrie refpire, V. M. efl tranquille & au comble de la gloire, je ne veux plus de mal a perfonne. Puiflïez-vous, Sire, jouir long temps de cette paix & de cette gloire (1 jultement acquifes! Puifliez-vous montrer encore long-temps a 1'Europe 1'exemple d'un prince également admirable dans Ia guerre & dans la paix, grand dans la profpérité & encore plus dans 1'infortune, au delïïis de 1'éloge & de la calomniei Avec quel emprefiement, Sire, n'irai-je pas exprimer a V. lYT. ce que raa plume tracé iel foiblemeut, & ce que mon cccur fent bien mieux! Quelle fatisfaétion n'aurai-ie pas de mettre h vos piedfl »on admiration, ma reconnoiffance, mon profoni A +  3 CORRESPOND ANCE. rtfpeft-, & mon attachement inviolable! Mais, Sire , je fens qué dans ces premiers momens de repos, V. M., occupée toute entière a efluyer des larmes qu'eile a vues couler malgré elle, aura bien mieux a faire que de converfer de philofophie & de littérature. J'attendrai donc fon loifir & fes ordres pour aller palier quelque temps auprès d'elle. C'eftla, c'eft dans fes entretiens que je puiferai les lumières néceflaires pour étendre ces élémens de philofophie auxquels elle a la bonté de s'intérefler; Ce travail exige de fencouragement, & c'eft auprès de vous feul que la philofophie peut en trouver;. car elle n'eft pas fi heureufe que V. M., elle n'a pas fait la paix avec tous fes ennemis. Ne croyez point, Sire, qu'eile entende arfez mal fes intéréts pour vouloir être enguerre avec vous; & que deviendroit-elle, fi elle perdoit un appui tel que le vótrel La géométrie fuivra fon exemple; elle fignera fa paix comrae les Autrichiens, & avec plus. de plaifir qu'eux; elle fe gardera bien furtout de vouloir óter a V. M. fes hochets, malgré les coups qu'eile en a recus* elle fait trop bien qu'on ne lui öte rien fans s'en repentir, & fans être forcé de le lui rendre. Elle ira potter a V. M. (fans avoir a craindre le reprocbe de flatterie) les voeux, 1'amour & le refpeét de tous ceux qui cultivent les lettres,. & qui ont le bonheur de voir dans le héros de 1'Eu.rope leur chef & leur modèle. Je fuis avec le plus profond refpecT: &c. &. Paris, ce ? Mars 17S3.  CORRESPONDANCE. ft Sire, Je me rendrai avec emprelTement a Wéfel au premier avis que V. M. me fera donner de fon voyage; & je me félicite d'avance de pauvoir enfin mettre a vos pieds, en toute liberté, des fentimens que je partage avec 1'Europe entière. Je ne iaispas, fi, comme V. M. Ie prétend, il y a des rois dont les philofophes fe moquent; la philofophie, Sire, refpefte qui elle doit, efiime qui elle peur, & s'en tient Ia; mais quand elle poufl'eroit la liberté plus loin , quand elle oferoit quelquefois rire en filence aux dépens des ïnaïtres de ee monde, le philofophe Molière diroit a V. M. qu'il y a rois, & rois,. comme fagots &'fagots; & j'ajouterai avec plus de refpect, & autant de vérité , que Ia philofophie me paroitroit bien peu pldlojopbe, fi elle avoit la bêtife de fe moquer d'un Roi tel que vous» Toute la morale de Socrate n'a pas fait au genre humain la centième partie du bien que V. M. a déja fait en iix femaines de p..ix. La France qui s'é-tonne encore d'avoir été votre ennemie , parle de votre gloire avec admiration, & votre bienfaifance avec atcendrifTement. Ne craignez point, Sire, malgré vos bons mots fur les fottifcs despaêtes, que ■ le paè'te philofophe qui vient de faire le traité d'üubertsbo-urg, foit mis par la pofiérité fur la mêr h S  C Q R R ESP ONDANCE. ïie ligne que le poëte cardinal qui a fait le traité d» Verfailles. 11 étoit affez naturel que ce dernier traité ionnat a la géométrie un peu d'humeur contre Ia poêfie; vous êtes» Sire, a tous égards, bien propre a les réconcilier enfemble; premettez ■ moi ce" pendant d'avouer, que fi dorénavant Ia géométrie permet aux poëtes d'emprunter le fecours de la fable, ce ne fera pas quand ils auront a parler de vous. Je fuis avec le plus profond refpecl &c. T /euvrage de philofophie que j'ai eu le bonheur de faire par ordre de V. M., m'a procuré de fa part une lettre bien fupérieure a mon ouvrage, pleine d'une philofophie quimeremplit d'admiration, & d'une bonté qui me pénétre de reconnoilTance. Quelle lettre, Sire!& qu'eile eft bien digne du héros & du fage qui Pa écrite, fi on en excepte ce qu'eile renferme de trop flatteur pour moi lelie méïiteroit d'étre fignée d'autant de noms de philofophes, que les archiducs autrlchiens ont de noms de baptême. Mais le nom feul de V. M. équivaut a tous ceux du Lycée & du Portique, & vaut beaucoup mieux que tous ceux du calendrier. Je me félicite» Sire, de penfer comme V. M. fur la vanité & la futjfité de Ia métaph¥fiq.ue j un A Paris, ce 29 Avril 1765. Sire,  COKRESPOND/flfCÊ, n vrai philofophe, ce me femble, ne doit treiter de cette fcience que pour nous détromper de ce qu'eile croit nous apprendre ; principalement fur ces grandes queftions, qui, comme dit tres -bien V. IYL, nous importent vraifemblablement fi peu, par larair fon même qu'elles nous tourmentent fi. fort en pu> re perte. II n'en eft pas ainfi de la géométrie, beaucoupplus certaine, paree que 1'objet en eft plus terre k terre; c'eft une efpèce de hochet que la nature nous a jeté pour nous confoler & nous amufer dans les ténèbres. Les queftions que V. M. a la bonté de me faire fur 1'emploi de 1'analyfe & de la métaphyfique dans cette fcience demandent du temps pour y répondre avec la clarté qu'eile défire; j'ai déj& jeté fur le papier quelques réflexions, que j'aurai 1'honneur de lui envoyer Ie plutót qu'il me fera poffible, fi elles ne me paroiffent pas trop peu digiles de lui être préfentées, Pythagore, auquel vous me faites 1'honneur, Sire, de me comparer quoique indigne, & avec qui je n'ai rien de commun que de n'ofer matiger des fèves, (a lavérité par de meilleures raifons que lui,) ce Pythagore auroit tremblé, s'il eüt dü. avoir comme moi pour juges de fesécriis Numa, Alexandre, & Mare-Arrêle. V. M. prétend que mes rapfodies vivront plus long-temps que les journaux immortcls de fes; campagnes; j'ai lu, je ne fais en quel endroit, que Céfar annoncoit la même chofe a un philofophe cte &o temps, doiu il D?eft rieu venu jusqu'i nous? A 6  Uk CORRESPONDANCE. tandis que les comnientaires de Céfar,. refpeétés par dix buit fiècles, font, encore lus & admirés de de nos jours; II eft étonnant, Sire , j'en conviens avec regret,. que des philofophes, rnéprifés 'ou perfécutés chez eux, ne cherchenr pas d'afile auprès d'un prince fait pour les confoler, pour les protéger, & poui les inftruire. V. M. en demande la raifon; c'eft que dans le pays- que ces philofophes habitent, le climat confole de la forbonne, & Ie phyfique du moral; c'eft que ces philofophes ont une fanté foible & des amis ^c'eft qu'ils penfent pour leur patrïa comme Ia femme du médetin malgré" lui, qui aime fon mari quoiqu'elle en foit battue, & qui répond affez fottement a ceux quiveulent la féparer de lui .je veux qifil me batte. Vous mettez,. Sire, le comble a- vos bontés pour moi par les détails oü vous voulez bien entrer fur ma fanté. Elle fe rétablit peu a peu & j'efpère qu'eile fe confervera par un régime exact, le feul remède auquel j'aye confiance. Toutes les receu tes dont j'ai ufé d'ailleurs, quoiqwe rép.utéesy?,5/«^ vbiques ou ftoutacbales. fcar leur nom n'eft pas plus affuré que leur effet) m'ont fait- plus de mal que de bien; mon eftomac eft de Ia nature des pédans, il fe révolte contre tout ce qui lui eft nouveau, médlcamens & nourriture-. Si j'avois néanmoins le malheur de ne pouvoir me palier de remèdes, fayerois des eaux mmérales que V. M..roe-confe»I1e;; mais j'aurois reeours a la médecme le £lus tasdï  CORRESPONDANCE que faire fe pourraj je la regarde comme la feeur presque jumelle de la métaphyfique par fon incertitude; & il me fembïe qu'eile a 1'obligation a la théologie de n'être pas ia première des impertinences humatnss. V. M. me permettra-t-elle de profiter de cette oecafion pour lui ofFrir mes voeux fincères a 1'occafion du mariage prochain de Monfeigneur le Prince. de Prune? D'une ïige en héros fccondè PuifTent naitre a jamais des fils & des ueveujc: Qui faffent le bonheur du monde! Ces fils- & ces neveux, Sire, n'auront pas h cheiv cher bien loin.de chez eux le modèle qu'ils auroni: a fuivre. Si V. M., qui ne veut pofnt de miniflre pour fon profeffeur de belles lettres, avoit moins de répugnance pour la raeffe que pour Ia cène, on m'a parlé d'un fort honnéte prêtre qui.ne dira la meffe (fuppofé qu'il la difë) que pour fon plailir, & qui trouvera trés-bon que V. M.. ne vienne pas 1'en.t-endre. Oti dit d'ailleurs tout le bien pofïïble de fa capacité, de fon caraftère, & de fes mceurs. En cas qu'il put convenir a V. M. , je lui propoferai la placj, avec les avantages confidérables qui y font attachés, & je ne négligerai rien pour 1'engager &■ 1'accepïer. Héureux fl le. fuccès répond a mon zè? l9& Jï fuis &c A Pari},, ce 17 Sëprembre 170*.  C ORRESPONDANCE. Sire, J'ai lu, avec toute 1'attentioi dont je fuis capable* 1'ouvrage fur Iequel V. M. mé fait i"iov neur de me demander mon avis; j'y ai trjouvê eet efprit de juftefle & de lumière qui caraétérife fes écrits comme fa converfation. II me femble néanmoins que V. M. pourroit modifier a quelques égards la fupériorité qu'eile donne-a Bayle & a GalTendi fur Defcartes & fur Leibnitz; je penfe bien comme elle qu'on ne rend pas affez de juflice a Gaffendi, qui étoit un efprit très-éclairé, très-cultivé & rrèsfage; cependant je ne crois pas que ni lui ni Bayle doivent étre préférés fans refiriciion a Defcartes & a Leibnitz; paTce que ni Gaffendi ni Bayle n'ont fait daas les fciences de fes découvertes proprement dites qui caraétérifent rbamme de génie; au lieu que Defcartes a inventé 1'application de 1'algêbre & Ja géométrie, & Leibnitz le calcul différentiel. V. M. a fans doute voulu dire que ces deux grands Sommes ont moins bien raifonné que Bayle & Gasfendi, en les envifageant feulement comme métapliyficiens; & en cela je fuis abfolument de fon avis:les de«xpremiers étoierit des efprits créateurs, les deux autres des efprits excelkns; mais il n'eft pas facile, ce me femble, de régler lerang entre ces deux efpèces d'efprits; & je craindrois d'ailleurs que V. M. ne»*attirat de nouveau la France & PMesjagne fur les  CQRRESPONDANCE. i$ bras, fi elle paroifToit trop rabaifler les héros de ces deux nations en philofphie. A 1'égard de MaJebranche, je Tabandonne a V. M.; je le crois a tous égards trés - inférieur a Bayle & a Gaflendi comme philofophe; il me femble même que c'étoit moins un grand philofophe qu'un excellent écrK vain en philofophie. II a bien démêle les erreurs ordinaires des fens & de 1'imagination, mais il y en a fubftitué d'autres; je n'ai jamais vu en lui qu'un affez bon dtmolijfeur, mais un mauvais architetfte; J'abandonne auffi a V. M. les avocats, les prédieateurs, & tout ce qui leur reffemble; le ba vardage du barreau me paroit infupportable,& les déclamations de la chaire bien ridicules. V. M. fera bientót ennuyée d'un autre bavardaje, des éclaircilTemens qu'eile m'a demandés, & que je compte avoir 1'honnear de lui envoyer ïnceflamment. J'ai fait mon pofïïble pour répondre a fes défirs. Si elle ne m'entend pas, ce ne fera pas fa faute, mais ou la mienne, ou celle de la matière. Ce n'eft pas la première fois qu'il eft queftion du fatellite de Vénus, dont V. M. me fait 1'Iiorneur de me parler; & furement 1'académie de Berlin ne 1'ignore pas. Dès 1645 un mat'nématicien napolitain, nommé Fontana, prétendit avoir obfervé quatre fois ce fatellite. En 1672 & en i68rS Caffinï affura auffi 1'avoir vu; Mr. Short, de la fo» ciété royale de Londres, prétendit en 1740 avoii en le raême avantage; enfin il y. a arois ans qu'eai  li CO RRESPOND A NCE. France plufieurs aftronomes ont era 1'appereevoirï d'autres ont affaré en méroe temps qu'ils n'y voyoient rien; V. M. a ignoré cette découverte ou cette vifion, paree qu'eile avoit alors affaire a d'autres fatellites & a d'autres Vénus. Elle me fait trop dTionneur de vouloir fairebaptiferen monnom cette nouvelle planête; je ne fuis ni affez grand pour être au ciel le fatellite de Vénus, ni affez bien portam pour 1'être fur la terre ; & je me trouve trop bien du peu de place que je tiens dans cebas monde , pour en ambitiouner vme au firmament. Si on découvre un jour quelque fatellite a Mars, je faia bien quel nom je lui defline, celui du meilleur des généraux de V. M. A 1'égard de Mercure, s'il parvient jamais a rhonneur d'un fatellite, plasd'un nialtótier ou d'un courtifan nous fournira des noms de refle; mais ce Dieu a déja trop de fatellites e» terre, pour fe foucier d'en avoir ailleurs. Ce maudit prêtre, dont on m'avoit. dit tast de bien, aime mieux refter dans je ne fais quel village, que d'aller enfeigner 1'éloquencc a des hérétiques. M. 1'abbé d'Olivet m'a promis de faire tout ce qui dépendroit de lui pour y fuppléer par un autre fujet, & pour répondre aux défirs de V. M.; 51 ne veut envoyer qu'un maitre excellent, & digne de la place importante que V. M. lui defline: s'il H'étoit quellion que d'un profefTeur médiocre y ïe choix ne nous embarafferoit pas; mais V. M. ne veut pas & ne mérite pas qu'em la trompe. Je premis la Hbertd,. Sire, de joindre a. cette let-  CORRESPONDJNCE. 17 tre 1'écrit que V. M. m'a fait 1'bonneur de m'en. voyer; fy ai fait de légers changemens, que je prends auffi la liberté de lui propofer: ces changemens fe bornent a une addition d'une demi - ligne, a quelques mots fubfbitués a d'autres , & a quelques retranchemeus en très-petit nombre, qui, ce me femble, rendront f ouvrage plus ferré, fans lui rien öter de fa force. J'ai confervé d'ailleurs presque paitout les penfées & les■ expreffions * je n'ai peufétre été que trop facrilége en touchant au refte. V. M. me c-rapare aux rois de Perfe, qui dierchent pour fe faire valoir a fe dérober aux regards humains; je ne répondrai pöint a ce qu'eile veut bien me dire d'obligeant a ce fujec; mais je 1'aflurerai avec la fincérité qu'eile me connok,que fi les princes reflembloient a un Roi que j'ai ea le bonheur de voir & d'approcher, la philofophie enteudroit bien mal fes intéréts en fe cachant. Je fuis avec 1'admiration, la reconnoiffance, 1'ae» tachement inviolable 6: le profond refpeft qui ns finiront qu'avec ma vie &c. A Paris, ce 3 Novembre 1764, annrrerfaire de la baraille de Torgau. Sire, ]\j[r, Helvétius doit partir incefiamment pour atler mettre aux pieds de V. M. fon admiration & fo*  18 CORRESPO ND/iNCE. profond refpeft; c'eft un hommage, Sire, que tous les philofophes vous doivent, & qu'un philofophe comme lui eft bien digne de rendre a un prince tel que vous. J'ofe efpérer que V. M., en connoiiTant fa perfonne, ajoutera encore a 1'idée avantageufe qu'eile avoit déja de fes talens & de fes vertus; 1'accueil qu'il recevra d'elle le confolera des perfé» cutions que lui ont fufcitées des fanatiques, qui font a eux tous moins de bonnes aftions dans toute leur vie qu'il n'en fait dans un jour, & qui ont trouvé plus court & plus facile de brüler fon livre que d'y répondre. Je ne fuis pas, Sire, dans Ie cas de dire a M. Helvétius ce qu'Ovide difoit_a fes vers vous irez fans moi, & je ne vous porte point envie; car j'er« vie d'autant plus le bonheur dont il va jouir, que je 1'ai déja goüté; mais ma fanté long-temps dérangée, & encore chancelante, ne me permet pas ce voyage, & je me plains d'elle avec plus de raifon, que Louis XIV dans Tépttre de Boileau ne fe plaifit de f» grandeur qui 1'empéche de paffer Ie Rhin a Ia vue de 1'ennemi. La privation que mon état me fait éprouver aujourd'hut eft la plus facheufe diète a iaquelle il m'ait condamné; je fuis dans une efpèce de purgatjire; mais le purgatoire , a ce que dit la forbonne, ne doit pas être éternel, & H faudra bien que Ie mien Snifte. On m'aflure que V. M fe porte bien, qu'eile fait des chofes admirables, qu'eile a recu mon nouvel ouvrage, qu'eile en a paru contente; c'eft la mt  CORR.ESP ONDANCE. 19 feule confolation; après le bonheur de voir V. M„ celui que je défire le plus eft de pouvoir mériter ion fuffrage & fon eftime. Je ne connois de M. Lambert qu'un feul ouvrage, qui eft bon, mais qui ne me paroit comparable a aucun de ceux de M. Euler; & fi cedernier eft a genoux devaut M. Lambert, comme V. M. me fait 1'honneur de me 1'écrire, il faudra dire de M. Euler ce qu'on a dit de la Fontaine, quil fut affez béte pour croire quEfope & Pbedre aveient plus a"efprit que lui. Ce n'eft pas que je prétende rien óter au mérite de M. Lambert, qui doit être très-réel, puisque toute l'aeadémie en juge ainfi; mais il y a dans les fciences plus d'une place honorable, comme il y a, fi on en croit 1'évangile, plufieurs detneures dans la maifon du pire célefte; & M. Lambert peut être très-digne d'occuper une de ces places. On affiire d'ailleurs qu'il a fait plufieurs excellens ouvrages qui ne me font point parvenus. Je le trouverois encore affez bien partagé, quand il feroit a M. Euler (pourparler mathématiquement) en même proportion que Defcartes & Newton font a Bayle, fuivant V. M.,ou que Bayle eft a Defcartes & Newton, felon ungéomètre de votre connoiffance, ou pour employer une comparaifon qui he fouffre point de contraditteurs, en mème proportion que Marc-Aurèle & Guftave Adolphe font a un monarque que je n'ofe nommer. ' Je prends la tiberté, Sire, de recommander de  so CORRESPOIVDJNCE. nouveau aux bontés cte V. M. M. Thiebauk', te profefTeur de grammaire que j'ai eul'honneur de lui envoyer, & qui doit actuellement avoir regu fes ordres. Elle aura furement lieu d'en être contente a tous égards. Je fouhaherois qu'eile lefiit de même d'un ouvrage qu'eile recevra bieiuót, & dans lequel j'ai taché de dire la vérité, qui n'étoit pas trop aifée a dire. C'eft une hifloire phijofophique du défaftre que vient d'éprouver en Frauce la vé nérable fociété de Jefus. J'aurdis écrit avee plus d'intérêt & de fatisfaftiorc l'hiftoire de V. M ; fes viftoires, feslois, fes ouvrages, font un objet un peu plus digne de la poftérité que fémigratiön d'une horde de fanatiques,expulfés par d'autres;mais, Sire, eet ouvrage ne doit point être fait par une autre main que par la votre; c'eft aux Dieux feuls qu'il appartiont deparler dignement d'eux-mêmes. Je fuis avec le plus profond refpect, & avec des fentimens encore plus chers a mon cceur &c. X^andis que V. M. fe plongeoit dans les eaux de Landeck, j'ai vu de prés celles du Styx; une inflammation d'entrailles m'avoit mis un pied dans la barque, dirai-je fatale ou favorable? Je touchois fans regret au terme des maux de la vie, & jV A Paris, ce i Mars 1765. Sire,  CORRESPONDANCE. 11 vois déja prié Mr Watelet d'affurer V. M que je mourois plein de reconnoilTance, de refpeét & d'attachement pour elle. Enfin , Sire , le nautonnier des fombres bords, après avoir héfité quelques jours, m'a déclaré qu'il ne vouloit pas encore de moi; je ne fais quand il lui plaira de me recevoir tout a fait, mais je me traine encore, ce me femble, a une affez petite diftance du rivage dont il me repouffe; ma fanté eft plus languiffante que jamais; j'ai des maux de tête presque continuete, & le fommeil qui m'avoit quitté ne revient point, ce qui me rend incapable de toute application. A la trifteffe que mon état me caufe fe joint la crainte d'avoir déplu a V. M. en n'acceptant. pas les demières offres pleines de bonté qu'eile a daig. né me./aire; je la prie d'êtrebien perfuadée que je lui ai dit la vérité pure en 1'affuraut que 1'affoibliffement de ma fanté & de mes forces, devenu plus grand encore par ma dernière maladie, eft la feule caufe qui m'attaché, non. a une patrie qui ne veut pas 1'étre, mais au climat oü je fuis né. J'ajome que fi quelque cftofe pouvoit me dédommager de ce que je perds en reftant en France,du bonheur & de la paix dont je jouirois auprès de. V- M., c'eft 1'intérêt que mes amis & le public même m'ont marqué lorsque j'etois entre la vie & la mort; eet intérêt m'a fait voir que 1'eftime des homêtes gens ne tenoit pas a unemiférablepenfiou qu'on continue a me refufer, & a laquelle je ne penfe plus depuis long-temps.  M CORRESPONDANCE. Je vois par le jugement que V. M. a porté de mon ouvrage fur les jéfuites, qu'eile y auroit défiré plus de détails; mais des différens détails oïi f aurois pu entrer a ce fujet, quelques uns, ce me femble, font affez connus, comme ce qui regarde leur doctrine, leur inftitut, leur politique, leurs écrivains, quelques autres auroient été dangereux a développer, par exemple, les refforts fecrets qui ont accéléré la deftruftion de cette fociété dangereufe. * Je n'ai donc pas cru, Sire, devoir m'étendre fur les détails de la première efpèce; & j'ai été forcé de palier légèrement fur les autres, en me bomant a les indiquer aux leéteurs qui, comme V., M., favent entendre a demi-mot. H m'a paru plus utile, furtout pour le bien de la France; de faire ce que perfonne n'avoit encore ofé, de rendre également odieux & ridicules les deuxpartis, & furtout les janfénifles, que la deftruftion des jéfuites avoit déja rendus infolens, & qu'eile rendroit dangereux, fi la raifon ne fe preffoit de Jes remettre a leur place. On m'affure que V. M. fe porte bien, que les eaux lui ont parfaitement reuffi, & que tandis qu'eile croyoitne philofopher qu'avec Thalés, Hippocrate étoit de la converfation pour le bien de vos fujets. Le rétabliffement de votre fanté , Sire; me confole du dépériffement de la mienne; un héros, un Roi philofophe eft bien plus néceffaire au monde que moi; puiffe-t-il au moins m'être permis par ma frêle & languiffante machine d'aller «ncore  CO RR ESP O ND ANC E, *j «ie fois mettre aux pieds de V. M. les fentimens que je lui dois, que fes vertus, fes grandes actions & fes bienfaits ont gravés dans mon cceur, & qui ne finiront qu'avec ma vie! Je fuis avec le plus profond refpeft &c. A Paris, ce 28 Oftobre 1765. I Sire, Je ne perds point de temps pour apprendre a V. M. que Mr de la Grange a recu fes offres avec autant de refpeet que de reconnoiffance ; qu'il fe tient trop heureux d'avoir mérité les bontés d'un prince tel que vous, & d'étre a portée de les mériter encore davantage par fes travaux; qu'il a demandé au Roi de Sardaigne fon fouverain la permiffion d'accepter ces offres; que le Roi de Sar* daigne lui a promis de lui faire donner inceffamment fa réponfe, & a bien voulu lai faire efpérer que fa demande ne feroit point rejetée. Je crois donc, Sire, que Mr de la Grange ne tardera pas a venir remplacer Mr Euler; & j'ofe affurer V. M. qu'il le remplacera très-bien pour les talens & letravail, & que d'ailleurs par fon caraélère & fa conduite il n'excitera jamais dans 1'académie la moindre divlöon ni le moindre trouble. Je prends la liberté de demander a V. M. fes bontés particulières pour eet homme d'un mérite vraimeat rare, & auffi eftf-  «4 CO RRES PO NDANCE. mable par fes fentimens que par fon génie fupérieur. Je me tiens trop heureux d'avoir pu réuffir dans cette négociation, & procurer a V. M. & a fon académie un fi excellent fujet. Cet événement répand dans mon ame une fatisfaétiou dont je n'ai pas joui depuis long-temps, & je fuis fur que mon eftomac s'en reffentira. Je pourrai me fiatter enfin d'avoir fait une chofe agréable è V. M„ honorable pour fes Etats, avantageufe pour fon académie-, & d'avoir par-la donné a V. M. deuouvelles marqués des fentimens de reconnoiflance, d'attachement inviolable, & de profond refpeft avec lesquels je ferai toute ma vie &c. a Paris, ce 19 Mai 1766. Sire, Toutes les-lettres que je recois de Mr de la Grange m'aflurent de la ferme réfolutionoü il eft deprofiter des offres également honorables & avantaijeufes que V. M. veut bien lui faire. S'il n'eft pas encore parti de Turin pour fc rendre auprès de... V. M., ce n'eft ni fa faute ni la mienne; c'eft celle des miniftres du Roi de Sardaigne, qui n'ofantpas lui refufer abfolument fon congé, cherchent a le lui différer, dans 1'efpérance qu'il changera d'avis; mais il me mande que fon parti eft pris &inébranlable. Je ne douce point que fi V. M. jugeapropos  CORRESPONDANCE. 2 5 pos de faire deinander au Roi de Sardaigne même le congé de M. de la Grange, il ne 1'obtien.ne fur le champ, & ne fe mette incefiamrjint en route; en ce cas V. M. voudroit bien donner fes ordres -pour les frais de fon voyage. II eft bien fingulier que M. Euler, comblé de biens par V. M., lui & fa familie, ait obtenu fon congé fi aifément après 26 ans de féjour, & que Mr de la Grange, dont on ne juge pas a propos d'affurer la fortune dans fon pays, foit obligé de folliciter comme unegrace la permifïïon d'aller jouir ailleurs de la juftice qu'un grand Roi lui rend. V. M. défire un aflronome; je crois que Mr de Caftillon y feroit très-propre, d'autant qu'il pourroit former Mr. fon fils au mêmetravail, éklemettre en état de lui fuccéder, fi le cas 1'exigeoit. ■ Mais il feroit néceffaire que V. M. donnat fes ordres pour remettre 1'obfervatoire en état; car il en avoit grand befoin, au moins quand je 1'aivu il y a environ trois ans. Mais je m'appercois, Sire , peut-être un peu tard, que je fais ici ou parois faire le róle de Préfident de 1'académie, qui , n'en fauroit avoir de plus digne & de plus éclairé que fon protefU ur même, & qui n'a befoin, pour obtenir ce qui eft jufte, que de le propofer a ce grand Roi. Mfgr le Prince de Bronfwiceftici, èftimé, aimé & recherché de tout le monde. II a été aux académies; j'ai eu 1'honneur de lire un mémoire en fa préfence a 1'acaiérnie des fciencês ; il fut hier 3 Oeuv. Pojlh. de Fr. U. T. XIV. B  aó* CORRESPONDANCE. i'académie francoife, & je crois qu'il n'a pas éié mécontentde Ia manière dont il yaétérecu. Tout Ie monde s'emprefle tant a 1'avoir, que je n'ai pu jouir que quelques momens de 1'honneur de 1'entretenir, & de raflurer de mon refpectueux attachement pour fon augufte maifon , & pour un oncle plus augufte encore qu'il a le bonheur d'avoir. Je fui s avec le plus profond refpeét &c. P. S. J'aucois une grace, Sire, a demander a V. M., ce feroit de permettre que Mr de la Grange paffat par Paris pour aller a Berlin; il eft vrai que fon voyage en feroit un peu plus long; mais indépendamment du plaifir que j'aurois a le voir, je pourrois le mettre au fait de plufieurs chofes concernant I'académie , dont il eft bon qu'il foit inftruit pour pouvoir être plus utile dans la place qu'il va occuper, & qu'il remplira certainement avec fuccès. de la Grange a dü écrire II a déja quelque, temps è V. M. pour lui témoigner fa profonde re* «onnoiflance, & Ia djfpofition oü il eft d'accepter les oifres que V. M. veut bien lui faire. Je m'é-i A Paris, ce 26 Mai 1766. S IRE,  C0RRESP0ND/1NCE. 27 tonne que la penniffion qu'il attend du Roi de Sardaigne foit fi lente a venir; mais ia cour de Turin, V. M. le fait mieux que perfonne, n'eft pas prompte a fe déterminer Je ferois cependant d'autant plus charmé de voir Mr de la Grange a Berlin , qu'il y remplaceroit très-bien Mr Euler , & qu'il feroit beaucoup plus utile a I'académie que moi. Ce n'eft point faufle modeftie,"c'eft Ia pure vérité qui me fait parler ainfi; M. de la Grange eft jeune, & je fuis presque vieux; fon ardeur eft naiffante & la miemie décline; il fe léve enfin, & je fuisprOt a me coucher. On dit que V. M. iéfire *ufli un aftronome. Si elle- n'en a befoin que d'un, & qu'eile n'ait pas d'autres vues fur M. de Caftillon, je le croistrèspropre a bien rempür cette place, par 1'étudeparticuüère qu'il a faite de 1'aftronomie & de 1'optique. II me femble au refte que 1'obfervatoire de I'académie auroit befoin de réparations & d'améiiorations, du moins s'il eft encore en 1'état oü je 1'ai vu il y a trois ans. Quoi qu'il en foit, j'attends les ordres ultérieurs de V. M. au fujet de 1'aftronome, li elle en a quelques unsaraedonner. Je me flatte qu'eile rend juftice a mon zèle, &au défir que j'ai d'ètre utile a I'académie. C'eft pour cette raifon que je propofe M. de Caftillon. Mfgr le Prince héréditaire de Bronswic eft parti avec 1'eftime générale & 1'éioge de tous ceux qui out eu Ie bonheur de Ie connoitre: je crois qu'il doit être content de 1'accueil qu'U a recu; il eu ètoit B a  28 CORRESPOND/iNCE. aflurément bien digne. Nous avons ici un Prince de Deux-ponts, qui n'eft pas a beaucoup prés fi recherché, quoiqu'ii ait eu 1'honneur de commander cette brillante armée de 1'Empire qui s'eft tant diftinguée dans la derniere guerre, & qui difpute eet honneur aux Suèdois. Je ne fai fi j'ai eu 1'honneur de parler a V. M. d'un abrégé de f hiftoire eccléfiaftique imprimê a Berrie, (ce lieu d'imprefïïon eft bien choifi, & me rappelle une chanfon qui cominencoit ainfi, Bcrnons Berms, puisqifil nous berne.~) Cet ouvrage eft très-édifiant, & Ia préface furtout bien digne d'être lue; elle me paroicde main de maitre, & quel que foit 1'auteur, il mérite bietj des remerci- mens de la part de la raifon. Je fuis avec le plus profond refpeft, & avec tous les fsntimens de reconnoiffancc & d'attache- ment inviolable que je conferverai jusqu'au tombe- au&c. P. S. Je re9ois, Sire, en ce moment une lettre de M. Bitaubé, qui me paroit pénétré de reconnoifTance des bontés de V. M., & bien réfolu de faire tous fes efforts pour les mériter de plus en plus. A Paris, ca n Juillet 1766.  CORRESPONDANCE. fl£ Sire, ]VT« de la Grange eft arrivé ici le a de ce mois, fuivant la permiflion que V. M. lui a donnée de pafl'er par Paris; je 1'ai vu tous les jours,& je 1'ai trouvé pleiu de reconnoifi'ance des bontés deV. M., & bien empreffé de répondre aux juftes idés qu'eile a concues de tei. Votre académie, Sire, acquiert en lui, non feulement un trés-grand géomètre, égal pour le moins a ce que PEurope pollède aujourd'hui de meilleur en ce genre, mais un vrai philofophe, dans tous les fens poflibles de ce mot» fupérieur aux préjuges & aux fuperftitions des hommes , fans ambition, fans intrigue, n'aimant que le travail & la paix, du caraftére le plus doux & le plus fociable. II m'a prié, Sire, de demander a V. Mi une grace qu'il lui fera furement facile d'obtenir. M. Euler étoit direfteur de la claffe de mathématique; il paroltroit afiéz naturel que M. de la Grange fuccédat a cette place, puhque V. M« 1'appelle pour remplacer M. Euler, qu'il eft eertainement- bien en état de remplacer. Cependant, fi V. M. a d'autres vues par rapport a cette place de direfteur, M. de la Grange, trés-content des 1500 écus que V. M. veut bien lui doimer, n'irififtera point fur eet objet; il prie feulement V. M. de vouloir bien nommer le direfteur avant fon arri» vée, afin que la cour de Turin], qui n'a pas vo'ulu B 3  S ) CO RRESPOND ANCE. le retenir, & qui eft pourtant f&chée de 1'avoir perdu, ne s'imagine pas que M. de Ia Grange, en arrivant a Berlin, ait comméncé par clTuyer un dégout apparent. 11 importe, Sire, a 1'avamagedes fcience» & des Iettres que V. M. protégé de ne pas lailTer le plus petit fujet de triomphe contre elle a ceux qui les négligeut, & qui voudroient bien qu'elles ne trouvafTent pas dans les Etatsd'itn grand Roi 1'honneur & i'afile qu'elles méritenr. /■ Je coropte, Sire, que M. de.la Grange fera a Berlin vers le 15 d'Oftobre; fón arrivée ne fera point retardée par un voyage très-eourt que des raifons d'amitié vraiment refpectables 1'obligent a faire a Londres, paree que M. de la Grange prendra le temps de ce voyage fur celui qu'il me deftinoit, & que V. M. lui avoit permis de me donner; & paree que d'ailleurs Ie traj'et de Londres a Berlin par mer fera beaucoup plus court, moins dispaidieux que le voyage par terre de Paris a Berlin, que la difficulté des chemins, 1'incommodité des •voitures, & 1'ignorance de la langue auroient ren. du long & difficile. M. de la Grange m'a parlé, Sire, d'un autreexcellent fujet dont il croit que V. BI. pourroit faire aifément 1'accquifition pour fon fervice militaire, & même, comme par fuccrolt, pour fon académie II fe nomme M. le Chevalier Daviet de Foncenex, homme de condition & de beaucoup de mérite' furtout dans Ia partie de 1'artillerie & du génie; M. de la Grange eft perfuadé qu'il feroit propre a for-  COR RESPONDANCE. mer en ce genre une excellente école. II eft actuelleraent fur mer, employé dans la marine du Roi de Sardaigne, oü il eft peu fatisfait de fon traitemenr; il fera de retour au mois deNovembre jV. M pourroit s'informer de eet officier par quelqu'un des officiers piémontois qui font a fon fervice; car M. de la Grange ne voudroit pas lui écrire direftemejic pour eet objet, par des raifoas que V. M, comprendra facilement; mais il me paroit periüadé que V. M. feroit eu M. de Foncenex une excellente acquifidon. Permettez-moi, Sire, de me féliciter, d'avoir enfin pu donner a V. M. des marqués de mon attachement & de mon zèle, en procurant a fon académie un fujet qui y fera bien plus utile que moi, & qui eft defliné a lui faire le plus grand honneor par fes travaux & fes talens. Mon peu de fanté a presque éteint le peu d'ardeirr & de génie que la rjature m'avoit donné, & il faut que je fonge a faire retraite ; mais ce qui ne s'éteindra jamais en moi, ce font les fentimens de reconnoifl'ance, d'ad-' miration, d'attachement inviolable & de profond refpect, avec lesquels je ferai toute ma vie &c. A Paris, ce 11 Sep embre 1766. Sire, (^e fera M, de la Grange qui aura 1'honneur de B 4  32 CORRESPO NDANCE. remettre a V. M. cette lettre; j'ai tout lieu de croire, par la eonnoifTance que j'ai de fon heureux génie, de fon ardeur pour le travail,& de la douceur de fon caradtêre, que V. M. me faura quelque gré d'avoir procuré a fon académie un favant de fon mérite; je ne crains point d'aflurer que fa réputatidn, déja trés-grande, ira toujours croiffant, & que les fciences, Sire, vóus auront une éternelle obligatiön de 1'état auffi honorable qu'avantageux que vous voulez bien lui procurer. Je prends Ia liberté de mettre foüs la protection de V. M. ce digne & refpeftable philofophe; je n'ai de regret que de ne pouvoir 1'accompagner; mais, Sire, une fauté tres-foible, & qui a befoin des plus grands ménagemens, me privé de ce bonheur. Peut-ètre fe raffermira-r-elle, & je profiterai en ce cas des premiers momens qu'eile me laiffera pour aller mettre encore une fois aux pieds de V. M. les fentimens de refpeét & de reconnoilTance que je eonferverai toute ma vie pour elle. On m'a fait part il y a peu de jours d'un vrai jugement de Salomon rendu par V. M.; c'eft la punition a laquelte elle dit qu'eile auroit condamné les malheureux enfans d'Abbeville, juridiquement égorgés en France pour n'avoir pas óté leur chapeau devant une proceffion, & pour avoir chanté des chanfons. V. M. auroit avec juftice trop mauvaife opinion de Ia nation francoife, fi je ne 1'allurois p^s que ce jugement auffi atroce qu'abfurde a révolté tous ceux qui n'ont pas perdu en France 1'hu-  CORRESPONDANCE. 33 1 '" f' manité & le fens commun. La philofophie, Sire, a grand befoin de la protection, auffi éclairée que puilTante, que V. M. lui accorde; 1'acharnement contre elle eft plus grand que jamais de la part des prêtres & des pariemens, qui dans la guerre cruelle qu'ils fe font, conviennent de temps en temps de quelques. jours de trève pour tourmenter les fages. Ces pariemens, bien indignes de 1'opinïoii favorable que les étrangers en ont concue, font encore , s'il eft poffible, plus abrutis que le clergé par l'efprit intolerant & perrécuteur qni les domine. Ce ne font ni des magiftrats, ni mème des citoyens, mais de plats fanatiques janféuiftes, quï nous feroient gémir, s'ils le pouvoient, fous le despoüfme des abfurdités théologiques, & dans les ténèbres de 1'ignorance qu'entrainent la fuperftitioa & 1'oppreffion. Je crois, Sire, que le feul parti h prendre pour un philofope que fa fituation empêche de s'expatrier, eft de céder en partie & de réfifter en partie a eet abominable torrent; de ne dire que le quart de la vérité, s'il y atropdedanger a la dire toute entière; ce quart fera toujours dit, & fruftifiera fans nuire a 1'auteur; dans des temps. plus heureux les trois autres quarts feront dits a. leur tour, ou fucceffivement, ou tout a la fois, s'il n'y a plus de pariemens ni de prêtres, ou fi les pariemens deviennent juftes, & les prêtres fages. Cette lettre, Sire, fera remife aV. M. affez longtemps après fa date, paree que M. de la Grange s'en charge en partant pour Londres. Je me fuis B 5  34 CORRESPONDANCE, privé a regret de quelques jours qu'il me deftinort encore, pour qu'il les employat a ce voyage, qui ne retardera point fon arrivée a Berlin, paree que 3a route par mer de Londres a Berlin fera beaucoup plus courte & moins embarraffante qu'eile n'eüt été par terre en partant d'ici. Je fuis avec le plus profond refpeét Sec. lettre que V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire m'a comblé de la plus vive fatisfaction; je vois que V. M. n'a pas été mécontente des converfations qu'eile a eues avec M, de Ia Grange, & qu'eile a trouvé que ce grand géomètre étoit encore, comme j'avois eu 1'honneur de le lui dire,un excellent philofophe, & d'ailleurs verfé dans la littérature agréable. J'ofe afTurer V. M. qu'eile fera de plus en plus fatisfaite de Pacquifition qu'eile a faite en lui, & qu'eile le trouvera digne de fes bontés par fon caraétère auffi bien que par fes talens. II me paroit, Sire, pénétré de reconnoiffance de la manière dont V. M. Pa recu, & enchanté de la coaverfetion qu'eile a bien voulu avoir avec lui; il eft bien réfolu de faire tous fes efforts pour répondre & Fidéè que V. M. a de lui, & dont il «ft infiai- A Paris, ee 14 Septembre 1766, S X R E,  CORRESPONDAWCE. 35 ment fiatté; M. de la Grange, Sire, remplira cette iJée-, je ne crois pas rien hafarder en vous Tasfurant; il nous effacera tous, ou du moins empéchera qu'on ne nous regrette. Pour moi, je ne fois plus, Sire, qu'un vieil officier réformé en géométrie; ma téte n'eft presque plus capable du genre d'application que ce travail exige, & ma fanté, quoique paffable, ne fe foutient un peu que par le repos & le régime. Je ne fuis pas fans efpérance de revoir un jour V. M., & de rnettre de nouveau a fes pieds les fentimens fi juftes dont je fuis pénétré pour elle. V.M.prétendquefijeiiemehatepas, je la trouverat radotante: je fuis bien fur qu'eile n'eft pas faite pour radoter jamais; mais fi par malheur cela arrivoit, je ne ferois pas pour elle un juge fort redoutable, car pour peu que ma tête s'affoiblifle, elle ne fera pas loin d'en faire autant. J'ai admiré, Sire, & j'ai fait admirer a nos philofophes de ce pays-ci, tout ce que V. M. me fait 1'honneur de ma dire fur les abus & les atrocués abfurdes de la jurisprudencecriminelle francoife, fur le fanatisme égal, quoiqu'oppofé, de notre parlement & de nos prêtres, &z fur ie parti que doit preadre un homme raifonnable au milieu de tant decervelles échauffées & dérangées. C'eft auffi, Sire, celui que je prends-, méprifer les fous, & honorer les fages, voila ma devife, & a peu prés tout ce que je puis faire pour la raifon,a laquelle jenepuis plus guères être utile que par mes vcaux en fa faveur. Mais les premiers, Sire, de raus mes vceux, B 6  36 CORRESPOND ANCE. les plus fincéres, & les plus conftans, font ceux que je fais pour V. M,; leur vivacité eff égale a celle des fentimens de refpeft, d'admiration & de reconnoüTance éternelle avec lesquels je fuis &c. P. S. Je prends la liberté, Sire, de recommander aux bontés de V. M. M., de Caftillon; il défireroit obtenir la penfion attachée a la place d'aftronome dont il fait les fonétions, & je crois que fa demande eft jufte. V. M, fait que je ne 1'ai jamais trompée; c'eft ce qui me fait prendre la liberté de lui parler avec tant de confiance. A Psris, ce 21 Novembre i-/6r5j Sire, V . M. recevra incelTamment, on peut-être aun déja re9U deptiis quelques jours une très-foible & très-mince produétion de fon admirateur; c'eft un cïnquième volume de mes Mélanges de littérature, 'pour lequel je demande a V. M. les mêmes bontés & la même indulgence dont elle a déja bien vouln honorer les volumes précédens. Ce volume, SIre, ne conttent guères que des chofes déja connues de V. M.; j'y ai pourtant fait quelques changemens.non pas toujours pour le mieux,mais pour «e pas trop blefler les charlatans en tout genre quj  CORRESPONDANCE. 37 veulent dominer fur les efprits; j'y ai inféré, avec les additions qui m'ont paru néceflaires pour le public , & les modifications que certaines matières exigeoient, -la plus grande partie des éclairciffemens que j'ai eu 1'honneur de préfenter a V. M. fur mes élémens de philofophie. 11 eft pourtant certains articles que j'ai cru devoir fuppriraer, paree que je fuis élevé, non comme M. Chicaneau, dans la craint'e de Dieu & des fergens, mais dans Ia crainte de Dieu & des prêtres, &z des parlemens qui ne valent pas mieux. Je prie très-humblement V. M. de vouloir bien a fes heures perdues, ou plutöt dans fes inftans de délaffement, (car elle n'a point d'heures a perdre) jeter les yeux fur ce volume, & m'éclairer de fês réflexions & de fes vues; elle trouvera en moi Ia docilité qu'un philofophe doit a celui qu'il regarde comme fon chef & fon modèle. Ce qui rend, Sire, ce volume intéreifant a mes yeux, c'eft 1'occafion que j'ai eue d'y exprimer en divers endroits, avec la vérité dont je fais profefïïon, les fentimens éternels d'admiration & de refpeft dont je fuis pénétré pour le héros de ce fiècle ; fentimens qui ne finiront qu'avec ma vie. V. M. verra peut-être bientót naitre un nouvel héritier dans fon illuftre maifon; je la prie d'ctreasfurée d'avance de toute la joie que j'en aurai. Cet héritier, Sire, fi la deftinée vous 1'accorde, n'aura pas befoin d'aller chercher bien loin de grands exemples; ii les trouvera prés de lui, il lira la vis B 7  3S CORRESPONDANCE. de fon grand oncle, & défefpérera de 1'égaler. Je fuis avec le plus profond refpect &c., A Paris, ce ïz Décembre i?6« Sire, M. me rend , je crois, affez de juftice pour être perfuadée que je ne prendrois jamais la liberté de lui parler d'autres affaires que de celles qui peuvent intéreffer les fciences & la littérature: ccpendant je n'^i pu refufer a M. le Prince de Salm, qui m'honore de fes bontés, de faire parvenir a V M. cette lettre de fa part. Vous jugerez, Sire, fi la demande qu'il fait a V. M. eft jufte, & fi elle doit lui accorder fon appui en cette occafion; tout ce que je me peimettrai de dire, c'eft que M. le Prince de Salm me paro't digne des bontés de V. M. par fes quatités perfonelles & par les fentimens de refpect & d'admiration dont je 1'ai toujours vu péaétré pour le héros de ee fiècle; il joint a ces fentimens celui d'une éternelle reconnoiflance pour les bontés dont V. M. i'a déja honoré. ]e recois de temps ea temps, comme V. M., d'alTez violens mémoires contre * * *; fi cela continue, elle fera bientót plus digne de pitié que de baine; car on 1'écorche fans miféricorde; ce qu'il y a de plaifant,c'eft que 1'auteur de ces mémoires»  CORRESPO ND ANCE. 39 a chaque coup d'étrivières qu'il doune a la pauvre * * *, a peur dés que le coup eft laché, que la juftice ne le lui rende au centuple, & paffe fa vie, comme St. Pierre a renier & a fe repencir. A propos de St. Pierre, 011 dit que fon patrimoine pourroit être bientöt & vendre. V. M. devroit 1'acheter; je ferois bien flatté de recevoir d'elle un bref d'indulgence, que je me fiatte qu'eile ne me refuferoit pas. La vérité eft que le vieaire de J. C. eft, dit-on, prêt a faire banqueroute,qu'on meurt de faim a Rome, que le St. père a fait fermer l'o» péra, pour appaifer la colère de Dieu, & que les anciens Romains, qui ne demandoient que du pain 6? des fpeéiades, trouveroient fort a plaindre les Romains modernes, qui n'ont ni 1'un ni 1'autre. M. de Stainville, qui traitott fi mal la nation frangoife aux eaux de Spa, comme je 1'ai fu il y a trois ans de V. M., vient de traiter encore plus mal fa femme, qu'il a fait enfermer, paree qu'eile vouloit lui donner pour enfans ceux d'un hiftrion; fi tous les maris qui font dans Ie même cas faifoient autant de train, nos femmes du bel air feroient en effet hors du commerce. Le père de M. de Ja Grange eft inquiet de ne point recevoir de fes nouvelles; il craint que leurs lettres réciproques ne foient interceptées a Turin; je prie V. M. d'interpofer fa protection auprès dn Roi de Sardaigne, pour qu'il foit permis a un fils d'écrire a fon père; car je ne puis croire que M. de la Grange ah pris V, M. pour Jéfus-Chrift.,  4a CORRESPON-DANCE. & qu'il dit renoncê a fon père & a fa tnère pour le fuivre, fuivant la morale de 1'évangile. M. de Catt remettra a V. M. le rnémoire que j'ai lu a I'académie des fciences le jour oü Mfgrje Prince héréditaire de Bronswic a affifté a la féance; il roule fur un objet utile, dont je m'occupe autant que ma foible fanté me le permet; car j'aurois encore plus de befoin d'un bref de fommeil & de digeftion, que d'un bref d'indulgences; j'ai bien de la peine a être palfablement avec ces deux divinités-la; je dis divinités, paree que le fommeil & la digeftion me paroilfent les deux vraies divinités bienfaifantes de ce monde. Auffi fuis-je bien réfolu, fuivant le fage confeil de V. M., de ne rien faire qui puiffe les troubler; la nature phyfique'ne m'a. déja que trop mal partagé de ce cöté-la, fans que j'aye encore la fottife d'y joindre les caufes rnorales qui acheveroient de tout gater. Je ne fais fi V. M. a re?u le 5«e volume de mes Mélanges, que j'ai eu 1'honneur de lui annoncer dans ma dernière lettre; je la fupplie de vouloir bien m'en dire fon avis avec fa bonté ordinaire ,Voltaire m'en parolt content; mais de quoi il eft bien plus charmé, & avec bien plus de raifon, ce font les lettres que V. M. lui écrit; ii m'en parle fans ceffe & m'en paroit transporté. Je fuis avec le plus profond refpect &c. A Paris, ce 6 Février i~<5r.  CORRESPONDANCE. 41 SlfcE, J'ai eu 1'honneur il y a peu de jours d'écrire a V. M. une trop longue lettre, par laquelle je crains de lui avoir dérobé des moraens précieux, & d'avoir abufé de fes bontés. Cette lettrev, Sire, fera plus courte; car je ne voudrois pas retomber trop fouvent dans la méme faute. Je me bornerai a pféfentér a V. M. la lettre & 1'ouvrage ci-joints, de la part d'un des hommes des fettres que j'aime &-que j'eftime le plus, M. Marmontel, mon confrère a I'académie frat^oife, & un des membres les plus diflingués ce cette compagnie. L'ouvrage, Sire, me parolt digne d'être lu & jugé par un héros; il contient des maximes 'importantes, que V. M. met depuis long-temps en pratique, ck la récompenfe la plus flatteufe que 1'auteur puiiTe défirer de fon travail, c'eft que V. M. 1'honore de fon fnffrage; ck qu'eile veuille bien le lui témoigner. Je fuis avec le plus profond refpect. ckc. (3'efl avec la Plus g™de circonfpeéKon quej'ofe parler a V. M. d'une affaire qui n'eft uullemeiu A Paris, ce 10 Février 1767. Sire,.  42 CORRE&PONDANCE. littéraire; mais un homme en place, a qui j'ai des obligations, m'a prié de vouloir bien préfenter a V. M. le mémoire cl-joint. 11 s'agit d'un Fran9ois, qu'on dit être plus malheureux que coupable, & a qui il paroit que fes juges mcmes ont rendu bon témoignage. V. M. avoit bien voului abréger de moitié le temps defaprifon; cependant le terme eft expiré & ii y eft encore, a ce qu'il croit contre vos ordres. Je fuis bien allure qu'il obtiendra juftice, s'il la mérite, & je pr-ia très-humblement V. M. de vouloir bien donner ordre que je fois inftruit de ce qu'eile aura prononcé, afin que je puifTe en rendïe compte aux per* fonnes qui m'ont recommanué cette affaire. V. M. me fait 1'honneur de me dire qu'eile n'eft pas du même avis que moi fur certains endroits de mon dernier ouvrage, concernant la poëfie & la inufique. J'ofe me flatter pourtant que fi j'avois 1'honneur d'avoir fur ces objets un entretfeu avee elle, elle demeureroit perfuadée que je penfe comme elle dans le fond, & que je n'en diffère peutêtre que par une autre manière de m'exprimer; je ferois porté a croire que j'ai ton, fi nous differions dans 1'effentiel. Par exemple, je me ferois joint a V. M. pour me moquer de feu NI. Algarotti fur la prètendue peinture de la pouffiére; il s'en faut bien que je croie la mufique capable de tout peindre; je crois feulement & j'ai dit qu'eile peut par iet fons nous mettre quelquefois dans une fituation femblable a celle on uous mettent certains objets  CORRESPONDJNCE. 43 de Ia vue, & par la nous rappeler i'idée de ces icbjets. M. Mannontel fera furement trés-flatté des obfervations que V. M. lui envoie fur fa Poëtique, 51 répondra furement a V. M. avec plus de fatisfaction qu'il ne fera a la forbonne fur foa Bélifaire. !Le pauvre gar9on eft acluellement aux prifes avec lelie, pour avoir dit que Trajan, Marc-Aurèle; !& les autres Fre'derics des fiècles paffes, qui avoieut fur celui de notre liècle Ie défavantage de B'être pas baptifés, pourroient bien, noHobflantle i défaut de ce paffeport, être en paradis avec Ca110», Socrate, Ariftide; & quelques marauds de ■ cette efpèce que le paganifme a produits; je veux mourir, Sire, fi je fais oü font tous ces honnêtes !gens; mais je les crois en enfer, s'ils font en mê1 me lieu que les docteurs; les raifonnemens qu'ils 1 enteudent, doivent être un fupplice pour eux. J'ai lu & relu mille fois, Sire, avec laplus ten1 dre & la plus refpeétueufe reconnoilfanee ce que 1V. M. a bien voulu ajouter de fa ma-n dans Ia let; tre qu'eile m'a fait 1'honneur de m'adreffer. Elle i a bien raifon de dire qu'on ne concoit rienaux fot: tifes contradiftoires qui abondent dans certains pays, 1 non plus qu'aux belles & importantes querelles de 1 nos pédans en robe avec nos pédans en foutane. I Pendant que cette vermine fe déchire, toute 1'Europe a les yeux fur V. M.; on pariede la Polo-ne, ie Danzic, de diffidens, dont je crois que V.M.  44 CORRESPONDJNCE. ne fe foucie guères; que fais-je enfin ce qu'on ne dit pas? Mais de quoi vais-jememêler, II ine femble déja entendre V. M. ,• qui me répond'comme Achille a Agamemnon: Vous lifez de trop loin dans les fecrets des Dieux. Je n'avois pas attendu les ordres de V. M. pour afl'urer le maffif abbé d'OIivet qu'eileconnoifToit les e muets, & que Crêp étoit furement un mot germanifé. 11 y a des fautes un peu plus effentielles que celle-la dans la Profadie de ce gros ex-jéfuite, car il "a 1'honneur de 1'être; & je ne confeillerois pas aux étrangers d'ajouter foi a un grand nombre de fes régies. Monfeigneur Ie Prince héréditaire de Bronfwic, qui eft ici pour quelques jours, y recoit le même accueil qu'a fon premier voyage, & je me flatta que s'il ne nous a pas trouvés fort raifonnables, il nous trouvera du moins fort honnêtes, ou plutót fort juftes a fon é^ard. J'ai eu la fatisfaclion d'exprimer plus d'une fois a ce Prince les fentimens dont Je fuis pénétré pour V. M., & il pourra 1'affurer de la vénération que tous les gens de lettres eftima. bles ont pour elle. Que V. M. Sire, faffe Ia guerre ou la paix, ce qui m'intéreffe le plus, c'eft qu'eile fe porte bien, qu'eile continue long-temps a être 1'admiratïon de 1'Europe, & qu'eile veuille bien fe fouvenir quelquefois de la reconnoifTance éternelle, del'attache-  CORRE SP OND ANCE. 45 ment inviolable, & du profond refpect avec lequel je ferai toute ma vie &c. A Paris, ce 10 Avril 1-767. Sire, J'ofe me flatter que V. M. eft affez pejfuadée de mon inviolable attachement, pour ne pasdouterde ma fenfibilité fur la perte qu'eile vient de faire. Tout ce qui iméreffe V. M. a des droits fur mon coeur, & ce qui peut augmenter ou altérer fon •bonheur, ne me touche pas moins que ce qui peut contribuer a fa gloire. Je fois auffi flatté que reconnoilTent de tout ce que V. M. veut bien me dire fur mon ouvrage, dar» Ai -derniére lettre dont elle a daigné m'hono■cef- je la prie de recevoir mes trèshumbles remercimens, & des éloges qu'eile a la bonté de me donner, & des critiques qu'eile veut bien y joindre. II me femble que dans ce que j'ai dit, ou du moins dans ce que je penfe fur la poëfie, jene diffère point réellement deV. M.; je n'ai condamné que celle qui fe borne a des mots & a des images ufées, celle qui ne contient point des chofes, & affurément V. M. eft moins faite que perfonne pour prendre la défenfe de cette poëfie, qui ne refTemble guères a la fienue. A 1'égard de la mufique» V. M. convient qu'eile peut au moins nous  4« CORRESPO NDAN CE. rappeler les objets qui ne font pas de fon refforr, en réveillant en nous par les fons des fentimens femblables a ceux que ces objets nous procurent; j'avoue que je vais un peu plus loin; & je ne crois pas mon opinion tout a fait fans fondement; mais 1'objet eft fi métaphyfique, & par confequent fi contentieux, que je ne fuis point furprls qu'un des plus grand muficiens de 1'Europe penfe autrement, & que je ne me crois, fur ce point-la furtout, aucunement infaillibfe. Je ne fais fi 1'expulfion des jéfuites d'Efpagne fera un grand bien pour la raifon, tant quel'inquifition & les prétres gouverneront ce royaume. Je crois auffi que fi V. M. expulfe jamais les jéfuite* de Siléfie, elle n'héfitera pas a en dire la raifon a toute l'Europe,& qu'eile ne tiendra pas renfermés dam fon cosur les motifs de cette profcription, On dit que V. M. a eu Ia bonté d'accorder une enlèigne au malheureux jeune homrne, condamné par NolTeigneurs du parlement de Paris, dans le fiècle de Fréderic, a être brülé vif, pour avoir oublié de faluer une proceffion. Je remercie V. M. de cette bonne.oeuvre, au nom de la philofophie & de 1'hnmanité. Si V. M. juge a propos de nomraer des aflociés étrangers a I'académie, je prends Ia 1'berté de recommander a fes bontés un homme de mérite, bon géomêtre & bon philofophe, M. 1'abbé Boflut, corréfpondant de notre académie des fciences de Paris, dont il feroit membre depuis long-temps s'U  CORRESPONDAIVCE. 4? ne demeuroit pas en province; il a remporté deux ou trois prix a noire aecadémie, &j'ofe alTurer V. M. qu'il ne déparera pas la lifte de I'académie de Berlin, quand elle jugera a propos d'augmenter le nombre des alTocié's étrangers, qui eft a la vérité bien grand dans un lens, mais affez court dans un auire. , Ma fanté eft toujours flottante, comme 1'eft actuellement la fociété jéfultique efpagnole; je fuis parvenu a tVce de régime i rétat-lir mon eftomac; mais ma tête eft presque'a .0' '.mtntnicapabled'application. Je ne jrendrois pas la liberté d'entrer avec V. M. dans ces détails, fi elle n'avoit la bonté de me le- Remander. Puilfe la defrriée ajouter aux fibres de V. M. la force & le reflbrt qu'eile Ote aux miennes! Je ferai tout confolé. Je fuis avec le plus profond refpect &c. A P»ris , ce 3 Jaillet 1767. Sire, Il y a quelque temps que j'eus 1'honneur de recevoir de V. M. une lettre charmante fur la poëfie & la mufique •, lettre pleine de raifon, de fel & d'efprit, & que le plus éclairé & en même temps le plus gai des philofophe* feroit trés-flatté d'avoir  48 CORRESPONDJNCE. écrite. J'ai mis plufieurs fois, Sire, la main a la plume, ou comme difent les pédans, la plume ala main, pour répondre tant bien que mal 4 cette excellente lettre j mais la plume m'efl tombée trois fois des mains; j'ai fenti qu'on ne répliquoit point par une froide difcuflion a des raifonnemens trésfins & tresjuftes, foutenus par de bonnes plaifanteries. D'ailleurs, pour tenir tête, Sire, a un adverfaire tel que V. M., il faudroit .du moins que j'euffe toute entière a ma difpofuion la pauvre pelite tête que Dieu m'a donnée; mais les approches de la mauvaife faifon ont encore affoibli le peu qui m'en reftoit, & pour peu que cela continue, j'aurai 1'honneur de finir par être imbecille: j'efpère du moins que fi !a deftinée m'enlève le peud'efprit qui me refte; elle laiffera toujours un cceur capable de fentir les bontés dont V. M. m'honore, & qui confervera toujours pour elle Ia plus vive & la plus refpeétueufe reconnoiflance. Quand V. NI, jugera a propos d'augmenter Ie nombre des affociés ètrangers de fon académie, je prends la liberté de lui propofer d'avance M. 1'ab. bé Boffut, dont j'ai eu déja 1'honneur de luiparler dans une lettre précédente;' c'eft un trés-bon géoraêtre, qui a remporté plufieurs prix a I'académie des fciences de Paris, & ailleurs; j'atteudrai les ordres de.V. M. pour le propofer aI'académie,& }e ne ferai fur cela que cequ'elle voudra bien me prefcrire. Je compte que V. M. eft toujours fatisfaite de M.dela Grange, Scjeme félicite deplus en plus d'a.  CO RRES P O ND A NCE. 0 voir procuré a I'académie cette excellente acqui» I fition. Puisque V. M. veut bien me permettre de 1'en: tretenir de ce qui intérefle les membres de eet illuftre corps, je prends la liberté de recommander i une feconde fois a fes bontés le profelfeur de Caiitillon; il défireroit que V. M. voülut bien lui jaccorder les appointemens de la place d'aftronome, pour pouvoir fe faire aider dans les calculs & les : travaux que cette place exige; ou bien, ce qui nèviendrOit pour lui a la méme grace, que V. M. i voulüt bien accorder les appointemens & le logeiment d'obfervateur a M. fon fils, qui eft très-capable de remplir cette place. II me paroit que M. de Callillon s'occupe beaucoup & avec fuccès de : ce qui concerne Paftronomie & 1'optique, mais qu'il auroit befoin d'un coopérateur, que fonp«n . de fortune Pempêche de fe proenrer. Je défirerois beaucoup, fi les précieux momens de V. M. le permettoient, favoir ce qu'eile penfe de la grammaire en deux volumes de M. Beauzée, que j'ai eu 1'honneur de lui adreffer; eet ouvrage eft, ce me femble, favant & profond, mais un 3 peu trop fcolaftique. V. M. doit auffi avoir regu une pièce intitulée, VHonnête criminel, dont le 'fujet eft intéreffant. Si elle daignoit me faire part de fes réflèxioris fur ces deux ouvrages, je. les fei rois paffer aux auteurs, qui certainement en ferroiënf leur profil.' Voila donc les jéfuites chaffés de Naples; on Oeuv. Pvflh, de Fr, II. T. XIK. C  50 CORRESPONDANCE. dit qu'ils vont 1'être bientót de Panne, & qu'ainfi tous les Etats de la maifon de Bourbon ferontmaifon nette; il rne femble que V. M. a pris a 1'égard de cette engeance dangereufe le parti le plus fage & le plus jufte, celui de ne point lui faire de inal, & d'empêcher qu'eile n'en faffe; mais ce parti, Sire, n'eft pas fait pour tout le monde; il eft plus aifé d'opprimer que de contenir, & d'exercer un acte de violence qu'un acte de juftice. Cependant la cour de Rome perdinfenliblementfesmeilleures troupes, & *** fes enfans perdus; il me femble qu'eile replie fes quartiars infenfiblement, & qu'eile finira par fuivre fon armée, & par s'en aller comme elle; Bien mal acquis s'en va de même, difoit le feu pape Benoit XIV, qui voyoitbien, comme on dit, le fond du fac; en attendant, la forbonne, qui joue de fon refte fans doute, vient d# donner une belle cenfure de Bélifaire; cette cenfure eft un chef-d'oeuvre de bétife & d'abfurdité, au point que les théológiens même (qui ne 1'önt pas rédigée) en font dans la honte, tout théológiens qu'ils font. Mais il ne m'importe guêres ce que les pedans font, difent & écriveut, pour vu que V. M. foit heureufe, qu'eile fe porte bien, & qu'eile veuille bieu quelquefois fe fouvenir du trèsprofond refpect, & de 1'attachement inviolable avec lequel je ferai toute ma vie &c. A Paris, le 14 Décembre 1767.  CORRESPOND ANCE. $\ Sire, , Je viens de recevoir & de lire avec la plus grande fenfibilité 1'EIoge que V. M. a fait du jeune ck digne Prince qu'eile a eu le malheur de perdre. Cet ouvrage, Sire, fait un honneur égal a 1'efprit & aux fentimens" du héros qui en eft 1'auteur; c'eft la vertu & 1'éloquence qui pleurent la vertu & les talens, moiffonnés a leur aurore; on ne peut s'empêcher de joindre fes larmes a celles de V. M. en lifant un ouvrage fi touchant ck fi pathétique. Le feu! endroit peut être que j'aurois défiré de n'y pas trouver, quoique le plus touchant & le plus pathétique de tous, c'eft celui oü V. M. parle de fa fin prochaine; je fais, Sire, qu'un héros tel que- vous envifage ce dernier moment avec tranquillité; mais il me femble que V. M. devroit dérober cette aflligeante image aux regards de ceux qui lui font tendrement & refpeétueuferaent attachés. Heureufement pour leur fenfibilité, ce trifte moment, Sire, eft pour eux dans le lointain, i bien plus qu'il ne le paroit IV. M.; ils fe flattent ■ même qu'ils n'auront pas la douleur d'en être témoins,en lifant cette trifte ck éloquente péroraifon, j'adrefioiJ du fond de mon cceur, a V. M. les beaux vers de 1'odeXVIIdu fecond livred'Horace, oü ce poé'te prie Mécène de fufpendre les plaintes que la vue d'une mort prochaine caufoit a ce favo* C 2  $> CORRESPOND ANCE. ti d'Augufte; avec cette différence, Sire, que V. M. eft bien plus précieufe au monde que Mécéne, qu'il craignoit la mort & que vous 1'avez mille fois bravée, & que mes fentimens font bien plus proFonds & plus juftes que ceux d'Horace. Quelque éloquente, Sire, que foit la peinture dont j'ofe me plaindre a V. M., j'aime mieux pour elle & pour moi fa gaieté fi philofophique avec laquelle elle fait tra'tfer les fujets même de philofophie, fans y répandre moins de juftefle & de profondeur. Elle auroit. parexemple, d'excel'entes réflexions a faire en ce genre fur la proceflion que notre faint père le Pape vient d'ordonner, paree que la religion catholique a le malheur de ne pouvoir plus opprimer & perfécuter les difïïdens en Pologne. C'eft afficher bien adroitement 1'efprit de cette religion, & donner bean jeu a fes ennemis. V. M. traité un peu trop mal la géométrie trnnfcendante; j'avoue qu'eile n'eft fouvent, comme V- M. le dit trés-bien, qu'un luxe de favans oififs; mais elle a fouvênt été unie, ne füt-ce que dans le fyftème du monde, dont elle explique fi bien les phénomènes. Je conviens cependant avec V. M. que la morale eft encore plus intéreffante, & qu'eile mérite furtout l'étude des 'philofophes; Ie malheur eft qu'on 1'a partout mêlée avec la religion, & que cet alliage lui a fait beaucoup de tort. J'apprends que Mi de Caftillon le fils n'a point la place d'aftronome, qui a été donnée a M. Bernoulli. Ce dernier eft fans doute un trés-bon fu»  CORRESPOND ANCE. s$ jet; mais je prends la liberté de recommander Tan. tre de nouveau aux bontés de V. IM.; fi elle daig- i noit le donner pour aide a>M. fon père dans l'aftro- i nomie, ck y joinJre unë penfion dont il auroit befoin , cette familie eftimable lui auroit une éternel- I le obligation. Puiffiez-vous, Sire, faire encore longtemps des onvrages tels que celui que je vicns de lire, a conditton que ces ouvrages n'auront pas un fi trifte objet, & furtout une péroraifon auflï douloureufe pour vos fidelles ferviteurs! C'eft. dans ces fenti- •mens & avec le plus profond refpect que je ferai jusqu'au dernier foupir &c. a Taris ce 29 Janvier 176S. Sire, J'ai déja eu 1'honneur de faire a V. M. mes tréshumbles remercimens du bel Eloge qu'eile a bier* voulu m'envoyer, & de lui dire combien cet ouvrage m'avoit paru éloquent & pathétique. Tou~ tes les armes fenfibles qui font lu en ont été auffi louchées que moi, & font des voeux. pour que 1* nature augmente les jours de 1,'augufte orateur, de ceux qu'eile a refufés a fon illuftre ueveu> fi digruement cclébré par elle. Si quelque chofe, Sire, peut être comparéice* C 3  54 CORRESPOND ANCE. éloquent ouvrage, ce font les excellentes réflexions dont V. M. veut bien me faire part au fujet de 1'excommunication du Duc de Parme; Ia comparaifon qu'eile fait du grand Lama è un vieux danfeur de corde qui dam un dge (finfirmiti veut ré' péter fes tours de force, tombe & fe cafjé le cou , eft auffi jufte & auffi philofophique que piquante: oh la répète de bouche en bouche,& cettefeuleparole vaut mieux que toutes les grandes écritures du confeil d'Efpagne & du parlement de Paris au fujet de cette belle équipée. L'excommunié Marmontel, a qui j'ai fait part • de 1'endroit qui le regarde dans la lettre de V. M., me charge de lui dire que Ie paradis, le purgatoire, les limbes, 1'enfer même, lui font aiTez indifférens, pourvu qu'il ait 1'honneur d'y être a la fuite de V. M. Quant a Voltaire, je ne fais s'il eft excommunié, mais il ne fe tient pas pour tel; car il vient de faire fes paques en grand gala en fon églife feigneuriale de Ferney, & après Ia cérémonie, il a fait a fes payfans un trés-beau fermon contre le vol; ilfe prétend ruiné & vient en conféquence de faire maifon nette, même de fa niéce qu'il a renvoyée a Paris; il eft refté feul avec un jéfuite, nommé le P. Adam, qui n'eft pas, a ce qu'il dit, le premier bomme du monde; il prétend que S. A. S. Mfgr. le Duc de Wurtemberg lui doit beaucoup & le paye • fort mal,& il diroit volontiers de ce prince cequ'en difoit en ma préfence a V. M. un peintre italien  CORRESPOND ANCE. SS qui avoit travaillé pour lui fans être payé: Oh! c'eft un homme qui naime point la virtou. V. M. me flatte infiniment en défirant un nou' veau volume de mes oeuvresjj'ai bien quelques matériaux pour ce volume, mais je ne fais quand ma pauvre tête me permettra de les mettre en ceuvre; je vais la laifl'er repofer pendant un an; pour tuer le temps en attendant, je fais imprime^deux volumes de grimoires algébriques, qui font faits depuis plus de deux ans, & qui n'intéreflent guères V. M. ni moi non plus. Madame la ComtelTe deBouflers-Rouverel,femme de beaucoup d'efprit & de mérite, & que feu Madame de Pompadour,d'heureufe mémoire, haïffoit fort a caufe de fon admiration pour V. M.,me charge de mettre a fes pieds M. le Comte de Bouflers fon fils, jeune homme bien élevé, iuftruit, & fage, qui doit arriver inceffamment a Berlin, & que le Miniftre d'Angleterre doit préfenter a V. M.j ce jeune feigneur mérite d'étre diftïngué par fa conduite & par fes connoiffances de notre jeune uoblefle francoife. Je me flatte, Sire, que le retour des beaux jour» & 1'exercice rendront a V. M. une fanté parfaite; je ne fuis point étonné qu'eile ait fouffert du rude hiver que nous venons d'éprouver, & j'efpère qu'eile fe trouve mieux a préfent. PUiiTe la deftinée la conferver longtemps pour le bien de fes Etats, pour 1'exemple de 1'Europe, pour 1'honneur & 1'avautage des lettres & de la philofophie! C 4  56 CORRESPONDJNCE. Je fuis avec Ie plus profond refpect &c. J'en demande pardon è V. M.; je reconnois toute la ftipériorité en politique comme en tout Ie refte; mais je ne vois pas autant d'avantages qu'eile pous la malheureufe philofophie dans toutes les fottifes qu'il plak au faint Efprit d'infpirer au grand Lama. Je 'm'attends feulement que Ie trés-faint père recevra de très-chers enfans les princes catholiques quelques coups de pied dans le ventre, ou dans le derrière, comme il plaira a V. M.; mais je n'efpêre pas qu'aucun philofophe devienne ni grand aumönier, ni confeffeur. En attendant la fortune que V. M. a la bonté de leur prédir-e, ils continueront a ètre viiipendés & perfécuiés; ils fouffriroient patiemment Ie premier, fi on vouloit bien leur faire grace du fecond; & en c?s qu'on leur épargnatles coups, ils diroienc vo'omiers comme Sofie dars* Amphitrion; Puur des injur-es Dis-m'en tant que tu voudras,, €e font- Iégères bleffures, Et je ne ai'en fiche pas,. A Paris, ce is Avril 176S.. Sire,  CORRESPONDANCE. Quoi qu'il en foit;, le fils alné de 1'Eglife vient*, avec tout le refpeft poflible de fe faifir d'Avigaon,, en y envoyant, non pas une arrnée, mais un détachement du parlement d'Aix qui en a pris poffeffion en robes rouges & avec beaucoup de politeffes nous faifons la guerre au Pape fépée au cêté & la plume a la main; mais en récompenfe, nous fom^ mes prêts a jeter les philofophes dans le feu au premier fignal- Je remercie très-hufnblement V. M. de fintérés qu'eile veut bien prendre a ma fanté; le coffre ds; la machine eft un peu meilleur en ce moment, maia la tête eft roujours incapable d'application, par les peu de fommeil. J'ai eu la douleur ces jours-c£ de me voir plus prés de V. M. de 200. lieues, & de n'avoir pas la force d'aller me mettre a fes pieds. M. Mettra, qui part pour Berlin ,,& qu'il ne m'efê pas permis d'accompagner par le régime auquel jefuis forcé de m'afl'ujettir, voudra bien être auprèsde Vv M. 1'inccrprete de mes fentimens & de mes^ regrets.. Oui fans dbute,. Ie patriarche de Ferney a ren?v.oyé Agar de fa maifon; il.eft livré pour toute fosiété a un fort honnête jéfuite,- qui s'appelle le pèrte Adam, & qui n'eft p.ourtant pas-a ce qu'il dir„ le premier, des hommes. 11 a pris ce jéfuite pour lui dire la mefle.& pour jouer.avpc lui aux échecsj; 'fi crains toujours que le prëtre ne joue quelques BtogateHo» au philofaphe, & ne finiffe par Mi éBmtr k ?jon0, & peut-éne le faire écbes <£f j/keï. © 5-  5» CO RRESPOND ANCE. On dit que l'évêque de Genève oud'Annecy,doHt il a 1'honneur d'être une des ouailles, a voulul'excomrnunier pour avoir fait fes paquets ,• heureufement il a rendu en même temps un très-beau pain bénit, & le curé pour lequel il y avoit une excellente brioche, a plaidé Ia caufe de fon paroiffien, & a foutenu qu'il n'avoit point prétendu jouer la comédie, & qu'il étoit dans les plus faintes dispofitions du monde. Pour lui,il me femble qu'il n'y a pas fait tant de facons, & qu'il adit, comme Pourceaugnac, a qui fes médecins veulent tater le pouls pour favoir fi on lui donnera a manger: quel grand raifonnement faut-il pour manger un morceau ? Je fens que j'abufe du temps & des bontés de V. M. en 1'entretenant de ces miféres; je lui en demande pardon, je la fupplie de fe conferver pour le bonheur de fes fujets, pour 1'exemple de 1'Europe, & pour le bien de la philofophie & des lettres. J'efpère que M. Mettra me rapportera de bonnes ■ouvelles de fa fanté, & voudra bien lui témoigner 1'attachement inviolable, la reconnoilTance, 1'admiration & le trés-profond refpect. avec lequel je fiiis &c. P. S. Je viens de lire une profesfton de foi dei tbéiftes, qui me paroit adreffée a V. M. C'eft un fruit des paques de Ferney. A Paris, ce so Juin 176$.  CORRE SPONDdNCE. 59 Sire, Quelque éloge que V. M. fafTe de la parefTe dans 1*ouvrage charmant qu'eile m'a fait 1'honneur de m'envoyer, je Ia prie de croire que ce n'eft point cette vertu (puisqu'il lui plait de 1'appeler ainfi) qui m'a empêché de lui faire plutöt mes trés-humbles remercimens. Un fentiment plus trifte & plus profond m'occupoit, & faifoit taire tous les autres; il fe répandoit des bruits facheux & trés-inquiétans fur la fanté de V. M.; j'attendois avec impatience M. Mettra pour en favoir des nouvelles fures, & pour calmer 1'inquiétude oii j'étois; il eft enfin arrivé, m'a tranquillifé pleinement, & m'a mis en état de renouveler a V. M. 1'alfurance des fentimens de reconnoiiTance,d'attachement & de refpect dont je fuis pénétré pour elle. A 1'égard de 1'ouvrage oü V. M. loue avec tant d'efprit & de gaieté cette parefie qu'eile pratique fi peu, j'aurai 1'honneur d'aflurer que depuis Iongtemps les indigeftions & les infomnies m'ont perfuadé de la vérité de fa thèfe, & convaincu que Jean Jaques Roufléau a raifon, quand il allure que Vhomme qui mèdite eft un anima! dêpravé. Je crois le Marquis aufli pénétré que moi de cet axiome, & je ne lui connois d'aftivité que dans un feu! point, c'eft dans fon inviolable & refpectueux attachement pour V. M, C d  C&KKZSPO-ND ANCE. II fufiit de jeter les yeux fur ce qui fe paffe se-Europe pour voir que 1'efpèce humaine eft conéamnée a ne fortir de fon indolsnce naturelle qua pour fe tourmenter elle-même & les autres. Je m'en voudrois pour exemple que votre amilegrand Turc, qui marche contre la Rufïïe pour foutenir fans doute la religion catholiqus. Notre St. père le Pape ne fe feroit pas attendu a cet allié-la. Je défire beaucoup de voir traiter par V. M. les autres fujets qu'eile fe propofe-; entr'autres ces deuxei, qu'il faut cbajjer les philofophes des gouvernemens monarchiques; & que les Etats oü le peuple nft le plus pauvre font les plus heureux, paree que h peuple eft fage & fait fe pafer de tout. C'efr. ane vérité dont on tache de le perfuader par 1'expérience dans la plus grande partie de la terre. Heureux les pays oü il a le bonheur de n'ètre pas éclairé jusqu'a ce point fur fes vrais intéréts! Confervez, Sire, votre fanté précieufe a des fujets qui ne recevront jamais de vous de pareilles inftructions;confervez-la pour la philofophie, pour les lettres, & ponr le bonheur de celui qui fera route fa vie avec le p'ms profond refped & laplus sefpe.er»eufe reconnoiffanee &c A Psrif • ce ié 5ej'tenibre n<&.  CöRRESPONBANCE. &t S.i.re, Je crains d'imporruner trop fouvent V. M. -r c'eft' pour cette raifon que je n'ofe rendre mes lettres plus fréquentes. Je refpecte furtout en ce moment fes occupations, qui doivent être augmentées par les affaires du nord. Ces affaires, fi elles n'étoien* pas auffi férieufes, pourroient amufer un moment la philofophie. II eft affez curieux pour elle de voir le grand Turc en armes pour foutenir la religion catholique en Pologne, tandis que les princess catholiques du midi écornent tout en douceur. Iepatrimoine de St. Pierre. Je nè doute point, Sire, que le St. père n'env.oie au grand Vifir une épée bénite comme au Ma~ réchal Daun. On affure que plufieurs de nosFranSois, & jusqu'a des Chevaliers de Malte, vont feuvir dans farmée turque contre ces vilains fchismatiques de Ruffie; cc qu'on dife après cela que 1'efprit de tolérance ne fait point de progrès,dans notre uation. Le Roi de Danemarck^ que nous avons eu iep pendant fix femaines, en eft parti il y a huk jours., excédé , ennuyé, haraffé de fêtes dont on fa écrafé, de foupers oü il n'a ni, mangé ni caufé, & ce. bals ou il a danfé en baillant a fe tordre labouche.. ]c ne doute-. point-qu'a.fon.arrivée a.Copenhagufc h ^ asade- un.édk pour. défendre le» foupers, tytm Cf  &1 CORRESPONDANCE. bals & perpétuité. II eft venu a I'académie des fciences, & j'ai fait a cette occafion un'petit discours que j'ai 1'honneur d'envoyer a V. M.; rnes confrères & le public m'en ont paru contens; mais je défirerois encore plus, Sire, qu'il fut digne de votre fuffrage. J'ai taché d'y faire parler la philofophie avec la dignité qui lui convient; cela étoit d'autant plus néceffaire qu'on avoit allure leRoi de Danemarck que les philofophes étoient mauvaife compagnie. Cette mauvaife compagnie, Sire, eft bien confolée & bien honorée d'avoir V. M. a fa tête. On dit que le pareffeux Marquis eft refté en Bourgogne; il y fera venir fans doute les eaux d'Aix , en attendant qu'il puiffe aller les prendre fur les lieux. ■ Nous recevons de Genève quelques brochures édifiantes; on nous a envoyé il y a peu de jours fa, b, c; c'eft un tiffu de. dialogues fur tout ce qui a été„ eft, & fera. Dans le dernier dialogue 1'auteur foupconne qu'il pourroit bien y avoir un Dieu, & qu'en même temps le monde eftéternel; il parle de tout cela en hcmme qui ne fait trop bien ce qui en eft. Je crois qu'il diroit volontiers comme ce capitaine fuiffe a un déferteur qu'on alloit pendie, & qui lui demandoit s'i! y avoit un autre monde: par la mott-■Dieu, je donnerois bien cent écus pour ie /avoir. Mais c'eft trop entretenir V. M. de balïvernes. 'Je finis en lui fouhaitant une année aufii glorieufe  CORRESPONDANCE. 63 & auffi heureufe que toutes les précédentes, & ea Ia priant de continuer fes bontés a un philofophe pénétré de reconnoiffance, d'attachement, & du plus profond refpect pour fa perfonne. C'eft dans ces fentimens que je ferai toute ma vie &c. A Paris, ce 19 Décembre 176!. Sire, J'ai cru voir, par la dernière lettre que V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire. qu'eile étoit en ce moment plus accablée d'affaires que jamais & qu'il lui reftoit bien peu de temps pour recevoir des lettres inutiles. Cette raifon, Sire, jointe a mon peu de fanté, a fait que depuis affez long-temps je n'ai ofé 1'importuner des miemies; d'autant que ce qui jn'intérefTe le plus quand j'ai 1'honneur de lui écrire, eft de favoir des nouvelles de fa fanté, & que fon Miniftre, Monfieur le Baron de Goltz, m'a affuré qu'eile étoit très-bonne. Puiffe-t-elle fe maintenir en cet état pour le bonheur de fes fujets, & pour ma confolation dans raffoibliffement de la miemie! J'ai été fort touché de 1'accident arrivé a Madame la Princeffe de Naffau, tant pour éile-ii sme que par 1'intérét que V. vT. prerd a elle. jc défirerois bien vivërrtêfit que V M., fi hemvwfe pat fes fuccés, & par fa gloire, (fi pourtant la'gloire  «4 CORRE SPO ND A NCE. peut rertdre heureux! ) le fut encore dans fa faraifle. Mais la trifte condition humaine ne cornporta pas une félicité entière, & encore moins durable; & le plus fortuné des hommes eft celui qui a Ia aioins de raifons d'être dégoüté de la vie» Les aftronomes de I'académie ont dü raffurer VM. fur le prétendu dérangement de Saturne & 1'ef» capade de fon fatellite. Les planètes, Sire» tout plus fages que nous; elles reftent a leur place; ce font les hommes qui ont la rage de. ne pas refter a la leur, & qui fe tourmentent pour être malheureux. Voila un incendie qui s'allume aux deux bouts de 1'Europe, en Corfe & en Rufïïe. Dieu veuille qu'il ne s'étende pas plus loin! PuifTent furtout la France & les Etats de V. M. en être prélèrvés! J'apprends par les nouvelles publiques que les armées tartares ont déja dévafté beaucoup de paysj les malheurs del'humanité m'atriftent, queLque loin de moi qu'ils fe paffent. Voila donc 1'Empereur a Rome, & les cardiaaux occupés a faire un Vice-Dieu, pendant que ie grand Turc travaille a la défenfe de la religion catholique en Pologne. Je ne fais quel pilote on «hoifira pour la barque de faint Pierre; il me femble qu'eile fait eaudetouslescótés. Voltaire me parelt un requin qui. fait tout ce qu'il peut pour la renverfer. Ou dit pourtant qu'il vouloit encore cette année-ci manger fon. Dieu comme la. précédentey. mais on dit que-ibn euré.n'& pas vaula>i&4ane. rentgndre. sa, CQnfidiioa..  CORRESPONDANCE. 65 Nous n'avons ici d'ouvr.ge qui puiffe intéreffer i V. M. que le poè'me des Saifons de M. de Saint! Lambert. Je ne fais ce qu'eile en penfera, mais il 1 me femble qu'eile y trouvera ce qu'eile aime avec raifon en poëfie, de 1'liarmonie ■& des images, de 1 la philofophie & de lafenfibUité . V. M. ignore fans doute, car elle n'a pas le temps 1 de lire des rapfodies & d?s libeües, qu'on impri-. 1 me aClèves dans fes Etats une gazette fous le titre : de Counicr du bas Rhin, dans laquelle on infère i des calomnies contre les plus honnêtes gens, & en. I particulier contre moi." M. de Catt eft au fait de , cette irapofture, dont il pourra rendre compte k 1 V. M. . Je fuis avec le plus profond refpect, & une ad» 1 miration égale a ma reconnoiffance &c. A Paris, ce 10 Avril 1769. S I R E.,. "V. M. me raflure beaucoup par Ia dcrniéte lettre dont elle a bien voulu m'honorer,en m'affurant que les coups de poing que fe donnent les RufTes, & les Turcs, ne s'étendront pas jusqu'a vos Etats, ai jusqu'a la France. Je ne fais d'ailleurs ce que V. M. penfe de cette favante & glorieufe guerre; iL m paroit. qu'eile refXemble jusqu'ici a lajouted'Ar-  66 CORRESPONDANCE. lequin & de Scapin, qui fè menacent avec grand bruit,fe donnenr quelques coups de baton, cks'enfuient chacun de leur cöté. Ce qu'il y a dans tout cela de plus plaifant, c'eft de voir 1'imbécille & iubliine Porte proteétrice du papifme des Sarmates, Cette fottife ne feroit que plaifante, fi elle ne faifoit pas répandre tant de fang. On dit, a propos de pape, que le cordelier Ganganelli ne promet pas poires molles a la fociété de Jéfus, & que St. Francois d'Affire pourroit bien tuer St. Ignace. II me femble que le St. père, tout cordelier qu'il eft, fera une grande fottife de caffer ainfi fon régiment des gardes par complaifance pour les princes catholiques;il me femble que ce traité reflemblera a celui des loups avec les brebis, dont la première condition fut que celles-ci livraffent leurs chiens; on fait comment elles s'en trouvèrent. Quoi qu'il en foit, il fera fingulier, Sire, que tandis que leurs majeftés très-chrétienne, très-catholique, très-apoftolique,& trés-fidelle détruiront les grenadiers du St. Siége, votre très-bérétique Majefté foit la feule qui les conferve II eft vrai qu'après avoir refifté a cent mille Autrichiens, cent mille Ruffes, & cent mille Francois, il faudroit qu'eile fut devenue bien timide, pour avoir peur d'une centaine de robes noires. J'avoue qu'elles font ici plus a craindre. Voltaire, qui voudroit mieux que la deftruction des jéfuites, comme V. M. le fait bien, s'eft trouvé fi bien de fa communion pafcale de 1'année der-  CORRESP O ND ANCE. 67 iriêre, qu'il a voulu cette année-cireprendre, comme on dit, du poil de la béte. 11 a pourtant affaire a un évéque de Genève, ci-devant macon, a ce qu'il prétend, & depuis porte-Dieu, qui voudroit le faire brüler. U m'aflure qu'il n'a point da tout de vocation pour Ie martyre, & qu'il ne veut point être expofé au fort du Chevalier de la Barre; je lui réponds, pour ranimer fa foi, que felon St. Auguftin, dans fon homélie fur la décollation de St. Jean, on devient plus propre a entrer dans le royaume des cieux quand 011 a la tête coupée; parce que 1'évangile dit que pour entrer dans ce royaume, il faut fe faire petit, opération que la décollation produit nécelfairement. Je prie V. M. d'être perfuadée que je ne 1'aurois, point importunée de mes plaintes au fujet des calomnies imprimées contre moi dans fes Etats, fi ces calomnics n'avoient regardé fhonnêteté desmceurs, & fi je ne favois qu'elles avoient fait quelque impreffion a Berlin même. Les princes, Sire, & furtout les princes tels que vous, ont raifon de méprifer les calomnies de toute efpèce, paree que leurs aftions, expofées aux yeux de tout le monde , donnent par clles - mêmes le démenti a la calomnie; mais un particulier obfeur n'a pas cette resfource. J'allai voir il y a deux iours chez le fculpteur Couftou le Mars & la Vénus qu'on y fait pour V. M.; ces deux ftatues font trés-belles; la Vénus eft  68 CORR.ES POND ANCE. entièrement achevée, & le Mars le fera inceiTa'örment. J'ai eu 1'honneur d'écrire il y a quelques jours a V. M. en lui adreflant un ouvrage fur les Synonymes; qu'eile n'aura peut-étre pas encore recu, & que 1'auteur m'a chargé de lui offrir." On me mande que M. de Ia Grange a été malade. V. M. devroit lui ordonner de fe ménager fur le travail. C'eft un homme d'un rare mérite, dont la confervation importe a I'académie, & qui eft bien digne, Sire, des- bontés de V. M. par fes talens, par fa modeftie, & par Ia fagelïe de fa conduite. Je fais par expérience ce que prodait a la longue une forte application, c'eft d'éprouver la caducité „avant le temps. Puiflé la fanté de V. M, n'étre pas plus caduque que fa gloire i Je fuis &c. a Paris, ce 16 Juin 176$. Sire, M e voila, Dieu merci, parfaitement tranquüfe, fur Ia parole de V. M., au fujet des deux feules contrées de 1'univers auxquelles je prenne intérét, celle qui a le bonheur de vous avoir pour fouverain, & celle que j'ai 1'honneur d'n'abiter. Après cstce afiurance, que les catholiq.ues romains, dits  C0RRESP0ND/1NCE. 69 mahométans, & les fchifmatiques foi difant tolérsns, s'égorgent a leur plaifir, je me contenterai Ide dire un profimdh pour le repos de leurs ames, fans inquiétude fur le fuccès de 'leurs armes & fur les grands événemens qui, je crois, n'en réfulteront pas. Si 1'alcoran eft vainqueur, nous en ferons quittes pour croire a la jument Borac. Je ne fais pas fi les Corfes que. nous avons envoyés dans J'autre monde, y ferontmieux que dans ; celui-ci; mais il me femble que Sertorius Paoli a • fait une affez plate fin. On 1'accufe d'ètre unpeu ■ poltron; il y a un peu paru par fa conduite, & il faut avouer que c'eft un défaut un peu elTentiel pour le chef d'une nation qui veut être libre. On allure que le Pape cordelier fe faitbeaucoup titer Ia manche pour abolir les jéfuites; je n'en fuis pas trop étonné; propofer a un Pape de déi truire cette brave milice, c'eft comme fi on propofoit a V. M. de licencier fon régiment des gardes. Cependant on eft, je crois, bien furpris en Efpagne, en Portugal & a Naples, que le fucceffeur de St Pierre difpute a V. M. le droit de conferver les enfans d'lgnace. Cela paroit auffi. étonnant dans ces-contrées éclairées, quel'aventure des deux miffels qu'on jeta autrefoïsaufen pour favoir lequel des deux étoit le meilleur, & qui furent brülés tous deux, au grand ébahiflement des fpeaateurs. Mais ce qui pourra divertir un moment V. M., c'eft que le général des jéfuites,dans une requête préfentée au feu Pape, m'a fait 1'hon-  7« CORRESPONDANCE. neur de me citer comrne une autorité non Jufpefte en faveur de fon ordre , paree que j'ai dit quelque part que les jéfuites font les janiffaires du faint fiége, nécelTaires comme eux au foutien de 1'empire. J'ignore comment Voltaire fera avec le nouveau vicaire de Dieu en terre; il étoit, a ce qu'il prétend , vivement menacé d'excommunication par fon prédécelfeur. II m'écrit qu'il a eu grand'peur d'ètre martyr, & que c'eft pour cela qu'il s'eft confejjé; afin de refter tout au plus confejfjur. II vient de faire une petite brochure intitulée, paix perpêttielle , qui eft une violente déclaration de guerre, ou continuation de guerre contre ce que vous favez. II dit que fon évêque d'Annecy, qui s'intituie Prince de Genève, eft coufin germain de fon macon, & que c'eft un prélat qui n'a pas le mortier liant. II me paroït, Sire, tout auffi impoffible qu'a V. M. de croire qu'un vieillard de 80 ans meure de chagriu ou d'apoplexie , paree qu'on 1'a appelé radoteur; mais j'ofe aflurer V. M. que fes Berlinois ont eu Ia bonté de le croire, & je n'en fuis pas étonné, depuis que je fais de V. M, qu'ils ont été fur pied pendant deux nuin pour voir paffer Vénus fur le foleil. Heureufement, Sire, votre académie-des fciences ne reffemble pas au refte de Ia nation; fes mémoires font un exellent ouvrage, & prouvent que c'eft une des fociétés favantes les mieux compofées de l'Europe. Je ne parle pas feulement de M. de  CORRESP O ND ANCE. ?i la Grange, dont le mérite eft bien connu de V. JVI.; je parle entre autres de Mrs Lambert & Béguelin, qui dorment tous deux d'excellens mémoires dans ce recueil, & quimeparoiflentdignesdes bontés dont V. M. a toujours honoré le mérite. - V. M. me donne rendez-vous a la vallée de Jofapliat; il y a grande apparence que je 1'y devancerai. ]e ne fais pas d'oü procédé le St Efprit, mais je voudrois bien favoir d'oü procèdent les deux vraies divinités de ce monde, la digeftion & le fommeil. J'irois les chercher que'que part qu'elles fuffent. Je fupplie V. M. de recevoir mon très-humble compliment fur le mariage de Mfgr le Prince de Pruffe. Je me flatte qu'eile eft bien perfuadée du vif intérêt que je prends a tout cequiconcernefon illuftre maifon & fon augufte perfonne. C'eft dans ces fentimens & avec le plus profond refpeft que je ferai toute ma vie &c. A Paris, ce 7 Aoüt 17Ö?. Sire, 3VL Grimm, qui n'eft de retour en France que depuis peu de jours, m'a remis la lettre dont V. M. m'a honoré, & dont je la prie de recevoir mes trés-humbles remercimens. II eft revenu, Sire,  7* CORRESPOND ANCE. pénétré des fentimens de refpect-, d'admiration & d'attachement que V. M. infpire a tous ceux qui ont 1'honneur de 1'approcher. Mais ce quim'in. téreiTe encore davantage, car je rellemble a Bartholomée qui alloit droit au Jolide, M. Grim m'a donné les nouvelles les plus fatisfaifantes de la fanté de V. M., & de fa gaieté, qui en eft elle - même une preuve. Les trois fujets dont V. M. me fait 1'honneur de me parler, M. de la Grange, Béguelin & Lam' bert, font en effet les ineilleurs de I'académie, & très-dignes a cet égard des bontés de V. M. J'efpêre que le jeune M, Bernoulli marchera fur leurs traces. On m'a envoyé depuis peu une diiTertation de M. Cochius, qui a remporté le prix de métaphypque; elle m'a paru bien faite & pleine d'une faine philofophie; fi M. Cochius n'eft pas de I'académie, il me femble qu'il y feroit bien placé dans Ia claffe de philofophie fpéculative, ou dans celle des belles-lettres. On allure, Sire, & je n'ai pas de peinea Ie croire, que 1'Empereur eft retourné a Vienne enchanté de V. M., c'eft bien furement ce qu'il a vu de mieux dans tous fes voyages. Puisque ce prince a vu V. M. & qu'il Ia connoit, je fuis bien für qu'il ne lui fera pas la guerre, & voila furtout ce qui m'occupe; car la tranquüüté & le bién-être de V. M. me font encore plus chers que fa gloire, qui même n'a rien a perdre par fa conduite admirable depuis lix ans de paix. A catte condition, je per-  CORRESPO KÊ A NCE. R permen aux Turcs cc aux Ruffes de s'égorger tant qu'ils ie voudronr. Ma Mbo! eft tonjoorj bien incertaine; je vondruis du muir.s «u'e'.lemoIaiiTdt affez de forces pour aller mettre encora uoc fvis aux pieds de V. M. les fentimens dont je fuis péndtré pour elle; car c'eft un trifte rendez-vous que la valide de Jofaphat. Mais de quelque manière que je la revoie, elle trouvera toujours en moi la reconnoiffance, le refpect profond, & 1'admiration avec laquelle je fuis &c. A Paris, ce ió Octobre 1769. Sire, T Ie crois V. M. fort occupée, dans ce moment de ferroentation violente dont le nord de 1'Europe eft agité; je crains toujours de 1'importuner par des. lettres inutiles, mais je ne puis me refufer la fatisfaction de lui témoigner toute la part que je prends a la joie qu'a dü lui donnerlanaiffanced'un nouveau Prince dans fon augufte & illuftre maifon. J'efpère que S. A. R. Madame la Princefle de Prufie lui donnera bientót un nouveau fujet de fatisfaction par une naiffance femblable. J'ai eu 1'honneur il y a quelque temps de remercier V. M par une affez & trop longue lettre des éclaircifl'exnens qu'eile a bieu voulu me donner. Si j'ofois Ochv. Pojlb. de Fr. II. T. XIIT, Q  74 CO RRESPOND ANCE. prendre cette liberté, je lui demanderois ce qu'eile augure de la préfente guerre, & du fort de la Pologne, dont le fouverain me paroit 'être le St Efprit des Rois. Voltaire ne me paroit pas faché que les affaires des Turcs aillentmal; il prétend ques'ils ne font pas convertifTeurs niperfécuteurs, ils font abrutiiTeurs. Pour moi, quand il arrivé a ma pauvre tête, ce qui lui arrivé fouvewt, de fe trouver affez mal fur mes épaules, je penfe au pauvre grand Vifir a qui on vient d'abattre la fienne, &je trouve que le lot de la mienne eft encore meilleur, tout mauvais qu'il eft en lui - même, furtout quand je le compare, Sire, au lot de la vótre, qui fuffit feule a tant d'.objets, & qui trouve encore du temps pour cultiver avec le plus grand fuccès la philofophie & la poëfie. Vous les avez rëconciliées enfembfej puifïïezvous réconcilier de même St Nicolas & la jument Borac, qui dans la dernière affaire furtout me parolt n'avoir été qu'une béte. Je fuis &c. A Paris, ce i Ddcembre 176» Sire, Il n'y a que peu de temps que j'ai eu 1'honneur d'écrire a V. M., & certainement je fais fcrjupu'e de 1'importuner trop fouvent par mes lettres, perfuadé, comme de raifon, qu'eile a beaucoup mleux  I CORRESPONDANCE. a faire que de me lire. Mais je ne puis pounanc me difpenfer de lui faire mes très-humbles remercimens fur le prologue qu'eile a eu la bonté dem'envoyer. La Princelfe qui en eft 1'objet, m'y parolt louée avec autant de galanterie que definelTe; je fais d'ailleurs qu'eile mérite ces éloges par ce que V. M m'a fait 1'honneur de me dire plufieurs fois de fon grand talent pour lamufique;fionchangeoit Ia Princelfe en Prince, je fais bien, Sire, k qui ces éloges pourroient encore mieux s'appliquer, en y joignant a Ia vérité des éloges encore plus mérités, s'il eft poffible, fur des objets plus grands & plus eflentiels au bonheur des hommes. La fin de ce prologue, Sire, eft une plaifanterie neuve & de trés-bon goütj avancez , ines batards, m'a fait beaucoup rire. Hélas! Melpomène & Thalie n'ont presque plus qöe des batards; car nos comédiens même de Paris ne font pas des enfans trop légitimes. Je remercie très-humblement V. M. des nouvelles qu'eile veut bienmedonnerdefafanté; ce qu'eile ajoute me fait encore autant de plaifir, fur la ■ tranquillité d'ame dont elle me paroit jouir en ce moment. Cette tranquillité d'ame, Sire, m'alfure d'abord du bonheur de V. M., auquel je m'intéreffe de préférence; elle allure enfuite par contrecoup le bonheur de 'vos fujets; & peut -être les dirpofiiioiis pacifïques des autres princes de 1'Europe. Je ne fais fi le vendeur d'orviétan, cide* D 2  76 CORRBSPONDANCE. vant cordelier, eft auffi tranquille fur le fort de fa vieille barque éclopée; je crois cependant qu'eile durera encore plus que lui. J'avoue qu'on acbète beaucoup moins fa droguetmais il y a pourtant encore, je ne dis pas feulement dans le peuple; jé dis dans les conditions les plus relevées, des hommes qui achètent la drogue & qui Iaprennentavec refpect, & d'autres qui a la vérité ne la prennent pas après 1'avoirachetée, mais qui n'ofent la jeter au feu. La queftion, s'il fe peut faire que le peuple fe paffe ds fables dans un fyftème religieux , mériteroit.bien, Sire, d'ètre propofée par une académie telle que la votre. Je penfe, pour moi, qu'il faut toujours enfeigner la vérité aux hommes, & qu'il n'y a jamais d'avantage réel a les tromper. L'académie de Berlin, en propofant cette queftion pour le fujet du prix de métaphyfique, fe feroit, je crois, beaucoup d'honneur, & fediftingueroitdes autres compagnies littéraires, qui n'ont encore que trop de préjugés. V. M. me permettra a cette occafion de rafTurer de toute Ia reconnoiffance de 'M. de la Gratige, Lambert & Béguelin, qui me paroiffent bien pénétrés des bontés de V. M., & bien empreffés de les mériter de plus en plus. Je finis en^priant V.M. de recevoir avec fa bonté ordinaire les voeux que je fais pour elleaucommencement de 1'année oü nous allons entrer.- C'eft 1a trentième de fon glorieux règne; puiffe-t-elle i  CORRESPONDANCE. 17 étre fuivi de trente autres-, & puilTe la deftinée ajouter a fes illuftres jours tout ce qu'eile me paroit vouloir retranchar aux miens! Je fuis avec Ie plus profond refpeft, Ia plustendre recoiinoifiance, & la plus viveadmiration &c. La lettre que V. M. m'a.fait 1'honneur dem'é' crire en date du 4 de ce mois, & le mémoire qui y étoit joint, ne me font parvenus qu'avant-hier, 27 du même mois; je ne fais par quelle fatalité ce paquet a été fi long-temps enroute, êijeneprends. la liberté d'entrer dans ce détail, qu'afin que V.M. ne me foupconne point de négligence. Je n'ai pas en effet perdu un moment pour lire cet excellent mémoire; & je puis, Sire, affurer avec vérité a V. M. que je fuis abfolument de fon avis für les principes qui doivent fervir de bafe a lamorale. Si V. M, veut preudre la peine de jeter les yeux fur mes Elémens de philofophie, tome IV de mes Mélanges p. 72 & 92 , elle verra que j'y lndique comme la fource de la morale & du bonheur la liaifon intime de notre véritable intérét avec f accomplijfement de nos devoirs, & que je regarde Pamour éclairé de musmêmes comme le principe de tout fscrifice moral, II eft vrai, Sire, D 3 A Taris, ce 18 Décembre J769.. Sire,  78 CO RRESPONDANCE. que je n'ai presque fait qu'indiquer ces vérités, que V. M. développe fi bien dans fon ouvrage avec la plus faine & la plus éloquente philofophie. Un feul point, Sire, m'a toujours embarralTé pour rendre abfolument univerfel & fans reftriction ce principe de la morale; c'eft de favoir fi ceux qui n'ont rien, qui donnent tout a la fociété & a qui la fociété refufe tout, qui peuvent a peine nourrir de leur travail une familie nombreufe, ouméme qui n'ont pas de quoi la nourrir, fi ces hommes, dis-je, peuvent avoir d'autre principe de morale que la loi, & comment on pourroit leurperfuader que leur véritable intérét eft d'ètre vertueux, dans le cas oü ils pourroient impunément ne 1'ètre pas. Si j'avois trouvé a cette queftion une folution fatisfaifante, il y a longtempsquej'auroisdonné mon catéchisme de morale. Je voudrois bien étre en état de répondre plus au long a V. M.; mais depuis trois femaines des vertiges fréquens m'ont caufé une foiblelTe de tête qui m'interdit toute application, & me permet a peine de tenlr la plume. V. M. fait d'excellens mémoires, tandis que fon augufte familie fait des enfans; je ne puis, moi, faire ui 1'un ni fautre, grace au décraquemenr de ma pauvre machine. Mais ce qui ne s'arToibiira jamais en moi, Sire, ce font les fentimens d'admiration, de vive reconnoilTance & de très-profond refpect avec leequels je ferai toute ma vie &c. A Piri», ce 29 Janvier i?ri-  CORRESPONDANCE. 79 Sire, Je fuis pénétré de reconnoiffance de la bonté avec Iaquelle V. M. daigne interrompre fes importantes affaires pour s'occuper un moment des rêveries métapbyfiques d'un pauvre malade. Laréponfe qu'eile a bien voulu faire a la difficulté morale que j'ai pris la liberté de lui propofer fur fon excellent mémoiré, a cenainement toute la folidité dont la matière eft fufceptible. Je conviens que d'une part la crainte des lois & des fupplices, & de 1'autre 1'efpérance d'ètre foulagé par les ames vertueufes, peuvent être un frein capable de retenir ceux qui font dans 1'indigence; mais je fuppofe, ce qui eft poflble, que 1'indigent foit d'une part fans efpérance d'ètre fecouru, & que de 1'autre il foit affuré de pouvoir en cachette dérober au riche une partie de fon fuperflu, pour fubvenir a fa propre fubfiftance,. & je demande ce qu'il doit faire ence cas, & s'ü f«K ou même s'il doit fe laiffer mouTir 'de faim lui & fa familie ? La diffi:ulté n'eft pas la même pour celui qui poffèJe quelque chofe; il ne doit rien dérober; même en cachette, paree qu'il a intérêt qu'on n'en agiffe pas de même a fon égard. ]e prie V. M. de me permettre auffi quelque» ïéEexions fur une s.utre queftion dont j'ai eu L'hoa- • D 4  8» CORRESP O ND ANCE. neur de l'entretenir, & qui m'a valu de fa part une lettre fi belle & fi philofophique; favoir, ƒ » mattere de religion, ou même en quelque matière que cepuijfe être, il eft utile de tromper le peuple1». Je conviens avec V. M. que la fuperftition eft 1'aliment de la multttude; mais elle ne doit, ce me femble, fe jeter fur cet aliment que dans le cas oü on ne lui en préfentera pas un meilleur. La fuperftition, bien inculquée & enracinée dès Tenfance, cède fans doute a la raifon lorsqu'elle vient a fe préfenter; elle arrivé trop tard & la place eftprife; nrais qu'on préfente en même temps & pour la première fois, même a la multitude ignorante, des abfurditès d'un cöté telles que nous en connoisfons, & de 1'autre la raifon & le bon fens; V. M. pgnfe-t-elle que la raifon n'eüt pas la préférence? Je dirai plus; la raifon, lors même qu'eile arrivé trop tard, n'a qu'a perfévérer pour triompher un jour, & chafler fa rivale. II me femble qu'il ne faut pas, comme Fontenelle, tenir la main fermée quand on eft fur d'y avoir la vérité; il faut feule" ment ouvrir avec fageffe & avec précaution les doigts de la main 1'un après 1'autre, & petic a petit Ia main eft ouverte tout a fait, & la vérité en fort tout entiére, les philofophes qui ouvrent la main trop brusquement font des fous; on leur coupe Ie poing & voila tout ce qu'ils y gagnentr^mais ceux qui la tiennent fermée abfolument, ne font pas pour 1'humanité ce qu'ils doivent. Les occupations de V. M. ne lui permettent pas  CORRESP O ND ANCE, U .d'entendre plus long-temps ma diatribe, & la foiiblefle de ma tête, toujours vide & étonnée, m'erapêcheroit, quand je 1'oferois, de fuivre plus loin ces réflexious. Puiffe Ia deftinée, Sire, conferver long-temps a V. M. Ia tête qu'eile a recue de la nature , & qui eft bien plus néceffaire que la mienne ,& 1'humanité & a la philofophie! Je fuis avec le plus profond refpect ,1a p!us gran« de admi'ratiou, & la plus vive reconnoiffance &c. A Paris, ce 9 Mars 1770. Sire, IDe toutes les lettres que V. M. m'a fait 1'hoöneur de m'écrire, aucune ne m'a plus vivement Sc ■ plus tendrement affecté que celle que je viens d'efl recevoir en date du 5 de ce mois; j'en avois, Sire, plus grand befoin pour calmer la violente in- i quiétude oü j'ètois depuis quelques jours furlafan- 1 té dé V. M., & fur les bruits trés-facheux qui'en l couroient. Enfin me voila raffuré, & quoique V. ] M. ne foit pas délivrée de fa goutte, je vois au i moins qu'eile' eft fans danger. 11 vient de paroitre, Sire, un traité de la Gout- 1 te par un médecin d'Augers, nommé Pauhriier,. ( qu'on dit excellent; le reméde qu'il propofe con- 1' fifte dans 1'application des fangfucs; is connois a Paris plufieurs perfonnes qui, depuis que le livre i a paru, ont fait ufage du reméde, & ont été du D 5  tü CORRESPODTDANCE. moins très-foulagées. M. Mettra doit Penvoyer a V. M., qui le recevra inceffamment. Je fuis en ce moment trop occupé de la fanté de V. M. pour lui. parler de la mienne; ma tête eft toujours dans le même état; au premier moment qu'eile pourra me lailfer, j'aurai 1'honneur de répondre en détail a V. M. fur les différens articles de la lettre fi belle & fi philofophique que je viens d'en recevoir, pinfi que fur fon catéchifine de morale. Je prie V. M. de me permettre d'oublier tout en ce moment pour ne m'occuper que de fa confervation fi précieufe, non feulement a fes peuples & £ Ia philofophie, mais encore a 1'Europe & a 1'husnanité. Je fuis avec le plus'profond, & permettez mol d'ajouter, le plus tendre refpect &c. A Paris , ce 21 Avril 1770. Sire, Je profite, non pas d'un moment de lucidité, car je n'en ai point depuis long-temps, mais d'un moment oü les nuages de ma tête font tant foit peu éclaircis, pour avoir 1'honneur de répondre en détail a la lettre très-philofophique que V.. M. a bien woulu m'écrire pour répondre aux queftions que j'aL $>ris la libjrté de lui faire»  CORRESPONDANCE. f3 Je penfe, Sire, eorame V. M. fur le premier ob» jet, & je me félicite de penfer comme elle, nota ; par un principe d'adulation dont je fuis incapable, ! ma's paree que les raifons apportées par V. M.pour j appuyer fa réponfe, me paroiffent trés - folides, & ' s'étojent déja préfentées a moi. Je crois donc avec i V. M. que dans le cas de néceffité abfolue que j'ai 1 fuppofé, le vol eft permis, & même eft une actiorï i jufte. 11 né s'agit plus que de favoir fi ce cas de j Héceffité abfolue eft purement métaphyfique, com- i me V. M. paroit le penfer; je ne voudrois pas di- I re que non, mais je doute, & j'ai vu fouvent des ■ gens fi malheureux, fi dénués de fecours après avokr ■ frappé vainement a mille portes, que je ne favois , ce qu'ils devoient faire, de frapper a la mille - unie» : me, ou de fe procurer leur fubfiftance aux dépens i des riches, s'ils (e pouvoient avec quelque fureté I pour eux-mêmes. 11 eft vrai, Sire, que cette I doctrine, toute raifonnable qu'eile eft , n'eft pas i bonne a mettre dans un traité ni dans un catéchis» f me de morale, par l'abus que la cupidité ou la pa> I refié pourroient en faire. Mais cet inconvénienc : empêche de pouvoir faire un ouvrage complet de ij morale it Pufage de tous les ordres de la fociété. H ]e ne fais même fi, du- moins en France, les tribisjj naux ne condamneroient pas, avec beaucoup de I regret fans doute, un malheureux qui fe feroit trou» i vé dans le cas dont il s'agit; ils fe trouveroient föi- Icés & commett-re cette injuftice, pour empècheir que d'autres bommes moins malheureux n'abufia» I» 6  84 CORRESPONDANCE. fent de Pexemple de celui-ci. Le mot de 1'énigme eft, ce me femble, que la diftribution des fortunes dans la fociété eft d'une inégalité monftrueufe; qu'il eft auffi atroce qu'abfurde, de voir les uns regorger de fuperflu, & les autres manquer du néteffaire. Mais dans les grands Etats furtout, ce mal eft irrépara'ble, ,& on peut être forcé de facrifier quelquefois des viétlrnes, même innocentes, pour empêcher que les membres pauvres de la fociété ne s'arment contre les riehes, comme ils feroient tentés & peut-être en droit de le faire. Quant a la feconde queftion, s?*7 eft utile de tromper le peuple t je penfe d'abord comme V. M. que fi Terreur & la fuperftition ne font pas encore exiftantes dans une nation, il faut s'oppofer a leur «aiffance par tous les moyens pofïïbles; je penfe encore avec elle que fi elles font en vigueur, il ne faut pas les attaquer violemment, paree que ce zèle impétueux ne ferviroit qu'a charger la philofophie d'un crime infruïtueux; mais je penfe en même temps qu'il faut, au lieu de force, ufer de fineffe & de patience, attaquer l'erreur indirectement & fans paroitre y penfer, én établiffant les vérités contraires fur des principes folides, mais en fe gardant bien de faire aucune application. II ne faut pas braquer le canon contre la maifon, paree que ceux qui la défendent tireroient des fenêtres une gfèle de coups de fufil, il faut petit a petit Clever a cóté une autre maifon plus habitable & plus «ommode; infenfiblement tout le monde viendra  CORRESPONDANCE* -5 babiter selle-ci, & la maifon pleine de léopards ifera de'fertée. LeCatéchisme de morale que V.M.m'a fait 1'honneur de m'envoyer, me paroit très-prropre a la jeune noblelfe a laquelle ^gg le defline. Les motifs moraux qu'on lui propofe pour être vertueufe, font en effet les vrais, & les plus propres a faire i imprefïïon, principalement fur cette claffe, qui jouisi fant dans la fociété des principaux avantages, eft I plus intéreffée qu'une autre a en obferver les lois i écrites & non écrites. Je fuis avec le plus profond refpeét &c. a Paris, ce 30 Avril 1770. Sire, Dans 1'état de foibleffe & presque d'imbécillité oü il plait a la nature de me réduire, c'eft du moins une confolation pour moi de favoir que V. M. eft guérie de fes maux, & qu'eile veut bien prendre quelque part aux miens. L'ouvrage qu'eile m'a fait 1'bonneur de m'envoyer eft un digne & heureux fruit de fa convalefcence; je ne connois point PEsfai fur les préjugés que V. M. a pris la peine de réfuter; je fais pourtant que ce livre s'eft montré a Paris, & même qu'il s'y eft vendu très-cher. Mais il fufiit ipï qu'un livre touche a certaines matiêres, & qu'il attaque bien ou mal certaines gen% I> 7  tS CO R RE S PO ND ANCE* pour être recherché avec avidité, & pour être ea conféquence hors de prix, par les précautlons que prend le gouvernement pour arrêter ces fortes d'ouvrages; précautions qui font fouvental'auteurplus d'honneur qu'il n'en merite. Quant a moi, je fuis fi excédé de livres & de brochures contre ce que Voltaire appelte***, que depuis long-temps je n'en lis plus, & que je fuis quelquefois tenté de dire du titre de philofophe ce que Jaques Rosbif dit de celui de Monjieur, dans la comédie du Francais a Londres: je ne veux point de ce titre-la* il y a trop de faquins qui le portent. La critique que fait V. M. de PF.fai fur les préjugés me donne encore moins d'envie de le lire que les autres rapfodies du même genre. On peut dire de tous nos écrlvailleurs contre la fuperflition & le defporifme, ce que le P. de la Rue, jéfuite, difoit de fon confrère le Tellier:// nousmèneft'grand train quil nous verfera. II ne faut point que la philofophie s'amufe a dire des injures aux prêtres; il faut, comme Ie dit V. M., qu'eile taehe de rendre la religion utile en la faifant concourir au bonheur des peuples, qu'eile éclaire les fouverains fur leurs devoirs, qu'eile rende 1'autorité pius douce & 1'obéiffance plus fidelle. C'eft une grande fottife d'accufer les philofophes, au moins ceux qui mérrtent ce nom, de précher I'égalité eft urre chimère impoffible dans quelque état que ce puiflê être. La vraie égalité des cttoyens confifie en ce qu'ils foiem totts également tbumis aux lois, & égale-  CO RRES POND ANCE. ment puniffables quand ils lés enfreignent:c'eft ce qui a lieu dans tous les Etats bien gouvernés, oü Is fupérieur n'a jamais le droit d'opprimer fon inférieur impunément ; mais c'eft malbeureufement ce qui n'a pas lieu partout; I'auteur en a peut-être ce qui a li •violemment échauffé fa bile contre ceux qui gouvernent. J'ai vu a peu prés les mémes chofes que lui, mais je les ai vues plus de fang froid, & j'ai conclu que ceux qui commandent & ceux qui obéiffent font fouvent auffi repréhenfibles les uns que les autres, & que toutes les clalfes de 1'efpèce humaine n'ont rien a fe reprocher. Je vois, par exemple, que fi les rois ont fouvent fait des guerres injuftes, les républiques, comme le rernarquê trêsbien V. M., ont été auffi fouvent dans le même cas, & je regarde en particulier cette république romaine, tant célébrée dans 1'hiftoire, comme un des plus grands fléaux qui ayent défolé 1'humanité. Je n'ajouterai rien a cette réflexion, finon que, fur la guerre de 1756, j'ai admiré la modération avec kquelle V. M. s'exprime. Tout ce qu'eile dit fur ce fujet, de la néceffité des guerres» & de celle des impóts, me paroit plein de fens & de raifon; mais pour 1'application de ces principes, il faut un fonds d'équité dont par malheur tous ceux qui ont le pouvoir en main, ne font pas toujours capablesJ'aurois 1'honneur d'en dire davantage a V. M., fi une lettre pouvoit fouffrir les détails délicats dons cette matière eft fufceptible -% je me contente dons  88 CORRESPONDANCE. de prier le St. Efprit d'éclairer les rois & les peu» pies, & furtout de conferver long-temps V. M. pour 1'exemple des uns, & le bonheur des autres. Je fuis avec le plus profond refpect &c. A Paris, ce 8 Juin 1770. Sire, J'ofe efpérer que V. M. pardonnera la liberté que je vais prendre, a la tendre & refpectusufe confiance que fes bontés m'ont infpirée, & qui m'encourage a lui demander une nouvelle grace. Une fociété confidérable de philofophes & de gens de lettres, du nombre desquels je fuis, ont réfolu, Sire, d'ériger a M. de Voltaire une ftatue, comme a celui de tous nos écrivains a qui la philofophie & les lettres font le plus redevables. Les philofophes & les gens de lettres de toutes les nations, & en particulier de la nation francoife, vous regardent, Sire, depuis long-temps comme leur chef & modèle. Qu'il feroit donc fiatteur & honórable pour nous, qu'en cette occafion V. M. voulut bien pèrmettre que fon augufte & refpeftable nom fiit a la tête des nötres I Elle donneroit a M. de Voltaire, dont elle ai'me tant les ouvrages, la marqué d'eilime la plus précieufe 8c 1» plus éclatante, dont il feroit infiniment touché, & qui lui rendroit cher ce qui lui refte de jours a vi*  CORRESPONDANCE. 8M. Mettra fera de cette fomme 1'ufage que V. M. ilui ordonnera pour d'autres objets. Plus je fuis i pénétré de reconnoilTance des bontés de V. M # moins je dois abufer de fes bienfaits. J'ai appris durant mon voyage par les nouvelles fpubliques la mort d'un des Princes de Bronfwic, £ a  r«o CORRESP OND ANCE, neveux de V. M. Je la fupplie d'ètre perfuade'e de la part vive & fincère que j'ai prife a fon affliction. Tout ce qui peut toucher en bien ou en mal V. M., eft ce qui m'intéreffera toujours Ie plus jusqu'a la fin de ma vie. C'eft avec ces fentimens, & avec le plus profond refpect que je fuis &c. a Paris, 26 ce Novembre 177a Sire, M e voila donc encore, puisqne V. M. Ie permet & même 1'exige, rentré dans la lice métaphyfique, bien moins contre V. M. qn'avec elle. Ce n'eft pas, Sire, par refpect, feulement que je m'exprime ainfi, c'eft paree qu'en envifageant de'prés le fenriment de V. M. fur les matières abftrufes que je prends la liberté de difcuter avec elle, fa métaphyfique & Ia miemie me paroiffent réellement différer fi peu, que notre difcuffion ne doit pas même s'appeler controverfe, & encdre moins difpute. Je vais donc prendre la liberté de .converfer encore une fois avec V. M. fur ces queftions de ténêbres, bien plus pour m'inftruire & m'é^ clairer que pour la contredire. Je conviens d'abord avec V. M. d'un principe commun, & qui me paroit auffi évident qu'a elle; La création eft abfurde cc impoffible; la matière  CO RRESPO ND/1NCE. lot eft donc incrêable, par conféquent incréée, par conféquent éternelle. Cette conféquence, toute claire & toute néceffaire qu'eile eft-,n'aecomodera pas les vrais partifans de 1'exiftence de Dieu, qui veulent une intelligence fouveraine, non matérielle , & créatrice; inais n'iraporte; il ne s'agit pas ici de leur complaire, il s'agit de parler raifon. Je vois enfuice dans toutes les parties de l'univers, & en particulier dans la conftruction des animaux, des traces, qu'on peut appeler au moins frappantes, d'intelligence & de deffein; il s'agit de favoir fi en effet cette intelligence eft réelle, & fuppofé qu'eile le foit, de deviner, fi nous pouvons, ce qu'eile eft. D'abord je ne puis douter que cette intelligence ne foit jointe au moins a quelques parties de la matière. L'homme &lesanirnauxenfontIapreu»e. II eft certain de plus qu'eile dirige la plus grande partie de leurs mouvemens, & qu'eile eft le principe de tout ce que l'homme a fait de raifonné, & furtout de grand & u'admirable, comme l'invention des arts & des fciences. Cette intelligence dans l'homme & dans les animaux eft-elle diftinguée de la matière, ou n'en eft-elle qu'une propriété, dépendante de l'organifation ? L'expérience paroit prouver, & mème démontrer le der- nier. Duisaue lMntellirrence croit & s'éteint . a mefure que l'organifation fe perfeaionne & s'affoiblit. Mais comment l'organifation peut-elle produire le fentiment & ia penfée ? Nous ne voyons E 3  OOR RE SP O ND ANCE. dans le corps humain, comme dans un morceau de matière brute, folide ou fluide, que des parties fufceptibies de figure, de mouvement, & de repos ? Pourquoi 1'intelligence fe trouve -1 - elle jointe aux unes, & non pas aux autres,qui même n'en pjroiffent pas fufceptibies t Voila ce que nous iguorerons traifemblablement toujours; mais nonobftant cette ignorance, 1'expêrience me paroit, comme a V. M , prouver invinciblement Ia matérialité de 1'araé; comme le plus'fimple raifonnement prouve qu'il y a un être éternel, quoique nous ne puifïïons concevoir ni un être qui a toujours exifté, ni nn être qui commence-a exifter. II s'agit a préfent d'examiner, fi cette intelligence, dépendante de la ftructure de la matière. eft répandue dans toutes les parties du monde. Cette queftion paroit plus difficile que les précédentes. D'abord , a 1'exception des corps des animaux, toutes les autres parties de la matière que nous connoiflbns, nous paroiffent dépourvues de fentiment, d'intelligence & de penfée. L'intelligence y réfideroit-elle, fans que nous nous •en doutaffidns? 11 n'y a pas d'apparence, & je ferois affez difpofé a penfer, non feulement qu'un feloc de marbre, mais que les corps bruts les plus ingènieufement & les plus finement organifés, ne penfent ni ne fentent rien. Mais, dit-on, l'organifation dfe ces corps décêle des traces vifibles d'intelligence. Je ne le nie pas , mais je voudrois fevoir ce que cette intelligence eft devenue depuis  CORRESPOND ANCE. 103 que ces corps font conftruits? Si elle réfidoit en eux pendant qu'ils fe formoient, fi elle y réfidoit pour les tonner, & fi, comme on le fuppofe, cette intelligence n'eft point un être diftingué d'eux, qu'eft-elle devenue depuis que fa befogne eft faite? La perfeétion de l'organifation 1'a-t-elle auéantie , quoiqu'elle ait été néceffaire pour le progrés & 1'actjévement de l'organifation? Cela paroit difficile a concevoir. D'ailleurs, fi dans l'homme cette intelligence dont nous admirons les effets ck les productions eft une fuite de l'organifation feule, pourquoi n'admettrions - nous pasdans les autres parties de la matière une ftrufture & une difpofition auffi néceffaire & auffi naturelle qüe la matière même, & de laquelle il réfulte, méle» ces ejfsts que rlouS Vóyons & qui nous surprei'mcm? Lr.f.;;, en admettant cette intelligence qui a préfidé a la formation de 1'univers, & qui préfide a fon entretien, on fera obligé de convenir au moins qu'eile n'eft ni infiniment fage, ni infiniment puiffante , puisqu'il s'en faut bien, pour le malheur de la pauvre humanité, que ce trifle monde foit lemeilleur des mondes poffibles. Nous fommes donc réduits, avec la meilleure volonté du monde, a ne reconnoitre & a n'admettre tout au plus dans 1'univers qu'un Dieu matériel, borné, & dépendant; je ne fais pas fi c'eft-lil fon compte, mais ce n'eft furement pas celui des partifans zélés de 1'exiftence de Dieu; ils nous aimeroient autant E 4  104 CORRESPONDJNCE. athées que fpinofiftes, comme nous Ie fommei. Pour les adoucir, faifons-nous fceptiques, & ré« pétons avec Montagne, que fais-je? Je vais a préfent, Sire, fuivre V. M. de ténèbres en ténèbres, puisque j'ai 1'honneur d'y être enfoncé avec elle jusqu'au cou, & même par deffus la tête, &' je viens a la queflion de la liberté. Sur cette queftion, Sire, il me fembie que dans le fond je fuis d'accord avec V. M. II ne s'agit que de bien fixer l'idée que nous attachons au mot de la liberté. Si on entend par-la, comme il paroit que V. M. 1'entend, 1'exemption de contrainte, & 1'exercice de la volonté, il eft évident que nous fommes libres, puisque nous agiffons en nous déterminant nous-mêmes, de plein gré, & fouvent avec plaifir: mais cette détermination n'en eft pns moins Ia fuite néceffaire de la difpofition non moins nécefTaire, de nos organes, & defef* fet, non moins néceffaire, que 1'aótion des autres êtres produit en nous. Si les pierres favoient qu'elles tombent, & fi elles y avoient du plaifir, elles croiroient totnber librement, paree qu'elles tomberoient de leur plein gré. Mais je ne penfe pas, Sire, que même dans le fyftème de la néceffité & de la fatalité abfolue, qu'il me paroit bien difficile de ne pas admettre, les peines & les récompenfes foient ïnutiles. Ce font des refforts & des régulateurs de plus, néceffaires pour faire aller la machine & pour la rendre moins imparfaite. 11 y auroit plus de crimes dans un monde oü il n'y  CO RRESP O ND ANCE. 105 auroit ni peines ni récoinpenfes, comme il y auroit plus de derangement dans une montre dont les roues n'auroient pas toutes leurs dents. V. M., Sire, veut bien me conduire par la main dans ce labyrinthe d'obfcuritds philofophiques. Mais grace a elle , j'entrêvois enfin la clarté, & je-me vois arrivé a un objet fur lequel j'ai le bonheur d'ètre abfolument d'accord avec i elle; c'eft fur la nature & les progrés de la religion que 1'Europe profeffb. II me paroltevident, comme a V. M., que le chriftianifme dans fon origine n'étoit qu'un pur déifme, que J. C. fon auteur n'étoit qu'une efpèce de philofophe, ennemi de la fuperftition , de la perfécution & des prêtres, préchant aux hommes la bienfaifance &la juflice, & réduifant la loi a aimer fonprochain, & a adorer Dieu en efprit & en vérité. Tel étoit 1 Ié premier état de cette religion. C'eft d'abord St. Paul, enfuite les pères de 1'Eglife, enfin les conciles, malheureufement appuyés par les fouverains, qui ont changé cette religion. Je penfe donc qu'on rendroit un grand fervice au genre humain, en réduifant le chriftianifme a fon état priraitif, en fe bornaut a prêcher aux peuples un Dieu réöunérateur & vengeur, qui répröuve la fuperftition, qui détefte 1'intolérance , & qui n'exige d'autre culte de la part des Hommes que celui de s'aimer & de fe fupporter les uns les autres. Quand. on auroit une fois bien ïnculqué ces vérités aa '3 peuple, U ne faudroit pas, je crois, beaucoup E 5  io$ CORRESPONDANCE. d'effort pour lui faire oufalier les dogmes dont o» Ta bercé, & qu'il n'a faifis avec une efpèce d'avidité, que paree qu'on n'y a rien fubftitué de meilleur. Le peuple eft fans doute un animal imbécille, qui fe laiffe couduire dans les ténèbres , quand on ne lui préfente pas quelque chofe de mieux; mais offrez-lui la vérité; fi cette vérité eft fimple, & furtout fi elle va droit afon cceur» comme la religion que je propofe de lui prêcher, il me paroit infaillible qu'il la faifira, & qu'il n'en voudra plus d'autre. Malheureufement nous fomsnes encore bien loin de cette heureufe révolutioa des efprits. Je viens enfin, Sire, a ce prince tant loué pen«lant fa vie, peut-être trop déchiré après fa mort, mais auquel il me femble pourtant qu'on cómmence k rèndre ce qui lui eft dü, fans humeur, comme fans flatterie. Malgré 1'avantage qu'il a d'ètre déJfèndu par un prince beaucoup plus grand que lui è tous égards, comme toute 1'Europe le penfe au> JourdTiui, & comme la poftérité le penfera encore davantage, je prendrai, Sire, la liberté de dire de ce prince a V. M., ce que la Fontaine difoit de St. Paul a fon confeffeur, votre St. Paul n'eft pas mon homme. Je conviens de ce qu'il a fait de'grand, & même d'utile, je conviens que les fciences, les arts & les lettres lui doivent beaucoup; mais fes guerres fouvent très-injufies, fon fafte, fon orgueil, fon intolérance, fa révocatlon 4e 1'édit de Marnes, foo dévouemenï aux jéfuites,  CO RRESPQ ND A N CE. 107 eout cela, Sire, met contre lui un furieux poids dans la balance. A 1'égard de 1'exemple qu'il * donné aux autres fouverains d'avoir fur pied des armées énormes, il fautd'abord, Sire, pour pet» qu'on foit jutte, commencer par convenir, que dans la pofition aduelle, il eft impoffible aux fouverains mêines les plus pleins de lumières, de ne pas fuivre cet exemple; il feroit également contre la raifon, & contre ce qu'ils doivent a leurs fujets, de refter fans force, tandis que tout eft armé autour d'eux jusqu'aux dents. Mais je prends Ia liberté de le demander a V. M.; n'aimeroit-elle pas mieux, fi fa fituation ne 1'y forcoit pas, avoir cent mille laboureurs de plus, & cent millefoldats de moins? Les uns 1'enrichiroient, les autres lui coütent beaucoup. Je fais que ces grandes armées font finir les guerres plutöt; mais, Sire,ces guerres ne finiflent que par 1'épuifement; & il vaut^ ce me femble, encore inieux, fi ou a cent mille hommes a perdre, les perdre en vingt ou trente ans, que de ne les perdre qu'en fis ou fept annéesv Je conviens encore que ces grandes armées font qu'on n'eft point obligé, comme autrefois, d'enróler des foldats au premier coup de canon; mais, Sire, un prince qui ne feroit que guerrier & point philofophe ,ne peut- il pas auffi abufer de ces grandes armées pour faire la guerre plus fouvent & plus légèrement, comme Louis XIV lui-même Iele reprochoit au lit de la mort? D'ailleurs lesdépenfes que ces grandes armées exigent, ne mettentE. $•  ioS CO R RE SP 0 ND ANCE. elles pas 1'Europe, même en temps de paix, dans un état continuel de tenfion, qui ne diffère pas beaucoup d'un état continuel de guerre? Je m'appercois, Sire, par la fin de cette feconde féuille, & je m'en appercois un peu tard, que j'abufe de la patience & des bontés de V. M. Je la fupplie donc de pardonner a mon long & ennuyeux verbiage, de le regarder comme une fuite du défir que j'ai de m'inftruire avec elle, & furtout de lui témoigner les_ fentimens inaltérables de profond refpect & d'éternelle reconnoiffance avec lesquels je fuis &c. M. peut me dire comme Augufte a Cinna dans la tragédie de ce nom: Je t'ai comblé de biens, je t'en veux accabler. J'obéis donc avec Ia plus refpeétueufe reconnoisfance a fes ordres réitérés; & puisqu'elle veut que j'emploie a d'autres befoins la plus grande partie de Ja fornme qu'eile avoit deftinée a mon voyage d'Italie, je croirois manquer a ce que je dois a mon augufte & refpeétable bienfaiteur, fi j'infiftois davantage pour ne pas accepter le don qu'eile a la générofité de me faire. A Faris, ce 30 Novembre 1770. Sire,  CORRESPONDANCE. 109 V. M. m'en a fait un autre dont je ne fuis pas moins reconnoiflant; c'eft celui de fa très-plaifante, très-poëtique, très-fpirituelle & très-philofophique facètie. Je 1'ai lue, Sire, & relue plufieurs fois, toujours avee un nouveau plaifir; & je me difois en me donnant des coups de poing a la tête: maudit géomètre, trifte reffaffeur d'* & d'y, que n'as-tu le talent des vers plutöt que celui des z? Tu emploierois bieii mieux ton temps a mettre en vers cette facétie charmante; & puis je me confolois en difant: cependant la facétie n'y perdra rien, fi 1'auteur le veut. Car qui peut mieux mettre en vers que lui ce qu'il a déja fi bien exprimé en profe? Je ne doute pas que V. M. n'aft déja envoyé ce charmant ouvrage au grand & mortel ennemi du fanatifme, qui a 1'honneur d'ètre fi glorieufement célébré par le philofophe des rois, & le roi des philofophes. O mon cher Voltaire» quelle douce & confolante fatisfaétion que celle .dont tu vas jouir! Je ne te 1'envie pas, car qui et digne de la partager avec toi? Ce même Voltaire me mande, Sire, 'que V. M, lui a envoyé des vers charmans de la part du Roi de la Chine. .Que ne puis-je les avoir, pour les joindre a la facitieX Y auroit-il de 1'indifcrétion i les demander a V. M. f Je vois que quand elle m'a fait 1'honneur de m'envoyer fon réve, qui n'eft affurément pas un conté a dormir debout, elle n'avoit pas encore recu 1'enpuyeufe & longue rapfodie philofophique par la». * 7  II» CO RR ES PO ND ANCE. quelle j'ai répondu fi foiblement a fon excellente K lettre métaphyfique du premier Novembre dernier. Si je ne raifonne pas auffi bien que V. M. fur ces t matières épineufes & fur bien d'autres, j'ai du I moins, Sire, la fatisfaftion de voir que je penfe a li peu prés comme elle, & j'aime mieux être igno- 1 rant avec elle, que d'en favoir fi long avec 1'auteur du fyftème de la nature fur des chofes ou 1'on I ne fait rien. On dit qu'on a préfenté a V. M. une lunette de [ M. Béguelin. Elle doit être excellente, fi elle res- | femble a fes mémoires fur cet objet, que j'ai lus avec beaucoup de plaifir & de profit, & dont je puis d'autant mieux apprécier le mérite, que je me fuis occupé de ces matières, mais avec moins de fuccès que lui. Cet académicien, Sire, eft bien digne de la protection & des bontés de V. M. Recevez, Sire, avec votre bonté ordinaire Je9 vceux ardens que je fais pour la confervation de vos jours précieux, pour la profpérité de vos entreprifes, & pour la gloire & le bonheur que V. M. mérite a tant d'égards. C'eft avec ces fentimens, & avec Ie plus tendre & le plus profond refpeft que je ferai jusqu'au dernier foupir .&c. A Paris, ce 3 Janvier 1771*  CORRES POND ANCE. 1H Sire, jj'ai eu 1'honneur de remercier ïï y a un mors V. IM. de la facétie très-plaifante, quoique trés-phi] lofophique, qu'eile avoit eu Ia bonte de m'entvoyer. Je lui dois aujourd'hui de nouveaux reinercimens pour la lettre, non facétieufe, mais itrès-profonde & ttès-lumineufe, qu'eile ma fait iidepuis 1'honneur de m'écrire; & je me ferois acL quitté beaucoup plutót de ce devoir, fans un rhumatifme qui m'a privé d'écrire pendant quinze jours, ; & dont je reffens même encore quelques atteintes. Plus j'y réfléchis, Sire, & plusje vois a ma i grande fatisfaftion que je ne diffère de V. M. que [ par la manière de m'exprimer fur 1'exiftence & la . Ja nature de 1'être fuprême, ou de 1'étre appelé Dieu. V. M. ne veut pas qu'il foit purement matériel, & j'en fuis d'accord; elle ne peut fe former une idéé d'un efprit pur,& j'en fuis d'accord auffi; elle regarde Dieu en confequence, comme l'infeli Ugence attachèe a Torganifation èternelle des mon:, des qui exiftent. II réfulte, ce me femble, de ceti te propofition que Dieu n'eft autre chofe, fuivant V. M , que /* matière, en tant qü'intelligente, & je ne vois pas qu'on puiffe y rien oppofer, puisqu'il eft certairt d'une part qu'il y a du moins une jiortioa de la matière qui eft douée d'intelligence,  iib CORRES P ON D ANCE. & qu'on eft trés - libre de donner le nora de Dieu a la matière, en tant que douée de cet attribut. Je me trouve encore, Sire, parfaitement d'accord avec V. M. fur la définit'ion de la liberté. Je fa défmis ainfi que V. M., cet afte de notre volonté qui nous fait opter ent re diférens partis, & qui ditermine notre choix. Mais je prétends, & V. M. n'en disconvient pas, ce me femble, qu'il y a toujours des motifs ou des caufes quelconques qui nous déterminent néceffairemcnt, & je ne vois pas que les obfervations de V. M. prouveiit le contraire; ceux qui réfiflent a leurs palïïons, y réfiftent par des motifs qui font plus forts auprès d'eux que ces paffions mêmes; & les exhortations, les peines, les récompenfes, lorsqu'elles déterminent les hommes, les déterminent encore par la raifon qu'elles ont plus de pouvoir fur eux que les motifs contraires. II me femble donc que nous agiftbns toujours néceffairement, quoique velontairement. C'eft trés-volontairement que je ne m'em» poifonne pas, mais c'eft en même temps néceffairement, paree que les raifons qui m'attachent en ce moment a la vie font plus fortes que celles qui pourroient m'en détacher. Quant a la queftion de favoir, s'il faut au peuple un autre culte qu'une religion raifonnable, comme je ne puis malheureufement apporter d'exemple du contraire, tandis que V. M. a pour elle toute la furface de notre petit tas de boue, je ferois bien centé de croire quelle a raifon. Si le traité de  CORRE SPOND ANCE. uj Westphalie permettoit une quatrième religion dans 1'Empire, je prierois V. M. de faire batir a Berlin ou a Potsdam un temple fort fimple , oü Dieu füt honoré d'une mauière digne de lui, oü 1'on ne prêchat que 1'humanité & la juftice; & fi lafoulen'alJoit pas a ce temple au bout de quelques années, (car il faut bien accorder quelques années a la raifon pour gagner fa caufe,) V. M. feroit pleinement viftorieufe; ce ne feroit pas la première fois. Jene dirai qu'un mot de Louis XIV; je fens très-bien que V. M. lui eft très-obligée de la révocation de 1'édit de Nantes; mais comme avocat de la France , je prie V. M. de convenir que ce beau royaume doit penfer différemment d'elle fur ce fujet. Je ne fais fi on y traitera les philofophes comme on y a traité' les hérétiques; mais je fais que fi ce malheur arrivoit, les Etats de V. M. feroient pour eux le plus flatteur & le plus glorieux afile, & fes boit tés la plus douce confolation. Je fuis avec le plus profond refpect, & uae ad^niration égale a ma vive reconnoiffance &c. P. S. Permettez-moi, Sire de joindre ici un ouvrage que V. M. a eu la bonté d'approuver en manufcrit, & auquel j'ai fait quelques additions. A Paris, cs i Tévrier 1771.  n-4- CO RRE SP O ND ANCE. Sire, J'ai recu, il y a environ quinze jours, des vers charmans de V. M., addreiTés a fon confrère en royauté & en philofophie, 1 Empereur ou le Roi de la Chine. Je dois d'abord de trés - humbles remercimens a V. M. de la bonté qu'eile a eue de vouloir bien fe rendreau défir que je lui avoismarqué de lire ces vers, d'aprês 1'éloge que le patriarche de la poëfie frangoife m'en avoit fait. Mais je dois k V. M. des remercimens encore plus grands du plaifir que m'a procuré cette lecture. Je ne puis me refufer a celui d'en alTurer V. Ivl, quó'iqïïê jé voie par ia lettre charmante & très-pnilofophiqtie qui accompagne fes vers, qu'eile fe défie des élo-ges, même d'un géomètre qui n'en a jamais donné qu'a ce qu'il eflime. Mais comme la meilleure manière de louer, c'eft a dire la plus fincère, eft de louer par les faits, >e me bornerai a dire a V. M. qu'en lifant, même dès la première fois, fon excellente épitre, j'en ai retenu, malgré moi, fi elle le veut, un trés-grand nombre de vers,- & il mefemble que le mérite des vers eft qu'on les retienne. C'eft même felon moi, la pierre de touche jnfailli» ble pour les apprécier. Je prendrai donc, Sire, la liberté, tout géomètre que je fuis, de dire que vos vers font excellens, puisqu'une tête hérifTée  CORR.ESPONDJNCE.. n% 4'x Sc d'y trouve encore de la place pour eux, Sc je ferai la-deffus Dur comme un géomètre en fes opinions. Je vois que V. M. a toujours une dent fecrète contre la géométrie; maisfje lui répondrai ce que difoit le Duc d'Orléans, Régent, a une de fes maltrelTes qui parloit mal de Dieu: Vous avez beau faire, Madame, vous ferez fauvée. V.sM. aura beau dire auffi; elle eft plus géomètre qu'eile ne penfe, & que bien des gens qui prétendent 1'être. Tous les efprits juftes» précis, & clairs, appartiennent a la géométrie; Sc en cette qualité nous efpérons, Sire, que V. M. voudra bien nous faire 1'hcr.neur d'ètre dés nótfès. II y s iGrig-lCTiP» qu'eile a figné fon engagement par fes écrits. Tandis que V. M. m'envoyoit d excellens vers, je barbouülois de mauvaife profe que je prends la liberté de lui envoyer. C'eft un difcours & un dialogue que j'ai eu 1'honneur de lire en préfence de S. M. le Roi de Suède, 1'un a I'académie des fciences, 1'autre a I'académie francoife. J'ai eu occafion dans le difcours de rendre a V. M. 1'hom» mage que lui doivent depuis fi long-tempsles fciences, les lettres & la philofophie, pour la protection dont elle les honore,& les ouvrages excellens par lesquels elle contribue a leurs progrés. Je dois rendre a tous mes confrères la juftice, qu'ils ont applaudi unanimement a cet endroit de mon dif-  li$ CORRESPONDJNCE. cours; & en effet, Sire, je n'ai fait qu'exprimer foiblement, quoiqu'avec toute la force & la véri. té dont je fuis capable, les fentimens profonds d'admiration, de reconnoiffance & de refpect dont toute la littérature francoife eft pénétrée pour V. M. Le Roi de Suède, fon digne neveu, paroit vouloir marcher fur fes traces; il ne peut propofer un plus beau modèle; ce prince emporte de France 1'eftime univerfelle, & 1'attachement de tous ceux qui ont eu 1'honneur de 1'approcher. Son départ accéléré m'a privé du bonheur de lui faire ma cour, fi ce n'eft pendant quelques inftans; mais fes bontés m'ont pénétré de reconnoiffance. On dit qu'il doit voir V. M. en paffant a Magdebourg; qu'il aura de chofes a lui dire de tout ce qu'il a vu, & quelle matière de réflexions pour V. M., moitié triftes, moitié plaifantes, mais toujours três-philofophiques, & telles en un mot qu'eile les fait faire! ]e fuis avec le plus profond refpect, & le plus géométrique devouément &c. A Paris, ce 6 Mars 177». Sire. J'ai recu prèsque en mème temps les deux dernières lettres dont V. M. a bien voulu m'honorer; mon premier foin a été de répondre, s'il m'étoit poffible, au défir que V. M. me marqué dans h.  CO R RE SP OND ANCE. (éconde da ces lettres, de lire quelqu'une des fables de M. le Duc de Nivernois. Comme il n'é- i toit point en ce moment a Paris, je lui ai écrit fur ! le champ, & je prends la liberté d'envoyer a V. M. : en original la réponfe qu'il m'a faite. J'ai le plus grand regret de n'avoir pas rdufli; je puis au rede fatisfaire en partie V. M. fur ce qu'eile défire de favoir du genre de ces fables. Elles font plus dans i celui de la Motte que des autres fabuliftes, mais mieux écrites & avec plus de goüt. Je fuis très-flatté de 1'approbation que V. M. a la bonté de donner aux deux petits ouvrages que j'ai eu 1'honneur de lui envoyer. Elle me paroit préférer le dialogue au difcours, & je n'ai garde d'appeler de fon jugement; cependant je prendrai la liberté de lui dire quele difcours m'eft beaucoup plus cher que le dialogue, & je voudrois bien que V. M. devinat par quelle raifon. Quant a notre petite controverfe ou dircufïïon métaphyfique, il me femble qu'eile eft épuifée, & qu'il feroit faftidieux d'en ennuyer davahtage V. M ; je vois que tout bien p.fó, il s'en faut bien peu que je ne penfe tout a fait comme elle, & que fi. j'en diffère encore, ce n'eft qu'autant qu'il le faut pour 1'honneur de 1'obfcurité métaphyfique. L'esfentiel, comme le rétnarque trés-bien V. M , c'eft de fentir & de convenir que notre foible intelligence ne voit goutte en ces matières, & de ne pas furtout vouloir foutenir par les bourreaux & les büchers ce qu'on a tant de peine a étayer fur de  Ii8 CORRESPONDANCE. frêles argumens. La philofophie pourrbit bien éprouver en France ce malheureux fort, fi comme on nous en menace, les jéfuites y font rappelés ; le parlement qui les avoit chafl'és , vient d'ètre chaffé a fon tour; il n'étoit guêres plus tolérant qu'eux, & plus favorable a la philofophie; mais la cohorte jéfuitique, fi elle re vient en France, joindra Ia fureur de Ia vengeance a 1'atrocité du fanatifme, & Dieu fait ce que la philofophie deviendra. Je joins mes regrets a ceux de V. M. fur Ia mort du pauvre Marquis. On ne peut apprécier fon mérite littéraire avec plus de juflice & de juftsffe que ne 1'apprécie V. M. dans ce qu'eile me fait 1'honneur de me dire au fujet de fes ouvrages & de fon flyle. Mais ce qui me fait furtout ché. rir fa mémoire, c'eft 1'attachemeut auffi tendreque refpeéïueux que je lüi ai toujours vu pour V. M. Le voila délivré dis maux de Ia vie, & comme difoitFontenelle, de la diffïculté cTêtre. Mon tour viendra, je crois, bientöt, car je m'affoiblis fenfiblement; & fans courir abfolument la pofle vers 1'autre monde, j'en gagne tout doucement Ie chemin. M. de Mairan, mon doublé confrère, a I'académie franpoifé & a celle des fciences, vient de mourir a 93 ans; je ferofs bien fiché d'aller jusques-la, car je n'ai pas lieu d'efpérer une vieilleffe auffi faine & auffi douce que lui, Pour Voltaire , il fe traine & il écrit toujours; il eft bien étonuant que fa tête puifte encore fuffire a tant de  CORRES POND ANCE. 319 travail. Mais ce qui m'intéreffe infiniment davantage, c'eft que V. M. puiffe fuffire encore long» temps a fes glorieux & utiles travaux. Les lettres furtout ont plus que jamais befoin d'elle, & de la protection qu'eile leur accorde. PuilTentelles, Sire, la conferver encore long-temps! Ce font les vceux que je ne cefferai de faire jusqu'aux deruiers momens de ma vie; & ces vceux font 1'exprcflion des fentimens de reconnoiffifice, d'admiration, & de profond refpect avec lesquels je ferai toujours &c. Les philofophes qui aiment a rire , & ce ne font pas les moins philofophes, doivent étretrèsobligés a 1'abbé Nicolini de leur avoir procuré le bref édifiant du vicaire de Dieu en terre au pontife de fon envoyé Mahomet. Je ne fuis pourtant point étonné de la bonne intelligence qui règne entre eux; les imans & les muphtis de toutes les fectes me paroifient plus faits qu'on ne croit pour s'entendre; leur but commun eft de fubjuguer par la ruperflition la pauvre efpèce humaine; ils ne différent que par 1'efpèce de bride qu'ils mettent a leur monture, ck ils pourroient fe dire comme les Hiédecins de Molière: paffe-mai fémétique, &;e A Paris, ce 21 Avril 1771- SUE,  iao CORRESPO ND ANCE. te paffèrai la faignée. Mais je foupconne lerévérendiffime père en Dieu Ganganelli d'avoir un fecrétaire des brefs qui en fait plus long que lui, & qui fe moque de ce que le Pape cordelier lui difte. On affure même que ce fecrétaire des brefs eft tout prés de jouer un mauvais tour a la chrétienté en procurant la paix aux fchifmatiques & aux incirconcis qui s'égorgent fans favoir pourquoi; il eft vrai que ce mauvais tour a la chrétienté fera un grand bien pour 1'humanité, qui en bénira le fecrétaire, & qui Ie remerciera de ce qu'il ne fe contente pas de faire rire les philofophes, & de ce qu'il veut encore efluyer les larmes de tant de malheureux. V. M. fait donc 1'honneur a la trés-plaifante nation francoife de fe moquer un peu d'elle, & de la croire créée & mife au monde pour fesmenus plaiftrs- Tout bou Francois que je fuis, je conviens qu'eile lui en fournit quelque fujet; je ne fais ce qui réfultera de bien ou de mal de tout ce qui fe paffe ici; mais je ferai fort tranquillifé, fi la prophétie de V. M. s'accomplit au fujet de la verm'me jéfuitique, & fi 1'Etat, la philofophie & les lettres n'ont pas le malheur de la voir reparottre. Un autre article non moins important m'intéreffe; tout ce qui fe paffe me feroit affez indifférent Si de quelque argent frais nous avions lefecours, comme dit Crifpin ■ dans la comêdie. Mais je crains  CORRESPONDJNCE. ist mins qu'il ne foit encore plus difficile de rappeler 1'argent dans nos bourfes que les jéfuites dans le royaume. Pour moi, Sire, je ne fubfifle depuis fix mois que des bienfaits de V. M,, & au lieu de dire Benedicité en me mettant a table tous les jours, je dis, Dieu conferve Fréderic, II faut avouer que quand on voit la manière admirable dont ce meilleur des mondes pofïïbles êft gouverné, on eft bien tenté de croire a la providence. Encore fi en faifant diète on fe redonnoit un eftomac, & qu'on rattrapat le fommeil, il n'y auroit que demi-mal; mais je fuis deftiné a paffer des jours & des nuits presque également triftesj il faut céder & fe foumettre a la nature. Ce qu'il y a de certain, c'eft que foit en penfant, foit en végétant, foit en dlnant, foit en jeünant, foit en dormant, foit en veillanf, il eft un fentiment qu£ ne dort jamais au fond de mon cceur; c'eft celui de Ia reconnoiffance éternelle que je dois a V M. , de 1'admiration qu'eile m'infpire & qui fe renouvelle fans cefl'e, ck du profond refpect avec lequel lui fera dévoué toute fa vie &c. La lettre que V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire, en réponfe a mes doléances fur le trifte état Oaiv. Pofih. de Fr. II. T. XI'A p A Paris, 02 14 Juin 1771. Sire,  123 CORRESPONDANCE. des finances francoifes, m'a rappelé Ia fable de Ia fourmi, qui étant bien pourvue de toutes fes provifions, fe moque de la pauvre cigale pour n'avoir pas eu la même prévoyance. Un royaumetel que la France, dites-vous, ne [auroit manquer dargent; cela fe peut; mais en cas que le Dieu Plutus n'ait pas tout è fait pris congé de nous, il s'eft au moins fi bien caché, qu'il feroit difficile de déterrer fa retraite; M. I'abbé Terray, notre controleur général, fait de fon mieux pour Ia découvrir, fans en pouvoir venir a bout. Je ne fais pas fi le père Bouhours a eu raifon, quand il a prétendu qu'on ne pouvoit avoirde 1'efpritqu'en France , comme autrefois un fameux maitre de danfe, nommé Marcel, prétendoit qu'il n'y avoit que la France oü 1'on füt danfer; ce feroit bien le cas de nous dire, comme la fourmi a Ia cigale: Eb bien danfez maintenant ; & quant a 1'épigramme bonne ou mauvaife du père Bouhours , j'aimerois mieux avec Crifpin que nous euflions la philofophie d'avoir de Pefprit en argent. V M. va peut-ètre me trouver bien Harpagon. & n'ayant que le mot d'argent a la bouche. Je n'en fuis pourtant pas plus trifte, & j'envifage même dans le fort prochain dont je fuis menacé, un grand avantage pour mon eflomac, qui n'aura furement plus d'indigeftions a craindre. O Providence , Providence! il faut avouer que tout efi arrangé pour le mieux, & que vous favez parfaitement, comme dit S. Paul, tirer le plus grand bien du  CORRESPOND ANCE. 143 plus grand mal. Le Roi Alphonfe difoit, a pro; pos du fatras de cercles qu'avoit imaginés 1'aftroi nomie ancienne, que s'il avoit été au confeil de 1 Dieu quand il fit le monde, il lui auroit donné de bons avis; je fuis tenté de croire quelquefois, dans des momens ou ma dévotion s'attiédit, que Dieu avoit pour le moins autant befoin de confeils quand il fit le monde moral, que quand il fit le monde phyfique; mais je rejette bientöt cette pcnfée, quand je fonge a toutes les perfections du monde moral, au bonheur qui inondé la furfacè .de Ia terre, & a fefprit de juftice, de défintéreffement, de vérité qui règne fur fefpèce humaine. II faut avouer, Sire, qu'un pareil fèjoür eft déIicieux pour un philofophe , & qu'il doit être bien facheux d'en être expulfé, foit par la faim, 'foit par une indigeflion, foit par les vrais fidel1les, Ruffes ou Mahométans, qui font fi dignement occupés a s'égorger. V. M. efpère qu'il ft 'trouvera de bonnes ames qui rétabliront la paix entreux. Mon premier mouvement eft de le fouhaiter , mais il refte a favoir fi, tout bien confidéré, c'eft procurer un grand bien a la trifte efpèce hutaaine que de 1'empêcher de fe détruire. [C'eft a V. M. a voir ce qu'il y a de mieux a faire fur ce point important; & je fuis bien afluré d'a•vance qu'eile fera ce qu'il y a de mieux; mais ipour cela il eft néceffaire qu'eile fonge d'abord a tfe conferver; voila ce qu'eile a de mieux a faire F a  ïl4 CO R RE SP O ND ANCE. pour le bien de 1'humanité, & pour l'iutérét de la philofophie. V. M. voudroit que j'écriviffe a Voltaire, a propos de philofophie, pour 1'engager a ne point s'acharner fur les morts, ni fur les vivans qui font cenfés morts, & qui devroient 1'être pour lui par le peu de mal qu'ils peuvent lui faire. Hélas, Sire ! II y a long • temps que j'ai pris Ia liberté de lui donner ce confeil, & V. M. voit quel en eft le fruit. II faut gémir fur le fort de 1'humanUé, qui ne permet pas qu'un feul homme ait a la fois tous les talens & toutes les vernis, & qui devroit pourtant le permettre, ne füt-ce que pour dédommager la terre de porter tant d'hommes qui n'ont ui talens ni vertus. Cependant je ferai encore un nouvel effbrt d'après les repréfentations de V. M. ,• je repréfeuterai auffi d'après elle a 1'écrivain dont la France s'honore, qu'il eft trop grand pour cette guerre de chicane avec des panaours; qu'il eft trop jufte pour ne pas rendre au mérite réel & reconnu la juftice qui lui eft due; que le plus grand homirfe a befoin d'indulgeuce, & s'en rend digne furtout par celle qu'il a pour les auures; que nou feulement fa tranquillité, mais fes écrits meines y gagaeront, & que ces expref frons de fa haine qui revienneut a chaquepage,, les rendent d'autant moins intéfeflans qu'il en eft des auteurs a peu prés comme des comédiens: Que de leurs démélés le public n'a que faire.  CORRES PO ND ANCE. 125 S) j'avois a joimdre 1'exemple au confeil, & a lui rappeler les grands hommes qui n'ont oppofé a la fatire que la modération & leur gloire, Je fais bien, Sire , le modèle que j'aurois a lui propofer. Mais peut-être me répondroit- il que ce modêle eft plus admirable qu'imitable, & je ne fais pas trop ce que j'aurois a lui répondre. Je fuis avec Ie plus profond refpect, & une reconnoiffance qui ne ftnira qu'avec ma vie &c. A Paris, ce 17 Aoüt 1771. j■ mwiwi in fumêtrnmimsmmmmsmammm Sire. ije vois par fa dernière lettre que V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire , qu'on n'eft guères plus ; heureux au nord qu'au midi de notre pauvre Europe; dans la préeédente lettre votre philofophie ■ prévoyante fe moquoit un peu de notre embarras :caufé par nos fottifes, & 'j'avois pris la liberté de ila comparer a la fourmi qui fe moque de la cigafle; mais en cq moment, grace a Ia divine provi'dence qui arrange fi bien toutes chofes, tout eft cigale, des Pyrénées a la mer Glaciale; Sri je n'avois- pas pour cette faintc providence le profoW refpect qu'eile mérite, je prendrois, je 1'avoue, ien ce moment un peu d'humeur comr'elle ; & je fuis presque afturé que V. M. la partageroit; car :esfm fi nous avons pu en France prévoir (St même ' * 3>  125 CO RRESPOND ANCE. empécher une partie de la détrefie oü nous fommes, V. M. n'eft pas dans le même cas; cela me rappelle ce que difc-it un fameux maitre a danf'er nommé Marcel , a une femme fon écolière qui avoit les pieds en dedans: Madame, lui difoit-il en lui montrant un crucifix qui étoit dans fachambre , vous avez les jambes aufti mal tournées que ce crucifix ■ la ; il eft vrai que pour lui ce n'eft pas fa faute. Mais lailfons-la, Sire, & les cigales & les crucifix ; V. M. croit que pour nous tirer du bourbier, il faudroit crier fur la place, crédit rètabli; il y auroit, ce me femble, un autre mot a crier auparavant, économie; fans cela on répondroit au premier cri, comme les marchands qui veulent de 1'argent, crédit eft mort. Mais ilfera, je crois, encore plus difficile de crier efiicacement économie a nos déprédateurs, que de crier modération a Voltaire & de le perfuader. Je ne lui écris guêres fans 1'exhorter a méprifer les cbenilles qu'il écrafe, & a ménager les hommes de mérite qu'il vilipende, & V. M. voit comme il profite de mes remontrances.. 11 faut prendre le parti de laiffer aller les chofes & les hommes, 65c dire, non pas tout eft bien comme Pope , mais tout eft comme il peut. Les lettres auroient pourtant d'autant plus befoin de fe refpecter elles - mémes, qu'il me femble qu'elles font dans une fituation moins favorable que jamais; il me femble même que dans presque toute 1'Europe on eft afiêz difpofé a les opprimer. On prétend qu'on va fupprimer ici le  CORRESPONDANCE. -127 collége royal fondé par Francois I, le père des lettres; ce ne peut pas ètre pour la dépenfe, car je doute qu'il en coüte vingt mille francs a 1'Etat pour tous les profeffeurs de ce collége; a moins qu'on n'imagine d'affamer la philofophie pour la faire taire, ce qui feroit fort bien imaginé. J'avoue que la philofophie a rendu aux fouverains de grands fervices , ne fut - ce qu'en détruifant la fuperftition qui les rendoit efclaves des prétres; mais le champ eft labouré, on n'a plus befoin desboeufs qui ont tiré la charme, & on ne fe foucie pas de les nourrir. J'ai tiré, Sire, la charrue le mieux que j'ai pu, & felon mon petit pouvoir; V. M. a bien voulu regarder mes efforts avec bonté, jelui dois la première récompenfe de mes travaux; je lui dois plus encore, ma fubjifhnce dans le moment préfent, grace aux bienfaits dont elle a bien voulu m'honorer 1'année dernière: mon économie ménagera le plus long-temps qu'eile pourra ces bienfaits, & elle aura recours fans héfiter au bienfaiteur quand ils lui manqueront. J'ai pour le préfent une autre grace a demander a V. M.; ce feroit de vouloir bien faire chercher dans la bibliothèque de Magdebourg (fi cette bibliothèque qui exilloit dans le dernier fiécle n'a pas été tranfportée-ailleurs) un ouvrage de Pline le naturalifte, qu'on prétend fè trouver dans cette biblioque. Je djute beaucoup, Sire, de la vérité de cette aneridote; je n'ennuierai point V. M. des rai. fons fur lesquelies eft fondé mon doute;. mais enE 4  MS CORRE&PONDANCE. fin 1'objet eft affez important pour s'en éclaircir de manière a n'y plus revenir. II s'agit d'une hiftoire en vingt livrts, des guerres des Romains contre les diférens peuples de la Germanie. La littérature, qui a déja tant d'obligations a V. M., lui en auroit une nouvelle, fi elle vouloit bien donner les ordres pour vérifier ce fait, & pour s'affurer au moins que ce précieux manufcrit n'exifte pas, comme il n'y a que trop lieu de le croire. En priant V. M. de vouloir bien faire éclaircir cette anecdote, je prendrai la liberté de lui en apprendre une autre. II eft mort au mois de Janvier dernier dans un village nommé Vitry, tout prés de Paris, une femme qui y vivoit affez obfcurément, & même affez pauvrement, & qu'on affure avoir cté la veuve du Czaaowitz Alexis que fon père le Czar Pierre I. fit mourir. Si la chofe étoit vraie, cette femme feroit la belle-fceur du feu Empereu? Charles VI, dont la femme étoit Wolfenbuttel comme celle du Czarowitz. Cette dernière.a ce qu'on répandit dans le temps, étoit morte d'un coup de pied dans le ventte que fon marl lot avoit donné dans une groffeffe, mais on prétend qu'on avo.t enterré une bocbe a fa place, qu'eile s'éto.t enfuie de Ruffie, qu'eile a été a la Louifiane, & de la a 1'Ile de France, oü elle avoit époufé un offirier nommé Maldack, dont elle portoit le nom a fa mort. Plufieurs circonftances réunies, & dontla réunion forme d'affëz fortes preuves, paroiflent pr^uver que cette femme étoit réeUemeut Ib.vbb»  CO RR.ES POND ANCE, du Prince Alexis; il paroit certain qu'eile recevait une penllon de la cour de Bronfwic, & peur-être V. M. pourroit-elle en favoir davantage par cett© voie. Je fuis avec le plus profond refpect &c. Je crains que V. M. ne me prerme tout au moins pour un procureur, ou pour quelque chofe de pis,, de prendre. la liberté de lui envoyer tant de papiers joints a cette lettre. Mais avant d'expofer a V. M. 1'objer de ces. papiers, je dois commencer par un objet qui m'intéreflé davantage fans comparaifon, ce font, Sire, les trés-humbles remercj» mens que je dois a V. M, des vers charmans qu'eile m'a fait 1'honneur de m'envoyer,- & du plaifir ; extréme que m'a fair la lefture de ces vers, L'EI pitre a S. M. la Reine de Suéde eft pleine dephb 1 lofophie,de fenfibilité, & cependant de forcecon» tre les détracTreurs des rois, qu'il faut refpe&erlo<* même qu'üs s'égarent. Le poëme fur les confédé» i rés efl un ouvrage trés -agréable, plein d'imagina. tion, d'aéiion, ck. furtout de gaieté;,ce qui n'é■ tolt pas facileen urji fi trifte fujet. II y a dans ce poëme, parmi plufieurs traits dignes d'ètre retenujj,. , ua vers fur lequel je preudrai la libetté de demaa*- A Paris, ce 8 Novembre 1771. Sire,  13» CO RRESPOND/!NCE. '.>-..- ' • f .. - der a V. M. un éclairciflement; la St. Bartbékmi en tabkaa chez 1'évéque de Kiowie eft-elle une vérité hiftorique, ou une fiaion feulement vraifemblable, & affortie aux fentimens du prélat, fiaion femblable a celle que les poëtes fe permettent? Je connois quelques philofophes qui ont pris en pitié ces pauvres confédérés, qu'ils croient bonnement rie combattre que pour la liberté de leur pays; s'ils favoient que le prélat, un de leurs chefs, a pour toute bibliothèque un tel tableau , je ne doute point qu'il ne diffent alors comme cet ami de la Brinvilliers a qui on apprenoit qu'eile avoit empoifonné fon père: fi cela eft, fen rabats beaucoup. Quoi qu'il en foit, je défire fort, Sire, & avec la plus grande impatience, de voir la fuite de ce poëme; je prie V. M. de vouloir bien ne m'en pas priver; mais je déürerois furtout que le dernier chant eüt pour titre: La paix donnèe par Fréderic le grand aux confédérés £? aux dijfidens, aux Turcs & aux Rujfes, aTEurope G? d VAfie. V' M. reffembleroit a ce juge, qui faifoit venir devant lui les parties , commencoit par fe moquer de leur quereile, & finiffoit par les faire embrafter & les renvoyer contentes. Voila, Sire, ce que 1'humanité efpère de vousi: cette befogne, toute difficile qu'eile eft peut-être, l'eft pent-être encore moins que le rétabliflementi de nos finarices, délabrées par trente ans de guerres, de rapines, & d'opérations ruineufes. Le délabrement n'eft guère moindre dans notre pauvrei  \ CORRES POND ANCE. £$f république des lettres, & je fuis bien faché que V.. M. ait raifon dans les torts dont elle accufe mes confrères. Je voudrois que les réflexions fi jufies & fi fages que V. M. me fait 1'honneur de m'écrire a ce fujet, fuffent imprimées & affichées a Ia porte de tous les gens de lettres. J'ai taché dumoins, pour ce qui concerne mon petit individu, de conformer, autant que j'ai pu, ma conduite a des principes fi vrais & fi ftirs, & de mériter par la des bontés dont V. M. m'a honoré. Je viens maintenant, Sire, aux deux papiers cijoints. Le premier qui a pour titre: Hiftoire de Madame Maldack, font les anecdotes vraies .ou fauiïés que j'ai pu recueillir fur la prétendue veuve du Czarowitz. Je crois fans peine que toute cette hiftoire eft une impofture, mais V. M. ne fera peut • être pas fachèe de favoir ce qu'on a débité en France a ce fujet, pendant la vie & depuis la mort de cette femme. Ce mémoire m'a ,été donné par quelqu'un qui avoit une maifon de campagne dansje village oü cette femme faifoitfonféjour;&peutêtre la cour de Bronfwic, qui avoit la bonté de lui faire une petite penfion, & la cour de Rufïïe, feroient- elles un peu étonnées de 1'hiftoire & despropos de cette aventuriêre. L'autre mémoire qui apourtire: article'deftinë A la gazette du bas Rbin, intéreffe, Sire, une familie honnête éi eftimable a tous égards, dont je fuis 1'ami depuis long-temps, II a plu a celui qui fait cette gazette a Clèves, dans les Etats de V. M., F &  «33 CORRES P O ND ANC Er a ce corneur qui fuit la Rentmmée, comme V.Mi. rappelle très-plaifamment. (bien entendu que ce corneur n'a qu'un cornet abouquin,> iladoncplua ce folliculaire d'inférer dans fon NQ 38 un arttele injurieux a cette familie, a 1'oecafion de la mort d'un parent homme de mérite qu'eile vient de perdre. Cette familie, Sire, implore les bontés de V. M., non pour faire punir ce malheureux auquel eile pardonne, mais pour lui faire envoyer la rétraaion ci-jointe, avec ordre de 1'inférerau plurót dans fa gazette, fans y changer un feul mot,& avec défenfes de parler déformais- ni en bien ni er* aia-1 de cette familie, & de ce qui lui appartient. Comme elle fait les bontés dont V. M. m'honore^ elle m'a prié de faire parvenu- fes- prières aux preds» de V. M, & je m'en acquitte, Sire, avec d'au* tant plus d'einpreiTement & de zèle, que je metsIe plus vif intérêt a 1'obliger; je fupplie donc trèshumblement V; M. & avec Ia plus grande inflance de vouloir bien donner fes ordres pour la fatisftaion de cette honnête & refpeaable familie. 11 ne me'refte que 1'efpacc nécelTaire pour prtej V' M. de me faire dire fi 1'hiftoire germanique de: Pline fe trouve a-Magdebourg, ce que je ne crois; pas plus qu'eile; & de fouhaiter que 1'année ou. nous allons entrer foit pour V. M. auffi glorieufe que les précédentes. Elle ne fera, s'il eft pofflble, qu'ajouter encore aux fentimens de profond. refpea, & d'éternelle reconnoiffance avec lesquels fuis &«_. ^ par.S) ce ^ Janyiet I77a.  CORRESPONBJNCE, 233 S I R E» La lettre que V. M. m'a fait 1'honneur de m'ecri. re, en date du 26 Janvier dernier, ne m'eft parvenue que le 21 du mois dernier; la malheureufe goutte dont V. M. a été attaquée ne lui ayant permis de figner cette lettre qu'au bout de trois femaines. J'aurois eu 1'honneur d'y répondre fur le champ, fi dans le temps oü j'ai eu le bonheur de la recevoir, je n'avois été attaqué moi-même d'une «fpèce de goutte a la téte,ou pour parler plus pro-prement, d'un rhumatifme dans cette partie, qui. m'interdifoit & le fommeil.& la plus légere application. Les vers charmans que V. 1W. a eu la bonté de m'envoyer n'étoj'ent pas propres, Sire, a guérir mon infomnie; ces deux nouveaux chants me paroiffent ne céder en rien aux deux précédens. J'ai été furtout charmé de Ia peinture de 1'Eglife catholique dans le troilième, & de 1'alliance. quf en réfulté des très-catholiques confédérés avec le trêschrétien Muftapha. Dans le quatriéme Ia délivran. ee que la fainte Vierge Marie procure aux confé"dérés afliégés en s'adreflant.a.fon fils,. eft. une ima. gination vraiment plaifante & poé'tique; JMais ce qui me plak furtout de cet ouvrage,. Sire,, c'elï qpe nulle part 1'imaginauon n'y fait rien perdre E 7  ,34 CO RRESPONDANCt. i la raifon, que jamais elles n'ont été fi bonnes amies, & que V. 1VI. fait partout mêler, fuivant le pré'cepte d'Horace, utile duld, 1'utile a IV gréable. A 1'égard des confédérés, je ne fais ce que mes confrères les philofophes en penfent; je crois bien Wils pourroient avoir gagné a nétte vus que de loin; mais fi ces confédérés fe plaignent, a tort ou a droit, d'ètre opprimés par la Ruflïe, j'entends d'un autre cöté cent mille payfans & davantage,-qui fe plaignent ou qui peuvent fe plaindre, non a tort, mais a trés-grand droitf, d'ètre opprimés de temps immémonal par ces mêmes confédérés; & tant que ces dern.ers feront opprelTeurs, je ne verrai dans leurs ennemis qu'un maltre qui rend a fon valet de charabre les coups de baton que celui-ci donne aux laquais, C'eft a peu prés le tableau que je me fais de 1'état aétuel de la Pologne, & je ne fuis „ullement furpris que V. M. travaille a empêcher, fi elle le peut, que la guerre ne s'y allume encore davantage, & que les maux de 1'humanitè', déja fi accumulés dans ce malheureux pays ne s'y entaffent encore par de nouvelles déva'ftations. Ce projet St ces vues font bien dignes de 1'ame de V. M.; je fais plus, je fais qU elle a fait propofer a une grande puiffance de 1'Europe de fe rendre médiatrice, & je défirerois vivement, pour mille raifons, que les vceux fi refpeaables de V. M. puflent être remplis a cet égard. Mais je n'entre point, comme de raifon, dans le  CORR ESP O NB ANCE. 135 confeil & les deffeins des rois, & je me contente de prier a la porte de leurs palais, que Ja fagefië & 1'amour de 1'humanité ypréfident&règnentavec eux. S'il y a pour les manes des fages un lieu de retraite, je ne doute pas que Ie pauvre Helvétius, quelque part qu'il foit, ne faiTe des vceux femblables a ceux de V. M. & aux miens pour la paix & le bonheur de la malheureufe efpêce humaine. J'ai vivement regretté ce digne, & aimable, & vertueux philofophe; a toutes les qualités refpeétables qui me le rendoient cher, il en joignoit une qui m'attachoit encore particulièrement a lui c'étoient les fentimens de refpect & d'admiration dont il étoit rempli pour V. M. Combien de fois elle a fait le fujet de nos entretiens! Combien nos coeurs s'échauffoient & s'attendriifoient mutuellementenparlant d'elle! Combien de fois nous nous plaifions a répéter les obligations de toute efpêce que lui ont en ce malheureux temps les lettres & la philofophie ! Je m'attendois bien, Sire, que 1'hiflorre du prétendu ouvrage de Pline encore exiftant, étoit une chimère, & je ne doute pas qu'il n'en foit de même de la fille de garderobe qui a pris le nom de fa maitreffe,- la femme du Czarowitz. Je n'infiftepas non plus fur ce qui concerne la familie de Mauléon; & je refpeétc Ia manière de penfer de V. M. a ce fujet, J'aimerois pourtant mieux, qu'au lieu de perfiiler les pauvres encyclopédiftes fur leurs voeux, réels' ou prétendus, pour la liberté de la  i3« CORRESPONIÏJNCE. prefïe, elle eik bien voulu m'éclairer fur cette grande queftion, & me dire ce qu'eile en penfe. Pour I'S engager, j'oferois presque hafarder avec elle quelques réflexions fur ce fujet. Je ne fais pas fi cette liberté doit être accordée, mais je penfe que fi on 1'accorde, elle doit être fans limites & indéfinie. Car pourquoi feroit-il plus permis d'infulterun citoyen honnête, de lui dire qu'il eft un fripon, ou fi on veut, qu'il eft le fils d'un laquais, Je de dire a un homme en place qu il eft un voleur, un opprefleur, ou un imbécille? En unmot 0 la fatire perfonnelle eft permife, ce que je ne crois pas devoir être, je ne vois pas pourquoi on la reftreindroit aux foibles & auxpetits, & pourquoi les forts & les grands n'en auroient pas leur part comme les autres. Mais je crois que dans tout Etat bien policé , monarchique ou répubhca.n, cette forte de fatire devroit être interdite, depuis "les rangs les plus élevés de la fociété. jusqu'aux moindres,paree qu'enfin tous les citoyens ontdroit également a. la protection de la fociété, & a la con'fervation de 1'exiftence morale que la fatire leur öte, ou veut leur öter. A 1'égard des ouvrages de toute efpêce, littérature, philofophie, matières même de gouvernement & d'adminiftration, je penfe que la liberté d'écrire fur ces fujets, de cridquer même, doit être pleine & entière, pourvu néanmoins, Sire,, que la fatire en foit bantüe, paree qu'encore une fois le hut de la liberté de la preagt doit. être d'éclairer & non d'bfiénfer. Mais, ii  CORRESPONDANCE. 137 eft temps de réprimer moi-même Ia liberté de ma plume, en défirant ft V. M. une pleine délivrance & de la goutte & de la guerre , & en lui renouvelant les aflurances des fentimens d'admiration, de reconnoiffance éternelle, & du plus profond refpect avec lesquels je fuis ccc. A Paris, ce 3 Mars 1774. Sire, Pennettez - moi de commencer cette lettre par le compliment que je crois[devoir a V. M. furies fuccès d'un favant que fes bontés ont fait connoitrea 1'Europe, fuccès dont Ia gloire réjailiit fur votre académie, dans laquelle vous avezbien voulu lui donner une place diftinguée. M. de la Grange vient de remporter pour la quatriême ou cinquième fois le prix de notre académie des fciences, avec les plus grands éloges & les mieux mérités ;& je crois pouvoir annoncer d'avance a V. M. qu'il fera élu dans peu de jours affbcié étranger de notre académie. Ces places font très-hónorables, paree qu'elles font en petit nombre, fort recherchées, occupées par les favans les plus célèbres del'Europe,qui ne les ont obtenues que dans leur vieilleffe, au lieu que M. de la Grange n'a pas, je crois, 35 ans. Je me félicite tous les jours de plus en plus, Sire, d'avoir procuré a votre académie un philofophe  J38 CORRESPONDANCE. auffi eftimable par fes rares talens, par fes connoiffances profondes, & par fon caraaère de fagefTe & de défintéreffement. Je ne doute point que V. M. ne veuille bien lui témoigner fa fatisfaftion. Cette efpérance eft fondée, & fur 1'eftime que V. M. veut bien avoir pour lui, comme elle m'a fait 1'honneur de me le dire plus d'une fois, & fur le beau difcours qu'eile vient de faire lire a fon académie, & qu'eile a eu la bonté de m'envoyer. J'avois déja lu, Sire, cet excellent difcours dans la gazette de littérature qui s'imprime aux deux Ponts, & j'avois admiré la faine philofophie qui y règne, les vues juftes & dignes d'un grand Roi qu'il préfente, 1'êloquence avec laquelle il eft écrit, & la force avec laquelle V. M. y foudroie les charlatans facrés & profanes, ces maltres d'erreurs payés pour abrutir la nature humaine ; & les détraaeurs des fciences , autre efpêce de charlatans non moins dangereux, & hypocrites d'une autre efpêce, auffi méprifables que les premiers. Je n'ai pas lu avec moins de plaifir & d'admiration le V^e chant du poëme contre les confédérés. Je devrois peut-être néanmoins demander merci a V. M. pour les pauvres Welches mes compatriotes, dont elle célèbre fi plaifamment la gloire & les exploits a Rosbach, a Créfeld, & ailleurs. Mais, Sire, la part qui me revient de cette gloire ou de cette honte eft fi petite, que je ae cours pas après, & que j'en fais les honneurs h  CORRESPOND/INCE. i39 qui voudra. Gomme je n'ai pas 1'avantage ou le malheur d'ètre ni miniftre, ni géneral, je les laiiTe jouir en paix de ce qu'ils font; je ne prétends rien ni aux lauriers qu'ils cueillent, ni aux coups d'étrivières qu'ils recoivent; & quelque cbofe qui leur arrivé, je ne leur dirai jamais, fen retiens part, comme difent les mendians aux gueux de leur efpêce qui trouvent & ramaffent quelque guenille dans la rue. Au refte j'avouerai, Sire, que le plaifir que me donnent vos vers & votre profe, quelque grand qu'il foit, n'eft pas plgs vif que celui que je reffens a un article de la lettre que V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire. Elle m'y annonce la paix comme prochaine. Toute 1'Europe en fait 1'honneur a V. M, & cette circonftance de fa vie n'en fera pas la moins glorieufe, Le poëme du pauvre Helvétius fur le bonheur eft refté imparfait a fa mort. Cependant on allure qu'il fera imprimé, même dans cet état d'imperfeftion. On dit même qu'il eft aauellement fous preffe en Hollande. V. M. pourra aifément en favoir la vérité. Depuis un mois j'ai acquis, Sire, une 'digni^é nouvelle; celle de fecrétaire de I'académie francoife; cette place demande plus d'afïiduité que de travail; les émolumens en font d'ailleurs trés-peu de chofe, & j'ajome, les dégotits & les défagrémens affez grands dans les circonftances préfentes, ou la littérature eft plus opprimée & plus perféca-  I4a CORRESP OND ANCE. tée parmi nous que jamais. Je ne ferai point a V. M. le détail des traverfes de tout genre que la philofophie & les lettres effuient; ce détail ne feroit que 1'affliger, puis-qu'eile ne peut y «pporter de reméde; elle fe contente de protéger dans fes Etats les fciences & les arts, de gémir fur le fort qu'ils éprouvent ailleurs, & d'encourager par fes lecons & par fon exemple ceux qui les cultivent. Au refte pourquoi les fages fe plaindroient-ils de leur fort?lis liront le beau morceau qui commence le Veme chant de votre poëme fur le malheur commun a tous les Etats; ils jeteront les yeux furtout ce qui les environne, & ils répëteront ce beau vers de V. M.: C'eft même joie & ee font meines pleurs. Je fuis avec tous les fentimens de profond refpect, de reconnoilTance & d'admiration qui ne finiront qu'avec ma vie &c. A Paris, ce ifi Mai 1771. Sire, Un jeune militaire, plein d'ardeur, d'efprit & de connoifl'ances, nommé M. de Guibert, défïre de mettre aux pied3 de V. M 1'hommage que lui doivent tous les militaires & tous les philofophes. II prie V. M. de vouloir bien recevoir 1'ouvrage qui eft joint ici, & dont il eft 1'auteur; & comme  CQRRESPONDANCE. 141 il connolt les bontés dont'V. M. m'honore, il m'a prié de lui faire parvenir f011 livre & fon profond refpect. Quintilien dit qu'on doit juger du progrès qu'on a fait dans 1'éloquence, par le plaifir qu'on prend a la lecture de Cicéron. Si on doit juger par une régie femblable des progrès qu'on a faits dans 1'art militaire, j'ai lieu de croire, Sire, que M. .de Guibert en a fait de grands, par 1'admiration profonde dont il efl pénétré pour le génie que V. M. a fu porter dans cet art néceffaire & funefte. C'eft au Céfar de notre fiècle a en juger. S'il juge 1'ouvrage digne de quelque eflime, 1'auteur feroit infiniment flatté du témoignage que Céfar voudroit bien lui en donner; ce feroit la plus noble récompenfe de fon travail. L'académie des fciences de Paris a élu pour affocié étranger M. de la Grange, comme j'ai eu 1'honneur de 1'annoncer a V. M.; il a dü 1'unanimité des fuffrages a fon mérite fupérieur, & en même temps a 1'affurance que j'ai donnée a mes confrères qu'ils feroient une chofe agréable a V. M., dont Ie nom eft fi cher & fi précieux aux fciences par la protection qu'eile leur accorde, & les lumières qu'eile y répand. L'Europe efpère, Sire, que V. M". ne fe contentera pas del'éclairer, qu'eile va encore la pacifier. Comme je ne doute point qu'eile n'ait une grande influence dans Ie traité entre Ia Porte & la Rufïïe, je prends la liberté de lui recommander  i42 CORRESPONDANCE. toujours un point que je ne ceffe point d'avoir a cceur, c'eft d'óbtenir de Sultan Muftapha la réédïfication du temple de Jérufalem, pour 1'embarras de laforbonne, & le menu plaifir de la philofophie. Mais ce que je défire encore plus, c'eft que 1'être, quel qu'il foit, qui préfide a 1'univers, conferve longtemps V. M. pour 1'avantage de cette pauvre philofophie, perfécutée ou vilipendéepresque partout ailleurs que dans vos Etats. ]e fuis avec le plus profond refped &c. A Paris, ce 1 Juin 1772. Sire, Je n'ai rien négligé pour répondre a la confiance dont V. M. a bien voulu m'honorer, en me chargeant de choifir un profeffeur de rhétorique & de logique pour fon académie des gentilshommes. Après les informations & les perquifitions les plus exaétes, je crois y avoir réuffi, & j'ai 1'honneur d'envoyer ce profeffeur a V. M. Je crois pouvoir lui répondre de fa capacité, de fon caraftère & de fa conduite, j'écris fur ce fujet plus en détail a M. de Catt, qui en inftruira V. M. Ce n'eft point, Sire, comme philofophe encyckpêdifte que j'ai pris la liberté d'envoyer kV. M l'£sfai de Taftique de M. Guibert; c'eft comme admi-  CORRESPONDANCE. i43 rateur avec toute 1'Europe des grands & rares talens miiitaires de V. M. que j'ai cru devoir lui faire connoltre un ouvrage oü 1'on rend a ces fublimes talens les hommages qu'ils méritent; un ouvrage dont V. M. efl; le meilleurjuge quel'auteurpuisfe défirer, & celui dont le fuffrage peut être le plus honorable & le plus fiatteur pour lui. Ce fuffrage, Sire", pourroit en cas de befoin, être mis dans la balance contre celui de tout le refte de 1'Europe, comme Lucain y a mis le fuffrage de Caton contre celui des Dieux. Je vois avec peine que V. M. n'a pas été contente d'un endroit du difcours préliminaire, oü elle ? cru voir que les Pruffiens étoient accufés de manquer de bravoure. Je n'ai point 1'ouvrage fous les yeux pour juftifier 1'auteur, qui vient d'ailleurs de partir pour un voyage de quelques mois, & a qui je ne puis demander raifon de ce reproche. Mais je fuis bien fur au moins que fon intention n'a point du tout été de reprocher le défaut de courage a des troupes qui ont gagné au moins douze batailles. Je fuis perfuadé qu'il a voulu dire feulement que les. Pruffiens n'auroient pas eu tant de fuccès, s'ils n'euffent été quebraves, & s'ils n'euffent eu a leür tête un général auffi confommé dans les manoeuvres miiitaires,devenuesaujourd'hui plus néceffaires que jamais; & cette asferdons, bien loin d'ètre un reproche, me paroit au contraire un nouvel éloge, & de ces braves troupes, & furtout du héros qui les commande. Voila, Sire, ce que ma philofophie encyclopédifte croit  I4+ CORRESPONDANCE. pouvoir répondre a V. M. pour juftifier un jeune militaire, dont je connois toute 1'admiration pour elle & toute 1'eftime qu'il fait de fes troupes. Je ne ferai pas auffi empreffé a me juftifier moi-même de ce que V. ivf. ajoute, que je n'aime pas la guerre- & comment pourrois-je m'en juftifier auprès d'un prince philofophe, quia fi bien peintdans fes ouvrages les mauxque la guerre fait a 1'humanité, aui ne 1'a jamais entreprife que forcé par les arconftances, qui depuis quatre a cinq ans ne paroit occupé qu'a 1'éviter, & qui s'eft eonduit poury parvenir avec une fageffe & une habileté dont toute 1'Europe parieen ce moment avec admiration? Te ne doute point queMuftapha nefaffele mieux du monde de fe conformer aux fentimens pacifiques oue V M. lui a infpirés, nouvelle preuve qu'eile Jaime'pas la guerre plus que moi. Mais je ne ferai point content que V. M. ne ud ait fa t dire au moins un petit mot du temple de Jérufalem. Cette réédification, Sire, eft ma folie, comme la deftruftion de la religion chrétienne eft celle du patriarche de Ferney. Je fais bien que fi fcforbonne voyoit ce temple debout, elle trouveroit moyen d'éluder la prophétie, elle a répondu, Dieu merci, a des objeftions tout auffi preffames, mais j'ai cependant encore affez bonneopimond elle, pour préfumer qu'au moins dans les premiers momens de l'objeftlon, elle auroit quelque peut embarras; & je défirois fort que Muftapha eut 1 efprit de lui jouer ce petit tour de page; après quot r nous  €GRRESP0N1)ANCE. 145 sous irions a la mefle comme a 1'ordinaire, en riant feulement un peu plus de ceux qui la diroient. Je ne fais fi V. M. ofera faire part aux Rulles, fes chers alliés, d'un petit malheur qui vient d'arriver aux eaux de Spa a quelqu'un de leurs com. patriotes. II avoit, dit-on, palfé quelques mois a Paris, oü il avoit appris a s'habiller avec élégance. II a donc fait faire un habit, du vert le plus élégant du monde; un cheval, qui Ta vu habillrj de la forte, a pris Ie tout pour une botte de foin, & 1'a mordu fi viveraent a 1'épaule, que le pauvre habillé de vert en eft férieufement malade. Je crois que 1'infanterie ruffe eft habillée de vert; cet événement, Sire, ne feroit-il pas une bonne raifoa pour lui faire changer d'uniforme? Hélasl Sire, je ris, & je n'en ai pas trop d'envie. Car fi les chevaux de Spa prennent les Ruffespour des bottes de foin bonnes au moins a manger, les inquifiteurs de France prennent les philofophes pour d* bottes de foin qui ne font bonnes qu'a brüler. Je fuis dégoüté d'éc-rire, & malgré le peu de cas que V. M. fait de Ia géométrie , je me réfugierois dans cet afile , fi ma pauvre téte pouvoit encore fupporter 1'application qu'eile exige. Je vais cependant effayer Ia continuation de 1'hiftoire de I'académie francoife; mais combien de peine il faudra que je me donne pour ne pas dire ma penfée! Heureux même, fi en la cachant, je puis au moins Ia laiffer entrevoir! Je fuis avec Ie plus profond refpect, Ia plus Osuv. Ftjfh. d, Fr. II. T. Xlr. Q  i46" CORRES PO ND ANCE. ^ vive reconnoiffance & la plus immuable admiration &c. A Paris, ce 14 Aoflt 177a. Sire, Cette lettre fera préfentée a V. M. par M. Borrelly, que j'ai 1'honneur de lui envoyer pour remplir la doublé place de feu M. Touffaint, a I'académie royale des nobles, & a I'académie royale des fciences, deux établiffemens qui honorent également V. M., 1'un par fon inftitution, 1'autre par fon renouvellement & par la protection que lui accorde le philofophe des rois, & le roi des philofophes. M. de Catt a déja dü, Sire, rendre compte a V. M. des informations exaétes &multipliées que j'ai prifes au fujet de M. Borrelly. Je fuis perfuadé, Sire, & d'après ces informations, & d'après ce que je connois par moi-même de fes talens & de fon caraétère, qu'il méritera les bontés dont je prie V. M. de vouloir bien 1'honorer. J'ai été affez heureux jusqu'a préfent pour répondre a la confiance de V. M. dans les différens choix dont elle m'a fait 1'honneur de me charger, & j'ai tout lieu d'efpérer qu'eile ne me fera point de reproche de celui -ci. M. Borrelly, en préfeotant cette lettre a V. M., s'eft chargé , de lui remettre en même temps un ou-  COKKESPONDANCE-. H? vrage que 1'auteur, qui efl de mes amis, m'a char* gé de préfenter a un auffi excellent juge. Cet auteur , Sire, eft IYÏ. le Chevalier de Chatelux , homme de qualité, & d'une des plus anciennes maifons de France, Brigadier des armées du Roi, homme d'ailleurs de beaucoup d'efprit & de mérite, & pénétré d'admiration pour V. M. L'application conftante que M. le Chevalier de Chatelux donne a fon métier, ne 1'empêche pas, Sire, a 1'exemple de V. M., de cultiver avec fuccès les lettres & Ia philofophie. L'ouvrage qu'il a 1'bonneur d'offrir a V. M. lui prouvera qu'il joint a une connoiffance très-étendue de 1'hiftoire, des vues philofophiques, 1'amour de 1'humanité & le talent d'écrire. II fe propofe de prouver que 1'efpèce humaine efl moins malheureufe qu'autrefois, & que fon malheur ira toujours en diminuant, grace au progrès des lumiéres. Je le fouhaite encore plus que je ne 1'efpére. Mais de quelque manière que V. M. penfe a ce fujet, j'ai lieu de croire que cet ouvrage lui infpirerade 1'eflime pour 1'auteur, qui feroit infiniment flatté que V. M. voulüt bien 1'en affurer elle-même. II mérite d'au.tant plus, Sire, de recevoir de vous cette marqué flatteufe de bonté, qu'il eft presque aujourd'hui la feule perfonne diftinguée par fa naiffhnce dans ce malheureux royaume, qui aime vraiment les Iettres & ceux qui les cultivent. Ah! Sire, que ces lettres infortunées ont befoin de cqnferver longtemps un protecleur tel que vous! 11 y a longG i  ï48 CO RR ESP O ND ANCE. temps, a dater du miniftère du Cardinal de Fleury, & même de plus loin, qu'elles font en France fans encouragement & fans confidération. Aujourd'hui on fait plus, on les hait, & il n'y a pas un homme en place qui ne foit leur ennemi fecret ou dêclaré. V. M. qui a eu la bonté de me marquer fa fatisfaétion de ma nouvelle & très-mince dignité de fecrétaire de I'académie francoife, ne peut pas imaginer toutes les intrigues qu'on a fait jouer pour m'en écarter. II s'en fautbienque j'aye eu 1'uuanimité des fuffrages; j'avois contre moi tous nos académiciens de co& & d'Eglife, c'eft a dire prés d'un tiers; mais ce qui me confoie &me flatte-, paree qu'enfin il eft agréable d'ètre jugé par fes pairs, j'avois pour moi tous mes confrères les gens de lettres, excepté un feul qui eft prêtre, & dévot politique; & un habitant de Verfailles m'a afiuré que malgré la pluralité des fuffrages, j'aurois eu 1'exclufion de la part de la cour, fi les marqués de bonté & d'eftime que j'ai recues des étrangers, & furtout de V. M.,n'avoient été ma fauve-garde. Ce n'eft pas la première fois, Sire, que j'aiéprouvé combien je dois aux bontés de V. M., pour me mettre a 1'abri de la perfécution dans mon propre pays. Le Marcchal de Richelieu, le plus acharné ennemi des lettres, de la philofophie, & de toute efpêce de mérite, cet homme fi gratuitementcélébré par le philofophe de Ferney, étoit a la tête de la- cabale; outré de n'avoir pu réuflïr, il s'en eft vengé furie pauvre Delille, auteur des  CORRES POND ANCE. i\f Géorgiques, qu'il a fait exclure de I'académie, quoiqu'il eüt en presque 1'unanimité des fuffrages, & qu'il foit auffi eftitnable par fon caractère & par fa conduite que par fes talens. II eft bien flatté, Sire, & bien honoré du défir que V. M.. lui témoigne de voir une traduction entière de Virgile de fa facon; 51 en a déja traduit le quatriêmelivre*, qui m'a paru trés-beau. La fuperftition aura beau faire, les gens de lettres font comme les fourmis, qui réparent leur habitation quand on 1'a détruite. On m'a affuré qu'on trouvoit aux deux Pontsle poëme du Bonheur de M. Helvétius, & qu'il y a une trés-belle préface a la tête , dont j'ignore 1'auteur. On m'alfure auffi qu'on imprime actueflement un autre ouvrage. en profe & beaucoup plüs confidérable du même M. Helvétius. J'en ignore jusqu'au titre, mais c'eft, dlt-on, une efpêce de fupplément au livre de PEfprit. Je fuis avec le plus profond refpect, &c. P. S. Je prends Ia liberté, Sire, de joindre & ce long & ennuyeux verbiage en profe un portrait: qu'on vient de graver ici, & au Bas duquel on a mis des vers que ma mufe géomctrique a ofé faire pour V, M., a qui jecrois que ces mauvais vers font déja connus,Ce portrait, Sise, m'eft précieux-, en ce qu'il fera un monument des fentimens que j'ai vouésdepuis fi lang-temps a V. IVI. Je voudrci» qu£ ces vers fuffent meilleurs, mais cepea»-  t)« CORRESPONDANCE. dant j'oferai dire avec Defpréaux dansunfujei bien différent. Non, non, fur ce fujei pour éerire avec grace, 11 ne faut point monter au fommet du Parnafle , Et fans aller rêver dans le doublé vallon, Le fentiment fuffit, & vaut un Apollon. J'ai placé, Sire, ce portrait dans moncabinet entre Defcar-es, Newton, Henri IV & Voltaire, & j'efpêre que V. M. ne me reprochera pas de 1'avoir mife en mauvaife, compagnie. ƒ en refte-la, Sire, honteux d'abufer fi long - temps du temps pre'cieux de V. M. J'ajouterai feulement que fi V. M. avoit encore befoin de quelques bons fujets pour fon académie des nobles , ou pour quelque autre objet, je ne dêTefpère pas depouvoir les lui uellement, fi je ne me trompe, être arrivé a Berlin; gefpère que Y. M. KwaAi vu., et  cqrresp&nd-a-nce; 35$. je ae doute point qu'il ne juftifie par forr travail & par fa conduite ce que j'ai annoncé de lui. Je ne rats fi V. eft informé que M.. Thiriot, chargé ici de fa correfpondance littéraire, tire abfoiument a fa fin; en cas que V. M-. ne lui ait pas déja? de~ftiné un fucceffeur, & qu'eile veuille bien avoir fiir ce fujet quelque confiance enmonchoix, je prends- la liberté de lui propofer pour remplacer M. Thiriot, & aux mêraes conditions, M. Suard,hom>me d'efprit, de goüt & de probité, qui a travaiirlé long-temps avec fuccès au journal étranger & a la gazette littérare, & qui eft auteur d'una' excellente traduitron francoife. de l'hiftoire deGhariles Quint par Pvobenfon. J'ofe afiurer- V. M, qu'eile ne. peut faire a. tous égards un meilleur choix pour remplacer M. Thiriot, & j'ofe de plus mes flatter qu'eile voudra bien m'en croire,. tant par le-zèle. qu'eile me connoit pour ce qui 1'iutéreffë, que parl'expérience qu'ellea déja faitedel'attentionfcru» puleufe que j'ai apporrée a tous les choix-dont ei~le m'a. fait 1'honneur de. me charger.- Je fuis avec le plus profond refpect,. la plus vi>ve reconnoiffancela plusfincère admiration &Ci- Je viens de recevoic la belle médaille, que Yv m A Paris, ce 9 Oftobre 1772*. S I R Ea  154 CORR ESPQND/iNCE. m'a fait 1'honneur de m'envoyer, & qui a pour objet les nouveaux Etats qu'eile vient d'acqucrir. La légende Regno redintegrato, prouve que V. M. n'a fait que rentrer dans des poiTeffions qui lui ont appartenu autrefois. La voila, fi je ne me trorape, maitrefle en grande partie du commerce de la Baltique, & j'en fais compliment a cette mer, qui n'a point, ce me femble encore eu un maitre 11 couvert de gloire; j'efpêre qu'eile s'en trouvera bien, & 1'Europe auffi, quant au commerce qui en dépend, & je fouhaite ardemment pourl'un & pour 1'autre la continuation des jours glorieux de V, M. Je me doutois bien que la péroraifon dont elle m'a fait 1'honneur de me parler dans une de fes dernières lettres, feroit efficace pour engager a la paix M. Muflapha, & je me réjouis pour le bien de fhumahité que cette paix fi défirée & fi nécéflaire foit enfin füre & prochaiue, comme V. M. veut bièn me le faire efpérer. J'avoue en tremblant qa'il y a eri effet encore bien des matières combU' jlibks, & peut-être même affez prés de vos Etats; mais j'ai une ferme confiance que celui qui a fu jeter fi efficacement de i'eau fur le feu qui brüloit depuis quatre ans, fera encore plus heureux pour éteindre celui qui ne fait que couver encore. II vaut mieBx pour V. M. de s'occuper, comme elle le fait avec tant de fuccès, des progrès de 1'éducation chez elle, que de s'engager dans les que« • telles des autres. J'efpêre qu'eile fera contente do (jwofefieur que j'ai eu 1'honneur de lui envoyer.  C0RRESP0ND/1NCE. 155 Je compte que V. M. recevra par ce courrier-cï Htie feuille littéraire de la part de M. Suard, que j'ai eu 1'honneur de propofer a V. M. pour remplacer le pauvre Thiriot. Ce dernier vient de mourir depuis peu de jours, & j'ai lieu de croire V. M. ne fera pas mécontente de la feuille que M. Suard lui envoie. II fe conformera avec autant dé zèle que d'intelligence a tout ce que V. M. pourra défirer, & je prends la liberté en conféquence de renouveler a V. M. mes trés-humbles prières pour lui demander en faveur de M. Suard les mém es bontés dont elle honoroit M. Thiriot. J'attends a ce fujet fes derniers ordres, & j'ofe me flatter qu'ils feront favorables. J'ai envoyé a M. le Chevalier de Chateiux, qui en ce moment n'eft point a Paris, la lettre dont V. M. 1'a honoré, & je ne doute point qu'il n'ait 1'honneur d'en faire inceffamment lui-même fes très-humbles remercimens a V. M. II eft digne de fes bontés & de fon efiime par fes connoiffances, fon caraétére, fon ardeur pour s'inftruire, & fon application a fon métier, qui ne fouffre point de fes autres études; & il n'eft que trop vrai, par malheur pour notre nation, qu'on ne peut aujourd'hui doiiner le même éloge qu'a un trés-petit nombre defes femblables. La plupart de nos courtifans. fopt même plus qu'indifférens aux lettres; ils en font les ennemis déclarés, paree qu'ils fentent au fond deleur coeur que les hommes éclairés les méprifenr & il faut avouer que les hommes éclairés ont grand tort G 6.  15# CORRESP-ONDANCE. cet égard. Nous vivons encore un peu de notre aneienne réputation littéraire "j. mais cette vie précaire ne durera pas long-temps, & nous.finironspar étre a tous égards la fable de 1'Europe ; c'eft dom,mage, car nous étions- faits pour être aimables. V. M. ne veut donc pas encore donner a la for» bonne, ou lui procurer au moins par 1'entremifa de Muftapha la petke mortification de voir rebatir ce temple qu'eile feroit un peu embarraffée de retrouver debout? Je me foumets a tour pour laplus grande gloire de notre fainte religion, qui eft pourtant plus-intolérante & plus perfécutrice que jamais. Dieu-merci, je ne verrai pas encore long-temps ces maux; des infomnies presque continuelles m'ar.r ncncent une difpofition inftammatoire qui fe terminera vraifemblablement par me faire prendre corw gé de ce meilleur des mondes pofiibles. Je me confolerai fans peine, fi" le fatum, daigne ajouter aux jours précieux de V. M. ce qu'il parott vour loir retrancher aux jours très-inutiles du piusüncè.re, du plus reconnoifTant, ck du plus dévoué de fes admirateurs. C'eft avec ces fentimens & avecle plus piofond refpeci que je ferai.toute ma vie &c A- Paris , ce 20 Novembre 177» Sire,, Pénitré, comme je le £uis», de& fëntimfini auiE  CORRESP O ND ANGE. t^r tendres que refpeclueux que V. M. me coanoftdepuis long-temps pour fa.perfonne, je la prie dems permettre de eommencer Ia lettre que j'ai 1'honneur de lui genre, a pen prés comme Démcfthène coramence fa harangue pour la couronne. prie a"a* berd tous les Dieux & toutes les DéeJJes de conferver dans 1'année oü. nous entrons ? comme ils ons fait dans les- précédentes,un prince fi précieux aux lettres, a. la philofophie, ck a.moi chétif perforunage en particulier. Je prie encore ces mêmes Dieux, s'il eft vrai que le cotur des rois foit entre leurs mainsy de vouloir bien conferver ce grand Lt digne prince dans- les fentimens de bonté dont il m'a honoré jusqu'ici, dont je me flatte de n'ètrepas tont a fait indigne, par la vivacité de ma raeonnoiffanee, de mou. dévouement ék.de mon adv miration pour lui-. Cette admiration, Sire, augraenteroit; s'rl eff pofiible, par la leéUire, que j'ai faite de Ia lettre charmante que V-. M. vient d'écrire a> M. de Voltaire. Comme il. fait toute mon amitié pour lu-y & tout ce que je lens pour V. M., ij n'a pas erafaire une indifcrétion de- m'envoyer copie da cette lettre, dont je lui ai bien promis de ne donnés da mon cóté copie a-perfonne, mais que je voudrorj. faire lire a tous les gens de lettres,, pour les péné-trer.dss fentimens qu'ils vous doivent* Keftimeqmi vous marquez pour leur chef mérite toute recomnoiöince., & la. maciare dont vous exprimez eatts. aftima' eft gleine.-. de cetie. grace &. da. ce charme;  15* CORRES PO ND ANCE. que toutes les lettres de 'V. M. refpirent. L'article des Turcs battus, queiqtïils n'ayent pêint de philofophes, eft furtout charmant, ainfi que l'article de la lyre de laHenriade,d''Amphiov. ,& du poiffon put le porta, & ce que V. M. ajoute, que c'efl tant pis pour les ..... s ils n^aiment pas les grands hom. mes, eft digne de faire proverbe parmi les gens de lettres. Pour moi, ce fera déformais le refrain de tous mes difcours, en voyant les lettres opprimées & perfécutées comme elles le font. II faut que ces pauvres ignatiens foient bien malades , puisqu'ils ont recours a un médecin tel que V. M , qui en effet n'a guères de remèdes efficaces a leur offrir. Je doute qu'ils foient contens de la réponfe de V. M., qu'ils lui faflént 1'honneur de raffilier a leur ordre, comme ils font fait a notre grand Louis XIV, qui auroit bien pu fe paffer de eet honneur, & au pauvre miférable Roi Jaques II, qui étoit plus fait pour être frére jéfuite, que pour étre Roi. Quoi qu'il en foit, je ne penfe pas que leRoi d'Efpagne, qui follieite vivement la deflrucétion de cette vermine, foit fort édifié de 1'ambasfade qu'eile a envoyée a V. M. pour fe mettre fous fa protection fpéciale. Je ne doute point que quand il faura cette nouvelleintrigue jéfuitique, qui leur a valu de la part de V. M. un fi excellent perfiflage, il ne redouble fes efforts auprès du St pére pour leur deftruction, & pour notre délivrance. Je fais qu'après 1'anéantisfement de cet ordre, la philofophie- & les lettres n'en feront guères- mieux  CORRESPONDANCE. i# dans Ia plus grande partie de 1'Europe; mais enfin ce fera un nid de chenilles de moins, & de chenilles tres - pullulantes & três-dangerei'fes. Le jugement que V. M. porte du poëine de M. Helvétius, dans fa lettre a M. de Voltaire, eft, comme tous fes autres jugemens, tres-jufte, dans les deux fens de juftice & de jufleffe. Je fuis perfuadé, ainfi que V. M., que 1'auteur auroit retouché ce poëme avant de le publier, s'il etit affez vécu pour faire ce préfent aux lettres. Mais V. M. n'a-t-elle pas été charmée de la préface qu'on a mife a la tête de cet ouvrage, & qui me paroit pleine de goüt, de philofophie, de fenfibilité, & très-bien écrite? Nos prêtres n'en font pas contens, & c'eft pour cette préface un éloge de plus. V. M. ne veut donc plus de correfpondant littéraire. J'avoue que notre littérature efl un peu e» décadence; .nous avous beaucoup de chardons, quelques fleurs bien paffagêres, & peu de fruits; cependant ce qui doit nous confoler, c'eft qu'il me femble que les autres peuplesne font pas mieux que nous, & que fi nous fommes déchus, nous tenons encore au moins la place la plus diftinguée. J'ai peur quejious ne confervions pas même long-temps cet avantage, & que les autres nations dont nos écrivains ont contribué a former le goüt, & a augmenter les lumières, ne nous battent bientót, comme un enfant fait fa nourrice, quand elle n'a plus de iait a lui donner. Je gémis dans Ie filence fur le fort qui menace notre littérature; & ma feule  jtfa CORRESPONDANCE. eonfolation eft de favoir qu'il y a encore dans iö nord un héros philofophe qui connoit le prix des lumières, qui aime & protégé les lettres, & qui fèrt tout a la fois de chef & d'exemple a ceux qui les cultivent. Je fuis avec le plus profond refpect &c ' \. \ 9h il- »$»v.\ ' & Baris, ce i Janvier 17.73. Si h. ep. Les nonvelles publiques ont tant parlë depuis* deux mois des grandes occupations de V. M., que j'ai refpefté ces occupations, ér craint d'importu* ner V. M. par mes bavarderies phifofophiques oa üttéraites. Ce n'eft pas que je n'aye été fort occu* pé du grand prince, qui après avoir été fi longtemps le héros du nord, femble en être devenu au* jourd'hui 1'arbitre, fans ceffer d'en être le héros:. Mais,Sire,quelque intérêt que je premie a Ia gloire de V. M., je défirerore fort, pour fon repos cc fa confervation, qu'eile-ne fut plus que 1'arbitre dé fes voifrns, & que les circonftances ne Ia forcas»fent pas a fe montrer encore une fois héros a la guerre. On nous menace fi fort de ce flëau, qi.gr •moi, qui Dieu-merci de courage me piqué comme te fbnriceau de la* Fonrame, fin fuispresque. mort de-frayeuj-, non gous. mol;., que. les coups de fufik  CO RRE S POND ANCE. i5t n'ont pas 1'air d'atteindre fitót, mais pour V. M., qui a maintenant beaucoup plus a craindre de la fatigue que de fes ennemis, fi elle peut en avoir Le philofophe Fontenelle, dans le temps des troubles du fyftême, alla un jour a Xaudience ou a Taudian. ce du Régent qui Faimoit, & lui dit: Permettczmoi, Monfeignear, de vous demander en toute bu~ milité, fi vous efpérez vous en tirer? Je ne ferai pas la mcme queftion a V. M., qui s'eft tirée d'affaires plus difficiles; je prehdrai feulement la liberté de lui dire, fi elle nous conferve la paix, Dieu vous béniffe! & fi elle eft forcée a la guerre, Dieu vous conferve ! Si je jugeois des occupations de V. M. par la lettre pleine de philofophie & de lumiêre qu'eile m'a fait 1'honneur de m'écrire, je croirois qu'eile n'eft livrée qu'a la littérature & aux beaux arts; on foupconneroit pas que les chofes dont elle parle fi bien & avec un détail fi profond, ne fuffent qu'un dtlaffement pour elle, & un délaffement de quelques inftans dérobés aux plus importantes affairesi 11 faut toujours finir par admirer V. M.; mais cette admiration fera pour moi un fentiment dóulotïreux, tam que je craindrai pour elle. Ayez pitié; Sire, de la philofophie & des lettres, qui crient a- V. M. comme David fait a fon Dieu dans fej pfeaumes ? ne mabandonnez pas, Seigneur, sar je ncfpère qu'cn vous. Cette pauvre philofophie a déja.eu- cet biwuns  162 CORRESPONDANCE. slarme affez chaude. Nous avons craint de perdre Je patrlarche de Ferney, qui a été férieufement malade, & pour la damnation duquel les ames pieufes faifoient déja les prières les plus touchantes. 11 efl: mieux, ck j'efpêre qu'il pourra encore, comme il le dit, donnar quelques fagom a la vigne du Seig. neur. La littérature & la nation feroient en lui une perte immenfe & irréparable, & d'autant plus cruelle dans les circonftances préfentes, que notre pauvre littérature' efl eri ce moment livrée plus que jamais aux ours & aux finges. V. M. n'a pas d'idée de la détefiable inquifition qu'on exerce fur tous les ouvrages, & des mutilations intolérabk-s qu'on fait effuyer a tous ceux qu'on croit capables de dire quelques vérités. II me femble que cette rigueur efl bien mal-adroite; car ceux qui par complaifance & pour avoir la paix, fe feroient chatres a moitié, voyant qu'on veut les chatrer tout a fait, prendront le parti de ne fe rien óter, & de fe livrer a Mare Michel Rey, ou a Gabriel Cramer, tels que Dieu les a faits, & avec toute leur virilité. Je ne fais pas fi c'eft 1'ufage chez V. M. comme en France, de livrer les chats aux chaudronniers pour la caftration; on traite ici les gens de lettres comme les chats; on les livre pour étre mutilés, aux chaudronniers de la littérature. Malgré le peu de cas que V. M.'fait de la géométrie, je me concentrerois dans cette étude, fi ma pauvre tête me le permettoit; le calcul intégral & la préceffion des équinoxes n'ont rien a craindre  CORRESPONDANCE. itenir la vérité captive, doit une belle chandelle a la providence' tfavoir dans le héros de ce fièele un foutien tel que vous, & de pouvoir s'exprimer fi fortemenc, fi übrement, & fi noblement a 1'omtore de votre tróne & de vos armes. ■ Elle n'a pas moins d'obligation a V. Mi de f afiuranee qu'eile veut bien lui.  C O RRESPOND ANCE. lés donner, que le nord, & par conféquent 1'Europe, refteront en paix, Elle craindroit moins la guerre, Sire, fi elle ne devoit fe faire qu'entre des druides; la philofophie refpireroit tandis qu'ils s'égorgeroient; mais les druides , entr'autres tourt qu'ils ont joués au genre humain, ont trouvé le fecret de fe faire difpenfer de fe battre; & ils lonten effet fi précieux a 1'efpêce humaiue, qu'on ne fauroit trop les corferver. Quoi qu'il en foit, Sire, c'eft du moins une confolation pour la philofophie de favoir que les pauvres peuples fe contenteront d'ètre trompés, comme a 1'ordinaire, par les druides, ck qu'ils feront trève pour s'égorger. Que Dieu èk Fréderic les maintiennent en de fi bonnes dlfpofitions! Je n'aurai donc, Sire, grices a Dieu ék avous, aucune idéé trifte qui me trouble dans Ia confectie» de 1'hiftoire de 1'acadJmie francoife; je me fersdu mot confeftion, paree que je regarde ce'.te hiftoire comme une efpêce de pilule que le fecrétaire eft obligé de.faire ck d'avaler. Je tacherai néaumoins, comme de raifon, de Ia dorer Ie mieux qu'il me fera poftible, & pour moi-même, & pour ceux qui voudro'nt en goüter après moi; ck je ferai comme Simonïde, qui n'ayant rien a dire de je ne fais quel athlète, fe jeta fur les louanges de Caftor ck de Pollux. V. M. a bien raifon fur notre littérature; Voltaire en. foutient encore 1'honneur, quoique foiblement; mais il lajfle bien loin derrière lui tous  166 CORRESPONDJNCE. ceux qui veulen: le fuivre. 11 eft vrai, comme V. M. le remarque, que c'eft principalement aux circonftances qu'il faut s'en prendre. Nous fommes raffiifiés de chef - d'ceuvres ; il devient plus difficile d'en produire de nouveaux; & d'ailleurs 1'inquifition littéraire, qui eft plus atroce que jamais, tient tous les efprits a la gêne. V. M n'a pas d'idée du déchainement général des hypocrites & des fanatiques contre la malheureufe philofophie. Comme ils voient que leur maifon brüle de toutes parts, ils en jettent les poutres enflammées fur les pifTans. Toute la baffe littérature eft a leurs ordres, & crie fans ceffe, religion, dans les brochures, dans les dictionnaires, dans les fennons. La plupart font des hommes décriés pour leurs mceurs , & quelques uns des voleurs de grand chemin; mais n'iinporte, notre mère iainte Eglife emploie ce qu'eile peut pour fa défenfe; & en voyant èn bataille cette arméede cartouchiens com-manJée par des prêtres, la philofophie peut bien ■dire a Dieu avec Joad : Voila donc quehvengeurss armentpour ta querelk. Ce malheur, Sire, ne fera pas grand, tant qu'il plaira a 1'être fuprême, qui a jusqu'ici conftrvé la philofophie au milieu de tant de brigands, deconferver V. M., dont le nom, la gloire, les argumens, les vers, font fi néceffaires a la bonne caufe. Je ne fais fi les commis des bureaux ouvrent les lettres: j'ai peine a croire qu'on exerce nulle  CORRE SP O ND ANCE. 167 part cette tyrannie contre la foi publique; mais fuppofé qu'ils ayent pris copie des deux épitresde V. M., & qu'ils en faiTent part au grand aumónier, je doute que ce difcret F/amen les falie courir a Verfailles panni les dévotes de Ia cour. Quant a moi, 'Sire, je n'en ferai part qu'a quelquesélus, qui diront en les lifant: Vive notre chef, notre , proteéteur & notre modèle! Je porte d'avance aux pieds de V. M. tous les vceux qu'ils feront pour fa précieufe confervation , & j'y joindrai tous les miens avec la tendre vénération que vos bontés ont n.'ife depuis fi longtemps dans mon cceur. C'eft avec ce fentiment que je ferai toute ma vie &c. A Paris, ce 14 Mai j~72. Sire, M r de Guibert, Colonel commandant de Ia légion corfe, qüi aura 1'honneur de préfenter cette lettre 9 V. M., efl 1'auteur de VE/ai de Taclique que j'ai pris la liberté, moi philofophe indigne, d'envoyer de fa part 1'année derniêre a 1'illaflre fondateur de la taclique moderne, & que ce grand maftre m'a paru honorer de fon fuffrage. L'auteur , après avoir mis cette production militaire aux pieds du héros de notre fiècle, a défiré,Sire, de venif mettre fi perfonne même aux pieds du  it53 CORRESPO NDANCE. plus grand prince de 1'Europe, d'ètre le fpectateur des qualités fublimes de Fréderic le grand, & de pouvoir dire, je ral vu. J'ofe aifurer V. M. que M. de Guibert eft bien digne a tous égards de lui rendre hommage, par la profonde vénération dont il eft pénétré pour elle, par 1'étendue & ia variété de fes connoiffances, par le défir qu'il a de les éclairer des lumières fupérieures de V. M,, enfin par les vertus que V. M. préfère au génie même, par la candeur & 1'honnêteté de-fon caractère, la fimplicité de fes moeurs, & la nobleffe defoname. Quoiqu'il faffe, comme il le doit, de 1'étude de fon métier fa principale & fa plus chère occupation, il a fu donner aux lettres & a la philofophie , & avec le plus grand fuccès, tous les momensque cette étude a pu lui laiffer: il vient chercher dans votre perfonne le modèle & 1'arbitre de tous les talens que la nature partage ordinairement entre plufieurs grands hommes, & il mérite, Sire,d'admirer également en vous le général &l'écrivain, le monarque & le philofophe. Après avoir pris V. M. pour juge de fes effais miiitaires, il oferoit auffi, s'il ne craignoit de lui dérober des inftans précieux, lui foumettre fes effais dans un genre bien différent, mais oü les lecons de V. M ne lui feroient pas moins utiles. 11 a fait une tragédie dont le fujet eft & Connétable de Bourbon, & dont il feroit trés • flatttf que 1'auteur du Podme de la Guerre vötflüt bien entendre la .lecture. 11 n'appartient pas , Sire , a un humble & timide gé-  CORRESPOND ANCE. i6> -géomètre de prévenir Ie jugement que V. M. po*, tera de cette tragédie. Mais j'avoue que je me ferois bien mépris fur le plaifir qu'eile m'a fait, fi les fentimens de grandeur & de vertu dont elle eft. remplie, ne méritoient pas a M. de Guibert votre, eftime & vos bontés. Une des marqués les plus flatteufe, Sire, que V. M. put lui en donner, ce feroit de lui permettre d'ètre témoin de ces manoeuvres favantes qui rendent les Pruffiens fi cél&> bres & fi formidables. j'ai lu, je ne fais oü, qu'un officier de 1'armée de Darius, quelques années après la bataille d'Arbelles , fe rendit a la cour d'Alexandre, qu'il demanda a ce grand prince a Voir raanceuvrer ces troupes macédoniennes qui avoient fait repentir fon maitre d'avoir attaqué le leur; que le vainqueur d'Arbelles fit a 1'officier de Darius la réponfe qu'Alexandre le grand devoit lui faire, venez £? voyez; & que 1'officier, après avoir admiré cette belle & grande machine, dit en prenant congé du prince: /ai vu les roues & les refforts; mais F art de les faire mouvoir eft un fecret dont le génie feul a la clef; je ne trouverai qu'ici celui a qui kt nature a donné ce fecret; & malheureufement pour le Roi de Perfe mon maitre il ne fauroit favoir pour général. je ne dois pas oublier, Sire, de prévenir V. M. que M. de Guibert, en venant auprès d'elle admirer & s'infiruire, défire furtout d'effacer jusqu'aux plus légères traces du reproche qu'una phrafe de fon livre a mérité de votre part. H 0in: Pc/?A. dt Fr. II. T. XIV. J{  ,7o CORRES POND ANCE. rend juftice, avec toute 1'Europe, a la valeur fi généralement reconnue des troupes prufïïennes, & feroit d'autant plus honteux de penfer autremerit, qu'il fe verroit feul de fon avis. Cependant il ofeta dire a V. M , düt-il courirle risque d'ètre contredit par elle, qu'il croit que les fuccès de ees braves troupes font encore moins düs a leur courage, qu'a la fupériorité des talens qui font dïrigéï il ofera même ajouter, peut-être encore au risque de vous déplaire, qu'il eft perfuadé de nos pauvres Welches, tout pauvres Welches qu'ils fe font montrés a Rosbach , auroient été vainqueurs, s'ils avoient feulement changé de général avec les Pruffiens. La géométrie, Sire, qui ne fe connoit pas en manoeuvres de guerre, mais qui fe connoit en calcul, prendroit la liberté de parier lei pour M. de Guibert; & après avoir gagné le pari, comme "elle ofe s'en flatter, elle répèteroit aux Welches le mot de Louis XIV au Duc de Vendóme, vainqueur a Villa-viciofa; II n'y avoit pourtant qu'un bomme deplus. Je fuis &c. A Paris, ce 17 Mai I77S. Sire, ]VL de Guibert eft pénétré de reconnoiffance de la bonté avec laquelle V. M. a bien voulu le recevoir. Cette bonté, Sire, augmeuteroit en-  CORRESPONDANCE. 1?t core, sll eft poffible, les fentimens dont i! eft depuis fi long-temps rempli pour votre perfonne, & couronne a fes yeux les vertus & las talens qu'il admire en vous. Je partage bien vivement la re. connoiffance de M. de Guibert, quelque perfuadrf que je fois que depuis que V. M. 1'a vu, il n'a plus befoin auprès d'elle d'autre recofnmandation que de lui-même. Cependant il s'en faut bien, Sire, & cela même ajoute encore a fon mérite, qu'il foit auffi fatisfait de lui que V. M. me paroit 1'étre. QtMiqua ce héros, m'écrit-il, m'ait /& moigné une bonté bien propre a me rajfurer, je n'ai pu me défendre en le voyant d'un trouble qui ne me permettoit pas de répondre , comme je Paurois déftré, aux queftions qu'il vouloit bien me faire; une efpêce de nuage magique Penvironnoit a mes yeux; c'eft je crois, ce qu'on appelie Pauréole autour de Mefftcurs les faints, & la gloire autour d'un grand homme. Je fuis perfuadé, Sire, que V. M. en revoyant M. de Guibert, fe confirmer» dans la bonne opinion qu'eile en a prife, & que j'étois bien für qu'eile en auroit. Je défire avec impatience de favoir le jugement que V. M. aura porté de fa tragédie, & j'av0ue que je ferois' biert trompé fi elle n'entend cet ouvrage avec plaifir, & avec eftime pour 1'auteur; mais ce que j'at' tends, Sire, avec plus d'impatience encore, ce font les nouvelles qu'il me dira de Ia fauté de V. M„ qui me paroit s'affermir par I'augmentation de* fes fuccès & de fa gloire. Je ne doute point qu'. H 2  !72 CORRESPONDANCE. elle ne mette bientót le comble a cette gloire immortelle, en donnant a la Ruffie, a laPologne, aux Turcs même, tout Turcs qu'üs font, la paix. dont ils ont tous fi grand befoin, & qu'il n'a pas tenu a elle de leur donner plutót,• & que V. M. ne joigne au titre de héros qu'eile a mérité depuis fi longtemps, celui de pacificateur, qu'eile obtieadra encore malgré les efforts que 1'envie pourra faire pour 1'empêcher. La gaieté de la dernière lettre que V. M. m'a fait 1'honneur de m'écrire, eft pour moi un garant précieux de la fanté dont elle jouit, & qui m'eft. fi chère ainfi qu'a tant d'autres. Quand je me fens tenté de bouder contre la nature de ce qu'eile ma donné un fi trifte & fi frêle individu, je lui par-, donne en penfant qu'eile conferve V. M., & je me dis tout bas a moi-même; tais tot, & ne te plains pas; car le grand homme fe porte bien. Puiffiez-vous, Sire, faire encore long-temps des vers tels que ceux que vous avez eu la bonté de m'envoyer, duffent les curieux impertinens qui ont mis V. M. de mauvaife humeur, les trouver affez bons pour vouloir en prendre des copies. Quoique ces curieux impertinens reffemblent a M. van-Haaren, & qu'ils puiff^nt fe vanter comme lui de n'avoir point d'imagination , je ne les eu crois pourtant pas affez dépourvus pour ne pas fentir celle. qui a diflé vos vers. V. M. ne fera jamais dans le cas de donner a fes vers le même éloge que ce poé'te très-hollandois donnoit aux  CO RRES P O ND siNCE. 17J flens, ni de dire d'aucun de fes ouvrages ce qu'ua certain Hardion, plat inftituteur de princefTes trés» refpeflables, difoit en parlant de je ne fais quel mauvais livre qu'il venoit de faire: i/n'y apoint tfefprit la-dedans; le pauvre homme difoit bien plus vrai qu'il ne penfoit; & on auroit été tenté de lui répondre, oh le voit bien, fi on n'avoit craint qu'a force d'efprit, il ne prlt encore cette réponfe pour un compliment. Je.ne fais oü cette lettre trouvera V. M., je défire cependant qu'eile lui parvienne avant le retour de M. Guibert, afin que V. M. adouciffe, s'il lui eft poffible, le nouveau trouble qu'il ne pourra s'empêcher d'éprouver en revoyant Paw réole. Je lui envie bien, Sire, le bonheur qu'if aura de la révoir, duffé-je en ia revoyant moimême éprouver le même trouble que lui. II eft vrai que le trouble feroit bien tempéré en moi par un fentiment plus doux, & bien fait pour coinmander a ce trouble par celui de la vive reconnoiffance, & de la tendre vénération dont je fui» pénétré pour V. M. C'eft avec ces fentimens que je ferai jusqu'a la fin de ma vie &c. A I>aris, ce $0 JuiHet ij7i. H 3  V4 CO RRESPOND/iNCE. Suf., Je ne crains point d'abufer des bontés .dont V, M. m'honore, en prenant la liberté de les tui demander quelquefois pour des perfonnes dignes de la voir & de 1'entendre, De ce nombre eft M. le Comte de Crillon, Colouel au fervice de France, «ui aura 1'honneur de préfenter cette lettre. a V. M. L'adiniration & le refpect dont il eft pénétré pour ks grands hommes, & le prix qu'il fait mettre au. bonheur de les approcher, lui fait défirer de rendre aFréderic le grand fonrefpeétueux hommage, non pour fatisfaire une vaine curiofité,mai9 pour vous écouter & s'inftruire, & pour puifer des lumiêres a cette mème fource oü toute 1'Europe vient s'éclairer. Le beau nom qu'il porte, Sire, nom fi cher a toutes les ames nobles & hon» nêtes, feroit déja fans doute une recommandatioti fuffifante auprès du héros dont il efpère les bontés. Mais a ce titre eftimable, M. le Comte de Crillon en joint d'autres qui lui font perfonnels, & pltif faits encore pour toucher un monarque philofophe, des connoiflances peu communes afon age, 1'amour le plus vif pour les fciences, pour les lettres & pour 1'étude, un mépris profond de toutes les frivolités qui occupent & dégradent fi fort la plus grande partie de la noblefle francoife, une •ounêteté de caractère & une fimpliclté de meeuw  CORRESPONBANCE. 175 donc fes pareils ne lui offrent guères 1'exeraple, enfin Ia candeur & la vertu mêmes, jolntes a un efprit jufte, fage & cultivé. Tel eft, Sire, M. le Comte de Crillon; & je ne doute pas que s'il obtient de vous le bonheur qu'il en attend, celui de vous faire fa cour pendant fon féjour dans vos Etats, il ne juftifie tout ce que j'ai 1'honneur de vous dire de lui. V. M. le trouvera digne de fes illuflres ancétres, & deftiné a marcher fur leurs traces; fi Henri IV donnoit a 1'un d'eux le nom de brave Crillon, qui eft devenu comme fon nom propre, j'efpêre que V. M., quand eile auraconnu celui que j'ai 1'honneur de lui préfenter, 1'ap^ pellera le fage £5? vertueux Crillon; ce nom,Sire, en vaudra bien un autre, furtout s'il lui eft donnè par vous. M. le Comte de Crillon oferoit peut - être offrir encore a V. M. d'autres titres, pris dans fa propre maifon, oü les actions de courage & de vertu font héréditaires. C'étoit M. le Duc de Crillon fon père qui commandoit au pont de Weiffenfels dix fept compagnies de grenadiers francois, dont la bravoure mérita les éloges de V. M. Mais M. Ie Duc de Crillon mérlralui-mêmeperfonnellement dans cette circonftance, par une aition digne de fes aïeux, la reconnoiffance de tous ceux qui s'intéreffent a la confervation des grands hommes, li avoit placé dans nne petite ile deux officiers qui obfervoient votre armée, lorsqu'on brüloitlepont. Un des deux vint dire a M. le Duc de Crillon t H 4  176 CORRESP OND ANCE. qui leur avoit recommandé de fe tenir cachés.que s'il Ie vouloit, ils tueroient un général qu'ils jugeoient être le Roi de Pruffe, par le refpect que les officiers lui témoignoient. M. le Duc de Crillon le leur défendit; il ne favoitpas, Sire, en ce moment qu'il préparoit a fon fils 1'honneur qu'il efpère, de voir le plus grand Roi de 1'Europe, & peut -être le bonheur d'en recevoir un accueil favorable. M. de Guibert, pénétré d'admiration de tout ce que vous lui avez permis de voir, & furtout de, ce qu'il a vu dans V. M., m'écrit qu'il confervera toute fa vie la plus vive reconnoiffance de la bonté avec laquelle vous avez daigné le recevoir, &des graces fignalées que vous avez bien voulu lui accorder. M. le Comte de Crillon ofe fe flatter, Sire, d'obtenir de V. M. les mêmes graces; après avoir admiré le digne chef des troupes pruffiennes, il défire ardemment de voir & d'admirer auffi ces troupes fi célèbres; qui doivent a V. M. ce qu'elles font,& qui fous vos ordres ont acquisune gloire immortelle. J'ofe demander pour lui cette grace a V. M., comme j'ai pris la liberté de la lui demander pour M. de Guibert, & je lui réponds de la même reconnoiffance. Mais, Sire, ce qui me touche encore davantage, c'eft qu'a leur retour M. de Guibert & M. le Comte de Crillon m'apprennent des nouvelles de V. M., telles que je les attends & les efpère. Ces nouvelles fatisferonr le tendre & profond intérêt que je  C0RRESP0ND/1NCE. i7j prends a votre confervation, a votre bonheur & a votre gloire; elles confoleront & eucourageront la philofophie, qui dans toutes fes traverfes a plus befoin de V. M. que jamais, & dont vous ètes par vos dcrits & par vos iumières le chef, lefoutien, & le modèle. Je fuis avec le plus profond refpect. &c. A Paris, ce 27 Sep:embre 177;. S I R E, J'ai eu 1'honneur d'écrire a V. M. il y a plus dé deux mois une lettre que j'efpérois qu'eile recevroit beaucoup plutót. M. le Comte de Crillon^ jeune officier francois plein de mérite, en eft le porteur. II fe flattoit d'avoir 1'honneur de la pré-fenter a V. M. dans le mois d'Öctobre; mais des>' circonftances imprévues l'ont obligé, Sire, de re^ tard er fon arrivée a Berlin. Je compte qu'il ne tardera pas a. y arriver, & je prends la liberté de' demander d'avance a V. M fes bontés pour ce' jeune homme, qui en eft digne par lé nom qu'il' porte, par fes talens & par fes vertus.- Le retard imprévu de 1'arrivée de cette lettre' a< éti caufe, Sire, du filence que j'ai gardé depuis quelques mois a.l'égard de V. M,, ne voulant'pas* UimBortuner trop fouvent au milieu dés? grandes5;»  l78 CORRES POND ANCE. & même des petites affaires qui 1'occupent. Je mets au nombre de ces demières le petit tour que V. M. joue au cordelier Ganganelli, en recevant fes gardes prétoriennes jéfuitiques qu'il a eulamal. adreffe de licencier. Je ne fais fi ce petit tour n'excitera pas une querelle dans le paradis, & je crains que Francois d'Affife & Ignace de Loyola ne s'y battent a coups de poing comme les héros du Roman comique; ce qae je fouhaite plus férieufement, Sire, c'eft que V. M. ou fes fucceffeurs ne le repentent jamais de 1'afile que vous donnez a ces intrigans , qu'ils vous foient a 1'avenir plus fidelles qu'ils ne font été dans la dernière guerre de Siléfie, comme V. M. m'a fait 1'honneur de me le dire a moi-même, & qu'ils effacent par leur conduite fage & honnête le nom de vermine malfaifante dont V. M. les gratifioit il y a quatre ou cinq ans dans une des lettres qu'eile m'a fait 1'honneur de m'écrire. Je ferois curieux de demander & préfent aux jéfuites ce qu'ils penfent de la philofophie & de la tolérance, contre laquelle ils fe font tant déchalnés. Oü en feroient-ils dans leur agonie , s'il n'y avoit en Europe un Roi philofophe & tolérant? J'ai beaucoup ri de 1'excellente lettre de V. M. a 1'abbé Colombini, entr'autres de Ia juftice qu'eile rend aux bons pêres, en affurant qu'eile ne connoit point de meilleurs prêtres d fous égards. Cela me fait fouveuir d'un certain philofophe, très-incrédule de fon métier, en préfence claque! on tournoit eu ridicule je ne fais quelle  CORRES POND ANCE. i79 preuve de ce que Voltaire appelle ***. Vous êtes bien difficile, répondit le philofophe \pourmoi je ne connois pas de meiïïeure preuve que celle - la. Je n'ai pas moins ri de ce que V. M. ajoute, que comme elle eft dans la claffe des hérêtiques, le St père ne peut pas la dippenfer de tenir fa parole f mais tout en riant je ne dois pas diffimuler a V. M. que Ia philofophie a été un moment alarmée de la voir conferver cette graiue. Heureufement elle s'eft rafiurée bientót, en confidérant que la vipère eft aétuellement fans tête, que 1'apothicaire? Ganganelli a pris lui-même la peine de Ia couper, & qu'au moyen de cette amputation, le refte du corps pourra fournir d'excellent bouillon médicinal que V. M. efpère fans doute en tirer. Ainli foit-ill J'ai fait paffér a M. le Marquis de Puyfégur» qui en ce moment n'eft point a Paris, ce que V» M. m'a chargé de lui dire de fa part. Je ne fais ce qu'il peut répondre a l'objeclion trés -folide que V. M. lui fait fur la prétendue dilférence des fol» dats anciens & des nótres. Pour moi, juge trésindigne de ces matières, je penfe que les foldats même du cordelier deviendroient les foldats de Paul-Emile, s'ils avoient un Fréderic a leur tête, & que la fuperftition pour 1'antiquité n'a pas plus de raifon de Ia croire fupérieure aux modernes ea force de corps, qu'en talens & en génie, M. de Guibert eft revenu combié de recoroBoiüance de toutes les bontés dont V. M» 1'a ho» H &  jïo CORRES POND ANCE. noré. II ne parle qu'avec admiration de fa perfonne & de ce qu'il a vu; il n'a qu'un regret, maïs ce regret eft tres - grand, c'eft de n'avoir pu proper des confeils que V. M. auroit pu lui donner fur fa tragédie; car il attendoit bien plus de confeils de V. M. que des éloges. 11 a vu en revenant le patriarche de Ferney, qui rit beaucoup ainfi que moi aux dépens du Pape, du petit embarras que V. M. lui caufe. Car il doit, en honnête Pape qu'il eft, excommunier les jéfuites s'ils vous obéiffent; & s'il les excommunie, la philofophie efpère voir beau jeu. V. M. fe fouvient peut-être d'une certaine bataille donnée an Paraguay par le Roi jéfuite Nicolas, dans laquelle le père Feld-Maréchal avoit eu trois capucinstués fous tor.. Je mande au philofophe de Ferney que V. M., en établilTant ce nouveau régiment dans fes Etats, ne peut guères fe difpenfer de faire une recrue de capucïns pour remonter cette troupe. J'invite feulement V. M. a retrancher a fes nouveaux foldats les carabines dont on prétend que te Roi de Portugal s'eft mal trouvé. Quoi qu'il en foit, Sire, comme il n'e.ft pas a craindre que V. M. prenne jamais un jéfuite ni pour confeffeur , nl pour général , ni pour premier miniftre, ni pour maitreffe , je penfe que la philofophie doit être bien tranquille tbr 1'ufage que V. M. en veut faire, & qu'eile faura les rendre ntfles, en les empêchant d'ètre dangereux. Tel efl: Ie réftiltat de mes réüexions, après m?ètre égayé.  CORRESPONDJNCE. i8ï un moment fur leur compte & fur celui du cordon de St Francois qui les frappe & qui les difperfe. Mais, Sire, ce qui eft vraiment admirable, vraiment précieux a la philofophie, vraiment digne de V. M., c'eft la belle infcription qu'eile vient de faire mettre a 1'églife catholique de Berlin, & que je n'ai apprife que depuis quelques jours. Fréderic, qui ne hait pas ceux qui fervent Dieu autrement que lui. Voila, Sire, une des plus grandes & des plus utiles lecous que V. M. ait données a fes confrères les rois, tant fes contemporains que fes fuccefteurs. Voila une lecon? dont furement ils profiteront un jour, foit parprincipe de juftice, foit par principe au moins de vanité, & pour reffembler en quelque chofe au héros de ce fiéele. Voila une infcription qui mérite bien d'ètre célëbrée par une médaille, dont V. M. imagkiera mieux que perfonne le corps & Ia devife. ' Je prie V. M>. de vouloir bien recevoir. mrs trés - humbles complhnens fur la naiflance du Prince dont votre augufte maifon vient d'ètre augmentée. Tout ce qui peut Ia perpétuer & 1'étendre eft pour moi 1'objet du plus vif intérét. & j'ofe croire que V. M. en eft bien perfuadée. • Un des plus eftimables membres de votre académie, M. Bitaubé , vient de m'envoyer le poëma de Guillaume dont il eft 1'auteur. Cet ouvrage m'a. paru intérefl'ant, & Ia lecture m'en a fait plaiÊr. L'auteur défireroit de Ie rendre plus parfait 3. Hf  tfa CORRESPONDANCE. une feconde édition, & m'a fait part du défirqu'ii a témoigné a V. M. de faire un voyage en France pour être a portée d'améliorer fon ouvrage par les confeils de nos principaux gens de lettres. Je crois en effet, Sire, que cet ouvrage y pourroit gagner beaucoup; mais ce qui peut-être y gagne. roit encore davantage , c'eft la nouvelle édition que l'auteur a entreprife de fatraduétion del'Iliade. U défire d'autant plus de donner a cet ouvrage toute la perfeftlon dont il fe fent capable, que 1'ouvrage eft dédié a V. M., & qu'il aeu le bonheur de lui plaire. C'eft une entreprife fi difficile, qu'il n'ofe s'en fier a fes feules forces; en voulant donner une traduétion plus fidelle, il craint de gater un ouvrage qui a eu du fuccès; & pour éviter cet écueil, il croit avoir befoin de confulter les vrais juges de la langue. Tels font, Sire, les motifs qui lui font défirer ce voyage, quoiqu'il n'aime rien moins qu'une vie errante, & il ofe fe fiatter que V. M. voudra bien fe rendre k ce» raifons. Puiffe la deftinée, qui veille fur les grands hommes, conferver V. M. dans 1'année oü nous allons entfer, & dans celles qui la fuivront! PuilTet-elle, en pacifiant le nord, mettre le comble a fes fuccès & a fa gloire! Ce font les vceux de celui qui fera toujours avec la plus vive reconnoiCfanee & la plus tendre véuératiou &c- A Paris, ce 10 Décembre I77S-  CORRESPONDANCE. 183 Sire, Je refTemble an maitre de philofophie dn Bourgeois gentilhomme de Molière; fai lu, comme ce grand philofophe, le dotïe traité que Sénèque a fait de la colère, & je conviens avec V. M., au fujet des jéfuites dont elle fe fait le général, que s'il n'y avoit point de coupables, il n'y auroit point de clémence. On affure d'ailleurs que les jéfuites de Pologne ont réparé par leur fidéüté pour V. M. le tort déja un peu vieux des jéfuites de Siléfie; & V. M. ne fauroit mieux faire que de reffembler a Dieu, qui né veut pas, dit-on, Ia mort du pécheur, furtout quand il fe fauve par la contrition parfaite. Je les crois en effet bien contrits, c'eft a dire bien fachés; ■& d'autant plus fdchés, que V. M. ayant 1'honneur & Ie bonheur d'ètre hérétique, ils ne pourront, comme elle 1'obferve trèsbien, qu'étre utiles dans fes Etats, fans y être jamais dangereux, comme ils font été plus d'une fois chez quelques princes qui alloient & la melfe & a confeffe. Vous prétendez, Sire, que Diderot ne feit pa» aatant; je ne le nierai pas a V. M., mais s'il paffe par Berlin, je défire que V. M. lui permette d'approcher d'elle; j'ofe 1'affurer qu'eile jugerapius favorablement de fa perfonne que de fes ouvrages, & qu'eile lui trouvera, avec beaucoup de fécon»  ,|+ CORRESPOiVDAlVCE. condité, d'imagination & dc connoiCaace, une cfutleur douce & beiucoup d'arnériué. Je conviens avec V. M. qu'il y a dans 1'ouvrage de M. Helvétius blcn d« opinions faulTes & hafardées, Wen des rciit.es & des longueurs; que ce font plutót des matériaux qu'un ouvrage, & que ces matériaux ne doivent pas étre tous employés a beaucoup prés. Mais il y a, ce me femble,quelques vérités utiles & bien rendues, & 1'ouvrage turoit d'ailleurs quelque prix a mes yeux, ne fütee que par la juftice qu'il reud a V. M. Notre fiècle, j'en conviens encore avec V. M. ne vaut pas le fiècle de Louis XIV pour le génie & pour le goüt; mais il me femble qu'il 1'emporte pour les lumières, pour 1'horreur de la fuperftition & du fanatisme, pour 1'amour des connoiflances utiles; 6c ce mérite, ce me femble, en vaut bien un autre. M. de Guibert, Sire, n'a point abjuré eutre les mains de Voltaire le métier dont il a puifé les lecons dans les ouvrages & les Etats de V. M.; ft efpère que V. M. lui permettra de venir encore 1'entendre & 1'admirer,. quand les circonftances Ie lui permettront,& recevoir fes confeilsfur une tragédie faite pour être jugée par des princes tels que vous. Je fuis perfuadé de toutes les belles chofes que Diderot & Grimm écrivent fur la Sémiramis du nord, 11 me femble pourtant que ces Ruifes, qui commej'ai eü 1'honneur de le mander. il y a quelque temps  C ORRES PO ND ANC E. 185 a V. M , fe laiffent matiger a Spa par les chevaux, commencent a fe laiifer manger par les janiflaires. Si V. M. ne vient a leur fecours pour renvoyer les Turcs & les Ruffes chez eux, je crains qu'a la fir» il n'y ait plus ni RulTes ni Turcs,& ce feroit grand dommage. Je me fouviens qu'après la bataille de Zorndorf, oü V. M. avoit affommé 30,000 Rusfes, un grand Danois me difoit froidement: il n'y a pas de mal; il eft fi aifé d Dieu de re faire des Ru fes.' J'ai grand détïf de lire Ie dialogue dont V. M. me fait Thonneur ccuper avec plus de férieux qu'ils n'en font ordinairement capables. Je finis, Sire, en me reprochant les momens que je fais perdre a V. M., en lui fouhaitant la fanté, la paix, & le bonheur, car elle n'a plus de glo'ire a dénter; elle en a de toutes les fortes, & de quoi faire la renommée de plufieurs monarques. M de Catt rendra compte a V. M. de ce que fai fait a régard du fculpteur qui défire d'entrer a fon fervice. Je ne veux point eunuyer V. M. de ce détail. Je fuis avec le plus profond refpect &c. a Pa:is, ce 12 Septembre 1774- Sire, TVT Grimm, qui n'eft de retour ici que depuis iès-p'eu de jours, m'a remis de la part de V. M. un paquet contenant certain dialogue entre deux Dames qui chacune de leur cóté & a leur manière ont fait une fortune bien grande & bien inefpérée, toutes deux d'ailleurs auffi pucelles 1'une que 1'autre & même que la pucelle d'Orléans. Ce dialogue m'a beaucoup diverti, & me feroit défirer beaucoup de voir un autre dialogue en vers dont v M. me fait 1'honneur de me parler dans la lettre q;e je viens de recevoir de fa part. je ne doute pas que le grand Seigneur qu'on y fait parler, & la  CORRESPONDANCE. Xtf grande Reine (car elle avoit 1'honneur de 1'être) qui a 1'honneur encore plus grand de fe trouver dans certaine brillantegénéalogie, quoiqu'un peufufpecte, je ne doute point, dis je, que ces deux illuftres interlocuteurs ne confervent parfaitement leur perfonnage. J'aimerois bien mieux lire ce dialogue, que d'ètre occupé comme je le fuis en ce moment, des diffentions prétes d embrafer le fudde 1'Europe dont V. M. me fait 1'honneur de me parler. J'ignore dans ma retraite les querelles des rois; je voudrois qu'ils fuffent tous auffi pacitlques que V. M., & en mème temps auffi prêts a faire la guerre; c'eft le plus fur moyen de 1'éviter. Dieu nous préferve de ce fléau! Puiffe-t-il au moins donner le temps & M. de Turgot, notre nouveau Controleur général, de reparer le mal que nous fouffrons depuis fi long-temps! On a eu raifon d'en faire 1'éloge a V. , M., c'eft affuréraent un des hommes les plusinftruits, les plus laborieux, & les plus juftes du royaume, d'une vertu a toute épreuve, & d'une probité incorruptib!e,dont il a déja donné plus d'une marqué depuis deux mois qu'il adminiftre nos finances. Comme le Roi paroit aimer la juftice, la vérité, les honnètes gens, & qu'il detefte les flatteurj, les fripohs & les hypocrites, j'efpêre qu'il prendra de jour en jour plus de confiance en cet homme éclairé & vertueux, & toute la France . le fouhaite pour le bonheur des peuples & pour Ia ■ gloire du Roi. I 3  ,98 CORRESPOND ANCE. On dit que ce prince va nous rendre Tanden parlement que fon prédécefi'eur avoit caffé. Celui qu'on y avoit fubftitué étoit trop mal compofé pour pouvoir fubfifter avec la confiance & la confidération publique, néceffaires a des magiftrats. Mais Tanden avoit auffi des reproches très-graves a fe faire. II faut efpèrer que la difgrace oü il a été pendant quatre ans, le rendra raifonnable & fage. Les fanatiques gémiffent beaucoup de fon rétablisfement. C'eft une raifon pour qu'il ne foit plus k Favenir fuperftitieux & fanatique, comme il ne Fa que trop étè. Je viens de mander a M. de Voltaire que V, M. a eu la bonté de m'envoyer le certificat favorable a M. d'Etallonde, qu'il me paroiflbit attendre avec impatience. II eft digne de V. M, de rendre juftice a la conduite de ce jeune homme, fi cruellement perfécuté, & je ne défefpère pas qu'un tel certificat ne lui procure enfin des jours plus heureux. Toutes les lettres de Rome & d'Italie aflurent que la mort du Pape eft un chef-d'ceuvre de 1'apothicairerie jéfuitique. V. M. ne pourroit-elle pas fonder pour ces honnètes gens dans leur collége de Breslau une chaire de pharmacie, dans laquelle ils paroiffent être fi verfés ? L'éleétion dufucceffeur de Clément X.V fera un grand événement pour eux; mais je ne doute pas que les princes catholi" ques, qui connoiflent fi bien le favoir-faire de Ia fociété, ne fe réunifient pour engager le pape fu-»  CO R RE SP O ND ANCE, 1 ip£ uir a laifler ce tréfor aux princes qui ne vont point a la meffe, & qui n'auront point a craindre en com-' muniant le fort du pauvre Empereur, fi bien réga* lé par le frère Sébaftien de Monte-pulciano. Je fuis très-affligê de 1'état du pauvre Catt; c'eft un fidelle ferviteur de V. M,, & bien digne de 1'intérêt qu'eile prend a fon malheur. Je lui écris en détail au fujet du feulpteur, ne voulant pas importuner V. M. de ce détail. Ce feulpteur, Sire, a pris le parti d'aller lui - même inceffaaiment a Berlin, a fes propres frais & risques, pour avoir 1'honneur de fe préfenter a V M., pour s'afiurer fi fes fervices lui conviennent, & pour avoir 1'honneur de lui propofer lui-méme cé qu'il défire d'ob* tenir d'elle en s'attachant a fon fervice. 11 fera parti dans le temps oü V. M. recevra cette lettre, & il ne tardera pas a la fuivre. Je fuis avec le plus profond refpect &c. A Paris, ce 31 Oélobre 177*. Sire, Jl faut, & je n'ai pas de peine a le croire, qutf tous les commis de toutes les poftes d'AIIemagne, fans compter ceux des poftes de France , ayent été curieux de lire les vers que V. M. me fait 1'honneur de m'envoyer; car le paquet qui eontenoit ces vers, & la lettre du 15 JNovembre q,ui y l 4  ioo CORRES PO ND ANCE. étoit jointe, ne me font parvenus qu'a plus de trois femaines de date. Ce retard, joint a un rhuinatifme qui m'a privé pendant quelques jours de 1'ufage de mon bras droit, m'a empêché de faire plutót a V. M. mes trés-humbles & très-fincères remercimens fur la charmante pièce dont elle a bien voulu me procurer la lecture. C'eft en mêrne temps un ouvrage plein de poëfie & d'imagination, & une fatire très-piquante & très-philofophique de tous les désordres dont nous autres malheureux Welches avons été les témoins & les viftimes; fatire qui a d'ailleurs un mérite trés-rare dans des ouvrages de cette efpêce, celui de n'exagérer rien, & de ne point paffer les bornes de la juftice & de la vérité. Je 1'ai lue & relue, Sire, avec le plus grand plaifir i je la relirai encore; c'eft a V. M.qu'il appartient de donner a fes pareils de fi utiles lecons. Je fuis ravi de la bonne opinion que V. M. paroit avoir de notre jeune Roi; il la juftifie tous les jours par de nouveaux actes de juftice & de bienfaifance. Je ne 1'approcherai vraifemblablement jamais, & furement je n'aurai jamais rien a lui demander; mais je fais des vceux pour fa confervation, & je ne puis m'empécher de remarquer combien il eft heureux pour 1'humanité, que de toute la maifon de Bourbon, les deux princes les plus dignes du ttóne foient précifément 'les deux qui 1'occupent aujourd'hui, le Roi de France & le Roi d'Efpagne. Comme notre Roi a le cceur droit & veriueux, on ne craint pour lui ni la féduction des  CORRES POND ANCE. 201 flatteurs, ni celle des fripons; on ne craint que celle des hipocrites' qui pourroient prendre le masqué de la vertu; mais heureufement ces hypocrites ont fi mal adroitement montré ce qu'ils font, par la conduite fcandaleufe, qu'ils ont eue dans la maladie du feu Roi, qu'on eft perfuadé que le jeune prince les a bien connus, & ne tombera pas dans leurs filets. Rien n'égale 1'indignation de toute la Frace contre les inftituteurs qui ont élevé ce monarque avec une négligence dont il fe plaint lui-même. On efpère au moins qu'il ne leur donnera pas fa confiance. Nous attendons un pape, & nous efpérons qu'il ne laiflêra de jéfuites que dans les Etats de V. M., puisqu'elle veut bien les y fouffrir. Je ne fuis point étonné que V. M. ne croie pas a fein» poifonnement du pauvre pontife ; elle ne pourroit garder un moment de fi habiles apothicaires; mais toutes les nouvelles d'Italie font fi pofitives' & fi bien circonftanciées a ce fujet , qu'il «'eft; pas poflible d'en douter. V. M. me fait 1'honneur de me demander fi je crois cette petite fille infpivée. Je me flatte qu'eile me connoit affez pour ne pas me foupeonner d'ajouter foi a de pareilles infpirations; mais ce que je crois plus volontiers, c'eft que les fripons qui lui ont fait prédire la mort du Pape , avoient d'avance pris leurs mefures, ou étoient bien réfolus de les prendre, pour que la prédiction fut vraie. Ainfi, n'en déjplaife a. V. M., je dirai toujours comice I 5  302 CORRESPONDANCE. Cacon, qu'il faut détritire Carthage \ mais j'ajou* terai qu'a l'exception des empoifonneurs, s'ils font convaincus, il feroit barbare de rendre malheureux, (St de réduire a la mifére & au dèfefpoir les individus qui habitoient Carthage, & qu'il faut tacher de transformer en bons & honnêtes eitoyens ceux qui auroient été des jéfuites ambinieux & intrigans. J'efpêre que le feulpteur fera arrivé', quand V". M. recevra la lettre que j'ai 1'honneur de lui écrij-e. J'ai teut lieu de croire que V. M. fera auflt contente de fa perfonne, qu'eile me paroit 1'êtrede fes talens & de fes ouvrages; c'eft un bon Flamand , droit Sc honnête , qui n'aura rien de plus a cceur que de fe montrer digne des bontés de V. M. II a du remettre a V. M. uue lettredans laquelle je lui demande infiamment une grsce». que je la prie de- ne pas me refufer. C'eft devouloir bien me donner fon portrait, fait a fa belle manufafture de porcelaine, & pareil au portrait en petit, trés - beau & trés-reffemblant, que j'air vu-.entre les mains de Mr. Grimm. Ce portrait,. Sire, fera pour mol 1'étrenne la plus précieufe que j'aye re9ue de ma vie, & le préfent le plus dier dont V. M. puiffe me gratifier & m'honorer; Je travaillerai, Sire, avec tout le zêle pofHble, è faire rendre juftice a 1'officier auquel V. M. s-'intéreffe. J'ai.déja fait a ce fujet,. conjoincementi avec quelques amis. honnêtes- & auffi. zélés que. mcl, mais glus eonfidérables- Si plus accrédués».-  CORRESPONDANCE* 33$ des démarches qui, a ce que j'efpêre, ne feront pas infruftueufes ; mais il faut du temps & de la prudence pour mener a bien cette affaire. Quand' M en fera temps, je faurai faire valoir, fi je le crois néceffaire, 1'intérét que V. M. veut bien' y ©rendre, &.j'efpêre que fon nom mettra quelqm prijs dans la baiance. Recevez, Sire, avee votre bonté ordinaire, lesvoeux que je fais pour vous au commencement de 1'année, qui va être, fi je neme trompe, la 36* de votre glorieus règne , & qui ne fera qu'ac-croitre les fentimens d'admiration, de. reconnois-fance & deprofond refpect avec lesquels je fuis &c„ A Paris, ce 15 Decambre 1774. anniverfeire de la bataiile de Kefielsdorf» §: I H Et' Jb me proflerne- aux pieds de V. M. & je nTaf' point d'expréffions pour lui témoigner rna vive