CONSIDÉRATIONS sur quelques interets DE L' E U R O P E, PAR M. LE MARQUIS YRIEX DE EEAUPOIL St. AULAIRE. Libertas aurea cujus moderatus habenas Ratio. — Med. frapp. 1576. par la Conf. Belg. A LA II AT E, & fe trouve A AMSTERDAM, Chez les principaux Libraires.   CONSIDÉRATIONS SUR QUELQUES INTERETS DE L' E U R O P E. Gouvernement fans principes, alternattvement audacieux ou foible, enfeignoit a un peuple raifonneur, impétueux & vain, a méprifer 1'autorite', a abhorrer fes dépofitaires, tandis qu'un philofophisme infpire' par 1'orgueil & 'la licence, depuis long-tems diflblvoit les liens religieux & politiques. Cet ordre de chofes n'attendoit plus que des conjurateurs. Ils ne pouvoient manquer de paroitre au moment favorable; & la plus ancienne, la plus puiflante monarchie de 1'Europe n'eft plus qu'une affreufe anarchie, 1'objet de fa pitie', & un foyer incendiaire & putride dont les flammes & la contagion la menacent. — Les preftiges enyvrans qui ont e'gare' les hom-* mes du centre de 1'Europe, porteroient- également le délire & les fureurs chez ceux du nord & du midi, fi les fouverains, toujours endormis dans la confiance de leurs forces, venoient è A 2  ( 4} trop dédaigner encore Je pouvoir des opiniofls. Mais 1'exemple de la France, les dogmes cffrayans qu'elle s'eflbrce d'accre'diter univerfcllement, les avertiffent d'une manière terrible de fonger enfin au falut de 1'luimaniré, au moins au leur, Croyons qu'ils déployeront inceflamment toutes les reflburces des armes & de la terreur, pour aller conjurer le maléfice & 1'anéantir dans fon foyer. II elt impoffible de leur faire I'injure d'en douter. Un nouveau fiftême nakra de ce me'morable événement. Après avoir vü fe former Je deflein d'une coalition des peuples contre les fouverains, on vcrra fe cimenter d'une manière indeftructible, une union des fouverains pour fe fecourir xnutuellement contre les entreprifes de leurs fujets refpectifs; & depuis le Palus me'otide jufques aux colonnes d'Hercule, un feul village ne pourra murmurer contre le collecteur de fes impofitions, fans avoir toutes les puuTances dc 1'Europe pour ennemies. Ce difpofitif ouvre a la méditation une perfpeftive allarmante; mais il eft Ia digue contre la dévaftation univcrfelle: il eft donc necelTaire, indifpenfable. Telle efi; 1'etreinte dans laquelle les prédicans de liberte' & d'e'galité auront conduit les habitans de la plus belle partie de la terre.  C 5 ) Cepcndant cette union des forces generales pourroit n'étre pas tonjours fuffifante. II eft des opinions, des interets, des aftedtions qui, devenant unanimes dans un grand e'tat, auroient le pouvoir de lui donner un accord de volonte's & d'aétiou capablc de réfifter aflez long-tems pour propager des fentimens fe'ditieux , & en obtenir des eftets allarmans. Une cour exclufive & infatiable comme Ie fut cclle de Verfaülcs produiroit infailliblement eet accord ; & fi les moyens de divifion entre les ordres; qui tal ont réuffi fi fort au-dela de fes efpe'rances, vcnoient a échoucr, le méme danger renaitroit d'une manière plus redoutable, L'Entrpprife d'e'tablir un fiftéme faux comme celui de donner a la France, fous le nom de conftitution, 1'organifation du gouvernement Anglois, en revoltant toutes les idees & tous les intéréts, en ne donnant qu'un licn d'opinion a un corps robnftc, turbulent & gigantefque, feroit encore un pe'ril imminent. Cet empire, placé au milieu des autres puiffanccs, par fa fyrface, fa population , fes rcifources coinmercialcs , fes richeMes territoriales, fa fecondité dans les arts, 1'avantage dont il jouit de crécr les jouiffances, & 1'indigénat que donne a fes habitans i'univerfalité de leur langue, eft vraiment la meA 3  ( O tropole de 1'Europe pour les opinions: & fes revolutions, quelque parti que prennent les autres états, feront toujours pour eux le commencement d'une fubverfion. Le moment eft arrivé d'ordonner ce centre d'adtivité. Toutes les fautes, dans ce grand ouvrage, feroient graves, & leur danger deviendroit univerfel. Abfolument il faut le captiver de tous les liens de l'obéüTance, inais fans perdre de vüe que 1'arbitraire des dépofitaires de 1'autorité, eft toujours la première caufe des crifes. D'après ces confidérations, les diverfes conftitutions politiques de 1'Europe devroient être examinées, modifïées, fortifiées ou changées, felon les lieux, les habitudes & les autres circonftances auxquelles elles appartiennent, & enfuite affermies par une garantie générale des puuTances. Ce pacte raffureroit les peuples, en ieur montrant dans 1'union des fouverains le garant de leurs droks comme la digue contre leurs in= furredtions. —• Mais indépendamment des crifes partielles qui peuvent allarmcr les puiflances, il eft des caufes generales de fubverfion qui doivent enfin fixer 1'attention des gouvernemens, & qui éxigent tous les foins de leur vigilance & de leur fagefle.  C 7 ) La révolution de France, uniqtie dans fes prineipes, dans fa marche & dans fes effets, appartient a ces caufes générales; & c'eft cette impofante cataftrophe qui déformais dok fervir de le-. qon au gouvcrnemens. Tous y trouveront des circonftanccs qui leur font applicables, & qui leur difteront leurs régies. Après 1'expulflon des Romains, les Gaules n'eurent que deux efpèces d'habitans; les vainqueurs & les vaincus. Bientót 1'anarchie entre les conquerans livra cctte contrée au brigandage. Le befbin de la préferver des attaques foudaines & deftrudtives , rallia chaque canton, pour fa propre dcfenfe, autour d'un chef & d'une bannière: la féodalité naquit. ÊUe fut un pafte entre Ia force & la foiblefie , une alliance entre la protedtion & la reconnohTancc. Par tout ou il n'exifte pas une autorité ncrveufe & refpeaée, oü la furface efl: trop vafte, le nombre trop confidérable, pour que la nation puifle fe raffembler, déliberer, agir avec Pharmonie & la célérité fuffifantes, les difcordes générales, les circonfcriptions partielles font inévitables, & 1'ordre féodal, enfei- _ gné par la ncceflité , eft appellé par le cri de la nature mêmc. Cc fiftêmc fublime ne fut point arrêté en France par des loix fages & adtives, & fon réA 4  gime difparate, arbitraire, devint trop fouvene tyrannique. On vient d'y détruire jufqu'au dernier élement de cette ordonnance politique. Qu'on livre cette malheureufe contrée a ellemême, qu'on la chatie, s'il n'y avoit point d'autres dangers, par 1'abandon a fes propres fureurs, le même fyftême y renaitra encore: c'eft Ja produdtion fuciale de tous les grands raflemblemens: elle y eft infaillible. Cette diftribution donne deux clafles: des patrons & des cliens, ou des guerriers toujours armés pour Ia défenfe & des cultivateurs occupés des moyens de fubfiftance. Ici la puiflance & la force font le contre-poids du nombre & de la maffe. Mais 1'oeuvre de claffation eft encore incom-r plette. Si ces deux ordres fjnt divifés d'opinions, il leur faut un arbitre. S'ils fe paffionnent ils ont befuin d'un modérateur. Un fouverain ne doit point avoir cc pouvoir, car la balance dans fes mains le rendroit maitre de la con-* ftitution, la feule chofe qui ne doive jamais de'pendrc de tui. Ce modérateuf, eet arbitre, Ie culte religieus eft venu l'offrir.. Dans 1'agc de la fimplicité des mceurs, la religion qui les donne, les épure 65 les mainüent;  CO Ja religion qui préfente la miféricorde au repen* tir, 1'efpérance a la vertu, 1'indemnité a 1'infottune; la religion, dont la charité, dès cettevie, diftribue toutes les confolations, devoit donner alors 1'Empire de 1'opinion a fes miniftres. Eux feuls avoient quelques lumières, eux feuls connohToient bien les befoins des peuples. L'ordre facerdotal dut donc être appellé dans la hiërarchie politique. La dignité du culte le placoit néceiTairement au premier rang. Compofe' des deux autres ordres, il les rapprochoit dans fort fein par une e'galité honorable pour tous, & en devenoit d'autant plus propre a être leur me'* diateur. Obfervons que 1'exiftenee politique de- eet or* dre, amenée par la marche naturelle des fentimens & des befoins dans les tems de la fimpleife des moeurs, n'eft point une de ces inftitutions ifole'es fans modèle & fans imitation. En voulezvous des preuves? Les prêtres d'Ifis firent la profpe'rite' de 1'Egypte. Les Gymnofophiftes de J'Inde y établirent les loix impériiTables qu'on y revère encore. Les Mages de Perfe furent les inftituteurs de leurs Rois dans les tems de puiffance. Les Mandarins de laChine, depuis Confucius, y font les fages de 1'Empire. Les Chaldéens d'Aflyrie firent la renomme'e de leur pays. C'cft a fes Druides que la Gaule dut fon antique A 5  célébrite. Mais lorfque la licence & 1'efprit phi-lofophifte qui 1'accompagne eurent corrompu les mceurs, attaqué le culte, renverfé les autels, disperfé & les prétres d'Ifis & les Chaldéens & lesMages & les Druides, Memphis difparut, Babilonne périt, 1'Empire des Perfes devint la proye des conquérans, & la république des Gaules fut changée en une longue & déplorable anarchie. Rome elle-même , fi formidable tant qu'elle adora les dieux de Numa, pour avoir trop écouté les lecons impies deLucrece, vit enféveHr fa puiifance dans la tombe des Dieux d'Epicure. •Je ne m'arrête fur ces objets que pour répondre par. des faits impofants aux détrafteurs de la hiërarchie politique & du pouvoir rcligieux. Mais ces impofteurs fi coupables peuvent-ils ignorer, que tous les Empires, les républiques même qui eurent quelqtfe renommee, durent leur gloire & leur durée a la claffation de leurs citoyens, & que c'eft a cc grand ouvrage que les légiflateurs célébrcs appliquerenr toytcs les forces de leur génie. Ainfi, des facultés inégales & des befoins communs, des intéréts oppofés & des périls femblables, des affeétions contraires & des fentimens aniformes; cette fludtuation pcrpetuelle entre  ( *i ) 1'audace & la crainte, entre 1'ambition qui veut ufurper & la propriété qui veut retenir; ce mouvement convulfif des paffions qui s'agkent d'abord avec une aveugle impétuofite', enfuite avec methode, & qui enfin, épuifées par leurs propres fureurs, re'fugient 1'homme-qu'elles tourmentoient dans le foin d'affurer fes jouiflances. Ainfi, disje, les tems , les circonftances, les vices & les vertus, la démence &lafagefle, le defir du repos, 1'effroides dévaftations, la néceflué, 1'abfolue néceffite', cette impulfion irréfiitible donnée par la toute puifiance de la nature au cceur humain, avoient fait en France ce qu'ils firent , ce qu'ils reproduiront par tout dans les fociétés informes ou déforganirées: tls y avoient fanctionne' les jouiflances ; i!s y avoient mefuré, arrêté les droits refpedtifs, & circonfcrit les hommes dans les différents cercles de ces jouiflances & de ces droits. Dans les grandes crifes du monde phyfique, dans la vélocité des embrafemens fouterains, les diverfes matières foulevées, agitées par i'incandefcence &lafufion, tendcnt a fe replaccr felon 1'ordre de denfité rélative oü 1'on les retrouve dans le repos. Le monde moral, le monde politique font foumis h la-même loi. II faut que tout y fok claffé; & jamais on ne renverfera eet ordre, fans que de nouvelles & d'infaillibles teitations ne le ramenent.  C 13 ) -Les trois ordres ou les trois clafles de |*ancienne conftitution francoife, furem dooe Je produit naturel des circonftances qui appartiennenc aux premiers ages d'une grande iücie'te'. Le tröne fut 1'architrave d'union de ces majeftueufes colonnes, & forma aufiï le couronnement de 1'édifice. II en re'fultoit une jufteife de proportion , une précifion d'e'quilibre, un balancement fi parfaitement e'gal des forces diverfes, que le fiftéme monarchique fe trouvoit dans toute 1'harmonie, dans toute 1'e'nergie dont il eft fufceptible. Si 1'ordre facerdotal montroit fa propenfion naturelle a la theocratie, les deux autrcs rcpouffoient fes entreprifes. Lorfque les nobles faifoient quelques pas vers 1'ariftocratie, les allarmes des prétres & du peuple les uniffoient contre ce danger. Quand les agitations du troilième ordre menagoient de la fubmerfion démocratique, alors le facerdoce & 1'ordre chevalcrefque d'abord par la majorité de leurs opinions dans Ja repréfentation nationale des e'tats, enfuite par le pouvoir des fentimens religieux & par la force des armes, s'élevoient comme u«e digue inJurmontable contre les pre'tentions & contre les fureurs populaires. Mais tous, li le tröne ofoit les attentdts du defpotifme, s'uniuoient pour le rappeller a fes principes. On voit dans ce fiftêmc que 1'intérêt propre  ( 13 ) de chacune des parties dont il eft compofe* devicnt le garant de la contexture, de faccord, de la dure'e de 1'enfemble. On voit que tout y a une puiflancc re'elle, réfiftante & agiflante. On voit que rien n'y eft abandonne' a 1'opinion fi valiable, fi fantafque, fi fugitive, a 1'opinion qui renverfera toujours a fon gre' les e'tats prive's d'une claffation bien ordonne'e, & dont chaque fection foit un corps actif & pitorefque. Abfolument il n'y a qu'un ordre de chofes de cette nature qui me'rite le nom de conftitution. Ces gouvernemens dont on nous vante la diftribution des pouvoirs dans des alTemblées délibératives, peuvent fe maintenir quelque tems au centre d'une furface trés borne'e, de'fendue par une enceinte qui ne laiiTe pas craindre des attaques foudaines, & difpenfe d'une grande rapidite' dans les précautions; ils exifteront quelques momcns au milieu d'une population médiocre, chez un peuple éxercé a déliberer, inftruit par 1'intérét perfonnel a s'accorder en confiance & en action po»r obtcnir des jouiifances réelles d'une fittion nationale. Mais ces organifations purement abltraites fuiront comme les fonges a 1'inftant du reveil, dès que des cataftrophes tót ou tard inévitables, dès que les crifes plus certaines encore qui les fuivent, auront dilïipé la chimère & montré la défolante vérité.  < '4 ) En politique inftitutive, la première vérité élémentaire eft, que, dans 1'osuvre de conftitution, rien, abfolument rien ne doit étre IahTé h 1'opinion. II faut feulement qu'elle réfulte de la mate'rialité, de la force de fes bafes. Alors fon analogie avec le principe auquel elle obe'it, donne ces ide'es de proportion, dicte ces obligations re'latives, ces e'gards reciproques , ces pre'juge's ne's de 1'habitude des comparaifons, qui font la morale d'e'tat, & qui produifent cette fubordination native, feule fource du bon ordre. On fent que dans cette cliaine de rapports, la clafle la plus éleve'e & la plus confide're'e fera celle aufli dont 1'exemple aura le plus de pouvoir. Si elle eft exclufivement guerrière, 1'ardeur pour les chofes d'e'clat, 1'amour de la renomme'e, cette paffion de gloire qui dicte les plus grands facrifices, & enfuite toutes les ombres que projectent ces grandes affections de 1'ame, comme la lége'reté, 1'impatience, la prodigalité, la fierte', compoferont le caractère qu'elle doit imprimer a Ia nation ,&ce caradtère fera 1'honneur chevalerefque, principe moral des monarchies. La vertu républicaine, ou 1'amour de la patrie, qu'un grand homme a dit étre le principe des républiques, eft un état d'éxaltation qui peut  C 15 ) fe foutenir quelques momens dans les fociétis pauvres, pour difparoitre auffi-tót que la civilifation & les richefies viennent amèner 1'égoïfme. Mais 1'honneur monarchique qui n'eft lui-même qu'un amour propre noblement ordonné, faifit 1'homme au berceau, le conduit dans la vie, 1'accompagne dans la tombe, après lui avoir didté, pour fa fatisfadtion perfonnclle, tous les devoirs par lesquels il pouvoit contribuer a la profpérite' commune. Ce fentiment fublime eft le talifman de Ia monarchie. S'il a toute fon énergie , elle a toute fa force. S'il s'altère, elle fe corrompt. S'il s'oublie, elle n'eft plus. Dans cette ordonnance fi parfaite, oü tout eft né du cours naturel des befoins & des fentimens, on n'avoit point encore eu 1'idée d'implanter cette pédantesque divifion des pouvoirs légiflatifs, éxécutifs & judiciaires. On laiffoit dormir paifiblement cette dodlrine dans les livres d'Ariftote, feul lieu oü elle ne cau'fe pas d'orages; & les Rois de France qui réuniffoient tous ces pouvoirs indivifiblement, abfolus pour protéger & pour vivifier, ne voyoient d'autres limites a leur puiflance, que les loix de 1'équité qui défendent de nuire. La nation repréfentée par fes états dans 1'ordre diftributif de fes intéréts divers, retenoit le pouyoir le piuS augufte de tous, le feul qu'un grand  ( i6 > jjeuple puiffe exercer fans péril, celuj de eenfure. Ces états chargés de veiller au grand intérêt focial, propriéti, füreté, avertiflbient le monarque de fes erreurs, des abus de 1'autorité confiée; tous les droits retrouvoient leur intégrité, le trone étoit 1'azile allure' contre 1'injuftice; on révéroit le monarque comme le proteeïeur, le confolateur, le père de fes fujets. En lui on adoroit la patrie: il en étoit le figne animé, augufte & chéri; & 1'amour des Francois pour leur Roi, venoit apporter le témoignage le plus touchant, comme le plus éclatant, de 1'excellence de leur conftitution politique. Obfervez k préfent pour dernière preuve, que la durée de eet empire a fiirpaffé de beaucoup celle de tous ceux qai eurent quelque célébrité; & qu'enfin il a fubfifté avec gloire pendant quatorze fiècles, malgré I'adminiftration Ia plus infenfée: car il eft de toute vérité qu'on n'a commencé a fe douter a Verfailles de ce que c'étoit qu'une monarchie, que lorfqu'elle a été renverfée en France. Dans un écrit oü je dois parler de quelquesuns des grands intéréts des puiffances, & dans un moment oü toutes les têtes font préoccupées d'idées politiques , j'ai penfé devoir établir d*abord les yrais principes, par des faits incontefta-»  C 17 ) bles, par un exemple, qui, aux ycux des hommes raifonnables, livre au plus profond mépris les fiftêmes des empiriques de cé fiècle. Voila pourquoi j'ai rendu compte des éle'mcns •d'une conftitution, qui a eu le pouvoir de faire fiibfifter fi longtems un vafte empire, prefque malgré lui. Comment ce fuperbe édifice s'eft-il de'grade'? Comment eft - il tombe' fi brufquement & avec de fi effroyables circonitances ? Cet examen jnftructif fera 1'objet d'un ouvrage fur les caufes de la grandeur & de la décadence de 1'empire Francois. Je n'ai pas non plus le deffein de le confide'rer après fa deftruftion, dans fa fermentation cadave'reufe. Cette pénible téche fera celle de 1'hiftoire. Je dois faire remarquer feulement ici quelques-uns des viccs qui ont caufe' fa perte & qui menacent e'galement toutes les puiffanccs de 1'Europe. Les arts, le barrcau, lafinancc, Je cummerce, en multipliant, en accroiflant perpe'tuellement les fortunes, avoient propagé en France la clafTe bourgeoife a un excès dangereux fous tous les rapports. Les campagnes manquoient de bras , & les villes e'toient furcharge'es d'habitans. Les bourgeois e'toient devenus la partie rachitique de 1'état. Cette claffe, en ne faifant qu'obéir aux loix qui régjflent le cceur humain, après avoir B  ( i8) obtenu la fortune veut la confide'ration, parceque 1'orgueil fuit 1'aifance. Elle me'prife le peuple dont elle fort, envie 1'ordre qui la domine. Elle corro'mpt 1'un pour calomnier 1'autre. Longtems elle rampe avec patience pour s'élever; & dès les premiers jours de fon e'Ie'vation, on la voit fe montrer implacable, parcequ'elle fe méfie de fes nouveaux droits ufurpés, parceque pour e'carter les fouvenirs qui 1'humilient elle fe pre'cipite vers les excès du pouvoir. Chez elle 1'e'vangile de 1'égalite' & de la liberte' eft dans fon cercle propre; & quoique 1'on puiffe faire, fans ceffe elle en confervera 1'amour, fans ceffe elle e'piera toutes les occafions de le re'pandre. C'eft la marche irre'fiftible des affections humaines. On a vü dans la re'volution de France, ces officiers des juftices, procureurs-fifcaux , intendans, gens d'affaires de toutes les dénominations, qui s'enrichiiTuient de la bonté de leurs feigneurs, qui véxoient en leur nom les vaffaux d'une manière impitoyablc, on les a vü après 1'infurrection s'empreflcr h être les calomniateurs de leurs maitres, & diriger contre eux les perfécutions. Ces clubs, les municipalités, les comités, tous les foyers des fureurs démagogues, dès le premier jour, n'ont ceffe d'avoir pour inftituteurs ou pour chefs des praticiens, mais par deflüs tout cies avocats.  ( 19 ) La multitude armee, fous le nom de garde nationale, eft partout commandée & prefqu'entièrement compofee de négotians, de marchands, de leurs commis, de clercs de pratiqne & de courtauts de boutique. Ce qu'il y a d'ïncompre'henfible, c'eft que la cour de France, en voyant les progrès en nombre & en fortune de la clafle bourgeoife, nc S'occupoit qu'a rendre de plus en plus les plaees honorables exclufivcs, en faveur des gentilshommes qui vivoicnt dans fes intrigues. II en arrivoit que la partie faine de la noblelfe, repandue dans les provinces & dans les corps miiiraires, e'toit humilie'e, indigne'e, fans ancune confidération. Dans le même tems que cette cour infenfée re'formoit les corps nobles , elle augmcntoit les impóts , appellóit des ple'beyens a Ia tête de fon adminiftration. Les moeurs ont fuivi eet itinéraire de deftru&ion: la cotfidération a éte' uniquement pour la fortune. Les roturiers ont ufurpé les fignes exte'rieurs de la noblelfe. Les nobles de leur cóte' ont affeóle' d'y renoncer; toutes les de'marc-ations ont e'te' effacées; & le gouvernement & les moeurs publiques ont égaicment concouru a de'molir la digue a mcfure que les vagues s'e'levoient. Je fais que dans les autres e'tats les gouver- B 2  C 20 ) ncmens ont été moins aveugles, que les caufes de fubverfion y ont eu des effets moins rapides; mais la révolution de la France acce'Iére partout de pluficurs fiècles les de'grés de diifolution; & toutes les puilTances ont a-préfent le même intérêt a pre'venir, a ane'antir toüte efpèce de principe deTaftreux. L'un des plus puiffants affure'ment eft cette prodigieufe quantité de praticiens qui de'vorc les habitans de 1'Europe, qui de'shonore les tribunaux de juftice, & femble n'être qu'une lache milice deftine'e a calomnier inceifamment 1'autorité & les pre'juge's qui la font refpecter. On diroic en vérite' que prefque partout les codes n'ont e'té faits que pour fubvenir a la lolde de ces gens-la. Cet oce'an de formes qui rend les fanctuaires des loix fi pe'rilleux, eft rélément de leur fortune, la reffource de la mauvaife foi, & ne préfente que des écueils ii 1'innocence & a 1'équité. Dans les inftitutions fociales, la religion & les mceurs tiennent les premiers rangs; & les loix qui ne font que leur fupplémcnt, n'occupcnt que le troifième, ainfi lorfque les mceurs publiques font faines, les loix reftent oifeufes. Lorfque les mceurs fe corrompent, les loix deviennent Infuffifantcs. On ne vit jamais un peuple fe rédimer de fa chute en accroiflant fes loix & leurs formes.  C 21 ) Au contraire, 1'accroifTement du code fut partoüï la mefure des progrès de la diiïolution. Si cette multiplicite' de formes peut fcrvir a raffurer une nation, encore auftère dans fes mceurs, contre 1'arbitraire de fes magiftrats, elle ne fert dans les fiècles d'une trop grande maturite', qu'a armer le fourbe contre 1'homme jufte, contre le juge & contre la loi elle-même. Dans cette fituation la perverfite' acquiert toute audace, la de'fiance s'empare des hommes honnêtes, & le caractère national en eft de'truit. C'eft la 1'une des plus radicales caufes de de'cadence. II me femble qu'aulieu d'embarraffer la diftribution des loix a mefure que les peuples vieilliffent, on devroit au contraire la fimplifier dans la même proportion. Certes dans un pays corrompu, un cadi feroit de beaucoup pre'feïable a une cour de juftice avec le cortège avide & menfonger des praticiens qui 1'entourent. Les romains avoient tellement prévu i'infufnTance des loix & les dangers qui en reTultent, que malgré leur extréme inquie'tude fur 1'inte'rêt de la liberte', i!s avoient cre'es des cenfeurs arbitraires, abfolus. De quoi s'agit-il dans les tribunaux? dc con» noitre la vérite' pour appliquer la loi. Or la vcrite' eft toute entière dans les faits expofés par les contendans, & elle ne court que des rifquos. dans des mains merecr^ires, L'application d& 1$ B 3  loi eft exclufivement la fcience & le devoir du juge; & prétendre le diriger c'eft vifiblement vouloir ou 1'infulter, ou le corrompre, ou le tromper. Que font parmi les nations leurs avocats & leurs procureurs ? font ils autre chofe que des concuffionnaires tole're's par les gouvernemens, pour vivre des difcordes entre les citoyens, pour rendre ruineufe & redoutable a tous la loi qui devoit être fccourable & confolatrice pour 1'innocenee, vengerelTe & terrible feulement pour le crime ? Mais voyez donc cc qui frappe perpetuellcment vos yeux. S'il y a cent procés dans une cite', voila deux cent avocats & amant de procureurs en lice. La moitié de ce nombre luttra donc pour 1'impofture, & 1'autre raoitie' a qui le hazard a jette' la ve'rité a défendre, demain, dans d'autres contentions, combattra pour le menfonge. Une telle profeffion n'eft-elle donc pas immorale & anti-fociale ? & puis quelle ide'e un pareil pugilat peut il donner de votre iégiflation ? Je ne congois rien de revoltant comme ce fiftéme. En vérite' des juges aiïïs devant un tapis verd , avec des dez & un cornet, pour faire jouer aux plaideurs leurs pre'tentions» pre'fenteroient un fpeclacle plus doux, moins extravagant, aufli jufte peut-être, que celui del'elcrinre des athlètes du barreau adtuel. Autrefois aos pères eurent le jugement de Dien par 1'eau,  C 23) le fer & le feu. Cette jurifprudence eft bien autrement fauvage que celle des dez & du cornet, cependant elle prefentoic moins de dangers pour le bon ordre géneral, que celle qui infeóte 1'age oü nous vivons de cette multitude de praticiens, véritable lépre des palais de juftice. Suivez ces hommes dans les lumières, le caradtère & les opinions qu'ils doivent recevoir de leur profeffion. Tordre la vérité, colorer le menfonge; calomnier 1'honneur, orner le crime; divifer, amplifier des queftions puériles; fuer fans relache fur des commcntaires; fe renfermer exclufivement dans des citations, dans des vues qui ne demandem a rintelligence que de la mémoire, de 1'aftuce & 1'habitude de la parole. Voila les talens, qui les font vivre & les lumières qui les éclairent. Tout cela eft aflürement de toute incompatibilité avec la juftefle, Ia profondeur, laclarté, la précifion neceflaires au génie appellé aux chofos nobles & grandes. La vanité, les prétentions attachées naturcllcment aux profeffions qui donnent la faculté & les occafions de parler en public, vienncnt cnfuite ordonner leur cara&ère. On les voit incefiamment irrités contre les clafles élcvées au • dcfttis de la leur, parceque le gout de la juftefle, des graces, de 1'élégance, d'une noble énergie qui y règne généralenrent ne permet point d'y ac* B 4  ( 24 ) cuéillir leurs difcours & leurs e'crits. Les conditions qui leur font infe'rieures, oü 1'on admire qu'un homme puiffe parler long-tems, oü le torrent des paroles eft toujours pris pour le don du genie, font le cliamp oü leur amour propre moiiïbnne, oü leur verve commande. Quant a leurs opinions, rien n'eft fi fimple: les. hommes font tous nés êgaux. Le mérite feul a droit a la conftdération, aux places & aux honneurs. Cbrwme le peuple a jugé que c'étoit eux qui avoient te mérite, c'ejl au peuple qu''appartient la fouveraineté, parcequ'il en confiera le fceptre a leurs mains. Voyez les fur le tröne de la France , foulant fiérement aux pieds les auguftes de'bris de 1'antique monarchie, & careiTant leur digne ouvrage, cette conftitution, ce monument d'abfurdite' le plus monftrueux qu'ait encore e'leve' 1'orgueil & 1'ignorance des hommes. Peut on doutcr a préfent combien il importe d'e'teindre cette dangereufe profeflion par tout oü 1'on fouhaite 'fixer le repos & Ie bon ordre (ö). Mais quel parti prendre a 1'e'gard du commerce? comment fe'parer ce qu'il fait d'utile d'avec Ca) Je connois en France & en Hollande des avocats, gens de beaucoup de mérite, qui penfent comme moi fur leur ordre; & ils font une preuve de la néceffitc des exceptions.  ( =5) ce qu'il a de nuifible ? comment claffer ce qu'i! a de noble & ce qu'il a de me'prifable ? c'eft une étude abfolument nouvelle, & a laquelle les gouvernemens feront déformais obligés de fe livrer avec les plus férieufes méditations. On obferve par tout, que prefque tous les grands négotians reftcnt inébranlablement attachés aux principes du bon ordre & de la fidélité. Les hommes dont 1'intelligence eft forcée de s'étendre autant que leurs affaires, ou plutöt dont Fétendue des rélations n'eft ordinaircment que la mefure de leurs conceptions, doivent faifir auiTï bien que perfonne le véritable mécanifme des organifations fociales. Les viciffitudes politiques font 1'élément fur lequel flottent leurs intéréts: fouvent méme leurs combinaifons les determinent. Leur talent eft de lesprévoir, leur fcience eft de les faifir, quelquefois ils ont eu la gloire de les diriger vers le falut comme vers la fortune des Empires. De telles facultés fans doute retiennent 1'ame & le génie a la plus grande hauteur; & ccla explique la confidération dont jouiffent en Europe ces fameux négotians de Londrcs & d'Amfterdam, & 1'un d'cux par deffus tous, dont le nom fera prononcé ici fans que je 1'écrive. Reprenez enfuite quelques dégrés au-deffous, B S  C 26 ) & achevez de parcourir 1'échelle commercials. Quelle innombrable multitudel C'eft une mare dont 1'ignorance, les pre'tentions, 1'orgueil & la cupidite' agitent lans ceffe les fanges, & répandent toutes les contagions. Voyez eet effaim de négotians, de marchands, de commis voyageurs fortis des villes de France. Croyez vous qu'ils ne portent par leurs opinions & leurs paffions dans toutes les contrées, chez les gens de leur état? Voyez dis-je leurs grincemens de dents contre ces gentils-hommes francois qui ont fui une terre parïcide. Rien n'égale leur rage dc ce qu'ils n'ont pü concilier a la fois le plaifir de les dégrader jufques a eux , la fenfualité de voir déchirer leurs membres, & 1'habitude de s'enrichir de leurs confommations (a). ■Les écrivains femblent s'étrc conftamment accordés pour tromper & les fouverains & les peuples fur le commerce. L'idéc d'indépendance que préfente cette profeffion, 1'égalité qu'elle affecte étant leurs principes chéris, ils ont épuifé la magie de leur éloquence pour nous la faire refpecler comme la plus noble de toutes, pour O) On fentira encore ici 1'cqutté des cxceptrons: plufieurs hommes heureufcment nes ont f$u fe préferve? des vices de leur profeffion, & font les premiers a gé« mir des ravages qu'ils caufent.  C 27 > aous la faire aimer comme celle qui répand les iumières & la profpe'rite'. A les e'couter on croiroit qu'ils ont toujours les grands hommes de cette carrière devant les ycux, & que fa populace ou n'éxifie pas, ou eft abfolument infignifiante, Gependant dans cette tourbe innombrable la grande affaire, 1'unique objet de la vie c'eft de gagner. Or, cupidite', mauvaife foi, égoïfme font prefque inféparables du principe. Ajoutez-y enfuite 1'orgueil naturel a 1'homme enrichi, fon averfion pour tout ce qui le domine, fon de'pit contre tous les liens, 1'amour du luxe qu'il améne, 1'attrait des jouiflances corruptrices qu'il préfente, la confidération exclufivement accorde'e a la fortune qui fuit fes fuccès, fi ce font la des lumières, affurement le commerce en répand beaucoup; & 1'on n'a point encore vu d'état furvivre long-tems a cette clarté. Quelle efpèce de profpérité véritable peut-on voir dans eet ordre d'imnioralité ? Arrêtez vous dans une contrée qui n'eft pas commercante, les denrées y font abondantes & au plus bas prix» Ses habitans n'y font point effrayés de la crainte de manquer, ils ne font point tourmentés de la paflion d'accroitre leur fortune. Rien n'agite ieurefprit, n'aijrit leur cceur, ne trouble leurs  C a8 ) affe&tons douces; ils paflent leur vie dans la paix & dans le contentement. Chez eux 1'hofpitalité eft le premier devoir, le fecours a leurs femblabies leur plus chère jouiflance, le plaifir & 1'honneur du bien qu'ils ont fait leur unique re'compenfe. Tranfportez vous enfuite dans un pays floriffant par le commerce , vous y trouverez beaucoup d'argent; mais les befoins de la vie a un prix exceffif. Vous y verrcz de grandes , d'immenfes fortunes, & a cóte' d'elles 1'aftreufe mifère. Vous y appercevrez partout la cupidité qui pourfuit, qui ranconne la richeffe, & 1'avarice qui repouffe 1'indigencc. La 1'hommea renonce' a fes vertus parcequ'il n'y vit que de fes vices. Parcequ'il a pourfuivi 1'illufion des fauffes jouiflances, il y a perdu fon bonhcur poffible. Les philofophes difent que le commerce fournit les moyens de fubfiftances au peuple. Quelquefois il leur rend une partie de ceux dont ij les a prive's: voila la vérite', car les fubfiftances ne manquent que dans les lieux ou il a trop augmente' leur prix. — Ils difent encore qu'il accroit la populatioa. C«la eft quelquefois vrai; mais il 1'eft toujouis  ( 29 ) qu'il la favorife dans une proportion vicieufe. La claffe agricole augmente peu, diminue même fouvent, tandis que celle des ouvriers, artifans, valets, clercs & praticiens, commis & marchands, s'accroit a un excès dangercux. Cette difproportion eft 1'un des plus grands dangers des états. Et puis lorfqu'un empire eft arrivé a cette pléthore de population donnée par le commerce , il faudroit montrer enfuite comment il y aura toujours accroiffement égal entre la population & le commerce, car il faudroit que les progrès du commerce fuivilTent a leur tour ceux de la population. Sans cela il y aura calamité univerfelle. Mais fi dans le plus beau période de cette population & du commerce qui la créée, une guerxe étrangère, des difcordes civiles mille fois plus périlleufes, une révolution, une faute d'adminiftration détruit ou paralyfe votre commerce, que deviendra 1'hcureufe multitude qu'il faifoit vivre. Quelle cffroyable chüte! il n'eft point d'état qui n'en fut accablé; & cependant ces événemens font tót ou tard inévitables. Un état oü la culture des terres eft a fa perfection , pourra plus long tems qu'aucun autre réfifter aux pertes de fon commerce, fi des caufes extraordinaires ne Pen rendent pas trop dépendant; mais le pays qui a négligé fon agriculture, a quelque degré que fe fyit élevé la profpérité  de fon commerce, n'en obtient jamais que des fruits amers; & fa cataftrophe n'en fera que plus épouvantable. Le tiers de la France eft inculte, les deux autres tiers prefqu'endèremcnt mal cdltivés. Beaucoup de fes provmees n'ont point de moyens communs pour les échanges. Au moins foixantc canaux de navigation manquent a ce vaftc empire. Cependant fa capitale & fes villes commercantes poffédoient une prodigieufe quantité de numéraire. La le prix de toutes les chofes s'élevoit en proportion de 1'abondance du figne, C'étoit fur les plus hauts tarifs que le gouvernement faifoit fes dépenfes, & qu'ainfi il règloit fes befoins. Et comme les progrès de 1'agriculture n'avoient point fuivis ceux du commerce, les lieux commercants payoient 1'impót avec leurs fuperflus, & les cultivateurs de prefque toutes les provinces avec leur fang. Auffi les villes principales ofFroient le fpeclacle du luxe & de la magnificence, & les campagnes celui de 1'inanition, de la nudité, de toutes les mifères. Tel a été conftamment 1'état de Ia France dans la plus grande profpérité de fon commerce. II faut avouer que cette preuve fans réplique ne parle pas pour lui, & qu'en ajoutant ce fait aux autres confidérations , il reftera démontré que la manie mercantile devient tót ou tard le deftrufteur des grands empires, quand il fait plus qu'une circul«ion intérieure, & qu'il n'eft pas uniqnemenc dirigé vers les befoins du peuple.  ( 3i ) Mais auffi il faut reconnoitre ici une autrc vérité, c'eft que lorfque le commerce s'eft e'tabli dans un pays, il devient impoffible de 1'en bannir; & que dans lc fiftême adtuel de 1'Europe, vouloir y renoncer brufquemcnt, feroit la tentative la plus inconfidérée. Le grand intérêt préfent, c'eft de 1'obferver, de le furveiller. Dans le fiftême d'union auquel les éve'nemens doivcnt conduire les puiffances, el les reconnoitront a quel terme peut-être limite' cette liberté tant réclaméc pour le commerce; elles fentiront que le commercant doit être foumis a plus de loix puifqu'il agit & réagit perpe'tuellcmcnt fur les intéréts ge'néraux; enfin elles s'accorderont, au moins il eft permis de le fouhaiter, pour conccvoir & arrêter que chaque état fe contente d'un be'néfice modéré dans fes échanges avec les airtres, & pour procurer le même avantage a ceux auxquels Ia nature en a refufé les moyens. Dans cc padie, les fouverains aurbient ftipulé pour Fhumanité entière. Cette idée'appelle-& fixe toute mon atteation fur la Hollande. Une contrée qui ne préfente aux yeux que de 1'eau 1'hiver & de 1'herbe 1'été; dont le fol coute plus qu'il ne rend; un pays le prodige de 1'induftrie humaine, fa conquête fur la nature, dont  ( 32 ) les habitans font foreés d'ailer chcrchet fur' toute la furfacc du globe des fecours contre une nier impatiente de 1'engloutir, s'il n'eft agreffeur n'aura point d'enncmis. L'état de guerre le tranfporte auffitöt au moment d'une deftruclion abfolue, fans promcttrc a fes vainqucurs que desavantages frivoles, achetés trop che'rement. Loin d'avoir a craindre de trouvcr des rivaux de fa profpérite' dans les autres états, plus ils feront puiffants, plus ils lui doivent d'affiftance; & le figne le plus certain d'une force factice, ou d'une foibleffe réelle, feroit d'en être jaloux Telle eft dans 1'ordre naturel la manière de confidcrer la Hollande , tels doivent être u fon égard les proce'dés de la fimple équite'. Aux ycux de la raifon & par une jufte admira- * tion, on lui trouve d'autres tltres. La célébrite' des anciens bataves annoncoit fans doute, que le climat qui les avoit vü naitre imprimoit un grand caradtère a fes habitans. Les ravages des barbares, les conquétes des francs, les émigrations, les mélanges des différens peuples, la deftrudtion même de plufieurs, effacerent les caradtères primitifs, changerent ou éteignirent jufques aux noms des diverfes peuplades occidentales. Laiffons les habitans mêlés ou nouveaux de la batavie lutter pendant douze fiècles contre les élémens, & ce qui eft plus furprenant  encore, garantir leur organifation morale des ifr« fluences d'un gouvernement prefque toujours mauvais. Les mêmes befoins, les mêmes privations, des dangers e'gaux, des taches pareilles, des affections femblables, 1'autorite' des circonftances , 1'Émpire du climat, tout ce qui avance vers fon terme ne'ceffaire la perfectibilité humaine, reproduira fur le même fol cette nation qui entre mille autres feut le mieux mériter & obtenir laconfiance , 1'amitie', le refpedr. même du peuple dominateur du monde. C'eft pour brifer le joug oppreffif d'une puiffance e'trangère, que les bataves doivent renaitre digncs de 1'antique renommee de leur patrie. Contemplez ces hommes auxquels la nature s'eft pour ainfi dire refufée, e'tonnez vous de leur petit nombre, voyez les jetter brufquement les chaines qui les mutiloient, & combattre pendant quatre-vingt ans une monarchie puiffante. S'ils e'prouvent des revers, ou ne voit fur leurs fronts que la conftance , Sc dans leur aeïion que l'aéUvité a réparer. S'ils font vainqueurs, n'efperez pas appercevoir dans leur attitude Porgueil de la victoire. II n'y a foüs leurs lauriers, que la valeur qui les cueiile unie a la fageffe qui fait én obtenir les fruits. Ils font fiers fans être vains, modeftës fans baffcffe; ils favent fouffrir e  < 34 > la douleur & fuporter 1'infortune fans murmurerj tel eft leur caractère natif. Qu'on les fuive dans les deux hémifphèrcs. Ils vont conquérir les tréfors de leurs ennemis en Ame'rique pour les vaincrc en Europe. Ils élévent en Afrique une fuperbe eité, dans le point de I'univers le plus propre a devenir la me'tropole de fon commerce. Ils conSent a quelqucstms de leurs citoyens le foin de rendre 1'Afie leur tributaire: & 1'on voit förtir de leur fein une puiffance qui va regncr dans 1'oce'an pacifique, pour leur donner la poffeffion exclufive d'une rieheffe devenue un befoin a tous les peuples de Ia terre; & leur pavillons vieïorieux font connas & accueillis dans toutes les contrécs du globe, parceque leur bonne foi attire la confiance, parceque leur modération leur obtient la préfe'renee dans tous les concours du commerce. Enfin, leurs ennemis rebutés de les combattre, affurés de ne pouvoir les foumettre, leurs ennemis, naguère leurs maitres, furent obligés de traiter avec eux fur le ton de 1'e'galité, & d'en recevoir Ia pafce. Ü» empire puiffimtne combattant que contre des forces égales pendant on ft longtems, fe feredt trouve' épuifé, quelques euffent été fes fuccès, dès les dix premières anB&sj & la Hollande, ü inferieure en forces,  C 35 ) s'eft 'montrée le jour oü elle a pofe' fes armes vingt fois plus puiffante que dans le moment oü elle les avoit prifes. On fait parfaitement que fans les diverfions & les fecours des états rivaux de la maifon d'Autriche, la Hollande néceffairement eut été accablée, que même elle n'auroit peuc-étre point ofe' fecouer le joug; mais cc prodigieux aCcroiffement de profperité en combattant fans ceffe, n'en eft pas moins le miracle politique Ie plus étonnant que préfente 1'hiftoire. Voila donc les fept provinces rédime'es de 1'opprefiïon Efpagnole, formant un e'tat, & devenues un poids dans les balancemens politiques de 1'Europe. II falloit alors, dans cette exiftence récente, reconnoitre fes intéréts, établir, demarquer fes droits: il importoit de fe placer d'une manière honorable dans Ie rang des puiffances. C'étoit un nouvel horifon qui s'ouvroit au génie; c'étoit un avertiffement au courage, que la carrière qu'il venoit de parcourir étoit fans limite dans 1'efpace & dans la durée. Les deux élémens voyent les drapeaux & les pavillons hollandois encore vidtorieux, au moins toujours fidèles a la gloire. La fageffe, 1'incorruptibilité des négotiateurs de la république lui obtiennent la confiance & 1'eftime des puiffances , & bientót lui donnent une infiuence prépondérante. L'EuC 2  ( 36 ) rope entière fe croyoit menacée par l'ambitlon dn plus puiffaiït de fes monarques. La Hollande forme le projet d'une coalition contre le danger commun; elle fonne 1'allarme, entraine tous les fouverains, ftipendie leurs troupes. C'eft elle qui cre'e, qui combine tous les deffeins, qui dirige leur exécution: enfin on la voit jouer un principal róle dans ces traités immortels qui font a jamais le code du droit public de 1'Europe, & qui affurent la circonfcription de chaque état pa7 ia garantie de tous. üne longue paix dans le fein des richefles avoit fait ófer croire, que le caractère hollandois étoit effacé; & la victoire de Doggersbank contre un ennemi agguerri & trés fupérieur en forces vient attefter encore, que fi ce caractère repofe quelquefois , il fe retrouve toujours le même au moment du réveil. Après s'etre étonné de ce peuple dans la guerre, dans la politique, dans le commerce, il feut venir 1'obferver comme légiflateur. Longtems opprimé, plus indigné qu'ancun autre de fes fers, on doit, d'après le mouvement ordinaire des paffions humaines, s'attendre qu'il va marcher fanatique, furieux , aveugle a la conquête de la liberté. Non, c'eft le flambeau de  < 37 > la raifbn qui éclaire les pas du courage; c'eft \'équite' qui vient diftribuer les prix de la conftancc, Ghez lui les fuperftitions & les accès infe'parablcs du culte de 1'indépendance & de 1'e'galité ne corromperont point les interets majeurs. La vanité des fedtaires politiques, la tirannie de leurs fiftêmes y feront fans pouvoir. Ce n'eft ni pour fe livrer a la fureur de de'truire, ni pour >abandonner a 1'orgueil de cre'er que les Hollandois fonf, Ubres: C'eft pour conferver. Docües & refpedtueux au premier cri de I'equité, ils fentent que toute inftitution légiflative quil'offenferoit, ne pourroit paffer a la pofte'rité que pour de'shonorer le code qui en feroit fouille'. Les poffeffions de fortunes leur font facrées. Ces proprie'te's hére'ditaires de confide'ration qui font 1'unique ve'hicule des vertus e'clatantes; qui repetent inccffamment aux héros, que leur fang eft pour leur pofte'rité un he'ritage de gloire; qui donnent a la gratitude de Ia patrie la même étendue que celle des fiècles, & aux grands facrifices la feule récompenfe digne d'eux; tous ces droits, tous ces titres font préfervés des atteintes de la baffeffe & de 1'envie, Ils ne veulent que n'en avoir rien a craindre ; & loin de lutter contre ee fentiment irréfiftible qui fait refpedter la haute naiffance, il n'étoit peut-être point alors de peuple fur la terre qui lui rendit un hommage plus, C 3  < 30 fincère & plus noble. II ne faut plus s'étonner, que tous les ordres de 1'état, tranquilles fur leur» droits, aient formé une union nerveufe & trioraphante. Dans toutes les époques, dans toutes les circonftances d'une guerre de quatre-vingt ans, on voit les nobles commander, les peuples obéir, tous délibérer & combattre pour 1'intérét collectif. On n'appercoit même point un mouvement , une feule penfée dé rivalité entre les Claffes différentes. Chacune avoit pour garant de fa fureté la probité des autres. Ce refpecT: religieux pour 1'équité, feule fource de la vraie lumière, vient enfliite ordonner Tédifice politique. Chaque province, chaque canton, chaque villc, chaque bourg conferve fes immunités. Chacun des fept états fe circonfcrit dans fon régime habituel. De eet ordre feul peut naitre la véritable liberté, car elle ne fe compofe que des jouiffances propres au fite, données par le fol, enfeignées par Péducation, devenues chéres par 1'habitudc. Mais comme tout eft admirable dans la ferie des conféquences regües d'une grande vérité! Cette prodigieufe diffemblance de prérogatives partielles fe trouve enfuite 1'obftaele infurmontable aux entreprifes du pouvoir arbitraire. II ne peut faire un pas qu'il n'ait des réclamations a écouter, des combats a rendre. Partout un intérêt particulier eft prêt a révciller  C 39 3 1'intérêt général, a ranimcr de fes allarmcs, a le fortifier de fon zèle. La v igilance avec laquelle chaque contrée de la Hollande entretient fes digues a la hauteur demandée par 1'abbaiffement de fon fol, compare' au niveau de la mer & des fleuves, garantit la furface entièrc d'une fubmerfion générale. Son ordonnance politique a la même difpofition, & un pouvoir égal contre 1'invafion d'une autorité ufurpatrice. On peut affurer, ne fut-ce que par cette feule raifon, que quelque puiffe devcnir le gouvernement des ProvincesUnies, dans les changemens qu'il fubira, s'il fe fauve de 1'anarchie ? il fera toujours celui d'une jufte liberté. La prcuve en eft fans réplique: ce font les attentats a ces diverfes loix locales qui ont fait combattrc cc peuple prés (Pun fiècle, pour fe fouftrairc a 1'autoricé qui avoit entrepris de les violcr. Ce fyfiême fi compliqué par la diverfité de droits qu'il préfente, donne cependant 1'organifation la plus fimple dans fa marche vers le terme politique, & la plus attachantc pour chacune des parties qui doivent agir. Les campagnes repréfentées par 1'ordrc équeftrc, les villes par leurs bourgeois, députent a 1'aHémblée provinciale des citoyens dont 1'uniquc lecon eft de faire refpeóter les immunités particulières & de veiller a 1'adminiftration de la province. De ces C 4  C 4? } commices provinciaux, d'autres députés font chargés d'aller aux Etats-Généraux maintenir 1'indépendance de leurs fouverainetés refpecrjves, & ftipttler pour la gloire & la profpérité du corps fédératif. Cette organifation eft bonne fans doute, puifquclle ne préfente que fort peii d'erreurs, & jamais de négligence, & cóté de tant de faits d'une profonde fageffe, dans une adminiftration de prés de deux fiècles. Mais ces affemblées fédérales qui, peu nombreufes, chez un peuple fage, dans 1'age de la fimpleffe des mceurs, font propres a garder les antiques loix fondamentalcs, a tout faire obéir a leur vosu, a préparer, murir, ordonner les inftitutions, dont les progrés de la civilifation sménent la néccffité, ces affemblées ne peuvent concevoir, délilxerer, difpofer, agir avec 1'hsrmonie, avec la preftefle fuffiiantes, dans les grandes vues d'éxécuüon. Les dangers imminents , les moyens céléres veulent 1'unité d'intention & d'adiion: une feule tête, une feule voix. Une puiffance formidable, un maitre irrité, d'implacables ennemis a combattre devoient impofer filence a 1'inquiétude républicaine. ïl n'y avoit point de troifième parti entre celui de 1'anéantiffement, & celui de la foumiffion a 1'autorité d'ün feul dans les chofes d'éxécution. Les |jQllandois n'eflayent point de Jutter contre cettq-  ( 40 impérieufe vérité: ils fe choififfent un chef. Qu dit vrai. Regardez dans leur vie auftère ces hommes riches, mais fobres de jouiflances, & venea apprendre a les bien juger dans les depóts de leurs immenfes charités. C'eft ici qu'il faut vouer è 1'immortelle gloire les loix inftitutives de la Hollande. Partout il eft en ce pays des lieux de fecours pour les orphelins, les pauvres, les malades, la vieilleffe, les infirmes. Par tout ces hofpices ont la fortune fuffifante a tous les befoins. Par tout les infortunés y trouvent un fort comparable h celui des enfans d'une maifon oüt la tendreffe paternelle règne avec 1'aifance. Dans aucun lieu du monde on n'élèva tant & de fi fe'courables monumens a 1'humanité. Jamais patrio ne retira auffi tant de fruits de fes follicitudes maternelles. Chacune de ces maifons a une adminiftratiort compofée de huit ou dix citoyens. Nul ne peut arriver aux charges publiques fans avoir paffé par cette adminiftration, & fans en être forti avec des fuffrages. Ainfi c'eft par 1'amour de 1'humanité, par les foins de la pitié qu'il faut mériter la confiance de la patrie & 1'honneur de la fervir. On ne doit plus être furpris fi les hommes publiés de la Hollande y font fi utilcs a la fois & i la patrie & a 1'humanité. Cette inftitution eft une idéé fublime qui, lorfqu'on la médite, femble ouvrir elle feule tous les tréfors de la morale & du bien public.  <44> J'ai fait voir que la fimple équité demandoit * 1'Europe fon intérêt pour la Hollande. On fait que dans la nature elle eft le plus beau monument de 1'induftrie des hommes. On a vü que fon exiftence politique eft une longue chaine des* prodiges de la vaillance & de la fageffe. J'ai montre' que dans 1'ordre moral, 1'integrité de fes loix & fes inftitutions lui donnoient de juftes droits a 1'admiration univerfelle. Mais qu'importe a la politique des autres e'tats & 1'équité & les titres a 1'admiration? elle abandonne ces idéés générales, ces mots impofants aux déclamations d'une vaine philantropie. Et, il le faut avouer, cette politique a raifon, car le bonheur général ne peut exifter réellement 'qu'autant que chaque puiffancc aura bien entendu fes intéréts particuliers. II faut donc prouver aótuellement que 1'exiftence de la Hollande dans fa plus grande profpérité poffible, eft nécefiaire a chacun des états de 1'Europe. Cela n'eft pas difficile. II n'eft dans le monde que deux grand es puisfances maritimes: la maifon de Bourbon & 1'An"gleterre. La première des deux qui accablera Pautre mettra 1'Europe entière dans fa dépendance. La Hollande eft 1'unique poids pour tenir la balance enrre elles & la feule arme pour rédimer les autres états du joug qulls ont a craindre,  (45 ) i felle doit toujours étre alliée k la France & 4 la Grande-Bretagne, pour que Tune foit inceffamment prête è la défendre de 1'autre. Jamais elle ne doit agir ofFenfivement, que dans le cas oü les fuccès de 1'une des deux rivales menaeeroient de fa domination, & quelle fe refuferoit a toute médiation. Une diverfion par les puiffances fans marine, fi formidable quelle fut, feroit affure'ment de toute inutilite' contre PAngleterre. Contre la France bien gouverne'e, il feroit poffible quelle ne conduifit qu'a des cataftrophes. Encore une fois, la Hollande eft 1'unique efpoir. Cette ve'rité reconnue, qu'il Importe a 1'Europe que les Provinces-Unies foient puiffantes & profpères, établit la nécefflté de leur faire eonferver 1'aliment de leur vie politique & civile: c'eft le commerce. Ici il faut que fes loix, les inte'rêts, fes inftitutions foient identifiés avec le fiftême & les maximes du gouvernement. Qu'on lui oppofe des entraves dans les pays oü il peut nuire, que 1'on mefure ailleurs la confide'ration & la protection a lui accorder en raifon de fon utilite'. En Hollande, fon importance exige tous les foins, tous les encouragemens; & il eft inftant' d'aller a fon fecours. Depuis vingt ans cette puiffance a vü diminuer le nombre de fes vaiffeaux prefque de la moitié.  C 4«> Des villages, dont tous les habitans étoient marins, n'en donnent plus que fort peu, ou point. Ses navires ne font prefque forvis que par des matelots e'crangers. Secours précaire, qui ne fait pas une reffource digne de confiance. La Hollande entière crie que fon commerce diminue chaque jour, & marche vers fon anéantiffement. Préfage finiftre quand il eft unanime: il défole par le découragement avant d'accabler par la ruine qui le fuit avec trop de fidélite'. La dernière guerre contre l'Angleterre a caufé <3es pertes, des défiances, la crainte des hazards, cette timidité qui mène 1'aifance au defir du repos , & propage une léthargie générale. Cette guerre a ralenti, fufpendu même dans leur cours ordinaire les opérations des Hollandois. C'eft un ma! fans mefure que 1'interception d'un mouvement habituel. II eft prefque fans remède chez un peuple que les dons de la nature & les fruits de 1'induftrie n'avertiffent pas chaque année des avantages qu'il peut en tirer, qui, obligé d'aller chez les autres chercher les objetsdefes échanges, peut trop oublier, qu'en fommeillant fur fes capitaux accumulés, il Jaiffcjroit la géne'ration fuivante fans héritage.  (47 ) Les troubles de 1786 & 87 ont diftrait un fiombre trés confidérable de perfonnes riches des affaires du commerce. Beaucoup même fe font émigrées. Lorfque les caractères forts ne s'e'lèvent pas, ils creufent, car il faut qu'ils foient occupe's. L'efprit de parti plus opiniatre, plus fiere en Hollande que dans aucun pays de 1'univers, vient y préfider aux moindres acubns de la vie. II a partage' le commerce de la nation comme fes opinions. L'homme d'un parti n'agit plus avec celui de 1'autre: II 1'envie, il 1'obferve, le contrarie. Dans cette lutte aucun cóté ne gagne. Tous les deux fouffrent tour a tour. Le re'fultat eft une perte certaine pour tous. Dans les contre'es agricoles, chaque champ cn culture a produit une familie, chaque arpent a de'fricher, promet un mariage, & la propagation s'accroit jufques au dernier terme de la fertilice'. Dans un pays de manufaclures, les atteliers ouvrent des fources de fubfiftances, & les deux fexes n'attendent que la tranquillité fur le premier befoin pour obe'ir au premier fentiment. La il fe formera autant d'unions qu'il y a de falaires, & la population fait encore des progrès. Dans les Proviuces-Unies oü le fol attrifie la ge'ne'ration vivante & repouffe la géne'ration 4  C 4*" ) fiaitre, öü trés peu de manufactures ftipendlent an petit nombre d'étrangers, oü les ouvrages des arts, les fantaifies du luxe viennent des e'tats Voifins, la navigation eft le feul moyen du commerce; mais la navigation confüme 1'efpèce humaine. C'eft dans ces caufes de depopufation qti'eft le plus grand péril de la Hollande. L'Efprit du commerce ayant pénétré partout, chaque peuple veut être le vendeur au plus grand benefice de fes ouVrages & de fes productions , & autant qu'il peut il en fait lui-même 1'exportation. Le ne'goce de factorerie a donc beaucoup moins a faire; & c'eft autant de priva.tions pour la Hollande. Dans cette route commerciale, il n'eft pltfs d'efpoir que pour ces négotians du premier ordre, qui, avec des capitaux immenfes, payant comptant ou a court terme, réuffiffent encore k faire de grands accaparemens , parcequ'ils débaraffent dans un jour les vendeurs des foins d'une anne'e, & les mettent en état de recommencer le lendemain une autre fpéculation ou une tacfre nouvelle. La multitude, avec un cre'dit ordinaire, des capitaux médiocres, ne pouvant, n'ofant concourir, refte oifive ou languiffante. Dans les tems de fes profpérités, le commef-  (4> ) Ce élève un nombre infini de fortunes, qui cre'enè cette quantite' prodigicufe de families bourgeoifes, qui peuplent les villes, les bourgs, les villages de tous les pays commercants, fingulièremcnt ceux de la Hollande. Dans fon de'croiffement il les paralyfe. Alors s'élève une barrière infurmontable entre cette claffe & celle qui la fuit. La carrière naguère, ouverte atous, fe trouve ferme'e. Heureux ceux qui ont atteint le but: il eft inabordable aux autres. Cette claffe enrichie, tant quelle fe fouticndra dans 1'aifance, par fes befoins & fes confommations, aidera la fubfiftance de celle qui la fuit.' Mais elle s'appauvrira, cela eft infaillible, & d'autant plus que fa richcffe n'eft qu'en numeraire place', non fur des terrcs , mais fur des chances hazardeufes. D'ailleurs 1'oifivete dans laquelle elle vit appelle aux jouiffances diverfifie'es, conduit aux e'garemens. Après s'être ruine'e, fi elle furvit a fa fortune, il ne faut pas efpèrer quelle retrograde vers 1'e'tat dont elle e'toit fortie. Alors ne préfentant qu'une tourbe d'bommes au moins inutile , n'aidant plus la claffe que fes de'penfes faifoient vivre, leur cnfemble ne pre'fentera [déformais qu'une amas de miférables. A mefure que le commerce déclinc & que les D  (5°) cours fe grêvent d'engagemens ou fe ruinent, Ie monftre de 1'agiotage vient fe remplir des dernières goutes de fang du commerce, des états & des peuples. L'objet effentiel d'un commerce dirigé fur les bons principes, eft de porter le mouvement, Ia vie, c'eft-a-dire, les moyensde fubfiftance, dans les dalles les plus indigentes, dans les extrémités les plus inertes du corps focial. Ainfi le figne obtenu paj 1'agriculture, le commerce, 1'induftrie, doit revenir ravirer fes fources, pour en obtenir de nouveaux bienfaits. Si au contraire le figne agit & réagit fur lui même, fi 1'on trouve fon accroiffement par des combinaifons fur la diverfité de fes exprefibns, il eft clair que fon abfence frappe de mort & les échanges, & 1'induftrie, & 1'agriculture. Amfterdam, dans ce moment, fait plus de banque que de commerce. Ce mal eft trés grand, & de plus fans remède, car tant que les états &Jes compagnies auront des engagemens , il fera libre, légitime, & même bien vü pour 1'intérêt perfonnel de fpéculer fur leurs chances. Mais en obfervant les intéréts mercantiles de la Hollande , on fc trouve devant le plus magnifique monument de puiffance commerciale que les hommes ayent élevé fur la terre. C'eft la compagnie des Indes Orientales. Arrêtons nous quelques inftans pour contcmplcr ce coloffe. Sa,  ( 5i ) gloire, fa décadence font de grandes legons qui peuvcnt éclairer fur le pe'ril de fa chute, & fur les reffources qu'offrent a la républiquc les rnoyens qui lui reftent. Partout on trouve 1'hiftoire de fa naiffance, & de fa courfe vers la grandeur & les profpérite's. A pre'fent les Provinccs-Unies font pcuple'es de cenfeurs & de cenfures qui tonnent fur les abus qui l'ont attaque'e, fur les vices qui 1'infedtent, fur les crimes qui la de'vorent. Une commiffion charge'e de 1'éxamen de fon e'tat a de'couvert fes playcs. Elles font frappantes, & les remèdcs font occultes. Elle périra: tel eft le cri terrible, le pre'fage funeraire, dans les fept provinces, dans toutes les places de 1'univers. Elle pe'rira donc, car cette opinion finiftre qui, dans le commerce, tuc le crédit, toute confiance, la commiferation même, la condamne a fe débatre feule dans fon agonie. Je laifferai, ainfi que tout détail hiftorique, toute difcuffion mercantile dans les têtes oü ils font peut-être d'une manière fort infidèle , pour ne m'attacher qu'a quclqnes verités premières: elles ne font pas verbeufes. Chaque inftitntion , ainfi que chaque gouvernement a fon principe virtuel, qui frappe de fon D 3  C 52 ) emprcinte toutes les conféquences , donne aux chofos leur mode analogue a fon deffein, & aux perfonnes le caraclère rélatif a fon intention. Une compagnie marchande a donc auffi fon principe ; & ce principe n'eft & ne peut-être autre chofe que la cupidité. Certes on ne doute point, pour peu que 1'on connoiffe le cceur humain, que la crainte dans le defpotifme, 1'honneur dans les monarchies, 1'amour de la patrie dans les républiqucs, ne foient de legères & fugitives fantaifies, compare'cs k 1'ardeur, a 1'opiniatreté de la cupide avaricc lorfquelle gouvernc nos affe&ions. C'eft en 1602 que les Hollandois formèrent leur compagnie oriëntale. Alors des déiibérations, des difcuffions journalières fiir les plus nobles intéréts, élevoient leur génie a la plus grande hauteur, & lui découvroient un vaftc horifon. Des allarmes iriceffamment renaiffantes leur donnoient 1'efprit de preVoyancc, des combats perpétuels avoient porté leur courage a fa plus forte énergie. Alors les craintes, les efpérances communes, dans Ia pourfuite de 1'indépendance les étreignoient dans 1'union. Alors auffi des mceurs plus fimples leur pcrmettoient de voir 1'intérêt perfonnel dans 1'intérêt colleótif, Voila les hommes qui vont fe tranfporter dans  ( S3 ) les mers de 1'Inde, pour y combattre quelques Portugais épars dans leurs vaftes conquêtes, épuife's par leurs victoires, prefque fans de'fenfe, dégrade's par le climat, affervis a un joug étranger qu'ils avoient en horreur, & languiffants au milieu de vingt nations auxquelles ils étoient odieux. Les Hollandois furcnt partout vidïorieux des vainqueurs, des tirans de 1'Afie: 1'Afie dut les aimcr, les craindre & les fervir. Les Portugais, plus guerriers que négotians, n'avoient èu ni le tems, ni peut-étre les difpofitions ne'ceffaires pour faire un trés grand commerce. Les Hollandois, dont c'e'toit 1'objet unique, fe choifirent des chefs lieux, formérent des combinaifons juftes, embralïerent dans leurs vaftes projets 1'Afie & fes mers, s'e'tabiirent un entrepót fur la pointe de 1'Afrique, & fe mirent a. de'fricher le fol neuf encore du commerce des Indes. Sans rivanx , aux fources des richeffes, il ne fallut pour ainü dire a la compagnie Hollandoife que confentir a fa profpe'rité. Alors en s'enrichiffant jufques a la fatiété , fes officiers, fes employe's avoient une furabondance de moyens qui difpenfoit Pambition de Pinfidélité; & Phabitude des mceurs de la me'tropole faifoit redouter 1'infamie. Mais ces compagnies s'identifient avec leurt D 3  C 54 ) générations; elles ont prefque la longévité des états. Tout au contraire la multitude qui les fert eft le tableau le plus variable de la vie. Un effaim ne s'eft pas plutót engraiffé dans fes champs, qu'un autre accourt y chercher fa pature. Pendant cette pourfuite de la fortune, dans cette fucceffion des hommes qui s'y livrent, 1'auftère morale fe rclache, les fources de la richeffe s'appauvriffent, la cupidite' s'accroit; & le commis qui faifoit auparavant fa fortune avec celle de fon commettant, s'arrange pour que la fienne foit faite la première, dans Ia craintc que les difficulte's ne rendificnt longue & incertaine la doublé taehe. Fcrez-vous des ordonnances pour de'fendre k vos employés d'agir pour leur propre compte ? Porterez-vous des loix pénales contre les infracteurs? Ils ne verront dans vos prohibitions & vos menaces que les convulfions d'une avidité exclufive, infatiable.- ils s'en indigneront. Vous aurez allié la colère, la haine a I'impatiente avarice. Vous aurez, dans leur opinion, prefque légitimé 1'infidélité: ils voyent, ils fe difent, que vous n'avez pas d'autres motifs pour les menacer, que ceux qu'ils ont pour vous défobéir. De tout cóté c'eft la foif de 1'or qui vous poigne. Vous n'aurez donc qu'ajouté une paffion amère a une paffion ardente: vous aurez apporté de  ( 55 ) nouvcaux véhicules pour fe hater davantage. Et puis quels feront les hommes chargés de 1'obfervance de vos règlemens, de 1'exécution de vos loix? De graves magiftrats, des infpecteurs & autres furveillans; mais tous font hommes; ils refpirent, ils raifonnent, ils agiffent fjus 1'influence du principe fondamental, du fentiment régulateur , cupiditê. II arrivera encore qu'ils auront, comme dans toute inftitution qui fe corrompt, des erpions, des délateurs qui en achèvent la diffolution. Hé bien! gardez-vous d'en douter: Efpions, délateurs, prévaricatcurs, magiftrats, infpecteurs, cenfeurs de toute dénomination partageront les rapines, & vous verront en riant lutter de loin contre votre ruine. N'oubliez pas que vous fcrez affaillis par les gens k projets, les intrigants, les calomniateurs, car vous n'êtes plus que les portiers d'une mine, oü tout le monde veut entrer n'importe comment. Ainfi tandis que mille mains apporteront fous vos yeux Terreur des brillantes illufions pour vous féduirc, ou s'efforceront de jetter dans vos efprits Peffroi des périls imaginaires pour vous furprendre le pouvoir de vous tromper, mille autres vous préfenteront le menfonge pour juftificr leurs trahifons; & ceux de qui vous aviez efpéré la vérité, devenus coupablcs, ne vous abordeD 4  C 5* ) ront qu'avec le deffein de rendre incurablc votre cécite'. Vous êtes les fiiperbes titans tourmentés fans efpoir au fond d'un lac infeóté, e'touffe's par le poids des montagnes, environne's des profondcs tenèbres de 1'inipofture. Cependant il peut arriver qu'cnfin vous 1'entendiez cette vérité tant fouhaite'e, mais ce fera lorfqu'il n'y aura plus d'inte'rêt a la ce'ler ou a la dire. Alors fes accens feront votre arrét de mort. Une inftitution mercantile eft 1'enfeignement de 1'art de s'enrichir, & eet art n'eft que 1'évangile des dépravations. De toutes les vérite's morales, voila la plus incontcftablc. Que 1'on rapproche ce rapide itinéraire, que je viens de tracer des paffions humaines , des différentes époques, des circonftances diverfes dc 1'hiftoire de la compagnie des lades. Ce qu'elle fut dans 1'age des mceurs, des guerres, des victoires de la république naiffante. Les changemens de fon régime dans le repos qui fuivit ce fiècle de gloire. Ce quelle a été lorfque les Anglois & les Frangois font venus concourir avec elle dans les marchés de 1'Inde, pour retourner rivalifer dans les places de 1'Europe. Les prix augmentant fans ceffe aux fources, diminuant toujours aux ventes. Les bénéfices fe réduifant partout & en tout; & enfin la guerre dernière qui a occafionné des dépenfes, caufé des pertes au  C 57 ) moment oü les reffources e'toient taries. Chacune de ces epoques , fi 1'on obferve bien, marqucra les progrès des vices & les pas vers la ruine, comme le volume d'eau dans le cle'pfydre donne la mefure du tems. J'ai du m'abftenir de citer des faits, parcequ'ils apparticnnent aux hommes, paree qu'articuler les uns c'eft de'noncer les autres, & que, dans un écrit d'inte'rêt public, tout cc qui peut conduire a des pcrfonnalite's eft unenoirceur, une lachete' dans fon auteur. Mais j'ai la liberte' de dire, que rien n'eft e'connant & unanime comme 1'horreur & 1'indignation des gens qui reviennent de 1'lnde, contre 1'adminiftration des poffeffions Hollandoifes. Ecoutez-les, & pas un feul ne contredit 1'autre: a pre'fent, la cupidité ne pouvant être afTouvie par les larcins a faire fur les foibles béne'fices courants de la compagnie, elle attaque fa propriéte' acquife. S'emparer des effets de fes magazins, les vendre publiquement, eft un ufage, & eet ufage eft devenu un droit incontefté. Dans chaque dégre' de 1'e'chelle adminiftrative, tout individu trouve au-defiüs de lui des patrons. Au deffous il fe fait des cliens. Au fein de ce fale compót tout fe corrompt, fe croife, fe choque : on n'y voit qu'enncmis & complices. La cupidite' qui fépare ou qui rapproche, la cupidite' qui y diftribue tous les mafques, D s  C 58 3 se laiffe que la méfiance fous celui de 1'amitié, la perfidie fous celui de la reconnoiffance. La haine y eft careffante, & la vengeance y rampe fur les trames de la calomnie. Cependant tous ont un inte'rêt commun vers lequel ils marchent d'accord: c'eft 1'impunite'. Elle leur eft affuré en Europe pour les grandes places, c'eft-a-dire, pour les erands crimes. En effet, pour faire juftice, il faut connoitre la vérite'; & comment les directeurs 1'appercevroient - ils au fond d'un océan d'aftuces & d'impoftures? Auffi les poffeffi >ns Hollandoifes font-elles le théatre d'un defpotifme qui e'tonne 1'Afie même. Auffi les cabales s'y montrent-elles avec la dcrnière effronterie. L'efprit de faction eft tellement devenu 1'habitude de ces pays, que les diverfes intrigues, pour fe fortifier, fe font avife'es d'allcr fe recruter dans les troupes. Un régiment francois tiraillé par les unes & par les autres, careffé, menacé tour a tour par toutes, a fupporté ces alternativcs avec 1'impatience ordinaire de fa nation. 11 a été traité de rébelle, & on 1'a réformé. Un régiment allemand actuellement h Java, défefpéré des agitations qu'on lui fait éprouver, ne refpire qu'après le moment de rcvenir en Europe.  C 59 ) Un régiment Suiffe, occupé h préfent a faire la guerre aux Chingulais, dans Pifle de Ceilan, s'eft vü féduit, entrainé au Cap de Bonne Efpérance dans des divifions infernales. On avoit anime' une partie des officiers contre Pautre. On avoit même excité les foldats a la re'volte; & 1'objet de tant d'atrocités étoit uniquement de calomnier, de perdre le colonel de ce corps, officier qui a fervi trente ans avec diftinction une grande puiffance, dont les principes font des reproches dans les lieux oü il n'y en a point, dont la voix ne feut jamais flatter 1'infidélité, & qui , pour fe maintcnir, a eu bcfoin de plus que de la pureté. Tel eft le fommairc de toutes les rélations des voyageurs aux Indes Hollandoifes. Celles qui viennent des poffeffions Angloifes ne font pas plus douces. Les francois en firent conftamment d'auffi hydeufes des établiffcmens de leur compagnie dans 1'Inde. La compagnie Hollandoife des Indes Occidentales a fourni de femblables tableaux. Portez vos recherches fur toutes les aflbeiations mercantiles qui fe font formées dans les grandes places de commerce, pour divers objets, dans toutes vous retrouverez avec la plus éxacte conformité les fymptömes, les maux & les crifes que vous venez de voir dans celle de la Hollande; dans toutes vous ne verrez que  des fentines, oü les vices & les crimes entaffés, font livrés a une fermentation dont les vapeurs portent la gangrêne; a toutes vous pourrez faire une application parfaitement jufte des principes que je viens d'e'tablir fur les compagnies marcbandes. Cependant cette compagnie Hollandoife eft le de'pót d'une partie des fortunes particulières de la Hollande. Si fon état de pénurie rallenti fes opérations, par le commerce quelle ne fait pas, elle privé 1'état de celui que les négotians libres pourroient faire. Gardienne des climats les plus riches de 1'univers & de la plus précieufe propriété de la république, des ifles qui produifent les épiceries, ces fources inépuifables de profpérité ne peuvent qu'être en danger dans fes défaillantes mains. II eft poffible que les mécontentemers y foient fi profonds, les difcordes fi véhémentes, les défordres fi généraux, & les négligences fur les objets de fureté portés a un tel exces, qu'il feroit fort facile a une puiffance ambitieufe de s'y faire appeller. Cette puiffance ne fe trouvera pas, je le veux croirc, mais il faut ici plus qu'un adte de foi. En tout tems, & plus que jamais dans des circonftances oü tout équilibre dans la puiffance maritime de 1'Europe eft fufpendu, il importe d'accourir aux précautions néceffaires, & les précautions de la détreffe font toujours infuffifantes.  Puifque la Hollande eft le poids ne'ceffaire pour maintenir un jufte balancemcnt entre les puiffances maritimes, il eft conféquemment du plus grand inte'rêt de 1'Europe, que les ifles a épiceries, qui font 1'une des principales fources de vie de la republique, reftent dans fes mains. Quant a 1'intérêt propre de la Hollande, a eet e'gard, comme fur toutes les autres branches du commerce des Indes, lui parler des avantages de le rendre floriffant, ainfi que des dangers qui fuivroient fes pertes , ce feroit vouloir enfeigner les premières régies de 1'arithmétique aux premiers calculateurs de la terre. Occupons les donc des moyens de falut, que tous les gens bien intentionne's doivent defirer qu'ils cherchent & qu'ils trouvent. II ne faut pas efpèrer que 1'adminiftration qui a vu fe de'grader, fous fes foins, ce magnifique édifice, foit propre a le réparer. Ce n'eft point dans le défant de lumières, d'expe'rience, de zèle & de droiture que 1'on doit chercher 1'impuiffance des adminiftrateurs. On ne voit point de reproches graves a leur faire, & fouvent i!» me'riterent les plus grands e'loges. Jouets de 1'adroite avidité, ils ne font que les premières victimes des malverfations. Le feul vice de leur organifation, c'eft le nombre.  ( 6a ) Une adminiftration confïée a plufieurs têtes eft a 1'abri de cette inconfide'ration, de cette audacequi caufent fouvent les grands de'faftres-, mais elle n'eft point garantie des erreurs & des foibleffes,-& fous fa fandtion elles s'e'ternifent. C'eft fur tout dans les autorite's collectives que règne cette timidite' qui craint d'innover, qui refpedte les habitudes. Cependant, dans chaque ge'nération, la corruptibilité humaine en laiffe s'e'tablir de vicieufes-, & comme fous le ciel le plus pur, l'air porte fur tous les corps expofés a fon adtion un fe'diment qui a la force de les diffoudre, les fociétés d'hommes le mieux ordonnées de'pofent, accumulent d'age en age, les négligences, les fauffes combinaifons, qui compofent & fortifient cette maffe d'abus, a la fois fi corrofive & fi réfiftante, que la diffolution quelle produit fe trouve prefque achevéedès les premiers efforts que 1'on fait pour s'en préferver. Alors la mort s'avance avec rapidite'; & les remèdes lents ne Pannoncent que plus certaine. Un collége d'hommes, au-lieu de jugcr, ordonner a 1'inftant & fans contradidtion, ce qui dans les dangers imminents eft 1'unique régime fecourable, fe réunit avec lenteur, délibére avec incertitude, ne fe détermine qu'après mille oppofitions. Aujourd'hui c'eft 1'opinion d'un dé-  ( «3) libérant qui eft adoptée: demain on fuivra eelle d'un autre. Chaque jour voit changer i'influence. Chaque affaire appartient a une intention diffe'rente, & 1'enfemble des opérations, trainé lentement & pe'niblement a travers une lice dans laquelle les vues fe croifent & fe heurtent, n'offre qu'une bigarure oü tout eft incohe'rent, oü tout fe brife & fe difperfe au moindre mouvement. Mais j'ai dit un college d'hommes! Voici qui eft a peine concevable. La compagnie des Indes Hollandoife eft gouverne'e par cinq directoires, inde'pendans les uns des autres, e'cablis dans les villes diffe'rentes qui repréfentent pour autant de portions de proprie'te'dans cette affociation. Admirons le miracle qui afait qu'une inftitution tiraille'e, tourmentée par cinq forces de'funies, ait pü fubfifter auffi longtems! Rien n'attefte auffi parfaitement la ple'nitude de l'impaffibilicé du caractère national. En France un pareil fyftême auroit amené les difcordes, la guerre & la ruine dès la première année. Ayez des autorite's collectives pour de'fendre les loix donne'es par le genie d'un grand homme, pour pre'ferver fes inftitutions de 1'inconftance des peuples, pour les garantir des caprices de 1'arbitraire; mais qu'ils difparoiffent quand il eft  C U ) queftion de créer ou de révivifier. Ce fut Ie génie de Numa qui créa la puiffance de Rome. Le fe'nat, les formes républicaines la confervèrent dans les tems ordinaires; mais une dictature abfolue eut feule le pouvoir de la fauver dans les circonftances périileufes. Tout ce qui s'eft fait, tout ce qui s'eft reproduit de grand fur Ia terre fut concü.par une feule inteliigence , difpofé par une feule volonté. Ce n'eft que par la prefteffe , par la force de 1'unite' que 1'on peut étouffer les difcordes, foumettrc 1'indifcipline, faire trembler 1'infide'lite', accabler, faire fuir le crime & voir renaitre 1'ordre. On doit donc confide'rer comme le premier mayen reftaurateur de la compagnie des Indes la nomination d'un chef unique, abfolu , enfin d'un di&ateur. Mais par deffus tout c'eft fon choix qu'il importe de bien faire. Ce ne feroit point affez qu'il eut des lumières, de 1'énergie, des intentions pures. II faut de plus qu'il reüniffe tout ce qui rend 1'autorité refpectable, impofante: un nom reVe're', un rang augufte, 1'afcendant que donne une haute deftinée. Le prince Stathouder lui-même dcvroit étre invite' a cette grande tache, fi une plus importante encore, les foins qu'il doit a la re'publique , lui permettoient une telle difiraction. On dit que M. Je prince he're'ditaire joint les lumières de 1'efprit a la fer-  C % ) meté dans le cara&ère. C'eft lui que tout appelle a ce travail: il ne peut mieux commencer a fervir fon pays. Le fecond moyeft de falut pour la compagnie des Indes eft plus compofë. II faut y voir indivifiblement la rcnonciation au priyilège exclufif dans toutes les echelles de 1'Inde, les ifles a épiceries exceptées; 1'abandon en tout lieu, a la re'publique, des droits de fouverainete', & les difpofitions a faire au Cap de Bonne Efpe'rance. Le plus grand facrifke que la liberte' naiffante, que la liberte dans fa première ferveur ait pu. faire a Ia profpe'rité publique , c'eft affurément 1'oclroy, a une compagnie, d'un privilège exclufif pour un commerce riche. Cet acte de fageffe eft un excmple rare, unique même dans 1'hiftoirc des nations: il a é:é bien re'compenfe'. Les hommes qui, dans de telles crconftances , furent capablcs d'une déterminatjon fi raifonnable, favoient affurément, comme tout le monde Ie fgait aujourd'hui, que s'il eft néceffaire de réunir, d'accorder des moyens, des vues de fortune pour enrichir un peuple des fruits d'un commerce lointain, pour lui ouvrir, lui préparer les voycs d'une profpérité nouvelle, Texclufif qui donne ces avantages eft un dépót facré, que tout erdonne de reftitucr a 1'inftant qu'il a rempli fb« S  ( 66 ) objet, au moins auffi-tót qu'il ccfle de le remplir. Les privilégiés ófcroient - ils réclamer, quand les premiers fuccès de la préférence dont ils ont jouis les ont fi magnifiquement payés, & furtout lorfque la reftitution qu'on leur demande n'eft pour eux que 1'allégcment d'un fardeau qui va les faire fuccomber. L'abandon des droits de fouveraineté, 1'allégeance de leurs frais énormes, ne font plus que des conféquences de la ceffation du privilege exclufif. Ces nombreux magafins, ces eilanders, ces établiffemens & leurs effets de toute efpècc, en Europe, en Afie, en Afrique, qui coagulent des capitaux immenfes, feront vendus, foit a 1'état, foit aux enchériffeurs. Les dépenfes infiniesdont ils font les prétextes, les infidélités perpétuellcs dont ils font la fource cefferont alors feulemenr. C'eft aux lieux qui produifent les épiceries que doit fe concentrer la compagnie. Ainfi fon privilége n'eft pas détruit; il n'eft que reftraint a fon objet effentiel, a fa fource Ia plus abondance, laplus füre, la plus inépuifable. Mais la il devient néceffaire, parceque des poffeffions d'une auffi haute importance exigent 1'cxtréme vigilance de 1'intérét propre, & interdifent toute autre diftracliion. II faut que la compagnie feule y  ( aic radminiftration des cultures & du commerce. II faut auffi quelle y ait un tribunal de juftice pour les de'lits & les conteftations relatifs a fes intéréts, qui juge fommairement & fans appel ; mais dont les juges puiffent être pris a parti, & traduits dans les tribunaux fouverains d'Europe, fous caution fuffifante donnée par le plaignant, foit de fa fortune, foit de fa vie. Quant aux gouvernements, aux places mili» taires & aux troupes, tout cela doit appartenira la république, dont 1'ordre fera de donner toute protection a la première réclamation. L'état le plus faux dans fes principes, le plus rebutant par fon but, le plus infignifiant dans fon exiftence, eft celui de foldac fous le fceptre d'une compagnie marchande. II faut toujours fauver les hommes d'une fituation immorale, ne fut-ce que par la raifon qu'ils ne peuvent y infpirer la confiance. Venons au Cap de Bonne-Efpérance. Ce fite, le centre de 1'univers, oü Ie monde commercant demandc a fe rallier, eft donc entouré d'une barrière de prohibitions ? hatez-vous de la brifer. Préfentez les terres fertiles de fes immenfes déferts aux multitudes qui accoureront les eultiver, & dont les générations vous promettent un vafte empire. Ouvrez fes ports a tous les pavillons, Vous en ferez la rchiche obligée des vaiffeaux E 2  ( 63-> Hollandois qui voudront faire le commerce de 1'Inde. Nc doutez pas que toutes les nations ne les choififfcnt auffi pour le mème objet. Vous y ferez payer un foible tribut a vos navigateurs. Ceux des autres e'tats payeront Ie doublé. Vous étes affez éclaire's pour faire que le terme de ce tribut foit mode'ré au point que le choix de cette ftation procure toujours des avantages. Le revenu de ces douanes doit être percü par un officier de Ia re'publique conjointement avec un prépofé de la compagnie, pour tenir un compte fidéle des recettes, dont le produit fera employé' a payer les engagemens de la compagnie, les fraix d'adminiftration & de confervation preleve'. La Hollande , dans le rarlentiffemeat de fan commerce, pofféde la première des reffourccs: c'eft un immenfe capital de numéraire. Alors vous verrez ces richeffes accourir aux licux oü elles pourront agir. Vous verrez vos négotians, les plus habiles de 1'Europe, &, difons le auffi, les plus dignes de confiance par leur droiture, comme les plus rcfpcftables par la fageffe avec laquelle ils favent modérer leurs bénélices; on les verra, dis-je, remplaccr la compagnie dans fes établiffemens fur le Gange, au Malabar & au Coromandcl, avec tous les avantages que 1'on doit attendre d'hommes expérimentés, dont les vues ne font pas diftées par la pénurie, dont  C 69 ) les opérations ne font point gênées par la détreffe, dont les bénéiices ne feront point difpute's d'avancc par des créanciers inquiets & par des fubordonnés infidèles. Ils enverront au Cap acheter vos chantiers pour conftruire, vos magazins pour appelier les navigateurs a cette relache, pour leur vendre a moindre prix les Kiate'riaux , les agrés & les comeftibles. Ils feront plus: ils calculeront que 1'endurciffement, l'a&ivite' de leurs matelots au travail, font qu'un trés petit nombre d'hommes fuffic pour equipage dans chaque navire & rendent leur navigation moins difpendieufe ; que lesvoyages du Cap a 1'Inde & les retours de 1'Inde au Cap font de cinq mois au plus; qu'en ajoutant aux premiers prix des marchandifes, & au frais de toute efpèce, quinzc pour cent en benefice, les vaiffeaux d'Europe gagneroient davantage en recevant leurs cargaifons.au Cap aux prix Hollandois , qu'a les aller chercher avec fix mois de navigation de plus aux prix Indiens. Les perfonnes plus exercées que moi a obferver Iq marchc du commerce & les caufes de fes révolutions, fentiront bien mieux encore quelle préponde'rance eet ordre de chofes donneroit aux Hollandois fur les Ahglois & les autres nations, qui ne feroient plus que les affaires que la Hol Une puiffance, par exemple, comme celle da St. Marin, s'il y furvient quelqu'aventure allarmantc, avec un tambour placé au centre de la place publiquc, par quelques coups de baguettes , peut réveiller & affembler promptement fes fiers républicains. Le péril eft connu, les délibérations prifes, les ordres donnés, les executeurs choifis avec affez de célérité, lorfque par un bonheur fort rare il n'y a ni intrigues ni faction, & que 1'état eft dans fes beaux jours. La, je 1'avoue, mais la feulement, je vois la république dans fa plénitude, fon énergie, dans toute fa dignité, puifque la liberté, 1'égalité politiques & civiles y ont toute leur action & leur réadtion. Le malheur eft qu'une telle puiffance peut trés bien devenir, dans une heuie, le village d'un voifin capricicux, & que c'eft une mauvaife condition fur la terre que d'ètre le fujet d'un trés petit état. Mais fi la république sagrandit affez pour que 1'utile tambour ne puiffe fe faire entendre de tous les points de la circonférence, le peuple ne pouvant être averti, ne pouvant entièrement accourir au moment néceffaire, fe fera fait des repréfentants; il aura choifi des organes de fes volontés; il aura confenti a un dépót d'autorité ; & voila la république avortée, puifque 1'on voit déja la puiffance & 1'adreffe en activité, enchainant  C 78 ) i^ndigence & ftupéfiant la crédulité. Heureux encore eet état que les affaires prennent cette allure, car fi chacun de fes citoyens, lorfqu'il y en a feulement quelques milliers, vouloit conferver une infiuence égale, ils fe feroient plütót égorgés vingt fois, qu'ils n'euffent arrêté une réfolution. Et a mefure que ces états gagnent en fiirfaco & en population, le pouvoir échappc au grand nombre, pour mieux s'affermir dans les mains qui ont pu le faifir. Telle eft la loi abfolue de Ia néceffité. Certainement il n'y a pas la Tombre de liberté, d'égalité politiques & civiles. Ainfi le mot république, vuide du fens qu'on lui donne, ne laiffe réellement aux yeux de Ia raifon qu'une trompcufe chimère. Le peuple, éclairé par malheur, fur Terreur dont on le berce, voudroit-il rentrcr dans fes droits primitifs? Alors il y a infurrection: premier fléau. S'il eft vidtorieux, il gagne Tanarchie. S'il eft abattu, un nouvean jong s'appéfantira fur lui. Rétrogradez dans les tems & parcourez la terre, vous reconnaitrez la fidélité de ce tableau. Dans Texemple de St. Maria vous avez la jufte mefure, Tidéc finie de la démocratie, qui eft la république réellc. II en eft, fous la même dénomination, de plus étendues.»  < 79 ) je le fcais; mals pe'ne'trons dans leur enceinte, il fera facile d'y compter les families qui font en poffeffion dc les gouverner. Nous verrons qu'elles ont le pouvoir d'y faire naitre les tourmentes au gré de leurs intéréts ou de leurs paffions. Nous obferverons que ces fragiles corps politiques n'éxiftent que de la proteclion d'états plus puiffants & ayant des gouvernemens diflérens, parcequ'une confédération de pures démocraties n'a jamais éxiftéc, parcequ'efpérer la former feroit vouloir obtenir un amalgame tranquille de flammes & de fouffre, & faire fur Ia terre un effai de 1'enfer. Ariftocratie eft donc le mot propre de toute république qui a plus d'une lieue de diamétre, Dans les unes il eft hautement articulé, & la chofe eft clairement fignifïée. La un peuple hébêté rampe affez en paix, parceque fes maitres inquiets, ombrageux ne dorment jamais, & tiennent fans relache un foudre prét a écrafer la première tête qui s'éleve & murmure. On peut comparer ces gouvernemens a ces corps cacochimes qui, a 1'aide d'un régime pénible, atteignent une affez grande vieilleffe. Dans les autres, Pariftocratie voilée, eft douce pour conferver le preftige de la liberté, careffante pour laiffer 1'illufion de 1'égalité, fjlc«-  ( 8o ) cieufe pour ne point re'veiller Ia létnargie. Elfe appréhende de porter de nouvelles loix, parceque leur promulgation de'céleroit les maitres, avertiroit les efclaves. Pourfe montrer docile & candide, on la voit diftribuer les anciennes avec une fuperftitieufe fidélite'. Elle fe garde bien, pour 1'intérêt même de fon pouvoir, de forger des chaines qui feroient appergöes ou fenties; mais dans la nuit elle he'riffera d'obftacles refpace quelle a laiffé entre elle & la multitude. C'eft une fublime e'cole d'habilete' qu'une ariftocratie déguifée. Mais Ia encore, après mille & mille allarmes, le fort de la fageffe eft de fuccomber. Les claffes les plus voifines de celle qui règne voyent trop fon pouvoir pour ne Ia point envier. Elles pénétrent affez fes vues pour cmbarraffer fa marche. II faut qu'elles partagent Ie fceptre ou qu'elles fonnent le tocfin fur fes ufurpaceurs. D'abord , compofe's dans leurs mceurs, les candidats croyent pre'fenter des titres en faifant voir les fignes extérieurs de Ia modeftie & de 1'auftérité. Humbles folliciteurs, ils rampent avec patience de degrés en degrés jufques a la porte du fanctuaire. Y font-ils accueillis? leur fuccès ne fait que groffir la foule des prétendans. Seroient-ils repouffés ? ils crient que la liberté n'eft plus; & leurs eris ont 1'accent de la vérité. Leurs mécontentemens fe propa-  C «I ) gent, les crifes les fuivent, les orages fe fuccédent; & 1'altcrnative, comme je fai déja dit, eft 1c jong ou 1'anarchie. Une forcc e'trangère viendroit-elle s'interpofer entre les partis ? pour quelques momens elle aura ferme' la route du volcan; mais les feux inte'rieurs deffe'cheront, rendront infertile la furface qui les renferme , cn attendant que leur explofion , tót ou tard, la couvre de cendrcs & de laves. La vie du re'publicain eft vraiment une carrière d'angoiffes qu'il ne traverfe qu'avec un cceur troublé. Inccffamment agité par fa manie de liberté & d'égalité, il s'offenfe de 1'idée de toute fupériorité. L'afcendant qu'obtient le mérite lui femble un attcntat de 1'homme contre le re'publicain: il s'en indigne. L'envie, la haine, le dé» fir des vengeances ne défaifient plus fon ame. On compte prefque les héros des républiques par le nombre de leurs vidtimes. Cependant, quoiqu'agité par ces pafffons terribles, on le verra compofé, humble pour briguer les places. Sa verfatilité, fa fléxibilité font inconcevables. II a une manière d'êtrc pour chaque circonftance, un caraótère différent h préfenter a chacune des perfonnes dont il pourfuit la faveur. Quel affreux mélange d'oppofitions! Jettez vos yeux fuf cette multitude attachée avec effort a la liberté F  ( 82 ) rnenfongère qui fe joue dc fa crédulité, & voyez la fe de'piter en même tems de ce que le fantöme e'chappe perpe'tuellement a fes fens. La fable des tourmens d'Yxion, embraffant la nue , femble avoir e'té faite pour elle. Reportez enfuite vos regards fur la claffe dominatrice, fa voix careffante annonce 1'égalite', mais fes mains retienïient, e'treignent le fceptre avec le plus de vigilancc. Tout eft faux dans ces attitudes: on n'y reconnoit d'expreffions que celles du dépit & des anxie'tés. D'autres confidérations peuvent encore coneourir avec ces malignes influences du gouvernement. Une loi trop regide contre la vengeance noble, concentreroit la haine & la conduiroit aux vengeances ténébreufes. Les grands fuccès des profeffions qui mènent a la fortune, propageroient les jouiffances & les viccs qui les fuivent. L'afferviflement des magiftrats aux formes d'un code qui en feroit furcharge' , deviendroït un attrait, un égide pour 1'adroite perverfite, èi condamneroit a la défianee, a la crainte 1'honnêteté timide. Cet entaffement de penfées & ds féntimens trouble's, de voeux & de paffions coupables, dans un pays oü chaque homme eft un cenfeur, oü beaucoup peuvent devenir des juges, auroit befoin furtout d'un impe'nétrable voi-  ( H ) ié; & 1'hypocrifie deviendroit Ie manteau uniforme. Pourquoi le caractère re'publicain n'obtirit* il jamais l'eftime des nations & en fut-il conftamment haï? C'eft que de lui naquirent la dureté, forgueil & la foi puniques. Dans ce tourbiilon d'immoralités, 1'homme ne peut être bon; il n'eft donc pas heureux. Sages Hollandois, fi, dans ces portraits, il eft quelqu'application a vous faire, daignez vous rappeller que je vous ai efquiffës dans les mains de la nature, avec vos Vertus natives. En vous retrouvant quelques inftants fous mes pinceaux, lorfqu'ils peignent le re'publicain , affurez vous de mes regrêts. Croycz que pour dire des vérite's qui vous affligent, j'ai befoin que la raifon me re'pete que la ve'rite' eft utile. Liberte', égalité, puifque c'eft votre illufioa qui donne 1'être aux republiques, elles font donc auffi chimeriques que vous. Les hommes ne feront ils jamais affez fenPés pour concevoir, qu'une autorite' mife au concours eft une invitation h la puiffance & a la rufe d'enchainer la foiblePfe & d'abufer de Pignorance ; que tout partagc de pouvoir, n'eft bientót qu'une diftribution d'ïnégalités ; & que cette égalité', cette liberté, objets de leur delire, ne fe réalifent que dan3 F 2  ( 84) l'obéifFance, égale pour tous, a une fource uni» que d'une loi jufte. Ce dernier mot me rappelle a la Hollande. J'ai rendu compte de fa loi fondamentale, mais je n'ai rien dit de celle de régime qui la met en action. La voici: les magiftrats, dans chaque ville, choifilïènt plufieurs fujets pour remplir une place vacante de magiftrature, & les préferitent au Stathouder qui nomme a fon choix 1'un des préfentés. Le Stathouder, avec 1'autorifation de Leurs Hautes Puiffances, peut révoquer ces officiers. Ce font ces magiftrats feuls qui députent, pour leur ville & leur provinee , aux états. Le peuple en confiant a fes magiftrats le fous défe choifirdes collégues & des fncceffeurs dignes d eux & de lui, s'eft défié de fes propres lumiè» res : c'étoit avoir toutes celles de la fageffe. En même tems, il s'eft épargné les diftraclions ruineufes des foncnons électives, & s'eft garanti de fes affemblées, de leurs tumultes, de leurs brigues, de leurs factions, des orages qui les finvent, & qui, depuis long-tems , auroient anéanti la république. Cependant ü ce 'peuple avoit laiffé, dans fa  ( 85 ) plénitude, ce droit a fes magiftrats, il ne fe feroit donne que des maitres abfolus. Mais il s'eft préferve' de ce dangcr, en élevant au-defllis d'eux un cenfeur de leurs difpofitions. Ainfi le Stathouder eft auprès du peuple le garant des magiftrats, comme les magiftrats, par leur premier choix, font les garants du Stathouder. Voila donc Pine'vitable ariftocratie renfermée dans ce quelle a d'utile, e'teinte pour tout cfFet nuifible, & le pouvoir d'e'xe'cution régie dans fes préférences. La fureté parfaite réfulte de cette doublé garantie; & quant a la diftribution de la loi, il n'eft point de pays en Europe, oü elle fe faffe avec une auffi fcrupuleufe fidélité. On ne connoit point, dans aucune république ancienne ou moderne, une fi foge difpofition, & d'après elle, il n'a plus manqué a celle de la Hollande qu'une claffation bien proportionnée, bien exprimée , pour atteindre peut-être le repos & la durée des monarchjes, Croiroit-on que eet ordre admirablc qui eft lej reffort vital des Provinces-ünies, la fbrce concentrique qui accorde les extrémités oppofées du; corps focial, fans lcquel chacune de fes parties, par fes agitations propres, précipiteroit le de-» fordre général, ne feroit du tout qu'un chaos 4 f 3  ( S5 ) & bien tót qu'un ne'ant; croiroit-on , dis-je , que eet ordre falutaire eft pre'cifement le motif des infurredtions ? Les mécontens difent qu'il détruit • la liberté 6c 1'égalité. lis ont raifon: il ne donne que la juftice. Pour des fonges perfides, il ne rend que la paix Sc le bonheur. Et dans la fciffion, dans les orages dont il a été le prétexte, non-feulcment on vouloit le détruire, mais encore il étoit queftion d'éteindre Ie Stadhoudérat. Plus de chef principal dans un état compofé de parties inégales & diffemblables, toujours incliné a la divifion, & qui n'obtient 1'etre que par les efforts perpetuels d'un modérateur, d'un ami, d'un père commun ! Depuis que les républicains ont des traditions Sc des hiftoires; depuis qu'ils méditent, qu'ils arguent fur les intéréts politiques, ils auroient bien du s'appercevoir, que les republiques, a mefure qu'elles vieiliiffent, tendent fans ceffe a éparpilier leurs pouvoirs, Sc que e'eft cc qui les perd toutes, Qu'au contraire, plus elles s'avancent dans les êges de la civüfation, plus leurs intéréts fe multiplient, plus leurs loix, leurs vues, leurs befoins fe compüquent, Sc plus conléquemment elles éprouvent la néceffité de s'accorder fous une autorité commune; plus enfin il leur eft indifpenfable de fe réfugier dans la force, dans la  ( 87 ) fwnpleffe de 1'unite'. Je concois tous les gouvernemens poffibles, defpotismcs de toutes les formes, republiques de toutes les natures, s'agitant dans un graad cerclc. L'anarchie eft a la. circonfèrence pour punir leurs e'carts, la monarchie dans le centre pour recompenfer leur fageffe. Et plus de prince de la maifon d'Orange a la tête des affaires de la république! II y a dans chaque état des préjugés, mais furtout des fentimens publiés qui cxercent une efpèce d'cmpire moral, qui furvit a la déforganifation mecanique, & conferve 1'efpoir auffi long-tems qu'il parle aux cceurs. C'eft un phlogiftique toujours pret a révivifier le corps en décompofition. Guillaume premier, Maurice, Frédéric Henri, créateurs de la république 5 leurs fuccefleurs dont les alliances, dont le génie donnèrent a cec état fon influence, le fang de Naffau qui arrofa tous le» champs oü les Hollandois refpirent 1'indépendan* cc, femblent n'avoir réuni tant de talens, de vertus, de renommée que pour en compofer le bonheur & la gloire de la Hollande. Si trop fouvcnt les hommes luttent contre la reconnoiffance, au moins ils ne peuvent fe défendrc de 1'admiration. Cc fentiment rappele l'autre, & tous .les deux out un charme qui ramèr.e, vers  ( *8 ) le même objet, les cceurs pre'ocupe's de paffions dangereufes. C'eft la plus pre'cieufe des reffources. Rayez le nom d'Orange du frontifpice de votre e'difice politique, placez y même fi vous 1'ófez un autre nom, fut-il le plus impofant devotre fiècle, il eft de toute ve'rite' que eet édifice s'écroulera dans trés peu de jours. J'ai fouvent admire' que des princes fi puiffants par un nom fameux, par leurs alliances, par leurs grandes poffeffions, n'euffent pas quelques inftants de dépit contre une place qui n'ajoute rien a leur fortune, & ne leur donne qu'une autorité conteftée. On a furtout trouve' affez beau, affez magnanime que, dans 1'évènement de 1787. qui fauva la Hollande de la plus eifrayante anarchie , le prince d'Orange , maitre de donner la loi, fe fut foumis fidèlement h celle qui éxiftoit avant, &; n'eut rien, abfolument rien ajouté a fes droits. La force de ces vérités confterne pour quelques momens les détracteurs; cependant i!s récnuvrent la parole, peur dire, que la maifon d'Orange n'a travaillé que pour fa gloire. Elle eft bien pure cette gloire, lorfqu'clle a dédaigne la conquête facile d'une grande puiffance! Mais fur tout, hommes injuftes, elle devroit vous être bien chère, puisquelle ne s'eft formée q^ue de J'oeuvre de votre  profperité. Si la conftante fidélité des princes d'Orange a la gloire vous afflige, achevez donc de vous de'fefpérer: le fang auquel ils demandent des rnères pour leurs enfans, décéle un deffein prémédité de vouloir la perpétuer dans leur générations (a). Mais la force des raifons qui combattent pour Péleétion & 1'organifation acluelles des magiftrats , 1'importance du fentiment qui veut la préfence & 1'autorite' de la maifon d'Orange, feront toujours impuiffantes contre les pre'tentions perfonnelles & contre 1'efprit de parti quelles ont fait naitre. Cette difpofition des caractères, par fon principe qui n'eft que la vanité, eft un 1cVain brulant, inextinguible, qui tót ou tard fera périr 1'état dans les crifes ou dans la langueur. La république d'Hollande a d'antiques loix & des mceurs nouvelles, dont le contrafte («5 Je fuis parfaitement ignorc de la maifon d'Orangc. Les circonftances auxquellcs j'apparticns nc peuvene que m'en éloigncr. J'ai prouve que jc n'encenfe pas le pouvoir, & 1'on m'a vü lui parler avec quclque energie & quclque fierté , dans des lieux & dans des tems oü il y avoit du péril a 1'öfer. Cette note répondra h ces hommes méprifables qui foupconnent des motifs ISches ^ J/écrivain qui ne fe foumet qu'a la véritc. F 5  C 90 ) «e peut que placer fes citoyens dans une fauffe manière d'éxifter. L'égalité fociale a difparu avec la fimplicite' première, par les fortunes éleve'es dans le commerce. Comme république mal claffée, la Hollande n'eft qu'un pêle mêle de citoyens. Comme fociété opulente, elle eft un tableau d'ine'galités réelles & de pre'tentions diverfes. La claffe enrichie exifte, par le nombre, dans une proportion monftrueufe avec le refte de la nation. Quelques fuccès que cette claffe obtint dans 1'ordre politique, elle ambitionneroit fans ceffe- & 1'on ne peut raifonnablement en efpe'rer de repos. Enfin cette difparité e'xige abfolument une claffation qui puiffe fuppléer a 1'égalité qui n'eft plus entre les hommes, par un équilibrc entre les ordres, fous une autorité nnique, qui en donnant la feule égalité véritable, par la foumiffion au même pouvoir, affermit la vraie liberté, par la diftribution impaitiale d'une loi jufte. Achevons de pourfuivre la vérité dans fes profoi deurs le plus inappercues, avec la franchife d'un homme qui n'aime que fa lumière, qui ne craint que Terreur, & dont le ceeur eft inabordable aux affc&ions de parti. Je viens de vous dire que Tordre d'élection & d'organifation' de votre magiftrature étoit admirable: je vous  C *i ) Je répéte: dans le fyftême de votre gouvernement, lui feul vous a donne la paix auffi longi tems que vous n'avez pas voulu le troubler. Mais le nom de ce gouvernement, toutes les idéés que vous y attachcz, vous avoient promis une infiuence égale dans la légiflation, dans le choix de vos magiftrats & de vos repréfentans. Ici le mot république vous a décus: vraiment il eft déloyal. Ses dons cuffent été empoifonnés, & fes refus vous irritent: qu'importe ? C'eft le hochet de 1'enfance offert a 1'orgueil dc la raifon. Vous en êtes humiliés, indignés; & ces fentimens, dont peut-être vous ne vous êtes point renducompte, ne trouveront jamais dans le grand nombre une fageffe fufiïfante pour les vaincre: toujours ils y tiendront les paffions au moment d'éclater. Donncz donc un autre nom a votre gouvernement, ou réfignez vous a voir périr votre patrie dans la pourfuite d'une jouiffance meurtrière. J'ai commencé eet écrit par un tableau fommaire de Ia plus parfaite conftitution connue. On y a vü un monarque réuniffant tous les pouvoirs, abfolu pour faire le bien. On y a vü une grande nation, affemblée par fes repréfentants élus librement, en préfence du tróne pour yapeller au fouverain fes fermens, & pour op-  ( 93 ) pofer fon droit de cenfure & fa puiffance d'opinions a fes erreurs, ou aux entreprifes de 1'arbitraire. On y a vü une claffation en trois ordres qui s'obfervent & fe balancent tellement, qu'aucun ne peut faire naitre de troubles fans être auffitót reprimé par les deux autres, J'ofe croire ces élémens convenables, ne'ceffaires même a tous les états affez puiffants pour fupporter les frais de la repréfentation monarchique. Cependant ils peuvent varier dans le mode, felon les circonftances. La Hollande, puiffance fans fortune territoriale, n'éxiftant que par fon commerce, & fortant des idees républicaines , doit mêler a ces élémens des intentions qui leur foient propres. Réunis auprès du tróne de leur monarque Qa) , dont 1'inauguration fera le premier pas vers la O) II a été plufieurs fois queftion en Hollande de changer 1'épithétc dc Stathouder pour eelle de Comte. Je ne penfe pas que cette petite fantaific puiiTc convenir k la maifon d'Orange. Mais tres ccrtaincmcnt elle conX'icnt bien moins a la Hollande. II ne faut pas oublicr que le crédit de coniidération eft une partie de la puiiTance. L'augufte caraclère d'un monarque peut feul placer la Hollande avee dignité dans le rang des états.  C9S ) régénération, les repre'fentants de la öation hollandoife, doivent former leur ordre équeftre de toutes les families nobles & patriciennes. Pour qu'une familie y foit admife, elle doit avoir rempli un certaine nombre de magiftratures. Cet ordre fera effentiellement deftiné au fervice de 1'armée de terre. II fera trés confide'rable en Hollande, & c'eft le plus grand des avantages. Le commerce eft 1'aliment de ce pays, qui doit de la reconnoiffance & de la confidération a fes negocians, par les fervices qu'ils lui ont rendue, & par 1'eftime qu'ils ont mérite' du monde commercant. Cette claffe d'hommes, en raifon de fon influencc & de 1'importance de fa profeffion, y eft appellée a un rang politique. Elle doit former un fecond ordre, ou pour être admis, il fera néceffaire de n'avoir point failli, de pofféder un vaiffeau navigant hors des mers de la Hollande, on d'avoir une manufacture fatfant vivre un certain nombre d'ouvricrs. Cet ordre fera naturellement conduit au fervice de la marine & des armées navales. Les autres claffes formeront le troifième ordre fous la dénomination de 1'ordre des citoycns.  ( 94 ) L'ordre facerdotal érant fans propriétés dany les Pruvinces- Unies. 11 n'a pu encrer dans la hiërarchie politique. Mais la dignite' du culte appellant par tout fes miniftres au premier rang , il leur donne néceffairement la nobleffe perfonnelle, & ils doivent conféquemment faire partie de l'ordre noble. En Hollande le gentilhomme doit avoir le droit de faire Ie commerce. Prefque partout cette liberte feroit ur.e faute capitale : ici elle eft ne'ceffaire. L'individu du fecond ordre qui a rcndu des fervices militaires dans les grades fupérieurs, ou qui a mérité la reconnoiffance publique dans une longue roagiftrature , ou enfin qui a d'autres titres honorables doit être récompenfépar la nobleffe. Le citoyen, ou le fbjet du troifième ordre, en rempliffant les conditions éxigées pour le fecond y fera admis fans difficjlté. II pourra auffi fe faire admettrc immédiatement a l'ordre noble par les titres qui y donnent 1'admiffion. Nul fervice, mille place, nullc dignite ne doft étre exclufif pour aucun ordre. L'une des prin-  (95) cipales intentions du gouvernement monarchie que eft d'ouvrir la carrière au me'rite, de lui offrir tous les motifs d'e'mulation, & de 1'appeller aux plus grandes places , dans quelque condttion qu'il fe trouve. Dans les difpofitions de ce nouvel ordre de chofes, il ne faut point oublier que la Hollande croit avoir abandonné la re'pnblique, quellé affectionne toutes les idéés attachées a ce mot, & il importe d'ajouter a une liberté réelle toutes les formes qui font compatibles avec la furcté monarchique. Chaque ville, chaque lieu doit conferver fes ufages & fes immunités, dans leur plus parfaite intégrité, & cela eft plus néceffaire encore dans les monarchies que dans les republiques. Les campagnes, tout ce qui, dans 1'état actuel, n'a point de repréfentation, doit 1'avoir deTormais dans les trois ordres, en raifon de la fomme d'impofition, qui donnera la mefure des refforts d'éledtion. La privation de repréfenter eft vraiment un état d'ilotie, qui eft inconcevable dans un pays oü 1'on a quelques idees de 1'équité. II importe que le légHlateur ne perde jamais de vue, que les magiftrats, les admir.iftrateurs > les nobles, les rois, ne font que des parties  (9<* ) extraites du peuple pour le fervfr, pour 1'eclai» rer, pour le contenir; que 1'objet unique de toute conftitution eft de le forcer a demeurer paifible & hcureux par Pabfolue foumiffibn aux loix. Cet objet, auquel il faut tout facrifier fans he'fiter, e'tant rempli, on doit fe fouvenir que 1'adminiftration n'a d'autre vue a remplir que celle de pourvoir aux movens de fubfiftance des peuples, & que le feul but de la le'giflation eft de les prote'ger par une fidéle diftribu= tion de la loi. C'eft fur tout dans l'ordre monarchique, oh tout repofe fous une autorite' unique, également prote&rice pour tous, on les combats entre 1'ariftocratie & la de'mocratie ceffent, d'ou les pre'cautions aftucieufes de 1'une contre 1'autre font rejette'es, c'eft dans cet ordre que les grandes ve'rite's doivent trouver toute Pe'tcndue polSble a leur adtion. D'après ces principes je penfe que c'eft au peuple feul qu'appartient le choix de fes magiftrats, fous la cenfure des ordres fupe'rieurs & dutróne, charge' de le guider, de l'éclairers de redtifier fes erreurs (a). (a) Je fuis loin de croire que cet arrangement f?.i convenir k tous les pays.  (97 ) Ainfi, en Hollande, ce feroit l'ordre des citoyens qui e'liroit aux magiftratures; mais fans s'affembler jamais, foit pour cet objet, foit pour ia de'putation aux Etats-Généraux. Après les proclamations préalables, on enverroit demandcr aux contribuables leurs fuffrages dans des billets cachctés. II n'eft pas plus difficile de demander aux gens leur opinion que leur argentj & je m'e'tonne qu'on n'ait employé nulle part cette manière de vóter, qui faüveroit de tant de dangers. Pour chaque place k remplir, les citoycns préfenteroient quatre fujets choïfis indiftinctement dans les trois ordres. Le fcrutin portant leurs fuffrages, feroit remis a des commiffaires des deux autres ordres, qui, après les informations fuffifantes, fauroient s'il y a eu brigue dans 1'éleótion, connoitroient les moeurs & la capacité des fujets préfentés, & en feroient, chaque ordre féparement, des notes pour les envoyer au fouverain, qui choifiroit définidvement (a). O) Je n'ai point médité ces idéés fans rencontrer leurs objeftions. J'ai des réponfes pour toutes celles qui fe font offertes k mon efprit; & je me bornc k ne répondre qu'k celle qui fe préfentera la première en lifant cet article. Pour être éligible, il faut des études, des degrés & des examens fuffifans. G  C 98 ) Les magiftrats conferveroient, comme aujour* d'hui, la diftribution de lajuftice, les foins d'adminiftration, 1'entretien des digues & autres objets d'utilite' publique, fous 1'infpecnbn du monarque. II eft ne'ceffaire que le Roi ait le pouvoir do dépofer les magiftrats a fon gre', fous 1'obligation de faire juger les griefs dans 1'anne'e de la de'pofition. II eft beaucoup de circonftances dans la haute adminiftration, qui demandent que 1'homme en place foit dépofféde', & que les caufes en reftent quelque tems dans le plus profond fecret. On fent que ces différens fermens faits par les troupes, les officiers de juftiee & les municipaux aux diverfes provinces, & qui ne font qu'une conftante difpofition de guerre civile doivent être oubliés, & que c'eft au monarque, au repréfentant perpetuel de la nationa recevoirfeul toutes les gages de fidélité. C'eft d'après les principes auxquels ma raifon m'a conduit fur 1'unitédu pouvoir, & d'après les obfervations que j'ai pü faire en Hollande, que j'ai penfé que le gouvernement dont je viens de donner feulement la première intention, devoit convenir 3 ce pays. II eft bien vrai au moins,  < 99 > ^ü'il loi importe de fe raviver, & que fes refforts républicains font trop ufés pour qu'il en puiffe efpérer autre chofe que des angoüTes £f des tourmentes. Quant a 1'inte'rêt de 1'Europe pour la profpérité de la Hollande, il eft trop évident. pour permettre aux hollandois de douter, qu'ils ne foient fecondés par tous les états lorfqu'ils s'occuperont des moyens d'accroitre leur puiffance. Refpedtables Bataves, montrez vous encore a 1'univers dans votre hauteur naturelle. L'Anglcterre fera jaloufe de ce que vous ferez pour ranimer votre commerce, mais vous êtes prévenus, vousfavez quelle eft votre rivale avouéc, votre ennemie fecrète, & vous rendrez vaines fes infinuations & fes trames. La France qui re vous envie rien & qui eft loin de vous haïr, dans ce moment vous expofe a plus de dangers, par les dogmes affreux que fes citoyens répandent chez vous, & que les votres vont refpirer chez elle: contemplez la; votre pitié vous garantira de fes maléfices. Mais c'eft contre vous mêmes furtout qu'il faut vous armer de votre raifon & de votre courage. Sages, méditatifs, d'une fermeté inébranlable, vous êtes dignes 4'un triomphe auquel d'autres peuples n'ófeG s  roient pre'tendre, c'eft d'étouffer 1'efprit de parti, d'autant plus dangereux pour vous qu'il fe fortifie de la force de votre caractère. Cette force mieux employée le terraffera; & le jour de cette viótoire commencera pour votre patrie plufleurs fiècles d'une gloire nouvelle & d'une profpérite' durable.  ERRATA, Pag. 7 ligne 12. la, lifés y>. ai - - - 5. pour, lifés - - - 80 - - - 15. fo> lifés /f. ... 81 - - - 17. dêfaifient, lifés déjfaijijfent, ... pa - — 15, ter, lifés /af.