DU COMMERCE DES FEUFEES HEUTR.ES E N TEMS DE GUERRE. Traité de M. Lampredi, Profejfeur de droit public en Vuniverfité de Pife. Traduit par M. de Serionne, de TAcadémie Royale de Florence & cenfeur-royal. PREMIÈRE PARTIE. LA H A Y E. Et fe trouve a Bruxelles, chez De la haye & Compagnie, prés la rue Rollebeek. 1 7 9 3-   PRÉFACE. j[l n'y a pas dans le droit des gens, un J'ujet qui alt donné lieu a une aujjï grande diverjité d''opinions, ni fur lequel les nations alent autant var ié en diférentes circonflances , que le commerce des peuples ventres en tems de guerre. Perfonne ne leur a conteflé le droit de commercer en général ou de vendre, même en tems de guerre, leurs produtlions naturelles ou artificielles : mais la véritable étendue de ce droit a toujours été & efl encore ïtüféurahui un fujet de controverfes entre les maitres de la juftice publique & privée : la difpute fera interminable jufqiï a ce qiton ait établi des principes d'une évidence inconteflable qui fervent de regies pour mefurer les droits des peuples & de ceux qui les gouvernent ,• 'foute de cette boujfole on a toujours erré a l''aventure : les doutes, les hézitations, les inquiétudes pour foi, les fcrupules par rapport aux autres , ont fait adapter tour-a-tour des conventions contradi&oires dontla bafe mobile cédoit alternativement au caprice de a 2  ïv P R E F A C E. Vintêrêt perfonnel ou a Vempire des circonfances. Ainfi au milieu de cette fluBuation, dans cette difette abfolue de principes, & gr ace aux dijférens ufages, la matière que nous traitons efl devenue un labyrinte d'oü Von ne peut efpérer de fortir qu'avec le fecours de la raifon naturelle, feul guide que les nations doivent confulter. La raifon nous indique affez clairement les fentiers de la jufïice & de la vérité, quand nous la confultons fans partialité, fans préjugé; nationaux ou fcholafliques, & lorfque nous arrivons a Fexamen d^une queflion avec la tranquillité d'un philofophe, travaillant a réfoudre un problême purement fpéculatif. Je me fuis cru dans le cas. Sans intérêt , fans efprit de partij accoutumé dès ma jeunefe a chercher fimplement le vrai, j'ai ejfayé , autant que mes forces & la nature du fujet me Vont permis , d''établir d'après le droit général & immuable des nations , les principes fondamentaux qui pourraient s''appliquer a toutes les queftions que cette matière délicate fait naitre journellement. J^ai penfé que ces principes pourroient fervir de regie aux peuples qui aiment fincérement la juflice, & déterminer leur conduite a Végard des nations  P R E F A C E. v neutres & pacifiques, lorfqu^ils feroient obligé de s''armer contre les ennemis, & de récourir aux funejles extrémités de la. guerre. On [era peut-être furpris quun objet ft important n'ait jamais été fuffifamment éclairci par ceux qui ont écrit j'ur le droit des gens, & qu'il ?iy ait encore aücüne regie conftante & ge'néralement approuvée pour diriger sürement les peuples neutres en tems de guerre, dans leurs opérations de paix , fans 'fe voir expofés a tous les défajlres de la guerre ; mais on reviendra bientöt de cette Jurprife, en confidérant la verfatilité des principes qui ont été adaptés a cette matière.. Alberic Gentilis, Italien , fut le premier qui effaya d'introduire dans le tumulte des ar mes un fyjlême de jufiice. II pen fa que la nécejjïté feule pouvant juftifier Vufage de la force & de la violence, il falloit que ce moyen rigoureux fut fubordonné a quelques regies de raifon fans lefquelles il deviendrait atroce, & il ditla cette maxime aux puijfances belligérantes dans un ouvrage abfolument neuf, finon par le flyle, dumoins par le fond (tf). O) Ce livrc intitalê de Jure Belli. fut pultlid en 15C8, environ quarante ans avant le célébre ouvrnge tTUgon Grotius, de Jure beLi & pacis. a 3  vj P R E F A C E. On favoit bien avant lui que Vattaque & la défenfe impofoient aux hommes des obligations relatives a leur état deforce, & que^ la^ nature au milieu des armes réclamoit fes droits éternels, mais perfonne encore rfavoit réduit ces droits en fyftéme & tfen avoit ajfigné les limites. Cet auteur parle de notre queflion incidemment, & il en dit affez pour conclure qu'elle eft très-difficile aréfoudre : „ il fem„ ble, dit-il, que le belligérant qui s'op„ pofe au commerce des neutres, & les „ neutres qui s''ofenfent de cet obflacle, „ font également fondés en raifon ". Gentilis ouvrit la carrière ,& traca pour ainfi dire la route au célèbre Grotius, dont la manier e <£? Vérudition firent prefqiioublier fon maltre. II fuivit néanmoïns fon plan,& a fon exemple, il appuya fes décifionsfur Vautorité des Grecs & des Latins, fur les ufages des peuples fameux , bien plus que fur la raifon univerfelle, unique bafe du droit général des nations. II confulta les textes des traités, & par cette méthode il cl nfundit le droit conventionnel de quelques pa&es volontaires, avec le droit primitif& immuable. (V) {ayiiayle rcmarque fur Gentilis que fon livre ne fut pas inutiie u Grotius.  P R E F A C E. vi] Grotius reconnoit aufft la difficultè(i) de la quejlion. II y voit des doutes inextricables. ,, Je n'ai pas trouvé, dit-il, dans ,, Vhiftoire un feul trait qui put fervir de ,, regie pour une convention générale fur ,, cette matière ". Cependant a Vendroit cité & ailleurs (2) il a pofé quelques principes, & il a établi fur le commerce des peuples neutres avec les belligérans des diflinclions qui ont été plus oit moins adoptées par les auteurs fubféquens, fans prévoir toutefois que cesprin~ cipes & ces diflin&ions demandoient un examen férieux, & que faute de jujlejfe ou. d'exaclitude ilpouvoit en réfulter de grandes erreurs. Ainfi Grotius dit que les neutres 11e doivent rien faire qui tende a augmenter les forces d'une nation belligérante , & qu'a Végard du commerce il faut diflinguer les chofes dire&ement utiles a la guerre, comme les armes dans toute Vétendue du terme, les chofes abfolument inutiles a Varmée, comme les meubles de pur agrément, & enfin les chofes également ufuelles en tems de paix & a la guerre, comme les vivres ii) I. De jure belli &• pacis, L. lil. Cap. 1. §■ 5- (2) L. 3. C. iS, §. 3 N°. t. a 4  viij P R E F A C E. Var gent, les vaijfeaux & tout ce quifert 2t leur conjlru&ion. Selon lui on ne pouvoit fournir des armes aux ennemis fans manquer a la neutralité; mais ilprononce que ie commerce des chofes de pur agrément doit être reglé par les circonjlances , paree que s'il en réfulte unpréjudice notable contre une desparties belligérantes, elle pourroit s'en emparer, & méme les confifquer felon Vexigeance des cas. Tous les auteurs ont écrit d'après ces regies qu"ils ont trouvées étendues, dévéloppées & quelquefois modifiées par les commentateurs de Grotius, & tous, comme je Vai remarqué, s'y font plus ou moins conformés (i),- mais il efl prouvépar le fait qu'elles manquent d'exa&itude, (S5 quelles 7ie portent fur aucun principe conftant, puifque les queftions relatives a ces objets fubfiflent toujours, & qu'on rfa trouvé jufqu'a préfent aucun moyen de conciliation entre les peuples en guerre & les neutres relativement au commerce. Alberic Gentilis, s'il revenoit au monde, feroit fort aife de voir que deux fiècles de lumiere «''ont pas CO Bynkershoeck. Qureft. jur. pub. L. i. cap. 9, ïo & 14. Henr. Cocc, diflert. de Jure belli in amicos. Idem de commiff. Joann. Gottliabb Heinnec. de navibus ob veflur. Merc. vetitarum. Hibner. de la faifie des biitimens neutres. Le confeiller Galiani dans fon livre des devoirs des puijfances neutres enyers les puijfances belligérantes.  P R E F A C E. ix fuffi pour obtenir la folution de ce problême dont il avoit fenti toute la difficulté. Je préfumerois trop de mes forces , ft je me flattois d''atteindre le but auquel il me femble que tant d'illufires écrivains n'ont pü parvenir après de longues recherches. Je ne prétends pas offrir autre chofe qu'un jimple effai, aux nations policées d'Europe. Je dois avouer, quen remontant aux cauf'es qui ont jetté tant de confufion dans cette matièfe, j,ai plufieurs fois été fur le point d''abandonner Ventreprife, acaufe de Vembarras que j''éprouvois a concilier des principes dont la contradiclion apparente ne m''empêchoit pas de reconnottre la vérité en les confidérant féparément. Si je n'ai pas le talent de convaincre mes lecleurs, comme je me fuis convaincu moi-même, je réclame du moins leur indulgence en faveur de ma bonne volontê.   DU COMMERCE DES FEUFiLES ieutres E N TEMS DE GUERRE. I. Du. droit des nations relativsment au commerce en gónéral. On dok confidérer les nations refpecïivement comme autant de perfonnes qui vivent dans le fimple étac de nature. Leurs droits & leurs obligations réciproques dérivent uniquement de la loi naturelle, ou de leurs conventions pofitives & volontaires. En effet une aggrégation d'hommes qui par le moyen du pacle focial fort de 1'état de nature pour devcnir une nation , un peuple, une cité, fe dépouille a 1'inftant d'une partie de fa liberté naturelle , & chaque individu en fait le facriflce ii 1'avantage commun de la fcsiétc qu'il con-  C ia ) tracte. Mais quant au refte des hommes qui font étrangers a cette afTociation, elle refte dans le même état, & elle ne leur doit rien de plus qu'avant le pacle focial, paree qu'elle ne leur a rien promis. Ce que je dis du corps entier de la nation doit s'entcndre également de chaque individu qui en fait partie. Nul n'ayant d'engagement qu'avec fes affbciés,cux feuls peuvent reftreindre fa liberté fuivant la teneur du contract : les autres auxquels il n'a rien promis ne peuvent exiger de lui que ce qui cft prefcrit par la loi étcrnclle & immuable de la nature commune a tout le genre humain. Le voeu de la nature ayant établi la propriété parmi les hommes, un des premiers devoirs que fa loi leur impofe, eft de fe communiquer réciproquement leurs biens & leurs travaux autant qu'ils peuvent le faire fans bleiïcr leurs obligations naturelles : car fans cette communication ils ne pourroient jamais atteindre la perfeétion dont ils font capablcs, & les vues de la nature ne feroient pas remplies. Cette preftation de fecours & de fervices ne fauroit être gratuite d'une part fans devenir onéreufe de 1'autre, il faut donc admettre des rétributions proportionnées; or cette loi importante de la nature s'accomplit avec une grande facilité dans le cours ordinaire de la vie par le moyen de 1'échange qui troque tour a tour le fupcrflu de 1'un contre le fupcrflu de 1'autre, & qui pourvoit ainfi aux néceffités, aux commodités,  C 13 ) aux agrémens & a toutes les jouifTances de Ia fociété. L'échange étant la bafe du commerce , on voit d'abord que les hommes ou les nations en général ont le droit de 1'éxercer. C'eft même un devoir qui leur eft impofé par les loix de la nature, puifque c'eft leur unique moyen de confervation & de perfeftionnement. Je dis en général, paree que li une nation était afïez fortunée pour fe fuffire a elle-même avec fes productions naturelles & artificielles fans fortir de fon territoire, elle ne feroit pas obligée de faire le commerce au dehors; car il eft clair que cette obligation n'eft pas abfolue , mais hypothétique, & relative aux befoins d'une nation qu'elle peut feule apprécier. Mais hors ce cas, la loi de la nature reprend toute fon énergie. En m'ordonnant de conferver & d'améliorer ma vie autant qu'il eft en mon pouvoir , elle m'accorde aufli tous les droits eflentiellcment nécelTaire a une telle fin. Or comme je n'ai d'autre moyen de pourvoir a mes befoins que l'échange de mon fupcrflu contre celui des autres, c'eft - a - dire le commerce, il faut bien que j'aie le droit naturel de le faire. AinlHe droit au commerce en général, eft un droit naturel & parfait dont 1'exercice ne peut être troublé par perfonne fans une injuftice manifefte. Je dis encorc ici en généal, & je vais établir 1'exception. Quoique j'aie Ie droit d'échanger mon bien contre celui d'un autre, je n'ai  C n ) pourtant pas le droit de faire cet échange avec tel ou tel particulier,- il faut que j'en trouve un qui accepte volontairement le marché, ou qui vienne de fon plein gfé le folliciter. II eft vrai, comme nous 1'avons remarqué, qu'une nation eft obligée de communiquer aux autres fes produétions, autant qu'elle le peut fans fe faire tort a elle-même : mais il eft également vrai qu'elle eft fcule juge des inconvéniens en vertu de fa liberté naturelle, & qu'a elle fcule appartient le droit exécutif de juger fi l'échange propofé, fi le commerce demandépeut lui devenir nuifiblc ou s'il eft conforme aux vues de la nature, & au but de 1'affbciation. Cejugement, fut-il faux en apparence , doit être refpecté par celui qui fait la demandc. En ufcr autrement, cc feroit violer la liberté des hommes & des nations, annéantir les effets de la propriété, & brifer tous les liens de la fociété naturelle, (tf) ia) Dans une extréme difette il eft arrivé qnelque fois que des batimens trouvés au large , ou a 1'ancre dans la-rade ou fufles cótes, ou dans le port d'une nation amie , ont été arrêtés, & qu'on a forcé les patrons de vendre a jufte prix leur cargaifon de vivres. mais c'eft une de ces circonftances rares ou Tempire de la néceffité fufpend pour un moment la loi naturelle qui reprend eniuite fa première force. En efFet les loix de la nature qui font la mefure du jufte &l de Vinjufte, entre les nations , ne font que des regies générales deftinées a produire dans Tufage ordinaire de la vie le plus grand bien poffible. C'eft fur leur exécution, fur leur maintien que repofent la füreté, la  C *5 ) II. En qui rêfide la faculté de limit er le droit des nations relativement au commerce. (3N appercoit d'abord qu'au fouverain feu! apparcient le pouvoir de circonfcire ce droir. général des hommes, fondé fur la propriété, fur les befoins réels ou apparens de chaque individu. Le fouverain dont la fonction fupréme eft de diriger ve.rs le bien comraun les aétionsde tous les citoyens, pourra défendre 1'introduclion ou 1'exportation de quelques denrées ou marchandifes , fi leur commerce avantageux pour certains particuliers, paroit préjudiciable au plus grand nombre ,• ni les citoyens ni les autres nations ne pourront récla- confervation , & le bonheur du genre humain. Or, lï dans quelque cas trés-rare, leur exécution fcrnpuleufe produilbit PefFet contraire , lorlqu'il faudroit opter,par exeinple , entre Pinconvénient de caufer a un petit nombre d'hommes un préjudice réparable, & le péril imminent d'expofer une multi ude a des maux fans remede comme les horreurs de la famine & Ia mort, il eft évident qifil faudroit s'écarter de la regie générale, précifément paree que dans un tel cas Finfradtion de la loi devient conforme a fon efprit. Ainfi la méme raifon qui vous a convaincu de la néceffité d'une regie générale dans le cours ordinair? de la vie , vous démontre dans ce cas extraordinaire la néceffité momentanée d'une exception qui ne peut ni altérer ni affoiblir Ia regie.  C 16 ) Tner avec juftice contre cette prohibition , paree que les uns ont promis de facrifier leurintérêt privé a 1'utilité publique, & paree que les autres n'ont abfolument nu droit parfait qu'en ce qui concerne 1'offre ou la demande des marchandifes, fans pouvoir exiger a force ouverte qu'on accepte leurs orTres ou leurs demandes. Or quand un fouverain défend l'entrée& la fortie de quelques marchandifes, il ne fait que déclarer aux autres nations préalablement , qu'il n'ctt pas dans le cas d'accepter la vente ou l'échange de telles marchandifes étrangeres, ni de fe priver des fiennes; & en cela il tife de fes droits fans faire injuftice a perlbnne. (ö) A 1'exception de ce cas feulement la liherté du commerce conferve toute fon étendue originelle : aucun homme, aucun peuple ne pourroit y porter la plus legere atteinte fans une injuftice manifefte. En conféquence de ce principe toutes les fois que quelques nations voulant s'arroger un commerce exclufif dans quelques parages oü fur certaines cötes, en ontinterdit la navigation & 1'accès a d'autres peuples , ceux-ci n'ont vu dans cette prohibition que la démence orgueilleufe d'une prépondérance momentanée, au lieu d'un acte réfléchi. Perfonne 00 .Tean Heinecc. de navib. ob vedur. vetit. merc. commiff. exercit. VIII. §. 4. Ariftoteles polit. 1. 7. cap. 6. Macquard de jure merc. L 1. cap. if.  Perfonne n'en a term compte : & ces nations fi fières ont été obligées de ibufFrir paifiblement la concurrence des autres peuples dans les mêmes parages, & fur les mêmes cötes, oü Ie commerce a toujours eu lieu fous le bon plaiftr des maïtres du territoire. Une nation libre peut néanmoins s'engager a vcndre a une autre, exclufivement, unè ou plufieurs fortes de marchandifes, fans que les autres nations ayent le droit de s'en plaindre ou de s'y oppofer, paree que chacun peut difpofer de fon bien comme il lui plait. Cela n'empéche pas ceux qui ont befoin des mêmes articles d'aller fe pourvoir ailleurs. III. Si la guerre entre deux nations altére le droit des neutres relativement au commerce. Jl eft inconteftablement reconnu qu'a 1'exception du fouverain, perfonne au monde ne peut, dans le cours ordinaire des chofes, empêcher une nation , ou les individus qui la compofent, de faire le commerce dans le fens que nous avons défini jufqu'a préfent. Mais il s'eft élevé des doutes, & il s'en éleve fans ceiïe encore fur la queftion de favoir, fi 1'état de guerre entre deux nations doit altérer ce droit chez les peuples neutres, ou du moins le reftreindre a certains égards. Ire. Partie. B  ( 18 ) II fera difficile qu'a 1'aide de la fimple raifon naturelle on trouve, dans le droit général des nations, une ombre de motif, en faveur de cette prétendue reftriétion. En effet deux nations fe provoquent juftement ou injuftement a force ouverte : 1'une des deux foutient, défend, ou révendique les armes a la main fes prétendus droits. Cette crife ne change certainement rien a 1'état des autres peuples paifibles qui ne prennent aucune part a la querelle. Cet événement funefte ne peut influer fur leur liberté, fur leur indépendance naturelle, & puifque leur fituation relïe la même, ils confervent, fans altération , 1'univerfalité de leurs droits naturels, dont le commerce fait partie. Ils doivent donc continuer de faire le commerce en général, même avec les nations belligérantes. Ils doivent toujours les traiter comme leurs amis, ou comme des perfonnes morales, auxquelles ils ne cedent pas d'être attachés par les Hens communs de la loi naturelle : quoi qu'il foit furvenu entre elles un fujet de difcorde & d'hoftilités. II peut en réfulter pour elles une fufpenfion momentanée du pouvoir des loix & du devoir de 1'humanité : mais cette fufpenfion ne peut avoir lieu dans aucuns fens, a 1'égard des autres peuples pacifiques. Speclateurs tranquilles & défintéreïïes de 1'état violent des deux nations ennernies, tandis qu'elles font aux prifes & qu'elles attendent du fort des armes la décifion de leurs différerts , ceux-ci continuent de faire avec  ( i9 ) ehacmie (Telles indiftinctement le même cdmmerce qu'ils faifoient avant la guerre. En effet, il n'y a point de guerre pour eux : les belligérans font leurs amis; ils leur rendent les mêmes fervices qu'aux autres peuples qui font en pleine paix. Pourvu que leurs relations , pendant la guerre foient abfolumenr impartiales, on ne peut fans injuftice les troubler dans leur commerce quel qu'il foit. Mais le peuple pacifique dont les procédés annonceroient une préférence marquée en faveur d'une des nations belligérantes, fe déclareroit fauteur & partifan de 1'ennemi : or, quand il a promis tacitement ou formellemcnt de refter neutrc , il s'eft engagé a ne prendre aucun parti. Ainfi 1'unique loi que les neutres foient te-1 nus d'obferver envers les peuples belligérans, eft une impartialité parfaite dans toutes leurs relations, dans toutes les fonétions de leur commerce. C'eft la feule reftriclion que puifTe éprouverleur droit de liberté & d'indépendance naturelle. La faveur, la préférence qu'ils accordent pendant la paix a une nation fur une autre, par caprice ou par goüt, doit s'évanouir auffi-töt que ces deux nations deviennent cnnemies, & fe déclarent publiquement la guerre. Tel eft le devoir du peuple ami, qui ne veut pas prendre de parti, & qui s'en tiént a la neutralité. II peut, quand la guerre eft terminée, reprendre fes •feminiens de prédileétion pour la nation amie, fans que 1'autre ait le droit de s'en plaindre. B 2  Cao) Ce principe qui eft le feul vrai & fondamental, n'eft pas nouveau. Quelques écrivains (i) 1'ont établi clairemenc : mais en coufondant, comme on le verra bientöt, une.qucftion avec une autre, ils n'en ont pas tiré les conféquences propres a diffiper la confufion qui embarraffe la matière. Après avoir déterminé 1'unique loi que les peuples neutres doivent obferver en temps de guerre, il eft inutile de demander quelles reftricïions leur commerce doit fouffrir en conféquence de leur neutralité. On peut répondre qu'il n'en doit fouffrir aucune , & qu'ils continueront légitimement les mêmes opérations que pendant la paix, en fe renfermant dans les bornes d'une impartialité parfaite. II n'y aura donc aucune forte de marchandifes qu'ils ne puiflent vendre & porter aux belligérans. II ne leur fera pas défendu de frêter leurs navires ou toute autre efpèce de voiture, pourvu que fur la demande des mêmes fecoiirs, ils ayent autant qu'ils le pourront la même déférence pour les deux partis. (2) D'ailleurs, comme (O Bynkershoek. Queft. jur. pub. lib. 1 , cap. 9 & 13. Wolfins. juf. gent. cap. 6 N. 683. Ca) Tite-Live rapporte un exemple ancien de cettë équitté naturelle, 1. 37 , chap. 28. Les Teiens avoient fourni des vivres a une Hotte ennemie des Romains. Le prèteur Fmile menaca de les traiter en ennemis s'ils ne fournilfoient la même quantité de vivres a la flotte Komaine. Cette demande étoit jufte, fi ce peuple pou-, voit y accéder lans fe nuire a lui-même.  C ai ) ils doivent faire leur commerce avec autant de facilité que pendanc la paix, il'n'y aura aucune diftinétion de marchandife, d'argent monnoié , C i ) d'armes, ni d'autres munitions de guerre. Le tranfport ék la vente en feront permis dans les parages devenus le théatre de la guerre , fans manquer a la neutralité , pourvu que tous cela s'cxécute d'une manière parfaitement indifférente & impartiale. IV. Du conftit entre les droits de peuples belligérans & ceux des peuples neutres, <5? des effets qui en réfultent. T^n rendant hommage au droit facré des peuples neutres relativemcnt a leur commerce impartial, on eft forcé de reconnoitre auffi des droits évidens effentiellement propres aux nations aétucllement en guerre, qui femblent détruire la libre activité des neutres. Un ennemi a le droit parfait de diminuer a 1'infini les forces de 1'autre, & de lui ravir tous les moyens de les augmenter ou même de les conferver. II a donc auffi le droit d'empêcher un,commerce qui favorifc 1'attaque ou la défenfe, qui annulle 1'effet d'une opération militaire , dont (i) Je confidere 1'argent monnoyé comme toutes les autres marchandifes qu'on peut acheter & vendre- B 3  C »• ) le fuccès auroit peut-être décidé la vicloire, ou forcé 1'ennemi a demander la paix. ( a ) Je fuis devant une place bloquée, afliégée, ou inveftie. Ceux qui la défendent vont être obligés de fe rendre faute de vivres, ou d'autres munitions de guerre. Dois - je permettre que fous mes yeux, un vaiffeau marchand aille pourvoir au befoin de mes ennemis, & m'enleve ainfi le fruit de ma dépenfe & de mes fatigues,enprolongeant les horreurs & les pertes de la guerre ? N'aurai-je pas le droit d'employer la force pour me préferver d'un tort peut-être irréparable , moi qui pour la néceffité de ma défenfe, ai le droit conftant de m'oppofer a tout ce qui peut fortifier mon ennemi? Je conviens que le vaiffeau du peuple ami a le droit naturel de vendre fa marchandife a qui bon lui femble, mais de mon cöté, n'ai-je ;pas le droit naturel d'empêcher tout ce qui jiuit a ma défenfe néceffaireP Dois-je par refpecl: pour la liberté du peuple ami, facrificr la vie d'une multitude, & acheter laviftoire avec des flots de fang que j'aurais pu épargner fans 1'arrivée du vaiffeau neutre ? Je ne le ferai certainement pas ainfi que dans le cas d'une extréme néceffité dont je fuis lefeuljuge, il m'efr. (a) Tous les auteurs ont généralement reconnu cette efpèce de conflit entre les droits des neutres, & ceux du belligérant par rapport au commerce. Je me contenterai de citer Alberic. Gent, de jure belli. Hcnric. Cocc. de jure belli in amicos §, 6. Heinecc. de navib. ob vicïur. vetit. merc. commiflis 5- 's-  C 23 ) permis d'attaquer la propriété d'un ami pour éviter un plus grand mal qui feroit irrépara ble, de même dans ce cas j'uferai de ma force fans égard pour 1'indépendance des amis, & cecte aggreiïion déterminée par la loi impérieufe du malheur , ne peut-être imputée a 1'envie de nuire, ni a 1'abus de ma fupériorité. On voit donc qu'il fe préfente deux queftions effentiellement difFérentes , & qu'on ne peut pas décider avec les mêmes principes. •1 . Qtiels font les droits des peuples neutres , relativement au commerce avec les peuples en guerre ? 1°. Quels font les droits des peuples en guerre, relativement au commerce des neutres avec leurs ennemis refpe&ifs ? En examinant ces deux quefb'ons , on peut arriver a des conclufion diametralement oppofées, & cependant très-juftes : Par exemple : 1". // eft permis aux peuples neutres de porter a Vennemi a titre de marchandife, toute forte de vivres & de munitions de guerre. 1 • II efl permis au belligérant d''empéeker que les neutres ne portent des vivres ei? des munitions de guerre a fon ennemi. Ces deux quelHons n'ont jamais été bien diftinguées, & il a réfulté de cet oubli beaucoup de confufion. Je ne fais que 1'indiquer ici autant que 1'exigent 1'ordre & la clarté des idéés, paree que j'aurai occafion d'en parlcr encore en examinant fi le pavillon ami préferve les effets appartenans aux ennemis. Rcvenons au droit du belligérant relative- B 4  C *4 ) ment au commerce des peuples neutres. II me fcmble qu'il eft uniquement fondé fur la néceffité de la défenfe, & qu'il fe réduit a empêcher dans certains cas que le vaiffeau neutre ne porte des marchandifes a 1'ennemi, a prendre toutes les précautions néccffaires contre leur introduétion aftuelle ou ultérieure fur fon territoire; & a arrêter auffi le batiment, en payant les frais occafionnés par le retard, (aj fans aller jufqu'a la confifcation qui n'eft pas 00 Je crois devoir rapporter ici un article du traité de commerce conclule ioSeptembre 1775, entre Frédéric-Ie-Grand , Roi de Pruife & les états-unis de FAmérique. 11 mériteroit une place parmi les articles modérés des traités ftipulés fur le plan de neutralité armee, propofée par Fimmortelle Catherine II, Impéjatrice de toutes les Rulfies. Vo.ci comme il eii concu. „ Pour ,, éviter tous les embarras & recherches fcrupuleufes „ qu'occafionnent les marchandifes de contrebande, „ comme les munitions, les armes & autres munitions „ de guerre, quand il fe trouve des articles de cette „ nature a bord des batimens appartenans aux fujets „ d'une partie & deftinés a Fennemi de Fautre, on „ ne doit regarder aucun de ces articles comme defj, fendu, oude contrebande, & partant confifcable au „ préjudice des propriétaires. Mais néanmoins il fera „ permis de retenir ces batimens auffi long-tems que „ le preneur le jugera nécelfaire pour fa füreté, -au,, quel cas il fera refponfable de la perte occafionnée „ par ce retardement. II fera également permis au pre,, neur d'employer a fon ufage les munitions & ulten„ dis de guerre trouvés a bord, en payant leur valeur „ entière au propriétaire de ces articles, felon le prix „ courant des lieux pour lefquels ils étoient deftinés. " Berlinifch MoxatJJchirift Hcraufgeg, von J. Gedile undj. E. Liefier.  C *5 ) impérieufement commandée par la néceffité, feule bafe du droit dont il s'agit. Mais il n'cfl: pas très-important d'approfondir ici les régies de juftice. On voit jufqu'od pouvoit s'étendre au préjudice des neutres, le droit du belligérant, lorfqu'il s'établiiïbit fur la néceffité de fa défenfe dont il étoit le feul juge : il pouvoit, par mauvaife intention , ou fans intention & par impéritie croire néceffaire d'empêcher le tranfport non-feulement des armes & des vivres , mais auffi de plufieurs autres marchandifes, & réduire ainfi les peuples neutres a la détreffe, & aux calamités de la guerre. Dans cette extrêmité les neutres ne pouvant implorer la juftice humaine contre de pareille vexations, il falloit, ou s'y foumettre en exhalant des plaintcs inutiles, on répouffant la force par la force apprendre a ces capricieux ufurpateurs a refpecler les droits d'autrui. Ce défordre frappa les nations les plus policées de 1'Europe. Lorfqu'après le tumulte des guerres civiles, & des paffions ambitieufes , elles commencèrent a confidérer la navigation & le commerce comme une fource inépuifable de richeffe & de puiffance , elles affignèrent dans des conventions pacifiques, des termes fixes a cette prétendue néceffité des belligérans , leurs droits furent étendus ou reftraints felon la diverfité des circonftances , & relativement au pouvoir & aux qualités des nations contraétantes. Ainfi , un peuple imitant 1'autre, comme nous Ie voyons tous les jours,  C aO il fe fit entre les nations une loi conventionnelle , a la vérité , mais univerfelle , dans laquelle ou défigna 1'efpèce de marchandifes que les autres devoient s'abftenir de porter aux ennemis en tems de guerre :& on arrêta d'autres articles fur la manière d'exécuter la loi, relativement au commerce & a la navigation des neutres. Mais comme tous les peuples ne traitèrent pas avec chacunindividuellement, comme ils ne s'unirent pas non plus colleétivement pour adopter cette loi conventionnelle*, il s'établit en Europe un ufage qui en tint lieu : après la déclaratiou de guerre chaque nation belligérantenotifia aux peuples avec lefqucls elle n'avoit pas de traité particulier, les régies qu'ils devoient fuivre dans leur commerce avec les ennemis , ce qui eft a proprement parler circonfcrire le commerce des neutres pendant la guerre , dans les termes convenables a 1'état d'une défenfe néceffairc. En cela on ne peut trop louer la juftice & la modération des peuples d'Europe. Ils ont cherché a contenir 1'ambition des puiffances prépondérantes, & a prévenir ainfi les caüfes de deftruétion & de difcorde , pour éviter que 1'horrible incendie de la guerre ne portat fes ravages au-dcla du eerde tracé par 1'impérieufe néceffité. Cependant quoique cette loi foit digne d'éloges,& très-utile au genre humain, ellen'eft pas moins dans la claffe des loix conventionnelles, & différente de celles qui ont pour bafe le droit général des nations , ou le droit im-  C 27 ) muable & inviolable de la nature Qa~) dont leg principes adaptés aux intéréts des peuples compofent ce qu'on appelle le droit des gens. Auiïi cette loi mobile dans fa fubftance & dans chacune de fes difpofitions , n'a pas ceffé de varier depuis le plus ancien traité de commerce conclu entre Edouard III, Roi d'Angleterre, & les villes maritimes du Portugal le 20 Octobre 1353, jufqu'a nos jours oü la même incertitude fubfifte encore. Tous les auteurs n'ont pas fait cette réflexion. Ils ont vü que d'après les maximes généraleen Catherine II, Impératrice de toute les Ruines a introduit dans la conduite des peuples neutres , par rapport au commerce, des pratiques & des maximes nouvelles, qui ont été applaudies & adoptées par la plus grande partie des plus puiflantes nations de PEurope, comme nous le remarquerons en lbn lieu. (J>) En interrogeant la limple jultice naturelle , c'efta-dire, le droit primitif & général des nations , les peuples en guerre auroient leulement le droit d'empêcher, dans tous les cas de néceffité le tranfport aftuel des marchandifes , propres a conferver ou a augmenter les forces de 1'ennemi, en payant aux neutres le dédommagement des pertes occafionnées par le retard. Hatchejbn tt fyftem of mor al philof. liv. 2, chap. 18. „ But an fuch „ domage done to others for our prefervation from „ greater , oblige ns to make tuil compenfation , weu we „ ar able. The great probability, or certa nty of our „ tnaking future compenfation juttifiesmany fteps, Wich „ otherways would have been unwarrantable." II faut donc avouer que le traité ci-devent rapporté, entre les treize états unis de TAmérique feptentrionale & le Roi de Pruffe eft le plus conforme aux regies de la juftice naturelle , fur le conflit des droits du belligérant & du nftitre.  C 28 ) ment recues, il n'étoit pas permis de porter a 1'ennemi des marchandifes prohibées , vulgairementappellées contrebande , & que les neutres pouvoient faire librement le commerce des autres marchandifes , pourvu qu'ils s'abftinffent de les porter dans les places bloquées, affiégées ou invefties, & d'autres fecours femblables. Ils ont cru que cette prohibition étoit fondée fur le droit général & primitif, & non fur le droit faétice & fecondaire des nations , en conféquence ils ont expliqué & commenté ces maximes conventionnelles comme autant de loix générales du droit naturel , & ils ont embarraffé la matière. Telle eft la feconde caufe de la confufion dont nous avons parlé. II faut donc pour procéder avec méthode, pofer quelques principes généraux, qui font d'une trés-grande importance pour éclaircir fuffifamment le fujet que nous traitons. 1". II eft permis aux peuples amis & neutres de faire en tems de guerre leur commerce accoutumé dans toute fon étendue, fans aucune autre reftriétion de leur liberté ordinaire, fans autre aflujetiffement, fi c'en eft un, que d'obferver une parfaite impartialité. 2". Cependant les belligérans peuvent s'oppofer au commerce des neutres avec 1'ennemi, autant qu'ils le jugent néceffaire a leur défenfe naturelle. 30. Les reftriétions auxquelles fe foumettent les neutres, lors même que la néceffité de la défenfe naturelle en fait une loi, doivent être ftipulées dans des conventions volontaires.  C 29 ) 40. En conféquence, les marchandifes dé* fendues ou qualifiées de contrebande en tems de guerre ne font pas telles felon le droit général des nations, paree que les loix de la neutralité obligent les nations paifibles a s'abftenir de leur commerce, mais paree qu'elles ont promis librement de ne point protéger ceux de leurs fujets qui voudroient faire avec 1'ennemi un commerce prohibé fpécialement, & de les abandonner a la loi de la néceffité qui a diclé la prohibition. A 1'égard des nations qui n'ont rien promis, elles refufent également leur appui a ceux de leurs fujets qui s'expofent a des confifcations en faifant un commerce prohibé par le belligérant pour 1'intérêt de fa défenfe, & elles aiment mieux rcfpeclcr les motifs de cette déclaration, que d'en contefter les armes a la main la légitimité. II ne faut donc pas regarder la prohibition du commerce de certains articles, & particuliérement celui des armes & autres munitions de guerre, comme une conféquence naturelle de la neutralité, ou comme une dépendance du droit général des nations, mais comme une fimple convention de la part des peuples qui ont promis de s'y foumettre, & comme une adhéfion, un acquiefcement a 1'ufage adopté par le plus grand nombre, de la part de ceux qui n'ont pris aucun engagement formel. J'ai déja rebattu cette vérité; je me plais a la répéter encore, paree qu'elle me paroit importante. Les idéés font embrouillées fur cet objet. On réclame fouvent contre la violation  ( 3° ) du droit des gens, mais fouvent aufli Tón abufe de ce mot, qui ne fignifie au fond que le manquement a des conventions tacites ou expreffes, & non l'infraclion des loix primitives qui conftituent le droit des nations. Cette diftinétion effentielle n'a pas été appercue par les profeffeurs du droit public & privé , lorfquMls ont écrit fur le commerce des neutres avec les peuples en guerre; ils ont regardé 1'exclufion des marchandifes de contrebande , comme effentielle a la neutralité même , & conféquemment comme un droit abfolu du belligérant , comme une obiigation naturelle du neutre , & inféparable de 1'état qu'il avoit choifi , au lieu de confidérer eette exclufion comme 1'effet d'une promefle implicite ou formelle , mais toujours volon-r taire, ou du moins comme une rénonciation tacite de la part du neutre a 1'exercice dé fes droits naturels. Ces écrivains n'auraient pas eu de peine k revenir de leur méprife, s'ils avoient réfléchi a la conduite des nations d'Europe. En effet lorfqu'en tems de guerre elles arrêtent & confifquentdes batimens chargés de contrebande, elles ne croyent pas pour cela que la nation a qui ces batimens appartiennent, & qui pouvoit en interdire la navigation, ait rompu la paix, ouviolé la neutralité. Elles reconnoiffent donc le droit conftant des peuples paifibles a toute efnece de commerce, & elles n'y mettent d'cntraves que pour la néceffité de leur défenfe. D'un autre cöté les nations paifibles ne s'al-  C 3' ) larment point des actes de violence exercées en pareil cas contre leurs fujets; elles n'en demandent point la réparation, foit a caufe de leurs engagemens pofitifs & volontaires, foit paree qu'elles préferent a des pourfuites hoftiles, une tolcrance conforme a 1'ufage le plus général. D'ailleurs fi 1'exclufion des articles de contrebande étoit une loi naturelle de la neutralité, ileft évident que les peuples paifibles qui font ce commerce pourroient être h 1'inftant traités en ennemis, & que la guerre feroit permife contre eux. Cependant cela n'eft jamais arrivé, cela n'arrive pas de nos jours. Ainfi les violences momentanées qu'éprouve en tems de guerre le commerce des neutres, s'exercent & fe tolerent des deux parts en conféquence d'un contraét tacite, ou pofitif, & nullement en vertu des loix immuables de Ia nature. Or pour ne pas confondre le droit purement conventionel & verfatile des nations, avec Ie droit primitif & invariable de la nature, il me femble que tout ce qui vient d'être dit peut fe réduire aux queftions fuivantes. Quand une fois la guerre eft allumée, les neutres peuvent-ils fournir aux ennemis a titre, de commerce, des armes, des munitions de guerre, & autres articles vulgairement qualifiés de contrebande? Je réponds que s'ils n'ont pas renoncé a ce commerce par un traité fpécial, il n'exifte aucune loi qui le leur défende, pourvu qu'ils le fafTent avec une parfaite impamalité.  C 32 ) Les peuples en guerre peuvenc-ils cmpêcher ce commerce quand la néceffité de leur défenfe 1'exige? Je réponds que dans le cas prévu, ils peuvent non - feulement cmpêcher ce commerce, maïs tout autre, (\a) pourvu qu'ils ne faffent aucun tort au neutre, & que fi le tort eft inévitable ils 1'en dédommagent parfaitcment, (£) a moins qu'il n'ait été autrement convenu entre les parties. Tels font fur cette matière les feuls principes immuablcs diclés par la raifon éternelle. Tout («) Ce principe de raifon a été appercu par ceux mêmes qui ont fait les dillinftions ci - devant établies. Heinecc. 1. c. §. 9. O) Grotius peniöit que la prohibition de fournir des armes & autres munitions de guerre étoit une loi fondée fur le droit primitif des nations, & non pas puremeut conventionnelle, quand il s'agit uniquement de commerce, Cet auteur, d'après un mot iïAnuilaffunta rapporté per Procope Goth. chap. 2 , que quiconque fournit a 1'ennemi les chofes néceffaires elt du parti ennemi, & d'après d'autresjTiaximes qu'il a trouvées dans Agathias, dans Procope & dans Démofthene , qu'il cite dans fon livre de jur. bell. & puc. ch. 14, §. 3 , N. 2. Cet auteur, dis-je, décideque les peuples qui fourniffeni a 1'ennemi des munitions de guerre, doivent étre traités comme les ennemis même , fans diltinguer, toutefois , s'il s'agit d'un afte de favenr, de partialité , de fecours ou d'un fimple fait de commerce. En conféquence il n'accorde point la reftitution des marchandifes interceptées par les belligérans aux neutres, a moins qu'elles ne foient également d'ufage en paix comme en guerre..  C 33 ) Tout le refte eft purement faftice & mobile. En ce point les nations ont varié, elles varienc encore, & peut-être elles changeront a 1'avenir felon les circonitances, & la fituation des peuples d'Europc. Cependant depuis long-tems on a généralement adopté la maxime, ou, fi Fon veut, 1'ufage conflant d'accorder au belligérant le droit d'empêcher abfblument le commerce des munitions de guerre; d'arrêter & de confifquer le batiment & les marchandifes, fans que ce procédé rompe la paix avec la nation dont on arborele pavillon. II fuitdela que cette loi conventionnelle défend aux neutres de fournir a 1'ennemi cette cfpèce de marchandife. V. Si la loi conïentionnellè des nations qui ne permet pas que les neutres fournijjènt impunément a Vennemides marchandifes de contrebande, s'étend jufqu'a la vente impartiale des mêmes marchandifes fur le territoire neutre. Je commence par obferver qu'il s'agit ici d'une fimple queftion de fait : car la loi étant le réfultat des convcntions tacites ou exprefies qui lient les peuples d'Europe , pour s'aiïlirer de ce que la loi exige, il faut voir fi dans les traités refpeftifs, ou dans 1'ufage auquel ils ont donné liêu entre les nations, on a regardé comme prohiIre. Partie. q  C 34 ) bée en tems de guerre la vente impartiale des armes, des munitions de guerre, & autres articles de contrebande. Nous verrons bientöt que la queftion fe décide facilcment pour la négative. Mais on pourroit auffi la réduire a un point de droit, en demandant par exemple s'il eft permis au belligérant de déclarer qu'il eft néceffaire a fa défenfe que les peuples neutres s'abftiennent de vendre a 1'ennemi des munitions de guerre. Avant de répondre il faut d'abord bien cntendre quelle eft la nature de 1'obligation que les neutres fe font impofée relativement au commerce des articles prohibés en tems de guerre. Cette obligatïon fe réduit en fubftance a tolérer que le belligérant arrète & confifque leurs vaiffeaux s'il les trouve chafgés en tout ou en partie de marchandifes de contrebande , & a n'accorder aucune proteftion aux maitres des navires contre les preneurs. Les neutres n'obéhTent donc pas a une déclaration , a une ordonnance de marine dont les difpofitions ne font pas obligatoires pour des étrangers; ils ne réconnoiffent pas comme légitime le droit du belligérant fur la reftriction de la liberté des peuplesamis & paifibles: mais ils déclarent a leurs propres fujets que pour 1'intérêt général dans telles ou telles circonftances, ils ne jouiront pas de la protection publique , fi le belligérant exerce contre eux ïin certain genre de violence. Cela pofé , voici comment on peut répon-  C 35 ) dre a la queftion de droic. Le belligérant peut faire telle déclaration qu'il lui plak : mais les nations indépendantes ne font nullement obligées de s'y conformcr. S'il a le droit de faire tout ce qui eft effentiel a fa défenfe , j'ai de mon cöté le droit inconteftable d'ufer de mon bien comme il me plait. Lorfque j'en difpofe en faveur des peuples en guerre fans partiali. té, fans aucune préférence, j'obferve la feule reftriétion qui dérive naturellement de la neutralité oü j'ai bien voulu me renfermer; dirat-il qu'il eft contraint par la néceffité de me faire défifter a force ouverte, je pourrois alors e répouffcr par le même moyen, je pourrois le faire encore quand il arréte & confifque les vaiffeaux de mes fujets chargés d'armes & de munitions pour 1'ennemi, fi je n'avois les mains liees par un contrat tacite ou formel. II eft bien vrai que la néceffité de fauver votre vie & vos biens vous permet de violer ma propriété & ma liberté, mais cela fuppofe que je n'ai 'pas autant befoin que vous de la pleinitude de mes droits: fi j'eftime que leur confervation eft né . ceffaire a la défenfe de mes biens & de ma vie certes je ne fuis pas obligé de fouffrir votré invafion, je peux réprimer votre force avec la mienne & vous rcfufcr ce que vous tentez meme hcitement de me ravir. Ainfi donc il me fera permis de prendre fur votre territoire un pofte élevé , dont remplacement avantageux pour 1 ennemi s'il s'en emparoit Ie premier pour roitme devenir funefte, mais il ne s'en fuit Das que vous foyez obligé de fupF orter 1'nfurpation C a  du territoirc. Si vous craignez que vos états ne deviennent le théatre de la guerre , ou fi vous avez lieu de penfer que la confervation de vos droits territoriaux intérene effentiellement la tranquillité & la fureté de vos fujets, vous pourrez d'abord m'avertir de me défiiler de mon entreprife , & fi je ne 1'abandonne pas , vous pourrez m'y forcer les armes a la main. II fuit de ce raifonnement qu'il n'y a que ma volonté libre qui puifle me faire renoncer a 1'exercice d'un droit naturel. En conféquence il n'y a qu'une convention tacite ou expreffe qui puiffe m'cmpêcher de vendrc mes denrées a qui bon me femble dans mon territoire, pourvu qu'en les vendant a des peuples refpeftivement ennemis, j'obferve une parfaiteimpar tialité. C'elt pourquoi, dans la loi conventionnelle qui de 1'aveu implicite ou explicite de tous les peuples règle le commerce des amis en tems de guerre, & profcrit la fourniture de la contrebande aux ennemis refpeéïifs, on n'a jamais parlé de la vente impartiale fur le territoire neutre : cette vente, aux yeux de la loi, a toujours'paru libre & inattaquable, autant que le droit de chaque fouverain paifible & neutre, eil inviolable & facré. J'ai enfeigné dans mon cours de droit public, O) cette opinion, ou plutöt cette vérité réconnue par tous les écrivains, & réduite en pratique par tous les peuples. J'ai établi qu'en conféquence de la loi faélice des nations (aj) Tom. 3e., pag. 3, cap. 12, §. 9, n. 4-  C 37 ) d'Europe, les neutres ne pouvaient pas impunément fournir aux belligérans des chofes d'un ufage direét a la guerre. Mais j'ai averti que par le mot fournir , ou devoit entendre porter a 1'ennemi. En effet les neutres peuvent vendre dans leur territoire toutes fortcsde marchandifesa toutacheteur indiftinétemcnt, même aux belligérans. Ils ne font en cela qu'ufer de leurs droits naturels fans blcffcr aucune convention , fans nuire a perfonne, pourvu qu'ils n'accordent ni faveur ni préférence. J'avoue que je n'ai jamais cru qu'on püt êtte d'un avis contraire, tant cette affertion me paroiffoit évidente. D'ailleurs je ne vois pas qu'elle ait été révoquée en doute par les auteurs qui ont écrit fur les droits & les devoirs des neutres. C'eft une de ces véritésfrappantes qui triomphent également & des fubtiiités de 1'efprit, & du goüt de la controverfe. Ils parient tous de la fourniture des munitions de guerre, mais aucun ne parle de la vente libre dans le territoire neutre, tous entendemt par le mot fourniture le tranfport, & non la vente faite avec impartialité dans le porta tous ceux qui viennent acheter. Voici les paroles de 1'illuftrc Grotius ( i ) Sed <5? quaftio incidere folet quid liceat in eos qui hofles non funt,fed hofiibus res aliquas fubminiflrant. Et pour qu'on ne doute pas que par ce mot il n'entende le tranfport , il Vindiquenominativcmcnt, & il CO De jur. bell. & pac. 1. 3 , c. i , %. 5. n. 1. C3  ( 38 ) ajoute plus bas (i),, Quod fi juris mei exe,, cutionem subvectio impedierit id que „ fcire potuerït qui adv exit &c. Enfuite il appuie fur des exemples fa doctrine relativement aux droits des belligérans contre ceux qui portent des marchandifes aux ennemis : il cite la conduite des Carthaginois dans les termes fuivans ( 2 ) Romanos qui Cartaginenfium hoftibus commeatus attulerunt , ipfi Carthaginenfes aliquando cceperunt, &c. Tous les autres écrivains ont fuivi la théorie de cet homme célébre; ils n'ont jamais élevé un doute fur la vente des articles de contrebande a 1'ennemi, mais feulement fur le tranfport. Bynkershock (3) propofalaqueftion dans les termes fuivans : De his quce ad amicorum noflrorum hofies non re&e advehuntur. Hcnri Cocci (4) dans fa differtation furie droit de la guerre contre les amis & les neutres dit qu'en tems de guerre il n'eft pas permis de fournir des armes au belligérant, arma miniftrare, &il ajoute qu'il entend par-la le tranfport fur des vaiffeaux neutres, fans faire mention de la vente d'armesou de munitions qu'on fait fur fon territoire a quiconque fe préfente. M* Hiibner (5) qui a écrit plus differtement (O Ibid. N°. 3. (2) Ibid. N°. 5, vid. 1. 3, cap. 19, §• 3 , n. i(3J Quseft. jur. pub. cap. 10 , tom. 2 , edit. Cocon. Allobrag. (4J) Diflert. Curiof. 2a. torn. 2. de jure belli in amicos. (5) De la faifie des batimens neutres.  C 39 ) qu'ancun autre fur les droits & les devoirs Ae$ peuples neutres n'a pas dit un mot de la vente dans fon livre intitulé : de la faifle des bdtimens neutres : ce qui fuppofe le tranfport des marchandifes au port de 1'ennemi, feul cas ou la queftion de la faifie puilfe avoir lieu. Telle eft précifément la doctrine de Francois Hutchefon. (a~) Suivant lui le feul commerce interdit aux neutres, c'eft 1'envoi des provifions de guerre aux belligérans. Miltary jïores ordïnarily are to be [ent to neither. Tout cela prouve que ma théorie e/ conforme aux fentimens des auteurs, & qu'aucur* d'eux n'y a vu la matière d'un doute. Néanmoins en dernier lieu 1'abbé Galiani ( b ) 1'a trouvée étrange & erronée. En propofant la queftion de favoir fi un vaiffeau conftruit dans un port neutre, propre a la navigation, & arfné en guerre doit être confidéré comme contrebande quand on le met en vente dans le même port, cet auteur décide qu'on devroit tenir pour 1'affirmative, fi je n'avois pas enfeigné une opinion nouvelle & infolite , en établiffant que les neutres ne peuvent pas porter aux belligérans des chofes ufuellcsa la guerre, mais qu'ils peuvent les vendre a tout venant () que les princes neutres peuvent, fansblefTerlesloixde la neutralité , permettre aux deux nations enncmies de faire des recrues dans leurs états pour completter ou renforcer leurs armées refpcclives. II fonde fon opinion fur ce que le fouverain ne prendalorsconnoiffancc du contrat que pour en garantir les conditions; mais ce n'eft pas lui, du - il, qui les impofe. II n'ordonnc point les levées, il ne prefcrit rien, il n'interpofe en rien fon pouvoir fuprême. On pourroit demander comment il n'eft pas venu a 1'efprit de cet écrivain d'apnliquer les mêmes raifonnemens a la queftion dont il s'agit. Si les princes neutres peuvent permettre impartialement aux nations ennemies d'enrölcr des hommes dans leurs états, pourquoi ne pourront-ils pas leur permettre auffi de s'v approvifionnerde toutes les munitions néceffaires au fervicede leurs armées ? Sans doute on nepré- (■ Al permife ? Galiani devoït * .. . .;,jtre par les mêmes raifons, ■ - ment la liberté du cora- ? f1 . f' itc des princes neutres. En l 'e- i \>\rt' 'n'exïge aucun traité de la part ral» avec les nations qui vien- I] j fionner chez lui. II ne fe mêle, ni de 1'achat, ni de la vente, ni des autres actes tranflatifs de propriété. Ce n'eft pas lui qui fait emmagafiner les provifions de guerre , ce n'eft pas lui qui expédie les vaiffeaux de tranfport. // ne prefcrit rien, il n'interpofe en rien fon pouvoir fuprême. II ne fait que donner une protection générale au commerce de fes états; il permet fimplemcnt a fes fujets négocians, les mêmes fpéculations qu'avant la guerre. Seulement a cette occafion , il exige d'eux une parfaite impartialité, confidérations a laquelle ils n'étoient pas tenus de s'arrêter, puifqu'ils pouvoient, au gré de leur caprice, refufer de vendre aux individus de telle, 014 telle nation. Mais, quoique dans les deux hypothèfesles raifons alléguées, foient évidemment les mêmes ; le même écrivain a rendu deux déciüans  C 48 ) diamétralement oppofées. Que devons nous conclure de cette contradiétion rrianifefte? le voici, felon ma penfée : la vérité fe préfente d'elle-même a 1'homme froid qui la cherche paifiblement; mais elle fe dérobe aux yeux de celui qui a pris un parti & qui difpute; elle s'enveloppe dans les ténébres des argumens fubtilcs, & des paralogifmes ingénieux. VII. De la contrebande de guerre. Abus de ce terme. Erreurs qui en réfultent. Jl ne faut peut-être imputer la méprife de Galiani, qu'au nom de marchandifes de contrebande , fous lcquel on a dcfigné tous les articles qui fervent direftement a la guerre. L'idée de prohibition s'eft tellement affociée a ceue qualification, employée fréquemment dans les traités publics de tous les peuples, qu'on en ainféré l'interdiélion abfolue du commerce en tems de guerre, fans diftinction de lieu, ni de perfonne. Pour lever toute difficulté, voyons a quelle époque une marchandife commune a été deffendue en tems de guerre; examinons en quel lieu elle commence a devenir contrebande, proprement dite , de manière que 1'ennemi puiffe légitimement la faifir & la confifquer. Tout le monde conviendra volontiers qu'il eft: impoflible de confidérer comme marchandife  C 49 ) dife prohibée, ou de contrebande, une provifion de poudre, d'armes défcnfives ou offenfivcs, dépofée, par exemple, dans les mao-afinspublics ouparticuliers de Livourne ou&de quelqu'autre ville de Tofcane, en attendant les acheteurs. II n'y a que le fouverain feul qui puiffe regler le fait des chofes & des perIonnes de 1'état. Les ventes & les achats fe tont en toute liberté dans les limites du territoire & nulle puifiance étangere, paifiblé ou belli- ■ gerantc, ne pourrait troubler le commerce intérieur de la Tofcane, fans violer tout a h fois la liberté naturelle, & les droits légitimes du fouverain. ° Paree qu'une telle marchandifc peut être employée direétement aux ufages de la fuerre elle ne devient pas pour cela feul objet de contrebande, & le belligérant n'acquiert pas tout-a-coup le droit de la faifir & de la confifquer en quelquelieu qu'il la trouve. Si cela étoit, il faudroit dire que la loi de la nature & celle des nations qui en émane, donne aux peuples en guerte Ie droit affreux d'entrer, a mam armée, dans le territoire de toutes les puiffances paifibles, d'y faifir légitimement tout cc qu'ils y trouvent d'applicable aux ufages de la guerre, fans égard pour la propriété pubhque ou privée, pour la liberté des oeuples, & pour 1'autorité fouveraine. Certes perfonne encore ne s'eft avifé d'une fi mon' ftrueufe abfurdité. Ainfi le caractère des marchandifes de contrebande ne vient pas de 1'ufage direct: qu'on lre. Partie. jj  C 50 ) peut en faire a la guerre : II dérive d'ailleurs ; tant qu'elles font en pays neutres, elles font libre de toute efpèces d'entrave pour 1'achat la vente, ou toute autre tranfaction. II y a deux circonftances dont le concours eft néceffaire pour que ces marchandifes deviennent contrebande. II faut premièrement qu'elles appartiennent a 1'ennemi, ou du moins qu'elles foient fufceptibles de lui appartenir par leur deftination. En fecond lieu , qu'elles foient forties du territoire neutre ; alors elles deviennent res hofliles, chofes ennemies; elles prennent le caraétère de marchandife de contrebande, & 11 elles font trouvées fur un territoire dont aucun fouverain n'a la jurifdiction, ou en haute mer, elles font de bonne prife, quelque foit le pavillon du batiment qui les porte, non pas en qualité d'armes ou de munitions de guerre, mais comme chofes appartenantes a 1'ennemi, ou du moins deftinées a lui appartenir & a augmenter fes forces. D'oü il fuit que le fouverain paifible qui pennet dans les états le commerce libre de toute efpèce de marchandifes, ne fait rien qui excéde les bornes de fon autorité, ni dont les puifTances belligérantes puiffem fe plaindre. Elles ne lui reprocheront pas de donner la main a la vente ou a 1'achat des articles de contrebande, puifqu'ils n'exiftent pas chez lui, & qu'ils ne peuvent devenir tels que par la tra- O) Gentilis. De jure Belli. Res non hoftium non bene capitur ullibi. Lib. 2, cap. 22.  C 5* ) dition ou la deftination a 1'ennemi, & par la forcie du territoire. Le concours de ces deux circonftances eft cellement néceiïaire, que fi pendant que des peuples du couchant font en guerre, un des ennemis rencontre au large un vaiffeau marchand chargé d'armes & de munitions, mais deftiné pour une nation neutre du levanr ; li cette deftination eft prouvée par les lettres de mer & autres counoiffances trouvées a bord le capitaine n'éprouve aucune hoftilité. La prife, en pareilcas, feroitune violation énorme du droit des gens, précifément, paree que la qualité des marchandifes ne fuffit pas pour les conftituer contrebande de guerre. Comme ces deux circonftances font coincidentes au tranfport feulement, la prohibition relative aux marchandifes de contrebande, ne peut tombcr que fur le tranfport aux ennemis, & non fur la vente faite en pays neutre, oü la contrebande n'exifte même pas. C'eft peut-être faute d'en avoir examiné attentivement la nature & 1'effence, que Galiani s'eft expofé a uue méprife, qu'il a ingénieufement défendue. D 2  ( 5* ) VUT. Le droit conventionnel des nations qui ne permet pas que les neutres fourniffent impunément des armes cï? autres munitions de guerre aux nations belligérantes a toujours été confidéré chez tous les peuples commeprohibitif 'de tranfport feulement, &" non de la vente des mêmes articles fur le territoire neutre. 11 na jamais été fait mention de la vente dans aucun traité. J'aurois pu trancher d'un feul mot la queftion propofée; j'aurais pu me contcnter de prouver comme je Fai fait, que la feule obligation des neutres envers les belligérans, fe réduit a obferver dans leur commerce une impartialité parfaite; qu'ils peuvent en ufer comme avant la guerre, & que leur liberté ne peut être reftreinte ou modifïée que par des conventions tacites ou formelles, réfultante du droit factice de 1'Europe. Mais j'écrivois ce traité du vivant de Galiani, & dans la vue de prouver a cet homme célèbre 1'importance que j'attachois a fes opinions & a fes raifonnemens , j'ai voulu donner plus de développement a cette partie de ma doctrine dont la vérité n'avoit pas befoin d'un furcroir. de prcuves, puifqu'elle eft confacrée par la pratique univerfelle des nations.  C 53 ) Le public voudra bien me pardonner cette rédondance , & ce témoignage de mon cftime pour un favant dont 1'amitié me fut toujours chère , & qui même en combattant mon opinion me combla d'éloges fiatteurs que je me trouve loin de mériter. (a) je reviens a mon fujet, & je dis que parmi les immenfes compilations fakes fur le droit public , on ne trouve pas un feul traité ou la vente des munitions de guerre foit défendue, ni même défignée, tandis que, dans tous les traités, le tranfport f> ) eft exprefiement interdit. II eft clonc ïmpollible de voir fur quel fondement Galiani a prononcé que ma doctrine par rapport a la vente des marchandifes de contrebande , eft contraire au texte & a Vefprit de tous les traités, a la pratique univerfelle & au fentiment général. (V) J'ai rendu compte de 1'opinion de ceux qui ont écrit fur le droit public. Quant au texte & a 1'efprit des traités, il fuffit de les parcourir rapidement pour s'afturer que pendant plus de trois cents ans il n'a pas été fait mention de la vente, & qu'on a toujours prohibé le tranfport fculemcnt. Cette difpofition eft la feule C<0 11 mourut le 30 Octobre 1787. C'étoit un des plus beaux efprits de 1'halie ; li étoit fort éloquent, plein de fayoir & d'érudition. {b) Jé n'ai vu d'exception a la regie générale que dans le traité de paix & d'alliance conclu le 6 Aoüt 1661, entre Alphonlé, Roi de Portugal & les ProvincesLnies. J'aurni occalïon d'en parler. CO L. C. p. 339. D 3  C 54 ) convcnable au but qu'on s'eft généralement propofé, de régler , & de maintenir la liberté des peuples, celle du commerce maritime, & fpécialement la légitimité des prifes fur les neutres en tems de guerre. Les prifes ne pouvant avoir lieu légitimement que fur un territoire fans maïtre, les traités ne pouvoient parler que du tranfport par mer , & non de la vente fur le 'territoire des neutres oü rigoureufement parlant il n'exifte pas de marchandifes de contrebande. Un des plus anciens traités de commerce eft celui qui s'eft paffé le 20 Mars 1406, entre HenrilV, Roi d'Anglcterre, & Jean SansPeur duc de Bourgogne, & comte de Flandre. On y ftipule qu'une partie pourra porter a 1'autre en tems de guerre toute efpèce de marchandifes excepté , armière , artilleries , canons , & autres chofes femblables & invafibles. (\a) Mais fans remonter a des époques réculées, & en s'arrêtant a un fiècle qui touche le notre , on trouve dans le traité de paix conclu entre Philippe III, Roi d'Efpagne,^ & Jacques Ier., Roi d'Anglcterre , leipAoüt 1604 , Art. 3. L'énumération des marchandifes qu'il eft défendu de porter a 1'ennemi: on n'y parle pas de la vente fur le territoire efpagnol ou anglais. Dans le traité de commerce du 18 Avril 1646, CO Dtimont, torn. 2 , p. 302. Ce traité a été confirmé entre le même Jean'fans-Peur & Henri V, Roi d'Angleterre.  C 55 ) entre Louis XIV, & les Provinces Unies, 01» ftipula que le pavillon Hollandais préferverois non - feulement les marchandifes des fujets de la république , mais même toute la cargaifon encore qu'une partie appartint aux ennemis. On réforma ainfi une ancienne ordonnance de marine faite par Henri III, Roi de France en 1584, laquelle prononcoit la confifcation abfolue de tous les batimens amis a bord defqucls on trouveroit des marchandifes appartenantes a 1'ennemi. Mais ce traité de 1646, profcrit toujours les articles de contrebande qui demeurent foumis a la faifie : & il en fait le détail nominativement. A Partiele 4 du traité de marine arrété le 17 Décembre 1650, entre Philippe IV, Roid'Efpagne & les Provinces Unies (V); il eft queftion des marchandifes de contrebande, mais fimplemcnt pour en interdire le tranfport, ,, efl encore prohibé fous ledit nom le tranfport des gens de guerre &c L'article 7 du traité de Weftminfter, du 5 Avril 1654, entre Olivier Cromwel, & les Provinces Unies, défend tTenvoyer 'a Fennemiy des marchandifes de contrebande. L'art. a de celui d'Upfal du 11 Avril 1654, ) & que le fouverain, dont ces Mrïmens aurofent arborele pavillon, devoit fouffrir pnffiblemenr cette vio ence, & s'abïtenir paifiblcmcn de proteger la navigation de fes fujets Cette convention générale préfente au pre mier afpeét une forte de juftice naturelle Fn effet la néceffité de la défenfe, le droit du'e71e donne au belligérant d'empêcher l'accroifie ment ou la confervation des forces de fon en" nerru, femblent lui conférer ce droit dWafion" fur lapropnete&la liberté d'autrui, que r™ cette circonftance il feroit tenu de refpeéte Mais fi 1 on reflechit a la pratique uïi&SS qui etend la pourfuite des marchandifes defi necs a 1 ennemi , jufqu'a la confifcation d« banment meme, ainfi que des marchandifes hbres qui fout partie de la cargaifon W qu elles vont a des placcs bloquées, affilXv7 ou mvefties, fi 1'on fait attention que leKS' neurs ne font obligés a aucune refiitudoS nf indemnitê:ön fera forcé de conciure n d droits fi ngoureux n'ont d'autre origine Vua convention libre des autres riatióhs? droits de la néceffité ne peuvent Jer tlu{ prendre le bien d autrui, & nümlhppSL fans nous obliger a le rendre,«fró S2 ailleurs fw cet objet. 'J^. * Ainli, puifque toute cette matière do u „ trebande eft fubordonnée aux con em 0 s rTf" pefhves des peuples , il „'eft pas S ^ determinerlecaraétèreeffentiel, comn e oTdit dans les ecoles, k Priori. On doit s'en fre2 au droit conventionnel des nations, gtfgg . E 2.  C 68 ) peut fixer 1'ufage, & confacrer la maxime qu'on fuit aétuellement, fans rien prononcer pour ce qui doit s'obferver a 1'avenir. Or il paroit qu'après avoir beaucoup varié, les peuples ont généralement adopté un principe certain, qui conftitue 1'effence caraétériftique des marchandifes de contrebande, & qu'on doit mettre dans cette claffe uniqucmcnt celles qui par leur nature, leur préparation, & leurs propriétés fpécifiques, ne font immédiatement & directement appliquables qu'aux ufages de la guerre, & dans 1'art de 1'attaque ou de la défenfe publique par mer ou par terre. En effet dans les tems les plus anciens, ces marchandifes ainfi deftinées, ont été regardées dans les traités public ( a ) fauf quelques ex. ccptionsen petit nombre, comme marchandifes de contrebande, & partant fujcttes a la faifie. Mais on ne remarque pas cette uniformité relativement aux articles qui dans leur état actuel ne fe trouvant pas propres direétement aux ufages de la guerre, peuvent néanmoins le devenir par le moyen du travail & de 1'induftrie. (d) Dans 1'efpace de plus de trois fiécles, on trouve a peine deux exceptious a cette regie générale dans les traités conclus en Europe. L'un eft celui de Weftminfter entre EdouardlV, Roi d1 Angleterre, &Francois, duc de Bretagne, du 2 Juillet 1468, oü Ton permet lö commerce des armes. L'autre eft celui du 6 Aoüt 1661 , entre Alphonfe, Roi de Portugal & les Provinces-Unies. Celui-ci eft rapporté par Loudorp, auteur Allemand acl. publ. tom. 7 , p. 77, &par Dumont, corp-univ. diplom.  ( *9 ) Tch font, parexemple, le nitre, Ie fouffre," le fcr, le plomb , le cuivre, le chanvre , lacotonnine, la poix réfine, les bois de conftruétion, les madriers & amres chofes femblables, même les vivres & 1'argencqui a toujours été regardé comme le nerf de la guerre. En 1604 & en 1630, (a) les vivres & 1'argent ont été défendus. Dans le traité de marine conclu le 17 Décembre 1650 entre Philippe IV Roi d'Efpagne & les Provinces - Unies, on défigne le ialpetre comme article prohibé. Cette maxime a été fuivie, & en 1654 on a mis 1'argent & les vivres dans la clafTe des marchandifes de contrebande. Pecunia aut commeatus feu viclualia L'année fuivante le miniftère de France changead'opinion, & dans le traité de Paris du 10 Mai 1655, (<;) on ftipula que le grain & les vivres ne feroient plusregardés comme articles prohibés. Cette nouvelle maxime fut fuivie dans le fameux traité des 'Pyrénées du 17 Novembre 1659 & depuis cette époque la France n'a point changé. Mais deux ans après les Rois d'Angletcrre & de Sucde décidèrent que 1'argent & les vivres feroient prohibés. (d) II eft 00 Voyez les traités conern entre PEfpagne & la France, le 19 Aoüt 1604 & le 15 Novembre 1630, art. 9 & if!. (/•) Traité entre Oiivier Cronwel & les ProvincesUnies, du 5 Avril 1654, art. 7. CO Voyez le traité de 1655, dans Feibnitz, cod. jur. gent. diplom., p. 2 , page 185. 00 Traité d'alliance & d'amitié 'entre Charles II, E 3  C 70 ) vrai que bientót enfuite, ces deux fouverains adoptèrent les maximes de la France. Tous 'deux dans leurs traités de navigation & de commerce avec les Provinces-Unies en 16746c 1675 ötèrent de la claffe des articles de contrebande non feulement 1'argent & les vivres, mais encore toute efpèce de métaux , le chanvre , le lin, la poix réfine, les cordes, les voiles, les ancres, & toute efpèce de boispropresa conftruire ou a radouber les vaiffeaux. (e) On vit le même efprit de modération préfider a tous les traités de commerce : & Louis XIV le pouffa plus loin en ftipulant avec la Reine Anne qu'on ne regardcroit plus comme marchandife de contrebande toute efpèce de toile & de bois de conftruction comme le eoton, le chanvre, le litt, la poix réfine, les cordages, les voiles , les ancres, les planches, &c. comme le porte Partiele 20 du traité d'Utrecht du 31 Mars 1713. Mais, douze ans après, c'eft-adirc en 1725. Philippe V Roi d'Efpagne & 1'Empereur Charles VI convinrent qu'on regardcroit de nouveau comme articles prohibés, le falpètre, les bois de conflru&ion, les voiles, la poix réfine & les cordages. Avant cette époque le falpètre avoit été traité en Roi d'Angleterre & Charles XI, Roi de Suéde, du 21 Oftodre 1661 , confirrné le 16 Févr'er 1666. O) Voyez le traité de Londre du ier. Décembre 1674, art. 4, entre Charles 2, Roi d'Angleterre & les Provinces-Unies, & le traité de Stokolm, du 26 Novembre 1675, entre Charles Jf, Roi de Suéde & les mémes provinces.  c n ) France comme contrebande, & fpécialemenr. dans le traité de commerce du 28 Septembre 1716 avec les villes Anféatiques. On remarque dansles traités conclus de nos jours que les idéés de juftice & de modération ont fait de grands progrès; prefque toute 1'Europè eft d'accord furie même principe, al'exception du falpètre & du fouffre. Toutes fois c'eft la France qui la première a introduit les maximes les plus conformes aux intéréts des neutres, & les plus favorablcs a la liberté de leur commerce. Elle a cherché a y mettre le moins d'entraves qu'il étoit poffible, en determinant avec précifion le caractère des articles prohibés , dans fon traité d'amitié & de commerce avec les treizc états unis de lWmérique feptentrionale, du 6 Février 1778. Ce traité dit expreffémcnt que,, matières quel,, conques qui nont pas la fonne d'un in~ ,,, ftrument préparé pour la guerre , par „ terre comme par mer, ne font pas répu„ tées de contrebande. " Ccpendant par une bifarrerie qu'on peut a pcine concevoir; Partiele 24 du même traité défigne le falpètre au nombre des marchandifes de contrebande: & dans les traités fubféquent, particuliérement dans celui de neutralité armée conclu en dernier lieu avec la Ruflie, on met auffi le falpètre, & le fouffre danslaclaffc des objets prohibés. II eft aifé de voir que le falpètre ri'a pas la forme d'un initrument préparé pour la guerre, & que par confequent il n'a pas la qualicé déterminée pour caraété- E 4  C 72 ) rifer efTentiellement la contrebande. Ainfi, aujourd'huique les nations les plus éclairéesont preique généralement adoptéle même principe que la France, en réduifant autant qu'il étoit poffible le nombre des articles prohibés, il mefemble qu'on devroit rejetter de cette clafTe Je foullre & le falpètre. Je le penfe avec d'autant plus de raifon, que je trouve une efpèce de contradiélion dans les traitésmodernes qui, d'un cöté permettent le tranfport de tous les articles propres a conftruire ou radouber les vaiffcaux, même le tranfport du fer & du cuivre qui font la matière première des armes & de 1'artilleric, tandis que d'un autre cöté ils profcrivent le falpètre & le fouffre comme ingrédiens eflentiels de la poudre (a). Dès qu'il eft conftant que ces deux fubfiances ne peuvent pas, dans leur état naturel fervir immédiatement aux ufages de la guerre; elles font dans la même catégorie que le fer, le cuivre, Je plomb, les ancres, les voiles & les bois de confiruclion, & conféquemment dans la cJa/le des articles permis. Quoiqu'on puifie obferver, (a) Galiani, L. c. page 348 , obferve que le fouffre n'a jamais été compris parmi les marchandifes de contrebande, quoique fouvent le falpètre ait été regardé comme tel. Cette obfervation n'eft pas exafle : car le fouffre & le falpètre ont été délignés comme contrebande, fpécialement dans les traités de 17^4 & de 1766 , entre la Ruffie & 1'Angleterre, art. ii & 12. Le traité de 1766, a été rappellé dans tous les autres traités de neutralité armée, qui ont été conclus dans ces derniers temps.  C 73 ) comme quelques-uns 1'ont fait, que le falpètre & le fouffre s'employent principalement a la fabrication de la poudre , ce qui n'eft pas rigoureufement vrai, du moins pour le fouffre; néanmoins, comme ce n'eft pas une munition de guerre, proprement dite, il conviendroit a la modération & al'équitédes nations d'Europc de lever la prohibition fur ces deux articles , & de réduire , fur un principe uniforme, la lifte des marchandifes de contrebande, aux feules matières préparées & travaillées fpécialement pour fervir de munitions & d'inftrument dans les guerres de terre ou de mer. Le fage gouvernement de France qui a eu la gloire d'appliquer a cette matière obfcure & délicate les principes de la plus grande modération, devroit accomplir cette oeuvre honorable, & 1'exemple qu'il en donneroit dans le premier traité de navigation & de commerce avec un peuple ami, feroit bientöt fuivi par les autres nations policées. X. Si lepavillon d'une nation amiepréferve les biens appartenans a rennemi. Les mêmes caufes qui ont jetté une fi grande confufion dans les idéés fur les régies de juftice relativement au commerce des peuples paifibles en tems de guerre, ont répandu le même embarras iür la queftion que nous allons traiter.  (74) Les peuples paifibles réclament leurs droits a la liberté d'un commerce innocent, & en s'abftenant du tranfport des articles de contrebande, il veulent que leur pavillon ferve de fauve-garde aux marchandifes même appartenantes a 1'ennemi. Leurs droits au premier coupd'oeil paroiffent fondés en raifon. Cependant fi 1'on acquiefce a leur demande , il s'élève une difficulté afTez grave. En effet les belligérans de leur cöté ne manqueront pas de dire qu'ils ont un droit parfait & inviolable a la pourfuite & a la prife des biens appartenans a 1'ennemi, a tout ce qui peut 1'affaiblir, & le ramener a des feminiens de paix. Vous objecterez que vbus pouvez freter votre batiment a qui bon vous femble : d'accord, pourvu que vous ne bleffiez, ni les intéréts, ni les droits d'autrui. En exercant les fiens le belligérant ne vous fait au fond' qu'un léger dommage , puifqu'en troublant un peu votre navigation , en vous faifant configner les marchandifes de 1'cnnemi, il vous en paye le frêt fur le même pied que le pro-' priétaire. D'ailleurs vous avez couru ce rifque volontairement en prennant a bord des articles de cette efpèce ; en un mot s'il en réfulte quelqu'atteinte a la liberté de la navigation, il ne faut imputer cet inconvénient qu'aux malheurs de la guerre, & non a la mauvaife volonté du belligérant qui ufe d'un droit parfait. Néanmoins fi en fe refufant a la prétention des neutres on décide que les marchandifes de 1'enncmi trouvées a bord de leurs batiment font de bonne prife, on tombe , au moins cn apparence , dans  C 75 ) une contradiction manifefte : car , ( a~) après leur avoir permis le tranfport de leurs marchandifes, & de celles des peuples paifibles, pourvu qu'elles ne fuffent pas de contrebande , on ne fauroit alléguer une raifon plaulible pour leur interdire le tranfport des mèmes articles quand ils appartiennent a 1'ennemi. Dansl'un & 1'autre cas il s'agit toujours de pourvoira fes befoins , d'augmenter ou de confervcr fes forces, & de le mettre en état de prolonger la guerre. On ne voit pas quelle influence peut avoir la qualité du propiétaire fur les cffets de telle ou telle denrée , ïii comment le rapport moral de la propriété pourroit changer la fubftancc & la nature des marchandifes. Quand cette diftincu'on y changeroitquelque chofe, autant vaut qu'elles appartiennent actuellcment a 1'ennemi, que d'être deftinées a lui appartenir auffi-tót qu'elles auront été livrécs a 1'acheteur. Aiufi puifque vous croyez pouvoir faifir une cargaifon de grains appartcnantcs a 1'cnnemi trouvée a bord d'un batiment neutre pourquoi ne pas faire également la faifie, ou du moins empêcher le tranfport d'une cargaifon de même nature qui pendant le trajet appartient i des amis, mais qui une fois entrée dans le port de vos ennemis va devenir leur propriété ? Et fi 00 Je remarque en paffaqt , que cette contrad ftion eft fondée fur la faufTe fuppofuion que les neutres peuvent porter aux ennemis leurs marchandifes, lefquelles ne lont point de contrebande , fuivant le droit général & primitif des nations & non pas en vertu de leurs conventions expreffes ou tacites.  C 7*5 ) dans ce dernier cas le neutre vouloit répoufler votre violence, en vous difant qu'elle attaque la liberté d'un commerce innocent, pourquoi ne lui répondriez vous pas que c'eft une fuite de la trifte néceffité de la guerre ? II y a bien plus de contradiótion & d'injuftice apparente a déclarer légitime la prife des marchandifes de 1'ennemi trouvées a bord des batimens amis qui font expédiés a des nations neutres. Si 1'on juge ces articles de bonne prife paree que devant être échangés contre de 1'argent ou d'autres articles, il en réfulte uneaugmentation de force dans la maffe de la nation, je demande encore comment le belligérant pourra empêcher le tranfport direét des mêmes objets a 1'ennemi, tranfport qui tend plus direétement aux mêmes fins : je dis plus directement, paree que le neutre approvifionne immédiatement la nation en guerre , tandis que le négociant fujet d'une puiffance en guerre ne peut rienexpédier a 1'ennemi qu'après un long trajet qui lui eft nécefiaire pour avoir a bord d'un batiment neutre le retour de pluficurs cargaifons. Ainfi plus on approfondit la matière plus la difficulté augmente, & il ne paroit pas qu'il y ait moyen d'en couper le noeud. La queftion qui réfulte du conflit des droits du belligérant & du neutre, eft également infoluble, fi 1'on confulte le droit volontaire & convcntionnel des nations d'Europe. Dans leurs traités d'alliance & de commerce conclus de fens froid & en pleine paix , on les voit embrafi'er tour a tour un fyftême dilférent, felon  C 77 ) qu'elles étoient plus ou moins occupées des intéréts du commerce, ou des befoins de la guerre; & fur ce point le droit pofitif des peuples eft encore extrêmement douteux & incertain. Ces^traités ne font pas en grand nombre jufqu'a 1'époque oü les peuples commencèrent a donner quclqu'attention aux avantages de la navigation & du commerce long-tems négligés & prefqu'entièrement oubliés, lorfqu'ils étoient en proie aux faétions, aux guerres intcftines, & énivrés de 1'efprit de conquète. Le plus ancien traité oü il foit fait mention du préfent article eft celui de 1406, déja cité entre Henri IV, Roi d'Angleterre, & Jean Sans Peurduc de Bourgogne, oü il eft convenu que le pavillon ami ne préferve pas les biens de 1'ennemi. „ Les marchans, maifters de niefs, „ mariniers dedit pays des Flandres , ou de„ mcurant en Flandre, ne amefneront pour „ fraude ne colcur quelconque aucuns biens „ ou marchandifes des ennemis des englis par „ mer, & en cas qu'ils en foient demandés „ par aucuns efcumeurs, ou autres gens de la „ partie d'Angleterre , eux en feront jufte & „ plcine confeffion. " Les Anglois & les Flamands prennent les mêmes engagemens, & s'obligent refpeftivement a remettre les marchandifes a 1'armateur, qui les aura trouvées. Cet article a été tranfcrit dans les traités fubféquens, & 1'on s'y eft univerfellement conformé, comme on peut le voir dans les traités conclus entre Henri V, Roi d'Angleterre , & quelques villes de Flandre & du Brabant, en 1446, dans  C 78 ) celui d'Henri VI, fon fucceffeur avec la répu* blique de Gènes, en 1460, dans ceux d'Edouard IV, & du duc de Brétagne, en 1468, d'Henri VII ,& du duc de Brétagne, en 1486, d'Henri VII, & de Philippe archiduc d'Autriche, duc de Bourgogne & du Brabant en 1495 , je crois devoir citer le texte du traité , de 1460 , oü il eft dit que le fret de marchandifes ennemies doit etre rembourfé aux neutres. ,, Nee ,, caricabunt aut portabunt in navigiis eo„ rum fupradi&és bona aut mercimoni ali„ cujus 'mimici noflri, aut inimicorum nof„ trorum , 6F ca/'u quo fecerint, petiti, & ,, interrogati per noftros diSi j anuenfes de„ bent, immediate , & fine dilatione , ( me„ diante juramento fuo ; cui fubditi noflri ,, fidem debent') veritatem dicere & fceleri „ qua & qualia bona inimicorum noflro,, rum vel inimici ducent in navibus fuis, ,, & illa fine difficultate tradere, <5? déli,, berace capitancis , vel ducentibus navi,, gia n'oftra pro cuftodia maris , vel aliis ,, fubditis noflris quos obviare contigent navibus dièlorum fanvenfium ubicumque fu,, per mare, recipiendo prorata, nanti, „ five affreElamenti hujus modi mercium ,, inimicorum &c. ,, L'Angletcrre étoit alors en guerre contre la France, & les Génois contre Ferdinand, Roi de Sicile & d'Arragon. Dans les autres traités on a prévu le cas oü le capitaine feroit une fauffe déclaration , & on en a fïxé la peine au payementde lavaleurdes marchandifes fraudées.  C 79 ) Cette maxime fut tellement adoptée en Europe durant un fiècle entier qu'elle eut force de loi , comme pratique univerfelle , & fut a ce titre inferrée dans Tanden livre intitulé Confulat de Mer, livre qu'on peut regarder comme la colleclion des loix, coutumes, pratiques & ufages en vigueur, au tems oü il fut compofé, chez touttes nations maritimes & commercantes. Mais en 1604, cette maxime qui avait déja éprouvé quelque changement, fut abandonnée par 1'Empereur des Turcs. II convint avec Henri IV, Roi de France, que fon pavillon pourroit préferver de la faifie les biens de 1'ennemi. Voici les paroles du traité , art. 12. ,, Voulons & commandons que les marchan,, difes qui feront chargées a nollis fur vaif,, feaux francais, appartenans aux ennemis de ,, notre porte , ne puiffent être prifes fous „ couletu qu'elles font de nos dits ennemis, „ puifqu'ainfi eft notre vouloir." Huit ans après le Sultan Achmet accorda le même privilege aux Provinces Unies avec encore plus d'étendue, puifqu'il affranchit de la faifie les biens des amis trouvés a bord d'un batiment cor faire (^r). Les peuples commercans applaudirent aux difpofitions du grand Seigneur, en faveur de la liberté de fes amis: & dès les premières années du régne de Louis XIV. II fut convenu dans prefque tous les traités que le pavillon ami préferveroit les marchandifes appartenantes a 1'ennemi. C'eft ce qu'on peut O) Aitzema, toin. 1, p. 331,  C 80 ) remarquer dans ceux de 1646, entre la France & la Hollande, art. 14 de 1654, entre Cromwel & le Portugal, art. 23 de 1655, entre la France & les villes Anféatiques, art. 2 & 3, de la même année, entre la France & 1'Angleterre, art. 15 de 1656, entre 1'Angleterre & la Suede, art. 19 de 1661 , entre lè Portugal & les Provinces-Unies, art. 12 de 1662, entre les mêmes provinces & la France, art. 35 de 1668, entre 1'Angleterre & les ProvincesUnies, art. 10 de 1674, entre les mêmes nations, art. 6 & 7 de 1675, entre la Suéde & les Provinces-Unies, art. 6 de 1677, entre PAnglcterre & la France , art. 6 & ainfi de fuite, avec une admirable & conftante uniformité jufqu'en 1716. A cette époque, la France conclüt avec les villes anféatiques d'Hambourg, Lubec & Brême, un traité long& circonflancié oü revenant a PaYicienne maxime, on convint, art. 15, que le pavillon ami ne préferveroit pas les biens de 1'ennemi, & quelques années après, dans un traité de la même efpèce avec les Provinces-Unies en 1739. La France convient, art. 23, que le pavillon ami préfervera les biens de Pennemi, pourvu qu'il n'y aitpas de marchandifes de contrebande , exception toujours entendue dans le tems mêmeoü cette regie étoit généralement fuivie en Europe. Néanmoins au mépris de tous ces traités & de la liberté accordée aux neutres; les Princes mêmes qui les avoient foufcrits, fe font joués a leur gré de leur propre convention, quand ils ont été en guerre; ils ontpubliédes régiemens  C 81 ) régiemens & des ordonnances de marine, qui permetcoicnt aux corfaires de prendre les marchandifes des ennemis, trouvées a bord des batimens neutres. Ils ont impofé aux neutres eux-mêmes d'autres loix attentatoires a la liberté du commerce, & fouvent contraires a la foi des traités. Enfin, dans les derniéresguerres, depuis 1740 jufqu'a nos jours, on eft revenu a 1'ufage ancien, 6c 1'on a pris fans diftinction les cargaifons ennemies fur des vaiffeaux neutres. Dela les doléances, les plaintes multipliées & répétées dans différens écrits, fpécialement faitspour défendre, fur ce point, la liberté du commerce. Plufieurs nations onc voulu 1'obtenir degré-a-gré, mais la généreufe Autocratrice de toutes les Ruffies, a manifefté le deffein d'exiger cette liberté comme un droit, & dela fouteniravec lesforces réunies de tous les peuples qui avoient embrafie fon projet de neutralité armée. Les treize états-unis d'Arr.érique , Pont obtenue volontairement de la France 6c de la Suéde dans les traités de 1778 6c 1782, 6c de quelques autres pcupfes, avec lefquels ils ont fait des traités de commerce; mais je ne voudrois pas répondre qu'a la première déclaration de guerre, cette liberté ne leur fut ravie, par ceux même qui la leur ont permife, en prenant pour prétexte le droit de la néceffité qui fufpend toute convention. Plufieurs nations (0) ont accédé a la déclaration (X) S. M. VEmperenr, les feigneurs Etats-généraux de Provinees - Unies, S. M. le Roi de Dauuemaik » Ire. Parrie. F  C 8a ) derimpëratfice deRuffie du 28 óclobre 1780, dont le principal but eft d'établir en principe, que le pavillon ami préferve les marchandifes de 1'ennemi, pourvu qu'elles ne foienc pas de contrebande; mais jufqu'a préfent 1'Angleterre & 1'Efpagne s'en font rapportées fur ce point a leurs conventions particulicres, & au droit général des nations. Ainfi , jufqu'a préfent les loix factices & conventionnellcs n'ont pasétabli de regie conftante & uniforme, qui puiffe tarir la fource des plaintes fi fouvent occafionnéespar leconflit de deux droits également naturels & parfaits. Mais on peut examiner en quoi ils confiftent, & par ce moyen applanir aux nations la route qu'elles doivent tenir pour ftipuler leurs droits refpeétifs, de la manière la plus conforme aux principes de 1'équité, a la confervation de leurs intéréts & aux lumières de la raifon univerfelle. La maxime qu'on voudroit établir, que Ie pavillon ami préferve la cargaifon ennemie fauf le cas de la contrebande, préfente, il faut en convenir, une vue noble, magnanime, infiniment favorable aux neutres, & a 1'indépendance du commerce. II eft a fouhaiter que toutes les grandes nations fans en excepterune, adoptent par un voeu unanime ce beau principe de modération. Mais il doit être permis a un homme S. M. la Reine de Portugal, S. M. le Roi de Pruffe, S. M. le Roi de Naples, S. M- le Roi de France, dont les traités font rappellés dans 1'appendix.  C 83 ) impartial d'examiner fi les nations qui nc croiroient pas devoir s'y conformcr, blefleroicnt le droit des gens, & feroient une injuftice naturelle en continuant de prendre les biens de 1'ennemi a bord des batimens neutres , aucun engagement particulier ne les obligeant a s'en abftenir. Quant a moi , je trouve que cette maxime ne dérive ni du droit rigoureux de la nature, ni du droit primitif & général des na,tions. Premiérement, paree que les raifons fur lefquelles on prétend Pappuyer ne me paroiffent pas convaincantes. Sécondement , paree que les contradictions alléguées entre la prohibition & la liberté accordéc aux neutres font feulement apparentcs, a en jnger par la pratique des peuples, & la doctrine des publiciftes. Troifiememcnt, paree que la faculté de préfcrver les effets de 1 ennemi avec un pavillon neutre, eft diamétralement oppoféeaux droits des belligérans, qui font inconteftables & fondés fur le droit des gens. Hiibner, plus qu'aucun autre écrivain, s'eft déclaré en deux endroits de fon livre en faveur de la maxime dont il s'agit. II a raflèmblé tous les raifonnemens qu'il croyoit les plus concluans pour en démontrer la juftice & la vérité. (a) D'abord il employé un argument négatif; „ II les belligérans, dit-il, ont le droit qu'ils „ prétendent, il ne peut ëtre fondé que fur „ leur état, ou fur celui des neutres, ou fur 00 Dela fa'fie des batimens neutres, ch. ?,, fe£t. «, p. 145 & 1'uiv., iect. 2, ch. 2,5. 5., p. 22 & fu.v. 'F 2  C 84 ) „ leur pouvoirlocal. Ce n'eft pas fur leur état ,, originaire , puifque les fouverains font in,, dépendans, & qu'aucun d'eux n'a de jurif,, diétion fur les fujets de 1'autre, au point de ,, reftreindre ou d'arrêter leur commerce : ce „ n'eft pas fur leur état de guerre, puifqu'il ,, n'en réfulte aucun droit au - dela des biens ,, ou de la perfonne de 1'ennemi. Et fans autre preuve de cette propofition, il en tire la conféquence que le droit de prife n'eft fondé ni fur 1'état originaire des peuples ni fur 1'état fécondaire des belligérans. Mais nous prouverons bientöt que £'eft précifément de cet état fécondaire que dérive le droit dont il s'agit. ,, II n'eft pas fondé, continue Hiibner, fur ,, 1'état ordinaire ou actuel des neutres, par„ ce que comme peuples ils ne font fou,, mis a aucun neutre, & comme neutres ils ,, font obligés de ne prendre aucune part a la ,, guerre, mais nullement de reftreindre leur ,, navigation ou leur commerce. ,, Cependant il ne tire aucune conclufion de ce raifonnement. Quant au pouvoir local, il n'a pas befoin de preuve fur cette partie de fon aflertion. Perfonne n'a imaginé de donner une telle bafe au droit de prife : on fait d'ailleurs qu'on n'a jamais parlé que des prifes faites enpleine mer, oü nul fouverain n'a de jurifdiétion. Hiibner reprend la queftion dans un autre cndroit, & voici de quelle maniere il foutient fa propofition. „ Les devoirs des neutres fe ré- duifent, dit-il, a deux points:une inaction  C 85 ) „ abfolue relativement a toutes les opérations ,, de la guerre & une impartialité parfaite dans „ tout le refte de leur conduite. Or ils ne manqucnt ni a 1'une ni a 1'autre de ces obligations, en frêtant leurs vaiffeaux pour tranfporter des articles non prohibés, dont il doit leur être permis de recevoira bord une cargaifon appartcnante a 1'ennemi, pourvü qu'il n'y ait pas de contrebande de guerre. Nous penfons ainfi , fans néanmoins en conclurre que leur pavillon puiffe préferver de la faifie les articles appartenants a 1'ennemi. Mais, dira-t-on, les neutres ont Ie droit de vendre leurs denrées, & de frêter leurs navires a qui bon leur femble. II y a donc une injuftice criante a lesempêcherd'ufer de ce droit, & a exécuter contre eux une violence qui les réduiroit a mourir de faim, fi le commerce de fret fe trouvoit une de leurs principales reffources pour vivre. Je réponds a cela que le belligérant eft le feul juge du droit qui lui appartient de nuire a fon ennemi & de 1'affoiblir autant que fa défenfe 1'exige. (#) Or s'ilcroit ( bordement, je préferve d'une inondacion funefte les campagnes voifines, & je fauve la moiffon. Le maitre des planches , pourvu que je lui en rende la valeur, ne peut pas fe plaindre de ce que j'ai blefle fon droit de propriété. Dans une extreme difette , j'expedie des navires en pleine mer avec ordre aux capitaines d'arrêter tous les bdtiment chargés de vivres & de les amener dans mes ports ; j'attaque la liberté & la propriété, deux droits facrés dans le cours ordinaire des chofes : mais par ce moyen je fauve la perte irréparable d'une multitudc , & je dédommage les proprietaires des batiment faifis, de manière qu'ils n'eprouvcnt aucun prejudice de cette violence ncceffaire , & du rctatd de leur commerce. Or quelle ell la perte qui réfulte pour les neutres du trouble momentané de leur navigation ? Aucune, fi ce n'eft le retard occafionné par la vifite du vaiffeau, & la remife des effets appartenant a 1'ennemi. Dans tout le refte, le belligérant conferve un refpeét. rcligieux pour Findépendance & la liberté des peuples amis, fuivant le droit coutumier des nations, fuivant leur droit univerfcl, unique régulateur de leur conduite. II paye le fret au meme taux que 1'auroit payé le proprietaire des marchandifes ennemies, & après leur confifcation il laifie le navire en pleine liberté. II faut de plus obferver qu'en reccvant fur leur bord des articles de cette  ( 9* ) efpèce, les neutres fe font volontairement expofés au retard qu'entraine une faifie legale, d'oü il fuit qu'ils ne peuvent 1'imputer qu'a eux-memes, & non au belligérant qui exerce un droit parfait. Mais comme, en dernier analyfe , les neutres ont auffi le droit parfait de porter toute efpèce de cargaifon indiftinétement, excepté la contrebande, c'eft ce conflit feul qui les expofe innocemment a être arrêtés : & par cette raifon il me femble de toute juftice que le belligérant les indemnife du retard occafionné par une prife légitime. Voyons a préfent quelle perte feroit le belligérant s'il étoit privé de fon droit de prife fur les biens de 1'ennemi a bord des batimens neutres. La néceffité 1'oblige a diminuer tou tes les reffources du parti oppofé , a lui ravir tous les moyens d'attaque & de défenfe, pour accelerer la paix. Tout furcroit de force qui peut fervir a prolonger la guerre, augmente la deftruétion, verfe des flots de fang, & entraine des pertes irréparables. On peut évaluer le tort qu'éprouvent les neutres par la fufpenfion de leur droit , on peut les indemnilér facilement du léger facrifice qu'ils font de leur independance aux calamités de la guerre. Mais le (<0 Souvent le belligérant pourroit aliéguer pour fe difcülper, les paroles que Didon addrelfoit aux Troyens en les renvoyant de lés parages : ,, Rei dura & regni novitas me talia cogunt ,, Moliri, & late fiaes cuihde tueri. Coccius, dans fes dilfertations, §. 24 , établit fur le droit de l'irrififtible néceifité, la jullification de plulieurs ailes d'holl lké , dirigés contre les amis.  (90 droit du belligérant n'eft fufceptinble ni d'appréciation, ni d'aucun dedommagement. C'eft donc une difpofition conforme aux loix de la nature que le premier de ces droits foit fufpendu, & que Pautre foit en vigueur a condition, comme nous Favons dit, de réparer le dommage : & c'eft avec raifon qu'on a repris de nos jours 1'ufage ancien generalement adopté par toutes les nations. Je ne pretends pas qu'il n'y ait quelquefois des armateurs qui portent'1'exercice de leur droit jufqu'a la tyrannie, en multipliant fans néceffité leurs vexations contre les batimens paifibles; je n'entends pas juftifier 1'abus de la force qüi la rend deteftable ; mais je dis que ce droit eft jufte : que les longues & nombreufes declamations qu'il a fait naitre, & dont il eft encore aujourd'hui Fobjet, fontabfolumentderaifonnables. J'ajouterai que dans ce fiècle, appellé je ne fais trop pourquoi le fiècle des 'lumières , nous fommes revenus a la pratique des tems anciens oü 1'on fuivoit a la rigueur les regies du droit des gens. Tant il eft vrai que la juftice eft éternelle , & que nous fommes toujours foumis a fon empire , quand nous ne fommes pas egarés par la manie de paroitre plusfagesèk plus habilesque nos pères, ou enivrés d'un efprit de préfomption avec lequel on n'a jamais rien fait de bon ni de jufte. {b) V. le Confulat de mer, c. 263. On fcait que les regies énoncées dans le confulat de mer, ont été généralement adoptées depuis huk fiécles.  C 93 ) Arrêter un navire pour confifquer les marchandifes de 1'ennemi , ou defendre qu'on ne faffe avec lui le commerce de fret & de commiffion, font deux aétes abfolument diftinéts , qu'on a mal a propos confondus. On feroit fondé fans doute a fe plaindre d'une pareille prohibition: mais elle eft chimérique, ainfi que nous 1'avons vu. Les neutres peuvent après la confifcation faire de nouvelles opérations avec 1'ennemi, fans être troublés dans 1'exercice de ce droit dont ils confervent toute la pleinitude. Ils n'ont donc pas fujet de fe plaindre. Mais , dira -1 - on pour eux , la crainte de la faifie allarme tellement les ennemis,qu'ils fufpendent leur commerce, & qu'ils ne frêtent plus de vaiffeaux neutres ou du moins bien rarement. C'eft, je le repète, une trilte conféquence de la guerre ; on ne doit pas s'en prendre au belligérant. Celui-ci n'eft pas obligé de fouffrir impunément une injuftice, & de renoncer a la révendication de fes droits contre une ufurpation manifefte, par ménagement pour les intéréts d'un tiers a qui fa défenfe naturelle peutêtre nuifible. Autant vaudroit dire qu'un particulier n'a pas le droit d'ouvrir un puits fur fon terrein , paree qu'il coupera peut-être un filet d'eau qui fournit la fontaine de fon voifin, ou qu'il ne pourra pas réclamer fon héritage contre un détenteur de mauvaife foi, paree qu'il en réfultera la ruine de deux ou trois créanciers a qui ce poffeffcur franduleux n'aura pas donné d'autre hypothèque. Nous nous arrêtons aux régies du droit écrit : celles que  (94 ) la vertu peut prefcrire n'entrent pas dans le plan de notre differtation. ^ Au refte il n'y a point de droit parfait dont 1'exécution ne foit importune & préjudiciable aquelqu'individu. Sij'exhaufle ma maifon, j'ote du jour a mon voifin : fi je fais enclorre mon héritage, voila une gêne pour le paffage des propriétaires limitrophes. Si je porte mes denrées au marché, je fais baifTer le prix des au tres qui trouvent moinsd'achetcurs. Si j'entreprends un certain commerce, je diminue le bénéfice que faifoit un tiers en pofleffion du même trafic: ainfi du refte. Mais ces inconvéniens relatifs a quelqu'individu ne fauroient empêcher 1'exécution de mes droits, a moins d'une extréme néceffité, ou d'un conflit, & fauf les conditions ci - devant déduites. Les neutres euxmêmes nuifent aux nations belligérnntcs , en ufant de leur droit naturel de continuer avec elles leur commerce accoutumé ; pluficurs vaiffeaux neutres chargés de marchandifes ennemies, peuvent échapper a la vigilance des navires armés en courfe. Mais ce droit n'en eft pas moins jufte. Cette réflexion me conduit a faire difparoitrc les contradiétions que j'ai rélevées. S'il eft permis, dit-on, de prendre le bien de 1'ennemi par - tout oü on le trouve, même fur les batimens neutres au mépris de leur liberté, pourquoi n'eft-il pas permis de les arrêter lorfqu'ils tranfportent leurs propres marchandifes chez 1'ennemi? Cette importation qui eft un furcroit de forcespour 1'un , ne devient-elle pas une fource de maux irrépara-  ( 95 ) bles pour 1'autre2 Pourquoi interdire le premier de ces aótes, & permettre le fecond. Comment la néceffité de votre défenfe n'opere-telle pas les mêmes effets dans les deux cas? Voici, felon moi, la raifon de la différence : la perte des prifes tombe prefque toute entière fur les ennemis, & la perte légère qui en réfulte pour les neutres eft facile a réparer : au lieu que ceux-ci fupporteroient feuls toute la perte, fans aucun efpoir de dédommagement s'ils étoient privés du droit de continuer leur commerce avec les nations actuellement en guerre. Que s'il étoit poffible d'indemnifer équitablement d'un pareil facrifice, jene douterois pas que les belligérans n'euffent le droit d'arrêter tous les vahTeaux neutres chargés de marchandifes utiles a 1'ennemi, en offrant par exemple de les acheter au comptant, ) ou en cas d'échange en fournifant les mêmes articles au même prix & aux mêmes conditions : mais 1'un de ces deux moyens entraineroit une dépenfe qu'aucune nation ne pourroit foutenir, 1'autre fcroit moralement impoffible, nulle cargaifon ne pouvant être affortie de tous les articles néceffaires,- d'oü il fuit que dans le conflit de deux droits parfaits, on maintient celui O) Henri Coccius , dans fa differtation ee Jure belli in amicos. Piiput. curiof. torn. 2 , difput. 2 , §, 32 , indique cette vérité, en obfervant que fi le belligérant trouve un vaiffeau neutre marchand au pays ennemi, & qu'il offre d'acheter la cargaifon a jufte prix, le capitaine doit y confentir.  Cs>0 dont la fufpenfion entraineroit une perte abfolument irréparable. Cette raifon décifivc a laquelle je ne crois pas qu'on puiffe répliquer, m'a toujours convaincu qu'il n'y a aucune contradiótion réelle entre les deux loix, dont 1'une permet la prife des effets de 1'ennemi fur les bdtimens neutres, tandis que 1'autre permet aux neutres le tranfport & la vente de leurs marchandifes aux ennemis. Ces deux loix doivent être regardécs comme des regies inviolables pour les nations belligérantes, & pour les peuples paifibles pendant la guerre : elles font toutes les deux également fondées en raifons; ellesconfervent a la fois les droits du belligérant & les droits des neutres. Ceux-ci doivent comprendreque fi leur commerce de fret éprouve quelques avaries, ce n'eft point aux hommes qu'il faut les imputer, mais aux triftes circonftances de la guerre, dont les défaftres fe partagent dans une proportion plus ou moins forte entre toutes les nations commercantcs. Les malheurs que ce fléau traine a fa fuite font encore plus généralement fentis par les peuples qui, avant la guerre furvenue entre deux ou plufieurs puiffances, trafiquoient habitucllement avec elles. Ils n'en recoivent plus la même quantité d'expédition ni le même nombre de commiffion () Je crois pouvoir aflurer qne, depuis pius d'un fiecle , -il n'y a pas eu de traité de commerce, oü 1'on n'ait inféré la clauie que les eftèts des amis trouvés  C 108 ) Rien ne peut juftifier cetabus, & probablement les nations qui font convenues de tolérer réciproquement, ont cru devoir prendre cette précaution pour empêcher les ennemis de fe fouttraire a la prife, en fe couvrant du nom des neutres leurs amis fecrets : ce quiferoit effectivement très-facile, fi les articles chargés fous le compte des neutres ne pouvoient être de bonne prife a bord des batimens neutres. II n'eft pas douteux que le droit faétice & conventionelne puiffe déroger au droit public des nations, mais a moins d'une ftipulation contraire & fpéciale, il faut toujours en revenir fur un batiment neutre feroient fujets a la faifie. V. les traités entre 1'Efpagne & la Holla'nde, du 17 Décembre 1650, art. 13, entre 1'Angleterre & le Portugal-, du 10 JuiU.et 1654, artn 13. Le traité des Pirénées, du 17 Novembre 1659, art. 19. Celui du Portugal avec les Provinces-Unies, du 6 Aoüt 1661 , art. 23. Celui de 1'Angleterre avec la Suéde, du 21 Décembre 1661 , art. 35. Cette extréme rigueur fut un peu mitigée dans le traité de navigat on & de commerce, arrêté a Londres le ier. Décembre 1674, entre Charles III, Roi d'Angleterre & les Provinces-Unies. On y ftipula que la faifie des marchandifes des neutres , a bord des batimens ennemis , n'auroit lieu que dans le cas oü elles auroient *été chargées après Ia publication de la déclaration de guerre. On y détermine le délai dans lequel cette déclaration, eft réputée parvenir a la connoilfance des neutres, relativement a la diftance des ports. Cette excellente & jufte modification a été adoptée dans tous les traités fubféquens , fans toutefois fe départir du principe de la failie qui eft eacó:e en vigueur de bos jours.  C 109 ) a la loi primitive qui donne au neutre le droit de fe faire reftituer les effets qu'on lui.a pris a bord d'un bdtiment ennemi, dès qu'il peut prouver évidemment fa propriété. C. — C. Hiibner torn. 1. c. 9. § 1. XII. De la fémonce en mer; de la vifite des batimens neutres : fi elle eft fondé e fur le droit des gens & comment elle doit fe faire. j^h, comme nousl'avons démontré, le belligérant , tant en vertu des traités, qu'en vertu de la loi générale & primitive des nations a le droit d'empêchcr que les neutres ne portent chez 1'ennemi des marchandifes de contrebande, s'il a le droit de faifir les batimens de fes ennemis, & tout ce qui leur appartient a bord des b&timens neutres, il faut que la même loi lui accorde tous les moyens nécelfaires a 1'exécution de fes droits. Or il n'y a d'autre moyen que d'arrêter & de vifiter les navires. Donc il doit être permis de le faire, & d'employer la force contre ceux qui prétendroient s'y oppofcr. Laqualité des droits qui jufüfient la vifite en détermine la fin & 1'objet. Elle tend a découvrir premïérement fi les vaiffeaux rencontrés au large font neutres ou ennemis, en fecond lieu s'ils ont a bord de la contrebande de guerre, ou des effets appartenans a 1'ennemi.  C ito ) ^ Un négociant qui entreprend un voyage maritime , s'il veut êcre traité comme ami ou comme neutre par les peuples en guerre, doit fe munir de documens authentiques pour conftater la qualité du navire & celle de'fa caro-aifon. ö Quant a la qualité du navire, il fcroit imprudent de s'en rapporter fimplement a 1'infpcction du pavillon que les navigateurs peuvent arborer en pleine mer. Les fujets de 1'ennemi , les neutres eux-mêmes pourraicnt aifément fe fouftraire a la prife, & a la vifite en éludant les droits du belligérant. D'aillcurs le pavillon ferviroit tout au plus a faire connoitre la nation des navigateurs, fans indiquer la nature de la cargaifon. Cette preuve eft d'autant plus équivoque aujourd'hui que lesarmateurs foit en guerre, foit en marchandifes ont généralement adopté 1'ufage d'arborcr tel pavillon que bon leur femble, afin de furprendre plus aifément les ennemis, & de lesapprochcr fous cemafque trompeur de manière qu'ils ne puilTent éviter la prife. (a) Mais comme les 00 La rufe & la fraude qui font odienfes & déteftées en tems de paix & dans le cours de la vie fociale, font Iic:tes pendant la guerre. En eJfet, puifqu'on y permet le meurtre & la deliruftion de part & d'autre, quand la néceffité de Ia d éfenfe 1'exige, on doit y permettre auffi 1'ufage de la feinte, avec" d'autant plus de raifon qu'une rufe qui réuffit, épargne fouvent le fang & le carnage. Cela eft fi vrai que" la chofe alors change de nom : la rufe de guerre s'appelle un ftratagême. Quiconque 1'employe a propos  C tri ) neutres feroient expofés aux plus grands rifques fi étant fémoncéspar un batiment armé, ils fe trouvoient a la portée du canon d'un vrai pirate ou d'un écumeur de mer, il eft évident qu'ils ne font pas obligés d'ajouter foi au pavillon , jufqu'a ce qu'ils foient convaincus de fa fincérité. Ainfi non-obftant la fémonce de 1'armateur, & après avoir entendu fon portevoix, le neutre peut continuer fa route a pleines voiles, & fe mettre en état de défenfe contre les violenccs d'un pirate qui auroit mafqué fon plan fous le pavillon d'une nation amie. Le belligérant n'auroit point a fe plaindre de cette prudence, comme d'une entreprife volontaire pour maintenir fon droit fans effufion de fang , fait preuve de talent & de prudence. On applaudit a fon mérite chez les ennemis comme chez les' amis. Voyez Grotius de Jure belli Cr pacis , liv. 3, chap. 1, §.6, 7 & 8. St. .Tean Cryfoftöme, liv. 1 , chap. de Sacerdot., dit avec raifon : ,, Si nobili/jimos ducum ad examen ,, voces, pleraque eorum tropcea reperies fraudum cfj'e „ opera , magifque tales laudari, quam qui aperte „ agenda vicerunt." La louange eft bien jufte en efièt, car, quand on a le droit de verfer le fang humain, quelque moyen qu'on employé pour Tépargner, c'eft toujours un moyen licite. ,, Et enim fi in bello fine ,, vi ca obtineri poJJ'unt, ad qux bellandi jus eft ad „ ea obtinenda a vi abftinendum. Quod fi ergo dolo, „ boe eft fimulalione vel diffimulatione obtineri qu&,, dam pofj'unt, ad qute alias vi opus efj'et, dolo po., tius quam vi utendum* ad que adeo dolus in beïïo „ licitum. " Wolf., L. N. & G., cap. 7, %. 867. V. Hutcherfs. a fyfiem of moral phil. Liv. 2 , chap. 18 , p. 126 & fuivantes.  C rr2 ) contre fon droit de vifite, paree qu'avant de 1'exercer, il eft tenu de juftifier fa qualité, obligation qui n'eft pas remplie par la fimple montre de fon pavillon. (a) On voit qu'il y a ici deux droits en oppofition, dont la fufpenfion feroit également funefte aux deux parties: les uns, s'ils mettoient en panne fur la foi du pavillon s'expoferoient fouvent au pillage, a la fervitude & a la mort : les autres, fi leur fémonce n'avoit pas le pouvoir d'arréter les batimens , perdroient fouvent 1'occafion d'une prife légitime, en tolérant a leurinfu un commerce frauduleux entre leurs ennemis & les neutres. On feroit obligé des deux parts a fe faire O) C'eft une regie de raifon connue, que quiconque veut exéfcer un droit contre un autre, doit commencer par p'-ouver fon droit avec évidence. Cette regie , appliquée au droit des gens, veut qu'il ne foit permis a perfonne d'auaquer a force ouverte ma liberté , ni d'en contrarier 1'ufage, comme en m'arrêtant en route, ou en vifitant mon batiment, fans prouver au préalable d'une maniere évidente la propriété d'un tel droit. Or, dans le cas dont il s'agit , cette preuve ne peut étre inconteftablement établie que par celle de la nation, qui ne fauroit être connue, bien furement a la fimple vue du pavillon. Un arm:teur qui prétendroit qu'au feul afpect de la puiffance belli«érante , un batiment neutre doit s'arrèter, & qui voudroit le faifir a force ouverte, ne feroit pas plus raionnable qu'un propriétaire qui voudroit envahir des fonds poffédés par un tiers détenteur de bonne foi, fans autre forme qu'une fimple demande & fans prouvdr fa pr pr'été. Wolfr jus nat., p. 2, ch. 3 , pag. 417. §". 516 & fuivante.  C "3 ) faire beaucoup de mal poür foutenir k force ouverte des droits également fondés en raifon, fi les peuples commercans d'Europe n'euffcnt trouvé un tempérament qui tranquilife le neutre, & qui facilite au belligérant 1'exécution de fes droits fans exercer ni violence ni injuftice. On y eft bientöt parvenu,autant que le permettoicnt la nature de la chofe , & les triftes conjonétures de la guerre. Après plufieurs traités publics il a été paffé en loi générale de guerre , qu'on ne doit donner aucune créance au pavillon arboré par les belligérans, jufqu'a ce que le capitaine Fait affuré par un coup de canon qui en garantit la fincérité. Mais comme ce fignal même, pouvant être imité par un pirate ou par un écumeur de mer, eft infuffifant pour tranquillifer le neutre , le droit conventionnel des nations a introduit une loi univerfelle fuivant laquelle immédiatcment après ce fignal le vaiffeau de guerre fe ticnt k une bonne diltance, c'eft-k-dire k une portée ou demi portée de canon du batiment neutre, ou jette un canot a la mer, deux ou trois officiers y defcendent, & vont faire la vifite du bdtiment. Cette contenance pacifique ne laiflc aucun foupcon , elle juftifie pleinement la nation & la qualité de 1'armateur, elle oblige le neutre a s'arrêter & k permettre Ia vifite k laquelle le belligérant k un droit parfait : celui-ci en cas de réfiftance, ou de fuite peut avec jufte raifon traiter le neutre en ennemi. En effeton regarde comme tel chez toutes les nations un ba- Ire. Partie. ]-j  C ii4 ) timent qui tente de foultraire h la vifite en fuyant, ou en fe défendant ; il eft alors fujet a confifcation & déclaré de bonne prife par toutes les ordonnances de marine, ou par le droit conventionnel des peuples. Cette règle eft conforme au droit primitif & général de la nature qui juftifie 1'ufage de la force contre quiconque veut empêcher 1'exercice d'un droit parfait, & continue cette violence après avoir été requis de s'en défiller. Dans ce cas vous pouvez employer vos forces autant qu'il le faut pour vaincre la réfiftance, vous pouvez licitement faire a 1'ufurpateur injufte afiez de mal pour que déformais il ne foit plus tenté de bleffer vos droits : en un mot tout ce qui convient pour le reprimer & pour vous défendre eft légitime. Or comme dans 1'état de nature la mefure du mal eft au moins entérieurement a 1'arbitrage de la perfonne offenfée, il me femble que les belligérans montrent affez de modérarion fi en pareille occurence ils fe contentent, en refpectant la liberté des perfonnes, de faifir le batiment, & la cargaifon d'un armateur qui, fans aucune raifon veut éluder par la fuite, ou empêcher a force ouverte une vifite fondée fur un droit légitime* Je dis, fans aucune raifon, paree qu'un vaiffeau de guerre qui, par la diftance ou il fe tient du batiment neutre, & par la defcente de fes officiers, n'annonce que des vues pacifiques , ne doit pas être foupconné d'une mauvaife intention qui feule pourroit juftifier la fuite, ou 1'ufage de la force. La vifite étant un acte abfolument paifible  C n5 ) qui tend a confrater la neutraliré indïqnée paf le pavillon , & a prouver que la cargaifon ne contient , ni contrebande de guerre , ni marchandifes appartenant k 1'ennemi, les vifiteurs doivent s'acquitter de leurs fonóïions avec affez de diligence pour ne point retarder le neutre inutilement. Cette attention eft d'autant plus convenable qu'il s'agit d'un droit qui choque le leur en quelque facon , & qui n'eft fondé que fur la néceffité. Ils doivent donc etre pleinement fatisfaits, quand ils ont reconnu larégularité des papiers de mer (a) dont la prati- 00 II y a plulieurs traités publics entre des nations commercantes , oü 1'on déterraine le nombre de ces aftes appellés papiers dé mer, & les formes dans lefquelles ils doivent être rédigés. Voici quels font ces afles en général : i°. Le pafeporr, par leqnel le prince neutre permet au capitame du navire d'arborer fon pavillon. 2°. Le contrat , qui conftate que la propriété du navire appartient Iégitifflement a un fujet neutre. Hubner, L. c., dit qu'il faut diftinguer fi le batiment a ete conftruit en pays neutre, ou en pays ennemi « que dans le premier cas le marché fuffit; que dans le fecond, il faut un document qui prouve que le marché eft anténeur a la déclaration de guerre. J'avoue que je n'entends pas fur quoi porte cette diftmöion. II eft vrai que dans le traité de 1716, entre la_ Irance & les villes Anféatiques, on énonca la première partie de cette d'ftinftion, art. 30 5 mais une convention particulière entre une nation & une autre, ne fuflit pas pour introduire une regie générale dans le droit des gens. Si les neutres peuvent acheter ce que bon leur femble des nations belligérantes, pourquoi n'auroient-ils pas Ia permiiiion de leur acheter des vaiileaux marchands ? Dira-t-on que la prohibition eifr H 2  C n6 ) que univerfelle des nations a déterminé la forme pour vérifier ces deux objets. Je crois pour- fondée fur le danger de la connivence, paree qu'a 1'ombre d'un contrat fimulé, le neutre pourroit naviger pour le compte de 1'ennemi, & lui procurer ainfi le benefice du fret ? II faudroit donc prohiber toutej les marchandifes fabriquées chez Ia nation ennemie , encore qu'il fut prouvé qu'elles auroient paffe dans les mains de 1'ami ou du neutre a titre de vente , ou d'échange , fur le fondemen' que ces marchés pourroient être fimulés & illufoires. Ainfi je ne vois pas que cette diftin&ion foit raifonnable, & il importe peu , felon moi , que le batiment ait été conftruit chez une nation ennemie, pourvu que le neutre en étabfffe la propriété en forme probante. En un mot, les belligérans n'ont aucun droit lur les effets appartenans aux neutres , quelle que foit la perfonne qui leur en a tranfmis la propriété. 3°. Lc röie des matelots, dont les deux tiers au mo ns, fuivant 1'ufage , doivent être fujets du fouverain qui donne la patente, ou d'autres fouverains neutres. 4°. Les polices de ckargement qui doivent contenir le nom du chargeur , celui du receveur, le lieu du chargement & du déchargement, qui doivent être fignées du capitaine ou du maitre du navire , pour prouver la propriété des marchandifes &leur qual.té. Pour plus d'affurance que les polices correfpondent aux ballots chargés, on met a la marge de la police une marqué femblable a celle des ballots, & on y inferit le prix du fret, que le receveur des marchandifes doit payer au capitaine. 5n. Se manifefle, que prefque par-tout, excepté en Ita'ie, on appelle la charte-partie. On y porte en abrégé partie par partie, toutes les polices de cargaifon que le capitaine a foufcrittes féparément avec le prix du fret, foit en gros pour tout le navire, foit en détail pour  C "7 ) tant que 11 1'on étoit fondé a foupconner de la fraude , on pourroit légitimement fe livrer a chacun des ballots qui le trouvent a bord Cet a&e, en un mot, contient le contrat d'affretemeus fait par un ieul , ou par tous les chargeurs pris en nom colleft f. Chacun d'eux ftiptile en fon nom le prix du fret; & tous prix colleflivement & dénommés dans la chartepartie, compofent une perfonne morale , repréientative de celle qui frete le navire : comme il arrivé , quand les capitaines chargent un ballot én faifant favoir fur la place qu'ils font préts a mettre a la vo.le pour cel ou tel port, & en invitant les comme! gans a expédier leurs marchandifes pour le fret convenu antérieurement avec le capitaine. Lorfque les papiers de mer font en regie, les polices de cargaifon doivent correfpondre a chaque article de la charte-partie , & réciproquement. Je n'ai trouvé dans aucun auteur la raifon de cette dénomination, & je 1'ai attribué a la fubftance de cet afte qui contient la defcription de tout le chargement en autant de parties qu'il y a de marchandifes envoyées a bord par le chargeur, ou les chargeurs. Mais un Efpagnol de mes amis , rapporte cette éthimologie a un ancien ufage des commercans , & fur-tout de fes compatriotes, qui pour éviter toute fnpercherie de la part du capitaine , divifoient cet adte en deux parties irrégulières : 1'une s'envoyoit au receveur , 1'autre fe remettoit au capitaine, & enfuite le rapprochement de ces deux pièces conftatoit avec füreté la nature & la quantité des marchandifes, ainfi que le prix du frêt. Je n'ai point approfondi cette opinion. Tous les aöes que je viens d'indiquer doivent être authentiques & légalifés , foit par un notaire public, fok par des magiftrats, ou des commiffaires de marine, fuivant leur qualité. Pour plus grande füreté , il convient de les faire légalifer par les coufuls relpcftifs des nations beiligérantes , s'il y en a dans le port d'oü le batiment eft expédié. Hiibner ajoute la faönre, les let- H 3  C n8 ) une recherche plus fcrupuleufe, mais toujours avec modération & avec les plus grands égards pour les intéréts du neutre. A 1'exception de ce cas feulement, toute perquifition vexatoire faiteavec Faffeétation de la fupériorité devient une violencc dont le fouverain des neutres, proteéteur de leurs droits eft autoriié k demander la réparation , & fi on la refufe il peut 1'exiger k force ouverte. Si les papiers de mer ne font pas en règle, ou s'ils manquent abfolument, on préfume avec raifon un deffein de fraude au préjudice du belligérant : le navire alors eft de bonne prife ainfi que la cargaifon, k moins que Ie capitaine en expliquant évidemment les caufes de cette irrégularité, ne juftifie la fincérité de fon pavillon. Cet ufage des nations eft fondé fur une règle dejuilice. En effet chacun doit favoirque pour etre traité en ami dans le cours de fa navigation , il doit etre muni de certains documcnts déterminés , & que s'il négligé de s'en pourvoir il s'expofe k etre traité en ennemi fans égard pour fa neutralité. Ainfi nul ne peut fe plaindre des conféquences de cette omilfion, a moins de prouver qu'elle eft involontaire , & occafionnée par des circonftances malheureufes. tres de naturalifation , ie journal, Tinventaire, le certificat de (ante. Ces pieces fort utiles pour le bon gouvernement du navire & pour radminiftration particuliere du capitaine , font tout-a-fak indifférentes, relativement a Pobjet dont il s'agit.  C 119 ) XIII. Qjiand la prife faite Jur des batimens neutres paffe au pouvoïr du belligérant. I^/a guerre publique entre les nations étant un acte fouverain , & une dépendance des droits de la puiffance fuprême , il eft clair que tout ce qui s'y fait eft fubordonné au confentement tacite ou formel du fouverain. II n'appartient qu'a lui de diriger les forces publiques, de déterminer 1'efpèce, & la fomme des hoftilités a commettre, & de regler la mefure des forces qu'il juge néceffaire a la défenfe naturelle. Ainfi les foldats deftinés a 1'attaque & a la défenfe , confidérés en maffe ou comme individus, ne font que les inftrumens du prince belligérant , ils n'agiffent que par fes ordres, &"tout ce qu'ils font pendant la guerre en cette qualité ne peutêtre imputé qu'a lui feul. Par une fuite de ce principe, quoiqu'a certains égards tous les fujets de deux fouverains en guerre , foient ennemis entre eux, un fujet ifolé de 1'un d'eux, ne pourroit commencer aucun aéte d'hoftilité, fans 1'aveu formel, ou tacite , ou du moins préfumé de fon fouverain qui feule a le droit de diriger les forces publiques. D'abord quant aux armateurs légitimes qui font brévetés & qui ont des lettres de marqué , ils font évidemment les inftrumens du prince, ils agiffent en fon nom, & c'eft pour lui qu'ils H 4  C 120 ) font la prife a moins qu'il n'en ait autrement ordonné. En effet il arrivé fouvent que le prince , pour anïmer 1'émulation de fes fujets contre 1'ennemi les invite a entreprendre des courfes 3 leurs lrais,en leur abandonnant la prefque totalités des prifes, & par ce moyen les rifques & les depenfes des armateurs fe trouvent compenfes par 1'efpoir effrayant d'un bénéfice confïderable. Mais dans ce cas même la prife n'eft pas déyolue a 1'armateur en vertu de fon droit immédiat; elle lui appartient en vertu de la ceffion volontaire du fouverain propriétaire né de toutes les conquêtes & de toutes les prifes. En général des particuliers qui font les avances d un armement expofent plutöt leur vie & leur tortune pour accumuler des richeffes, que par attacbement pour leur patrie. Mais foit que les armemcns fe faffent au compte d'individus, ou aux frais de la nation & fur des fonds publiés , on demande a quelle époque les prifes padent au rang des propriétés du preneur, & peuvent a ce titre entrer fans rifque dans fes tranfactions. Je ne parle ici que des prifes faites fur les batimens neutres. Les prifes faites fur les nayires ennemis font étrangères a mon fujet. II taut obfcrver en premier lieu qu'il n'y a que quatre circonftances qui puiffent légitimcr la pnie contre un batiment ami, favoir lorfqu'il porte des marchandifes de contrebande, ou lorfqu il eft chargé d'effets appartenans a 1'ennemi, ou lorfque fes connoiffances ou papiers de mer ne font pas en règle, ou enfin lorfqu'il  C ) viole d'une manière quelconque les loix générales de la neutralité. Dans les deux premiers cas la prife peut palier immédiatement au rang des propriétés du preneur , fi le capitaine du vaiffeau marchand convaincu de la légitimité du droit de 1'ariuateur fe détermine a lui remettre fans délai la partie de fa cargaifon qui fe trouve contrebande de guerre, ou appartenantea 1'ennemi (a). Vouloir en pareiiie con- 00 On en ufoit ainfi dans les anciens tems, comme on le voit dnns le confulat de mer, chap. 273. Le traité du 20 Mars 1406, que nous avons cité/entre le Roi d'Angleterre & le duc de Bourgogne . comte de Flandre, contient la convention fuivante : Les „ niarchands, maitres de niefs & mariniers dudit pays „ de 1'landre , n'ameneront pour fraude, ni couleur „ quelconque aucuns biens, ou marchandiies des en„ nemis des Anglois par mer, & en cas qu'ils en loient „ demandés par aucuns écumeurs , ou autres gens de ,-• la patrie d'Angleterre, eux en feront julie & pleine ,, confelfion." La méme chofe eft répétée dans le traité du 14 Aoüt 1446, entre 1'Angleterre & quelques villes de Flandre ; mais plus clairement encore dans le traité lait a Weftmunfter, le 13 Février 1460, entre 1'Angleterre & la république de Gêne : „ Nee caricabunt „ aut portabunt in navigiis eorum fupra diclis merci„ monia alicujus inimici noflri, aut inimicorum nofiro„ rum , O cafu quo juerint petiti & interrogati per „ nofiros, debent immediate , & fine dilatione verita„ tem dicere, Cf fateri qu des fouverains furpris par leurs miniftres ou trompés par des confeillers plus attachés a leurs propres intéréts qu'a ceux de la chofe publiquc, donnent leur fanétion a des ordonnances de marine contraires au droit des gens & préjudiciables aux peuples neutres. Toutes les puiffances doivent rêclamer contre de pareils regiemens , & mettre en ufage tous les moyens que le droit public autorife pour fe prémunir contre la violence & Finjuftice. Si de fon cöté le belligérant, ne fe préte point aux voics de conciliation, s'il refufe de réformer fes ordonnances, de les modificr conrormément aux régies de modération, & d'équité que la nature prefcrit , enfin s'il ne repare les dommages qu'il a occafionnés , il n'y a contre lui d'autre recours que la force & conféquemment la guerre. On ne doit pas inférer de-la que la manière de juger les prifes eft injufte. Un fouverain peut établir une légifladon inique fur les actions de fes fujets : il n'en a pas moins le droit de créer des magiftrats, de conftituer des tribunaux pour juger en conformité des loix qu'il aura diétées. Soutenir que 1'éreétion des tribunaux n'eft pas un droit inhérent a la majefté du fouverain , paree qu'il peut quelquefois porter une loi injufte , ou nuifible , ce feroit une errcur funefte, & deftruétive de tous les principes de la fociété civile. Ce n'eft pas, felon moi , une caufe valable de récufation quele foupconde partialité qu'on objeéte contre des juges des prifes établis dans  C 137 ) le pays oü 1'efprit de patriotifme, & les vues particulières peuvent favorifer les armateurs. D'abord je peux répondre comme je 1'ai déja fait fur le reproche allégué que les tribunaux du belligérant feroient juges & partis. En outre fi cet inconvénientfuffifoitpourexclure un tribunal, il n'y auroit pas de circonftances oü 1'on nepüt légitimemcnt décliner la jurifdiction d'un magiftrat même dans la vie civile, paree qu'en etfet il n'y a pas de cas oü les parties en litige ne courent le rifque d'un jugement partial & injufte. Le confeiller Galiani a fuivi en fubftance la doctrine d'Hiibner, mais il a fait diverfes diftinétions auxquelles 1'écrivain Danois n'a pas penfé. II dit que fi 1'on fufpeéte la fincérité des lettres de mer , ou du pavillon arboré par le neutre, alors le jugement appartient au fouverain du preneur: mais que fur toute autre conteftation relative a la contrebande ou a la propriété des marchandifes, ou a quelqu'autre vior lation des loix de la neutralité, le batiment pris doit être jugé par fon fouverain. Je tombe d'accord avac lui fur la première propofition, paree qu'elle fait partie de la doctrine que je viens d'expofer, fuivant laquelle le prince belligérant eft juge naturel de toutes les prifes que fes armateurs amènent dans fes ports ou havres pour quelque caufe que ce puirte être. Quant a la feconde propofition , Galiani diftingue de nouveau le cas de la contrebande, & celui des marchandifes enncmies trouvées a bord du batiment neutre. Sur ce dernier cas il  C 138 ) prononce du premier abord que c'eft une injuftice criante de faifir les effets de 1'ennemi fur des batimens neutres, & que par conféquent une telle prife évidemment injufte ne peut-être foumifea aucun jugement. Nous avons difcuté ailleurs cette queftion, & nous nous référons a ce que nous en avons dit. Sur le premier cas il repète un des argumens d'Hiibner en raifonr>ant ainfi : fuivant le droit public la connoiffance juridique de la contrebande appartient a celui fur le territoire duquel la faifie a été faite : mais tout navire en haute mer continue d'être ie territoire du fouverain au nom duquel font expédiées fes lettres de mer en forme probantc ; donc la connoiffance juridique appartient au fouverain du batiment faifi. Nous avons déin ontré dans un autre cndroit la fauffeté de la feconde propofition , ou de la mineure de ce fyllogifme. Ainfi nous nous contenterons d'obferver qu'il n'eft pas concluant & qu'il ne mérite pas un plusférieux examen. L'erreur nous jette néccffairement dans des embarras inertricablcs: en effet Galiani s'eft appercu lui-même que fa théorie donnoit lieu a de grandes difficultés. II a effayé d'indiquer le moyen le plus convenable pour y obvier. Ladifficulté la plusgrave, en fuivant fadoctrine, confifteroit a regler les formes de I'inftruétion. L'armateur belligérant arrête au large •un batiment neutre , & ï'amène dans un port de fa nation. Comment fera le fouverain du neutre pour prendre connoiffance de la conteltation ? Faudra-t-il que les deux parties confti-  C 139 ) ment procureur dans les tribunaux du neutre qui aura quelquefois cinq cents licues de trajet a faire pour 1'envoi de fes preuves & moyens de défenfe, ou bien faudra-t-il renvoyer, le batiment neutre chez fon fouverain pour qu'il foit jugé fous fes yeux. La première voie feroit d'une longueur énorme, & le batiment neutre feroit arrêté alTez long-tems pour éprouverdes avaries confidérables, & rifquer la perte de fa cargaifon. Ainfi, tout bien calculé, il fera toujours plus avantageux de configner les marchandifes arguées de contrebande, que d'attendre un jugement qui, füt-il favorable au batiment arrêté, entraineren la ruine du propriétaire. A 1'égard du fecond moyen , il en réfulte des défordres fi frappans que Galiani ne le propofe même pas. II indique 1'expédient de déleguer la jurifdiction du prince neutre a fon conful établi dans le port oü le navire eft amené ; il veut que ce conful ait la faculté de prendre deux affeffeurs intelligens fur 1'avis defquels il jugeroit la conteftation. Ainfi, après avoir beaucoup déclamé fur l'incompétence des tribunaux du belligérant qui s'arrogent une jurifdiction fur des étrangers, on veut préfenter comme légitime la jurifdiction ufurpée par le neutre fur 1'armateur qui n'eft pas fon fujet, & qu'on oblige de s'en tenir a la fentence d'un juge étranger prononcée fur le territoire de fon fouverain. Ainfi 1'on permet que fur ce même territoire le délégué d'une puiflance étrangère exerce un aéte d'autorité foüveraine, ce qui eft évidemment contraire aux régies du droit des gens.  C 140 ) Enfin, pour éviter 1'abfurdité de conftituer Ie belligérant juge & partie , on permet au neutre de cumuler ces deux qualités , ce qui eft également abfurde. Malgré les obfervations de Galiani fur les différences d'intérêt qu'il appercoit entre ces deux juges , il nous eft impoflible de nous rendre aux motifs de préférence qu'il donne dans ce conflit au jugement du neutre. Celuiréi n'eft pas exempt du foupcon de partialité; car fi le belligérant a intéret d'exciter le zèle de fes armateurs par 1'efpoir des prifes , le neutre n'a pas moins a cceur d'en-' courager le commerce & la navigation de fes fujets, en les traitant avec toute forte d'indulgence & de faveur. Galiani dit ici que fon projet d'attribuer la connoiffance des prifes au conful, affifté de .quelques aiïeffeurs, eft déja en pleine exécution, fans que le fouverain du territoire oü le jugement eft prononcé, fe trouve offenfé ou blcffé dans fon droit de jurifdiction. 11 avance que 1'Angleterre fait juger a Livourne toutes les queftions relatives aux prifes faites par fes •armateurs dans la Méditerrannée : & que le grand-duc de Tofcane n'a éprouvé aucun mécontentement. (a) Quand ce fait, dont nous examincrons enfuite la vérité , feroit tel qu'on lerapporte, il ne feroit nuliement relatif au projet en queftion, qui confifte a donner au conful de la nation en paix, une jurifdiction dans le territoire de la nation belligérante. II 00 Lib. c. cap. 9. pag. 400.  C 141 ) s'agit ici de la jurifdiction donnée au conful de la nation belligérante pour ftatuer fur la légitimité des prifes dans le territoire du prince paifible & neutre, ce qui eft effentiéllement différent de cc que propofe Galiani. Quoiqu'il en foit, cette* réfiexion me' conduit naturellement a examiner la feconde partie de la queftion propofée; c'eft-a-dire quelle eft la difpofuion du droit des gens, rélativement aux jugemens fur la légitimité des prifes amenées par le preneur de force ou de gré, dans les ports ou havres d'un prince neutre. II eft aifé de réfoudre la queftion a 1'aide des principes que j'ai ci-devant établis. Un vaiffeau armé en guerre ou en courfe, & recu comme tel dans le port d'un prince neutre, conferve fon caraétère. Celui qui en a le commandement, encore qu'il fe trouve fur le ter- ' ritoire d'autrui, a toujours la même jurifdiction en ce qui concerne le gouvernement du vaiffeau & tous les objets qui en dépendent. II conferve toute 1'autorité qu'il tient du droit des gens & des loix du fouverain qu'il repréfente a la guerre. L'exercice qu'il en fait ne peut bleffer le fouverain du port neutre, qui a confenti a le recevoir comme vaiffeau de guerre. Ainfi lorfqu'il entre dans le port avec une ou plufieurs prifes faites fur les ennemis ou fur d'autres peuples neutres , en vertu de fon miniftère & du pouvoir que fon fouverain lui a conféré; le neutre n'a aucun droit de s'ériger en juge de la légitimité de ces prifes.  C 142 ) Dans ce cas les bidmens amenés par Ie vaiffeau armé en courfe & fur lefquels il a arboré fon pavillon, font devenus une dépendance de fon armement; ils compofent une flotille dont la jurildictionn'appartient qu'a lui feul, de 1'aveu & par ie confentement tacite du prince neutre. Celui-ci s'eft engagé a ne point s'immifcer aux opérations de la guerre : or c'eft par une de ces opérations qui lui font interdites, que les prifes litigitufes fe trouvent, fi non dans le domaine, au moins dans la poffeffïon aétuelle du corfaire. Le prince neutre doit donc refpecter cette poffeflion; il doit abandonner aux juges délégués par Ie fouverain du preneur la connoiffance de la légitimité, ou de nilégitimité, le jugement de la faifie ou de la reftitution, pourvu que ce jugement foit rendu hors de fon territoire, oü perfonne ue peut ufurpcr des droits effentiéllement inhérens a 1'autorité foüveraine. Ainfi dans le point de droit, 1'affertion de Galliani eft ftuffe ; le projet qu'il propofe ne pourrait avoir lieu fans une léfion manifëfte des droits fouverains. Cet auteur fe trompe également fur le fait rélatif a la pratique du port de Livourne. Jufqu'a ce que 1'ifle de Minorque ait été au pouvoir des Anglais, les prifes qu'ils ont faittes dans la méditerranée, ont toujours été jugées par 1'amirauté de Mahon, ou par celle de Londres. II eft pourtant vrai que plufieurs fois en tems de guerre les amirautés anglaifes ont établi des commiffaires dans le port de Livourne, pourexaminer les affaires des prifes, mais  C 143 ) jamais ces commiffaires n'ont exercé aucune jurifdiction, jamais ils n'ont eu le pouvoir judiciaire. Ils avoient une miffion purement conciliatoire; ils pouvoient regler amiablemenc les conteftation entre les armateurs & les bdtimens neutres arrêtés & conduits a Livourne, mais ils ne pouvoient ni juger, ni inltruire. C'étoienteux qui a 1'arrivée des corfaires avec la prife litigieufe , reccvoient les déclarations, les fermens & autres preuves propres a établir que la cargaifon qualifiée d'cnnemie par l'ar> mateur, appartenoit réellement au neutre, & lorfque les preuves étoient évidentcs, ils avoient feulement la faculté de délivrer leprifonnier , en lui permettant de configner les marchandifes a leurs prépofés, fans qu'il fut obligé de recourir a I'amirauté. Mais quand il y avoit des doutes ou des foupcons fur la propriété, ils ne pouvoient prononcer, ni la décharge , ni la condamnation, ils devoient envoyef 1'affaire devant I'amirauté pour qu'elle tut jugée définitivement. Ainfi, ces fortes de commiffions font avantageufes & commodes pour les neutres qui fe trouvent a portée de prouver la qualité de leur cargaifon, fans êtreexpofés auxfraix & au retard qu'entraineroit le recours a un tribunal étranger, fouvent éloigné des parties collitigeantes; c'eft pourquoi le gouvernement de Tofcane a toujours protégé ces établiffemens, mais jamais il n'a permis, comme le fuppofe Galliani, 1'exercice des jurifdictions étrangères fur fon territoire. II n'a jamais fouffert que  ( 144 ) d'autres tribunaux que les fiens jugeaffent Ia validite des prifes fondées fur queiqu'infracuon aux loix de neutralité promulguée dansles états. Ln elf et, quiconque veut intenter une aftion en conformité d'une loi fanétionnée par le fouverain du territoire oü il fe trouve, doit fe foumettre a la décifion des magiftrats que le fouverain lui-même a inftitués pour confcryer, protéger ex interprêter magiftralcment fes loix. En outre, comme il s'agit de 1'accufanon d un délit, & qUe 1'accufé fe trouve fur le territoire du fouverain dont ont lui impute d'avoir violé les loix, c'eft une regie de droit connue , que les tribunaux du lieu jugérit défiriitivcment le délit, quand même il auroit été commencé hors deslimites du territóiref'tf') Dès qu'il y eft confommé , dès que 1'accufé fe trouve prefent, il eft alors légitimement jufticiable du fouverain du lieu. Dèsce moment, il ne s'agit plus entre 1'accufateur & le coupable fuppofé que d'un jugement purement civil, il n'eft plus queftion du droit général des nations, mais fimplement du droit privé auquel il ne convient pas d'appliquer les regies du droit public. Ainfi, Par exemple, 1'armateur qui amène une prife dans un port neutre, & qu'on accufe d'avoir violé la neutralité du territoire oü il fe trouve, allégueroit en vain pour fe fouftraire a la jurifdiction du lieu , fa qualité d'étranger, & fon privilége de capitaine de navire 00 L i i cod. ubi de crimin. agi oportet.  C 145 ) ïaavirc armé en guerre. Comme étranger, H n'eft pas exempt de la jurifdiction du lieu du délit. Comme capitaine il jouit, a la vérité, de toute la puifï'ance militaire a bord de fon batiment; mais il n'en eft pas moins fujet a la jurifdiction territoriale dans tous les aétes qui font contraires aux loix du territoire oü il fe trouve. II y a encore un autre cas oü le fouverain du port neutre pourroit légitimement exercer fa jurifdiction fur un armateur qui entrcroit avec des prifes neutres ou ennemies. Ce feroic le cas oü un prifonnier individuellement, ou patIe miniftère de fon procureur fpécial, auroit recours a 1'autorité foüveraine, contre un écumeur de mer, mafqué fous le pavillon d'une puilfance belligérante, ou accufé d'aétes d'hoftilité fans pouvoir légitime & fans lettre de marqué. II eft clair que dans ces deux cas, il y auroit fufpenfion néceffaire des égards dus aux. puiffances belligérantes & a leurs armateurs en conféquence de la neutralité conventie : 1'accufé ne pourroit s'en prévaloir qu'après avoir prouvé fa qualité, qu'après avoir établi fa juftification. («O On appelle lieu du délit Tendroit oü il a comrnencé, celui oü il continue, & celui oü il fe confomme. V. Henric. Cocc. dans la dilfertation citée d& fund.. in territ. O plur. loc. concur. Pot. titre 4* S- '9- j. Ire. Partie. »"*>  C 146" ) La connoiffance de 1'état & du pouvoir du prétcndu armatcur appartiendroit cxcluflvement au fouverain du port. Le fouverain étant obligé de garantir de toute efpèce de léfion les perfonnes qui fe trouvent dans fon territoire; & de punir tous les délits commencés contmués, ou confommés dans 1'étendue de fa jurifdiction, il faut néceffairement qu'il jouilfe de tous les droits lans lefquels il ne pourroit rcmpiir eette obligation de la fouveraineté. L cxercice de ces droits ne fauroit être arrêté lous le prétextc de la neutralité convenue, puilqu'clie regarde uniquement les puiffances belhgérantcs& leurs officiers légitimes, &nulIcmentles piratcs ou les écumeurs de mer dont le pouvoir ufurpé n'eft qu'un briganda-e odieux. (//) ö ö Ainfi, lorfque dans des cas femblables, le fouverain du port fe contente d'avertir le conful de la nation belligérante, pour qu'il exattiine rigoureufcinent les papiers du prétcndu C<0 Bynkershoek Quxfi. jur. publ.ch. 15,p. ini , dit que dans le traté de paix entre les états-énéraux de la Hoilande & 1'Angleterre, du 14 Septembre 1662, art. 12. 11 fut convenu qne 1'ennemf de Tune ou de 1 autre partie ne pourroient vendre les prifes dans le port de Pami, & que s'il les vendoit, elles feroient reltituees fans bourfe délier a 1'ancien propriétaire; mais ,1 ajorre jud c:eufement que c'ell une convenrion patecnhère, qui dépend de la volonte' des contractans & qui n'eft nul'.eraent fon-dée fur ie droit ' énéral des nations.  C 147 ) armateur; c'eft un acte de pure déference