SATIRES.   SATIRES. Par M. C**\ A AMSTERDAM, Et fe trouvent a PARIS, Chez les Marchands de Nouveautés. I786.  On trouve che\ les mêmes Libraires les Ouvrages fuivans, du meme Auteur. Anciennes & nouvelks Obfefvations criciques fur différens objets de Littérature , t vol. in-S°. rel. $ liv. Neuf Lettres de M. C*** a Vokaire, fur la Litterature, 3 vol. zVz-8°. br. l5 l. Dixième & oniième Lettres fur la Tragédie, 1 part. in-8°. 6 1. N. B. Chacune de ces Lettres fe vend féparémtnt. Eflai de critiquc, z V. in-u. * I.  DISCOURS SUB. LA SATIRE. •g— ■ ■ ■ > J"'entreprends de relever un genre de Poéfie bien décrié dans notre fiécle. Mon deffein n'efl: pas de convaincre les efprics obftinés qui fe préviennent contre un nom, fans examiner fi la chofe en foi eft bonne ou mauvaife; mais de ramener au vrai des efprics droirs & fenfés, qui, s'étant laiffé féduire aux détra&eurs hypocrites d'un genre innocent & ucile, ne- demandent pas mieux que de fe,,,rendre a la raifon, quand elle fe préfente a. eux dans toute fa clarté. Je ne penfe pas que ce foit le nom de Satire qui foit coupable; ce ne peut être que 1'abus qu'on fait de cette forte d'ouvrage. II fe trouve cependant des perfonnes qui rejetteront un écrit pur de toute licence, paree qu'il porte le nom de Satire, tandis qu'elles accueilleront ie plus licencieux libelle, paree qu'on 1'aura décoré d'un nom moins difgracié. On voit des Ecrivains plus inconféquens encore, déclamer d'un ton a  ij Discours chagrin contre un genre qu'ils ont raifon de craindre a la vérité ; mais palier toutes les bornes de la Satire , en déchirant avec colère & par des calomnies ceux qui les combattent par des railleries & des raifons (*). La Comédie met les ridicules & les moeurs des hommes en a&ion. Si 1'on veut difcourir en vets des mceurs & des ridicules, fans inventer une fable ou une a&ion, je demande de quelle manière il faut s'y prendre. Un Philofophe difiercera fur la Morale, analyfera les paflions, les divifera par chapitres, & fe perdra dans 1'abime du cceur humain. Le Poé'te doit fuivre une autre méthode : il faut qu'il amufe, qu'il plaife en inftruifant; qu'il évite le ton dogmatique, le ftyle fentencieux & déclamateur. II fe conformera donc au ton du Poé'te comique, en y ajoutant plus de vigueur & de verve; paree qu'enfin c'eft un Poé'te qui parle j au lieu que dans la Comédie ce font des hommes ordinaires. La Satire cft nee de la Comédie ; fon but eft le même : qui condamnera 1'une, doit condamner 1'autre. (*) Voyez d'Alembert dans fon Eloge de Dcfpréaux, & M. Marmontel dans 1'arcicle Satire du Diétionnaire Encyclopédiquc.  sur la Satire, iJj La Satire, chez les Romains, fut une cenfure libre & hardie des vices & des mauvaifes mceurs. Elle conferva ce privilege, non feulement fous Augufte, mais encore fous Néron, dans un temps oü attaquer le crime, c'étoit attaquer 1'Empereur Iui-même. A Rome, la Satire étoit ce que fut, dans Athènes, la Comédie d'Ariltophane. On y démafquoit fans ménagement ceux qui infultoient la Société par de pernicieux exemples : on les dcügnoit, on les nommoit; & ce n'eft point a nous de blamer ce qu'autorifoit la fagelTe de ces Républiques. Elles penfoient que les Loix ne setant chargées que du foin de punir les crimes, le ridicule pouvoit fuppléer a 1'infumTance des Loix, pour réprimer la dépravation des mceurs, & que ceux qui ne craignoient point d'afficher la corruption, méritoient bien d'en être punis par la rifée publique. Ce ne fut qu'après une dépravation générale qu'on trouva répréhenfible certe cenfure courageufe , & qu'il ne fut plus permis de critiquer ouvertcment Ie vice qui avoit tout pouvoir. II fallut fe renfermer dans une cenfure indire&e, ou s'envelopper dans 1'obfcurité des allullons. Alors la Satire devint une déclamation vague, qui, s'adreflant a tout le monde, n'intélellbit perfonne; öcquandon neut plus acraindre a ij  ïv Discours le ridicule particulier, qui feul eft capable de contenir 1'homme vicicux, chacun s'abandonna a. un déréglement, a une licence de mceurs, qu'on voulut bien fe pardonner réciproquement. Si nous remontions a nos ancêtres, nous verrions combien ils aimoient cette forte de Satire qui nous femble fi odieufe. Comme le nombre des gens de bien étoit plus confidérable, que la vertu n'étoit point encore un préjugé, & qu'on n'avoit point perdu 1'habitude de rougir de fes vices, on s'indignoit avec force contre les excmples contagieux ; on les reprenoit avec une liberté franche, &: 1'on n'épargnoit point la moquerie ni lés perfonnalités a ceux qui ofoient offenfer ce que refpe&oit le plus grand nombre. C'eft par cette raifon que le bon & fage Louis XII permit aux Farceurs de dire fur leurs treteaux tout ce qu'ils voudroient de fa Cour & de luimême 5 il cherchoit a favoir la vérité qu'on lui cachoit, &c 1'aimoit de quelque part qu'elle put lui venir. Rabelais, Marot & Regnier n'ont point indifpofé les bons efprits de leurs temps, en tombant quelquefois avec beaucoup de vivacité dans leurs Satires naïves & mordantes, fur des perfonnages connus & décriés par leurs fottifes ou leur turpitude.  sur la Satire. v Un des meilleurs Ouvrages que nos pères nous ayent laiffé, & qui prouve combien la Satire peut être utile , c'eft la Satire Móiipée. Le fel du ridicule eft jeté a pleines mains, non feulement fur les Moines, fur le Peuple & fur les Scize, mais fur les perfonnes les plus diftinguées parmi les Rebelles. Avec quelle ironie fanglante ne s'y moque-t-on pas de Monfieur le Lieutenant ( Maïenne ), qui,. après avoir perdu la bataille d'Ivry, laijfant le Comte d'Egmontpour les gages, s'encourt fur-un cheval turc,pourprendre Mante par le guichet; & qui, devant Tours, ne voulut attendre le Béarnois ( Henri IV ), ni le regarder en face, de peur d'étre excommunie : De la Motte Serrand , qui, étant prifonnïer a Tours, ne voulut point prendre de potage, un jour de Samedi, craignant qu'on n'eüt mis de la graijjè en la foupe, & protejla ce devotieux Martyr, de fouffrir plutot la mort que de manger foupe autre que catholique : Et de ce bon Baflon qui figna fi valeureufement la Ligue de fon propre fang tiré de fa main, laquelle depuis,par miracle, ejl demeurée eflropie'e, tant ce glorieux Martyr a voulu fouffrir pour la fainte Union? Cetce Satire ne fe borne pas a ces plaifanteries légèresi elle dévoile les infamies de ceux qui a iij  vj Discours s'étoient rendus odieux & méprifables. Ce font des Cardinaux, des Princes, Un Roi même d'Efpagne , auxquels elle reproche d'abominables débauches & des inceftes, 1'un avec fa fille, d'autres avec leurs fceurs ou leurs nièces. Cecce hardiefTe devenoit néceffaire dans cette Satire, oü il falloit montrer que Tambition feule fe mafquoit de la Religion, pour arracher la couronne a un Roi légitime; & que ces - rebelles qui ofoient s'armer au nom de Dieu, étoient des fcélérats hypocrites, gangrenés de vices & de crimes. La Satire Ménipée a peut-être plus fervi a guérir les efprits francois des guerres de Religion, que les raifonnemens les plus férieux & les difcours les plus philofophiques. Si, après avoir lu cette Satire & celles de Regnier, oü domine cette franche liberté que nos pères mettoient dans leurs difcours, nous paffons aux Satires de Defpréaux; combien, auprès deux, nous paroitra-t-il difcret & réfervé ! Cependant Defpréaux, malgré fa fagefTe & fa eirconfpe&ion , n'a pas cru devoir s'abftenir de certains traits contre quelques gens totalement décriés par leurs mceurs, comrae la Neveu & la Cornu j par des friponneries, comme Rollet \ ou par leur impiété, comme Linière & Desbarreaux.  sur la Satire. vij II ne fe défend point la plaifanterie contre des Avocats & des Médecins de fon temps, qu'il nomme fans aucun détour. Je ne parle point encore des Auteurs. Louis XIV, qui protégea Defpréaux & Molière , & qui leur permit de faire Ia guerre au vice & au ridicule, avoit aflfez d'efptit & de fageflè pour fentir que cette cenfure ingénieufe & divertiiTante pouvoit ctre fort utile au maintien des bonnes mceurs, & que ce frein étoit bien capable de retenir tout Francois fenfible a 1'honneur, qui craignoit d'avoir a rougir aux yeux de fon Roi &c de la Nation. On eft affez communément dans la prévention que tout Auteur fatirique eft un méchant homme, dont les inclinations font perverfes, dont 1'efpric & le cceur font également gatés. Je ne ferai point ici 1'apologie de quelques-uns de ces Ecrivains dont la méchanceté reconnue ötoit toute autorité a. leurs Satires, qui ne prenant les armes que pour leurs propres intéréts, foit afin de pourfuivre leurs ennemis, foit afin de dénigrer les gens de bien, fe livroient a toute leur paflion, a toute leur fureur, vomilToient les menfonges les plus atroces, déchiroient fans pudeur les vertus les plus pures & le mérite le mieux établu a iv  viij Discours Voila ce qui déshonore a jamais la plupart des Ouvrages fatiriques d'un des plus beaux efprits de notre fiècle 5 efpèces de libelles oü le farcafme eft épuifé fur tout ce que les hommes ont de plus refpeftable; oü le luxe eft regardé comme le plus grand bien d'un Etat, malgré la corruption / dont il eft la fource j oü 1'innocence des premiers hommes & la pauvreté glorieufe des anciens Romains font traitées avec le plus groffier mépris j oü le libertinage & 1'indccence font applaudis; oü la raifon eft fans celle facrifiée a une turlupinade; oü Ia probité la plus exafte eft calomniée avec impudence , des qu'on a eu le courage d'attaquer des fentimens pémiciëux. II eft impoflible que de pareilles Satires ne révoltent pas les efprits les moins délicats. II n'en eft pas ainfi des Satiriques anciens & modernes, dont les Ouvrages eftimés & lus par tout le monde, font une école de la morale la plus faine &quelquefois la plus rigide. C'eft 1'amour de 1'ordre & de la fagelfe qui leur a infpiré ces haines courageufes, & une innocente malice, pour démafquer les méchans. Rien n'eft plus compatible avec la bonté du cceur, & même avec une candeur que je nommerois bonhomie, fi 1'on n'avoit attaché a ce mot un ridicule déplaaé.  s ir r la Satire. ix Horace étoit plein de douceur & d'urbaniré; fa vertu n'étoit point aigre , mais agréable & ferme. Perfe avoit les mceurs les plus pures, les plus aimables & les plus honnêtes. Regnier avoit tant de bonté dans le caraófcère, qu'on 1'appeloit & qu'on 1'appelle encore le bon Regnier: c'eft ce qu'il dit lui-même: Et le furnom de Bon me va-t'on reprochant, D'autant que je n5ai pas 1'efprit d'ctre méchant. Defpréaux étoit un homme doux, fimple, intègre, ofHcieux, confiant, bon ami, dont une femme d'efprit difoit qu'il n'étoit malin quen vers. Pafcal, donc les Provinciales font de véritables &: excellentes Satires, ne fut jamais foupconné detre un méchant homme. Molière, qui, dans fes . Comédies, a femé un grand nombre de traits fatiriques, a paffe pour un des plus honnêtes hommes de fon fiècle; & c'eft fans contredit le Pocte le plus vraiment philofophe que nous ayons eu. La prévention commune eft donc très-injufte a 1'égard des Auteurs fatiriques. On auroit dü faire réflcxion que les honnêtes gens font ceux qui aiment le plus a rite du ridicule, & les plus prompts a s'indigner du crime; que la joie & la  5f Discours gaité ne vont guère fans la pureté de 1'ame; & qu'il faut que 1'amout de la vertu foit bien fort, pour tenir lieu de tout a un hornme qui Ia défend. Ainfi j'ofe avancer qu'un Gouvernement qui voudroit conferver les mceurs, ou en réparer les ruines, devroit encourager un homme vertueux qui auroit Ie talent de la Satire, qui fauroit, en louant le vrai mérite avec délicateflê, gourmander les vices avec force, ou leur imprimer un ridicule ineffacable. Qu'on ne me dife pas qu'un pareil chatiment feroit une inhumanité. C'eft au contraire une politefie bien inhumaine, que de killer en repos, &: a 1'abri de toute crainte, des gens ennemis de toute vertu. II faudroit, je le répète, qu'un tel Cenfeur fut véritablement un homme de bien; mais aufli de quelle utilité ne feroient point fes cenfurcs ? Qucl frein aux mauvaifes mceurs! quel encouragement pour les bonnes! La Satire, ainll dirigée, ne fcauroit être inutile que dans une Société toute compofée d'honnêtes gens, ou chez un peuple totalement corrompu. Si je penfe que la Satire directe pourroit être autorifée, & feroit d'un très-grand fruit contre les vices, a plus forte raifon fuis-je perfuadé qu'elle eft indifpenfable contre le faux bel-efprit. Je fais tout ce qu'on a dit de nos jours contre ce  sur z A Satire. xj fentiment. Je fais que les efprits médiocres fc font déchainés contre la Satire , & même contre toute critique. Je fais qu'ils implorent a leur fecours 1'Humanité , les Loix, le Droit civil & naturel, pour avoir le privilége de faire en paix de mauvais livres; mais dans tous leurs difcours, dans leurs raifonnemens ïlnguliers, dans leurs clameurs, dans leurs lamentations, je ne vois que le fujet d'une bonne Satire contre eux. Les gens fenfés conviennent que la faine critique eft elTentielle en Littérature ; qu'elle feule peut éclairer le Public, & 1'empêcher de s egarer dans fes jugemens; que, fans elle, il n'y a plus ni art ni régies; qu'on pourroit s'abandonner a tous les caprices, a tout le délire d'une imagination bizarre & monftrueufe ; que bientót chacun ne prendroit plus que fon go ut particulier pour arbitre; que le véritable goüt feroit étouffé fous tant de goüts arbirraires & dépravés; qu'enfïn on en viendroit au point que le bon feul pafTeroit pour mauvais, & que les meilleurs efprits feroient obligés de donner dans les mêmes écarts, pour avoir quelque fuccès. Mais li la critique générale peut fuffire a rectifier legoüt du Public, toujours pret a s'altérer, elle ne fuffit point pour réprimer le torrent des  xij Discours mauvais Auteurs, toujours prêts ï gater le gouc du Public. Une critique générale gline fur les efprits, principalement fur les moins raifonnables: chacun en détourne les traits pour les rejeter fut autrui. II faut donc des trairs dire&s qui frappent au but, & puilTent déconcerter 1'amour-propre le plus opiniatre : il faut que le ridicule fafle fur les efprits de travers ce que la raifon n'y feroit pas; qu'il brife & humilie leur vanité infupportable: il faut qu'ils fervent d'exemple a ceux qui marchent fur les mêmes traces, & que leur punition foit en même temps un encouragement pour le mérite modefte, qui eft toüjours étouffé par la médiocrité intrigante, hardie & préfomptueufe. La meilleure Satire des mauvais Ouvrages , dit-on quelquefois, eft d'en faire de bons. Rien de mieux fans doute, fi 1'on avoit pour Juge un Public toujours éclairé & d'un gout fur> qui ne fe laifiat prévenir ni par les cabales, ni par les próneurs, & qui fut difcerner du premier coupd'ceil un bon Livre d'un mauvais. Mais puifqu'il eft trop avéré que ce font fouvent les Ouvrages les plus bizarres & du goüt le plus faux qui ont d'abord le fuccès le plus brillant; puifqu'on fait quelquefois le plus froid accueil a un chef-d'ceuvre de génie & de bon fens, il eft bien naturel qu'on  SUR LA S A T I R E. Xiij cherché a mercre le Public fur fes gardes, & qu'on 1'éclaire fur le vrai & fur le faux mérite. D'ailleurs le Public neft jamais mieux excité a. gouter la raifon , que lorfqu'elle eft aflaifonnée d'un fel qui piqué fon amour-propre; il n'aime point a mérirer le ridicule, en protégeant un Auteur ridicule : ainfl 1'on n'a jamais trouvé d'arme plus tranchante que la plaifanterie, pour le dé"gager des liens de fa prévention. Mais, pourfuit-on, laillez faire le temps, qui deflïlle tot ou tard les yeux de la multitude, & qui fait bien tirer de 1'oubli un bon Livre, s'il y eft refté, pour y replonger un fot Ouvrage qui a trop vécu. Voila ce qu'on entend dire a. ces ufurpateurs de réputation, trés - indifférens pour une puifque fes Odes en font pleincs; mais aucun Poëte n'a fu mieux qu'Horace conferver le toii b iv  xxiv Discours propre a chaquc chofe & a chaque genre. Je rapporterai un paflage de la Satire des femmes, oü Defpréaux, après les portraits les plus comiques, & les plaifanteries les plus agréables, fe laifïè emporter a ce feu & a cette verve qu'on lui refufe injuftement. : . . . Quclque douceur dont brille ton épê&è™^ Penfes-tu, fi jamais elle devient jaloufe, Que fon ame livrée a fes triftes foupcons De la raifon encore écoute les lecons ? Alors, Alcippe, alors tu verras de fes ceuvres. Réfous-toi, pauvre époux, a vivre de coulcuvrcs ; A la voir, tous les jours, dans fes fougueux accès, A ton gefte, a tón rife intenter un procés ; Souvent de ta maifon gardant les avenues, Les cheveux hcrilïes 3 t'attendre au coin des rues, Te trouver en des lieux de vingt portes fermés, Et par-tout ou tu vas, dans fes ycux enflammés, T'ofFrir, non pas dlfis la tranquille Euménide, Mais la vraie Aledo peinte dans 1'Énéide, Un tifon a la main , chez le Roi Latinus, Soufflant fa rage au fein d'Amate & de Turnus. Voyez eet autre portrait de la même Satire s Ai-je offert a tes yeux ces triftes Tifiphones, Ces monftres pleins d'un fiél que noiit point lés Lionnes, Qui, prenant en dégout les fruits nés de leur flanc, S'irritent, fans raifon, contre leur propre fang ;  sur z a Satire. xxv Toujours cn des fureurs que les plaintes aigriflent, Battent, dans leurs enfans , Fépoux qu'elles haïïTent, Et font, de leur maifon digne de Phalaris, Un féjour de douleurs, de larmes & de cris ? Ne ferok-ce pas la du feu, de la verve Sc de la chaleur ? Mais certe chaleur eft amenée par degrés; elle ne fort point du ton propre au genre, Sc ne fait aucune difparate avec cc qui précède ni ce qui fuit; bien differente de cette chaleur forcée, qui, comme Ia ficvre, faifït par accès quelques Ecrivains, les jettë dans un délire de penfces & d'expreffions, & les laiflè bientöt retombcr dans la ftupeur & 1'engourdiflèment. Le ftyle limple, qui doit cn général dominer dans la Satire, eft peuc-être le plus difficilc de tous ceux que 1'Art peut nous donner. II n'eft pas très-mal-aifc, pour peu qu'on ait d'enthoufiafme, de fe monter & de s'élever a une certaine hauteur de ftyle j mais pour revenir au naturel, fans être bas ni trivial; pour donner aux chofes que tout le monde peut dire Si favoir, une exprefïion jufte fans être commune, & nouvelle fans être rechcrchée de trop loin; c'eft ce qui demandc Sc du génie & du goüt; c'eft un art a la portée de trèspeu d'Ecriyains, & qu'Horace Sc Defpréaux oat  xxvj Discours pofTédé fupéricurcmenc. Pour fentir le mérite de ccttë belle fimplicité, il faut un efprit droit & ur» goüt pur; il ne faut point avoir les yeux éblouis du clinquant moderne, ni de toutes les bluectes frivoles qu'on nomme efprit, mais qui ne font en eiFet qu'un luxe apparent & une véritable indigence dcfprit. Je pourrois citer mille exemples oü Defpréaux seft heureufement fervi de cette aimable firnplicité. Mais on doit bien fcgarder, par un autre exces, de faire dégénérer le ftyle fimple en ftyle plat, rampant & profaïque. C'eft 1'excès dans lequel ont donné ceux qui ont pris leur facilité dans les chofes médiocres, pour le rare talent d ecrire. naturellement. II faut que ce naturel foit noble dans fa fimpücité, & choiil avec un goüt exquis. L'homme du monde & 1'homme du peuple ont a peu prés les mêmes idéés; c'eft la manièrc de les rcndre qui diftingue leur langage, & fait trouver agréable & délicat dans la bouohe de 1'un ce qui eft grolher & infipide dans les difcours de I'autre. Le langage de la Poéfie ne doit pas être celui de la populace ni du commun des hommes. On ne doit pas fe croire infpiré pour parler d'un ton vulgaire & trivial.  sur la Satire. xxvij La. qualité la plus effentielle a. la Satire, & la plus eftimable, eft la naïveté. Celle-la ne s'acquiert point, elle eft un don de la Nature. La naïveté plait d'autant plus dans un Auteur fatirique, qu'elle le met a couvert du reprochc de méchanceté. Un homme naïf dit des chofes trèspiquantes, fans avoir delTein d'oftcnfer ; c'eft la vériré qui 1'entraine; il na pas affez de finefle & d'artifice pour donner un tour plus poli & plus perfide a fes exprcflions. Un trait de cette efpècc eft celui-ci: J'appelle un chat un chat, & Rollet un fripon. Ce n'eft point la le langage d'un méchant, mais d'un efprit naïf qui dit brufqucmenr les chofes comme il les fent. La naïveté a diffcrens tons; elle en a de plus délicats & de plus légers. La neuvième Satire de Defpréaux eft parfaite en ce genre. Que vous ont fait tant d'Auteurs, dit-il a fon Efprit \ Ce qu ils font vous ennuie ; o le plaifant détout ! Ils ont bien ennuyé le Roi, toute ia Cour, Sans que le moindre Édit ait, pour punk leur crime, Retranché les Auteurs, ou fupprimé la rime. II y a aufli une forte de naïveté ironique qui  xxviij Discours rend h raillcrie extrêmementpiquancc, paree qu'il ne femble pas d'abord que 1'intention foit de railier. La même Satire en offrc un exemple: Puifque vous Ie voulez, je vais changer de ftyle. Je Ie déclare donc : Quinault eft un Virgile. Pradon , comme un foleil j en nos ans , a para. Pelletier écrit mieux qu'Ablancourt ni Patra. Cotin a fes Sermons tralnant toute la terre , Fend les flots d'auditeurs pour aller a fa chairc. Defpréaux eft rempli de ces naïvetés p!eii;es de fel, qui rendent fa lefture Ü délicieufe aux efprits les plus févères, & aux plus honnêtes gens j car la naïveté vient d'un fonds de candeur dans lefpnt. Les Satiriques qui ont écrit par humeur ou par méchanceté , n'ont point de traits naïfs j tout s'exhale chez eux en farcafmes. amers-, en Regnier doit être auffi regardé comme uh modèle du ftyle naïf, peut-êcre plus parfait encore que Boileau, paree que notre Languc , qui, du temps de Regnier, manquoic dclégance & de nobleflè , étoit douée , eu récömpënfe ,~ d'une naïveté qui s'eft altérée depuis par unétrÓp grande deücateflè. Je citerai deux paffiges de notre premier Poëte fadrique, qui prouveront ce que javance. ■  sur la Satire. xxix Dans la Satire intitulée Macette, voici comme i! dépeint cette vieille hypocrire : Sans art elle s 'habille , & fimple en contenance • Son teint mortifié prêche la continence. Jour & nuit, elle va de couvent en couvent, Vifite les faints lieux, fe confelfe fouvent ; A des cas réfervés grandes intelligences ; Sait du nom de Jéfus routes les indulgences, Que valent chapelets, grains bénits enfilés, Et Tordre du cordon des Pères Récollés Enfin c'eft un exemple , en ce fiècle tortu , D'amour, de charité , d'honneur & de vertu. Pour Béate par-tout le peuple la renomme ; Et la Gazette même a déja dit a Rome, La voyant aimer Dieu-, & la chair makrifer, Qu'on nattend que fa mort pour la canonifer. Rien de plus charmant que ce badinage, ou 1'on n'appercoit pas que Pefprtt fafie aucun effort pour être plaifanc, Lifez encore ce petit Conté , tiré de fa neuvième Satire. On fait en Italië un conté allez plaifant Qui vient a mon propos : qu'une fois un Payfan, Homme fort entendu, & fuffifant de té'te, Comme on peut aifément juger par fa requête , S'en vint trouver le Pape . & le voulut prier Que les Prêtres du temps fe pulfent marier, Afin, fe difoit-il, que nous puiffions nous aurres Leurs femmes careffer, ainfi qu'ils font les notres.  xxx Discours Les deux Poè'tes du dernier. liècle qui ont été le plus favorifés de cette naïveté exquife, font La Fontaine & Molière. Vous ne les voyez point courir après 1'efprit; mais la Nature appörte fes traits fous leur plume. Vous ne voyez point chez eux d'étincelles qui vous éblouilfent; mais vos yeux y font toujours frappés d'une lumière douce & pure qui les éclaire fans les fatiguer. Une des chofes qu'on aime le plus a rencontrer dans la Satire, ce font de petits détails relevés par le choix de 1'expreffion; des images communes, auxquelles on n'avoit pas encore ofé toucher, de peur qu'elles fe refufaflènt a 1'éiégance; & lorfqu'on voit un Poé'te faire fortir ces objets de leur obfcurité ,. & les ennoblir par fa poélie, on eft tenté de le regarder comme un enchanteur qui fait paroitre en un inftant des jardins merveilleux a la place des ronces &: des épines. De tous nos Poëtes, Defpréaux eft le plus étonnant & le plus admirable dans cette partie. Ce font, a chaque pas, chez lui , de ces difficultés vaincues, qui font tant d'honneur au pouvoir de la Poéfie, & qui marquent 1'abondance & le gout du Poëte. Le caradère principal de la Satire eft la plaifanterie; ce qui rend ce genre très-difficile : car  SUR LA SA TIRE. xxxj autant les mauvais plaifans fourmillent dans le monde, autant les bons plaifans font rares. On croic que, pour bien plaifanter, il fuffit de faire rire; mais fouvent les chofes les plus pitoyables excitent le rire par leur bêtife excefïive. L'excellentc plaifanterie doit faire rire 1 efprit & fatisfaire la raifon. Je ne prétends point examiner tout ce qui conftitue la bonne plaifanterie ; fujet tröp délicat a traiter : je me contente d etablir deux ou trois principes , fans lefquels on ne paflèra jamais pour bon plaifant. La plaifanterie , avant tout, doit être jufte & raifonnable. Si vous cherchez a tourner en ridicule une chofe refpe&able & eftimée, vous indignez, vous révoltez 1'efprit qui n'eft plus difpofé a s'amufer avec vous de 1'objet de fa vénérarion ou de fon eftime. II faut donc avoir beaucoup de juftelfe dans 1'efprit, pour bien plaifanter. Ainfi, quiconque prend pour le fujet de les railleries ce que les hommes ont de plus facré, eft un infenfé &'un déteftable plaifant, qui ne peut avoir un fuccès paifager qu a la faveur de Ia corruption & du libertinage. II eft effentiel, je le répcte, que la plaifanterie foit d'accord avec la .raifon & la vériié; car on  xxxij Discours ne plak pas pour vouloir montrer de 1'efprit, mais pour employer les armes de 1'efprit a faire triompher ce qui eft vrai & raifonnable. Voila ce qui met tant de différence entre Molière, qui eft toujours aufli raifonnable que comique , & Regnard, dont les bons mots font fouvent éloignés du bon fens. La même différence fe trouve entre Defpréaux & quelques - uns de fes fucceffeurs. Jamais Defpréaux n'eüt plaif nté aux dépens de 1'honnêteté & de la bienféance; jamais il n'eüt dit: Quant aux Catins , j'en fais afTez de cas ; Leur art eft doux, & leur vie eft joyeufe. Ce qui charme le plus dans un Auteur, &ce qui eft indifpenfable dans 1'Auteur fatitique, c'eft d'y voir toujours 1'honnête homme. La plaifanterie n'eft jamais meilleure que lorfqu'il en fort un trait de morale, ou une vérké frappante. Pour me borner a la Satire des Ouvrages d'efprit, il faut de même qu'en fe moquant d'un Auteur, la raifon de votre critique foit enveloppée dans votre bon mot; en motivant ainfi votre raillerie, vous la rendez ineffacable dans les efprits les plus prévenus en faveur de ce que vous blamez. Sans cela on n'eft point en droit de vous croire j  sur la Satire. xxxiij croire; car il eft facile d'attaquer ce qu'il y a de meilleur, & de donner un certain ridicule aux chofes les moins méprifables. Defpréaux eft le feul qui a bien connu cette vérité. Les défauts de 1'Auteur qu'il railloit, étoient finement indiqués dans la raillerie ; & pour ne m'arrêter qu'au feul Quinaut, fur lequel on lui reproche tant aujourd'hui fes bons mots, il ne la jamais plaifanté fans en rendre raifon dans la plaifanterie même. Lorfqu'il dit dans la troifième Satire: Les Héros, chez Quinaut, parient bien autrement, Et jufquaye vous haïs, jout s'y die tendrement. il critique pat-la très-fenfément le ftyle doucereux & fade que ce Poé'te avoit introduit dans la Tragédie , en faifant des Céladons de tous fes Héros, & ne .fachant point donner k chaque paffion le lansage qui lui eft propre. Un peu plus bas, il ?jn3vT»lti Ho t5liï-0fS aft 3i£u nrï jior no Ii wpY d&x8&lsiai2 al £ ramod om wocl .ommrt . , Avez-vous vu 1'Aftrate ? C'eft-la ce qu'on appclle un ouvrage achevë.. Sur-tout 1'Anneau röyal me femble bien trouve. Son fujet eft conduit d'une belle manière •» . . , Et chaque ade, en fa pièce, eft une piècc entière. II eft très-plaifant que la critique de 1'Aftraté fe trouve dans les éloges mêmes que croit en 3 101D c  xxxïv Discours faire le campagnard introduit dans cette Satire. Le dernier vers eft une excellente remarque fur le défaut principal de la Pièce. Je ne crois pas que 1'ironie puifie être plus ■ parfaite ni plus raifonnable. Dans les occafions mêmes oü Boileau pouvoit fe contenter d'être enjoué & plaifant, il eft toujours fidéle a fon principe, & fa plaifanterie en devient beaucoup plus piquante. Au cinquième Chant du Lutrin, dans ce combat comique , appelé la Plaine de Barbin, chaque Livre eft cara&érifé par le coup qu'il porte; ce qui eft d'un agrément infini, & ce qui m'a toujours paru d'un genre de plaifanterie auffi excellent que nouveau. Parle-t-il de Quinaut? Brontin dit a. Boisrude : Fais voler ce Quinaut qui me refte a la main.' A ces mots, il lui tend le doux & tendre ouvrage. Le Sacriftain, bouillant de zèle & de courage, Le prend, fe cache, approche, & droit entre les yeux, Frappe du noble écrit raddere audacieux. Mais c'eft pour 1'ébranler une foible tempête; Le livre fans vigueur mollit contre fa tête. La meilleure plaifanterie perd fon prix quand elle eft déplacée, quand elle choque les convenances, quand on voit plutot dans 1'Auteur le  sur la Satire. xxxv délïr forcé d'êcre plaifant, que le talent de tirec fes bons mots du fein de fon fujet & de la Nature. Lorfque 1'Auteur du Pauvre Diable fait dire a fon interlocuteur: Et eet air gauche & ce front de pédant Pourront encor paflTer dans les enquêtes. il choque la vraifemblance & le bon fens j car il n'eft pas naturel qu'un homme, s'il n'eft impudent, parle ainfi même a un pauvre diable. C'eft une charge, & non de la plaifanterie. Le bon fens & la vraifemblance ne font pas moins blcfles, lorfquil met ces paroles dans la bouche de M. Le Franc: Tenez, prenez mes Cantiques facrés, Sacrés ils font, car perfonne n'y touche: Avec le temps, un jour vous les vendrez, Ce trait, facres ils font, car perfonne n'y touche, eft fort plaifant en lui-même} mais eft-il felon la convenance, que 1'Auteur des Cantiques dile de fon propre Ouvrage que perfonne n'y touche, & qu'on le vendra avec le temps? C'eft pecher contre la Nature & contre la première dc toutes les régies, qui eft de faire parler fes perfonnages comme ils döivent parler daprès leur caraótëré. C'eft la, fuivant la penfée de Rouflèau,  xxxvj Discours, &c. ' (Que 1'efprit brille aux dépens de 1'efprit. On peut juger, par toutcs ces réflexions, que Ja Satire n'eft pas aufli facile qu'on le prétend, Sc qu'elle peut être fort utile aux bonnes mceurs Sc au bon gout, quand elle eft traitée felon les loix que je viens de réclamer. SATIRES,  SATIRES. SATIRE PREMIÈRE. Quoi ! faudra-t-il toujours que, muet fpectateur, Jecoute tant de Sots mafqucs du nom d'Auteur? Si long-temps fatigué du tourment de les lire , Parmi tant d'Écrivains ne puis-je enfin écrire; Et leur lailfant le droit de cenfurer mes vers, Exercer leur malice cn peignant leurs travers? A peine de 1'enfance achevant la carrière, Et de 1'école encor fecouant la pouffière, On a rompu le frein , a foi-rriême livré, Que , vide de favoir, d'amour-propre enivré, Tourmenté de la rime , en proie a fa manie, On croit fentir en foi 1'aiguillon du génie; On penfe qu'il fuffit, fans étude & fans art, De fuivre un vain délke & d'écrire au hafard. A  2 S A T I R E I. Hé ! Meöieurs les Rimeurs , quelle eft votre folie J Parmi tant d'infenfés dont la terre eft remplie, En voit-on , comme vous, d'un fot orgueil épris, S'exercer dans un Art qu'ils n'ont jamais appris ? L'Élève de Vanlo, plus timide & plus fage, Fait long-temps de fon Art 1'utile apprentiifage. Combien, dans fes dégoüts, ne voit-il pas de fois Ses ftériles crayons fe brifer fous fes doigts, Avant que, foutcnu d'une longue pratique, II défie , au Sallon , les yeux de la Critique ? Le métier le plus vil a fa difficulté. Jamais le Bateleur,- a la Foire exalté , S'il n'en a pratiqué la routine allïdue, Viendra-t-i\ voltiger fur la corde tendue; Et s'expofera-t-il, digne projet d'un fou, Pour amufer le peuple, a fe rompre le cou ? Et vous, qui parcourez ces routes périlleufes, Que des chutes fans nombre ont rendu fi fameufes, Ou de rares efprits » en de plus heureux temps, N'ont du quelques fuccès qua des effbrts conftans-, Si tot qu'en votre têté un feu trompeur s'allume , Votre main, fans arrêt, va fatiguer la plume: La Rime a beau fe plaindre, & la Raifon crier, Vos vers impatiens font gémir le papier. De la vient que Paris, de fes Preifes avides, Voit naitre en un feul jour plus d'écrits infipides,  Satire I. 3 Que 1'Automne fachcux, durant fes premiers froids, Ne fait plcuvoir en ras de fcuilles dans les bois 5 Ou que , dans nos jardins, fur les préfens de Flore, On ne voit, au Printems, de chenilles éclore. De la ce trifte amas & de profe & de vers, Le rebut du Public & le burin des vers; Ces riens étincelans de frivoles bluettes, Et iur-tout enrichis du jargon des toilettes, Ou 1'Auteur Petit-maitre , en babil éminent, S'efforce d'être aimable & n eft qu'impertinent; Ces torrens pafiagers de fugitives Pièces, Qui, des Lecteurs glacés recherchant les carelTes , D'un burin féduifant empruntent la faveur, Et fe vendent au moins a 1'aide du Graveur; Tous ces Livres enfin écrits du nouveau ftyle, Ou soffre , a chaque mot, 1'antithcfe fubtile, Ou, fans règle & fans frein, 1'efprit tient lieu de tout, Oü 1'on ne trouve plus ni raifon ni bon gout, Mais qui, des plats gourmets des ondes du Permefle, Par un gout frelaté charment la froide ivrelfe 5 Car de 1'efprit du jour tant d'Auteurs infpirés, S'ds étoient moins mauvais feroient moins admirés, L'autre fiècle, éclairé par des Maïtres habiles, Pour juger les écrits eut des yeux difficilcs. On admira Corneille & fon efprit divin; Mais on n'admira point fon amour pour Lucain. A i  4 Satire I. On ne s'attendoit pas que Quinaut, au ParnalTê, Prés de Racine un jour viendroit prendre fa place, Ni qu'enfin 1'Opéra trouveroit des Le&eurs. Le bon goüt fur la fcène avoit des Prote&eurs. Le Parterre fran$ois, 1'oreille encor remplie Des fons harmonieux de Phèdre Sc d'Athalie, Ennemi des fors vers, autant que des Anglais, Eüt fifflé fans pitié le Maire de Calais. Sur un joyeux théatre, oü, pour mieux nous féduire, La Raifon nous amufe, & rit pour nous inftruire, Eut-il fouffert un fat qui, d'un ton de Rhéteur , A coté de Molière, eüt prêché 1'auditeur 1 Juftement révolté qu'un goüt hétéroclite Fit larmoyer Thalie en mauflade Héraclite, 11 eüt aflocie, paf un même deftirf;1" " le Père de familie aux Sermons de Cotin. Ce n'eft pas cépendant qu'un ridicule ouvrage Du Peuple quelquefois ne furprit le fuffrage. La brigue, ou la faveur, qui fans choix applaudit^ ... r.j iriDioLn . k>j t .i9lki3 Stqnsfl nu b tmï.ï t La feule Pauvreté déformais eft un crime; Et fuftlez-vous fouillé par les plus noirs exces, Soyez riche, & 1'argent va blanchir vos forfaits. Ainfi, pour s'cnrichir , nul crime n'épouvante. L'un va franchir des mers la barrière impuiflante, Dont la bonté du Ciel fépara les humains, Traverfe , impatient, ces orageux chemins, P IE7V Court afïbuvir fa,'faim fur 1'or du Nouveau Monde, Du libre Américain trouble la paix profonde , Et, trafiquant le Nègre, ainfi qu'un vil bétail, Lui paye, en l'afiommanr, fa vie Sc fon travail;  Satire II. 9 Afin qua. fon retour, ce bien qui 1'incommode Vienne enrichir Sdid (*) Sc 1'Aótrice a la mode. L'autre, de la rapine épuifant les fuccès, Sur les débris publics élève des Palais, Dont la magnificence in'fulte cette Ville Oü jadis fa mifère eut a peine un afile; Dans un Louvre impudent il triomphe aujourd'hui: Mais fon Palais entier dépofe contre lui. Ces colonnes, ces murs , tout 1'accufe, Sc lui crie: Tu nous as cimentes du fang de la Patrie; Les tréfors des gucrets, en cent lieux ramafles, Par tes avides foins demeuroient entafles; Tes avates greniers regorgeoient de ta proie; La faim d'un Peuple entier , fes cris faifoient ta joie; Sous tes monceaux de blés tu voyois germer 1'or, Et l'afFreufe difctte a comblé ton tréfor. Pourquoi ce Magiftrat, dont la fortune obfcure Doit fon luftre a la pourpre, 8c la pourpre a Pufurc, Vient-il nous étaler un luxe Financier? Protéger 1'innocence eft-ce un fi bon métier ? Il eft vrai que fouvent fa perfide avarice A du iceau de la Loi revêtu Tinjuftice; Óue, du foible opprimé trompant les intéréts 3 Sa voix a 1'opprefteur a vendu fes arrêts. (*) Sa'id s Marchand de Bijoux.  io Satire II. Mais voyez-Ie régner fur fes vaflaux ruftiques, Et déployer contre eux fes fourbes juridiques: A 1'un il coupe un champ pour arrondk le fien, L'héritage de 1'autre eft devenu fon bien; Pour étendre fa vue il rafe une chaumière. Bientöt ces malheurcux , chafles par la mifère, Loin des champs paternels précipitant leurs pas, Emportent leurs ènfans pleurans entre leurs bras. Ain'fi le luxe avare endurcit tous les hommes. Et pourquoi tant de foins ? infenfés que nous fommes! Eft-ce pour être heureux j Tout ce fafte éclatant Rend-il 1'efprit plus libre &c le cceur plus content > Sur le mol édredon dormez-vous plus tranquile? Vos mets font-ils meilleuts dans 1'or que dans 1'argile? Vous quittez pour nos champs vos fuperbes jardins. L'eau, qui dort prifonnière en vos triftes baillns. Rit bien moins a vos yeux qu'une onde libre & pure Qui fruit dans la prairie avec un doux murmure. Ces valets fainéans, dont votre vanité Dépeuple. la campagne & remplit la Cité, Ne chaftent pas les foins, la fièvre, 1'infomnie, L'ennui, 1'affreux ennui, poifon de votre vie. Mais ces biens, dkes-vous , qui défend d'en jouir ? Ce fruit de nos travaux irons-nous i'enfouir, Et couver de nos yeux des richeftes ftériles? C'eft 1'art d'en abufer qui peut les rendre utiles.  Satire IL n Quoi ! mille infortunés , fans appui, fans fecours, Dans un befoin honreux ufent leurs triftes jours, Et d'un bien fuperflu vous ignorez 1'ufage ! Du Labourcur foule relevezThcritage; Scrvez a 1'orphelin de généreux tuteurs •, Que la Patrie cn vous trouve fes bienfaiteiirs. Venez, & pénétrez dans ce public afile, De douleurs, de miOrc effrayant domicile: C'eft ici qu'une avare & dure charité . Fait hai'r les fecours de 1'hofpitalité. Bravez, pour un moment, f air empefté qu'exhale De ce réduit impur la vapeur fépulcrale. Quel amas dc foufFrans en tror.peaux raftemblésJ Voyez , fur un feul lit, confufement méiés Celui que la Douleur tient fous fa dent cruelle, Celui qu-'a la fanté i'Efpérance rappelle, Celui dont le cadavre eft en proie a la Mort, Celui qui fe débat contre elle avec crlprt. Si votre fein encore enferme un' cceur fcriïble, Qu'il s'indigne & frémiire a ce fpeclracle liórriblej Elevez un afiie a rant d« malheureux, Honorable pour vous, faiutaire pour eux; Et que 1'Humanité foftfriante & miiérable, Loin d'un gouffre infecté trouve'un port- fecourable. Laiftons, répondrez-vous , de fi nobles' projets Aux Reis, nés protecteurs de leurs foibles Sujcts.  i2 Satire II. Ah ! les Rois, accablés des foins de Ia Couronne, Et par la Majefté relégués fur le trone, Au coin le plus brillant de leurs vaftes Etats, Réparent-ils des maux qu ils ne connoiflent pas ? N'enviez point aux Rois le faix de la puiflance» Mais foyez Rois aufli par votre bienfaifance. De Ia richefle alors vous gouterez le fruit; Alors vous connoitrez le bonheur qui vous fuit j Avec tous les faux biens 1'ennui va difparoitre, Et qui fait des heureüx eft toujours für de 1 ctre. Mais qui pourra du luxe armer ks torrens Parmi Ie fot Bourgeois, toujours finge des Grandsï Tant de folie un jour a peine fera crue: Des plus humbles états 1'épargne eft difparue. Le Trafiquant obfcur, le fuppot de Thémis, L'Artifan mercenaire , & rirtfoleht Commis; Le Ruftre qui laiiTa fon champ héréditaire"^ --^^ Et le roe bienfaifant pour la banque ufuWé^ m^ L'intrigant Médecin, des femmes Ci vavkê1^ ?^:*8a' 1'ur' Qui foigne leurs plaifirs bien röië&'^Üë'-féiir ^ïite;1 3° Et 1'élégant Abbé, tout rayonnant de vices,/ü3 s3fk l3 De boudoir ert boudoir courant les BénérTcWj J3^^rn2^'A Et 1'Artifte gagé par des fots opnlens -M Z3frirf!°T **** Dont le goüt afefütï É^Éfpk^aB^^ 3'3 Tous, épris d'une vie & molle & faftueufe, Suivent de nos Marquis la tracé ruineufe.  Satire II. 13 Dans le Palais fameux d'un Piïnce ou d'un Héros, L'infame Makötier établk fes tripots: L'écuflbn du Notaire a remplacé fans honte L'écu d'un Chevalier, ou les armes d'un Comte. Tout brille en leurs maifons d'un éclar recherché; Leur table fomptueufe engloutit le marché; Dans leurs fallons dorés, le feu de cent bougies Éclaire, jufqu'au jour, leurs ftupides orgies , Oü la Belle (*) fouvent, en une feule nuit, De dix ans de rapine a dévoré le fruit. Leurs campagnes , jadis de moiiïbns revêtues, Se changent en jardins tout peuplés de ftatues: Le pavillon Chinois chaife le potager; Ils livrent a la hache un fertile verger; Mais ils font, avec foin, cultiver des épines, Planter des arbres morts, & batir des ruines. Voyez-les, d'un théatre ordonnant les apprêrs, Aéteurs impertinens, appeler les fifflets; Aux regards du Public, qui rit de leur licence, De leur fïlle précoce étaler 1'indécence, Et chez eux, digne école oü s'inltruifent leurs fils! Alfembler le férail des Nymphes de Cypris. Leurs femmes cependant, coquettes libérales, De tant d'excès ameux complices & rivales, . — (*) U Belle, j£U ttop connu.  r4 Satire I I. En parure, en audace, en caprices galans, Des femmes de la Cour éclrpfent les talens; Et kiflaiit aux Phrynés, dans leurs amours groffières, De nos petits Seigneurs les conquêtes vulgaires, Aux yeux de leurs maris honorés d'un tel lot Affichent hautement les faveurs de Jeannot. Bientot, de leur fortune éteinte & confumée, Le ridicule cclat fe diifipe en fuinée; Et, Citoyens du Tcmpk interdit aux Huiffiers, Ils vont glacer deffroi leurs pales Créanciers. Mais qu'un vent favorable, ou qu'une étoile heurcufc Sauve de ces écueiis leur barque ambitieufc Dans peu, vous les verrez, d'un char iefte & brillont, Conduire dans Paris 1'attelage infoknt, Menacant a grands cris, dans leur courfe effrontéc, La foule qui murmure & fuit épouvantée. O ! que, par un Édir, on devroit prudeminent Oppofer une digue a ce débordement! Déja le Qtoyen, comme aux guerres civiles, Ne marche qu'en tremblant fur le pavé des villes, Et, confumés lans fruit, les utiles.chevaux >on mud Bientot s'en vont manquer aux ruftiques travaux. dmo3 Qui ne croiroit, qu'au moins. cette fleur d'opulence Porte avec foi le. fruit d'une heureufe abondance ( Mais le Luxe, après lui, traine la Pauvrccéj II unit la Mifère avec la Vanité.  Satire II. 15 Sous un dehors brillant fatisfait de paroitre, Tel veut pafler pour riche , & fe privé de 1 etre. Pour lui, jamais le foc n'ouvrit un feul guéret; Son breuvage importeur naquit au cabaret; En riches vêtemens tout fon bien fe déploie; Il peut manquer de tout fous 1'or & fous la foie. D'abord le fuperflu, le néceifaire après. Nos Aïeux, plus contens, vivoient a moins de frais. Ils n'avoient ni lambris, ni trumeaux, ni dorures; La laine compofoit leurs modeftes parures3 A leur mule paifible ils bomoient tout leur train; Ils n'enrichiflbient point un Dulac, un Martin •, Mais ils voyoient fleurir leurs nombreufes families. La fage économie étoit la dot des filles; Leurs fils , dans le travail durement élevés, Offroicnt a leur pays, non des bras énervés, Non la molle tiédeur d'un cceur pufillanime, Mais dans un corps robufte une ame magnanime. Le Francois étoit gai, brave & peu raifonneur, Aimant fon Roi, fa Dame, &, plus que tout, FHonneur. Dans nos jours fignalés par nos vanités folies, Combien , s'appauvriffant en richeues frivoles, Inventant des befoins qui s'accroiüent toujours, Au célibat ftérile ont condamné leurs jours! Combien, des fruits d'Himen redoutant la nailfance, De la chafte Lucine ont fruftré 1'efpérance !  i6 Satire II. Combien de la Nature ont étouffé les cris , Bourreaux de leurs enfans que leur fafte a profcrits! » Mon cher nis, diront-ils, docte ou non, lot ou fage, w Dévot ou libertin, 1'Églife eft ton partage; » Et toi, ma fille, il faut, renoncant a 1'amour, » Dans un Cloitre béni t'exiler fans retour; » Afin que votre ainé, plus riche en votre abfence, » Relève, avec éclat, fon rang Sc fa naiftance «. Ah ! contre tant d'abus on crieroit vainement, Tandis que le fubtil & faux Raifonnement, Gravant dans les efprits fa morale ennemie, Vient d'un Siècle fans mceurs abfoudre 1'infamie, Infulte fans pudeur, de fes traits rebattus, L'honnête Pauvreté, compagne des Vertus, Et loue infolemment les honteufes délices De la Cupidité, mère de tous les Vices. O vous ! Rois abfolus, dont Forgueil fouverain Croit régner , après vous, fur le marbre ou 1'airain; Voulez-vous merker de plus dignes ftatues, Qui du temps envieux ne foient point abattues ? Chaflez enfin le Luxe. Avec lui s'enfukont La Mollefle fi douce a ceux qu'elle corrompt, L'Oifiveté , fang-fue aux Riches attachée , Sous un éclat menteur la Pauvreté cachée, La Rapine impudente Sc féconde en noirceurs, La Débauche fans frein, qui foule aux pieds les mceurs. Tant  Satire II. 17 Tant d'oififs, engloutis dans le gourfre des villes, Peupleront nos hameaux de Citoyens utiles. L'art le plus fructueux qu'ont exercé nos mains, Le feul qui n'a jamais corrompu les humains, Rétabli, parmi nous, dans fon honneur champêtre, Va réyeiller 1'amour des plaifirs qu'il fait naitte. Ses biens réels Sc purs, plus connus , mieux goütés, Fcront évanouir nos riches pauvretés. Heurcux de retrouver une fage abondance En perdant les faux biens qui font notre indigence! Que dis-je? vains défirs! Sachez, me dira-t-on, Que Mentor autrefois, a'peu-près fur ce ton, Nous prêcha vainement fa trifte économie; Et que Delille même, en vers d'Académie, Traduifant Fénélon, Jean-Jacque Sc Mirabeau, A déclamé fans fruit fur un fujet fi beau. B  i8 SATIRE lil, C. D ou vient que fur foi-même on a fi peu dempire' Savez-vous quel inftin£t, en nailfant, nous infpire Contre certains objets d'invincibles dégoüts , Que 1'Art, ni la Raifon ne peut guérir en nous? L'un palit a 1'afped de eet infede agile Qui tapifle nos murs de fa toile fragile •, L'autre, a 1'odeur d'un mets digne de le tenter, Sent contre 1'appétit fon cceur fe révolten Souvent au plus grand bruit une oreille endurcie N'entend qu'en frémiffant 1'aigre cri de la feie; Et Rameau, déchiré par un fon difcordant, Le fourcil hérine, 1'ceil de fureur ardent, Brifoit 1'inftrument faux qui faifoit fon fupplice. Moi, par un même mftind, & non point par malice, Je ne faurois fourTrir les efprits de travers; Je ne puis de fang-froid ouïr de méchans vers. J'ai beau gronder fouvent ma naïve franchife, Dès quun Auteur m'ennuie, il faut que je le dife. Auffi ne fuis-je point 1'auditeur de Belloi, Depuis quaux fpeótateurs un moufquet fait la loi,  Satire III. 19 Et qu'un Cox, affranchi des fifflets du Parterre, Nous force a 1'écouter, a fouffrir & nous taire. Enfin, c'eft-la 1'humeur dont je fuis domme; Des mauvais Ecrivains je fuis ennemi né. Traitez-moi d'homme dur, chagrin & difEcile; Imputez ma franchife aux aigreurs de ma -bile; Mais en vain vos confeils me voudroient corrigei: Ce qu'a fait la Nature on ne peut le changer. M. Je vous plains; car enfin je vols que, dans le Monde, Maint Rimeur contre vous déja s'irrite & gronde. Pour vous peindre, ils n'ont point de crayon affez noir. Les brochures fur vous commencent a. pleuvoir. Tantót quelque grimaud, en profe , ou bien en rime, Vous décoche, dans 1'ombre , une injure anonyme; Tantót, de votre nom fe jouant plarfamment, Un fin Railleur vous nomme un Cenfeur inciémcnt\ Et fi quelques efprits, amis de la Critique, ApplaudilTent par fois a votre humeur cauflique, Mille autres, qui, craignant les traits que vous lancez, D'un feul coup, a la fois, en fecret, font blefles, Elèvent en tous lieux leurs cris pour vous maudjre. Quel plaifir trouvez-vous a voir qu'on vous déchire? B x  io Satire III. Cent fois plus redouté de tous nos Beaux-efprits, Que Sartine (*) n'eft craint des filoux de Paris, On vous fuit: cependant, qu'il feroit doux de vivre Avec des gens fi bons, fi fages dans un Livre I Ah ! combien la vertu doit les unir entre eux! :.■•/.; 5pp(J:^).flüi jjQ v ..,./<./- ti /m/jiqlbCF. Hé, foit: je les croirai bienfaiians, genereux •, Je croirai, s'il le faut, que la vertu les touche, Et qu'elle eft dans leur cceur, comme elle eft dans leurbouche Je croirai chacun deux Philofophe en tout point, Et, pour le croire mieux, je ne les verrai point. Mais comptez-vous pour rien la douceur peu commune De me voir a 1'abri d'une foule importune D'Auteurs, qui, nuit & jour , infpirés par 1'ennui, Se tourmentent fans fin pour tourmenter autrui ï Lemierre, aux durs accords de fon Apollon Suifte, Ne mettra pas du moins mon oreille au fupplice. ujq Dorat ne viendra point, en galant précieux, ,, Me lire, avec fadeur, fes vers délicieux, Oü fans ceffe il décrit mille faveurs revues Des plus rares Beautés que jamais il n'a vues. Un Financier, jaloux du fauteuil immortel, Et d'être alfis au Louvre auprès de Marmontel, Pour devenir Auteur a prix d'or & fans peine, Ne marchandera point mon efprit ni ma veine ; (*) Alors Lieutenanc dc Police.  Satire III. 21 Et Panckouke, en un mot, ne me viendra jamais Prier d'être, a fa folde, un menteur par Extraits. M. Fort bien; mais dans ce champ d'épine & de fatire, Ou font, pour tant de foins, les fruits que 1'on retireJ Defpréaux, tant chéri de Louis, de Condé , Des Héros de nos jours feroit mal fecondé. On ne courtife plus les filles de Mémoire. Pour briguer leurs faveurs, il faut aimer la gloire: La gloire veut des foins, des explbits, des vernis; Et tout cela, pour vivre encor quand on n'eft plus! Dieu merci, nos Seigneurs ont, dans leurs bonnes tctes, Des projets plus fenfés & des goüts plus honnêtes. Voyez-les, a grands frais, par la mode entrainés, Poiféder, fans défirs, de brillantes Phrynés, Qui cultivent leurs mceurs avec un zèle extréme, Et prennent a leurs biens plus d'intérêt qu'eux-même» S'ils veulent toutefois , dédaigneux Proteóteurs, Faire , au bout de leur table, afleoir d'humbles Auteurs, Qui, des bons plats , de loin , dévorant la fumée 3 Amufent les laquais de leur mine affamée, Ils font venir, par choix, Monvel ou Poinfinet, Toujours pour les Phrynés prêts a faire un couplet, Vrais Bouftons , qui jouant ou Proverbe ou Parade, Font rire Monfeigneur, quand fon finge eft maladc» B5  22 Satire III. Mai's favez-vous pourtant de quel malin courroux ' Touc Un fexe bruyant va s'armer contre vous i Car il faut qu'en ami, de tout je vous inftruife. Les femmes, qui 1 eüt cru ? n aiment plus qu'on médife. Leur efprit goüte mieux des ouvrages profonds, Des Contes bien moraux, des Opéra boufions, Des Drames a la fois & bourgeois & tragiques, Et les impiétés les plus philofophiques. Souvent même J a 1'Auteur d'un Roman libertin, Elles font, en fecret, le plus heureux deftin; Mais tout Auteur critique eft fur de leur déplaire, Comme Voltaire au Pape, & la Bible a Vokaire. Par leurs mains cependant tout ie fait, bien ou mal ; Les Arts leur font foumis; Phébus eft leur vaflal. Parmi leurs Beaux-efprits elles verfent les graces, Les pouifent aux faveurs, aux penfions, aux places : Et vous, par votre faute, obfeur öc dédaigné, De toute récompenfe a. jamais éloigné, On ne vous verra point, décoré d'un beau luftre, Des quarante immortels groflir la troupe illuftre. Je ne le cache -pas; c'eft un fort aftez beau De s'afTeoir a la place oü fut aftis Boileau: Mais, malgré la douceur d'une gloire fi pWCsj , iup j3 Vis-a-vis Saint-Lambert on fait trifte figure;  Satire III. ,23 Et, pour vous dire tout a 1'oreille, en deux mots, Je vois fort peu de gloire oü je vois tant de Sots. Qu'irai-je y faire ? Aux pieds d'une feóte hardie, Encenfer le Veau d'or de 1'Encyclopédie, Ou m'entendre appeler pédant par d'Alembert, Si j'ofois préférer Virgile a Saint-Lambert ? Suis-je alfez patiënt pour y fouffrir 1'empire D'un ignorant hautain que le faux goüt infpire, Et pour voir triompher mille fots jugemens, Dont 1'Efprit raifonneur fait frémir le bon fens? C'eft de ce nid , fécond en fchifmes littéraires, Que fortent, chaque jour, tant de loix téméraires, De fyftêmes nouveaux, oü de fi doéfes mains Veulent au Dieu du goüt tracer d'autres chemins. Lk règne un monftre étique, a 1'ceil creux: fa manie Eft d'aller, fous la tombe, infulter au génie; Les grands notois font en proie a fes jaloux efforts; Vil flatteur des vivans, il déchire les morts; Mégère 1'enfanta dans fes cavernes fombres, Et ce nouveau Cerbère aboie après les ombres. Quoi ? 1'on veut méconnoitre un Poëte divin Dans celui qui chanta le fier Vainqueur du Rhin 3 Qui fut, de tant de grace & de fleurs poétiques, Orner de 1'art des vers les lecons didaétiques, Et qui, pour un Lutrin, variant fes accords , Des riches fiótions ouvrit tous les tréfors B 4  24 Satire III. Que n'a pu faire naitre, en un champ plus épique, Des faics du grand Henri le Rimeur hiftorique ? Un lache Complaifant viendra donc, fans pudeur, Des deux Rois de la fcène abaifler la grandeur Aux pieds d'un Bel-efprit qui, par-tout, dans fesPièces^ Riche de leur dépouille a mis leurs vers en picces; Un Pygmée aura dit : Qu'on refpe&e ma loi: Roufleau, je te défends d'être plus grand que moi.^ On ofera rraiter Crébillon de barbare. sf-J Enfin:, ce que la France eut jamais de plus rare Se verra, tous les jours, dans fa gloire, iniulté Par mille impertinens fiks de 1'impunité; Et moi, je ne pourrai, fans qu'on s'en formalife, K, j Des Charlatans d'efprit démafquer la fottife; Je ne pourrai trouver d'Alembert précieux, ax;|^ Diderot infenfé , C*** ennuyeux, Et Thomas alTommant, quand fa lourde éloquence Souvent, pour ne rien dire, ouvre une bouche immenfe ? Oh! je vcux fur ce point me mettre en libertc: Se plaigne qui voudra de ma fincérité; J'ai brifé pour toujours le baillon tyrannique / ;r,q r Qui vouloit dans ma bouehe étouffer la Critique; Car aujourd'hui le Pinde a fes tyrans aufli. Mais qu'un autre, s'il veut, aille, d'efFroi traijjfifioi iiA Courber fous leur orgueil un front menteur & lache; Moi, j'irai, d'un ceil ferme , attaquer lans relache  Satire III. 25 Ces ennemis du gout, trop long-temps impunis; Et tous, contre moi feul, de leurs coups réunis, Duflent-ils faire enfcmble éclater la tempète, Moi, tout feul contre eux tous, je puis leur faire tere; N'en doutez point. M. Voiia parler en vrai Romain, Au de flus du péril, au deffiis du deftin. He bien, mon brave, allez oü le gout vous appelle; Viótorieux martyr d'une caufe fi belle, En nouveau Curtius, allez vous dévouer A la rage des Sots que vous voulez jouer. Encor fi vous pouviez, au prix de tant de haines, Voir, au profit du gout, fruótifier vos peines! Mais vous aurez beau dire, écrire & raifonner; Le talent qu'on n'a pas, le pouvez-vous donner ? Dites-moi, ferez-vous un Boileau de R* * , De la Harpc un Racine, &c de Barthe un Molière ? Dorat, dont vous blamez le jargon en tout lieu, Va-t-il, a votre gré, ,devenir un Chaulieu ? Et, par vos bons avis, penfez-vous que Delille Puifle autre chofe enfin que rimer a Virgile ? Croyez-moi; fans vouloir en vain nous réformer, Au ton de votre fiècle il faut vous conformer. Flattez fon goüt; on plak fans prendre tant de peine; On eft charmant, divin, au moins une femaine;  iG Satire III. On eft próné, couru, fêté, même a la Coarj Et Ie fat de la veille eft Ie héros du jour. Quïttez donc le vieux goüt; le nótre eft plus facile. N'allez point vous charger d'un favoir inutile, Et laifTez prudemment Ariftote a 1'écart Tracer fur Ia Raifon les préceptes de 1'Art. En eftet, i quoi bon vous mertre k la torture, Saïvre, plein de fcrupule, Horace ou la Nature, Apprendre a difcerner Ie bon efprit du faux, Intraitable ennemi de vos propres défauts, Gothique partiian de régies furannées, Sm un papier ingrat confumer des années l Sans 1'efprit du moment, quel fuffrage aurez-vousï Comment de vos Cenfeurs furmonter les dégoütsï »> De Boileau , diront-ils, miférable copifte , " D'un pas timide, il fuit fon modèle a la pifte. » Si I'un n'eüt point raillé ni Pradon ni Perrin , » L'aurre n'eüt point fifflé Marmontel ni Saurin. » Eüt-il nommé La Ligue une hiftoire rimée, » S'il n'eüt vu par Boileau la Pharfale opprimée ? » Après tout, fon Boileau, qu'il nous a tant vanté, » Faifoit d'aflez bons vers, mais froids & fans gaité. » Voltaire feul nous plak, Voltaire nous amufe, » Quand du béguin de Gille il a coiffé fa Mufe, » Et que, dans les acces d'un délire bouftbn, « Il couvre de farine ou Jean-Jacque, ou Buftbn,  Satire III. 27 » Nous aimons fon efprit, fon riant badinage, » Lorfque, de la difpute égayant le langage, » Au ftyle des Pédans oppofant le bon ton, » Il traite 1'un de Ckien, 8c 1'autre de Giton; » Et, pour fe délivrer de tous fes adverfaires, » Dans un vers plein de fel, les envoie aux galèïes«. c. Hé, mon Dieu ! laiflbns la Voltaire 8c fes flatteurs. Plaignez-moi quand j'aurai de tels admirateurs. M. Je plains le trifte fort que pour vous j'envifage; Car enfin quel fera votre appui J c. Mon courage. M. On criera contre vous. c. Je laiflerai crier. M. Cent bouches vont s'ouvrir pour vous calomnier. De vos moindres propos on vous fera des crimes. Vous recevrez par jour vingt billets anonymes.  28 Satire III. C. Je ne les lirai point. M. Voulez-vous foulever Tout un Parti puiüant? c. Je veux plus; le braver. M. Malheur a qui s'attaque a 1'Encyclopédie! On fait courir foudain, pour noircir votre vie, Ceux qui, par le Bon Sens (*) inftruits a raifonner, Vont, aux dépens de Dieu, chercher un bon diner; Et ceux qui, chez les Grands épris de leur morale, En chaflant la Vertu, font entrer leur cabale. L'un vous fait féqueftrer fans forme de procèsf 3" * Un autre, rend fa plainte, Sc vous traine au Palais, , rubiirrn iüo irnfi")J li Insvuol ibp , nsv zsb , kl J'en appelle au Public, qui me fera juftice. '■^j diaiuoa uom sajuoaï Le Public, c'eft bien dit: comptez fur fon caprice. Éole eft moins changeant, moins orageux que lui]--j ll condamne demain ce qu'il loue aujourd'hui. (•*) Le' Livre ïntitulé le Bor. Sens eft uu extraic du poifon qui eft répandu dans le Syftim dc la Nature, c'eft-a-dirc, Is SjrftènK de 1'Athéifms.  Satire III. 29 Ah i fans vouloir fixer ce Protée indocile, Libre de tant de foins, vivez heureux, tranquille. c. Mais je ne puis dormir fi je ne fais des vers. M. Hé bien, exercez-vous fur cent fujets divers. c. Sur tout autre fujet, que refte-t-il a dire? On a tout épuifé; mais on peut toujours rire. La Sottife eft un fonds qui jamais ne tarit, Et la Satire enfin n'aura jamais tout dit. .3lciorn mol 3b utq~j^bfi£i') ?3i 53a3 .'up xu3J> i;i A de plus doux fuccès animez votre veine; Entre mille rivaux paroiflez fur la fcène. La, des vers, que fouvent le Leóteur eüt maudits, A 1'aide de le Kain, font pourtant applaudis. C'eft la que le talent avec éclat s'annonce. Écoutez mon confeil. c. Écoutez ma réponfe. Un fanfonnet fifïloit, jafoit (1 joliment, Que de tout fon canton il faifoit 1'agrément; Pour 1'entendre, on venoit d'une lieue a la ronde. De petits mots piquans il agacoit fon monde,  30 Satire III. Faifoit rire aux éclats ceux dont il fe moquoit, Et voyant qu'on prenoit plaifir a fon caquet, Il ne finiflbit point. Uh matin que 1'Aurore Amenoit un beau jour de la faifon de Flore, Il entend retentir 1'ombre épailTe d'un bois Des accens redoublés d'une touchante voix: Le Printems & 1'Amour éveilloient Philomèle. Sanfonnet s'attendrit, puis veut chanter comme elle; Il veut, d'un gofier rauque & peu fait a gémir, Tirer un fon plaintif, un douloureux foupir; Et bientot veut chanter, d'une voix éplorée, Les douleurs de Progné , les fureurs de Térée. Alors il fe rengorge, 8c, d'un ceil glorieux, Demande aux Speótateurs d'applaudir de leur mieux. Mais on rit, on le hue, on le force a fe taire j Et quelqu'un lui donna eet avis falutaire: Sanfonnet, mon ami, quittez le ton dolent; Sifflez plutót, fifflez, fi c'eft votre talent.  SATIRE IV. •I'mois au fond des bois Sc des antres fauvages Pour fuir ces impofteurs qu'ou place au rang des Sages. Combien de remps encore, hypoerkes flaneurs, Vous verrai-je encenfer notre Siècle & nos mceurs? Lorfque tout vous dement, oferez-vous fans ceflc Du Siècle oü vous régnez nous vanter la fageflèï Et quel Siècle , en effet, de molleife abartu , Si riche en beaux difcours, fut fi pauvre en vertu? Nos pères corrompus, qu'eftiayok notre audace, Ont maudit les excès de leur coupable race; Et nos fils, plus que nous, dans le crime exercés, Par leurs enfans pervers fe verront furpaftïs. Amitié, nceuds du fang, amour de la Patrie, Vous n etes rien pour nous; 1'intérêt feul nous lie. . Lavare foif de Por a féché tous les cceurs. L'Honneur fe voit fermer la porte des honneurs. La Fraude s'enrichit des publiques ruines, Et s'élève aux grandeurs fur des tas de rapincs. Tous les rangs font vendus a qui peut les payer. Aux mains du Lache on voit le fceptre du Guerrier. Du glaive de Thémis 1'Injuftice eft armee. Dans les lieux les plus faints, la Débauche allumée; 31  22 Satire IV. Sous le froc fcandaleux leve un front libertin, Et llmpiété marche une croffe a la main. Dieu n'eft plus qu'un fantóme, & 1'ame eft un vain fonge. Ainfi, fans nul remords, dans le crime on fe plonge; Et tous, lachant la bride aux plus atTreux penchans, Gorrompus par fyftême, avec art font méchans. Ecoutez-les pourtant, d'une voix empirique , Nommer ce Siècle impie, age philofophique. Chacun eft Philofophe & n'en prend que le nom: On vit en fcélérat & Fon parle en Caton; Et bornant la fageftè a de belles maximes, Du manteau des Vertus on habille fes crimes. Que dis-je > Rien n'eft mal a qui fait raifonner. Au vice hardiment on peut s'abandonner; Le Philofophe a 1'art de difculper le vice: Il n'eft corbeau fi noir que eet art ne blanchifle. Demandez a Crifpin pour quel heureux talent Plutus Fa fait monter fur fon char opulent ? Crifpin fait de fa femme un tranc adultère, Et de fon lit vénal Plutus eft tributaire. Si vous vous indignez, il fourit de mépris. » Vieux préjugé, dit-il, dont nous fommes guéris. » Quand on eft Philofophe, on brave, fans fcrupule, ,> Un chimérique affront, un honneur ridicule. » L'Hyménée eft un joug incommode & pefant; » S'il peut nous enrichir, c'eft un joug bienfaifant. » Sur  Satire IV. 33 » Sur 1'opinion feüle ici-bas tout fe fonde; »' L'Opinion volage eft la Reine du Monde. « Ce qui chez nous eft mal eft fouvcnt bien aillcurs. *> Le Lappon, fous fa hutte, a 1'abri des Tailleurs, » Vous offre fa compagne; & même, avec prière, » Vous preflè d'honorer fi couchc hofpitalière» " Cet autre, plus heurcux en de plus doux climats, » De fa fille, avec foin, cultive les appas, » Pour vendre' cette fleur du Sultan recherchee, » Que 1'ennui du Sérail aura bientot fechee. » Qutl eft donc cct honneur, par vous il révéré, » Que vingt pcuplcs divers ont toujours ignoré, » Qui change avec le lieu, 1'habit & le langage ï » C'eft le tyran des fets, & Fefclave du Sage «. Un jour,Tami fenfé d'un Prélat pcu chrétien Le gourmandoit ainfi dans un libre entrctien: » Vous qui n'avez de foi qu'aux plaiflrs de ce Monde, » Qui railléz de Beaüvais la piété profonde, » Qui trainez le fcandale en habit de Prélat, " Et diffamez la croix qui fait tout votre éclat, » Que n'avez-vous chóifi, fur cette vafte fcène, » Un róle plus conforme a votre humeur mondaine; » Et pourquoi du Public affronter les rumeurs » Sous un habit facré que profanent vos mceurs? » Aini, dit le Prélat, c'eft par philofophie. » Que Btauvaïs, ï fon gré, prêche & vous édifle; C  34 Satire I V. N » Moi, je veux être heureux. Forraé pour les plaifir s, » Je voyois la Fortune ingrate a mes défirs, « Et je voulois, fans foins, libre, & dans 1'indolence, » Savourer les doux fruits d'une oifive opulence: « J'enviai du Clergé les paifibles tréfors. » L'intrigue, heureux talent! dirigeant mes efforts, » J'avancai pres des Grands en carelTant leurs vices; « De leurs femmes fur-tout j'encenfai les caprices: m Flexible a leurs humeurs, je fervois, nuk & jour, » Leurs brigues, leurs plaifirs , leur haine 8c leur amour; » Et bientót la Faveur, couronnant mon attente, » Ceignit ce front mondain d'une mitre éclatante. » Ainfi, par mes plaifirs, tous mes jours font comptés. » L'Abondance Sc le Luxe , Amans des Voluptés, » Préparent mes feftins, mes jeux & mes délices; » J'enrichis la Beauté qui m'ofFre fes prémices; » Du Vulgaire envieux je fais braver les cris, » Laiifant les vains remords aux timides efprits; » Et bénis des Humains la pieufe foibleife » Qui confacra fes dons a nourrir ma molleife «. Grace au Raifonnement, Sophifte accrédité, Et du libertinage Orateur effronté, Il n'eft plus ici-bas de vice ni de crime: Rien n'eft vrai, rien n'eft jufte, 8c tout eft légitime. Ces nobles fentimens qu'infpirent les Vertus, Ces remords dont fouvent. nos cceurs font combattus,  Satire IV. 35 Sont de vains préjugés dont 1'homme encor novice Eft, des fes premiers jours, bercé par fa nourrice, Dans fon cerveau flexible, aifément imprimés, Enfans de 1'Habitude, en Vernis transformés. L'homme, abufé long-temps d'une erreur générale, Fit defcendre du Ciel la févère Morale, Et, tyran de fon cceur prompt a fe mutiner, De devoirs importuns fe plut a 1'enchaïner. L'homme plus philofophe, & plus doux a foi-même, S'eft fait, pour vivre heureux, un plus fage fyftême. Uintérêt perfonnel eft fon unique loi, Et fon premier devoir eft de n'aimer que foi. Ses plaifirs font fes mceurs, fon bien fait fa juftice; La fraude n'eft pour lui qu'un prudent artifice: Savoir le mieux tromper, c'eft-la le feul honneur; Le mal d'autrui n'eft rien s'il fait notre bonheur. La fourde Oppreiïïon, les Rapines (ubtiles Sont d'un efprit adroit les reftources utiles; Et, pourvu qu'on échappe a 1'aveugle Thémis, Un crime bien fecret devient jufte & permis. Ainfi 1'on peut nier, avec philofophie, Le dépot qu'un ami, fans témoins, nous confie, Vendre tous les fecrets qu'ii cache en jiotre cceur, Et de fon lit jaloux tramer le déshonneur. Ainfi de Carondas la main déterminéc A trois fois étouffé le flambeau d'Hyménée; C i  56 Satire IV. Et trois Beautés qu'Amour fit tombet dans fes las, Vidimes de leur dot, ont figné leur trépas. Ce n'eft pas qu'imitant la fille de Tyndare, II ait armé fon bras d'une hache barbare; Ses femmes n'ont point eu le fort du Roi d'Argos. Un breuvage difcret, fuivi d'un plein repos, Mettant le Philofophe a 1'abri du fcandale , Fit a fes trois moitiés paffer 1'onde fatale. Quoi,toutestrois: Lemonftre...! Ah!foyez moinsfurpris, Dix auroient même fort, s'il en époufoit dix. J'entends déja quelqu'un me dire avec colère: » Singe de Juvénal, Cenfeur atrabilaire, « Crois-tu, fi notre Siècle enfanta ces noirceurs, » Que 1'Encyclopédie ait perverti nos mceurs > » Déclamateur chagrin, raifonne mieux •, écoute. , », L'homme, en tout temps le même, eft né méchantfans do, » De tout temps on a yu la noire Trahifon » Aiguifer le poignard, ou verfer le poifon ; „ Et quoi qu'on nous ait dit des mceurs du premier Age, » Le Monde encore enfant n'en étoit pas plus fage. » Mais n'allons pas fi loin chetcher la vérité. » Quand le Frangois, nourri dans la férocité, 1 » Au meurtre, |ar honneur, inftruit dès fon enfance , » Soldat des préjugés, cuiraffé d'ignorance, » N'avoit que fon épée Sc pour Juge & pour Loi; « Tyran de fes valfaux, s'armoit contre fon Roi;  Satire IV. 37 » a la voix d'un Ermite, alloit avec fa Belle, » Pour laver fes péchés, combattre llnfidèle; » Ou défoloit la France en dévot afTaflln, » Et pour notre falut nous déchiroit le fein, » Etoit-il Philofophe? Et 1'Encyclopédie » A-t-elle de la Ligue allumé 1'incendie 2 » Dans ces jours fi cruels, fuivis de jours fi doux, » Avoit-on plus d'honneur & de vertu que nous "2 Grand Dodeur, modérez 1'orgueil philofophique. Je hals, autant que vous, la furcur fanatique Qualluma du Clergé le foufïle ambitieux, Et qui fe nourrilfoit du fang de nos aïeux: Mais ce fang, qui baigna 1'Autel du Fanatifme, N'éteignit point 1'Honneur, père de 1'Héroïïme; L'Honneur, honteux enfin de fes pieux forfaits, D'un fiècle entier de gloire illuftra les Francois. Cependant, grace a vous, de quoi fe glorifie Cet Age fans honneur de la Philoiophie ? Dites-moi; le Francois a-t-il un cceur plus franc, ' Plus prodigue a 1'État de fon généreux fang, Plus ardent a venger la plaintive Innocence Contre 1'Iniquité que foutient la Puifilince ? Le Francois Philofophe eft-il plus refpecté Pour la foi, la candeur, 1'exade probité? Oü font-ils ces Héros, ces vertueux modèles, Que 1'Encyclopcdie a couvés fous fes ailes ? jiraa-é ,-xüiï) '  38 Satire IV. Cherchons fous les drapeaux de la Gloire & de Mars, Les rivaux des Nemours , des Gaftoris, des Baïards. La pourpre des Harlais, jadis fi révérée, Du même éclat encor fe voit-elle illuftrée? Et quel Miniftre enfin, pres d'un Roi généreux, Qui met tout fon bonheur a voir fon peuple heureux , Pour éclairer fes pas d'un confeil toujours fage Dans les nobles projets oü fa vertu 1'engage, Pour vaincre tous les foins dont il eft affailli, Ne voudroit égaler ou d'Amboife ou Sully ? Ceftbns, par nos mépris , d'outrager nosancêtres: Pour les lecons d'honneur ils font encor nosmaitres; Et leurs males défauts, de candeur revêtus , Montroient plus de grandeur que nos foibles vertus. Il eft vrai; tant leur ame étoit fimple & groflière ! Ils n'avoient point fenti que l'homme eft tout matière; Ils n'avoient point eet art d'égarer le bon fens Au labyrinthe obfeur des vains raifonnemens, Er, fous le fard trompeur des brillantes maximes, Donner même vifage aux verms comme aux crimes. De la Nature alors loin d'étouffer la voix, Ils cédoient fans rougir a fes plus faintes loix; Ils aimoient les doux noms & de fille & de mère; Le frère n'étoit point étranger a fon frère; Et par Philofophie, un fils dénaturé, Chez eux, dit-il jamais a fon père éploré:  Satire IV. 39 " N'attcndez rien de moi pour prix de ma nailfance ? » Ma vie euVelle Un fruit de votre bienfaifance ? » Prelfé de 1'aiguillon des amoureux défirs, » Cherchiez-vous mon bonheur au fein de vos plaifirs? » Des foibleues du fang ma raifon me délivre: » Non, je ne vous dois rien que le malheur de vivre «. Gloire vous foit rendue, ö fublimes Penfeurs, Qui nous dénaturez pour nous rendre meilleurs 1 Des Francois convertis en un peuple de Sages, Recevez a jamais 1'encens & les hommages; Que vos dogmes fameus, femés dans tous les rangs, Soient Totacle du Peuple Sc la lecon des Grands; Que, d'un commun effort, le Mortier & la CrofTe, De 1'Encyclopédie élèvent le Coloiïe; Et, dans ce nouveau Ciel peuplé de vos Élus, Soyez enfin les Dieux de ceux qui n'en ont plu3. C4  40 A V E R TI S S E M E N T POUR LA SATIRE SUIVANTE. "Voltaire avoit adreiïe une Êpitre aBoileau. Cette Epïtre commencoit par ces deux vers : Boileau., correct Auteur de quelques bons Écrits, "!n"api i "itó'.tA "ini • iv uo'G Zoïle de Quinaut, & Flatteur de Louis. Le refte de la Pièce étoit a peu pres fur le même ton. Voltaire, qui ne ménageoit pas les injures a Defpréaux, fe prodiguoita lui-même toute forte d'éloges. Admirateur &; Difciple de Defpréaux , je crus devoir repouffer les traits qu'on lancoit a eet illuftre mort, & j'ofai le faire parler lui-même. Ce fut une témérité que le motif feul pouvoit faine excufer. II paroït bien que le Public n'a pas pris, contre ce grand Poëte , les mauvaifes impreflions que nos Beaux-efprits voudroient lui donner; puifqu'il fit quelque bon accueil a celui qui pnt le nom de Boileau pour le défendre , Sc qui n'étoic vraiment qu'une ombre de Boileau.  4i SATIRE V. BOILEAU A VOLTAIRE- Voltaire, Auteur brillant, léger, frivole &vain, Zoïle de Corneille, & flatteur de Saurin (*), Toi, qui feignant toujours de blamer la Satire, As vaincu fArétin Maitre en 1'art de médire; D'oü vient que ton efprit, fi foible a fon déclin, Sur un ton familier, moins plaifant que malin, Ofe, en vers dépourvus de cadence 8c de nombre, Faire infulte a ma cendre & gourmander mon ombreJ Es-tu donc de complot avec ces Beaux-efprits, Qu'on entend, contre moi, déclamer dans Paris •, Qui veulent déformais, aprés cent ans de gloire, De mes vers trop connus étouffer la mémoire; Pour leur propre intérct, tendres a leur prochain, Du malheureux Pradon prennent la caufe en main; Canonifent les Sots immolés dans mes rimes, Et comptent mes bons mots au rang des plus grands crimes; Tout préts a me damner, s'ils pouvoient croire en Dieu? Mais on les voit, pour toi tranlportés d'un beau feu, (*) Vo'.caiie a comparé le Spanacus de Saurin aux nicilleuies Pièccs de Corneille.  42 Satire V. Accueillir, tous les mois, tes fatires nouvelles, Comme a des jeux d'efprit, fourire a tes libelles, Et d'aife fe pamer, lorfque, du même ton, Tu viens a bafouer Jéfus-Chrift, ou Fréron. Quoi; fans aucun remords de tes écarts cyniques, C'eft toi qui veux fiétrir mes lauriers fatiriques 1 Hé bien donc , raifonnons : car toujours badiner, Plaifanter follement, fans jamais raifonner, C'eft imker le finge & payer an gambades: Laiflbns les quolibets & les fornettes fades; Voyons qui de nous deux, par une fage loi, A fait de la Satire un plus utile emploi. A 1'école du Goüt, formé dès ma jeunefle,t ulcus, Sous les Maitres fameux de Rome & de la Grèce, Amoureux de la gloke & de la vérité, Mon efprit ne put voir, fans en être irrité, >b iH Sous 1'air du Bel-efprit la Sottife hardie Triomphant du mérite , & par-tout applaudie : d iuè J'en devins 1'ennemi. Quoique jeune, inconnu, inol Et contre le torrent de moi feul foutenu , i V Plein de courage, armé d'une favante audace, zkM J'attaque Chapelain, maitre alors du Parnafte. n zaQ De 1'Hótel Rambouillet 1'Oracle & le Héros , v Cotin du mauvais goüt aflemble les Bureaux; Le ïiftlet a la main, je le pourfuis fans cefle. q oQ Au Bouffon démafqué je montrai fa bafleire j  Satire V. 43 Et non moins ennemi d'un ftyle trop hautain, De fon tróne ufurpé je renverfai Lucain. Des fuccès de Pradon je fis rougir la Scène. Quinaut cefla bientot d'affadir Melpomène, Et fes vers doucereux, a 1'Opéra vantés, Ne pouvant être lus , du moins furent chantés. De mes Maitres enfin embraflant la vengeance, J'enfevelis Perraut fous fa propre ignorance, Rejetant fur lui-même, avec plus d'équité, L'affront dont il fouilloit la docte Antiquité. De tout méchant Auteur intraitable adverfaire, Mais auffi du génie admirateur fincère, Jamais, de mes Rivaux baftement envieux, Au mérite éclatant je ne fermai les yeux; Aux Cabales jamais je ne prêtai 1'oreille, Et de Racine épris, j'applaudis a Corneille. Si ma Mufe fouvent lancoit des traits moqueurs Sur les Sots protégés & leurs fots Protecieurs, Pour vaincre des efprits Pentêtement crédule, Le Vrai pénètre mieux, armé du Ridicule. Mais a-t-on vu la Haine, infeétant mon pinceau 5 Des mceurs de 1'Ecrivain tracer un noir tableau 2 Me vit-on emprunter des mains de rimpofture Une plume trempce &c de fiel & d'injure ? Du Poëte ennuyeux cenfurant le travers, J'épargnai fon honneur, & je fifflai fes vers.  44 Satire V. Ma Mufe, dans fes jeux retenue & féVère, Sur révérer toujours ce qu'il faut qu'on révère; Loin d'ofer, par des traits d'infernale gairé, Faire, aux dépens de Dieu, rire 1'Impiété. Mes rimes n'ont jamais alarmé 1'Innocence; J'aïmai Ia Liberté, j'abhorrai la Licence. Malin dans mes écrits, doux, fimple dans mes mceurs, Par I'amour feul du vrai, fatal aux fors Rimeurs, Du mauvais gout, fur eux , mes vers faifoient juftice; Er, je dois m'cn rlatter, mon utile malice Soutint Ie goüt naiffant, & le vit triompher Des barbares Rimeurs tout prêts a 1'étouffer. Mon Siècle a recueilli les fruits de ma Satire. Mais toi, qu'en ces combats un prix moins noble attire, Qui, jaloux des grands noms, voudrois, fur leurs débris^ Régner feul au Parnaife avec tes feuls écrits; L'Ambition, 1'Orgueil, l'Envie,ou laVengeance, Contre les vrais talens arment ta médifance. A tes yeux ennemis leur gloire eft; un tourment. Le ParnalTe eut horreur de ton emporrement, Quand tes mains déchiroient la couronne fuperbe Que l'illuftre Rouffeau partage avec Malherbe. Par combien de noirceurs tes vers calomnieux Sa flattoient d'obfcurcir un nom trop glorieux i Et jufqu'en fon tombeau, fur fa cendre immortelle 3 Chaque jour tu vomis ta rage crirninelle;  Satire V. 45 Comme il tes jfureurs, qui ne refpcctent rien, Pouvoicnt déshonorer d'autre nom que le tien! Contre le Grand Corneille, avec plus d'artifice, Cherchant a colorer ta jaloufe injuitice, Tu viens, loueur perfide, & Scudéri nouveau (*), Glofer malignement fur 1'endroit le plus beau, Le dégrader par-tout de fa hauteur divine, Ravalcr a deifein le rival de Racine, Prêr a mettre a tes pieds Racine & fon rival. Rien ne te fut facré. Bofluet & Pafcal, Malherbe, Fénélon, La Fontaine, & moi-meme; Car la Poitérité, notre arbitre fuprême, M'accorde ici le droit de me nommer comme eux: Tous méritoient ta haine, ils étoient trop fameuxi Du mérite éminent détracteur & faux Juge, La Médiocrité trouve en toi fon refugc; De tout mérite obfeur protecteur déclaré, Le Sot qui t'admira par toi fut admiré. Saint-Lambert, qui, pour toi, dégradelesCorneilles(**), Te voit pröner fes vers comme autant de merveilles. (*) Scudéri fit des Remarqucs fur le Cid , pour le denigrer. Voltaire en x fait fur toutes les Pièccs de Corneille, dans la même intention. C'eii cn celi feulemcnt que 1'on compare Voltaire a Scudéri. quoique eclui-ci ait fait aulC un Poeme épique & des Tragedies. On peut yoir dans les différens Ouvrages de Voltaire , avec quelle légèreré, & quelle faufTeté de goüt, il critique tous les Grands Hommes du dernier Cède, dont il eft paris en eet endroit. ('*) M. Saint-Lambett, vers h fin de fes Saifons, courpime Vokaire, Kam*  46. Satire V. Cependant Saint-Lambert, dans fes triftes Saifons, Nous fait tranfir de froid, même aux jours des moiflons, Et, contre la Critique armé d'étrange forte, Pour défendre fes vers il obtiendra main-forte (*). La Harpe, a te louer non moins ingénieux, Appelant ton Orefte un chef-d'ceuvre des Cieux, Se promet bien , dans peu j d'être ton légataire (**). On te voit a Mentor préférer Bélifaire; Car toujours Marmontel, d'un goüt fublime & fain, A préféré Voltaire a tout, même a Lucain. Par toi du mauvais goüt la Cabale aftermie, Menace d'envahir toute 1'Académie. gueur des deUX Rivaux qui règnent fur U Seène | Sc Voltaire E dans fon tpitte d Boiler, ripoftc i ce coup d'eiicenfoir pat celui-ci : Oui, déih Saint-Lambert, en bravant vos clameurs, Sur ma tombe qui s'ouvré a répandu des fleurs. Aux fons harmomeux de fon luth noble & tendre, Mes manes confolés chei les Morts vont defcendre. «,i1rr; yjl iiti;3^i, / zmt aod ub, *. WP,xu'j:> Ce commerce d'éloges a fait dire* quelqu'un , que M. Samt-Lambert avoit 'rité une lettre de change fur Voltaire, & que celui-ci 1'avoit payée i vue. (*) On fait comment M. Saint-Lambert furprit un ordre pout faire arrètec la Ctitique de fes Saifom , 2c 1'Autcur de la Critique. / ^ (**) Voltaire écrivoit l tous les jeunes gens qui vouloient bien louer fe» plus foibles Ouvrages , qu'il les mettroir fut fon Teilament. Il promertoit un legs confidérable a celui qui loueroit le plus Orefte. Quoique Voltaite füt trèsriche, la fucceffion n'autoit pas fuffi pour tant de iegs. Le Teframent de teconnoilTance n'a pas eu lieu. M. de la Harpc fut tcilement piqué de fe voit fruftré d'un legs fi fouveut promis , & (i fouvent gagné , qu'a la mort de Voltaite , il fit une fortie violente contre quelques-uns de fes Ouvrages. Les Héritiers, indignés, lui prouvèrent que le legs avoit été aroplemeilt paye il'avance s 5c alors il fit 1'Apothéofe de Voltaite.  Satire V. 47 Tu iaifles d'Alembert raifonnant de travers, Aux loix de fon compas foumettre 1'art des vers; Et Thomas, tout bouffi de fon ftyle hydropique, Sonner en fanfaron de la trompette épique. Béverley, fur la fcène entaflanr les horreurs, Vient, fans crainte, huiler fes bourgeoifes fureurs. Que tous enfin, épris d'un gout faux & bizarre, Inventent, chaque jour, quelque fottife rare; On te verra, pour eux, quoiqu'a médire enclin, Complaifant & difcret, applaudir même a Blin. On te vetra brüler ron encens pour Delile, Dont le vers fee & froid vient nous montrer Virgile De tout fon or antique, avec foin, dépouillé, Et de clinquant francois galamment habillé. Mais, parmi tant d'Auteurs, dont la fottife altière Offroit a tes bons mots une riche matière, A qui de ta Satire as-tu lancé les traits ? A ceux qui, du bon fens vengeant les intéréts, Tachoient de rappeler fur leurs traces fidellcs Le vrai gout délailfé pour de honteux modèles, Et de qui le génie, encor ferme aujourd'hui, Aux Beaux-Arts chancelans prête un dernier appui: Au male Crébillon, ton Rival, & peut-être, Malgré tous fes défauts, ton vainqueur & ton maitre; A eet efprit profond & brillant a la fois, Peintre aimable de Gnide, & 1'Oracle des Loix;  48 Satire V» Au fublime BufFon, au vcrtueux Racine (*), Rare «Sc digne foutien d'une illuftre origine> Au Poëte élégant, qui, fur la fcène en pleurs, Fit gémir de Didon 1'amour & les douleurs •, A ce Chantre léger, dont les fons pleins de graces Ont d un oifeau caufeur illuftré les difgraces . De tous ceux dont la gloire éveille ton courroux, Et fait darder contre eux ton aiguillon jaloux, L'éloquent Génevois, de ta dent acharnée, A le plus i-clténri 1'atteinte empoifonnée: Car ton efprit, fans frein dans fes jeux médifans, Ne fait point fe bomer aux traits fins & pWj D'un bon mot qui nous piqué, & jamais ne déchire, Fait naitre fur la bouche un innocent fourirc, Et d'un front fourciileux défarme la rigueur. Tes traits veulent porter la plaie au fond du cceur. Tu fais arme de tout: lïnfame Calomme Te fouffle fon poifon & devient ton génie. A ces laches noirceurs ton vers eft aftorn. Souvent ton Apollon, en Vadé (*) Racine le fils , Auteur du Poëme de la Jicligion. Voltaite a éctit dans fes Queilions fut 1'Encyclopédie, qu'on ne lifoit plus Vert-vert. , ., - - ' • (***) Allufion k ces Recueils de facéties bouffonnes, que Voltaite a donncc. fous le nom dc Cuiüwme Fadé, de Jétome Catté, êcc. Va  Satire V. 49 Va dans les carrefours, fous les treteaux des Halles, Ramafler un vil tas d'injures triviales, De fales -quolibets, & de plates horreurs, Que vomit la canaille en fes baftes fureurs. Mais c'étoit peu pour toi, jouet de ta démence, fD'outrager le bon fens, les mceurs & la décence; Il té falloit encor, Gogucnard criminel, De tes affreux bons mots faire frémir le Ciel. Quicouque fait la gucrre a ton audace impie Eft bientöt le martyr de ta philofophie ; Son efprit, fes vertus, fes talens, tout n'eft rien: C'eft un fot a tes yeux, fi-töt qu'il eft Chrétien (*). Tu vas, pour 1'accabler de fades railleries, Épuifer tout le fac de tes bouftonneries, Ameuter, contre lui, ce furieux troupeau Que 1'Incrédulité range fous ton drapeau, Et qui, des que fon Chef lui défigne fa proie, Au même inftant, contre elle, inceftamment aboie, Mais un efprit vulgaire, a ta Secte agrégé, Par toi, fe voit foudain en grand homme érigé. Des noms les plus pompeux ta Mufe 1'apoftrophe: O 1'efprit lumineux l le divin Philofophe ! (*) Comme il auroit été trop dur d'appeler le fublime Boffliet, un fot, Voltaire a pris le parti de le faire paifer pour un hypocritc, qui ne croyoit, pas un mot de cette Religion qu'il a prêchée & défendue avec tant de zèlc Sc d'éloquence. U a dit que Fénélon étoit mort avec les fenrimens d'un Encyclopédiftc , & que P.ifcal étoit un hypocondre dont h cctveau étoit bleflè. D  50 Satire V. Er ta voix, entonnant fa louange cn grands vers, En fera retentir Xécho de tes déferts (*). Il eft vrai que, pour toi, ce Dodeur en intrigues Va fans cefle éveiller les complots & les brigues; Aux femmes, aux enfans, de maifon en maifon, Il fait de tes écrits avaler le poifon •, Il voit fa miiiion en cent lieux applaudie, Et convertit les cceurs a 1'Encyclopédie. » Tout beau, me diras-tu; va, tu prétends en vain » Soumettre a ta cenfure un Livre fi divin. » Jamais ton Siècle entier, fi peu philofophique (**), » N'eut fait au Genre humain ce préfent magnifique, » Chef-d'ceuvre oü Ion raflemble, avec un art parfait, „ Gout, génie & raifon, rangés par alphabet. » Adirdre, comme nous, le fruit de nos maximes. „ Que notre Siècle eft grand ! que de vertus fubiimes ! » Comme on voit triompher la Sagelfe & les Mceurs! „ Comme 1'Humanité rapproche tous les cceurs! » Par-tout germe le grain de la Philofophie; » Sous les glacons du Nord il poufle Sc frudifie. (*) Ces vers font allufion a ceux-ci d'une Épïtte de Voltaite : Xes échos des rochers qui ceignent ce défert, Repetent aprés moi le nom de d'Alembert. (»*) Voltaite & fes fuPP6ts n'ont celTé de dire que le Cècle derniet E«* un fiècle pufillanime & fans lumières j oü perfonne, exceptéPerraur, a'auro.tete «pable de faire une feule page de 1'Encyclopédie. N'eft-ce pas avouer,avec bcaucoup d'adteffe, qu'fe n'ont d'auKe arabition que celle d'cue des Parast i.  Satire V. 51 » Peuples &c Potentacs, tous font a nos genoux. i) Chacun ne voit, n'entend, ne jute que par nous. » Je vois, je vois qu'enfin tout prend une autre face t » Toute Religion k notre voix s'efface. « Il faut, Sc Diderot déja me le promet, m Qu'on ne diftingue plus Jéfus de Mahomet. » J'éteindrai des Enfers les Hammes effroyables: » S'ils ont des préjugés, jen guérirai les Diables (*). m Tout homme n'aura plus que fa raifon pour loi; •> Pour former fa raifon, 1'on n'aura plus que moi. » J'ai déja des Martyrs, ainfi que des Apötres. » Sur les autels détruits on barira les nötres; » Et tous, Princes, fujets, ignorans, Beaux-Efprits, » Pour Evangile enfin n'auront que mes Écrits ". Que dire a eet exces d'affreufe extravagan.ee ? O Voltaire ! Et c'eft toi qui, gonflé d'arr.ogance , . , D'une honnête Satire oferas me blamer, Et, jaloux de mon nom, croiras le djffamer! Mais veux-tu qu'un moment diiupant la fumée Dont 1'encens des Flatteurs enfle ta renommée , Au miro'ir éternel que rient la Vérité, Je découvre ton fort dans la Poftérité ? (*) Ceci eft une parodie de ces vers de Voltaire, dans fon ËpUrc d Boileau: Tandis que j'ai vécu, 1'on m'a vu hauteraent Aux Badauts effarés dire mon lenüment. Je le veux dire encor dans les royaumes fombres. S'm ont des préjuge's J i'ep guérirai les ombres. , d z  ^2 Satire V. Si 1'ardeur de briller en tout genre d'écrire, La licence a penfer, 1'audace de tout dire, L art de tout effleurer fans approfondir rien, Et de faire beaucoup, au lieu de faire bien; La fureur d'étaler, fans règle & fans mefure, Un vernis impofteur qui mafque la Nature, De facrifier tout a de vains ornemens Qui femblent mendier les applaudiftemens; En un mot, fi 1'Efprit, avec toute fa fuite, L'Antithèfe fur-tout, fa vive favorite, Le Clinquant, merveilleux pour éblouir les fots, Et le Fatras pompeux monté fur les grands mots, Pouvoit, dans 1'avenir, conferver tout fon luftre, Tu devrois y briller au rang le plus illuftre: Mais 1'efprit s'ufe enfin fous la urne du Temps. La gloire du Génie eft de vaincre les ans. L'Avenir, éclairé dans fes libres fuffrages, Ne les mefure point au nombre des ouvrages, Et garde le laurier qu'aux Auteurs il promet, Non pour le plus fécond, mais pour le plus parfait. Toi .Voltaire, entaffant volume fur volume, Jamais'rien d'acbevé n'eft forti de ta plume. Voit-on dans tes Écrits, a la hate jetés, Ces traits profondément concus & médités, Oü 1'efprit, arrêté par un charme fidéle, Découvre chaque jour quelque beauté nouvelle,  Satire V. 53 Et qui, de la Nature en tout temps aVöüésT Chez nos derniers neveux feront encor loués' Tes Ouvrages font faits pour ton Siècle frivole; Tes défauts complaifans t'en ont ren du 1'idole. Sous ta plume, changeant & de forme & de ton; Chaque genre n'a plus rien a foi que fon nom. Par toi de vains atours Melpomène parée, Romanefque Héroïne, a la marche égarée, Outrageant a la fois & Ia Nature & tkh, Sans mceurs, fans caraótère, agit, parle au hafard. Grace a tes foins, Thalie eft un monftre grotefqnc, Larmoyant & boufton, philofophe & burlefque; Et tu fais traveftir, par ton art charlatan, L'Epopée en Hiftoire, & 1'Hiftoire en Roman. Pourvu qu'un mot faillant a chaque inftant pétille^ Que de traits imprévus le ftyle éclate <3c brille; Qu'importc de choquer & bon fens & raifon! On amufe la foule, il fuffir j tout eft' bon. Voltaire, c'eft ainfi que tes beautés fragiles De ton Siècle ébloui charment les yeux débiles^ Et que, du vrai talent méconnoiftant le prix , On rabaifte a tes pieds de fublimes Efprits. Mais crains que, pour venger leur gloire combattue ; L'Avenir, a fon tour, ne brife ta ftatue : Crains enfin qu'un beau jour, au Parnafle Francois, Chacun te demandant compte de tes fuccès, D $  54 Satire V. N'accufe les larcins qui parent tes Ouvrages; Et que tous ces oifeaux, reprenant leurs plumages, Ne chaflent leur vainqueur honteux, & dépouillé Des furtives couleurs dont il avoit brille. Adieu : car aufli bien je vois, a ce langage, Dans tes yeux pétillans étinceler la rage. Apprends a refpecter tes Maitres au tombeau, Et que, tout mort qu'il eft, il faut craindre Boileau.  55 SATIRE VI. i/Intrigant. Vo u s avez donc quitté notre obfcure Province, Et, leftement chargé d'une bourfe aflez mince, Vous venez a Paris chercher un fort plus doux? le Provincial. Oui, tel eft mon efpoir. l' Intrigant. Hé bien, que voulez-vous? Qu'attendez-vous de moi ? le Provincial. Que votre expérience Conduife en mes projets ma docile ignorance. A vos confeils prudens je veux m'abandonner. l'Intrigant. Pour des confeils, mon chcr, je puis vous en donner. Qui connoit mieux que moi les mceurs de cette ville l La fcience du Monde eft 1'att le plus utile. On cherche la Fortune, elle eft entre nos mains. Les travers infenfés, les erreurs des humains, D 4  56 Satire VI. Voila pour Finduftrie une mine profonde, Et plus elle eft fouillée, & plus elle eft féconde*. Plions-nous a leurs mceurs; vivons, penfons comme euxj De leurs propres défauts parons-nous a leurs yeux; Careflons leurs penchans, courtifons leurs caprices, Et mettons a profit leur fottife & leurs vices. L'homme eft froid pour le bien •, 1'intérêt 1'endurcit; La voix des Paffions le charme & Fadoucir. Voulez-vous avec lui partager fes richeifes? Il faut moins le fervïr que flatter fes foiblefles. Oui, c'eft en cultivant eet art fouple & flatteur j Que vous pourrez flechir 1'orgueil d'un Protecteur. Par les plus humbles foins affeótez de lui plaire; Rendez-vous complaifant, vous ferez néceftaire. La barrière du rang va tomber devant vous; II va vous confier fes fecrets les plus doux. Faut-il paiTer un bail avec une Maitrefle, Ou gagner un mari > c'eft a vous qu'il s'adrefle. C'eft vous qui, le matin, admis a fon boudok, Arrangez avec lui tous les plaiflrs du foir, Tandis qu'cn 1'antichambre, avec impatience , Les Courtifans en foule implorent audience. Cherche-t-cn a s'ouvrir un accès jufqu'a lui? Veut-on, pour quelque grace, acheter fon appui ? On vient a vous d'abord; c'eft vous qu'on follicite 3 Le Duc 8c le Prélat vont vous rendre vifue -3  Satire VI. 57 Vous êtes le Patron, le cher Ami des Grands; Même il ne tient qua vous d'être de leurs parens. Chez vous pleuvent les dons, folide récompenfe Des faveurs du Vifir , que votre main difpenfe; Et vous pourrez bientöt, de ces dons glorieux , Acheter le village oü font nés vos aïeux* ie Provincial Infenfé qui fe ne a ces hautes promeftes! Je (ais que la Fortune, aveugle en fes carefles, Dans fon char, en paffant, enlève quelquefois De ces enfans perdus, qu'elle adopte fans choix: Sous 1'ceil de la Faveur elle-même les place-, Pour eux, du cceur des Grands elle amollit la glacé-, Et par ces vils reÜorts, ouvrages de fes mains, Gouverne obfcurément les Maitres des humains: Mais a ces jeux du fort combien doivent s'attendreï D'un efpoir fi hardi je faurai me défendre; Et d'un fuccès moins rare on peut fe contenter. l' Intrigant. Dans le Monde, il n'eft rien qu'on ne doive tentef. L'Audace nous fert mieux fouvent que la Prudence, Et 1'on parvient a tout a force d'impudence. L'Ambition timide eft toujours un défaut, Et pour atteindre au but il faut vifer plus haut.  58 Satire V I. Sons Tes prétentions cachant fes efpérances, Mais puifqu'au lieu de prendre un élan courageux , A des fuccès communs vous rabaiflez vos vceux , Paris vous offrira mille routes obfeures Qui menent fourdement k des fottunes fures. Chez un riche Vieillard, fans femme & fans enfans, Sachez vous introduire; épiez fes penchans j Devinez Sc louez fes gouts les plus fantafques; , De fon humeur chagrine efluyez les bourafques. Il fe plaindra du froid dans le mois le plus chaud; En fa chambre échauffée, étouffez, s'il le faut. Le fommeil, danslanuit, fuit long-temps fa paupièrcj Lifez-lui jufqu'au bout quelque ceuvre de Cubière, Un mets a-t-il piqué fon appétit gourmand ? lioiuA Apprêtez-le vous-même, il fera plus friand. i «sncQ Et, comme la Vieilleife eft parfois débauchée, D'un Tendron de feize ans fi fa vue eft touchée 3 En fufliez-vous épris, & vous préférat-on, Menez la jeune Aurore au lit du vieux Tithon. Sur-tout qu'un long refus, irritant fon caprice, Egale a vos douleurs le prix du facrifice; Et qu'un bon teftament, écrit a votre gré, , Confole, malgré vous, votre amour éploré. Si Ia Loi lui prefcrit un autre Légataire, Armez-vous prudemment des droits d'un Donatairej  Satire VI. 59 Et changeant tous fes biens en d'utiles papiers, Fruftrez impunément 1'efpoir des Héritiers. Il eft d'autres fecrets qu'on pourroit vous apprendre: Cet exemple fufSt, fi vous favez m'entendre. Suivant 1'occafion, les hommes & les temps, Vous faurez appliquer mes confeils importans; Enfin de ce beau mot n'oubliez pas 1'ufage : Les foiblelTes des Sots font le profit du Sage. le Provincial. Je n'en fais point le mien, a parler franchement. Je n'ai pas un efprit que 1'on bride aifément; L'ombre d'une noirceur le cabre & 1'eftarouche. Mes yeux démentiroient ce que diroit ma bouche. Ma franchife, inhabile a ce róle importeur s Auroit bientot jeté le mafque de flatteur. Dans un plus droit chemin daignez être mon guide. l' Intrigant. Hé bien, il en eft un plus droit & plus rapide. N'êtes-vous pas 1'époux de quelque aimable objct:- le Provincial. Non, grace au Ciel! l' Intrigant. Pourquoi; ie Provincial. Quel feroit mon regret  60 Satire VI. De qukter une époufe aimable & dans les \iu^ l C'eft pour les cceurs heureux que 1'Hymen a des charmes. l' Intrigant. Bon ! voila de grands mots puifés dans les Romans. Dans la Province encore a-t-on des fentimensi Défaites-vous ici de ce jargon futile. L'Hymen n'eft point charmant, mais il peut être utile. Que ne peut la Beauté ? fon tróne eft dans Paris. Coinbien nous y voyons de ces heureux maris, Sans efprit, fans talens, voués par la Nature A trainer fans efpoir leur vie ingrate & dure, Qui du lit de 1'Hymen aliénant les droits, Ont élevé leurs fronts aux plus brillans emplois! Mais vous avez du moins une foeur jeune & belle > tE Provincial Oui. Grace, efprit, douceur, on trouve tout en elle; Et par fon innocence elle eft plus belle encor. l' Intrigant. Innocence & beauté ! vraiment c'eft un tréfor. C'eft a Paris fur-rout que 1'innocence eft chère. On fe dégoute un peu des Beautés a Fenchère, Dont la bouche impudente , & dont 1'ceil effronté , En vendam le Plailir, font fuir la Volupté , Et qui, d'un air diftrait, froides k vos tendrefles s Calculent dans vos bras le prix de leurs carelfes.  Satire VI. 61 On airae un jeune objet, aux appas innocens, Dont le premier défir vient d'éveiller les fens, Qui feint de refufer, d'un ceil timide & tcndre, La lecon du plaifir quelle brüle d'apprendre. Ce mélange charmant divrelTe & de pudeur De nos Galans éteints ranime la froideur i Et le naïf tranfport des Voluptés novices A ces cceurs épuifés offre encor des délices. Certes , fi votre fceur avoit fuivi vos pas, La Fortune bientót vous eüt tendu les bras. le Provincial. Que me propofez-vous ? l' Intrigant. La plus douce manière D'enrichir promptement votre familie entière; Ce que les plus hupés pratiquent, chaque jour, Pour prendre un vol rapide a FArmée, a la Cour. N'en avons-nous pas vu, par cette heureufe adrelfe, . . . . . élever leur baireife, D'une Beauté fufpeóbe emprunter leur éclat, le Provincial. Ces temps-la ne font plus; perdons-en la ménioire; Et les Mceurs fur le tróne ont réparé fa gloire. De ces vils corrupteurs les fuccès infolcns Peuvent-ils ennoblir leurs infames talens?  f52 Satire VI. Moi, j'irois, d'une feeur affichant Findécence, Trafiquer fes appas, vendre fon innocence ! J'oferois demander a la Lubricité D'un doublé déshonneur le falaire effronté! l'Intrigant. Vous avez de Fhonneur, & vous cherchez fortunc i Quittez des Préjugés la raorale importune; Prenez 1'efprit du monde -oü vous voulez entrer, Ou dans votre Province allez vous enten-er. l e Provincial. Quoi; Pour fe diftinguer, un talent eftimable Ne peut-il plus s'ouvrir quelque route honorableJ l' Intrigant. Les honnêtes talens ne conduifent a rien. A quoi peuvent fervir vos triftes gens de'bien; L'intérêt, le plaifir font notre unique affaire. Ira-t-on accueillir une Vertu févère, La payer pour tenir la bride a nos déiirs, Pour cenfurer nos goüts, &c gronder nos plaifits ? Aura-t-elle Femploi de réprimer le vice, De mefurer nos gains au taux de la juftice, D'offrir a l'intérêt un tarif innocent; Et s'enrichira-t-elle en nous appauvrilfant ? Si vous aimez 1'Honneur, airnez donc 1'lndigence. Pour plaire dans le monde il faut plus d'indulgence,  Satire VI. Et qui fe plic a tout en doit tout efpérer. 63 l e Provincial. Mais dans ce Monde enfin ne peut-on profpérer Qu'en outrageant les mceurs , qu'en fe rendant infame, Et qu'en proftitwant ou fa fceur, ou fa femme > Si par cette indulgence on fait tout obtenir, n'eft-il que cc chemin a qui veut parvenir ? l' Intrigant. Je ne vois pas du moins de chemin plus facile. Ce que 1'art alfldu d'un Intrigant habile, Après dix ans de foins, n'obtient que rarement , L'éloquente Beauté 1'emporte en un moment. Avec fon feul appui tout fuccès eft rapide. Des graces, des faveurs fon pouvoir feul décide. Son Empire eft par-tout. Elle a , plus d'une fois, Donné des Favoris, des Miniftres aux Rois: De Libertins mitrés elle a peuplé 1'Églife, Et de poutpte & d'hermine habillé la Sottife. Les plus hardis fripons, par elle foutenus , Des tréfors de 1'Etat ont fait leurs revenus. Par elle, plus d'un rache a régi des batailles: Toujours battus, toujours triomphans a Verfailles, Du Francois Chanfonnier elfLiyant les bons mots, Tandis que la Gazette en faifoit des Héros.  64 Satire VI, Tous les rangs font foumis a cette loi commune. Sous les traits d'une femme on nous peint la Fortune La Fortune en efFet, qui nous mène a fon choix, Dans les mains de fon fexe a remis tous fes droits. Conformez-vous au temps, au pays oü nous fommes Sans les femmes enfin n'efpérez rien des hommes. Si, d'un premier Commis, ou d'un Fermier du Roi Vous voulez arracher le plus chétif emploi, N'allez pas vous morfondre en prière, en vifite; Ne faites pas, pour vous, parler votre mérite, Encor moins votre honneur en qui 1'on ne croit pas Le mérite & 1'honneur y perdroient tous leurs pas; Vous feriez éconduit :-mais, avec plus d'adrelle, Préfentez-vous d'abord a fa douce Maitreife ; Elle feule connoït 1'art d'amollir foudain Le tigre Financier que 1'on implore en vain. Pour vous rendre auiïi-tót la Belle favorable, Faites, fans complimens, briller lor fur fa table. Ne pouvez-vous mouvoir de fi puilfans refforts; De la Jeunefle au moins prodiguez les tréfors; Déployez ces talens dont le charme invincible D'un cceur intérelfé fait faire un cceur fenfible. La Jeunelïe a fes droits, fon pouvoir, & fouvent On aime a lui payer ce qua d'autres 1'on vend. Que de Belles ainfi, galantes Bienfaitrices, Du mérite indigent ardentes Protedrices, Ont  Satire VI. Ont fu, de leurs bienfaits favourant tout le prix, Des biens de leurs Amans renter leurs Favoris! ie Provincial. Le Monde, je 1'avoue, eft un vrai labyrinthe. Je concois, qu'égaré par 1'efpoir & la crainte, Dans 1'erabarras fatal de fes nombreux détours, On peut d'une Ariadne accepter le fecours. Il paroit aflcz doux que des Beautés volages De la Fortune ainfi réparent les outrages, Et que du Riche altier 1'induflxieüx Rival, Par la loi du Plaifir, foit enfin fon égal. Mais, plus il eft flatteur d'enrichir ce qu'on aimc, Plus il eft trifte & vil de fe vendre foi-méme, De partager enfemble -8c 1'opprobre public, Et le gain impudent d'un 'fi honte ux trafic. D'ailleurs, je ne fens point cette foif des richeffès Qui nous fait afpirer a de telles baileües. Né loin de la Garonne 8c des feux du Midi, Je n'ai poinr ce génie & rampant & hardi, A qui, pour réuftir, tout paroit légitime. Je n'atteindrai jamais a ce degré fublime Oü s'élève Plntrigue, &, d'excès en exces, Force enfin le Public d'abfoudre fes fuccès. On efface bientot les taches d'une vie Dont 1'éclat des honneurs éclipfe 1'infamie: E 65  66 Satire VI. Mais s'abaiiTer au rang des Iutrigans obfcurs, Exercer fon courage aux afFroncs les plus durs, Se vouer chez un Grand a d'indignes fervices, Vil courtier de débauche, & valet de fes vices ; Ou devenir peut-étre, au métier de Traitant, Le complice gagé d'un fripon important, Piller, a fon profit, quelque riche province , Et grapiller fous lui dans les tréfors du Prince; C'eft avoir de foi-mêrae un trop lache mépris, Que vendre fon honneur, & le vendre a ce prix. l' I n t r i g a n t. Après ces beaux difcours, j'ai grand,peine a comprendre A quoi vous êtes bon. i£ Provincial. Hé bien , daignez m'entendre. Né fans ambition, je n'ai pas dü penfer Qu'au grand art de 1'intrigue il fallüt m'exercer. A de plus doux talens, bienfaits de la Nature, J'ai confacré mon temps, mes foins & ma culture; Et mon efprit, orné d'un utile favoir , N'a pas trompé, je crois, ma peine & mon efpoir. Mais que fett la fcience en Province ignorée, De la gloire qu'elle aime a jamais féparée ï C'eft ici que 1'Efprit peut briller au grand jour i lei tous les Talens ont choifi leur féjour.  Satire VI. 67 Je fais, dans la carrière oü la Gloire m'invite, Quels fentiers épineux retardent ma pourfuite. Apprenez-moi quel art & quels heureux fecours Me peuvent applanir le chemin oü je cours. l'Intrigant. Croyez-moi; vous femez en un champ bien ftérile: Pour un qui réufiit, j'en vois échouer mille *, Et, puifque la Fortune a pour vous peu d'appas, Vous courcz un chemin qu'elle fuit a gtands pas. L'Hêpital eft tout prés du Temple de Mémoire. Mais que me parlez-vons de fcience & de gloire? Les Beaux-Efprits du jour, moins favans que jamais. Se moquent de la gloire & briguent les fuccès. Vous méprifez 1'intrigue, & c'eft-la leur fcience. ïnftruits ï cette école, & par 1'expérience, lis ont vu que le Monde eftime le favoir, Non pas autant qu'il vaut, mais qu'il fe fait valoir; Que fouvent, par eet art, 1'efprit le plus frivole, En pronant fon génie, eft cru fur fa parole; Et que, dans tout métier, l'homme habile & fenfé Par 1'adroit Charlatan fut toujours éclipfé. L'un garde fon mérite, & 1'autre vend fa drogues Petit a la fcience, & Mefmer a ia vogue. Raynal eft plus vanté que le fage Mabli; Et 1'éloquent Rouffeau languilfoit dans 1'oubli, E 2.  68 Satire VI. Tandis qua d'Alembert, des Rois, de nouveaux Mages Venoient,guidés parl'Ourfe(*), apporter leurs hommages. Sans Fintrigue, en un mot, le mérite aujourd'hui, Tel qu'un foible arbrifleau, va ramper fans appui.. Marmontel ne craint plus le fort de Bélifaire; Mais j'ai vu Malfilatre expirer de mifère. Le favoir eut fon prix dans les fiècles pallés: Devenez intrigant, vous en faurez aflez.' Le talent le plus sür eft celui des cabales. • Le .Parnafle eft en proie a deux Sectes rivales: L'une, éparfe Sc fans Chefs, fans crédit, fans honneurs, Combat pour le vieux gout & pour les vieilles mceurs. L'autre, unie, en public, d'intéréts unanimes, Sur les mceurs de fon Siècle a réglé fes maximes; Et, de nos paflions Orateurs complaifans, Leurs dogmes ont féduit de nombreux partifans. La ligue, chaque jour, croit & fe fortifie. Leur cri de ralliement c'eft la Philofophie. Ce mot tient lieu de tout; on n'eft rien fans ce mot: Ou 1'on eft Philofophe, ou bien 1'on n'eft qu'un fot; Et le meilleur Ecrit n'eft qu'une rapfodic, A moins d'être timbre par 1'Encyclopédie. Marchez fous fa bannière, Sc pour vous fignaler, Dans fa jeune Milice allez vous enröler. (*) L'Ourfe, Écoile du Notd. Allufion i 1'Éioilc qui conduiüt les ttoij M-i^es. '  Satire VI. 69 Aimez ou haïftez au gré de votre Secle; Diffamez la Vertu qui leur fera fufpecte; Et fi 1'on vous prefcrit de trahir 1'Amitié, Soyez ingrat fans honte, 8c traitre fans pitié. Il faudra, j'en conviens, louer avec baflefTej De Diderot lui-même admirer la fagefte; A 1'égal de Plutarque exalter d'Alembert, Et lire, qui pis eft, les vers de Saint-Lambert. Mais, pour récompenfer ce courage hcroïque, On pourra vous renter d'un legs philofophique j Car la Philofophie inftruit fes Protedeurs A devenir un jour de zélés Teftateurs. On pourra bien encor, par faveur clandeftine, Sur un prix de vertu fonder votre cuifine. Si vos Écrits nouveaux, par un rare bonheur, Obtiennent du bucher le fcandaleux honneur, Plus brillant qu'un Phénix qui renait de fa cendre s L'éclat de votre nom va par-tout fe répandre : Les cent voix du Parti, celebrant ce fuccès, Vont proner vos Écrits, pourvu qu'ils foient mauvais,. Chacun chez fes dévots s'emprefle k vous produire; Chacun cherche a vous voir, & non pas a vous lire, On vous vante au Miniftre , 8c fur-tout aux Commis; Jufques en Siberië on vous fait des ami's. Pour comble de bonheur, on vous préfente aux Dames, Car un Livre profait touche leurs belles ames; E 3  rjo Satire VI. Et les Sages du jour, aufli galans que nous, Vont, dans Tart d'intriguer, s'inftruire a leurs genoux. Elles gouvernent tout, les plaifirs, les affaires, Et le fceptre des Arts ome leurs mains légères; Elles font les fuccès : 1'Ecrit le mieux proné Vient toujours de 1'Auteur qu'elles ont couronné. Tel s'eft vu rebuté des Filles de Mémoire, A qui d'autres faveurs ont difpenfé la gloire; Et le gentil Bemard, des Belles fi fêté, S'il n'eut fait que des vers, eüt été moins vanté. Les graces de la Cour s'obtiennent chez Ifmènc: Le Louvre a fes Elus qui fe font chez Climène: Nos Sages, par Doris, font meublés galamment; La fenfuelle Fglé les nourrit largement. Tout Abbé philofophe eft cher a nos A&rices: Nous avons vu G * * * donner des bénéfïces Mais je n'entreprends pas de préfenter ici Tout 1'art de la Cabale a vos yeux éclairci. On ne devine point, en courant dans le Monde, D'un art fi compliqué la doctrine profonde. Pour vous initier dans eet obfeur fecret, Allons chez M ** *, ou bien chez C * * *. le Provincial. Non. Je Vous avouerai, d'une bouche hardie, Que je fuis incrédule a 1'Encyclopédie.  Satire VI. 71 Alors qak ne rien croire on met fa vanitê, On peut me pardonner mon incrcdulité. S'il faut, pour mériter un beau brevet de Sage., Des brigues, des complots faire 1'apprentiffage, Si la Philofophie eft un art intrigant, Et le Sage a la mode un Sophifte arrogant; Je n'ai point, Dieu merci, la foi philofophique: Je ne fuis point pourvu d'un talent empirique; J'aipire a des fuccès que je puifte avouer, Et je veux qu'on m'eftime avant de me louer. Il eft, il eft encor des ames élevées, Aux fourccs de 1'honneur dès 1'enfance abreuvées: En dépit de llntrigue, il eft des Proteéteurs, Du mérite orphelin honorables Tuteurs. Nos Mufes trop long-temps ont langui fans Mécènej Mais fous Louis Augufte, on retrouve un Vergène. Deftaing, reifufcitant 1'amour des grands exploits, Du feu de fa valeur enflammera ma voix: Penthièvre, a mon génie infoirant Un faint zèle, Des plus pures vertus m'oftrira le modèle. Inftruit par d'Ormeflon, Malsherbe & Rofambo, De 1'intègre Equité je ferai mon flambeau; Et Bufton m'apprendra par quel eftor fublime De foi-même on s'élève a la publique eftime. A qui cherchc la gloire il faut de tels fecours: Voila fous quels drapeaux je veux marcher toujours» E4  72 Satire VI. La Sageffe & 1'Honneur, éclairant raes Ouvrages, Brigueront feuls, pour moi, de fi nobles fuffrages;. Er laiflant au Sophifte & cabale & proneurs , Je ferai du parti des vertus & des mceurs. Adieu. Je vous prédis (toute Mufe eft Prophéte) Que les premiers lauriers qui couvriront ma tête, N'y leront pas pofés des mains de Saint-Lambert. i'Intrigant. Et moi, je vous prédis le deftin de Gilbert (*). (*) Gilbert, bon Poëte , mott a 1'Hótel-Dicu.  SATIRE VII. Que L'homme en vains déiirs fe tourmente 8c s egare l Que, pour fuir fon repos, il prend un foin bizarre! Tant de foins cependant, fes veiiles, fes travaux, Tous fes vceux inquiets ne tendent qu'au repos. Mais quand viendra ce jour oü nous 1'entendrons dire: Enfin, repofons-nous; ce bien nous peut fufKre. Non, non, rien ne ftiffit aux vceux du cceur humain Altéré par l'ivrefte & la fièvre du gain. Tel bornoit fes déiirs a vaincre la mifère, Qu'un arnple fuperflu ne fauroit fatisfaire. Eft-on riche; on envie un fort plus opulent, L'ardeur d'accumuler croit en accumulant. Du repos défiré jamais l'inltant n'arrive; Image toujours chère, 8c toujours fugitive ! C'eft un pofte d'honneur oü 1'on doit parvcnir; Des graces qu'a la Cour on brüle d'obtenir •, On attend qu'un bon vent ramène vers la France Un navire chargé d'une riche efpérance; On veut, tendre héritier d'un oncle précieux, Avoir eu la douceur de lui fermer les yeux. Parmi ces vains projets dont votre ame s'enivre, Infenfés, vous courez après 1'inftant de vivre, 73  74 Satire VIL Sans faifir eet inftant qui vous fuit fans retour; Et toujours malheureux pour être heureux un jour» Oui, je rends grace au Ciel qui me regarda naitre; Mon cceur de fes délirs a fu fe rendre maitie. Des faux biens, que pourfuit i'avide ambition , Jeune encor, j'ai connu la folie illufion: Riche de pen , fans foins, & 1'ame fatisfaite, Jai trouve le bonheur dans mon humble retraite. C'eft Ia , qu'en des vallons de Pomone chéris, Non loin des murs bruyans du fuperbe Paris , Dans un calme profond, folitaire & tranquille, Toublie & le tumulte & 1'ennui de la Ville. Je ne regrette point tout ce pompeux fracas, Ces plaiftrs fi vantés dont on eft ft-tot las, Ces feftins fompmeux d'ou la joie eft bannie, Ces cercles oü 1'on baille en bonne Compagnie, Oü, d'un ton important, & fous un air de Cour, LTïnnui vient débiter les nouvelles du jour. Que m'importe en effet, qu'en fon aveugle andace, Un Miniftre , frappé des traits de la Difgrace, Fafle , au bruit de fa chute, enfuir tous fes flatteurs j Que nos Grands, fecondés des Avocats menteurs, Viennent, devant Thémis trop crédule au parjure'L Du Pubüc moins facile affrontant le murmure, Psyev leurs Créanciers d'un refus folennel, Et gagner, par arrêt, un opprobre éternel;  Satire VIL 75 Que nos Nymphes d'amour, par le gain échauffées, Des biens de nos Seigneurs relèvent leurs trophées: Que nos Auteurs, fi fiers de leurs petits talens, Amufent le Public, au moins a leurs dépens > O, qua ces vains objcts une ame eft peu fenfible, Qui fait goüter des champs le fpechicle paifible! Par-tout, dans ces vallons, a mes yeux enchantés * La Nature fourit Sc moftre fes beautés; Et par-tout 1c travail, fecondant la Nature, Étale les tréfors d'une riche culture. Ici, Flore Sc Vertumne , & Pomone & Palès S'uniflent de concert pour égayer Cérès. Ces cpteaux couronnés des plus rians bocages, Ces champs couverts de fruits, de verdure & d'ombrages, De ces humides prés le frais délicieux, Tout me charme , m attire & m'arrête en ces lieux. C'eft ici qu'au repos j'ai confacré ma vie i Ici ma liberté fait mon unique envie. Dans ce modefte afile ignoré des chagrins, Tous mes plaifirs font purs, tous mes jours font fereins. Souvent, aux doux rayons du jour qui vient d'éclore, Je vais, a fon réveil, faire ma cour a Flore. J'aime a voir s'élever, prés des tendres jafmins, Le Lys fier de fa tige, Sc Roi dans nos jardins; Et, parmi les buiflbns oü la rofe eft femée , Refpirer du zéphyr 1'haleine parfumée.  76 Satire VIL Quelquefois, en montant de cóteaux en cóteaux, Je vois fe déployer des bois, des champs nouveaux; L'ceil ne peut embralTer leur immenfe étendue: Au milieu du tableau, Paris n'offre a ma vue, Dans 1'efpace riant de ce libre horifon, Qu'un trifte amas de murs, une vafte prifon. Quand le Ciel plus ardent me fait défirer 1'ombre, Au lieu le plus profond d'un vallon frais & fornbre, Oü les Nymphes des eaux ont choifi leur féjour, Je brave, en fon midi, 1'aftre brulant du jour. Mille oifeaux, attirés fous ces ombres fecrètes, Viennent de leurs concerts réjouir ces retraites , Et remplir tous mes fens d'un doux ravilfemenr. Mais quel eft mon regret, dans un lieu fi charmant, D'entendre murmurer ces Naïades plaintives Contre un Tyran jaloux qui les retient captives, Emprilonrie leur courfe en d'avares canaux, Et fait languir ces prés amoureux de leurs eaux! O féjour enchanteur, aimable folitude, Quels charmes vous prêtez aux douceurs de 1'étude 2 Que ma Mufc, a Paris , fi lente a m'infpirer, Avec moi, dans ces lieux, eft prompte k s'égater! Mais déja de ces prés le féjour pacifique Calme, de jour en jour, mon aigreur fatirique; Ce Cenfeur fi facheux a tant de fots efprits, En ne les lifant plus a pardonnc a leurs écrits;  Satire VII. 77 Et , quoiqu'un vain orgueil foit l'ame d'un Poëte, Tout ce qu'on dit de moi n'a rien qui m'inquicte. La Hatpe impunément peut, fur moi, fe venger Des mépris du Public aident a 1'outrager; Et ce léger Dorat, fi gai dans fes injures, Me traiter de ferpent, fans craindre mes morfures. Autrefois, j'aurois fu, d'un vers affez maün, A leur fenfible orgueil lailTer un long chagrin; Aujourd'hui, fans humeur , j'endure leurs outrages. Qu'on vante hardiment d'impertinens ouvrages, Et que le faux Efprit, né d'un goüt dilTolu, Dans fon Louvre orgueilleux règne en maïtre abfolu; Je ne fens plus en moi cette critique audace Qui brüloit d'immoler ce Tyran du Parnafie. Mon efprit, qui fe plaït dans un fage repos, Renonce au vain honneur d'être 1'erTroi des Sots; Par d?utiles lecons ma raifon affermie, Me dcvient pour moi-même une jutte ennemie; C'eil a régler mon ame enfin que je m'inftrui, Et je mets a profït jufiqu'aux erreurs d'autrui. Voudrois-tu reifembler, me dis-je, k l'homme avide Que tu vois enrichi d'une ufure fordide ? Un jour 1'Agriculture, avec tous fes attraits, L'enflamme, & d'un argent fécond en intéréts, Raifemblant, en un tas, les fommes difperf4es, Jl acquiert a vil prix des terres délaifiees;  jS Satire VII. Il parle tout le jour de produits & d'engrais, Fair abattre un vieux bois, deflecher un marais , Et lui-même , le foir, compte, en fes bergeries, Ses longs troupeaux bêlans au retour des prairies: Mais bientot, dégoüté d'un féjour innocent, Et du repos ingrat oü dormoit fon argent, 11 vend tout; & lailfant prés, bois, champs & culture, Court, fur de bons effets, prêter a triple ufure. Serois-tu plus heureux de changer ton dertin Avec ce Parvenu fi fot & fi hautain, Qu'un ennui faftueux conftamment accompagne, Et qui traine avec lui la ville a la campagne i Son orgueil vient aux champs habitcr des palais. En vain, pour s'étourdir, il ralfemble, a grands frais, Des Chanteurs, des Bouffons la bruyante cohue; Toujours le même ennui le cqnfume & le tue. Le Bonheur ne veut point tant de fafte & de brüit: Mais il vient fréquenter mon modefte réduit; Il vient, accompagne du Repos, du Silence, De la Simplicité, la fceur de 1'Innocence. Ainfi, libre & content dans mon obfcurité. Je bénis tous les jours ma médiocrité, Qui chafie des Facheux 1'ennuyeufe vifite, L'importun Difcoüreur, lefFronté Parafite. Heureux mon humble toit, quand j'y puis recevoir Des amis qui; prefies du défir de me voir,  Satire VIL 79 Ne viennent point railler ma table un peu ruftique, Ni toucher, d'une dent dédaigneufe 8c critique, A quelque mets vulgaire a la hate apprêté! L'Amitié fait accueil a la Frugalité. Mes Convives charmés, fous un berceau champêtre, Se contentent des mets que ces champs ont fait naitre, De légumes légers fouvent redemandés, Et de fruits qu'a ma main les arbres ont cédés. Mais cependant Bacchus , père de la Franchife, Pour échaufter la Joie, a nos cotés aflife, Nous verfe abondamment ces vins qu'avec ainour Il recueille aux cóteaux oü j'ai recu le jour. La, nous ne parions point des nouvelles fecrctes, Qu'un Miniftre jamais ne confie aux Gazettes, Et nous ne craignons pas que de rraitres Valets Vendent au Délateur nos propos indifcrets. Nous ne difcourons point de procés, d'héritages, Des fpectacles du jour, des modernes ouvrages; Si Mercier, pour nous plaire, écrit trop ou trop mal-, Ou fi le beau Veftris danfe mieux qu'Auberval. Nous femons nos repas d'entretiens moins ftériles. Nous aimons a chercher des vérités utiles: Si 1'amitié, de 1'ame , eft un pur fentiment, Ou fi notre intérêt nous entraïnë en aimant; Si le fouverain bien que promet la Richelfe, Ne fe trouve en effet qu'en la feule Sagelfe -}  80 Satire VII. Et fi pour l'homme enfin il eft quelque bonheur Sans 1'amour des vernis & fans la paix du cceur. Quelquefois, du vrai beau cherchant la fource pure , Nous voyons qu'elle coule au fein de la Nature, Qu'en fuyant fon génie & fa fiinplicité, Croyant tout embellir, 1'Efprit a tout gaté. Notre ame, en ces difcours, & s'élève & s eclaire, Sages amufemens, vous feuls pouvez me plaire! Tels feront mes plaifirs dans eet heureux féjour, Tant que 1'aftre enflammé fera luire un beau jour. Quand 1'aquilon fougueux, defcendant des montagnes , Viendra de leurs attraits dépouiller les campagnes; Et que les noirs corbeaux, meftagers des hivers, De leurs croaftemens attrifteront les airs; Par les vents ennemis chafle de mon afile, J'irai, pour quelques mois, m'exiler a la ville. Mais, de ma liberté plus que jamais épris, Il n'eft lien fi fort qui m'arrête a Paris, Si-töt qu'a fon retour la première hirondelle Vient effleurer nos champs oü Zéphyr la rappelle. SATIRE  CU SATIRE V III. Oétoit pendant les jours oü les apres chaleurs Fendent Ja terre aride & font fécher les fleurs, Qu'arraché tout k coup de mon champêtre afile, Et du fein des valions tranfplanté dans la Ville, J'allois, non chez les Grands, mendier un coup-d'ceil, Ni dans 1'Académie un ennuyeux fauteuil 3 Mais défendre un Fermier qu'on pille au nom du Prince , Contre un dur Exacleur, vautour de la Province. Un fok, je parcourois ces fuperbes jardins, Jadis Ci fréquentés de nos Rois Citadins, Me plongeant fous ces bois noircis par un long age, Dans la fombre fraïcheur que nourrit leur ombrage. Le hafard a mes yeux ofTrit certain Plaifant, Ami fur, & loyal quoiqu'un pcu médifant. Du plus lom qu'il me voit, il accourt, il s'ëcrie: He, c'eft vous ! Qu'étiez-vous devenu, je vous prie ? Avez-vous fans retour abandonné Paris? Laiftez-vous le champ libre a tous nos Beaux-efprits ? On ne voit rien de vous, parelfcux que vous êtes. Je crains que de vos prés les humides retraites Ne rouillent vos talens, & eet efprit malin Que le Ciel vous donna pour mordre le Prochain. F  82 Satire V I I l C'eft dommage; on eft tufte, on a befoin de rire ; Le Siècle , Dieu merci, fournit a la Satire; Et nous méritons bien, pour prix de nos travers , Qu'on nous fafle 1'honneur de s'en moquer en vers. Vous riez : ah ! j'augure , &c ma joie en eft vive, Que la Mufe aux bons mots n'eft pas reftée oifive; Et que ce long filence enfin aura produit Quelque Ouvrage piquant, & qui fera grand bruit. Allons, lifez-le moi; je brule de 1'entendre, Et cours dans tout Paris a 1'inftant le répandre. Vous vous trompez, lui dis-je, & dans mes doux loifirs, Mon cceur moins inquiet s'eft fait d'autres plaifirs. Dans le feu du jeune age, 8c tout novice encore, Sur la fcène du Monde a peine on vient d'éclore, Tout furprend, tout nous choque 8c déplait a nos yeux; On voudroit d'autres mceurs, 8c que tout allat mieux. Ne trouvant nul profit au mal que 1'on voit faire, L'odieufe Injuftice émeut notre colère; Et fans cefle entourés de Méchans 8c de Sots, Leur afpeófc affligeant trouble notre repos. On fe fent dévoré d'une bile cauftique, Et rien n'eft a 1'abri de notre humeur critique: On croit que, par des traits, ou mordans, ou railleurs, En frondant les Humains on les rendra meilleurs; Qu'un charitable affront va convettir le vice, Corriger la fottife, effrayer 1'injuftice:  Satire VIII. 83 Mais foyez, dans vos vers, ou plaifant ou chagrin, L'un rit, latrare s'offenfe, & chacun fuit fon train. Bien fou qui prétendroit a réformer le monde! » Que m'importent les cris du Peuple qui me fronde « ! Difoit ce Magiftrat, fléau d'iniquité, Craint, abhorré de tous, & pouxtant refpe&é. » Je fais, pourfuivoit-il, qu'en fecret on m'outrage, " Que le foible a ma voix n'obéit qu'avec rage, » Qu'on frémit a mon nom, que mes jours font maudits; " Le Peuple me condamne, &z moi je m'applaudis; » Et laiflant s'exhaler fon impuiifante injute, •-> J ecrafe en fouriant ce Peuple qui murmure «. Quand la voix de i'Honneur parle en vain a des fourds, Que peuvent d'un Cenfeur les ftériles difcours > Celui que rien ne touche, agit & taille dire. Qui brave le mépris, ne craint point la Satire. Aufli, dés que les ans amènent 1'age mür, L'cfprit devient plus doux, fi le cceur eft plus dur. Pour tout autre que nous, armés d'indiftérence, Le mal qui nous épargne obtient notre indulgence: Aux mceurs qu'on cenfuroit on fait fe conformer; On fe fert des méchans au lieu. de les blamer. Si, du Monde éloigné, fous un abri paifible, On conferve un efprit aux vices moins flexible; Détaché pour jamais des mortels corrompus, On pardonne aifément a ceux qu'on ne craint plus. F z  84 Satire VIII. Il faudrok s'occuper des raéchans pour les peindre •, Il faudroit les haïr; mais il vaut mieux les plaindre. Celui que fon courage, après un long eftbrt, Loin du courant fatal, a poulfé vers le bord, Tranquille fpeótateur, affis fur le rivage, Ne fait point le procés a ceux qui font naufrage. i A u i. Vraiment, fur un fujet fi gravenjent traité , Le mielleux Condorcet neut pas mieux dilferté. Quoi> faut-il, fi le Monde eft infenfé, perfide, S'enfevelir vivant dans quelque Thébaïde , Et, nouvel Héraclite , enveloppé d'ennui, Pleurer amèrement fur les erreurs d'autrui > Le Monde, a mon avis, eft une Comédie; Chacun a s'y tromper s'intrigue & s etudie: Mais, fans y prendre un role & le mafque d'A&eurs, Laiflbns jouer la farce, & foyons fpedateurs. Ne voyons les méchans qu'au jour du ridicule; Amufons-nous des fots , & rions fans fcrupule. Car je n'approuve pas ces vaporeux Auteurs, Des maux du Genre humain fombres Calculateurs, Dont la Mufe, toujours farouche, atrabilake, Contre les mceurs du temps déclame avec colère, Et qui vont en tous lieux, d'un ceil trifte & cruel, Fureter des noirceurs pour en nourrir leur fiel.  Satire VIII. 85 Je n'aime point des vers dictés par' les Furies. I.' A U T E U R. Mais vous. Expert malin en fines railleries, Qui voulez qu'un Cenfeur, par la joie excité, Emprunte tous fes traits des mains de la Gaité, Que les Jeux & les Ris lui dictent ia Satire; De grace, oü trouvez-vous fi grand fujet de rire ? Le tableau de nos ïüceurs vous paro'it-il plaifant? Le théatre du Monde eft-il bien amufant ? De ce Siècle engourdi d'un vice léthargique, Le fidéle portrait deviendra-t-il comique ? Le ridicule égaye & prcte a 1'agrément;Mais la perverfité réfifte a I'enjouernent. Et comment plaifanter, quand la bile eft émue De tant d'objets hideux qui révoltent la vue; Quand on ne voit pat-tout que des cceurs dépravés, D'égoïfme endurcis, & de luxe cnervés; Hommes indificrens aux humaines mifètes, Croyant que tout va bien s'ils font bien leurs affaires; Citadins étrangers dans leur propre pays, Qui ne font citoyens , pères , époux, ni fils y De Fendurciftemenr fe faifant un fyftcme, Amis de tout le monde, & n'aimant rien qu'eux-même 3 Infenfibles a tout, &, d'un ceil hébété, Nous vantant en baillant leur fenfibilité ; f i  8f5 Satire VIII. Peut-on repréfenter fous des couleurs aimables Des travers odieux & des mceurs fi coupables; Du perfide intérêt tous les crimes divers; Les Pauvres corrompus, & les Riches pervers; Tous a s'entre-piller travaillant fans relache; Le PuiiTant vil & dur, le Foible vil & lache; Ceux-la voleurs titrés & juftement haïs; Ceux-ci ffipons obfcurs, a bon droir avilis; Et, dans ce noir conflit d'une guerre inteftine,' Chacun de fon voifin confpirant la ruine ? Mais ici, vous peindrai-je en un portrait badin Les nöirs origtnaux qu'aflemble ce jardinï Cet homme fi riant, dans la derniêre guerre, A vendu fa Patrie a 1'or de 1'Angleterre. Comment aux grands honneurs cet autre eft-il monté? Par un Gouvernement qu'il a feul dévafté. Ce Seigneur, dont 1'efprit dement peu la figure 1 A changé fon palais en un bureau d'ufure; L'autre, par un emprunt affiché dans Paris, De mille créanciers emporre les débris; Celui-ci, pour ravir une fille a fa mère, Du chceur de 1'Opéra lui fait un fanctnaire; Celui-la, trop gêné dans fes plaifirs jaloux, N'a point fait enlever la femme, mais 1'époux: Ce père, accufateur de fa race profcrite, Nourrit a Charenton le fils dont il hérke.  Satire VIII. 87 Plus loin.... Mais dans ce lieu peuplé d'honnêtes gens , Donc 1'oreille efpionne eft ouverte en tout temps, Peut-être on nous écoute , & je crains d'en trcp dire : Enfin, oü trouve\-yous fi grand fujet de rire? l' A m 1. Par-tout; car un objet vu fous different jour, Nous paroit bien fouvent trifte ou gai tour a tour. Plus d'un monftre effroyable a fon afpecl grotcfque: On peut trouver a tout une face burlefque; Et Calot, cgayant les fujets férieux, Même en peignant le Diable, a réjoui nos yeux. Les Ris 8c les Amours ont vu filer Hercule. Il n'eft point de méchant qui n'ait fon ridicule. Cet homme, dont le cceur, armé d'un triple airain, A chaffé pour jamais tout fentiment humain, Qui ne voit que lui feul digne en tout de lui plaire, Dans votre ame indignée allume la colère : Moi, je veux qu'il m'amufe encore a fes dépens. Je perce jufqu'^ lui dans fes fallons brillans, Oü des glacés par-tout la furface argentée Offre fa chère image a fes yeux répétée. De portraits merveilleux fes lambris font couverts , Qui ne montrent que lui fous vingt afpects divers. Aux pieds d'une ftatue il eft prefque en prière: Dans ce marbre orgueilleux fon amc eft toute entière. f4  88 Satire VIII. Si ce marbre marchoit, parloit Sc refpiroit, Ce feroit encor lui; chacun s'y tromperoit. Aveugle aux traits de 1'art, il n'y voit que lui-même; C'eft lui qu'en ce chef-d'ceuvre il admire & qu'il aime. Cet autre . . . , . Ainfi, grace aux travers de la folie humaine, Le méchant ridicule a confolé la haine. Par la faveur du Ciel qui fe déclare ainfi, Le cceur d'un fcélérat, aux remords endurci, Aux traits du chatiment fouvent inacceifible, Dans fon orgueil blefte peut être encor fenfible. Tel, contre fes forfaits, fans en être irrité, Laifle parler tout haut la dure Vérité, Et craint d'un mot plaifant la fine raillerie: Il veut bien qu'on fe plaigne, & non pas que 1'on ne. La haine injurieufe, au lieu de 1'émouvoir, Attefte a fon orgueil 1'éclat de fon pouvoir; Mais les traits des Railleurs lui prouvent fa fottife: Il fouffre qui le hait, & non qui le méprife. Écoutez un récit qui vient a mon propos. Bertrand, finge éloquent, mais difeur de bons mots,  Satire VIII. 89 Eloquent pat étude, & rrtalin par nature, Sous le nom d'Orateur, fe vit, par aventure, a la Cour d'un vieux Tigre, avec honneur, admis, Comme autrefois Platon chez le Tyran Denis; Ou bien , comme naguère, en quelque Cour fauvage, Plus d'un Fou philofophe a contrefait le Sage. Bertrand, témoin contrit des horribles excès Dont le monftre royal s'enivre en fon palais , Ne put tenir la bride a fa fainte éloquence -, Dans cette Cour de fang il prêcha la clémence. Les laches Courtifans blamoient fa liberté; Ils traitoient la Vertu de lèze-Majefté. Sa Majefté tigrefTe, en achevant de boire Le fang qui ruiffèloit le long de fa machoire, Leur dit : Faifons toujours, & lailïbns-le crier : Berttand eft Orateur, Bertrand fait fon métier. Mais un jour, oubliant 1'Eloquence & la Chaire , Notre finge un moment reprit fon caraótère: Il contrefit fi bien une contorfion, Des plaifirs du vieux monftre affreufe expreftlon, Qu'avant de réfléchir fur le courroux du Sire, Toute la Cour partit d'un grand éclat de rire. Le Roi, fi plaifammcnt par le finge imité, Rcconnut fa laideur & fa di'fformité: Des horreurs de fa vie il n'avoit nul fcrupule; Mais il ne put fouffrir de fe voir ridicule.  90 Satire VIII. Sous fa griffe d'acier notre tailleur fut pris, Puis écorché tout vif aux yeux des Favoris. e' A u t e u R. De cet exemple enfin que voulez-vous conclu l' A m i. Que le vice eft fouvent infenfible a linjore} Mais que du ridicule il craint les traits percans. l' A v t e u R. Et moi, de ce récit, par un plus jufte fens, Je conclus que, parmi des tigres en furie , Rien n'eft plus infenfé que la plaifanterie. Pour éviter le fort du finge imitateur, Je retourne a mes bois : adieu donc; ferviteur.  SATIRE IX. P A L I N O D I E. Quel nouveau Siècle fe prépare, Fécond en prodiges divers ! Notre poétique Univers Dans les ruines fe répare, Et des eaux du Permelfe avare Tous les rréfors vont être ouverts. Déjjt, par-tout fur le Parnalfe, Fourmille une nouvelle race De grands Hommes, tout frais éclos, Qui tous vont envahir la place De ceux que la Parque vorace Accumule en fes noirs enclos. Ceftbns notre deuil littéraire; Tout notre mal eft réparé: Car, fuivant 1'Oracle vulgaire, La Harpe même, fur la terre, Vaut mieux que Voltaire enterré. Loin de 1'obfcurité plénière Qui couvrit long-temps fa carrière, L'Abbé Raynal, tout radieux, 91  92 S'élance, & répand la lumicre A la place des Montefquieux. Mais ce Phaéton témérairc, Dans fon délire audacieux, Et dans fa courfe incendiaire, Allume la foudre des Cienx Et celie des Dieux de Ia Terre; Et bientot ce guide infenfé, Frappé d'un doublé trait, chancelle» Et va, fous fon chat fracafle, Tomber aux marais de Bruxelle» Ne crois pas, vertueux Rouifeau, Que nous regrettions ton génie: Sous ta cendre , au fond du tombeau, En vain 1'Eloquence bannie A caché fon divin flambeau. Rien n'eft perdu, Mercier nous refte; Infatigable Profateur, Qui préfente, d'un air modefte, Son Bonnet de nuït au Leóteur. D'Alembert, qui charmoit la France De fon tendre & moelleux fauifet, Laifle-t~il pas fon éloquence En futvivance a C *** ? Et, puifqu'on dit que la folie Des grands talens eft le vrai lot. Satire IX.  Satire IX. Qui jamais eut plus de génie Et de talens que Diderot ? En tous lieux, FEncyclopédie, Fiére de fa profe hardie, Élève pour fes Harangueurs Et des treteaux , Sc des tribunes; Le Mercure a fes Orateurs, Et c'eft la Chambre des Communes Des apprentifs Déclamateurs. La, nous voyons, chaque femainc , Ces écoliers, déja Doóteurs, Réformer la Nature humaine, Fronder tous nos Légiflateurs: Grands Miniftres , grands Capitaines,, Richelieux, dAgueftèaux, Turennes, Humiliez-vous, Ombres vaines, Devant ces fiers Réformateurs! Dérobons a la Parque obfcure. De ces fuperbes Détraéteurs, Les noms enterrés au Mercure; Et ne louons pas a regret Cretelle , Garat Sc Mallet. Gloire en tous lieux, gloire immortelle A Garat, Mallet Sc Cretelle ! Et vive le Triumvirat De Mallet, Cretelle Sc Garat! 93  Satire IX. Qui voudroit compter les richefles De notre moderne Helicon, Comptetoit plutót les prouefles De ce Galant déja batbon, Qui, pour fon ufage, dit-on , N'entretient que fix cents Maitrefles. Combien de nouveaux Inventeurs D'anciens rêves politiques, D'Hiftoriens dilfertateurs, De Maimbourg grands imitateurs, Et, comme lui, très-véridiques; Ou bien de nos vieilles Chroniques Très-patiens Compilateurs, Répétant, d'après cent Auteurs , Des vétilles bien authentiques A leurs impatiens Leéteurs ? Qui peut nombrer les Moraliftes , Direóteurs Encyclopédiftes, Miflionnaires pleins de feu, Qui, tous, ou Profes, ou Novices, Afin de mieux guérir nos vices, Nous prêchent qu'il n'eft plus de Dieu ? A cette Morale facile, Le Sexe, autrefois indocile, Soumet a préfent fa raifon: Le Siècle, en grands Hommes fertile, 94  Satire IX. N'eut a compter qu'une Ninon, Et nous en comptons plus de mille. Aujourd'hui la Cour & la Ville, Et les Cercles, Sc les Boudoirs , Et les Bureaux, & les Comptoirs, Fourmillent de ces Afpafies, Philofophes très-accomplies, Et fages même, j'y confens, Quand elles ne font plus jolies, Et qu'on n'attaque plus leurs fens. Mais tout a. coup, je ne fais comme, Elles deviennent grands Doóteurs, Auteurs, Gouverneurs, Précepteurs; Et, pour dire le tout en fomme, De quelque nom par-tout ailleurs Qu'une honnête femme fe nomme, Chez nous le Sexe a d'autres mceurs, Et toute femme eft honnête homme. Tout beau ! De ces hommes de bien Craignons d'éveiller la furie: Un honnête homme , j'en convien , Sait entendre la raillerie; Mais le beau Sexe nemend rien: Un bon mot le piqué & 1'offenfe; Philofophe avec aflurance Quand il fe livre a fes déiïrs, 95  Satire IX. S'il eft homme pour les plaifirs , Il eft femme pour la vengeance. De tant de langues & de cris, N'excitons pas, dans nos écrits, L'impétueufe intolérance, Et revenons aux Beaux-efprits. O grand prodige de notre age I Oui, j'ai vu briller, parmi nous, Virgile en moderne équipage ; Il avoit notre ton, nos gouts, Notre efprit & notre langage. Pour plaire a ce Siècle charmant, Se dépouillant en homme habile De tout fon antique ornement, Il s'habilloit plus galamment Chez les Fripiers du nouveau ftyle ; Et fe couvroit modeftement Dü mafque de 1'Abbé Delile. Mais hélas ! lorfque des Jardins Parut, un jour, le froid Ouvrage, Tout honteux de fon perfonnage, Et d'efluyer mille dédains, Il jette un mafque qui 1'outrage, Et court au Léthé promptement Se décraflet entièrement Des traces d'un fi laid vifage. En 96  Satire IX. En fuyant, lc Chantre Romain Trouva, dit-on, fur fon chemin, Ovide évoqué par Saint-Ange (*): Lui ferrant triftement la main, ll lui dit: L'audace eft étrange De tous ces Traducleurs Francois! Celui-ci, dans fes vers en profe, Changeant vos plus aimables traits, O la belle métamorphofe! Vous a donné fon air niais. Confolons-nous de la difgrace Des Traducleurs Collégiaux; Vains Copiftes, cédez la place A tous nos francs Originaux. Car, aujourd'hui que le génie Brille chez nous de toute part, Quel abus , quelle ignominie De fuivre les Maitres de 1'Art! Tous cherchent des routes nouvelles; Tous veulent être créateurs, Et nous préfentent des modèles Qui n auronr point d'imitateurs. Innover, tel eft Tart fuprcme; Chacun, batilfant un fyftême, (*) M. Saint-Ange a déja traduit en vers les trois premiers Livres des Méumorphofis d'Ovi.fe. - G 97  Satire IX. Ne fuit d autre gout que le fien, Fier de ne reflembler a rien, Pour ne reflembler qua lui-même. Ainfi le Chantre des Saifons, Dans fon délire pacifique, Ne doit qu a lui les nouveaux fons De fa lyre philofophique, Et le charme foporifique De fes do&orales Chanfons, Et cette grave Poéfie Qui piait fi fort a la Ruffie, Et va fleurir chez les Lapons. Ainfi, malgré la vaine attaque Des Critiques préfomptueux, Le Poëte du Zodiaque (*), Ce Novateur impétueux j Renverfe les bornes timides Qu oppofe aux Rimeurs intrépides L'Art facré du doóte coteau. Dans le noble orgueil qui lamme, Il rit du goüt pufillanime Et de Racine, & de Boileau, Et crée un langage nouveau, Digne de fon nouveau fublime. (*) L'Auteur du Poeme des Mois. 98  Satire IX. A fon Poëme ambitieux Qu importe 1 ennui du Vulgaire ? Sans doute un Public dédaigneux, Sur des vers trop beaux pour lui plaire> A, dés long-temps , ferme les yeux: Mais la Poftérité, plus jufte, Ira, dans le Temple des Arts , Le venger, en placant fon bufte Auprès du monument augufte Des Dubartas & des Ronfards. O vous qui, de nos fix Théatres „ Très-bénévoles amateurs, Et fpectateurs opiniatres, Jugez tour a tour des, Acteurs, Et des Pièces, & des Auteurs De tout genre & de tous étages, Étalez-nous les avantages Des Dramaturges novateurs. De nos tragiques Pantomimes Admirez les inventions; L'amour, les vengeances, les crimes Qui raifonnent fans palTions; Les belles décorations, Au lieu des fentimens fublimesj Les horreurs fans émotions, Et le pathétique en maximes. G i 99  ioo Satire IX. Parrni cent Rivaux orgueilleux, Tytans du tragique domaine , Ducis léve un front fourcilleux , Écarté la troupe hautaine, Et, déployant fes bras nerveux, Saint 3 terralfe Melpomène, L'enchaïne avec de doublés nceuds (*), Et la violant a nos yeux, Prétend confoler cette Reine, Veuve de trois Epoux fameux (**), Et pleurant encor fur la fcène Un Favori (***), qui cependant La maltraitoit alfez fouvent. Mais quelle autre Veuve en pleureufes, La larme a 1'ceil, & 1'air dolent, Pouflant des plaintes doucereufes, S'avance d'un pas nonchalant: Sur des échalTes exhaulfée, Pour afFeóter plus de grandeur, A fa fuite elle raène en chceur Tous les batards de la ChaulTée. Sous ce lugubre accoütrement Qui peut reconnoïtre Thalie J (*) Alludon aux doublés intrigues des Pièces dc cet Auteur. (**) Corneille , Raciae , Crébilloii. (***) Voltaire.  Satire IX. Qu'eft devenu fon enjouement, Son aimable & douce folie, Qui méloit, avec agrément, Le ton naïf au fentiment, Et la raifon a la faillie; Sans apprêt, fans riche ornement, Elle n'étoit que plus jolie: Mais aujourd'hui quel changement l Livrée a la mélancolie , Le front ridé, hoire & vieillie , Elle nous prêche triftement; Ou , d'une mine recueillie , Analyfe le fentiment; De fa Doctrine enorgueillic, Prodigue le raifonnement; Et tombe enfin d'épuifement Dans les vapeurs enfevehc. En vain ce monftre contrefait A la trifteflè nous condamne; Que fert un frivole regret: Si nous avons perdu Grcflet, Et la Mufe du Métromanc, Francois, n'avons-nous pas Jeannot ? N'avons-nous pas Ariftophane, Térence, & Molière en un mot, Relfufcités dans Paiiflb:? ioi G 3  102 {*) La Rhodéide , Poeïne épique de M. Rotirhcr. (**) La Pétréide , Pocme épique de M. Thomas, Satire IX. Vous qui plaignez notre indigenee^ Voyez les nouveaux rejetons Qui croiflent aux faerés vallons : Quels grands hommes en efpérance! Combien de fublimes talens Pont on promet déja 1'aurore ! Que de Poëmes excellens Dont les vers font a faire encore! Chaque chef-d'ceuvre , avant d'éclore, Comme une éclipfe eft annoncé: On nous prédit la Rhodéide (*); On nous prédit la Pétréide (**) \ Et Bfébeuf fera furpafte. Tous les jours, nouvelle promefle De quelques prodiges nouveaux., Dont on fatigue les échos Des antres voifins du Permefle.' ' Le Romain, dont les fiers pinceaux Ornèrent de riches tableaux Les vains fyftêmes d'Epicure, Reftoit parmi nous fans rivauxj Ce Poëte de la Nature Va trouver enfin des égaux.  Satire IX. Ce n'eft point parmi les retraites Des Nymphes amantes des bois; Ce n'eft point aux routes fecrètes Dont le bonheur même a fait choix, Que nos Philofophes Poé'tes Vont confulter les interprètes De la Nature & de fes Loix. C'eft dans le féjour des Lntrigues, Parmi le tumulte des brigues, Qu'ils courent entendre fa voix ; C'eft dans 1'anti-chambre fervüe D'un millionaire imbécile Qu'ils vont épier fon feeret; C'eft aux boudoirs de nos Actrices, Des Arts nouvelles proteétrices Qu'ils vont la prendre fur le fait; Enfin, c'eft dans la fauge impure De notse luxe &c de nos mceurs, Qu'ils puifent les belles couleurs Dont ils vont peindre la Nature. Je fuis confus, en vérité, Quand j'entends des Cenfeurs auftèrea Crier avec témérité, Que nos domaines littéraires Sont frappés de ftérilité. Taifez-voiiSj indifciets Zoïles; G4 103  1 Satire IX. Quels Siècles a-t-on vu jamais En gros volumes fi fertilesJ Que de Compilateurs utiles Vendent la Science au rabais! Combien de méthodes faciles Pour tout apprendre par exrraits. Que d'importans DiéHonnaires 1 Que de Docteurs Abécédaires! Quels yeux couverts d'un voile épais Pourroient nier tant de lumières, Tant de raifon, tant de progrès> En quel temps eut-on 1'avantage De voir fourmiller dans Paris Plus de Savans, de grands Efprits Et de tout rang, & de tout age ? On trouve chez nos Courtifans Des penfeurs & des Moraliftes; Nos grands Seigneurs font Alchymiftes, Et nos Marquis font partifans De nos profonds Économiftes; Nos Ouvriers , nos Artifans Sont politiques nouvelliftes; * Nos Financiers font bons plaifans, Nos Laquais Encyclopédiftes. Le Bel-efprit règne par-tout. Le Louvre a fes Académies, ÏO4  Satire IX, Tout Paris a fes coteries, Oü 1'efprit feul tient le haut bout; Et, malgré ce que dit 1'Envic, On peut, une fois en la vie, Y trouver un homme de gout. Que dirons-nous de ces Mufées Par les Mufes inhabités, Mais aflidument fréquentés De Précieufes empefées, De Charlatans décrédités, De Savantes tympanifées, Et de Poëtes maltraités; C'eft la que des Ecrivains blêmes Lifcnt toujours, avec fuccès, Ou de la profe, ou des Poëmes, Que le Public ne lit jamais. Ceft a ces bourgeoifes féances Qu'on voit préfider gravement Des Connoiffeurs fans ccnnoiflTances, Bcaux-cfprits par abonnement, Du jargon des hautes Sciences Endoctrmés légèrement, Et retirant de leurs lumières Même avantage & même fruit, Qu'un Aveugle des réverbères Pour fe guider durant la nuit. I05  io6 Satire IX. De quel cóté jeter Ia vue, En quel endroit porrer fes pas, Sans rencontre? une recrue D'Auteurs titrés, d'Auteurs pieds-pkts. Et des Rimeurs de tous états ï Vais-je implorer Ie miniftère D'un homme puiflant en crédit? Je lui parle de mon affaire; Et lui, fans m'écouter, me dit Quelque Chanfon qu'il vient de faire. Celui-ci, nouveau Magiftrat, Prenant Dorat pour fon Barthoïe, Devient bientot, a cette ecole, D apprentif Juge , un maïtre fat. Cet autre, galant Militaire , Sous les Courtines de Vénus Fait fes exercices de guerre , Célèbre en jolis im-promptus Les combats qu'il livre a Cythère; Et boit gaiment d'excellens vins A Ia fanté de nos Marins Qui battront un jour l'AngIeterre> Tandis que ce Rimeur macon Perd fon temps aux vers qu'il martéle3 Il lailfe tomber fa maifon Faute d'y mettre fa trueüe.  Satire ï X. Mon Tailleur me gate un habit Dans un délire pindarique. Monfieur Figaro m'étourdit D'un Opéra vraiment comique , Dont il fredonne les refrains, Et dont il a fait la mufiqué. Et ce Marchand, dans fa boutique; Aunant des vers alexandrins, Médite un dénouement tragique; Ou fes Courtauds battront des mains Si j'effayois de vous décrire Tout ce menu Peuple écrivain, Quand j'aurois une voix d'airain, Ma voix n'y pourroit pas fuffire. Adieu, Meflienrs les Beaux-efprits Soyez toujours, par vos écrits, La gloire de votre Patrie; Du Dieu du goüt & du génie Soyez toujours les favoris. Si quelque efprit un peu cauftique Ofoit douter de vos fuccès, Criez au Monftre, au Satirique , Et prouvez bien qu'un bon Critique Ne fauroit être un bon Francois, On peut tolérer la fottife, Le libertinage efftonté, (07  ioS Satire IX, La iicence & 1'impiété; Mais un Cenfeur, dont la franchife Démafque 8c plaifante a fon gré Le mauvais gout & 1'ignorance, Dans ce Siècle de tolérance Ne peut pas être toléré. Tout ennemi de vos Ouvrages Eft un ennemi de 1'État; C'eft par des vengeances d'éclat Qu'il faut laver de tels outrages. Il faut, par une grave Loi, Lui défendre & jamais de rire, Lui commander, de par le Roi, Que fans réferve il vous admire, Et le condamner même a lire Tous les Drames de Durofoi. Fin des Satires,  LES PERSIFLEURS 3P E XL S X F 3U É $ 0 DIALOGUJE DRAM ATI QUE.  HO 1NTERL0CUTEURS. Monfieur BEAUFRIN & Madame BEAUFRIN. Monfieur & Madame PINCENET. Le Chevalier DE RUELLES. Le Marquis DES OLIVETTES. ROSALIE, Femme de chambre de Madame BeAufrin. V "V : \ ' X \ f. n '\ A JULIE, Amie de Rofalie. Un. Domeftique.  LES PERSIFLEURS PERSIFLÉS3 DIALOGUE DRAMATIQUE. SCÈNE PREMIÈRE. Madame BEAUFRIN, rosalie. Madame Beaufrin {fe menara a fa toilette ). , Je fuis aujourd'hui d'un fombrc défolant. R o s a l i e. Quel eft donc, Madame, ce grand chagrin qui vous iéveille a midi, & qui vous pourfuit a votre toilette? Madame Beaufrin. N'eft-ce pas une afflicnon réclle d'avoir un mari aufli jpeu ufagé que M. Beaufrin , qui me fait cveiller au  112 LES PeRSIFLEURS beau milieu d'un fonge délicieux, pour me demander un encretien qui fera fans doute bien vaporeux ï R o s a l i e. Et quel temps voulez-yous qu'il prenne pour vous entretenir ? Monfieur dine , & vous ne dinez point; Monfieur ne foupe poinr, & vous foupez. Sa nuit eft prefquejinie quand vous rentrez pour vous coucher; & fouvent il eft fur le point de fe mettre au lit quand vous vous levez. Encore faut-il bien qu'il puifte quelquefois trouver fa femme chez lui. Madame. Beauerin. Hé, que ne fe met-il au même courant que moi? Que ne vit-il comme tout le monde, au lieu de végéter dans la vie bourgeoife qu'on menoit il y a cent ans ? J'ai voulu le former, le jeter dans la bonne compagnie, le mettre au niveau des gens du meilleur ton; peines perdues. Le pauvre M. Beaufrin s'eft tellement rouillé dans fon commerce & dans fes voyages fur mer, que je n'ai pu parvenir a 1'éduquer. N'eft-ce pas lui qui veut me donner des lecons ? Je gage qu'il va m'aifommer encore de fes propos de 1'autre Monde : mais enfin il a le droir de m'ennuyer, puifqu'il eft men mari. — Pour éclaircir le noir horrible dont cette idéé obfeurcit mon efprit, Rofalie, donnez-moi mes billets du matin. N'y a-t-il pas une lettre ^u £kSY,aljer ^ i rtb jna'nWoiq s) »;-r> iaoHfoimp ai Rosalie,  PERSIFLÉS. lij R o s a l i e. Oui, Madame, la voici fur votre toilette. Madame Beaufrin. Il y a trois mortels jours que je ne 1'ai vu. Seroit-il encore la-bas ? R o s a l i e. Oü, la-bas ? Madame Beaufrin. A la Cour, oü il eft cn grande faveur a caufe de fon mérite. R o s a l i e. Ah ! ah ! la-bas veut dire la Cour. Il faut que je Fécrive fur mon répertoire. Madame Beaufrin. Qu'eft-ce que c'eft que votre répertoire, Mademoifelle; R o s a l i e. Ce font des tablettes oü j eens certains mots dont vous vous fervez fouvent, &que je n'entends guère. J'y mets a cöté 1'explication en langue vulgaire, & j'y ai recours dans le befoin. Par exemple, je n'oubliai pas hier d'écrire fur mes rablettes, que le mois d'Aoüt s'appeloit, chez vous, le mois A'Augufte, & que, lorique vous parliez d'une impajfe, il falloit entendre un cul-de-fac. Madame Beaufrin. Cela eft fort bien. Peu a peu vous vous inftruircz ainfi des exprcffions qui fe promènent dans le beau monde, H  114 les Persifleurs & qui ont chafle de la converfation des honnêtes gens les termes populaires qui courent les rues. Tenez, lifez cette Lettre du Chevalier; vous verrez ce que c'eft qu'un ftyle qui a le bon ton. R o s a l i e. Voyons. Je trouverai la-dedans de quoi enrichir mon répertoire. ( Elle fe la Lettre. ) Je fuis au plus mal avec moi, Madame , quand je » fuis loin de vous. J'arrive de la-bas au grand galop. » Comme les Poftillons alloient trop lentement au gré » de mon impatience, j'en ai prefque tué deux ou trois » pour leur apprendre a vivre. Il n'auroit tenu qu a moi » de tourner cinq ou fix têtes de femmes des plus hupées » de la Cour, & dont on cite la figure : mais je n'aime » plus tout ce tracas d'intrigues a nouer, de rupturcs a » filer, de raviflantes petites perfidies a efluyer, & tous „ ces amour-propres de femmes a mener de front. Nous » allons reprendre le courant de nos converfations fi » piquantes, & de nos petits foupers fi diyins. J'ai fait » avertir le Marquis de fe trouver aujourd'hui chez vous » avec la merveilleufe Madame Pincenet. Que de gaité! » que de faillies ! que de folies exquifes ! Je ne finis pas, „ je vous impatiente, je vous ennuye; & pour ne pas » vous déplaire tout de bon, je me dépêche de me dire » votre Serviteur a toute épreuve, .» Le Chevalier de Ruelles «.  PERSIFLÉS. I15 Madame Beaufrin ( reprenant la Lettre). Hé bien ! cela n'a-t-il pas un tour aifé & cavalier ? R o s a l i e. Oh ! tout-a- fait. J'aime fur-tout ces Poftillons qu'il faut tuer pour leur apprendre a vivre. Madame Beaufrin. Très-gai, très-plaifant! R o s a l 1 e. Et tous ces amour - propres de femmes a mener de front; cela ne fait-il pas un bel attelage ? Madame Beaufrin. Charmant! Je vois, Rofalie, que vous avez un goüt naturel pour les chofes d'efprit. Je veux faire de vous une connoifieufe & Une amatrice. R o s a l 1 e. Voici M. Beaufrin •, demandez-lui fon avis fur la Lettre du Chevalicr. Madame Beaufrin. . Bon. Son efprit n'eft pas de force a y rien comprendre. H z  Il6 les Plrsifleurs SCÈNE II. Monfieur & Madame BEAUFRIN, ROSALIE. (la toïlette continue.) Vous voyez, Madame, que je me conduis en mari qui fait vivre. J'ai attendu jufqu'au milieu du jour qu'il füt demi-jour chez vous, &c je me fuis fait annoncer pour vous préparer a ma vilite. 3t hncup ..toxri/iii n3 -win nol j!> oIIjj i'b aingEqmoi Madame Beaufrin. ,^3rli> dove moq , olmq t>i ,imoq lui oaoj e kiijoqo vzuov Ou'avez-vous donc, Monfieur, de li important a me inp aiofio time 331101 ao jecjlooo z uip orjgrxEïio anti ïom communiquer ? M. Beau fW" ')h * lom ab Pour abréger le cérémonial, je vous dirai franchement que je né m'accoutume point k votre manière de. Yfyre. Madame Beaufrin. Ne 1'avois-je pas dit que 1'éternel fermon alloit re- commencer: . sap zioisqKi zicrn ;rioM M. Beaufrin. oa 3[ jo i dtuov • cl eiioi3i.<«J3ji3of -'cqi 3up j iicm sxioy Je nc prêche point, Madame ; je parle raifon. H311C Ut 2J,P «'Madame Beaufrin. - ™H M»pir Votre raifon n'eft point la miemie, Dieu merci.  PERSIFLÉS. I17 M. Beaufrin. Ma foi , je crois que la mienne eft la bonne; & j'en ai pour garans tous les gens fenfés, qui fe moquent fort des tons que vous prenez avec moi. Madame Beaufrin. Vos gens fenfés ne connoiifent guère les tons de Ia bonne compagnie. Rofalie , donnez a cette bouclé un tour plus gracieux. M. Beaufrin. La bonne compagnie L vous n'avez que ce mot a Iz bouche. Sachez que pour une honnête femme la bonne compagnie eft celle de fon mari. En un mot, quand je vous époufai, ce ne fut point, je penfe, pour avoir chez moi une etrahgère qui s'occupat de toute autre chofe que de moi & de ma maifon. Madame Beaufrin. Monfieur, apparemment, vouloit faire de moi fa ménagère. ( d Rofalie ) Mes plumes. M. Beaufrin. Non; mais j'efpérois que vous ne rougiriez point iz votre mari; que ma fociété feroit la votre; & je ne m'attendois pas que mes amis vcnant me voir, & ne vous voyant jamais, me diroient tous les jours que je.fuisrefté garcon en me mariant, H 5  IlB les Persifleurs Madame Beaufrin. Pourquoi mes amis ne font-ils pas les vötres ? Leur compagnie ne vaut-elle pas bieri celle de vos Bourgeois? ( a Rofalie ) Mes diamans. M. Beaufrin. Qu'eft-ce a dire, Madame ? êtes-vous autre chofe que la rille d'un Bourgeois ? 3c paree que mon bien vous met en état de prendre ces grands airs, croyez-vous être devenue femme de qualité ? Madame Beaufrin. iDiiloig amgiuv ai vwp mctipj nu :Mlv»p JïjWii&w tjbóioat He , mon Dieu, non, M. Beaufrin : mais j'ai repare l'injuftice du fort par la noblefle de mes manières, par le poli de Fufage, & la facon que j'ai donnée a mon efprit. Par-la je fuis lorrie de la fphère obfeure de votre condition bcurgeoife, & j'ai acquis dans le monde une confidération plus féduifante que ces égards de préjugé dont on gratifie les gens de qualiré. «uróflco BlADfRIH-,,,i.,'J1kioa'" Cela eft bel & bon; mais favez-vöus comment on vous eonfidère'dans le monde? Excepté deux ou trois précieufes renfcRses, & quelques impertinens Beaux-efprits qui vous ont denné lëiu's ridicules, Sc qui les applaudifierif cn vous, il n'eft perfonne a qui vous n'apprêtiez a rire par vos prétentions, votre bon ton & vos belles  PERSIFLÉS. 119 manières, qu'on nomme tout fimplement minauderies 8c jargon. On dit que votre afteótation a imiter les airs des gens du grand monde, n'eft qu'une lingerie, & que vous ctes, vous & vos amis, d'aflez mauvaifcs copies d'originaux qui ne valent pas grand'chofc. Par excmple, vous avez la fureur de ne vous coucher que le matin , paree que c'eft-la le bel ufage, & que vous aimez mieux vous ennuyer la nuk que le jour. Un matin, je voulus favoir pour quelles occupations fi intéreftantes votre Madame Pincenet étoit demeurée avec vous pendant la nuk: j'étois curieux de voir comment deux femmes du bon ton favoient mettre a profit un temps que le vulgaire groflier laiffe perdie dans le fommeil. J'entrai tout doucement dans votre cabinet, & je vous trouvai chacune dans un grand fauteuil, ou vous vous amufiez a dormir profondement. R o s a l i e. C'étoit pour varier la converfation. Madame Beaufrin. Rofalie, donnez moi le Journal de Paris. Continucz toujours, Monfieur, continuez. ( Elle lit). M. Beaufrin. Qui, Madame, je continuerai; & pour fixer un peu votre attention, je vous parlerai de ce Chevalier 8c de ce Marquis , tous deux de naifiance fort bourgeoife, & anoblis H4  120 LES PERSIF~LEURS par licence poérique, qui viennent tenir chez moi bureau de fottife & de fatuité. Teut le monde, hormi vous , convient que jamais le ridicule du faux Bel-efprit ne fut poulTé plus loin que par ces deux Meilieurs. Leur ton précieux, leur jargon entortillé qu'ils nomment perfiflage, les fait par-tout montrcr au doigt comme des modèles parfaits d'irnpertinence. Leurs petits vers familiers a de jolies femmes qu'ils n'ont jamais vues, leur ont attiré mille brocards, & quclque chofe de pis. Témoin cette Comteüc qui depuis peu les a menacés Madame Beaufrin. Tenez, Rofalie, lifez ces vers; ils font d'une tournure tout-a-fait galante. R o s a l i e. Monfieur , écoutez cette petite galanterie de M. Ié Chevalier: liuwfÖ^lwSid Mon pauvre coeur, ma pauvre tète Sont tous deux faits du même bois. torn sb 'nuporri 3) -if nsitj nri olbup loiulq ?a(1 M. Beaufrin (fetant le Journal par terrein pYmq • Hé, va te promener avec tes baliverncs. Enfin/Madame, puifque vous faites fi peu de cas de mes difcours, je vous avertis que jc ra'y prendrai d'une autre manière. Je ne fouffrirai pcuit que ces deux écervelés achèvent de vous tourrc: la réte & de vous gatcr 1'efprit; & je faurai leur ótcr 1'envie de revenir dans ma maifon.  PERSIFLÉS, 121 Mad. Beaufrin (fe levant de fa toilette). Monfieur a-t-il tout dit \ M. Beaufrin. Oui, Madame, & vous verrez 1'effet de mes paroles. Madame Beaufrin (fortant & faifant une profonde révérence). J'ai rhonneur d'etre votre très-humble fervante, SCÈNE III. M. BEAUFRIN, ROSALIE. R o s a l i e. Vous avez la, Monfieur, une femme bien foumife 8c bien refpeótueufe. M. Beaufrin. Dis plutöt qu'elle fait bien de fe moquer de moi, puifqne j'ai la fottife de le fouffrir •, mais je t'avouc que je 1'aime maigré tous fes travers. Je voudrois la guérir par la raifon, & la ramener par la douceur. R o s a l i e. Monfieur, lorfqu'une fois la tête d'une femme s'cft tournee vers une folie, il eft bien dimcile de la retouxner vers la raifon.  122 LES PERSIFLEURS M. Beaufrin. Dis-mor, as-tu fongé au tour que tu m'avois promis de jouer au Chevalier Sc au Marquis pour les chaffer honnêternent de chez moi ï R o s a l i e. J'ai tout concerté, Sc ce jour même, je compte bien me donner la comédie a leurs dépens. M. Beaufrin. Dés aujourd'hui? R o s a i i e. Dès aujourd'hui. Le Chevalier a écrit ce matin k Madame, qu'il viendroit pafler ici la foirée avec le Marquis Sc Madame Pincenet. Avant qu'il foit peu, j'irai mettre en ceuvre les batteries que j'ai dreifées. M. Beaufrin. Es-tu bien aflurée du fuccès? 'fi li-J-suov -in : -j!&> £\ jjJ. j£* j)ig# o(. .naid i-jluaq zuov N'ayez la-denus aucune inquiétude. J'ai une Julie de mes amies, fïlle d'efprit & de bon fens, qui jouera a merveille le róle de Comtenê que je lui deftine; & pour Ie mien, j'efpère que je m'en acquitterai de manièré a vous contenter. Mais j'appercois votre ami M. Pincenet, qui me femble d'aflez mauvaife humeur. -nIr» 2bov moq bi zii^iv 3( iorn'iS ; lerófti nol ob 58' oupii tap ènmbni abntrg arja^^^liid nol zjowTlcq bïri  PERSIFLÉS. 123 SCÈNE IV. M. BEAUFRIN, M. PINCENET, ROSALIE. M. Beaufrin. Qu'avez-vous donc notre féal ? vous voila tout ému. M. Pincenet. Qui diable ne le feroit pas avec une femme comme la miennè ? Son extravagancë ne fait que croitre & embellir. Madame ne veut pas que je lui parle de mes affaires ni de uiö'n commerce. Ces détails bourgeois lui rétréciffènt 1'ame 8c lui defscchent 1'efprit. On me fait une banqueroute ; je lui en porte la nouvelle : Que voulez-vous que j'y falie 5 me dit-elle. Eft-ce que je prends quelque intérêt a ces mifères-la? Ce difcours m'échauffe la bile, comme vous penfez bien. Je me fachc, je crie : ne voila-t-il pas que Madame a fes vapeurs > Mes cris lui déchirent les nerfs; fon phyfique eft fi délicat, 8c fon moral tient fi fort a fon phyfique ! En me parlant ainfi, elle s'évanouit. Tout en eolère que je fuis, il faut que je lui donne du fecours; 1'alkali-fluor va fon train. Aprcs bien des fimagrées, elle revient a elle, cn parlant toujours de fon phyfique & de fon moral; & moi je viens ici pour vous dire que je me paiferois fort bien de cette grande intimité qui  124 LES Persifleurs eft entre votre époufe & la mienne, & de tous les travers, de toutes les folies qui en font la fuite. M. Beaufrin. Ma foi, mon cher, je m'en pafTerois fort bien aufli, 8c je fouhaiterois que ma femme n'eüt jamais connu la votre. M. PlNCENET. Parbleu, c'eft votre femme qui entretient la mienne dans toutes fes idéés de bonne Compagnie , de Bel-efprit, de Romans 3 & de mille autres fadaifes pareilles. M. Beaufrin. Vous oubliez que c'eft la votre qui a infpiré a la mienne le goüt de toutes ces fottifes-la. : «••".ïjy.5 ziiiq it,uo\oot'moivat oimwxi am üovb iS y*P$ M. Pincenet. N'eft-ce pas votre chère Époufe qui s'eft avifée de ces petits foupers qui durent toute la nuit, oü 1'on mange notre bien tandis que nous dormons ? M. Beaufrin. N'eft-ce pas votre digne époufe qui lui a perfuadé que le diner étoit un repas trop bourgeois: M. Pincenet. N'eft-ce pas Madame Beaufrin qui a fait prendre a ma. femme une loge aux Francois l  PERSIFLÉS. 125 M. Beaufrin. Oui; mais Madame Pincenet avoit fait prendre a ma femme une petite loge a 1'Opéra. M. Pincenet. Me foutiendrez-vous que ce n eft pas votre femme qui a mis en tête a la mienne de jouer la Comédie ? M. Beaufrin. Je n'en fais rien ; mais je fais a mervcille que votre femme a engagé la mienne a prendre un de mes magafins pour en faire une falie de Comédie. M. Pincenet. Et ces conférences éternelles de Bel-efprit, qui fe font chez vous depuis que je n'ai plus voulu les fouffrir chez moi, & d'oü ma femme revient toujours plus extravagante , n'eft-ce pas la votre qui les tient & qui y préfide ; ?n jh 6Sï'p/k lfl3^rf,üb13£UOa3 tórlo bïjov zaq so-fh'Vi M. Beaufrin. Il eft vrai; mais c'eft votre femme qui les a établies chez moi, en y amenant le Marquis le plus fat, & le Chevalier le plus ridicule que je connoiffè. M. Pincenet. Ainfi , mon bon Monfieur , vous autorifcz votre chcre moitié dans fes exttavagances, Sc vous excufez fa manie, M. Beaufrin. Non : je veux feulement que vous ne trouviez pas cette chère moitié plus folie que la votre.  ï26 LES PERSIFLEURS M. Pincenet. Que ne parlez-vous en maïtre chez vous, comme je fais chez moi? M. Beaufrin. Et votre ton de maïtre a-t-il rendu votre femme plus raifonnable: M. Pincenet. Certes , vous êtes un mari bien complaifant, & je ne vous croyois pas fi fort a la mode. M. Beaufrin. Je tache d'être a la mode le moins que je puis; mais je crois que la dureté & la colère n'ont jamais ramené perfonne a la raifon. M. Pincenet. Oui, je penfe qu'avec votre douceur & votre mollede vous faites de belles chofes; il paroit que vous avez bien réuffi par-la. M. Beaufrin. Par vos emportemens avez-vous mieux réuffi; Du moins je n'ai pas réduit ma femme a xecourir aux vapeurs pour efquiver mes remontrances, & je ne fuis pas obligé de la fecourir dix fois par jour dans fes évanouiilemens. M. Pincenet. Parbleu, je n'étois pas venu ici pour efluyer vos mauvaifes plaifanteries.  PERSIFLÉS. 127 M. Beaufrin. Pourquoi vous les attirez-vous par vos reproches déplacés ? Rosalie (fe mettant entre deux). Hé, MeiÏÏeurs, mettez fin a ces altercations. Vous , Monfieur, fi vous aviez envie de nous quereller, il ne falloit pas choifir 1'inftant même oü nous difpofons none plan pour congédier ce Chevalier & ce Marquis dont vous vous plaignez , & guérir vos précieufes moitiés de la prévention dont elles fe font coiffees pour ces deux Beaux-efprits fubalternes. M. Pincenet. Que ne men avertiftiez-vous d'abord? M. Beaufrin. Étiez-vous dhumeur a rien entendre? M. Pincenet. Mais ce qu'elle dit la eft-il bien certain ? M. Beaufrin. Nous pouvons compter fur elle. M. Pincen.et. Et quel eft donc ce plan; Rosalie. Vous faurez tout quand il en fera temps. Il eft bon que Madame ne me voye pas avec vous. Je 1'cntends: iailfez-moi avec elle.  128 LES PERSIFLEURS SCÈNE V. Madame BEAUFRIN, ROSALIE. Madame Beaufrin. HÉ bien , Rofalie, le cher M. Beaufrin eft-il content de 1'incroyable patience que j'ai eue a 1'entendre , & de 1'inconcevable modération que j'ai mife dans mes difcours ? Rosalie. Il eft bien vrai, Madame, qu'on ne fauroit periïfler un mari avec plus de douceur. Madame Beaufrin. N'eft-ce pas une tyrannie de. vouloir qu une femme foit 1'efclave des goüts de fon mari! Cela étoit bon autrefois, dans les temps de barbarie , lorfque les hommes s'étoient avifes d'être les maitres chez eux. Mais aujourd'hui c'eft bien autre chofe. Nous fommes, Dieu merci, maïtrefles fouveraines de nos humbles maris. C'eft nous qui donnons le ton, qui mettons a la mode, qui protégeons, qui gouvernons, qui arrangeons tout dans le monde, & tout n'en va que mieux. N'avons-nous pas pour le moins autant d'efprit & de tête que les hommes; Aftiirément, je ne ferai point la première a dégrader mon fexe en reconnoiftant un maitre. Rosalif.  PERSIFLÉS. 12Cf R o e a l i e. Cela eft fort bien dit, Madame. En cftet, depnis que les hommes mettent du rouge & du blanc, & qu ils font de la tapiftèrie , n eft-il pas jufte que les femmes apprennent a monter a cheval, a manier des armes , Sc qu elles prennent cn main le gouvernement des affaires ? Vous avez un grand tableau oü Ton voit Ia Reine Omphale manier la maflu'e d'Hcrcule, tandis que ce Héros s'amufe a nier a cöté d'elle. Voila précifément ce qui fe fait aujourd'hui. Les hommes ont pris la quenouille; c'eft aux femmes a prendre le fceptre, Sc a commander. Madame Beaufrin. Vous avez le fens très-jufte, Rofalie > &mcme dalumineuxdans 1'efprit.Depuis que vous ctes chez moi, vous avez prodigieufement profité. Reftez ici aujourd'hui tandis que je tiendrai mon cercle : vous prendrez votre part de mille chofes agréables &'délicates qui feront 1'ornement de nos entretiens. Rosalie. J'avoue que ces entretiens me paroiflent tout-Jk-fait déhcieux; mais puifqu'aujourd'hui vous n allez pas au Specracle, j'aurois une grace a vous demander. Madame Beaufrin. Quelle eft - elle 2 I  x 3'ö les Persifleurs Rosalie. J'ai promis a une de mes amies qui meurt d'envie d'alIer a la Comédie, de iui donnet ce plaifir, & de la mener dans votre loge. Je crois qu'elle fe divertira beaucoup a voir les Précïeufes Ridicules que 1'on doit jouer. Madame Beaufrin. Ah fi l peut-on s'amufer de ces farces-la ? Rosalie. C'eft une jeune perfonne qui na pas encore ie gout formé; elle aime les Comédies qui ia font rire. Madame Beaufrin. Allez, vous prendrez la clef de ma loge. Il me femblc que jentends quelquun qui s'annonce. Rosalie. C'eft Monfieur le Chevalier. {Elle fort).  ï E R S I F L É S. r:i SCÈNE VI. Madame BEAUFRIN, LE CHEVALIER. Madame B e a u f r i n. He, bon jour, Chevalier; comment vont les projets, les plaifirs, tout le train ? le Chevalier. Vous voyez , Madame, l'homme de France le plus excédé des plaifirs de la Cour. On n'y tient pas. Quand on fête un homme dans ce pays-la, on ne le laifie pas j efpirer; il femblc qu'on veuille 1'enterrer au bout de trois jours. Paree que j'ai quelque célébrité , ces gens-la s'imaginent que mon efprit peut fournir a toutes leurs fantaifies. Il faut des im-promptu , des divertiffemens, des chanfons , de petits vers fur les aventures galantes, & il faut que tout cela fe trouve fait fur le champ. Ne leur ai-je pas troulfé une Comédie un peu gaillarde en moins de deux heures ? Elle me fut demandée au diner; jen fis la plus grande partie en prenant le café; elle fut achevée , apprife & jouée avant le fouper. Madame Beaufrin. Il faut que votre génie foit bien en fonds, pour payer ainfi fans remife les lettres d? change qu'on tire fur lui. I z  I32 LES PeRSIFLEURS le Chevalier. Oui; mais a la fin il pourra bien faire banqueroute. Madame Beau frin. Il eft certain que c'eft furieufement exiger de votre complaifance. Vous faites bien de vous dérober a cet acharnement d'admiration dont on perfécute votre mérite. le Chevalier. Je me fuis échappé , fans rien dire , des filets d'une douzaine de femmes qui croyoienr bien m'avoir enveloppé. Diable ! elles ont des fenfations d'une célérité! ma foi qu'elles s'arrangent. Depuis qu'on m'a mis au lait, je ne puis être a ces Dames. Sauve qui peut! Madame Beaufrin. Et comment gouvernez-vous votre petite fanté ? le Chevalier. Tout doucement. Je n ai, Dieu me damne, un eftomac que pour laforme , car jen tire bien peu de fervice; c'eft le plus méchant & le plus pareifeux valet que je connoifle; & , par malheur, c'eft un valet incongédiable. Madame Beaufrin. Oh! pour cela, il n'eft pas aifé de renvoyer un pareil ferviteur.  PERSIFLÉ'S. 133 ie Chevaiier. A propos, Madame , favez-vous bien qu'on s'imagine dans le monde que je fuis en iiaifon de cceur avec vous ? J'ai beau dire que 1'amour vous fait une peur affreufe, que nous n'avons enfemble qu'un commerce d'efprit, on n'en croit pas un mot: on ne peut fe figurer qu'ayec des yeux qui difent tant de chofes, & des fecrets de plaire qui ne font qu'a vous , vous foyez faite pour refter a votre mari. Comme on fait que j'ai eu dans le beau monde des aventures affêz piquantes , que je ne pafte pas , Dieu merci, pour avoir été maltraité des femmes , 8c qu'elies ne m'ont pas laifté périr d'inanition ; on ne fauroit fe perfuader que je fuis vis-a-vis de vous au régime du fentiment , 8c que mon phyfique tout de feu fe contente d'un plaifir purement moral. Madame Beaufrin. Chevalier, vous connoiflez la-deftus mes principes 8c mon fyftême. Je ne fuis point coiffée des préjugés du Peuple ; mais il n'eft point dans mon caraélère de culbuter les bienféances. Je ne veux point que mon mari puiflc avoir de prife fur ma conduite ; 8c j'aftoiblirois mon empire fur lui, s'il avoit quelqtre chofe a me reprochcu xe Chetalier. On pourroit bien renverfer ces petits fcrupules-la; mais je fuis accommodant. Après tout, il faut convenir I 3  134 les Persifleurs que les trois quarts du temps 1'amour eft un peu bete, a vous parler franchement, il perd beaucoup a être vu de pres» Madame Beaufrin, Cependant vos ouvrages exhalent par-tout les plus fuaves odeurs de la galanterie. Votre plume a dü frémir de volupté en tracant toutes ces peintures amoureufes qui embelliflent vos raviflantes produ&ions. le Chevalier. Bon; avec de 1'efprit on fait tout cela. Madame Beaufrin. Je ne vois que vous aujourd'hui qui donniez a ce que vous faites ce tour aifé, cavalier 5 &tout-a-fak fans facon, qui me plak infiniment. le Chevalier. Oui j fans facon; c'eft ainfi qu'il faut traiter le Public. J'en ufe avec lui comme avec mes Makreflës; je cherche plus a m'amufer qu'a le fatisfake.  PERSIFLÉS. I35 SCÈNE VII. LES ACTEURS PRÉCÉDENS. v n Dom est iq u e ( annoncant}. Madame Pincenet 8c M. le Marquis des Oüyertes, Madame Beaufrin. Arrangez des fïéges, & formez 1c cercle. SCÈNE VIII. Madame BEAUFRIN , Madame PINCENET j LE CHEVALIER, LE MARQUIS, Madame Pincenet (d'un ton langoureus). Embrassez-moi, ma toute aimable, je viens cherchcï auprès de vous un charme a mes ennuis. Madame Beaufrin. Hé, bon Dieu ! qu avez-vous donc ma chère ? vous avez 1'ceil fcandaleufement battu» Madame PincenetJ'ai cru, ma divine, que j'allois expirer aujourd'hui de mes vapeurs. Demandez au Marquis, il ma trouvée dans un état a faire pitié. 14  I36 LES P E R S I F L E U R S le Marquis. Oui, j'ai furpris Madame au beau milieu d'une pamoi•fon qui m'auroit effrayé, fi je ne lui avois vu un teint fublime & des graces céleftes. Il faut convenir, Madame, que les vapeurs vont on ne peut pas mieux a votre phyfionomie; & j'ai trouve peu de femmes plus féduifantes que vous dans un évanouiÜemenr. Madame Pincenet. Vous ne pouvez pas concevoir, ma charmante amicj a quel point M. Pincenet m'a obfédéc ce matin, a me parler de fes affaires domeftiqucs, de fa familie, de fon commerce, des banqueroutes qu'on lui fait; que fais-je moi 2 Ne vouloit-il pas me faire diner avec fon Avocar & fon Procureur 2 Jugez de la belle figure que j'aurois faite la. Mais ce qui m'a afteébée le plus douloureufement, c'eft la manière odieufe dont il m'a parlé de vous, ma ~bonne; vous favcz a quel degré d'aótivité je pouffe Ie fentiment , & que je fuis tout ame pour les perfonnes que j'aime. Hé bien, n'a-t-il pas ofé, en ma prcfence, vous traiter de folie & de ridicule achevée 2 Ah! pour le coup, je n'ai pu y tenir, & je fuis tombée en fyncope. Madame Beaufrin. Vous êtes trop bonne , ma chère amie. Faut-il faire Ia moindre attention a ce que dit un mari 2 Le mien vous traiteroit, devant moi, de bégueule & d'impertinente.  PERSIFLÉS. '.' 137 que je n'y prendrois feulement pas garde , quoique je vous aime bien tendrement. ie Chevaiier. Madame Beaufrin a raifon ; il faut un peu de philofopbie dans ce Monde. A propos, Marquis, qu'eft-ce que c'eft que cette Comtefte que tu gouvernes, 8c qui t'a prié de me mener chez elle l Fais-moi un peu le détail dc fon individu, que je la fache par cceur avant de la voir. le Marquis. Oh ! cette femme-la prctc aux détails, 8c peut fouffrir 1'analyfc. Elle n'eft pas fort belle, mais elle en eft plus jolie. Quoiqu'aflez étourdie, elle eft majeftueufe en cas de bcfoin. Ce qui domine en elle, c'eft la vivacité. Tel agréïnent que vous venez de lui remarquer, eft remonte ou defccndu de fa place, pendant que vous avez tourné la têtc. D'ailleurs, c'eft une femme qui a des entours brillans, 8c qu'il faut connoitre indifpenfablement quand on veut figurer dans le Monde. Mais, dis-moi un peu, pourquoi as-tu rompu avec la petite Marquife ? ie Chevaiier. Par ma foi 5 je 1'ai vue pendant un grand mois. J'admire ma patience d'y avoir tenu 11 long-temps. C'eft un compofé de mille perites mifétes. Elle a une amc qui I fe donne & fe retire dans le même moment. Son caur eft  138 LES PeRSIFLEURS k partie d'elle-même Ia moins achevée. Sondez-kfur fes fentimens, les approches font riantes, les dehors féduir fans; pénétrez plus avaut,vous trouvez le vide, tout y eft a jour ; on ne fait oü fe mettre a 1'abïL Elle traite fes, Amans comme fes gants, quelle perd & retioave vingf fois par jour. Madame Beaufrinj Voila ce qui s'appelle peindre les gens en ndnkrare. Madame Pincenet. Ce n eft que dans un certain Monde qu on apprenda parler ainfi; & il nappartient qua ceux qui om étadié Ie bon ton, d'entendre quelque chofe au langage de ces Meilïeurs. ie Chevaiier. Ce que vous dites-la, Madame, eft vu très-finernent. C'eft bien la peine d'avoir de 1'efprit pour être entendu de tout le monde. ie Marquis. En effet, pourvu qu'on foit a k portee de quelques fociétés privilégiées, il importe peu qu on foit intelli-r gible a la multitude. ie Chevaiier. Voila pourquoï nos Ouvrages ne font pas trop bien recus d'un certain Public; mais nous en fommes bien dédommagés par les fuftiages de nos amis.  persiflés. 139 le Marquis. Oui, le Public a un goüt brutal Sc groffier qui ne faifir pas bien la quinteflcnce des chofes; il aime le fimple, le naturel; & le naturel eft fi bourgeois ï le Chevalier. Laifté faire, Marquis; il faudra bien, tot ou tard, que nous lui donnions le ton, en dépit des envieux 5 & nous fommes de force pour bouleverfer Paris a nous deux, quand la fantaifie nous en prendra. Madame Beaufrin. Meflieurs, il faut vous communiquer une idee qui m'eft venue. Je vais faire exécuter en beau marbrc blanc le bufte d'un des plus beaux Génies de notre Siècle; & je me fuis amufée, ces jours-ci, a compofer en vers 1'infcription que je veuxy faire graver. Voyons fi rinfcription vous fera reconnoitre le beau Génie a qui le bufte eft confacré. le Chevalier. Ah ! voyöns un peu. Je me piqué d'être penetrant. le Marquis. Pour moi, je devine les Enigmes, les Logogriphes &c les Charades du Mercure, en lifant feulemcnt le premier vers. Madame B e-a u f r i n. Voici mon infeription en quatre petits vers qui ne font pas indifférens. C'eft un Quatrain.  I$ó les PeRSIFLEURS Madame Pincenet. Un Qaatraïn, ma chère , un Quatrain I que vous êtes heurenfe d'avoir le talent des vers ! J'en ferois aufli paffablement fi je pouvois rimer. Je les mets fort bien fur leurs pieds, mais je ne puis jamais trouver une rïme. Aufli je me fuis bornée a la profe poétique, &. je m'amufe a mettre la Gazette en profe poétique pour la rendre plus intérenante. le Chevalier. Bien imaginé ! mais je grille d'impatience d'entendre i'infcription. Madame Beaufrin. Écoutez donc. Voici 1'Auteur de maiiits volumes Que Vénus fait lire a fa Cout; Et c'eft des ailes de 1'Amour Qu'il a ttré toutes fes plumes» le Marquis.' Charmant I charmant! mais je ne devine pas. Madame Pincenet. Ni moi. le Chevalier(riant)~ Ahl ah! c'eft moi, Marquis, c'eft mor. Madame Beaufrin. Il eft vrai; mais les vers, comment les trouvez-vous ï Je les aurois faits rneilleurs, fi vous aviez été auprès de moi.  PERSIFLÉS. 141 le Chevalier. L'idée en eft délicieufe. le Marquis. Tout-a-fair délicate. Et c'eft des aiies de PAmout Qu'il a tiré toutes fes plumes. Voila, Chevalier, un pauvre petit Amour que tu as bien déplumé. le Chevalier. Que Vénus fait lire a fa Cour eft plein de graces. Il n'y a qu'une femme qui puiffe trouver ces chofes-la. Rien ne caractérife mieux le ton de mes Ouvrages, qui font faits pour la Cour de Vénus. Madame B e a u e r i n„ Vous trouvez donc les vers le Chevalier. En confervant 1'idée, qui eft excellente, vous pourricz leur donner un tour plus harmonieux. Par exemple, 1 Auteur de maints volumes convient plutöt a un Auteur de profcffion qu'a un homme du monde comme moi, qui n'écrit que pour fon plaifir. Si vous difiez: Voici 1'aimable Auteur des charmans badinages Que Véiuis infpira pour amufer fa Cour. pn me reconnoitroit mieux a ce trait-la.  242 LES PERSIFLEURS Madame Beaufrin. Ooi, Yaimable Auteur, cela eft vrai-, j'y avois penfé. Mais ma rime qui étoit fi belle, qu'en ferez-vousï le CheVALier. Nous en trouverons une autre. Attcndez m'y voila. Voici 1'aimable Auteur des charmans badinagcs Que Vénus infpira pour amufer fa Cour. tes Graces ont tiré des ailes de 1'Amour La plume qui ttaca de fi galans Ouvtages. Madame Beaufrin. Cela vaut mieux, j'en conviens. le Chevalier. Je n'ai fait que polir un peu le diamant que vous avez trouvé-, il ne vous en appartient pas moins. Ne penfes-tu pas, Marquis, que je fuis plus reconnoiflable ? le Marquis. Sans doute. Nous favons toujours mieux nous-mêmes ce que nous valons. Nos amis craignent de nous faire rougir en nous louant: il faut fe payer par fes mains quand on le peut. le Chevalier. Tu as raifon. La modeftie eft le vice des fors; maisil eft bon que les louanges paroiftent nous avoir été données par, d'autres.  PER.SIFLÉS. Madame Beaufrin. Dïtes-nous, Chevalier, les Comédiens ne nous régaleront-ils pas bientot de quelque nouvelle Pièce de votre facon. ie Chevalier. Ma foi, Madame, j'ai grande envie de renonccr a la carrière du Théatre. Madame Beaufrin. Et pourquoi t vous y paroiffez avec tant de fuccès. le Chevalier. Voulez-vous que je vous parle franchement ; ces fuccèsU m'ont prefque ruiné. Madame Beaufrin. Comment cela; le Chevalier.' Rien de plus fimple. Quand un homme comme moi donne une Pièce, c'eft pour être applaudi, & non pour être jugé par les premiers venus qui n'y entendent rien. il me faut des Spectateurs choifis: par conféquent il faut que je les choififle. Je fuis donc obligé de retenir, a mes dépens, toutes les places, les loges &le parterre, & de les remplir de gens qui aient aftez de goüt pour me donner leurs applaudiffèmens. Madame Pincenet. En effet, voila des applaudiüemens qui font ruineux.  i44 les Persifleurs Madame Beaufrin. Je fuis toujours étonnée, Meflieurs, que 1'Académie ne montre pas plus d'empreflement a recevoir dans fon fein deux hommes de votre mérite. Son indifférence a votre égard la déshonore furieufement a mes yeux. le Chevalier. Ah, parbleu! elle nous honore beaucoup de ne pas nous aflbcier aux choix quelle fait depuis long-temps. le Marquis. Pour moi, j'ai toujours refufé de faire les vifites. Si ces Meflieurs veulent de moi, je vaux bien la peine qu'ils me recherchent. Ce qui me flattcroit le plus, ce feroit d'être la de pair a compagnon avec des Princes, des Ducs Sc des Maréchaux de France. Madame Pincenet. Ne pourrions-nous pas mettre fur pied une Académie compofée de 1'un & de 1'autre fexe, oü nous n'admettrions que la fleur de la Cour & de la ville > Madame B e a u f r'i n. Cette idéé me ravit. Je veux qu'on tienne chez moi les féances publiques. M. Beaufrin a un magafin immenfe dont je prétends faire la falie de notre Académie. On n'y entrera que par billets, comme a la Comédie •, Sc nous n en diftribuerons qu'a ceux qui promettront de battre des mains. le Chevalier.  PERSIFLÉS. 145 l e Chevalier, Mefdamcs, je me charge d'obtenir les Lettres-patcntes. l e Marquis. Et quel nom lui donncrons-nous ? le Chevalier. Nous rappellerons 1' Académie du bon ton, & nous la inettrons fous la proteótion des Graces. Mad. Beaufrin, Mad. Pincenet, & le Marquis, Bravo ! bravo! Madame Beaufrin (au Chevalier ). Les Graces, dont voüs ctes le Favori, vous choifironc encore pour le Préfident de leur Académie Mais qui vient nous interrompre ? SCÈNE IX. LES ACTEURS PRÉCÉDENS. un DoMESTlQUE. C'est une Dame qui demande a parler a Madame. Madame Beaufrin. N'avez-vous pas dit que je n'y étois pour perfonne ? le DoMESTlQUE. Oui, Madame j je lui ai dit que vous n'y étiez jamais K  146 LES PERSIF LEURS quand vous teniez votre cercle d'efprit; mais elle m'a dit qu'elle étoit Comtefle , 8c de plus femme de qualité, & que vous feriez charmée de fa vifite. Madame Pincenet. Une femme de qualité! ma chère, il faut la recevoir. Nous en ferons une Virtuofe de notre Académie. Madame Beaufrin. Faites entrer. SCÈNE X. LES ACTEURS PRÉCÉDENS, JULIE(/ow le nom de Comtejfe). Madame Beaufrin. Pourrai-je favoir, Madame, quelle heureufc étoile me procure 1'honneur de recevoir chez moi une femme de votre qualité. J u l i e. Madame, vous allez l'apprendre dans un moment. Il me femble que je ne fuis connuc ni de vous, ni de ces MelÏÏeurs. ie Marquis. Nous avons a nous plaindre du fort qui nous a privés iufqu'aujourd'hui du bonheur de connoitre tant d'appas.  PERSIFLÉS. 147 J u l i e. Et moi, Meflieurs, j'ai a me plaindre de vous, qui, fans me connoitre, m'avez adrelfé des vers qui font, je ne fais comment, quelque bruit dans le Monde, Sc qui donnent lieu de croire que vous avez avec moi la liaifon la plus ihtime Sc la plus galante. le Chevalier (faifant des fignes au Marquis). Hé quoi, Marquis, tu ne reconnois pas Madame avec qui nous avons fait des petits foupers fi divins ? le Marquis. Ah ! tu as raifon. Je ne fais par quelle fatalité tant de charmes avoient pu s'eftacer de ma mémoire. J u l 1 e. Cela n'eft pas diflicile a, comprendre, puifque vous ne m'avicz jamais vue. le Chevalier. Et pourquoi, belle Comtefle, cette afteélation de myftère qui ne vous va point du tout} Vous êtes ici avec des Dames qui ont aftez d'efprit & d'ufage du Monde pour prendre ces chofes-la du ton qu'il les faut prendre. Madame Pincenet. Faites-nous 1'honneur d'accepter le premier canapé de notre Académie. K z  148 les PeRSIFLEURS J u l i e. . Mefdames, je ne fuis ni Bel-efprit ni Famie de ces Meflieurs; &'je fuis fort étonnée de voit un tendre comrnerce fi bien établi entre eux & moi qui les vois aujourd'hui pour la première fois. le Chevalier, Ah ! celui-la vient de loin. J v l 1 e, Souffrez que je vous explique le fujet de ma viiite. Je dois bientot époufer un Baron Allemand , fort fufcep^ tible fur le point d'honneur. Les vers un peu libres que vous m'avez adreifés fans me connoitre, lui font tombés entre les mains, & il en a été indigné. Il ne fcauroit croire qu'il y ait des gens dans le Monde qui pouffent 1'effronterie, ce font fes termes, au point d'afficher fcandaleufement une femme a laquelle ils n'ont parlé de leur vie. Pour diffiper tous les doutes qu'ü pourroit avoir a cet égard, je viens, Meflieurs, vous demander un jufte défaveu de ce que vous avez écrit trop légèrement, & par une licence trop ordinaire aux Poe'tes a bonnes fortunes. le Chevalier. Si bien donc, charmante Comteffe, que le Baron AlIemand eft furieux; mais il faut lui faire entendre raifon. Vous lui direz qu'en France les belles perfonnes font un  .PERS I FLES. ï49 peu expofées a Ia témérité, a Findifcrétioii des Galans; que nous traitons les maris de Turca More, & que nous croyons rendre un grand fervice aux jolies femmes de les mettre fur le trottoir, de faire connoitre au Public tout ce qu elles valent, & de donner de 1'éclat a nos. conquêtes. Des Ch'evaliers Francois tel eft Ié caraitère; J u l i e. Je vous allure, Monfieur, qu'il recevroit fort mafun pareil compliment de la part d'un Chevalier Francois. ee Chevalier. Que diable ! pourquoi vous avifez-vous d epoufer un Baron Allemand i Ne veut-il pas aufli vous emmener dans fa Baronnie ? Ce feroit un meurtre au moins : n'atlez pas vous enterrer toute vive ; il faut décidément que vous nous reftiez. Pour lui, je le révère uniquement; mais qu'il aille, s'il veut, végéter dans fes terres, avec fes chervaux , fes chiens & fes valfaux -, 8c qu'il regrette au fond de 1'AlIcmagne les jolis péchés que vous ferez faire,a Paris. Juli e.. Mon dieu, je n'ignore pas que vous favez perfifler a merveille, & je reconnois-la le jargon de vos vers; mais ce n'eft pas de perfiflage qu'il eft ici queftiom le Chevalier. Le perfiflage eft bon k ma fanté,~ i s  I50 LES pERSIFLEURS J u l i e. Vous avez la, Monfieur, un fot régime ; mais enfin ine refuferez-vous la rétraébation que je vous demande? . le Chevalier. Vous voyez bien, raviflante Comtefle , que cette rétradation ne reffemble a rien, abfolument a rien. Ce feroit, de gaité de cceur, nous abimer de ridicule aux yeux de TUrnvers. Faites tout doucement avaler la pilule a votre Baron Allemand, 3c comptez déformais fur notre difcrétion. J u l 1 e. Je fuis facbée, Meflieurs , que vous répondiez fi mal 5t 1'honnêteté de mon procédé. Je voulois vous épargner une vifite plus facheufe, qui pourra bien déconcerter ce perfiflage fi bon a votre fanré. Adieu, Mefdames •, je fuis au défefpoir de tout ceci. Vous verrez bientot de quelle efpèce d'hommes vous vous êtes laifle engouer. le Chevalier. Voulez-vous, belle Comtefle, que je vous donne la main pour vous remettre dans votre carrofle ; (Julie ne re'pond que par unjïgne de mépris , & fort). le Chevalier (a. part au Marquis ). Ne t'ai-je pas tiré la d'un aflez mauvais pas? l e Marquis. A merveillc.  I5I SCÈNE XL LES ACTEURS PRÉCÉDENS, excepté JULIE, Madame Beaufrin. En vérité, je ne fais que penfer de cette aventure, Madame Pincenet. Je veux mourir fi j'y comprends rien. le Chevalier. Rien de plus fimple. Eft-il donc fi nouveau de rencontrer dans le Monde des femmes avec lefquelles on a été du dernier bien, & qui, en vous revoyant, demandent qui vous êtes ? Ces aventures-la nous arrivent tous les jours a nous autres. l e Marquis, Afïurémenr. l e Chevalier, Si je n'avois voulu la ménagcr devant ces Dames, je lui aurois rappelé certaines circonftances Madame Beaufrin, Vous avez cu raifon, Chevalier, de n'en rien faire. Un galant homme, comme vous, ne fait pas fe prévaloir de ces chofes-lL • K 4 PERSIFLÉS.  152 LES PERSIFLEURS le. Chevalier. Dieu merci, nous avous des mceurs. Nous favons comment on fe comporte avec les femmes qui nous ont voulu quelque bien. Mais cdle-ci, je 1'avoue, m'a paifablement furpris. Je ne m'attendois pas a cette vertu fournoife qui la pofsède a 1'beure qu on y penfe le moins. SCÈNE X I I. LES ACTEURS PRÉCÉDENS , ROSALIE (déguifée ■en Baron Jllemand). un Domestique (voulaut anker Rofalie qui le repouffe brufquement)« Mais, Monfieur, on n'entre point ainfi. Rosalie ( avec l'accent allemand ). Me voilk entré pourrant. Madame Beaufrin. Qu'eft-ce donc; que voulez-vous, Monfieur? Rosalie. Madame, excufez. Je fuis étranger; & comme une Dame qui fort d'ici m'a afluré que vous étiez au logis, je n'ai pu endurer que votre Laquais voulüt que vous n'y fufiiez poinr,  PERSIFLÉS. 153 le ChevAlier(