VOYAGES INTERESSANTS p o u r L'INSTRUCTION & L'AMU SEMENT de la JEUNESSE, dan s le gout du Recueil de M. CAMPE. Relation des Hes Peley. & UTRECHT Cfaez B. WILD & J. ALTHEER. 1 7 9   A MON JEUNE AM-I LJURENT TIIÉODORE NE P FE U. plaifir que vous m'avez fouvent témoigné k la Jeclure du manufcrit de eet ouvrage, m'engage,mon cher Laurent, acluellement qu'il dok devenir public, a vous Padreffer. La rélation qu'il contient a du d'autant plus vous inréreffer, que vous n'avez pu manquer d'y reconnaitre, fous d'autres noms, une peinture fidéle de votre fa- 2  ( iv > mille. Ce que 1'excellent Abba-Thul» ie était pour fon peuple, ce qu'il fut pour ïes Anglais, vos refpeéïables patents le font pour leurs enfans, pour toutes les perfonnes qui les environnent. PuhTe la comparaifon devenir un jour auffi parfaite entre vous & Taimable Lee-Boo, & il ne me reflera plus ïien a de'firer pour votre bonheur l Votre bon ami J. B R E Z, Utrecht, 1792. PRE*  P R E F A C E. K^es voyages ont été entrepris dans Ie mfcme but que ceux de M. Campe, connus fous le dtre de Recueilde Foyages in* térejfam pour l''infiru£tion & ramu/btnent f la jeunejfe. Je les ai écrit funout en laveur des jeunes gens qui ont lü ce recuetl avec 1'attention qu'il mérite a fiiuste ritre. J La rélation du féjour des anglais de léquiqage Vantehpc, aux iles Pdew * qui torme ce volume, m'a paru, fur toutes les autres, devoir exciter le plus vif intêret dans 1'ame de mes jeunes Leéteurs. £lje ne préfente point, a la vérité, une iuite de ces faits merveilleux & étonnans dont les enfans de tout 3ge aiment tant a s occuper; elïe ne préfeme point une luite de dangers, de malheurs, de calamités, dont 1'idée feule fait frêmir: maïs elïe offre un fpeétacle infiniment plus grand', plus noble, plus utile a mes yeux; celui d'un peuple vraiment bon & fenfible, reumflant toutes les vertus des nations civilifées & n'en connais- fant pomt les vices Quel plus beau tableau pourrau-on offrir a des cceurs encore purs & innocens? *3  C n ) On ne peut Vempêcher, fans doute, de payer un jufte tribut d'éloges a ces hardis Voyageurs qui parcourent, a travers, mille périls, des furfaces immenfes de notre planête pour connaitre fes animaux, fes plantes, toutes fes produétions ; jpour étendre nos connoifTances a nos jouisfances: mais j'eftime, fadmire bien d'avantage ces ames philantropes qui s'attachent par - deffus tout a Fétude de leurs femblables, qui ne voyent pour terme dans tous leurs travaux que le bonheur de rhumaniré, qui fa vent la venger lorsqu'on fmfufte, Ia peindre telle qu'elle elt dans la nature & non dans leur imagination. — C'eit fous ce point de vue, furtout, que la rélation des iles Pehw m'a intérefTé- A entendre Ia plupart des voyageurs ("0» on dirait que ces êtres qu'il leur plait d'appeler Sauvages tiennentplus de la bru te que de riiomme. Us croyent n'avoir rien fait en leur attribuant les vices les plus révoltants; il faut encore les dénaturer, pour pallier en quelque freon les atrocités que Ton fe permet envers eux. C'effc ainfi que des ames a jamais viles & mé prifabïes, des cceurs plus noirs que les ténèbres, plus durs que Ie diamant, ont débité les menfonges les plus bas fur Té:- (*) Et les écrivaïns qsi les ont fuivis.  ( vii ) rat naturel & civïi des infortunés habitans de la Guinée. On voulait exercer fur eux U droit le plus injujie (*) qui fut jamais, les. réduire a fétat le plus maU heureux polüble pour une créature humaine — a l'esdavage." II fallait du moins quelques prétextes pour parvenir tranquiliement a ce but. Que font ces ti~ gres a deux pieds? — lis préfentent les Négres comme les plus disgraciés des hom mes dans leur pays natal. Fécond&a inventer des crimes, ils les leur attmfuenc tous avec la plus grande libéralité. . . $ ii-voudrait mieux être anéanti qie d'exiV ter de 1'exiftcnce' des Négres . . ; chez eux les pères n'ont plus d'entnilles, les meres pius de tendrefle, les enfans plus d'affe&ion 1'humanité y eft inconnue, les rois y vendent leurs fujets, les enfans leurs peres, le frère la fceur ... . Ah J malheureux , barbares Eumpéens ! ces crimes, s'ils exiftent (f), font tous, tous C*) Le droit Ie plus injujle — votla un plaifanc tour de phrafe: d'accord; & j'attends qu'on veuiile m'en faire connaicre BH pius convenable. (t) Confultés, Jifós, médkés, ami Le&eur» ?a Cause des NéGBEs du fi eftirnable M Frcw«art. (Lyon 2 vol. 8™.) Si voos ne fortés pas de cecte le&ure, convaincu que 1'efclavage des Négres eft tout ce qu*il y a de plus injufte, d« plus criant, de plus atroce fous les deux ü * 4  C vin ) fans exception, votre ouvrage. Les naturels de la Guinée étaient les êtres les plus doux, les plus humains, les plus heureux, avant votre arrivée fur leurs cötes. C'efl: vous qui les avez dépravés .... & vous oferiez encore leur imputer, leur ^reprocher des vices qui ne font que les vötres! & vous oferiez . . . maïs c'eft en vain que je vous appelle ici en jugement. Vous qui détruifés fi humainttnent des milliers d'hommes pour fatisfarre votre infatiable cupidité, qui appefantiffez avec tant de bonté un fcêptre de fer fur des êtres qui ne fe diftinguent de vous que par leurs vertus. . . . Vous qui verriez périr 1'univers entier fans vous en affeéter, fans verfer une larme que fur vous mêmes . . . . , comment pourriez-vous être fenfibles au fort affreux de ces CENT-MILLE Noirs qui pairent annuellement en Amérique, pour «e me reftera qu'a déplorer rendurciflement de votre cceur. —— Je ne puis trop recommander «ncore, furcout a mes jeunes amis, la leéture du morceau fi fublime & fi énergique oü filluftre »bbé Raynal prend en main la caufe des mallieureux Négres. 11 faut n'avoir plus d'entrailïes pour refter infenfible a tout ce qu'il dit en iear faveur. Puiiïent tous ceux qui le Hront, Ie graver en caradères ineffayables dans le plus profond de leur cceurl  C» ) y fubir Ie joug le plus odieux ? Ces grands mots, humanité, fenfibilité^ juftice, rétentiffent a chaque inftant fur vos lêvres, mais pénétrèrent-ils jamais jus- qu'a vos cceurs? N'ayez donc plus de fcrupules .... les efclaves commencent a devenir moins communs fur lescótes de la Guinée .... n'héfités pas un inftant .... appareillés des vaifTeaux; armés les en courfe .... & allés les charger de ces doux & paifiblcs habitans des iles Pe/ew. (*) Qu'elie plume pourrait continuer! J'avais toujours douté, & ce doute était cher a mon cceur, de la fidélité des raports des voyageurs fur les mceurs de leurs prétendus Sauvages: ils dégradaient trop mon efpèce pour qu'il me fut poffible (*) Tout en fpécifïant les naturels des iles Pe/ew, je n'en refte pas moins compJètement convaincu que ceux des autres fles de Ia mer du fud les égalaient en douceur, en humanité &c. avant leurs Communications avec les polis Européens. On a fouvent discuté fi la dé- couverte de 1'Amérique a été utile ou pernicieufe au genre humain. Qu'on daigne une iois mettre en ligne de compte les vices fang nombre dont nos voyageurs ont enricbi fes habltans» & Ia queftion fera prompteaient dé* *5  4'y ajouter foi. Cet orgueil, fi c'en eft uii, eft ïe feul que je me ibis cru permis. Les détails que la relation des ilesPkllw va nous préfenter, feront voir li j'avais trop bien préiumé de mes nouveau x amis, . Parmi la foule d'autorités dont je pour: rais en outre m'appuyer, fen choifirat une des plus reipectables a mes yeux; ceïle d'un Sage qui avait étudié la nature humaine, non dans les cercies, dans (es fbeiétés, dans ce qu'on appelle le grand* monde car elle y eft prèsque tou- jours défigurée ou voilée* mais dans cette clatfe vénérable d'rmmroes la plus voifine de la nature, " & la plus digne en „ effet-de toutes aunes das fes du gen>H re-humain, de i'attention du Piulolo„ phe'\ dans celle des cuUivateurs. Apiès quelques réflexions trés-judicieules que Ton peut lire dans 1'ouvrage même, iï.ajoute: (*) Au quel on pourrait pettt-être de droit «tonrer un tout autre nom, ainfi qu'a ces étres fuperbes qui ne ceflent de Te pavanner da titre de gem comme il faut, & qu'on peut touiours fans risquer de fe tromper sppeller mem comme il ne faut pm\ car l'homme vrat» ment comme il faut fe contente de Pêtre, il ne le pubüe pas au fon rie la trompette: ce mot fort méme très-rarement de fa bouchev'ft craint avec railbn de le proftituer.  ( XI ) Des lors toutes les defcriptions désa- vantageufes des mceurs & du génie de „ ces hommes qu'il nous a plü d'appeler L Sauvages, me devinrent fufpedes & je regrettai que nous n'euflions pas pius de relations faites par des phiiofophes „ capables d'exammer a fond la nature. „ humaine felle qu'elle fe trouve dans „ ces Sauvages, & de les envifager avec des 3'eux éclairés & dépouiüésde tou„ te prévention. Je fuis perfuadé que leurs • découvertes auraient répaadu de „ gtandes lumières fur la théorie de fa& me, & fourni aux amis'de l'humanité ;i matière a admirer, pieins de recon„ naiffan'ce,la fageffe & labontéduCréa*„ teur dans 1'ordre felon le quel il a dis- pofé 1'efpèce humaine. Nous trouve„ rions que ces prétendus Sauvages fe„ Wéék bien mieux fondés a traiter com„ me reis des hötes fi policés qui font ve„ nus leur enlever leurs biens & leur li„ bené i & nous conviendrions fans pei- ne, que ceux d'en-tr'eux qu'on a fait „ participans des mceurs & des fciences „ Ëuropéennes agiffent bien fenfèmentv lorsqu'a la première occafion qui fe préfènte ils retournent a la manière de „ vivre fimple & raifonnable de leurs compatriotes, (*) Socratiï rustiqus , édition de LaufanBft i?.77' tom, I. pag;20-22. — Quelshommes  Vertueux Hirzel ! de quelles délices votre coeur n'eut il pas été inondé, fi vos jours euflent été prolongés jusqu'a la publication du voyage aux iles Pelew! Quelle n'eüt pas été votre fatisfactionen lifant ces détails qui nous peignentfibien ies moeurs & les vertus des plus fortunés des hommes! Quelles jouiffances n'euffiez vous pas éprouvées en méditant 1'histoire d'un peuple fi bon, fi humain, li fimple! Du féjour bien heureux oüvous jouifiez déja de la recompenfe düe aux vertus les plus fublimes, recevez, refpectable Hirzel! recevez les hommages les plus purs de mon éternelle reconnaiflanee. C'eft a Técole de votre s o c r ate RUSTiQUE que j'ai appris aefiimer la vraie dignité de l'homme. J'ai étudié Klyogg afin de me connaitre mieux moi - même, & cette étude m'a rendu meüleur. . II ne tiendrait qu'a moi d'avancer encore plufieurs paflages du vertueux auteur du Contrat focial, qui tous parleraient en faveur de mon opinion. Mais quelque plaifir que je puifie trouver a citer ce philofophe fi cher a mon coeur, jepréfère , en cette occafion, de renvoyer le lefteur aux que 1'auteur & le héros de ce fublime ouvrage! Hirzfl & Klyogg vos noms parviendront avec celui du maitre de Platon jusqu'a la pos» térlté la plus recuiee!  ( xiii ) écrits de Tilluftre Genevois, Jepréfêre de le renvoyer aux faits contenus dans ce volume: je ne faurais lui offrirdepreuves plus fonfibles de cette grande & importante vérité, que Phomme nait bon; que ce font nos inftitutions feults qui hrendent michant. Quelque zèle que fon puifle mettre a foutenir le contraire , il n'en eft pas moins vrai qu'on a tort; les faits le prouvent, il n'y a rien a leur oppofer. Qu'on me permette donc de le dire i je regarde la rélation du féjour des anglais anx iles Pekio^ comme le morceaule plus précieux en fon genre que notre fiécle ait vu paraitre; jè la regarde comme un cours de moraïe digne d'être propofé aux nations civilifées; je la regardeenfin comme la ledure la plus utile pour ces coeurs encore jeunes & étrangers aux vices, fur les quels nous devons fonder les efpérances les plus vives pour l'amélioration dés générations futures. Mais comme cette rélation préfente des tableaux qui peuvent paraitre fort extraordinaires a mes jeunes le&eurs, je leur dois compte de la manière dont elle a été rédigée & des fondemens fur les quels repofe fa véracité. M, Keate lui même va les en in (trui re. „ Les détails précèdens (dit - il dans fori IntroduBion* édit. in 4°. p. 9.) & la „ furprife extréme que les origmaires de » Pekw montrèrent en voyant des hom*  ( XIV ) „ mes blancs, femble prouverfans repli„ que que féquipage de P'Antelope elt le 3, premier des Européens qui ait jamais T, débarqué fur ces iles. II femble éga- lcment certain que leurs plus proches „ voifms dans 1'archipel adjacent n'ert avaient non plus aucune connaiffance. „ Je me félicite donc d'annoncer le pre- mier un nouveau peuple a Tunivers; „ mais mon coeur eit encore plus flatté „ de pouvoir ven?er cette nation de Firn„ putation de barbarie & de cruauté, qu'on ne lui a fait que paree qu'on „ ne Ta pas cennue. En effet, je fuis „ perfuadé que tout horame qui fuivra „ mes détails avec attention, regardera v „ fans balancer, les natifs de /W^com„ me un des ornemensde Fhumanité, loin de les en croire ie déshonneur. if J a* Pl^s qnelque part a eet ouvrage, paree que je-connahTais la véracité du „ Capitaine Wilson , que d'ailleurs j'éi, tais moi même imérefTé dans le recit qu'il a fait des Iiabitans de ces iles^óc 9, q\ie ce récit acquiert un nouveau poids „ par ie bon fens $ les manières enga- geantes du jeune princeLEE- Boo qu'il „ a amené en Angleterre, a la demande „ du roi fon père. ' M. Brock Watson m'ayant procuré. £ ia' connaiflTance du Capitaine Wjlson, l je repréfentai fmvent a eet eftimableH arai avec quel intêret Ie public appren-  C XT ) drait ïe naufrage de fdniekpe; fouvent „ je 1'engageai aprierle Capitaine de s'oc*, cuper de ces détails. Je les ai atten- dus neuf mois, & pendant eet interii valle j'ai cru m'appercevoir que les af- fairës de M. Wilson , fon extréme modeftie, fon peu d'expérience dans „ ces fortes -de travaux, étaient autant 9, d*obftacles k ma demande. Déja même „ il fe difpofait a un nouveau voyage dans Ji'Inde; ainfi eet événement pou* „ vak être a jamais oublié. „ Excelfivement frappé du tableau que ?, pouvait préfenter le recit des vertus „ & du [caradtère de ces infulaires, fa„ chant aulTi avec queUe facilité le tour„ billon des affaires peut enfevelir dans „ 1'oubli la preuve orale qui ne paffe „ que de bouche en bouche, je cher„ chais , avec de fenfibles regrets, les „ moyens d'aviver ces découvertes in„ téreffantes & de les offrir au public. „ Ainfi librement engagé dans cette af„ faire, je dis a M. Watson de deman„ der au Capitaine fon avis fur fes jour„ na'ux'& tous fes papiers, & de m'in„ diquer les témoins qui fe trouvaient „ encore en Angleterre. Je promis den tout rédiger, & de compofer un ou„ vrage dont le travail ferait pour moi, ,t & le profit pour le Capitaine. „ Apres avoir parcouru tous fes jourvi naux óc fes papiers, & les avoir co-  C xvi ) „ piés pour en mieux retenir les détails, & diriger ma marche avec plus de fu9, reté dans les recherches que j'avais a faire, j'eus Tavantage de conféreravec „ le Capitaine même & fon rils, durant „ leur féjour en Angleterre, 'fur les in- ftruétions uhérieures dont j'avais be„ foin. Après fon départ, f'eus auffi, „ au commencement de 1786, lorsque les faits étaient encore tout récents , „ des éclairciiTanens ultérieurs de la part de fes Officiers réfidans en Arglererre. „ lis furent afTez honnêtes pour s'inté„ refter autant a cette entreprife que ft „ elle les eut particulièrement concernés. „ Nous fuivimes enfemble toutes les opé- rations de chaque jour, felon 1'expref- fion des journaux; & je vis avec la „ plus grande fansfaction que leurs rela„ tions particulières, loin demepréfen» ter aucune différence eftentielle fur les „ faits & les circonftances qu*i Is me dé- taillaient, fe trouvaient du plus parfait accord. Enrichi des nouvelles inftruc,» tions que me donnérent ces officiers, „ qui eux-mêmesavaientété feuls acteurs dans telle ou telle fcène, j'ai attendu „ pendant un an & demi le retour du Ca- pitaine. II eft arrivé du Bingale a la „ tin de Fété dernier. Depuis cette épo „ que toutes les partiesde mon travail ont „ été revues exactement, & même avec 99 la plus fcrupuleufe attention. J'ofe  ( XVII ) „ doric avancer qu'aucun ouvrage de ce genre n'a jamais été préfemé au pu„ blic, fondé fur des preuves pius cer« taines a tous égards, , Je me fèrais di.'penfé de raconter ici „ 1'hiftoire de mon travail, fi je n'avais 5, cru m'appercevoirqueplufïeursfcènes, „ plufieurs fituations, pouvaient paraitre 9, bien étonnantes a ifps le&eurs: mais „ la certitude en éiant étabiie d'une ma„ nièreauthentique, ellesferviront aprou* ver que le bon efprit & la droituremo„ r^peuvent avoir lieu dans des contrées „ non^civilifées, tandis que les préjugés », & Torgueil des nations policées les re99 poujfent quelquefois. Si après les découvertes modemes „ qui ont tant ajouté a la made de nos con„ naiflances fur le globe & fur 1'efpèce " 5ilmM'ne' Ie Petit grouped'iles que je „ dévoile au monde peut être regardé comme uneacquifitioniméreffame(c'eft " fikefet un beau diamant qui embellit „ 1ycéan) , le naufrage du Capitaine „ Wilson n aura pas été inutile, & je ,, m applaudirai d'avoir confacré quelque „ tems a la rédaétion de eet ouvrage"- II ne me refte qu'un mot a ajouter fur 1 entrepnfe que fai formée d'entrer dans Ia même lice que M, Campe. Si Ie zele pouvait fupléer aux talents, je n'aurais pas trophafardé en effayantdememefurer avec lui. Le défir d'être utile eft saa feule recommandation. — Le fuccès  C xvm ) de ce volume m'inftruira du jugemem que le public aura porté de mon travail; s'il eft accueilli je continuerai de livrer a 1'impreffion les manufcrits qui me restent: au cas contraire ils rietteront dans mon porte ^feuille. - Après avoir m avec mon élève tous les volumes de M. Campe, j'eflayai de rédiger pour fon ufage la rélation que je publie actuellement > le vif plailir qu'il éprouvaita cette lecture me fit juger qu'elleintérelïcrait les jeunes gens de fon age; en conféquencejeniedécidaia rimprelfion. Les autres relations, rédigées fur le même plan, n'auront pas moins d'intêret,j'eipère, quecelledes ilesPelew, En général je ne négligerai rien pour y faire régner cette agréable variété qui fait fouvent le plus grand charme des leélures de ce genre. Afin de réferver a mes jeunes amis le plaifir de la furpiife, je ne leur ferai point: connaitre d'avance, comme je me 1'étais d'abord propofé, les relations qui foimeront les volumes fuivans, fi j'en publié, M. Campe m'ayant laiifé un champ trés - vafte, j'ai fait choix des Voyages qui m'ont paru les plus propres h rempiir notrebut commun, Pinftruction & Pamufement de la jeunefle. Puifle notrecolledioncontribuer a rendre meilleurela génération pour laquellenousl'avons entreprife, & nos voeux les plus ardens fèront exaucés!! Utrecht le 3 Avril I792»  RÉLATION DU SÉJOUR DES ANGLAIS DE L'EQUIPAGE L'ANTELOPE, AUX ILES PELEW; Rédigéó EnTK'aüTRES sur LES MS4, de M. WIL S O N, Capitaine du navire. Tout eft bien fortant des mains de I'Auteur des chofes: tout dégaiére entre les mains de 1'homme. J. J. ROUSSEAU.   RÉLATION DU SEJOUR DES ANGLAIS DE L' EQUIPAGE L'ANTELOPE , AUX ILES • P E L E W-i Sous Ie Capitaine W I L S O N. § i. Situation des iles Pelew. Départ de Macao. Traverfêe jusqu'a ces iles. Naufrage. Les iles de Pelew ou de Palos font fituées entre les Carolines & les Ph'lippines, fous le 235. degré de longitude oriëntale. Elles paraisfent avoir été inconnues jusqu'en 1783 que M. Wils on, Capitaine Anglais, qui coramandait 1'Antelope, paquebotde la Compagnie des Indes orientales, eut le malheur de faire naufrage fur leurs cotes. A *  (O Mais ilconvient avant d'aller plus loin, que mes jeunes leéteurs veuillent fe traiuporter a Mzcao dans la partie méridionale de la Chine. C*eft de cette ville que partit M. Wilson le 20 Juillet 1783. Les premiers jours de fon voyage ne préfentent rien de remarquable jusqu'auvendredi 25e. du même mois: il tonnait, il éclairait, la pluie devenait fi violente, qu'on eut dit que le vaisfeau était au milieu d'un déluge; tout le monde était mouillé jusqu'aux os, & fort aflligé. Le tems ne fe remit au beau que Ie 28e. On en profita pour ouvrir les Sabords, laver, nattoyer le bas du vaisfeau, vifiter, polir les petites armes, & donner aux Officiers les inftructions nécesfaires pour le voyage. Le jour fuivant un vent favorable permit de faire fécher quelques unes des provifions, particuliérement des jambons chinois & des poisfons fecs, qui faifaieut une partie des vivres , & que les pluies excesfives avaient mouillé. Jusqu'au Jeudi 7. aout, le tems fut variables il s'éclaircit fur le foir, & il régna le lendemain 8. un vent frais du fud: on put alors netoyer les entre-ponts, & enfumer le vais-  C 5 ) fenu avec de Ia poudre a canon. Les beflianx étaient tous péris dans la dernière tempête, excepté un jeune bceuf. Une cbêvre qui avait mis bas pendant ce mauvais tems, était morte avec fon petit. Le jour fuivant 9. le tems fut fi beau, qu'on ouvrit les fabords pour donner de fair au vaisfeau, & le faire fécher vers le bas: on eutausfi la facilité d'éxaminer les provifions & les munitions, & de mettre tout en ordre. Déja le vaisfeau marchait bien, on fe livrait h quelque fentiment de joie dans 1 idéé ftatteufe que les tems contraires, & les peines qu'ils avaient caufées, ne reparaitraient plus. Mais hélas! ces espérances ne tardérent pas a s'évanouir. Le beau tems ne dura que jusqu'au Diman» che ïo. II régnait encore a minuit un bon vent frais, lorsque le ciel commen?a a s'obfcurcir. Bientót il tónna, il pkit, des éclairs redoublés brillérent dans 1'air. M. B enger, premier-aidedeM. Wilson, qui commandait le quart fur le pont, préfumait par les coups de tonnerre, que la tempee ne tarderaït pas fe disfiper, & le tems a s'éclaireir; il fe flattait que ce ne ferait qu'une espéce de bouras- A 3  ( ó ) que. Tout a coup un des matelots cria Srifans!& au même inflaut Ie vaiiTeau toucha. Ce terrible événement jetta tout le monde dans la confternation. Le Capitaine, & ceux quiéialent couchés en bas, coururent au pont, pour lavoir Ia caufe de la fccouïïe que venait d'épronverle vaiffeau &dei'ailarme qui s'était yépandue fur !e pont. Uu moment leur montra kur déplorable fituation. Les brifans, qui s'étendaient au Ioin, & a. travers les quels on diftinguait les rochers, oftraient la fcène la plus afïligeante, & ne laisfaïent plusaucuu doute. Le vaifleau pliant fur Ie coté , eft bien tot rempli a'eau jusqu'aux écoutilles du premier pont: P équipage fe réunic, feprelTe autoordu Capitaine pour lui demander fes ordres. Aufli-tót on met en fureté lespou» dres, les munitions, les armes portarives; on apporte fur le pont le pain & les autres provifionsque feau pouvait gater; on abbat Ks mats, les bafles vergues, afin d'aliéger le vaiffeau , & de l'empêcher de chavirer: tous enfin réuniflent leurs efforts pour conferver le navire, s'il était poflïble. On mit les chaloupes en mer, on les charges  (7 ) d'annes portatives, de provifions » & on placa une bouflble dans chacune. Deux hommes eürent ordre de s'y tenir toujours prêts a recevoir les gens de f équipage, en cas que le vaiffcau fut mis en piéces par fimpétuofué des vagues, & par celle du vent, qui fouf* flaitavec une trés-grande force. Tout ce qui pouvait devenir utile dans cette affreufe circonftance, fut éxécuté avec la plus fcrupuleufe ponctualité. Tom le monde fe raflembla enfuite fur la partie du batiment la plus élevée hors de Peau, 0¥. Pon pouvait jouir d'un eertain abri comre la mer & Ia pluie. La, après avoir contempié pendant quelques momens une fituation fi déplo able, le Capitaine n'omit rien pour relever le courage abat* tu de Péquipage, & pour ranimer les efprits. 11 leur repréfenta que ce naufrage était, il eft vrai, moins fufceptible de relfources, en ce quMl arrivait dans une mer inconnue & non fréquentée; mais que c'était précifément cette raifon qui devait les faire réfléchir avec plusd'attention, puis quils ne pouvaient prèfque plus rien atcendre que de leurs propres efrorts; que ces malheu-s devenaient toujours plus A4  C « ) cffrayans qu'ils ne 1'étaienten eux meines, iors„ 9ue tes équipages s'abandonnaient au défespoir, & ne connaiffaieut plus de fubordinadon ni d'accord. Après ces exhortations, le Capitaine défendit févérement a tout particulier quelconque, de boire aucune liqueur fpiritueufe; & la prudence féxigeait. Mais comme ils étaient tout trempés & abattus par 1'excès du travail, il fut arrêté qu'on donnerait quelque rafraichüTement, & que chacun anrait un verre de vin & du biscuit. Après avoir man. gé, on recut un fecond verre de vin, & 1'on attendit le jour avec la plus grande anxiété, dans fespoir de découvrir quelque terre, car jusqu'alors on n'en avait apercu aucune. Ces momens d'inquiétude & d'inaftion forcée leur fervirent a fe confoler les uns les autres, & a.fe ranimer. Chacun fut d'avis de s'habiller, & defe dïspofer a quitter le Vaisfeau lorsqu'on ferait indispenfablement obligé de ie faire. On obferva en ceci le meilleur ordre & !a régie la plus févére. Perfonne n'eüt enviede prendre rien de ce qui nelui apartenaitpas: loin de vouloir dérober, on ne réclamait pas même fon falaire. Enfin 1'aurore vint mettre fin a leur incerti-  Cs) tude en découvrant a leurs yeux une petite ile au fud, distante d'environ trois a quatre lieues. Peu de tems après on vit quelques autres iles &Peft: mais quels en étaient les habitans? quel était leurcaraélére &c ? voila ce qui n'intriguait pas médiocrement Péquipage Malgrè ces inquiétudes on mit du monde dans les chaloupes, qui furent chargées de la maniére la plusavantageufe pour le bien général. Elles partirent fous la conduite de M. Benger. Auffi-tót chacun de ceux qui reftaiant mit la main a 1'oeuvre pour jetter les vergues a Peau, afin d'en faire un radeau qui devint la fureté commune, paree qu'on s'attendait a voir bientót tAntelope en piéces, & que tfailleurs on était dans la plus grande inquiétude furies chaloupes, tant a caufe des infulaires qu'on ne connaiflait pas, que du gros tems & dn ?ent, qui fe foutenait toujours avec la même force. On appercut, Paprês - midi, avec une joie inexprimable, les chaloupe*s qui revenaient. Elles furent a quatre heures auprès du Vaiffean. Elles avaient lai(Té les provifions & cinq hommes dans cette ile. Ceux qui revinlent .apportérent une heureufe nouvelle. L'ile A5  ( io ) ne paraiffait abfoluraent pas liabitée. Ils y avaient trouvé de Peau fraiche, un havre bien couvert, a Pabri du gros temp*. Chacun poufla fon travail avec une nouvelle vigueur pour ache* ver le radeau, qui était déja fort avancé au retour des chaloupes. Lorsqu'il fut fin! on le chargea de tous les vivres & des munitions qu'il pouvait porter, fans hazarder Ia fureté de ceux qui devaient s*y confier. On rccnplit auflf de vivres, de munitions & d'armes, la pinafle & le canor, & tout le monde fe mit en devoir de quitter Ie vaiiïeau. On eüt lieu de remarquer, en cette occafion, le zêie & Pattention extrétnes du charoentier, qui, touroccupé de fauver les inftrumins & les provifions, re» ftait au fond du vahTeau, lorsque les chaloirpes & le radeau étaient déja parcis: Ie capitaine fut obligé de le fommer de fe jetter dans le petit canor, tant eet homme s'occupait de tout ce qui pouvoit contribuer a arracher fes compagnons a leur trifte delTinée, ou du moins a en diminuer les horreurs. Que ceux de mes jeunes Iecteurs, dont un froid égoïsme n'a pas altéré les fentimens doux & affe&ueux que la nature a fi bien gravé dans leureceur, daigneat  C ri j penrer un moment a la générofité de la conduL te de notre brave charpentier, & qu'üs jugent s'il n'-eft pas a tous égards digne de leur admiration i 1-1 re tient qu'a eux de f itniter. C'eft un de leu s meilleurs amis qui les en aflure, Piongé dans !a triflefTe & la plus mornedouleur, 1'équlpage quitta Tantelope, fans favoir qnel fort 1'attendait. Après une traverfée aflez facile , on arriva au rivage , oü Pon retrouva les cinq hommes qui y avaient été laiiTés le matin, Ceux ci, quoiqu'en fi petit nombre , avaient fongé aux compagnons de leur infortune, pendant eet interval!?. Après avoir nétoyé le fol, ils y avaient élevé, pour les recevoir, une petice tente avec une voile. Dèsque tout le monde fut débarqué , on prit du fromage, du biscuit, & un peu d'esu pour fouper. Un piftolet déchargé a poudre feulement, fur une mêche déchiquetée, proeura le moyen d'allumer du feu. On fit fécher les habits qui étaient tout trempés, & 1'ondormit tour- a- tour a terre, a 1'abri de la tente qu'on avoit dreHée. La nuit fut des plus fa* cheufes a tous égards, le vent & la pluie fu* rent trés violensj cette trifte pofition devinc A 6*  C 12 ) encore plus affiigeantepar la crainte qu'on avoit •que le vaiifeau fe brifat, avanc qu'on eneutre* tiré les effets les plus néceflaires, car la tempête était horrible. Apeine le jour reparut-il (lundi n.) qu'on envoy3 la chaloupe & le canot au radeau, qui était refté en mer, pour efiayer de le faire arriver. Mais la violence du vent faifant craindre pour le fuccés, on fe contenta d'en retirer le rerte des proviüons & les voiles. L'après-midi, le tems étanc plus calme, oa envoya les chaloupes au vaiifeau pour y prendre du riz, quelques autres provifions, & ce dont on avait Ie plus befoin. Ceux qui refté« rent a terre furent employés a faire fécher la poudre, a nétoyer les armes, & a les mettre en état de fervir. Le xetard de la chaloupe avait jetté fallarme parmi ceux qui étaientreftés a terre; mais fi fon retour diffipa les inquiéludes de ce coté, il en infpira d'autres qui ïfétaient pas moins accablantes. Le rapport du contremaitre de 1'équipage y donna lieu. Suivant lui le vaiifeau ne pouvait plus réfifter I la violence du tems , dont il était déja la ,g>roie. Par la 1'efpoir de pouvoir remettre ua  C 13 ) Jour le batiment a flot après Tavoir reparé, & de retourner ainfi il Macao ou vers quelques cótes de la Chine, eet efpoir dont ils avaient tant aimé a fe nourrir avant ce tems, s'évanouuTait entiérement. II n'y eut plus alors que la crainte qui parlat a leur imagiuation, & leur peignit chaque danger fous les couleurs les plus triftes- Aucune idéé confolante ne tranquillifait leur ame. Ils ne favoient rien des habitans du pays oü ils avoient été jettés: ils ignoroient leurs moeurs, leurs difpofitions, & a quelles fcênes hoftiles ils allaient fe voir peut-étre expofés pour défendre leur vie. Séparés dePunivers, par eet accident, incertains fur 1'avenir, chacun fe rapelait fobjet chéri anquel la plut tendre affeélion avait fortement attaché fon coeur, & qui, fans doute, attendait avec impatience le retour d'un pére , d'un époux, d'un ami, auquel il • avait voué toutes fes arTections. Joignés a ces réflexions, peu confolantes en elles mèmes, tous les désagrémens d'une tempête des plus violentes, & vous pourrez vous faire une idee de tout ce que cette nuit düt avoir de facheux, d'accablant, pour nos infor£unés voyageurs.  C 14 ) §• oi Premiers ent revue avec les naturels du pays, Le frére du Capitaine TVilfon eft dèputé vers le roi dc Pelew. &c> Le mardi 12. aout fut remarquable a plas d'un égard pour les gens de Péquipage. Vers les huit heures du matin le Capitaine Wilsom & Tom-Ross, interprête, natif du Bengale^ ^taient fur Ie rivage a receuiilir Peau qui toni» bait des roebes, lorsque les gens occup-és a nétoyer Ie fol dans Ie bois qui était derrière eux, avertirent qu'ils apercevaient un canot traverfant Ia pointe pour entrer dans la baie. A eet avis tout le monde éffrayé courrut aux armes; nai> comme il n'y avait que deux caHots, chargés même de peu de monde, on ordonna de demeurer tranquille, & de ne pas fe montrer, jusqu'ace qu'on eut vu la réception que ces naturels feraieut au Capitaine & a Tom Ross, quon favoit avec certitude aVoir été découverts par eux. Les deux canotss'étant avan. cés avec piécaution vers le rivage,, 'arrêtereat  C 15 ) è une certftine diftance, & Ton demanda aux anglais s'ils éraient amïs ou ennemis. TomRose leur répondit en malais t „ Nousfommes „ d'infortunés anglais; notre vaiffeau aéchoué „ fur le récif; nous avons eu le bonheur de „ fauver notre vie; nousfommes vos amis'\ Les infulaires fe parlérent alors entre eux. Le Malais qu'ils avaient avec eux leur expliquait fans doute la réponfe de Tom -Rose. Ils def* eendirent aufli-t6t de leurs canots dans Peau, & vinrent au rivage. Le Capitaine Wilson alla au devant d'eux dans Peau, les embraifa de la maniére la plus afièétueufe, les amena au rivage, öfles préfenta aux compagnons de fon infortune. Les naturels avaient IaïlTé un homme dans chaque cauot; en entrant dans la crique, i!s parurent regarder tout avec beaucoup d'attention, comme s'ils euflent craint d'étre trabis. Ils ne voulurent pas s'aflèoir prés des ternes; ils reftérent tout prés du rivage, afin de regagner immédiatement leurs canots, s'ils apereevaient quelque danger. Les Anglais allaient déjeuner: ils préfentérent aux naturels du thé & du bifcuit doux fait en Chine. Pendant Ia petite converfauon  < 15 ) que le tems du déjetiné permit, on fit entendre au Malais qu'ils avaient amené avec eux, qu'on voudrait bien favoir par quel hazard il fe trouvait dans cette ile. Cet homme qui outre fa langue naturelle & le pelew, favait un peu d'anglais & d'hollandais, répondit „ qu'ilcom- mandait un vaiifeau marchand appartenant k t, un chinois de Ternate;que faifant route pour )? Amboine & Bantam, il avoit été jetté, il y avoit environ dix mois, fur une ile au fud „ a portée d'être vue de celle oü 1'on était „ aftuelleinent; qu'il s'était fauvé de cette ile dans celle de Pelew, oü il avait été favo„ rablement recu du Roi. // ajouta , que ce Roi était un excellent homme & que fon ^ peuple n'avait pas moins d'humanité". Ce Malais fit favoir aufli qu'un canot étant a la pêche, avait vu échouer le vaiifeau des anglais: que leRoi, informé de ce malheur, avait fait partir ces deux canots dès quatre heures du matin , pour favoir ce qu'étaient devenus les gens de 1'équipage ; que connaiffant trés bien ce port, ils s'y étaient adreffiés, par ce que c'était 1'endroit oü les ca-  C i;) nots de pêcheurs fe mettaient fouvent a f abri du gros tems. Après avoir paflfé envirou une heure a table, les infulaires demandérent qu'un des anglais fut envoyé dans leur canot au rupack ou Roi de file, afin qu'il fut quels gens ils étaient. Le Capitaine y confentit. Remarqués, je vous prie, mes jeunes lecteurs, comment la bonne Providence fe plait fouvent a ménager des refiburces inafcendues dans les plus cruelles épreuves , pour confoler les malheureux. Ce fut aflurément par une direétion toute particuliere , que d'un coté fon recommanda au Capitaine Wjlson, comme domeftique , ce Tom-Rose qui par'lalt trés bien le malais , & que de 1'autre, une tempête jetta dans cette ile un malais connu & favonTé du Roi comme étra|]ger, &. qui ayant déja été prés d'un an dans file avant Ia perte de Vanielope, avait pu aprendre la langue du pays. Paree moyen, les Anglais & les Naturels avaient chacun leur interprête; on n'était plus expofé aux difficultés qui auraient pu furvenir entre des gens  C ) hor* d'etst de commoniquer leurs idéés, fi ee n'eft par des fignes & dei geftes, caufes inévitables de méprifes réjtérées, fur tout de la part «Tinfulaires féparés, pour ainfi dire, du refte des hommes, Faifons, ?vant d'aller plus loïn, quelques obfervations fur nos infula-res. Ils étaient d'une couleur trés olivatre, & ne voilaient aucune partie du corps. Ils avaient la peau lisfe & brillante, ce qui était 1'effet de 1'huile de coeo. Chaque chef tena;t a la main une corbcille de bétel (mes jeunes lefteurs ont déja appris dans le receuil de M. ($mm ce que fon doit entendre par ce mot), & un bambou bien poii,marqueté a chaque? bout: c'éïait avec cela qu'ils portaient leur chinam on coraii brulé & réd uit en chaux. Ils le font fortir par une extrêmité du bambou, en Ie fécouant fur le bétel avant de le macher, afin dele rendre plus utile & plus agréable. On remarqua ausfi qu'ils avaient les dents noires, & que cette noirceur melée au rouge de leur falive, occafioné par le bétel, rendait leur bouche fort dégoutante. Leur taille était médiocre, mais bien proportiounée: leur démarche particuliere mais  C 19 ) majeitueufe. A peu de difhnce des fflatléoTes* Hs fe peignaient jusqu'au milieu des cuisfes: cette peinture était fi forte, qu'on surait pu la croire naturelle. Leurs cbeveux trés longs & d'un beau noir, étaient fimplement rouiés par derrière , & relevés avec élégance. II n'y avait parmi eüx que le plus jeune des deux fréres du Roi qui eut de la barbe. On obferva par la fuite qu'ils fe 1'arrachaient jusqu'a la racine. D'après tout ce que les inglais remarqué*rent pendant leur féjour dans cette ile, ils eurent lieu de fe convaincre que les naturels n'avaient jamais vu d'homrae blanc. Ainfi 1'on fut moins furpris qu'ils confidérasfent la blancheur comme particuliére a une race nouvelle & fort extraordinaire. Ne facbant pas trop ü 1'homme & 1'habit n'étaient point la même matiére, ils commengérent par pasfer la main fur les corps & les armes des anglais, & a palper leur jufhmcorps & les manches, ils ne furent fatisfaits que lorsque le malais leur eut appris, que les anglais habitant un climat beau. coup plus froid, étaient accoutumés a être  C 20 ) toujours couverts, & a fe fervir de différens habits. Les mains des anglais fixérent particuliérement 1'attention des infulaires: les veines bleues des poignets ne les frappérent Fas moins. Ils preïümaient que la blancheur des mains & du vifage étaic une couleur artificieïle, & la couleur des veines comme une efpéce de teinte portée dans ia peau même. En effet ils ne tardérentpas a demandfr qu'on relevat les manches des habits, pour voir fi les bras étaient de la même couleur que les mains & le vifage. Satisfaits a eet égard ils demandérent a voir le corps. Alors plufieurs anglais fe découvrirent la poitrine & leur firent entendre que tout le refte du corps étoit de la même couleur. Mais les naturels ne furent pas médiocrement furpris en voyant du poil fur la poitrine de nos anglais. Il3 le regardérent comme une malpropreté d'autant plus grande que chez eux les deux fêxes fe 1'arrachent. Les Infulaires étant venus fur le rivage fans armes,Ie Capitaine Wils on qui voulait leur faire vifiter les tentes, erüt devoir faire cacher tou-  ( 21 ) tes les armes a feu fous une voile, afin que Ia confiance mutuelle qui s'était fi prontemenc établie des deux cotés, ne recut pas la moindre atteinte: mais un hazard imprévu rendit cette fage précaution inutile. En entrant dans les tentes, un d'entr'eux fe heurta le pied contre un boulet de canon qui avait été jetté par hazard fur le fol; il marqua auffi-tót combien il était furpris qu'une matière fi peu volumineufe fut fi pefante a la main. II le raontra au Malais qui lui en expliqua 1'ufage, & parut lui expofer en détail la natnre & feffet des armes a feu. En effet eet infulaire demanda, après ce détail, qu'on lui fit voir un mousquet, afin d'en mieux comprendre 1'ufage & feffet. Les anglais avaient dans leurs tentes deux chiens qu'on avait placés tout prés de l'endroit oü fon avait dépofé les armes. Lorsqu'on y entra avec les naturels, un des anglais alla droit a ces chiens, pour voir s'ils étoient attachés, & pour empêcher que les naturels n'éprouvasfent aucune furprife. A peine furent ils entrés que les chiens fe mirent a aboyer avec force. Ces infulaires répondirent k leurs  ( 22 ) erts par des claraeurs ausfi bruyantes. On ne fut trop d'abord fi c'était par crainte,ou pour marquer leur étonnement. ils entrérent dans les tentes, en fortirent, & parurent défirer que les chiens aboyalïent encore. Le Malais dit que c'étoit chez ces naturels feifet de la joie & de la furprife, paree qu'ils n'avaient jamais vu auparavant aucun de ces animaux, & qu'il n'y avoit même dans i'ile , pour tout quadrupéde, que des rats gris qui fe tenaient dans les bois. D'après la-demande qu'en avaient faite les naturels, M, Wilson, fe décida d'envoyer un des fiens vers le Rupack; & ce fut M. Matthjas Wilson , fon frère, qui fut chargé de 1'ambasfade. II lui fut recommandé de la part du Capitaine d'apprendre au Roi leur étar, leur malheur, & de lui demander fon amitié, & la permisfion de conftruire un vailTeau pour retourner dans leur patrie. 11 étoit ausfi chargé de préfenter a ce prince un refte de large drap bleu, une corbeille de thé, une defucrecandi, & une jarre de gros pain. Ce dernier article fut ajouté a la demande particuliére des deux fréres du Roi, dont le plus jeune accom» pagna M. Wilson.  ( *3 ) Le tems était tres mauvds. Les anglais s'occupérent k faire fécher leurs habits, & a rendre leurs tentes plus commodes. Les naturels en menérent quelques uns a une fource d'eau fraiche. Le fentier qui y conduifait était pratiqué a travers des roes efcarpés & fcabreux, ce qui rendait le pas hazardeux & pénible. Richard Sharp, fervant comme Volontaire , agé d'environ quinze ans, fut chargé de cette coramisfion: mais les infulaires le prirent dans leurs bras lorsque le paifage devenait difïïcile, & furent trés attentifs k aider dans ces endroits ceux qui revenaient avec deux jarres pleines. Des foins de cette nature, ces attentions que nous appellons délicates, jedois le dire a notre honte, mes jeunes amis, nous ne nous attendions pas a les trouver dans des peuplades aux quelles nous donnons le nom de Sauvages fans trop favoir pourquoi. II eft certain, cependant, que fi nous voulons étreconféquents, nous ferons forcés de reconaitre chez nos habitans des iles Pelew beaucoup plus de vertus réelles que nous n'en voyons briller dans nos fociétés que nous appellons avec tant d'emphafe civilifèes. Nous n'y tros-  ( 24 ) verons pas a Ia vérité ces grimaces extérieures que nous nommons maniéres, ces déhors faux & trompeurs qui tiennent parmi nous lieu de vertus; eet efprit minuueux & léger qui nous fait paraitre occupés lorsque nous ne faifons que des riens &c, circonftances qui, aux yeux d'un fage, dégradent bien plus les hommes qu'elles ne les rendent aimables. Nous trouverons chez nos infulaires non fécorce dés vertus, mais les vertus mêmes; non la fausfe politesfe du monde, mais celle du cceur; non cette fenfibilité théatrale qu'on affeéte tant de «os jours, mais 1'humanité, mais tous les fentimens d'afFection que la Nature a fi profondement gravés dans nos coeurs, & dont on ne trouve plus que quelques traces parmi nous. Ce tableau n'efi point éxagéré, mes jeunes le&eurs; la fuite de cette rélation vous convaincra entiérement qu'on pourrait ici, comme en bien d'autres occafions, nous appliquer cette fable du charmant la Fontaine; On expofait une peinture9 Oü Partifan avait tracé Un Lion dimmen fe flature Par  C 25 ) j Par -un feu! bomme terrajfé. Les regardans en tiraient gloire. Un Lion en pasfant rabattit leur caquet* Je vois bien, dit-il, qiien ejfet On vous donne aujourd"hui la viftoire; Mais Vouvrier vous a dépus: II avait la liberté de feindre. Avec plus de rai fon nous aurions le dej/us % Si mes confrères favaient peindre* Livre 3. fab, 10. Mais feu reviens a mes bons amis. II était refté avec les anglais,un canot, trois infulaires, un des frères du Roi appellé Raakook, Commandant en chef des forces du Monarque, & finterprète malais. On leur offrit pendant Ie diné, entr'autres chofes, quelques tranches de jambon; mais ils ne voulurent pas y toucher. Le gout du fel leur dépiaifait d'autant plus qu'ils ne connaiffaient point cette concrêtion marine. Le vent & la pluie s'étant foutenus dans 1'après midi, ils ne purent partir, furenr .obligés de pasfer la nuit avec les anglais, & parurent trés fatis* B  ( a« ) faits & flattés de ia réception qu'on leur avait faite. §. 3- Evénemettts qui fuivirent le dêpart de M. Mathias Wilfon. Conduite de Raa-kook. Confeil remarquable. Arrivée tf Arrakooker de fon neveu. Retour de M* JVilfon; fon rapport» Le tems fut très-mauvais le mardi 13. Raakook annonca en conféquence a M. Wilson que fon frère ne pourrait pas revenir. Vers dix heures on envoya la pinasfe au vaisfeau: ceux qui reftaient a terre netoyérent le fol, & firent fécher leurs provifions. La pinasfe ne revint qu'a la nuit. Ce long retard inquiétait déja. Ceux. qui 1'avaient conduite avertirent que le vaisfeau avait été vifité par quelques canots, dont les gens avaient pris des ftrrements & autres chofes. Ils rapportérent aufli qu'une partie confidérable de la roche, fur la quelle le vaiifeau était arrêté , était entrée dans le fond , & que dans quelques  C *l ) endroits Ie fond de cale paraiffait fee, de inaniére que Ie batiment deraeurait fixé fur Ie récif. Ils remarquérenc en outre que les naturels avaient été fourager les caisfes d'apothicairerie, gouté plufieurs médicamens, qui ne leur avaient probableraent pas aflez plu, & qu'en conféquence ils les avaient répandus: de forte qu'il ne reftait plus rien dans les caisfes dont on put efpérer de tirer parti. Heureufement le Chirurgien Sharp avait emporté, en quittant le vaisfeau, les médica< mens les plus utiles, préfumant qu'il ne le reverrait jamais. M. Wilson fit part de eet événement a Raa-kook, moins pour paraitre fe plaindre, que pour lui témoigner la crainte oü il était que les infulaires ne priffent au -hazard, quelques dofes de ces médicamens. Raa-koos répondit au Capitaine qu'il devait d'autanc moins s'inquiéter k leur égard, que s'il leur arrivaic du mal, ils ne pourraient 1'attribuec qu'a leur écart; mais que quant a lui ce procédé 1'offenfait fenfiblement. En effet il parut trés affeclé pendant cette converfation, mentait infenfiblement. La poudre a canon était féche, les armes a feu en état de fervir; ainfi 1'on penfa que la fureté commune obligeait d'établir une garde régulière pour la nuit, & de la re« lever toutes les deux heures. L'équipage fe partagea donc en cinq corps de garde, ayant chacun a leur tête un Officier pour donner la cüüfigne , que 1'on demauderait de cinq en cinq minutes d'un pofte a l'autre; de forte qu'il y eut toujours une perfonne fous les armes. Ce projet devant s'effeétuer le foir de ce jour même, le Capitaine crut devoir faire expliquer a fes hótes la réfolution qu'on avait prife, difant qu'il était d'ufage chez les anglais d'avoir une garde de nuit partout oü ils fe trouvaient hors de chez eux; qu'elle devenait furtout utile dans le lieu oü ils étaient, pour empêcher les habitans des autres iles de venir les attaquer.  C 4* ) Après eet avis, M. Wilson les invita, avant le foupè, a venir voir la garde & pofer les fentinelles. Ils vireut avec un extréme plaifir les anglais faire leurs exercices avant de partir pour leurs poftes refpedifs, chaque homme ayant un mousquet, fa cartouche &c. Comme les gens de 1'équipage avaient été réguliérement éxercês au maniment des petites armes, depuis leur départd'Angleterre, ils étaient alfez iuftruits pour fe présenter d'une ma-niére impofante ; & leur habileté , la vitelTe de leurs mouvemens, parurent infpirer la plus grande crainte aux infulaires devant les quels ils fe montraient ainfi fous les armes. Ce fpeclacle fi nouveau pour leurs yeux. frappa fans doute auffï trés fortement leur imagination. A '.ra-Kooker , qui avait prété Ia plus férieufe attention aux détails qu'on lui avait donnés fur 1'ufage & feifet des armes a feu, & dont probablement il s'était entretenu avec fon frére le Générai, parut fubitement frappé d'une nouvelle idée. II fit fortir fon frére avec vivacité lui difant ces mots: Englees mora mrtingall, Pel lelew, II montra en même  C 43 ) tems du doigt le nord & le fud. Alors voulant imiter le bruit de nos canons, ii cria pou\ lis revinrent enfuite aux tentes oü ils devaient fe coucher & parurent trés fatis» faits. Cependant ils tinrent converfation entre eux une grande partie de la nuit: & ce qui s'était paffé dans ceite matinée devint pour les anglais une circonftance très-favorable. EnefFet, depuis ce moment la, les Infulaires parurent les confidérer comme des gens doués d'unpouvoir & de facultès extraordinaires.", dont ils ne s'étaient jamais formé d'idée. Arra-Kooker ne put abfolument s'accoutumer a porter le pantalon, mais il parut extrê" mement défirer d'avoirunechemifeblanche. On lui en donna une auffi-tót. II ne feut pas plutot mife qu'il commenca a danfer & fauter avec tant de joie qu'il divertiffait tout le monde par la fingularité de fes geftes, & le contraire que ce linge blanc faifait avec fa peau. — Ce prince touchait a peu prés a fa quarantié* me année. II était d'üne taille médiocre, il -épais, fi gras, que fa largeur égalait prèsque fa hauteur. 11 était d'une grande gaicé, tou-  C 44 ) jours prêt a contrefaire ce qu'il voyait ou entendait. Tout fon extérieur était fi animé, fi expreflif, que les anglais qui ne comprenaient encore rien de ce qu'il difait, faifilTaient avec avidité fes traits, fes geftes, & tout ce qu'il voulait leur faire entendre. Souvent il venait interroger les gens de 1'équipage, fur quelque particularité qu'il avait obfervée, & il le faifait avec tant de galté, qu'on ne pouvait le voir fans s'en amufer. Quelquefois il prenait un chapeau, fe le mettait fur ia tête, & contrefaifait la marche de nos exercices militaires. 11 fe rappelait exaftement tout ce qu'il avaic vu, & ne laiflTait rien échaper de ce que faifaient les anglais: en un mot, on remarqua toujours en lui beaucoup de douceur & devivacité. De pui? qu'il avait appercu le grand dogue de Terre -neuve que les anglais avaient avec eux, il prenait plaifir a Palier voir & a lui porter a manger. Ce chien , accoutumé a levoir, montrait toujours la plus grande joie a fon arrivée. Sailor Cc'était le nom du chien) était fi familiarifé avec lui , que partout oü il le fencontrait, il aboyait, fautait, faifait auffi tót tous fes tours. Si ce nouvel ami avait inten-  C 45 ) tion de s'amufer , il contrefaifait ce chien, aboyait, hurlait, fautait, imitaut a merveille toutes les démonftrations de joie de cetanimal. Les rapports favorables de M. Mathias Wilson, 1'attention, les égards que les infulaires marquaient aux anglais depuis leur fé^ jour avec eux, étaient fans doute bienpropres a répandre de la joie dans le coeur de ces Européens, furtout depuis qu'ils avaient la certitude de pouvoir retourner librement en Angleterre. Mais cette joie était balancée par la crainte de ne pouvoir retirer aifez dematériaux du vaiiTeau naufragé pour en conftruire unautre & (par une fuite néceflaire) , par Ia crainte de ne revoir jamais fa patrie, fes parens, fes amis: incertitudes qui ne pouvaient manquer de faire naitre, & qui firent naitre en effet dans 1'ame des anglais, les réflêxions les plus accablantes: patience, réfignation, confiance en Dieu. . . voila les feules fources de confolation qui leur reftaient, & dont ils eurent la fagefle de profiter.  ( 4* ) § 4- Arrivèe du Roi de Pelew. Son féjour, Son dép art. Faujfe alarme. Le Vendredi (15 aout) on vit nombre de canots pafler la pointe a fentrée du port & s'aprocher. C'était fescadre du Roi de Pelew. Le canot qui portait ce prince s'arrêta pendant qu'il donnait des ordres a une autre flotille armée faifant 1'arriére garde, & lui difait de palier a la partie poflérieure de 1'ile. Alors fon canot s'avan£a au milieu de quatre autres. Les rameurs faifaient jaillir 1'eau de tous cotés avec leurs avirons, & la faifaient palfer fur leur téte de la maniére la plns adroite. Pendant la traverfée du roi, les premiers canots qui étaient arrivés formérent fon cortège, & le fuivirent jusque dans la crique, fonnant de leurs conques. Lorsqu'ils fe furent avancés auffi prés que la marée pouvait le permettre, on dit au Capitaine Wilson de fortir, & de venir versie Roi. Alors deux anglais le prirent dans leurs bras & le portérent au guè jusqu'au canot, oü le roi était affis fur un échafaud qu'on avait  élevé au milieu. II dit au Capitaine Wilson, d'entrer dans le canot. Celui-ci le fit auflïtót, fembralTa & lui apprit par les interprêtes, que lui & fes amis étaient des anglais qui avaient malheureufement fait naufrage, & s'étaient fauvés fur fes terres; qu'ils le fuppliaient de leur permettre de conftruire un vailTeau pour retourner dans leur partie. Le Roi paria quelques inftans avec un Chef qui était a coté de lui dans le même canot, & qu'on a fu depuis. étre fon premier miniftre. Après cette con. verfation il répondit de la maniére la plus obligeante, que le Capitaine avait toute liberté è eet égard, foit dans l'ile oü il fè trouvait], foit dans l'ile même oü le Roi faifait fa réiidence. II avertit enfuite le Capitaine que l'ile oü il avait abordé paffait pour être mal-faine, & que la troupe anglaife pourrait y devenir malade, fi elle s'y arrêtait avant qu'il s'élevét un vent qui ne föuflerait que dans deux mois; qne d'ailleurs elle pourrait être attaquée par les habitans de quelques iles voifmes, avec les quels le Roi était en guerre. Le Capitaine lui fit rendre toutes les expresfions de Ia reconiiaiffance qu'il lui devait pour  (48 ) cette condefcendance, fes foins, & la bonté qu'il avait pour lui & fa troupe; mais il lui repréfenta en même tems que file oü il fe trouvait étant plus prés du vaiifeau naufragè, d'oü il avait déja retiré quelques munitions & efpérait encore en tirer d'avantage, il préferait de refter avec fa troupe dans cette ile, d'autant plus qu'il n'avait aucun ennemi a craindre, tant qu'il ferait afiuré de la protection & de 1'amitié du Roi. Que quant aux maladies, il avait avec lui un homme très-verfè dans 1'art des les guérir, ce qui lui otait toute inquiétu» de a ce fujet. II ajouta qüe s'il arrivait que quelques perfonnes de fa troupe tombaüent malades, il profiterait des bontés du Roi, & les ferait paifer dans fon ile pour fe rétablir. Le Roi parut fatisfait de cette réponfe. Ausfi-tót le Capitaine lui fit préfent d'un habit d'écarlate. Après quelques mots que le Roi dit a fon monde, il fit figne d'arriver au rivage. Les anglais enlevérent encore le Capitaine Wilson: le Roi defcendit a Peau & la paiïa au guè pour fe rendre a terre. II était toralement nu & n'avait pas autour du poignet la marqué diftinctive de fon frère le général. II  C 49 ) 11 portait fur 1'epaule une hache de fer, ce qui furprit d'autant plus les anglais, que toutes les autres étaient de coquillages. Le manche de cette hache était formé en angle aigu, & fbrtement apuyé fur 1'épaule devant & derrière, qu'elle traverfait entiérement, fans avoir befoin de noeuds pour la raffurer pendant la marche. En arrivant a terre Ie Roi jetta les yeux de tous cotés, avec Ia même précaution que fes frères & ceux de leur fuite avaient montrée a leur première vifite. Raa-kook alfa audevanc de lui fur le rivage. Comme il évitait d'entrer dans les tentes, les anglais étendirent une voile a terre pour lui donner occafion de s'afTeoir, ce qüil fit, prenant cela pour une marqué de refpeóï: de leur part. Le premier minMre fe placa en face de lui, a fautre bout de la toile, tandisque Raak-kook & Arra-kooker, s'affirent de chaque coté prés du Roi. Les principaux Chefs & les Officiers d'armée qui faccompagnaient, s'affirent auprès. Derrière eux la longue fuite du peuple qui complettait le train, fe placa en ordre au nombre de troiscents, non asfis, maïs accroupis, de maniére a être releve's en un clin-d'ceil. C  ( 50 ) On préferfta au Roi un refïe de drap écarla* te, & quelques rubans de difivrentes couleur?, ïl diftribua fnr le cbamp ces derniers a ceux de fa fuite. Pendant qua les infulaires roulaient avec adrelfe les rubans (qu'on avait déroulés pour les faire fécher}, les anglais remar* quérent que chacun des chefs fixaic particuliérement fon attention fur plufieurs d'entr'eux, ce qui les alarrna: ils craignirent que chacun d'eux ne les eüt remarqué particuliérement comine autant de prifonniers qu'ils avaient in* tention de fe diftribuer entr'eux. Mais ils virent bientót que ce n'était, au contraire, que pour défigner les amis que chaque chef s'était fait parmi les étrangers qu'ils avaient logés. Parmi les gens de 1'équipage que 1'on préfenta a Abba -Thulle , on défigna particuliérement le chirurgien M. Sharp , comme celui qu'on avait annoncé au Roi être en état de guérir les maladies, ce qui furprit beaucoup le prince, qui le fixa trés - attentivement. Lorsqu'on eut préfenté toute la troupe, le roi demandaquelle était la marqué du rang ou de la dignité du Capitaine Wilson, comme chef des anglais: le Capitaine lui ayant dit que c'était 1'anneau,  C 51 ) mit auffi - tót a fon doigt celui que M. Bengür (premier aide de 1'équipage), avait fau* vé. Les infulaires parurent fatisfairs de ce que les anglais regardaient comme o;nenent une chofe analogue a celle qu'ils confidéraieticcomme telle* Dans eet intervalle Raa-Kook parlait avec le roi de tout ce qu'il avait eu lieu d'obferver pendant fon féjour,parmi les anglais: c'eft ce qne fa contenance & fes geflesmontraientaffez clairement. On fit furtout attention a la maniére dont il expliquait les armes a feu & le« exercices. Le roi témoigna 1'envie qu'il avait •de les voir & d'y affifter. Le Capitaine ré« pondit qu'il allait être fatisfait & donna ordre a tout le monde de prendre les armes, & de fe ranger devant le roi. Sans per< dre de tems chacun fe tint prêt, & marcha en ordre jusqu'au rivage, oü 1'on fit trois déchar* ges. L'étonnement des infulaires, leurshuées, leurs clameurs, leurs fauts, firent un vacarm©, prèsque égal au bruit des mousquets. En montrant ainfi Peffet des armes afeu, lef anglais avaient, a Ia vérité, ufé un peu de poudre, mais ayant fauvé tout ce qu'ils es C a  C 5* ) .avaient a bord, ils crurent qu'il ètak a propos de prouver a ces infulaires la puiflance de ces armes, & de leur donner d'eux mêmes une plus haute idée. Ils le firent avec d'autant plus d'empreflement, que la nuit précédente les fréres du roi avaient con?u une trèsgrande eliime pour eux, a la feule vue de cette mousquéterie, dont on leur avait expliqué 1'ufage. Après ces opérations on donna 1'eiTort a une des volailles qu'on avait fauvées du naufrage. M. Benger fe tenait prêt avec un fufil de chafle, & tira 1'oifeau pour montrer au roi 1'efFet du coup. L'oifeau s'abattit a 1'inftant ayant les ailes & une cuifle caiïees, Quelques. infulaires coururent le prendre, & 1'aportérent au roi. II le confidéra trés • attentivement fans pouvoir s'imaginer comment il avait été blelTé, puisqu'on n'avait vu partir aucun trait du fufil. Toute cette foule témoigna fa furprife par un murmure étoufé. Raa-Kook était impatient de montrer au roi un objet dont la vue & fufage 1'avaient finguliérement afFefté. II Ie prit par la main pour le mener a une meule k aiguifer les outils, placèe derrière une tente. II la mit ea  C 53 > mouvement, comme il avait fouvent fait depuis qu'on lui avait montré a la tourner. Le roi fut fort étonné de la rapidité de fon mouvement, & de ce que lui dit fon frére le général, fur la faculté qu'elle avait de polir le fer en un inftant. Le capitaine Wjlson fit appor» ter une Mche, & ordonna de fémoudre, afin qu'ils en comprilfent plus facilement feffet. Raa-Kook prit lui même la manivelle de !a meule , & fe mit a tourner, paraiflant trés flatté de montrer a fon frère combien il avait déja d'intelligence dans cette manoeuvre. En effet, il s'était amufé de cette nouveauté pendant plufieurs heures , en aiguifant quelques morc?aux de fer, CequiparaifTait 1'occuper d'avantage, était de connaitre la caufe des étincelles qu'il voyait, & pourquoi une pierrefi mouiilée devenait fi promptement féche. Le roi vifita enfuite les différentes tentes, & demanda 1'explication de tout ce qu'il vit. Tout était nouveauté , tout devait donc intérefler fon attention. Lorsqu'il entra dans celle oCi étaient les chinois (que les anglais avaient pris a bord avec eux fur ranteiope)y Raa-Kook , qui n'avait rien oublié de ce C 3  ( 54 ) qu'on lui avait expliqué les jours précédens, apprit au roi que c'étaieEt des hommes tout différens des anglais. II demanda a 1'un tfeux de laifler voir fa tête au roi, & fit remarquer a ce prince cette feule & longue trefïe de che" veux qui leur pendait de ia tète jusqu'aubas du gras de jambe. Abba-Thulle fit becucoup d'attention a ce que le général fon frére lui difait, & fembla lui demander des éclaircisfements. Les geiles de Raa-Kook montrai* ent aflez clairement qu'il aprenait a fon frére que dans les diverfes parties de Ia terre il y a« vait différents peuples, que parmi ceux-ci ou diflinguait les *Francais, avec lesquels les anglais eux-mêmes étaient en guerre , car les gens de 1'équipage lui en avaient déja parlé plufieurs fois. — II lui difait aufii que les China-mens (ou les chinois), étaient une autre efpéce d'hommes que les anglais; il 1'avait con« jeduré lui même, obfervant, la nuit précédeute, que les chinois étaient armés de piqués, lorsque les anglais pofiérent leur garde de nuit pour la première fois. II en demanda Ia caufer on lui dit que ces peuples n*étaient pas accou* tumés a coaibattre avec des fyfils comme leg-  C 55 ) anglais; & c'eft ce qui lui infpira du mépris pour eux. Le roi entendant fon frére parler des difFérentes nations répandues fur la terre, & de leur différent langage, dont il voyait un exemple dans les chinois qui ne parlaient pas anglais; ce prince, dis-je, devint rêveur & férieux, comine s'il eut été frapé d'idées nou/elles & dtranges. II demeura quelque tems penfif & troublé. Cette circonftance fit croire aux an» glais, & mes jeunes Iecteurs fe le perfuaderont auffi, que ces infulaires préfumaient fans-doute n'avoir jamais eü de communication avec aucun autre peuple de la terre; que leurs ancêtres avaient vécu comme les fouverains du monde, fans favoir qu'il s'étendit au dela de leur horifon, & qne 1'origine de leur lignée fe perdait dans la nuit des tems, de forte qu'il était impoffible de remonter a la première époqne. Ce prince ignorant donc qu'il y eut fur la terre d'autres habitans que ceux de leurs iles, quels fentimens ne düt-il pas éprouver, en fe voyant transporté tout-a-coup de fa fphêre étroite dans la vafte étendue de la nature & du genre humain I C 4  C 56 ) Abba - Thulle venant aux trois tentes des anglais, qui étaient gardées chacune par une fentinelle, appercut 1'éclat d'une bayonette. Le jour était beau & le foleil dans toute fa • iorce: quelle ne dut pas être la furprife de ce prince , qui n'avait jamais vu de corps poli rcfléchir la lumiére! II vint a la hatè vers Ia fentinelle, voulut toucher Tarme, & même la prendre des mains du faétionaire; mais celuici recula. M. Wilson fitentendre su.roi que jamais une fentinelle ne foulfrait en Angleterre qu'on toucMt fes armes. Raa-Kook montra alors a fon frère Ia cuifme, qu'on avait établie dans le creux d'une roche. Le cuifmier, dansce moment, prépansit le diné. La batterie de cuifine n'était furement pas bien confidérable ; néanmoins une marmite de fer, une bouilloire a thé, un poëlon, un fourgon, une paire de pincettes, & une poele a liire, devinrenr par leur pofitiön particuliére , un objet affez intérefifant pour exciter de 1'admiration. Le général n'oublia même pas les fouffiets; il lesprit, en fit voir 1'ufage a fon frére, & tout^ fier de lui montrer fon habileté, il fe mit a foufler le feu, Le  C 57 ) cuifinier, petit .homme, maigre, chauve, & qui toujours rafé trés prés, ne fe couvrait jamais la tête, lui parut un objet digne de fob* fervation du roi; car le caradêre jovial du général & le défir qu'il avait de s'inftruire, le rendaient attentif aux chofesqui nous parahTent les plus communes. II mena auffi le roi vifiter les deux chiens, Celui-ci les vit avec autantdefarprife&deplaifir que fon frére Arra- Kooker. Frapé comme tous les autres de la nouveauté de ces animaux, il s'amufait tant a les faire aboyer, que les anglais furent obligés de les fouftraire a fa vue quelque tems aprés. Le roi étant retourné fur fon (lége, fit dire au Capitaine Wilson qu'il voulait aller dormir a la partie pofiérieure de l'ile. Auffi. tót un des Officiers du Roi fit un grand cri. Cet infulaire avait un petit os attaché au poignet. On fut par la fuite que c'était Ia marqué d'une dignité trés-inférieurea celle de général. Apeine ce cri fut.il entendu, qu'il caufa de 1'aIJarme parmi les anglais,- mais la caufe en fut biencót connue: c'était le fignal de ralliement parmi ces infulaires. En efTet dèsqu'elles eurent enC 5  (5* ) tenda ce cri, trois cents perfonnes au moins ^ formant la fuite du roi, quoique difperfées de difFérens cotés & occupées a regarder tout ce qui attirait leur attention , fe rendirent & leurs canots plutót en volant comme un trait qu'en courrant. Elles obéirent a ce fignalplu» vite qu'on n'eüt pu le concevoir, & jamais commandement ne fut éxéeuté avec tant de prompfltude. Le roi partit content de tout ce " qu'il avait vu. Le fils du Roi • trave & une autre pour Pétambot. Ceux de mes jeunes leéteurs, Ét qui ces quatre termes pourraient n'être pas familiers, en trouveront une explication fuccinte dans la note ci-desfous (*). Vers les dix heures on vit arriver le premier nïnifire du Roi: après avoir confidéré quelque tems les opérations que 1'on commencait, il prit le Capitaine Wilson par la-main, & le conduifit a la tente oü les armes étaient dépo* (*) Les tlns ou tahs font de grcffis pièces de bois qui fout'ennent ia quille d'un vaisfeau que 1'on corftruit. Les qxêtesi os donne ce rom aux faillies & élarsereens de féirave & de l'étambot, aux extrêmités de Ia quille» Ou nomrae ttrav» cette pièce courbe de charperte qui eft a 1'avant d'un vaifieau pour faire Ia proue. Enfin on appelle étamford ou êtamhot cette pièce de bois élevée & mii'e en faillie au bout de la quille, è 1'arrière du vaifXeau, pour foutenir la poupe & le gcuvernail qui y eft attaché.  ( & ) fées. La il confidéra fort attentivement un coutelas, & le demanda pour lui. Le Capitaine crut que dans la pofition oü fon fe trouvait il ferait imprudent de le refufer. II cêda donc a la circonftance; mais comme le miniftre fortait de la tente, Raa-kook l'apercut* vit Ie fabre, fe facha, & le lui fit rendre. Le Malais débarquant peu après d'un canot, dit qu'il y avait de mauvaifes nouvelles; qu'it avait ouï dire qu'on avait donné un coutelas a un homme qui était pour ainfi dire étranger, tandis que les frères du Roi n'avaient eu rien d'aufit intéreflant,quoiqu'ils fusfent reftés dans File avec les anglais, & qu'il fallait leur faire quelque préfent. Sur eet avis, le Capitaine ofTrit aux frèrer du Roi un refte d'étofFe, qu'ils recurent 1'un & 1'autre alTez froidement. II leur offrit enfuite du drap blanc & quelques rubans: ils ne firent pas même un fourire. Le Capitaine fut alors convaincu que ce n'était pas cela qu'ils voulaient. Cet événement inquiéta beaucoup les anglais. Ils ne favaient fi ce refroidilfement apparent venait de ce qu'on avait donné nn coutelas au premier miniftre,ou s'ils étaient  (64) indispofés 'de ce que eet homme avait été asfez peu délicat pour forcer les anglais a lui accorder, ce que leur pofition ne leur permettait pas de lui refufer. Le malais avertk, dans 1'aprés-midi, le Capitaine Wilson, que le Roi, qui fe dispofait a. partir pour Pelew, faifait une tournée dans la baie, & que s'il voulait prendre congé de lui , il devait aller le joindre dans fon canot. En conféquence le Capitaine partit avec fa petite chaloupe, quatre hommes & fon interprête Tqm-Rose. II fut fort étonné de Ja froideur avec la quelle le Roi le recut; il fe tint auffi de fon cóté fur la réferve, & ne fit plus paraitre eet air franc & ouvert qui diftingua fentrevue du jour précédent. Mes jeunes leéteurs prendront fans-doute part iet a la pofition critique de nos anglais, & au trouble intérieur qu'ils durent éprouver a ce changement inattendu dans les dispofitions des infulaires. Que vont-ils penfer du cceur & des fentimens des habitans de Pelewï ils vont peut-étre les charger de reproches, & les taxer très-févèrement d'inconftance & d'infidélité, Que eet exemple, ó mes jeunes  ( 65 ) amïs, vous nppréne, comme tant d'autres, è ne jamais preiTer vos jugements; a refter plutót dans Findécifion, que de vous expofer a blaraer fans raifon telle ou telle aétion, qui , bien examinée, bien confidérée fous tous fes rapports, vous paraitrait peut-être digne d'élo» ges. La fuite de ce récit va vous faire voir combien font fondés & juftes, les confeils que je vous donne. Je vous le dis avec aiTurance, mes jeunes amis, on ne vit peut-être jamais d'ame noble Iutter contre elle-même avec plus de délicatesfe. Ces naturels avaient la plus grande envie de demander une faveur, dont leurs fentimens généreux ne leur permettaient pas de parler. Les anglais avaient été & fe trouvaient encore en leur pouvoir; ils avaient demandé leur proteftion comme de malheureux étrangers. De leur coté les infulaires leur avaient donné toutes les preuves de la plus franche hospitalité; ils voulaient encore les traiter de même, autant.que leur pays ingrat & pTèSquë dénué de tout pouvait le permettre. Ils fentaient que leur demande bic-Aait leur générofité. La po« fition ou fe trouvaient les anglais laiiTait d'au-  ( 66 ) tant moins la liberté de s'ouvrir (de s'expliquer), que leurs priéres devenaient des ordres; & c'eft précifément ce qui contraiiait leur déJicatesfe. Ne'anmoins robjet que les naturels avaient en vue était pour eux de la plus grande importance. Le Roi en avait probablement parlé a fes fréres le jour précédent; ils en avaient délibèré a fautre partie de file, & ce prince était revenu a 1'entrée de la crique pour la propofer aux anglais; mais lorsqu'il s'était agi de s'expliquer il n'avait pas ofé le faire. Cependant ia chofe étant pour lui du plus grand intérêt, il ne voulut plus garder le filence, & l'imagina qu'il s'expriraerait avec plus de liberté dans fon canot, que s'il était entourréde tant d'anglais. Enfin après avoir paru Iongtems fe combat* tre lui même, le Roi s'expliqua, quoiqu'avec beaucoup de répugnauce. Devant partir fous quelques jours pour attaquer une ile dont les habitans 1'avaient infulté, il demanda au Capitaine WiLsoN de lui donner quatre ou cinq anglais armés de leurs mousquets, pour 1'accoinpagner dans cette expédition. Le Capitaine  C 6/ > lui répondit fans balancer, qu'il pouvait regarder les anglais comme fes gens meines, & que les ennemis du Roi étaient les leurs. L'interprête rendit fans-doute cette réponfe trés exafternent, car fur Ie champ Ie vifage des infuiaires parut auffi brillant & ferein, qu'il était fombre & févère. Le Roi dit qu'il aurait be« foin de ces anglais dans cinq jours, temps oü fes fujets feraient préparés au combat, & qu'il les emmenerait avec lui a Pelew le jour fuivant. L'harmonie fut ainli fétablie entre les anglais & les infulaires. Elle n'avait été interrompue quelques heures que par 1'extrême délicates* fe des fentimens de ce peuple; fentimens qu'on ne fe ferait pas attendu de rencontrer dans de* pays fi éloignés du refte du monde, & qni pourtant, n'en déplaife a nos nations fi bien civilifées, y font plus généralement répandus, & plus fortement imprimés dansles cceurssque parmi elles. Aprês eet entretien , le Capitaine Wilson prit congé du Roi & alla faire part de fa conduite a fes Officiers qui 1'aprouvérent hautement, & le remerciérent d'avoir ainfi rétabli la bonne union. II reiourna fur le champ vers  C 6* ) le Roi, pour lui dire que les geas n'avdent' aucun préparatif a faire, & qu'ils étaient a fes ordres lorsqu'il le voudrait. Cette promptitude lui pint beaucoup, & il répondit au Capitaine d'un ton trés - affeétueux qiïü était fon fiére Rupack, & qu'il confidérait les Officiers anglais comme fes gens mêmes. 11 Je pria de renvöyer fon frére M. Mathias Wilson k Pelew. pour voir les vivres qui pouvaient convenir aux anglais, afin qu'on les leur fit pasfer dans leur ile; il ajouta même qu'il enverrait plufieurs de fes charpentiers, pour les aider k conftruire leur vaiifeau. Mais le Capitaine le remercia fur ce dernier article. Le Roi vint le Iendemain dans la matinée, pour prendre les hommes qu'on lui avait'promis. Le Capitaine Wjlson s'offrait lui-méme pour être de cette expédition; mais les anglais s'y opoférent, en lui repréfentant qu'il devait d'autant moins s'expofer, que leur deftinée dépendait' de fa perfonne. MM. Gummin Tyacke', Bluitt, Blanghart & Dulton, furent choifis pour 1'expéditfon. Ils prirent avec eux 1'interprête TomRose, & fe fournirent bien de munitions. Le  C 69 ) Roi s'arréta pen: il promit qae 1'expédition ferait terminée fous quatre jours, & qu'il aurait le plus grand foin de ceux qu'il emmenaic. II partit avec tous les fignes d'une fincère amitié, ferrant la main de chaque anglais. Aprés le départ des infulaires, nos anglais profitérent de l'ina&ion dans Ia quelle ils fe trouvaient, pour former le plan de leur vaisfeau. M. Barker, fecond Officier, accoutumé depuis fes jeunes années aux opérations d'un chantier, aida le Capitaine Wilson & les charpentiers a deffiner la coupe du batiment. Tout 1'équipage en approuva le plan. Les Officiers fubalternes & les gens de 1'équipage, confidérant que pour fuivre avecfuc* cès eet ouvrage important, il fallait un accord parfait, & reconnaitre 1'autorité d'un fupérieur, choifirent uuanimément Ie Capitaine Wilson , quoique le naufrage eut fait ceffer toute fupériorité parmi eux. (Pour compren. dre ceci mes jeunes leéleurs doivent étre 111ftruits que, fuivant les loix de la marine anglaife, lorsqu'un vaiifeau marchand a fait naufrage, toute autorité celfe, & chacun a la li. bené de prendre la parti qui lui plait). L'af.  fe&ion que les anglais avaient pour M. Wilson décida leur choix. Us promirent en même tems d'obéir a fes ordres aulli exactement que iorsqu'il étaient fur 1'antelope, de le regarder comme le direfleur du chantier, & de fe foumettre a toutes les Ioix d'ufage dans des places de ce genre, puisqu'ils ne pourraient jamais fe rappeller fes procédés fans la plus vive reconnailfance. Rien ne pouvait flater d'avantage un homme du caraétère du Capitaine, que le choix dont Fhonoraient des gens qui avaient fervi fous lui. II recut avec le plus vif plaifir, la plus fincère reconnailfance, la flatteufe diftincnon qu'on lui offrait ; mais en même tems il demanda trés - fortement d'être dispenfé de prononeer aucune peine,& quele jugement fut porté a la pluralité des voix, s'il arrivait que quel» qu'un fe trouvat dans le cas d'être puni. Le fort de Vantelope était alors fixé; la pointe du récif de corail qui en avait percé le fond, 1'y tenait attaché: ainfi les anglais avaient le plus grand efpoir d'en fauver plufieurs chofes pour 1'ufage de leur nouveau batiment, avant qu'il fut mis en piéces par les tempétes. Tous  (f\) les efprfts fe ranimérem: on n'avait plus devan t les yeux que je nouveau ravire qui devait reconduire dans la patrie. On bannit donc toute idéé décourageante; chacun travaillait a fon pofte fous les crdres de fon nouveau maitre, avec les inftrumens qu'on avait retirés dtt rocher creux oü ils avaient été cachés avant 1'arrivée du Roi. Ainfi 1'ouvrage allait grand train ; chacun était déterminé quelqu'inhabile qu'il fut, a faire tout fon poffible pour concourir k 1'exécution du plan général. Ceux qu'on avait défignés comme faifant les fonélions de charpentiers, avaient eü ordre de la part du Capitaine, de regarder M. Barker comme leur directeur, & de recevoir de lui les avis & les inftru&ions qu'il jugerait nécesfaires dans cette partie, Iorsqu'il aurait vu par expérience 1'habileté de chacun d'entr'eux. M. Sharp le Chirurgien, & M. Mathias Wil* son, furent chargés de fcier & d^abattre les arbres, & le Capitaine les aida fouvent dans ce travail. Le maitre d'équipage qui avait été autrefois en aprentilfage chez un ferrurier, reprit ce premier métier, fécondé par un aide. Le canonier fut en particulier chargé de tenir les  C 72 ) armes en état, & d'aider les charpentiers au befoin. ön employa les Chinois comme ouvriers , pour apporter les arbres du bois a mefure qu'ils étaient abattus, & veillec a 1'aprovifionement de. 1'eau *k des provifions de voyage. D'eux d'entre eux eurent la commiffion de laver les linges: quoiqu'ils ne fiflent que les remuer dans 1'eau de mer, c'était cependant un avantage qui procurait un grand rafraichiffement aux travailleurs, a la fin d'une journée dont Ia chaleur était étouffante, &aprés un travail tel qu'ils n'en avaient jamais foutenu auparavant. Dèsqu'on eut fait eet arrangement, chacun fe rendait a fon travail, qui durait jusqu'a la nuit. Alors tout le monde était appellé a la grande tente, oü le Capitaine lifait les priéres. L'équipage avait deraandé de fe réunir, pour rendre en commun aL'fiïREsupRêMElesaftions de graces qu'on lui devait, pour les faveurs dont il les avait comblés & 1'efpérance qu'il leur donnait de revoir encore leur familie & leur patrie. Chacun apportait a ces alTemblées un efprit pénétré de ces réfléxions. Jamais, peut- . étre, priéres ne furent faites avec plus de dé- vo-  CT3 ) votion, ni préfentées avec plus de zéle. On avait auilï arrêté que jamais on n'omettrait les priéres en commun les jours de Dimanche. Pendant les jours fuivants on envoya prégque toujours du monde au vaiifeau naufragé. On réfolut encore de barricader les tentes du coté de Ia mer, afin de fe mettre al'abri des af taques des habitans des autres iles, qui n'étaient point fous la domination d'abba- Thulle. Le mercredi (20 aoüt) les gens qui étaient allés au vaiifeau annoncérent a leur retour que le fils du Roi avait été auffi a rantelope, oh il avait attaché une branche d'arbre a chaque mat. Quelques anglais penférent que ce jeune prince avait voulu indiquer par ces branches, que fexpédition de fon pére était terrainée: d'autres crurent que ce fignal défendait k tous les canots du voifmage de venir a bord du vaiifeau, ou les avertiiTaït d'aller joindre ie Roi, qui était déja parti pour le guerre. Cette dernière opinion fe trouva vraie. Le vendredi 22. Ia quille fut pofée fur les Uns. On rapporta du vaiifeau , entr'autres chofes, deux barils de bceuf falé. II s'éleva le foir quelques murmures parmi ceux qui faj. D  C 74 ) faient les fonétions de charpentiers. L'excés de la chaleur, & ces travaux qui étaient nouveaux pour eux, leur avaient confidérablement ulcèré les mains. La fatigue extréme, joinre a eet inconvénient, donna lieu a quelques bruits. Après foupé le Capitaine faifit roccafion de parler du mécontentement qu'il avait appercu, & leur repréfenta combien ceux qui étaient les plus propres au travail avaient «ort de fe plaindre, tandis que les perfonnes les plus faibles s'acquittaient avec douceur de la partie confiée a leur zèle. Ces repréfentations faites avec prudence calmérent les efprits, & Ton vit reparaitre 1'harmonie & la bonne volonté. Le Capitaine propofa de boire au bon fuccès du Reliëf', nom que devait avoir le vailTeau qui était fur Ie chantier, & il accorda une doublé dofe de boiffon, dans ce moment de gaité. Le Dimanche 24. on découvrit un filet d'eau de fource, dans le port.  C 7$ ) § 6. Retour des anglais 6? de Raa-kooL Le Rot de Pelew donne aux anglais Cile oü ils font* Ils vont féliciter Abba • Tbulle fur fa viötoire. Leur retour. Le Iundi 25. on vit aborder des naturels qu'on ne connaiffait point encore. Ils defcen» dirent k terre avec beaucoup de circonfpettion & de timidité. M. Wilson leur fit voir les travaux dont on s'occupait. Ils s'arrêtèrent un peu plus d'une heure fur le rivage, & parurent trés fatisfaits. Ils niontrérent qu'ils étaient trés reconnaiffans des politelfes qu'on leur avait faites; ils ne dérobérent & ne demandérent rien. On vit arriver, dans 1'aprês-midi, les anglais qui avaient accompagné Abba-Thulle dans fon expédition. Comme il s'était écoulé neuf jours depuis leur abfence, au lieu de quatre comme le Roi 1'avait promis, leur* compatriotes comniencaient déja a étre fort inquiets fur leur compte. Ils les recurent donc avec des témoignages de joie d'autan* D 2  ( 76 ) plus grands, qu'on les voyait revenir en parfaite fanté. Ils racontérent qu'ils avaient été recus partout trés - favorablement depuis leur départ, & que les infulaires s'étaient comportés a leur égard avec une amitié fans réferve. Raa-kook revenait avec eux. Les canots apportaient quantité d'ignames & de cocos, & le Roi avait donné a chacun de ceux qui ewrent part a 1'expédition une corbeille de friandifes, & en envoyait auffi plufieurs au Capitaine. Ces préfents furent diftribués avec libéralité aux gens de 1'équipage, qui ne les trouvérent pas d'un gout fort exquis. Voici le rapport que nos anglais firent de leur expédition. Ils partirent le 17. pour fe rendre a une des iles du Roi a 6. lieues environ de celle oü étaient les anglais, au fud. Ils y furent recus & traités avec beaucoup d'amitié. Le lende* main ils fe rendirent a Pelew, lieu de la réfidence d'abba - Thulle , a trois ou quatre milles de diftance du lieu qu'ils quittaient. Le 21. a la pointe du jour tous les canots étant raiTemblés, fe rangérent devant la maifon du Roi, avec leurs armes. II les palfa en revue.  (77) Ces armes étaient des traits de bamboü de huit piés de long, garnis au bout d'une pointe de bois de bétel. C'eft avec ces traits qu'ils fe battent de prés; ils en ont de plus courts pour combattre de loin. Ils les lancent avec un court baton d'environ deux piés de Iongueur, fur lequel il y a une encoche pour recevoir la pointe du trait; ils portent la main k 1'autre bout du trait qui étant de bambou, eft élaftique \ ils Ie courbent alors en raifon de la diftance a la quelle ils vifent, & le laiffent par* tir. En général ces traits tombent perpendtculairement fur 1'objet qu'ils doivent atteindre. Lorsque les naturels eürent raffemblé toutes leurs troupes, ils allérent a 1'ennemi. Le Roi avait alors une flotille de cent cinquante canots portant plus de mille combattans. Avant d'en» gager le combat, Raa-kook s'aprocha de la ville avec fon canot & paria quelques inftans a 1'ennemi. II avait avec lui Thomas Dulton, On avait prévenu celui - ci de ne faire feu qu'a un certain fignal qu'on devait lui donner, L'ennemi ayant recu avec beaucoup d'indifTérence ce que lui dit le général, celui-cilanca un trait qui fut renvoyé fur le champ. Cé. D 3  (78 ) tait Ia le fignal dont on était convenu. Thomas Dulton fit feu aufïï-töt & fon vit tornber un-homme. Cette mort furprit beaucoup les ennemis. Ceux qui étaient fur le rivage prirent la fuite; les autres qui étaient dans les canots fe jettérent a 1'eau pour gagner la terre, On tira encore quelques coups de fufil, & Ia victoire fut aflurée. Les amis des anglais parurent trés-fatisfaits de cette déroute, mais il n'en tirérent d'autre avantage que celui de defcendre pour abattre quelques cocos & emporter des ignames. Le Roi entr'autres parut très-flatté de fon triomphe. On s'arréta dans différens endroits 0C1 les femmes apportérent des rafraichisfemens pour les troupes. Comme il était trop tard pour que chacun fe retirat chez foi, la flotte fe difperfa dans diverfes petites calanques, vers huit heures du foir, & 1'on s'y coucha. Lamatinée fuivanteon prépara des divertifletnens dans toutes les maifons voifmes; a trois heures après midi tout le monde fe rembarqua & fon cingla vers Pelew, oü fon arriva fur les fept heures du foir. On y trouva auffi les femmes prêtes a recevoir les troupes.„  C 79 ) avec des coquilles de cocos pleines de boisfons agréables. Les anglais arrivant au rivage, firent une décharge & trois acclamations donc Je Roi fut trés-content. Ils couchérent la: on les avait engagés a y paiTer un jour, & è diffèrer leur départ pour leur ile. Ce ne fut que réjouiffances le matin dans la vile; le reste du jour fe palfa en plaifirs. II y eut des danfes & des chanfons relatives aux circonftances. Avant que les anglais s'embarquaiTent, te Roi les fit venir chez lui. II les régala d'une tortue cuite en daube, les remercia de la raanière dont ils s'étaient rnontrés, & pro uit de leur envoyer des provifions d'ignames. 11 de*raanda fi Ie Capitaine Wilson confentirait a lui accorder dix hommes pour revenir contre les mêmes ennemis; il fit même entendre qu'il avait quelque projet contre une autre ile. M*. Cümmin ne voulant point lui donner de réponfe pofitive, répondit qu'il communiquerait fes intentions au Capitaine. Après le déjeuné le roi fe rendit au bord de feau avec les anglais; ii les quitta de la ma. niére la plus affe il témoignait fon aprobation , exprimait un fentiment que le pinceau ne pouvait rendre, furbanité d'un efprk noble & généreux. Abba-Thulle fit connaitre alors aux anglais qu'il défirait les conduire a la ville: elle rfett. éloignée que d'un quart de mille du ri» vage. Les anglais firent marcher leurs drapeaux devant eux, dans l'imention de donner aux naturels 1'idée d'une cérémonie. Ils montérent un coteau couvert de bois, conduits par le roi & Raa-Kook & fuivis d'une foule de peuple. Ayant paffe le bois ils fe trouvérent fur une belle chaulfée pavée qui était embellie des deux cotés par plulieurs rangs d'arbres en forme de bosquets* Cette chaulfée conduifait a la ville, & fe divifak enfuite en deux chemins, 1'un a droit, 1'autre a. gauche. Le premier conduifait a une efpèce de chander o& ils conftruifaient leurs bateaux, & 1'autre a i'endrolt oü ils prenaient leurs bains. Arrivés a Pelew, ils entrérent fur une grande place pavée, autour de la quelle étaient plufieurs maifons. Les anglais furent conduits dans un batiment fitué au centre de  C 9* ) Tun des cotés de la place. On vit fortir de ce batiment un grand nombre de ferames curieufes de voir des êtres auffi nouveaux que ces anglais. Elles étaient plus belles que les autres & portaient de petus ornemens autour d'elles, ce qui fit croire que c'étaient les femmes de quelques Rupacfo ou grands Officiers d'état. Leur vifage & leur gorge étaient peints d'une couleur jaune. Le Roi & fon frère Raa-kook conduifirent leurs hótes dans cette maifon, oü les femmes retournérent & les recurent avec beaucoup de joie. Elles leur diftribuérent des noix de coco & des boiiTons fucrées. Elles s'affirent enfuite, & prenant des paquets de feuilles elles commencérent a faire des nattes, occupation a la quelle elles paffent une grande partie de leur tems. Le Roi dit a fes hótes que cette maifon ferait leur demeure auffi long-temps qu'ils feraient a Pelew, & qu'ils y pourraient dormir. 11 fe leva enfuite & prévint le Capitaine Wilson qu'il fe retirait pour aller au bain. Bientót après la reine envoya un mesfager a Raa- kook pour demander fi elle pouvait voir les anglais chez elle. Les anglais y fui-  C ps ) virent le général par un featier qui, par le derrière de leur logement, conduifait dans un bosquet de cocotiers. Ayant traverfé ce bosquet, ils arrivèrent a une habitation red, rée devant la quelle était une place pavée» égaleraent environnée de cocotiers. En face de la maifon était une baluftrade fur la quelle il y avait quelques pigeons domeftiques attachés par la patte. Cet oifeau eft fi fort eftimé dans ces iles, qu'il n'y a que les Rupacks & leurs families a qui il foit permis d'en manger. A fapproche des anglais, la reine ouvrit fa fenêtre & dit a Raa-kook qu'elle défirait que ces étrangers voululTent s'alfeoir fur le pavé devant elle. Alors plufieurs domeftiques apportérent des ignames, des noix de coco & des boiffbns fucrées. Tandis qu'on diftribuait cette colation, la reine fit plufieurs queftions a Raa-kook, fur les anglais. Elle leur envoya enfuite un pi. geon (qu'ils accomodcnt fans le rider), & afin que chacun put en gouter un morceau, elle leur fit entendre que ce mets était Ia plus grande rareté du pays. Elle fit beaucoup d'attendon aux anglais, & défira que  (94) Quelques uns d'eux vinrent tout prés de la fenêtre & otalfent les manches de leurs habits pour voir la couleur de leur peau. Après avoir fatisfait fa curiofité elle témoigna qu'elle ne voulait pas les retenir plus longtems; ainfi les anglais le levérent & prirent congé d'elle. Le général leur dit alors qu'il allait les conduire dans fa propre maifon, peu éloignée de la première place oü était le logement qu'on leur avait deftiné: ils y furent recus fans cérémonie & avec la plus grande familiarité. On les obligea de gouter de tout ce qu'on leur préfenta, quoique leur appètit eut déja été fatisfait par tant de colations. La femme de Raa-kook leur apporta un pigeon grillé dont ils mangérent chacun un morceau pour répondre a 1'honneur qu'elle leur faifait. La joie de Raa-kook dans cette circonfiance leur fit connaitre toute fa bienveuillance & fa cordialité. II était entouré de fes enfans, dont deux étaient trés - jeunes encore & parailfaient a peu-prés du méme age, Ces deux derniers fe placèrent fur fes genoux pour Ie carefler. II prenait le plus grand plaifir k les rouler & k  ( 95 ) jouer avéc eux & les paflait tour- a-tour aux anglais, afin qu'ils pufient les voir & les con« fidérer a leur aife. Les anglais étant de retour dans leur logement apprirent que le Roi y était venu après fon bain, mais qu'ayant fu qu'ils fe trouvaient chez fon frère, il s'était retiré dans fa maifon, & leur avait envoyé du poiflbn pour fouper. Après foupéRaa-kook leur envoya des nattes pour fe coucher, & il vint lui même, avant de prendre fon repos, voir s'ils ne manquaient de rien. Les anglais fe couchérent fur ces nattes a 1'une des extrémités de la maifon, tandis que 1'autre fut occupée par des hommes que le Roi avait envoyés, & aux quels il avait donné ordre de veiller a la rranquilité du lieu, & d'entretenir des feux pour garantir les étrangers de 1'humidité & des moucherons. On dormit trés-bien, & 1'on fut trés-fatisfait de 1'attention & de 1'honnéteté de ces infulaires. Raa-kook vint voir les anglais de bon matin: il portait dans toutes fes vifites un air de bonne humeur & de fatisfaftion. II ne s'as, feyait jamais prés d'eux, mais a une petite diftance, ce qui eft regardé dans le pays com»  C 96 ) me uise marqué de refpect. Les anglais ayant recu-une invitation pour aller déjeuner avec le Roi, furent conduits dans la maifon oü ils avaient eu Phonneur d'être préfentés la veille a la reine: cette maifon confiftait en une grande pièce dont le plancher n'était point parqueté comme il eft d'ufage dans Ie pays, mais couvert de bambous arrangés trés -proprement les uns a coté des autres. A une des extrêmhés de cette pièce on voyait la cuifine, oü les domeftiques s'occupaient a préparer le déjeuné, & cette cuifine n'était féparée par aucune cloifon de la pièce principale. On placa de« vant les anglais du poiflbn & des ignames bouillies. Pendant le déjeüné le Roi montra au Capitaine Wilson une pièce d'indienne que le Malais avait fauvée de fon naufrage, & qu'il lui avait donnée. II paraiffait admirer beaucoup cette étoffe-, & lorsqu'on feut examinée il la replia trés-proprement dans une natte, Tayant montrée feulement comme uue chofe trés - curieufe pour lui. Après cela le Roi converfa beaucoup avec le malais qui dit enfuite a M. Sharp, qu' Abba-Thulle défirait qu'il fit un petit voyage  (97) voyage dans Ia campagne, fans lui dire pourquoi. M. Sharp héfitait; mais M. Devis offrit de faccompagner. Un Rupack qui entra alors & qui devaic conduire les anglais, fe fit connaitre pour celui qui (lors de la première vifite du roi a Oroohng), avait défigné particuliérement M. Sharp comme fon ami ou /»talie 9 nom que ces infulaires donnent a ceux qu'ils ont pris en affection. MM. Sharp & Devis , accompagnés de 1'interprêie, fe mirent gaiment en route foas la conduite d'arra-zook (c'était Ie nom du rupack en queftion). Lorsqu'ils eurent atteint les collines, ils appercurent plufieurs jolis villages & une belle vallée remplie de plantations d'ignames & de cocotiers, qui formait, du poinc de vue oü ils étaient, une perfpective charmante. Après une marche affez longue ils arrïvérent dans une plantation au bout de laquelle était la maifon d'arra-Zook; ils y entrérenc & y trouvérent plufieurs rafraichiffemens pré« parés pour eux. A peine étaient-iis aflis qua le rupack amena fa femme & fa familie, & qu'il montra a M. Sharp un enfant affligé de quelques ulcéres de la nature des furoncles, E  C 98 ) maladie qu'il dit être commune aux naturels du pays. II ajouta qu'il fe fervait principalement de fomentations faites avec certaines feuilles; qu'il les apliquait fur le mal, & qu'après ■que 1'inflamation était apaifée, il mettait un peu du jus de ces feuilles pour rongerles chairs vives. M. Sharp , qui dans la fituation oü il Se trouvait, ne pouvait entreprendre de fuivre ce traitement, fe contenta de confeiller au rupack la continuation du remède au quel fon '.enfant était accoutumé. Voyant alors la raifon -de cette vifite, M. Devis & lui témoignèrent le défir de s'en retourner; mais le rupack leur dit que fes gens étaient occupés pour eux, & qu'ils ne pourraient partir avant que la befogne qu'il avait commandée fut finie. Ils comprirent que Phospitalité d'arra-Zook ne fe bornait pas a la colation qu'il leur avait déja préfentée; & en eifet fes gens parurent bientót chargés d'ignames & de noix de coco envelopées dans de larges corbeilles, & en outre de plufieurs paniers de confitures que 1'on venait de faire exprès pour eux, depuis qu'ils étaient .dans la maifon. Le rupack leur dit que fes tgens porteraient tous ces paniers a la ville du  Cpp ) roi, afin qu'on put les mettre dans un bateau pour les envoyer a leurs amis a Oroolong. Charmés du caractèredeleurhóte, M. Sharp j & fes compagnons prirent congé de lui avec 1'expreflion de la plus vive reconaiflance. Arra-Zook, de fon cóté, ne celfait de les aflTurer de plaifir extréme que leur vifite avait faic a fa familie, & de 1'obligation qu'il leur avaic d'avoir vu fon pauvre enfant malade. II les; accompagna hors de la porte jusqu'a une balultrade, femblable a celle de Ia maifon de la I reine, oü, étaient jucbés plufieurs pigeons ap« $>rivoifés; croyant qu'il n'avait pas alfez faic pour témoigner fa gratitude, il leur dit que j iorsque leur vaiifeau ferait prét a partir,ils auraient *ous ces pigeons pour les embarquer avec eux. — Rappellès - vous , mes jeunes amis, que cesr pigeons étaient un objet des plus précieuxpour ces infulaires; & penfez a toute la générofité de 1'offre d'Arra-Zook, pour fuivre dans 1'occafion le bel exemple de eet homme fi re* fpeétable. Le lundi (i Septembre) les naturels tinrent un grand confeil en plein air, fur la place pavée, prés du logement des anglais, II étafc £ 2  ( ïoo ) forapofé de plufieurs rupacks, affis chacun fur nne feule pierre placée prés de Ia bordure extérieure du pavé. Celle oü le roi fiégeait était plus élevée que les autres; il y avait a coté tiue pierre plus haute encore oü il appuyait fon bras. Lorsqu'ils furent tous placés, des officiers d'un rang inférieur les environnérent de toutes parts. Ils donnaient alternativement leurs voix, & la pluralité décidait la queftion. II n'était pas néceflaire de favoir leur langue pour découvrir de quoi ils traitaient, paree que la maifon oü étaient Ie Capitaine & fes compagnons donnant fur Ia place du confeil, les geiles des rupacks & la fréqnente répétition des mots Efigfis & Artingall, ne lailfaient aucutv doute aux anglais qu'ils n'euffent parlé d'eux dans la délibération. Après que le confeil fut fini, le roi, fuivi de finterpréte, vint dans la maifon oü étaient les anglais & demanda au Capitaine Wilson dix de fes gens pour 1'accompagner a la guerre contre Ie même ennemi qu'auparavant. Le Capitaine répondit au loi comme il avait fait la prémière fois, „ que „ les anglais étaient fes amis, & qu'ils regar„ deraient fes ennemis comme les leurs pro-  ( -oi ) „ pres." Cette réponfe fadsfït pïeinement ïe roi. Le Capitaine défirant favoir la caufe de ïa guerre, Abba-Thulle lui apprit par le Eioyen de f interprête, que dans une fête a drtingall, un de fes fréres & deux de fes chefs avaient été tués; que les deux iles avaient été en guerre depuis ce tems la & que le peu« ple d'Artingall, loin de lui faire raifon de eet attentat, avait potégé les meurtriers. Le Capitaine Wilson pria Abba-Thulle de ne pas retenir tongteras fes gens è Pelew, paree que cela retardait la conftruction du vaiifeau. Le roi répondit qu'il ne pouvait pas décemment les renvoyer au moment oü ils venaient de lui être utiles^ mais qu'il voulait les garder deux ou trois jours au moins pour les fêter, après avoir fubjuguè fes ennemis. Que vous femble de cette réponfe, mes jeunes amis ? Dans f après - diné le roi vint prendre le Capitaine WiLson & fes compagnons , pour aller voir quelques canots qu'il faifait conftruire. II leur montra auffi quelques -uns de fes angards de marine qui étaient alfez bien bads, proprement couverts de chaume, & peu différens de ceux qu'on fait en Angleterre -9 deli E 3  C Ï02 ) Ês les conduifit vers d'autres canots qui revenaient vainqueurs d'une expédition oüils-avaient été envoyés. Ils arnenaient un canot ennemi dans le quel il n'y avait pas un feul prifonier. La prife d'un canot peut paraitre, fans doute, une bagatelle aux yeux de mes jeunes leéleurs-; mais, pour ce peuple, cette prife était égale a ce!le d'un gros vaiifeau en Europe. Comme leurs combats de mer fe livrent ordinairement prés du rivage, lorsqu'ils ne voyentaucuneapparence de fuccès ils débarquent & ïe hatent de tirer leurs canots è terre* Sur le foir les anglais eürent le plaifir de voir une danfe de guerriers, éxécutée de la maniére fuivante, par ceux qui revenaient de f expédition des canots. On apporte aux danfeurs une quantité de feuilies de plantain qu'ils déconpent en forme de rubans, & qu'ils s'entortillent autour de la téte, des poignets, du milieu du corps, des genoux & de la cheville du pied. Ces feuilies teintes en jaune & ainfi préparées, ne font pas un effet désagréable lorsqu'elles fonrappüquées fur leur peau de couleur de cuivre fombre. lis font auffi des faifceaux des même»  ( 103 ) feullies, qu'ils tiennent dans leurs mains, & lorsqu'ils font tous arrangés, ils fe Torment en cercles doublés ou triples qui tournent fun dans 1'autre Un des plus agés de la bande commence d'un ton grave une efpèce de chan» fon ou de longue fentence, & Iorsqu'il arrivé a une paufé, un chceur répéte, & tous les danfeurs fe joignent au concert encontinuant leur figure. Cette danfe ne confifte pas autant en cabrioles, que dans une certRine manière qu'ils ont de fe balancer de coté en fe baiffant fréquemment & en chantant tous enffini» ble. Pendant ce tems la, les cefcles s'apro*/ chent, de forte que les danfeurs fe trouvenren face 1'un de l'autre, chacun élevant iefaisceau qu'il tient en main & le fécouant corttre celui" de fon voifin. Ils s'arrêtent enfuite tout d'un coup & crient tous enfemble ouül i Alors on répéte une nouvelle fentence ou ftance, & fon danfe comme auparavant jusqu'ace que chaque danfeur ait fait chorus a fon tour. Durant cette fête on apporta deux grands* vafes de boilTon fucrée pour les guerriers. On en préfenta d'abord aux anglais, ainfi qu'aux principaux perfonnages, qui ne firent qu'y gouE 4  ( i°4 ) ter. Lorsque la danfe fut finie les danfeurs s'aslirent fur la place, & la boiflbn leur fut diftribuée par quatre perfonnes de marqué qui portaient des os fur leur poignet. Les guerriers fe retirèrent enfuite dans une maifon oü leur foupé était préparé. Ils continuérentleurs danfes pendant une partie de la nuit, mais les anglais rentrérent bientót dans leur logement. Le Iendemain les anglais déjeünérent avec le roi, & M. Wilson lui fit favoir après le déjeüné, qu'aufli-tót que le tems le permettrait il fe propofait de retourner a Oroolong. Le roi y confentit. Le vent étant contraire M. Sharp engagea Ie capitaine a aller voir avec lui le rupack dont il avait vifité fenfant le jour précédent. Arra-Zook les recut avec une grande joie, leur aporta de 1'eau pourlaver leurs pieds avant qu'ils entraffent dans la maifon, leur donna des nattes pour s'affeoir & leur fit faire des confitures féches. Les voifins de ce rupack admirérent la couleur des anglais avec autam de furprife que ceux qui les avaient vu la première fois a Oroolong. Après avoir éprouvé une feconde fois Paos* yitalité de eet bomme vertueux ils retournérent  ( 305 ) a M (capitale & réfidence d'abba - Thulle.) Dans 1'après-midi nos anglais firent une autre courfe dans le pays. Toute la contrée qu'ils parcoururent leur parut aufil bien cultivée que celle qu'ils avaient vue auparavant, & uiêuie plus peuplée. Partout oü ils palférent, i\s obfervérent 'que les femmes de la derniére clalfe étaient employées a foigner les plantations d'ignames, qui font généralement dans un terrain marécageux. Ils [remarquérent auffi que les femmes étaient occupées a faire des nattes & des paniers, apréparerles alimens & anourir leurs «nfans. Ils trouvérent les hommes occupés 1 ceuillir des noix de coco, a tailler des arbres & a faire des lances & des dards. Le Jeudi (4 feptembre) le tems s'étant éclair» ci après le déjeuné, les anglais témoignérent ais roi qu'ils voulaient recournera Oroolong. Quoi» our eux de toutes les efpécee (*) C?cft celui qui fut apelé le Charmant par nog « %  ( ie ) de provifions que l'ile fournit. Vers les deux heures du foir ils quittérent Pelew trés fatis. faits de leurs nouveaux amis, & leur firent en partant trois acclamations fuivant 1'ufage. Abba-Thulle qui dans ce moment avait quitté la gravité & riait beaucoup, répondit a leurs acclamations & engageales hommes, les femmes & les enfans a en faire autant, fe tenant tantót au milieu d'eux & tantct en particulier. Les anglais eurent le plaifir de fetrouver, vers les neuf heures, en bonne fanté, auprés de leurs compagnons. Le Capitaine Wjlson eüt la fatisfaction de voir que tous fes gens n'avaient point négligé, pendant fon abfence, de travailler affiduement au vaiifeau , & que la plus parfaite harmonie avait régné parmi eux. Cette circonilance ne pouvait manquer d'être d'un heureux préfage, puisqu'elle les conduifait au but de tous leurs défirs. Obfervons, avant de finir eet article, que nos anglais allaient chaque jour, lorsque le tems & les circonftances le permettaient, au vaiifeau naufragé, & qu'ils en raportaient, a chaque voyage, tout ce qui pouvait leur être dequelque utilité, furtout pour la conftruction de leur  nouveau navire. J'en avertis ïci une fois pour toutes, afin de n*avoir pas a y revenir. §. 9. Ferme du roi a Oroolong. Son féjour. Son retour a Péli avec dix des anglais. Détails de la feconie expédition contre Artingall. Dans Paprès-diné du Lundi 8 Septemb. Abba-Tkulle fit une vifite aux anglais, accompagné de fes deux fréres, du principal miniftre & de plufieurs autres chefs: il leur apporta du beau poifion que fes pêcheurs avaient pris avec des filets qu'ils font trés-adroitement. Ils n'en avaient pris que quatre, dont deux furent donnés aux anglais. Le roi qui venait voir pour la première fois Ia conftruétion du nouveau vaiifeau ne fut pas moins émerveillé des progrés du travail que de la grandeur de 1'objet. II en examina chaque partie avec la'plus grande attention & fit venir fur le champ fes tackalbysóxx ouvriers, pour obferver ce qui avait fi fort excité fon étonnè* £ 6  < Mi ) «ert. Les tackslbys furent auffi furpris que leur rrince, L'ufage & Ia puüfance des ouvrages ei fer les tenaient furtout dans une admiration ftupide, & 1'enfemble leur paraiffait une chofe au deffus de leur intelligence. Le roi exammoit fouvent les cötes du vaiifeau, & difait qu'il ne pouvait concevoir comment on pourrait jamais empêcher 1'eau d'y pe'nétrer; il ^imaginair pas que ces eótes duifent étre doufelées en planches. Comme la plus grande partie des garnitures vaüTeau avait été faice par les anglais, avec des arbres de 1'lle, leroi appercüt une efpèce de bois dont ils avaient fait ufage. 11 les preffa de 1'oter bien vite, paree que c'était, di. fait il, un bois funefte qui leur cauferait quelque accident. Cette précaution femblait provenir de quelque idéé fuperflitieufe que les naturels du pays s'étaient formée de eet arbre. Les anglais le remerciérent de fa bonté & Jui firent entendre qu'ils étaient accoutumés a employer toutes fortes de bois dans la conïlruction de leurs vaiifeaux, & que 1'expéri. ence leur avait appris qu'ils n'avaient rien * ^raindre de celui-Ia.  Ce méaie jour leroi, ainfi que le général, oonfidérérent beaucoup Ia barricade &le canon de fix livres de balles; après avoir converfé quelque tems avec le Malais, Abba-Thulle demanda quel était l'ufage du grand canon. Le Capitaine lui mon tra les balles & lesgrappes (*) qu'on mettait dedans, & lui en expliqua la force & f effet, en lui aprenant que fi les einQistTArtingaU ou d'une autre ile de fes ennemis approcbaient de lacrique, cette machine les enléverait de delfus 1'eau & les briferait en mille morceaux. On lui expliqua aufli de % quelle maniére les canons pouvaient étre pointés dans la direction qu'on voulait, pour empêcher toute furprife de fes ennemis fur terre: on ajouta enfin qu'étant mobiles ils donneraient aux anglais amant d'avantage fur eux (les en- * nemis) par terre, que Ia piéce de fix livres de balles leur en donnerait fur mer. Le roi, fes frères & les chefs qui étaient avec lui, en écoutant cette explication fem- O Met jeanes lefteurs auront apris a connahre ce terme dans le recueil de M. Campe, Tom. ZÏI, rdat, 4u vey, dtt Ga$U, Carteret.  C "O ) bfaient regarder les anglais avec un nouvel étonnenient. Ils parlérent beaucoup entre eux, rémoignant par chaque geile ua mouvement de furprife. Ils tournérent beaucoup autour de la barricade & 1'examinérent avec une grande attention, remarquant combien elle était reiranchée & forcifiée par-tout. Cette petite ile 'd*Oroolong étant devenue beaucoup plus commode pour les anglais, par plufieurs établiiTemens néceffaires qu'ils y avai. ent fait depuis la première vifite du Roi, c'était pour lui une fuite d'objets nouveaux a parcourir. Après qu'il eut enjoint a fes tackalbys d'examiner avec une attention particuliére les travaux de la barricade, il parcourut la crique avec fa compagnie. Le bruit de la forge que les anglais avaient établie & qui était alors battante, attira bientót fon attention de ce cóté la: il fe trouvait que dans le moment mê.. me le contre-maitre était occupé a battre un fer chaud fur un morceau de même métal dont il avait fait fon enclume. Ce fut une chofe fi neuve & une découverte fi intérefiante pour eux, qu'ils étaient comme abforbés d'admiration. On ne pouvait leur perfuader de fe te-  ( w > air a une certaine diftance de fenclume; ils fe mettaient, au contraire, a portée de recevoir de tems en tems des étincelles fur leurs corps tout nus, & cela ne les empêchait point de vouloir attraper avec les mains les particules lumineufes qui jaillilfaient fous le marteau du forgeron. Tout dans ces circonftances excitait naturellement leur furprife. Lors que Ie fer avait été battu fur fenclume & qu'aprês avoir perdu fa rougeur il était devenu alfez froid pour être touché, ils ne pouvaient concevoir pourquoi on le remettait dans la forge. Un autre motif d'étonnement pour eux était de voir qu'en jettant de 1'eau fur le feu, il en devenait plus ardent. On eüt beaucoup de peine a les engager de quitter une fcêne aufli intérelfante. Cependant le bruit du tonelier, qui était occupé a réparer les bariques a eau pour le navire, fut alfez attrayant pour les amener dans fa hutte. L'agi* lité avec Ia quelle ils virent eet homme travail» Ier, tournant les bariques, enfoncant les eerceaux & faifant paraitre neuf un tonneau qui était défectueux; toutes ces circonftances, ainfi que le fon qui fortait du tonneau, leur fem-  C "2 ) blaient être 1'effet d'une efpèce de magie. Ils fe regardaient les uns les autres avec un fentiment égal d'étonnement & de plaifir. Ayant apercu après cela les charpentiers qui étaient occupés les uns a fcier, les autres a monter des de piêces charpente &c, ce fut un nouveau fu. jet d'admiration pour eux: la fcie & fes opérations leur parurent des chofes merveilleufes. Aprés s'étre repofé quelque tems, le Roi partitde trèsbonne humeur & alïa paffer la nuit fur les derrières de file, avec toute fa fuite. Abba-Thulle éiant de retour le lendemain (mardi p. SeptembP) auprès des anglais, leur demanda le canon de fix livres de balles, pour Texpédition qu'il projettait. Si les naturels avaient été furpris a la décharge d'un mousquet, il eft aïfé de s'imaginer combien ils devaient être frapés a celle du canon d'un tel ca. libre. Rien ne leur échapa de toutes les opérations employées a charger cette pièce, & lorsqu'on aporta la mêche & qu'on y mit Ie feu, ils appj-reurent uae flamme fubite, qui était fuivie d'un bruit terrible; ce qu'ils nepouTraient compreudre, d'autant plus que dans Ia décharge du mousquet ils n'avaient point vu  ( "3 ) apliquer le feu. —— Le bruit de ce canon fembla les étourdir tous pendant plus d'un quart d'heure; ils tenaient leurs doigts dans leurs oreilles, en cmmmago/IJ magoll! c'efta-dire, trés mauvais. Curieux, mais furpris, j autant qu'ils 1'étaient, d'entendre ce bruit, il paraiffait évident qu'il était trop violent pour leurs organes. Leurs exclamations en entendant 1'expiofion ne peuvent fe décrire, & elles furent augmentées par faccident d'une partie de la bourre qui mit le feu aux feuilles féches d'un arbre voifin. Ayant vu tomber Ie boulet dans 1'eau a une grande diftance, ils ne purent concevoir comment eet effet avait été produit; mais tout ce qu'ils venaient de voir fans le comprendre, les excitait encore d'avantage a vouloir un pierrier pour leur expédition (comme ils 1'avaient déja défiré & même demandé auparavant), paree que cela leur prouvait que cette machine ne détruifait pas feulement la perfonne de leurs ennemis, mais encore leurs propriétés. Raa-Kook accompagaa le Capitaine fur le coteau de vue & fut furpris de voir comment on avait approprié Ie terrain. II lui apprit le nom des iles principa.  c m) les, & montra lenr fituation avec la main, quoique plufieurs d'entr'elles fulTent hors de la portée de la vue. II lui dit qu'au fud était celle de Peleli, au nord-eft Emillégue, & au. fud-efl: file avec la quelle ils étaient en guerre & qui fe nommait Artingalï. Le Roi alla diner dans Pendroit oü les canots étaient ftationnés. Dans faprês-midi le Abba-Thulle fit renouveller a diverfes reprifes & avec beaucoup d'inftances, la demande dupierrier. Ceux des anglais qui devaient aller a la guerre fe trouvant la, Mi BengsPv peur eouper court a la demande, lenr ordonna d'entrer dans les canots (*). Abba-Thulle & fa fuite s'embarquérent alors & partirent. (*) Ce refus n'était point un effet de la mauvaifë volorlté des anglais. Ils n'avalent, de même que les Naturels, aucun canot capable de porter le />»• errler; de plus il en ferait réfulté pour les anglais U&a confommation conödérable de poudre, dont ils pouvaient avoir un grand befoin dans la fuite; enfin il aurait fallu envoyer Ie canonnier,& c'était un homme trop effentiel pour qu'on p. t s'en palier pendant tout le tems de fexpédition.  C ii5 ) II ne fe paffa rien de remarquable jusqifau retour des dix anglais qui avaient accompagné le Roi dans fon expédition contre ArtingalU lis reparurent le lundi (15. du même mois). Le canot dans le quel étaient M M. Wilson & John Dujncan, avait chaviré. Cet acci« dent fut occafioné par une rafale de vent qui vint fi fubitement que le canot ne put abatre fa voile affez-tót pour échaper. II y avait dedans quatre naturels avec les deux anglais» Comme le canot tournait, deux des naturels prirens les deux mousquets & les tenant d'üne main foutenaient de f autre M. Duncan , & M. Wilson. Les deux autres- infulaires firent un petit radeau des bambous, des cordes, des rames & des pièces de bois qu'ils purent attraper. Les canots qui étaient de compagnie ayant été chaffés a une diftance, fe fauvérent avec beaucoup de difficulté fur le plus prochain rivage; mais dèsqu'ils eurent dé» barqué les anglais, ils fe remirent a 1'eau & allérent chercher M M. Wilson & Duncan, qui ne fachant nager ni 1'un 1'autre , avaient flotté pendant prés de deux heures fur le ra-:  ( HO deau. Le Capitaine récompenfa fur Ie champ ceux qui les avaient fauvés, en leur donnant quelques fils d'archals & quelques morceaux de fer pour faire des haches. Ils furent tous recus avec grande joie par leurs compatriotes 8 Oroolong^ qui apprirent avec plaifir le fuccès que le Roi avait obtenu dans cette feconde expédition. Comme ce fuccès, ainfi que fexpédition, préfentent une fcène non feulement neuve, mais trés intéreS' fante pour mes jeunes lecleurs, j'entrerai dans des détails circonfianciés a ce fujet,en me fervant, pour en rendre un compte plus exact t des propres termes de M. Mathias Wilson, qui fut lui méme acleur dans toute cette affaire. „ La nuit oü nous quittames Oroolong, nous „ vinmes a Pelew. Le Roi vouloit continuer f, fa route fur le champ vers Artingall, mais „ Ie tems étant trés • humide nous lui obfervd- mes que la pluie endommagerait nos armes; ,, en conféquence il remit le départ a la foi„ rée fuivante. Nous fumes conduits dans Ia t9 même maifon oü mon frère & M. Sharp,  C "7 ) „ avaient été régalés auparavant, & oü Ton „ nous fournit tout ce que nous pouvions „ efpérer ou défirer." „ Vers le foir du jour fuivant nous nous as* „ fembl&mes fur la chausfée, oü fe trouvérent „ le Roi, Raa-kook, Arra-kooker & les „ autres Rupacks & grands Officiers, & nous „ nous rendimes a bord des canots qui étaient ftationés pour nous recevoir. Nous fumes „ fuivis au rivage par une foule de vieillards, „ de femmes & d'enfans, qui paraiflaient étre „ attirés par la curiofité & fintêret. Lorsque „ les canots quittérent la terre, une conque fe „ fit entendre pour annoncer notre départ. „ On dépècha d'autres canots en différens en„ droits de file, pour prendre des détache„ mens qui étaient répandus dans les criques „ les plus éloignées & qui n'attendaient qu'ua „ ordre du Roi pour nous joindre." „ Ayant eü ces renforts, notre flotille était „ de plus de deux cents canots. Nous avan» 9ames pendant la nuit vers Artingall; mais „ on s'arréta quelques heures avant faurore, „ a une ile dépendante d'Abba-Thulle, oü » fon .defcendit fur une efpéce de quai: os  (u8) ,7 y dormit fur le Tol environ trois heures. A„ lors on fe rembarqua pour pafler dans un „ vrai labyrinthe de petits coteaux, & Ton arriva devant Artingall un peu avant la „ pointe du jour. Tout le monde fit halte „ jusqu'au lever du. foleil. Les peuples de „ Pelew ne furprennent jamais leur ennemi 3? f, ne T attaquent jamais dans 1'obfcurité." „ Déja il faifait jour: un petit canot d'une „ conftruction trés-légère, chargé feulement „ de huit hommes, s'avanca pour fommer fen„ nemi de venir, afin qu'on s'expliquat. Qua* tre de ces hommes avaient dans les cheveux „ une plume blanche de la queue de 1'oifeau „ du tropique. Ceux qui étaient ornés de ces „ plumes faifaient les fonctions de nos hé„ rauts; ils allaient ou faire des propofuions, ou demander a être entendus lélativement ,, aux circonftances, & pendant ces interval4> le on fuspendait les hoftilités. 9, Abba-Thulle avait d'abord fait favoir au w Roi d" Artingall qu'il viendrait fous peu de jours lui livrer bataille: ainfi ce Roi s'é- tait préparé a 1'événement. L'ennemi apero, cevant donc le fignal par le quel on lui de*  C "9 ) „ mandait une conférence, expédia un canot „ a Raa-Kook. Celui-ci lui demanda s'il „ voulait foufcrire a ce qne lui propofait fon „ frére, pour réparation de finjure dont on „ avait a fe plaindre, Le canot retourua au ) „ Roi d''Artingall & lui fit part des propofi,, tions du Roi de Pelew; mais eet ennemi „ s'y refufa. Sur fa réponfe, Raa-Kook in„ forma fon frère que f ennemi était dispofé a .,, fattaque." „ Auffi-tót Abba-Thulle fit fonner de la j ,, conque. Alors fe tenant de bout dans fon ,, canot, il agita fon baton dans fair pour „ ordonner aux différentes efcadres de fe met- * ,, tre en ordre de bataille. Pendant ce tems l'ennemi ralTembla fes canots tout prés de „ terre & fit fonner de la conque pour nous „ défier: il paraiffait décidé a ne pas quitter 3, le rivage & a nous attendre. Les dix an„ glais s'étaient divifés dans plufieurs canots. »> Le Roi en avait un dans le fien & le général un autre. Les autres accompagnaient ,,, les difFérens Rupacks, armés chacun d'un ,, mousquet, d'un fabre, d'un piftolet, d'une ,, bayonette. il y avait plufieurs canots 1&  C 120 ) „ gers montés par quatre hommes ornés de „ plumes blanches a leurs cheveux , comme dans le canot du héraut. Ces canots étaient „ fans-celTe occupés a porter d'une divifion k 1'autre les ordres du Roi & du général aux autres chefs. Ils rendaient ces ordres „ avec une rapidité incroyable. Nos anglais les appelérent canots-frégates pour les di„ flinguer. „ Le Roi voyant que l'ennemi était décidé „ a ne pas quitter fa pofition prés du rivage, „ & fentant bien qu'il ne pourrait 1'y attaquer „ avantageufement, envoya quelques canots* „ frégates ordonner k une escadre de fe ca- cher derrière un terrain élevé. Après ces dispofitions, on fe lan9a quelques traits de „ part & d'autre. La conque fonna, & le Roi de Pelew fit femblant de fuir dans fon „ canot. II fut auffi-tót fuivi de fes gens, „ qui fe retirèrent avec une précipitation appaft rente." „ Ce ftratagéme ingénieux d'abba - Thulle encouragea f ennemi, qui croyant que notre flotte était faifie d'une terreur panique, fe dispofait a s'éloiguer du rivage» L'escadre qui était  ( 121 ) &ait en embufcade ne 1'eut pas plutót appercu, qu'elle fortit a toutes rames & fe porta entre l'ile & l'ennemi pour lui couper la retraite. Le Roi voyant le fuccès de fa rufe, revint a l'ennemi & rangea la flotte en ordre de bataille. Alors f attaque devint générale; les traits volérent avec la plus grande rapiditë de part & d'autre. Les anglais firent un feut continuel & tuérent beaucou'p de monde. L'ennemi en désordre reltait confondu & la vue de fes guerriers qui tombaient fans qu'on ap« pergut Ie coup dont ils étaient frappés. II voyait bien qu'ils étaient p^rcés, mais il cher* chait en vain la lance & ne pouvait concevoir par quels moyens ces combattans étaient a 1'inflant privés de Ia vie. En général ces infulaires n'ont dans chaque canot qu'un lancier; les autres- n'y font que pour ramer ou diriger les mouvements. Le feu des mousquets n'eut pas plutót déconcerté les guerriers ct'Artingallqu'il en réfulta un effet tout contraire dans ceux de Pelew. Au moment même oü Ie bruit des armes fe fit entendre, ceux-ci fe levérent dans leurs canots, firem retentir fair de leurs chwaeurs & augF  ( 122 ) mentérent encore la terreur de l'ennemi. Eu* fin les troupes £ Artingall ne fe trouvant pas en état de tenir contre une attaque fi terrible, prirent la fuite. „ L'escadre poftée entr'eux & leur ile les attaquant en queue, les arrêta longtems dans leur retraite; mais comme elle n'était pas d'égale force a l'ennemi, la plupart des troupes éF Artingall parvinrent a regagner leur rivage. On ne prit que fix canots & neuf hommes, ce qui fut regardé comme un grand fuccès, car ils font rarement des prifonniers. Les vaincus s'eiforcent toujours d'emporter leurs morts ou leurs bleffés, de peur que l'ennemi expofe publiquement les cadavres. „ Notre flotte fe promena en triomphe au» tour de file éF Artingall & fonna de la conque pour défier l'ennemi, fur le quel même on tirait Iorsqu'il paraiffait a la portée du mous« quet. L'aclion ne dura pas plus de trois heures. On fit encore inutilement plufieurs mouvemens le long des cótes pour attirer l'ennemi a un nouveau corabat. Alors Abba-Thulle ordonna aux canots de fe dispofër au départ, ce qu'on fit promptement, & nous re« tournaraes du coté de-Pelew»  ( 123 ) „ Les neufs prifonniers que nous nvions étaient tous bleffés. Quelques vives que furent nos inftances pour empêcher qu'on ne les mit a mort, on ne voulut rien entendre en leur faveur, & ils furent cruellement exécutés fur Ie champ. Afin de jufiifier ce procédé qui nous parailfait fi oppofé a f humanité de tous les habitans de Pelew, ces infulaires nous repréfenfenrérent qu'ils étaient forcés d'en agir ainfi pour leur propre fureté. Ils nous affurérent qu'ils épargnaient autre-fois les prifonniers, en les gardant comme autant d'esclaves, mais qu'ils avaient toujours trouvé les moyens de retourner dans leur pays; & qu'après avoir ainfi vécu a Pelew & bien connu les canaux & les criques de file, ils en avaient profité pour y débarquer en fecret & commewre d'afreux ravages; qu'ainfi la conduite qui nous paraiflTait blamable en eux devenait d'une néceflité abfolue. „ Il fe trouvait un Rupack parmi ces prifonniers. II avait au poignet un os que nos infulaires voulurent lui enlever; mais, malgré leurs efforts, il défendit fi courageufement cette marqué de fa dignité, qu'il ne la perdit qu'avec F 2  ( IH ) ia vle. On le transporta a Pelew & on lui coupa la tête que 1'on expofa fur un bambou devant la maifon du Roi. „ Le canot qui me ramenait de cette expédition portait deux de ces prifonniers. L'un avait la cuisfe casfée, 1'autre plufieurs bleffures que lui avait faites une lance. Lorsque ces gens vont a la guerre, ils ont coutume de treffer leurs cheveux d'une manière qui leur eft particulière & ils les raffemblent fur le fommet de la tête. Dès qu'ils font prifonniers, ils les détachent & les laiffent tomber en désordre fur le vifage, attendant avec intrépidité le coup de la mort qu'ils font furs de recevoir de leur vainqueur. Lorsque ces deux malheu» reux furent dans le canot oü j'étais, & qu'ils eurent témoigné leur réfignation a mourir, nos infulaires leur dirent de s'afleoir au fond du canor. Celui qui avait la cuiffe caffée le fit avec douceur; mais 1'autre montrant de la réfiflance & femblant provoquer fa deftinée par fon opiniatreté, un des naturels faifit fur Ie champ ma bayonnette, la tira de mon coté & la lui plongea dans le fein. Quoiqua eet iiifortuné luttat longteras contre la mort & ré.  ( 1*5 ) pandit beaucoup de fang, il ne pouffa ni' plainte ni foupir. „ M. Benger , par fes presfantes follickations, avait pendant deux üeues confervé Ia vie a un prifonnier bleffé; mais un des fujets du Roi, blelfé lui-même par f ennemi, apercevant ce malheureux prït le poignard' du Malais Soogell & f en perca fur le champ , fans que M. Benger s'en aper9Ut. Ce natif crArtingall, qui pour la première fois de fa vie voyait un homme blanc, fe foumit courageufement è fon fort; fes derniers regards furent conftamment fixés fur fanglais; il paraiffait furtout arfecté, en mourant, de la couleur de fon ennemi , vraiment nouvelle pour lui. Abba - Thulle retournant a Pelew s'arrê;a dans plufieurs petites iles, que nous prdfumames être de fes fujets ou de fes alliés. II y fit expofer publiquement les cadavres tte fes prifonniers. Le peuple de ces difterentes iles fe réjouit beaucoup de fa vi&oire, & aporta des rafraichifiemens. Nous ne pumes évaluer la perte de l'ennemi; mais il eft certain quelle fut confidérable. Le Roi eut quelques F 3  ( 126 ) bklTés de fon coié9 mais il ne mourut aucun de fes gens. „ La nait avait précédé notre arrivée a Pe* lew. Dèsque nous en fürnesprès, la conque fonna pour annoncer le retour du Roi. A peine defcendimes-nous fur le quai d'oü nous étions partis, que le peuple vint en foule nous regevoir, apportant quantité de rafraichilfemens. Nous nous arrétames jusqu'a ce que tout le monde qui reflait fut defcendu & réuai; car plufieurs canots de Ia flotte nous avaient quittés pendant la route, pour fe rendre dans leurs habitations refpectives. Enfin nous en* trames dans Pelew oü fon chanta & danfa une partie de la nuit: les naturels nous attribuaient les fuccès de cette journée & répétaient même fouvent dans leurs chanfons le mot English, Ils expoférent les cadavres de leurs prifonniers pendant huit jours, jusqu'a cequ'infectés par le mauvais air, ils les brulérent ou fes jettérent a la mer." Telles font les particularités de la feconde bataille livrée a Artingall, felon le rapport de M. JMaihias Wilson. Ceux qui étaient avee  C i-v ) }ui le certifïérent unanimément: ils ajoutérent qu'Abba - Thulle fe propofait de rendre une vifite aux anglais fous quatre ou cinq jours. II ne fe palfa rien de remarquable depuis le mardi9 16 Septernbre, jusqu'au Lundi 22. du méme mois. La pinafle alla plufieurs fois au vaiifeau naufragé & en raporta divers matériaux propres a entrer dans la confiructton du nouveau vaiifeau. Les chaloupes aportérent le 20. quinze facs de riz, qui, quoique gatté par fhumidité, fut d'une tres-grande utilité aux gens de f équipage. § 9. Arrivée de Tom-Rofe & de Raa-kook. Pro* pofttions de ce dernier. Les anglais lui accordent de nouveaux fccours contre Artingall. M. Sharp va a Pelew; fon rapport, Funèrailles du fils de Raa-kook. Tom-Rose arriva de Pelew dans faprès-midi du Lundi 22. Septernbre. Le Roi 1'avait fait reder dans cette place après la bataille, pour avoir de lui des informations plus partiF4  C 138 ) mMm au fujet des anglais. II amenaic avec lui de la part ^Abba-Thulle un préfent confidérabie d'ignames & une jarre de melafTe. II était chargé de dire au Capitaine Wilson & a fes Officiers, que Ie Roi efpérait être éxcufé de leur part s'il ne leur avait pas encore rendu fa vifite, ayant été arrêté par le grand nombre de ceux qui venaient des autres iles le féliciter de fa viftoire; que d'ailleurs tout ce monde n'aurait pas manqué de le fuivre, s'il était venu fur le champ ; plufieurs.perfonnes lui ayant paru jaioufes de voir les anglais, il les en avait disfuadées, leur réprefentant que leur ile qui était très-petite ne pouvait fournir a tant de monde la quantité d'eau néceffaire, & qu'ainfi ces vifites mettraient nécelfairement les anglais dans un grand embarras. 'Sr Vous voyez,mes jeunes amis,par ce procédé du Roi, combien il avait d'attentions pour les anglais: il fe montra le même daas toutes les circonfiances. La délicateffe de fes fentimens égalait fa libéralité. il avait fans doute confidéré combien la curiofité des gens de fa fuite apportait d'oblhcles aux opérations des anglais Iorsqu'il venait a Oroolong, & pré-  C ï20 ) voyait qu'a plus forte raifon Ia foule de ces étrangers ne pourrait qu'augmenter les embarras, Ainfi les affaires des étrangers en queftion fe bornant a de pures vifites d'honnéteté, il les obligea de ne plus lui manquer d'emprefferaent a ce fujer. II fentit cependant fa délicateffe bleffée par ces ménagemens. II craignit qu'on prit foa délai pour un oubli des fervices fignalés qu'on venait de lui rendre, s'il ne venait pas témoigner au plutót fes remercimens. . . . Quel aimable Prince que eet Abba-Thulle! Raa-Kook arriva a Oroolong dans Ia foirée du famedi, accompagné de deux étrangers de diftinftion; on fut enfuite que c'étaient des chefs de quelques iles voifries. Ils abordérent avec trois canots chargés d'un préfent d'ignames, de cocos & de trois jarres de melasfe. Les anglais avaient été occupés a leur conflruction toute la journée; ils fe rendaient a Ia priére commune. Tous les gens de Pelew aflïftérent a cette cérémonie religieufe & sy comportérent avec la plus grande décence. Quelques uns d'entr'eux s'érant avifés de parler, Raa-kook les fit taire, & ils obfervérent enfuite un profond filence. F5  C 130 } Pendant qu'on dtait a Ia priére, Ie malais Soogell arriva, chargé d'une commiiïïon pour •le général de la part ^Abba-Thulle; il vint dans la tente pour s'en aquitter; mais- Raakook ne voulant pas qu'on interrompit les anglais fit un figne pour irapofer filence#, jusqu'a ce que le Capitaine, qu'il défigna de la main, eut fini la priére. Aprés cette cérémonie, Soogell informa Raa-kook de l'objet de fa eomraifïïon. Ausfi tót le général & les étrangers entrérent en converfation avec le Capitaine & les Officiers : le premier ne tarda pas a demander quinze hommes & un pierrier pour les fuivre dans une autre expédition. Le Roi, tout fier des avantages que lui avait procuré 1'amitié de fes nouveaux alliés, voulait profiter de leur aide pour fe venger de tous fes ennemis. Le Capitaine Wilson crut devoir faifir 1'occafion favorable pour rappeler au général plufieurs chofes dont lui & les anglais avaient a fe plaindre. D?abord il paria .de la froideur avec la quelle on les avait quittés aprés f expédition Artingall & lui montra un cahier vide, pour lui faire entendre combien il lui manquait de fes papiers >  C i'31 ) (cartouches), difant que plufieurs canots étaient venus les enlever de fantelope. Enfuite il repréfenta combien il était mécontent qu'on eut dit aux anglais, lorsqu'ils é'aient aPe/ew, qu'ils devaient rendre au Roi les mêmes hommages que fon peuple, lorsque ce monarque fe montrait; que les anglais avaient pris cela trés-mal. 11 alTura auflï au général que les anglais ne feraient plus d'aucune expédition militaire avec le Roi, s'il était dans le desfein de faire mounï les prifonniers, paree que l'ufage & le caradlère de leur nation ne leur permettaient pas de maltraiter ceux qui s'étaient fourois a leur pouvoir. II finit en ajoutant quelques mots au fujet du canon de lix livres qu'on avait enlevé de Fantelope (peu de jours avant, par 1'ordre du Roi), & de la crainte que- les anglais avaient eue de quelque différend lorsqu'on les renvoya dans l'ile,. par ce qu'on ne leur avait donné aucun Rupack pour les accompagner, & que fon fFére avait manqué d'être noyé avec un autre anglais par ce défaut d'attention ; qu'enfin 1'on avait perdu quelques armes, malgré les plus grands efForts des gens du bateau. Le général qui était venu pour demander F 6  C 132 ) des hammes & un pierrier pour une aurre expédition qui devait être des plus fanglantes, fut extrémement furpris d'entendre ces reproches, furtout devant les étrangers diftingués qui faccompagnaient. Cependant perfuadé que les anglais lui étaient aufïï dévoués qu'il avait de zéle & d'amitié pour eux a tous égards, il crut pouvoir en obtenir le pierrier, quoiqu'on feut refufé auparavant. Combien ne fut-il donc pas trompé Iorsqu'il n'entendit que des plaintes au lieu d'obtenir fur le champ ce qu'il défirait! Néanmoins fon extérieur, fes geiles plus expreflis que tout ce qu'il auraitdit, marquérent alfez qu'il convenait de fes fautes,* & les regards qu'il jetta fur le Capitaine & fes Officiers firent tant d'imprefflon fur eux, que leur amitié fut forcée de céder a ce qu'il leur faifait entendre. Enfin il rompit le filence, aflurant le Capi* taine qu'il allait les fatisfaire fur les reproches qu'on lui faifait. 11 commenca par le papier & le cartouchier, craignant peut-être qu'ils n'euffent- plus de munitions prêtes pour Pexpédition, 11 leur alfura donc qu'on avait fait toutes les recherches. poflibles pour recouvrer les papiers qu'on avait enlevés du  C '33 ) vaiffeau, mais qu'elles avaient été vaines; que ce que les naturels avaient pris fur le rivage était fi mouillé qu'il s'en allaic en piéces dans leurs mains, & avait ainfi été jetté comme inutile. Quant a 1'étoffe blanche (c'était le drap qu'on lui avait donné & a fon frère Arra-kooker) , il dit qu'elle était encore entiére & qu'on pouvait la leur rendre pour faire des cartouches. „ Mais fi nous fommes partis précipitamment, ajouta-t-il, on ne doit 1'attrlbuer qu'a Ia héte avec Ia quelle M. Benger fit embarquer fes gens. Les anglais ont été, je 1'avoue, renvoyés par ua mauvais tems fans aucun chef; mais ce fut encore un effet de 1'inquiétude de M. Benger. Nous favons preffé d'attendre que le tems fut plus calme & qu'on eut préparé d'autres canots. Quant aux prifonniers nous n'étions pas non plus dans l'ufage de les tuer, mais la né» ceflité nous y a contraint; plufieurs s'étant échapés furent a peine de retour chez eux qu'ils nous cauférent les plus grandsdommages. Néanmoins je protefte qu'a 1'avenir ils feront remis aux anglais, pour en dispofer comme ils le jugeront a propos. A 1'égard du gros canon a.u'on * F?  C 134 ) enlevé du vailTeau, f étais chargé de vous e« parler de Ia part du roi. Abba- Thulle voulant arrêter a Pelew les étrangers qui venaient Ie vifiter & les empécher d'interrompre les anglais , leur avait lui même appris quel était f effet de vos petite3 armes a feu ; mais pour les étonner davantage il voulut leur donner une idéé du ravage que pouvaient produire vos canons: en conféquence il en avait fait venir un pour le leur montrer & avait prié le général de le renvoyer fur le champ". Enfin il protefta que fon frére n'avait éxigé du capitaine Wilson aucune marqué derefpect, que le roi n'y avait jamais fongé, que c'était une erreur ou une méprife. En effet la fuite fit voir qu'il n'y avait dans tout cela que de la faute du malais d'aeba - Thulle. Ce rufé perfonnage s'étant apercu que fon crédit auprés du roi diminuait 9 en proportton de futilité que ee fouverain retirait des anglais, inventa, pour kur infpirer de la défiance, cette faufleprétentions du roi, fe perfuadant qu'elle déplairait aux anglais. Ge grofiier artifice leur fit croire qu'il avait voulu femer la jaloufie entre AbbaThulle & eux; la fuite du coupable, arri-  C 135 ) vee quelques jours après, parut favorifer cette conjeclure. Les chofes étant heureufement terminées le Capitaine prit fes officiers aTécart, pour délibérer avec eux fur la demande qui leur avaic été fatte. II fut décidé qu'Gn leur accorderait le canon & dix hommes, mais rien de plus. Cet» te réfblution prffe , il retourna dans fa tente & en informa Raa-kook qui fapprit avec fatisfaction. Ils foupérent tous avec les anglais; la bonne humeur &,Ia joie animérent les convlves. Aprés foupé, le général apprit £ M. Sharp que fon fils avait été bleffé d'un coup de lance dans un combat; mais ce ne fut que lejourd'après qu'il lui annonea qu'une partie de cette lance s'était brifée dans fon pied & qu'il n'était pas poffible de 1'en arra» cher. II le pria de voüloir bien fe rendre aPelew afin d'examiner la bielfure & d'en extraire, s'il le pouvait, le troncon de la flêche. M. Sharp fachant que le pied du jeune homme était très-enflé & qu'on favai? étuvé, ordonna de continuer Ie même traitement comme le feul moyen de diminuer finfiamation. II ajouta, en parlant au généralg  ( 136 ) qu'ayant trois de fes hommes trés-malades, il lui ferait impoffible d'aller ce jour la a Pelew, mais qu'il fe ferait un plaifir de 1'y accompagtier auffi-tót qu'ils feraient mieux. M. Sharp demanda a plufieurs des anglais qui s'étaient trouvés au combat, comment le jeune homme avait été blellé. lis répondirent que la lance lui étant entrée dans le pied, ils 1'avaient calfée en elfayant de 1'arracher; que les naturels avaient attaché une corde a 1'extrêmité du troncon & avaient employé les plus grands elforts pour le délivrer, mais que la pointe du javelot s'érant enfoncée entre deux petits os, une inflamBiation fubite avait rendu leurs efforts infructueux: ils ajoutérent qu'ils auraient plutót arraché le pied au jeune homme que le fer de ïa lance. Un des naturels reconnu pour être habile dans la guérifon des blelfures, fut prié d'examiner le pied du malade. 11 s'arma auffitót d'un fcalpel qu'on avait fauvé du nau. frage & coupa les chairs afin de dépouiller ros; mais dés qu'ü eut déchiré le pied du malheureux, 1'effufion de fang 1'empécha de fioir 1'opération. Ou eut recours a 1'étu-  C «37 ) vement & on le continuait encore quand le général quitta Pelew. Vers midi Raa-kook quitta Oroolong prenant avec lui le canon & plufieurs hommes 'pour la troifiéme expédition, favoir MM. Cummin, Wilson, John Blanch le canonier, John Meal, James Swist, Nicolas Tyacke, Madan Blanchart , Thomas Wiiittfield , Thomas Wilson & Thomas Dulton. 1VI. Devis les accompagna comme volontaire. Cette expédition femblait être d'une grande importance, car tous les rupacks voifins devaient fuivre le roi, au lieu que dans les deux premières expéditions il n'avait que fes fujets & les anglais. Le Jeudi 2 Octobre les trois malades de M. Sharp fe trouvant entiérement rétablis, le Capitaine le pria de s'embarquer avec fes inftrumens, afin de voir s'il pourrait rendre quelque fervice au fils de Raa-kook. II ne fut de retour avec le Charmant (c'était le nom du navire), que le Lundi 6*. Ceux des anglais qui étaient reftés & Oroolong avaient déja congu des inquiétudes fur fon fujet, ainfi que fur 1'expédition dont ils n'avaienc aucune nouvelle. Ils furent donc bien contents lorsqu'ils went re-  C '38 ) venir quelques - uns leurs camarades qui leur apri* rent qu'ils avaient quitté Pelew famedi matin ; que Ie rnauvais tems iesavait forcés de relacher a la petite ile d'oü ils étaient partis lematin de bonne heure; que I'expédition du foir précédent avait été tres - heureufe ; que les anglais étaient a Pelew, que 1'aétion, pius opintètre que les autres, avait duré prés de fix heures; que le peuple 'if Artingall s'etait défendu avec beaucoup d'ardeur & d'acharnement. Le roi retint a Pelew les anglais & les rupacks qui l'avaien£ accompagné a i'expéditon; il voulut leur procurer Ie plaifir de Ia danfe & de la table. II envoyait par le navire quelques ignames, d'autres provifions, & le canon, qui leur avait été trés-utile dans le combat. Abba-Thulle, a la priére de M. Sharp , rendit les chaudiéres du vaiifeau: c'était une grande acquifitionpour les anglais, qui, privés de ces uftenfiles (les naturels s'en étaient emparés au commencement du nauirage) , & désefpérant de pouvoir les reco uvrer, étaient obligés d'apprêter leurs mets dans de petites poè'ies. Leurs plaintes a ce fujet étaient parvenues a Raa-kook; il en informa le roi, qui les fit «hercher avec la plus  C 139 ) grande dilligence & les renvoya par le Charmant. Ce trait, ainfi que d'autres particularités de fa conduite, prouvait la générofité de fon caradère; il ne voulait pas que fes fujets poifédaffent ce qu'ils avaient dérobé aux anglais, quoique ces objets fuffent d'un graad prix aux yeux des naturels. M. Sharp donna les détails fuivants de fon voyage a Pelew. II s'y était rendu 1'aprèsniidi du jour qu'il parut (f Oroolong. A fon ar* rivée il fe préfenta au général qui vint a fa rencontre avec un air fort ému. M. Sharp lui paria du motif de fon voyage, lui montra les indrumens qu'il avait apportés & ajouta qu'il efpérait de procurer de grands fecours a fon fils. Le général lui fit une profonde révérence , parut moins trifte, & vivement touché de cette marqué d'attention. II pria M. Shar? de le fuivre & le conduifit a la maifon qu'habitaient les anglais. M. Sharp la trouva environnée de fes compatriotes, du roi, du principal mtniftre & de plufieurs rupacks qui étaient tous afiis fur un parquet pavé. 11 s'a> vanca vers le roi & les rupacks pour les faluer. Comme on favait le motif de fon voy«  C 140 ) age, le princïpal miniftre lui apprit que tandis que Raa-kook était allé è Oroolong 1'étuvement avait diffipé finflammation & qu'on avait arraché le troncon de Ia lance en le faifant traverfer ie pied du mal'ade. 11 ajouta que Ie jeune homme (il avait environ dix-huit ans & était auffi brave que fon pére) fe voyant hors d'état de marcher, mais pouvant fe tenir dans un canot & manier fa lance , avait voulu être de fexpédition. Le canon avait donné de fi grandes efpérances aux corabattans, qu'ils s'éraient tous flattés d'un fuccès infailiible. Dès le commencement de 1-aér.ion ce courageux guerrier s'efforcant de gagner Ie rivage, fut frappé d'une flèche qui termina fur le champ fa vie. Lorsque M. Siurp & cenx de fa fuite etirent pris quelques rafraichiflemens, Raakook qui était de retour s'approchant de M. Sharp & du bofferaan fon ami, les pria de 1'accompagner. Ils le fuivirent jusqu'a la mer & appercurent un canot monté par un homme. II leur dit alors qu'il avait efpéré y rencontrer plus de monde. Un inüant après parurent vingt- un rupacks que M, Sharp ne  C 14' ) connaiflait point; ils avaient aidé Abba-Thulle dans fa derniére expédition. Raa kook pria M. Sharp & le boffeman d'entrer les premiers dans le canot ; les rupacks fe difputérent longtems a qui pafferait le dernier. M. Sharp n'entendit donner aucun ordre: il ignorait oü fon voulait le conduire. Cependant il était facile d'apercevoir que la courfe était dirigée vers une petite ïle fituée a trois ou quatre milles de Pelew. Arrivés a terreRaakook les conduifit dans la campagne \ la ils apper9urent un parquet pavé que quatre a cinq maifons environnaient. Elles parailfaient inhabitées, car on n'y voyait perfonne & 1'herbe croilfait entre les pavés. On fe repofa & Raa - kook- envoya plus loin deux de fes hommes. Tout cela était toujours un myftére pour M. Sharp & le Bolfeman. Ce chirurgien, qui auparavant, avait fair voir fa montre a Raa-kook & lui en avait expliqué 1'utilité, s'apercevant qu'ils gardaient tous un morne filence & fe rapelant combien cette petite machine avait excité la curiofité du général, la pric dans fes mains afin d'apprendre aux  C 142 ) rupacks avec quelle exaftitude les anglais pouvaient mefurer & divifer le tems, ïl de> meurérent tous émerveiliés; mais leur furprife redoubla lorsqu'ils entendirent les battemens .de la verge. Une heure après les melTagers de Raakook revinrenr. Alors ce général conduifit fa fuite a la ville , dont ils étaient. éloignés d'un demi-mille. Hs arrivérent a un autre parquet pavé & entouré d'une multitude de maifons. II y avoit au milieu deceparquet, des ignames , des noix de coco & du forbet. Des perfonnes de 1'un & 1'autre fêxe f environnaient. Elles fe levérent refpectueufement a 1'arrivée de Raa-kook & des rupacks. Quand le général & fes amis fe hu rent aflis, les domeftiques fervirent d'abord les provifions au général, enfuite a fes hotes, puis au peuple placé autour du parquet. Toutes les femmes qui fe trouvaient dans la foule a f arrivée du général , fe retirérent aprés le fervice des rafraichiffemens; mais ce qujil y avait de remarquable c'efl: que toutes ces noix de coco étaient vieilles, au lieu qu'aux autres fêtes on en avait toujours fervi de kou-  ( 143 ) velles. Cependant ils enlèvéreut les vieilles placées devant les anglais & leur en fervirent des fraiches. Après le repas qui fe fit dans le plus grand filence, on entendit au Ioin de lugubres lamen- tations de femmes, Raa-kook frappa Mi Sharp au bras, & fans rien dire lui fit figne avec la main de voir ce qui pouvait occafioner ces cris. M. Sharp fe lev& auffi-tót ainfi que le bofieman; ils fe rendirent a la place d'oü le bruit fembiait venir. Ils appercnrent une muttitude de femmes fuivant un corps mort attaché dans une natte & placé fur une efpèce de biére formée de bambous. Qua- tre hommes la portaient fur leurs épaules corn» * me un brancard: excepté les porteurs tout ce convoi funèbre était compofé de femmes. M. Sharp & fon ami comprirent qu'on célébrait les funérailles du fils de Raa-kook; cependant ils étaient furpris du profond filence qu'on avait gardé fur cette cérémonie. Etaitce par une fermeté d'ame qui s'armait contre la faibleffe humaine ? était-ce par un autre motif?... ils 1'ignoraient & fignorent encore. — Ils arrivérent au lieu de te fépulture préci-  C 144 ) fément au moment oü le peuple placait le corps dans la folTe qu'on lui avait creufée; il fut dépofé fans cérémonie. Ceux qui Pa* vaient apporté commencérent a fe fervir de leurs pieds & de leurs mains pour remplir ia folfe de terre, tandisque les femmes profiernées pouflaient de longs gémifiemens & fem» blaient s'oppofer a ce qu'on leur dérobat la vue de eet objet chéri. Le lendemain avant de partir pour file du roi, Raa-kock conduifit M. Sharp & le boffeman dans une maifon peu diftante de la place oü fon fils avait été enterré le jour précédent, lis ne trouvérent en arrivant qu'une vieille femme, qui, par 1'ordre du général, difparut fur le champ & revint bientöt aprés tenant en fa main deux vieux cocos , une branche verte de poivrier, & de 1'ocre rouge. II prit 1'un des cocos & faifant une efpéce de croix avec 1'ocre, il le mit a terre a coté de lui. Après une longue paufe il prononca quelques mots a baffe voix : les anglais jugérent que c'était une efpèce de priére, car il était vivement agité. II fit la même chofe avec fautre coco & la branche de poivrier, puis  ( 145 ) :puh il garda un morne filence. Aprés cette cérémonie il appela la vieille femme & lui donna quelques inftructions en lui remettant les deux cocos & la branche de poivrier. JVT. Sharp & fon ami virent cette vieille femme s'avancer vers le tombeau du jeune homme, apparemment pour y dépofer les objets qu'elle portait-, la douleur du père les ayant retenas auprês de lui, ils ne purent voir la fin de la cérémonie. Mes jeunes lecteurs trouveront des détails ultérieurs fur eet objet, a Partiele oü je les entretiendrai particuliérement des mceurs & des ufages de Pelew. De retour en cette ile M. Sharp fut conduit vers le roi, par le général fon frére. Abba-Thulle demanda a voir les inftrumensavec les quels il avait eü delfein de travailler a la guèrifon de fon neveu, Le chirurgien les en- voya chercher fur le champ a la-maifon de Raa-kook, oü ils avaient été dépofés, &, a 1'aide de 1'interprête , en expliqua les divers ufages. Abba-Thulle furpris & enchanté, pria M. Sharp de Paccompagner dans une maifon oü logeaient plufieurs rupacks i qui étaient venus paffer quelques jours avec lui, G  a Poccafion de la derniére vi&oire; il vouiaft leur procnrer ia vue de ces inftrumens, L'explication de leur utilité refpeétive les jetta dans le plus gr.ind étonnement; ils éxaminérent furtout avec une furprife inexprimable les couteaux & les fcies que 1'on employé dans les amputations. En effet ils durent être frappès par la inultitude d'idées que des objets fi nouveaux & fi finguliers firent naitre dans leurs efprits. §. io. Zes anglais reviennent de la 3e expédition; leur recit. Le Capitaine fait quelques courfes avec le roi ê? fon frére, II retourne a Oroolong. Abba - Thulle s%y. rend peu ek tems aprés avec dfautres naturels. II repart. Indifpofition de Raa-Kook. Vers les onze heures du foir (du mardi 7 fiüêbrs). on vit revenir tous les guerriers qui avaient affifté a la troifiéme expédition contre Artingall', on lifait fur leur figure la joie & le conteniement: m fentimens étaient fenet de  c n? y raccueil favorable qu'ils avaient recu de leorsr amis a Pelew. Raa-kook les accompagnaic avec quatre canots fur les quels étaient quelques ignames & deux jarres de melalfe. Voici les détails de cette expédition tels qu'ils ont été donnés par M. Wilson témoitt occulaire de Pact ion. „ L'équipage était a-peu -prés ie mémeque dans la feconde expédition, fi ce n'eft que le nombre de canots excédait de beaucoup ceux qui avaient accompagné Ie roi auparavaat* Quand nous abordames a Artingall on n*r voyait aucun canot, qnoique felon Pufagel'ennemi fuc averti de Pattaque. Les foldats de Pelew, incapables de provoquer Pennemi, defeendirent a terre & s'éloignérent un peu du rivage. Raa-kook prit alors le commandement & conduifit les troupes: le roidemeurant dans fon canot lui envoyait de tems en tems fes ordres ainfi qu'a Arra-Kooker. On nous pria de ne point prendre terre; mais cependant cornmes Pennemi commencait a fe défendre, nous fautames fur le rivage pour fecourir nos amis, & nous affiégearaes plufieurs maifons occupéet par Pennemi. Le canon attaché fur un canos G a  C 14B ) qu les naturels avaient préparé avec amant d'efprit que de bon lens, donnait continuellement fur les maifons remplies de monde. Notre mousqueterie fit bientót déloger ces ennemis & réduifit en cendres une des maifons. Néanmoins ils nous fatiguèrent beaucoup en fe précipitant fnr nous avec une gréle de lances; mais de notre cóté nous faifions un feu continuel, ce qui devait non-feulement les difperfer, mais en tuer un trés-grand nombre. Arra-kooker, aprés les avoir longtems fuivis, monta fur une coiline oppofée anx canots, & voyant defcendre un des artingalls il fe cacha dans des brouffailles pour le laifler pafler, le pourfuivre enfuite , & fétourdir d'un coup de fon épée de bois. II allait le faire prifonnier dans fon canot, lorsque Thomas Wilson apercevant quelques ennemis fe précipiter fur lui & difpofés a le tuer, courut a fon fecours & pointa le canon contre eux. Les artingalls effrayés prirent auffi-tót la fuite. Cette circonftance fut d'autant plus heureufe, que Thomas Wilson ayant épuifé toutes fes munitions n'avait pas même, dans ce moment, de quoi charger fon mousquet.  ( 149 ) » Les naturels ce vint fur un parquet pavé & élevé a Tune des extrêmités de la grande maifon oü étaient les anglais. II fut porté par quatre hommes fur une pianche a Ia quelle il était lié par les deux extrêmités. Lorsqu'il fut affis un meffager aila parler a Abba-Thulle, qui, fur le champ, dit queJque chofe aux rupacks; ils quittérent auffi - tót la grande maifon ,vinrent au parquer, & s'affirent trés - refpectueufement. AbbaThulle quitta également la maifon & n'y laifTa que les anglais; mais il ne s'aprocha point du vieux rupack & ne fit aucune attention a ce qui fe palfait; ii demeura caché fous un arbre & s'amufa a faire un manche de coigy née. Aprés une affezlongue con verfat ion , le vieux rupack diflribua des colliers aux autres rupacks de la manière fuivante. U les donna d'abord a un officier de garde , qui s'avanc^nt au milieu de parquet, & lee tenant élevés entre 1'index & Ie pouce , articula quelques mots & proclama a haute voix les moms de ceux auxquels les colliers étaienc deftinés; enfuite s'avancant vers eux, il leuc diftribua ces dons les uns aprés les au tres..-—— U Capitaine Wilson était refid t la maifbm G 6  C I5« ) ^*oü il obfervalt cette cérémonie. L'mterpr&e *vint le trouver & Ie pria de venir s'affeoir a coté de fon ami Raa- kook. Un inftant après on aporta des cuillers d'éeailles de tortues, & des colliers de grams rouges faits d'une efpèce de cornaline groiïïére. Le même officier les .prit, s'aprocha du capitaine , & les lui préfenta. Les colliers d'abba • Tijulle (qui étaient •formés de morceaux de verre, que ces infulaires ont Tart de percer), furent donnés a Raa-Kook, qui repréfentait le roi en cette ©ccafion. On peut conjectnrer d'après ces détails qu*As* ba - Thulle fe conformait a une certaine étiquette, en fe retirant tandis que le vieux rupack diftribuait fes faveurs; mais cette étiquette fut une énigme pour les anglais. On pouvait feulement fupofer que fi leur rang était le méme, le cérémonial de leur entrevue perfonnelle n'était pas alfez déterminé pour qu'ils reculfent tous les mémes honneurs dans la même occafion. Peut-être que le roi de Pelew, quoique préfent, ne repréfentait que la perfonne de fon frère le général. -Quaml le vieux rupacks eüt diftribué loutes fes graces les chefè  C 157 ) caufêrenï entre eux pendant prés d'une heure, «prés quoi le vieillard fut remis fur la planche, & reconduit comme on f avait apporté. Le famedi 12. (Octobre) le Capitaine Wilson voulant retourner a Oroolong, la conque marine fe fit entendre dès la pointe du jour, & les canots fe préparerent pour le départ. A huit heures ils fe raflemblérent tous a Ia maifoa oü fon avait débarqué en arrivant. Raa-kook voulut tirer un coup de mousquet; mais n'ayant aucune idéé du choc que le coup devait produire, & ne f ayant point appuyé contre fon épaule, il fut renverfé violemment & laisfa tomber Ie mousquet. II fut três-étonné que les anglais tiralTent avec tant d'aifance, tandisqu'il ne pouvait ni demeurer de bout ni tenir le fufil pendant 1'explofion. Enfin ils montérent a bord & defcendirent la crique dont 1'eau était fort élevée. A dix heures, comme ils faifaient voile vers le midi, ils furent furpris par un ouragan furieux accompagné de tonerre, d'éclairs & de pluie; ce qui obligea chaque canot a chercher un afile. Les matelots du Capitaine fautérent dans 1'eau pour ne point recevoir ;la pluye E 7  C 158 ) (qmi qu'accoutumés a fe baigner tems les jours dans Peau froide ils femblent cralndre fingaliérement la pluye, appareinment paree qu'en tombant fur leurs corps nuds elle y caufe des fenfations désagréables); ils s'apuyaient fur Ie canot & Ie tenaient comme s'il eut été a fanere. Mais comme la pluye continuait quand Ie tonerre ceffa de gronder, ils gagnérent le rivage & flrent trés - ingénieufement du feu en frottant deux morceaux de bois fun eon?re 1'autre. Le Capitaine s'apercut qu'a chaque éclair les deux femmes de Raa-kook fe cachaient fous fon manceau, & femblaient prononcer quelques priéres; Raa-kook fe couvrait aufli de fa natte. A midi le calrae ayant reparu, les canots réjoignirent le Roi, qui donna des poilfons aux anglais pour leur diné, A une heure tous les canots prirent terre. Le Roi, fa fuite & les anglais allérent a pied jusqu'a' la petite ville appellée Aramalorgoo: elle était éloignée d'un mille du rivage ou ils avaient débarqué. Ils furent témoins a leur arrivée d'une danfe de lances, après la quelle on fervit les rafraichilTemens d'ufage. Ils resournérenc enfuite a. tems canots & vieren* &  C »59 ) une vttle nommée Emllégue: elle femble être un gouvernement particulier, car le Rupack en chef de cette ile les invita dans toutes les formes a prendre terre. -i— Les anglais foup* conérent que ie Roi de Pelew fuivait encore quelque étiquette; car il demeura dans fon canot quoique les autres prilTent terre conformément a fes défirs. On leur procura Ie plaifir de la danfe, on les régala de pigeons &c. Ils furent auffi invités & très-amicalement acceuil» lis dans deux ou trois maifons particulières. La nuit étant tombée avant qu'ils eulfent re» gagné leurs canots, ces infulaires les conduiit* ïent jusqu'au rivage; ils portaient des torches a leurs mains, & tenaient leurs hótes par Ie bras toutes les fois que le chemin était rude & difficile. A dix heures le Capitaine Wjlson & fe* gens arrivérent a Pelew. Le canot du Roi u'étant pas arrivé les autres ne voulurent point prendre terre. Mes jeunes lecleurs doivent obferver iei, que quoique tous les ordres fuiviiTent cette étiquette (les fréres méme duRoï„ Raa kook & Arra-kooker), le Capitaine Wilson & les anglais en furent exempts \ IU*°  f Ilffó ) kook lui méme fit entendre que les anglais pouvaient débarquer s'ils le voulaient. Mais ie Capitaine, par refpeft pour le Roi & par égard pour le général * demeura dans fon canot & voulut fe conformer a l'ufage établi. Les anglais & Abba-Thulle paiTérent la «uit dans Ia maifon qui était placée fur le ri« vage de Ia mer. Avant Ie couché on tint un confeil compofé du Roi, de fes frères & du chef des Rupacks, qui revenait a Pelew. Le lendemain au déjeüné on fut le motif de ■ce confeil, Iorsqu' Abba-Thulle demanda au Capitaine s'il vouiait encore 1'aqcompagner a une bataille. Le Capitaine lui dit qu'avant de faire une réponfe pofitive il était obligé de confulter. fes Officiers & les habitans d'Oroolong-, qu'a fon départ de l'ile il avait laiifé un grand nombre de malades ; qu'il ignorait s'il n'en trouverait pas d'autres dans le méme état a fon retour; mais que, dans le cas contraire, il rem- plirait volontiers fes défirs. Les anglais ayant pris congé de leurs amis, quittérent Pelew & arrivérent a Oroolong vers les quatre heures du foir, accompagnés par Raa-kook. • Ils apprirent a leur retour, avec une fatis-  C 161 ) faaion inexprimable, fheureux rétabliiTement de M. Barker, qui avait fait une chute dangereufe avant leur départ. Ils trouvérent le navire trés-avancé. Le général, toujours attentif aux intéréts de fes amis, renvoya tous les canots, afin qu'on ne les foupconnat point de commettre quelque vol. II ne garda que fes gens dont la probité lui était connue. Le mardi 14. le Charmant allant faire de 1'eau trouva les fources taries \ déja fept canots favaient dévancé dans eet endroit. On apprit de Tom - Rose que ces canots précédaient le Roi; ce Prince venait avec plufieurs hommes & des chaloupes, pour apporter tous les canons du vailTeau. Les anglais recurent quelques poiflbns & une belle écreville. Le cuifinier ayant confommé beaucoup de riz par fa négligence, & foupconné d'ailleurs de s'approprier, de concert avec un Chinois, une partie des provifions, fut déclaré punilfable aprés que fon jugement eut été rendu a Ia pluralité des voix. En conféquence il.fut dépouillé jusqu'a Ia ceinture & lié par les aiaius a un arbre. Après cette cérémonie un  C 162 > homme armé d'une efpèce de battolr trésmince lui appliqua le nombre de coups qu'il devait reeevoir. Le camarade du cuifinier fut puni de la même manière, ainfi qu'un autre chinois convaincu d'avoir donné un coup de pierre a un de fes compatriotes. Raakook, touché de leur fituation, demanda leur grace. Le Capitaine crut devoir lui refufer, & lui repréfenta que le falut de leur petite république demandait néceffairement de fobéïüance & du bon ordre. Alors le général voyant que cette punition n'était pas très-férieufe, tourna en ridicule la pufillanimité des Chinois a qui la douleur airacha des cris effrayans. Après midi (du mercredi 15 Oétobre), trois canots vinrent a f endroit oü Pon puifait 1'eau: fur un de ces canots était une femme, Ia première que les anglais virent a Oroolong. Ils s'aprochérent du port; la femme en abordant terre jeta un coup-d'ceil fur le navire, entra dans la boutique du forgeron & de -lfc dans f habitation de cuifinier. Après-un examen trésattentif elle revint au navire, Ie confidéra encore ptndant quelques minutes, & retournas  C i*3 ) elle n'érait fuivie par aucun homme. Les anglais ne furent jamais quelle était cette femme, paree que Raa-Kook fe trouvait alors dans fendroit oü le vaiifeau avait naufragé. Elle snarchait avec beaucoup de réferve & confidérait tout avec une extréme curiofité. Ces étrangers femblaient venir (TEmillégue, car perfonne ne fe rappelait les avoir vus a Pelew. Le Charmant continua de vifiter Je lieu du naufragé & d'en rapporter des objets utiles, Un des canots revint au port avec beaucoup de poilfon & une tortue du poids d'environ deux-cent livres. Raa-kook envoya Ia tortue au Roi, & donna une grande partie du poiffon aux anglais. Après midi un canot arrivé de Pelew annonca qu'un principal miniftre tt'Artingall était venu apporter des offres de paix. Le Capitaine Wilson en fut auffi infonné. Raa - Kook parut charmé d'sprendre ces nouvelles; il dit au Capitaine qu'il attribuaic le retard de fon frére a cette circonfiance, mais que ie lendemain il viendrait a Oroo* tong. Le jour fuivant Abba-Thulle parut, furies dix heures, au port, fuivi de deux canots, 11  C 104 ) avait avec lui la plus jeune de fes filles, Erre-Bess, & huit a neuf autres femmes. Avant que le Roi entrat dans le port, le général était allé le recevoir, & lui avait appris 1'état actuel des chofes. Abba-Thulle fit donner aux anglais des ignames, des cocos & des viandes fraiches, après quoi il prit terre. II tenait fa fille par la main, & parut dans cette occafion, ainfi que dans plufieurs autres, 1'aimer exceflivement. Cette jeune perfonne était agée d'environ dix-neuf ans. Les autres femmes furent confiées au général. Le Roi,apréi a'étre excufé auprès du Capitaine Wilson de ifavoir pu venir plutót a Oroolong pour le remercier de fes fervices, témoigna une vive impatience de voir les travaux commencés. II prit avec lui fes tackelbys (ouvriers) pour examiner le navire. Les changemens qui s'y étaient faits depuis fon abfence, & les commodité* qu'il y trouva, fétonnérent finguliérement. II entra dans la barricade, & vit avec plaifir plufieurs enfans occupés a filer de la laine. Parmi les femmes confiées aux foins deRAAxooK, les anglais en admirérent une qui par ies charmes de fa beauté, Ia fraicheur de fa  ( 16-5 ) jeuneffe, I'élégance de fa taille & Paménité de fes maniéres , furpaffait toutes celles qu'ils avaient vues a Pelew. Ils en parlérent au gé« néral & apprirent de lui que cette perfonne, appellée LuüéE était une des femmes du Roi. Elle partagea, ainfi que fes compagnes, Pad. miration de fes compatriotes a la vue des ouvrages des anglais. Lorsqu'ils eurent éxaminé tous les objets dignes de leur curiofité, on étendit une toile fur la crique, pour le Roi, le général & les femmes. Le Capitaine leur fervit du poiflbn & du riz mélé avec de la melaffe pour 1'adoucir; ce mets, qu'ils ne connaiffaient point, leur parut délicieux. Le Roi en converfant avec Ie Capitaine, Ui demanda dans quel endroit il gardait fa poudre, & s'il en avait encore beaucoup; celuici répondit que le canonnier qui en avait la garde était abfent, & qu'a fon retour, fur le foir, le Roi ferait fatisfait. Abba-Thulle parut craindre d'avoir fait une queftion indiscrête, & cbangea la converfation. II dit qu'il était venu pour prendre les grands canons fur le rivage, & demanda s'il les conduirait a 0-  C \66 ) roolong, ou s'il les emmenerait a Pelew. Le Capitaine Wjlson fe décida pour le dernier parti, a condicion qu'il en laiiferait un feul qui était nécelTaire au vaiifeau. Abba-Thulle ajouta qu'il était aauellement en paix avec fes voifins, mais qu'il devait cette paix aux bons fervices des mousquets. II efpérait que les anglais, a leur départ, lui en donneraient dix, avec une fuffifante quantité de poudre. Le Capitaine répondit que les anglais feraient toujours fes amis, mais qu'il leur était imposfible de donner dix mousquets, paree qu'ils étaient en guerre avec plufieurs na* tions, contre les quelles ils auraient afedéfendre en retournant dans leur patrie; que néanmoins en quittantle pays ils pourraient, a tout événement, lui en donner cinq. Le Roi parut charmé de cette réponfe, & le Capitaine ajouta que fi le Roi faifait encore la guerre a fes ennemis, il pouvait être alfuré que les anglais, en reconnailfance de fes bonlés envers eux, voleraient a fon fecours avec un navire plus confidérable, & qu'ils vengeraient toutes les infultes qui lui feraient faites $n leur abfence.  I C 19/ ) Aprés-midi le Roi réjoignit fes canots & fes gens. Cet aimable prince ne ceiTair. de donner aux anglais des preuves de fon attachement. Ayant obfervé qu'ils celTaient de travailler toutes les fois qu'il venait les vifiter, il en conclut que les ouvriers craignaient que les naturels ne commiflent des vols dans les ateliers; c'ell pour quoi dés qu'il avait diné il les envoyait toujours au fond de l'ile; il ne voulait point nuire a des travaux que ces Européens avaient tant a creur. II ne demeura pas longtems auprés de fes gens fans faire venir Je Capitaine Wjlson, qui s'y rendit avec M. Sharp & M. Devi*. Les canots revenaient de la pêche & avaient pris plufieurs poiiTons qu'on avait divifés en deux parts, & placés a coté du Roi. Le monarque demanda le Capitaiue pour lui oifrir dix de ces poiiTons. M. Wilson, en le remerciant, lui dit que quatre lui fuffiraient pour régaler tout fon monde, & que Ie relle pourrait fe corrompre avant le jour fuivant; mais Acba-Thül,. fLE ordonna que les fix autres fuiTent nettoyés & apprêtés felon l'ufage du pays, & annonca au Capitaine qu'il les lui enverrait le lende.  (i«) main. On les recut en effet Ie jour fuivant, & fon fut étonné de leur fraicheur. Comme la grande chaleur du climat corrompt promptement les fubltances animales, mes jeunes Lecteurs verront avec plaifir par quelle méthode ces peuples les préfervent de la corruption. — Quand le poiffon eft écaillé & lavé, on le place fur une efpéce de trépied de bois, a deux pieds de hauteur. On fait un petit feu desfous |le trépied jusqu'a ce que la fumée ait féché le poiffon, qui, fans autre préparation, devient un mets délicieux. Le Dimanche 19. Arra - Kooker vint demander dix anglais, au nom du Roi, pour ai. der a conduire les canons, fes gens n'ayant pas tous les cordages nécelfaires pour le transport. Abqa-Thulle, qui les réjoignit a 1'endroit du naufragé, fut finguliérement étonné de leur adreffe. Le général, accompagné de plufieurs Artingalls j vint déjeuner avec les anglais; ils admirérent les travaux & furtout les petites armes» témoignant par des geftes énergiques combien ces inftrumens avaient tué de leurs compatriotes k Artingall. Ils ne parurent pas conferver la  C löp ) la plus legére animofité contre les anglais: au contraire ils leur ferraient la main d'une maniére amicale, & recevaient leurs civilités avec tous les fignes de Ia reconnaiiTance. Le lundi 20. Raa-kook fe trouvant indis» pofé ne put venir déjeuner chez les anglais % mais il envoya prier Ie Capitaine & M. Shar? de venir le voir. Lorsqu'ils arrivèrent Ie Roi fe trouvait encore a f endroit du naufragé. Le général avait un peu de fiévre caufée par ua grand ulcère qui lui était venu au bras. M. Sharp y mit un appareii. Raa-kook avait beaucoup de monde avec lui, entre autres deux femmes qui femblaient s'être meurtri la poitrine & 1'efiomac avec des épingles. Ils ea demandérent la caufe;mais comme ils n'avaient point d'interprête avec eux, ils ne purent rien apprendre finon que ces meurtriiTures étaient fakes avec une efpéce de longue feuiile pointue; & par-Ia trinette vifible de ces femmes, ils comprirent qu'elles fe bleffaient ainfi pour exprimer la douleur qu'elles reflentaient de 1'indispofition du général. Le foir ils retournérent le voir, & le trouvérent mieux. Le Roi qui était alors fur Ie rivage, parut char* H "  mé cles attentions que les anglais avaient pour fon frère, dont fétat finquiétait. Dans cette oceafion Abba-Thülle leur donna de noutelles preuves de fon affection pour fa familie. Quand les canots furent revenus de la pêche, Ia plus grande partie du poiiTon fut donïiée aux anglais. Comme ils étaient affis prés du Roi, ils apercurent un renard volant dans ïin arbre qui était trés-prés d'eux. Le domestique du Capitaine revenant de la chaiTe en ce moment, avait fon fufil chargé, & Ie tua. Cet aminal reffemble a la chauve - fouris; mais il eft cinq a fix fois plus grand. Sa tête eft comme celle du renard, & il répand la méme odeur. Les naturels 1'appellent Oleck. H court fur la terre & grimpe fur les arbres comme un chat; il a de plus des ailes qu'il étend très-bien, & a 1'aide des quelles il vole comme un oifeau. Les naturels de Pelew en mangent & le trouvent exquis; c'eft pourquoi toutes les fois que les anglais voyaient de ces animaux, ils les tuaient pour le Roi: c'eft un mets, comme le pigeon privé, qui n'eft fervi qu'a des perfonnes d'un certain rang. Les naturels (TArtin* gall qui étaient préfens, virent avec furprife  c m) f anima! tomber du liaut d'un grand arbre, fans que rien parut favoir percé: f un d'eux courut le ramaffer, & après avoir examiné les trous que le plomb avait faits, il remarqua douloureufement que plufieurs de fes cornpatriotes avaient ainfi perdu la vie dans les dernières batailles. Le mardi ai. Abba-Thulle qui partait pour Pelew, vint, en palTant, demander au Capf. taine s'il voulait encore aller a la guerre avec lui, fans parler dés ennemis qu'il devait com> battre: le Capitaine répondit qué les anglais étaient dispofés a le fervir. Alors leRoi fe ren dit a fon canot après avoir prié TomRose & un autre anglais de le fuivre a Pelew* On y confentit, & M. Devis témoigna le dêfir d'accompagner Pinterpréte. Dans ia couverfation que Ie Capitaine eut ce jour avecle Roi, celui-ei parut vivement défirer que les anglais ne quittaffent pas fon pays fans lui faire connaitre leur depart, difant qu'il enverrait deux de fes hommes en Angleterre. II promit auffi de leur donner des couleurs pour peindre leur vaiffeau. Raa-kook fut trés follicité de refter a Oroolong jusqu'a, H 2  ( I?2 ) ce que roti bras fut guéri; il répondit qu H ne pouvait demeurer, mais qu'il reviendrait bientót. Les anglais conje&urérent que fa préfence était apparemment néceiTaire au confeil qui devait fe tenir avant f expédition projettée. Quand le Charmant revint de 1'endroit du naufragé, il fut envoyé a Pelew pour apporter les couleurs. Après diné les hommes du navire recurent chacun une lime pour fa fucalic ou amie: le Capitaine avait pris fous fa fauve-garde tous les outils oü pièces de fer, afin que les anglais pulTent fagement en dis- p0fer> Le Charmant revint peu après avec une quantité d'ocre rouge & jaune qui fuffifait pour donner deux ou trois couchés au vaiifeau. Le Roi fit favoir au Capitaine qu'en allant attaquer Pelew (c'était la qu'il fe préparait a porter fes armes), il aménerait avec lui des hommes pour peindre le navire^ Le Jeudi 23. les ouvriers finirent de calfater le fond du vaiifeau & de planchéier (garnir de planches) les cótés. Le Samedi 25. on acheva de le calfater extérieurement. Le Charmant ramena le Chirur-  C V3 ) gien. Le Roi & les naturels de Pelew furent enchantés des égards que les anglais avaient eu pour le bon Raa kook M. Sharp 1'avait trouvé beaucoup mieux. Un des Chirurgiens de Pelew avait coupé le fond de 1'ulcère avec un couteau femblable a celui que 1'on avait employé pour guérir le fils du général. M. Sharp panfa fulcère, & lailTa plufieurs bandages au malade, après lui avoir indiqué la maniére de les placer: bientót après il guérit parfaitement. Quand on confidére que les cbirurgiens de Pelew n'employérent jamais d'autre méthode que celle decouper la partie afTectée,&que jusqu'a 1'epoque oü le hazard leur procura des petits couteaux de deux fous, ils opérèrent avec des coquilles aiguifées, on frémit d'une pareille pratique. Nous furtout qui vivons dans un pays oü la chirurgie & fanatomie font fi perfeétionnées & fécondées par des inftrumens fi merveilleux , pourrions -nous ne pas compatir aux douleurs de ceux qu'une mandie naturelle ou accidentelle foumet aux traitemens des chirurgiens de Pelezv? Le Dimanche 26. on vit venir au port dix H 3  C 174) canots; c'étaient des étrangers qui allnient rejoindre Abba-Thulle. lis donnèrent aux anglais des ignames de différentes efpèces. Aprés leur repas on les conduifit vers les travaux; on leur montra enfuite le navire & tout ee qui. pouvait les amufer, lis virent tous ces objets avec le degré de furprife que fon devait naturellement en attendre; mais la confiance avec la quelle ils abordêrent, le peu de furprife qu'ils témoignèrent en voyant des hommes d'une couleur différente de la leur (les autres naturels en avaient toujours été frappés), firent croire qu'ils s'attendaient a recevoir au acceuil favorable a Oroolong. Ils avaient avec eux un vieux Rupack qui vint dans la tente du Capitaine , & s'amufa a compter les feuillets d'un livre; mais quand il eut compté jusqu'a cinquante ou foixante pages, il abandonna fon calcul, paree que, difait -il, il y en avait trop. Ils demeurèrent environ deux heures avec les anglais, & lorsqu'ils furent dispofés a partir, le Capitaine fit préfent au Rupack de quelque* morceaux de fer.  C W ) p 11. Abba - Tbulïe vient chercher les diss hommes qui devaient marcher avec lui contre Pelew. La paix fe conclut £? les anglais reviennent. Méfiances injuftes des anglais; comment dis* fipées. Projet fingitlier de Madan Blancbart* Voyage de la pinaffe fon retour &c. &c« Le lundi 27. M. Devis revint de Pelew. II apprit a fes cornpatriotes qu'Abba - Thullsavait demandé des forces a tous fes alliés, & que plus de trois cents canots devaient fe ras» fembler pour fexpédition; qu'ils étaient déjè féparés en trois divifions, & formaient un fpectacle trés - agréable ; qua deux de ces divi» fions s'avancaient vers Pelew, & que la troifième dans la quelJe fe trouvait le Roi & Raa«* kook , venait a Oroolong pour voir les anglais. lis arrivèrent fur les quatre heures du fouv Les dix anglais s'étant trouvés prêts a partir, quittérent le port avant la auit. Le tems fut trés • mauvais pendant les deux jours fuivants. Le vent était fi violent que, quoiqu'abrités par les montagnes, les anglais. H 4.  C ij* ) sremblaient quMl ne renverfat leurs tentes & ne fit tomber le vaiifeau de deffus fes appuis. I!s étaient encore trés-inquiets fur Ie fort de leurs compatriotes. Le Jeudi 30. le tems fut calme: il était tout-a-fait beau a minuif On apercut alors un canot s'aprocher du port; & comme on lui entendit crier anglais, on lui permit d'entrer dans la crique. Dans ce canot était Ie Rupack nommé Arka-Zoor, Je Sucalic ou ami de M. Sharp. Son arrivée réveilJa tous les anglais curieux d'aprendre des nouvclles de leurs compatriotes. Ce chef leur fit entendre qu'il n'y avait pas eu d'engagement a Pelew; que les habitans, a 1'aproche du Roi, avaient baiffé 3eurs lances & demandé la paix a Abba-Thulle , en lui oiïfant des colliers & en lui rendant deux malais. Arra - Zook fut acceuilli avec tous les témoignages de reconnailfance, tant a caufe de fon caraétère généreux & hofpitalier, qu'a caufe des bonnes nouvelles qu'il apportait. Dés le point du jour (vendredi 3u) un autre canot arriva & apprit aux anglais que la flotce revenait de fexpédition. A dix heures  C -77 ) du matin deux canots fes préfentérent encore; dans Pun fe trouvait John Düncan# qui fit le recit fuivant de fexpédition de Pelew; recit qui fut confirrné par fes camarades a leur retour k Oroolong. Le jour de leur départ (!e 27 Octobre) ik parvinrent k une petite ile au nord caractère fingulier, agé d'environ vingt ant, d'une tournure d'efprit affez férieufe, & doué cependant d'un grand talent pour labonneplaifanterie. Ce qui rend fa réfolution plus étonnante, c'eft qu'on fait qu'il n'avait formé dans l'ile aucun attachement particulier. Son heureux caractère & fa bonne conduite pendant le voyage, lui avaient gagné l'affe&ion de tous fes camarades; & chacun voyant le parti qu'il avait pris, défirait intérelfer les naturels en fa faveur. Comme il perfévéra jusqu'a la fin dans fon projet, mes jeunes lecteurs peut-être dé« fireraient favoir quel fut le fort de eet homme qui fe féqueftra volontairemeut de tout le refte de 1'univers. II eft douteux qu'aucun événement puiffe jamais nous en inftruire; mais il eft affez probable que s'il s'eft bien conduit, il peut être a préfent un homme de grande iraportanee. II avait beaucoup de courage , qualité fort eftimée des naturels, Malheureu. fement la médiocrité de fa fortune 1'ayant privé de tous les avantages de 1'éducation, il ne favait ni lire ni écrire. Cet inconvénient eft d'autant plus grand, que fes mémoires depuis 1783» rédigés avec foin, feraient fans doute I 6* \  ( 204 ) aux yeux du Philofophe amateur de Ia fimple nature, bien plus intérelTans que ceux d'une foule d'hommes d'état & de miniftres européens, qui n'ont laifle a Ia poftérité que le fouvenir des defleins honteux, des démarches fecrètes & des intrigues coupables qui ont troublé la tranquilité du fiécle dans le quel ils ont véc«. §• 12. Le vaifeau eft lancé a Peau heureufement. Le Capitaine Wilfon eft fait rupack du premier rang par le roi qui Vinveftit de Pordre de /'os, Defcription de cette cérémO' nie. Bonne conduite des naturels. Abba'Thulle propofe d'envoyer fon fils Lee* Boo en Angleterre. &c. &c. La nuit (Ditnanche 9.) était belle; chacuu prépara les chofes nécelTaires pour lancer le vaiïïeau. A la pointe du jour les gens de 1'équipage commencérent a eflayer leur ouvrage pour voir fi leurs préparatifs répondraient a leurs vceux , & firent baifier le vaifTeau d'environ fix pieds. Ils s'arrêtèrent alors jusqu'a  ( 205 ) la marée haute, & envoyérent avertir le Roi qui vint avec fa fuite pour voir Iancer le batiraent. Sur les fept heures le vaiifeau fut heureufement mis a flot, a la grande joie des fpectateurs qui paraiffaient tous également intérelfés au fuccès de eet événement. Les anglais jetèrent trois grands cris au départ du navire; a leur voix s'unit celle des naturels dont le cceur généreux paraiffait éprouver une joie femblable a celle des gens méme de 1'équipage , qui, comme on peut le croire, était confidérable. Les anglais fe prenaient mutuellement Ia main, & fe Ia preffaient avec cette cordialité rarement fentie qu'inspire un vif fentiment de plaifir. Des regards de féllcitation lancés & rendus rapidement par tous les yeux,exprimaient les fenfations réciproques, & peignaient avec énergie ces transports que des mots n'auraienc jamais pu rendre ni communiquer. Le moment de la délivrance, filong-temps défiré, était enfin prèsque arrivé; chacun revoyait en idéé ces objets de fon arTection, dont, quelques femaines auparavant, il fe croyait féparé pour toujours. La part que les habicans de Pelew paraiffaient prendre au plaifir I 7  C 206 ) qu'infpirait ce beau jour, fit évanouir les injufles alarmes qirou avait eues a leur fujet. Leur conduite, en effet, préfentait fous les plus aimables couleurs, le trioraphe de la bonté naturelle. Ils voyaient prêts a s'éloigner ces étrangers dont le fecours leur avait été utile, dont les arts & les talens leur avaient donné des connaiffances & des idéés qui jusqu'alors leur étaient étrangères; ils les voyaient énivrés du plaifir de retourner, aprés tant dedangers, dans leur propre pays, oü ils allaient reporter ces qualités enviées & précieufes, qui peutétre ne reparaitraient jamais dans ces terres éioignées; & cependaat ces vertueux enfans . de la nature, brulant du feu divin de la bienveillance & de f humanité, s'oubliaient eux mêmes au milieu de la joie générale & fe trouvaient heureux du bonheur de leurs femblables. Le vaiifeau fut fur le champ conduit dans un chantier creufé exprès, & Iorsqu'on fy eut furement amarré tout le monde alla déjeüner, le Roi & les Rupacks avec le Capitaine, &la fuite avec les gens de 1'équipage. C'était furement le repas le meilleur & le plus agréable  ( *°7 ) que ceux-ci euffent fait depuis la perte de fantelope. Après le déjeünè iis portérent k bord les ancres, les mats, les tonneaux a eau & les deux canons. Ils firent alors préfent au Roi de tous les outils dont ils pouvaient fe palfer. Le jour fuivant on acheva de placer fur le vaiifeau ce dont on avait befoin. Le Roi, dans la matinée, envoya prierle Capitaine Wjlson de venir Ie trouver a 1'aiguade. II lui apprit a fon arrivée qu'il était dans fintention de lui donner 1'ordre de 1'os, & de le faire Rupack du premier rang. Le Capitaine parut très-reconnaiffanr de fhonneur qu'on lui voulait faire, & très-flatté d'être admis parmi les Chefs de Pelew. Le Roi & tous les Rupacks s'éloignérent alors, & s'étant placés a 1'ombre de quelques arbres ils prièrent M. Wilson de s'alfeoir a une petite diftance; enfuite Raakook recevant 1'os, le lui préfenta de Ia part de fon frère Abba-Thulle, & voulut favoir quelle était Ia main dont le Capitaine fe fervail le plus habituellement. Pour s'en alfurer il lui donna une pierre, & le pria de Ia jeter un peu loin. Ayant v»  C 208 ) que M. WiLson y employait Ia main droite, il Ie pria encore de s'affeoir, & Ton appliqua Tos a fa main gauche, afin de voir s'il était affez laf» ge pour que fa main put y paiTer. II fe trouva trop étroit & on le rapa jusqu'a-ce qu'il parut fuffifamment élargi. Alors Raa-kook, le miniftre & tous les Rupacks procedèrent a la réception de la manière fuivante. Le général attacha une corde a chacun des doigts de la main gauche du Capitaine, & la frotta avec de fhuile ; Ie prémier mimiftre fe placa cerrière le récipiendaire, en le tenant ferme par les épaules; Raa-kook pasfa enfuite dans 1'os les différentes cordes, & les donnanr a un autre Rupack ils s'efforcérent de tirer la main au travers; Raa-kook en méme tems, avec fa main, preffa le plus qu'il put celle du Capitaine, pour que 1'os paffat par delfus les jointures. Le plus grand filence était obfervé pendant 1'opération, tant de Ia part des Rupacks que de celle des fpectateurs, Le Roi feul indiqua par un mot la manière dont on pourrait en faciliter le fuccès. La chofe ayant enfin réuffi & la main étant bien paffée au travers de l'os> toute 1'affemblée té-  C 200 ) Moigna la plus grande joie. Abba-Thulle s'adreffant alors au Capitaine, lui dit qu'il fal. lait frotter & nétoyer 1'os tous les jours, & le conferver comme la preuve du rang qu'il tenait parmi eux; qu'il devait, en toute occafion, défendre avec courage cette marqué de dignité, & ne pas foufrir qu'on 1'arrachat da fon bras autrement qu'avec la vie. Aprés la cérémonie tous les Rupacks féli» citérent JYL Wilson fur fon admiflion dans leur ordre. Les autres naturels s'araaiTérent autour de lui pour regarder 1'os. lis parailfaient en chantés de voir fon bras orné de cette diftin* ction, & 1'appelaient le Rupack anglais. Si quelqu'un de mes jeunes amis a jamais asfiité a une réception dans un de ces ordres diftingués que donnent les fouverains de nos royaumés puiffans & policés; s'il a vu queU qu'une de ces cérémonies pompeufes, oü des drapeaux déployés ajoutent a la majefté d'un temple antique; oü la puilfance royale, ornée de tout fon appareil, relevée par le brillant cortège de prélats décorés, de femmes parées, & de courtifans richement vétus, frape d'une idéé de grandeu i& de magnificence 1'efprit da  C 2!0 ) fpeétetenr ébloui, il lira peur-étre avec un fourire dédaïgneux ce tableau des ufages d'hommes fimples & naturels, & fera dispofé a tourner en ridicule Ia manière peu faftueufe dont les grosfiers habitans de Pelew tiennenr un chapitre général de leur grand ordre de Tos. Mais il faut fe fouvenir que fi les moyens font différens, 1'objet & Ia fin font partout les mêmes. — Cette marqué de diftinction eft donnée & recue dans le pays comme une récompenfe de la fidélité, de M valeur, & regardée comme le prix du mérite. C'eft dans cette vue que les honneurs publics furent inftitués dans 1'origine; c'eft fous eet afpea qu'il faut les eftimer & les confidérer en tout pays, depuis Pelew jusqu'a Londres. Tant qu'ils conferveront ce caraéière primitif & précieux, ils influeront par- tout furlespaflions & les affl-ctions defhomme, enflammeront le courage en excitant fémulation ,encourageront la vertu, & donnerontle refpect & Ia confidéraMon. La décoration tire toute fa fplendeur de 1'idée qu'on y attaché. L'imagination du fpectateur eft frappée des mêmes fentimens, quel que foit Ie figne qui les rappelIe; & il importe peu que Ie Symbole de fhon-  (211 ) neur foit une bande de velours attachée autour du genoux, un noead de ruban avec une croix pendante a la boutonnière, nne étoile brodée fur fhabit, ou un os paiTé dans le bras. Le foir du Lundi (i©. Novernb.) on nétoya toutes les tentes & 1'on porta a bord tout ce qui était a I'ancienne habitation. Les anglais étaient fort embaralfés par les naturels, qui voulaient entrer dans le vaiifeau pour le voir &l'admirer. Raa-kook s'appercut de leur importunité & la fit remarquer au Roi, qui ordonna fur le champ que perfonne autre que les chefs n'y entrat, permettant feulement aux autres de pafier auprés du batiment & de le regarder de dedans leurs canots. Lorsque toutes les provifions furent è bord, & les voiles attachées , le Capitaine invita Abba-Thulle a Paccompagner dans le batiment jusqu'a 1'aiguade. Celui -ci le refufa & alla par terre avec fa fuite. Mais Finvkation fut acceptée par le général & Arra-Kooker, qui étaient enchantés de toutes les manoeuvres. Leur» canots futvaient, ainfi que beaucoup d'autres, pleins de naturels, qui rempltffaient fair de cris de joie. Raa-kook adrelfait contiuuelle-  (212 ) ment Ia parole a fes gens, & leur faifait remarquer tous les mouvemens & tous les procédés des anglais dans la conduite de leur vaisfeau. On mena le batiment a fouest de file, & on famarra au prés du puics d'eau douce. Le Capitaine vint alors a Ia cóte joindre le Roi avec Raa-kook & Arra-kooker, qui rapportérent a leur frère tout ce qu'ils avaient remarqué, décrivant en particulier Ia manière de fonder & celie de jetter fancre. Abba-Thulle, dans fes vifites a Oroolong, avait toujours été fort attentif a tout ce qu'il voyait faire aux anglais. II reftaft fouvent tréslongtems auprès d'eux pendant qu'ils étaient a 1'ouvrage, & remarquait les plus petites circonftances. II avait déja, comme mes jeunes lecteurs peuvent s'en fouvenir, montré Fintention d'envoyer deux de fes fujets en Angleterre. Ce jour Ia, après foupé, revenant a ce projet dont il avait parlé autrefois, il s'étendit d'avantage fur cette matière. Ses fujéts, dit-il au Capitaine, avaient pour lui beaucoup de refpeét & le regardaient comme fupérieur a eux, non feulement en rang, mais encore en lumiéres & en connailfances. Cependant  C 213 ) depuis qu'il avait vu les anglais & examiné leur capacité, il avait fouvent fenti fa rnédiocrité en voyant Ie dernier de ceux auxquels commandait le Capitaine pourvu de talens & de facultés dont il n'avait pas méme 1'idée. II avait donc réfolu de confier aux foins de M. Wilson fon fecondfils noramé Lee-Boo,afin qu'il put avoir 1'avantage de fe perfeétionner par la fociété des anglais, & apprendre une foule de chofes qui, a fon retour, pourraient être d'un grand avantage k Ion pays, II ajouta qu'un des malais de Pelew irait avec lui pour le fervir. Son fils, dit-11, était un jeune homme d'un efprit aimable & facile-Jl avait le caractère fen. fible & doux. II dit beaucoup de chofes a fon avantage, ajoutant qu'il f avait envoyé cher* cher dans un endroit éloigné, oü il 1'avait confié aux foins d'un vieillard; qu'il était a préfent * Pelew k prendre congé de fes amis, & ferait avec lui a Oroolong Ie lendemain matin. Raa-kook & Arra-kooker fe joignirent aleur frère & confirmérent I'éloge du neveu, Le Capitaine Wilson témoigna combien il était reconnaiffant & flaué de cette marqué dis-  C =H ) tinguée de confiance & d'eftime; il ajouta que fa reconnailfance fobligeait a donner fes foins aux perfonnes de Pelew que le Roi aurait envoyées avec lui; mais que dans cette circonftance il tacherait de merker une confiance auffi honorable, en traitant le jeune prince comme fon propre fils. Cette réponfe fa. tisfit beaucoup le Roi; & la converfation ayant changé, il parut fouhaiter que le vaiifeau defcendit a Pelew avant fon départ. II motiva cette demande fur ce que fes Cajets avaient plufieurs fois éxaminé a Oroolong Ie vaiifeau & fa confiructioii, mais qu'il n'en était pas de même des vieillards, des femmes & des en. fans; il ajouta que fi le navire fe rendait a Pe» lew ces derniers pourraient fatisfaire leur curiofité ; que les méres un jour parleraient a leurs enfans de ce fpectacle frappant; qu'elles en rappelleraient a leurs families les diverfes circonftances, & qu'ainfi le fouvenir & le nom des anglais fe perpétueraient parmi fon peuple au gré de tous fes voeux. Le Capitaine qui connaiflait les dispofitions de fon équipage, fentit que les premiers foupcons allaient renaiire, & faire douter de la imcérité de cette in-  C 215 ) vitation. Craignant d'ailleurs que remprelTement des naturels a venir a bord du vaiifeau pour en examiner le déhors & le dedans, ne caufat de la confufion & du retard, il oppofa a la demande du Roi des objections fi plaufibles que Ie prince y accquiefea & qu'on n'en paria plus. II ne fera pas hors de propos de remarquer ici, que tandis que Raa - kook était occupé avec Ie Roi a peindre le batiment, on lui vit prendre un air férieux & penfif, qu'on n'avait jamais vu fur fon vifage natureilernent ferein & riant. Le Capitaine fut que ce changement était 1'effet d'une contradiction qu'il avait éprouvée. Son grand attachement aux anglais, 1'avait porté a demander a fon frère Ia permisfion de |Ies accompagner en Angleterre. , Ce prince 1'avait refufé, en lui faifant valoir fon titre de plus proche héritier & en lui remontrant les inconvéniens qui pourraient réfulter de ce voyage, fi Ie Roi lui-même venait k mourrir pendant cette abfence, paree que la fouveraineté de Pelew eft dévolue par fuccesfion aux frères du Roi & retourne après leur mort au fils ainé de la prémière branche, dons  C 2lC ) te frère devient alors général de 1'armée. Qaoique le bon fens & 1'efprit de Raa-kook lui fiflent fentir 1'inconféquence de fa demande & la juftice du refus qu'il éprouvait, il en parut trés-affecté. En effet 1'intêret fingulier qu'il avait témoigné les premiers jours aux anglais, le plaifir qu'il femblait toujours prendre au mi» lieu d'eux, touchait fenfiblement fon coeur; il voyait avec regret les préparatifs du départ de fes amis, & fentait d'avance tout le chagrin d'un dernier adieu, Le mardi Qii. NovembJ), dès le point du jour, tout le monde s'occupa a remplir les tonneaux d'eau, a racommoder les voiles, & a préparer tout ce qui était néceffaire pour mettre le vaiifeau en mer. II fe palfa dans 1'aprés-midi un événement trop fingulier pour être oublié. II y avait fouvent avec les anglais un jeune homme qui prennait plaifir a imiter toutes leurs manières, & qui vint s'adrefler au Capitaine pour le prier de le prendre fur fon batiment & deleconduire en Angleterre. Le Capitaine lui répondit qu'il lui était impoflible de le faire fans la permiflion & 1'ordre du Roi, qui lui avait déj& propofé dé  C 217 ) ie prendre fon fils & une autre perfonne; muh que puïsqu'il le défirait, il en parlerait a ce prince & faurait fon intention. Ce jeune homme était neveu du Roi, &. f5!s de ce frére qui avait été tué a Artingall, & dont la mort avait occafioné Ia guerre récem>. mem terminée entre fon oncle & les habitans de ce pays. Le Capitaiae communiqua fon delTein k Abba-Thulle qui en parut fort mécontent. II dit que fon neveu était un homme mécbant; qu'il négligeait fa familie; que lui méme, depuis la mort de fon père, avait deux a trois fois a caufe de lui changé fa maifon & fes plantations,pour le guérir de fon humeur errante * vagabonde, mais que rien ne parailfait le toucher ni le changer. Le neveu fe préfenta alors lui méme pour foU lieiter, dans 1'idée que le Capitaine qui était préfent apputerait fes réclamations. Le Roi Ie refufa d'une manière abfolue , en lui difant: ,, Vous êtes ingrat & négligent envers votre „ mère; vous avez pour époufes de bonnes „ & honnêtes femmes que vous traités fort „ mal, ainfi que tous vos parens, ce qui vous » couvre du mépris général, Vous étes hoaK  „ teux de votre conduite, 3c vous voudriez „ k préfent fuir votre familie. Vous n'aurez „ point mon confentement. Je prie le Capitaine „ de ne vous pas foutenir dans ce projer. Re„ ftez chez vous, & que votre honte & vos remords vons corrigent." Le Capitaine annonca a Abba-Thulle que le vaiifeau étant équipé, le tems beau & le vent favorable, il fe propofait de partir le jour fuivant. Cette nouvelle fembla beaucoup f affliger. II dit que le melTager qui était venu le trouver a Pêthoull, avait appris de fa part aux Rupacks des différentes iles qu'habitaient fes amis, que le départ n'aurait lieu que le jour d'après celui qu'indiquait le Capitaine; que ces Rupacks voulaient apporter des préfens aux anglais, en témoignage de leur amitié; qu'ils devaient arriver le lendemain au foir a Oroolong dans 1'efpoir de les trouver, & qu'ils feraient privés de ce plaifir. Le Capitaine Wilson répondit au Roi que , graces a fes bienfaits, il avait une plus grande quantité de provifions qu'il ne lui en fallait pour fon voyage , & que le tems étant duux & le vent favorable , il le priait de fe rendre k fes défirs.  C 2ip ) Le Roi parut d'autant plus touché du chagrin qu'auraient les chefs fes amis, qu'il s'attribuait Terreur dans la quelle ils avaient été iaduits. Le Capitaine fut três-affecté del'erabarras & du désagrément que caufait cette circonflance, furtout Iorsqu'il vit avec quelle généroficé i! fe furmonta lui-même. Effectivement, ce prince lui dit auffi-tót que puisque ce jour la était le dernier oü ils devaient fa voir, il le priait, ainfi que fes officiers, de diner avec lui a terre. lis y confentirent volontiers. Le motif qui engageait les anglais h partir ua jour plutót qu'ils ne f avaient annoncé, était précifément ïe défir d'éviter ce concours d'étrangers. Ils craignaient d'être génés dans leurs opératiöns par le grand nombre des canots, & par Ia curiofité emprelTée avec la quelle les naturels viendraient examiner le vaiifeau. Le tumulte, le bruit & la confufion auraient nécelfairement caufé de Tembarras, importuné les anglais & empéché f équipage de maneeuvrer avec le calme & fattention néceffaires pour paffer par deffus Ie récif. K 2  C 220 ) ' Arra-kooker, qui a Ia première vue du chien de Terre-neuve 1'avait pris en affeclioa & fouvent témoigné le défir de le pofféder au départ de 1'équipage, renouvela après diné fes follicitations. L'emprelfement avec le quel il le demandait & le foin qu'il promettak d'en prendre engagérent les anglais a lui abandonner Sailor. Raa • kook s'occupait d'idées bien dhféretttes. Toutes fes penfées avaient pour objet le bien de fon pays, & 1'en.vie de Ie fervir en acquérant toutes les lumières qu'il pouvait tirer des anglais. Dans ces vues, il fit beaucoup de queftions fur la manière de conltruire un vaiifeau. M. Barker lui deffina un plan d'après le quel il pourrait y travailler, & lui propofa pour modèle 1'esquif. Raa-kook ajouta que s'il fe trouvait capable de faire un batiment pareil a celui des anglais, il le conftruirait au même endroit, Ie regardant comme d'heureux augure. Abba-Thulle qui avait été détourné par la demande d'arraKooker , parut prêter la plus grande attention a 1'entretien de Raa-kook, & il obferva qu'4 faide du fer & des outils qu'ils avaient pré-  ( 221 ) fentement entre les mains, ils pourraient fake plus d'ouvrage en une femaine qu'ils n'en au« raient fait auparavant en plufieurs mois. Pendant que le Capitaine était a terre, il s'était élevé a bord une querelle entre deux hommes de fon équipage, lis «'étaient battus & bleffés. Comme cela fe palfait fur le pont a la vue des naturels, qui étaient auprès du vaiifeau dans leurs canots, le bruit en vint promptement a la cóte; & fur le champ le Capitaine fe Tendit a bord pour s'informer du fujet de la dispute. Après avoir fait une reprimande aux deux champions, il revint trGUver le Roi qui était inftruit de ce petit événement, Lorsqu'on lui dit que cette légère querelle était 1'effet d'un moment de colère, il ajouta „qu'il y avait par tont pays des bom* mes méchans, qui ne pouvaient étre contemts „ dans fordre". Quelques uns des Rupacks demandérent s'il ne pourrait pas arriver quelque accident femblable au fils du Roi. Le Capitaine les aifura que cela ferait impoffible, paree que Lee-Boo, regardé comme fon propre fils, ferait fous fa protection particuliè* ce. Cette réponfe parut les fatisfaire. K 3  C 222 3 * Avant de quitter le rivage, les anglais laisfèrent un pavillou au haut d'un grand arbre, voifin de Fendroit oü leurs tentes avaient été dreffées, & gravèrent 1'infcription fuivante fur une plaque de cuivre, qui, après avoir été ekmée fur une plauche épaiife fut attachée a un arbre anprês du lieu oü 1'on avait confrruit le vaiifeau. LE VAKSE au l'ANTELOPE , DE la COMPAGNIE DES INDES ANGLAXSE, COMAfANDé PAR HENRI wilson, a éxé perdu sur le régjf au nord de Cette ile, dans la nuit du neup au dix d'AöUT. l'éQUIPAGE a CONSTRUIT ICI un VAISSEAU , et en EST PARTI le DOUZE NOVEMBRE mil SEPT CENT QUATRE - VIN gt » TROIS, On expliqua au Roi la fignificaiion de cette infcription, & on lui dit qu'elle était deftinée & rappeler Ie fouvenir du féjour des anglais. ü fut content de cette idéé qu'il expliqua & fon rer.ple; II prornit auffi que f infcription ne ferait jamais a?rachée, & que fi par quelque  C 223 ) accident elle venait a tomber, il en prendrait foin lui méme & la conferverait a Pelew. La converfation de ce jour roula entièrement fur le départ. Pendant qu'on était affis, Abba-Thulle s'adreffant au Capitaine Wilson lui dit: „ Vous partez, & quand vous ferez „ parti, je crains que les habitans d Artingall „ ne viennent m'attaquer en grand norabre, „ comme ils ont fait fouvent autrefois. Privé „ du fecours des anglais je ne ferai pas en état ,, de leur réfifrer, a moins que vous ne me ,, laifïïez quelques uns de vos fufils, comme ,, vous me favez fait efpérer". — Le Capitaine dit a Ces officiers qu'il fallait éxécu» ter fur le champ cette promeffe. Mais ils fem* blaient héfiter a céder avant le dernier moment, aux naturels, les armes que réellement ils fe propofaient de leur donner. Cette méfiance qui s'était emparée de leurs efprirs fubfiftait encore. Elle paraiiTait trop clairement exprimée fur leur vifage, pour échaper a foei! pénétranr du Roi. Ce prince voulant leur montrer qu'il avait apercu leurs craintes, leur demanda avec certe modération réfléchie qui diftinguait fon caractère, s'ils avaient peur de lui confier K 4  C 2S4 ) fuelques artnes. „ Qu| peutf km dh jj. „ vous faire concevoir des doutes fur moi? „ Je ne vous ai jamais témoigné aucun foup,» con. J'ai toujours taché de vous convain» ere que je défirais votre amitié. Si j'avais été dispofé a vous nuire, j'aurais pu la fai,» re il y a longtems. Vous avez toujours 9> été en mon pouvoir mais je n'ai éxer- cé ce pouvoir que pour vous le rendre utile 3, .... & vous ne pouvez, même aux der. „ niers Mans, vous fier a moi!" Si mes jeunes amis ont lu atcentivement tout ce qui a précédé, s'ils ont remarqué la généreufe hofpitaiité qu' avaient exercée envers les anglais Abba-Thulle & tous fes fujets; femprelTement avec lequel, depuis la première entrevue jusqu'au dernier moment,ils leur avaient fourni tout ce qu'ils polTédaient, tout ce que leur pays pouvait produire d'utile ou d'agréable, & enfin la preuve non équivoque que Ie Roi leur donnait de fon efiime en leur confiant fon propre fils; ils n'auront pas de peine a croire, en fe rappelant toutes ces circonftances, qu'elles •duifent affetfer la fenfibilité ^Abba-Thulle; & ils fe demanderant fans doute quel coeur eut  C 225 ) pu féfifter aux juftes reproches de ce bon Roi. Chacun en fentit la force & la vérité, chacun vit avec douleur combien, dan fon injufte opinion, il avait mal apprécié les vertus de eet excellent prince. Ce qui tendait ce reproche plus vif & plus fenfible c'était le fouvenir des delfeins criminels que des craintes mal fondées avaient fait former contre le Roi & fa familie. Mais le philofophe, en jugeant la conduite des anglais, appercevra Te principe de ces affe&ions diverfes. Les habitans de Pelew, élevés a 1'école de la nature, ne fuivaient que fes douces impulfions; ils étaient ouverts & fans déguifement. Incapables de mauvaife foi, ils ne la craignalent ni ne Ia foupconnaient dans les autres. Les anglais, nés & élevés dans une nation civilifée , oü la diflimulation fe mélant pour ainfi dire dans toutes les démarches de la vie, eft devenue unefcience & une ha. bitude, étaient dés Tenfance accoummés a la méfiance, -au foupcon, & dispofés a en adöpter facileraent les fuggeftions hafardées. Telle eft la fcience fatale qu'enfeigne k fhomme le commerce de 1'homme ; il taritdans le cceur humain les fources de fon propre K s  C 225 ) bonheur, en détruifant la eonfkuce récipro, que, le charme le plus délicfeux de la fociété. Les officiers nepurent, cepeodant, réfifter aux reproches fi touchans d'Abba- Thulle. lis priérent Ie capitaioe tfaffiirer a 1'inftant Ie roi que tout ce qu'on avait promis ferait fidéleinent exéeuré, & qu'on a'lait fur Ie champ lui donner les armes pour lui prouver qu'on était fans ombrage. En conféquence on envoyachercher a bord toutes les armes dont on pouvait fe palier; & au retour du bateau on préfenta au roi cinq fufils, cinq fa-bres, prés d'un balil de poudre a canon, avec des pierres a fufil & des balles en proportie». Le Capitaine Jui donna auffi fon fufil de chalTe, qui avait paju lui plaire & dont il avait fouvent vu 1'effec fur les oifeaux de Pelew* Le roi, qui était d'un naturel très-doux, parut alors tout oublier. Mais cette fcène foursiit a chacun des fpectateurs un exemple frappant de 1'inéfiftible puilTance de la vertu.  C 237 ) §• IS* Arrivée de Lee »Beo, Le roi prend tendre* ment congé des anglais. Détails fur fon caraclère, & fur celui de Raa-kook, qui va affez loin en mer pour accompagner fes amis. Les anglais continnent leur voyage vers la Cbine, Lee-Boo, fecond fils du roi , accompagne de fon frère ainé Qui-Bjll, arriva le foir de Pelezvt pour partir avec les anglais. Son pèi'e Ie préfenta au Capitaine Wilson & enfuite aux autres officiers qui étaient a terre. Ce jeune homme les aborda d'une manière fi aii^e,. li afable, fes traits refpiraient une gaité fi douce & une fentibiüté fi aimable, que tout le irft&M de fut fur le champ prévenu en fa faveur, & prit i lui un intêret bien jufiifié depuis par fa conduite & fon caractère. Avant la fin du jour les officiers prirent congé du roi & allérent a bord de VOroolong, laiffant derrière eux le Capitaine, qu'Au 11 aThulle avait prié de pafler la nuit a terre. Ce prince caufa beaucoup avec Lee «Boo, qui K 6  C 208 ) était afïïs a coté de lui. I! lui donna des cöbfèils pour fe conduire & lui apprit qu'il devait déformaïs regarder ïe Capitaine Wilson coin. me un autre père, & tacher de gagner fon affeélion en fuivant fes avis. S'adrelfant en fuite au capitaine il lui dit „ que lorsque LeeBoo ferait en Angleterre, il aurait tant de belles chofes a voir, qu'il pourrait peut^étre „ lui échapper, pour courrir après tous ces objers nouveaux ; mais qu'il efpérait que le 'Capitaine le garderait alïïdument fous fes „ yeux, & tacherait de modérer fardeur de fa „ jeuneffe". Après une longue converfation fur la confiiance qu'il avait dans le Capitaine Wilson, Abba- Thulle tennina fa recommandation a-peuprès en ces termes. „ Je défire que vous appreniez a Lee-Bo© „ tout ce qu'il doit favoir, & que vous en fafliez un anglais. J'ai fouvent réfléchi 5, a ma féparation d'avec mon fils. Je fais que „ les pays éloignés qu'il doit traverfer différant „ beaucoup du tien, il doit ètre expofé abien 3, des dangers, a bien des maladies qui nous lf font inconnue$, XI peut mourrif. peut - être  £ 2 29 ) „ „ . . . Je faïs que Ia mort eft Ie deftin ïnë„ vitable de tous les hommes, & qu'il importe „ peu que mon fils la rencontre a Pelew oü „ partout ailleurs Je fuis perfuadé, d'a- ,» prés 1'idée que j'ai de votre humanité, que „ vous en aurez foin s'il eft malade; & s'il „ arrivait quelque malheur que vous n'auriez „ pu pre* venir, que cela ne vous empêcherart „point, vous, votre frère, votre fils, on quelqu'un de vos compatriotes de revenir „ ici. Je vous re9evrai, ainfi que tous les „ votres, avec la méme amitié, & j'aurai le „ même plaifir a vous revoir". Le Capitaine 1'alfura de nouveau qu'il aurait it Lee - Boo le même foin que d'un de fes enfans, & qu'il ne négtigerait rien pour témoigner par fes attentions pour ie fils, lareconnaiffance & 1'attachement qu'il aur^ft toute fa vie pour le père. 7 Le Roi & Ie Capitaine étaient trop occupés pour donner beaucoup de teW-aa fommeil. Abba - Thulle & les rupacks palférent une grande partie de la nuit a discourrr avec leur jeune coropatriote. Le depart étant alors auffi prochain Ie Capitaine Wilson fit venir Blanchart, K7  C 23© ) poUr lui «lire comment il devaitfeconduireavec les naturels, & en quoi il pouvait les inflruire & les fervir, foit en travaiilant le fer qu'on leur avait donné, ou celui qu'ils pourraient retirer des débris du vaiifeau naufragé; foit en prennentlbia des armes & des munitions qu'on leur avait lahTées, ce qui ferait de la plus grande importante. II fengagea a n'ailer jamais nu comme les naturels, par ce qu'en fe montrant toujours vêtu comme fes compatriotes avaient comparu dans Ie pays , il conferverait une efpèce de fupériorité qu'il lui était effentiel de ne pas perdre. Pour ie mettre a mêuae de fuivre ces avis, le Capitaine lui donna tous les habits dont il pouvait fe paffer. II lui cortfeilla, lorsqu'ils feroient ufés, de s'en faire d'autres avec des nattes qu'il pourrait fe procurer dans le pays, & de conferver toujours la décence k la quelle il était aceoutumé. Dans les inftructions qu'on lui donna, la relig'on ne fut pas oubliée. On fexhortaférieufement k ne jamais négliger les aétes de dévotion qu'il avait pratiqués jusqu'alors, a obferver le dimanche, & k remplir les devoirs de chrétien, dans les quels il avait été élevé.  ( 231 ) Enfin on le pria de dernander tout ce qu'it croirait pouvoir lui être utile ou commode. II ië fit ; & on lui laiifa entr'autres chofes les mats, les voiles, les rames, & tout ce qui dépendait de la pinaffe, qu'on avait promife au roi. Le mercredi 12 novembre, a la pointe du jour, une fiamme angiaife fut hiffée au grand mat, & fon tira un coup de canon pour annoncer le déperrt. Ce fignal ayant été expliqué au roi, il ordonna aux bateaux de porter fur le champ a bord des ignames, des noix de coco & d'autres chofes préparées pour le voyage. Outre cela plufieurs canots appartenant aux naturels, chargés d'une quantité de provifions, s'approchérent de F Oroolong. Si les anglais avaient encore recu tous les préfens annoncés par les rupacks du nord, ils auraient pu approvifionner un vaiifeau cinq ou fix foi» plus grand. Auffitót que le navire fut chargé & prét k raettre In mer , on envoya unbateaupourchercher le Capitaine. II en informa le roi qui lui dit qu'ils allaient fe rendre a bord tous Iet trois dans fon* canot. Le Capitaine Wilson  C 232 ) prit alors Blanchart & les cinq hommes qui étaient venus a terre dans le canot, & ies conduifit dans une maifon qui avait été préparée pour un des rupacks qui devait venir du nord. Lorsqu'ils y firent entrés, il rappela encore a Blanchart tous les avis qu'il lui avait donnés , lui recommanda de ies fuivre & d'être fidéle a tous fes devoirs, afin de prouver aux naturels qu'il avait confervé la foi & la religion de fes pères. II fit enfuite mettre les raatelocs a gsnoux avec lui, & tous enfemble rendirent graces a Dieu de ce qa'il les avait foutenus au milieu de tant de travaux & de dangers, & de ce qu'il leur orTrait fefpok & le moyen d'une dé'ivrance prochaine. Pendant eet a&e de dévotion le roi & les chefs, reftés prés de 1'eutrée de ia maifon, voyaient ce qui fe palfait, & comprenant ce que faifaient ks anglais ils obfervaient un profond filence. Je n'oublierai pas de raconter que, lorsque Lee Boo était venu de Pelew, on avait apperté avec lui dans une corbeüle quelques douzaints de fruits pareUs a des pommes. Ils étaient de forme oblonge, d'un rougefoncé.  C 233 ) & reffemblaient affez a ce qu'on appelle en An. gleterre des pommes de paradis de Hollande* Les naturels parlaient de ce fruit comme d'une chofe fort rare, & difaient qu'iï était précifément dans fa faifon. Le capitaine donna a chacun de fes officiers un de ces fruits qu'ils n'avaient jamais vus, & conferva foïgneufemenc le refte pour le donner a fon jeune paffager pendant le voyage. Sur les huit heures du matm le capitaine alla a bord dans fon bateau. Le roi, fon fils Lee-Boo & les rupacks le fuivirent bientót dans leurs canots, accompagnés par Blanchart» Le petit vaiffeau était fi chargé de provifi* ons, qu'on douta s'il pourrait pafier le récif* - II fut donc réfolu de mettre a terre les- deux canons de fix, & d'abandonner fesquif paree qu'on n'avait point de matériaux pour y faire les réparations néceffaires. Le roi en étant inftr-uit, & fachant ^u'on avait befoin d'un bateau, dépêcha a la cóte fon fils Qui-Bill qui revint bientót avec un canot d'une grandeur convenable. M. -Sharp avait été prié de prendse perfonnelleroent foin de Lee Boo, jusqu'a-ce  C 234 ) que f Oroolong arrivat a & Chine. Abba - Thulle le montra a fon fils & lui dit qu'il devaic être fon fucalk, Le jeune prinee dès ce moment s'attacha a lui & fe tint toujours a fes cótés, dans quelque partie du vaiffeau qu'il allat. — Blanchart aprés avoir, avec Ia plus grande affiduité, donné tous fes fecours a fes camarades jusqu'au dernier moment , leur fouhaita a tous un bon voyage fans téffioigner le mofndre regret\ & prit congé de fes anciens compagnons auffi tranquillement que s'il les avait vus partir pour un jour feulement. Voroolong s'avanca alors vers leréeif. Quoiqu'il fut extrêmement furchargé par les fofni d'abba Thulle, qui avait fourn? avec profufion tout ce qu'il imaginair pouvoir être utile a fes amis, ceux-ci furent entourésd'une multitude de canots remplis de naturels, qui tous leur apportaient des préfens & les fuppliaient de les accepter. Vainement leur difait-on que le vaiifeau était rempli, qu'on n'y pouvait plus rien mettre; chacun préfenrait quelque chofe en criant Rien que cela- de ma part; rien que cela pour Vamour du mol. Ces  C 235 ) crïs répétés avec des geiles fuplians & des yeux en pieurs, touchérent vivement tout 1'équipage ; on accepta de ceux qui étaient les plus prés quelques ignames & des noix de cocos. Ceux qu'on fut foreé de remercier, défolés'da ce refus, ramèrent & allérent jetter tous leurs préfens dans Ja pinalfe, ne fachant pas" qu'elle devai: revenir avec Blanchart. Plufieurs canots aiiaient devant la pinaffe pour ifcd'querau vaiffeau la route la plus füre, d'autres étaient placés fur le réeif par ordre du roi pour faire connaitre fendroit le plusprofond& le plus propre au paffage ; a 1'aide de ces précautions le vailleau paffa heureufement. Le roi avait accompagné les anglais dans le vaiffeau prèsque jusqu'au récif. Avant de faire approcher fon canot, il fit fes derniers adieux a Lee-Boo & lui donna fa bénédiétion, que le jeune homme recut avec beaucoup d'attendriflëment & de refpect. Voyant le Ca¬ pitaine occ.:pé a donner des ordres a fes gens, il attendit jusqu'a-ce qu'il le vit libre. S'avancant alors vers lui , il 1'embraffa avec tendreffe; fes regards humides & fa voix altérée téraoignaient fón érnotion. II ferra Is  sjain a torn les officiers de Ia manière Ia plus cordiale. „ Vous éces heureux, leur difait-il, paree que vous retournez dans votre patrie. Je fuis auffi heureux de votre bonheur, mais" P' urtant bien malheuren* de vous voir par. tir". Souhaitant enfuire a tout ie monde un bon voyage, ij defcendit dans fon canot. Prêsque tous les chefs qui étaient a bord partirent en méme temps, excepté Raa-kook & quelques hommes avec lui, qui voulaient faivre les anglais au - deJè du récif jusqu'ace qu'ils fulfent hors ue danger. Pendant que les canots s'approchaient & entouraient celui du roi, les naturels avaient les yeux fixés fur le vaiifeau, comme pour fai-e leurs adieux; & leurs regards, plus cspreffifs qu'au. cun langage, peignaient les tendres fentimens de leurs coeurs. Les anglais pouvaient dire avec vérité qu'ils laiffaient tout un peuple en larraes. Eux mêmes étaient fi fortement émus de cette fcène attendrifTante, que lors qu'abba-Thulle & fa fuite fordrent pour retourner a Oroolong, ils purent a peine le faluer par trois cris. Tout 1'équipage fut touché *Tune vive reconnailfance pour les fervices  C 237 ) de ce bon roi, a qui il devait en grande partie fa délivrance. Ils furent tous attendris des marqués de fon amitié généreufe, qui, quoique injuftement foupconnée, avait toujours été pure & inébranlable. A préfent que nos anglais ont quitté eet excellent prince, il eft a propos, mes jeunes leéteurs, de tracer en peu de mots fon ca. raftère. Le rideau eft probableinent tiré pour toujours entre lui & 1'univers» II eft rentré dans fes domaines inconnus, oü fes ancétres ont palTé comme lui une longue fnite de Hècles, auffi ignorans fur le refte du monde, qu'eux mêmes étaient ignorés des hommes leurs contemporains. — Un événement trésimprévu nous a donné de ces peuples une eonnaiffance paffagère; ils ne feront vraifemblablement jamais étudiés ni recherchés, car ils ne polfédent que le bon fens & la vertu, & leur pays n'offre a favarice du genre- humain aucun attrait qui puilTe fengager a venir troubler leur tranquillité. S'ils n'ont ni ne connailfent les plaifirs des nations civilifées,' les avantages des arts, les prétendues jouiffances du luxe & de f opulence, ils ignorent  C 238 ) en récompenfe les iuquiétudes que nous caufent des befoins fa&ices , les pafiïons qu'ils exaltent & nourilïlnt, & les crimes qu'ils engendreat. II y a, ce me femble, dans Ia fimplicité originelle de leur vie telle que j'ai taché de la peindre, quelque chofe de touchant, je dirai même d'admirabie. Quant a fhomme refpe&able qui régnait fur ces heureux enfans de la Nature, il fe montra le méme dans route fa conduite, toujours ferme, aimable & géuéreux. Une certaine dignité dans fon maintien t de la grace dans fes maniêres, des moeurs douces, un coeur ardent & fenfible, lui gagnaient 1'amitié de tous ceux qui fapprochaient. II avait naturellement 1'efprit contemplatif, qu'il avait perfectionné par fes propres réflèxions, fruit du bon fens & de 1'expérience. .Ses remarques, lorsqu'on voulut dirTérer de lui remettre les fufils, étaient le reproche le plus adroit & en même tems le pius dé* licat qu'il fut peut être poflible de faire. Sa converfation avec le capitaine Wilson a 1'égard de fon fils, prouvait, outre une confiance fans bornes de la part de ce. prince,  ( 239 ) une grande farce de fentiment & de raifon; & le refus qu'il fit a fon neveu, annoncait une ame nourrie des vrais principes de 1'hon» neur. Le bonheur de fon peuple femblait toujours être préfent a la penfée d'abba-Thulle. Afin d'exciter plus fortement fes fujets a destravaux utiles, il avait lui même appris leurs métiers; ii était même regardé comme le meilleur ouvrier de fon royaume. II n'avait demandé au Capitaine Wilson une natte chinoife que pour leur en donner un modèle plus parfait. En envoyantfon fils en Angleterre, il n'avait &ne pouvait avoir dans ce voyage, non plus que dans toutes les inflruélions qu'il lui donna avant fon départ, d'autre objet en vue que de ren* dre fervice a fes fujets, par les lumiêres & les connaiffances que le jeune prince devait un jour rapporter dans fon pays. Ses relations avec les anglais avaient fait naitre en lui cette idée. En un mot, fi le fort 1'eüt appelé a régner fur une nation nombreufe, unie par des rapports & des Communications avec le refte du genre - humain, on peut conjecïurer, d'aprês fes talens & fes facultés naturelles , qu'A  C 240 ) fut devenu peut être Ie Pierre le Grand de fon hémisphère. Placé par la providence fur un théatre plus obfcur, il vivait aimé de fes Officiers & re" fpedté de fon peuple. Tout en confervant la dignité qui convenait a fon rang, il régnait plutót en père qu'en fouverain. Ses fujets reconnaiffans regardaient leur prince nu avec au*1 tant de vénération & de crainte, qu'on regarde les fouverains de nos nations policées, décorés des attribus éblouilfans de la majefté royale; il ne fallait ni robe de pourpre ni diadêroe éclatant pour relever un caractère que la main de la nature avait pris plaifir & perfeétionner elle même. Quand on eut palfé le récif & qu'on fe trou» va hors de danger, on fe ferait livré a la joie, fi le regret de quitter ce bon peuple n'eut mêlé quelque amertume au plaifir. Raa-kook paraiffait abforbé; le vaiffeau était déja affezIoin Iorsqu'il revint a lui méme, & fit approcherfes canots pour s'en retourner. — Comme ce chef avait été le premier & le plus fidéle ami des anglais, ils lui firent préfent d'une paire de niftolets & d'une cartouche pleine. La pi-  C 24? } pinaffe étant alors auprés du vaiffeau , ie capitaine & fes officiers fe préparérent a prendre congé du général; mais celui-ci, lorsque le moment de la féparation arriva, fut fi aiTeclé qu'il ne put parler. II leur ferra tendrement Ia main, & mettant la fienne fur fon coeur, il leur dit que c'était la qu'il fentait le cbagrin de leur dire adieu. II appela Lee - Boo par fon nom, & lui prononca quelques mots; mais ne pouvant continuer, il s'avanca vers lebateau, jeta encore, avant de quitter la corde, un dernier regard de tendreffe vers fes amis, & defcendit fans pouvoir proférer une parole. Ce digne homme parailfait avoir un peu plus de quarante ans. Il était d'une taille moyenne, avec affez d'embonpoint. Ses traits exprimaient une fenfibilité vive , tempérée par beaucoup de douceur & de bonhomie. II joignait a une grande humanité beaucoup de caraaère & de réfolution. Ferme & cönftant dans tout ce qu'il avait une fois entrepris, il donnait fes ordres avec douceur, mais il voulait être obéi. Le peuple fembiait toujours le fuivre avec un empreffement, une gaité W prouvaient que 1'attachement dföait l'o< L  C 242 ) béïlfance. Mes jeunes amis ont pu remarqiitr que fon amitié pour les anglais, depuis fa première entrevue avec eux, ne fut pas un moment refroidie ni diminuée. II n'était pas fi férieux que le roi, & n'avait pas non plus autant de penchant qu'arra - kooker a la gaité & a la bouffonerie; mais il était toujours d'une humeur agréable, & alTez difpofé a rire quand foccafion s'en préfentait. Son efprit était curieux, avide de connaiffances; il voulait favoir la raifon de tout, recherchait les caufes de tous les effets, & comprenait avec une facilité finguliére tout ce qu'on lui expliquait. Son ame était active & forte, fon maintien noble & poli. Son extréme délicatefle lerendait trés - fenfible aux vols que faifaient fes compatriotes, qui par la, difait - il, violaient les droits facrés de 1'hospitalité. II n'était point tranquille alors qu'il n'eüt fait raporter ce qu'ils pouvaient avoir pris. II portait fi loin ces fentimens qu'il montra beaucoup de mécontentement au premier miniftre qui, dans la première entrevue avec les anglais, avait demandé un fabre au Capitaine Wilson. II fen* aait que c'était raanquer a f honnêteté que de  C 243 ) «lemander une faveur ades gens qui, quoi qu'ils vouluifent faccorder, n'étaient pas dans une fituation a pouvoir Ia refufer. II aimait particuliérement les manières des chinois & leur langage, & s'affeyait fouvent avec eux pour préparer de 1'étoupe, afin de les examiner de plus prés fans paraitre les obferver. Les anglais furent probablement en grande partie redëvables a fes bons offices de la confhnte amitié que le roi ne cefia de leur témoigner; il efl certain du moins qu'a la première entrevue il intéreffa fon frère en leur faveur. II s'indignait contre toute efpèce de duplicité, & montra publiquement devant le roi fon mépris pour Ie malais Soogell qui avait ofé donner des doutes fur les anglais. II étaic pour complaifant & communicatif; & s'ils avaient H fans-cefie 1'interprète a cöté d'eux, ou qu'ils euflent pu fe faire mutuel. leraent entendre, il leur aurait appris beaucoup de chofes qu'ils ont ignoré. Outre ces excellentes qualités publiques, il avait dans fon domefiique un caraéiére aufli refpedable. Mes leéteurs n'auront pas oublié fa manière d'être dans 1'intérieur de fa famU* L 2  ( 244 ) le. Ils fe rappellent fans doute de favoir vu dans le filence majeftueux d'une douleur profonde, accompagner la pompe funèbre d'un fils courageux mort les armes a la main en combattant pour fon pays. Je dois ajouter a toutes ces circonftances que fon émotion, en preuant congé de fon neveu & de tous les anglais, prouve qu'il avait dans le coeur un grand fonds de fenfibilité. Ce dernier trait du caractère de Raa • kook me conduit a une obfervation générale que je ne peux m'empêcher de faire fur les habitans de Pelew qui, tous philofophes dans 1'adverfité, fermes dans Ia douleur, & héros a fheu. re de la mort, joignaient a ces vertus males faimable & douce fenfibilité d'une femme. Les anglais étant alors en chemin de fe rendre a laChine, après avoir quitté leurs bons amis de Pelew rangèrent derrière le récif. Les deux premiers jours après leur départ des iles Pelew il fit un tems alfez pafiable. Lee - Boo, la première nuit qu'il coucha a bord, ordonna a Boyam fon domeftique qui était un des deux malais de Pelew, d'apporter fa natte fur le pont. On lui donna une couverture plus  C 245 ) chaude pour Ie défendre du froid. II fut trésfurpris le lenderaain matïn de ne point voir terre. Le Capitaine lui donna alors une cbemife, une vefte & une culotte, II parut alfez gêné des deux premiers articles, les ota bientót, les plia, & s'en fervit comme d'un oreiller ; mais fentam qu'il y avait de 1'indécence k être abfolument nu, il ne paraiffait jamals fans la culotte; & comme le vaiffeau, dlrïgé vers Ie nord, approehait par degrés d'un elfmat plus froid, il vit moins d'incommodité a mettre fa chemife & fa vefte. En peu de tems il s'y accoutnma fi bien, 1'idée de décence & de propreté qu'il avait depuis peu connue fit en lui de tels progrès, qu'il ne changeait jamais aucune partie de fon habiilement en préfence de quelqu'un; il fe retïrait toujours a eet effet dans quelque coin obfeur oü 1'on ne pouvait 1'appercevoir. Le mouvement du vailTeau lui donna d'abord le mal de mer & fobligea fouvent a fe coucher. Son indifpofition étant diminuée, on lui préfenta une des pommes qui avaient été apportés de Pelew: il parut héfifter a la matiger; mais lorsqu'on lui dit que c'était finL 3  C 246 ) tention du Capitaine, & qu'Abba-Thulle les avait envoyées pour lui, il obferva a Boyam qu'on le traitait bien favorablement, paree qu'il n'y avait que quelques grands feigneurs qui eulTent de fon père la permifiiun de nianger de ce fruit, Ce jeune homme était finguliércment proprej. il fe kvait trois ou quatre fois par jour. Ausfitót qu'il fut bien rétabli du mal de mer, il parut tranquille & content. — Le Dimanche itS. on fit la priére fur le pont: tout 1'équipage avait de trog grandes preuves des bontés de la Providence pour ne pas lui témoigner hauce^ ment fa profonde reconnailTance. Lee-boo, qui jusques la avait fort peu mangé, était fi bien rétabli qu'il prit quelques ignames & un poilfon volant qu'on avait attrapé fur Ie pont. L'après-midi il dit k Boyam que fon père & fa familie avaient été bien affligés de ce qu'il avait été malade. Vers trois heitres du matin, du mardi 25 No vembre, 1'eau étant fort houleufe on tint au nord jusqu'a la pointe du jour que fon appercut les iles Bashée, a Ia di(lance d'environ trois lieues. Cet événement fit grand plaifir a  C 247 ) Lre-bco. II fut empreffé de favoir Ie nom de ces iles: on le lui répéca plufieurs fois jusqu'è ce qu'il put Ie prononcer. Prenant alors une corde qu'il avait aportée pour faire fes remarques, il y fit un nceud, comme pour lui rappeler cette circonfiance. Le lendemain au matin, on découvrit unê partie de file de Formofc. Le Dimanche 30. féquipage fe trouvant en vue du port de Macao d'oü il était paiti, hitfa au haut du mat un pavillon anglais. Les officiers de quelques vaifleaux portugais qui y étaient a fanere, envoyérent fur le champ leurs canots au devant des anglais, avec des provifions, des fruits & des hommes pour leur donner du fecours, jugeant, par la forme & la grandeur du petit vaiifeau, que féquipage devait faife partie de celui de quelque batiment anglais naufragé. Un de ces officiers eut la complaifance de conduire le Capitaine a terre dans fon canot, & de le mener chez le gouverneur. Celui - ci étant occupé, fit faire des excufes a M. Wilson de ne pouvoir pas le voir; mais il lui fit dire par 1'officier de fervice, que lui & fo« équipage étaient les bienverrus a Macao. L 4  C h3 ) II n'y avait point alors d'autre anglais a Macau que M. M'Intire. Le Capitaine quittant f officier fe rendit fur Ie champ chez eet anglais qu'il connaiffitit, & dont il avait recu plufieurs témoignages d'amitié Iorsqu'il était venu ci-devant a Macao avec fanteiope. M. M'iKTiiiE ayant emendu le recit des malheurs de M. Wjlson, ordonna a finftant, avec fon atteolion & fon humanité ordinaires, qu'on portat a bord des provifions pour les officiers & pour féquipage, ainfi que tout c« dont ils pouvaient avoir befoin. En même tems M. Wilson ap* prit qu'il y avait a Whampoa plufieurs vaisfeaux prêts a faire voile. Cette nouvelle ne pouvait manquer de lui être très-agréabie. Avant que Ia Capitaine allac a terre, Lee-boo, a la vue des grands vailTeaux portugaisqui- étalent a 1'ancre dans la Typa,parut extrêmeineut furpris & s'écria en les regardant, Clow, cfozv, muc-clow, c'eft-a-dire grand, grand, fortgrand, II donna dès-lors aux anglais une preuve de Ia bonté de fon cceur. Quelques bateaux chinois , conduits a la rame par de pauvres femmes tartares accoutumées a vivre fur f eau avec leurs families & ayant leurs en-  C 249 ) fans attachés derrière le dos, entouraient; Ie vaiifeau & demandaient les reftes des vivres. Le jeune prince comprenant leurs fuplications, leur préfenta des oranges & d'autres chofes femblables, ayant toujours attention de leur donner ce qu'il aimait le mieux lui-même. Le matin fuivant (Lundi 1. Décembre), M. M'Intire & un gentilhomme portugais de Ma* cao, accompagnérent le Capitaine a bord de F Oroolong, & y firent porter plufieurs efpéces de rafraichifiemens & de provifions toutes préparées. Le foir ils conduifirent Lee-Boo & tous les officiers a terre, a 1'exception du matere qui devait prendre foin du navire jusqu'a' ce qu'on eut recu des ordres dts fubrécarguetf de la compagnie, aux quels M. Wjlson ve* nait d'écrire. Le gentilhomme 'portugais qui faifait cem vifite au Capitaine témoigna beaucoup de p!ai* fir a voir le prince de Pelewj en allant k terre? il pria que 1'on permit au nouvel homme (ii appelait ainfi Lee-Boo) de venir voir fa fa- mille. Comme c'était la première maifon que notre jeune voyageur eut jamais vue, iïi parut transporié d'admiration. Ce qui le frag« l* $  C 250 ) pa Ie plus d'abord fut la hauteur des thurs & le plafond des appmernens. II avair. fair de ehercher a comprendre comment cela avait pu fe faire. Les meubles & les décorations ïntérieures fétonnaient auffi beaucoup. Lorsqu'on Je préfenta aux dames de la maifon fon maintien fut auffi aifé, auffi poli, que fon humeur était honnête & douce. Loin de fe trouver en> baraffé, il permit a la compagnie d'examiner les mains qui étaient tatouées, & parut flatté de 1'attention qu'on faifait a lui. Lorsqu'il fe retira avec le Capitaine Wilson, il lailfa tout Je monde convaincu que fextrême furprife qu'exciterait en lui Ia vue d'un monde inconnu, égalerait a peine celle que cauferaient fa poli* leffe naturelle, fon aifance & fon amabilité. Macao étant Ia première terre oü nos anglais avaient abordé depuis leur départ des iles Pe* kivy ils fe félicitaient mutuellement, & LeeBoo femblait prendre part a la joie commune. M. MTntire les eondutfit chez lui & les fit entrer dans une grande falie éclairée, au milieu de la quelle était une table fervie pour le foupé, & un buffet agréablement décoré. A cette nouvelle fcéjg Lee-Boo de vint tout ceü  & fout admiration. Les vafes de verre fixai. ent principalement fon attention. M. M'Intire lui montrait tout ce qu'il croyait pouvoir 1'amufer; mais tous les objets le frapaient en même temps. Ses yeux étaient, comme fon efprit, èblouis & confus. C'était véritablement pour lui un fpectacie magique, une féerie, Parmi les chofes qui attiraient fes [regards était un grand miroir placé au bout de la chambre, qui réflechhTait prèsque entièrement fon image. Lee-boo fe tenait devant, furpris de fe voir lui-même. II riait, fe reculait, pui» revenait fe eonfidérer; il était au comble de f étonnemenr. Il vouluc regarder derrière croy. ant qu'il pouvait y avoir .'quelqu'un-, mais il vit que la glacé était attaehée contre !e mur.. M. MTntire remarquant fidée qui lui était ve* nue fit apporter dans la chambre un petit mi. roir; après s'y <*tre vu il chercha tout de fuite derrière pour trouver la perfonne qui Ie reg«> dait, ne pouvant abfolument comprendre d'ofc provenaient tous ces effets. La fUTrife des anglais en fe voyant dans M miroir, était prèsque égale a celle de Lee* L *  ( *5* ) Boo lui-méme, quoique Ia rsifon en fut différente t aucun d'eux n'avait appercu fa figure depuis le moment du naufragé, & chacun ne connailTait que les yeux enfoncés & les joues amaigries de fes camarades. Lorsqu'ils fe trouvérent devant le miroir chaque individu reconnut que les travaux, la faim, Ia fatigue & Ia mauvaife nourriture avaient fait dans fes traits un plus grand changement qu'il n'aurait pu 1'imaginer. Après une foirée égayée par fhospitalité de leur hóte & Ia fimplicité de Lee Boo, les anglais fe retirérent pour fe coucher. On ne fait trop fi. Lee-Boo paffa cette nuit & dorrnir ou a réfléchir fur ce qu'il avait vu dans la journée; mais il eft probable qu'il n'eüt le matin que ce fouvenir confus que laiflent dans fefprit les images fugitives d'un fonge. Le lendemain il examina plus a loifir Ia maifon dans. la quelle il avait couchd, Les mursélevés & les plafonds étaient encore les objets de fa furprife. 11, touchait fans celle ceux • Ia comme pour tacher d'en comprendra la con* flruftion ; mais ceux-ci, qui paraiflaient fe foutenir eux - mêmes, étaient au deiTus de fonintelligence»  C 253 ) Lorsque les anglais furent a terre, quelques uns d'eux allérent acheter les chofes dont ils avaient befoin, & dans leurs emplettes ils n'oubliérent pas Lee-Boo: ils lui apportérent quelques bagatelles dont ils crurent que la nouveauté pourrait 1'ainufer. Il y avait entr'autres chofes un collier de gros grams de verre, dont la vue le jeta prèsque en extafe. li le faifit avec un emprelTement, une joie que ne rellentirait pas celui qui poiféderait un collier de perles de la même grolTeur. 11 croyait dans fon imagination avoir toutes les Tichelles de 1'univers. II courut vite au Capitaine Wilson pour lui montrer fon tréfor. Ravi de 1'idée d'y faire participer fa familie, il le pria, dans la plus grande agitation, d'envoyer fur le champ un vaiifeau chinois k Pelew porter fes richeflës a fon père, afin qu'il les dMhïbuêc comme il jugerait a propos & qu'M put voir par-la dans quel pays les anglais f avaient me* né II fallait, .ajoutait-il, que ceux qui les porteraient dilfent au Roi que Lee-Boo lui envenair bien tót d'aucres préfens. Si ces gens, dit-il enfuite au Capitaine, éxécutaient bien leur commilfion, outre ce qu'ABBA-TauLL 7  C 254 3 le leur donnerait furement, il leur ferait préfent a leur retour d'un ou deux de ces beaux grains pour récompenfe de leur fidélité. —— Heureux état d'innocence & de fimplicité, dont les plaifirs font fi peu couteux, & dont la félicité prend fa fource dans fignorance de ee qui trouble le repos en agitant les paffions! Helas! pourquoi faut-il que ce bonhenr fragile fe diffipe avec 1'illufion x & que l'ufage du monde en détruife fi vite i'enchantement! Le Capitaine Wilson recut, quelques jours après, des Iettres des fubrécargues par les quelles ils exprimaient la part qu'ils prenaient a fes malheurs & le plaifir qu'ils avaient de le voir de retour fain & fauf, après tant de dangers. Ils lui envoyaient, avec leurs lettres, plufieurs chofes utiles, comme des habits chauds, &c. & priaient en méme tems M. MTntire de préter aux anglais de 1'argent & tout ce dont ils auraient befoin. Pendant que Lee-Boo refta a Macao, il eut fouvent occafion de voir des gens de dif* férentes naüons, On lui fit connaitre entr'au. tres trois anglaifes qui, ayant perd 1 leurs maris dans 1'Inde, retournaient en Europe. L9  055 ) nouvelhomme, comme on fappelait alors, leur donna la préférence fur toutes les perfonnes du beau fêxe qu'il avait vues. Cette prompte décifion en faveur de ces anglaifes, de la part d'un homme fans préjugés, qui décidait d'a» prés fes yeux, lui aurait fans doute mérité la protection & la faveur de leurs compatriotes, fi eet aimable jeune homme eut alfez vécu pour être bien connu en Angleterre. Comme il n'y avait point de quadrupédes a Pelew, les deux chiens qu'on y avait taillés étaient les feuls qu'il eut vus; en conféquence les moutons, les chèvres & les autres beftiaux qu'il appercut a Macao fétonnérent beaucoup» II donnait le nom de Saïlor (c'était le chien qu'on avait donné a Arra «kooker) k tous les animaux a quatre pieds. Ayant apercu des chevaux dans une écurie il les appel* clow Sailon, c'eft-a-dire, grands Sailors. Mais voyant le iendemain un homme palTer k cheval devant Ia maifon, il fut fi émerveillé qu'il appelait tout le monde pour voir une ehofe auffi extraordinaire. II alla enfuite a 1'é* curie oü étaient les chevaux; il les toucha, les carelfa, leur oiïrït des oranges qu'il avait  C 255 ) dans fa poche; & comme ils n'en voulaient pas manger ii fut curieux de favoir quelle était leur nourriture. On fengagea aifément a en monter un. Ayant appris combien eet animal était agréable & docile, il pria le Capitaine de 1'envoyer auffitót a fon oncle Raa-kook, & fit alfurer celui-ci de futilité qu'il en retirerait. Nos anglais attendaient une permisfion & des barques pour les transporter a Canton, lorsque le Capitaine Cfiurciiill du IValpole, arriva a Macao, & les recut a fon bord pour les conduire kpyhampoa* Pendant le tems que Lee-boo fut dans ce vaiffeau il eut de quor exercer toutes fes facultés: les meubles, les chaifes, les lampes, la cloifon des chambres & leur plafond, tout était pour lui des objets defurprife. Après les avoir parcourus en filence, il faifait entendre tout bas au Capitaine Wilson que le vaiffeau en dedans était une maifou. II eft a croire que rien n'échapa a fes obfervations fur le ffalpole, & que tout fixait fon attention Iorsqu'il fut arrivé a Canion. Les nom* breufes maifons de cette ville, la variété des boutiques & la raultitude des artifans, lui fi-  C 257 > rent dire qu'il y avait un tackelbys (ouvrier) pour chaque chofe. Afïïs a la table dé la com» pagnie, dans la faftorerie, les vafes de verre de dirTérentes formes, & furtout les luftres, fixérent fes regards. Lorsqu'il eut appercü autour de lui la foule des valets qui fe tenaient derrière Ie3 convives, il obferva au Capuaine WiLson que le Roi fou père vivait d'une manière trés-différente, n'ayant qu'un petit poisfon & une noix de" coco dont il mangeait la chair & buvait enfuite le jus dans la coque même; que lorsque fon repas était fini, il s'esfuyait les doigts & la bouche avec la coffe de la noix; tandis, ajoutait-il, que la compagnie oü il fe trouvait dans Ie moment, mangeait de différentes] chofes & était fervie par un grand nombre de domeftiques. Lee- Boo parut d'abord gouter le thé avee plaifir; f odeur du café lui déplut & il en re» fufa, en difant néanmoins au Cnpiraine Wilson , qu'il en boirait Hl le lui ordomait, . A leur arrivée a Macao un des matelots s'étant énivré, Lee-Boo, qui le crue être malade, montra beaucoup d'inquiétude & pria M. Sharp d'aller le voir. Lorsqu on lui eut fait  ( 258 ) eniendre que fétat du matelot ne pouvait avoir aucune fuite dangereufe, & que c'était 1'effet d'une boiffon a la quelle le peuple s'adonnait volontiers, il parut fatisfait; mais depuis ce tems-tè il ne voulut jamais gouter d'aucune liqueur fpiritueure, difant que ce n'était pas une boifon qui convint a des hommes diflingués. II était fingulièrement fobre fur le boire & le manger. A Canton, plufieurs voyageurs qui avaient été a Madagascar & dans d'autres endroits oü 1'on fait ufage de la lance, & qui étaient euxmêmes trés - habiles dans eet art, furent curieux de la voir manier a Lee-Boo. On s'affembla pour eet effet dans la falie de la faftorerie. Lee-Boo ne pointa d'abord fa lance vers aucun objet particulier; il fe contenta de la mettre en mouvement & de la- balancer comme fon fait ordinairement avant de la jeter. Les autres firent la même chofe; mais ayant propofé un but, on le fixa fur cage de gaze qui était pendue au milieu de la falie, & fur la quelle était un oifeau peint. Lee-Boo prit fa lance avec un air d'indifférence, & vifant au petit oifeau, il le frappa a ia tête, au grand éton-  ( 259 ) nement de fes concurrens, qui atteignirent k peine Ia cage. II fe plaifait beaucoup è confidérer les bètimens de pierre & les grandes falies des maifons de Canton, mais les plafonds unis continuaient furtout a exciter fon admiration : 11 les comparait fouvent aux toits de chaume des habitans de Pelew, & difait qu'avec le tems il apprendrait comment cela était fait, & qu'il leur enfeignerait la manière de batir. Le défir d'être utile a fon pays parailTait être le but principal de toutes fes obfervations. Ce qui frappa le plus 1'imagination de LeeBoo chez M. Freeman, un des fubrécargues, fut un fucrier de verre bleu qu'on apporta fur la table au moment oü fon fervit le thé. La joie qu'il fit paraitre a cette vue engagea le maitre de la maifon a le conduire dans une autre chambre, oü étaient deux grands vafes de la même efpèce de verre bleu placés fur un cabaret. Ses yeux fe portèrent auffi-tót fur la couleur qui 1'avait tant frapé; il confidéra ces vafes avec 1'empreiTement^ le plus vif, les quitta un moment, & y revint a différentes reprifes. M. Freeman voyant le plaifir que ces va.  C 260 ) fes faifaient a Lee-boo, lui dit qu'il voulait lui en faire préfent pour les emporter a Pelew, ce qui ïe mit dans un transport de joie qu'il ne pouvait contenir, difant que c'était un grand tréfor & qu'a fon retour il les donnerait a fon père Abba-thulle. II défirait que fes parens de Pelew pusfent les voir, paree qu'il était fur du plaifir que cette vue leur procurerait. Après que M. Wilson eut pris tous les arrangemens nécelfaires' par rapport a fes com» pagnons d'infortune, il leur annon9a qu'ils étaient Hbres de prendre le parti qu'ils voudraient, & leur recominanda en même temps, furtout aux officiers, de retourner en Angleterre, oü il ne doutait pas que Ia Compagnie ne les recompenfat des maux qu'ils a,vaient foufferts; il ajouta que de fon coté il n'avait que des remercimens a leur faire pour la conduite qu'ils avaient tenue dans toutes les circonüances oü ils s'étaient trouvés enfemble, & qu'il en rendrait le compte le plus favorable a foa arrivée en Europe, M, Sharp s'embarqua fur le vaiffeau le Laftel/s, les autres officiers & matelots fur diffé-  reus vaiifeaux. Ce ne fut pas fans regret qu'ils fe féparérent les uns des autres, après avoir éprouvé enfemble tant d'adverfités. Lee-Boo s'embarqua avec le Capitaine Wilson dans le Morfe, Capitaine Joseph Elliott, qui eut toutes fortes d'attentions pour eux pendant la travejfée jusqu'en Angleterre. U eft tems a préfent, mes jeunes amis, de vous entretenir plus particuliérement des mceurs, des coutumes, des arts & du gouvernement de ces habitans de Pelew, dont le caractère & Ia conduite ont du nécelfairement vous intérelfer. Les détails que je puis vous offrir fur ce fujet, quoique trop peu étendus, méritent néanmoins votre attention & font dignes de toute confiance, puis que c'eft de M. Wilson lui même & de plufieurs de fes officiers que nous les tenons. . Afin de vous engager a, lire bien attentivement ce que je vais vous rapporter ci-deflbus, je vous promets de confacrer un article tout entier au fi aimable & fi intéreffant Lee-Boo. Cet article contiendra les anecdotes les plus remarquables de ce jeune prince depuis fon départ de Canton jusqu'a fa mort, & c'eft par  ( 262 ) la que je terminerai ce Volume Fde Voyages que j'ai entrepris pour votre infiruction & votre amufement. Que je ferais-heureux, mes chers le&eurs, fi un feul d'er.tre vous, du moins, après avoir lu ce livre, prenait la ferme & fincère réfolution de marcher fur les traces de ces aimables habitans de Pelew, d'imiter leur conduite & leurs vertus! .... Ce ferait pour moi la récompenfe la plus ilatteufe & la plus chère a mon coeur. §. 14» Idéé générale des iles Pelew. Du Roi. Du gé' nèral. Du principal miniftre. Des Rupacks. De la proprièté. Les iles de Pélew font une chaine de petites iles longues, mais étroites, d'une hauteur moderée, bien couvertes de bois, au moins celles que nos anglais ont eu occafion de voir. A 1'oueil elles font entourées d'un récif ou banc de corail dont on ne pouvait appercevoir la fin fur quelque élévation qu'on fut placé. Ce banc s'étend, en quelques endroits, a cinq  C 263 ) ou fix lieues du rivage, & au moins a deux ou trois partout ailleurs oü il a été vifité. Mes jeunes letfeurs doivent fe rappeler que le vaiiTeau Pantelope n'était pas envoyé exprês pour découvrir des régions inconnues & obferver les mceurs du genre humainj il n'avait par conféquent a bord ni favans, ni botaniftes, ni deffinateurs, ni aucun de ces philofophes capables d'examiner avec jugement les objets qui fe préfentaient, ou de fuivre la nature dans tous fes détours. La détrelTe oü fe trouvait 1'équipage 1'avait jeté fur ces iles, & Iorsqu'il y aborda chacun ne fongea qu'au moyen de fe délivrer d'une fituation, Ja plus horrible de toutes pour 1'imagination, celle d'être féparé a jamais de la fociété du refte des hommes. La triftefle & de défespoir s'étaient d'abord emparés de leur aine; mais ces idéés fombres fe diffipérent bientót, lorsqu'ils s'appercurent qu'ils étaient au milieu d'une race d'hommes qui, loin de fonger a tirer parti de leur infortune, firent voir au contraire combien ils y étaient fenfibles,- qui leur témoignèrent une bienveillance fraternelle en leur fournilfant  toutes les chofes néceffaires a la vie, & qui montrérent une générotité particuliere en les aidant a travaiiler pour leur délivrance. Les anglais avaient en leur poffefïïon ce qui devait leur paraitre du plus grand prix, du fer & des armes. Le naufragé du vaiffeau malais avait fait connaitre le fer a ces infulaires. Le malheur des anglais leur apprit l'ufage & la puiffance des armes. Ils auraient pu fansdiffieulté s'emparerde ces objets fi défirables pour eux, puisque le nombre des gens de féquipage en état de s'armer n'était que de vingt • fept. Mais 1'honnêteté de leur cceur ne leur permit pas même de concevoir une telle penfée, & re» noncant a tous les avantages du nombre & de la force ils n'abordèrent les ^anglais qu'avec le fourire de la bienveillance. Toutes les oifres de fervice faites a ces Européens,par des hommes dont ils avaient redouté d'abord les intentions & le caractère, firent un puiffant effet fur leur efprit. Leurs fecours étaient de laplus grandeimportance a Abba -Thulle, qui combattait alors fes ennemis; ils le fervirent avec courage, & cette circons* tance forma une liaifon intime entre les natu» reis  C 265 ) reis du pays & les anglais qui, pendant les trois mois qu'ils reftérent a Pelew, eurent oc cafion d'obferver les moeurs & les dispofitions des habitans, & de fe faire une idéé de leur gouvernement & de leurs coutumes. S'ils ne furent pas a portée de fuivre ces objets dans toutes leurs parties , ils en découvrirent am moins les principes, & remarquérent que la principale autorité refidait dans la perfonne d'ab» ba - Thulle. Le Roi , Abba Thulle. A Pélew, le roi était la première perfonne de 1'état. II paraiffait être regardé comme Ie père de fon peuple; & quoiqu'ii n'eut aucune marqué extérieure de royauté, on lui rendait toutes fortes d'hommages. Ses rupacks oir chefs ne 1'abordaient qu'avec le plus grand re. ipeft. Ses autres fujets, foit qu'ils palfalTent prés de lui ou qu'ils eufTent occafion de s'adreiTer a fa perfonne, mettaiem leurs mains derrière eux, fe baiiTant jusqu'a terre; & même s'ils paffaient devant une maifon ou un endroit oü le roi était fuppofé fe trouver, ils M  ( *66 ) s'humiliaient également, jusqu'a-ce qu'ils euffent dépafle Ie lieu. Les manières ö'abbaThulle parailTaient toujours nobles & gracieufes. II écoutait tout ce que fes fujets avaient a lui dire, & il ne les laiflait jamais aller mécontens. Quelque diftingué que fut ce perfonnage a Peleiv, les anglais ne le regardaient pas comme le fouverain de toutes les iles qu'ils connaiiTaient. Les rupacks d'Emmings, d'E« millégue & d'Artingall étaien indépendans dans leur propre territoire. Cependant AbbaThulle avait plufieurs iles fous fa domination , & toutes les obfervations qui fuivent ne regardent que fon gouvernement, quoiqu'il ne foit pas invraifemblable que le fyftéme particulier des autres iles ne puiffe avoir beaucoup de rapport avec ce gouvernement. Dans les affaires preflantes il affeinblait les rupacks & les autres officiers d'état. Leurs confeils fe tenaient en plein air, fur la place pavée donr nous avons parlé fi fouvent dans le récit précédent. Le roi leur expofait d'abord le motif pour le quel il les avait aflemblés, & en foumettait la décifion a leur avis. Chaque rupack préfent donnait fon opinion,  C **7 ) mais fans fe lever de fon fiége; & Iorque la queftion avait été décidée le roi terminait la féance en fe ievant. Lorsqn'on apportait quelque meffage au roi foit au confeil ou aiileurs, de Ia part de quelque perfonne du peuple, il était remis un inftant après, a balie voix, a un rupack de la claiTe inférieure qui, faifant une profonde révérence au roi, lui rendait ce melTage a demi-voix ayant le vifage tourné de coté. Les ordres du roi paraiifaient être abfolus; quoique dans des affaires peu importantes il agit fans favis de fes chefs. II y avait fur la place du confeil une pierre fur la quelle le roi feul fié« geait; les autres rupacks ne prenaient pas toujours la même place; ils fe mettaient quelque fois a fa droite & quelque fois a fa gauche. Tous les jours dans 1'après -midi, foit qu'il fut a Pelew ou a Oroolong, Ie roi allait s'affeoir en public pour écouter les demandes de fes fujets ou décider les différens quipouvaient s'élever entr'eux. Comme ces peuples avaient trop peu de propriétés pour occafionner des dilfenttons, & qu'on ne voyait point parmi eux des gens'de M 2  C 268 ) loix fomenter 1'animofité, il eft probable que la ligne de démarcation entre lejufte & f injufte était parfaitement établie dans leur efprit & rarement franchie. Quel que fut 1'offenfeur il ne pouvait échaper a la cenfure du roi, qui f expofait au blame géneral; fentence bien plus févère pour des hommes qui ne font pas corrompus qu'aucune forte de punition corporelle. Ils ne pouvaient pas recourir a la conftru&ion de cinq-cents loix, vaguement concues & mal entendues, dont fobfcurité, dans les pays civilifés, fournit un abri aux fripons, tandisque f honnéte homme en eft opprimé. Ils ignoraient qu'il exiftat des nations policées oü. il était infiniment plus couteux de recourir a la juftice qu'a la fraude & afoppreflion; des nations oü 1'on ne croit qu'aux fermens des hommes & nullement a Jeurs paroles; oü 1'on trouve des fcélérats qui ofent attaquer la propriété, la liberté & la vie de leurs concitoyens, par des alfertions de fauffeté, en prenant publiquement le ciel a témoin de la pureté de leurs intentions. Enfans de la Nature, fes loix feules étaient leurs guides. Leurs befoins réels étaient trés - bornés & ils  C 2Ó9 ) ne voyaient rien qui put en exeiter de factie es. Chacun paraiffait livre' a fes petites occupations; &, autant que les anglais en purent juger dans un féjour de trois mois, les naturels de Pelew parailfaient fe conduire les uns envers les autres avec beaucoup d'égards & de bienvei lance, car ils n'appercurent jamais aucune difpup entr'eux. Lorsque les enfans même fe querellaient dans leurs jeux, ceux qui en étaient témoins leur en marquaient du mécontentement. Le Général. Le fecond perfonnage après le roi était fon frère Raa-kook, Général en Chef de toutes les forces du pays. C'était lui qui fommait les rupacks de fuivre le roi dans une expédition quelconque, & de fe rendre oü il les appellait; mais quoique Raa-kook agit comme commandant en chef, néanmoins tous les ordres exécutifs venaient du roi quand il fe trouvait en perfonne fur les lieux, comme il parut dans Ia feconde expédition d'Artingall oü les M 3  C 270 ) canots qui accorapagnaient le roi portaient au Général toutes les réfoJutions qu'il croyait de- voir adopter. Le général comme frère pulné du roi, était 1'héritier préfomptif, paree que la fucceflion de Pelew ne va point aux enfans du roi jusqu'a-ce qu'elle ait paiTé a fes frêres; de forte qu'aprês Abba-Thulle la fouveraineté aurait appartenu a Raa-kook, enfuite a Arra-kooker, & a la mort de ce dernier frére, au fils ainé d'abba-Thulle. N 3  C 2p4 > cées, & elles y paffaient des feüiffes ou des boucles d'écaille de tortue. Les hommes nV vaient que 1'oreille gauche trouée, & três-peu y piacaient quelque ornemeur. La cloifon du nez était auffi percée dans ies deux fêxes, & ordinairement on mettait dans eet emplacement Ja fleur de quelque plante ou de quelque arbrifTeau. A un certain age les hommes & les femmes fe noircifTaient les dents. Les anglaisb'eurenc aucune occafion, pendant leur féjour a Pékw, de voir comment cette opération fe faifait; ils comprirent feulement qu'elle était fa. tigante & douloureufe. Elle fut enfuite expliquée au Capitaine Wilson par Lee-Boo, dans fa traverfée en Angleterre. Afainte-Héléne* celui-ci parut enchanté de trouver du fenecon, & fayant ceuilli il s'en frotta les dents. Le Capitaine lui ayant dit que cette herbe n'était pas bonne a manger, Lee-Boo lui fit entendre qu'il y en avait a Pekzv, & qifon Ia mêlait avec quatre autres fortes d'herbes dont on faifait une pate avec un peu de quina pour apliqner tous les matins fur les dents, afin de les teindre en noir. Le patiënt était couché la tête fur le plancher, & faliyait toute la jour*  C 2P5 ) nee. Ce n'était que vers le foir, difait-if,. lorsque la-paté était duToute, qu'on lui per* mettait de rnanger un peu. Le méme procédé fe répétait le jour fuivanr, & il fallait cinq1 jours pour compléter 1'opération. Lee • Boo en fit la defcription comme d'une chofe qui les fatl* guait beaucoup & les rendait trés - malades. Les deux fêxes étaient fort habiles a la nage, & parailfaient être aufli a 1'aife dans 1'eatt que fur la terre. Les hommes plongeaient a merveille; s'ils apper9evaient au fond de la mer quelque objet digne de leur attention, ils> s'y jettaient fur le champ & 1'apportaient. Leurs Mariages* Ce n'était probablement chez ces peuples qu'un contrat civil, mais il était regardé comme inviolable. lis admettaient la pluralité des femmes, mais en général ils n'en avaient que deux; Raa-kook en avait trois; le Roi cinq,& celles-ci ne vivaient pas enfemble. Ils ne parailfaient pas en être jaloux, & on leur Iaisfait la plus grande liberté. Pendant le tems de leur grosfeffe ou avait pour elles les plus grandségards.  C 2Q6 ) Lorsqu'un chef paraiffait quelque part avec fes deux femmes, elles s'affeyaient ordinairement a fes cótés, & les autres hommes ne femblaient avoir pour elles d'autres attentions que celles permifes par la modeftie & le re- fpeét. ün des anglais ayant cherché a plai- re a la femme d'un Rupack, par une affiduité marquée, Arra- kooker lui fit entendre, avec la plus grande civilité, que ce n'était pas bien d'agir ainfi. Us norament les enfants auffi-tót qu'ils font nés. Une des femmes d'Abba-Thulle ac* coucha d'un fils a Pelew pendant que les anglais étaient a Oroolong-, le Roi, par eftime pour le Capitaine Wilson, donna a 1'enfant ie som de Capitaine, & en fit favoir enfuite Ia nouvelle a M. Wilson. Leun funérailles. Mes jeunes leéteurs ont vu, dans les récits précédens, un détail de Ia cérémonie dont M. Sharp fut témoin a 1'enterrement d'un fils de Raa - kook , dans file de Péthoull, Vers le mê« me tems M. Wilson fe trouva a Pelew aux  funérailles d'un jeune homme mort des bieflures qu'il avait reeues dans la même bataille oü le neveu du Roi avait été tué. II a raconté qu'ayant remarqué par hazard plufieurs naturels qui s'en allaient vers un petit village, a deux milles environ de la capitale, & aprenant que le Roi y étaic. aulli, la curiofité 1'avait porté a diriger fes pas de ce cóté-la. II y trouva, kfon arrivée, u«e grande foule qui entourait une place pavée oü Abba-Thulle était asfis. On apportait le corps mort d'une maifon peu éloignée. La procesfion s'arrêta devant le Roi, qui, fans le lever de fon fiége,paria quelque tems de manière a être enten* du de tous les afïïftans; & enfuite la procesfion continua fon chemin. Les interprètes qui étaient préfents ne purent aflurer s'il fai» fait 1'éloge du jeune homme mort au fervlce de fon pays; mais la folemnité de cette harangue, & le filence refpeétueux avec le quel le peuple 1'avait écoutée, donnent lieu de croire qu'elle avait été prononcée a cette occafion. IVL Wilson fuivit le corps au lieu de fenterremem; & il vit fortir' de la folfe nou-N 5  f 2^8 ) vellement creufée, une femme qu'il crat étre la mère ou quelque proehe parente du dé* funt, que fa tendreflè avait conduite dans eet endroit pour voir fi tout était bien préparé. Lorsque Ie corps fut dans la terre, les lamentations des femmes qui 1'avaient ac« «ompagné redoublêrent. II parut dans cette occafion, comme aux funérailles du fifs de Raa-kook, qu'il n'y avait d'autres hommes que ceux qui portaient le corps, Ces trines & derniers devoirs é* taient confiés au fêxe le plus foible & le' plus fenfible. Les hommes s'afiemblaient feulement autour du corps avant qu'on le portkt en terre, & gsrdaient un augufte filenceLeur efprit doué de force ou de dephiiofophie, qui les armait contre ies terreurs de la mort, ne leur permettak pas de donner aucun figne extérieur de foiWefle. Us avaient des endroits deftinés- a Ia fépulrare des morts. Leurs folTes étaient fakes comme celles de nos cimetiéres, & Ia terre s'élevait en monceau fur Ie corps qu'elle couvrair, Quelques-uns de ces tombeaux étaient furmon«és de pierres qui en ayaieiu une trés-platte  & trés-grande pour bafe commune: on voyait tout autour une efpèce de claie qui empêchait' qu'on ne foulat les cadavres aux pieds. Leur Religion, II eft peu de peuples, parmi ceux que lés» navigateurs ont découverts, qui n'ayant paru,fous quelque raport, avoir une idéé quelconque de religion. Cependant les anglais pen*dant leur féjour a Pelew, n'apercurent parmi les naturels aucune cérémonie particuliere, aucun indice d'un culte public. II eft vrai quej n'entendant pas alfez la langue du pays, ils nej pouvaient entrer en converfation fur cette ma* tière; & il eut été d'ailleurs indifcret de leur part de faire des queftions qui auraient été peut être mal concues ou mal interpréiées■par* les naturels. Ajoutons a cela qu'ils ne fongeai- ■ ent continuellement qu'aux moyens de s'era aller, & de conferver pendan,t leur féjour Ia confiance des habitans,. Quoiqu'on n'ait point trouvé dans ces iles w-endroit confacré a des cérémonies reügw»*N 6  C $*0 ) fes, nous aurions peut-être tort de croire que Jes peuples de ne connaiffent aucun cul- te. Indépendamment des cérémonies extérieures, il peut exifter chez eux une religion men. tale par la quelle fefprit s'éJève dans un respeétueux filence, a la contemplation du DIEU de la nature. Quoique ces naturels n'ayent point été favorifés des luinières du Chriftianime, il eft poffiple cependant qu'éclairés par la raifon ils aient fenti le prix de Ia vertu, & ies avantages qui réfultenc d'une bonne conduite. Mes jeunes Ieéteurs feront furement affez convaincus par la lefture de cette rélation, que ces peuples ©nt un fentiment profond des grands devoirs de 1'homme. Ce fentiment paraiffait diriger leur conduite, briller dans toutes leurs a&ions, & embellir leur exiftence. Animés de ces principes, nous les voyonsremplis d'activité, d'induOrie & de bienveillance; fernies dans le danger, prodigues de leur vie, patiens dans 1'infortune, & réfignés a la mort. Si, d'aprés toutes ces circonftances, on pouvait concevoir que les naturels de Pelew pafiaient leur vie fans quelque efpèrance de 1'a-  C 3*1 ) venir, il faudrait fuppofer que cetre rdée n*ajv partiendrait qu'aux peuples rnalheureux & corrompus. On ne peut douter que le peuple de Pelew n'ait une forte de culte , fi 1'on confidére la manière dont le roi s'exprima en voyant le bois dont les anglais fe fervaient pour la confiruction de leur vaiifeau, & le confeil qu'il leur donna en difant qu'il était de mauvaife au* gure. Ils avaient auffi I'idée d'un étre malfaifant, qui contr-ariait les projets des hommes; car M. Barker étant tombé du vaiifeau fur le chantier, Raa-kook qui était préfent lui dit que ce malheur était du au bois de mauvaife augure, & que c'était le malin efprit qui 1'avait occafioné. Pendant la traverfée de Pelew a la Chine, Ie prince Lee-Boo fit paraitre auffi quelques idéés de ce genre. Dans le tems oü il avait Ia maladie de mer, il fe plaignait du chagrin que fon père & fes amis reffentaient, paree qu'ils /avaient en ce moment qu'il était alors fouffrant. II e&t Ia même inquiétude a leur N 7  C 3°2 ) égard, iorsqu'il fe vit a fa derniére heure, comme nous le dirons plus loin. Ils étaient certainement fort préoccupés de la divinité, puisqu'ils n'entreprenaient rien fans avoir fendu auparavant les feuilles d'une certaine plante alfez femblable a notre jonc de marais, & fans en avoir mefuré les bandes fur le dos de leur doigt du milieu, ponr favoir fi leur entreprife réuffirait ou non. Cette circonflan* ce fut obfervée par M. Mathias Wilson,. dans fa première vifite au roi de Pelew \ & après en avoir démandé la raifon, 1'interprètelui dit en anglais que c'était pour favoir fi leur arrivée était d'un bon préfage. Plufieurs anglais remarquérent auffi que le roi eut recours a ce prétendu oracle en dif* férentes occafions, & furtout lorsqu'ils allérent a la feconde expédition contre Artingall. Ge prince parailfait ne point vouloir s'embarquer dans fon canot , & il fit attendre toute fa fuite jusqu'a ce qu'il eüt roulé toutes fes feuilles d'une manière fattsfaifante. Lors qu'abba -Thulle remit fon fils entre les mains des anglais, pour le conduire dans des  C 33$ ) pays élöignés dont il n'avait qu'une idéé trèsimparfaite, il efl probable que fatendreinquiè* tude 1'engagea a examiner fon oracle avec une attention extraordinaire; il n'efl: pas douteux que tout n'ait préfenté a fon irnaginationdes ap» parences favorables. Ses feuilles prophétiques font cependant trompé; & il ne s'attendaitpas a ne plus revoir ce fils chéri. Je rappellerai ici quelques circonftances dont il a été fait mention auparavant. Raa-kook: & d'autres naturels s'étant trouvés deux ou trois fois avec le Capitaine Wilson , Iorsqu'il rafiemblait fes gens pour la priére du dimanche, ils ne témoignérent aucune furprife, mais parurent comprendre clairement que c'était la manière dont les anglais s'adrelTaient a un Etre Suprème pour obtenir fa proteclion; & quelques différentes que furent leurs notions a eet égard, ils accompagnaient les anglais dans ces occafions avec nn grand refpeél, en téraoignant le défir de les imker, & gardant Ie pks profond filence. Le général nepermettait point aux naturels de dire un feul mot; il refufa mé» me de recevoir un meffage du roi, qui arrivais aux tentes pendant le fervice divin..  C 304 > • La cérémonie pratiquée par Raa - k om, après les funérailles de fon fils, en répétant quelques paroles a part tandis qu'il marquait les noix de coco & le faisceau de feuilles de bétel que la jeune femme devait placer fur Ie tombeau du jeune homme; cette cérémonie, dis-je, avait toute 1'apparence d'un acte de piété. Lorsqu'il planta les cocotiers & quelques autres arbres fruitiers dans file d'Oroolong, ce qu'il difait a voix baffe, a chaque femence qu'on dépofait en terre, parut aux anglais une bénédidion donnée a 1'arbre qui devait naitre un jour. Lorsque le roi prit congé de fon fils, il dit quelques mots qui, par le ton grave avec Ie quel il les prononca & la manière refpe&ueufe dont Lee-Boo les écouta , firent comprendre a 1'équipage que c'était une efpèce de bésédiclion paternelle. Je dois ajouter ici une aneedote qui fe palfa dans la converfation entre le Capitaine Wilson & Lee-Boo, quelque tems après leur arrivée en Augleterre, Le Capitaine difait a Lee-Boo que les priéres avaient pour butde rendre les hommes meilleurs, & que lorsqu'ils  ( 305 ) mourraient & étaient en terrés, ils allaient revivre en haut (en lui montrant le firmament), Lee-Boo lui répondit auffi tót en élevant fa main en fair & en remuant les doigts: La même chofe ci Pelew; méchans hommes refter en terre; ■ bonnes gens aller au ciel, de* venir trés - beaux. —— Ce gefte fignifiakfans doute que ces infulaires croyaient que 1'efprir exiftait lorsque le corps n'était plus. ■ Je lailfe a mes leéteurs a juger d'après ces faits, & le caractère moral des habitans de Pelew (in dépendamment de Ia déclaration de Lee - Boo), s'il eft probable qu'ils puilTent fe conduire avec amant de décence, & fe montrer auffi juftes, délicats & honnêtes, fans être guidés par quelques principes de religion. Pour moi je penfe qu'ils admettent un culte quelconquei Si cela n'était pas ainfi, 1'exiftence des habitans de Pelew prouverait qu'ils ont êté affez heureux, non feulement pour découvrir, mais pour être parfaitement convaincus que la vertu était fa feule récompenfe.  C 306 ) CaracJère général des naturels. La conduite de ces-.peuples envers les anglais fut conftamment la même , c'eft-a-dire toujours pleine d'attentions & accompagnée d'une pomm qui furprenait ceux qui en Lient 1'ofcjer. En tout tems ils paraiiTaien: avoir une fi grande circonfpeétion, que dans plufieurs occalions ils facrifiaient leur curiofité naturelle a ce refpeft que la vérkable bonnêteté femblait exiger d'eux. Leur lihéralité envers les anglais, au moment du départ, lorsque chaque habitant du pays apportait a ces étrangers ce qu'il y avait de meilleur & de plus rare , démontrait fortement que ces témoignages d'amiué étaient 1'elfufion d'un coeur tout bruiant de philantropie • & lorsque ces mêmes anglais, faure d'empiacement, furent forcés de refufer les nouveaux préfens qu'on leur apportait, fair chagrin & les geftes fuplians de ceux qu'on refufait exprimaient alfez combien ils étaiént défolés de nêtre pas arrivés alfez tót pour faire accepter la marqué de leur arTection. Cette conduite n'était point chez eux ure  ( 3or } civïlïté d'oftentation exercée envers des étran» gers. Séparés comme ils étaient du refte du monde, le caractère d'étranger n'était jamais entré dans leur imagination. Ils fentaienr. que les anglais étaient dans Ia détrefle, & ils voulaient par conféquent partager avec eux ce qu'ils pofifédaient. Ce n'était pas cette munificence des peuples polis , qui accorde & ré" pand fes faveurs dans 1'intention dTen retirer un jour Ie fruir. • Jamais leurs coeurs n'avaient concu une idéé auffi ffétriflante. Non, c'était une bienveillance naturelle; c'était 1'amour de fhomme. Cette fcène repréfentait Ia nature humaine dans fon plus grand triomphe; & tandis que leur libéralité fatisfaifait leur coeur, leur vertu étonnait 1'efprit! Nos anglais eürent auffi plufieurs occafions d'obferver que cette urbanité régnait dans tous les rapports que les naturels avaient entre eux. L'attention & la tendrelfe qu'ils témoignaient aux femmes étaient dignes de remarque : les hommes entre eux étaient doux & honnêtes, jamais on ne les entendit fe dire des chofes désagréables. Chacun parailfait fuivre fon  ( 3*8 ) affaire propre fans fe mêler de celle de fon voifin. Les hommes étaient occupés a leurs plantations ou a couper du bois, a faire des haches ou des cordes,- ceux-ci a baur des maifons, ceux-la a faire des filets ou des bamegons pour prendre le poiffon. Les uns faifaient des dards & des lances, les autres travaillaient les rames pour leurs bateaux, & les uften files pour Iemé< nage & la préparation du quina. Quoique 1'induftrie, quelque zélée qu'eii'e foit, doive étre lente dans fes progrès, furtout lorsqu'elie eft dénuée des rellources qui lui font propres, & que Ie travail, par ce défaut, Ja rende extrêmement pénible, nous voyons ce» pendant que dans les régions oü. ces reffources n'exiftent pas, Pardeur des tentatives ne s'éteint point. On parvient a fore de perfévé. rance au but qu'on s'eft propofé; & ce n'eft pas fans raifon que i'Europe a été étonnée de voir fortir des contrées nouvellement découvertes au fud, plufieurs produftions finguliéres dont ie travail fi net & fi curieux avait été fait par des mains fans art, au moyen de quel,  C 309 ) ques inftrumens groflïers qui ne fervent qu'a augmenter notre furprife lorsque nous voyons reffet qu'ils ont pro duit. A Pelew chacun vivait de fon travail, Ia nécefïïcé leur impofant ce devorr: on ne voyait chez eux ni fainéans , ni pareffeux, pas même parmi les chefs; ceux • la au contraire excitaient leurs inférieurs au travail & a far„' tivité paT leur propre exemple. Le roi lui même était le meilleur fabriquant de toute file, & il fe mettait habituellement a 1'ouvrage toutes les fois qu'il était débaralfé d'affaires importantes. Les femmes même partageai* ent la tache commune; elles travaillaient dans les plantations d'ignames, & il était de leur relfort d'arracher toutes les herbes qui croilfaient entre les pierres des chaulfées pa« vées. Elles fabriquaient les nattes & les paniers, & veillaient aux foins domeftiques. Le tatouage, (fart de piqueter le corps) était aufli confié a leur adrelfe. Les années s'écoulaient dans ces occupa« tions d'une induftrie patiënte ; & les dispofitions enjouées des naturels autoriférent les anglais a fuppofer qu'ils avaient peu de mo;  C 310 ) mens d'inquiétude & d'ennui. Ils étaient étrangers a ces paffions qu'excite 1'ambition, a ces foins que 1'affluence des richeffes éveille. Leur vie parahTaits'écouler cornme 1'onde limpide d'un paifible ruilfeau; & lorsque des évènernents naturels en ridaient la furface, ils poffédaient alfez de fermeré d'arne pour re-couvrer bientót le calme dont ils avaient befoin. Leur bonheur femblait fondé fur la bafe Ia plus folide; ils jouilfaient gaiement de ce que la Providence leur avait accordé, & ne formaient jamais de défir qu'ils ne pulfent fa* tisfaire; & 1'on conviendra fürement que dans les nations civilifées, 1'erreur d'une conduite oppofée nous montre parmi les défoeuvrés un grand nombre de perfonnages méprifables , tandis qu'elle excite des efprits plus audacieux a ne calculer leur intêret que par 1'injuüice ou la rapine, & a rompre les Hens facrés de la fo« ciété. D'après le caraflère général de ces peuples, mes lecleurs avoueront fans doute que leur exiftence honore Ia nature humaine, & que fans aucune forte de lumiéres ni d'inllruiflion, leurs moeurs préfentent un tableau intérelfant  C SM ) pour les nations civiilfe'es. Nous voyons chez ces infulaires un gouvernement despotique fans aucune ombre de ryrannie, un pouvoir qui affure le bien général & celui des fujets, dont ie roi eft vraiment le père; — & tandis que des loix douces & uneconfiance mutuelle maintenaien: leur petit état dans les Hens de 1'barmonie, fhumanité de leurs moeurs en devenait le réfuitat naturel, & fixait entr'eux m comraerce fraternel & désintérelfé. Deux circonftances, néanmoins, paraitront contredire 1'humanité que nous attribuons a ces peuples : la première d'avoir dètruit, dans fexpédition contre Pelelew, les maifons & Ia plantation de la petite ile qui en dêpendait & que les habitans avaient abandonnée parcrainte; & Ia feconde , f ufage oü ils étaient de tuer les prifonniers qu ils faifaient a la guerre. Quant a la, première, (quoique la pratique n'en foit point nouvelle dans les annales de f hiftoire, oü la nécejpJè politique prétend fexcufer) elle parailfait fi contraire aux maximes ordinaires de ces peuples, de ne jamais prendre un en» fiemi par furprife, mats de le prévenir par Pattaque, que je fuis fortement dispoféacroi-  C 312 ) re que cette nouvelle manière de Faire la guerre avait été fuggérée au roi par le malais favori, d'autant plus qu'elle contredifait entiérement la générofité qu'ils avaient montrée auparavant dans leurs hoftilités. Quant a l'ufage de mettre & mort leurs prifonniers, Raa-kook en ayant été repris par le Capitaine Wilson, il lui dit que cela n'avait pas été toujours ainfi; & en expliquant les raifons qui fy forcaient, il parut vouloir excufer ce procédé, comme étant f effet d'une nécefllté politique. Le nombre de leurs prifonniers de guerre, d'après leur manière de combatrre, devait être en tout tems trés - peu confidérable. Dans la plus grande bataille dont les anglais ayent été témoins a Artingall, on n'y fit que neuf prifonniers, ce que les naturels regardaient comme extraordinaire; & ces prifonniers n'étaient point mis a mort de fang froid, mais fur la fin du combat même, comme pour le terminer, C'était généralement Peffet d'une colère exaltée, ou de la vengeance, le coup étant porté a ces prifonniers par ceux qui avaient perdu un ami ou un parent dans Ie combat, ou par ceux  ( 313 ) ceux qui fouffiraient de leurs bleilures. Ce* iles d'ailleurs étaient fituées fi pres les unes des autres, qu'il était impoflible de garder les captifs: ils n'avaient point de prifon pour les renfermer, ni de canots de cartel pour en né. gocier 1'échange; & ces prifonniers pouvant aüer librement dans file, la vie du fouverain ou des chefs était toujours expofée a leurvengeance. Ces peuples _ paraifleat donc avoir adopté la maxime généralement répandue parmi les fauvagesdel'Amérique, & dam plufieurs contrées de 1'Afrique. Et il ne nous refte qu'a gémir fur cette néceffité politique, qui préfente une idéé auffi révoltante dans les régions nou^ellement découvertes. II eft du devoir d'un écrivain de chercher a désarmer la critique, en prévenant les objections qu'on pourrait faire. Après avoir vu les excellentes qualités que poffiédent les peuples de Pelew, on nous dira peut-être qu'ils é« taient, malgré cela, fujets au larcin. Cette imputation a été fake trop févérement fansdou- te aux habitans de la mer du fud Mais dans les iles de Pelew, aucun vol n'ajamais été commis que par des gens de la derniére O  ( 314 ) cialfe; & toutes les fois qu'on en portaitplainte, le roi & fes chefs regardaient cette acVion comme un attentat contre 1'hospitalité, & leur indignation ne pouvait fe calmer que lorsqu'on avait trouvé & rendu 1'objet dérobé. Sup- pofons qu'un Prince d'Orient, magnifiquement vêtu, Iaiilat tomber par hazard fur fon chemin un diamant qui fedétacheraitdefarobe, & qu'un payfan connailTant la valeur de ce diamant le vit briller dans la frange ... quel motif 1'obligerait de palfer outre & de n'y pas toucher? Un clou, un petit inftrument, ou un morceau de vieux fer, étaient pour les habitans de Pelew un diamant d'Orient. lis n'avaient aucune loi pénale contre les petits larcins. lis cherchaient feulement les moyens de rendre leurs travaux journaliers plusfaciles, & de perfeétionner plus a 1'aife ce qu'ils ne faifaient qu'imparfaitement avec une perfèvérance infatigable! Ils faudrait qu'ils euffent été plus que des hommes pour ne pas agir comme des hommes mêmes. Quelle nation vertueufe que celle oü la confcience d'aucun individu, dans Ie fang-froid de la réflexion, n'aurait autre chofe a lui reprocher que d'avoir appliqué a  ( 3iS ) fon propre ufage un morceau de fer qui fe rencontrait devant lui. Au nom de fhumanité, jugeons nos fem« blables avec moins de rigueur. Si quelqu'un voulait flétrir le cara&êre des bons habitans de Pelew pour des fautes aulTi légéres, il faut croire pour famour de la juftice que cette cenfure ne fera point adoptée par ceux qui vivent dans les nations éclairées: ceuxci fe convaincront faciiement de 1'inefficacité des meilleures lois, & de finfuffifance de leur police intérieure pour reprimer les vices du genre humain. Ils obferveront que tous les moyens diétés par la prudence & la fa* gelfe font fouvent incapables de protéger leut proprièté pendant, la nuit, ou leurs perfonnes dans tous les temps, même dans les pays méridionaux. Ils rcfléchiront que chaque trait d'injuftice, efl: une fatire même de Ieurfocïété.Ils fe rapelleront avec douleur que ce n'eft pa$ feulement des bttgands dont il faut fe garder, mais du fourire d'une amitié feinte, par lequel des hommes généreux & confians font trop fouvent trahis, fans qu'aucune loi puiffe les en O 2  C 316* ) garamir; calamité morale qui, plus que toute autre peut-être, a défolé le coeur humain! C'eft pourquoi en attendant cette heureufe époque oü la civilifation, les fciences & la philofophie porteront les hommes a la pratique réelle de la vertu, ils nous convient de voir avec indulgence dans les autres , les erreurs dont nous n'avons pas encore été capables de nous corriger. Si les peuples éclairés de 1'Europe, jouiffant d'une foule d'avantages inconnus dans des régions moins favorifées, ont fait jusqu'ici des progrès fi lents vers Ia perfettion morale, doi« vent-ils attendre cette perfection des nations in« cultes du midi ? Cet efpoir ferait la critique ia plus fanglante de leur hiftoire. §• 17. Auecdotes de Lee - Boo , fecond fils cu'a Pelew ils en avaient beaucoup & ne favalent pas en faire ufage; ajoutant que lor,qu'il ferait ^ retour il parlerait au roi & lui dirait d'emPloyer des hommes a faire des berceaux comme il en avait vu. Telles étaient les lueurs d'un efpritqui fentait ft propre obfcurité, & qui s'empreiTait de faifir chaque rayon de lumiêre qui pouvait 1'intfruire & Ie perfeétionner. Avant queMMerfe quittat Sainte - Héléne, Je Lascells arriva, ce qui procura a Lee-Boo' une entrevue avec fon ami M. Sharp; f ayant apercu de fa fenêtre, il courut avec Ie'plus grand empreffement Ie prendre par la main ; heureux, après une fi longue féparation, de le revoir, & lui témoignant avec vivacité la reconnaiflance qu'il avait confervée de fes attentions. Lorsqu'on arriva prés de la Manche , Ie nombre des vaiffeaux qu'il obfervait dans di-  C 3" ) verfes dire&ions augmentant de plus en plus* il fut obligé d'abaHdonner fon journal; mais il était encore très-curieux de favoir de quel cóté ils faifaient voile. En débarquanc a Porti» mouth la grandeur des vailfeaux de guerre qui étaient alors dans le port, la variété des maifons & les remparts attirérent de nouveau fattention de Lee * Boo \ il parailfait teliement abforbé dans le filence & féconnement qu'il n'avait Ie tems de faire aucune quefiion. L'Officier du Morfe chargé des dépêches partant immédiatement pour Londres, le Capitaine Wilson impatient de revoir fa famiile 1'y accompagna, lailfant fon jeune voyageur aux foins de fon frère qu'il pria de 1'amener dans un carolfe qui devait partir le foir. Anffitot que Lee - Boo arriva dans cette capitale il fut conduit dans la maifon du Capitaine a Rotherhithe» oü il fe félicita de retrouver fon père adoptif & d'être introduit dans fa familie. Quoiqu'une partie de fon voyage fe fut faite pendant la nuit, néanmoins au ^ever du jour fes yeux eürent de quoi s'occup'er de tous có« tés; & Iorsqu'il arriva a fa déftmation il n'eüt O 5  C 322 ) rien de plus prefle* que de dire tout ce qu'fl avait obfervé en filence. II décrivit toutes les circonfiances de fon voyage; raconta qu'il avait été mis dans une petite maifon qui s'enfuyait avec des chevaux; & que, tandis qu'il allait d'un cóté, les champs allaient de fautre, cha. que chofe, d'aprés la vitefle du voyage, lui paraiiTant étre en mouvement. A 1'heure du repos M. Wjlson lui montra fa chambre a coucher oü il appercut pour la première fois un lit a quatre colonnes: il ne pouvait concevoir ce que fignifiait ce lit. II fauta defTiis & enfuite a bas, mania & tira ies rideaux, entra dans Ie lit & en fortit une feconde fois pour admirer fa forme extérieure. A la tin ayant été infiruit de fon ufage & de fa commodité, il s'y coucha pour dormir, difaut quil y avait en Angleterre une maifon pour chaque chofe. Une femaine aprés fon arrivée il fut invité chez M R. Rashleigh , a un diné 0C1 Ie Capitaine Wilson & fon jeune voyageur étaient attendus. Lee-Boo ne favait alors que trés-peu d'anglais; cependant, motié par des snots, motié par des gefles, il fe fit entendre  c y palTablement, & parut comprendre la plüsgratf* de partie de ce qu'on lui difait, a 1'aide du Capitaine a qu'il demandait 1'explication de ce qu'il ne concevait pas clairernent. 11 était vêtu a 1'anglaife, excepté qu'il portait fes cheveux a la mode de fon pays. II parailïait agé de dix-neuf a vingt ans, avait une taille moyenne, & un air de fenfibilité & de bonne humeur fi prononcé qu'il prévenait tout de fuite en fa faveur. Cet air était animé par des yeux; fi vifs & fi intelligen3, qu'on pouvait dire qu'ils exprimaient fes penfées & fes conceptions fans le fecours du langage. ,, Quoique les détails qu'on m'avait envoyés „ auparavant fur cet homme nouveau, dit M. „ Keate , m'eulfent donné une grande idéé de „ lui, cependant lorsque feus palfé quelque „ tems en fa compagnie, je fus parfaitemenc „ étonné de 1'aifance & de la gentillefle de fes „ manières: il était aimable & gai, & d'une „ politefle franche qui paraifiait être le réfuItaE „ d'une bonne éducation naturelle. Com- „ me je me trouvai par hazard a cóté de lui & „ table, je lui témoignai beaucoup d'atten- tion; il y parut très-fenfible. On fa^ „ fait plufieurs queftions au Capftaine WiLsofif O 6*  C 324) fur ce perfonnage & fur Ia contrée d'oü il „ famenait, qu'aucun Européen n'avait enco„ re vifitée. Le Capitaine entrait dans plu. „ fieurs détails qui intérelTaient beaucoup Ia „ compagnie: il parlait des combats dans les „ quels fes gens avaient fécouru Ie Roi de ï, Peteiv, & de la manière particuliére dont „ les naturels attachaient leurs cheveux iors„ qu'ils allaient a la guerre. Lee-Boo „ qui comprenait trés-bien ce que difait „ fon ami, détacha les fiens fans qu'on 1'en „ priat & les arrangea de la manière que le „ Capitaine venait de décrire. Je fatiguerais „ le le&eur fi je lui décrivais toutes les attitu„ des piquantes que prit ce jeune homme en „ peu d'heures; il fuffira de eüre qu'il' y avait „ dans fa conduite tant d'aifance & d'amabili„ té que, Iorsqu'il quitta la compagnie, il „ n'y eut perfonne qui ne fut charmé de 1'a„ voir vu. „ J'allai a Rotherhite quelques jours après, „ voir le Capitaine Wilson. Lee-Boo li„ fait a une fenêtre: U me reconnut fur le #, champ & courut avec emprelfement a Ia „ porte au-devant de moi, me regarda com#, me un ami & s'attacha a moi, paraiflant  (325) „ heureux toutes les fois que nous nous rea„ contrions. J'eus dans cette vifite une Ion. „ gue converfation avec lui, & nous fitnes eft„ forte de nous bien comprendre 1'un fautre. „ II paraiiTait enchanté de tout ce qui était au„ tour de lui & difait, Tout, beau pays, bel„ le rue , beau carosfe, &' maifon fur maifon „ jusquau ciel, mettant alternativeraent une „ main fur fautre, par oü je compris (leurs „ habitations n'étant toutes qu'au rez-dé„ chausfée), qu'il regardait alors chaque éta„ ge féparé de nos maifons, comme une raai„ fon diftin&e." II fut introduit chez plufieurs directeurs de la compagnie des Indes & chez diiférens amis du Capitaine. On lui fit voir auiTï la plupart des édifices publiés dans les diiFérens quartiers de la ville; mais fon conducteur eüt la prudence de ne le mener a aucun fpeclacle, ni au milieu d'aucune foule, de peur qu'il gagnat Ia petite-vérole; fe propofant de le faire inoculer dèsqu'il faurait aflez d'anglais pour qu'on put lui faire comprendre Ia nécefilté de cette opération; & jugeant avec raifon qu'en lui doanant une maladie auffi malfaifante & auffi O?  C 3*6 ) incommode, fans lui en avoir auparavant expliqué la nature, cela pourrait altérer Ia con. fiance illimitée que ce jeune homme avait en fon pe're adoptif. Quand il eut pris tin peu 1'habitude des mceurs du pays, on 1'envoya tous les jours a 1'academie de Rotherbithe, pour apprendre a lire & a écrire; ce qu'il fit avec beaucoup d'aflïduité. Toute fa conduite, pendant le tems de fécole, était fi engageante, qu'il s'attira non feulement 1'eftitne de fes maitres, mais 1'affeaion de fes jeunes camarades. Dans les heures de délafiement, Iorsqu'il retournait a Ia maifon du Capitaine, il amufait toute la famil. le par fa vivacité, Yacontant les particularités qu'il voyait parmi fes camarades, contre-faifant d'une facon plaifante leurs différentes manières, & difant quelque fois qu'a fon retour dans fon pays il deviendraït le maitre d'école de fes compatriotes, & qu'on le regarderait comme très-favant Iorsqu'il enfeignerait aJire aux grandes perfonnes. II n'appelait jamais M. Wilson que du nom de Capitaine-, mais il ne donnait a Madame Wilson pour la quelle il avait Ia plus tendre  C w ) affecuon d'aurre nom que celui de mère, re« gardant cette dénomination comme une marqué du plus grand refpect. On lui répétait fouvent qu'il pouvait dire Madame Wilson, & il repliquait toujours, Non, non ; mère, mère. Lorsque ie Capitaine Wilson dinait chez fes amis, il était ordinairement accompagné de Lee - Boo; & dans toutes ces occafions le jeune homme montrait autant d'aifance & de poMtelTe que s'il eut été habitué toute fa vie & ce que nous appelons la bonne compagnie; il favait fe conformer fur le champ a tout ce qu'il voyait des ufages du pays, & ii me confirma, dit M. Keate, dans 1'opinion que j'ai toujours eue, que les bonnes manières naturelles font ïe réfultat naturel d'un bon fens naturel. Quelque part qu'il fut rien n'échapait a fes obfervations; touimenté du défir ardent s'inftfuire & demandant fans-celfe par quels moyens les etTets qu'il remarquait étaient produits, il ne recevait jamais qu'avec reconnailfance les explications qui lui étaient données. 11 était un jour dans une compagnie oü une jeune dame fe mit au clave. cin pour voir comment il ferait affecté de Ja mufique; il parut fort furpris de ce que cet  C 328 ) Inftrument rendait tant de fon. On 1'ouvric pour lui en faire voir 1'intérieur: il le parcourut avec grande attention, fuivant de 1'eeil le mouvement des fautereaux, & parailfant p'us occupé de deviner les moyens qui produifaient les fons que d'écouter la mufique. On le pria enfuite de chanter une chanfon de Pelew: il ne fe fit nullement preffer, & commenca auffi.tót qu'on lui en eüt fait la demande. Les fons de ce chant étaient fi rildes & fi discordans, fa poitrine femblait fi fatiguée, que toute fa contenance changea, & que toutes les óreilles en furent étrangement choquées. D'après cet échamillon du chant de Pelew, il n'efi pas étonnant qu'un chceur de pareils muficiens, comme on 1'a rap. porté, ait fait courir aux armes les anglais a Oroolong. Cependant au bout d'un certain tems il apprit deux ou trois chanfons anglaifes, dans les quelles fa voix paraiffait affez Jiarmonieufe. Le caratfère doux & compatiffant de LeeBoo faifait voir, dans différentes circonftances, qu'il avait apporté de fon pays natal cet efprit de philantropie que nous avons dit y régnerj mais il ne s'y livrait qu'ayec dis-  C 329 ) crétion & jugement. S'il voyait de jeunes mendians lui demander 1'aumone il leur répondait dans le peu d'anglais qu'il favait, que c'était une honte de mendier pendant qu'ils étaient en état de travailler; mais lorsqu'un Vieillard le foilicitait il n'y pouvait tenir, difant, Faut donner pauvre vieux homme. Vieux homme non capahle de travailler. Le Capitaine Wilson, d'après la confiance que le Roi lui avait témoignée, fe croyait avecraifon inviolablement obligé a protéger & fervir de tout fon pouvoir ce jeune homme; mais indépendamment de ce qu'il fentait devoir au noble caraclère d'A b b aThulle, Lee-Boo était fi aimable, fon coeur était fi reconnailfant, que non feulement le Capitaine mais chacun de fa familie le voyait avec les fentimens les plus vifs d'une alfeftion désintéreifée. M. Henri Wilson, le fils du Capitaine , était un jeune homme d'un trés-aimable cara&ère, & a-peu-prés du même age que Lee - Boo; après s'être attachés 1'un a fautre pendant leur féjour a la Chine & durant leur voyage, ils fe retrouvérent dans Ia maifon du père, tout difpofés & refler-  C SSo ) ter leur amit'é. Le jeune prince Ie regardafe comme un frère, & dans fes heures de loifir hors de Pacadéinie il était heureux de trouver en lui un compagnon pour faire la converfation, s'exercer au jet de lance, ou partager des jeux innocens. Boyam, le malais que Ie Roi avait envoyd a la fuite de fon fils, s'étant mal comporté, Lee-Boo pria le Capitaine de le renvoyer; & Tom-Rose, qui avait beaucoup appris de la langue de Pekw étant venu en Angleterre s'attacha au prince, ce qui leur convenait parfaïtetnent a tous deux. Le Capitaine Wji/on était devenu fujet a des maux de tête cruels qui le forcaient quelquefois de fe coucher fur fon lit; & dans ces occafions Ia fenfibilité de Lee-Boo était toujours allarmée. II s'introduifait doucement dans la chambre de fon protedeur & s'affeyait en filence auprès de lui , reflant ainfi fans remuer & regardant de tems en tems entre les rideaux, pour voir s'il dorraait ou était a fon aife. Toutes les anecdotes de cet intéreffant jeunehomme étant malheureufement renfermées dans  C 331 ) un court efpace de tems , ie n'en oublieral poinc une oü fon coeur fe montre tout entier. Le Capitaine Wilson ayant paffe toute la matinée a Londres, demanda après-diné a fon fils s'il avait fait une commifiion qu'il lui avait ordonnée avant de fortir. Les deux jeunes amis s'étant amufés a 1'exercice de la lance, la commifiion avait été totalement oubliée. Le Capitaine choqué de cette négligence, dit a fon fils qu'il était un parefieux: ce reproche ayant été fait avec un ton de vivacité que Lee - Beo prit pour un figne de colêre dans le père, il fe gliffa hors de la falie fans qu'on s'en appercut. La chofe fut bientót oubliée, on paria d'autres affaires, & dans 1'intervalle on s'appercut que Lee-I3oo était forti; Henri Wilson qui avait été envoyé pour le chercher le trouva dans une chambre voifine tout abbatu, & 1'engagea de revenir auprès de fa familie. Lee Boo prit alors la main de fon jeune ami, & entrant dans la falie alla droit a fon père dont il prit auffi la main qu'il joignit avec celle de fon fils, & les preflant toutes les deux, les arrofa de larmes qu'il lui fut impoffible de fetenir.  C 33* ) Le Capitaine Wilson & le jeune prince dinant avec M. Keate peu de tems après leur arrivée, celui, ci demandait quel effet produi*ait Ia peinture fur fon efprit. On f engagea a cette occafion de montrer un portrait en miniature, pour voir de quelle manière Lee-Boo en ferait affect. Lee-Boo fcifit le portrait, & jettant en même tems les yeux fur M. Keate il s'écria Miflre Keate, très-joli, très-bon\ ' Le Capitaine lui demandant alors s'ilcoraprenait ce que cela figniflait, il répliqua, LeeBoo entend bien. Ce Miflre Keate mort. Cet mtre Miflre Keate vivant. Un traité fur 1'uti. Iné & fintention de Ia peinture en portrait*, n'aurait pas mieux défini fart que cette petite fentence. Une Dame de Ia compagnie fe trouvait incommodée de la grande chaleur du jour; prés de s'évanouir elle fut obligée de qukter la falie : cet aimable jeune homme parut trés. inquiet de cet accident, & la voyant reparaitre au mo. ment du thé, fes queftions & f attention parti. culière qu'il eüt pour elle marquérent autant fa tendreffe que fon bon naturel. 11 aimait beaucoup a aller en voiture, paree  C 333 ) qu'il difait qu'en même temps qu'on allait a fes affaires, on était aflis & on converfait enfemble. II fe plaifait furtout a aller a l'églife, & quoiqu'il ne comprit rien au fervice divin, il en appercevait néanmoins 1'intention, & s'y conduifait toujours avèc une grande décence. M. Keate alla le voir le lendemain de la première afcenfion du ballon de Lunardi, croy ant le trouver dans le plus grand étonnement d'un fpeétacle qui avait excité parmi les habitans mêmes tant de curiofité; mais a fa grande furprife il ne parut pas en avoir éprouvé aucune. II dit, qu'il pen fait que c'était une véritable folie de voyager en Pair comme foifeau, tandis qu'un homme pouvait voyager beaucoup plus agréablement a cheval ou dans une voitu» re. II ne parailfait faire aucun cas ni de Ia difficulté ni des dangers de 1'entreprife, ou plutót il eft probable qu'il ne regardait un homme s'élevant dans les nues avec un ballon, que comme une circonftance ordinaire dans un pays qui lui préfentsit fans-ceffe tant d'objets de furprife & d'admiration. Toutes les fois qu'il avait occafion de voir des jardins il obfervait attentivement les plaa»  C 334 ) tes & les arbres fruitiers, faifant plufieurs queftions fur chacun & difant qu'en retournant a Pelew il emporterait des femences de ceux qui pourraient y croitre. II parlait fouvent des projets qu'il voulait faire adopter au Roi, & paraiflait ne confidérer la plupart des objets que par le bien qu'ils pouvaient procurer a fon pays. II avait déja fait les plus grands progrès dans la langue anglaife, & il fe perfedionnait fi rapidement dans fécriture qu'il aurait eü en peu de tems une trés-belle main, Iorsqu'il fut attaqué de cette maladie contre la quelle on avait pris tant de précautions. Le 16 Décembre il fe fentit tres-indispofé, & un jour ou deux après une éruption parut fur tout fon corps. Le Capitaine Wilson envoya avertir M. Keate de fa maladie, & craignant que ce ne fut la petite-vérole fe rendit lui méme chez le Do&eur Smyth pour Ie prier de venir s'en alfurer. „ Le Docleur Smyth , avec qui j'étais fort lié (c'eft M. Keate qui parle), me pria d'aller avec lui a Rotherhite. Lorsqu'il fortit de la chambre de Lee-Boo dans la quelle il ne vou-  ( 335 ) lat pas me permettre d'entrer, il dit a la familie de M. Wilson qu'il n'y avait aucun doute fur la nature de la maladie, & qu'il était fa« ché d'ajouter que les apparences s'annoncaient mal; mais qu'U_avait ordonné tout ce qu'il fallait pour le moment. Le Capitaine le pria de continuer fes vifites, & le Docteur 1'alfura qu'il fuivrait le malade tous les jours. Lorsque j'y allai le fecond jour, j'y trouvai M. Sharp, le chirurgien de VAntelope, qui, ayant appris la maladie de fon jeune ami, était venu aflifter le Capitaine Wjlson , & qui ne quitta point la maifon jusqu'a ce que le pauvre Lee-Boo eut cédé a fa deftinée. „ Le Capitaine n'ayant jamais eü la petite vérole, il lui fut défendu d'entrer dans la chambre de Lee-Boo qui, fa chant la caufe de cette défenfe, s'y foumit paifiblement; mais il ne celfait de demander des nouvelles de la fanté de M. Wilson , craignant qu'il n'attrapat fa maladie. Quoique le Capitaine, de fon có« f té , fe conformat égaiement aux priéres de fa familie en n'entrant point dans la chambre du malade, il ne s'abfenta pas néanmoins de la maifon, & M. Sharp eut foin de veiller atout \  C 336 ) ce qui concernair. le traitement. C'eft de ce dernier que j'ai recu les détails concernant cet infortuné jeune homme pendant fa maladie, qu'il fupporta avec le plus grand courage, ne refufont jamais de prendre ce qu'on lui offrait lorsqu'on lui difait que c'était par ordre du Doéteur Smyth , pour lequel il avait une grande déférence. „ Madame Wilson ayant été obligée de fe mettre au lit dans ce même temps pour unè in» dispofition qui lui était furvenue, Lee-Boo, qui apprit cette nouvelle, fe mit dans une grande impatience, difant: Q110U mère malade! Lee-Boo fe lever pour la voir; ce qu'il fit, & voulut aller a fon appartement pour voir comment elle fe trouvait. „ Le jeudi avant fa mort,fe promenant dans fa chambre il fe regarda dans un miroir, fon vifage étant alors très-enflé & défiguré. II fécoua le tête, Ia détourna, comme s'il eut été choqué de fa reffemblance, & dit a M. Sharp que fon père mais tous les talens que P 4  C 344- ) fon bon efprit lui aurait fait envifager comme les plus utiles pour fes cornpatriotes. Mais comment y aurait-il retourné? cet événement ne dépeudait pas de lui. Étranger nu, plein de confiance, il s'était abandonné fans réferve a d'autres étrangers; il s'était éloig. né des armes qui faifaient fa füreté auprès de fon père, fans crainte & fans aucune üipulation. La veille du jour oü VOroolong mit a la voile, le roi demanda au Capitaine Wilsojn dans combien de tems le vaiifeau pourrait être de retour a Pelew. 11 lui répondit que ce ne ferait probablement que dans trente mois, & peutêtre même dans trente -fix., Abba- Thullè tira de fa corbeille un morceau de linge, y fit trente noeuds a un petit intervalle; enfuite il laifla un long efpace, ajouta fix noeuds, & le ferra. Le tems de fi marche lente, mais certaine, étant arrivé au terme, le leéteur peut fe figurer ici le père de ce jeune homme, occupé du cher objet de fon fouvenir, dénouant avec un vif plaifir les premiers ügnes de chaque pério-  C 345 ) de qui s'acbève. A mefure qu'il avance a 1'autre bout de fon linge, on voit fans - doute fa joie redoubler; mais approcbant du trentième noeud , il accufe pour ainfi dire l'aftre de la nuit de pafler fi lentement. Lorsqu'on fe le repréfente arrivé au dernier noeud, il parait avoir le coeur embrafé de famour paternel, mais cependant agité de quelques inquiêiudes. Malgré cela il nourrit encore quelque efpoir. On fefimagine, marchantavec inquiétude fur les cótes de fon ile, ordonnant fouvent a fon peuple de monter fur la pointe des rochers, fixer au loin f horifon qui termine 1'océan, confidérer fi cette extrêmité circulaire ne ferait pas beureufement interrompuepar un vaiifeau qui arriverair fur fes bords. Enfin on fe repréfentera Abba - Thulle , fa» tigué de fon attente même , puisqu'il s'efl; déja écoulé tant de mois depuis 1'époque qu'il défire. Mais en même tems on fe le rappellera armé d'un courage inébranlable, égal a toutes les épreuves de la vie. On ne verra pas en lui, comme en d'autres efprits moins roales, les paflions fe porter a une autre extrêmité, 1'efpérance devenrr défefpoir, 1'amiP 5  ( 346* ) tié fe changeren haine. Non, après leur avoir permis la première effervefcence de la nature, on les verra fe calmer peua-peu, & faire place au calme d'une entière réfignation. Si la fituation de ce bon Roi n'eft pas aufli tranquille, comme 1'efprit humain fouffre plus par 1'incertitude que par la connaiffance même d'un plus grand mal, mes leéleurs compatiront a la douleur d'un père qui ignore encore en ce moment que le fils qu'il attend depuis longtems ne reviendra plus. Tout homme qui avait fauvé la vie a un citoyen, obtenait dans 1'ancienne Rome la couronne civique; a compien plus forte raifon la Grande-Brétagne ne doit-elle pas une couronne, pour hommage de fa reconnaiiiance, a la ville de Pelew oü un fi grand nombre de fes enfants ont été fauvés de leur détreife, & oü la bienveillance & la protection d'abba-Thulle les ont non feuleinent garantis de leur pene totale, mais leur ont même procuré les moyens de jevenir en fanté dans le fein de leurs families & de leurs amis 1 F I U  ( 34? ) CATALOGUE de LIVRES, Qui fe trouvent en nomhre chez B. IVIL D & J. ALTHEER, a Utrecht. ■drgent de France. J\bregé de 1'Hifroire des Provinces Unies des Pays Bas 8. Urr. 1791. L. 3 - o - Almeria Belmore: a Novel in a feries of Letters writteiï by a Lady (E. O'Connor) 8vo ^Lond. 1791. 2 . 0 m L'Art de monter a Cheval oü Defcription du manege moderne dans fa perfeaion, expli- . qué par des Lecons necelfaires & reprefenté par des figures exacte», depuis l'asfiette de f Homme a Cheval jusqu'a Parret. Ac- • compagné auffi de divers Mords pour bien brider les Chevaux: écrit & defïïné par le Baron d'Eifenberg & Gravé par B. Picart, Nouv. Edition augmentée d'un Dictionaire des termes du manege moderne & de f Antimaquignonage pour eviter la furprife dans femplette des Chevaux, Amft. J757-1762. 3 parties avec 68 fig, folio Obl. 04 - o - « Le Di&ionnaire des Termes du manege aPart-, 3 - o L'Antimaquignonage avec 0 planches apart. 7 - o - Buys CE.) Di&ionnary of Terms of all Arts and Sciences Eng!. & Dutch Amft. 1769. 2 vol.gr 4to. I3 i \0 m Camper (P.) DifTertation Phyfique fur les dif- • ferences réelles, que prefentent les traits du Vifage chez les hommes de differents agesj fur le beau qui carafterife les ftatu^s amiques & les Pierres gravées fuivie de la pro-  C 348 ) pofition d'une Nouvelle Methode pour desfiner toutes fortes de tetes humaines avec la plus grande fureté. Publiée après le deces de PAuteur par fon fils A. G Camper traduite du Hollandois avec 10 Planches, desfinées par l'Auteur & gravées parR.Vinkeles, gr. 4. Utr. 1791. 10 - o - Camper (P.) Discours Prononcés en 1'Académie de Deflein d'Amfterdam, fur le moyen de Repréfenter d'une Manière füre les diverfes pasfions qui fe manifefient fur le vifage; fur 1'étonnante conformité qui exifte en« tre les quadrupèdes, les oifeaux, les poisfons & 1'homme; & enfin fur le beau phyfique: publiés par fon fils, traduits du Hollandois, avec 11 planches & Ie portrait de l'Auteur Utr. 1792. gr, 4to. 10 - o - Catechisme pour l'inftmction des Jeunes Gens avec fidée du veritable Chretien & celle de la Veritable Eglife par Jaques Saurin, Amft. 1778. 8vo. 2 - o - Caton ou Entretien fur la liberté & les vertus politiques , Utr. 1781. 12. 1 - 5 - Cbais (C ) Les livres Hiftoriques du Vieux Teftament avec un Commentaire Litteral, compofé de notes choifies & tiréès de di. vers Auteurs Anglois 14 parties 8 vol. avec cartes & figures gr. 410 Amir. 1770— 1790. 70 - o - —— Depuis torn. 4 ze part jusqu'au dernier fon peut avoir de parties feparé. Correspondance familiaire & amicale de Frederic II. avec Mr. Suhm. Utr. 1787. 2 vol. I2V0. 2 - o - Delices des Pays Bas, ou Defcription Geographique & Hittorique des XVII. Provin-  C 349 ) ces Belgiques des hommes Illuftres '7 vol. avec fig. 12. Brux. 1787. 20 - o - Diétionnaire nouveau, Francois Anglois & Anglais & Francois par Mr. Boyer, L. Cham» baud & J. B. Robijn et , Utr. 1785. 2 vol. gr. 4to. 24 - o - . Francais • Hollandois & Hollan- dois - Francois, contenant les fignifications & les differents ufages des Mots, les termes d'Arts, de Sciences, de Metiers & de Marine, par Winkelman, 8vo. trés grand for« mat, 2 vol. Utr. 1783. 16 - 15 - Neologique a fufage des beaux Efprits du fiecle avec 1'Eloge Hiftorique de Pantalon Phoebus, feptième Ediiion Corrigée & augmentée de plus de deux cent Articles, Amft. 1780. 8vo. 2 - 15 • • Portatif des Proverbes Francois, i2vo Utr. 1752. 2 - 18 « Discours fur 1'Hiftoire Univerfelle par }. B. BofTuet, 4 vol. 12v0 Amft. 1755. 12 - 10 - Eclairciffemens fur les Mceurs, par l'Auteur des Mceurs Amft. 1762. i2vo. 3 - o - Elemens de Geometrie, cont. les flx premiers Livres d'Euclide de Mr. le Prof. Koenig, augmentés de l'XI '& Xll livre par J. J.Blasfiere, Haye 1762. avec fig. gr. 410. 11 - o - XI & XII. livres feparés. 2 - 10 - gr. pap. 3 - 12 - Eugenie & fes eleves, ou Lettres & Dialogues a l'ufage dei Jeunes Perfonnes par Mad. de la Fite, Amft. 1787. 2 vol. 12. 2 - 10 • Febure (G..le) Memoires Cliniques fur les Maladies Venériennes,Utr. 1781.12. 2 - o - "T. Obfervations pratiques rares & cu- rieufes fur divers accideus Véaérieus pour  C 350 ) fervir de fbppl. au Memoire Ciimque, Utr. 1783 gr. Ï2VO. 3-i5 - Fiore (la) des Infeétophiles précédée d'un Discours fur i'utilité des infeétes & de Te mde de 1'infeétologie par Jaques Brez, gr 8vo. Üir. 1791. 4 - o Geilere (C F) Lecons de Morale trad. par Mad. de la Fite 2 Edition orné du portrait de 1'auteur gr 8vo 2 vol. 6* • © vie & lettres, trad. par Mad. de la Fite, 1775- 3 vol. gr. 8vo. 7 - o Guerre eivile de Gerieve, ou les amours de Robert Covelle Poemè" Heroique par Mr. de Voltaire , avec des notes inffruétives , 17Ó8. avec VI. Planches en Taille douce i2ino. 1 - 10 Grammaire raifonnêe Hollandoife a l'ufage des Étrangers , par Zeydelaar, Utr. 17J1 gr. 8vo. 3 . 5 . Hennert Differtations Phyfiques & Mathematiques, Utr. 1778 gr. 8vo avec fig. 3 - 10 Hiftoiie de ia Fondation des Colonies des anciennes Republiqües,Utr. 1778 gr.8vo 2 - 10 - „ de Milf. Weft, Rott. 1777 2 vol. 8vo. . 3 - - : «. de 1'Empire de Ruffie fous Pierre le Grand par Mr. de Voltaire, Amft. 170*4. tom. 2 gr. 8vo. 3 - - : Livre (le) a la Mode, ou Ie Phüofophe reveur parle Chev. des Elfarts, Amft. 1770, 8vo. I - 10 - Mscbeth. Tragédie en cinq Acles & en vers parG. IeFebure,Utr. 1783. gr.avo. 1 - 10Magazin de Fables Franc. & Holl. avec 95. figures 2 vol. 8 Utr. 1765. 4 - o - Manière (nouvelle) de Jouer aux échécs felon  C 35* ) ■ U methode de Pbiüppe Stamma, Natif d*Alep. Uit. 1777 12. 2 - o - Meraoirs of the Life and' Gallant Exploits of the Old Higlander Sefjant ÖotfalJ Macleod. who is pow in the 103 Year of hls age, 3 Edinm Svo Lond 1791. 1 . 4 - Memoires Httl Pol. & üecon fur les revoluti. ons Aogïoifes dans f Indoftan, par Palleböt de SaL:c Lübin, Miijiiftre de S. M. T. C.a la Cour des Marates pendant ies années 1776 — 1780. Utr.'1784. gr. 8vo. 2 - 10 - Memoires pour fervir a fHiftoire d'un genre de Polypes d'eau douce en forme deCornes j P'^ A. Tr. mbiey, Lei Je 1744, avec Fig. & Vignettes par Mr. Lyonet, & v. d. Schley , gr, 4to. 9 - o . Morale (!a) de fAdolefcence par Mr. DesEÜarts; Utr. 1783 gr. 8vb. 1 - 16 . Necker de l\AdrainiOration des Finances de laFrance, 3 vol gr. Syo Lyon. 1784 11 - o - Nurna Pompilius Second Roi de Rome par ' Mr. Florian, 2 vol. il. Utr. 1786 2 • 10 - Oeuvres diverss (Maximes Phüófoph & Mo. raSes, dans le gour des Reflexions de Mare Antonin, Eloquence du Beau Sexe, fArt de bien mouiir &«.) de Joncourt, 2 vol. Haye 1764 12 vo I - 10 - Oeuvres de Frederic 11. Roi de Pruffe, publiées du vivant de l'Auteur. fuivant la Copie imprimée a Berlia. Amft. & Utr. 179! 4o voi. gr. 12V0 avec XIII planches pour les" Inftruaions Miiitaires du feu Roi a fes Ge« neraux, u . o o Obfervaiions fur le Commerce de la Mer Nore, & des pays qui la bordent, auxquel, A" on a Joint deux Memoires fur le Comra  C 352 ) de Smyrne]& de flfle de Candie, Amft. 1787. 8vo. 3 - o - Penfées Morales, Philofoph. & Litteraires de , Seneque le Philofophe. Utr. 1780 2 vol. « 8vo' 6 - o - Perfeftion (la) du Chretien par Lucas 1740. 2 vol. gr. 8vo. 2 - 15 - Peftel ( F. G.) Fondemens de Jurisprudence Naturelle Utr. 1775. gr. 8vo. 2 - 15 - Polyxene Tragédie en V aéles, & en Verspar C. Le Febure, Utr. 1785 gr. 8vo. 1 • 8 - Pfeaumes de David, le prem. verfetMufique, i2mo. Amft. 1735. gros caradere. 2 - o - Quatre Vues fur le Mail a Utrecht, 1 le Mail par devant. 2 le bout du Mail, 3 le Mail fur Ia Maifon de Belle Vue, 4 du Giibrug fur Ia Porte au Dames Blanches, graves par J. le Veau & A. J. Duretenfemble 12 - o - Quatre Differtations fur la Tneorie des Cometes, compofées par Mefl'. Ie Marquis de Condorcet, Tempelhof & Hennert, pour le prix de 1778, publiées avec la permifllon de f Academie des Sciences de Berlin, Utr. 1780 4 to fig. 7 - 15 - Robbertfon (W.) an Hiftorical Difquifition concerning the Knowledge which the Ancients had of India; and the progrefs of trade with that country prior to the Difcovery of the Paifage to it by the Cape of Good hope, with an Appendix, containing Obfer- vations on the Civil Policy the Laws and Judicial Proceedings the Arts the Sciences and Religions Inftituti- ons of the Indians 12 vo. Utr. 1792. with two maps. 5 - xo •  ERRATA. Nous ne grolfirons point cet errata de légéresfautes d'impreflïon que le leéteur peut aiféraent corriger lui-même.* voici celles qui altèrent le fens dil discours. Pag. 115. lig. 7, d'embas. h une dlfiance , lifés «J une certaine diflance» 174 — 8, d'embas 3 175 a & 14. m -~ 3 & 10*. i NB. Les anglais n'ont pu découvrif les raifons dö cette expédition contre Pelelew, dont Ie frère d'Abba - Thulle était Roi; on n'a pas même des cottjeéiures pour y fuppléer .• mais le cara «Stère refpectable de ce Prince nous perfuadera aifémeflt que C« n'était pas fans des motifs trés ■ juftes & trés - puif. frats qu'il ft portalt a cette dure extrêmité.