■PA3GLIS. E N MINIATUREN D'après les dejfins D'UN NOUVEL ARGUS, A AMSTERDAM, j"i,r " •1 iv< tt-*- m iiiiC M. D. C C LXKXIV.   PARIS E N MINIATÜiE. Jlinfin le voila dans un fimple croquis ce théatre de tant d evénemens s ce Keu vifité par tant de Souverains, le pays natal de tant d'hommes célèbres; & cette immenfe^ Capitale dont les habitans forment un monde, dont les fauxfcourgs font des cités, cette Ville que fes modes, fes moeurs, fes écrits rajeüniffent continuellement, & rendent la bouflble de 1'univers, devient un point fous mon pinceau. A 2  ( 4 ) Entreprife digne d'un fiecle co mme le notre! oü 1'on n'aime que des efquiffes, oü 1'on ne veut que des brochures éphémères, oü le meiileur Hvre n'a point de cours s'il n'eft joiiment intitulé! Loin de nous ces générations refro. gnées qui ne lifoient point, ou quine parcouroient que des in-folio, qui donnoient quittance d'un elprit léger en faveur d'une lourde raifon; Paris en miniature leur eüt paru le comble de la folie. Mais fi le frontifpice de nos palais femblent avoir été brode par des marchandes de modes, tant la fculpture en efl fine & délicate , pourquoi celui d\in livre ne pourroit-il afficher la genrilleffe? En fait d'élégance, on peut aujourd'hui tóut ofer. Me dira-t-on que le tableau de Paris en huit volumes doit.lufEre a Ta-  ( 5 ) visité des curieus. Eh! combien n*y en a-t-iï pas qui tombent en fyncope a Ia vue d'un fimple 'm-$vo. I D'ailleurs ce petit ouvrage füt-il un hors - d ceuvre , il ne fera pas le feul dans Ia fociété; 1'on y fouffre tant d'êtres inutiles! Et puis tous les jours il nous faut du frivole & du neuf. La fuperbe galerie «fti'on nous prépare, & qui fera 1'adrmration de tous les étrangers * eh bien! je ne ferois pas furpris qu'on lui préfératun cabinetincombuftible dans Fifle des Cygnes, un globe aëroftatique lancé dans les airs, un chateau de fucre dans ïa rue des Lombards. On ne parle plus «!e la majefté du Louvre, paree qu'il éronne, & qu'on ne veut plus que des gentilleffes. Si quelque controleur de plume s'avïfoit dë me critiquér avec humeur , Je lui dirois tout modeftement : Eh! A 3  (O de grace, Monfieur, ne/ vous faches pat,, pourquoi faire éc'ater votre colere contre une feuille que le vent emporteï Demain el1e n'exiftera plus; d'ailleurs on a bien décrié le Pcëme des Jardins. Rien de plus .fabuleux que 1'origine de Paris; on ne fait même d'oü lui vient fon nom. La feine qui Tarrofe, ne devint oblique & tortueufe qu'api èv 1'avoir traverfée. Dis-moi qui tu fréqüentes, ripofteroit un critique, je te dirai qui tu eft. $a pcfirion eft aqréable, malgré les carrières qui la rendent douteufe dans certains endroits ; l'art y répare la nature du fol, &. chacun le trouve aufli fertile que délicieux. On reproche a Paris l'inconftance du climat comme la première caufe de la légéreté des Parifiens. Eh! tant mieux, ils en font mille fois plus aimables; la nature elle-même tantót rembrunie, tantót enluminée» ne wrie-t-elle pas felon les faifons^  (7) BYitleurs fi le printems fe cache fou£ & qui fe replonge dans foix rnarais» La monotonie détruit i'amour ; & cette Lucile ,. qu'un grand Seigneur  ( i3 ) adoroit comme fa pagode , eft totale» ment délaiiïée; mais elle paffe aux Abbés. Tl pleut de toutes parts de ces ëtrefc amphibies , qui n'étant ni Prêtres ni Laks , connoiffent tout s excepté ï'étude & ia Religion. Les uns, comme un vent coulis, fe gliffent par un efcaiïer dérobé\cheat quelque femme de réforme , & cela fait des complaifans; les autres fe donnent en fpe&acle par leur maniere d'exifter, & cela forme un fond de comédies. Violet, rouge, cramoifi, même le fin galon d'or , tout, excepté lenoir, leur eft bon pour fe rendre ridicules. Ceft une mafcarade qui dure toute Fannée. , Plus on les fiffle, plus ils fe pavanent : s'ils fe trouvent dans cette brochure , c'eft qu'oa les rencontre par* tout.  ( i4 > Mais voila quelqu'un qui me frappe lur 1'épaule , & qui m'appelle fon ami. Bon, il eft déja loin de moi; le plaifant original! il ne m'a parlé qu'une fois , & rien de plus affeclueux que fon gefte & fon ton. C'eft la mode de Paris. On fe familiarife dès la feconde entrevue. Ma foi , cela, vaut encore mieux que Londres, ou 1'on meurt fans ofer donner le nom d'ami. Oh! les jölies maifons de verrel Je ne vois que luftres &. glacés d« toutes parts.; & ce font des cafés. X/on en compte neuf cents dans Paris fur lefquels vingt s'enrichiiïent, cinquante fe foutiennent 5 le furplus s'abime ou languit. II y en a qui prennent le ton. des Tribunaux; ék Ton y prononce en dernier reflbrt fur les ouvrages & fur, les Auteurs »*. 4'autres fe donnent les airs des cabi~-  ( i5 ) nets politiques ; & c*eft la que des perfonnages étudient les Gazettes comme un livre d'algebre , ou ne les parcourent que pour bavarder. Pau™ vres patiens! vous qui les écoutez. Au refte point de Ville dans Funivers qui fourniffe plus que Paris Foccanon de babiller. Auffi n'y manque - t - on ni de grand'doques , ni de raconteurs. Les événemens s'y fuccedent comme les ombres de la lanterne magique. Nouveautés d'hier *. aujourd'hui décrépites ; paflage de la douleur a Palégreffe, affaire d'un moment; Auteur'qu'on préconife, enthouiiafrne éphémere; ouvrage qu'on s'arrache, feu follet : mais qu'importe a Merjenne qu'on le blame ou qu'on le loue , fi cela ne doit durer que quelques minutes > fi la critique s'exerce u Falternative fur tous les citoyens , a moins qu'ils ne foient obfeurs ; s'if  ( 16 ) eft d'ufage que tout homme en place, & que tout homme qui écrit fera déchiré ? L'avidité du nouveau recoit le menfonge comme la vérité. Satyre, éloge, tout en eft bon , pourvu que cela ferve a 1'amufement. Point de réflexion, point d'examen. Lmvraifemblance même trouve des foules de crédules ; & cela fait merveille pour Poifiveté. Les promenades publiques font dans Paris le plus grand paffe tems. Toujpurs du monde , en dépit de la brume & du foleil. Les femmes de qualité viennent y chercher des hommages; les coquettes y mendier des regards ; les filles y quêter des amours. Les fentimens s'y trafiquent comme des billets de banque ; & Fatime fe préfente avec effronterie, sure , dit - elle , d'aimer celui qui. paiera ie plus.  (i7). L'amour fut autrefois 1'enfant du coeur ; il n'eft plus que celui de 1'efprit. Tout en faufles promefles , en futiles complimens, il s'évapore dans tin vaudeville , ou dans un madrigal. On le fait trop joliment ramager , pour que ce foit lui qui parle. L'amante & Pamant fe trompent avec la même fineiTe ; & je ne voudrois pas jurer qu'il n* eüt de la convention. Oh ! nos bons ayeux ! Tauriez-vous imaginé ? Le Palais Royal, depuis qu*on le rebatit, met tous les promeneurs en défarroi. Les filles n'y trouvent plus cette pluie d'or qui payoit dans 1'obfcurité des charmes imaginaires ; les aigrerins n'y rencontrent plus ces complaifans qui les menoient diner ; & ce monde-la n'y paroit maintenant que pour dire avec amertume : Si ces pierres pouvoient fe changer en pain i  (.8) Auflï plufieurs ont - ils gagné la prövince, & Dorine ne rencontre-t-elle pks de Créfus qui la logent & Thabillent. Elle s'en venge ; elle fe fait dévote. II en eft enéore , malgré la dépravation ; & j'en connois une qui difoit 1'autre jour a la compagne de fes bonnes ceuvres ( car la dévotion. fimulée veut des próneurs & des témoins ) : Évitons la rencpntre de ces jolis damnés qui demeurent aux environs du Palais Royal, & qui d'uji clin - d'ceil renverferoient nos vertus. Les Tuileries , le plus noble des jardins 3 fur - tout depuis que la place &, la ftatue de Louis XV fervent & 1'embellir, redeviennent a la mode* On vient chaque jour leur faire amende honorable de les avoir fi long tems négligées; mais il y manque une colonade le long de la terrafle des Feuillans , qui5 omée des buftes de  ( i9 ) nosRois, ferviroit, pendant la pluie» de retraite aux prorneneurs. La belle décoration , que cette mul» titude d'individus bariolés qui entourent le grand baffin aux jours de fêtel Rien de plus agréable , rien de plus pompeux : beauté, coquetterie, fimplicité, élégance, fingularité, tout s'y raffemble pour former le tableau le plus mouvant & le plus varié. Vient - il a tomber une goutte d'eau ? la place fe vide fur - le - champ , & Ton fuiroit encore bien plus vite fï les afbres venoient a parler. . Pauvre arbufte , difois-je Pautre jour a un jeune marronier qu'on appercoit pres de la grande allee 3 que de chofes fe pafleront fous ton feuillage a mefure que tu prendras de 1'accroifTement & de la vigueur! Plus d'une fois tu verras a tes pieds le mérite indigent n'avoir pour toute  C 20 ) reffource que ton ombre a Pheure de diner ; tu verras des aventuriers littéraires, rimaillant en dépit des Muies , chercher fous ton pavillon Thémifliche de quelque mauvais vers ; tu verras des rendez-vous qu'on n'ofera te confier , que paree que tu feras néceflairement difcret. Quant a la promenade du Luxembourg , oü 1'on n'étudioit que de vieux fermons , on 1'on ne reffaffoit que d'antiques nouvelles , elle reffufcite depuis qu'un grand Prince y répand un efprit de vie. Mais toujours 1'on y commerce & 1'on y tricote avec la funplicité du bon vieux tems ; & la a comme ailleurs , pas une feule robe qu'on puiffe admirer. Les femmes ne fe parent plus qu'avec des chiffons; &la maitreffe, ainfi que la foubrette, n'a plus que des déshabiilés qui, toujours frais, deviennent extrêmement  (21) difpendieux. EtofTes de Lyon, rentree dans vos magafins , ou n'en fortez que pour 1'étranger. Tel eft 1'oracie que la mode a prononcé ; les ameufclemens même ne doivent plus être qu en papier. II eft jufte que les murs portent 1'empreinte de la légéreté. Rien de moins trompeur que le Francois. Par-tout il affiche fa jolie paffion pour le colifichets. Et ces hommes qui fe préfentent en bottes ie matin chez la femme du plus grand ton; & les élégans qui paroiffent en frac pour y diner. Oh ! nos Peres 1 Us en feroient morts de douleur. Paris n'a plus de diamans; a moins qu'ils ne foient au Mont - de - Piété. Les Grands même y font paffer leurs bijoux ; mais dans un incognito qui ne compromet point leur grandeur. Les femmes fe croient magnifiques en  ( 22 ) s'affublant d'un volume de cheveux qu'on achete a la livre, excepté celles qui fe coëffent en abbés, prenant jufqu'a leur chapeau pour fe rendre encore plus ridicules. D'après tant d'inventions bizarres, il ne nous manquoit que 1'anglomanie. Aufli eft-elle venue faifir nos agréables , qui maintenant, fans broderies, fans galons, en groffe canne , en groffe cravate , veulent abfolument paffer pour des bourgeois de Londres. On a vu jufqu'a des Seigneurs prendre je coftume même des Jockeis, fe voüter ridiculement fur un cheval, pour mieux finger un lugubre Milord. Les jardins a 1'angloife; combien. n'ont-ils pas tourné la tête a nos chers Parifiens ! Eh 1 que n'entourentils de murs un mauvais village ou il y a des décombres , des ponts délahrès, des rocailles, des ruiffeaux, c'eft  C 23 ) ie même coup - d'ceil; mais on aime des ruines faftices, des antiquités du matin; & cela s'appelle la belle nature. J'en excepté cependant Bagatelle, oü 1'on a moins englomanifé. Le Chateau de Verfailles n'a point fuiyi cette méthode, n'étant pas fait pourimiter. II continue de nous préfenter la forme d'un jardin francois , trop fimple ala jenté, au point que les ftatues, cidevant environnés des plus charmans tofquets, ont 1'air de s'en attrifter. J'appercois les Grands ; c'eft ici leur place. Jufte Ciel! comme ils font petits : mais laiffez-les faire. Rien ne " fe perd moins que 1'orgueil; il faUra •feredreffer. Je les entends qui parient fans nerfdire, a moins qu'ils ne careffent myftérieufement un chien , tout exprès pour faire effuyer des heures d'anti-chambre. Paroiftent-ils? leurs politeffes font  impérieufes , leurs promeffes, des pau roles en Pair» II m'a dit un mot * dit avec tranfport un malheureux fuppliant ; il m'a regardé. Beau dédommagement pour toutes les peines qu'on prend de leur faire la cour i Falloit* il donc qu'ils tuaflent d'un coup-d'ceil, 1'infortuné qui réclame leur protection ? Le fauxbourg Saint-Germain eft leur réfidence. lis font aui'ti moraes que leurs hótels. Un profond file;, je tient a leur étiquette. Un Valet-de-Cuambre, moitié jifant, moitié baillant, fe levant avec peine, annonce comme par grace 1'hom* me fans fortune. Enfin on le recoit; enfin on lui dit: Jepenfe a vous je parle- rai... Mais quand ... ? Ce moment ne viendra jamais; & le recommandé qu£ cherche des places, ne trouvera, comme difoit un plaifant, que celle de Van"0 döme ou de la Place Royale. Les grands, malgré leur grandeur „ donnent  ( a5 ) donnent rarement a manger. S'ils for. tent le matin, c'eft pour courir la ville , fouvent mis comme leurs Valets. Ils ne rentreht que pour fe préparer a paffer chez le financier. U, des tables fomp" tueufement couvertes , mettent prefqu'au niveau le Duc & le MaltètierGe n'eft qu'en retournant chez foi qu'il parle de fon hóte comme d'un bon cuifinier. Cependant la finance eft la mine qui enrichit les Grands. Elle leu* fournit des temmes qui leur donnent de 1'or. On laiffe la noblefle allemande citer les quartiers, & 1'on penfe qu'un tabouret k la Cour, vaut bien une ftalle a Maubeuge. Mais prenons la loupe, & nous dé. couvrirons des Grands qui méritent de l'être. J'en connois de bienfaifans, d'inftruits, dont la gloire eft dans les actions, & qui n'en parient jamais J'aime d'ailleurs a me perfuader que fi la va- B  () suté y eft pour quelque chbfe, on trouve au moins dans ieur cceur un petit coirt pour la vertu. Les femmes de qualité fe préfentent ici s plus piquées par hatiteur que par amour, de /voir leurs maris efclaves dequelqué fi!le arKchée. Mais qu'y faire? C eft le torrent, & Ton ne peut 1'arrêter qu'en prénant un époux décrepit. Encore encore. L'une, en conféquence, fe tourmente a force de dévotion, tourmentant encore plus ceux qui 1'approchent; 1'autre ripofte par un amant qu'elle promene k la barbe des Athéniens, fans craindre le qu'en dira-t-on.... Mais la voila qui paffe plus fiere de fes amours que d'une bonne réputation. Quel eft eet Abbé poupin que j'en* trevois avec une brochure fous le bras» eet angola qu'une F -mme-de-Chambre apporte avec gravité; ce graad laquais  C 27 ) qui prérente un bouquet cTun air familier ? C'eft le petit jour qui commence chez la Marquife de***; & c'eft pour prouver qu'elle a befoin d'une heure de repos, quand elle en a dormi dix, qu'elle baiile & qu'elle n'ouvre les yeux qu'& demi. Bientöt des fards, des eftinces» des nuages de poudre répareront les incivilités du tems , & le feront repen., tir de fon indifcrétion. A Paris on ne yieillit point, les douairières, même feptuagénaires, ont des graces , & 1'on penfe avec fageffe que ft i'on eft aima" ble a vingt ans , on doit 1'êtie quatre fois davantage a quatre-vingt. Heureufe illufton qui conferve les- robes couleur de rofe aux femmes décapitest On lestrouve encore galantes; on les écoute encore avec le plus grand plaifir; mais depuis que le trop fémillant Marquis de l'Et..4 leur mangea des millions ck les perfiffia» B z  ( *8 ) leur écrin ne s ouvre plus, & leur bourfe eft hermétiquement fermée. Us ont paffe ces jours de fête, oü 1'on rouloit dans des voitures azurées» foutenues par les intrigues & par les amours; oü les jolis minois étoient des billets payables a vue. La coquetterie ne tient plus banque chez les Déeffes du tems. Qttelquet ferre-tête, voila maintenant tout Feffort de leur générofité. Encore ft des préteurs venoient au fecours de nos agréables; mais, hélas! on ne réuffit prefque plus auprès des Marchands; ils veulent des cautions > des hypotheques fur Paris; il faut les attaquer aufti long-tems que Gibraltar, avec le même fuccès; comme s'il ne leur étoit pas honorable de fe ruiner pour des gens de qualité; il n'y a qu'un Cordon qui puiffe encore les éblouir.  C 19 ) AuflileTemple, afyle des débiteurs, n'eut-il jamais plus de refugiés. On y paffe comme fi 1'on alloit au bal, en talons rouges, en frac du jour, en chapeau retapé; & quoique fans argent, fans crédit, on s'y foutient, on y donne des foupers , on y raffemble des phrynés. Précieufe induftrie; que de Chevaliers k la mode te doivent leur exiftence & leur , fierté! toujours occupés de mariages, toujours rempiis de projets, fls fe foutien. nent dans eet efpoir. Heureux s'ils trouvent quelque Tailleur bénévole; une élégante garde-robeleur redonne un nouvel être. Autrement on mue, 1'on décline, & töut jufqu'aux larges bóucles, s'engage ou fe vend; mais il y a des rofettes. La prohibition des jeux! quel funefte coup du' fort! que de jeunes geks aux abois! Le fleuve du Potofi rouloit dans chaque tripot, & Ceux qui favent Cl bien corriger Ja fortune y puifoient k B 3  ( 5°) longs traits ; & les roués s*y donnoïent par-ci, par-la des rendez-vous. Etres lans fouci, fe jouant de toutes les femmes en paroiflant les adorer y charmans dans un tête-a-tête, fémillans dans un repas, habiles a raconter 1'aventure de la veille, favans dans 1'art cle Kien placer le mot du jour, rimail» lant par fois; ils prennent toutes les nuances du caméléon; & les meilleures fociétés croiroient manq-uer au coftume de ne pas les recevoir. Au refte, quï n'y recoit-on pas ? C'eft bien pire que tout cela. Venez demain diner chez moi difoit a Néronde. une femme de qualité i c'eft le jour des coquins 3 & voua. vous amuferez. ïl faut dans Paris des perfonnes fur tous les tons; & tout y trouve 'fa place jufqu'aux empyriques % jufqu'.aux bateleurs y jufqu'aux chanfonniers, jufqu'aux üiies de moyenne vertu. Les unes m.  ( 3ï ) plein vent, les autres en efpaïier n'ont pour vivre que des racrocs. D'ailleurs* par quelle raifon Paris feroit-il plus privilégié que Punivers, oü malgré la fupréme fageffe qui le gouverne, il y a des grêles, des infeftes, des inondations; mais ee qui doit charmer Tétranger, c'eft dj voir un monde libre & tranquille fous la garde des Icix , fans autre rempart que des vitre?, fans autre efpiönnage qu'une exaóle vigilance; c'eft de le voir a minuit comme a midi, dan* les extrêmités , comme Ie centre , fe repofer fur 1'attention du fage Magiftrat qui veille, & marcher d'un'pas sur au milieu des ténebres; e'eft de voir enfin les Gardes-Francoifes ©bferver la plus ftrióte difcipline fous les ordres d'un Chef qui deyroit toujours vivre , & que fa magnanimité femble avoir chargé de faire les honneurs de la Capitale.  ( 3* ) Les paflïons ne débordent au milieu de Paris, que pour avoir des digues qui les arrêtent; 1'on n'y connoit ni les cabales, ni les émeutes. Londres devient dans un moment la proie des fa&ions ; & Paris n'ufe de fa liberté que pour chanter fon bonheur & fon Roi. De grands édifices y naiffent toutes les femaines > de petites roues tous les mois. On conftruit des batimens de maniere a pouvoir alligner leur durée; Les uns doivent fubfilter trente ans , les autres quinze ; quelquefois même au bout de quelques jours on voit tomber les plafonds ; mais qu'importe a ces peres de familie qui mettent leur bien a fond perdu, que leur maifon écroule après leur mort? Le nombre des batimens n'a point augmenté la population ; on veut maintenant des vaft.es galeries , de  C 33 ) grands efcaliers, des cabinets d'hiitoirg naturelle, des bibliotheques, des appartemens d'hiver & d'été, fur-tout des Boudoirs, d'autant plus que chez les fiches il n'y a plus de gaité. La gravité regne dans les repas comme dans les entretiens , excepté quelques charmans fbupers d'oü font fans doute exclus les nouvelliftes & les pédans; oü 1'on n'admet que des femmes fans minauderies, des hommes fans préten-. tions; ou 1'efprit nait du fujet, ne faifant d'explofion qua la maniere du, Champagne qui pétille de lui-même » & qui ranime la fociété. Je ne parle point ici des foirées qu'on paffe chez ces femmes qui, par habitude ou par intérêt, tiennent encore quelques brelans. Leurs foupers, en effigie, n'ont abfolument rien d'agréable. Les uns affis, les autres debout en fortent a la hate pour fe replacer auprès  ( K> cVtin perilteux tapis, jufqu'au moment Ou Ton vous prie de remener une Com~ fefTe équivoque qui vous d!t, t'autre jour, en parlant de cinquante ans. Je connois d'autres foupers encore plus faftidieux, ert ce qu'ils font folemnels. On n'y va-, que par invitation » & c'eft chez quelques douairières de qualité. Les nouvelles de la Cour s'y «lébitent a voix bafie & d'un air myftérieux. II s'y trouve toujours quelque volumineux Abbé, qui dans 1'efpoir cVêtre Prélat, prend a compte des ineligeftions. Quant aux foupers qui fe donnent a riftue des concerts, vous êtes perdu * fi vous n'êtes pas Muficien ; on ne fait que reflafler des morceaux qu'on vient ct'cxécuter: a Paris comme ailleurs, fi 1'on ne choifit fon monde, il y a de quoi périr. Les riches vous aiïbmmen* de leur orgueil, les fots de leur bruit *  ( 35 ) & je ne vois que les beaux-efprits en„ córe plus fatigans. Vivele franc iWien, lui qui fe dévoile fans contrafnte ck fans rufe! Ceux qui font entés ne fe reflentent que trop fouventde ce mélange; auffi quand le Roi dit, ma bonne Ville de Paris, \\ a principalement en vue ceux qui de pere en hls en font les citcyens, ceux dont les ancêtres admirerent Henri IV, ■ ^vccurent fous fes yeux. Le peuple' même qui depuis cette heureufe époque s*eft renouveüé plus d'unc fois , renferme des hommes vraiment recoramandables; ils ont une loyauté que rien ne corrompt & les poiffarde, meme 3 dont le Jangage révolte , k moins qu'on ne s'en amufe & qu'on n'en conrrfffe 1'énergie , font pleines de franchife & d'humanité ; leur fo, reur palTe comme une giboulée. U Halk eft k Ps/s qu'èlles habi-  V C 36 ) tent; c'eft le jardin le plus riche de la France ; la mine oü s'enrichiffent les Maitres-d'hótel. Chaque Province lui porte fes produótions. La confommation eft trop confidérable pour qu'elles foient a bas prix. Un louis dans Paris vaut a peine fix francs dès qu'il eft changé ; mais on y cache fon indigence plus que partout ailieurs, & 1'on oublie fon pays natal pour 1'habiter. Le prodige eft d'y voir des perfonnages qui n'ont rien, qui ne font rien , qui ne demandent rien , & qui vivent avec. une forte d'élégance ; * quelque intrigue fourde les foutient ; 1'habit le plus caduc trouve encore entre leurs mains le moyen de rajeunir, & tout jufqu'au moindre chiffon y prend un air coquet ; mais comme Bias, ils portent tout avec eux. L'on n'eft pas moins médifant a Paris que dans les autres contrces, & ce  C ff ) öè font lés gens les plus tarés qui dé« chirent impkoyablement le prochain. lis gagnent les autres de vitefte. On dok ce malheur a la circulation des iibelles , ainfi qua la bafte jaloufie qui fe plait a dénigrer les vertus comme les talens. II faut néanmoins convenir que les rapports s'abforbent dans l'immenfité des nouvelles ck des évenemens; il y a tant de faits qui fe fuccédent 3 qu'on n'a pas Ie loifir de s'appefantir fur un objet. Une caufe reniue toutes les têtes, met tout le monde en Pair , appelle 'toute la Viile au Palais ; demain , c'eft un fonge, Les premiers petits pois occupent plus le gros maltotier qui les convoite que toutes les plaidoieries. Qu'on m'achete, dit - il, le meilleur turbot, que le fort m'amene \\n quine pour ie joindre k mes ce#t C  ( 58 ) mille écus de rente, 'voila lïton univers mes Dieux. Il parloit encore lorfqu'une froüdroyante apoplexie 1'a rayé du nombre des vivans, Sc placé dans les affiches du jour ; c'eft la première fois qu'il fut imprimé; les cloches, pour annoncer fes obfeques } n'en feront pas moins dé fracas. On a la fureur des beaux enterremens; vanité d'autant plus inutile , que fouvent les Prêtres même , i^norent le nom de celui qu'ils vont inhumer. Heureux Edit qui fupprimera les Jurés - Crieurs , ces vampires de Tefpece humaine , qui ruinent les héritiers du bourgeois Sc de 1'artifan même, jaloux d'avoir des enterremens prefqu'aufTi faftueux que ceux des Grands! Quelle fingularité, difoit un Turc, voyant paffer un fuperbe convoi! des multitudes de flambeaux pour une perfonne qui n'y voit goutte j ie bruit  ( 39 ) de toutes les cloches pour un h'omme qui n'entend plus 1 Mais que d'eftampes qui fe préfentent a ma vue, & qui donnent un nouvel agrément aux boulevardscomme aax quais ! Si Ton y découvre des caricatures , 1'on y rencontre des chofes vraiment précieufes. Les grands éyénemens du fiecle , les grands hommes qui Tilluftrent, s'y montrent fous un burin vigoureux , tandis que les gentilleffes y font rendues avec une élégance exquife. C'eft un nouvel univers fur le papier. L'Art du Graveur fait ici les ' plus grands progrès ; c'eft un honneur de fe ruiner en eftampes. L'idée qu'on les criera dans un pompeux encan, repait 1'orgueil du riche qui les achete; il fe tranfporte après fa mort, s'imaginant qu'alors il lui reftera tout .au moins une oreille pour entendre faire , C 2  ( 40 ) 1'éloge de fes connoiflances & de fon goüt. Si 1'on pafte dans les atteliers dn Peintre & du Sculpteur peu s*ea faut qu'on ne croie Paris 1'émule de Rome ; fable, hiftoire, tout a pris une ame chez les Robert comme chex les Greuze , chez les Houdon comme chez les Ménageau ; que de tableaux qui vivent! que de ftatues qui parient 1 mais on les abandonne pour courir chez Curtius, & furtout pour aller voir le navire volant. A propos, depuis qu'on en parle» il a parcouru 1'univers, & il eft de retour. Tandis qu'on s'amufoit a di(cuter fur la poflibilité de 1'entreprife * ila profité dun trente-troifieme vent,, que perfonne ne connoit , (car les Marins n'en nomment que trente-deux) & par le moyen du fouffle le plus com-  ( 41 ) pfaifant, il s'eft élancé dans la région êthérée. Ceux qu'il tranfporta dinerent fur les fuperbes pyramides d'Egypte , ïbuperent fur Ia magnifique tour de Pékin ; des efprits aëriens les fervirent avec une lefteté dont rien n'approcfee. C'eft bien dommage qu'ils aienf froifte de trop pres une commete meuagante, ils auroient fait le voyage le plus merveilleux , & nous fcaurions des nouvelles des planetes. Ce fera pour la feconde fois , il prendra ft bien fes dimenfions , qu'il fe mettra au niveau des étoiles. Tel eft le merite de cette voiture» on part dans le plus grand incognito, & fon revient de même, fans compter Tavantage d'éviter les mauvais gites , de ne plus voir les ridicules du kems > de ne plus entendre les caquets c 3  C 42 ) <2'ici-bas, de ne plus craindre les voleurs, & fur-tout les créanciers. Non, il n'y a que Paris pour les inventions ; on attelera bientot des poiffons k la place des chevaux, & Pon ira fe promener dans un char trainé par des efturgeons. Tout eft poftible au Francois qiü veut * il eft trop aimable pour que les élémens lui réfiftent: le malheur d'Icare fut de navoir pas été Parifien. Les inventeurs des machines aëroftatiques auront penfé que leur befogne feroit a demi-faite, en s'effayant k Paris oü 1'on eft toujours en Pair , 011 1'on eft extrêmement léger , & cela ne fut pas mal vu; il ne s'agit que de tenter. Qui fit plus de prodiges que Jeannot, qu'on voit, qu'on verra comme un phénomene toujours rehahTant ; $1 ces enfans, prefqu'a la bavette,  C 43 > qui, chez Audinot, jouoient la comédie avec le plus grand fuccès ? S'ils croiffent, ce n'eft pas la faute de 1'inventeur; il n'en eft pas moins vrai qu'a. Paris on fait être bon arlequin a dix ans. Les falies de fpe&acle offrent la plus grande variété ; Pon y trouve du fublime , du pathétique ; en voulez-vous pour tous les ages, pour toutes les conditions ? Vous n'avez qu'a parler r on fait promener dans toutes les loges la joie & la douleur a volonté. Célife , laffe de plaifirs > & qui ne fait plus s'amufer qu'en pouffant des fanglots , demande un drame qui la fuffoque; & des Auteurs, la plume a la main , difent : nous voila. II manquoit des falies de fpeétacle dignes de la Capitale ; & d'un coup de baguette elles s'élevent ; font-elles bien faites ? mais il ne s'agiffoit que de les C 4  C 44 ) conftruire promotement. Des mïlHers de jeunes gens & de vieillards demeuïeroient abfolument muets , s'ils n'avoient pour entretien les Actrices & les pieces de théatre. La falie de la Comédie francoife n'eft pas moins in* grate pour la vue que pour la voix ; le frontifpice qui 1'annonce auroit befoin , pour la relever, d"une place qu'on ne fera pas : on facrifie tout dans Paris a la cherté du terrein: c'eft bien heureux, dit une petite maitrefle , en apprenant que les Anglois avoient pm Saint-Euftache , qu on n'ait pas mis notre Comédie dans ce quartier-la ; pourvu 4 toutefois, qu'ils ne viennent pas jufques dans le fauxhourg SaintGermain. Voila 1'efprit a la mode,, nulle connohTance, nulle inftru&ion. On répare le vice des théatres en donnant de nouvelles Tragédies plei«es d'exclamations, qui font le plus  c 45 > bel effet, a Paide de quelques hoquets & de quelques fanglots ; de charmantes Comédies oü 1'on trouve un hémiftïche , & quelquefois même un vers heureux. — Cependant , point d'humerrr: il y a de bonnes Pieces par-ci par-la. Plus de cabale depuis qu'on s'affied au parterre, on n'ofe crier dans lacrainte d'êtreremarqué. Eh! quel bonheur pour des A&eurs, dont les uns (excepté cinq a ftx ) fatigués par les ans, les autres , ennuyés de leur état, ne jouent plus que d'un air de prétention ; mais on les lahTe, & 1'on court chez Nicolet, ou bien aux Variétés amufantes , oü 1'on a donné plus d'une fois des Comédies qui n'étoient pas d'une médiocre valeur. De vingt fols qu'on payoit au parterre , a quarante-huit, quel faut, difoit 1'autre jour un Gafcon l il n'y put te* C 5  (46 ) nir; il partit fur-le-champ : avoit-iF tort? II arrivé parle Pont-Rouge , on le fait payer ; il va s'afféoir aux Tuileries , onle fait payer; il gagne 1'Eglife, fecroyant a 1'abri de tout impót, on le fait payer ; il vient en murmurant prendre un fiege au Palais Royal, on le fait payer; il veut fe repofer au Luxembourg, on le fait payer ; il fatisfaitun befoin, on le fait payer ; il n'dfoit plus ni s'afféoir, nife tenir debout, ni marcher, tant ces différentes conteftations 1'avoient effrayé ; lorfqu'il fuit le long des murs de 1'Arfenal, & il fallut encore payer. Sandis, crioit-il le long du chemih, ce pays n'eft pas fait pour des cadets; a peine des ainés peuvent-ils s'y montrer. L'Opéra tomboit fans le combat que fe livrerent les partifans de Gluck & de Piccini. L'un par fa bruyante , 1'au-  ( 47 ) tre par fa mélodieufe harmonie formerent deux fe&es fur-le-champ. II en faut toujours a Paris qui fe terminent en iftes. Janfeniftes , Moliniftes, Encyclopédiftes , Magnétiftës, Globntes, Economilïes. Plus Gluck étonna les oreilles, plus il fe ftt admirer. On traveftit Quinaut; on fe dégo0ta de Rameau, tant la mode a d'afcendant fur i'efprit francois. Elle le prend au collet, difoit Scarron , de maniere a ne pouvoir s'en défendre. Avec des voix qu'on tire de quelque garde-meuble; avec d'autres qui paffent de 1'ouie au fentiment, on foutien 1'orcheitre; & fi notre mufique n'étoit écrafée par YE muet qui fait fa honte & fon défefpoir 3 Paris auroit des Muficiens ; mais le Parifien n'aura jamais pour la mufique la même ardeur que 1'Italien ou 1'Allemand ; & tant mieux» La mufique rend lliomme G 6  ( 4« ) taciturne,.& devient la mine des coni. verfations. L'Opéra n'en fera pas moins recherché , comme ayanr des morceaiix de la plus heureofe exéeution. Quand a la Comédie Italienne, combien n Vt-elle pas acquis depuis qu'on s'eft avifé d'enter des gofiers H* liens fur des gofiers francois; & depuisqu'une brillante émulation 1'enrichit des plus charmantes produaions 1 On y fait fouvent contraiter le fentiment avec 1'efprit d'une maniere piqnante. Nicandre fe plaint, lui qui ne peut marcher, de ce que les Salles de fpectacles fe trouvent aux extrêmités. Mais oü pouvoit-on les placer? La Sainte - Chapelle, dont on ne parle plus depuis la mort de Boileau, occupe le centre, ainfi que le Palais \ eet antre de la chicane oü vont s engouftrer les cris du malheureux.plaideur.  ( 49 ) Oeft la qu'une antique & refpe&able Magiftrature, une main fur le glaive & 1'autre fur la loi, prononce irrévocablemént des arrêts de vie & de mort. Si les Avocats étoient moins fatyriques ck moins verbeux ; s'ils appuyoient moins fur des lieux communs , il y en a qu'on pourroit mettre en regard avec Démofthene ,* mais on déroule toute 1'hiftoire fcandaleufe des families , & 1'on remonte au déluge, pourdire qu'un ruifTeau fait dudégat dans le pré d'un voifm. L'expofition du fait, de la coutume , de la loi, voila ce qui devroit former la fubftance d'un plaidoyer , au lieu de ce pathos qui, donnant au menfonge même le ton de la vérité , favorife 1'ambiguité des Procureurs. Pour ceux-ci le public me les aban» donne; & quoique je fois éloigné de 1 les taxer tous d'improbité ? je fcais qu.'il  C 50 ) en ef! qui diftillent goutte a goutte Ie pauvre plaideur, bien plus habilement que ne feroit un Chymifte, & qui le réduifent au cnput mortuum. Ne pourroit-on pas , fans toujours les invecliver, les réfórmer, ouplutöt les refondre ? Si le mal eft fans remede; pleurez , Paris ; Provinces , tremblezrla grêle n'eft pas un plus terrible fiëau. Mais j'abandonne cette caufe U~ Ttrome Pointu. Cette Piece qu'on donne aux Variétés n'eft guere plus ingénieufe que les Battus patent Vamende, & que le Dindon roti; mais- on 1'aime. Je ne fais point ici d'épigramme , il faut pour le peuple des Pieces de théatre qui lui ref» femblent; & 1'homme le plus fublime tenant toujours a la terre , a fouvent befoin de la rafer pour ne pas donner dans le gigantefque. Bayle s'arrêtoit h voir les. Marionnettes , Malebranchz&s  c 51 > même On riroit davantage , & Vorst vaudroit mieux, ü 1'on prenoit de tems en tems quelque dofe de la groffe gaité. • S'il n'exiftoit dans Paris que la forte d'elprit que certaines perfonnes qui donnent le ton voudroient introduire, les trois quarts des citoyens fuffoqués de belles phrafes & de grands mots, lor tiroient pour refpirer , & je me ferois écrafer pour les fuivre. Afin de nous délaffer de 1'efprit a la mode, foyons bêtes aujourd'hui, difoit Fautre foir une Ducheffe pleine de raifon. La nature qu'on nous cornefans ceffe aux oreilles , n'a-t-elle pas au milieu du ramage des roffignols, le croaffement du corbeau, n'offre-t-elle pas fous le même point de vue la rofe & le chardon ? La plaifante chofe, fi nos beauxefprits faifoient un univers a leur gré ï  II y autoit furement plus de ridicule* qu'aux boulevards; & , pour tout mettre au mieux, rien n'y feroit bien. Moi, qui ne pórterai jamais depleureufes ni pour Cléopatre ni pour Pompée; moi, qui crois avoir aftez larmoyé, quandj'ai pleuré lesmortsdu jour , fans y joindre ceux de 1'antiquité; eh ! ne m'ótez pas la reffource de la foire: eh! laiftez-moi les petits fpectacles. Combien de gens pour qui la Comédie frangoife eft trop belle III feroit facheux qu'on ne put s'amufer quand on n'eft ni bel-efprit ni Seigneur. Paris n'avoit autrefois que des bateleurs & des treteaux , &., dit le peuple y ilfatloit bien durer. Mais voulez-vous, Meflïeurs les Acteurs de_ la Comédie francoife , rendre CQupable quiconque, ayant du goüt , ne fréquente pas vötre théatre ? Premiérement jouez bien; fecondement  ( 53 ) donnez-lui fouvent du Molière; quel- quefois du Renard ; fobrement du rarement du..... jamais du.,... par-la vous rappellerez les dcferteurs de la Comédie, & vous les guérirez. Bon , a ce mot de guérir , ne voilat-il pas des Doéteurs en fourrure qui fe préfèntent, comme fi cela les regardoit : un pere défolé courant chez un fameux Médecin , « pourqu'il vint 5» a la hat-e vifiter fa fllle, prife de la »» petite-vérole, ne trouva qu'un an» cien valet, qui tout en fe grattant » 1'oreille & branlant la tête, lui ré» pondit : je le dirai bien a M. le f> Doéteur, mais nous ne fommes pas » heureux en petite-vérole.n II eft étonnant combien il y a dans Paris de réputations ufurpées. Un grand proclame Orgon ; quelques femmes de la Cour le mettent en crédit* foit comme Littérateur9kfoit comme Médecin, &  C T4 ) fes connoiffances font certaines & fon efprit eft univerfel. II peut fe produire , & s'il trouve quelque contradi&ion, fa fuffifance fera le refte. Paffe en fait de Belles-Lettres, mais en fait d'Occulifte ou de Médecin, ma foi, la méprife coüte un peu cher. N'importe, plutot être occis par un Do&eur a la mode, que de le congédier; on a le plaifir de voir arriver la mort avec la nouvelle du jour, avec une flgure féduifante, avec des propos anodins. Les Ecoles de Médecine n'en font pas moins excellentes ; on y trouve de bons Profeffeurs & de bons Ecoliers , fur-tout depuis qu'on y procédé par la Chimie. Difons un mot de la Faculté, qui n'a pu voir fans peine iortirde fon proprefeinune rivale qu'on nomme Société. C'eft dommage que ces deux Corps, fans doute électriques 5 ne fe foient pas heurtés ; leur choc nous  C 55 ) eut au moins donné des étincelles, & leur jaloufie n'a produit que des invectives. Au refte, fans toutes ces bigarrures Paris deviendroit monotone , & je le vois comme le parterre le plus changeant. On y cueille le lilas & la rofe au milieu même des frimats. On diroit que le fol connoit le charme des femmes aimables qui le foulent fous leurs pas 3 & qu'il s'efforce de produire des fleurs dignes de leurs attraits; mais le tems n'eft plus oü les élégans devoient des fommes a leurs bouquetieres, Sc fe cachoient derrière un bouquet de jafmin & d'ceillet. -Maintenant ils négligent les dons de Flore pour courir après ceux d'Apollon ; cependant depuis la mort du grand Poëte & du fameux Philofophe qui ont emporté la maniere d'écrire en belle profe comme en rjeaux vers; que  C ff 2 de foibles Odes, que de froids difcours, que d'infipides Piecesde théatre! Si Pon s'abaiffe , on rampe; ft on s'éleve, oft fe perd. Paris eft un ParnafTe ou mille Auteurs, tant écrivailleurs qu'écrivains„ fabriquent continuellement des Poëmes, des Romans, des Tragédies; & peuu être n'y en a-t-il que quarante (car it n'eft pas permis d'en rien rabattre) dont lenom foit connudesNeuf-Sceurs; on dit néanmoins qu'elles defcendirent 1'autre foir dans Paris pour y faire uri fouper ; qu'il n y eut que trois de nos Poëtes qui mangerent avec elles; que* le refte fut a 1'office; la chofe eftpoffible. Mais ft 1'on n'en eft pas connu, on fe fait conno*tre par des querelles littéraires. Jamais elles né furenf plus fréquentes & plus dignes de mépris. Eft-il donc ft difficile d'être Ecrivairi  C %7 ) ïmpartial? & faudra-t-il, parce qu'on aura le vol de Paigle, ou parce qu'on croira Fa voir , outrager le roitelet? Les Auteurs fe muitipliant, fe font ayilis. Pas un feul quartier dans Paris oü Fon ne trouve quelque nouvel adepte efquiflant une Comédie, tricotant quelques phrafes, ravaudant quelques couplets; & cependant le métier ne rapporte rien, pas même de la fumée: n'importe. Soit que Fair de Paris éle&rife les efprits, foit qu'ily aitplus de reflburces, c'eft la Ville de Funivers oü Fon fait le mieux & le plus fouvent des Livres. Je parle ici de la méthode. On écarté avec foin la redondance des Italiens, la diffuüon des Allemands, & 1'on n'appuie que fur des chofes eflentielles. Les Auteurs ne Fignorent pas, & tous viennent dans le centre de la fcience & du go.ut. Ceux qui fcavent piaire, & fürement ïl en exifte , confultent les femmes , &  C 58 ) font bien. Le fexe recherché dans fa parure 1'eft rarement dans fes écrits. On cite fes lettres avec raifon comme les meilleurs tableaux de 1'efprit & du cceur. Un étranger cherchoit un jour fur la carte de Paris 1'hótel oü logeoient les beaux-efprits. Vous les connoiflezbien peu, dit un'plaifant qui vint apafter, fi vous les croyez capables de vivre entr'eux. D'ailleurs des génies font en Pair. Cependant le Louvre eft 1'hofpice ou les plus diftingués tiennent leurs féances. Un Seigneur Rulle fortant de Vêpres; & paffant a leur aftemblée 5 crut que c'étoit la continuité du même Office, lis récitent des Hymne* , dit-il, & je vols qu'ils s'encenjent tout comme a Magnificat. Mais ce qui 1'étonna davantage ; c'eft qu'on foit obhgé de folliciter pour être Académicien, furtout quand on lui dit que cela ne.  ( 59 ) rapportoit que de jetons. Pour moi, qui n'affiitai jamais a leurs féances , comme ayant peur des efprits; qui n'ofe entendre leurs difcours parce qu'un rien m'épouvante , je n'en puis dire »i bien ni mal. Les Prédicateurs maniérés leur efcamotent tant qu'ils peuvent leur ftyle & leurs phrafes. Notre Ficaire, difoit un Payfan madré, fait de Véloquence fouettêe comme je faifons de la crème , & il n'en refie que de la moujfe & du vent. Le merveilleux a gagné tous les hommes a talent. Les Organiftes mêmes s'entendent avec certams Orateurs pour caufer a 1'oreille d'agréables titillations; mais il n'appartient qua Balbatre^ ainfi qua Miroir, de faire dialoguer les fons 3 de les éloigaer & de les rapprocher a. leur gré; de contrefaire enfin lafoudre , de maniere qu on croit qu'elle tombe, que le (Tempte écroule , que le monde üniu  ( éo ) Les Marchandes de Modes ferment un autre genre de mufique pour les yeux, fi I on connok le clavecin des couleurs, imaginé par le Pere Caftel..* Leurs magafins font des optiques oü Pon voit toute la délicateffe des graces & toute la variété des nuances 5- iur~ tout la veille du nouvel an; les bou* tiques deviennent alors autant de foyers de lumiere, oü les plus belles dorures fe confondent avec les plus vives couleurs. Le Palais marchand brille dans toute fa fplendeur, ck le foleil paroit s'y lever en plein minuit. On vient N d'en faire un édifice digne de lajuftice qu'on y rend, quoiqu'il ne fok pas fans defaut. Les modes qui n'ont pour objet que des agrémens, prirent la plus grande faveur fous le magnifique regne de Louis XIV. Eh! combien la France n'y.  C ) n'y gagnat-t-elle pas, lorfque les étran* gers fingerent les r^arifiens! Quelle fécondité que celle qui produit ces modes fi coüteufes & ft variées ! Depuis la puce jufqu'a 1'élephant, tout eft a leur difcrétion. Corroies de Moines , couleurs de Religieufes, coëffures d'Abbés , ceintures de Lévites! il ne manque plus que des robes a fonnettes comme celles du Grand-Prêtre ; mais je doute que les femmes vouluftent en porter. Depuis longtems Pon projette des bourfes a cheveux de même couleur que les habits. Eh! pourquoi différer ? Rien de plus agréable en ce genre que de tout ofer. Un Peintre s'avifa de vouloir donner des tableaux de toutes les modes naiffantes, & chaque foir fa femme venoit lui dire , c'eft déja trop vieux , eface^. On voit actuellement des bas moitié noirs, moi- D  ( 62 ) tïé blancs, qui jouent les brodequins. On ne gagne a Paris que par 1'invention, mais il faut fe prefier. C'eft fur-tout la maniere dont la mode influe dans Ia compofttion de certains ouvrages , qui mérite attention. Voulez-vousfabriquerun Livre qui foit court ? Faites galoper votre ftyle , eraployez de grandes phrafes, de mots rares, de rapides exclamations ,d'abon~ dantes métaphores, beaucoup de paradoxes , peu de raifonnemens, des lecons impérieufes au Monarque, des forties contre les Moines, des réflexions hardies fur le Gouvernement, un galimathias métaphyfique, un tantina d'irréligion, fur-tout un titre neuf; voila Ie livre a fa perfeétion. II fera philofophique; il aura un ftyle brüiant; chacun fe 1'arrachera; i'Auteur paflera pour un Dieu. Vous révolterez les fages, mais vous les traiterez de fanati*.  ( *3 ) ques & d'idiots. L'argument deviendra peremptoire. Eh! que répondroient-ils? D'ailleurs qui feroit maintenant afTez ftupide pour ne nas favoir faire un Liyre ? On apporte de 1'efprit dans toutes les maifons; on vous force d'en prendre prefque malgré vous. Des Annonces, des Profpetfus, de» Découvertes. Les unes donnent de la fcience dans vingt pages; les autres vous apprennent des fecrets qui vous rendent Phyficien dans une femaine. Politique dans quinze jours, Médecin dans un mois. De la ce monde qui babille fur tous les fujets ; de la ce Philofophe de vingt ans, ce Poëte de feize qui tranche fur tous les Auteurs; de la eet efprit éparpillé jufques dans lel boutiques, oü Pon ofe prononcer des mots uniquement faits pour notre bouche , difoit 1'autre jour un Acadénaicien qui en étoit indigné, D 2  ( 04 ) I! n'y en a pas jufqu'au cocher qui lit Voltaïre, jufqu'a la femme de-chambre qui ne connoit d'autre confeffion que celle de Jean-Jacques 3 & chaque événement qui nait dans Paris, n'eftil pas le fujet de millé entretiens r* Neris arrivé a&uellement dans le fauxbourg Saint-Germain ; Jovel dans celui Saint-Antoine, venant tous les deux des extrêmités du monde, ayant tous les deux des fyftêmes ridiculés, un coftume bizarre; & demain, oui, demain, Pon débitera que Pun par un fecret qui n'eft connu que de lui feul, a deux eens ans, quoiqu'il n'en montre que cinquante; que i'autre operè des réfurre&ions par la vertü du magnétifme ou de Forme pyramidal; Si on le croira ? C'eft la fcience occulte des Anciens, & que bien des grands (parce qu'on y voit goutte) adoptent ite prédileétion ; mals rendons jufticé  C 65 ) aux Parifiens , ils ne tardent point a mettre ces ridicules fur les théatres. Les modes n'ont pas moins influé fur la facon de vivre que fur les habits ? L'eftomac eft devenu délicat comme Pefprit. II faut a 1'un des méts exquis, a 1'autre des livres friands. On dit 1'école de le Sage, fameux patiflier, comme on dit celle de MicheUAnge. Le caractere de 1'homme influe fur la maniere de fe nourrir, de fe loger, de fe vêtir, obferve Séneque. Cependant il y aura toujours dans Paris un fonds d'honneur & de religion que la corruption du ftecle ne pourra jamais altérer. Heureufement toutes les femmes ne penfent pas comme la fuperlicocantïeufe Hermandine qui fe marieroit, dit-efle, fi le mariage nJétoit pas permis , & ceux qui publient qu'il n'y a dans la Capitale que des femmes fans pudeur, que des hotómef E>3  ( 66) fans foi, c'eft qu'ils n'ont vu que la rnauvaife compagnie. Autre mode nouvelle que le grand riombre de cé%ataires} & mode qu'on doit chérir, ft leut sénération devoit leur reftembler! Égoïftes par fyftéme, la plupart d'entr'eux ne connoifFent & n'aiment que le libertinage raffiné; auftï n'ont-ils que des femmes d'emprunt qu'ils renvoient a volonté ; ce que leurs domeftiques imitent très-fidélement. Jamais la liberté ne fut plus pres de la licenee. La population en fouffre; & s'il nait des enfans Pauvres pe- t'rts infortunés!.... Bientotle facrement du manage ne fe trouvera plus que dans les Catéchifmes, Les plus refpeclables families languiftent par ce moyen, & les plus opulentes s'abiment. Quoique Paris foit la ville du monde la plus riche, furtout en numéraire, elle fe voit parta-  CÓ>) gée en deux portions tellement mégales j que Tune a tout, & Pautre rien. C'eft le pays des plus étranges difproportions, & fouvent le Seigneur le plus opulent fait de fon hotel un maufolée , pour vivre dans une petite maifon, fans autre plaifir que d'y jouir cfun amour foudoyé. Bel attachement que celui qu'on gage comme un mercenaire! il ne peut faire que des ingrats. Maisringratitu.de, diroit un homme a calembourgs , eft maintenant tellement a la mode, qu'il n'y a plus de reconnoiftance qu'au Mont-de-Piété. Peu s'en eft fallu que ce langage ridicule ne vint a s'accréditer : c'en étoit fait de la langue francoife, elle qui n'a que trop d'échecs a fonffrir de Ia part de nos beaux-efprits. Quant a la langue latine, elle refprre encore, graces a PUniverftté; ceux qui voudroient Paferoger ignorent qu'il faut avoir lu dans l  ( 68) les fources Horace, Virgile, &: Cicèren, Öt que tout en les étudiant on fait des acquêts non moins utiles qu'honorables. L'univerfité de Paris n'eft pas moins célebre par les hommes qu'elle a produits, que par fes privileges, & par fon antiquité : lés colleges, qui torment fon domaine, lui donnent autant de reliëf que fa qualité de Fille ainée des Rois : elle a les grandes entrées a la Cour ; c'étoit le moins qu'une fille majeure put óbtenir: ion Reéteur n'eft plus qu'une ombre de rettorat, ft 1'on obferve qu'il ne fait que paffer dans fa place > & que de tous fes privileges , il ne lui refte que celui de donner un Mandement, & d'indiquer urie Proceflion. 11 fe couvrira de gloire, quand, voulant bien oublier fon pays latin, il demandera au Roi, de concert avec fes quatre' Facultés, qu'il y ait, pour k  ( 69 ) Hen public, un college dans le quar«' tier S. Antoine , 1'autre dans celui de la Place des Viétoires, attendu que les écoliers paflent la moitié du jour dans les rues, fur-tout n'étant pas dans 1'ufage de prendre le chemin le plus court. On en comptoit jufqu'a trente mille autrefois, & c'eft beaucoup s'il y eit a maintenant un tiers, encore n'eft-ii heureufement connu que par des Prix qu'il remporte, £c par quelques efpié-» gleries. La Sorbonne n'eft pas moins fameufe par le Maufolée du Cardinal de Richelieuy que par fes Doéteurs. On y défigne les études qu'on y fait fous Ie nom de Licence, & ce mot eft fouvent bien adapté. Les Écoles de Droit n'ont befoin que d'être fréquentées. 11 eft inoui qu'on trouve le moyen d'y aflifter lans y paroitre. Abus contre lequel toute 1$  Magiftrafcire doit s'élever. La jeunefle difpenfée d'aller prendre réguliérement des lecons, fe pourvoit d'ailleurs. Eh! comment? Dieu le fait! Parmi ceux qui peuvent hablter Paris , les uns pour s'inftruire, les autres pour fe placer, les trois quarts vieilliiTent AH leur adolefcence, ayant grand foin d'efcompter leurs années : Je parle icj des plus fages. Les libertins s'endettent, brillent aux dépens de Pouvrier qu'ils écrafent. Triomphe a h vérité qui ne dure qu'un inftant. Les bijoux s'engagent, les habits le vendent, & ces élégans comme ces moucherons qui voltigent avec des ailes dorées, n'ont qu'un an d'exiftence tout au plus. Florimont difparoit fans qu'on puifTe €n trouver la tracé; le Perruquier le cherche , le Tailleur le demande, & 1'HötefTe va poufTer de gros foupirs  C 7* ) dans Pappartement dont il vient de déloger a petit bruit, encore plus défolée de ne le plus voir, que de perdre ce qu'il lui doit. ^Tel fut le beau Lilafor. N'ayant d autre patrimoine qu'une riche taille ' qu'une figure radieufe , qu'une féconde induftrie , il fcait qu'une jeune Princeüe étrangere vit en Allemagne , renvoyée par fon époux ; il prend (on miróir $ il fe contemple 5 il fe dit a lui-m.ême : non3 elle ne pourra tenir toute forte qu'elle eft 3 contre ma figure, contre mon maintien , & je fubjuguerai fon cceur. Déja le voila parti , fans autre re~ commandation que fes jolies manieres 3 £ms autres lettres - de - change que fon efprit. II arrivé , il fe promene , il cherche lesyeuxde celle qu'il veut feduire, & il les rencontre. 11 ne s'agit plus que de fcbriquer des vers, il en  (7* ) imagine oü il parle de fon admiration pour la Princeffe, il lui peint fon martyre & fes malheurs. Elle ne répond point, mais elle eft émue ; elle ne Pa point encore tiré de peine , mais elle a foupiré , c'eft affez : quelques jours fe paffent, Lilafor toujours confiant recoit un meflage qui 1'introduit enfin auprès de fa divinité. Hélas l qu'eft-ce que la vie ? II devenoit fon écuyer, que disje., fon ami , ft, malgré Tart de tous les Do&eurs , elle n'eut pas defcendu brufquement dans le tombeau. Non , il n'y a que dans Paris oü Pon puifTe former de pareils projets , comme il n'y a qu'un Francois capable de les réalifer. II flnit par époufer ki première femme de-chambre. Son hiftoire étoit une comédie , il lui falloit un pareil dénoueïr.ent. Tous n'ont pas le même fort. Plus d'une  ( 73 0 d'une fois des jeunes gens bien nés £ qui dans la Province auroient honoré la vie civile & leur profeflion, finirent a la Greve affreufement leurs jours. Mais ne nous fouvenons de ce lieu que pour nous rappeller les fêtes qu'on y donne, & fur-tout Celle qui célébrant la naifTance de notre augufte Dauphin, fit éclater nos plus vifs tranfports. On doit feulement s'étonner de ce que dans une immenfe Capitale oü le terrein ne manque pas s on place dans un même endroit les réjouiffances & les fupplices* Mais voila bien un autre coup-d'ceil, cette' foule d'étourdis qui foumettent, a leur tribunal , Monarques , Prélats Miniftres , Magiftrats, Guerriers, EcrL vains, peuvent fe nommer par dérifion les Jugeurs de la natïon. C'eft fur-tout aux tables d'hóte , & dans les cafés qu'ils affectent de fronder la réligion & les moeurs , s'imaginant qu'on doit leur E  (74 ) v faveur gré , quand ils ofent croire qu'il exifte un Dieu. lis feroient encore moins pitoyables, dit Jean Jacques Roujfeau, s'ils n'avoient jamais hl. Paris auroit trop d'agrémens , fans ces difformités. C'eft le rofter qui, malerré fes brillantes fleurs & leur agréable parfum, laiffe entrevoir des épines 6k des mfeéles, depuis que chacun s'inftruit a fa maniere, 6k réforme fon éducation par de faux principes qu'on adopte fans examen; on fait des cours de fatuité , & Paris abonde en chevaüers d'induftrie. C'eft a qui prendra des airs , des titres 3 des noms. Un Seigneur étranger avoit un jour vingt convives a fa table, tant Barons , que Comtes , Marquis, & qui s'en retournerent tous roturiers ; ils prenoient en entrant chez, lui, ces brillantes qualités , qu'ils dépofoient a la porte ; le Prince le feut,  ( 75 ) & dit en riant , les Franeois font excellens pour bien jouer la comédie » mais il ne les invita plus. II eft cependant un melange dages & de conditions qui honore Phumanité. Paris raïTemble aflez communément tous les états dans fes différentes fociétés. Le roturier mange a la table du Grand , & il n y a que le noble d'hier qui s'en offenfe. Les Franeois , amis des talens & de Pelprit, ne s'aviferont jamais d'aller chercher trente-deux quartiers , pour qu'on ait droit de manger avec eux. D'ailleurs ils rifqueroient fouvent de diner feuls. Donnez-moi l'écuflbn des Princes étrangers que vous m'avez préfentés, difoit une Ducheffe a un Ambaftadeur , 6k je vous tiens quitte de leurs perfonnes. Mais en voila une qui entre au petit Dunkerque, magafin raviflant oü 1'on E 2  (76) trouve des chef - d'ceuvres en tout genre. N'attendons pas qu'elle forte* Elle va palier trois heures a conftdérer , a queftionner , a voulólr toot prendre , a ne rien acheter. C'eft la manie des Grands. Plus minutieux que les Bourgeois dans leur marchés , ils ne décelent que trop fouvent une ayne roturiere quand il s'agit de payer. Le créancier comme Touvrier n'arrache leur argent qu'a force d'importunités. » Vous revenez tous les jours , difoït 3> un Marquis a fon fournifleur; mais ü a> je n'ai payé perfonne depuis dix ans* j> il eft abfurde de me tourmenter „* On fcait perdre & 1'on ne fcait ni payer , ni donner; on dérobe aux do" meftiques mêmes le moindre pront, & Pon ménage les chevaux comme s'ils étoient de verre. On a des voitures 9 plus pour les boulevards que pour des courfes iaévitables; & lorfqu'on vou*  C 77 > dit qu'on marche a pied pour fa fanté 9 tres fouvent on vous ment. On ne voit que des avares faftueux : bênifïbns cependant Pavarice qui empéche les riches de fe faire voiturer; Paris, fans cela, deviendroit un dédale dfoü Pon ne pourroit s'arracher, furtout depuis qu'on veut des, écrafeurs pour cochers. Garre; les voila qui paflent plus raptdes que 1'éclair , éclabloufTant celui - ci, renverfant celui - la, répandanj I'alarme, femant la terreur. Ne nous donnera-t-on point une nouvelle fatyre fur les embarras de Paris ? Ils ont augmenté de moitié depuis celle de Boileau. Des hommes» en Fair s'échaffaudent de toutes parts pofent des pierres fur des fommités ; & pour payer la curiofité du paffant qui les confidére , font toujours prêts u tomber. Ce n'eft qu'après avoir dif- E 3  C 78 ) puté fa propre vie, qu'on rentre chex foi, tant les rues font obftruées par des obftacles toujours renaiiïans. Encore n'eft-ce rien en comparaifon de la fin du jour. Les ouvriers quittent alors leurs travaux , reviennent chargés des outils de leur métier , ce qui rend leur rencontre périlleufe ; mais pour peu qu'on ait 1'ame fenftble, on plaint le malheureux qui» . fe traine fous le poids de fes fardeaux , & Ton fe dit a foi - même : il n* m'embarrafte , que parce qu'il m'eft utile. Quant aux cabriolets , d'autant plus dangereux qu'ils roulent rapidement & fans bruits , qu'ils ne fervent trop t'ouvent qu'a prouver 1'étourderie & la fatuite , je ne vois dans leur voifinage que des rifques a courir. Le carroffe devient prefqu'un befoin dans Paris; mais par la raifon qu'iA  ( 79 ) feut marcher a pied pour fe bien porter, il ne fe change que trop fouvent dans une infirmerie. Voyez ce Prélat a face apopleclique; de fon hotel dans fon carrofTe, de fa table au lit : il y a dix ans qu'il exifte de la forte , & que fes jambes, comme la plupart de fes VicairesGénéraux , font feulement honoraires. Une grande portion du Clergé fe tient volontiers a Paris, cette ville étant le centre des fciences, des affaires, & du goüt; mais la malignité ne Pentend pas de même : s'il falloit prouver en Juftice ce qu'on débite fur fon compte , que de calomniateurs l on ne veut plus croire a la vertu, & pour un fcandale donné, Pon oublie mille bons exemples. Quelques moinillons défavoués par leur Corps, qui croient fe donner du reÜef en ofant dans les promenades pu- E 4  ( So ) fcliques êtaler le papillotage & la fatuité, voila ce qui malheureufement I reflue fur ie Clergé, dont les fonótions, comme Porigine, en impoferont toujours a la faine raifon. Rien de plus digne de la Religiori, que la maniere dont on fait rofEce dans les Eglifes de Paris, que les vertus de ï'illuftre Prélat qui gouverne , Ie zele des Curés qui édifient, que Pordre qui regne dans les Communautés. Mais ici les Nouvelliftes m'interrompent. Les uns raffemblés par le patriotifme, les autres par lebavardage, ceux-la par Poifiveté ; ils fe fachent, ils parient, & cette petite guerre qui recommence chaque jour, n'eft pas moins opiniatre c[ue celle dont ils parient. Ils tenoient autrefois chapitre autour de eet arbre fameux qui dominoit dans le Palais Jtoyal, maintenant ils fe réu-  ( 81 ) nifTent aux Thuileries,fous'lés drapeaux de quelque Préfident qui prononce fans appel, & qui en eft quitte pour avoir un pied de nez, s'il vient a fe tromper. Paroiftent enfuitë les próneurs, troupe legere des beaux-efprits, qui mettent un homme a la mode, felon leur caprice ou leur intérêt.Il faut les entendre pour favoir tout ce qu'on doit les apprécier. Ce font des diftributeurs de réputations , & d'autant plus libéraux qu'en ce genre ils ne gardent ordinairement rien pour eux. II fufrit qu'un Journalifte rende compte d'un Ouvrage, pour qu'ils frondent fon avis, vou-* lant être feuls juges & partie. On les connoit a leur morgue, ainfi qu'a leur ton tranchant. Ajoutez qu'il n'y a de gens de mérite que ceux qu'ils louent,. & cela doit être , pour que leur amourpropre ne foit pas bleffé. Mais la nuit approche, & Paris ne E 5  ( 8a ) parolt pas moins brillant; des files de réverberes forment autour de la Seine la plus charmante illumination > & demain le foleil ne fe levera que pour laiffer entrevoir ces fuperbes avenues qui partent des extrêmités de la Capitale, & qui conduifent a. des lieux enchantés y tels que Vincennes, S. Clouë * Meudon, oü des maifons délicieufes fe trouveht a. profufton. Ne craignez pas que Ie monde qui fe répand fur ces routes, vienne a s'épuifer. II fe renouvelle a tout moment , fur-tout.les jours de fêtes, & dans une telle affluence , qu'on croiroit Paris un délert, tandis que Paris s'appercoit a peine de ces émigrations. Les rues,les places, les fpe&acles, les Eglifesmêmes (oui, beaux-efprits, les Eglifes, quelque chofe que vöus diftez); tout eft-, plein. Ce ne font que fept cents mille Ckoyens, mais-des êtres-quife remuent^  ( §30 & pendant ces deux momens Lorudtes. voit fon trifte Pare auffi morne que ceux qui 1'arpentent. O Paris, que de cris d'allégrefte dans tes guinguettes ï que de convulfions de joie dans tes bofquets l les danfes, les fymphonies, les feftins, tout annonce la gaieté, L'on y tient aux bons Gaulóis pour la franchife; au bon. vieux tems pour la liberté. Nul pays fur la fcerre oü Fon fache mieux en ufer; c'eft la confrairie des heureux que ces différentes families qui, toutes enfemble, peres, meres, enfans, vont fe refaire de fix jours de travaii; qui toutes de soncert rient fans gêne, parient fon^ fard, & le verre en main atteignent prefque le bonheur. La les laquais font les maitres , Sc fouvent le font mieux que ceux qu'ils fervent. II arrivé du moins a quelques-uns d'avoirPame plu& élivée» Les fentimens ne fuivent pas* £.6,  (S4 ) toujours ïa condition. Si la magnanïmité conftituoit les Seigneurs, que de' roturiers parmi les Grands ! L'heureufe aménité qu'on admire chez les Franeois, vient fans eontredïf de la foeiétédes deux fexès. Dans tou» tès les claffes, il eft des fémmes natnrellement airnables qui favent agréab? ement diverfifler leur efprit; mais on n'acquiert 1'ufage du grand monde , qu'en fréquéntant celles d*un haut rang, Foint de femme entretenue qui puifTe les copier; point de bel-efprit qu'elles ne déroutent, quand elles veulent per.fi'ffler. Roxan pour leur rêpondre , appëflé a fos fecours fes belles phrafes Sc fes grands mots, & Pon na d'autre phifir que celui de jouir de fon embarras. Toutes les fois que les penfées feront des propres , & non des acquêts ^ ©n déconcertera les pédans. Mais quel bruit énorme viént frap-  ( 85 ) per mes oreilles? qu'eft-il donc arrivé? voyez comme le peuplè accourt a grands flots, comme il s'entafle , comme il fe précipite ï Ah 1 Ciel.... Eh quoi? c'eft un ferin qui s'échappe de fa cage, & la multitude étonnée fe colle fur ce rare objet. Au refte toute grande Ville, ck Londres même a fes badauts. On fait qu'un aventurier fit croire autrefois a tous les Lords qu'il entreroit dans une bouteille, & que malgré leur morgue ils accoururent en foule pour voir eet étrange événement» D'ajlleurs dans Paris les défauts comme les ridicules , les difparates comme les difformités fe fondent au fein des richeftes , & des plus agréables points de vue; ft des ponts couverts de cahutes dont 1'époque remonte au treizieme fiecle , déparent llntérieur de la Ville ; combien le Pont - neuf, rendét-vous de toutes les nations , ne  ( 86) dedommage -1 - il pas ;"de ce trifte coup-d'ceil ~ mais on y rifque plu& qu'ailleurs la rencontre d'un créancier. Auili nos élégans n'y paroiffent - ils qu'en voiture, ou qu'en voltigeant fur la pointe du pied. Quelle perfpeétive, que la galerie du Louvre , que le College Mazarin r.. que 1'Hötel de la; Monnoie, que les Quaisque la Statue de Henri IV, ce bon Roi dont la mort fut moins un trépas, qu'un nouveau regne ! C'eft en face de ce précieux monument que je batirois 1'Hótel de Ville criez a la dépenfe tant qu'il vous plai* ra, mais je dcfie qu'on puiffe mieux le placer. II en cpüteroit la place Dauphine» qu'on ne pourra furement pas regretter. Il feroit a deftrer que les clochers de Paris, comme les minarets de Bylance. fia&m furdorés j.outre que eekrépon-  ( 87 ) «ïroit a la magnificence francoife, om en découvriroit mieux Ia Ville qui ne fe préfente avec avantage d'aucun cóté*. C'eft une coquette qui, pour mieux exciter des defirs, cache la moitié de fes attraits; mais que ne fait-on pas journellement pour 1'embellir! Une nouvelle cité vient de fortir de fes flancs, ck nous avons vu depuis quelques années, des cloaques mêmes fe changer en. rues bien alignées, en palais fuperbement ornés. L'Architeólure s'eft en quelque forte égayée, faifant de burlefques coups d'eflai dans la maniere de conftruire des hotels. II en eft qu'on peut nommer de jolies monftruofitcs , & qui deviennent des phénomencs depuis qu'on place fur des toits les plus élégans jardins. Mais je voudrois au moins que les Architeéles propriétaires des plus magninques maifons, & qui fans douti  ( 88 ) font jaloux de leur réputation , ne travaillafTent point fur le plan ridicule qu'on leur tracé; car je n'ofe foupconner qu'ils fe portent d'eux-mèmes a nous batir des lanternes , plutot que des appartemens. D'ailleurs quel goüt bizarre que celui de multiplier les colonnades a profufion y de forte qu'on peut dire a chaque étranger , aimez-vous les colonnes? on en a mis par-tout. Dans Paris , difoit un Archite&e Italien, les grands éditices font trop afFaifles , les maifons trop élevées , les nouveaux palais , des cafernes, ou des cloitres. Paris n'en eft pas moins la Ville la plus célébre par les établiftemens. Que de Manufaftures. brillantes & folides! que de fuperbes hotels qui ne paroiffent qu'un point dans ce petit tableau! & cependant quelle immenfité que celui des Invalides I beauté dans i'enleinble3  < ?9) proportions dans les détails , tout y eft parfaitementafforti, & Mopfe moins Franeois que Danois, Mopfe, helas ! propofoit de le fapprimer , fous prétexte qu'il étoit faftueux , comme ft le premier Monarque de P Univers ne devoit pas donner quelque chofe a la majefté * L'Ecole Militaire prés de ce vafte dome qu'on croit en face, de quelque coté qu'on Pobferve , a l'air de fe cacher; mais ce monument n'en eft pas moins digned'att ention ; & ft ia Chapelle enchante, le Champ de Mars qui le précede , étonne agréablement les yeux. Quittons ces magnifiques objets, Sc parions un moment des commodités de la vie. Combien ne font-elles pas ici multipliées I des quatre parties du monde il arrivé a chaqué moment de quoi fatisfaire les befoins & les fantaifies. Le bourgeois même fe trouve  ( 9° ) mieux logé que bien des Seigneurs du Nord & du Midi. Les dépenfes font tellement proportionnées, que rien ne dépare ce qui fe préfente a la vue. Dans un clin-d'ceil vous y trouvez domeftique , équipage, logement 3 habit, & tout 3 avec une élégance qui vous charme & qui s'étend fur tous les objets. Pourpeu qu'on defire 9 on eft fervi. Tous eft fous la main; tout parle, tout fonne ; tout fe meuta volonté. Dès le matin les feuilles les moins volumineufes & les plus utiles viennent avertirles habitans de ce qu'on loue, de ce qu'on vend, & les inftruire par une jufte analyfe , & des Speétacles, & de TOuVrage qui paroit. De la ces murmures fréquens chez le Pariften qui voyage. La comparaifon qu'il fait entre ce qu'il rencontre » & ce qu'il laifTe , 1'impatiente & le décourage. Ah l s'écrioit une Petii-  ( 9' ) MaitreiTe , voyageant dans la "Welt. phalie j oui, plutöt fe faire enterrer a Saint-Sulpice, que d'habiter ce maudit pays. Les étrangers toujours multipiiés dans Paris, y trouvent des hotelsgarais tapables de les fixer. Et Pinfortune qui n'abat prefque jamais? compterons-nous cela pour rien ? On y renvoye le plus leftement du monde fon chagrin. Oh ! comme je pleurerai dans quelques jours mon époufe , difoit Damon en apprenant fa mort l mais aujourdliui ne dérangeons point notre partie de plaifir. On connoit au lom tous les avautages que la Capitale produit , & voila pourquoi les barrières font toujours affiégées, d'une foule de Provinciaux. Queiles fingulieres réponfes n'en auroit-on pas, pour peu qu'on vint a les interrogerlL'un diroit, je viens épou-  ( 9* ) fer; & qui ? je n'en fcais rien , mais quelque bonne rencontre me 1'apprendra ;Fautre, il n'y avoit pas affez de' vices dans mon pays pour ma fortune & pour mon appétit ; &, coüte qui coüte, je viens en acheter. CeIui-ci,j'ai la raged'être homme d'efprit, & je veux me bourrer de brochures nouvelles , pour m'apprendre a produire de belles phrafes, de jolis bons mots. Cehii-la , j'ai cherché a me débarrafier du joug de la Religion ,ane plus aller a 1'Eglife (Si Ton n'y prendfö pas garde a Paris ) ; & moi, diroit le dernier, j'étudierai la Loterie Royale a mon aife, & je prendrai des connoiflances, de maniere a gagner tout au moins un quaterne. Oeft réellement un travail pour plufieurs que la combinaifon des Loteries. Ils ne peuvent fe perfuader qu'il n'y  C 93 > a point de calculs a faire fur le hafard. Heureufe illufion pour les joueurs & pour les banquiers! Avec ces projets 1'on roule en carroffe , on achete des palais, & ces fonges bercent agréablement la vie. Des chateaux .en Efpagne font des trélors pour une imagination vive & féconde. Ariane vend fesmeubles, vend fes bijoux, & fe ruine a prendre des ternes & des quines; mais elle s'en con„ fole; elle mettra fon honneur a fond perdu. Silence ! les voila qui fendent la fouie ; filence , encore une fois ; & pour peu qu'on en parle, on fcaura que ces demi-dieux trouverent par leuri intrigues comme par leurs monopoles , ïe moyen de fe batir enfin des palais oü ils fe roulent fur 1'or & fur 1'ennui, n'ayant de connoifTances & d'amis que les fept péchés capitaux. Si leurs  ( 94 ) per es revenoient !... Eh bien ! ii les feroient manger avec leurs valets -dechambre , car ils ne fcavent plus qu'il exifte une loi qui ordonne d'honorer pere & mere , pour vivre longuement, Je peins ici des gens a la douzaine qui doivent tout a la fortune , rien au mérite ; qui feroient au défefpoir qu'on les crüt bienfaifans, par- la raifon qu'on pourroit les importuner. Des hötels a des hommes de cette efpece! des facs de velours gallonnés d'or a leurs époufes qui ne paroiffent aux Eglifes que pour s'y montrer avec impertinence ! voila, je la. voue, ce qui me fait enrager. Et parmi ceux qui grillent de faire fortune, Migas, Libraue , ne fera-t-il pas compté 1'être le plus honnéte, quand il ne veut gagner que cent pour vingt ? AufTi le voyez-vous trembler quand il s'agit d'acheter un manufcrït.  (95 ) Eft-il volumineux ? il en coütera trop pour les frais de Pimpreffion; eft-il précis ? il fera contrefait ; pretextes fur prétextes , & toujours des prétextes pour ne rien payer ! Mais, chut.. .On a befoin de Libraires lorfqu'on écrit, & d'ailleurs Paris en aura toujours d une claue diftinguée. Ne doit-on pas leur fcavoir gré d'avoir mis Cicéron en Adonis, Tacite en Petit-Maitre, Séneque en damoifeau? Ils les ont habillés d'une maniere ravifiante en bleu célefte , en verd-pomme, en nacarat. Combien les manes de V'irgïle n'eurent-elles pas de plaifir a voir les Géorgiques entre les mains des plus jolies femmes , avec les livrées de leurs graces & de leur amabilité ? Sans cette agréable fureur , qui , dans le fiecle ou nous fommes , fouffriroit d'aulTi  (96 ) antïques productions ? Ce ne feroit ni $ Argon, qui ne lit que des Ordonnances Jk des Traités; ni Sibilée qm n'a jamais parcouru que 1'Almanach Royal; ni Glandel qui ne connoit rien d'intéref- fant que fes bons mots , & qui les fête avec oétave pour leur donner plus de célébrité; ni Lycas, qui critique tous les Livres mêmes dont il n'a vu que le titre , mais dont il hait 1'Auteur qu'il ne connoit pas davantage. Et GLujJbn, qui pour mieux vendre fes produétions , ne les fait paroitre qu'en magnifiques reliures, & qu'avec des eftampes dans le dernier goüt? & le petit génie des petits F.crivains, jmis en petits in-fei^e ? Comme cela plait! comme c'eft bien aftbrti! Sans eet expédient, 1'Abbé de*** n'eüt jamais lu; & la chofe lui paroit ft bonne, qu'il voudroit une édition du Bréviaire en cinquante-deux volumes, pour  C 97 ) pour en parcourir un tome chaque femaine fans en être fuffoqué. Au refte il eft des Ouvrages d'un autre genre, qui n'ont que quelques pages , & qui font encore trop longs ; témoins certains difcours qu'il faudroit traduire en Franeois, quoiqu'écrits dans cette langue ; fuite du mauvais goüt qui s'introduit depuis vingt ans. Quant a la liberté de la Prefle que tant de perfonnes paroiflent deftrer , on ne connoit pas 1'efprit de Paris , quand on ofe former un pareil fouhait ; les coups de plume n'y feroient pas moins rapides que les coups de langue, & chacun pourroit s'attendre a fe voir diffamé , le tout pour rire , a la vérité • car le Franeois n'eft pas méchant. Mais demandez aux parens d'Orlinde s'ils feroient bien-aifes qu'on imprimat qu'il feut efcamoter un maufolée pour honorer fa mémoire après avoir des- F  ( 98 ) honoré fa vie par des rapines & par des concuflïons ; demandez a LuciU qui joue la prude depuis vingt ans , fi fes amours divulgués flatteroient fon ame timide & fa vanité ; demandez a Dom Flavien, Moine fucculent s s''il aimeroit a lire la lifte de ies indigeftions, & des bouteilles qu'il afablées ; demandez enfin a ce gros Bénéficier , s'il chériroit la brochure qui lui prouveroit que fes Bénéfices lui coutent foixante mille livres, & qu'il eft aufti déteftable cafuifte , qu'excellent ftmoniaque. Ce feroit d'ailleurs fournir des armes a la calomnie, & d'autant plus dangereufes, que TEcrivain fatyrique invente aufti facilement, que les fots croient tout ce qui s'imprime. Les parafites , me crie quelqu'un dont je connois la voix, n'auront-ils pas aufti leur article ? Eh! laiffons-les diner. Au bout du compte, c'eft un  ( 99 ) rep as qu'il faut prendre, ou chez les autres, ou chez foi. Ne paient-ils pas affez leur écot ? 1'un en apportant cent nouvelles vraies ou faulTes, mais ramaffées avec le plus grand foin ; 1'autre en faifant provifion de bons mots, & fe tenant a 1'arTut pour les placer avec dextérité. Il n'y a pas jufqu'a Porgueil meme qui vaut, a. certains perfonnages, les honneurs d'un diner. On les croit d'un mérite important , parce qu'ils prennent un air dédaigneux , & qu'ils ne parient pas, ft ce n'eft pour contredire. Je citerois Paris pour fes repas élégans , ft les convives étoient mieux abreuvés. II n'appartient qu'aux Seigneurs Allemands de prodiguer les meüleurs vins avec une faftueufe généroftté. Ce qui fache les-étrangers, c'eft qu'on y recule chaque jour le diner, & què bientot a comme difoit ingénieufemen* F %  ( IOO ) une femme aimable, on n'y dinera que le lendemain. Les Reftaurateurs ne laiffent que le defir d'aller manger ailleurs, lorfqu'on y a pris un rèpas. Tous les plats font en miniature , & tout s'y vend au poids de 1'or. Les élégans qui ne font rien moins' que pécunieux , n'y vont que par ton : aulTi ne manquent-ils pas d'étudier la lifte des mets , &: de paffer deffus comme un chat fur la braife , dans 1'appréhenfion de les trouver trop chers. RéfeEloire de Capucins , difoit un Gafcon, il n'y a point de nappe, on n'y parle pas, 1'on en fort avec appétit. On raconte qu'un plaifant ayant efcamoté la carte pour en fubitituer une toute compofée de ragouts extravagans , tels que chauve - fouris aux oignons , ou le\ard aux petits poits , &c... un Bailli, tout arrivant de la Provin-  ( ioi ) ce, y fut pris, & que tenant la chofe pour réelle , il s'écria plein de fureur : » on m'avoit bien dit qu'on ne faifoit « rien a Paris comme ailleurs , & que » des modes ridicules avoient tout » gaté , juiqu'a la maniere de faire » la cuifine ». II en eft de cette hiftoire comme d'un brave Poitevin arrivant a Paris , a qui des Meftieurs confeilloient de voir la veuve du Malabar, & qui leur répondit : jen ai point heureufement lesmxurs de Paris , & je men tiendrai, s'il vous plak, a ma femme. Mais quelle foule de noftambules!..; Je parle des cochers de flacres qui dorment en vous menant, & qui ne fe tronv pent jamais. Je ne redirai point que les carofles ouverts de tous cótés expofent a toutes les injures de 1'air ; il fuffit d'obferver qu'ils devroient au moins avoir un uniforme a la maniere des. P3  ( ïoi ) poftillons. Onnauroitpas le désagrément d'avoir fous les yeux la trifte image de la plus dégoutante impropreté , & les femmes ne recuteroientpas d'horreur toutes les fois que des écuyers de cette efpece,s'approchent pour les aider a monter. H faut, autant qu'il eft poftible , répandre fur toutes fes conditions eet efprit d ordre & de propreté dont les grandes Villes ont principalement be~ ∈ auffi pouvons-nous dire que les hopitaux offrent dans Paris despoints de vue dignes d'admiration. II y ajuf~ «KÖ fept mille perfonnes dans celui de la Salpétriere , qui vont, qui viennent, qui travaillent, qui gardent un ftlence rigoureux, & Ce font de ftmples filles qui, ftlencieufes elles-mêmes, en empêchent d'autres de parler. Approchez-vous ici , tendres orphelins, quin'avez d'autres peres que letat^  ( io3 > votre innocence fait oublier le crime qui vous donna,1e jour. Josiph daigna vous vifiter , eet Empereur qui déja commande a lapoftérité, & votre afyle ne lui parut pas le moindre monument qu'on remarque dans Paris. II en eft un autre qui s'éleve pour les Militaires , qu'on ne.peut aftez préconifer. Quant a PHótel-Dieu , il y faudroit... mais je m'arrête : Louis XVI regne , & le moment s'approche oü ehaque malade n'aura plus que fon propre mal devant fes yeux. Qu'eft-ce en effet que Paffociation de quatre moribons fur un même grabat ? Spectacle d'horreur ! & dans la confufton. de tant d'liommês entafles , que de méprifes inévitables { Saigner celui quon doit. pwger^couper la jambe de celui qui fe portebien % enfeveiir celui qui ne penfe point a mourir. Voila les inconvéniens. Mais que de connoiftances la ChU  ( 104 ) rugie francoife , ft juftement renommee dans tous les pays de 1'univers, n'ao quit-elle pas dans ce lieu ! C'eft la qu'au milieu des miferes humaines, elle apprend a les foulager, &. que du fein même de la mort elle tire des inftructions propres a rendre la vie. Ses Écoles fopt un édiflce que les connoiffeurs ne fe laffent point d'admirer. II en eft de même de quelques Églifes; mais donnez-leur des places pour ne pas offufquer les yeux. Le portail de S. Sulpice feroit un chef-d'ceuvre3 s'il étoit vu de loin. La Baftlique de Sainte Genevieve , monument oü 1'élégance francoife & la Majefté romaine s'embraftent mutuellement. La rage de batir eft tel^ement a la mode, que le foir n'interrompt point les travaux; & minuit devient une heure plus bruyante dans certains quartiers que midi dans plufieurs Villes d§  ( los ) Province. Pauvres malades, dormez G vous pouvez. Tout le monde n'eft pas comme la Comtefle de... cette. belle extravagante , dont le plaiftr ccnfifte a confondre la nuit avec le jour, a ne fe retirer qu'au moment oü 1'aurore paroit, a ne fe coucher prefque jamais pour dormir. Symphoniftes , chanfonniers , cris des animaux , cris des vendeurs, claquemens de fouets, roulemens des voi-, tures, cloches , cors de chafte , tambours, ftfflemens , glapiffemens , heurlemens: quel épouvantable réveil-ma-> tin \ Tout, excepté le tonnerre qu'on n'entend pas , rend Paris la Ville la plus tumultueufe de 1'univers , & de ce chaos nait la liberté. Chacun trouve fon plaifir a vivre fans gêne , parmi tant d'entraves & d'embarras: fage dans un quartier, li-*'  ( io6 ) kertin dans un autre , demain chez les petits, aujourd'hm chez les Grands 5 tantot connu , tantot incognito , tantot ïnagnifique , tantót en deshabillé, faiiant enfin dans la Capitale vingt perfonnages différens, n'en jouant aucun dans la Province. Que d'individus qui refTemblent a ce portrait 1 Cette grande liberté nuit fans doute auxattachemens. Dans Paris ,beaucoup de connoiffances, peu d'amis; beaucoup ^'amourettes , point d'amour; il y a trop de monde pour qu'on y fente le laefoin d'aimer & d'être aimé. Micolin <[ui donne de grands diners , vient a anourir, on paffe fans douleur chez le Financier voifm qui fcait le remplacer. les fpeöacles épuifent la fenfibilité ; il refte très«peu de larmes pour les morts & pour les malheureux. II y a plus de deux heures que je pleure Iphigénie » & vous youlez que je pleure enctre  ( i07 ) papa, difoit une f% revenant du fpeclade ,afa mere qui lui reprochoit fon «fenfibd,té fur fon pere exp.rant I Parions maintenant du tems. Une femaine n'eft qu'un jour dans Paris a raifon des courfes , des affaires , des plaifi*;to«t s>grave,s>imprime, out svchante, tout s>j publie; mais unmo„ 7 vautuneannéepourlamultïpiiate des événemens. Que d'obftades! que d'embarras 5 ft pon viem ^ mander , fi i'on viem p]aider, U plus cruel aflujettiflèment eft celui des Perruquiers ; ils vous tiennent auaarrêts tous les matins ;& pour fur. crortde malheur, ils ne comptent pas les heures comme nous. Enbonnejustice,s'ils étoient riches, on les con. damneroita reftitution.Que d'audien«*, que d'affaires, que d'entrevues, que de mariages même qu'ds font tous jours manquer !  ( io8 ) 3> Sandis j'époufois une héritiere de n cent mille livres de rente , ck de cent 3> mille vertus en bon fonds , difoit 5> 1'autre jour le Baron d'Eftrap'monj> das , fi j'arrivois a neuf heures du ' » matin ; il s'agiffoit de 1'entrevue , ck i») par la faute d'un maudit Baigneur, v je ne me préfente qu'a midi; 1'ima31 gination avoit galopé pendant ces 3> ttois heures , ck la Marquife de Bek 91 taventure ne me recut que pour me 31 dire adieu.n n Je me débattis voulant tuer de tous 9» bras mais je dis non...Q 5ï qu'elle fe marie; le plus grand affront 31 qu'elle puiffe avoir , c'eft de ne pas 31 époufer un cavalier de ma figure ck 9i de mon nom ; on n'en trouve pas de 33 mon efpece au litron.,, 11 n'y a plus de noces dans Paris que chez le peuple & la demi-bourgeoifte. Les Grands font figner un con- trat,  ( 109 ) trat, répandent quelques billets d'avis ,* & voila toute leur dépenfe: aufti dès le lendemain oublie-t-on qu'on eft marié. Je ne m'appercus d'avoir une femme , difoit un élégant, que le jour qu'elle mourut, car alors je ne fus point au fpeétacle ; & eet élégant a f$u trouvet une feconde époufe. Dites aujourd'hui les chofes les plus révoltantes, mais d'un ton plaifant, & vous êtes un homme délieieux, qu'on s'arrache > 8c qu'on veut toujours voir. Le bon-fens eft configné a la porte de certaines maifons, de maniere a n'y jamais pénétrer. II faut être de bon compte; tout eftimable qu'il eft, il devient quelquefois morofe & pédant ft 1'on n'a foin de raflaifonner a la francoife. II frémit, par exemple , a la vue des Porcneronsj & néanmoins le peuple a befbin de ce délaflement , néceftaire G  C "o ) d'ailleurs pour la confommatlon d'une Ville telle que Paris, oü les Marchands détailleurs doivent fubftfter. Si Teniers eut feulement efquiffé les Porcherons, ce feroit fon meilleur tableau. Les gens de qualité fe traveftiffoient autrefois pour jouir , pendant quelques momens, d'un fpe&acle aufti bizarre ; mais depuis qu?ils ne font plus de piquénique , ils ne paroiftent qu'a Longchamps. Perfonne a Naples , ainft qu'a Madrid , de quelque rang qu'il foit , pas même le Monarque, né fe fert de carofTe pendant la Semaine-Sainte ; & Paris faifit ce moment pour rouler dans les plus leftes équipages : c'eft le triomphe des femmes entretenues ; voilat comme la diftance de quatre cents Heues différencie les mceurs. On diroit a voir les langueurs du carnaval de Paris, qui rie confifte que  (III ) dans quelques bals faftidieux , quJon réferve toute fa gaieté pour les derniers jours de Carême : il n'y a guere que cette faifon oü la nobleffe paroit eu cohue. Chofe inouie que le raffinement de. la volupté ! pour avoir voulu trop s'amufer , on ne fe réjouit plus ; les plaifirs a la mode font triftes, a moins qu'une chanfon a la Malborough ne vienne rappeller le bon vieux tems; alors grands & petits fe mettent a 1'unifTon. Mais qu'appereois-je ? des affiches dans des las de fleurs, & magnifiquement écrites en lettres d'or. Ah l c'eft pour mieux tromper; rien de plus cher que la marchandife du détailleur qui «'annonce par de jolis tableaux, a moins qu'il ne vende en confcience; inconvénient encore pire que le premier. J'ai connu une petite dévote, (Dieu G 2  ( II* ) veuille avoir pitié de fon( ame ! ) qui vendoit le doublé , parce qu'elle ne vouloit pas fe damner : les uns foutenoient qu'elle étoit Janfénifte , les autres Molinifte ; pour moi, qui n'accufe perfonne ; je dis fimplement qu'elle étoit fripponne. Quoiqu'il en foit, il • faut avóuer qu'il n'y a rien de plus complaifant & de plus poli que ceux qui tiennent bofttique ou magafin dans Paris. On achete aux foires a meilleur rnarché ; mais celles de Saint-Laurent, de Saint-Germain , les deux feules qui fubfiftent, n'attirent les étrangers qu'a raifon des fpeétacles .* mais , géans , monftres de toute efpece, tout s'y trouve pour alluciner le Public ; & les jolies filles de boutique qu'ön y loue, font venir une foule d'amafeurs. La Redoute fuccede au Colifée don*  ( »3 ) le mefquin édifice n'a pu fupporterun fi grand nom. C'eft la falie des enchan» temens, & chaque année 1'on s'en dégoute. Pour moi, je ferois d'avis qu'on n'en conftruifit plus qu'avec des paravens. Cela fe fermeroit comme un Livre, quand on viendroit a changer, & fur-le-champ Ton donneroit une nouvelle forme. Mais parions de quelque chofe de plus foiide, & qu'on n'ébranle pas comme on veut ; des prifons 1 . . .. La bienfaifance de Louis XVI les rend prefque agréables. Efpace , propreté , falubrité, tout s'y trouve ; & Pon doit fe flatter que Noffeigneurs les Maréchaux de France , Juges du point d'honneur , fubftituerónt enfin aux affreux cachots de 1'Abbaye , quelqu'afyle plus vafte, plus fain , & plus convenable a des Gentilshommes punis pour dettes, ou pour rixes. G 3  ( "4 ) La Baftille.... Paflbris vite!... c'eft le feul objet fur lequel les Parifiens, qui ne fe laiftent manquer de rien en fait de bons mots , font exactement filencieux. On leur reproche de fe confoler de tous les événemens par une chanfon, c»u par un épigramme; c'eft , a mon avis , la conduite la plus fage. Rien de plus ridicule que de s'affliger d'un mal qu'on ne peut empêcher. Si c'eft un impöt, payons Sc chantons. Le Pariften Philofophe par tempera* ment, non par reflexion , fe modele fur Démocrite. Ma foi, c'etoit un aimable homme, & non ce fombre Diogene qui fe concentroit dans un tonneau ; & non eet Héraclite qui, prenantle monde entier pour un maufolée, s'y fit donner la glacé de premier pleureur. J'aurois voulu les voir,ces deux |tres pi?arres au milieu de nos orgies.  C "5 ) Ils auioient firn par donner a leur hu^eur farouche le ton du pays ou, comme' des ours >* on les eutj fait danfer. Les rives de la Seine ne font m celles de la Tamife, ni celles de l*Efcaut. On y veut des habitans qui repondent a 1'aménité de ce fleuve fi iuftement célébré par Hmmortel Santeuil, Si dontl'eau quelque fois trouble , mais toujours falubre , s'échappe a travers des fontaines auffi renommées pour les infcriptions que pour rarchitefture. Comment parler de 1'Obfervatoire, quand on n'eft pas Aftronome ? Ce iieudontla pofition ifolée femble dire a tous les ignorans: napprochez pas . Cependant ils devinerent, ces ignorans, que 1'éclipfe de 1764 ne rameneroit pas les ombres de la nuit, & que la comete qui devoitcalcinerla terre, ne fe ren- G 4  ( n6 ) ;■: droitpascoupable d'un pareil attentatII exifte encore des yeux qui valent des' iélefcopes. Tandis qu'a i'Ofervatoire on fpécule les aftres ; on examine au Jardin du Roi les produciionsde la terre dans ce qu'eiies ont de plus rare & de plus uti2e. Tout trifte qu'ü eft ce Jardin impofant, ,1 prend un air de gaieté. O Buffon ! que de merveilles raffemblées par ^ tes foins! L'nnmortalitée même a dépofé tes Ouvrages dans les premières Bibhotheques du monde, en difant : ils dureront autant que moi. L'on ne fcauroit croire combien 1'éloge qu'il fait du chien, Ta rendu chet a nos charmantes Parifiennes. Leur attachement pour ces animaux eft fi vif, que la Marquife de *** vouloit a toute force faire inoculer une épagneule; & que le fameux T. n'en eut  ( **7 ) re^os qu'en lui rappelant une Dame morte a la fuite de 1'inoculation. Ajoutez qu'il n'y a point de jour dans Paris oü 1'on ne promette des réeom" penfes a ceüx qui rapporteront des chiens perdus. Eh ! que feroit Menclide fans cette reffource ? On dit qu'on en loue a la porte des Thuileries pour des femmes qui , 'dans leurs promenades j ont befoin d'un pareil truchement, ou d'une pareille fociété. lei la Place Vendome ck la Place Victoire s'ofFrent a la vue, L'une eft a,ufli folitaire que 1'autre eft fréqüen-» tée <, ck toutes les deux ne font pas moins d'honneur a Paris 3 qu'a celui qui les a deftmées. Si de la nous paftons aux Bibliotheques , nouveaux étonnemens 1 nou* veile admiration ! Ce n'eft pas feulement chez le Roi qu'on trouve une admiiable colie&ion de Livres ck dö G |  ( »8 ) manufcrits; des Monaftères, des Par* ticuliers même ont de quoi fatisfaire la curiofité de tous les amateurs. M. le Marquis de Paulmy, ancien Miniftre de la Guerre , eft, dans ce genred'une richeffe immenfe , & fes connoiftances répondent a la multitude de fes Livres qu'on fait monter jufqu'a quatre-vingt mille. Il fe fait un plaifir quotidien de eonférer avec ces ames anciennes & modernes dont on a reeueilli les plus précieufes penfées , de les appelier les unes après les autres, de les interroger , d'avoir leurs réponfes fur-le-champ,, Mais il feroit a defirer qu'on laiffat au moins quelques Bibliotheques ourertes pendant les vacances. L'étranger qui vifite Paris dans cette faifon , n'eft pas toujours d'humeur d'envoyer fon efprit en campagne. 11 veut le cultiver en feptembre comme en mai. Mais  ( «9 ) cette réflexion échappera comme tant d'autres; & voila comme les LiVres ne font prefque jamais d'aucune utilité. Si des Bibliotheques on veut paffer dans des Cabinets curieux , Paris en poffede de tout genre; & c'eft du reffort de 1'Académie des Scavans qu'on peut dire bien compofée. L'on eft feulement faché de ce que fon Journal s'amufe a rendre compte des Ouvrages frivoles : autant de perdu pour des le&eurs profonds. Mais qu'appercois-je ? une fecrete horreur me failit. Ah ! c'eft la Morgue f antre lugubre oü l'on tranfpoftê te§ morts fans aveu ', les uns tués dans qüel* que rixe , les autres qui fe font oté lal vie. Comment? le fuicide!... il femblë que les Anglois n'en perdent 1'habitude' que pour nous tranfmettre eet abomK nable délire. Fauwl donc moins de courage pOöf G é  t 120 ) mourir a chaque moment qu'on refpi* re , que: pour ne périr qu'une feulefois, Sans le gout du fiecle pour les plus étranges paradoxes, celui qui fe détruit ne feroit aux yeux du Public qu'un poltron échauffé. Mais qui font ces hommes r-aiTemblés autour d'un méridien ? & pourquoi reglent-ils leurs montres avec tant de précifion? je vais vous le dire. Ce fera pour aller diner, fans penfer qu'une multitude d'honnêtes gens ne dinent pas; Pour fe promener de toutes parts, fans entrer chez un homme de merite qu on fcait être dans la peine, Pour parcourir vingt brochures qui ne valent pas un bon Livre ; Pour aller apprendre a neuf heures du foir qu'il a plu tout le jour , ou qu'il a fait beau. PaiK vre exiflence,. comme on te balotte l comme on t'avüit! La meilieure maniere d'honorer h  ( in ) tems, feroit de chercher 'tant d'hommes de mérite qui fe cachent; de les faire defcendre de leurs galetas oü le malheur les atteint, & de les foulager, Quel doux moment pour des ames fenfibles 1 quel exerciee pour la générofité 1 Mais oü fe tient-elle, cette belle inconnue ? j'indiquerai 1'hotel de 1'avarice; je connois le palais de 1'orgueil -r j'ai vu celui de la folie , fans pouvoir dire s'il exifte une maifon qui s'ouvre a 1'afpect. du malheureux. Le luxe a tari la fource des libéralités , & il n'y eut jamais de monitoire pour découvrir les hommes a talens , comme il y en a tous les jours pour trouver les malfaióteurs. Amitié , parenté même • foibles titres pour ouvrir la bourfe des riches. Je ne vois que la médiocrité quj affifte 1'indigence.... Puifqu'enfin vous ne voulez pas mourir, difoit le jeune Aiijlc a la tante la plus riche , la plu*  ( 121 ) avare, & ïa plus vieille 3 dont 11 attendoit depuis long-tems la fucceffion ; daignez du moins pendant vingt-quatre heures faire la morte, & fur-le-champ je trouverai du crédit. L'étranger qui ne fait que paffer a Paris, n'en eft pas extrêmement frappé C'eft un grouppe de vices &. de vertus, de merveilles & de défeétuofités qu'il faut débrouiller pour mettre les chofes a leur jufte valeur. Que de magnifiques points de vues ! que de beaux monumens! que de chofes élégantes t témoin la Coupole de la nouvelle Halle, ou plutöt du Temple de Cérès, dont les Fées femblent avoir été les Architectes. Combien d'inventions antant agréa« bles qu'utiles dont Paris fut fa fource 9 & qui brillent chez l'étranger l aafli peut-on 1'appeller le fble-il du monde moral 9 qui par fes rayons rayive toiï-  C 143 ) tes les contrées. Les unes le voiertt en face, les autres ne 1'appercoivent qu'obliquement ; mais pcint de pays qui ne participe a fa chaleur , point de Cour qui ne fe reflente de fécondité* Tout Franeois élevé dans Paris , met toutes les femmes de fon parti s pour peu qu'il veuille fe produirei Elles lui pafïent fes étourderks, en faveur de fon amabilité. 11 a mangé les trois quarts de mon bien, difoit une Baronne Allemande, en parlant du Chevalier de *** ; ;mais s'il venoit a reparoitre , nous finirions le refte, tant il eft raviffant. Les verrus des Anglois., ajoutoit - elle , ont Papreté d'un fruit fauvage, tandis que les défauts mêmes des Parifiens onc quelque chofe d'agréable. Si je ne ne parie point des Philofophes modernes, c'eft qu'ils exiftent plus dans leurs Livres que dans la fo-  ( 1*4 ) clété; & ces Livres, on a fu les évaluer. ■ 'Quant a nos1 bons Rois, rien de plus analogue a leurs goüts , que les fuperbes places ou la reconnoiffance les a placés. Louis-le-Grand au milieu de fes vicloires, Louis-le-Juste parmi les Seigneurs, Hènri IV au fein du Peuple, Louis XVI dans tous les cceurs. Tel eft Paris en abrégé; & s'il eft vrai, comme dit un Auteur Italien , qu'il y a huit mois d'hiver & quatre de mauvais tems, au moins eft-il conftant que Pair n'y fut jamais contagieux. On n'y connoit point la pefte, malgré le brouillard qui regne prefque toujours fur fon horizon, & l'on n'y meurt que parce que la mode de mourir n'a point encore paffe; mais que de morts différentes dont on reffent ici les effets 1 On y meurt a fa famule, k croyant  ( Ï2S ) trop grand feigneur pour la fréquenter, a fon nom, ne le trouvant point affez beau pour le porter; a fa réputation, parce qu'il n'eft plus du bel air de s'en occuper; a fa fortune 4 en faifant 1'impoflible pour fe ruiner; a laReligion, en penfant comme 1'extravagante Eugénie qui fe fera déifte, dit-elle, ft jamais elle devient dévote. D'après cela, les métamorphofes de Paris ne vaudroient - elles pas celle d'Ovide? Quoi de plus curieux que d'y voir la fervante maitrefle, le commis feigneur, le moine petit-maitre, 1'abbé athée? Et ce qui défole 1'homme qui penfe , c'eft de faire la cour a de ft dignes perfonnages; c'eft d'aller vingt fois lans les rencontrer. Point de petire. affaire dans Paris. Aminte y vint tout jeune pour obtenir un emploi, & les cheveux d\4minte ont blanchi fans qu'il  ( n6) ait rien obtenu, mais Aminte efpere encore. L/efpérance dans Paris, ne fe foutient que par des illuftons. Ecoutezl'être le plus malheureux; il vous entretiendra de quelque grande décóuverte dont il a le fecret; il vous pariera férieufe. ment de quelques millions qu'il eft au moment de palper ; & ce qu'il y a de plus plaifant, c'eft qu'il en eft fortement perfuadé, tandis qu'il ne fait pas ou prendre le premier fou. Je ne vois a travers ce- magnifiques reves que celui des Francs-Macons qui puiffe amufe r. Ils jouent a la Chapelle avec la plus grande gravité; ils fe raffemblent fous le fceau d'un fecret qu1 n'exifte pas, pour faire agréabiement pétiller le champagne & Pefprit; mais chut.... Ne pas refpe&er leurs royfteres, c'eft les contrifter; & ils font trop  < «*7 ) aimables pour qu'un profane ofe fe rendre coupable d'une pareille témérité. Leur affociation n'eft pas la feule qui cxifte dans Paris ; i'efprit a la mode aimant a faire des explofions éclate dans différentes fociétés. On les nomme des Mufées ; 6k c'eft la qu'au milieu d'un cercle d'amateurs , on Ut de la profe ck de la poëfte , qui hauffent ou baiffent comme les aótions; mais qu'on écoute avec plaiftr, parce qu'on aime la nouveauté. D'ailleurs cela multiplie >es jouiffances; & tandis que les uns trouvent la folitude 6k la verdure des forêts dans Paris même au milieu des plus féduifans jardins ; les autres fe déleöent a courir les aftemblées oü I'efprit met enfeigne pour fe faire écouter. Avoir feulement un billet pour s'y rendre, cela vaut un  ( ia8 ) accejjlt; & cela maintient 1'émulation. Si des perfiffleurs en badinent , c'eft qu'il n'y a dans 1'univers ni mérite, ni ouvrage, ni établiflement qui n'ait des contradi&eurs. Le firmament lui-même n'a pas feu plaire a tous les mortels. Un Roi d'Efpagne difoit que s'il eut créé 1'univers, il auroit fait les Cieux de cryftal. Je finis fans avoir 'parlé des portes de ville , parce qu'il n'y a dans Paris que des ares de triomphe ; & que cette Capitale, femblable au cceur des Franeois , n'eft jamais feimée. Venez, ditelie a toute? les nations qui couvrent la furface de la terre ; venez , noïrs , blancs, libres, efchves , Piïnces, Sujets , venez ; & dans une paix que rien n'altere, Sc dans la fociété des femmes les plus aimables, des hommes les plus communicatifs , loin du defpotifme f,  C 129 ) loin des inquifitions, fous les yeux des meilleurs Maitres; vous connoitrez a toute heure le plaifir d'exifter ; venez, jé n'ai ni barrières, ni foldats qui vous empêchent d'approcher; charmante invitation qui fe fait entendre jufqu'aux extrêmités du monde ; & 1'Indien comme le Turc, le Sicilien comme le RufTe arrivent a perte d'haleine, fe dépouillent de leurs mceurs, abjurent leurs coftumes & deviennent Parifiens. Si d'après tant d'avantages & tant d'agremens répandus dans Paris, il y a des perfonnes qui ne le goütent pas , nous les fupplions d'en refaire un autre ; & tout en attendant, nous préconiferons cette heureufe Capitale, malgré fes ombres & fes défauts, comme le lieu le plus focial. & le plus charmant de Punivers,  ( «30 ) , . . Tantum alias inter caput extulit urbes, Quantum lenta folent inter vibuma cuprejfi. V i rg... Ed ... ïl FIN.  PARIS E N MINIATÜ R. E.