CORRESPONDANCE POLITIQUE, CIVILE et LITTERAIRE, POUR SERVIR A l'HISTOIRE du XVIII! SIÈCLE. T O M E TRQISIEME. PREMIER CAHYER. Je ne Jers ni Baal, ni le Bien d'Ifraè'L f'ftYï' ■ i f i ■ -rf E E R L I N, Chez ETIENNE de BOURDEAUX, 1783. et fc trouve A Leipzich, chez Crujius; a Hambourg, chez /a Feaw roW-, a Vienne, chez Graffer; a Hanovre, chez les Frères Hehvich; A Strasbourg, chez Bauer; A Manheim, chez Fontaine; A £i//e , chez Jacquier; k Copenhague, chez üeineie &? Faier; £ Fribourg, chez 5a#e; A Augsbourg, chez La Peuve üT/e«e; a Anvers, chezj. F.de^otit, a -Bnuceto, chez F/on; h Owe/t chez A. 2>r Meer, a Francfort, chez Brönner; a la Haye, chez Gojr/èj a Amjlerdam, chez CAangwim; a Rotterdam, chez £*nnrt & üate. &c. &c. &c.   CORRESPONDANCE POLITIQÜE, CIVILE et litteraire, pour servir k L'HISTOIRE du XVIIP. SIÈCLE. Tableau de Vannêe Mille Sept cent Quatre Vingt deux. première part ie. AU renouvellement de I'année, il ne fera pas déplacé de jetter un coup d'oeil fur celle qui vient de rlnir, pour conftater ce qu'elle ofFre de plus remarquable & de plus digne de figurer dans 1'hiftoire L'année 1782 fera une des époques les plus célèbres dans les annales des peuples. Elle a été féconde en phénomènes, en découvertes, en éyènemens de plus d'un genre. La nature, les arts & la politique, les Elémens & les hommes, femblent s'être dilputés a 1'envi 1'honneur de fixer les regards des contemporains, & de reporter ceux de la poftérité fur ce poiot du fiècle memorable quc nous parcourons. Dans la divifion de eet ouvrage que nous avons terminée avec l'année derniere, nous avons ébauché quelques uns des traits du tableau qu'elle préfentera k Ia contemplation de nos defeëndans. Plufieurs des evenemens qU1 les intéreffevont y oat éré conügnés: im- A quej.  2 Correfpondance Politique, quelques uns des faits qui exciteront leur étoanefnent, y ont été recueillis, & accompagnés de réflexions qui aideront la pofterité impartiale k les apprécier. . Mais notre ouvrage étant plus deftiné a la difcuffion qu'au récit; n'ayant pas dircclement pour objet de raffembler tous les matcriaux qui ferviront a rhiftoir il ne peut pas embraffer tout ce qui mérite d'être tranfmis par elle aux races futures: fes bornes font erop refferrées pour qu'il puiffc préfenter un tableau complet des progrès & des travers de 1'Efprit humiin ;■ des inconféquences, des ouvrages & des aótions des hommes; des fpéculations & des rcouvemens de la poiitique; des démarches, des mefures fages ou funeftes des fociétés; &c. Nous fommes forcés d'omettre nombre de chofes cflentielles, qui n'ont pas un rapjiort fi prochain avec le but que nous nous fommes propofé de rendre cette produftion, non pas indifférente aux étrangers, mais particulieremcnt utile a notre nation , dont nous fouhaitcrions ouvrir les yeux fur fes vrais intéréts, éclaircir les droits & la conftitution, dans des temps oragcux ou les palfions déchainées les obfcurciiTent & les embrouillent. II n'y a pas d'orgueil fans doute, k nous flatter que nous fommes parvenus a jetter du jour fur ces importans objets, dans la révolution annuelle que nous venons d'acheveh Nous n'ofons efpérer que tous nos compatriotes nous faehent gré des efforts quc nous avons faits, dans la pureté de notre cceur, pour calmer 1'agitation a laquclle ils fe livrent; pour diffipcr les impreffions facheufes qu'ils ont recues; pour répandre la lumiere au milieu de 1'obfcurité allar'mante qui les enveloppe; pour fixer leurs idéés incertaines fur les matieres les plus intéreffantes a leur repos & a leur liberté. Mais 1'approbation fecrete que les hom■ nies éclairés. & calmes ne peuvent rcfufer a notre intention & a notre travail, nous confole de la privation a laquclle d'autres moins équitables, moins fages peutêtre', nous expofent. L'idée que nous ne fommes pas entierement nuls, ou tout-a-fait inutiles dans le monde , fuffit pour nous foutenir & pour nous encourager a rcdoubler de zèle dans la carrière que nous parcourons. Pour augmenter 1'intérét dont cette produótion n'a pas  Civile £f Littérairs. 3 pas paru dénuée aux yeux des étrangevs, nous la rendrons plus générale, ou plus univerfelle qu'elle ne 1'a été julqu'ici. Notre premier plan étoit de nous borner a la difcuffion des matieres qui intéreffent plus dircclement les Provinces-Unies: c'écoit un ouvrage national que nous voulions faire. Nous nous appergumes bientót que la monotonie en feroit 1'appanage, & le dégoüt qu'elle produit, le fruit. Nous nous rejettames fur les affaires générales de YEurope & de l'ylmérique, fans nous écarter pourtant de notre buc principal. Sans nous aftreindre a traiter- tous les objets, nous avons faifis les plus faillans, ceux qui nous paroiffoient prêter a des réflexions plus analogucs k nos vues. C'eft a nos leéteurs a décider fi nous avons atteint celle de les inftruire que nous nous propo* fions. Etant parvenus a développer les matieres qui regardent direclement la conftitution de notre Gouvernement & les affaires publiques de notre pays, nous ne ferons plus obligés de nous appéfantir fur des difcusllons qui n'intéreffent réellement que notre nation, quoi qu'clles foient propres a éclairer les étrangers fur ce qui fe paffe au milieu de nous. II nous reftera plus d'efpace a donner a ce qu'on fait & qu'on dit ailleurs. Nous pourrons nous occuper davantage de la politiqua & des opérations des autres gouvernemens; de la littérature, des arts & dés découvertes de YEurope entiere; en un mot, de tout ce qui peut, dans 1'enceinte circonferite oïi nous nous renfermons, fournif la matiere d'une leclure utile par le fond, & agréable par la variété. Commengons par mettre a la téte de ce Troijième volume-, un tableau raccourci de ce que l'année révolue offrc de plus piquant aux yeux d'un obfervateur attentif. Laifföns de cöté les petits faits qui n'intéreffent que des individus ou pour le moment, & qui fe perdenE enfuite dans 1'oubli ; les .événemens ordinaires ou communs que les Gazettes recueillent, mais qui n'onc aucune utilité pour les hommes, ni aucune influenc'e fur la fociété; les découvertes puériles, pompeufement annoncées dans lesjournaux, & dont 1'enthouiiafme éphémere qu'elles excitent eft le feul fruit qux en réfulte pour le genre humain. Toutes ces mifères A 2 li  4 Correjpondance Politique, la peuvent occuper ou diftraire un inftant des le&eurs oififs, & ne fauroient fatisfaire des lecfeurs fenfés. Fixons nos regards fur les grands objets qui tiennent a la profpérité des nations & au bonheur de leurs membres. Ceux la feuls méritent notre attention & notre étitde. Tout ce qui tend a augmenter les richesfes d'un peuple ou a les diminuer, a affermir fon existence politique ou a la détruire; tout ce qui peut accroftre la fplandeür d'un Etat ou 1'humilier, étendre fa puiffance ou 1'affoiblir; tout ce qui a pour objet la fubfiftance & le bien être des individus, leur repos & leur utilité, leur mifère ou leur deftrucf ion; tout ce qui peut les rendre malheureux ou méprifables, les égarer ou les avilir, multiplier leurs connaiffances, éfever leur efprit & perfectionner leurs facultés; eft digne de la méditation d'un fpéculateur ami de fes femblables , & mérite d'occupcr les loifirs d'un lefteur qui veut s'inftruire. . . Ici, comme nous 1'avons dit, la nature, la politique & 1'induftrie, les hommes & les élémens de concert , offrent un vafte champ a 1'obfervation. II y a peu de périodes dans 1'hiftoirc, fi fertiles en événemens extraordinaires, en faits finguliers, en révolutions mémorables, en inventions précieufes ou fwneftes,. en projets deflinés a changer la face du globe, que celle qui vient de nous échapper. Peut-être ne fommesnous pas aflez frappés des grandes chofes arrivées fous nos yeux, ni affez attentifs aux fuites qu'elles prépirent. Dans la politique, nous voyons Ie conlommcr fur les rivages Atlantiquis 1'indépendance d'un peuple révolté contre fon Souverain légitime, & appuié par les armes & Pargent d'une puiffance qui reftreint les droits de la liberté fur les bords du Lac Liman. & qui applaudit peut - être en fecret aux entreprifes formées a 1'embouchure de la Meufe & du Rhin, pour renverfer une conftitution.libre, qu'elle a fouvent vue d'un ceil jaloux; Une nation orgueilleufe & libre, qui prétendoit jadis h 1'empire de la mcr, & qui eft aujourd'hui écrafee de dettes, épuifée d'hommes & d'argent, contrainte de légitimer, par un afte authentique, la rébellion de ' fes propres fujets, qu'elle s'eft vainement obftinée a remettre  Civile 6? Litterairs. $ remëttfe fous le joug: affaillie elle raême par la moitié des forccs du globe; ayant a combattre YAmérique, YInde & les trois puiffances maritimcs de YEurope les plus formidables après elle; intérieurement dechirée par des divifions, dévorée par la difette, troublée par le brigandage qu'enfantent les calamités de la guerre, le luxe, "la dépravation qui 1'accompagne, la miférc qui le luit; & au fein de cette détrefle effroyable, de ces embarras multipliés, de cette pénurie complette, couvrant néanmoins les'mers de navires pacifiques & guerriers, déployant des efForts prodigieux, navigant tranquillcment d'un pole a 1'autre, enchainant la viétoïre aux Antilïes, la balancant en Afie, & triomphant aux pieds des colonnes d'Hercule des forces maritimes & terreftres réunies de deux ennemis redoutables & braves; Un Royaume puiflant par fon local, fa conforrnation & fon étendue, par fon immenfe population, les reffources nombreufes, 1'acfivité & le courage de les habitans, appauvrilfant fes fujets déja trop miférables fur un fol favorifé des plus précieux dons de la nature; dépeuplant fes cótes pour équiper des flottes formiaables; obéranc fes finances & prodiguant fes Soldats, pour le vain & frivole honneur d'abbaiffer 1'orgueil d'un voifin altier qui a fouvent été fon adverfaire, pour la gloire chimérique & le ftérile plaifir de confoiider un Etat qui lui fera inutile, s'il refte foible, funefte, s'il fe fortifle; qui, a coup für, va confacrer le début de fon role de Roi, par reconnoftre avec de 1'mgratitude les fervices de fon bienfaiteur & qui en fera un jour 1'ennemi le plus dangereux; ' Une Monarchie immenfe qui poffède en Europa les plus belles Provinces longtemps dégradées par Ie defpotifme & 'YInquifition, dans le nouveau monde les plus vaftes & les plus riches déferts encore défolés par 1'avarice & 1'oppreffion , diffipant fes tréfors multiphant les emprunts, facrifiant le fang & la fubstance de fes peuples, faifant des efForts prodigieux pour voir fes armes nulles' prefque partout, & humi' liécs k Gibraltar; Une Republique jadis fage & floriffiinte, terrible a tes tyrans, refpeftable a fes alliés, paroiflaftt aujourd hui hvree a 1'efprit de vettige ik de fédition; fub■A 3 juguée  % -Cofrefpondance Politique, iuguée par la politique déliée d'un voifin adroit & reinuant; foible au déhors, divifée au dedans; prête a volt fa conftitution renverfée, fa liberté difparoïtre & fon fein déchiré par fes fujets, qui devroient fe reunir pour dé'concerter les projets qu'on médite contre leur pays, plutót que de s'acbarner a 1'afFoiblir par leurs diffentions, & de le troubler par leurs violences contre un citoyen diftingué, & leurs attentats contre les droits d'un Chef illuftre; Geneve, autrefois libre, paifible & heureufe, mamtenant cfclave, avilie & déferte, voyant dans fes murs les Soldats de fes alliés, de fon prote£teur & de fon ennemi réunis pour donner également la loi aux perturbateurs de fon repos & aux opprelTeurs de ia liberté: , „tij Pendant qu'elle perd fon indépendance , l Ir lande qui a recouvré la fienne avec tous les avantages civils qui la rendent précieufe, tend les bras aux Genevois fugitifs, leur fait des offres généreufes, & prcfente tlans fon fein, une patrie h ceux qui n'cn ont plus lur les bords du Rhdne. Au milieu de tartt d'événemens difparates óc de raits contradiftoires, on voit un Prince plus confequent, parvenu récemment au tröne d'une Mere celebre par fon bonheur & fes vertus, fignaler les prémices de (on ïèghè par des réformes remarquablcs ; fermer des tombeaux élevés au nom de la Religion, ou la jeunelTe des deux fexes alloit s'cnfévelir toute vivante; étendre 1'Empire de la tolérance fur tous fes Ltatsi; annuller d'un traitdc plume un Traité qui avoit fublilte 60 ans, & couté des millards comme des torrens de fan" a former & a défcndre; rcnvcrfer des fortercOes envïfagées iufqu'ici comme des boulevards néceffaires k un pays qui a été dans tous les temps le théatre de la euerre: ambitionner de devenir auffi puilTant lur mer qü'il I'eft fur le Continent,- encourager le commerce & la navigation de fes fujets qui profitent du délire des autrcs peuples pour s'en emparer; le disnofer a faire couler dans fes domaines les ncheiles de 1'univers, par l'Océan, la meriVo^ & le Golfe Adria- tiqDeux "puilTances dont une étoit encore ignorée au •OQmrneïKement, dont 1'aiure a lutté jufqu'au milieu  'Civile & Litteraire. 7 de ce fiècle contre les entreprifes enhardies par fa foiblcffe, devenues infenfiblement formidables par 1'étendue de leurs poffelfions & le nombre de leurs reffources. concertent entre-elles les moyens de s'ëtendre, de fe fortifier encorc, & fe préparent en filence a reculer les bornes de la domination chréticnne, fur les débris d'un Empire qui en eft par euence 1'ennemi déclaré. Parmi ces guerres défaftreufes, ces projets brillans, ces révolutions confommées ou prêtcs a letres, le Portugal, prefque toujours enveloppé dans les quérelles de la France, de YEJpagne ou de YAngleterre, refte paifible, commerce tranquillement, s'enrichit & fe perfeétionne: les Pays - bas- Autrichiens & VItalië, contrées fameufes, fi fouvent teintes du fang de leurs ennemis & de leurs défenfeurs, jouilfent de la paix: YAllemagne qui n'a pas été moins fréquemment que la Flandres & le Piémont, ravagée par les guerres qui ont défolé YEurope, eft également exempte de ce cruel fléau: la Rujfie, la Suède & le Dannemark profkent fans bruit des divifions des puilfances maritimes, pour s'approprier une partie de leur navigation & de leur commerce. II eft affez fingulier que Ie Grand Frêderic, qui a joué un role fi important & u* glorieux dans les guerres précédentes, ne prenne aucune part a celle-ci, aumoins direftement. Speclateur tranquille des efforts que font pour fe ruiner quatre puifTanccs'dont trois au moins ne lui font pas indifFérentes, il jouit de fa gloire a 1'ombre de fes lauriers, paroiflant moins jaloux d'en moifFonner de nouveaux, qu'attentif a conferver 1'éclat de ceux qui ornent fon front, & foigncux de perfedtionner une légiflation fage, par un règne vigoureux, qui ne fe reflént ni de la vieilleüc de ce monarque fameux, ni des infirmités qui la lui rendent fi douloureufe. Quelque chofe plus étonnant pcut-être, que I'indirrérence apparentc du Roi de PruJJe pour le fuccès & les fuites de la guerre préfente, c'efl que, tandis quc la difcorde fecoue fa torche fatale a Conflantinople, en Crimée, a Fribourg, k Genève, dans les Pro»inces - Unies, qui fervent de théatre aux accès de fa fureur ou a ccux de fa démence; la turbulente A 4 &  8 Correfponddnce Politique, & anarchique Pologne, jouit d'un calme, d'une tranquillité inconnus iufqu'ici pour elle. Ses divifions fameufes,, fuivies quelquefois de la guërre civile,^ & qui ont' a:nené enfin le démembrement de eet Etat hermaphrodite, paroiffent avoir pris fin a la iiiite d'une correétion li fenfible. Ses orageufes diettes, fi fouvent enfanglantées , lorfque le refte de YEurope étoit en paix, fe tiennent aujourd'hui fans ligue & fans effufion -de fang, quand la ittoitié 3u Globe efi embrafé, quc les habitans de plufieurs contrées font livrés a la révolte, & menaeent de s'égorger. Celle qui a été afiemblée k la fin de 1'été dernier n'eft remarquable. que par 1'hannonie qui a régné entre fes membres, & par les régiemens fages qui lont émanés de fon fein. Plus prés de nous, dans un pays gouverné par le pouvoir le plus abfolu, ou le peuple eft autant humilié que foumis, auffi craintif qu'obéiflant, également véxé par des fubalternes, & fidele a fon Roi; ou la volonté du maitre & les caprices de fes agens font trembler.vingt millions d'ames, dont 1'affujetiüement eft compenfé par 1'heureufe impuifiance oü elles font de troublcr leur repos par de ridicules difcuflions fur des droits qu'elles ont perdus ; la fin de l'année derniere a été marquée par un de ces élans d'un courage honorable s'il avoit pour objet de défendre des Privileges précieux envahis par 1'ufurpation; mais ridicule quand il ne fe manifeftc, que pour foutcnir des prétentions perfonnelles, ou des formalités puériles. La noblefle Bretonne lemble atteinte de la contagion dont les fymptómes s'annoncent de toute part, d'une maniere erfrayante pour le repos des nations. ' Le ton avec lequel elle ofe parler a fon Roi, pour révendiquer un droit indifFérent en foi, dónt elle a plusd'une fois méfufé, n'eft pas d'un bon augure pour la tranquillité de ce beau Royaume. Si ce fanatilme remontrant n'y étoit pas réprimé dans fon origine, ou contenu dans fes acces, il gagneroit promptement les ompagnics de Robe, qui ajouteroient bientöt h 1'audacc qui n'eft qu'indécente, la révolte qui feroit criminelle. Ón regretteroit probablement alors d'avoir vu ailleurs avec tron d'indiffércnce, ou peut - être avec trop de complaifance, le germe de la fédition fc developpcr dans  Civile 6? Litterairs. 9 dans les cocnrs. Ce n'eft pas une politique bien faine que celle qui provoque, ou qui approuve chez fes voifins, une licence qu'elle a intérêt de prévenir chez elle; les Gazettes Francoifes de Hollande qui la respirent, ou qui en font 1'élogc, circulant librement en France, pourroient 1'infpirer a fes habitans, déja imbus d'un philofophifme qui tend a la propager. Le voyage du Pape a Vienne eft fans contredit un des événemens, fi non les plus intéreflans, du moins les plus finguliers de l'année derniere, & même du fiècle entier. Quels qu'en aient été les motifs, encore peu connus du public , c'eft fans doute une chofe étonnante de voir le Chef de la Hiërarchie Eccléfiaftique, le rival des Rois qui en a fouvent été l'oppreifeur, s'aller humilier a deux cent lieues dé fon fiège, devant I'héritier de ces Ce/ars, dont fes prédéceifeurs fouloient a leurs pieds leDiadême. Aucune des portions de la révolution féculaire qui tire a fa fin, ne tranfmettra a la poftérité 1'exemple d'une démarche auffi difparate avec celles des temps antérieurs. N'omettons pas un fait, d'une confequence moins férieufe fans doute que tout cc qui précéde mais bien confolant pour 1'humanité, qui a fi fouvent a rougir ou a pleurer des événemens qui 1'iiué'refTent effentiellement. La délivrance de M. Linguet fera époque dans les annales de la littérature. L'année 17S2 a vu rendre a la lumiere & aux lettres, un écrivain célèbre que 1'iniquité avoit privé de 1'une & arraché aux autres. C'eft grand dommage qu'elle ne puiffe pas rappeler aux fiècles futurs 1'idéc de 1'incendie ou de la deftruction de 1'horriblc cachot qui renfermoit cette viclime de la haine & de 1'envie, avec tant d'autres infortunés que les talens ou le mérite ne peuvent pas préferver des fupplices de eet enfer temporel. Jl eft facheux qu'une époque fi mémorablc ne foi't pas immortalifée par le renverfement De eet affreux chateau, palais de la vengeav.ee, Qiii renferme fouvent le crime £f l'innocence. C'it événement feul fuffiroit pour éternifer Je rc-'tie A 5 bdQ  jo Correfpondance Politique, de Louis XVI. Ce feroit un moment bien glorieus; pour ce Monarque, dit un défenfeur ardent de M. Linguet, ( i) que celui oh il ordonneroit de mettre le Feu a la Ba/tille, avec la derniere lettre de Cachet. Avec la fin de l'année paffee a concouru le bruit peu vraifemolablej que YEJpagne, impénétrable jufqu'ici a la voix de la raifon & de 1'humanité, alloit abolir Vlnquifition religieufe: en ce moment les papiers publiés parient de eet événement comme étant arrivé, & avec des circonftances qui ne permettroient pas de le révoquer en doute, fi 1'on n'avoit pas lieu de prendre ces détails pour une fatire, plutót que pour un récit. Pourquoi donc faut - il que la France plus éclairée; que la France qui a toujours abhorré eet odieux tribunal dirigé par des moincs fanguinaires, ait négligé de faifir le point le plus remarquable du fiècle, pour réalifer le voeu de tous les honnêtes gens, en dévouant a 1'exécration & a 1'anéantifFement, 1'infame priFon du defpotifme le plus épouvantable qui exifte fur la terre? L'Empereur renverfe dans fes Etats des fortereffes milie fois moins funeftes que la Baftille n'eft inique & odieuFe: comment donc Fe fait-il, que fon beau frère qui n'eft ni moins jufte, ni moins humain, laiffe Fubfifter le palais du bon, du Fagc Charles V, devenu un monument d'opprobre &de tyrannie? LcMonarque Francois ordonne des réFormes équitables dans les priJons ciyites; des adouciflemens, des égards Font accordés par fes ordres aux fcélérats dans les prifons criminellcs: par quelle inconféquence barbare arrivé t-il donc qu on tourmente encore en fon nom, des innocens a la porte St. Antoine ? Enfin, pour achever de rendre l'année 1782 fingulierement in^érelFante, il ne manquoit plus que de voir la paix ramener 1'olivier bienFaifante dans «os climats déFolés. On s'en eft occupé férieufement les fix derniers mois. Les négociateurs fembloient animés du defir de fismaier cette période du fiècle, parlafigna- ture Cl) Voyjï le yiumal Polit^as, &c. i 1'Inflar des Amalei, N°3-  ■Civile fcf Litteraire. ii txire du traite. Leur empreflèrnent, leur adlivité indiquoient de leur part, Fintention de finir les divifions des puifïances, avec la révolution annuelle. Tout paroifloit s'acheminer vers ce falutaire ouvrage. Le public, fecondant de fes vceux le zèle des pacificateurs, attendoit le réfultat de leurs efForts avant le renouvellement de l'année: il étoit fi convaincu du fuccès des négociations, qu'il avoit fixé d'abord le 10, enfuite le aSBécembre, pour le jour qui verrok renaïtre une harmonie momentanée entre les nations. Cet efpoir s'eft évanoui. Le démon de la difcorde, jaloux du luftre que l'année 1782 alloit recevoir de la; conclufion de la paix, en a reculé le retour jufqu'a une époque qu'il eft impoffible de déterminer, en femant parmi les pontifs de cette divinité, les foupeons, la défiance, 1'orgueil, les prétenfions, enfansde la zizanie. II faudra encore bien du temps pour diffiper les uns, pour fatisfaire ou appaifer les autres.. Le canon, qui n'auroit dü ronfler au nouvel-an, que pour inviter les peuples aux réjouifFances, grondera donc encore cn 1^83, comme les années précédentes , pour fervir la colere de leurs maftres? Laiflbns ces bouches redoutables vomir la flamme S: la mort a Gibraltar, aux Antilles, dans YInde, fur la Manche & la Mer du Nord. Pendant qu'elles s'apprêtent a fervir de nouveau la fureur, ou a exciter le ridicule, recueillons quelques traits de génie ou d'imagination, qui ne contribueront pas moins que les opérations de la politique & les événemens de la guerre, a diftinguer l'année 1782. Elle a été fertile en inventions ou en découvertes fingulieres, comme en démarches extraordinaires. L'hiftoire fera mention des Caronnades, des Batteries flottantes, des Boulets incendiaires, des Barques infurmergibles, d'une Pompe d cordes, d'une Eau extinguible, d'un Bateau volant, (YxxnChariot d rejjorts, d'une Pofte aè'rienne, auffi bien que du combat de la Bominique, du fiège de Gibraltar, de 1'Indépendance Américaine, des Edits de JojephU, &c, De ces découvertes les unes font ridicnlcs ou im~ poflibles, les autres funeftes a la fociété ou inutiles aux individus: deux ou trois, tout au plus, peuvent leur  '12 Corrêjpmdance Politique, leur rendre des fervices dont il foit permis de les féliciter. II femble que les hommes fe piquent plus de faire ou d'imaginer de grandes chofes, que des chofes utiJes ou honnêtes. En tout genre 1'extraordinaire eft 1'objet de leurs voeux & de leurs recherches: 1'utilité publique, 1'avantage de leurs femblables entrent pour peu, ou pour rien,' dans la détermination des efforts ns lettres, éioit un nouvel Archimede. Le cèlébre Laurtns étoit le fiis d'un payfan, ruftte comme feil pere; lans théorie & fens étude , il n'avoit pour gmde que fotl génie hardi; La Machine de Véderain, oui n'a échoul que paree que Ia mefquinerie a empéehe 1 mventeur de proport.onner les movens a Tellet qu'on, attendeqt de fon cmrepnte, elt 1'ouvrage d'un charpentier Ardennois , qui ctche fous un a peet ft.nide, u'n efprit invendf. On ne finiroit pas de citer des ttaits de ce eenre Si 1'oiigine des arts n'étoit pas emelo; ce dun voile impéniiable' on les verroit tous fortir de têtes ou de mains ignorant.es.  fcivik & Litteraire. tf La lenteur ou Ia viteffe de la marche d'une parcille machine font indiffërentes a fon fuccès: II fuffit qu'on puiffe la faire mouvoir, pour qu'elle opére également fon effet, celui de trarifporter une maffe quelconque, dans un temps plus oü moins long. Le mobile qui la feroit agir peut fufpeildre lui-même fon aclion, fans aütre inconvértient que celui d'arrêter un. moment fa marche. Elle ne retrogade pas comme le havigateur des airs, par la ceffation des mouvcmens; & 1'efpace qu'elle auroit franclii quand les agens qui la meuvent feroient forcés de fe repofer par des obftacles ou par 1'épuifemeilt, refteroit parcouru, & le défauc d'aftion ne le feroit pas perdre. En admettant la poffibilité de créer üne femblable machine, & de s'en fervir avec une facilité proportionnée au fuccès de fon ufage, il faudroit encore en apprécier 1'utilité. Elle auroit été utile fans contredit en Riiffte, pour' tranfporter a Pétersbourg le rochcr énorme fur lequel 1'incomparable Catherine a fait jucher la ftatue de Pierre le Grand: elle le feroit en Elpagne pour aider les EJpagnols a ï-éduire Gibraltar; & elle pourroit le devenir a toutes les arrhées pour trainer rartillerie. Les pièces de canons tirées par 12 ou ijr cheva.ux, franchiroient d'elles mêmes les Vallons, les ravins, les montagnes les plus efcarpées» & tous les obftacles que 1'incivile nature oppofe a la célérité des mouvemcns héroïqucs de nos guer-, riers. Ces avantages feroient un grand bien h la fociété*; Les chevaux qui 1'affament par leur confommation, feroient remplacés par une méchanique qui ne confommeroit rien. Ceux de les individus dont on emploie les bras pour fuppléer les chevaux, ne feroient plu» excédés J>ar des efforts qui les ufent ou qui les extra-» pient. De rartillerie & des fièges cette heureufe in* vention pourroit être adaptée aux ufages ordinaires de la vie. Le laboureur cultiveroit fon champ fans peine & fans fraix; 1'opulence n'auroit plus beïbin de cocliers ni d'écuries; les couriers, enfermés dans des caiffes roulantes, franchiroient tout feuls des diftance« immenfes fans s'en appercevoir: la confommation diminuée de moitié par la deffruction des ciievaux, & Tom. IJl. B 'jrt  'jg Cóïrefpon&cince Politique, les travaux affommants fupprimés de la lifte nombreufe dé ceux qu'il faüt exécuter aujourd'hui dans 1'ordre des chofes a&uelles , rendroient la fociété opulerite fans dépenfes & fes membres heureux fans fatigues. On fent bien- que tous ces refultats font chimcriques; ils ne font pas même 1'objet des recherches des hommes. Quand les fociétés font peu nombreufcs, & qu'elles ont peu de forces a confacrer aux ouvrages réclamés par leurs befoins, toutés les inventions font dirigées vers 1'utilitó. On cherche des méthodes pour abréger les travaux, & pour en diminuer la peine. Tous les agens qui peuvcnt aider les bras ou les iuppléer, font employés dans leurs opérations: 1'eau, fe feu, les animaux, la méchanique font appcllés au fecours de 1'homme. Les manipulations qui peuvent accélérer 1'ouvragc, ou en faciliter 1'exécution, font rccherchécs avec foin, & adoptées avec empreffement, lorfqu'on les a trouvées: eïles font utiles dans tous les fens, & ne fauroient jamais être nuifibles. C'eft ainfi que 1'invention des Moulins a eau ou a vent fut dans 1'origine,- un véritable bienfait pour la fociété. L'inventeur trouva le fecret cle maitrifer deux élémens, & de les faire concourir au foulagement des hommes, en cxécutaut avec facilité & a peu de fraix, des travaux pénibles. Les bras des efclaves furent moins fatigués a diriger des meules & desfcies, qu'a les mouvoir cux - mêmes. La charme, les chevaux; appliqués au labourage & au tranfport Ues denrées, en ont facilité la produétion; ils ont ciccéléré les opérations néceffaires aux befoins de la foc;été, & adouci les travaux de la portion de fes membres condamnés a y pourvoir. Lorfque les 'fociétés font nornbrcufes- & perfethonécs, c'eft-a-dire, frivoles & inconféqucntes comme aujourd'hui, ce n'eft plus cette fin falutaire que les efforts du génie fe propofent. L'induftrie vife a étonjier les hommes plutót qu a les fervir. Si fon cherche encore quelque avantage dans les inventions, c'eft celui de 1'opulence, & non c^es individus laborieux. On tache moins de diminuer les fatigues de l'indigence, quc' les dépenfes des richcs. On ne fait pas attention aue telle découverte qui a pour objet d'a- bre-  Civile fe? Litteraire. préger le travail, ou de le rendre moins pénible, eft fouvent auffi funefte d'un cöté, qu'elle paroit avantageufe d'un autre. On ne confidere pas mêmè que toutes les inventions; toutes les manipulations expéditives qui étoienp (I précieufes autrefois, lorfque les bras étoient rares, perdent de leur prix a mefure que s'accroit le nombre de ces derhiers, dévoués dans 1'ördre focial a n'avoir pour s'alimenter; de reffource que celle de fuppléer aux unes & d'exécuter les autres. Les chevaux en labouranc pour faire croftre les derirëes; en charianc 5>our les tranfporterj mangent le pain du peuple; & es machines, en executant des travaux qui lui étoient réfervésj Ié privent d'une rétribution avec laquelle il fe procureroit la fubfiftance. Ce n'eft. pas h dire pour cela, que»Ja fociété puiffe1 fe paffer ni de machines ni d'agens plus robuftes ou plus agiles que les hommes, pour fournir k fes ï.ombreux befoins. Mais il lui faudroit moins des unes, & un choix plus judicieux des autres; pour én retirer futilité qu'elle en retevoit, lorfqu'elle avoit moins de bras pour produire, & de bouches pour confommer. Les Bosufs devroicnc ctre fubftitués aux chevaux dans tous les pays fort peuplés, paree qu'ëri ëxécutant de même les travaux pénibles, ils confomment moins, & qu'ils offrent une dépouillè préciéufe aux hommes; & les machines de toute efpèce, adoptéés uriiquemene dans les cas oii les bras manquent, ou qu'ils ne peuvent -les fuppléer. II rte faut pas de moulins a fcie partout oh il y a dés hommes qui ont befoin de fcier pour gagner leur.vie, ni d'automates pour battre & vaner'le" grain, dans les lieux oii des families enticres attendent leur fubfiftance du falaire attaché a ces rudes manipulations.. . , . * . Un défaut de réflexion ou de jufteffe d'efprit, porte hos admiratcurs des progrès dé 1'induftrie, k cenfurer ï'autorité qui négligé de 1'encourager, ou qui lui met fouvent, avec peü de difcernement, des entraves qui la gênent, II eft fur qu'4 bien des égards, ils ont raifoii; mais a d'autres, ils ont tort. Toute invention qui tend a enlever a Ia claffe fubakerne fort gagne-pain, en lui enlevant fon travail, doit être prosferite d'uiie fociété bien régie, par une admjnjftration, B 2 pater*  16 Correfpondmce Politique, paterrielle, qui s'occupe de Ia fubfiftance de fes ment-; Dres , quelque ingénieufe qu'elle foit d'ailleurs, &. quelque avantage que fon uiage puiffe procurer a 1'ar'tifan qui 1'emploie, ou aux confommateurs qui fe ferment de fes productions. Ceux qui blament des magiftrats éclairés cc peres de leurs citoyens, qui ont interdit un métier propre a fabriquer feul du drap, & refufé des récompenfes a fon auteur, font, ou aveugles; ou injuftes. Cette machine feroit véritableffient admirable, un Chef - d'Oeuvre de génie, & n'en devroit pas être moins profcrite pour cela, d'une peuplade nombreufe, par des adminiftrateurs fages, qui voudroient conferver du pain, ou des moyens d'en gagner, k la claffe inférieure de leurs fujets. L'année derniere a vu éclore en France une machine adoptée dans leöcitteliers de Rouen & d'Amiens, pour filer la. laine & le coton. Quoiqu'elle ne foit pas plus que toutes les autres inventions ingénieufes un fruit des Lettres ou de la Philofophie, elle réunit les fuffrages des favans par fon méchanjfme, cc les éloges des philofophes par fon litilité. Dirigée par un feul homme, elle fait, dit-on, autant d'ouvrage que foixante perlbnnes en feroient avec des rouets ordinaires. Voila donc une découverte précieufe, qui accélère le travail , qui en diminue les manipulations & la dépenfe, & qui rendant le prix de la main d'ceuvre plus modique, ficilite aux manufacfuriers les moyens de s'enrichir, & aux confommateurs ceux de s'habiller a moins de frair. Cependant, deux cent moulins pareils répandus dans les villes fabriquantes du Royaume, fuffiroient pour réduire un million d'amcs a la mendicité; & cc malheur ne feroit compenfé, que par la faculté qu'auroient les riches de faire de plus abondantes aumóncs aux fileufes fans ouvrage. II eft un temps & des pofitions ou les fociétés pcuvent fans inconvéniens adopter toutes les machines, tous les procédés tendant k accélérer 1'ouvrage, & a cn diminuer les fatigues & la dépenfe: c'eft lorfque le nombre d'hommes qui ont befoin de travailler pour vivre, ne réunificnt pas une fomme de forces fuffifante pour exécuter les travaux néceffaires aux befoins de la communauté, & que les ouvriers mettent h fairs ouvrages un prix excefiif.. En Hollamle, par cxe«i«  Civile- 6? Litteraire/. ar. éxemple, les moulins a fcier du bois, & ceux qui desfcchcnt les prairies & les tourbicres, ne font pas nuifibles a la claffe laborieufe, paree que les bras manquent pour exécuter une partie de ces travaux, qu'ils font trop foibles pour fupportcr les autres, & qu'ils mettroient k leur intervention dans ces deux manipulations, un prix qui détruiroit tous les rapports des fpéculations du commerce. . Dans les valles déferts de YAmérique-Septentrionale, ou il y a peu de monde & beaucoup de terreins a défricher, de cbemins a ouvrir, de marais a deifécher, de rivieres a rendre navigables, d'arts & de métiers k exercer; toutes nos méthodes anciennes & modernes d'exccuter ces travaux, de les accélérer, d'en adoucir les fatigues, & d'en diminuer les fraix, y font utiles, néceffaires; & de longtemps aucune n'y fauroit être fuperflue ou nuifïble. (i) Cc ne fera que quand la population y aura fait d'immenfes progrès, que les travaux de la terre, 1'exercicc des arts & des métiers que les befoins de la fociété néceffitent, n'offrant plus aflëz d'alimens aux hommes qui n'ont que 1'emplot de (O Les peuplades de Ïïjtmêrlque-Septentrionale ont de grands ivnntages quc n'eurent pas dans leur origine, celles qui fuut répandues. fur les autres points du globe. Avec un lol immenfe a leur difpoUfitrn, ellcs ont pu s'approprier en naiflant, Ie 'fruit de treire (iècles de' recherches peifectiomiées par 1'expérience. C'eft l!i, avec la douceur de fAdininiftration patcrnelle qui les a protdgées dans leur. berceau. Ja caul'e de leurs progres rapides veis la populatjo)i & la richëfle, Ellcs en feroient de prodigieux a ces deux égards, li a 1'avantage de pofl'éder tout d'un coup des arts, des, metiers, des machines que les autres peuplgs n'ont pu acquérir que fuccèffiveinent &. avec leu.eur, elles n'adoptoient pas des viets moraux & des errcurs politique», appanigos des nations coiTompues. Elles ont une virilité préeoce; elles rifqceiK dc parvenir promptemënt a une vieiilefl'e caduque. II faut aux göuyeiF nemens comme aux individus qui en font partie, un temps d'enfance, & celui de fe fnrtifier progreflïvement durant la feuneife, prur parvenii: a une confiftance dgrable. Les uns comme les autres quand jls aïrivenl trop rapidement a Ia maturité. précipitent leur exifbence vers fon terme. II a faltl pluiicurs fitcles a Rome puur s'aggrandir & fe conliilidtr: il monarchie Fruncoifi a végété pendant douzc cent ans, pour acquérir fon embonpoint. II n'y a que deux, fitcles que Ia République ries'/Vo'vinces - Unies naquit. Eu moins de cinquante an<, elle eft parvenue au plus haut période ce pii'flance & de gloire: cn voila quatre v'ngt,qu'cl^e va en décadencc ■ & aujourd'buj. clje touche a la décrépiuiii'.. *3  22 Comfpon&ance Politi([uef de leurs bras pour vivre, que le travail qu'on cxécutera avec' les chevaux & les machines fera un vrai larein fait a la ciaiïe inférieure. II en fera la tout comme en Europe. Les procédés expéditifs, les manipulations peu coTiteufes.de rinduftrie, n'aurqnt d'utilité que pour les riches. En avililfant le prix de la mam d'oeuvre, elles feront avantageufes aux confommateurs opulens, & funeftes aux individus laboricux. Ceux qui prétendent parmi-nous a 1'honneur de fervir leurs femblables, ne doivent pas s'occuper de fimplifier les machines exiftentes pour diminuer le nombre de bras, ou d'en inventer de nouvelles pour s'en paffer. Toute invention tendante a faciliter les manipulations dans les arts, a abréger le travail, ou a renJre le concours de fes agens moraux moins nécesfaire ou moins nombreux, eft évidemment a 1'avantagc des riches, & au préjudice des pauvres. II en réfulte toujours une diminution de travail & du prix de la main-d'ceüvre, comme une concurrence plus forte Sntre les ouvriers qui ont befdin d'ouvrage & de falajre pour vivre. Depuis qu'on a trouvé le fecret de faire tourner la broche avec des poids ou par des chiens, les enfans des pauvres, voifins des palais de 1'opulence voluptueufe, font privés de la reffource de Eigner leur diner, en faifant rotir celui des autres. es tournebroches modernes ne font pas la feule invention funefte a la claffe indigente. S'il eft permis aux hommes de génie, lettres ou Idiots , de tenter de nouvelles découvertes dans la méchanique, ce n'eft qu'autant que leurs recherches ont pour objet de diminuer, non la dépenfe de qaelques individus , mais la confommation de. la fociété. Le peuple, la plus nombreufe clafie fociale, profite fort peu de la diminution du prix de quelques ouvrages, paree qu'il cn confomme peu, & rien de celle de tous les autres, paree qu'il n'en confomme pas du tout. Ce qu'il gagne d'un cöté, il le. perd au double.de 1'autre. S"il paye 1'aune de toile deux fois meilleur-marché, il en a reeu quatre de moiris pour la fabriquer. II n'y a que le riche confommateur, a. qui cette diminution de prix foit avanfa^eufe. ' Mais' les inventions qui tendroient a diminuer la . con-  Civüe 6? Litteraire. 23 confommation des denrécs, en fuppléant les animaux qui les confomment, ftroicnt ütiïës a la Jociété enticrc, fans préjudice pour aucun de fes membres. Si 1'on pouvoit, par exemple, trouver une méchamque qui vempJaeÊtt les chevaux dans les travaux qu'ils exécutent, onïcnJroit un fervice inappréciable aux hommes, cu fupprimant tout d'un coup une des plus fortes branches de Ia confommation'( 1). Le terrein employé a produire la nourriture de ces agens déyorans, le feroit a produire celle des hommes. Les prairies dont ils mangent larécoltc, ferviroient de paturage a des animaux plus utiles durant leur exiftence, & infinimènt précicux après leur mort. Les moutons & les bceufs, multipiiés fur Ja terre, y répandroient J'abondance &■ le bien-être. Les chevaux la rongent fans afllirer aucune indemnité a fes habitans. ! On ne peut pas efpérer que le génie de 1'homme parvienne a imaginer des procédés capables de remplacer la fonflion de ces êtres couteux & ftériles, dans les travaux de la campagne & dans le fafte de 1'opulence. II eft probable qu'il n'inventera jamais de machines propres a labourer d'elles même la terre, & a promener 1'indolcnte molcfte. Nous ne verrons pas de voitures merveilleufes, courant la pofte toute feules, tranfporter tant de voiageurs d'une facon aufli rapide qu'inutile. Mais fi la méchanique pouvoit fe perfecfionner affez pour fuppléer les chevaux dans le déplacement des fardeaux péfants, pour être adaptée au tranfport des trains d'artillerie & du volumineux attirail de la guerre, ce feroit un bienfiit pour la fociété , que de 1'élever a .ce dêgré de perfeclion. Les effais tentés en France pour y parvcnir, confidérés fous ce point de vue, ont un objet louable, qui mé--' rite qu'on les encQurage; & ce n'eft qu'autant que la ma- f 1) C'eft la raif 'ii pourqupi les voitures par ea i Tont fi nvanrngeufes a la fociété: cl'.cs lui ïendent les plus grands (èrvices, & ne lui courent rien, ou que trés peu dé cliofe. La naviga'ion'des rivitres & dc la mcr nc-ianoit ötre trop encouragée; Elle tratriportc les tlciirées fans. profane en eonfomni.T. • B 4 "  24 Ccrrefpondanee Politique, machine qui a donné licu a ces réflexions, produiroïc eet effet, qu'on pourroit 1'envifager comme une découverte précieufe cc une invention utile. Voyons maintenant s'il eft permis de fe promettre plus de fervices des autres efforts du génie en ce genre. M. Linguet qui en poffede un fertile en plus d'un fens, a, du fond d'un cachot, étonné le public l'année derniere, en annongant la découverte laplus extraordinaire. Cet homme fameux, n'eft pas moins ïnventif qu'éioquent. Dans fa jeuneffe il découvrit Ie fecret de faire du favonk froid: il indiqua de nouvelles machines, & donna des vues pour perfeftionner les anciennes. Séduit alors. par les promelfes des Ecomnvftes, imbu de leurs principes, fes idéés n'avoient pas toujours le plus grand bien de fes fémblables pour objet, Quand il indiquoit les chevaux comme des ageas qui devoient être fubftitués aux hommes pour tirer lesbateaux de la Somme, il confeilloit une opération qui tendoit également a accélércr la navigation de cette rivicre, & a priver de pain comme d'ouvrage une partie des habicans de la Bafte Pk ar die. Lo'fque cet écrivain célèbre voiagcoit k pied comme les T/ialès & les Platons pour s'inftruïre, il paroiffoit avoir principalement dirigé fes études vers Ja pratique des arts pour la fimplifier, & vers la partie Economique de l'adminiftration pour la perfcétionncr. L.a retraite forcée que la violcnce lui a fait faire a la Baftille, femble avoir ramené en lui le goüt des fpéculations de fa jeunelfe, que fa carrière'au Barreau & dans la Littérature avoit fufpendu. II n'auroit pas a re-' frèter fa prifon, s'il étoit vrai qu'en redonnant 1'effor. fon efprit créateur, elle lui ait facilité une des plus curieufes & des plus étonnantes découvertes' dont les hommes puiffent fe glorifler. Congue & combince dans les antres de ce Tenare, cette invention fuffiroit pour illuflrer a jamais la Baftille, fi elle ne pouvoit pas en légitimer 1'ufage. C'eft déja dans fes cachots, que la Henriade a été compoféc , felon les uns, ou copiée felon. les autres. M. Linguet annonce fon projet , avec trop de confiance, pour qu'il foit permis de révoquer en doute la pofTïbilité de fon exécution. Mais fon fecret étant encore renfermé dans fa tête ou dans fon portè- feuü-.  Civile & Litteraire. a^ feuille, on ne fauroit 1'apprécier. Tout ce que nous poavons faire, c'eft de configner ici fes promeffes, «Sc d'en indiquer 1'objet déja.connu. Quand il ne pourroit pas tenir 1'engagement qu'il a contracfé avec le public, de lui enfeigner la méthode de correfpondre avec une rapidité inconcevable, a des diftances prodigieufes, ce feroit pourtant une chofe propre a diftinguer l'année 1782 aux yeux de la poftérité, que la conception d'une idéé auffi ingénieufe que hardie. II ne s'agiroit pas moins que de 1'invention d'une pratique qui faciliteroit a deux individus intelligens, placés a des diftances confidérables, la communication; de leurs idéés, fans qu'il foit befoin dans cette correfpondance finguliere, d'autres agens intermédiaire»* que des d'interprêtes muets & ftables, qui tranfmettroient avec Ia rapidité de 1'éclair, des lignes expreffifs dont ils n'auroient pas cux-mêmes la fignification, ni peut-être la connoiffance. Rendre un avis de quelque étendue qu'il foit, d'un point donné a un autre eloigné de 2, 3 ou 400 lieues, en moins de tems qu'il en faudroit au fcribe le plus habile pour le copier lifiblement fi5f fois; tel eft le projet de M. Linguet. II y a quelque chofe de fublime dans cette idéé; futelle chimérique, elle feroit encore admirable. Pour la réalifer, fon auteur ne recourt a aucune des méthodes connues jufqu'ici, pour tranfmettre des, avis avec rapidité. II rejette les moyens ufités des anciens & encore adoptés dans quelques pays de YEurope , 011 1'on fait ufage de grands amas de bois & de paille enflammés qui deviennent vifiblcs au loin par la fumée pendant Ie jour & par le feu pendant la nuit. II fait auffi peu de cas des fignaux ou 1'eau & le feii font combinés, dont Polybe a parlé. II ne veut pas fe fervir davantage du voie des pigeons employés dans quelques contrées de YAJie & de YAfrique, ainfi qu'a Valence en Efpagne. Les Pavillons & le Canon lui paroiffent également infuffifans pour remplir-fon objet. 11 ne voit dans te plupart de ces procédés que des* tocfins propres a fonner 1'allarme, ou tout au plus a annnncer un feul fait connu d'avance, fans aucun détail. II veut qu'on borne 1'artillerie a la fonftion qu'elle ne remplit que trop bien; celle de fourmr une ? J arme  2,6 Comfpondance Politique, arme terrible: elle eft faite, dit-il, pour détruire & non pour inftruire. II y a toute apparcnce que la réflexion fur le langage muet des Pavillons, a fait naitre a M. Linguet 1'idée de fa pofte' aërienne. L'exemple des fignaux quiferveat.de truchemcns a la volontéou aux befoins des marins, prouve, dit-il, qu'il n'eft pas impoffible d'établir «n idiome conftant & réglé, dont la vue feroit le feul jnterprête, -& un interprête auffi rapide que docile. •Cette nouvelle maniere de peindre la penféc & de parler aux yeux, M. Linguet 1'a découverte, ou du moins, il s'en fiatte. II propofe un moycn qui ré unit 1'unique avantage du Canon -en ce genre, 1'extrême rapidité, a tous ceux qu'il eft poffiblc de dcfirer dans cette pofte occulairc; facilité, fureté, fimplicité, économie. . i°. Facilité: II tranfmettra les avis les plus etendus' avec tous leurs détails, les ordres les plus elfcntiels avec toutes les circonftances, fans qu'il foit jamais befoin de rien changer aux fignaux, ni de faire des conventions nouvelles. L'établiffement une fois fait ne fera fufceptible ni de dérangement, ni de retard' ni furtout de bornes, Son emploi ne feroit pas fans 'doute de fe charger des inftructlons volumineufes qui continueront d'ailcr par les voies ordinaires; mais dans un cas prefl'ant, il les rendroit avec la plus grande mécifton fans prendre beaucoup plus de tems que pour les renfeignemens fommaires, fans expofer jamais a aucun rifqüe le fecret qui lui fera confié. 2° Süreté: Le fecret fera impcnetrable; les agens intermédiaires ne fauront pas plus ce qui paffe ■nar leurs mains que les couriers ne font mftruits de.ee öue leurs paquets renferment. Le mot de cette énigitie volante ne fera connu qu'aux deux cxtrcmites, c'eft-a-dire, des perfonries fpécialement chargées u'exrédier les avis ou les ordres & de les recevoir. D'un autrc cöté,- il V aura un moien de donner a cette correftondancc aërienne la même autenticité qu'aux dé-n^ches ordinaires; & enfin il n'y aura jamais d'erreur i"craindrc, car on pourra fur le champ a chaque opcration faire ce qu'on appclle en arithmétique, la Preti%éi c'eft-a-dire, faire retournea- a contre-lens lavis-  Civile Litteraire. tjt ©ii 1'ordre d'ofi ils feront partis, afin de vérifier s'ib ont été bien con§us au licu oh ils doivent refter, oti s'ils n'ont pas été altérés fur la route. ,, 3°. Simplicité: Elle ne pcut-être ici comparéc qu'a 1'importance du fujet. il ne faudra qu'un feul inftrument, öu plutót un outil affez folide, affez groffier même pour pouvoir être fans danger manié par toutes fortes de mains, & d'ailleurs affez peu compliqué, affez naturel pour qu'il n'y ait pas de village oii 1'on ne trouve des ouvriers en état de ie conftruire^ & a plus forte raifon, de le racommoder. On voit bien par la qu'il n'eft pas queftion de lunette d approche, ni de tëlefcope, ni de rien de ce qui fuppofe un* main-d'ceuvre délicate, ni des yeux exercés. „ 4°. Quant a la rapidité, voici ce que peut dire 1'inventeur pour qu'on puiffe s'en formcr une idëe jufte: II s'engage a rendre un avis de Brejl ou de Toiu ton, ou de Bayonne k Verfailles, de quelque étendue qu'il foit, & la réponfe de Verfailles a 1'un de ces ports, en moins de tems qu'il n'en faudroit au fcribe le plus habile pour le copier lifiblement (ix fois. "II 'fait a mcvveïllc tout ce que cette afiértion préfente B'abfurde au premier coup d'ceil, & il n'en infifte que plus fortement fur 1'exécution littérale de fa promeffe. ïl fe contentcra d'obferver que c'eft le caraftère des plus belles inventions: plus elles font efficaces & plus les effets doivent en paroitre ridicules, tant qu'ils ne font qu'annoncés, jufqu'è ce quc 1'expérience les ait démontrés & que le procédé en foit devenu commun. Pour appuier fes réflexions fur des exemples, M. Linguet paffe ici en revue les plus fameufes découvertes, & prouvc que, fi avant 1'invention de lapoudre„ & des lunettes d'approche, un homme avok annoncé qu'on liroit un jour dans le ciel avec- le fecours de quelques morceaux de verre, artiftement difpofés , qu^un globe de fer renfermé dans un étui dcbronze, & mis en mouvement par 1'éxplofion que caufe une poignée de poudre enflammée, iroit porter a une lieue de diftance, en moins de deux minutes, la terreur & la mort; on 1'auroit pris pour un fou, ou pour un charlatan, peut-être pour un forcier, qu'on auroit condamné au feu. „ En matiere de découvertc, ajoutet-il, il fembb qu'il  15 Correfpondance Politique, qu'il faut tout écouter & tout éprouver; c'eft k 1'épreuve que 1'on diftingue la confiance due a 1'inventeur lage, des écarts, du délire & de la témérité du charlatanifme; & c'eft a ce moien de conviétion que 1'auteur en appelle. II vient de dire qu'il rendroit indifféremment & dans lc même tems k Verfailles le même ■avis de la même étendue de Br eft, de Toulon ou de Bayonne quoique ces deux derniers ports foient beaucoup plus éloignés que le premier: II ne s'eft pas trompe dans cette expreflïon, ni en laiflant cette alternative. II auroit pu, au licu de Bayonne ou de Toulon, dire Conftantinople ou Pétersbourg, fi les ftations païticulieres pouvoient fe diftribucr auffi faciletnent de Verfailles k ces deux dernicres villes qu'aux ■deux autres. C'eft même la ce qui caracférife le plus 1'invention dans ce qu'il propofe; le refte n'eft que 1'application heureufe d'un procédé ufité journellement -dans deux métiers des plus connus & des plus vulgaires. Mais 1'art de faire correfpondre enfemble des lieux éloignés fans que le plus ou le moins d'éloignerment produife dans les viteffès une différence fenfiblc; •eft de lui; c'eft de cela feulement qu'il croit pouvoir s'applaudir, quoique cette partie de fa découverte foit auffi fimple que le refte pour 1'exécution. 5°. Enfin , Véconomie s'y trouve : L'établiffement complet pour la communication du point le plus éloigné du royaume avec Verfailles ne coüteroit pas mille écus. De Breft il coüteroit k peine cent louis, & des autres a proportion. La correfpondance entiere, c'eft-a-dire d'allée & de retour, & d'heure en heure fi on le vouloit pour une annce, coüteroit a peine 15 mille liv. entre Breft^ & Verfailles; elle ne pourroit jamais paffcr 20,000 liv. pour tout autre endroit, L'auteur de ce mémoire propofe de faire toutes les épreuyes a fes fraix, de former au prix de fa liberté, les établiffemens & de les entretenir en fe rendant garant de tout. Quant a la récompenfe que peut mériter fon invention, le gouvernement peut la lui paier a peu de fraix, & par une gr ace qui lui fera auffi pré•cieufe, que peu a charge aTEtat. Ce qui étonne le plus dans cette découverte, c'eft 1'extrême fimplicité de 1'invention même, & le peu de dépenfes qu'elle exigeroit pour 1'exécuter. Ce feroit  CivUe ê? Litterairél $f ïoit déja un grand bien pour la fociété, qu'elle lui coutit peu de fraix, qu'elle ne néceffidk que de légers facrifices a fes membres, & qu'en leur épargnanC la confommation des denrées ou des matériaux réclamés par leurs befoins, elle n'aboutilfe pas k priver les hommes qui doivent travailler pour vivre, d'un de leurs moyens de fubfiftance. II paroit que le procédé da M. Linguet atteindroit ce but falutaire. Son adoption xendroit le befoin des chevaux de pofte moins étendur on pourroit en fupprimer quelques centaines. II y auroit auffi, k la vérité, moins de couriers, pour porter des avis ou des ordres. Mais les hommes de cette profeffion trouveroient a s'occuper aux ftations> multipliées, oh il faudroit des répétiteurs gagés. Malhcureufement les manoeuvres fans ouvrage, & les poftillons démontés, ou rendus fuperflus, par 1'ufage de cette nouvelle pofte, ne trouveroient pas beaucoup d'occupations , ou des occupations bier» lucratives, è en répéter les fignaux. La modicité» des fraix de l'établifiement & de 1'entretien prouve> qu'il ne feroit pas une reflburce fort utile au peuple» pour gagner fa vie. Si l'éreótion des pavillons, néces.faires entre Breft 6L Verfailles, ne doit coüter que cent Louis, il eft clair que les charpentiers ne gagneront pas beaucoup a les conftruire; fi les réparations anmielies, les répétitions journalieres, & d'heure en heure, n'exigent qu'une dépenfe de 15 mille livres, il eft bien évident, que les interprêtes intermédaires ne gagneroient pas de fortes journées a répéter les fignes qui leur feroient n-anfmis. A 1'égard de 1'utilité qui réfultéroit de 1'ufage de cette communication oijculte perfeétionnée, on fenc bien qu'elle feroit nulle pour le public, qui ne feroit point admis a s'en fervir, & reftreinte pour le gouvernement , qui ne s'en ferviroit que dans des occafions fort rares. Ce ne feroit qu'en temps de guerre, qu'elle pourroit lui rendre des fervices affez importans, pour 1'engager a en effayer 1'emploi. Alors, il feroit curieux fans doute pour un miniftre de la marine, d'apprendre en deux heures les nouvelles de la mer, & de favoir a chaque inftant du jour, peut-être même de la nuit, quel vent il fait a Érefl, quels vais-  ge? Correfpoiidajice Politique, VailTeaux font prets a en profiter, pour aller furpreii» dre 1'ennemi. Mais eet avantage n'en feroit plus un, quand les Angloïs auroient auffi découvert le fecret. Toue étant relatif dans la fociété, on peut regarder 1'utilité d'une chofe comme nulle, dès qu'elle eft partagée entre plufieurs individus, qui ont cherché leur fupérioxité dans une poffelfion exclufive. Le premier qui fit ufage a la guerre, defufils, de canons, de hombes ou de bayonnettes i eut un avantage fur fon adveifaire, privé de ces redoutables inftrumens de meurtres. Mais quand celui-ci put s'en fervir de même, la partie ledevint égale. On defireroit de favoir quelle opinion M. Linguet Iui-même fe forme de fa découverte. On ne peut pasf douter que cette idéé finguliere ne foit de lui," elle eft digne de fa fagacité, & 1'on reconnoit fa manicre uans le ftile du mémoire qui la renferme. A préfent qu'il eft librc, & qu'il fe propofe, dit-oh ^ de confacrer 1'ufage de fa liberté a révéler les mistères de la Bastille, il la fera fervir auffi, fans doute, a fixer le jugement du public fur fon invention. II apprendra a fes lecfeurs, s'il la croit férieufement praticable, ou S'il n'a voulu exereer que fon imagination. Une chofe bien furprenantej c'eft qu'ayant mis fa liberté pour prix a la révélation de fon fecret, il ait obtenu 1'une, fans être tenu de faire 1'autre. II eft inconcevable que le gouvernement Francois, ayant paru le relacher pour s'approprier une découverte faite dans fes fers, ait négligé de fe 1'affurer, en laiffant a ■finventeur la faculté de la porter aux Anglois, qui ne négligeront pas d'en faire ufage 6 fi elle en vaut la peine. Ou M. Linguet flattbit de fa prifon 1'administration de 1'efpoir d'une invention chimérique; ou les miniftres de Verfailles ont a fe reprocher une grande indifférence. ... Ce ne feroit pas, au refte, la première fois que cela feroit arrivé, a eux, ou a leurs prédéceffeurs. Les étrangers ont fouvent profité de la froideur ou de la négligence du miniftère Francois, en accueillant chez eux des projets rebutés, des talens mal appréciés, ou des hommes de mérite mal récompenfés en France. Les  'Cirile 6? Litterairs. $t LesAnglois ne font peut-être pas le peuple de YEurope qui ait feu le moins fe prévaloir du dédain de la nation & du gouvernement qui attend chez leurs voifms, les nouveautés intéreffantes & les découvertes utiles. En ce moment les Frangois révendiquent encore k XAngleterre une invention, qui n'a pas, a la vérité, le bien de 1'humanité pour objett ce font les Caronnades, dont les Anglois fe fervoient pour tuer leurs rivaux, avant que ceux-ci fe doutaffent de leur existencc. Ils prétendent cependant au mérite d'en avoir cöncui 1'idée, exécutéc, a ce qu'ils difent, par un de 'leurs compatriotes. Ils affurent qu'un Francois, nommc Caron, eft 1'inventeur de ces machines Infernales, dont l'année 1782 a vu faire ufage pour la première fois, quoique leur invention remonte a une date ari'tërieure. Ils foutiennent que Caron, après avoir communiquéla M. de Gribeauval fa découverte, qui n'en. fut pas approuvée, prit le parti d'aller cherchcr la récompenfe de fes talens cn Angleterre, ou effecfivement on fait mieux qu'ailleurs récompenfer ceux qui en poffédent de diftingués. Ils donnent fur eet homme de génie, des détails qui ne permettent pas de douter de fon exiftence, ni de fon origine ' Ils lui attribuenc le fecret de diminuer la compacfibilité du fer pour le rendre plus léger, fans pourtant lui rien faire perdre de fa force; enforte que fes Caronnades de 132 liv. de balles n'auroicnt pas plus de poids que les Canons' de 36. Ils foutiennent que ces nouveau organes de la foudre artifkielle, peuvent lancer des boulets d'une péfanteur énorme, jufqu'a 1800 toifes de diftance. Les Anglois ne conviennent de rien de tout cela.' Ils difent que Caron n'eft ni un Frangois, ni un Irlandois, ni un être chimérique; mais uh ruiffeau de YEcoffe, fameux par la quantité de forges & de fonderies confacrées h la fabrication des inftrumens deftructeurs de la guerre. C'eft la, felon eux, qu'un habile ingénieur Eco£o;s, imagina, il y a une quinzaine d'années, pour détruire fes femblables', une nouvelle arme aui doit fon nom au ruiffeau qui a aidé k la for• gor. II parvint bientót a perfecfionner cette odieufe invention. II trouva le fecret de fabriquer des canons capables de lancer des maifes d'une péfanteur doublé de  Correfpondance Politique, de celle des boulets dont on a fait jufqu'ici ufage, fans leur en cornmuniquer a eux-mêmes une, qui empêcMt de les mouvofr. Ce n'eft pas en diminuant la compact, ibilité du mé tal qu'il eft parvenu a ce réfultat: c'eft en compenfant par la diminution fur la longueür de la bufe de fes machines, le poids qu'elles acquierent par Ie volume de leur circonférence. Ils refufent a cette invention la faculté que les Frangois lui attribuent de porter a 1800 toifes. Ils foutiennent au contraire, qu'on ne peut s'en fervir avec fuccès que de prés , 1'efficacité meurtriere des caronnades confiftant plus dans Ie ravage que font les globes énormes lancés par elles aux corps qu'ils atteignent, que dans la capacité de les envoyer k des diftances éloignées. Leur effet eft terrible: mais heureufement elles n'ont la force de le produire que dans leur Voifinage. Ce fera un grand bonheur pour les peuples, qui ont déja fujet de regretter cette découverte, comme tant d'autres, fi le génie deftrucfeur des hommes ne parvient pas a cornmuniquer a. ces machines exér crables, la propriété de faire parcourir aux boulets qu'elles lanceront, un efpace auffi étendu que leur choc eft effrayant. Une autre circonftance plus heureufe peut - étre que la précédente, dans les effets de cette fatale découverte, c'eft qu'a 1'impuiffance oh font les caronnades, de jaillir k une grande diftance les globes homicides qu'elles récellent darts leurs flancs, elles réunifibnt le. défavantage d'être prefque auffi dangereufes, dit-on, a celui qui s'en fert qu'a celui qui en eft attcint. II ne faut que quelques coups pour fracaffer un vaiffeau ennemi, & pour le couler a fond; mais le vaiffeau ami qui les lache, rifque de fe voir lui-méme incendié par les Hammes de 1'explofion. Ces nouveaux canons font beaucoup plus courts que les anciens: infinués dans les fabors, leur orifice ne dé paffe pas affez les parois du navife, pour le mettre k 1'abri du feu, que ces bouches monftrueufes vomisfent. On ne peut s'en fervir avec fécurité que fur le tülac, oh ils embarraflent les mouvemens, plus qu'ils ne fecondent la bravoure. 'Dans les ponts leur ufage expofe aux plus grands accideos. La crainte de les éproU-  Civite ê? Littéraire. 33 éprouver, fera probablement profcrire cette arme des*truftnee, fi quelque génie malfaifant n'enfeigne pas le fecret de les éviter ou de les prévenir. II faut bien qu'il y ait quelque inconvénient i 1'employer , puifque les officiers, de Ja flotte du Lord Howe ont ref-uie d'en charger leurs vailfeaux, dans la derniere expédition vers Gibraltar. Si le danger de s'en fervir n'étoit pas a peu prés équivalent a 1'utilité de Ion ulage, il n'eft. pas apparent que la marine Angloije eut négligé tm mftrument qui pouvoit, dans cette conjonéture importante, lui donner une fupériorité décifive fur fes ennemis, & lui faciliter le moven d exterminer dans un feul combat, la plus grande comme la plus rcfpcftable partie de leurs forces navaJes. ,.°?„,ne Pe"t pas raifonnablement fuppofer que le Miniftere de Londres, dans 1'cxcès de détrefie ou il le trouve, avec tant d'ennemis fur les bras, ait répugné a fe fervir d'un expediënt infaillible pour 1'endébarrallcr tout d'un coup, s'il n'avoit pas eu de iuftes tujets d apprehender que 1'ufage lui deviendroit funette. 11 avoit une belle occafion de détruire avec ÜCUX OU troiS cent Caronnades fous les ordres de 1'A rniral Howe, la marine 'Efpagnole &-Francoi/è réunies dans la baie de Cadix. S'il n'en a pas prófité, il faut ou que le fuccès de cette arme terrible foit balancé par des inconvéniens non moins effrayans, ou que les Mimftres de St. James foient encore fufceptibles de fcrupule, & capables d'une délicateffe dont nos éner gumenes ne les foupgonnent pas. II y a auroit lieu de croire qu'il a cffe&ivernènt été détourné de sen fervir, par un principe d'humanité oudhonneur s'il eft vrai, comme on 1'affiire, que plufieurs expenences ont conftaté I'eifet prodisieur des Caronnades, fans décélef les dangers qu'on wétend qu elles reumlfent. II paróit Conftant que le vamqueUr óete te&te Franpife, VHébée, en a fait ,ufage avS fucces & fans inconvéniens.' . On dit auffi que les Rut fes s en font-également. fervi contre les Turcs j] v a pres. de dix ans. On aflure que leur flotte qui alla du Volga aux Dardanelles, en étoit armée de plus de cenr pieces que ÏAngleterre leur avoit fournics.. Si cette d™eHrtlcularité eft vraie% il s'enfuivroit que 1'anC Hée  34. Correfpondance Politiqui} nee 1782 n'auroit a fe glorifier ou h rougn* devant les fièeles futurs, ni de 1'invention, ni de 1'ellai d'une des plus fatalés découvertes qu'aie fake 1'efprit humain. • Car, quoique fon ufage fur mer fut accompagné de dangers capables d'öter 1'envie de 1'y adopter, il n'eft pas doutcux quc les hommes ne trouvent une méthode de 1'approprier a la guerre de terre, & -quc les gouvernemens, toujours avides d'inftrumens de deftruction, ne parviennent a bannir les fcrupules, qui les empécheroient de s'en fervir dans les fièges & dans les combats. L'inconvénient qui provient de la portée circonferite des Caronnades , eft commun a cette arme & a la moufqueterie, dont on he laiffe'pas pourtant de fe fervir: le danger de s'incendier foi - même ■ en voulant coulcr a fond les autres, qui balance dans un vaiffeau 1'avantage d'abimer en un inftant fon adverfaire, feroit paré dans un camp, dans une bataille ou dans un fiège, par la précaution'd'éloigner le lupport de cette machine redoutable de toutes matieres combuftibles. ' Mais pourquoi enfeigner aux' héros de nouvelles méthodes de détruire les hommes? Ils ne rcuffii'qnt . que trop a découvrir celle d'employer ce nouyel m-ftrument de dcftruöion; cc de le rendre auffi funelte . que poffiblc a 1'humanité. La Suite au Cahyer prochain. L E T T B E DE M. B. A M. LlNCOET. fur lapopulation de la France, 6? fur les . méthodes avec lefquelles les calculatcurs prétendent la conftater. Te viens de lire, Monfieur, le N*. 44 de jösMma* I les. Les Recherches fur la population par M. Moheaii, dont vous y avez rendu compte: le Tableau fur le même objet de M. 1'Abbé d'Expilly que vous y avez configné; m'ont fait naitre des réflexions affez neuves, que je foumets a vos lumières, & au jügement du public fi vous ovoyez devoir les y expofer. • _ 1'aurois bien des chofes a obferver fur 1'afiertion articulée par M. 1'Abbé d'Expilly, qu'/Z ne fe recuetUe  Civile & Litteraire. 3J en France, qiCenviron cinquante millions de feptiers de grain propre d faire du pain. J'en aurois bien plus encore a dire fur l'appt éciation du bien être des hommes comparé d celui des temps précédens, par M. Moheau. En vérifiant leur fituation dans les principaux poinis de leurs befoins., il trouve une amélioration confidérable dans le logement, le vètement & Yaliment de la nation francoife, d'oii il infère un accroiffement feniïble de population dans le Royaume. Mais comme tout cc qui a rapport h ces objets eft traité au long dans 1'ouvrage que j'ai annoncé , & qui paroitra incelTamment, fur les caufes de la mifère publvque fur les moyens d y remédier: je ne m'arrêterai aujourd'hui qu'au nombre d'habitans donnés a la France, & aux méthodes employees pour conftater que ce Royaume en renferme 24 ou 25 millions. Permettez, Monfieur , que je joignc a nos deux eftimables populateurs, dans 1'cxamen que je vais faire de leurs procédés, un troilième calculateurqui ne leur cède ni par les lumièresj ni par les vues que fon pofte le met a portée de dévclopper dans les Finances de 1'Etat, autrc cahos non moins difficile a débrouilIer que fa population. . M. ATecker, dans fon traité fur Ia Légiflation & le, Commerce des grains, qui n'eft que le développemend du vötre fur le Pain £? le Bied, paroit s'ètre livré aux mêmes reclierches que M M. Moheau & ö'Expilly. 11 a trouvé a peu prés le même réfultat fur la population de la France. Tous trois ont fuiv'i les mênies procédés pour la calcuIer. Le premier s'eft fcrvi feulement de 1'une des trois méthodes par employées par les deux autres. II a compté le nombre des vivans par celui des morts. ■ En fuppofant qu'un décès eft le figne ou la caution dc 31 vies; il a trouvé que le Royaume renferme 24, 1814 333 perfonnes. D'autres populateurs voülant avoir un plu's grand nombre de compatriotes, foutiennent que c'eft par 33 vivans qu'il faut multiplier la liste des morts; & en conféquence ils trouvoient avant M. Necker, 25, 741, 430 habitans en France. Le nombre des morts, année commune, n'a donné a M. Moheau que 23, 817, 409 vivans. M. 1'Abbé C 2 iVEx-  16 Correfpondance Politique, d'Expilly ne nous a pas appris combien le produit de l'année commune des fépultures indiquoit, d'après fes principes, de perfonnes qui en ont pu être témoins. M. Necker a trouvé que le nombre de l'année commune des morts, étoit de 780, 043. En multipliant ce nombre par 33 vivans, comme plufieurs fpéculateurs prétendent qu'il faut le faire; celui des têtes du Royaume feroit de 25, 741, 319. Si on le multiplie par 31, comme M. Necker 1'a fait, il fera de 24, 181» 333. Le multipliant' feulement par 30, comme M. Moheau affure que cela doit être * le total ne fera plu» que de 23, 401, 290. Si je voulois fuppofer 31, 201, 720 de fujets a Louis XVI, je l'aurois multiplié par 40. II y a dans la méthode de découvrir le nombre inconnu des vivans par le nombre connu des morts, beaucoup d'incertitude & d'arbitraire. Autant de têtes, autant d'opinions. II n'eft pas aifé de décider qui a tort ou raifon. Je foupconne que tous nos calculateurs ' fe trompent. La différence que je vois dans leur erreur, n'eft que du plus au moins. La fuite de cette lettre en fournira la preuve. Cc n'eft pas feulement la diverfité d'opinions lur le multiplicateur qu'on doit choifir, qui embarraffe; c'eft auffi la variété de multiplicajides que les calculateurs offrent a 1'opération, qui étonne. L'année commune des morts eft felon M. Necker de - - - - - 780,043., felon M. Moheau de - ~-793->93l> felon 1'Abbé d'Expilly de - 738,024, Si on multiplie ces 3 produits par un multiplicateur commun, par exemple par 30; on trouvera que le ' premier donne 23,401,290. habitans a la France, le fecond -.- - - 23,817,93°Et le troifième -22,140,720. Voila entre ces deux derniers réfultats, une différence de 1,677,210 perfonnes. Cette différence frappante n'eft pas un préjuge favorablea la jufteffe des opérations qui la donnent. Comment en procédant par les mêmes méthodes, deux calculateurs peuvent-ils trouver des réfultats fi oppofés, lors qu'ils doivent être les mêmes ? Que conclure de cette * • ^ dis-  Civile & Litteraire. 37 difparité ? Que les calculateurs, qui ont cru opérer fur desrenfeignemens fidèlcs, n'ont travaillé que fur des relevês incomplets ou défeclueux. En effet, n'cft-il pas un peu fingulier, qu'il réfulte des calculs de M. Moheau, qu'il meure en France, 13,888perfonnes deplus, année commune, quedeceux de M. Necker? N'eft-il pas encore plus furprenant, que M. Moheau faiTe mourir tous les ans dans le Royaume, 55,907 individus de plus que 1'Abbé d'Expilly'} Certainement, ce n'eft pas Ik une bagatelle. Ce n'eft pas moins qu'un quatorzième de la totalité des fépultures. Cependant ces M M. prétendent tous trois avoir raifon , paree que tous trens fe flattent d'avoir trouvé la vérité. II lemble en effet, au premier coup d'ceil, que rien ne foit plus aifé que de la découvrir fur un objet de cette nature. II ne faut pour cela que fe procurer des liftes exarftes, & faire des additions juftes. Cette derniere condition n'eft pas difflcile a remplir, quand on fait ï'arithmétique, Mais les 56 milles morts de plus ou de moins fur une furface telle que celle de la Frame , font une preuve fans réplique que la première n'eft pas li facue que la feconde. Ce qui doit caufer bien de la furprife dans ces fortcs d'opérations, & infpirer de la défiance contre 1'infaillibilité de leurs réfultats; c'eft que M. Moheau, tout en faifant mourir un quatorzième de plus de monde que fon émule, ne donne guères moins d'habitans au Royaume: & ce qui m'étonne, c'eft qu'il ne lui en donne pas plus que M. d'Expilly. Car enfin, fi Ia méthode de calculer le nombre des vivans par celui des morts étoit fure; il eft clairque plus celui-ci feroit fort, & plus celui la le feroit auffi: tui multiplieande qui contient 55,907 unités de plus qu'un autre, doit donner un produit plus fort d'autant de fois 55,907, que Ie Multiplicateur admis dans 1'opération contient d'unités. •J'avois toujours cru jufqu'ici, Monfieur, <$cjele crois encore, paree que toutes ces fupputations arbitraires. tous ces produits provenus d'opérations faites au hazard, fur des renfeignemens imparfaits, ne m'ont pas défabufé; que le nombre des morts dans un pays, étoit . un fymptóme bien plus für de dépopulation, qu'up C 3 indica-  gg Correfpondance Politique, ïndicc certain d'accroifement. 11 eft vrai que quand celui des naillances 1'égale, ilne prouve ni 1'un ni 1'autre; & que quand il 1'excède, il indique une augmentation d'hommes; ■ puifque, dans le premier cas, la nature ré pare les brêches que la mort fait, & que, dans le fecond, 1'une ajoute plus a la malle humaine, que fautre ne lui öte. . Alors, pour déterminer le point de la population d'une contrée, il s'agit, i° de favoir fi c'eft par la lifte des morts, qu'il faut compter les vivans; oü bien par celle des nalffances, qu'on doit fupputer le nombre de ceux qui exiftent. 2° de fixer avec précifion le terme moyen de la vic humaine , pour multiplier par lui, èu les baptèmes, ou les enterremens: 30 enfin de fe Nprocurer des uns ou des autres, des relevés complets. • De ces trois conditions néceffaires pour calcukr la population avec jufteffe, il n'y a que Ia dcrniere qu'il foit polfible de remplir a la rigueur: encore les récenfemens font-ils fujets a tant d'inexaétitudes ou d'exagerations, qu'on ne peut fe repofer fur leur fidélite. Les deux autres conditions requifes, font impraticables. On ne fera jamais que des fuppofitions incertaines dont tout le mérite conlïftera a s'écarter un peu moi'ns de la vérité, fans qu'elles portent avec elles, un dégré d'évidence capablc de fubjuguer la raifon. i Je ne dis rien de la méthode de calculcr la population d'un Pays, par le nombre des Mariages; paree qu'elle eft, fans contredit, la plus défeclueufe & Ia plus infuffifante des trois. Celles des naiffances & des morts, quelque fautives qu'elles foient, font pourtant moins vicieufes. Mais il y a une différence effentielle entre ces deux dernieres méthodes: 1'une doit être préférée a 1'autre, fi pourtant leur infuffifance & leurs inconvéniens, ne doivent pas les faire rejetter ' toutes deux. • L'opcration qui a les naiffances pour baze, lemble mériter plus de confiance, paree qu'elle eft moins fujette a erreur. Les enfans qui naiffent, fuppofent 1'exiftence d'un grand nombre de perfonnes. Plus les baptèmes font nombreux, plus la population eft forte. La 'nature ne donne qu'a un certain age', aux deux fexes,; la faculté de fe réproduire. Les graduations «lans l'ase des individus de l'efpèce, dont elle a befoin j ■ pour  Civile Litteraire. 39 puur pcrpéttier fon ouvrage, forment une chaïne accres exiftans, depuis les peres qui tranfmettent la vie, jufqu'aux enfans qui la recoivent, ch defcendant, & jufqu'aux vieillards qui vont la perdre, en montant. Mais pour fe Iivrer avec quelque certitude k ces fupputations, en prenant les naiffances pour baze, il faudroit pouvoir détcrminer d'une maniere précife, 1'age moyen' oü les deux fexes ont dans toute fon étendue, la faculté de fe reproduiré; & favoir cajculer tous les obftacles qui empêchent une foule d'individus de devenir les agens de la nature; ce qui eft impoffible dans un Pays auffi vaftc que la France, qui contient une population fi nombreufe, & oü une multitudc de caufes de tout genre peut la contrarier. La méthode de prendre les morts pour terme de comparaifon , réunit encore plus d'inconvéniens. L'homme qui meurt ne fuppofe rigoureufement que fa propre exiftence, & rien de plus. S'il étoit ifolé dans une Islc, il n'en mourroit pas moins, & fa mort ne prouveroit pas qu'il laiffe 30 ou 32 perfonnes pour 1'enterrer. II ne faut ni agens primitifs, ni agens fecondaires pour faire ceffer de vivre, comme il en faut pour parvenir a la vie. Cenc mille morts ne fuppofent mathématiquement que cent mille exiftences de moins. Tous les calculs qu'on batit fur ces non exiftences , font évidemmcnt fautifs, paree qu'ils portent, fur un fondement ruineux. Si tandis que la mort moiflbnne d'un cóté, la nature ne femoit pas de 1'autre ; tout ce qu'indiqueroit de plus certain le nombre des fêpultures, ce feroit une dépopulation d'autant plus rapidc, que ce nombre feroit année commune plus confidérable. II en feroit des trophées de I'implacable ennemic de tout ce qui exifte, comme des débris d'un édificc. La quantité de décombres qu'on retire des ruines de celui-ci, n'indiquc que fa fplandeur paffee. II n'y a que les matériaux qu'on emploie elans fa conftrucfión-qui puisfent faire préfumer cc qu'il fera, comme il n'y a quc la vue de 1'ufage qu'on en a fait, qui montre ce qu'il eft. Or, les morts ne font-elles par les décombres, &. non les matériaux de 1'efpcce humaine? N'eft-il pas rifible, Monfieur, [de voir de graves C 4 per-  4.0 Correfpondance Politique, perfonnages, teis que M M. Necker, Moheau, d'Expilly, foutenir que plus le nombre des morts eft fort, plus celui des vivans eft confidérable? En ce cas, les épidémies, Ia famine, les batailles, font donc des fymptömes d'une population nombreufe ? Eh! les 20 perfonnes emportées chaqüe a'nnée, dans un village, par les accidens, les fatigues ou les befoins, prouvent elles qu'il en refte autant de fois 30 pour les pleurer? Une lifte nombreufe de naijjances indique certainement une forte population, comme une grande quantité d'agneaux annonce un troupeau nombreux. Mais les régftres mortuaires ne prouvent que la 'diminution de 1'efpèce humaine, comme les têtes de moutons dans une boucherié, n'annoncent que celle des troupeaux. Mille circonftances heureufes peuvent feconder la nature dans Ia multiplication des hommes, comme mille accidens peuvent précipiter fa marche dans leur deftruótion, en communiquant uri dégré d'aétivké plus ou moins fort au principe deftrucleur qui les fait périr. Mais dans le premier cas, les caufes qui favorifent leur accroiffement fuppofent, pour opérer leur effet, 1'exiftence d'un prodigieux nombre de perfonnes de tout age, parmi lefquelles fe trouvent les agens qui concourent a remplir les vues de la nature, en travaillant a la population; au lieu que dans le'fecond, celles qui en tuent les individus, font encore fouvent des obftacles qui empêchent de réparer leur perte. Par exemple, s'il étoit vrai comme le penfe M. Moheau, qu'une union conjugale légitime fuppofe Texiftence de 120 pérfonnes ( 1), dans le lieu ou elle fe trouve; il le feroit aufïï quc, li la milice ou les fati- Cette'fuppofition de 120 perfonnes pour un mariale, e(r une furienfe abfurdité, & une grande preuve que nos populateurs batiflent leurs liypotlièfes au hazard, & au gré de leur imagination. 120 perfonnes exifïautes, fuppofent au moins 1'exiftence de 1; mariages féconds ck complets, fans-parler des mariages ftériles il, ont beaucoup d'enfans, ce qui eft faux en général comme je le prouverai dans 1'ouvrage quc j'ai annonce au public. Ce Philofophe petit-maïtre confond ici les effetsavecla caufe. Ce n'eft pas la mendicité qui donne beaucoup d'enfans: ce font les enfans qui néceffitent la mendicité. La raifon que Montefquieu donne de fon apophthegme, c'eft que les enfans des mendians font les mfirumens de l'art de leurs pères. Le recueiï d'hiftoricttes, de calembours, de méprifes de voiac 5 geurs,  41 Correfpondance Politique, geurs, quc ce grand homme, a eu le courage d'inti tuier, Efprit des loix, eft plein de ces paradoxes mfoutenables, de ces aflertions abfurdes, hazardces fans réflexion, ,& dont la fauffeté eft d'une évidencc frappante. Mais un écrivain auffi judicieux, auffi raifonnable queM. Moheau; lui qui fait une peinture Q affligeante cc ft vraie de la briéveté de la vie humaine; lui qui décrit avec tant de force & d'éncrgie les accidens qui en précipitent le cours; lui qui portele nombre des célibataires Francois a la moitié de la nation, devoit-il fe livrer avec confiance a des calculs auffi incertains? Pour dire un mot de cette multitude effrayante de déferteurs de la plus douce, comme de la plus fainte inftitution de la nature; il eft évident que c'eft ici une exagération, au moins des trois quarts. Avancer que Ja moitié de la France eft peuplée de célibataires, c'eft ou'vouloir en impofer au public, ou s'expofer a un démenti. Le nombre des individus de cette claffe, eft grand fans doute, dans le Royaume. Le libertinage qui corrompt les mceurs & déprave les gouts, multiplie les célibataires: 1'impoffibilité de fe foutenir dans fon état, ou de fournir a tous fes befoins, fansdes fortunes immcnfes, entraine la néceffité de fe procurer des revenus aux dépens de fa poftérité. L'ambition d'une part, cc la licence de 1'autrc, nuifent a la population. L'appas perfide & deftruéteur des rentes viagerès, que les Gouvernemens ont 1'imprudencc d'offrir a^leurs fujets; en flattant la cupidité de la génération préfente, dépouille ou tuc la génération future, ou ne lui laiffe que la reflburce de naitre dans le crime ou le débordement, pour vivre dans Ia mifére. Cependant, a moins que M. Moheau ne comprenne dans la claffe des célibataires, les enfans & les veufs, comme les foldats & les cénobites; il s'eft évidemment trompé, en en portant le nombre a la moitié de la nation. Les célibataires ne fe trouvent guères que dans les villes: encore n'eft ce que dans les grandes, & furtouc dans la Capitale, quc leur nombre eft fenftble. Or, les habitans des villes ne forment pas la moitié de la nation; & parmi ces derniers, il y a aumoins les ciriq fixiómes des individus des deux fexes, audcffus de 2j ans, qui font mariés. Mais  Civile & Litteraire, 43 Mais quel que foit le nombre des Francois qui ne le font pas, ils deviennent comme ceux qui le font les proies de la mort, fans avoir contribué auffi efficacement que les autres a perpétuer 1'ouvrage de la nature. Comment donc feroit il pofiible que le nombre des morts fervit de thermomètre pour confrater celui des vivans, cc. qu'on püt fonder fur la lifte des individus décimés chaque année fur la totalité de 1'efpèce, des calculs dont le rélültat défignat le nombre de ceux qui leur furvivent? On a recours aux naijfances. On trouve que leur nombre excède celui des fépultures. II réfulte en effet, des fpéculations de M M. Moheau cc dc d'Expilly, que la lifte des baptèmes eft plus forte que celle des enterremens. Mais c'eft encore une nouvelle preuve de la défecfuofité de toutes les deux. L'année commune des naiftances, eft felon 1'Abbé d'Expilly de 960,905 felon M. Moheau, de 928,918 Voila encore une différence de 31-987 perfonnes dans les produits, qui devant être multipüés'par 25 ou 26 felon 1'opinion de ces deux calculateurs, ( car ils n'ont rien de déterminé précifément ) en donne une dans la totalité, de 815, 668, \ de plus chez 1'un que chez 1'autre. Cette diverfité clans les réfultats , fait foup^onner peu de jufteflé dans les principes. Non'feulement ils différent entrc eux fur le nombre des naiffances en général; ce qui ne feroit pomt, fi les mémoires qu'on leur a fournis avoient été exaéts: mais ils s'écartent bien davantage, dans la proportion qu'ils établiflent en particulier, chacun de fon cöté, entre 1c nombre des morts & celui des na'JJances. Suivant M. Moheau, cette proportion eft comme 793, 931 merts, a 928, 918 nés ; ce qui fait un excédent de 134, 987 individus ajoutés tous lesansa la population de la France. Ainfi les réparations de la nature, font beaucoup plus confidérables, que les dégradations de toute efpèce. Si ce rélültat étoit démontré, il pourroit diminuer les fcrupules que le Gouvernement , les tribunaux cc les Economiftes auroient è prodiguer les hommes. On pourroit en tucr, pendre ou  44- Correfpondance Politique, ou faire mourir defaim, 134, 987 tous les ans, daas le Royaume, fans que fa population en fouffrit. Selon 1'Abbé d'Expilly, 1'excédent eft bien autre chofe: comme il fait naftre 31, 987 enfans de plus que fon confrère, cc qu'il a 1'humanité de tuer yj, 907 de fes compatriotes de moins tous les ans; il voit toutjufte, année commune,- 222, 881 baptèmes plus que de convois funèbres. Cet exoédent fourni a la population, équivaut dans fon hypothéfe, au tiers a peu prés, de la totalité des morts, que le cours ordinaire des chofes, 1'indigence, Ia politique, & tant d'autres fléaux, caufent dans le Royaume. Dela il fuit, que malgré les armées óc les flottes, le luxe & la débauche, les corvées, le pain. cher & les accidens, la population croft en France, dans la proportion de 4 naiffances fur 3 morts; ce qui, pour trancher le mot, eft une fottife. Sans infifter plus longtemps fur les conféquences abfurdes qui découlent des principes de nos calculateurs ; je prendrai la liberté de demander a M. d'Expilly, oü cn feroit aujourd'hui la population en général , & celle de la France en particulier, li la nature, malgré la dépravation des mocurs, la tyrannie des gour vernemens, les entraves que la fociété met a fes desfeins, réproduifoit les hommes dans une proportion pareille? L'imagination eft effrayée, en penfant aux progrès que la population feroit dans 1'efpace de quelques fiècles feulement. Sur le pied oü font les peuples aujourd'hui, il ne faudroit pas parcourir une periode de 600 ans, en fuivant la progreffion de 4 naisfitnces fur 3 morts, pour mtfltiplier les hommes a un point, que le globe, fut-il folide dans toutes fes parties, ne püt offrir une toife quarrée de terrain k chaque individu fixé fur fa furface. Quand, a la mort de Louis XIV, qui connoiffoit Si bien 1'art d'éclaircir les hommes, cc de prévenir des engorgemens dans la population, le Royaume n'auroit renfermè que 18 millions d'habitans; li la partie populante de la nation avoit fourni a la maffe 4 individus, tandis que la nature n'en auroit redemandé que 3 ; depuis 64 que ce Prince qui a tant facrifié d'hommes pour fatisfaire fon ambition fanguinaire, a fuccombé lui même fous les coups d'un être plus deftruéïcur encore  Civile & Litteraire. 4S encore, & plus altéré que lui de fang humain; la population de la France feroit aétuellement compofée de prés de 40 millions d'ames. Pour juftifier cette affertion, Monfieur, il faudroit entrer dans des calculs immenfes. Ils me prendroient trop de temps pour les faire, & a vous trop de place pour les publier, fi du moins, vous jugez mes obfervations dignes de eet honneur. Je m'y livrerai au premier moment dont je pourrai difpofer pour des fpeculations de ce genre, iSc fi vous êtes curieux de voir lé tableau de progrelfion, oti je démontrerai combien celui qui a été dépofé fous les yeux du Roi, eft éloigné de la vérité; je me ferai un plaifir de vous le cornmuniquer. En attendant, fouffrez que j'en mette un échantillon fous les vötres. i° S'il nait comme l'aflüre 1'Abbé d'Expilly, 222, 881 enfans plus qu'il ne meurt de perfonnes par année, dans le Royaume; fa population a donc augmenté, en 64 ans depuis la mort de Louis XIV, de 14, 264, 384 habitans, en addition-» nant fimplement 1'excédent annuel des naiffances P . 20 Suppofant que la France renferme aujourd'hui 20 millions d'ames, ce qui n'eft certainement pas encore prouvé, malgré les calculs exagérateurs de fa population; 222, 881 naiffances plus que de fépultures, forment un 94™ du total de la nation, que la nature ajoute chaque année & la maffe. Conféquemment, en moins d'un fiècle, la population feroit doublée : cependant M. Moheau trouve qu'elle ne s'eft accrue que d'un 9™ en 74 ans. 3Q Mais il s'en faut bien que l'accroifiement fe confommat dans cette fimple proportion arithmétique. Les 222,881 enfans nés dans le cours de l'année derniere, fourniront, dans 18 ou 20 ans, de nouveaux populateurs. Suppofons qu'avant qu'ils arrivent a 1'époque 011 leurs forces leur permettront de peuplerla faim, la petite vérole, les autres maladies cutan' riées, en emportent les deux tiers: reftera encore 74,293. Que de ce refte, 3000 fervent a regarnir les bataillons de la milice; que 1293 périffent fous le baton du piqueur en travaillant fur les grands chemins; que 2000 foient arrétés en mendiant leur pain, & desttaés a pourrir dans des cachots, ou envoyés dans les Col».  46 Correfpondance Poïitiqüe, colonies: que 2 200 fe li vr'ent a la proftitution dans Paris Sc les airtres grandes villes; que 6000 foient retenus clans Je céi'ibat, par la cramte de périr de miférc avec leur poftérité. II reflera encore 60,000, quij n'ayant point a redouter aucun de ces dangers, ou affez courageux pour les braver tous, en fuivant la douce & impérieufe impulfion de la nature, contraéteront 30,000 mariages, qui fcront autant de nouveaux atteJiers de population. 4" Au bout de 45 a 50 ans, -il faudra ajouter a ces 30,000 mariages, ceux que commenceront a förmer les enfans qui en feront provenus; en fuivant la proportion d'un 20™, ou d'un 25™ a augmenter tous les ans, au produit de l'année précédente; & alors la progrefïïon dcviendra' algébrique. Or, qüèl'on fuive cette progrèffioii durant un fiècle feulement, en laiflant1 les 20 ou 25 premières années , pour donncr aux 222,881 enfans nés dans celle-ci, le temps d'acquérir Ja faculté d'étre les agens de la population; 'on verra fi un peuple ne feroit pas, au bout d'une révolution féculaire, plus" que triplé; s'il étoit vrai que fur le total de fa population, il ne mourüt tóé 3 individus, tandis qu'il en naitroit 4, comme le préténd 1'Abbé d'Expilly. ' On óbjè&éroit envain, que, s'il nait plus de monde dans le Royaume qu'il n'en meurt, c'eft qu'une'partie de fes habitans va mourir ailleurs. Une raifon meilleure que celle la', c'eft 'tjue les liftes des naiffances & des Je-jultures , fourmes a nos calculateurs, ne valent rien. II n'y a point de pays en Europe qui dépenfe moins de fa population en faveur des étrangers, & qui profite plus de Ia leur, que la France.- Sou régime perfécuteur occafionnoit autre fois, il eft vrai, des cmigrations nombreufes. 1 Mais quelque fortcs qu'elles ayent été, les combinaifons libérales de M. d'Expilly remplaceroicnt aifément cn 5 ans, les vides que les Dragomdes & les Convertiffeurs ■ ont caufés durant 60 annccs. Depuis longtemps, le fyftême eft changé. On ne force plus les Proteflanf a s'expatrier. On n'en-_ voyc pas de nombreufes colonies dans les poffesfidns" éloi°-nées. On ne fournit pas de troupes merecüaires aux autres puiffances: au contraire; 1'Etat en cn-  Civile & Litterairs. 47 rntreticnt un bon nombre d'étrangéres k fa folde, qui, au lieu de dépeupler le Royaume, lui fourniflént de nouveaux populateurs. La perte qu'il fait par la fuite de quelques déferteurs.& des Wlheureux qui vont porter ailleurs leUrS haillons & leur mifère, eft bien compenfée au centuple par la foule d'étrangers de toutes les nations, qui Vont ckercher dans fon fein le plaifir ou la fortune, que la politeffe & la bienfaifante Philofophie y ont fixés. Toutös les maifons comme il faut ont des fuiffes a leuT porte. Prefque tous les décroteurs de Paris & tous les 'ramoneurs de cheminées du Royaume, font nes en Savoie. La Capitale, les Villes maritimcs, toutes les places de commerce, font reroplies d'étrangers. Quoi qu'ils n'aient point été baptifés en France, cela n'empêche pas qu'ils n'y meurent, Leurs noms font infcrits dans les régïtres mortuaires, & compris fans doute, dan3 les relevés des morts, fournis k nos favans calculateurs. Les hofpices que la Religion & 1'humanité ont élevés aux fruits du libertinage ou de la foibleffe, font les dépots d'une foule d'enfans qui n'ont pas pris naisfance dans le Royaume, & qui y meurent. Celui de jvyoweftrégoüt oii refluent de Geneve, delaSuiffe, du Piémont, ces viétimes infortunés de 1'égarement d'un fexe, ou de la dépravation de 1'autre. De tous les enfans proteflarts de France, depuis un demi fiècle, il n'y en a pas un dixième dont le nom ait été couché fur les régïtres baptiftaires des parois'fes: cependant lorfqu'ils meurent, leurs noms font prefque tous inlcrits ou fur les livres mortuaires des paroilfes, ou aux grefs des villes; & fe trduvent auffi, en partie, dans les lifles de nos populateurs. 'ör, de deux chofes 1'une; ou la population Francoife fait d'immenfes & rapides progrès; ou bien il meurt dans le Royaume beaucoup plus de monde qu'il n'en naït, ou ne paroit en naftre. Donc les récenfemens des naiffances & des morts, que nos fpéculateurs fe font procurés, manquent d^exactftudc & de fidéiité. Dèslors, que deviennent tous leurs beaux calculs, qui donnent fi libéralement 24 a 25 millions de fujets, au Maitre de cette Monarchie? Vous voyez, Monfieur, combien leurs méthodes font  48 Correfpondance Politique, font défeétueüfcs. II ne feroit pas difficile d'indiquer, plufieurs caufes de leur défeótuofité. La négligence  68 Correfpondance Politiqüe, blement un peuple, nous n'avons rien fait pour la pa> trie, ni pour fes défenfeurs. ' L'indiffércnce pour l'une & pour les autres eft portée fi löin, qu'on rte répugne pas de laiffer la première dans la détrcffe, & d'expofer les feconds a mourir de faim. Vous vous rappellez peut - être, Monfieur, que l'année derniere, la Généralité, fur la propofition du Prince & du confeil d'Etat, accorda une augmentation de lolde aux foldats, bas officiers, officiers fubalternes de 1'armée. Gette augmentation équitable étoit motivée, d'une part par la modicité habituelle de la paie de nos troupes, & de 1'autre, par les fraix que les Régimens ont a fupporter, depuis Ie commencement de la guerre, pour fe rendre fur les cötes, oh la chereté & les maladies les afiaillent. Rien de plus jufte, de plus néceffaire que eet accroilfement de fubfiftance, pour nos ftipandiaires: tous les confédérés en fentent la juftice & la néceffité. Ils confentent même a rendre cette douceur permanente. La Province de Frife feule s'y oppofc. Elle avoit déja de 1'humeur, on ne fait pourquoi: elle ne voulut accorder 1'augmentation de folde, que provifionnellement, jufqu'au mois de Juin de cette année. Depuis ce confentement refireint, fon humeur contre le Capitaine Général & contre le Feld-maréchal s'étant adcru, On ne fait pour quelle raifon, elle a fait réjaillir fon mécontentement fur les troupes. Ni ld vocu du Prince, ni les vives inftances du confeil d'Etat, ni les follicitations des autres confédérés, n'ont pu déterminer cette Province a perpétuer le don de quelques fois par femaine, pour compléter la ration de nos foldats. Au mois de Juilkt paffé, elle a celfé de payer ce fupplément hebdomadaire. Son refus n'eft ni jufte, ni raifonnable, ni motivé par l'impuiffance. Elle fait fciffion avec fes affociés, en refufant aux Militaircs un morceau de pain, dont il eft phyfiquerhent démontré qu'ils ne peuvent pas fe paffer, même én temps de paix, a plus forte raifon en temps de guerre, ou quoique notre armée ne foit pas proprement en campagne, elle n'effuie, dans les cantonnemens fur la cöte, ni moins de fatigues, ni moins de «iépenfes.  Civile Litteraire. 6> Les fix Régimens repartis fur cette Province font donc a Ia lettre, privés de leur fubfiftance. Si leur Chef les retiroit des poftes importans qui leur fout confïés, & oh il eft impoffible qu'ils puiflent fubfifter fans 1'augmentation, pour les envoyer dans des Qari nifons ou il fait moins mal fain & moins chcr a vivre; il n'y auroit dans cette difpofition rien que de naturel & d'équitable. Cependant, combien de clamcurs s'é leveroient contre lui? On crieroit de toute part & la négligence, a la trahifon: on 1'accuferoit de dégarnir les cötes, pour en faciliter 1'accès a 1'ennemi. II auroit beau répondre qu'on refufe du pain & des re-, mèdcs, ou de 1'argent pour en achêter, aux défenfeurs de 1'Etat, qu'il a chargé de veiller a la fécurité du Pays; on n'en perfifteroit pas moins a foutenir qu'il veut le livrei- aux Anglois, Un homme public qui veut faire fon devoir, dans des conjoncfures épineufes, eft bien a plaindre, Monfieur , lors même que les moyens en font en fon pouvoir. C'eft bien pis quand ces moyens font a la difpofition de fes adverfaires; quand fon pofte eft tel, qu'on le rend refponfable, & du bien qu'on 1'empêche de produire, & du mal qu'on le met dans rimpuiflancq de prévenir. Que doit faire un adminiftrateur honnétc, intèS. & du confeil d'Etat; favoir, „ qu'ils n'ont pas d'autre fatisfaction des avis qu'ils „ ont donnés, fi non, qu'ih confiera paria, que la ,, fituation a&iLelle de la patrie ne peut être imputée d „ 5. A. S. Êf au confeil d'Etat; exprefiion, qui, 15 a notre opinion, ne peut convenir jamais, certai, „ nement pas dans les circonfiances critiques oü la „ République fe trouve; exprefiion, qui, mife dans „ la bouche du Chef Eminent & d'un illuftre collége 5, de la République, auroit pu entrainer les fuitcs les ,, plus préjudiciables pour la tranquillité du pays, ,, prés d'un peuple qui auroit moins de confiance cn „ fes Régens, que ne l'ont noscitoyens; exprefiion ,, que L. N. P. ne fauroient donc manquer de remar„ qucr, en témoignant a ce fujet leur reffentiment ex., trévie, comme d'une démarche dangereufe, dans E 4 „ 1'at-  7-2 Correfpondance Politique, 3i 1'attente quc L. H. P. voudront bien coopérer avec „ L. Ar. P. afin qlie des démarches auffi extravagante*. „ n'aient plus lieu dans la fuite; fur tout fi L. H. P„ j, veulent bien réflécMr, que les propofitions fi ibu„ vent réitérées pour augmenter les forccs de la Ré,, publique par mer, Cla'feule partie ou elle peut ja- mais augmenter fes forces avec fruit) ont toujours. ,, été accrochées, C encore même dans le temps que „ la République fe voioit déja auffi cruellement qu'in„ juftement troublée dans fa navigation par VAngle3, terre). a une augmentation couteufe & inutile des ,, farces de terre; auquel égard L. N. P. fe font déja i, expliquées & ont levé toutes les objeclions, par la ,,'réfofution de cette Province, en date du 13 Jan5, vier 178.1, &c. " Paffons, Monfieur, 1'éponge fur 1'amfigouri, la platitude de ce paragraphe. On a remarqué plus d'une. fois, que les émanations de la Frife, comme celles d'Amfierdam , d'Alcmar, de Leyde, affectent un langage barbare, & fe manifeflent dans un ftile dégoutant. Ne nous arrêtons qu'aux chofes. Voyons fi les idéés ont autant de jufteffe, que la diclion a d'élégance & de dignité. D'abord que prétendent donc M M. les Frifons? veulcnt-ils que le Prince & le Confeil - d'Etat, chargés du foin de veiller a la furcté publique; dépofitjairés du pouvoir exéeutif de la confedération.; occupés fins ceffe des moyens de la défenfe commune, & des détails dc 1'adminiftration générale; veulent-ils qu'ils difent que c'eft leur faute, fi les efforts qu'ils font annuellcment depuis quinze ans, pour peindre aux yeux des confédérés 1'état facheux de la République, la foibleffe de fon année & de fa Marine, (1) le délabrement de fes places frontieres, le dénument fi) II n'eft pas hors de propos dc faire remarquer au 1;cT:eur, que quoique nos patriotes ne fe laffént pas d'itöputer aü Stadhouder le mauvaisétat de la Marine, ce Prince n'a celfé, depuis 176Ö jüfqu'h aujourd'hui, de conjurer les confédérés, par les motifs les plus ptuflansj de travailler au' ritabliffement de cette partie de la défenfe publique. Que dis-je? Depuis 1747, époque de 1'flévatiori de Guilleumt IV au Sladhoudcrat-  Civile £»? Litteraire. 73 de fes magazins, de fes arfénaux, Ia pénurie de fes finances; fi leurs répréfentations prefiantcs, fouvent & auffi inutilement réitérées, n'ont rien produit pour mettre la patrie dans une fituation refpedlable ? Quand il feroit yrai que 1'affertion qui a choqué une partie des Etats de Frife, feroit de nature a indifpofer le peuple contre ceux de fes Régens qui ont empéché le rétabliffement des forces pubfiques, après les avoir laiffé dépérir par leur négligence & par les principes parcimonieux d'une économie funefte; qui ont arrêté I'effet falutaire des fages mefures indiquées par le Prince & par fes amis, pour épargner a la République la fatale rupture que des hommes qui fe targuent du nom de patriotes, ont néceffitée par leurs intrigues & leurs infracfions a 1'union; en feroit-il moins inconteftable que S. A. & le Confeil - d'Etat, n'ont recu d'autre fatisfaétion de tous les foins qu'ils ont pris, de tous les mouvemens qu'ils fe font donnés, pour préferver la patrie du fléau d'une guerre défaftreufe, ou pour Ia mettre en pofture de rcpoulfer les attaques de 1'ennemi, fi non que les preuves de leur zcle, de leurs follicimdes, dépofées dans des documens pubhes, les difculperont aux yeux de la po Mérité des imputations dont leurs contemporains les chargen't? Ce n'eft pas paree que le peuple eft affeclionné a'fes Régens, comme le difent M M. les Frifons, qu'il ne témoigne pas fon mécontentement aux vrais auteurs des maux dont nous gémiflbns: c'eft paree qu'il ne les connoit point. Abufé , féduit, induit en erreur fur leur véritable caufe, il n'eft pas étonnant que fon indignation, dirigée par Ie parti, contre des obiets qui en font innocens, ne foit pas dans le cas d'allar- mer héréditaire, de toutes les Provlnccs. Ie pere, la mere, Ie fils ont dévelópgé les conndérations les plus preftantes, & fait les plus vives inftanoei pout engager la République, a reléver ft m.u'ine anéantie fous Ie legne: neïligeant de XAriflucratic, qui, en 45 ans, avoit laiffé pourrit 100 Vaifieaux de ligne & autant de frégates, qui exiftóient a la mort de Ouillaumc UI. Voil.a des faits , qu'on défie nos Patriotes de démentir. IK n en cneront pas moins, que c'eft a la Maifon CCOranre, qu'il faut «ttnbucr leur pronre ouvragc: E5  74 Correfpondance Politique, merM M. de Frife, qui prennent pour de la foumiflion a leur defpotifme, pour de l'affection a leurs perfonnes, & de la confiance en leur intégrité, ce qui n'eft réellement que I'effet de 1'ignorance du gros de la nation , qui ne manqueroit point de faire éclater fon improbation pour leur conduite, fi elle pouvoit fe perfuader que c'eft a eux qu'il faut s'en prendre de tous les défordres, dont ils fe font des armes contre fon Chef. Mais on lui a fait croire qu'il falloit les attribuer a Ia trahifon du Prince, a la fcélérateffe des confeillers perfides, qui ont égaré fon efprit & furpris fon coaur. Ces calomnies auffi abfurdes qu'infames, artiftement femées dans le public, répétées mille fois avec autant de confiance que d'audace, préfentées avec des couleurs propres a les accréditer, ont laiffé douter a la multitude, fi le perfonnage qui a fait le plus d'efforts pour prévenir le danger, n'étoit pas précifément celui qui 1'a provoqué, & qui empêche de le parer. Les chofes étant ainfi au pied de la lettre, il n'eft pas furprennant que Ie Stadhouder & le Confeil-d'Etatfoient trouvés repréhenfibles, accufés d'extravagance ou de folie, en fe difculpant des malheurs publics, & en infinuant que c'eft lur d'autres que fur eux, qu'il faut rejetter les caufes de la foibleffe qu'on refient, & des embarras qu'on éprouve. II eft bien évident qu'il ne peuvent toucher a leur juftification, fans défigner tacitement les vrais coupables. De fimples lueurs de leur innocence qui tranfpirent dans le public, lont des témoignages accablans de la négligence ou de la mauvaife volonté de leurs adverfaires. Voila pourquoi la Pétition Générale a paru extravagante au parti violent, qui domine aétuellement én Frife. Cet inftrument authentique lui reproche trop de torts & des torts trop effentiels, pour qu'il n'en aie pas été choqué. On lui infinue indirectcment qu'il en a d'impardonnables de refufer fon concours a 1'amélioration de 1'armée & au rétabliffement de la Marine. On invite les confédérés a fe réunir pour engager la Province de Frife a rendre permanente 1'augmèntation dc la folde des troupes, & a fournir fon contingent pour 1'équipement des vaiffeaux. La cabale dominante qui Iit fa  Civile c5* Litteraire. 75 fa condamnation dans les aveitiffemens paternels de 1'adminiftration fupréme, s'indigne au lieu de s'amender; & plutöt que de fe rendre a des inftances preffantes, elle les repoulfe avec dédain, & les taxe d'extravagance dans une réfolution d'Etat. N'eft-il pas révoltant, Monfieur, de voir traiter le Prince & Je Confeil - d'Etat comme des féditieux, & leurs follicitations patriotiques comme des acces de démence ou d'audace, par des hommes qui fembJent conjurés contre leur patrie, & qui, depuis deux ans,. n'ouvrent la bouche dans le fond de leurs marais, que pour inviter les peuples a la révolte contre le Gouvernement fuprême? Quoi! c'eft dans le temps qu'il émane chaque jour du fénat de Frife des réfolutions violentes, des lettres inflamatoires, dont le but eft de foulever la nation contre fes chefs, que la faétion qui tyrannife 1'aflemblée Souveraine de cette Province, ofe dénoncer les adminiftrateurs publics comme des audacieux, coupables de rébellion & d'extravagance1 Et pourquoi donc S. A. & le Confeil-d'Etat mériteroient-ils ces épithètes outrageantes & une repréheniion fevère? Pourquoi la Généralité devroit - elle prendre des mefures, pour empêcher les dépofitaires du pouvoir exécutif de fe porter déformais a de pareils procédés, a d'auffï extravagantes démarches? Paree qu'ils ont avancé ce qui eft d'une évidence mü pable & d'une vérité fans replique; favoir qu'ils avoient repréfenté fouvent aux confédérés 1'état déplogable de la patrie; qu'ils avoient auffi fouvent tracé fumque plan qui püt la tirer de la détreffe; mais que ni leurs folhcitudes, ni leur vigilance, ni leurs prieres, n'avoient produit rien, abfolument rien, fi non qu'il conftera aux yeux de Ia poftérité, que les malheurs prefens & futurs ne fauroient leur ëtre impu- 7 V,0itóJ °? Vérkó >, m bien Srand CI'™e dans le Stadhouder & fes coopérateurs, d'ofer dire avec ménasement, que ce n'eft pas leur faute, fi 1'on a néelieé dc pourvoir aux befoins de la République, & que les ficcles avenir n'en feront aucun reproche k leur mé moirc. Cc n'étpit pas affurement 1'intention du Prince & du Confeil-d'Etat, d'indifpofer les citoyens contre leurs Regens, en affurant, ce qui eft vrai, que la foi- blefle  f6 Correfpondance Politiqui, bleffe & les embarras du Pays n'étoient pas leur oüv vrage. Rien n'indique qu'ils cherchaffent a exciter lc peuple contre fon légitime Souverain, en foutenant qu'ils ne font pas les auteurs des maux qu'ils déplorent. Toute leur conduite démontre que ce n'eft pas par la confufion qu'ils veulent, comme leurs adverfaires, exercer la portion d'autorité qui leur eft confiée. Leur but, dans la Pétition Générale, fi aigrement cenfurée par le fénat de Frife, étoit fimplement de fe difculper auprès de la nation, des reproches de négligence ou d'mfidélité dont les facfieux les chargent. Mais fuppofé que la juftification des uns, en faifant retomber le blame des malheurs publics fur les autres , put réellement indigner le peuple de nos Provinces, & le foulever contre les vrais auteurs du mal; a qui ces ennemis de la patrie devroient-ils s'en prendre? Ceux qui exiftent cn Frife, comme ailleurs, pourroient-ils en rejetter la faute fur d'autres que fur eux-mêmes? Ne font-ce pas leurs intrigues, leur mauvaife volonté, leurs defirs de vengeance qui ont précipité 1'Etat dans Ia détrcffe, & néceffité 1'apologie de ceux qui fe font. erforcés de le foutenir fur le penchant de la ruine ? La perfévérance avec laquelle on s'eft obftiné a rcfufer des armes a fes libérateurs, & a les rendre refponfablcs d'une impuiffance qu'ils ont vainement effayé de prévenir, juftifie de refte la liberté qu'ils prennent de fe laver les mains devant le public, de tous les dangers accumulés fur la patrie. Le peuple, étourdi d'abord du tapage de nos-foidifant patriotes; trompé quelque temps par les grimaces d'un patriotifme feint, commence a pénétrer les motifs feercts de la cabale, qui foufflant elle-même, de toute part, le feu dc la rébellion, ofe encore imputer ce lache deffein a 1'autre parti, & cenfurcr avec indécence le langage modéré & vrai des objets de fa haine, qui fe défendent avec autant de modération que "de fondement. La pluralité des Etats de Frife ne pouvant fe diftimulcr cette vérité terrible, que fa confcience & lc fouvenir du paffé ne lui permettept pas. de méconnoïtre, s'eft hatée de préter au Stadhouder & au Confeil-d'Etat une intention criminellc, qu'on neut bien lui attribuer avec plus de raifon. i A Dieu  Civile £? Litteraire. 77 - A Dieu ne plaife, Monfieur, que je fouhaite un foulevement qui nous débarrafferoit une bonne fois des jhumeUrs infecles qui rtous tourmentent, ni que je defire le jufte chatiment de ceux qui invoquent Ia fédition au milieu de nous. La guerre civile eft le plus épouvantable de tous les fléaux; la rébellion contre Tordre public, le plus odieux de tous les crimes. C'eft d'après 1'idée que je me forme de ces attentats, que je fuis perfuadé qu'il n'y a point de fupplices qui puiflent expier les forfaits des hommes qui s'en rendent coupables, ou qui invitent leurs compatriotes a les commettre. Mais fi malheureufement 1'explofion effrayante dont nous fommes a chaque inftant menacés fe faifoit, que n'aüroient pas a craindre tant de ci toyens incendiaires, de Régens turbulans, de trompcttes féditieufes, qui s'efforcent de mettre le flambeau de la révolte dans les mains du peuple, pour allumer un incendie qui les confumeroit iridubitablement les premiers? Jc fuis perfuadé que, pour peu que la vérité fe faffe jour a travers les nuages qui 1'offufquent encore au milieu de nous, une émotion populaire choifiroit pour les vicfimes de fa rage , ces mêmes hommes qui fe font attachés a attifer le feu de la rébellion par leurs démarches on dans leurs écrits. C'eft cette poflibilicé trés probable fans doute, qui infpire a ceux que la révolte immoleroit infailliblement, la précaution d'envelopper de plus en plus la vérité par leurs fophifmes & leurs chicanes, afin de fe fouftraire a la punition que le peuple foulevé ne manqueroit pas de leur infliger. La Suite au Cahyer prochain. Memoiri  f$ Correfpondance Politique, Memoire de S. A. S. Le Prince d'Orange & de Najfau. SECÖND EXTRAIT. II0. T Tn fecond objet fur lequel 1'Amiral Général a vJ été compromis par des écrivains ténébreux &, malheureufement, par des hommes publics trop connus, c'eft fur fa conduite au moment de la Rupture. Les gens honnêtes fe rappellent avec indignation de quclle fagon odieufe il fut outragé dans plufieurs écrits dévoués a fes cnnemis ou foudoyés par eux ■ entre - autres dans les Lettres. Hollandoifes qui fe faootoient a Bruxelles, fous lós aufpices de la diplomatie Fraftcoife, & dont > 1'objet comme celui du Politique Hplïandoii qui naquit k cette époque, comme de tant d'autres fcuilles écrites en langue nationale, étoit de rendre le Stadhouder fufpecl de connivence avec les ennemis de 1'Etac. De pareils foupcons ne feroient que méprifables, s'ils n'avoient eu pour organe que les reptiles qui les ont répandus dans le public. Mais ayant trouvé créance dans 1'cfprit de la nation, & fervi de bazé aux plainces ameres, plufieurs fois exhalées de fes Regens, fon chef n'a pu fe difpenfer de les repouffer, dans un oüvrage qui a pour objet de diffiper tous les nuiges élévés-fut fon adminiftration. C'eft celui du fecond articlc de fon mémoire, dans lequel il fe dis-' culpedu reprochede négligence oude.prévarication envers la patrie, en détaillant les mefures qu'il a prifes, & les ordres qu'il a donnés immédiatement après la déclaration dc l'Angleterre. Quelque défagréable que fut cette pofition, dit's. A. II falloit cependant fonger a exésuter avec des forces infuffifantes les Réfolutions expreffes des Provinces, & les mefures qu'Elles fe virent obligées de prendre, pour repouifer ragreffion de l'Angleterre". , Ces tems facheux, que nous avions prévus fi fouvent & fi inutilement prédits, étoient arrivés enfin, oü tous les tréfors raffemblés de 1'Etat n'auroient pu fuffirc  Civile Litteraire. 79 füffire pour défendfe avec la célérité nécefiaire la Pa* trie atcaquée, pour protéger fon Commerce & fa Na* vigation, & pour couvrir fes établilTemens lointains & fes Colonics difperfées". ,, Dans les commencemens il ne reftoit d'autre parti k prendre que de demeurer fur la défenfive, & de diminuer , autant qu'il étoit poffible, les dangers qui menacoient la République de toute part, &, pour ainli dire, dans toutes les Parties du monde; enfin de travailler pendant ce temps avec toute l'acfivité imaginable, a perfecfionner & a augmenter les moyens que nous avions en main pour faire fentir un jour a YAngkterre, que ce n'elt pas impunément qu'on attaque eet Etat". „ A peine la nouvelle d'une Rupture entre la GrandeBretagne & eet Etat nous fut-elle parvenue, qu'après les conférences néceffaires avec les Miniftres du Gouvernement óc des Amirautés refpecf ives, nos premiers foins fe porterent fur les Vailfeaux qui avoient déja mis a la voile, cc fur ceux qui fe difpofoient a fortir inceffamment" .... Suit Je détail fort étendu des ordres expédiés & des difpolitions ordonnées pour la confervation des vaisfeaux de guerre & des navires marchands qui fe trouVoient en mer, ou prêts a y entrer a ce fatal moment • pour la défenfe cc la protecfion du Pays & de fes Colonies. ' Nous ne pouvons pas fuivre S. A. dans le récit de fes opérations cc'de fes mefures. On la voit porter fon attention & fa vigilance fur toutes les par d^te^rft^^la RéPubliq«e, fur tous les pomts difperfés de fa foible marine. Le Texel, la Meuk Jes parages de la Zélande, de la Frife & de Gronin gue, la Méditerranée, les Indes-Occidentales, les cótes du Pays furent également les objets de fa follicitude, tandis que la plupart de fes feabitans a la fécurité defquels il veilloit, reconnoilfoient fon zèle par 1'ingratitude & des outrages. Plufieurs chofes s'oppofoient au fuccès de fes foins & de fes voeux. Le petit nombre de troupes è repartir fur les cótes; un plus petit nombre encore de vaisleaux a oppoler aux aggreffions multipliées de 1'ennemj; la rigueur de la faifon; 1'incertitude oh la République fe trouvoit ayec les puiifances du Nord, relati- vement  !8o Comfpon'dance Politique, vemeht a la Neutralité- Armée; l'étourdiffement qui réfultoit d'une attaque cruclle & imprévue, ou du moins a laquellc on n'ctoit nullement préparé; tout cela, & bien d'autres chofes encore, faifoit naitre des tfifficultés infurmontablcs, au milieu des plus grands embarras. C'eft dans le Mémoire même qu'il faut cn lire le récit. II n'eft donc pas étonnant de vöir la conduite de la République au début de la guerre, abfolument paffive, bornée aux moyens dc défenfe; notre navigation marchande , difperfée fans protccfion fur toutes les men, devenir la proic d'un cnnemi afftif, puiffam-' ment année, qui nous prit a 1'improviftc, après avoir di'pofé toutes fes mefures pour nous aflaillir; nos va (feaux de guerre qui s'acheminoient vers leur dcftiHJ'tion fous les aufpices de la paix & la foi des traités, toinber dans les filets de eet adverfaire rufé & formida ' 2; nos poffcffions dénuécs de défenfeurs & dé fvees de réfiftance, offrir une conquête facile a 1'heureux Rodney; &c. Ce qui étonne ici autant quc tous ces défaftres affligehtj c'eft que des Régens, des adminiftrateurs qui font inftruits & convaincus de 1'impofiibilité oü YAvi'ral Générdl étoit de les prévenir, après les avoir longtcmps prédits, lui en aient fait un crime. Que nos Crifpins périodiques 1'en aient rendu refponfable dans leurs libclles; il n'y a la rien de furprennant: leur ignorance ou leur mauvaifc foi excufent, fi elles ne juftifient point, leur injufticc & leur audace. Mais pourquoi faut-il que nous comptions des hommes publiés au rang de ces cenfeurs pervers ? Pourquoi faut-il que des citoyens, qui devroient être auffi équitables qu'éclairés, i'e foient rendus les échos des plaintes abfurdes des Gazetiers ? 111°. Le trojfième point fur lequel les clameurs publiques & les plaintes des individus ont néceffité les éclaireiflemens du Chef de 1'Etat, c'eft 1'augmcntation des forces navales , & 1'équipement des vaiffcaux. Accufé hautement de négligence, pour ne pas dire de prévarication, a ces deux égards, il a dü montrer 1'injüftice des foupqons qu'ils ont fait conccvoir contre lui.. Quoiqu'en cette partie comme dans tout.  Civile Litteraire! 8t ïe refte, il ne dépende pas de lui uniquemeöt d'établir 1'ordre, cc de faire naftre 1'activité; que dans ce qui concerne la confeótion de la Marine, les moyens en foient a la difpolition des confédérés, & la manipulation du reffort des Amirautés, corps finguliers, un peu anarehiques comme tous les autres, fur lefquels la qualité è'Amiral Général ne donne pas une autorité abfolue; cependant on 1'a rendu refponfable de tout ce que ces différens départemens, indépendans les uns des autres, cc prefque de la Généralité, n'ont pu effecfuer. Cette partie du Mémoire juftificatif eft fans contredit la plus intéreirante; celle qui jette le plus de jour fur 1'état de notre marine, fur les caufes de fa foibleffe 6c de fon inertie; celle qui offre le plus d'obfervations curieufes écd'idées inftrucfives. Aces titres elle mérite de notre part une attention particuliere. i° Au moment de la Rupture toutes les forces ng-' vales de la République confiftoient en 27 vaiffeaux de ligne, dont la plupart de 50 Canons, en 35 Frégates, 2 fenaux, & 5 gardes - cótes: une partie de ces Vaisfeaux étoient hors d'état de fervir, a caufe de leurA vétufté, ou des réparations confidérables dont ils avoient befoin* ; 2° Dés le commencement des hoftilités, cette fóible marine recut des échecs trés fenfibles. Les An* glois nous enlevcrent, i° La Prince [fe Caroline de 50 Canons. 20 Le Rotterdam - - - 50 30 Le Mars - - . . 00 , 4° La Fregate le Mars - 36 ■ 50 ]e Capr , 3.f^]iter les enrftlemens dans ce pays. „ D abord le falaire des ouvriers n'étoit pas auffi fort " 5? auJ°ul;d hui: Enfuite la population étoit plus confi„ derable dans toute 1'étenüuë de nos Provinces- il v avoit plus de monde excepté peut-être k Jmfierdam, ' " , v£Ue, P^lts ,du nombre d'habitans ne diminue pas " f r , rlte des levées aaue]Ies. Paree que les moyens » ae fubfiftance font auffi plus nombreux dans cette „ Ville k prefent, qu'ils ne 1'étoient alors. Enfin dans „ ce tems-lk, 1'indigence étoit plus aftive & plus uni„ verfelle que dc nos jours. La claffe inférieure de nos „ Citoyens avoit plus befoin de reffources pour vivre il „ eton plus aife de 1'engager k profiter de celle que le „ fervtce de 1 Etat fur les Flottes lui préfentoit. „ Et ne pournons pas ajoute.r auffi que Ie défir de „ combattre pour fon pays, de donner cette belle R véri,, table preuve de Patriotifme étoit alors plus vif & plus brü„ lant que de nos jours? Du moins il eft certain que „ dans Ie nombre de Marins, engagés au fervice de Ia „ Kepublique depuis le commencement de Ia guerre il » s en trouve peu qui foient nés fes fujets. Enfin car il eft inuule d'en dire d'avantage, 1'Etat „ avoit dans le fiècle pallé une Marine formée.- Les „ lerviteurs de la Patrie pouvoient raifonnablemeM F 3 „ efpé-  86" Correfponddnce jPolitique^ „ efpérer de s'avancer dans cette carrière. Ils avoient jj de puiflans encouragemens. Aujourd'hui ces moüfs n'exiltent plus. La décadence prefque totale de la „ Marine a fucceffivement découragé & dégoutó enfin „ d'une profeffion qui n'offre plus aucune perfpective „ fatisfaifante d'avancement: cette réflexion eft particuliè+ rement applicable aux Officiers & aux Bas - Officiers, dont la difette efi, proportion gardée, plus grande & „ plus difficile k faire ceffer que celle de Matelots & de „ Soldats. De toutes les raifons que 1'Amiral Général affigne k la difette de marins pour le fervice de 1'Etat, peut^tre y en a t-il quelques unes plus fpécieufes que folides. Celle qui eft tirée de la comparaifon entre les armemens du fiècle paffé & ceux d'aujourd'hui, peut évidemment être conteflée. Chez les Anglois & chez les Frangois dont les efcadres font auffi nombreufes & plus fbrmidables a préfent qu'autrefois, le parallèle pourroit être applicable: mais ce n'eft pas la que la rareté de matelots fe fait le plus vivement fenpt'i c'eft chez-n'ous. Nous 1'éprouvons d'une maniere bien fenfible & non moins funefte: cependant nos flottes acfuelles ne font plus que des avortons, comparées a celles qui s'élancoient de nos ports il y a cent ans. II eft donc inconteïtable, que la difproportion des armemens a ces deux époques, ne conclud pas dans le fens de S. A. . II eft également permis de n'être pas de fon opinion fur 1'influence qu'elle attribue au prix des denrées, aux deux époques qui lui fervent de termes de comparaifon : cela ne fait rien a la bonté de fa caufe. On peut foutenir une thèfe raifonnable, & 1'appuier quelqueFois dé taifons peu concluantes. Lc Prince Stadhouder peut s'être trompé dans 1'afïïgnation des caufes de la difette de matelots, & I'effet n'en être ni moins réel, ni moins actif. S. A. indique la dépopulatim, 1'accroiffement du taux des falaires & des Jources de fubfiftance, pour le peuple , comme des caufes de la privation de monde, & du peu d'empreffement que les individus de la claffe inférieure témoignent a profiter des invitatipns que 1'Etat leur fait de monter fes flottes. II eft certain gue la population étoit plus forte au-fiècle dernier, ■ dans  Civile f3? Litteraire» %y dans nos Provinces, qu'elle ne Telt aujourd'hui: il y avoit plus d'hommes alors fans contredit qu'il n'y en a aftuèllement. Les Emigrations de la Francs, de YAllemagne, du Piémont, des Pays-bas Autrichiens, du Pays de Liege, entretenoient chez-nous 1'efpèce humaine, que nos armemens pacifiques & guerriers confumoient: nos équipages étoient recrutés par des ctrangers, que le defpotifme furieux, & 1'imbécillc fuperïtion faifoient aborder dans notre Pays. A préfent ce n'eft plus la même chofe. La France devenue plus tolérante, ouvre les bras aux habitans de nos Provinces, bien loin de forcer ceux des fiennes, a venir chercher un azyle & du travail chez-nous: fes ports de mer, fes places de commerce. voient chaque année, fe fixer dans leur fein, des Négocians nes, élevés dans les nötres. Les Pays-bas plus éclairés, fous une domination douce, ne font plus refluer \esfla. mands dans nos contrées. Les marchands de chair humaine de la Germanie, vendent leur bétail aux Anglois, & n'en laiffent plus échapper de leurs étables, pour venir manceuvrcr nos vaiffeaux. Nous ne voyons plus ni Vaudois, ni Palatins, ni Camifards, fuiant les loups affamés de leur patrie, fe réfugier dans notre bergerie, a Tornare d'une autorité bienfaifanté, qui fe déclaroit leur proteétrice. Indépendamment de toutes les caufes locales de dépopulation, dans les ProvincesUnies, un concours moins confidérable d'étrangers, fuffit pour la rendre fenfible. Dans le dernier fiècle, il y avoit chez les Bataves, comme chez leurs voifins, moins de célibataires & de rentiers: par conféquent, il y avoit plus d'hommes qui coöpéroient a la population , ou qui y coöpéroient plus efficacement. Le luxe étoit moins Vépandu, fon funefte cortège moins nombreux & moins aétif. Alors, les Gouvernemens de YEurope n'ayant pas encore inventé la méthode de faire dévorer les races futures par la génération préfente, n'avoient pas non plus fourni a des milliers d'individus, les moyens de fe rendre inutilcs a TEtat dans 1'oifiveté, & dangereux par leurs excès. Un plus grand nombre de citoyens avoit befoin de travailler, ou de fe vouer k quelque chofe, pour gagner la vie Comme il y avoit moins de gens opulens, il y en avoit auffi plus d'utiles. Les F 4 riches  I? Correfpondance Politique, riches étoient plus rares, & moins environnés d'étres nuls, comme eux, fous leur Livrèe. La clalfe fubalterne & laborieufe de la fociété étoit plus nombreufe ; elle renfermoit plus de monde difpofé a embraffer avec ardeur, toute profeffion qui lui affuroit la fubfiftance. On voyoit beaucoup moins de laquais dans les villes, & plus de matelots fur les ports. Mais cela ne prouve pas que les denrées fuffent proportionnellement plus cheres & les falaires moins forts, dans ce temps la qü'aujourd'hui. II s'en faut bien que 1'indigence fut plus répandue, plus acfive, alors qu'a préfent. Les vices dont nos ancètres étoient exempts, font naitre la mifère, & la perpétuent: leur éloignement la prévient, ou la diminue. II y a certainement plus de pauvres, de miférables, aétuellement en Hollands, comme ailleurs, qu'il n'y en avoit au fiècle paffé. Les rétributions accordées au travail des ouvriers font plus fortes, il eft vrai; mais les denrées font aufii plus chères. La fubfiftance alimentaire d'une familie du peuple, coute aujourd'hui trois fois plus qu'elle coutoit il y a cent ans; & il n'eft pas prouvé, a beaucoup prés, que 1'accroilTement des falaires ait été fradué fur 1'augmentation relative, que le prix des enrées a regue. II me paroit même démontré que cette proportion falutaire entre le taux des rétributions & le prix de la fubfiftance, eft moralement impoffible : fon impoffibilité eft fondéc fur des rapports moraux imperceptibles, qui échappent aifément a quiconque n'eft pas accoutumé a pénétrcr les refforts du mécanifme focial. Quoiqu'il en foit, au refte, de ces obfervations, elles n'affoibliffent pas 1'affertion de S. A. II fuffit que notre population nationale foit moins forte aujourd'hui qu'autrefois, & que dans le fiècle paffe, un plus grand nombre d'individus de la claffe inférieure euffent befoin, pour vivre, de la reffource que 1'Etat leur offroir. fur fes flottes, pour qu'il fut plus aife, alors qu'apréfent, d'en form^r les équipages. II n'étoit pas néceffaire que le peuple fut plus indigent; il fuffifoit qu'il fut plus nombreux. Les hommes qui vivent aujourd'hui dans la moleffe, a 1'aide des faciles revenus que les rentes viageres leur ont procurés.; ceux qui peu-  Civile ê? Litteraire. Sg> peuplent les Anti - chambres de Populence, öé fe font pas matelots: on ne va pas monter un vailfeau, lorsqu'on peut monter dans une Garojje, ou derrière. Ec cependant les families a qui le Luxe & fon fafte ont enlevé lés jeunes gens qui feroient devenus Marins% n'en font ni plus dans 1'aifance, ni moins miférables, pour avoir fous la livrée des riches, des Meffieurs la Jeunejje ou St. Jean, galonnés & en bas de foie (i). Ne faut-il pas faire la même obfervation fur les profeflions futiles, introduites au milieu de nous depuis un fiècle. Nous ne les connoiffions pas il y a cent ans, & actuellement elles occupent un cinquieme des individus de la nation, qui s'offriroient pour monter nos vaiffeaux, s'ils n'avoient pas ces honteufes ou funeftes reflburces pour gagner leur vie. Du temps de Maurice, de Frederic Henri, de De Wit, de Guillaume III, nos pères n'avoient pas Ja vingtième partie des Traiteurs , des Limonadiers, des Péruquiers„ qui fuffiroient aujourd'liui parmi-nous, a équiper une flotte comparable a l'Invincible, ou k celle qui vient li glorieufement de défendre les approches de Gibraltar k 1'Amiral Howe. Graces aux progrès de la politeflê & du bel-efprit,' du luxe & de fes ravages , qui ont remplacé les mceurs, les vertus & la fcience, nous avons maintenant des Académiciens, des Economiftes, des Baladins des Périodiftes, des Artiftes de toute efpèce fans en excepter les genres les plus frivoles, ou les plus dangercux. Tous ces gens la, confacrant leurs talens a amufer ou a inftruire le public, n'ont pas Ie temps de fervir Ja patrie dans les combats. Si M. Cerijier, fon ; (O La métamnrphofe qui s'eft opeïée a Ia 'Ètqye', durant une révoju" tion rééulaire, eft frappante. Des perfonnes aftant avoir oui dire i leurs ;peres, qu'il n'y avoit, il y a cent ans, que fix équipages dans te ïnagnifique vtllage. devenu depuis le féj'our du lafle, comme le centra de ia politique. Mamtenant cette ville fuperbe, renferme plus d'liomnies qu'il en faut pour équiper 20 vaiffeaux de liane du premier ran bécille qui la compofe: ce n'eft pas a ces jeux la que la nature s'eft amufé l'année derniere. Le dérangement & 1'intempérie des faifons l'ont caraclérifée fingulierement. Une humidité conftante dans une partie de YEurope; une féchereflè brülante dans l'autre: les fleurs du printemps en Hiver; des frimats glacés a la Canicule: des pluies froides avec le vent du Midi; quelques accès de chaleur incommode, plus malfaino que vivifiante, avec le vent de Nord: voila ce qui diftinguc notre vieille mere, qui paroit réunir les infirmités de la décrépitude a l'nnpuifiance de la vieilleffe ou fe modéler fur 1'extravagance & la méchanceté de fes enfans, plutöt que s'appliquer a leur donner des lecons de fagelfe & des exenrples pacifiques. Rien n'eft arrivé en fa faifon ni a propos l'année paflee. A commencer du mois de Septembre 1781, jufqu'a préfent, les viciflitudes annuelles ont été ren' verfées: les glacés ont pris la place des beaux jours, & une température chaude s'eft fubftituée au temps de la gêlée. Après un hiver humide, quelques jours d'une chaleur extréme ont été fubitement fuivis au printemps, d'une bife aigre. C'eft ce paflage fubit du chaud au froid, qui a enfanté YInfluenza, maladie nouvelle, plus incommode qu'homicide, qui, après être née fous le cercle polaire, s'eft répandue jufqu'aux Pirénées. Prefque tous les habitans renfermés entrc ces deux points, en ont été attaqués: peu en font morts; mais un grand nombre en a beaucoup fouffcrt & au bout de dix mois, plufieurs fe reflentent encore de 1'altération qu'elle a caufé a leur fanté. Paris Londres, Vienne, en ont été aufll incommodés qal Steek-  130 Correfpondance Politique', Stockholm & Péter sbourg: elle n'a pas plus épargné les flottes que les villes; & cette influence naturelle, comme la politique, aenchainé les marins pendant quelques femaines, & retardé un peu les opérations navales de la derniere campagne. Nos climats Septentrionaux ont été noyés par des pluies continuelles, qui ont pourri les végétaux, ou les ont empéché de mürir. Les grains ont germé dans les champs, & le raifin a été cueilli taut verd. Le bied, imbibé d'eau, n'offre qu'un aliment malfain, dénué de fubftance, & incapable de fe conferver: la vigne qui avoit flatté fes cultivateurs de 1'efpoir d'une récolte abondante & délicieufe, n'a fourni qu'une vendange médiocre, & du ver ju en place de Nectar. Les autres fruits ont été, ou dévorés par les froids du printemps, ou diifouds par les pluies de 1'été. L'autonme n'a pas éré moins bizarre ni moins facheufe que les autres faifons. Les deux tiers en ont été humides , & l'autre rigoureux. Nous avons éprouvé au mois de Novembre, trois femaines d'un froid extréme, fuivi de pluies abondantes. L'année a fini comme elle avoit commcncé, comme elle avoit pourfuivi, par des jours nébuleux, & un ciel couvert. II femble quc le foleil foit faché contre nous, ou qu'il ne nous trouve plus dignes de recevoir fa chaleur, & de contcmpler fa clarté. En particulier, on diroit qu'il ait eu honte d'éclairer les incongruités politiques de notre pays. Durant quinze mois, il nous a conftamment caché fes bienfaifans regards: des brouillards continuels l'ont dérobé aux nótres. II s'eft montré avare de fes rayons vivifians, pour nous plus encore que pour les autres peuples placés a la même latitude. II n'en a laiffé péné'trcr quelques uns, de temps en temps, dans nos climats aquatiques, qu'a mefure que la Raifon y laiffoit cntrcvoir quelques lueurs de bon fens. Pendant que les habitans des contrées occidentale* croupilfoient dans la boue, armés dc paraplaies, & que leurs denrées pourriffoient dans la terre ou deffus; ceux du Jud, & des Pays voifins de Y Oriënt, dévorés par la féchcreffe, invoquoient comme autrefois Elie, lc cicl pour cn obtenïr de l'eau. Les nuages accumuIés vers le pole cc le conchant, refufoient de porter la fcix  Civile 6? Litteraire. ïjj» fertilité & la fraicheur en 1'Italië, & d'aller arrofer fes belles campagnes. Les Turcs, les Hongrois, expofés comme les Italicns aux ardeurs d'un foleil brülant. foupiroient de même après des pluies falutaires, que leur abondance rcndoit prefque auffi nuiffibles chez» nous, que la privacion en étoit funefte chez-eux. Un fléau qui avoit paru longtemps renfermé en Egypte, dans YAJie Mineure, dans la Tartarie, & borné fes ravages aux Pays foumis a la domination des infidelles, s'eft fait redouter l'année palfée aux: peuples chrétiens. Des infecfes deftrucïeurs fe fonC manifeftés dans la partie Oriëntale de notre Europe, Plufieurs cantons de la Tranjilvanie, de la Hongrie % ont été ravagés par des effaims innombrables de Jauterelles, qui ont paru a différentes reprifes, & qui en ont brouté 1'herbe & rongé les arbres. Des papiers publics nous ont appris que ces troupeaux dévorans étoient fi nombreux, qu'ils formoient comme un nuage de plufieurs lieues de long & de large, & que, poles fur la terre, ils en couvroient la furface de plufieurs pieds d'épaifièur. C'eft le rédacteur de Cologne t fi je ne me trompe, qui a affuré qu'on s'étoit délivrée de ces terribles animaux, en les chaffant a coups:■ de canon ( ?). Tandis que les frontieres de la Turquie fe trouvoïent expofées a ce fléau redoutable, la Capitale de 1'Empire Ottoman étoit en proie aux ravages d'un autre fléau non moins épouvantable. Cette ville peuplée de mutins, fiers, arrogans, bien plus que d'hommes flétris par les fers de la fervitude, ( 2 ) eft extrémement fujette (O Le Canon eft au moins une arme plus propre a les tuer, ou 1 les ciïrayer, que Vcxcomnmn'calion: cet inftrument pouvoit leur faire plus dc peur & dc mal, qu'une bulle dont on fe fervit autrefois contre eux enSuiffe, L'original en exiile encore dans les archivcs d'une petite Ville du Pays de Puurf, nommée Lutry. Ce fut un Evêque de Levfannc qui Ja fulmina comre les Sauterèllss qui broutoitnt lts vigues de Laraud. (ï ) II n'y a point de peuple fur la terre qui reffemble mieux au peuple de Lotidres, que celui ue, Confiitntinoph. Le mécontemement des 1 abitans de ces deux villes fc manifefte par 1»» mêmes lymptomes. La  132 Correfpondance Politique, fujette au feu. Soit négligence de la part des habitans; foit rafouciance de celle de la police • foit attentat de celle d'un peuple fansfrein, qu'on nous peint comme un vil troupeau d'efclaves, tremblans a la voix du delpote; il ne fe paife guères d'annécs qu'elle n'esfuie quelque défaftre effrayant. En 1782, elle a vu d'abominables incendiaires, Ia torche de la révolte a la main, effayer trois fois de la réduire en cendre: en peu de jours elle a éprouvé trois incendies défaftreux; Ie fecond, furtout, a été terrible. De mémoire d'hommes on ne fe fouvient point de ravages auifi grands, ni d'une défo'.ation auifi déplorable, que ceux qui ont été caufés le 21 Aoüt dernier, par le plus aélif & le plus dévorant des élémens. Depuis 1'incendie qui confuma Lcndres toute entiere, il n'y a pas d'exempie d'une cataftrophe pareille a celle qui vient de faire de Conftantinopïe un monceau de ruines. Prés de 40 mille maifons, dont plufieurs magnifiques, & des richeffes innombrables dëvorées par les Hammes; 5000 perfonnes ou écrafées par la chute des édifices, ou étouffées paria fumée, ou noyées dans le Canal; 100 mille ames réduites a la nudité & a la plus affreufe mifère; une ville immenfe embrafée durant trois jours, privé de fes alimens que le feu a confumés; le Palais du Souverain dans la confufion, fes gardes mutinées, le monarque tremblant au milieu d'elles; cc, pour furcroit d'horfeurs, un peuple rendu furieux par la faim, menacant de faire fuccéder le carnage aux flammes: tous ces lugubres & finiftres objets préfentent le fpecfacle Ie plus effroyable, dont il foit poffible de fe formcr 1'idée. De quelque cóté qu'on jette les yeux on n'en voit, dans La populace /lngloife jette de Ia boue 1 fon Roi dans les nies, & I'apostrophe au f'pectacle : celle de la Tursuii fak tte-lnbtër fofl maltre jufquu dans le fond de fon Serail. Les trois incendies oui ont eonfimié le» deux riers de Conjlantinople l'année derniere, ne différent que par leuis effets de celui qui faülit de réduire Londres en cendre l'année précédente. Il elt affez p.'ail'ant qu'on falie de 1'ancienne Bïfancc le fiè^e du defpotifme le plus cruel èc de rafrerviflement Ie plus bonttux. & de la Opitale d A.bion «lui de la Liberté.  Civile 6f Litteraire. dans le cours de l'année pafiëe, que de triftes, d'affligeans, &, quelquefois de honteux. Sur la mer comme fur la terre, on n'appercoit que défaftres, dont lef funeftes fuites fe font fentir au loin. A Brefi le vaisfeau la Couromey qui avoit coüté en matériaux, en travail, en argent, de quoi batir un beau village, eft brülé par la négligence d'un marin: fous Ia Dominique un vaiffeau eft coulé a fond par les boulets; un fecond faute en l'air par 1'étourderie d'un matelot; & prés de 2000 hommes périffent dans leur défaftre. A Plymouth le Royal George eft renverfé, & 800 perfonnes, parmi lefquelles un Amiral vénérable par fon age & précieux par fes talens, font englouties avec lui. Dans la mer du Nord les abimes s'entrouvrent a notre vaisfeau VUniofi, qui pèrit avec 500 hommes commandés par un Officier eftimable; un ouragan furieux fait échouer le Ziericzée, qui fe perd avec les deux tiers de fon équipage: fur 1'Océan Atlantique, une tempête affreufe difperfe la flotte de la Jamaïque, & caufe des dommages irréparables. Un calcul des pertes en hommes & en elfets, caufées a la fociété, dans le courant de l'année derniere, par les ravages de Ia guerre, & la fureur des élémens, éleveroit peut - être jes premiers a 60 mille, & les feconds a la valeur de 500 millions tournois. La feule expédition de M. de la Peyroufe, dans la baie d'Hadfon, a confumé pour dix millions d'habitations, de denrées & de marchandifes. ■ Quels eftroyables facrifices on néceffite a 1'humanité! Quand on- penfe que les hommes ont la principale part, au moins indirecfement, aux malheurs qui les affiigent; on ne peut pas s'empêcher d'abhorrcr leur méchanceté & leur démence , autant qu'on déplora leurs maux. C'eft leur fanguinaire ambition, leur Mche cupidité, qui les expofent a tous les dangers, qui leur font courir tous les rifques d'un élément qui leur eft offert pour fournir è leurs befoins, & qui les rendent vicfimes de 1'aclivité d'un autre élément, qui fans eux, feroit toujours falutaire & bienfaifant. • Malheureufement ce ne font pas, d'ordinaire, les individus qui fe livrent le plus a ces paflions déshonorantes & cruelles, qui fouffrent le plus des calamités qu'elles enfanteat, ou qu'elles occafioanent: fouvent ils  £4-0 Comfpmdance Politique, ils n'en fouffrent point du tout: ils en tirent leur gloire & leur profit: ce font les inftrumens qu'elles font agir, qui en deviennent victlmes, & les fpedlatcurs fenfibles, qui font affecfés des maux ^qu'elles produifent. L'effet néceffaire de 1'inclémence de la nature, & la folie deftruótive de fes enfans, ce font les douleurs, la difette, lesmaladies, la mortalité. Tant de privations occafionées par le dérangemcnt des faifons & la rigueur des élémens; tant de travaux & de fatigues effuiés pour le fervice de la politique; tant d'effets précieux détruits par la guerre, ou confumés pour fon ufage, dévorés par les Hammes, ou abfmés ■dans les eaux; ne peuvent que faire des plaies effroyables a la population, & a la maffe des fubfiftances humaines. La fociété diminue par la perte de fes membres , & les denrées que la nature lui fournit pour 1'alimenter, proftituées ou perducs, 1'expofent a la pénurie & h la fouffrance. Auffi la folie & meurtriere guerre a laquellc on s'occupe de mettre un terme, étend elle de toute part fa . fatale influence. Les peuples qui fembleroient devoir en être a 1'abri, s'en reffentent comme les autres. Les Suijjes, les Italiens, les Allemands, les Portugais, ?jui devroient fe féliciter d'en être exempts, en foufrent aufïï bien que nous. En SuiJJe les denrées font a un prix exorbitant: en Piêmont & dans d'autres cantons de VItalië, on manque de pain, au bout de quelques mois écoulés après la moiffon: en Portugal, comme en Angleterre, on efl ménacé de mourir de faim. Par tout les alimens font, ou chers, ou peu fubftanciels, ou mal fains: en plufieurs endroits, on eft privé du néceffaire; & prefque dans toutes les contrées de YEurope, la matiere des befoins facfices , devenus naturels par 1'habitude, efl a un prix audeffus des facultés des neuf - dixièmes de la fociété. Voila les triftes effets d'une politique infenfée, qui outrage & compromet 1'humanité, par fes fureurs; & qui indigne la nature, en faifant négliger de cultiver les fruits qu'elle offre aux hommes, ou en proftituant les produétions qu'elle a fécondêes. Ne feroit-il donc pas temps que la paix vint confolex la terre, ct réjouir fes habitans; leur rendre le calme  Civile Êf Litteraire. iM calme & le repos dont ils ont befoin pour panfer leurs blefTures, & réparer leurs pertes? En ce moment pn en annonce aux peuples confternés, épuifés, fouffrans du délire de ceux qui les gouvernent, les Prélimimres arrangés & fignés. J'en accepte 1'augure. Puisfe t-il être bientöt fuivi d'une heureufe conciliatioar entre les Etats, qui faifaht reverdir Volivier delTeché, procure aux hommes le loifir de careifer la nature, par des foins qu'elle récompenfe toujours, quand ils font dignes d'elle! LetTre h VAuteur de la Correfpondance. Londres le 25 Mars 1783 Monsieur. Vous avez pris un intérêt fi vif au fort ciéplorable de 1'infortuné Major André, & au danger que le Capitaine Asgill a couru d'en éprouver un non moins funefte: la mort cruelle & odieulé de 1'un; la more également inique & abominable dont l'autre a été menacé, vous ont infpiré des idéés fi énergiques & fl vraics fur l'impitoyable Washington; des réflexions fi juftes & fi lumineufes fur 1'infame ufage des RepréJaiU les, admifes ayec une inconféquence barbare chez des. peuples qui fe piquent de raifon, de poi:teJJ'e & d humanité; que tous les hommes raifonnab'es & génércux vous doivent de la reconnoifiance. Les conipatriotes des deux individus fi intérefians par leurs malheurs, & fi eftimables par leur mérite perfonnel, paré des fleurs de la jeunelte, vous doivent en particulier, Monfieur, beaucoup de remercimens. Ceux d'entr-eüx qui connoiffent votre ouvrage, voiis favent un gré. infini dé 1'ardeur avec laquelle vous avez embraffé la défenfe de ces deux victimes, l'une immolé k la yengeimcei & l'autre prête k 1'être k la lacheté; & des obfervations pleines de juftelfe & de force que vous avez dé-^ veloppces, en plaidant une caufe véritablement digno Tom. III. K d'ex^  14* Correfpondance Politique, cPexercer votre plume, & de donner eflör k votre zèlc compatifTant. La Tragédie dans laquelle le dur DiEtateur de YAmérique Septentrionale fe préparoit a jouer un role fanguinaire, & le tendre Asgill k étancher la foif du fang innocent dont les héros du nouveau monde font altérés; n'a pas eu un dénouement auffi affreux qu'on devoit natureilement 1'attendre de 1'inflexibilité de 1'un, de 1'innocence défarmée de l'autre. Le jeune Anglois que fes anciens compatriotes alloient égorger pour appaifer les manes d'un vaurien, eft libre & de retour dans fa patrie. Arrivé en Angleterre le 10 Décembre dernier, il fait la joie d'une familie honnête, que. les périls qui ont repofés fur fa tête avoient jetté dans la douleur & la confternation. Graces a la tendreffe ingénieufe de Lady Asgill, k Ja fenfibilité de la Reine de France, k la générofité du Comte de Vergennes, un jeune homme brave a été fauyé, & les Amér'cnins ont commis un crime de moins. Vous favez, Monfieur, que 1'amour maternel ayant- fuggéré a cette Dame 1'idée de recourir a Tinterceffion du Miniftre de Verfailles, c'eft la recommandation de cet habile négociateur, appuiée du vceu du Monarque Francou & de fon Augufte époufe, qui a défarmé le bras du cruel Washington. Vous aurez vu, fans doute, les lettres de ces trois perfonnages. Nous nous attendons ici k trouver dans votre prochairi Cahyer, (ces pièces intéreffantes, accompagnées de vos judicieufes réflexions. Pour ne pas anticiper fur celles qu'elles ne manqueront pas furement de vous fuggérer, je m'abftiendrai d'en faire aucune moi-même; me bornant a vous informer du vceu de vos Lecteurs Brêtons, qui s'offenfent auifi peu des vérités dures que Vous dites quelquefois a leur pays & a leur miniftère, qu'ils méprifent fouverainement les plattes & groffieres injures que 1'énergumene $ Amjler&am. vomit, en langage OJlrogot, contre la nation Angloife. Continuez, Monfieur, k la venger des infultes que lui font quelques individus infenfés de la vótre. Mon Pays a peut-être des torts envers votre République: ils font le fruit de Terreur du Gouveraement, de la pas-  Civile & Litteraire. 143 pafilon ou de la politique extravagante de nos défunts Miniftres. Mais 1'égarement, les injuftices de quelques hommes en places, ne fuffifent pas pour flétrir un peuple entier, ni pour vouer au mépris de Tunivers une nation refpeétable. Adieu , Monfieur: comptez fur mon eftime; & foyez perfuadé que je fuis ici 1'ihterprête de tous ceus de mes compatriotes qui vous lifent. R E P O N S E. Sans doute, Monfieur, que votre pays ades torts.' & des torts impardonnables envers le nötre. Malgré les fauffes démarches, les mefures perverfes, les provocations imprudentes de plufieurs de nos citoyens, de nos magiftrats pour amener une rupture, votre ancien miniftère ne fe difculpera jamais de la honte que lui imprime la folie politique qu'il a déploiée, en l'opérant. Le Vicomte Stormont feraéternellement inexcufable, aux yeux de l'Angleterre autant qu'a ceux des ■Provinces - Unies, de 1'injufte violence avec laquelle il a fait attaquer une nation amie & défarmée, qui ne Vouloit pas vous faire du mal. Mais les fuites de cette imprudence ont été trop funeftes a votre empire, pour qu'il foit befoin de reprocher a fes adminiftrateurs une démarche également inique & déplacée. Ses dettes énormes, fes pertes irréparables, fes démembremens confidérables, font une afiéz grande expiation de 1'aveuglement & de la témérité de fes anciens miniftres. VAngleterre eft affez punie, & notre République affez vengée de 1'injufticc de quelques hommes vains, altiers & audacieux, qui ont effayé de nous nuire. Quels que foient leurs torts a notre égard, il nous eft permis aflurement de les reffentir ; mais il feroit également injufte & lache d'ehvelopper tout un peuple dans le mépris ou 1'indignation qu'ils nous. caufent. Ceux de nos Gazetiers, ou de nos folliculaires,' qui croicnt fervir leur pays en outrageant la nation Angloife, font des fots ou des méchans, que les citoyens nonnêtes de nos Provinces méprifent trop pour applaudir aux acces de leur démence ou de leur fureur, C'eft, je vous aflure, le cas que les hommes fenfés K 2 f OBÏ  J44 Correfpondance Politique. font ici, tout comme k Londres, tout comme a Pa* ris, ou a Bruxelles, ou a Berlin, des menfonges impudens que Ie périodifte de Leyde, 1'hebdomadaire d'Amjterdam inventent pour vous noircir & vous faire détefter de la multitude. Le peuple même, plus «équitable & plus judicieux que ces clabaudeurs vils ou paffionnés, nö refufe pas k votre nation 1'eftime & les égards qui lui font düs. Pour moi, Monfieur, je faifirai avec empreifement, toutes les occafions de repouffer les infultes que ces hardis menteurs lui font. En défendant les droits, les interets de ma patrie contre les prétcntions exorbitantes de votre cabinet, je la fervirai encore, en lui cpargnant le reproche juftement mérité dc traiter les Anglois avec mdécence, de les calomnier pour les rendre odieux ou méprifables. L'invitation que vous me faites de configner ici des pièccs intércffantes, ac* compagnées de mes obfervations, ne m'oifre pas précifément un fujet propre a difculper votre Pays, des imputations de cruauté, de faulfeté, de brutalité, dont nos écrivains pervers le chargent: mais elle me fournit le moyen de mettre la derniere main au portrait d'une de leurs idoles. La Lettre de Lady Asgill n'a pas befoin de commentaire. II eft tout fimple qu'une mere défolée, donne efibr aux allarmes que lui infpire le danger d'un fils chéri. II eft heureux pour 1'un & pour l'autre , que 1'idée lui foit venue d'épancher fon afflicfion dans le fein de M. de Vergennes, le feul homme de YEurope peut-être, qui ait réuni a la volonté de 1'exaucer, le pouvoir de rendre fon interceifion efficace auprès de la divinité des rivages Atlantiques. lE'TTRl.  Civile £f Litteraire. 14j-- L E T T R E. De Lady Asgill k Mr. le Comte 'de Vergennes.. En date da 18 Juillet 1782. Monsieur, SI la politeffe de la Cour de France permeü qu'une Lcrangere s'adrelTe a elle, il n'eft pas doutcux que cel e en qui fe réuniffent toutes les fenfations délicates dont un Individu puiffe être pénétré, ne foit fayorablement accueillie d'un Seigneur dont la réputation fait honneur, non feulement a fon propre Pais mais a la Nature Humaine. Le fujet, fur lequel f/ofe* Monfieur, implorer votre affiftance, eft trop déchirant pour mon Cceur pour qu'il me foit poffible de m'v arreter: tres probablement, le bruit public vous en aura informe; ,1 n'eft donc pas néceffaire que je me charge de cette tache douloureufe. Mon Fils, mon Fils unique qu. m'eft auffi cher qu'il eft brave' auffi aimable qu il merite d'être aimé, agé de 19 ans feulcment Pnfonnier de Guerre, en conféquence de la Capitulation dlork-Town, eft aétuel!emcnt confiné cn Amerimie, comme un objet de Répréfailles: ï'Innocent fubira-t-il la peine due au Coupable? Repréfentez-vous, Monfieur, la fituation d une Familie qui fe trouye dans ces circonftances, environnée, comme je Je fuis, dobjets dedétrefTe, accablée de crainte & de douleur; il neft pas de mots qui puiffent exprimer ce que je fens ou pemdre cette Scène de douleur; mon Man abandonné de fes Médecins, quelques hemïï avant lam vee de cette Nouvelle, hors d'état d'ê re informe de linfortune; ma Füle attaquée d'une Fie vre accompagnée de délire, parlant de fon Frere da ton dextravagance dc fans intervalle de ?aifoi fi ce n eft pour ccoutor quelques circonftances propres t foulager ion ccour- Que votre fenfibiiité, Monfieur vous pe-gne ma profondc, m ^exprimableS j* plaide en ina faveur; un mot de votre part, comSe K 3 la  J4Ö Correfpondance Politique, la voix du Ciel, nous fouflraira a Ia défolation, au dernier dégré de 1'infortune. Je fais combien le Général Washington révere votre caraótere; dites lui feulement que vous defirez que mon Fils foit élargi & il le rendra k fa Familie défolée; il le rendra au bonheur; la vertu & la bravoure de mon fils juftifieront cet acte de clémence. Son honneur, Monfieur, fa conduit en Amérique; il étoit ne pour Tabondance, Tindépendance & les perfpedlives les plus heureufes. Permettez-moi de fupplier encore votre haute influence en faveur de Tinnocence, dans la caufe dé la Juftice & de 1'humanité; de vouloirbien, Monfieur, dépêcher de France une Lettre au Général Washington & me favorifer d'une Copie pour lui être tranfmife d'ici. Je fens toute la liberté que je prends, en follicitant cette grace: mais je fuis certaine, que vous me Taccordiez ou non, que vous aurez pitié de la détreffe qui "m'en fuggere 1 idéé; votre humanité laiffera tomber une larme fur la faute & elle fera effacéc. Puilfe le ciel vous accordcr de n'avoir jamais befoin dc la. confolation qu'il efl en votre pouvoir d'accorder a Lady Asgill. L'effet naturel de cet épanchement d'une mcre éplorée' & de fa confiance en un homme, qui, pour être profond politique & habile miniftre, n'en éprouve pas inoins les fentimens de la nature & Ia tendreffe paternelïe étoit néceffairement de le toucher, de l'intéresfer au fort d'un jeune homme eflimable & malheureux, qu'il pouvoit rendre a fes parens, par fa médiation & fon influence. L'intérêt du Roi & de la Reine de France ne furprend pas plus que celui du Comte do Versennes; la fenfibiiité de leur ame devoit les attendrir'fur le fort & Asgill & de fa familie. Le defir que J. M. ont témoigné de fauver Tun & de confoler l'autre ne prouve qu'une chofe qui efl auffi honorable rlóu'r ces augufles perfonnages, qu'affligeantc pour la nation Frangoife:- c'efi que toutes les injuflices, tous les maux qu'on fait fouffrir a elle oü a fes individus, répu™nent a 1'équité du monarque & de fa compagne^ & font défavoués par Thonneteté dé!leur cceur magna■ -zi ■ ■ nime.  Civile rif Litteraire, 147 nimc. N'eft-il pas douloureux de penferque, tandis qu'ils déploient leur proteétion en faveur d'un Anglois, auprès d'un tyran.en Amérique, on vexoit, on tyrannifoit, on tourmentoit, en France, plufieurs milliers de leurs fujets, en leur nom & a leur insue ? L E T T R E. De M. le Cornte de Vergennes au Général Washington, en conféquence de la Lettre précédente. En date du 29 Juillet 1782. Monsieur, Ce n'eft pas en qualité d'ua Roi, ami & allié des Etats-Uws, (quoique ce foit avec la participation & du confentement de S. M.) que j'ai aujourd'hui 1'honneur d'écrire a votre Excellence; c'eft comme , ho.nme fenfible, comme pere tendre, qui éprouve toute la force de 1'amour paternel, que je prends la liberté d'adreffer a V. Exc. mes preffantes lollicitations en faveur d'une Mere & d'une Familie en pleurs. , Sa fituatïon femble d'autant plus mériter toute notre I attention quc c'eft a 1'Humanitê d'une Nation en Guerre avec la fienne qu'elle a recours pour obtenir ce > qu'elle devroit recevoir de la Juftice impartiale de fes propres Généraux. J'ai 1'honneur de faire paffer ci' inclufe a V. Ex. copie d'une Lettre que je viens de : recevoir de Lady Asgill; je ne lui fuis point connu & ; j'ignorois que fon fils étoit la viótime infortunée, desi tinée par le fort a expier le crime odieux dont un déni l formel dejujlice vous oblige de tirer vengeance. V. Exc. i ne lira pas cette Lettre fans étre extrêmement affectée; elle a produit cet effet fur le Roi & la Reine auxquels je 1'ai communiquée. La bonté du cceur de L. M. leur fait defirer que les inquiétudes d'une Mere K 4 in-  148 Correfpondance Politique, infortunée foient calmies, que fa tendreffe foitraffurée Je fens, Monfleur, qu'il eft des cas oü VHumanitê elle-meme ex'ge la plus extréme rigueur. Peut - être celui dont il s'agit eft-il du nombre: mais, en reconnoiffant Yimité des Repréfailles, elles n'en font pas moins hornbles pour ceux qui en font les vicfimes; & la facon de penfer de V. Exc. eft trop connue pour que je ne fois pas perfuadé que vous n'avez rien plus d cazur que déviter cette fdcheufe nécefjité. 11 eft, Monfieur , une coafidération qui fans. être dêclfive, peut influer fur votre réfolution; le Capitaine Asgill eft du nombre de ceux que les Armes du Roi ont contribué a mettre entre vos mains a Tork-Town. Quoique cette circonftance ne foit pas en elle-même une fauve-garde, el e juftifie du moins 1'intérêt que je me permets de prendre dans cette affaire. S'il eft, Monfieur, en votre pouvoir de la confidérer, & d'y avoir égard, vous ferez ce qui fera très-agréable a L. Majefiés; le danger du jeune Asgill, les larmes, le défefpoir de fa Mere les affectent fcnfiblement; & Elles verront avec plaifir 1'efpoir de confolation luire fur ces Infortunés. En cherchanc a fouftraire M. Asgill a la deftinée dont il eft menacé, je fuis bien éloigné de vous engager d chercher une autre viatmé; le pardon, pour être parfaitement fatisfaifant, doit être entier. Je n'imagine pas qu'il puiffe avoir aucunes mauvaifes conféquences. Si le Général Anglois n'a pas été en ét at de punir le crime horrible dont vous vous plaignez, d'une maniere auffi exemplaire qu'il 1'aurait dó, il y a raifon de croire qu'il prendra les mefures les plus efficaccs pour en pré venir de pareils k 1'avenir. Je foubaite fincerement, Monfieur, que mon interceflion foit couronnée du fuccès; le fentiment qui la dicfe & que vous n'avez ceffé de mari'fefter dans toutes les occafions, m'affure que vous ne ferez pas indifférent aux fupplications & aux larmes d'une Familie qui, par mon entremife, a rccours a votre clémence. C'eft rendre hommage a vore Vertu q ue de 1'implorer. J'ai 1'honneur d'être avec. Ja plus parfaite confidération, Monfieur, &c. I)e Vergennes, M. de  Civile Litteraire,] mr*! ' 149 l* M. de Vergennes, comme on voit, n'eft pas feulement homme ftnfïble & pere tendre: il eft auffi homme d Etat, avocat éloquent. Au premier titre, il parle le langage du coeur: au fecond il emploie, pour parvenir a fon but, des raifons, qui, pour 1'y avoir conduit, n'en font peut-êtrc pas meilleures. II me femble au moins qu'il avance quelques alfertions qui ne font pas juftes. Paflbns au pacificateur des deux mondes les petits coups d'encenfoirs qu'il adminiftre a celui qui a le plus contribué a les mettre en feu. II n'eft pas extraordinaire d'entendre 1'un dire a l'autre, que c'eft fa Clêmence qu'il invoque, pour en obtenir un acte de Justics. Les grands accoutumés a fe voir demander comme des bienfaits des chofes juftes, & comme des faveurs ou des graces, des chofes qu'ils ne peuvent refufer fans blefler 1'équité, font fujets a fe méprendre fur le fens & dans 1'application des termes. Ils rapportent ordinairemeut a leur bienveillance, a leur générofité, les aftes de juftice qu'ils ont le courage, ou qu'ils font forcés de faire. II faut leur favoir gré, fans doute, d'être quelquefois juftes: mais quand ils le font doivent-ils croire qu'ils exercent la miféricorde, ou la bienfaifance ? II ne faut pas non plus favoir mauvais gré au Comts de Vergennes de chatouiller un peu la vanité de M. Washington, pour mieux réuflir a le toucher, & d'intéreffer fon amour propre, pour 1'engager a accorder la grace qu'il lui demande; ces innocens artifices font juftifiés par la foibleffe du cceur humain, qui aime a être carelfé, & qui fe révolte quand on lui demande trop féchement quelque chofe. On flatte les enfans pour les appaifer, & les monftres pour les empécher de nuire. Les hommes puiffans font foibles comme les uns, & redoutables comme les autres. On peut donc regarder comme une adreffe, plutot que comme une flatérie, les complimens délicats que le Miniftre fait au Général, en lui difant, qu'il a dans toutes les occafions manifefté des fentimens trop généreux, pour manquer de générofité dans celle-ci. Cette autre inhnuation flatteufe n'eft pas moins adroke; mais, hclas! eft-elle également vraie? La K 5 facon  i^o Correfpondance Politique, fagon de penfer de V. Ex. m'efi trop connue tour aue je ne fois pas perfuadé que vJs n'avez rinpll\\ dZ quedéviter hfacheufe néceffité d'afTaffiner légalemenï un hom ne. Wxslrngton n'avoir rien plus è Sur Q2 d'éviter cette néceffité cruelle.' Un hommeTui v a recouru avec tant d'empreftement; qui réponuoit7 f sC;flfela rVolfiontesy livre? etciSZnt t/i 'JSr' invanable> & qu'il ™ s'en départiroit pas, fait foupgonner moins de vérité dans cette Droteftation, que de defir de la part de fon auteur f de fouftraire a la mort, une victime que celui qui en el 1'objet y avoit dévouée. 4 1C „Ml?!?* °dieUX d0Ut mJéniformel de jufiice vous Migede tirer vengeance eft une locution plus calmante que vraie. D'abord la mort d'Huddy n'eft un cr^me cckeux qu'autant que celle d'Asgill enauroit elle ml me été un, puifque c'étoit également une Repréjaille. Cetoit pour venger la mort de fon compatriote, de fon compagnon d'armes & d'infortunes mafacré par fes vainqueurs que Lippencote s'étoit permis d'afTaffiner 1 officier Amencam; vengeance lache & abomin ble fans contredit; mais qui étoit motivée par le même* délit que le Géneral Washington a, depuis, voulu faire expier. D'ailleurs fi n'eft pas vrai que le commandant Britannique ait demé la juftice aux vengeurs de la mort d'Huddy; J'ai démontré ailleurs, que ce nrétendu dm n étoit qu'un prétexte dont M. Washington annoit fa vengeance. Les généraux Anglois ne Tui ont pas refufe une fatisfacfion équitable, mais une demande évidemment mjufte. Le chef des Américains demandoit, non quon pun.it 1'affaffin de fon officier pendu mais quon le lui hvrat, ce qui étoit auffi impoffible' que révoltant; & c'eft ce refus, «^eW?S & par les loix, qu'il appelloit un deni de juftice, pom en autonfer fa cruauté fanguinaire. M. de Verfmes qui avoue n etre pas inftruit du fond de cette affaire' convicnt que le général Anglois peut bien n'avoii' pas ete en etat de pumr le crime horrible dont M Washington fe plaignoit , d'une maniere auffi erem' plaire qu il l'auroit dü. II n'eft pas prouvé au'il deZt cette pumtion eclatante, pour öter a fon adverSire b  Civile 6? Litteraire. 15 % ie droit d'y fuppléer par un crime odieux 6? horrible. puifqu'encore une fois, 1'affaffinat d'Huddy étoit une» repréfaille, auffi légitime que celle dont vouloit ufer le général Américain, fur le capitaine Asgill Suppofé que les Généraux Anglois duffent en effet une expiation au crime de Lippencote, pour défarmer la colere de Washington; ils ont au moins elfaié de lui donner cet appaifement. M. Clititon avant fon départ avoit inftitué un confeil de guerre pour juger ce bnïtal: fon fuccelfeur Carleton n'a rien fait qui indiquat qu'il voulüt laifler ce meurtre impuni: mais tous deux ont été hors d'êtat de le punir; & M. de Vergennes ne fe trompe pas, en préfumant cpx'il y a raifon de croire que le commandant Britannique prendroit ultérieurement des mefures efficaces pour prévenir de pareils excès (1). Déja plus de deux mois avant la lettre du miniftre de Verfailles, il avoit invité M.Washington a concerter les moyens d'éviter ces aeïions déshonorantes qui imprimoient une tache odieufe au nom Anglois , que I'un & l'autre étoit également intéreffé dpré* ferver de tout reproche; & 1'on fait avec quel dédain 1'impitoyable Ditltateur accueillit cette propofition. Perfonne ne conviendra avec le Comte de Virgennes qu'il y ait des cas oh YHumanité exige la plus extréme rigueur. La févérité eft un caraétère de la juftice, & non pas de 1'humanité. L'une, impartiale, inflexible, eft fouvent appellée a exercer des ades de rigueur exceffifs: l'autre, tendre, compatiffante, porte toujours a 1'indulgence, a la commifération, a la pitié. La prémière fouleve quelquefois le cceur, le déchire, lc révolte: la feconde le touche & 1'affecte vivement. La Juftice (1 ~) Si M. le Comte de Vèrgènms avoit moins écouté fon honnetcté que confulté nos infolentcs Gazettes, i] n'auroit pas affttré fi pollövcment que les Anglois pouvoient fe tronvcr quelquefois dans l'inip'.iiflhnce d'être aaffi juftes qu'ils Ie doivent: il aunrt eu moins bonns ppin n de Carleton «iftragé par nos miférables folliculaires. II eft birri ét-innam que les Francois fe permetten: d'e.ta.ter h politeffe, la générofité i'e Icip ennewisj, taudis qtie nos barbouilleurs ife cellenc de les noircir, dj les calomniet.  iSt Correfpondance Politique} &fdfdoS,,armes ameresi rHm™-'té« 4 On eft affeété douloureufement de voir un Pléninotptiaire humain, qui vient de s'immortalifer en ren- I /? IE* k TÜé d,? 8Iobe' reconnoitre l'équité des Repréfailks. Non, elles ne font point équitables. Sous quelque point de vue qu'on les envifage, e les font abfurdes autant qu'affreufes. A mon avis, j'ai prouvé, pages 305 & fuiv. du tome fecond, combien elles répugnent au bon fens, è la juftice, a 1'humanité, a la politique: on peut dire qu'elles font auffi odieufes qu'mconfequentes. Nous voyons avec un plaifïr bien flatteur, que fans iiaifon avec le miniftre de Verfailles, nous envifagions, des le. mois d'0«o4« dernier, 1'attentat commis fu? le Capitaine Asgül, fOUs le même point de vue que fon höérateur. II y a pourtant une petite différence cntre fon opinion &c Ja nötre. II infinue que la qualité tepri/onmer de guerre, fur Ia foi d'une capitulatie* Jieft pas une confideration décifive, ni une fauve-garde è la vie de 1 officier Anglois. Nous, au contraire, nous avons foutenu que ce titre nc donnoit de droit i Washington, que fur Ia liberté d''Asgill; qu'on ne pouvoit attenter a fa vie fans violer li foi publique fans compromettre le Congres & Ie Roi dc France\ §55 d;és™nor|r & les armes qui ont opéré la réduétion d Yom-Town & ceux qui les portoient. Nous ne fuppofons pas que le développcment de ces idéés efTuie jamais une réfutation férieufe. 5 II y a tout lieu d'être furpris de voir le Comte de Vergennes demander I'élargiffement d'Asgill a M Washington. Voila donc ce Tribun prétendu , d'évenu Conful Di&ateur Souverain, puifque c'eft de lui quon follicite, fi non la grace d'un coupable, au moms la dehvrance d'un innocent injuftement opnrime pret a etre barbarement facrifié ? II eft vrai que c eft Ie Congres qui a fauvé cette viétitne: mais Ie miniftre de Verfailles, ou a penfé que fon falut réfidoit dans la Cbmence du général Américain, onzent d un monarque abfolu, il n'a pas fait attention que c'é toit en attnbuer le ponvoir a un fimple citoven aue de lui en demander directement l'exercice/'' q Enfin,  Cvvile Litttraktl i$f Enfin, cette interceflïon puiffante, puiu'amment appuiée, n'a pas été moins efficace: elle a produit fot» effet. L'intéreffant Asgill a été délivré. La fatisfaftion que fait éprouver 1'idée qu'il efl: fouftrait è un fupplice infame qu'il n'avoit point mérité, eft mélée d'un peu d'amertume par celle, que c'eft plus è la déférence, aux égards pour la reeommandation de Ia, cour de Frame, que par confidération pour la Juftice & 1'Humanité que le Congrès & fon Général fe font épargné un crime abominabie. QjLioiqu'il en foit, 1'iflue confolante d'une affaire quï 'indignoit les ames honnêtes, fait 1'éloge de la fenfibiiité de Louis XVI, de la tendre compafiion de fon eugufte époufe, de la noble générofité du miniftre des affaires Etrangeres: de pareils traits honorent infiniment le genre humain. Asgill lui fait trop d'honneur : pour n'en être pas touché. Auffi aflure-t-on qu'il eft i allé a Verfailles faire éclater fon admiration & fa reconnoiflance pour fes généreux libérateurs. Si 1'ufage de fa liberté, fi chaque inftant de fa vi© lui rappefient fans ceffe la politeffe & 1'humanité de 1* •cour de France, peut-on croire que Ie fouvenir de fa captivité & 1'idée du danger qu'il a couru, lui infpiretont également de 1'eftime & de 1'amour pour fes oppreffeurs, qui alloient devenir fes affaffins ou fes bourreaux ? Sa délivrance ne flétrit-elle pas autant ceux : qui l'ont rendue néceffaire, qu'elle fait chérir ceux: : qui l'ont obtenue? II fuffit de lire la Lettre féche, artifkieufe & hypocrite, que le Général Washington a écrite au Capitaine Asgill, en lui annoncant la firt de fa captivité, pour décider cette queftion. La voici; elle n'a pas befoin de cominentaire pour être appréciée. Monfieur. C'eft avec un plaifir fingulier que je me vois a même de vous envoier la copie ci-inclufe d'un acte du Congrès du 7 du courant, par lequel vous étes tiré de la fituation défagréable, oh vous vous étes fi lonqtems trouvé. Suppofant que vous fouhaiterez? de vous rendre & Neu - Tork le plutót poffible, je joins auffi ci-inclus un paffeport a cet effet. Votre lettre du 18 Oclobre m'eft régulierement parvenue. Je vous prie de c-oire, que le délai que j'ai mis a y répondre, n'a pas été caufé par quelque manque d''égard envers vous, 014  154 Correfpondance Politique, ou faute de compajjion pour votre Jituation Je me promettois tous les iours la détermination de votre cas; & je crus qu'il vaioit mieux 1'attendre, que de vous nourrir d'un efpoir qui a la fin pourroit fe trouver illufoire. Vous voudrez bien attribuer a la même caufe, que j'aie détenu les lettres ci-inclufes, que j'ai cu environ quinze jours entre les mains. Je ne faurois prendre congé de vous, fans vous aflurer, Monfieur, que, fous quelque point de vue qu'on confidere la part que j'ai eue a cette affaire défagréable, je n'ai jamais été conduit durant tout fon cours par des motifs fanguinaires, ( 2 ) mais par ce que je crois être un fentiment de mon devoir, qui m'appelloit hautement 4 prendre des mefures, quelque facheufes qu'elles fusfent, pour empêcher la répétition des excès énormes^ qui ont fait 1'objet de la difcuffion; & que cette fin paroiffe devoir fe remplir fans répandre le fang d'une perfonne innocente, (3) ce n'eft pas pour vous ua plus grand fujet de joie que pour celui qui eft, &c. G; Washington. Ci) Pourquoi donc? 11 femble quJ Végard demandoit une réponfe pius prompte, & la compafion des témoiguages d'intérêt plus coniölants qu'un filence, qu'un dilai, qui devoit paroitre auffi méprüant que cruel au malheureux qui en étoit 1'objet, dans une fituation, que 1'incertitude feule rendoit épouvantable. (2) Si des motifs cruels ne vous ont pas guidé, pourquoi vous en défendre? cette précaution vous fait foupcoimcr d'avoir cédé aux imprclïïons de 1'orgueil & de la vengeance, bien plus qu'au fintiment de votre devoir. Rien au monde ne pouvoit vous porter k commettre une aftion revoltante & udiaufe, fi vous aviez été inacceffible a des motifs fanguinaires. O) Cette phrafe renferme un fbphifme infidieux autant qu'une excufe frivole. L'efl'ufion du lang d'une perfonne innocente, a été prévemie par Ia médiation de la cour de France, & non par quelque arrangement deftiné a prévenir la répétitionji''excès tnormes, fans recourir a ce crime horrible & abominabie. M é m o i R B  Civile (f Litteraire. *5f Mémoire de S. A. S Mgr. le Prince «TOrange & de Naffau, Stadhouder Héréditaire des Provinces - Unies, Capitaine & Amiral Général de ïUnion, &c. &c. &c. TROISIEME EXTRAIT. Dans le premier extrait de ce Mémoire intéreflant 5 nous en avons pouffé I'examen jufqu'au troifièmê article mclufivement. Cette pièce renferme, comme j nousl avons dit, quatre objets bien diftinéts: i°un narré fuccinct des vains & inutiles efforts que le Prince en V* qualité d'Amiral Général de YUnion, a faits depuS 1 époque de fa majorité jufqu'a la déclaration de «uerre de ^ Grande Bretagne, pour relever la marine dél£lt d< A RéPuhli?ue' f «n récitdesmSeSpt fes par S. A. ou par fes ordres, nnmédiatement amb\ le départ de 1'Ambaffadeur Britannique pour S notre Pays, fon commerce & fes poffeilions en f, :reté contre les hoftiïités des Anglois; un déSï > des foins que le Stadhouder & fes Amirautés, fous fon ïnfpeéhon, dirigées par fes avis, & animées nar fes «hortations, fe font donnés pour réparer les vieux Vaiffeaux, pour en conftruire ou en acheter de kluis \ & pour équiper les uns & les autres. 1 * \ Nous avons rendu compte de ces trois articles dans (les deux Cahyers précédens, & dévéloppé les réf < flexions que Ia fimple expofition de ces objets fait nafi tre au premier coup d'ceil. II nous refte a parlei de L quatneme partie du Mémoire du Prince: c'eft a chw (longue de toutes: elle occupe elle feuleplusd4fpaCe i que les trois autres enfcmb'e. Elle n'eft pas moins ■ 'ïeantl£ |e au bUrC qu,e SJ A- fe ProPofe> «e donnè? dS . eclanciffemens fur la direclion des affaires dé Ia m? C' ,?epen.dani la mo!'ns intérefiante pour les" leéteurs; celle qu, offre le moins d'idéés aux SS tions dun écnvain, qtu veut faire fervir fes veilles4 1'ifl-  jl$6 Correfpondance Politique, 1'inftruct.ion de fes femblables, & diriger fes écrits vers 1'utilité publique. L''Amiral Général y détaille les opérations des deux campagnes navales que cette guerre a produites: il y tlortne la relation de 1'emploi qu'il a fait ou ordonné, des forces maritimes, médiocres ou nulles, que la République lui a confiées, pour foutenir la plus fotte, la plus inconcevable de toutes les guerres, provoquée chez-nous avec une imprudence dont 1'hiftoire d'aucun peuple n'offre point d'exemple, & qui feroit auffi extravagante, auffi infenfée dans fon principe, qu'elle nous a été funefte dans fes effets, qu'elle nous deviendra fatale dans fes fuites, fi elle n'avoit pas été pré- Ïjarée de longue main, & ménagée adroitement, avec e deffêin fecret & 1'efpoir apparent de la faire fervir k refon-ire notre conftitution; c'eft-a-dire, a la bouleverfer. Ce projet criminel, dont 1'exécution ne peut fous tous les points de vue que compromettre le repos public, & facrifier le peuple a Ia haine, k 1'ambition de Suelques Régens inquiets, avides d'autorité, jaloux e celle qu'ils voient réffler en d'autres mains; ce complot coupable, qui ne tend pas k moins qu a produire une guerre civile, & k baigner la patrie dans le fang de fes enfans, eft né prefque en même temps que s'eft effedtué la reftauration du Stadhouder at, dont 1'exiftence a toujours été pour la République le préfervatif des troubles intérieurs & 1'inftrument de fa gloire aux yeux de 1'univers, comme la privation de Ce Palladium a été la fource de fes déftrdres, de fes malheurs au dedans, de fa décadence & de fa honte au déhors. Peu de temps apres 1'élévation de Guïllaume IVkla. ! dignité de fesancêtres, les Ariflocrates qui n'avoient pu 1'empécher après l'avoir longte nps traverfée, s'unirent en fecret, pour mincr infénfiblement, & détruire enfin, le nouvel édifice élevé par la nation entiere^ Appuiés peut-être par la politique d'une puiffance voifine, jaloufe dans tous les temps du luftre que le Stadhouder at a répandu fur notre République, & chagrine d'avoir fouvent rencontré chez les Princes qui en ont été revêtus, des oppofitions a fes vues. On prétend, qu'ils concerterent avec les miniftres de cette pUiS* :  Civile té* Litteraire. 157 puiflance, les moyens d'effettuer leur projet. A peine le Stadhouder qu'on venoit de faire, avoit-il fermé les yeux, qu'ils coneurent 1'efpoir d'expulfer fa poftérité, malgré YHèrédité folemnellement affecfée a fa maifon. La guerre violente déclarée au Roi de Pru\Je, dans laquelle il paroiffoit impoffible que ce Monarque, afïailli parquatrepuiffancesformidables, ne fuccombat pas fous tant d'efforts réunis & de coups redoublés, parut au parti Anti-Stadhouderien, une occafion favorable pour réalifer leur entreprife: ils préparerent leurs batteries: le fort du Monarque Pruffien devoit décider du nötre: on attendoit avec impatience la nouvelle de fa ruine, pour faire jouer les refforts qui devoient opérer celle du jeune Prince d'Orange. C'en étoit fait finon de notre République, du moins, de notre conftitution acfuelle, fi le héros de YAllemagne n'avoit pas été vainqueur è Rosbach: fa déroute a cette célèbre journée, eut été le fignal des tentatives qu'on méditoit chez-nous, pour renverfer notre gouvernement, & diffoudre YUnion des Provinces: Notre République, jadis fi floriffante, fi confidérée fous 1'Adminifiration desPrinces de la Maifon d'Orange, feroit retombéedans la confufion, dans le défordre, dans 1'impéritie, oh le règne de YAriftocratie 1'avoit plongée après la mort de Guillaume III, & d'oh Guillaume LV commen^oit a la retirer, quand il fut enlevé a la fleur de fon age, avant qu'il eut eu le temps de confolider fon ouvrage, de porter la lumiere dans une conftitution diffufe, de fimplifier une machine beaucoup trop compliquée, & de mettre du concert entre les parties difcordantes d'un corps anarchique & désuni. Heureufement pour notre tranquillité & pour notre honneur, le grand Fréderic triompha, au moment qu'on fe flattoit de 1'écrafer; & nos Anti-Stadhouderiem laifferent dormir leur projet, jufqu'è-ce que des temps plus propices s'offriflènt pour le réveiller. Ce complot pervers, dont la pourfuite a été la caufé de la décadence de notre marine & 1'écueil des efforts que les deux Princes de la branche de Najjau ont vainement tentés pour la relcver, fes auteurs ne Tpnt pas perdu un feul inftant de vue, lis n'ont pas ceffé de s'en occuper, ni de fe fiatter que des conjoncliures Tom, III, L favo-  158 Correfpondance Politique, favorables fourniroient 1'occafion & la poffibilité de 1'exécuter. Les troubles de Y Amérique-Septentrionale, préparés de loin par les émiffaires de leur proteétrice, & la guerre que ces abfurdes différens ont enfantée entre la Grande-Bretagne cc la France, fe font offerts k leurs yeux comme des momens dirigés par la fortune, pour feconder 1'exécution de leurs deffeins. De peur que le feu de la difcorde, allumé a nos portes, n'embrafat pas a leur gré notre pays, ils ont eté fouffler 1'incendie jufque fur les rives de la Délaware. C'eft de Philadelphie qu'ils ont effaié de faire partir le trait qui devoit percer leur vief i me. Le fiSccès de leur entreprife ne pouvant naitre qu'au milieu du défordre, de la confufion Sc de la guerre civile, ils en ont provoqué une avec nos voifins, dont I'effet inévitable, comme ils 1'avoient prévu, feroit d'engendrer dans notre fein des diffentions, des difputes, des débats capables d'irriter les efprits, de fomenter les aigreurs, les animoütés, Sc de porter les citoyens a la révolte, dont ils fe promettoient bien de fe prévaloir pour donner elfor a leur haine, Sc déployer leur vengeance. Une preuve que toutes les mefures qui ont traverfé les bonnes intentions du Prince, • Sc fait échouer les divers plans qu'il a propofés pour retirer la République de fon état de foiblefle, en même temps que fes adverfaires nécefïitoient, par leurs ménées, une rupture entre elle Sc fon ancien allié, précifément au moment ou elle étoit dans une impuiffance abfolue de faire la guerre , de protéger fa navigation & fes établiffemens éloignés; une preuve, dis-je, que toutes ces mefures n'ont pu avoir, Sc n'ont eu en elfet d'autre objet que le renverfement du Stadhouderat Sc la perte de la maifon Stadhouderienne; c'eft que la nombreufe & bruiante Oppofition, qui s'eft li promptement Sc fi prodigieufement groflie parmi-nous, n'a pas fait une feule ouverture falutaire, ni propofe aucune réforme elfentielle, dans toutes fes violentes diatribes Sc fes démarches éclatantes. On peut même affurer que cette Phalange redoutable, armée, foi difant, au nom dc la liberté, & marchant fous les bannieres d'un patriotifme auffi ftérile pour le pays, qu'il eft ridicule aux yeux de YEurope entiere, n'a produit, au lieu d'expécuens fages & de vues  Civile Litteraire. 159 vues utiles, que des inconféquences & des abfurdités, pour ne rien dire de plus fort. On eft véritablement affligé de ne voir fortir du fein d'une confédération qui s'annonce comme devant veneer la patrie outragée ou trahie, & fupprimer des abus funeftes, que de miférables chicanes, de fauffes démarches, des bévues dont le fimple bon fens fuffit pour garantir tout homme calme, ami de 1'ordre & de la juftice. Avec fon verbeux & prolixe étalage de fentimens républicains, elle fait croire au peuple, qu'elle n'eft animée & dirigée que par 1'amour du bien public; qu'elle ne demande que le redreffement de griefs férieux & des réformes importantes: mais k Ia déraifon, k la turbulence, a 1'impétuofité qui caractérifent les élans de fon zèle prétendu, les hommes raifonnables n'appercoivent que 1'envie de fatisfaire fon reffentirnent & fon ambition. C'eft ainfi que de hardis & heureux in trigans, couvrant leurs paflions d'un voile impofiint aux yeux de la multitude imbécille ou crédule; fubftituant leurs intéréts privés a 1'intérét général, marchent a grands pas a leur but, applaudis par des fots ou par des dupes, en dédaignant le fuffrage, ou en bravaat 1'indignation des gens impartiaux, affez pénétrans pour deviner leurs deffeins. II faut bien que nos Ariftarques tumultueux, agisfant avec une ardeur que 1'amour du bien public n'inspire pas, quand il eft pur, ne rédoutent pas lejugement 'des hommes fenfés & judicieux, puifqu'ils ne fe font pas effrayés d'offrir dans leur conduite, 1'inconféquence la plus monftrueufe dont 1'efprit de parti ait jamais fourni l'exemple. II n'y a dans leurs principes, dans leurs difcours, dans leurs écrits ni liaifon, ni co hérence. On ne voit dans leurs démarches ni cette modération, ni cette équité, ni cet enchainement que produit la fageffe, en fe propofant un but louable, & en faifant choix de moyens honnêtes pour 1'atteindre. Ils n'ont été conféquens que dans la pourfuite du projet fonné d'abolir Ie Stadhouder at: mais lc rapprochement des motifs avancés pour colorer leur defiein, & rendre le Stadhouder méprifable a la nation, préfente la contradiélion la plus palpable que 1'efprit humain puiffe produire. ü'abord ils commertcent par affurer le Prince, que La la  iöö Correfpondance Politique, la Régence & les fujets en général lui font affecfionés: ils lui difent que, perfuadé de fon zèle & de fes bonnes intentions, tout le monde feroit difpofé a fe facrifier pour le maintien de fon autorité, & pour la gloire de fa maifon: ils lui proteftent qu'on aime fa perfonne & fa dignité; qu'on ne fouhaite que la fatisfaction de l'une, & la profpérité de l'autre. Toutes les réfolutions, tous les mémoires, toutes les remontrances, & jufqu'aux feuilles périodiques, aux pamphlets, aux écrits hebdomadaires de nos Crifpins politiques, res- Sirent 1'attachement au Stadhouder, & font remplis 'éloges fur la bonté de fon cceur, fur la droiture de fes vues. Durant dix huit mois, on ne ceffe de chanter fes Iouanges. On ne lui fait qu'un reproche: c'eft d'être entouré de confeillers perfides qui le trompent & 1'égarent; de fouffrir auprès de lui un Seigneur, de qui on feint de concevoir ou des foupcons injurieux, ou des craintes ridicules. On fe plaint feulement de lui voir perpétuer des relations d'intimité & de confiance avec un Prince qui les juftifie a plus d'un titre: on flétrit des noms odieux d'étranger, d'intru dans les affaires de 1'Adminiftration, d'ignare dans la connoifiance de nos ufages & de nos loix, d'afiidé de VAngleterre, de falarié des miniftres Anglois, de traitre a la patrie, ce même perfonnage qu'on a révéré pendant trenteans, comme un politique fage, un militaire habile, un fcrviteur affectionné de la République. On demande au Stadhouder 1'éloignement ignominieux du Feld-Maréchal, pour récompenfe de fes longs fervices: on déclare a 1'un, que l'autre eft devenu odieux; que le peuple le détefte, & que les Régens ne peuvent fouffrir plus longtemps fa préfence auprès d'un Prince , objet de 1'amour des efpérances de la nation: on 1'affure que le facrifice qu'on lui demande eft follicité au nom du bien public, & qu'il fuffira pour appaifer la multitude indiguée, comme pour faire renaitre la confiance entre fes conducteurs, & en 1'adminiftration de fon Chef; que cette condefcendance de fa part, devenue néceffaire dans des circonftances ou le falut du peuple eft la fuprême loi, ramenera la concorde & 1'harmonie, & raffermira les liens de ï'ünion & de la bienveillance entre tous les ordres du gouvernement  Civile Litteraire. 161 nement, qui, débarraffé de la pierre d'aehopement qui intervertiffbic fa marche, dirigera de concert & fans obftacles, fes méfures fures  ï8+. Correfpondance Politique, fures arrëtées. C'efi: de quoi 1'on fe convaincra facilement, en lifant avec attention ce qui luit. " „ Entre autres plans on propofa d'agir dans les " „ opérations navales de concert avec la France; le 4. " „ Mars dernier, LL. HH. PP. fe décidérent pour " „ cette idée. Elles nous demanderent, en notre qua- 11 „ lité d'Amiral Général de VUnion, de vouloir con- " „ certer au plutót, & de la fagon qui nous paroitroit „ le plus convenable, un plan d'opérations pour la \ „ campagne prochaine, afin de caufer a l'Ennemi tout '' „ le dommage poflible, & de 1'obliger k faire une paix * „ qui nous foit honorable & avantageufe. 11 „ Pour fatisfaire a cette Réfolution, nous priames „ Ie Confeiller & Avocat Fifcal van der Hoop, de ': 3% vouloir entrcr en conférence fur cet Article, avec 11 „ M. le Duc de la Vauginon. Celui-ci ayant rècu " „ réponfe de fa Cour, préfenta Ie 18 a LL. HH. PP. „ un Mémoire portant que S. M. avant de délibérer f 3, fur ce fujet avec le Roi d'Efpagne, défiroit que ' " „ LL. HH PP. vouluffent s'expliquer d'une ma„ nière précife & amicale, fi Ellcs n'entendoieiit pas ,, qu'après avoir commencé une fois d agir de concert, 3) on ne pourroit plus y renoncer de part & d'autre' 3, pour quelque raifon que ce fut ? „ Le 25 fuivant, LL. HH. PP. acquiefcerent k 3, cette Propofition; Je lendemain, Ie Fifcal van der 3, HoopK qui avoit précédemment prié fous notre ap- [" „ probation fon Excellence de vouloir employer fes I " „ bons offices a Ia Cour de France, pour que la Flot„ te combinée parut dans Ia Manche, lors de la fortie ; " de celle des Etats, remit cn notre nom kM. 1'Am3, balfadeur une note qui contenoit le détail des opérations navales qui devoient felon nous être exécu „ tées par la République durant la campagne. Cette note indiquoit auffi le tems oh on les commeneeroit „ & le nombre de Vaiffeaux qu'on y employeroit. „ Nous ajoutames, que Ia prudence & la fituation „ de la Marine de Ia République exigeoient qu'on „ obligeilt l'Ennemi par une diverfion ütile a divifer „ fes forces , pour facjliter les onérations , ce qui étoit le grand but qu'on devoic fe propoferen aqis,; fant de concert. On pria M. rAmbafladeur de vou- j, loir  Civile & Litteraire. l%$ loir envoyer cette note a fa Cour, & de nous com!' muniquer les Inftrucrions qu'il en recevroit, ainfi , que les moyens cc les forces que la France pourroit " ou voudroit employer pour remplir cet objet, afin ' qu'il fut poflible d'ordonner les opérations projet' tées avec quelque efpoir de fuccès. „ Le 8 Avril le Duc de la Vauguyon répondit de „ bouche & le ifS par écrit, au Fifcal van der Hoop, „ que le Roi fon maitre lui avoit ordonné d'aflurer, „ que fa Majefté feroit tout ce que les circonftances „ permettroient pour favorifer puiffamment les opé„ rations projettées. Qu'en attendant elle pen foit „ qd'il étoit important que nous continuaflions avec „ toute 1'aótivité poflible a préparer & a faire exécu- ter les plans arrêtés. Le même jour M. van der Hoop répréfenta en „ notre nom a M. 1'Ambaffadeur, quc ce Mémoire ne „ répondoit en aucune maniere aux queftions propo„ fées le 26 Mars, puifqu'on lui avoit demandé de vouloir cornmuniquer de quelle fagon & avec com£ bien de Vaiffeaux la Cour de France foutiendroit de „ fon cóté les entreprifes qu'on méditoit. II affura S. E. qu'on travailloit avec la plus grande aétivité k 1'cxécution des deffeins projettés, cc pour preuve il „ allégua Ia fortie d'une petite Efcadre pour les Indes Occidentales; mais il ajouta que la prudence & 1'é„ tat de la Marine ne permettoient pas d'exécuter les „ autres opérations avant de favoir plus exacfement „ de quelle fagon fa Majefté voudroit employer fes „ forces, pour occuper l'Ennemi & 1'empêcher „ d'agir. • M. de la Vauguyon nous repondit de bouche k cc Mémoire le 30 Avril, cc le 3 Mai il communiqua j, par écrit au Fifcal van der Hoop, qu'il étoit chargé de la part du Roi fon maitre de nous témoigner la fatisfaélion qu'il avoit de voir l'activité avec laquel- „ le on pouffoit 1'équipement des Vaiffeaux. Que fa „ Majefté avoit confidéré tous les moyens propres a effeétuer une diverfion puiflante des forces de 1'En- 3, nemi, que dès ce moment tous les Vaiffeaux que YAngleterre pouvoit raffembler venoient de s'ap- „ procher des Cótes de fon Royaume, a caufe des „ pré-  \ 186* Correfpondance Politique, „ préparatifs qui fe faifoient dans fes Port O 2 du  10,6" Correfpondance Politique, fe feroit attendue a trouver dans les Etats de Hollande plus de zele Sc de bonne volonté, a coucourir au vceu des autres confédérés, pour reléver les forces terrestres de la République. Que conclure de cette inconcevable contradiétion, entre la facon de penfer de la Frife, en 1772, & fa maniere d'agir en 1782'? Que fi elle eft fage Sc patriote aujourd'hui, elle ne 1'étöit guères il y a dix ans. Allons plus loin, Monfieur. Dans le pafiage que j'ai tranfcrit de la Réfolution des Etats de Frife, en date du 12 Avril dernier, MM. les Frifons a'ffurent que les efforts quon a fait pour le rétabliffement de , la marine, ont toujours été accrochés, par le Prince & fes partifans, a une augmentation couteufe Sc inutile des forces de terre; Sc cela, ajoutent-ijs, dans un temps oh notre navigation étoit auffi cruellement qu'injuftement molcflé par la Grande Bretagne. Or, il eft connu de toute YEurope, que dés l'année 1778, les Anglois troubloient cruellement 'notre navigation. Que penfoient alors les Etats de Frife, d'une augmentation de troupes de terre? qu'en pcnfoient-ils l'année fuivante, quand notre navigation étoit encore plus injuftement troublée par les flottes Sc les corfaires Britanniques? Voici leur opinion confignée dans une réfolution de L. N. P., en date du 1» de Septembre 1779. II eft bon de remettre fous les yeux du public, des pièces qui peuvent 1'aider a affeo'ir un jugemen't certain fur le principe Sc la caufe des procédés d'une Province, qui 1'étourdit par fon fracas, Sc qui veut le furprendre par Ie fimulacre du patriotifme. Refo- du fens commun. I.c langage feul de la Raifon porte avec lui les caraftères dc la couviftion. Celui de la palfion ne produit que le bavardage, 1'abfurdité, 1'inconféquence, lc fophifme C'eft pcut-être la raifon pourquoi !a Province de Frife qui produilbit autrefois des pièces fi folides, n'en produit pïus aujourd'hui que de ridicules. Voulcz vous une autre preuve de la jullclTe de cette obfervation ? I/ifezl'apologieqne la Vi'Jc SAmfterdain a publiée de fa conduite avec lei Aniéricams; la Réfolution de la Ville d'Alcmar, pour jüftifier celle ó,"HmjleriUim de fa démarche conuv le Duc de Brunswick; la propoüton de Ia Ville de Leydi, du 27 Jtiillet dernicr. Rien dj plus plat, de plus maulTade que ie ftile de ces produétions. Pourauoiï paree que le fond en elt ablurde.  Civile £? Litteraire, 197 Refolution des Etats de Frife. „ TTVefibéré fur une Misfive des Seigneurs Etats de Hol. „ Ï-J lande & dc We ft frife, adreffée k Leurs Nobles „ Puiffances; y joint une Réfolution prife Ie 24 Juin der- nier, & préfentée le 28 fuivant, au Collége de „ LL. HH. PP. dans laquelle les fufdits Nobles Sei„ gneurs Etats infiftent par une foule de raifons les plus „ prcflantes , fur ce qu'on acccrde la protection la „ plus efficace au Commerce de 1'Etat, & qu'on en „ vienne k une conclufion fur la Réfolution du 3cme „ Mars de cette Année, dans laquelle eft propofe d'ac„ corder le Convoi k tous les Vaiffeaux, fans excepter „ même ceux qui feront chargez de Matériaux en Bois. „ Sur quoi il a été trouvé bon de charger les Députez „ de cette Province, a la Généralité, de déclarcr k „ 1'ATTemblée de LL. HH. PP. Que Leur W. P. ont pefé avec une attention beaucoup plus qu'otdinaire les circonftances dans lefquelles fe trouve la Républi'„ que, k préfent que trois grandes Puiffances maritimes, „ font aux prrfes dans le voifinage de cet Etat, & dans „ les Mers qui font journellement fréquentécs de fes Ha„ bitans. Qu'Eiles comprennent aufli bien que les Sei„ gneurs Etats de Hollande combien il eft néceffnre de „ protcger la navigation, puisque les interets des Js'é„ gocians de cette Province le demandent vifiblement & ,, que cet objet a été fi fouvent difcuté, qu'il n'a plus „ aucun befoin d'être démontré: QuElles conviennent „ qu'une proteótion accordée, felon la teneur des Trai„ tés, pourroit fubfifter avec la plus exacte neutralité: „ Que quoique ceci foyent des véritez, & des objets „ de laplus haute importance, comme de Ia plus grande „ clarté, il y en a cependant d'autres, defquelles il ne „ faut pas entierement détourncr les yeux : Qu'après „ avoir examiné ce qui s'eft pafte, depuis un long efpa- cc de tems, perfonne ne pourra difconvenir que Vaccord d'un „ Convoi illimité, ne puiffe engager 1'Etat dans de facheufes ,, hojlilités Que cette craintc, & le danger dans lequel „ les poficflïons éloignées de la République, aufïï bien „ que les frohtieres des Provinces,^ fe trouveroient, dans , ce cas, expofées, a toujours été d'un grand poids au„ prés de Leurs N. P. Qu'Eiles font parfnitement con,. vaincues, que la Répuhlique n'eft en aucune maniere, armée „ pour pouvoir entrer en guerre, rj? jas par conféquent le plus O 3 „ *«  IjpS Ctrrefpondance Politique, „ ou le moins de pojjibüité, efl une raifon plus que [ujjijmte „ pour n'en pas courir le hazard, finon h la derniere extrêmité. Que s, Leurs N. P. apréhendent furtout, qu'A caufe de la foi„ bleffe des Frontières £p du peu de rroupes les Provinces ne „ fuffent continuellement troublées, & particulierement celles-lA „ même qui ont infijlé continuellement fc? fans jamais fe laffer , „ d'être mifes dam une fituation meilleure fcf plus affurée. ,, Qu'il feroit extrêmement dur de les cxpofer a être ravagées ', , pour faire mieux fleurir le Commerce des autres. Que Leur „ N. P. ne s'expliqueront pas davantage la-deffus, puisque les Seigneurs Etats des autres Provinces l'ont déja ,, fait, avec autant de force que detendue. Que pour „ toutes fes raifons, Elles font difficulté de donner, „ pour le préfent, leur confentemcnt, aux Convois iüi„ mités ou de fe conformer a la Réfolution des Seï„ gneurs Etats de Hollande, du 3ome Mars 1779: étant „ néanmoins difpofés d'emploier, avec les autres Alliés, „ tous les moyens convenables, pour tirer 1'Etat de cet„ te facheufe, & humiliante fituation". Ainfi réfolu dans la Chambre du Pais, le ï Septembre tjj^, Vous voyez bien, Monfieur, que les hommes pasfionnés, fur-tout quand ils fe trouvent réunis en troupes , font de vrais animaux a deux pieds fans plumes. Certainement 1'homme de Platon n'eut pas été capable d'inconféquences auffi monftrueufes, de variations auffi choquantes, que celles dont la Province de Frife donne 1'exemple. C'eft fans cqntredit une Réfolution fage que celle que vous venez de lire. Lés affaires générales dé YEurope; la guerre entre YAngleterre & la France; fort influence probable fur Ja deftinée de notre République ; la véritable fituation de notre patrie; fes intéréts les plus précieux; la conduite qu'elle devoit tenir dans les conjonétures a&uelles; tout cela y eft envifa«é!dans un vrai jour, avec autant de jufteffe que de fagacité: preuves que MM. les Frifons, quand ils font calmes, exempts de pafïïons fougeufes, font auffi fufceptibles que les autres hommes, de profondeur dans leurs vues, de prudence dans leurs démarches, 4e patriotifme dans leurs difpofitions. - Pourquoi donc cette Province qui s'étoit jufqu'ici diftin-  Civile & Litterairs. . diftinraée entre les autres par Ia prudesce, & raelqae- ~ 'fois par la vigueur; par une politique fage & prévoyante; & qui, en 1770» developpoit encore des principes falutaires a Ia patrie: pourquoi aujourdTtt» qu'il faudroit redoubler de rirconfpeébon, d energie, de vigilance, de magnanimité, iemble-t-elle avoir abandonné la fageffe & la raifon, pour fe hvrer fans pudeur comme fans retenue, anx écarts les plus funeftes , & aux excès les plus reprehenfiblcs ? II eft aifé d'expliquer cette énigme. Au de Septembre 1779 Ie projet formé depuis lon^temps dans quelques Villes de Hollande, d'outrager, d'avilir le Stadhouder; de fupprimer ou de restreindre le Stadhouder at; de mettre la patrie cn combuftion, & d'en renverfer le Gouvernement, n'avpic pas encore été confié a la Province de Frife, qui, depuis 1'époque, 011 le Grand Guillaume avoit jetté les premiers fondemens de notre République, étoit conftamment reftée attachée, par reconnoiljance & par affecf ion, aux deux branches de la Maifon d Orange Naffau, dont Guillaume V, Stadhouder attuel, elt 1'unique rejetton. M M. les Frifons n'ayant pas encore varié dans leurs fentimens pour un Prince, aux avcux duquel ils avoient témoigné tant de zèle & de venération, n'avoient pas été non plus choifis pour coopérateurs dans 1'exécution d'un fyftême préparé a 1'ombre dur-'lère. . Le traité préparatoire d'Amfterdam avec les Amencains étoit encore fecret: le deffcin de cette ville d'entrainer la République dans la guerre, pour la mettre en pièces, & s'élever fur fes débris, paroilfoit encore problématique. De leur cóté, les Etats de Frife, de fens froid & de bonne foi, pefoient impartialement le pour & le contre; ils balancoient en politiques fages, les avantages d'une rupture, qui pouvoit porter 1'Etat hors de fa fphère, & lui caufer des dommages irréparables; ce que 1'évènement n'a malhcurcufement que trop vérifié. Ils voioient la patrie fans défenfe, par mer & par terre ; expofée de toutes parts, a tous les orages que la précipitation de fes condufteurs, les machinations de fes ennemis, & les intrigues de fes rivaux pouvoient élever fur fa tètc. Des convois illimités, quoiqu'ils O 4 pufient  2oe> Correfpondance Politiqui, puffent fe concilier avec Ia teneur des traités, leut paroiflbient des provocations imprudentcs, dans des conjonctures fi critiques. Sans prévcndon comme fans defirs de vengeance; fans motifs fecrets de haine, d'avarice ou d'ambition, L. N. P. Fr [Jonnes dingeoient alors leurs déübérations vers Ie bien public: le bon fens, la modcration, 1'équite, le patriotifme, s'ils ne préfidoient point dans leurs aflemblées, y étoient au moins écoutés. Une politique faine, judicieufe, écla:rée s'y concilioit, fi ce n'étoit pas toujours 1'unanimité, fouvent du moins la majorité des fuffrages. Tout eft bien changé aujourd'hui. Dés le mois ü'Octobre 1779, 1'apoftat Laurens eut fon de transmettre, par une perfidie odieufe, au Miniftère Britannique, les preuves dc 1'affront que nos patriotes lui avoient fait, & de 1'infraéf.ion d'une de nos Villes a 1'Union d'Utrecht. Le complot écant découvert, par la trahifon de 1'ex-préfident du Congrès, il ne reftoit plus que 1'alternative d'en pourfuivre 1'exécution, ou de le retracfer. Ce dernier parti étoit revoltant pour 1'amour propre, & ne s'accordoit pas d'uilleurs, avec le befoin qu'on avoit de brouiller les Provhic es-Unies avec 1''Angleterre, & de les mettre dans la dépendance de la France, pour enchainer le Stadhouder, ou lui rogner fes prérogatives, au cas qu'on ne parvint pas a 1'expulfer. On s'arréta au premier. On fit jouer tous les refibrts de fintrigue & dc la réfifhnce, pour mettre les Etats Généraux dans. I'impuiffance d'appaifer le Roi de la Grande Bretagne, par une fatisfaélion équitable & néceffaire. On réuftit dans ce projet. Des membres puiffans de la Souveraincté, en Hollande, charmés de trouver une occafion de déployer leurs principes, appuierent les mefures qui tendoient a aliéner deux peuples alliés, qui ne devoient jamais fe défunir. Amjlerdam tnomphante & les autres villes de fon parti, jugcrent la Frife un théatre ou elles pouvoient développer avec fuccès leur fyftème. II y avoit dans cette Province, comme dans la nötre, des Arijlocrates mécontens du Stadhouder & du FeldMaréchal; chagrins de n'a voir pu envahir tous les baillages, toutes les recettes, tous les poftcs ou cm- plois  Civile Litteraire. 2or f>Ms qu'ils avoient follicités, & que fais-je? 1'ambition, 1'intérêt ont tant d'empire fur le coeur humain! Les Adminiftrateurs en Chef ont de fi grands torts de ne pouvoir pas fatisfaire toutes les prétentions des hommes qui ont quelque chofe a dire dans ou fur 1'adminiftration ; qu'il étoit impoffible que le Prince é'Orange & fon Mentor ne paruffent pas injufte= aux yeux de bien des gens, qui cherchoient a les mortifier. II y avoit déja quelque temps que le defir de les humi lier de 1' mpuilfance ou ils s'étoient trouvés d'accorder toutes les places honorables & lucratives qu'on avoit follicitées auprès d'eux , fermentoit dans le cceur de ceux qui avoient éprouvés des refus. II n'attendoit qu'une occafion favorable pour fe manifefter par une explofion d'autant plus forte, que le principe qui 1'a produite, avoit été contrahit, & forcé k fe tenir renfermé. Elle vint enfin. Les Patriotes de Hollande choih% rent les Patriotes de Frife pour les feconder, & les enhardirent a éclater avec fracas. On vit paroütre fur la fcène des citoyens ardens, qui s'annoneoient comme les vengeurs des droits opprimés de leur patrie, & qui n'avoient réellement d'autre .envie, que dé venger leurs querelles particulieres. Plus fachés que zéïés; avec plus d'humeur que de raifon, ils lont parvenus a donner a YEurope, & k faire recevoir aux fots, leurs reffentimens perfonnels pour des élans de patriotifme, & leurs invecfives contre les premiers perfonnages du Pays, pour des témoignages éclatans de dévouement au bien public. Ce charlatanifme politique eft a peine croyable, tant il eft ridicule & maladroit: rien cependant n'eft plus vrai, ni plus commun. II a fait quelques dupes, quelques enthou/iaftes. Bientót il fera ce qu'il auroit toujours dü être; 1'objet du mépris, ou celui de la pitié de tous les hommes honnêtes, amis de la vérité & de leur pays. II y avoit auffi en Frife des partifans d'une feéte religieufe, enthoufiafte & turbulente, dont la démence, le fanatifme & la fureur fe fïgnalerent jadis a Munfier, & en d'autres endroits de YAlkmagne: ce font des Anabatifles, ou des Ménonites. Les defcendans des difciples du famcux Jean de Leyde, font nombreux & riches dans cette Province. Peu contens de O j reba-  aoi Correfpondance Politique, rebatifer leurs enfans avec de l'eau, ils voudrotent L auffi rebatifer notre République avec le fang deYes Jt; citoyens. Ulcérés de ce que notre conftitution exclue |n les hommes attachés a leurs rites de tous les emplois 11, eivils, de toutes les charges municipales; de 1'hon- Ir' ceur de repréfenter la nation dans le fénat; ils afpi- 1 ■. rent a une révolution, qui change la forme du Gou- t vernement, & qui les porte au timon des affaires: ils ( remuent; ils cabalent; ils facrifient une partie de leur fortune, pour 1'opérer. c. N'influant pas immédiatement fur les délibérations fubliques, ils les dirigent par 1'influence de leurs ri- J cheffes. La nobleffe des trois quartiers bruyans, eft i, pauvre, compofée de beaucoup de jeunes gens, qui j; aiment leurs jilaifirs, pour le moins autant que leur ^ patrie. On fait que les enfans de familie ont fouvent u une grande propenfion a dépenfer de 1'argent, & quel- jj quefois de grandes difficultés a s'en procurer. Pour i en trouver, ils font réduits a faire ce qu'on appelle j en France des affaires, ou même quelque chofe de pis. On fait de tout cela en Frife comme ailleurs. Dans cet état des chofes, vous fentez bien, Monfieur, que les Créfus rebatifeurs ne reftent pas oififs. lis ouvrent, non pas leurs coeurs par pitié, mais leur : ( bourfe par ambition. Ils avancent de 1'argent aux fé- , nateurs obérés dans leurs finances: ils le prêtent aux j tms fans intéréts, pour prix de la docilité a fe foumet- tre a leurs vues •, aux autres avec ufure, pour les pu- 01 fiir d'ofer confulter les mouvemens de leur confeience ^ dans les délibérations. De cette maniere les on- a| doyeurs de Frife dirigent a leur gré les réfolutions de | Ia Province , & maitrifent les fuffrages. Quand un de leurs débiteurs a le courage ou Paudace de refufer fon concours a un arrêté qui trahit fon devoir, ou qui flétrit 1'honncur de 1'aflèmblée; auffitót ces Harpagons lui redemandent leur eféance & le ruinent. Voila, Monfieur, la caufe des procédés ctranges des Etats de Frife, & de toutes leurs inconcevables J démarches, depuis 18 mois. Voira comment le res- b fentiment pcrfonnel de quelques uns de leurs mem- i M-es- la dépendance fervile des autres produifent tou- ï tes lès incongruités dont nous fommes témoins. Elles « ns font pas lc fruit du patriotifme comme on le dit; ■ p mais i;  Civile & Litteraire. 203 ma's celui des Ducats & des intrigues d'une feöe fanatique & ambitieufe, qui fignale fa haine contre 1'adminiftration adtuelle & contre le Prince d'Orange qui y ft la principale part; paree que fes principes de Réligion font cnnerhfs de toute autorité légitime; paree qu'elle n'admet pour foumiffion a 1'ordre établi que la révolte, quand elle peut s'y livrer impunément, ni d'autre Gouvernement équitable que 1'anarchie. On aura moins de peine a fe perfuader que ce font Ces citoyens turbulans qui égarent le fénat de Frife, quand on faura que ce font des hommés de la même fecte, qui ont également provoqué ailleurs, les démarches les plus éclatantes & les plus infenfées contre le Stadhouder & fa geftion. L'offenfante Propofition de la Ville de Leyde) a été arrachée a la magiftrature, par les importunités de ce» fadtieux baptifmaux. La faflueufe requête que les papiers oublies ont mis fur le comptc de tous les négocians de cette même ville, n'étoit décorée que de fignatures annabatiques, & de celle que ces intrigans hypocrites avoient, ou furprifes Ear la flatterie, ou éxtorquées par des ménaces. 'Adrejje de rémercimens au magiftrat, qui, en des temps plus heureux, eut été regardée comme un aéle de fédition, ou tout au moins comme un exces fcandaleux d'adulation, étoit toute entiere un fruit ou un ouvrage Ménonite (1). Les Régens de Leyde comme les fénateurs Frifons ont tort fans doute; ils font repréhenfibles de fe laiffer fubjuguer ou intimider par des hommes tracaffiers ou ambitieux, qui en font les inftrumens de leur ambidon, & qui veulent les rendre complices de leurs vues (1) II eft plaifiint que les magiftrats de Leyde qui ont paifiblemerit favourd les vapeurs anodines de la flatterie de quelques citoyens fanatiques, pour recompenfe d'une démarche, tout au moins inutile &déplacée, ayent quelques femaines après, appuié par leurs députés dans les Etats de Hollande, la Propofition de Dort & d'H'ntftetdam riénoncant »S ^°".vei"ajn' comme dcs fymptomes de fédition, les témoicnages datTecbon donnés au Stadhouder & a fa maifon, par la bourgeoiue de fa Haye. II eft affez drole, que de-s hommages rectis comme innóceVfs par des Régens f Levde foient regardés tomme .crimincls quand ils s adre.icnt au Chef de ia Répubuque. ^  204 Correfpondance Politique, vues fédïtieufes. Mais voilé comment font faits nos patriotes. Voilé la vérité. Que le public juge: que je leóteur honnête gémilfe des affronts qu'elle recoit parmi-nous. Enfin, Monfieur, vous pourrez juger fi la Pétition Générale du Confeil d'Etat, accufée de délire par la Province de Frife, contient en effet des cxpreffions repréhenfibles, des affertions folies ou criminelles, {>ar la maniere dont les Etats de Gueldres l'ont accueilie. Ceux-ci font Souverains tout comme M M. les Frifons: ils ont autant a dire dans les affaires de la confédération: ils font également intéreffés a fe resfentir des atteintes que le Prince & les autres Adminiflrateurs pourroient porter aux droits ou a la majefté des Provinces. II y a dans celle de Gueldres, comme dans les autres , des mécontens; des cenfeurs du Gouvernement; des ennemis perfonnels du Chef de la République: conféquemment, des hommes difpofés & d'humeur a donner aux expreflions, ou aux démarches de S. A., tm fens propre a motiver la cenfure. Cependant il y ïègne une dignité, une nobleffe dans les procédés; un fond de bonne volonté a feconder les mefures indiquées par le Prince, pour opérer le bien public, & affurer le falut de fa patrie; qui pourroient fervir- de lecons & de modèles aux Etats de Frife. Voici comment L. N. P. Gueldroifes ont apprécié les propofitions qui ont excité la bile de leurs foeurg Frifonnes. En faifant remettre a la Généralité leur eonfen'tement a Ia Pétition de Guerre ordinaire & extraordinaire, j accufée d'extravagance par leurs voifins; elles ont fait expofer aux Etats Généraux; Qu'elles conviennentparfaitementavecS A. & le Con'„ feil-d'Etat, que les opérations maritimes méritent 1'at„ tention la plus graude & que la fituation crittque oü la ,, république Te trouve aöuellenicnt. rend indifpenrable„ ment nécelfaire . que non-feulement on poudé avec tout „ Ie zèle , toute la vigueur imaginables, la conrtruftion „ déterminée d'un bpn nonibre dc vailTeaux, principaiement de ligne, & tout ce qui eft encore exk'é pour „ une défenfe convenable & pour porter des cours fen„ fiblcs k I'enncmi;. mais que les confédérés, en fourni „ fint promptèmcnt les pétitions courant:s, mettent autTi les  Civile Litteraire. ióS j> les colléges d'amirauté en état de pouvoir fubvenir auifi i, débourfés néceffaires & préparer avec la célérité re„ quife les équipemens ordonnés; enfin, que rien nefoit „ négligé de ce qui concerne la fureté & la défenfe de j. 1'état en général' Que L N P. agiffant par ces prin„ cipes, depuis le commencement de la guerre, n'ont „ laiffé échapper aucune occafion de donner les preuves „ les plus évidentes de leur bonne volonté, de leur „ promptitude, non feulement en portant les confente„ mens, mais aufli en les executant par des fournifie„ mens réels, autant que les moiens de leurs finances „ peuvent le permettre : Que quelques-unes des Pro„ vinces qui font les armemens, quoique les plus inté„ refiees aux affaires maritimes, en mettant des reftriüions „ il plufieurs confentemens, ont rejlé beaucoup en arriere, £3* par-la auroient même pu donner lieu au ralentiffement des „ armemens: Que L. N. P. font réfolues d'y contribuef „ de bon cocur, & s'emprefferont toujours de concourir ,, avec leurs confédérés k toutes les mefures qui font né„ ceflaires & utiles pour la füreté de 1'Etar, & auffi eri „ particulier, pour poulfer vigoureufement la guerre 8» „ par-lk fe procurer une paix honorable & conflante» „ dans 1'attente que les mêmes confédérés, de leur part, renonjant a toutes confidérations particulieres, y concour„ ront, & les colléges, auxquels la direction ou 1'exé- cution d'un ou d'autre eft confiée, tdcheront d'effec-< ,, tuer promptement & diligemment les mefures prefcri„ tes, afin que, obtenant par-lk une confiance illimitée „ des provinces, celles-ci puiffent avec d'autant plu» „ de vigueur fuivre leurs délibérations pour la confer„ vation de la chere patrie, fans en être détournées par ia crainte dc voir quelquefois leurs efforts rendus inu„ tiles & leurs finances infruétueufersent épuifées: Que „ L. N. P. ne peuvent non plus fe difpenfer, quant l la „ protetlion de la république du caté de terre, de joindre leurs „ itiftances a celles de S. A. & du Confeil-d'Etat; & en „ particulier, aöuellement après 1'évacuation des phiees „ de barrière, elles regardent comme d'une néceffité m„ difpenlable le foin, 1'entretien des anciennes frontie„ res ou fortereffes de 1'Etat, maintenant fi refferrées„ jugeant k cet effct, que S. A. & le Confeil-d'Etat de„ vroient être requis le piutöt poffible de vouloir bien , penferk cet objet; afin que la République, du cöté de , terre, puiffe en quelque snaniere être afiurée contre ., des accidens imprévüs &, fous la bénédicTrJon divine, „ mife e:i état de défenfj; Que coucernan; les appöüi- „ temens  205 Correfpondance Politique 9 temens & Ia folde des troupes de Ia république, L. ,, N. P. efpérent & font convaincues que Ia province" de Frife, qui jufqu'k préfent n'a pas jugé k propos d'y „ accorder fon confentement, finon pour les fix pre„ miers mois dc cette année 1782, fera engagée a con„ tiuuer 1'augmentation fi modérée jufqu'k Ia fin de cette „ année, & k donner k cet effet fon confentement par„ fait, afin qu'on prévienne ainfi tous les défafires qui, „ a fon défaut, doivent en réfulter, & lefquels, dans Ia pofition oü la République fe trouve aótuellement, ne „ pourroient tcndre q«'k fon plus haut danger & 'pré„ judice". II paroitra fans doute bien extraordinaire, Monfieur que ce foit la Gueldres, l'une des Provinces terriennes de la République; par conféquent, l'une de celles, qui ont un intérêt moins direct, aux fuccès des opérations navales; ou plutót, qui n'en ont point d'autre que celui de fe facrifier par affect-ion pour leurs confédérés, d'épuifer leurs finances pour la protecfion & la fut-et! des Provinces maritimes, qui y font direclement intéreffées; qui doivent employer les armes de la Rhéthorique pour perfuader a ces dernieres, qu'elles font obligées de s'effecfuer .promptement & de bon ceeur, pour accélérer les armemens. Le public qui entend crier a tue tête contre 1'Amiral Général, les Provinces de Frife, de Hollande, de Zélande, les feules des fept qui compofent notre asfemblage politique, que les événemens & 1'iffue de cette guerre intéreffent efiéntiellement; efl; bien furpris, bien confondu, quand il apprend que ce font précifément ces trois Provinces, ou au moins deux d'entr - elles, la Frife & la Zélande, qui ont apporté des reftricJions d plufieurs confentemens; qui font ratées beaucoup en arriere dans le fourniffement de leur cote-part; & qui, par leurs difficultés toujours renaisfantes, comme par leur lenteur a fournir leur contingent dans les dépenfes publiques, ont caufé Ie reilenliffement dans les armemens maritimes ; ont mis le Prince & les Amirautés horsd'état de pouffer 1'augmenta-. tion projétée, au point de rendre les forces navales de. l;i République funeftes a fes ennemis & refpeélables a. fes alliés Cela eft inconccvable; & cependant, cela eff  Civile Litteraire. 207 1 efl: exaétement vrai ï les Etats de Gueldres ont trop de ij pudeur & de véracité pour avancer dans un inftrumeht j public, ■ une aflertion auffi grave, dénuëe de fondement. II feroit bien a defirer, comme L. N. P. Gueldroifis le fouhaitent, que, non feulement la Frife, la Hol] iande, la Zélande, dans une guerre entreprife un peu ] par leur faute, au fuccès de laquelle elles font, fi ce : ü'eft pas exclulivement, au moins plus direcfement intérelfées que les autres; mais encore que tous les confédérés renoncaflent a toutes les confidérations de 1 Pintérêt particulier, pour ne s'occuper que du bien public, dans un témps ou le falut de la patrie dépend i plus ou moins de la fageffe,de la vigueur, du généreux: défintéreflement de tous fes conducteurs. Malheureufernent cela n'eft pas, a beaucoup prés. II eft évident, au contraire, qu'autant que la guerre, ce fléau terrible , qui eft dans la main de la providence un inftrurnent pour humilier les nations orgueilleufes & pour chatier les peuples coupables, dépend des combinaifons humaines, n'a été ménagée parmi-nous, que pour développer des prétentions perfonnelles , pour fe liij vrer k des confidérations trés particulieres, plutót 1 que pour avoir 1'occafion d'y renoncer pour 1'amour de ! la patrie, & d'en faire le facrifice au bien public. Bien loin que les promoteurs d'une guerre qui va déci[ der du rang dont notre République eft digne entre les i Puiffances, & probablement de fa deftinée politique I fe foient occupés des moyens de la pouffer vigoureufe1 ment, de la rendre honorable & utile a un pays, long' temps confidéré de toute la terre; il eft connu de ' YEurope entiere, qu'ils ont confumé leurs efforts & pcrdu leur temps en chicanes, en tracafferies puériles injuftes, & quclquefois honteufès. ïandis qu'il plak a M M. les Frifons d'infulter Ie Prince & le Confeil-d'Etat, de cc qu'üs parient, dans j leur Pétition, de la néceffité de protéger la patrie par terre comme par mer; néceffité dont Ia Province de Frife fentoit 1'urgence le Ier de Septembre 1779; befoin auquel elle avoit confenti de remédiér eri \7~>i; objet dont 1'import-ance lui faifoit jetter les natfts-crjs en 1772, contre la Province de Hollande, qui réfufoft ' fiule d'en convenir: les Etats de Gueldres, qu'on doit fup~  aol Correfpondance Pólitique, fuppofer auffi patfiotiques , auffi fages, auffi prévoyans, pour Ie moins, que ceux de Frife, ne peuvent s'empêcher de joindre leurs inftances a celles de S. A. & du Confeil-d'Etat, pour engager leurs alliés k fixer leurs regards'fur cette partie de la défenfe d'un pays également menacé de tous les eótés, inexpugnabje par mer, mais ouyrant par terre, fon fein au premier envahiffeur puiffarit qui entreprendra de le conquérir. Enfin, c'efi; affez mal apropos que L. N. P. Gneldrojfes fe font flattées que leurs indociles foeurs de Frife, fe préteroiént a rendre permanente, ou a prolonger l'augmentation de folde accordée aux troupes de 1'Etat. Elles ont eu tort d'efpérer & d'être convaincues^ dc 1'empreffement de leurs co-alliés, k concourir a cet arrangement équitable. Leur convidb'on étoit cliimérique, & leur efpoir a été déc,u. Les démarches du Prince & du Confeil - d'Etat font bien trop extravagantes , pour qu'une Affemblée auffi grave, auffi décente que celle de Frife, puiffe avoir égard aux inftaaces, aux réquifitions des Provinces qui les appuient. D'ailleurs, n'eft-il pas jufte, légal, archipatriotique, de punir les Régimens repartis fur Ia Frife, de 1'extravagance de leur Chef éminent & de celle du College illujïre qui les adminiftre? Pour achever, Monfieur, le tableau que j'ai eommencé, jettons un coup d'oeil rapide fur plufieurs traits difperfés de la conduite de M M. les Frifons. \ Ifolés, ces traits perdent de leur prix. Raffemblés, ils en deviendront plus faillans; ils mettront dans un plus beau jour la profonde fageffe & le brülant patriotifmé d'un confédéré de la République. Vous favez, Monfieur, qu'une des caufes les plus aclives de la ftagnation défolante dc notre marine, c'efi: la difette de matelots. II efl certain qu'a cet égard, on éprouve des difficultés que les plus grands efforts ne fauroient furmonter. II n'eft forte d'expédiens dont 1'Amiral Général n'aic fait ufage, pour obvier a ce facheux inconvénient. Entre-autres, il a propofé au commencement de cette campagne, une augmentation de troupes de terre, beaucoup plus faciles a recruter que la marine, de 4 hommes par com-" pagnic, pour remplacer le même nombre qu'on ea tire»  Civile ff Litteraire. 20$ tireroit pour mettre fur les vaifïeaux; propofition fage, dont le but étoit de parvenir plus facilement a équiper notre flotte, qui a dó refter oifive cette année, en grande partie faute d'équipages fuffifans, pour la mouvoir avec apparcnce de fuccès. De quelle maniere penfez-vous qu'elle a été accueillie par les Etats de Frife (i) ? Le 6 Acüt dernier, il ont pris la réfolution de la rejetter. Au lieu de confentir k 1'augmentation de 4 hommes par compagnie, L. N. P. veulent au contraire, donner encore congé k 4 autres dans le fervice de terre, pour les employer au fervice de mer: ces 8 hommes par compagnie après avoir fervi durant la guerre, retourneront k la paix, a leurs régimens refpedtifs. Cette propofition ajoutent les Etats de Frife, répond parfaitement aux vues falutaires de S. A., en fourniflant d'un cóté, des hommes pour équiper les vaiffeaux & en économifant, dc l'autre, les deniers publics felle épargne k la République des dépenfes qu'elle ne fauroit trop ménager. Car par la, les 25 écus affignés pour clnque recrue, ajoutés k la paye ordinaire des Soldats formeront pour les ftipendiaires terreftres métamorp'nofés en marins, des appointemens égaux k ceux qu'on donne fur mer; &. 1'on épargne leur folde jusqu'a ce qu'ils foient redevenus Soldats. Par la auffi le fervice de terre deviendra plus avantageux, pour le petit nombre de ceux qui le feront, attendu que 1'argent, laiffé par les fémeftrierspour leurs gardes, étant partagé entre moins d'officians, la portion de chacun fera plus forte, & de cette maniere la propofition de rendre f O „ Après avoir eflayé en vam, dit le Prince dans IbnmemoT. „ jidtificatif, tous les moyens ci équiper les vaiffeaux, nous avons pro„ pnlc' a L. H. P. de fuppléer a la privation de marins par des trounes „ de terre. . . . Naturellement nous ne devions pas, con-inue S A „ nous attondre a voir rei'etter une propofition qui n'avoit & ne pou* „ voit avoir pour but, que de ménager les preflans intéréts de la „ République. Mais une cruelle expérience ne nous a cue trop pröUvé „ la prévention & la défiancc que plufieurs perïhraieS ont concu s contre nous, & les foup^ons avec Irfquels no» ctforts les plu» i 'lés „ pour le bien pubtic en lint accueillis". Tom. III. p  aio Correfpondance Politique, rendre permanente 1'augmeö ation de 6 So's par femaine devient inutile. Moyj.mant toutes ces difpofi* tions, on épargne pour la Province de Fi Je feule, i». 42 milles florins qu'il lui en coüteroit pour les ëquipemens, d'après le plan de 1'Amiral Général; 5?. 126, 600 florins d'augraentation de folie pour les troupes de terre. Tout cela n'eft pas autrement clair, Monfieur, comme vous le voyez. II 1'eft alfez cependant pour faire mal au cceur. On a honte de voir de graves fénateurs s'occuper gravement de calculs aufli mefqums» & mettre en concurrence le fal.it de 1'Etat avec un aufli vil intérêt. N'eft-il pas odieux qu'une Province trés commercante & fort riche, compofée de trois quartiers étendus & de onze villes, dont plufieurs font floriffantes, faffe, dans un temps de calamité, de détreffe, échouer un projet tracé pour faciliter Yéquipement des vaiffeaux, par le defir d'économifer tme miférable fomme de 42 milles florins qu'il lui en coüteroit pour fa part en le réalifant ? Mais !e dégout, le mépris augmentent, quand on penfe que c'eft de ce foyer d'avarice & de lézinerie, que partent }es plaintes les plus ameres, les plus vives cenfures fur l'ina&ion de la marine. Eh! MM. les Frifons, comment cette marine pourroit-elle fe remuer, fi vous, qui êtes les plus intéreffés a fes mouvemens falutaires, lui refufez des bras pour la mouvoir, par la crainte de dépenfer 42 milles florins ? La furprife, la douleur s'accroiffent encore, Iorsqu'on fonge que ces mêmes hommes qui refufent 42S milles florins pour effectuer un plan d'équipement, ont propofé d'offrir un million a 1'ame Iache & fcélérata qui révéleroit une trahifon chimérique. i°. II n'y a point d'autres traitres dans le pays, que ceux: qui violent leur ferment, cn divulgant le feeree de toutes les délibérations: Ia patrie n'a point d'autres ennemis dans fon fein, que ceux qui la déchirent, & qui refufent de pourvoir a fes befoins 20. II eft affreux de vouloir en même temps épargner 42 milles florins réclamés par le fervice public, & ficrifler un million pour découvrir des traitres imadnaires. Enfin, une offre pareille invite a la lacheté, h la fcélérareffe. II n'v a point de coquin que Tappas d'une teile récom- penfe  Civile & Litteraire. % '\ \ penfe ne puiffe porter k inventer un complot, & k faire rouer un innocent pour fe 1'affurer. Que 1'on confidère enfin, que c'eft ce fénat, fi libéral pour enhardir au crime, qui faifit le moment ou les Etats Généraux font obfédés d'affaires & accablés d'embarras, pour demander, avec un ton indecent, uneréforme dans la répartition du contingent des Provinces; réformc qu'il peut être équitable de faire; mais qu'il eft anti-patriotique de demander dans de femblables circonftances: & qu'on juge d'après cela des motifs qui animent & dirigent les patriotes Frifom. Difons pourtant, Monfieur, que les Villes de la Frife, qui forment le quatrieme Cercle de la Province, n'ont point de part a cette mefquinërie dégoutante, ni a cette prodigalité fcandaleufe, non plus qu'4 toutes les mefures violentes que les fougueux quartiers d'Ooftergo Sc de Weftergo font parvenus a faire paffer dans le fénat. Leurs Régens plus indépendans de 1'influance anabatique, que les repréfentans de ces deur cercles, & n'ayant pas comme eux des motifs de resfentiment contre le Stadhouder Sc le Fe ld Maréchal, n'ont pas concouru aux démarches déplorables d'une majorité emportéë ^ qui laifferoit périr la République , plutöt que d'abandonner fon projet de vengeance, pour voler a fon fecours, Sc fournir k fes befoins. Ces villes font reftées inébranlables dans le fyftéme de modération^ de patriotifme & d'équité qu'elles ont adopté au commencement des troubles acluels. Jufqu'ici ni les manoeuvres des féditieux: Ménonites, ni les intrigues de la cabale qui leur eft dévouée, n'ont pu ni intimider, ni corrompre leurs Régences. Elles fauveront cette Province des malheurs qui la ménacent, fi elles perfévérent k foutenir le parti dc la juftice & la caufe de la patrie. Leur fermeté leur fait honneur; leur défeélion les couvriroit: d'opprobre. Adieu, Monfieur: plaignez-moi d'avoir è relater tant de pauvretés Sc de miféres. Mais fachez-moi gré de ma difcrétion, qui vous fait grace des dix neut* vingtièmes des fottifes que 1'on coinmet chez-nous. Les étrangers qui jugent de notre pays d'après les ëchos qui leur en tranfmettent les incongruités, en meprifent les habitans. Ils ont tort; ils. devróierit P 3 phitót  212 Correfpondance Politique, plutót les plaindre. Soiez plus équitable, mon ami. Rendez juftice a la partie faine de notre nation, a fon Chef, a fes principaux adminiftrateurs, que des brouillons tracaffent par haine, parambition, par intérêt, & que d'indifcrets Gazetiers tachent de déshonorer aux yeux de YEurope, en 1'induifant en erreur fur leur compte A une autre fois, Pour le préfent, je me borne a vous faluer, &c. Pétition de S. A. R. Mad. la Prince (fe «TOrange & du Confeil d'Etat, pour V année 1757. Nous avons promis dans un de nos Cahyers précédens, de mettre fous les yeux de nos lecteurs, cette pièce curieufe. Nous nous acquittons de notre promeffe, avec d'autant plus d'emprelfement, que la Pétition pour l'année courante, remife aux Etats Généraux, par le Prince Stadhouder & le Confeil d'Etat, renferme les mêmes principes, & eft concue a peu prés dans les mêmes termes. Cette reffemhlance, justifiée par la parite des circonftances, ou du moins, des embarras oh la République s'eft trouvée aux deux époques qui ont motivé ces deux pièces, n'a pas plu au régenteur, M. Cerifier. Selon fa louable coutume, il s'eft permis de cenfurer & la conformité, & le fond de ces deux produtfions, & les principes, & la conduite de leurs auteurs. II parle des uns & des autres avec une irréverence dont le fcandale ne peut être comparé qu'a 1'impunité dont jouilfent parmi nous, tous ceux qui ont 1'audace d'attaquer 1'adminiftratlon fuprême, & les perfonnes oules plus illuftres, ou les plus refpectables de 1'Etat. Cette impunitê prouve un vice radical dans notre Gouvernement, & montre la confufion ou 1'impuiffance oh font les pouvoirs qui le conftituent, de réprimer des particuliers audacieux, qui, fans caraétère cc fans miffion, s'ói-jgent en juges de la politique & des ac- tions  Civile 6? Litteraire. 213 tions publiques des adminiftrateurs. Ce relachement effrayant de 1'autorité ne nous préfage que 1'aviliflèment de fes dépofitaires, & la licence des fujets. Elle ae furprend pas les hommes qui favent que pour rendre les principaux d'entre-eux ridicules ou méprifables, il n'y a point d'infolences que dans quelques Provinces & dans plufieurs villes, la Régence n'ait provoquées, ou du moins tolérées. Quand on a vu promener en triomphe & impunement dans les rues, de vils animaux, décorés avec des rubans d'une couleur qui elt adoptée par les citoyens comme le fymbole de leur aftécfion ou de leur zèle, pour la plus confidérable maifon de la République; on ne doit plus s'étonner de rien. Les critiques auffi faufies que déplacées d'un Zoïle ne font plus que des peccadilles, chez un peuple qui voit fes magiftrats affeéter d'approuver, ou de laiffer impuni lés a&ions les plus brutales; tandis qu'ils réfervent leur vigilance & leur févérité, pour les démonftrations les plus innocentes d'attachement a 1'objet de leur haine. Mais cette hardieffe licencieufe n'en eft pas moins dangereufe, ni la tolérance qui la fouffre, moins repréhenfible. Quelle idéé fe former d'une liberté qui dégénéré en anarchie, qui fe fouftrait a 1'ordre public, qui fe permet d'outrager les hommes chargés de le maintenir; & d'une autorité qui fe compromet jufqu'a fermer les yeux fur les écarts avant -coureurs de la révolte ? Que dans un pays régi par une forme républicaine, chaque homme appellé par le fuffrage de fes compatriotes au raaintien du bon ordre, ou a 1'adminiftration de 1'Etat, ait le droit de dire franchement fon avis fur les affaires publiques,- de défapprouver la conduite de fes coadminiftrateurs, quand il lui paroit qu'ils compromettent ou la dignité, ou les intéréts de la patrie • rien ne femble ni plus convenable, ni plus jufte en général, quoiqu'il y ait nombre de cas, oh ce zèle défapprobateur eft, ou une affeétation déplacée 011 une imprudence condamnable: que tous les citoyens éclairés, affeétionés a leur pays, ayent la liberté de propofer leurs vues, d'expofer leurs idées'fur la réforme des abus, fur les améliorations a faire aux inftitutions qui er. font fiétries; rien ne paroit plus équip 3 table  %H Correfpondance Politique, table qü un droit envifagé avec raifon, comme Ie glorieux appanage d'hommes libres, ni plus légal que d'en ufer avec une noble hardieffe, tempérée par la décence. Ainfi les Etats de Frife, comme tous leurs confédérés, ont le droit inconteftable de foumcttre a leur examen les propofitions ciu Stadhouder, & de porter leur jugement fur 1'expofition annuelle que la puiffance exécutive du pouvoir de la confédératian, fait des befoins de 1'Etat & de la fituation de la République: muis ce droit d'examiner, d'admettre ou de rejetter les phns propofés & les demandes pécuniaires qui les accompagnënt, n'emporte pas la prérogative déshonorante d'outrager ceux qui les font, de leur manquer de refpect, & de les traduire devant le public comme des ignorans qui ne favent ce qu'ils difent, ou des perfides qui trahiffent la patrie. Les reproches que L. N. P. Fri "onnes fe font permis d'exhaler contre la PHition de 1782 & contre fes auteurs, font également indécens, & injuff.es, paree qu'ils font fans fondement , & qu'ils bleffent tous les égards admis entre les hommes fur - tout entre ceux qui tiennent un rang diftingué dans le monde. De même tous les Hollandois, fans exception, posfédent le droit inconteftable de mettre fous les yeux du public, par la voie de 1'imprcffion, leur opinion ft.r les mefures qui leur paroiffent devoir être adoptées par le gouvernement; d'adreffer direétement k leurs Regens leur vceu fur les objets de l'adminiftration générale. On peut même dire que c'eft fpécialement dans la poffeffion de ce Privilège que confifte leur Liberté, & on ne les blamera jamais de jouir du précieux avantage de faire entendre leur voix fur des matieres qui intéreffent ou leurs perfonnes ou leurs propriétés, pourvu qu'ils ie faffent avec la modération & la retenue qui caractérifent la fageffe. Mais que des Gazetiers infolens, qui n'ont d'autres «itres pour élever la leur, que le motif aviliffant de donner une vogue lucrative a leurs impudens chiffons, aient la témérité de foumettre les principes de 1'adminiftration fuprême a leur examen, d'en critiquer les demarches, d'en cenfurer la politique, c'eft vraiment le comble du ridicule autant que celui de 1'audace: & fi  Civile ö* Litteraire. ai£ fi cette licence criminelle n'eft pas réprimée au milieu de nous; fi elle y eft protégée, enhardie, récompeniee même, par les hommes effentiellément prépofés pour la punir; c'eft la preuve la plus accablante de ce que nous avons fouvent avancé dans le cours de cet ouvrage, favoir que notre Gouvernement eft conftitué dans le fens inverfe: & qu'une partie des mains défignées pour y porter 1'harmonie, pour lui cornmuniquer de la vigueur, en opérent précifément la dépravation, & en provoquent, par relTentiment ou par vengeance, les infultes des fujets. Quoique le Confeil d'Etat ne foit pas proprement une Afiemblée Souveraine; c'eft pourtant le plus ancien, & tout k la fois le plus illuftre Collége de la République; c'eft fans contredit le fénat le mieux formél de la nation; celui qui a été établi fur les meilleurs principes; celui qui, malgré les atteintes portées k fes droits prirnitifs, paria grande afiemblée de iöyi, conferve le plus de confiftance, & dont les opérations ont le plus de célérité, comme les décifions le plus d'énergie. Dans 1'intérieur des Provinces il n'exerce, il eft vrai, aucune autorité proprement dite: mais dans l'Union il en poflêde une trés confidérable. En lui & en fon Chef le Stadhouder, réfide tout Ie pouvoir exécutif de 1'Etat, au moins fur terre. Dans le pays de la Gènéralité, (i _) qui eft compofée des vrais fujets de la République, il exerce fouvent, & il a le droit d'exercer des acfes de Souveraineté: bien loin qu'il y foit fubordonné aux Etats Généraux, comme le prétend M. Cerifier, il y a nombre de cas oh il eft leur égal; d'autres (O On appelle ainfi en Hollande, !es conquêtes que ies fept Provinces confédcrées on: fakes cn Eruropt fur VEfpagne, telles que les Villes 1« avantages individuels d une ville prévaloir au préjudice du bien-étre des autres, m comme dans les Etats Généraux, la prépondêrance d'une Province entrainer fes confédérés dans des démarches fouvent hazardeufes, quelquefois funeftes, & compromettre le bien général, ou le faire néghger, pour complaire a des membres particuliers Au Confeil d'Etat, c'eft Ie corps de l'Union, 1'enfemble de la République, qu'on embraffe dans les vues comme dans les opérations: le voeu partial ou intéreffé d'une Ville, d'une Province n'y a ni influence ni accès. ' C'eft fur ce plan, trés bien vu par Guillaume ït'r. que 1 Etat devroit être conduit en politique. L'affemblee des confédérés ne deviendra un Corps véritablejment folide & falutaire k la République, que quand elle aura été compofée fur ce modele; lorfque fes membres cefferont d'être les fimples organes de leurs commettans, pour devenir, comme ceux du Confeil dEtat, des Adminiftrateurs publics, avec Ia faculté de pefer dans leur chambre les intéréts de la confédération ; d'admettre ou de rejetter ce qui y a rapport de décider a Ia pluralité les affaires de l'Union; de traiter avec les Puiffances; d'ordonner Ia guerre'; de faire Ia paix ; de lever des troupes; d'armer des vaisfeaux, quand les befoins de 1'Etat cn réclameront 1'ufage;  Qyile & Litteraire. föge; de répartir fur les Provinces, felon le tarif jj adopté par elles, les dépenfes néceffaires a la défenfe ai commune, fans être réduits a aller chercher 1'avis il d'une Province, quelquefois même, mendier le fuf:i frage d'une ville, dont la Régence ne connoit rien * Ia fituation de YEurope, & ne fait pas plus ce qui con«> ) vient a la République, qu'a 1'empire du Mogol. Ainfi compofés, & revêtus d'une autorité qui auroit i quelque chofe de réel & d'utile, les Etats Généraux > n'auroient rien de redoutable pour les Provinces & les Villes particulieres, puifque les unes conferveroient j leur Souveraineté chez elles, & les autres leurs Privi| lèges dans leur enceinte. L. H. P. n'auroient rien k voir ni a dire dans 1'intérieur, foit pour la Légiflation, foit pour radminiftration de la juftice, foit pour Ia répartition ou la perception des impots, en tant qu'ils ne concerneroient pas la Confédération. Chaque confédéré refteroit maitre de penfer, d'agir, de fe comoporter chez lui, comme bon lui fembleroit. L'intcr3 vention du pouvoir concentré dans le corps de YUnlon ' ne pourroit avoir lieu dans les affaires domeitiques de fes membres , que quand elles intérefléroient la République en général, qu'elles en ménaceroient le repos * ou en annonceroient la diffolution. ï Pour pofféder 1'autorité de conduirc la machine poli litique dans le même fens que le Confeil d Etat admiïnifire les forces publiques de la Confédération, les ij membres de cet AmphyEtion ne feroient pas difpènfés jde confulter leurs Provinces refpectlves: mais ce felioit des Confeils qu'ils demanderoient fur les affaires Imajeures, & non des ordres qu'ils recevroient fur des. aobjets peu importans. La raifon comme la nature des chofes indique qu'ils devroient prendre k cceur les lintérêts particuliers du Confédéré qu'ils repréfenteicroient dans I'aflemblée fuprême: mais fans fes facrï3fier, leur confeience & leurs lumieres leur feroient un 'Sdevoir de les fubordonner a 1'intérêt général de 1'Etat aL'avis d'une Province ne prévaudroit fur celui d'une jjautre, qu'autant qu'il feroit trouvé fage & conforme tau bien public, par le fénat, qui auroit le droit d'apMprécier 1'un & de travailler a l'autre. On ne verroi'ülplus une opinion abfurde, un accès d'humeur des !ir.Qtifs intéreffés, ou d'autres confidérations, 'faire p $" échouer  ai8 Correfpondance Politique, échouer des méfures falutaires, ou prendre des partis" funeftes. Nous avons déja indiqué ces idéés, dans Ie Second Cahyer du Tome II de cet ouvrage. II ne faut pas fe laffer de les remettre fous les yeux du public. Peutêtre fruttifieront - elles quelque jour. 3, Les Provinces, difions nous, font toutes libres & , Souveraines chez elles, indépendantes de la Généra1 Uté qui les repréfente dans 1'ordre politique. A cet " égard, qu'elles confervent leurs droits, & en jouis* fent fans partage, il n'y a point d'inconvénient. ii Elles ont celui d'admettre dans leur fein refpecfif, " telle forme de Gouvernement qui leur convient; . de fuivre, dans 1'adminiftration de la juftice, & de " la police, la marche qu'il leur plait; de s'attacher " au fyftême de finances que comporte leur pofition ' locale, le genre de leurs produétions territoriales " ou induftrieufes, & Ie commerce de leurs habitans; " d exercer enfin la Souveraineté dans toute fa pléni33 tude, & de la maniere qu'elles trouvent le plus !, convenable. Mais la Gênéralité doit jouir des mêmes preroga- 'tives, relativement a la confédération: elle ne peut 33 ni ne doit être affujétie aux Provinces, puifqu'elle " eft inftituée, moins pour les repréfenter vis-a-vis 33 des Puiffances, que pour les unir, & pour leur 33 cornmuniquer une force qu'elles n'auroient pas, *' fans cette réunion. Elle ne fauroit remplir fon ob" jet, fi elle ne trouve pas dans fon effcnce une au3' torifé inconteftable, & dans le développement de 33 fes droits une force qui fubjugue fes membres. ' Dans les objets qui ont rapport au but de 1'aflbcia" tion, fon autorité doit être indépendante, fans bor33 nes comme fans partage. La paix, la guerre, les 31 alliances, les armées, les fortifications, les arfé33 naux, les finances; en un mot, toutes les parties 3' de ï'adininiftration fuprême, qui ont rapport a la " défenfe commune, ou k la fureté publique, ou a la 33 confervation générale, ou a la profpérité de Ia Ré' publique entiere, doivent être dans la dépendance " & fous i'infpccfion immédiate du corps fédératif de *. 1'Etat". C'eft ainfi qu'étoit conftituée la Greee. Les villes étoient (  Civile & Litteraire. 215 étoient indépendantes les unes des autres; libres Hauts Puijfans Seigneurs. CE fut dans tous les temps une vérité reconnue de nos Ancêtres , quc la République ne peut fubfilrer, ni fe maintenir fans Alliances, fans Troupes, fans Fronttere;, & fans Flotte;. Cette maxime eft fondée fur des raifons d'une fi grande é^'idence, que ce feroit certainement fatiguer Vos Hautes Puiffances, de s'étendre beaucoup k Ja démontrer. Un Etat-qui a de puiflans Voifins, & qui leur eft inférieur en force, ne fauroit être tranquile fur les enrrepflfcs quon peut former pour fa ruine, s'il n'a pas une p'erfpeétive bien fondée du fecours des autres, en cas dc befoin. Se trouvant attaqué, il ne fauroit fuffire, contre un enneini p!us puifiam, du moins, fa refiftence ne pourroit pas être de longue durée, s'il n'étoit point fecouru, Mais fur quoi fera fondée Ia perfpeclive du fecours & de quel droit pourroit-on fe promettre i'apui des autres, avec quelque certitude, ii ce n'eft pas cn vertu de quelque Alliance ? Pour ne pas dire que la Ba'anci entre le.- priricfpales PuilTanccs de YEurope, aquoi !a République s'eft. toujours ïuterciTée, quelque fois même,  Civile £? .Litteraire. ai >me, au-de-lk de fes forces, ne fauroit être con/ervée jfans Alliances, pour autant que cette confervation dé« jpend des précautions humaines. Cependant les Alliances ne peuvent pas procurer une ■ entiere tranquilité, s'il n'y eft joint une Milice, qui foit Ifuffifante pour foutenir, tout au moins, une prémière attaque. Celui qui eft entierement hors d'état de fe défendre lui-iriême, coürt grand rifque de voir, que fon AUié •jmomrera peu d'envie de fe mettre a la brêche pour lui. D'ailleurs rarement le fecours peut-il être auffi prompt que le péril le demande; & la ou une première attaque ine peut pas être repouffée, il eft fort a craindre que le fecours ne vienne trop tard.' L'on fuppofe même une j chofe qui eft k peine poffible, quand, on s'imagine qu'un Etat, qui eft fans défenfe, peut cependant fe procurer des Alliés. Celui qui eft fans forces, .fe trouve dansl'impoffibilité d'être en fecours a autrui; & perfonne ne s'ensragera facileraent k fecourir fon Voifin, fans e» attendrè le réciproque. Mais dans la fuppofition que te fecours fut toujours prêt, & qu'on put y faire fond, un Etat fans défenfe , & duquel 1'exiftence dépend enticrement d'un autre, ne doit - il pas naturcllemcnt perdre fon indépendence, & fe conduire felon ie bon plaifir.de (fon défenfeur? Les Frimticres, (par lefquelles on entend des Places, fortifiées, fur leslimites, & munies de .tout ce qui convient pour la défenfe,) font fur-tout néceflaires k un Pais dom les borncs font étroites. Par des Fortifjcar tions, des Retranchemens, des Inondations, & tels autres moyens. l'on empêche 1'Ennemi de pénétrer dans Je coeur du Pais, après avoir gagné une fimple BataiHe» au lieu que par faute de telles Barrières, ce même Pais peut d'abord être conquis. Une place forte qui eft bien munie, & qui eft bien défendue par une forte garnifon, peut arrêter longtems toute une armée, & faire gagner du tems afin de prendre des mefures par une inure délibération pour oppofer une nouvelle réfiftence; pour demander du fecours aux Alliés, ékpour 1'attendre. Ccci eft une vérité iï palpable, qu'on a toujours cru qu'une Barrière oppofée k la France , dans '1'élóignement de 1'avant-mur de 1'Eiat, étoit un objet digne qu'on fit les derniers eftons pour 1'obtenir. Une Flotte n'eft pas moins néceffaire k cette République. La Mer eft la Erontiere des pnncipalcs Provinces. 1 a Mer eft la fource de la profpérité dc leurs Hab'itans; Q'eft de Ik que les Finances s'alimeutent & fe loutien- ncnr  I8& Correfpondance Politique, hent; c'eft ce qui facilité le foumiflement de tout cö qui demande de 1'argent. Mais cette Frontiere ne peut être mife en fureté contre l'Ennemi, que par une Flotte, & 1'ufage de la Mer ne peut êrre protégé, coure les moleftations, finon par des V ifieaux de Gti'-rre. 11 feroit fuperflu de s'arrêter plus longt-ms, k 'établir une règ e qui n'a befoin d'aucune démonftra«,on. Si cependant quelqu'un pouvoit s'imaginer, que la Réoubüquë prut fubfifter fans Alliances, fans Milice, fans Frontieres, & fans Flotte, il faudroit qu'il püt fe fiatfcr que Ié jaloufic qu'une PuifTance concevroit conïrc lelie autre qui voudroit Ia conqu-rir, la garantiroit de ce danger; & uu'au befoin, ces Puiflances s'armeroi»nt l'une contre l'autre, pour enr.-écfier cette conouêu.". Foible espérmce, s'il en fut jamais! Car Ie défaut d'avoir prêt les fecours néccflaires: une appréhenfion du danger: un roécontentemuit concue contre la République; la crainte France, craignoient d'attirer d'autres Puiffances dans» leur querelle, & qu'elles prennoient des mefures pour prévenir une guerre générale. Sa Majefté Brittanniqm avoit déja conclu un Traité dans lc mois de Septemhre, avec llmpératricc dc Rvèt :endant a la «?n&rvation da la Paix, & a la défenfe dè leurs  «24 Correfpondance Politique, leurs Etats refpeaifs; ce Traité avoit fpécialement pouf objet, que ni fa Majefté, ni aucun de fes Alliés, ne fuffent attaqués, & de prévenir toute invafion dans fes Etats d'Ailemagne k caufe des intéréts, ou des démélés qui ne concernoient que la Grande Bretagne; & dans Ie mois de Janvier dernier, ce Monarque fit encore une convention avec fa Majefté PruJJienne pour lnterdire aux Troupes étrangeres, 1'entrée en Miemaghe. Le Roi de France envoya dans le mois de Decembre de I année derniere, un Miniftre Extraordinaire k Vos Hautes Puiflances, qui, au nom de fa Majefté requit qu'Eiles s'expllquaffent fur Ie fyftême qu:E!lcs trouveroient bon de fuivre lorfque ia Guerre feroit dé•clarée entre la France & VAngleterre. Le réfultat des conférences, tenues avec ce Miniftre, a été que Vos Hautes Puiflances ont déclaré qu'Eiles n'étoient nullement d'intention de fe mêler des différens touchant les Poffeflions d'AmMque ou des fuires qui en pourroient refulter; mais qu'Eiles étoient réfolues, au contraire, de garder k cet égard une exafte JNeutralité, fans préjudice des Alliances que la République a contractees; & que fa Majefté a fait repondre Ik-deflus k V0s Haul tes Puiflances, que Ie Territoire de la République feroit garand de toutes ménaces, & de toutes infultes de la part de fes Troupes, fe réiérant, en outre, relativement aux Païs-Bas Autrichiens k 1'Acte, ou convention de JMeutralité que fa Majefté avoit faite, Ie i Mai de cette Ennée, avee rimpétatrice Reine de Hongrie & de Bohème, &. de laquelle fa Majefté avoit fait remettre une copie k Vos Hautes Puiffances. La communication de Ia dite convention avoit été 'faite peu auparavant k Vos Hautes Puiflances, par 1'Ambaffadeur de France, conjointement avec Ie Miniftre de fa Majefté Impériale. L'Impératrice s'y eft engagée k gatder une exacte Neutralité, aufli longtems que la guerre durera entre Ia France & 1'Angleterre, touchant les différents furvenus au fujet de YAmerique, & le Roi de France a promis de fon cóté, de ne point attaquer ou envahir les Pais-Bas, ou aucun des Royaumes & autres Etats, apartenants k 1'Impératrice-, tandis qu'EUe, de fon cöté, s'eft engagée au réciproque, k I'égard des Royaumes, Etats, & Provinces de fa Majefté. Et non feulement cette convention a été communiquée k Vos Hautes Puiffances, mais encore un Trai:é défenfif qui avoit été conclu le même jour, entre ces deux Puiffances. Ceci fembloit promettre au continent de YEurope, Ia cou.  Civile & Litteraire. 22£ cominuation du repos. Les Déclarations de Cuerrc réciproques, de Ia Grande Bretagne, & de Ia France ont luivi de prés, comme on I'avoit affez prévu; mais il s'en faut beaucoup que les autres événemens ayent répondu a 1'attente qufon en avoit conc'ue Sur la Terre ferme de YAmerique teptentrionale, qui efl: la fource des différents, il n'eft arrivé rien d'important, finon que les Franfois fe font rendus Maitres du Fort Owego. La Medittrrnnée, ou plütot 1 Ifle de Minorque a été le principal ThéStre de la Guerre d'Amèrique. Le Roi de Trance avant tait tranfporter un gros corps de troupes de ce cóté-la, il a pris le Fort Saint Philippe, après une rigoureufe défenfe, & s'eft rendu maitre de 1'Iflc. Les armemens de mer ont été beaucoup plus confidérabies que les opérations. Une forte Ëfcadre Angloije a entrepris vainement, de fecourlr ce Fort Dut refte Ia France a garni les cótes d'un bon nombre de Troupes; Et la Grande Bretagne a non feulement augmenté fes forces de terre, mais même eiie a fait venir un corps de Hefiois, & d'Hanovriens, pour repouffer le danger dont elle fe croyoit ménacée ainfi I on a bien moinS fait dans les affaires de YAmerique qu'on I'avoit attendu. Cependant on a vu Ie feu de la guerre s'allumer au moment qu'on s'y attcndoit le moins, dans les pays aux quels ces démélés de YAmerique étoient Je plus indifferens, & oü on fembloit avoir pris foin d'aflurer le repos général. Le Roi de Pruffe a publié les raifons qui lui ont fait juger qu'on avoit formé des deffeins hoftiles contre fes Etats, & il a cru devoir en prévenir I'exécution Deux Armées FrvJJiemes ont été mifes rapidement on campagne. L'une eft paffée en Bohème par la S'ilé/ie- oü elle s'eft trouvée arrêtée par une Armée Autrirhienne' L autre eft entree, fans réliftance, dans 1'EIeftorat de Saxe. L Elefteuf s eft retire avec fes Troupes, dans un camp fortifie par la Nature, & v a été tenu bloqué oaï une partie de cette Armée "rujjienne, pendant fix femai nes, tandis que l'autre partie, fonant de Sixe, s'eft a.,fl3 alle polier en Bohème, oü elle a été aux prifes avec una autre Armee Autrichume, fans autre fuite, finon que Ja Braille a ere trés fanglante; qu'un parti a contefté la Victoire a 1 autre, & que les Troupes Saxonnes mrè.t avoir tache tnutilement de fe fauver, ont dü mettre bas les Armes, & paffer au fervice du Roi de PrufTe L'Fl°c teur de Saxe a abandonné fon Pai> t s'eft retiré rtótf Tmyïïr dC P°Hnt- DepuÖ'% Arm"s PruffiSZ Q foaS  $2t5 Correfpondance Politique, font forties de Ia Bohème, & y femble qu'on n'a pas d'opérations de grande importance k attendre pendant cet hyver. Au refte quel tour les affaires prendront, & comment la Paix renaitra, ce font des fecrets que la Providence feule connoit. Mais k en juger par les apparences, il eft plus que vraifemblable, que la majeure partie de YEurope entrera dans ceite Guerre. Les Cours de R»JJie & de Frame ont déjk promis leurs fecours a I'linpératrice Reine: Plufieurs Princes de 1'Empire font prets de prendre 1'un ou l'autre parti. Les Troupes que 1'Impératrice avoit dans les Païs - Bas font parties pour YAllemagne, & la Guerre entre la France & ia Grande Bretagne, peut facilement infiuer fur celle du Roj de Pruffe contre 1'lmpératrice Ainfi le feu peut s'étendre de plus en plus, & produire un embrafement général, beaucoup plus rapideinent qu'on ne 1'auroit pu penfer. Graces a Dïeu, jufq.u'ici Ja République vit en paix avec les Puiffances qui font en Guerre; & daigne le ciel accomplirle vceu dc fon Alteffe Royale, & du Confeil qui certainement eft auffi celui de Vos Hautes Puiffances, & de tous les Confédérés, que cette Paix ne foit point interrompue, afin qu'elle puiffe donner une nou•velle vigueur aux Manufaótures qui ont langui depuis fi longtems, de même qu'au Commerce & k la Navigation. Mais la Providence eft accoutumée d'agir avec le concours des caufes fecondes; & l'on ne peut pas fe flatter que la République fera préfervée par des Miracles. Eftèlle k couvert par des Alliances; eft - elle refpeétable par le nombre de fes Troupes, par la bonne difpoiition de fes Frontieres, & par la force de fa Flotte? c'eft ce qu'il faut examiner. Le fujet des Alliances eft d'une telle délicateffe, que fon Alteffe Royale, & le Confeil d'Etat craindroicnt de s'expliquer lkdeffus, dans un difcours femblable k celuici, fi tout ce qu'il convient d'en dire, n'étoit pas connu de tout le Monde lis obfervent, en prémier lieu, que la Balance qui fut jadls maintenue entre les Puiffances de YEurope, par des Alliances, & des forces réunies, & dans laquelle la République a trouvé fa fureté, étoit fondée fur la jaloufie qui fubfiftoit conftamment, entre les Maifons d' Autrkbe & de Bourbon; & que ces deux puiffantes Maifons fe font actiiellement alliées enfemble Ils remarquent, en fecond lieu, que le Roi de la Grande Bre-  Civile £f Litteraire. 227 Bretagne réclame de Vos Hautes Puiflances 1'exécution du Traité de 1678, qui fubfifte entre fa Majefté & la République, contre le Roi de France, furquoi Vos Hautes Puiflances ont déclaré, n'avoir nulle en "ie de fe méler des troubles, & des différens, touchant les Poffeffions de YAmérique, ou des fuites qui en peuvent réfulter; mais qu'ell.'S font réfolues au contraire k garder k cet égard une exacte Neutralité. Ils obferventen demierlieu, que1'Impératrics Reine, a écrit k Vos Hautes Puiflances que fa Majefté attendoit qu'Eiles fatisfairoient aux Traités, conclus entre fa Maifon, & Ia République, & que Vos Hautes Puiffances, s'oppoferoient aux malheurs que tous les Princes de l'/ïwopeontk crai:.dr<', de la part du Roi de PruJJe; tandis que d'un autre cóté ce Monarque a marqué k Vos Hautes Puiffdnces. qu'il fe tenoit tout affuré, qu'Eiles n'écouteroienr point les repréfentations de la Cour de Vienne; encore moins lui accorderoient elles des fecours qui, felon 1'idée de fa Majefté PruJ/ienne, ne peuvent être réclamés par aucune AUiance défenfive; mais que plutót Vos Hautes Puiffances, prendront des méfures pour maintenir de leur cóté la Balance de YEurope, & aider k détourner le danger dont on eft menacé. Son Alteffe, & le Confeil, fe bornent k fes obfervations, & ils laiffent aux Confédérés k examiner, fi la République eft k couvert par des Alliances, ou bien fi fa fureté & le maintien de fes droits, doivent être plutót cherchés dans fes propres forces. Que fi cette derniere opinion eft jugée la plus prudente; dans ce cas, fon Alteffe, & le Confeil, efpérent qu'on aportera une doublé attention, dans Ia recherche qu'on faira pour favoir fi les forces actuelles de 1'Etat font fuffifantes ou non pour atteindre le but fufdit, & fi elles ne Ie font pas, fur les requifitions qui feront faites de les augmenter. l,e nombre des Troupes de 1'Etat fe monte k trente trois mille hommes, y compris les divers Officiers, ce qui, pris k la rigueur, eftun nombre, qui dans un tems de paix, (après en avoir défalqué ce qui eft néceffaire d'en réferver pour maintenir 1'autorité politique) ne peut fournir que de médiocres Garnifons pour les nombreufes Places frontier-s, & il ne reftera rien pour des évenemens imprévus, moins encore pour conferver une place ou deux contre les attaques, dans des tems critiques, ou pour affembler un corps, tel qu'il pourroit être néceffaire pour couvrir une foible Fronti?re. Sn tems paix même, la République perd beaucoup de fon lusQ 2 tra,  ■5 28 Correfpondance Politique, tre, & de fon influence hors du Pais, lorfqu'clle fe aifiuiraè trop: c'eft un objet qui a peu;-être plus de connfxion qu'on ne penfe'. avec la confervation de fa tranquilrté, & de fa profpéritc, comme les tems anciens ct moderncs l'ont verifié. Qu'on fe rapelle , (.pour ne pas n-monter plus hauO la réduction qui fe fit, après Ia paix: d'Utrerht, contre 1'avis des Généraux, & contre la repréfentation du Confeil d'Etat. 11 a été remarqué plus d'une fois, que vraifemblablemcnt le fameux oétroi que 3'Empereur donna cn l'année 1.7a», pour j'érecrion de la Compagnie d'Ofiende, & duquel 1'inexécution a dü être compenfée par la garantie de la Pragmatique Sar.ction, n'auroic pas eu lieu , li la République s'étoit tenue dans unepoftu'e plus refpeêtable: Et pourquoi n'ajouteroiton pas ici, 1'apparence qu'il y a que les dernieres négociaiions , touchant 1'exécution" du Traité des Barrières, auroient eu un meilleur fuccès, fi la République avoit pu jefier plus fortement armée, après la Paix d'Aix-la-Chapelle. Vos Hautes Puiffances ont déclaré plus d'une fois ^ ce fujer, que ce n'étoit pas trop d'un nombre de cinquante Mille Hommes, de 1'avjs des Généraux les plus experimentés , même dans des tems d'une profonde paix, pour la fureté de la République. L'on peut voir fur cc fujet la Lettre que Vos Hautes Puiffances ont échte aux Seigneurs Etats des Provinces refpeciives, le 4 de Juillet 1727, & celle aux Seigneurs Etats de Hollande & de IVeftfrife le 28 Avril 1733. En öutre les derniers, en advifant, dans l'année 1736, Jorfqu'on eut une efpérance fondée de voir bientèt la paix, & h tranquilité rétablies partout. fur la réduction des Troupes, qui par J'augmentation de l'année 1727, étoient montées au nombre de cinquante Mille, ne firent aucune difficulté de déclarer dans leur avis, qu'ils ne manquoient point de raifons preflantes, pour continuerla folde de toutes leurs Troupes, tant pour la gloire que fingulierement pour 1» fureté & la défenfe dc 1'Etat. Et par la réduction qui fut enfuite arrêtée par Vos Hautes Puiffances, le 4 Juin 1736, ]a Milicc relia lixée a cnviron Trente Mille hommes, jufques a ce que dans 1'an 1741, elle fut augmentée de nouveau. Mais ce qui mérite le plus d'être obfervé; c'eft que la réfoiution fufdite touchant la réduction des Troupes, n'a été prifc que dans 1'an 1736, malgré que Vos Hautes Puiflances, s'étoient déja entendues avec rEmpereur, dès l'année 17^2, par leur concurrenccau Traité de Vienne, de l'année précédente; & quoi- qu'elles  Civile Litteraire. 229 qu'elles euffent formé une convention de Neutralité avec le Roi de France, k 1'occafion de la Guerre furvenue dans 1'an 1733 , touchant ia fuccefllon du Trone de Pologne; par cette convention, fa Majefté déclaroit qu'elle n'attaqueroit point les Païs-Bas Autrxchiem, & Vos Hautes Puiflances promettoient, de ne prendre aucune part dans l'affüre de la Pologne, non plus que dans les différents auxquels cette affaire avoit donné ou pourroit donner occafion dans la fuitc. II s'en faut donc de beaucoup que la Milice de 1'Etat,. foitk préfent auifi forte qu'on a cru ci-devant, qu'il convenoit qu'elle fut regulicrement, ou même qu'elle a été après la Neutralité de 1T33 Elle efl plutöt beaucoup plus foible qu'elle n'a été, depuis la réduction de 1736, jufqu'a 1'augmentation de 1741- L'unique chofe qui remedie a cc petit nombre, c'eft qu'actuellemcin, dans les places de la Barrière, (excepté IMamur & fon chateau) il n'y a pas plus de gamifon qu'il ne faut, pour ne pas fembler renoncsr k un droit qui a tant couté k la Iöépublique. Mais c'eft un remede bien déplorable, & quï feroit bien foible, li Namur étoit garni comme il conviendroit. Que les Confédérés ayent maintenant, la complaifance de fe demander k eux-mêmes, fi dans ces tems-ci, la République eft fure avec tretite & trois mille hommes; & 11 elle ne s'expofe k aucun danger, cn laiffant les chofes fur ce pied-lk? Son Alteffe & le Confeil ne s'attendent pas, que quelqu'un décide la prémière de ces questions par un Oui fincère & ingénu. Si l'on a jugé cidevant, qu'un nombre d'environ cinquante Mille hommes n'étoifpas trop grand, en tout tems; il leur femble qu'il n'en faut pas moins, lors qu'on voit que non feulement les plus puiffans Princes de YEurope font fortement armés; mais même, qu'une feconde Guerre s'eft aliumée entre eux; que les Alliés naturels de 1'Etat font engagés, chacun en particulier, comme parties principales dans cette Guerre mutuelle, que chacun, de fon cóté , fe croit en droit de réclamer 1'exécution des Traités, qui fubfiftetit entre eux & Vos Hautes Puiffances; que les Barrières font ouvertes, & que les Pays-Bas Autrkhiens, qui font le Boulevard de la République, font dégarms de Troupes; que Ie Territoire'de 1'Etat eft entourré de celles des Puiffances qui font en Guerre, & qu'on a bien plutot fujet d'être étonné, que jufques ici, les hoftilités n'ayent point eu lieu fur les Froutieres de 1'Etat, que de fe flatter qu'elles en refteront éloiQ 3 gnées;  230 Correfpondance Politique, gnées; & finalement, qu'on n'appercoit pas le moindre moven de réconciliation. Son Alteffe & le Confefl. n'attendent aucune autre objection, fi ce n'eft la grande charge des Finances, & ils doivent avouer avec un vif regret, que cette inquiétude les affecte beaucoup: Mais de deux maux il faut choifir le moindre. La demande eft fi l'on n'auroit rien & fe reprocher, en cas que Ia République fe perdit. pour n'avoirpas pu fe réfoudre a charger davantage fes Finances, & a exiger que les Habitans, qu'on doit fuppofer prendre a cceur leur confervation & celle du Pais, fourniffent les moyens qui font néceffaires pour leur confervation- II y a bien eu d'autres tems, qu'on a dd faire des efforts, & fe confoler d'en porter le fardeau, pour ne pas courir rifque de perdre le tou:. C'eft fur ces fondemens que fon Alteffe Royale & le Confeil d'Etat requierrent, que les Troupes qui font actuellement en fervice foyent retenues; & que les confédérés veuiilent tranquilifer Vos Hautes Puiffances fur cet objet, en donnant de prompts & folides confentemens dans les états de Guerre, pour l'année prochaine, lefquels doivent être préfentés a Vos Hautes Puiffances conjointement avec cette Pétition générale; étant prevenus que les confentemens felon Ia Réfolution de Vos Hautes Puiffances, du 25 Avril 1663, doivent être tenus comme accordés en cas qu'ils ne foyent pas portés avant le 10 Mai prochain; & cependant i! faudra pourvoir au payement des foldes, & autres articles, qui ne peuvent être interrompus fans caufer de la confufion. Ils requierrent en outre, que les Etats de Gueldre, de Hollande & de Weftfrife^ de Zélande, d'Ucrecht, & -ie Frife, continuent leurs délibérations, fur 1'avis donné par fon Alteffe, après l'avoir concerté avec Ie Confeil d'Etat, & préfenté a Vos Hautes Puiffances, le g Juillet 1755, tendant a augmenter laMilice de 1092 chevaux, & de 13450. Hommes; & qu'ils délivrent leurs Réfolutions fur ce fujet a rAffemblée de Vos Hautes Puiffances. Cette matierc eft d'une auffi grande imporrance, que la fureté de la République même. Du moins c'eft la 1'opinion de fon Alteffe, & du Confeil. Elle demande de la rromptitude, paree qu'un plus grand nombre de Troupes, peut devenir néceffaire plötot qu'on ne penfe, & paree que plus une augmcination eft differée, plus elle devient difficüe; elle exige fur tout, que les Confédérés s'expliquent d'une mani re pofitive, & qui donne a conno:tre non feulement qu'ils jugent 1'augmentation néceffaire, mais, cn même  Civile £? Litteraire. 231 même tems, qu'ils ont réfolu de fournir leur cöte-part ordinaire, dans cette charge fans préjudice des autres articles de 1'Etat de Guerre, & des fourniffemens de Rentes, & Intéréts; rien n'étant plus jufte que de favoir les uns des autres fur quoi l'on peut faire fonds. La Réfolution que les Seigneurs Etats de Stad- en- Lande ont déja livrée efl inccrtaine en ce point, puis qu'on y déclare bien qu'on eft perfuadé de la néceffité d'une augmentation; & qu'en conféquence on efl difpofé a aider a la conclure; mais que pour ce qui efl du paye-» ment, on joindta au confentement, des effets réels, autant que la foible & pauvre fituation de Ia Province pourra le permettre. Mais comme on ne peut lever des Troupes fur ce pied, l'on prie lefdlts Seigneurs Etats, de s'expliquer fur cet objet, d'une facon plus politive» & de ia maniere quc les Seigneurs Etats d'Overiftel l'ont fait, lefquels ont'confenti rondement a 1'augmentation propofée, dans 1'attcnte & la perfuafion que les autrés confédérés, y confentiront dc même. Les Fortifications & les Magafins font également nécesfaires, pour mettre les Frontieres de 1'Etat du cóté de Terre, dans une fituation refpectable; c'eft pourquoi il convient de fe faire faire raport de leur fituation. Par l'avis fufmentionné l'on a repréfenté a Vos Hautes Puisfances, que les anciennes PI aces Frontieres, enFUndref & en Braband, étoient redevenues les premiers & les uniques Boulevards de Ia République, & on Leur a donné une légere efquirTe , par laquelle on pouvoit affez voir que la plupart des Places de la Fronticre, avoient befoin d'afnélioration & d'approvifionement. Le Confeil n'a point celfé depuis d'emploier les Fonds dont on pouvoit.fc fervir pour l'une & l'autre fin; fayoir de la moitié du don gratuit des Indes qui y avoit été deftiné; & le reftant de la Négociation, qui avoit étc faite en vertu de Ia Réfolution de Vos Hautes Puiffances, du 24 Décembre 1749, pour les Fortifications. En Flandre l'on a fait a Huift, au Sas-de-Gand, a Philippine, & k YEcluJe des améliorations efTentielles, Iefquelles feront toutes achevées au Printems prochain , outre qu'on emplolra encore tout t'été k faire une Digue k VEclufe, a 1'endroit dit le Paswater. Les nouveaux ouvrages qu'on a fait au chateau de Namur, font achevés; & le front de la derniere attaque de Muftricht eft rétabli. Les Magafins. de Namur ont été pourvus, partie de la part de 1'Etat, & partie de la part de fa Majefté Imperiale: ceux de Maftricht font remplis; & ceux de YEcluft le vont êtra Q 4 autant  432 Correfpondance Politique, autant qu'il fera poflible De ceci les confédérés peuvent aifement juger qu'il refte plus a faire qu'il n'v a de fat, avant quon foit parvenu au point d'avoir pleinement fortifie toutes les Frontieres de 1'Etat Tous les befoins de la Flandre ne font encore rien qI"Fnre?pl^'^Par le déPlacement du notable Pasl'pie, Ilfle de Cadzant fe trouve ouverte, & 1'ennemi «en etant une fois rendu maitre, peut interdire tout acces par eau a YEclufe. Les Dunes de Kietrecht s'élevenr & fe deffechent de jour en jour & ils donneront avec le tems un Itbre acces a 1'ennemi fur le Pafs de HuiltJt-tie Canal qui coule a cöté de cette Ville, continu» i &ThP5«i. 'eS Pr0je'S qu'0n 3 f0rmés' Pour couvnr la fufdite Ifle contre toute invafion, comme d'enjOurrer de digues les Bancs, pour donner plus d'écouJement au Canal, font d'une fi grande étendue & demandent tant de dépenfe, qu'k peine peut-on fonger\ Jeurexécution,quelque fort qu'il foit a fouhalter, de pouvoir parvenir au but défiré a cet égard, favoir de donner plus de force aux Frontieres de Ja Flandre HMandoik % par conféquent, plus de fureté a la Province de 'ïê lande. L ** . La Frontiere du Brabant peut être mlfe en meillpnr état, pour Ia furete des Provinces de Gueldre & de Hol lande, avec plus de fuccès, & moins de frais. Pour cet effet.il faudroit avancer la réparation des Ouvra-es de Maftncht-, & remedier aux défauts des Fortifications de la Ville de Grave. L'on ne devroit pas différer plus ion? tems, non plus, d'exécuter Ie projet de faire un Re-ran chement fur la hauteur qui eft devant Ie Villa»» X Sprang entre Breda & Bois-le- Duc, pour couvrir le Lane ftraat, & garantir Ja grande inondation de Ia derniere de ces Villes; deux chofes qui font d'une trés »ranriP importance pour Ia Province de Hollande en particulier Ce qu'il y auroit k faire pour fortifier Breda, foit par des mondations foit autrement, mérite auiïi la plus férinifi. attention. «.m-uie De cette maniere l'on devroit paffer d'une Frontiere L■ «au™ ,'J.& c,onfiderer que oblie du Pais de Drenthe & WeR-WoUmgerlmd, qui doit couvrir la Province de Frik' & de Stad-en-Lande & qui a été vifitée d'une maniere' tres exaa» par le Seigneur Feld-Maréchal Puc de Bruns •wv*, demande une plus grande attention que ci-devant Des qu'on y aura fait ce que ce Seigneur a propofé" d y faire pour plus de forc, il reftera encore entre toutes les Frontieres, celles de YTJJel qui dc tout tems ont  Civile & Litteraire. 233 ont été foibles & ne peuvent être gardées fans un bon Corps de Troupes. Les Magafins des phis éioignées & principales Plaees devroiertt de la même maniere, & fucceffivement, être pourvus du néceffaire-, & l'on devroit tenir prêt dansles Magafins généraux une bonne prpvifi^n de tout pour être envoyé dans les lieux oü les circonftances le demanderoient Hauts & Puiffans Seigneurs! plus il feroit a fouhaiter cue tout ceci put s'exécuter, plus il eft tnfte & cléplorable, que le Confeil foit obligé de s'en tenir a ce qu'on a dit avoir été exécuté. Les Fonds font abforbés, & fans un nouveau fecours de Ia part des Confédérés, l'on ne peut plus a'varicër en rien. Auffi ïien ne feroit-il plus convenable pour mettre les Frontieres en bon état. qu'un Fonds fixe, & fourni tous les ans, tel que nos pères l'avoient compris, & qu'on a repréfenté continuellement aux Confédérés qu'il conviendroit de rétablir. Les efforts qu'on a fait dernierement, dans la Pétition généTale, pour 1'Année 1755. afin d'apporter du remède dans 1'Etat de Guerre. onttendu, entre autres, a cela;mais le malheur des tems a voulu que les propöfitions préparatoires , qui devoient fervir de bafe k cet ouvrage, quoi qu'elles n'ayent point paru inadmiffibles en elles mêmes, n'ayent cependant été adoptéesentierement, que par une feule province. Son Alteffe Royale, & le Confeil foumettenr au jugeïnent des Confédérés, fi l'on doit prendre a coeur 1'améIioration , & 1'approvifionement des Frontieres. Si l'on juge que cela eft convenable, alors 1'une de ces deux chofes eft néceffaire; ou d'établir promptement un fonds : annuel pour cet effet a la charge des Confédérés refpe&ifs, ce qui feroit fans contredit Ie mcilleur moyen; ou que le Confeil retourne a faire des Pétitions particujlieres, pour des Fortifications & des Migafins. a quoi | l'on donne rarement un confentement unanime; bien moins ' payc t-on promptement, & enticrement les quote-parts refpeétives. Ainfi Son Alteffe & Je Confeil requierrent que les Confédérés veuillent déclarcr pour leouel de ces moyens ils inclinent le plus; mais afin qu'en attendant l'on ne foit pas dans 1'inaétion, ils demandent de plus; que les Seigneurs Etats de Hollande & de M'efl-Frife & ceux de Stad-en-Lande d'un coté, n'ayant pas fatisfait a Ja derniere Pétition concernant les Fortifications pour I'Année 1744. & de l'autre les Seigneurs Etats du quartier de Nimegue ,de Hollande & IVeJi-Frife, & des autres ProV 5 vinces»  «34 Correfpondance Politique, viaces, a celle concernant les Magafins, pour 1'anné*; 1747. veuillent mettre le Confeil en état de continuer k pourvoir k ce que la fituation des Frontieres exige, en acquittant ce dont chacun d'eux eft en arriere fur ces deux Pétitions; ou du moins en faifant des fourniflemens convenables en diminution de leurs arrérages. Le dernier objet que Son Altefie Royale, & le Confeil d'Etat ont réfolu de recommander au foin des Confédérés eft la fituation préfeme de la Flotte. II n'y a rien de plus évident que la funefte décadence des forces Navales qui a empire de plus en plus, depuis le commencement de ce fiècle-, & rien n'eft plus avéré encore, que c'eft ce qu'on a le moins pris k cceur; de forte que Son Alteffe & le Confeil ne peuvent s'empécher de rapeller aux Confédérés par voye de Confidérations, ce qu'aucun d'eux ne peut ignorer. La prémière eft que Son Alteffe Ie Prince Guillaume III., de glorieufe Mémoire, & les Seigneurs Députés de Vos Hautes Puiffances, après avoir pris I'avis par écrit des Seigneurs Confeillers Députés des Colléges refpectifs de 1'Amirauté, au fujet d'un Raport fait k Vos Hautes Puiffances, le 16 Fevrier 1685 jugerent, que la République devoit être pourvue de quatre vingt feize Vaiffeaux de ligne, fans compter les Frégates deftinées pour les Convois; & que dans l'année 1700. lorfque la conftruction des Vaiffeaux, & la reftauration des Forces Navales du Païs fut devenu un objet de Délibérations, l'on trouva quc les Amirautés de Hollande & de Weft. Frife, 1« Quartier du Nord & la Frife étoient encore pourvus de Ginquante-neuf Vaiffeaux de ligne; témoin la Réfolution de Vos Hautes Puiffances, du 21 Octobre 1700. au lieu qu'a préfent, l'on aurqit grand fujet d'être content, file nombre de Vaiffeaux, que les différens Colléges ont actuellement en état, fe montoit k peu prés k la moitié du prémier de fes nombres. La Seconde eft, que la Pétition faite le 4. Octobre 1741. pour la conftruétion de Vingt Cinq Vaiffeaux de Ligne, afin de commencer k rétablir la Marine du Pats, n'a pu jufques ici être portée k conclufion, malgré tous les efforts qu'on a fait pour y parvenir pendant 1'efpace de quinz-e années, entre autres la Lettre que Vos Hautes Puisfances ont écrite le 10 Aoüt dernier aux Seigneurs Etats des Provinces rofpectives; & malgté que 1'expérience pendant lc cours de ia préfente année a fait voir d'une maniere h convaincre tout le monde, qu'il convieni de éonncr une proteéti-on plus efiicace au Commerce, fi l'on  Civile & Litteraire. 23^ ifl'on ne veut pas qu'il périffe entierement, dans un tems iqui eft Ie plus propre a lui donner un nouveau luftre. 1 La troifieme eft, que les Colièges de 1'Amirauté fe qtrouvent fi chargés des Capitaux, qu'ils ont é;é obligé» jde négocier par le manque de foumiffement aux PétiJtions fur les Provinces, pour les équipemens extraordijnaires, qu'il leur a été impoffible de fournir au Commerce- k 1'aide de leurs revenus ordinaires, aucune efpèce jde protection. La quatrieme & derniere réflexion, c'eft que les Colalèges de 1'Amirauté ayant appris par 1'expérience, qu'ils Ine peuvent faire aucun fond fur les fubfides des Proijvinces, ne peuvent plus s'engager k faire aucun annément, fur des engagemens verbaux, de fournir ces jtubfides; & que par conféquent la voye de Nógociation 1 fur Ie revenu de Ylmpit rehaujjé dit Veilgeld eft devenue 1'ttjnique refiburce pour trouver de 1'argent, quoi que ce ijfonds de fa nature, ne. foit nuliement deftiné k cet ufage- & qu'il deviendra inutile , de même que les autres , fi l'on continue k le furcharger. Hauts & Puiflans Seigneurs! fi ces Confidérations ne itouchent pas les Confédérés, pour mettre enfin la maiii au rétabliffement de la Marine du Pais, & pour óter la charae des Revenus des Colléges-, feroit-il abfurde do , faire confidérer (puisque dans ce cas il faudra abandonj ner 1 efpérance de couvrir même les cótes par des , Vaiffeaux de Guerre') ce qui conviendroit le mieux pouT le maintien du Commerce, ou de coutinuer a donner \ de Ia protection, fur Ie pied qu'on Ie donne a préfent, , ou bien de vendre les Magafins, les Chantiers, les Vaisjfeaux, les Canons & toutes leurs apartenances; redimer j du provenu les Capitaux empruntés autant qu'il pourra ) s'étendre; diminuer les droits d'entrée & de fortie, au! tant que poflible & de befoin; les abolir peu k peu; & s latfler aux Négocians le foin de veiller k leur propre ij confervation ? Toutefbis Son Alteffe & le Confeil fe flattent encore I qu'on préviendra cette difcuffion par de meilleures idéés I & ils conjurent par tout cc qu'il y a de plus ptécieux ■' I que les Seigneurs Etats d'Utrecht, & ceux de Frife, qUi : n'ont donné leur confentement qu* pour conftruire feuI lement douze Vaiffeaux, & ceux de Stad- en - Lande, qui ! n'ont encore confenti en rien, veulllent a 1'exemple des 1 Provinces deGueldre, de Hollande, de Zélande, & d'Ove\ riffel. donner un plein confentement k la conftruction 1 de Vingt Cinq Vaiffeaux; que les Seigneurs Etats de Gutl-  *3.< Ainfi fait & dreffé dans Ie Confeil d'Etat, le 29 Desembre 1756. (Etoit Paraphé) j. j. De Boeï van Kuffeler. vt. (Defjous étoit~) Par ordonnance du Confeil d'Etat des Provinces-Unies. (Etoit Signé) D. van R o y e n. Pour  Civile & Litteraire. 237 Pour juger du fruit des reprefentations qu'on vient de lire, on n'a qu'a faire attention & ce qui fe trouve dans la Pétition de 1758; en ces mots. ,, Les Seigneurs Etats de Hollande & de tVeft - Frife ont payé pour la conltrudlion de vingt cinq vaiffeaux pendant le cours de l'année 1757 une fommï de ƒ 130,000 - o - o. & les Seigneurs Etats d'Ov.riffel ont fourni provifionnellement fur leur quotepart, dans cette Pétition une fomme de ƒ 25,000 -0-0. Les autres Provinces n'ont rien fait; non pas même celle <2'Utrecht, qui cependant avoit déclaré dans fon confentement pour 1757, qu'elle auroit ibin de fournir du prémier argent qu'elle auroit en main une fomme de ƒ51,774 -12-4. en acquit de fon confentement dans la conffruéHon de douze Vaiffeaux, fur quoi elle avoit fourni auparavant une fomme de ƒ 47,791 - 19 - o. Si l'on ne montre pas d l'avenir plus de zèle touchant cet objet, il n'y a point d'apparence que les vingt cinq vaiffeaux exiflent jamais en femble". ,, Pour ce qui regarde ladette réfultée des équipemens extraordinaires qui ont eu lieu durant les derniers troubles, les Colléges des Amirautés n'ont rien obtenu depuis la derniere Pétition générale, du moins qui foit venu a la connoiffance du Confeil d'Etat: de forte que les chofes en font fur le pied fuivant; favoir, que les Provinces de Gueldre & de Zélande ont fini cette affaire; que la Province de Frife continue vraifemblablement a payer è fon Collége d'Amirauté, le doublé intérét de la fomme qui conftitue le total des arrérages qui lui reviennent de cette Province; que la Province d'Over-Tjfel & celle de Groningue ont payé chacune le doublé intérêt de la dite fomme pour une feule année, cette derniere en 1753, & l'autre pendant.le cours de l'année 175Ö; que les Provinces de Hollande & d'Utrecht doivent encore tout ce qu'elles devoient fur cet article, le 34 Décembre 1750". j, Son Alteffe Royale & lc Confeil n'ont pas de motifs plus forts a allégder, quc ceux dont iis ont fait ufage, dans la derniere Pétition générale, pour engager les confédérés a concourir a 1'avancement & au minitien du bien public, tant par l'amélioration des fortifications & des magazins, que par le rétabliffement de la Marine: ils rappellent ici ces motifs, & les regardent comme articulés de nouveau". S u 1 t e  438 Correfpondance Politique, Soite du Mémoire de S. A. S. Mgr. le Prince d'Orange fi? de NafTau, Stadhouder Héréditaire &c. remis le 53 Fevrier 1783, a L. H. P. les Etats-Gênéraux. Avant de rendre compte de cette fuite du Mémoire du Prince Stadhouder, il eft peut-être k propos de juftifier les e-xtraits détaillés que nous avons donnés duïvlémoire méme; ou plutót, de relever la maniere indécente, dont un écrivain obfcur s'eft permis de traiter une pièce intéreffante fous tous les points de vue. Un M. Bernard, qui donne des lecons de Frangois & de Géographie a Leyde, s'eft mis dans 1'efprit qu'il étoit qualifié pour en donner de politique & d'Adminiftration au Chef de 1'Etat. Cette prétention ridicule lui a fait enfanter une brochure platte, remplie d'aigreur, de fauffetés, d'infolence & d'audace, dans laquelle, fous prétexte d'adreffer des avis au Prince ÜOrange, il lui dit des injures, il empoifonne les événemens publics, il tronque les faits, altère les circonftances, & préfente dans un jour odieux les principes les plus fages & les démarches les plus innocentes de S. A. II parle avec un fouverain mépris du Mémoire du Prince. II le traite nonfeulement comme une produélion pitoyable, mais encore comme un ouvrage criminel, fruit de 1'imprudence & de la témérité. Si le jugement qu'il en porte eft fondé, le nótre eft néceffairement faux: fi les obfervations de M. Bernard font judicieufes, les nótres manquent de fens commun. Enfin, fi la fatire & la malignité de cet auteur font produites par 1'amour du vrai & du bien public, la justice que nous avons rendue k 1'expofition du premier Adminiftrateur de la République, n'eft que le fruit de Terreur ou de Tadulation. Examinons qui a tort, de M. Bernard ou de nous. ,, J'ai déja eu 1'hónneur, mon Prince, dit-il, de vous „ dire quelque chofe fur cc compte rigoureux que le „ Souverain de Hollande exige que vous rendiez. Le- „ Souve-  Civile Litteraire. 239 „ Souverain de cette province vous demande des éclair„ ciflemens fur cette portion d'Adminiftration publi- que qui vous eft confiée, & que vous exercez en- vertu de vos éminentes dignités. Permettez-moi „ de revenir un moment fur ce fujet d'humiliatior." Réponfe. Permettez-moi auffi , Monfieur Bernard, de vous dire un mot fur cette démarche des Etats de la Province de Hollande, qui a fait prendre au Prince le parti de publier les détails de fa geftion comme Amiral de la République. De deux chofes l'une: ou le fénat de cette Province avoit le droit de demander ces éclairciiTemens a S. A., ou il ne 1'avait pas. Dans le premier cas, cette demande n'avait rien de dóshonorant pour 1'Amiral: un conftitué n'eft point humilié de rendre compte k fes macdataires, ni un Adminiftrateur a fes commettans. Dans le fecond cas, la conduite de l'aiTemblée eut-. été une injuftice bien plus qu'un fujet d'humiliation. „ Plutót pour décliner la demande légitime de la „ Province de Holla?ide, continue M. Bernard, que „ pour fatisfaire a fes juftes defirs, on vous a confeil- lé de donner un Mémoire jujlificatif de votre cpndui„ te depuis le moment de votre Majorité jufqu'a cejour. Le confeil ne pouvoit être plus mauvais: Et voici „ pourquoi." „ i°, Paree qu'en remettant ce Mémoire auxEtats„ Généraux, on vous a perfuadé de décliner la Sou- veraineté des Provinces en particulier & de la mé„ connoïtre: c'étoit porter atteinte k la Confédéra„ tion. Et la Province d'Hollande, qui a compris le „ but de votre Confeil, a perfifté k vouloir que ce „ compte lui fut rendu. Vous avez dü plier k fa vo„ lonté. Les Députés de cette Province ont regu „ ordre de continuer les conférences avec V. A." Réponfe. Pour décliner la demande légitime de la Province de Hollande, on vous a perfuadé de décliner la Souveraineté des Provinces en particulier, & c'eft juftement en remettant votre Mémoire aux Etats-Généraux qu'on vous a donné ce confeil. C'eft un grand avantage de donner des lecons dans une ville Académique, habitée par des patriotes: on eft habile a peu de fraix. Un trait de 1'habilité de M. Bernard, c'eft de voir une atteinte portée d la Confédération, dans la pré- féren-  240 Correfpondance Politique, férence que I'Amiral - Général a donnée au parti d'informer tous les confédérés a la fois, par la publication d'une expofition détaillée de fon Admmiftration, fur belui de fournir des inftructions partiehes & miftérieufcs, a un feul membre de 1'union. Toute autre perfonne que M. bernard auroit vu dans la conduite du Prince, la confidération pour les confédérés, & le refpeót. pour les droits de la confédération. 11 lui ont paru 'fi facrés, qu'il n'a. pas voulu les enfreindre, pour' complaire a une Province particuliere, qui s'arrogeoit les fonétions de la Géné>-alité, ca foumettant 1 Amiral de la République, a un examen que les Etats-Généraux ont feuls droit dc lui faire fubir. ■ Comme Chef de la Marine & de 1'Armée de 1'Etat, Je Prince d'Qrange ne doit & ne peut rendre compte de fa conduite & de. fes opérations dans ces départemens, qu'a L. H. P. de qui il tiént fa commiffion, de qui il efl le premier Officier; & non a 1'une ou l'autre des Provinces avec lesquelles il ne foutient fous les rapports de Cr^pitaine & d'Amiral - Général, que des rélations fubordonnées a la Généralité. Les dépenfes pour la Marine comme pour 1'Armée fe fupportent par les Provinces, felon leur cotepart: la conflruélion & 1'équipement des Vaiffeaux font arrêtés par les EtatsGénéraux : les opérations navales s'ordonnent par L. H. P. Le Prince dépofitaire du pouvoir exécutif, exécuteur des ordres de 1'Etat, qui ne peut en donner fans le concours de S. A., eft refponfable de leur exécution aux repréfentans des Provinces, réunis dans le Sénat de la Nation. La Province de Hollande ne pouvoit donc pas exiger que l'Amiral-Général de la République rendit compte exclufivement a un feul confédéré, fans le concours, & peut-être a 1'infcu des autres? Le Prince pouvoit donc, fans méconnoitre la Souveraineté de cette Province; expofer les détails de fon Adminiflration a tous les confédérés? Loin de porter attcjnte a la confédération, il en cimentoit les droits inconteftables. 11 ne s'agiffoit point de ceux de la Souveraineté d'une Province; mais des affaires publiques des Provinces-Unies. La République entiere s'y trouvoit intéreffée. .Quand M. Bernard auroit encore plus d'impudence & d'audace, il n'embrouilleroit jamais ces idees auffi claires que la lumière du jour. a Indé-  Civile & Litteraire. 24! Indépendamment des confidérations générales, qui devoient faire préférer au Prince le parti d informer pubhquement & a ia fois tous les confédérés, i! y avoic des motifs particuliers qui le portoient a fe déner des explications fecrretes, dans 1'ombre des conférences. Dans quel but avoit-on demandé ces conférences, & quel ufage fe propofoit-on de faire des lumieres qu'elles auroient.produir.es? On fait afTez que 1'animofité & 1'envie de niorciiier le Prince cn avoient fait naïtre 1'idée, bien plus que le defir d'acquérir des éclaircilTejnens propres a impofer filence a fes cenfeurs & a infpirer la "fécurité a la nation. La paffion, Pemportement qu'on mettoit alors dans les propofitions des villes aux Etats, & dans les délibérations de 1'affemblée,. annoncoient affez qu'on cherchoit a trouver le Prince coupable plutót qu'innocent. Objet direct, de ces démarches irrégulieres & peu ménagées, il devoit fuspefter la uncérité dé leurs Auteurs, & envifager leurs tentatives comme des pièges. II avoit de juftes & fortes raifons de croire que les renfeignemens les plu» Satisfaifans n'auroient point fatisfait des hommes réfolus a lui trouver des torts: II lui étoit permis de penfer que la lumiere adminiftrée dans fon Cabinet, fe feroit obfeurcie en en fortant: ie public feroit reflé dans 1'ignorance & dans le doute: peut-être eut-on méme fait fervir les épanchemens de ces confidences am'icales, k fortifier la défiance & le mécontentement. De petites altérations innocentes, des réticences volontaires, auröient changé en poifon les fpécifiques les plus falutaifes. Dans la fuppofition la plus favorable, le confédéré illuminé par des entretiens miflérieux, auroit pu être content, & les autres confédérés ignorer le contentement de leur collèguc. II y avoit dans plufieurs Provinces comme dans celle de Hollande des murmures, des plaintes fur Jes opérations de la Marine: ce n'étoit pas un moyen fuffifant d'appaifer les uns, en expofant le détail des autres en feeree, aux yeux de quelques perfonnes vifiblement difpofées k leur donner une tournure désavantageufe. ,, 20. Paree que cc Mémoire ne devoit tout aü plus commencer qu'a fépoque de la déclaration de gUer„ re entre la France & VAngleterre. C'efi a cette époque que les plaintes fur l'Adminiftration Génë-; forti. III. R }3 ralé  24i Correfpondance Politique / „ rale out commencé; il étoit trés inutile de juftifier „ une conduite antérieure a cette guerre, puifque le „ Souverain n'avoit pas chargé fes députés de vous de„ mander un compte qui remontat aux premiers temps „ de votre Adminiftration. Cette recherche n'avoit „ pas été jugée néceffaire; du moins cft-il vrai qu'elle „ n'avoit p:;s été ordonnée: votre apologie efl: donc fuperflue a cet égard." Réponfe. De quoi fe mêle M. Bernard? Le Prince étoit bien Ie maitre fans doute, de commencer fon Mémoire par oh il lui plaifoit. S. A. a eu tort de ne pas confulter fon donneurd'Avis.- Si la Province de Hollande ne demandoit pas des éclairciffemens anterieurs a la déclaration de guerre dans le temps qu'on R 4 lc  SAS Correfpondance Politique,' Ie fait occupé de la rédattion d'un Mémoire, promis trois mois auparavant, a L. H. P. fur tous les points qui ont befpin d'éclaircjffemens pour tranquillifer la défiance, & appaifer la haine. Ce Mémoire roule uniquement fur des objets d'Adminiftration II ne refpire ni la fatire, ni la révolte. Son Auteur, bien loin d'emboucher la trompette de la fédition, féplaint'de la licence effrénée des hbelles qui fappent les fondemens de 1'autorité légitime. lï porte la délicateffe jufqu'a ménager fes ennemis; que dis-je ? il s'abftient de les défigner au peuple. II préfére de né fe juftifier qu'a demi fur les articles délicats, oh fa juftification ne pouvoit fe manifefter dans tout fon jour, fans trahir le fecret de 1'Etat, & fans dénoncer a la nation les vrais auteurs des malheurs publiés. Et ua homme fans aveu; un homme iuepte; un Bernard, organe d'hommes aveugles & fanatiques, porte la méchanceté & i'audace au point de qualifier de tocfin de rébellion, une expofition fimple & fans fard, oh brille ia candeur & la modération d'une ame noble & pacifique, également ennemie du menfonge & du trouble! Ce pitoyable Ecrivain, partant de ce principe aufli faux qu'abfurde, que le Prince n'eft dans la République quele fujet des Etats, & le fimple Officier de la confédération, ou des Provinces, fuppofe, admet comme prouvé, que c'eft contre lè Souverain qu'on a esfayé d'attifer le feu de la rébellion parmi le peuple, en publiant une expofition devenue indifpenfable, tant pour fatisfaire le vceu des confédérés, que pour défabufer la nation des préventions atroces que des intrigans & des facïieux lui avoient infpirées contre fon Chef: fuppofition impertinente & odieufe. Elle eft odieufe, paree qu'elle tend a faire envifager le Prince comme un féditieux, qui feme la difcorde, a Ia faveur de la quelle il fe flatte de rénverfer 1'ordre établi, & de s'élcvcr fur les ruines de nos libertés; & fes partifans comme des traitres qui facrifient leur patrie par bafTeffc, & qui égorgeroiént leurs concitoyens pour affouvir leur ambition ou leur cupidité. Elle eft impertinente, puifqu'on nepcut foulcverle peuple contre fes fupérieurs, fans le foulever contre le Prince même, qui  Civile éi? Litteraire. 249 qui tient !e premier rang parmi les membres de la Sou. vérkineté. Mai? le ridicule Bernard ne fait pas cela. II parle du Soüveraïn fans connoitre qui le compofe, & comme fl on pouvoit féparer 1'idée de la Souveraineté de celle dü Stadhoude"-at, qui lui eft effentiel, & qui eft f ij une partie intégrante. II va méme jufqu'a pofer en fait que ie Sta'dMude'r n'a été dans toutes les démarches", dans toutes les opérations qu'il transforme en délïts contre le Souverain, pour en faire des griefs contre ie PHnce, qu'un automate, une machine, un inftrument paffif, mu par une bande de Catüina, qui le font agir a leur gré & felon icurs intéréts. C'eft, dit-il, pour parvenir a ieur but d'amener une révolte, qu'ils ont confeillé a S. A. de publier, de répandre avec profuüon, un Mémoire qui féduiroit le peuple & i'enflammeroit en fa faveur, en faifant retomber le blame des malheurs publics fur le Souverain. En lui faifant un crime de Ja publication de cêtte pièce, le géographe de Leyde lui reproche d'avoir manqué fon objet: mais fi c'eft un tort de donner au public, avec des vues criminelles, une produétionpro. lixe 6? volumineufe, confiife & embarraffée, incapable par cela feul de produire I'effet abominable dont on prête 1'intention a fon Auteur, il femble qu'on devroit plutöt le féliciter que le gronder de n'avoir pas atteint ce but affreux. Mais M. Bernard ne fe piqué pas plus; d'être conféquent qu'équitable. Le peuple, dit-il, ne tit pas ce Mémoire, paree qu'il eft trop long & qu'il ne peut fe le procurer qu'avec de 1'argent. Mais fi ces deux motifs empêchent effeétivement la multitude de s'inftruire dans 1'expofition du Prince, des véritables caufes des malheurs de 1'Etat, pourquoi donc le donneur d'Avis trouve t-il mauvais qu'on ait fait de cet ouvrage une Edition abrégée fommaire & qu'on la donne a deux fois ? Aux yeux de 'cet inconféquent barbouilleur de papier, S. A. eft blamable, pour ne pas dire ridicule, d'avoir publié une Apologie trop longue & trop chère; & felon lui, c'eft un autre grief contre la pureté de fes intentions, que le zèle de fes amis, ou la fpéculation des libraires, en aient fait une plus courte & meilleur marché. Une autre raifon qui empêche le peuple de lire le R 5 Mé-  3jfO Comfpondance Politique, Mémoire du Prince, c'eft, dit: M. Bernard, qu'on lui en a donné de longs lambeaux dans les Gazettes. Un autre homme que M. Bernard auroit vu dans ces longs lambeaux, le moyen tout naturel de mettre fous les yeux du peuple la défenfe du Prince fans le fatiguer & leruiner: on ne pouvoit 1'inflruire a moins de fraix, ni plus commodement. Le fort des Gazettes efl d'être lues rapidement, £? d'être prefque auffi-töt oubliées: Cela eft vrai. Une juftification doit être lue dans fon enfemble: foit. Mais. obfervez ici jufqu'oh va 1'impudence du griffonneur, & la mauvaife foi du parti qu'il a embraffé. Ce font précifément les Avocats, les Gazetiers de ce parti qui ont fait Finfame mutilation qu'on reproche au Prince, en inférant dans leurs chiffons périodiques, de longs lambeaux, des morceaux détachés £f découfus, des extraits infidéles & tronqués du Mémoire de S. A. (i) pour le défigurer & le rendre ridicule. Je ne fais s'il ne vaudroit pas mieux méprifer des êcrits de la trempe de celui de M. Bernard, que de les réfuter férieufement. L'indignation qu'infpire un fi odieux, un aufli dégoutant abus de 1'art d'écrire, fe communiqué malgré foi, a la plume d'un homme qui examine avec un peu de bon fens, des tiffus d'impertinences & de méchancetés pareils a YAvis refpetfueux, qui feroit bien mieux intitulé; Apoftrophe effrênée. ' D'aillcurs, le galimatias, 1'effronteïie, qui tiennent lieu de lumieres & de raifons dans des temps de troubles, & chez des gens aveuglés par Fefprit de parti, font toujours appréciés a leur jufte valeur, dans des jours plus fereins, & par les hommes fenfés. Cette audacieufe extravagance, que de plats ignorans prenncnt pour du favoir, pour du courage infpiré par 1'amour de la liberté, après avoir fait tourner quelques momens la téte a des fots, a des dupes, devient bientöt 1'objet du mépris de tout le monde. Le fanatisme, déguifé fous lc masqué du patriotifme, dont les hypocritcs empruntcnt le langage, fait commettre des fo- fi) Vovvi' to:n- f. F-g- 2Ö3- ^ ttt:e Cortejft^djtft.  Civile 6? Litteraire.. 251 folies, des méchancetés; mais il ne tardepas a cxeiter1'indignation & les regrets. Ce fera, il faut 1'eipérer, lc fort de la ridicule brachure de M. Bernard: on peut même dire que ce 1'eft déja. Les hommes paffionés qui en ont fourni les matériaux & cet inepte architeéle, & les hommes trom» pés qui ont eu la foibleffe d'applaudir a cette impudcute platitude, en rougiffent aujourd'hui. Quel autre effet que la pitié ou le dédain pourroit produire une production auffi méprifable. Son pédant & imbécille auteur, qui s'émerveille des éditions chimériques qu'on a dü faire de fon ouvrage,'ne veut pas que le Prince d'Orange infére des Editions réelles qu'on h effeétivement faites du fien, que fon Mémoire a été accueilli & gouté de la multitude. Des fanatiques ré- {)ublicains 1'onc acheté a deux fois 1'exemplaire, pour e proftituer a des ufages vils; & M. Bernard, qui connoit cette proftitution, qui s'en eft peut-être rendu 1'inftrument, pour complaire w&Mennonites dcLeyde, affure S. A. qu'on voit déja fon Abrégé chez les r.evendeufes de Beitrre de fromage , qui s'en fervent pour du papier d déchirer. Ce Mémoire que le peuple ne lit pas, on voit pour- ' tant les femmes & les enfans quitter avec empreffement leur rouet, pour en écouter Ia leébure, a la faveur d'une lampe lugubre. Ce volume prolixe, diffus embaraffé, un zèle défordonné en a extrait la quintesfence, fous le titre d'Efprit du Mémoire, & ce petit Manuel de fédition fe diflribue d la plus vile populace s paree qu'a quel prix que ce foit on veut une révolte. On voit ici le dépit impuiffant de nos équitables cenfeurs. Ne pouvant répondre a 1'expofition accablante du Prince, ils s'eftorcent de la traveftir, ou de la rendre ridicule. _ Réduits au filence par la force viélorieufe de la vérité, la rage leur fait pouffer des cris, & au lieu de raifons, il vomiflent des injures. C'eft un peu la faute du Prince, il faut en convenir. De quoi s'avifoit-il d'aller compofer un Mémoire détaillé de fon Adminiftration ? que ne laiflait-il aux dénonciatcurs du Duc, aux Régences d'Alcmaar &de Leyde, aux Etats de Frife, & cinq ou fix rédacléurs de Gazettes, k autant de faifeurs de Libelles, le foin glorieux de la dénigrer, de la diffamer, de Ia rendre fuf-  t$z Correfpondance Politique, fufpedte & odieufe a la nation, par des Propojttions patriotiqu.es; par des Réfolutions ngoureufes, par des Ecrits lumineux, par des Lettres fuppofées, par des menfonges artificieux, par tous les infames expédients dont la calomnie animée par la haine fe fert pour enfanter la difcorde, & confommer fes injuftices ? Véritablement c'eft grand dommage que 1'attachement des amis du Prince, ou fi vous voulez, 1'efpoir du gain chez les Libraires, ait eu 1'indiscrétion de multiplier les copies d'une produdlion fi choquante pour la cabale patnotique. On a eu grand tort de répandre du jour fur la fituation de notre Marine, & de mettre en évidence la fage politique, comme la pureté des intentions de fon Chef. On auroit dü laiiTer les patriotes en poiTeffion de toutes les preffes, de toutes les boutiques de librairie; & ne pas s'avifer de trpubler tous ces vrais amis de la patrie, tous ces hommés fenfïbles & dèfintérejjés, dans la jouiffance du droit exclufif qu'ils exercent de débiter impunément le menfonge éc la calomnie. „ 5°. Paree que cette pièce d'un flile triforme pa, roit plutöt être Pouvrage d'un Avocat, qui plaide ' au Barreau que celui de Votre Alteffe, qui s'expli„ que fimplement, fans fard, & avec cette dignité qui convient a votre rang & a votre naiffance." " Réponfe. Nous ignorons ce que M. Bernard entend par un ftile triforme: nous favons feulement que le Mémoire du Prince ne paroit rien moins que Pouvrage d'un Avocat, plaidant au Barreau. Ceux qui font k portée d'être initruits, favent que c'eft S. A. Elle-même qui Pa compofé. Ceux qui Pont lu conviennent tous que la diétion en eft fimple & nullement recherchée. II n'y a ni artifice ni éloqnence: on y voit beaucoup de détails minutieux, néceffaires, fans doute pour 1'éclairciffement des faits principaux, mais pas du tout de déclamation. Si le langage n'eft pas relevé, il eft noble; & fi la dignité du premier membre d'une République puifiante ne fe trouve pas dans Ie ftile, elle fe rencontre au moins dans les chofes. Le Prince n'a manqué ni a fa naiffance ni a fon rang,_ en donnant ?vec fimplicité des explications a fes concitoyens & k fes coadminiftrateurs. Mais M. Bernard a fait ferment de verbiager a fon aifc, & il tient parolc. „ 6° Par-  Civile & Litteraire. 253 % 6Q. Paree qu'en rendant cette pièce publique par 'la voiede 1'impreffion, on vous fait manquer k ce que vous vous devez a vous-même, puisque par li ' on vous confond avec le vulgaire des accufés, qui " publient toujours leurs apologies, même avant le jugement rendu contre eux. Ce Mémoire auroit dö être configné dans les Archives de la République, en attendant que le Souverain eut décidé s'il étoit fatisfaifant. Dans ce cas, le Souverain n'auroit pas " manqué de publier lui-même votre juftification. On diroit qu'on a voulu diriger fon jugement, ou qu'on „ s'en eft peu embarraffé. Dans le premier cas, c'eft „ infulter k fes lumieres & k fon intégrité; dansle fe„ fcond, c'eft bien peu refpefter fa fouveraineté." Réponfe. Premierement, les Accufés ne publient point leurs Apologies, mais leur défenfe: de quelque rang qu'ils foient, ils en ont le droit inconteftable, & ils ne dérogent pas a leur dignité d'en ufer. S'ils font traduits devant le public, & qu'ils foient dignes d'en fixer 1'attention, ils lui doivent adminiftrer des lumières pour diriger fon opnion: ils mériteroient fon mépris, s'ils dédaignoient de fe juftifier a fon tribunal, fouvent plus redoutable que celui de la juftice. Quand on eft accufé devant des juges compétens, ondoit encore fe défendre, fous peine de paffer pour; coupable des chefs portés par l'accufation. C'eft alors furtout que les juftifications font néceffaires. II faut éclairer des hommes foibles, prévenus, ignorans, a qui la loi confère le droit de prononcer fur 1'honneur, d'imprimer une tache ineffacable a la réputation, ou de rendre hommage a 1'innocence. II faut en diriger le jugement & Yintégrité, pour les préferver d'une injuftice, confacrée par les formes inftituées précifément pour la prévenir. C'eft avant leur décifion qu'il faut leur adminiftrer des lumières, qui peuvent les empêcher de commettre un crime; bien loin de porter atteinte a leur autorité en le faifant, on les outrageroic en ne le faifant pas. M. Bernard qui n'a pas le fens commun, eft fort éloigné de comprendre cela. II voudroit que le Prince fe fut laiffé bénignement comme un agneau, déchirer la laine par les chiens, ou mettre en pièces par les loups. Pour être agréable aux patriotes & a leurs aveu- gles  154 Ccfre/póndmee Politifre, gles panégyriftes, il devoit permettre que 1'ori eompromit fon honneur, qu'on déchirat fa réputation fans SÏSsSgf?.',. V n%]"! ét01t Pas même permis de fuspecter lmfaiihbiüté, & fur-tout, 1'impartialité de fes iuees qui étoient tout-a-Ia fois fes accufateurs & fes partjes' IJ devoit fe repofer fur 1'intégrité de fes advcrfaires' pour décider fi fa juftification étoit fatisfaifante fans tenter d'intéreffer les hommes neutres au fuccès 'de fa caufe. II étoit obligé d'attcndre qu'on 1'eut condamné, pour mformer le public qu'il étoit innocent Et Je tribunal qui devoit prononcer fa iéntence, étoit le Souverain; par oü M. Bernard entend lesEtats de Hollande, qui n'ont qu'une voix, comme ceux des autres provinces, dans 1'affembJée des Confédérés qui n'eft pas Seuverame , & qui a feule Je droit de décider fi 1'Amiral Général de la République a bien fervi ou non fa patrie. II faut convenir que nos falifleurs de papier débitent de fort beiles cliofes. II réfultera de leurs lumineux verbiages, des principes admirables pour fixer les droits que la conftitution affure aux différens ordres de citoyens. Dans un pays oh le dernier babitant ne peut recevoir le moindre dommage, fans conferver la faculté de recourir aux tribunaux & de fe défendre, il faudra que Je Chef de 1'Etat fe laiffe impunément infulter,' fans qu'il lui foit permis ni de s'en plaindre, ni de fe juftifier. Cela fera trés légal, d'après la jurisprudence desfolliculaires. Ils förgent pour le premier membre de la Répubiique un tribunal qu'ils homment le Souverain, dont ils font un Saint Office, un Despote, qu'il n'eft pas permis d'éclairer, & par qui il faut, conformément aux maximes de la Liberté fe laiffer égorger, fans ofer fe défendre. Guillaume M profcrit par Philippe II, publia un mémoire fameux pour repouffer les imputations atrocés dont le dépit d'un tyran le chargeoit. II 1'adreffa aux Etats-Généraux, & le fit répandre dans le public, comme Guillaume V, fon neveu, a remis le fien a L. H. P. & 1'a fait diftribuer h fes concitoyens. L'un & l'autre, quoique dans des cas différens, ont agi de même. Tous deux ont défendu leur honneur compromis , & détruit les impreflions de Ia calomnie. Remarquez au refte, que ce font les Etats-Généraux ,  Civile & Litteraire-. 2$s /aux, qui, après avoir recu le Mémoire du Stadhouder adtuel, ont ordonné qu'on en rhultipliat les copies, pour être remifes a leurs commettans, & envoyée aux Membres de la Régence, ce qui équivaut a une publication, d'après la marche des affaires, & la maniere dont elles fe traitent dans ce pays; & jugez dela , du peu de bonne foi de ceux qui ont entrepris de cenfurer toutes les aétions, même les plus innocentes Sc les plus légales du Chef de la République. 7° Paree que ce Mémoire n'étoit nullement né„ ceffaire, & j'ofe vous afTurer qu'il eft tout a fait dé„ placé, " &c. Réponfe. II étoit fi néceffaire, que c'étoit Ia feule voie qui reflit au Prince, pour inftruire tous les confédérés de fa conduite, pour éclairer 1'opinion Sc le jugement de fes concitoyens. II a tellement réufiï a Ie faire, que fes ennemis ne pouvant fe diffimuler 1'efFet falutaire que la publicité de cette expofition a produit dans 1'efprit de tous les ordres de la nation, ils s'efforcent de le détruire par des mots vagues, tels que nullement néceffaire, tout d fait déplacé; ceux qui l'ont lu ne conviennent pas tous qu'il foit fans ré~ plique. Non fans doute, ils n'en conviennent pas tous; mais ils ont leurs raifons pour n'en pas convenir. En refufant d'ouvrir les yeux a la lumiere, ils n'en reftent pas moins dans Timpuiffance de 1'étouffer. Laiffons Ia Pennuieux Bernard, Sc fes pitoyables paralogismes. Achevons de rendre compte du Mémoire de 1'Amiral - Général, moins embrouillé Sc plus véïidiqüe que la Diatribe de fon donneur d'Avis. Ce fecond Mémoire roulant, comme Ia quatrieme partie du premier dont nous avons donné 1'Extrait, page 155 & fuiv. de ce Volume, fur les opérations Navales qui ont terminé la Campagne de 1782 ; étant une espèce de Journal des ordres diótés par le chef de la marine, & des mefures prifes par les officiers pour les remplir; nous ne pouvons mieux le faire connoitre ou'en rapportantlespaffages les plus intéreffans, &enfaififfant les objets les plus importans dont il yeft rendu compte. 1°. Le premier qui fe préfente, font les efforts que 1'Amiral-Général a faits, fes mouvemens qu'il s'eft donnés, pour effeótuer la fortie de la Flotte des Etats*, & pour facilicer la rentrée des vaiffeaux des lrj.es Sc fe Con-  «j6 Correfpondance Politique t Convoi marchand de la Baltique. On fait combien l'adminiftration & le corps des officiers de la marine ont été foupgonnés, accufés même pubüquement, d'être affez peu jaioux de la gloire des armes de la République, pour éviter les occafions de les figrmier, Sc affez peu affeétioriés aux intéréts des citoyens, pour en abandonner lc commerce a la rapacité de 1'ennemi, ou du moins, pour ne pas donner aux Navires marchands une protection proporfionée Sc aux forces maritimes de 1'Etat, Sck Pimpoftance du Négoce, dans un pays qui ne fubfifte & ne fe foutient que par lui. Des murmures Sc des plaintes fe font fait entendre de toutes parts, fur 1'indifférence a i'un de ces égards, Sc fur la négligence a 1'autré. Les feuilles publiques en ont retenti: des négocians Sc des Régens en ont exhalées. Le Prince, principal objet de ces clameurs indifcretes Sc peu ménagées, en montre l'injufhce. Ii fait voir que 1'attention la plus foutenue, la follicitude la plus vive, les précautions les plus fages, fuggérées par le zèle le plus ardent pour 1'honneur de la patrie, & le fuccès du commerce de fes enfans, ont dirigé toutes fes mefures & celles des hommes a qui il commande, comme de ceux avec lesquels il partage Pautorité Suprème. II faut entendre S. A. elle-même eü rendre compte. ,, Dans le Mémoire, que nous eumes 1'honneur de 3, préfenter le 7 Octobre dernier a Vos Hautes Puiffanfl, ces, accompagné de notre Lettre de la veille, 1'or9, dre des tems conduifit le récit que nous leur fimes de nos opérations rélatives a la Marine de 1'Etat, jusqu'a Pépoque, oh la plus grande partie de 1'Esca3, dre Hollandoife, manquant d'eau & d'autres chofes 5, néceffaires, fe vit obligée deregagner les Ports de la République. Les tempêtes, qui s'élevercnt alors, „ lui firent courir bien des dangers, & ce ne fut pas fans peine ni fans dommages, qu'elle fe retira enfin k la rade du Texel. La elle fut retenue, d'abord i, par les réparations, _ dont la plupart des Vaiffeaux >} avoient, plusou moins, befoin; enfuite par 1'appa„ rition d'une Escadre ennem'e, qui fe mon tra dans Ia mer du Nord, avant que celle des Etats fut entie„ remeht ravitaillée. „ Ceperi-  . Civile rjf Litteraire. fof s) Cependant on n'avoit alors que de trop juftes ap„ préhenfions fur le fort du Convoi, attendu de la „ Baltique &.de Drontheim, & qui étoit de la plfas grande importance. ,, Nos premiers foins fe porterent auffi fur cet objee. Nous envoyames , tant par terre que par met, ,, des Exprès aux Officiers, qui cömmandóient le» détachemens deftinés a protéger les deux Convois, „ pour les prévenir du danger qui !e? ménagoit, & „ leur ordonner de refter a 1'ancre, ou de courir au ,, port neutre le plus voifin, ct de s'y mettre k rabïi,, du péril. „ Ces précautioni rëuffirent parfaitement au gré de „ nos défirs. Les Expres rencontrerent les Vaiffeaux ,, de 1'Etat, & rémirent nos Inftruftions aux Officiers ,, Commandans. Ceux-ci les exécuterent ponéL.'le„ ment; ils conduifireflt leurs Navires en fureté, Sc ,, rencrèrent dans la faite dans nos Ports, comrc-. no fs „ le diróns plu? en détail en fon lieu: Le natré dé nos ,, opérations ultérieures, par rapport a cette Divi- fion, fe trouve tellement lié avec celui des ordres, „ qtie les circonilanccs nous appellercnt a donner dé,, puis au gi os de la Flotte , que loin de féparer ces „ deux objets, il fera plus convenable de les traicer „ enfemble, ce qui fauvera des répétitions ioü„ tiles. „ Nous étions perfuadés , qu'il ne fuffifoit pas de „ fonger aux moyens de prévenir la prife & la perte „ des deux Convois, mais qu'il s'agiffoit encore de „ les fai/e rent:cr furernent. ,, En conféquencc, le tems ; auquel on nous avdit „ fait efpércï, que plulicurs yaiiTeaux feroient équi„ pés, fut a peine expiré, que nous ordonnames au „ Vice Amiral Hartfink, de nous indiquer prompte,, ment 1'époque précife, oii ces Navires, ainfi qué „ quelques autres , pourroient fortir, fi le tems ld „ permettoit, & de nous informer cn même tems, s'il „ feroit poffible, d'envoyer un Détachement pourren-i „ forcer 1'Efcadre , qiii efcortoit les Vaiffeaux dc ,, Dronthey-n. „ Nous lui fimes confidérer & aux autres OfficierS-' „ Généraux, qu'il feroit peut-être avantageux de. fui,, vre i'un ou l'autre de ces deux projets: ou d'allc'r Tom. III. S ■■ che^-  258 Cerrefpondanee Politique, „ chercher , avec un Détacherriettt de la flotte a fes ordres, le Vaiffeau le Zierikzée, & faFrégate la Bril„ le, qui étoient entiêrement équipées, & de fauver „ enfuite 1'important Convoi de Drontheim; ou, lors„ que ce Convoi feroit entré au Texel, de faire efcdrj, ter jusqu'en Zélande, par une partie de la Flotte, 3, le Vaiffeau le Sud-Beveland, & le Navire le Vieux 3, Haarlem, de la Compagnie des Ihdes, de ramener alors de cette Pro"ince le Zierikzée, & de la Meu3, fe 3 la Frégate la Brille. ,, Le Vice Amiral nous répondit dès Ie Iendemain j, ( 2 Septembre) qu'il avoit conféré fur notre Lettre „ avec M.M.de Byland, van Itinsbergen, van Br aam, & van Hoey; mais que tous unanimement jugéoient t, comme lui, qu'il feroit imprudent de divifer le peu de Forces qu'on avoit, & d'envoyer un Öétache„ ment , qui d'ailleurs ne pourroit rénfter a celui*qu'il „ devoit combattre: ce qui ne feroit qu'affoiblir les dix Vaiffeaux , qui devoient étre prêts vers la fin de cette femaine lk. Le parti propofé leur fembloit „ d'autant plus dangereux, qu'on ignoroit 1'endroit, „, oü fe trouvoient les Vaiffeaux de Drontheim ; aux„ quels nous avions d'ailleurs dépêché des Exprès pour 9, les avertir de ce qui fe paffoit. ,, En conféquence, ces Officiers croyoient qu'il fe„ roit plus convenable d'attendre, pour détacher des „ Vaiffeaux vers la Zélande & la Meufe, la fortie de 0i toute la Flotte, fi alors les circonftances lc permettoient; ils étoient d'autant mieux affermis dans cet* 3) te opinion, que les informatiorts du Vice Amiral „ portoienc, que le Vaiffeau le Zierikzée ne feroit p'rêt 9, que dans trois femaines. „ Néanmoins il comptoit faire fortir le Iendemain „ les Frégates le Jafon & le Dauphin, Sc le Cutter la „ Sirene, tant pour mettre les Cótes du Texel k 1'abri „ des infultes de petits Navires ennemis, que pour fe „ procurer des informations fur les deffeins des Anglois. „ A la réception de cette réponfe, nous réiterlmes le 3 Septembre au Vice Amiral 1'ordre donné, après „ la conference tenue le ïi Aoüt, k bord de VAmiral „ GHéral, de faire fortir direétement & auffi-tót qu'ilï feroient équipés, les Vaiffeaux qui devoient COmf, pofer 1'Ëfcadre d'Obfervation, & d'affurer ainfi la  Civile & Litteraire, 239 „ rentrée des Vaiffeaux des Indes: mais comme d'a* prés nos informations, la Flotte Angloife demeuroifc „ dans fes Ports, 1'Efcadre ne devoit point s'ëloïgner „ des cöces, mais refter en croifière a la hauteur de la „ rade, pour couvrir ainfi le retour des Vaiffeaux de „ laCompagnie.il devoit tacher de couvrir le Convoi de Drontheim, de ramener les Vaiifeaüx de la Bal„, tique, & d'intercepter les Convois Anglois, eü un ü mot> mettre tout en ceuvre pour nuire a 1'enneffli, en prenant toutes les précautions convenables, pour „ ne pas fe laiffer affaillir par des Forces fupérieures. Selon le rapport du Vice Amiral Hartfink, du 4 „ Séptembre, on fignala le même jour de Kykduin „ treize Vaiffeaux ennemis; on en découvrit ehfuite „ feize, dont la diftance empêchoitde reconnoïtre 1« rang, outre trois petits Batimens. Les Capitaineé Vaillant, Story, & le Lieutenant Haringman alle„ rent les obferver de plus prés; & le premier rap,, porta, que cette Efcadre étoit compofée de deux „ Vaiffeaux a trois pónts, de treize è deux ponts, par« „ mi lesquels il en avoit indiftinótement vu neuf ou dis „ de foixante-dix canons, trois Frégates & deux Cut» „ ters. A cette nouvelle, le Vice Amiral Hartfink as» fembla les Officiers Généraux & les Capitaines des „ Vaiffeaux, qui mouilloient au TeXel, pour deman„ der leur avis dans cette occurrence. Ils répondirent tous unenimement, que les Forces j, qu'on avoit en cet endroit, n'étoient rien moins que ,» fuffifantes pour aller attaquer les Anglois: qu'il falj, loit fe borner par conféquent a mettre les Vaiffeaux „ de 1'Etat dans la pofition la plus avantageufe pour „ repouffer.rennerai, au cas qu'il ófat tenter une en->, treprife cqntre la rade. Dans ces conjoncïures, il nous parut qu'il étoit néceffaire, non feulement de donner avis au Vice 3, Amiral Pichot, de 1'apparition d'une Efcadre enne, ,3 mie auffi formidable, afin qu'il fe tint fur fes gar„ des; mais encore de confulter les Vice-Amiraux „ Reynft & Zoutman;, & avec MM. Bisdom & vander : „ Hoop fur les ordres qu'il falloit donner au Vice„ Amiral Hartfink, &.au Contre-Amiral Dedel. D'aprto „ leur avis, nous écrivimes lety. Séptembre a ce der3} nier, wd'affrêter, [s'il le pcmoit, trois ou quatre 8 2 „ B*f*  2"° Correfpondance Politique, a Barques de pêcheurs, de placer fur chacune unfl K 11 perfonne de confiance, & de les envoyer en croifière j» j» vers 1'endroit oü l'on fuppofoit devoir rcncontrer le r> •> Convoi de Drontheim, au cas qu'il eut mis a la voi f », lc; Elles devoient informer le Commandant du Con- t j, voi de 1'apparition de 1'ennemi dans la mer du Nord c & fur nos Cótes, afin qu'il fauvat de fon mieux les £ >» Vaiffeaux qu'il efcortoit, en fe retirant avec eux • £ „ dans un port neutre. ti , Nous répondimes au Vice-Amiral Hartfink, qu'il t »> nous fembioit, qu'il feroit imprudent, vu 1'infério- & », rité des Vaiffeaux au Texel, de les risquer contre ïj des Forces ennemics infiniment fupérieures, ce qui d ■> pourroit entrainer la perte totale & irréparable de la \ ü République; & quc nous approuvions pleinement les I j> arrangemens qu'il avoit pris provifionnellement pour p la fureté de la rade, ainfi que 1'avis donné par lui au n st Contre Amiral Dedel de 1'approche de 1'ennemi. ti ,, Nous lui ordonnames encore de faire obferver & ft „ fuivre continuellement 1'ennemi, de la fa^on qu'il i „ jugeroit la plus fure, afin d'être toujours informé \ v des forces qu'il avoit dans la mer du Nord & du lieu ©ü il fe tenoit. Le Vice Amiral en devoit inflruire, m de tems en tems, 1'Offlcier qui commandoit dans le t „ Vlie. Aufli-tót que les Forces de 1'ennemi feroient i affez diminuées, pour que leur nombre n'excédat c „ plus celui des Vaiffeaux qu'on pourroit lui oppofer, fi il devoit fortir a l'inflant, prendre, détruire ou re- | st pouffer cc chaffer les Bdtimens Anglois qu'il rencon- I j, treroit, en obfervant foigneufement de ne pas fe h laiffer attirer par artifice en pleine mer, pour fe voir t », coupar enfuite, par des forces fupérieure&, la re», traite vers les Ports de la République. II devoit prendre foin, que les Vaiffeaux fous fes ordres euffent toujours les provifions néceffaires de „ yivres cc d'eau, póur être en état d'aller fans délai ,, a la rencontre des Convois de Drontheim éc de la Baltique; aufli-tót qu'on auroit des nouvelles fures de la retraite des Escadres ennemies de la mer da s, Nord, & du départ de la grande Flotte Angloife 3i pour Gibraltar. 2°. Parmi les obftacles nombreux qu'un concours Jöconcevable de circonftances contrariantes oppofoit a l'exe*  Civït £? Litteraire. 2 6*1 1'exécution des plans arrêtés, le plus incroyable de tous, c'eft le défaut prefque complet d'Avijo ou de petits batimens pour en faire les fonftions. La poftérité aura peine k croire que la Marine d'une puiffante République, qui a voulu forcement la guerre, ou du moins qui s'y eft vue entrainer par une fuite étonnante de manoeuvres fecretes, fe trouva après deux années d'hoftilités, dans une décadence affez profonde, non feulement pour n'ofer braver un ennemi affailli ou di>r trait par quatre autres puiffances dans les quatre parties du monde, mais même pour obferver fa marche & pénétrer fes deffeins. - Et il ne faut pas s'imaginer que la Marine guerriere de 1'Etat put fuppléer a cette indigence d'iuftrumens propres a furveiller les Efcadres ennemies, par ceux de la marine marchande des Citoyens. Non. Dans ua pays peuplé de vaifTeaux, dont toutes les rades fonc remplies, & toutes les eaux couvertes, 1'adminiftration n'a pu trouver une barque pour la confacrer au fervice du public. On fe rappelle que les navires des Indes, partis de Rotterdam au moment de la déclaration dc guerre, tomberent avec leur efcorte, au pouvoir des Ariglois, parceque 1'Amirauté de Ia Meufe ne put trouver fur cette rivière un patron qui voulut fe charger de leur porter 1'avis de la rupture. Ils demandoient tous un prix fou, non pas pour remplir cette commiffion, mais pour 1'entreprendre. Peu s'en eft fallu que ce même patriotifme, qui s'évalue au poids de 1'or, n'ait preparé le même fort aux navires réfugiés k Drontheim & au Convoi de la Raltique. Sans un bonheur fpécial & la vigilance du Prince, ils feroient torn-, bés dans les filets des Anglois. Ecoutons S. A. ,, Dans une lettre que le Vice Amiral Hartfink nou» „ écrivit le 4 Sep., dit S. A. il nous témoigna qu'il ,, lui feroit vraifemblablement impoffible d'obéir aux: „ ordres que nous lui avions donnés, d'aifréter quel„ ques Barques de Pécheurs, attendu que pendant „ tout 1'Eté, il s'étoit donné inutilement, ainfi que ,, le Contre Amiral van Kinsbergen , beaucoup de „ mouvemens a ce fujet, ayant offert fans fuccès des „ récompenfes confidérables. Le Contre Amiral De,, del s'étoit auffi expliqué de ia même manière; aprèe avoir eiTuyé bien des refus, il atoit eruaa engagé s 3 » «  l6i Correfpondance Politique, s, un feul Bdtiment pour le voyage de Drontheim, en„ core raffrêtement montoit a un prix exhorbitant... Quel patriotisme! & ce font ceux Iè même qui refufent de feconder les opérations du Gouvernement; qui ne veulent rendre de fervices a 1'Etat & au public qu'a prix d'argent; qui en demande d'autant plus qu'il leur feroit glorieux d'en exiger moins; qui apprécient leur intervention, non d'après foq utilité, mais fur les befoins de la patrie, & fondent ieur fortune fur fes détreffes; cefont ces gens la, qui erieroient Ies plus fort a la négligence, a la trahifon, fi le dénument de 1'adminiftration la mettoitdans 1'impuiffancede leur épargner le moindre dommage. II femble que dans un Etat bien conflitué, 1'autprité fuprême devroit avoir Ie droit d'employer pour la fureté commune & la défenfe publique, tous les inftrumens qui s'olfrent fous fa main, fans autre reftriétion que celle de ne caufer aucune injuftice indivjduelle, fous prétexte du bien général; fans autre régie que de payer aux particuliers les fervices équitablement arbitrés qu'ejle les forceroit de rendre a la patrie, en réfervant lés récompenfes honorables pqur le dévouement, 3°. Non content d'ordonner de fon Cabinet les opérations & les mefures que le fervice public requéroit le Prince ferendit de nouveau fur les lieux, pour les concerter avec les Officiers deflinés a les remplir. „ Npus partimes de la Haye, dit S. A. le 8 Sept. „ & le Iendemain nous convoquames un Confeil de* „ Guerre , compofé des Vice Amiraux Hartfink „ Reynfl, & Comte de Byland; des Contre Amiraux „ -van Braam, van Kinsbergen & van Hoey; des Capi„ taines van Braam, Stavorinus, E. C. Staring „ Dekker, van Pelt, F. R. C. Comte de Rechteren „ van Overmeer, Comte de Weideren, A. H. C. Sta' „ ring, '* Hooft, Meur er, Aberfon & Bofch; 'affifté „ du Confeiller cc Avocat Fiscal van der Hoop. „ Après la Ieéture des Rapports rendus par les Vais,, feaux croifeurs, nous demandames I'avis de tous les „ Membres du Confeil fur cette queftion; fi 1'Efca,, dre des Etats pouvoit ou non fortir, pour couvrir „ le Convoi qu'on attendoit de Drontheim, & quelles „ devroient être alors fes opérations ? „ Tou*  Ch>Ue Litteraire, «03 Tous répondirent unanimement, qu'ils ne pouvoient pas vöter en confcience pour Ja fortie des „ Vaiffeaux ou d'une partie d'entre eux; leurs raifon* font conilgnées dans les Notules de ce Confejl Après quoi nous témoignames, combien ilnoua feroit agréable de nous voir indiquer par Jj'un des Membres du Confeil quelque autre moyen, foit do protéger plus efficacement le Convoi de Drontheim; „ foit de caufer du dommage è 1'ennemi. Mais, tous ,, nous déclarerent qu'a leur grand regret, ils vayojenc ,, la Patrie réduite, par la fupériorite de 1'ennemi, k ,, une telle extrémité, qu'ils ne pouvoient ouvrir au,, cun avis capable de répondre aux fins qu'on fe pro-< „ pofoit. ,, Enfuite nous ordonnümes dans les termes les plu*, ,, exprès aux Officiers qui commandoient 1'Efcadre, ,, de pourvoir leurs Vaiffeaux d'eau Sc de vivres, de „ facon a fe voir en état de fortir au premier ordre, „ complettement équipés de toutes chofes. ,, Nous propofames enfin un moyen, qui paroiflbit propre a hater plus promptement la fortie des Vais„ feaux deflinés a croifer dans la mer du Nord: c'étoit ,, de leur fournir des Soldats tirés des Troupes de ter,, re, Sc qui pourroient, durant cette expédition, être „ employés comme un Détachement fous les ordres „ de leurs Officiers. „ De retour h la Haye, nous communiquames les „ Notules du Confeil de Guerre au Vice Amiral Zout„ man. II nous. répondit le même jour, que, pour les raifons alleguees, il jugeoit qu'on n'avoit pu „ s'arrêter a un autre parti qu'a celui qu'on avoit „ pris, de furfeoir proyifionellement la fortie de l'Ef> cadre. „ Non contents encore de tout cela, nous nous cru„ mes obligés de faire rapport au Commité fecret de LL. HH. PP. de nos opérations, depuis le retour s, de 1'Efcadre au Texel, des ordres que nous avions „ donnés fucceflivement, des Lettres Sc des Rapports „ que nous avoient adreffés les Commandans Sc autres „ Officiers de 1'Etat,des avis que l'on avoit donnés Sc „• des Réfolutions formées dans les Gonfeils de Guer,, re.: nous demandames en mêm» tems. d'être inffruits S 4 u des  264 Correfpondance Politique, „ des intentions de Lil. HH. ??., -Sc fi Elles défiroient „ de faire fortir la Flotte ou bien de la laiÖer encore ,, au Texel? „ Elles approuverent nos opérations & les ordres „ que nous avions donnés; Elles prirént, touchant le ,i dernier point, une Réfolution Commifforiaie avec les Députés dés Amirautés; ceux-ci Fiïrerit en con„ féquence convoqués fans délai. 4" Les foins du Prince pour veiller a Ia confervation des navires marchands & des vaiflëaux de la compagnie des Indes-Orientales ne furent pas fans fruit. „ Nous „ eumes, dit-il, la fatisfaétion d'apprendre 1'heureux »>' fuccès de nos efforts i pour avertir les Vaiffeaux de „ Drontheim: LeCapitaine van Gennep, qui comman„ doit le Convoi, informé dc I'apparitiön d'une Esca3t dre Angloije dans la mer du Nord, & avant recu „ nos ordres pour gagner quelque Port neutre, diri„ gea fa route, de concert avec les Commandans des Vaiffeaux qu'il avoit k fes ordres, vers Bereen en „ Norvège. 11 mouilla 1'ancre, Ie 15, avec les Vais- feauxle Tromp, le Prince Héréditaire, le Sud-Be^e- land, la Thétis, & lc Cutter YAigle, ainfi quavec „ les trois Vaiffeaux des Indes, a la rade dc Hooge„ waard, k 15 lieues du port de Bergen , qu'il n'avoit pu atteindre. a caufe d'un Vent de Nord qui s'étoit „ élevé. De-la, il nous écrivif qu'étant informé des „ préparatifs que les Vaiffeaux de 1'Etat ftifoient pour „ fortir. il avoit affemblé un Confeil de Guerre, oh 3, l'on réfolut de refter a la rade de Hoogewaard*jas„ qu'après 1'équinoxe, ou tout au plus tard jusqu'a la „ fin de Septembre, & qu'alors il feroit route jusqu'a „ Bergen, en traverfant le Leith. 50. Suit le détail des difpofitions faites pour faire agir la flotte de 1'Etat, d'une maniere glorieufe &utile , Avant que nous euflions recu Ia réponfe de Mr' „ Hartfink k notre Lettre du 13; on reent ici des „ nouvelles d Angleterre, en date du 10 Septembre , que, le 5 du même mois, dix-fept Vaiflëaux dè „ guerre avoient dépaffé Goodwinfant eri por tant a 1'Oueft; que 1'Amiral Mïlbank. étoit arrivé a Ports- mouth, le 7, avèc toute fa Flotte, & que tous ces' ,, Vaiffeaux partiroient le 8 pour Gibraltar. En con^ féquence, nous crumes pouvoir fans risque ordon- » ner  Civile Litteraire. 26g, s, ner le 15 au Vice Amiral Hartfink, de faifir le pre- ' mier bon vent, pour lort;r avec tous les Vaiffeaux jj m. LuuLi-o i-iugaiw 4u1 iciuiuit uicti-s; uc taciier „ d'mtercepter le Convoi Anglois qui venoit de la BaW tique: De faire au refte ce qui feroi." poffible poür„ nuire a l'Ennemi, pour protéger le Commerce, & ,, ±s upi" >-<-j uiuiw, Yii.c ^uuiai i±urijmn nt, „ dès le Iendemain, le fignal pour fe préparer a for- tir: mais, felon 1'avis des Pilötes Cotiers, le vent „ n'étoit pas affez fort pour mettre a la voile: Le „ foir du même jour, il devint abfolument contraire, „ & les Pilótes eftimerent qu'il pourroit 1'étre trés' „ longtems. En confëquence, le Vice Amiral déli,, béra avec le Concre Amiral van Kinsbergen, fur ce „ qui reftolt a. faire pour affurer le. retour des deux „ Convois de Drontheim & de la Baltique, & pour „ leur fauver un hyvernage dans les rades du Nord. „ Le Contre Amiral propofa de former une petite Ef,, cadre des Vaiffeaux de 50 Canons ( qui pouvoient mettre au large en louvoyant) & des Frégates équi„ pées; de la faire fortir a la première occafion pour „ couvrir les deux Convois. Attendu quc ïes Anglois „ n'avoient alors que peu ou point de Forces dans la „ mer du Nord; le Contre Amiral offrit même de fe cliarger du commandement de cette petite Efcadre. „ Le Vice Amiral trouva que ce projet répondoit k toutes les fins, qu'on pouvoit fe propofer dans les „ conjeclures préfentes pour le fervice de 1'Etat, & „ furtout pour le bien du Commerce; auffi ne balan„ ca-t-il pas a nous le cornmuniquer. „ En effet, dans la fuppofition même que cette pe„ tite Efcadre reeut un échec, on fent que ce revers „ n'auroit pas réjailli effentiellement fur le gros de ,, 1'armée Navale, & les Convois euffent pourtant „ confervé Ia même Efcorte. D'ailleurs, pour trom„ per l'Ennemi, il étoit facile de répandre le bruit „ que la grande Flotte avoit mis è la voile, tandis' ,, qu'on auroit fait prendre les devants aux meilleurs „ Voiliers, pour prévenir les Vaiffeaux de Bergen & „ è'Elfeneur de Ia fortie de TEfcadre, en cachant le „ nombre des Vaiffeaux qui la compoferoient. „ Mr. Hartfink étoit encore convenu avec le Cons 5 „ tre  %€6 Correfpondance Politique, tre Amiral, que vü Ja faifon avancée, qui ne fouffroit aucun délai, ce dernier mettroit a Ja voile k t) Ia première occafion favorable, k moins qu'il ne „ recüt préalablement un contre ordre de notre part Le Vjce Amiral infiftoit d'aucant plus fur lapromp* „ te fortie de 1'Efcadre, que d'après le témoi°nage unanime de tous les Pilótes - Cotiers qu'il avoiifcon» fulté, il eft trés dangereux, & même impardonnable de croifer dans la mer du Nord, avec de gros Vais„ feaux, plus longtems que jusques a la mi-Oétobre. „ D'ailleurs il eft extrêmement difflcile de conduire „ les grands Vaiffeaux de 1'Etat dans le Havre, il faut „ trois vents différents pour 1'exécution de cette ma„ nceuvre. Conféquemment on ne devoit pas diiférer „ trop longtems a désarmer les Vaiffeaux, pour ne s, pas les expofer a d'éminents dangers. Comme nous espérians d'apprendre bientót la nou„ veile de la fortie de la Flotte, en conféquence de nos ordres du 15, & de la réponfe de M. Hartfink „ du 16,nous différames jusqu'au 18 a rendre compte dans le Comitté fecret de LL. HH. PP. de ce qui s'étoit paflB depuis le 12 jufqu'a ce jour-Ia, ainfi „ que de la nouvelle du Capitaine van Gennep. LL, „ HH. PP. approuverent les ordres que nous avions „ donnés le 15, & prirent, k 1'égard des deux Let„ tres du Vice Amiral Hartfink du 15 & du 16 , une „ Réfolution Commifforiale avec les Députés des diifé„ rentes Amirautés. „ MM. Hartfink & van Kinsbergen ne renoncoient „ cependant pas a leur projet de détacher une petite Efcadre fous les ordres de ce dernier, malgré les „ accidens arrivés aux Frégates le Dauphin &; la Bril- ■ „ le. Nous confultames fur cette propofition MM. „ les Fiscaux Bisdom & van der Hoop, & les Vice A„ miraux Reynjt & Zoutman; ceux-ci jugerent que „ nous devions approuver pleinement le plan concer„ té entre MM. Hartfink & van Kinsbergen, &; ap-" plaudir è la propofition que ce dernier avoit fai„ te de fon propre mouvement, de commander la pe„ tite Efcadre. Qu'il falloit entièrement abandonner „ a 1'habileté, aux bonnes intentions &, k Ia bravoure „ du Contre Amiral, lechoixdes mefures qui lui paroiM troient néceifaires pour remplir toutes les vues qu'on » ft  Civile & Litteraire. %Sf „ fe propofoit, attendu que la fituation des affaire» Jf changeoit a chaque inftant. „ Qu'il paroiffoit d'ailleurs plus convenable pour le. 3, préfenc, d'affurer préalablement la rentrée du Con„ voi de Drontheim, avant que de détacher quelques. Vaiffeaux de cette petite Efcadre vers la Baltique, „ en confidération de la force du Convoi Anglois dan». „ cette.mer , lequel d'après le Rapport du Capitaine van der Beets confiftoit en plus de ijo Navires. Marchands, 5 Frégates du Roi, deux Cutters, & ,, quelques Bitimens armés. Ils eftimerent encore,, 3, qu'on pourroit expédier par terre un Couner a Ber„ gen pour cornmuniquer a 1'Officier commandant, le „ départ de la' Flotte Angloife, le deffein qu'on avoit „ formé de détacher une Efcadre, & pour lui ordon„ ner de revenir au plutót: qu'on informeroit enfin le „ Vice Amiral Hartfink, que 1'Amiral Howe, avoit ,, mis le 11 en mer avec 35 Vaiffeaux de ligne, &. „ fait voile vers Gibraltar. „ Nous fuivimes cet avis dans les Inftrucr,ions que „ nous expédiames le 19 Septembre au Vice Amiral. 6°. Dans des temps de troubles & d'animofité, il eft bien difficile aux hommes les plus honnêtes d'échapper au foup$on que 1'efprit de parti fe plait a répandse fur tous ceux qui n'adoptent pas aveuglement fes vues. Perfonne n'a eté exempt chez-nous, des infinuations dé la haine. M. Hartfink, a qui. les forces navales de la République étoient confiées, s'eft trouvé compromis comme bien d'autres. Les papiers publics ne l'ont point épargné. Voici comment le Prince rapporte la circonftance qui a fervi de prétexte, plutót que de fondement a la bile cauftique de nos frondeurs. „ Nous avons dit plus haut, que LL. HH. PP. avoient nommé une Commiffion pour délibérer fur les Lettres du Vice-Amiral Hartfink en date du ij & du „ iö Septembre: Lettres produites par nous-mêmes „ dans le Committé fecret des Etats Généraux, lors da notre Propofition du 18 de ce mois. Les Ouver„ tures que nous donn&mes depuis touchant les ordres „ ultérieurs que nous avions expédiés, firent ceffer 1'ob,, jet de cette Commiffion, comme LL. HH. PP. le „ déclarerent par une Réfolution du 20 fuivant. „ Cependaat Elles exigerent du Vice Amiral unRap. t» POK  £68 Correjpondanee Politique, "* „ port des mefures qu'il avoit employées, pour fe mettre, d'après nos ordres, au fait des forces & t, des mouvemens de l'Ennemi fur les Cótes de ce „ Pays, ainfi que des obftacles qui 1'avoient empêché „ d'apprendre le départ de la Flotte Angloife, même M longtems après qu'elle eut fait voile a 1'Oueft. ,. Pour fatisfaire aux ordres de LL. HH. PP., le ■<. Vice Amiral répondit le 22. Qu'auffi-tót après qu'on eut Cgnalé a Kykduitt l% treize Vaiffeaux ennemis, il avoit envoyé vers cette hauteur le Capitaine A. H. C. Staring avec 1'un de fes Pilótes, afin d'apprendre quelque chofe de plus „ détaillé fur cette Efcadre ennemie. Que ce Capi„ taine lui avoit rapporté le même foir, que la Flotte fignalée confiftoit en feize gros Vaiffeaux, & trois petits Batimens. ,, L'après midi de ce jour il avoit détaché le Capïtaine saillant, commandant la Frégate le Dauphin, avec la Frégate le Jajon, & le Cutter la Sirène, commandés par le Capitaine Story, & le Lieutenant ,, Haringman pour croifer fur les cótes, en leur or„ donnant de venir mouiller au pertuis du Texel, pour mettre en mer le Iendemain matin, fi les circonitan„ ces le permettoient; afin d'aller reconnoitre 1'Esca„ dre ennemie d'aufli prés qu'il leur feroit poflible. ,, Le Capitaine VaiUant obferva la Flotte a la di* „ ftance d'une lieue, & è une demi lieue hors de Ia „ dernière balife; un gros Vaiffeau a trois ponts lui 3> donna lachafle, & Ie fit rentrer. Cet Officier rapporta les détails les plus complets fur la force de la. „ Flotte ennemie. ,, Le Vice Amiral, perfuadé qu'en bonne Taélique navale, il ne pouvoit recevoir d'informations cer„ t-aines fur 1'Escadre fignalée, que par de bons voi„ liers tels que les Frégates cc le Cutter, renvoyade „ nouveau en mer le Capitaine VaiUant, en lui or„ donnant d'employer tous les moyens poflibles de „ reconnoitre & d'obferver l'Ennemi. Celui-ci de,, meura en croifière depuis le 5 jusqu'au 16. Mais „ pendant tout ce tems, ii nc fit parvenir au Vice ,, Amiral d'autres nouvelles que de lui marquer, que ,» le 5-on avoit vu la Flotte devant le Wyk ; & Mr, „ Hartfink avoit conclu tant par les Rapports du Ca- „ pitaiï*  ' Civile & Littiraite. t6$ l pitaine Story, que par ceux de quelques Patron* *' Marchands entrés au Texel, que l'Ennemi étoit re*' monté au Nord. II avoit encore envoyé journellement des PilötesCótiers en croifière, avec ordre de mettre tout en ceuvre pour recevoir des informations fur les manoeu" vres de l'Ennemi. Mais malgré toutes ces mefures " il n'avoit pu apprendre plutót le départ de la Flotte " vers 1'Oueft, que par la nouvelle que nous lui en „ donnames. ; . „ Dans une Réfolution du 24, LL. HH. PP. nommerent une nouvelle Commiffion, compoféeentr'aua, tres des Amirautés refpectives, pour examiner ce is le 30, Elles trouverent bon de le mettre de cóté; en confidération, de ce que par certaines informations qu'Eiles recurent, il étoit évident que „ le Vice Amiral avoit fait beaucoup plus, qu'il ne „ paroiffoit par fon Mémoire, pour fe mettre au fait,, „ d'après nos ordres, des forces & des manceuvrer „ de 1'Efcadre ennemie; mais qu'on avoit manqué de „ Batimens légers, & que d'ailleurs le Vice Amiral „ avoit été luirmême abufé par des nouvelles de mer, qui fe trouverent fauffes dans la fuite. 7* L'article le plus intéreffant de cette fuite du Mémoire , eft celui qui concerne 1'expédition demandée» ordonnée Sc'manquée d'une escadre de la République pour Breji. Cette affaire a fait bien du bruit, & après dix mois, elle n'eft pas encore finie. On peut envifager cette propofition, d'un genre extraordinaire , comme 1'épine la plus aigue qu'on ait enfoncée durant cette guerre dans le pied des Frovinces-Unies, comme la plus dure épreuve 011 leur dé*ouement & leur politique aient été expofés. Elle a été auffi une fource tl'amertume pour le Stadhouder, & d'outrages pour les officiers de la marine. Peu de perfonnes cependant, même parmi celles qui fe font le plus déchainées contre les adminiftratenrs, avoient une jufte idéé des motifs qui devoient, fi non leur mériter des éloges, au moins juftifier leur conduite. II feroit difficile de fe former ailleurs que dans 1'expofition de 1'Amiral Général, une notion exacte de cet objet qui a excité tant  *7<* Correfpondance 'Politique, tant de clameurs, & fervi de prétexte a des démarches fi étonnantes. , Sans nous permettre les réflexion quKi préfence, nóus nous bornerons k rapporter le récit qu'en fait S. A. & la ledture ne manquera pas de les fuggérer a tout homme judicieux. „ 7U Mais la demande qui nous fut faite par Mr. de ,t la Vauguyon, au nom du Roi fon Maitre, caufis „ quelque altératidn k ce projet. II s'agifioit de déta„ cher d'abord dix Vaiflëaux de 1'Etat, pour aller fe ,, joindre k Br eft aux Vaiffeaux de Sa Majefté. La. ,, fi tel étoit le bon plaifir de LL. HH. PP., on pourroit concourir aux. mefüres les plus efficaces pour 3, protéger les Etabliffemens de la République ea s, particulier ceux qu'elle pofféde eri AJie: ou bien on 53 iroit, de concert avec les Vaiffeaux que Sa Majefté „ Trés Chrétienne tient ou enverroit a Br eft, blocquer „ le Sud & 1'Oueft de VAngleterre, intercepter les 93 Convois de cette Puiflance, & inquiéter fon Comi, merce. On demandoit encore de faire partir fans a, délai le refte de la Flotte vers l'autre cóté dé la 4, Manche, pour dcher d'y intercepter, s'il étoit poffi3, ble, un Convoi. Anglois richement. chargé , que l'on afluroit être parti au commencement du mois d'Aoüt, fous Pescorte de 1'Amiral Rodney. „ Cette doublé propofition nous embarraffa extrê„ mement. D'un cóté, nous voulions éviter tout ce „ qui pourroit être désagréable a Ia Cour de France. „ D'un autre cóté, nous trouyions plus d'une difficulté k accorder cette demande: d'abord toutes les „ opérations militaires concertées avec cette Puiffani, ce, & d'après lesquelleson s'étoit arrangé, étoient „ fur le point de finir: il nous paroiflbit encore a „ craindre, que les Forces de la République uhe fois „ divifées \ il tle nous fut plus poflible de donner tous i, les fecours néceffaires aux Vaiffeaux des Indes, que „ l'on attendpit, ainfi qu'au Convoi de la Baltiquei „ tout au moins, d'après ce nouveau plan, nous p^é« fagions que 1'armée navale des Etats dans,Ia mer du Nord, ferait bien foible au printems pro,, chain. „ Toutes ces confidérations ne nóus permfrent pplnt M*de prendre un parti; même après avoir confulté „ MM.  Civile 6? Litteraire. t?t t, MM. Reynjl, Zoutman. Bisdom (c va» der Hoop „ fur ce fujet, nous préférümes de remettre la déc£ „ fion de cette affaire a LL. HH. PP. „ Le 23 Septembre nous communiquames aü ConV mitté fecret des Etats Généraux les deux Mémoire» #, de Mr. de la Vauguyon du 21 & 22, Le même jour „ LL. HH. PP. rendirent cette.affaire commifToriale avec les Amirautés refpeélives. „ En conféquence de cette Réfolution, le Comttüt» „ té s'affembla cc après la tenue des Conférences, il „ porta le 25 a 1'Affemblée des Etats Généraux Iba 3i Avis, qui revenoit a ceci. — ■ „ Comme les ordres que nous avions donnés pour „ 1'enlévement du Convoi Anglois de la Baltique n'a„ voient pu être exécutésa tems, on devoit nous prier .„ de déflgner au plutot un Officier - Général, & dé »' %lren detacneT' Par le Vice-Amiral Hartfink pour „ Breft 4 ou 5 Vaiffeaux de 60 canons, 3 ou 4 de 50, 2 ou 3 Frégates, avec un Cutter ou une Corvette! „ pour y paffer 1'hiver, «Sc y attendre de nouveaux „ ordres de la République; ou bien y entreprendre „ dans les mers de YEurope, &. de concert avec une „ Escadre Frangoife, toutes les expéditions que cet „ Officier-Général de même que 1 'Officier comman„ dant a Brejl jugeroient utiles & falutaires, bien entendo i9 cependant, que ces ordres que nous donnerions, „ feroient cenfés être révoqués, au cas que les Vais., feaux de 1'Etat ne puifent point entreprendre cette „ route avant le8 Oftobre fuivant, tant a caufe des „ Vents contraires cc inconftans, que de ouelouk „ autre accident imprévu: afin d'empêcher & de „ prévenir la deftrucrion totale de cette petite EscaM dre, foit par 1'Amiral Howe, lors de fon retour de „ Gibraltar, foit par d'autres Vaiffeaux ennemis fupé„ rieurs a Ceux de 1'Etat. „ Qu'on feroit remettre Copie de cette Réfolution, „ par leGreffier Fagel, a Mr. leDuc de laVauguyon \ „ en ajoutant, qu'il paroiffoit impraticable, vö le „ peu de forces actuelles de la République, de faire „ enlever par nos Vaiffeaux feuls, & fans autre fecours le riche Convoi Anglois, lequel feroit efcorté, fe- Ion les mformations, d'une Efcadre compofée tout * au. moins de neuf gros Vailfeaux & de quelques „ Fré-  &?i Correfpondance Politique; ,, Frégates. Que. néanmoins LL. HH. PP. étoient „ excrèmement fenfibles tant aux difpofitions favora- bles de Sa Majefté trés Chrétienne , dont ceMémoi- re leur donnoit de nouvelles afTuranccs, qu'au fe•„ cours rêél & fidelle, qu'Elle avoit accordé cette „ année & la précédente, & a 1'Etat & fpccialemerrt „ aux Colonies dê la République. „ Que Leurs Hautes Puiffances affuroient d'ailleurs Sa 4, Majefté, que la profonde décadence de la Martij ne avoit feule empêchi de pouvoir concourir plus ef9, ficacement aux vioyens de nuire d l'Ennemi, ou de couvrir les poffeffions de 1'Etat, mais que l'on conti4, nueroit d faire tous les efforts possibles, ei? cela „• fans reldche, pour fe mettre enfin en me flleure pofiua, re, & pour tenir tête avec plus de fuccès a 1'Enne- mi commun: que dans ce deffein il feroi' trés agré#, able a LL. HH. PP., de pouffer les opérations mi„ litaires de la campagne prochaine, foit en combi- nant les Forces des deux Puiffances, foit en agiffant a, de concert. „ Qu'enfin, dans te même but, on pourroit ordon^ B, ner aux Amrautés refpedtives de preffer le plus vi4, vement poffible la conftrucïion des Vaiffeaux & .leur „ équipement; de rendre compte a LL. HH. PP. de „ leurs on^-rations rélatives acet objet, pendant cette année, & de Leur indiquer, combien de Vaiffeaux g, équipés convenablement & pourvus du néceffaire , 3, pourroient être fournis par chaque Département vers le i Mars 1783. pour être emploiés en mer au >f fervice de 1'Etat. Meffieurs les Députés des Provinces de Hollande „ & de Wefi-Frife, de Frife & d'Overyffel, fe rangea, rent d'abord de cet Avis. Mais ceux des autres „ Provinces s'engagerent a s'expliquer ultérieurement „ fur ce fujet. Mr. le Duc de la Vauguyon remit le Iendemain a Mr. de Randwyk, Député de la Province de Guel„ dres, une Note, ou il infiftoit fur une réponfe 4, prompte & pofïtive aux Mémoires qu'il avoit don,, nés, il demandoit encore, que vu 1'accélération & „ le myftere que cette affaire exigeoit, on n'en fit „ point un objet de délibération pour les Seigneurs „ Etats des Provinces refpeftives. 5> Eb  Civile Litterair ei g7-j 't, En conféquence, comme les Députés de la Proit vince de Hollande infiftercnt de la facon la plus for„ te dans les nouvelles délibérations fur cette affaire k j, 1'Affemblée des Etats Généraux, pour 1'amener k une conclufion & arrêter ainfi le Rapport inféré plus haut; lc Député de Groningue fe rangea de 1'avis „ des Déoutés de Hollande, de Frife & d'Overyfiel , », & l'on pi ia ceux des autres Provinces de s'expliquer ,,, fur ce fujet fans aucun délai. „ Mr. 1'Ambaffadeur de Frame revint le Iendemain „ de nouveau a la charge, & exigea une réponfe déj, cifive, afin de pouvoir expédier ce foir - la' même „ fon Courier, cc donner connoiffance a fa Cour da i} réfultat des délibérations. Auffi les Députés des „ Provinces qui s'étoient déja déclarées, infifterent„ ils pour terminer cette affaire a la pluralité, le plu3> tót poffible & même ce jour-la. Mais k la prière „ des Députés des trois autres Provinces, on remit „ cette Conclufion au Lundi fuivant, parceque ces j, Meffieurs attendoient vers ee tems la réponfe de„ leurs Commettans. „ L'affaire ne fut cependant arrêtée conformémenB „ au Rapport fusdit, & converti en réfolution formelj, le de LL. HH. PP. que le Jeudi 3 Oétobre. Dés le 30 Septembre, nous avions autorifé Ie Vi- ce Amiral Hartfink k donner 1'ordre de ravicaillec „ pour quatre mois , non feulement les Frégates VArgo, le Jafon, la Brille & la Venus, mais aufli1 „ les Vaiffeaux le Goes, hPrincefte Louife, Ie GlintM hor/t, le Batave, 1'Amfterdam, le Prince Fréderic VUtrecht, VUnion, VAmiral de Ruiter & le Ko-rte„ naer. Nous lui infinuames en même tems, que LL HH. PP. pourroient fort bien prendre le 1 ou le i „ Octobre la Réfolution d'envoyer ces 10 Vaiffeaux k „ Breft. Mais la nouvelle que nous communiqua Mr „ Backer, Secrétaire de 1'Arairauté Amfterdam fié ,, retarder la Conclufion de cette affaire jufqu'au 1 Oétobre. ** Le 30 Septembre il nous enveya 1'Extrait d'uhé Lettre de Paris en date du 24, adreffée a une gran„ de maifon de Commerce a Amfterdam, a qui 1'ori marquoit, que 1'Amiral ifoiw ayant été affailli d'une' Tom. III. ? h  274 Correjpondance Politique, violente tempête fur la Cóte de Bretagne, & perdu „ plufieurs de fes Vaiffeaux de Transport, n'iroit point a Gibraltar. ,, Le Iendemain nous communiquam.es cette Lettre „ au Comitté fecret de LL. HH. PP., & cette nou„ veile jointe a celle de la deftrucf ion des Batteries „ Flottantes employées pour le fiège de Gibraltar, que Mr. van Berkenroode avoit donnée, fit naitre „ une nouvelle Réfolution, qu'on rendit Cortimifforia,, le avec les Amirautés. ,, La Commiffion porta fon Avis le 2 Oétobre h ,, 1'Affemblée Générale, & le 3 il fut converti en Ré„ folution formelle. ,, Indépend anment des ordres que nous avions déja donnés de détacher au premier bon vent avant le 8 „ Oétobre , quelques Vaiffeaux de 1'Etat, on nous 3, prioit dans cette nouvelle Réfolution , d'cnjoindre ,, aux Officiers commandants de fe régler fur les In., ftrudtions fuivantes. ,, S'il leur revenoit des informations pofitives, ou „ du moins vrailëmblables du retour de la Flotte de ,, i'Amiral Howe, ou de telle autre dont la fupériorité „ dut mettre les Vaiffeaux de 1'Etat faifant route pour Breft en danger de fuccomber & d'être enlevés: ou bien fi dans Ia traverfée le vent devenoit contraire ou trop variable pour continuer prudemment le ,, voyage: dans toutes ces fuppofitions 1'Efcadre de„ voit faire voile dircctcmcnt vers les Cótes de YAn„ gleterre, afin d'y intercepter encore les Vaiffeaux j, de la Baltique, qui avoient relaché a Tarmouth ou „ a Huil, & qui devoient partir de-la pour la Tamife, „ ou pour les autres ports de leur deftination; & de „ tacher par ce moyen, ou par tout autre qui fembleroit convenable, de procurer au Convoi de Drontheim une plus forte Efcadre pour affurer fon . „ retour. Dans la même Réfolution on nous prioit encoré „ de cornmuniquer aux Officiers Commandans la Lettre dc Mr. van Berkenroode, ainfi que les Pièces qui ,, pouvoient être rélatives a cette affaire: afin que ces Officiers fe conduififfent a cet égard, comme ils le j, jugeroient convenable. „ Munis de ces Réfolutions, nous dépêchames Je „ meme  Civile & Litteraire. 275 „ même jour, par un Exprès qui fe tenoit prêt, nos „ ordres & une lettre, que nous avions préparés d'a„ vance, au Vice Amiral Hartfink. De concert avec „ LL. HH. PP., & fous leur approbation nous défignames pour commander le Detachement de Br eft, le Vice Amiral Comte de Byland; & nous ordonnames a Mr. Hartfink de ranger fous Ie commandement ,7 de cet Officier, cinq Vaiffeaux de 60 Canons, en outre trois Vaiffeaux de 50, la Frégate la Br Uk de 36, & la Vénns de 24. ,, Nous ordonnames encore au Vice Amiral Hartj, fink de faire fortir avec ce Détachemcnt, le Vais„ feau Ie Rhynland, & la Frégate la Cour de Souburg, qui étant deflinés pour les IndesOccidentales, pour., roient traverfer la Manche de conferve avec TEs„ cadre. Comme les Vaiffeaux du Vice Amiral de ,, Byland devoient paffer 1'hyver hors du Pays, nous „ enjoignimes encore de faire remplacer, de concert avec le Général van der Hoop, s'il fe trouvoit au Helder les Détachemens de notre Régiment Orange ,, Gueldre, disperfés fur quelques-uns de ces Vaiffeaux, ,, par des matelöts tirés des Navires qui ne feroient point le voyage de Breft; & l'on devoit placer cés „ Détachemens fur les Frégates, deftinées a croifer ,, dans la mer du Nord, pour protéger le Commerce des habitans de la République. ,. Enfin nous ordonnames au Vice Amiral de faire ,, fortir pour la mer du Nord tous les Vaiffeaux équi„ pés; afin de fortifier & de ramener, s'il étoit poffi„ ble, les Convois de Bergen & du Kattegat; ou d* ,, tenter telle autre expédition qui paroitroit néceffai,, re a lui Vice Amiral & a fes Officiers Généraux „ pour protéger le Commerce de la République, &a „ caufcr du dommage a l'Ennemi. Nous lui donna,, mes un plein pouvoir fur tous ces objets, en lui „ permettant d'efcorter le Détachement du Comte de „ Byland jusqu'a une certaine hauteur, ou même jus„ ques dans la Manche. ,, Avec cette Lettre nous en expédiames une autre ,, au Comte -de Byland pour lui apprendre fa nomina„ tion au commandement du Détachement, & pour „ lui cornmuniquer nos intentions au fujet du Vaiffeau ,, le Rhynland, & de la Frégate la Cour de Souburg, ,, Navires deflinés pour les Indes Occidentale*, & que Ta „ nous  t]6 Correfpondance Politique. nous voulions faire fortir en même tems, comme nous 1'avons dit plus haut. ,. A ces Inftruétions nous ajoutames encore ce qui „ fuit. „ Je vous envoye ci-joint Copie de deux Réfolutions arrètées aujourd'hui d ce fujet par LL. HH. PP., ,, cf je n'ai d'autres Infiruêtions d vous donner que cel„ les de vous conformer pontluellement d la teneur de „ ces Réfilütion's. Diett veuille bénir les armes de la République, couronner votre expédition du plus heu„ reux fuccès, &? ramener bientot dans nos Ports les ',, Vaiffeaux de 1'Etat couverts de gloire 6? d'honneur. ,, Mr. Hartfink ne retjut que Ie 5 Oétobre les or„ dres dont nous venons de faire mention; le Courier „ mayant pu fortir plutót du Nouveau Diep, k caufe „ des vents orageux qui régnoient alors. ,, A Ia réception de notre Lettre, il affembla k fon „ bord tous les Capitainos des Vailfeaux de ligne, des- tinés pour cette expédition; (le Comte de Byland „ & le Contre Amiral van Hoey étoient abfents.) 11 leur apprit le but & le lieu de leur deftination; (Sc „ s'informa d'eux, fi leurs Vailfeaux étoient en état „ dc remplir cette million. Le Capitaine van Braam, qui commandoit leVais- feau ['Utrecht, déclara qu'il ne pouvoit mettre a 3) la voile au moment même: attendu que d'après des- ordres antérieurs il ne s'étoit fourni de vivres que „ pour jusqu'au dernier Oétobre. A la vérité il avoit , écrit k fon Solliciteur lors de la réception des der' niers ordres, qui lui enjoignoient de fe ravitailler , encore pour quatre mois, mais il ignoroit le tems précis oü ces vivres lui feroient envoyés. II pré,, voyoit cependant que ce ne feroit pas ütót, a cau„ fe de la grande quantité de bifcuit dont il avoit be„ foin, & dont il ne fe trouvoit pas toujours des pro, vilions fuffifantes. II ajouta enfin qu'il étoit indis„ penfable de favoir 1'objet & le lieu de la deftination 3, ultérieurede ce Vaiffeau, pour fixer en conféquen„ ce la quantité de munitions & d'autres chofes né„ cefiaires, dont il faudroit fe pourvoir. Le Capitaine Stavorinus commandant le Vaiffeau „ le Goes répondit: i°. Qu'il manquoit 42 hommes a la lifte de fon Equipage; qu'il avoit a fon bordj4malades, laplu- „ part  Civile 6f Litteraire, tjj ,, part attaqués de la diffenterie, maladle qui faifoit journellement de nouveaux progrès. „ 2. Qu'il n'avoit de vivres que jusqu'au dernier ,, Oftobre, & que rien n'étoit plus incertain que 1'é„ poque précife oü il pourroit recevoir les vivres, „ qu'jl avoit donné commiffion d'achéter en Zélande, d'après les ordres du i Oétobre. 3. Que fon Vaiffeau n'étoit pourvu que de deux „ Voilures d'avant; dont l'une ayant fervi depuis le „ mois d'Avril devoit néceffairement être renouvellée, „ au cas que le Vaiffeau fut obligé de refter pendant longtems loin des ports de la République. ,, Le Capitaine Comte de Rechteren qui avoit fous „ fes ordres le Vaiffeau la PrinceJJe Loui/e déelara que „ ce Navire étoit en état d'entreprendre la route, „ mais qu'il n'étoit ravitaillé que pour jusqu'au 31 „ Oétobre. En conféquence de 1'ordre du 1 de ce ,, mois il avoit commandé de nouvelles provifions, „ mais, felon la réponfe de fon Solliciteur, cet ap,, provifionnement & la préparation du bifcuit néces„ faire devoient emporter encore une quinzaine de ,, jours. .. „ Au rapport du Capitaine Comte de Weideren, fon „ Vaiffeau l'Union étoit abfolument hors d'état defer- ,, vir a cette expédition. „ D'abord il n'avoit de vivres que pour jusqu'a la „ fin du mois d'Oétobre; les nouvelles provifions pour quatre mois qu'il avoit ordonnées, n'étoient pas encore prêtes, & ne pouvoient par conféquent être „ expédiées. „ Son Vaiffeau quoique bien équipé pour une petite „ croifière dans la mer du Nord manquoit de beaucoup de chofes, s'il s'agiffoit d'une expédition plus confi„ dérable, telles étoient une voilure neuve, de gros „ cordages, des manoeuvres courantes & des provi- fions fraiches; d'ailleurs il falloit remoudre la pou,, dre qui avoit perdu de fa force. „ Enfin 1'équipage étoit en trés mauvais état, ayant 5, eu pendant tout 1'Eté des fièvres putrides, & il n'a- voit pas les hardes néceffaires pour un fi long voyage. Le Vaiffeau l'Amiral de Ruiter commandé par Ie „ Cipitaine A. H. C. Staring étoit en ce moment au „ rapport de cet Officier, abfolument hors d'état d'en11 treprendre la route. T 3 „ x°. H  278 Correfpondance Politique, ,, i°. II avoit difette de vivres. II manquoit entr'autres chofes 30000 livres de bifcuit, qu'on attendoit inutilcment depuis le 1 Oétobre. ,, 20. A caufe du tems orageux, il n'avoit pn recevoir une ancre& trois gros cables qui lui falloitpour ,, remplacer ceux qu'il avoit perdus dans la dernière tempête. „ 3Q. Son Vaiffeau ne manquoit pas du néceffaire pour une petite croifière dans la mer du Nord,mais il étoit privé de beaucoup de chofes indifpenfables j, pour un grand voyage, en particulier d'une voilure „ neuve. 40. Le nombre de fes malades montoit déja k 66, & augmenteroit fans doute, fi l'on obligeoit ce Vaisfeau a partir pendant 1'hyver, fans donner a 1'équipage les hardes néceffaires. Le Capitaine 't Hooft, commandant le Kortenaer, ,, allégua en fubffance les mêmes raifons. Enfin le Capitaine Bofch, commandant le Vaiffeau ,, le Batave répondit: Qu'il avoit non feulement difette de vivres, dont il n'étoit fourni que pour jusqu'au premier Novem„ bre, bien qu'il eut, ainfi que les autres Capitaines, „ mandé de nouvelles provifions pour quatre mois. Mais encore qu'il auroit befoin pour cette Expédition de plufieurs chofes néceffaires, entr'autres d'une voilure neuve pour les huniers. V j5 Que d'ailleurs fon Vaiffeau étoit fort fale, trés 'mal voilé, & qu'il devoit néceffaircment être radou'1 bé pendant 1'hyver. Que felon les apparences il '* paffoit hors de la carène devant la quille, un bous' Ion qui endommageoit fans ceffe les gros cables , nonobffant toutes les piécautions qu'on avoit prifes ' pour obvier k cet inconvénient. Qu'enfin 1'équipage manquoit des habits néceffai, 'res pour un tel Voyage, privation qui devoit na' turellement occafioner beaucoup de maladies. „ Les Vice Amiraux Hartfink, & Comte de Byland, , ainfi que les Contre Amiraux van Braam; vanKins\, bergen & van Hoey peferent murement ces différens 11 Rapports dans une Conférence qu'ils eurent enfcmble le 7 Oétobre. „ Le réfultat de cette Conférence fut, que felon eux, les Vaiffeaux défignés fe trouvoicnt, pour les „ raifons.  Civile êf Litteraire. 27 9 „ raifons ci-deflus indiquées, abfolument hors d'état „ d'entreprendre 1'expédition projettée; le Vice Amiral de Byland nommé au commandement de ces „ Vailfeaux déclara pofitivement, qu'il lajugeoit imy, praticable." „ Après avoir reqa les Rapports de ces Capitaines, 3, il nous parut convenable de les cornmuniquer avec „ la Lettre du Vice Amiral Hartfink au Committé fe„ cret de LL. HH. PP. 8°. Une entreprifc pour 1'éxécution de laquelle oh avoit fait paroitre tant de zèle, ayant échoué cependant par un concours de circonftances aifées a prévoir , & difficiles a prévenir, devoit naturellement motiver de 1'éclat contre les hommes deftinés a en être les inftrumens, ou du moins, fervir de prétextc a leurs antagoniftes pour leur fusciter des désagrémens & des tracafferies. On s'en feroit pour tant abftenu, fi la réflexion & 1'impartialité pouvoient trouver place au • milieu du tumulte des paiïions & des écarts de 1'efprit de parti. C'eft de quoi il eft facile de fe convaincre cn lifant avec attention ce qui fuit. Le 9 fuivant, les Etats Généraux prirent a ce „ fujet une Réfolution; dans laquelle ils déclarerent; ,, que fans préjudicier a 1'examen de la validité ou de „ I infufflfance des raifons alléguées par la Lettre du „ Vice Amiral Hartfink & les Rapports qui 1'accom„ pagnoient; en confidération de ce quc le terme que „ Leurs Hautes Puiflances par leur Réfolution du 3 „ avoient jugé 1'expcdition de Brefi poflible étoit ex„ piré, que d'ailleurs il paroiflbit d'après les dernières „ nouvelles, qu'il s'aflembloit aux Dunes une Efcadre „ ennemie, que pour ces raifons nous ferions priés de faire accélérer conformément aux ordres donnés préy, cédemment, la fortie d'un nombre fuflifant de Vais,, feaux, afin qu'avec le fecours de la Providence le Convoi dc Drontheim, ne fut point obligé d'hyver„ ner a Bergen, ou qu'il ne courüt point le rifque d'ê„ tre pris ou détruit par l'Ennemi. ,, II plut encore a Leurs Hautes Puiflances de faire „ cornmuniquer cette Réfolution par Mr. le Greflier „ Fagel a Mr. le Duc de la Vauguyon, & de 1'aflurer ,, qu'il ne falloit attribuer qu'a un concours de circon„ ftanccs accidentelles 1'impoflibilité oii l'on fe trouT 4 „ voit  18,0 Comjponianee Politique, „ voit de fatisfajre aux défirs de la Cour de France par „ rapport a 1 expédition de Brejl. „ Nous ne voulons point anticiper fur les déiibéra» i]0™ de Lh HH. PP. concernant la validité ou 1'in„ fuffifance des motifs allégués par les Capitaines: qui „ obligerent les Officiers Généraux a déclarer unani- mement que 1'cxpédition projettée n'étoit point pra- ticable: qu'il nous foit permis cependant de placer v ici quelqües réftexions que nous fourniffent les Ré„ folutions des Etats de Frife & de Groninme, ainfi „ que la démarche de Meflieurs les Commifïaires, nommés par LL. NN. & GG. PP., pour nous de», mander des ouvertures fur 1'adminiftration des affai,, res de la Marine, & que fait naitre enfin la Lettre du Confeil de 1'Amirauté du département d'Amfter. 33 dam, adreffée a LL. HH. PP. fur le même fujet ,, Toutes ces Pièces ont déja paru dans les Papiers „ Pubhcs, ainfi que notre Réponfe aux Etats de Frife aux fusdits Commiffaires, & enfin notre Lettre aux Etats de Hollande. ,3 Nous pouvons donc nous dispenfer d'en faire icf „ mention; il fuffira de remarquer, que les Etats „ & Mefïïeurs les Commiffaires fusdits crurent voir si une preuve nouvelle & inconteftable é'inaEtivité & ,, d'une adminiftration défeétueufe des affaires de la „ Marine, dans 1'impoflibilité ofi l'on fe trouvoitde faire entreprendre aux Vaiflëaux une expédition „ qui les auroit éloigné pour tout 1'hyver des Ports f, de cette République: 1'Amirauté d'Amfterdam d'ott ., reflbrtiflbient la plupart des Vaiflëaux défilés craignit qu'on ne lui imputat la difette & les befoins divers qu'avoient allégués les Capitaines. Comme „ fi le Confeil de cette Amirauté avoit été accufé d'a„ voir oublié ou négligé quelque partie de 1'approvifi ■ „ onnement des Vaiffeatix de fon reflbrt, il Vea i 4> propos de fe juftifier. '., A tout cela nous oppoferons les Réflexions fui4, yantes: »» Jti,Toas ces Vaiffeaux étoient convenablement „ avitailles, & pourvus des munitions néceffaires pour %, jusqu'au i Novembre, époque a laquelle on étoit „ convenu dans les conférences avec Mr. le Duc de ^ la Vauguyon au fujet des opérations combinées, què 33 finiroit  Civile Litteraire. «ff „ finiroit la Campagne, paree que les Vaiffeaux doi„ vent ordinairement être désarmés avant ce tems lk „ pour les mettre en fureté pendant 1'hyver, précau„ tion que la fituation de nos ports de mer rend in„ dispenfable. 2". Par conféquent ces Vaiffeaux étoient pour„ vus du néceffaire pour le fervice, que felon toute „ vraifemblance ils devoient être obligés de faire cet„ te année; puisqu'il étoit impoffible de prévoir qu'on j, en pourroit demander une partie, pour des expéditions pendant 1'hyver. „ 3J. On ne doit donc pas regarder comme Ia preu„ ve d'une mauvaife adminiftration, ni d'un défaut de zèle pour les affaires de la Marine, la difette oh ces „ Vaiffeaux fe trouverent de chofes dont ils n'avoient „ aucun befoin pour le fervice que felon toute proba- bilité on exigeroit d'eux, mais dont ils ne pour,, roient fe palier, fi on vouloit les employer a un Voyage de quelques mois, hors du Pays, tandis „ qu'on ignoroit même a quelles expéditions, & dans „ quelle partie du monde ils feroient employés. ,, 40. Les Vaiffeaux du reffort de l'une des Amirau„ tés avoient a la vérité recu ordre de ce Confeil de ,, ravitailler; mais les autres Amirautés ne 1'avoient „ point encore donné ; paree qu'a caufe des limita„ tions avec lesquelles plufieurs Provinces avoient „ accordé leur confentement, on n'avoit pas pu ar„ rêter encore les Pétitions du i Mai 1782 jusqu'au 30 Avril 1783. „ II nous étoit donc impoffible d'ordonner les pré„ paratifs proprement dits pour un Voyage auffi inn prévu, avant que cette expédition füt décicjée ou du moins rendue vraifemblable: ce que nous ne pouvions favoir, tant que nous ne ferions pas informés des dispofitions de 1'Affemblée, a laquelle nous avions porté cette affaire, fans vouloir prendre fur ^, nous de décider quelque chofe fur un objet auffi im* portant, furtout dans ces tems critiques & orageux • ic tandis que plufieurs Membres notables du Gou^ vernement trouvoient beaucoup de difficultés dass „ cette propofition, tant a caufe de la foibleffe de ,, notre Marine, que de 1'incertitude oh l'on étoit de i'époque a laquelle ces Vaiffeaux retournerdient dans ij nos Ports. T 5 >, J°. Auffi-  £3l Correfpondance Politique, „ 5°. Aufli-tót qu'il devint probable que cette pro„ pofition feroit agréée par LL. HH. PP., nous com„ mengames les préparatifs néceffaires & nous ne lais„ fames pas échapper un moment pour faire exécuter „ promptement la Réfolution finale que les circonftan„ ces ne permirent de prendre que le 3 Odtobre. • „ Le mauvais tems retarda encore 1'arrivée dc nos „ Inftruétions; quant aux raifons alléguées par les Officiers Généraux & les Capitaines de haut bord „ pour fe défendre de remplir nos ordres, nous croyons en devoir laiffer la recherche & 1'examen a Leurs j, Hautes Puiffances. 9Q. Nous ne faurions mieux terminer cet extrait déja fort long, qu'en rapportant la récapitulation que le Prince fait lui même des objets détaillés dans le cours de fes deux Mémoires. „ II ne nous refte donc aétuellement qu'a rappro„ cher en peu de mots les opérations militaires quc „ nous nous étions propofécs dans le cours de cette M Campagne, éidont nous avons donné les détails dans ce Mémoire & dans le précédent: en les comparant „ avec le fuccès qui les a fuivis, on verra évidemment, „ que fi cette Campagne n'a pas été aufli briliante que „ la première, elle aété néanmoins d'une utilité bien „ plus réelle pour la République. ,, Par cette expofition, nous difliperons les foupgons „ d'inaétivité dont nous fommes 1'objet, & nous re„ poufferons les accufations qu'on forme de toute part, „ avec tant d'animofité & de violence contre nous. ,, Ceux qui nous auront fuivi avec quelque attention dans le cours de ces deux Mémoires, fe feront ap- pergus fans doute, que nous nous étions propofés „ cinq objets principaux. ,, 1». L)e faire efcorter les Vaiffeaux armes, defti„ nés pour les Indes Occidentale*. „ 20. De donner un Convoi aux Vaiffeaux qui par3, toient pour les Indes Oriënt aks. ,, 30. D'aflurer par une Efcorte fuflifante le départ „ des Navires marchands pour la Baltique. „ 40. De faire ramener les Vaiffeaux revcnant des Indes Orientalcs, qui dans le commencement dc la guerre s'étoient réfugiés a Drontheim. ,, 50. De faire rentrer a bon port les Navires mar„ chands qui revenoient chargés de la Baltique. j, Nos  Civile . 46., ou ils „ s'expliquent de cette fagon. Suivant eux, on de,, voit ordonner au Vice Am;ral Hartfink de mettre di„ reciement en mer. Mais il falloit laifier a/a prnden,, ce le choix de s'éloigner ou de refter prés de la Oite, „ felon les circonftances, comme auffi le rendre maitre y) de faire ufage des mefures qu'il jttgeroit convenables ■ „ pour  Ciyile (f Litterair f. aïj £ pour prévenir le danger oü fe trouveroient let Vals„ feaux de 1'Etat, de fe voir couper le ehemn vers les " Ports de la République, par des forces fupéneures de l'Ennemi. , . , „ * „ 2°. Sur le Plan, formé par Ie Vice AmiralHarU „ fink, de fe fervir de la Flotte de 1'Etat pour en ,, compofer une Efcadre d'Obfervation, afin de cou»> vxir. , _ , „ a. Les Convois pour les deus Indes. b. Les Vaiffeaux de Drontheim, & „ c. NB. Les Navires Marchands deflinés pour I* „ Baltique, ou qui en revenoient. Et de tenir ainfi „ 1'Efcadre raffemblée, au lieu de 1'affoibhr par des iL^ét3.chciTicris " „ D'après ce Plan, dès le 5 Juillet, il donna ordre „ au Détachement qui fe trouvoit dans leVlie, & qui , étoit deftiné k conduire vers la Baltique les Navires „ Marchands, affemblés dans cette rade, d'efcorter , ces Batimens a leur deftination, de fe rendre enfuite a Drontheim, cc de ramener les Vaiffeaux qui ,, mouilloient dans ce Port. „ Mais les circonftances 1'obligerent de faire quel„ que changement a ce Plan. Le Convoi du Vlie fud ,, arrêté par des vents contraires jusqu'au 23 Juillet; le Vice Amiral, après avoir efcorté vers le Nord „ les Convois pour les deux Indes, fe vit obligé, en „ apprenant ce retard, de former de fon Efcadre deux Détachemens, & d'en deftiuer un direétement pour Drontheim, & l'autre pour la Baltique; opération „ qu'il ne put exécuter fans affoiblir encore davantage „ la Flotte de la République. „ II refte un fixième Article, qu'il nous eut été bien agréable de voir exécuter; favoir de relever les Vaisfeaux de 1'Etat aux Indes Occidentales, & de rame!: ner un Convoi de ces Parages. Mais a cet égard, „ nous avons effuyé bien des contranétés, cc beaucoup „ de désaftres. Plufieurs Vaiflëaux deflinés a cette expédition furent hors d'état de 1'entreprendre, tant a caufe des divers malheurs qui leur arriverent, que des dom, mages qu'ils rcgurent. II nous a été impoflible de !, les remplacer a tems par d'autres Vaiffeaux, atten, du que des Navires deftiués pour un tel voyage ont „ be-  185 Correfpondance' Politique, „ befoin de provifions & de munitions qu'on n'a ptt „ leur fournir avec la célérité requife. „ En réfléchiffant cependant fur 1'exécution & Ie fuccès des opérations rélatives aux cinq premiers „ Articles, il nous femble qu'on ne peut, fans fe „ rendre coupable d'une grande ingratitude, méconnoitre les faveurs & la bénédiclion que le Tout,, PuiiTant a daigné répandre fur nos mefures, ni fe „ plaindre d?un autre cóté, qu'on ait diffipé inutile„ ment les tréfors de 1'Etat; puifque fuivant 1'avis :,, de Meffieurs les Députés des Amirautés, du 4 Juil„ let 1782, mentionné plus haut, les deux grandes „ raifons qui pourroient autorifer ces plaintes; fa„ voir, si l'on avoit laissé les Colonies „ de l'Etat sans aucon se.coürs, & sr l'on „ ne donnoit aucun des CoNVOIS accor- ,, dés précédemment, tombent abfolument par „ le récit que nous venons d'expofer. ,, II eft vrai qu'on eft toujours refté fur la défenfi,, ve, & que toutes les opérations militaircs n'ont eu 3, d'autre but, que de conferver & de protéger les „ poffeflions de l'Etat & la Navigation marchande: ,, mais d'abord cette maniere de faire la guerre nous „ paroit actuellement la feulc, qui puiffe convenir a „ la fituation de la Marine de l'Etat, dans 1'oppofi'„ tion a celle de l'Ennemi, & aux projets des autres „ Puiffances Belligérantes pendant cette Campagne. „ D'ailleurs depuis qu'on fait le commerce avec des „ Batimens neutres, méthode adoptée par plufieurs „ iNegocians sinvwis, u ne reitc gueres ü objets pour „ une guerre offenfive dans les mers d'Europe. „ La feule entreprife qu'on auroit pu tenter avec „ apparence de fuccès, durant cette Campagne, c'eft „ 1'enlevement du Convoi de la Baltique au mois d'Oc- tobre; mais ce projet a manqué par des tcmpêtes ,, continuelles, fans exemple dans cette faifon, qui „ ont empêché le Détachement deftiné a cette expé„ dition de fortir de la rade. Enfin fi le fuccès des opérations militaires n'a pas „ fait une imprefïïon plus marquée, en particulier fur ,, les Négotians de la République, on doit felon nous ,, 1'attribucr en grande partie a la facilité qu'on trou,. ve a naviguer avec des Batimens neutres; ce qui a „ rendu extremement mediocre le no.nbre des Navi- „ re*  Civile & Litteraire. a8? „ res Marchands, qui ont demandé une efcor'te pour la Baltique , ou pour en revenir, & nous croyons: \\ devoir abandonner la recherche des autres caufes de ' cette inattention, a ceux qui font en état d'envifaH ger fans prévention, & avec impartialité les mal3' heureufes circonftances oh notre chère Patrie fe „ trouve actuellement. „ ïels font les détails que nous avons cru devoir „ expofer a Leurs Hautes Puiflances & par ce moyen „ a tous les Confédérés, pour fervir de Supplément „ au Mémoire que nous préfentames a LL. HH. PP. ,, le 7 Oétobre dernier. ,, Après ce que nous venons de dire, nous croyons qu'il eft bien inutile d'expofer ici la fauffeté des plain„ tes qu'on forme fur une prétendue inactivité. Elle 3, dècöulë afléz naturellement du récit de nos opéra„ tions, fans qu'il foit néceffaire de la rendre plus fen,, fible par de nouvelles réflexions. ,, Lés foupeons injurieux qu'on élève fur Ia fincérïté du zèle, qui nous anime pour mettre la Marine de l'Etat fur un pied affez refpeétable, pour tenir „ tétc a l'Ennemi; pour employer les Forces qui nous font confiées de la facon la plus jufte & la plus con„ venable, encaufant tout le dommage poflible al'En,, nemi, & en protégeant autant qu'il eft en nous le ,,.Commerce & la Navigation de cet Etat, bafes & fources précieufes de la profpérité de cette République; ces foupgons injuftes commencent a perdre „ beaucoup de leur force dans 1'efprit de la Nation , ,, mieux inftruite aujourd'hui de nos,fentimens & de „ nos procédés. „ Enfin puifqu'il paroit évidemment par le récit que „ nous avons fait dans ces deux Mémoires, que nous „ n'avons rien négligé de ce qui pouvoit cóntribucr-a „ la défenfe dc la République. puifque 1'intérét pres,, fant que nous avons perfonnellement a fa profpói-i„ té, eft un garand de 1'ardeur avec laquelle nous embraflbns tout ce qui peut 1'avancer, nous ófons nous flatter aufli, que les Citoyens impartiaux, a„ mis de la vérité, qui n'auront pas formé la réfoluj, tion de nous trouver coupable avant de nous enten„ dre, & qui jugeront de 1'avenir fur le paffé, feront ,, convaincus, que nous ne laifferons échapper aucu„ ne occafion d'y contribuer de tout notre pouvoir, & j» mefn-  2 88 Correjponitme Politique, Civile & Litteraire. „ mefure que les Forces Navales augmenteront; e» ,, les employant fans témérité dangereufe, ou indiffé», rencecoupable fur le fuccès des entreprifes que nous „ pourrons tenter avec 1'efpoir de porter a l'Ennemi „ des coups fenfibles, & de favorifer les vrais intéréts de la République, autant du moins que le concours „ indispenfable des Confédérés nous permettra d'y 9, contribuer. „ Nous ajoutons en finiiTant, que vu 1'adtivité & <9 1'attention extraordinaires que les circonftances exiJ} gent de nous, notamment pour 1'examen des ordres, 4, des arrangemens & des détails qu'emporte 1'exercice 4, de notre charge d'Amiral-Général del'CJnion, nous 9, avons il y a quelque tems jugé néceffaire de nom9, mer Meffieurs les Confeillers & Avoeats Fiscaux 4, Bisdom & van der Hoop, les Vice Amiraux Reynjt & ■9t Zoutman, & Ie Contre Amiral van Kinsbergen, pour nous donner leurs confidé-ations & leurs Confeils fur j5 tous les objets qui concernent les aifaires de la Ma- rine, pour nous cornmuniquer les projets, les pré".- cautions & plans qui leur paroitront propres k nous faire exercer dignement 1'emploi dont nous fommes 3i revêtus. ,, Nous avons eu beaucoup de peine k difpofer ces „ Meffieurs, ou du moins une partie a aceepter cette „ Commiffion. „ La licence continuelle, & (ce qui eft incroyable) „ toujours impunie de la Preffe, leur faifoit craindre de fe voir traduits devant la Nation; expofés a la „ haine, au mépris, & a la dérifion publique, par des „ écrivains factieux, qui font leur occupation favoria, te & journalière d'attaquer tous ceux, qui mieur iti„ ftruits qu'ils ne le font de 1'enfemble des circonftan„ ces, ne fe conforment point en toute occafion a laur „ fagon de voir & de pcnfer, & qu'ils dépeignent, par cette raifon , comme des Traitres a 'la Pa„ trie, ou du moins comme des hommes quifacrifient „ les intéréts de l'Etat a leur intérêt particulier, „ a une lache crainte humaine, <3t a une baflè flat- terie.  CORRESPONDANCE \ POLITIQUE, CIVILE et LITTERAIRE, pour servir 1 I L'HISTOIRE du XVIII8. SIÈCLE, En Trois Tomes.   CORRESPONDANCE POLITIQUE, CIVILE et LITTERAIRE, l'HISTOIRE du XVIIP: SIÈCLE. A B E R L I N, Chez ETIENNE de BOURDEAUX, 1783. X Leipzich, chez Cruftus; \ Hambourg, chez la Vewe Herold; \ Vitrine, chez Graffer; a Hanovre, chez les Frères Helwich; A Strasbourg, chez Bauer; A Manheim, chez Fontaine; A Lille, chez Jacquier; i Copenhague, chez Heineke fcf fij&w, ^ Fribourg, chez 5ajfe; A Augsbourg, chez La F«w Jïlette; k ^vw, chez J. F.deitoc*, k Bru*«Jfer, chez Flon; k Crevelt chez A. ter Meer. a Francfort. chez Brönner; a la Haye, chez Gox/è; k Amfterdam, chez CAmgvft»; a £•««,<•«>», chez ^trwrt & Hake. &e. &c. &c. POUR SERVIR A T O M E TROISIEME. QUATRIEME C A H Y E R. Je ne Jers ni Baal, ni le Dieu d'Ifrai'L et fe trouve   CORRESPONDANCE POLITIQUE, CIVILE et LITTERAIRE* POUR SERVIR A L'HISTOIRE du XVIIP. SIÈCLE. R él at ion de la Campagne de M. le Comte ifEftaing, durant les années 1778 & 1779? par an Officier de fon Efcadre. t a pièce que nous allons configner ici efl: peu cohI j nue, en France comme ailleurs. Les Gazettes qui font ordinairement de ces fortes d'écrits des remplifl'ages aufli commodes pour leurs Rédaéteurs, qu'ils font fouvent faftidieux pour les lecteurs, n'ont pas mis celui-ci a contribution. En auröient-elles ignoré 1'existence, ou trouvé les détails trop curieux? Je n'eri fais rien. . . ■ Trois motifs me portent.i ne pas ïmiter leur lilence.. jo. M. le Comte d'Eflaing, exceffivement loué par fes partlfans, non moins vivement décrié par fes envieux, me paroit apprécié avec moins de flatterie ou d'amertumc dans ce Journal, & il n'eft pas indifférent de connoïtre les talens , le génie d'un homme qui occupe tant le public depuis quelques années, dont les Tom. III. Cah; IV. V Cé*r«  '49* Correfpondance Pelitique, prouve quand ils le méritent. Nous joindi:ons a féri Journal quelques remarques en forme de notes pour mieux faire reffortir le contrafte qu'il forme tl'Jlos chiffons pénodiqües ou hebdomadaires. Cette Campagne efl très-intéreffante par les événemens & par les Circonftances particulieres qui en ont été la qui Ja fait entreprendre avoit pu fe remplii- mais on S etoit trop promis avec des moyens for " certa s pris au hafard devein.s plus foibles encófë par 'JneS r ence du General, dont le caraclère altier & préfomDeu* e permettoit aucun confeil; muni d'un grana pouvo,r i uftge qu'il en faifoit ne pouvoit que choquer les £'S' Des menaces a tous propos, Ie plus fouvlnt fan motifs .toujours avec cette autorité foudroyante qui il te ?êft£°lem ™ureWntlui attirer la haine de toute 1 efcadre; une défiance humüiante ,des ordres captieuT qui paroifloient médités pour furprendre la bon nef Officiers Commandans; des précautions inmiies pour les rendre refponfables des événemens & faire tomber fS eux au befoin 1'irréuffite d'un projet mal coneu Aio» tez | tant de fujets de mécontentement, le Xqut§Z gards envers tous les Officiers fous fes ordres?même ceux qu. après lui devoient avoir 1'autorité du cónTmandement ; une conduite auffi irréguliere jointe a la Sté ab"s Pouvoir :employant dans 1'occafion de préference kdancens Officiers contre tous les ufages étabhs, de jeunes gens fans la moindre expérienceT qui devenoie.it fes confe Is dans les occafions les plus délic tes & dont tout le mérite étoit dans fes bonnes graces Pré-' venu fans mptif contre plufieurs, il faifoit naitrc les occafions de les molefler. En uumot, il conduifoit fon efct dre en vrai defpote, par la crainU: ce aui ne pouvoir qu exciter un foulcvement général & le faire ïaV qS tuT0?'^* harmonie Pouvoit-il y avoir dans une telle efcadre, pour concourir aux vues du Général & rempltr celles du Gouvernement? C'étoiem des pLintei contmuelles, des mortifications données & rendues1 M °(?a™ -°n d0Xs'^^ * ^ grandesfautes. \n^rï £a2^',acrtf' i'ffatigable, ne s-efl point éparené f fon £ & ^r™ dZ con^^ PropottioPnn!ëS •i ion auivite & a fon ambition, il feroit capable des plu* " in"Je confefl* Tr" d'expérience, il a be- ' 'mpécho S? 011 °ara?ère prévenu &intraitable i ■ mpcche de fuivre, pas même d'entendre les perfonnes  Civile cj* Litteraire. 293 nes capables de le guider: c'eft ce qui lui a fait expofer fouvent imprudemment & avec témérité, fans aucun objet utilc, 1'efcadre du Roi. Parti de Toulon le 13 d'Avril 1778 , dans un état d'encombrement inconcevable, il ne voulut pas rclScher aux; IÜes d'Hieres par le coup dc vent forcé qui fuivit de prés la fortie, & qui a fait tomber 1'efcadre jusques dans le golfe de Gènes. Cette- relache indifpcnfable par rapport k plufieurs vailfeaux qui n'étoient pas prêts, l'auroit mis dans le cas de mieux tenir fa mtitiire, qui, ayant des haubans neufs, prêtoit fi fenfiblement aux fatigues d'une mer orageufe; de forte que les mSts du Languedoc beaucoup trop élevés, fupportoient feuls, foiblement foutenus par les cordages, tous les efforts d'un tangage trés dur & de gros roulis. On peut confidérer cette époque comme la première de fon dém&tement. Les mAts ctoicnt tombés de 1'arrière; il n'y eut qu'une opinion dès ce moment dans 1'efcadre, que ce vaiffeau démateroit au premier coup de vent; la relache _ nous eüt fait gagner au moins huit jours, & ce temps étoit précieux pour trouver les Anglois dans la Delaware, puisque nous ne fommes arrivés que dix jours après leur départ. Nous fommes reftés trente cinq jours dans la Méditerranéef traverfés toujours par les vents contraites, Ce fut vers 1'Ifle de Madêre, le 20 Mai, après le départ de la frégate Ia Flore, qui eft retournée en France pour y annoncer notre paffage du détroit,que notre petite efcadre repréfentant le corps de la nation, pavoifée comme un jour de fête, a I'imitation du Général, déclara la guerre a {'Angleterre. Les inftructions.de la Cour rcmifes aux Capitaines, lues aux Etats-Majors, pourroient faire penferque M. d'EJiaing n'étoit point autorifé par Ia Cour k une déclaration de guerre auffi finguliere; mais il pouvoit prévoir qu'elle feroit infailliblement déclarée , & que la Cour ne feroit pas fêchée qu'il prit fur lui d'agir oflenlivement, fe propofant fans doute de le défavouer, s'il ne réuffiflbitpas. C'eft bien la Ie caractère hardi du-Comte d'EJiaing. Des infttuótions remifes aux Capitaines portoient de fe méfier des Anglois, d'attaquer toute flotte allant ou. venant de YAmérique, fuppofé que nous fuflïons en force fupérieure, & de fe rendre direéteaient a Boftan en cas de féparation. Si la Cour avoit ordonné la déclaration de guerre faite par M. d'EJiaing, tout batiment quelconque, foit qu'il' vint des Indes ou dc YAmérique, étoit également de b&nV 3 ne  294 Correfpondance Politique, ne prife. Pourquoi donc cette exception,' d'attaquer, prendre ou détruire toute flotte allant ou venant de l'Amérique, & de nous rendre direaement k Bofion ? C'efi: que nous devions protéger cette Ville en cas d'attacue. Une preuve encore qui appuie ce que je viens d'avancer, c'eft le cotnbat de VArethufe, du 17 Jufn. La Cour de France n'eüt pas demandé rcparation k la Cour d'Angleterre pour I'infulte faite au pavillon en attaquant la Jselle Ptule, fi elle eüt donné des ordres précis au Comte d'Eftaing de déclarer la guerre k la hauteur de IMdede Madère le 20 Mai. Cette politique me paroitroit bla*mable, non-feulement paree qu'elle manque de bonnefoi, mais auffi paree que I'infulte faite au pavillon Franpis fuf les cötes de la Bretagne , nous Ie vengions fur les cotes de YAmérique d'une manière réparatoire, en attaquant les Anglois auparavant qu'il y eut aucun manifefte d'une' déclaration de guerre en bonne forme O )■ U eft cependant vrai qu'k cet égard les Anglois ne peuvent rien nous reprocher, puisqu'ils avoient déjh commencé k prendre fur nous, & qu'ils nous attaquoient dans 1'Inde. ^ Le premier Juin , nous avons vigoureufement chafle des navires que nous croyions Anglois, & qui enfuite ont été reconnus pour Hollandois, venant de Batavia, ricbe- ment (ij L'Auteur de ce Journal efl bien lionnctc, dc juger d'après fa délicateffe , des procédés'des couronues. Saus doute, celle A'Aaglcicrre ne fe piqué pas de pudeur jusqu'au fcriipüle. Muis elle a cetce morale en cMnmun avec les autres. La réparation que celle de France lui deniandoit pour I'infulte faite \ la Bel/e-Pttle par YArethufe, té 17 Juin tie prouve pas que M. A'Ejlaing n'eut pas un oidrc fecret, de déclarer la guerre aux Anglois Ie 20 mai précédent: le Marquis de Noailles étoit déja parti de Londres Ie 20 Mars. Cela prouve qu'cu ce genre comrae cn bien d'autres, on n'elt pas toujours conféquent, on tache de mettre le bon droit, ou du moins de peri'uader du mieux qu'on peut, .111 public , qu'on 1'a de fon cóté. II n'étoit pas conféquent d'excepter les vailfeaux Anglois qui alloient 6ux Indes ou qui en venoient, de la profcription prononcée contre Jcs flottcs Atigloifes rencontrées dans 1'Océan Aüantique: mais il étoit également contradidoire d'ordonner au commencement d'Avril, de molefter , de battre, de prendre ou'de tuer les fujets du Roi d'Angleterre, & de fe piaindre enfuite des coups de canon recus & rendus par un'ftégate Francoife, Je 17 Juin, fur les cótes de Bretagne. jL'ordre donné 1 M. tfEftaing de déclarer Ja guerre a Ja hauteur des Mes (kanaries, ne rendroit pas J'inconféquence beaucoup plus forte. Que l'on compare Jes faits rapportés ici avec les griefs allégués dans ïc ïftanifefte &z Verfailles & dans fa réplique au contie-manik'fte dc la Cour dc Londres, pour juger de Ja iogi-jue des cours.  Civile c5* Litteraire. 295 ment chargés. Le premier batiment Anglois que nous avons rencontré & pris, eft la Charlotte venant de 1 Ifle de la Providence, une des Lucaïes, charge de fucre, caffe & indigo, rencontré ïi la. hauteur des Bermudes le 30 Juin; c'eft0 probablement le premier navire pris lur les Anglms de cette guerre, puisque la Cour de trance a demand» réparation pour le combat de la Belle Poule & 1,- du m£ me mois. Comment concilier la conduite de M. d Eflnmg avec celle de la Cour? Le 5 Tuillet, la frégate VEngageante a combattu dans la nüit la frégate la Roje. corfaire de vingt-deux picces de canons, dont elle s'eft emparé apres la rehftance la plus courageufe; il étoit commandé par le Capitaine Doukins, dont la bravoure a menté 1'eloge de fon vainqueur. Nous nous fommes emparés de la Bontte, qui étoit une prife de ce corfaire fur nous. ; Le7 fuil'et, nous avons donne chaffe a la Iregate ia Marcaid, de trente-deux canons, & nous I'avons force a fc détruire. TJn bfiteau Amèricain, rencontre a 100 lieues de la córe , nous avoit affuré que nous trouvenons les Anglois dans la Delaware, nous 1'avions ramene avec nous pour nous fervir de pilote; il devoit en aller prendre dans labaye de Chefopeack; Ie Général I'avoit comblé de bienfaits, & fait remorquer par une frégate. 11 fut a Cliefapeack;i\c revint plus& il fit pis encore, ce fut de nous trahir, en prevenant Howe de notre arrivée (1). N'ayant pas dc pilote , fans aucune connoiffance de la cote, 1'embarras du Général étoit extréme; nou* effayanies de ehénaller dans la Delaware: plufieurs de nos vaisfcaux s'échouerent; nous fümes obligés de mouiller, & de hafarder d'envoyer un canot avec un Officier pour prendre langue a terre, fans favoir fi cette partie de la c&te étoit aux Américains ou aux Anglois. Nous avons fu que ceux-ci avoient évacué Philadelphie, quc leur dernier convoi étoit parti depuis dix jours pour New-Yorck. L'efcadre alloit manquer d'eau , plufieurs vaiffeaux n'en avoient plus que.pour douze jours. Dans cette pofition, il convenoit d'en faire dans Ia Delaware; tandis que le Général auroit pu concerter avec le Congrès & Washington, ce que l'efcadre pouvoit entreprendre, & jus- qu'ït f_i) C'étoit un enquin: Ia fuite de cette relation fera voir qu'il n'étoit pas le feul de fon efpèce, dans ce pays peuplé de héros & d'adorateaiï tte Ia liberté. V 4  f#ron, paree que le Chevalier du Rumain a été aéu'f, intrepide & heuteux ; paree qu'un brave Nigociant a fecondé ce brave Officier & que les Qaratiefont róntribué a faire peur au Lord Maurke & a la f arnifoa Anglove reaferniée dans Saint-Vincent ï *  330 Correfpondance Politique, Les dispofitions furent fakes d'après les obfervations réflécbies du local. On étoit für de n'avoir a faire qu'a des miliccs, & qu'il n'y avoit guères plus de cent hommes dc troupes réglées. Nous n'avions qu'environ feize cents hommes, qui furent divifes en trois colonnes; l'une aux ordres de M. de Pondevaux, Lieutenant-colonel, chargé de la fauffe attaque fous la maifon de Phópital. M. le Vicomte de Noaitles en commandoit une qui devoit feindre une autre attaque au fud de ia rivière de Saint-Jean. M. Ie Comte de Uurat commandoit 1'avantgarde de Ia divifion dc M. d'EJiaing, compofée de 1'élite des troupes, & d'un piquet du régiment de Dilkn aux ordres de fon Colonel. II eft néceffaire de donner ici une idéé de Ia fituation du morne. il eft prefqu'h pic, fur-tout du cóté de la rivière Saint-Jcan; fa forme elt ceile d'un hauffe-col dont ia partie fupérieure eft vers ie fort; le fommet n'eft pas applati, on y a feulement taillé une plate-forme visa-vis la maifon de 1'höpital, qui eft 1'endroit le moins difficile pour y monter, paree qu'il ya un fentier; mais 'C'eft le plus long, oü l'ennemi avoit quatre pieces de canon de vingt-quatre, & une autre batterie fous la maifon dc 1'höpital de fix pieces; a l'autre extrèmité du morne, qui ne laiffé pas que d'être éloignée & dont Ie chemin fort étroit ne permet pas toujours de merchcr deux de front, étoit une batterie oü il y avoit quatre pieces de canon de fix avec fix mortiers. Ce fut fur cette batterie vers la maifon Lucas, audeffus du cul-de-fac , que monta la divifion de M. le Comte d'EJiaing, fous le feu du canon & d'une moufqueterie de plus de fix cents hommes, malgré trois retranchemens les uns fur les autres qu'il falloit franchir , au travers dc groffes pierres entaffées les unes fur les autres , ayant encore a elfuyer le feu d'un corfaire entraverfc dans le cul-de-fac, qui prenoit la colonne par fon travers & failoit beaucoup dc mal. Rien ne put arrêter 1'ardeur &le courage des foldats guidés par le général qui ma-choit a leur tête, aidant les grénadiers a fe relcvcr lorfqu'ils tomboient dans les pierres. En moins d'une heure nos troupes gravirent le morne, & s'en emparerent après avoir chafië l'ennemi de pofte cn pofte. Le gouverneur le croyaiat imprenable, y avoit dépofé fa vaiftelle, fes bijoux, fes effets les plus précieux; tous lc? officiers avoient fuivi fon exemple: ce fut la récompenfe des foldats, qui firent un butin immenfe; notre p*ertc n'a eté que de trente-cinq hommes tués dans factie-a;  Civile 6? Litteraire. 53* don, &environ foixante & dix blefies. Le major & Ie premier capitaine des grenadiers du régiment de la Martinique. & un Lieutenant de Dillen y ont perdu la vie. Les quatre pieces dc canon de vingt-quatre, trouvées Air le morne, ce qui étoit une mal-adreffe de l'ennemi, qui pouvoit également fe défendre avec des pieces de campagne, fuffirent pour réduire le fort. M d'EJiaing fit tirer deffus au point du jour. Le Lord Macartney, gouverneur dc 1'ifle, n'attendit pas le fecond coup de canon pour demander a capituler; il envoyaun officier faire fes propofitions au général, qui lui faifant remarquer 1'heure qu'il étoit a fa montre, lui dit qu'il accordoit une heure & demie au Lord pour fe rendre k difcrétion, & remettre fon fort & celui de fes troupes & de la colonie a la bienfaifance & k Ia clémence de fa Majefté. Le Lord fe foumit k cette dure loi du vainqueur: ce qu'il n'auroit affurément pas fait, s'il avoit pu prévoir Ie traitement rigoureux que M. d'EJiaing lui refervoit pour avoir répondu d'une maniere hautaine & infolente a la fommation qu'il lui avoit faite, felon 1'ufage, auparavan* 1'affaut du morne , lui propofant une capitnlation honorable; c'eft Ie motif préfumé pourquoi ce gouverneur a été traduit en France, s'étant oublié jufqu'k injurier la nation. Nous nous fommes empares de trente huit batimens qui étoient dans le cul-de-fac; dix autres navires fous charge k 1'ance du Gr and-Mar quis, ont été arrêtés par des habitans Franpois qui avoient leurs voiles en dépot. M. Ie Comte de Durat, Colonel en fecond du régiment deGdtinois, officier d'un rare mérite, a été nommé par M. d'Eftaing gouverneur général de 1'ifle & dc fes dépendances, telles que Corionagon & Béconia, petites ifies, dont deux de nos vaiffeaux ont été recevoir Ia foumiffion des habitans. II y avoit dans ces ifles beaucoup d'artillerie & de bceufs que les Anglois y avoient en dépót. Le Comte d'Eftaing fit afficher une ordonnance au norrt du roi, portant défenfe expreffe aux habitans de Ia Grenade, de pay er aucune dette k 1' Angleterre jufqu'a la paix, fpécifiant la repréfaille de la conduite des Anglois. & Pabus de leurs fuccès pendant Ia derniere guerre, contre le droit des nations & les loix même dc 1'Angleterre. Comme les Anglois pourroient ufer de la même loi pour ne point payer ce qu'ils doivent k la colonie, ces paiemens feront pris fur les revenus des habitations de ceux des Anglois qui font régir par économes, dont il fera formé  33* Correfpondance Politique, formé une caiffe avec un tréfbrier adminiftrateur qui rendra compte a la paix de la maniere que la cour jugera convenable. Plufieurs Franpeis, chaffês de leurs habitations par les Anglois, font rentrés en posfeffion de leurs fciens par ordre de M. d'EJiaing , qui a fait ramaffer militairement dans 1'ifle tous les petits marchands, économes & gens fans aveu, qu'il a embarqués fur les vaisfeatrx. Le 4 Juillet, le général recut avis par M. de Montet, commandant particulier de Saint-Fincent, que Biron avoit paru devant 1'ifle avec tous fes vaiffeaux & un convoi. II n'y avoit point de doute qu'il ne vint pour fecourir la Grenade. M- d'EJiaing fit le fignal a I'armée navale d'appareiller au point du jour du 5 Juillet. II y avoit peu de vent, & il n'y eut que quelques vaiffeaux qui appareillercnt. Le général ayant k craindre que ces vaiffeaux ne fuffent entraïnés fous le vent par les courans, leur ft fignal de fe rallier. Ils mouillerent dans la rade. L'armée navale foupeonnoit bien 1'avis donné au général; mais n'en étant pas pofitivement fur, il auroit du prévenir les capitaines dc fe tenir prêts au combat & k appareiller au moindre fignal: ce^ qu'il ne penfa pas k faire, trop occupé fans doute k établir 1'ordre k terre. II crut fuffifant de faire croifer les frégates trois lieues au vent de 1'escadre. A trois heures & demie du matin, le 6 Juillet, elles firent des fignaux pour annoncer qu'elles voyoient des voiles étrangeres. Le nombre fignalé défignant d'après les avis recus que c'étoit tiiron, le général fit Ie fignal vers quatre heures du matin k l'armée d'appareiller; ce qui fut répété plufieurs fois avec coups de canon. A cinq heures trois quarts il y avoit des vaiffeaux qui n'avoient pas encore appareillé; le général leur fit fignal de eouper leurs cables. L'ennemi s'approchoit k toutes voiles dehors, paroisfant venir avec confiance & de très-bonne grace; Ie général s'appercevant que les vaiffeaux n'auroient pas le temps de prendre leurs pofies dans 1'ordre affigné a leur rang, fit lc fignal, en ligne dc combat comme vous étes, le plutót pojfible. Ce fignal 11e fut pas exécuté Iittéralement, 'éhaque Capitaine voulant occuper Je pofte qui lui eft deftiné par Je rang de fon vaiffeau: ce qui occalionna trn peu de défordre & du retard k fe former en ordre de combat. Nous avons vu Ja même chofe fltriver k Ja pourfuhe de Howe & Ia même obftination parmi les capitaines pour peprendre leurs rangs, Le retard dans Tappa-  Civile 6? Litteraire. 333' pareillage avoit été caufe que dix vaiffeaux étoient tomhés fous le vent, foit par Tenet des courans, ou biea faute d'attention k faire de la voile peur fe foutenir au vent. 11 n'y avoit que quinze vaiffeaux affez mal formés en liane avec le général, & prefque tous des petits. A fept heures & demie, les premiers vaiffeaux de Tavant-garde de l'armée ennemie commencoient a doubler notre avant-garde k Ia portée du canon. Nous comptions dix-neuf vaiffeaux qui n'étoient pas bien en ligne, paree qu'ils venoient toutes voiles dehors, & qu'il étoit impoffible a cette voilure de pouvoir conferver Ibn pofte. II eft a préfumer qu'ils ne nous croyoient pas auffi nombreux, ou qu'ils étoient perfuadés que 1'ifle n'étoit pas rendue, & que M. i'Eftaivg étoit k terre avec une partie des équipages. . • Ce que Biron ignoroit fürement, c'étoit 1 arrivée de M de Ia Motte-Piquet avec fix*'vaiffeaux. II avoit laiffé au vent de 1'ifle un convoi d'cnviron trente bidmens , que nous difiinguions fous Pescorte de deux vaiffeaux. Ce convoi portoit quatre mille hommes de troupes réglées fous les ordres du Major-général Creen. A fept heures trente-cinq minutes, notre général fit le fignal de commencer le combat, lequel s'engagea k 1'inftant par M. le Marquis de Vaudreuil, commandant le Fendant, qui tira Ie premier coup de canon, & fucceffivement tous les vaisfeaux qui fe trouvoient a portée, k caufe que l'armée ennemie croifoit la nötrej. Nous courions a bord oppofé par le travers de 1'ance Malinier Notre armée tenoit le vent pour s'approcher d'eux, forcant de voiles, afin de gagner de 1'efpace, pour que les vaiffeaux fous le vent puffent fe former k 1'arriere-gardej manoeuvre affez indïquée par 1'impoffibilité de pouvoir fe mettre en ligne au> trement qu'en revirant pour former Tarriere-garde. Le premier vaiffeau de 1'avant-garde ennemie pouffa fa bordée jufqu'a I'entrée de la baie de Saint-George, dont les forts tirerent de loin fur lui. Ayant alors Ia certitude que 1'ifle étoit rendue, toute l'armée revira vent arriere par la contre-marche, forcant^ de voiles pour rejoindre fon convoi, quoique nous préfentaffions un moindre nombre de vaiffeaux k Ia ligne ennemie. Nous avons eu le ttr du canon fi jufte & fi heureux, que nous lui avons détMté trois vaiffeaux de leurs m&ts de hunes; plufieurs autres étoient maltraités dans leurs gréemens. Trois vaiffeaux de 1'arriere-gardc Angloife effayerent de eouper l'Armibal, que moiuoit M. de la Motte-Piquet, ferre-  134 Correfpondance Volitique, ferre-file de la ligne, un peu éloigné de fon matelot d'avant. II les combattit tous trois enfemble & fe fit ïaisfer, foutenu k temps par le Céfar, & le Réftéchi. M. de la Motte-Piquet voulut enfuite effayer de revirer de bord pour couper les trois vaiffeaux dématés; mais 1'état de fon gréement ne le lui permlt pas. A neuf heures & demie, Ie fignal en Hgne de com* bat fut viré;^ c'efi alors que les deux vaiffeaux Anglois qui étoient reftés au convoi, font venus joindre les leurs; i! y en eut un qui rangea de prés notre avant garde, dont il efluya tout le feu. Le Tonnant & deux autres vaiffeaux quitterent la ligne pour s'en approcher. i.'armée Angloife n'étant pas élevée k leur hauteur; ils le combattirent enfemble, le dématerent de fes mats de iiunes , & il eut plufieurs boulets dans fon grand mSt, k ne plus pouvoir faire ufage de fa voile. Toutes fes voiles étant hachées; entiérement dégréées, fon mit de pavillon coupé, il auroit été infailliblement pris ou coule bas, S'il n'avoit pas été fecouru k temps par 1'ivait-gardedefon armée. Le Diadême avoit un vaiffeau Anglois par fa hanche, qui Tincommodoit; il paffa fes canons de retraite; & au fecond coup qu'il dra, il coupala vergue du grand hunier de 1'Anglois, & fon (aft de perruche. A onze heures, le général k fait fignal aux vaiffeaux de deffous Ie vent de virer vent devant. Son intenuon étoit de leur faire couper les trois premiers vaiffeaux dématés qui étoient tombés dans les eaux de notre ligne; mais ce fignal n'a pas été vu, paree que dans ce moment Ie Languedoc étoit couvert de fumée ; il avoit par foi? traversla Princeffe-Royale de quatre-vingt-dix canons, que montoit 1'amiral Biron qu'il combattoit. M. ó'Eflaing mit fon vaiffeau en panne, défiant par cette manoeuvre 1'Amiral Anglois au combat patticulier, qu'il ne jugea pas k propos d'accepter. II continua toujours k force de voiles , ainfi que toute fon armée qui tint conftamment le vent pour rejoindre fon convoi. Le général avoit arrivé infenfiblement pour rallier les vaiffeaux fous Ie vent, tandis que l'ennemi ferroit le vent; de forte qu'k midi quarante-cinq minutes les deux armées commencerent k s'éloigner. Le combat ceffa alors, ayant duré cinq heures dix minutes avec une opiniitreté & un acharnement dont il y a peu d'exemples. A deux heures & demie, notre ligne étoit bien fbrmée_, les vailfeaux fjaus le vent ralliés. A trois heures trois quarts nous viratfles de bord tous en même temps vent devant; fi nous eufüons couru Péchiquier, nous au-  Civile (f Litteraire, surions coupé les trois premiers vaiffeau* démStés, ett même temps que nous nous ferions rapprochés de la li-* gne des ennemis pour rengager le combat; nous'I'aurions mis dans une pofition k nous abandonner tous les vaiffeaux dématés. Les Anglois témoignoient n'avoir aucune envie de recommencer le combat; ils avoient cirwf vaiffeaux qui ne pouvoient pas garder leurs poftes eu ligne,- aucun des n&tres n'avoit fouffert dans fa mtturew Mais M. d'EJiaing fit fignal de nous reformer en ligne, les pofitions invcrties. Auffitöt après avoir viré, il nS fut plus poffible de rengager un combat général, ou da moins d'y forcer l'ennemi qui avoit gagné beaucoup ait vent: nous ne pouvions que couper les trois vaiffeaux: refiés de 1'arriere. Deux effuyerent tout le feu dm corps de bataille; 1'un recut trois bordées du vaiffeau le Fendant, qui quitta la ligne & revint enfuite reprendre fon pofte. Letroifieme fe voyant abfolument coupé, fit vent arriere; le moindre vaiffeau que le général lui eüt détaché 1'auroit fait rendre. M. d'EJiaing craignoit fans doute qu'il ne 1'entrainat trop fous le vent. Le jour alloit finir; nous tinmes le vent pour rega-«* gner la Grenade, tandis que l'ennemi forcoit de voiles pour rejoindre fon convoi, étonné fans doute que nous ne ftiffions pas mieux profiter de notre victoire. 11 ne nous auroit fürement pas quittés de même, s'il avoit eo. un pareil avantage. Nous pouvions prendre cinq vaisfcaux que l'ennemi avoit abandonnés, ne pouvant pas. fuivre, ou il fe feroit expofé k une deftruction totale ea voulant les fauver. II n'eft pas un officier, entre tous ceux qui ont vu le fuccès inoui de cette journée, qui puiffe avancer le contraire: la plus grande partie penfoient en prendre ait moins la moitié. Ce qui avoit encouragé fingulièrement les équipages , c'eft que 1'événement du combat ne fut pas doutcux dès le commencement de 1'action, malgré 1'inégalité du nombre. Nous n'avions pas encore deux heures de combat, que cinq vaiffeaux ennemis étoient dématés, leurs vergues coupées, plufieurs dégréés tandis que notre armée paroiffoit invulnérable. Nous n'avons pas perdu un baton de foc pendant un combat de plus de cinq heures, auffi long que meurtrier: circonfiance fi heureufe, qu'elle n'a point d'exemple, & qu'on peut attribuer k ce que l'ennemi étoit au vent, par conféquent incliné , ce qui lui a fait noyer une partie de fes bordées. Trois de nos vaiffeaux avoient bien leur nature un peu endommagée; mais ils n'ont pas ceffé un L"3-  3 $6 Correfpondance Politique, ipftant de faire de la voile comme les autres. VAmphkn & Ie Fier Rodrigue, petits vaiffeaux de cinquante canons, ont arrivé au commencement du combat, ayant perdu leurs Capitaines. Nous avons pris, en rentrant k Ia Grenade, un batiment du convoi, chargé de cent-cinquante hommes de troupes, avec un drapeau. II eft toujours fenlibie & douloureux de ne pas profiter, autant qu'on le pourroit, du fuccès d'un combat, Jorfqu'on s'eft vu affez hcureux pour avoir un avantage auffi décidé que celui que nous avions Je ne crois pas M. d'EJiaing le plus bl&mable: excepté de n'avoir pas couru 1'échiquier, afin d? coupor les vaiffeaux démités, II a fait tout ce qu'il étoit poffible de faire , & combattu avec une bravoure digne de fervir d'exemple; fi les vaisfeaux qui étoient fous le vent 1'avoient feconde en manoeuvrant felon la circonftance; s'ils avoient été fe former k 1'arriere-garde , ainfi que le bon fens le dictoit, puifqu'ils ne pouvoient être utiles autrement, il eft conftant que l'armée ennemie efit été abimée, & les trois vaiffeaux dématés au commencement dc 1'action auroient été pris, M- d'EJiaing n'auroit pas été obligé d'arriver pour les rallier: on auroit combattu de plus prés avec un nombre de vaiffeaux fupérieur. II eft k craindre que plufieurs capitaines ne puffent pas juftifier leur conduite s'ils étoient recherchés; ils en doivent compte au Roi & k la nation: le mépris de leurs camarades dit affez combien on les croit en faute. ,Notre perte dans ce combat a été de cent foixantedix-neuf hommes tués, fept cents foixante & quinze bleffés, en tout neuf cents cinquante-quatre hommes tors de combat; dans ce nombre vingt-huit officiers, dont treize tués & quinze bleffés; le Capitaine commandant la Provence, & celui de l'Amphion, & du Fier Rodrigue ont été tués. L'ennemi a avoué avoir perdu douze cents hommes ce qu'on peut mettre k dix-huit-cents. Le Prince de Galles, que montoit Barrington, a recu, feulement dans le cóté du bas-bord , foixante & quatorze boulets. Notre armée mouilla dans la rade du fort SaintGeorge, le Iendemain du combat du-7 Juillet, vers midi, & fut recue avec acclamation par les foldats & par les habitans Franpois qui avoient vu le combat du haut des mornes. , Le 12 , la Chimère & l'Alcmene font rentres avec deux prifes, un bricq & une goëlette chargés de fucre. La frégate la Diligente, a été défignée pour porter au Roi la nouvelle de nos fuccès; le Lord Macartney y fut em- bar»  tivile £f Litteraire. óarqué Ia veille du départ, lorfqu'il croyoit paffer dans la flute YAventure avec tous les officiers Anglois & armée même par des prifonniers, fur leur parole d'honneur de fe rendre en France. Le Lord, furieux de fe voir ainfi. joué par M. d'EJiaing qui refura même de lui rendre les papiers nécelfaires pour fa jaftification, arracha de fon habit fes marqués de dignité qu'il jetta a fdn valet, difant qu'il n'en avoit plus befoin, & qu'il étoit trop humilié pour s'en voir décoré. Le général fut inexorable k fon é^ard ^i). Nos bons amis les Caraïbes de Saint-Fincent font venus dans un bateau vifiter M. d'EJiaing. Les vaiffeaux étant réparés, l'armée a appareillé Ie 15. Le foir1 du '7, elle étoit par le travers de Sainte-Lucie-. les frégates rangerent la terre de 1'ifle pour reconnoitre fi l'ennemi s'y étoit retiré. Ayant rapporté n'avoir vu aucun vaiffeau. nous avons continué notre route vers la Martinique; lorfque nous fümes par le travers .du FortRoyal, le général y fit entrei' deux frégates, pour porter fes ordres au convoi qui s'y étoit raffemblé, prêt k partir pour la France. Nous continuümes notre route, rangeant la terre de 1'ifle, enfuite la Dominique, k une très-petite dlftance. Dans Ia matinée du 19, Tafméë mouilla k Ia Bajfeterre de la Guadeloupe, oü nous avons fut quc Biron étoit k Saint-Cbrijlophe avec une partie de fes vaiflëaux. Voici ce qu'un particulier de 1'ifle écrivoit k 1'un dc fes amis k Ia Guadeloupe pendant notre féjourj „ Les Anglois, qui cachent ordinairement leur perre, ne „ peuvent la diffimuler dans ce moment; elle efl fort „ grande, & la conlternaiion efl: telle que je Ia croirois „ encore beaucoup au-deffus de ce que Pon en dé„ bite ". M. d'EJiaing nc refla que dix-huit heures k la Guadeleupe, temps néceffaire pour embarquer cinq k fix cents hommes de troupes qu'il y prit. L'armée appareilla' le' 20, fe forma auffitöt en ordre de combat pour aller revoir Biron a Saint-Chrijlophe, & Pattaquer s'il étoit dans une pofition k pouvoir Pctrc avec avantage. ÜrJ (1) Oue1 peut £ire le motif d'un procédé auffi extraordinaire? Le rélateur a dit plus haut, que M. Macartney s'droit oublié jusqu'a injurier la Nation Francoife. II avoit tort.. Mais la févérité de M d'EJiaing n aecufoit-elle pas un peu d humeur ? Et 1'oubli d'un Gouverneur malheureux,.traité durement, iullifie t-il le manque de parole dc fon yaindueur? La conduite du Général Francois tient a Ion caraaére dur Cfe «les.iotiquc- Tome UT. Cah. IV. Z  338 Correfpondance Politique, Un propos tenu par M. le Comte de GtaJJe a Ia Guadeloupe , rendu k M. d'EJiaing , fur la facilité d'attaquer au mouillage dè Saint-Chrijlophe des vaiffeaux emboffes, fit imagincr adroitement au général, d'après fon affaire de Sainte-Lucie, de le rendre refponfable dé* 1'événement, en lc chargeant de conduire Ia ligne & lui laiffant toute 1'aatorité pour attaquer les Anglois, fuppofé que l'armée du Roi put le faire avec fuccès. Par cette rufe politique il fe juftifioit de Sainte-Lucie, dans le cas probable oü l'ennemi fe feroit emboffé, & que le Comte de Gm()e jugeat 1'attaque dangereufe; cequiarriva ainfi qu'il I'avoit prevu T1) A dix heures du matin, le 20 Juillet, l'armée du Roi fe préfema devant l'armée ennemie qui étoit embofiëe dans le meilleur ordre poflible au mouillage de la Bajfeterre de Saint-Chrijlophe, ayant encore trois vailfeaux dématés , & les autres réparant leurs manoeuvres. Ils avoient un vaiffeau de moins qu'au combat de la Grenade, n'é;ant que' vingt. Celui qui manquoit pouvant k peine manceuvrer,- avoit été forcé par fa fituation d'arriver, & d'aller k la Jamaïque. Ils curent le chagrin de nous voir le même nombre de vailfeaux qu'au combat de Ia Grenade, dans le même état que fi nous n'avions pas combattu. M. le Comte de GraJJe, k qui nous avons dit que M. d'EJiaing avoit déféré malicieufement le commandement de l'armée, fous le prétexte qu'étant k Ia tête de la ligne il pouvoit mieux juger de la pofition de l'ennemi que lui qui étoit au corps de bataille; après 1'avoir examiné d'affez prés, fit le fignal de virer de bord vent devant, ayant écrit au général qu'il ne croyoit pas poflible d'attaquer l'ennemi avec avantage, vu la maniere dont il étoit emboffé. Nous revirêmes par la contremarche, en eonfervant 1'ordre de combat; de forte que chaque vaisfeau s'approchant de plus en plus pour vlrer dans les eaux de celui qui le précédoit, les derniers vaiffeaux de 1'arrière-garde furent obligés de virer k demi-portée du canon des Anglois. Nous avions tous nos paviilons de pouppe; le général fon grand pavillon de commandement, de même que les chefs de divifion celui afligné k leurs rangs comme un jour de fête. C'en étoit bien un pour nous. Biron CO Quelle politique ! Un clief expofir un inférieur a faire une fauts . peur excular une lóttife!  Civile & Litteraire. 339 .B/ronn'étoitpasaffurément fatisfait quele Comte d'EJiaing lui réndit k une auffi groffe ufure fa fanfaronnade du FortRoyal. Avec Ie caractere vain & orgueilleux que nous connoiffons aux Anglois, cette petite circonftance doit les avoir cruellement humiliés Qi). Nos frégates, dont la marche eft fupérieure k celle des vaiffeaux, s'amufoient pendant 1'évolution k prolonger leur ligne k la petite portée du canon, menacant avec ironie de tomber fur une partie de leur ligne. La nótre avoit une fi grande étendue, qu'il s'écoula quatre heures depuis 1'inftant ou le chef de file vira de bord jufqu'au ferre-file. Nous prolongeames le bord dans le Sud-fud-ejl, ferrant le vent. Nous fommes reftés en croifiere, fur Monferrat, pour y attendre les convois de la Martinique & de la Guadeloupe, qui nous ont joints, dans la matinée du 26 Juillet,' avec une précifion qui fait honneur au général-, ce qu'on ne peut attribuer qu'k la fageffe de fes combinaifons (2). Nous avons fait auffnöt route pour St. Dommgue , afin de ne faire ou'un feul convoi de toutes nos colonies., L'armée tenoït le vent fur trois colonnes-, les navires marchands, au nombre de plus de quatre-vingt, étoient entourés par les frégates: cette flotte naviguoit demiJieue fous le vent de l'armée Si le général avoit fait attention au fignal qui lui fut fait fur Porto-Rico, il auroit pu s'emparer du vaiffeau le Rubis qui y faifoit de L'armée & la flotte ont mouillé dans la rade du Cap. Francois le 31 Juillet & ïer. Aoüt. M. d'EJiaing n'a laiffé aucun bltiment du Roi aux Ifles du vent, & la Martinique n'avoit feulement pas un b&teau armé; de forte qu'un corfaire pouvoit intercepter le cabotage même de 1'ifle, & empêcherla communication entre nos colonies. Cette riï Tr- 11e fais pas pourquoi 011 affc&a d'attribuer exclufivement aux Analoh ce caraeftère vain & orgueilleux. qui eonvient élement a devoit nummer une Nation accoutumée a des tr^phescelle de J . Biron au Fort-Royal, re pouvoit-elle pas opérer le même cffet iu es, Francot,^ fe regardent comme deflinés a les rempoiter lur lems voifins ? •CO Ceci eft - il ferfcui ou ironique? cft-ce un éloge ou m faire ? % 3  340 Correfpondance Politique, Cette conduite du général vient de la méfiiitelli°-efice' qui a toujours regne entre lui & lc marquis de Éouillé gouverneur géneral. II a voulu lui prouver que fon au- Rni Set,e",doiti>Jufqu k Ie Priver d'un feul batiment da ?.p'/ï • ia ' comme chacun le croit, le Co-'^e %T??S; eft 3,lamabIe d'avoir oublié cette maxime. Le plus bel eloge dun homme en place eft de Jacrifier jes haines parttcuheres au bien public ( r ). ; M. le Comte de GraJJe a été vifiter les Jfles Turques avec quatre vailfeaux pour en chaffer les corfaires qui s'y rcfugient; 1 on croyoit qu'il pourroit y rencontrer Je Rubis qu on fayoit en croifiere fur le cap depuis long-temps; il elt entre ju cap yingt-quatre heures après la flotte , n'ayant rien vu. L entree de la rade du cap eft difficile: plufieurs vameaux toucherent, particullérement 1'Amphion que nous avons Jaifle au cap, faifant de l'eau confidérabiement, ayant de plus la maladie qui regne a Breft, h un tel degre_qu.ll ne lui reftoit plus qu'un feul homme de fon equipage. Le général a embarqué dix-huit cents hommes de troupes h St. Domingue, tant du cap que du Portau-Pnnct■ fui' les vaiffeaux. La flotte marchande étant tres-confidérabie, il a juge néceffaire de la faire escorter par deux vaiflëaux, le Prote&eur & Ie Fier avec trois fré gates, 1'Aimable, l'Alcmene & la Minerve, cette derniere" prife fur les Anglois par M. de Tilly. Le io, l'armée s'eft empavoifée a I'occafion de Ia déclaration de guerre de l'EJpagne 1 l'Angleterre, que nous avons apprife par le gouverneur de la partie Efpagnole de St. Domingue. Le Comte de Breugnon, commandant en fecond 1'armee , s'eft debarqué malade. M. d'EJiaing donna au chevalier du Rumain le commandement de la Chimère, frégate de Ja première force dont le capitaine avoit paffe fur 1'Amphion après la mort de M. Ferron, tué au combat de Ia Grenade. L'armée navale completa fes vivres au cap pour juf qu'au kt. Novembre, & en appareilla le i<5 Aoüt Ouatre vaiffeaux qui avoient été prendre des troupes au Port-auPrince, fe rallierent fur la Tortue; Ie convoi fuivoit 1'ar¬ mee; . Cj.5 On a fouvent remarqué que les rivalités entre les chefs des a-fflées Francmfes étoient Ia caufe de leurs mauvais fuccès. Les trounes emniovéTT'1^^ "TO ™is>'r courage eft trop fréquemm nc employé a feivir les haines pardculiercs de ceux qui les comraMi.  Civile fi? Litteraire. 341 mée : nous paflUmes par le débouquement Anglois, qui eft Je plus hl'OueJl; & lorfque nous eümes débouqué, la flotte fit route avec fon efcorte: & l'armée s'en fépara la nuit, faifant fauffe route, cachant fa marche autant qu'il lui étoit poflible, pour ne laiffer aucune idéé k la flotte fur ia route qu'elle tenoit. Le général fit fes dispofitions pendant la traverfée, pour le débarquement des troupes; 11 fit paffer les inftructions aux officiers de terre commandans, oü tout étoit arrangé & réglé avec beaucoup d'ordre & de fageffe; mais on étoit für qu'il ne fuivroit pas fes propres avis lorfqu'ils retarderoient un inftant 1'exécution de fes ordres. Le 2 Septembre, l'armée mouilla fur les cötes de la Floride, a caufe de la proximité de la terre, qu'elle n'avoit pas reconnu; elle effuya un furieux coup de vent qui fit dérader plufieurs vaiffeaux: ceux qui tinrent fur leurs ancres eurent beaucoup k fouffrir; plufieurs furent ineommodés dans leur gouvernail. Le Vaillant eut le fien casfé, qui fut enfuite réparé comme on put avec des borda^es de rechange. II navigua en attendant avec la machine inyentée par Olivier. Le général avoit envové des frégates protégées par deux vaiffeaux, k Ia reconnoiffance de la terre, & chargées de nous amener des pilotes. L'Iphigênie, qui croifoit avec la Cérès autour de l'armée, rit trois prifes , le ViStori, de dix-huit canons, gros navire chargé de vivres pour le compte du roi, d'nabits & de fouliers: un brigantin, & une goëlette chargée de draps. La Chimère, {'Amazone & le Cutter, protégés par le Magnifique & le Sphinx , revinrent, aménant des pilotes Amèricams de la partie de Charles-Town. Nous appareillSmes tout de fuite, naviguant le jour avec préeaution, k caufe de la proximité de la terre, & mouillant le foir. Le mercredi 8 Septembre, nous avons reconnu Ja terre de la Floride. L'armée mouilla le même foir k trois lieues du fanal, k I'entrée de la rivière de Savannah, dans Ja Nouvelle-Georgie. Les Anglois n'ont plus que Savannah & Saint-Augüftin, dans la partie du Sud, de leurs anciennes pofieflions. Le général avoit recu avis par M. de Bretigny, ancien moufquetaire du Roi, aujourd'hui au fervice des Amérieains, que les Anglois avoient négligé de fortificr Savannah , qu'ils venoient de prendre fur les Américains dans lc voifinage de Charles-Town; qu'ils y étoient fans défenfe avec pende troupes; qu'il pourroit faire cette expédition Z 3 ea  34* Correfpondance Politique, en paffant, fans que cela lui occafionnit le moindre retard, fuppofé qu'il eüt d'autres vues. Le génie ambitieux du Comte d'EJiaing eft facile k exciter: fur la feule idéé du fuccès d'une expédition, quelque dangereufe qu'elle foit, ïlinclltte k 1'entreprendre. II avoit' des ordres pofitifs de faire promptement fon retour en France; on ne peut en douter , d'après la connoiffance des inftructions de M. le Marquis de Bouillé, qui fe flattoit après fon départ, aidé par 1'escadre de M. Je Comte de GraJJe, en ftation k la Martinique, de reprendre Sainte-Lucie pendant 1'hivernage. 11 y a de fortes raifons pour croire que M. d'Ejlaing a fu fon projet, & que , voulant lui ö'ter le moyen de i'exécuter, il a imaginé de lui enlever 1'éüte des troupes de la colonie, & de les promener d'expédition en expédition, avec toutes les forces navales, pendant le temps de 1'hivernage. Lk on s'eft emparé de quelques petits bateaux qui chercholent k s'échapper le long de Ja cóte. Le général vouloit faire le débarquement des troupes lc foir; mais il fe trouva que 1'endroit oü il fe propotoit de le faire, & qu'il fut reconnoitre lui-même avec vingt-cinq hommes, étoit une Ifle. II prit alors Ie parti d'embarquer toutes les troupes, formant un corps d'environ quatre mille hommes, compris huit cents Muï&tres libres, enrégimentés & pris dans la colonie de Saint-Dómingue, fur fix vaisfeaux dont il donna le commandement k M. de Ja MosteFiquet pour aller faire Ie débarquement fix lieues plus au Sud, dans Ia rivière Sainte-Marie; & il emmena avec lui prefque toutes les chaloupes des vaiflëaux, laifiés au premier mouillage. Le Chevalier du Rumain eut ordre d'cntrer dans la rivière avec fa frégate & deux flütes armées avec des canons de dix-huit & allégées le plus poflible ,pour qu'elles puflent s'avancer jufques fous la ville. Les frégates étoientemployées k garder différentes paffes: le Sagittaire & le Fier Redrigue bloquoient Ie Port-Royal, Ces dispofitions faites , M. d'EJiaing partit avec les fix vaiffeaux de M. de la Motte-Piquet, le n Septembre, laiffant Ie commandement de l'armée navale a M. Ie Comte de Broves. II mouilla le foir k la pointe Sainte-Marie, débarqua avec quinze cents hommes dans la nuit, chaque foldat ayant des vivres & de l'eau pour trois jours , felon fon ordre. ': Les batimens k rames ayant fini ce premier débarquement; voulurent retourner aux vaiffeaux, pour y prendre les troupes qui y étoient reftées. Quelques chaloutics & canots qui s'obliinerent k fortir de la rivière malgré  Civile 6? Litteraire. 343 tté le gros temps, d'après 1'ordre pofitif du général, qui re connoit point de difficultés, périrent. La chaloupe ie YAnnHml voulut fe fauver le long de la cöte; elle tit rencontrée par un corfaire Anglois qui, n'ayant point le vivres, ne voulut pas fe charger de tout ce monde. I'équipage mourant de faim, 1'Orficier qui le eomman«oit attendrit le corfaire fur fon fort: il lui donna pour ttegt-qüatre heures de vivres, qui fuffirent pour rejoindre s vaiffeau (t). Le manvais temps dura jufqu'au 18 , fans m'il iüt poffiDlc de continuer le débarquement, ni même i'emoyerun canot a terre. Prefque tous les vaiffeaux nouillés en pleine cöte, furent forcés d'appareiller pour s'en éloigner, de crainte d'y périr. Pendant fix jours, le Comte d'Eftaing refia fur le rt» •age avec quinze cents hommes ayant leurs fufils feulenent. & quelques coups k tirer, & trois jours de vivres, ans tentes ni bagages, expofés k une pluie continuelle, dfez prés de l'ennemi pour craindre d'être attaqués k :haque inftant: heureufemcnt il ne fut pas la difpofition de nos troupes. Enfin, le temps permit de finir le débarquement: & le Comte d'E/laing , fans perdre un moment, s'avanca k l'ennemi; il le tronva retranché fous la ville de Savannah k ne pouvoir efpérer de I'attaquer avec avantage, furtout avec le peu de troupes qu'il avoit. Plufieurs penfoient qu'il auroit dü alors fe rembarquer. II efl: certain qu'il auroit mieux fait, fur-tout l'armée navale étant expofée fur la cöte; mais c'eft juger d'après 1'événement. M. d'EJiaing pouvoit compter fur les Américains Le Général-major Prévoji paroifibit difpofé k fe rendre; fes pourparlers annoncoient qu'il ne vouloit fauver fon honneur que par 1'apparence d'une défenfe; mais le Colonel Me- kien (O C'ell bien dommage que ce trait de générofité ait pour Auteur un Corfaire, & fur tout un corfaire Anglois. Si un Amiricain, un Francois en avoient fait autant; que de fottifes les Ccrifiers & les Luzacs n'auroient-ils pas dites? Après tout, cette compaffion, cette humanité' n'en font ni moins abfurdes, ni moins contmdiéioires dans un FHtaflier' que dans un héros, dont le métier eft de détruire, comme celui du premier eft de voler. Les Anglois pour être généreux, n'en font pas moins des barbares, des perBdes, des cruels; & kuis ennemis, qui ont donné durant cette guerre des preuves de férocités, & caufé des dévallations digncs du liècle A'Attila, n'en font pas moins les hommes les plus équitables, les plus magnanimes de la terre. Ainji-foit-ü,  §44 Correfpondance Politique, Hen qui fe jetta dans la place avec fept cents hommes, par le crêt Saint-Augujlin; changeatout-k-coup ces difpofnions pacifiques. Le Comte d'EJiaing fit ouvrir la tranchée a la demiportée du fufil du retranchement des Anglois avec une hardieffe qui tient k fon courage. II falloit des canons des mortiers, des bombes & les munitions de guerre né. ceflaires. L'armée navale qui devoit tout fournir étoi mouillée k dix heures de Savannah. Le temps fut conftamment mauvais pendant le mois de Septembre; on étoit fouvent cinq k fix jours fans pouvoir mettre un batimen' a rarnes k Ia mer, &obligé de mettre k la voile, de crain te d'être jetté k la cöte. II falloit le courage du Comu d'EJiaing, pour expofer pendant deux mois une armée auffi confidérable, mouillee en haute mer, en danger di faire cóte par le vent du Sud-EJl. Ce ne fut que le lundi 4 Oétobre, que les canons & les mortiers furent placés, & en état de tirer. Pendant cc temps, les vaiffeaux n'étoient pas dans 1'inact.ion. L'Amazone s'étoit emparé le n Septembre, sprès un long combat, dc la frégate VAriil, de vingt canons. Le Chevalier du Rumain, avec la Bricole & la Truite, s'étoit avancé dans la rivière; il avoit forcé la frégate Angloife la Rofe k fe brüler, ainfi que plufieurs. batimens marchands, & pris un navire chargé de bois de miture. II profitoit de 1'inftant de Ia haute mer, & s'a-r vancoit chaque marée, ayant k fe battre conftamment contre les galeres , qui Ie harceloient nuit & jour k un tel point que les capitaines des deux galeres Américaines qui Ie foutenoient, laffés de combattre k chaque infiant, 1'un d'eux fit percer fecrétement fa galere par un de fes matelots, k qui il avoit promis cent écus pour la couler bas (i ). Le Chevalier du Rumain 1'ayant fu, en prit luimême le commandement: ne pouvant plus s'avancer avec fa frégate, faute d'eau, il fit mouiller la Truite, qui tiroit moins d'eau que fa frégate, k la portée du canon des retranchemens des Anglois & de la ville, tirant jour & puit fur le camp, Le 27 Septembre, le Chevalier de Ccè'tendo, commandant (i) La traitre! VoilSt comment les braves champions de la liberté £n}érifaine, combattoient pour rafTranchilfcment de leur patrie. jyjais. |)on) n'en croyez pas un officier Francois: écoutez nos Gazetiers, '  Civile & Litteraire. 34Ï dant le Lyvely, s'empara par rufe, & en vrai corfaire (o, de deux gros navires, 1'un chargé de vivres & l'autre d'ancres & de cables, qui fe dirent fous 1'efcorte du vaiffeau \'Expériment qui amenoit un convoia Savannah, & dont ils avoient été féparés par un coup de vent. Sur cet avis, trois de nos vaiffeaux furent 1'attendre en croifière fur le Port-Royal, Le 24, la frégate la Céris, s'empara d'un gros navire chargé de vivres, fous 1'efcorte de YExpériment. Cette prife & les précédentes ne pouvoient être plus k propos, l'armée commencant k manquer de vivres, & étant k 1'économie de tout, particulièrement de l'eau, qui étoit réglée d'une maniere cruelle, même pour les malades: on s'étoit négligé fur ce point important , pouvant faire ufage des bateaux Américains qui nous venoient, propres k la navigation de Ia rivière , & que le Roi payoit pour ne rien faire. L'armée fouffroit de tout, mouiilée en pleine cöte.expofée k être jettée k terre par le vent de Sua-EJl. Hcureilfcmeni tlOl a D avions que des coups de Nord-Efl; qui ont endommaRé fept de nos vailfeaux dans leurs gouvernalls: plufieurs ont perdu toutes leurs ancres, la plupart des cqu« ujj \ts> cadres , Ie fcorbut caracterifé k un dc force , qu'on jettoit réguliérement k la mer Cl] iqui jool tttntGrCi M) hommes: on n'avoit aucune efpèce ie 1 r.i.i.: LIV uil. b eur donner pas même de la tifanDC, faute d'eau; au< un moyen de foulager la mifère de pauvre: msté.'ots, fans habits, fans lir.ge , même Uns foulters,abfolument nuds,ne mangeant que de Iafalaifon, lorsou'on lCÏ faifoit mourir de foif; du pain qui, deptill deux Ml OJU'ii étoit dans les foures , fe trouvoit pourri ou dévorc d'lnfeótes, & ayant contracté un goilt Ij délagréable, que les animaux domeftiques que nous avions k bord ne vouloient pasle manger: encore fallo.itil le leur diftribuer parlégère portion, crainte d'en manquer. Voilk une partie de 1'effrayant tableau de 1 etat jniférable & cruel de nos équipages pendant le temps du C'efx. dommage, en vérité. Eh! qu'importe comment 011 s'y prend pour trompet, & aflfoiblir fon enncmi? Tous les moyens ne Ibritils pas également légitimes dans Ia guerre? Dès qu'il eft admis qu'on peut piller, malfacrer, brüler légalement, par ordre des gracieux Maitres du monde, peut-on trouver repréhenfibles la fupercherie , la rufe, mille fois plus, humaincs ? , z 5  34Ö" Correfpondance Politique, fiège de Savannah, auquel le Comte d'EJiaing s'acharnoit, paroi^ant avoir oublié entiérement fes vaiffeaux. Le peu de matelots qui nous reftoient en état de manoeuvrer, étoient fans forces, le teint livide, tous les traits de Ja mort peints fur le vifage; on ne pouvoit les confidérer faos attendriiTement ( i J. Pendant Ia nuit du 24 au 25 Septembre, nos vaiffeaux en croifière donnerent 1'allarme a l'armée , en venant mouiller tout-a-coup au milieu de nous, lorsqu'ils n'étoientpas attendus; le motif de leur empreffement étoit trop agréable pour nous en plaindre. Ils apportoient la nouvelle de Ia prife de V Expériment, vaiffeau de cinquante canons, parle Sagittaire , qui le rencontra fur le PortRoyal, dématé de tous fes mSts, & a qui il fe rendit fans réliftance. Ce vaiffeau étoit chargé d'Officiers pour l'armée de Savannah; il portoit le Général-Major Ganh, qui venoit relever le Général Prtvoft; ce qui valoit mieux, c'étoit la paie de l'armée de Savannah, 6"fio,ooo livres argent de France. Cette nouvelle fit le plus grand plaifir. Nous avons fu par les prifonniers de ce vaiffeau qu'il devoit partir un convoi de New-Torck avec trois mille hommes de troupes pour Savannah. efcorté par trois vaiffeaux de ligne: M. de Broves fit croifer continuellement quatre vaiffeaux pour 1'attendre. Ce convoi en fut prévenu fans doute, puisqu'il ne vint pas. Revenons au fiège. Le 27 Septembre les Anglois firent une fortie fur nos travailleurs. M. de Rouvré, qui commandoit la tianchée, ayant fous lui M. O Dune, Lieutenant-Colonel, les repoufia vigoureufement. M. O Dune étoit ivre; fon courage naturel & le feu du vin, 1'emportcrent au-dePa des juftes bornes qui lui étoient prescrites: il en coüta cent-cinquante hommes mis hors de combat, dontquarante furent tués, foudroyés dans leur retraite par 1'artiCerie de l'ennemi. Pour remplacer cette perte. le Général fit defcendre 400 hommes de troupes de la marine , commandés par leurs Officiers • ce qui affoiblit encore les vaiffeaux, qui furent dès-lors hors d'état de pouvoir combattre, fi 1'occafion s'étoit préfentée, &que Biron F~(t) Quel tableau! C'eft donc par des deluges de foufranccs, que les fouvc-iains foutiennent leurs droits , & avec des larmes que leurs preBiiers esclaves cimentcm leur gloire?  Civile Litteraire. 317 Biron fut venu. Le Lieutenant de vaiffeau qui commandoit ce corps de quatre cents hommes, monta la tran-r chée,comme Officier fupérieur,& commandoit a fontour. Le lundi4 Oöobre, nos batteries de canons & de mortiers commencerent k jouer; le canon fut fans effet contre les retranchemens de l'ennemi, faits de fable, par encaiffem-nt en raind. Le boulet ne faifoit que fontrou, & s'y perdoit. Les bombes réuffiffoient un peu mieux; le général fit tirer des carcaffes remplis de Térébentine, qui mirent le feu plufieurs fois a la ville (1) : ce qui défoloit les Anglois, qui y avoient leurs femmes & leurs enfans renfermés, expofes k toutes les horreurs du iiège. Le Chevalier du Rumain les contenoit du cöté de la mer, avec deux galeres & la Truite, dont les boulets perdus, qui dépafïbient le camp , traverfoient les mes de la ville. Les Anglois effayerent de faire camper leurs femmes & leurs enfans dans une petite Ifle; le Chevalier du Rumain y defcendit en même temps , & les obligea k rentrer dans la ville (2). Ne voyant plus de rcffources , ils s'adrefferent au Comte A'Eflaing, pour obtemr la permisfion dc faire fortir leurs femmes & leurs enfans, ce qu'il leur refufa(3),comme devant prolonger le fiège qui commencoit k 1'ennuyer. Plufieurs femmes prirent leur parti , & vinrent d'elles-mêmes au camp des Frar,gois: il fallut bien les garder, puifqu'elles ne vouloient pas retourner. Le général Prevojl, dont la générofité & 1'humanité envers les prifonniers Frangois ne s'eft jamais démentie, leur Cl) Aprbs le combat de Doggerslank, nos Gazettes publierent que les Anglois avoient tiré des cloux, du lard & d'autres ordures : on crioiti linfatnie. Dix fois dans le cours de cette guerre, leurs adverfaires ont employé des ingrédiens bien plus meurcriers, & plus perfides: on ne s'en eft pas plaint. Combien de contradiéïions de ce genre, préfentent les annales des peuples ! f 1 f 2 "i Anparcmment pour que ces dames fuffent moins expofécs i la p'uie & aux boulets. Jusqu'oü s'étend Ia politcfie! (3) Ce trait efb encore plus poli que le précédent.  34-8 Correfpondance Politique, leur donna des témoignages d'attention & de bonté qui n'étoient pas d'un ennemi: fentiment que 1'on doit fans doute en partie a fa femme, née Franpife (i), n fit dire par un parlementaire, en plaifantant, que notre galanterie ne fe dementoit pas même dans notre manière de faire Ia guerre, & que la plus jolie femme de la ville venoit d'éprouver I'effet de nos bombes. L'état défefpérant & eruel dans lequel fe trouvoit l'armée navale, réduite au tiers de fes équipages, & mouillée dansune pofition oü jamais efcadre Angioije. dc I'aveu des prifbnniers, n'eüt ofé refter huk jours dans la plus belle faifon, décida M. le Comte d'Eflaing, voyant que Je canon ne pouvoit faire breche, a brufqucr I'affaut. L'ennemi n'avoit pas moins de quatre mille hommes dans les retranchemens, compris les milices, qu'on peut compter. M d'EJiaing n'avoit point le complet de trois mille hommes fur qui il put compter, & environ mille huit cents Américains, parmi Jefquels il n'y avoit qu'un petit nombre de troupes réglées, commandées par Puiaiki , Poloneis. 11 donna fes ordres pour que les troupes fuffent prêtes 2i marcher a 1'affaut des retranchemens, a quatre heures du matin du 9 OQobre. Les difpofitions furent faites en conléquence dans la nuit par M. de Fontanges, MajorGénéral de l'armée, & Colonel des volontaires da Cap, felon 1'ordre de M. d'EJiaing. II a été généralement blimé d'avoir k deux heures du matin, au moment de marcher, divifé & fubdivifé les compagnies de gréna- diers, Ci) Mad. Prévofl n'eft pas née Francoijc: elle eft née a Laufmne, fille d'un Négoeiant, nommé Grand, qui, après avoir fair banquerouce en Suijfe, a raccommodé fes affaires a Amfterdam. 11 eft décoré de 1'ordre de Fa fa, pour avoir fourni Patgent qui a opéré la révolution de Suède. II jouic de ioo-coo livres de revenu, qu'il mange h Paris, oii on l'appelle Ie Chevalier Grand. Mais cela eft peu intéreffant. Ce qui eft ici remarquable, c'eft 1'obfervation du relateur de Ia Campagne de M. Ie Comte d'Eflaing. W tttribue 1'humanité & la générofité du Général Prévojl, \ la naiffance Francoife de fon époufe; comme s'il falloit être né en France, pour être fenfiblc & généreux. t'ne femme peut fins doute beaucoup adoucir J'efprit faroucfie & le caraclère dur d'un mari. Mais une SuiJ/efe, une Angloife r^ufliroit peut-ê;re mieux qu'une Parifienne, ï inlpirer dc la bkivcillance & de la compaffion pour les malhcureux: du moins paroit il que M. d'EJiaing, auroit eu befoin dts fentimens que M. Prinf a nianifeftés.  Civile Êf Litteraire. 349 diers, leur donnant des officiers étrangers a leur corps, qu'ils ne connoiffoient pas. Le Major Urown, du régiment de Dillon, en repréfenta les conféquences, blStna en général 1'ordre d'attaquer il ne fut point écouté : 1'évenement prouva qu'il avoit raifon; mais il y perdit la vie. M. d'EJiaing fit faire une faufle attaque k la droite des retranchemens, fous une forte batterie, tandis qu'il montoit k i'affaut par la gauche; ayant k traverfer un marais, ou le foldat s'enfoncoit dans la fange jufqu'aux genoux, & au bout duquel il avoit un abbattis d'arbres très-difficile k traverfer, rartillerie de l'ennemi étant dtrigée deffus; preuve non équivoque, & qu'on a eue enfuite , qu'ils ont été avertis des difpofitions & de 1'heure de 1'attaque par un Américain (i). Ajoutons encore k cette afLrtion, qu'ils avoient de grandes cocardes blanches, une chemife par-deffus 1'habit; ce qui étoit exaclement les marqués ordonnées pour fe reconnoitre dans la mêlée. Le général efiliya le feu de l'artillerie de l'ennemi qui le chargeoit k mitraille, coupant la colonne par fon centre. Le pénéral la voyant plier, pafla k la tête, marcha en avant avec les plus braves jufqu'aux abattis : il ne fut fuivi que par trois ou quatre cents grénadiers, & beaucoup d'offlciers. Cette petite troupe, guidée par lc général, monta jufqu'aux retranchemens, & fut fe placer dans le folfé , de maniere que les Anglois ne pouvoient pas tirer fur eux, & qu'ils s'arracherent mutuellement le fufil des mains. Ces braves gens ne furent pas fecondés: le refte de la colonne s'arrêta tout court dans le marais ' écrafé par l'artillerie de l'ennemi, fans qu'elle avaneftt. ' Le général avoit recu des bleflures graves en traverfa'nt les abbatis d'arbres, d'oü on le tira avec peine: il eut encore affez de force & de courage pour monter k cheval ordonner lui-même la retraite. Ce fut en fe retirant quc les braves grénadiers qui avoient pénétré jufques dans le foffé, furent hachés par l'artillerie k mitraille des Anglois, qui tiroient des paquets de hachures de fcr, des James de couteaux & de cifeaux, jufqu'k des chaines de cinq k fix pieds de Jong. Le Chevalier du Rumain devoit auffi faire une attaque avec les galeres du cöté de la ri- Ci) Encore une trahifon d* la part d»-£ Amlrica'ms,  35 o Correfpondance Politique, rivière; il trouva des difficultés impoffibles k furmonter; élle ne fe fit pas. Notre perte fut confidérable; par le compte rendu, elle a été portée k fix cents quatre-vingts hommes hors de combat, dont foixante-quatre officiers, parmi lesquels vingt-deux font morts dans 1'action, ou peu après. Nos troupes font généralement 1'éloge des troupes reglées Américaines, commandées par Pulaski: elles retourTierent deux fois k I'affaut avec une bravoure étonnante , placerent leurs drapeaux fur ie parapet des retranchemens, & fe rallicrent en bon ordre, après avoir perdu Jeur chef blefl'é a mort. .Quant a ja milice, elle a lui illchement dans lesbois, même avant 1'action. Le Colo7iel Mekten, pendantla treve, voulut abfolument compter ros morts & bleffés, avant qu'on les relevSt. La perte des Anglois a été peu de chofe ;on ne la porte qu'& quinze hommes tués :. c'eft même beaucoup, vu la maniere dont ils étoient retianchés.. Lc général avec fes deux bleffures, celle de Ia jambe fort grave, ne voulut pas permettre qu'on le portêt; il fe reudit a cheval au village de Thunderbloc, avec le Majör-généra,! dc Fontanges, qui avoit recu un coup de fufil au travers du corps. Le général y eft refté jufqu'k fon retour k fon vaifléaule lundi 18 Öótobre, après avoir donné fes ordres pour Ia retraite, qui s'eft faite le foir même, commandée par M. óeDillon, dans les chaloupes & canons des vaiffeaux, fans être inquiétés. Les Amêricains s'étoient retirés deux jours auparavant parCWleftown. Lorfque l'armée navale apprit 1'échec de notre armee de terre dans I'affaut du 0, elle avoit ajouté k toutes fes mifcres le vaiffeau le Magnifique, coulant bas d'une voie d'eau qu'on ne pouvoitJraichir avec toutes les pompes du batiment, qu'en ne fe re'téchant pas un inftant jour & nuit: on fut obligé de i'acorer d'un navire marchand, afin de pouvoir envoyer k terre les bStimens k rames qui devoient lui porter les derniers fecours. Notre pofition. devenoit terrible & décourageante, obhgés d'embarquer un grand nombre de bleffés, fans rafraichilTemens, pas même du linge pour les panfer; & forcés de partir le plutót poffible , par mille raifons, dont la moindre étoit exigeante, aucun lieu de relSche plus voifin que Chéfapeak, k cent cinquante lieues par des vents prefque toujours contraires. Le général vouloit d'ailleurs abfolument faire fon dé-. part  Civile Litteraire. 35i part de Savannah pour Ia France, avec fon efcadre de Provence; il falloit par conféquent de l'eau: on trouva enfin le moyen d'en ramaffer comme on put dans la rivière, a marée baffe, faumUtre ou non. La néceffité, mere de 1'indufirie , fit faire en quatre jours ce qu'on n'avoit ofé tenter pendant deux mois. M. Ie Comte de .GraJJe, avec fon efcadre .de huit vailfeaux, fut deftiné pour porter k Chéjapeak nos fcorbutiques & les bleffés , & de Ik faire route pour les illes du Vent. M de la Motte-Piquet avec trois vaiffeaux, y compris le Magnijique dans un état dangereux, fut chargé de reconduire au cap ce qui reftoit de troupes tirées de cette colonie. Les frégates furent chargées de porter k la Grenade & k St. Vincent les détachemens de (lamault & de Foix; le Chevalier du Rumain, avec fa frégate & les deux flütes deftinées pour Ckarleflown ; on le croit chargé de la défenfe en cette place, en cas d'attaque. Les vaiffeaux de Provence fe font trouvés réai més pour la navigation avec tous les prifonniers, forcés au travail , vu la néceftité. Au moment que le géréral finisfoit de régler ces difpofitions, il eftfurvenu un coup de vent qui, par un de ces évenemens qui n'arrivent qu'k la mer, le forca de mettre k la voile, fans qu'il püt donner fes ordres en conféquence des arrangemens qu'il venoit de faire. M. de GraJJe n'en eft pas moins parti avec fes huit vaiffeaux, ne pouvant pas attendre, k caufe de la difette d'eau; de même que M de la Motte-Piquet qui eft le feul qui ait eu le temps de recevoir les oidres du général pour fa deftination; & lorfqu'il fut forcé de couper fes cables & de mettre k la voile, il fignala oftenfiblement de ne pas faire attention k la manoeuvre du général: ce qui fignifioit pour l'efcadre de Provence qui devoit partir avec lui, de 1'attendre au mouillage oü il comptoit revenir. Si l'on obje&e le befoin d'eau, le général qui en avoit connoiffance avoit fans doute des moyens pour en procurer. L'on n'ignoroit pas qu'il avoit donné fes ordres aux batimens de convoi du Fier Rodr:gue, mouillé k Charlejlown avec Ylphigénie, d'en faire; il en eft même arrivé un. Le coup de vent qui avoit forcé le général de mettre k Ia voile Ie 28 Oftobre, cefi'a le 30; & le 31 , M Je Comte de Broves affembla les Capitaines & tint confeil dans le cas fuppofé que M. d'EJiaing ne parüt pas; & d'après cette fuppofition, fans avoir égard au temps'qui lui etoit néceffaire pour nous rejoindre, il fut unanime- ment  S5£ Correfpondance Politique, ment décidé qu'on mettroit ala voile le même foiï, pöuf s'élever quelques lieues au vent; qu'on v croiferoitquel-ques jours pour y attendre Ie général, & que s'il ne paroiffoit pas on feroit route pour la France, M. d'EJiaing ayant témoigné vouloir s'y rendre Ie plutöt poflible. Je me permettrai d'obferver que 1'apparence du temps ne faifant rien craindrc, & étant même favorable a M. d'EJiaing pour nous rejoindre, il falloit au moins lui en laifler le temps, en fe tenant prêt a la moindre apparence d'un coup de vent. 11 étoit même probable que M. d'EJiaing n'avoit plus d'ancres, ayant mouillé les deux qui lui reftoient, dans 1'efpoir de ne pas dérader & de tenir bon. II étoit par conféquent plus que probable qu'il rcviendroit pour lever du moins l'une de fes ancres, fi ce n'étoit pour finir de donner fes ordres. Deux jours qu'on auroit refté a 1'attcndre , en même temps qu'on auroit rempli fes intentions, auroient été profitables aux intéréts du Roi, en ce qu'on les auroit employés a lever les ancres des vaiffeaux qui ont été obligés de les couper. Le 31, M. de Brovss apparcilla avec partie des vaiffeaux, & fut mouiller demie lieue au vent du premier mouillage. Le Iendemain, autre appareillagc pour n'y plus reparoitre, laiffant 1'Ariel chargé de Muldtres fans deftination. M. du Rumain étoit encore dans la rivière, n'ayant pas recu fes ordres. Les frégates partirent pour la Grenade fous les ordres de M. de Marigny. La première nuit de notre appareiliage, par Ie plus beau temps du monde, le Marjeillais & Ie Zélé fe féparerent & firent route enfemble pour la France. Le Tonnant & la Provence étoient, déja féparés, ayant été forcés d'apparciller quatre heures après le Languedoc. M. de Brovest après avoir croifé vingt-quatre heures feulement, fit route a dix heures du matin, Ie 2 Novembre, avec fept vaisfcaux , compris VExpériment & la frégate V Amazme. C'eft ainfi que l'armée navale , par Ia féparation forcée du général, s'eft divifée , & fubdivifée en tant de parties , que fans un miracle il étoit prefqu'impoflible que chacun arrivüt h bien a fa deftination. L'entreprife de Savannah paroit coüter cher a la France, en confidcrant 1'état des chofes qui y ont rapport. M. le Comte d'EJiaing feroit d'autant moins excufaMe d'avoir expofé nos colonies pour une pareille entreprife, & laiffé les Ifies du Vent fans protection , abandonnées a ellcsmêmes, donnant aux Anglois en force la liberté de pouvoi-r entre*  Civile Litteraire. j-jg entreprendre pendant trois mois ce qu'ils auront voulu, foit de reprendre Saint-Vincent ou bien Ia Grenade, oü il n'y a point d'hyvernage, ou d'attaquer même la Martinique arToiblie par les troupes qu'il en a ótées continuellement» pour fuivre fes expéditions. Que lui reftoit-il h defirer après le combat de la Grenade, que de retournsr cn France, felon les ordres de la cour, d'y efcorter le convai, & laiffer M le Comte do GraJJe aux Ifles du Vent, avec fes huit vaiffeaux, pour les protéger, & affurer les conquêtes qu'il venoit de faire ? Le Comte d'EJiaing avide de gloire, excité encore par fes fuccès, & aifément féduit par une invitation du Sieur de Bretigny qui lui faifoit voir la conquête de Savannah facile, n'a pu réfifter au delir qui 1'a dominé de hafarder & d'entreprendre d'ajouter de nouveaux fuccès k ceux qu'il venoit d'avoir. Si l'on récompenfoit le zele & 1'activité, le delir & I'envie de faite beaucoup de grandes chofes, jamais Ja France ne pourroit alfez reconnoitre ce qu'elle doit au Comte d'EJiaing. Avec beaucoup d'efprit, il a 1'enthoufiafme,le feu d'un homme de vingt ans. Entreprcnant, liardi jufqu'k la témérité, tout lui paroit poflible; il n'airn* pas fur-tout les repréfentations qui lui feroient connoïtre des difficultés; quiconque óferoit lui en faire feroit fort mal recu; il veut qu'on ait fur fes projets fa maniere de voir & de penfer. Les matelots le croient inhumain , plufieurs font morts en lui reprochant leur mifère & fans pouvoir lui pardonner: mais s'eft un reproche qui tient k fa maniere dure de vivre; car il eft cruel pour lui même; on 1'a vu malade & attaqué du fcorbut, fans jamais vouloir faire de remedes, travaillant nuit & jour, nedormant qu'une heure après fon diné, fa tête appuyée fur fes mains, fe couchant quelquefois, mais fans fe deshabiller. C'eft ainfi qu'a vceu le Comte d'EJiaing pendant ftt campagne. IJ n'y a pas un homme dans fon efcadre qui puiffe croire qu'il eüt réflfté k toutes les fatigues qu'il a fupportées. Qu'on me demande k préfent s'il eft bon général: il me feroit difficile de répondre k cette queftion. II met beaucoup en chance, & joue gros jeu de hafard, Mais qu'il foit aêtif; entreprenant jufqu'k la témérité, infatigable dans fes entreprifes, qu'il conduit avec une ardeur dont on pourroit k peine fe faire une idéé ft on ne I'avoit pas fuivi, qu'il joigne k tout cela beaucoup d'efprit; c'eft ce dont on fera forcé de eonvenir, quelqu'humeur que puiffe donner la dureté de fon cara&ere. Tm. lil. Cah. IV. Al JU»  '354 Correfpondance Politique, Réflexions fur le talent de faire des livres, fur 1'an de les imprimer, fur le métier de les vendre, confidérés dans les rapports qu'ils ont entre eux, avec la Propriété , rinduftrie les procédés de la Légiflation chez plufieurs peuples de TEuroPE; le tout pour la confola. tion des Auteurs, l'édijication de la Cenfure, l'inftru&ion des Gouvernemens. Le bel Art, 1'art plusfuneftequ'utilede Y Imprimer ie, n'eft déja que trop aiTujetti è des entraves de toute efpèce, qui dérivent de la multitude de parties dont il eftcompofé, & du concours prodigieux d'agens phyfiques .& moraux réclamés par fes manipulations, fans qu'il foit encore foumis a des formalités fuperfïues, p^sque auffi fouventdéraifonnables qu'elles font toujours géna.ites; de toutes les branches de 1'Induftrie moderne, c'eft fans contredit celle qui exige la réunion de plus d'intelligence & de mains pour produire quelque chofe. Ceft aufli celle Cjui a reQue dc 1'autorité le moins d'encouragement, Sc. qui a été accablée de plus de gênesdans la plupart des états de YEurope. Ce n'eft pas affez qu'un Auteur fe morfonde pour donner 1 'être a un ouvrage bon ou mauvais, a 1'enfantement duquel les refforts de fa tête participent bien plus que fes doigts: ce n'eft pas affez que des milliers de perfonnes ayent préparé lentement&avec peine, les inftrumens, les matériaux néceffaires pour former un corps palpable a cette amefugitive, fortienue du cerveau paternel: ce n'eft pas affez qu'une mécanique longue & vétilleufe s'appréte a créer a cet efprit des organes propres a affurer fon exiftence, a 1'étendre & a la prolonger fous une forme fenfible. Pour en recevoir une légitime, dans plufieurs pays, il faut qu'il fubiffe un Examen, qu'il obtienne un Aveu, qu'il recoive, pour ainfi dire, des Lettres de Naturalifation, fans quoi il n'eft ou'un batard ou un réprouvé. Un homme étranger a ia formation, devient 1'agent de fon adoption ou de fa réjeétion. Défigné par la Loi fous le nom de Cenfeur, il eft chargé d'en vérifier la conftruétion fpirituelle, d'en toifer les dimenfions, de conftater s'il réunit toutes les qualités morales qui peuvent, non feulement le faire adopter, mais mime lui rnériter la permjffion d» parvenir a la lumière. Ü  Civile & Litteraire 3^ II efl affez fingulier qu'il faille que les productions de 1'efprit, quand on les annexe au papier, fubiffent les formalités du Controle, je ne dis pas pour devenir légales, car cela peut être dans 1'ordre, mais pour parvenir a 1'exiftence fous une forme ienfible, ce qui asfurement n'eft pas auffi bien réglé. II eft étrange que faie befoin du concours de la Puiflance Civile, pour produire un livre qui ne peut exifter fans 1'union des deux parties qui conftituent fon être, les penfées que je concois, que j'exprime fans 1'aveu de perfonne, multiplier les exemplaires de leurs ouvrages, l'autre de les livrer au commerce, comme toutes les productions de 1'induftrie, ou du génie, dans quel genre que ce foit. Ils ont le droit , fans contredit, de fe fervir quand ils le jugent a propos, & des preffes de 1'imprimeur pour fabriquer leur étoiTe, & de la boutique du Libraire pour 1'expofer en vente: les unes font les métiers de leur ManufaSture Jcientifique, & l'autre lema-» gazin oh ils foumettent leurs chefs-d'ceuvres h 1'empreffement du public, ou leurs platitudes a fon dégout. Dans aucune branche d'induftrie, on n interdit pas t 1'homme qui 1'exerce, la faculté de fe fervir des ouvriers qu'il veut mettre en ceuvre,ni de les employer, quand & de la maniere qu'il lui plait. Le fabriquanc remplit a volonté fes atteliers de métiers, fur lesquels des journaliers développent leur habileté au gré de fon avarice. Un magon fans la permiffion de la police , a des manoeuvres a fon choix, qui expofent cent fois leur vie pour 12 ou iy fois par jour. Un horleger , un tailleur. un cördonnier, font travailler. quand  $66 Correfpondance Politique, quandil leur convient, leurs compagnons fans 1'awément des Matrats. Et les gens deTlettres, ces EX ciables précepteurs des nations, feront aftreints a de mander numblement, a obtenir avec peine, quelaue fois avec humiliation, 1'approbation d'un cenfeur i'at tache du Gouvernement, pour faire alTembler des ca racleres , & gémïr la preiTe, par des ouvriers, qui nont que cette reflburce pour vivre? Le plus méprilableartifan n'eft furement pas enchaiué, ni dégrade k ce point En affimilant la Littérature au plus vil métier, on ne pourroit encore la priver des facilités dont celui-ci jouit, fans une partiahté vraiment révoltante. m. Lesi Anglois ont fenti cette vérité, & prévenu cetfe inconféquence injufte. Ils ont compris que le talent d eenre & 1'art d'imprimer étoient deux chofes inféparables, qui ne pouvoient être féparées que de 1'aveu de ceux qui les poffèdent, & de maniere qu'elles fe préteroient mucuellemcnt au befoin l'une de l'autre fans le concours de l'autorité, qui ne s'eft réfervé fur leur exercice, qu'une furveillance générale, pour les contenir dans les bornes prescrites par la nature des chofes, pour réprimer leurs écarts, fi elles en faifoient de contraires au vceu de 1'afiociation, & d'un genre qui tendit a compromettre la füreté publique. . Ils ont trés bien vu ce qu'il n'étoit permis a aucune inftitution fociale de méconnoftre, que les connoiffances & le génie d un homme de lettres, eonftituent une propriété i laquelle on ne peut déroger, fans porter attcinte au principe fondamental de toute fociété, & qui ne peut être ni reftreinte, ni limitée, que dans le feul cas ou la plénitude de fon exercice compromet le bien général, ou fe rend funefte a celui des individus. Alors, fans doute, la plume d'un Auteur n'eft plus une pofieffion innocente, mais un inftrument fatal, qui produit un défordrc; & l'autorité inftituée pour le prévenir, ou pour le réparer, doit s'armer incontinant pour y remédier. Mais qu'on y prenne garde : ce n'eft pas la propriété de 1 'Auteur mdifcret ou téméraire qu'elle contefte, en déployant 1'appareil de la puiffan ■ ce, dont elle eft dépofitaire; c'eft 1'abus qu'elleenréprime, & les écarts qu'elle en punit. Ec Angleterre oü la preiTe eft libre comme les opi- nions,  Civite & Litteraire. ^fy nions, la Légiflation qui n'a pas ofé 1'aiTervir, n'a pas renoncéau droit de la contenir dans les limites marquées par la raifon, & par le vceu de la fociété. Un Auteur peut écrire tout ce qu'il veut, & un Imprimeur 1'imprimer. Mais fi 1'un fe livre a une licence vraiment condamnable ; fi l'autre fe rend 1 'organe de fa publication, les dépofitaires de la force publique ont le droit de leur faire expier leur témérité, & jls en ufent. Dans le temps oü je développois ces vérités palpa* bles, dont je n'ai vu nulle part la moindre tracé, pas même dans le gros & plat volume de 1'Abbé Morelet% en faveur de la Liberté de la prejje, les papiers publics faifoient mention d'un exemple de févérité exercée h Londres ,fur un folliculaire audacieux, qui s'étoit permis d'mjurier le repréfentant d'une tête couronnée, en le défignant par une épithète infamante 'dans 1'opinioa recue. La liberté de la preiTe dans ce pays la, n'emporta donc pas la licence, puisqu'elle peut être contenue on réprimée quand elle s'égare ? La prérogative de tout penfer, de tout dire, de tout écrire, de tout impri« mer, ne s'étend donc pas jusqu'a pouvoir outrager im« punément ni les Dieux, ni les hommes ?-Le Légiflateur cn refpeftant le droit inconteftable, imprescriptible, qu'a un individu d'exercer fes facultés comme il lui plait, n'a pas communiqué a la loi, la foibleffe dc tolérer ces exces repréhenfibles. II a confacré la propriété inconteftable des hommes qui fe vouent a 1'inftruétion, ou a 1'amufement de leurs femblables, en leur compofant des écrits inftruclifs ou agréables: il a reconnu cette propriété inviolable dansr leur génie, leurs lumieres, leurs connoiffances: il a fenti que les talens d'un Auteur conftituoient fon domame, auffi refpectable que 1'héritage le plus légitimement acquis, & que 1'induftrie la plus utile- il a trés bien compris qu'un efprit jufte ou fécond' une jmagmation brillante ou créatrice étoient un avantage jllufoirepour les hommes qui enfontdoués, fi Ia loi leur 6toit la faculté de les développer dans toute leur plénitude, & que, comme elle n'empêche pas un propriétaire de cultiver fon champ, un artifan d'exercer fon metier, elle ne pouvoit pas non plus, fans une iniouité odieu-  g(58 Correfpondance Politique, odieufe, refufer aux écrivains, ia liberté d'exploitef leur domainecomme bon leur femble, ni fans compromettre leur propriété, prononcer contre leurs ouvrages une prohibition anticipée, ou les foumcttre a une infpedlion tyrannique, qui équivaut a la défenfe de les produire. La révolution arrivée dans 1'art de transmettre fes fenfées aux génèrations futures, par la découverte de Imprimerie, enlevant aux gens de lettres la reffource naturelle qu'ils avoient de tirer parti de leur métier dans la manipulation lente des Copiftes; les Anglois ont trouvé qu'il étoit jufte de leur conferver fans gêhes & fans formalités les procédés rapides de la mécanique qui 1'a remplacée. Etant moralement impoffible qu'ils faffent fruclifier le bien qu'ils ont recu de la riature & augmenté par leur travail, en le faifant labourer avec u'ne plume, par Ia main d'un fcribe, la Légiflation Brétonne, leur allure une compenfation de cette espèce de nullité, cn leur abandonnant fans ré- ferve les outils & les bras des imprimeurs, pour cultiver leur champ. D'ailleurs, 1'Imprimerie étant un art comme tous les autres, & les hommes qui 1'exercent, ayant adopté cette profeffion comme on embraffe toutes les autres, c'eft-a-dire, comme un moyen de fubfiftance, comme une reffource que la fociété laiffe a leur fortuné, la Typographie ne peut-être dirigée que par les mêmes regies qui dirigent tous les autres métiers avoués dans un état. Mettre des entraves a la preffe, 1'aiTujettir a des formalités génantes & prohibitives, la foumettre a une Légiflation qui n'a rien de femblable dans aucune branche d'induftrie, c'eft évidemment exercer fur les imprimeurs une tyrannie infupportable, cc tout-a-lafois commettre une injuftice criante. C'eft une tyrannie que de foumettre la preffe a une furveillance inquifitoire. II n'y a jamais eu de Légifla-. tion dans le monde? qui ait autorifé les infpeéteurs dc la füreté publique, a forcer par la violence, k fouiller de leurs regards indifercts 1'azyle du citoyen paifible & induftrieux, que celle des defpotes & des fermiers généraux. Tant que la fociété n'a pas été livrée a des tyrans pervers , ou a dés Maltotiers barbares, les foyers domtftiques out été des temples confacrés a Ia liber-  Civile 6? Litterairel 36$ liberté perfonnelle, & la puiffance civile a toujours res^ peété ces fanftuaires auguftes, oü elle n'a pas droit de pénétrer; oü elle ne peut s'introduire fansprophanation. Aujourd'hui même, malgré 1'abfurdité denos ufages, & Ia barbarie de nos loix, il n'y a que les lettres de Cachet, & le code monftrueux des fermes, qüi dérogent k Tinviolabilité de cette inftitution facrée. Tant qu'un citoyen n'eft pas livré a la rapacité des agens du fifc, abandonné a la brutalité facrilège des brigades armées au nom du Roi, facrifié au refientiment d'un Miniftre pervers ou vindicatif; fa perfonne eft refpectée; il eft Iibre dans fa maifon; 1'empire des loix i'y protégé, & la juftice 1'y couvre de fon égide. Pour vu qu'il y foit ignoré des ColleSteurs & des Créanciers\ que trop de vertu ne le rende pas rédoutable k la perverfité puiffantej ou que des talens trop fublimes ne 1'expofent pas aux manéges de la médiocrité rampante; qu'il vivepaifiblement fous fon hnmblc toit; qu'il n'y trame pas de complots contre la fociété, ou qu'il n'aic pas attenté a fon repos; il eft für de vivre en paix: auprès de fes foyers. Le defpotisme le plus ombrageux, le plus impitoyable, ne va pas effrayer fes dieux pénates. Ce qui fe paffe relativement k la liberté individuelle au fein de nos inftitutionsféodales, s'obferve de même par rapport a 1'exercice des talehs perfonnels dans tous les genres. Sans doute, 1'induftrie n'eft pas auffi libre qu'elle devroit 1'être: fans doute, elle eft foumife è des formalités, k desprohibitions, qui n'ont pu être prononcées que par 1'ignorance la plus crafte des vrais principes, ou 1'avidité la plus inconféquente: fans doute , il eft abfurde qu'un homme né avec un génie inventeur ou des doigts induftrieux, foit obligé de demander, d'achete'r le droit d'exercer 1'un, & de fe fervir des autres. Mais au moins quand il a vuidé fa bourfe pouracquérir la permiffion de la remplir avec le fruit de fon travail, il a un établiffement folide: fa propriété ratifiée par cet étrange marché, lui donne un état garand par les loix, Quand j'ai payé ma patente, je puis faire de lafaience, ou du drap: quand j'ai acquis une maitrife & qu'en cédant mon argent, je me fuis enrolé dans Tm, III, Cah, W. B b yp8  37« CórtefpondSnee Politique, une corporation, je puis vendre des Couteaux ou de» allumettes ames chalans; je fais des fouliers, ou des bas fanscraindre nihconfiscation,ni l'amende. Et pourquoi donc un Imprirheur, qui s'eft procuré par les mémes formalités & les mêmes facrifices, un état qui a recu lafanclion pubbque, qui lui affure une propriété fous la fauve-garde de la puiffance civile, feroit-il astreint è d'autres régies qu'un Ménuifier , ou cxpofé a de plus grands dangers? ■ Ce n'eft pas tout. L'infpeétion exercée dans fon attelier n'a lieu qu'a fon égard, comme s'il étoit le feul artilan que la loi préfume frippon, ou quefaprofeflion fut réputée moins innocente que toutes les autres. L'Armurier qui fabrique des armes avec lesquelles 011 tue les hammes; le Gainier qui fait des poignards avee lesquels on les afTaffine; YApothicaire qui prépare des ingrédiens perfides, avec lesquels on les empoifonne, ne font pas inquiétés dans leurs boutiqués;la police ne s'en occupe pas: elle les laiffc travaiiier en paix, & réferve toute fa vigilance, toute fa follicitude, toute fa févérité, pour 1'ouvrier qui conftruit des livres, avec lesquels on les éclaire, ou on les ennuie, comme s'il étoit plus dangereux de laiffer faire des brochures qu'on ne lira pas, ou qu'on lira en baillant, que des fabres, des fufils, & des poifons. Obfervez que dans tout ce qu'on appelle les beaux arts, il n'y a que la Po'ëjie & la Grammaire, ou ce qui revient au même, que la Littêrature a qui on faffè 1'affront d'enchainer ainfi fes agens, primitifs & fecondaires. LuPeinture, la Sculpture, la Mujique ne font foumifes a aucune efpèce de génes. Le Compojiteur Ie plus effémin'é eft libre de compofer un air qui portera lepoifon de la volupté dans le coeur de la jeunefle; perfonne ne 1'en blame; s'il réulfit dans fon art, on 1'applaudit. Le Sculpteur, le Peintre, le Graveur le plus dépravé, peut, quand il le juge a propos, expofer aux yeux les nudités les plus obfcènes, dans les attitudes jfcs plus ifidécentes, fans permiffion, & même, fans* t?nafiment. Que cette licence fea'ndaleufe corrompe tous les ptdfes, tous les ages & les deux fexes; qu'elle ne faffe que des filles fans pudeur; des jeunes gens fans mceurs; des femmes lafcives & des hommes Iibertins, jjjous, aufli ftupides a» moral , qu'énerves au phyfi- que;  Civile & Litteraire» 37* que; peu importe: la police ne s'en met pas en peineó Elle a bien d'autres chofes a faire. Ne faut-il pas qu'elle toife les phrafes des écrivaius; qu'elle pèfe leurs expreffions; qu'elle mefure les mouvemens de 1'Imprimeur dont ils ont befoin; qu'elle permette ou réfufe, & aux caraétères de s'arranger, & | la preffe de fe mouvoir; qu'elle place fon privilège a la tête d'un Almanach , fon approbation au deffous d'un Cocq-d-ïdne, fori vifa fur tout le papier qu'on teint dans Pimprimerie, pour tapiffer les rues?Occupée d'objets il férieux, a-t-elle le temps de veiller fur 1'honnêteté des mceurs publiques? Tandis qu'elle examine les couplets d'un Chanfennier, qu'elle met fon attaché aux calembours d'un Académicien, qu'elle délivre des Lettres de Cachet contre les écrivains éloquens, ou véridiques; que le monde aille comme il peut. Elle na s'en occupe que pour développer le principe de fa dépravation, par tous les moyens imaginables ( i ). Crainte que le flambeau de la vérité n'éclaire de .trop' prés fa négligence, ou ne lui donne des avis trop utiles , elle cadenalTe les bouches qui veulent parler, brife les plumes qui favent écrire, flétrit la profeffiori dont les hommes inftruits & courageux ont befoin pour répandre la lumière. Les ouvriers qui réclament. les talens des Virgiles & des Chappelains, des Cotins & des Fenelons , des Marmontels & des Linguets , ne peuvent agir fans fon ordre. Le pauvre Mercure qui ne vaut rien, ni pour le goüt, ni pour la fubftance, ón 1'honore d'un brévet; les ouvrages qui intéreffenc par le fond & par le ftile, on les étouffe'. Ya-t-il rien deplus petit, de plus defpotique, & tout enfemble de plus ridicule , que le réglement typographique, qui öte aux Agens de 1'Imprimerie la liberté d'inï^ (O C'eft une obfervation qui m'a frappé cent fois, que la cauft corruptrice Ia plus adtive, la plus violence de la fociété, c'eft prétjflfment la puifiance iwftituée poiir prévenir la corruptipn. Quel énorme volume, quel intérelfant ouvrage ne compoferoit-on pas, fi l'on vóulcic développer tous les movens que la politique & les gonvei Bemens em-> picaent pour pervertir les moutons , dont ils s'appropneut I? tarn* faiis les paltre! Bb 2  S7* Correfpondance Politique, d'imprimer le pater fans permiffion? Je connois un imprimeur qui a été arbitrairement fufpendu, puis interdit, puis deflitué, puis ruiné avec fa familie, pour avoir imprimé une journée chrétienne, fans avoir fait renouveller fon privilège, dont affurement il n'avoit pas befoin, pour multiplier les copies d'un livre adopté par fon Evêque, pour 1'édifkation du peuple. Une telle police reffemblc a celle qui interdiroit au Savetier du coin de reffemeler deux fois la même favatte, ou deux favattes fur la même forme. Tandis que dans toutes les profeffions, tout fe meut Jibrement, tout eft en acïivité fans violence & fans contramtc, les preffes font immobiles & les caraétères dans 1'inertie, s'il ne plait pas au Cenfeur de leur fournir de 1'aliment. Tandis que tous les artifans fabriquent, que tous les marchands vendent, 1'Imprimeur chóme dans fon attelier, le Libraire eft oifif dans fa boucique, 1'Auteur fèche pour limer, rogner, bourfouffler fon ouvrage au gré de la Cenfure. Si 1'Ecrivain s'indigne de la torture affreufe oh Ton met fon efprit, pour lui faire retrancher ce qu'il penfe , & qui eft vrai; dire ce qu'il ne penfe pas, & qui eft faux; on le baillonne avec des menaces, ou on le coffre en vertu d un chiffon griffonné fans approbation ni privilège. Si des deux premiers, Tun imprime, l'autre débite fans ordres, on les confisque, on les met a Yamende & en prifon. Ils ont beau dire qu'ils n'avoient point d'ouvrage; que leurs families & leurs ouvriers mouroient de faim: bon! on fe moque bien de ces balivernes la. On commencé toujours par prononcer la fufpenfion, la fa;Jie, la dejlitution, la captivité, comme s'il s'agiffbit d'un attentat qui rendit le coupable indigne de voir le jour. Le refte va comme il peut. Vous croyez peut-être que c'eft pour avoir donné Têtre k un monftre abominable, ou vendu des recettes empeltées, qu'on déploye Tappareil de l'autorité contre ces perturbateurs du repos public. Non. C'eft pour avoir imprimé YOraifon Dominicale, ou une Epigramme fpirituelle contre un bateleur Philofophe, ou une brochure qui ira chez Tépicier, habillcr le poivre & la canelle, ou un trés bon livre dont on ne pariera dans le trifte Mercure , par la raifon toute fimple qu'il eft bon, fans Tapprobation d'un cenfeur en titrej fans un  Civile Litteraire. 373 tm permis fi l'ouvrage efl: mince, & un privilège fi le volume efl; gros. Ainfi. la Légisflation de la Librairie réufiit tout ce qu'on peut imaginer de plus tyranique, de plus injufte, de plus abfurde tout enfemble. Et c'eft en France, chez la nation qui a 1'orgueil de fe croire en tout genre, fupérieure a tous les peuples du monde, que ces reftes affreux de barbane, d'ignorance, de defpotisme, exiftent dans toute leur vigueur. Encore une fois, il ne faut pas que la preffe foit kcentieufe, mais il ne faut pas non plus qu'elle foit esclave. Vos gênes innombrables, vos précautions éternelles, empêchent elles le public d'être infefté de produétions plattes ou fcandaleufes, qui corrompent le goüt & les principes? Vos formalités donnent 1'exclufion aux bons ouvrages, & ne favorifent que les médiocres ou les dangereux. Avec vos entraves d'une part, & vos anathêmes de l'autre; avec vos cenfeurs , vos brévets & vos profcriptions, avez vous pu empécher l'enfantement merveilleux de la maflive Encyclopédie & de tant d'autres fuperfétations philofopniques, dont le mérite littéraire efl: bien éloigné de compenfer le fcandale du fujet, ou 1'ineptie des détails ? Les Contes orduriers de la Fontaine, le Dictionaire philofophico-irrél''gieux de Mohair e, le fyfteme de la nature de Mirabaud, tous académiciens, brévetés, & richement penfionnés, en font-iis moins dans la Bibliothèque de vos élégans, & fur la Toilette de vos femmes beaux-Efprits, malgré le pédantisme de vos approbateurs, & 1'inquifition de votre Code bibhopole ? Et puisque votre cenfure ne fert qu'k étouffer les bons livres, fans pouvoir prévenir 1'effufion des plus infamcs rapfodies, elle efl:donc aufli odieufe d'un cóté, qu'inutile de l'autre? Abrogez donc cette inflitution abfurde , qui n a jamais fu", ni faire du bien, ni arrêter le moindre mal. Subftituez a la morgue pédantesque de vos arbitres des penfées d'autrui, les juges-nés des produétions de 1'efprit: c'eft le public pour ïejtile, & les magiftrats civils pour la Docïrine. Que tout ouvrage purement littéraire, de quel genre qu'il puifle être, foit entierement abandonné, pour la partie matérielle, aux fpéculations du commerce entre les Auteurs, leurs copijtei & leurs courtiers; & pour la partie fpirituelle k la critiBb 3 que  374 Correfpondance Politique, que des lecteurs éclairés ou fots. Supprimez k jamais & vós cenfeurs de livres, & vos infpecteurs de libraijrie, comme des excrémens Gothiques, dignes tout au plus d'une adminiftration enfantée dans la fange de la barbarie, & appellée a régir un peuple compofé d'imbécilles ou de fripons. Erigez dans chaque pays un Tribunal Vérificateur de tous les ouvrages qui y eirculent, & que les preffes enfanteront: eompofez le de juges inftruits & de bon fens, dont la fon&ion fera de recevoir toutes les plaintes que formeront les perfonnes de gout contre les plattitudes littéraires, & le Miniftère public contre les blaiphêmes philofophiques, ou contre les maximes incendiaires des philofophes. Que dans cet Aréopagè fcientifique, la voix publique & les furveillans de la fociété foient admis a dénoncer également les productions impertinentes & les livres dangcreux, les unes pour être accablées de mépris, & les autres chargés d'opprobre. ' Si les Ecrivains, affranchis des liens génans dont votre code cenfural les garrote, fe licencient; vous les contiendrez: fi leurs agens typographiques, débarTaffés des chaines dont vous les accablez, fe rendent téméraires, vous les réprimerez. Tant que les écrits des uns & les imprimés des autres ne feront que mauvais, plats, infipides; laiffcz au public le foin d'en faire juftice: Contcntez vous dc diriger ce lourd & aveugle public dans fes jugemens, de peur qu'on ne le furprenue par des manéges, pour lui faire recevoir VEsprit des loix comme un ouvrage profond; les Mélanges de M. d'Alembert comme un ouvrage favant; Bélifaire ou les Incas comme des ouvrages de goüt. De temps en temps, publiez une lifte des livres réprou^éspar la raifon; & bien-töt vous verrez difparoitre des Catalogues les 7f| des produélions madernes. Les Libraires n'oiëront plus les expofcr en vente, ni ïes.Journaliftes les louer, de crainte, les uns de faire cléferter leur boutique, & les autres de fe couvrir de ridicule. En moins de dix ans, vous verrez nos beaux-efprits rentés , choyés, fétés, claqués aujourd'hui, mis a leur place, c'eft-a-dire dans la boue. Sqyéz füfs qu'ils n'auront plus, ni les rieurs de leur föté.' ni les fauteuils a diftribuer, ni les penfions a F- ■ : re-  Civile & Litteraire. recevoir. Le Gouvernement, empochant les 530,000 Liv. (1) qu'il dépenfe a préfent pour faire débiter des Calembours & des fatïres, vérifier des férailles & difféquer des chenilles, appretera d pre aux dépens de quelqu'un (2). Quant aux Libelles diffamatoires qui déchirent des particuliers; aux brochures fcandaleufes qui préchent Ie libertinage, ou qui bleffent la pudeur; aux livres audacieux qui outragent la Divinité ou fes images: flétrlffez les comme des produétions criminelles, fruits de la dépravation ou de la méchanceté, contraires a ^honneteté publique, ou au repos de la fociété. Mais ne prodiguez pas les flétrifTures; fur tout ne les imprimez pas arbitrairement, fi vqus voulez qu'elles foient efficaces; & ne les rendez pas partiales, fi vous ne youlez pas qu'elles foient odieufes. Une dénonciation en forme doit préalablement être portée au Tribunal des Livres, ou par les Miniftres de la Rehgion outragée, ou par les dépofitaires de 1'autorité compromife, ou par des individus infultés dans ces diatribes repréhenfibles, qui provoqueront la vindiéte publique. Un examen réfléchi doit précéder, & ua jugement motivé accompagner une condamnation équitabledes produétions. dangercufes, que vous dévouerez a l'anéantifTement ou a Pinfamie. Vos fentences, fi elles font juftes; 'vos arrêts, fi Ia raifon ne réclame pas contre eux, feront le palladium dc la lureté publique, la fauve-garde des mceurs, Ie rem» CO II en conté «nnuellement cette fomme a Ia nation Francoire nn„P donner a la Capuale du Royaume Ie piaifir d'avoir des AcaclémiA ml BibUolUque Royale, un Jardin du Roi, &c. Voila en vérité de'l'i gent bien employé. Et c'éft cette efpèce de fabiiques d'ordures aum M. MrAe/confeilled'encourager] Voyez fon Compte rendu nraT,, factares. (2) Cette phrafc ert tirée d'une arléqnHwde du Secrétaire ten,/t„,i i.el Académie Francoife, intitulée ; bejh uction des Jefuites platte X cmellc bouffonnene , tout-i-fiut plrilofopliiquc. Voyez ci devant tL. il, pag. 25 & fuiv. ' n'r  Cerrtjpondanee Politique, rempart du refpeóh dó a 1'être fuprême? & a l'autorité qui le repréfente fur la terre. Si les Dieux font offenfés dans les ouvrages qui en auront provoqué la rigueur, le facrifice que vous en ferez les appaifera; fi fa fouveraineté y eft attaquée, ou les Magiftrats infultés, 1'opprobre que vous leur imprimerez fuffira pour raffermir l'une, & fatisfaire les autres. Quand un particulier fe plaindra d'une brochure, il aura la reffource de la Requète Civile, pour en pourfuivre la fatisfaction : il s'adreffera aux tribunaux ordinaires qui feront droit, oukhCourfouveraine de laLittérature, qui fera auffi refpe&able, auffi honorée que celle des Maréchaux de France, juges du point d'honneur, paree qu'elle aura de même a prononcer fur les objets les plus délicats & les plus intéreffans. 'Mais quand un individu, en butteaux traits fatiriques d'une critique amere, fe préfentera devant vous, pour folliciter la réparation d'un grief, prennez garde de bien obferver fi c'eft au nom de la juftice, ou a celui de fon amour-propre. Diftinguez parmi les farcasmes qu'il vous dénoncera comme des blafphêmes , fi c'eft fa perfonne qu'on outrage, ou fon mérite que l'on contefte; fon honheur que l'on compromet, ou fes talens qu'on révoque en doute ; fon cceur qu'on flétrit, ou fon inepde qu'on dévoile. Si ce font ces principes que vous fuivez; fi ce font ces précautions que vous prennez, vous fuprimerez toujours les libelles qui déshonorent les citbvens honnêtes, & jamais lesfatires qui font juftice d'un intrigant protégé, ni les fiagellations appliquées fur les épaules d'un pédant bouffon, qui fe pare du nom de philofophe. Tant qu'il ne s'agira entre particuliers, favans, poëtesounon, quedecritiques, d'épigrammes, deplaifanteries de rèfutations, de difputcs fur la bonté de leurs ouvrages ; ne vous avilifiez pas jufqu'a prendre connoiffance de ces tracafferies méprifables, qui fouil. lent la Littérature. Quc YOlimpe méprife le croaffem^nt des grénouilles, & détourne les yeux de la fange oh elles s'agitent. Laiffez au petit Auteur apprécié dans une brochure délicieufe, le foin comme il en a le droit, de s'en venger par une autre, ou 1'humilifition d'expier fon incapacité par lc ridicule. De cette maniere vous ne ferez point expofés a des furprifes, ni la ' juftice  Civile Litteraire. I77 juftice h commettre des iniquités. Les manéges des coteries & des cotillons littéraires n'influeront plus fur la deftinée des livres. Les cabales puiffantes, ou lc crédit impérieux ne parviendront plus a faire profcrire les bons ouvrages, ét protéger les mauvais. Gardez-vous d'adopter dans vos procédures la marche des pariemens de France. Ne fouffrez pas qu'un Procureur Général, dans un beau ré'quifitoir, compofé par fon Secrétaire, a 1 inftigation d'un Libraire qu'if protégé., ou d'une maïtreffe qui le fubjugue, ou d'une cabale qu'il fert, oude pis encore, vienue dénoncer & la Cour, un livre qu'il n'a pas lu , & que la Cour qui ne 1'a pas vu, condamne au feu, par la raifon que la plus belle prérogative de la Cour eft le droit de bruler & que tout ce qui lui eft dénoncé, hommes ou brochures, eft fenfé mériter la roue ou le brafier. On voit fouvent des fcélérats adroits ou protégés echapper a la juftice. Tous les jours des plaideurs puifrans ou appuiés gagnent de mauvaifes caufes. Jamais il n'y a eu de livre, traduit devant un tribunal de Légijtes, qui n'ait perdu fon procés. Et comment le gagneroit-il ? On 1'inftruit comme Cartouche inftruifoic celui des paffans dans les rues de Paris. On appréhende leprévenu; on lui dit des injures, ou on lui faic la chicane du Loup d l'agneau. Comme il fe défend encore moins que celui-ci, on prend fon filence pour un aveu de fon crime, & on 1'envoie au bücher On 1'affaffine; mais on ne le juge pas. ' Si une pareille jurisprudence pouvoit enfanter quel que chofe d'étonnant, ce qui furprendroit Ie plus ce" feroit de la voir bornerfon empire a quelques productionsplus méprifables que dangereufes, & de laiiler nul luier en paix des milliers de pamphets & d'mfolio ouï mfultent le goüt & corrompent les principes en'tourgenre. On n'eft pas furpris de la voir févir irréeulie rement contre des ouvrages impies ou féditieux • maiö n a t on pas heu de s'étonner des exceptions qu'el'le fa t Funeftes3» ^ m°inS fcandaleux' & innniment plus Que le tribunal fouverain de la Littérature fe oréferve donc de cette partialité injufte; & pour la n J venir, qu'il inftruife Ie procés des ouvrages dénoncé, a charge & a décharge; qu'il juge fans^acception dê Bb S parti  378 Correfpondance Politique, parti ni de fyftême ; qu'il préfume innocent tout jivre quelconque, jufqu'a ce qu'il foit prouvé qu'fi efl: criminel; qu'il laiffé préparer 'fes arrêts par la voix publique, & qu'il ne les prononce, que quand il fera für qu'ils feront ratifiés par le voeu général ( 1). . 11 doit bien fe garder furtout de conferver 1'ufage dc ia Cen/ure ; ce feroit retombcr. dans les abus qu'on veut prévenir; ce feroit éternifer le règne de 1'ignorancc, des préjugés; ce feroit perpétuer les inconvéniens de ('arbitraire, de lapaffion; 1'influence des amiS & des ennemis, des protections & des protecleurs; ce feroit enfin expofer les bons ouvrages iiolés. fans recommandations, dénués de próneurs, a 1'anéantiffement ou a 1'ignominie, & lés mauvais a la faveur, a la vogue, aux applaudilTemens,' & leurs Auteurs aux récompenfes. Les cenfeurs quelque équitables qu'ils foient, ne font pas des hommes exempts de paffions, inacceffibles a la préventicun\;. a 1'abn dos impreffions étrangères: fans leur fuppofer des vues injuftes, il eft poffible qu'ils commettent des injuftices. L'appanage de J'hom-* mc eft la foibleffe & Terreur. Quelque éclairés qu'ils puiffent être, ils n'ont pas des lumieres univerfelles. Onne peut pas eri faire les appréciateurs & les juges des fruit's de Tétude, de la méditation, des veilles des' s?ens dc lettres, fans leur attribuer une puiffance au deffus des forces de Thumanité. S'il faut au public inftruit & dc fang-froid des aunées entières pour fixer le mérite d'un livre; s'il a fallu vingt fiècles pour chaffer Arijlote de la pouffière dés écoles • fi depuis quarante ans que les redondances du p de Montesquieu font publices, & depuis trente que Y Académie eft tyrannifée rondement par M. Anticarré ,■ on admire encore les unes fans les lire , on applaudit encore aux bouffonneries du faltinbanque du Louvre; fi ce n'eft qu'après la mort d'un Racine qu'on fait mettre 'CO UEmile de Rov.feav. a étc! anathématifë par I'Archevêque de Pt'ris, lacéié 1 biülé 'par arrêt du parlement. On Ti réimprimé dix fois; i! eft entre les mains de tout le monde, même des Francois, même des" }nges, même des Eccléfiafliqucs, paree que le public fe moque d'un. pédamisme ridicule, & des fcmences burlesques.  ' Civile £f Litterair*. 379 tre AthaUe kla. téte de fes chef-d'oeuvres, & au bout de plufieurs générations qu'on peut avecfüreté prononter irrévocablement fur le prix d'un ouvrage lérieux, toujours déchiré avec fureur, ou exalté avec excès par les contemporains; comment a t-il pu monter dans 1'efprit des gouvernemens, d'abandonner la deftinée des productions littéraires aux caprices d'un individu, invefti du titre ridicule de cenfeur, & du droit odieur de les admettre ou de les profcrire a fon gré? Comment après deux liècles de lumieres, de raifonnemens & de progrès, n'a t'on pas fenti 1'inconféquence monftrueufe d'un ufage qui fait arbitre du fort d'un livre, un homme qui peut être honnête, inftruit, judicieux fans doute; mais qui peut être aufli prévenu, paflionaé, ignare, fubjagué par une influence quelconque, ou intimidépar une cabale, ou enchainé par Ia crainte, ou gagné par des promefles, ou égaré par les bornes naturelles de fon efprit, ou féduit par 1'illufion, ou arrétéparles appréhenfions pufillanimes d'une confcieneetimorée, & inique même par délicatefle? ' A combien d'injuftices & d'irrégularités ce baillon Gothique n'expofe t'il pas? Un livre cenfuré eft-ïl meilleur, ou plus innocent? Un ouvrage rejetté, paree que 1'auteur n'étoit pas recommandé; que le cenfeur avoit la migraine, ou la colique; paree qu'il étoit trop affairé, ou qu'il manquoit de fagacité pour le comprendre, peut-être d'yeux pöur le lire fur un Mamjfcrii indéchiftrable, eft-il plus maüvais, ou plus criminel? Quoi! paree qu'un homme'revétu d'un emploi qui fe donne & s'obtient comme tous les autres," au hazard, n'aura pas eu le temps, la patience d'examiner des papérafles, ou le jugement d'en faifir le fens; uné produélibn immortelle ou ennuieufe fera condamnéeau néant, ou réduite k ne parvenir a l'exiftence qu'illégitimes comme les batards, ou en fraude comme la contrebande! Quoi I le travail de plufieurs années fera dans quelques heures, lu, critiqué, apprécié' jugé, parun étranger, qui n'a peut-être pas la moindre notion de la matière fur laquelle on 1'autorife a décider fi leftement! Et ce fera d'après cette étran°-e décifion, que 1'ouvrage fera mutilé,'ou confervé dans fon intégrité ; anéanti, ou appellé k la lumiere.' Confoit-on fien de plus extravagant, & de plus injuflc ? Entre  380 Correjponicmce Politique, Ehtre des milliers d'exemples qu'on pourroit citeï des abiurdités d'une pareille forme admife pour 1'adoption des livres, je n'en citerai qu'un bien frappant, qui contribuera peut-être a ouvrir les yeux fur les inconféquences de la Cenfüre, & a faire reléguer fon pédantisme aux Antipodes. Je le cite avec d'autant plus de plaifir, qu'a 1'avantage de montrer 1'incompétence des cenfeurs, pour 1'appréciation des ouvrages qui leur font foumis, il réunit la doublé utilité d'apprendre aux princes qui aiment les louanges affaifonnées avec efprit, que Fimpéritie des Controleurs des pcnfées, leur fait quelquefois des larcins, ou les expofé a des privations. On le rappelle le voiage de PEmpereur en France, il y a fix ans. Les parifiens, peuple unique pour faire des Vaudevilles & des Odes, fe fignalerent par une foule de petites pièces de poëfie, confacrées a célébrer le Monarque, & donc la bonté littéraire ne répondoit pas dans tour.es a 1'intention de leurs auteurs. Parmi la multitude de ces productions éphémères s de ces petits tributs arrachés par le mérite de rilluftre voiageur, a 1'admiration de fes hótes, on diftingue une Epitre a l'Empereur Jofeph II. fur ce qu'en paffant par Genève, ce prince nerendit par vifite k M. de Voltaire. Cette pièce eft charmante. C'eft une fatire délicate du philofophisme moderne. Une verfification facile & harmonieufc; une ironie fine, adroite, foutenue depuis le premier vers jufqu'au dernier; un éloge vrai, point empoulé, point rampant du potentat qui en eft fobjet, font le mérite de cette épitre, Pour 1'imprimcr felon les règlemens de la Librairie, il auroit fallu une approbation, une permi/Jlon, & au préalable lui faire fubir la cenfure. L'imprimcur fe foumit a cette formalité. Mais devinez la réponfe qu'il re