D E L A S A G E S 5 E.  01 2126 5417 UB AMSTERDAM  D E L A SAGESSE, TROIS LIVRES Par PIERRE CHARRON 9 Parifien , Dofteur ès Droits. Smvant la yrait CopU dc Bourdcaux. TOME SEC O ND. AMSTERDAM. M. DCC. L X X X 11.   DE LA SAGESSE, LIVRE TROISIEME, Auquel font traités les avis particuliers de Sageffe par les quatre Vertus morales. P R É F A C E. P UISQUE notre dejfein en ce livre ejl d'injlruire par le menu a la fagzffe, & en donner les avis particuliers , aptes les' généraux touchés au Livrt précédent, pour y tenir un train & un ordre certain, nous avons penfé, que ne pouvant mieux faire , que de fuivre 'Les quatre vertus maitreffes & morales; prudence, jujlice , force & tempérance ; car en ces quatre prefque tous les devoirs de lavie font compris. La prudence ejl comme une générale guide & condu te des autres vertus & de toute la vit ; bien quz 11. Part ie. A  ï DE LA S A G E S S E, proprement elle s'exerce aux affaires. La jujlicc regarde les p erf onnes, car cejl rendre a chacun ce qui lui appartient. La force & tempérance. regardent tous accidens bons & mauvais, joyeux & fdcheux , la bonne & mauvaifè fortune. Or en ces trois , p>erjonnes, affaires & accidens , ejl cornprife toute. la vie & condition humaine, & le trafic de ce monde. i. Son excellence. i. Diifinitlon, DE LA PRUDENCE EN GÉNÉRJL. CHAPITRE PREMIER. De la Prudence, première vertu. 'Prudence eft avec raifon mife au premier rang^ comme la Reine, générale furintendante & guide de toutes les autres vertus, auriga virtutum; fans laquelle il n'y a rien de beau , de bon , de bien féant & avenant; c'eft le fel de la vie,le luftre, Pageancement & 1'aflaifonnement de toutes actions, Pefquierre & la regie de toutes affaires, en un mot, l'art de la vie, comme la médecine eft l'art de la fanté. C'eft la connoiffance & le choix des cbofes, qu'il faut defirer cu fuir; c'eft la jufte eftimation & le tirage des chofes; c'eft 1'ceil quitoutvoit, qui tout conduit & ordonne. Eile confifte en trois chofes, qui font de rang ; bien confulter & déliberer; bien jügêr & réfoüdre; bien conduire & cxccutcr.  L I V R E I I I. 3 C'eft une vertu univerfelle , car elle s'étend . générale ment a toutes chofes humaines , nonfeulement. en gros, maïs par le menu k chacune : ainfi efl-elle infinie comme les individus. Très-difficile, tant a caufe de 1'infinitéja dite : car'es particula rités font hors de fcience , comme hors de rombre , Ji qua finiri non pojj'unt, extra fapientiain funt; que de 1'incertitude Sc inconftance grande des chofes humaines, encore plus grande de leurs accidens , circonftances, appartenances, dépendances d'icelles: temps, lieux, perfonnes ; tellement qu'au changement d'une feule & la moindre circonftance toute la chofe fe change; & aufli en fon office, qui eft en 1'afTemblage ÖC temperamment des chofes contraires : Diftin&ion & triage de celles qui font fort femblables. La contrarieté & la refTemblance 1'empêchent. Très-obfcure, pource que les caufes Sc refTorts des chofes font inconnues, les femences & racines font cachées , lefquelles 1'humaine nature ne peut trouver, ni ne doit rechercher. Occultat eorum femina Deus , 6* plerumque lonorurn malorumque caufce fub diverfa fpecie latent. Et puis la fortune, 1 la fatalité , ( ufez des mots que vous voudrez ) cette fouveraine , fecrette & inconnue puiffance & autorité maintient toujours fon avantage au travers de tous les confeüs Sc précautions; d'oü visat fouvent que les meilleurs confeüs ont de A ij Efl univer, felle. 4- Difficile. Sensc, r- Obfccire. I'Iinïn paneg.  4 DE LA S A G E 5 S E; très-mauvaifes iflues: un même confeil très-utile k un , malheureux en un autre en pareil cas : tk k un même homme fuccéda &c réuffit heureufement hier, qu'aujourd'hui eftmalencontreux: c'eft une fentence juftement refue, qu'il ne faut pas juger les confeils ni la fuffifance & capacité des perfonnes par les événemens. Dont répondit quelqu'un k ceux qui s'étonnoient comment les affaires fucccdoient fi mal, vu que fes propos étoient fi fages: qu'il étoit maïtre de fes difcours, non du fuccès des affdires. C'étoit la fortime , laquelle feinble fe jouer de tous nos beaux deffeins & confeils; renverfe en un moment tout ce qui a été par fi long-temps projetté & délibéré, & nous femble tant bien appuyé , nous clouant, comme 1'on dit, notre artillerie. Et de fait la fortune , pour montrer fon autorité en toutes chofes , & rabattre notre préfomption , n'ayant pu faire les mal habiles Sages, elle les fait heureux k 1'envi de la vertu. Dont ii avient fouvent que les plus fimples mettent k h*n de très-grandes befognes & publiques & privées.X'eft donc une mer fans fonds &z fans rive, qui ne peut être bornée & prefcrite par préceptes & avis que la Prudence. Elle ne fait que toumoyer k 1'environ des chofes , un nuage obfeur, éV fouvent bien vain & frivole. Toutefois elle eft de tel poids & nécefiité, qu'elle feule peut beaucoup; & fans elle tout le refte rfeft rien; non-feulemen£ les richeffes, les moyens, 6. Néceffaïre. Horat. 3. od. 4- Euripid. Livius.  L I V R E 1 1 I. 5 la force. Vis confilii expers mole ruit fua. Mens una. fapiens plurium vincit manus. Et multa , quaedag. Plin.  8. Diüinif.ion. 6 D E LA S A G E S S E, elle eft moins -ferme & affurée, auffi eft-elleplus aifée, plus fréquente , ouverte & commune a tous. On fe rend plus réfolu , afTuré k fes dépens, ' mais il eft plus facile aux dépens d'autrui. Or , de ces deux proprement expérience & hiftoire, vient la prudence , ufus me genuit, mater peperit memoria,feu memoricz anima & vila hijloria. Or, la prudence fe peut & fe dok diverfement diftinguer, felon les perfonnes & les affaires. Póur les perfonnes il y a prudence privée, foit-elle folitaire & individuelle, qui k grande peine peutbien être dite prudence, ou fociale & économique en petite compagnie ; & prudence pubüque & politique. Celle-ci eft bien plus haute , excellente , difficile, & k laquelle plus proprement conviennent toutes ces qualités fufdites, & eft doublé ; pacifique & militaire. Ppur le regard des affaires, d'autant qu'ils font dedeuxfacons, les uns ordinaires,faciles;les autres exraordinaires. Ce font accidens , qui apportent quelque nouvelle difficulté & ambiguité. Aufïï 1'on peut dire y avoir prudence ordinaire & facile qui chemine felon les loix, cóutumes & train ja établis; fautre extraordinaire & p\:s difficile. II y a encore uneautre diftincrion de prudence, tant pour les perfonnes que pour les affaires , qui eft plutöt de degrés que d'efjjece, S?avoir, prudence propre par laquelle 1'on eft fage: & prendon avis de foi-même; Tautre empruntée, par  L I V R E I I 1. 7 laquelle 1'on fuit le confeil d'autrui. II y a deux fortes & degrés de Sages, diient tous les Sages. t ! Hr f~,„Tar-i',n pft flp rPUV CUVL VOVeM A iv Hefiod. _ L'vius, Ci:ero. Le premier & louverain eft de ceux qui voyent clair par-tout, & gavent d'eux-mêmes trouver les remedes & expédiens ; oü font ceux-la ? O chofe rare & finguliere ? L'autre eft de ceux qui gavent prendre, fuivre & fe prévaloir des bons avis d'autrui; car ceux qui ne fcavent donner m prendre confeil, font fots. Les avis généraux & communs, qui conviennent a toute forte de prudence , toutes fortes de perfonnes Scd'affaires, ont été touchés & briévement déduits au livre précédent, & font huit; i. connoiffance de perfonnes & d'affiires , 2. eftimation 9» Ch. 10. des chofes, 3. choix &c éleftions d'icelles, 4. prendre confeil fur-tout, 5. tempéramment entre crainte & affurance, fiance & défïance, 6. prendre toutes chofes en leur faifon, & fe faifir de 1'occafion , 7. fe bien comporter avec 1'induftrie &C la fortune ; 8. difcrétion par-tout. II faut maintenant traiter les particuliers , premiére.nont de la prudence publique, qui regaide les perfonnes, puis de celle qui regarde les affaires.  * delaSagesse, DE LA PRUDENCE POLITIQUE DU SOUVERAINPOUR GOUVERNER LE TA T. P R £ F A C E. Cette doctrine ejl pour les Souverains & Gouverneurs d'Etats. Elle ejl vague , infnk , difficile & quafi impojjible de rangeren ordre , clore & prefcrire en préceptes ; mais il faudra tdcher d'y apporter quelque petite lumiere & adreffe. Nous pouvons rapporter toute cette doclrine a deux chefs vrinchauy qui feront les deux dtvoirs du Svuverain. Uon comprend & traite les appuis & foutiens de CEtat, piecesprincipales&efentielles du gouvernement public] comme les os & nerfs de ce grand corps, ajin que. le Souverain s'en pourvoye & muniffe, & fon Etat; lefquels peuvent étre fept capitaux , connolfmce de Vet at, vertus, mazurs & fa gons, confeils, finances , farces & armes, alliances. Les trois premiers font en laperfonne du Souverain, le quatrieme en lui & prés de lui, les trois dernier s hors lui. Uautre eft a. agir ,^ bien employer & faire valoir lesfufdits moyens, c'eft-a-dire , en gros, & en un mot, bien gouverner & fe mamt:nir en autorité & bienveiilance, tant des fujets, que des étrangers; mais diftinclement: cette part ie eft doublé, pacifique & militaire, Foila fommairement & groffiérement la befogne taillée, & les Dïvifion de cette matkre  L i r r e 11I. 9 'premiers grands traits tïrés, qui font a traiter ci-apres. Nous diviferons donc cette matiere politique & d'e'tat en deux parties. La première fra de la provifion ^ ffavoir des fept chofes nécefjaires ; la feconde & qui préfuppofe la première, fra de Caclion du Souverain. Cette matiere ejl excellemment traitée par Lipfius a la maniere quil avou!u,la moelle de fon livre. eft ici. Je nai point pris ni du tout fuivi fa méthode , ni fon ordre , comme déja fe voit ici en cette générale divifton, & fe verra encore apres : /'en ai laifjé auffi du ften, & en ai ajouté d'ailleurs. CHAPITRE II. Première partie de cette Prudence politique & gouvernement d'Etat, 'qui eft de la provifion. La première chofe reqviife avant tout ceuvre, eft la connoiffance de 1'état; car la première regie de toute prudence eft en la connoiffance , comme a été dit au livre précédent. Le premier en toutes chofes eft fcavoir a qui on a affaire. Parquoi d'autant que cette prudente régente & modératrice des états, qui eft une adreffe & fuffifance de gouverner en public, eft chofe relative , qui fe manie & fe traite entre les fouverains & les fujets: le devoir & office premier d'icelle , eft en la connoiffance des deux parties , fcavoir, r; Chef de cette provifion, connoiffance de 1'état.  clup. 48. Senec, IO D £ LA S A G E S S E, despeuples Sc de la fouven:'neté, c'eft-a-dire, de 1'état. II faut donc premierement bien connoitre les humeurs Sc naturels des peuples. Cette connoiffance faqonne & donne avis a celui les doit gouverner. Le naturel du peuple en général a été dépeint au long au premier livre (léger, inconftant, mi tin , bavard, amateur de vanité Sc nouveauté, fier Sc infupportable en la profpérité , couard Sc abbattu en 1'adverfité); mais il faut encore en particulier le connoitre : car autant de villes Sc de perfonnes, autant de diverfes humeurs. II y a des peuples coleres , audacieux, guerriers , timides, adonnés au vin Sc fujets aux femmes , & les uns plus que les autres , nofcenda natura vulgi ejl, & quibus modis temperanter habeatur. Et c'tft en ce fens, que fe doit entendre le dire des Sages; qui n'a point obéi, ne peut bien commander, nemo bene imperat, niji qui ante paruerit imperio. Ce n'eft pas que les Souverains fe doivent ou puiftent toujours prendre du nombre des fujets ; car plufieurs font nés Rois Sc Princes; Sc plufieurs étatsfont fuccefiifs: mais que celui qui veut bien commander doit connoitre les humeurs & volontés des fujets ; comme fi lui-même étoit de leur rang Sc en leur place. Faut aufii connoitre le naturel de 1'état, non-feulement en général, tel qu'il a été décrit, mais en particulier celui que 1'on a en main, fa forme, fon établiffement, fa portée, c'eft-a-dire, s'il eft vieil ou nouveau, échu par fuccefïionou  Livre III. ** par éleftion, acquis par les loix, ou par les'armes, de quelle étendue il eft, quels voifiris, moyens, puiffance , il a. Car felori toutes ces circonftances il faut diverfcment manier lefceptre, Salluft. ad Celar, Plin. paneg. Satuft. ad Cefar. Senec; 2." a. Chef da cette provifion vertu. cc autres, u iutwimm»" -■-,-.« ferrer ou lacher les rénes de la domination. Après cette conr.oiflan'ce d'état, qui eft comme un préalable, ia première des chofes requifes eft 1„ tont nfWflTaïrft au Souverain , non tant la vertu., tam necenanc au jyui«w"j ^~ pour foi que pour 1'état. Heft premiérementbien convenable, que celui qui eft par-defius tous ? foit le meilleur de tous, felon le dire de Cyrus. Et puis il y va de fa réputation ; car le bruit :n„ +~,„* loc foïtc flits relui commun recueille tous les taits 6c dits de ceuu qui le maïtrife ; il eft en vue de tous, & ne fe 1 _1-C~1 '1 n«„t a„ on Klon peut cacher non plus que le boleil. LJont ou en men ou en mal on pariera de lui. Et il importe de beaucoup & pour lui & pour 1'état en quelle opinion il foit. Or, nón-feulement en foi & en fa vie le fouverain doit être rcvêtu de vertu; mais il doit foigner que fes fujets lui reffemblent. Car comme ont dit tous les Sages, 1'état, la ville , la compagnie , ne peut durer ni profpérer , dont la vertu eft bannie. Et ceux-la équivoquent bien lourdement, qui penfent que les Princes font tant plus affurés, que leurs fujets font plus méchans. A caufe , difent-ils , qu'ils en font plus propres , & plus niais a. la fervitude & au joug ,*patïtnriores fervituüs , quos non dieet niji effè fervos. Car au rebours les méchans fupportent impatiemment  5alluft. ad Cefar. BS LASAGESSE, le joug: & les bons & débonnaires craignent beaucoupplus, qu'ils ne font k craindre. Pejw quifque afperrimè reclorem patltur : contra facile imperium in bonos, qui metuentes magis quam metuendi. Or, le moyen très-puiffant pour les induire & former k la vertu , c'eft 1'exemple du Prince , car comme 1'expérience le montre, tous fe moulent au patron & modele du Prince. La raifon eft que 1'exemple preffe plus que la loi. C'eft une loi muette, laquelle a plus de crédit que le commandement, nee tam imperia nobis opus quam exemplo ; & mitius jubetur exemplo. Or, toujours les yeux & les penfées des petits font fur les grands; admirent & croyent tout fimplement que tout eft bon & excellent ce qu'ils font; & d'autres par ceux qui commandent, penfent affez enjoindre & obliger les inférieurs k les imiter en faifant feulement. La vertu eft donc honorable & proftable au fouverain , & toute vertn Mais par préciput & plus fpécialement Ia piété, la juftice, la vaillance, la clémence. Ce font les quatre vertus principefques & princeffes en la pnncipaute. Dont difoit Augufte , ce tant grand Prince, la piété & la juftice défïent les Princes. Et Seneque dit que la clémence convient mieux au Prince qu'a tous autres. La piété du fouverain eft au foin qu'il doit employera la confervation de la religion, comme fon proteeïeur. Cela fait i fon honneur & k fa confervation propre; car Principalement quatre J vertus. Plin. paneg.  L I V R E IJL if ceux qui craignent Dieu, n'ofent attenter ni penfer contre le Prince, qui eft fon image en terre, & 1'état; car comme enfeigne fouvent Laöance, c'eft la religion qui maintient la focieté humaine, qui ne peut autrement fubfifter , & fe remplira tot de méchancetés, cruautés beftiales, fi le refped & la crainte de religion ne tient les hommes en bride. Et au contraire 1'Etat des Romains s'eft accru & rendu fi florhTant , plus par la religion , difoit Ciceron même, que par tous autres moy ens. Parquoi le Prince doit foigner que la religion foit confervée en fon entier , felon les anciennes cérémonies & loix du pays ; &c empêcher toute innovation Sc brouillis en icelle , chatier rudement ceux qui 1'entreprennent. Car certainement le changement en la religion & 1'injure faite k icelle , traïne avec foi un changement & empirement en la république, comme difcourt très-bien Mécénas k Augufte. Après la piété vient la juftice , fans laquelle les étatsne font que brigandage, laquelle le PrinceSt doit garder & faire valoir en foi &C aux autres: en foi, car il faut abominer ces paroles tyranniques & barbares, qui difpenfent les Souverains de toutes loix , raifon, équité , obligation , qui les difent n'êtretenus k aucunautre devoir qua leur vouloir & plaifir ; qu'il n'y a point de loix pour eux: que tout eft bon & jufte , qui accommode leurs affaires; que leur équité eft la force, leur devoir eft au pouvoir. Principi leges nemo fcripjit: licet,] Plin, Paneg. Dien. 4- 1. Jufiice foi.  Tacit. Sen. ntr. 14 DE LA S A G E S S E, Ji libet. In fumma fortuna id cequius quod validius: nihil injuftum quod frucluofum ; fanclitas , pietas , fidcs , privata bona funt: qua juvat reges eant. Et leur o .j of.r les beaux & faiiïts avis des fages, que plus doit être r.églé & retenu, qui plus a de pouvoir: la plus grande puiffance doit être la plus étroite bride : la regie du pouvoir eft le devoir: minimum decet libere cui nimium Heet, non fas potentes pojfe, fieri quod nefas. Le Prince donc doit être le premier jufte & équitable, gardant bien & inviolablement fa foi, fondement d juftice a tous & un chacun , quoiqu'il foit. Puis il doit faire garcer & maintenir la juftice aux autres; car c'eft fa propre charge, & il eft inftallé pour cela. II doit entendre les caufes & les panics. rendre & garder a chacun cc qui lui appartient équitablement felon les loix , fans longueur , icannerie , innovationde proces, chafa.:t & aboliffantce vilain & permdcux métier de plaidcrie Colmn. Tacit. Ser.cc. Eurip. Flin paneg. Tifiement. qui eft une foire ouverte, un légitime & honorable biigandage,' conc ffum Utrocinium , évitant la multipücité de loix °c ordonnancos, témoignage de république makde , corruptijjlmcz rtipublic* plurimce leges, cornmc force médecines & enr platres du corps mal difpofé, afin que ce qui eft eft établi par bonnes loi- , ne foit détruit par trop de loix. Mais ii eft è fcavoir que la juflice, vertu & probité du fouverain chemineun peu autrement que celles des privés, elle a fes allures plus larges  Livre / /. 15 & plus libres a caufe de la grande , pefante & dangereufe charge qu'il porte & conduit; dont il lui convient marcher d'un pas qui fembleroit aux autres détraqué & déréglé , mais qu'il lui eft eft néceffaire, loyal & légitime. II lui faut quelquefois efquiver tk gauchir, mêler la prudence avec la juftice, comme Ton dit, coudre a la peau de lion , fi elle ne fuffit, la peau de renard. Ce qui n'eft pas toujours öc" en tous cas, mais avec ces conditions, que ce foit pour la néceflité ou évidente & importante utilité publique, ( c'efta-dire de 1'état tk du Prince , qui font chofes conjointes ) k laquelle il faut courir; c'eft une obligation naturelle tk indifpenfable , c'eft toujours être en devoir que procurer le, bien public. Salus populi fupnma lex ejlo. Que ce foit k la défenfive tk non k 1'offenfive; a fe conferver tk non k s'aggrandir, k fe garantir o_ r 1 - i - --_ - • - o. r - - /r_ _ Lt-.„ ... / Pourlebiea public, A la défenfive conlervation. öc" lauver des trompenes öc hneües, ou bien mechancetés & eritreprifes dommagcables, & non k en faire. II eft permis de jouer k fin contre fin, & pres du renard le renard contrefaire. Le monde eft plein d'artifices & de malices; par fraudes & tromperies ordinairement les Etats font fubvertis, ditAriftote. Pourquoi ne fera-t-il loifible, mais pourquoi ne fera-t-il requis d'empêcher ik détourner tels maux , &c fauver le public par les mêmesmoyens, que 1'on le veut miner &C ruiner?  tllfcrétement fans vice & méchaneeté. 16 De la S a g e s s m, Vouloir toujours Sc avec telles gens fuivre la fimplicité tk le droit fïl de la vraie raifon Sc équité, ce feroit fouvent trahir 1'Etat & le perdre. II faut aufïï que ce foit avec mefure & difcrétion aïin que 1'on n'en abufe pas , & que les méchans ne prennent d'ici occafion de faire paffer & val oir leurs méchancetés, car il n'eft jamais permis de laiffer la vertu tk 1'honnête pour fuivre le vice tk le déshonnête. II n'y a point de compofition ou compenfation entre ces deux cxtrêmités. Parquoi arriere toute injuftice, perfidie, trahifon Sc déloyauté; maudite la doclrine de ceux qui enfeignent (comme a été dit) toutes chofes bonnes tk permifes aux fouverains; mais bien eft-il quelquefois requis de mêler 1'utile avec 1'honnête, & entrer en compofition tk compenfation des deux. II ne faut jamais tourner le dos a 1'honnête ; mais bien quelquefois tourner le dos a 1'entour & le cötoyer, & employant 1'artifice tk la rufe; car il y en a de bonne, honnête tk louable , dit le grand Saint Bafiie, magna & laudabilis ajiutia , Sc faifantpour le falut public comme les mcres & médecins, qui amufent & frcmpent lts etits enfans, Sc les malades pour leur fanté. Bref faifant a couvert ce que 1'on ne peut ouvertement, joindre la prudence a la vaillance, apporter 1'artifice Sc 1'efprit oii la nature & la main ne fuffit; être comne dit Pindare, lion aux coups, tk renard au confeil, colombe Sc ferpent comme dit la vénté divine. Et  Ltr&Mlll. 17 Et pour traiter ceci plus diftinAfement eft requile au fouverain la défiance tk fe tenir couvert, fans toutefois s'éloigner de la vertu & 1'équité. La défiance , qui eft la première , eft du tout néceffaire; comme fa contraire, la crédulité & lache fiance eft vicieufe & très-dangereufeau fouverain. 11 veille & doit répondre pour tous, fes fautes ne font pas légeres, pourquoi il y doit bien avifer S'il fe fie beaucoup , il fe découvre tk s'expofe a la honte & a beaucoup de dangers, opportunus fit injur'm , voire il convie les perfides & les trompeurs qui pourroient avec peu de danger &c beaucoup de récompenfe , commettre de grandes méchancetés adïtum nocendi perfido prajlat fides. II faut donc qu'il fe couvre de ce bouclier de défiance, que les fages ont eftimé une grande partie de prudence , tk les nerfs de fagefle , c'eft-a-dire, veiller , ne rien croire, de tout fe gard er : & k cela induit le naturel du monde tout confit en menteries , feint, fardé tk dangereux , nommément prés de lui en la cour & maifons des grands. II faut donc qu'il fe fie k fort peu de gens tk iceux connus de longue main & effayés fouvent. Et encore ne faut-il qu'il leur lache tk abandonne tellement toute la corde , qu'il ne la tienne toujours par un bout: & n'y ait 1'ceil. Mais faut qu'il couvre & déguife fa défiance, voire qu'en fe défiant il fafie mine & vifagedefa fier fort. Car la défiance ouverte injurie , tk. convie //. P, rtie, B 6. Déhrnce requife au Prince. Senec. Epichar. Fi>rip. Cicero.  l8 DE LA SAGESSE, aufli-bien k tromperie que la trop lache fiance , Sc plufieurs montrant c<-ainte d'être trompés,ont enieignéu 1'être. Multifatten docuerunt diim timent falli, cömme au contraire la fiance déclarée a fait perdre 1'envie de tromper, a obligé k loyauté, & engendré fidélité , vult quifque fibi credi, & habita fides ipfam plerumque cbligat fidem. De la défiance vient la diflimulation, fon engeance ; car ficelle-la n'étoit, Sc qu'il y eüt partout fiance Sc fidélité, la diflimulation , qui ouvre le front Sc couvre la penfée , n'auroit lieu. Or , la diflimulation , qui efl: vicieufe aux particuliers , très-néceflaire aux Princes , lefquels ne fcauroient autrement regner ne bien commander. Et faut qu'ils fe feignent fouvent non-feulement en guerre aux étra: gers & ennemis, mais encore en paix Sc k leurs fujets, combien que plus chichement. Les fimples Sc ouverts Sc qui portent, comme on dit, le cceur au front, ne font aucunement propres k ce métier de commander; Sc trahiflent fouvent Sc eux Sc leurEtat: niais il faut qu'ils jouent ce röle dextrement Sc bien k point fans excès Sc ineptie. A quel propos vous cachez Sc vous couvrez-vous fi 1'on vous voit au travers ? Fineffes Sc mines ne font plus finefles ni mines, quand elles font cönnues Sc éventées. II faut donc que le prince , pour couvrir fon art,qu'il faffe prcfeflion d'aimer la fimplicité, qu'il carrefle les francs, libres Sc ouverts, comme ennemis de diflimulation, qu'aux Senec. 7- Et cüiiimulation.  Livre III. Xp petites chofes il procédé tout ouvertement, afin que 1'on le tienne pour tel. Tout ceci eft plus en omiffion, a fe retenir & non agir; mais il lui eft quelquefois requis de paffer outre & venir a. 1'acfion, icelle eft doublé. L'une a faire &c dreffer pratiques & intelligences fecrettes, attirerfinement les cceurs & fervices des officiers, ferviteurs & confidens des autres princes & feigneurs étrangers, ou de fes fujets. C'eft une rufe fort en vogue & toute commune entre les princes, & un grandtrait de prudence, dit Ciceron. Ceci fe fait aucunement par perfuafion , mais principalement par préfens & penfions, moyens fi puiflans que non-feulement les fecrétaires, les premiers du confeil, les amis, les mignons font induits par-la k donner avis, & détourner les deffeins de leur maïtre , les grands capitaines a prêter leurs mains en la guerre, mais encore les propres époufes font gagnées k découvrir les fecrets de leurs maris. Or,cette rufe eftallouée,approuvée de plufieurs , fans difficulté & fans fcrupule. A la vérité fi c'eft contre fon ennemi , contre fon fujet, que 1'on tient pour fufpecf., & encore contre tout étranger, avec lequel 1'on n'a point d'alliance ni de fidélité & amitié , il n'y a point de doute; mais contre fes alliés, amis & confédérés, il ne peut être bon: & eft une efpece de perfidie , qui n'eft jamais permife. L'autre eft gagner quelqüe avantage & parvenir B ij ' t' Pratiqueji 9- Su'-iilitis.  VUt^. Plin. Val. Max. 10. Injuflice utiIe au public. lO DELASAGESSE, k fon deffein par m^yens couverts, paréquivovcques Sc fubtilités, affiner par belles paroles Sc promeffcs , lettres, ambaffades , faifant Sc obtenant par fubtlls moyens ce que la difficulté du temps Sc des affaires empêche de faire autrement: & a couvert ce que 1'on ne peut k découvert. Plufieurs &grands & fages difent cela être permis Sc loifible , crebro mendacw & fraude uti imperantes debent ad ccmmodum fubdhorum. Decipere pro moribus temporum prudentia eft. II eft bien hardi de tout fimplement dire, qu'il eft permis. Mais bien pourroit-on dire, qu'en cas de néceffité grande, temps trouble Sc confus , Sc cue ce foit nonfeulementpour promouvoir le bien, mais pour détourner un grand mal de 1'état, Sc contre les méchans, ce n'cft grande faute , fi c'eft faute. Mais il y a bien plus grand doute Sc difficulté en d'autres chofes , pource qu'elles fentent & tiennent beaucoup de 1'injufiice; je dis beaucoup &non du tout, car avec leur injuflice, il fe trouve quelque grain mêlé de juftice. Ce qui eft du tout & manifeftement injufte , eft réprouvé de tous , même des méchars, pour le moins de parole & de mine, finon de fait. Mais de ces faits mal mêlés , il y a tant de raifons & d'autorités de part & d'autre, que 1'on ne fijait pas bien k quoi fe réfoudre. Je les réduirai ici k certains chefs. Se dépêcher Sc faire mourir fecrétement ou autrement fans forme de juftice, certain qui trouble,  Livre Ilt n & eft pernicieux a 1'état, tk qui mérite bien la mort, mais 1'on ne peut lans trouble & fans danger " 1'entreprendre, & le réprimer par voie ordinaire , en cela il n'yaquela forme violée. Et le prince n'eft-il pas fur les förrnes & plus ? Rogner lesaües i racccu cir les grands mcyens de quelqu'un , qui s'éleve & ie fortifie trop en 1'état & fe rend redoutable au fouverain , fans attendre qu'il foit invincible , tk en fa puiffance, fi la volonté lui avenoit d'attenter quelque chofe contre 1'état & la tête du fouverain. Prendre d'autorité & par force des plus riches en me grande néceffité , & pauvreté de 1'état. Affoiblir ik caffer quelques droits &c privileges, dont jouiffent quelques fujets, au préjudice &c diminution de 1'autorité du fouverain. Préoccuper & fe faifir d'une place, ville ou province fort commode k 1'état, plutöt que la laifTer prendre & occuper k un autre puiflant tk redoutable , au grand dommage , fujeftion tk perpétuelle allarme dudit état. Toutes ces chofes font approuvéescomme \\&es tk licitcs par plufieurs grands & fages, pourvvt qu'elles fuccedent bien ck heure-ufement, defquels voici les mots & les fentences. Pour garder juftice aux chofes grandes, il faut quelquefois s'en détourr.er aux chofes petites ; tk pour faire droit en gros, il eft permis de faire tort en détail; qu'ordinairement les plus grands faits & exemples ont B iij Plut.rq Tacit.  Pintartj. ia Flam. 22' DE LA S A G E S S E, quelque injuflice qui fatisfait aux particuliers par le profit qui en revient a. tout le public , omne Curt, Senec. A-iftot. in po'iticis. Democr. mag/rum extmpium navet auquia ex iniquo, quod. adverfus fingulos utilitate publica rependitur. Que le prudent & fage prince. non-feulement doit fcavoir commander felon les loix , mais encore aux loix mêmes, fi la néceflité le requiert; & faut faire vouloir aux loix, quand elles ne peuvent Cequ'elles veulent. Aux affaires confufes& déplorées le prince ne doit fuivre ce qui eft beau a dire , mais ce qui eft néceflaire d'être exécuté. La néceflité, grand fupport & excufe k la fragilité humaine , enfreint toute loi, dont celui-la n'eft guere méchant, qui fait mal par contrainte. Nece£itas magnum imbecillitatis humana patrocinium, omnem legem frangit: non ejl nocens quicumquenon fponte eft nocens. Sile prince ne peut être du tout bon, fuffit qu'il foit a demi, mais quil ne foit point du tout méchant; qu'il ne fe peut faire que les bons princes ne commettent quelque injuflice. A tout cela je voudrois ajouter pour leur juftification ou diminution de leurs fautes , que fe • rouvant les princes en telles extrêmités , ils ne doivent proccdsr k tel faits qu'a regret & en foupirant, reconnoiflant que c'eft un malheur & coup difgracié du ciel, & s'y porter comme le pere quand li faut cautériferou couper unmembre k fon enfant, pour lui fauver la vie, ou s'arracher une dent pour avoir du repos. Quant aux autres  Livre m. *3 mots , plus hardis, qui rapportent tout au pront lequel ils égalent ou preferent a 1'honnête, 1'homme de bien les abhorre. Nous avons demeuré long-temps fur ce point de la vertu de juftice , k caufe des doutes & difficultés , qui proviennent des accidens & néceflités des états, & qui empêchent fouvent les plus refous & avifés. Après la juftice vient la vaillance, j'entends la vertu militaire , la prudence , le courage & la fufhfance de bien gucrroycr, néceffaire c u tout au prince, pour la dcfenfe & iüreté de foi, de 1'état, de fes fujets, du repos & de la liberte publique, & fans laquelle k peine mérite-t-il le ncm de prince. Venons k la quatrieme vertu principefque, qui eft la clémence , vertu qui fait incliner le prince k la douceur , remettre & lacher de la rigueur de la juft ,e avec jugement & difcrction. Elie raodere & manie doucement toutes chofes, déiivre les coupables, releve les tombés, fau/j ceux qui s'en vont perdre. Elle eft au prince ce c u'au commun eft 1'humanitc : elle eft contra^ k la cruauté & trop grande rigueur , non k la juftice, de laquelle elle ne s'eloigne pas beaucoup, mais elle 1'adoucit, la manie; elle eft très-néceffaire k caufe de i'infirmité humaine, de la fréquence des fautes, facilitédefaillir; une grande & continuelle rigueur & févérité ruine tout, rend les chatimens B iv ir. Vaillance. II. Clémence.  Item. T. T ivj. c. 3, a» commencemenr. Taeït. in Agricol. 24 DE LA S A G E S S E conteiMptibles : feveritas amittit ajjiduitate autoritatem: irrite la malice; par dépit 1'on fe fait méchant, fufcite les rébellions. Car la crainte qui retient en devoir, doit être tempérée & douce; fi elle eft trop dpre & continuelle, fe change en rage & rengeance. Temperatus timor eft , qui cohibet, affmims & acer in vindiclam excitat. Elle eft auffi très-ut'ile au prince & a 1'état, elle requiert la bienveillance des fujets, & par ainfi alfure& affermit 1'état, jirmiffïmum imperium quo obedientes gaudent (comme fera dit après) auffi très-honoWble au fouverain ; car les fujets 1'honoreront & adoreront comme un Dieu, leur tuteur, leur pere: & au lieu de le craindre , ils craindront tous pour lui, auront peur qu'il ne lui méfavienne. Ce fera donc la lecon du prince , fcavoir tout ce qui ie paffe, ne relever pas tout, voire difïï- muler louvent, aimant mieux être eftimé avoir trouvé de bons fujets que les avoir rendus tels, accommoder le pardon aux légeres fautes , la rigueur aux grandes ; ne chercher pas toujours les fupplices ( qui font auffi honteux & infames au Pr : ce, qu'au Médecin plufieurs morts de maladi.s ) fe contenter fouvent de la repentance, comme fumfant chatiment, Ignofcere pulchrum Jam mifero, pcenceque genus vidijje prtcaniem. Et ne faut point craindre ce qu'aucuns obje&ent  L i v n e III. M très-mal qu'elle relache, avilit & énerve 1'autorité du fouverain öc de 1'état; car au rebours elle la fortifie aun très-grand crédit ÖC vigueur: ÖC le prince aimé fera plus par elle, que par une grande crainte; qui fait craindre öc trembler öc non bien obéir, comme difcourt Sallufte k Céfar , ces états menés par crainte ne font point durables. ( Nul ne peut être craint de plufieurs , qu'il ne craigne auffi plufieurs. La crainte qu'il veut verfer fur tous, lui retombe fur la tête. Une telle vie eft douteufe , en laquelle 1'on n'eft jamais couvert ni par-devant ni par derrière, ni a cöté ; mais toujours en branie , en danger öc en crainte. II eft vrai, comme a été dit au commencement, qu'elle doit être avec jugement: car comme temperée öc bien conduite eft très-vénérable , auftl trop lache ÖC molle eft très-pernicieufe. Aprcs ces quatre principalcs öc royales vertus, il y en a d'autres , bien que moins illuftres ÖC néceffaires, toutefois en fecond liett bien utiles & requifes au fouverain ; fcavoir , la libéralité tant convenable au Prince , qu'il lui eft moins méféant d'être vaincu par armes que par magnificence. Mais en ceci eft requife une très-grande difcrétion, autrement elle feroit plus nuifible qu'utile. II y a doublé libéralité , 1'une eft en dépenfe & en montre; celle-ci ne iert a guere. C'eft chofe mal k propos aux fouverains vouloir fe faire valoir ÖC paroitre par grandes öc exceffives Salluft. *A Csefar. t?. ■ Ap-ès lefqae'les lont requife. auffi libéralité falut. Doub'e libéralité.  20 p E LA S A G E S S Si dépenfes , mêmement parmi leurs fujets , ou ïis peuvent tout. C'eft témoignagne de pufdlanimité cV. de ne fentir pas affez ce que 1'on eft, outre qu'il femble aux fujets fpeöateurs de fes triomphes, qu'on leur fait montre de leurs dépouilles , qu'on les feftoie , k leurs dépens, qu'on repait leurs yeux de ce qui devoit païtre leur ventre. Et puis le prince doit penfer qu'il n'a rien proprement fien; il fe doit lui-même k autrui. L'autre libéralité eft en dons faits a autrui: celle-ci eft beaucoup plus utile & louable , mais fi doit-elle être bien réglée, & faut avifer k qui, combien &c comment 1'on donne. II faut donner k ceux qui le méritent, qui ont fait fervice au public, qui ont couru fortune & & travaillé en guerre. Perfonne ne leur enviera , s'il n'eft bien méchant. Au contraire grande largeffe employée fans refpeft & mérite , fait honte &C apporte envie k qui la recoit, & fe recoit fans grace & reconnoiffance. Des tyrans ont été facrifiés k la hainedu peuple par ceux-mêmes qu'ils avoient avancés, fe raillans par-la avec lecommun, & affurans leurs biens en montrant avoir k mépris &ahaine celui duquel ils les avoient refus. Et avec mefure, autrement la libéralité viendra en ruine de 1'état & du fouverain, fi elle n'eft réglée & que 1'on donne k tous , & a tous propos; c'eft jouer a tout perdre. Car les particuliers ne feront jamais laouls, & fe rendront exceflifs en demandes felon que le prince le fera en dons, & fe tailleront  Livre UT. 27 non a la raifon, mais k 1'exémple : le public défaudra tk fera 1'on contraint de mettre les mains fur les biens d'autrui, remplacer par iniquité ce que 1'ambition tk prodigalité aura dimpé, quod ambitione exhaufium , per fcelera fupplendum. Or, il vaut beaucoup mieux ne donner rien du tout, que d'öter pour donner; car 1'on ne fera jamais fi avant en la bonne volonté de ceux qu'on aura vêtus, qu'en la malveillance de ceux qu'on aura dépouillés; & a fa ruine propre, car la fontaine fe tarit fi 1'on y puife trop. Liberalitas libéralitéperit. II faut auffi faire filer tout doucement la libéralité, & non donner tout-a-coup. Car ce qui fe fait fi vitement; tant grand foit-il, eft quafi infenfible, & s'oubliebientöt. Les chofes plaifantes fe doivent exercer a 1'aife tk tout doucement, pour avoir loifir de les goüter; les rudes tk cruelles ( s'il en faut faire) au rebours fe doivent vitement avaler. II y a donc de l'art tk de la prudence a bien donner & exercer libéralité. Falluntur quibus luxuria fpecie liberalitatis imponit : perdere multi fciunt , donare nefciunt. Et pour en dire la vérité, la libéralité n'eft pas proprement des vertus royales; elle fe porte bien avec la tyrannie même. Et les gouverneurs de la jeuneffe des princes ont tort d'imprimer fi fort k leur efprit & volonté cette vertu de largeffe, de ne rien refufer, tk ne penfer rien bien employé que ce qu'ils donnent, ( c'eft leur jargon) mais ils le font a leur profit, ou Hier»». Tasit.  *3 D E L A S A G E S S Z, n'avifent pas a qui ils parient , car il eft trop da gereux d'imprimer la libéralité en celui, qui a de quoi fournir autant qu'il veut aux dépens d'autrui. Un Prince prodigue ou libéralfans difcrétion &.fans mefure, eft encore pire que 1'avare ; & 1'irnmodérée largelfe rebute plus de gens, qu'elle n'en pratique. Maisfi elle eft bien réglée, comme dit eft, el'e eft très-bien féahte au prince, & trèsutile a. lui & è 1'état. 14- Magmnimité 1. w,«.rk-ration de colere. La magnanimité & grandeur de courage a méprifer les injures & mauvais propos, & modérer fa cokre : jamais ne fe dépiter pour les outrages & indifcrétion d'autrui, fortunam magnus animus decet : injunas Cr ojfenjionesfupernè dejpicere, indignus Cctfarls ird, s'en facher c'eft s'en confeflér cöupable: n'en tenant compte cela s'évanouit, convhiifitrafcan, agnitavidentur : fpreta exolefcunt. Que s'il y a lieu , & fe faut courroucer, que ce foit tout ouvertement & fans eliffimuler, fans donner occafion de foupconner que 1'on couvre un maltalent; ce qui eft a faire a gens de néant, de mauyais naturel & incurable: obfeuri & irnvovocabilis reponunt odia : fevce cogitatinnis indleïum fecret:> fuo fatlari. II eft moins iméféant a un grand d'oifenfcr que de haïr : les autres vertus font moins royales & plus communes. Ap^ès la vertu viennént les moeurs, facons & contenances qui fervent & appartiennent a lamajefté très-requiie au prince. Je ne m'arrête point Senec. '.tacit. Tacit- Chef de cette provifion. fouverain.  LIVRE lil. 2-9 Ici : feulement comme en paffant je dis que la nature fait beaucoup k ceci; mais auffi l'art & 1'érude. A ceci appartient la bonne & belle compofition de fon vifage, fon port, fon pas, fon parler,feshabiüemens.La regie générale en tous ces points eft une douce, modérée & vénérable gravité , cheminant entre la crainte &c 1'amour ; digne de tout honneur & révérence, il y a auffi fa demeure & fa hantife; la demeure foit en üeu magnifique & fort apparent, & tant prés, que fe pourra, du milieu de tout 1'état, afin d'avoir 1'ceil fur-tout, comme un foleil qui toujours du milieu du ciel éclaire par-tout: car fe tenant en un bout il donne occafion au plus loin de plus hardimentfe remuer, comme fe tenant fur un bout d'une grande peau, le refte fe leve. Sa hantife foit rare, car beaucoup fe montrer &fecommuniquer, ravale la majefté , continuus afpectus minus verendos magnos homines ipfa fatietate facit. Majefias major ex longinquo reverentia , quia omne ignotum pro magnifico eft. Après ces trois chofes, connoiffance de 1'état, vertu & mceurs, qui font en la perfonne du nrince. viennentles chofes qui font prés & autour Livïus. Tacit. 16. 4. Chef ie cette prov:fion, confeil. de lui ; fijavoir, en quatrieme Üeu , confeil, le grand & principal point de cette doftrine politique , & fi important que c'eft quafi tout: c'eft Tame de 1'état, & 1'efprit qui donne vie, mouvement & aöion k toutes les autres parties: tkk  Ci-deffus «hap,r. 30 DE LA SAGESSE'y caufe d'icelle il eft dit, que le maniement deff affaires confifle en prudence. Or, il feroit a defirer que le prince eüt de foi-même affez de confeil Sc de prudence, pour gouverner & pourvoir a tout, c'eft le premier Sc plus haut degré de fageffe, . T » cor.ieil Sc langue, & font dits confeillers ; les autres fe fervent de leurs mains Sc leurs faits, & peuvent être dits officiers. Les premiers font comme a été dit, en tel cas les affaires iront beaucoup mieux; mais c'eft chofe qui ne fe voit pas, foit k faute de bon naturel ou debonne inftitution. Etil eft quafi impoffible qu'une feule tête puiffe fournir a tant dé chofes, nequit princeps fua fcientia cuncta complecli, nee unius mens tanta molis ejl capax. Un feul ne voit & n'ouit que bien peu. Or, les Rois ont befoin de beaucoup d'yeux Sc de beaucoup d'oreilles. Les grands fardeaux Sc les grandes affaires ont befoin de grandes aides.Parquoi il lui eft requis de fe pourvoir Sc garnir de bon confeil , Sc de gens qui le lui fcachent donner; Sc celui, quelqu'il foit, qui veut tout faire de foi, eft tenu pour fuperbe plutöt que pour fage. Le prince a donc befoin d'amis fidéles Sz ferviteurs, qui foient fes aides , quos affumat in partem curarum, Ce font fes vrais tréfots, & les inftrumens très-utiles de 1'état. A quoi fur-tout il doit travaiiler les choifir & les avoir bons , & y employer tout fon jugement. II y en a de deux fortes, les uns lui aident de leur efprit, Xenoph. Tacit. Tit. Liv. Tacit. 'lin.  Livre 111. 31 beaucoup plus honorables; car ce difent les deux ] plus grands philofophes , c'eft une chofe facrée Sc divine, que bien délibérer Sc donner bon confeil. Or, les confeillers doivent être premiérement fideles , c'eft-a-dire, en un mot, gens de bien, < optimum quemque fiddiffimum puto : fecondement fufHfans en cette part, c'eft-a-dire, connoiffans bien 1'état , diverfement expérimentés & effayés , (car les difficultés 6c afflictions font de belles lecons & inftruttions ; tnifu fortuna multis rebus ereptis ufum dedit bene fuadendi ) & en un mot, Platon. Ariftote. '7- . Difciétion le bons Coneillers.Fidélité. Plin. Sumf.mce. Mitrhictin Salu. fages & prudens, moyennement vifs 8c non point trop pointus : car ceux-ci font trop remuans, novandis quam gerendis rebus aptiora ingenia Ma ignea. Et pour être tels, faut qu'ils foient agés Sc mürs , outre que les jeufies gens pour la tendreur 6c molleffe de leur age , font aifément trompés , facilement croyent 6c recoivent imprefïïon. II eft bon qu'autour des princes il y en ait des fages fins; mais beaucoup plus les fages qui font requis pour 1'honneur , 6c pour toujours ; les fins pour la néceffité quelquefois. Tiercement qu'en propofant 6c donnant bons 6c falutaires confeils , ils s'y portent librement 6c coarageufemeut 6c fans flatterie ou ambiguité tk déguifement, n'accommodant point leur langage a la fortune préfente du prince. Ne cum fortunapotim principum loquatur quam cum ipfo. Mais fans épaigner la vérité ils Curtiitsi Liberté. Tacit.  <*• Conftance lans opiniatreté. Salluft. ad Cel'ar. Senec. 5- 5. Süence Curtius. Tacit. Les vices qu'üs doivent fuir confian, ce préfomptueiife. 31 DE LA S A G E S S E, difent ce qu'il convient. Car combien que la liberté, rondeur tk fidélité heiute tk offerde pour 1'heure ceux auxquels elle s'oppofe, après elle eft révérée &C eftimée ; in pmfe itia quibus rcfïjlis, offendis , deinde Mis fufpicitur laudaturque. Et conftamment fans ployer, varier tk. changer k tons propos pour plaire tk iuivre 1'humeur, le plaifir & la pafiion d'autrui, mais fans opiniatreté & efprit de contradiftion , qui trouble & empêche toute bonne délibération , voire quelquefois faut tourner fon opinion , ce qui n'eft inconftance, mais prudence. Car le fage ne raarche pas toujours d'un même pas, encore qu'il ne fuive même cbemin, il ne change point, il s'accommode ; non femper in uno gradu. fed una via , non fe mutat ,fed aptat. Comme le bon marinier fait des 'voiles felon le temps & le vent; il convient fouvent tourner & obliquement arriver oü 1'on ne peut k droit fil, c'eft habileté. Religieux k tenir fecrettes les délibérations , chofes extrêmement néceffaires au maniement des affaires , res magnce fuftineri nequmnt ab eo cui tacere grave ejl. Et ne fuffit d'être fecret, mais ne faut fureter ni crocheter les fecrets du Prince: c'eft chofe mauvaife & dangereufe, exquirere abditos principis fenfus Micitum & anceps, voire je dirai qu'il faut éviter de les fcavoir, Voila les principales bonnes coudhions & qualités des Confeillers, comme les mauvaifes dont ils fe doivent bien garder,font conflance préfomptueuiè, qui  Livre III. 33 qui fait déliberer 8c opiner audacieufement; car le fage en delibérant penfe Sc repenfe , redoutant tout ce qui peut avenir , pour, puis après, être hardi a exécuter. Non animus vereri qui feit, feit tuto aggredu Au contraire le fol eft hardi Sc chaud' a déliberer , Sc quand il faut joindre , le nez lui faigne, confüia calida & audacia prima Jpecie lata fint, tractata dura , eventu triftia. Puis toute paffion decolere, envie , dépit, haine, avarice , cupidité, Sc toute affecfion particuliere, lapoifon mortelle du jugement 6c tout bon fentiment, privatx res femper offecére officientque publicis confiliis, peffimum veri affeiïus & judicii venenum fua cuique utilitas. Et précipitation ennemie de tout bon confeil, 6c feulement propre a mal faire. Voila que doivent être les bons confeillers. Or, le prince les doit choifir tels ou par fa propre fcience 6c jugement ,.ou s'il ne le peut, par la réputation laquelle ne trompe guere; dont difoit un d'entr'eux k fon prince, tenez-nous pour tels que nous fommes eftimés: nam (inguli decipere & decipi poffunt , nemo omnes ; neminem omnes fefellerunt. Et fe bien garder des mignons, courtifans , flatteurs , efclaves qui font honte a leur maitre 6c le trahiffent. N'y a rien plus pernicieux Tit.Lïv Tacit. Précipitation voycz 1. 3.C io. Tacit, «7- Devoir du Prince a choifir bons confeillers. Plio ad Trai. r. Et a s'enfervir. que le confeil du cabinet. Et les ayant choifis 6c trouvés, il s'en doit fervir prudemaient en prenant confeil d'eux k temps fans attendre au moment, de 1'exécution, 6c perdre le temps en les écoutant; II. Partie. C  34 O E LA S A G E S S E, 8c avec jugement fans fe laiffer aller lachement a leur avis, comme ce fot Empereur Claude; tk avec douceur auffi fans roidir trop , étant plus raifonnable , comme difoit le fage Mare Antonin, de fuivre le-confeil d'un bon nombre de fes amis, qu'eux foient contraints de fléchir fous fa volonté. Et s'en fervant avec une autorité indifférente fans les payer par préfens pour leurs bons confeils, afin de n'attirer les mauvais fous efpoir de récompenfe, ni auffi les rudoyer pour leurs mauvais confeils. Car il ne fe trouveroit plus qui voulüt donner confeil, s'il avoit danger k le donner. Et puis fouvent les mauvais réuffiflént bien 8c mieux que les bons, ainfi difpofant la fouveraine pourvoyance. Et ceux qui donnent les bons confeils , c'eft-a-dire, heureux & affurés , ne font pas pour cela toujours les meilleurs 8c plus fideles ferviteurs; ni pour leur liberté a parler, laquelle il doit plutöt aggréer tk regarder obfeurément les craintifs 8c flatteurs; car miférable eft le Prince chez qui 1'on cache ou 1'on déguife la vérité, cujus aures ita formatie funt, ut afpera quee ut'dia, Cy nilnijïjucundum leefurumaecipiant; & enfin céler fon avis tk fa réfolution , étant le fecret 1'ame du confeil, nulla meliora confilia quam quiz ignoraverit adverfarius, ante quam fier ent. Curtius. Tacit. Veget. Des officiers. ^uiauL oua wiiiticra , vjiu vicuiicuL apres , cx. qui fervent k prince tk 1'état en quelque charge, il les faut choifir gens de bien, de bonne 6c honnête  Livre UI. 35 familie. II eft a croire qu'ils n'en feront que meilleurs; Sc n'eft beau que des gens de peu s'approchent du prince, & commandent aux autres, fauf qu'une grande Sc infigne vertu les releve Sc fupplée le défaut de noblelfe; mais non gens infames,doublés, dangereux, Sc de quelque odienfe condition, Auffi doivent-ils être gens d'entendement, Sc employés felon leur naturel; car les uns font propres aux affaires de la guerre , les autres aux affaires de la paix. Aucuns font d'avis de les choifir d'une douce & médiocrité vertu, car ces outrés Sc invincibles , qui fe tiennent toujours fur la pointe, Sc ne veulent rien quitter, ne font communément propres aux affaires, ut pares negotüs , neque fupra : fint recii non erccii. Après le confeil nous mettrons les finances, grand Sc puiffant moyen; ce font les nerfs , les pieds , les mains de 1'état. II n'y a glaive fi tranchant Sc pénétrant, que celui d'argent, ni maïtre fi impérieux, ni orateur fi gagnant les cceurs Sc volontés, ni conquérant tant preneur de places, cc mme les richeffes. Parquoi le fage Prince doit pourvoir que les finances ne faillent ni ne tariffent jamais. Cette fcience confifte en trois points , fonder les finances, les bien employer , & avoir toujours en réferve Sc 1'épargne une bonne partie pour le befoin. En tous les trois le prince doit éviterdeux chofes, 1'injuftice Sc lafordidité, en C ij 20. 5. Chef font chofes nécelTaires tant 'pour fe défendre , que pour prelfer 8c enclore 1'ennemi. L'ordre qui elf de grand ufage Sc doit être en plufieurs facons ©arde en la guerre: premiérement en la diftribution des troupes , en bataillons, régimens , enfeignes , camerades. Secondement en 1'affiette du camp, qu'elle foit en quartiers difpolée, avec proportion , ayant fes places, entrees , iffues, logis a propos pour ceux de cheval & de pied, dont il foit aifé a chacun de trouver fon quartier, fon compagnon. Tiercement au marcher par campagne Sc contre les ennemis, que chacuntienne fon rang; qu'ils foient également diftans les uns des autres, fans trop fe preffer ni s'éloigner. Tout eet ordre eft bien néceffaire , Sc fert a plufieurs chofes. II eft fort beau k voir, rejouit les amis, étonne les ennemis , affure 1'armée , facilite tous les remuemens Sc les commandemens des chefs, tellement que fans bruit, fans confufion, le général commande , Sc de main en main fon intention parvient jufques aux pluspetits. Imperium ducis fimul omnes copice fentiunt, & ad nutum re~ geneis jine tumultu refpondent. Bref eet ordre bien gardé rend 1'armée prefque invincible. Et au contraire plufieurs fe font vues perdre k faute d'ordre Sc de bonne intelligence. La feconde partie de la difcipline militaire regarde les mceurs, qui font volontiers bien débauchées, Sc difficile me ntfe reglent parmi les armes, LKi^lemcnt de, mceurs.  Livre UI. yt ajjidue dimlcantïbus difficile morum cujlodire menfuram. Toutefois il y faut mettre peine , & fpécialement y inftaller s'il fe peut, trois vertus: continence, par laquelle toute gourmandife, ivrognerie,paillar- En continer\6 ce. Abffinence. Modeftie, r_- —l D_ , - _D , t dife & toute volupté infame foit chalfée, laquelle apoltronit & relache le foldat. Degenerat a robore ac virtute miles ajfuetudine voluptatum; témoin Annibal, qui fut amolli par délices en un hiver, & fut vaincu par les vices , lui qui étoit invincible, ik. vainquoit tout par armes; modeftie en paroles, chalfant toute vanité , braverie de paroles ; la vaillance ne remue point la langue, mais les mains; n'eft point harangueufe mais exécute. Viri nati militite faclis magni, ad verborum , linguceque, certamina rudes: difcrimen ipfum certaminis diffiert; viri Jortes in opere acres ante id placidi. Et au contraire les grands parleurs ne valent rien. Nimii verbis , lingua feroces. Or, la langue eft pour le confeil, la main pour le combat , dit Homere ; en faits (c'eft une firnple & prompte obéiffance fans marchander ou contröler les commandemensdes chefs) hcec funt bonce militice, veile , vereri, obedire. Abftinence, par laquelle les foldats gardent leurs mains nettes de toute violence, fourrage, larcin. Voila en fomme la difcipline militaire, laquelle le général fera valoirpar loyer&récompenfes d'honneur envers les bons & vaillans , & punitions féveres contre les défaillans ; car 1'indulgence perd les foldats.  Des chefs. 72 DE LA SAGESSE, C'eft affez parlé des foldats: difons maintenant deux mots des chefs, fans lefquels les foldats ne valent rien; c'eft un corps fans ame ; un navire avec des voyageurs fans maïtre, qui tient le gouvernail. II y en a de deux fortes , il y a le général tk premier; & puis les fubalternes. Maïtres de camp , Colonels ; mais le Général ( qui ne doit jamais être qu'un, fouspeine de perdre tout) c'eft tout. C'eft pourquoi a été dit que 1'armée vaut autant que vaut fon général. Et faut plus d'état de lui, que de tout le refte, plus in duce repones quam in exercitu. Or , ce général, c'eft le prince même tk fouverain, ou celui qu'il aura commis & bien choifi. La préfence du prince eft de trèsgrands poids tk efticace , pour obtenir la vittoire ; redouble la force & le courage des fiens, & ftmble être requife, quand il y va du falut de fon état, ou d'une province. Aux guerres de moindre conféquence il s'en peut déporter : dubiis pmliorum exemptus fummce rerum 6* imperii fe ipfum refervet. Au refte un général doit avoir ces qualités, ffavant tk expérimenté en l'art militaire , ayant vu tk fenti toutes les deux fortunes; fecundarum ambipuarumque rerum fciens eoque interims. 2. Provident, tk bien avifé, & par ainfi rafïis, froid & pofé, éloigné de toute témérité & précipitation, laquelle non-feulement eft folie mais malheureufe. Or, les fautes en la guerre ne fe peuvent rabiller: non Heet in bello bis peccare : par quoi il doit plutót Du général. Tacit. T»cir. Tacit.  L I V R b 111. 7? regarder derrière foi que devant, Ducem oportcc potius refpicere quamprofpicere. 3. Vigilant & attif, & par Ion exemple menant Sc" faffant faire a fes foldats tout ce qu'il veut. 4. Heureux , le bonheur vient du ciel; mais volontiers il fuit Sc accompagne ces trois premières qualités. Après les munitions Sc les hommes de guerre, venons aux regies Sc avis généraux pour bien faire la guerre. Ce troifieme point eft un très-grand Sc néceffaire inftrument de guerre, fans lequel Sc les munitions Sc les h >mm ne font que fantömes, j plura conjilio quam vi perfieiuntur. Or, de les pref1 crire certains Sc perpétuels, il eft impoffibie. Car ils dépendent de tant de chofes, qu'il faut confifidérer & auxquelles il fe faut accommoder, dont a été bien dit que les hommes ne donnent confeil , auxaffaires,maislesaffairesledonnentauxhommesi 1 qu'il faut faire la guerre k 1'ceil. II faut prendre ; avis fur le champ , confilium in arena: car les 1 chofes qui furviennent donnent avis nouveaux. Il 1 y en a toutefois de li généraux & certains , que 11'on ne peut faillir de les dire & les obferver. I Nous en déduirons ici briévement quelqu'uns . ; auxquels 1'on pourra toujours ajouter. Les uns t font a obferver tout du long de la guerre, que 1 nous dirons en premier lieu, les autres font pour 1 certains endroits & affaires. Le premier eft de guetter foigneufement & emjpoigner les occalions, n'en perdre pas une, &C Sertor ia Plut. Pour tout le temps del» guerre. 34- , 3. Chefs des regies Sc avis i faire la guerre.  y4 o e zaSagesse, ne permettre , s'il fe peut, que 1'ennemi prenne les fiennes. L'occafion a grand cours en toutes aff.'res humaines , fpécialement en la guerre, oii elle aide plus que la force. x. Faire fon profit des bruits qui courent; car vrais ou faux peuvent beaucoup même au commencement. Farad bella conjlant, fama bellum confidt, in fpem metumve imptllit animos. 3. iViais quand 011 eft en train, il ne s'en faut plus donner la peine ; les bien confidcrer, mais en laifier k faire ce qu'on doit tk peut, ce que la raifon conieille ; tk demeurer la ferme. 4, Sur-tcut fe garder de trep grande confiance & affuranxë, par laquelle on méprife 1'ennemi, & fe rend-on nonchalant & pareffeux, c'eft le plus dangereux mal qui foit en guerre. Qui méprife fon ennemi fe découvre ba». Quand. Oi. a cette extrêmité qu'avec grande deliberation , choifir plutót tout autre moyen , & chercher a rompre fon ennemi par patience, & le laiffer battre au temps, au üeu , au défaut de plufieurs chofes, qu'a ce hafard. Car 1'iffue des batailles eft très-incertaine Stdangereufe : Incerti exituspugnarum. Mars communis, qui fcepe fpoliantem & jam exultantem everlit & perculit ab abjeclo. 7. II ne faut donc venir k cela que rarement, c'eft-a-dire , dans la néceffité ou pour quelque grande occafion ; néceffité , comme fi les difficultés croiffent de votre part; les vivres, les finances défaillent; les hommes fe dégoutent &s'en vont; 1'on ne peut plus guere fubfifter, capienda. rebus in malis pmceps via ejl: occafion, comme fi votre parti eft tout clairement plus fort: que la vief oire femble vous tendre la main, que 1'ennemi eft a préfent foible & fera bientöt plus fort, &c préfentera le combat: qu'il ne s'en doute pas; & penfe que 1'on foit bien loin. II eft las & recru, il repaït, les chevaux font en litiere. 8. Faut confidérer le lieu, car il eft de grande conféquence aux batailles. En général ne faut point attendre, s'il fe peut, que 1'ennemi entre dans  7<5 O I L A S A G E S S E, vos terres.il faut aller au-devant, au moins 1'arrêter' ] a la porte. Et s'il y eft entré, ne hafarder pointH la bataille, fi ce n'eft que 1'on ait une autre armee B prête; autrement c'eft jouer & mettre fon état km 1'hafard : particuliérement confidérer le champl de ba'aille, s'il eft propre pour foi ou pour 1'ennemi. Le champ donna quelquefois un trés-grand avantage. La plaine campagne eft bonne pour la cavalerie , les lieux étroits , garnis de marais, foffés, arbres, favorifent 1'infanterie. Regarder avec qui, non avec les plus forts, j'eriténds plus forts, non d'hommes mais de courage. Or, il n'y a chofe qui donne tant de courage, que la néceffité , ennemi invincible. Par quoi je dis qu'il ne faut: jamais fe battre avec des défefpérés. Ceci s'accorde avec le précédent, qui eft de ne hafarder bat; ille dedans fon propre pays, car 1'ennemi entré y combat comme défefpéré, fcachant que s'il eft vaincu, il ne'peut échapper la mort, n'ayantffortereffe ni retraite ou fecours aucun, unde ncceffitas in loco, fpes in virtute , falus ex Victoria. Laman'ereplus avantageufe, quelle qu'elle foit, eft la meilleure; furprife, rufea couvert, feignant d'avoir peur pour attirer 1'ennemi, & le prendre au piege ; fpe viclorice inducere, ut vincatur: guetter & marquer fes fautes,pour s'en prévaloir & le charger de ce pas. Pour les batailles rangées font requifes ces chofes, Avec & contre cjui. Comment. 36 pour les ba-_ tailles.  Livre III. 77 la première & principale eft une belle & bonne ordonnance cle fes gens. 1. Un renfort & fecours tout pret, mais couvert & caché; afin qu'inopinément furvenant il étonne 1'ennemi. Car toutes chofes fubites , encore que vaines & ridicules, donnent 1'épouvante. Primi in omnibus pmliis oculi yincuntur & aures. 3. Arriver le premier au champ & être rangé en bataille; 1'on fait ainfi tout plus a fon aife, & fert a croïtre le courage des fiens :& abattre celui de fon ennemi ; car c'eft être affaillant qui a toujours plus de cceur que la foul tenant. 4. Belle, brave, hardie, refolue contenance du général & autres chefs. 5. Harangue pour en[ courager les foldats & leur remontrer 1'honneur, l le profit & füreté qu'il y a en la vaillance. !Le déshonneur, le danger, la mort font pour lies couards; minus timoris minus periculi, audaciam ipro muro ejfe, effugere mortem, qui tam conumnit. Etant venu aux mains, fi 1'armée branie , faut cque le général tienne ferme , faife tout devoir cd'un chef réfolu & brave gendarme , courir au(devant des étonnés, arrêter les reculans, fe jetter en Ha preffe, faire connoitre k tous fiens ennemis, que 11a tête , la main , la langue ne lui tremblent point. Si elle a du meilleur & le deffus, la retenir, r qu'elle ne s'épande & fe débandepar trop k pour(ifuivre obftinément les vaincus. II eft k craindre cce qui eft avenu fouvent, qu'en reprenant cceur iils jouent au défefpoir , faffent un c. ort & 4. Etant aux mains.  yS DE LASJGESSE, défaffent les vainqueurs : c'eft une violente maitrelte d'école que la néceflité. Claujls ex defptratione crefclt audacia: & cum fpei nihil ejl, jumit arma formido. Leur faut plutöt donner palfage & faciliter leur fuite; encore moins permettre s'amufer au butin , fi vous êtes vainqueur. II faut ufer de la vief oire prudemment, afin qu'elle ne tourne en mal. Par quoi ne la faut falir de cruauté en ötant a 1'ennemi tout efpoir, car il y auroit du danger. Ignaviam neceffitas acuit, fcepe defperatio fpei caufa cf, graviffimi fint morfus inham nece ffitatis; au contraire faut lui lailfer occafion d'efpérer ouverture de paix , ne fouler ni ravager le pays conquis ; la fureur tk la rage font dangereufes bêtes , ni d'infolence , mais s'y comporter modeftement Scfe fouvenir toujours duperpétuel flux tk reflux de ce monde & révolution alternative, par laquelle de 1'adverflté nait la profpérité, & au contraire. II y en a qui fe noyent a deux doigts d'eau, tk ne peuvent digérer une bonne fortune. Magnam felicitatem concoquere nonpojfune, fortuna vittea ejl, tune cum fplendet frangitur: ó infidam fiduciam , & fcepe viclor viclus. Si vous êtes vaincu de la fageffe a bien connoitre & pefer fa perte, c'eft fottife de fe faire croire que ce n'eft rien , tk fe paitre de belles efpérances , fupprimer les nouvelles.de la défaite. Illa faut confldérer toute de fon long , autrement comment y remédierat'on ? Et puis du courage a mieux etpérer, a  Livre m. 79 reftaurerfes forces , faire nouvelle levée, chercher nouveau fecours, mettre bonnes & fortes garnifons dedans les places fortes. Et quand le ciel feroit li contraire, comme il femble quelquefois s'oppofer aux armes faintes & juftes: il n'eft toutefois jamais défendu de mourir au lit d'honneur qui eftmeilleur que vivre en déshonneur. Voila le fecond chef de cette matiere achevé, i qui eft de faire la guerre, faut' un fcrupule qui refte, fcavoir; s'il eft permis d'ufer de rufes, de finelfes & ftratagêmes. II y en a qui tiennent que non, qu'il eft indigne de gens d'honneur 8c de vertu; rejettant ce beau dire : Dolus an virtus quis in hofle requirat? Alexandre ne voulut fe prévaloir de l'obfcurité de la nuit; difant ne vouloir i des viéioires dérobées, malo me fortuna pigeat, quam vietoria pudeat. Ainfi les premiers Romains renvoyant aux Phalifques leur Maitre d'école, a i Pyrrhus, fon traitre Médecin, faifant profeffion de la vertu, défavouant ceux des leurs qui en faifoient autrement, réprouvant la fubtilité des Grecs, 1'aftuce des Africains, & enfeignant que la victoire vraie eft avec la vertu, qua falva fide& , integra dignirate paratur, celle qui eft acquife par finelfe, n'eft généreufe , ni honorable ni afturée. 1 Les vaincus ne fe tiennent pour bien vaincus, non virtute, fed occafione & arte ducis fe villos rati: i ergo non fraude neque occultis fed palam & armatum hoflesfuos ulcifci. Or tout cela eft bie.i cit vrai, 18. Queflion des mies de guerre.  88 d e Sagesséj &c s'entend en deux cas, aux querelles^ particülieres & contre les ennemis privés, ou bien quand il y va de la foi donnée ou alliance traitée. Mais hors ces deux cas, c'eft-a-dire en guerre & fans préjudice de la foi, il eft permis de quelque facon «-,,,0 r-a 4~n\-t rUfairp frm pnnpmi nui eft deia con- Polyb lib. Plut. in Mar cel!. Ulp.1t. de Prob. Auguft. quaeftio fup. Jolué. 38. Chef de Ia matiere militaire , fuir la guerre. De la paix de la part des vaincus. que ce foit de.faire fon ennemi qui eft deja condamné , & eft loifible de 1'exterminer. C'eft après 1'avis des plus grands guerriers (qui au contraire rmr tnuc nréféré la vïtfoire acauife par occafion ont tous preiere ia vicluiic öv.c.i.uic pai v^v-cm^.* & fineffe a celle de vive force ouverte; dont at celle-la ordonnent un bceuf pour un facrifice, Sc a celle-ci un coq feulement) la décifion de ce grand Docfeur chrétien: Cum juftum bellum fufcipitur, ut aperte pugnet quis, aut ex injidiis, nihil ad juftitiam interejl. La guerre a naturellement des privileges raifonnables au préjudice de la raifon. En temps & lieu eft permis de fe prévaloir de la fottife des ennemis, auffi bien que de leur lacheté. Venons au troifieme chef de cette matiere militaire plus court & plus joyeux de tous, qui eft de finir la guerre par la paix;. le mot eft doux, la chofe plaifante, très-bonne en toutes facons, pax optima rerum, quas homini noviffe datum eft , pax una triumphis innumeris potior, & très-utile k tous partis vainqueurs & vaincus ; mais premiérement aux vaincus plus foibles, auxquels premiers je donne avis de demeurer armés, fe montrer affurés & réfolus; car qui veutlapaix , faut qu'il fe tienne tout prêt k la guerre : dont a été bien dit  Livre IJL ti dit que la paix fe traite bien & heureufement fous le bouclier. Mais il faut qu'elle foit honnête &t avec conditions raifonnables; autrement combien qu'il foit dit qu'une paix fourrée elf plus utile qu'une jufte guerre , li eft - ce qu'il vaut mieux mourir librement & avec honneur, que fervir i honteufeme it. Et au;li pure & franche , fans fraude & feintile , laquelle finiffe la guerre, non la differe^ pace fufpecla tutius bellum : toutefois en la néceffité il le faut accommoder comme 1'on peut. Quand le Pilote craint le n au fra ge, il fait jet pour fe fauver, & fouvent il fuccede bien de fe commettre a la difcrétiöh del'adverlaire généreux: 'Viclores , qui funt alto animo : fecundce res in miferationem ex ir/i vertunt. Aux vainqueurs, je confeille ne fe rendre fort dimciles a la paix, car bien qu'elle foit peut-être moins utile qu'aux vaincus, fi 1'eft-elle ; car la continuation de la guerre eft ennuyeufe. Et Lycurgue défend de faire la guerre fouvent a. mêmes ennemis, car ils apprennent k fe défendre, & enfin k aflaillir. Les morfures des bêtes mourantes font mortelles. Fraclis rebus vioi lentior ultima virtus. Et puis 1'iffue eft toujours ini certaine. Melior tutiorqïie ceria pax fperata vicloria, , illa in tua, fuec in Deorum manu ejl. Et fouvent k \ la queue git le venin, plus la fortune a été favoirable, plus la faut-il redouter : nemo fe tuto diu } perieulis offerre tam crebris poteft. Mais elle eft vraiment hcnorable , c'eft gloire ayant la viétoire en II. Partie. F De fa jjan'' des vain^uers auxquels elle eft utile. Honcfrablj,  5. Bernard. Livius. -/j- PRES avoir parlé de la prudence politique requife au Souverain, pour bien agir & gouverner, nous voulons ici fèparèment parler de la prudence requife a fe garder & remèdier aux affaires & accidens d 'tffi- Divifion de cette matiere pardiflinction d'accidens. tl DE LA SAGESSE, main fe rendre facile k la paix; c'eft montrer que 1'on finit la guerre. Et au rebours la refufer, Sc qu'il arrivé un mauvais fuccès, c'eft honte. On dit la gloire 1'a perdu : il refufoit la paix Sc voidoit rhonneur , Sc il a perdu tous les deux. Mais faut octroyer une paix gracieufe Sc débonnaire, afin qu'elle foit durable; car fi elle eft trop rude Sc cruelle, k la première commodité les vaincus fe révolteront. Si bonam dederitis, fidam & perpetuum'. fi malam , haud diuturnam. C'eft grandeur de montrer autant de douceur envers les vaincus fupplians , comme de vaillance contre 1'ennemi. Les Romains ont très-bien pratiqué ceci, Sc s'en font bien trouvé. CHAPITRE IV. De la Prudence requife aux affaires difficiles, mauvais accidens publiés & prives. P R É F A C E. ciles & dangereux qui furviennent tant au Souverain qu'aux fujets & particuliers. Premiérement ces affaires & accidens font en grande diverjieé: ils font pubhes  Livre lil §3 ^particuliers, font i venir & mus menacent ouja prcfcns & preffans; /„ unes font 6- les autres font dangereux & Importans « caujede la violence. Et ceux-ci qui font les plus grands & diffieiles ,font ou fecrets & cachés, & font deux , fgavoir; conjuration contre la perfonne du pnnce ou l'e'tat, & trahifon contre les places & compagnies; ou manifefles & ouvtrts, & ceux-ci font de plufieurs fortes; car ou ils font fans farm, de guerre & ordre certain , comme les émotions populacres pour quelHue prompte & légere occafion, fa&wns & hgues entre les fujets des uns contre les autres , en petit & grand nomlre . grands ou penis; Jedmons du peuple contre le Prince ouLMagifirat rébellion contre f autorité & la tête du Prince - ou . font müris & formés en guerre , & s'appellent guerres «viles q«i fon[ en autam di foms ^ ^ ^ troubles & remuemens; car c\n font les caufes, fondemens & femences; mais ont cru & fint venus en .confequence & durée. De tous nous dirons difiincle> ment, & donnerons avis & confeil pour ux accidens contraires, auxquels nous fbmmes Sets, ü y a deux maniercs de fe porter d.verfe & peuvent Ctre toutes deux bonnes, ielon le • F ij  §4 DE LA S A G E S S X, naturel divers, tk des accidens , & de ceux a qui ils arrivént: 1'une eft de contefter fort tk s'oppofer a 1'accident, remuer toutes les chofes pour le conjurer & détourner, au moins émouffer fa pointe tk amortir fon coup, lui échapper oU le forcer. Ceci requiert une ame forte tk opiniatre. L'autre eft de prendre les chofes incontinent au pire, &fe réfoudre a les porter doucement & patiemrnent, tk cependant attendre paifiblement ce qu'il aviendra fans fe tourmenter k 1'empêcher. Celui-la étudie k ranger les événemens, celui-ci foi-même ; celui-la femble plus courageux, celuici joue au sur; celui-la eft fufpens, agité entre la crainte & 1'efpérance, celui-ci fe met al'abri,& fe loge fi bas qu'il ne peut plus tomber de plus haut. La plus baffe marche eft la plus ferme tk. le fieae de conftance. Celui-la travaille d'en échapper, celui-ci de foüffrir; & fouvent celui-ci en a meilleur marché. II y a fouvent plus de mal & de perte aplaider qua perdre, a fuir & fe donner garde, qu'k fouffrir. L'avaricieux fe tourmente plus que le pauvre , le jaloux que le coca. En celui-la eft plus requife la prudence, car il agit, en celui-ci la patience. Mais qui empêche que 1'on ne fait tous les deux par ordre, & qu'oii la prudence & vigüance ne peut rien, y fuccede la pa> o„Y maux nublics il faut effayer le uence , tci r :„„. Rr „ i>,nt tpims ceux aui en ont la charge,; prenus--i, ^ j * ■ I & le peuvent; au refte, chacun choiüffe le mieuxJ  Livre III. *5 §.11. Maux & accidens préfens , prefans & extrémes. Le moyen propre pour alléger les maux & adoucir les paffions, ce n'eft pas s'y oppofer, car 1'oppolition les piqué & dépite davantage. On aigrit & irrite le mal par la jalouiie du débat & du contrafte; mais c'eft ou en les détournant & divertiffant ailleurs, ainfi que les Médecins qui ne peuvent bien purger 6c exterminer du tout le mal, le divertiffent & lefont dériver en une autre partie moins dangereufe. Ce qui fe doit faire tout doucement & infenfiblement, c'eft un excellent remede a tous maux, 6c qui fe pratique en toutes chofes, fi 1'on y regarde bien, parlequel onnous fait avaler les plus rudes morceaux & la mort même infenfiblement : abducendus animus ejl ad alia Jludia, curas, negotia; loei denique mutatione tanquam cegroti non convalefcentes, fozpe curandus ejl. Comme a ceux qui paffent une profondeur effroyable 1'on confeille de clorre ou détourner .Jes yeux. On amufe les enfans lorfque 1'on veut leur donner le coup de la lancette. Faut pratiquer 1'expédient & la rufe d'Hippomenes, lequel ayant a courir avec Atalante, fille d'excellente beauté, pour y perdre la vie s'il étoit devancé, ou avoir la fille en mariage, s'il gagnoit a la courfe, fe garnit de trois belles pommes d'or, lefquelles il F iij  86 DE LA SAGESSE, laifla tomber a diverfes fois, pour amufer la fille a les cueillir, & ainfi les divertiffant gagner 1'avantage tk elle; ainfi fi la confidération d'un malheur ou rude accident préfent, ou la mémoire d'un paffe nous pefe fort, ou quelque violente paffion nous agite & tourmente, que 1'on ne puiffe dompter, il faut changer tk jetter fa penfée ailleurs, lui fiibftituer un autre accident tk paffion moins dangereufe. Si 1'on ne la peut combattre , il lui faut échapper, fourvoyer, rufer, ou bien 1'affoiblir, la diffoudre tk détremper avec d'autres amufemens & penfees , la rompre en plufieurs pieces; & tout cela par détours tk divertiffemens. L'autre avis aux dernieres & t>-ès-dangereufes extrêmités, oü n'y a plus que tenir, eft de baiffer un peu la tête, prêter au coup, céder a la néceffité , car il y a grand danger qu'en s'opiniatrant par trop a ne rien relacher, 1'on donne occafion a la violence de fouler tout aux pieds. II vaut mieux faire valoir aux loix ce qu'elles peuvent, puifqu'elles ne peuvent ce qu'elles veulent. II a été reproché a Caton d'avoir été trop roide aux guerres civiles de fon temps, tk plutöt avoir laiffé la répubhque encourir toutes extrêmités, que la fecourir un peu aux dépens des loix. Au rebours Epamirondas, au befoin continua fa charge outre le terme, bi e la Sagesse; détourne les autres de femblable deffein, & fait : qu'il s'en repentent, ou en ont honte, 1'exemple : en eft très-beau d'Augufte envers Cinna. §• V I. Trahifon. Trahison eft une confpiration ou entreprife 1. fecrette contre une place ou une troupe: c'eft ll comme la conjuration , un mal fecret, dangereux, , difficile a é^ iter ; car fouvent le traitre eft au 1 milieu öc au giron de la compagnie, ou du lieu qu'il veut vendre öc livrer. A ce malheureux» métier font vo'ontiers fujets les avaricieux, efprits; légers , hypocrites, & ont volontiers ceci, qu'ils: font bien fonner la fidélité , la louent & gardent ambitieufement en petites chofes , öc par-la fei voulant couvrir ils fe découvrent. C'eft la marqué 1 pour les connoitre. Les avis y font prefque tousi mêmes qu'en la conjuration, fauf en la punition, laquelle doit être ici prompte, grieve ÖC irrémif-l fible; car ce font gens mal nés , incorrigibles, très-pernicieux au monde, dont ne faut avoiri pitié. §. VII. Emotions populalrcs. I L y en a plufieurs fortes felon la diverfité des caufes, perfonnes , maniere öc durée , comme fe verra après; fa&ion , ligue , fédition, tyranniej  L i r b. e li- 93f guerres civiles; mais nous parierons ici toütfimplement 8c en général de celles qui s'énervent a la chaude , comme tumultes fubits, 5c ne durent gueres. Les avis 8c remedes font leur faire parler 6c remontrer par quelqu'un qui foit d'autorité, de vertu 6c réputation finguliere, éloquent, ayant la gravité 6c enfemble la grace 8c 1'induftrie d'amadouer un peuple;' car a la préfence de tel kmme. comme a un éclair, le peuple fe tient 2. Avis & remedes. jiomme, wuuuc o wu wv»^. , — r_„r_coit. Veluti magno in populo cum fcepe coorta ejl Seditio, favitque animis ignobile vulgus: Jamque faces & faxa volant, furorarma miniflrat. Turn pietate gravem acmeritis,jifortevirumquem Confpexere,/ilent, arreclisque auribus ajlant; Ille regit diclis animos & peclora .mulcet. Quelquefois le chef même y aille ; mais il faut que ce foit avec un front ouvert, une forte alfurance, ayant 1'ame quitte 8c nette de toute imagination de la mort, 8c du pis qu'il peut avenir, car d'y aller avec contenance douteufe 8c incertaine par flatterie, douce Sc humble remontrance, c'eft fe faire tort Sc ne rien avancer. Ceci pratiquoit excellemment Céfar contre fes légions mutinées 6c armées contre lui. Jletit aggere fulti Cefpitis intrepidus vultu, meruitque timerif NU metuens.  Defcription. 94 DE LA SAGESSEi Autant en fit Augufte a fes légions Actiaques > dit Tacite. II y a donc deux moyens de jouir & appaifer un peuple ému & furieux. Celui - ci qui eft meilleur & plus noble, convient au chef s'il y va, mais il y doit bien penfer comme a été dit: 1'autre plus ordinaire eft par flatterie & amadouement, car il ne lui faut pas réfifter tout ouvertement. Les bêtes fauvages ne s'apprivoifent jamais a coups de baton, dont les belles paroles ni les promeffes ne doivent être épargnées. En ce cas les fages permettent de mentir, comme 1'on fait envers les enfans & les malades. En cela étoit excellent Periclès qui gagnoit le peuple par les yeux, les oreilles & le veptre, c'eft-a-dire, par jeux, comédies, feftins, & puis en faifoit ce qu'il vouloit. Cette maniere plus baffe & fervile, mais néceffaire, fe doit pratiquer par celui que le chef envoye, comme fit Menenius Agrippa k Rome; car il penfe 1'avoir de haute luitte , lorfqifil eft hors des gonds de raifon, fans rien quitter, comme vouloient Appius , Coriolan , Caton, Phocion , font contes. §. VIII. Faclion & ligue. Faction ou ligue eft un complot & affociation des uns contre les autres entre les fujets, foit ou entre les grands ou les petits, en grand nombre ou petit. Elle vient quelquefois des haines qui lont  Livre 111. 95 ; entre les particuliers & certaines families, mais , le plus fouvent d'ambition , ( pefte des états) j chacun voulant avoir le premier rang. Celle qui f eft entre les grands eft plus pernicieufe. II y en , a qui ont voulu dire qu'elle eft aucunement utile j au fouverain ,& fait le même fervice au public, j que les riottes des ferviteurs en la maifon , difoit , Caton. Mais cela ne- peut être vrai, finon aux j tyrans, qui craignent que les fujets foient d'accord , | ou bien de petites Sc légeres querelles d'entre j les villes, ou d'entre les dames de la cour, pour ■ ftjavoir force nouvelles; mais non pas des fac- 1 rions importantes, qu'il faut étouffer dés leur . naiffance, Sc leurs marqués, noms, habillemens, I foubriquets , qui font quelquefois femences de s vilains effets , témoin le grand embrafement Sc Zonaras. 1. Les avis & remedes. f lies grands meurtres advenus en Conftantinople . 1 pour les couleurs de verdek: bleu, fous Juftinien; [ i défendre les affemblées fecrettes, qui peuvent | i fervir a cela. Les avis fur ce, font fi la facïion | t eft entre deux feigneurs ; le prince tachera par (douceur de paroles , ou menaces les accorder, (comme fit Alexandre le grand entre Epheftion Sc (Craterus, 6c Archidamus entre deux de fes amis. JS'ilne peut, il leur doit donner des arbitres non ! i fufpefts ni paflionnés. Le même doit-il faire , fi Ha facfion eft entre plufieurs fujets ou villes, 6c ccommunautés. S'il faut que lui même parle , il He fera avec confeil appellé pour éviter 1'envie  Cj6 BB LA S A G B S S Ê , & la haine des condamnés. Si la fadtion eft entrs gens qui font en fort grand nombre , & qu'elle foit fi tbrte qu'elle ne fe puiffe appaifer par juftice , le prince y employera la force pour 1'éteindre du tout ; mais il fe gardera bien de fe montrer affectionné a 1'une plus qu'a 1'autre, car acela y a grand danger , & plufieurs fe font perdus; & eft indigne de .fa grandeur, fe faire compagnon des uns & ennemis des autres , lui qui eft le maitre de tous; & s'il faut venir a punition, il doitfuffire que ce foit des chefs plus apparens. §. IX. Defcription longue. Séd'itioti. Sedition eft un violent mouvement de la multitude contre le prince ou le magiftrat : elle nait & vient d'oppreffion ou de crainte, car ceux qui ont fait quelque grande faute, craignent la punition ; les autres penfent & craignent qu'on leur vueille courir fus; & tous deux par appréhenfion du mal fe remuent pour prévenir le coup. Auffi naït de trop grande licence , de difctte &c néceffité, tellement que les gens propres a ce métier lont les endettés & mal accommodés de tout, légers, éventés & qui craignent la juftice.. Tous ces gens ne peuvent durer en paix , la paix leur eft guerre, ne peuvent dormir qu'au milieu de lafédition, ne font cn franchife que parmi les confufions.  Livre III. 97 confufions. Pour mieux conduire leur fait ils conferent enfemble en fccret, font de grandes plaintes , ment de mots ambigus, puis parient plus ouvertement, & font les zélés k la liberté &C au bien public , au foulagement du peuple, & fous ces beaux prétextes ils font fiiivis de grand nombre. Les avis & remedes font , premiérement ceux n qui fervent aux émotions popuiaires, faire parler k eux , & leur remontrer par gens propres k cela, comme a été dit. 2. Si cela ne profite., il faut s'armer & fortifier, & pour cela ne procéder contre eux, mais leur donner loifir & terme de mettre 1'cau en leur vin, aux mauvais de fe repentir , aux bons de fe réunir. Le temps eft un grand médecin mêmement aux peuples plus prêts a fe mutiner & rebelier qua combattre. Ftrocior plebs ad rebeilandum, quam bellandum: tentare ma^ gis quam tueri libertatem. 3. Cependant effayer k les ébranler par efpérance & par crainte , ce font les deux moyens, fpem offer , ntttutn intendt, 4.lacher a les défunir & rompre leur intelligence. 5. En gagner & attirer par fous main quelques uns d'entr'eux par promeffes & fecrettes récompenfes, dont les uns fe retirent d'eux pour venir a vous, les autres demeürent avec eux pour vous y fervir, vous avertiflant de leurs menées & les endormiffant & attiédiffant leur chaleur. 6. Attirer & gagner les autres, leur accordant une partie de ce qu'ils demandent & par belles promeffes en //. Partie. G 2; Avis &ré» nodes.  Pefcriptïo.'o C)8 DE LA SAGESSE, termes ambigus. II fera puis après aifé de révoquer juftement ce qu'ils auront extorqué injuftement par fédition. iitita facies , quce per feditionem expreferint, 8c laver tout par douceur 8c clémence. 7. S'ils retournent en fanté, raifon 8c obéiiïance, les faut traiter douCement , 8c fe contenter du chatiment de fort peu des principaux auteurs 8c boütefeux , fans s'enquérir davantage des complices , mais que tous fe fentent en fureté 8c en grace. §• X. La Tyrannie & Rèbellion. L A tyrannie, c'eft-a-dire , la domination violente contre les loix & coutumes , eft fouvent caufe des grands remuemens publics, d'oüil avient rèbellion , qui eft une élevation du peuple contre le Prince, a caufe de fa tyrannie pour le chalfer 8c débouter de fon fiege. Et differe de la fédition en ce qu'elle ne veilt point reconnoïtre le Prince pour fon maitre; la fédition ne va pas jufqueslii, mais elle eft mal contente du gouvernement, fe plaint 8c veut un mandement en icelui. Or, cette tyrannie exercée par gens mal nés, cruels, qui aiment les méchans, brouillons, rapporteurs, haïffent 8c redoutent les gens de bien 8c d'honneur, quibus femper aliena virtus formidolofa , nobilitas , opes, gcftique honores pro crimine , ob virtutes certijfimum exitium : & non minus ex magna fa ma quam  Livre 111. 9$ mala. Mais ils font bien punis, car ils font haïs & ennemis de tous; vivent en perpétuelle crainte & appréhenfion: tout leur eft fufpect, font bourrelés &c déchirés au-dedans en leurs confciences, & enfin de male-mort & bientöt, car c'eft chofe très-rare qu'un vieil tyran. G ij Les avis & remedes en ce cas font au long déduits ci-après en lieu plus propre. Les avis reviennent a deux , empêcher a 1'entrée le tyran, qu'il ne fe rende maitre ; étant inftallé & reconnu le fouffrir & lui obéir. II vaut mieux le tolérer qu'émouvoir fédition & guerre civile, pejus , deteriufque tyrannide jive in/ujlo imperio bellum civile, 1'on n'y gagne rien, le regimber ou rebelier, enaigrit & rend encore plus cruels les mauvais princes: nil tam exafperdt fzrvorem vulneris , quam ferendi impatientia. La modeftie & obéiffance les adoucit, car la douceur du Prince , dit ce grand Prince Alexandre , ne confifte pas feulement en leur naturel, mais auffi au naturel des fujets, lefquels fouvent par leurs médifances & mauvais déportemens , irritent & gatent le Prince , ou 1'empirent, obfequio mitigantur imperia, & contra contumacia inferiorum lenitatem imperantis diminuit: contumaciam cum pernicie , quam obfequium cum fecuritate mdlunt. Avis. & remedes. c. 10. Plutar. ju Bruto, Curt. Tacit,  iOO DE LA SAGESSEt §. X I. Pcfcription. Guerres civiles. Q uakd 1'un cle ces fufdits remuemens publics; émotions populaires, faction, fédition, rèbellion, vient k fe fortifier & durer jufques a prendre un train & forme ordinaire; c'eft une guerre civile , laquelle n'eft autre chofe qu'une prife & menée d'armes par les fujets ou entr'eux, & cette émotion populaire ou fa£tion& ligue, ou contre le Prince, 1'Etat, le magiftrat , & c'eft fédition ou rèbellion. Or, il n'y a mal plus miférable ni plus honteux ;, c'eft une mer de malheurs. Et un fage a très-bien dit que ce n'eft pas proprement guerre mais maladie de 1'état, maladie chaude &c fréhéfie. Certes qui en eft 1'auteur , doit être effacé du nombre des hommes, & chafle des bornes de la nature humaine. Toute forte de méchanceté s'y trouve, impiété &l cruauté entre les parens mêmes , meurtres avec toute impunité, occidere palam, ignofcere non niji fallende Heet, non eetas , non dignitas quemquam protegit, nobil'ms cum plehepent, lateque yagatur enfis. Toute déloyauté, difcipline abolie. In omne fas , nefafque avidus aut venales nonfacro, nonprophano abfiinentes. Le petit & inférieur fait du compagnon avec le grand. Rheni mihi Cafar.. in undit dux erat, hicfocius. Facinus quos inquinat, iequat. Lequel n'ofe parler, car il eft du métier; encore qu'il ne 1'approuve , obnoxis ducibus &  Livre III. ïoï proklbere non aufis. C'eft une conrufion horrible. Metus ac neceffitate huc illuc mutantur. Somme ce n'eft que miferes. Mais il n'y a rien fi miférable que la viöoire. Car quand pour le mieux elle tomberoit entre les mains de celui qui a le droit de fon cöté, elle le rendroit infolent, cmel & farouche, voire quand il feioitd'un doux naturel, tant cette guerre inteftine acharne & eft un venin , qui conlomme toute 1'humanité. Et n'eft en la puifiance des chefs de retenir les autres. II y a deux caufes k confidérer des guerres civiles. L'une fecrette, laquelle comme elle ne fe fe & ne fe voit, auffi ne fe peut-elle empêcher ni remédier, c'eft le deftin , la volonté de Dien, qui vent chatier ou du tout ranger un érat. In fe magna munt, leetis hunc numina rebus crefcendi pofuere modum. L'autre eft bien appercue par les fages, & s'il peut bien remédier, fi i'on veut, & que ceux a qu'il appartient y meltenl Ia main; c'eft la diffolution 6> générale corruption des mceurs, par laquelle les vau-néans, & n'ayant que faire veulent remuer , mettre tout en combuftion , couvrir leurs plaies par les maux de 1'état. Car ils aiment mieux être accablés de la mine publique de la leur particuliere. Mïfcere cuncla &privata ruinera rtipubltca mails operire ; nam itd fe res habet, ut publlca ruina qulfque mailt quam fuaproteri & idem paffurus minus confpici. Or , les avis A\ & remedes a ce mal de guerre civile , font k la ^ G iij i. Sesca.ifes. isScromeJ  f)enx qi: ions. 102 DE LA S A G E S S £, finir au plutöt, ce qui fe fait par deux moyens , accord ou vief oire. Le premier vaut mieux, encore qu'il ne fut pas tel que 1'on defire, le temps remédiera au refte. II faut quelquefois fe laiffer un peu tromper , pour fortir de guerre civile , comme il eft dit d'Antipater, bellum finire cupienti, opus erat ikcipLLa victoire eft dangereufe , car il eft a craindre que le vi&orieux en abufe , & enfuive une tyrannie. Pour bien s'y porter il fe faut défaire de tous les auteurs de troubles , & autres ' remueurs tk fanguinaires, tant d'une part que d'autre, foit en les envoyant loin fous quelque beau prétexte & charge, en les divifant ou les employant contre 1'étranger; traitant au refte doucement le menu peuple. % XII. Avis pour les particuliers en toutes les fufdltes dlvljions publlques. "Voila plufieurs efpeccs de troubles tk divifions publlques, auxquelles & a chacune d'icelles ont été donnés avis tk remedes pour le regard du Prince ; maintenant il en faut donner pour les et particuliers. Ceci ne fe vuide pas en un mot { il ya deux queftions, Tune, s'il eft loifible a-1'homme de bien de prendre parti, ou demeurer ici; 1'autre en tous les deux cas, c'eft-a-dire, étant d'un parti ou n'en étant'point, comment 1'on s'y doit  Livre III. 103 comporter. Quant au premier point il fe propofe pour ceux qui font libres, & ne font encore engagés k aucun parti; car s'ils y font engagés 5 cette première queftion n'eft pour eux , ils font renvoyés k la feconde. Je dis ceci a caufe que 1'on peut bien être d'un parti non par choix èc defTein, voire que 1'on n'approuve pas, mais paree que 1'on s'y trouve tout porté & attaché par très-grandes & puiffantes liaifons ■, que 1'on ne peut honnêtement rompre , qui couvrent & excufent alfez, étant naturelles cc équivalentes. Or, la première queftion a desraifons & exemples contraires. II femble d'une part que 1'homirjE de bien ne fcauroit mieux faire que de fe tenir (pit, car il ne fcauroit s'immifcer a aucun parti fans faillir , pource que toutes ces divifions font iliégitimes de foi, & ne peuvent être menées n1 fubfifter fans inhumanité & injtr ;ice. Et plufieurs gens de bien ont abhorré cela, comme répondit Afinius Pollioa Augufte, qui le prioit de le fuivre contre Mare Antoine. D'autre part eft-il raifonnable de fe joindre aux bons &c ceux qui ont le droit. Le Sage Solon 1'a ainfi jugé, ilchatierudement celui qui s'en retire & ne prend parti. Le profefTeur de vertu, Caton 1'a ainfi pratiqué ne fe contentant de tenir un parti, mais y commandant. Pour vuider ce doute, il femble que les hommes illuftres , qui ont & charge publique oC crédit & fuffifance en 1'état, peuvent & doivent G iv La première s'il faut prendre parti ou fe tenir coit, Velleius. liv.2.  La 2. Comment fe compoiter. Outrés, motie-ces. '64 dëlaSagesse,' fe ranger du parti qu'ils jugeront le meilleur , car ils ne doivent abandonner en la tourmente le gouvefnail du vaiffeau, qu'ils conduifcient en bonnace; doivent fervir a leur dignité , pourvoir è la. füreté de 1'état; Sc les privés ou qui.font moindres en charge Sc en fuffifance d'état, s'arrêter & fe rërirer en quelque lieu paifible Sc affiiré durant la diviiion, Sc tous les deux fe comporter comme il va être dit. Au refte pour le choix du parti, quelquefois il n'y a point de difficulté, car 1'un eft fi injufte & fi malheureux que 1'on ne s'y peut mettre avec aucune raifon. Mais d'autres fors la difficulté eft bien grande, Sc puis il y a.plufieurs chofes a penfer outre la juftice Sc le droit des parties. 3. Venons k 1'autre point qui eft du comportement de tous. Or, il fe viriele en un mot par 1'avis Sc la regie cle modératroh, fuirant 1'exemple d'Atticus, tant r'enommé pour fa modeftie & prudence en tels orages, tenu toujours &eftimé pour favorifer le bon parti, toutefois fans s'envelopper aux armes & fans ofFenfe de 1'autre parti. 1. Parquoi ceux qui font déclarés d'un parti, s'y doivent porter non outrés, mais avec modération, ne s'enbefognant point aux affaires, s'ils n'y font tcus portés & preffés, & en ce cas s'y porter avec tel ordre Sc attrempance que 1'orage paffe fur leur tête fans offenfe, n'ayant aucune part k ces grands fJéfordresScinfolcncesquis'y commettent;  Livre III. 10? mais au rebours les adouciffans, les détournans, éludans comme ils pourront. Ceux qui ne font déclarés ni engagés en aucun parti ( defquels la condition eft plus douce tk meilleure) encore que peut-être au-dedans & affedtionils en ont vu, ne doivent demeurer neutres , c'eft-a-dire, ne fe foucier de 1'iffue tk de 1'état des uns ni des autres, demeurant a eux feuls , tk comme fpedtateurs en théatre fe paiffans des miferes d'autrui. Tels font odieux a tous tk courent enfin grande fortune, comme il fe dit des Thebains en la guerre de Xerxes tk de Jabes Galaad. Niutralitas nee amieos , parit, nee inimicos tollit. Laneutralité n'eft ni belle ni honnête , fi ce n'eft avec confentement des ] partis, comme Cefar qui déclara de tenir les i neutres pour fiens, au contraire de Pompée qui 1 les déclara ennemis; ou k un étranger ou k tel, (qui pour fa grandeur tk digniténe s'en doit point imêler, mais plutöt être réclamé arbitre tk moidérateur de tous; ni auffi tk moins encore in(confians , chancelans , métis , Prothées , plus ( odieux encore que les neutres tk. offenfifs k tous. ^Mais ils doivent ( demeurant partifans d'affection ss'ils veulent, car la penfée & l'affedtion eft toute mötre) être communs en aclions, offenfifs a nuls, oofficieux & gracieux k tous, fe complaignant du nmaiïieur commun. Tels ne fe font point d'ennemis, 'Itk ne perdent leurs amis. Ils font propres k être 2. Neutresi Jud. 21. T!t Liv. Inconfhns. Communs. i 1 nmédiateurs & amiables' compofiteurs , qui font Médiateurs.  IOü DE LA S A G E S S E, encore meilleurs que les communs. Ainfi des nonpartifans qui font quatre, deux font mauvais , les neutres & les inconftans; tk deux bons les communs tk les médiateurs; mais toujours 1'un plus que 1'autre , comme des partifans il y en a deux, les outrés tk moderés. §• XIII. Des Troubles & Divijions privies. A ux divifions privées 1'on peut commodément, loyalement fe comporter entre ennemis, fi ce n'eft une égale affection au moins tempérée; ne s'engager tant aux uns, qu'ils puiffent requérir tout de nous , & auffi fe contenter d'une moyenne mefure de leur grace, ne rapporter que les chofes indifférentes ou connues , ou qui fervent en commun , ne difant rien a 1'un qu'on ne puiffe dire a 1'autre a fon heure, en changeant feulement 1'accent & la fa^on. DE LA JUSTICE EN GÉNÉRAL. CHAPITRE V. De la Jujlice, feconde vertu. T USTICE eft rendre a chacun ce qui lui appartient, a foi premiérement tk puis k autrui; tk par ainfi elle comprend tous les devoirs & offices d'un T. Defcription.  Livre 111. 107 1 chacun , qui font doublés , le premier eft a foii même , le fecond a autrui; tk font compris en fee commandement général qui eft le fommaire de 1 toute juftice. Tu aimeras ton prochain comme toiïmême, lequel non-feulement met le devoir envers ;autrui en fecond lieu, mais il le monte & le regie :au patron en devoir & amour envers foi, car i comme difent les Hebreux il faut commencer la i. Juftice première & eriginelle. J: Diftincliom Ie juftice. Le commencement donc de toute juftice, le premier & plus ancien commandement eft de la raifon fur la fenfualité. Auparavant qne 1'on puiffe hien commander aux autres, il faut apprendre k rommander k foi-même , rendant k la raifon la ipuiffance de commander,& affujettiffant les appéitits & les pliant a 1'obéiffance. C'eft la première originelle juftice interne, propre & la plus belle qui foit. Ce commandement de 1'efprit fur la partie tbrutale & fenfuelle , de laquelle fourdent les iDaffiOns, eft bien comparé a un écuyer qui dreffe iiih cheval, pource que fe tenant toujours dedans aa felle , il le tourne & manie k fa volonté. Pour parler de la juftice qui s'exerce auüehors & avec autrui, il faut fcavoir, premiéreiinent qu'il y a doublé juftice ; une naturelle , mniverfelle, noble, phüofophique ; 1'autre aucuneiment artificielle, particuliere, politique, faite & r.ontrainte au befoin des polices & états. Celle-la ftft bien mieux réglée , plus roide, nette tk belle,  I0S DE LA S A G E S 'ii E1, mais elle eft hors 1'ufage, incommode au monde tel qu'il eft , veri jus germanague jufiitix folidam & exprejjam effigiem nullam tinemus ; umbris & imaginibus utimur, II n'eft aucunement 'capable, comme a été dit. ( Voyez 1. i. c. 4.) C'eft la regie de Polyclete , infléxible , invariable; cel!e-ci eft plus lache tk molle, s'accommodant k la foibleffe &C néceffité humaine & populaire. C'eft la regie Lesbienne tk de plomb , qui ploie tk fe tord felon qu'il eft befoin, & que le temps, les perfonnes, les affaires tk accidens requierent. Celle-ci permet au befoin & approuve plufieurs chofes que cellela rejetteroit tk condamneroit du tout. Elle a_ plufieurs vices légitimes , tk plufieurs aclions bonnes illégitimes. Celleda regarde tout purement la raifon, 1'honnête; celle-ci confidere fort 1'utile le joignant tant qu'elle peut avec 1'honnêteté. De celle-la qui n'eft qu'une idéé tk enthéorique n'en point parler. La juftice ufuelle, tk qui eft en pratique parle monde, eft premiérement doublé, fcavoir; légale aftrainte aux termes des loix , felon laquelle les magiflrats tk juges ont k procéder; 1'autre équitable , laquelle fans affujettir aux mots de la loi marche plus librement, felon 1'exigence des cas, voire quelquefois contre les mots de la loi. Or, pour mieux dire , elle mene & regie la loi felon qu'il faut, dont a dit un fage, que les loix mêmes tk la juftice ont befoin d'être menées *■ . De la juftice u!V.el]e eft cüiUriguée.  Livre Hl. 209 ;& concluites juftement, c'eft-a-dire, avec équité. I Celle-ci eft en la main de ceux qui jugent en i fouveraineté. Item pour en parler plus particuliéfrement, il y a doublé juftice; 1'une commutative (entre les particuliers , laquelle fe mene par pro- portion arithmétique ; 1'autre diftributive admi: niftrée publiquement par proportion géométrique, ■ elle a deux parties, la récompenfe .& la peine. Or, toute cette juftice ufuelle tk de pratique n'eft point vraiment tk parfaitement juftice ; tk. humaine nature n'en eft pas capable non plus que de toute autre chofe en fa pureté. Toute juftice 5' . N'y a point ia vraie juftice au monde. humaine eft rnêlée avec quelque grain d'injuftice, 1 faveur, rigueur , trop & trop peu; tk n'y a point de pure & vraie médiocrité , d'oii font fortis ces : mots des anciens, qu'il eft force de faire tort en ! détail, qui veut faire droit en gros , tk injuftice 1 en petites chofes, qui veut faire juftice en grandes. Les légiflateurs pour donner cours k la juftice | commutative, tacitement permettent de fe trompet ' 1'un 1'autre, tk k certaine mefure , mais qu'il ne : paffe point la moitié de jufte prix; tk c'eft pource l qu'ils ne fcauroient mieux faire. Et en la juftice 1 diftributive, combien d'innocens pris , & de cou1 pables abfous & relachés , tk fans la faute des juges, fans compter le trop ou. le trop peu, qui eft i prefque perpétuel en la plus nette juftice, la juftice i s'empêche elle-même , & la fuffifance humaine 1 ne peut voir ni pourvoir k tout. Voici entre autres  6. Divifïon de cette matiere. 101 DE LASAGESSE\ un grand défaut en la juftice diftributive de punir feulement, tk non falarier , bien que ce foient les deux parties & les deux mains de la juftice; mais felon qu'elle s'exerce communément elle eft manchotte & incline toute a la peine. La plus grande faveur que 1'on recoive d'elle , c'eft 1'indemnité , qui eft une monnoie trop courte pour ceux, qui font mieux que le commun, Mais il y a encore plus; car foyez déféré & accufé k tort, vous voila en peine tk fouffrez beaucoup : enfin votre innocence comme vous en fortez abfous de la derniere punition, mais fans réparation de 1'aftliction qui vous demeure toujours. Et 1'accufateur moyennant qu'il ait apporte fi petite couleur que ce foit (qui eft facile a faire) s'en va fans punition, tant eft écharfe la juftice au loyer, & reconnoiffance du bien , tk toute au chatiment. Dont eft venu ce jargon que faire juftice tk être fujet k juftice , s'entend toujours de la peine ; & eft aifé qui veut de mettre vn autre en peine , tk le réduire en tel état qu'il n'en fortira jamais qu'avec perte. De la juftice tk du devoir y a trois parties principales. Car 1'homme doit k trois ; k Dieu, k foi, k fon prochain; au-deffus de foi, k foi, tk k cöté: du devoir envers Dieu , rui eft la piété & religion, a été dit amplement ci-d-ffus. II refte donc ici k parler du devoir envers foi & fon prochain.  Livre 111. %\t CHAPITRE VI. De la juftice £ LA S A G E S S perfonnes eft en ligne ccmchée & collaterale entré pareils ou prefque pareils. Et celle-ci eft encore doublé, car ou elle eft naturelle, comme entre freres, fceurs, coufins; tk celle-ci eft plus amitié que la précédente : car il y a moins de difparité. Mais il y a de 1'obligation de nature, comme d'un cöté elle noue tk ferre, de 1'autre elle relache. Car a caufe des biens tk partages & des affaires, il faut quelquefois que les freres tk parens fe heurtent; outre que fouvent la correfpondance & relation d'humeurs tk volontés, qui eft 1'effence de l'amitié , ne s'y trouve pas ; c'eft mon frere , mon parent, mais il eft méchant, fot: ou elle eft Iibre tk volontaire, comme entre compagnons & amis, qui ne touchent tk ne tiennent de rièn que de la feule amitié, tk c'eft proprement tk vraiement amitié. a. La troifieme efpece touchant les perfonnes eft mixte tk comme compofée des deux, dont elle eft ou doit être plus forte, c'eft la conjugale des mariés, laquelle tient de l'amitié en droite ligne , a caufe de la fupériorité du mari tk infénorité de la femme ; & de l'amitié collatérale étant tous deux de compagnies , parties jointes enfemble & fe cötoyant. Dont la femme a été tirée non de la tête ni dés pieds, mais du cöté de 1'homme. Auffi les mariés par-tout & alternativement exercent & montrent toutes ces deux amitiés. En public la droite ; car la femme fage  Livre Ut. \i$ Konore &C refpette le mari; en privé, la collatérale privée tk familiere. Cette amitié de mariage eft encore d'une autre facon doublé tk compofée ; car elle eft fpirituelle & corporelle , ce qui n'eft pas és autres amitiés, iïnon en celle qui eft réprouvée par toutes bonnes loix, & par la nature même. L'amitié donc conjugale par ces raifons eft grande , forte tk puiffante. II y a toutefois deux ou trois chofes qui la relachent tk empêchent qu'elle puiffe parvenir a. perfeftion d'amitié , 1'une qu'il n'y a que 1'entrée du mariage libre, car fon progrès tk fa durée eft toute contrainte , forcée, j'entends aux mariages chrétiens , car par-tout ailleurs elle eft moins contrainte , k caufe des divorces qui lont permis; 1'autre eft la foibleffe & infuffifance de la femme qui ne peut répondre & tenir bon k cette parfaite conférence tk communication des penfées tk jugemens; fon arme n'eft pas affez forte tk ferme pour fournir tk foutenir 1'étreinte d'un nceud fi durable , c'eft comme nouer une chofe forte tk grolfe avec une mince tk déliée. Celle-ci ne rempliffant pas affez, s'échappe, gliffe tk fe dérobe de 1'autre. Encore y a-t-il ici qu'en l'amitié des mariés ils fe maffent de tant d'autres chofes étrangeres, les enfans, les parens d'une part tk d'autre, & tant d'autres fufées k démêler , qui troublent fouvent tk relachent une vive affection. La troilieme autinction a amuie regarue ia ïcrcc - 6.  1X6 DE LA S A G E S S E , & intention , ou la foibleffe & diminution de? ramitié. Selon cette raifon il y a doublé amitié »> la coutume & imparfaite qui fe peut appellerr bienveillance, familiarité , accointance privée ,, & a une infinité de degrés , 1'une plus étroite ,, intime tk forte que 1'autre ; tk la parfaite qui ne: fe voit point , tk eft un phcénix au monde; ai peine eft-elle bien concue par 1'imagination. Nous les connoitrons toutes deux en les dépein-- peignant &corvfrontant enfemble, tk reconnoifiantt leurs diiférences. La commune fe peut batir tk: concilier en peu de temps. De la parfaite il eft: dit, qu'il faut déliberer fort long-temps, & manger: :j j„ r„i un muid de fel. a. La commune s'acquiert, fe batit tk fe drefïe : partant de diverfes occafions & occurrences utiles,, déledtables; dont un fage donnoit ces deux moyens : d'y parvenir, dire chofes plaifantesck faire chofes ; utiles ; la parfaite par la ftule vraie & vive vertu. réciproquement bien connue. 3. La commune peut être avec & entre plufieurs, la parfaite avec un feul, qui eft. un autre foimême, tk ainfi entre deux feulement, qui ne font qu'un. Elle s'impliqueroit tk s'empêcheroit entre plufieurs, car fi deux en même-temps demandoient être fecourus , s'ils me demandoient offices contraires , fi 1'un commettoit a mon filence chofe qu'il eft expediënt a 1'autre de fcavoir, quel ordre ? Diffcren're! de ramitié, commune & pai faite.  Livre Ut 127 Certes la divifion eft ennemie de perfecfion &c union de fa germaine. 4. La commune recoit du plus & du moins des exceptions , reftridtions & modifications , s'échauffe ou relache, fujette a accès & recès, comme la fievre felon la préfence ou abfence , mérites, bienfaits, &c. la parfaite non toujours même, marchant d'un pas égal, ferme, hautain & conftant. 5. La commune re£oit& a befoin de plufieurs regies & précautions données par les fages, dont 1'une eft aimer fans intérêt de la piété , vérité , vertu, amlcus ufque ad aras. L'autre eft d'aimer comme fi on avoit a haïr, & haïr comme fi on avoit a aimer, c'eft-a-dire, tenir toujours la bride en la main, & ne s'abandonner pas fi profufément que 1'on s'en puiffe repentir, fi l'amitié venoit a fe dénouer. • Item, d'aider & fecourir au befoin fans êtrerequis ; car 1'ami eft honteux , Sc,kti coüte de dedernander ce qu'il penfe lui être dü. Item, n'être importun k fes amis, comme ceux qui fe plaignent toujours k la maniere des femmes. Or, toutes ces le^ons trés - falutaires és amitiés ordinaires n'ont point de lieu en cette fouveraine &c parfaite amitié. Nous fcaurons encore mieux ceci par la peinture ck defcription de la parfaite amitié, qui eft Une confufion de deux ames , très-libre , pleine Defcriptiorj rle parfaite amitié.  &5.S O £ la SaGESSE', & univerfelle. Voici trois mots. i. Confufioii non-feulement conjontlion Ik jointure, commet des chofes folides , lefquelles bien attachées , mêlées tk nouées foient-elles; fi peuvent k part elles être féparées tk fe connoifTent bien. Lesames: en cette parfaite amitié font tellement plongées; tk nouées 1'une dedans 1'autre , qu'elles ne ff peuvent plus ravoir , ni ne veulent k la manierei des chofes liquides mêlées enfemble. 2. Trèslibre tk batie par le pur choix & pure liberté de la volonté fans aucune obligation, occafion ni caufe étrangere , il n'y a rien qui foit plus hbrei & volontaire que 1'affection. 3. Univerfelle fans: exception aucune de toutes chofes , biens , hon-, neurs , jugemens , penfées , volontés , vie. De cette univerfelle tk fi pleine confufion vient que 1'une ne peut prêter ni donner a 1'autre , tk n'y; a point entre eux de bienfaits, obligation, recon-i noiffance , re'merciement tk autres pareils devoirs qui font nourriciers des amitiés communes, mais témoignages de divifion tk différence; tout ainfi comme je ne fcais point de gré du fervice que je me fais, ni l'amitié que je me porte ne croit point pour le fecours que je m'apporte. Et au mariage même pour lui donner quelque reffemblance de cette divine liaifon, bien qu'il demeure bien am deffous : les donations font défendues entre le mari tk la femme ; & s'il y avoit lieu de fe pouvoir donner 1'un k 1'autre, ce feroit celui qui employeroit  L i r r e III. 129 employeroit fon ami, & recevroit le bienfait qui obligeroit fon compagnon , car cherchant 1'un Sc 1'autre, mr-tout avec faim de s'entre-bien-faire , celui qui en donne 1'occafion Sc en prête la matiere , eft celui qui fait le libéral, donnant ce contentement a fon ami d'effecf uer ce qu'il defire le plus. De cette parfaite amitié Sc Communion , nous avons quelques exemples en 1'antiquité. Blofius pris comme trés-grand ami de Tiberius Gracchus ja condamné Sc interrogé ce qu'i? eüt fait pour lui, ayant répondu toutes chofes , il lui fut demandé , comment s'il t'eüt prié de mettre le feu ; aux temples, 1'euffe-tu fait ? 11 repondit que jamais 1 Gracchus n'eut eu telle volonté, mais que quand i il Peut eu il lui eüt obéi : trés - hardie Sc dangei reufe réponfe. II pouvoit dire hardiment que 1 Gracchus n'eüt jamais eu cette volonté, c'étoita ! lui a en répondre, car comme porte notre def1 cription, 1'ami parfait non-feulement fcait Sc contnoït pleinement la volonté de fon ami , Sc cela luimt pour en répondre , mais il la tient en fa t manche Sc lapoffede entiérement. Et ce qu'il ajoute :que fi Gracchus Peut voulu il 1'eüt fait, ce n'eft rien dit, celan'altere ni n'empire point fa première réponfe, qui eft de 1'affurance de la volonté de .Gracchus. Ceci eft des volontés Sc jugemens. ,2. Voyons des biens. Ils étoient trois amis (ce rmot trois heurtenos regies, Sc fait penfer que ce II. Partie. I Exemples.  I30 BE LA S A G E S 8 El n'étoit encore une amitié du tout parfaite) deux riches tk unpauvre chargé d'une mere vieille,& d'une fille a marier; celui - ci mourant fait fon teftament, par lequel il legue a un de fes amis de nourrir fa mere tk 1'entretenir ; tk a 1'autre de marier fa fille, tk lui donner le plus grand douaire qu'il pourra ; & avenant que 1'un d'eux vienne a défaillir, il fubftitue 1'autre. Le peuple fe moque de ce teftament , les héritiers 1'acceptent avec grand contentement, & chacun vient a jouir de fon légat, mais étant décédé cinq jours après celui qui avoit pris la mere; 1'autre furvivant tk demeurant univerfel héritier, entretint foigneufement la mere, tk dedans peu de jours il maria en même jour fa fille propre unique , tk celle qui lui avoit été léguée, leur départant par égales parts tout fon bien. Les fages felon la peinture fufdite ontjugé que le premier mourant s'étoit montré plus ami, plus libéral, faifant fes amis héritiers , tk leur donnant ce contentement de les employer a fon befoin. 3. De la vie , 1'hiftoire eft notoire de ces deux amis, dont 1'un étant condamné par ce tyran a mourir a certain jour & heure , demande ce délai de refte pour aller pourvoir k fes affaires domeftiques en baillant caution , le tyran lui ayant accordé k cette condition, que s'il ne fe repréfentoit au temps , fa caution fouffriroit le fupplice. Le prifonnier baille fon ami qui entre en prifon a cette condition ; tk le temps étant tenu , tk  Livre IU. ^T faml caution fe délibérant demourir, le condamné ne faillit de fe repréfenter. Dc quoi le tyran plus qu ebahi & délivrant tous les deux, les pria de le vouloir recevoir & adopter en leur amitié pour tiers. CHAPITRE VII. De la Foi, Fidélité, Perfidie, Secree. Tous , voire les perfides fcavent & confeffent que la foi eft le lien de la fociété humaine, fondement de toute juftice, & que fur-tout elle doit être religieufement obfervée. Nihil auguftiusfide, qu«<:*. Vent in te frater tuus, corripe Mum , &c. Tous ont quelquefois befoin de ce remede ; mais fur-tout ceux qui font en grande profpérité - t. Chofe excel ente. i. Utile a qui. car il eft trés-difficile d'être heureux Sc fage tout enfemble. Et les princes qui foutiennent une vie tant publique, ont a fournir k tant de chofes, ne voyent Sc n'entendent que par les yeux Sc les oreilles d'autrui; Sc tant de chofes leur font célées. Ils ont un extréme befoin d'être avertis 3  Livre II T. 137 : autrement ils courent grande fortune, ou ils font I bien fages. Ce bon office eft rendu de bien peu de gens; '■ il y faut, difent les fages, trois chofes, jugement i ou difcrétion , liberté courageufe, amitié 6c fïdé] lité. Elle s'affaiffonnent enfemble. Peu s'en mêlent ] par crainte de déplaire , ou faute de vraie amitié; i Sc de ceux qui s'en mêlent peu le ftpavent bien l faire. Or, s'il eft mal fait, comme une médecine i donnée mal a propos, bleffe fans profit tk produit j prefque le même effetavec douleur, que fait la ] flatterie avec plaifir. Eftre loué 5c être repris mal ; apropos, c'eft même bleffure Sc chofepareillemertt 1 laide a celui qui le fait. La vérité toute noble i qu'elle eft, fi n'a-t-elle pas ce privilege d'être ! employée a toute heure 8c en toute forte. Une jfainte remontrance peut bien être appliquée vi< cieufement. Les avis & précautions pour s'y bien gouverïner feront ceux-ci, s'entend ou il n'y a point (grande privauté , familiarité , confïdence ni d'auttorité 8c puiffance ; car en ces cas n'y a lieu de tgarder foigneufement ces regies fuivantes. 1. Obiferver le lieu tk le temps ; que ce ne foit en ttemps ni lieu de fête Scde grande joie , ce feroit c comme fon dit troubler toute la fête ; ni de t triftefTe & adverfité, ce feroit lors un tour d'hofti1 lité, vouloir achever du tout, & accab'er, c'eft Hors la faifon de fecourir 6c confoler. Crudelis in Rare , difficile ,dangereule. 4- Regies de Is vraie amomnitiofi.  138 DE LASAGESSE, re adverfa ob/urgatio. Damnare ejl objurgare, cum auxilio ejl opus. Le Roi Perfeus fe voyant ainfi traité par deux de fes familiers, les tua. 2. Non pour toutes fautes indifféremment, non pour les les légeres & petites , c'eft être ennuyeux Sc importun & trop ambitieux repreneur. L'on pourroit dire, il n'en veut ni pour les grandes Sc dangereufes ; lefquelles l'on fentaffez, & l'on s'en craint d'être en peine. II penferoit qu'on le guette. 3. Secrétement Sc non devant témoins, pour ne lui faire honte, comme il avint a un jeune homme qui recutfi grande honte étant repris de Pythagoras, qu'il s'en pendit; & Plutarque ettime que ce fut pour cela qu'Alexandre tua fon ami Clytus, de ce qu'il le reprenoit en compagnie ; mais principalement que ce ne foit devant ceux defquels 1'amonêtérequiert être approuvéck eftimé comme devant fa partie, en mariage devant fes enfans, fes difciples. 4. D'une naiveté Sc franchife fimple, nonchalante, fans aucun intérêt particulier ou émotion tant petite foit-elle. 5. Se comprendre en la faute Sc ufer de termes généraux, nous nous oublions, a quoi penfons-nous ? 6. Commencer par louanger & finir par offres de fervice Sc fecours, cela détrempefortl'aigreur de la correction, Sc la fait avaler plus doucement, telle chofe vous fied fort bien, non pas fi bien telle Sc telle. II y a bien a dire entre celles-la Sc celles-ci; l'on ne diroit jamais qu'elles fortent de même puvrier. 3- i.  Livre III. 139 7. Exprimer la faute par mots qui foient au-deflbus dt poids de mefure de la faute. Vous n'y avez pas du tDUt bien penfé, au lieu de dire vous avez mal fait: ne recevez point cette femme qui vous ruinera, au lieu de dire ne 1'appellez point car vous vous ruinez pour elle; ne difputez point avec tel, au lieu de dire ne lui portez point d'envie. 8. Après 1'amonition achevée ne s'en faut aller tout court, mais continuer d'entretenir par autres propos communs & plaifans. CHAPITRE X. De la Flatterie 3 Menurie & Dijjimulatlon '. F latterie efl: uh poifon très-dangereux a tous particuliers , & la prefque unique caufe de la ruine du prince 8c" de 1'état; eft pire que faux témoignage, lequel ne corrompt pas le juge, mais le trompe feulement, lui faifant donner méchante fentence contre fa volonté 8c" jugement; mais la flatterie corrompt le jugement, enchante 1'efprit, & le rend inhabile k plus connoitre la vérité. Et fi le prince eft une fois corrompu de flatterie , il faudra meshui que tous ceux qui font autour de lui, s'ils fe veulent fauver, foient flatteurs. C'eft une chofe donc autant pernicieufe comme la vérité eft excellente; car c'eft corruption de chofe perni- ï.' Flatterie chofe pernicieufe & vi' laine. 78.  MO DE LA S A G E S S E, la vérité. C'eft auffi un vilain vice d'ame lachejj baffe & belitreffe, auffi laid & méchant al'homme,t que 1'impudence a la femme. Ut matrona mcretrici difpar erit, atque difcolor infido fcurrx difiabit am'A cus. Auffi font comparés lesflatteurs auxputainsi empoifonneurs , vendeurs d'huile , quêteurs dej repues franches , aux loups; & dit un autre fagel qu'il vaudroit mieux tomber entre les corbeauxii que les flatteurs. II y a deux fortes de gens fujets a être flattési c'eft-a-dire, a qui ne manquent jamais gens quil leur fourniffent de cette marchandife , & qui auffiI aifément s'y laiffent prendre, fcavoir les princesl chez qui les marchands gagnent crédit par-la, &l les femmes; car il n'y a rien fi propre & ordinaire a corrompre la chafteté des femmes, que les paitre & entretenir de leurs louanges. La flatterie eft très-difficile a éviter & a s'en garder , non-feulement aux femmes a caufe de leur foibleffe, & de leur naturel plein de vanité, & amateur de louange; & aux princes a caufe que font leurs parens, amis, premiers officiers, & ceux dont ils ne fe peuvent paffer, qui font ce métier. Alexandre ce grand Roi & Philofophe ne s'en put défendre ; & n'y a aucun des privés qui ne fit pis que les Rois s'il étoit affiduellement effayé & corrompu par cette canaille de gens comme ils font; mais généralementa tous, d'autant qu'elle pft mal aifée a dégouvrir; car elle eft fi bien fardée 2. Spécialeaient a deux ?• ^ Dïftïcile k éviter & s'en girder.  Livre 111. 141 !& couverte du vifage d'amitié, qu'il eft mal aifé Idela difcerner. Elle en ufurpe les offices, en a davoix, en porte le nom tk le contrefait fi artificiellement que vous diriez que c'eft-elle. Elle :étudie d'agréer & complaire; elle honore tk loue; ;elle s'embefogne fort 5c fe remue pour le bien tk ifervice , s'accommode aux volontés tk humeurs : j iquoi plus; elle entreprend même le plus haut S8c plus propre point d'amitié, qui eft de montrer >i !8c reprendre librement. Bref le flatteur fe veut ii Idire tk montrer fupérieur en amour, tk k celui ï ]qu'il flatte. Mais au rebours n'y a rien plus conI traire a l'amitié que la médifance, 1'injure, 1'ini'i imitié toute ouverte ; c'eft la pefte tk le poifon { ;!de la vraie amitié; elle font du tout incompatibles, t 'non potes mejimulamlco & adulatore uti. Meilleurs [font les aigreurs tk pointures de 1'ami, que les J jbaifers du flatteur, mtlïora ruinera diligentis, quam r vofeula blandientls. 'l Parquoi pour ne s'y mécompter, voici par fa t wraie peinture les moyens de la bien reconnoitre £ ifk remarquer d'avec la vraie amitié. 1. La flatterie | eeft bientöt fuivie de 1'intérêt particulier, 6c en 1 ccela fe connoit : 1'ami ne cherche point le fien. ! iz. Le flatteur eft changeant 6c divers en fes jir'i fgemens; comme le miroir 6c la cire, qui recoit : Moutes formes; c'eft un caméleon , un polipus : | tfeignez de louer ou vitupérer 8c haïr , il en fera j ttout de même, fe pliant 6c accommodant felon Imite Sc re- fTemble Tami^ tié, mais c'eneftla pefte. 4- Peinture & antithefe dfe la flatterie Si amitié.  142. DE LA SAGESSE, qu'il connoïtra être en 1'ame du flatté. L'ami ero ferme tk conftant. 3. II fe porte trop ambitieufe4 ment tk chaudement en tout ce qu'il fait au fcuf & vu du flatté, a louer & s'offrir & fervir. 11 nel tient pas modération aux actions externes, tk au| contraire au dedans il n'a aucune affection, c'eft! tout au rebours de l'ami. 4. II cede & donnej toujours le haut bout & la vicfoire au flatté, &| lui applaudit n'ayant d'autre but que de plaire ,1 tellement qu'il loue tout &trop, voire quelquefois a fes dépens , fe blamant tk humiüant comme le luiteur qui fe baiffe pour mieux atterrer fon compagnon. L'ami va rondement, ne fe foucie s'il a le premier ou fecond lieu , & ne regarde pas tant a plaire comme d'être utile & profiter , foit-il doucement ou rudement, comme le bon médecin a fon malade pour le guérir. 5. II veut quelquefois ufurper la liberté de l'ami a reprendre; mais c'eft bien k gauche. Car il s'arrêtera k de petites tk légeres chofes , feignant n'en voir tk n'en fentir de plus grandes ; il fera le rude cenfeur contre les autres parens , ferviteurs du flatté de ce qu'ils ne font leur devoir envers lui: ou bien feindra d'avoir ehtendu quelques légeres accufations contre lui ; & être en grande peine d'en fcavoir la vérité de lui-même , tk venant le flatté a les nier ou s'en excufer , il prend de-la occafion de le louer plus fort. Je m'en ébahiffois bien , dira-t-il, tk ne le pouvois pas croire? car je vois  Livre 111. 143 le contraire ; comment prenclriez-vous de 1'autriri, vous donnez tout le votre, & ne vous fouciez d'en avoir. Or, bien fe fervira de repréhenfion pour davantage flatter, qu'il n'a pas affez de foin de foi, n'épargne pas affez fa perfonne fi requife au public , comme fit un Sénateur a Tybere en plein Sénat avec mauvaife odeur. 6. Bref j'acheverai par ce mot que l'ami toujours regarde , fert, procure tk pouffe a ce qui eft de la raifon , de 1'honnêteté tk du devoir, le flatteur a ce qui eft de Ia paffion , du plaifir, & qui eft ja malade en 1'ame du flatté. Dont eft inftrument propre a toutes chofes de volupté & débauche , tk non a ce qui eft honnête ou pénible tk dangereux, il femble le finge qui n'étant propre k aucun fervice, comme les autres animaux, pour fa part il fert de jouet & de rifée. A la flatterie eft fort conjoint tk allié le mentir, vice vilain ; dont difoit un ancien que c'étoit aux efclaves de mentir, tk aux libres de dire vérité. jQuelle plus grande lacheté que fe dédire de fa propre fcience ? Le premier trait de la corruption des mceurs eft le banniffement de vérité, comme au contraire dit Pindare ; être véritable eft le le commencement de grande vertu. Et pernicieux a la fociéié humaine. Nous ne fommes hommes, & ne nous tenons les uns aux autres, comme a été dit, fi elle nous faut. Certes le filence eft plus fociable queleparler faux. Si lemenfongen'avoit Du mert-Ir, falaideur & fon dommage  144 D E L A SagesseI qu'un vifage comme la vérité, encore y auroit-il quelque remede, car nous prendrions pour certain le contraire de ce que dit le menteur ; mais le revers de la vérité a cent mille figures & un charap indéfini. Le bien, c'eft-a-dire, la vertu & la vérité eft fini 6c certain, comme n'y a qu'une voie au blanc; le mal, c'eft-a-dire , le vice , Terreur tk le menfonge eft infini 6c incertain , car mille moyens a. fe dévoyer du blanc. Certes fi l'on connoifToit 1'horreur tk le poids du menfonge, l'on le pourfuivroit k fer 6c k feu. Et ceux qui ont en charge la jeuneffe devroient avec toute inftance empêcher tk combattre la nailfance & le progrès de ce vice , & puis de 1'opiniatreté, 6c de bonne heure ; car toujours croiffent. II y a une menterie couverte tk déguifée, qui eft la fantailie tk diffimulation ( qualité notable des courtifans , tenue en crédit parmi eux comme vertu) vice d'ame lache &baffe, fe déguifer,fe cacher lous un mafque , n'ofcr fe montrer 6c fe faire voir tel qu'on eft, c'eft une humeur couarde & fervile. Or, qui fait profeflion de ce beau métier, vit en grande peine, c'eft une grande inquiétude que c\e vouloir naroitre autre mie l'on rft. tk avoir 6. De la feintife 7. Sa clifficulté. 1'ceil k foi, pour la crainte que l'on a d'être découvert. Le foin de cacher Ion naturel eft une gêne , être découvert une confufion. II n'eft tel plaifir que vivre au naturel, vaut mieux être moins eftimé ,  Livre 111. 145 eftimé & vivre ouvertement, que d'avoir tant de peine a fe contrefaire, & tenir couvert: la franchife eft chofe fi belle & li noble. Mais c'eft un pauvre métier de ces gens, car la dilfimulation ne fe porte guere loin; elle eft tot découverte, felon le dire que les chofes feintes & violentes ne durent guere ; & le falaire k telles gens eft que l'on ne fe fie point en eux , ni ne les croit-on quand ils difent vérité; l'on tient pour apocryphe, voire pour piperie, tout ce qui vient d'eux. Or, d y a ici lieu de prudence & de médiocrité; car fi le naturel eft dirforme , vicieux & offenfif a autrui, il le faut contraindre, ou pour mieux dire,corriger. II y a dirférence entre vivrefran* chement & vivre nonchalamment. hem il ne faut toujours dire tout, c'eft fottife; mais ce que l'on ■ dit, faut qu'il foit tel que l'on penfe. II y a deux fortes de gens auxquels la feintife ieft excufable, voire aucunement requife, mais 1 ipour diverfes raifons , fcavoir; le prince pour ' iï'utilité publique, pour le bien & le repos fien i&de 1'état, comme a été dit ci-deffus. Et les t femmes pour la biemeance, car la liberté trop ifranche & hardie leur eft méiéante & gauchif k U'impudence. Les petits déguifemens, faire la petite tbouche, les figures & feintife , qui fentent a la [pudeur & modeftie, ne trompent perfonne que Hes fots , & leur flent fort bien, font la au fiege i7. Partie. S. Inutilité. Confeil fut ce. 1. arf. fi 10. Feintife bicnféante aux femmes.  Tacit. Senec. CHAPITRE IX. Du Bicnfait, Obligation & Reconnoijfance. L A fcience 8c matiere du bienfait 8c la reconnoi/fance de 1'obligation aftive Sc paffive, eft grande, de grand ufage 6c fort fubtile. C'eft en quoi nous faillons le plus : nous ne fcavons ni bien faire ni le reconnoitre. II femble que la grace tant le mérite que la reconnaiffance foit courvée, 6c la vengeance ou la méconnoiffance foit a gain, tant nous y fommes plus prompts 6c ardens. Gratia oneri ejl, ultio in qucejlu habctur ; altius injurice quam merita defcendunt. Nous parierons donc ici premiérement du mérite 6c bienfait, oii nous comprenons Phumanité, libéralité, aumönes, & leurs contraires, inhumanité, cruauté, 6c puis de 1'obligation, reconnoifTance & méconnoiffance 4 ingratitude 8c vengeance. 146 DE LA S A G E S S B, d'honneur. Mais c'eft chofe qu'il ne faut point être en peine de leur apprendre; car 1'hypocrifie eft naturelle en elles. Elles y font toutes formées , & s'en fervent par-tout 8c trop , vifage, vêteme'ns, paroles, contenances, rire , pleurer , 8c 1'exercent non-feulement envers leurs maris vivans, mais encore après leur mort. Elles feignent un grand dueil 6c fouvent au dedans rient. Jaclantius mcerent qua minus dolent.  Livre III. 147 Dieu, nature, & toute raifon nous convient a bien faire & mériter d'autrui ; Dieu par fon exemple & fon naturel, qid eft toute bonté; & ne fcaurions mieux imiter Dieu que par ce moyen, nulla re propius ad Dei naturani accedimus, quam beneficentia. Deus ejl mortahm Juecurrere mortali; Nature , témoin qu'un chacun fe delecte a voir celui a qui il a bienfait; c'eft fon femblable. Nihil tam Jecundiim naturam , quam jux are eonjortem naturm. C'eft 1'ceuvre de 1'homme de bien & généreux, de bien faire & mériter d'autrui, voire d'en chercher les occafions , libcralis etiam dandi caujas quatrit. Et dit-on que le bon fang ne peut mentir ni faillir au befoin C'eft grandeur de donner, petiteffe de prendre, beatiuse.fi dare quam aceipere. Qui donne fe fait honneur , fe rend maïtre du preneur ; qui prend fe ver.d. Qui premier, dit quelqu'un , a inventé les bienfaits , a forgé des ceps & manottes pour lier & captiver autrui; dont plufieurs ont refufé de prendre , pour ne bleffer leur liberté, fpécialement de ceux qu'ils ne vouloient aimer ni reconnoitre , comme porte le confeil des fages , ne prendre du méchant, pour ne lui être tenu. Céfar difoit qu'il n'arrivoit aucune voix a fes oreilles plus plaifante que prieres & demandes; c'eft le mot de grandeur, 1 demandes-moi , invoea me in die tribulationis ( (eruam te) & honorificabis me. C'eft auffi le plus i noble & honorable ufage de nos moyens, lefquels K ij 1. Exlioit.ition a bie f ire par diverfes raifons. Cic. Plin. Ambrof.  I4S DE LA S A Q E S S Ei cependant que les tenons & poffédons privément, portent des noms vils tk abjects, maifons, terres, deniers ; mais étant mis au jour, & employés au fecours d'autrui, font enncblis de titres nouveaux & illuftres, bienfaits, libéralités , magnificences. C'eft la meilleure& plus utile emploite qui foit, ars qucejluojifjtma, optlma negotiatio , par laquelle le principal eft bien affuré, tk le profit en eft trèsgrand. Et a vrai dire 1'homme n'a rien vraiment fien, que ce qu'il donne, car ce que l'on retient & garde fi ferré , fe gate , diminue tk échappe par tant d'accidens tk la mort enfin; mais ce qui eft donné , ne fe peut dépérir ou envieillir. Dont Mare Antoine abattu de la fortune, tk ne lui reftant plus que le droit de mourir, s'écria n'avoir plus rien que ce qu'il avoit donné, hoe kabeo quodcumque dedi. C'eft donc une trés-belle & noble chofe en tout fens, que cette douce, débonnaire & prompte volonté de bien faire k tous ; comme au contraire n'y a vice plus vilain & déteftable que la cruauté & contre nature, donc auffi eft appellée inhumanité. Laquelle vient de caufe contraire k celle du bienfait, fcavoir; de couardife & lacheté , comme a été dit. II y a deux facons de bien faire k autrui , en lui profltant & en lui plaifant: par le premier l'on eft admiré , eftimé ; pour le fecond l'on eft aimé tk. bien voulu. Le premier eft beaucoup meilleur, il regarde la néceffité tk le befoin, c'eft Cruanté. Voyez 1. I. c. 32. 1. Diflinftion /ec parade; le fait fort valoir ; le donne plus a foi & fon ambition , qu'a la néceflité & au bien du recevant. Item le dehors peut être incontinent ravi, évanoui, le dedans demeure ferme; laliberté, fanté, 1'honneur, qui vient d'être donné, peut-être tout k 1'infiant enlevé & emporte par un autre accident, le bienfait nonobftant demeure entier. Les avis pour fe conduire au bienfait leront ceux-ci, felon l'inftruétion des fages. Premiérement Kiij Le b'ic-nf; interne & externe. 4- _ Regies d bienfait. A qui.  IJO DE LA S A G E S S E , a qui ? k tous ? II femble que bien faire aux méchans tk indignes , c'eft faire tout en un coup plufieurs fautes, cela donne mauvais nom au donneur, entretient & échauffe la malice , rend ce qui appartient k la vertu tk au mérite, comme auffi au vice. Certes les graces libres tk favorables ne font dues qu'aux bons tk dignes; mais en la néceffité tk en la généralité tout eft commun. En ces deux cas les méchans 8c ingratsy ont part, s'ils font en néceffité, ou bien s'ils font tellement mêlts avec les bons, que les unsn'en puiffent avoir fans les autres. Car il vaut mieux bien faire aux indignes, a caufe des bons, que d'en priver les bons a caufe des méchans. Ainfi fait Dieu du bien k tous, pleuvant 8c élancant fes rayons indifféremment; Mais fes dons fpéciaux, il ne les donne qu'a ceux qu'il a choifis pour fiens ; non ejl bonum Jumere panem filiorum & projïcere canibus , multum refert utrum aliquem non exc'uJas an eligas. Au befoin donc en 1'afHiction tk néceffité il faut bien faire k tous, hominibus prodejje natura jubet; ubicumque homini beneficio locus. Nature tk humanité nous apprend de regarder, & nous prêter a ceux qui nous tendent les bras, tk non k ceux qui nous tournent le dos. A ceux plutöt k qui nouspouvons faire du bien qu'a ceux qui nous en peuvent faire. C'eft générofité fe mettre du parti battu de la fortune, pour fecourir les affligés , tk foufiraire autant de matiere a 1'orgueil 8c impétuofité du  Livre 111. 151 vittorieux, comme fit Chelonis, fille & femme de Roi, laquelle ayant fon pere tk fon mari mal enfemble, lorfque le mari eut le deffus contre fon pere, fit !a bonne fille fuivant &c fervant fon pere par-tout en fes afHictions ; puis venant la chance a tourner, tk fon pere étant le maïtre , fe tourna du cöté de fon mari, 1'accompagnant en toutes fes traverfes. En fecond lieu il faut bien faire volontiers,& gaiement, non ex triffuia aut neceffitate, hilarem datorem d'digit Deus : bis ejl gratum , quod opus ejl, ji ultro cff ras , fans fe laiffer prier ni prefler, autrement ce nefera point agréable: nemo lubenter debet quod non accipit, fed expreffit. Ce qui eft accordé a force de prieres eft bien cherement vendu; non tulit gratis, qui accipit togans , imb nihil charius emitur, quam quodprecibus. Celui qui prie s'humilie, fe confeffe inférieur, couvre fo . vifage de honte, honore grandement celui qu'il r r'.e : dont difoit Céfar après s'être défait de Pomp k, qu'il ne prêtoit plus volontiers 1'oreille , & ne fe plaifoit tant en aucune chofe,que d'être prié; tk k ces finsdonnoit efpérance k tous, voire aux ennemis qu'ils obtiendroient tout ce qu'ils demanderoient. Les graces font vêtues de robes tranfparentes tk defceintes, libres, non contraintes. Tot & promptement celui-ci femble dépendre du précédent, les bienfaits s'eftiment au prix de la volonté. Or, qui demeure long-temps k fecourir K iv i.Volont.crs 6. 3. Tot.  ÏJ2 DE LA S A G E S S E, Sc donner, femble avoir été long-temps fans le vouloir, qui tardèfecic, diu noluit. Comme au rebours la promptitude redouble le bienfait: bis dat, qui celeriter. La neutralité Sc 1'amufement qui fe fait ici, n'eft approuvé de perfonne que desaffronteurs. II faut ufer de diligence en tout cas. II y a donc ici cinq manieres de procéder , dont les trois fontréprouvées, refufer & tard, c'eft doublé injure; refufer tot & donner tard, font prefque tout un. Et y en a qui s'offenferoient moins de prompt refus : minus decipitur, cui negatur celeriter. C'eft donc le bon de donner töt, mais 1'excellent eft d'anticiper la demande, deviner la néceffité & le defir. Sans efpérance de reddition, c'eft oii git principalement la force Sc vertu du bienfait. Si c'eft vertu , elle n'eft point mercenaire: tune ejl virtus dare benejieia non reditura. Le bienfait eft moins richementaffigné ouyarétrogradation&réflexion; mais quand il n'y a point de lieu de revanche , voire l'on ne fcait d'oii vient le bien , la le bienfait eft juftement en fon luftre. Si l'on regarde a la pareille , l'on donner a tard & a peu. Or , il vaut beaucoup mieux renoncer a toutè pareille, que laiffer k bien faire Sc mériter; cherchant ce paiement étranger Sc accidental, l'on fe privé du naturel Sc vrai , qui eft la joie Sc gratifkatiön interne d'avoir bien fait. Auffi ne faut-il être prié deux fois d'une même chofe ; faire injure eft de 7- . Sans efpérance de reddition.  Livre III. 153 ! Foi vilain Sc abominabe , Sc n'y faut autre chofe pour s'en garder. Auffi bien mériter d'autrui, eft beau Sc noble , Sc ne faut autre chofe pour s'y léchauffer. Eten unmot, ce n'eft pas bien faire, fi l'on regarde a la pareille, c'eft trafïquer & mettre ; a profit: non ejl benejiciurn quod in qucejlum mittitur. III ne faut pas confond, e Sc mêler les acfions tant dii verfes : demus benejicia, non fieneremus. Telsméritent bien d'être trompés qui s'y attendent; dignus .decipi, qui de recipiendo cogitavit, cum daret. Celle n'eft femme de bien, qui pour mieux rappeller \Sc réchauffer, ou par crainte refufe, quce quianon ' licuit non dedit, ipfa dedit. Auffi ne mérite celui :qui fait bien pour ler'avoir. Les graces fontvierges^ [fans efpérance de retour, dit Hefiode. Bien faire.a la facon que defire Sc qui vient b gré a celui qui recoit, afin qu'il connoiffe Sc ffente que c'eft vraiment a lui que l'on 1'a fait. 5Sur quoi eft k fcavoir qu'il y a doublés bienfaits; lies uns font honorables k celui qui les recoit, dont iils fe doivent faire en public; les autres utiles tqui fecourent k 1'indigence, foibleffe, honte Sc i autre néceffité du recevant. Ceux-ci fe doivent ffaire fecrettement, voire s'il eft befoin que celui ifeul le fcache qui le recoit, & s'il fert au recevant od'ignorer d'oii le bien vient ( pource que peut-être lil eft touché de honte, qui 1'empêcheroit de prendre eencore qu'il en eüt befoin. ) II eft bon & expédient i!de lui céler Sc lui faire couler le bien Sc fecours 3. 6. Au defir :!u recevant.  IJ4 D E L A SAGESSEy par fous main. C'eft affez que le bienfaiteur le • fcache, & fa confcience lui ferve de témoin qui i en vaut mille. Sans léfion ou office d'autrui, & fans préjudice : de juftice ; ck bien faire fans mal faire. 7. donner • 1'un aux dépens de 1'autre , c'eft facrifier le fils en 1 la préfence du pere , dit le fage. Et prudemment, l'on eft quelquefois bien em- < pêché de répondre aux demandes & prieres, a 1 les accorder ou refufer. Cette difficulté vient du u mauvais naturel de 1'homme, mêmement du de- • manleur, qui fe fache par trop de fouffrir un refus, J tant jufte foit-il & tant doux. C'eft pourquoi 1 aucuns accordent & promettent tout, témoignage | de foibleffe, voire ne pouvant, ou qui pis eft ,, ne voulant tenir & remettant k vuider la difficulté au point de 1'exécution, ils fe fient que plufieurs : chofes arri ver ont qui pourront empêcher & trou- ■ bier 1'effet de la promeffe, & ainfi délivrer le : prometteur de fon obligation; ou bien étant queftion . de tenir , l'on trouvera des excufes & des échapa- • toires, & cependant contentent pour 1'heure le 1 demandeur. Mais tout cela eft réprouvé; il ne | faut accorder ni promettre que ce que l'on peut^ J doit & veut tenir. Et fe trouvant entre ces deux dangers de mal promettre , car il eft ou injufte on indigne & méféant, ou faire un refus qui irritera Sc" caufera quelque fédition ou ruine , f avis eft de rompre le coup, ou en düayant la réponfe , ou | Sans demérite aucun.  Livre III. 155 ;bien compofant tel'ement la promeffe en termes ! généraux ou ambigus , qu'elle n'oblige point iprécifément. II y a icifubtilité tk fineffe, élolgnée !de la franchife, mais 1'injuftice du demandeur en :eft caufe ik le mérite. D'un cceur humain tk affect ion cordiale, homo fum, humani a me nihil alienum puto. Specialement :envers les affligés & indigens, c'eft ce qu'on appelle imiféricorde. Ccuxquin'ont cette affection, immamsy ifont inhumains tk marqués pour n'être des bons ik llus. Mais c'eft d'une forte , ferme ik généreufe, •&c non d'une molle, efféminée tk troublée. C'eft une ipaffion vicieufe tk qui peut tomber en méchante ame, de laquelle il eft parlé en fon lieu; car il y a bonne tk mauvaife miféricorde. Ilfaut fecourir aux affligés, fans s'affliger tk adapter a foi le mal [d'autrui, n'y rien ravaler de ia juftice & digaité ; car Dieu dit qu'il ne faut point avoir pitte du ipauvre en jugement; amfi Dieu & les faiots font Idits miféricordieux &C pitoyables. Sans fe jatter, en faire fête ni brult, c'eft efpece 1de reproche ; ces yanteries ötcnt tant la grace, voire décrient odieux les bienfaits, hoe ejl in odium beneficia perducere. C'eft en ce fens qvi'il eft dit que de bienfaiteur doit oublier les bienfaits. Continuer & par ncuveaux bienfaits confirmer & vajeunir les vieux (cela convie tout lemende h 1'aimer & rechercher fon amitié ) tk jamais ne fe repentir des vieux, quoiqu'on fente avoir femé ir. S.D'unefprlt d'humiiiiité. II. 9. Sans jactance. tl- 10 Conti-. ni'er fans fe repentir.  II. Ni revo éloignée dn mari elle doit être comme invifible , & au rebours de la lune ne paroitre point, tk prés de fon foleil paroitre. 5. Demeurer enfilence & ne parler qu'avec fon mari, ou pour fon mari; tk pource que c'eft chofe rare tk cïïPRci 1p mip la fpmmo filpnr-ionfo Eccl. 16. Avis fur l'accointance privée des mariés. Plutarq. in Solone. v Liituuicicuc ut umixi ie que ia leiume niencieuie, elle eft dite undon de Dieu précieux. 6. Vaquer & étudier a la ménagerie, c'eft la plus utile tk honorable fcience tk occupation de la femme, c'eft fa maïtrelfe qualité , tk qu'on doit en mariage chercher principalement en fortune ; c'eft le feul douaire qui ferta ruiner ou a fauver les maifons, mais elle eft rare. II y en a d'avaricieufes, mais de ménageres peu. Or, il y a bien a dire des deux. De menagerie tót aptès a part. En 1'accointance & üfage de mariage, il faut de la modération, c'eft une religieufe tk dévote liaifon : voila pourquoi le plaifir qu'on en tire doit être mêlé k quelque févérité, une volupté prudente & confciencieufe. II faut toucher fa femme févérement& pour 1'honnêteté , comme dit eft, & de peur comme dit Ariftote , qu'en la chatouillant trop lachement, le plaifir ne la faffe fortir des gonds de la raifon, tk pour la fanté; car le plaifir trop chaud tk affidu altere la fémence, tk empêche la génération. Afin d'autre part qu'elle ne foit trop languiifante , morfondue & ftérile, il s'y faut préfenter rarement. Solon 1'a taillé k trois fois le mois, il ne s'y peut donner loi; ni regie certaine. L iij  169 DB LA SAGESSB, La doftri ne de la menagerie fuit volontiers , &eftannexée au mariage. CHAP1TRE XIII. Menagerie. L A menagerie eft une belle , jufte & utile occupation. C'eft chofe heureufe , dit Platon , de faire fes affaires particuliers fans injuftice. II n'y a rien fi beau qu'un ménage bien réglé , bien paifible. C'eft une occupation qui n'eft pas difficile, qui fera capable d'autre chofe , le fera de celle-'a; mais elle eft empêchante, pénible , épineufe, a caufe d'un fi grand nombre d'affaires, lefquels bien qu'ils foient petits & mcnus, toutefois pource qu'ils font drus , épais & fréquens , fachent & ennuyent. Les épines domeftiques piquent, pource qu'elles font ordinaiies; mais fi elles viennent des perfonnes principales de la familie , elles rongent, ulcerent & font irremédiables. Avoir k qui fe fier & fur qui fe repofer, c'eft un grand féjour Sc moyen propre pour yivre a fon aife ; il le faut choifir loyal &C entier, comme l'on peut, & puis 1'obliger k bien faire par une grande confiance: habita fides ipfam obligat fidem: multi fialhre docuerunt, dum timent falli; & aliis jus pzccandi, fujpicando dederunt. 1. a.  Livre III. 167 Les préceptes & avis cle menagerie'principaux font ceux - ci: 1. Acheter & dépendre toutes chofes en temps tk faifon, elles font meilleures & k meilleur prix. i. Garder que les chofes qui font en la maifon ne fe gatent & périffent ou fe perdent tk s'emportent. Ceci eft principalemet a la femme, k laquelle Ariftote donne par préciput cette autorité tk ce foin. 3. Pourvoir premiérement & principalement k ces trois, néceflité, netteté , ordre ; tk puis s'il y a moyen, l'on avifera k ces trois autres ( mais les Sages ne s'en donneront pas grande peine : non ampliter fed munditer ccnvivium ; plus quam fumptui) Abondance, pompe tk parade, exquife & riche fi.con. Le contraire fe pratique fouvent aux bonnes maifons , oii y aura litsgarnisde foie, pourfilés d'or , & n'y aura qu'une couverture fimple en hiver, fans aucune commodité dc cc qui eft le plus néceffaire. Ainfi de tout le refte. Régler fa dépenfe, ce qui fikt en ötant le fuperflu, fans faillir k la ncccilitc, devoir & bienféance ; un ducat en la bourfe fait plus d'honneur que dix mal dépendus, difoit quelqu'un. Puis , mais c'efl 1'induflrie tk la fuffifance, faire même dépenfe a moindre frais , & fur-tout ne dépendre jamais fur le gain avenir tk efpéré. Avoir le foin 6k: 1'ceil fur tout; la vigilance tk préfence du maitre, dit le proverbe, engraiffe le cheval & la terre. Mais pour le moins le maitre L iv 4. 6.  ï<58 DE LA S A G E S S Ei Sc la maitreffe doivent céler leur ignorance & infuffifance aux affaires de la maifon , Sc encore plusleur nonchalance , faifant mine de s'y entendre & d'y penfer; car fi les officiers & valets croyent que l'on ne s'en foucie, ils en feront de belles. CHAPITRE XIV. Devoir des Parens & Enfans. L E devoir Sc obligation des parens Sc enfans eft réciproque Sc réciproquement naturelle ; fi celle des enfans eft plus étroite, celle des parens eft plus ancienne , étant les parens premiers auteurs Sc la caufe, Sc plus importante au public ; car pour le peupler Sc garnir de gens de bien Sc bons citoyens, eft néceffaire la culture & bonne nour riture de la jeuneffe, qui eft la femence de la république. Et ne vient point tant de mal au Public de 1'ingratitude des enfans envers leurs parens , comme de la nonchalance des parens en 1'inftrucfion des enfans; dont avec grande raifon en Lacédémone, & autres bonnes polices, y avoit punition Sc amende contre les parens, quand leurs enfansétoientmal complexionnés. Et difoit Platon, qu'il ne fcavoit point en quoi Phomme dut apporter plus de foin Sc de diligence qu'a faire un bon fils. Et Crates s'écrioit en colere, a quel propos tant de foin d'amaffer des biens Sc ne fe  Li v re' 11L 169 foucier a qui les laiffer? C'eft comme fe foucier du fculier & non de fon pied. Pourquoi des biens a un qui n'eft pas fage , & n'en fcait ufer ? Comme une belle bi riche felle fur un mauvais cheval. Les parens font donc doublement obligés a ce devoir , & pource que ce font leurs enfans , & pource quecefont les plantes tendres & 1'efpérance de la répubhque; c'eft cultiver fa te,re & celle du public enfemble. Or , c'eft 1'office k quatre parties fucceffives , felon les quatre biens que 1'enfant doit recevoir fucceffivement de fes parens , la vie & la nourriture, i'inftrucf ion, la communication. La première regarde le temps que 1'enfant eft au ventre jufques a la fortie inclufivement; la feconde le temps de 1'enfance au berceau , jufques a ce qu'il fcache marcher & parler ; la tiercé toute la jeuneffe; cette partie fera plus au long & férieufement traitée; la quatrieme eft de leur affection, communication & comportement envers leurs enfans ja hommes faits , touchant les biens, penfées , deffeins. La première qui regarde la génération & portee au ventre n'eft pas eftimée &c obfervée avec telle diligence qu'elle doit, combien qu'elle ait autant ou plus de part au bien & mal des enfans, tant de leurs corps que de leurs efprits ; que 1'éducation & inftrutiion après qu'ils font nés & grandelets. Ceft-elle qui donne la fubftance, la trempe, i. Divifion de 1'office des parens» Première partie, 1'office desparens.  1JO DE LA S A G E S S E, le temperamment,le naturel; 1'autre eft artificiële & acquife, & s'il fe commet faute en cette premien partie, la feconde, ni la troifieme ne la réparera; pas non plus que la faute en la première concocïion de I'eftomac ne fe rabille pas en la feconde ni troifieme. Nos hommes vont a Pétourdie k ce.1 accouplage, poufies par la feule volonté & envie de fe décharger de ce qui les chatouille & les preffe, s'il en avient conception, c'eft rencontre , c'efl cas fortuit; perfonne n'y va d'aguet & avec telle déhberation & difpofition précédente, comme il faut& que nature requiert. Puifque donc les hommes fe font k 1'avanture & k 1'hafard, ce n'eft merveilles fi tant rarement il s'en trouve de beaux, bons, fains, fages & bien faits. Voici donc bien briévement felon la Philofophie, les avis particuliers fur cette première partie, c'efta-dire , pour faire des enfans males, fains, fages & avifés; car ce qui fert k 1'une de ces chofes, fert aux autres. i. L'homme s'accouplera de femme qui ne foit de vile , vilaine & lache condition, ni de mauvaife &C vicieufe compofition corporelle. 2. S'abfiiendra de cette acfion & copulation fept Ou huit jours. 3. Durant lefquels fe nourriffant de bonnes viandes plus chaudes & feches qu'autrement, & qui fe cuifent bien en I'eftomac. 4. Faffe i'exercice peu plus que médiocre. Tout ceci tend k ce que la femence foit bien cuite & affaifonnée;, chaude & feche, propre k un  Livre 11T. 171 I temperamment male , fair. & fage. Les fainéans , llaicifs , grands mangeurs, qui pource mal cuiient; Ine font quefilles ou hommes efféminés & laches. l( comme raconte Hippocrates des Scythes ) 5. Et feapprpcherdefa partie avertie d'en faire tout da ■kiême, lo~.g-temps après le repas ; c'eft-a-dire , Uc ventre vuide tk k jeun (car le ventre plein ine fait rien qui vaille pour 1'efprit ni pour le < corps ) dont Diogenes reprocha k un jeune homme (débauché, que fon pere 1'avoit planté étant ivre. lEt laloidesCarthag'noiseft louée de Platon, qui i enjoint s'abftenir de vin le jour que l'on s'approche (de fa femme) 6. Et loin des mois de la femme, ifix ou fept jours devant & autant ou plus après. ■7. Et fur 'e point de la conception tk rétention (des femences , elle fe tournant 6c ramaffant du j tcóté droit fe tienne k recoi quelque temps. 8. Les iquel reglement touchant les yiandes tk 1'cxefcice 1 ife doit continuer par la mere durant le temps de Ha portée. Pour venir au fecor.d point de eet office, après 1 Ha raiffance de 1'enfant, ces quatre points s'ob' iferveront. 1. L'enfant fera lavé d'eau chaude tk ! ifalée , pour rendre enfemble föupies tk fermesles ; 1 membres, effuyer& deffécher la chair & le cer1 'veau, affermïr les nerfs , coutume trés - bonne ■ td'orient tk des Juifs. x. La nourrice, fi elle eft: Ik choifir, foit jeune, de tempéramment le moins I froid tk humide qui fe pourra, nourrie k lapeine, ..2. de legt 2 partie 1'office des pan* hj. Èfec. 6.  Au!. Geil. 1. I2,i', I. Galen, multis I*j>. Homer 10. lliad ECu. 7. ï72 de la Sagesse; k coucherdur, manger peu, endurcie au fröïl & au chaud. Fai dit, fi elle eft a choifir; car felon, raifon & tous les fages, ce doit être la mere; dont ils crientfort contre elle quand elle ne prend cette charge, y étant conviée & comme obligéa par nature , qui lui apprête k ces fins le lait auxs mammelles, par 1'exemple des bêtes, par 1'amour &C( jaloufie qu'elle doit avoir de fespetits, quirecoiventt untrès-grand dommageau changement de 1'alimentt jaaccoutumé en un étranger , & peut-ê.re tresmauvais & d'un tempéramment tout contraire' au premier; dont elles ne font meres qu'a demi., Quod eft contra naturutn Imperfectum, ac dimidiatum 1 matris genus peperljfe ,&ftatlm a fe abjeclffe , alulffe \ utero fangulnefuo nefcio quld quod non videret ; non alere autem nunc fuo lacte , quod vldeat jam vlventem , jam hominem jam matris officia implorantem. 3. La nourriture outre la mamelle foit lait de chevre, ou plutöt beurre, plus fubtile &aërée partie du lait,cuit avec miel & un peu de fel. Ce font chofes tres-propres pour le corps èc pour VHprit par 1'avis de tous les fages &c grands médccins Grccs & Hcbreux. Butyrum &melcomedet, ut fiat reprobare ma:'urn, & eligere honum. La qualité du lait ou beurre eft fort tem- peree öc de bonne nourriture, la ficcité du miel & du fel confommc l'humiditc trop grande du cerveau & le difpofe kh fagcffe. 4. L'enfant foit peu-a-peu accoutumé & endurci k 1'air, au chaud  Livre 111. 173 & au froicl, & nt faut craindre en cela, vu qu'en leptentrion ils lavent bien leurs enfans fortant du ventre dü la mere en eau froide, &c ne s'en trouvent pas mal. Les deux premières parties de 1'office des parens ont été bientöt expédiées; par oü il paroit que leur ne font vrais peres qui n'apportent le foin, laffeétion & la diligence a ces chofes fufdites; *Lii font caufe ou occafion, par nonchalance ou nitrementjde la mrrt ou avortement de leurs ■tifans, qui les expofent étant nés , dont ils font orivé par les loix yfla puhTance paternelle. Et ies enfans ala honte des parens demeurentefclaves de ceux qui les enlevent & nourriffent, qui n'ont foin de les élever tk préferver du feu, de Peau &: tout encombre. La troifieme partie, qui eft de 1'inftrudtion, "era plus férieufement traitée. Si-töt que eet enfant marchant tk parlant commencera k remuer fon Éne avec le corps, tk que les facultés d'icelle 6. 3 Partie de 1'office des pareus. Inftrnclion combien importante. » OUVrixuiU. tx. ucvenjpptri um ia uicinunc, i iiijci- igination , ratiocination qui fert k quatre ou cinq ans, il faut avoir un grand foin & attention k la bien former; car cette première teinture ik liqueur de laquelle fera imbue cette ame, aura une trèsigrande puiffance. II ne peut dire combien peut cette première impreffion & formation de la-jeu» neffe, jufques k vaincre la nature même. Nourriture lit-on , paffe nature , Lycurgue le fit voir k tout  174 d e laSagesse, le monde par deux petits chiens de même ventréej mais diverfement nourris , produits en public i auxquels ayant préfenté des foupes 8c un petilt lievre , le nourri mollement en la maifon s'arrête a la foupe, 8c le nourri a la chaffe quittant h foupe courut après le lievre, La force de cette inftruftion vient de ce qu'elle y entre facilemem 6c difficilement fort. Car y entrant la première y prend telle place 6c créance que l'on veut t n'y en ayant point d'autre précédente qui la lu contefte ou difpute. Cette ame donc toute neuvn 6c blanche, tendre 6c molle recoit fort aifémeri' le plis 6c 1'impreffion que l'on lui veut donner 6c puis ne le perd aiiément. Or, ce n'eft pas petite befogne que celle-ci, 8 ofe l'on dire la plus difficile 6c importante qu] foit. Qui ne voit qu'en un état tout dépend d la ? toutefois ('6c c'eft la plus notable, pernieieufe! facbeufe& deplorable faute qui foit en nos police remarquée par Ariftote& Plutarque) nousvoyon que la conduite 6c difcipline de la jeunefTe eft d tous abandonnée k la charge des parens , qi qu'ils foient, fouvent nonchalans , fols , 6c 1 public n'y veille ni ne s'en loucie point; 8c potu quoi tout va mal. Prefque es feules polices Lacé démonienne 6c Crétenfe ont commis aux loix 1 difcipline de 1'enfance. La plus belle difcipline d monde pour la jeunefTe étoit la Spartaine, dor Agefilaus convioit Xenophon a y envoyer fe Quint. 7'  L i r r £ III, IJ75 enfans ; car on y apprend, dit-on, la plus belle ilcience du monde, qui eft de bien commander >& de bien obéir , & oü Ton forge les bons Lé;giflateurs , Empereurs d'armées, Magiftrats , ciitoyens. Ils avoient cette jeunefTe & leur inftrucf ion en recommandation fur toutes chofes, dont Antipater leur demandant cinquante enfans ponr pages, ils dirent qu'ils airnoient mieux deux fois autant d'hommes faits. Or, avant entrer en cette matiere, je veux Idonner ici un avertiffement de poids : il y en ia qui travaillent fort a découvrir leurs inclinations i& a quoi ils feront propres. Mais c'eft chofe ifi tendre, obfcure & incertaine qu'a chaque fois Ton fe trouve trompé après avoir fort dépendu ï& travaillé. Parquoi fans s'arrêter k ces foibles & légeres divinations & pronoftiques tirées des imouvemens de leur enfance, il faut leur donner mne inftruöion univerfellement bonne & utile , ipar laquelle ils deviennent capables , prêts & Idifpofés k tout. C'eft travailler a 1'affuré, & faire :ce qu'il faut toujours faire ; ce fera une teinture >bonne k recevoir toutes les autres. s. 9- Divifion Voyezle 1, c. 9. 4. Partie rilt devoir des parens.  Amours des parens plus fort que celui des enfans , pourquoi. 204 DE LA S A G E S S El k ce qu'elle foit reglée. Nous fcavons que 1'affecTïorl eft réciproque & naturelle entre les parens & les enfans; mais elle eft plus forte tk plus naturelle des parens aux enfans. nource mi'il Pf> An„„A a„ r „ ""«"•■) puuuc Ljuii eir aonne de la nature allant en avant, pouffant & avancant la vie du monde & fa durée. Celui des enfans aux peres eft k reculons, dont il ne marche fi fort ne fi naturellement ; tk femble plutöt être payement de dette & reconnoiffance du bienfait que purement un libre, fimple & naturel amour. Davantage celui qui donne & fait du bien , aime plus que celui qui recoit tk doit. Dont le pere tk tout ouvrier aime plus qu'il n'eft aimé. Les raifons de cette propofition font plufieurs. Tous aiment d'être ( lequel s'exerce tk fe montre au mouvement tk en 1'acfion). Or, celui qui donne tk fait bien a autrui , eft aucunement en celui qui recoit. Qui donne & fait bien a autrui, exerce. chofe honnête tk noble; qui recoit n'en fait point; 1'honnête eft pour le premier, 1'utile pourle fecond. Or, 1'honnête eft beaucoup plus digne,ferme, ftable , aimable, que 1'utile quis'évanouit. Item les chofes font plus aimées qui plus nous coütent: plus eft cher ce qui eft plus cher. Or, engendrer, nourrir, élever, coüteplus que recevoirtout cela. Or, eet amour des parens eft doublé, bien que toujours naturel, mais diverfement; 1'un eft fmr plement tk univerfellement naturel, tk comme un fimple inftinft qui fe trouve aux bêtes , felon •36. Paternel doublé.  Livre III. 105 lequel les parens aiment tk chériffent leurs petits encore bégayans, trépignans tk tettans, & en ufent comme de jouets tk petits finges. Cet amour n'eft [point vraiement humain. L'homme pourvu de iraifon ne doit point fi fervilement s'affujettir k I la nature , comme les bêtes. Mais plus noblement !la fuivre avec difcours tk raifon. L'autre donc i eft plus humain tk. raifonnable , par lequel l'on ; aime les enfans plus ou moins, k mefure que l'on y voit furgir & bourgeonner les femences tk 1 étincelles de vertu , bonté, habilité. 11 y en a qui icoiffés& tranfportés au premier ont peu de celui1 ci, tk n'ayant point plaint la dépenfe tant que 1 les enfans ont été fort petits, la plaignent quand i ils deviennent grands & profitent. II femble qu'ils O 1 ± I portent envie tk font dépités de ce qu'ils croiffent, is'avancent tk fe font honnêtes gens; peres bru1 taux tk inhumains! Or , felon ce fecond vrai tk paternel amour ien le bien réglant , les parens doivent recevoir 1 leurs enfans, s'ils en font capables , k la focieté < tk partage des biens, k 1'intelligence , confeil tk 17- Du vrai amour paternel recevoir fes enfans grands en communication. ; traite des attaires domeftiques , tk encore a la 1 communication des deffeins , opinions tk penfées, ' voire confentir & contribuer k leurs honnêtes (ébats & paffe-temps, felon que le cas le requiert, 1 réfervant toujours fon rang tk autorité. Parquoi 1 nous condamnons cette trogne auftere , magittrale «& impérieufe de ceux qui ne regardent jamais  10Ö DE LA S A G E S S E, leurs enfans, ne leur parient qu'avec autorité, ne veulent être appellés leurs peres, mais feigneurs, bien que Dieu ne reiüfe point ce nom de pere , ne fe foucient d'être aimés co'dialement d'eux, mais craints , redoutés , adorés. Et k ces fins leur donne chichement, & les tiennent en néceflité , pour par-la les contenir en crainte & obéiftance, les menacent de leur faire petite part en leur difpofition teftamentaire. Or , ceci eft une fotet, vaine tk ridicule farce; c'eft fe défier de fon autorité propre, vraie tk naturelle, pour en acquérir une artificielle. C'eft fe faire moquer tk défeftimer, qui eft tout le rebours de ce qu'ils prétendent. C'eft convier les enfans a finement fe porter avec eux, tk confpirer k les tromper tk amufer. Les parens doivent de bonne heure avoir réglé leurs ames au devoir par la raifon , non avoir recours k ces moyens plus tyranniques quepaternels. Errat longe , med quidem fenterztld, Qui imperium credit ejfe gravius aut Jlabilius Ut quodjit, quam Mud quod amicitia adjungitur. En la difpenfation derniere des biens, le meilleur Sc plus fain eft de fuivre les loix tk coutumes du païs. Les loix y ont mieux penfé que nous, tk vaut mieux les laiffer faillir, que nous hafarder de faillir en notre propre choix. C'eft abufer de la liberté que nous y avons , que d'en fervir nos petites fantaifies, frivoles tk privées paflions» Les tcaitn aux teüamens fcionlci loix.  Livre lil. 207 :comme ceux qui fe laiffent emporter a des récentes acTions officieufes ; aux flatteries de ceux qui font préfens, qui fe jouent de leurs teftamens , a gratifier ou chatier les actions de ceux qui y prétendent intérêt, & de loin promettent ou menacent ide ce coup, folie. II fe faut tenir a la raifon 8c :obfervance publique, qui eft plus fage que nous, x'eft le plus sur. Venons maintenant au devoir des enfans aux parens, fi naturel, fi religieux , & qui leur doit :être rendu non point comme a hommes purs 8c fimples, mais comme k demi-Dieux; Dieux terreins, mortels , vifibles. Voila pourquoi Philon , Juif, ia dit que le commandement du devoir des enfans :étoit écrit moitié en la première table , qui contenoit les commandemens qui regardent le droit ide Dieu, 8c moitié en la feconde table, ou font les commandemens qui regardent le prochain, comme étant moitié divin 8c moitié humain. Auffi eft-ce un devoir fi certain , fi étroitement dü 8c requis, qu'il ne peut être difpenfé ni vaincu par tout autre devoir ni amour, encore qu'il foit plus igrand, car avenant qu'un ait fon pere & fon fifils en même peine Sc danger, 8c qu'il ne puiffe 'fecourir a tous deux, il faut qu'il aille su pere, ïencore qu'il aime plus fon fïls, comme a été dit ciJdeffus. Et la raifon eft que la dette du fils au pere ttü plus ancienne 8c plus privilégiée, 8c ne peut être aabfous 8c effacé par uae fuivante dette. 39- Du devoir des enfans aux parens.  40- Lequel confifie eu cinq puints. Hierem. 35. In examer. Levitit.Job. 30. aoc? DE LA SAGESSEÏ Or, ce devoir confifte en cinq points compris li fous ce mot d'honorer fes parens ; le premier eft I: la révérence, non-feulement externes en geftes Sc 1 contenances, mais encore plus internes, qui eft i: une fainte &C haute opinion tk eftimation, que I 1'enfant doit avoir de fes parens comme auteurs, I caufe tk origine de Ion être Sc de fon bien, I qualité qui les fait reffembler a Dieu. Le fecond eft obéiffance, voire aux plus rudes I Sc difficiles mandemens du pere, comme porte 1'exemples des Rechabites, qui, pour obéir au pere , fe priverent de boire vin toute leur vie: Sc Ifaac ne fit difficulté cle tendre le cou au glaive de fon pere. Le tiers eft de fecourir aux parens en tout befoin, les nourrir en leur vieilleffe, impuiflance, néceffité , les fecourir Sc afTifter dans toutes leurs affaires. Nous avonsexemple Sc patron de cela aux bêtes; en la cicogne, comme St. Bafile fait tant valoir. Les petits cicogneaux nourriffent leurs parens vieils, les couvrent de leurs plumes lorfqu'elles leur tombent, ils s'accouplent Sc ie joignent pour les porter fur leur dos. L'arhour leur fourniffant eet art. Cet exemple eft fi vif Sc expres que le devoir des enfans aux parens a été fignifié par le fait de cette béte , reciconare. Et les Hebreux appellent cette béte a caufe de ceci chajïda, c'eft-a-dire, la débonnaire, la charitable. Nous en avons auffi des exemples notables en 1'humanité. Cymon, fils de ce grand Miltiades,  LlVKE iii. ïq9 Miltiades, ayant fon pere trépaffé en prifon & n'ayant de quoi 1'enterrer ( aucuns difent que c etoit pour payer les dettes, poar lefquelles l'on ne vouloit laiffer emporter le corps , felon le ftyle des anciens) fe vendit 6c fa liberté , pour desdeniersprovenans,être pourvu èfa fépulture! II ne fecoururpas fon pere de fon abondance ni de fon bien, mais de fa liberté, qui eft plus chere que tous les biens & la vie. II ne fecourut pas fon pere vivant & en néceffité , mais mort & p etant plus pere ni hommê. Qu'eüt-il fait pour fecourir fon pere vivant, indigent, le requérant de fecours ? Cetexemple eft riche. Au fexe foible des femmes nous avons deux pareils exemples de Blies, qui ont nourri & allaité, 1'une fon pere (J autre fa mere, prifonniers & condamnés k périr i de faim, punition ordinaire aux anciens. II femb'e ■ aucunement contre nature, que la mere foit nourrie 'de lait de la fille, mais c'eft bien felon nature ' voire de fes premières loix que la fille nourriffe ifa mere. Le quatrieme eft de ne rien faire, remuer .entreprendre , qui foit de poids , fans 1'avis, con' ifentement 6c approbation des parens, fur-tout en ifon mariage. . Le dncPlJe™ eft de fupporter doucement les mees .mperfeöions, aigreur, chagrin des parens, leur fevente & rigueur. Manlius Ie pratiqua ben ccar ayant le Tribun Pompcnius accufé le pere de ii. Partie, q  !IO DE LA S A G E S S E, ce Manlius envers le peuple de plufieurs fautes, j & entre autres, qu'il traitoit trop rudement fon 1 fits, lui faifant même labourer la terre: le fils i alla trouver le Tribun en fon lit, & lui mettant t le couteau a la gorge , lui fit jurer qu'il défifteroit t de la pour-uite qu'il faifoit contre fon pere, aimant t mieux fouffrir la rigueur de fon pere , que de le j voir pourfifivi de cela. L'enfant ne trouvera difficulté en tous ces cinq: devoirs, s'il confidere ce qu'il a coüté a fes parens,, tk de quel foin tk affection il a été élevé. Maisii il ne le fcaura jamais bien jufqu'A ce qu'il ait des: des enfans , comme celui qui fut trouvé a chevau- v chons fur un baton fe jouant avec fes enfans , pria celui qui 1'y furprit de n'en rien dire jufques j. a ce qu'il tut pere lui-même, eftimant que juf-| qu'alors il ne feroit juge équitable de cette acfion.it CHAPITRE XV. Devoirs des Maitres & Serviteurs. "V ient après la troifieme Partie & derniere de la juftice privée tk domeftique , qui eft des devoirs des maitres tk des ferviteurs. Sur quoi faut fcavoir la diftinttion des ferviteurs ; car il y en a prin-i cipalement de trois fortes. II y a les efclaves dont tout le monde étoit plein au temps paffé , tk  L v x r e HL 2n encore l'eft-il,fauf unquartierd'Europe, &n'y en aendroitplusnetquela France. Ils n'ont en leiu puiflance ni corps ni biens , mais font du tout a leurs maitres, qui les peuvent donner, engager vendre, revendre, échanger & en faire comme de bêtes de fervice. D, ceux-ci a été parlé au long. II y a les valets & ferviteurs, genslibres, maitres de leurs perfonnes & biens, voire ne peuvent par contrat ni autrement faire aucun ] préjudice k leur liberté. Mais ils doivent honneur ' obeiffance & fervice , a tel certain temps & telles . condmons qu'ils ont promis, & les maitres ont pr eux commandement, correétion & chatiment Eavec modération & difcrétion. II y a les mericenaires qui font encore moins fujets, car ilsne :doiyent fervice ni obéiffance , mais feulement feuelque travail & induftrie pour argent, & on ma fur eux aucune correftion ni commandement. Les devoirs des maitres envers leurs ferviteurs, tant efclaves que valets , font ne les traiter iruellement,fe fouvenant qu'ils font hommes & de même nature qu'eux, que la feule fortuney a. mis la différence , laquelle eft variable & fe joue k fa,re les grands petits, & les petits grands. Dont la cliftance n'eft pas telle qu'il les faffe rebuter fi loin. Sun, hommes eontubernales, hu- Senec Iv/uupemaies , hu-, biles, amici, conferui, cequifortunce fubjecli. Traiter ïïlin.iinpmnr.* Sr -1 1_ _ 1 . A . r. ~ . «•immanent, ötchercher plutöt kfe faire aimer lie craindre, eft témoignage de bonne nature: Oij 3. I. r. c. 4j.  %ll DB LA S A G B S S E, les rudoyer par trop , montre une ame cruellej 6c que la volonté efl toute pareille envers les autres hommes, mais que le défaut de puiffance I empêche 1'exécution. Auffi avoir foin de leur fanté & inftrucfion de ce qui eft requis pour leur bien I 6c falut. Les devoirs des ferviteurs font honorer 6c" | craindre leurs maitres, tels qu'ils foient, 6c leur I rendre obéiffance 8c fidélité, les fervant, non par acquit au-dehors feulement 6c par contenance , mais cordialement, férieufement, par confcience 6c fans feinte. Nous lifons de très'-beaux, nobles 8c généreux fervices avoir été faits par aucuns a leurs maitres , jufqu'a avoir employé leur vie , pour fauver celle- de leurs maitres, ou leur honneur. CHAPITRE XVI. Devoirs des Souvcrains & des Sujets. D es Princes 8c Souverains, leurs defcriptions, marqués, humeurs , miferes 8c incommodités, a été parlé au Livre i. Ch. 46. de leur devoir k gouverner Etats, a été parlé très-amplement au Liv. préfent. Ch. z 8c 3. qui eft de la prudence politique. Toutefois nous toucherons ici les chefs 6c traits généraux de leur devoir.  Livre 1 IL 213 Le Souverain comme médiateur entre Dieu& les peuples , débiteur a tous deux, fe doit toujours fou venir qu'il eft Pimage vive, 1'Officier & Lieutenant général du grand Dieu fon Souverain, Sc aux peuples un flambeau luifant , un miroir éclairant, unthéatre élevé, auquel tous regardent; une fontaine, en laquelle tous vont puifer, un aiguillon a 3a vertu, Sc qui ne fait aucun bien, qui ne porte fur plufieurs , & ne foit mis en regiftre & en compte. II doit donc premiérement être craignant Dieu, dévot, religieux, obfervateur de piété, non-feulement pour foi Sc fa confcience, comme tout autre homme, ma' pour fon état Sc comme fouverain. La piété que nous requérons ici au prince, eft le foin qu'il doit avoir Sc montrer k la confervation de la religion Sc des cérémonies anciennes du pays, pourvoyant par loix Sc peines k ce qu'il ne fe faffe aucun changement ni trouble , ni innovation en la religion. C'eft chofe qui fait grandement a fon humeur & süreté ( car tous réverent, obéiffent plus volontiers Sc plus tard entreprennent contre celui qu'ils voyent révérer Dieu; Sc croyent être en fatutelle: Sc fauve-garde, una cufiodiapittas : pium virum nee malu.% genius nee fatum devincit. Deus enim eripit cum ab omni malo ). Et auffi de fon état, car comme ont dit tous les fages, la religion eft le lien Si le ciment de la fociété humaine. Oüj r.' Devoir des Sonverains* 1. Etre rel», gieux, vlercuri frifm.  Gsrder !es loix de fes fupérieurs. Garder fes promeiiës. 5- Obferver les loix. 114 DE LA S A G E S S E, Le Prince doit auffi fe .rendre fujet tk inviolablement garder tk faire garder les loix de Dieu tk de nature, qui font indifpenfables: qui attente contre elles n'eft pas feulement tyran , mais un monftre. Quant aux peuples, il eft obligé premiérement de garder fes promeffes & conventions , foit avec fujïts ou autres y ayant intérêt : c'eft 1'équité naturelle tk univerfelle. Dieu même garde fes promeffes. Davantage le Prince eft caution tk garant formel de la loi tk des conventions mutuelles de fes fujets. II doit donc par-deffus tous garder fa foi, ni ayant rien plus déteftable en un prince, que la perfidie tk le parjure, dont a été bien dit, qu'on doit mettre entre les cas fortuits fi le prince contrevient a fa promeffe, tk qu'il n'eft pas k préfumer au contraire. Voire il doit garder les promeffes tk conventions de fes prédéceffeurs, s'il eft leur héritier, ou bien fi elles font au bien & profit public. Auffi fe peut-il relever de fes promeffes tk conventions raifonnables & mal fakes, tout ainfi & pour les mêmes caufes, que les particuliers fefont relever par lebénéfice du prince. II doit auffi fe fouvenir que combien qu'il fok par-deffus la loi (civile & humaine s'entend) comme le Créateur par deffus fa créature ( car la loi eft 1'ceuvre du prince , laquelle il peut changer & abroger k (on plaifir, c'eft le propre droit de la fouveraineté ) fi eft-ce que cependant qu'elle  Livre III. 2.15 eft en vigueur & crédit, il la doit garder, vivre, agir Sc juger felon elle; Sc ce lui feroit déshonneur Sc de tics-mauvais exemple d'ul'cr au contraire, Sc comme de deme-ntir. Le grand Augufte pour avoir une fois fait coatre la loi en fon propre fait, en penfa moi irir de regret. A gqfilaus, SeleucOjS, ont donné de très-notJjlcs exemples en c itte part Sc a leurs dépens. Tiercement le prince eft débiteur de juftice a tous fes fujets; & doit mefuret ia puiflance au pied de la juftice. C'eft la propre vertu du prince vraiment royale & principefque, dont juftement fut dit par une vieille au Roi Philipp?, qui dilayoit lui faire juftice, difant n'avoir le loifir, qu'il défiftat Sc laiflat donc d'être Roi. Mais Demctrius n'en eut pas fi bon marché , qui fut dépouillé de fon royaume par fes fujets pour avoir jetté du pont en bas en la riviere plufieurs de leurs requêtes , fans y avoir répondu Sc fait droit. Finalement le prince doit aimer, chérir, veiller Sc avoir foin de fon état, comme le mari de la femme, le pere de fes enfans, le pafteur de fon troupeau, ayant toujours devant les yeux le profit & le repos de fes fujets. L'heur Sc le bien de 1'état eft le but Sc contentement d'un bon prince, ut rejpublica opibus firma , copiis locuples, gloria ampla , virtutt honcfia fit. Le prince qui s'arrête a foi , s'abufe ; car il n'eft pas k foi , ni 1'état auffi n'eft fien, mais il eft a 1'état. II en eft bien Oiv 6. Faire jaftice. 7. foigne ?! affecuonner lu hien pabiic. Senec.  s. 9. T. IVvo s des fujets. dxlaSagesse, le maïtre, non pas pour maitrifer, mais pour lë maintenir. Cninoncivium favitustradita ,fidmtda. Pour le foigner & veiller, afin que fa vigilance garde tous fes fujets dormans, fon travail lesraffe chomer , fon induftrie les maintienne en dé lees, fon occupation leur donne vacations , & que tous fes fujets fcachent & fenrent qu'il eft autant pour eux que par-deffus eux. Pour être tel & bien s'acquitter, il fe doit porter comme a été dit bien au long au z & 3. chap. de ce hvre, c'eft-a-dire, faire & avoir provifion de bon confeil, de finances, & des forces dedans fcfnétat, d'alliances & d'amis au-dehors, agir& commander en paix & en glIerre, de telle forte qu'il fe faffe aimer & craindre tout enfemble. Et pour comprendre tout en peu de paroles ' il doit craindre Dieu fur-tout, être prudent aux entreprifes, hardi aux exploits, ferme en fa parole, fage en fon confeil , foigneux des fujets, fecourable aux amis, terrible aux ennemis, pitoyable aux affligés, courtois aux gens de bien effroyable aux méchans, & jufte envers tous. Lc-devoir des fujets eft en trois chofes, rendre 1'honneur aux princes , comme a ceux qui portent i image de Dieu, ordonnés & établis par lui; dont font trés-mal ceux qui en détraétent &c en parient mal, engeance de Cham & Chan?an z. Rendre obéiffance, fous laquelle font compris' plufieurs devoirs , comme aller k la g«erre, payer  Livre III. 117 les tributs & impöts mis fur par leur autorité. 3. leur defirer tout bien tk profpérité, & prier Dieu pour eux. Mais la queftion eft s'il faut rendre ces trois droits généralement a. tous princes, li aux méchans , aux tyrans. La décifion de ceci ne fe peut faire en un mot. II faut diftinguer. Le prince eft tyran & méchant ou a 1'entrée ou en 1'exercice. Si a 1'entrée, c'eft-a-dire, qu'il envahiffe la fouveraine'épar force tk de fa propre autorité, fans droit aucun , foit-il au refle bon ou méchant (& c'eft en ce fens que fe doit prendre ce mot de tyran ) c'eft fans doute qu'il lui faut refifter ou par voie de juftice , s'il y a temps & lieu, ou par voie de fait ; tk y avoit anciennement entre les Grecs , dit Ciceron , loyers tk honneurs décernés a ceux qui en délivroient le public. Et ne fe peut dire que ce foit réfilter au prince, ne 1'étant encore ni de droit ni de fait, puifqu'il n'eft regu ni reconnu. Si en 1'exercice, c'eft-a-dire, qu'il foit entré duement, mais qu'il commande induement, cruel-, lement tk méchamment , c'eft-a-dire, felon le ' jargon du vulgaire tyranniquement, il vient encore a diftinguer. Car ilpeut être tel en trois manieres, & a chacun y a avis particulier. L'une eft en violant les loix de Dieu tk de nature, c'eft-a-dire,« contre la religion du pays, commandement de I Dieu, tk forcant les confeiences. En ce cas il ner ; 11. Exod. 12. Queftion s'il . eft permis ' d'attenter a . la perfonne du tyran. Doublé tyran Al'entree. 2. En 1'exercice & ce en trois manieres. De ceci voyezcideflus c. 4. au c. de la tyrannie & rèbellion. j  Tacit. 2I§ DE LA S A G E S 3 E , lui faut pas rendre 1'obéiffance fuivant les axiomes faints, qu'il faut plutöt obéir k Dieu qu'aux hommes, & plus craindre celui qui a puiffance fur 1'homme entier, que ceux qui n'en ont que fur la moindre partie. Mais auffi ne fe faut-il pas élever contre lui par voie de fait, qui eft 1'autre extrêmité , ains tenir la voie du milieu , qui eft k s'enfuir ou fouffrir , fugere, aut pad. Les deux remedes nommés par la doftrine de vérité en telles extrêmités. 2. L'autre moins mauvaife , qui ne touche les confciences, mais feulement les corps & les biens, eft en abufant des fujets, leur deniant juftice, raviffant la liberté des perfonnes, tk la propriété des biens. Auquel cas il faut avec patience tk reconnoiffance de 1'ire de Dieu rendre les trois devoirs fufdits, honneur, obéiffance , vceux & prieres , & fe fouvenir de trois chofes, que toute puiffance eft de Dieu, & qui réfifte k la puiffance , refifte k 1'ordonnance de Dieu; principi fummum nrum judicium DU dederunt. Subditis obfequii gloria rdicla eft: bonos principes voto expetere , qualefcunque tolerare. Et qu'il ne faut pas obéir au fupérieur, pour ce qu'il eft digne & dignement commandé, mais pource qu'il eft fupérieur; non pource qu'il eft bon , mais pource qu'il eft vrai tk légitime. 11 y a bien grande différence entre vrai & bon, tout ainfi qu'il faut obéir k la loi, non pource »„1t- _/l 1 e> ■ r. . . qu uie eunonne 0£ jutte, mais tout limplement  Livre III. 219 pource qu'elle eft loi. 2. Que Dieu fait regner 1'hypocrite pour les péchés du peuple, &c 1'impie au jour de fa fureur , que le méchant prince eft rinftrument de fa juftice, dont le faut fouffrir comme les autres maux que le ciel nous envoye, quomodo ftirilitatcm aut nimios imbns & extern naturce mala , Jïc luxum & avarltïam dominanüum tolerare. Les exemples de Saiil, Nabuchodonofor, de plufieurs Empereurs avant Conftantin & quelques autres depuis méchans tyrans au poffible, auxquels toutefois ces trois devoirs ont été rendus par les gens de bien, & enjoint de leur rendre par les prophetes & docfeurs de ces temps, jouxte 1'oracle du grand docteur de vérité : qui porte d'obéir k ceux qui font afïïs en la chaire , nonobftant qu'ils impofent fardeaux infupportables & qu'ils gouvernent mal. La troifieme concerne tout 1'état, quand il le veut changer, ruiner, le voulant rendre d'éleétif, héréditaire, ou bien d'ariftocratique ou démocratique,le faire monarchique, ou autrement : en ce cas il lui faut réfitter & empêcher par voie ou de juftice ou autrement; car il n'eft pas maitre de 1'état, mais feulement gardien & dépofitaire. Mais eet affaire n'appartient pas k tous , ains aux tuteurs de 1'état , ou qui ont intérêt comme aux electeurs és états éleclifs ; aux princes parens és états héréditaires; aux états généraux és états qui ont loix fondamentales. Et c'eft le feul cas auquel Tacit.  I. Cogiratio. JïïsrT. de peen. t. Si quis HDn dicam. c. De facrof. Eccl. 220 DE LA SAGESSE; il eft loifible de refifter au tyran. Et tout ceci eft ; dit des fujets , auxquels n'eft jamais permis d'attenter contre le prince fouverain, pour quelque caufe que ce foit, & eft coupable de mort celui qui attente , qui donne confeil, qui le veut & le penfe feulement , difenr les loix. Bien eft-il permis a 1'étranger, voire c'eft chofe tres-belle Sc magnifique a un prince de prendre les armes pour venger tout un peuple injuftemenf opprimé , & Ie délivrer de la tyrannie, comme fit Hercules , & depuis Dion,Timoleon& Tamerlan, Prince des Tartares , qui défit Bajazet , Turc affiégeant Conftantinople. Ce font les devoirs des fujets envers leurs fouverams vivans; c'eft afte de juftice , après leur mort . rPipvaminpr lan<- _.r ri. Examination desfouve- 1 reins après leur mort. ^ , u cAauniici icur vie. ^ eit une ulance jufte, trés-utile , qui apporte de grandes commodités aux nations oii elle s'obferve ; & qui eft defirable è tous bons princes qui ont a fe plaindre de ce qu'on traite la mémoire des méchans, comme la leur. Les fouverains font compagnons, finon maitres des loix; ce que la juftice n'apu fur leurs têtes , c'eft raifon qu'elle ait fur leur réputation , & fur les biens de leurs fucceffeurs. Nous devons la fujettion & obéiffance également a tous Rois, car elle regarde leur office; mais 1'eftimation & affecTion, nous ne Ia devons qua leur vertu. Souffrons-les patiemment tels & indignes qu'ils font: célons leurs vices, car leur autorité & 1'ordre  Livre III. %%t politique oü nous vivons , a befoin cle notre commun appiü; mais après qu'ils s'en font allés , ce n'eft: pas raifon de refufer a la juftice & a notre liberté 1'expreffion denos vrais relfentimens;voire c'eft un très-bon& utile exemple que nous donnons a la poftérité, d'obéir fidélement a un maitre , duquel les imperfedfior.s font bien connues. Ceux qui, pour quelque obligation privée , époufent la mémoire d'un prince méchant, font jiiftice particuliere aux dépens de la publique. O la belle lecon pour le fucceffeur, fi ceci étoit bien obfervé ! CHAPITRE XVII. Devoir des Magijlrats. L es gens de bien en la répubfique aimeroient jouir en repos du contentement que les bons & excellens efprits fe fcavent donner en la confidération des biens de nature &c des effets de Dieu, Pourquoi acceprer ia Magiftrat. qu'a prendre charges publiques , n'étoit qu'ils craignoient d'être mal gouvernés, & par les méchans: parquoi ils confentoient être Magiftrats ; mais de briguer & pourfuivre les charges publiques, même de judicature , c'eft chofe vilaine , condamnée par toutes bonnes loix, voire payens, témoin la loi Julia de ambitu. Indigne de perfonne d'honneur, &ne fcauroit-on mieux s'en dcclarer  Lamprid. 2. Préparation a exercerle Magiftrat. 222 DE LA SAGESSE] incapable. De les accepter eft encore plus vilain & puant, & n'y a point de plus fordide & vilaine marchandife que celle-la; car il faut que celui qui a acheté en gros, revende en détail: dont FEmpereur Severe parlant contre telle faute , dit que l'on ne peut bien juftement condamner celui qui vend ayant acheté. Tout ainfi que l'on s'habüle, l'on fe pare & fe met-on en bienféance avant fortir de 'a maifon, & fe montrer en public: avant que prendre charge puDiique, i! raut en Ion pnve attendre a régler fespaffions, & bien établir fon ame. Onn'amene pas au tournouoir un cheval neuf, ni s'en ferton en affaire d'importance, s'il n'a été dompté & appris auparavant, auffi devant que fe mettre aux affaires, & fur la montre du monde, il faut dompter cette partie de notre ame farouche , lui faire ronger fon frein, lui apprendre les loix & les mefures avec lefquelles elle fe doit manier en toutesoccafions. Mais au rebours, c'eft chofe piteufe & bien abfurde, difoit Socrate, que bien que perfonne n'entreprenne d'exercer un métier &c art méchanique, que premiérement il ne Fait appris, toutefois aux charges publiques & a l'art de bien commander & bien obéir, de gouverner le monde, le métier plus difficile ,de tous ceux qui font recus & 1'entreprennent, qui n'y fcavent du tout rien.  Livre 111. 113 Les Magiftrats font perfonnes mixtes ck mitoyennes entre le fouverain & les particuliers , 1 dont il faut qu'il fcachent commander & obéir, qu'ils fcachent obéir au Souverain, ployer fous la puiffance des Magiftrats fupérieurs a foi, honorer leurs égaux , commander aux fujets, défendre les petits, faire tête aux grands, & juftice a tous: dont a été bien dit a propos que le Magiftrat découvre la perfonne, ayant a jouer en public tant de perfonnages. Pour le regard de fon fouverain, le Magiftrat felon la diverfité des mandemens, doit diverfement fe gouverner , ou promptement, ou nullement obéir, ou furféoir 1'obéiffance. 1. Aux mandemens qui lui attribuent connoiffance , comme font toutes lettres de juftice, &c toutes autres oh y a cette claufe ou équivalente ( s'il vous appert) ou bien qui fans attribution de connoiffance font de foi juftes ou indifférentes ; il doit obéir, & eft aifé de s'en acquitter fans fcrupule. 2. Aux mandemens qui ne lui attribuent aucune connoiffance, mais feulement 1'exécution , comme font lettres de mandement , s'ils font contre le droit & la juftice civile, & qu'il y ait claufe dérogatoire , il doit fimplement obéir, car le fouverain peut déroger au droit ordinaire , Sc c'eft proprement en quoi git la fouveraineté. 3. A ceux qui font contraires au droit, & ne contiennent la claufe dérogatoire, ou bien qui Defcription rénérale da Magiftrat, 4- Devoirs da Magiftrat quant au fou* verain.  4- J- Quant aux particuliers. I. 224 DE LA S A G E S S E, font contre le bien 6c 1'utilité publique, quelque I claufe qu'il y ait, ou bien que le Magiftrat fgait être faux 6c nuls, mal impétrés 6c par furprife , | il ne doit en ces trois cas promptement obéir , r mais les tenir en fouffrance , 6c faire remontrance t une ou deux fois; & a la feconde ou troifieme jufïïon, obéir. 4. A ceux qui font contre la loi de Dieu & f nature; il doit démettre 6c quitter fa charge, voire | fouffrir tout plutót que d'y obéir ou confentir: | 6c ne faut dire que la-deffus pourroit y avoir du it doute ; car la juftice naturelle eft plus claire que f la fplendeur du Soleil. 5. Tout ceci eft bon pour les chofes a faire; f mais après qu'elles font faites par le fouverain, E tant méchantes qu'elles foient, il vaut mieux les difïimuler 6c d'enfevelir la mémoire, que 1'irriter & perdre tout Ccomme fit Papinian ) frujlra niti & nihil aliud, nifi odium qutzrtn, extremce dementia ejl. Pour le regard des particuliers fujets, les Magiftrats fe doivent fouvenir que la puiffance qu'ils ont fur eux, ils ne l'ont qu'en dépot, 6c la tiennent du fouverain qui en demeure toujours Seigneur & propriétaire, pour l'cxercer durant le temps qui leur a été préfix. 2. Le Magiftrat doit être de facile accès, prêt a ouir 6c entendre toutes plaintes 6c requêtes , tenant fa porte ouverte a tous, & ne s'abfentej poin  Livre III. ,,e poïnt, fe fouvenant qu'il n'eft k foi, mais k tous & fervitetir du public. M*tna r,™),,,* i Deut. ïg. ^>'cer.!. ii >ffic. r jeivuus , mama fortuna. A cette caufe la loi de Moïfe vouloit que les juges Sc les jugemens fe tinffent aux portes des vides, afin qu'il fütaifé k chacun de s'y adrefler. 3- II doit auffi également recevoir Sc écouter tous grands & petits, riches Sc pauvres, être ouvert k tous : dont un fage le compare k 1'autel auquel on s'adreffe étant prelfé & affiigé, pour y recevoir du fecours & de la confolation. 4- Mais ne fe communiquer point k plufieurs; Sc ne fe familiarifer, fi ce n'eft avec fort peu' Sc iceux bien fages & fenfés, Sc fecrétement; car cela avilit l'autorité, trouble & relache la fermeté & vigueur néceffaire. Cleon appellé au gouvernement du nuhlir 5iTpmH, * ■ r , „^ltlula LUUS les amiS) ^ renonca k leur amitié comme incompatible avec fa charge; car, dit Ciceron , celui dépouille le perfonnage d'ami qui foutient celui de juge. 5. Son office eft principalement en deux chofes foutenir& gardêr 1'honneur, la dignité & le droit de fon fouverain & du public qu'il repréfente: ■geren perfonam civitatïs , ejus dignitatem & decus . fuflinere, avec autorité & une douce févérité 6. Puis comme bon & loyal truchement & -officier du Prince, faire garder exacfement fa volonté, c'eft-a-dire, la loi, de laquelle il eft .exafteur, Sc eft fa charge de faire obferver I tous dont il eft appellé la lói vive , la loi pariante. //. Partie. p  4Ll6 DE la SaGESSE, 7. Combien que le Magiftrat doive prudemment attremper la douceur avec la rigueur , fi vaut mieux un magiftrat févere Sc rigoureux, qu'un doux, facile Sc pitoyable ; Sc Dieu délendd'avoir pitié en jugement. Le févere retient les fujets en Fobéiffance des loix; le doux Sc pieux fait méprifer les loix Sc le Magiftrat, Sc le Prince qui a fait tous deux. Bref, pour bien s'acquitter de cette charge, il faut deux chofes, prud'hommie & courage. Le premier a befoin du fecond. Le premier gardera le Magiftrat net d'avarice, d'acception de perfonnes , de préfens, qui eft la pefte & le banniffement de la vérité. Acceptatio munerum prxvaricatio ejl veritatis , de corruption de la juftice, que Platon appellé vierge facrée. Auffi des pafiions, de haine, d'amour Sc autres , toutes ennemies de droiture & équité. Mais pour tenir bon contre les menaces des grands, les prieres importunes des amis, les cris Sc les pleurs des miférables , qui font toutes chofes violentes , toutefois avec quelque couleur de raifon Sc juftice , Sc qui emportent fouvent les plus affurés , il faut du courage. C'eft une principale qualité Sc vertu du Magiftrat, que la conftance ferme Sc inflexible, afin de ne craindre les grands Sc puifians, Sc ne s'amollir a la mifere d'autrui , Sc encore que cela ait quelque efpece de bonté; mais il eft défendu d'avoir pitié du pauvre en jugement.  Livre III. az7 CHAPITRE XVIII. Devoir des Grands & des Petits. L E devoir des grands eft en deux chofes, prêter main forte 6c employer leurs moyens tk fang k la manutention 8c coniervation de ia piété, juftice du Prince tk de 1'état, tk généralemtnt du bien public, duquelils doivent être les colonnes, le foutien, & puis a la défenfe tk proteftion des petits affligés, öc opprimés, réfiftant k la violence des méchans; tk comme le bon fang courir k la partie bleffée, felon le proverbe, que le bon fang, c'eft-a-dire , noble Sc généreux , ne peut mentir , c'eft-a-dire, faillir oii il fait befoin. Par ce moyen Moïfe fe rendit capable dvêtre le chef de la na_ tion des Juifs, entreprenant la défenfe des injuriés tk foulés injuftement. Hercule fut déihe, déüvrant de la main des tyrans les oppreffés. Ceux qui ont fait le femblable ont été dit héros 6c demiDieux; 6c a tels tous honneurs ont été anciennement décernés, fcavoir, eft aux bien méritans du public, 6c libérateurs des oppreffés. Ce n'eft pas grandeur de fe faire craindre 6c redouter, (finona fes ennemis) tk faire trembler le monde, comme font aucuns qui auffi fe font haïr. Oderint dum metuant. II vaut mieux être aimé cpi' doré. Cela vient d'un naturel altier, faroucbc, dont ïh P ij Exod, 3.  228 DE LA S A G E S S E, morguent Sc dédaignent les autres hommes comme 1'ordure Sc la voirie du monde, Sc comme s'ils n'étoient pas aufïï hommes; de-la dégénéré,it a. la cruauté, Sc abufent des petits, de leurs corps Sc biens, chofe toute contraire k la vraie grandeur Sc nobleffe , qui en doit prendre la défenfe. Le devoir des petits envers les grands elf auffi en deux chofes, les honorer Sc relpecTer, nonfeulement par cérémonie Sc contenance , qui fe cioit rendre aux bons Sc aux méchans, mais de coeur & d'affeclion , s'ils le méritent Sc font amateurs du public. Ce font deux, honorer Sc eftimer, deux aux bons & vraiment grands; aux autres ployer le genouil, faire inclination de corps non de cceur , qui eft eftimer Sc aimer. Puis par humbles Sc volontaires fervices leur plaire Sc s'inftnuer en leurs graces. Principibus placuijje vlris non ultimo, laus ejl, Sc fe rendre capabf s de leur proteclion. Que fi l'on ne peut fe les rendre amis, au moins ne les pas avoir pour ennemis ; ce qui fe doit avec mefure & difcrétion. Car trop ambitieufement décliner leur indignation,ou recliercherleur grace,outre que c'eft témoignage cle fbibleffe , c'eft tacitement les offenfer Sc accufer d'injuftice ou cruauté. Non ex projejfo cavere. aut fugere: nam qium quis fugit, damnat; ou bien leur faire venir 1'envie de 1'exercer, Sc d'excéder, voyant une ft profonde Sc peureufe foumiffion. 2.  Livre Hl. l2* DE LA FORCE, TROISIEME VERTU. P rM face. L es deux vertui prècidentes reg'.ent Chomme en compagnie & avec autrui: ces 'deux fuivantes les regiem en foi & pour foi ; regardent ks deux vifages de la fortune , les deux chefs & genres de tous accidens, Profpérité & Adverfité; car la force Üarrne contre^ Vadverfui, la temperance le conduit en la profpérité. Toutes deux pourroiem ê;re comprifes & entendues par ce mot de co,.fiance, queft une'droite & égale fermeté d'ame , pour toutes fortes d'accidens & chofes ex ternes , par h quelle elle ne s'éleve pour la profpérité , ni ne s'abaijfe pour l'adverfité. C H A P I T R E XIX. De la Force ou Vaillance en général. Vaillance ( car cette vertu eft bien plus proprement dite ainli que force ) eft une droite Sc forte aflurance, égale Sc uniforme de 1'ame k 1'encontre tous accidens dangereux, difficiles & douloureux, tellement que fon fujet & la matiere après laquelle elle s'exerce, c'eft la difficulté Sc le danger: bref,tout ce que la foibleffe humaine P iij r. Dc-fcription He la vaillance.  Senec. i. Sa recomniendation. Senec. V Des imparfaites ou faulïes vaillances. VniUance militaire. 23O DE LA SAGESSE, peut craindre , Timendorum contemptrlx , quiz terribJla , 6* fub jugum libtralitalzm nojlram mittentia^ dejpicit, provocat, franglt. De toutes les vertus la plus en honneur Sc eftime Sc la plus noble eft celle-ci, laquelle , par prérogative a été appellée fimplement vertu. C'eft la plus difficile, la plus glorieufe , qui produit de plus grands , éclatans Sc excellenseffets, elle comprend magnanimité , patience , conftance , perfévérance invincible , vertus héroïques , dont plufieurs ont recherché les maux avec faim pour en venir a ce noble exercice. Cette vertu eft le rempart imprenable, le harnois complet, 1'armure ace» ée Sc k 1'epreuve a tous accidens, munimentum imbecülitatis humantz inexpugnabïU : quod qui circumdedit Jibi, Jecurus in hac vit le lion , Tours , le fanglier , qui y vont felon 1 la feule nature ; mais non avec les mouches, ; guêpes, car elles ufent de fineffe. Alexandre ne ■ vouloit point jouer aux olympiques , difant que I la partie feroit mal faite: pource qu'un particulier ; y pourroit vaincre , & un Roi y être vaincu. 6. Art & ia- duftrie.  &34 'd x la Sagesse; Ainfi n'eft-il bi enféant qu'un homme d'honneur ftJ fonde & mette la preuve de fa valeuren chofe,I en laquelle un poltron appris en école peut gagner. j Car telle vicfoire ne vient de la vertu ni duil courage, mais de quelque foupleffe Sc mouvemensi artificiels , lefquels les plus vilains feront ce qu'un: vaillant ne fcauroit ni ne fe foucieroit faire. L'efcrime eft un tour d'art qui peut tomber en 'perfonnes laches & de néant. Et combien de: vaut-néants par les villes, Sc de ces coquins tous< prêts k faire a coups d'épée Sc k fe battre; s'ils s voyoient 1'ennemi ils s'enfuiroient? Autant en eft- • il de ce qui fe fait par longue habitude Sc ac- j coutumance, comme les recouvreurs, bateleurs, ,1 mariniers , qui feront chofes hafardeufes plus J hardiment que les plus vaillans , y étant duits J Sc ftylés de jeunefTe. Finalement ceux qui ne gardant pas affez le | motif &reffort des acTions , attribuent fauffement I k la vaillance Sc vertu ce qui appartient Sc part : de quelque paffion ou intérêt particulier. Car I comme ce n'eft vertu ni de juftice d'être loyal ! Sc ofücieux k 1'endroit de ceux que l'on aime particuliérement, ni de tempérance de s'abflenir de 1'accointance voluptueufe de fa foeur ou de fa l fille, ni de libéralité k 1'endroit de fa femme Sc enfans, auffi n'eft-ce vraiement vaillance de s'ex- I pofer aux dangers, pour fon intérêt Sc fatisfacTion privée Sc particuliere. Parquoi fi c'eft par avarice, Ij 7' Paffion.  Livre III. 135 s comme les efpions , pionniers , traitres, marchans 1 fur mer , foldats mercenaires ; fi par ambition tk. | pour la réputation , pour être vus tk eftimés j vaillans, comme la plupart de nos gens de guerre, [ qui difent tout naïvement en y allant, que s'ils ;y penfoient laiflerla vie ils n'iroient point; fi par sennui de vivre en peine tk douleur, comme le Ifoldat d'Antigous, qui travaillant & vivant en [ peine a caufe d'un fiftule , étoit hardi tk s'élancoit ; aux dangers , étant guéri les fuyoit; fi encore [ pour quelqu'autre confidération particuliere, ce 1 n'eft vaillance ni vertu. La quatrieme condition, elle doit être en fon s exécution prudente tk difcrete , par ou font rejjettées plufieurs fauftes opinions en cette matiere, iqui font de ne fe couvrir point des maux tk in(convéniens qui nous menacent; n'avoir peur qu'ils tnous furprennent, ne s'enfuir voire, ne fentir [point les premiers coups, comme d'un tonnerre, td'une arquebufade, d'une ruine. Or , c'eft mal : entendre ; car moyennant que 1'ame demeure (ferme & entiere en fon alfi. tte & en fon difcours , [fans aitération, il eft eft permis de fe remuer, treffentir au-dehors. II eft permis, voire louable id'efquiver, gauchir & fe garantir des maux par ttous moyens tk remedes honnêtes: tk ou n'y a tremede, s'y porter de pied ferme. Mens immota 1 ma.net: lacrymce volvuntur inanes. Socrates fe moque i de ceux qui condamnoient la fuitë. Quoi, dit-il, 8. Indiicrétïon»  DE LA S A G E S S E, feroit-ce lachetc de les battre & vaincre en leur faifant place ? Hómere loue en fon Uliffe la fcience de fair. Les Lacédémoniens profeffeurs de vaillance en la journée des platées, reculerent pour mieux rotnpre tk diffoudre la troupe Perfienne ,quils ne pouvoient autrement, & vainquirent. Cela ont pratiqué les nations plus belliqueufés. D'ailleurs les Stoïciens mêmes ner- mettent de palir tk trémouffer aux premiers coups inopinés, moyennant que cela ne paffe pas plus outre en Pame: voici de la vaillance en gros. Propofltion •u Partition decette mat. De la Force ou F alliance en particulier. Pour tailler la matiere tk le difcours de ce qui eft ici a dire, cette vertu s'occupe tk s'emplove contre tout ce que le monde appellé mal. Or, ce mal eft doublé, externe & interne , 1'un vient de dehors; Pon 1'appelle d'une infinité de noms, adverfité, afflicfion, injure , malheur , accident mauvais & finiftre, L'autre eft au-dedans en Pame, mais caufépar celui de dehors. Ce font les paffions facheufes de crainte , trifteife, colere tk tant d'autres. II nous faut parler de tous les deux, fournir remedes & moyens de les vaincre, dompter tk régler. Ce font les argumens tk avis de notre vertu de force tk vaillance. II y aura donc ici deux parties, 1'une des maux, ou mauvais  Livre III. 237 aaccidens, 1'autre des pafïïons qui en naifTent. Les avis généraux contre toute fortune bonne 6c mauvaife ont été dits ci-delfus : nous parierons ici plus fpécialement Sc particuliérement. CH APITRE XX. Première Partie des maux extemes. 3N"ous confidérons ces maux externes en trois manieres , en leurs caufes, ce qui fe fera en ce chapitre, puis en leurs elfets , finalement en eux-mêmes diftincTement , Sc particuliérement :hacune efpece d'iceux. Et par-tout fournirons nvis 6c moyens de s'affermir par vertu contre :ceux. Les caufes des maux 8c facheux accidens qui mrrivent a chacun de nous, font ou publiques & générales, quand en même-temps elles touchent nlufieurs , comme pefte , famine , guerre , yyrannie. Et ces maux font pour la plupart Ifleaux envoyés de Dieu 6c du ciel, au moins aa caufe prochaine n'eft pas aifée a reconinoïtre ; ou particulieres ou reconnues , fcavoir, )aar le fait d'autrui. Ainfi l'on fait deux fortes de maux , publics 6c privés. Or , les maux publics, ;':'eft-a-dire, venant de caufe publique , encore ]p'ils touchent un chacun en particulier, font en IS Diftinaion& comparaifon des maux pac leurs caufes.  3b Avis contre les maux publics. I'rovidence, defti «ée. 2.38 DE LA S A G E S S E, divers fens tk plus tk moins griefs , pefans & dangereux que les privés qui ont cauTe connueji Ils le font plus, car ils viennent k la foule li affailliffent plus impétueufement avec plus dl bruit, de tempête tk de furie ; ont plus grandij fuite tk trainée; font p'us éclatans , produifenaj plus de défordre & confufion. Ils le font moins| car la généralité tk communauté femble rendre ? chacun fon mal moindre. C'eft efpece de foula; de n'être feul en peine; l'on penfe que c'eft plutöi malheur commun , ou le cours du monde, tk la caufe eneft naturelle, qu'affliction perfonnelle Et de fait ceux que 1'homme nous fait piquenl plus fort, navrent au vif & nous alterent beaucoup. Toutes les deux fortes ont leurs remedes & confolations. Contre les maux publics il faut confidérer de qui tk par qui ils font envoyés, tk regarder a leur caufe. C'eft Dieu , fa providence, de laquelle vient tk dépend une néceffité abfoiue qui gouverne & méprife tout, a laquelle tout eft fujet. Ce ne font pas, a vrai dire, deux loix diftincTes en effence, que la providence & la deftinée ou néceflité, providentia & neceffitas, ne font qu'une. La diverfité eft feulement en la confidération tk raifon différente. Or, gronder & fe tourmenter au contraire, c'eft premiérement impieté telle qu'elle ne fe trouve point ailleurs ; car toutes chofes obéiffent doucement, 1'homme feul fait  L i r R E HL 239 s i Tenragé. Et puis c'eft folie; car c'eft en vain & ï tfans rien avancer. Si l'on veut fuivre cette fou, > veraine & abfolue maitreffe de gré a gré, elle luentrainera & emportera tout par force. Ad hoe Is \ facramtntum adacli fumus ferre mortal ia, nee perAiturbari iis, qua vitare nofira potejlatis non ejl: in 41 regno nati Jumus , Deo parere libertas ejl. Dejïne a \fata Deum fiecli fperare querendo. II n'y a point as i de meilleur remede que de vouloir ce qu'elle veut; 31 i & felon 1'a vis de fageffe faire de néceffité vertu, Si mon ejl aliud effugium necefjitatis, quam veile quod e, lip fa cogat.En voulant efcrimer ou difputer contre ït telle, nous ne faifons qu'aigrir & irriter le mal. 1 j Lxto animo fere quidquid acciderit, quaji tibi voI ilueris accidere : debuiffes enim veile, fi feijjes ex (decreto Deifieri. Outre que nous en aurons meilleur eimarché, nous ferons ce que nous devons, qui jj teft de fuivre notre Général & Souverain qui e 11'a ainfi ordonné. Optimum pati quod emendare non \.\poJJis\ & Deum , quo autore cuncla proveniunt, (j Ifine murmuratione comitari. Malus miles ejl qui ims fperatorem gemens fequitur. Et fans contefter trouver u lbon ce qu'il veut. C'eft grandeur de courage de », Ife donner k \m.Magnus animus quife Deo tradidit. I (C'eft lacheté &défertion que gronder & difputer , :r ppufillus & degener, qui obluclatur de ordine mundi | mialè exijlimat, & emendare mavult Deum, quam fe. i Contre maux privés qui nous viennent du t ffait d'autrui, & nous pénetrent plus, il faut Diflinclion te> mauxpri» rés.  I. Avis conrre iceux général Vr , les ohenles lont de deux fortes , les unes traverfent nos affaires contre Péquitë , c'eft nous faire tort; les autres s'adreflent a la perfonne qui eft par elle méprifée & traitée autrement qu'il n'appartient, fok de fait ou de parole. Celles-ci font plus aigres tk plus difticiles k fupporter que toute autre forte d'amiclion. 240 De la S a g ê s s ë, premiérement bien les diftinguer afin de ne fe mécompter. II y a déplaifir, il y a oftlnfe. Nous! recevons fouvent déplaifir d'autrui, qui toutefoisl ne nous a point offenle de fait ni de volonté, I comme quand il neus a demandé ou refufé quel-1 que chofe avec raifon , mais qui étoit lors mal I k propos pour nous: de telles c'eft trop grande I fimpleffe de s'en facher, puifque ne font offenfes. c —„„v. , uiao v_uiiiiut;iei lans paffion ce que portent & pefent les chofes, felon vérité tk raifon. Le monde fe laiffe aller & mener par impreffion. Combien y en a-t-il qui font moins de cas de recevoir une grande playe qu'un pètit foufflet ? Plus de cas d'une parole que de Ia mort ? Breftoutfe mefure paropinion,& 1'opinion offenfe plus que le mal. Et notre impatience nous fait plus de mal que ceux defquels nous nous plaignons. Les autres plus particuliers avis & remedes fe tirent premiérement de nous-memes( & c'eft cii il faut premiérement jetter fes yeux & fa penféê ) Ces ParticuFers tirés As nousmêmes. ,UI Lv_ u anuciiuil. Le premier & général avis contre toutes cesfortes de maux eft d'être ferme tk réfolu k ne fe laiifer aller k 1'opinion commune , mais confidérer fans  Livre UI. 141 ces offenfes prétendues naiffent peut-être de nos défauts, fautes & foibleffes. Ce n'eft peut-être qu'une gauflerie fondée fur quelque dcfaut qui eft en notre perfonne , que quelqu'un veut contrefaire par moquerie. C'eft folie de fe facher & fe foucier de ce qui ne vient pas de fa faute. Le moyen d'óter aux autres occafion d'en faire leurs comptes eft d'en parler le premier, & montrer que l'on le ftait bien; fi c'eft de notre faute que 1'injure a pris fa naiffance, & qu'avons donné occafion a eet affront; pourquoi nous ea courroucerons-nous ? Ce n'eft pas offenfe, c'eft correöion, laquelle il faut recevoir & s'en fervir comme d'un chatiment. Mais bien fouvent elle vient de notre propre foibleffe, qui nous rend douillets. Or, il fe faut défaire de toutes ces tendres délicateffes qui nous font vivre a notre aife, mais d'un courage male , fort & ferme méprifer & fouler aux pieds les indifcrétions & folies d'autrui. Ce n'eft pas figne qu'un homme foit fain quand il s'écrie a chaque fois que l'on le touche. Jamais vous neferezen repos, fi vous VOUS formalifp7 dp tnnt ce> ™,; fn — 6. De ceux qui offenfent. - «-^ 4 Ie preienre. Ils fe tirent auffi de la perfonne qui offenfe. Repréfentons-nous en général les mceurs & humeurs des perfonnes avec lefquelles il nous faut vivre au monde. La plupart des hommes ne prend plaifir qu'a mal faire, ne mefure fa puiffance que parle dédain & injure d'aiu rui. Tant peu y en a //. Partie. q  241 DE LA SaGESSE, qui prennent plaifir a bien faire. II faut donc faire état que de quelque cöté que nous nous tournions, nous trouverons qui nous heurtera tk offenfera. Par-tout oii nous trouverons des hommes, nous trouverons des injures. Cela eft li certain tk fi néceffaire que les légiilateurs mêmes , qui ont régler le commerce tk les affaires du monde, ont continué tk permis en la juftice diftributive tk commutative plufieurs paffe-droits. Ils ont permis de fe décevoir tk bleffer jufqu'a la moitié de jufte prix. Cette néceffité de s'entreheurter tk ©ffenfer, vient premiérement de la contrariété tk incompatibilité d'humeurs tk volontés. D'oii vient que l'on s'offenfe fans le vouloir faire. Puis de concurrence tk oppofition des affaires, qui porte que le plaifir, profit tk bien des uns, eft le déplaifir , dommage tk mal des autres; tk ne fe peut faire autrement, fuivant cette commune tk générale peinture du monde , fi celui qui vous offenfe eft uninfolent, fou& téméraire, ( comme il eft, car un homme de bien ne fait jamais tort a perfonne) pourquoi vous plaignez-vous, puifqu'il n'eft non plus a foi qu'un infenfé ? Vousfupportez bien d'un furieux fans vous plaindre , voire en avez pitié; d'un bouffon , d'un enfant, d'une femme, vous vous enriez: un fou, ivrogne, coleré , indifcret, ne vaut pas mieux. Parquoi quand telles gens vous attaq tent de paroles, ne leur faut point répondre. II fe faut taire tk les  L i r r £ UI. 243, qukter la* C'eft une belle 8c glorieufe revanche, & cruelle pourun fou, que de n'en faire compte. Car c'eft lui öter le plaifir qu'il penfe prendre en vous fachant, puis par votre filence il eft condamné d'impertinence, fa témérité lui demeure en la bouche; fi on lui répond, on fe compare k lui, c'eft 1'eftimer trop Sc faire tort k foi. Male loquuntur, quia bené loquinefciunt,faciunt quodfoient & fciunt, male quia mali, & feeundiim fe. Voici donc pour conclufion 1'avis Sc confeil de fageffe. II faut avoir égard k vous, k celui qui vous offenfera. Quant k vous, aviféz ne faire chofe indigne Sc méféante de vous laiffer vaincre. 7- . Concluüon des avis ave* la regie de fageffe. L'imprudent Sc défiant de foi fe p?ffionnant fans caufe, s'eftime en cela digne qu'on lui faffe affront. C'eft faute de cceur ne fcavoir méprifer 1'offenfe; 1'homme de bien n'eft fujet k 1'injure. II eft inviolable. Une chofe inviolable n'eft pas feulement celle qu'on ne peut frapper, mais qui étant frappée ne recoit plaie ni bleffure. C'eft le plus fort rempart contre tous accidens que cette réfoiuüon ; que nous ne pouvons recevoir que de nous-mêmes. Si notre raifon eft telle qu'elle doit, nous fommes invulnérables. Et pource nous diions toujours avec le fage Socrate, Anitus Sc Melitus me peuvent bien faire mourir, mais ils ne me fcauroient mal faire. Ainfi 1'homme debien, comme il ne donne jamais occafion k perfonne de 1'injurier, auffi nepeut-ilrecevoifinjure. Ladere  244 DE LA SA GES SE, enim lailaue. conjunclum ejl. C'eft un mur d'airain. que l'on ne fcauroit pénétrer; les brocards, les injures n'arrivent point jufqu'a lui. Joint qu'il n'y aura celui qui n'efb'me 1'aggretTeur méchant, Sc lui pour homme de bien ne méritant tel outrage. Quant a celui qui vous a offenfé, fi vous le jugez impertinent & mal fage, traitez-le comme tel Scle laiflêz-la; s'il eft autre , excufez-le, préfumez qu'il en a eu occafion, que ce n'a pas été par malice , mais par inadvertence & mégarde. II en eft faché lui-même, & voudroit ne Pavoir pas fait. Encore dirai-je que comme bons ménagers nous devons faire notre profit, Sc nous fervir de la commodité que nous préfentent les injures & offenfes. Ce que nous pouvons pour le moins en deux fortes , qui regardent 1'offenfant & 1'offenfé. L'une qu'elles nous font connoitre ceux qui nous les font pour les fuir une autre fois. Tel a médit de vous, concluez il eft malin, & ne vous fiez plus a lui. L'autre. qu'elles nous .montrent notre infirmité & 1'endroit par lequel nous fommes battables , afin de le remparer , amander le défaut, afin qu'un autre n'ait fujet de nous en dire autant ou plus. Quelle plus belle vengeance peut-on prendre de fes ennemis, que de profiter de leurs injures, Sc en conduire mieux 8c plus sürement fes affaires.  L I V R E 111. 245 CHAPITRE XXI. Des maux externes conjidérés en leurs effets & fruits. A prés les caufes des maux venons aux effets 8c fruits, oii fe trouveront aufïi des vrais antidotes 8c remedes. Ces effets font plufieurs, font grands, font généraux tk .particuliers. Les généraux regardent le bien, le maintien & culture del'univers. Premiérement le monde s'étourferoit, fe pourriroit 6c perdroit, s'il n'éto't changé , remué 6c renouvellé par ces grands accidens de pefte, famine, guerre, mortalité , qui moiffonnent, taillent, émondent, afin de fauver le refte, & mettre le total plus aularge 8c k 1'aife. Sansiceux l'on ne pourroit ici fe remuer ni demeurer. Davantage outre la variété, viciflitude 8c changement alternatif qu'ils apportent k la beauté tk ornement de eet Univers , encore toute partie du monde s'accommode. Les barbares 8c farouches font polies 6c policées , les arts 6c fciences font répandues 6c communiquées k tous. C'eft comme en un grand plantis auquel certains arbres font tranfplantés , d'autres entés , autres coupés 8c arrachés; le tout pour le bien 8c la beauté de verger. Ces belles 8c univerfelles confidérations doivent attefter 6c accoifer tout efprit raifbnnable 9-»j ErFets générauxtrès-uti'es.  246 DE LA S A G E S S E , & honnête , & empêcher que l'on ne trouve ces grands & éclatans accidens fi étranges & fauvages, puifque ce font ceuvres de Dieu & de Nature, & qu'ils font un fi notable fervice au gros &c général du monde. Car il faut penfer que ce qui femble être perte en un endroit, eft gain en 1'autre. Et pour mieux dire rien ne fe perd, mais ainfi le monde change öc s'accommode. Virjapiens nihil indignetur jibi accidere , jciatque Ma ipfa , quibus ladi videtur, ad confervationem univerfipertinere , & ex his ejfe, quce curjum mundi officiumque vonjummant. Les particuliers font divers, felon les divers efprits öc états de ceux qui les recoivent; car ils exercent les bons, relevent & redreffent les tombés & dévoyés , puniffent les méchans. De chacun un mot; car il en a été traité ailleurs. Ces maux externes font aux bons un très-utile exercice & trés-belle école en laquelle (comme athletes & efcrimeurs, les mariniers enla tempête, les foldats aux dangers, les philofophes en 1'académie & toutes autres fortes de gens en 1'exercice férieux de leur profeffion) ils font inftruits , duits, faits & formés a la vertu, a la conftance & vaillance a la vicfoire du monde & de la fortune. Ils apprennent a fe connoitre: ils s'efTayent & voyent la mefure de leur valeur; la force & portée de leurs reins ; jufqu'oü ils doivent efpérer & promettre d'eux-mêmes , puis s'encouragent & z. Particuliers divers, voyez la ï.des? vériiés c. 11. Exercice.  L i v R x III. 147 s'affermiffent a mieux , s'accoutument & s'endurciflent a tout, fe rendent réfolus , déterminés & invincibles , oii au contraire le long calme de la profpérité lés relache , ramollit & appoltronit. Dont difoit Demetrius qu'il n'y avoit gens plus miférables que ceux qui n'avoient jamais fenti de traverfe Öc d'afflicf ion, appellant leur vie la me r morte. Aux fautiers 6c délinquans, une bride pour les retenir 5c empêcher qu'ils ne bronchent; ou une < reprimande öc verge paternelle après leur chüte, pour les y faire penfer ÖC fouvenir, afin de n'y retourner plus. C'eft une faignée öc médecine ou préfervative, pour divertir öc détourner les fautes qu'elles n'arrivent, ou purgative, pour les nettoyer 6c expier. Aire méchans Sc nprdns rmnitinn . iinp fancille I r — , pour les couper 6c enlever ou les atterrer , pour trainer encore 6c languir miférablement. Or, voila. de très-falutaires 6c bien néceffaires effets qui méritent bien que non-feulement l'on neles eftime plus maux, 6c qu'on les recoive doucement en patience, 8c en bonne part, comme exploitsde la juftice divine; mais que l'on lesembrafle comme gages 6c inftrumens du foin , de 1'amour 6c providence de Dieu, 6c que l'on en faffe fon profit fuivant 1'intention de celui qui les envoye 6c départit, comme il lui plaït. Qiv Supplice. 2 Médecine 8c chktiment.  24^ DE LA S A G E S S E, Au 1. Lït. I 1. c. 6. CHAPITRE XXII. De la maladie & douleur. jN" ous avons dit ci-deffus que la douleur eft Ie plus grand, & a vrai dire, le feul mal, le plus facheux qui fe fait le plus fentir & oü y a moins de remedes 8c d'avis. Toutefois en vojci quelque* AVERTISSEMENT. Des maux externts en eux-mêmes & particuliérement. T ous ces maux qui font plufieurs 6c divers, lont privatifs de biens , comme aulTi porte le nom 6c le naturel de mal. Autant donc qu'il y a de chefs de biens, autant y a-t-il de chefs de maux. L'on les peut réduire 6c comprendre au nombre de fept. Maladie, douleur, je mets ces deux en un , captivité, banniffement, indigence, infamie, perte d'amis , mort, qui font privation de fanté , liberté , moyens , honneurs , amis , vie, defquels a été parlé ci-deflus au long. Nous chercherons donc ici les antidores 5c remedes propres 6c particuliers contre ces fept chefs de maux, 6c briévement fans difcours.  Livre HL 249 uns qui regardent la raifon , la juftice , 1'utilité, 1'imitation & reffemblance , grands & illuftres. C'eft une commune néceffité d'endurer, ce n'eft pas raifon de faire pour nous un miracle. II ne fe faut pas facher s'il avient a quelqu'un ce qui peut avenir a chacun. C'eft chofe auffi naturelle; nous fommes nés a cela, en vouloir être exempt, eft in juftice. II faut fouffrir doucement les loix de notre condition. Nous fommes pour vieillir , affoiblir , douloir , être malades : il faut apprendre a fouffrir ce que l'on ne peut éviter. Si elle eft longue , elle eft légere & modérée: c'eft honte de s'en plaindre; fi elle eft violente, elle eft courte & met tot fin, ou a foi ou au patiënt qui revient prefque tout k un. Confide, fummus non habet tempus dolor. Si gravis , brevis; fit bongus, bevis. Et puis c'eft le corps qui endure, ce n'eft pas nous qui'fommes offensés. Ou 1'offenfe diminue de 1'excellence & perfettion de la chofe; & la maladie ou douleur tant s'en faut qu'elle diminue, qu'au rebours elle fert de fujet & d'occafion 2 une patience louable, plus beaucoup que fanté. Et ou il y a plus d'occafion de louange , il n'y ; a pas moins de bien. Si le corps eft inftrument de 1'efprit, qui fe plaindra quand Tinftrument : s'ufera en fervant celui a qui il eft deftiné ? Le corps eft fait pour fervir k l'efprit. Si 1'efprit 1.  DE LA S A G E S S E, s'affligeoit pour ce qui arrivé au corps , 1'efprit ferviroit au corps. Celui-la ne feroit-il pas trop délicat qui crieroit & hueroit, pource que l'on lui auroit gaté fa robe ? que quelque épine la lui auroit accrochée? quelqu'un paffant la lui auroit déchirée ? Un vil frippier peut-être s'en plaindroit, qui en voudroit fon profit. Mais un grand & riche s'en riroit, & n'en feroit compte, comparant cette perte au refte des biens qu'il a. Or, ce corps n'eft qu'une robe empruntée pour faire paroitre notre efprit fur ce bas & tumultuaire théatre, duquel feul devons faire cas , & procurer fon honneur & fon repos. Et d'oü vient que l'on fouffre avec tant d'impatience la douleur ? C'eft que l'on n'eft pas accoutumé de chercher fon contentement en 1'ame , non afiueverunt animo cjje contenti, nimium illis cum corpore fuit. L'on a trop de commerce avec le corps. II femble que la douleur s'en orgueilliffe nous voyant trembler fous elle. Elle nous apprend a nous dégoüter de ce qu'il nous faut laiffer, & a nous déprendre de la piperie de ce monde, fervice très-notable. La joie & le plaifir de la fanté recouvrée, après que la douleur aura fait fon cours , ce fera comme une lumiere belle & claire, tellement qu'il femble que nature nous ait prêté la douleur, pour 1'honneur & fervice de la volupté & de 1'indolence. 6.  LlVKüIlL ijt Or , fus donc, fi la douleur eft médiocre , la patience fera facile; fi elle eft grande , la gloire le fera auffi; fi elle femble trop dure , accufons notre molleffe 8c lacheté : fi peu y en a qui la puiffent fouffrir, foyons de ce peu. N'accufons nature de nous avoir fait trop foibles; car il n'en eft rien ; mais nous fommes trop délicats. Si nous la fuyons , elle nous fuivra; fi nous nous rendons k elle lachement Sc nous laiffons vaincre , nous n'en ferons traités que plus rudement , 8c le reproche nous en detneurera. Elle nous veut faire peur, tenons bon, 5c qu'elle nous trouve plus réfolus qu'elle ne penfe. Notre tendreur lui apporte cette aigreur 5c dureté ,Jlare f denter, non qu'ia diffic'dia non audemus, fed quia non audemus, difficilia funt. Mais afin que l'on ne penfe pas que ce foient de beaux mots de théoriqne , mais que la pratique en eft impoffible, nous avons les exemples tant fréquens 8c tantriches non-feulement d'hommes, mais de femmes 8c enfans, qui non-feulement ont foutenu de longues 8c douloureufes maladies avec tant de conftance, que la douleur leur a plutöt emporté la vie que le courage ; mais qui ont attendu, ont fupporté avec gaieté, voire ont cberché les grandes douleurs 8c les exquis tourmens. En Lacédémone lesjeunes enfans s'entre* fouettoient vivement quelquefois jufqu'a la mort, fans montrer en leur vifage aucun reffentiment 7* t. Exemples.  *5* D E L A S. A G t i S E ', de douleur pour s'accoutumer a endurer pourle pays. Le page d'Alexandre fe laiffa brüler d'un charbon fans faire frime aucune ni contenance de fe plaindrepour ne troubler le facrifïce: & un garcon de Lacédémone fe laiffa ronger le ventre a un renard, plutöt que de découvrir fon larcin. Pompée furpris par Ie Roi Gentius qui vouloit ie contraindre de décélerles affaires publiques de Rome, pour montrer qu'aucun tourment ne lui feroit dire, il mit lui-même le doigt au feu, & le laiffa brüler jufqu'a ce que Gentius même 1'en retira: pareil cas avoit auparavant fait Mutius devant un autre Roi Porfenna , & plus que tous a enduré le bon vieil Regulus des Carthaginois. Mais fur tous eft Anaxarque , qui demi brifé dans les mortiers du tyran, ne voulut jamais confeffer que fon efprit fut touché de tourment; pilez, broyez tout votre faoul le fac d'Anaxarque, car quant a lui vous ne le fcauriez bleffer. CHAPITRE XXIII. De la Captlvité ou Prifon. C ette afflicTion n'eft plus rien, & eft trop aifée a vaincre après ce qui a été dit de la maladie & de la douleur. Car ceux-ci ne font prefque point fans quelque captivité aulit, en la maifon  L r i r e in. 151» cn la gêne, & enchérilTent beaucoup au-deffus d'icelle; toutefois deux ou trois mots d'elle. II n'y a que le corps, la manche, la prifbn de 1'ame qui eftcaptive; 1'efprit demeure toujours libre & a foi en dépit de tous , comment fcait-il & peut-il fentir qu'il eft en prifon, puifqii'aufli librement & encore plus, il peut s'égayer & promener oii il voudra ? Les murs & la clöture de la prifon eft bien trop lom de lui pour le pouvoir enfermer. Le corps qui lui touche & lui eft conjoint, ne le peut tenir ni arrêter. Celui qui fcait fe maintenir en fa liberté & ufer de fon droit, qui eft de n'être pas enfermé même dedans ce monde, fe moquera de ces chétives barrières. Chrijlianus etiam extra carcerem fceculo renuntiavit; in carcere etiam carceri: nihil interejl ubi fitis in fceculo , qui extra fizculum ejlis, auferamus carceris nomen ; fecefum voctmus , & fi corpus includitur , caro detinetur, omnia fpirituipatent, iotum hominem animus circumfert: & quo vult transfers. La prifon a recu bénignement en fon fein plufieurs grands & faints perfonnages; a été 1'afyle & le port de falut, & la forterefTe a plufieurs qui fe fuffent perdus en liberté , voire qui ont eu recours a elle pour être en liberté, ont choifie & époufée pour vivre en repos & fe délivrer dn monde è carcere in cuflodiarium tranflati. Ce qui eft clos &fermé fous la clefeft bien mieux gardé. II vaut mieux être enfermé fous la clef qu'être Tertul.  1J4 D £ LA S A G £ S S £, contraint 8c ferfé de par tant de lacs & de cepsj divers, dont le monde eft plein : les places publiques, les palais, les cours des grands quej les tracas 8c tumulte des affaires apporte, lesf procés, lesenvies, malices, humeurs épineufes & violentes. Si recogitemus , ipfum magis mundum\ carctrtm effe, exijfe nos è carcere quam in carctremk introijfe intelligemus , majores tenebras habetmundusl qua hominum prtzcordia exccecant, graviores catenasï induit, qua ipfas animas conftringunt, pejores im\ munditias expirant libidines hominum ,plurespoJiremoi reos continet univerfum genus hominum. Plufieurs fe! font fauvés de la main de leurs ennemis, dei grands dangers & miferes par le bénéfice de (al prifon. Aucuns y ont compofé de livres, s'y font faits fcavans & meilleurs. Plus in carcert fpiritusl acquirit quam caro amittit.. Plufieurs que la priibnl après avoir gardé & préfervé un temps, a vomijj & envoyé aux fouveraines tk premières dignitésJ d'autres elle a exhalé au Ciel, 6c n'en a re§uj aucun qu'elle n'ait rendu. Tertul.  L t r r e III. CHAPITRE XXIV. Du Bannijfemenc & Exil. E xil eft un changement de lieu qui n'apporte aucun mal linon par opinion ; Sc eft une plainte Sc une affliction purement imaginaire: car felon raifon il n'y a aucun mal: par-tout, tout eft de même: ce qui eft compris en deux mots, nature Sc vertu. Par-tout fe trouve la même nature commune, même Ciel, mêmes élémens. Par-tout le ciel & les étoiles nous paroiffent en même grandeur, étendue, Sc c'eft cela qui eft principalement a confidérer, Sc non ce qui eft delfous & foulons aux" pieds. Aufti ne pouvons-nous voir de terre que dix ou douze lieues d'une vue. Anguftus animus quem ttrrena deleSane. Mais la face de ce grand ciel azuré, paré Sc contrepointé de tant de beaux & reluifans diamans , fe montre toujours a nous &afïn que le puiffions tout voir, il tourne continuellement autour de nous. II fe montre tout k tous en tous endroits, en un jour, en une nuit. La terre qui avec les mers & tout ce qu'elle embraffe, n'eft pas la cent foixantieme partie de la grandeur du Soleil, ne fe montre a nous qu'a 1'endroit oh nous 1'habitons ; mais encore ce changement du plancher de delfous n'eft rien. M5 2. Nature.  156 DE LA SAGESSEj Qu'importe être né en un lieu & vivre en un autre ? : Notre mere fe pouvoit accoucher ailleurs; c'eft r encontre que nous naiftions ga ou la. Davantage j toute terre porte, produit &c nourrit des hommes; f fournit tout ce qui eft néceffaire. Toute terre I porte des parens: la nature nous a tous conjoints ) de fang & de charité. Toute terre porte des I amis ; il n'y a qu'a en faire , & fe les concilier par vertu & fageffe. Toute terre eft pays a 1'homme | fage, ou plutöt nulle terre ne lui eft pays. C'eft j fe faire tort, c'eft foibleffe & baffeffe de cceur it de fe porter ou penfer étranger en quelque lieu. | II faut ufer de fon droit, & par-tout vivre comme ji chez foi & fur le fien, omnes terras tanquam fuas \ videre , & fuas : tanquam omnium. Et puis quel changement ou incommodité nous apporte la diverfité de lieu? Neportons-nous pas toujours notre même efprit & vertus ? Qui peut empêcher, difoit Brutus, que le banni n'emporte avec foi fes vertus ? L'efprit ni la vertu n'eft point fujet ou enfermé en aucun lieu , eft par - tout également & indifféremment; 1'honriête homme eft citoyen du monde, libre , franc, joyeux & content par-tout, toujours chez foi, en fon quarré, toujours même, encore que fon étui fe remue & tracaffe : animus facer & ceternus ubique eft.y JDiis cognatus, omni mundo & cevo par. C'eft être chez foi &en fon pays par-tout ou l'on fe trouve bien, ne dépend point du lieu, mjis de foi-même. Combien Ye?tu.  L ï V R E 111. *57 Combien de gens fe font bannis volontairement pour diverfes confidérations ? Combien d'autres, qui s'étant bannis par la violence d'autrui, puis. après rappellés , n'ont point voulu retourner, tk ont eu leur exil non-feulement tolérable , mais doux tk voluptueux; & n'ont penfé avoir vêcii que le temps qu'ils ont été bannis , comme ces généreuxRomains Rutilius, Marcellus? Combien d'autres ont été tirés par la main de la fortune hors leur pays , pour être grands & puilfans en terre étrangere ? CHAPITRÊ XXV. De la Pauvreté , Indigence, Perte de biens. C ette plainte eft du vulgaire fot tk miférable, qui met aux biens de la fortune fon fouverain bien, & penfe que la pauvreté eft un très-grand mal. Mais pour montrer ce qui en eft , dilette & défaut des chofes néceffaires tk requifes k nature , celle-ci n'arrive prefque jamais , étant nature fi équitable, & nous ayant formé de cette facon, que peu de chofes nous font néceffaires, &icelles fe trouvent par-tout, ne manquent point, parabile e/l quod natura dejiderat, & expojitum, ni encore guere celles qui font a fuffifance tk regardent Pufage modéré tk la condition d'un II. Partie. K t Pauvretd doublé, i. Dilette des chofes nécefiaites. 4. Exemple,  I  Livre 111. 163 DE LA MORT. I l en a été tant au long & en tous fens parlé en 1'onzieme &C pénultieme chapitre du fecond livre , qu'il ne me refte plus rien a dire ici, dont je renvoyeda. SECONDE PARTIE DES MAUX INTERNES, PASS 10NS FASCHEUSES. P r é f a ce. D E tous ces maux fufdits naiffent & fourdent en nous diverfes pajjions & affeclions cruelles ; car étant iceux pris & conjidérés tout fimpltment comme tels , naiffent crainte qui apprèhende les maux encore a venir, trijleffe qui les regarde prèjens, & s'ils font en autrui c ejl compajfon & miféricorde. Etant conjidérés comme venans &procurés par le fait d'autrui, naiffent les paffions de colere, haine envie, j'aloujie, dépit, vengeance & toutes celles qui nous font regarder de mouvais ozil ceux qui nous caufent du déplaifir. Or, cette vertu de force & de vaillance confife a réglement & felon raifon recevoir tous ces maux, s'y porter courageufement, & en cefaifant fe tenir & garder net & libre de toutes cespajjions^ R iv  CHAPITRE XXVIII. Contre la Crainte. Prenons loifir d'attendre les maux, peut-être quils ne viendrontpas jufqu'a nous, nos craintes font auffi fujettes a fe tromper que nos efpérances. Peut-être que le temps que nous penfons devoir apporterdel'afflicTion, amenera de la confolation. Combien peut-il furvenir de rencontres qui pareront au coup que nous craignons ? Le foudre fe détournera avec le vent d'un chapeau, & les fortunes des grands états avec un petit moment. Un tour de roue met en haut ce qui étoit en bas, & bien fouvent d'oii nous attendons notre ruine, 264 DE LA SAGESSE, qui en viennent, Mais pource qu elles ne fubfiflent que par ces maux, Ji par le moyen & fecours de tant d'avis & remedes ci-deffus apportés, Ion peut vaincre & méprifer tous ces maux, il ny rejlera plus aucun lieu aces pajjions. Et cejl le vrai moyen a"en venir a bout & s'en garantir, ainfi que cejlle meilleur pour éteindre le feu, que fouftraire le bois, qui ejl fon aliment. Toutefois nous ne laifferons d'apporter encore avis paniculiers contre toutes ces pajions, bien qu'elles ayent été tellement dèpeintes ci-deffus , quil ejl très-facile de les avoir en horreur & en haine. I, c, 2 27 & fuivans.  Livre HL 2.65 nous recevons notre falut. II n'y a rien fi fujet a être trompé que la prudence humaine. Ce qu'elle efpere lui manque, ce qu'elle craint s ecoule, ce qu'elle n'attend point lui arrivé. Dieu tient fon confeil apart; ce que les hommes ont délibéré d'une facon, il le réfout d'une autre. Ne nous rendons point malheureux devant le temps, Sc peut-être ne le ferons-nous point du tout. L'avenir qui trompe tant de gens , nous trompera auffitöt en nos craintes qu'en nos efpérances. C'eft: une maxime fort célebre en la médecine, qu'ès maladies aigues les prédicTions ne font jamais certaines : ainfi eft-il aux plus furieufes menaces de la fortune; tant qu'il y a vie, il y a efpérance; 1'elpérance demeure aufli long-temps au corps que 1'efprit, quandiu fpiro , Jpero. Mais pource que cette crainte ne vient pas toujours de la difpofition de nature, mais fouvent de la trop délicate nourriture ( car pour n'avoir été de jeunefTe nourri a la peine 6c au travail, nons appréhendons des chofes fouvent fans raifon ) il faut de longue main nous accoutumer h ce qui nous peut plus épouvanter, nous repréfenter les dangers les plus effroyables, oii nous pouvons tomber, 6c de gaité de cceur tenter quelquefois les hafards, pour y eflayer notre courage , dévaneer fes mauvaifes aventures, 6c faifir les armes de la fortune. II nous eft: bien plus aifé de lui réfifter quand nous 1'aflaillons, que quand nous 2;  3.66 DE LA S A G E S S E , nous défendons d'elle. Nous avons lors loifir de nous armer, nous prenons nos avantages, nous pourvoyons a la retraite; ou quand elle nous affaut, elle nous furprend & nous choifit comme elle veut. II faut donc qu'en 1'affaillant nous apprenions k nous défendre , que fouvent nous nous donnions de fauffes alarmes , nous nous propofions les dangers qu'ont paffe les grands perfonnages; que nous nous fouvenions comme les uns ontévité les plus grands pour ne s'en être point étonnés, les autres fe font perdus ès moindres pour ne s'y être pas bien réfolus. CHAPITRE XXIX. Contre ia Trijleffe. L es remedes contre la tritteffe ( décrite ci-deffus pour la plus facheufe , dédommageable & injufte paffion ) font doublés : les uns font obliques. J'appelle les droits ceux que la philofophie enfeigne , & qui confifient a regarder ferme & affronter les maux & les dédaigner, ne les eftimant point maux, ou fi petits & légers ( encore qu'ils foient grands & preffans) qu'ils ne font dignes que notre efprit s'en émouve & s'en altere ; & que s'en plaindre & contrifter c'eft une chofe injufte & méféante, ainfi parient les Stoïciens,  L I V R E HL 2.67 Péripatéticiens & Platoniciens. Cette maniere de fe préferver de trifteffe & de toute paffion douloureufe eft très-belle & très-excellente , mais auffi très-rare des efprits de la première claffe. II y en a une autre auffi philofophique , encore qu'elle ne foit de fi bonne & fainte familie , qui eft bien facile & bien plus en ufage , & eft oblique, c'eft par diverfion & détournement de fon efprit & fa penfée a chofe plaifante & douce, au moins autre que celle qui nous amene la trifteffe ; c'eft gauchir , décliner & rufer au mal; c'eft changer d'óbjet. C'eft un remede fort fréquent & qui s'ufite prefqu'en tous maux, fi l'on y veut prendre garde tant du corps que de 1'efprit. Les medecins qui ne peuvent purger le catarrhe, le détournent, & dévoyent en autre partie moins dangereufe, k qui il faut appliquer la lancette , le cautere, le fer ou le feu. Ceux qui patiënt les précipices, ferment les yeux , détournent la vue ailleurs. Les vaillans en guerre ne goütent & ne confidérent aucunement la mort ; 1'ardeur du combat les emporte. Tant qui ont fouffert la mort doucement , voire qui fe la font procurée & donnée, ou pour la gloire de leur nom, comme plufieurs Grecs & Romains, ou pour 1'efpérance d'une meilleure vie, comme les martyrs , les difciples d'Hegefias , & autres après la leéture de 1'Axioque de Platon: ou pour fuir les maux de cette vie, ou pour autres raifons. Tout cela n'eft-ce pas  't68 DE LA S A G E S S E; diverfion ? Peu y en a qui confiderent les mail* en eux-mêmes, qui les goütent & accointent comme fit Socrates, la mort, & Flavius condamné par Néron a. mourir par la main de Niger. Parquoi aux finiftres accidens & méfaventures, & k tous maux externes il faut détourner fon efprit k d'autres penfées. Le vulgaire fcait bien dire, n'y penfez pas. Ceux qui ont en charge les affligés, doivent pour leur confolation prudemment & doucement fournir d'autres objetsè 1'efprit affailli. Abducendus ejl animus ad aliaftudia, folicitudines,curas,negotia; locideniaue mutationt fcepe curandus ejl. t.i.c.32. CHAPITRE XXX. Contre la CompaJJion & Mijéricorde. J t y a doublé miféricorde, 1'une forte , bonne & vertueufe, qui eft en Dieu & aux Saints , qui eft par volonté & par erfet fecourir aux affligés &ns s'affliger foi-même, fans rien ravaler de la juftice & dignité; 1'autre eft une fotte & féminine pitié paffionnée, qui vient de molleffe & foibleffe d'ame, de laquelle a été parlé aux paffions cideffus. Contre icelle, la fageffe apprend de fecourir 1'affligé, mais non pas de fléchir & compatir avec lui. Ainfi eft dit Dieu miféricordieux. Comme  L 1 V R £ III. ity le médecin a fon patiënt, 1'avocat k fa partie apportent toute diligence Sc induftrie , mais ne fe donnent au cceur de leurs maux Sc affaires : ainfi le fage fait fans accepter la douleur, & noircir fon efprit de fa fumée. Dieu commande d'avoir foin Sc aider aux pauvres, prendre leur caufe en main, ailleurs il défend d'avoir pitié du pauvre en jugement. CHAPITRE XXXI. Contre la Colere. L es remedes font plufieurs Sc divers, defquels 1'efprit doit être avant la main armée Sc bien munie , comme ceux qui craignent d'être affiégés, car après n'eft pas temps. Ils fe peuvent réduire a trois chefs, le premier eft de couper chemin &c fermer toutes les avenues k la colere. II eft bien plus aifé de la répouffer & lui fermer le premier pas, qu'en étant faifi s'y porter bien ÖC réglément. II faut donc fe délivrer de toutes les caufes Sc occafions de colere qui ont été cidevant déduites en fa defcription, fcavoir; 1. foibleffe, molleffe. 2. Maladie d'efprit en endurciffant contre tout ce qui peut avenir. 3. Délicateffe trop grande , amour de certaines chofes , s'accoutumant a la facilité Sc fimplicité, mere de paix lïv. I. g. 29.  270 D £ LA S A G £ S S £, & repos. Ad omnia compofiti fimus, quce bona & paratiora, fint nobis meliora & gratiora, c'eft la doctrine des fages. Cotys Roi ayant recu de préfent plufieurs très-beaux & riches vaiffeaux fragiles & aifés a caffer, les rompit tous pour n'être en danger de fe colérer , avenant qu'ils fuffent caffés. Ce fut la défiance de foi, lacheté & crainte, qui le poufla a cela. II eüt bien mieux fait, fi fans les rompre il fe füt réfolu de ne fe courroucer, pourquoi il en fut avenu. 4. Curiofité, a 1'exemple de Cefar, qui viétorieux, ayant recouvré les lettres, écrits, mémoires de fes ennemis, les brüla tous fans les vouloir voir. 5. Légereté a croire. 6. Et fur-tout 1'opinion d'être méprifé ÖC injurié par autrui, laquelle il faut chafier comme indigne homme de cceur; car combien qu'elle femble être glorieufe & venir de trop d'eftime de foi ( vice grand cependant ) fi vient - elle de bafiefle & foiblefle , car celui qui s'eftime méprifé de quelqu'un, eft en quelque fens moindre que lui , fe juge ou craint de 1'être en vérité ou par réputation, & fe défie de foi. Nemo non eo , a. quo fe contemptum judicat, minor efi. II faut donc penfer que c'eft plutöt toute autre chofe que mépris , c'eft fottife , indifcrétion , néceflité & défaut d'autrui. Si le mépris prétendu vient des amis , c'eft une familiarité. Si de nos fujets, fcachant que l'on a puiffance de les chatier & faire repentir, il n'eft k croire qu'ils y ayent  Livre III. 171 penfé. Si de viles 8c petites gens, notre honneur ou dignité tk indignité n'eft pas en la main de telles gens : indignus Cefaris ira. Agatocles tk Antigonus fe rioient de ceux qui les injurioient, 8c ne leur firent mal les tenant en leur puiffance. Cefar a été excellent par-defliis tous en cette part, mais Moyfe , David 8c tous les grands en ont fait ainfi, magnam fortunam magnus animus decet. La plus glorieufe eft vief oire d'être maitre de foi, ne s'émouvoir pour autrui. S'en émouvoir , c'eft fe confeffer atteint; convitia , fi irafcare , agnita videntur, Jpreta exoUfcunt. Celui ne peut être grand qui plie fous l'offenfe d'autrui; fi nous ne vainquons ;la colere, elle nous vaincra, injurias offenfiones fupernè defpicere. Le fecond chef eft de ceux qu'il faut employer lors que les occafions de colere fe préfentent, 8c qu'il femble qu'elle veut naïtre en nous, qui font, 1. arrêter 8c tenir fon corps en paix 8c repos, fans mouvemens 8c agitation; laquelle échauffe le fang tk les humeurs, 8c fe tenir en lilence tk folitude. z. Dilation k croire 8c prendre réfblution, donner loifir au jugement de confidérer. Si nous pouvons une fois difcourir , nous arrêterons aifément le cours de cette fïevre. Un fage confeilloit k Augufte étant en colere de ne s'émouvoir que premiérement il n'eüt dit 8c prononcé les lettres de 1'alphabet. Tout ce que nous difons tk failons en la chaude colere, ne doit être fujet, 2. 2. Chef.  ZJZ DE LA SAGESSE, pource faut-il faire alte. Nihil tibi liceatdum ira/cerisi Quare ? Quia vis omnia licere. Nous nous devons craindre Sc douter de nous-mêmes; car tant que nous fommes émus, nous ne pouvons rien faire a propos: la raifon lors empêtrée des paffions ne nous fert non plus que les ailes aux oifeaux englués par les pieds. Parquoi il faut recourir a nos amis, Sc mürir nos coleres entre leurs difcours. 4. Auffi la diverfion Sc toute chofe plaifante a la mufique. Le troifieme chef eft aux belles confidérations, defquelles doit être abreuvé Sc teint notre efprit de longue main. Premiérement des actions & mouvemens de ceux qui font en colere, qui nous doivent faire horreur tant elles font méféantes; c'eft 1'expédient que donnent les fages pour nous en détourner, confeillant de feregarder au miroir. Secondement & au contraire de la beauté, qui eft de la modération, fongeons combien la douceur Sc la clémence ont de grace, comme elles font agréables aux autres , Sc utiles a nous-mêmes; c'efl: 1'aimant qui tire a nous le cceur & la volonté des hommes. Ceci eft principalement requis en ceux que la fortune a colloqué en haut degré d'honneur , qui doivent avoir les mouvemens plus remis Sc tempérés. Car comme leurs aétions font plus d'importance, auffi leurs fautes font plus difficiles k réparer. Finalement y a 1'eftime Sc l'amour que nous devons porter a ia fageffe que nous 3. Chefs.  Livre III. 273 nous étudïons ici, laquelle fe montre principalement a fe retenir & fe commander , demeurer conftante &c invincible: il faut élever fon ame de terre & la conduire a une difpofition femblable a cette plus haute partie de 1'air , qui n'eft jamais offufquée de nuées ni agitée de tonnerres , mais en une férénité perpétuelle , ainfi notre ame ne doit être obfcurcie par la trifteffe, ni émue par la colere, & fuir toute précipitation, imiter le plus haut des planettes qui va le plus lentement de tous. Or, tout ceci s'entend de la colere interne, couverte&qui dure jointe avec mauvaife affection, haine, defir de vengeance , qua in Jinu Jlulti requiefcit, ut qui reponunt odia ; quodque favce co~ gitationis indicium ejl , jecreto juo jatiantur. Car cette externe & ouverte , eft courte, un feu de paille, fans mauvaife affect ion qui eft pour faire reffentir k autrui fa faute, foit aux inférieurs par repréhenfions & réprimandes ou autres, pour leur remontrer le tort & indifcrétion qu'ils ont, c'eft chofe utile, néceffaire & bien louable. II eft bon & utile pour foi & pour autrui de quelquefois fe courroucer, mais que ce foit avec modération & regie. II y en a qui retiennent leur colere au-dedans, afin qu'elle ne fe produife, & qu'ils apparoiffent fages & modérés; mais ils rongent au-dedans & fe font un effort qui leur cotite plus que ne vaut tout. II vaudroit mieux II. Partie. S Se coléYf-r quand bon &i utile pour foi.  S74 D S LA S A G £ S S B, fe courroucer & éventer un peu ce feu au-dehors, afin qu'il ne fut fi ardent 8c ne donnat tant de peine au - dedans. On incorpore la colere en la cachant. II vaut mieux que fa pointe agiffeun peu au-dehors que la replier contre foi. Omnia vitia in aptrto leviora funt, & tune perniciofifjima cum Jimulata fanitate fubjidunt. Auffi contre ceux qui n'entendent ou ne fe lailfent guere mener par raifon, comme le genre de valets qui ne font que par crainte, faut que la colere y fupplée, vraie ou fimulée, fans laquelle fouvent n'y auroit réglement en la familie. Mais que ce foit avec ces conditions ; 1. non fouvent 8c a tous propos; i. ni pour chofes légeres. Car étant ordinaire viendroit a mépris, 8c n'auroit poids ni effet. 3. Non en 1'air 8c a coup perdu, grondant 8c criaillant en abfence; mais qu'elle arrivé 6c frappe celui qui en eft caufe, 6c de qui l'on fe plaint. 4. Que ce foit vivement , pertinemment 6c férieufement fans y mêlerrifée, afin que ce foit utile chatiment du pafte 8? provifion a 1'avenir. Bref il en faut ufer comme d'une médecine. Tous ces remedes au long deduits font auffi bons pour les fuivantes paffions. Pour autrui.  LlTRBlIL 275 CHAPITRE XXXII. Contre la Haine. Pour fe défendre contre la haine il faut tenir une regie qui eft vraie, que toutes chofes ont deux anfes par lefquelles l'on les peut prendre , par 1'une elle nous femble grieves & pefantes, par 1'autre aifée 6c légere. Prenons donc les chofes par la bonne anfe, & nous trouverons qu'il y a de bon a aimer en tout ce que nous accufons 6c haiifons. Car il n'y a rien au monde qui ne foit pour le bien de 1'homme. Et en ce qu'il nous offenfe, nous avons plus de fujet de le plaindre que de le haïr; car il eft le premier offenfé & en recoit le plus grand dommage, pource qu'il perd en celal'ufage de la raifon, la plus grande perte qui puiffe être. Tournons donc en tel accident la haine en pitié, & mettons peine de rendre dignes d'être aimés ceux que nous voudrons haïr, ainfi que fit Lycurgue a celui qui lui avoit crevé 1'ceil, lequel il rendit pour peine de 1'injure un honnête, vertueux & modefte citoyen par fa bonne inftrucfion. S ij  Ij6 BS LA S A G E S S E, CHAPITRE XXXIII. Contre VEnvit. C ontre cette paffion confïdérons ce que nous eftimons bien Sc envions a autrui. Nous envions ès autres volontiers des richefles, des honneurs , des faveurs. C'eft faute de fcavoir ce que leur cofite cela. Quinous diroit : vous en aurez autant amêmeprix, nous n'en voudrions pas. Pour les avoir il faut flatter, endurer des afflictions , des injures, bref perdre fa liberté, complaire 8c s'accommoder aux voluptés 8c paffions d'autrui. L'on n'a rien pour rien en ce monde. Penfer arriver aux biens , honneurs, états , offices, autrement, 8c vouloir pervertir la loi , ou bien la coutume du monde , c'eft vouloir avoir le drap 8c 1'argentPourquoi toi qui fais profeffion d'honneur 8c de vertu , te faches-tu fi tu n'as ces biens-la qui ne s'acquierent que par une honteufe patience? Ayez donc plutöt pitié des autres qu'envie. Si c'eft un vrai bien qui foit arrivé a autrui, nous nous devons réjouir, car nous devons defirer le bien les uns des autres ; fe plaire au bien d'autrui, c'eft accroitre le fien.  Livre 1 IL 277 CHAPITRE XXXIV. Contre la Vengeance, C ontre cette cruelle paffion, il faut premiérement fe fouvenir qu'il n'y a rien de fi honorable que de fcavoir pardonner. Un chacun peut pourfuivre la raifon & la juftice du tort qu'il a recu , mais donner grace & rémiffion , il n'appartient qu'au prince fouverain. Si donc tu veux être Roi de toi-même & faire acte royal, pardonne librement & ufe de grace envers celui qui t'a offenfé. Secondement, qu'il n'y a rien de fi grand Sc victorieux que la dureté & infenfibilité ccurageufe aux injures , par laquelle elles retournent & rejailliffent entieres aux injurians, comme les roideaffenés aux chofes très-dures & folides , qui ne font autre chofe que blefTer & étourdir la main & lebras du frappeur; méditer vengeance eft fe confefferbleffé : fe plaindre , c'eft fe dire atteint & inférieur. Ultio doloris eonfejjio ejl : non ejl magnus animus quem incurvat injuria : ingens animus 1 & verus ejlimator fut non vindicat injuriam , quia .non fentit. L'on objedte qu'il eft dur, grief & honteux 1 de fouffrir une offenfe; je 1'accorde Sc fuis d'avis S iij 3'  %7% De la S a g e s s e, de ne fouffrir, ains de vaincre & demeurer maitre ; mais d'une belle & honorable facon, en la dédaignant 8c celui qui la fait, & encore plus en bien faifant. En tous les deux Cefar étoit excellent. C'eft une glorieufe vicfoire de vaincre 5c faire bouquer 1'ennemi par bienfaits, Sc d'ennemi le rendre ami. Et que la grandeur de 1'injure ne nous retienne point. Au contraire eftimons que plus elle eft grande, plus elle eft digne d'être pardonnée , 6c que plus la vengeance en feroit jufte, plus la clémence eft louable. Et puis ce n'eft raifon d'être juge 5c partie, comme l'on veut Ia vengeance : il s'en faut remettre au tiers, il faut pour le moins en avoir confeil de fes amis &r des fages , 6c ne s'en croire pas foi-même. Jupiter peut bien feul darder les foudres favorables 6c de bonne augure; mais quand il eft queftion de lancer les nuifibles 6c vengeurs, il ne le peut faire fans le confeil 8c affiftance de douze Dieux. C'eft grand cas que Ie plus grand des Dieux qui peut de lui-même bien faire k tout le monde, ne peut nuire a perfonne qu'après une folemnelle délibération. La fageffe de Jupiter craint même cle faillir quand il eft queftion de fe venger : il lui faut du confeil qui le retk'nne. II faut donc nous former une modération d'efprit, c'eft la vertu de clémence, qui eft une douceur 8c gracieufeté qui tempere, retient 5c ■ 5Clén.ence.  Livre IJL 179 réprime tous les mouvemens. Elle nöus munira cle patience, nous perfuadera que nous ne pouvons être offenfés que de nous-mêmes; que des injures d'autrui, il n'en demeurera en nous que ce que nous en voudrons retenir. Elle nous conciliera l'amitié de tout le monde , nous apportera une modeftie tk bienféance agréable a tous. CHAPITRE XXXV. Contre la Jaloufle. Ij e feul moyen de 1'éviter eft de fe rendre digne de ce que l'on defire. Car la jaloufie n'eft qu'une défiance de foi-même, tk un témoignage de notre peu de mérite. L'Empereur Aurele, a qui Fauftine fa femme demandoit ce qu'il feroit fi fon ennemi Caffms gagnoit contre lui la bataille, dit: je ne fers point fi mal les Dieux, qu'ils me veulent envoyer une telle inrortune. Ainfi ceux qui ont part en 1'affection d'autrui, s'il leur avient quelque crainte de la perdre , difent, je n'honore pas fi peu fon amitié qu'il m'en vueille priver. La confiance de notre mérite eft un grand gage de la volonté d'autrui. Qui pourfuit quelque chofe avec la vertu, eft aifé d'avoir un compagnon a la pourfuite ; car il fert de reliëf tk d'éclat a fon mérite. L'imbécillits S iv  aSo DE LA S A G E S S E , feule craint la rencontre , pource qu'elle penfe qu'étant comparéeavec un autre, fon imperfecTion paroïtra incontinent. Otez 1'émulation , vous ótez la gloire & 1'éperon a. la vertu. Le confeil aux hommes contre cette maladie, quand elle leur vient de leurs femmes, c'eft que la plupart des grands ;& galans hommes font tombés en ce malheur, fans qu'ils en ayent fait aucun bruit. Lucullus , Cefar, Pompée, Caton , Augufte, Antonius & tant d'autres. Mais diras-tu, le monde le fcait & en parle ; & de qui ne parle-t-on en ce lens du plus grand au plus petit ? On engage tous les jours tant d'honnêtes hommes en cereproche en ta préfence ; fi tuten remues, les dames mêmes s'en moqueront : la fréquence de eet accident doit meshui en avoir modéré 1'aigreur. Au refte fois tel que l'on te plaigne , que ta vertu étouffë ce malheur , afin que les gens de bien ne t'en eftiment rien moins, mais en maudilfent 1'occafion. Quant aux femmes il n'y a point de confeil contre ce mal, leur nature eft toute,conüte en foupcon, vanité, curiofité. II eft vrai qu'ellesmêmes fe guériffent aux dépens de leurs maris, verfant leur mal fur eux , & guériffent leur mal par un plus grand. Mais fi elles étoient capables de confeil , l'on leur diroit de ne s'en foucier ni faire femblant de s'en appercevoir , qui eft une douce médiocrité enrre cette folie jaloufie, & 3'  Livre III. 281 cette autre oppofite qui fe pratique aux Incles , & autres nations oii les femmes travaillent d'acquérir des amis & des femmes a leurs maris, cherchant fur-tout leur honneur (Or c'eft un témoignage de la vertu, valeur & réputation aux hommes en ces pays-la, d'avoir plufieurs femmes ) & plaifir ; ainfi Livia a Augufte , Stratonique au Roi Dejotarus : ou bien multiplication de lignée , comme Sara , Lia, Rachel a Abraham & Jacob. CHAPITRE XXXVII. De la Tempérance, quatrieme Vertu: de la Temperance tn général. Temperance fe prend doublement en terme gencicu, puur une moaeration cx aouce attrempance en toutes chofes/Et ainfi ce n'eft point une vertu fpéciale , mais générale & commune , c'eft un affaifonnement de toutes ; & perpétuellement requife, principalement aux affaires oii y a de la difpute & conteftation , aux troubles & divifions. Pour la garder il n'y a que de n'avoir point d'intentions particulieres, mais fimplement s'en tenir k fon devoir. Toutes intentions légitimes font tempérées, la colere, la haine, font au-dela du devoir & de la juftice, & fervent feulement k ceux qui ne fe tiennent a leur devoir par la raifon fimple. 1. Temperance doublé , générale.  l8a DE LA SAGESSE, Spécialement pour une bride tk regie aux chofes plaifantes, voluptueufes, qui chatouillent nosfens& nos appétits naturels. Nous la prendrons ici plus au large pour la regie tk le devoir en toute profpérité , comme la force étoit la regie en toute adverfité , & fera la bride, comme la force 1'éperon ; avec ces deux nous dompterons cette partie brutale , farouche tk revêche des paffions, qui eft en nous, tk nous nous porterons bien & fagement en toute fortune & en tous 3- Defeription Av Ij Tempérance. fible, mais fpécialement & promptement la volupté, de laquelle eft retranchement & réglement, retranchement de la fuperflue, étrangere, vicieufe; réglement de la naturelle tk néceffaire. Voluptatïbus imperat, alias odit & abigit, alias difpenfat CV ad Janurn modum redigit: ntc unquam ad Mas Dropter Mas venit , feit optimum effe modum cupitorum, non quantum velis, Jed quantum debeas. C'eft l'autorité & puiffance de la raifon fur les cupidités & violentes affecTions qui portent nos volontés aux plaifirs & voluptés. C'eft le frein de notre ame & 1'inftrument propre a écumer les bouillons qui s'élevent par la chaleur & intempérance du fang, afin de contenir 1'ame une tk. égale a la raifon, afin qu'elle ne s'accommode point aux objets fenfibles; mais plutöt qu'elle les accidens, qui eft le haut point de fageffe. La tempérance a donc pour fon fujet tk objet général toute profpérité , chofe plaifante & plau-  Livre Hf. 283 accommode & faffe fervir a foi. Par icelle nous fevrons notre ame du lait doux des délices de ce monde, & la rendons capable d'une plus folide & fucculente nourriture. C'eft une regie laquelle doucement accommode toutes chofes a la nature, a. la néceflité , limplicité, facilité, fanté, fermeté. Ce font chofes qui vont volontiers enfemble, tk font les mefures tk hornes de fageffe ; comme au rebours, l'art,le luxe & fuperfluité, la variété tk multiplicité, la difficulté, la maladie tk délicateffe fe font compagnie , fuivant 1'intempérance & la folie , fimpiici cura conflant necejfaria , in deliciis laboratur. Ad parata nati fumus : nos omnia nobis difpZcilia facilium fajlidio facimus. CHAPITRE XXXVII. De la Profpérité & avis fur icelle. L A profpérité qui nous arrivé doucement par le commun cours tk train ordinaire du monde , ou par notre prudence & fage conduite, eft bien plus ferme tk affurée, & moins enviée que celle qui vient comme du ciel avec éclat, outre tk contre 1'opinion de tous, tk 1'efpérance de celui qui en eft étrenné. La profpérité eft très-dangereufe: tout ce qu'il y a de vain & léger en 1'ame , fe fouleve au  1%4 DE LA S A G E S S E, premier vent favorable. II n'y a chofe qui tant perde tk faffe oublier les hommes, que la grande profpérité, comme les bleds fe couchent par trop grande abondance, tk les branches trop chargées fe rompent, dont il elf bien requis comme en un pas glilfant de fe bien tenir tk garder, tk fur-tout de 1'infolence, de la fïerté tk préfomption. II y en a qui fe noyent a deux doigts d'eau, tk a la moindre faveur de la fortune s'enflent, fe méconnoiffent , deviennent infupportables , qui eft la vraie peinture de folie. Deda il vient qu'il n'y a chofe plus caduque tk qui foit de moindre durée que la profpérité mal confeillée, laquelle ordinairement change les chofes grandes tk joyeufes entrifles & calamiteufes, Sela fortune d'amoureufe merefe change en cruelle maratre. Or , le meilleur avis pour s'y bien porter, eft de n'eftimer guere toute fortes de profpérité tk bonnes fortunes, tk par ainfi ne la defirer aucunement; fi elles arrivent de leur bonne grace, les recevoir tout doucement & allégrement, mais comme chofes étrangeres nullement néceffaires, defquelles l'on fe fut bien palfé , dont il ne faut faire mife ni recette , ne s'en haulfer ni baitfer. Non ejl tuum , fortuna quod facit tuum. Quitutam vitam agere volet, ifta vifcata beneficia devitet, nil dignum putart quod fperes. Quid dignum habei fortuna, quod concupifcas.  L i r m. m III. 285 CHAPITRE XXXVIII. De la Volupté & avis fur icelle "Volupté eft une perception& fentiment dece qui eft convenable a nature , c'eft un mouvement & chatouillement plaifant; comme a 1'oppoiite la douleur eft un fentiment trifte & déplaifant , toutefois ceux qui la méritent au plus haut , & en font le fouverain bien, comme les Epicuriens, nelaprennent pas ainfi, mais pour uneprivation r. Defcription & diftinftion de volupté.; de mal & de plaifir, en un mot, indolence. Selon eux le n'avoir point de mal, eft le plus heureux bien-être que 1'homme puilfe efpérer ici. Nimium boni eft, cui nihil mali. Ceci eft comme un milieu ou neutralité entre la volupté prife au fens premier & commun: &la douleur, c'eft comme jadis Ie fein d'Abraham entre le Paradis & 1'Enfer des damnés. C'eft un état & une aflïette douce Ó£ paifible, une égale , conftante & arrêtée volupté qui reffemble aucunement 1'euthymie & tranquillité d'efprit, eftimée le fouverain bien par les philofophes ; 1'autre première forte de volupté eft aftive, agente & mouvante. Et ainfi y auroit trois états, les deux externes oppofites douleur & volupté qui ne font ftables & durables, & toutes deux maladives. Et celui du milieu ftable,  286 DE LA S A G £ S S E, ferme , fain , auquel les Epicuriens ont voulu donner le nom de volupté ( comme ce 1'eft auffi eu égard a la douleur ) Ia volupté faifant le fouverain bien. C'eft ce qui a tant décrié leur école, comme Seneque a ingenuement reconnu & dit; leur mal étoit au titre tk aux mots non en la fubftance, n'y ayant jamais eu de doftrine ni vie plus fobre, modérée tk ennemie des débauches & des vices que la leur. Et n'eft pas encore du tout fans quelque raifon qu'ils ont appellé cette indolence & état paifible, volupté; car ce chatouillement qui femble nous élever au-deffus de 1'indolence, ne vife qua 1'indolence comme a fon but; comme par exemple 1'appetit qui nous ravit a 1'accointance des femmes, ne cherche qu'a fuir la peine que nous apporte le defir ardent & furieux a 1'affouvir: nous exempter de cette fievre tk nous mettre en repos. L'on a parlé fort diverfement, trop court tk. détrouffiément de la volupté, les uns l'ont déifiée les autres l'ont déteftée comme un monftre, tk au feul mot ils trémouffent ne le prenant qu'au cnminel. Ceux qui la condamnent tout a plat, difent que c'eft chofe , i. courte tk brieve , feu de paille, même fi elle eft vive tk aftive, 2.frêle & tendre, aifémsnt & pour peu corrempue tk emportée, une once de douleur gatera une mer de plaifir ; cela s'appelle 1 artillerie enclouée. 3. Humble, baffe , honteufe , s'exercant par vils outils en lieux cachés tk honteux, au moins pour 2. •ontre elle.  L i r * x Ui. 2.87 la plupart, car il y a des voluptés pompeufes tk magnifiques. 4. Sujette bientöt a fatiété. L'homme ne fcauroit demeurer long-temps en la volupté: il en eft impatient, dur , robufte autrement a la douleur , comme a été dit, fuivie le plus fouvent du repentir; produifant de très-pernicieux effets, ruine des perfonnes, families , république , tk fur-tout ils alleguent que quand elle eft en fon plus grand effort, elle maitrife de facon que la raifon n'y peut avoir accès. D'autre part l'on dit qu'elle eft naturelle créée & établie de Dieu au mende , pour fa confervation tk durée, tant en détail des individus qu'en gros des efpeces. Nature mere de volupté conferve cela qu'ès actions qui font pour notre befoin, elle y a mis de la volupté. Or , bien vivre eft confentir a nature. Dieu , dit Moyfe, a créé la volupté , plantaverat Dominus Paradifum voluptatis, a mis tk établi l'homme en un état, lieu & condition de vie voluptueufe; tk enfin qu'eftce que la félicité derniere & fouveraine, finon volupté certaine tk perpétuelle ? Inebriabuntur ab ubertate domü^tua ; torrente voluptatis tuct potabis tos: fuis contenta finlbus res ejl divina voluptas. Et de fait les plus réglés philofophes tk plus grands profeffeurs de vertu , Zeno , Caton , Scipion, Epaminondas, Platon, Socrates même, ont été par effet & amoureux & buveurs , danfeurs, . 1. c.é. art. 4- Pour elle voyez 1. 2. c. 6.  a88 de la Sagesse; joueurs, & ont traité, parlé, écrit de 1'amour & autres voluptés. Parquoi ceci ne fe vuide pas en un mot tout fimplement : faut diftinguer, les voluptés font diverfes. II y en a de naturelles & non naturelles ; cette diftincfion comme plus importante fera tantöt plus confidérée. 11 y en a de glorieufes, faftueufes, difficiles; d'autres fombres , doucereufes, faciles &C prêtes. Combien qu'a la vérité dire la volupté eft une qualité peu ambitieufe, elle s'eftime affez riche de foi fans y mêler le prix de la réputation, & s'aime mieux a 1'ombre. Celles auffi qui font tant faciles & prêtes, font laches , morfondues, s'il n'y a de la malaifance & difficulté; laquelle eft un alléchement, une amorce, un aiguillon k icelles. La cérémonie, la vergogne & difficulté qu'il y a de parvenir aux derniers exploits de 1'amour , font fes aiguifemens & allumettes, c'eft ce qui lui donne le prix & la pointe. II y en a de fpirituelles & corporelles , non qu'a vrai dire elles foient féparées ; car elles font toutes de l'homme entier & de tout le fujet compofé; & une partie de nous n'en a point de fi propres que 1'autre ne s'en fente, tant que dure le mariage & amoureufe liaifon de 1'efprit óè du corps en ce monde. Mais bien y en a auxquelles 1'efprit a plus de part que le corps, dont conviennent mieux a l'homme qu'aux bêtes, & font plus durables, comme celles qui entrent en nous par les fens de 4- Diftmffion des voluptés.  L i r r e III. 289 Ia vue & de 1'ouie, qui font deux portes de 1'efprit, car ne faifant que paffer par-la , 1'efprit les recoit, les cuit & digere, s'en paït & délecïe long-temps; le corps s'en fent peu. D'autres oü le corps a plus de part, comme celles du goüt & de 1'attouchement, plus groffieres & matérielies , efquelles les bêtes nous font compagnie, telles voluptés fe traitent, exploitent, s'ufent & achevent au corps même, 1'efprit n'y a que 1'affiftance & compagnie, & font courtes, c'eft feu f. Avis fur icelles. Qui font lef non-naturelles. ae pame. Le principal en ceci eft fcavoir comment il fe faut comporter & gouverner aux voluptés, ce que le fage nous apprendra; c'eft 1'office de la vertu de tempérance. II faut premiérement faire grande & notable différence entre les naturelles & non naturelles. Par les non naturelles nous n'entendons pas feulement celles qui font contre nature, & le droit ufage approuvé par les loix; mais encore les naturelles mêmes , fi elles dégénerent en trop grand excès & fuperfluité, qui n'eft point du röle de la nature , qui fe contente de remédier a la néceffité, a quoi l'on peut encore ajouter la bienféance & honnêteté commune. C'eft bien volupté naturelle , d'être clos & couvert par maifon & vêtemens , contre la rigueur des élémens & injure des méchans; mais que ce foit d'or, d'argent, de jafpe & porphyre, il n'eft pas naturel. Ou bien fi elles arrivent par II. Partie. T  290 DE LA S A G E S S E, autre voie que naturelle , comme fi elles font recherchées & procurées par artifice, par médicamens & autres moyens non naturels. Ou bien qu'elles fe forgent premiérement en 1'efprit, fufcitées par paffion, & puis de-la viennent au corps, qui eft un orire renverfé; car 1'ordre de nature eft que les voluptés entrent au corps , & foient defirées par lui, & puis de-la montent en 1'efprit. Et tout ainfi que le rire qui eft par le chatouillement des aiflelles, n'eft p3S naturel ni doux, c'eft plutöt une convulfion , auffi la volupté qui eft recherchée & allumée par 1'ame, n'eft point naturelle. 6. Regie première & générale. 7« Pegles pou leo Baturell Or, la première regie de fageffe aux voluptés eft celle-ci, chaffer & condamner tout-a-fait les non naturelles comme vicieufes , batardes ( car ainfi que ceux qui viennent au banquet fans y être conviés font k refufer; aufli les voluptés qui d'elles-mêmes fans être mandées & conviées par la nature, fe préfentent, font a rejetter) admettre & recevoir les naturelles; mais avec regie & modération : & voila 1'office de tempérance en général , chaffer les non naturelles, régler les naturelles. Or, la regie des naturelles eft en trois points: :s premiérement que ce foit fans offenfe , fcandale, dommage &c préjudice d'autrui. Le fecond, que ce foit fans préjudice fien, de  Livre III. ai fon honneur, fa fanté, fon loiilr, fon devoir, fes fontfions. Le tiers, que ce foit avec modération , ne les prendre trop a cceur non plus qu'a contre-cceur, ne les courir ni fair ; mais les recevoir tk prendre comme on fait le miel , avec le bout du doigt, non en pleine main, non s'y engager par trop , rïi en faire fon propre fait tk principal affaire, moins s'y enivrer tk perdre; ce doit être 1'accefloire, une récréation pour mieux fe remettre comme le fommeil qui nous renforce , tk nous donne haleine pour retourner plus gaiement a Fceuvre. Bref en ufer & non jouir. Mais fur-tout fe faut garder de leur trahifon ; car il y en a qui fe donnent trop cherement, nous rende.it plus de mal tk de déplaifir ; mais c'eft traitreufement: car ils marchent devant pour nous amufer tk tromper, & nous cachent leur fuite cruelle, nous chatouillent tk nous embraffent pour nous étrangler. Le plaifir de boire va devant le mal de tête : tels font les plaifirs & voluptés de 1'indifcrette tk bouillante jeunefTe, qui enivrent. Nous nous plongeons dedans, mais en la vieilieffe elles nous laiffent comme tous noyés, ainfi que la mer fur la greve en fon reflux ; les douceurs que nous avons avallé fi glouttement, fe fondent puis en amertumes tk repentirs & rempliffent nos efprits d'une humeur vénéneufe , qui les infecfe tk corrompt. Or, comme la modération tk regies aux voluptés Tij  8. Déréglement préjudiciable 1C)1 BE la SaGESSE, eft chofe tres-belle & utile felon Dieu, nature, raifon; aufti I'excès tk déréglement eft la plus npfmnpufA rit» trui toe 011 miklt^ &r 0,1 nA«^^,1IA« pernicieule de toutes au public tk au particulier. La volupté mal prife ramollit & relache la vigueur de 1'efprit tk du corps. Debilitatem induxere delitits, blandijfima dominx, apoltror it tk effémine les plus courageux , témoin Annibal, dont les Lacédémoniens qui faifoient profeffion de méprifer toutes voluptés, étoient appellés hommes, & les Athéniens mols& délicats, femmes. Xerxes pour punir les Babyloniens révoltés , tk s'affurer d'eux a. 1'avenir, leur öta les armes & exercices pénibles & difficiles , tk permit tous plaifirs tk délices. Secondement elle chafle tk bannit les Vertus principales qui ne peuvent durer fous un empire fi mol & efféminé. Maximas virtutesjacerc oportet voluptate dominante. Tiercé ment, elle dégénéré bientöt k fon contraire , qui eft la douleur, le déplaifir, le repentir ; comme les rivieresd'eau douce courent tk vont mourir en la mer falée: ainfi le miel des voluptés fe termine en fiel de douleurs , in prcecipiti ejl, ad dolorem vergit, in contrarium abit, nifi modum teneat. Extrema gaudii luclus occupat. Finalement c'eft le féminaire de tous maux, de toute ruine. Malorum efca voLuptas. D'elle viennent les propos tk intelligencesfecrettes & clandeftines, puis les trahifons , enfin les éve: fions & ruines des Républiques. Maintenant nous parierons des voluptés en particulier.  K, / r x. m 1 Ih i$ CHAPITRE XXXIX. Du Matiger & Boire , & Sobriétc. Les viandes font pour la nourriture, pourfoutenir & réparer 1'infïrmité du corps; 1'ufage modéré, naturel & plaifant 1'entretlent, le rend propre & habile inftrument a 1'efprit; comme 1'excès au contraire non naturel 1'affoiblit, apporte de grandes & facheufes maladies, qui font les fupplices naturels de 1'intempérance; fimphx ex fimplici caufa, vahtudo ; muitos morbos , fupplieia luxurïce, mu/ta fircula fecerunt. L'homme fe plaint de fon cerveau de ce qu'il lui envoye tant de défluxions, fondique de toutes les maladies plus dangereufes; mais le cerveau lui répond bien. Dtfine fundere, & ego dejinam fluere. Sois fobre a avaler, & je ferai chiche k couler. Mais quoi 1'excès & apparat, la multitude , diverfité, & exquis appareil des viandes eft venu k honneur; nos gens après une grande fumptuofité & fuperfluité, prient encore de les excufer de n'avoir pas affez fait. Combien eft préjudiciable & k 1'efprit & au corps , la replétion des viandes, la diverfité, curiofité, 1'exquis & artificiel appareil, chacun le peut fentir en foi-même; la gourmandife & 1'ivrognerie font vices laches & groffiers, i!s fe décrient Tiij Bi Ufage i*i fiandes.  194 D E L A S A G E S S E, affez e\rx-mêmes par les geftes & contenances de ceux qui en font atteints ; defquelles laplusdouce Sc honnête eft d'être aflbupi Sc hébêté, inutile atout bien: jamais homme aimant fa gorge & fon ventre ne fit belle oeuvre ; aufii font-ils des gens de peu Sc bétails , mêmement 1'ivrognerie qui mene a toutes chofes Indignes, témoin Alexandre , autrement grand Prince, taché de ce vice , dont il en tua fon plus grand ami Ciitus , &c puis revenant a foi, fe vouloit tuer. Bref elle öte du tout le fens, & pervertit 1'entendement. Vinum clavo caret, dementat fap'untis , facit repuerafcere fencs. La fobriété bien que ne foit des plus grandes Sc difficiles vertus , qui ne donne peine qu'aux fots Sc forcats , ft elle eft un progrès Sc acheminement aux autres vertus: elle étouffe les vices au berceau, les fuffoque en la femence ; c'eft la mere de fanté, la meilleure Sc plus süre médecine contre toutes maladies , Sc qui fait vivre longuement. Socrates par fa fobriété avoit une fanté forte Sc acérée , Mafiniffa, le plus fobre Roi de tous, fit enfans a 86 ans & k 92 , vainquit les Carthaginois, oü Alexandre s'eniv rant, mourut en la fleur de fon age, bien qu'il fut le mieux né & plus fain de tous. Plufieurs goutteux Sc atteints de maladies incurables aux médecins, ont été guéris par diettes , voila pour le corps, plus longue Sc plus faine. Elle fert bien autant ou plus a 1'efprit, qui par elle eft tenu pur , Sobtiété recommandée. Hiéron.  Livre 11 L 295 Capable de fageffe & bon confed. Sahibrlum confiliorum parens fobrietas. Tous les grands hommes ont été grandement fobres, non-feulement les profeffeurs de vertu finguliere & plus étroite, mais tous ceux qui ont excellé en quelque chofe , Cyrus , Cefar, Julien FEmpereur , Mihumet , Epicure , legrand docleur de volupté,paffent tous en cette part. La frugalité des Curies & Fabrices Romains, eft plus haut levée que leurs belles &c grandes viöoires. Les Lacédémoniens tant vaillans faifoient profeffion expreffe de frugalité & fobriété. Mais il faut de bonne heure & dés la jeunefTe embraffer cette partie de temperance , &c non attendre a. la vieilleffe douloureufe, & que l'on foit foulé & preffé de la maladie , comme les Athéniens , a qui l'on reprochoit qu'ils ne demandoient jamais la paix qu'en robes de dueil , après avoir perdu leurs parens & amis en guerre, & qu'ils n'en pouvoient plus. C'eft trop tard s'avifer. Sero in fundo parcirnonia, c'eft vouloir faire le ménager quand il n'y a plus rien a ménager, chercher a faire fon emploite après que la foire eft paffée. C'eft une bonne chofe de ne s'accoutumer aux viandes délicates , de peur qu'en étant privés , notre corps en vienne ir.difpofé , & d'en ufer d'ordinaire des plus groflieres, tant pource qu'elles nous rendentplus forts & plus fains, que pource qu'elles font plus aifées a recouvrer. Tiv  29* DE IA S A G E S S E, I.i. c. 14. CHAPITRE XL. Du Luxe & Débauche en tous couverts & paremens, & de Frugalité. I L a été dit ci-deffus que le vêtir n'eff point originel,ni naturel, ni néceffaire a l'homme ; mais artificiel, inventé & ufurpé par lui au monde. Or , a la fuite qu'il eft artificiel ( c'eft la coutume des chofes artificielles de varier, multiplier fans fin & fans mefure, la fimplicité eft amie de nature ) il s'eft étendu & multipHé en tant d'inventions ( car è quoi la plupart des occupations & trafics du monde, finon a la couverture & parure des corps ?) de diffolutions & corruptions , tellement que ce n'a plus été une excufe & un couvert de défauts&nécefïïtés; mais unnid de vices. Fexillum fuperbice, nidus luxurix. Sujet de riottesck querelles; car de-la premiérement a commencé la propriété des chofes, le mien & le tien , & la plus grande communauté qui foit, fi font toujours les vêtemens propres, ce qui eft montré par ce mot franfois, dérober. C'eft un vice familier & fpécial aux femmes , que le luxe & 1'excès aux vêtemens, vrai témoignage de leur foibleffe, voulant fe prévaloir & rendre recommandables par ces petits accidens pource qu'elles fe fentent foibles & incapables de f e faire valoir a meilleures enfeignes: de grande  L i r r b III. 297 vertu , 5c courage s'en foucient beaucoup moins. Par les loix des Lacédémonlens il n'étoit permis de porter robes de couleur riches & précieufes qu'aux femmes publiques; c'étoitleur part comme aux autres la vertu Sc 1'honneur. Or, le vrai Sc légitime ufage de fe couvrir contre le froid, le vent & autres rigueurs de Pair. Pource ce doivent-ils être tirés a autre fin: & par ainfi non excefiifs ni fomptueux, ni auffi vilains Sc déchirés. Nee affectatie fordes, nee exquïfitce munitix. Caligula fervoit de rifée a. tous par la diffolution de fes habillemens. Augufte fut loué de fa modeftie. CHAPITRE XLI. Plaifir charnel, Chajleti, Continence. L A continence eft une chofe très-difficile, & de très-pénible garde; il eft bien mal aifé de ré- j fifter du tout a nature : or, c'eft ici qu'elle eft plus forte Sc ardente. Auffi eft-ce la plus grande recommandation qu'elle ait que la difficulté, car au refte c'eft une vertu fansadtion Sc fans fruit, c'eft une privation, un non faire, peine fans profit; la ftérilité eft fignifiée par la virginité ; comme aufli 1'incontmence fimple 6c fèule en foi, n'eft pas des grandes 3. 1 Voyezl. 1. c.23. 3n  105 V Z LA S A G E S S E , grandes fautes, non plus que les autres purement corporelles tk que la nature commet en fes actions par excès ou défaillance fans malice. Ce qui la décrie tk rend tant dangereufe , c'eft qu'elle n'eft prefque jamais feule ; mais ordinairement accompagnée tk fuivie d'autres plus grandes fautes, & infeftée de méchantes tk vilaines circonftances, des perfonnes, heux, temps prohibés , exercée par mauvais moyens , menteries, impoftures, fubornations , trahifons ; outre la perte du temps, diftraftions de fes fonctioris, d'oü il avient après de grands fcandales. Et pource que c'eft une paffion violente tk enfemble pipereffe, ilfe faut remparer contre elle & fe garder de fes appas: plus elle nous mignarde plus défions-nous en ; car elle nous veut embraffer pour nous étrangler: elle nous appate de miel pour nous faouler de fiel. Parquoi confidérons ces chofes. La beauté d'autrui eft chofe qui eft hors de nous, chofe qui tourne auffi-töt en mal qu'au bien: ce n'eft en fomme qu'une fleur qui paffe, chofe bien mince & quafi rien que la couleur d'un corps , reconnoiffant en la beauté la délicate main de nature, la faut prifer comme le foléil tk la lune, pour 1'excellence qui y eft. Et venant k la jouiffance par tous moyens honnêtes, fe fouvenir toujours que 1'ufage immodéré de ce plaifir ufe le corps , amollit 1'ame, affoiblit 1'efprit. Et que plufieurs, pour s'y être adonnés , Avis.  Livre 111. 199 ont perdu les uns la vie, les autres la fortune, les autres le r efprit. Et au contraire, qu'il y 3 plus de plaifir & de gloire de vaincre la volupté, qu'a la poflédér. Que la continence d'Alexandre öc de Scipion a été plus haut louée que les beaux vifages des fiiles öc femmes qu'ils ont prifes captives. II y a plufieurs fortes tk degrés de continence tk incontinence. La conjugale eft la première tk qui importe plus de toutes pon- le public tk pour le particulier ; parquoi elle doit être de toutes en plus grande recommandation. II fe faut retenir dedans le chafte fein de la patrie , qui nous a été deftinée pour compagne. Qui fait autrement , viole non-feulement fon corps , le faifant vaiffeau d'ordure, mais toutes loix; la loi de Dieu qui commande chafteté; de Nature qui défend de faire commun ce qui eft propre k un tk commande de garder fa foi ; du pays qui a introduit les mariages : le droit des families, transférant injuftement le labeur d'autrui k un étranger ; la juftice apportant des incertitudes, jaloufies 6c querelles entre les parens; dérobe aux enfans 1'amour des peres , 6c aux parens la piété des enfans.  •5°° B E t A S A G E S S g'f CHAPITRE XLII. De la Gloire & de CAmbition. L'ambition , le defir de gloire & d'honneur ( defquels a été parlé ci-deffus ) n'eft pas du tout fcl. 21 8c 2;. en tout fens a condamner: premiérement il eft très-utile au public, felon que le monde vit, c'eft lui qui caufe la plupart des belles acfions \ qui pouffe les gens aux effais hafardeux, comme nous voyons en la plupart des anciens, lefquels tous n'ont pas été menés d'un efprit philofophique; des Socrates , Phocion , Ariftides, Epaminondas, des Catons & Scipions; par la feule vraie & vive image de vertu, car plufieurs & en bien plus grand nombre, ont été pouffés de 1'efprit ; de Themiftocles, d'Alexandre, de Cefar; & bien que ces beaux exploits n'ayent pas été chez leurs auteurs & opérateurs, vraies ceuvres de vertu mais d'ambition, toutefois les effets ont été trèsutiles au public. Outre cette confidération , encore felon les fages, eft-il excufable & permis en deux cas: 1'un eft aux chofes bonnes & utiles, mais qui font au-deffous la vertu, & communes aux bons & méchans, comme font les arts & fciences. Honos alit artes: incenduntur omnes ad ftudiagloria, les intentions, 1'induftrie, la vaillance militaire; 1'autre eft pour demeurer en la bien-  Livre III. 501 veillance d'autrui. Les fages enfeignent de ne régler point fes aöions par 1'opinion d'autrui, fauf pour éviter les incommodités qui pourroient avenir de leur mépris de 1'approbation & jugement d'autrui. Mais au fait de la vertu & de bien faire pour la gloire, comme li c'en étoit le falaire, c'eft une opinion faufTe & vaine. Ce feroit chofe bien piteufe tk chétive que la vertu, fi elle tiroit fa recommandation tk fon prix de 1'opinion d'autrui, c'eft une trop foible monnoie tk de trop bas aloi pour elle. Elle eft trop noble pour aller mendier une telle récompenfe ; il faut affermir fon ame, & de facon telle compofer fes affecTions, que la lueur des honneurs n'éblouiffe point notre raifon , & munir de belles réfolutions fon efprit, qui lui fervent de barrière contre les affauts de 1'ambition. II fe faut perfuader que la vertu ne cherche point un plus ample ni plus riche théatre , pour fe faire voir , que fa propre confcience ; plus le Soleil eft haut , moins fait-il d'ombre,plus la vertu eft grande, moins cherche-t-elle de gloire , gloire vraiment lemblable k . 1'ombre qui fuit ceux qui la fuyent, & fait ceux qui la fuivent; fe remettre devant les yeux que l'on vient en ce monde comme k une comédie, 1 ou l'on ne choifit pas le perfonnage que l'on veut jouer; mais feulement l'on regarde k bien jouer  301 DE LA SAGESSE, celui qui eft donné ; ou comme en un banquet auquel l'on ufe des viandes qui font devant, fans étendre le bras a 1'autre bout de la table, ni arracher les plats d'entre les mains des maitresd'hótel. Si l'on nous préfente une charge dont nous foyons capables , acceptonsda modeftement, & 1'exercons fincérement ; eftimant que Dieu nous a lü pofés en fentinelle, afin que les autres repofent fous notre foin: ne recherchons autre récompenfe de notre labeur, que la confcience d'avoir bien fait, & defirons que le témoignage en foit plutöt gravé dedans le cceur de nos conc'toyens , que fur le front des ceuvres publiques. Bref tenons pour maxime que le fruit des belles actions, eft de les avoir faites. La vertu ne fcauroit trouver hors de foi récompenfe digne d'elle. Réfuter & méprifer les grandeurs, ce n'eft pas tant grand miracle , c'eft un effort qui n'eft fi difficile. Qui bien s'aime & juge fainement, fe contente de fortune moyenne & aifée : les maitrifes fort acfives & paffives, font pénibles , & ne font defirées que par efprits malades. Otanes, 1'un des fept qui avoient droit a la fouveraineté de Perfe , quitta a fes compagnons fon droit, pourvu que lui & les fiens vêcuffent en ctt empire hors de toute fujettion & maitrife, fauf celles des loix anciennes, impatient a commander &c être commandé. Diocletian quitta & renon^a 1'Empire , Celeftinus le Papat.  LitreIII. 303 CHAPITRE XLIII. De la Tempérance au parler, & de VEloquence. Ceci eft un grand point de fageffe, qui regie bien fa langue en un mot, il eft fage , qui in verbo non offendit, hic perfeclus «ƒ?._ Ceci vient de ce que la langue eft tout le monde , en elle eft le bien & le mal, la vie 6c la mort, comme a été dit ci-devant. Or, voici les avis pour la bien régler. Que le parler foit fobre 8c rare: fcavoir fe taire eft un grand avantage a bien parler; 8c qui ne fcait bien 1'un , ne fcait 1'autre. Bien dire 8c . I. C. IJ. 2. Regies au parler , fix. beaucoup n'eft pas le fait de même ouvrier; les meilleurs hommes font ceux qui parient le moins, difoit un fage. Qui abondent en paroles , font ftériles k bien dire 8c a bien faire ; comme les arbres qui jettent force feuilles, ont peu de fruit, force paille , peu de grain. Les Lacédémoniens grands profeffeurs de vertu & vaillance, 1'étoient aufti du filence, ennemis du langage : dont a été tant loué 8c recommandé par-tout, le peu parler, la bride k la bouche. Pone, domine, cujlodiam ori meo. En la loi de Moyfe le vaiffeau qui n'avoit fon couvercle attaché étoit immobile; en ceci fe connoit & difcerne l'homme: le fage a la langue au cceur, 6c le fol a le cceur k la langue.  304 DE LA S A G E S S E, Véritable; 1'ufage de Ia parole eft d'aider a la vérité , tk lui porter le flambeau pour la faire voir. Et au contraire découvrir tk rejetter le menfonge ; d'autant que la parole eft Poutil pour communiquer nos volontés & nos penfées: elle doit bien être véritable tk fidelle, puifque notre intelligence fe conduit par la feule voie de la parole. Celui qui le faufle , trahit la fcciété publique , tk fi ce moyen nous faut & nous trompe, nous ne nous tenons plus,-nous ne nous entreconnoiflbns plus : de menterie en a été dit. Naïf, modefte tk chate , non accompagnée de véhémence & contention , il fembleroit qu'il y auroit de la paffion , non artificiel ni affecté , non débauché & déréglé ; ni licencieux. Sérieux & utile , non vain & inutile: il ne faut s'amufer a compter ce qui fe fiiit en la place ou au théatre , ni a dire fornettes tk rifées, cela tient trop du bouffon, & montre un trop grand tk inutile loifir, otio abundantis , & abutentis. II n'eft pas bon auffi de conter beaucoup de fes actions & fortunes; les autres ne prertnent pas tant de plaifir a les ouir , que nous a les conter; mais fur-tout non jamais offenfif, la parole eft 1'inftrument & le courretier de la charité : en ufer contre elle c'eft en abufer contre 1'intention de nature. Toute forte de médifance, détrattion, moquerie eft très-indigne de l'homme fage tk d'honneur, Facile hap.ro.  Livre Ut. 30J Facile & doux, non épineux , difficile 6c ennuyeux: il faut éviter en propos communs les queftions fubtiles & aiguës , qui refïemblent aux écrevilfes, ou y a plus a éplucher qu'a manger, la fin n'eft que cris tk contention. Ferme, nerveux 6c généreux , non mol, lache & languiffant. Et par ainfi faut éviter Ie parler des pédans , plaideurs 6c des filles. A ce point de tempérance appartient celui de I 7» S. chap.Sa 9- De l'élö» qr.ence , fa recommandation. io. Defcription, garaer naeiemenr ie ïecret, üont a ete parle en la foi ) non - feulement qui a été recommandé & donné en garde , mais celui que la prudence tk difcrétion nous- didte devoir être fupprimé. Or, comme la parole rend l'homme plus excellent que les bêtes , auffi 1'éloquence rend fes profeffeurs plus excellens que les autres hommes. Car c'eft la profeffion de la parole , c'eft une plus exquife communication du difcours tk de la raifon, le gouvernail des ames qui difpofe les cceurs& les affections, comme certains tons, pour en faire un accord mélodieux. L'éloquence n'eft pas feulement une clarté, pureté, élégance de langage, que les mots foient bienchoifis, proprement ageancés, tombans en une jufte cadence, mais elle doit auffi être pleine d'ornemens, de graces, de mouvemens; que les II. Partie, V  306 DE IA SAGESSËf paroles foient animées, premiérement d'une voix claire , ronde & diftincte, s'élevant Sc s'abaiffant peu a peu; puis d'une grave Sc naïve adfion, oii l'on voye le vifage, les mains Sc les membres de Porateur parler avec fa bouche , fuivre de leur mouvement celui de 1'efprit, & repréfenter les affeclions ; car Porateur doit vêtir le premier les paffions dont il veut frapper les autres. Comme Brafidas tira de fa propre plaie le dard dont il tua fon ennemi: ainfi la paffion s'étant concue en notre cceur, fe forme incontinent en notre parole, car elle fortant de nous , entre en autrui, Sc y donne femblable impreffion que nous avons nous-mêmes par une fubtile Sc vive contagion. Par-la fe voit qu'une fort douce nature eft mal propre a 1'éloquence , car elle concoit par les paffions fortes Sc courageufes , telles qu'il les faut pour animer bien 1'oraifon ; tellement que quand il faut déployer les maitrefles voiles de 1'éloquence en une grande Sc véhémente act ion, ces gens-la demeurent beaucoup au-deffous ; comme feut bien reprocber Ciceron a Callidius, qui accufoit Gallus avec une voix & aftion froide & iache , tu nifi fingeres , Jic ageres ; mais étant auffi vigoureufe tk garnie de ce qu'a été dit, elle n'auroit pas moins de force ni violence que les commandemens des tyrans , environnés de leurs gardes & fatellites: elle ne mene pas feulement 1'auditeur, mais elle 1'entraïne , regne  L t V R È 111. 307 parrrii les peuples , s'établit un violent empire fur les efprits. Vij n. Ohje&iofl réponduei L'on peut dire contre 1'éloquence que la vérité fe foutient tk défend bien de foi-même , qu'il n'y a rien plus éloquent qu'elle. Ce qui eft vrai, oir. les efprits fontpurs, vuides & nets de paffions; mais la plupart du monde par nature ou par art &c mauvaife inftrucf ion , eft préoccupé, mal né & difpolé a la vertu tk vérité dont il eft requis de traiter les hommes, comme le fer qu'il faut amollir avec le feu , avant que le tremper en 1'eau. Auffi par les chaleureux mouvemens de 1'éloquence, il les faut rendre fouples tk maniables, capables de prendre la trempe de la vérité. C'eft a quoi doit tendre, 1 éloquence , & fon vrai fruit eft armer la vertu contre le vice , la vérité contre le menfonge tk la calomnie. L'Orateur , dit Theophrafte , eft le vrai médecin des efprits , auquel appartient de guérir la morfure des ferpens par le chant des flütes, c'eft-a-dire, les calomnies des méchans par l'harmonie de la raifon. Or, puifque l'on ne peut empêcher que l'on ne s'empare de 1'éloquence pour exécuter fes pernicieux deffeins, que peut-on moins faire que nous défendre de mêmes armes , ft nous ne nous en Voulons aider, tk nous préfentons nuds au combat, ne trahiffons-nous pas la vertu & la vérité ? Mais plufieurs ont abufé de 1'éloquence tk a de mé-*  30S BB LA S A G E S S S, chans defFeins', & k la ruïne de leur pays: c'eft vrai, & pour cela n'eft-elle k méprifer, cela lui eft communavec toutes lesplus excellentes chofes du monde, de pouvoir être tournee k mal & k bien, felcn que celui qui les pofTede eft mal difpofé; la plupart des hommes abufent de leur entendement , ce n'eft k dire qu'il n'en faille avoir. F Ilf.  309 TABLE DES CHAPITRES Qui compofent les premier & fecond Volume de eet Ouvrage. LIVRE PREMIER, Qui eft la connoiffance de Soi & de 1'humaine Condition. ChAPITRE I. Pré/ace a tout ce Livre pag. i. CHAP. II. de la. peinture gén. de Vhomme. pag. 11. Chap. III. de la vanitL pag. 13. chap. IV. de la fublejfe. P- io- Chap. V. de Vinconftance. p. 3 5- chap. VI. de la mifere. ?• 2.6. chap. VII. de la préfomption. p. 57- chap. VIII. de la feconde confidèratioti de Vhomme, qui ejl par comparaifon de lui avec tous les autres animaux. P- 69. chap. IX. diflinUion première & générale de Vhomme. P- 86^ chap. X. du corps humain en général. p. 88. chap. XI. ie la fanté, beauté , & du vifage. p. 91Chap. X11. des fens de nature plus nobles pieces du corps. P- 98" V Hj  3 io Table Chap. XIII. du voir, ouir, parler. p. 104. Ch ap. XIV. Vèternent du corps. p. 109. chap. XV. de 1'ame humaine en général. p. in. Chap. XVI. des parties de 1'ame humaine. p. 1 27. chap. XVII. de la mémoire. p. 145. Chap. XVIII. de l'imagination & opinion. p. 146. Chap, XIX. de la volonté. p. 149. chap. XX. des pajjions en général. p. 152. Chap. XXI. del amour en général. p. 159. chap. XXII. de Vambition. p. 160. Chap. XXIII, de Vavarice & fa contraire paffion. p. 167. chap. XXIV. de l'amourcharnel. p. 171. Chap. XXV. Dejirs , cupidités. p. 174. Chap. XXVI. EJpoir, défefpoir. p. 176. Chap. XXVII. de la colere. p. 177. Chap. XXVIIL Haine. p. 182. Chap. XXIX. Envie. P-)i§3ckap. XXX. Jaloujie. p. ihid. chap. XXXI, Vengeance. p. 184. Chap. XXXII. Cruauté. p. 187. Chap. XXXIII. Triftejfe. p. 188. Chap. XXXIV. CompaJJïon. p. 194 chap. XXXV. Crainte. p. ,9/ CHAP. XXXVI. de l''eflimation, briévcté, defcription de la vie humaine , & fes parties. p. 198. Chap. XXXVII. de la différente & inégalité des hommes en général, p. 206,  DES CHAPITRES. 311 chap. XXXVIII. de la première difiinclion & différence des hommes , naturelle & efentielle , tirée de la diverfe affiette du monde. P- 2.09. chap. XXXIX. Seconde difiinclion & diffèrenceplus Jubtile des efprits, & fuffifance des hommes, p. 117. chap. XL. Troifieme difiinclion & différence des hommes accidentelle, de leurs degrés, états & charges. ?• xxlm Chap. XLI. du commander & obéir. p. 226. Chap. XLII. dumariage. p- "8. chap. XLIII. des parens & enfans. p.241. chap. XLIV. Seigneurs , efclaves , maitres & ferviteurs. P- 24<5- Chap. XLV. de Vètat, fouveraineté, fouverains. p. 250. Chap. XLVI. Magi/lrats. p. 260. chap.XLVII. Legifiateurs, prêcheurs , infrucleurs. p. 262. CHAP. XLVIII. Peuple ou vulgaire. p. 263. CHAP. XLIX. Difiinclion & comparaifon des trois fortes de degrés de vie. p. 269- CHAP. L. Comparaifon de la vie civile ou fociale avec la folitaire. P- z71' chap. LI. Comparaifon de la vie menèe en commun & menee en propnete. p. *74- Chap. LIL Comparaifon de la vie rufiique & des villes. P- z75- CHAP. LUI. de la profeffion militaire. p- 2-76CpAP. LIV. de la liberté & dufevrage. p. 27?'  3Ti Table Chap. LV. Nobleffe. p. 280. Chap. LVI. de 1'honneur. p. 184. chap. LVII. de la fcience. p. 286. chap. LVIII. des richeffes & pauvreté. p. 288. LIVRE SECOND, Contenant les inflruclions & regies générales de Sagcffe. chap. I. Exemption & affranchiffement des erreurs & vices du monde, & des paffions. p. 295. chap. II. Univerfelle & pleine liberté d'efprit, tant en jugement qu'en volonté: feconde difpofition a USageffe. p. 303. Chap. III. Vrait & efentielleprud'hommie : première fondamentale partie de fageffe. p. 318. Chap. IV. Avoir un but & train de vie certain P-34I- chap .V.Etudier a. la vraie piété. p. 345. chap. VI. Régler fes defirs & plaifirs. p. 367. Chap. VII. Se porter modérément & également en profpérité & adverfitè. P-376' chap VIII. Obéir & obferver les loix, coutumes & cérémonies du pays; comment & en quel fens. p. 390. Chap. IX. Se bien comporter avec autrui. p. 404. Chap. X. Se bien conduireprudemmentaux affaires. p. 410.  DES CHAPITRES. 313 chap. XI. Se tenir toujours pret a la mort, fruit de fageffe. P- 4"« Chap. XII. Se mainteniren vraie tranquilité d''efprit, le fruit & la couronne de fageffe , & conclufion de ce livre. P- 447' LIVRE TROISIEME, AuQUEL font traités les avis particuliers de SagefTe par les quatre Vertus morales. chap. I de la prudence, première vertu. p. 2. chap. II. Première partie de cette prudence politique & gouvernement d'état, qui ejl de la provifion. p. 9. chap. III. Seconde partie de la prudence politique & du gouvernement d'état, qui ejl de Vaclion & gouvernement du prince. P- 45* chap. IV. de la prudence requife aux affaires difficlles, mauvais accidens publics & privés. p. 82. SECT. I. des maux & accidens qui nous menacent. p. 83. SECT. II. Maux & accidens préfens , preffans & extrémes. P* SECT. III. Affaires douteufes & amblguïs. p. 87. SECT. IV. Affaires difficlles & dangereufes. p. Ibld. SECT. V. Conjurations. P- 88' SECT. VT. Trahifon. V- 92- SECT. VII. Emotionspopulaires. p-  314 Table sect. VIII. Faclion & ligue. p, 94, sect. IX. Sêdition. p. 96. Sect. X. de la tyrannie & rèbellion. p. 98. Sect. XI. Guerres civiles. p. 100. Sect. XII. Avis pour les particuliers en toutes les fufdites diviftons publiques. p. 102. Sect. XIII. des troubles & divijions privées. p. 106. Chap. V. de la juftice , feconde vertu. v.ibid. chap. VI. de la juftice & devoir de Vhomme a foi- même. p_ T11. Chap. VII. Première partie qui eft des devoirs gén. & communs de tous envers tous ; & premiérement de Vamour ou amitié. p. j 10. chap. VIII. de la foi, fidélité,perfidie , fecret. p. 131. chap. IX. Vérité & amonition libre. p. 136. chap. X. delafiatterie,menterie&dijjimul p. 136. Chap. XI. du bienfait, obligation & reconn. p. 146. Chap. XII. Devoir des mariés. p. 163. chap. XIII. Ménagerie. p. T66. chap. XIV. Devoir des parens & enfans. p. 168. chap. XV. Devoirs des maitres & ferviteurs. p. 210. chap. XVI. Devoirs des fouverains & fujets. p. 212. chap. XVII. Devoir des magijlrats. p. 221. chap. XVIII. Devoir des grands & des petits. p. 227. Chap. XIX. de la force ou vaillance en général. p. 219. chap. XX. Première partie des maux externesp. 237. Chap. XXI. des maux externes conjidèrès en leurs effets & fruits. p- 2.45.  DES CHAPITRES. 315 chap. XXII. de la maladie & douleur. p. 248. chap. XXIII. de la captivitè ou prifon. p. 252. chap. XXIV. du banniffement & exil. p. 2 5 5. chap. XXV. de la pauvreté, indigence, perte de biens. P-257* Chap. XXVI. de tinfamie. p. 260. chap. XXVII. de la perte d'amis. p. 261. Chap. XXVIII. contre la crainte. p. 264. chap. XXIX. contre la trifeffe. p. 266. Chap. XXX. contre la compaffion & miférkorde. p.268. chap. XXXI. contre la colere. p. 269. Chap. XXXII. contre la haine. p. 275. Chap. XXXIII. contre 1'envie. p. 276. chap. XXXIV. contre la vengeance. p. 277. Chap. XXXV. contre la jaloufie. p. 279. Chap. XXXVI. de la tempérance , quatrieme vertu, de la tempérance en général. p. 281. chap. XXXVII. de la profpérité & avis fur icelle. p. 283. chap. XXXVIII. de la volupté & avis fur icelle. p.285. chap. XXXIX. duman. & boire, & fobriété. p. 293. chap. XL. du luxe & débauche en tous couverts & paremens , & de frugalité. P- 296. chap. XLI. Plaifir charn. chafietè, contin. p. 297. chap. XLII. de la gloire & de Vambition. p. 301. Chap.XLIII. de latemp.auparler&de tèloq.p. 303. Fin de la Table.