LA RELIGION CONSIDÉRÉE COMME L'UNIQUE BASE DUBONHEUR E T DE LA VÉRITABLE PHILOSOPHIE.  » 11 y a dans les maximes de 1'Evangüe une » noblefie & une élévation oü les coeurs vils 6c n rampants ne fauroient atteindre. La Religion, » qui fait les grandes ames , ne paroit faite que » pour elles; & il faut être grand, ou le devenir, » pour être Chrétien » Massillon, fecond Dimanche du petit » Carême , fur le rcfpcB que les Granda » doivcnt a la Religion  LA RELIGION C0NS1DÉRÉE COMME L'UNIQUE BASE DU BONHEUR £ t DE LA VÉRITABLE PHILOSOPHIE, OüVRAGE fait pour fervir a iEdacation des Enfants dt S. A, S. Monfeigneur Is JDuc d'ORLÈA N s, & dans lequel orz expofe & ton rêfutc les principes des prètendus Philofophes modernes. Par Madame la Marquife de Sillery, cidevant Madame la ComtefTe de Genlis. M. DCC. LXXXVH. A MA E S T R I C H T, Chez J. E. Dufouii & Puil. Roux, Imprimeurs-Libraires, affociés.  KONINKLIJKE BIBLIOTHEEK  ( v ) P R È F A C E. Cet Ou vrag e a été fait pour les Enfants de S. A. S. Monfei gneur le Duc d'ORLÉANs, & particuliérement pour. Monfeigneur le Duc de Chartres,' auquel il a été lu manufcrit fur la fin da 1'année 1786 , quelques mois après fa première Communion. Je ne connois point d'ouvrage, fur ce fujet important, qui foit a la portee des jeunes perfonnes de 1'un & de 1'autre fexe. 11 manquoit a 1'éducation ; c'eft ce qui m'a décidé a faire imprimer eet Effai, qui peut être utile puifqu'il n'en exifte point d'autres. II ne m'étoit pas poffible de raffembler dans un feul volume toutes les preuves qui établiffent la vérité de la Religion , & d'offrir le falutaire & revoltant détail de toutes les opinïons extravagantes r &c de tous les principes pernicieux que la philofophie moderne a renouvellées & répandues- dejxiis trente a quarante ans. Je me fuis contentée de préfenter un sertain nombre de preuves, & de citer a iij  Vj P R Ê F A C E. quelques faits & plufieurs exemples, qui I donneront une idéé de la morale &c des fyf- I lêmes philofophiques de ce liecle. Je ne pouvois écrire cetEffai fans connoïtre les ouvrages qui attaquentlaReligion. J'ai Iu | toutescesprodu£tionsaudacieufes;entre- | prife pénible pour un efprit exempt de préjugés & pour un coeur fenfible! Gomment ne pass'afïliger en voyant des hom- ] mes, diftingués par leurs talents, renoneer a toutes leurs lumieres naturelles, & fe lailTer corrompre par un orgueil infen- I fé! J'ai trouvé dans ces funeftesécritstant i de menfonges, de citations fauffes & d'in- | eonféquences, que je n'ai pu concevoir | comment il étoit poffible qu'ils n'euffent | pas été réfutés d'une maniere viftorieufe. | Je n'ignorois pas que la Religion avoit eü ■ de zélés defenfeurs, & que, malgré le manege & les cabalesde la fe£le philofophique , plufieurs ouvrages de ce genre }ouiiToient d'une trés-grande réputation 1 («). Jufqu'alors mesoccupationsnemV ■ voient pas permis de lire ces eftimables Auteurs : mais voulant travailler fur le même fujet, je me décidai a fufpendre {a) Entr'autres, les Lettres de quelques Juïfs k I M. de Vohaire.  P R É F A C E. Vij toutes les études qui n'y feroient pas relatives; &, en effet, pendantplus de deux ans, je n'ai lu quelesouvrages quiontété faits en faveur de la Religion. J'avoue que cette lefture m'a caufé autant de furprife qu'elle a été pour moi inftrucïive & intéreffante. Plufieurs de ces Ouvrages font véritablement fupérieurs; il n'en eft aucun oiil'onpuiffe trouver un principe dangereux , un paradoxe, une inconféquence. Les Auteurs ont travaillé fur une bafe fo • lide. Eu s'attachant a la vérité, on pourroit, fans talent,devenirutile; tandis que les plus monftrueufes produ&ions font ïes feuls fruits qu'on doive attendre d'un efprit vafte & profond qui fe livre k Terreur. La chaleur aöive d'un foleil brülant, rend plus dangereux & plus violent encore le poifon mortel des plantes vénéneufes : & c'eft ainfi que le feu du génie , exaltant les vices ainfi que les vertus, ne donne a 1'homme dépravé qu'une énergie fatale & meurtriere. Une réflexion fe préfente ici naturellement; pourquoi les défenfeurs de la Religion, s'ils avoient un mérite diftingué, n'ont-ils pas eu plus de réputation ? Pour. quoi a t-on fi peu. lu leurs Ouvrages ? C'eiiquedes hommes qui défendentayec  Vlij P R Ê F A C E. courage une telle caufe font pénétrés des véritésqu'ils foutiennent,& que leur conduite s'accorde avec leur croyance. lis n'ont point fait de cabale, d'intrigues; ils n'ont point cherché de pröneurs, ils ont écrit ce que leur diftoit leur confcience. Lesgens du monde n'ont point lu leurs ouvrages, paree qu'ils étoientfortement attachés k des opinions qui favorifent toutes les paflions. Ils fe contentoient de lire les répliques de leurs adverfaires. Répliques remplies d'injures atroces & de calomnies abfurdes. Les Philofophes avoientun merveilleux talent pour étouffer la réputation de ceux qui n'étoient point de leur parti. Ils ont lu perfuader au public, tant que leur Chef a vécu , que 1'Auteur de Bidon étoit également dépourvu d'efprit & de talent. Ils ont perfuadé bien d'autres chofes de ce genre. Cependantles Lettres de quelques Juifsy malgré tons leurs efForts, firent une grande fenfation : mais j'ofe dire que eet excellent Ouvrage n'a pas encore eu tout le fuccès que méritent tant d'éruditios, de raifon t de clarté reünies a tant d'agrément Sc k une critique fi fine, fi fpirituelle & fi modérée, J'ai trouvé dans les Ouvrages de ces  P R Ê F A C E. lx refpeöables défenfeurs de la Religion , une foule d'idées Sc de raifonnements que j'ai placés dans eet Effai: & ,fuivant une coutume fondée furdes principespeu fuivis aujourd'hui, je n'ai pas voulu m'approprier ce qui ne m'appartenoit point, en rëcrivant ces paffagesa ma maniere, en les déguifant par de légers changements. Je les ai fidélement copiés; ils font I marqués avee des guillemets, & le titre de ! Pouvrage eft cité au bas de la page. Au refte, je dois déclarer qu'en attaquant aui jourd'hui laphilofophiemoderne,je crois t n'atlaquer aucun Auteur vivant (du l moins aucun de ceux qui font dans ma [ patrie); je ne confonds point les véritables Philofophes avec les hommes peri -vers qui ont écritavec tant d'audace contre la Religion, le Gouvernement & les I mceurs. Je ne confonds même pas, avec leurs écrits pernicieux, plufieurs ouvrages auxquels une cririque, peut-être trop févere, a reproché des principes dangereux, feulement par les conféquences qu'on fn pouvoit tirer. Je trouve cette févérité outrée, paree qu'il eft poffible qu'elle foit injufte, puifqu'il efi bien facde de fe tromper en fe permettant de paredlesinterprétations : & que fetrora-  X P R Ê F A C E. per dans ce cas , c'eft calomnier. Ainfi, refpedlant les vrais Philofophes , je n'attaquerai que ceux qui ont ulurpé ce titre, & qui Tont déshonoré par la licence effrénée de leursécrits. Cette fecïe orgueilleufe n'exifte plus. J'ai vu difparoïtre le chef & les plus fameux partifans; & quoique jeune encore (du moins comme Auteur), je puis dire aufïi: Tai vu tim» pie au faite des honneurs , & aujfï élevi » que les cedres du Liban :/ai pajfé, & » il rihoit plus {a).... Que ne puis-je ajouter ! « Je tai cherchê , & il ne rejloit »» de lui aucun veflige (£) ". Le plan de eet Ouvrage exigeoit naturellement troisou quatre volumes. Mais c'eft affez pour moi d'offrir une efquiffe, une ébauche imparfaite, qui pourra cependant, j'ofe m'en flatter, produire une ïmpreflion falutaire par la force des preuves & la clarté des raiibnnements. Voulant renfermer tant d'idées dans un feul volume , j'ai dü facrifier beaucoup de développements , d'explications, de raifons, &c. J'ai taché cependant d'éviter laféehereffe; & n'ayant pas la poflibilité (a) David, Pf. 36. \b) Mème Pf.  P R Ê F A C E. Xj de dire tout, je me luis attachée du moins a ne rien dire de fuperflu. Aufli je prie ceux qui voudront bien lire ce foible effai, de ne le juger qu'après 1'avoir lu entiérement. Si 1'on paflbit une note ou une feule citation, on perdroit ablolument le ril des idees & 1'enchaïnement des preuves. J'ai mis tous mes fbins a donner aux notes renvoyées a la fin du volume, un degré d'intérêt que n'ont pas communément ces fortes de morceaux détachés ; ces notes, d'ailleurs, contiennent une partie de mes preuves, & je crois, qu'a 1'exception de la première, qui n'offre rien de neuf, elles ne paroitront pas inti* pides; car elles contiennent des faits finguliers & des recherches curieufes. Je n'ignore point a quoi 1'on s'expofe, lorfqu'on attaque ouvertement, & en fe nommant, de mauvais principes & des opinions aufli féduifantes que pernicieufes. Quand Pafcal ofa attaquer les écrits corrupteur ÏÏEfcobar, de Bauni, &c. on répandit contre lui une multitude de libelles atroces; il nous apprend lui-même, dans fes Lettres Provinciales, que les Au| teurs de ces feuilles 1'appelloient : Un I méchant, un bouffon, un menteur, un I foarbe, un calomniateur, &c. Cependant  Xij P R Ê F A C E. fes plaifanteries & fes accufations n'étoient fondées que fur des faits pofitifs, furdescitationsfideles, tirées des ouvrages qu'il critiquoit. Je n'ai ni fon génie, ni fon efprit, ni fes talents; maisdu moins j'ai !e même but Sc le même courage; Sc j'aifuivi fa méthode, jen'accufe qu'en produifant des preuves incontefiables. Dans tout le cours de eet Ouvrage, j'adreffe direeïement la parole a Monfeigneur le Duc de Chartres. Cette forme étoit celle qui pou voit le mieux fixer fon attention. Je ne 1'ai point changée, paree que plufieurs perfonnes ont trouvé qu'elle donnoit plus d'intérêt aux lecons Sc plus de clarté auxraifonnements, qui font tous proportionnés k 1'intelligence d'un enfant de treize ou quatorze ans, en fuppofant cependant que eet enfant ait beaucoup lu, Sc qu'il foit parfaitement inftruit de tout ce qui a rapport a la Reli- Sion' . . , ,r Quoique eet Ouvrage ait ete fait pour un Prince du Sang, les enfants de toutes les claffes y trouveront des vérités utiles Sc des principes qui conviennent a tous les hommes. CHAPIT RE  CHAPITRE PREMIER. PLAN DE L'OUVRJGE. I DEPUiscinq ans, Monseigneur, I vous vous occupez effentiellement de Ia | 1 eet ure & de 1'étude des Saintes Ecritures. | Vous avez lu tous les Livres facrés de I 1'ancien Tefiament; des extraits ddtailiés I vous en retracent chaque jour les traits | les plus frappants : vous avez admiré les loix & les préeeptes divins , que Dieu lui-même prefcrivit a Moïfe : on vous a fait remarquer 1'accord merveilleux qui fe trouve encre les prophéties & les événements qu'offre 1'hiftoire : vous avez lu plufieurs fois 1'Evangüe; fa morale fublime a profondément touché votre coeur : enfin, Monseigneur, pour vous donner une piété véritable , 1'unique bafe folide de toutes les vertus humaines, on a voulu vous inftruire parfaitement de votre Religion. II eft impoiïible de la connoitre fins la refpecter; il n'y a que le vice & 1'ignorance qui puiflent éloigner d'elle. J'ai rafieinblé & mis en ordre une partie des extraits, & toutes les réflexions que A  2 Plan de TOuvragt. nous a fourni ce cours de lefture. Je vais remettre fous vosyeux, & les principaks preuves fur lefquelks le Chriftianifme eft fondé, & les inconféquences, les erreurs & les dangers de la faufle philofophie, qui ofe attaquer la Religion. J'entrerai dans le détail des qualités & des vertus qui conftituent le véritable Chrétien, des uevoirs que ce titre impofe, & de ceux que vous prefent encore 1'élévation de votre rang. Enfants chéiïs, qui m entourez! vous i qui j'ai confacré toutes les heures de mes joumées, mes veilles, mes écrits & mavie; vous m'écouterez fans diftraftion & fans ennui : vos cceurs, fenfibles & reconnoiiTants, recevront avec joie, avec avidité, les confeils d'une amie tendre , qui veut vous découvrir les fources du véritable bonheur : vous favez que je n'ai qu'un feul but, celui de vous éclairer, de vous rendre vertueux. Je connois votre affeét-ion pour moi; ainfi je puis vous dire, avec une entiere confiance , ces paroles de David : Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enfeignerai la craintt du Seigneur («). (4) Pteaumes de David, chap. 3.  De VExiftence de Dieu, 3 CHAPITRE II. \ De FExijïence de Dien <5f de Vlmmortalité de C dme. Jl n'ya perfonne qui puifle difconvenir, dit le Doéteur ClarkeO), ,, que fi 1'exiCtence d'un Dieu, c'eft - a-dire, d'un ,, Etre lage, intelligent, jufte & bon, ,, par qui le monde eft gouverné, étoit „ une cholè impoilible a prouver, il fe„ roit au moins fort a fouhaiter qu'elle füt vraie; & qu'il n'y a point d'homme fage qui ne le düt véritablement defiret „ pour la félicité du genre-humain. Dirai t-on que 1'idée que nous avons de ,, Dieu, ne nous vient ui de la raifon, I,, ni de la nature; que cette idéé doit |fon origine anx artifices & aux deffeins „ despolitiques? Mais, en parlant ainfi, „ ne confefle-t-on pas que 1'intérêt du „ genre-humain demande manifefiemen't „ que les hommes s'accordent a croire ; „ qu'il y a un Dieu ? Qui pourra nier qu'il ne feit infiniment plus fouhaitable ;.,, de vivre fous la conduite d'un Dieu {a) Traité tic l'Exiflence & des attribuis de Dieu, Dar le Dofteur Clarke, traduit de i'Anglois par W. Ricotier, vol. 1". «hap. 1". A ij  •4 De rExiftence bon , puiffant & fage, que d'être dans j " unétatd'incertitude continuelle, fujets " a tous moments a périr fans efpérance " de retour ? Puifqu'on eft obligé d'a" vouer que 1'exiftence de Dieu eft la " chofe du monde la plus delirable, il faut avouer auffi que , quand même " on mettroit 1'exiftence & les attributs ; " de Dieu au nombre de ces chofes dont " ii n'eft pas poffible de donner de dé. " monftration , pourvu feulement qu'on les fuppofe poffibles, & telles qu'il n y " ait point de démonftration du con" traire (comme certainement il ne fau" roit y en avoir) , il s'enfuivra évidem" ment de cette fuppofition, que toutes " fortes de raifons doivent porter les " hommes a vivre fuivant les regies de s' la piété & de la vertu; & que la dé» V pravation des moeurs, de quelque cóté " qu'on 1'envifaae, & quelque bypothefe qu'on fuive, eft la chofe du monde la '! plus abfurde & la plus inexcufable. La conféquence fera plus évidente & plus " forte, fi a la pofibilité on ajoute la " probvbilité, & fi on fuppofe ces doe, trines plus approchantes de la vénte " que de la faufleté Tachons de faifir & de ralTembler tous les réfultats importants de ces réflexions. Vous devez comprendre, Monseigneur, qu'en effet 1'exiftence d'un Dieu , d un Etre eftentiellement bon , fage & tontpuiffant , eft la chofe du monde la p>us  de Dieu, &c\ 5 ,t tlefirable. II n'y a que les méchants & les fcélérats que cette idee puhTe troubler. i La Jullice éternelle ne leur oflte que des fujets de crainte & d'effroi; & voila les véritables caufes de 1'impiété & de 1'athéifme. Mais enfin, ceux qui, livrés en- ; tiérement a leurs pailions, s'obftinent a inéconnoitre le Dieu qu'ils outragent, contiennent néanmoins que , s'ils croyoient h fon exifience, ils penferoient & fe conduiroient d'une maniere bien différente : ainfi il eft évident que cette croyance rainene tót on tard a la vertu. L'ordre , la paix & le bonheur font les fruits de ja vertu : il eft donc nécefl'aire a la félicité du genre humain que les hommes foyent perfuadés de 1'exiftence de Dieu. Les athées font forcés de convenir qu'il eft impofiible de prouverque Dieu n'exifte pas. Cette grande queftion eft donc pour eux-mêmes au rang des chofes incertaines & douteufes. Tous leurs raifonnements fe bornent, quant au fond, a ceci : 11 nous paroit beaucoup plus probable qu'il I n'y a point de Dieu : ainfi nous prenons le parti de croire quil n'y en a point. Mais , pour prendre un parti fi dange- i reux , une probabilité , quelque forte qu'elle puilTe paroitre, ell-elle fuffifante? \ & ne faudroit-il pas raifonnablement une 1 démonftration claire & fans replique ? En effet , dès qu'on ne fauroit prouver que Dieu n'exifte pas, cela feul prouve ; qu'il peut exirter. Voila donc, pour le A iij  6 De ï'Erxijtence- plus incrédule, un doute que nul autre raifonnement ne peut lever; &, dans ce doute, comment ofe-t-on s'expofer au ril que affreux d'offenfer, d'outrager 1'Etre fup-rême ? On ne court aucun danger en Te fomnettant aux loix d'une religion dont 1'impie même eft forcé d'admire* les préceptes & la morale; au contraire, en les fuivant, on recoit, des cette vie, les récompenfes les plus précieufes auxquelles les hommes puiffent afpirer, la paix de 1'ame & 1'eftime publique; & en reiettant ces loix divines, on s'expofe a la' colere d'un Dieu vengeur, qui peut impofer des chatiments éternels. Ainfi il e(t donc vrai que 1'impiété feroit , de tous les égarements , le plus imprudent & le plus abfurde , même en fuppofant que 1'exiftence de Dieu ne füt que problématique. Que paroitra-t-elle donc, fi 1'on recherche & fi 1'on approfondk les vérités immuables fur lefquelles la Religion eft établie? Les preuves de 1'exiftence de Dieu font fi frappantes, qu'on doute encore que ceux qui paroiffent les méconnoltre , foyent véritablement athées au fond du cceur. Le hafard ne peut rien produire que d'informe & de bizarre ; tout ouvrage oü 1'on trouve des proportions exaétes & de la régularité , fuppofe néceilairement un ouvrier intelligent & haWe ; r>ü je vois des loix unirormes & invariables, je fuis forcée de reconnoitre  (le Dieu, &c. 7 un légiflateur 00 ; & c'eft ainfi qu'en étudiant la nature, en réfléchifiant lur ces loix immuables qui dirigent le cours des aftres , & qui fur la terre développent & perpétuent les germes de la fécondité & de la vie, en contemplant les merveilles qui nous environnent, la feule raifon nous découvre & nous prouve 1'exiftence d'un Etre fuprême, créateur de 1'univers. Le cri de la confcience s'accorde fur ce point avec les lumieres naturelles de 1'efprit. Enfin, tout fe réunit pour démontrer a 1'homme cette importante vérité. Prétendre que les cieux, le monde & les créatures n'ont été formés que par un certain arrangement fortuit des parties de la matiere mife en mouvement , eft une idéé abfurde , qu'une fublime éloquence & la plus fubtile métaphyfique ne peuvent rendre fupporta- ble (I> II faut la réunion d'un étrange aveuglement & d'une ignorance bien groffiere, pour ne trouver dans 1'ouvrage de la création ni defiein, ni but, ni intelligence. Qu'on demande a 1'anatomifte s'il ne trouve ni dcjfèin ni fageffè dans la ftruclure du cnrj)S humain ; qu'on fafle la même queftion, relativement aux aftres, a 1'aftrono- (a) Fut - il jamais des loix fans un Légiflateur ? R A C I N E , fils , Voïmt de la Relifion. A iv  g De TExijtenet me; qu'on interroge le botaniftc fur les plantes, & le naturalifte fur les animaiïx & les infecles : tous ces hommes, éclairés par une profonde méditation , s'accorderont a répondre que 1'étude de la nature embrafle une infinité de fciences ntiles & fublimes, dont Pattrait le plus grand eft de découvrir fans cefle de nouveaux fujets d'admirer l'Auteur de 1'univers. Aufli le fyftême abominable du matérialifme eft fi extravagant, qu'il n'y a jamais eu de peuple qui Tah adopté. Les nations les plus avilies par l'ignorance ou les ténebres du paganifme & de 1'idoIfttrje, n'ont jamais p~ouffé la folie & la dépravation jufqu'a profefler 1'athéifme , & a ne vorr dans la création que le fantaftique ouvrage du hafard. II eft vrai que l'efprit humain ne peut concevoir 1'exiftence d'un être éternel, qui n'a jamais eu de commencement; mais.fi Dieu n'exiftoit pas, il faudroit néceflairement que la matiere n'ayant point été créée, fut éternelle. II faut donc admettre ici (comme en tant d'autres chofes)ce qui eft abfolument incompréhenfible a notre foible raifon, c'eft-a-dire, qu'il exifte un être ou une fubftance qui n'a jamais eu de commencement. Car, je le répete, s'il n'y avoit point de Dieu, la matiere feroit inconteltablement éternelle. Ainfi, quoique ie ne puifle concevoir Vétcrritté , eet attribut effentiel du Créateur, je fuis en mêmetemps forcée de la reconnoltre.  de Dieu , &c. 9 Ce font ces réflexions fi fimples qui onc I affujetti les Irapies mömes a la néceflité de 1 reconnoitre un Dieu. Ils s'affranchilTent ! d'un jong andere que ne fauroient fuppor- 2 terlevice&lalicencc; ils rejettent le culte : & la loi; mais ils n'ofent cependant nier i 1'exiftence d'un Etre fuprême. Si 1'on admet un Dieu, on ne peut fe : le repréfenter que fous les traits auguftes j qui conviennent au Souverain abfolu, au Créateur de tout ce qui exifte. Source | étemelle de la juftice & de la vérité, Deu | ne peut nous tromper, & tous fes décrets \ doivent être équitablcs. Cesnotions fi na| turelles me fuffiroient feules pour me con- vaincre de 1'immortalité de 1'ame. En liI fant 1'hiftoire, en jettant les yeux fur la I terre, je voisfouvent le crime impuni, le ■ vice triomphant, 1'innocence opprimée, & I la vertu malheureufe. Je fais que 1'homme i vicieux ne goutera jamais le bonheur & le 9 repos; mais il peut, a force de corrun- tion, s'endurcir contre les remords, obteI nir des fuccès éclatants, & s'enivrer d'une I faufle gloire. Je fais que 1'homme vertueux I trouverajoujiurs des confolations au fond I de fon ame; cependant, s'il eft perfécua té, calomnié, s'il perd les obiets de fon q afftdlion , fi la mifere & les mal?dies fe joignent a tant de maux, je le vois périr i, viétime infortunée d'un fort fi fuuefte. Puis-je croire alors que la juftice étemelle i ne lui tiendra compte ni df fes lacrifiees vertueux, ni de fa réfignatiön, ni de fes A v  jjo De VExiftcncer fouffrances? & qu'après cette vie déplorïbk, le Créateur replongera dans le néant eet être malheureux? Puis-je croire que le fcélérat auquel tout a proipéré, 1'ufurpateur heureux, Cromwel, par exemple, i'aflaffin de fon Roi, n'ait eu après la mort qu'un deftin femblable a celui du Monarque infortuné qu'il conduifit fur 1'échafaud? Commentconcilier avec eet affreux fyftême 1'idée d'un Dieu, d'un être fouverainement équitable? ,, Dieu, ( dit un ,, des plus zélés défenfeurs de la Religion „ ( rieurement & par la feule crainte des loix. Dieu nous tromperoit donc en nous don\ nant un inftincTt & des fentirnents contraii resanotre nature? Car, s'il ne nous defr tine après la vie ni punitions, ni récomj penfes, le feul inftinct qui nous convienne i elf celui des brutes. Ne vivre que pour j| jouir, doit être notre feule philofophie; combattre nos peuchants , quels qu'ils j foient, n'eft qu'une extravagance; cheri cher & defirer une gloire qui puifie nous i furvivre , eft le comble de la folie. La r vertu , 1'héroïfme, ne font que des mots i vuides defens , créés pour n'exifter qu'un ! inrtant. Prccipités dans le néant après une: vie fi courte, la raifon même, la voix deA vj  12 De iEx ijlen ce ]a nature doivent nou.'- crier égilement : ; Hdte-toi de goüter tous les plaifirs, tu vas I pour toajours cejfer d'être; tu n'es pas nè pour combattre , tu n'esfait que pour céder a tes deftrs : il n'eft qu'un mal réel, la don- leur; qu'un bicn véritable, le plaifir „ Suppoibns, (dit 1'Auteur que j'ai déja ,, cité (a) ) fuppofons 1'ame mortelle ; tous les Hens de la (bciété font brifc's, ,, paree que 1'homme n'a plus de pro„ chain; plus de Hens avec nos contem„ porains que ceux qui me feront dictés ,;, par mon propre intérêt. Membre d'une „ fociété fugitive, je n'ai avec clle que des rapports fragiles, & dont feul je fuis 1'objet: sJils me gênent, je puis les „ bril'er; nulle autorité n'eft en droit de „ m'y aftreindre ; ce n'eft que la volonté de 1'homme, fa poliiique qui a formé „ nos rapports, & il ne pent m'y obliger. En vain prétextera-t-il le bien public, „ étalera-t-il des titres ; époux , pere , magiftrat, patrie, grands mots fans réa,, lité. I/univers aflemblé ne pourroit for„ mer des devoirs. Ils fuppofent effentièl* „ lement 1'ordre & la volonté de Dieu. „ Ainfi, on ne prouvera jamais dans le ,, matérialifme qu'on doive obéir au Prin1 „ ce, fervir fa patrie, aimer fes parents, „ fes amis. Ces devoirs n'auroient plus „ qu'une fource humaine, & dès-lors fe- (a) L'Abbé Gauchat, vol. ï".  de Dieu, &c. 13 : „ roient anffi fragiles que nos caprices & i „ nos gents. Mais n'eft-il.pas des regies „ de bienféance, des égards mutuels que „ la probité nous prefcrit? Eh! qu'eft ce „ que la probité , fi vous renverfez le principe qui la confacre? Anéantir la „ loi étemelle , & vouloir y fubllituer le „ fuffrage des hommes, la pofitefiè, Tintérêt; y penfe-t-on? Quand on a brife' „ les liens du Créateur, nul autre motif I n'eft capable de fixer l'éfprit, de fou,, mettre le cceur. C'eft agir conféquem- \ „ ment que de braver, dans fes caprices, „ les regards & les ufages du monde en,, der :Iels étoient les Cyniques.... Si „ 1'ame eft monelle, les punitions impo,, fées par les loix font injuftes. Les crimes, quels qu'ils lbient, ne font que ,, des crimes prétendus, que des jeux de ! L la matiere, des penchants légitimes de ,, la nature, des droits de chaque mem- ! bre de la fociété. Une ame terreftre ne y, peut Ie devoir a la patrie; fa durée ra,, pide, fuivie du néant, 1'autorife a ne ,, chercher que fon bonheur; 1'univers \ „ entier ne peut ni exiger, ni mériter le „ facrifice de fes intéréts. Suppofons ce„ pendant ces punitions juftes; elles font „ ftériles &fans force; la même politique qui infpire a la fociété le projet de pu,, nir les membres inquiets, infpire a ceuxci 1'adrelfe pour fe dér.'ber a la peine. ' „ Ainfi enfevelir dans le filence & le fe» „ cret 1'injuflice, Ia calomnie, le meur-  14 De FExiJïence „ tre, ce n'eft pas hypocrifie & noirceur, I „ c'eft prudence & fagelfe. II y a plus : I de ce qu'on n'évite le crime que par la crainte des loix, il luit que, fi on peut les violer impunément, la force j ,, autorife tout; le crime devient luccès, 1 „ titre de gloire : même droit dans chaque | ,, méchant : rien ne fera a 1'abri de ceux } ,, qui réuniront la puiffance a la fureur". II eft impoffible de nier que ces horribles j principes ne foient les réfultats & les confé- j quences néctfl'aires du matérialifme. Pour- ; quoi donc le cceur le moius pur fe révolte-t-il a eet aflreux langage ? Pourquoi cette admiration fubite , involontaire, que la vertu fait éprouver même aux méchants? Pourquoi 1'homme plongé dans le vice, endurci contre les remords, ne pourra-t-il s'affranchir de ce premier mouvement? Pourquoi dans aucun temps, dans aucun lieu, en dépit des préjugés , des folies opinions , de l'ignorance & de la barbarie, la vertu I ne s'eft-elle jamais montrée fans obtenir 1'hommage ou du moins la vénération des hommes? On peut la négliger, 1'abandonner; mais, lorfqu'on la rencontre, on eft forcé de la reconnokre. Semblable a 1'aftre brillant qui diffipe les téntbres , les fantó- ; mes & les ombres fantaftiques qui trou- 1 blent, durant la nuit, 1'imagination ég*ree, la vertu paroit-elle; auffi tót les vains fophifmes qui la combattent font oubliés, anésntis ; & Padmiration qu'etle infpire , détruit les ermurs & toutes les illuüoiis i  de Dieu, gfc. t$ ■tieftes, produites par le vice & les paf* Bons. Malgré toutes ees preuves de 1'immorSlité de 1'ame & beaucoup d'autres, dont je détail formeroit des volumes, il a exifté des hommes (que je vous ferai connoltre, Monseigneur, dans la fuite de eet Ouvrage), des hommes qui, fous le nom jde Philojophes, voulant driïirculer, & cachant mal une ambition extravagante, un prgueil effréné, ont cru qu'a 1'abri d'un hitre impofaut, ils pourroient felivreravec jaudace au délire de leur imagination. Décidés a produire beaucoup de mal pour faire un pen de bruit, & plus hardis p'ingénieii'x, ils ne créerent pas de nouïeaux fyrtêmes, ils ne firent que renouweller de pernicieufes erreurs, combattues mille fois , anéanties , oubliées. Ayant trouvé de vieilles armes rouillées & brïITées, ils les aiguiferent avec art; elles 'parurent neuves & brillantes , & ils laifferent croire aux ignorants qu'ils lesavoient ifabriquées alors ils entreprirent de déjtruire Ia Religion. Ils n'ont pu renverfer het édifice inébranlable & facré ; mais ils tant corrotapu les mceurs & déshonoré la bhilofbphie. Ce font eux qui, tantót ouj/errement , tan tót par des réflexïons en upparence indire&es, ont nié , de mille manieres, 1'immortalité de 1'ame. II fais oit, dans leur fyftême , dégrader la naj'ure humaine,. & ranger lliodtné dans a claffe des brutesj aiifji oiu-ila foutenu.  i6 De FExïftence que 1'homme ne devoit fa fupériorité fur les autres animaux qu'a la feule conformation extérieure : que fi le cheval avoit des mains, il anroit 1'intelligence de 1'homme.... que li le finge étoit plus grand, s'il n'avoit pas des mouvements brufques & précipités, il feroit tout ce que peut; faire 1'homme (a), &c. II eft inconcevable qu'avec de 1'efprit on ne fache pas mieux raifonner; i! eft plus étrange encore que de femblables raifonnements ayent pu jamais perfuader & pervertir. Vous iavez , Monseigneur, que Porang-outang eft de la grandeur de 1'hom» me & conformé comme lui: que, loin d'avoir des mouvements brufques cjf préèipités, c'eft un animal paiüble, qui n'a aucune des liabitudes des petits linges, & que cependant fon intelligence eft fort au-deilou.'- de celle du chien. Vous vous rappellez certe belle réflexion du plus graad Ecrivain de ce fiecle : „ Cet orang,, outang n'eft en effet qu'un animal, „ mais un animal trés -fingulier , que „ 1'homme ne peut voir fans rentrer en „ lui-même, lans fe reconnoitre . fans „ fe convaincre que fon corps n'eft pas „ la partie la plus elfentielle de fa na,, ture ". En effet, pourquoi cet animal, qui a des mains comme 1'homme, n'a-t-il pas (a) Liv»e intitulé (ie VE/pric.  I de Dieu, ej?e. 17 |n adreffe, fon induftrie? Pourquoi fon tkeliigence fe borne-t-elle a quelques aclions d'imitation ? Pourquoi du moins i;'animal qui reffemble le plus a l'homme , a*a -1 - il pas une fupériorité décidée lur :ous lesautres animaux? C'eft que 1'homme lui-même ne dok pas fa fupériorité a_ Ta conformation. II ne la dok encore ni \\ fon orgauifation, ni il fes fens. Beaucoup d'animaux ont les fens plus parfaits que les nótres O). L'horame aveugle deipuis fa première enfance, peut avoir du igénïe; privé même de la parole, il domineroit, il régneroit toujours fur tous les animaux. Pourrok-on comparer 1'inftinél de 1'animal le plus intelligent a la railon. de 1'homme fourd & muet de naiffance? iSans le fecours de la parole, l'homme ;fera toujours un être raifonnable : avec 4e don de la parole , un animal ne lau- (t & le finge, 1'inter,, valle qui les fépare eft immenfe, puif„ qu'a 1'intérieur il eft rempli par Ia pen- fée, & au-dehors par la parole («) ". Ecoutons encore fur ce fujet un Plu- (a) M. de Buffon. J'ai déja cité ce paffage a ce même fujet dans les Veillécs du Chateau -t c'eft la feule fois que je me fois permis de répéter deux fois la même citadon.  de Dieu, &e. 19 nfofoplie Anglois, auffi diftingue* par fes nvertus que par la fupériorité de fes talents ||(«). ,, Parmitantd'excellentsarguments, |„ dit-ii, qui prouvent rimmortalité de L, 1'ame, il en eft un fur-tout qui me pa'|„ rott être d'un grand poids; c'eft leper„ pétuel progrès de 1'ame vers la perfec;L, tion, fans qu'elle puiffe jamais avoir la fj„ poffibiiité d'y atteindre (Z>)". I La perfection eft un but a la fois imaJginaire & réel. II exifte, mais il eft placé hors de la portée de l'homme; 1'ame ne pourra le faifir, que lorfqu'elle fera dégagée desliens qui 1'attachentala terre. JufIqu'a cet inftant qui diffipera tous les nuakes, l'homme ne fera qu'entrevoir la perIteftion, & cependant il aura jufqu'a la fin jJdes temps la poffibiiité de fe rapprocher ad'elle, fans qu'il lui foit permis de 1'atteindre jamais. „ Un homme raifonnable peut-il penfer j„ (ajoute Adiffon) qu'une ame fufceptiL, ble de recevoir un perpétuel accroiffe;L ment de connoiffances & de lumieres, :L n'ait été formée que pour rewmber prefj, qu'auffi-tót dans le néant? Il'faut donc ,, croire qu'une intelligence li fupérieure 1, ait été donnéefans aucun deffein. Une brute arrivé en pen d'années a un point de perfeclion qu'elle ne peut jamais paf- (a) A D I S S O N. {b) The Spectator 5 vol. 1".  20 T)e VEx'ijlenc» „ Ter; quelle que foit la durée de fa viev*j ,, elle n'eft capable d'aucun progrès ". En j effet, fuivant la remarque d'un autre Phi- \ lofoplie («) ,,, fi les animaux étoient doués de la plus petite puilTance derdfléchir, 1 ils feroient capables de quelque efpece | de progrès. Les Caftors d'aujourd hui ■ batiroient mieux que ne batilToient les premiers Caftors; ainfi des autres. Mais nous, pourquoi mettons-nous tant de diverfité dans nos productions ? C'eft „ paree que notre ame eft a nous (V), j ,, & que nous u'avons rien de commuti ; avec notre efpece que la matieredeno- ' „ tre corps ". Les prétendus Philofophes qui veulent; nous rabaiffer a 1'état des brutes, ddclaïnent contre VorgueilAz l'homme, qui prétend être le Souverain de la terre, &c. Nier ainfi les bienfaits du Crdateur, c'eft déguifer 1'ingratitude fous les dehors d'une feinte humilité. Oui, fans doute, la terre fut erdde pour Fhomme. La raifon feule fuffiroit pour nous en convaincre. L'inftinei: de quelques animaux les porte a raffembler des provifions, a les amaffer h les '\ (a) M. DE BïFFOS, (b) C'eft-a-dire, cómme 1'explique M. de Buffon , que nous ne fommes pas réduits comme les animaux a n'avoir qu'un inftin£t général, & qu'au contraire , chaque individu de notre efpece a un génie qui lui eft propre , & une maniere particuliere de fentir.  de Dieu, &c. zi :onferver pour le befoin ; l'inftinct de 'l'homme eft de cultiver la terre, & de la ■forcer a produire ce qui lui plait. Enfin, i l'homme fait dompter, affujettir les animaux. Ces faits ne fuffiffent-ils pas pour prouver qu'il peut avec juftice fe regarder comme le Souverain de ia terre, de cette terre qu'il rend féconde & fertile, & fur laquelle, entre tous les êtres, il a feul la ipoflibilité de vivre dans quelque lieu de Ta furface qu'il veuille fefixer, tandis que les animaux ne peuvent ni vivre ni fe multiplier dans les régions éloignées de celles qui les ont vu naitre (V)? (a) ,, L'homme eft le feul des êtres vivants, • dont la nature foit affez forte, affez étenSi» due, affez flexible pour pouvoir fubfifïer, \k fe multiplier par-tout, & fe prêter aux in!» fluences de tous les climats de la terre-, il ïpt- eft, en tout, 1'ouvrage du Ciel, &c n Dans 1'efpece humaine, 1'influence du climat » ne fe marqué que par des variétés affez lé,» geres , paree que cette efpece eft une, & :,» qu'elle eft très-diftinclement féparée de toutes .» les autres efpeces. L'homme blanc en Euro.» pe , noir en Afrique , jaune en Afie, & rouge \ii en Amérique , n'eft, que le mêrre homme , I» teint de la couleur du climat. Comme il eft i» fait pour régner fur la terre , que Ie globe i> entier eft fon domaine , il femble que fa na» ture fe foit prêtée a toutes les fituations ; fous S» les feux du midi, dans les glacés du nord , n il vit, il multipüe ; il fe trouve par-tout fi i>< anciennement répandu , qu'il ne paroit afin fe£ler aucun climat particulier, &c ". M, de Buffok,  22 De ïExlftence La fageffe fuprême n'a rien fait au ha-' favci. II eli impofiible que notre foible im telligénce puiffe pênétrer toutes fes vues; c'eft affez qu'il nous foit permis de difcerner ce qui peut nous être utile. Ilnem'importe nullement de favoir pourquoi Dieu a créé des animaux nuifibles & des plantes vénéneufes ( quoiqu'on ait répondu a ces objeótions frivoles d'une maniere trèsfolide & très-fatisfaifante); mais il m'importe beaucoup de connoitre toute la dignité de l'homme & tous les droits qu'il a recus de la bonté duCréateur, &jevois clairement que la terre fut créée pour lui. Pour fentir ce qu'eft l'homme a la création , qu'on fe repréfente un moment ce que feroit la création fans l'homme. A quoi ferviroient alors les plus charmantes & les plus utiles productions de la terre, qui font entiérementinutilesauxanimaux: les fleurs, leur doux parfum, lesmétaux, les minéraux, le feu, & tous les tréfors que la terre & les mers renferment dans leur fein ? Sans le fecours de 1'induftrie humaine, que deviendroit ce globe malheureux? Les biens réels offerts par la nature, détruits ou fuperflus; le germe précieux des moiflbns, enfeveli pour jamais fous la fange; les torrents débordés, les ronces &les épines couvrant la furface de la terre; les infectes, les animaux féroces multipliés a 1'infim, &dévorant toutes les eïpeces foibles & fans défenfe; la terre entiere n'étant plus que le repaire aflTeux  de Dieu, &c. 23 ffune raultitude de monftres furienx : tel leroitl'univers privé de l'homme. Sil'exifnence de l'homme eft tellement néceffaire W 1'ordre, a 1'harmonie, a rembellifl'ement de 1'univers , que fans elle toute la nature "eroit bouleverfée, peut-on ne pas croire que la terre ait été formée pour lui? : Je ne vous ai préfenté, Monseigneur, :que les preuves morales de 1'exiftence de Dieu & de 1'immortalité de 1'ame. Elles fuffifent pour confondre 1'incrédulité la plus endurcie ; mais jedois vous dire qu'il exifte encore irne infinité de preuves métaphyfiques, qui concourent a démontrerces importantes vérités d'une maniere auffi 'forte & auffi folide. Pour entrer dans le détail de ces dernieres preuves, il faudroit ;une appücation & une intelligence qu'on he peut avoir a votre ftge. Mais dans quelques années , nous commencerons cet examen, quoiqu'il ne foit pas abfolument néceffaire : car les preuves morales font fi claires & fi convaincantes, qu'elles ne lïahTent rien a defirer. Elles doivent fatif. ■ faire également la raifon, le cceur & 1'ef■:iprit (a). J (a) II y a plufieurs excellents ouvrages qui ; contiennent ces preuves métaphyfiques ; en, tr'autres, le Traité ie VExiftence de Dieu , par le 'l Dodteur Clarke (ouvrage oü les raifonnements 1 font pouffés jufqu'a la démonftration Ia plus 1 convaincante). LesQtuvres d'Abbadie. La plus ' grande partie du premier volume des Lettres tj eritiques deM..l'Abbé Gauchat. Traité de VExiftence ie Dieu, de Fér.elon , &C.  sj. Des Punitions CIIAPITRE III. Des Punitions & des Rècompenfes éter-m nel les. Vous avez vu, Monseigneur,! dans le Chapitre précédent, 1'exiftence del Dieu prouvée par 1'ordre admirable & 1 bar- 1 ïïionie des Cieux & de 1'univers; par l'o-| pinion , ou , pour mieux dire, le ("enuraent 1 de tous les peuples, dans tous les iiecles; 1 par le cri de la conl'cieucë; enfin , par une 1 inultitude de preuves & de raifonnements-I qui confondront a jamais 1'athéifme ; &§ les preuves qui établiffent 1'immortahtédel 1'ame, ne font pas moins frappantes. Si| 1'on croit ces deux grandes vérités, <]«»■ exifte un Dieu, & que 1'ame eft ïmmor-j telle, il n'eft plus poffible de regarder lal vertu comme une chimère , comme une 1 invention humaine , formée par la pohti-1 que des hommes. C'eft Dieu même quil nous infpire le fentiment qui nous portel vers elle. Mais nous avons la dangerenfel liberté d'écouter cette voix divine, ou del nous foufiraire aux loix qu'elle nous pret- J crit. Si l'homme eüt été formé de mamerejl qu'un attrait, un penchant irréfifhble, j 1'euffent toujours entrainé vers le bien ,| & qu'une invincible horreur l'eüt conftam-f ment éloigné du vice, il n'auroit été di-1 gne,|  fé? des Rècompenfes èternclles. 25 ne, ni d'éloges par fes aéfions, ni par onféquent de rdcompenfes. Ii n'eüt été u'une machine qui, par fa perfeéïion mê1e, n'auroit pu rendre a fon Créateur un jfte tribut de reconnoilfance, puifqu'il 'y auroit jamais rien eu de volontaire & e libre dans fes mouvements. Plufieurs nimaux font doués d'un inftincr. fublime. f'attachement, ia fidélité du chien pour m maitre, tiennent uniquement a 1'orgaifation de cet animal. II eft formé pour ihérir celui qui le foigne, alors même que :s careffes font repouffées , &que!estraicmeuts durs & féveres fe trouvent mölés ux bienfaits : mais enfin , il n'eft ve'ritajlement que le fymbole touchant d'une mitié pure & conffante. II aime fans difprnement& fans choix. II eft foumis, géjpreux & fenfible comme le tigre eft féDce & cruel, en fuivant 1'inftincl qui le iiide &lemaitrife. Un tel être, quelqu'ai: able qu'il puiiïe paroitre, n'eft jamais u'un automate : il n'agit que par Peffet 'p 1'impulfion qui lui eft donnée, & des jflbrts qui le font mouvoir. II n'en eft is ainfi de l'homme : créé libre &raifonUble, il peut comparer &choifir; s'il s'éure, il eft coupable & fe dégrade en re^mjant a la plus noble de fes facultés, :11e d'affervir fes penchants a la raifon. Car : ne fauroit devenir criminel fans s'avilir, ■ jifqu'alors il cefle volontairemein de faire •1 digne ufage de fa liberté & de fes lulieres, qu'il agit contre le témoignage de B  25 Des Puniiions fa confcience, & qu'il préfere 11011 ce qu lui paroit jufte, mais ce qu'il juge lui-mS me condamnable. Vous concevez donc, Monseigneur que fi l'homme fe livre au vice, il doi être puni, & que s'il eft vertueux , il mé rite des récompenfes, auxquelles il n au roit pu prétendre s'il n'eüt pas recu la li berté de choifir entre le bien &lemal (V) La vertu ne peut trouver fur la terre d récompenfes dignesd'elle, &tropfouven elle y eft méconnue, opprimée. Mais apre cette vie fi fragile & fi courte, elle jouir d'une étemelle félicité. Une ame immoi telle ne peut être récompenfée ou puni que par un bonheur ou des chatiments étei nelsf C'eft ici que les Philofophes modei nes ontdéployé toute leur éloquence poi répéter, a 1'envi les uns des autres, toi ce que 1'impiété a dit dans tous les temf contre 1'éternité des peines. Si lematén lifme eft un fyftême commode pour cei qui efclaves de leurs fens, veulent s'abai donner a leurs paffions; la perfuafion qi Dieu eft trop bon, trop bienfaifant po punir le vice par des peines éternelles, n < pas une idéé moins raffurante & moins 1 vorable a la dépravation. Dira-t-on q Dieu impofera aux méchants des cha¬ rta) Et de fe décider pour Ie bien , en ft pofant toujours qu'il foit aidé par la Grai ce qui fera expliqué par la fuite.  des Récompenfes éternelles. 27 jents paiïagers ? Mais des peines paflagees ne forment point un fort. Le croirezjous, Monseigneur, que la juftice te Dieu n'établira pas néceffairement une iifférence inflnie entre le fort de Ravaillac is celui de Henri IV? „ Car enfin , dit , un Auteur, que je citerai fouveut en, core («), fuppofons les peines épuiL fées , que deviendra 1'ame? Entrera1 , t-elle dans une immortelle félicité ? Mais , loin de la mériter, elle n'a porté a fon E juge que des crimes. Sera-t-elle anéanE tie? mais fa nature eft immortelle. Eu I , admettant la félicité étemelle & la fin i , des peines , il s'enfuit que tous les homI, mes font néceffairement fauvés. Toute ,, peine finie, comparée a la durée des ; , fiecles , n'eft rien; qu'on arrivé a labéa'1 , titude quelques fiecles plutót ou plus 1;, tard, ce n'eft qu'un inflant. Sanscoml| bat, fans vertus, fans culte, fans prieI, res , l'homme eft affuré de fon fort. Son i, ame eft immortelle, & les peines font II , finies; il eft donc néceffairement def]| tiné a un bonheur éternel. Le vice & c, la vertu ne forment donc pas deuxrou¥1 tes infinimentdifférentes, puifque leurs ji , termes fe rapprochent & fe réuniffent. j„ En fait de morale, le fyftême le plus , propre a éloigner l'homme du vice, a i 1 , (a) L'Abbé GAUCHAT, Lettres critiques, om. i". pag. 189 & fuivantes. B ij  Des Punitions „ Ie porter a la vertu, eft cenfé le plus ,, vrai, le plus conforme a la fainteté de „ Dieu. La fin des peines oteroit la bar-, riere du crime & le motif de la vertu* ,, Malgré 1'éternité prouvée & recue, le ,, moindre bien fenfuel, la crainte d'unj „ mal léger, 1'emportent encore fouvent „ fur cet objet redoutable; que feroit-ce ,, fi on le fupprimoit "? II eft évident que, fans la croyance de 1'éternité des peines, la Religion ne pourroit avoir d'influence fur les mceurs , & il eft inconteftable que cette croyance eft; le motif le plus puiffant qui puilfe retenir le vice & faire perfévérer la vertu. Cepen-: dant c'eft cette opinion fi utile, & mêmeffi néceflaire au bonheur du genre humain J que les prétendus Philofophes modernesf ont attaquée avec le plus d'achameinent.j Ils n'ont pas nié 1'exillence de Dieu & 1'immortalité de 1'ame : ils ont fenti que] 1'athéifme eft trop révoltant & trop ab-. furde, pour qu'on puilfe avec fuccès leprêcher ouvertement : mais au contraire,! afin de détruire plus fürement la Religion ^ ils ont affedtés demontrerune/irq/Sw^e vé% nêration pour 1'Être Suprème. Leurs oul vrages fontremplis depieufes invocations '1 de priem pathétiques : & c'eft ainfi quéj par un alfemblage bizarre, joignant l'iém piété a 1'hypocrifie, ils fembloient rendrffl hommage a laDivinité , dont ils vouloienfj anéantirle culte, les droits & la puilTan* ce : fe peignaut eux-mêmes fous des traits'  - ty des Récompenfes éternelles. 29 its pour féduire la multitude, ils fe reliéfentoient comme des hommes fimpks, ]!:ins de candeur, de bonnefoi, & furpt cVindulgence , comme des hommes fnfai/dnts, dévorés de lapaffion du bien jblic, comme des hommes vertueux, pé■!trés de refpect pour les mceurs, & fennt vivement combien il iinporte au bon:ur de la fociété qu'elles foyent pures. i;pendant ces fages fi parfaits , malgré \x fimplicitè & leur candeur, ont capnié lans fcrupule la religion qu'ils atiquoient; leurs livres font remplis d'imbtations extravagantes , de palfages alurés, de citations fauffes (a) : & quand. 111 a relevé leurs menfonges & leurs erjjurs, on s'eft attiré leur reilentimenE ij leur haine. Malgré leur bienfaifance, lur indulgence & leur pajfion pour la mu, ils répandoient des opinions dont 5 ne pouvoient fe diffimuler les pernilleufes conféquences , relativement a 1'orj[re de la fociété & au bonheur du genre iumain ; en prechant la vertu, ils en défuifoient le but & les plus puifl'ants moIfs; en vantant la tolérance, ils déchiHent & perfécutoient ceux qui combatpent leurs opinions; eu convenant de jimmortalité de 1'ame & de l'exitlence de lieu, ils établilfoieut des principes dont ( te baigner dans le fang de tes { „ freres; la trahifon, le meurtre, le par,, ricide ; enfin , tous les forfaits les plus „ horribles te J'erontpardonnés, &tujoui,, ras, dans 1'éternité, du fort réfervé au „ plus vertueux de tous les hommes: comptel ' toujeurs fur ma bonté; & même, au Jein\ „ du crime, garde-toi de craindre ma juf\ „ ticc ".  cjf des Récompenfes êiernelles. 31 Croit-on, fi 1'Etemel eüt ainfi parlé, 'ue jamais les hommes euffent fait des lairifices a la vertu? Voila cependant a quoi I réduit cette fublime idéé que les Philoofophes fe font formée de 1'Etre Suprème. Du'eft-ce que la bonté fans la juftice ? une öib'elTe qui rend leSouverain mépnlable, V les fujets plus a plaindre que fous les iivrans éclairés: & c'eft la ce que les Phiofophes appellent le plus noble atlnbut da Dieu! Mais quoi, difent-ils, comment loncevoir que Dieu punira par des peines nernelles les foibleffes paflageres d'une vie I courte? ,, La bonté de Dieu, dit TerI tullien {a), n'eft pas feulement milén' corde, elle eft encore fainteté. Une fainï teté toujours fubliftante eft toujours en' nemie du pêché; & par une fuite néceffaire, elle doit toujours haïr & punirle pêché , file pêché dure toujours. Donc 1 puifqu'il n'y a rien dans 1'eufer qut " abolitre «Sc qui détruife le pêché, il ri y L, aura jamais rien qui en arrête le cha„ timent (2)". , ! Le repentir durant Ia vie, pent être exilpiatoire, paree qu'il eft alors le fruit de la foi, & qu'il produit des réfolutions vertueufes, ou de généreux facrilices : auifi , tant que l'homme refpire, il peut tout efpérer de la miféricorde infnue du Créa- (a) Cité par Bourdaloue , Scrmon fur VEnfer, torn. fecond du Carême. B iv  32 Des Punitions teur : mais après la mort, le repenriry n'eft plus qu'une vaine fureur, qu'un re-8 gret fuperfiu. Toutes les illufions ontl difparu, tous lespreftiges fédufteurs font l anéantis pour toujours. O moment terri-'f ble & redoutable, oü 1'ame affranchie dJ fes liens terreftres s'élancera tout-è-coup "■ dans le fein de 1'éternité f C'eft alors I qu'elle ne pourra plus ni repouffer, ni § dédaigner la vérité qui fe montrera fans I nuages ! C'eft alors qu'elle fera forcée-ï de reconnoltre toute la difformité du vice , 1 tout 1'éclatde la vertul Mais, fi elle eft 1 réprouvée , a quoi lui fervira de conce- ; voir les myfteres qu'elle n'a pn comprendre durant la vie ? La foi ne fanclifiera plus la croyance; il n'y aura plus de mérite a croire qu'il exifte un Dieu Créa- I teur & juge des mortels : on le verra , 1 on en recevra fon arrét. L'ame épou- j vantée aura perdu fans retour les erreurs I féduifantes qui nous déguifent les peti- I teffes de 1'orgueil, & la vanité de la fa- : geffe humaine. Dépouillée de fes préven- I tions, de fes préjugés, de fes paflions, | il ne fera plus en fon pouvoir de fe diT- | fimuler que le vice eft haïffable; mais 1 elle le méprifera fans fe purifier elle-raê- I me. Cette horreur involontaire ne fera | produite que par fafpedt elfrayant d'un j objet hideux. Le temps des facrifices, J des expiations fera patTé; plus de liberté j| de s'égarer, d'étouffer le cri de fa con- 1 fcience. ïout eft dévoilé, prouvé. Une |  & des Récompenfes èternelles. 33 'ive lumiere offre de toutes parts Paccailante évidence; plus de moyens de répaer... La feule raifon fuffit donc pour ïous démontrer qu'il eft impolTible qu'arès la mort 1'ame criminelle puilfe éprourer un feul regret méritoire; elle reftera lonc fouillée & dans fon état de répro)ation; & telle eft, dit Bourdaloue, ce nyftere terrible. ,, Les pécheurs dans , Penfer gémiront éternellement; ils y „ feront éternellement pénitence ; mais , une pénitence forcée, une pénitence ,; de démons & de défefpérés. Or une „ telle pénitence n'effacera jamais le pé,, ché; par conféquent le pêché fubfifI tera toujours; & tant que le pêché „ fubfiltera , ils feront toujours également redevables a lajultice de Dieu, L & expofés a fes ven^-eances". i Puifque 1'ame criminelle après la mort 'ne peut fe purifier de les fautes, elle refte a jamais fouillée; & par une conféquence nécelfaire, elle eft dans cet état \ jamais réprouvée. Ce deftin affreux elt l'effet inévitable de la nature même des i:hofes, de Poppofition invincible & conf:tante qui fe trouve entre Dieu & le vice, lentre la fuprême juftice & Piniquité, que irien ne peut expier. Tout ce que la miTéricorde divine a pu faire pour le falut des hommes, fans renverfer cet ordre immuable, elle Pa fait. L'homme ne fauroit obtenir le pardon de fes fautes, que du» raat fa vie; & dans tous les moments de B v  34 Des Punitions fa vie, même a 1'inftant qui en précede le terme, un repentir fincere peut le lui procurer. Dieu, plus indulgent pour lui que les loix & le monde, fera toujours prêt il lui pardonner des égarements & des crimes que la juftice humaine & la fociété ne pardonnent jamais. Cependant il s'agit d'obtenir une félicité immortelle , une félicité au-deffus de toutes les idéés que l'homme en peut concevoir : & la bonté de Dieu daigne accorder ce prix immenfe, infini, au repentir le plus tardif, ainfi qu'a la vertu perfévérante! Mais la vertu même oferoit-elle y prétendre, fans la miféricorde du Créateur? Qu'eftce en effet qu'une vie qui nous paroit irréprochable aux yeux de celui qui lit au ] fond des ceeurs, qui connoit les penchants cachés , les motifs de toutes les réfolutions, les penfées & les aétions les plus fecretes ? Le meilleur des hommes. oft-il exempt de foiblelfes, & n'a-t-il jamais eu de fautes a fe reprocher? Le prix. que Dieu réferve a fes élus, ne furpaffet-il pas infiniment tout ce que la plus parfaite de fes créatures feroit en droit d'attendre de fa juftice? Et cette récompenfe immortelle peut être encore obtenue par le pécheur!... Telle eft la mj- féricorde de 1'Etre Suprème que les pré- '■ tendus Philofophes méconnoilTent fous ces traits; il leur faut un Dieu que 1'on puilfe outrager impunément jufqu au dernier moment de la vie, un Dieu qui, loin  & des Récompenfes éternelks. 35 d'exiger des facrifices & des expiations, ine demande même pas un culte & des i|hommages; un Dieu qui auroit fans deffein créé l'homme libre, puifque 1'ufage 'Icriminel de la liberté doit reder impuni; 'un Dieu enfin privé de 1'attribut le plus jaugufte de la divinité , la juftice; & la Jvéritable idéé de la juftice renferme néijceflairement celles de la fermeté & de 'jl'inflexibilité. 11 eft un terme oü la cléiimence humaine doit s'arrêter : fi elle le jpafle, elle cefle d'être une vertu, & deavient une foiblefle vicieufe : cependant i les hommes peuvent fe contenter de faire igrace, fans être coritraints de donner au crime le prix fait pour la vertu. Ils ne font pas réduits a ce choix de punir ou ide récompenfer le coupable ; choix fur lequel la juftice ne pourroit permettre de ibalancer, fans détrnire les plus fimples ;notions du bien & du mal. Mais après la :mort, il n'y a pour 1'ame immortelle que deux états {/»), tous les deux éternels, ll'un de félicité, 1'autre de réprobation : ( mais le pécheur qui les conferve n'eft point totalement abandonné de Dieu. Ceci fera plus clairement expliqué a la fin de ;*« Chapitre. C vj  6o De la Grace qui pourroient produire de tels efFets fijr des hommes foibles & vicieux ? On les chercheroit en vain, & les Phiïofophes eux-mêmes conviennent que , pour réprimer le vice, la Religion eft plus utile que ne fauroit 1'être la philofophie; mais elle ne 1'eft pas moins pour. perfedionnec la vertu, & c'eft encore par le dogme de la grace qu'elle parviént ft ce hut. Le Chrétien fidele ft tons fes devoirs les remplit fans fafte & fans vanité; il attribue tout ce qu'il fait de bien a la fórce qu'iL recoit de la grace; il fait que 1'humilité peut feule lui conferver ce don précieux; le bonheur de le pofFéder ne lui infpire qu un doux fentiment de reconnoiffance, & la crainte de le perdre le rend modefte & mdulgent pour les foibleffes dont il eft exeinpt. C'eft ainfi qu'il eft vertueux fans orgueil : telle eft la vertu pure&parfaite. Les Phiïofophes, dans leurs écritsou dans leur conduite, nous en offrent-ils le modele? Je vous 1'ai déja dit, Monseigneur , toutes les bizarreries & les inconféquenaes de l'efprit & du cceur, qui.paroifFent incompréhenfibles ft la philofophie , font admirabiement expliquées par la foi. Heft; C.errainemenr inconcevable qu'un homme qui a été entrainé par fes paffions , ne change pas d'opinions en perdant & les erreurs & les goüts de fa jeunefle. Lorfqu'on approche du terme de la vie, 1'idée du néant devient affreufe, infupportabie,  & de VAveuglement fpui'tueV. 6ï Ta carrière eft prefque achevée, encore nn? pas, elle eft remplie!.... On touche a la i tombe entr'ouverce qui la termine!.... ; Ah! 1'athée peut - il envilager ce funeite objet laus horreur &fansdéfefpoir? Peut- I il fe dire, avec tranquillité : Je vais ceffer d'étre, je vais cefjer d'aimer? Moname, prête a s'anéantir, va perdre , pour jamais, toutes fes facultés; non-feulement il faut renoncer fans retour aux objets qui me font chers, mais il faut perdre encore jufqu'ci mes fentirnents mêmes ! Comment ces réflexions fi affligeantes ne conduifent-elles pas du moins au doute? Perfonne n'a jamais prétendu, pas même les plus impies, qu'il y eüt des preuves. 'démonftratives contre 1'exiftence de Dieu ! & 1'immortalité de 1'ame. L'incrédulité. ne fe fonde que fur ce qu'eile appelle une plus grande probabilité. Mais dans 1'age. ' oü les paffions ne combattent plus la Religion , on doit fentir combien il eft ab- i furde, dans une chofe de cette importance , de ne pas prendre le parti le plus für.Défabufé de toutes lesillufions humaines, fi 1'efpoir d'une autre vie en étoit une,. il feroit naturel de 1'adopter, des'y livrer.. Dans la vieillefïê, la Religion n'a plus de | facrifice a demander , elle n'offre plus alors que des confolations & de fublimes efpérances; elle n'exige rien de pénible^ elle. alfure la tranquillité préfente, & elle promet un bonheur immortel.. Enfin ,. elle. jjeut feule adoucir 1'a.rxiertume de cette.  6l De la Grace époque de la vie on l'homme, parvenu au terme de fa courfe, regrette vaiuement le paifé, poffede en tremblant le préfent, & n'envifage plus d'avenir. La Religion, dans ces moments terribles, ranime 1'ame abattue &flétrie, exalte 1'imagination éteinte : au-deja du tombeau, elle montre 1'éternité ; elle découvre un Dieu bienfaifant, toujours prêt a pardonner, & dont la bonté infinie daigne accorder au repentir le prix que fa juftice deftine a 1'innocence. D'après ces réflexions, on ne fauroit concevoir qu'un vieillard puilfe être impie; cependaut on en a vu plus d'un exemple. Ecoutons la Religion, elle nous expliquera encore ce phénomene. „ C'eft une vérité inconteftable, que ,, Dieu aveugle quelquefois les hommes; „ & quand 1'aveuglement des hommes „ entre dans 1'ordre des divins décrets, il eft de la foi que c'eft un effet du pé- ché, paree que c'eft une des peines „ dont Dieu punit le pêché... Mais Dieu, „ 1'éternelle & PetTentielle vérité , ne peut „ jamais être 1'auteur du menfonge; & ,, tout Dieu qu'il eft, il ne peut jamais ,, nous tromper, paree qu'il ne peut ja„ mais ceffer d'être un Dieu fidele. S'il nous aveugle, c'eft par voie de priva„ tion & non d'aétion; c'eft en retirant ,, fes lumieres ,& non en nous imprimant ,, l'erreur; c'eft en nous abandonnant a ,, nos propres vues & aux fuggeltions des méchants, & nonen nous donnantlui-  11 & de VAveuglement JpirittteL 63 même des vues fauffes. Et de plus , „ fuivant le fentiment du même S. Au„ guftin, dont leConcile de Trente nous a propofé fur ce point la doétrine pour „ regie, on doit conclure que Dieu ce„ pendant n'aveugle jamais tellement les „ hommes en cette vie, qu'il les laiffe dans „ une privation entiere & abfolue des lu,, mieres de fa grace, paree que leshommes tomberoient par-la dans une im,, puiffance abfolue & entiere de garder „ fa loi, & qu'elle leur deviendroit im„ praticable : & Dieu, fouverainement :„ jufte, fage & bon, ne nous demande „ jamais rien d'impofüble. II nous laiffe „ donc toujours des lumieres fuffifantes,, „ finon poiir marcher dans lavoie du fa„ lut,au moins pour la cherclier ; finon ,,, pour agir, au moins pour prier, finon ,, pour favoir, au moins pour douter.... „ Que fait donc Dieu pour nous aveugler ,, & pour nous punir? Rien autre chofe 1,, que de s'éloigner de nous , & de nous „ livrer a nous-mêmes.... Dieu , quand „ nous 1'irritons, nous privé de fes lumieI, res, & c'eft la perte de ces lumieres „ qui fait notre aveuglement. Cet aveu,, glement, ainfi expliqué, eft reffet le „ plus redoutable de la juftice vindicative „ de Dieu, le chatiment le plus rigoureux „ que Dieu puiffe exercer fur les pécheurs, celui qui approche davantage de fa ré* „ probation, ck que 1'on peut dire être déja une réprobation anticipëe... L'a-  6*4 De la Grace „ veugletnent oü Dieu perrnet que nous . tombions en conféquence de nos cri-||J ., mes, eft un mal tont pur fans aucun itj mélange de bien : tous lesautresmaux;ji », de la vie font, il eft vrai, des chfttiments ||l du pêché; mais ils nelaiffent pas d'ètre, Ijl „ fi nousle voulons, desmoyensdefalut... „ Ce lont des maux , dit Saint Chryfoftó- M me,quinous purifient en nous affligeant, | „ qui nous corrigent, qui nous fervent d'é- ft 3, preuves, qui nous aident arentrer dans lli nous-mêmes, qui nous détachent des '{: ., objets créés,&nous forcentde retour- Ijl „ ner a Dieu. Mais 1'aveuglement eft un ii mal ftérile dont nous ne pouvons tirer ij: aucun profit... L'aveuglement, bien- h 5, loin d'effacer nos péchés , les aug- 41 mente ; bien-loin de foumettre nos .1! j, cceurs, les révolte; bien-loin d'appai- • }, fer Dieu , le courrouce. II a tout le -'ij mal de la peine, fans en avoir aucun ;J elfet falutaire."... Qui ne doit pas être II ., faifi de frayeur , penfant qu'il y a un Ij ., pêché que Dieu a marqué comme le j] ,, dernier terme de fa grace ; je dis de 1 „ cette grace fans laquelle nous ne nous i fauveronsjamais?Quel eft-il ce pêché? ;! S9 Je ne puis le cqnuoltre» Après quel 1 „ nombre de péchés viendra-t-il ? C'eft | ce que j'ignore. De quelle nature, de „ quelle efpece eft-il? Autre myfierepour „ moi, &c (d) (a), Bourdalouev Sermon fur t'A'ycugVemtnt foi', . H ütitd',. torn. U du Carême.  fauroit trouver. C'eft fur la terre qu'il doit modérer les defirs, paree que rien ne peut les latisfaire: c'eft fur la terre, enhn, que la . Iraifon lui prefcrit de n'aimer avec exces aucun obiet créé, puifque tout attachéi,ment paftionné, même le plus légnime, 'n'eft pour lui qu'une fource ïntanilable ,de mortelles inquiétudes & de peines déIchirantes. Mais , cependant , ce n eU ipoint en vain que le Créateur 1 adoiiéde ! cette fenfibilité adive qu'il eft obhgé de I réprimer fans ceffe. Quelques inftants du i bonheur vif & paffager qu'elle procure, ,jlui donnent du moins 1'idée de la venijtable félicité. II feut que la faculte d ai•jmer peut feule la produire; mais fera-ce ; en s'attachant paffionnément a des créaItures imparfaites & fragiles comme lui, :\ & avec 1'affreufe certitude d'en être ié; paré tót ou tard par la mort? ... Et pour ,l jamais... Non fans doute. Aimer avec j ardeur, avec tranfport, & cependant fans inquiétudes, fans jaloufie; trouver dans 1'obiet de fon amour le modele unique de D üj  ?9 Des Myfieres*. la perfeflion , le voir au comble de ïagloire & fouverain abfolu de tout ce qui; exifte... Voila 1'idée raviflante & fublime de la fuprême félicité, & tel eft 1'avenir éternel que la R'eligion promet a la vertu! O vous qui méritez feules d'être confultées fur la nature du bonheur fait pour l'homme, vous qui feules avez le droi» de Ie concevoir & de le défïnir , ames fenfibles! ces promeffes divines ne rempliffent-elles pas tous les vceux que vous pourriez former ? Seroit-il poffible que vous ne fuffiez point entrainées vers une Religion qui vous donne de telles efpérances?.... Pour moi je trouve dans Ia peinture de la béatitude éternelle tout ce qui peut charmer Pefprit, exalter 1'imagination , & toucher le cceur. Eh quoi, ft Dieu daigne me pardonner mes foibleffes & mes fautes, a 1'inftant oti mon ame fera dégagée de fes liens terreftres, je ferai frappée du jour éclatant de la vérité fans nuage ! Cet inftinct particulier a l'homme , ce defir de s'inftruire, que- I les foibles connoiflances humaines peu- I vent irriter & ne fauroient contenter , cette avide curiofité fera pleinement fatiffaite; ie faurai tout, je comprendi ai tout plus d'énigmes , plus d'obfcurités, plus de myfteres pour moi ; ainfi que moa exiftence devenue immortelle , mon génies'étendra, il embraflera Pinfini... Plaifirs purs & divins, fi je ne puis vous goüter encore, je puis- du moins vous couce-  Des Myjleres. 79 roir vonsn'ötes, enfin, que les plaifi» l'eforitl Mais comment comprendre, m^^ istendue, ce bonheur inexpnmable donc E Pame immortelle,. 1 ame puntig idégagée des penchants vic.eux des pa bons faöices, cette ame dont lenergw fera proportionnée a fa durée/ansr?°5_ El». Je verrai le Créateur des Cieux & de 1'univers , la fource & Ié modeli de S véritable perfecYton ; je fera, capalJe Wouver pour lui tous les fentirnents , JK font Pdüs, l'adpi»^Vi.ffi •i noiffance: je ferai environnée de fa gloire Crème : j'aimerai avec une ardeur dont ïeftTmpoffible que nous puiffions avo t une iufte idéé , puifque nous n'avon* I mé que des êtresVbles, changeants, imparfaits & périffaWes ; mon amour t>our Dieu fera, comme fon ob|et, unSle éternel, infini, & cet amout fera ma gloire, ainfi que mon bonheur I Plus de craintes, plus de combats, i aimerai avec fécurité, & j'atmera, palfionnément, & toujours !... üiu , ia rveu ! IZ qui m'annonce de telles .récompenft« eft la véritable ! Cette feule preuve fuffiroit a ma raifon; toutes les autres ; Religions n'ont promis que les plaiiiis , des fens, des biens terreftres, ou le repos; celui qui a formé le cceur de 1 homme pouvoit feul lui découvr.r la fource & 1'image de la vraie félicité. Quand ,1 me dévoile mon fort, je reconnois la voix de D it  «o Rèflexions mon Créateur; il me promet 1'irniqtie bien qui puifTe remplir & fatisfaire les defirs de mon ame. CHAPITRE VIII. Rèflexions fur la Crèation & fur la Providence. Je vais vous préfenter, Monseigneur , une fuite de rèflexions , dont l'enchaï> nement pourra paroitre bizarre ; mais ce fut ainfi qu'elles s'ofirirent a mon efprit dans une fituation qui ne s'efFacera jamais de ma mémoire. Je voyageois, (il y a douze ans) j'étois dans une terre étrangere.... Un foir fur la fin du mois de Juillet, je voulus, avant de me coucher, fuivant ma.coutume, travaiiler a mon journal, mais il me fut impoffible d'écrire. J'avois admiré dans le cours de la journée une multitude d'objets furprenants de monuments célebres; le fouvenir de ces chefs-d'ceuvres des arts excitoit en moi une foule de rèflexions nouvelle?, mais d'une maniere fi embrouillée, que je ne pouvois ni les mettre en ordre, ni même les exprimer. D'ailleurs 1'état de mon ame ajoutoit encore rt la confufion de mes idéés. Ce jour même i'avois rec;u des nouvelles qui, fans m'affliger, me caufoient cependant une violente agt-  fur la Cr dat io tl, &e. Sï tation. Ayant le cceur & 1'efpritégalement occupés, & par des objets qui n avoient entre eux aucune efpece de liailon, mes idees fe croifoient , s'embarrafloient, manquoient de fuite, & ie me trouvois ,! dans un état pénible, alTez'femblable a la folie : enfin, je me levai, je fortis de ma chambre, & j'allai fur une vatte terrade qui donnoit fur la mer. Le bruit des flots, la férönité de 1'air, le calme profond de la nuit me firent éprouver des impreflions nouvelles. Je me fentis moins agitée, & plus difpofée a m'occuper fans diftraction des objets qui n'intéretfoient que mon cceur; j'oubliai mon journal & ce que j'avois vu dans la journée, & toutes mes penfées fe toumerent vers la France... Lorfque mon imagination eüt épuifé ce qu'elle pouvoit m'offrir de plus ij intéreffant, je tombai dans une rêverie vague & profonde, & je ne puis favoir quelle fut fa durée ; je me fouviens feulement que je penfois a mille chofes différentes , mais fuperficiellement , & fans avoir ni la force de réfléchir, ni le delit de m'arrêter de préférence a une idée. Ce n'étoit plus ce défordre de penfées produit par le trouble de 1'ame & la vi! vacité de 1'imagination; c'étoit au contraire une laffitude, un engourdiflement qui fufpendoit toutes les facultés de mon efprit, c'étoit la paifible confufion du chaos Les premiers rayons du jour m'arracherent a cette efpece de demi-lbm'D v  8 a. Réftexibnr meikje remarquai tout-a-coup avecéton*nement que je pouvois diftiuguer tous les objets qui m'environnoient; ils étoientnouveaux pour moi, n'habitant ce palais que depuis quelques heures, & 11e 1'ayant vu que la nuit. Je ne connoifibis point la terrafie fur laquelle je me trouvois; ainfi le fpectacle magnifique qui fe préfentoit a mes regards, me caufa autant de furprife que de ravilfement. D'un cóté, je découvrois Ia mer & un payfage auffi majeftueux que riant & varïé;de 1'autre.,, je voyois plus prés de moi, des jardins admirables, des ftatues , des obélifques, des arcs de triomphe, des colonades de marbre , & de porphire; enfin, je contemplois a la fois tout ce que la nature &. les arts peuvent offrir de plus impofant & de plus agréable. A cette vue, il me fembla que jè prenois un nouvel être; je n'ai de ma vie éprouvé une imprefilon auffi vive; 1'agitation de mon ame étoit ealmée; il ne me reftoit & de mes rèflexions & de ma rêverie, qu'une difpefition a 1'attendrifJement, qui me rendoit plus fufceptible de fentir & de penfer avec fórce. Alors commenca cette longue méditation qui forme le fujet de ce chapitre, J^avois fur moi des tablettes, je m'afils au pied d'un palmier; & dans cette fituation, découvrant tous les différents objets- qui venoient de me caufer tant d'admiration, je pris mes tablettes, &j'écrïvjs les idees que m'infpira la contempla-  fur la Création, &c. Sj tion du tableau furprenant que j'avois fous les yeux. C'eft ce même morceau, écrit fi rapidement & dans ma jeuneffe , que j'ai inférédans cet ouvrage; afin qu il n'y parut pas déplacé, j'ai été forcée de rendre compte de la fituatiou & des fen| timents qui firent naltre ce fingulier enchainement d'idées. J'aurois pu luppnmer ces détails, en cbangeant la forme de ces i rèflexions; mais je trouve a ce morceau i un tour original, précifément paree qu'il n'a point été compofé : je le donne donc a-peu-prés tel que je 1'écrivis; j'y ai fait quelques augitientations, du refte je n'ai rien fupprimé & rien changé;.. „ Quel tableau! lei, les plus étonnantes yi produftions des arts! fa, tout ce que la nature peut offrir de charmant & de „. majeltueux! Comment des objets pure„ ment matériels ont-ils le droit d'excitec dans mon ame un fentiment&fi vif &ü' „ doux ! Le beau- confidéré fimplement en „ lui-même, & fans qu'on y joigne au,, cune idéé d'utilité, n'eft-il que frivole, ou mérite-t-il d'infpirer de 1'admiration ? „ Oui fans doute.. La beauté , la magni„ ficence font des attributs de Dieu; il „ a imprimé ce caraclrere a fes ouvrages , „ & tout ce qui retrace la puiffance d'un „ êtrefouverainement jufte&bienfaifant, „ porte dans 1'ame un fentiment délicieux. Les ouvrages produits par les arts.,. „ prouvent 1'intelligeuce de l'homme & fa „ fupériorité fur les animaux , qui ri-'onr, 3 D- vi  §4 Rèflexions ,, qu'un inffinét aveugle en partage. Ainfi ,, donc ces monuments fuperbes font en ., Rèflexions„ de fottife & de folie dans ce vain fön> „ hait : Je voudroh que mes a&ions & mes: „ ouvrages devinjfnt le fujet de Vétoum,, ment de iadtfiiration de tous les hom-' „ mes! Non, il n'exifte dans la nature ,, que les ceuvres du Créateur que 1'on „ puiffe admirer fans les comprendre. „ Quelle jufte propoFiion entre les ouvra- ges de Dieu, les productions de I'hon> „ me & celles des animaux! II m'eft im» ,, poflible d'y réfléchir & de les mettre en „ parallele fans reconnoitre diftinftement „ les différences infinies produites par ces ,, principes : Sageffe étemelle & fupré„ me qui a tout créé; matiere animée d'une ,, ame immortelle, matiere feulement ,, organifée. Voila ce que démontrent évi„ demment les habitations du caftor rap- . „ prochée du Panthéon, de St. Pierre de „ Rome, de la colonade du Louvre, & „ tous les chefs-d'ceuvres de 1'art humain comparés a la création.. Pourquoi Dieu., ,,, qui peut tout varier a 1'infini, a-t-il ,, voulu cependant qu'il y eut des rap„ ports fi frappants & quelquefois des „ reffemblances fi exaétes entre 1'organi,, fation de l'homme & celle des brutes , & „ même que ces rapports fe trouvaffent en- core entre les plantes & les animaux; car „ les botaniftes en découvrent de très-feny, fiblesjufques dans la maniere finguliere „ dont certains végétaux fe reprodui- fent? C'eft afin de prouver a l'homme ^ qu'il exifte en lui un principe qui ue  fur la Crèation , &c. Wp tient ni ft fon organifation ni ft fes formes extérieures. En effet , l'homme entouré de toutes les combinaifons de Z la matiere , n'a befoin que de fes yeux & „ d'unefprit jufte pour fentir que ces com„ binaifons les plus merveilleufes ne peu„ vent donner que le mouvement iWtfen„ timent, & ne produiront jamais la rat* ,, fon & la penfée. Dans la littérature & M dansles arts , on recoinmande/^w/zede plan, faccord £}? f harmonie dans l'en„ femble , la li ai fon dans toutes . les par„ ties , la variété dans les détails ■, mais „ fans confufion, fans bigarrure, fans: „ dijparate. Ces principes doivent être „ fuivis, ils font puifés dans la nature. „ Quelle unité de plan dans 1'ceuvre fu„ blime de la création ! Tout fe rapporte „ ft 1'homme , au feul être formé pour „ connoitre, pour adorer fon créateur., ,, Tout ce qui exifte fut créé pour fatif,, faire fes belbins, fervir ft fes plaifirs,. ?, ou pour 1'éprouver, 1'inftruire, le cor,, riger, le récompenfer & le punir. Quelle ,., variété dans les- ouvrages de Dieu!. „ Ouelle magnificence fans profufion, & quelle fimplicité! Le charme & la richeife des détails ne détruifent point „ 1'harmonie de l'enfemble; ces champs „ couverts de fleurs font émaillés de toutes les différentes nuances des couleurs ., lesplusbrillant.es; mais jelesappercois * fans les diftinguer,,&lenréclat.ne trou„ ble point 1'ac.aord fi, doux-de ces. omr  83 Rèflexions „ brages verts , & de ce ciel d'azur. En- fin, quelle liaifon admirable dans tou,, tes les parties qui compofent 1'univers l, Une chalne univerfelle & non interrom- pue raflemble & réunit toutes les fubf,, tances matérielies & tous les êtres : les efpeces diverfes, les différents genres font liés entr'eux par des intermédiai,, res; de telle forte que ft une de ces ef- peces venoit u manquer, le vuide feroit „ d pelne fenflble (a~). On ne trouve dans ,, la nature ni lacunes ni difparates; elle ,, ne produit rien d'ifolé. Combien de ,, nuances & de gradations joignent & rap- prochent ces trois états de la matiere „ que les naturaliftes ont nommés regnes ! L'ceil humain ne fauroit difcerner tou,, tes ces nuances, mais il peut apperce,, voir les plus frappantes; il en décou,, vre tous les jours C'en eft affez ,, pour reconnoitre 1'exifience de cette „ chalne admirable : ce qui pourroit la ,, prouver démonftrativement, c'eft qu'il n'exifte pas une feule claffe de plantes ,, ou d'arbres, ou d'animaux qui n'ait («) M. de Buffon. (4) II n'y a pas plus de vingt ans que 1'on a découvett les \oophitts ou animaux-plantes, qui lient le regne animal au regne végétal; comme les chauves-fouris forment la nuance entre les quadrupedes & les oifeaux; le caftori entr-elés p'oiffons & les quadrupedes, &c,  fur la Création, &c. ?>9 „ quelque analogie avec une autre efpe„ ce, paree que chaque claffe, au-lieu „ d'être un ouvrage fini, n'eft qu'une petite partie d'un ouvrage irnmenfe au„ tant que merveilleux. Dans chaque genre L de plante, il en eft une qui n'yappar„ tient qu'a moitié, & dont 1'autre moi„ tié commence un genre différent. On „ peut dire la même chofe de tous ks ,, animaux, l'homme feul excepté. C'eft ,„ ici que 1'on découvreune des plus for,„ tes preuves de la dignité de 1'homme „ & de 1'immortalité de 1'ame. L'homme ,, n'a de communavec les animaux qu'un „ corps périlfable; auiïï fa chaine avec ,„ eux n'eft qu'extérieure. Ce n'eft pas „ 1'animal le plus fenfible, le plus induftrieux, le plus intelligent; ce n'eft ni „ le chien, ni le caftor qui forme la nuance de la brute ft l'homme; c'eft le fin,,, ge, c'eft un animal conformé comme , „ l'homme, & qui cependant ne peut ni IJM bStir, ni labourer, ni travailler; c'eft L un animal qui, avec une tête prefque ,, humaine, eft privé de la paTole, quoi,, que plufieurs animaux puiffent parler. „ Eft-ce li 1'efpece qui pourroit fuppléer ,, 1'efpece humaine, dompter les autres ,, animaux & régner fur la terre? Cette „ grande chaine des êtres s'arrête donc „ ft l'homme, & n'eft interrompue que „ pour lui : il eft feul un ouvrage fini. „ Seul, il n'eft point compris dans le plan „ général des ouvrages de la raatiece!  po Rèflexiom „ Seul, il n'eft point une partie de ce tout matériel! II n'y eft lié que par fon ,, corps : ce corps doit périr, mais ces ,, facultés intelleétuelles qui ne font dnn,, nées qu'a lui, ces facultés qui lui pro„ curent la fouveraineté de la terre &un . ,, empire illimité fur les animaux même „ qui lui font infiniment fupérieurs par la force phyfique, ces facultés,enfin , „ indépendantes de la matiere, ne pour„ ront s'anéantir par la diflblution d'un corps fragile qui n'a rien de commun avecelles. O blafphémateurs infenfés, ,, qui ne rougifiez pas d'égaler les brutes ,, ti 1'bomme, vous qui ne voyez dans la. „ création que 1'ouvrage fantaftique du „ hafard, c'eft donc en vain que la bonté- paternelle de 1'Être Suprème multiplie- autour de vous les prodiges qui attef» ,, tent fa puiflance , fa fagelfe , & les ., preuves de 1'immortalité de 1'ame! „ Vous fermez les yeux a ces vives clar- tés, vous vous égarez dans ksvoiesde ,, tênebres; vous ofez vous plaindre de ,, ne rencontrer que des routes obfcures! Mais votre aveuglement eft volontaire. „ Quand vous le voudrez de bonne foi, ,, il ceffera : defcendez au fond de vos ,, cceurs, interrogez-les, ouvrez les yeux, ,, regardez autour de vous, réfléchHfez, „ étudiez la nature, & bientót vousver,, rez tomber & difparoitre ce voile im„ pénétrable qui vous cache la vérité, ,., Mais pour adrairer 1'Auteu.r de la natu.->  fur Ja Création, &c. • de ces efpeces inférieures qui fervent de par » ture aux autres , celle des harengs par exemm ple; ils viennent par milliers s'offrir a nos » pêcheurs •, & , après avoir nourri tous les » monftres des mers du Nord, its fourniffent .. encore a la fubfitlance de tous les peuples » de 1'Europe pendant une partie de 1'année. » Quelle population prodigieufe parmi ces ani» raaux; &, s'ils n'étoient, en grande partie , » détruits par les autres , quels feroient les >► effets de cette immenfe multiplication ? Ewx p feuls couvriroient la furface entiere de la 'ft, mor, &c '*. M, D E B V F f. O H,.  Rèflexions ,, rnaux furabondants doivent être dé„ trtiits; cette loi me donne denouvelles ,, lumieres fur la deftination de l'homme; ,, elle m'apprend pourquoi l'homme, le ,, plus utile, le plus parfait des êtres , eft „ cependant celui qui multiplie le moins; ,, c'eft que, néceffaire a la création , fou „ efpece ne doit jamais devenir furabon«, dante; c'eft qu'animé du fouffle divin ,, qui lui donna le fentiment & la raifon, „ il eft précieux aux yeux du créateur, „ & que fait pour régner fur la terre, il faut qu'il puilfe toujours y trouver affez ,, d'efpace. Qu'il fok humain, & fon ef„ pece ne fauroit jamais devenir trop nom,, breufe : 1'étendue de 1'univers eft fans ,, doute proportionnée au nombre d'ha„ bitants qui pourroient Ia cultiver, 1'em„ bellir & I'occuper, fi tous les hommes „ étoient julles & pacifiques. Hélas ! j'y „ découvre une multitude de pays inha« „ bités! Sans les crimes, fans 1'ambition „ &l'avarice, on n'y verroit point dedé„ ferts.... L'homme ingrat, déchu, dé,, gradé, l'homme criminel fut juftement ,, banni de ces lieux enchanteurs oü la ,, terre fertile, fans culture, ne produi,, foit que des fruits délicieux & des plan» ,, tes falutaires, ou les animaux dociles „ & foumis obéidbient fans efforts :\ ce„ luiquele créateur leur donna pour maï,, tre. Quelle admirable proportion entre ,, la punition de l'homme & fon crime ! Si üieu, en 1'exilant fur la terre, eüt  fur Ja CrèatiW, &*r 93 | daigné lui expliquerfes defieins, je t'ai formé de la poufliere, auroit-il dit, & ', tu as voulu devenir mon égal! A une ü créature innocente , animée de mon , fouflle divin, il falloit un féjour enchan' té , une terre toujours féconde: j'avois • créé pour toi une nature .parfaite, & '* des animaux qui n'avoient pour inftinct qu'une conftante obéiffancea tes defirs: ' mais tu as ofé te révolter contre ton '' bienfaiteur & ton pere, & j'ai révolté , la nature entiere contre toi.... Cor,, rompu par 1'orgueil & par 1'ingratitude, ' tu n'es plus digne d'habiter 1'afyle for„ tuné de 1'innocence: créaturedégradée, ', mais que le repentir & mon amour peu„ vent relever encore , le féjour oü je ' t'exile eft conforme a ton nouvel être. " Comme toi , offrant & réuniflant les " contraires, renfermant dans fon fein les „ fources inépuifables & du mal & du bien, la terre fur laquelle tu vas régner, " produira les poifons & les fruits bien! !! faifants : on y verra des gouffres pro' fonds, d'horribles précipicés & de val- léesfertiles & délicieufes, des animaux " utiles & des ferpents vénimeux, desti" gresféroces, deslionsaltérés defang!... " Tel eft déformais 1'empire qui te ccn- * vient; tout doit a jamais y retracer k " tes yeux ma juftice & ton chatiment, " ma puiffance & ma bonté. Condamné a la mort & pour revivre éternellement, " tu ne dois point chwcher fur la terre  «yit Rèflexions un bonheur pur & fans mélange, clont „ tu ne faurois jouir qu'en te réuniflant „ a moi; mais tu peuxy goüter leschar,, mes de la paix & d'une douce tranquil„ lité. Ai me la juftice & le travail, fois „ équitable & fuis 1'oifiveté; alors tu de- viendras véritablement le fouverain &le „ légiflateur de cette terre créée pour toi. „ Tu détru'iras tout ce qu'elle produit de 9, nuifible , tu perfectionneras tout ce „ qu'elle offre d'utile. Si les hommes font „ pacifiques, leur nombre s'augmentera , „ s'étendra &deviendrafufhTant pouroC- cuper la terre entiere. Döués d'un génie „ créateur, noble attribut d'une ameim,, mortelle, ils pourront, en habitant toutes ,, les parties de 1'univers, maltriferla na„ ture, détruire, anéantirfes produélions „ pernicieufes, la forcer de multiplier les „ germes précieux d'une fécondité bienfai„ fante : ils pourront enfin applanir les „' moniagnes, combler les précipices, ar,, rêter le cours des torrents impétueux, „ détournerlesfieuves, dompter, affujet„ tir les animaux utiles, exterminer les 9, efpeces nuifibles Homme ingrat l 8, tels font les droits que je te laifl'e, & „ la puiffance que je t'accorde : mais fi, „ n'écoutant qu'une ambition infenfée , ., & qu'une aveugle cupidité, tu deviens vicienx & barbare; fi ta main cruelle „ s'arme contre tes freres , ton efpece „ moins nombreufe n'aura plus ce pou- voir illiraité fur la nature; tu ne domi-  fur la Criation, &c. 9$ -,, neras que dans quelques contrées, & „ tu perdras 1'empire univerfel queletra,, vail & la vertu peuvent feuls t'affurer. ,, Alors la moitié de la terre inculte&dé„ ferte, fera livrée par toi aux animaux ,, féroces, aux reptiles affreux, aux plan„ tes vérréneufes, qui s'y multipliant fans ,, obftacle, fe répandront fur la furface ,, du globe, & s'y perpétueront a jamais. „ Tel eft 1'arrêt de ma juftice, je t'ai con„ damné au travail , je t'ai commandé „ d'aimer tes femblables; ce n'eft qu'a ce j, prix que tu deviendras fouverain abfolu „ de 1'univers. Si dans lafuite des fiecles les fléaux produits par la nature, éga„ lent les biens qu'elle t'offrira, tu 1'au„ ras permis , tu 1'auras voulu : ne te „ plains point de ton Créateur, n'accufe „ que toi-mfime, & reconnois les fruits „ & 1'équitable punition de tes vices & de ta folie. O voix étemelle de la juftice & de la „ vérité , vous pénétrez mon ame ! Quand „ j'étudiela nature, quand je réfléchis fur ^ „ fes loix , fur la deftinationde 1'homme, „ fur les bizarreries du cce ir humain, fur „ la Providence, c'eft vous qui me par., lez, qui me répondez. La Philofophie „ ne me préfente que des doutes & des „ erreurs; elle s'engage avec audace dans „ les routes tortueufes d'un labyrinthe „ obfcur : n'y pouvant diftinguer les ob„ jets, elle s'en forme de chimériques; „ & voulant fai'Gr des ombres fugitives,  t)6 Rèflexions „ elle pourfuit de vains fantómes prodnks „ pariimagination. Oui, l'hommenefau,, rok fe connoltre lans le fecours de la „ Religion : tout rameneun cceur droit & ,, un efprit réfléchi a ce principe facré; „ tout fe réunit pour nous démontrer les ,, vérités fublimes que la Religion nous ,, ordonne de croire; Pétude & la con„ templation de la nature, la connoiffance „ du cceur humain, & fur-tout une pro„ fonde rnéditation fur les divins décrets „ de la Providence. Je vois dans tous les événeinents les effets de cette Providence ,, admirable. Le vice en général ne peut „ échapper tót ou tardè la punition qu'il „ mérite; punition toujours équitable & merveilleufemeut affortie aux fautes & ,, aux crimes. Dieu 1'a voulu ainfi; c'eft „ la lecon morale qu'il donne aux hom„ mes par 1'expérience : que chacun fe „ rappelle avec détail fa vie palfée , il „ trouvera que toutes fes bonnes actions, ,, tous fes facrifices vertueux ont eu leur récompenfe; que tous fes égarements „ ont été punis. Qu'on life 1'hiitoire, ces grands exemples y font préfentés d'une „ maniere plus frappante encore. Tel eft 1'ordre des chofes; mais cette loi n'eft „ que générale, elle n'eft point abfolue, „ & c'eft encore ici que brille avec éclat ,, la fageffe divine du fuprêmeLégiflateur; „ il a voulu que dans tous les temps il y „ eüt des exceptions a cette loi, afin de „ prouver aux hommes de tous les fie- „ clcs,  fur la Crèation, &c. 97 ,, cles , qu'il exiff.e une autre vie oü le ,„ criminel impuni dans celle-ci trouvera „ descbatiments, & Tinnocent opprimé, ,, des récompenfes. Et par un décret de „ la Providence digne de toute notre ad„ miration, ces exceptions font alfez fré„ quentes pour démontrer dans tout leur „ jour ces importantes vérités ; & en „ même-temps elles font trop rares pour „ pouvoir troubler 1'ordre général, & pour „ détruire ces grands principes fi vrais & fi falutaires, que le vice eft nuifible au„ tant que méprifable, que le feul inté: „ rêt perfonnel devroit en [éloigner, & , „ que la vertu eft auffi utile qu'elle eft „ belle ". CHAPITRE IX. Suite du précédent. Des Phiïofophes, frappés de Pharmot nie de 1'univers & des loix admirables de 1 la Providence, ont foutenu que rien ne : pouvoit être mieux & plus parfait que 11'ordre des chofes qui exifte: d'autres Phi:: lofophes n'ont remarqué que défordre & confuïion dans la nature. Les premiers, 1 en difant Tout ejl bien, n'ont vu que ia maffe générale; lesfeconds, au contraire, n'ont pas voulu confidérer 1'enfeHible, & n'ont fixé leur attention que fur quelques E  1% Rèflexions détails. Les uns dans leur jugement n'ont pas compris des exceptions très-rares ; les autres n'ont jugé que fur ces exceptions , dont ils ont même exceffivement exagéré le nombre. Oui, tout feroit bien fi l'homme faifoit un ufage raifonnable de fa liberté, s'il favoit maitrifer fes paffions, s'il étoit julte & religieux. Cependant les vices de l'homme, qui produifent tant de maux,nefauroient troubler 1'harmonie générale. Et c'eft ce qu'un Auteur moderne vient de prouver admirablement dans 1'excellent Ouvrage qui a pour titre : Etudes de la jVature. Comme vous ne pourriez encore , Monseigneur, lire avec fruit cet Ouvrage , je vais vous faire connoitre quelques idéés de 1'Auteur, & quelques-unes de fes réponfes aux objeftions contre la Providence, tirêes des défordres apparents nu globe. ,, Nous ne pouvons connoitre que ce 9, que la nature nous fait fentir; & nous ne pouvons juger de fes ouvrages que „ dans le lieu & ie temps oü elle nous les montre. Tout ce que nous imaginons s, au-dela ne nous préfente que contra,, diction, doute, erreur, ou abfurdité. Je n'en excepte pas même les plans de perfeftion que nous imaginons. Pat exemple, c'eft une tradition commune a tous les peuples, appuyée fur le témoignage de 1'Ecriture faiute, & fons, dée fur un fentiment naturel, que nous  fur la Cr è at ion, &c. 09 „ avons vécu dans un meilleur ordre de „ chofes, & que nous fommes deftinés a „ un autre qui doit le furpaffer. Cepen„ dant nous ne pouvons rien dire ni de „ 1'un ni de 1'autre. II nous eft impofli,, ble de rien retrancher ou de rien ajou- ter ft celui oü nous vivons fans empiL, rer notre fituation. Tout ce que la na,, ture y a mis eft néceffaire. La douleur ,, & la mort même font des témoignages „ de fa bonté. Sans la douleur , nous ,, nous briferions ft chaque pas fans nous 5, en appercevoir (V). Sans la mort, de „ nouveaux êtres ne pourroient renaitre dans le monde; & fi on fuppofe que „ ceux qui exiftent maintenant pouvoient „ être éternels, leur éternité entraineroit (a) Mallebranche a dit : „ Si 1'ame n'apper5> cevoit que ce qui fe paffe dans fa main quand ,i elle fe brüle; fi elle n'y voyoit que le mou3> vement & la féparation de quelques fibres, elle V, ne s'en mettroit guere en peine, & même ;> elle pourroit quelquefois par caprice y pren» dre quelque fatisfaftion , comme ces fantafi« ques qui fe diverriffent i tout rompre dans » leurs emportements & dans leurs débauches... » 11 s'enfuit de - la que c'eft avec une grande » fageffe que 1'Auteur de 1'union de notre ame n avec notre corps a ordonné que nous fentions » de la douleur quand il arrivé au corps quel» que changement capable de lui nuire , comme » quand une aiguille entre dans la chair, ou ,» que le feu en fépare quelque partie, &c ". Dt la Recherche de la Vérité', torn. 1". (3),  joo Rèflexions „ la ruïne des générations f», & toutes ,, les relations de 1'amour conjugal, filial „ & paternel, c'eft-ft-dire tout le fyftême „ du bonheur a&uel... C'eft de 1'infuffi„ fance humaine que fortent les objeètions ., dirigées contre la Providence divine... „ Si ces murmures venoient de quelques ,, pauvres matelots expofés fur la mer a, „ toutes lesrévolutionsdel'athmofphere, „ ou de quelque payfan accablé des mé„ pris de la fociété qu'il nourrit, je ne ,, m'en étonnerois pas. Mais nos athées „ font, pour 1'ordinaire , bien ft 1'abri des „ injures des éléments, & fur-tout decel„ les de la fortune. La plupart même „ d'entreeux n'ont jamais voyagé. Quant „ aux maux de la fociété, ils ont bien „ tort de s'en plaindre ; car ils jomffent „ de fes plus doux hommages , après en „ avoir rompu tous les liens par leurs „ opinions... C'eft unphénomenemoral, „ qui m'a paru long-temps inexplicable , „ de voir, dans tous les fiecles, fathéif„ me naitre chez les hommes qui ont Ie „ plus ft fe louer de la nature; & la fu„ perftition chez ceux qui ont le plus ï (a) Puifque la terre eft limitée, fi les hommes qui 1'habitent ne mouroient point, il faudroit qu'ils n'euffent plus d'enfants. Eh , quel bonheur imagineta -1 - on qui puiffe remplacer celui d'être mere, & d'élever des enfants fenfibles & reconnoiffants 1...  fur la Crêation, &c. lei „ s'en plaindre. C'eft dans le luxe de la Grece & de Rome, au fein des richet„ fes de 1'Indouftan, du fafte delaPerfe, „ des voluptés de laChine, & de l'abon„ dauce des Capitales de 1'Europe, qu'ont „ paru les premiers hommes qui ont olé „ nier la Di'vinité. Au contraire, les Tar„ tares fans afyles, les fauvages de 1'A„ mérique toujours affamés, les Negres „ fans prévoyance & fans police, les ha„ bitants des rudes climats du Nord, „ comme les Lapons, les Efquimaux, „ les Groënlandois, voient des Dieux „ par-tout, jufques dans les cailloux „ Les riches, au contraire, prévenus „ dans tous leurs befoins par les hom„ mes, n'attendent plus rien de Dieu.... „ Ils viennent a perdre infenfiblement de „ vue la nature, dont les produftions „ d'ailleurs leur font prefque toujours pré„ fentées déligurées ou ft contre-faifon , ,, & toujours comme des eiFets de 1'arc „ de leurs Jardiniers, ou de leurs Artif„ tes. Ils ne manquent pas auffi d'inter„ préter fes opérations fublimes par le „ mécanifme des arts qui leur font le plus „ familiers. De-li, tant de fyftêmes qui „ font deviner les occupations de leurs „ auteurs. Epicure, épuifé par la volup„ té, tira fon monde & fes atómes fans ., providence de fon apathie : le Géome„ tre le forme avec fon compas; le Chy„ mifte avec des fels; le Minéralogifte le „ fait fortir du feu; & ceux qui ne s'apE iij  loi Rèflexions „ pliquent h rien, & qui font en boönoffl„ bre, Ie fuppofent, comme eux, dans „ le chaos , & ailant au hafard. Ainfi, Ia corruption du cceur eft ia première „ fource de nos erreurs. Enfuite , les „ fciences employant dans Ia recherche „ des chofes naturelles, des définitions „ des principes & des méthodes revêtues „ d'un grand appareil géométrique, fem„ blent, par ce prétendu ordre, remettre „ dans 1'ordre ceux qui s'en écartent. „ Mais quand cet ordre exifteroit tel „ qu'elle nous le repréfentent O), pour„ roit-il être utiJe aux hommes ? Suffiroit,, il a contenir & a confoler des malheu„ reux? & quel intérêt prendront-ils a „ une fociété qui les écrafe, quand ils „ n'ont plus rien a efpérer de celui de Ia „ nature, qui les abandonne aux loix du „ mouvement?... Un des plus grands „ bienfaits de la Providence envers les „ animaux du Nord, eft de les avoir re„ vêtus de robes fourrées, depoilslongs „ & épais, qui croilfent précifément eu „ hyver, & qui tombent en été... Avant „ que j'eufle voyagé dans les pays du (a) Et 1'Auteur prouve combien cet ordre eft défechieux , combien les méthodes font vicieufes. II démontre encore que, dans les fciences, beaucoup de principes qui font établis comme certains , font au moins douteux , & qu'une infinité d'hypothefes reïues font évidemment fanffes.  fur la Crêation, &c. 103 „ Nord , je me figurois, d'après les loix „ de notre phyfique, que la terre devoit „ y étre dépouillée de plantes par la n„ gueur du froid ; je fus fort étonné d'y „ voir les plus grands arbres que j'eufl'e „ vus de ma vie , & place's fi prés les uns „ des autres, qu'un écureuilpourroit par„ courir une bonue' partie de la RuiTie „ fans mettre pied a terre , en fautant de „ branches en branches.... Les forêts „ mettent les terres a 1'abri du froid dans 1c Nord; & ce qu'il y a d'admirable , „ c'eft qu'elles les mettent a 1'abri de la „ chaleur dans les pays chauds. Ces deux effets oppofés viennent uniquement des „ formes & des difpofitions dhTérentes „ de leurs feuilles. Dans le Nord, celles „ des fapins, desmelèzes, des pins, des „ cèdres , des genevriers, font petites , „ luftrées & verniffées; leur fineffe, leur „ vernis, & la multitude de leurs plans , „ réflécbilfent la chaleur autour d'ellesen „ mille manieres... D'ailleurs, les feuil„ les de plufieurs efpeces, comme celles des fapins & des bouleaux, Tont fuf,, pendues perpendiculairement a leurs „ rameaux par de longues queues mobi„ les, en forte qu'au moindre vent elles „ réflécbilfent autour d'elles les rayons ,, du foleil comme des miroirs. Au midi, ,, au contraire, les palmiers,les talipots, „ les cocotiers, les bananiers portent de „ grandes feuilles, qui, du cóté de la I „ terre, font plutót mattes que luflrées, E iv  iH < Rèflexions 3, & qui, en s'étendant horizontalement, „ forment au-deffus d'elles de grandes 5, ombres oü il n'y a aucune réflexion de 3, chaleur... La fageffe avec laquelle Ia s, nature a ordonné les proportions des s, animaux n'eft pas moins digne d'admis, ration. Si on vient ft examiner les anis, maux, on n'en trouvera aucun de dé3, feftueux dans fes membres, fi on a égard 3, ft fes mceurs & aux lieux oü il eft def„ tiné ft vivre. Le long & gros bec du toucan & fa langue faite en plume 5, étoient néceffaires ft un oifeau qui cher3, che les infecles éparpillés dans les fa„ bles humides des rivages de l'Amérique; 3, il lui faüoit ft la fois une longue pioche „ pour y fouiller, une large cuiller pour „, les ramaffer, & une longue frangée de „ nerfs délicats pour y fentir fa nourri3, ture. II falloit de longues jambes & de „ longs cous aux hérons, auxgruës,aux „ flamans & aux autres oifeaux qui mar- chent dans les marais, & qui cherchent „ leur proie au fond des eaux. Chaque „ animal a les pieds&la gueule oulebec „ formés d'une maniere admirable pour s, le fol qu'il doit parcourir, & pour les s, aliments dont il doit vivre (V).... La (a) L'Auteur prouve cette vérité par une infinité d'exemples; & je regrette beaucoup que les hornes de cet ouvrage ne me permettent pas d» les citer tous.  fur la Crêatioti, &c. io$„ nature ne produit que des accords rai- fonnables, & n'affortit dans les ani„ maux & dans les fleurs que des parties convenables aux lieux, a Pair, aux élé„ ments, & aux ufages auxquels elle les deftine. Jamais on n'a vu fortir aucune * race de monftres de fes fublirnes pen„ fées.... Les monftres que 1'on conferva „ dans des bocaux d'efprit de vin, tels que les petits cochons qui ont des „ trompes d'éléphans , & les enfants a „ deux têtes que 1'on nous montre dans „ nos cabinets avec une myftérieufc phï„ lofophie, prouvent bien moins le tra„ vail de la nature que fon interruption. Aucun de ces êtres n'a pu parvenir a „ un développement parfait; & loin de „ témoigner que 1'intelligence qui les a „ prodiiits, s'égaroit, ilsatteftent aucop„ traire 1'immuabilité de fa fageffe, puif„ qu'elle les a rejettés de fon plan en leur „ refufant la vie. 11 y a dans la conduite „ de la natureenvers l'homme, une bonté „ bien digne d'admiration;' c'eft qu'en „ lui défendant d'une part d'altérer la ré„ gularité de fes loix pour fatisfaire fes „ caprices, de 1'autre elle lui permetfou„ vent d'en déranger le cours pour lub„ venir a fes befoins. Par exemple, elle „ fait naitre de 1'ane & de la jument, le „ mulet qui eft fi utile dans les monta„ gnes, & elle privé cet animal du pou„ voir de fe reproduire, afin de confer„ ver les efpeces primitives qui font d'une E v  io6 Rèflexions „ utilité plus générale. On peut recort„ noitre dans la plupart de fes ouvrages „ ces condefcendances materaelies; elles „ fe manifeftent, fur tout, dans les pro„ ductions de nos jardins.... N'eft-il pas. étrange que, lorfque tant de plantes&* ,, tant d'animaux nous préfentent de fi ,, belles proportions, des convenances fi „ admirables avec nos befoins , & des ,, preuves fi évidentes d'une bienveillance „ divine, on recueille des fcetus informes „ pour les mettre en parade dans nos ca„ binets deftinés aétudier Ja nature? Ceux „ qui les gardent comme des chofes pré„ cieufes, & qui en tirent des conféquen„ ces & des doutes fur Tintelligence de „ fon auteur, ne font-ilspas d'auifi mau„ vais goüt & d'aufïï mauvaife foi que ,, ceux qui, dans 1'attelier d'un fondeur, „ ramafferoient les figures eftropiées par ,, quelque accident, les boufiffures & les moles de métal, & les montreroient „ comme une preuve de 1'ignorance de ,, 1'Artifte ? Les anciens brüloient les „ monftres, les modernes les confervent: „ ils reffemblent il ces mauvais enfants ,, qui épient leur mere pour la furprendre „ endéfaut,afin d'en conclure pour eux„ mêmes le droit de s'égarer. ... Je*vou,, drois bien favoir comment ceux qui „ doutent de 1'exiftence de Dieu,alavue „ des ouvrages de la nature, defireroient „ s'en aflurer? Voudroient-ilsle voir?.... „ Et pourrions nous dans un corps hu-  fur la Créaiion, &c. 107 • „ main en fupporter Ia vne?.... Dieu „ nous a placés a une diftance convena„ ble de fa Majefté infinie; affez prés „ pour 1'entrevoir, affez loin pour n'ea ,, être pas anéantis Si quelquefois il , fe communiqué a 'nous d'une maniere „ plus intime , ce n'eft pas par le canal de nos fciences orgueilleuiés, mais par „ celui de nos vertus. II fe découvre aux „ fimples, il fe cache aux fuperbes". C'eft aregret, Monseigneur, que je fuis forcée de terminer ici cet extrait; i'aurois bien voulu vous faire connoitre les idéés de 1'Auteur, fur le déluge univerfel, ainfi que fa critique des méthodes recues dans 1'étude des fciences, & une infinité d'autres paffages aufiï frappants; mais, dans quelques années, vous lirez cet ouvrage; & s'il produit en vous 1'impreffion profonde qu'il a faite fur mon cceur & fur mon efprit, vous ne vous lafferez jamais de le relire. Enfin, dans ce fiecle, voila donc un Savant, un Géometre , un Métaphyficien , un Naturalifte, & d'autant plus inftruit qu'il avoyagé dans toutes les parties du monde; enfin , un homme de génie , qui, avec cette étonnante réunion de connoiffances acquifes , & de qualités fupérieures données par la nature, a confacré fes talents & toutes fes études a. la défenfe de la Religion. E vj  i«8 De la nécejjtti CHAPITRE X. De la néceflïtè d'un Culte, de la Rivê' lation & des Prophèties. XjEs prétendus Phiïofophes rnodernes, en répandant tous les principes qui conduifent a 1'Athéifme, ne profeöbient pubhquement que le Déifme : & comme le Dieu qu'ils admettoient, n'étoit, felon eux, qu'une divinité infenfible h nos ac , „ &c., &c., &c. (a) n. (a) Penfées de PafeaL  "4 De la nècejfnè Vous avez lu,Monseigneur, dans lesli.vres facrés, ces prédiétions ,& beaucoup d'autres plus détaillées encore. Les bornes de cet ouvrage ne me permettent pas de remettre fous vos yeux toutes les prophéties que nous avonsremarquées dans les faintes Ecritures. Après cette courte énumération des prophéties qui concernent les Juifs, je vais pafl'er è celles qui ont annoncé le Meffie, «Sc je neciteraique les plus frappantes. „ Dieu a fiifeité des Prophetes durant * feize cents ans, & cependant quatre „ cents ans après, il a difperfé toutes ces prophéties avec tous les juifs qui les „ portoient dans tous les lieüx du monde... L'Evangile devant être cru par .„ tout le monde, il a fallu, non-feule,, ment, qu'il y ait eu des prophéties pour „ le faire croire, mais encore que ces pro„ phéties fuffent répandues par-tout Ie „ monde pour le faire embraffer par tout „ le monde. Quand un feul homme au„ roit fait un livre des prédiétions de Je„ fus-Chrift, pour Ie temps & pour la ma„ niere, & que Jefus-Chrift feroit venu „ copformément a ces prophéties, ce fe„ roit une force infinie. Mais il y a bien „ plus ici. C'eft unefuite d'hommes, qui, „ durant quatre mille ans, conftamment „ & fans variation, viennentl'un en fuite „ de 1'autre prédire ce même avénemenr. C'eft un peuple tout entier qui 1'annonce, & qui fubfllte pendant quatre  ifun Culte, zie. 115 mille années pour rendre.encore témoi- gnage des affurances qu'ils en ont, & „ dont ils ne peuvent etre détournés par ,, quelques inenaces & quelque perfécu- tion qu'on leur faffe : ceci eft tout au}, trement confiderable. ,, Le temps eft prédit par 1'état du peu„ ple Juif, par 1'état du peuple payen, par 1'état du temple, par le nombre des „ années. „ 11 eft prédit que le Meffie viendroit „ établir une nouvelle alliance qui feroit ,, oublier la fortie d'Egypte, (Jérém. 23, 55 7); qu'il mettroitfa loi, non dans 1'ex,,'térieur, mais dans les cceurs (If. 51, 5) 7); qu'il mettroit dans le milieu du cceur fa crainte, qui n'avoit été qu'au „ dehors, (Jérém. 31, 33, & 32 40). ,, Que 1'Eglife feroit petite dans fon ,, commencement, & croitroit enfuite, „ (Ezéch. 47, 1 & fuiv. ). ,, II elt prédit qu'alors 1'idoldtrie feroit ,, renverfée; que ce Meffie abattroit tou,, tes les idoles, & feroit entrer les hom- mes dans le culte du vrai Dieu, (Ezéch. ,, Que les temples des idoles feroient „ abattus, & que parmi toutes les nations, ,, & en tous les lieux du monde, on lui 5, offriroit une hoftie pure, & non pas des animaux, (Malach. 1, n). ,, Qu'il enfeigneroit aux hommes Ia ,, voie parfaite. (If. 2, 3; Mich. 4, »3 2, &c>  ii 6" De la nèceflttè „ Qu'il feroit Roi des Juifs & des Gen„ tils,(Pf. 2, 6&8, 71,8, &e.3. „ Et jamais il n'eft venu, ni devant ni „ après, aucun homme qui ait rien en- feigné approchant de cela. . „ Les Juifs, en tuant Jefus - Chrift, „ pour ne pas le recevoir pour Meffie , „ lui ont donné la derniere marqué du „ Meffie. En continuaut a le méconnoi- tre, ils fe font rendus témoins irrépro- ] diables; &, en le tuant & continuant „ k le renier, ils ont accompli les pro„ phéties. „ Qui ne reconnoJtroit Jefus-Chrift & „ tant de circonffances particulieres qui „ en ont été prédites! car il eft dit : „ Qu'il y aura un Précurfeur, (Matt. -39 3»_0' „ Qu'il na?tra enfant, (If. 9, 6> „ Qu'il naitra dans Ia ville de Beth„ léem, (Mich. 5, 2); qu'il fortira de „ la familie de [uda, (Gen. 49,8 & fuiv.), ,, & de la poftérité de David, (2 Rois, „ 7, 12 & fuiv. If. 7, 13 & fuiv.); qu'il ,, paroitraprincipalementdansjérufalem, „ (Maf 3, 1 Agg. 2, 10). „ Qu'il doit aveugler les Sages & les „ Savants, (If. 6, 10); annoncer 1'E„ vangile aux pauvres & aux petits, (If. 5) 6i> 1); ouvrir le? yeux des aveugles, „ & rendre la fanté aux infirmes, (If. 35, 35 5 & 6); & mener a la lumiere ceux „ qui ianguilfent dans les ténebres , (If. 5, 42, 16).  ifun Culte, &e. 117 „ Qu'il doit enfeigner la voie parfaite ,, (If. 30, 21); & être le Précepteur des „ Gentils, (If. 55, 4). ,, Qu'il doit être la victime pour les „ péchés du monde, (If. 53, 5). ,, Qu'il doit être la pierre fondamentale ,, & précieufe, (If. 28, 16). „ Qu'il doit être la pierre d'achoppe„ ment & de fcandale, (If. 8, 14). „ Que Jérufalem doit heurter contre ,, cette pierre, (lf. 8, 15). „ Que les édiriants ( Pouvoient-ils fe flatter de féduire, de fubjuguer, d'entraïner les hommes en combattant tous leurs penchants, en leurdemandant le facrifice de leurs inclinations les plus douces , les plus vives , en leur prêchant 1'humilité, la tempérance , 1'oublt des injures, le détachement de tous les plaiflrs , en leur commandant de rendre le bien pour le mal, &c? Pourquoi attacher un opprobre éternel a toute leur nation, en publiant par-tout que les Juifs font coupables du plus affreux des crimes, & a jamais raaudits de Dieu ? D'ailleurs, cette déclarationles livroitau reflentiment implacable de leur patrie entiere qu'ils flé- (A Comme lorfqu'ils parient de leurs doutes du peu de foi que leur reprochoit le Sau▼eur , qui fe plaignoit auffi de la difficulté qu'ils avoient a faifir le fens des paraboles. Ils font, avec la même candeur , le récit du remement de Saint Pierre, & de l'incrédulité de Saint Thomas.  CS? de PEvangile. I2§ triffbient. Cependant ils parient tous Is même langage; tous en différents temps, en différents lieux écrivent les mêmes chofes, prêchent les mêmes vérités; & avec quelle naïveté , quelle fimplicité fublime ! Enfin , s'ils avoient voulu tromper, ils euffent été des fcélérats ambitieux ; & leur conduite offrit le modele d'une perfeétion qui paroit au-deffus de la nature. Ils fe vouerent ft la pauvreté, & prêcherent principalement le mépris des honneurs & des richeffes. Nul ne voulut dominer fur les autres : on vit entre eux une confiante émulation d'humilité. Des importeurs auroient eu unbut, unintérêt; ilsn'avoient que celui de remplirleur miflion, & d'obtenir le Ciel. Ils déclarent eux-mêmes que leur maitre leur annonca qu'ils feroient perfécutés en prêchant fa loi; qu'ils n'avoient ft attendre des hommes que des outrages & la mort. Ils répetent eed plufieurs fois; Jefus difoit ft fes Difciples : „ S'ils m'ontperfécuté, ils vous perfécuteront ,, auffi... Ils vous feront tous ces mauvais ,, traitements ft caufe de mon nom... St. Jean , chap. 15. Ils vous chafferont des ,, fynagogues, & le temps va venir oü ,, quiconque vous fera mourir, croira ,, rendre un fervice ft Dieu. St. Jean, ,, chap. 16 ". Les Apótres auroient-ils inveuté une prédicYion qui, fi elle n'eüt pas été accomplie, détruifoit toute leur doctrine, & qui ne pouvoit s'accomplir qu'autant qu'ils feroient conftamment perF ij  124 Des Apótres fécutés, ontragés & conduits enfin aux fupplices, & ft une mort ignominieufe ? Ils ont perfévéré dans leur croyance, quoiqu'elle leur attinlt en effet les plus horribles perfécutions. Et pour la foutenir & la répandre, ils ont fouffert avec joie les tortures & la mort, en implorant le Ciel pour leurs bourreaux. II eft donc impoffible de croire qu'ils ayent pu être trompés, & qu'ils ayent voulu tromper; & ce feul point accordé, il eft impolfible auffi de pouvoir douter des vérités que nous enfeigne la Religion : & cette preuve inconteftable, décifive, non-feulement n'eft pas unique , mais elle eft accompagnée d'une foule d'autres preuves auffi folides. Que 1'on fonge a cette longue fucceffion d'oracles qui ont prédit leSauveur, a cette multitude de témoinsdetout age, de tout fexe, de toute condition, qui ont fcellé de leur fang cette croyance. Que 1'on réfléchifle ft la fublimité de la morale & des dogmes évangéliques, ft la foule de grands hommes, de génies fupérieurs qui ont été convaincus & convertis, uniquement par la leéture approfondie des faintes Ecritures; que 1'on confidere combien il eft incompréhenfible que 1'auftérité de lamorale de 1'Evangile n'ait pas empêché 1'établilfement du cbriftianifme : enfin , que 1'on étudie la nature & te cceur humain , & tous les doutes s'évanouiront : alors la raifon, le fentiment & la véritable philofophie fe réuniront pour nous éclairer,  & de l'Evangile. 125 & deviendront les bafes inébranlables de la foi. CHAPITRE XII. Du Style des Saintes Ecritures, confidéré comme preuve de la Religion : de la Morale cjf des Loix de Moife. Tous les Docteurs, dit Abbadie, tous les Phiïofophes, tous les hommes enfin montrent infailliblement leurs foibleffes & leurs paflions , foit par les chofes qu'ils difent, foit par la maniere de les exprimer. ,, Les ouvrages de Séneque font remplis d'un trés-grand nombre de„ beaux préceptes & de maximes de vertu ; mais 1'on peut s'appercevoir ,, que cet homme n'a, le plus fouvent, „ penfé qu'a fe faire honneur en écri,, vant; & quand il n'y auroit que fon ,, étude a donner un tour fin & agréa„ ble a fes penfées, & cette affeétation „ étemelle de bel-efprit, cela fuffiroit 5, pour ie faire connoitre. Platon, ayant „ des idéés de la Divinité plus juftes & ,, plus faines que le vulgaire , a la foi,, bleffe de n'ofer découvrir fes fenti,, ments, & ne s'en ouvre qu'a fes amis, „ auxquels ilapprend que, quand fes let,, tres feront mention de plufieurs Dieux, ,3 c'eft qu'il femoque; mais que, lorfF iij  126 Bu Style „ qu'il parle de Dieu, il parle férieufe„ ment. Socrate, allant a la mort, ignore „ s'il va vers Ie bien ou vers le mal, tant ,, il eft chancelant dans fes opinions. Kt „ a peine peut-on lire une page de 1'Au„ teur le plus fage & le plus épuré qui ,, fut jamais , fans y voir quelques mar„ ques de foibleffe ou d'affectation. „ Mais voici un autre défaut, qui eft orcMnaire a ceux qui ontécrit de la mo„ rale avec le plus de fublimité ; c'eft qu'ils ne tendent qu'a élever le Sage, „ ou tout au plus la vertu. ,, Comme toutes les Divinités que les „ Payens connoiffoient étoient vicieufes. „ & déréglées, ceux qui ont eu Ie plus „ de bon fens parmi eux, ont bien fenti qu'ils ne pouvoient pas tirer de fort ,, puiffants motifs de vertu de la conti„ dération de ces Dieux, plus méchants que les hommes. „ Ils ont donc été contraints d'avoir „ recours aux attraits & a la beauté de „ la vertu'même; & ne pouvant Ia faire j, aimer pour -1'amour de ces divinités ,, vicieufes dont on leur avoit parlé, ils „ ont tftcbé de la faire aimer & refpeéter „ pour elle-même. ,, Mais ils fe font groiïiérement trom„ pés en cela, puifque Ia vertu ne fera ,, qu'un corps mort, fi on lui óte le rap„ port effentiel qu'elle a avec la Divinité, „ & que les hommes qui fe vantent d'ai- mer la vertu pour la veitu même, ne  des Sahtes Eer uur es, &c. 127 „ font que fe rendre coupables d'une belle idolatrie. „ C'eft une extravagance que mépriler „ les richeffes pour les méprifer, fe pri„ ver du plaifir feulement pour s'en pri„ ver, ou s'expofer aux dangers, feule„ ment pour s'y expofer. La vertu con„ fifte ft faire ces efforts fur foi-même, „ lorfqu'on le doit, lorfqu'on y eft obli„ gé; de forte que Dieu étant le grand „ principe de tous nos devoirs & de tou„ tes nos obligations, la véritable vertu „ ne peut bien être comjue fans un rap„ port avec Dieu. „ II n'eft pas bien difficile de s'apperce„ voir que les livres qui contiennent la „ révélation des Juifs, font tout-ft-fait „ éloignés d'avoir aucun de ces caracte„ res. On ne dira point qu'ils nourrif- fent la volupté & les paffions des hom- • ,, mes, ni qu'ils flattent leur orgueil, ni „ qu'ils fatisfaffent ft la vaine curiofité des Savants. „ Mais on s'exprimeroit foiblement, fi „ on fe contentoit de dire que les livres „ qui contiennent la révélation des Juifs, „ n'ont pas ce caraétere ; on ne peut „ s'empêcher de reconnoltre qu'ils ont „ le caraétere oppofé. Au-lieu de flatter „ la volupté, on 1'ydétruit, on la coupe u dans fa'racine, auflï-bien que 1'injuftt„ ce, l'intérêt & les autres paflions.- A11,-, lieu d'y flatter notre orgueil, on 1'y n détruit par l'idée diftinfte qu'on nous F iv  128 Bu Style ,, y donne de notre mifere & de notre corruption oppofées a la majefté & a „ la bonté de Dieu, qui font, fans doute, „ de tous les objets, les plus capables „ d'humilier les efprits fuperbes. Au-liea „ de nourrir la vaine curiofité de ces Sa,, vants, qui ne connoiffent que pour 3, connoitre, nous y apprenons que cette ,, fcience n'eft que vanité. Au-lieu des ,, raffinements de la politique, nous y trou3, vons une aimable fimplicité de mceurs ,, qui y eft propofée en exemple, & re- commandée par-tout, auffi contraire a ,, Phabileté des hommes du fiecle, que 3, la lumierel'eft aux ténebres. Enfin, au- lieu de nous faire aimer la vertu pour 3, 1'amour d'elle-même, ou par des mr>3, tifs de la gloire qui fe trouve a la pra,, tiquer, voici des Doéteurs qui, mon- tant plushaut, nous font aimer la ver> tu pour 1'amour de Dieu: caraétere re,, marquable qui les diftingue de tous 5, les autres Doéteurs. „ En vérité, 1'on ne peut confidérer, „ fans quelque efpece d'indignation, que „ des geus qui ont le goüt fi fin & fi dé3, licat pour connoitre le génie de chaque ,, chofe, & pour juger du-caractere de ,, chaque Auteur particulier, lorfqu'il s'a,, git de lettres humaines, tombent dans „ une ignorance & dans une (tupidité vo- lontaires , lorfqu'il s'agit d'appercevoir ,, ces caraéteres qui diftinguent fenfibles, ment 1'Ecriture des Juifs de tous les li-  des Saint es Ecrttures, &c. 129 „ vres humains, & fur-tout cette piété „ incomparable , fi conffante , fi fembla- ble ft el!e-même, qui parle toujours de Dieu , & qui ne parle que de Dieu; qui regarde comme perdu tout ce qui „ s'éloigne de Dieu, & qui prend tous „ les motifs de fes exhortations de Dieu, qui nous enfeigne que tout vient de ,, Dieu, &que nous devons tout rappor- ter ft Dieu, nos corps, nos ames, nos ,, paroles, nos aétions, nos biens, 110„ tre temps, notre vie; cette révélation „ n'étant qu'un amas d'exemples, de pré,, ceptes & d'exbortations , qui tendent tous ft nous obliger de glorifier notre ,, Dieu, en vivant bien pour 1'amour de „ lui. „ On ne voit point d'aiTeétatïoiT ni de „ foibleffe dans la maniere dont ces livres font écrits; non plus que dans les cho„ fes qu'ils contiennent, vous ne remar„ quez point que ces Auteurs fe piquent „ de faire paroïtre de Pefprit ou de l'é„ rudition; qualité qui femble prefque „ effentielle ft tous les autres : ils ne fe ,, donnènt pas de peine pour plairealeur ledleur, & ils paroiffent infiniment éloi„ gnés d'écrire pour la gloire. „ Ce caraótere eft conftant & perpétue?, „ non dans un feul livre de 1'Ecriture des „ Juifs, mais dans tous les livres qui com,, pofent le Vieux Teftament ;■ &lori'qi!'un Auteur humain a de la peine ft cachsr 3., fes paffions, ou ft s'empêcher de fe déF v  130 Du Style „ couvrir dans le plus petit livre qu'it „ compofe, on voit ici une longue fuite d'Auteurs, qui, ayant vécu en de trèsM différents fiecles, écrivent, non pas un „ feul livre, mais plufieurs livres, oünon- feulement vous ne trouvez aucune tra„ ce des foibleifes des paffions huraaines, „ mais ou, vous voyez régner 1'efprit de „ la douceur, de la piété, du défintérefs, fement, & d'une aimable & vertueufe fimplicité, qui montre bien que le cceur ,, de ces écrivains admirables a été échauffé „ d'un autre feu que de celui des paffions' 9, humaines, & éclairé d'une autre lumie* „ re que de celle qui fe mêle avec ces„ paffions. lis difent tout avec autorité, s> fans rien craindre, & comme en étant „ parfaitement affurés. Hs ne paroiffentr „ animés que du deffein de glorifierDieu. 3, Vit'on jamais un plus beau caractere? ,, Non-feulement leur maniere de par- Ier & d'écrire n'efi point comme celle- des hommes du fiecle, affectie, recher„ chée, pleine de fubtilité & de raffine„ ment, ou accompagnée de timidité & de doute, roulant toute fur le tour, „ 1'expréflion , 1'arrangement des penfées , „, la, difpofition adroite & ingénienfe des chofes; mais ils s'expriment avec une w fimplicité qui eft proportionnée a 1» w, portée de tous les hommes. ,, Comme c'eft de Dieu qu'ils parient, „ il faut qu'ils difent des chofes fublimes» & magnifiques; mais comme c'eft ades=  des Saint es Ecritures, &c. r^t „ hommes, & a toutes fortes d'homraes qu'ils parient, il a été néceffaire que " leurlangagefütfimple&naïf. Les idéés qu'ils nous donnent de Dieu font fi grandes, que tout eft' bas & rampant auprès de ces divines defcriptions : & ■ fi 1'on en doutoit , on u'auroit qu'a. " comparer le Livre de Job, les Révéla„ tions d'Ifaïe, ou les Pfeaumes de David , avec tout ce que les efprits les plus élevés du Paganifme ont penlë de la Divinité; mais en même-temps il faut avouer que jamais Auteurs ne s'expl> querent d'une maniere fi fimple & fi populaire. Certainement, fi' ces Doe*' teurs étoient comme les autres, ils s'exprimeroient plus noblemelit, ayant affez d'efprit pour penfer des chofes fi " grandes; ou ils penferoient baffemenr, " n'ayant pas affez d'efprit pour s'expn,, mer d'une maniere plus élevée O) . Un fait qui prouve a la fois & 1'utihté & la vérité de la Religion , c'eft que dans toutes les nations oü cette Religion fainte ne s'eft point étabüe, la morale a été effentiellement vicieufe. La Grece & 1'Itahe ©nt produit une foule de grands hommes dans tous les genres : mais leurs Phiïofophes les plus fameux n'ont laiffé fur la morale que des ouvrages remplis d'erreurs, & des principes évidemment inconféqueuts («) Abbadie, Viriei dt la Religion chrctienne^ F vj  132 Du Style- ou pernicieux. Epiétete&Marc-Aureiè nafont même pas a 1'abri de ce reproche. Le premier joignoit a 1'inconréquence des principes un égoïfme fouvent porté jufqu'i la dureté la plus révoltante. Le fecond, doué d'une fenfibilité fublime, pouvoir il ne pas exciter la plus douceadmiration , en développant tous les replis de cette ame pure & généreulè qu'il avoit recuede la nature? II inftruit, il touche, ilentraine lorfqu'il fe peint lui-même; mais fes principes font bien inférieurs a fes fentiinents. Quelques-unes de fes maximes ten.dent a favorifer le fuicide; d'ailleurs, il fe contredit quelquefois, &, malgré 1'dtendue rle fon génie & la droiture de fon cceur, il a fouvent des idéés faufiës. Enfin , il faut obferver- que ces deux grands Phiïofophes, les- plus parfaits de toute 1'antiquité , n'ont écrit que depuis la prédication de 1'Evangile, & qu'ils ont né.ceffairement dü prufiter des divines clartés répandues par le Chriftianifme.,, Les „ Juifs feuls & les Cbrétiens ont joui „ d'une pure lumiere, la mythologie n'a„ voit pas encore toute fa forme, ni la „ philofophie fes fecfes. Déja Moïfe révele aux Juifs des vérités auffi lumi„ neufes, auffi intéreffhntes après trente ,„ fiecles que dans leur origine («).... (a) Moïfe vivoit trois cents ans avant la prifa de Xroye»  des Saintes Ecrïtures, &c. -'133 »,, La vérité fembloit concentrée dans un coin de la terre avec Ie peuple d'Ifraël... „ Jefus-Chrift paroit; telle la lumiere for,, tant du néant chaiTa les ombres de la „ nuk, tel 1'Evangile diffipa les menfon- ges des hommes, leur prélënta leflain,, beau d'une lumiere immortelle. Pour „ fentir tout le merveil'leux de cette prc„ rogative , remontons a fon origine : comparous la vérité de 1'Evangile , fa fimphcité, fa pureté, fon éclat, a tou,, tes les produéfr'ons humaines de ces „ temps. Quel triompbe pourlaReligion ! „ Qu'il rend ridicule dans nos Philofo„ phes 1'eftime outrée de leur raifon, & „ le mépris de la révélation'. S'ils font „ plus éclairés qu'Epicure & Ariftipe fur „ la morale, cen'eftpas qu'iis ayent plus ,, de génie & de pénétration, c'eft qu'ils „ vivent dans des fiecles différents. La 3, Religion même, qu'ils outragent, les „ a inftruits O) ". La feule raifon n'auroït pu détruire 1'idolatrie; &, fuivant la judicieufe remarque de Bayle, fhomme a eu befoin d'une lumiere t évélée qui fupplédt au défaut de la lumiere philofophique. Les Phiïofophes Payens fentoient bien 1'abfurdité de leur Religion; mais , privés de la connoiflance de la vérité , leurs vaines fpéculations-, (• a). Lettrts eruiques de M', ï'Abbé Gauehaï,  134 Du Style leurs fyftêraes extravagants ne valoient pas mieux que les erreurs qu'ils combattoient O), & même prefque tous répandirent des opinions plus funeftes au bonheur des hommes, que toutes les abfurdités de la mythologie. Les uns nioient la liberté de l'homme, ou profelToient 1'athéifme; d'autres approuvoient, confeilloient le luidde (b) : d'autres , plus bizarrement infenfés, ne tenoient des écoles, n'engageoient leurs difciples a travailler que pour leur apprendre qu'il fautdouter de tout, & ne croire ni fa raifon, ni fon cceur, ni ce qu'on voitr ni ce qu'on entend. Les préceptes d'Epicure favorifoient les penchants les plus dangereux : les Phiïofophes cyniques offroient le monftrueux affemblage d'une horrible dépravation , unie a la plus impudente effronterie. Les Stoïciens, les Phiïofophes les plus vertueux de toute 1'antiquité, ont avili leur doctrine, en foutenant des opinions extra- fa) C'eft un Philofophe très-renommé & piel» de génie qui a inventé le fyftême de la métempfycofe, & certainement le fonds de la mythologie eft infiniment moins abfurde que cetre étrange doftrine. (J) La fefte des Hegéfiaques eut pour chef Hégéfias de Cyrene , qui vivoit vers 1'an 416 avant Jefus-Chrift. 11 fut furnommé 1'Orateur de Ia mort , paree qu'il exhorroit fes difciplesk fe tuer dès qu'ils éprouvoient le moiadr* dégout de la» vie^  des Salntes Ecrhures, &c. 135 vagantes; & ils ont eu 1'inconcevable iuconféquence d'approuver les infantes dé* réglements des Phiïofophes ciniques (a). Livres a leurs feules lumieres, tels fout les hommes qui ont le plus de génie. Quelques rèflexions de 1'Auteur des Lettres critiques fur le Paganifme moderne répandront encore plus de jour fur cette vérité. ,, Ne citons point, dit-il, 1'Afrique & „ 1'Amérique; les peuples y font abrutis „ & dégradés. Mais la Chine & le Japon „ font des pays policés : les arts , les „ loix, les lettres y lont en honneur. ?, Niera-t-on que dans ces vaftes contrées „ il n'y ait de Phiïofophes doués de pé„ nétration, de droiture & de jugement? „ Pourquoi- donc ne lëntent-ils pas fin,, concevable abfurdité de 1'idoliltrie qu'ils ,, profelTent? pourquoi ne peuvent - ils „ s'élever a 1'idée qui femble fi naturelle j, d'un Être-Suprème qui a tout créé? 5, Pourquoi ne connoiflent-rls pas dumoins des vérités qui, fuivant nosdéiftes modernes , doivent frapper les yeux „ de tout efprit fenfé? Prééminence il„ luftre de la Religion Chrétienne! Dès „ qu'elle a pénétré dans ces climats, armé „ de fes lumieres,, un miffionnaire, plein „ de fimplicité & decandeur, atriomphé y, de la fageflê des Pliilofopbes. Dès qu'elle- C*ï Voyez Bay!e, tom. Ut  136 Du Style s'eft retirée, ils font rentrés dans les ,, ténebres; & c'eft ainfi que, dans tous „ les fiecles, la révélation a fait connoï- tre le vrai Dieul En vain les Philolb„ pbes ingrats voudroient méconnoitre ,, ce bienfait, & n'attribuer qu'ft leur gé,, nie ce qui eft un don de la foi! Ils igno,, rent eux-mêmes la vraie fource de leurs lumieres; elle naltd'uneéducation cbré,, tienne (#) En effet, les hommes livrés a leurs feules lumieres, lorfqu'ils ne font point dépravés, ne peuvent croire que 1'univers foit 1'ouvrage du hafard; ils voient dans la nature entiere des preuves évidentes qu'une intelligence fupérieure a tout créé : ils fentent auffi que 1'ame doit furvivre au corps périflable qu'elle anime, & qu'elle trouvera dans une autre vie des ehatiments ou des récompenfes éternelles. Voila ce que la feule raifon apprend a tous les hommes; elles les préferve de 1'athéifme, elle leur donne des notions juftes fur la dignité de leur être; mais elle ne fauroit élever leur ame & leur efprit jnfqu'a la connoiflance de 1'auteur de la nature. Cette idéé eft trop fublime, pour que 1'homiae ait pu la concevoir fans le feeours de Ia révélation. Tous les peuples privés de cetre elarté divine, ont été idolatres, ont admis la pluralité des Dieux; cc comme le {a) Lettrts cruïqMSf tont» I,r»  des Saintes Ecritares, &c. i 'j7 remarque 1'Ecrivain que je viens de citer, rhiftoire des peuples anciens & le paga«ifme moderne, prouvent inconteftablement cette vérité. Toutes les faufles Religions ont eufeigné & enfeignent 1'idoktlfttrie, on ne fauroit citer comme une preuve du contraire la Religion Mahométane. Mahomet naquit vers la fin du fixieme fiecle; d'ailleurs, famere étoit Juive; tout le monde fait que cet importeur a puifé dans les Saintes Ecritures 1'idée d'un feul Dieu; & que plufieurs paflages de 1'Alcoran fout tirés de cette fource facrée. On répete en vain que le Polytbéifme fj?) n'efi qu'une corruption du Théifme; je ne vois point cela, & l'hiftoire ancienne & moderne prouve la fauiïeté de cette opinion. Dans les beaux temps de la Grece & de Rome, les peuples de ces contrées, fijuftement renommés par leur génie pour les arts, ces peuples que leurs Artiltes, leurs Phiïofophes , leurs Orateurs, leurs Poëtes ont rendu fi fameux; ces peuples, dont Ia mémoire ne périra jamais,étoient cependant piongés dans la plus profonde idolatrie : tandis que dans un coin du globe, un autre peuple obfeur & peu nombreux, un peuple fimple &frugal, quin'a laiffé fur la terre aucun monument d'architecture, un peuple qui n'eut jamais de Phiïofophes, confervoit précieufement, de- {a\ Pluralité des DLeux,  13§ Du Style puis la création du monde , cette fublime vérité; il n'exifte qu'un Dieu créateur de l'homme & de l'univers. Mais répéte-t-on, cette idéé eft fi fimple, fi naturelle! La pluralité des Dieux eft une imagiuation fi extravagante! J'en conviens, & voila le merveilleux qu'on n'admire point affez. Les Juifs & lesChrétiens font feuls connue certe vérité fi frappante, & feuls ils 1'ont répandue dans tout l'univers. Le chef des prétendus Phiïofophes modernes , pour attaquer les loix données par Moïfe, s'eft permis, fuivant fa coutume, une foule de menfonges & de citations faulfes. Le favant Auteur de Pexcellent ouvrage intitulé : Lettres de quelques Juifs a M. de Voltaire, a réfuté fes erreurs avec une clarté & une précifion qui ne laitfent rien a defirer; &il a prouvé que ces loix attaquées par 1'ignorance réunie ft lamauvailë foi, étoient d'une admirable fageffe. Les loix rituelles qui défendoient de manger certains animaux malfains (a) furent fans doute très-fages. „ Oü eft le ridicule, dit l'Auteurdes Let,, tres, que des nourritures mal-faines (a) Tels que tes poiflbns fans écailles , les porcs, les hériffons , les hiboux , les fauterelles, les rats , les lézards, les ferpents , &c. On mangeoit des fauterelles en Oriënt; on en mange encore dans 1'Arabie, ainfi que des lézards & dje certains rats.  des Saintes Eeri>ares,&c. i3«i „ ayent été interdites, & que d'autres qui „ peuvent paroïtre agréables ft quelques „ peuples ayent été prohibées pour des „ raifons particulieres qu'on nepeutcondamner quand on les ïgnore? „ Parmi ces loix rituelles , les unes „ avoient pour objet d'infpirer aux Hébreux une horreur invincible pour ies fuperftitions abuminables de leurs voifins. ,, Dolacesdéfenfes depaffer leurs enfants „ pariefeu(a), de fe ftigmatifer(ZO, &c. „ D'autres lobc étoient deftinées a leur „ retracer les merveilles opérées pour „ eux par 1'Eternel... D'autres, comme „ autant d'emblêmes & de paraboles utiles , cachoient un fonds . admirable „ d'inftruétion ... D'autres furent 1'effet d'une fage politique , &c II eft même des loix qui paroiffent avoir été „ fpécialement deftinées ft fervir de preu„ ves fuffiiantes & palpables d'une pro„ vidence continuelle de Dieu fur fon ,, peuple, & de la miffion divine de fon „ premier conduéteur. Telle fut entre autres la loi du repos de toutes les terres pendant 1'année fabatique, loi „ finguliere, unique, & qui naturelle„ ment ne devoit venirft 1'efprit d'aucun (a) Comme faifoient les adorateurs de Moloch. (6) Quelques idolatres s'imprimoient fur Ia peau divetfes figures en 1'bonneur de leurs Dieux.  140 Du Style „ Légiflateur. Elle étoit fondée fur une promefle expreffe : Fait es ceque je vous „ commande, dit le Seigneur : que fivous ,, dites, que mangerons -r.ous la fepiieme „ année, fi nous ne femons pas, es5 finous - ,, ne recuei/lonspas? je vous donnerai ma „ bénèdiction la fixieme année, & cette année produira pour trois. Lévit 25. „ 18. 21. Cette Loi ne peut être fondée „ que fur la fertitude que dut avoir le „ Légiflateur, que chaque fixieme année „ produiroit abondamment pour trois. „ Sans cela, Moïfe couroit rifque de j, faire périr fes concitoyens de famine, „ & d'attirer fur fa mémoire la malédic- tion publique. Or cette certitude, de qui pouvoit-elle lui venir, que de „ Dieu? Concoit-on qu'il eüt ofé porter „ une pareille Loi, s'il n'eüt été qu'un „ Légiflateur ordinaire ? Mais ce qui au„ roit été le comble de la folie dans un poütique qui n'auroit eu que des ref„ fources humaines, eft une démonftra,, tion qu'il en avoit d'autres, & que le Dieu dont il fe difoit le Miniftre, 1'af„ filtoit effeétivement , & veilloit fans „ ceffe fur Ifraël Toutes les parties ,, de la légiflatioii Mofaïque annoncent „ la haute & Jivine lagefie du Légiflateur f». Ses dogmes font raifonnables & (a) L'Auteur de cet Ouvrage pjouve cette vérité , en entrant dans le plus grand détail fur toutes les parties de la Légiflation Mofaique,  des Saintes Ecritures, &c. 141 fublimes , fes préceptes religienx & ,, moraux, faints & purs; fes loix poli,, tiques, miiitaires & civiles, fontfages, „ équitables & douces , fes loix même rituelles fondées en raifon. Toutes , ,, en un mot, font admirablement cal,, culées fur les deffeins & les vues du ,, Légiflateur, fur les circonftances des ,, temps, des lieux, des climats, fur les inclinations desHébreux, & les mceurs „ des peuples voifins , &c. Dans cette ,, légiflation, rien qui contredife les loix de la nature, ou celles de la vertu : „ tout y refpire la piété , la juftice , 1'honnêteté, la bienfaifance. Sou ob5, jet, fon ancienneté , fon origine, fa ,, durée, les talents, le génie & les ver,, tus du Légiflateur, le refpect de tant „ de peuples, tout concourt ;\ en prou,, ver 1'excellence. Vos plus grands hom- mes (a) l'ont admirée, & l'ont regar,, dée comme la première fource du droit divin & humain (b); & vous, Mon- (a) C'eft un Juif qui parle a M. de Voltaire. (b) » Nous pouvons citer entre autres le Chan» celier qui, de nos jours, a fait a la Franco 11 un honneur immortel par fes lumieres & par » fes vertus. Ce grand homme avoit tant de » refpecl: pour la Légiflation Mofaique; il efti11 moit Ie droit des Juifs li fage, qu'il s'étoit » fait extraire & rédiger par ordre de matieres » un corps des loix Juives, Mais les d'Agueffeau,  ïclZ Du Style ,, fieur , vous n'y vuyez qa'abfurdité & que barbarie!... Pour nous, quand 3, nous confidérons les juftes reproches ,, faits aux légiflations anciennes & mo,, dernes; quand nous réfléchiflbns fur „ les fyftêmes funeftes avancés dans les ,, fiecles paffés & dans celui-ci par les „ Phiïofophes; que nous voyons la pro,, vidence de Dieu, fa juliice, fon exif„ tence même conteftées ; le fatalifme ,, introduit, la liberté détruite, les hornes ,, du jufte & de 1'injufte arrachées avec ,, audace , ou pofées avec incertitude ,, par ces prétendus Sages; l'homme dé,, gradé , tous les liens de la fociété ,, rompus,de vaines chimères, des dou,, tes cruels, fubftitués aux plus confo,, lantes & aux plus utiles vérités, &c. „ touchés de tant d'égarements, nous „ ne pouvons que nous eftimer heureux „ d'en avoir été préfervés par une légif- lation fi raifonnable &fi fainte". M. de Voltaire a fur-tout déclamé contre les loix militaires des Juifs , il a répété qu'elles étoient inhumaines & barbares., Ecoutez encore la-deffus 1'Auteur que je viens de citer, je me bornerai i quelques exemples frappants. „ La légiflation Juive défendoit d'enrd- n les lHópital, les Bacon, &c. petits Légiftes, » foibles génies, en comparaifan de nos Phi» lofophei "! Nou de 1'Auteur des Lettres,  des Saintes Ecritures, &c. . 143 ., Ier la jeuneffe au-deffoüs de vingtans... „ Elle ordonne que, quand les troupes ,, font ratfemblées, les Chefs déclarent que quiconque ayant bdti une maifon, ,, ne Va point habitêe, ou ayant plant'i une vigne , n'en a póint recueilli le ,, fruit, ou ayant pris une époufe, n'a ,, point habité avec elle, foit libre de s'en „ retourner dans fa maifon, & difpenfé ,, du fervice pendant cette année ( 145 la Loi ordonnok de tuer les enfants, les femmes mariées, tout enfin, excepté les filles nubiles. „ N'tft-il pas clair, lui de„ mande 1'Auteur des Lettres, que c'eft „ calomnier groffiérement nos Loix, ou montrer évidemment a' toute la terre que vous ne les avez jamais lues "? Une loi des Juifs Jeur prefcrit deguider Je voyageur incertain de fa route, & de lui enfeiguer fidélement fon chemin («). Le Légiflateur ordonne depiêtergënéreufement k celui qui en aura befoin :,, Si „ un de tes freres, dit-il, tombe dans la. ,, pauvreté en quelque lieu de ta demeu„ re, aupays que TEternel ton Dieu va ,, te donner , n'endurcis point ton cceur, ,, C55 ne rejjerre point ta main, ouvre-la „ au contraire, &ptête a ton frere indi,, gent ce dont il aura befoin (&).... Ta „ pourras priter a in tér ét d Péiranger't „mais pour ton frere, tu lui pret er as ,, gratuitement ce dont il a befoin, afin que le Seigneur te bêniffe en tous tes „ travaux dans le pays que tu vas pof'é„ der (c) ". II permet de recevoir des gages ; mais il veut que ce foit fans violence. ,, Tu n'entreras point dans la maifon ,, de ton prochain pour en emporter des t» II y a aufli un commandement bienfaifanf pour Taveugle. (b) Lévitique. (c) Exode, Deur. G  146 Du Style gagesi ma's tu te Uend''as dehors, CS3 " tl t'apportera lui-même ce qu'il aura. " Tu ne recevras point fa meuk de-deffus ou de-de fous, paree qu'en te les „ donnant, il engageroit fa vie. St tu prends en gage le vêtement de ton pro • " chain , tu^le lui rendras avant le cou" cher du foleil : car c'eft fa feule cou' verture, c'eft fon vêtement pour cou" vrir fa peau; dans quoi coucheroit-il? " Rends-la lui donc , afin que dormant dans fon vêtement, il te bènifje, \ que tu fois trouvé jufte devant l'Eter*' nel ton Dieu. Si au contraire il vient " d crier vers moi, je l'entendrai, car " ie fuis miféricordieux. («).... " Le Légiflateur veut que les pauvres foientmvités aux réjouilfances des fêtes, aux " feftins religieux, &c. Dans ces fêtes, " dit-il, tu feras des fejïtns, & tu man" geras devant 1'Eternel ton Dieu , tot & ta familie , & le Lévite qui eft dans tes portes, & la veuve, l'orphe" Un & l'ètranger qui demeurent avec " toi, &c. O) Ainfi, plufieurs fors chaque année, les riches & les pauvres fe " trouvoient affis 4 la même table, ums " par les liens des bienfaits & de la re" connoiffance... L'ètranger (dit le Sei-meur) qui habite parmi vous fera com- (a) Eïode. Deut. \b) Deut.  des Saintes Ecritures, &c. 143 ,, me celui qui ejl nè parmi vous; vous i'aimerez comme vous-mêmes ; car vous ,, avez été aujfi étrangers en Egypte. Je ,, fuis l'Eternel votre Dieu (a).... Le ,, Légiflateur prefcrivoit de traiterlesani- maux même avec douceur... II défend ,, de préfenter a 1'autel la mere avec le ,, petit, & de tuer le petit fous les yeux' ,, de fa mere. Tu nenleveras point d la „ mere, dit ril, le petit qu'elle allaite. ,, Tu ne tuer as point P animal pourfuivi ,, qui fe réfugié comme un fuppliant dans „ ta maifon, &c. (£)... Jamais les tortu,, res barbares de la queftion ne furent „ connues dans la légiflation mozaïque „ (c).... Les peres & meres devoient ap,, prendre a leurs enfants les principaux ,, ftatuts & les ordonnances de la Légif,, tation : c'eft une obligation que le Lé„ giflateur leur impofe dans les termes les „ plus forts... Si un enfant, dit la Loi, ,, fe montre indocile & rebelle (d); fi au 5, mépris des conjeiis & des correclions, „ il s'obfiine è continuer dans le liberti,, nage & la débaucbe. ils doivent le dé„ noncer aux Juges , fi? lesjuges, après {a) Lévit. (J) Deut. (c) Ibii. (d) Qu'il foit infohnt envers fon pere & fa mere , suil refufe arte mépris dc leur obéir, Deut, Chap, ai, G ij  143 Du Style ,, avoir conflaté l'incorrigibilicé, le cou- „ damneront a la mort ". „ Ainfi le Légiflateur réprimoit le vice ,, & maintenoit 1'autorité paternelle, fans abandonner la vie des enfants auxemportements d'un pere, &c. («).... La Loi ordonnoit a celui qui avoit féduit une Alle de 1'époufer, & de lui faire un douaire; & fi le pere de la fille refufoit de la donner au féducteur, ce " dernier étoit obligé de payer au pere „ une fomme confidérable. .. Les Loix , fur la pudeur étoient trés-féveres. La '„femme, difent - elles, ne portera point „ l'habit d'un homme, cV f homme ne fe „ vêtira point de la robe d'une femme, „ &c. " Vous vous rappellez facilement, Monseigneur, toutes ces loix bienfaifantes que vous avez admirées enlifant les livres facrés; & je terminerai ce détail en citant encore quelques traits qui vous ont particuliérement frappé. C'eft vous-même, Monseigneur, & le Prince votre frere (b) qui les avez marqués pendant nos leétures, & ce font vos propres extraits que je copie. ,, Honore ton pere & ta mere , afin 5, quetuprofperes, & que tu vives long„ temps "fur la terre que 1'Eternel ton (a) Comme le faifoient les loix Romaines. (i) S. A. S. Mgr. le Duc de Montpenfier.  des Saintes Ecritures, &c. 14? „ Dieu va te donner (a)... que chacuh „ de vous craigue fa mere & fon pere. „ Exode. Lévit. Deut. „ Maudit foit celui qui a méprifé fon „ pere & fa mere, & tout Ie peuple ré,, pondra Amen. Exode. Deut. Lévit. ,, Quiconque maudira fon pere ou fa „ mere, fera puni de mort. Exode. ,, Vous ne ferez aucun tort a la veuve „ ni ft 1'orphelin : fi vous les offenfez en „ quelque chofe, ils crieront vers moi, j'écouterai leurs cris. Exode. ,, Lorfque vous verrez le bceuf ou la „ brebis de votre frere égarés, vous ne „ pafierez point votre chemin, mais vous les ramenerez ft votre frere; quand il „ ne feroit point votre parent, & quand „ même vous ne le connoltriez pas. Vous „ les menerez ft votre maifon , & ils y „ demeureront jufqu'a ce que votre frere „ les cherche & les recoive de vous. „ Vous ferez le même ft 1'égard de YHne, ,, ou du vêtement, ou de quoi que ce „ foit que votre frere ait pefdu;& quand „ vous 1'aurez trouvé, vous ne le négli„ gerez point comme étant ft un autre & (a) Ce fut un des Commandements que Dieu di&a de vive voix a fon peuple , & qu'il écrivit fur la pierre. C'eft le feul Comraanctement au.quel il attaché une promtffe particuliere de récompenfe, & la promeffe qui intérefle le plus les hommes. G iij  150 Du Style „ non a vous. Si vous voyez Païie ou-le „ bceuf de votre frere tombé dans le „ chemin , vous ne palferez point fans „ vousenmettreen peine; mais vous 1'aij, derez a le relever. Deut. chap. 22. „ Vous ne livrerez point 1'elclave qui „ s'eft réfugié vers vous entre les mains „ de fon maitre; il demeurera auprès de „ vous oü il lui plaira, & il fe tiendra en repos en 1'une de vos villes, fans „ que vous 1'attriftiez en aucune chofe. „ Deut. Chap. 23. ,, Lorfque vous aurez coupé vos grains „ dans votre champ, & que vous y au„ rez laifTé une javelle par oubli, vous „ n'y retournerez point pour Temporter;- mais vous la laiflërez prendre a 1'étran„ ger, a la veuve, a 1'orphelin , afin que „ le Seigneur vous bénilfe dans toutes „ les ceuvres de vos mains. Dieu fait le 5, même commandement pour les fruits des oliviers , pourlavigne, &c. Deut. „ Quand vous fcierez les grains de vo„ tre terre, vous ne les couperez point „ jufqu'au pied , & vous ne ramafferez „ point les épis qui feront reftés; mais vous les laifferez pour les pauvres & les étrangers. Lévit. chap. 23. „ Le prix du mercenaire qui vous donne „ fon travail, ne demeurera point chez vous jufqu'au matin. „ Vous ne parlerez point mal du fourd. ,, Lévit. chap. 19. ,, Levez-vous devaut ceux qui ont les  des Saint is Ecritures, &C* 151 „ cheveux blancs : honorez la perfonne „ du vieiliard. Lévit. chap. 19 ". On pourra juger, d'aprèscer. extrait, li c'eft avec juftice que les détrafteurs de la Religion répetenc depuis trente ans que ces Loix font abfurdes, barbares, féroces, &c. Mais ce n'eft qu'en lifarit ce Code divin tout entier, qu'on peut connoitreh quel point ces calomnies font extravagantes. Les Loix qui alfurent les propriétés , celles qui font relatives a la police intérieure , a 1'agriculture, &c. ne font pas moins admirables. „ Dans quelle Légiflation ancienne, dit 1'Auteur'des Let,, tres de quelques Juifs , trouvera-t-on rien de comparable a ces Loix en fa„ veur des pauvres, & aces exhortations preffantes de fecourir tous les malheu„ reux? Quand on fe les rappelle, ces exhortations & ces Loix oü Phumani„ té, la bonté du cceur le plus tendre fe ,' fait fi vivement lëntir, peut-on, fans fouffiir, voir ce grand homme & toute „ fa Légiflation taxés de férocité & de „ barbarie, par un Ecrivain célebre qui „ fe dit impartial "!... O iv  152 Prèceptes CHAPITRE XIII. Prèceptes Philofophiques , comparès aux Prèceptes contenus dans les Livres de F ancien Teflament cjf'a la Morale Evangélique. O n trouve dans 1'Hiftoire du Peuple de Dieu des traits particuliers de cruauté. Quelle eft 1'Hiftoire qui n'en offre pas («) ? (a) M. de Voltaire n'a jamais cité des Livres facrés que les traits de ce genre , & toujours en y joignant des circonftances aggravantes de fa propre invention. Tres - fouvent même il ïnvente 8c le fait & les détails. II a calomnié , de la maniere la plus groflïere, tous les grands hommes de cette nation & tous les Prophetes, fans jamais citer un trait a leur avantage. Un feul exemple peut donner une idee de 1'excès de fa partialité. Quelles impiétés n*a-t-il pas dit au fujet d'EIyfée, ce Prophete fi bienfaifant! Cependant c'eft ce même Prophete qui , a 1'exemple d'Elie , fon maitre, fit un mïracle en faveur d'une pauvre femme prête a périr de mifere : ce fut lui qui multiplia des pains pour la nourriture d'un grand nombre de perfonnes: ce fut lui qui obtint, par fes prieres , un fils a la Sunamite , dont il avoit re?u 1'hofpitalité, fc qui, quelque temps après, reffufcita cet enfant. Ce fut lui qui rendit faines les eaux dc Jéricho, qui guérit de la Iepre un Général en-  Philofophiques, &c. 153 On voit aufli dans les Livres facrés que des nations impies ont été exterminées par les ordres du Seigneur. Mais Dieu n'a-t-il pas le droit de juger & de puhir les créatures qu'il a formées ? Afin de rendre odieure 1'ancienne Loi, les détracteurs de la Religion ont affeété de confondre deux chofes très-différentes , les ordres particuliers que Dieu donnoit lui - même ( dans ces temps oü il daignoit fe manifefter par des prodiges éclatants,) & les Loix générales qu'il prefcrivoit; & ce font d'après ces Loix feules, d'après ces prèceptes invariables , qu'on doit juger la Religion. Les Loix font fages, douces, bienfaifantes , les prèceptes admirables, les dogmes fublimes: voila des vérités inconteltables. Cette Religion mérite donc le refpect& lavénération des incrédules mêmes, quand ils feront exempts de partialité? C'eft un grand triomphe pour la Religion qu'on n'ait jamais pu 1'attaquer qu'en la calomniant. On ne citera pas un feul de fes détraèteurs qui n'ait eu recours a ces indignes moyens. Eh quoi! préten- nemi, & qui refufa tous fes préfents; ce fur lui qui, ayant en fon pouvoir 1'armée des Syriens, une armée ennemie, non-feulement ne voulut pas que 1'on tuat un feul de ces enne• mis, mais leur fit l'ervir un feftin, n'en retint aucun prifonnier, & les renvoya tous a leug -naitre , &c, G v  154 Prèceptes dus Sages, qui voulez, dites-vous, m'éclairer, montrez-moi du moins quelque apparence d'impartialité; convenez qu'il y a de belles chofes dans cette Légiflation que vous critiquez; ayez 1'air d'admirer quelques-uns de fes prèceptes; mêlez adroitement 1'éloge a la calomnie, cet air de candeur féduiroit peut-être. Mais non : vous montrez un acharnement inconcevable, vous dénaturez tout, vous condarnnez tout, & je ne vois dans vos déclamations que des menfonges grofliers & un emportement furieux. Vous croyez donc que vos leéteurs vous croiront fans aucun examen; vous êtes donc perfuadés qu'ils n'ont jamais lu les Livres facrés, & qu'ils ne liront de leur vie les réfutations de vos pernicieux ouvrages? Vous avez compté fur leur ignorance & leur crédulité, fur le pouvoir des paflions que vous favoriièz!... Hélas! vous pourrez recueülir un moment le funefte fruit de ces odieux calculs; mais vous ne détruirez point Pempire éternel de la vérité; & vous laiflerez après vous des noms fouillés & des réputations flétries. Vous devez vous rappeller, Monseigneur, qu'en lifant les Livres facrés nous avons fouvent fait cette réflexion, qu'il eft bien étrange qu'une Religion qui offre une morale & des prèceptes fi utiles au bonheur du genre humain , puifle avoir des ennemis! Quel intérêt les hommes de toutes les claffes, & fur-tout les peres de  Philofophiques, &c. 1$5 familie , n'ont-ils pas h foutenir les droits facrés de cette Religion fi fainte! O vous , infenfés, qui donuez a vos enfants le funefte exemple du mépris de Ia Religion, vous qui dédaignez d'élever des Chrétiens, & qui voulez former des Phiïofophes, que de regrets amers vous vous préparez ! Si vos enfants fe livrent aux excès que produifent les paffions impétueufes, aurez-vous le droit de vous en plaindre? A vos inconféquentes repréfentations, ils répondrontphilofophiquement: Les paftions fobres font les hommes communs... C'eft le comble de la folie que de fe propofer la ruitte des paftions.... («) Loin de nous tous ces tédants épris d'une fauffe idéé deperfe&ion. Rien de plus dangereux dans un Etat que tous ces moraliftes déclamatettrs cV fans efprit, qui, concentrès dans unepetite fphere d'idéés, répetent continuellement ce qu'ils ent entendu dire d leurs Mies, recommandent fans cejfe la modération des defirs, C59 veulent en tous les cceurs anèantir les paffions. Le fentiment eft 1'ame des paftions. Or, Ie fentiment n'eft point libre; ce n'eft point paree qu'on le vent qu'on aime ou qu'on hait; il ne peut donc être criminel (b). D'après ce principe répété dans tant d'ouvrages philofophiques, quels égarements, quels excès pourrez-vous condamner dans {a) Penfées philofophiques, 11) De VEfprit, O vj  156 Prèceptes vos enfants? Et qu'objecterezvousJ cette définition du bonheur? Le bonheur, c'eft un jen fation agréable , un bien-être, un plaiftr, ra un mot tout ce qui flatte te corps. Foi ld le feut pilote qui conauife d la félicité. Les objets étrangers, la vérité, le favoir, la vertu ne font que des biens d'idée , des caufes extrinfeques, &c. (a~). Que pourrez-vous oppofer ér ces maximes philofophiques? Parlerez-vous de raifon? On vous répondra, qu'il faut donner d la raifon la nature pour guide, & ne point fe priver de ce qui fait plaiftr (b). Hafarderez-vous quelques lieux communs fur la gloire, le devoir, &c? Onvousdira, que 1'ame eft mort elle... qu'il faut fonger au corps avant de fonger d F ame.... fe borner au pré/ent, qui feul eft en notre pouvoir ; c'eft un parti dlgne du fage (c). Si 1'un de vos fils eftmécbant, fi , pour fatisfaire fesgoüts, il employé desmoyens injuftes, s'il opprime, s'il perfécute fes femblables, aurez vous-même alors !e droit de lui citer cette maxime tïrde de la Loi naturelle : Ne fais point d autrui ce que tu ne voudrois pas qu'on te fit? II vous répondroit que la Phiiofophie a découvert que ce n'eft-la qu'une maxime de juftice raifonnée, & que la Loi naturelle dit feu- (a) Les Mceurs. (i) Difcours fur la vie heureuft, (c) Même difcours.  Philofophiques, &c. 157 lement : Fais ton bien avec le moindremal d'autrui qu'il eft pojjible f». Ainfi quand fon bien exigera qu'il faffe beaucoup de mal, qu'aurez-vous a dire? D'ailleurs, fi vous le pouffiez , il vous prouveroit de plus que la Loi naturelle n'eft qu'une chimère : Une ame mortelle n'a point de devoirs ; on croit lui faire beaucoup d'honneur de vouloir la décor er d'une prétendue Loi née avec elle, comme de tant d'autres idéés acquifes; elle n'eft point la dupe de cet honneurdd. Une ame bien organifée, contente de ce qu'elle eft, & ne poujjant pas fes vues plus loin, dêdaigne tout ce qu'on lui accorde au-deffus de ce qui lui appartient en propre , & fe réduit au fentiment (b). D'après ces principes, il ne fera que conféquent en niant formellement 1'exiftence de la vertu, en ne la confidérant que comme une convention qui doit varier fuivant les temps & les circonftances , & qui ne peut avoir pour bafe que Pintérct perfonnel. L'intérêt eft l'unique juge de probité.... On doit regarder les aStions comme indijfèrentes en elles-mémes, fentir que c'eft du befoin de l'Etat d dêterminer celles qui font dignes d'eftime ou de mépris, & enfin au Légiflateur, par la connoijfance qu'il doit (a) J. J. Rouffeau, Difcours fur l'inégalité des hommes. (£) Difcours fur ta vie heureaft.  15? Prèceptes avoir de Vintèrêt public, h fixer Pinftant oi< chaque aclion ceffe d'être vertueufe & devient vicieufe (a). Ainfi donc votre F.leve, regardant les aElions comme indiffèrentes en elles - mêmes, n'aura d'horréur ni même d'éloignement pour aucune; ce qui, joint aux paffions violentes & au principe de méprifer les pédants qui recommandent la modération dans les defirs, pourra le mener loin. Direz-vous que ces fortes paffions, ?après beaucoup d'écarts, pourront produire de grandes chofes, des aclions éclatantes ? Oubliez-vous qu'il ne croit ni ft la liberté de l'homme (b), ni a i'immortalité de 1'ame, ni ft la vertu, & que fes maltres lui ont appris que Ie plaifir & Ia volupté font les feuls biens véritables. Ils lui apprennent encore que l'homme qui facrifte fes plaifirs, fes ha~ bitudes & fes plus fortes paffions a Vintérét public... eft impoftible (c). De telles idéés nedoivent pas naturellementformer d'excellents citoyens, d'autant plus qua les Phiïofophes modernes déclament avec violence contre toute efpece d'autorité (J), O) De VEfpiit. (b) Voici fur ce point une fentence philofophique : En s'abandonnant a fon caraclere, on s'cpargne du moins les efforts inutiles qu'on fait pour y rcfifier. De 1'Efprit. (c) Même ouvrage. {d) Voyez Difcours fur l'origine de Tinégalité des hommes, de Rouffeau. Le Code dt la Nature, Les  Philofophiques, &c. iS9 Tous les hommes doivent être égaux, tous les biens doivent être en commun, toute piopriètè eft une ufurpation, tout maltre eft un tyran. Les peuples qui lbuffrent cette tyrannie font des imbécilles, &c. Voila, les grandes idéés que donne la Philofophie! Une femblable doctrine doittrouver peu de protecteurs parmi les Rois & les Souverains; mais vous, pere de familie, n'avez-vous pas autant d'intérêt a la rejetter? Et fi votre fils uniqne , énervé par fes excès, fatigué du monde & de la vie, éprouve la tentation de fe délivrer d'un fardeau iiifupportable , quel frein pourra le retenir? Il eft athée, ou, s'ilcroit qu'il exifte un Dieu , il fe croit für d'en obtenir le pardon, du crime même le plus atroce. D'ailleurs , regardera-t-il le fuicide comme un crime? tant de Phiïofophes modernes l'ont approuvé, entr'autres un des plus fameux de ce fiecle. Votre fils ignorera-t-il que ce grand Philofophe trouve injuftes les loix qui puniffent le fuicide; qu'il établit,, que tout malheureux peut „ mettre fin a fes peines; que le Prince Ouvrages intitulés : De l'Efprie ; Révolution de VAmériquc; le Prophete Philofophe; de VHomme , de fes facultés & de fon éducation ; le Militaire Philofophe i Hijloire philofophique & politique de Vétahliffement des Européens dans les deux lndes , & tant d'autres Ouvrages de ce genre, non-feulement remplis d'impiété , mais encore des déclamations les plus féditieufes.  160 Prèceptes „ & la Société n'ont aucun droit d'exiger ,, que 1'on conferve fes jours pour leur être utile, & que Dieu lui-même ne ,, peut condamner a recevoir des gra,, ces qui accablent en prolongeant 1'exif,, tence («)". Et fi vous avez des filles, & que leur fafte inlënfé ruïne la familie, la Philofophie faura ieur fournir des raifons & des excufes qui vous confondront li vous ofiez vous plaindre; elles vous diroient : Les femmes fages , en faifant des largejfes a des mendiants ou a des criminels , font moins bien confeillées par leurs Direcleurs, que les femmes galantes par le dejir de plaire : celles-ci nourriffent des citoyens ut Hes, celles ld des hommes inutiles ou même les ennemis de la Nation (Z>). II faut avouer que, fans la Philofophie, on n'auroit jamais découverr. qu',une femme qui donne 1'aumóne aux pauvres, & qui va porter des fecours aux prifonniers renfermés dans des cachots, ne fait que de mauvaifes actions; tandis que la femme qui ruine fon mari & fes enfants pour enrichir une marchande de modes, fait une fi belle aclion, que tous les Confeffeurs (a) Lettres Perfanes. L'Auteur de l'E/prit dit aufli : Les hommes qui fe donntnt la mort par dégout pour la vie , mériteat prefqu autant le non de fage que de courageux, (h) De VEfprit.  Phitofophiques, &c. iGl devroient confeiller a leurs pénitentes de fuivre ce patriotique exemple. Ceci d'ailleurs nous apprend encore une chofe confolante; c'eft qu'il ya beaucoup plus d'excellentes Citoyennes qu'on ne le croyoit avant cette découverte. Enfin , fi les mceurs de vos filles vous déshonorent, vous les verrez encore fans honte & fans remords, foutenir que lapudeur n'eft qu'un préjugé, ou une fauffetè; que les femmes fans mceurs font les feules qui puijfent être utiles a PEtat; que la débauche n'eft point une tache a la gloire; que la corruption des mceurs n'eft point incompatihle avec la grandeur & la félicité dun Etat (a); qu'enfin, comme il eft poffible qu'un homme qui a volé, calomniê, abjurè fa Religion par des vues d'intêrét, cs3 mis tous fes enfants a l'hêpital, &c., foit le meilleur & le plus vertueux des hommes; il fe peut aufii qu'une femme , fans aucune pudeur , fans aucun principe, une femme qui .cornpte fon laquais parmi fes amants, ait cependant une ame pure , une ame diviue, angèlique & (a) De l'Efprit. On trouve dans les Mceurs, p. 3.39 , un paragraphe fur les égarements de 1'amour , qu'il n'eft pas poffible de rapporter, ainfi que tant d'autres morceaux philofophiques de ce genre, que je n'ai pu citer par la même raifon. Le réfultat de ce paragraphe, eft qu'une union fondée fur la tendreffe , eft une union plus pure , plus fainte , plus ejlimahle que le mariaj--»  Itj2 Prèceptes tèkfle (d). VoilJ ce que les Phiïofophes de ce ffecle, & les plus célebres ont appris, ont enfeigné!.... Croyez-vous que 1'autorité paternelle & les tendrelfes du fang puiffent avoir quelque influence fur la conduite de vos enfants? Mais ces enfants phiïofophes ne croient-ils pas que dans les grands principes de Vintér ét de la Patrie, il eft utile d'éteindre 1'amour paternel & filial; que tous ces liens de pere & d'enfants peuvent nuire a ceux de citoyens, & produifent feulement des vices fous Vapparence de vertus de petites fociètés, dont les intéréts prefque toujours oppofés d Vintèrêt public , éteindroient d la fin dans les ames toute efpece d'amour pour la Patrie.... On ne peut fouftrair e les peuples d ces calamités, qu'en brifant entre les hommes tous les liens de la parenté , & en déclarant les citoyens en fants de VÈtat. Cefi le feul moyen d'ètoufer les vices , &c. {b) D'ailleurs , les fentirnents de la nature ne font que des illufions, des préjugés; on n'aime plus fes enfants dès qu'ils ont atteint Vage de Vindépendance. ... Alors le pere ne voit en eux que des héritiers avides.... & s'il aime fes petits-fils , c'eft qu'il les regarde comme les ennemis de fes ennemis (c). (a) Confejfions de J. J. Rouffeau. (b) De V Efprit. (c) De (Efprit.  Philofophiques, crV- 103 Ajoutons encore que tonte efpece de dépendance étant ir.jufle, ie fils ne dépencl pas plus du pere, que celui-ci de Ja progênitute (a). En un mot, pour 1'amour filial.... il n'eft pas d'une ohligation ft générale, qu'il 11e puiffe être fufceptible de difpenfe.... Un pere dont on n'éprouveque des témoignages de haine, toute la diftinStion qu'on lui doit, c'eft de le traiter en ennemi refpe&able (b). Ainfi donc fi votre fils eft mécontent de vous, s'il prend une févérité paternelle pour des témoigna- {es de haine, il vous traitera en ennemi! Jn Chrétien doit non-feulement pardonner a fes ennemis; mais leurrendre pour le mal. Un Philofophe a d'autres maximes. Selon les modernes, les grandes ames font celles qui favent le mieux haïr. Les honnëtes gens font les feuls qui ne fe réconcilient jamais ; les frippons favent tiuire ou fe venger; mais ils ne favent point hdir (c). La haine eft donc une ( Prèceptes par paroles & par toute forte de pa„ tience.... La bénédiction du pere af„ fermit la maifon des enfants, & la ma„ lédiclionde la mere la détruit jufqüaux „ fondements... Mon fils, foulagez vo„ tre pere dans fa vieüleflë, & ne 1'attrif,, tez point durant fa vie : que fi fon „ efprit s'affoiblit, fupportez-le, & ne le „ méprifez pas ft caufe de Pavantage que „ vous avez fur lui; car la charité dont „ vous aurez ufé envers votre pere ne ,, fera point mife en oubli. Dieu vous „ récompenfera pour avoir fupporté les ,, défauts de votre mere. II vous établira „ dans la juftice, il fe fouviendra de vous ,, au jour de 1'aiBic'rion, & vos péchés fe „ fondront comme la glacé en un jour „ ferein, Combien eft infame celui, qui „ abandonne fon pere , & combien eil „ maudit de Dieu celui qui aigrit 1'ef„ prit de fa mere! Eccléjtaftique, Ch. 3. „ Enfants , obéiffez ft vos peres & ft ,, vos meres en ce qui eft felon le Sei„ gneur, car cela eft jnfte. Honorez vo- tre pere & votre mere (c'eft le premier des Commandements auquel Dieu ait „ joint une promefe ,) afin que vous „ foyez heureux , & que vous viviez long-temps fur la terre. St. Paul aux Ephéfiens, Chap. 6. Enfants, obéiffez ,, en tout ft vos peres & meres, car cela „ eft agréable au Seigneur. St. Paul aux „ Coloffiens , Chap. 3. „ Profitez de mes lecons, dit le Sage,  Philofophiques, &c, ■ 167 de peur que vous 11 e difiez un jour; „ Pourquoi ai-je dételté la difcipline : & „ pourquoi mon cceur ne s'eft-il point ,, rendu aux remontrances qu'on m'a faï„ tes ? Pourquoi n'ai-je point écouté Ia ,, voix de ceux qui m'enfeignoient , ni ,, prêté 1'oreille ft mes maitres ? Prov. de „ Salomon, Chap. 5. Celui qui aime la „ correétion aime la fcience, mais celui „ qui hait les réprimandes, eft infenfé. „ Prov. Chap. 12 ". Un enfant religieux qui recoit de tels commandements, de telles exhortations, & qui croit les tenir de Dieu même, pourra-t-il manquer de docilité , de refpecfc & de tendreffe pour les auteurs de fes jours?... Inftituteur Philofophe, quelque vertueux que vous foyez, 1'autorité de vos lecons fera frivole & vaine. Donnerez-vous comme des loix facrées vos fentirnents, vos opinions? Pourquoi votre éleve accorderoit-il ft la raifon d'un homme cet empire abfolu fur la fienne? Non, vous n'avez que le droit d'exhorter, 1 inftituteur Chrétien a celurde commander fouverainement. II eft 1'interprete du Ciel: ce n'eft point un être fragile & mortel, un être fujet a 1'erreur que le difciple écoute, c'eft la voix de Dieu qu'il entend, ce font fes ordres qu'il recoit ; c'eft 1'Auteur de l'univers qui lui parle, qui lui prefcrit fes devoirs; c'eft lui qui le menace, & qui lui promet des récompenfes éternelles. Eulïïez-vous les  i6?> Prèceptes talents de RouiTeau , vous n'aurez fur votre eleve qu'une autorité foible & paflagere, & Ia mienne fera fans bornes, le principe en elf facré. J'ai fu ft Ia fois frapper 1'imagination de mon éleve, toucher fon cceur, convaincre fa raifon. Dans fon enfance, revêtue ft fes yeux d'un caractere augufte, j'aifubjugué fon refpeél en obtenant fon amour; j'étois pour lui ce que fut Moïfe pour les Hébreux, je lui faifois connoitre les volontés du Ciel , fes décrets immuables & les prodiges de fa puiffance. J'exhortois, t'e commandois , je puniffois au nom de Dieu ; tous mes difcours avoient du poids , toutes mes aftions étoient frappantes; on m'écoutoit avec admiration , je n'étois que 1'organe d'une voix fuprême; on m'obéifloit aveugliment ; & fi 1'on avoit ofé murmurer én fecret , Dieu le fait , difoit-on, que Vaveu rèpare la faute. Sans ce pouvoir abfolu, on ne peut ni donner des lecons frappantes , ni produire des iropreflions pmfondes , ineffacables. On oublie les difcours d'un homme; mais lorfqu'on a cru fermement, pendant quinze ans, entendre Dieu lui-même, les principes recus feront toujours refpectés. Et quels principes ! Combien ils font purs & fublimes! Non, mes filles ne penièront point que la pudeur eft un pt èjugé, & que les profufions & le falie d'une coquette loyent plus méritoires que les aumónes d'une femme charitabk. Mes filles croiront tou- jours  Philofophiques, £fV. 1^9 jours que la „ femme fainte & pkine de „ pudeur eft une grace qui palfe toute „ grace • que tout le prix de 1'or n'eft j, rien au prix d'une femme vraiment „ chafte. Eed. ch. 26. Que la femme „ modefte fera élevée en gloire. Prov. . „ ch. 11. Elles n'oublreront point cette „ peinture charmante d'une femme efti„ mable : Comme le foleil, s'élevant dans „ le Ciel qui eft le tróne de Dieu, éclai„ re, embellit l'univers, ainfi ie vifaee „ d'une femme vertueufe eft 1'ornement „ de fa maifon. Eccl. ch. 26, & ce por„ trait fi touchant : Elle a cherché la „ laine & le lin, & elle a filé avec des „ mains fages & ingénfeufes Elle a „ ouvert fa main d Vindigent , elle a étendu fes bras vers le pauvre.... La „ grace eft trompeufe, & la bsauté eft „ vaine. La femme qui craint le Seï„ gneur, eft celle qui fera louée ". Prov. ch. 31. Mes enfants ne regarderont point les liens du fang comme nuifibles a 1'E'ar,& 1'amitié comme une chimère. Ils m'a'tneront toujours, & la plus tendre union fnbliltera éternellement entr'eux : A 1'imitation du Sauveur, je leur ai dit :„Je vous „ fais un commaridement... qui eft de „ vous entr'aimer & de vous aimer les „ uns les autres comme je vous ai aimés. „ La marqué & Iaquelle tout le monde re- connoitra que vous êtes mesDifciples, „ c'eft 1'amour que vous aurez les uns H  iyq Prèceptes pour les autres. Ev. deSt.Jeau, ch. 13. „ Le frere qui eft aidé par fon frere, eft „ comme une ville forte. Prov. ch. iS. Qu'il „ eft avantageux & qu'il eft doux ft des freres de vivre dans 1'union. Pf. de Da,, vid, 133. Ne dites pas ft votre ami, „ allez & revenez, je vous donnerai de„ main, lorfque vous pouvez lui donner „ ft l'heure même". Prov. ch. 3. Mes Difciples n'adopteront jamais les maximes déteftables qui établiffent que le bonheur n'eft autre chofe que le plaiftr & ce qui platte le corps; que la vérité, la vertu ne font que des hiens d'idée; qu'il y a de la grandeur dans la haine, que c'eft une petitejfe de recommander la modération dans les defirs. Voici des maximes bien différentes que la Religion a gravées dans leurs cceurs: La fageffe eft plus eftimable que ce qu'il y a de plus précieux, & tout ce qu'on defire le plus ne lui peut être comparé. , Pro. ch. 8. Le fruit de la modération ' eft la crainte du Seigneur, les richeffes, la gloire & la vie. Prov. ch. 22. LesSa,, ges pofféderont la gloire, 1'élévation des infenfés fera leur confufion. Ch. 3. Que fert ft 1'infenfé d'avoir de grands biens, „ puifqu'il ne fauroit en acheter la fagef' fe?C£. 17. La fageffe eft pleine de lu' mieres, & fa beauté ne flétrit point. Ceux qui 1'aiment, la découvrent ailé„ ment, &ceux qui la cherchent la trou„ vent. La Sagejfe, ch. 6. Ne vous réjouiffez point quand votre ennemi lera  Philofophiques, &c. 171 „ tombé... Si votre ennemi a faim, don,, nez-lui a manger; s'il a foif, donnez,, lui a boire. Prov. ch. 24 fis5 25. Si quel„ qu'un dit : j'aimeDieu, & qu'il haïfle ,, fon frere, c'eft unmenteur. V". Ep. de „ St. Jean, ch. 4. II eft bon que vous ,, fouteniez le jufte; mais ne retirez pas „ aulïï votre main de celui qui ne 1'eft pas. „ Eccl. ch. 7. Ayez foin de vous procu,, rer une bonne réputation . car ce vous „ fera un bien plus ftable que mille tré„ fors grands & précieux. La bonne vie ,, n'a qu'un certain nombre de jours, la ré,, putation demeure éternellement. Eccl. ch. 14. Le fentier des juftes eft comme „ une lumiere brillante qui s'avance & qui croit jufqu'au jour parfait. Lavoie 3, des méchants eft pleine deténebres; ils ,, ne favent 011 ils tombent. Prov. ch. 4. „ Le méchanr difparolt comme une teni,, pête qui.palfe. Le jufte fera comme un „ fondement éternel... L'attente des juf,j tes, c'eftjla joie; mais Pefpérance des „ méchants périra. Prov. ch. 10. Heu„ reux ceux qui ont le cceur pur, paree ,, qu'ils verront Dieu; heureux ceuK qui „ font pacifiques, paree qu'ils feront ap„ pellés enfants de Dieu. St. Matt. ch. 5. Heureux celui qui fouffre patiemment „ les affliétions, paree qu'après avoir été „ éprouvé, il recevra la couronne de vie „ que Dieu a promife è ceux qui 1'aiment"! Ep. de St. Jacques, ch. 5. Mes Eleves, loin de n'aimer que 1'indépendance, reHij  17& Prèceptes chercheront les confeils, écouteront avec joie les exhortations, même les plus féveres; ils favent, „ que celui qui garde la difcipline, eft dans le chemin de la „ vie; mais que celui qui négligé les ré,, primandes., s'égare... Que l'homme corrompu n'aime point celui qui le re- prend, &ne va point trouver les fages". Prov. ch. 10 & 15. Ils n'auront point cet orgueil infenfé qu'on a tant reproché aux Phiïofophes de tous les temps, & fur-tout a ceux de ce fiecle." Ils favent encore, „ qu'oü fera 1'orgueil, 14 auffi fera la con„ fufion; mais qu'oü eft 1'humilité, 14 eft „ pareillement la fageifg^,. Que le Sei„ gueur détruira la maifon des fuperbes. ■„ Prov. ch. 11. & 15. Que le commen„ cement de 1'orgueil de l'homme eft de commettre une apoflafie 4 1'égard de „ Dieu, paree que fon cceur fe retire de ,, celui qui Pa créé : car le principe de „ tout pêché eft 1'orgueil; que 1'orgueil „ n'a point été créé avec l'homme, non plus que la colere avec le fexe desfem„ mes ". Eccl. ch. 1S. Ils fe fouviendront de ce difcours du vieux Tobie:,, Ne fouf„ frez jamais que 1'orgueil domine ou dans „ vos penfées ou dans vos difcours; car „ 'c'eft par 1,'orgueil que tous les maux ont „ commengé (a). Et qu'enfin, les fruits («) La rébellion de Satan , la chute du premier homme.  Philofophiques, &c. 173 „ dePEfprit Saint lont la charité, lajoie, „ lapaix, la patience, Phumanité, Ia bon„ té, la longaniinité, Ia douceur, la foi, „ la modeftie, la tempérance, la chafteté ". Ép. de Saint Paul aux Galates, ch. 5. Ces lecjns, ces exhortations ne l'ont pas philofophiques, mais elles font pures & fublimes. Les Phiïofophes fe vantent beaucoup d'avoir loué la hienfaifance, la Religion fait mieux, ellèlacommajide. Les exclamations, les éloges d^qTréTqués hommes auront-ils donc plus de poids que les ordres de Dieu ? Moraliftes & Phiïofophes, qu'avez-vous dit fur ce fujet, que 1'on puilfe romparer a ces prèceptes divins? ,, Celui qui a'pitié du pauvre, prêteau „ Seigneur a. iiuérèt. .. Celui qui ferme „ PoreilleaiicT-rWpauvre, crieralui-mê„ me, cYne fera point écouté. Prov. ch. 19 „ &21. Ne détournez point vos yeux du ,, pauvre; &nedonnez point fujet a ceux ,, qui vous demandent de vous maudire „ derrière vous; car celui qui vous mau- dit dans 1'amertume de fon ame fera ,, exaucé dans fon imprécation, & il fera ,, exaucé par celui qui Pa créé... Mon ,, fils, ne mêlez point des reproches au „ bien que vous faites, & ne joignez ja,, mais a votre don^des paroles triftes & ,, affligeantes... la douceur" des paroles „ ne pafle-t-elle pas le don même? mais ,, les deux fe trouvent dans l'homme jufte. „ Eccl. ch. 4 & 18. Faites Paumóne de votre bien, & ne détournez votre vifa^e II iij  174 Précepta „ d'aucunpauvre; car, de cetteforte, le Seigneur ne détournera point non plus fon vifage de deffus vous. Soyez chari,, table en la maniere que vous le pourrez. „ Si vous avez beaucoup de bien, donnez beaucoup. Si vous avez peu, ayez „ foin de donner de ce peu même de bon „ cceur; car vous vous amaiferezainfi un „ grand tréfor & une grande récompenfe ,, pour le jour de la nécelfité, paree que „ 1'aumóne délivre de tout pêché & de la „ mort, & qu'elle ne laiffera point tom„ her 1'ame dans les ténébres. L'aumóne „ fera le fujet d'une grande confiance de„ vant le Dieu Suprème pour tous ceux „ qui 1'auront faite... Mangez votre pain „ avec les pauvres & ceux qui ontfaim, „ & couvrez de vos vêtements ceux qui font nuds... Tobie. ,, Ordonnez aux riches de ce monde de ,,, n'être point orgueilleux.... d'être cha,, ritables, & de fe rendre riches en bort,, nes oeuvre, de donner de bon cceur, de „ faire part de leurs biens aux pauvres". Ep. de St. Paul d Timothèe, ch. 6. ,, Ne négligez pas 1'hofpitalité... Sou„ venez vous de ceux qui font dans les chalnes, comme fi vous y étiez vous„ même avec eux; & de ceux qui foufrent , coffimeétant vous-même dans un corps ,, mortel. Ep. deSt. Paulaux Hébreux , ch. 13. Donnez ü celui qui vous de- mande, & n'évitez point celui quiveut ), emprunter de vous. Evangik de Si*  Philofophiques, &c. 175 „ Matthieu, ch. 5. Prenez bien garde de ne point faire vos bonnes ceuvres de„ vant les hommes , afin qu'ils vous voient; autrement vous n'en recevrez „ point la récompenfe de votre pere qui ' eft dans le Ciel ". St. Matthieu, ch. 6. Jèfus-Chrifl, au jour du jugement, dira h ceux qui ont donné des vêtements aux pauvres , délivré des prifonniers , vilite des malades, nourriles indigents:,, Vous „ êtes bénïs de mon pere; venez, pöllé„ dez le Royaume qui vous a été préparé „ dés le commencement du monde; car „ j'ai eu faim, & vous m'avez donné a „ manger; j'ai eu foif, & vous m avez „ donné a boire; je n'avois point de logement, & vous m'avez logé; jétois nud, & vous m'avez revêtu ; j'étois ,, malade, & vous m'avez vifité; j'étois „ eiiprifon, & vous êtes venus me voir... „ Autant de fois que vous avez rendu ces devoirs.... c'eft a moi-même que vous les avez rendus.... Autant de fois „ que vous avez manqué de le faire.... vous avez manqué de le faire a moi„ même". St Matthieu, ch. 25. Que 1'on ajoute a^ces commandements tous ceux du même genre, que j'ai déja cités, tirés du Deutéronome & du Lévitique, & 1 on ne pourra s'empêcher de convenir que la Philofophie n'a jamais rien ditd'auffi énergique, d'auffi touchant. Mais, s'écnent les Phiïofophes, nous avons dit les plus belles chofes du monde fur la tolérance J H iv  ï 70 Prèceptes Ce que vous avez dit de beau, vous Pavez tiré d'un moralifte chréüen que vous avez copié , fans le citer. Croyez-vous avoir mieux parle que 1'immortel Fénelon^. fur l'indulgence que Phumanité dolf aux foibleffes & aux erreurs des hommes? Et cet Ecrivain, a jamais üluftre, cet Ecrivain , dont la vertu égale le génie , n'a offert des lecons fi utiles, des prèceptes fi bienfaifants, que paree qu'il a puifé tous fes principes dans 1'Evangile. Véritables, amis de la tolérance, voulez-vous trouver dans toute fa pureté cet efprit de paix & de douceur fi néceffaire a la félicité du genre humain? Ouvrez 1'Evangile, écoutez ces inftructtons facrées. „ Heureux ceux qui font miféricor,, dieux, paree qu'ils feront traités avec miféricorde! St. Matth. ch. 5 Ré- „ jouiffez-vous avec ceux qui font dans „ lajoie, pleurez avecceuxqui pleurent... „ Vivez en paix, s'il fe peut, & autant ,, qu'il eft en vous, avec toute forte de 3, perfonnes. Ep.de St. Paul aux Rom. , „ ch. 11. Faifons du bien a tout le mon3, de, mais principalement a ceux qui font „ entrés par la foi dans Ia familie du Sei3, gneur. St. Paul aux Galates, ch. 6. ,, Traitez avec charité celui qui eft en„ core foible dans la foi, fans vous amu,, fer k contefter avec lui. Ep. ch. 14. „ Nöus devons, nous qui fommes les plus ,-, forts, fupporter les foibleffes des in» 3, firmes. Mfyne Ep. ch. 15.  Philofophiques, &c. 17? „ Quand je parlerois toutes les langues ,, des hommes & des Anges même, fi je „ n'ai point la charité, je ne luis que com„ me un airain fonnant & une cymbale 9, retentiiTante. Quand j'aurois le don de ,, prophétie, que je pénétrerois dans les „ myfteres , & que je pofféderois toutes ,,. les fciences, & quand j'aurois toute la ,, foi poffible, jufqu'ft tranfporter les mon„ tagnes, fi je n'ai pas la charité, je ne „ fuis rien.... La charité eft patiënte , . „ elle eft douce_&_bien&ifante : la~cfiarité „ n'eft point fenvieufeLeiie n'eft point „ téméraire & prériptfSf, elle ne s'enEe „ point d'orgueft, elle n'eft point dédai,, gneufe, elle ne cherche point fes pro„ pres intéréts"? elle ne fe piqué & ne s'ai„ grit pointTelle ne penfe point lejnal.... „ elle fupporte tout ' elle efpere tout. „ St. Paul , Ep. aux Corinth. ch. 13. ,, Nous vous prions encore, mes freres, „ reprenez ceux qui font déréglés, con„ folez ceux qui ont 1'efprit abattu, fup„ portez les foibles , foyez patients en„ vers tous. St. Paul aux. Theffal. , ch. 5. „ Si quelqu'un n'obéft point a ce que nous ordonnons par notre Lettre, no„ tez-le , & n'ayez point de commerce • „ avec lui , afin qu'il en recoive de la „ confufion. Ne le regardez pas néaumoins „ comme un ennemi; mais reprenez-le „. comme un frere. Deuxieme Ep. de Si». %%.Paul aux The ff. ch. 3.  *7§ Prèceptes „ II ne faut pas qu'un ferviteur du Set„ gneur s'amule ft contefter; mais il doit „ être modéré envers tout Ie monde, ca„ pable d'inftruire , patiënt , reprenant ,, avec douceur ceux qui réfiftent a la vé„ rité, dans I'efpérance que Dieu pour la leur faire connoitre, leurdonnera uiv jour 1'efprit de pénitence. St. Paul, „ deuxieme Ep. d Timothée, ch. 3. „ Avertilfez - les (les Difciples ) d'être ',, foumis aux Princes & aux Magiftrats, „ de leur rendre obéiflance, d'être prêts ,, a toutes fortes de bonnes ceuvres, de „ ne médire de^erfonne, de fuir les procès & les querelles, d'être équitables, & de témoigner toute la douceur poffi„ ble ft 1'égarddetous les hommes". Ep. de St. Paul d Tite, chap. 3. Et voilft fa Religion que les Phiïofophes moderres ont appellée Religion intolérante l... Quel a pu être leur motif en la calomniant, &leur but, en voulant la détruire? Voici leur réponfe répétée mille fois : l'intérét de l'humanité; mais 1'intérêt des peres de familie, des enfants, des époux, des femmes, des Souverains, des fujets, des pauvres , des infortunés, des maitres, des domeftiques, enfin, de toutes les clalfes d'hommes & de tous les êtres qui compofent la fociété , leur intérêt, dis-je, n'eftil pas de croire ft une Religion quiprefcrif toutes les vernis, qui entre dans le détail de tous les devoirs de l'homme, & qui peut feule offrirdes confolations au malheureux  Philofophiques, &c. 179 privé de tout fecours humain? Je terminerai ce chapitre par quelques citations qui acheveront de démontrer cette importante vérité. L'Ecriture dit a tous les hommes Craï„ gnez Dieu, & obfervez lés comtnan„ dements. Eccl. ch. 12. Ayez con- fiance en Dieu de tout votre cceur, & ,, ne vous appuyez point fur votre pru- dence, penfez a lui dans toutes vos „ voies, & il conduira lui-même vos pas... Ne portez point envie a 1'injufte, & „ n'imitez point fes voies ,. paree que ,, tous les trompenrs font en abomina„ tion au Seigneur.... La vieillelfé eft }, une couronne d'honneur lorfqu'elle fe „ trouve dans la voie de la Juftice.... Achetez la vérité , & ne la vendea „ point, & faites de même a 1'égard de la fageffe, de la doctrine, & de 1'in„ telligence..... Celui qui fe vante & ne ,, tient point fes promeffes, eft comme „ le vent & les nuées qui ne font point fuivies de la pluie. Prov. ch. 3, ch. 16 , „ ch. 25. Abftenez vous de tout ce qui ,, a 1'apparence du mal. S. Paul aux „ Theffalonic. ch. 5. Que votre vie foit „ exempte d'avarice. S. Paul aux Héb* „ ch. 13, La foi qui n'a pas les ceuvres „ eft morte en elle-même. Ep.de S.Jacq^ „ ch. 2. Rendez a tous I'honneur qui ,, leur eft dü, aimez vosfreres, craiguez „ Dieu, refpedez le Roi ". i"v Ep. d# St. Piene. H vj  iSo Prèceptes- L'Ecriture dit aux époux : „ Celui qui a trouvé une bonne fem- me, a trouvé un grand bien ; TTa rTcïï „"fljTSeigneur une lóurce de joie. Prov. „ chap. 18. Que les femmes foient foumi„ fes a leurs maris comme au Seigneur... ,, Et vous maris , aimez vos femmes >5 comme Jefus-Chrift a aimé 1'Eglife , iufqirft fe livrer lui-même pour elle.... „ Que chacun de vous aime donc fa fem,, me comme foi-même, & que la femme „ révere fon mari. St. Paul aux Ephé„ Jiens, ch. 5. Qu'en toutes chofes on ,, fe comporte avec honnêteté dans le mariage , & que le lit nuptial foit „ fans tache ". St. Paul aux Plébreux, ch. 13. On a vu les Commandements que Ia Religion fait aux enfants. Voici les inftructions qu'elle donne aux peres & aux inftituteurs. „ Eievez bien votre fils , & il vous y, confolera, & deviendra les délices de „ votre ame. Prov. ch. 29. Celui qui 3, inftruit fon fils y trouvera fa. joie, & ,, fe glorifiera en lui parmi fes proches. 3, Eccléfia/llque,. ch. 30. Corrigez votre ,^ enfant, & n'en délëfpérez pa?.. Prov.. 33, ch. 29. Redoublez votre vigjlance a„ 1'égard de la fille qui ne détourne pointr „. fa-vuedes hommes. Ecclè/sa/lique, ch.. „ 18. Et vous peres, n'irritez point vos „ enfants , mais ayez foin de les bien élejft, ver en les corrigeant, & les inftruifant.  Philofophiques, &c. i?r „. félon le Seigneur ". St. Paul aux-Eph* ch, 6. La Religion dit aux Souverains ^ „ Le Prince qui écoute favorablëment les faux rapports, n'aura que des méM chants pour Miniftres.... Le Prince „ qui foule les peuples excite des fédi„ tions & des révoltes. La miféricorde &. ,, la vérité font la garde des Rois, & la „ juftice eftlefontien du tróne. La juftice ,, illuftre les peuples. Un Roi jufte rend „ fes Etats florilfants Un peuple „ nombreux fait la gloire du Souverain, „ Prov. (a). Voici ce que 1'Evangile prefcrit aux fujets : ,, Que toute perfönne foit foumifeaux „ puilfances fupérieures; caril n'y a point ,, :de puiffance qui ne vienne de Dieu, & „ c'eft lui qui a établi toutes celles qui font fur la terre. Celui donc qui s'op„ pofe aux puiffances, s'oppofe a 1'ordre de Dieu, & ceux qui s'y oppofent, at„ tirent fur eux la condamnation.... C'eft „ pour cette même raifon que vous devez ,, le tribut aux Princes , paree qu'ils font ■ (a)' M. de Voltaire a dit, qu'on ne trouvepasdans les Proverbes de Salomon une feule fentence qui. regards la. maniere de gouvernerv Diciionn. ph'ilDfophiq;. Et ce. livre- eft rempli da maximes admirables fur la nojitique & le gou= ■«ernfijneru..  lo*2 Prèceptes' les Miniftres de Dieu.... Rendez donc a chacun ce qui lui eft dü, le tribut a qui vous devez le tribut, les impóts a „ qui vous devez les impóts, la crainte „ a qui vous devez la crainte, 1'honnenr „ a qui vous devez Thonneur". St.Paut aux Romains, ch. 13. Que 1'on compare ces prèceptes avec ceux de la philofophie moderne qui déclame fans ceflë contre P autorité, qui pré* tend qu'une parfaite ègalitè devroit régner parmi les hommes, qui inlinue dans fes ouvrages les plus modérés des principes féditieux, ou qui les établit formellement avec audace comme je le prouverai dans ie chapitre fuivant. Si les Rois ont tant d'intérêt k maintenir les droits facrés de la Religion , nous n'en avons pas moins a la faire refpecter dans Pintérieur de nos families. Quel effet doivent produire les Livres philofophiques fur des perfonnes fans lumieres, fanséducation,&condamnées a la fervitudel Pour moi, je 1'avoue, fi je voyois entre les mains de mes gensr ,, Les Penfées philofophiques, le Diétion,, naire pbilofophique , le Difcours fur la vie heureufe, celui fur 1'origine de 1'égalité parmi les hommes, les Moeurs, „ les Confelfions de J. J. Rouflëau , le „ Tableau philofophique de Pétabliffement „, des Européens dans leslndes, Pouvra„ ge intitulé de 1'Efprit, le Code de la ,, Nature, &c. &c. &c. **, jeferois trèseffrayée, & je ne me crofrois nuilement  Philofophiques , &'c. iS'j; en fftreté dans ma maifon. Que doit penfer un laquais qui entend parler de tous ces Auteurs avec admiration, qui, par exemple, entend fes maitres louer avec enthoufiafme, 1'ame, les principes & le génie de Rouffeau? Quelle impreffion feront fur lui les Confeüions de cet homme fi célebre , fi vanté , qui , étant laquais, vola & rejetta fon vol fur une perfonne innocente; de cet homme, qui abjura fa Religion pour de 1'argent; decethomme, qui a manqué de mceurs, qui eut la plus noire ingratitude envers fes bienfaiteurs ; qui fut inhumainpour fes enfants,& qui, après tous ces aveux, prétendêtre lemeilleurdes hommes t Combien de malheuren* de cette claflë la philofophie de ce fiecle n'a-t-elle pas pervertis ! Elle a produit plus de fuicides & plus de crimes en tout genre, que jamais, dans aucun temp?, 1'infortune & la mifere n'en ont fait commettre. Je pourrois, en condamnant fes opinions, & plaignant fes erreurs, être ï'amie d'un homme partifan de la fauffe philofophie; mais rien ne pourroit m'en» gager a garder un laquais philofophe. Le plus fur eft de les choifirbonsChrétiens, & de leur donner 1'exemple du refpect pot;? une Religion qui olfre des prèceptes fi touchants & fi fublimes fur les devoirs refpeètifs des maitres & des domeftiques. „ Servfteurs, foyez foumts a vos maït, tres avec toute forte de refpeft, uoa-  i&t Prèceptes ,, feulementa ceux qui font bons &doux, „ mais même a ceux qui font d'une hu. ,, meur diflicile ". Pret». Ep. de S. Pierre , ch. i. „ Serviteurs , obéiffez avec crainte & refpect dans la fimplicité de ,, votre cceur a ceux qui font vos maitres „ felon la chair , comme a Jefus - Chrift „ même. Ne les fervez pas feulement „ lorfqu'ils ont 1'ceil fur vous, comme fi ,, vous ne penfiez qu'a plaire aux hom- mes; mais faites de bon cceur la vo„ lonté de Dieu, comme étant lërviteurs ,, de Jefus Chrift, & fervez les avec af„ fection , regardant en eux le Seigneur „ & non les hommes; fachant que cha,, cun recevra du Seigneur la récompenfe ,, du bien qu'il aura fait.... Et vous, „ maitres , ayez de même de l'afTeétion ,, pour vos lërviteurs; ne les traitant point ,, avec rigueur & avec menaces, fachant „ que vous avez les uns les autres un „ maltre commun dans le Ciel, qui n'akira „ point d'égard ï. ia condition des per„ fonnes,". Ep. de S. Paul aux Eph. ch. 6. Ecoutons fes utilës Tecons que la Religion fait aux gens riches. ,, Peu avec la crainte de Dieu, vaut „ mieux que de grands tréfors qui ne raf„ fafient point.. Prov. ch. 5. Celui qui „ aime Por ne fera point innocent. L'cr „, efi un. fujet de chüte a ceux qui lui fa„ crifientr,.. il fènr périr tous- ks infenfés» j,, liiureux le riche qui a été trouvé fans  Philofophiques, &c. 185 „ tache, qui n'a point couru après 1'ori „ Qui eft celui-la? Nous le louerons ,, paree qu'il a fait des chofes merveil„ leufes durant fa vie. E' Eccléfiajlique, ,, ch. 31. ,, Ne vous ainalfez point de tréfors fur ,, la terre, oü la rouille & les vers les ,, cpnfurnent, & oü les voleurs les dé,, terrein & les dérobent : mais amaïïez,, vous des tréfors dans le Ciel, oü il n'y „ a ni rouille ni vers qui les confument, ,, ni voleurs qui les déterrent & qui les „ dérobent. Evangile de St. Matthieu, ,, ch. 6. Ecoutons enfin les confolations que la Religion offre aux infortunés. „ Heureux ceux qui pleurent, paree ,, qu'ils feront confolés! St. Matthieu, ,, ch. 5. Les fouffrances de la vie pré- fente n'ont aucune proportion avec ,, cette gloire qui doit un jour éclater en ,, nous... Soyez patients dans les maux, „ perfévérants dans la priere. St. Paul ,r aux Romains, ch. 8 cjj5 13. „ Mes freres, regardez comme le fujet „ d'une très-grande joie, les diverfes af„ fliétions qui vous arrivent, fachant que „ l'épreuve de votre foi produit la patien„ ce.... Et la couronne de vie, &c. ". Ep. de St. Jacquet, ch. 1. Et voila les puiffants motifs de courage & les confolations que la Philofophie arrache inhumainement aux malheureux qui a-'en peuvent avoir d'autres! Rappellen-  l8t5 Prèceptes vous, Monseigneur, cette femme paralytique ft laquelle vous avez donné, pendant deux ans, de fi touchantes marqués d'intérêt & de compafiion. Couverte d'ulceres, privée de 1'ufage de tous fes membres, fouffrant des tourments inouis , elle a vécu dix-fept ans dans cet affreux état, fans qu'il foit jamais forti de fabouche, non-feulement un murmure, mais «ne plainte; vous 1'avez entendue, Monseigneur, vous dire, vous répéter que fes foujfrances lui ètoient cheres , paree qu'elle favoit que les récompenfes qui l'ea dédommageroient , y feroient proportiontièes. Vous 1'avez vue au milieu de fes plus vives douleurs, & dans 1'agitation des plus horribles convulfions, conferver un vifage ferein, élever au Ciel des yeux animés de 1'expreffion de la reconnoiffance, & s'écrier : O mon Dieu'. je vous remercie, quel bonheur vous me préparez l Mot véritablement fublime, &quiprouve mieux que tous mes foibles difcours, le pouvoir furnaturel & l'utilité bienfaifante de Ia Religion. On trouvera peut-être que j'ai trop multiplié les citations dans ce Chapitre. J'ai cité , il eft vrai , des prèceptes que perfonne ne devroit ignorer, mais qui, malheureufement , ne font plus connus aujourd'hui. On ne connolt que les déclamations des Phiïofophes, & des calomnies abfurdes , regardées par les incrédules ignorants comme des vérités dé»  Philofophiques, &c. io? montrées. On a lu mille fois cette fentence pbilofophique : La Religion Chrétienne eft intolérante, & 1'on n'a jamais lu 1'Evangile ; encore moins cette longue fuite de livres qui compofent 1'Ancien Teftament; & ne connoiffant que les fophifmes & les menfonges des détrafteurs de la Religion , on conclut qu'un véritable Chrétien ne peut être qu'un homme dur, intolérant, enfin , un fanatique furieux & barbare. Au refte, ce n'eft point un extrait qui peut donner une jufte idéé de cet efprit admirable de douceur, d'indulgence, d'humanité qui brille conftamment dans 1'Evangile : je n'ai cité qu'un certain nombre de maximes, & j'en aurois pu citer fur les mêmes fujets une infiuité d'autres , aufïï expreffes , auffi i touchantes, fans parler de ces paraboles fi ingénieufes, fi énergiques dont le but eft d'infpirerAa tolérance, la bienfaifance & le pardon des injures.  iS§ Du Fanatifme CHAPITRE XIV. Du Fanatifme Religieux & du Fanatifme Philofofthique. Les Phiïofophes modernes fe font particuliérement attachés h montrer toute Phorreur du fanatifme, & a détailier tous les crimes qu'il peut produire. Ils n'ont, au refte, rien dit de raifonnable fur ce fujet, qui n'eüt été dit mille fois avant la publication de leurs ouvrages , & d'une maniere beaucoup plus folide & beaucoup plus utile : car Ie moyen le plus certain de détruire le fanatifme , eft de démontrer que la Religion le réprouve ; c'eft fur-tout. avec 1'Evangile qu'on le combattra victorieufement. Mais les Phiïofophes modernes n'ont eu qu'un but, celui de dominer fur les efprits. II étoit difficile, au commencement de ce fiecle, d'étonner & de fubiugner Padmiration d'un public qui gémilfoit encore fur la perte récente des plus grands 'hommes que la France ait produits. II fembloit que ces génies fublimes euffent moiffonné tous les lauriers immortels que peuvent obtenir la raifon & la vertu réunies aux talents. Frappés de ces confidérations effrcyantes, les Beaux-efprits de ce temps prirent un parti délëfpéré. Eh bien, di-  ReJlgleux, &c. iSy rent-ils, frayons-nous une autre route; confondons toutes les idéés, bouleverfons tous les principes, flattons les paffions, détruifons la Religion , & nous appellerons cette nouvelle doélrine, de Ia Philofophie. Nous ferons des Tragédies philofophiques, en y inférant une certaine quantité de maximes féditieufes, & une multitude de vers contre les Prötres & la Religion. Nous ferons des contes philofophiques, des contes licencieux & remplis d'impiétés. Nous ferons auffi moraliftes : pour cela , nous pillerons Fénelon , Pafcal, JVJaffillon, & les autres, & nous y joindrons un fonds de philofophie , c'eft-üdire du pyrrhonifme & des peintures libres & voluptueufes qui puiffent féduire & corrompre Ja jeuneflë. Nous écrirons PHiftoire, non comme Boffuet, mais en Phiïofophes , en apoftrophant infolemment les Rois , en outrageant Pautorité fouveraine & les nations entieres, en calomniant le Clergé, les Papes & la Religion. II faudra bien convenir que Corneille, Racine, Boileau, Fénelon, &c. avoient du génie; mais dans tous nos ouvrages nous critiquerons ceux de ces grands hommes , tantót ouvertement, tantót en paroiffant les admirer : nous dirons que la profe de Téiemaque eft un peu tratnante; nous dirons que Pafcal étoit fou; nous dirons encore que Boileau n'étoit qu'un bel-efprit : nous ferons des notes remplies d'injuftice & de partia-  . 190 Du Fanatifme lité contre le grand Corneille; nous répéterons qu'il n'y a dans les Fables inimitables de la Fontaine qu'un feul mérite^ celui du naturel. Nous foutiendrons que Bofluet, cet éloquent & fublime défenieur de la foi, n'étoit qu'un Athée, &C. ' &C. Et puis nous ajouterons que tous ces Ecrivains manquoient de philofophie, & qu'on ne doit admirer que des Auteurs Phiïofophes. Notre morale beaucoup plus commode que celle des Fénelon , des Pafcal , des' Bofluet, nous procurera fans doute une foule de partifans; nous accorderons le titre de Phiïofophes a tous nos admirateurs, & nous couvrirons de ridicules ceux qui rejetterons notre doétrine. Si 1'on releve nos menfonges, nos erreurs, nous ne répondrons que par des iniures, des calomnies& des plaifanteries, moyen infaillible de forcer enfin la raifon au filence. Alors, maitres abfolus du champ de bataille, nous répéterons pendantquarante ans, fans interruption, tout ce que nos adverfaires auront réfuté dès nos premiers pas dans la carrière. Ce plan conqa avec tant d'artifice, & fuivi pendant prés d'un demi-fiecle avec tant de perféverauce, n'a que trop bien réufli au gré desfondateurs de cette fauffe philofophie. II femble qu'ils ayent vérifié de notre temps la prédiclion de 1'Apótre, qui difoit : Sachez que dans la fuite il viendra des temps difficiles & pèrilleux. 11 y aura des hommes amateurs d'eux mê-  Religieux, &c. 191 ffies , fiers, fuperbes, médifants..., c«lomniateurs , intempérants. ... , ennemis des gens de bien ..., infolents, enfiés d''orgueil , trytfKf ƒ>/#; d'amour pour la volupté que pour Dieu .. ..; hommes corrompus dans f efprit, C55 pervertis dans la foi. Mais le progrès qu ils feront aura fes hornes, leur folie fera connue de tout le monde. St. Paul a Timothée, Ch. 2. II n'y avoit plus de fanatifme enFrance avant que la fecte des Phiïofophes modernes fut formée ; mais les Phiïofophes ont feint de croire qu'il exiftoit toujours, afin d'avoir un prétexte de déclamer avec violence fur un fujet fi intérelfant. En fuppofant, ce qui n'eft pas, que le fanatifme eüt encore alors produit des troubles & des crimes, pouvoit-on le combattre plus fürement qu'en lui oppofant les maximes de 1'Evangile? Falloit-il, pour anéantir le fanatifme , rifquer de corrompre les mceurs, óter aux méchants un frein redoutable, ravir aux infortunés une unique confolation, & priver la vertu d'une fublime efpérance? falloit-il enfin écrire & répéter avec tant d'acharnement : 11 ffy a point de Religion, il n'y a point de Dieu; quand on pouvoit dire : La Religion réprouve, abhorre vos fureurs, vous outragez le Dieu de paix que vous croyez honorer; li fez 1'Evangile, n'en croyez que ce livre divin, facré dépofitaire de Vèternelle vérité? Qu'ont dit les Phiïofophes fUr les droits de 1'humanité, fur la tolé-  19* Du Fanatifme rance, 1'indulgence fraternelle, que 1'Evangile ne dife avec plus de force & d'éncrgie? Ils ont exhorté les hommes è s'aimer, ii vivre en paix, &'l'Evangile le commande. Les Phiïofophes ont-ils penfé que leurs exhortations auroient plus de poids que les ordres de Dieu? S'ils étoient guidés par Pintérêt public, n'ont ils pas agi contre leur véritable but? & peut-on concevoir une conduite fi inconféquente, ft abfurde, unie a un orgueil fi extravagant? Mais non, 1'amour de 1'humanité, indépendamment jnême de la foi, n'eüt jamais infpiré de femblables profets. Ce fentiment doux & pur eüt fait lëntir toute 1'utilité d'une Religion quiprofcrit toutes les vertus, & qui nous ordonne fi formellement de pardonner, de fupporter les foibleffes, les erreurs de ceux qui s'égarent, den'employer pour les ramener que la douceur, la patience & Ia raifon; de faire du bien a tout le monde, mêmea ceux qui ne font pas entrès par la foi dans la maifon du Seigneur; de prier pour nos ennemis, de leur rendre le bien pour le mal, &c. La voila, cependant cette Religion que les Phiïofophes ont voulu détruire! Et pour parvenir a ce but, quels artifices n'ont-ils pas mis en ufage! entr'autres celui d'attribuer au fanatü'me une infinité de crimes qui n'ont été produits que par I'ambition; comme par exemple, Ia naiffance de Ia Ligue, & le meurtre parricide de Charles I. Mais quand il feroit vrai que le fanatifme eüt  Rcligieux, &c. 193 eüt fait commettre tous les forfaits que lui attribuent les Phiïofophes, qu'en pourroiton conclure de contraire a une Religion qui prononce les plus terribles anathêmes contre ces mêmes forfaits? les incrédules diront-ils que puifqu'une Religion fi bienfaifante peut infpirer de tels excès , les hommes feroient plus heureux fans culte & fans Religion ? Mais ces excès ne font que des maux rares & palfagers, la Religion ne fut prefque toujours que le prétexte de ces fureurs infenfées; ce font les feules paffions humaines, 1'ambition , la haine, Ja vengeance, qui ont eufanté le fanatifme. Hélas! de quoi les hommes, dans tous les temps, n'ont-ils pas abufé? il n'y a point de fentiment vertueux qui n'ait produit des égarements ou des crimes. Paree que 1'amour de Ia patrie a fait commettre des parricides, foutienrira-t-on qu'il faudroit éteindre dans tous les cceurs ce noble fentiment? Non, fans doute, il faut feulement le régler. Les paffions & Pignorance forment Je fanatique; éclairezle , inftruifez-le, apprenez-lui les maximes de 1'Evangile, & il frémira lui-même de fa folie. II eft un autre fanatifme , auffi violent, &infiniment plus dangereux; c'eft le fanatifme philofophique. Comment ramener a la raifon une tête exaltée par tant d|écrits hardis , oü Pon érige en fages, en bienfaiteurs du genre humain , ceux qui bravent les Loix & les bienféances , & qui déclament avec le plus de violence  104 Du Fanatifme contre la Religion & 1'aatorité facrée des Rois ? Si ce fanatique Philofophe outrage les mceurs avec une effronterie cynique, s'il donue Pexemple de 1'impiété la plus audacieufe, s'il débite des maximes féditieufes, s'il ofe inviter les peuples ft renverfer tous les TrSnes, que lui dirai-je pour lui faire connoitre 1'énormité de ces excès? Oü trouverai-je un Code de Philofophie moderne, qui condamne tous ces emporteinents? Je le chercherois en vain ,-il n'exifte pas, Tandis qu'au contraire ce fanatique peut juftifier fes vices & fes fureurs, en me citant les plus impofantes autorités pour un Philofophe. Enfin, que lui répondrai-je, quand il ajoutera, d'après tous les Phiïofophes modernes : Je parle, il eft vrai, contre la Religion, le Gouvernement & les mceurs; mais je dis ce que je penfe? On doit dire Ia vérité ou ce qu'on croit être la vérité, même lorfqu'elle peut paroitre nuifible & funefte. —•Mais dans ce cas, fans trahir la vérité, on pourroit fe taire? — Non, je dois, je veux parler ; que dis-je paiier ! j'écrirai, je répandrai mes opinions dans tout l'univers, & je defire pafüonnément qu'elles puiflent paffer a la poftérité. —- Les Phiïofophes fe piquent de douter de tout; ainfi, vous n'avez aucune opinion ferme & décidée; il n'y a point de vérité conftante pour vous; pourquoi donc cette vairje fureur de faire des profélytes?—Je jloute, il eft vrai, de 1'exiftence de Dieu,  Rellgieux, &c. 195 de Pimmortalité de 1'ame; mais Jefuiscertain que toutes les Religions font faufies. Je voudrois qu'il n'en exift.lt aucune fur la terre, & que la Philofophie feule gouvernat les hommes. — Penfez-vous qu'il ne foit pas très-néceffaire a beaucoup de gens de ne douter ni de 1'exiftence de Dieu , ni de Pimmortalité de 1'ame ? — Cela peutCtre; mais j'en doute, & je le publierai. — Vous ne pouvez en être certain , & vous 1'avouez vous-même, il ne s'agit donc point de publier une vérité : pourquoi répandre un doute funefte qui peut défoler & pervertir tant de malheureux ? Je ne vous demande pas pourquoi vous fouhaitez qu'il n'y ait plus de Religion fur la terre; vous me 1'avez dit, c'eft afin que la Philofophie feule puiffe gouverner les hommes. — Sans doute, & je ne le defire que pour Pintérêt du genre humain; les hommes en feroient meilieurs, s'ils ne croyoient a rien, ou du moins s'ils croyoient que 1'Etre fuprême ne peut que récompenfer, & ne fauroit punir. —- Ils en feroient meilieurs!Je n'envoispaslapreuve dans la conduite & les mceurs de vos profélytes. — C'eft la Religion qui corrompt les mceurs. —Quoi! la Religion Chrétienne, 1'Evangile corrompt les mceurs ! —• O ui, la morale n'eft corrompue que par fon mélange avec la Religion je voudrois (a) VU de Af. Turgot, pag, 178.  j«p5 Du Fanatifme encore détruire, andantir toutes les Puiffances humaines , les Souverains, leurs Miniltres, les Grands; voila les objets de ma baine ! tous les hommes doivent être égaux : ils ont tous le droit de brifer les chaines qu'ils trouvent pefantes. — Qu'entends-je !Oferez-vous les publier, ces horribles maximes qui peuvent armer des mains parricides? — Oui, jel'oferai, oui, je m'écrierai:,, Peuples de la terre, vou„ Jezvous être heureux? DémolilTez tous les temples, & renverfcz tous les tró„ nes (a). C'eft la Philofophie qui doit tenir lieu de divinité fur la terre; elle „ feule éclaire & foulage les humains , ,, paree qu'elle leur fait connoitre & haïr „ la tyrannie & 1'impofture.... Fuyez, „ fuyez les temples, c'eft 1'impofture qui y parle; n'écoutez plus vos maitres : la flatterie, qui les a corrompus, les „ rend indignes de votre hommage : fubf„ tituez aux uns & aux autres 1'Ecrivain „ de génie; la nature 1'éiablit feul Prêtre ,, de la vérité; feul organe incorruptible de la morale. II eft le magiftrat né de „ fes concitoyens. La patrie eft fon tem„ ple, la nation fon tribunal, le public ,, fon juge, ik non le defpote qui nel'en,, tend pas, ou Ie Miniftre qui ne veut „ pas 1'écouter. Non , ce n'eft qu'aux fa„ ges de la terre qu'il appartient de faire (j) Révolution dt l'Amérique.  Reiïgïeux, &e. ifff „ des loix, & tous les peuples doivent „ s'empreiïer de leur obéir... Me fortu„ née de Ceylan ! tu étois digne de ia fé» „ licité qui a régné dans ton fein ; car tu „ affujettifl'ois ton Souverain a Pobferva„ tion de la loi, & tu le condamnois a „ la mort comme le plus oblcur des ré„ fraétaires s'il ofoit la violer.... Peu„ pies, ne connoltrez vous jamais vos „ prérogatives ? Et cet ufage fi ancien , fi „ vénérable ne devroit-il pas fubfifter dans toutes les contrées de la terre? Songez ,, donc que c'eft-la la bate de tout gou» s, vemement, oü Pon ne veut pas abrutir „ & dégrader les hommes, & que la loi „ n'eft rien fi ce n'eft pas un glaive qui „ fe promene indiftinétement fur toijtes „ les têtes, & qui abat tout ce qui s'é« ,, leve au deffus du plan borifontal, fur „ lequel il fe meut Vous donc qui ,, vous faires infolemment adorer duhaut „ de ces trónes qui n'en impofent qu'a. „ 1'ignorance, fiéaux du genre humain, ,, illuftrestyransdevosfemblables, hom„ mes qui n'en avez que le titre, Rois, „ Priuces , Monarques , Empereurs , ,, Chefs, Souverains; vous tous enfin, ,, qui, en vous élevant au-deffus de vos „ femblables, avez perdu les idéés d'é,, galité, d'équité, de fociabilité, de vé- (a) Hiftoire phi'ofophiqkt & politique de l'etaHijfemcnt des Europe'ens dans les deux Indes. I iij  jo1> Du Fanatifme „ rité, je vous aiTigne au tribunal de Ia „ raifon, écoutez : Si ce globe malheus, reux a été votre proie, ce n'eft point 9, ft la fageffe de vos prédécefiëurs , ni „ aux vertus des premiers humains, que 3, vous en êtes redevables; c'eft ft la ftupidité, ft la crainte, ft la barbarie , ft la 3, fuperftition , voilft vos titres!... Mais 3, ne vous prévalez pas de la longue im3, punité de vos crimes, ni du piofond „ filence oïi vous avez réduit toutes les 3, viétimes de votre intolérable orgueil. „ Ce filence eft le repos du défefpoir & a, le fignal terrible du foulevement uni3, verfel.... Tant de milliers d'hommes 3, dépouillés de tout par votre dureté , „ enhardis par le fentiment de la liberté , „ encouragés par le vrai droit naturel, „ dont la Philofophie leur expliquera les „ immuables principes, oferont enfin un „ jour réclamer hautement leurs droits... „ Ils ont des bras; s'ils ne peuvent s'en ,, fervir ft cultiver une portion de terre ,, en propriété, qu'ils s'en fervent ft pur„ ger cette même terre, des monftres qui „ la dévorent. Que rifquent-ils de mou3, rir ? Eh bien, il vaut mieux mourir que 9, de fervir de trophée ft des hommes ftu„ péfiés d'orgueil & pêtris de vices o). „ Les hommes ont banni laDivinité d'en„ tr'eux, ils l'ont réleguée dans un fanc* (). Fautil que les fages de la terre ayent fi long„ temps différé de faire retentir le cri de la vérité? Et que de Iftches ménage1 mentsleur ayent óté le courage d'éclai!' rer leurs freres ?.... Levez- vous donc ,• (a) Penfées philofophiques. Voila, dit 1'Auteur nes Lettres criüques, .» un moyen fingulier pour » former les hommes a virre en préfence de >. Dieu. Quoi ! paree qu'on éleve des temples » pour s'y réunir, s'y édifier, y OrTrir un culte n public , on penfera que Dieu n'exifte point » au-dela " r Mais, qui penfe cela? Ce n'eft affurément pas un Chrétien, qui prie dans fa maifon , ainfi qu'a 1'Eglife . & qui fait que Dieu le voit & le juge dans tous les moments de fa vie. (*) De l'Homme, de fes facultés & de fan education, I IV  -»©o Du Fanatifme „ Phiïofophes de toutes les nations..., „ Révélez tous les myfteres qui tiennenc „ lunivers a la chaine («). Couvrez de „ toute la honte qu'elle mérite cette Reli-» gion, ce mafque dont fe couvre 1'hy„ pocrite pour tromper ceux dont lacré„ duhté peut lui être utile O). Apprenez „ a^tous les peuples que Ie gouvernement „ n emprunte fon pouvoir que de la fo„ ciété, & que n'étant établi que pour „ Ion bien, il eft évident qu'elle peut ré„ voquer ce pouvoir quand fon intérêt „ lexige, changer laforme du gouverne„ ment, étendre ou limiter le pouvoir „ qu'elle confie a fes Chefs, fur lefquels „ elle conferve toujours une autorité fu„ prême (c). Dévoüez fur-tout k I'exé„ cration de toute la terre, ces frénéti„ ques qui vont verfer leur fang aux or„ dres de celui qui, pour de vils intéréts, „ conduit fes citoyens au carnage. 11 eft „ beau, difent ils, de mourir pour la pa„ tne! Mais eft-il rien de plus bas, de ï, p'us lns a détruire les temples & le culte, 4 maffacrer les Rois, les Souverains, & a ne fouffrir aucune autorité, exeepté celledes Phiïofophes! Je demande a toute peffonne impartiale, fi ce fanatifme horrible n'eft pas mille fois plus dangereux que le fanatirme infpiré par la Religion ? Le fanatifme philofophique n'eft que le réfultat des opinions hardies, répandues dans les ouvrages tes plus modérés des prétendiis Phiïofophes modernes : tandis que le fanatifme religieux, loin d'être une conféquence ou même une exagération des principes du Chriftianifme, offre la pluscomplette & la plus frappante oppofition avec les maximes de 1'Evangile. Le fanatifme philofophique eft, fi 1'on veut, un abus de la philofophie; le fanatifme religieux ne peut être un abus de Ia Religion: les plus nobles fentirnents du cceur humain n'ont produit que trop fouvent des égarements & des crimes, paree que tout excès eft (a) Micromi°as, Conté de M. de Voltaire. I v  202 Du Fanatifme effentiellement vicieux; mais 1'exeès de Ia véritable piété ne fauroit le devenir; Pexcès de Yhumilité , de la patience , dn dé* fwtéreffement, de 'la charité, 1'abnégation de foi même, Ie dégout.de tous les biens périflables, ne produiront jamais des révoltes, des meurtres & des parricides. L'Evangile prefcrit, non les vertus brilkntes qui peuvent dégénérer en vices maïs les vertus douces & bienfaifanr.es que 1'excès même rend plus touchantes & plus fublimes. Si des furieux ou des infenfés commettoient des violences pofitivement défendues par des loix claires & précifes, & que pour entrainer la multitude, ils prétendiffent obéir aux loix qui les condamnent formellement; faudroit-il ener au peuple féduit : Aboliflèz vos loix, celfez de refpeélerle Légiflateur, n'écoutez & ne croyez que nous, qui vous délendons ces violences? Ne feroit-il pas plus jufle & plus utile de dire : On vous trompe, confultez vos loix, elles vous prefenvent 1'humanité, la patience, Ia foumiffion, la fidélité pour vos maitres (V) • elles vous interdifent Ie zele perfécuteur & la vengeance ; fi, de notre propre autorité, nous vous exhortionsa la douceur (<0 Sans en excepter ceux même qui auroient Ie malheur d'errer dans Ia foi , puifque JefusChrift a dit, en parlant d'un Empereur Payen : Rtndei d Cé/ar ce qui appartient « Cé/ar,  Religieux, &c. 203 a 1'indulgence, vous pourriez dédaigner nos repréfentations : nous ne fommes que des hommes fujets comme vous a Terreur; mais vous devez croire le Légiflateur que vous révérez depuis fi long temps; inftruifez-vous donc de fes loix, &vousconnoitrez que loin de les fuivre , vous les violez toutes? II eft certain que Ie fanatique religieux n'eft qu'un infenfé, qui agit en aveugle, fans avoir 1'idée la plus fuperficielle de Ia Religion qu'il croit défendre; ou bien un hypocrite, qui fait d'un nom facré leprétexte de fes fureurs. Vous pouvez avec 1'Evangile éclairer 1'un , &confondre 1'autre. Mais avec quel livre de philofophie moderne détruirez-vous le fanatifme philofophique , puifque tous ces ouvrages contiennent les opinions hardies & les principes dont ce fanatifme terrible eft 1'affreux réfultat? Remarquons encore que le fanatifme de Religion n'a qu'un objet ou un feul prétexte, la Religion: parconféquent il ne fauroit produire des maux permanents. II ne peuttroubler 1'Etat que dans des temps d'héréfle & de difpute de controverfe , &même alors ladifcorde qu'il excite, ne fe répand point dans l'univers entier; il n'a ni 1'intention, ni le pouvoir redoutable de foulever tous les peuples a Ia fois. Il n'en eft pas ainfi du fanatifme philofophique, qui brave toutes les bienféances, qui offre 1'exemple de 1'audace la plus effrénée, qui déifie les auteurs des I vj  sc»4 Du Fanatifme Religieux, zie. ouvrages les plus licencieux, qui donne a ces corrupteurs des mceurs publique.s, les noms auguftesde bienfaiteurs du geni e humain !.... Traiter de préjugés la décence & la pudeur, flatter & favorifer toutes les paffions, vanter le luxe, infulter les Rois, leurs Miniftres & les Magiftrats, déclamer contre le Gouvernement, propofer aux Nations 1'abolition totale & du culte & des loix, exhortertous les peuples de Ia terre a la révolte, au parricide; tel eft le fanatifme philofophique. Ce n'eft lè ni un vice local & palfager, ni un mal produit par une caufe particuliere : c'eft un feu dévorant & deftructeur, qui peut embralër la terre entiere, & qui ne manquera jamais d'aliment, tant que les hommes aurontdu goüt pour la volupté & pour 1'indépendance. CHAPITRE XV. De la Tolêrance. Tolêrance étoit un des mots de ralliement du parti philofophique, Snvengeance implacable en fut toujours la maxime fondamentale. Prêcher 1'union fraternette, vanter 1'humanité, 1'indulgence, & fur-tout la liberté , en pourfuivant avec acharnement, avec fureur, ceux qu'on ne pouvoit alfiijettir, prétendre que 1'on fa-  De la Tolêrance. 205 crifie tout a 1'intérêt de Ia vérité; qu'on n'eft infpiré que par la vérité; qu'on n'écrit que pour rendre hommage a la vérité; & pendant quarante ou foixante ans, publier, imprimer, réimprimer, redire, répéter fans interruption, fans relache,une mukitude de fables, de menfonges & de -calomnies, enfin outrager laDivinité , infulter les Souverains, braver les loix, refter impunis, & criera laperfécution : telles font les inconféquences étranges que nous préfentent Ia doctrine, les mceurs & la conduite des prétendus Phiïofophes de ce fiecle. Les détracteurs de la Religion ont foutenu que les guerres religienfes n'ont été connues que parmi les Chrétiens. Cette affertion répétée dans tous leurs ouvrages , & particuliérement dans ceux de M. de Voltaire , eftd'autant plus extraordinaire , que 1'hiftoirc ancienne & moderne en démontrent évidemment la faufleté. La religion Mufulmane eft de toutes les religions celle qui a caufé le plus de guerres & de fanglants démêléspar les longues divifions des fectes Alide & Omniade, & Phiftoire prouve encore que les loix des Grecs & des Romains ont été décidément intolérantes fur le culte. Cependant M. de Voltaire a écrit : que de tous les anciens peuples , aucun n'a gêné la liberté de penfer; que, chez les Grecs, iln'y eut que le feul Socrate perfécuté pour fes opinions ; que les Romains permirent tous les cultes, cj?  zo6 De la Tolêrance. qu'ils regarderent la tolêrance comme la loi la plus facrée du droit des gens O). Je trouve dans le favant Auteur des Lettres de quelques Juifs, une excellente récapitulation des traits qui prouvent 1'iutolérance des Anciens : voici cet extrait rapide & détaillé. ,, L'intolérance étoit un principe de lé,, giliation, une maxime de politique re,, cue chez les peuples anciens, même „ les plus vantés. En effet, quand on voit „ Abraham perfécuté pour fa religion dans „ la Chaldée, & le célebre Zoroaftre, le „ fer&le feu a la main, perfécutant dans „ IeRoyaumede Touran ; quand on voit ,, les Hébreux n'ofer offrir des facrifices „ dans 1'Egypte de peur d'irriter le peu„ ple contre eux; les Perfes brifer les fta,, tues des Dieux de PEgypte & de la „ Grece, & les différents noms Egyp,, tiens; s'armer tantót contre leurs vain,, queurs, tantót les uns contre les autres „ pour défendre ou venger leurs Dieux; il nous femble qu'on peut bien ne les „ pas regarder comme indifférents fur le „ culte... Ne citons point ici les villes „ du Péloponefe & leur févérité contre „ Pathéifme, les Ephéfiens pourluivant „ Héraclite comme impie, les Grecs ar„ més les uns contre les autres par le „ zele de la Religion dans la guerre des O) Traité de la Tolêrance , article : Si lts Romains ont été tolérants^  De la Tulérance. 207 ,, Amphiftions. Ne parions ni des affreu,, fes cruautés que trois fucceffeurs d'A,, lexandre exercerent contre les Juifs pour „ les forcer d'abandonner leur culte, ni d'Antiochus, chalfant les Phiïofophes „ de fes Etats, ni d'Epicuriens bannis „ de plufieurs villes Grecques , paree ,, qu'ils corrompoient les mceurs des ci„ toyens par leurs maximes, & par leurs ,, exemples. Ne cherchons point des preu- ves d'intolérance fi loin : Athenes.Ia „ polie & favante Athenes nous en four,, nira affez de preuves. Tout citoyen y „ faifoit un ferment public &folemnel de ,, fe conformer ft la religion du pays & de „ la défendre. Une loi exprelfe y punif,, foit févérement tout difcours contre les „ Dieux, & un rigoureux décret ordon,, noit de dénoncer quiconqueoferoit nier „ leur exiftence. La pratique y répondoit „ ft la févérité de la légiflation. Les pro,, cédures commencées contre Protagore, „ la tête de Diagore mife ft prix, le dan,, gerd'Alcibiade, Ariftote obligé defuir, „ Stilpon banni , Anaxagore échappant ,, avec peine a Ia mort, Phryné accufée, „ Afpafie ne devant fon falut qu'a Pélo„ quence & aux larmes de Périclès; Pé,, riciès lui-même après tant de fervices ,, rendus ft la patrie & tant de gloire ac„ quife, contraint de paroitre devant les ,, tribunaux, & de s'y défendre (a~); des (1) Périclès, difciple & ami d'Anaxagore,  2q8 De la Tolêrance. Poëtes, même de tbé&tre en péril, mal- gré la pallion, des Atbéniens pour ces ,, fpeétacles; le peuple murmurant con,, tre Pun, & fa piece interrompue jufs, qu'a ce qu'il fe füt juftifié; 1'autre ju,, gé, trainé au fupplice &près d'être la- pidé, lorfqu'il fut heureufement déli,, vré par fon frere (V) ; tous ces Philo„ fophes, ces femmes célebres par leur „ efprit & par leurs charmes, ces Poëtes, „ ces hommes d'Etat pourfuivis juridique- ment pour avoir écrit ou parlé contre „ les Dieux; une Prêtreffe exécutée pour -, en avoir introduit d'étrangers ; Socrate „ condamné & buvant la ciguë, &c. Ce „ font des faits qui annoncent affez que „ la faveur, la dignité, le mérite, les ta„ lents même les plus applaudis, n'y fu- rent pas pour 1'irréligion un abri für & „ tranquille... Les loix de Rome n'étoient „ ni moins expreffes , ni moins féveres... „ On n'adorerapoint de Dieux étrangers, „ dilënt-elles, formellement... L'intolé„ rance des cultes étrangers chez les Ro- «levint fufpeft d'athéifme , pour avoir pris !a défenfe de ce Philofophe. Note de VAuteur des Lettres. (a) C'eft Efchyle. Son frere le fauva en fe dépouillant le bras, & montrant, avec larmes, aux Athéniens, qu'il avoit perdu la main en eorabattant pour eux. L'autre Poëte eft Euripide; tous deux accufés d'avoir parlé des Dieux avec irrévérence, Notc de 1'Auteur des Lettres,  De la Tolêrance. 209 mains, remontoit aux loix des douze „ Tables, & même a celles des Rois. Suivez Phiftoire de ce peuple fameux, vous „ y verrez les mêmes défenfes portées par „ le Sénat, 1'an de f. 325, & les Ediles „ chargés de veiller a leurexécution, 1'an „ 529; les Ediles vivement réprimandés ,, pour avoir négligé d'y teuir la main, & ,, des Magiltrats lupérieurs nomrnés pour les faire obferver plus fürement. Vous „ y verrez le culte de Sérapis «S: d'Ifis, ,, interdit, & les oratoires de ces nouvelles ,, Divinités démolis par les Confuls 1'an „ 536 : des décrets des Pontifes & des féna„ tus-confultes fans nombre contre les Re,, ligions étrangeres, citées au Sénat 1'an „ 565, & un nouveau culte profcrit Pan „ 623. Cette intolérance ne difcontinua „ point fous les Empereurs : témoins les „ confeils^de Mécene a Augufte («), noll- C^i) Les confeils de Me'ccne a Augufte. Voyez Dion Cafïïus , Lib. XLII. .» Nous croyons , dit » l'Auttur des Lettres de quelques Juifs , de» voir rapporter ici en entier le paffage de » cette hiftoire; nous le traduirons littérale» ment d'après le texte Grec. Honorez vous» même, dit Mécene a Augufte, honorez foi» gneufement les Dieux , felon les ufages de » nos peres, & forcez les autres de les hono» rer. Haïffez ceux qui innovent dans la Reli11 gion , & puniffez-Ies, non-feulement a caufe >t des Dieux (qui les méprife ne refpefte rien), » mais paree que ceux qui introduifent des  üio De la Tolêrance. „ feulement contre les Athées & les ïm„ pies, mais contre ceux qui introdui„ foient ou honoroient dans Rome d'au„ tres Dieux que ceux de 1'Empire; té„ moins les fuperllitionsEgyptiennes pro- fcrites....- les Dieux étrangers que le „ relAchement de la difcipline avöit in5, troduits, chaffés fousClaude, les Juifs „ bannis pour leur religion fous Tibere; „ mais témoins fur-fout les Chréiens „ exilés, déponillés de leurs biens, & li„ vrés fi long-temps & en fi grand nom,, bre aux plus cïuels fuppüces unique- ment pour leur Religion , fous les Né„ ron, les Domitien ,"les Maximien, les Dfoclétien, &c. & même fous les Em„ pereurs Tes plus humains, fous Trajan , „ fous Marc-Aurele , &c< Les Loix mê„ mes que les Phiïofophes d'Athenes & de Rome écrivirent pour des Républi„ ques imaginaires font intolérantes: Pla,, ton ne laiffe pas aux citoyens la liberté „ du culte, & Cicéron leur défend ex„ prefiément d'avoir d'autres Dieux que j, ceux de 1'Etat ". Vous voyez, Monseigneur, ü/es » Dieux nouveaux, engagent plufieurs perfon» nes a fuivre des loix étrangeres, & que de>t la naiffent des unions par ferment, des ligues, » des aflbciations , toutes chofes dangereufes » dans la Monarchie. Ne fouffrez point les » Athées , &C. " Nou de 1'Auteur des Lettres.  De la Tolêrance. ftit anciens peuples n'ont jamais gêné la li* berté de pen/er; fi chez les Grecs Soera'.e fut feul perfécutê; fi les Romains permtrent tous les cultes, & regarderent la tolêrance comme un droit facré, &c. Concoit-on que 1'on puifle faire imprimer avec cette conflance des menfonges fi groffiers, & dont la réfutation étoit ü facile a faire? C'eft ainfi que M. de Voltaire a écrit dans tous les genres. C'eft encore lui qui en parlant du fanatifme dans Fhiffoire du fiecle de Louis XIV , dit : Cette fureur fut inconnue au paganifme; il couvrit la terre de tènebres; mais il ne l'arrofa guere que du fang des animaux. Et le fang de tant de viétimes humaines immolées en 1'honneur des faux Dieux ; & cette multitude de captifs que la fuperftition égorgoit fur des tombeaux; & ces fuicides ü fréquents, fi nombreux, autorifés & confacrés par la Religion des Payens : tous ces faits & ceux que j'ai déja cités, pouvoient-ils être inconnus a M. de Voltaire? II n'ignoroit même pas que fon héros, ce Prince fi Philofophe qu'il a tant vanté, Julien 1'Apoftat, égaré, aviK par une horrible fuperftition, fouilla dans ïe fang humain fon bras viétorieux, en confultant 1'avenir dans des entrailles palpitantes!... „ Mais quelle fut 1'origine des perrécu,, tions contre les Chrétiens? Etoit-ce „ comme dans les guerres du feizieme „ fiecle, la cabale, la révolte, la politique, la faftion des Seigneurs puit-  -iia De Ja Tolêrance. „ fants? Non, les Chrétiens étoient foumis aux Emperenrs, ils remplilloient j, tous les devoirs de citoyens; la fuperfh'tion feule verfa leur fang, & leur s, fit fubir les plus affreux fupplices ; & „ cette cruelle perfécution qui dura trois fiecles, ne put jamais les forcer a la ,, révolre, Iors même qu'ils auroient pu „ troubler & renverfer 1'Empire (» " : Et cette fureur, dit M. de Voltaire, fut inconnue aupaganifme! Quelle confiance peut infpirer un Ecrivain qui montre une telle partialité? L'excès de fon inconféquence n'eft pas moins étrange. Le zele pour la Religion, même le plus modéré, lui paroit abfurde & cruel, & cependant il déifie les Princes Payens; il les appelle des fages, des bienfaheurs adorabtes ; & ces mêmes Princes, Mare-Aurele, Trajan, Adrien, ont joint aux fuperfiitions les plus extravagante? un efprit de perfécution qui a fait conler des fiots de fang. Ils ont ordonné Ie maffacre d'une multitude de Chrétiens. Ainfi les fanatiques Payens pouvoient être aux yeux de M. de Voltaire, des bienfaiteurs de l'univers, des Princes adorabJes; & pour détefter véritablement les fureurs de ce genre, il falloit qu'il lespüt attribuer au ïanatifmedes Chrétiens. M. de Voltaire voulant établir une tolêrance univerfelle, afin de donner plus («) Lettret critiauts de M. 1'Abbé Gauchaf.  De la Tolêrance. 213 de poids a Tes opinions, n'a pas manqué de les attribuer jt plufieurs Phiïofophes refpectables, qui, loin de penter comme lui, avoient au contraire des principes abfolument oppofés, entr'autres le vertueux & célebre Locke, qui a écrit des lettres fur la tolêrance. Mais comme le remarque judicieulëment un des Auteurs que je viens de citer, on fait que la tolêrance de Locke ,, n'eft point une tolé„ rance illimitée; il en exclut nommé„ ment les Athées, les Matérialiftes, les ,, Déiftes, &c. II n'auroit donc tolèré ni „ les écrits oü ces dangereux fyltêmes „ font établis, ni leurs Auteurs (0)". M. de Voltaire & tous les autres détracfeurs de la Religion ont répété mille fois que le Chriftianifme ordonue d'exterminer les hérétiques, de les livrer aux fupplices , aux tortures, pour les faire changer d'opinion , &c. Ces imputations font extravagantes : il eft impollible de citer, je ne dis pas un pafiage de 1'Evangile, mais un Concile, une formule de foi, ou un Pere de 1'Eglilë, qui ait autorifé ces horribles maximes. D'ailieurs, comme le remarque M. 1'Abbé Gauchar, „ 1'Eglife ne pourroit employer des pei„ nes temporelies, puifqu'elles ne dépen„ dent point de fa jurifdiétion.... Pour „ rendre 1'Inquifition plus odieufe , on „ fuppofe qu'elie punit tous ceux qui («) Lettres de auelques Juifs,  ai4 De Ia Tolêrance, „ fuivent 1'erreur qu'ils ont fucée dès leur enfance. Rien de fi faux, elle ne punit ' point les Infideles & les Hérétiques nés dans 1'erreurs; fa rigueur ne s'étend „ que fur ceux qui, ayant embraffé libre- ment la foi, 1'outragent & y renoncent. C'eft la (èule apoftafie qu'elle punit... Les Prêtres font juges de ce tribunal „ pour décider fi les coupables font con„ vaincus d'iinpiété; ils s'en tiennent i „ cet examen , & jamais ils ne foufcri- vent aux arrêts qui ne font portés que par des Juges laïques, dont toute 1'au„ torité émane du Souverain ". Je ne prétends fürement pas faire une apologie de Plnquifirion; je trouve même que M. de Voltaire & fes copiftes en difant qu'elle prononce & qu'elle ftgne des arrêts de mort, ont fait un menfonge maladroit : car 1'exaéte vérité rend , fur ce point, ce tribunal encore plus odieux. Pourquoi ne prononce-til pas 1'arrêt de mort? C'eft que 1'Evangile réprouve trop formellement ce zele fanguinaire. Mais 1'Inquilition fait bien que telle formule de jugement fera condamner le coupable a la mort. Ainfi elle feint de refpeft?r les loix facrées de 1'Evangile, & elle les outrage & les enfreint en paroilfant s'y foumettre & les fuivre. Elle joint alors 1'hypocnfie & 1'inhumanité. Celui qui viole ouvertement une loi, peut être moins coupable que celui qui cherche a 1'éluder; il eft^poffible que le crime du premier foit 1 effet  De la Tolérante. 415 de 1'ignorance, mais il eft évident que le fecond agit contre le témoignage de fa confcience & de fes lumieres. A 1'égard de cette imputation que Plnquifition fait hrüler les Hérétiques & les lnfideles, elle elf a la fois faulfe & calomnieufe. L'Inquifition ne punit que 1'apoftafie, c'eft-adire, 1'impiété réunie au parjure; ce qui eft extrömement différent. De tous les égarements de Pefprit humain, le plus inconcevable fans doute eft ce zele fanguinaire qui croit honorer Dieu, en donnant la mort a celui qui 1'offenfe, Un ferviteur du Seigneur doit rcprendre avec douceur ceux qu't rèfiftent h la vérité , dans Fefpérance que Dieu, pour la leur faire connoitre, leur donner a un jour F efprit de pénitence. Seconde Ep, de St. Paul a Timothée. Abréger les jours de 1'Impie, c'eft lui oter les moyens de fe convertir., c'eft priver Dieu d'une ame que le temps auroir pu lui rendre. Vous voulez ramener cet homme a la foi : jl réfifte, il blafphême, & vous allez lui arracher la vie ! Eh quoi ! s'il meurt dans cet état, il eft a jamais réprouvé ! En lui donnantja mort, vous le plongez dans Penfer; vous le favez , vous le croyez fermement, & vous prouoncez cette fentence terrible ! Vous, foible mortel, vous condamnez un coupable votre frere, a des peines éternelles! Peut-etre n'eft-il encore qu'a la moitié de fa carrière; êtes-vous donc affuré que Ie temps, les rèflexions, la vieillefjë ne chan.  Zi6 Dt la Tolérattct. geront point fes fentirnents? Qu'il fe repente, dites-vous, je veuxbien qu'il vive encore huit jours, un raois; mais au bout de ce temps , qu'il fe rétraéte ou qu'il meure. Vous lui accordez un déJai de quelques jours, & Dieu lui en donne un de plufieurs années, d'un demi fiecle peutÊtre, & vous ofez préveuir les efrets de la miféricorde divine! Je ne fais fi 1'on pourroit trouver dans 1'Evangile une approbation indirecte ou tacite des peines de mort impofées aux coupables qui violent les loix; mais on y chercheroit en vain un feul mot qui püt autorifer un Cbrétieri a pourfiiivre la condamnation & la mort d'un Infidele ou d'un Impie; &, au contraire, j'y vois a chaque ligne 1'ordre pofitif de fupporter, de tolérer ceux qui s'égarent, & de ne chercher a Ks ramener que par Ia patience, 1'indulgence & la douceur. Les Saints & les vrais Chrétiens ont toujours fuivi ces maximes. St. Ambroife refufoit de communiquer avec ceux qui pourfuivoient la mort des Hérétiques. St. Auguftin , animé du même efprit de tolêrance , en travaillant a Ia réunion des Donatiftes , ne faifoit point de difficulté de leur écrire, & même de conférer avec eux (a). Nous voulons, écrivoit le Pape Sr. («) Hiftoirt Etclijiajlique de M, de Fleury, tom. IV & V.  De la Tolêrance. t>y St. Grégoire a 1'Evêque de Terracine", qui avoit chaffé des Juifs d'un lieu oü ils s'affembloient, nous voulons „ que vous „ faffiez ceffer ces plaintes^ car c'eft par „ la douceur, la bonté, les exhortations 5, qu'il faut appelier les Infideles a la Religion Chrétienne , & non par les me- „ naces & la terreur II ne faut pas „ les amener malgré eux, puifqu'il eft „ écrit : Je vous offrirai un facrifice vo„ lontaire O) ". Tout le monde connoit 1'hiftoire du célebre Las-Cafas, Evêque de Chioppa. Ce vertueux Religieux fut pendant quarante ans, le prote&eur des Indiens : durant ce longefpace de temps , fa tolêrance & fon hutnanité ne fe démentirent jamais , & tel eft le véritable efprit du Chriftianifme (4). Je crois avoir prouvé que , fur-tout póur l'homme qui croit a fa Religion, il n'y a certainement pas d'aclion plus inhumaine que celle d'ó. ter Ia vie au malheureux qui perfifte dans fon erreur : ainfi ce zele affreux, égalementréprouvé par l'Evangi!e& parlaNature, eft auili barbare qu'il eft abfurde. La tolérance chrétienne prefcrit encore de ne jamais juger en mal fur des apparences ou des délations, de ne point chercher a pénétrer dans le fond des confciences, & de ne peifécuter perfonne de quelque maniere que ce puiffe être pour fa croyance (.<•) Hifioiti EccUfiafiique, tom. VIII. K  21* De la Tolêrance. particuliere : elle empêche par conféquent de trouver de 1'impiété dans un ouvrage oü la Religion n'eft pas direétement & formeliement attaquée; & elle niet 41'abri de toute recherche les auteurs anonymes des plus méprifables produélions. Mais les prétendus Phiïofophes ne fe contentoient pas de cette tolêrance, & il fera utile, Monseigneur, de vous donner une définition claire & préeife de celle qu'ils ' vouloient établir. Une des maximes qu'ils ont débitées avec le plus de iuccès, eft celle-ci : que perfonne n'a le droit de gevier la übertè de penfer. C'eft une vérité triviale, 4 la prendre littéralement, & alfurément inconteftable ; tout le monde en a été frappé, on n'a pas réfléchi au véritable fens que les Phiïofophes y attachoienr, & on a répété avec indignation qu'il étoit abfurde, qu'il étoit affreux devouloir gêner la iiberté de penfer. Mais voici ce que lignifioit cette lëntence philofophique ■.perfonne n'a le droit de gêner la Iiberté de parler & d'écrire, c'eft-4-dire, que chaque homme a non-feulement le droit dans les affemblées publiques, dans les promenades, dansles cafés, &c. d'attaquer & d'outrager par fes difcours la Religion ,1e Gouvernement & les mceurs, mais qu il pent encore répandre ces funeftes opinions & des déclamations féditieufes dans toute 1'Europe, & même les tranlmettre 4 la poftérité, en les faifant impnmer publiquement. Tel étoit le fentiment de tous  De Ja Tolêrance. 21^ les prétendus Phiïofophes que j'ai cités. 'Un Ecrivain anonyme , partifan fecret de cette fauffe philofophie., vient de foutenir encore cette opinion. II veut qu'on puifle imprimer tout fans exception; il ajoute que c'eft un droit facré («). Le même Auteur dit encore -: que la Religion ne doit pas plus être fob jet des loix, que la maniere de s'habiller & de fe nourrir. II y a, comme on voit, de Pobfcurité dans cette phrafe, & tel eft toujours le ftyle de 1'Auteur; il explique enfuite cette penfée 11 mal exprimée, d'une maniere fort diffufe , mais très-expreffe, en ajoutant qu'aucun crime contre Ja Religion ne doit être puni. Eh quoi! fi le crime eft avéré fcandaleux, éclatant, la feule politique ne doit-elle pas le punir? Outrager ouvertement & publiquement la Religion de fon pays., n'eft-ce pas braver les loix & 1'autorité fouveraine? Et ne doit-onpas du moins traiter comme un infenfé , celui que Pon ne veut pas punir comme un criminel! Mais revenons a la tolêrance philofophique; voici les vceux qu'elle forme depuis quarante ans. Que Pon puiffe en toute Iiberté prêcher 1'athéifme & le matérialifme, calomnier les Miniftres de 1'Egiife, tourner en ridicule & le culte & les cérémonies les plus facrées; que Pon ait Ja pleine Iiberté de faire imprimer publiquement les (") VU di M, Turgot, pag. 260. K ij  »20 De la. Tolêrance. ouvrages les pluslicencieux, &celled'attaquer dans fes écrits les particuliers, les gens en place; enfin , de figner fans crainte des libelles diffamoires; qu'il foit permis de fronder le Gouvernement, de décréditer dans 1'efprit des peuples desopérations dont fouvent la confiance publique peut feule aflurer le fuccès; que 1'on puiffeentreprendre de prouver que toute notre adminiflration & nos loix font abfurdes; que depuis le commencement de la Monarchie jufqu'a nos jours, tous les Rois, tous les Miniftres, tous les Magiftrats dont nous avons admiré les talents & le génie, n'avoient cependant aucune idéé faine fur la politique & la légiflation r»; en un mot, que rien n'empèche d'inviter, d'exciter les peuples a la révolte, de leur faireméprifer les loix & leurs maitres, & de les exhorter k fecouer le joug. Telles font les idéés & les principes répandus dans une multitude d'ouvrages philofophiques, imprimés fans approbation; voila ce que la philofophie defire que 1'on puilTe publier ouvertement! Les Ecrivains dépravés ou dépourvus de talents ne fe laffent point de répéter que la Cour & les Prêtresfont deux barrières infurmontables qui arrêtent O) Voila ce qu'on a milte fois entrepris de prouver dans des écrits clandeftins, & particuliérement dans celui qui a pour titre : Vit de M. Turjot.  Dc la Tolêrance. 221 les dêcouvertes que pourroient produire l'étude cjf la mèditation, cjfc. («)• Les Auteurs immortels du fiecle de Louis XIV, n'ont jamais fait de pïaintes femblables; ils refpeétoient fans effort ce que tout citoyen vertueux doit révérer; & pour acquérir une renommée éclatante & durable, ils n'avoient befoin ni de ménager le vice & d'autorifer les paffions , ni d'attaquer la Religion & de renverfer tous les principes de la morale. CHAPITRE XVI. Menfonges, contradittions, mauvaife foi, inconféquence , &c. des détracleurs de la Religion. L'inconséquence & la contradiction font les plus ffires marqués de Terreur ou de Timpofture, & il eft univerfellement reconnu que les ouvrages philofophiques de ce fiecle offrent a chaque page ces preuves évidentes de la fauffeté des principes qu'on y veut établir. Les Phiïofophes ont été trop fouvent convaincus de fe contredire les uns les autres, pour qu'il leur fut poffible de n'en pas (a) Lettres Juives. K iij.  '222 Menfonges, convenir; mais voulant tirer parti de cet inconvénient de leur doctrine, ils ontprétendu que ces contradiétions prouvoient du moins qu'ils ne formoient point une fecle particuliere dans 1'Etat. ,, Si nous ,, étions réunis, difoient-ils, par une af„ fociation fecrete , nous ferions tous „ d'accord, nous n'aurions qu'un fyftê,, me ". Non, cette harmonie ne peut exifter qu'entre ceux qui foutiennent la caufe de la vérité. Les Phiïofophes vertueux qui firent des maximes de 1'Evangile la bafe de leurmorale, Fénelon, Nicüe, Pafcal, Abadie, Maffillon , Addiffon, Clarcke, Puchardfon, &c. ne formerent. point de fefte : nés dans des pay_s, ou des temps différents, ils ne purentfe communiquerleurs idéés; cependant ils s'ac> cordent entre eux : leur morale pure & fublime eft fondée fur les mêmes principes , elle n'offre jamais d'inconféquences '& de contradiétions. Les prétendns Phiïofophes modernes ne pouvoient ni s'en ten dre ni travailler de concert; oü Ia vérité manque, on ne trouvera jamais 1'ordre, 1'harmonie, la régularité &l'unité de plan. Des talents brillants , de grands fuccès, de la fortune & 1'efprit de cabale & d'intrigue atfuroient ft M. de Voltaire une autorité & une réputationéblouiffantes ; fon irréligion ne révoltoit malheureufement qu'une très-petite partie du public, &lui ohtenoit le fuffrage d'une claffe infiniment plus nombreufe. Sa mosale Epicurienne:  Contradictions, &c. 223 charmoit les gens du monde; cet orgueil & cette humeur vindicative qui le portoient a déchirer fans ménagemenr, a calomnier fans fcrupule les objets de fa haine, cette multitude de libelles atroces qui font fortis de fa plunje, le rendoient redoutable a fes adverfaires, & devoientinfpirer la crainte de s'attirer fon inimitié. Sa foupleffe avec fes partifans, les flatteries, les louanges qu'il leur prodiguoit, 1'art de faire valoir les talents qui ne pouvoient lui caufer d'ombrage, tous ces petits artifices employés avec adrefle & perfévéra 'ce pendant plus de cinquante ans , lui forrnerent infenfiblement un corps nombreux d'admirateurs & d'enthoufiaftes , dontil fut lechefadoré pendant un demifiecle, & qui perdit a fa mort le crédit, le pouvoir & jufqu'au nom de fe&e,que. le public lui avoit donné. Ainfi les foibleffes, les écarts, les emportements de M. de Voltaire, loin d'altérer 1'éclat de fa réputation, n'ont fervi qu'a la rendre plus brillante. II a fait des ouvrages qu'admireront toujours les ames fenfibles & les efprits juffes; il en a fait beaucoup d'autres indignes de lui, mais dont la licence & même la groffiéreté lui obtinrent les applaudiffements de tous les gens fans principes, qui ont appellé quelques-unes de ces abominables produclions les chefs-d'ceuvres de leur Auteur, comme s'il ne fallort pas mille fois plus de talents pour faire une tragédie telle qu'Alzire, ou même un K iv  ta4 Menfonges■, chant de la Henriade, que pour compó* fer des ouvrages oü 1'on fe permet en tout genre les écarts d'imagination les plus monftrueux. Si M. de Voltaire n'eüt donné au public ni fes libelles contre fes ennemis , ni cette multitude de volumes remplis d'impiétés, & qui blelfent également la raifon, le bon goüt & la décence, il feroit certainement beauconp plus grand aux yeux de Péquitable poftérité; mais il eüt fait moins de bruit pendant fa vie. Zapata, le Fieillard du Caucafe, VA B C, le Dicïionnaire philofophique, Lettres d'Amabed, les Colimagons du frere VEfcarhoutier, &c. tyc. & tant d'autres produclions dé ce genre, aufG mauvailës que licencieufes, font déja profondément oubliées;. mais lorfqu'elles parurent, elles trouverent des approbateurs. Les partifans de M. de Voltaire s'écrioient, en vantant ces platitudes, que 1'Auteur avoit unegaïeté inépuifnhle; & malgré l'ennuyeufe&conftante répétition des mêmes idees,, malgré la gn.ffiéreté des expreffions& des. injures, la multitude répétoit les éloges prodigués par Ia cabale, tandis que les gens fenl'és & de bon goüt, toujours en trés-petit nombre, s'affligeoient de voir Tin grand homme employer ces baffes bouffonneries, & par de tels écrits dégrader a la fois fes talents & fon caractere. Concoit-on en effet que M. de Voltaire , en parlant de fes enuerais ,,fe foit per-  Cufitradictions, cjfc. 22$ mis a chaque page de prodiguer les dpithetes de gueux, c\'infe£tes, de canaille, de cuiftre; qu'il ait appeiié M. de Pompignan unfot, &J. J. Rouffeau , ar» poli fon, fans parler des calomnies extravaganties dont il a voulu les noircir? Congoit-on qu'il ait pu s'abaiffer mille fois a reprocher a quelques-uns de fes adverfaires, qu'ils mouroient defaim dans desgreniers? Eft-il digne d'un Philofophe de s'enorgueillir de fes richeffes, & de montrer, pour le manque de fortune, le mépris qui n'eft dü qu'au vice? De tels reproches ne peuvent humilier celui qui les recoit, & n'aviliffent que 1'Ecrivain qui réunita tant d'infolence une inhumanité & une haffelle fi révoltantes. Si M. de Voltaire eüt joint a fa fortune, 1'avantage d'une naifl'ance diftinguée , que n'eüt-il pas dit a ceux de fes ennemis qui n'auroient pu fairepreuve de noblefe? Ces petiteffes & ces préjugés peuvent s'allier, comme 1'on voit, a la philofophie; mais la religion & ia raifon les réprouvent également. Les plaifanteries qui fe trouvent dans ces mêmes ouvrages n'auroient pas paru fupportables fans le nom impofant de leur Auteur. M. de Voltaire ditlui-même, qu'il n'y a point d'mivrage qui pmffe plaire aux hounêtes gens lorfque les bienfèances y font mèpvifées : combien de fois, & dans combien de volumes, n'a -1 - il- pas violé ce précepte («).. (■«) Comme, par esemple, lorfqu'il dit ca K v  ci6 *> MetiJonges\ La fe&e formée par M. de Voltaire if ayant point de principes affurés , ne pouvoit avoir de plan; mais elle avoit un but, celui de dominer, d'entralner&derégner fur les efprits , & les moyens imagi. nés pour y parvenir furent certainement ■ -très-adroits & très-bien concertés. Cóm- parlant d'Ezéchiel, que ce Prophete mangeoit des excréments humains, (ce que M. de Vol•.taire exprime fans-périphrafe , 8c par un mot fi groffier, qu'on ne peut le rapporter ici), & 'lorfqu'il ajoute que le Prophete étcndoit fur fon pain de telles confitures , & , qu'enfin , quiconqut aimi les prophéties d'Ezéchiel, mérite de. déjeuner avec lui : je crois , en effet, qu'il y a peu d'honnétes gens auxquels ce genre de plaifanterie puijfe plaire j fur-tout lorfqu'ón fait que ces plates & dégoütantes railleries font les fruits de 1'ignorance ou de Ia mauvaife foi. Ge que M. de Voltaire rapporte comme une aftion réelle, ne fe paffa qu'en vifion , & les mots Hébreux qu'il rend par: Couvrir fon pain d'excréments , ne fignifient, q.uc cuire fon pain fous des excréments dejféchés, auxquels on mettoit le feu. La coutume, dit 1'Auteur des Lettres de quelques Juifs, d'employer a cet ufage les excréments des animaux, entr'autres,, des bceufs, des chameaux , &c. étoit » commune dans les pays pauvres de 1'Orienr-, st & les voyageurs nous apprennent qu'elle fe » conferve encore parmi les Arabes & en d'au» tres endroirs, &c. " Ainfi, 1'aftion & les détails, tout eft de i'invention de M. de Voltaire : & c'eft avec cette érudition , cette vérité , cette bonne foi, qu'il a plaifauté , critiquéa attaqué la Religjon, & écrit 1'hiuoire.  Contradictions, &c. i coeurs; « Qui, ïivrés au plaiftr & couchés fur dè&,fleurs, >> Sans fiel & fans fierté couliez dans la pareffe , » Vos inutiles jours filés par la molleffe'' ? K vj  -2$ Menfonges, Du reffe , on enróla indifféremment les Athées & les Déiftes j mais on défendit k ces derniers d'admettre des punitions dansune autre vie; on leur ordonna de foutenir que 1'ame immortelle ne peut être que récompenfée, & que 1'Etre fuprême réferve aux fcélérats même une étemelle félicité. Comme on ne vouloit que plaire &féduire pour entraïner la multitude, il étoit bien nécelfaire d'établir fortement une croyance fi favorable k toutes les paffions humaines; auffi ce dogme philofophique fut-il regardé comme le plus important de tous^ & quiconque auroit ofé le nier, même en rejettant la révélation, eüt été exclu du parti; on auroit prononcé contre lui ce terrible anathême : il n'eft point Philofophe, Et par le même principe, on ftatua de plus que ceux qui refuferoient d'entrer dans ralfociation, quoique d'ailleurs traités en ennemis, feroient cependant réputésPA/hfophes , s'ils déclaroient ne pas croire aux punitions après cette vie {» Enfin y Combien d'autres principes, auffi dangereiix , ne pourroit - on pas relever dans ce même Boëme ! (a) C'eft ce qui eft arrivé a J. J. Rouffeau ,. qui ne voulut étre d'aucun parti; il fut haï & perfécuté •,, mais il nia les chatiments éternels, & perfonne- ne lui refufa le titre de Philofophe; quoiqu'aucun homme n'ait dit plus de mal de la philofophie, & n'ait parlé avec plus de mcgns des EhiloCophes modernes.  €ontradictions, &c. 22(jj on convint encore de fe louer réciproquement dans !es affemblées publiques, dans les petits cercles, dans les brochures, dans les in-folio, & de ne dédaigner aucun des» moyens qui pourroient augmenter le crédit & la réputation de la feéte.. II eft difficile, en intriguant, en cabalant, & en voulant écrire dans tous les genres, & fur toutes fortes de fujets, de ne pas toraber dans des méprifes qu'une étude aflidue, une longue méditation & une véritable érudirion peuvent feules faireéviter. Mais les Phiïofophes du parti comptoient fur la légéreté du public, qui n'approfondit rien , & ne manque jamais d'adopter les erreurs & les fauffes opinions, lorfqu'elles font prélëntées d'une maniere féduifante. D'ailleurs, il faut des talents pour féduire, il ne faut que de la raifonpour convaincre; le defir d'amufer & de plaire 1'emportoit fur celui de perfuader». M. de Voltaire difoit : 'Je veux bien qu'on ne me croie pas:, pourvu qu'on me life. Auffi dans tous fes écrits, s'eft-il joué de la vérité avec autant d'audace que de fuccès. II n'étoit point favant, & il eut la foibleffe de vouloir en impofer rt cet égard , & de faire des citations Hébrarques &Grecques , quoiqu'il ne fftt pas un mot de ces deux langues, comme il a été forcé de 1'avouer lui - même dans fes réponfes aux réfutations- de fes ouvrages* 1 n'avoit aucune connoiflance des arts ^ & II en a parlé lans difcernement & même fans goüt, par-  • ajo Menfongef, ticuliérement de la peinture & de la mufique. Lorfqu'il a prétendu attaqaer la Religion par les fciences, il n'a dit que des abfurdités , & démontrées telles par les eritiq-ues des Phyficiens , des- Chymiftes, des Naturaliftes, des Aftronomes les plus éclairés de ce 'fiecle. Mais, qui a lu ces critiques? En général, ce ne font pas les gens du monde : peu de perfonnes, dans cette craffe, auroient pu les comprendre, ct prefque toutes ^s'accordoient % penfer qu'un homme tel que M. de Voltaire étoit incapable de parfer de chofes qu'il auroit ignorées, ou de citer des ouvrages qu'il n'avoit jamais lus. C'eft cependant ce qu'il * s'eft continuellement permis, durant tout le cours de fa longue &brillante carrière. On doit appuyer une telle accufation par des preuves : les donner toutes formeroient des volumes; je me bornerai a quelques cxemples frappants que- me fournira principalement 1'eflimable & véridique Auteur des1 LeUres de quelques Juifs. M. de Voltajre a écrit que toutes les recherches f ai■ tes fur les lieux par le favani Hyde, nous ' confirment que les traditions & les livres des Perfans dètruifent ce que les Ecritu•r'es nous apprennenlé d'Ahrahbm («) : cjf le favant Hyde penfoit-précifément le contraire^ il a écrit que ces traditions & ces livres ne font que le confirmer. M. de Vol¬ uit; D icHonnaire philofophique.  * Cbntrddiclions, &c. 23? faire, dans fa Philofophie de VHiftoirey eite plufieurs fois Phiftorien Jofeph; ilcite . même le livre, le chapitre, & pas un mot de ces citations ne fe trouvedans cet écri- . vain. Dans le Traité de la Tolêrance, * 1'Auteur prétend que Nabuchodonofor fut changé enbceuf.,, Helt bien dit dans PEcri„ ture que 1'efprit de ce Prince fut aliéné , „ qu'il erra plufieurs années dans les cam,, pagnes, & qu'ij vécut comme les bceufs „ de 1'herbe des champs; mais 1'Ecriture „ ne dit nulle part qu'il ait été métamor„ phofé en beeuf ". On lit dans le D'i&ionnaire Philofophique , que Bethzabée eut affez d'artifïcepour faire donner fhéritage au-fruit de fon adultere; & 1'Ecriture dit que le fruit de 1'adultere de Bethzabée mourut quelques jours après fa naiffance, & que ee fut Penfant qu'elle eut après celui-ci qui eut cet héritage. Dans un autre endroit, M. de Voltaire fait Bethzabée complice du meurt/re de fon mari, & 1'Ecriture ne dit rien qui puiffe feulement le faire foupeonner. JM. de Voltaire s'eft obfiiné a répéter que chez les Juifs on pouvoit êpoufer fa fceur («); tandis que les mariages entre frerê & fceur, même de pere, étoient exprelTément interdits aux Juifs , & que 1'Hiftoire de la nation Juive ne fournit aucun exem- (a) Dict. Phitcfop,, & Quejüons ency_clopcdiques, a«. Incefie,  232 Men fonger, ple d'une contravenrion faite a cette lof. Parmi les oifeaux de proie interdits aux juifs, M. de Voltaire nomme des animaux fantaftiques, les Ixlons & les Griffons(a), fable qu'il ïmagine pour tournër en ridicule les loix de Moïfe, qui ne parle en aucun endroit de ces prétendus oifeaux. Voici une calomnie plus étrange, qui fe trouvé dans Pouvrage intitu'é : Traité de la Tolêrance, & que 1'Auteur a répétée dans le DiEtionnaire Philofophique, dans les additions a FHijloire générale &c., c'eft que le peuple Juif étoit anthropophage. Ecoutons, fur cette étonnante découverte, Ie premierraifonnement de 1'Auteur. II y a eu des peuples antbropopbages, donc les Juifs le furent auffi..., pourquoi ne l'auroient-ils .pas été? C'eüt été la feule chofe qui eut manqué au peuple de Dieu, pour être le plus ahominable peuple de la terre. Je ne crois pas que jamais la haine ait fait raifonner d'une plus étrange maniere; cependant 1'Auteur fe doutant que ce raifonnement pourroit bien ne pas perfuader généralement , a fenti qu'il falloit Pappuyer de quelque preuve & n'en trouvant point, il en acompofé. Ezéchiel( ditil) promet aux Juifs, pour les encourager , ¥iiis mangeront de la chair humaine. raité de la Tolêrance. Le prophete Lzèchiel promet aux Hébreux, de la part dt (a) Traité de la Tolérante,  Centradictions , &c. 233 Dieu, que s'ils fe défndent bien contre Ve Hoi de Perfe, St auront a manger de la chair de cheval & de la chair de cavalier. Page 22 des additions a 1'Hiftoire générale, li faut bien que les Juifs , du temps d'Ezéchiei fuffent dans l'ujdge de manger de la ehdr humaine, puifqu'il leur prédit, chap. 29, que s'ils Je dèfendent bien contre le Roi de Perfe, ils mangeront non-J'eulement les chevuux, mais encore les cavaliers ci? les autres guei riers. Cela eft pofitif. Dietionnaire philofophique, art. Anthropophages. Rien en effet ne doit paroitre plus pofitif a un lecteur qui n'a jamais lu Ëzéchiel, & qui trouve dans les ouvrages d'un Ecrivain fi célebre un fait fi frappant, fi précis, & répété tant de fois. Comment imagiuer ou foupconner qu'un Auteur illudre, un grand homme, un Hiftorien, un Philofophe , ait été capable de faire une citation faulfe, qui renferme une in» culpation fi injurieufe, fi atroce, & d'attribuer s un Auteur un fens fout contraire au fien, non une fois en paffant, mais en vingt endroits ? Voici le paffage d'Ezéchiel : „ Dans ce jour , je rendrai célebre la „ vallée des voyageurs; j'en ferai Ie tom„ beau de Gog & 1'étonnement des paf„ fants; on y enlëvelira Gog avec toute ,, fon armée , & 011 1'appellera la valide „ de 1'armée de Gog.... Toi donc , fils „ de l'homme, écoute ce que t'ordonne le Seigneur. Dis aux bêtes fauvages,.  234 Blenfonges, „ aux oifeaux de proie & ft tous les arn„ maux carnaflïers : Venez, hdtez-vous, „ accourez aux norabreufes viétimes que „ je vais imtnoler pour vous fur les mon„ tagnes d'Ifraël; vous mangertzla chair „ des braves, & vous boirez le fang des „ Princes de la terre ". Pour avoir pu trouver dans ce paffage qu'Ezéchiel promet aux Juifs de leur faire manger de la chair humaine, il faudroit n'avoir pas remarqué ni même lu ces lignes : Dis aux bétes fauvages, aux oifeaux de proie, £}? a tous les animaux carnafliers: Venez., &c. diftraétiou qui n'eftguere vraifemblahle. Eit il plus faeile de croire qu'on ait pu appercev.iir dans ces expreifions que la promejfe eft faite aux Juifs, & non aux animaux carnalfiers ? M. de Voltaire, vivement preffé fur une faulfeté fi palpable, a été forcé lui-même de la reconnoitre, & de convenir dans une note du Traité de la Tolêrance, que cette promeffe de manger le cheval & le cavalier eft faite par le I'rophete aux animaux carnafliers. C'eft avec la même juftice & la même vérité que M. de Voltaire a accufé les Juifs d'avoiï immolé des viclimes humaines , d'après les ordres de leur Légiflateur, tandis qu'au contraire, c'étoit une des principales abo« minations pour lefquelies Dieu avoit réfolu de détruire les Chananéens, & que lvloïle n'avoit rien défendu plus expreifé; ment ft fon peuple que d'imiter ce déteftabie culte. Dans cemême Traitèdela Ta-  Coniradiclions, &€. 235 lèrance, 1'Auteur s'étonne que des Lèvitesayent pu exterminer vingt-trois mille hommes qui avoient adoré le Veau d'or. II femble, & Pentendre, que ce fut une poignée de Prêtres qui extermina une année , & PEcriture dit que ce fut la Tribu entiere de Lévi, compofée au moins de douze mille hommes qui s'arma contre cette idolatrie , & qu'il n'y eut qu'environ trois mille hommes qui fnrent punis de mort pour ce crime. Alors que deviennent tous les raifonnements, toutes les déclamations ducritique fur rimpoffibilité que des Lévi' tes ayent exterminé vingt-trois mille hommes , quand il fe trouve que ce furent douze mille hommes qui en tuerent trois mille? Tous les farcafmes de M. de Voltaire contre la Religion n'ont pas plus de fondement; fes critiques ne portent que fur des fauffetés qu'il invente ou qu'il répete d'après des Auteurs quH copie,& qui ont été réfutées fur tous les points («). M. de Voltaire n'avoit lu ni ces réfutations ni les Livres faints, & il adoptoit aveuglément les errenrs de ces Ecrivains Anglois, quoique leurs ouvrages fuffent univerfeltefnent méprifés de leur propre nation. II y a cependant une très-grande quantité de menfonges dans les écrits de M. de Voltaire qui font de fa feule invention, entr'autres, tout ce qu'il dit au fu- C4 Tinda!, Collins y &c  2.^6 Menfonges, jet des Madianites mis ft mort pour leur dépravation & leur idolfttrie («); & cette étrange imputation, que quarante- deux mille hommes furent égorgés pour n'avoir pas bien prononcè le mot Schibboleth. M. de Voltaire n'ignoroit certainement pas que le maffacre des Ephraïmites n'a point été fait ft caufe de la prononciation du mot Schibboleth; mais paree que cette prononciation déceloit le parti combattu par 1'autre {U). Une des plus f ngulieres fauffetés que fe foit permis M de Voltaire, eft celle d'avoir comnofé lui-même un ouvrage contre la Religion, intitulé : Avis im* portant de Mylord Bolingbroke , afin de s'appuyer de 1'autorité de cet homme célebre. Cette fupercherie, ii facile ft découvrir, n'a pu même être niée par fon Auteur, qui a fini par faire réimprimerce petit écrit dans une éditron de fes (Euvres , faite fous fes yeux. C'eft encore ainfi que M. de Voltaire, afin de donner plus de poids ft fes opinions, s'eft attaché particuliérement ft augmenter la lifle des in* crédules , en y placant une infinité d'E- (a) La décence ne permet pas de rapporter ici les menfonges de M. de Voltaire a ce fujet; on en trouve une multitude de ce genre dans fes ouvrages les plus philofophiques. (4) Comme en Angleterre la prononciation du TH peut fi facilement faire "diftinguer un lrlandois d'un Anglois.  Contradittlons, &c. 237 crivains qui, au contraire, n'ont jamais foutenu que ia bonne caufe, entre autres, le favant Leclerc. „ Rien, dit Chauffe„ pied, ne 1'irritoit tant (Leclerc ) que ,, les reproches de déifme que fes enne„ mis lui firent quelquefois , & qu'affuré„ ment il ne méritoit pas : on en peut „ juger paria converfation qu'il eut avec „ le célebre Collins, dans une vifite que „ cet Anglois lui fit en Hollande, accom„ pagné de quelques libres penfeurs com,, me lui.... Leclerc tint ferrnement pour „ la révélation ; il preffa vivement ces „ déiftes, & leur fit voir qu'ils rompent ,, les plusfürs liens de Fhumanité; qu'ils ,, apprennent a fecouer le jong des loix : „ qu'ils ótent les motifs les plus preffants ,, a la vertu, & qu'ils enlevent aux hom-. ,, mes toutes leurs confolations. Que „ fubftituez-vous a Ia place, ajouta-t-il? Vous vous figurez, fans doute, qu'on „ vous érigerades ftatues pour les grands „ feryices que vous reudez aux hommes; „ mais je dois vous déclarer que le róle „ que vous jouez, vousrend méprifabies „ & odieux a tous les hommes ". .Ce n'eft pas avec plus de raifon que M. de Voltaire met au rang des incrédules Ie Rabin Abenezra, qui n'a pas dit un mot de tout ce qu'il lui prête; ainfi que Wollafton, Auteur Anglois. qui n'a jamais écrit qu'en faveur de la Religion. II eft vraifemblable, comme le remarque i Auteur des Lettres de quelques Juifs,  B*g Menfonges, que M. de Voltaire n'avoit jamais lu PoiJvrage de ce Savant, & qu'il ne connoiffoit que le titre feul de ce Traité; ce qui a pu le jetter dans Terreur. „ Lorfque Yébauche de la Religion na,, turelk parut, dit TAuteur de la Bi" bliotheque Angloifc, la cabale hbertine ' crut d^abord que c'étoit en fa faveur; , on triomphoit déja. Mais la joie fut de ,, courte durée; & la leéture du iivre^ne „ tarda pas a défabufer le public (*) . M. de Voltaire & fes copiftes ont tellcment répété qu'il n'eft pas^fait mention dans Tancien Teftament de Timmortahté de 1'nme, qu'il n'y a point d'opinion qui •foit mieux établie parmi les gens du monde qui, en général, ne connoiffent pas un mot des Saintes Ecritures. Pour vous, M o n s e i g n e u r , quï les avez lues avec détail, & qui relifez chaque jour des extraits fideles faits d'après ces kctures, vous n'oublierez jamais que mille pallages dans les livres de Moïfe, établiffent la permanence des ames, & la croyance tfune vie étemelle : entr'autres, les apparitions des Anges, les défenfes d'évoquer les morts (b), les difcours de Jacob fa) On a déja vu que M. de Voltaire a fauffement attribué a Locke des opinions fur Ia Tolêrance univerfelle, abfolument contraires a celles de ce Philofophe. f>) C'étoit une des loix de Moïfe , qu oa «nfreignit fouvent.  Contradictions , &c. 239 fur la perte de Jofeph r», &c. Dans tous "tes autres livres de 1'ancien Teftament, 1'immortalité de 1'ame eft auffi clairement reconnue & enfeignée. Dès le commencement de la captivité des Juifs , Daniël déclare : Que de cette foule de morts qui dorment dans la pouffiere de la terre, les uns fe réveilleront pour une vie étemelle, & les autres peur un éternel opprobre. N'avez-vous pas lu, Monseigneur, dans les Proverbes : „ N'épargnez point ,, la correction a 1'enfant, & vous déli- vrerez fon ame de Penfer". Ch. 23. Dans PEccléfiafte : ,, Dieu fera rendre „ compte en fon jugement de toutes les ,, fautes & de tout le bien & le mal qu'on ,, aura fait". Ch. 12 & dernier. Dans la Sageffe : ,, Si les juftes ont ,, fouffert des tourments devant les hommes, leur efpérance eft pleine de Pim,, mortalité qui leur eft promife ". Ch. 3. On retrouve ce même dogme auffi formellement énoncé dans les Pfeaumes de David, qui font entre les mains de tout f» Les anciens Héfereux, dit 1'Auteur des Lettres de quelques Juifs, appelloient le féjourdes morts le Sheol, & le tombeau le Keker; cette feule diflinction prpuve évidemment qu'ils croyoient a 1'immortalité de 1'ame. Voye\ fur ce fujet 1'inftruflive & courte Differtation qui fe trouve dans le fecond volume des Lettres dt quelques Juifs,  240 Menfonges, le monde. Job, frappé de la main du Seigneur, s'écrioit : „ Je fais que mon Ré„ dempteur eft vivant, que je reffufcite„ rai de la terre au dernier jour: que je ,, ferai encore revêtu de cette peau; que „ je verrai mon Dieu dans ma chair, & ,, que je le contemplerai de mes yeux". «Que Pon joigne a tous ces exemples de Pinfidélitéde M. de Voltaire, les citations que j'ai déja rapportées relativement aux loix des Juifs, & ces étranges affertions: ,, Que tous les anciens peuples n'ont ja„ mais gêné la Iiberté de penfer, que la ,, Religion Chrétienne eft la feule qui ait „ fait répandre du fang, &c"; & Pon fera convaincu qu'il n'y a jamais eu d'Auteur qui ait ofé déguifer & trahir la vérité avec autant de hardieffe. Que feroit-ce donc fi on lifoit la réfutation compiette de fes ouvrages contre la Religion ? On y verroit qu'il n'a pas écrit fur-tout dans ce genre une feule demi-page qui ne contienne des menfonges groifiers , & des calomnies abfurdes, de maniere que les réfutations forment une longue fuite de volumes ; fuite infiniment plus étendue encore, fi Pon y comprend les critiques oü Pon a relevé les erreurs, les méprifes, & les menfonges purement hiftoriques de cet Ecrivain célebre (V). Je (a) On trouvera ces critiques dans les Lettres li  CoMradiëliom, grV. 241 Je ne parlerai point ici de cette multitude de petites anecdotes («) inventées par M. de Voltaire, de ces faits altérés, tronqués, hnaginds, de ces faux jugements, & de ces plaifanteries déplacées, qu'on trouve continuellement dans fes ouvrages hiftoriques. D'ailleurs, on convient unanimement que nul Hiftorien n'a écrit avec auffi peu d'exadtitude. Sa nartialité eft fur-tout révoltante dans tout ce qui a le moindre rapport a la Religion. Avec quel acharnement & quel mauvaife foi n'attaque-t-il pas fans ceffe les Miniftres de 1'Egüfe, fans jamais entrer dans les détails de ce qu'ils ont fait d'utile & dè glorieux! de quelquet Juifs , les Lettres critiques de M. 1'Abbé Gauchat, les favants ouvrages de M. Larcher, ceux de M. 1'Abbé Nonotte , 1'ouvrage intitulé : Erreurs de Voltaire, dont on a fait jufqu'ici huit éditions ; dans 1'ouvrage intitulé : Réfutation de la, Biblt expliquée par Voltaire , &c. &c. (a) Comme, par exemple, lorfqu'il fait dire a Mademoifelle de Montpenfier le contraire de ce qu'elle écrit elle-même dans fes Mémoires, qui font entre les mains de tout le monde j lorfqu'il veut démontrer que le teftament polïtique du Cardinal de Richelieu eft une piece fuppoféej M. le Maréchal de Richelieu lui a prouvé 1'authenticité de ce teftament; & M. de Voltaire n'a point rétraflé une fauffeté qu'il étoit forcé de reconnoitre pour telle. Qu'on juge, d'après ces deux feuls traits, des menfonges hiftoriques qu'il s'eft permis dans des chofes infiniment plus diffkiles a éclaircir. L  142 Menfonges, „ La Religion, dit 1'Auteur des Lettres critiques, eft 1'ouvrage de Dieu feul : „ 11 elle étoit 1'ouvrage des hommes, de,, puis long-temps elfe feroit anéantie. „ Sans parler des obftacles prodigieux „ qu'elle eut a fon établiffement, chaque „ fiecle femble en avoir fufcité de nou,, veaux. Si aux efforts éternels de fes „ ennemis, on y joint la négligence & les ,, miferes de fes Pafteurs, on doit mieux „ fentir encore la fageffe & la puiffance ,, de celui qui Pa confervée. UnChrétien ,, judicieux y voit la providence feule ,, qui, fans avoir befoin du fecours des ,, hommes, fait accomplir fes delfeins, & ,, confommer fon ouvrage. Plus on affecte „ d'alléguer 1'iufidélité des Miniftres , „ plus il refpeéte le Miniftere, & celui ,, qui en eft Pauteur; en gémiflant fur „ les malheurs de PEglife, il découvre „ fous ces images mêmes la fainteté & la „ ftabilité immuable de la Religion. D'ail,, leurs, c'eft par le plus injufte préjugé „ qu'on s'obftine ü ne Penvifager que ,, fous cette face défavorable, & a fer,, mer les yeux fur ce qu'elle préfente „ d'édifiant & d'éclatant. On démêle les ,, ombres des vertus morales du Paga,, nifme, noyées dans un abyme de lu„ perftitions & d'excès : & on cherche, ,, on déterre les plus petits fnibles du „ Chridianifme, quoique mille fois com„ penfés & effacés par un éclat de lu„ miere & de piété. La méthode eft-elle  Contradi&iom, c2rV. 243 ,, éqnitable ? Si on veut rappeller les lchifmes, les défbrdres, les abus que „ peut préfenter i'Hiftoire de 1'Eglife, il „ faut donc y mettre les grands Papes, ,, leurs vertus, leur zele, leurs travaux „ immenfes, la converfion des peuples, „ 1'inftruélion des Fideles , 1'auftérité „ des folitaires & des pénitents, 1'inno„ cence des Vierges, la ferveur des Or„ dres, toutes les ceuvres en un mot, „"qui, dans les fiecles les plus ténébreux, „ ont illuftré 1'Eglife. Son Hilloire alors „ écrite fidéiement & fans malignité, ne „ préfenteroit plus d'écueils. Sous les „ ombres même qui fernblent 1'obfcurcir, „ on y reconnoitroit la vérité de fes do„ gmes, la fainteté de fes loix, la ftabilité „ de fon culte, la fageffe, en un mot,de ,, la Providence qui la gouverne & la con„ ferve (a)". Je terminerai ce Chapitre , en citant quelques méprifes remarquables de M. de Voltaire, & plufieurs traits qui prouveront Pexcès de fon inconféquence. „ M. „ de Voltaire, par une méprife affez fin„ guliere, ( dit M. 1'Abbé Foucher, ) „ transforme en homme le titre d'un 011„ vrage (du Sadder). Zoroaftre, dit-il, ,, dans fes écrits confervés par Sadder „ feint que Dieu, &c. L'Auteurdu Sada, der n'eft connn que fous le nom de (<0 M. 1'Abbé Gauchat, torn. IV. L ij  244 Menfonges, „ Melic-Schah; d'ailleurs, ce Mage n'a „ pas confervêfas écrits de Zoroaftre; il „ a prétendu, en faire un abrégé; M. de „ Voltaire r/a jamais lu ni le Sadder, ni ,, Je livre de M. Hyde". Ainfi ce fut M. 1'Abbé Foucher qui apprit ft M. de Voltaire que le Sadder eft un poëme, & non un homme. On trouve dans la Philofophie de VHiftoire , cette favante remarque : „ Jean ,, Caftriot étoit le fils d'un Defpote, c'eft„ ft-dire, d'un Prince vaffal; car c'eft ce „ que fignifioit Defpote, & il eft étrange „ que Pon ait affedté le mot de defpoti„ que aux grands Souverains qui fe font rendus abfolus ". M. Larcher, & beaucoup d'autres Auteurs , n'ont pas manqué de relever cette méprife, qui eft en effet fort étrange; car ]e mot Defpote a toujours fignifié non un Prince vajfal, mais un maïire abfolu qui commande a des efclaves. On lit dans la Raifon par alphahet, que les Juifs emprunterent le nom de jFehovah des Syriens, & dans le Diét. phil. : qu'ils emprunterent ce mot jfehovah des PhèniCiens, & dans la Philofophie de FHiftoire , qu'ils emprunterent ce mot des Egyptiens. Tout leéteur verra dans ces diveries opinions, au moins deux bévues; mais les Savantsen ont trouvé trois, & l'ont prouvé, ce mot étant Hébreu, & par conféquent n'ayant été emprunté ni des fiens, ni des Phèniciens. ni des Egyptiens.  Contradiiïioni , &c. 245 Le même Auteur a écrit dans fa Bible enfin expliquée , qu'aucun Prophete n'a dit que le Meffie feroit appellé Nazarêen , paree que ne fachant pas 1'Hébreu, il ignoroit que le nom de Nazarêen, Notrzi, a la même racine & la même fignification que celui de Notzer, qu'Ifaïe donne au Meffie O). C'eft avec la même érudition que M. de Voltaire appelle la ville de Cariat. de Sépher, un pays. Et qu'il dit (Défenfe demon oncle') : „ fi 1'on culti,, voit alors les fciences dans la petites, ville de Dabir, combien devoient-elles „ être en honneur dans Sydon & dans ,, Tyr, qui étoient appellés le pays des „ livres, le pays des archives". Et au contraire jamais les villes de Sydon & de Tyr, n'eurent ces noms; c'étoit Ja ville de Dabir qui s'appelloit la ville des Livres, la ville des Archives. Le même Auteur, par une diftraction difficile a concevoir , dans la Philof. de VHifi., met le livre de Jofué & d'autres encore dans le Pentateuque, oubliant juf» qu'a la fignification du Pentateuque qui lui auroit rappellé que ce recueil ne contient que les cinq livres du Légiflateur, (a) Rêfutatlon ie la Bille enfin expliquée. Savant ouvrage, en un volume , oü 1'on relevs une foule de menfonges, d'erreurs & de méprifes inconcevables de M, de Voltaire. Cet ouvrage a paru en 1781. L iij  246 Menfonges, & que ni le Livre de Jofuê, ni d'autres n'en firent jamais partie O). M. de Voitaire a fait beaucoup de plaifanteries fur Pineonféquence & les contradiétions de J. J. Rouffeau, & c'eft un droit qu'alfurément il n'avoit pas, lui qui fe contredit fi fouvent & d'une maniere fi frappante & fi groffiere; lui qui dit que le pere Daniël ne paJJ'e pas pour un Hiftorien ajfez profond & aftèz hardt, mais qu'il paffe pour un Hiftorien trésvéridique , qu'il peut errer quelquefois , mais qu'il n'eft pas permis de l'appeller un menteur. Et celui qui porte ce jugement, dit ailteurs que le pere Daniël eft un indigne Hiftorien, qui in/ulte a la vérité <^ a J'es le&eurs. Ivf. de Voltaire a été un des grands panégyriftes de Pope, c'eft-adire du fonds de fa doctrine, qui confifte a prouver que tout eft bien. M. de Voltaire appetle Pope un Philofophe fithlime qui a porté le flambeau dans l'abyme de l'être (b). Et dans'plufieurs ouvrages, (u) Forcée de me bomer a un trës-petit nombre d'exemples , je ne puis citer une infinité d'autres méprifes , toutes auffi nngulieres; mais on peut fur ce point confulter les critiques que j'ai indiquées , en y trouvera dans ce genre une foule de traits véritablement curieux. (£) M. de Voltaire foutient la même opinio» dans fon difcours fur la Nature de ÏHomme. II y dit : » Que l'homme eft ingrat, téméraire , de .. trouver le monde imparfait, & de fe plaindre n de fes miferes ",  Contradiftions, &c. 247 entr'autres, dans le Poëme fur Ia deftruction de Lisbonne, le Poëce Francois rejette formellement ce même axiome : »> Vous criez, tout eft bien, d'une voix lamen» table! » L'Univérs vous dement, & votre propre coeur n Cent fois de votre efprit a réfuté I'erreur. » II le faut avouer, le mal eft fur la terre ; n Eléments , animaux , humains , tout eft en 11 guerre. » Quand l'homme ofe gémir d'unfléau fi terrible", >t 11 n'eft pas orgueilleux , hélas! il eft fenfible. M. de Voltaire a écrit que la croyance de Pimmortalité de Pame eft une croyance utile , falutaire, fainte , néceffaire aux hommes; & dans une multitude de volumes, il a niécette vérité, entr'autres dans fes Lettres de Memmius, & fon A B C, ou. Pon trouve cette conclufion fi formelle : parions plus franchement, il n'y a point d'ame; ce fyftême le plus hardi, le J)lus étonnant de tous, eft au fond le plus fimple. On lit dans plufieurs Ouvrages de M. de Voltaire les plus pompeux éloges de Zoroaftre , qu'il appelle un grand homme , un f 'age le'giftatenr; il allure que fes écrits font admirables & fort fupèrieurs tï tous les livres des Juifs. Et dans d'autres ouvrages, il dit què Zoroaftren'eft qu'un fon dangereux, cjJ5 que Noftradamus cjf le mèdecin des urines font des gens raifonnables en comparaifon de cet ènergumene : L iv  ^4% Menfonges, il ajoute que fes écrits ne font qu'un fatras abominable , dont on ne peut lire deux pages Jans avoir pitié de la nature humaine. Dans fes Lettres au Roi de Pruffe, 1'Auteur réfute avec force & même d'une maniere très-touchante , le fyftême de la fatalité; & dans les articles, chaine des ivénements, de/linée, Iiberté, &c. du DiSt. Philof., 1'Auteur y foutient hfatalitéab' folue. 11 y prétend que tout eft néceffaire «dans le moral, ainfi que dans le phyfique; que 1'homme n'a pas plus de Iiberté que fon chien; que nous voulons néceffairement , en conféquence des idéés qui fe préfentent néceffairement a nous, &e. II ajoute : J'ai néceffairement la paflion 9, d'écrire ceci, & toi, tu as Ia pafiion 3, de me condamner : nous fommes tous deux également fots , également les 9, jouets de Ia deftinée; ta nature eft de faire du mal, la mienne eft d'aimer la „ vérité & de la publier malgré toi". C'eft le même Auteur qui a fi long-temps outragé, uié la Divinité, qui a fait ce beau vers. b Dieu t'a fait pour 1'aimer, & non pour le com»> prendre ". Ces exemples fuffiront, Monseigneur , pour vous donner une jufte idéé de la partialité, de 1'ignorance, de lamauvaife foi, de 1'inconféquence, avec lefquelles M. de  Contradiftiotis , &c. 249 Voltaire a toujours attaqué la Religion. Je me flatte que vous ferez un jour affez éclairé, affez inftruit pour pouvoir lire, non - feulement fans danger, mais avec fruit, les meilieurs ouvrages de cet Ecrivain célebre : vous n'adopterez point fes erreurs, & vous admirerez fans prévention fes talents fupérieurs, & fur-toutces chefs-d'eeuvres dramatiques qui feront h jamais les délices de la nation. Tous les autres détraéleurs de la Religion , ont écrit avec autant de mauvaife foi, & avec auffi peu de connoiffance de Fantiquité ; prefque tous n'ont fait que copier M. de Voltaire, qui lui-même a cet égard n'étoit que le copifte de quel-. ques Déiftes Anglois, Tindal, Collins, Bolingbroke & Shafsbury (5). Ces écrivains hardis & fuperficiels n'eurent aucune influence fur les mceurs d'une nation inftruite & réfléchie ; leurs calomnies, leurs contradiétions, leurs menfonges parurent généralement abfurdes; & quoique 1'un d'eux , Shafsbury, eüt le talent de railier, de plaifanter avec autant defineffe & d'efprit que de grace, il ne forma point de feéle; il n'eut que le frivole avantage d'être a la tête d'une petite cabale, univerfellement décriée & méprifée. En Angleterre, 1'étude des Saintes Ecritures fait une partie de 1'éducation; des Auteurs qui fe perraettoient de faufles citations, ou de fréquentes altérations du texte,nedevoient pas fe flatter d'obtenir la confiancc L v  55© Menfonges, du public : aufli les réfutationsfurent elles lues & accueillies, paree qu'elles étoient defirées & attendues avec impatience. Et M.de Voltaire, copifle de ces mêmes auteurs, mais beaucoup plus audacieux encore , & mille fois plus infidele & plusinconféquent, M. de Voltaire a perfuadé, entrainé la multitude, & produit la révolution la plus funefte aux mceurs! Les Anglois prétendent qu'il ne pouvoit avoir un tel afcendant que fur une nation aufli frivole, aufli légere, qu'elle eft fprituelle. Ce qu'il y a de certain, c'eft que M. de Voltaire eft aufli peu eftimé en Angleterre comme philofophe & comme hiftorien, qu'il y eft jultementadmirécomme Poëte. Pourquoi faut-il que cet homme extraordinaire n'ait jamais eu 1'idée de la véritable gloire! Suppofons qu'avec cet efprit enchanteur & ces rares talents, il eüt toujours refpeclé la Religion, les mceurs & la vérité. II n'eüt point été chef de parti, il eütfait moins de bruit, il eüt obtenu plus tard peut-être une réputation éclatante; mais mille fois plus grand & plus heureux, il eüt pu dire aufli :,, Je ne dois qu'a moi „ feul toute ma renommée (a) ". Et quelle renommée! II auroit toujours été le premier Poëte de fon fiecle; avec de 1'impartialité, de la fageffe & des principes vertueux, il pouvoit être le meilleur (») Pierre Corneille.  ConlradiStions, &c. 1^1 hiftorien de fa nation. Nous n'aurions de lui ni Zapata, ni PA B C, ni le DiEiionnaire philofophique, ni cette multitude de Jibelles & d'ouvrages auffi mauvais que licencieux, qui forment la plus grande partie de fes (Euvres, mais nous aurions quelques tragédies deplus. N'enetifiions-nous qu'une auffi belle qu'Alzire ou Mahomet, quipourroit ne pas préférer une telle produéu'ou h tout ce fatras d'impiétés &d'injures, également faftidieux & révoltant ? Au lieu de ces notes fi froides, fi peu kiftruclives, dans lefquelles on trouve une critique fi minutieufe & fouvent fiiujufte, nous aurions un admirable commentaire des pieces du grand Corneille. Avee quelle noblelfe & quelle énergie un homme tel que M. de Voltaire n'eat-il pas écrit ces remarques, s'il fefüt livré fans contrainta aux impreffions qu'il recevoit! Enfin, s'il eüt apprécié avec équité les talents & le mérite des Auteurs célebres , i! nous auroit laiffe des mélanges de littèrature qui formeroient fans doute le cours d'inftruétions le plus parfait en ce genre. Telle eft la gloire éclatante, folide & pure dontil eüt pujouir! La paix, le bonheur & 1'admiration univerfelle en euffent été les fruits. Que ces rèflexions vous apprennent, Monseigneur , a fentir toute Putilité de la raifon, de la décence & de la vertu; & n'oubliez jamais ces remarques fi juffes d'un Philofophe chrétien : Repaffez fur tous les grands talents L vj  152 De fOrgueil „ qui renrlent les hommes illuftres : s'ils font donnés aux impies, c'eft toujours „ pour le malheur de leur nation & de „ leur fiecle... Ces beaux-efprits fi van- tés.... dès que leur cceur s'eft corrom„ pu, n'ont laiffé au monde que desou- vrages lafcifs & pernicieux, oü le poi„ fon préparé par des mains habiles, in„ fecte tous les jours les mceurs publi„ ques, & oü les fiecles qui nous fui„ vront viendront encore puiferla licence „ & la corruption du nótre f» ". CHAPITRE XVII. De rOrgueil Philofophique. Les gens du monde font communément frivoles, légers & fuperficiels; mais ils ont en général une forte de bon goüt & une délicateife qui leur infpirent une invincible averfion pour la pédanterie, pour le ton dogmatique & tranchant, enfin pour tous les travers produits par un orgueil exceflif & mal-adroit. L'habitude de vivre dans un cercle étendu apprend néceffairement 4 dilfimuler fes prétentions , a ménagerFamour-propre des autres, & a s'exprimer toujours d'une maniere qui puiffe (a) Maffillon. Dimanche de la Paffion , fur U gloirt humaine  Philofophique. 253 annoncer !a modération & Ia modeftie. Auffi une des chofes qui a le plus contribué a diminuer 1'enthoufiafme des gens du monde pour les Phiïofophes modernes, c'eft le tonimpérieux & prophétique de ces derniers. On a gardé les principes philofophiques, paree qu'ils font commodes ; mais on a fini par fe moquer des Phiïofophes, paree qu'ils étoient devenus ridicules en montrant fans aucun déguifement, 1'orgueil le plus extravagant & le plus intolérable. En effet, leurs ouvrages ont révolté, fous ce point de vue, leurs plus zélés partifans; jamais 1'orgueil n'ofa fe découvrir avec auffi peu d'art & de ménagement, & s'exprimer avec autant d'arrogance. Lorfqu'on ne poffede aucune place, aucune charge, lorfqu'on n'a fait aucune étude des loix, lorfque 1'on n'a été employé ni dans les négociations, ni dans le miniftere, a-t on le droit de fronder toutes les opérations du Gouvernement, de tracer des plans de légiflation, & de s'ériger en réformateur de 1'Etat ? Cette ridicule folie vient de fe renouveller cette année (1786) : un Ecrivain anonyme a prétendu nous donner dans une brochure un plan complet de légiflation, en nous alfurant très-gravement que ce plan neuf, fage, admirable, n'a qu'un inconvénient, celui d'être trop fublime pour notre fiecle («). L'Auteur dit que fon hé- («) Vit it M. Turgot,  254 De VOrgueil ros, dont le nom fignifie le Dieu Thtr, „ étoit un des hommes les plus extraor„ dinaires que la nature ait produits, & „ celui qui peut-étre a été le moins éloi„ gné de la perfection ft laquelle la nature ,, humaine peut s'élever: que jamais peut- être aucun homme n'a offert ft f'adini,, ration un tout plus parfait & plus im„ pofant: qu'il n'exiftort en Europe qu'un très-petit nombre d'hommes en état de ,, faifir i'enfemble & de juger fes opinions: que toutes fes qualités formoient un „ enfemble unique peut-être dans 1'hif- toire des hommes : que la nature lui avoit donné des principes & des vertus „ qui n'étoient qu'a lui: que fon hiftoire ,, peut intéreffer tous les ;1ges & toutes les nations , & que fon génie a devancé ,. fon fiecle affez pour en être méconnu". Nous favions que M. Turgot étoit un homme d'efprit, &, ce qui vaut beaucoup mieux , un homme vertueux; mais fans 1'Auteur de cette vie, nous ne nous ferions jamais douté qu'il eüt été Phomme le plus extraordinaire que la nature ait jamais produit. Quoi ! plus extraordinaire que tous les grands Rois, tous les grands Miniftres, tous les Légiflateurs, tous les Politiques, tous les Savants, tous les génies fupérieurs qui ont paru fur la terre depuis la création du monde jufqu'a cette année 1786? Oui, fes qualités offroient un enfemble unique dans l hiftoire des hommes. II poffédoit toutes les fciences, cbymie,  Philofophique. 255 phyfique, &c. Lui feul a eu des idéés Tailles fur ie commerce, 1'agriculture, la légiflation ; il favoit également bien Phiftoire, la géographie, toutes les langues; il étoit d'ailleursprofond métaphyftcien, moralifte fublime & excellent Poëte : car il faifoit des vers. que tout le monde attribuoit a M. de Voltaire. Et fans la goutte qui le tourmentoit, il auroit fait des poémes ipiques. des tragédies & d'autres''ouvrages , dans lefquels il auroit montré toutes fes connoiffances. II eft bien heureux que dans ce trés petit nombre d''hommes en Europe qui ont eu affez de génie pour pouvoir juger M. Turgot, il s'en foit trouvé un qui nous ait tranfmis fes opinions, & qui ait eu aflez de mémoire pour retenir exaétement tout ce qu'il lui a entendu dire, & qu'enfin ces oui-dire ayentfourni le fujet d'une hiftoire faite pour intérefler toutes les nations & tous les dges. Nous voyons dans 1'Hiftoire ancienne, que Cléon, mauvais Ecrivain, en préfeuce du fage Califthene, fit 1'éloge le plus ridiculement exagéré d'Alexandre-le-Grand ; fi le Roi étoit préfent, lui dit Califlhene, s'il entendoit ce difcours infenfé, il t'impoferoit filence. Les véritables amis deM. Turgot pourroient en dire autant a 1'Auteur df'un éloge non moins étrange. Cet Auteur, comme je 1'ai déja dit, ne montrepas plus de modération dans fes fatyres; il attaque fans ménagement tout ce qu'il y a de plus fa-  2$6 De l'Orgueil cré & de plus refpectable; 1'humeur, quelque dépit fecret, & une haine particuliere femblent avoir diété cet ouvrage, qui offre des bizarreries remarquables & des contraftes, finon piquants, du moins affez finguliers. On y trouve les opinions de la töte la plus exaltée, & en même-temps le flyle glacial d'un Ecrivain dépourvu d'énergie & d'imagination, & ce ftyle toujours incorrect & négligé n'eft jamais naturel. L'Auteurfroid, férieux, compalfé, propofe tranquillement le bouleverfement total des loix & des coutumes religieufes politiques & civiles; il ne s'anime jamais , il débite les maximes les plus bizarres avec cette pefanteur que 1'on ne reproche gueres qu'a la raifon; fa folie ne relfemble point au délire, elle n'eft point par accès, elle eft conftante, égale, flegmatique; & quoiqueexceflive, elle n'amufe point; elle elt fi monotone, elle fe manifefte d'une maniere fi peu piquante , qu'elle n'infpire ni curiofité, ni furprife. La deftinée du livre a été aufli extraordinaire que le livre même; il attaquoit la Religion, le Gouvernement & les loix, & 11 n'a point fait de bruit. En faveur de la fageffe, on peut excufer la fécherelfe & 1'inlipidité; mais 1'extravagance & 1'audace ont tant de moyens d'amufer, d'étonner & de plaire, qu'on ne leur pardonne pas d'ennuyer. Quelques perfonnes ont penfé que cet ouvrage qu'on paroit vouloir donner comme un éloge de M. Turgot, n'eft peut-Être  Philofophique. Ê57, qü'une fatyre déguirée. En effet, toutes les louanges font d'un ridicule qui a frappé tout le monde, &, a cóté de ces étranges exagérations, on trouve des imputations très-injurieufes a la mémoire de cet homme eftimable. L'Auteur déciare nettement que M. Turgot n'avoit ni religion, ni la croyance de l'immortalité de 1'ame. L'ame périt - elle avec le corps ? 11 ne le croyoitpas. Mais que devient-elle? 11 n'en favoit rien. Seulement U efpéroit des ré' compenfes, il étoit convaincu qu'il n'y a point de punitions. II annuloit tous les teflaments; il auroit auffi voulu fupprimer toutes lesfondations qu'il regardoit comme dangereufes. On ne fentira pas facilement qu'il y ajt du danger a recueillir dans, des hópitaux de malheureux petits enfants abandonnés, & cette multitude de pauvres & de malades qui périroient fans ces fecours: il eft certain que ce fiecle n'eft point ajfez avancé pour comprendre que les foudations des Invalides, de Saint-Cyr, de 1'Ecole-Militaire & toutes celles de ce genre, au-lieu d'être des établiffements utiles &refpecï:ables, ne font que des établiffements daw gereux, qui prouvent feulement la petiteffe d'efprit de leurs fondateurs O). M. (a) Au refte, cette étrange idee, qu'on attribue a M. Turgot, eft prife dans VEfprit dei Loix, M. de Mfjntefquieu voudroit qu'on Cup-  25& De rOrgueil Turgot, dit encore 1'Auteur, ne vouloit point qu'on accordat des médailles & des marqués de diftinétion aux talents & aux favants; dans cecas, il ne vouloit donner que des gratifications & des penjions, cela eft en effet plus folide. Point de médailles ,point de ces honneurs fubalternes avec lefquels la charlatanerie cherche a payer la yanité; il vouloit encourager & non pas corrompre. II me femble que Pargent corrompra toujours beaucoup plus que des primlt les hópitaux ians les Etats pauvres; il ajoute : Out les hópitaux, par l'efprit de pareffe qu'ils in/pirent , augmtntcnt la pauvreti génerale , 6 par confé' quent la particuliere. Mais quand il feroit vrai que Ia pareffe conduifit quelques malheureux dans les hópitaux, faudroit-il pour cela fupprimer ces afyles refpectables, oü 1'on reeueille 1'indigent eftropié , 1'orphelin abandonné, le vieillard accablé d'infirmités ? Que la philofophie eft haïffable, lorfqu'elle débite gravement des paradoxes fi contraires a 1'humanité ! Quoi de plus révoltant qu'un homme , jouiffant d'une parfaite fanté & de toutes les fuperfluités de la vie, qui s'enferme dans fon cabinet pour fupprimer d'un trait de plume tous les hópitaux , 8c qui veut prouver que 1'on devroit öter cette derniere reffource a cette multitude d'infortunés, qui périroient fans ces établiffements! II n'y auroit peut - être qu'une feule chofe plus ridicule encore ; ce feroit de vouloir s'attribuer de telles opinions, de les puifer dans 1'ouvrage le plus connu , & de les donner comme des idéés lumineufss & neuves,  Philofophique. 259 marqués de diftincYiórr. Point de médailles : & pourquoi ne pas dire auffi, point de Croix de Saint-Louis, point de cordons bleus, &c? Ces fortes de charlatanet les infpirent bien autant de vanité qu'en ont pu reifentirle brave Bouflard , le brave Lucot , & cet héroïque jeune homme , Chrétien Jofeph., en recevant leurs médailles. M. Turgot croyoit (dit Panonyme) la bienfaifance n'eft qu'une foi blej/è, a moins qu'elle ne ferve d l'utilité publique. C'eft calomnier un honnête homme, que de lui imputer une maxime 11 contraire ft 1'humanité. Quoi! cesaétesifolés de charité, qui n'ont aucune influence générale, comme par exemple, de foiguer en fecret des individus inutiles &fouffrants, & tant d'autres adtions de cette efpece, ne font pas vertueufes, & ne pouvent que de la fit» bleffe? Voilft une idéé neuve, elle ne féduira pas les bons cceurs. Quel homme feroit-ce que celui qui, lorfqu'il s'agit de donner, de fecourir, de faire du bien, calculeroit froidement fi ce qu'on lui demande pourra fervir a l'utilité publique? Voici encore un pafl'age qu'il n'eft pas moins furprenant de trouver dans un panégyrique. M. Turgot penfoit que la fatyre, fi elle étoit vraie , n'étoit qu'une atlion de jufiice; il avoit fait des vers fatyriques.... // croyoit qu'on pouvoit cacher fon nom, en faifant des fatyres, afin,  a6o De VOrgueil Philofophique. de ne pas s'expofer d une opprejfton m- jufte. On fent affez pourquoi 1'Ecrivain antnyme prête a fon héros un femblable principe; mais ce petit artifice n'a pas eu le fuccès qu'il s'en promettoit; on penfera toujours comme 1'a fi bien dit J. J. Rouffeau, qu'un Auteur doit ripondre de fon Livre, & que 1'honneur prefcrit a chaque citoyen de fe nommer, fur-tout lorfqu'il attaque, Un écrit, quel qu'il foit, s'il eft figné, n'eft pas du moins 1'ouvrage d'un Mche; on peut le trouver répréheniible, mais on n'a pas Ie droit d'enméprifer 1'Auteur; tandis qu'au contraire, tout ouvrage fatyrique anonyme ne fera jamais qu'un libelle. Quoique 1'ouvrage, dont je viens de citer quelques traits, n'ait produit aucune fenfation, j'ai cru devoir vous en parler, Monseigneur, paree que je n'en connois point qui démontre mieux 1'étendue des prétentions & 1'excès d'extravagance de V orgueil philofophique.  Rèpanfes, &c. «th CHAPITRE XVIII. Réponfes d quelques ohjeclions des Phiïofophes contre la Religion en général. L'existence de Dieu, 1'immortalitè* de 1'ame, la révélation , les myfteres, 1'éternité des peines, le pêché originel, le dogme de la grace, voila, Monseigneur, les plus importantes vérités que nouspuiffionsconnoitre, véritésattaquées de nos jours avec tant d'acharnement & de mauvaife foi, & dont je vous ai préfenté les principales preuves; car le peu d'étendue de cet ouvrage ne m'a pas permis de vous les détailier toutes. Je vous en ai dit alfez pour convaincre un efprit jufte, & un cceur pur, c'eft a quoi j'ai dü me borner : je n'ai point Pambition de ramener ceux qui s'égarent volontairemenr, je n'ai ni les talents, ni les lumieres qui pourroient juftifier une telle efpérance. J'ai rapporté dans le cours de cet ouvrage les principaux fophifmes avec lefquels Pincrédulité combat la foi; la marche que j'ai fuivie, m'a forcée d'omettre quelques-unes de ces objections; je vais en ralfembler ici le refte, afin, Monseigneur, d'achever de vous faire connoftre entiérement tout ce que i'impiété peut oppofer a la Religion.  s(?2 Réponfes Un des plus fpécieux arguments des Phiïofophes contre la Religion , eft celuici : La Religion Chrétienne 'eft très-répandue; cependant ilexifte une multitude d hommes qui font privês de fes lumieres : peuton concevoir quun étre fouverainement jufte punira éternellement fes créatures pour avoir ignoré ce qu''elles n'ont pu connoitre? 11 n'y a que 1'ignorance ou la mauvaife foi, qui puiffent propofer cette prétendue difficulté. Non-feulement la Religion ne nous dit point que Dieu punira les hommes pour avoir ignoré Ja loi, lorfqu'ils n'ont pu la connoitre; mais elle nous enfeigne au contraire, que „ Dieu ne punit „ poiut les hommes pour ne point avoir ,, connu ce qui leur étoit tracé par des „ lumieres placées hors de la portée de „ leurs regards : ce n'eft pas-la fermer „ les yeux, c'eft les ouv'rir & ne rien „ voir; 1'ignorance des loix pofitives, fi ,, elle eft réellement invincible , n'eft „ point'un crime. II eft fans doute que „ Dieu veut nous fini ver tous, & la Re,, ligion Ie crie a qui veut 1'entendre ; „ mais Dieu veut nous fauver par les „ moyens que prefcriveut néceffairement „ fa fainteté & fa fageflé f». Si nous les „ refufons obftinément, nous ferons per„ dus, paree que nous voulons nous per» • «st. 3£ a r ;i r..r"s viiY\ 'A z vi o i/i . tnts -9im 1 r—, (a) Nous ne ponvoas ni comprendre ni juger ces moyens.  h quelques Objeftiotis, &c. 263 dre, & que dans les décrets de Dieu, >, il ne nous fauvera pas fans que nous 5, ne le voulions nous-mêmes (V). Un „ Saiivage n'eft pas tenu aux loix & aux „ vérités pofitives, mais il a la loi éter„ nelle & les moyens de la remplir. II „ eft dans 1'ordre de 1'équité immuable 3, de Dieu, de faire connoitre aux hom„ mes les devoirs qu'il leur impofe, & „ de les rendre poffibles. De ce point „ métaphyfiquement certain, il fuit que chaque individu ne fera jugé que fur „ la mefure de fes lumieres, de fes forces & la nature de fes ceuvres. D'après „ cette vérité, fi ce Sauvage eft fidele k ,, toute la loi, quel fera fon fort? Com„ ment pourra-t-il enfin connoitre Jefus,, Chrift? Nous répondrons que Dieu a „ infiniment plus de moyens d'agir que „ nous n'en connoifibns & n'en pouvons ,, connoitre. Nous n'irons point fonder, ,, critiquer fes décrets, prefcrire fes voies; „ il nous fuffit de favoir qu'il eft fouve„ rainement équitable, & qu'il ne punira ,, jamais la feule ignorance, Jorfqu'elle „ eft forcée invincible. Nous ne préten,, dons pas dépouiller la Religion entiere ,, de tous nuages, & expofer clairement ,, aux regards, comme un axiome géo,, métrique, les décrets de Dieu. La rai„ fon nous démontre que la rédemption (a) Gauchac, tom, III,  2 54 Réponfes „ eft révélée, elle nous démontre que „ Dieu eft jufte-; fi donc des Sauvages fideles a la loi par la grace, n'ont pas „ la connoiffance extérieure de l'Evan„ gile, la raifon nous dit que les voies „ du Seigneur font fages, profondes, va„ riées a 1'infini; qu'il fait conduire les „ cceurs &éclairer les efprits par des ref„ forts inconnus a Ia prudence humaine; ,, qu'un jour il en manifeftera 1'enfemble „ & 1'équité. En toute feéte même Chré„ tienne, Dieu ne demandera jamais que „ 1'ufage fidele de fes dons. S'il cache „ invinciblement a un cceur une vérité pofnive, on eft pas coupable de 1'igno„ rer : fi l'homme a quelque moyen de la connoitre, & qu'il le négligé, 1'aveu- glement étant volontaire, Terreur lui „ eft imputée. J. J. Rouffeau fait un pom„ peux étalage de fa fincérité. Si je me „ trompe, dit-il, c'eft malgré moi. Celui „ qui lit au fond de mon cceur, fait bien que je n'aime pas mon aveuglement. „ Dans 1'impuiftance oü je fuis de m'en „ tirer par mes propres lumieres , le feul moyen qui me refte pour en fortir, eft ,, une bonne vie. Tout homme a droit d'ef„ pér er d'être êclairé, lorfqu'il s'en rend Celui qui lit au fond du cceur fait „ difcerner, fous un témoignage de candeur, un aveu faux & illufoire. II eft „ des erreurs involontaires & innocentes. „ II en elt dont la fource eft 1'orgueil „ fecret,  & quelques Ob/ecVons, &c. t6S fecret, le goüt des fyftêmes, 1'attache„ ment ft fes idéés propres. Quand on; „ n aime pas fon aveuglement, on prend „ les moyens que Dieu nous donne pour „ en fortir. La bonne vie eft une des rou„ tes de la vérité; mais ce n'eft pas la U r,e" evR1efteroit è expliquer ce que les „ Fnilolophes entendent par bonne vie • » ce ne feroit peut-être qu'une vie d'of„ tentation & d'orgueil. L'infuffifance de „ nos lumieres conduit ft la foumiflïon. „ Irop toibles pour trouver nous feuls „ la voie du falut, la raifon nous dit de „ chercher notre füreté, notre appui dans le iein de 1'autorité vifible qui nous la „ montre. Plus les Phiïofophes difcuteront lur les bornes de notre efprit & „ la grandeur des objets de la Religion 9, plus ils prouverom contre eux & pour „ ja méthode du Chriftianifme, Elle eft „ ii analogue & aux befoins de l'homme „ & aux deffeins de Dieu, qu'on nepeiit en méconnoirre la fageffe, l'utilité & Ia „ nécellué. Tout homme doit efperer „ dêtre éclairé lorfqu'il en pre na les s, moyens. Mais tant qu'il eft obltiné tant qu'il ne fe défie pas de fes er' a, reurs , qu'il ne veut pas les difcerner, lis rejetter , cumment feroit - il „ digne de connoitre la vérité ? II v „ met obftacle. C'eft une illufion de ré^, gier foi-même fa vie, de la juger „ -bonne, & fm ce fuffrage d'attendre la M  ï66 Réponfes vérité comme un bien qui eft dn O)". " Voici un autre reproche que les Phiïofophes ont fait a la Religion , & que d'après Montefquieu ils ont répété dans tous leurs ouvrages. , Mt Les principes de la Religion ( dit Y'Auteur de 1'Efprit des Loix ) ont extrêmement influé fur la propagation de ! 1'efpece humaine; tantót ils l'ont encouragée, comme chez les Juifs, les ?! Mahométans, tantó: ils l'ont choquée , „ comme ils firent chez les Romaifis, de" venus Chrétiens. ; „ C'eft-li un préjugé général de nos Phiïofophes a calcul; ils feroient éton' nés qu'on leur prouvat qu'a n en vil aser même que la propagation de 1 el! pece humaine, la Religion , loin de ui être oppofée, lui eft trés - favorable. , Elle impofe, il eft vra., le célibat1 " un certain état; mais d'un autre cóté , ! elle défend fi févérement le crime, elle prefcrit fi exa&ement la fainteté du ma! riage, elle a des regies fi équitables ur „ fon unité, fon indifJolubilité , qu on (A Gauchat.tom. XIX. Ajoutons encore que lorfqu'on reconnoit avec tant A'humiUté fon ,n(uManct , il ne faut pas, en atteniant la vente . (qu'on cherche de fi bonne foi) faire .mpr.mer •des opinions contraires a une Religion que Ion prétend refpefter.  d quelques ObjeElions, &c. 267 ofe dire que de tous les moyens pro„ pres a remplir l'univers d'habitants, il n'en eft aucun auffi efficace, aulfi du- rable que la fidélité a 1'efprit de la Re„ ligion. Pius le crime eft défendu, plus „ le mariage eft encouragé. Moins il y a „ de licence dans les mceurs, plus il y a de mariages, plus ils font fideles, „ plus ils font féconds; donc la Religion „ eft favorable a la propagation de 1'ef„ pece humaine; ce n'eft pas la piété de quelques reclus, c'eft le célibat des „ impies & la débauche qui dépeuplent „ l'univers (a) ". Enfin, on a dit encore que la morale de Ja Religion Chrétienne eft fi févere , qu'elle eft impraticable, paree qu'il elt impoffit>le d'arracher de fon cceur toute ajfetliott humaine, & de fe haïr foi-même. Ces reproches ne peuvent paroltre foudés qu'è ceux qui n'ont aucune connoiffanc^ des 'principes de la Religion. Loin que Dieu nous commande d'arracher de notre cceur toute affeEtion humaine , il nous prefcrit exprtffément la tendreffe pour nos parents, & la fidélité envers nos am;s. La Religion ne prétend poinc détruire des fentirnents légitimes , elle ne v:ut que les régler. Elle nous apprend, il eft vrai , que tout excès eft condamnable; & lorfqu'elle nous interdit les at- {«) Gauchat, tom. V. m y  • ö"3 Réponfes tacbements paffionnés, pour des êtres irnparfaits & péritfables, elle n'eft pas fur ce point, plus févere que 1'ancienne philofophie : Socrate, Platon, Epiclete, JVlarcAurele, & prefque tous les Phiïofophes Grecs & Romains, ont regardé la modération dans les fentirnents comme la véritable fourpe de la fageffe & du bonheur; par quelle bifarre inconféquence coiidamne-t-on dans 1'évangile des principes de morale que 1'on admire dans des Auteurs payens? Les feules lumieres de la raifon firent comprendre aux Phiïofophes de 1'antiquité que l'homme paflionné ne peut être heureux, & ils s'attacherent non ft modérer la fenlibilité, mais ft la détruire entiérement, en y fubftituant cet égoïfme qu'on leur a tant reproché. 11 faut plutót fouf frir ( dit Epiclete ) que votre fiis devien* ne mêchant, que de vous rendre malheureux. Telle eft la foibleffe de 1'intelligence humainei La vérité n'eft pour elle qu'une ombre légere & fugitive; la raifon peut bien 1'entrevoir, mais elle ne fauroit ni 1'atteindre ni la faifir. Sacrifier tout ck même les devoirs les plus facrés ft la crainte d'altérer fon repos, c'eft une folie monftrueulé; trouvera t-on le repos en trahiffant fes devoirs? L'égoïfme ne procurera donc jamais le bonheur! Cependant les fentirnents violents déchirent 1'ame; végéter ou fouffrir! L'homme eft-il réduit è ce trifte choix? Non; qu'il écoute la  h quelques Objeftions, &c. 269 Religion, elle feule peut fixer fes incertitudes; en lui faifant connoitre fa véritable deftination , elle offre a fon extréme fenfibilité, 1'unique objet qui foit digne de 1'exciter & qui puiffe la fatisfaire, & elle remplit tous les defirs de fon ambition déraefurée, elle modere fes attachements terreftres , elle ne leur óte que cette violence exceffive, fource de tant d'amertume & d'égarements; mais elle laiffe a ces pencbants fi naturels , tout ce qu'ils ont de doux & de confol'ant, tout ce qu'ils peuvent produire de généreux & d'héroïque; elle rend 1'amitié plus folide, plus pure, & fur-tout plus défintéreffée (a); elle éleve au-deffus du malheur en donnant la réfïgnation; elle étend, elle muitiplie les devoirs dé la fainte humanité, elle fait de la compaffion , le fentiment le plus tendre & le plus a&if, 1'ame eft également purifiée, fortifiée, agrandiepar elle, & c'eft elle feule qui peut fans 1'erfc (a) On a de la Religion une idéé bien faufle; lorfqu'on prétend qu'elle interdit l'amirié. JefusChrift lui-même n'a-t-il pas montré le plus tendre fentiment de préférence pour 1'un de fesDifciples ? Prefque tous les Saints ont connu les charmes de 1'amitié. Saint Auguftin aimoit St. Alpyus avec la plus vive tendreffe ; St. Simon Stylite , Antoine fon difciple; St. Aphraïate, Anthémius; St. Fulgence , Félix; ce dernier expofa fa vie pour fauver celle de St. Fulgence ? •$t. Bernard, Hugues de Macon, &c. M Üj  cjo Réponfes orgueillir, élever l'homme & le rendre- fublime. ,, Non - feulement (dit 1'Auteur des„ Mceurs) on peut aimer Dieu fans fe „ haïr, mais il n'eft pas vrai qu'on 1'ai„«♦nie quand on fe hait. Devons-nous avoir ,, des fentirnents contraires aux fiens ? II ,, nous aime, n'efpérons pas lui plaireen ,, nous haïffant". Tous ces raifonnements font autant de fophifmes; ,, pour aimer Dieu on n'eft „ point obligé a fe haïr; l'homme ne peut „ haïr fon être & fon bonheur, on ne „ fauroit confondre la haine évangélique „ avec une haine véritable auffi con„ traire a la volonté de Dieu qu'alaconf- titution effentielle de notre ame. Dien „ nous aime, donc nousdevons nous ai„ mer; la conféquence* elt jufte. Mais „ nous aimer avec des fentirnents con- formes aux fiens. Or, il ne nous defti„ ne qu'un bonheur d'ordre & de fageffe,, „ nous ne devons point en chercher d'au„ tre. Paree qu'il nous aime, il nous dé-„ fend de fuivre nos penchants injnftes, de placer notre fin & notre félicité dans 9, des objets créés. Paree qu'il nous aime, „ il nous ordonne d'obferver fes loix,de 3, nous foumettrea fa providence, même „ la plus févere: ainfi devons-nous nous „ aimer, la Religion n'exige rien au-dela. „ L'Auteur des Moeurs, après avoir con„ damné la pauvreté, la eontinence, les y, ceuvres de ïaortifieation, s'écrie '*qite  <* quelques Objeclions, &c. a?i ,, feriez'vous de pis, malheureux frénéti,, ques , fi vous aviez choifi pour Dieu „ cet efprit malfaiteur que vous appellez DiahleP Non, Dieu n'ordonnepa- ex,, expreffément k tous certaines ceuvres „ pénibles & faintes : & pour cela les „ condamne-t-il ? L'aumóue n'oblige „ point a fe refufer le néceffaire : la cha„ rité n'oblige point une femme pieufe ,, a confacrer tont fon temps libre a des ,, ceuvres de miféricorde. Mais fi ce riche fait des aumónes immenfes , 11 cette femme fe livre fans réferve aux ?, miferes du proclisis, éê ièliéd aétföirJÏ „ font elles condamnables ? On peut donc ,, aimer Dieu & faire plus qu'il ne com,, mande. Condamner les devoirs de la ,, vie civile, le mariage, Ia poffeffion lé,, gitime des biens, ce feroit un crime & non une perfeétion ( tendre a. fes fecours ;. il fouffre , c'eft affez pour elle. En facrifiant tout, les plawfirs, les agréments de la vie, la fortune,, la Iiberté, la fanté, en fe dévouant fans  Cfirêliennes. 277? référve au befoin des malheureux, ellen'afpire ni a la gloire, ni k 1'eftime des^ hommes;.elle fait mieux que dédaigner les louanges, elle ne penfe pas qu'on en doive è.fesaclions, eile croit ne remplirque des devoirs. On vante beaucoup la bienfaifance, k peine parle-t on de la charité chrétienne, paree qu'elle fe cache, paree qu'elle n'exige point de reconnoiffance, & ne fe plaint jamais des ingrats. Le chrétien ne regarde les richelfes que comme un dépót. que la Providence lui confiepour le foulagement des malheureux. Le Philofophe. dit k 1'infortuné : Je vous donne, je vousfacripZe; le chrétien dit : Je vous rends,je remplis Pobligation qui m'ejl impofèe. Le premier penlé qu'il fait contraéter une dette facrée, Ie dernier croit acquitter la. fieiine. Miniflre fidele de Ia divinité, il ne defire de reconnoiffance que pour elle; &. bienfaiteur toujours heureux, il jouit du plaifir fi doux, de fecourir fes femblables, fans pouvoir éprouver jamais Ia vaine agitation- caufée par 1'ingratitnde de ceux. qu'on oblige. L'humilité chrétienne nous dérobe la plus grande partie des aétions. héroïques infpirées par la Heligion; maiscelles qu'elle n'a pu nous cacher, nous prouvent afiéz que la raifon & Ia philofophie, fansle fecours de la foi , nes'éleveront jamais ace point de perftftion. Non; la feule humanitd n'èngagera dans aucun' temps l'homme Ie plus fenfible, ;\ donner. tout fon bien pour racheter des captifs,.  278 Des Vertus & a finir par facrifier le plus précieux de tous, la Iiberté, afin de rendre un fils unique k fa mere (a). La Religion feule put donner h. Saint-Francois de Sales, le Fénelon de fon fiecle, un défintéreffement fi extraordinaire, une charité fi ardente, & ce courage infatigable qui le foutint pendant fi long-temps, a travers les précipices & les montagnes de la Savoye (ZOLa Philofophie n'a jamais préfervé les Princes & les Souverains de Pambition & de la cruauté , & c'eft toujours pour le bonheur des peuples & de 1'humanité que la Religion les fanétifie. Quels exemples de vertu ofera-t-on préférer a ceux que nous préfentent le détail des actions des Papes , Saint Léon , Saint Grégoire, tk les regnes de Saint Louis , de Saint Ferdinand, &c. (c)? qui pourroit lire fans admiration, la vie d'Elifabeth de Hongrie (d), & celle de césv deux vertueufes Prin- (a) St. Paulirr, Evêque de Kolt; j'ai rapporré ce trait héroïque dans les Annales de la Vertu, (b) Ce grand homme, éga'cment célehre par fes écrits 8e fes vertus, fut Evêque de Geneve, & contemporain d'Henri IV. (c) Saint Ferdinand, Roi d'Efpagfle, coufmgermain de Louis IX, fut, comme ce dernier, un grand Roi, un Héros & un Saint. ( le refte de fa vie , aux befoins des pauvres , au fervice des matades, & a 1'éducation des orffteliot»  Cmrétiennes. z^cp eeffes, Jeanne de Bourgogne, Reine de France, & la Ducheffe de Normandie fa belle-fille , qui ,-pendant une contagion horrible, prodiguant leurs fecours aux ,, malheureux, furent frappées au milieu „ d'eux, du fléau dont elles cherchoient ,, a les délivrer, & en moururent? Les„ Héros qui meurent dans les combats, ,, ont-ils plus de courage, font-fis plus ,, généreuxqueces deux vidtimes de 1'hu,, manité"? («) On trouve dans 1'hiftoire, une multitude d'exemples de ce genre ; depuis 1'étabh'ffement du chriftianifme, chaque fiecle en fournit de femblables , & le nótre même en offre d'éclatants. C'eft dans ce fiecle qu'on a vu un homme, poffeffeur d'une fortune immenfe (M. le Marquis de Lagaraie), transformer en hópital, fon ch.iteau, & confacrer fa vie entiere au fervice des pauvres. D'autres ames prédeftinées , malgré les écueils qui environnent la fuprême puiflance , nous ont donné dans ce fiecle, des lecons- (a) M. Gaillard , Hiftoire ie la rhalitè ie la france & de l'Angleterre. Jeanne de Bourgogne fut la première femme de Philippe de Valois : le refpeft du Roi pour la vertu de cette pieufe Princeffe, alloit jufqu'a 1'affocier, en quelque forte , a Ia Royauté : il la confultoit fur toutesles affaires;. dans plufieurs lettres ou chartes de ce regne , on lit cette elaufe : Z>e Vavis O yolontê de la Reine, fa chere époufe, Hiftoire de la ïivalité de la France, &c,  efla Bes Vertas plus frappantes encore ; mais pourquof chercher loin de vous,Monseigneur, des modeles de vertu chrétienne? vous en avez fans ceffe fous les yeux d'aufll touchants pour vous; qu'ils font fublimes;. quel refpect & quel attachement ne doivent-ils pas vous iufpirer pour la Religion qui les produit! Nous-mêmes ne voyonsnous pas tous les jours dans un état également obfcur & refpeétable, tout ce qui devroit nous porter a révérer , a chérir cette Religion fi fainte ! On chercheroit en vain dans 1'antiquité payenne, ces fociétés nombreufes répandues dans toutes nos villes compofées d'hommes ou de femmes de tout dge, qui confacrent leurs études, leur Iiberté, leurs vies aux foinsles plus pénibles; fi les Phiïofophes trouvoient dans Fhiftoire Grecque ou Romaine, quelques exemples de ces faintes affociations formées en faveur de 1'humanité fouffrante, quels éloges ne prodigueroientils pas a cette bienfaifance furnaturelle !' Combien ils feroient furpris qu'un fexe foible & délicat pü't avoir la force de furmonter des dégoüts qui femblent iuvmcibles, de fupporter la vue d'objets qui révoltent les fens , dë triompher de la compafiion même qui les conduit & les anime, ou pour mieux dire, de n'éprouver ce fentiment qu'avec une male énergie , fans aucun mélange, de crainte ou de foibleffe ,. & de ne connoitre enfin de la pitié que ce qu'elle peut infpire*  Chrêtïenner. aSi drudle & de fublime. Cependant ces mömes Phiïofophes voyent fans admiration les Sceurs de la Charité exercer continueb lement parmi nous ces fonétions facrées ; ils les voyent chercher, recueillir, fecourir, veiller 1'infortuné; panfer les playes du pauvre, le confoler, le foigner avec une adreffe ingénieufe , un courage héroïque, une douceur, une patience que rien ne rebute. Errantes, aétives, infatigables, elles n'ont point d'habication fixe, elles vont oü 1'humanité les appelle, elles font oü la maladie & la douleur implorent leurfecours, tantot dans les prifons &les hópitaux, tantót fous les toits couverts de chaurae; fouvent elles font appellées dans les palais ; vouées volontairement a la pauvreté, elles méprifent les richeffes; mais elles donnent au riche fouffrant des foins purs & défintéreffés ; elles fe refufent a tous les témoignages de reconnoiffance qu'elles infpirent; leur offrir le plus léger falaire feroit a leurs yeux un outrage. Telle eft la charité chrétienne, tels lont les travaux auxquels elle fe confacre fans ceffe dans le féjour même du luxe & de la corruption. II en eft ainll de toutes les autres vertus morales; la Religion feule peut les épurer, les ren-» dre véritablement folides , & donner un motif raifonnable k la plus utile de toutes : la réfignation aux décrets de la Providence. Je ne m'étonne pas que tant de Philofoplaes anciens & modernes ayent  2R2 Des Vertus fait 1'apologie du fuicide; je ne m'étonne pas davantage que depuis vingt ans, ce crime foit devenu fi fréquent & ii commun eu France; cette calamité eft une fuite néceffaire de 1'irréligion. Comment prouver a l'incrédule qu'il doit conferver une exiftence qu'il abhorre? S'il a perdu tous les objets qui 1'attachoient a la vie , fi les injuftices , 1'opprellion ont détruit dans fon cceur, & 1'ambition & lé defir de fervir la patrie , & d'être utile aux hommes, quelles raifons employera-t-on pour 1'empêcher de fe délivrer d'un fartieau infupportable? Pourquoi donc feréligner lorfqu'on n'attribue fes maux qu'4 la fatalité, lorfqu'on ne reconnok ni Providence, ni fouveraine & fuprême autorité? Que fignifie cette phrafe vuide de fens : // feut fe foumettre d la nécefité? Pourquoi donc me foumettre, répondr» 1'impie, quand ie puis me révolter & termiuer mes fouffrances? C'eft un crime, ditesvous, eh, que m'importe! puifqu'il doit être impunü... Comment combattre de tels raifonnements ? Si vous convenez qu'une peine étemelle ne fuivra point ce crime , tous vos efforts pour 1'en détourner feront vains & fuperflus. Non, fans la Religion, il eft des maux qui jetteroient inévitablement 1'ame fenfible dans cet horrible abattement qui conduit au fuicide. Quel empire peut avoir la philofophie fur un cceur déchiré qui regrette robjet de fa plus tendre affec-  Chrêtiennes. 2S3 tion; que peuvent même alors les foins de 1'amitié ! dans ces affreux moments eti 1'on n'éprouve que le fentiment de fa perte 1 Les vaines exhortations des hommes préferveroient du défefpoir!... Ah ! pour me foumettre, il me faut non des confeils frivoles, mais un ordre fouverain : il faut que Dieu lui-même daigne me forriner, me foutenir; de moindres confolations feroient trop foibles pour de telles douleurs. C'eft fur - tout lorfqu'elle parle a I'infortuné que la Religion eft fublime : loin de lui défendre des regreis légitimes , elle les approuve & les fanctifie. „ Garde-toi, lui dit-elle, d'ofer „ murmurer contre des décrets facrés» „ que ta raifon ne fauroit comprendre. „ Mais pleures, tu le peux; porte aux „ pieds des autels une douleur foumife , „ & celui qui joint a la toute-puiffance, 3, la juftice fuprême, 1'immuable bonté, „ deviendra lui-même ton appui , ton „ confolateur ; tes larmes verfées dans „ fon fein paternel, ne feront point in„ fruttueufes, il en adoucira 1'amertu„ me; les hommes ne t'offriront qu'une „ pitié ftérile & paffagere : fi ta douleur „ eft durable, ils finiront par la confidé„ rer avec indifférence; ils ne plaignent „ que les maux violents & momentanés , „ le temps détruit en eux la plus jufte „ compaüion; mais Dieu, dans tous les 3, inftants, pere compatiffant, ami ten9J dre de ceux qui lui font fideles, leur  2b*4 Des Vertus ChritienntS. „ prodigite fes bienfaits, & proportionne ,, au befoin qu'ils en ont, les fecours „. qu'il leur accorde ". Et c'eft ainfi que, dans les peines qui déchirent 1'ame, la réfignation n'eft poffible & même raifonnable que lorfque la Religion 1'infpire. D'après 1'expofiiion de . ces vérités fi fimples & fi frappantes, vous comprendrez , Monseigneur, que 1'Athée , né fenfible & généreux, peut avoir de la bonté, & faire quelques actions louables & brillantes; mais que le Chrétien feul, peut être conftamment pur, courageux, réfigné , bienfaifant; enfin, que lui feul peut offrir le modele d'une vertu folide , & d'autant plus parfaite, que , loin de rechercher 1'approbation des hommes, il la craint, & n'agit que pour fa confcience & pour Dieu. CHAPITRE XX. Si Poft a une idéé précife de ce que c'eft qu'un Philofophe. On ne peut raifonnablement eftimer une chofe, que lorfqu'on en a une idéé claire & diftinéte. On n'a jamais tant parlé de Philofophie , tant van té la Philofophie. Quand on veut louer un ouvrage, on affaire qu'il eft philofophique : veut-on au contraire le déprimer, ce jugement fuffit i  Si Pon a une idéé précife, &c. rAuteur n" écrit point en Philofophe. Le jeune homme qui fort du college, ou qui revient de fon premier voyage a Londres, fait déja qu'il faut montrer de la Philofophie, & penfevphilofbphiquement. II a étudié les hommes en Philofophe aux courfes de New-Market & au Renelagh, & il fe félicité chaque jour d'être né dans un fiecle auffi philofophique. Ses parents & fes inftituteurs l'ont fans doute bien inftruit; mais cependant je doute qu'il püt répondre d'une maniere fatisfaifante a ces deux queftions fi fimples; qWeflce que la Philofophie? qu'efl-ce qu'un Philofophe? Lorfque j'entrai dans le monde , j'étois fort jeune , j'avois beaucoup de curiofité & de defir de m'inftruire; ces mots Philofophie , Philofophe , frappoient en tous lieux mes oreilles ; mais j'en demandois vamement une définition. Les réponfes & les exemples ne pouvoient qu'augmenter mon incertitude & mon ignorance. J'entendois appelier Phiïofophes une multitude de perfonnes qui n'avoient entr'elles aucune conformité de principes, de conduite, d'opinions. Je vis qu'on accordoitindiftinclement ce titre a 1'Atbée, au Déifte, au mifanthrope ? a l'homme du monde , & même a celui qui brave toutes les bienféances , & qui montre ie plus audacieux mépris pour les mceurs. Ainfi je voyois évidemment que la fageffe & les qualités de 1'ame n'ont rien de commun avec la Philofophie; la diverfité d'opinions des  206 Si Fon a une idéé précife Phiïofophes me prouvoit encore que s'ils cherchoient la vérité, ils n'étoient pas k cet égard plus avancés que le commun des hommes; & j'en conclus que les préiugés & 1'ignorance pouvoient feuls infpirer 1'eftime de la Philofophie , puifqu'elle n'avoit pour bafe ni la vertu, ni la vérité. Cependant jecherchois toujours quelle pouvoit être fa marqué caractériftique; je crus un moment que cette qualité diftinctive, confiftoit dans Pétude des fciences en général; car on appelloit Phiïofophes des gens uniquement connus par leurs travaux en ce genre, des Chymiftes, des Géometres, des Phyficiens, des Antiquaires; &c. mais je reconnus bientót mon erreur, en refléchiffant que certains Poëtes & certains beaux-efprits irès-fuperficiels & très-ignorants , étoient umverfeilement appelles Phiïofophes. D'ailleurs, on convenoit unanimement qu'un homme fans érudition & même fans aucune Mttérature , pouvoit être Philofophe. Mais qu'eft-ce donc que la Philofophie? m écrïois-je, qu'cft-ce qui la conftitue , qu'eft-ce qui la diltingue? ce n eft ni la fagelfe, ni la vertu, ni un genre de vie particulier, ni la fcience, ni les talents. Qu'eft-ce donc? Si on veut que je Peltnne, qu'on me la définifle, qu'on m'en donne une idéé précife. Un Philofophe eft un homme fans prejugés , me répondoit • on. >— Sans préjugés! & vous convenez quun Philofophe, & même un très-grand Philo-  de ce que c'eft qu'un Philofophe. 287 fophe, peut avoir des paffions vives, des idéés fauffes, adopter ou créer des fyftömes extravagants; en fe livrant a de telles erreurs, ofera-t-on fe vanter d'être exempt de préjugés ? Séneque, Pline, qui croyoient aux fonges, aux préfages, étoient de fameux Phiïofophes; Julien 1'Apoftar, avili par les plus abominables fuperftitions, fut - il un Philofophe fans préjugés ? mais pourquoi chercher dans 1'antiquité de tels exemples , Phiftoire moderne nous en fournit une multitude; regarderons-nous comme des fages, tous ces hommes appellés Phiïofophes, dans leurs fiecles & dans le nótre, & qui croyoient aux fylphes, aux gnom&s, & a tous les myfteres de la cabale ; & ce fameux Philofophe Milanois Cardan (V), n'avoit-il point de préjugés, lui qui croyoit aux Dreffentiments, a la magie, &c? (d). II étoit impoiïible de répondrea ces objeétions : eh bien, me répliquoit-on, un Philolöphe, c'eft un moralifte, c'eft un homme qui peut fe conduire mal, mais qui donne de bons prèceptes de conduite. — Mais le Philofophe Copernic & tant d'autres Savants qu'on appelle Phiïofophes, n'étoient nullement des moraliftes* O) II naquit en 150S : c'eft lui qui prit cette belle devife : Tempus mea poffeffie , tempus ager meus : le temps eft ma richefie, c'eft le champ que je cultive.  s88 iSV' 1'on a une idéé précifi; Le Philofophe Spinofa , le Philofophe Hobbes, le Philofophe Bayle (7), & tous les Phiïofophes leurs partifans, nous ont •laiffé d'abominables prèceptes, qui tendent a bouleverfer & a détruire tous les principes de la morale. D'ailleurs, s'il étoit vrai qu'un Philofophe füt un moralifte , ua homme qui füt donner d'excellentes regies deconduite, tous nos grands Prédicateurs feroient donc mis au rang des Phiïofophes : & j'entends répéter au contraire que Fénelon , Boffuet , Bourdaloue & Maffillon n'étoient point Phiïofophes. J'en fuis fitchée pour la philofophie; car elle feroit refpecïable è to.us les yeux, fi elle offroit dans quelques-uns de les Difciples, cette admirable réunion de talents fupérieurs & de vertus fublimes; & j'oferai dire que le titre qu'on a refufé a de tels hommes, ne fauroitêtre un titre honorableC'eft ainfi , Monseigneur, que je cherchois vainenu-nt des lumieres certaines fur la philofophie moderne; enfin ,je trouvai une perfonne inftruite & de bonne foi, qui voulut bien m'éclairer. Une feule choiV . medii elle, caraclérife aujourd'hui un Ph'lfnphe; c'eft 1'impiété. Un homme déshonuré comme le fameux Bacon, (a~) peut (a) Francois Bacon de Verulan, mort en 1616. II fur Ch.mcelier d'Angleterre , & accufé de malverfation , condamné a une «mende , privé de toutes fes charges, &c.  de ce que c'eft qu'un Philofophe. eSp peut conrerver le titre de Philofophe; la fottife, 1'ignorance, la méchanceté, la dépravation des Mceurs peuvent s'allier, & s'accordent en effet tous les fours avec la Philofophie; mais il faut afficher Pirréligion, nier hautement la révélation & les peines éternelles ; on n'exige de Pincrédulité que furce feul point; car d'ailleurs il eft permis aux Phiïofophes d'ajouter foi i toutes les extravagances produites par la charlatanerie. Un Philofophe doit rejetter les prophéties & les miracles de 1'Evangile , mais il eft le^maltre de croire aux prédiftions des Somnambules, & de ne pas révoquer en doute les prodiges opérés par le magnétifme&par Ja baguette devinatoire.D'après cette définition, mon opinion fur la Philofophie moderne fut fixée fans retour; mais voulant connoitre auffi avec détail la Philofophie ancienne, j'eus recoursü 1'Hiftoire. Je vis d'abord que dans PAntiquité, lenom de Philofophe n'étoit point un titre vague, & un mot vuide de fens; il ne fe donnoit alors qu'aux chefs des différentes feétes & a leurs difciples. On pouvoit dans ces temps anciens donner une définition claire & précife de la Philofophie; c'étoit comme le mot Pexprime, Pamour de la fageffe. Des hommes nés dans les ténebres du paganifme, & guidés par les feules lumieres naturelles ,"ne pouvoient que s'égarer; mais du moins ils avoient un but-vertueux. On doit avoir beaucoup d'indulgence pour leurs erreurs, & une N  émó Si 1'on a une idéé précife vive admiration pour leurs travaux utües. Je ne m'étonne point que Socrate ait eu des mceurs dépravées; je trouve Pexcufe de fes égarements dans fa religion, & dans les déréglements des faux Dieux qu'il adoroit, Mais je ne lis point fans étonnement le détail de fes opinions fur les devoirs de l'homme en général r» H me paroit bien fimple que, dans cette foule de fyftêmes produits par 1'ancienne Philoiophie, il y en ait tant d'extravagants & de pernicieux, & qu'on n'en puilfe trouver im feul utile ou raifonnable; mais je n'en admire que mieux les fages maximes que 1'on y rencontre, & ces traits de lumiere qu'on y voit briller quelquefois. Des Auteurs plus inftruits que moi, ont remarqué & meme prouvé que 1'ancienne Philofophie , quoiqu'eftimable en général par le but qu'elle fe propofojt, a fait plus de mal au genre humain , qu'elle n'a pu lui rendre de fervices. Carthage fut longtemps heureufe & florilfante, & n'eut point de Phiïofophes; Sparte & Rome n'étonnerent l'univers par leurs vertus & leur bonheur qu'avant le temps oü elles connurerit la Philofophie. La multiph'cité des fecies , la diverfité des opinions, formoient ta) Socrate n'a point écrit; mais on connolt avec détail la vie , & le fond de fa doftrine. Platon nous a tranfmis plufieurs maximes de cet üluftre Philofophe.  ■de ce que c'eft qu'un Philofophe. 291 des obftacles invincibles aux progrès de la morale; d'ailleurs , fi les premiers Phiïofophes chercherent de bonne foi la vérité , ceux qui les fuivirent montrerent rarement cette pureté d'intentions. Plufieurs d'entr'eux,tels que les Epicuriens, les Cyniques, &c. eurent la plus funefte ïnfluence fur les mceurs; d'autres affichoient une indépeudance, une hardielfe qui les fit craindre, en les expofant a de cruelles perfêcutions. „ Auffi (dit 1'Au„ teur des Lettres de quelques Juifs ,)les „ Phiïofophes furent-iis chafi'és de Rome fous Domitien comme ils 1'avoient -été „ par Néron... ils le furent mème fous le gouvernement doux & modéré de Veipaficn. Ils furent les feuls , remar„ que un Ecrivain moderne (», qui le „ contraignirent d'ufer , il leur égard, „ d une tëvénté oppofée a fon inclina»» t}0ïl' .rLes maxi«ies orgueiileufes du „ Stoïcifme, leur infpirant un arnour de „ la hberté fort voifin de la révolte, ces „ Doéteurs de fédition faifoient des le„ conspubliquesd'indépendance; ils abu„ ferent long-temps de la bonté du Prin*» ce, pour faper les fondements d'une „ autorité qu'ils auroient dü refpecler & „ chérir, & leurs déclamations ne cefie„ rent que quand ils eurent été les uns „ exilés, les autres renfermés dans des {«) M, Crevier. N ij  20Z 5/ Fon a une idéé précife files, quelques-uns même battus ds Ü verees & mis a mort O). II1 y a plus; ces Empereurs, en chaT'fant les Phiïofophes. ne faifoient, dit Ü Suétone , fe confituur h d anciennes loix portées contre eux. II a railon; car dès 1'an 160 avant 1'Ere vulgaire, Ü ils avoient été bannis de Rome par un décret du Sénat, & le Préteur, M. Pom" ponius, fut chargé de veiller a ce qu il ! n'en reftat aucun dans la ville, paree qu'on les regardoit, difent les Hiitoriens, comme des difcoureurs dangereux, qui, en raifonnant fur la vertu, " en renverfoient les fondements, &. com" me capables par leurs vains fophilmes " d'altérer la fimplicité des mceurS an" ciennes, & de répandre parmi la jeu" neffe des opinions funeftes k la patrie. " Ce fut fur les mêmes principes & par " les mêmes raifons que le vieux Caton " fit congédier promptement trois Am! bafTadeurs Phiïofophes... Que: penfer après cela, quand on voit M. de Voltaire avancer froidement.: Que l Htj!! toire n'ofre pas unfeul exemple de rritH lofophe 'qui fe foit oppofé aux volontés du Prince & du Gouvernement?.. . .. " Nous avons omis beaucoup de raits " oui prouveroient bien le contraire de ',, ce que M. de Voltaire avance avec (a) Voyei VUiftaire Rjmaint de M. Cievier.  de ce que c'eft qu'un Philofophe. 203 tant d'affurance; entr'autres , les Ii„ vres du Philofophe Crémutius-Cordus, „ brülés par ordre du Sénat Romain , „ &c. t» ". II n'eft pas furprenant que des Phiïofophes Payens n'ayent pu ni s'accorder entr'eux, ni rendre leurs travaux véritablement utiles au genre humain. Leur religion favorifoit le vice & la licence; il n'étoit pas polïible qu'elle fervit de bafe a une morale pure & févere; ces Phiïofophes Ie fentirent, ils moutrerent du mépris pour des fables abfurdes; mais ils ne comprirent pas que 1'impiété , que Pathéïfme ont des inconvénients plus funeftes encore que ceux qui naiffent de la fuperftition. Ils óterent la crainte des Dieux, &, en échange de ce fentiment falutaire, que donnerent-ils? Des fyftêmes incompréhenfibles, & des définitions imparfaites ou fanffes de la vertu. Euffent-ils créé les fyftêmes les plus ingénieux, euffentils donné les plus fublimes lecons de vertus, euffent-ils tous été d'accord entr'eux , ils n'auroient eu fur les mceurs qu'une influence paffagere; ils manquoient d'autorité. Pour olnenir des hommes le facrifice de leurs paffions, il faut, non des confeils humains, mais les ordres du Ciel. Les exhortations de la plus fublime philofophie feront toujours vaines, infruc- (a) Lettres de quelques Juifs, torn. 1". N iij  294 «Sï ^fl" 0 me idéé précife tueufes ; la Religion feule a le droit de commander , & le pouvoir de fe faire obéir. Les Phiïofophes anciens font excufab es fans doute, de n'avoir pas fenti la vérité de ces principes; mais que penfer des Phiïofophes modernes qui n'ont cherché qu'i détruire une Religion dont la morale eft auffi fublime qu'elle eft pure! Pourquoi rejetter 1'Evangile , lorfque le feul intérêt de 1'humanité devoit en faire adopter toutes les maximes falutaires , lorfqu'enfin on pouvoit donner a fes inttruélions cette bafe folide & facrée ? Quels font les plus grands moraliftes , quels font les véritables précepteurs & bienfaiteurs du genre huroain? Qu'on ne cherche point ces noms chéris & révérés parmi les incrédules & les impies; non, ces hommes dont Ia mémoire adorée ne périra jamais , puiferent dans 1'Evangile leurs principes & les grandes le?ons qu'ils nous ont laiffées («). „ Les Auteurs des Ecritures facrées „ ont puifé dans les plus füres lumieres „ de la raifon, tout le fond de leur doc„ trine, & tracé fur la deftination natu- (a) La Philofophie irréligieufe a-t-elle jamais produit des ouvrages que 1'on puiffe comparer a Télemaque , au petit Carème de Maffillon , aux Penfées de Pafcal, au Speclateur Anglois, aux Romans de Richardfon ? Ouvrages purs , qui ne contiennent pas une feule page qu'une mere de familie ne voulüt faire paffer a fa fille.  de ce que c'eft qu'un Philofophe. z$$ ., relle de l'homme, tout le plan du fyf'„ tême qu'ils lui préfentent. Tout ce „ que le livre, dont les Chrétiens, ref„ peclenf le contenn, comme le dépót „ des révélations divines, propofe ou „ commande aux hommes, ne tend qu'a refferrer les nceuds qui les uniffent a „ Dieu & ft la fociété, & ft leur rendre „ innniment chers tous les devoirs que „ cette doublé union leur impofe. En ,, nous montraut l'homme fortant des „ mains de Dieu, affocié aulïï-tót ft un „ être qui lui eft femblable, qu'il recorr„ noit même pour la chair de fa chair ,, & Pos de fes os, il nous découvre eti ,-, abrégé, i°. 1'économie de Ia Religion , ,, qui rapporte tout a Dieu comme a fa ,, fource étemelle,& au ceütre immuable „ de toute intelligente ; zQ. 1'établifle,, ment de la fociété, comme le premier „ état du genre humain, & comme un ,, corps oü rien ne meurt, & a qui 1'é„ ternité eft promife. Et fur-tout lorf„ que nous voyons toutes les généra„ tions de la terre, defcendre d'un feul ,, homme comme du pere cornmun de la „ familie immortelle, nous trouvons le „ puifiant intérêt de la nature &dü fang» mêlé ft tous les motifs qui nous preffent „ d'aimer les hommes, & de faire fervir toutes nos puiflances au maintien de ,, 1'ordre & de 1'unité publique. Le dé,, calogue fi ancien , que Moïfe nous 3, donne pour être forti du fein mêm* N iv  aotJ Si Fon « une idêe précife de la Sagefle infmie , ne renferme ab„ foiument que Ia regie de conduite que „ Phomme doit fuivre pour être jufte de» vant Dieu, & bon pour fes concitoyens. „ Et dans PEvangile, Jefus-Chrift vient 9, infifter avec une nouvelle force fur ces „ deux points qui renferment tout; il ne ,, fait qu'un même précepte de 1'amour 3, de Dieu & des hommes ; & ce précepte, il 1'appelle le premier c}? Ie plus „ grand de tous, le pen par excellence. „ II rapporte la toute la fuite de fa morale; & il n'a pas dit un feul mot qui „ ne tendlt a faire adorer Dieu en efprit 3, & en vérité, & k remplir nos coeurs de ,, 1'amour le plus généreux & le plus ten„ dre pour tous nos freres. II nousdonne „ autant d'exemples, que de lecons de „ refpeét &de foumiffion aux puiffances. ,, II ne diftingue pas même ce devoir du „ tribut d'adoration que nous devons a „ la Majefté infinie; & Céfar eft placé k cóté de Dieu même, dans le commandement qu'il nous fait d'être obéiffants „ & fideles. Si donc il étoit vrai que les „ Ecrivains de la Religion nous eufient „ donné , comme les Oracles du Ciel, „ les produétions de leur propre efprit, „ il feroit toujours très-certain qu'ils ont „ fait du bien aux hommes; qu'ils ont „ rappellé la raifon a fes plus purs prin„ cipes ; qu'ils l'ont reconduite , pour „ ainfi dire , dans fon pays natal, & ,i qu'ils étoient par conféquent de vrais  ik ce que c'eft qu'un Philofophe. 2$? „ & excellents Phiïofophes. La mali„ cieufe politique des mauvais ne peut „ donc plus être un myftere pour nous. „ Quelle philofophie, que cellequióce ,, a nos maux toutes leurs amertumes! „ qui attaché a 1'oubli de 1'intérêt perfon,, nel & au foin du bonheur des autres, „ un prix infini! qui nous rend précieux „ & défirables des chagrins & des revers ,, inévitables! qui nous fait envifager fans „ crainte & fans trouble, le dépérifle„ ment de nos corps, & qui change en „ un thédtre de triomphe & de félicité, „ Phorreur même de nos tombeaux! „ Et quand de fihautes idéés n'appor,, teroient point avec elles une atteftation „ éclatante de leur émanation de la fource „ étemelle de toute lumiere , quel eft l'homme, s'il fe connoït lui-même, qui „ ne les faififle comme le vrai befoin de „ fa raifon, & qui ne les embrafle comme „ 1'unique point d'appui de fon cceur ? „ La mativaife foi a beau s'agiter & fe „ tourmenter pour en obfcurcir la véri,, té, ce qui paffe fi fort toute intelli„ gence, nepeut être un rêve de 1'enten„ dement humain; ce qui nous fait tant „ de bien, ne fauroit être l'csuvre de „ 1'impofture («). " (a) Penfies fi,r la Philofophie de l'lncréduliti. Cet Ouvrage .dédiéaMoNsiEUR.eftdigne.a tous egards, de la prote&ion d'un grand Prince, N v  a$8 Si Pon a une idéé précife Un de nos plus célebres Phiïofophes modemes, J. J. Rouffeau, a comme les autres écrit contre plufieurs articles de notre foi, que 1'Evangile nous ordonne de croire; & par une inconféquence difficile a concevoir, il paroit fentir vivement toute l'utilité des prèceptes évangéliqnes. „ Nous fommes tous, dit-il, devenus „ doéleurs, & nous avons ceffé d'être „ chrétiens. Non, ce n'eft point avec „ tant d'art que 1'Evangile s'eft étendu ,, par tout 1'Univers , & que fa beauté raviffante a pénétré les cceurs. Ce diviti livre, le feul néceffaire a un chrétien, „ & le plus utile de tous a quiconque même ne le feroit pas, n'a befoin que „ d'être médité pour porter dans 1'ame Pamour de fon auteur, & la volonté d'accomplir fes prèceptes. Jamais la vertu n'a parlé un fi doux langage; jamais la plus profonde fageffe ne s'eft exprimée avec tant d'énergie & de fimplicité , on n'en quitte point la leéture „ fans fe fentir meilleur qu'auparavant... "tufte apprécrateur du mérite & des talents. L'Oirvrage eft en un volume -, il eft a defirer qu'on le laffe lire aux jeunes gens prêts a entrer dans te monde : il eft d'ailleurs aufli mtéreffant qu'mftructifle ftyle en eft énergique & rapide; on y truuve une grande force de raifonnement, & plufieurs moreeaux d'une beauté tres - Uiftipguée.  tte ce que c'eft qu'un Philofophe. aot? ,, (V)On dit que le CalifeOmar, confulté „ fur ce qu'il falloit faire de la bibliothe„ que d'Alexandrie, répondit : fi ces li,, vres contiennent des chofes oppofées a „ 1'Alcoran, ils font mauvais, il faut les „ bvtiler; s'ils ne contiennent que la doe„ trine de 1'Alcoran, brülez-les encore, ils font fuperflus. Nos favants ontcité „ ce raifonnement comme le comble de ,, 1'abfurdité. Cependant, fuppofez Gré,, goire le Grand ft la place d'Omar, & „ 1'Evangile ft la place de 1'Alcoran, la ,, bibliotueque auroit été brülée, & ce ,, feroit peut-être le plus beau trait de la „ viedecetilluffrePontife... Que devons,, nous penfer de cette foule d'écrivains „ obfeurs & de lettrés oififs qui dévorent „ en pure perte la fubftance de 1'Etat? „ Que dis-je oififs ? & plüt a Dieu qu'ils „ le fuffent en effet lies mceurs en feroient ,, plus faines & la fociété plus paifible. ,, Mais ces vains ck futiles déclamateufs ,, vont de tous cótés armés de leurs fu,, neftes paradoxes, fapant les fondements „ de la foi & anéanthTant la vertu; ils „ fourient dédaigneufement ft ces vieux „ mots de Patrie & de Religion, & con,, facrent leur philofophie ft détruire & ,, avilir tout ce qu'il y a de facré parmi les hommes. Non qu'au fond ils haïf- (a) Réponfe ie I. J. Rouffcau au Roi de Pologne fur la Qritique de fon Difcours fur les Sciences, N vj  3oo Si Pon * une idéé précife fent ni Ia vertu, ni nos dogrnes; c'eft „ de 1'opinion publique qu'ils font enne„ mis, & pour les ramener aux piedsdes „ autels, il fuffiroit de les reléguer parmi „ les Athées. O fureur de fe diftinguer, „ que ne pouvez-vous point O) ! Eft-il concevable que l'homme qui a parlé ainfi de 1'Evangile , & qui paroit prendre un fi vif intérêt aux mceurs, ait écrit la nouvelle Hèloïfe, &fipéü fouvent & de tant de manieres les fondements de la Foi? c'eft ici qu'on peut juftement encore s'écrier avec lui: 6 fureur de fe diftinguer^ que ne pouvez-vous point! C'eft encore ce même écrivain qui a fait dansEmile, un fi bel éloge de 1'Evangile; ce difcours eft trop célebre, & trop digne de 1'être , pour ne pas le placer ici. ,, Je vous avoue que Ia majefté des „ Ecritures m'étonne, la fainteté de l'E/ ,, vangile parle a mon cceur. Voyez les livres des Phiïofophes avec toute leur pompe, qu'ils font petits prösde celui,, I.ï! Se peut-il qu'un livre, a Ja fois fi 3, fublime & fi fimple , foit 1'ouvrage des „ hommes? Se peut-il que celui dont il fait Pliiftoire, ne foit qu'un homme lui,, même? Eft-ce la le ton d'un enthou- fiafte ou d'un ambitieux fèétaire ? Quelle (") J' 3- Rouffeau; Difcours qui a remportéTe prix 4 1'Académie ite Dijon,  tie ce que c'eft qu'un Philofophe. 301 „ douceur, quelle pureté dans fes mceurs, „ quelle grace touchante dans fes inftruc„ tions! Quelle élévation dans fes maxi,, mes! Quelle profonde fageffe dans fes „ difcours! Quelle préfence d'efprit, quel- le finelfe, quelle jufteffe dans fes répon„ fes! Quel empire fur fes paffions! Oü elf l'homme, oü eft lefage qui fait agir, ,, fouffrir, mourir fans foibleffe & fans oftentation? Quand Platon peint fon „ jufte imaginaire, couvert de tout 1'op- probre du crime & digne de tous les ,, prixde la vertu, il peinttraitpourtrait „ Jefus-Chrift; la reffemblanceeft fifrap- pante, que tous les peres l'ont fentie, ,, & qu'il n'eft pas pollible de s'y trom,, per... Avant que Socrate eüt loué la „ fobriété, avant qu'il eüt défini la v'er„ tu, la Grece abondoit en hommesver„ tueux; mais oü Jefus avoit-il pris chez ,, les fiens, cette morale élevée & pure, „ dont lui feul a donné les lecons & 1'exem„ ple?.... Oui, fi la vie & la mort de So„ crate font d'un fage, la vie & la mort „ de Jefus font d'un Dieu. Dirons-nous, que 1'hiftoire de 1'Evangile eftinventée „ a plaifir? Mon ami, ce n'eft pas ainfi „ qu'on invente, & les faits de Socrate }, font moins atteftés que ceux de Jefus.„ Chrift. Au fond, c'eft reculer la diffil „ culté fans la détruire; il feroit plusin„ concevable que plufieurs hommes d'ac,, cord euflent fabriqué ce livre , qu'il ne s, 1'eft, qu'un feul eu ait fourni le fu-  302 Si fon a une icfêe précife jet Et 1'Evangile a des caracteres „ de vérité fi grands, ii frappants , fiinr3, mitables, que 1'inventeur en feroit plus étonnant que le héros''. Croirez-vous, Monseigneur, que l'homme qui fait cette profeffion de foi, termine ce même difcours, en déclarant qu'il eft tombé dans un fCepticifne involontaire dont-il ne peut fortir. Ce réfultat d'un tel difcours eft-il concevable? Voulez-vous connoitre, Monseigneur , Popinion d'un grand Philofophe de nos jours, fur les Phiïofophes fes contemporains , écoutez encore J. J. Rouffeau. Voici comme il peint tous les Chefs & leurs partifans. ,, Ils font fiers, affirmatifs, dogmati„ ques , n'ignorant rien , ne prouvant ,, rien, fe moquant les uns des autres, „ & ce point commun m'a paru le feul fur lequel ils ayent tous raifon.... Ja„ mais, difent les Phiïofophes, la vérité „ n'eft nuifible aux hommes; je le crois „ comme eux, & c'eft a mon avis , une „ grande preuve que ce qu'ils enfeignent „ n'eft pas la vérité.... Un des plus fa„ miliers fophifmes du parti philofophi„ que, eft d'oppofer un peuple, fuppofé „ de bons Phiïofophes, a un peuple de „ mauvais chrétiens; comme fi un peu,, ple de vrais Phiïofophes, étoit plus fa,, cileafaire, qu'un peuple de vraischré„ tiens.... Refte a favoir fi la philofophie j, a fon aife & fur le tróne commanderoit  de ce que c'eft qu'un Philofophe. 305 „ bien ,a la gloriole, a Pintérêt, il 1'am,, bition & aux petites paffions de 1'hom- me, & fi elle pratiqueroit cette huma„ nité fi douce qu'elle nous vahte la plu- me il la main.... Par les principes, la philofophie ne peut faire aucun bien que „ la Religion ne le faffe encore mieux, ,, & la Religion en fait beaucoup, que Ia philofophie ne peut faire.... Tous les „ crimes qui fe font dans le clergé com3, me ailleurs, ne prouvent point que Ia „ Religion Ibitinutile, mais que très-peu „ de gens ont de la religion. Nos gou,, vernements modernes doivent incon- teftablement au chriftianifrae leur plus ,, folide autorité & leurs révolutions moins „ fréquentes. II les a rendus eux mêmes ,, moins fanguinaires : cela fe trouve par „ les faits, en les comparant aux gouver,, nements anciens. La Religion mieux ,, connue, écartant le fanatifme, adonné „ plus de douceur aux mceurs chrétien„ nes. Ce changement n'eft point 1'ou„ vrage des lettres; car par-tout oü elles „ ont brillé , l'humanité n'en a pas été „ plus refpeciée. Les cruautés des Athé„ niens, des Egyptiens, des Empereurs ,, de Rome & des Chinnis en font foi. ,, Que d'ceuvres de miféricorde font 1'ou- vrage de 1'Evangile! Que de reftitntions, „ de réparations , la confeffion ne fait„ elle pas faire chez les Catholiques !... ,, Quand les Phiïofophes feroient en état de ciécouvrir la vérité, qui d'eutrVux  304 St Fon a me idéé précife „ prendroit intérêt a elle ? Chacun fait „ bien que fon fyftême n'eft pas mieux „ fondé que les autres; mais il le foutient paree qu'il eft a lui. II n'y en a pas un s, feul qui, venant a trouver le vrai & „ le faux, ne préférdt le menfonge qu'il „ a trouvé a la vérité découverte par un „ autre. Oü eft le Philofophe qui, pour fa gloire , ne tromperoit pas le genre „ humain? L'effentiel eft de penfer „ autrement que les autres. Chez les „ croyants, il eft athée: chez les athées, il s, feroit croyant Fuyez ceux qui, „ fous prétexte d'expliquer Ia nature, fe5, ment dans les cceurs des hommes, de „ défolantes doétrines, & dontlefepticif„ me apparent, eft cent fois plusaffirma- tif & plus dogmatique, que le ton dé„ cidé de leurs adverfaires. Sous le hau,, tain prétexte, qu'eux feuls font éclai„ rés, vrais, de bonne foi, ils nous fou- mettent impérieufement a leurs déci„ fions tranchantes, & prétendent nous „ donner pour les vrais principes des chofes, les inintelligibles fyftêmes qu'ils „ ont bdtis dans leur imagination. Du „ refte, renverfant, détruifant, foulant „ aux pieds, tout ce que les hommes „ relpeétent , ils ótent aux affligés la ,, derniere confolation de leur mifere , „ aux puiffants & aux riches, le feul ,, frein de leurs paffions; ils arrachent „ des cceurs le remords du crime, 1'ef„ poir de la vertu, & fe vantent encore  de ce que c'eft qu'un Philofophe. 305 ,, d'être les bienfaiteurs du genre humain Ca). ,, C'eft une terrible chofe pour Ia phi„ lofophie, qu'au milieu de cette fameufe Grece, 1'Etat oü la vertu aété Ia plus ,, pure, & a duré le pluslong-temps, ait „ été précifément celui oü il n'y avoit „ point de Phiïofophes. Les mceurs de „ Sparte ont toujours été propofées eu „ exemple a toute la Grece; tout la Grece „ étoit corrompue, & il y avoit encore de „ la vertu a Sparte; toute la Grece étoit „ efclave , Sparte feule étoit encore li„ bre.... Qu'eft-ce que la philofophie? „ Que contiennent les écrits des Philofo„ phes les plus connus ? Quelles font les ,, lecons de ces amis de la fagelfe? A les ,, entendre, ne les prendroit-on pas pour „ une troupe de charlatans, criant cha„ cun de fon cóté, fur une place publi„ que: venez a moi, c'eft moi feul qui „ ne trompe point ? L'un prétend qu'il „ n'ya point de corps, & que tout eft en „ repréfentation; Pautre, qu'il n'y a d'au,, tre fubftance que Ia matiere, ni d'au„ tre Dieu que le monde. Celui-ci avanjj ce, qu'il n'y a ni vertus ni vices, & „ que le bien & Ie mal moral font des „ chimères. Celui-la, que les hommes ,, font des loups, & peuvent fe dévorer „ en füreté de confcience. O grands Pki- («} Emilei  306 Si Fort n me itlèe précife „ lofophes! que ne réfervez-vous pour vos amïs & pour vos enfants, ces lecons „ profitables; vous en recevriez bientót ,, le prix, & nous ne craindrions pas de ,, trouver dans les nótres quelqu un de „ vos feclateurs [a) ". Ce n'ell pas moi, Monseigneur', qui vous parle ainfi de Ia philofophie & des Phiïofophes; qu'importe fur un objet fi grave, Popinion d'une femme! Mais le témoignage d'un grand Philofophe ne peut a cet égard vous paroitre frivole ou füfpeet. Au refte, Rouffeau n'eft pas le feul Philofophe moderne, qui ait fait 1'éloge de 1'Evangile en attaquant les plus importanties vérités qu'il enfeigne. On demande en vain a ces Phiïofophes, pourquoi ils veuJ'ent détruirc ce qu'ils jugent eux-mêirrs fi utile & fi digue d'admiration, ils difent fa) Difcours fut a remporté le prix d V'Académie de Dijon. Qu'on rapproche de toutes ces citations , tirees des Ouvrages de Rouffeau , U Dialogut de Vlnfpiré O du Raifonneur , celui du Profélite & du Mijfionnaire , la Profejfwn de foi du Vicairc Savoyard, Sec., Sc fon conviendra qu'il eft impoffïble de pouffer plus loin 1'inconféquence. J'ai placé sf la fin de c«t Ouvrage quelques rèflexions qüi m'ont paru neuves , fur cet Ecrivain célebre , & fur 1'influence qu'ont eu fes ouvrages relativement aux moeurs i & a 1'éducation. Voyez a Ia fin de ce volume, , la note S.  de ce que c'eft qu'un Philofophe. 307 a cela qu'ils n'écrivent que pour le bien de rhumanifè; ce qui ne paroit pas une réponfe bien fathfaifante. M. de Voltaire qui a montré tant de mépris pour la révélation, fait un aveu remarquable, en parlant de la deftinée future de l'homme. »> La nature eft muette, on 1'interroge en vain; « On a befoin d'un Dieu qui parle au genre humain : » 11 n'appartient qu'a lui d'expliquer fon ouvrage, p De confoler le foible & d'éclairer le Sage, Töus les hommes qui ont réuni aux talents, 1'amour de 1'humanité, ont montré la plus vive indignation contre les écrivains: impies. M. Thomas a compofé un ouvrage pour venger Vaugufte Religion de nos peres, des attaques de cette philofophie ergueilleufe, qui voudroit élever fur fes débris la Religion naturelle. Duclos, dans les-Conftdérationsfur les mceurs, dit en parlant des écrivains impies r Que, fans leurs excès, on ne les eüt jamais nommés ; fem* blables a ces malheureux, que leur état condamnoit aux ténebres, & dont le public n'apprend les noms que par le crime & le Jupplice (a) Rien n'eft plus jufte que cette penfée, exprimée d'une maniere fi ingénieufe. A 1'exception de M. de Voltaire , qui avoit une véritable fupériorité d'efprit, tous les autres détrae-  308 Si Ton a une idéé précife Dans une lettre imprimée, 1'Abbé Arnaud, ne s'exprime pas avec moins d'énergie. // eft Jingulier, dit-il, que ce foit du Jein de la république des lettres que partent aujourdhui les traits les plus funefies a la tranquillité de VEtat. Prefque tous nos écrivains s'érigent en lègiflateurs, & détour nent efrontément du refpecl qui eft dü a la fainteté des loix, pour en revétir leurs dèlires &? leurs extravagances. Phiïofophes petits & fuperbes, les moyens dont ils fe fervent pour furprendre l'efime, ont été péne trés, & ils font couverts de Vhumiliation & du mépris dans lefquels ils vouloient faire tomber ce qu'il y a de plus refpettable & de plus faint. Un Auteur moderne vient tout-a-l'heure, de 1'outenir avec autant de fuccès, de talent, de courage, de méthode, que de raifon, la caufe & les droits du bon goüt, des moeurs & de la Religion. A propos de Tite-Live, il fait cette queftion : „ Si „ fon berceau eüt été éclairé de la lumiere de 1'Evangile, croit-on qu'avec Pex,, cellent efprit & le bon jugement dont „ il étoit doué , il auroit imité ces pré„ tendus hiftoriens, ces écrivains auda,, cieux, qui, déchalnés également con- teurs de la Religion refiemblent a cet infenfé, qui, ne pouvant prétendre a la gloire, & ne defirant qu'une vaine célébrité , brüla le temple d'Ephefe, afin fl'immortalifer fon norr*.  de ce que c'eft qu'un Philofophe. 309 », tre Ie tróne & Pautel, cherchent a ren>, verfer Pun & 1'autre, & brifant du mêj, me coup Ie fceptre & Pencenfoir, veu„ lent vivre indépendants du ciel & de la ,, terre? Infidele comme eux dans les faits, ,, fophifte dans les raifonnements, auda,, cieux dans les penfées, téméraire dans les rèflexions, toujours inconféquentck „ fuperficiel, auroit-il, a leur exemple, em„ ployé le menfonge, les farcafmes les plus „ amers, & les plaifanteries les plus grof,, fieres, contre une Religion dont tout annonce, tout démontre &toutprouve la Divinité (0). De tout ceci, vous pouvez conclure, Monseigneur , que 1'inconcevable inconféquence des prétendus Phiïofophes modernes, fufflroit feule pour rendre extrémement méprifables leurs pernicieufes opinions & leurs écrits. Vousvoyez qu'ils fe contredifent fans cefle, qu'ils manquent également de principes, de raifon & de bonne foi. Vous voyez que la philofophie n'a jamais été véritablemeut utile au bonheur du genre humain, qu'elle a dans tous les temps produit des erreurs & des folies monftrueufes, & qu'elle a caufé de nos jours la révolution la plus funefte. Vous voyez enfin, que fi Pon entend par (o) De laDieadenct des Lettres &• des meturs dtpu'n lts Gries & lts Romains jufju'a noi jours j par iVL Rigoley de Juvigny,  gio 5? Pon a une idéé précife philofophie, Pamour de la fagejfe, le defir d'éclairer les hommes, de les rendre meilieurs, cette définition ne peut convenir qu'a la philofophie qui puife fes principes dans 1'Evangile. L'homme fen. fible, inftruit & raifonnable, qui defire le bien, & qui veut de bonne foi dpnnerdes lecons utiles, s'armera toujours de cette autorité fuprême, & s'appuiera fur cette bafe inébranlable & facrée. En un mot, la fublime morale de 1'Evangile, rend la véritable philofophie inféparable de la Religion. Cependant, Monseigneur, je ne vous dirai point avec J. J. Rouffeau, fuyez ceux qui affeétent un pernicienx fepticifme, fuyez ceux qui foulent aux pieds tout ce que les hommes refpeclent. La Religion vous donnera des confeils plus doux & plus modérés; toujours indulgente, elle n'infpire point ces mouvements violents de mépris & de haine, . que-1'orgueil feul produit; fon indignation vertueufe ne reffemble jamais au dédain : elle nous porte h plaindre le mé- ' chant & l'impie, mais d'une compalfion fincere & modefte qui ne s'affiche point, & n'a rien d'infultant. Loin de s'éerier avec oftentation , fuyez Vhomme pervers, elle dit : fupportez-le, fachez s'il le faut yivre avec lui, & gardez-vous, fur-tout, de 1'offenfer & de le haïr. Ainfi, Monseigneur, fi par la fuite vous rencontrez des partifans de la fauffe philofophie , ne leur montrez point une aigreur  de ce que c'eft qu'un Philofophe. j« puérile; en plaignant au fond de 1'ame leurs erreurs, rendez hautement juftice ft leurs bonnes qualités, & vivez paifiblement avec eux. Fait pour aimer un jour les Lettres & les Arts, vous n'accorderez fürement de protecnon particuliere & diftinguée qu'ft ceux qui joindront les vertus aux talents; c'eft alors que vos bienfaits feront véritablement honorables : avec ce difcernemeut & ces lumieres, vous donnerez bien mieux que des penfions, vous pourrez offrir des récompenfes. CHAPITRE XX. Des Préjugés philofophiques. J'ai paffe- ma vie ft entendre les Phiïofophes fe moquer des préjugés de ceux qui n'ont point de philofophie; &. depuis vingt^ans que je fuis dans le monde, & que j étudie les mceurs & les caraéteres des gens qui compofent la fociété, je n'ai trouvé de préjugés, profondément enracinés & véritablement dangereux & nui3 fibles, que parmi les Phiïofophes. Les 1 préjugés qu'on reproche ft quelques femi mes , & ceux du peuple, ne font de | mal ft perfonne; ils font puériles cc déraifonnables comme tous les préjugés; mais du moins ils font innocents : qu'importe a la fociété, que nous foyons effrayées &  3ia Des Préjugés la vue d'une faliere renverfée, que nous regardions le vendredi comme un jour malheureux, que nous fuppofions de grandes vertus a un crapaud deiféché, ou qu'un payfan appelle des certains météores, des efprit filets,&c. Les préjugés de ce genre font bien faciles a détruire; j'ai vu des ieunes perfonnes les avoir depuis leur enfance, & les perdre tous en peu de jours. Les préjugés des gens fimples & naïfs, n'ont jamais de profondes racines; mais ceux des efprits vains & fuperbes, font toujours des maladies incurables. je ne parlerai point de tous les préjugés qu'on pourroit reprocher aux Phiïofophes modernes; ce détail feroit minutieux & trop long; je ne ferai mention que de ceux qui m'ont le plus frappée. On trouve éternellement dans leurs écrits, les idéés les plus fauffes fur les Rois, fur les Princes, fur les Courtifans, fur les Cours. Leurs portraits de courtifans ne repréfentent rien de plus réel que ceux des Crifpins 6c des Soubrettes de Comédie , dont on chercheroit en vain les originaux dans la fociété. Ils s'imaginent que tous les courtifans font de vils adulateurs , & tous les Princes, des ingrats, incapables de fentir les douceurs de 1'amitié. Je ne crois affurément pas que laflatterie foit bannie des Cours; mais je dis qu'elle y eft infiniment moins prodiguée, & beaucoup moins groffiere que les Phiïofophes ne le prétendent, lis 1 ont  philofophiques, gij 'om des préjugés ft-peu-prés femblables iur toutes les dafjes de la fociété • ils nous peignent les hommes mille fois 'plus vicieux & plus méchants qu'ils ne le font en effet; leurs écrits réuniffent deux chofes qui paroiffent fort oppofées -: une morale épicunenne & de la mifanthropie. L ïrréligion & 1'orgueil doivent produire cet affemblage étrange; quand on manque de principes, on n'eft guidé que par Pat* trait du plaifir; quand on fe croit un être privilégié, fupérieur aux autres hommes „ on méprife 1'efpece humaine, & Pon fe livre ft Phumeur, aux préventions, au dédain , aux dépits fecrets qu'infpire une excefhve vanité, que tout irrite & que rien ne peut fatisfaire. Si tous ces ouvrages philofophiques n'avoient que ce feul défaut, d'offrir toujours des peintures ou tauiies, ou prodigieufement exagérées ils feroient encore trés - dangereux. Ora n indruk point en donnant fes préjugés pour des lumieres certaines; on n'excite point la bienfaifance & Phumanité en faiJant haïr les hommes. J'ai déja parlé dans les Chapitres précédents du fens étendu que les Philofopaes donnent ft cet axióme : que nulpuifi Jance n a le droit de gêner la Iiberté de fenfer; on a vu qu'ils entendent par liberté de penfer, celle de parler, d'agir, d écrue, de répandre & de publier tous leurs fyftêmes. Cette opinion fur Ia Iiberté -depenfer, ne vientpasde leurs préjugés;  si4 Des Préjugés ils avoient leurs raii'ons pour chercher a 1'établir; j'en ai fait le détail; mais leurs idéés fur ce qui conftitue la Iiberté de l'homme en général, & fur la dignité de cette Iiberté philofophique , tiennent i des préjugés infiniment nuifibles ft la fociété; ils paroiflent perfuadés que Pautorité la plus légitime n'eft qu'une ufurpation : de lft, cette multitude de principes féditieux, répandus dans tous leurs ouvrages; enfin, leurs idéés fur !e prix que Chaque individu doit attacher ft fa Iiberté perfonnelle, font fi fauffes & fi condamnables, que la plus amere critique qu'on en puiffe faire, eft d'en donner le développement. Selon eux, point de paix intérieure, point de gloire, point de-bonheur fans la Iiberté. Un homme qui renonce ft fa Iiberté, s'avilit, & doit bientót, en perdant Vinergie de fon carattere, prendre tous les vices que fait contraéter Pefclavage; une ame élevée , pènétrêe dit fentiment de fa grandeur, doit préférer la Iiberté ft la fortune, ft la confidération, aux honneurs; il y a des chalnes bnllaiites mais il n'en eft point de légeres. Le repos & la Iiberté, voila les feuls biens dëfirables, &c. &c. Tels font les pompeux éloges que, depuis vingt ans , Ia philofophie moderne prodigue avec tant d'emphafe ft ia Iiberté & au repos : mais qu'eft-ce donc que cette Iiberté fi précieufe? Les phrafes ne peuvent m'éblouir ; j- voudrois une définition, je la demande  philofophiques. 3^ en vain aux Phiïofophes; ils font accoutnrnés a ne répondre que par des exclamations , des fentences ils décident ils" jugent defpotiquement & ne définiflent rien. C eft avec cette méthode qu'ils féduuent:& qu'ils entrainent. La raifon avant d admirer, demande a connoitre ce qu ou lui vante; la multitude légere cuneufe, fe paffionne fans examen , & fut toujours 1'écho fidele desenthoufiaftes & des charlatans; auffi a-t-elle conftamment fépété, que la philofophie eft la véritable jouree des lumieres, & que le repos & la Iiberté font les vrais biens de Phomme . lans avoir pris Ia peine de demander qu'eftctW%}*Phil°f°phie, en quoi confifte h repos & la hberté philofophique? Les livres des Phiïofophes, les principes qu'on y trouve, es réfultats de ces principes & 1 étude de leurs mceurs, peuvent nous te» nir heu des définitions précifes qui nous manquent. Nous avons vu un Philofophe refufer de préfider a Péducation d'un Prmce étranger, deftiné a régner fur de na?epEtrati? 11 n'al,é§ua Poi« Pour excufe Pinfiiffifance de fes talents, encore moins 1 amour de la patrie , (un Philofophe n a pour patrie qiie l'univers); mais il prononca ces mots facrés : malbertél 1a Iiberté d'un PhilofopheEt tous ceux du parti admirerent & célébrerent ion rerus. „ Q„ on propofe ce problême • | „ trouver une méthode infaillible pour dém truire toutes les notions de juftice, -de O if  3if3 Des Préjugés vertu S5 de devoir, voici Ia folution f ?, aveuglez & étourdifez les hommes fur „ rapports qui les lient d des objets étrangers, & q"e chacun fe croit fon " tout & fa fin. Voila le tombeau de toute idéé religieufe & morale, & par „ conréquent, la mine de tous les principes des obligatiotis humaines. Qui a '' pu vouloir creufer ce tombeau, & caufer cette ruine ? Prenez les livres des Philo' fophes; lifez &jugez(»". J'ai connu un Philofophe qui joignoit a un caraftere doux & vertueux, des talents diftingués; fafituation n'étoit point heureufe, il feréduifoit a 1'abfolu néceflaire, afin de faire fubfifter deux fceurs infirmes dont il étoit l'unique appui. II vivoit feul dans unepetite maifon prés de Paris. Quelques perfonnes touchées de fon mérite, s'occuperent avec fuccès des moyens de changer fon fort; on lui offrit un emploi honorable & lucratif; il le refufa obftinément, afin, difoit-il, de conferver fa Iiberté. Cependant cette Iiberté fi chere ne le rendoit nullement heureux; il étoit d une extréme mélancolie, il fentoit vivement le malheur de fa pofition, & s'en plaignoit fouvent avec amertume. Comment pouvez-vous , lui difoit-on, refufer une fortune honnfite qui vous donnera des moyena nouveau* de faire le bien? Vous pourrez {a} Penfées fur U Philofophie de TIncréiuütit  philofophiques. 317 ajoater au bonheur de vos parents, & foulager des pauvres: d'ailleurs, vous ferez occupé ; 1'emploi qu'on vous propofe, demande des lumieres & de la probité j vos talents deviendront utiles ; dans la retraite oü vous êtes, ils font perdus pour Ia patrie; ne doit-on pas la fervir autant que les circonftances le permettent? — Je fuis libre, je ne veux pas prendre de ehaines. — Mais n'avez-vous paspris en naiffant, 1'obligation facrée de rendre ft Ia fociété dans laquelle vous vivez, tous les fervices qui dépendent de vous? — Je vis retiré, je n'attends rien des hommes , je ne leur demande rien; ils n'ont pas le droit d'attenter ft ma Iiberté. — Vous recevez d'eux des bienfaits, & vous leur refufez du zele! Ne vivez-vous pas fous la protection des loix qu'ils ont étabües ; ces loix ne font-elles pas votre lïireté,, votre tranquillité ? Ce font elles qui vous confervent vos biens, ce font elles qui puniroient ceux qui voudroient vous en dépouiller : eft-il jufte que vous jouiffiez de tous les droits de citoyen , eu dédaignant d'enremplir les devoirs ? Non , l'homme ne fut point formé pour nourrir cette pareffe que vous nommez repos, & pour fe livrer ft ce cruel égoïfme que vous appellez Iiberté. Créé foible, fenfi> ble & raifonnable, il ne fauroit ni fefuffire ft lui-même, ni repoulfer 1'inftincT:naturel q^ui le porte ft fecourir fes femblables. Si Porgueil n'a point altéré fa raifon , tout O üj  3i8 Hes Préjugés lui prouve qu'il ne fauroit fe paffer d'appui; fi fon cceur n'eft point corrorapu, il brüle du defir de fe rendre utile,de payep ce qu'il eft. forcé d'aceepter. Le befoin d'obliger ennoblit a fes propres yeux le befoin qu'il a des autres. Donner & recevoir, telle eft fa deftination. Ordre admirable qui a formé les fociétés & tous . les liens qui en affurent la folidité, la puiffance &. le charme. —Quoi que vous en difiez ,. je n'accepterai point un emploi qui me forceroit de renoncer a la folitude; que ferois-je- dans le grand monde? il faut être vicieux pour yplajre;lcs. intriguants & les frippons peuvent feuls y réuflir; on n'y, fait fon chemin qu'ft force de bafleffes... — Autres préjugés philofophiques : avez-vous bien étudié ce monde que vous peignez avec de fi noires couleurs? Non, ce n'eft point au fond d'une folitude, ou même dans des cercles de favants & de beaux-efprits, que 1'on apprend a le connoitre. On trouve, il eft vrai, dans le monde beaucoup de vices , de travers & de ridicules; mais on y voit auffi de grands exemples de vertu , & clans toutes les claffes. Je conviens que 1'intrigue y conduit fouvent a la fortune; mais en général, le vice & les mauvaifes actions empêchent d'y parvenir, tandis que la. confidération & les honneurs y font toujours le prix d'une conduite noble & verttieufe réunie aux talents. Les grands emplois. font communémcnt donnés au mé>  philofophiques. 3~ro' «te ou a la réputation; & 1'autorité bieniaifante dans'tous les choix importants, confultel'opinion publique. Enfin, les trasifons & les baflelfes font déteftées & méprifées dans le grand monde ainfi qu'a la Cour, & j'ai vu parmi les beaux-efprits & les Phiïofophes des rivalités, des inimitiés beaucoup plus cruelles, des fcenes beaucoup plus ridicules, des noirceurs infiniment plus multipliées, qu'il n'y en eut jamais parmi les courtifans. Dites-moi, croyez-vous que votre vertu ne tienne qu'aux circonftances, au genre de vie que vous menez? Non, fans doute; vous euffiez été vertueux en quekru'état que le fort vous eüt placé. Comment pouvez-vous donc penfer que la naiffance, la fortune & les honneurs, doivent néceffairement pervertir tous les autres hommes? Le méchant eftconféquent lorfqu'il n'attend des hommes que des noirceurs & des perfidies; mais lefage trouve au fond de fon cceur un préfervatif certain contre la mifanthropie; il ne fe croit point un être unique dans Ia nature, & fa propre vertu 1'attache a 1'humanité. Tous ces raifonnements ne perfuaderent point mon Philofophe; rien ne put vaincre fon obftination; il vouloit, difoit-il, refter libre, vivre pour lui feul, & mounrdans le^repos. Vers ce même temps, il refufa d'époufer une veuve aimable & riche , qu'il aimoit; il ne put fe rélbudre è lui Jacrifier fa Iiberté. Ce Philofophe O- i*  ■32o Des Préjugés étoit de bonne foi : ceux lit fontrares.Ea général, leurs préjugés réfiftent aux raifonnements, mais cedent a 1'intérêt. II fut la viétime de fes fyftêmes philofophiques. Jeune encore, il mourut de la confomption, en répétant que la Iiberté ejl leplUi précieux de tous les biens* Ce furent fes dernieres paroles. II laiffa un ouvrage manufcrit contre le cèlibat des Prétres, dans* lequel il vouloit prouver qu'on devoitabolir tous les ordres religieux,. paree qu'il. ne falloit fouffrir dans 1'Etat que des citoyens utiles, On voit. qu'il y eut peu de conformité entre les principes de ce Philofophe & fa conduite; mais ces inconféquences philofophiques font trop communes pour qu'on en puilfe être frappé. Au relle Iaprétendue inutilité des Religieux, eft encore un des préjugés que la philofo-phie moderne a répandus. II y a longtemps qu'on a prouvé dans d'excellents ouvrages, qu'en général les Eccléfiaftiques font dés citoyens très-utiles par 1'emploi bienfaifant que Ia feule décence de leur état les oblige de faire de leurs richelfes. j'ai vu toutes les Provinces de Ia France ; & dans toutes les terres poffédées par des religieux, je n'ai point trouvé de pauvres; j'y ai vu 1'agriculture floriffante ,des payfans plus heureux & moins groffiersqu'ailleurs. Sans parler des aumónes immenfes diftribuées h Paris par fon Archevêque & fes Curés, combien de millions de pau« vres fecourus, de laboureurs encouragés- ï  philofophiques.. jas? dans toute 1'étendue du Royaume par les Miniftres de 1'Eglife! Si les Eccléfiaftiques fuivent ftrictement les obligations que leur impofe leur état, leur charité n'a point de bornes; & même lorfqu'ils ne les fuivent pas avec une fcrupuieufe exactitude, ils font encore infiniment plus d'aumónes dans leurs terres que n'en fontcommunément les Seigneurs féculiers. Le fafteleur eft interdit; il eft a la fois pour eux tra, tort & un ridicule, & c'eft le faite furtout qui produit 1'avarice & Pendurcifle-ment du cceur. Ne pouvant fe faire re> marquer par le luxe & la magnifleen-ce, les Eccléfiaftiques ne fauroient avoir qu'une forte de vanité, Ia feule qu'on puiflé refpeéter, celle de fe diftinguerpar des vertus. II en eft une qu'on exige particuliérement d'eux, c'elt la charité. L'opinion publique, 1'honneur, Ia Religion , leur font également I'indifpenfable loi d'être humains & cbaritables. Que 1'ón confidere encore combien les Eccléfiaftiques font utiles par les inftruétions qu'ils donnent, & les principes qu'ils enfeignent. Que deviendroit le peuple des campagnes y. a quels vices alfreux.ne feroit-il pas livré, s'il étoit privé des exhortations & des lecons- de fes Pafteurs! Les Miniftres de 1'Eglife feroient-ils remplacés par des Phi» lofophes? II eft a croire que dans ce cas; on verroit d'étranges révolutions, & que lts-principes-fur Pègalhé.dt Pamour de la Iibertépourroientbien affranchirJes pay0-  3-i> Des Préjifgés fans & les laboureurs de cette profondèfoumilfion que leur impofent les prèceptes de 1'Evangile. Enfin, quelles obligations les fciences & les lettres n'ont-elles pas ;\ plufieurs ordres de Religieux, dont les laborieufes recherches ont produit danstous les genres des ouvrages fi favants & fi utiles ? Vous voyez, Monseigneur, fi les Phiïofophes font exempts de préjugés; il elf bon de connoitre ces injuftes préventions , afin de s'en préferver. La critique des travers, des ridicules &des vices, eft non-feulement utile dans un livre; mais lorfqu'elle eft impartiale & dépouillée des perfonnalités qui la rendroient odieufe, elle eft' courageufe.& véritablement eftinuble rxependant cet efprit de; critique feroit également- infupportable & déplacé dans la.,fociété.; il faut confervtr des principes invariabies & purs, ne jamais trahir fes fentirnents en paroiffant approuver ce qui eft eondamnable;. mais il faut éviter avec foin toute critique, toute difculïïonfuperflne; il faut favoir obferver en filence, démêlerles préjugés, apprécier les opinions, fans-les combattre inutilement. Enfin, en entrant dans Ia fociété., vous defirerez., M'.o nseI6NEÜR, qu'elle ait pour vous de; 1'indulgence,. de la bienveillance; rien ne s'y donue fans retour». Pcitez-lui donc ces mêmes difpofitions ,. fon eftime fur,tout vous fera néceffaire :n'oub!iez point-, M.ons ui.GM e ur >.que. les talents.le mir  philofophiques'. 323, rite n'obtiennent le fuffrage univerfel que lorfqu'ils font rétinis a la vertu doucc & njodefte. CH A PIT R E XXI L S'il eft vrai que ce Siècle doive beaucoup de lumieres a la Philofophie moderne. G races a la philofophie, nous fommes dans un fiecle de lumieres... un fiecle èclairé l un fiecle philofophique! Qfc. Voila des mots qui fe trouvent h chaque page dans prefque tous les ouvrages modernes depuis les in-folio jufques aux feuilles périodiques. On les répete avec emphafe-, avec fatisfaétion; tout jeune Auteur, fe croit obligé de les placer dans une pféface, afin d'établir fa réputation , & de prévenir le public qu'il eft comme fon fiecle, philofophe & fans préjugés.. Examinons fans partialité ainfi'que fans enthoufiafme, s'il eft vrai, comme on ié prétend,que nousayons de fi grandes obligaticms au parti philofophique. Nous ne lui devons point le plus bel ouvrage de ce üeckrriJiftoire naturelle. Son illultre Auteur ne fut jamais d'aucunparti. II n'a eu m concurrents, ni rivaux.dans la car*. nere nouvelle qu'il s'eft; ouverte; la poftérité lui donnera un rmg'a'parr 1'y plaoera feul. Quant aux autres fciences, les Sa* O vj,  324 S'il eft vrai que ce Siècleyants conviennent unanimement, qn'elle^ doivent toutes leurs progrès aux découvertes de Newton (9), quinaquiten 1642, & dont les ouvrages parurent dans le fiecle dernier. II n'eft pas inutile de remarquer que ce grand homme montra dans tous les inftams de fa vie, autant d'attachement que de refpect pour la Religion.. M. de Voltaire a dit de lui : Qu'il étoit le plus grand génie qui eftt exifté, & ce génie fublime, ce génie fupérieur a tous les autres-, a confervé jufqu'a fa mort, la piété la plus folide & la plus vraie : fentiment föndé fur la connoiffance approfondie des faintes Ecritures, qu'il avoit méditées,. qu'il lifoit tous les jours, & fur lefquelles même il a fait quelques ouvrages O)*. Ainfi ce ne font donc point les prétendus Phiïofophes modernes qui peuvent s'attribuer la gloire de ces grandes découvertes qui ont répandu tant de lumieres. Ce fiecle philofophique n'a certainement produit, ni dans ia littérature, ni dans les arts, des ouvrages fupérieurs a ceux qui (a)' » Le livre qu'il lifoit le plus fouvent 1, étoit la Bible. On trouve a la fifl > puleux fur le choix des travailleurs. . . De». la. cette bigarrure dans 1'ouvrage.., L'Ency-  ■33a S*H eft vrai' 1ue Ee Steek Malgré toutes ces rèflexions, on répete encore par habituele que la philofophie a répandu des lumieres qui manquoient abfoluuient aux Auteurs du fiecle de Louis XIV. Que fignifie cette phrafe ? Perfonne n'en ignore le véritable fens', le voici : Les idéés har dies des Phiïofophes fur la . Divinité, fur la nature de l''homme, fur l'égalité, fur la fatalité ,fur le culte, fur la Religion naturelle, ont appris d raifonner, a penfer. Les Auteurs du fiecle dernier n'ont pu connoitre ces opinions; s'ils les eujfent connues, ils n'auroient pas manqué de les adopter. .Mais privés de ces lumieres , ils ont été livrés aux préjugés; enfin, ils n'étoient point Phiïofophes. IL eft vrai qu'on ne trouve dans les » ctopédie fut un gouffre oü ces efpeces d« « chiffonniers jetterenr pê!e-mêle uneinfinité da * chofes mal vues, mal digérées, bonnes, maun vsifes , déteflables ; vraies , fauffes , incerii taines, & toujours incohérentes & difpara>i tes. .. L'on négligea de remplir les renvois ii qui apparrenoient a la partie même dont on 11 étoit chargé.;. On trouve fouvent une rén futation a 1'endroit oü Ton cherche une preu» ve.. . II n'y eut aucune correfpondance ti». goureufe entre les difcours 8t les figures. Pour •i remédier a ce défaut, on fe jetta dans de i> longues explications mais combien de maii chines inintellibles, faute de lettres, quL en. » défignent les parties , &c. " Encyclopédie, Article EncyclopidUt.  êoive beaucoup a la Philofophie, &e. 33-5écrits des plus célebres, aucunes traces de la philofophie moderne; il eft encore vrai que s'ils en eulfent eu les principes, ils auroient cotnpofé des ouvrages abfolu* ment différents de ceux qu'ils nous ont laiffés. Cette idéé doit-elle faire regrettef qu'ils n'ayent pas cultivé la philofophie? Par exempie, cet admirable difcours de Bofluet fur 1'Hiftoire univerfelle, nous ne Paurions pas; la Religion en eft la bafe, & c'eft elle feule qui peut donner cette force majeftueufe & cette fublime éloquent ce qui a fait dire même a un Philofophe, que ce difcours n'a eu ni modeles, */ imitateurs ; fon ftyle n'a trouvé que des admirateurs (a). Et ce livre immortel, Télemaque, s'il exiftoit, ne feroit plus qu'un roman philofophique i Au-lieu de cette ravilfante peinture de 1'Etre fuprême, puifée dans les faintes Ecritures, on nous y diroit que Dieu pardonne tout, pardonne toujours, & ne punit jamais. Au-lieu de cette raifon parfaite, de cette morale fi touchante & fi pure, nous y trouverions des idéés faufles, & des principes dangereux. Quel dommage que Fénelon n'ait pas été Philofophe! Et CorneiUe & Racine que n'étoient-ils Phiïofophes ! Nous n'aunons ni Polieuéte , ni Athalie (7/). On en ( fon caraftereck de fon génie; aujourd hui i on fe croit obligé de montrer toutes les qua ités que je\iens de détailler dans Sue genre d'ouvrage que ce puifie S Dans un Poëme, dans une Epltre.s dans une Tragédie, dans un Eloge dans un Voyage, dans un billet, d taut de ia philofophie, il faut éclair er le genre hu-, „ain. 11 en réfulte que tous les genres font confondus, que tous les ouvrages fe reffemblent, que toutes les convenances font négligées, que trés-peu d Auteurs  tkive beaucoup d la Philofophie, fëc. 341 font a la place qui leur convient, & favent profiter des talents réels qu'ils ont recus de ]a nature, Cependant les Phiïofophes nous répetent que leurs ouvrages font dans les mains de tout le monde, & qu'ils font VinftruEtion & les delices de tous les peuples de l'Europe. Dans les mains de tout le monde, c'eft beaucoup dire; il y a bien des gens encore, qni fe feroient un fcrupule de lire les plus célebres, il y en a d'autres qui feroient bien afflïgés qu'ils tombalfent entre les mains de leurs enfants, & d'autres encore qui ne les ont his que pour les ré* futer. Les dèlices de tous les peuples de FEurope! Dèlices eft ênergique, mais peutêtre exagéré? Quoi, Zapata, l'arbre, les colimagons du frere l'Efcarboutier, leshomélies du Pafteur Bourn, Jeannet &Nicodéme , le Code de la nature, le prophete Philofophe, les Mceurs, l'Efprit, les Penfées philofophiques , le Militaire Philofophe , le DicJionnairephilofophique, les Lettres Juives , le Syftême focial, & tant d'autres dont les noms fouilleroient cet ouvrage, tous ces écrits philofophiques font les dèlices de tous les peuples de l'Europe ? Quand il feroit vrai qu'un trèsgrand nombre de perfonnes hit ces ouvrages , cela ne prouveroir nullement qu'ils foient réellement bons. Tout écrit, hardi & licencieux , fera lu ; exciter la curiofité, n'eft pasobtenir 1'eftime. Lorfque des ouvrages iblides & purs, tels que TéP iij  §42 Sil eft vrai que ce Siècle lemaque, les Odes du grand Roufleau, Clariffe, le Paradis perdu, la Jérufalem délivrée, le Speclateur Anglois, &c. font entre les mains de tout le monde, on.peut croire que ces ouvrages ont un mérite fupérieur; ils oiFrent une morale féyere; onn'y trouve que des principes religieux, & cependant tout le monde les lit : jufqu'aux incrédules, les favent par cceur. Ils difent a la vérité qu'ils y defireroient flus de philofophie; mais ils font forcés de les admirer. Enfin, on nous affure que les ouvrages philofophiques, font Pinfi truttion de tous les peuples; on peut juger de cette inftruétion par 1'abrégé fidele que j'ai donné de leurs principes. Je vois trèsclairement le mal que les prétendus Phiïofophes ont fait, pour le bien, de trèsbonne foi, je 1'ignore. Je vois qu'en attaquant la Religion , ils ont détruic les mceurs; je vois que 1'audace & la licence de leurs écrits ont fait perdre a leurs nombreux imitateurs, cette délicateffe, ceton de nobleffe & de fimplicité quedonnentla raifon, la fageffe, la modeffie&la décence (V). Je vois qu'ils ont ébranlé le refpect dü (a) Un homme d'efprit qui montre un orgueil Cxceffif, manque certainement de goüt. Les grnnds Auteurs du fiecle dernier parloient d'euxmèmes & de leurs ouvrages avec nobleffe & fimplicité, paree qu'en général ils en parloient avec modeftie; mais aujourd'hui on ne manque  doive beaucoup a la Philofophie, &c. 343 al'autorité fouveraine, & fubftitué Ie plus froid égoïfme a ces grands fentirnents de patriotifme qui diftinguoient particuliérement notre nation. Je vois le fuicide, fruit guere d'entretenir le public dans de longues Préfaces, de fa gloire & de fes fuccès. Je n'ai jamais concu qu'un Auteur eüt le courage de dire : On a traduit mes ouvrages ; on en a fait plufieurs éditions; des Rois , des Savants en ont été charmes ; j'ai refu , a ce fujet, des lettres remplits d'éloges, &c. Sous quel prétexte ofe-t-on dire de telles chofes au Public ? Ce n'eft certainement pas pour fon inftruftion , encore moins pour ion amufement 5 c'eft donc uniquement pour fe vanter. Un peu de goüt pourroit pré* ferver de ce ridicule. Eh 1 quel eft 1'Auteur, bon ou mauvais, qui ne recoit pas des compliments , & des lettres pleines de louanges, des perfonnes auxquelles il énvoye fes ouvrages ? Que penferoit-on , dans une fociété particuliere , d'un homme qui demanderoit 1'attention de raffemblée pour conter tout ce qu'on lui a dit d'agréable dans fa vie, fans oublier les flatteries les plus outrées; qui ajouteroit a cette énumération la lecture de toutes les lettres de compliments qu'il a recues depuis trente ans , & qui finiroit par diftribuer des copies de ces billets ? On trouveroit peut-être un peu de fatuité dans ce procédé. Doic-on moins de refpe£t au PubÜG ? Les atteftations de mérite & de talents , les (trtificats en bonne formt, ne font utiles qu'aux empiriques & aux charlatans. Avec un goüt déltcat, on rejette ces petits moyens; avec de .'«Uyation d'ame, on devroit les méprifer: * ' " ' P iv  3 44- ^il efl vra' 1ue Ie SiecTede 1'irréligion, plus commuii, parmi nous depuis vingt ans qu'il nele fut jamais chez aucun peuple. Je vois une multitude de gens d'efprit, des fociétés entieres, adopter & croire des folies dont on fe feroit moqué dans des temps que nous appellonsbarbares : la baguette divinatoire, les tnyfteres de Ia cabale occupent de trés grands perfonnages. On entend parler familiérement de morts reffucités; plus d'une perfonne afoupé fouvent avec Socrate & MarcAurele. On eft environné de prodiges , on fe trouve dans des cercles nombreux oiï 1'on voit des valets & des fervantes qui marchent en dormant, &quiprédifentl'avenir. On fe promene dans des jardins magiques, dont les arbres enchantés eaufent & ceux qui les touchent, des convulfions & des crifes falutaires; 1'on rencontre des gens qui, par le pouvoir d'une admirable harmonie, lifent au fond des cceurs, en pénetrent les plus fecrets replis, & font eux - mêmes forcés invinciblement de répondre a la penfèe, & d'obéir h la volonté muette des objets auxquels ils s'uniffenr. Enfin, on a vu le contraire de ce qui s'é- tependant on a vu des Auteurs eftimables , par leurs ouvrages & par leur caraöere, les employer continuellement. Mais cette mode paffera ; on finira par fentir qu'un ton modefte efl le feul qui pui'ffe plaire & qui foit de bon goüt.  doive beaucoup d Ja PkiJofophJe ,&c 34£ toit jufqu'alors conftamment pratiqué, la rufticité villageoife fejouer impunément de la crédulité de 1'habitant des villes, & des tnédecins dupés par la charlatanerie des malades. Tels font les réfultats de ces lumieres philofophiques fï vantées. M. de Vol» taire a voulu être univetfel, tous fes difciples avoient auffi la prétention d'être a la fois légiflateurs , politiques, littérateurs , favants, amateurs des beaux-arts & Phiïofophes. Cette manie a gagné tout le monde; on veut parïer des chofes qu'on entend le moins ; & a 1'aide de quelques mots fcientifiques, retenus par hafard & toujours placés mal-a-propos , on croit démontrer: les effets de la baguette divinatoire & du ma • gnétifme, par d'excellents raifonnements Atphyftque & de chymie. Quand les ignorants font devenus vains & préfomptueux, qu'ils fe croyent des Phiïofophes profonds, ils ne peuvent être éclairés par les vrais favants. Toute décifion contraire k leurs préjugés , les révolte, & 1'amour-propre rend leur obffination infurmontable. Ainfi la philofophie moderne, ébranlant tous les principes, en bouleverfant toutes les idéés , a corrompu les mceurs & gaté les efprits. Lesjdées faufles en tout genre, font la fuite néceffaire des mauvais principes; la dépravation de 1'ame entraïne toujours cel le de 1'efprit & du gofit. Chacun s'eft fait une morale a fon gré , une logique a fa mode; le defir de la célébrité a fuccédé a 1'amour de !a véritable gloire; les opinions P v  34Ó S'il eft vrai que ce Siec 'e les plus extravaganr.es ont été défendues, foutenues, adoptées; les fophifmes, les | paradoxes ont été regus comme d'excel- -1 Ients arguments, & 1'on a dédaigné, mé- |è prifé les feules chofes qui puiffent affurer |: des fuccès : La raifon & la vérité. Cependant ce fiecle a produit beaucoup | d'ouvragcs de génie; mais leurs Auteurs ji n'ont écrit avec autant de fupériorité, qu'en étudiant avec foin & relifant fans if ceffe les bons Auteurs du fiecle précédent fc (V); on n'écrira jamais comme Buffon, u Montefquieu C55 Rouffeau, en s'écartant jc des principes & des regies que Fénelon, 11 Boffuet & Pafcal ont fuivies(i4). SiRouf- \ feau eft le moins pur, le moins correct de ces grands écrivains, fi 1'on trouve dans p lés ouvrages tant de difparates & d'inéga- |j lité, c'elt qu'il imite fouvent le ftyle a la E fois emphatique & trivial de 1'Auteur des h Penfées philofophiques. M. de Voltaire n'a I fait d'aufïï belles tragédies, qu'en fuivant h les principes, non despoétiques modernes, I mais de la poétiquecréée par le grand Cor- n< (, ne comprennent qu'un certain nombre ,, de mois, de jours, d'heures, de minu- (a) Evangile de Saint Malhieit.  354 Du refpect que les Princes tes; mais les millions d'années n'en ,, ont point avec 1'éternité , paree que ,, quelque multiplication qu'on faffe, ils n'en deviendront jamais la mefure. „ Quand Dieu nous auroit donc obhgés „ de penfer plufieurs millions d'années a „ la mort, & d'accompagner cette pen„ fée de toutes les auftérités imaginables , „ ce feroit encore beaucoup moins que „ d-'obliger des gens qui doivent entrer „ dans quelque charge importante, a f „ penfer & a s'y préparer une heure.... „ Dieu n'a pas feulement voulu que le „ temps qu'il donne aux hommes pour „ fe préparer a la mort füt court; mais „ il a encore voulu qu'il füt incertain, „ & que la mort pouvant les furprendre ,, a tout moment, ils euffent toujours „ fujet de la craindre. Son defiein par IA ' a été de nous la rendre toujours pré„ fente, & de nous exciter a une vigi, lance continuelle («)". Ne perdez jamais de vue, Monseigneur , ces grandes vérités; fongez qu'au fein même'de la joie & des plaifirs, la mort peut nous furprendre, nous frapper, ou par de plus fenfibles coups nous enlever fans retour nos plus cheres efpéranr.es!... Le bonheur n'eft qu'une ïtlufion; la vie n'eft qu'un fonge rapide & fugitif; la Religion feule peut donner } («) Nkole , des puatit fins de VHomme,  doivent a la Religion. 355 l'homme fenfible & raifonnable des principes affurés, des confolations efficaces, une fermeté inébranlable, la paix de 1'ame , & des lumieres certaines fur fa deftination & fes devoirs. C II A P I T R E XXIV. Rècapitulalion des devoirs d'un Prince. JLe premier des devoirs pour tous les hommes, & particuliérement pour un Prince, eft d'honorer 1'Etre fuprême, d'être fidele a fa foi, & de lui rendre les hommages qu'il a droit d'attendre des créatures qu'il a formées. Le pauvre, le laboureur, accablé fous le poids du travail, Pinnocent opprimé , le cénobite renfermé dans un Cloltre, tous ces hommes privés des plaifirs & des agréments de la vie, bénilïent leur Créateur. La Religion leur prefcrit les vertus les plus difficiles a pratiquer, la perfévérance dans les travaux pénibles, Ia patience&la réfignation dans les maux. Mais dans Ie rang oü vous êtes placé, Monseigneur, elle ne vous impofe que des obligations faciles & douces a remplir pour une ame élevée, bienfaifante & pure. II n'y a pas un de fes prèceptes qui ne foit un fentiment cher k votre cceur. Cependant la bonté de Dieu daigue nous tenir compte d'obéir t fes  35<ï Rèeapitulation commandements, alors même que nos penchants nous portent a les iuivre. N'êtes-vous pas heureux, Monseigneur, qu'il attaché un mérite & des récompenfes a 1'amour filial? Quelle doit être Ia force de ce fentiment facré, quand il fe trouve réuni & la plus vive & & la plus jufte reconnoiffance. La Religion exige encore de vous, Monseigneur, que vous foyez humain, charitable, bienfaiiant; les grands exemples que vous recevez des objets qui vous font les plus chers, peuvent mieux que toutes mes lecons vous inftruire de vos devoirs, _& des obligations prefcrites h tous les Princes de protéger les Arts, les Sciences & les Lettres, & fur - tout de fecourir les malheureux. Rappellez - vous ce paffage fublime d'un de nos plus grands Orateurs: c'eft a vous qu'il s'adrefié, Monseigneur, lorfqu'il dit en parlant des pauvres : „ Vous leur tenez ici-bas Ia place ds „ Dieu même; vous êtes, pour ainfi df „ re, leur providence vi/tble..'. Eh! qu'jj „ a-t-il dans votre état de plus digne d'en- vie que le pouvoir de faire des heureux' „ Si l'humanité envers le peuple eft le „ premier devoir des Grands, n'eft-ellf „ pas aufli 1'ufage le plus délicieux de is grandeur" (a)? fa) Petit Carème de MafTiüon, quatrieme Di  des devoirs d'un Prince. 357 Vous le favez , Monseigneur, combien ce devoir fi faint eft fatisfaifani & doux a remplir Je n'oublierai dans aucun temps que la permiffion d'allerchercher des infortunés, de les foigner, de les fecourir, fut toujours la feule récompenfe que mes éleves m'ayent demandée! Puiffent ils eux-mömesne perdre jamais le fouvenir de ces pures jouiffances 1 Seroit-il poffible de devenir vicieux, dur, infenfible, lorfqu'on a connu & goüté tous les charmes de )a vertu ? Lorfqu'on fe rappelle un temps de fa vie oü 1'on n'employoit le myftere, oü 1'on ne cachoit fes démarches que pour faire desactions d'humanité, oü des fentirnents vertueux pouvoient manche, fur Vhumaniti des Grands envers le peuple. Quel ouvrage de philofophie a jamais exhorté a la bienfaifance d'une maniere auffi touchanre, auffi fublime? Quels font les Phiïofophes qui ont foutenu avec plus d'éloquence, de force & de courage, que Bourdaloue & Maffillon, les droits du peuple & de 1'humanité ? Qu'on telife le petit Carême de Maffillon & les Sermons de Bourdaloue, entr'aurres fon beau Sermon fur Tambition , torn. I". du Carême, & que 1'on compare ces difcours admirables aux déclat mations philofophiques. Cependant ces Orateurs f Chrétiens , ainfi que Fénelon, ont précédé nos t Phiïofophes; & ils s'exprimoient avec cette noble I Iiberté, non dans des écrits anonymes, mais au t milieu d'une Cour impofante, en préfence de I leur Souverain,  35 8 Récapitulat'ion feuls infpirer des émotions vives & déri- I cieufes, oü 1'on ne formoit que des pro- jlc jets bienfaifants; un temps enfin oü les Ik defirs, les fenfations & tous ks mouve- fe ments de 1'ame s'accordoient fi parfaite- | ment avec les devoirs, les principes &les | lumieres naturelles de la raifon ? Adinira- | ble harmonie , produite par 1'innocence | uniea la vertu, & qui fixeroit le bonheur, J fi elle pouvoit durer toujours. Enfin, la 1 Religion nous prefcrit de rempür avec || exaclitude tous les devoirs de i'Etat dans | lequel la Providence nous a placés. Ainfi, li Monseigneur, c'eft elle encore qui, | fortifiant les penchants de votre ame, | ajoutera fans doute a votre bonté , a vo- I tre condefcendance pour ceux qui dépen- I dront de vous; c'eft elle feule qui pourra I donner a vos réfolutions une folidité iné- 1 branlable, & vous faire rempür dans toute I leur étendue les obligations facrées de fu- j| jet fidele, de citoyen zélé, d'ami tendre | & généreux. Tout citoyen doit aimer fon 1 Roi & la Patrie; mais il femble jufte & I naturel que cette afftétion foit plus vive n encore dans le cceur d'un Prince du fang, qui doit comprendre que ces nobles fentirnents fondés fur des rapports & des liens également facrés & glorieux pour lui,ennobliffent fa dépendance, augmentent fa confidération perlbnnelle & Péclat de fa dignité. Vous connoltrezauffi, Monseigneur, tous les devoirs de 1'amitié; I  des devoirs d'un Prince. 359 \ vous avez lu dans les Saintes Ecritures a qu'il ne faut pas dire a fon ami, revenez i| demain, lorfqu'on peut 1'obliger fur Je 1 champ. Vous faurez choifir des amis ver| tueux; vous faurez apprécier le bonheur I de pouvoir leur être urile; vous ne vous ij contenterez pas d'en faifir les moyens, 4 vous leschercherez, & vous fentirez comI bien il eft plus doux deprévenir que d'acij corder. Enfin , vous conferverez au miI lieu du grand monde & de la diflipation, 1 des principes religieux, un efprit jufte, I un cceur droit, fenfible & compatilfant, I le goüt de Foccupation des arts & de la 1 leéture, le refpeft des bienféances, le méij pris du vice, & 1'amour de la. vertu. TelI Jes font les douces efpérances que je con\ cois. Si vous ne les jufiifiez pas, MosI seigneur, vous ferez jugé avec févé1 rité; vous n'aurez pour excufe ni le mal1 heur d'avoir reeu une éducation négligée, i 1 ni le manque d'inftruction & de lumieres. | Mais vous remplirez, Monseigneur, I tous les vceux que ma tendreffe peutfori mer pour votre bonheur & votre gloire; || j'oferai dire que cette récompenfe eft due |j aux foins fi purs que je vous ai confacrés: 1 c'eft la feule que je defire & qui puiffeme m fatisfaire. Au fond de la retraite oü j'irai ia finir mes jours, ie ne goüterai pas ladou)| ceur d'être témoin de vos fuccès; mais la ai renommée m'en inftruira; & alors avec le adoux fentiment de 1'Apótre quiparloitde  '360 Récapitulation des devoirs, &c. fes Difciples vertueux, je pourrai dire auffi : je n'ai point de plus grande joie que d'apprendre que mes enfants marchent dans la vérité (a). (ü) Treificme Epitre de St. Jecta. FIN. I\0 te-s.  C 361 ) NOTES. I (1) » Le mouvement n'étant pas effentiel | » a la matiere, & la matiere n'ayant pu fe i » Ie donner a elle-même, il s'enfuit qu'il y i » a quelqu'autre fubftance que la matiere , Sc | » que cette fubftance n'eft pas un corps.... i » Le mouvement n'étant pas de 1'effence de t » la matiere, il faut néceffairement qu'elle n •Fait recu d'ailleurs. Elle ne peut 1'avoir j » rer;u du néant, car le néant ne peut agir. | n II y a donc une autre caufe qui a imprimé » le mouvement a la matiere, qui ne peut t » être ni matiere, ni corps ; c'eft ce que j> nous appellons efprit.... Si le monde s'éj> toit formé par le feul mouvement de Ia » matiere, pourquoi fe feroit-elle fi épuifée 1 » dans fes commencements qu'elle ne puiffe i) plus 6c n'ait pu depuis plufieurs fiecles forv mer des aftres nouveaux? Pourquoi ne pron duiroit-elle pas tous les jours des animaux 11 & des hommes par d'autres voies que par | n celles de la génération, fi elle en a proi » duit autrefois ? II faut donc croire qu'une w caufe intelligente & toute-puiffante a for» mé , dès Ie commencement, cet Univers I » en cet état de perfeftion oü nous le voyor» » aujourd'hui. On fait voir auffi qu'il y a du » deffein dans la caufe qui a produit 1'UniI » vers; c'eft la derniere des abfurdités de q  362 Notes. „ croire & de dire que 1'ceil n'a pas été fait il pour voir, ni 1'oreille pour entendre. Ii v faut dans ce malheureux fyftême réformer » le langage le plus raifonnable & le mieux n établi', 'afin de ne pas admettre de conn noiffance 6c d'intelligence dans le premier n Auteur du monde & des créatures. II n'eft n pas moins abfurde de croire que ü les prem miers hommes font fortis de la terre, ils » ayent recus par-tout la même figurede « corps & les mêmes traits , fans que 1'un » ait eu une partie plus que 1'autre , jou dans j> une autre fituation, Mais c'eft parler conm formément a la raifon 6c a 1'expériencede i> dire que le genre humain foit forti d'un » même moule, & qu'il a été fait d'un même » fang (d).. }> L'on a dit : L'ame a un fommeïl fembla» ble ii celui ou fe livre le corps. On conjj viendra , fi on veut, qu'elle celïe quelques w heuresfes opérations, par fon rapport avec m les organes du corps; mais lorfqu'on ajou» te :donc elk peut, ainfi que le corps , trouver v unjour une mort éternelle , puifqu'elk eft [u» jette # une mort momentanèe. Rien de fi inj> conféquent 6c de fi faux. i°. Le fommeil v n'eft point une mort momentanèe ni dans ij le corps , ni dans 1'ame ; 1'un 6c 1'autre w exiftent. Que leurs facultés , leurs orgav nes foient différemment affecties, d'accord; v en conclure la mort, c'eft dire, qu'un corps (a) Encyclopédie, mot Athéifme.  Noteu 363 cj u mü , lorfque fon mouvement fait place au i u repos , entre dans le néant; d'ailleurs , le 5 » fommeil n'eft qu'une image de la mort: u » mais d'une image déduire la réalité , & i « d'une mort fymbolique une mort éternelI » le , c'eft aller contre toutes les regies du i v raifonnement.... II eft faux encore' que Ie i » corps trouve une mort étemelle dans le i( j> fens de celle qu'on attribue a 1'ame; quoi•1 » que les liens de la vie animale foient briI » fés, le corps fubfifte dansles parties éléi j7 mentaires , & de tous les corps dévorés (| i) par la poufliere , pas une particule n'a été i » anéantie. La more étemelle de 1'ame feroit si n un anéantiflèment total. C'eft donc par une I » équivoque énorme que fous le terme de 1 t> mort, également adaptée h 1'ame & au «1 » corps, on fintend deux chofes fi différeni j) tes : ici un fïmple changement de parties, I 7> & la le néant.... Sans cette certains im| » pies inferent de la mort du corps , 1'extinca j> tion totale de 1'ame. Ce n'eft pas feulei j> ment raifonner contre tous les principes i n de la Religion & de la morale, mais coni n tre ceux de la Philofophie: elle nous ap« »> prend que rien n'eft anéanti a la mort. i » Qu'on brife une machine artificielle, une f » pendule; plus de roues , de pivots, de baI i> lanciers, mais le cuivre 8c 1'or reftent tels. j j> II en eft de même des corps; la mort ne » fait que changer le mouvement & la con( » figuration ; ils ne font pas indeftru&ibles, 1 » mais ils font en quelque forte immoreels, 1 » c'eft-a-dire, durables; d'eux-mêmes ils ne Qy  364 Notes. peuvent rentrer dans le néant. Rien ne va^ » rie dans 1'Univers que les mixtions, les 5, mouvements des corps ; tout y change , -> tout y meurt, & rien ne périt. Sur ces » principes jugeons de 1'ame (a). Dès-lors que » c'eft une fubftance réelle & fpirituelle, le « changement de configuration d'un corps or« ganifé ne peut la détruire , puifqu'il ne den truit pas même une particule corporelle. » Donc cette fubftance, trés - diftincïe du -> corps, fubfifte après la diffolution du corps: 3> donc , n'ayant point de parties, non-feu» lement elle ne peut être détruite , mais elle „ ne peut être divifée ( ainfi que les corps „ pulvérifés) : donc fi elle fubfifte 1'mftant „ après, elle fubfifte tous les inftants fuccel3> fifs, & cela éternellement.... L'ame étant » une fubftance intelligente, n'eft fujette a aucune des altérations du corps; par con3) féquent, elle furvit a la deftruftion de la machine qu'elle animoit : ayant reïu une f a) D'oü nous vient du néant cette crainte bizarre * Vont en fort, rien n'y rentre, & la nature avare D ans tous ces changements ne perd jamais fon bien. Ton art ni tes fourneaux n'aneantiront rien-, Toi aui, riche en fumée, ö fublime Alchymifte • Dans ton laboratoire invoque Trifmegifte. Tu peux filtrer , diffoudre, evaporer ce fel; Mais celui qui 1'a fait veut quil foit immortel. Vrétendras-tu toujours a 1'honneur de produire, Tandis que tu n'as pas le pouvoir de detruire. Si du fel ou du fablc un gram ne peut penr L'être qui penfe en moi craindroit il de mourir i «c. Racine, fils, 1'oëme de la Religion, ChantJi  Notes. 305 » nature & une exiftence telle, elle eft duin rable , elle eft étemelle, &c. (a) ". Ceci n'eft qu'une très-petite partie des raifonnements métaphyfiques qui prouvent 1'immortalité dé Paine! J'ai tranfcrit ces paffages paree qu'ils n'ont rien d'abftrait, & qu'il n'y a point de jeune perfonne qui ne les puifle entendre avec un peu d'attention. Mais il y a fur cet objet d'excellents ouvrages qui réporidèwt de la maniere la plus folide & Ia plus convaincante a tous les fophifmes produits par la mauvaife foi & 1'impiété. (2) Pendant les trois premiers fiecles de 1'Eglife, les Chrétiens perfécutés furent obügés de faire pour leur juftification plufieurs écrits apologétiques. n C'étoit affez póur les rendre odieux au j> peuple (dit M. de Fleuri) , que la pro» feffion qu'ils faifoient de rejetter toutes les » religions établies ; ils avoient beau dire » qu'ils adoroient en efprit le Dieu créa» teur du Ciel & de la terre ; le peuple ido» latre n'entendoit point ce lang.ige, & les » appelloit Athées , paree qu'ils n'adoroient » aucun des Dieux que 1'on voyoit dans les » temples: qu'ils n'avoient point d'autels al» lumés, ni de facrifices fanglants. Les Sa3» crificateurs des idoles, les Augures , les » Arufpices, les Devins, en un mot, tous » ceux dont les profeflions étoient fondée* (*) Gauehat, tome VUL Q üj  366 No/es. » fur le pagarrifme, ne manquoient- pas de I » fomenter & d'exciter cette haine du peuple, i) »& d'employer a cet effet les malheurs qui » arrivoient, comme les fiérilités , les mor» talités,les guerres. Les Chrétiens, difoient» ils , attiroient laxolere des Dieux. fur tous o ceux qui les laiflbient vivre. Par ces préij ventions, onempoifonnoit jufqu'a leurs vern tus; la charité qu'ils avoient les uns pour i» les autres étoit une conjuratïon odieufe ; a leurs aumónes paffoient pour des-moyens 3j de féduéiion; leurs miracles étoient attrir i) bués a la magie.... Les perfécutions mê~ j» mes étoient un fujet de haine contre les » Chrétiens. On fuppolbit qu'ils étoient ctry> minels, puifqu'ils étoient par-tout traités » en criminels; & on jugeoitde la grandeur » de leurs crimes par la rigueur des fuppli» ces. Voila ce qui rendoit les Chrétiens fi » odieux au peuple & aux ignorants (a) ".. Les plus fameufes Apologies des Chrétiens font: celles de Quadrat & d'Ariftide ;. les deux Apologies de St. Jultin , martyr ; celle d'Athénagore , 1'Apologétique de Tertulien, & le Dialogue de Minimus Félix, intitulé : OBavius. Quadrat, Evêque d'Athenes, compofa fon Apologie pour les Chrétiens vers (> ces deux tolérances font inféparables, & » 1'on ne peut admettre 1'une fans 1'autre. Des n anges mêmes ne vivroient pas en paix avec :> des hommes qu'ils regarderoient comme ;> les ennemis de Dieu.... A Dieu ne plaife » que jamais je prêche aux hommes le dogme » cruel de 1'intolérance, que jamais je les » porte a détefter le prochain , k dire a d'au» tres hommes , vous fere^ damnés ". II y a dans ce paragraphe autant d'erreurs que de mots. Si 1'on aime la Religion de fon pays, ü Tori penfe que c'ejl un devoir de la fuivre, on la croit vraie, refpe&able, utile; il eft impoffible alors de rejetter un des points de croyance qu'elle prefcrit. Si comme Rouffeau, oa juge 1'Evangile un livre divin , un livre qui ne peut être Couvrage des hommes, il faut croire néceffairement tout ce qu'il contient; alors croyant les vérités qu'il enfeigne, on croit fermement auffi que toutes les feéies qui s'en écartent font dans Terreur; & eomme cette erreur, dans le fyftême de la foi , ex1 pofe le falut éternel de ceux qui s'y livrent, ©h doit ne rien négliger pour les ramener dans la route de la vérité. Ainfi 1'intolérance chrétienne n'eft point herritte, n'eft point crudle ;■ elle eft au contraire feumaine & bienfaiiante ; elle ii arme point; les hommes les uns contre les Q v-  370 Notes. autres , & ne les rend point tous ennemis du genre humain ( impénétrable ! Nous ne pourrions fans téj» mérité juger avant le Seigneur, & la réproj> bation nefera confommée qu'après lamort, n quoique (fuivant les voies ordinaires) on ii meure dans Terreur ou le crime ou Ton a ii vécu. L'intolérance, au refte, ne confifte que j) dans le fuffrage de Tefprit qui nous dit, 3> que la vérité etant une, étant néceflaireau s> falut, ceux qui font hors de la vérité , font ?> hors de la voie du falut; elle n'altere ni les (a) Quelle phrafe ! c'eft comme fi on difoit que tous les hommes font ennemis de tous let hommts,  Notes. 371 j» devoirs des citoyens, ni les fentirnents & » les ceuvres de la charité. Point de rapports j> entre la croyance , les mceurs des infortu» nés & le foulagement que la charité pref» ent. Un vrai dévot ne laiffe jamais pénr de » mifere ceux qu'il peut aider, quels qu'ils n puifient être , infideles', incrédulesouchréji tiens (ij) ". A 1'égard de la diftinélron entre la tolêrance civile & théologique, elle efl.' réelle & frappante.- '«'L'intolérance-civile eft cellè d'un'gou» vernement qui profcrit tel culte; fur cet j> objet tous ^les Pafteurs enfemble n'ont au» cune autorité. L'intolérance théologique eft a> un jugement de 1'Eglife qui déclare, que » telle (é£i:e n'étant pas dans la vérité, n'eft » plus dans fon fein. L'Eglife feule peut proi> noncer fur la vérité ou 1'erreur, chafler de » fon fein les feétaires ; le Gouvernement feul j> peut les chafler de la patrie. Ces deux into» ïérances font non - feulernent féparables , » mais réellement féparées. TeLles qu'en Po» logne , en Allemagne, &c." (/3) Telle eft la véritable intolèrance chrétienne; ellê s'allie, comme on voit, avec la douceur, Ia charité aéfive & tendre ; elle eft fondée fur 1'humanité même , ainfi que fur la raifon. Celle que nous dépeignent les préjugés ou la mauvaife foi des Phiïofophes, n'eft qu'une chimeie & qu'un excès monftrueux , qui outrageroit éga- (a) Gauchat, vol. XIX. 0) Ibid. Q vj  572 Notes. iement la nature &. la Religion. II y a eu même des Phiïofophes qui ont penfé qu'on devoit punir ceux qui affichent 1'athéifme, ou qui écrivent contre la Religion. On a tiré des papiers de M. Formey, Secretaire de 1'Académie Royale de Prune, un article donr on a enrichi 1'Encyclopédie : il feroit a defirer que tous les article^ de ce Diftionnaire offriffent des principes aufli raifonnables en général que celui-ci. s> L'Athéifme publiquement profeffé efl; pu3» niflable, luivant le droit naturel— L'hom3» me le plus tolérant ne difconviendra pas j> que le Magiftrat n'ait droit de réprimer rt ceuxqui ofent profefler l*Athéifrne,& de les » faire périr même s'il ne peut autrement en »> délivrer la fociété (a). Perfonne ne révoj> que en doute , que le Magiftrat ne foit plei3> nement autorifé a punir ee qui eft mauvais s> &l vicieux, & a récompenfer ce qui eft bon » & vertueux. S'il peut punir ceux qui font st du tort a une feule perfonne, il a fans doute (a) Le véritable efprit de 1'Evangile empêchera toujours de les faire périr. Ce Philofophe parle en politique & non en Chrétien. D'ailleurs, je crois même que la meilleure politique feroit de ne punir ceux qui attaquent la Religion qu'en les excluant des places & des honneurs qu'ils ambitionnent. Qu'on ne- les puniffe point, mais qu'on leur refufe» & les penfinns , & des marqués d'eftime; qu'on ne leur donne & qu'on ne leur ête rien, ÖC 1'on accordera parfaitement les devoirs de la Religion, de la juftice 8c de ia politique.  Notes. 37-3 » autant de droit de punir ceux qui en font » a toute une fociété , en niant qu'il y ait un » Dieu , ou qu'il fe mêle de la conduite du » genre humain, pour récompenfer ceux qui 3> travaillent au bien commun , & pour cha» tier ceux qui 1'attaquent» On peut regar» der un homme de cette forte comme 1'en» nemi de tous les autres, puifqu'il renverfe » tous les fondements fur lefquels leur con» fervarion & leur félicité font principale» ment érablies. Un tel homme pourroit être 3» puni par chacun dans le droit de nature ; » par conféquent, le Magiftrat doit avoir le 3» droit de punir, non - feulement ceux qui >» ment 1'exiftence d'une Divinité, mais en33 core ceux qui rendent cette exiftence inuJ> tile , en niant fa providence, ou en prê33 chant contre fon. culte , ou qui font cou33 pablesdeblafphê'mesformels, de profana3> tions, de parjuresou de jurements pronon33 ces légérement. La Religion eft fi néceffaire 33 pour le foutien de la fociété humaine, 37 qu'il eft impoffible, comme les Payens 3j l'ont reconnu auffi-bien que les Chrétiens , 3> que la fociété fubfifte fi 1'on n'admet une 37 puiffance invifible qui gouverne lesaftaires J7 du genre humain. Voyez-en la preuve a 37 Partiele des Athées. La crainte & le refpeft 3j que 1'on a pour cet être, produit plus d'ef37 fet dans les. hommes, pour leur faire ob33 ferverles devoirs dans le fertiels leur félicité 33 confifte fur la terre, que tous-les. fupolices. » dont les Magiftrats puiffent les menacer. » Les Athées mêmes n'ofent Ie nier; cc c'eft  374 Notn. « pourquoi ils fuppofent que la Religion eft j> une invention des politiques , pour tenir » plus facilement la fociété en regie. Mais » quand cela feroit, les politiques ont le droit i> de maintenir leurs établiffements, 8c de trat» ter en ennemis ceux qui voudroient les » détruire. II n'y a point de politiques moins » fenfés que ceux qui prêtent 1'oreille aux » infinuations de Yathéifme, 8c qui ont 1'im» prudence de faire profeffion ouverte d'irréj> ligion. Les Athées, en flattant les Souvej> rains 8c en les prévenant contre toute Rej> ligion, leur font autant de tort qu'a la Rew ligion même , puifqu'ils leur ötent tout » droit, excepté la force , 8c qu'ils dégagent » leurs fujets de toute obligation 8c. du fer» ment de fidélité qu'ils leur ont fait. Un j) droit qui n'eft établi d'une part que fur la » force , 8c de 1'autre que fur la crainte , tot » ou tard fe détruit 8c fe renverfe. Si les Sou33 verains pouvoient détruire toute confcien33 ce 8c toute religion dans les efprits de 3) tous les hommes, dans la penfée d'agir en3> fuite avec une entiere Iiberté, ils fe ver37 roient bientót enfévelis eux • mêmes fous 33 les ruines de la Religion. La confcience 3> 8c la Religion engagent tous les fujets, 33 i°. a exécuter les ordres légitimes de leurs 3» Souverains , ou de la puiflance légifla33 tive a laquelle ils font foumis, lors même 33 qu'ils font oppofés k leurs intéréts par33 ticuliers. 2°. A ne pas réfifter a cette puifj> fance par la force , comme St. Paul 1'or» donne. La Religion eft encore plus le fou-  Notes. 375i> tien des Rois que le glaive qui Ieuï aété » remis ". (5) Bolingbroke, né en 1672 , a attaqué la Religion ; & par une inconféquence commune a tous les Phiïofophes irréligieux , il a cependant parlé de 1'Evangile comme du fyjléme de Religion'naturelle le plus fimple, le plus clair, le plus parfait, &L comme de la doElrine la plus propre a èteindre les principes d'avarice, dinjuflice & de violence. Au refte, ce Philofophe irréligieux eut les mceurs les plus dépravées. Lord Sheflerfield difoit : que fes débauches de table pouvo'unt être comparées a la frènèfie des bacchanales. Collyns, né prés de Londres en 1676, attaqua ouvertement la Religion , & a été fupérieurement réfuté , particuliérement par Clarke & Crouzas. II étoit riche, il avoit une bibliotheque confidérable , & il étoit fi peu attaché a fes opinions, qu'il prêtoit volontiers des livres a ceux qui travailloient a le réfuter. Au refte , il parut fe repentir en mourant d'avoir écrit contre la Religion. » On doit (difent les Auteurs du nouveau ji Diétionnaire hiftorique), on doit favoir gré j> a Collyns d'avoir du moins évité dans fes ■n écrits, Fobfcénité, reflburce vile des im» pies qui fe font des armes de tout ". Tyndal naqüit en Angleterre 1'an 1656 ; il a écrit beaucoup d'impiétés , & fes ouvrages font auffi mal raifonnés que mal écrits. Tyndal s'attira le mépris public par fes principes !& fa conduite: on le vit tour-a-tour Catholi-  57Ö Notes. que & Proteftant, changer de Religion fulvant les intéréts ; partifan zélé de Jacques fur le tröne, St fon plus ardent détraéleur lorfqu'il eut perdu le fceptre. Shaftsbury, comme je 1'aï dït, n'attaqua la Reigion que par des plaifanteries & des farcafmes. M. de Voltaire n'a été que le copifte de ces trois Écrivains ; il eft vrai qu'il a infiniment furpaffé leur audace, leur licence & leur impiété, mais il les a continuellement pillés & traduits fans le dire ; & il ne les a prefque jamais cités que d'une maniere fauffe, imputant (ans ceffe a ces Auteurs des idéés & des fentirnents qu'ils n'eurent jamais. (6) Rouffeau n'eft pas le premier Philofophe qui fe foit piqué de montrer de la fmcérité aux dépens même de fa réputation êk de fon honneur. La vie de Cardan, écrite par lui-même, eft une confeffion plus étrange encore que celle de Roufleau. Cardan avoue qu'il étoit vindicatif, envieux , traitre, débauché , calomniateur, forcier , &C D'un autre cêté, il fe louoit avec U même tandeur : Je fuis né , difoit-il , pour délivrer le monde d'une ïnfinité d'erreurs ; il ajoute que fes ouvrages font parfaits. Montaigne eut auffi la prêtention de donner 1'exemple de cette efpece de üncérité () nouvelle que nous eümes de fa mort ( dit» elle), mon frere Sc ma fceur, pour tout ': n regret , fe dirent 1'un a 1'autre : Dieu » merci, il efl crevé! A dire vrai je n'en étois » gueres plus affligée". On doit eftimer 1'aveu d'une faute defhonorante , lorfqu'il répare une injuftice. Mais celui qui fe déshonore de fang - froid , de gaieté de cceur, celui qui, fans néeeffité, dévoile fes égarements, n'eft qu'un cynique I eftronté, qui, dépouillé de tout fentiment de 1 pudeur 8c de refpecl: humain, fe vante or1 gueilleufement de fes vices, 8c croit qu'il I y a beaucoup de force & de grandeur d'amt I a ne plus rougir de rien, (7) Hobbes naquit a, Malmesbury en 1. Jl mourut agé de quatre-vingt-douze ans, ij & montra dans fes derniers moments autant I de crainte de la mort 8c de pufitlanimité, I qu'il avoit montré d'impiété durant fa vie. I On lui a reproché des mceurs fort licencieufes. Baruch de Spinofa, né a Amfterdam en 163 a, étoit fils d'un mardiand Juif Portugais. II embraffa le Chriftianifme après avoir été chaffé de fa Synagogue ; Sc écriyit beau-  37? Notes. coup cfimpiétés fur la légiflation Mofaïque;; il attaqua tous les dogmes de 1'Evangile, & renverfa tous les principes de la morale. Cependant il affifloit fouvent aux fermons, il exhortoit a être aflidu aux temples , & ii parloit avec refpe&de 1'Etre Suprème, quoique fa doftrine conduifit au Matérialifme. Spinofa mourut a quarante - cinq ans d'une maladie de langueur. Ce fut dans une petite ville du Corïité de Foix que naquir Bayle , en 1647 ; il fut élevé dans le Calvinilme , qu'il abjura a vingt ans, fur la leóture de quelques livres de Controverfe, & auqnel H retourna par légéret'é au bout de dix-fept mois. Sa conduite avec le Miniftre Jurieu , fit peu d'honneur a fon caraétere. Jurieu avoit été fon ami & fon bienfaiteur. Bayle fut accufé d'avoir corrompu. fa femme, & fut convaincu d'avoir abufé de fa confiance & de la communication de lettres &z de papiers, que Jurieu lui avoit fait voir dans le temps de leur intimité. Ce Philofophe a laiffé plufieurs ouvrages; le plus célebre eft Ion Di&ionnaire, ariquel oh a reproché la plus abominable licence en tout genre, une foule d'anecdotes hafardées, de citations fauffes , de jugements bizarres, de paradoxes extravagants, & de fophifmes. » Bayle traite le pour & le contre de toutes » les opinions; il expofe les raifons qui les y> foutiennent & celles qui les dérruifent; » mais il appuie plus fur les raifonnements » qui peuvent accréditer une erreur , que fur v ceux dont on étaye une vérité. Un Ecri-  Notes. 379 >» vain célebre, grand admïrateur de Bayle, » a dit : qu'il étoit l'Avocat-général des Phin lofophes , mais qu'il ne donne point fes con11 clujïons. II les donne quelquefois. Cet Avo11 cat-général efl fouvent juge & partie; & 3> lorfqu'il conclut, c'eft ortlinairement pour » la rnauvaife caufe. Nouveau DiStionnaire n Hiflorique , par une fociété de Gens de ■» Lettres ".. " (8) Voici le jugement de 1'Autear de YEfprit des Philo fop lies irréligieux , fur J. J. Rouffeau. ji Rouffeau n'a qu'une pafllon, c'eft d'être » original, & de faire une grande fenfation. h Né avec le génie le plus élevé & le plus 3» fécond , 1'imagination la plus riche & la n plus brillante, 1'efprit le plus pénétrant, j> le plus adroit & le plus fouple , il a craint ï» de ne paroitre qu'un homme ordinaire, s'il n ne s'exercoit que fur des objets familiers n & ufés. Dela 1'idée finguliere d'attaquer » également la Philofophie & 1'Evangile» j> Ayant vu que des deux cötés toutes les j» places d'honneur étoient prifes, il a voulu »» ie pofer, pour ainfi dire, fur la ligne de ii- féparation pour les combattre tour-a-tour; » & il a trouvé par - la le fecret de tout u dire d'une maniere fupérieure & féduifante, « & de publier tout ce que la fécondité d'une ii intelligence inépuifable & ambidextre, lui j> avoit fourni d'idées pour & contre la vé33 rité. Peut-êtrela Religion 1'eüt-elle compté » parmi fes plus Hluftres défenfeurs, s'il eüt  3s0 Notes. TT trouvé poflïble d'effacer 1'élévation , la « force & la magnificence des écrits d'un w Bofluet. II eft impoflible qu'une ame telle » que celle de Roufleau n'ait pas été frap» pée de Ja dignité 8c de la richeflë du grand » tableau de la foi; & fans doute ce fublime j> morceau qui eft fi connu : la majefté des » Ecritures m'étonne, &c. doit être regardé « comme un hommage échappé a la con>» vidtion intime qu'il avoit de 1'excellence » & de la beauté de la Religion. II ne lui » eft jamais venu de femblable retour fur le » compte de la Philofophie". Ce n'eft pas feulement dans un feul morceau que Roufleau a rendu cet hommage k la Religion; j'ai cité de lui'une infinité de paffages du même genre ; ces éternelles vérités étoient au fond de fon cceur ; on le fent a la maniere forte & touchante dont il les exprime. Mais pourquoi, d'un autre cöté, les a-t-il fi formellement démenties & combattues, pourquoi foutient - il fouvent le pour & le contre? II fut égaré par un orgueil exceffif, il méconnut aufli la véritable gloire, il voulut ne reffembler a perfonne; il facrifia la raifon , la vérité & fa propre conviction au defir d'obtenir promptement une célébrité brillante. Trop fier & trop grand pour fe plier aux fouplefles Sc au manege de 1'intrigue, trop avide de fuccès pour fe livrer franchement a la bonne caufe, 8c pour rejetter tous les artifices qui peuvent acquérir des part'fans; trop fenfible , enfin , pour adopter entiérement tout le fyftême philo- ü>  Notes. 381 fophique, il prit des partis mitoyens; il parut flotter entre Terreur Sc la vérité, difpofition qui naturellement plait a notre foibleffe; des traits d'une morale admirable lui gagnerent tous les gens de bien , quelque loient fes égarements. Qui pourroit méprifer ou haïr celui qui a parlé tant de fois de Ja vertu d'une maniere ii perfuafive, fi. attrayante & fi fublime ! Des peintures licentieufes, des principes dangereux, mais cependant voilés avec art, montrés avec une adreffe féduifante, devoient plaire généralement , & ne pouvoient produire dans Tefprit des perfonnes les plus féveres, ce dégout Sc cette vive indignation qu'ont excité les Contes de Voltaire, de Diderot, 8cc. Les Eccléfiaftiques 8c les dévots lui ont tous pardonné au fond de Tame ce qu'il a écrit contre la Religion, en faveur des hommages fi répétés qu'il a rendu a 1'Evangile; les femmes , comme je Tai remarqué ailleurs (a) , lui ont aufli pardonné d'avoir parlé d'elles avec mépris, paree qu'il en parle toujours avec le ton de lapajjion. En un mot, il a fa ménager tout le monde en fe confervant le privilege de tout dire , 8c précifément paree qu'il n'avoit point d'opinion fixe 8c de principes invariabies ; car il fe contredit tellement, que depuis les Athées jufqu'aux Saints , chacun peut trouver dans fes ouvrages des idéés Sc des principes analogues a fa croyance O) Dans Adele & Théodore.  j8a Notes. & a fes fentirnents. Mais, dira-t-on peutêtre , il n'a pas ménagé les Phiïofophes; avec quel mépris ne les a-t-il pas traités dans fes ouvrages! Oui, mais il a écrit auffi contre la révélation , contre les peines éternelles ; & c'étoit rentrer dans le iyftême général des Phiïofophes. D'ailleurs, il a ménagé la feéle d'une maniere plus marquée encore dans fa nouvelle Héloïfe, en peignant un Athée comme le modele accompli de la fagefie & de la vertu. Ce cara&ere eft fi peu dans la nature, il eft fi chimérique , qu'il auroit fuffi feul pour gater 1'ouvrage le mieux concu. Auffi les partifans les plus enthoufiaftes de Roufleau, ont-ils également blamé , & 1'idée ( dont les réfultats font fi pernicieux ) & le perfonnage fi froid, fi infipide & fi peu naturel. Rouffeau ne croyoit certainement pas qu'un Athée put être le plus pur, le plus honnête, le plus fage & le plus heureux de tous les hommes; mais il n'ignoroit pas combien les Phiïofophes lui fauroient gré de cette fuppofition , & que cette condefcendance les engageroit tous infailliblernent a rendre juftice aux beautés de détail que Pimpartialité trouvera toujours dans ce dangereux Roman ( état de choifir celle oü le meilleur ufage » de la raifon doit les conduire ;" & que dans le même volume il dit : » que c'eft une inex» cufable préfomption de profeffer une autre » Religion que celle oü 1'on eft né (4) "; lorfqu'il reconnoit expreffément Tidée du bien & du mal, qu'il ajoute : » Jettez les yeux fur j> toutes les nations du monde par-tout j» vous trouverez les mêmes idéés de juftice » & d'honnêteté , par-tout les mêmes notions j> du bien & du mal " ; & que , dans le même volume encore, il dit : » Toute la mo» ralité de nos aélions eft dans le jugement »> que nous en portons nous-mêmes (£)"; lorfqu'il dit: n Tant qu'il refte quelque bonne jt croyance parmi les hommes, il ne faut jj point troubler les ames paifibles, niallarn nier la foi des fimples par des difiicultés » qu'ils ne peuvent réfoudre , & qui les i) inquietent fans les éclairer.... Ces dogmes, » (la loi , 1'immortalité, les récompenfes , les » chatiments du fiecle futur) font ceux qu'il » importe d'enfeigner a la jeuneffe, & de » perfuader a tous les citoyens : quiconque » les combat, mérite chatiment fans doute ; j» il eft le perturbateur de 1'ordre & 1'ennemi y de la fociété («) ". Et quand il attaque la révélation „ (a) Emile, tom. II. (£) Ibid. tom. III, pag. 91 & 99. (c) Ibid.  , „ Notes' 385 révélation, qu il me le pêché originel, Ia loi naturelle, &c.; lorfqu'enfin il s'expliqueainfi : n Comment peut-on être fceptique parprin» cipes ? & de bonne foi, je ne faurois ie n comprendre. Ces Phiïofophes , ou n'exiftent » pas, ou font les plus malheureux des hom» mes, &c. "; & lorfqu'il affure toujours dans le même ouvrage que » fon fceptiafme n efl nullement pénible ". Lorfque Rouffeau fe permet des contradiétions fi frappantes, fi groffieres, & qu'on en trouve de femblab'les prefque a chaque page de fes Ouvrages, peuton croire qu'il n'ait pas remarqué lui-même 1 ces étranges inconféquences ? [II eft certain | qu'on ne fauroitêtre parfaitement conféquent, que lorfque 1'on fuit avec fidélité les principes invariables & facrés que nos grands Moralifl| tes ont puifés dans 1'Evangile. Mais 1'excès f de 1'inconféquence de Rouffeau, dans un ij homme qui avoit autant d'art, autant de pénétration & de lumieres , ne pouvoit être qu'un défaut réfléchi, qu'un abandon volontaire de la raifon. II ne cherche jamais a pallier fon inconféquence, on voit clairement qu il a pris fon parti a cet égard ; il a répondu i a plufieurs critiques de fes ouvrages, enpaf1 fant toujours fous filence les reprochef de contradiétions, Sc ne les corrigeant ou ne les deguifant dans aucune des éditions qu'il a faites depuis ces critiques. Un Auteur qui facrifie tout au defir d'étonner deplaire& deféduire, quelques foient les talents, ne peut faire des ouvrages véritablement utiles : auffi ceux de Rouffeau ontR  göS Notes. des rèflexions fi profondes, fi juft.es, fi raifonnables , des remarques fi fines , des idéés fi lumineufes, qu'il fera toujours néceffaire a tous ceux qui voudront élever des enfants. Cet.ouvrage, malgréfes imperfeétions, & ce qu'il offre de répréhenfible , afliire a fon Auteur de juftes droits a la reconnoiffance publique ; on lui doit, (& 1'on ne doit qu'a lui) cette opinion générale aujourd'hui : que l'obügation la plus importante , la plus douce & la plus facrée.qu'on puiffe remplir, eft de bien élever fes enfants. La maniere pleine de charme dont il parle des enfants prouve qu'il les avoit étudié & qu'il les aimoit; & c'eft encore un fentiment qu'il a fu infpirer par des détails & des tableaux auflï vrais, aufli ingénieux que touchants. Enfin , on lui doit une foule de prèceptes relatifs a 1'éducation , & par des peintures délicieufes de la vie champêue, il a contribué a rapprocher les gens du monde de la nature f». Au refte, Emile n'a pas été aufli utile qu'il pouvoit 1'être relativement a, 1'éducation, paree que beaucoup de gens fe, ______ (a) II y a dans les efprits une difpofition générale qui fait préférer la campagne, ou ce qui, la repréfente, aux plus beaux palais de la ville. On ne porte plus de diamants , on n'aime plus les bals paris, on ne donne plus de fêtes, on préfere la fimplicité a la magnificence, on eft moins loin de la nature, & chacun fent le befoin, ou veut montrer le defir de s'en rapprocher. Nous devons a Rouffeau, & fur-tout 3 M. de Bufïbn, cette révolution qui ne peut êtrg, que très-favorable aux mceurs.  Notes. 3Ü9 font égarés, comme fon Auteur, en adopianc tous fes principes, & que d'autres, faute de le comprendre , ont fait tout le contraire de ce qu'il confeille. Par exemple, j'ai vu des enfants entiérement livrés a eux - mêmes , n'apprenant rien, ne fachant pas lire a douze ans , n'ayant d'idée de rien , & montrant d'ailleurs une groffiéreté ruftique, une indocilité & uné ineptie qui me caufoient un véritable étonnement; & ce qui ne m'en caufoit pas moins , étoit d'entendre dire qu'on t les élevoit d'après les principes de Rouffeau. II eft vrai que Rouffeau a dit qu'il étoit ridicule d'apprendre aux enfants le latin & la géométtie, & je crois qu'en général il a eu raifon; il ajoute qu'il ne faut point leur donner de maitres; il profcrit toute efpece de lecon & d'occupations réglées ; je fuis très-éloignée d'adopter cette idéé; mais fi Rouffeau accorde a fon éleve autant d'indépendance, il ne prétend pas pour cela que 1'inftituteur foit oifif, & laiffe 1'enfant a lui. même; contraire, il veut que rinftituteur I 1'inftruife'dans tous les moments & par 1'exemple & par la converfation , & fur-tout qu'il I ne Ie perde jamais un feul inftant de vue. Voila ce qu'en général on n'a pas compris, paree qu'il étoit plus commode de fimplifier ce fyftême , & de le réduire a ceci: Ne point payer de maitres , ne point enfeigner de catéchifme , ne point contrarier les enfants, ne point s'occuper d'euie , voila tous les principes de J. J. Rouffeau, & la meilleure éducation qu'on pttijfe donner. II a réfulté de cet extrait d'EK iij  390 Notes. mile des éducations qui ne doivent pas en- l couragef a fuivre cette méthode , mais qu'on p auroit grand tort d'attribuer entiérement aux principes de Roufleau. (9) Ifaac Newton naquït . en 1644, d'une familie noble dans la Province de Lincoln. On allure qu'a vingt-quatre ans il avoit fait fes grandes découvertes dans la geometrie. II mourut a 1'age de quatre-vingt-cinq ans. Leibnitz, contemporain de Newton, naquit h Leipfick en 1646. II cultiva avec un égal fuccès les lettres & les. fciences, II eut de grandes difcuflïons avec Newton , qui troublerent fon repos, & avancerent, dit-on, le terme de fa vie. A quoi peut fervir la philofophie fi elle ne fait pas préferver de cette ridicule & vaine fenflbilité ? Leibnitz mourut en 1716; 11 écrivit beaucoup fur la tolêrance. On trouve dans fes ouvrages des principes très-répréhenfibles : cependant il ne parloit des livres facrés qu'avec refpeft : ils font remplis, difoit-il, d'une morale nécejfaire aux hommes. II difoit encore: queChous devions juger des ouvrages de Dieu aufli fagement que Socrate jugeoit de ceux d'Héraclite, en difant: ce que j'en ai entendu me plaü , je crois que le refte ne me plairoit pas moins, Jl je l'entendois. Le dix-feptieme fiecle a produit aufli un naturalifte d'un mérite bien diftingué, Tournefort, né en 1656. On lui doit le plus beau fyftême debotanique qu'on ait imaginé jufqu'ici; on eft aujourd'hui partagé entre ce fyftême  Notes. 591 & celui de Linnéus; mais il eft a croire qu'on reviendra entiérement a Tournefort; fa méthode eft beaucoup plus fimple & plus claire, & les caraéïeres qu'il indique font infiniment plus frappants & plus faciles a retenir. (10) J'ai ofé dire que les chefs du parti encyclopédique , les éditeürs de 1'Encyclopédie, MM. d'AlembertSc Diderot, étoient de mauvais Écrivains. Ce font eux qui me fourniront mes preuves ; celles-la feules me paroiffent fans replique: je ne critiquerai point, je citerai, le Le&eur jugera. Voici un morceau de M. Diderot, tiré de fes Penfées fur 1'interprétation de la nature. » La véritable maniere de philofopher fe» roit d'appliquer 1'entendement a 1'enten» dement, 1'entendement & 1'expérience aux 3> fens , les fens a la nature , la nature k n 1'inveftigation des inftruments, les inftru» ments, a Ia recherche & a Ia perfe&ion » des arts qu'on jetteroit au peuple pour » lui apprendre k refpeéfer la philofophie ". Je ne fais pas fi cela peut s'appeller la véritable maniere de philofopher; mais ce n'eft certainement pas la véritable maniere de raifonner jufte & avec clarté. Voici un autre paffage tiré du même livre: » L'animal eft un fyftême de molécules or» ganiques, qui, par 1'impulfion d'une fenfa» tion femblable a un toucher obtus & fourd , » que celui qui a créé la machine leur a » communiquée, fe font combinées jufqu'a R iv  3p2 Notes. » ce que chacune ait rencontré la place Ia » plus convenable a fon repos ". Un Auteur (qui n'eft pas Philofophe {a)) femarque , en citant ce même paflage, que cela s'appelle : » définir une chofe obfcure par n une chofe plus obfcure encore , & que c'eft ■n ce que Boileau nommoit très-heureufement j> du galimathias doublé ". Mais voyons comment M. Diderot explique ce qui n'a rien d'abftrait 6c d'obfcur, 6c qui eft a la portée de tout Ie monde. En parlant de 1'illufion théatrale , il dit: » Cette illufion dépend des circonftances; i> ce font les circonftances qui la rendent plus » ou moins difücile a produire. Me permet» tra-t-on de parler un moment la langue des »> géometres } On fait ce qu'ils appellent une >» équation. l'illufion eft feule d'un cöté. C'eft » une quantité conftante qui eft égale a une j» fomme de termes, les uns pofitifs, les au» tres négatifs, dont le nombre 6c la com>> binaifon peuvent varier fans fin , mais dont >» la valeur totale eft toujours la même; les » termes pofitifs repréfentent les clrconftan» ces communes, 6c les négatifs, les cir« conftances extraordinaires ; il faut qu'elles » fe rachetent les unes par les autres ". Cette ingénieufe maniere d'appliquer a la littérature , des termes, des expreffions 6c des comparaifons tirées de la géométrie, eüt paru fort ridicule aux bons Auteurs du fie- (<0 M. Paliffot.  Notes. 393 cle de Louis XIV; leurs écrits ne nous ofïrent aucune tracé de ce mauvais goüt, que les Phiïofophes modernes ont introduit parmi nous, jufquesdans la fociété. Je me fouviens qu'étarrf'fort jeune, & ne connoiffant point ce langage, je fus très-furprife d'entendre dire a un homme qui vouloit faire 1'éloge d'une femme : Elle a toutes les donnies qui me plai[ent. Mais j'ai eu depuis bien d'autres fujets d etonnement : au refte , cette introduétion bizarre de mots fcientifiques , dans la converfation 6c dans les ouvrages de littérature , n'eft qu'une mode renouvellée ; elle fut prolcrite dans le fiecle du bon goüt, mais elle exiftoit 6c elle étoit admirée dans ceux qui l'ont précédé. En 1406, au fujet du fchifme de deux Papes , Benoit 6c Innocent, un Orateur très-célebre alors , paria ainfi : » Hélas ! le fcifme préfent n'a-t-il pas bien »> fourme d'un cercle oü 1'on ne trouve ne »> fin ne iflue ? Plufieurs ont été autres fcifi) mes , mais ce ne furent que demis-cercles , » ce n'étoient que lignes droites oü on trouj> voit tantot le bout 6c le mettoit-on en 3» leur affin!... Si les parties de la circonn férence touchoient au point du milieu, >3 le cercle feroit defpécié. Ainfi femble-t-il »> des deux Seigneurs defquels dépend cette 33 befogne , 6cc.". Hiftoire Eccléfiaftique, par 1'Abbé de Fleuri, tome 21. On trouva ce difcours fublime, 8c nous n'avons pas le droit de nous moquer d'un tel fiecle. Le cercle de cet Orateur vaut bien l'êquation de notre Philofophe. II me paroit R v  394 Note*' qu'en goüt & en éloquence, ces deux EcrU vains ont des donnèes femblables. Veut-on encore quelques exemples du ftyle de M. Diderot ? écoutons avec quel naturel il parle de la vertu. n Malheur a celui qui ne lui a pas affez » facrifié pour la préférer a tout, ne vivre i> que pour elle, b'enivrer de fa douce va3> peur, & trouver la fin de fes jours dans w cette ïvreffe " ! Le Fils naturel. C'eft encore lui qui, dans le même ouvrage , dit: » On a une idee jufte de la chofe ; elle » eft préfente a la mémoire ; cherehe-t-on 3> Texpreflion, on ne la trouve pas. On comjj bine les mots de grave & d'aigu, de prompt j» & de lent, de doux & de fort; mais le j» réfeau toujours trop lache ne retient nen..., » Un Muficien faifiia le cri de la Nature , n lorfqu'il fe produit violent & inarticulé ; » il en fera la bafe de fa mélodie ; c'eft fur n les cordes de cette mélodie qu'il fera gronj» der la foudre , &c. &C Sic. ". Des paffages de ce genre font rêellement curieux ; on en trouve une infinité d'autres t auffi ridicules & du même Auteur, dans les deux ouvrages qui ont pour titre: Mémoires pour fervir d 1'HiJioire de notre Littérature } &L Petites Lettres' fur les grands Phiïofophes , par Af. Paliffot. Maintenant, voyorrs quelques échantillons du ftyle de M.. d'Alembert x je vais copier d'abord un grand morceau, un morceau kprétention; ne jugeons point lcgérement fu*  Notes. 395 des petites phrafes ifolées , ne jugeons que fur de longues tirades bien travaillées, bien méditées ; fur un important parallele. » Ne n feroit-il pas facile de comparer enfem» ble nos trois plus grands maitres en poé» fie, Defpréaux, Racine & M. de Vol« taire (a) ? Ne pourroit-on pas dire, « pour exprimer les différences qui les ca» raclérifent, que Defpréaux frappe & fan brique très-heureufement fes vers; que Ra» cine jette les fiens dans une efpece de » moule parfait, qui décele la main de 1'arD tifte fans en conferver Tempreinte ; & que » M. de Voltaire laiffant comme échapper n des vers qui coulent de fource , femble 3> parler, fans art & fans étude, fa langue » naturelle? Ne pourroit-on pas obferver, » qu'en lifant Defpréaux, on conclut & on a fent le travail; que dans Racine, on le (a) L'Auteur obferve dans une note T que M. de Voltaire vivoit quand ce difcours fut prononcé. Ne pourroit-on pas obferver encore qu'il eft fingulier de ne pas placer au rang de' nos plus grands maitres en Poéfie , 3. Baptifte Rouffeau ? Eft - ce paree qu'il n'avoit point fait de Tragédies ? Mais Defpréaux n'étoit pas un Auteur dramatique. On dit qu'on peut faire des Tragédies brillantes fans être un grand Poëte , & qu'il faut, au contraire, être né Poëte pour faire de belles Odes; & M. de Voltaire n'a jamais pu faire une bonne Ode, & celles de Rouffeau font fublimes. Enfin, comme Poëte, le nom de Rouffeau eft un des premiers qui fe préfente a la mémoire; mais M, de Voltaire vivoit encore R vj  gyó Notes. n conclut farrs le fentir, paree que fi, d'un » cöté, la facilité continue en écarté 1'appa» rence, de 1'autre la perfeétion continue en » rappelle fans ceffe 1'idée au Leéleur; qu'enn fin, dans M. de Voltaire, le travail ne peut » ni fe fentir, ni fe conclure , paree que les j> vers moins foignés qui lui échappent par y> intervalles, laiffent croire que les beaux •> vers qui précédent & qui fuivent, n'ont « pas coüté davantage au Poëte ? Enfin, ne j> pourroit-on pas ajouter, en cherchant dans r> les chef-d'ceuvres des beaux-arts, un objet » fenfible de comparaifon entre ces trois grands ï> Écrivains; que Ia maniere de Defpréaux, »> correéle, ferme & nerveufe, efl: aifezbien w repréfentée par Ia belle flatue du Gladiaj> teur {a) ; celle de Racine, aufli correcte, w mais plus moëlleufe Sr plus arrondie, par ï> la Vénus de Médicis ; & celle de M. de »> Voltaire, aifée, fvelte & toujours noble, »» par 1'Apollon du Belvedère (/3) " ? (a) Eft-ce le gladiateur mourant ou le gladiateur eomhattant ? Ces deux ftatues font également belles. UAuteur n'auroit pas dü nous laiffer dans cette incertitude; mais il n'avoit jamais été a Rome, & peut-ètre n'avoit-il entendu parler que d'un gladiateur. (b) De toutes les ftatues antiques, YApollon du Belvédère eft la feule dont on n'ait jamais fait une belle copie. L'Auteur n'avoit vu que des copies de ces ftatues : ainfi, en fuppofant qu'il eut du goüt, il eft clair qu'il place ici M. de Voltaire au - deffus de Racine. Au refte, il eft agréable de favoir que la maniere d'écrire de R.acine eft arrondie, 8c que la maniere d'écrire de M, de Voltaire eft fvelte.  Notes. 397 A-t-on jamais écrit un galimathias plus lïnguliérement difFus, plus ennuyeufement pelant, avec des expreffions plus bizarres & dans un langage plus diffonnant? Defpréaux, qui frappe & fabrique, repréfente a 1'oreille ce que ce Poëte a voulu peindre en fe moquant de Chapelain; 8c cette efpece de moulc parfait de Racine, & cette étrange définition, que 1'on conclut & on fent le travail de 1'un, que 1'on conclut fans le fentir le travail de 1'autre , & qu'on ne peut ni conclure ni fentir le travail du troifieme ; tout cela eft d'un tel ridicule , qu'il n'eft véritablement pas concevable qu'avec de 1'efprit ou feulement du bon fens on puiffe écrire ainfi, Le même Auteur dit que le fentiment étoit une efpece de fens qui manquoit a Defpréaux. 11 ajoute : » Car fi le Poëte doit avoir le taél fur le » gout févere pour connoitre ce qu'il doit » faifir ou rejetter , fi 1'imagination qui eft " pour lui comme le fens de la vue, doit m lui repréfenter vivement les objets, 6c les a> revêtir de ce coloris brillant dont il anime » fes tableaux; la fenfibilitè , efpece d'odorat » d'une fineffe exquife (a) , va chercher pro» fondément dans la fubftance de tout ce »> qui s'offre a elle, ces émotions fugitives, (a) On diroit que 1'Auteur définit la fcnfibiliti du chien, qui s'attache & qui reconnoit par l'odorat; ce qui fait qu'on pourroit dire, en parlant de cet animal, fa fenfibilitè, efpece d'odorat d'une fineffe exquife, &c.  393 Notes. » mais délicieufes, dorit la douce impreflïoa » ne fe fait fentir qu'aux feules ames dignes » de 1'éprouver (a) ". L'imagination , qui eft comme le fens de la vue; la fenfibilité qui eft une efpece d'odorat, qui va chercher profondément dans la fubftance de tout , des èmotions fugitives, ne paroiffent pas des comparaifons fort heureufes, celle-ci moins abftraite n'eft pas de meilleur goüt. » Defpréaux, qui ne vouloit pas qu'on r> füt tiede pour les Anciens, ne vit dans 1'ami » de Perrault que leur ennemi déclaré : il le » traita comme le voyageur traite la cigale » qu'il rencontre parmi des fauterelles, Sc n qu'il écrafe avec elles impitoyablement, » par la feule raifon qu'elle a le malheur « de fe trouver dans une compagnie qui lui » déplait (£) '\ J'ai beaucoup voyagé, & j'ai lu beaucoup de relations de voyages , & je n'ai jamais entendu parler de cette mortelle antipathie des voyageurs pour les fauterelles. Je crois bien qu'en marchant on peut écrafer des fauterelles Sc des cigales , mais fans les pourfuivre impitoyablement, Sc comme on écrafe des fourmis, des araignées Sc d'autres infecr.es. D'ailleurs, cet ami de Perrault y qui étoit Fontenelle, ne fut nullement écrafe par Defpréaux. Les Satyres de ce dernier n'ont fait f» Eïoge de Defpréaux, {b) HU.  Notes. 399 tort, ni a la fortune, ni a Ia réputation de' Fontenelle. Enfin, Defpréaux ne haïflbit pas Fontenelle , par la feule raifon qu'il avoit le malheur de fe trouver dans une compagnie qui lui dèplaifoit i mais il le haïfloit t paree qu'il n'admiroit pas les Anciens, comme 1'Auteur 1'explique lui - même , lorfqu'il dit dans le même éloge , que Fontenelle qui étoit perfuadé » que la littérature devoit, comme la » philofophie, fecouer le joug de l'autorité, &t j> ne foufcrire que par conviétion a 1'admin ration même de vingt fiecles , s'étoit déii claré contre 1'adoration aveugle de Pindare n & d'Homere , avec une franchife & une i> Iiberté qui lui aliéna Defpréaux Ainfi cette comparaifon eft T dans toutes fes parties, auffi faufle qu'elle eft infipide & puérile. Voici encore une comparaifon encore plus ridicule, au fujet de la piece de Pyrrhus , de Crébillon, qui fut bien rec_ue du public. ii Mais Paccueil fut paffager; & Töuvrage » a difparu de deffus la fcene , comme un » collatéral éloigné, intrus dans une fuccef»i fion qui ne lui appartient pas, eft obügé n de renoncer au partage qu'il prétendoit faire n avec les héritiers légitimes {a) '\ Quel goüt l quel ftyle l Quelles idéés a la fois triviales, fauffes ck baroques!... Mais voici un jugement plus ('urprenant que tout cela. 11 Un de nos plus célebre» confrères..., £«) Eloge de Crébülonv  400 Notes. j> a remarque avec grande raifon, quoiqu'en » ait dit le bas peuple des critiques, que les » deux illuftres fondateurs de la Tragédie , » parmi nous, fembloient s'être plus attachés >j a peindre les hommes que les nations; que j> Racine n'en avoit peint qu'une feule, les »> juifs; & Corneille que deux , les Romains » & les Efpagnols; que M. de Voltaire feul t> avoit peint tous les peuples, Grecs, Ro» mains, Francois, Efpagnols, Américains, » Chinois 8c Arabes (a)". ^ Croit-on de bonne foi que les Auteurs tragïques s'attachent a nous peindre les nations? Croit-on que l'Orpkelinde la Chinenous donne une jufte idéé de la nation Chinoife ? que Za'tr nous dépeigne les mceurs des Turcs 8c les ufages du Serrail? Cette piece, au contraire, préfente d'un bout a 1'autre des moeurs , des ufages, des fentirnents dont 1'Hiftoire de ce peuple n'offre pas un exemple. Croit-on que ces Américains, que 1'Hiftoire nous repréfente fi doux, fi faciles a épouvanter, a fubjuguer, foient fidélement retracésdans cesbeaux caraéleres, pleins de grandeur 8c d'énergie de Zamora 8c d'Alzire ? Mais, en admettant que M. de Voltaire ait en effet peint tous ces peuples, comment ofe-t-on dire que Racine na peint qu'une feule nation, les Juifs ? Oui, il a peint les Juifs, 8c avec une admirable vérité, paree qu'il avoit fait une étude particuliere des Ecritures ; mais n'a-t-il (a) Eloge de Crébillon.  Notes. 401 fait qu'Efther & Athalie? N'a-t-il pas auffi peint lesTurcs? Baja^et donne certainement mieux que Zaïre Tidée de leurs moeurs & de leur caraéïere. M. de Voltaire a peint les Grecs & les Romains; & Racine n'eft-il par 1'auteur de Phedre, d'Iphigénie, d'Andromaque, de Britannicus, de Mitridate, de Bérénice, &c. Quand tous les confrères de 1'Auteur des éloges fe réuniroient pour nous foutenir que Racine na peint qu'une feule nation, les Juifs, nous ferions forcés de nous joindre au bas peuple des critiques , & de répondre avec refpeel, mais par des faits pofitifs, tels que ceux que je viens de citer. Si 1'on veut appelier peindre des nations, faire paroitre fur la fcene des perfonnages auxquels on donne différents noms, nous dirons auffi que Corneille a peint les peuples de 1'Egypte, (dans la mort de Pompée ) les Parthes , ( dans Rodogune ) les Efpagnols & beaucoup d'autres nations. Et fi nous parions raifonnablement, nous dirons qu'il n'a peint' que les Romains dans le temps de leur grandeur & de leur gloire, mais que lui feul a fu les peindre. Dans 1'éloge de Deftouches, M. d'Alembert dit que telle piece qui a du fuccès a Paris, eft peu goütée en Province, >j paree » que 1'Auteur y a peint les mceurs de Paris » plus que celles de la nation ; celles du mo» ment plus que celles de \'année, & le jargon >> du jour plutot que celui du lendemain". Voila une plaifante critique. A moins d'une révélation, on ne peut peindre que ce qui exifte }  4oS Notes. Sc fi les mceurs doivent changer le lendetnain, il faut être prophete pour pouvoir peindre cette révolution. Ces petits écarts, ce manque total de fens commun , fe retrouvent continuellement dans ces éloges. L'Auteur, également dépourvu d'imagination , de goüt & de fentiment, n'eft jamais que fervile 6c foible imitateur, tantot de Fontenelle, tantót de M. de Voltaire; il a prodigué comme ce dernier les citations de bons mots 6c de petites anecdotes ; citations toujours fatigantes 8c puériles, quand elles font multipliées, 8c qui ne font pas fupportables dans les ouvrages d'un genre noble ou férieux ; fur-tout lorfqu'on n'eft pas extrêmement difficile fur le choix de ces petits ornements, 8c qu'on entaffe fans difcernement dans un difcours académique tous les lieux communs de cette efpece, dont on a pu charger fa mémoire. Ecoutons encore 1'Auteur, lorfqu'il veut montrer de la fenfibilitê. n Un fentiment profond 8c plein de vie , » privé d'un objet chéri qu'il ne retrouvoit » plus, 6c ne pouvant fupporter 1'idée ac» cablante d'être anéanti pour jamais ji a infpiré, éclairé, intéreffé la raifon pour ji lui faire embrafler, avec tranfport, cette » attente précieufe d'une exiftence immor» telle, dont le premier delir n'a pas dü naitre (a) Qu'eft - ce qu'an fentiment plein de vie privé d'un objet, & qui ne peut fupporter une idéé , &e, Quel inconcevable galimathias.  Notes. 403 n dans une téte-froide & philofophe, mais dans » un cceur qui avoit aimé (a) ". Je crois avoir fuffifamment prouvé que MM. Diderot 6c d'Alembert font de mauvais Écrivains. J'aurois pu multiplier les citations; mais celles qu'on vient de lire doivent paroitre fuffifantes. On peut trouver dans les ouvrages d'un grand Ectivain des morceaux foibles, des négligences de ftyle, 6c même quelques expreffions vicieufes {b); mais on n'y trouvera jamais de longues tirades ridicules , des phrafes vuides de fens, 8c des pages entieres d'amphigouris 6c de galimathias abfolumentinintelligibles. J.J. Rouffeau, le moins correct 6c le plus inégal de nos grands Écrivains, n'offre jamais rien de femblable : il n'eft pas toujours brillant ou fublime, il eft fouvent négligé, diffus 6c languiffant; il a même quelquetois un peu d'emphafe, mais ce n'eft que rarement 6c avec une certaine mefure qui le met a 1'abri, finon de la critique, du moins du ridicule ; & c'eft ainfi que dans fes écarts mêmes, un Ecrivain fupérieur n'abandonne jamais entiérement le bon goüt 8c la raifon. Je ne ferois point entrée dans ce détail i s'il n'eüt été important 8c utile, de prouver aux jeunes perfonnes qui liront cet ouvrage , que ces prétendus Phiïofophes qui ont affeéti (a) Elogc de M. de Sacy. La négation n'a pas du naitre, &c., fait une faute de langage dans ls phrafe : Mais dans un cceur qui avoit aimé. (b) Comme lorfque Rouffeau répete dans Emile: Comme que tout aille, peu lui importe, 8cc,  404 Notes. tant d'irréligiofl, qui ont été les ct'éatenrs & jc les éditeurs d'un Diétionnaire qui outrage fi li fouvent la Religion, n'avoient nullement cette Ü: fupériorité d'efprit & de talents que leurs pat- | tifans leur ont attribuée. J'ai dit que 1'Encyclopédie contenoit une I multitude d'articles contre la Religion & les 1 moeurs, & j'en ai indiqué un, le mot po- | pulation. Mais, dira-t-on peut-être , des Edi- I teurs, fans doute, doivent être refponfables 1 de 1'ouvrage qu'ils publient : cependant cet I ouvrage efl: fi confidérable, qu'il feroit pof- | fible que les articles de ce genre euffent échappé I a leur infpeétion. A cela je répondrai: i°. | Que par les ouvrages particuliers qu'ils ont | données, il eft prouvé que ces articles s'ac- I cordoient avec leurs principes. a°. Que ces U articles font trop multipliés dans ce Diétion- | naire, pour qu'ils ayent pu y être inférés a leur I ïnfu ; & 3°. qu'ils avoient le projet formel | d'attaquer & de détruire la Religion dans cet i ouvrage; que c'étoit la leur but principal, J & qu'on n'en peut douter, puifque 1'un d'eux I le déclare très-clairement dans un des arti- cles de 1'ouvrage, au mot Encyclopédie. Ecou- \ tons M. Diderot lui-même nous dévoiler tou- I tes fes petites rufes philofophiques fur cet objet; | il parle de 1'ordre & de la maniere qu'on a | fuivie en compofant ce Diélionnaire. •>■> Je 9 7> diftingue, dit-il, deux fortes de renvois, | » les uns de chofes & les autres de mots; 1 7> les renvois de chofes éclairciffent 1'objet, 9 » indiquent fes liaifons éloignées avec d'au- | 7> tres qu'on en croiroit ifolées, ckc... Mais  Notes. 405 » quand il le faudra , ils produiront auffi ( ces n renvois ) un effet tout contraire; ils oppo» feront les notions ; ils feront contrafter les 3» principes; ils attaqueront, ébranleront, ren11 verferont fecretement quelques opinions ri. » dicules qu'on n'oferoit infulter ouverte» ment. Si 1'Auteur eft impartial, ils au3i ront toujours la doublé fonétion de con» firmer & de réfuter, de troubler &c de 31 concilier. » II y auroit un grand art & un avantage 13 infini dans ces derniers renvois. L'ouvrage 11 entier en recevroit une force interne & une 3> utilité fecrete, dont les efFets fourds fej » roient néceffairement fenfibles avec le temps. 33 Toutes les fois, par exemple, qu'un prési jugé national mériteroit du refpecl:, il fau}> droit a fo." article particulier Texpofer refI 31 peéhieufement, & avec tout fon cortege i 13 de vraifemblance &c de féduöion ; mais 1 3» renverfer 1'édifice de fange, diffiper un >i vain amas de pouffiere , en renvoyant aux 33 articles oü des principes folides fervent de » kafe aux vérités oppofées. Cette maniere »> de détromper les hommes opere très31 promptement fur les bons efprits, & elle » opere infailliblement & fans aucune fa» Cjheufe conféquence , fecretement & fans j» éclat , fur tous les efprits. C'eft 1'art de 31 déduire tacitement les conféquences les plus 33 fortes. Si ces renvois de confiïmation & i> de réfutation font prévus de loin & pré>i parés avec adreffe , ils donneront a une 1 »> Encyclopédie le caraftere que doit avoir un  4oö Notes. » bon Dictionnaire ; ce caraétere eft de ckan» ger la facon commune de penfer. L'ouvrage j> qui produira ce grand effet général, aura m des défauts d'exécution; j'y confens , mais i) le plan & le fonds' en feront excellents, i» L'ouvrage qui n'opérera rien de pareil fera i> mauvais ; quelque bien qu'on en puiiTe dixe i) d'ailleurs , 1'éloge paflera, & l'ouvrage tom» bera dans l'oubfi (a)... Enfin , une derniere' » forte de renvoi qui peut être ou de mot ou » de chofe, ce font ceux que j'appelleroïs. vo)y lontiers fatyriqués ou épigrammatiques : tel » eft, par exemple, celui qui fe trouve dans' »• un de nos articles , oü a la fuite d'un éloge » pompeux, on fit, voye^ Capuchon. Le mot » burlefque Capuchon, ck ce .qu'ón trouva (a) Voila le grand 'fecret dé la fedte .& de toute feite; il s'agit de faire du bruir, de bouleveffer ,* d'ppérer une révolution; c'eft,ainfi quJonrfe3tftdk. célebre a peu de fraix , c'eft-a-.direj, faps, tïlfijits,s Le caraclere d'un bon Diclionnairi efl de chfmger la facon commune de 'penfer, & fi cette* facörS de pén- ' fer eft utile & raifonnable? 11 n'eft pas queftyjrr* de cela; il faut faire-un ouvrage affez'hardi paur qu'il ne puUfejamaf* tfmbe'r dans f-ouHL f)ïc- conner que 1'éloge pompeux n'eft qu'une »> ironie, ck qu'il faut lire 1'article avec pré» caution, & en pefer exactement tous les » termes. » Je ne voudrois pas fupprimer entiérei> ment ces renvois , paree qu'ils ont quel» quefois leur utilité. Ori peut les diriger » fecretement contre certains ridicules , com» me les renvois philofophiques contre certains » préjugés. C'eft quelquefois un moyen dé» licat & léger de repouffer une injure fans » prefque fe mettre fur la défenfive , & d'ar» racher le mafque a de grands perfonnages. » Voye^ clans l''Encyclopédie le mot Encyclo» pédie ". Concoit-on que des Auteurs piiiffent ouvertement montrer de telles intentions, & fe dévoiler avec autant d'imprudence ? Ce qui rend cet article auffi ridicule qu'il eft révoltant, c'eft que 1'Auteur s'y vante de fon adreffe, de fes ménagements, & s'y glofifie de n'employer que des moyens délicats & légers. A quoi fervent toutes ces précautions, toutes ces fineffes fi bien concues, fi fubtilement imaginées , lorfqu'on en donne une fi pofitive & fi longue explication ? Après les preuves fans replique que j'ai produites, pourroit-ön m'accufer'd'avoir'critiqué avec trop d'amertume de tels ouvrages"? "Comme mere & coram; TnftitutHce, n'ai-je pas dü dévoiler autant que je Ie puis , des defieins ■& des principes fi pernicieux? N'ai-je pas dü chercher a préferver la jea.»  4o3 Notes. nefle d'une admïration dangereufe & peu fondée pour des hommes qui ont voulu détruire i tout ce qu'il y a de plus utile & de plus facré ? Des opinions & des fentirnents infpirés par la confcience, & fondés fur la vérité , doivent être invariables,; auffi trouvet-on dans mes premiers ouvrages, & dans tous ceux que j'ai faits, les mêmes idéés que je | développe ici fur les prétendus Phiïofophes, fur la philofophie moderne, & fur la Religion («). Mes critiques font, je 1'ole dire, aufli impartiales que mes intentions font putes. Suppoferoit-on que cette multitude de libelles qu'on a fait ( m'a-t-on dit ) contre ma perfonne , & tant d'extraits fatyriques & même infideles de mes ouvrages, m'euffent infpiré quelques reflentiments fecrets? En donnant Adele & Théodore, je m'étois attendue a tout cela; je 1'avois prévu fans avoir la foiblefle de le craindre, & fans avoir la vanité de le defirer; car ce n'eft pas la célébrité que j'ambitionne... Mais avant que ; mes Lettres fur VEducation euflent parti , je n'avois point d'ennemis (b) ; on n'avoit jamais rien écrit contre moi; j'avois recu, au contraire, des témoignages univerfels d'une indulgence exceflive. Dans cette fituation , je me décidai cependant k publier les Lettres dans lefquelles j'exprimois , avec toute la force | (a) Entr'autres dans AdeU & Théodore. {h) Je n'avois fait alors que le Théaire d'Edtf | fatten,  Notes. 409 force dont je fuis capable , les fentirnents, les principes & les opinions qu'on retrouve dans cet ouvrage. Voila donc une preuve indubitable que ce n'eft pas le refentiment qui m'infpire aujourd'hui. Et d'ailleurs, d'oü viendroit ce reffentiment; quel mal m'a-t-ort fait ? quel mal peut - on me faire ? Socrate difoit afon efclave : je te bat trois, fi je n'êtois pas en colere i pour moi je puis, finort battre, du moins attaquer; car j'ai confervé tout mon fang froid. Enfin, je ne fais point haïr; c'eft une faculté philofophique qui me manque abfolumenr. (11) L'Auteur de \'Efprit des Phiïofophes irréhgieux foutient, avec raifon, que les fentirnents religieux dorment aux ouvrages de génie, un intérêt & une grandeur qui en augmentent le charme; & c'eft ce qu'il prouve par un parallele, qu'on lira fürement avec plaifïr. 5- Quelle majeflé! quelles images, quel » prodige d'éloquence dans le difcours de » Bofluet fur 1'Hiftoire univerfelle ! On fut Ji étonné (dit M. de Voltaire) de cette force »> maje(tueufe, dont il a dècrit les mceurs, le » gouvernement, l'accroiffement & la cküte des » grands Empires, & de ces traits rapides 3> d'une vérité énergique, dont il peint & dom » il juge les nations.... Ce difcours na eu ni n modeles , ni imitateurs ; fon ftyle na trouvé w que des admirateurs («). (<0 Remarquons en paffant que, ie cette farce  41 o ISoies. n C'eft, en effet, un phénomene bien fur» prenant , de voit paroitre, pour la pre» mierefois, depuis tant de fiecles écoulés, 31 fans que perfonne eüt ofé afpirer a par» tager la gloire des Cicéron & des Dé» mofthenés , un Ecrivain qui franchit tout y> d'un coup ce grand intervalle, fe place au jj niveau de ces génies extraordinaires , &C w s'éleve même au-deffus des plus grands » Orateurs de la Grece Sc de Rome. Ne jj feroit-cela que le triomphe de leloquence 11 humaine ? Et Bofluet ne devroit - il qu'a >» la fécondité de fa brillante imagination, ii cette vigueur , cette pompe , 8c fur-tout jj ce cara&re augufte d'une dignité Sc d'une j> fageffe oü nous croyons voir reluire tous si les rayons de la Divinité même ? Difons si une vérité qui ne peut échapper qu'a ceux si qui ne veulent rien voir; c'eft que les hau» tes penfées de la foi ont une force éton13 nante pour donner aux grands talents 1'é33 clat du prodige, & pour porter le vrai 3> génie a un degré extraordinaire d'élévation. 33 C'eft que Bofluet a contemplé dans la 33 grande lumiere de la Religion, c'eft-a-di-, dont il dkrit les mceurs , n'eft pas Francois. On dtcrit avec force, & on ne dit point, la force, dont on décrit le Gouvernement, &c. La derniere phrafe de ce paffage, qui eft fi défagreable a foreille, manque auffi d'exactitude. On dit bien qu'un Ecrivain n'a point eu d'imitateurs, mais on ne dit point qu'un. difcours n'a eu ni imitateurs ni modeles,'  Notes. 411 • » re, de la hauteur même de Tinteliigence » infinie, le grand théatre du monde, & » toute la fuite des grandes révolutions'des » Empires; ck que nous montrant le deffein » d'une fageffe étemelle & profonde, au miii beu des viciffitudes qui agitent 6k qui chan" gent la face de l'univers, il nous fait ad» mirer dans le tableau de tous les Royaun mes de la terre, ck de tous les événements » humains réunis en un feul fpeétacle, une 13 économie, oü tout fe meut, fe chooue " fe renverfe ck fe releve par des refiorts' » divins , ck oü toutes les hiftoires du temps Ji ne font que les préparatifs de THifioire de I>3 1'éternité & de 1'empire indeftruétible, éta31 bh fur le fondement des Apótres & des Pro" P/let" Montefquieu , lorfqu'on veut 3> 1'étudier ck le fuivre dans le travail de fes j3 combinaifons profondes , vous préfente 33 pour le fonds, la même ame ck le mêma >i caraflere d'efprit, que le célebre Evêque jj de Meaux ; c'efi-a-dire , que dans 1'un ck >3 dans 1'autre , on eft frappé de cette capa33 cité prodigieufe d'une raifon qui embraffe 33 tout, ck de cette fupériorité d'intelligence 13> qui fait raffembler ck réduire a un réful3j tatfimpleck intéreffant pour tous les ages, 33 la variété infinie des révolutions difperfées 33 dans 1'immenfité des temps. Mais Montef33 quieu s'eft renfermé dans le période des 33 chofes humaines, & fon deffein ne s'étensj doit pas au-dela. Bofluet avoit réglé fes ij méditations fur un plan bien plus vafte ; 5 il a voulu fier, fi on peut le dire, toute Sij  412 Notes. 3> 1'éconoraie du monde préfent, au fyftême j) éternel de la fageffe fuprême. L'un nous » tient circonfcrits dans le cercle des loix , ji des mceurs & des paffions des hommes, j> pour nous dévoiler les reffotts des grands si événements, & nous expliquer la forma3» tion, 1'agrandiffement, le déclin, & la ruine 3» desEmpires. L'autre nous fait contempler, 3» au milieu de tout le mouvement des in3» térêts humains, & de ce grand fracas des si Empires&des trênes qui s'elevent, fe heur35 tent, & tombent les uns fur les autres , ji une puiffance invifible 8c étemelle qui conti duit en filence a travers toutes ces agita35 tions & toutes ces ruines, un deffein d'un 35 ordre fupérieur, 8c qui, par des ménage3i ments profonds, fait fervir toutes les vi33 ciffitudes 8c toutes les fcenes des Royau35 mes & des générations qui paffent, a 1'ac33 croiffement & a la gloire de l'Empire qui is demeurera éternellement. Le premier ne i3 fort pas de 1'Hiftoire des gouvernements, 33 pour nous indiquer les principes des gran3i des fecouffes qui ont tant de fois changé 3» la deftinée du genre humain, & nous laiffe 55 au milieu de ce vafte univers, oü tout 3» chancelle 8c fe fuccede, fans nous éclairer 53 fur le dernier dénouement de tant de fpec33 tacles divers. Le fecond fait tout revoler is dans fa fource étemelle, 8c nous préfente 35 au-dela des temps la raviffante perfpec33 tive d'un monde ftable 6c incorruptible, 35 qui s'élevera fur les énormes débris de ce i> globe que nous habitons, 8c oü tout fera  Notes. 413 » transformê dans la fplendeur & rimmu» tabilité de 1'Être infini. Ainfi, ces deux ■» génies, dont le fiecle d'Augufte feroit enor•» gueilli, fe font reffemblés fans s'égaler; & » 1'éloquence a laifle Ia palme dans la main j> de Bofluet. O que la Religion donne de » fécondité 8t d'ampleur a tout efprit qui j> fait 1'envifager dans le vrai jour de fa ma» gnificence & de fa grandeur ! Non , il n'y » a qu'elle qui puifle former les intelligen» ces extraordinaires , élever le génie au-def» fus de lui-même , & le faire s'élancer hors v des limites prefcrites a tout ce qui efl: hu» main. C'eft elle qui agrandit toutes les j> fpheres. Seule, elle a le don de tout vi» vifier ; elle enfante les prodiges par-tout »> oü les hommes laiflent luire fon flambeau; 3» elle imprime a tous les talents, aufli-bkn » qu'a toutes les vertus, le fceau du fur11 naturel & du divin , & produit les grands » hommes, comme elle fait les grands Saints". Ajoutons encore que les autres Auteurs du fiecle dernier ont dü , fur-tout a. la foi & k 1'étude des Ecritures, cette élévation de fentirnents, cette fublimité de penfées qu'on admire dans Télemaque, dans les Penfées de Pafcal , dans Polieuéle , dans Athalie , &c. Celui qui ne croit ni a 1'exiftence de Dieu , ni k 1'immortalité de 1'ame, eft privé de tout ce qui peut véritablement exalter la fenfibilité & 1'imagination. Enfin, 1'ctude des écritures , fi négligée aujourd'hui , a fourni a Fénelon , k Bofluet, a Racine, a Jean-Baptifte Rouffeau, les plus teaux S iij  4*4 Notes. traits de leurs ouvrages. Sans parler d'Efther & d'Athalie, Racine a placé dans fes autres pieces beaucoup de traits tirés des écritures; par exemple, dans Phedre, on trouve plufieurs idéés lublimes , qui ne font point dans Euripide, & qui fe retrouvent dans le pfeaume 138. » Oü irois-je, Seigneur, pour me déroj> ber a votre efprit? Oü fuirois-je pour r» n'être plus en votre préfence l Si je monte j> au ciel , vous y habitez ; fi je defcends » dans les enfers, vous y êtes prélent, ékc.". (is) Michel Montaigne naquit au chateau de ce nom dans le Périgord, en 1533. 11 fut Maire de la ville de Bordeaux. Ses Effais contiennent beaucoup de mauvais principes & de détails licencieux; mais on y trouve aufli des traits d'une excellente morale, d'une fenfibilité touchante, & même un grand fonds de Religion. Montaigne avoit une probité irréprochable, le caraétere le plus aimable & le plus doux. II aimoit a étudier l'homme, fur-tout dans des ames neuves, comme dans celles des enfants & des gens de la campagne. II montra dans fa derniere maladie les plus grands fentirnents de piété; il mourut en 1592 , k Tage de foixante ans. (13) J'ai prouvé dans le Chapitre vingtdeux de cet ouvrage, que les détraéleurs modernes de la Religion, ne l'ont attaquée qu'avec des fophifmes puifés dans les écrits de Spinofa , de Montaigne, d'Hobbes, de  Notes. 415 Bayle, de Collyns, de Shafftsbury , &c. que par conféquent nos prétendus Phiïofophes n'ont été que les échos, que les copiftes des ïncrédules des fiecles paffés; que ces arguments qu'ils nous ont donnés comme des idéés neuves, comme des lumieres nouvelles, avoient été méprifés , réfutés , & enfin oubliés; & j'ai ajouté de plus que ces incrédules, Spinofa, Hobbes, Montaigne, Bayle., 8t les autres, ne firent eux-mêmes que répéter ce qué 1'ignorance, 1'impiété, la mauvaife foi, le defir de faire du bruit, infpirerent dans des temps plus éloignés, a des feéfaires ambitieux, confondus par les Peres de 1'Eglife, & depuis encore par les favants écrits de Bofluet, de Bourdaloue , & d'autres grands hommes du fiecle dernier. Voila ce qui me refte a prouver. Le Diétionnaire des Héréfies va me fournir ces preuves, & le tableau fidele de tous les fyftêmes & de toutes les opinions philofophiques, qui ont paru a tant de gens d'une nouveauté fi piquante (4). (a) Je ne puis préfenter dans une note que le fonds des opinions ; mais ces opinions furent foutenues avec beaucoup d'art & de fubtilité, comme on peut s'en convaincre en lifant 1'Ouvrage que j'indique & VHiftoire Eccléfiafiique de M. de Fleuri. En retranchant feulement de XHiftoire des Héréfies tous les fyftêmes de Religion, (car ces chefs de pa-ti vouloient conferver une religion) & ne fupprimant d'ailleurs ni les détails , ni les raiionnemeiits , on formeroit une longue fuite de volumes qui n'offriroier.t qu'une répétition exacte & fidelle de tout ce que nos livres philofophiques contiennent. Si 1'on ajouS iv  4IÖ Notes. Les Adatnifles , dont la fefle fe forma vers 1'an 746, enieignoient que 1'ame humaine eft une émanation de 1'intelligence fuprême; Sc qu'étant une portion de la Divinité, toutes les actions de 1'ame unie au corps, ne devoient «tre regardées que comme des mouvements indifférents en eux-mêmes, & qui ne porloient aucune atteinte a la dignité naturelle de l'homme. Cette feite rejettoit la priere Sc ie culte : fes principes 1'entrainerent dans les excès les plus horribles en tout genre ( moi, c'eft ainfi que j'en ufe , 8c je ne Tem» brafle que pour 1'étouffer". Enfin, il y eut des Gnoftiques qui crurent que les hommes n'étoient, en effet, que des animaux; que cette fpiritu»lité dont ils s'étoient enorgueillis, étoit une chimère, 8c qu'ils ne différoient des reptiles, des volatiles, & des quadrupedes, que par ia configuration de leurs organes. Telle fut cette branche des Gnoftiques, que 1'on nomine Borborites. Hérmias , Chef des Hérétiques nommés Hermiotites, adopta Terreur d'Hermogene fur 1'éternité du monde. II enfeignoit que le monde étoit le feul enfer qui exiftat. Pélage nia le pêché originel; il flatta TorS vj  420 Notet. gueil humain:; il étoit éloquent j il eut un£ multitude de fectateurs. )> C§, n'eft point fur la corruption de la » nature, difoit-il, qu'il faut rejetter nos j> imperfeétions. La nature humaine eft fortie r> pure des mains du Créateur. Nous prenons » pour une corruption attachée k la nature j> les habitudes vicieufes que nous contrac» tons, & nous tombons dans une injuftice » que les payens ont évitée, &c. (a)". Vigilance, fameux Hérétique du cinquieme fiecle , attaqua , avec emportement, le Célibat & les Vcetix. Wiclef foutint que tout arrivé nêcejfairettient. II remonta jufqu'aux idéés priinitives du droit des hommes fur la terre r & prétendit prouver que les droits établis de propriété & de puiffance, font injuftes & chimériques. Zwingle prétendit que Ton peut affurer affirmativement, que tous les Payens qui ont montré des vertus , font fauvés , tels que Théfée, Hercule, Socrate-, Antigone, &c. ( il donnoit la dtreéfion & le mouvement » qu'il vouloit. Donat avoit la plus haute » idéé de fa perfonne , ck. le plus profond » mépris pour les hommes, pour les Ma» giftrats, & pour 1'Empereur même. Ses 3> fe&ateurs prirent tous fes fentirnents; les tions, & les détails euffent rendu plus frappants les rapports que j'indique : mais dans un feul volume, je ne puis traiter aucun objet d'une maniere complette , 8c il ne m'a pas été poffible d'y placer la moitié des extraits que j'ai faits depuis cinq ans pour compofer cet Ouvrage. J'ai penfé qu'on liroit peut - e;re un volume ; mais j'étois bien füre qu'on n'en liroit pas deux fur un tel fujet.  • Notes. 423 » Donatiftes ne voyoient que Donat au-def» fus d'eux, & fe croyoient nés pour do» miner fur tous les efprits, & pour comii mander au genre humain. Les Donatiftes , « animés par cette efpece de fanatifme d'an mour-propre , qui ne fe montroit que fous » 1'apparence du zele... féduifoient beaucoup n de monde (a) ". L'hérétique Vigilance, dont j'ai déja parlé , vivoit fur la fin du quatrieme fiecle. » Vigilance affcétoit le bel efprit; c'étoit j> un homme qui aiguifoit un trait, Scquine j> raifonnoit pas; il préféroit unbon mot a une « bonne raifon : il vifoit a la célébrité, il jj voulut éctire ; il attaqua tous les objets n dans lefquels il remarqua des faces qui four« niffoient a la plaifanterie (b) ". Tous ces feélaires , en renverfant tous les principes de la morale , produifirent des défordres & des maux infinis : cependant leur projet n'étoit pas de détruire la Religion ; ils fe contenterent d'en attaquer quelques dogmes , ils en conferverent le fonds. S'ils euffent eu le deffein infenfé de 1'anéantir , ''empire qu'ils avoient ufurpé fur les efprits eut été mille fois plus funefte encore & leurs fectes infiniment plus dépravées. On n'a point trouvé dans ces extraits cette opinion : que 1'amour -propre eft le feul principe de nos atlions ; c'eft-a-dire , que nous (0) Dictionnaire des Héréfies de M, Pluquet, tome II, page 8. \J>) Ibid, tom. II, pag. 621.  4:4 Notes, ne faifons que ce qui nous fatisfait, & qu» nous fommes invinciblement contraints de faire les aérions auxquelles nous paroiffons nous déterminer avec peine, avec efFort; que par conféquent nulle de nos aóVions n'eft méritoire , &c.; toutes ces fubtilités ne font au fonds que le fyftême de la fatalité , que tant de Phiïofophes 5t d'hérétiques ont fi fouvent foutenu & renouvellé. La maniere même dont PAuteur de 1''Efprit a préfenté cette idéé , n'eft nullement nouvelle ; on la trouve dans Montaigne & dans beaucoup d'autres Auteurs anciens; on la trouve encore très-développée dans une ode de Lamothe, adreffée a M. de Brulart, Evêque de Soiffons; je n'en citerai qu'une ftrophe : m Que nos amis, que nos irraitreflês, » Objets apparents de nos vceux, » Ne penfent pas que nos tendreffes » Ni que nos vrais foins foient pour eux; »> Nos plaifirs font notre conftance j » Pourquoi de leur reconnoiffance » Exigeons-nous 1'injufte honneur > ,1 Que doivent-ils a notre ivreffe ï j» Leur bonheur ne nous intéreffe » Qu'autant qu'il eft notre bonheur. Ces mauvais vers offrent certainement toutes les idéés & tout le fyftême dont on a tanÊ vanté la nouveauté dans le livre intitulé dt l Efprit. Je terminerai cet article par un trait d*hiftoire qui me paroit un des meilieurs arguments que 1'ort puifte employer pour prouver wora-  Notes. j$25 bien les perfécutions font odieufes 8c nuifibles. » L'hérétique Manès (a) enfeigna fa doc33 trine a' Cafcar 8c a Diodoride. Archélaiis » le combattit avec les armes de la raifon 8c » de la religion; il diffipa fes fophifmes, 8c fit » voir la vérité du Chriftianifme dans fon 3» jour. Manès fut regardé dans toute la Pro33 vince comme un impofteur; perfonne ne fut » ni ébranlé par fes raifons , ni échaufFé par 33 fon fanatifme. Manès, défefpéré, paffe en » Perfe; Sapor le fait mourir , 8c les difciples »i de Manès font des profélites. Dioclétien 'j eft informé qu'il y a dans 1'Empire des dif3» ciples de Manès; il condamna au feu les 33 chefs de cette feéte, 8c les Manichéens fe » multiplient. Pendant plus de fix cents ans, » les exils , les fupplices font employés inuJ> tilement contre cette feéte.8c du fang J3 de ces malheureux , on vit forti r une puifJ3 fance ennemie de la Religion 8c de 1'Em» pire , qui fut long-temps funefte a 1'un 8c k (a) Manès naquit en Perfe en 240. Etant encore dans 1'enfance, il fut acheté par une femme de Ctéfiphonte , qui Téleva avec foin , & lui laifia, tous fes biens en mourant. Manès trouva dans les livres de fa bienfaitrice les livres d'un nommé Scythien , qui fuppofoit que le monde eft l'ouvrage de deux principes oppofés, dont 1'un eft effentiellement bon , & 1'autre eflentiellement mauvais, &c. Manès adopta les idéés de Scythien , traduifit fes livres, y fit quelques changements , & donna le fyftême de Scythien comma ien ouvrage.  42(5 Notes. 3> 1'autre , & qui hata les conquêtes des Sar33 rafins , Tagrandiflement du Mahométifme , » & la ruine de 1'Empire ". DiClionnaire des Héréfies, tome II, page 276 & fuiv. (14) Blaife Pafcal naquit en Auvergne 1'an 1623 , d'un Prélïdent k la Cour des Aides , nommé k 1'intendance de Rouen en 1640. Ses dix-huit Lettres provinciales (difent les Auteurs du Diélionnaire hiftorique) » font un n mélange de plaifanteries fines, de fatyre n violente & de fublime. Les meilleures Con médies de Molière n'ont pas plus de fel; & 31 Bofluet n'a rien de plus éloquent. Boileau 33 les regardoit, avec raifon, comme le plus » parfait ouvrage en profe qui füt en notre » langue, &c. ( de Ij comédie, mais au langage de la haute êloquence, mais au ftyle plus tempéré de la Jaine philofophie. Ce paragraphe fe trouve dans l'ouvrage intitulé : Ejjai fur le Goüt, pag. 402. Le même Auteur, dans le même Effai , nous invite a reconnottre que Port-Royal & Pafcal ont grandement conlribuis d former le goüt du public. Rien n'eft plus vrai, fans doute, & c'eft pourquoi le public eft en état de fentir a quel point certains ouvrages font ridiculement écrits, & dépourvus de goüt. On conviendra, fans peine , que Pafcal fut l'apótre du goüt, le fymbole , l'image vivante du goüt ; qu'il apprit d fon fiecle d cribler , d trier, d purger la langue de fes impuretès, &c. Mais tout le monde ne croira pas qu'il eft auffi vraifemblable que , fans Montaigne, on neut pas eu Pafcal, qu'il l'eft que, fans Corneille, on n'eüt pas eu Racine. M. de Marmontel dit aufli que les Penfées de Pafcal ont appris aux Phiïofophes qui l'ont fuivi quelle devoit être la pureté & la dignitè de leur langue. Tout le monde fait que les Penfées de Pafcal ne font que li première ébauche d'un grand ouvrage qu'il avoit le projet de faire. En attendant que fa fanté lui permit de le commencer, il s'occupoit du foin de fe former des matériaux; il méditoitprofondément, & il écrivoit avec rapidité; & feulement pour ne point perdre fes idéés, il ne s'attachoit qu'a rendre nattement les fonds des chofes, réfervant pour un autre temps les détails, les développements, & la correction. II étoit  4ï8 Notes. mourant; 11 pouvoit combiner, réfléchir, & jl n'étoit pas en état tle s'aflujettir a un travail long & aflidu. On n'écrit fupérieurement qu'en paflant des heures entieres 6c de fuite a fon bureau ; fon génie produifoit, fans effort, des idéés fublimes; méditer n'étoit pas un travail pénible pour lui; mais fes douleurs & fa foiblefle ne lui permettoient pas d'écrire long-temps , 6c avec foin. Aufli ne prenoitil pas la peine de compofer fur des cahiers , ou feulement fur des feuilles entieres ; il écrivoit fur des petits morceaux de papiers de grandeurs inégales , 6c déchirés en lanieres ; quelquefois il y marquoit des renvois, Sc plus fouvent il oubüoit de les indiquer (a). Quel étonnement, quelle admiration n'éprouve-t-on pas en fongeant que ce travail d'un homme mourant, ces notes, écrites avec tant de défordre & de négligence, ont cependant produit un des plus beaux ouvrages que nous ayons en notre langue l Mais il n'eft certainement pas écrit auffi parfaitement que Pafcal pouvoit écrire ; il eft inconcevable que le ftyle en foit aufli noble, aufli agréable en (a) J'ai vu a la bibliotheque de 1'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés ce précieux manufcrit-, on a collé fur du parchemin toutes ces lanieres de papier , afin de les conferver : le plus large de ces petits morceaux de papier n'a pas plus de quatre ou cinq doigts -, j'ai feuilleté ce livre ; 1 écriture en eft difficile a lire; il y a beaucoup de ratures & quelques mots obmis que les éditeurs ont rétablis en faifant imprimer 1'ouvrage.  Notes. 429 général. Cependant on y trouve quelques incorreéfions . & il me femble que ce n'efl: pas dans ce livre , mais que ce feroit dans les Lettres Provinciales, ck. dans Télemaque, que les Phiïofophes pourroient apprendre quelle doit être la pureté de leur langue. Pafcal mourut a Paris le 19 Aoüt 1662 , a 1'age de trente-neuf ans. Ses Penfées n'ont été recueillies & données au public que depuis fa mort. Fin des Notes.  ( 43°D T A B L E DES CHAPITRES. C ii a p i t r e I". Plan de röuvrage. Page i Chap. II. De l'Exiftence de Dieu & de VImmortalitè de l /ime. 3 Chap. III. Des Punitions & des Récompenfes éternelles. 24 Chap. IV. De la Converjion des grands Scélérats. 48 Chap. V. De la Grace & de F Aveuglement fpirituei. 53 Chap. VI. Du Pêché Originel. 66 Chap. VII. Des Myfteres. 75 Chap. VIII. Rèflexions fur la Crêation & fur la Providence. ,No Chap. IX. Suite du précédent. 97 Chap. X. De la néceffité d'un Culte, de la Révélation & des Prophéties. iob' Chap. XI. Des Jpötres & de 1'Evangile. 118 Chap. XII. Du ftyle des Saintes Ecritures, confidèré commepreuve de la Religion. De la Morale & des Loix de Moïfe. 125 Chap. XIII. Prèceptes philofophiques, comparês aux Prèceptes contenus dans les Livres de Panden Teftament, & a la Morale évangêlique. 152  Table des Chapitr.es. 431 Chap. XIV. Du Fanatifme religieux & du Fanatifme philofophique. 188 Chap. XV. De la Tolêrance. 204 Chap. XVI. Menfonges, contradiclions, mauvaife foi, inconféquence , &c. des détrafteurs de la Religion. aai Chap. XVII. De l'Orgueil philofophique. 252. Chap. XVIII. Rèponfe a quelques ObjecTtons des Phiïofophes contre la Religion en général. 261 Chap. XIX. Des Vertus Chétiennes. 273 Chap. XX. 'Si 1'on a une idéé précife . de ce que c'eft qu'un Philofophe. 2K4 Chap. XXI. Des Préjugés philofophiques. 311 Chap. XXII. S'il eft vrai que ce Siècle doive beaucoup de lumieres a la Philofophie moderne. 323 Chap. XXIII. Du refpecl que les Princes doivent d la Religion, & de la briéveté de la vie. 348 - Chap. XXIV. Récapitulation des devoirs d'un Prince. 355 Notes. 36j Fin de Ia Table.  4PPR0B4TI0N. J'ai lu, par ordre de Monfeigneur le Gardedes-Sceaux , un manufcrit, intitulé : La Religion confidèrée comme Vunique bafe du bonheur & de la véritable Philofophie, &c. par Madame la Marquife de Sillery, ci-devant Comteffe de Genlis. Je n'ai rien trouvé dans cet Ouvrage qui ne m'ait paru devoir ajouter a la réputation trèsdiftinguée dont a jouit 1'intéreffant Auteur $ Adelt & Théodore, des Veillèes du. Chateau, (re. A Paris, ce 11 Mars 1787. ' L'Abbé R o y, Cenfeur Royal, Secretaire ordinaire de Mgr. Comte d'Artois.      336 Notes. ils produit les plus grands défordres; il n'exifte*) i certainement pas de Roman plus dangereuxi f que celui de la nouvelle Hèloïfe. Uhéroïnei p qu'on veut nous y repréfenter comme unej.11 perfonne qui joint a de grands principes unej m iaifon fupérieure, une ame noble , élevéeij' Sc les fentirnents les plus vertueux ; cette hé-«| a roïne , manquant a ce qu'elle doit a fon pe>Ni re, a fa familie, a 1'opinion publique, fe livrei i a la plus violente paftion pour un aventu-: k lier: enfin, elle fe déshonore , 6c acheve de 't s'avilir, en ne renoncant a fon amant, quel & pour en époufer un autre. Le héros eft un vil féducteur, qui , profitant de la confiancejii d'une familie refpeclable , viole les droits lesl L plus facrés de 1'hofpitalité, trahit tous les"] ie devoits de la reconnoiffance, 6c corrompt^ une jeune perfonne innocente qu'il ne pou-ij voit avoir 1'efpoir d'époufer , puifque 1'inéga-; 1 lité de naiflauce ck de fortune mettoient en-! ji tr'eux des barrières infurmontables; 6c on: q nous peint ce perfonnage fous les traits d'un jeune homme rempli de droiture, de délica^L teffe 6c de vertus. Enfin , le fage , l'hommsk parfait qu'on nous y repréfente comme unU, mortel accompli, eft un athée. Voila les éga-L rements 6c les vices que TAuteur s'efforce dek parer de tous les charmes de la vertu : voila; f les perfonnages qu'il veut rendre intéreffant! 6c fublimes (a). Combien ce livre n'a-t-il pas j. e3'.p ■ '-■ p , 5110.531''O ■» i 9Q . lajj (a) Ce projet de rendre le vice intèreffant « fublime eft encore plus marqué & plus revoltante dans les Confejfwns ie J. J. Rouffeau ; le héroln  Notes. 387 du pervertirde jeunesgens de 1'état de SaintPreux ! Combien n'en-eft-il pas qui ont dü perdre , par la feule leéhire de cet ouvrage , 1'horreur & le' mépris qu'infpirent naturelle■ ment 1'infamie & 1'extravagante dépravation d'un inftituteur, ou d'un' maitre qui cherche k corrompre une écoliere d'un rang au-deffus du fien! Quels ravages ne doivent pas produire des ouvrages agréables, brillants, qu* renverlent ainfi tous les principes recus, toutes les idees morales que le feul bon fens I& la raifon infpirent a tous les hommes. 'Emile , le plus bel ouvrage de Roufleau, efl aufli le plus eftimable aux yeux de la raifon. L'Auteur s'eft approprié beaucoup d'idées qui ne lui appartenoient pas; il répete tout ce que Locke a dit de mieux; il ne prononce le ,jnom de cet Ecrivain que pour le critiquer d'une maniere aufli méprifante qu'injufte; mais, en traduifant Locke , il 1'embellit. Qui pouvoit mieux que Rouffeau , donner 'des charmes k la raifon ! d'ailleurs, on trouve dans 'Emile une infinité d'idées & d'obfervations véritablement neuves; ce livre contient des principes dangereux, des erreurs conIdarnnafoles ;'des inccmféquences étranges , des cbnfeih impraticables; mais il renferme auffi ;: : ; ' ' ; ' .■ . •/y .iccufe (f avoir calomnic , voU, manqué a Ia ^connoiffarice, changé de religion par des vues 1'fritérèt, tkc. t'héroïhc eft la plus vile, la plus 5 injefte .de toutes les femmes, & on lui prodieue R ij