242 Le Ma ga sin rent è prier Dien; iis lifoient fi fouvent leurs livres qu'üs Jes favoient par cceur. Quand ils avoient bien Ju, ils fe pro«enojent, ou bien il s'aiTeyoient fur iherbe, & pan difoit a fa fceur: Je me fouviens quand j'étois bien petic , d'avoir éte dans un lieu oh il y avoit de .pandes maifons & beaucoup d'hommes, javois une nourice & voüsaufii, & mon pere avoit beaucoup de valets; nous avions aulTï de belles robes. Tout d'un coup papa nous a mis dans une maifon qui alloit fur Peau, & puis tout d'un coup, il nousaattaché è une planche & a été au fond de la mer d'oh il n'eft jamais revenu. Cela eft bien fingulier , répondoit Marie; maïs enfin, puisque cela eft arrivé, c'eft que Dieu 1'a voulu, car vous favez bien, mon frère qu'il eft rout-puiflant. jean & Marie refièrent onze ans dans cette ile. Un jour qu'ils étoient afiis au bord de la mer, ils virent venir dans un bateau plufieurs hommes noirs. D'abord Marie cut peur & vouloit fe fauver, mais Jean lui dit: reftons, ma fceur; ne 1a^ez-vous pas bien que noti e père le boa Dieu eft ici, & qu'il empéchera ces homme* de nous faire du mal. Ces hommes noirs Otant defcendus a terre, furenx fur- pris  des Adolescentes. 243 pris de voir ces enfans qui étoient d'une autre couleur qu'eux. lis les envjronnèrent & leur parlêrent, ce fut inucilement, Je frere & la fceur n'entendoient pas leur jangage, Jean mena ces fauvages è 1'endroit oh étoient les os de fa mère, & leur coma comment elle étoit morte tout d un-coup, \h ne Pentendoient pas non plus. Enfin les noirs leur montrèrcnt leur petit bateau, & leur firent figne d'y entrer. Je n'oferois, difoit Marie. ces gens Ia me font peur. Jean lui dit, rasfurez vous, ma fceur, mon père avoit des domeftsques de la même couleur co# ces hommes; peut-être qu'il eft revenu de fon voyage, & qu'il les envoye pour nous chercher. Ils entrèrent donc dans le bateau qui les conduifit dans une fle qui n'étoit pas fort élojgnée & qui avoit des fauvages pour habitans Tous ces fauvages les re-curent fort bien; leur roi ne pouvoit fe lafter de regarder Marie, & il mettoit louvent Ia main fur fon cceur, pour lui marquer qu'il 1'aimoit, Marie & Jean curent bientó: appris la langue de ces fauvages , & ils connurent qu'ils faifoienc ia guerre, è des peuplesqui demeuroientdans des iles voifines, qu'ils mangeoient leurs pruonniers, & qu'ils adoroient m grand L 2 vi-  *44 Le Ma ga sin vilain finge qui avoit plufieurs fauvages pour le fervir , enforte qu'ils étoient bien facnés d'être venus deméurcr chez cel mé,hantes gens. Cependant le roi vouJoit abfolument époufer Marie, qui difoit a fon f»ère, j'aimerois mieux mourir que d'ê:re la femme de eet homme lè. C'eft paree cu'il eft bien laid que vous ne Vépouferez pas difoit Jean; non mon frère, lui difoit.elle; c'eft paree qu'il eft méchanï. Ne voyez-vous pas qu'il ne connoit pas notre père le bon Dieu, & qu'au - lieu de le prier, il fe metè genoüx devant ce vilain finge. D'aiïleurs, notre livre dit qu'il faut pardonner è fes ennemis , & leur faire du bien, & vous voyez qu'au - lieu de cela, ce méchant homme fait mourir fes prifonniers & les rnange. Jl me prend une penfée, dit Jean, fi nous turons ce vilain finge , ils verroient bien que ce n'eft pas un Dieu. Faifons inieux dit Marie, notre livre ditque Dieu accord tou jours ka chofes qu'on lui demande de bon cceur; mettons nous k genoux, & priops Dieu de tuer lui - même le finge, alors on ne s'en prendra poiot a vous, & on ne vous fera point mourir. Jean trouva ce que fa fceur lui difoit fort raifonnable. Ils fe mirent donc tous deux a genoux & dirent tout haut: Seigneur,  des Adolescenten gneur, qui pouvez tout ce que vous vouJez, ayez, s'ii vóusplair, la bonté de mer le finge afin c,ue ces pauvres gens connohTer? que c'eft vous qu'il faut adorer & non pas lui. Ils étoient encoreè genoux, Jors.qu'ilsentendirent jetter de grands cris , & s'étant informés de ce qui y donnoit lieu, on leur apprit que le grand finge en (autant de deflusun arbre, s'écoit caTé ia jambe, & qu'on croyoit qu'il en mourroit. Les fauvages qui avoient foin du grand finge qui étoit mort, & qui étoient comme fes prêtres, direntauroi, qae Mafte & fon frère éroient caufe du malheur qui éto t arrivé» .& qu'ils ne pouroient être heureuxqu'après que cesdeuK blancs aurpiect adoré leur Dieu. Auffi tót on cécida qu'on feroit un facrifice au nouveau finge qu'on venoit de qbojfir, que les deux blancs y afiideroient, & qu'aor^s ce'a Marie épouferoit leur roi; uues'ils refufoientde ïe.faireon les bruïe-oit tout vifsavecieurs 'iyres, dont ib fe,fervoi nt pourfa'redesenchantemens. Marieapprit cette réfolution, & comme les prêtres lui difoient que c'étoit elle qui avoit fait mourrir leur finge, elle leur répondit: fi j'a vais fajt mourir votre firge, n'péïfrp&f yrai que je (erois plus puuTacte que lui: je.ferois donc bien fiupide d'adorer npd£< qu'uuuqui ne feroit-pas va diffus,de mou\ L;bö  s46 Le Magasin Le pies foible doit fe foumettre au plus puiflant, & par conféque*t je oériterois plutö: les adorations du finge que lui les miemies, Cependant je ne veux pas vous tromper, ce n'eft ras moi qui lui ai dié la vie, mais notre Dieu cui eft le maitre de toutes !es créatures, & fans Ia permiffion duquel vous ne faursez dter un feul cheveu de ma tête. Ce difcour irrita tous les fauvages, ils attachèrent Marie & fon frère è des morceaux de bois, & fe préparoient a les brüler, lorfqu'on leur apprit t^u'un grand nombre de leurs ennemis ve coient d'aborder dans file. I's courirert pour les combattre & furent vaincus. Les huvages qui étoient vainqueurs, coupèrent les chaines des deux enfant blancs, & les ai'ant menés dans leur f!e, ils devinrent les efcla ves du Roi. Iïs tr tvailloient depuis le matin jufqu'au foir & difoient, il faut fervir fi rèlemeit notre maitre pour 1'amour de Dieu, & croire que c'eft le Seigneur que nous firvons, car notre livre dit qu'il faut le faire ainfi. Cependant ces nouveaux fauvages faifoient fouvent la guerre, & comme leurs yoifins, ils mangeoient leurs prifonniers. Un jour ils en prirent un grand nombre-, c*r ils étoienc fort vaillasts; parmi ceux•lè il y avoit un homme bhnc, & comme ■i étoit.fort mafgre, les fauvages réfolu-  des A D0LES CENTES. 2tf rent de 1'engraifleravant delemaneer. Ils 1 ecchainèrent dans une cabane. cccbareèrent Marie de lui porcer a maneer. Comme elle favoit qu'il devoit être bientót mangé, elle en avoit grande picié, &leregardant triftement elle dit: mon Dieu mon pere, ayezpitiédelui. Cet homme blanc qui avoit été fort étonné en voyant une mie de la même couleur que lui le Tut bien davantage, quandiilui entendit parIer fa langue ÓY prier un feul Dieu. Q ji yousaappris a parler Fran cois, lui dit-jï & a connoftre le bon Dieu ? Je ne faVois pas Ie torn de Ia laqgue que je parle , ré. pondit-elLe; c'étoit la langue de ma mère & elle me 1'a aoprife; pour Ie bon D eu , nous avons deux livres qui en parient & nous Ie prions tous les jours. Ah ciePl secna cet homme en levant les yeux & les mams au ciel, feroit-i 1 poffihIe"? Mais matilie, pourriez vous me montrer les jf vres dont vous me parlez? Jene les ai pas" luidit elle, mais je vais chercher mon frère qui les garde, & il vous les montrera itn mérne tems elle fortit, ccrevint bientotapres avec Jean qui apportoit ces deux iivres. L homme blanc les ouvric avecé•motion , & aïant lu fa* le prem'er feuillet celivre appartient è JeanMmrice', ils'é! cnaj ah, mes chers enfans 1 eft -ce vous queje revors venez embraffer votre père, L 4 . jvv  348 Le Magasin- & pu'filez - vous me donner des nouveïles de votre mère ? Jean & Marie è ces par0les, fe jettèrenc dans les bras de 1'homme blancen verfsnt des larmes de jcye; è la fin Jean reprenant la parole dit: mon cceur me dit que vous êtes mon rère; cependant je ne fais comment cela peut être car ma mère m'a dit, que vous étiez tombe dans Ie fond de la mer, & jefai* è préfent qu'il u-'fff pas poffible d'y vivreT ni d'enrevemr. Je tombaiefFeétivementdans la mer quand notre vaiiTeau s'ertr'ouvrit reprit cet homme; mais m'ét.mt faifid'une pianche, j'abordai heureufement dans oneiie, & je vous crus perdus. Alors Jean lm du toutes les chofes dont il putfeYou..venir, & 1'homme bhnc pleurabeaucoup quand il apprit Ia more de fa pauvre fc-m- • me. Marie pleurok aufli beaucoup, mais c'étoit pour un altre fujet. Héla,! s'écriat-elle è qüoi fertil que nous si'ons retrouvé notre père, puisqu'il doit étre tué cc mangé dsns peu de jours ? II frudra couper ces chaines, dit Jean , & nous nous iauverons tous les trois dans Ia foiêt Et cu'yferons-nous, mes pauvres enfans, dit Jèan Mmrice? Les fauvages nous ratraperont, ou bien ilfjudra mourir defaim, , Laifiez-moi faire, dit Mariei je fais un > moyeu mfaillible de vous fauver, . MleSonit cnfiniflabtcesparojês^ &aV  des Adolescente*. 249 la trouver le Roi. Lorsqu'elle fut entrée dans fa cabane, elle fe jetta è fes pieds & lui dit : feigneur, j'ai une grande grace è vous demander»voulez-vous me promettrede mel'accorder ? Je vouslejure, lui dit le Roi, car je fuis fort content de votre fervice. Et bien, lui dit Marie; vous faurez que cet homme blanc dontvous m'avez donné le foin, eft mon père., & celui de Jean; vous avez réfolu de le manger, & je viens vous repréfenter qu'il eft vieux & roaigre, & qu'ainfi il ne fera pas fort bon au lieu que je fuis jeune & grafie; ainfi j'espère que vous voudrez bien me manger é fa place; je nevous demande que huit jours, pour avoir Ie plaifir de le voir avant de mourir. En vérité; lui dit le Roi* vous etes une fi bonne fillè, que je ne voudrois pas pour toute chofe vous faire mourir; vous vivrez & votre père aufli Je vous a vertis même, cju'ils vient tous les ans ici un vaisfeau plein d'hommes blancs aux quels nous vendons nos prifonnier.; il arrivera bientót, & je vousdonnerai la permiffion de vous en aller. Marie remcrcia beancoup le Roi, & dans fon cceur, elle remercioit le bon Dieu qui lui avoit infpiré d'avoir compaffion* d'elle. Ellecourut porter ces bonnes nouvel'es è fon père, & quelques jours après- le  *S0 Le Magasin le yaiffeau dont le Roi noir lui avoit p\rie étant arrivé, elle s'ernbaroua avec fon père & fo.u frère, Ils abcrdèrent dans une grande üe h3bitée par des Efpagnols. Le gouverneur de cette Üe ai'ant appris i'histoirede Marie, dit en lui-mêoie; cette fellei n'a pas un fol, & elle eft bién'brulée au bolejj; mais elle eft fi bonne &fivertueufe, qu'elle pourra rendre fon mari plus heureux que fi elle étoit riche & belle; il pria donc Ie père de Marie de fl donner fa fille en mariage & Jean Müunce y ai'ant confenti, le gouverneur .^epoufd, & donna une de fes parentes k Jean, enforte qu'ils vêcurent fort heureux dans cette ile, admirant la fagefie de la Providence qui n'avoit permis que Marie fut efclave, que pour lui donner 1 occafion de fauver Ia vie è fon père. Madem. Bonne. Je vous allure, ma chère Charlotte , que ce pent conté m'a fort intéreffée, quen penfez-vous Lady Lucie? Lady Lucie. U me femble qu'il n'y a pas une feule circonüance inutile, & que tout yeft proprea exciter la confiance en üieu& J amour de les devoirs. Elle a aufii trouvé le moyen de nous imérefler pour deux in - nocens  ëes Adolescentes. 2jt nocens perfonnages. Voilaje crois touc ce qu on peut fouhaiter dans un conté. Madem. Bonne. Oui, Mesdames. Mifs Lucie a fort jf£ dicieufement raflembié toutes les quaiités néceflaires è la ficlion, c'eft è-dire aux contes & aux fables. Retenez-les bien, Mesdames. Je vous exhorce a imicer Lady Charlotte 9 & è compofer quelque chcle. Cela formera votre ftile, & vous accoutumera è mettre vos penféespar écric avec quelque ordre; mais fouvenez-vous que pour faire quelque chofe de bon il faut que vous inftruifiez & amuflez en même tems. Celles de vous, Mesdames, qui ne pourront pas compofer des petites histoires, doivent écriredeshttres. Rien n'eft plus fot è une dame, quedene favoir Das s expnmer comme il faut fur ie papier & pour le faire avec faciücé, il faur s'v'accoutumer dés fa jeunefle. Notre lecon a été ü longue aujourd'hui, qu'il faut remetcre la géographie è une autre fois. Lady Louise. Je tfoublierai pas que vous nous avez promis une hiftoire pour nous prouver qu'il n'eft pas poffible de conlèrver la probité fans la reiigion.  a<-2 Le Mac a sin Madem. Bonne. Nous commencerons par la lecon du matin; rernarquez pourtant, Mesdames, qu'il peut arriver par hazard, qu'une perfonne qui n'a point de religion conferve la probité. Nous aimons naturellement la vertu, je dh même ceux qui Ia praciquent le moins, mais 1'amour défordonné que nous avons pour nous-mêmes nous porte a'nous en écarter toutes les fois que nous le croyons néceffaira pour ' fatisfeire a nos penchans ccrrompus: Or il peut arriver telles circonftances qui feront qu'un homme n'aura pas befoin de mauvaifes afbons pour fe fatisfaire, alors, il conferve la probité, paree qu'il n'a aucun intérêt a en marquer, & qu'on n'eft point méchant gratuitement, c'efth dire, pour rien. Mettez cet honnête homme dans d'autres circonftances, adieu ia vertu; il ne la confervera pas au dépens de 1'intérêt de fes paöion*. L'hiftoire que je vous ai promife le prouvera & vous monrrera en même tems, que s'il n'y a que la religion que puilïe produire une probité inaltérable, il n'y a qu'elle non plus qui puiffe procurer un bonheur parfait, & indépendant des divers accidens de la vie. Fin du fecond Tomé.      M A G A S I N DES ADOLESCENTES, o u DIALOGUES e n t r e Une sage GOUVERNANTE, e t Plufieurs de fes ELEVES de Ia première DISTINCTION; p a r Mad-. LE PRINCE DE BE AU MO NT. T O M E II. A LEIDE & A LA HA IE, Cmz Molly. Vous ce voyez pas tour, ma Bonne; cela lui arrivé dix fois par jour, & a ia tin j'en fuis ecnuiee. Lady Charlotte. En vérité, ma Bonne, el Ie a raifon* cependant je pourrois jure^ que je n'a! jamais eu Pinrendon de la flcrier, c'eft uce mauvaife habitude. Madem. Bonne» Vous vou* en corrigerez, ma chère, & j efpère que Mifs Molly fe corrieera auffi d'avoir 1'tfprit mal fait. Venez, embraffez votre compagne, ma boone fille, & fi vous étes fage, vous ferez bien homeufe de ce qui vienc de vous arriver» car cela. eft trés laid. Mifs Molly. Je fais bien que vous donnerez toujours raifön a Madame, paree que vous l aimez mieux que moi. Madem.  des Adölescentes. § Madem. Bonne. Venez ici, ma pauvre Molly: vous aites que j'aime mieux Lady Charlotte que vous 3 & vous avez raifon; dans cc moment je 1'aime plus que vous, paree qu'elle eft plus aimable, cela eft tout naturel. Mettez - vous è ma place, & voyez fi vous ne feriez pas la même chofe? Elle a fait une faute, è la vérité; mais c'eft une faur.e d'étourderie, elle n'y penfoit pas; auffitót que je 1'en ai fait appercevoir en la regardant, elle en a été bien fêchée, elle vous a demandé pardon. Pefez è cette heure la faute que vous avez faite, & vous verrez qu'elle eft bien plus grande que la fienne. Elle vous a dit que vous étiez ftupide,- il ne tenoit qu'a vous de lui inontrer qu'elle fe trompoit & que vous aviez de 1'efprit, en ne vous fachant pas de 1'injure qu'elle vóus difoit,- au contraire, vous nous avez fait voir qua réellement vous êtiez une ftupide car il faut 1'être pour fe facher mal a' pro pos. Enfuite vous 1'avez brufquée, vous lui avez répondu une plus grofTe irnure que celle gu'elle vous avoit dite au-litu d'imiter votre mauvais exemple elle eft convenue qu'elle avoit torf*  IO Le Magasin & paree que je lui rends juflice, vous me dites aufii des injures a moi; vous prétendez que je fuis partiale; que j'aeis par caprice, par fantaifie; que ie luis ïnjufte en un mot. Ne ferois.je pas en droit de me fêeher è mon tour, de bouder comme vous, & de conferver de Ia mauvaife humeur contre vous? Gependant je vous pardonne, pourquoi ne voulez-vous pas pardonner a votre compagne ? Mifs Molly. ; Oüi, ma Bonne, vous avez raifon, je fuis une impertinente, je vous demande bien pardon & è Lady Charlotte % & je vous prie de n'être pas faehée contre moi* Madem. Bonne» Et pourquoi ferois - je fêchée contre *ous? Vous ne m'avez pas fait de mal a.moi, mais vous vous en êtes fait b5 ie la ^ hi^ Si(£*ime com%eir> mais cela étoit Dien difficile, car je ne m'appereevois %u*Z™d J ét0is ^pertinente. HeuKin?ent.P°ur. moi, je trouvai une charlV?16 ^«"Wen avoir la ctiarité de m'avertir toutes lés fois que je lerois impertinente, & que je ferois rflpyiADfi. j£ n? 056 féchai P°int <^ a9- 9U0I(lue cela me fit beaucoup- de peine dans le commeacemeat En-  des Adolescentes. 45 Enfin au bout d'un an, je fus li bien corrigée, qu'on ne me reconnoifiöit plus; & que mes fceurs, mes frères & tous les domeftiques, m'aimoient a la folie» Mifs Sophie. . 1 ' Vous êtes bien fine, ma Bonne; vous avez trouvé le moyen de me dire de bonnes injures fans que je puifiè m'en facher; car fous prétexte de faire votre portrait, vous avez fait le mien. Madem. Bonne. Ce n'eft point un prétexte, ma chère, je vous jure que j'étois telle que vous êtes. Mifs Sophie. Mais oh trouverai-je cette bonne amie qui m'avertira quand je ferai des ,fautes ? Modem. Bonne. Votre feeur vous rendra ce fervice & vous ne vous facherez pas. Si vous pouvez gagner cela fur vous, vous de- vien- i  4$ Le Magasin. viendrez extrêmementairnable, car pour vous rendre juftice, vous avez un fo?t bon cceur & vous ne manquez pas d'es- P"LAai C0IT vir a aVieurs demuifelfes du village è Ia ye I? -oir & leur donna une jolie coK On, & coonme la rriédeciöe lui avóié doüne au grand ap'pétit, el'e mangea beaucoup eile-même. Sur les fix heures du foir, ces demoifelles fortirent, & les oeaux • frères de la marquife les réconduifirent. Corhme Madame de Ganges étoic faÉigüée, elle défit fa robe & ne garda qu'une jupé & un corfelet, car il faifoït cftaud. Elle fe jetta fur fon ïit, n'aïant d'autre coiffure que fes feeaux cheveux qui étoient trefTés fur fa tête. A pe?ne y avoit - il un quart d'heüre qu'elle y étoit quand elle vit entrer fon frère ï'abbé; les yeux lui fortoient de la tête, & elle ne put s'empêcher de frémh* én le voyant; il terol c d'une main un pjftotet,"& de Fautre un verre plein de póifon. II faut C 4 móu-  jö Le Ma ga sin mourïr, Madame, lui ditil, d'une voix terrible, choifilTez. Ah! mon cher frère, lui die-elle, en joignant les mams: quel mal vous ai-je fait? pourquoi voulez-vous ma mort? Comme elle achevoit ces paroles, elle vit entrer Ie chevalier 1'épée nue, elle crut dabord qu'il venoit è fon fecours; elle *e trompoit; ü lui mit la pointe de fon épee a Ja gorge, cc la forca de prendre le poifon. Comme le plus épais étoit au fond du vafe, ces barbares prirent un petit baton, & 1'aïant mis fur Ie bord du verre, il fallut encore qu'elle prit ce refte; mais elle ne 1'avala pas, car s'étant mife Ia tête dans fon lit, elle le cracha dans les draps. Cette malheureufe vf&ime ne voyant plus de remède è fon mal; conjura ces boureaux d'avoir pitié dé fon ame, & de lui envoyer du moins un confeffeur; Jïs y confentirent & en fe retirant ils fermèrent la porte de fa chambre- Quand la marquife fe vit feule, elle chereba è fe fauver: & comme la fenêtre de fa chambre qui donnoit fur les écunes n'écoic pis fort haute, elle fe jetta dans la cour. ün moment p'us tard, el'e n'en eut pas été la maftresle. L Eccléfiaftique qu'on avoit envoyé cher  \ der Adolescentes; 57 chercher pour elle, & qui fans doute étoit d'intelligence avec fes beaux frères, entra affes tót pour h retenir par le bout de fa jupe, ce qui ne fit que la redrefler/enforte, qu'elle tomba fur fes pieds, fans fe faire aucun mal. Ce méchant homme jetta après elle un pot de fleur qui étoit fur cette fenêtré, & qui lui auroit cafle la têce s'il 1'eüt attrapée. La première chofe que fit Ia marqué fe fut de fe fourer les trefles de fes cheveux dans la gorge pour fe faire vomir, ce qu'elle fit aifement, narce qu elle avoit beaucoup mangé. Le poifon étoit fi fubtil qu'un porc qui mangea ce qu'elle avoit rejetté. en mourut. Enfuite Ia marquife conjura un valet d'écurie de lui fauver Ia vie, en lui doDnant la liberté de fbrtir par une porte de derrière qui donnoit dans la rue. Ce garcon la prit dans fes bras, & l'aïant mife dehors, elle courut toute échevelée & a moitié nue è travers le villsge, & arriva chez le curé oh elle trouva toutes les dames auxquelles elle avoit donné la colation.. Elles flrenc un cri en la voyant dans cette fituation. Cette pauvre dame n'eut que le tems éQ leur dire qu'elle étoit empoifbnnée, C S «t  ƒ3 Le Magasin & qu'elle étoit poarfuivie par fes beauxfrère?. L'abbé fe tint fur la porte le piftoiet a la main, difant qu'il biüleroit Ia cervelie au premier qui voudroit entrer; le cbevalier monta en haut en difant que la marquife étoit devenue folie, & qu'il ne vouloit pas qu'on la vit dans cette fituation* Leur discours avoit aflez d'apparence: cependant une de ces dames qui avoit de la thériaque dans fa poche, §n donnoit de tems en tems de gros morceaux è. la marquife, Cette pauvrè dame qui avoit les entrailles dévorées par 1'ardeur du poifon, demanda de 1'eau, & le chevaKer eut la barbarie de lui caffer le verre dans les dents. Malgré cette dernière preuve de fa cruauté: elle réfolut de faire une dernière tentative pour rattendrtr. Elle demanda è lui parler en particulier. Etant entrée avec lui éans une chambre voifine de celle ®fa étoit la compagnie, elle fe jetta a fes pieds & lui dit: mon cber frère, il eft encore tems de réparer lemal que vous avez fait; je vous jure fur iöob falut de ne parler Jamais- de tout ee qui s'eft paflë, perfonne n'en fait ©Hoorei la vérité , & je dirai comme flööfr,, que x'aiK eu- m-> accès de folie. Fm-  des Adolescentés. /§f Pendant ce difcours, le chevalier la regardoit d'un air furieux, & au-lieu de lui répondre, il fe jette fur elie, ia perce d'une grande quantité de coups, & ne Pauroit point quittée, fi fon épée De &'étoit caflée dans fon corps. Aux cris de la marquife toutes les femmes effrayées accoururent, mais nulle n'euc la hardiefTe d'arrêter le chevalier qui dit a fon frère, que tout étoit fini, & qu'ils devoient penfer è fe fauver. Gependant une partie de ces dames s'efforcoit de fecourir la marquife, pendant que les autres crioient par la fenetre au fecours & au meurtre. Le juge du viJJage fit sr-mer u*e vingtaine de païfans qu'il mit en garde h la porte; cette précaution ne fut pas inutile; car le chevalier aïaDt entendu dire que fa belle fceur n'étoit pas morte revint fur fes pas pour 1'actievermais voyant la porte fi bien gardée,, il fe retira. Pendant qu'on étoic a-Hó chercber un chirurgien, ces femmes (a^boient darracher le tra^on de 1'épée,^ qui étoir refté dans 1'épauie de-la marquife; eer te courageufe femme dit a 1'une d'ef les d'appuier fon genoux contre fon dos,&de tirer de toute fa force\ ce quiréuiFm. Le ©nirurgien qui arriva'daW GT 6* g  6o Le Macasin *1 je moment, vifita fes bleïTures, & asfura qu'il ^n'y en avoit pas une de morteile; qu'dinfi fi on pouvoit remédier au poifon, il y avoit de 1'efpérance de fauver cette infortunée. Mais ce poifon étoit trop violeDt, & elle avoit été fecourue trop tard; on connut k une fièvre violente & aux douleurs aigues qu'elle relTentoit dans les entrailles, qu'il n'y avoit point de remède. Cependant on avoit fait partir des couriers, pour avertir Ia mere & 1'époux de la marquife & fes enfans. Mr. de Ganges, au lieu de partir fur le champ refia un jour entier dans Avjgnon, contant a tout le monde le malheur qui lui étoit arrivé, comme s'il en eut été au défefpoir. Quand il vint, la mère de Ia marquife qui le regardöït avec quelque raifon comme complice du crime de fes frères, ne vouloit pas permettre qu'il entrêt dans Ja chambre de Ia mourante; mais cette pauvre femme avoit fait a Dieu le facrifice de fa vie & de fa vangeance;, elle voulut voir fon mari, lui tendit la main, & fit tout ee qu'elle put pour perfuader h tout le monde par fes manières, qu'elle le croyoit innocent. Elle vêcut encore quelques jours, & les pafia è re~ com-  des Adolescentes. Sk commander a fa mère & a fes enfans, de ne jamais penfer è vanger fa mort: qu'elle pardonnoit de tout fon cceur a fes afTaffïns. Ce fut dans ces fentimens fi chrétiens qu'elle rendit fon ame è Dieu. On ouvrit fon corps, & on trouva fes entrailles toutes brulées par le poifon. Lady Mary. Mais, ma Bonne cette hiftoire eftelle bien véritable? je ne puis croire que des hommes foyent capables de telles méchancetés, je croirois plü'.óc que ce font des démons. Madem Bonne. II eft vrai qu'on a neme è concevoir ?,?flVS'l5 bar^,rie' Mal'S Mesdames > refiéchnTez, s'il vous plait, fur I'oriei* ne des malheurs de cette femme infortunee Son goüt pour Je monde & pour Jes plaifirs, fon peu de complaifance pour fon mari, les coirndiftions que cela lui attira, frehc naitre fa haine contre lui. Cette haine la porte è fe vanger, & a faire un teftament qui lui étoit mjurieux;. & Ja crainte qu'eot le marquis qu'elle né changea celui qu'il C 7 eni  6z Le Magasin en avoit obtenu en fecond lieu, Tengagea fans doute a charger fes frères du Coin de le défaire d'une femme qui avoit perdu fon amitié, car on a toujours erft que ces barbares avoient agi par fes ordres. Je ne prétends pas le juftifier au moins, c'étoit un monftre,* je veux dire feulement, que peüt-être la marquife eüt évité fes malheurs, fi elle fe fftt montrée plus coroplaifante k ce qu'il exigeoit d'elle. Un mari a tort fans doute d'exiger trop de fa femme ; mais une femme k tort de ne pas fe prêter aux bifarreries de fon mari. Il faut qu'elle fe mette bien dans 1'efprit en fe mariant, qu'elle prend un maitre auquel elle dok facrifier fes goüts, fes inclinations, & même fes penchans les plus innocens, s'il eft afiez injufte pour exiger ce facrifice. Mifs Frivole. Vous m'avez dit, Mademoifelle, que ?ous aimiez que cftacun dit fon fentiment; permettez - moi donc de vous dire, que fur ce pied-la, une fille qui a le fens - commun , ne pourra jamais fe réfoudre a fe marier. Je penfe k que dans 1'état du mariage, les devoirs font  dei Adolescent es. $3 font réciproques, & qu'un mari eft autant obligé a Ja complaifance envers ia femme, que fa femme envers lui. Madem. Bonne. Cela devroit être, Mademoifelle* mais ordinairement cela n'eft pas. Dans ce cas, fi une femme ne prend toutes les complaifances de fon cóté, il faut qu'elle fe détermine k être malheurenfe toute fa vie; car la contradiélion perpétuelle droit produire la haine. N'eftee pas un enfer anticipé, d'être obligée de vivre avec un homme qu'013 détefte, Lady Louise. Mals, ma Bonne, ferok-elle plus heureufe avec un mari, aux caprices duquel il faudroit facrifier k tout momenr fes inclinations les plus innocentes? Madem* Bonne. Oui, ma chère. On vient k bout d'apprivoifer les lians & les tigres; il faudroit qu'un homme füt plus féroce que ces animaux, s'il n'étoit pas toue-aé k la finfi des corcplaifaEces d'une- épou-  6± Le Macasin époufe fage & raifonnable. Mais je fuppofe qu'il y ait un homme aflez bifere & d'un aflez mauvais caraftère, pour d'être pas touché des bonnes facons de fon époufe, elle auroit du moins Ja fatisfact on de n'avoir rien è fe re> ! procher. Croyez - moi, Mesdames, on n'eft jamais malheureux quand on peut fe rendre a foi-même le témoignage d'avoir fait fon devor. Lady Spirituelle. Mais encore, ma Bonne, quel mal faifoic cette pauvre marquife, en fe divertiflant honcêcement; ne difoit-elie pas a fon époux, qu'il étoit le maïtre de venir k ces aflemblées, & de veillér fur fa conduite F Madem., Bonne. II ne fuffit pas, ma chère qu'une femme foit fage, il faut encore qu'elle le paroiffe. Le public eft attentif a !a conduite d'une jeune perfonne; elle eft aimable furtout,, elle ne fauroit prendre aflez de précaution. Elle peut compter fur la mauvaife volonté de toutes les femmes qui ne font pas aufli aimables qu'elle,-; la jaloufie lui en fait aii  des Abolescente6$ autant d'ennemies qui font attentives k toutes fes démarches pour les empoifonner. Si elles lui voyent un fi grand goüt pour le monde, & qu'elles puisfent découvrir que ce goüt déplait è fon mari; aufli-tót, voilé leurs langues en campagne. Elles decident que cette femme qui négligé de plaire è fon mari, fouhaite de plaire k quelque autre, & que c'eft pour le rencontrer, qu'elle cherche les aflemblées. Cela eft fouvent trés injufte; mais tel eft le monde, & puisqüe nous ne pouvons Ie réformer, il faut nous aflujétir a un tel genre de vie, que nous mettions fa malice en défaut, Mifs Champetre. Ah que j'aime ma folitude! je puis fans craindre les fots difcourss jouïr de tous les plaifirs innocens; pardonnezmoi cette exclamation, ma Bonne;. mais tout ce que j'entends dire du grand monde, m'en donne une telle horreur, que fi ce n'éroit le défir que j'ai de profiter de vos lcgons, j'y retournerois tout.è-1'heure pour n'en fortir de ma vie. Lady  Cff Le Magasin Laly Lucie. Je ferois bien de votre goüt, Madernoifeile; mais il eft des devoirs aaxquels il faut faerifier nos inciïnatións. Madem. Bonne. II y auroit beaucoup a dire far eet article, Mesdames; mais il fe fait tard, & nous avons beaucoup de lecons a répéter. JVous reprendrons cette cooverfation une" autra fois, è préfent dous allons dire nos fliftoiresi Laéy Mary. La mïenne m'a paru bien dróle, ma Bonne, & j'ai ri comme une folie en rapprenant, je tacherai poürtant d'être férieufe. fl y avoit une grande fafnine en Is* raël, & les rils des prophètes vim-enten la montagne du Carmel. Elifée dil è fon valet: mettez la grande chaudière, & frites cuire des herbes pour leur donner a diner. Le valet obeïc a fou maitre & partit pour aller cueillir cm herbes, avec un des fils des pro- Pviètes» r?ui s'offrit honoêtement a lui aider. Cec homme étoit un trés mau- vais  des Adolescentes. Cf vais jsrdïnierj & n'avoit aucune connoiflance des herbes, enforte qu'il cueillit piiin fa robe de coloquinte, & 1'aïant coupée par morceaux, ii la mit dans la foupe: or, la coloquinte eft la chofe du monde la plus amère. Quand la fouce fut cuite, ceux qui avoient la plus grande fairo, commtmcèrent è la manger; mais a peine y eurent ils touché, qu'ils fi;ent Une laide grimace, & crachèrent tour ce qu'ils avoient dans la baucfce. I .'un d'eux tont effr.ayé dit è EHJe: feigneur la mort eft dans la chaudière, Car il croyoit rerfóeme&c ètm «mpó'fonné. Ehfée cojh mande _& fon ferviteur de lui apporter de la farine; il en jetta dans Ia marmite, & auffitót la foupe perdit toute fon ?»mertume, & fut trouvée fort bonne. Comme on achevoit de la manger , des perfonnes charitaMes apportèrent a EUJés vingt petits pains d'orge. Lé prcphèts dit è fon ferviteur de diftribuer ce pain è la compagnie; mais celui • ci lui ré* pondit: ils font ici plus de cent perfonnes; comment voulez-vous qu'elles ayanc toutes un rfiorceau de pain de cette petite quantité? ObéïlTez, ditje prophéte, & js vous affure qu'il y en aura de refte. Effcüivement tous ceut qui  s% Le Ma ga sin qui étoieot lè, furent raflafiés, & ü en refta plufieurs morceaux. Lady Charlotte. Qj'eft.ce que du pain d'orge? ma Uonne, eft-il meilleur que celui cue ïious maDgeonsP M Madem. Bonne. Non, ma chère; c'eft du pain fait avec ce que vous appellez Barley; il eft trés groffier, & il n'y a que les gens qui font fort pauvres qui en mangent. Lady Charlotte. Le prophéte régaloit bien mal ceur qui venoient le voir. Une foupe amère, du pain d'orge; puifqu'il n'avoit qu'a fouhaiter les chofes pour les voir arriver, que ne demandoit-il è Dieu un bon dïaer pour régaler ceux qui venoient ie voir? Madem. Bonne. • L'irnagination eft fingulière. Et vous imaginez-vous, ma chère, que Dieu eüt  des Adolescente s. 6$ eüt fait un miracle, pour contenter la friandife de ces gens laV non fans doute. II fait agir fa Toute .puiflance pour fournir Ie néceffaire aux pauvres; mais il n'a garde de faire des miracles, pour les mettre dans une abondance qui fouvent leur feroit nuifible. La bonne chère, les beaux habits, les tréfors, ne font des biens qu'aux yeux de 1'orgueiï, de la vanité, de la gourmandife & de la parefle: le bon Dieu fait fi peu de cas de ces fortes de biens, que fouvent il les abandonne aux méchans. 11 garde pour fes arois la patience dans la pauvreté, la maladie, les arTronts, la foi, 1'efpérance, la charité & toutes les vertus, qui font les richelTes de 1'ame. Mifs Molly. II a pourtant donné de grandesrichesfes a Abraham qui étoit fon ami. Madem. Bonne. Paree qu'Abraham les lui avoit généreufement facrifiées, en abandonnant fon pats & en quittant la maifon de fon père. Un hom me aflez fidéle è Dieu, pour lui facrifier ce qu'il avoit de plus cher, fon fils unique, n'avoit garde  Le Mag as in garde de s'attacher a des richefles périflables, c'eft pourquoi Dieu qui prévoit 1'avenir & qui le eonnoit comme le préfent, les lui avoit données, paree qu'il favoit qu'au-lieu d'en faire un mauvais ufage, il les employeroit è faire de bonnes actions. Lady Sensée. C'eft donc trés fouvent un bonheur d'être née pauvre? Madem. Bonne. II eft certain, ma chère, que les pauvres ont moins d'occsüon de pécher que les riches; mais ces derniers, s'ils le veulent, ont oecafion de pratiquer de grandes vertus. D'aüleurs on peut être pauvre avec cent milles pièces de rente; & on peut être un mauvais riche, avec dix pièces, dix fhelins même. Lady Mary* Comment cela, ma Bonne? Madem. Bonne. Ecoutez bien ce que je vais vous dire,  des Adolescebtes. 71 re, Mefdames* Un jour un jeune homme demanda a Jéfus - Chrift: que faut il faire pour avoir ia vie éternelle? Obferver les commandemens de Dieu, reprit Jéfus - Chrift, Je les ai obfervé dés ma jeuneiTe, dit le jeune homme. Jéfus Tfiïant regardé, dit 1'écriture, 1'airoa. Vecdez tout ce que vous avez dlfi Jefus Chrift, & le donnez aux pauvres, après cela, venez & me fuivez. Ces paroles rendirent le jeune homme tout trifte, paree qu'il étoit fort riche, & au lieu d'obéïr aux ordres du Sauveur, il fe retira. Alors Jéfus élevant Ja voix s'écria: je vous dis en vérité, qu'un cbameau pafl'era plutót par le trou d'une éguile, qu'un riche n'entrera dans le royaume des cieux. Or, comme un chameau qui eft beaucoup plus grand qu'un bceuf, ne peut pa?> palier par le trou d'une éguile, il faut dire dé même, qu'un riche ne peut jamais entrer dans le ciel, car Jéfus - Chrift qui ne peut mentir, en a juré. Lady Lucie. Vous me faites une fi grande frayeur, ma Bonne, que je crois, fi j'étois en age & que je pufte difpofer de mon bien,  1% Li Macasin bien, je Ie vendrois tout-a-l'heure poui le donner aux pauvres. Madtm. Bonne. Ce n'eft pas moi qui vous fais cette frayeur, Mademoifelle, c'eft 1'Evangile. Mais raflurez - vous, tout Ie tems que vous ferez dans cette difpofition, c'eft - è - dire, que vous ferez difpofée è facrifier vos richefles è votre falut, vous ferez véritablement pauvre. Quand Jéfus dit qu'un riche ne peut entrer dans le royaume de Dieu, il entend parler de ceux qui aiment leurs richesfes plus que lui, & qui ne voudroient pas les lui facrifier dans 1'occaöon; qui feroient prêts è faire de mauvaifes actions pour les acquérir ou les conferver. ün homme qui a cent mille pièces de rente, & qui feroit prêt de les perdre plutót que de commettre une injuftice; eet homme dis je, eft un pauvre, & peut efpérer d'ailer au ciel. Au contraire, celui qui n'a que dix pièces, dix fhelins, dix fois, & qui pour les conferver, feroit pret è faire un faux ferment, a laifler périr de faim fon prochain plutöt que de les perdre ou de les lui donner; eet homme, dis-  des Adolescentes. 73 dis-je, eft Ie mauvais riche, & ii feroit plus facile qu'un chameau naftat par le trou d'une éguille qu'un tel homme entrót dans le royaume des cieux. Lady Spirituelle. J'avois bien befoin de cette expJication, ma Bonne, fans quoi les paroles de Jéfus - Chrift m'auroient fait devenir folie: car vous favez qu'un jour j'aurai tout le biende Papa qui eft fort riche. Madem* Bonne. #, L'avarice ne A ra jamais votre défaut: vous êtes née généreufe, ma chère, & je fouhaiterois que vous n'eufliez pas plus de vanité que d'amour pour les richefles, Mais n'y a-t - il point parmi nous de mauvais riches? Mifs Molly. Je crois que c'eft moi, ma Bonne. Maman me donne quelquefois des fhelins, & je les garde bien foigneufement dans une petite boit'e: je les compte tous les jours, & je ne voudrois pas pour chofe au monde en dé- Tom, II. D pen-  74 Le Magasin penfer un fol; j'ai déja amafTé troïs gaiïïées. Madem. Bonn?. Ah, ma chère! prenez bien garde de devenir le mauvais riche. Ces crois goinées-la font dans votre cceur, il faut vite les en arracher ,• autrement vous prendriez la mauvaife habitude d'aimer 1'argent, & quand vous feriez grande, vous feriez dure aux pauvres, in* juüe envers les autres & envers vousmême, & vous n'entreriez point dans Je royaume des cieux. Quand même Pavarice ne feroit point un pêché, il faudroit vous en corriger bien promptement, car c'eft un vice bas, qui deshonore les perfonnes de qualité. Plus on eft grand, plus on doit avoir 1'ame généreufe. D'ailleurs, c'eft une folie d'aimer 1'argent pour 1'enfermer. II n'eft bon è rien dans un coffre. Retenez bien cela, Mefdames. J'ai lü un Roman Anglois nommé les avantures de Robinfon Crufoè', Cet homme fit naufrage & vint dans une fie oh il refta tout feul pendant vingt-fept ans. II y avoit quelques années qu'il y étoit, lorfqu'un vaifTeau vint fe brifer proche du rivage, enforte  des Adolescentes. 75 ce fue Robmfon trouva le moyen d'* aller quand la mer fut baffe; il trouva de 1'or dans Ia chambre du capitaine & il Je jetta è terre de dépit, en difant: k quoi me peut fervir eet or; il n'eft bon ni a raanger, ni k fairé des habits, ni k me guérir fi j'étois malade. J'aimerois bien mieux un tonneau de bifcuit ou une demie douz3ine de chemifes. ; Lady Senfée, racontez k ces dames 1'hiftoire de Pytbius, elle vient admirablement bien è notre fujet. Lady Sensée. Pytbius étoit un prince Lydien, qui avoit beaucoup de mines d'or dans fes petits ctats. II y faifoit travailler fes pauvres fujets jour & nuit, fans leur donner uu moment de relache. Sa femme qui avoit beaucoup d'efprit, voulut Je corriger de fon avarice; car quoiqu'il eüt tant d'or, il craignoit de Ie dépenfer pour les chofes nécefiaires, & n'avoit d'autre plaifir que de 1'enfermer dans fes cofFres. Un jour que Pytbius avoit été k la chafle, & qu'il avoit faim, elle lui fit fervir pour fon diner* des plats pleins de pièces d'on D'abord le prince fut charmé de voir tant d'or-, D 2 &  76 Le Magasin. & palTa quelque minur.es è ie regarder avec coroplaifance: cependant comme cette vüe ne remplilToit pas fon eftomac; il pria fa femme de lui faire donner quelque chofe a mmger. Comment, lui dit-elle, n'avez-vous pas pour votre diner ce que vous aimez le mieux? Vous vous mocquez, lui dit Pytbius, je ne faurois manger de 1'or, & je pourrois mourir de faim avec tout celui qui eft dans 1'univers, C'eft donc une grande folie, dit la princefle, d'aimer fi pafiionnément une chofe qui ne peut vous fervir è rien dans vos coffres; apprenez, mon cher, que 1'or ne vaut rien quand il eft enfermé, & qu'il n'eft utile qu'a ceux qui favent le changer a propos, contre les chofes réceffaires a la vie. Pytbius fentit la fa^efte de cette legon. 11 fe corrigea fi bien, qu'il fut dans la fuite aufii généreux qu'il avoit été avare jufqu'alors. Lady Louise. Ce jeune homme dont parle 1'Evangile, avoit fait jufqu'alors un bon ufage des richefl'es, puifque Jéfus - Chrift I'aima, & il ne 1'auroit pas aimé fans doute, s'il eüt été avare. II n'étoit donc  des Adolescent es. 77- donc pas un mauvais riche, cependant on croiroit par les paroles de Jéfus* Chrift, qu'il a perdu le eiel pour avoir gardé fa fortune. Eft • ce donc qu'il eft réceiïaire pour fe fauver, de vendre tout ce qu'on a, & de le donner aux pauvres ?. Madem. Bonne. Tachez de bien comprendre ce que jé vais vous dire, ma chère. Il y a dans TEvangile des commandemens & des confeils. Aimez vos ennemis, faites leur du bien, partagez votre bien avec les pauvres, foyez modefte, ne faites point aux autres le mal que vous ne voudriez pas qu'ils vous fiiTent; voi3a les commandemens.- Ils regardent tous les hommes en général, & il n'y a pas un fcul homme dans 1'univers, qui ne foit obligé de les obferver, ni qui puilTe aller en paradis fans Jes pratquer. Mais comme je vous 1'ai dit, outre ces commandemens,. il y a encore des confeils, &ceux-la ne regardent pas tous les hommes, mais feulement quelques - uns que Hieu appelle è la plus grande perfe&ion. Vende z ce' que vous avez £f le donnezD 3 aux.  78 Le Mag as in aux pauvres. $i on vous. donne un foufftet, prêfentez ï'autre joue. Si qnel» qu'un veut avoir votre mant eau, donnez lui auffi votre robe. Voilé ce que J'orj nomme les confeils évangéiiques. 11 y en a un grand nombre dans 1'Evangiie. Lady Louise. Mais, ma Bonne, les perfonnes que Dieu appelle aux confeils évangéliques,. <*nt bien plus de peine a faire leur falm que les auu-es? Madem* Bonne. Tout au contraire, Madame. Mals c'eft è la philofophie, c'eft - a - dire, a. ia raifon k vous prouver cela, & nous 1'examineroQs dans la première lecpn du maiin. Lady LuciE. Et pourquoi Dieu appelle -1-il quelques hommes è pratiquer les confeils,, & non pas tous les hommes? Madem. Bonne. Ge n'eft pas è nous, pauvres petits mor-  des A dol esc en-te s. 79 mortels, è pénétrer les fecrets du ToupuhTant. Cependant il nous eft permis de faire lè de flus quelques conjeelures, en nous rappellant les paroles de 1'E> criture. Ce jeune homme avoit ohfervé les commandemens de Diei^ dës fqn enfance, & a caufe de cela. jéfus 1'aima. Or quelle plus grande preuve ce devin Sauveur pouvoit-il lui donner de fon amour, que celle de Pappelier è une plus grande perfeclion? Cette perfection oii il étoit appellé, étoit la réeompenfe de fa fidélité h garder les commandemens du Seigneur. D'ailleurs, Jéfus qui connoit le fond des cceurs, voyoit que ce jeune homme avoit de la difpofldon k Pavarice, & que cette difpofition 1'entraineroit dans ie pêché C'étoit donc une grande bonté è lui, que de lui confePler de fe dépouiller j des richefiés qui devoient le conduire' a fa perte. Mifs ZlNA. Mon Dieu, ma Bonne; puifque ce* jeune homme n'avoit pas le courage de renoncer a ces richeltes, pourquoi Jéfus - Chrift ne les lui ótoit - il pas de f force? D 4 Madem.  Le Mag a jin Madem. Bonne. AJors ce jeune homme fe feroit dam* né en les regrettant, & en murmurant contre la Providence. Dieu qui nous a crées fans nous, ne veut pas nous fauver fans nous. II appelle ce jeune homine & St. Matbieu qui étoit riche auffia le fuivre Le premier le refufe, Ie iecond quitte tout. Ces deux perfonnes ont eu tous deux Ia méme vocation; mais comme ils étoient tous deux libres, il dépendoit d'eux de la rejetter ou de la recevoir comme ils firent. II faut en demeurer lè, Mefdames; car il eft trop tard pour continuer. Lady Lücie, tout bas. Ma Bonne, Mifs Zim auroit grande envie de venir è la converfation particuliere que vous voulez bien nous accorder. Madem. Bonne. Amenez Ia, ma chère, je la recevraï avec plaifir. XI.  des~ Adolescente?, g"r VIE DIALOGÜE, Lady Louise, Lady Ltjcie. • Mifs Zina, Mddem. Bonne. Mifs ZlNA. Mademoifelle Bonne, je fuis bien reconnoiflante de fa faveur que vous me fakes en me recevant è vos converfations particuüères; Ces dames ont eu la bonté de me dire les, chofes- dont vous vous êtes entretenues la dernière fois. Elles font de Ia dernière conféqience, & je ferai charmée d'en proficer. Madem Bonne». Puifque ces dames vous ont indruiV tes de notre dernière converfation, ,nous continuerons fi vous le voulez bien. La* óy - Louife a -1 - elle examiné fes occupations & fes amufemens, conformé* ment aux régies que je lui ai prefcrites. Lady Louise:". ©ui3 ,ma Bónne.-. Vóici que&fobfc? lés, LI 5j plan-  £2 Lê Magasin plaifirs que je prends ordiDairement; les fpettacles, c'eft - a. dire, 1'opéra & la comédie, lebal, lejeu, les aflemblées,, les promenades, & quelquefois un peu de leóture: j'ai beau examiner toutes ces chofes, je ne les trouve pas mauvaifes en elles -mêmes. Madem. Bonne. Qu'en penfez-vous, Lady Luciel Lady Lucie. Je ne puis pas dire cela, ma Bonne. Je trouve qu'a la comédie on d»t bien des fottifes; il eft vrai qu'il n'y en a pas dans les tragédies; mais dansles meilleures, il y a des fentimens bien oppofés au ehriftianifme* On y approuve la veogeance; on y loue 1'ambition: en un mot, ma Bonne, il me femble qu'au fortir de la plus belle tragédie, jé trouve mon ccéur vuide des chofes de Dieu, & plein des maximes du monde, auxquelles j'ai renoncé d&ns mon batêrne: & puis au commeócement de la Djus pure tragédie, il y a une épifode 1 qui quelquefois ne 1'eft guère, & k la fi$ une; petite pièce. qui ordinairement ^CTiinfême^ Mddemj  des Aöole s cent e s. $3; Madem. Bonne. Si Lady Lucie dit Ja vérité, Mesdames, il faut conclure que la comédie telle qu'on la joue aujourd'hui, eft mauvaife; & que la tragédie eft tout au moins dangereufe. Je dis la comédie telle qu'on la joue aujourd'hui. S'il plaifoit a Mefiieurs les auteurs de faire de bonnes comédies, ce feroit une excellente école pour les jeunes gens. Nous avons en Franc/ois plufieurs pièces trés bonnes pour former les mceurs, & on peut en confcience aller è cellesla; mais je foutiens qu'une perfonne qui aime fon falut, ne dolt point aller aux autres. J'ai vu 1'autre jour une compagnie de jeunes dames qui allèrent voir jouer Ampbitrion; & bien, cette pièce eft inf&me, & je ne congois pas comment des femrnes ont Ia hardieffe de sV trouver. Mifs Zina. Je vous avoue, ma Bonne, qu'il ne m'arrivera jamais d'aller è la comédie, fans favoir bien précifément ce que 1'on joue. J'y fus 1'autre jour avec une de mes fceurs5 je manquai rcoürir de honD6 té',i  $4; Le Magasin te, & je fus vingt fois fur Je point de fortjr.. Lady Louise. Vous êtes apparament plus fufceptibles que moi, Mefdames. D'abord, il ya bien des chofes qui peuvent être mauvajfes, & que je n'entens pas, & pu s, celles que j'entends, ce me fout point d'impreffion. Gela m'entre par une oreille & fort par, 1'autre. Madem. Bonne. Parions fincèrement, ma chere.. Q^oP une fottife que vous avez entendue è la comédie, ne vous revient jamais dans Pefprit? Lady Louise.. I Je ne dis pas cela, ma Bonne, car je mentirois; mais quand cela me revient, j'en fuis quitte pour le chalTer & penfer è autre. chofe. Madem, Bonne,. Croyezir vous, „ Madame ,. que vous puifijez-par vos propres forces chafler ine.mauvaife penfée? ne vous faut-iP pas i  des Ado.le.scen.tes. g$ pas pour cela un fecours particulier du Seigneur, & penfez-vcus qu'il vous le donnera toujours, fi, vcus coDtinuez h vous expofer fans néceffité au péril? Seriez: vous d'humeur de vous empoifonner chaque jour, paree que par hazard vous auriez fait ufage d'un contrepoifon qui vous auroit tiré d'cffaire quelquefois? Ne craindriez - vous pas que votre contre - poifon après vous 'avoir guérie plufieurs fois, ne fut impuifiant une. feule, ce qui fuffij-oit pour vous öter la vie? Ne pen feriez-. vous pas au, moins, que cette. habitude de po fon, pourroit h la longue, sltérer votre tempéramment & vous conduire a la mortP Avez- vous bien confidéré, ma chère, qu'il ne faut qu'une mauvaife penfée confentie pour tuer votre .amf ? Vous me direz que la comédie vous donne du plaifir; ehi ma chère, mettez dans une balarce ce plaifir, & la peine de.chafier les roauvaifes penfées qu'elle vous donne; je ne crois pas qu'il y ait aucuce comparaijfon. Vous me diles encore que vous n'entendezipas la plus grande partie des fottifes qui s'y difent; en ce cas vous devez vous ennuier; mais_ ne voyezTOis pas non plus les geiles &.les ac» IX 7; ÜOÜB,  r36 Le Magasin tions libres des acteurs? D'ailleurs les hommes qui vous voyent è cette comédie , croiront - ils que vous n'entendez pas ce qui s'y dit? Ne fe perfuaderoot-ils pas étre en droit de vous teair de pareils difcours, que ceux que vous écoutez avec plaifir dans la bouche des aéleurs? On eft quelquefois étonné de 1'infolence des hommes, de la liberté des converfations ,* c'eft è la comédie qu'on fe familiarife avec ce fti]e. Je ne veux point vous donner de fcrupule ridicule, parlez librement: trouvez * vous que j'aye dit rien de trop ? Lady Lucie Je ne Ie trouve pas, ma Bonne, & je reDonce de bon cceur è un divertiiTement qui pourroit tót ou tard me faire offenfer Dieu. Lady Louise;. Je n'ai pas tant'de courage; mais jè prends la réfolution de n'aller qu'aux tragédies, & de me retirer avant la petite pièce. M(fs  des Adolescent es. 2f Mifs Zina. Ma Bonne$ dous fommes quelquefois maitrelTes de faire* lè - defius ce que nous jugeons a propos; mais aufli, cela ne dépend pas toujours de nous. Si ma mère veut me mener au fpe&acle qu'el. le aime; irai-je lui faire un fermon, lui dire qu'elle a tort d'y aller, & que je ne veux pas 1'y accompagner? Si une femme a un mari qui exige qu'elle ailie è la comédie un tel jour, paree qu'il a arrangé une partie pour cela, fera-t-elle changer la pièce, ou fe brouillera-t-elle avec fon mari, en refufant d'y aller? Madem. Bonne. Eh mon Dieu! Mesdames, ce n'eft guère pour de pareils fujets, que les femmes fe brouillent avec leurs rnaris; c'eft bien plutöt tout le contraire, les mères les moins chrétiennes, ne font pas fachées que leurs filles Je foient & méme beaucoup; ce n'eft que pour leur faire plaifir qu'elles les mènent au fpeöacle. Une femme raifonnable trouve le moyen de fairefaire è fon mari ce qu'elle veut;, mais enfin,» je ' fuppofe qu'il 1  88 Le Ma casïn . qu'il exige abfolument qu'elle Ie fuif vit dans des parties de plaifir dangereufes, (car fi elles étoient abfolument mauvaifes, il faudroit défobéïrï au lieu dy aller avec: plaifir , une fille une femme chrétienne, ne s'v trouveroir qu'en tremblant: elie aJroic foin de le prémunir avant d'y aller, par la priere,. Ie* bonnes réflexions; & üieu qui connoit le cceur, lui donneroic des graces fortes & puifiances pour réfifter aux dangers auxquels elle n'auroit pas. cherché è. j/expofer.. Lady. Louis e. Cêla eft bien terrible qu'il faille re noncer è pseCque toutes les comédies par Ia faute de ceux qui arrangent Ie • ipectacle; j'ai prefque envie de faire une ligue avec le plus grand nombre des dames que je pourrai trouver, & de fignirler toutes enfemble a Mr. Garndvqua pas une de nous ne fe trouvera è fan> fpsftacle,. a moins qu'au beu dune farce, il nefoigne è.la fin de fes, belles tragédies, une petite pièce qui ^n'ait rien que d'innocent; ' Depjis que que tems il y joint une pantomime mJ on ne. dit point i de fottife è ;la.vé-: rité**  des Adolescentes. 89 rité, car on n'y parle point, mais en récompenfe Ie fujet en til mauvais; & les geltes. afibnis au fujet. Et le bal ma Bonne, eft-il aufli mauvais par luimême? Pour moi, je le regarde comme un bon exercice pour la fan té. Madem. Bonne. Je condamne le bal, mais je vous permettrai la danfe tant que vous voudrez; je m'offre même a vous faire danfer chaque femaine une journée entière, pourvö que ce foit entre vous, & qu'il n'y ait point de Meflieurs. Lady Louise. On s'ecnureroit, ma Bonne, fi on n'étoit que des dames, on a l'babitude. de danfer avec des hommes (d). Madem. Bonne.. Vous oubliez, Madame, que le bal feJon vous, n'eft qu'un exercice nécesfaire è la fan té. Avouez que la fan té n'eft O) Cette répönfe tp m'avolt déja été feite vingt. foi», me {ut ripétée 1'anaée paffde.  9° Le Magasjr. n'eft qu'un prétexte; & apprenez, que malgré tout Je mal que je vaus ai dit des fpecticJes, j'aimerois encore mieux vous yoir aller è quatre comédies qu'è un bal. M Ecoutez, Mesdames, & pariefis franchement, nous naiflbns toutes foibles & portées au mal. Celles qui ne conviendront pas de cette vérité, feront celles qui n'aïant jamais rentré dans leur propre cceur, enignorent les penchans; mais paree qu'elles ne les y ont pas vuces mauvais penchans n'y font pas moins' «font que nous portons au mal une difpofition prochaine, qui n'a pas befoin d'ótre aidée. Parmi les penchans corrompus qui dominent dans notre cceur, celui de plaire, eft fans doute Ie plus violent. C'eft lui qui produit chez les femmes, 1'amour de la parure, la jaloufie, la vanité, & quelquefois parmi toutes ces mauvaifes produetions, 1'émulation & la correftion des défauts groffiers. Or le lieu oü ce défir de plaire prend une nouvelle force, eft Ie bah On n'y va que pour cela, fi on sexamme a fond. Et quel mal y a-t-il, me dites-vous; è chercher è plaire; la femme Ia plus fage peut cherener eet avantage, pourvft' que perfon- ne  des Adolescentes. $i ne ne lui plaife a elle. Je vous paflerai cela, quoi qu'il s'en failie bien que cela foit vrai Croyez • vous de bonne fbi, Mesdames, que parmi ce grand combre d'hommes auxquels vous taché* rez de plaire, il ne s'en trouvera pas quelques. uns, qui vous plairont è leur tour. Ce n'eft pas encore un crime, me direz-vous; nous fommes dans 1'&* ge de nous établir & il faut bien pour nous marier, que quelqu'un nous plaife ? A la bonne heure, Mesdames , & c'eft par cette raifon, que s'il étoit en mon pouvoir, vous n'iriez jamais au bal» Lady Louis e. Je n'entends pas bien cette raifon, ma Bonne; vous convenez que pour nou* marier, nous avons befoin de trouver quelqu'un qui nous plaife? Avouez plutót, ma Bonne, que-c'eft au bal que 1'on fe connoit le mieux, paree que 1'on s'y contraint lemoins, & que c'eft - lè fort fouvent, que fe font les connoiflances qui aboutiflent au rnariage. N'alkz pas croire au moins que j aye envie de me marier ? Je ms. trouve fort heureufe comme ie fui> a ore- *.—  Le Ma ga sist Je vous parle 7nJ«éèraIV,n|e rdef faime 6 UQ dlve™flemeGt que M^dem. Bonne. «K>S^"?B?'C»^ les les bals? n Profeffi°ö de courrir Lady LoursE. Tous ceux quf ainjent è fe Madem. Bonne. cW& dThoZ? qae ce foit dans la n«ÏÏifon2.b!e.V te CherChet Ies hom- Lady Logise. Ma&m. Bonne. Si je vous difois que noD) ffla chère, vcus:  des Adolescentes. 93 'vous me regarderiez comme une perfonne injufte; mais fi je vous Ie prouve, que me dire z- vous F confidérezvous comme chrétienne, & puis comme un être raifonnable, & vous verrez qu'en ces deux qualités: vous de- -vtz condamner Ie bal. Mi/S ZlNA, Je vous avoue, ma Bonne. Que ]e nffme! ^ P P*S °PP°fé au C*'isti*" Lady Lucie. Pour moi je le trouve oppofé è Ia raifon; Je pafie une nuit au bal, & Den dant tout ce tems, mon efpric eft dans m/es yeux & mes jambes, je n'en fais aucun ufage, je ne fuis qu'un automate regardant & danfant. Voilé donc une nuit perdue pour ma raifon, Le iour qui prétède le bal n'a pas été m 13 employé. Je n'ai été occupée cue dl mes habits. Si j'examine le. tems qm' fuitle bal, c'eft encore pire. Je fe\ viens a la maifon fi fatiguéè, qu'ij nvft' point queftion de prière avant de me cc-ucher: fi je veux la faire, 0U ie m endors, ou je ne me fuis occupée que de  94 Le Magasin de ce que j'ai vu. Je perds toute la rnatinée è dormir; je me reveille la tête encore pleine du fpeclacle de la nuit: ma prière du matin en fent aufli bien que tous mes autres exercices, & je fuis deux ou trois jours avant de me remettre. Ce n'eft pas tout. Si je m'accoutume è aimer le bal, lorfque je ferai ma maïcrefle, j'aurai un violent défir d'y aller le plus fouvent que je pourrai. Si je céde ace défir, voila la moitié de ma vie perdue pour ma raifon, je m'échauffe le fang, je detruis ma fanté en changeant les heures du fommeil. Pendant que je dors, mes enfans fi j'en ai, mes domeftiques ont le bride fur le col, je ne puis veiller au bon ordre de ma maifon; il faut 1'abandonner a une femme de charge, & je deviens coupable de toutes les fautes qui fe commettent chezmoi. Que fi je prends la refolutioo de me priver du bal, je foufïrirai comme une malheureufe les jours que je n'irai pas, ou plutót je ne fouffrirai point, car malgré mes bonnes réfolutions, la mauvaife habttude Pemportera. Madem.  des Adoles cen ïës. P5 Madem. Bonne. Je n'ai prefque rieD k ajouter 4 ce que Mademoifelle vient de dire,* ce qui me rede k dire, eft pourrant de la dernière importance. Les hommes au bal fe permettent des dilcours qu'ils n'o« feroient tenir autre part. C'eft un lieu de plaiör, de liberté. Un homme avec lequel vous avez danfé , vous regarde comme une connnoiflance, quoiqu'il ne vous ait jamais vue. Sa charge eft de vous entretenir quand, fatiguée de la danfe, vous voulez vous repofer; & de quoi vous pariera -1- il ? de vos charmes, du bonheur qu'il a eu de danfer avec vous, de la bonne grace avec laquelle vous vous acquittez de eet exercice. La belle converfation! celle-la eft pourtant fort modefte. Le tumulte du lal qui ne vous permet pas de rester k cóté de vos meres, vous expofe è quelque chofe de pis; il arrivera méme que votre imagination échauffée par l'aclion de la danfe, ne vous permettra pas de vous appercevoir fur le champ de 1'indecence des difcours qu'on vous y tiendra. Ne vous flattez pas, Mesdames , une jeune perfonne perd une partie de fa décente timidité dan« un bal.  05 Le Macasin bal. Elle donne la main k un homrae,, elle faute & rigure avec lui; pour danfer du bel air, il.faut qu'elle Ie regarde: en face, qu'elle minaude en lui don-nant la main. Elle ne peut s'offenfer: s'il la regarde fixement & de la manière: la plus hardie. En ai-je trop dit, Lady Louife? Lady Lucie s'eft-elle trom-' pée dans les remarques qu'elle a faite&? 1 Lady LouisE. Non ma Bonne, je me rends, & je: vous promets de n'aller au bal, que quand je ne pourrai abfolument m'en difpenfer. J'ai été frappée de ce qu'a remarqué L^dy Lucie de la difficulté de prier en forrant du bal; il eft vrai qu'alors, je prie fans attention, ou je ne prie point du tout. Mifs Zina. Je fus a un bal 1'année paffée, & j'en revins fi laffe, que je dormois en me deshabillant. Le lendemain matin, un de mes frères monta dnis ma chambre 6 me dit, ma chère fceur, j'ai grand peur que vou* ne vous foiez eouchée ce matin fans prier Dieu. J'avouai k mon ï  des Adolescentes. c? mon frère, que je m'érois couchée fans y penfer. Ah, ma chère! me dit -il eft-il pofiible qu'une chrétienne puiÏÏe fe réfoudre k entrer dans un lit qui peut devenir fon tombeau, fans examiner fi elle eft en état de paroïcre devant Dieu, fans lui avoir recommandé fon ame, & fans s'être accufée devant lui des péchés dont elle s'eft rendue coupable pendant la journée? Cela me fit une telle impreffion, qu'il ne m'eft pas arrivé une autrefois de commettre une telle faute. J'ai beau étre endormie, je vous afiure que cette penfée m'éveilie; Madem. Bonne. Vous me donnez une grande idéé de votre frère, Mademoifelle. Je gage qu'il eft iui-même ennemi des bals & de ces fortes d'alTemblées . . . Mais qu'avez.vous, Lady Lom/et Vous paroiffez toute trifte. Lady Lotjise. Oui, ma Bonne: je la fuis; j'en re. viens toujours k ce que je vous difois 1 autre jour: il eft bien défagréable de rénoncer è tous les plaifirs,- vous mV Tom. II. E viez  98 Le Mag as in viez promïs de m'en doener d'autres a i la place de ceux-la; depêchez-vous de: me les montrer, j'en ai grand befoin. Madem* Bonne. Demandtz a Lady Lucie, fi elle s'eft: ennuïée depuis deux mois, qu'elle ai renoncé a presque tous ces frivoies amu- ■ femens? Lady Lucie, Non en vérité, ma Bonne, & je puisi jurer a Lady Louife, que je n'ai de ma i vie été fi heureufe. Lady Louise. Par charité, ma Bonne amie, dites- • moi donc comment vous paiTez votre: vie? Quand j'aurai renoncé k tous ces plaifirs, je crois que je trouverai la-i journée d'une longueur infupportable. Lady Lucie. Et moi, ma chère, je la trouve fi courte, que je n'ai pas le tems de faire la moitié de ce que je fouhaiterois. Je me léve un peu avant huit heures, & je:  des Adolescentes; 99 je mets un demi quart d'heure k m'habiller. A huit heures je fais ma prière, & quelques réflexions. Madem. Bonne. Voyons, Mademoifelle, ce que c'eft que ces réflexions ? Lady Lucie. Je vais vous le dire, Mesdames, mais n'allez pas croire que ce foit moi qui les ai faites; ma Bonne me les a fuggerées, & c'eft elle aufli qui m'a enfeigné la manier e d'employer ma journée de facoa qu'elle me paroit fort courte. Madem. Bonne. Vous découvrez mes fecrets, ma chère , cela n'eft pas bien. Mais j'entends arriver nos jeunes dames, il faut rémettre cette converfation a une autre fois. E 2 XIÏ.  f go Le Ma gas in XII. D I A L O G ü E. Madem. Bonni. NOUS n'avons pas dit toutes nos hiüoires Ja dernière fois, & nous avons aufli oublié la géographie; il faut, s'il vous plait, commencer par lè aujourd'hui. C'eft a vous, Mifs Molly. Mifs Molly. Le chef des armées du Roi de Syrië, fe nommoit Naaman. 11 étoit fort aiiné de fon maitre, paree qu'il étoit un grand capitaine & un fort honnête homme ; mais il lui étoit arrivé un grand malheur, il étoit devenu lépreux, c'efta-dire, qu'il étoit couvert depuis Ia tête jusqu'aux pieds, d'une galle affreuie. 11 avoit dans fa maifon une rille Jfraëlite, qui avoit été faite efclave. & comme on la traitoit bien, elle étoit fort attachée k fon maitre, & avoit une grande compaffion du trifte état dans lequel il étoit réduit. Un jour elle dit k fa maicPrlTe, je fuis füre que Ie prophéte Elijée guériroit mon maitre, s'il vou-  des Adolescente?. ioi vouloit 1'aller trouver. Naaman m'ant fait favoir cela au Roi fon maftre; ce prince lui donna une lettre par laquelJe il prioit ie Roi d'Ifraël, de guérir Naaman de fa lépre. Le Roi d'ffraël aïant recq cette lettre, déchira fes babits comme c'étoit la coutume quand on avoit une grande affliclion, & dit; fuisje un Dieu pour guérir les malades? on voit bien que le Roi de Syrië me cherche quérelle. Elifée aïant appris ce* la, envoya dire au Roi d'Ifraël; pourquoi t'afflige-tu? aue eet homme vicnne ia, & qu'il fache qu'il y a un nrophète du vrai Dieu en Jfreël. Naaman étant venu è la porte ó'Elifée; le prophéte lui envoya dire de fe laver fept fois dans le fleuve-du jourdain. Naaman a fes paroles fe mie en coière & dit: je croyois qu'il fortiroït au devant de moi, qu'il invoquerot, le nom de fon Dieu, & qu'il toucheroit ma ièpre. N'avons-nous pas dans la Syrië, des eaux aufli bonnes que celles du Jourdain. I! s'en aïloit donc tout fiché, mais fes ferviteurs lui dirent; feïgneur, fi le prophéte vous eüt commandé des chofes fort dificiles, vous euffiez dü lui obéïr: pourquoi donc ne le faites vous pas, puisqu'il vous or£ 3 don-  102 Le Magasin donne une chofe fi aifée? Naaman penfa que fes domeftiques avoient raifon, & s'étant lavé fept fois, il fut guéri de fa lèpre. Alors il vint remercier le prophéte, & lui apporta des préfens magnifiques; en lui promettant de n'avoir jamais d'autre Dieu, que le Dieu d'ifraël. Elifée, quoiqu'il füt fort psu re comme vous 1'avèz vu, ne voulut recevóir sucun préfent de Naaman, ce qui facha beaucoup fon ferviteur; & lorsque Naaman fut parti, ce valet avare courut après lui & lui dit: feigneur, i! vient d'arriver chez mon maitre un fils de prophéte qui eft pauvre, & mon maitre m'a dit: courez après Naaman & lui demandez deux robes & une fomme d'argent, que je veux donner a eet homme. Naaman lui donna ce qu'il demandok, & ce domeftique è'Elifée porta eet argent & ces deux robes, dans une maifon oh il les cacha. Quand il fut retourné, Elifée lui dit: d'oii venez-vous? d'aucun endroit, répondit ie ferviteur. Pourquoi mentcz, vous, dit le prophete? J'étois préfent lorsque vous avez recu 1'argent, & les robes: gardez les; mais en même tems gardez la lèpre de Naaman, pour vous & pour votre poftérité. A peine le pro»  des Adolescentes. 103 prophéte eut il achevé de parler, que fon valet fut couvert de lèpre, en punition de fon avarice, de fon vol, & de fon men fon ge. Madem. Bonne. Vous voyez, Mifs Molly, combien 1'avarice eft un vilain pêché. Ce ferviteur de prophéte, devient menteur & voleur par amour de 1'argent. Cette paffion change le cara&ère, & au lieu de diminuer avec l'ège comme les autres paflions; elle va toujours en augmentant. Continuez, Ladv Charlotte, & après que nous aurons fini nos histoires, je vous raconterai'la mort terrible de deux avares, anivée de notre tems. Lady Charlotte. Le Roi de Syrië qui avoit deffein de détruire le royaume d'Ifraë!, y envoyoit fouvent des troupes pour faire des entreprifes; mais c'étoit presque toujours inutilement, paree que le prophéte Elifée avertiflbit le Roi d'ifraël qoi fe tenoit fur fes gardes. Le Roi de Syria voyant que tous fes delleins étoient déeouvert, crut qu'il y avoit quelquesE 4 uns  104 Le Magasin uns de fes fujets qui le trompoient. Ses Serviteurs lui dirent: feigoeur, perionne ne vous trahit; mais ne favezvous pas que le prophéte Elifée fait rout ce que vous dites, quand même vous parleriez tout feul dans votre chambre. Le Roi voulant fe vanger d''Elifée, envoya un grand nombre de foldars pour Ie prendre dans une ville oh il étoit. Le ferviteur du prophéte voyant ces ioldats, cut une grande peur, mais Eiijee lui dit: ne voyez vous pas que ceux qui nous défendeht, font en plus grand nombre que c^ux qui nous attaqiient? Ka même tems, il pria Dieu d'ouvrir les yeux de fon ferviteur, qui vit toute la montagne couverte de chevaux éi de chariots de feu. En même tems, Dieu è Ia prière du prophéte, cblouft les yeux de ceux qui venoient pour le prendre, & il leur dit: fuivezrooi; je vous mêoerez dans un lieu cü vous trouverez 1'homme que vous cherchez I's le fuivirent, & il les mena dans Ia ville de Samarïe, capitaie du royaume d'ifraël. Alors leurs yeux furent ouverts, & ils eurent une grande peur de fe voir au milieu de leurs ennemis; & en leur pouvoir. Le Roi d'ifraël demanda k Elifée: tuerai-je ces  des AaoLEscÈNf fes. tóf ces gens-la? Gardez> vous- en bieD , dit le prophéte; au contraire, donnez leur è boire, & è manger. Ces gensla étant rerournés vers leur maitre, üs lui racontèrent le bon traitement qu'ils avoient reen, & le Roi de Syrië en fut fi touché qu'il laifla les Ifraëlites en repos pour un peu de tems. Cependant les enfans des prophètes, qui fe tenoient auprès & Elifée fur le Carrael, le prièrent de venir. avec eux, paree qu'ils vouloient aller couper du bois pour en faire des cabanes. Le prophéte y confentit, & 1'un d'eux aïant lailTé tomber fa coignée dans 1'eau, vint tout affligé, lui raconter ce malheur. Ce qui le fachoit le plus, c'eft que cette coignée n'étoit pas è lui, & qu'il Pavoit empruntée. Elifée Je confola, & lui aïant demandé en quel endroit le fer étoit tombé, il y jetta un morceau de bois & le fer revint fur 1'eau. Madem. Bonne. Remarquez, Mesdames, que Ie meilJeur moven de défarmer nos ennemis, eft de leur rendre le bien pour Ie mal. Si Elifée ent coöfenti a la mort de ces E 5 hom»  106" Le Magasin, hommes qui vouloient le prendre; il nVut pas procuré la paix aux Ifraëlites. Reniarquez encore, avec quel foin Dieu garde fes ferviteurs. Si nous avions les yeux ouverts, nous verrions que Dim nous environne fans ceffe de fon fecours, pour nous délivrer de mille périls que nous ne connohTons pas. De combien d'accidents facheux Dieu ne nous a-c-il pas fauvés? Nous connoitrons tout cela au jour du juge* ment. Lady Mary. Ma Bonne, vous nous avez prornis sne hiftoire. Madem. Bonne. C'eft celle d'un magiftrat nommé MonGeur Tardieu. je vous le norome, Mesdames, paree que c'eft une chofe publique. Cet homme qui étoit fort avare, voulut fe marier. Ce n'étoit ni la beauté, ni la jeunefle, ni Ja vertu qu'il recherchoit d^ns une époufe; il vouloit une femme riche & aufli avare que lui. II la trouva telle qu'il la fouhaitoit, car il n'y eut jamai*;, je crois, Ilse femme auSi intéreiTée; fon mari au»  des Adolescente?, tóf auprès d'elle, pouvoit pa Oer pour un homme libéral. II acheva de fe perdre dans Ja compagnie d'une telle femme; un volume entier ne feroit pas aflez grand pour contenir le récit de toutes les vilenies de ces deux perfonnes. Cette femme commenca par mettre dehors tous les domeftiques, & enfuite elle inventa des moyens jusqu'alors inconnus, pour gagner ou épargner l'argent. Son mari vendoit Ja juftice, & quand un criminel avoit beaucoup d'argent il étoit für d'avoir fa grace. Comme on connoiffbit 1'humeur de ce juge, tous ceux qui avoient de mauvai fes affaires, lui faifoient des préfens. Un jour on lui apporta deux dindom; fa femme garda le plus petit, qu'elle fit cuire elle-même pour leur dfner, & envoya vendre 1'autre au marché, paree qu'il étoit extrèmement pefant. Quel fut fon défespoir lorsqu'elle apprit que le plaideur qui lui avoit fait ce préfent, avoit mis une bonne fomme d'or dans le ventte du dindon qu'elle avoit fait vendre? Elle manqua è en devenir folie. Elle voioit rout ce qu'eUe pouvoit attrapper, & n'entroit jamais chez un pariffier de fes voifins, qu'elle ne lui prit quelques bifcuits. Cet E 6 bons»  ïo8 Le Magasin homme pour Ia punir & fe vanger, mft un^vominf dans un bifcuit qu'il laiffa trainer exprès, ce qui la rendit extrêmement maiade. Elle fe faifoit des jupes avec les thezes de fatin dont on faifoit préfent a fon mari. Je vous ai dit qu'elle avoit renvoyé fes domeftiques , & qu'elle vivoit feule avec fon mari; elle avoit fait faire des ferrures qui s'ouvroient par un fecret, & il n'y avoit qu'eux qui fulTent les ouvrir; cette précaution ne put lui faire éviter fon malheur. Des voleurs trouvèrent Ie moyen de fe glilTer dans fa maifon, & 1'égorgèrent avec fon mari. II eft vrai que ces voleurs ne purent jamais fortir des portes, ainfi on les trouva dans la chèrainée ou ils s'étoient cachés, mais leur chdtiment ne rendit pas la vie a ces avares que perfonne ne plaignit. Lady Mary. Ma Bonne, vous nous avez dit dans Ja dernière lecon, que le prince Pytbius avoit des mines d'or, je ne fais pas ce que cela veut dire, appreneznous-le ? Madem.  des Adülescentes. lop Madem. Bonne. De tout mon cceur, ma chère. Vous voyez que Je deflüs, ou Ja furface de Ja terre, produit des arbres, de 1'herbe, des fleurs & des fruits. Et bien le dedans de la terre produit les métaux, dont le premier & le plus parfait eft 1'or. Lady Mary. Comment, ma Bonne; les guinées fe trouvent-elles dans la terre; comme Jes choux dans le Jardin? Madem. Bonne. Pas tout- k -fait, ma chère; Por eft d'abord mêlé avec de la terre. Quand on a découvert qu'il y a des mines d'or dans un endroit, ou qu'on le foup§onne, on fait des trous fort profonds dans la terre; on y fait defcendre des hommes, & ces miférables font quelquefois écrafés fous la terre qui s'éboule, c'eft è ■ dire qui retombe fur eux. On tire de grands paniers de cette terre qui eft mêlée avec 1'or que 1'on en fépare. On prend enfuite celui dont on veut faire des guinées, & on le E 7 por-  lio Le Macasin porte è la monnoye pour le travailler. Mifs Belotte. Mon Dieu, ma Bonne, que ces pauvres gens qui travaillent dans les mines, font èt plaindre! Lady Spirituelle. Ceux qui vont chercher des perles au fond de la mer, ont encore plus de peine. J'ai lü il a quelque tems, qu'ils y trouventdegrospoiflbns qui les mangent. Lady Mary. C'eft pour rire qu'on a écrit cela* Madame; eft - ce qu'il y a des poisfons aflez grands pour manger les hommes? Madem. Bonne. Vraiment, ma chère, il y a des pofsfons aufli grande que cette chambre, .d'autres aufli grands qu'une maifon, ce font les Kaleines; mais ce ne font pas ceux - la qui font du mal aux pauvres pêcbeurs de perles: il y en a une quantité d'autres qui font beaucoup plus  des Adolescentes. iii plus petits, & qui font extrèmement dangereux. Le Réquin par exemple; il n'eft pas plus grand qu'un veau j mais il a des dents tranchantes comme des rafoirs, & il coupe d'un feul coup Ia jambe ou la cuifte d'un homme. Heureufement, on les voit venir de loin. J'ai ouf dire k un de mes amis qui a beaucoup voyagé, qu'étant un jour dans un vaifleau par un tems extrèmement calme, il lui prit envie de fe baigner. II desccndit donc dans Ia mer, & fe tenoit è une corde. Tout d'un coup il vit venir un de ces cruels animaux, & il n'eut que Ie tems de crier qu'on le bijfat, c'eft - k - dire qu'on le tirat avec cette corde Quand il fut hors de 1'eau & tout prés du oord du vaiffeau, le poiflbn s'élanca en 1'air pour lui attraper Ia jambe, mais heureufement il le manqua. Lady Charlotte. J'avois pitié des poiflbnt qu'on pêchoit, je penfois que c'étoit dommage de les tuer, puisqaMs ne faifoient mal a perfonne, mais è préfent, on pourroit les détruire^ tous, fans que ferj fufie touchée.  ii2 Le MkGhkin Mifs Champetre. Nous avons beaucoup d'étangs dans notre terre, & 1'on y pêche trés fouvent. La première fois que je vis pêcher, j'étois fort petite alors, je me mis a pleurer, lorsque je vis les pauvres poiiTons fe débattre fur 1'herbe avant de mourir; mais tout - è - eoup il me vint une penfée. Pour attraper ces poiflbns, on mettoit au bout de Ia ligne des vers, ou des poiflbns fort petits. Je me dis donc a moi-même; fi ces (»ros poiflbns n'avoient pas voulu manger leurs petits camarades, il n'auroient pas été pris; c'eft leur cruauté envers leurs femblables qui eft caufe de leur mort; ils ne méritent donc pas que je les plaigne, Effeftivement depuis ce temps-la, je pêche fort bien moi même fans avoir aucune compasfion pour les poiflbns que je prends. Les grands qui aiment è manger ceux qui font plus petits qu'eux, méritent d'en trouver de plus grands qu'eux qui les mangent h leur tour. Lady Spirituelle. yéritablement cela eft jufle; mais pour  des Adolescentes» 113 pour revenfr h nos pêcheurs de perles, ce font des hommes qu'on accoutume cès leur jeunefle a retenir leur refpiration, on les nomme plongeurs. Quand ils ont pris l'habieude de reder quelque tems dans 1'eau fans refpirer, on leur attaché un panier dtvant eux, puis on leur paffe une corde par desfous les aiffelles, & on leur attaché une autre corde è la main. Cette corde tient a une cloche qui eft au bord du bateau. Dans eet équipage on les defcemi au fond de la mer, & ils fe dépêchent de remplir leurs paniers d'huitres. Quand il eft plein, ou qu'ils ne peuvent plus retenir leur haleine, ils fonnent la cloche, on les retire, puis ils y retournent encore, Ce qu'il y a de öngulier, c'eft qu'on dit qu'en touchant ces huitres, ils connoiffent s'il y a de groffes perles dedans, & qu'il arrivé quelquefois qu'ils ouvrent ces huitres & avalent les perles. Madem* Bonne. Je J'ai ouï dire aufli, mais Cela me paroit difficiïe a croire. Si cela eft vrai, nous ne pouvons aflez admirer Ia folie des hommes qui femblent compter leur  1X4 \Le Magasin leur vie pour rien, quand il s'agit de s'enrichir; car ils peuvent fort bien étoufFer pendant le tems qu'ils employenc a ouvrir ces huitres. Dites-nous votre hiftoire, Mifs Sopbie. Mifs Sophie.' Les Israëlires après avoir été quelque tems en paix avec les Syriens, virent recommencer la goerre, & le Roi des Syriens mit Ie fiège devant Samarie. Comme il n'y avoit pas beaucoup de vivres dans cettte ville, il y eut bieutót une fi grande famine, que la tére d'un éne fut vendue quatre-vingt pièces d'argent; une petite méfure d'ordure de pi^eon, fut aufli vendue cinq pièces. Un jour que le Roi d'ifraël paflbit fur Ia muraille, une femme lui cria: feigneur, rendez • moi juftice. Quel mal vous a t-on fait, lui demanda le Roi? Seigneur, lui répondit • elle, ma voifine & moi nous fommes convenues de menger nos enfan§ : hier, j'ai fait bouillir le mien & j'en ai donné la moitié è cette femme; & aujourd'hui elle a caché fon fils, & ne veut pas m'en donner la moitié. Le Roi faifi d'hor- reur  des Adolescentes. iij reur déchira fes habits, & Ton vit qu'il avoit un fac fur fa chair pour fléchir la juftice de Dieu; mais au - lieu de porter ce fee s il auroit dü renoncer a fes mauvaifes inclinations, & c'eft a jjuoi il ne penfoit pas; au contraire, il fe mit dans une grande colère, & jura de faire couper la tête è Elifée. Comme il envoyoit des foldats pour le prendre, le prophéte qui étoit affis avec fes difciples, leur dit: je vois le fils du meurtrier qui envoye des foldats pour me tuer. Le Roi fuivoic ces foldats & le prophéte lui dit: demain a cette heure, ie bied & 1'orge fe donöéront prefque pour rien aux portes de Samarie. Un feigneur qui accompagnoit le Roi, dit a Elifée: k rooms que Dieu ne fafte pleuvoir^ des vivres, cela ne fe peut. Elifée lui ré» pondit: vouï* le verrez, mais vous n'en mangerez pas. Cependant Oieu fit entendre aux oreilles des Syriens, un grand bruit de chariots & de chevaux, & comme ïIs crurent qu'il venoit une grande armée au fecours de Samarie. ils fe fauvèrent en grande hè e & abandonnèrent le^rs vivres & leurs bagages Le camp refta donc tout feul, & perfonne ne favoit  iio" Le Magasin favoit cela dans la ville. Dans ce tems-. la les Jépreux n'avoient pas permiflion i eedemeurer dans la ville, ils écoienc: obljgés de refter hors des portes; or il I y avoit quatre de ces lépreux qui pri- ■ rentlaréfoïution d'allcr fe rendre auxSy- ■ riens,* car ils difoient en eux mêmes* il vaut mieux que ces gens - lè nous i tuent, que de mourir ici de faim. Ils i furent fort étonnés de trouver le camp • abandonné,- & aïant bü & mangé, ils prirent ce qu'il y avoit de meilleur & furent le cacher. Bientót arprès ils fe reprochèrent de ne pas donner cette bonne nouvelle è la ville: ils y revinrent donc, & comme iï étoit nuit, on fit éveiller le Roi. II crut d'abord que les Syriens s'étoient mis en embufcade, & pour le découvrir il envoya deux hommes è cheval. II ne pouvoit pas en envoyer une plus grande quantité, car on avoit mangé tous les chevaux, & il n'en reftoit que cinq dans toute la villa Ces deux hommes trouvèrent tous les chemins couverts d'habits & d'autres chofes, que les Syriens avoitnt jettés pour fuir plus vite, & ils revïnrent dire cela au Roi. Alors Ie peuple couruc en foule au camp ennemi; mais pour empêcher qu'il n'y eót du  des Adolescentes. 117 I du défordre è Ia porte, le Roi com1 manda a ce feigneur qui avoit douté 1 de Ja parole & Elifée, ce s'y tenir. U 1 vit véritablement la grande quantité de 1 bied qu'on y apportoit, & qu'on venjdoit a trés bon marché,* mais il n'en I gcüta pas, car ii fut écrafé par Ja foule. Ainfi la parole que Dieu avoit dite | par fon prophéte, fut accomplie. Mifs Belotte, Cette hiftoire fait dreiTer les cheveux lune mère manger fon ühl Mifs Sophie. Ma Bonne, j'ai entendu dire qu'il y |a des peuples qui tuent leurs pères quand |ils font vieux, & qui les mangent en- «ïuite, ceia en-ii vrair Madem. Bonne. Les Iroquois, peuples qui habitentdans TAmérique feptentrionale, le faifoient autrefois, mais è préfent ils ne le font plus. N'allez pas croire, mes enfans, qu'ils fiflent cela par méchanceté. Tout au contraire, quand les Européens vinkent dans leur païs, & qu'ils furent que  ii$ Le Macasin que chez nous on laiflbit vivre les vieilles gens & qu'on les encerroit enfuite; ils nous trouvèrent fort cruels. Qaelle barbarte, difoient-ils, de lailTer fouffrir des perfonnes qui nous ont donné la vie» & de les jetter enfuite dans un trou pour être mangé des vers. Nous avons bien plus d'amour pour nos parens, ajoutoient - ils ; nous leur épargnons les incommodités dans une grande vieilleffe, & nous leur donnons notre eftomac pour tombeau. En mangeantia chair de cos pères, nous nous rendons préfentes leurs belles a&ions, & nous faifons paffer leur courage en nous, & en nos petits enfans. Lady Mary. Mefdames, quand j'étois petite, ma Bonne s'amufoit k fe mocquer de moi, & elle me propofoit d'être Reine de ces honnêtes gens»lè. Madem. Bonne. Te ne me mocquois point de vous, ma chère, je cherchois a connoitre vos fentimens, & j'en fus fort édifiée. Oui, Mefdames, je dis k ma chère Mary que les Reines de ce païs-li n'avoient que  des Adolescentes. 119 èiqoe des habits de peau, des coliers de coquillages, qu'elles coucboient quelyquefois dans la nejge, & qu'elles étoient {9 trés mal nourries. Tout cela ne la déögoüfa point, elle confentoit de bon I cceur a fouffrir toutes ces iccommodités, jpour faire connoitre le bon Dieu è ces I pauvres gens, & pour leur apprendre a Ivivre en fociétê. Mifs Molly, Eft-ce que ces gens-la ne connoisfent pas qu'il y a un Dieu? ce voyentt - ils pas bien Ie ciel & la terre, & ne penfent-ils pas qu'il faut qu'il y ait un Dieu, qui ait fait toutes ces belles ; chofes ? Madem. Bonne. Vous avez raifon, ma chère; les peupïes les plus barbares ont été frap;pés du grand fpedracle de 1'univers, & i ont compris ?ue les hommes n'aïant pft Ifaire ce qu'ils admiroient, il faloit néI ceffairement qu'il y eüt quelque chofe I au • deflbs de 1'homme , qui méritoit lleur refpecl: & leurs adorations. ChaIque peuple s'eft fait k eet égard des ;| idéés particulières. Les peuples du Pé- rou  120 Le Mag as in tou adoroient le foleil aufli-bien que ceux du Mexique. Les Iroquois & les; autres fauvages de 1'Amérique fepiem trionale difent qu'il y a un grand esil prit qui a tout fait, & ils i'adorent Hs croyent qu'il y a au deflbus de luf plufieurs efprits qu'ils appellent Manitous, dont les uns font bons & lm\ autres méchans. Ce qu'il y a de fingu.jj lier, c'eft qu'ils honorent davantagj les mauvais que les bons, & qu'il leu. font quantité de préfens. Lady Violente. Cela eft bien ridicule, & pourquc font ils cela, ma Bonne? Madem. Bonne. Par la même raifon que quelque: peuples de l'Afie prient ct honoren le diable plus que Dieu, quoiqu'ils e: ayent 1'idée. Dieu eft fi bon, difenti ils, qu'il n'a pas befoin d'être prl pour nous faire beaucoup de bien, ce la lui eft naturel Mais comme le dm ble eft un mécbant, il a befoin d'é tre défarmé par nos prières & nos pré fens. Tans quoi il fe laifleroit aller a 9 perr  des Adolescentes. 12[ penchant dominant qui ie porteanous faire du mal. Mifs Belotte. Les Iroquois croyent- ils qu'ils y a un paradis & un enfer? Madem. Bonne. lis croyent que 1'ame eft immortelle, & qu'elle va après leur mort dans un grand païs oh elle fera traitée felon fes ceuvres. Les ames de ceux qui ont bien vêcu, trouveront dans ce païs beaucoup d'animaux & de poiflbns, enforte qu'ils pourront chafler & pêcher tout k leur aife. Elles y auront suffi de grands feftins, oh 1'on chantera & danfera beaucoup. Comme ces peuples pafient leur vie a chaflèr & k pêcher, & qu'ils aiment paflionnément la mufique & la danfe, ils font de ces chofes, Ie bonheur de 1'autre vie. Quand un Iroquois meurt, on enterre avec lui fon are, fes flèches & les autre chofes dont on croic qu'il aura befoin dans 1'autre vie. Ils ont aufli des efpèces de prêtres qu'ils nomment Jongleurs; quand il font malades, ils les font venir pour chafler Ie mauvais Manitou qui caufe leurs maTom. IL F la  122 Le Mag a sin hdies. Ce Jongleur fait des contortëons, des grimaces, & 11 ie malade guéric, ces pauvres gens lui en onc beaucoup d'obligation, & lui font de grand préfens. Lady Violente. Vous ne fauriez croire, ma Bonne, combien j'aime è connokre les mceurs de tous ces peuples. Je vous prie de nous dire tout ce que vous en favez. Madem. Bonne. Ils habitent par villages, c'eft-a-dire, qu'une certaine quantité de ces fauvages fe batiflant des cabanes è cöté Tune de 1'autre. Alors ils fe choififlent un chef parmi ceux qui fe font le plus diftingués h la guerre. Mifs Sophie. Et avec qui ces peuples font • ils Ia guerre ? Madem. Bonne. La feule Amérique fcptentiionale eft d'une grandeur prodigieufe, encore n'at-on pas été jusqu'au bout. Ce grand &  des Adolescentes. 123 & vafle païs eft tout rempli de bois & de Jacs,* & peupié d'une infinité de nations toutes différentes les unes des autresr c'eft-è-dire qu'ils ont une autre phyfionomie. Les uns font blancs comme nous, d'autres ont Ja couleur olivatre; les uns ont Ja tête platte, les autres 1'ont pointue. Tous ces peuples fe font continuellement la guerre, & ils la font d'une msnière fi cruelle, qu'ils parviennent enfin è fe détruire. Ils tuent leurs prifonniers de guerre & les font rótir pour les manger; mais n'allez pas croire,qu'ils attendent qu'ils foient morts pour les faire cuire: on les rótit tout vivans & a petit feu, c'eft-a-dire, qu'ils font lom du feu, & reftent fori longtems k foufirir avant de perdre la vie. Lady Mary. Comment les autres ont-ils le courage d'entendre les cris que doivent jetter ces pauvres malheureux que 1'on fait tant fouffrir ? Madem* Bonne. Ceux que 1'on brüle ainfi ne crient point, ma chère; ils feroient deshonnot F 2 rés,  124 Le Magasin ■ rés, & paflèroient pour n'avoir point de courage. Au contraire, ils cornpofent fur le champ une chanfon qu'ils nommenc leur chanfon de mort, dans* laquelle ils racontent toutes leurs belles acrJons, & ces belles actions font d'avoir brülé plufieurs hommes de ceux de la nation qui les brüle act ^ellement; ils chantent ainfi jusqu'a leur mort, & comme s'il n'étoient pas aflez tourmenté par le feu, les femmes & les enfans fe divertilTent a les tourmenter encore. Quelquefois il y a des gens prifonniers aflez heureux pour éviter ce cruel traitement. Une femme fauvage qui a perda un fils dans le combat, a la liberté d'en choifir un autre parmi les prifonniers, & alors il eft regardé comme le fils de celle qui Ta adopté. Lady Violente. Ces gens - lè qui chantent pendant qu'on les brüle, ont été fans doute a 1'école chez les Lacédémoniens. Vous fouvient-il, ma Bonne, de eet enfant qui avoit volé un renard? Madem. Bonne. Je m'en fouviens, ma chère, mais il  des Adolescentes. 125 il y a peut-être quelques - unes de ces dames qui De faveut pas cette hiftoire, ainfi je vous prie de la raconter, & toutes les fois que vous en faurez quelqu'une qui viendra è propos de ce que nous dirons, je vous prie de pous Ja raconter auiïi, cela vous habituera è parler Fraccois. Lady Violente. f Si j'avois feu votre intention, ma Bonne, je vous en aurois déja raconté quelques • unes; par exemple, quand vous nous avez parlé des Iroquois, cmi tuent leurs pères pour leur épargner les incommodirés de la vieillelTe, cela m'a rappellé eet excellent remède contre la colique, que vous m'apprites il y a deux ans. Je vais commencer par i'hifroire du petit ga'gon de Sparte, & je dirai J'autre enfuite. Dans la vüle de Sparte, oa donnoit permiffion aux enfans de venir dans les fales publiques oh 1'on mangeoit, & d'y voler tout ce qu'ils pourroient, pourvü qu'on ne s'en appercut pas, car fi 1'on découvroit leur vol, ils étoient meprifés, & ils craignoient le mépris plus que la mort. Un jour ud jeune F 3 gar.  126 Le Magasin gacon vola un pecit rensrd, & le cadu ( >us ft robe. Ce renard qui s'impanentoit d'êrre mal a fon aife, déchira tout le ventre du peut garcon. Vous fentez biens M.s James, qu'il devoit fouffV-r les plus grandes douleurs; cependant ii ne jetta pas m feul en dans Ia crainte qu'on ne déeouvrïc fon vol, & il tomba mort fans s'être plaint. Mifs Molly. Ce devoit être un joli païs que Sparte , puisqu'on accoutumoit les enfans è voier,- on n'étoit pas en fureté dans fa raaifon, & les gens ricaes étoient a tout moment en danger dc devemr pauvres. Madem. Bonne. II n'y avoit ni pauvres ni riches a Sparte, comme nous vous 1'expliquerons la première fois - mais, qu'avez vous Lady Violente, vous faites une vilaine grimace; qu'eft-ce qui vous fache, ma chère? Lady Violente. Ne voyez * vous pas que Mifs Molly m'a  des Adolescente s, iV m'a ioterrompue , j'avois encore une autre hiftoire a raconter, que ne me l'a< t elle laifle dire avant de parler ? Madem. Bonne. Ecoutez-moi bien, ma chère. Si ceJa vous étoit arrivé 1'année palTée , je n'aurois eu garde de vous reprendre; vous étiez alors une fotte petite fille qu'il falloit flatter; mais aujourd'hui que vous êtes une dame raifonnable & pleine d'efprit, je vous dirai que vous êtes une orgueilleufe, & un efprit malfait de houder pour une femblable bagatelle, J'avoue qu'il eüt été plus poli è Mifs Mo'ly d'attendre pour parler que vous eufiiez fini, car il ne faut jamais inrerrornpre perfonne; mais paree qu'elle a manqeé de poütelTe, faut-il que vous marquiez de bon fens? y a t- iI rien de fi fot que de fe f&cher contre une perfonne qui n'a pas eu deflein de vous offenfer? Convenezf-en, ma chère, & au-lieu d'être fdchée contre votre compagne, penfez au contraire qu'il feroit fort heureux pour vous de rencontrer fouvent de pareilles avantures, paree que ceia vous accoutumeroit è vaincre vos paffions, & furtout a ê*re £ 4 con-  128 Le Magasin contrarée. Vous n'aimez pas cela, ma chère — mais vous riez. Lady Violente. Oui, & je pleure en même tems, quand je penfe que pour avoir la liberté de me dire des injures, vous avez comrnencé è me faire des complimens, je ne puis m'empêcher de rire de votre rufe. Vous avez bien de la malice, ma Bonne, vous reflemblez a maman : quand elle veut me faire prendre une roédecine, elle 1'enveloppe dans des cosfirures. Madem. Bonn?. Et quel mal y a-t-il k cela, ma chère? pourvü qu'on punTe venir k bout <3e voos faire prendre la médecine, quimporte Ja chofe dans laquelle on 1'enveloppe. Etes vous fachée que j'aye cherché a vous mettre de bonne humeur en vous flattant un peu, pour vous engager è bien recevoir la petite correction que j'avois envie de vous fafre ? Lady Violente. J?en fuis bien- aife, & j'en fuis fkhée tou&  êes AüOLESCENÏes. 120 tóut a la fois. J'en fuis bien aife, parceque peut-être je me ferois mife en colère fans cela; mais je fuis fachée d'être encore fi fotte qu'il faille prendre tant de précaution avec moi, cela me rend honteufe. Madem. Bonne, Voila d'excellentes difpofitions. D'aiTleurs, ma chère, quand je dis que j'ai commencé par vous fiatter, je m'exprime mal, je n'ai point exagéré; il eft certain que vous vous êtes fi fort corrigée, que vous n'êtes plus reconnoiffable; il eft vrai aufli, qu'il refte encore un grand ouvrage è faire; mais je répons que vous en viendrez a bout, ce qui ne m'empêchera pas de prendre toujours en vous avertilTant de vos faute?, toutes les précautions que je croi* rai néceflaires pour ne vous pas facher; la politefle & 1'humaniré 1'exigent. Je ferois trés contente fi je pouvois vous apprendre par mon exemple , comnaent vous devcz reprendre ceux qui dépendront de vous quelque jour. La première fois, nous écouterons votre hi>toire, & nous dirons un mot des loix des Lacédémoniens; aujourd'hui, rous F j nV  13© Le Magasin n'avons que le tems nèceiTaire pour répéter la géograpbie. Lady Lotjise; Comme vous nous avez beaucoup parlé de PAmérique aujourd'hui, voudriezvous avoir la bonté de nous donner une idéé de cette partie du monde, Madem. Bonne. De tout mon cceur, Mesdames. Lady Senfée dites è ces dames tout ce que vous fevez au fujet de PAmérique. Lady Sensée. On appeïle VA mérique le Nou veau Monde, paree qu'elle n'a été déeouverte Gju^en 143$. On croitpourtantque les anciens en avoient quelque connoiflTance, & que c'étoit ce vafte continent qu'ils urommoient I'i!e Atlantique. Quoique ce foit Cbriftepbe Colomb, Génois, è qui Ton dok la d; couverte de ce grand pai's, rh-nneur en eft demeuré hFejpace Américqui lui a donné fon nom. L'Amèrique ét nt ftt-jêe dans trois zonnes, adeselimals- srès diSéreas> Dans quelques en» droits,  des Adolêscêntes. i*% droits, il y fait dés chaleurs prodigieufe* en d'autres un froid exceffif, & eD d'au! tres Ie cliroat eft tempéré. On divife i'Aménque en méridionale & en feptentrionale. La méridionale eft une grande présquile, qui a 1330. lieues de longueur, &940. de largeur. Lady Lucie. Je vous demande pardon, Madame, ne vous rrompez vous point; cette partie de 1 Ai ménque a-c elle une fi prodigieufe Jon- Madem. Bonne. Elle ne fe trorope pas, ma chère,cette partie du monde eft p]us graDd: que les trois autres. Je me fouvjens 71 yoii■ oui- dire que Mr. Pen & Mylofd Baltimore ont eu un procés pour des terres qui leur appartcnoient dans ce pais II étoit queftion de la trenee^ deuxième parti du mónde. Mifs Csampetre. confidérable en ce pais-la au'ici ¥« ruis hériciëre d'une ile dont ©n d des  132 Le Magasin merveilles, & qui me rendroit une grande dame, ü on pouvoit la tranfporter dans ces quartiers. Lady Louise. Eh, ma chère, vous qui avez unfï grand amour pour la folitude, vous devriez vous tranfporter dans cette ile : comme vous en feriez fouveraine, vous pourriez en fermer 1'entrée a tous les hommes & vous y feriez auffi feule que vous le fouhaitez. Mifs Champetre. Vous vous mocquez de moi, ma chère; mais j'entends raillerie. Je fuis poartant bien-aife de vous dire que je ne fuis point une mifantrope, ni une fauvage; j'aime la fociété, & 11 je pouvois toujours me trouver en une compagnie telle que cel Ie - ci, je vous jure ?ue je ne regretterois pas ma folitude. e vais vous dire pourquoi j'aime mes bois; c'eft que les arbres font muets & ne me difent pas d'impertinences, au-lieu qu'a Londres, je fuis obügée de paffer une partie de ma vie a en écouter. On dit qu'on trouve une manière de caraftère ou plutót de traits pour  des Adolescentes. 133 pour peindre les converfations, je vous aflure que je peindrois dans une page toutes ou du moins Ia plus grande partie de celles que j'ai entendues, depuis que je fuis ici; tout roule fur une vingtaine d'impertinences qu'on répète de mille manières différentes. Madem. Bonne. Vous me furprenez, ma chère,* je connois la plüpart des dames que vous voyez, & ce font des perfonnes du premier mérite. Mifs Champetre. Cela eft vrai, ma Bonne, & j'ai un vrai plaifir quand ma mère va prendre le thé le matin avec ces dames; comme elles font feules, la converfation eft charmante & j'en profite. L'aprèsdfner c'eft toute autre chofe: ces dames d'efprit font obligées de recevoir des fottes & de parler avec elles do toutes les pauvretés dont ces dernières ont la tête remplie. Madem. B 0 n n e» Je les en eftime davantage, ma chèF 7 rej  Ï34- Le Magasin re; c'eft avoir beaucoup d'efprit que de le cacher avec de telks femmes, & de fe mettre è leur portée. Mifs Champetre. Oh je les admire aufli & je les eftime; mais je ferois bien fêchée d'être jamais dans 1'occafion de les imiter. Je trouve la vie trop courte pour perdre le tems, & me gêner. II y a mille perfonnes è qui les babilJardes peuvent conter tout a leur aife, toutes les fadaifes qu'elles fouhaitent, il n'eft pas néceffaire que j'en augmente le nombre; que fais-je fi è la fin je ne deviendröis pas aufli lotte que toutes ces femmes lè. Madem, Bonne. C'eft è-dire, que vous croyez vous fuffire è vous - même, & que vous prétendez ne vous gêner pour perfonne? Cela n'eft pas jufte, ma chère; la fociété ne fubfifte que par Ie facrifice routuel qu'on fe fait de fes mclinations, & fi vous continuez è penfer comme vous faites, fe vous envoyerai dans wcre ile» * Mifs  des Abolescentss. j2y Mifs Champetre. Ecoutez moi, s'il vous plait, ma Bonne. J'aime beaucoup è me gêner pour mes amis. Je vous proroets même de me gêner pour les autres quand ii ie faudra, mais ce fera toujours avec repugnance; & tant que je le pourrai fans bleüer la bienféaDce, j'en éviterai les occaGons. Eces - vous contente de mol è préfent? Madem. Bonne. Oui, ma chère, a peu prés du moinsj pour 1'étre tout . a-fait, je voudrois que vous puiffiez être heureufe par tout ce que vous ferez obügée de faire; cela viendra* Reprenons PAmérique. VAi m'i li fc^UtijpW} iuid m • iÉHr Lady Sensée» On divife PAmérique méridionale eu lept parties, qui font, le Pérou, ]& Paraguai, le Chili, la terre Mageilanigue, Ie pais des Amazones, la Terre Ferme, & le Bféfll. Le Pérou eft le plus riche pais du monde, & appanient au Roi d'Efoagne. II fut decouvert par Frang&is Pizar®* La capitale du Férou Lima* Qüoi-  t$6 f Le Magasin «ju'il y ait peu de rivières dans ce païs, il eft aflez fertile. On trouve dans Ie Pérou une grande chaine de montagnes qu'on nomme les Cordélières, & qui font d'une hauteur prodigieufe. Dans cette partie du monde, on trouve en même tems les quatre faifons de Pannée. Au bord de la raer, il fait une chaleur étouffante. On monte enfuite fur une montagne aflez longue mais fort douce qui conduit dans une plaine ob 1'on a bad la ville de Quito. Dans cette plaine qui eft plus élevée que nos plus hautes montagnes, on trouve toute Pannée le printems & Pautomne, des fruits & des fleurs: en un mot, il n'y fait ni chaud ni froid. Au bout de cette plaine on trouve les Cordélières, au haut defquelles il fait un fi grand froid, qu'il eft capable d'óter la vie. Lady Lucie. Cela eft-ïl polfible, ma Bonne? Lé Pérou eft dans Ia Zone Toride, & ces montagnes qui font fi élevées, font bien plus proches du Soleil que les bords de la mer. Comment donc peut - il y faire fi froid ? Madem*  des Adolescentes. J37 Madem. Bonne. Quelques favans en ont conclu que ce n'étoit pas le Soleil qui étoit chaud. Nous parierons de cela quelque jour, è préfent il faut nous féparer. Nous .irons demain a la campagne, & nous n'en reviendrons Jeudi que pour la lecon; ainfl, Mefdames, je n'aurai pas le plaifir de vous voir le matin. XIII. DIALOGUE. Madem. Bonne. Coromercons pas nos hiftoires. Dites celle que vous avez apprife, Lady Charlotte. • Lady Charlotte. Tous les prodiges que Dieu avoit fait aux yeux des Ifraélkes & de leur Roi, n'eiant pas été capables de leur faire abandonner le culte des idoles, Dieu fe lafla de les fupporter. Le Roi de Juda adoroit Babal comme celui d'ifraël, car il avoit époufé une fille de Jéja-  JS® Le Magasin Jé/abel, & toute cette familie étaot vendue au crime & è 1'idoiatrie, cette méchante femme engagea fon mari è wcrifier è fes dieux. Le moment enfin arnva auquei Dieu voulut exécuter les menaces qu'il avoit portées contre Ia maifon é'Acbab: voici comment cela fe palla. Le Roi de Syrië étant tombé malade, enyoya un de fes ferviteurs conïuiter Elilee pour favoir s'il guériroit de cette maladie. Ce ferviteur qui fe nommoit Hafaël, demanda au prcohète: Ja maladie de mon maftre eft - ei Ie mortelle? Nou, lui répondit - il, & poartant il n'en relévera pas. fin même tems Hafaël s'appercut q & quelque tems après aïant etouffé fon maitre, il fuc reconnu Roi de Syrië, & déchra la guerre aux Israéhtes. Le Roi Je Juda vint pour fécourir Ie Roi d'ifraël qui étoic fon beaufrere, & alors Elifée dit a un des fils  des Adolescentes* 139 fiis de prophéte: cours, facre Jebu comme Roi d'ifraël, car Ie Seigneur 1'a choifi pour accomplir les menaces qu'il a portées, & il va demander compte a Jefabel du fang qu'elle a fait verfer. Cet homme prit une phiole d'huiIe, & exécuta les ordres du prophéte. Les compagnons de Jebu aïant appris qu'il venoit d'être facré Roi, le proclamèrent & le fuivirent. II vint avec cette troupe contre les Rois d'ifraël & de Juda qui furent tué?. Comme Jebu renrroit dans la ville, Jé/abel qui s'étoit coiffée & fardée, parut k la fenêtre, & fit des reproches è Jehu: celui ci s'écria, n'y a-t.il point dans la chambre quelqu'un qui foit mon ferviteur? Les domeftiques de Jêfabel lui répondirent: vous n'avez qu'è: commander, nous fommes p?êrs è vous obèïr. Jebu leur dit: puifque cela eft, jettez cette femme par !a fenêtre; ils lui obéïrent, & le fang de cette malheureufe & méchante femme, réjaillit contre la muraille, fon corps fut foulé aux pieds des chevaux. I e lerdemain le Roi commanda qu'on enter»Ét fon corps, paree qu'elle étoit née princefté, mai>» on r'en trouva que le crane & les os des mains, les chiecs aïant man&é fon corps. Après cela  Ho Le Magasin tamille[dAcbab; puis il dit, qu'il vouloit faire un facrifice è Babal, & pour celaMl commanda è tous les prophéte* de ce faux Dieu de s'aflembler il n'en moorS! UQ 9 & Jebu les fit tous tv n;"?in?.le cuIte de ***** ne ferceuHni ,?e,g-neUr Pius fidèlement que fe™ V '"^S? Ppécé^ car il con- fait fóSdreaUX qüC avoic Madem. Bonne. lecContG SrC D0US fmrQk Qne be^e du malheur du Roi êe JudaP L'allianZ 3?A T°K .c?ntrsc1:ée avec une fille de Je/abel qm étoit aufli roéchaote que [a™èIe', üne jeune dame 4 qui 1'on wJa*Sare dS.celui q«'on lui prélente. Eüe poufle quelquefo?s fon attention jufqu'è s'informer de fonhl SST',»® on lui répond qu'il eft gai, quil aime è fe divertir, & qu'il voit une grande compagnie, li voilé conten' *e. Ses parens pendant ce tems-Ja s'in- for-  des Adolescente». 141 fbrment de la fortune de celui qui de^ mande leur fiile; s'il eft riche, tout eft dit, c'eft un mariage avantageux. Mais ce jeune homme eft d'une familie oh 1'on n'a pas beaucoup de re/beft pour la religion ,& il y a quelque apparence que le fils a fuccé avec Ie Jait les principes de fes parens; c'eft un honJïête homme, repond - on & par un honnête homroe on n'entend que celui qui n'a point de vices groffiers. Combien de filles dans la fociétè d'un tel mari, ont-elles vu difparoitre les prin cipes de religion dans lefqueJs elles avoient été élevées, & fe font perdues enfuite. Evitez ce danger, Me&ames mettez - vous bien dans 1'efprit cu'un homme qui n'a pas de religion, ne neut être un honnête homme, & que trés furement il vous rendroit malheureufes. Lady Louise. Je vous afture, ma Bonne, que té connois pluiieurs gentils . hommes qui n ont point de religion, & qui „?al. gré cela font les plus honcêtes gens du Madem*  Ï4* Le Magasin Madem. Bonne. Ils Ie paroiffent, ma chère, mais en vérité ils ne le font pas, ou ils font dans un danger prochain de cefler de 1'être. 11 n'y a que la religion qui puisfe nous engager a vaincre nos paffions dominantes, il n'y a qu'elle qui puiiïe nous donner les fecours fuffifans pour cela. La philofophie n'y eft pas fuffi. fante. Si notre lecon finit de bonneheure, Lady Senfée vous rapportera une hiftoire qu'on a lue dans V/fdventurer, & qui eft trés propre a vous prouver ce que je vous dis. Voyons votre histoire, Mifs Molly. Mifs Molly. La fille de Jé/abel qui avoit époufé ïe Roi de Juda, fe nommoit Atbalie. Aïant appris que fon mari avoit été tué, elle extermina tous fes princes de la maifon royale fans en excepter fes petits-fils, paree qu'elle vouloit régner feule. Cependant une des foeurs du Roi, trouva le moyen d'en fauver un qui étoit au berceau, & 1'aïant caché dans le temple, il y fut élevé jufqu'è l age de fept ans. Au bout de ce tems, le  des Adolescentes. 14$ le grand prétre ai'ant affemblé des foldats, fit couronner eet enfant qui fe nommoit Joas. Athalie ai'ant entendu le bruit des acclamations du peuple, vint au temple, & frémit en voyant Joas fur le tróne. Mais le grand prétre ne lui donna pas le tems d'exaler la rage; car il ordonna qu'on la tirat du temple, & qu'on la fit mourir. Joas n'avoit donc que fept ans lorfqu'il comroer^a è regner, & pendant la vie du grand prétre dont il fuivit toujours les confeils, il fervit fidèlement le Seigneur. Malheureufement il perdit ce fidéle ami, & aïant donné fa confiance a des flatteurs, il devint fi méchant, qu'il fit tuer le fils de ce grand prétre qui lui avoit confervé la vie, & lui avoit fervi de père. Ses fuccefieurs imitèrent fes méchancetés; il y en eut pourtant quelques-uns qui fervirent le Seigneur, mais non pas comme David, car ils laiflérent fubfifter les bocages, c'eft-èdire, les arbres qu'on avoit confacrés aux faux dieux fur les montagnes; & ils fouffrirent que le peuple y offrit de 1'encens. Pour les Ifraélites, ils continuèrent comme leurs Rois, k être idolitres,* & Dieu pour punir leur aveuglement, les livra aux Rois d'Alfirie qui les me-  X44- Le Magasin menèrent dans leur païs oh ils furent captifs fort longteras. Mifs Sophie» Ah, ma Bonne! que je fuis fachée de ce que vous venez de m'appreudre d&-Joas. Monfieur Racine a fait une tragédie oh il eft fi bon, que je 1'aimois k la folie. Comment fe peut - il faire qu'un prince qui avoit eu une fi belle éducation, & qui paroiflbit avoir un fi bon carattère, foit devenu fi méchant & fi ingrat? Madem. Bonne. La flatterie vient k bout de détruire les vertus qui paroiffbient les mieux établies. C'eft une pefte, mes enfans, & fi une fois vous ouvrez 1'oreille aux discours des flatteurs, il n'eft point de cri. mes dans lefquels ils ne foient capables de vous faire tomber. . . . Lady Violente, vous aviez envie de nous dire une petite hiftoire, vous pouvez le faire è préfent. Lady  des Adolescentes. 145 Lady Violente. Ma Bonne me dit trés férieufement il yadeux ans, qu'elle alloic m'écrire une jolie hiftiore. Elle mit au haut de fon papier: remède contre la colique. Elle faifoit cela pour m'exciter k la lire , car dans ce tems je n'aimois point du tout le Francois. Elle réuflït a exciter ma curiofité , & je lus avec plaiör 1'hiftoire que je vais vous raeorster. Dans Ie tems qu'Alexandre étoit dans les Indes, il rencontra des phüofophes qu'on nommoit Bracmmes. Un de ces phüofophes appelle Calanus, lui denvtnda permiffion de le fuivre, & 1'si'anc obtenue, il 1'accompagna dans fes voyages. Calanus étoit fort vieux, & n'avoit jamais été malade. Quelque tems après il fut pris d'une violente colique & comme il n'étoit pas accoutumé k fouffnr, il s'impatienta beaucoup. Quand fa colique fut paffée, il fut trouver Atexandre, & lui demanda permiffion de fe brüler. Le Roi crut qu'il étoit devenu fou, & lui refufa cette permiffion. Lalanur ne fe rébuta point & lui dit* que vous ai-je fait, Seigneur, pour vous engager k me iefufer la grace que je lom. 11. G vous  14'5 Le Magasin vous dernande ? Je fuis vieux, & je fens que je n'ai plus a attendre que des douleurs & des incommodités. L'horrible colique dont j'ai reflénti hier les douleurs, eft palTée k la vérité , mais elle reviendra bientót avec roux, la gravelle , le degoüt & les infomnies, iaiflez i moi donc la liberté de prevenir tous ces maix, & ne me condamnez pas a trainer une vie qui ne peut plus être regardée que comme un long fupplice. Jlexandre qui n'étoit guère plus raifonnable que le philofophe, fe rendit k ce beau raifonnement; il permit è Calamis de febrüler, & lui accorda même la grace qu'il lui demandoit de faire un grand feftin pour honorer fes funérailles. Calamu fort content, fit drefter un bucher , s'y coucha aufli tranquilement que s'il fe füt mis dans un bon lit, & fe laifla brüler fans faire aucun mouvement. Le feftin qui fuivit fut digne de cette mort, plufieurs perfonnes y bürent fi cxceffivement qu'elles en moururent. Eh bien, Mesdames, ne voilé-t il pas un excellent remède contre la colique ? Mifs  des Adolescentes. 147 Mifs Frivole. Je fuis la trés humble fervante du reméde mais je ne crois pas qu'il me prenne en vie de 1'éprouver, je n'ai pas autant de courage que Calanus* Madem, Bonne. Qu'appellez-vous courage, ma chère? Je vous allure qu'il n'y a que les lïches qui fe tuent; une perfonne vraiment courageufe fuppörte les maladies & les pertes; il n'y a encore une fois que les cceurs foibles qui fe laifTent furmonter par la peine. Lady Louise. Vous avez raifon, ma Bonne, & je le concois bien è préfent, mais auparavant, je Vous avoue que j'étois dans Terreur. Je croyois que fe tuer étoit un pêché; mais je ne penfois pas que c'étoit une tècheté. Mifs ZiNA. Ma Bonne, nous avons chez nous un Iivre qu'on appelle les Lettres Per* fannes. On dit qu'il eft fait par un G z grand  148 Le Magasin grand homme, & ce grand homme foatient qu'il eft permis de fe tuer. II die que la vie eft un préfent du Créateur, qu'il ne nous oblige de garder qu autant qu'elle nous eft agréable, & que s'il fe trouvoit un homme accablé fans refiburce de toutes fortes de maux, Dieu ne pourroit fans cruauté, le forcer k garder un préfent qui lui feroit devenu funefte. Je fens bien quelque chofe au dedans de moi - même qui répugne a croire ce raifonnement, mais en vérité Je ne faurois y répondre (V). Madem. Bonne. Paree que vous n'avez pas pris 1'habitude d'examiner un principe que 1'on établit, permettez k Lady Senfée de difcuter la propofition de eet nomme; c'eft le célèbre Monfieur deMontesquieu, ils'eftbien répenti de eet ouvrage les dernières années de fa vie3 car il eft mort en bon chrétien. Lady ;0) Quelques perronnes trouveront peut - être a redire de ce que j'insère ceci dans mon ouvrage. Mais cette converfation eft réelte. Une dame d'efprit me dit les propres paroles que je copie, & une demoifelle dedouze ans y répondit, C'eft Madetnoifelle MunckJifcujen.  des Adolescente*. 149 Lady Sensée. La vie eft un préfent du Créateur, qu'il ne nous oblige de garder quautant qu'elle nous eft agréable. Je crois ma Bonne, que 1'auteur auroit mieux fait de dire, qu'autant qu'elle nous eft utile. Sa propoücion dau** ce cas eüc été vrsie. II ajoute enfuite, que Dieu ne pourroit fans cruawé foreer Vbumme d garder un préfent qui lui feroit devenu fanefte. li expiique enfuite ce. qu'ij entend par une vie qui deviendrolt funefte; c'eft, dit-il, celle oh un homme feroit accablé fans rejjource de toutes fortes de maux, U s'appuïe fur une fuppofition faufle. II n'eft point de maux qui foient fans reftburce; donc il n'y a point de fituation oh la vie devienne un préfent funefte; donc il n'y a point de fituation oh il foic permis k i'hornme de quitter une vie qu'il lui eft utile de garder, puisque Dieu la lui iaifie, & qu'il eft trés eertain qu'il la lui óteroit fi elle lui étoit inutile. Mifs Zina. J'admire comment^ Lady Senfée a fa't G 3 1'exa-  i50 Le Magasin 1'examen de cette propofition & nous en a montré la fauffeté. Cependant, ma Bonne, s'il fe trouvoit des perfonnes qui lui foutiolTent qu'un homme qui auroit perdu fes biens, fa fanté, fa réputation, fes amis, eft malheureux fans refiburce, que lui répondroit elle ? Madem, Bonne. Nous examinerons cela dans notre lecon de philofophie. Nous traitons du bonheur, par conféquent il eft eflentiel de trouver ce qui peut produire le malheur qui eft le contraire du bonheur. Aujourd'hui il faut fenir ia parole que j'ai donaée è ces dames, & leur parler des loix de Sparte. Lady Spirituelle, dites-nous ce que vous en favez. Lady Spirituelle. Je vais commencer par dire a ces dames ce que c'étoit que Lycurgue qui avoit fait ces loix. C'étoit, je penfe un fort honnête homme, qui avoit fort envie de pratiquer Ia vertu, & de la faire pratiquer aux autres, mais qui n'avoit jamais bien examiné, en quoi elle coaüftoit. Faute d'avoir fait eet examen,  des Adolescentes. 151 men, il conduifit les Spartiates tout ds travers* Madem. Bonne. Cela eft bientót dit, ma chère. il n'eft plus queftion que de le prouver. Lady Spirituelle. De tout mon cceur, ma Bonne. Je vais raconter tout fimplement è ces dames ce qu'il fit pour faire recevoir ces loix, & enfuite , je m'en rapporterai k leur jugement. Lycurgue étoit frère d'un Roi de Sparte qui mourut fans enfans & laifla fa femme grofle. Les Spartiates offrirent fa couronne è Lycurgue. Oh pour cette fois, il agit en honnête homme, car il leur dit, je vous fuis bien obligé de votre bonne volonté; mais fi par hazard ma belle-fceur accouchoit d'un filsvous fentez bien que la couronne appartiendroit a eet enfant & non pas k moi. Cette belle-fceur de Lycurgue étoit une bien méchante femme, qui auroit fouhaité d'être toujours Reine; ainfi elle dit k fon beau-frère: fi vous voulez m'époufer, ja tuerai mon enfant, ainfi vous ferez Roi. Si LycurG 4 gue  15* Le Magasin gue n'eut retenu fa colère , il auroit fait punir cette mauvaife nère; mais comme la vie de fon enfant étoit encore cntre fes mains, il feianit d être fort content de i'époufer , & lui dit qu'ii fa volt des moyens fürs de faire pénr fon enfant aufli rót qu'il feroit au monde, Quand il fut né , Lycurgue 1'óta des mains de fa mère, & le fit leeonnoitre pour Roi , & jusqu'a ce qu'il fut en age de gouverner lui-méme, il voulut bien être régent du royaume, & pdt ce tems pour changer les loix de Sparte» U y avoit dans ce pai's-Iè, comme dans tout les pi's du monde, un trés grand nombre de pauvres & quelques perfones riches. Lycurgue pen fa que cela n'étoit pss jutte, & que tous les horomes d'un même païs devoient être égaux. Après s'être perfuade è lui - même que cette égalité étoit une chofe jufte; il prit on bon nombre de foldats, & dit a tous ceux qui avoient de grandes terres; qu'il falloit abfol-u* ment qu'ils les partageaflent avec ceux qui n'en avoient point, paree qu'il ne vouloit pas qu'il y cüt è Sparte un feul homme qui eüt plus de ten-es que les autres. Eh bien, Mesdames, que penfezvous de cette aclion? Mifs  des Adolescentes. ?jg Mifs Molly. Je penfe que Lycurgue étoit un homme bien charitable, puisqu'il donnoit de quoi vivre a tous les pauvres. Mifs Belotte* .Mais, ma chè^e amie, penfez donc qu'il faifoit 1'aumóne du bien d'autrui, & que cela n'eft pas permis. Que diriez-vous, ma chère, fi je prenois un coureau & que je vous dife; Mifs Molly $ je vais vous tuer fi vous ne me donnez votre argent: voici des pauvres qui n'ont pas un fardin pendant que vous avez des guinées, cela n'eft pas jufte; il faut leur partager "votre argent ? Mifs Molly. Fn vérité. Madame, je dirois que vous feriez une voleufe; que vous pouvcz donner votre argent tant qu'il vous plaira, paree qu'il eft h vous, mais que le mien ne vous appartient pas, & que vous êtes injufte de vouloir me forcer a le donner. Ainfi je vois que j'ai jugé comme une fotte, quand j'ai dit qu'il étoit charitable: il étoit injufte. Que G 5 ne  ^54 Le Magastn De faifoit.il comme ma Bonne ? J'avois trois guinées que j'aimois beaucoup, ma Botine m'a fait bonte de mon avance, & elle eft caufe que je les ai données aux pauvres de bon cceur. Lycurgue devoic donc engager les Spartiates par de bonnes raifons k partager leurs terres, & iioj pas les y forcer. Madem. Bonne. Voila le pauvre Lycurgue condamné fans miféricorde. 11 eft vtai, Mesdamas, que je penfe aufti-bien que vous qu'il avoit tort. La loi naturelle, eft la première de toutes les loix, elle défend d'óter k un homme ce qui lui appartient, & jamais il n'eft permis de manquer k cette loi; mais la belle pasfion de Lycurgue étoit 1'égalité, & il croyoit que tout lui étoit permis, pourvü qu'il n'y eut pas dans Sparte un feul homme plus riche que 1'autre. Lady Charlotte. Si j'avois été lè, je 1'aurois bien attrappé; je lui n'aurois laiffé prendre mes terres, puisque je n'aurois pü Tempécher; mais pour mon or, mon argent i & I  des Adolescèntes. iff & mes diamans, il ne les auroit pas eus, je les aurois pluiöc enterrés. Madem. Bonne. Ce feroit vous qui auriez été attrapée, ma chère, car il trouva Ie moven de rendre 1'or & 1'argént inutile. Lady Charlotte. Comment cela? Lady Mary. Permcttez. moi de le dire, ma Bonne, car je 1'ai lü eet hiver. Vous favez bien, Mesdames, qu'on ne peut manger 1'argent, ni s'habiller avec; il n'eft bon qu'è acheter les chofes nécesfaires è la vie. Or Lycurgue fit défendre aux marchands fous peine de la vie, de donner auéune. chofe pour de 1'or ou de 1'argent. Alors "ceux qui avoient gardé le leur, furent bien fots car ils ne favoient plus qu'en faire. Lycurgue è la place de la monnoye ordinaire, en fit faire une de fer, & on en donna h chaque familie la même cuantité, ainfi ils furent tous exattemert G 6 auiB  IJ6 Le Macasïn auffi riches les uns que les autres, car ils avoient la même quanticé de m o noye & de terres. Mifs Frivole. Cela étoit bon pour Ie moment, 1'égalité étoit parfaite alors, mais cela ne pouvoit pas durer; il y avoit fans doute dans Spaite des gens plus gourmands les uns que les autres, ou qui vouloient ê^re mieux habillés. Ceux-lè devoient dépenfer leur monnoye plutót que les autres, ce qui devoit bientöt faire des pauvres. Lady Spirituelle. Lycurgue avoit penfé a cela, comme vous, Madame, & il avoit trouvé un reméde; il n'étoit pas permis de manger dans fa maifon. II avo:t étabü de grandes fales ou quinze families fe reflembloit pour maoger enfemble, Chacun fourniiToit fa part de vin, d'huile, de farine&de viande, enforte qu'il n'étoit pas poflïbleè un homme de dépenfer plus que fon voifin, & S quelqu'un ne mangeoit pas de bon appétit, on i'appelloit gourmand, & on 1'accufoit d'avoir mangé chez lui avant de venir, ce qui étoit un grand affront. Mifs  des Adolescentes. 157 Mifs Sophie. Et qui payoit le cuifinier & les au» tres domeftiques ? Lady Spirituelle. II n'y avoit point de domeftiques k Sparte , Mesdames. Nos valets ne nous fervent, que paree qu'ils n'ontpasde quoi vivre; mais la tout Ie monde sïant le néceflaire, vous penf z bien qu'il n'y avoit perfonne qui voulüt fe faire valet ou ouvrier. Tous les ouvrages fe faifoient par les prifonniers de guerre qui étoient efclaves; & comme il y en avoit un granl rombre d'une nation appellée Ilotest on nommoit tous les efcaves de ce nom. Mifs Champetre. Voilé un fingulier païs. On m'avoit toujours dit que les Spartiates étoient fobres, défintéreiTés, vertueux; & il* n'éroient rien moins que tout cela, car ils n'avoient pas la liberté d'être le contraire. 11 me femble que pour ê:re fobre il faut avoir a choiör entre un grand repas & un médiocre; 1'homme fobre eft celui qui préfère le dernier quand G7 «  158 Le Magasin il eft abfolument maftre de choifir Ie pre* mier. r Madem. Bonne. Vous avez raifon, ma chère; pour être vertueux il faut avoir la liberté de De l'étre pas, & ne s'en pas fervirmais ce n'eft pas cela qui me choque davantage dans les loix de Lycurgue. C eft 1'amour déréglé qu'elles infpiroient aux Spartiates pour leur pais. La patrie étoit leur idole è laquelle il falloit toujours être prêt de tout facrifier, jusqu'è la bonne foi, 1'honneur, 1'humaniré & les autres vertus. Les autres hommes deviennent méchans , paree qu'ils s'abandonnentè la violence de leurs pafiions qui font excitées par un intérêt faux a la vérité, mais vif & preflant. Chez les Spartiates, on étoit iDjufte & cruel par principe. Lady Louis e. Mais, ma Bonne, permettez. moi de vous dire que je connois des perfonnes trés favantes & trés vertueufes qui font d'un autre fentiment que vous. Elles regardent les loix de Lycurgue comme la chofe du monde la plus par- fai-  des Adolescentes. 15$ faite, & lés Lacédémoniens domme ïes premiers peuples du monde. Ne feriez-vous pas un peu prévenue contre éux ? Madem. Bonne. Je vais vous parler comme Lady Spirituelle, Madame. Je vous dirai fur quoi je fonde mon jugement, & je m'en rapporterai enfuite au \óire; maïs auparavant il faut que je vous explique qu'il y a deux fortes de bontés, une bonté phyfiquc, & une bonté morale. Lady Lucie. Je ne comprens pas cela, ma Bonne, voulez-vous bien Texpliquer ? Madem, Bon Ne. t Ne dites - vous pas tous les jours9 j'ai une bonne fièvre. Cet homme eiï un bon voleur, un excellent, un habile voleur. Une chofe phyfiquement bonne eft celle qui a tout ce qu'il faut pour être parfaitement ce qu'elle doit être. Lg fièvre, par exemp'e, pour être vraiment fièvre doit avoir eertaines qualités, & produire certains effect. Si elle  iöo Le MagAsin le n'avoit pas ces qualités, & qu'elle ne produifit pas ces effets , elle ne feroit plus fièvre. Voici deux hommes que fe font détermmés a devenir voleurs. L'un efl hardi, intrépide, adroit & fubtil; il méprife le danger quand il eft queftion de parvemr a fon but, qui efl de prendre de force la bourfe d'un voyageur ou avec adreffe la montre d'un curïeux qui s'expofe è la foule. L'autre eft timide, il craint de s'expofer, d'être pris ,• ou il efl fi mal - adroit qu'il ne peut rien tirer d'une poche, fans que les gens s'en appercoivenc. N'eft il pas vrai que I'un de ces hommes eft un bon voleur «Sc que 1'autre eft un mauvais voleur ? Voila donc ce que c'eft qu'une bonté, une perfé&iou phy fique. La bonté moraie eft toute différente. Une Eclion eft morakment bonne, quand elle ne choque pas les principes naturelles, & qu'elle eft fa;te pour une bonne fin. Cela une fois entendue, je d?s que les loix de Lycurgue étoient parfaitement bonnes, d'u. ne bonté phyfique, parce qu'elles produifirent, & qu'elles devoient produire lefFet qu ils étoit propofé; mais comme pour produire eet effet, il falloit em-  des A dolescentes. 161 employer des moyens contraires aux principes naturels, je dis qu'elles étoient moralement mauvaifes. M'entendez- vous a préfent Lady Lucie? Lady Lucie. Pardonnez è ma ftupidité, ma Bonne; je diftingue parfaitement ce que vous entendez par bonté phyfique & bonté morale; mais je ne comprens pas bien quel rapport il y a de ces bontés aux loix de Lycurgue? Madem. Bonne. Peut-être roe fuis-je mal expliquée? Je vais t§cher de le faire plus clairement: dites moi, je vous prie, quel étoit Ie but, 1'intention de Lycurgue dans les loix qu'il doDna aux Spartia» tes ? Lady Lucie. De faire un peuple guerrier, qui ne püt ni être vaincu, ni faire de conqoêres; c'eft - h - dire, qu'il prétendoit que la répubüque de Sparte reftat telle qu'elle étoit fans augmenter ni dimi-? suer. Madem,  ió2 Le Magasin Madem. Bonne. ré?ffirqS!Is ?°yen- empl°ya ***** pour féuffir dans Je projet qu'il avoit concu? Lucie. En général, ü fit jes p]us „r . cfforts pour infpirer aux Citoyens un Xarfy Lod.ise. J'ai ouï dire qu'il faut encore Ptre aojourd'hu, dans4 la dilpooÉto ^e £ cnfier toutes ces chofes^ fon païs • % ce cas Lycurgu, n>avoit pas tort. Mals vous nous avez dit, ce me femble fttrle?' ^ faC"'fier fes * Madem. Bonne. m^vU Mrdame * & J'e vais vou* ie £e • ^? vou,ant Sparte 2S,.PiC 3cma,s être vaincue, déftiii foldat CS oPa"iate| è é£re de loldats. Or pour être un bon foldat, il faux  des Adolescentes. 103 faut avoir un corps fort & robufte, ne point craindre la fatigue, la douleur, la mort même. II établit donc que ces qualités du corps devoient êtres pré. férées au tout; & qu'on devoit tout employer pour les acquérir. Les parens pour entrer dans fes vues, ne devoient fouhaiter des eDfans & les élever que pour donner des foldats a Sparte; ainü, quand ils mettoient au monde un enfant foible & difforme, il difoient: eet enfant ne pourra faire un bon foldat, par conféquent il fera inutile a la patrie qui n'a befoin que de foldats ; comme nous ne devons aimer nos enfans que par rapport è Ia patrie, nous ne devons pas aimer celui-lèj il faut lui en faire le facrifice; car eet inutile enfant vivroit au dépens de la république qu'il ne pourroit fervir, & mangeroit la fubftance d'un autre enfant propre è faire un foldat. En conféquence de ce beau raifonnement, öu tuoit eet enfant foible & difforme, & c'étoit par principe d'obéïffance aux loix de Lycurgue qu'on devenoit barbare, inhumain , injufte & défobeïflant aux loix de la nature; m'entendez-vous a préfent? Lady  1(54 Lè Magasin Lady Lucie. Ooi, ma Bonne, cette loi de tuer les enfans, étoit phyfiquement bonne pour fon deffein qui étoit d'avoir des ioldats, & elle étoit moralement mauvaile, paree qu'elle étoit contraire aux loix de la nature. Lady Sensée. Vous m'allez trouver bien bardie, ma .Bonne; je penfe que cette loi n'étoit Donne, m phyfiquement, ni moralement, Pourquoi Lycurgue, vouloit - il former un peuple de foldats? pour rendre Sparte invincibie; or il me femble qu on a plus befoin de rétes que de bras pour eet ouvrage. A quo; eüt fervi cette quantité d'hommes fo?ts & robuftes s'ii n'y eüt pas eu parmi eux de bons chers capables de les commander ? Or la force du corps n'eft pas eflentiellë aux chefs; fouvent dans un corps délicat il loge une ame forte & courageufe: parmi ces enfans qu'on tuoit, il pouvoit fort bien fe rencontrer un homme capabie de commander dont on privoit la patrie. Les Lacédémoniens furent fort heureux de ce que le Roi père d 'A*  des Adolescentes. 165 ü'Agéfilas n'obferva pas cette loi barbare. Agéfilas étoit petit & boiteux & on^fic payer urj fomme d'argent k fon père pour le punir d'avoir époufé une petite femme. Cependant, eet Agéfilas né boiteux, & par - la condamné k mort, de vint un des plus grands capitaines, & un des plus grands Rois de Sparte. Peut-être a-t-on étranglé au berceau pluGeurs Agéfilas, ce qui aura privé la république d'un grand nombre d'hommes illuftres. Madem. Bonne. Votre remarque eft excellente, ma chère; d'ailleurs, comme Monfieur RoUn le remarque dans fon hiftoire, il arrivé tous les jours qu'un enfant qui étoit trés foible en naiflant, fe fortifie en devenant grand. Lady Sensée. Permettez - moi de prouver, que toutes les mauvaifes aélions des Lacédémoniens ont eu pour principe cette loi de Lycurgue. Ecoutez une hiftoire bien horrible, Mefdames, & qui va prouver ce que je dis. Les  166" Le Magasin Les Ilotes comme vous Ie favez, étoient efclaves a Sparte , & il y en avoit un trés grand nombre, car comme nous 1'avons remarqué, les Lacédémoniens n'exercoient aucune profesfion. Ils n'étoient ni bouchers, ni tailleurs , ni macons. Ils ne s'appliquoient qu'aux chofes qui regardoient la guerre , & laiiToient faire Ie refle è leurs efclaves. Or il arriva une guerre dans laquelle les Lacédémoniens avoient befoin de troupes, paree que le nombre de leurs ennemis étoit beaucoup plus confiderable que le leur. Ils firent des foldats de leurs esclaves, & promirent la libérté h ceux de ces esclaves qui fe dïftingueroient par quelque belle action. Comme les Ilotes étoient trés malheureux a Sparte , le défir de fortir d'un état fi miférable, les engagea è faire les plus grands efforts. La guerre étant finie, on ordonna è tous les efclaves qui avoient fait quelque a&ion extraordinaire, de venir aux magiftrats pour faire écrire leur nom & leur action, & être enfuite récompenfés. II s'en trouva plufieurs mille, qui avoient mérité la liberté. Vous croyez peutêtre qu'on la leur donna ? oh que non, Mesdames. Voici comme raifcnnèrent les  des Adolescentes. 167 les Spartiates. Ces gens-lè qui ont fait de fi belles aclions, oct le cceur trop élevé, leur courage pourroit nous devenir funefte. Ils fe fouviendroient fans doute des mauvais traitements qu'ils ont fouffert parmi nous, & il pourroit fort bien leur prendre envie de fe vanger L'intérêt de Aparte demande qu'il foient facrifiés. Mais quel mal ont - ils fait • & quel mal ont fait nos enfans, quand ils naiflent foibles & difTormes ? Cependant nous facrifions nos enfans qui doivent nous étre chers & è Ia patrie,* pourquoi craindrions nous de facrifier ces efclaves qui nous font indifTérens? Effe&ivement, Mefdames, on fit périr ces malheureux efclaves dont 1'unique crime étoit d'avoir trop de mérite pour des gens de leur condition. Lady Louise. Voilé qui eft fait; j'abandonne Ly~ curgue & les Lacédémoniens , ce font des ours, des tigres, ou plutöc des monftres qui ne peuvent être comparés è rien, car les bêtes les plus féroces ne font point de mal a leurs femblables. & aiment leurs petits. Lady  7o*8 Le M a g a s i n Lady Violente. J'ai è vous raconter un autre trait det Lacédémomens, qui n'eft pas è leur lou. ange. Uo de leurs capitaines s'empar? de la ville de Thèbes, quoique les Spartiates & les Thèhains ne fuflem point en guerre. Ces derniers fe plafc gnirent de cette aftion, & les Spartia^ tes la trouvèrent mauvaife, car i s con>: damnè & la terre n'y eft fertile qu'en p&turages & en foréts. Les habitans dd païs fe nomment Patagons, ■& on dit qu'ils ont dix è douze pieds. On les connoit fort peu, les Efpagnols n'ont d'autre ville en ces quartiers que Nahuelhuapi. La Terre Ferme al'air trés fain, exceptéprochel'Ifthmede Panama. Ilyfaitexceflïvement chaud. Ce Pai's eft trés fertile & trés riche. On y trouve la rivière de 1'Orenoque, qui coule prés de trois eens lieues: Ce païs qui appartient aux Efpagnols , a pour capitale Ia ville de Santa Fé de Bagota» Madem*  des Adolescente si 171 Madem. Bonne. Nous fibirons d'examiner rAmériquc méridionale Ja première fois. XIV. DIALOGUE. . Madem. Bonne* Lady Lucie, Lady Louise, Lady Sincêre. Lady Lucie, feaie avec la Bonne. IL y a fi longtems que je n'ai eu Ie plaifir de vous voir en particulier, que je n'ai pas eu Ia patience d'attendre plus longtems, D'ailleurs je ne fais fi nous aurons aujourd'hui Mifs Zinai il y a bien des affaires fur Je tapis par rapport a elle; on parle d'un mariale extraordinairement avantageux: j'en fuis charmée, elle le mérite, & je regarde eet établiflement comme une récompenfe de fa vertu. Madem* Bonne. Pourrois-je vous demander ce que voua enteudez par un mariage avantageux? H 2 L§m  Le Magasin Lady Lucie Cc que tout le monde entend, ma Bonne; ceft-è-dire qu'elle trouve un man tres riche & d'une grande mai- Madem. Bonne. Mais, ma chère, vous n'êtes pas faite pour entendre les chofes comme tout le monde les entend. On peut fort bien époufer un homme tres riche, de grande qualité, & faire avec cela un mariage trés défavantageux. Lady Lucie. ' Vous -avez raifon, ma Bonne; je dois iulpendre mon jugement jusqu'a ce que je coonoifie le cara&ère cc les mceurs de celui qui 1'époufe. Je vous avoue pourtant que fans le connoitre, j'ai bonne opinion c.aJ.eDfiD> ma Bonne, Mifs Zina elt afiez jolie, mais ce n'eft pas une beauté ébloui (Tante: elleadel'efprit, du bonfens; cependant è moins de la connoftre trés particulièrement, on ne peut en être ?S?,MCa/ ?Ile.eft fi "mide, qu'il eft difhcile de favoir ce qu'elle vaut. Tout ce qu'on voit d'elle, c'eft qu'elle eft fort  des Adolescente». 173, fort modefte, trés décente, & qu'elle cherche avec foin toutes les occafions de faire du bien. Vous voyez qu'un homme qui ne la connoit que par ces endroits & qui la choifit, quoiqu'ellen'ait pas de fortune, eft un homme de. bon fens. Madem. Bonne. La conféquence eft jufte , Mademoifelle: j'ai entendu dire mille biens d'elle & de fa familie. Lady Lucie. Oh pour cela, ma Bonne, elie a eu une excellente éducation. Son père qui étoit un homme de mérite, a été luiiirême fon gouverneur, & Ta élevée itout juftement comme vous faites Lady Senjée. Elle m'a conté que lorsqu'elle n'avoit que fix ans, il apporta j devant elle plufieurs étoffes & lui donjnant huit guinées, il lui dit; voila cour vous acheter une robe, ma chère Zina. [ SI vous prenez cette belle étofte, vous \ dépenferez vos huit guinées, & comme eli les font h vous, vous êtes la maltrefle de. te faire. Si vous prenez cette autre étofi' fe, vous ne ferez pas fi magnifique; 1 mais il vous reftera deux guinées. Or H 3 ü:  174 Le Magasin il y a dans ce vilJage une pauvre femme donc ie mari eft malade depuis longtems; cette pauvre malheureufe a fix enfans qui font prefque tous nuds, & qui auront un grand froid eet hyver; avec ces deux guinées vöus pourriez donner è ces enfans de bons hsbits de laine, ils prieroient lè bon Dieu pour leurj bienfaitrice, & au jour du jugement Jéfus - Chrift vous diroit: vemz avec moi dans le Gel, car j'ai été malade vous m'avez babillé de vos \ propres babits. La pauvre petite enfant fut fi touchée de ce difcours, qu'auJieu de donner deux guinées, elle en vouloit donner quatre, & prendre un habit plus fimple. II ne paftbit aucnn jour fans lui fournir Poccafion de faire quelques bonnes ceuvres; & fa mé- i re qui étoit aufli charitable que fon xnari, lui a toujours donné le même exemple, quoiqu'elle ne foit pas fort riche, On lui dit 1'année paffée, qu'il j dvuu uuc xeiame oc quatre enfans qui mouroient de faim. Elle va avec fes fiües proche Weftminfter, monte dans un grénier, trouve ces pauvres enfans tous nuds fur la paille; eHes mettent tout cela dans leur ca^ofle, & quand elles font chez elles. habil-  des Adolescentes. 17$ ïent ces petits malheureux. Elles firent plus, car elles renvoyèrent cette femme dans la province, lui firent donner lè cinq guinées avec lefquels elie a levé une petite boutique, & gagne fort bien fa vie» Madem* Bonne. Vous m'infpirez un grand refprcT: pour" cette familie. . . . Mais voici ces dames. Comment donc! Lady Sincère eft avec elles. Lady Sincère. Oui, ma Bonne, je viens pour roq« quereller bien fort , .fi vous voulez bi>m me le permettre. Vous permettez a ce* dames de venir vous voir les matins*' vous leur dites les plus belles chofes du mende fur le bal, la comédie, & vous avez la cruauté de me priver de ees converfations, dont j'ai pourtanfc le plus grand befoin du monde, car enfin, ma Bonne, j'aime toutes ces chofes è la rage. Lady Loüise. Fuïez, ma chère, & gardez-vous H 4 biea-  '70* Le Maca sin voü°< 2Lïefter è Sos converrations; S vous éaoutez ma Bonne, il faudra de toute néceflité facrifier ces plaifirs du moms pour la pius grande SSfe/il y chef? ™ °« en,? oü je do™erois toute t^L r m0Dde P°ur ö'avoü rien en- Donne foi -> la diffipation, ie oerdois mon tems fans icrupuje & ^«Kg g o eft plus la même chofet è nréfenc tout ce que ma Bonne m'a dit me revient fans celTe è i'efprit cela inTgL t0A S Je.S Pr°J'ets «me J'e ^is nenr £V«r iea Téü™°™ ^ien- SSr«ïm-affa^ner' daDS Ies lieu* oh ie 0 avois jamais trouvé que de la joye,. Lady SensiJb* Ten veux courir les rifques. Je vous & c~iaqVaH?e Je P]aifir «la «ge, te Sïfrdl Vra3> mafs ie ne cherehl ie piaiür que pour être heureufe; ma ijonne nous promet un bonheur d'une latl J -PèC- » C>eft Ia mê{*e ch«fö oupI Je ?e ^mbarraiTe pas de ?e 2?C? mV.,,enc ^ Joye pourvü que je Ia lente; d'aiileurs je fuis de bonne- cm«,J„a« tOÜJ°.urs. fenti au fond de mon cceur un certam je ne fais quoi qui me dit  dès Adolescentes. iyf die qu'il y a quelque chofe k reprendre dans mon attachement pour les* plaifirs; fi j'en pouvois goüter oh ce qui eft au fönd de mon cceur ne trouvac point è re dire, je les préférerois fans doute. Madem. Bonne., C'eft- è- dire, ma chère que vous allez pefer les plaifirs que vous offre la piété, & ceux- que vous préfente le monde; vous donnerez la préférence a. qui vous en préfentera davantage'sh Lady Sincère. Je crois que oui, ma Bonne, cc je*, ne rifque rien è cela , puifque vous m'avez afiuré que les plaifirs que donne la piété font plus grands que ceux que nous préfente le monde, je les choifirai fans doute, Madem. Bönke; Je vous ai parté de la piété & noa de 1'amour ptopre; la vraye piété* ne fait pas le bien pour étre heureuiè mais paree que Dieu 1'órdonne^ Dieu, qui eft la bonté même, récom*.  ïfó Le Mag&sin penfe par des plaifirs fans nombre, ceux qu'on lui facriSe pour accomplir fes commandemecs. Si vous ne les facrifiez qu'au déür d'être plus heureufe, vous êtes votre idole, & Dieu ne récompenfera pas ce que vous faites pour vous & non pour lui . . . Mais .voici Mifs Zina. Vous êtes venue bien tard, Mademoifelle? Mifs Zina. Ma Bonne, ces dames font mes amies, je puis vous dire devant elles «e qui m'a occupé ce matin*, j'en fuis encore toute tremblante. Madem. Bonne. Comtnent donc, eft-ce qu'il vous eft' arrivé quelque malheur? Mifs ZlNA. Non, ma Bonne; cela reflemble au contraire a un bonheur, & cependant il m'erTraye. 11 s'agit de me marier. Ma mère m'a propofé ce matin un partó cent fbis au - deflus de ce que je devoi* attendre du cêté de la fortune. Je? connois le cavalier, il me plaft par  des Adolescenten jjp par fa figure & fon caraétère. Tout cela devron me rendre contente, & cependant Ja téce me tourne de frayeurl Madem. Bonne. Et voudriez-vous bien me dire ce qui vous effraye ? Mifs ZlNAi. Tout, ma Bonne, les devoirs de 1'éat quon me propofe fe font préfen- nnpLférJeux>.dune fi gra»de confé- 2?Pn Ce' ?"e tal peur de De te Pas b en rempjir. En fecond Jieu, le gen- til-honime qui me fait 1'honneur de penfer è moi, eft trés riche, fes grandes nchefles pourroient fort bien me £nl |I1CS m:°bligeront a faire une grande figure, & que fais-je, fi je ne mattacherai point au monde & aux plaifirs que je méprife aöuelleraent* moi, eft bien dangercux, & qu'il fera  i£o Le Ma ca sin Lady Sincère» Voilé ce que je n'aurois jamais deviné. Vous vous effrayez de devenir riche, eh bien, Madame,, vous ferez un bon ufage de vos richefTes,- cela vous mettra en fituation de fuivre votre inclinatioo bienfaifanie, & de faire mille biens, que vous neppuvez que fouhaiter aujourd'hui. Mifs Zïna. A merveillè, ma chère; mais n'avonsnous pas vu plufieurs exemples de perfonnes généreufes & vertueufes dans une fortune médiocre, & a qui un état éclatant a fait perdre ce qu'elles avoient de bon Qui peut m'aiTurer que la même chofe ne m'arrivera pas? Madem. Bonne. Moi, ma chère demoifelfe. Qüand Dieu nous appeïle k un état, il nous donne des graces fuffifantes pour en remplïr les devoirs. Votre état fera dangereux, je 1'avoue; mais eet état, *ous^ ne Tavez ni défité ni eherché. Gela doit vous raflurer. Et croyez- vous fue cette affaire fe termine bientót? Mifs>  des AöOLESCEtt TE5 Mifs Zina. Non, ma Bonne: je n'ai pas même encore rendu une réponfe pofitive è ma mère, j'ai demandé vingt- quatre heures pour me déterminer, & j'ai voulu vous confulter avant tout. Votre confiance me fait beaucoup d'honneur, & je vais y répondre. Je vous 1'ai déjè dit: vous n'avez point cberché eet engagement, & vous avez h'eu de croire que la Providence ellerxême vous Ta ménagé. Ce parti convient a votre familie, le cavalier vous plait par fes mceurs & par fa figure Voilé tout ce que Ton peut fouhaiter dans un mariage. Refte a examiner fi vos caraélères fe conviennent, vous en aurez le tems, & pendant eet intervale vous devez prier beaucoup & faire de bonnes ceuvres, pour obtenir de Dieu qu'il faiTe naitre des difficultés è ce mariage, s'il prévoyoit qu'il düt 6tre uo obftacle h votre falut. Madem. Bonne. ff?.- Mif}.  *§2 Le Magasin Mifs Zina, Je fuivrai votre confeil,. ma Bonne; mais je me reproche d'avoir interrompu votre converfation; je vous prie de conticuer le difcours que vous teniez quand je fuis entrée. Madem. Bonne.. Dans notre dernière converfation, il étoit queftion d'apprendre è Lady Louïfe, le moyen de rendre fa journée eourte & amufante. Nous en étions, je crois, aux réflexions que faifoit Lady Lucie en fe levant & en s'habillanc. Lady Lucie. II faut d*abord,, ma Bonne, que j'a* vertiffe ces dames, que je fuis une grande dormeufe, & qu'autrefois j'avois beaucoup de peine h quitter mon lit. Ma femme de chambre étoit obligée de m'apperer vingt fois avant que je pufte me réfoudre k quitter mon chevet. Lady Sincère.. Toili mon hiftoire de tous les jours * ft»  des Adolescentes. 183 ma Bonne; d'abord je n'aime pas è me coucher, «Sc je le fais le plus tard que je le puis, fans pitïé pour ma pauvre femme de chambre qui dort tout debout. Comme je n'ai pas envie de dorrnir quand je me couche, je fais les plus beaux projets du monde pour me lever du matin; mais je les oublie en dormant, & quand on m'appelle Ie Jendemain, j'ai mille raifons pour ne pas me lever. J'ai mal dormi Ja nuit, j'ai Ia tête Jourde, je crois que je fuis malade je n'ai rien è faire de preffé, enfin je eapitule avec mon chevet, qui remporte prefque toujours lavi&oire; comment avez-vous fait pour vous lever k 1'heure que vous aviez marquée ? Lady Lucie. Ma Bonne dit qu'il faut quitter ion iit comme fi le feu y étoit. Je me perfuade en ce moment entendre la voix de 1'ange au dernier jour, quand il fonnera de la trompette en difant: levez-vow morts, £? venez au jugemenk Cette terrible penfée difiipe le fommeil & ]a parefle dans- le moment. Je me léve donc fur mon féant & je têche de confacrer è Dieu lea premiers inftans de la  184 Le Ma gas in journée tq m'offrant k lui avec tout ce* que je poiTède. Les premiers jours, iï m'étoit fort pénible de me lever ainfi au coup de cloche pour ainfi dire; mais L préfent, j'y fuis accoutumée, & cela ne me fait plus aucune peine. En m ha. billant, je prie Jéfus • Chrift, de vouloir bien me revêtir de Vbomme nouveau dont parle St. Paul: enfuite je fais ma prière. Madem. Bonne. Ayez, s'il vous plaft, la complaifance de dire k ces dames, en quoi confifie** votre pr;ère V Lady Lucie; Dans les adtes de religion qu'un chrétien doit faire, a ce que je croïs, au moias une fois par jour. Premièrement je fais une acre d'adoration, c'eft' adire, que je reconnois que Dieu eft Souverain Créateur du ciel & de la terre, qu'il eft mon mafcre, mon roi, mon père, & qu'en ces qualités je lui dois le refpeét', fobéïflance & 1'amour. Je me réjouïs d'être dans ia dépendance d'un fi bon père, je me foumets k fes dlvires voiontés &. je m'excite k eroire-;  des Adolescentes. croire fermement que tout ce qu'il décidera pour moi dans ce jour, & dans tout le refte de ma vie, lera pour mon bien, paree qu'il eft ibuverainement bon, & qu'il m'aime. Mifs Zina. Eft-ce qae vous avez une prière particuliere pour cela? Lady Lucie. Non, ma chère; je la fais tantót d'une %on, tantót de 1'autre, & comme le ccenr n e la di&e, Enfuite je fais un acte de rcmerciement, c'eft«adire, qae je remercie Dieu de toutes les graces qu'il m'a faites pendant ma vie, & s'il revient alors è mon efprit quelque grace particulière, je le fais particulièrement pour celle - ]è. Je remercie Dieu de ne m'avoir pas óté du monde dans le tems oh je ne penfois pas è faire mon falut; de me donner ercore une jourree pour y travailler. Cette peDfée me porte a jetter les yeux m le paiTé. Combien de tems perdu, Mlas! le quart de ma vie au moins eft déja écoulé, & a peine ai-jé travaillé è la  186 Le Magasin- ]a grande affaire de mon fa Jut, pour laquelle feule, Dieu m'a mife au monde. Je lui demande bien pardon de cette négligence, & je reconnois que je fuis fi foible, fi dilfipée, fi mécbante, que s'il n'a la bonté de m'aider d'une facon toute particulière, je continuerai a vivre dans eet oubli de mon falut. Ainfi je le conjare au nom de Jéfus - Chrift, de m'accorder les graces qui me font DéceiTaïres pour travailler k cette affaire. Je lui offre pour les obtenir, la vie, les ïbuffrances de ce divin Sauveur, j'unis toutes mes sétions aux fiennes, je les offre è Dieu ainfi unies, & je prends la réfolution d'accoroplir pour lui obéïr, tous les devoirs de mon état pendant la jo.urnée. Enfuite je dis la prière de Jéfus-Chrift, en faifant mes efforts pour fixer mön efprit aüx fens des paroles, car fi je ne me faifois violence, je les réciterois fans y faire attention. Lady Louise. Dites moi la vérité, ma chère; voilé une prière bien longue, eft-ce que vous be vous ennuïez point en la faifaDt? $'avez-vous point de diftra&ion? Lady-  des Adolescentes. Lady Lucie. Je vous jure, ma chère amie, que cette prière n'eft pas longue. Dans le commencement j'ai eu un peu de peine a la faire, mon efprit couioit de töüs les cótés, paree que je n'étois pas dans 1'habitude de le géner; è préfent cela ne me coute plus. Ma Bonne m'a fixé une demie heure pour ma prière, je mets ma montre fur la table, & il me femble qu'elle va d'une viteffe incroyable; fi je fuivois mon inclination, je refterois la une heure, car il y a bien du plaifir è prier le bon Dieu; mon cceur en ce moment eft fi content, fi tranquile, que je pourrois, je crois, pafier toute ma vie faEs ennui dans cette occupation. Lady Sincère. Que vous êtes heureufe, ma chère) pour moi je n'ai pas le même bonheur; je fais ma prière la moitié du tems fans attenuon, & fcuvent elle me paroit bien longue; pourquoi Dieu ne me fait» il pas la rrême grace qu'è vous? Madem.  ^ Le Magasin Madem, Bonne; plutót Jéfus - Chrift va vous le dire luimeme. Or. ne peut fervir deux miitres nous allure ce divin Sauvèur. Mifs a renoncé courageufement au qui eft Jéfus - Chrift, & ce roaftre libéral, outre une récompenfe infinie qu'il Jui prépare en 1'autre vie, lui rend encore dans celle-ci le centuple de ce qu elle fait pour lui, comme il Ta nromis. Vous n'en éces pas lè; vous voudnez prendre des deux mains les plailirs, ceux. que vous offre Ie monde, & poffib?eUe Pr°CUre h piété' Cda n'eft pa* Lady Louise; Vous dites que Mifs Lucie a renoncé au monde, vous me furprenez, ma Bonne; elle y vit comme moi. Nous vivons dans les mémes fociétésV cc a peu de chofe prés nous prenons les mêmes amufemens. Madem. Bonne.. Ten conviens; k 1'extérieur vous étes  des Adolescentes. igj êtes h peu prés femblables; maf, „„„ le cceur eft différent' AfWu q e MademoifeUe fe p?jIe vous vous y livrez/ Croyezvou, mi chère, qu'il feit néceffaire de 'enfe veto dans UD défeK être%neeD£ fa te chréuenne , & qu>j, faj]ie vj?.r: dune mamère fingulière? Vous vn'f trómperiez bien fort. C'eft Sw? qui doit nous diftinguer desau, es c'eft fur votre cceur qu'il faut travaj]|"' Va pótre ne vous dit pas: quittn h non de, mais vwez dans U monl A méfure que le monde fonira de vn' tre cceur, la paix, Ja f0Ve ia * quriité & le bonheur établi™ °" Vous voyez que j'ai encouragé S Ztna a confentir è un ótubhrr,^! . qui va la jetter au milieu dSS monde. } ds P£« 8™»d qu elie en ftut, & s'jj #ait pè ™ e le y v,vra comme n'en étant oofm' &fe procurera par-fa une v«,f«li' cité dans le féjour & 1'emDirpj donleur & des 'chagrins iTpV|£ fans. Je ne vous en impofe noint ^ chère; Je dégré de votre pie?é &a u mefure du dégré de votre bonheur & ne V0BS trompe point, & j™-J° que  ipo Le Magasin que vous vous en rapportiez a votre amie. Lady Lucie* Ah! ma Bonne, je fuis encore bien ïoin d'être heureufe parfaitement. J'avoue que je n'ai jamais été plus tranquille qu'a préfent, mais je fens qu'il me refte encore bien des obftacles k vaincre pour arriver au bonheur, je n'ai encore fait que le plus petit des facrifices. Mon cceur eft entièrement détaché des plaifirs brufans; je n'ai point d'ambition, je ne donnerois pas une épingle pour augmemer mon bien; & qu'eft - ce que ces fjcrifices; ma raifon m'eüt engagé k les faire, je crois, fans que le chriftianifme s'en füt mêlé. Eft-il donc fi difficile de renoncer k toutes ces niaiferies? II eft d'autres chofes qu'il faut arracher de mon cceur, & je fens qu'il faignera bien fort. Mifs Zina. Et que pouvez - vous avoir dans le £oeur qu'il foit néceflaire d'en arraSherV Lady.  des Adoiescentes. ioi Lady Lucie. Les créatures, Madame, è commencer par moi. Je m'aime moi-même, mes parens, mes amis avec pafiïon, & cela m'empêche d'être heureufe. Lady Louise. Comment, Mademoifelle, faut-ilfe naïr & tout le refte du monde? Madem. Bonne. Non, ma chère, il faut s'aimer foiméme & le refte du monde pour 1'amour de Dieu. Cela eft bientöt dit, mais j'avoue que cela eft bien difficiie h exécuter, & comme dit fort bien Lady Lucie 9 il faut déchirer fon cceur & il en coute du f3ng, Jl n'eft pas encore queftion de cela pour vous, Madame. Dans eet ouvrage ici, il faut aller petit a-petit, & faire comme eet homme qui avoit une grande pièce de terre a nétoyer des mauvaifes herbes qui Ia convroient. En jettant les yeux fur ce champ, il fat découragé de Ia grandeur de .'ouvrage,• enfuite, il réfléchit fagement qu'il n'étoit pas obligé de  19* Le MagasïN de faire tout eet ouvrage dans un jour,, & fe perfaada cu'il n'avoit a nétoyer: que la vingtiètne partie de fon champ,, cela n'étoit pas fort difficile. II y mit: la main, & en vint bientöt a bout. Le i lendemain il nétoya une autre partie,, & petit-a-petit 1'ouvrage fe trouva fini entièrement. Imitez eet homme. Le \ changement total de votre cceur n'eft : pas 1'ouvrage d'un jour; commencez par mettre la main au travail, il avancera imperceptiblement, & vous ferez toute étonnée de le voir tout - a - coup fort avancé. Lady Louise. Vous avez beau dire, raa chère amie, eet ouvrage fera toujours trés pénible, & fi pénible que je défefpère prefque d'y réufiir, tant je me trouve foible. Madem. Bonne. Vous avez raifon de vous croire foible: il eft bien vrsi que s'il falloit faire eet ouvrage toute feule, vous n'en viendriez pas a bout. J'ai ló, je ne fais ou, qu'une femme nommée FéliQiUe fut mife en prifon paree qu'elle étoit  des Adolescsntis. i93 damnée en cette qualité k être óéZ tó'-l" bêr- ^» femme tofe' p ete d accoucher, & elle accoucha ef fcfoofflSÏ 1?M ?a P»f°m Comme eK foree" ^jTSSSS"1 * «frons Quand nous fois. converfation la première Mfi Zina. néceffaires pour échaone? I S ?0yeDS de mat dans V™KJustl tg? ez d'entrer. Je vous cbark 1 h r !" te de ce confeil au moiD5.g ,a rui" /ƒ. r  191 Le Magasin èfadem. Bonne. Volontiers, Mademoifelle, nous prierons Dieu de nous infpirer; & enfuite nous examinerons enfemble ces moyens. XV. DIALOGUE. Lady Spirituelle. VOUS nous avez dit, ma Bonne, que c'étoit a la philofophie a nous prouver qu'il n'y avoit aucune fituation dans la vie oii un homme fut malheureux fans reflburce, voila le moment de tenir votre promefle. Madem. Bonne. Te vais tacber de la remplir; mais auparavant, Mesdames, ^ppellez-vous aue nous avons prouvé fans retour, que 1'homroe étoit créé pour être heureux. *La*y Lucie. T'ai fait la defius bien des réflexions,  des Adolescente*. 195 ma Bonne, & fi je pouvois vous prouver que cette propofition efi contradictoire avec une autre qui efi vrave que diriez.vous? >e* Madem. Bonne. J>xaminerois, ma chère, car i! Pft vrai que deux propofitions contradiób deux? P6UVent écfe Vrayes ^utes le5 Mifs Belotte. Je n'entens pas bien cela, ma Bonne: Madem. Bonne. II faut vous 1'expliquer, ma chèr* Je dis qu.,i eft jou£ l *>é(i,™ jpe dites qu'il eft nuit; voilé deux cho! fts contranes, & par conféquent contradicloires, n'eft-il pas vraiqu" n°afi Pf,? Poffible que rous diOonsvra tou 11t!esfidef.? Si "fon, vous avez t» H,- J. 1 tort' vous avez raifon. Je dis qu'una telle perfonne eft morte, vous d te. qu'elle 'eft vivante Voi la deux cnofes contradifloirès, & oui fait djsparoitre la vie, ]e retour a l. J 2 vie,  ip6 Le Mag as in -vie, feroit diiparoitre la mort. Mifs Sophie. Je concois cela k préfent. Quand: une chofe eft vraye, le contraire de: cette chofe eft faux. Je fais petite, le: contraire d'être petite eft d'être grande, & ainfi comme il feroit ridicule; de dire que je fuis petite & grande: tout a la fois, je puis aflurer, fi je: fuis petite, que je ne fuis pas grande. Madem* Bonne. Fort bien. Nous avons dit qne c'étoit: une vérité , que 1'homme étoit né pour: être heureux. Lady Louife prétend qu'elJe connoit une vérité aufli certaineque: celle-la qui lui eft contradictoire- C'eftè-dire que Lady Louife veut qu'on puisfe être en même tems grande & petite., Lady Louise. Je ne dis pas cela, ma Bonne, je: ferois une extravagante. Je veux dire: feu'Iement que fi ma vérité eft réelle, , la vótre ne 1'eft pas. Croyez - vous que ! Dieu ait laiiTé aux hommes la liberté i d'a-  des Adoeesce ntes. 197* d-'agir è Jeur fantaifie, & qu'il ne les force pas a faire une tclion plulót qu'une autre? Madem Bonne. Cette vérité eft un axiome pour moi, ma chére; elle eft une conféquence de cette autre vérité, il y. a un Dieu. Car fi Dieu forgoit la volonté des hommes, il faudroit 1'accufer de tous les crimes qui fe commettent dans le monde, ce qui feroit détruire ia bonté. Lady Louise. Vous dites que Dieu m'a créée pour1 être heureufe. Mais voici mon voifin qui eft un homme libre, qui s'eft mis' dans la tête de me rendre miférable; pour cela, il m'enlève moo bien, m'óte ma réputation, m'arrache 1'eftime & 1 amitié de tout Ie monde & même de mes parens & de mes amis, de ceuxmême que j'ai accablé de biens. II me fait prendre un breuvage erapoifonné qui m'óte la fan té. Ou il faut que Diea óte Ia hberté è eet homme de me faire tous ces maux, ou il faut qu'il ne m!ait pas créée pour être heureufe,* puis1 3 qu'il-  io3 Le Ma-ga-sin. qu'il laifle la liberté è eet homme de m'empêcher de lêtre? Madem. Bonne. Lady Sen/ée; c'eft vous qui avez foutenu a ces dames, qu'il n'y avoit aucune fituation dans le monde oh un homme fut malheureux fans reflburce, tirez- vous de la comme vous pourez, je ne veux pas m'en mêler, & je vous laifle le foin de répondre a Lady Louife, Lady Sensée. ]e n'ai pas peur, ma Bonne; Lady Louife commence par fuppofer une chofe fauffe.. Lady Louise. Et quelle eft-elle, s'il vous plaft,, ma chère. Lady Sensée. C'eft que vous fuppofez que tout ce qui nous environne peut nous rendre heureufe ou malheureufe, & moi je foutiens que nous ne pouvons trouver le. bonheur ou le malheur que dans  des Adolescent es. 199 dans notre cceur, & que quand tous les hommes enfemble s'uniroient pour me rendre malheureufe, ils ne pouroient pas en venir a bout, li je ne le veux pas. Lady Louise. Voila une belle chofe a prouver. Madame: dites-moi, je vous prie, fl un homme en ce moment vous enlevoit tout votre bien, cela ne vour rendroit-il pas miférable? Lady Sensée. II me rendroit malheureufe k proportion que j'aurois de 1'attachement pour mes richefles; mais fi je ne les aimois point du tout, quel mal me feroit-il en m'ótant une chofe dont je ne me foucierois ggère ? Lady Louise. Je connois qu'une perfonne raifonnable ne doit pas aimer les grandes richefles; mais je ne parle pas de cela. J'entends les chofes néceflaires a la vie, c'eft- a- dire, que je ferois réduite ki 1 4 de-  2CO Le Ma-casin demander 1'aumone ou a travailler k des ouvrages trés pénibles. Lady Sensée. Et croyez-vous que la néceffité de travailler foit un malheur; n'avez-vous jamais vu k la campagne des gens qui travaillent a la terre depuis le matin jusqu'au foir, & qui cependant chantoient éc n'avoient pas un moment de chagrin ? Lady Louise. Ce font des hommes ftupides, qui n'ont jamais connu d'autre ütuation que Ja leur. Lady Sensée. Ce n'eft donc point le travail qui eft un malheur ; mais 1'opinion que vous avez que c'eft un malheur. S'il étoit réel en lui - même, il feroit tel pour ces pauvres gens comme pour vous. Reformez votre opinion, & il deviendra tel pour vous, qu'il eft pour eux. Lady  des Adolescentes. 30 r üfldv- LOU I SEi, Et le moven de reformer une telle opinion ? je "fuis accoutumée a être prés d'un bon feu pendant 1'hyver, j'ai de bons habits bien cbauds; en Eté quand il fait Soleil, je fors dans un caroiTe & ne me promene qu'a 1'ombre; eft. il donc indifférent de jouïr de ces commodités, ou d'êcre expofé aux rigueursdes faifons, au froid, au chaud, & par - deftus cela , de n'avoir pas Ia moitié des chofes néceJlaires k la. vie? Lady S en$ ée; Tenez, ma chère, le corps s'accou*tume k tout. Je fuis füre qu'avec toutes vos précautions, vous fouffrez plus de froid & de chaud que tous ces gensla, & que vous avez quatre rhumes dans le tems qu'il n'en ont qu'un, Quand vous avez été enfermée dans une chambre bien chaude, &que vous fortez feulement fur votre efcaiier,, le froid vous faific, vous attrapez-un bon rhume, une fluxion; < preu ve certaire que vous fouffrez plus de froid en es moment, que ces pauvres-gens dans toute la journée; j'en dis autant- du* * 5- chaasU  20* Le Magasin chaud. Vous dites qu'ils ne peuvent pas fe procurer la moitié des chofes néceflaires k la vie. Ce néccfiaire eft bien petit. De 1'eau, du pain, voila le pfécifément néceflaire. Le refte eft le nécetfaire de la fenfualité, de la gourmapdife, de la mauvaife habitude: & ne fert qu'è nous procurer bien des maladies que les pauvres ne connoiflent pas. Us ne s'ennui'ent jamais, car ils font toujours occupés, mangent avec appétit, le travaii & la fobriété leur fervent de cuiiiniër; ils dorrnent du meilleur coeur du monde, paree qu'ils font fatigués. Ils goütent Ie plaifir de fe repofer & d'être quelquefois p^resfeux. Ils ne connoiftent pas les vapeurs, la mélancolie, 1'ennui & toutes ces autres mifères qui fuivent 1'oifiveté, Ia gourmandife; ils parviennent k une longue vieillefle, car il eft certain que Ia mollefie abrége Ia vie, Dites a préfent, Madame, qu'un homme k le pouvoir de me rendre malheureufe en m'ótant mon bien,,& en me réduifant k la néceflité d'un travaii qui me procure la fanté,, le. fommeil^ 1'appétit &. le repos». , Madem* *  des Adolescentes. 203 Madem, Bonne. J'ai cu raifon de vous laiflfer défendre votre caufe, vous vous en scquittez a merveiJle. Je vais vous prouver cela par un exemple. J'ai connu un homme qui étoit mon parent trés procue 11 avoit un trés bon tempérament arce que je fuis pauvre, il a grand tort; mais s'il connoiftbit combien je fuis pécheur, il me mépriferoit davantage & avec juftice. Combien de fois dans ma vie ai - je maltraité ceux. qui dépendoient de moi? 11 eft jufte qu'on roe rende Ja pareille; j'étois méprifable alors & on me louoit,. cela fait une jufte compenfation. Lady Louise. Je congois que cela eft vrai; le mépris ne nous affiige que paree que nous avons de 1'orgueil, & nous q'évons être bien-aifes d'avoir occafion de le détruir re; mais fi on nous ó óit 1'amhié de sos parens & de nos amis? ï<7 Ladyy  2oö* Le Magasin Lady Lucie. Ah, ma Bonne! on va parler de Tendroit fenfible pour moi,- j'aurois volontiers dit comme Lady S*?w/&? pour le refte mais que dira-1- elle pour cette efpèce de malheur? Lady Sensée. Aidez-raoi ma Bonne, me voila arrivé au plus difficile de ma preuve, Madem. Bonne. En vérité, ma chére, je me ferois un fcrupule de vous aider, vous avez trop bien d t pour cela. Croyez vous ce malheur fans reflburce? Lady Sensée. Non abfolument, ma Bonne, fi mes parens & mes amis font raifonnables, il me fera pofiible, a ce que je croisj, de leur prouver mon innocence, & paria de regagner leur eftime. Madem. Bonne. Et s-ils n'ètoient pas aflez - raifonnables pour  des Adolescente». 207 pour fe reodre aux preuves que vous leur en donneriez, mériteroient ils que vous vous chagrinalïiez d'avoir perdu leur amitié? Lady Lucie. Non, ma Bonne, je ne m'affligerois pas d'avoir perdu 1'amitié des per tonnes que - je ne pourrois eftirner, puisqu'elles feroient injuftes, mais rien ne pourroit me confoler de leur injuftice par rapport a elles - rrêmes, car ce feroit pour elles le plus grand mal, & j'aurois le cceur déchiré de ce mal des perfonnes qui me feroient chères. Madem. Bonne. Vous n'y penfez pas, ma chères vous dites que vous ne pourriez les eftirner, & vous croyez que vous les aimeriez encore; cela n'eft pas raifonnable; chez une perfonne de bon fens^ 1'amitié meurt avec 1'eftime. Mifs Zina. Mais il faudroit donc.les hai'r, $ ü c'étoit par exemple 3 mon père ou ma mère-  2oS Le Magasin mère ou rroa mari, me donneriez vous ce confeii? Madem. Bonne. Je ne vous Ie donneröis pas pour Ie dernier des hommes, Mademoifelle Ecoutez moi, s'ii vo-js plait, & têchez de me bien concevoir, Dieu en nous donDant la raifon, a fans doute voulu que nous en fiftions ufage, & comme 11 elt ia fouveraine raifon lui-même, il ne peut jamais rien exiger de nou-- qui y foit contraire. Tout ce qui eft eftimable eft aimable, & il eft dans Ja naturede 1'homme de 1'aimer. Mais comme nous iommes en général corrompus & méchans, 1'amour que nous devons avoir les uns pour les autres, auroit des fondemens bienfoibles, s'il n'étoit appuïé que fur les qualités qui dépendent de notre choix. Dieu a donc mis en nous des quahtés qui y. fubfiftent indépendamment de notre volonté, & qui font fuffifantes pour fonder un amour jufte & raifonnabie chez les autres hommes. Quelque criminelle que foit un créature lemblable è nous, elle ne ceflc pas d'ê:re une créature formée è IImsge & Kflemblance de Dieu,. rache-- tée •  des Adolescentës. 409 tée era fang de Jéfus-Crift, deftinée é palTer avec nous une éternité bienheureufe. 11 n'eft aucun homme qui ne foic re\êcu de ces tkres refpectehles d'enfans de Dieu, & d'objec de fon amour. Pourrions. nous fans injuftice haïr des créatures que Dieu ajme encore, & qui pouvant fe convertir un jour, devindront les objecs de fa complaifance. Voilé les motifs qui fondent I'amour de charité, & comme vous voyez, rien ne peut les détruire. Voilé 1'efpèce d'amour que nous devons k ceux que nous ne pouvons eftirner. 11 nous rend fenftbles fans doute a leurs défauts , mais ce fentiment, quelque vif qu'il foit, ne peut altérer notre bonheur, autrement il faudroit dire que celui de Dieu n'eft pas parfait, & qu'il. feroit malheureux è la vue des crimes des hommes. Lady Lucie. Je me rends é cette dernière raifon y ma Eonne , elle eft décifive rourmoij paree qu'elle eft une conféquence de cette première vérité: II y a un Dieu* Ma  aio Le Magasin Madem. Bonne. Tout de que Lady Senfée vous a dit Mesdames, eft' comme philofoprie. Les païens avoient découvert par les Jumières naturelles que la pauvreté & les autres chofes qu'on appelle des maux, ne pouvoient nous empêcher d'être heureux. Qae ne pourrionsnous pas dire comme cnrétiennes? Lorsque nous parierons de 1'Evangile, nous aoprendrons è connoitre de la bouche de la Sagefle éterneJle, les vrais biens « les vrais maux. Adieu, Mesdames, Mifs Sophie, fouvenez- vous que vous mavez promis d'amener votre petite fceur, je 1'attens tantöt. XVL DIALOGUE. Mifs Sophie. MA Bonne, voilé ma petite fceur Frangmfe qui voudroit bien vous remercier de la permiflion que vous lui avez donnce de venir; mais comme elle ne peut parler Fraogois, elle m'apriée de vous remercier pour elle. Madem,  des Adolescentes. 211 Madem. Bonne. Venez m'embrafTer, ma chère; j'espère que vous ferez Dient ót en étar de parler vous - même, aifeyez - vous & écoutez bien. Mifs Sophie. Nous avons lü hier une hiftoire as» fez curieufe, voulez-vous me permettre de la raconter a ces dames. Madem. Bonne. Oui, ma chère, vous nous la direz après les hiftoires de la Sainte Ecritu» re, c'eft a vous a commencer, Mifs Belotte. . Mifs Belotte. Pendant que les Israëlites étoient cap* tifs en Affirie, il y eut un bon Roi qui régnoit en Juda. II fervit Dieu comme David, & ne fe détourca jamais de fon fervice. II fit abbattre tous Ier bois confacrés aux faux dieux, & même le ferpent d'airain, paree que le peuple 1'adoroit. II fit la guerre avec faccès contre fes voifins qui Tattaquè- rent  212 Le Mac a si ff rent, & entreprit même de fe délivrer du tribut qu'il payoit au Roi d'AsCne. Sennachenb Roi des Affiriens aïant appris cela, vint contre lui avec une grande srmée, ce qui obligea Ezécbias de lui payer encore ce tribut.. Sennacberib aïant recu eet argent fe mocqua de lui, & non content d'envoyer des hommes parmi fes peuples pour les débaucher, ces méchans par Ion ordre, proférèrent des blafphêmes contre le Seigneur, en difant: 1'Ëternel ton Dieu n'eft pas aflez puiflant pour te délivrer de mes mains, & ces gens répétèrent ces paroles impies. Ezécbias è cette parole,. déchira fes nabits, plus touché de 1'injure qu'on fai* foit au Seigneur, que de la crainte de perdre fon royaume. Pendant que ce faint prince adreflbit fes prières au Seigneur, il envoya confulter le prophéte Ifaïe, car Elifée étoit mort. Le prophéte, lui promitrafliftance du Seigneur ce que le Roi d'Aflirie ai'ant appris,, il redoubla fes blafphêmes, & les repéta dïns une lettre qu'il ofa écrire a. Ezécbias. Ce dernier oorta cette lettre dans le temple, & 1'aiant préfentée a. Dieu, il le conjura de monrrer a tous les hommes qu'il étoit Ie Tout • puis- faat.  des Adolescentes. stj fnt. Dieu exauca fa prière, & envoya ion ange excerminateur dans Je camp de Sennacberib, qui tua dans une niit ^?L^UVQ-'VP^'ci^ miïlQ dommes. L impie Roi d'Affirie apprit alors ó fes dépens, qu'il ne fauc pas pouiTer k bout la patience du Seigneur, il fe fau. va honteufemect dans fon pais, oh il fut -affafiiné par fes deux flis, pendant quil étoit profterné devant fes idoles Quelque tems après, Ezécbias tornba malade, cc Efaïe étant venu vers iui, dit: mettez ordre k vos affaires car dans peu vous mourrez. Alors lê K01 ie tourna vers la ruelle de fon Jiu « pna Dieu dans 1'amertume de fon ame. Le prophéte s'en retournoit, & il étoit deja dans la cour, lorsque Dieu luidit; retournc & dis au Roi- Ie bejgneur a écouté ta prière & il aioöre qumze années è ta vie; dans trois jours tu montéras au temple. Ezécbias oia demander un miracle pour prouver la vérité de ce que le prophéte lui an. roncoit, & Efaïe lui dit, choifis de faire avancer ou reculer J'ombre du ca Ezécbias choifit ce dernier miracle, & 1'ombre du cadran recuia de* dix dégrés en arrière. Quelque tems après, le Roi de BabyJone envoya des am-  214 Le Mag as in ambaffadeurs è Ezécbias pour fe réjouïr du retour de fa fanté, & le Roi de Juda eut la vanité de lui montrer fes -créfors Alors Ifaïe dit a ce prince: pour punir votre vanité, tous ces tréfors que vous avez montrés avec complaifance a ces ambalfadeurs, palTeront chez le Roi de Babylone leur maitre, & meme vos fils y feront efclaves. Madem. Bonne. Eh bien, Lady Louife, m'accuferezvous encore d'avoir une morale trop févère, & de mettre du pêché dans les chofes oh il n'y en a point* Quel mal yavoitil a montrer festrèfors? Nul afiurément; fi Ezécbias 1'eüt fait par politefle ou par complaifance pour les ambalTadeurs; mais en faifant cette aélion innocente par elle-même, il fe glorifioit d'êcre fi riche & fi puifiant, & Dieu qui eft jaloux de tous les mouvemens du cceur de fes amis; ne voulut pas laififer cette faute impunie. Lady Louise. Dieu exige de nous une fi grande pu reté, ma Bonne, qu'il y a de quoi tomber dans le défefpoir. Combien de pa-  des Adolescentes. 2js pareilies fautes commettrai je tous les jours ? Je montre avec complaifance J mes amies mes tréfors, c'eft. a. dire mes diamans, mes robes & tont ce ouê je poffede. Je fuis bieo-aife qu'oMes Joue, qu'0n les admire; je n'aurois ia mais cru ofFenfer Dieu en cela. J Madem. Bonne. Et peut-être, ma chère, ne J'avez vous pas ofFenfé non plus ; lui S vo^ cceur, & fait jufqu'è que point vous êtes attachée a ces\agatel les Le plus fór eft de travailler chaque jour a en vuider fon cceur Cort tinuez nos hiftoires, Mifs Sopbie. * Mifs Sophie. n/prr Ia- mort & Ezécbias, f0Q xh M™f'rqm, n'avoit <*ue douze" monta fur Je tröne, * ce fut Je p?Us méchant de tous Jes princes, car il fit palier fon fi s par le feu en 1'honneur des idoles; ,1 rétablit Ie culte des hul cempie du Ires Haut. H fe mA]'Z auffi de deviner, & c'étoif un mol' «e qui entraïna Juda dans Toa fdolt trie.  £16" Le Magasin trie. Dieu pour le punir, permit qu'il füc pris par les Babyloniens qui le menèrent d3ns leur pais oü il fut captif. Dans fa prifon il éleva fon cceur a Dieu, & lui demanda fincèrement pardon de fon crime. Dieu qui ne rébute jamais 'un cceur pénitent, quelque grandes que foient fes iniquités, lui pardonna fon pêché , & permit qu'il remont&t fur le tróne- La première chofe qu'il fic; fut de détruire les idoles qu'il avoit élevés , & il demeura fidéle a Dieu le refte de fa vie. Amon fils de ManaJJé imita les cri4nes de fon père , & ne fut pas aflez heureux pour 1'imiter dans fa pénitence; il fut alTafiïné par un de fes ferviteurs. S^n 6Is Jofias marcha fur les traces de Davidt & perfévéra toujours dans la crainte & 1'amour du Seigneur. ÏVïant recu un exemplaire de la loi de Dieu, il exhorta fon peuple h y conformer fes mceurs; mais on oublia après fa mort, les fermens qu'on avoit fait, de renoncer au culte des idoles. Les Juifs: ne firent aucun cas des menaces du prophéte Jérémie, qui parut en ce tems - la f & aïant laflé Ia patience du Seigneur, il envoya contre eux Nabucbodonofor qui détruifit le tem- ple«  des Adolescent es. 217 ple, & les mena tous captifs en Babylone. Ce trifte événement arriva fous le règne de Sédécias. Les juifs demeurèrent en Babylone jufqu'è ce que Cyrus eut pris cette ville en punitioa des pécbés de Baltbazart. Madem. Bonne, Si 1'hiftoire précédente nous a effrayé, Mesdames; celle-ci eft bien propre a nous raflbrer. On ne peut, ce femble être plus criminel que ManaJTê. Cependant aufli-tót qu'il détefte fincèrement fes crimes, Dieu non ■ feulemenc lui en accorde Ie pardon qu'il lui demande, mais il lui rend encore fa couronne, qu'il ne lui demandoit pas. 1 Avouez, mes enfans, qu'il y a bien du plaifir è fervir un maitre fi bon & fi i miféricordieux. Mifs Molly^ dites nous 1 hiftoire de Baltbazart. ' Mifs Molly. Nabucbodonofor aVant détruit Ie tem* ple, emporta tous les vafes facrés h jBabylone. Or il arriva que pendant .que Cyrus afiiégeoit cetrè ville fous le :règne de Baltbazart, ce pririce donna an grand fouper aux feigaeurs de fa Tom. IL K COürj  218 Le Mac as in cour, & fur la fin durepas, il fit venir ces vafes, & but dedans: il y fit aufii boire fes courtifans & fes concubines. En même tems il vit une main qui écrivoit fur la muraille, & perfonne ne put lire cette écriture, paree que c'étoient des caraüères HébraïquesAlors quelques-uns de ceux qui étoient préfens dirent au Roi , qu'il y avoit parmi les Jiuifs captifs un homme nommé Daniël:, & qu'il étoit fort favanu Daniël ümt été appellé par ordre. de Baltbazart, dit hardiment è ce prince : ces paroles fignifient que Dieu t'a pefé dans fa baiance, & qu'il t'a trouvé trop léger ; c'eft pourquoi ton royaume fera divifé entre les Perfes & les Médes. Lorsque le Roi eut vu cette mam qui écrivoit toute feule , il feit faifi d'une fi grande frayeur, que fes genoux s'entrechoquoient 1'un & 1'autre, La reine fa mère aïant appris ce qui étoit arrivé, defcendit dans la falie du feftin, & lui fit home de fa frayeur ; ce qui le rafiura, quoique Daniël rappell&t a fon efprit le chttiment que Dieu avoit tiré.de fon père Nabucbodonofor. Ce prince s'étant éoorgueiili de fa puisfance, Dieu le condamna a pafier fept ans  des Adolescentes. 219 ans parmi les bêtes. Baltbazart ne fut point choqué de Ja hardiefle de Daniëlt au contraire, fl lui fit donner un colier d or & une robe de pourpre Cette méme nuit Ia ville fut prife & Baltbazart fut tue. Cyrwj régna dans Babylone conjointement avec Darius Ciaxare Roi des Médes, qui étoit fononcle & fon beau père. Lady Charlotte. j.J1 y a. longtems que je foubaitois dêtre arnvée a ce tems-ici, car je connois Cyrus & Ciaxare, parmonabrége de rhiitoire univerfd e. Madem. Bonne. C'eft un vrai plaifir quand on fe trouve en païs de connoifiance. Voyez ma chère, 1'avantage que vous retirez è prefent de vous être appliqué dès le tems qui vous etiez petite; fi vous n'aviez employé votre tems qu'è jouer que vous en refleroit il a préfent? Lady Mary. Je vous afTure, ma Bonne, que depuis le tems oü j'ai lü des hifioires, K 2 je  220 Le Magasin je ne me fuis pas beaucoup foueiée de mes poupées; je les changerois rolontiers contre des livres. Lady Charlotte. II y ,a une chofe qui m'impatiente dans eet abrégé de l'hiftoire. II y a dans ce livre quantité d'hiftoires a raconter, mais elle n'y font pas, & je meurs d'en vie de les fa voir. Maman m'a donné plufieurs volumes d'une histolre faite par Monfieur Rollin, elle dit que je trouverai 3a toutes ces his^ toires. J'ai voulu lire ce livre, mais ma Bonne, il y a tant de raifonnemens & de batailles, que cela m'eanuïe, Madem. Bonne. Paffes les batailles, ma chère, quand vous ferez plus grande, vous les relirez; & comme vous n'avez pas toute l'hiftoire de Monfieur Rollin, je vous ferai répéter par Lady Senfèe toutes ces hifioires; k dix ans , elle les avoit toutes écrites de fa main. Mifs  des A jdolescentes. 221. Mifs Belotte. Elle efl: bienheureufe de favoif de fi belles chofes,- fi vous vouliez lui permettre de nous raconter celles qui regardent Ciaxare & Cyrus, je vous ferois bien obligée, j'ai une grande envie de connoftre ces princes?1; Madem. Bon ne. J¥y confens, Madame, & ce fera pour )a première fois; aujourd'hui nous finirons ce que nous avoDS a dire des Lacêdémoniens. Nous avons dit la dernière fois que 1'intention de Lycurgue étoit de fermer un peuple qui ne put être vaincu ni faire, de conquête. Lady Spirituelle, comment fit-il pour empêcher les Spartiates de pouvoir être vaincus? Lady Spirituelle. Ces dames auront la bonté de fè ibuvenir qu'on accoutumoit les enfans è ne point craindre la douleur. Mais dans Je- même tems on leur apprenoit h craindre la honte plus que Ia mort. Or un homme qui auroit fui dans le combat, ou qui auroit rendu fes arK 3 mes ;  222 Le Magasin mes, auroit été chargé de honte. II re; pouvoit plus être recu dans les falies pu« bliques oh 1'on mangeoit; tout le monde i pouvoit Tinfulter, lui cracher au vifage,, lui jetter de la bouë. On le fuïoit comme s'il eüt la pefte, & ceux qui lui au- ■ roient parlé, auroient aufli été regardés comme infdmes. Ainfi les Spartiates fu- • rent longtems invincibles; on auroit pü détruire leur république en les tuant tous, mais tant qu'il en feroit reflé un feul, il fe feroit défendu, & n'auroit pas voulu lendre les armes. Madem. Bonne. Comment fit Lycurgue pour les empêcher de faire des conquêtes? Lady Spirituelle. ïl leur défendit de pourfuivre leurs ennemis quand ils fuïoient. D'ailleurs, Mesdames, ils ne pouvoient pas faire des conquêtes tous le tems qu'ils pratiquero'ent leurs loix, Vous favez qu'ils n'avoient qu'une monnoye de fer. S'ils fuflent fortis de Ia Laconie qui étoit leurs pais, comment auroient ils pü avec cette monnoye acheter les chofes né-  des Adolescentes, 223 néceflaires è la vie? Les autres nations, n'auroient pas voulu fe charger de leur fer. Lady Charlotte. Cependant, Madame, ilss'éloignèrent beaucoup de leur païs, dans le tems que Xerxfo vint en Europe. Lady Spirituelle. Vous avez raifon, j'ai fait comme tous cette réfiexion; je penfe que comme ils combatroient avec les autres Grecs pour la défence de toute la Grèce, on leur fournuToit les chofes néceflaires k la vie. Mifs Frivole. Vous nous avez dit que les efclaves exereoient toutes les profeflions chez les Lacédémoniens; mais, par exemple, ils ne pouvoient faire un grand commerce, puisqu'ils maltraitoient fi fort les efclaves. II y a beaucoup d'apparence que ces efclaves fe feroient enfuis, fi on leur eüt donné la liberté d'alier trafiquer dans les autres païs? K 4 Ma>  *v4 Le Mag A-sin Madem. Bonne. Les Spartiates n'avoient aucun cornmerce. Ils trouvoient dans leur païs toutes les chofes nécelTaires k la vie, & n'avoient pas befoin des fuperflues; mais quand ils les euflént défirées, cela leur auroit été inutile , les marchands les leur apportoient avant Lycurgue'3 depuis lui ils ne revinrent par. Mifs Belotte, Pourquoi, ma Bonne, eft-ce qüe .Lycurgue avoit défendu qu'on les laisf&t entrer dans la Laconie? Modem. Bonne. II n'eut pas befoin de faire cette déFe nee. Lés marchands r;e portent des marchandifès de cóté & d'autre que pour avoir de Targent,- il n'étoit point permis de s'en fervir a Spartes, ainö ils nes'aviferent pas d'y retourner. Lycurgue avoit non - feulement banni le commerce, mais aufli les arts & les fciences, & voilé ce qui rendit la vertu ou plutöt les mceurs des Lacédémoniens fauvages,, car, comme je vous 1'ai déja expliqué, les arts & les fciences pro- dui-  des A-do lescentes. duifent le luxe è Ia véricé, & avec le luxe des befoins imaginaties; mais ces befoios nous attachent les uns aax autres, & nous forcent a nous gêner pour ceux qui peuvent nous être utiles. Mifs Sopbie.) dites cette hiftoire que vons avez lue, & dont vous nous avez parlé au.commencement de la le# / gpn. Mifs Sophie. . Tl y eut un Empe-reur Turc qui vouIüt être mafcre de la Hongrie* pour cela il envoya un ambafladeur au Dfb* ce qui y régnoit alors. Get ambafladeur au-heu de porter fes préfens avec lui, conduifoit une grande quantité d anes chargés de grains; quand il fut arrivé chez le prince de Hongrie, il fit déher tous les facs oh étoient ces grams, &.les ai'ant .fait jetter fur la terre il dit au prince fi vous refufez de reconnoirre pour fouverain • lempereur mon maitre, il envoyera contre vous autant de foldats qu'il y a lè de grams. Le prince de Hongrie promit de rendre réponfe le lendemSn, pendant ce tems, if jgc aflembler •m». quantité > prodigieufe, de- poolen - K 5. m  220* Le Ma o as in & de poulets. On les amena dans le lieu oh étoit le grain qu'üs mangèrent eotièrement. Alors le prince dit k 1*< mbafiadeur; rapportez a votre maitre ce que vous avez vu, & dites lui que mes foldats mangeront les fiens, comme mes poules ont mar*gé fon grain» L'empereur aïant appris cette réponfe, affembla une grande armée qu'il envoya contre la hongrie; mais le prince avoit eu tout le tems de fe préparen II falloit palier par un chemin étroit & difficile pour entrer dans fes états, il fit gêoer ce chemin, & y fit jetter une fi grande quantité d'arbres, qu'il ne fut pas poffible d'v Dafier: enforte que 1'armée de l'empereur, après s'étre bien fatiguée, fat obligée de sen rerourner nonteulement fans avoir rien fait. Mifs Sophie. Ma Bonne;; n'eft-ce pas que eet empereur étoit un grand imbécile? Puifqu'il avoit defiein de prendre la Hongrie, il ne devoit pas avertir ce prince &% lui donner le tems de fe préparer, S'il étoit venu tout d'un coup fans rien»dire.j il \ n'eüt pas trouvé le chea  des Adolescentes. 227- chemin embarrafté, & il auroit fait reullir fon entreprife. Lady Sensée. Vous n'y penfezpas, ma chère coufine; eft-ce qu'il eft permis d'attaquer un prince fans lui avoir auparavant dêclaré la guerre? C'eüt été une chofe indigne, & qui auroit deshonoré eet empcreur? Mi/s Sophie> Pourquoi, ma chère? Si Ia Hongrie lui appartenoit, ne pouvoit-il nas reprendre fon bien fans rien dire ? Quel mal y avoit-il a cela* ^ Lady Sensée* II auroit violé le droü des gensce qui eft un grand crime contre la fociét£\, Lady Violente. Qu'eft-Ce que Cela veut dire, Je drcto des gensj je n'entends pas ce mot-lè?» Mddmm  22 g Le Mag as iN' Madem. Bonne. Je vais vous 1'expliqaer du mieux que je pourrai, ma chère. C'eft Ie droit naturel. Quand les hommes vivoient fans loix , ils confultoient la loi que Dieu avoit écrit. dans le fond de leur. cceur, pour connoïtre ce qui étoit juste ou injufte. Comme cette bi eft écrite dans le cceur de tous les hommes; elle eft connue de toutes les nations, & on doit 1'obferver partout. Je vais vous faire comprendre cela par un exemple. Deux nations font en guerre, & par conféquent font en droit de tuer leurs ennemis. Une des deux nations fouhaite de faire Ja paix; mais comment faire favoir cela è cette autre nation, puifque la guerre a rompu toute forte de commerce. On a rémédié a cela en décidant qu'on pourroit envoyer des hommes , qu'on nomme ambafladeurs, & que la perfonne de ces ambafladeurs feroit facrée Tt c'eft -a dire, qu'on ne pourroit leur faire du mal quoïqu'ils vinsfeut de la part des ennemis, paree qu'ils viepnent ordiuairement pour faire la paix.-ou .Ia conferver. La loi naturelle safeigne^ que ces gens • la doivent ; j avoir.:  des Adolescentes. 229 avoir une entière füreté, fans quoi perfonne ne voudroic expofer fa vie, en fe chargeanc d'aller chez les ennemis II eft donc de 1'intérêt de toutes les nations, que leur perfonne foit facrée, & on nomme cela Je droit des gens* Ce même droit exige que ces ambaftadeurs u'abufent point de la confiance de ceux qui les recoivent, & c'eft encore une loi naturelle. Je vous recois chez moi, dit une nation ennemie, paree que vous dites que vous y venez avec de bonnes intentions,. pour mon bien; ce n'eft qu'è cette conditionque je vous doDne permiftjon d'entrer dans mon païs, d'y vivre en fiïreté; que fi vous êtes un menteur, &.qu'au lieu de travailler h la paix, vous cherchiez è me faire du mal, vous abufés de ma confiance, vous violez le droit naturel, c'eft. è-dire, le droit des gens, & je fuis en droit de vous regarder comme un ennemi, & , de demander votre chatiment è la nation qui vous avoit envoyé. La füretéj le bonheur'des peuples a donc fondé le droit des gens, & cette füreté exige qu'il ne foit pas permis a une nation d'attaquer une autre nation fans Tavertir; autremeat ca ne pourroit & 7 dor-  139 Le Magasin dormir en repos; & on ne feroit pas plus en füreté dans lün païs que dans un bois au milieu des voleurs. Si un prince en pouvoit attaquer un autre en trahifon, il pourroit par la même raifon attaquer tous les autres; ainfi il n'y auroit plus de fóreté dans 1'univers. Tous les peuples font donc convenus enfemble & ont fait une loi qui défend de faire la guerre fans I'avoir déclarée; ceux qui manquent a cette loi offenfent toutes les nations en dêfobéïflant k la loi commune, c'eft-è-dire en violant le droit des gens. M'entendez vousè préfent, Mesdames, &. coneevez * vous pourquoi l'empereur Turc, ne pouvoit pas en honnête homme attaquer le prince de Hongrie fans lui déclarer la guerre auparavant*, Mifs Sophie. Oüi, ma Bonne, & je fuis bien hosteufe d'avoir fi mal jugé d'abord. Mifs Belotte* Jé fuis bien fèchée que vous foïèz Frangoife, ma Bonne, car fans cela je vous dirois une penfée qui me vient. WÊht  des Ad ol es cent es. 231 Madem. Bonne. Dites toujours, ma chère, je vous Ie permets. Apparament que c'eft quelque chofe contre ma na-ion, & dans ce cas je loue votre politefle, rien n'eft plus malhonnéte que de dire fans néceffité a une perfonne du mal de fon pais, c'eft: une brutalité; mais ma bonne amie, ceci eft tout différent, nous cherchons k nous inftruire, & non pas a nous offenfer, dites-iroi donc librement cette penfée, & toutes les autres qui vous vien* dront dans Tefprit, k condition que j'aurai la liberté de vous contredire auft], quand ce que vous me.direz ne me paroftra pas jufte. Y confentez-vous, ma chère? 5 Mifs Belotte. Oh! de tout mon cceur, ma Bonne* je vais donc vous dire bonnement ma penfée. Je fuis fachée k caufe de vous . que les Francois ayent violé Ie droit des . gens en Amérique,. car tout' le monde • dit qu'ils nous ont fait Ia guerre, en ce païs,. fans nous la, déclarer,. Madem»  %? Le Magasin Madem. Bonne. Pnsque tout le monde dit cela en Angleterre, mais ce qu'il y a de fing.ilier, ma chère, c'eft qu'en France tout le monde dit & croit, que ce font les Ang'ois q jï ont commi\ cette faute, & qui ont commencé Ia guer.e fans ia déciarer. Mifs Belotte, Dite«-moi en confcience, ma Bonne, lesquels des deux vous croyez qui ont raifon? Madem. Bonne. Je vou? aflure, ma chère, que je n'en fais pas un. mot. Je vous d'rai même que je nz i'ai pas examiné> C'eft ici une de ces chofes qu'on ne peut jamais favoir fö ement, quand même oa liroit tous les papiers qui s'écr'vent des êeax cótés; car pour bien juger, il faudroit être füre que tous ces gens-lè ne mentent pas, & le moyen d'avoir cette certitude ? Ainfi pour si2 paa commettre d'injuftice, j'ai pris le partt de fufpendre mon jugmcut, Mifs-  des Adolescentes. Mifs Sophie. Puisque nous parions de cela, il faut que je vous dife ce que je penfe ,depuis longtems. Je dis en moi - même, ma pauvre Bonne doit être fort embarrasfée, car enfin, vous devez aimer votre païs, & par conféquent lui fouhaiter la vidtoire : je fuis füre aufli que vouz aimez TAngleterre oh 1'on vous föuhaite beaucoup de bien, & oh vous aves tant d'écolières qui vóus aiment de tout leur cceur; ainfi vous devez être fort fachée quand il nous arrivé du mal. Comment faites-vous pour accommoder tout cela? Madem. Bon né. Rien de plus aifé, ma chère; je fuis bien - aife que vous m'aïez fait cette quefiion, paree que cela me donnera occafion de rëgler vos propres fentimens en de pareilles occafions. Mais avant de vous répondre, je veux, è mon tour vous en faire une? Vous ne favez pas, ma chère,. que j'ai un procés avec votre chère mère. II y a dans une bourfe mille livres fier* lings qu'une dame m'a laiffé en raou- rant.  '234 Le Mag as in raat. Votre Miman prétend que cette bourfe lui appartient. A laquelle des deux la fouhaitez vous? Mifs Sophie. Me voil-èbienembarra(Tée. Je fuis füre que ma mère ne voudroit pas mentir ni vous non plus. Cependant, vous coele pardonnerez, ma Bonne, je dois aimer Maman plus que vous, ainü je fouhate qu'elle g?gae la bourfe. Mifs Molly. Et moi qui n'ai pas i'honneur de connoitre Milady, je fouhaite que ma Bonne ait les mille livres fterlings. Madem. Bonne. Je vous fuis bien obligée, ma chère; mais fi par hizard cette bourfe ne m'appartenoit pas, & qu'au contraire elle anpartint è Milady, vous me fouhaiteriez une tres mauvaife chofe, ca* il n'y a rien de pire que d'avoir le bien d'autrui. Mifs Molly. Mais fi eet argent n§ vous apparte- noit  des Adolescent es. 235 Boit pas, fans doute que vous ne voudriez pas 1'avoir? Madem. Bonne. Je Pefpere, rra chère, rrais la cho2 fe eft fi embrouillée, que nous croyons toutes deux avoir raifon. Milacy a ferré dans une ariroire une bourfe oh il y avoit mille guinées *~ j'ai mis dans Ja même armoiie une bourfe toute pareiL le. Des voleurs ont emporté une de ces bourfes, Miledy dit que celle que refte eft la fienne, & qu'elle la re* connoit fort bien; moi, je crois reconnoftre aufli la mienne. Comment nous accorder? Cela n'eft pas poffible; nous plaidons, les juges décideront 1'afTaire. Mifs Champetse. Ma Bonne a raifon de dire qu'il n'y a rien de plus mauvais que d'avoir le bien d'autrui; ainfi je fouhaite qu'elle perde fon procés fi la bourfe ne lui appartient pas. Madem. Bonne. Et vous fouhfl;tez en fille qui m'ai- rae  f£5 Le Magasin me véritablement. J'aime mon païs, Mifs Sopbie, mais comme rien n'eft fi malheureux que d'avoir le bien d'autrui, je fouhaite que les Francois foient battus, fi ce qu'ils demandent ce leur appartient pas. Mifs B e l o t te. # A votre compte: il faut donc que je fouhaite la même chofe a 1'Angleterre. Madem. Bonne. . Oui, ma chère, fi vous êtes bonne citoyenne: Retenez bien, Mesdames , que ce n'eft pas Ia grandeur des posfeflions qui fait le bien dés empires, mais la juftice des pofleflïóns: le plus grand malheur qui puifle arriver aux royaumes comme aux particaliers eft d'être injuftes; ainfi comme je ne con nois pas laquelle des deux nations a la juftice de fon cóté, je nê fouhaite rien ni pour 1'une ni pour 1'autre, & je dis ra Dieu: Seigneur qui connoiflez ceux qui ont droit, accordes leur la viQoire. Ne permettez pas que je réuflifle jamais quand j'entreprendrai de faire tort . a mon prochain, foit que je le fade par malice, loit que j'agifle par igoorance Tai  des Adolescentes. 237 Fakes plutót que je fois confohdue dans roes prétentioDS. Accordez la même grace a mon pais, a roes parens, k mes amis, & a tous ceux pour qui je m'intérefte d'une facon particuliere. J'avois deflein, Mesdames, de vous raconter une hiftoire, mais elle feroit trop longue pour aujourd'hui; Milady Charlotte eu a compofé une trés jolie qu'elle nous dira, après quoi, nous parierons de PAmérique feptentrionale, & dans la lecon du matin, je vous dirai 1'hiftoire dont je vous ai promis le recit. .Lady Charlotte. II y avoit un marchand qui étoit allé dans les Indes avec fa femme. II y ga» gna beaucoup d'argent, & au bout de quelques années il s'embarqua pour revenir en France d'oh il étoit. II avoit avec lui fa femme & deux enfans. un garcon & une fïlle, le garcon aVé de quatre ans fe nommoit Jean, & la rille qui n'en avoit que trois, s'appelloit Marie. Quand ils furent è moitié chemin; il furvint une grande tempëte & le pilote dit qü'iis étoient en grand danger, paree que Ie vent les pouftbit vers des iles ou fans doute leur vais- feau  $3* Le Mag as in feau fe briferoit. Le pauvre marchind aïant appris ceia, prit une grande planche, & Ha fortement deflus fa femme & fes deux enfans; il vouloit s'y attacher aufti, mais il n'en eu: pas le tems, car le vaifTeau aïant touché contre un rocher, s'ouvrit en deux, & tous ceux qui étoient dedans, tombèrent dans la mer. La planche fur laquelle étoient la femme & les deux enfans , fe foutint fur la mer comme un petit bateau, & le vent la poufla vers une ile. Alors la femme détacha les. cordes, & avanca dans cette iie avec fes deux enfans. La première chofe qu'elle fit quand elle fut en lieu de füreté , fut de fe mettre a genoux pour rémercier Dieu de 1'avoir fauvée, elle étoit pourtant bien affligée d'avoir perdu fon mari: elle penfait aufii qu'elle & fes enfans mourroient de fairn dans cette fle, ou qu'ils feroient mangés par les bêtes fauvages. Elle ma-rcha c-uelque tems dans ces tristes penfées, & elle appercuit plufieurs arbres chargés de fruits : elle prt un baton & en fit tomber , qu'elle donna a fes petits enfans. & en mangea elle même; elle avanca enfuite plus loin pour voir fi elle ne découvriro;t point quelque cabane; mak elle reconaut qu'elie étoit  des Adolescentes. 239 étoit dans une ile déferte. E'Ue trouva dans fon chemin un grand arbre qui étoit creux. & elle réfolut d'en *faire une maifon pour cette nuit. Elle y coucha donc avec fes enfans , & le lendemain elie avaDca encore dans I'ile, autant qu'ils purent marcher. Elle trouva dans fon chemin des nids d'oifeaux dont elle prie les ceufs, & voyant qu'elle ne trouvoit ni hommes ni mauvaifes bêtes, elle réfolut de fe foumettre a la volonté de Dieu , & de faire fon pofEble pour bien élever fes enfans. Elle avoit dans fa poche, un Evangile, & un livre de communes prieres; elie s'en fervit pour leur apprendre k lire, & pour leur enfeigner a connoïtre le bon Dieu. Quelquéfois te petie garcon lui d.fóit: Ma mère oh eft mon papa ; d'ou vient nous a-t-il fait quitter notre maifon pour venir dans cette ile? Eft - ce qu'il D8 viendra pas nous chercher ? Mes enfans, leur répondoit cette pauvre femme en pleurant , votre père eft allé dans le Ciel, mais vo«i5 avez un autre papa qui eft le bon Dieu. II eft jci quoique vous ce le volez. pas, c'eft lui qui nous envoye des fruits & des ceufs, & il aura fom de nous tant que nous  §40 Le M AGASIN nous 1'aimerons de tout notre cceur, & que nous Ie ferviron?. Quand ces petits enfans fürent lire; ils lifoient avec bien du plaifir tout ce qui étoit dans leurs livres, & ils en parloient toute la journée. D'ailleurs ils étoient fort bons, & fort obéïflTans a leur mère- • Au bout de deux ans cette pauvre femme tomba malade, & elle connut qu'elle alloit mourir ; elle étoit bien inquiète pour fes pauvres enfans, mais k Ia fin elle penfa que Dieu qui étoit fi bon en auroit foin. Elle étoit couchée dans le creux de fon arbre, & aïant appellé fes enfans elle leur dit: je vais bientöt mourir, mes chers enfans, & vous n'aurez plus de mère. Souvenez- vous pourtant que vous ne ferez pas tout feuls, & que le bon Dieu verra tout ce que vous ferez. Ne msnquez jamais k Ie prier matin & foir. Mon cher Jean , ayez foin de votre fceur Marie, ne la grohdez point, ne la battez jamais; vous êtez plus grand & plus fort qu'elle, vous irez lui chercher des ceufs & des fruits. Elle vouloit aufii dire quelque chofe k Marie; elle n'en eut pas le tems, elle mourut. Ces pauvres enfans ne comprenoient point ce que leur mère vouloit leur dire,    des Adolescentes. 241 dire , car ils ne favoient pas ce que c'étoit de mourir: quand elie fut morte, ils crurent qufelle dormoit, & ils n'ofoient faire du bruic, crainte de Ia revei lier. Jean fut chercher des fruits, & aïant foupé ils fe couchèrent a cöré de 1'arbre, &s'cndormirent tous les deux. Le lendemain matin ils furent fort étonnés de ce que leur mère dormoit encore, & furent Ia tirer par le bras pour la réveiller; comme ils virent qu'elle ne leur répondit pas, Ws crurenc qj'elje étoit fachée contre eux, & fe mirent a pleurer, enfuite ils lui demandèrent pardoa & lui promirent d'être bien fages: ils eurent beau faire, vous penfez bien que la pauvre femme ne pouvoit ieur répondre, puisqu'elle étoit morte. lis reüèrent lè pu ödant plufieurs jours , jus* qu è ce que Ie corps commendlt a fe corrompre. Un matin Marie jcttant de grands cris, dit k Jean: ahi mon frère, voilé des vers qui mangent notre pauvre maman, il faut les arracber, venez m'aider. Jean s'approeha, mais ce corps feotoit fi miuvais qu'üs ne purent refter lè, & furenq contraintsd'allerchsrcher un autre arbre pour y coucher. Ces deux enfans obéïrent exaétement è leur mère, & jamais ils ne manquè- Tom* II L » reut