M A G A S I N ADOLESCENTES, DIALOGUES E n t r e Une sage GOUVERNANTE, e t Plufieurs de fes ELEVES de la première DISTINCTION; p a r Made. LE PRINCE DE BE JU MO NT, TOME III. A LEID E & A LA HATE, fLUZAC et VAN DAMME, ^ ChEZ1pIERRE frederic gosse,j M. D. C C L X X X I L Avec Privilege de nos Seigneurs les Rtats   L E MAGASIN DES ADOLESCENTES. XVIII. DIALOGUE. Madem. Bonne. JE vais commencer, Mesdames, pat 1'hiftoire que je vous ai promife, elIe eft tirée de YAdventurer^ mais je vous avertis qu'elle n'eft pas trsduite tiès exaftement. J'ai laiffé la libercé a Lady Senfée d'augmenter ou de diminuer felon Tod goüt, & j'ai été contente de ce qu'elle a fait. C'eft 1'héroïne de 1'hiftoire qui va parler elle méme. A l His  4 Le Mag&sin Hiftoire de Fidelia, Te fuis fille d'un gentil • homme cadet de fa maifon, & qui avoit une for- I tune médiocre. Dans fa jeunefle, le goüt qVü avoit pour les plaiörs, Tem- 1 pêcha de penfer a augmenter fon bien en s'appliquaat è quelque profeffion nonEête. Dans un dge plus avancé, il dé- i penfa ce qui lui reftoit de fa léjïitime è acheter un emploi dans le gouvernernent, & eet emploi fuffifoit pour lui ii donner le moyen de vivre avec aifance, II fe maria en même tems, & je fuis Tunique fruit de ce mariage. Je \ perdis ma mère è Page de douze ans, & mon père qui m'aimoit beaucoup, | ne voulut confier qu'a lui-même, le j foin de la Culture de mon efprit; fou ti affe&ion pour moi qui 1'aveugloit fans doute, lui perfuada que mon génie fur- ■ pafloit celui qu'on découvre ordinaire*ment dans les perfonnes du fexe; & 5 pour répondre aux vues de Ia nature, | comme il s'exprimoit, il crut devoir k me donner une éducation différente de c celle que recoivent ordinairement les S filles. 11 avoit fait d'aflez bonnes étu- I des & ne rranquoit pas d'efprit; ainu* ( il eüt été bien capable de remplir Tem- I ploi I  des Adole» cent es. 5 ploï de mon gouverneur; rpais malheureufement pour moi, il n'avoit aucuné religion, & croyoit que 1'ame étoic mortelle comme le corps c'étoit cette idéé pernicieufe qui avoit ga(é fes mceurs & Tavoit rendu fort libertin. II n'eüt pas vouiu pour tout au monde prendre un shelin dans la poche d'ua homme, & n'avoit aucun fcrupule de lui enlever fa £emme, paree que les honnêtes gens felon le monde, difent qu'un homme peut avoir des maltresfes fans être deshonoré. Ces mémes gens difent qu'une femme qui n'eft pas lage, doit être méprifée. Mon père étoit convaincu que c'étoit une folie de dire, que ce qui eft mal pour one femme, n'eft pas un mal pour un homme: cependsnt comme il ne vouloit pas que je fufle méprifée, il refolut de me faire prendre fes propres idéés fur la religion, & les idéés de tout le monde fur la morale. II me répétpic fans ceiTe, que la vertu étoit fi douce, fi fatisfaifante, que fa prstique faifoit la récompenfe de ceux qui s'attachoient è elle. Dans le tems que mon père me donnok des idéés fi fages par rapport aux mceurs, quoiqu'elles fufient contradicA 3 toires  * Le Ma gas in toircs k fes principes, il o'oublioit r:en pour m'inculper ces roêoies principes ians penfer que deux chofes fi eontraires, ne pourroient pas s'accorder longterns dans une têce qu'il accoutumoit è réfléchir. II tfaitoit toute forte de reIigion révélée de fuperfticion, propre feulemenc è aflervir les ames vulgaires, & il mettoit tous fes foins è en vuider mon efpriu Quoiqu'il» m'exhortAt fans cefle a fair Ie vfce & a pratiquer la vertu, c'étoit par des raifoos qui n'avoient nul rapport k rimmortalité dé 1 ama donc il ne m'avoit jamais dit un feul nsoL Malgré fon fifence fur eet important article, un fentiment intime dont Ia caufe m'étoit inconnue, m'em* pêcboit de regarder le moment de ma mort, comme celui d'un anéantifiTement total; je ne pouvois penfer è ce qui fuivroit ma mort, fans être touchée defpérance ou de craime. J'interrogebis quelquefois mon père fur ce fujet, & il me repondoit toujours que la doctrine de 1'immortalité de Pame, foit qu'elle fut vraye ou faufle, ne devoit inflaer en rien fur ma conduite, m troubler ma paix; puifque la ver tu qui pouvoit afiurer mon bonheur en cette vie, fuffifoic aufli fans doute pour  des Adoïïscektes. y pour i'aflurer en 1'autre, fuppofée qu'il y en eut une. ... Mi/s Frivole. Permettez-moi de vous interyompre. J ai toujours regardé cette maxime.li comme infaillible, & on me la fouvent répétée: eft.ce qu'elle fcroit maa- Lady Tempete. II me femble aufl], ma Bonne, que vous nous avez fouvent dit la inême cnofe. Modem. Bonne, Je 1'avoue, Mesdames, mais pas tout è-fait dans le même fens. Si par impoffible, nous euffions été créées pour être anéanties au moment de notre mort, il eft certain que nous ferions tres miférables, paree que la fituation la plus heureufe en cette vie, eft toujours femée de mille chagrios que Ia feule idee de 1'immortalité de 1'amepeut adoucir. Une perfonne fage en pareille rencontre, examineroit avec fok) entre toutes les fagons d'être malheureuA 4  & Le Magastn fe, celle qui feroit la moins infuppor tabie. La raifon lui découvriroit que la peine qu'il faut prendre pour régler fes pafiions, étant moiodre que celle qu'il faudToit prendre pour les fatisfaire,selie ne devroit pas balancer è prendre ce premier parti. Je fais qu'elle tenteroit en vain de les foumettre abfolument; eet ouvrage eft au»deflus des forces humaines, & ne peut-être conduit è fa perfeöion que par le fecours de la religion; mais fi elle n'y réufiiiïbit pas tout-è*fait, elle parviendroit au moins è diminuer fes peines, & ce feroit toujours beaucoup. Une vertu païenne eft préférable k un abandon total aux inclinations vicieufes: voila tout ce qu'on en peut dire de plus avantageux; mais elle n'eft pas \\ fuffifante pour procurer le bonheur que ce gentil-homme prometcoit a fa fille, & vous verrez par la fuite de fon his- ^ toire, ou la conduifit Ia perte des efpérances qu'il lui avoit données a ce fujer. Fidelia continue, J'ai dit que j'avois dans mes premières années de raifon, une imprefiion I vive  des Adolescentes. 9 vice de 1'iramortalité de 1'ame; elle s'afFoibiic imperceptibiement:, & s'évanouïc enfin tout-a-fait. Quoique mon père ne m'eüc point exprelFément ex* pliqué fon fentiment a. ce fujet, il m'étok aifé de le déviner. Je ne doutois poinc qu'il ne crüt fon exiflence borné au terme de fa vie, & je penfois. que s'il ne me le difoic point ouverteinent, c'eft qu'il manquoit de termes afiez clairs pour me rendre fa penfée. J'avois une haute opinion de fes lumières , un grand relpeól, & un tendreamour pour lui; en faloit-il d'avamage, pour m'obliger a adopter fés fentlraens ? D'ailleurs 3 il m'avoit remis entre les mains les ouvrsges de tous les auteurs qui ont écrit contre le chriftianifme, cela étoit plus que fufïifant poar renverfer la cervelle d'une fille. de dixbuit ans, dépourvu de tout fecours contre Pautoricé d'un père chéri; Je le perdis a vingt ans, ce père aveug.ler dont les pernicieufes lecons devoient bientót me devenir fi ftmeftcs. Sa mort me mit dans une fituation ou j'eus befoin de faire ufage de toute ma philoJfophie. L'emploi qui nous- avoit föir fubfifter jufqy'alors, étoit h> vie,, & en perdant mon père, je perdois aon ièu* A $ üü-  ro Le Macasin lement Ie fuperflu, 1'aifance, mais encore le néceflaire. Un de mes oncles re roe laifla pas longcems dans la crainte d'en manquer, il me prit chez lui, & prptefta qu'il me regarderoit comme fa fiile. Cet oncle qui étoit frère de ma roère, étoit fort riche & avoit amaffé fon bien par le commerce auquel il s'étoit UDiquement appjiqué. II n'avoit que cette forte d'efpric, ou plutót d'inftincl néceflaire pour faire fortune par le traJfic, & d'ailleurs fon éducation avoic été fort négligé. II vit donc avec une forte de peine, que j'employois la plus grande partie de mon tems 4 la leclure, & fon chagrin augmenta lorsqu'il eut examiné mes livres; ou du moins les titres de mes livres qui lui paroiflbient des blafphèmes. II me difoit que ces fortes de livres n'étoieat bons qu'a faire de moi une Atbée. D*abord je voulus lui expliquer mes feminiens, paree que les regardant comme jufles & tertueux, j'aurois cru commettre un crime, en cherchant i les déguifer; mais la portée de fon efprit n'alloit pas jusqu'è pouvoir comprendre la difFérence qu'il y. a entre un Athée- & &a Déifte.. Mes argqmens ne  des Adolescentes. it fervirent qu'a le convaincre que fétoïs une fcélérate qui, comme il'le difoit, ne croyoic ni a Dieu m k diabie- Comme il étoit véritablement honrête homme & zèle chrétien, quoique ce fut par habicude & préjugé, & non par raifpn, mes principes le pénétrèrenc d'une véritable affliftion. Je lui devois déja beauco.up, je dépendois ab« folument de lui: cependant, je fus moins lenfible k Ia crainte de perdre fon fecours, qu'a la douleur dont j'affligeois fon bon cceur. Je me cocfolai pouxtant par le témoignage de ma confcietce qui ne me réprochoit rien: étoit ce un crime, d'étre au - dt flus des erreurs du vulgaire? Chaque jour les principes de mon père s'imprimoicnt pljs fertement dans mon ame; non pas tant par la force des argumens avec lesquels il me les avoit dictés, que paf la conduite de men oncle. Voila donc, me difois-je en moi-néme, ce que 1'on appel'e un bon chrétien; bienrót je ferai 1'objet de Ja haine de mon oocle,- fon bon caraclére m'tiiz préfervé de ce danger; ia' fuperftitioi»! a momphé de fes ht-ureufes d'ifpoüuons;elle parvindra h etouffer chea'. lui ia'voijr d® la nature & de I'humanité,, je ferafcabacv doanée,, A= $ óe  Le Magasin Je pafTai plufieurs mois dsns Ia pïuspénible de toutes les Otaatioos, car il n'y a Hen de fi infupportable è 1'amour propre , que d'êcre forcée è reeë v oir de continuels bienfaits des perfonnes dont on a perdu 1'amirié & 1'eftime, & qu'on ne peut s'empêcher de Ipéprjfer foi-même. Un jour mon oncle entra dans ma chambre avec un air plus gai que de coutume, & après quejques difcours généraux qui fernbioient m'annoncer une bonne fonune, il me dit qu'il avoit un mariage avanrageux h me proporer, & qu'il me croyoit trop raifonnable pour y avoir de la répugnance. 11 étoit queftion d'un marchand que j'avois vu quelquefois i fa table; il n'étoit ni jeune ni vieux; fon bien étoit confidérable, & il avoit un fort bon caraétère. Avec de telles qualités ,• mon oncle fembloit autorifé è efperér mon confentement, d'autant plus que je convenois de ces bonnes qualites; maii elles ne me paroifiöient pas fuffifantes pour un homme deOiné k devenir le compagnon de ma vie le maitre & le guide de mes a&ions ;. pour un homme auquel jedevrois, non feulement de TobèifTance; mais encore d&: Üamouri. cl je fentois bien qu'il H'&  dei Adolescentes. 13 n'étoit pas capable d'exciter chez moi ce fentiment, paree que fon efprir étoit borné, fes fentimens (ans délicatefle, & fes manières groffières & impolies. mon oncle penfa tomber de fon hauc lönque je lui eus expliqué les morifs qui m'engageoient a refuler le parti qu'ir m'offroit. Que voulez-vous dire, repric-il en m'interrompant, avec votre iélicatefle de fentimens, & vos manières impolief? Ah, mon enfant! fi vous n'aviez lift que des livres capables de vous infpirer de la modéracion & de la prudence, vous raifonneriez avec plus de bon • fenr.. Mais malheureufement vos lccTures chéries font feulement propres è renverfer votre lête, & peut-êtreè perdre votre pauvre ame. Je crains en vérité d'agir un peu contre ma confeiene, en acceptant les offres de mon ami k vorre égard, & en lui procurant pour femme ure fol'e & prefque païenne: mais je me rasfure en penfant que le man'e fidèley peut farclifier la femme iqfidèle; Vos objections contre ce manage font fi ridicules, que je ne puis vous croire afiez ftupide pour me les avoir faites férieufemenu Prétendez-vous en impofer a un homme qui a vêcu auJI. longtems A 7/ que  Le Ma gas in* que moi dans le monde? Non, ma1 nièce, ne 1'efpérez pas; je découvre le vrai motif de vos refus; quelque iibertin fatfs doute vous a donné dans Ia vue, & vous préten dez vous unir avec lui pour courir eofemble fans corkrainte, dans ie chemin de la perdition;' mais 11 par mes confeils je re puis vous arracher k ce malheur, je faurai du moins me décharger du foin de réoondre de votre perfonne & de votre ame. Ou je difpoferai de vous en faveur d'un honcête homme qui répondra de vos afbons, ou vous difpofertz de vous-mê me a votre fantaifie fans que je m'en mêie, car je ne veux pas avoir d'erabarras a votre égard. |e vous laiffe' faites de ferieufe* réflexibns fur le bonheur que la Providence vous envoye * rappellez-vous la tendrefle avec laquel! le je vous ai regue chez moi, cela doit me donner queique pouvoir fur votre efprit, & vous engager a fuivre mes confeils. Mon oncle me quitta après cette ha^ rangue, & je m'occupai trés férieufemeut a confidérer les deux partis qu'il me propofoir^ U me fembloir que c'étoit une efpèce de proüitution, üjue de* me- livrer ë usi homme; auquel; je ne: pofif-  des Adolescentes. 15' pouvois doener mon cceur les fermens que j'aurois faits de 1'aimer, auroient éié des parjures. D'un autre cóté, fi je refufois le mariage qui m'étoit offert, je m'expofois a toutes les horreurs de la pauvreté; je reflois fans proteótion; fans amis, fans fecours* Apiès quelques heures de délibération je me déterminai a reMGTy & ce fut en vérité plus par principe de confeience que par inclination. 11 eft vrai que ma délicatefie auroit foufferr, en acceptant un époux pour lequel j'&vois Ia plus froide indifFérence: cependant comme mon cceur n'étoit point engagé, & que mon caractére éroit doux, je penfois qu'afluremcnt je ferois moins malheureufe en fuivant les confeils de mon oncle qu'en m'éxpofant k être abandonnée de lui mais je peüfois en mème tems que je ferois cruellemenc tourmentée par les remor&s, en faifant une action que Je ne pounois jufhfier dans mon ef'prit. J'avois été élevée comme je 1'ai dit dans Ia peofèe que la feule vertu peut faire le bonheur de l'bomme, & que les chofes qui font généralement rega^dées comme des maux, ne peuvent aJtérer la félicité d'une ame êauvernée par le- divw,, & vraimenfc am®uv  ïö Le Mag as in amoureufe des charmes de la droiture.. Ces principes étoient vrais fans doute, mais il i'agiftbit d'une vertu réelle, & non de celle dont je m'étois fait de faufies idéés. Je me réfolus donc de courir toutes fortes de risqjes, plutót que d'agir contre des principes fi louables & fi glorieux, je me réjouïs méme d'avoir trouvé 1'oceafion de montrer mon mépris pour les faveurs ou les injuUices de la fortune; mon orgueil s'applaudifloit d? ma fermeté: ainfi c'étoic è une pafilon que je facrifiois les commodités de la vie; mais j'étois vraiment dupe de moi - même & je croyois fermement que je n'avois d'autre but que d*enfeigner aux hommes par mon exemple, qu'une vertu floïcieone fuffifoit pour foutenir 1'ame dans les circonftances Iss plus ficheu* fes. Je fis part de ma réfolution a mon oncle, & je 1'aflurai en möme temps». qu'elle ne m'empêchoit pas d'avoir pour lui, les fentimens de la plus parfaite reconnoiflance & du plus parfaic respect Je lui proteftai que ma défobéïsfance n'avoit point pour principe un fol amoury. mais la crainte de bleflèr ma sonfcience,; en faifanE une a&ion qu'elle-  ies Adolescente si le défapprouvoit. Qu'a la vérité le mariage qu'il me propofoit, me rendroit riche, mais que je n'eftimois pas asftz les richefies pour ies préfércr a la vertu, & facrifier cette dernière a leur acquififiom Qu'ud vceu prononcé des lévres & non du cceur, étoit certainement crimineJ, & que je ne pouvois fans commettre une injuftice, contraster un engagement fi folemnel dans le teros même que je roe fentois incapable d'en remplir les devoirs; que mes affettions ne dépendoient pas de moi; en un mot, qu'aucun homme n'auroit ma main avant d'avoir obtenu la première place dans mon eceur. Je fus furprife que 1'impatience de mon oncle m'eüt permis de faire un fi long difcours; mais en confidérant fon vifage, il me fut aifé d'appeicevoir que la co'èie avoit retenu fa langue. II rompit le filence pour m'accabler de reproches; mes raifons furent condamnées Comme des abfurdités romanesques que je ne croyois pas moi • même ; il ajouta que je ne cherchois a le troraper, que pour avoir le tems & la facilité de faire quelque mauvais mariage; j'eus beau protefter que je ne voulois alors époufer ni eet homme ni au- cun  l° Le Macasih cun aotre. II refta dans 1'opinion qu'u. ne hde de mon Ége ne pouvoit refu£ « °P™atrement U3 mari qufjuTS. loit ra fortuoe, que parce au7e!le etnie ?erécfe|UI £D. ftV^r d U" II £ SSrlw'/rde "'o11 1[,graücude& de ma let h?„Ce; ? m>fant d0Q8é«n Mlin, ™ °que de c,DCia^e livres fter& ?ne dernière marqué de fa compaflioo, ,] me commanda de £br™d* .(? ma,r°D' & me défendit de £ ™£ i?"ter Jamai' devant r<* yeax. £m-SP-ella'J toute ma ferae«é pour le remercier de tous fes bienfaits, «Sc lui foni, ^ Pru0foode révérence, je «DTembler ma petite garderobe, & au une' J1M heUr?' je me rendia efiez 5eP™Be qu' avoit été domettique br^Tnf^T* *, *}* l0U0k d9S «*«»• drl vffi » ?"^Le Iendemain < ie ft» renfils du frère-ainé de mon père, il dl la fcmiH P'* g"?de Partie du bie" "PSll e',& av°»t confldérablement Sh^t? f°^Une' en époufantune SS? „nf ltière' Conlme D0US avions ^ „™ • Dr dP VIvanc de mon père, & que je favois qu'il avoit été nourri dans les  ies Adolescentes. i$ 1<*s r?êmes principes que moi; je me fiatfai de trouver en lui de la confolation & de i'amitié fi je n'en pouvois obtenir du fecours. Je lui détaillai mon hiftoire, & je m'attendois k fes applaudiiTemens; mais Fair de mépris qui fe peignit fur fon vifage è mefure que je parlois, me fic voir que je m'étois groffièrement trompée. Eh quel diable, me dit-il, en m'interrompant, a pu faire de ma chère coufine une idiote, elle que j'avois toujours prife pour une femme de bon fens P Quelle fottife d'avoir perdu les bonnes graoes de votre oncle, & de voos être réduite k Paumone en refufant un maria» ge fi avantageux; & pourquoi, s'il vous plait? Paree que vous n'aviez pas d'arnour pour le futur époux. Quellesfoni, je vous prie, les perfonnes qui confultent leur goüt en fe mariant? Je jouïs de quinze cent livres fterling par année, & cela fembloit me laiifer la liberté de fuivre mon inclination plutot que vous qui ne poffédez pas un sheljn* N'allez pourtant pas croire que j'aye été alTez dupe pour confulter mon cceur & me$ yeux en me mariant, je n'ai eu égard qu'aux treize mille pièces que ma femme m'a apportées, & n'ai  to Le Ma ga sin n'ai pas feulemeot penfé h fon vifage ni a Ion génie. Croyez-vous que j'eufTe donné deux fols de la femme que j'ai épouiée? non ma foi; mais avec fon argent je puis me procurer un férail de beautés, & fwisfaire mon goüt pour Jes plaifirs Qu'importe qu'un époux ou une époufe foient aimables quand on peut iuppléer avec de 1'argent h ce qui leur manque. Vous, ma chère coufine, vous aviez une occaGon de devenir auffi riche qae moi, & par conféquent de vous procurer tout ce qui vous auroit manqué. Croyez-vous, paree que vous auriez été mariée, qu'un homme n'eftt oie vous ofFrir fon cceur? tout au contraire: aujourd'hui que vous êtes fiUer vous auriez peut-être beaucoup de peine a trojver nn amant, & quand vous lerez mariée vous en trouverez vingt,* paree qu'ils ne craindront plus de s'engager au-dela de ce qu'ils voudroient. Vous auriez fait une grolTe figure dans je monde, & choifi* un amant tel qu'bn Je trouve dans les romans; car je ne crois pas qu'il vous eut éré difficile de ménager Ie bon homme Jean Trott qui vou«. étoit deftiné. Mon indignation en écoutant un tel discours, ne put fe contenir plus long- tems.  des Adolescentes. h teras. Je me levai d'un air dédaigneux & me préparois k forcir; mais eet indigne parent me prenant par le bras, me dit: ma jolie petite coufine, quittez ces airs dédaigneux,* je vous connois, & j'en ai connu bien d'autres. Laiflez a celles qui font élevées par les prêtres & par les nourices, Ia crainte d'un feu éternel, & la peur d'être em- {>ortées du diable; u elles écoutoient a voix de la nature qui leur indique de chereber k mener une vie agréable, elles ne feroient pas fi fcrupuleufes. Laiflez, dis je , k ces fortes de femmes, la liberté d'être fottement vertueufes; vous avez trop de bon fens pour fuivre leur exemple. Vous favez que le terme de votre exiftence efi: trés court; il eft donc raifonnable d'en tirer pani en vous divertiflant fans fcrupule. II eöt fans doute continué; mais ma colère & mon indignation étant è leur comble , je me débarralTai de fes mains & förtis en difant-que je ne lui donnerois pas occafion une feconde fois d'infulter k ma mifère, & de falir mes oretlles; en effet, j'étois bien réfolue de n'approcher jamais de fa maifon, & je fus fidelle è garder cette réfolution. Lady  tt Le Mag as in Lady Louise. Avouez, ma Bonne, que voiKi un indigne hommé; commenc Fidilia ne lui faa6a-t-elle pas au vifage? je crois que ie J'aurois battu. Madem, Bonne. J'en aurols été tentée. Le rede de cette biftoire eft trop long, Mesdames, pour entreprendre de la finiraujourd'hui; nous la continuerons la première fois. Lady Lücie. Vous êtes bien cruelle, ma Bonne. J'ai 1'impatience la plus vive de voir ce que deviendra la pauvre Ftdelia* Jusqu'è préfent je la trouve parfaitefi vous en exceptez un peu d'orgueil• j'avoue qu'elle avoit de mauvais fentimens fur la religion , mais ce n'étoit pas fa faute, c'étoit celle de fon père» Mi/s Frivole. Pour moi j'approuve beaucoup Ia réfiftance .qu'elle a apportées aux volontés de fon ötjcle; je trouve que c'eft Ia plus terrible chofe du monde que d'é- pou-  des Adolescent es. a$ poufer un homme pour lequel on n'a point d'amour. N'êtes - vous pas de moa fentimem, ma Bonne? Madem. Bonne. II s'en faut de beaucoup, ma chère, je luis perfuadée au contraire, que celles qui fe marient par amour, rifquent d être fort malheureufee. Lady Lucie. Comment, ma Bonne, eft-ce que vous youdriez qu'on épouflt un homme que Ion naimeroit pas, & pour lequel on auroit du dégoüt? Madem. Bonne. Ne confondez pas, ma chère; il v a bien de la différence entre ne nas être amoureufed'uneperfonne, & avoir du dégoüt pour elle. Je confeillerois è une fille de demander plutót 1'aumóne que dépoufer un homme pour lequel elle auroit de Ia haine & du dégoüt; mais fi elle a pour lui une eftirae fon' dée fur la connoifiance d'un bon caraftere, cela eft fuffifant pour 1'engager k lui donner Ia main; & 1'expé- rience  24 Li Macasin rience a prouvé qu'il y a beaucoup plus de ces vmana»es qui réuili(Tent„ que de ceux qui fe foot 'par inclination. Mi/s Frivole. Je vous allure, ma Bonne, que je ne me marierai jamais, è moins que je n'aime beaucoup celui que j'épouferai. Lady Loüise. Je fuis dans le méme fentiment, cc je dirai comme Fidelia\ en fe marianc on fait vceu d'aimer fon roari; c'eft ua compagnon qu'on choifit, un maftre* un guide que Ton fe donne; cette fujVttion feroit infupportable fi on n'aimoit pa« celui k qui 1'on confent d'accorder ces q jalités, Madem. Bon ne. '■■ Oui, Mefdames, le mariage feroit une chaine infupportable fi on n'aimoit pas fon mari; mais je foutiens qu'une fiile raifonnable, qui a examiné celui qu'elle époufe , & chez laquelle eet examen a fait naftre 1'eltime, 1'aimera infailliblement. Je ne vous dis pas qu'elle en deviendra amoureufe; non, ce- la    des Adoleicentks, z$ la n'eft pas néceflaire pour rendre ua manage heurenx; elle 1'aimera comme üb arni djgne de fa confiance, & c\\e tera fon bonheur de lui obeïr & de rendre fa félicicé parfaite autant que ceJa dépendra d'eüe. Mifs Frivole, trouvez vous k Ja converfacion particulière que jaurai demain avec ces dameskous y traiterons cette matière plus k XVIIL DIALOGUE. Lady Louise, Lady Licie Mifs Zina, Mifs Frivole] Madem. Bonne, Lady s i n- c È r e. Madem. Bonne. J mes, de parier plus au long des dispofitions néceflaires pour rendre un manage heureux. Nos Snfan. de " tems n'auroit befoin dëtre inftruites & cette matiere; mais vous touchez pour fm?Tii.w momBnt d'écre ™"ée™  26 Magasin il y en a même deux de vous qui le feroot inceflarnment; ainfi je fuis cbarmée d'avoir occafion de vous dire ladeflus ce que je penfe. Mifs Frivole. Vous m'avez regardée, ma Bonne, eft-ee qu'on vous a dit que j'allois me mariei ? Madem. Bonne. Oui, ma cbère, Je fais des premières tout ce qui vous regarde toutes tant que vous êtes. Comme on fait que je vous aime, & que je m'intéres{e a vous, on n'a rien de fi prelTé que de me faire vos confeflions générales; je fais le matin tout ce que vous avez fait de bien & de mal la veille. Mifs Frivole. Et qu'eft-ce qu'on vous a dit de moi, je vous prie, ne me le cachez pas? Madem. Bonne. Ma:s qui m'aflurera que vous ne vous fiche, ez pas contre moi, fi j'ai par hazard  des Adolescentes. 27 zard qaelque chofe de défsorréahle è vous dire, furtout devant ces dames. Mifs Fri vol e. 1 Elles font toutes mes intimes amïes du moins je m'en natte, ainfi vous pon' vez parler devant elles. D'ailieurs, fi eelt le public qui vous a inflruite fur w*,«.wwv, ü y a ueaucoup d'appa- rence qu elles favent ce que vous avez a me dire. Madem. Bonne. Vous avez raifon, ma chère' il n'v a peut-être que vóus dans Ia ville de Londres qut ne iache pas les chofes dont je veux vous avertir. Mifs Frivole. En vérité vous me faires trembWcela eft donc bien public? creniöier» Madem, Bonne. Oui, ma chère amie; & parmi Is grand noinbre de perfo'nnes 0 aiment, ,! n'y en a pas une qui aic eu le courage de vous en averul "pDa- B 2 ram-»  28 Li Ma gas in ramment que je vous aime plus que les autres puifque je prens fur moi cette corvée, & que je m'expofe a perdre vocre amitié par la chofe même qui m'en rend la plus digne. Mifs Frivole. Non, ma Bonne, vous ne perdrez point mon amitié; j'ai bien des défauts, mais au moins je n'ai pas celui de me facher contre les perfonnes qui m'avertiflent de mes fautes, quand j'ai lieu de croire qu'elles ne ie font que par amitié. Madem. Bonne. Je fuis per'fuadée que vous me rendez la juftice de croire que ce n'eft que par ce motif, que je m'expofe a vous dire des chofes diTgracieufes. A peine a-t^on fü dans le monde, que vous me faiuez 1'honneur de prendre de roes kcons, qu'on s'eft emprefTé a me faire votre portrait. II n'étoit pas flatté, & il n'a tenu qu'a moi de concevoir une trés mauvaife opi* nion de vous; mais comme je connois la malignité du monde j'ai fufpendu mon jugeraent, & je vous ai examinée avec  des Adolescent es. 29 avec beaucoup de foin pour favoir è quoi m'en tenir. Mifs Frivole. Eh bien, qu'avez-vous decouvert? Madem. Bonne. Que vous étiez innocente de la plupart des chofes qu'on vous attribuoit; mais qu'avec cela on avoit raifon de vous en accufer, paree que vous donniez lieu a ces faux jugemens par vos imprudences & votre mauvaife conduite. Le mot eft laché, ma chère amie,H faut que je le juftifie, écoutez-moi bien attentivemenr. Vous êtes belle cc vous ne 1'igoorez' pas; vous ferez trés riche, & tout le monde le fait; en voila afiez pour déchainer contre vous une foule de jaJoufes cc pour les engsger è ëplucher votre cocduite, pour tacher a vous décrier. Si vous aviez un peu réfléchi; vous auriez concu que les avantages que vous svez, devoient produire cec effet, cc cela vous eüt engagée è vousconduire avec mille fois plus de ménagernent que les autres, pour ne poinc donner de prife k la malignité; poinc: B 3 du.  30 Le Magasin du fout, il femble que vous foïez d'ac* cord avec vos ennemies, & que vous aïez gagé de leur dooner occafion k fcout moment de vous décrier. Mifs Frivole. Mais mon Dieu, ma Bonne, qu'eftee donc que je fais de fi extraordinaire? Madem. Bonne* Je vais vous Ie dire. D'abord vous êtes fort étourdie; enfuite paflablemenc coquette, Voas vous êtes rempiié ia tête de roroans danaereux, j'en ai fouveat reraarqué parmi vos livres. L'esprit farci d'avantures amoureufes, vous avez era que tous les hommes devoient être épris de vos charmes. Je dirai plus, vous l'avez fouhaité, & vous avez eu 1'imprudence de le leur laifler pénétrer. Vous étiez 1'Eté palTë dans un lieu oh il y avoit beaucoup d'officiers étrangers; ces Mefllears font galans de profefiioo; c'étoit k qui vous conteroit ie nveux fleurette; vous croïez fincères les déroonfirations qu'ils vous prodi* gaoient; Ehbien, ma chère, quand ils n'é-  des Adolescentes. 31 n'étoient plus en votre pFéfence, ils s'arnufoient a fe mocquer de vocre crédulité, a vous tour oer en ridicule. Je me trouvai il y a quinze jours dans un lieu oü il y en avoit deux de-ceux - lè, je vous nommai comme une rille d'esprit & de mérite, j'excitai de grandes huées, comme tl j'eufle dit la chofe la plus extravagante. Vraiment, me dit une dame, vous avez un furieux foible pour vos écolières,- & il faut que vous foïez bien prévenue, pour trouver de 1'efprit a celle-la. J'-étois 1'autre jour chez une demoifelte de mérite, qui aime beaucoup la leclure, & qui a une bonne bibliothèque; Mifs Frivole y entra, & a la vue de ces livres, elle fe roit è rire comme une folie en demandant è cette demoifeile, ce qu'elle pouvoit faire de tant de volumes. Je les lis, lui répondit 1'autre avec plaiür; alors les éclats de rire redoablèrent, & cette pécore piotefta que la vue d'une telle bibliothèque fuffifoic pour lui donner la migraine. Mifs Frivole. Eft - il poiïible qu'on a't relevé cela? II eft vrai, majBonne, que j'ai fait B 4 cette  $2 Le Mag as in cette fottife. Vous favez pourtant que j'aime la ïeclure, mais j'étois avec une dame qui tourne en ridicule les femxnes qui fa vent autre chofe que de fe coefFer & de médire; c'étoit pour ï'i* miter que j'agiiTois ainfi» Madem. Bonni. Voila ce que c'eft que la mauvaife compagnie, il faut avouer que c'eft k elle qu'il faut attribuer la moitié de vos fautes, mais j'en reviens k la converfa* tion dont vous futes le fujer. Je fais bien qu'elle eft fotte, dit un de ces officiers; mais malgré cela, je m'en accommoderois fort bien; elle eft belle, & de plus, elle eft fort riche,, cela conviendroit merveilleufement bien è mes affaires Mais, lui dit fon camarade , tu cs bien hardi de penfer a une telle filie,elle eft coquette k dix-fept ans, on ne fe corrige guerre de cela, & apparammenc que tu n'eft pas jaloux. Ecoute, lui dit 1'autre; elle eft fage dans le fond; il eft vrai qu'il ne faudroit pas s'y fier fi elle continue; femme qui veut plaire, trouve è la fin quelqu'un qui lui plait; je n'épargnerois rien  des AdolesceNtes. jjs Hen pour lui inculquer eet apophteg* me; & fi je ne pouvois f réuffir, j'aurois bientöc pris mon parti; je Ia laisferois coqueccer tout a fon aife avec foplus modique penfion qu'il me feroit poflible de lui donner, & je me divertirois avec fa dotte. Mifs Frivole. J'en pïeure de rage, ma Bonne; je dévine k peu prés celui qui a tenu ce difcours: le traïcre! il applaudiflbit k toutes mes folies, & on eüt cru qu'il étoit pafiionnément amoureux de moi. Madem. Bonne. Peut - être Tétoit - il, ma chère; lés hommes tous les jours ont de 1'amour' pour des femmes qu'ils méprifent; ces deux fentimens-la &'accordent forc bien enfemble; il eft vrai que le premier ne dure guère. Mais finifibns ce qui vous regarde. J'ai foutenu que vous aviez de 1'efprit, & cela eft vrai. Vous en avez recu beaucoup de^la nature, qüi ne vous a fervi de ren jafqu'a ce jour.* Vous êfes d'une ignorance erafie; vous dices que- vous aimez la lectare,. mr9 B-S* duis  des Adolescent es. 37 duit Ja aufll bien que la diffipation; celles qui échappenc è fes périls,. n'y échappent que par miracle. Parions franchement, ma chère, je fais tour. Vous avez a peine dix-huit ans, & vous avez déja eu deux inclinations. Heureufemenc pour vous, vous avez d'abord eu du goüt pour un honnête homme, & qui n'a jamais eu la penfée d'abufer du penchant que vous lui aviez infpiré; aujourd'hui vous avez une autre inclination; il eft vrai qu'il eft queftion d'un mariage qui eft fortable; mais vous favez aufli bien que rooi, que votre père n'a pas beaucoup de gout pour ce parti, & qu'il pourroit fort bien arriver qu'il n'y donnêt pas fon confentement t & alors vous fe* riez expofée è mille difcours défagréables. Mifs Frivole. Putsque nous parlons h cceur ouvert, ma Bonne, il n'eft pas queftion de vous rien diffimuler. J'ai envie de me marier, &< j'ai de bonnes raifons pour cela. Je n'ai plus de mère, & mon père qui n'eft pas en état de me conduite, dans le monde, eft obligé par B 7 coö-  3^ Le M asin confequent de me confier tantót è une dame, tantót è une autre, & elles ne me conviennent pas également. II faudroit moins fortir, direz vous, cela elt a rrerveille, mais j'ai de grands chagrins a la maifon; ma foeur cadette eft 1'idole de mon père, & cette foeur eft du commerce Je plus pénible; voila ce qui me fait fouftaiter un établiflement, & ce défir eft la fource de ma coquetterie, car je ne veux me marier qu'a uu homme qui m'airne & que je puifie aimer aufli. Madem. Bonne. Fort bien, il convient que vous preniez an mari que vous puiQlez aimer 3 mais il n'eft pas néceflaire que vouf ï'aimiez d'avance, & cela même eft forc dangereux. Je vous crois trop bien née' pour vous marier malgré votre père; que deviendrez - vous fi votre gout ne s'accorde pas avec fa volonté. Vous voyez tous les étourdis dé la ville; parmi ces gens il y en aura un capable d'amufer votre cceur, de le toucher même. Alors il faudra de deux choïes 1'uns, ou que vous 1'époufiezmalgré vo&re père s'jl ne veut pas vous don- ■erf  des Adolescemtes, 3$ ner fon confeotement, ou que vous 1'arrachiez töc ou tard de votre cceur avec des peines infinies. Je fuppofe aai force d importunités, vous poifïïez obtemr de votre père Ia permiffion de vous maner è votre fantaifie; vous prendrez un mari fans le connoitre. U fiut du lang froid pour examioer un homme, & on n en a pas quand on aime : vous croirez votre amant la huitièmê merveilie du monde ; vous lui fuppo. ferez des perfeflions; vous excuterez fes défauts H ne parofcra devant vous que paffionné, foumis; vous vous perfuaderez que cela doit être eternel, & je pourrois jurer que cela difparoftm Dientót après votre mariage, 11 eft fur qu il n y a que les fentimens fondés iurleitime, qui puiflent durer touiours ♦ vous êtes d'une figure a infpirer de I'amour; mais votre conduite n'a pas étê propre jusqu'é préfenc è infpirer beaucoup deftirae, par conféquent je jurerois que vous ne pouvez fixer qu'un étourdi, un bomme frivole, qui De réfléchic point; & quel fond pouvez-vous faire fur un pareil cara&ère ? J'avois une amie de feize ans exn£ mement aimable Une jeune homme qui la -vic par hazard, en devint amoureux- dès,  40 Le Mactsih dès la première vue, & elle fencic pour lui les mêmes fentimens. Comme il étoit beaucoup plus riche qu'elle , & qu'il favoit que fon père étoit fort avare ; le défefpoir fut le premier & 1'unique remède qu'il trouva a fon maiheur. 11 s'enferma dans un cabinet reculé, & il pafla trors jours fans boite& fans manger, on le trouva pat «hazard fans connoiiBnee, & on eut bien de la peioe a le fauver: vous voyez qu'il étoit amoureux bien iërieufement. Son père croyant le guérir de fa paffion, Ie fit voyager pendant deux ans, & voyant qu'il étoit revenu plus amoureux que jamais, il obtint un ordre pour le faire palier dans les Indes. II trouva le moyen de voir fa roaitrefle avant fon départ, lui jurai un amour éternel, &• le conjura de ne pas difpofer d'elle avant trois ans, lui difant que fi dans ce tems elle n'avoit pas recu de fes nouvelles, ce feroit un figre certain qu'il n'exifieroit plus; Cioq années fe pafferenc fans que cette démoifelle qu'on nommoit la belle Fancbon, entendft parler de lui.. Pendant ce tems un hoanête homme s'attacha è elle,-& tourmentée par fa familie, on lui arracfra un confeotement poar l'épo«fgr» Elfe mi  ies Adolescente*. 41 ne l'aimoit pas, mais elle 1'eftimoit beaucoup, & elle ue pouvoit s'empêcher d'avouer qu'il avoit toutes les qualités néceflaires pour la rendre heureufe. La veille de fon mariage elle rccut une lettre de fon amant qui lui en avoit écrit plufieurs qu'elle n'avoit pas recues II n'en falut pas d'avantage pour lui tourner la tête; elle rompit fon mariage, & deux ans après, fon amant aïant trouvé le moyen de repafler en Europe, 1'époufa. Ils s'adoroient, mais ils ne le connoilToient pas. Six mois de mariage furent fuffifans pour leur ouvrir les yeux. La belle Fancbon avoit compté que fon mari feroit toujours fon amant; elle le crut foit injufte, quand elle vit difparoïtre les transpons auxquels il 1'avoit accoutumée; elle s'en plaignit, pleura: la première fois il esfuïa fes larmes & promit de reprcndre fes premiers feux. Mais p vous 1'ai dit, 1'amour eft un fee timent paflager, trop vif pour être éternel; & ce qui peut arriver de plus heureux pour des amans devenus époux, eft de voir renattre de ces cendres une tendre amitié. C-^la arrivé toujours lorsque I'eftime a prévenu 1'amour, & presque jamais lorsqu'elle n'a pas été fa compag- ne  4* Lê Magasin ne. Le mari eut beau promettre & beau s'exciter; il fe rébuta de 1'inutilité de fes efforts, & s'ennuïa des plaintes de fa femme. Elle parvint a lui devenir odieufe; il lui donna des rivales qu'il aima avec le rr.ême emporcement qu'il Favoit aimée. Cette con« duite eut 1'effet qu'on devoit en attendre; elle parvint è le haïr a fon tour, & elle régarda le jour de la mort de fon époux comme le plus beau jour de fa vie. Quelques années aprés, le hazard lui rit rencontrer Tamant, ou plutót 1'ami qu'elle avoic été fur Ie point d'époufer, & qu'elle avoic regretté plus d'uhe foïs; c'étoit alors une homme de quarante ans qui, revenu des plaiürs bruïaos, cherchoit une cornpagoe raifonnable avec laquelle il put doucement pafler fa vie, Fancbon n'étoit plus la belle Fancbon; fes chagrïns l'avoient' tellemeat changée qu'elfe n'étoit plus connoiflable. Elle fut bien furprife lorsque fon ancien amant lui propofa de renouer Ie mariage qu'eJIe avoit rompu. Mademoifelle, lui dit-il, je ne veux pas vous tromper; je ne fuis point amoureux, & probabement je ne le deviendrai pas. Je vous offre mon acfiitié, mon eitime, ma conrlance,- 11 ces  ies Adolescenten 43 ces chofes peuvent fuffire è votre bonheur, & que vous foïez en état de m'en ofFrir autant, j'efpère vous dédommager de tout ce que vous avez fouffert. Fancbon rebutée de 1'amour, voulut eflayer de Pamitié, elle donna la main a fon ami, & acluellement ils éprouvenc un bonheur au-deflus de 1'expreffion. Ce bonheur n'a jamais été troublé par aucun nuage; leurs fentiments s'augmentent chaque jour, & leur vceu continuel eft de mourir le même jour pour n'avoir point a fupporter une vie qui leur ~ feroit infupportable s'ils étoient féparésé Mifs Frivole. Voila ce que je ne iconnois point ma Bonne, qu'une rille puifte être heureufe avec un mari beaucoup plus vieux qu'elle ? Madem. Bonne. Un mari qui n'a que huit ans plus que fa femme, n'eft point plus vieux qu'elle, & il feroit a fouhaiter que cela füt toujours ainfi. Si j'avois une amie. qui me demandat confeil, je lui dirois toujours de fe défier d'un homme qui n'a  44 Le Ma gas in n'a pas vingt - huit h trente ans. Avant cela, le caradtère d'un homme n'eft pas formé, fes paflions font dans coute leur fougue, & on ne fait ce que 1'on en peut efpérer pour Tavenir. Lady Lucie. Je penfe comme vous, ma Bonne; Quand je difois que je ne voudrois pas me marier fans amour, c'eft que je n'avois pas de termes clairs pour exprimer mes idéés. J'entendois par de 1'amour, de Famitié fondée fur i'eftime, & pour me fervir des paroles de Fidelia, je ne donnerai jamais ma main qu'a celui qui aura la première place dans mon cceur. Je fuis auffi de fon avis fur la délicatdle des fentimens, & fur les manières impolies. La grolliéreté me paroit infupportable dans une perfonne avec laquelle on doit pafler fes jours. Ce défauc fe fait fentir a toutes les minutes, & je ne puis blaV mer Fidélia, d'avoir refufé un mari qui étoit groftier. Madem. Bonne. Remarquez, Mifs Frivde, la diffé- rence  des Adolescentes. 47 rence que les le&ures diverfes ont mife dans votre efprit. Lady Lucie qui n'a jamais Jü que des livres férieux, n'a pas même 1'idée de cette paflion folie dont vous êtes inceflammenc occupée, paree que dans les romans, vous Ja voyez peinte d'une manière agréable, & non telle qu'elle eft en effet. Une fille fage & prudente, ioin de chercher les occafions d'y livrer fon eceur, les fuit avec foin, & n'épargne rien pour fe confervcr libre, afin d'être en état de recevoir fans répugnance un époux de Ia main de fes parens. Je vais répondre a préfent h Lady Lucie. La providence, ma chère, vous a mife en fituation de vous marier è votre gré. Vous êtes dans 1'abondance, fous les yeux de parens qui vous aiment, & qui ne cherchent qu'è vous rendre heureufe. Rien ne vous obiige par conféquent a vous prefier de vous marier: vous avez le tems de choifir a votie aife, & vous ferez fort bien de ne vous ergager qu'au moment oh vous trouverez réunis dans une feule perfonne, les qualités eftimables & aimables. La Providence femble vous donner eet* te permiffion., par 3a pofition oh elle vous a mife. Celle de Fidelia & de mille  q6 Le Magasin mille autres eft bien différente. Combien de filles a qui les circonftances impofent d'autres loix? & fans fortir de notre exemple, la prudence» fa fi* tuation, la certitude oh elle étoit de pouvoir vivre en paix avec un homme auquel il ne mar?quoit que de Pagrément, devoient Pavercir que la Providence vouloit ce mariage. On ne doit jamais fe pafier des qualités eftimables; il vaudroit mieux mourir de faim que d'époufer un mal-honnête homme; mais quand il a de la probité, il faut en bien des occafions pafier fur le refte. Croyez-vous de bonne foi, ma chère, trouver un mari parfait, & avec lequel vous n'auriez rien a foufTrir ? Vous vous abuferiez beaucoup fi vous Pefpériez. Les mariages les mieux asfortis, les plus heureux, ont encore des peines, & leur tranquilité ne fubfifte que par le facrifice de fes goüts mu-uels, & une patience reciproque. Fidelia devoit penfer que Dieu lui dictoit la loi de prendre le parti qu'on lui propofoit, puisqu'eile ne lui offroic aucune autre refiburce, elle eüt évité par la les malheurs qu'elle éprouva dans fa fuite. Je vous dis ceci en général; oa  des Ado£escentes. 4? iier, paree qu une )Dfinité de cirennrt™ ces chmgent la nature des chafe D" U eft tems de fini»- fvr^ Mifi Afütfa dre?a que que fee fer entretjen, & due le nnhh> ö cec qu'elle eft cfaaogéel " maPPrendra Fkivole. sstr a'Dte> Madem. Bonne. Pardonnez - moi, 'cfièr* ia avec Madame de Sevimé- u £L?'S n'eft ni fol ni iniufte ^ ï\ PUb]Jc bien ii eft eu Sde ^ ïe ma ; mais il eft aiTé 4 u^gSer ce oui le connoit, de faire SnP^°nT iürs il n y a que quelques petites chn fes è augmenter ou dimirjuer. h°' XIX.  ^ Le Magasin XIX. D I A L O G ü E. Madem. Bonne. VOUS favez, Mefdames, que nous n'eumes pas le tems de rien dire fur la Géographie la dernière fois, il faut réparer cela aujourd'hui. Commencez, Lady Senfée. Lady Sensêe. II me refte a parler du païs des Amazones L'air 7 eft plus cbaud qu'en aurune autre parrie de 1'Amériqae; cependant on y trouve de fertiles prairies, furtout aux environs des rivières. On croit qu'il y a des mines d'or, paree oue les fauvages en apportent; mais iufau'a préfent on n'a pu pénétrer dans rinréricSr du païs. On n'y voit point de villes. Le fleuve des Amazones travprfe ce païs dont les habitans vivent fans chef & fans loi, ils font Antropo- Phplur* VAmérique feptentrionale, on oe fait pas bien encorc fi c'eft une gran-  des A dol es ce nt es. 49 de prefqu'ile ou un continent, paree qu'on n'a point été jufqu'au bout; Voici fes bornes connues. Au Nord elle eft bornée par le détroit de Hudfon^ & par une baye du même nom , ou la mer-Chriftiane; on ne fait pas ce qu'il y a au-dela. A 1'Eft, p,r Ia mer du Nord, & par 1'ifthme de Panama. Au Sud, par le golfe du Mexique & Ia i mer du Sud. Cette mer la borne auffi è 1'Oueft. Lady Spirituelle. Mais, ma Bonne, pourquoi n'avance-c-on pas dans ce païs, puifqu'on y eft ? Madem. Bonne. On Ta eflayé plufieurs fois, ma chère, & on prétend que, ou 1'Amérique tient è 1'Afie, ou qu'elle n'en eft féiparée que par un détroit. Plufieurs :perfonnes önt cherché ce palTage par la baye de Hudfon, mais elles ont été arrêrées par des montagnes de glacés; 11 n'eft pas plus aifé de trouver ce chei min par terre; 1'extrêmité de 1'Amérique feptentriocale étant fituée dans Ia ifZone glaciale, Tom. III. G Lady  5D Ir? Mag as in Lady Charloite. Ma Bonne, j'ai lu quand j'étois bien pecite, un livre, donc j'ai oublié le nom, je crois pourtant que c'étoit un voyage des Hollandois. Ils voyageoient au Nord de 1'Europe, je crois que c'étoit aux environs du détroic de Wei' gat%. Tout d'un coup leur vaifleau fe trouva environné de glacé, il y en avoit de grcndes montagnes, enforte qu'il n'étoit plus poflible d'avancer ou de reculer. II falut donc prendre le parti d'en fortir; ils vinrent dans la nouvelle Zemble, & ótèrent du vaifleau tout ce qu'ils purent emporter; ils le coupèrent même en morceaux, & en portèrent les planches a terre. II y a dans ce païs une grande quantité de grands ours blancs. Un de ces terribles animaux emporta un des Hollandois & le déchira en préfence de fes compagnons fans ou'ils ouflent Ie défendre. Com¬ me ces pauvres gens**virent qu'il faloit attendre dans eet endroit que les glacés fuflenc fondues, ils firent une cabane dans la terre & la couvrirent de planches 5 peu prés comme une maifon. Comme il faifoit un froid excesfif, ils allumèrent un feu de charbon  des Adolescentes, ji qui manqua les étoufer, & ils furent objjgés de fortir bien - vite pour prendre Jan; ils firent enfuite uoe aande chemmée, & palTérent plufieursmoit ïous terre. JIs tuèrent des ours & des renards, ils en mangeoient Ja chair, 6: ie nrent des habits & des bonnêts avec Ja peau, en mettant le poil en dedans. 11 rurent quelque tems fans voir d'ours, paree que ces animaux paflbient la mer lur Ia giace pour aller apparrament dans une autre pais. Ge qu'il y eut óe plus terrible, c eft que pendant le tems qu'ils reltèrent Ia, il fit toujours nuit, car le Soleil étoit de 1'autre cóté, ils avoient feulement quelques heures de crépuscule, c'eft - a . dire qu'il y faifoit une petite clarté comme celle que nous appellocs le point du jour. Sur Ja fin de lhyver, les ours revinrent & ils vouloient defcendre par leur chéminée; enforte qu'ils furent obligés de placer plufieurs fufils fur cette chéminée, de facon que les ours le faifoient tirer en defcendant & fe tuoient eux mêmes. Enfin quand Je jour revint, ils fortirent de leur trou, & avec les planches de leur vaifleau, ils firent un grand bateau. Avant de partir de ce miferabïe Iieu, fis écrjvirent fur un poteau C 2 de  52 Le Magasin de bois ce qui leur étoit arrivé, afin que cela püt fervir a ceux qui auroient le malheur de venir dans ce païs. Puis ils s'embarquèrent aufli - tot que les glacés furent rompues; plufieurs moururent en chemin a force de fatigue; le refie arriva heureufement, je crois, è Amfterdam oh ils èntrerent revêtus de leurs habits de peaux. Lady Mary. Cela fait trembler, ma Bonne. Croyezvous qu'il y ait aucune créature faumaine dans ce païs ? Madem. Bonne. Peut-être bien, ma chère. Autrefois -on ne croyoit pas qu'il y eüt d'habitans dans la Zone-Torride paree qu'il y faifoit erop chaud; cependant ce païs eft trés peuplé. Si Pieu a voulu mettre des habitans fous -les poles, il leur aura fans doute donné des corps capables de réfifter au froid. Mais il faut remettre a Ia première fois 1'explication de PAmérique feptentriouale, & dire hos hiftoires; commencez, Lady Mary. Lady  des Adolescente s. 53 Lady Mary. Cyrus s'étant rendu maftre de BabyJone, gouverna ce païs avec fon onclc Ciaxare qui prit beaucoup de confiance en Daniël. Ce dernier fit voir è Cyrus, une prophétie de Daniël, qui étoit concue en ces termes; VEternel a dit d fon point Cyrus: je t'ai pris par la main droite > afin de té conduire & ^ de rendre ton cbemin facile fc? aifé. J'ai óté la force des rois, afin que les portes de leurs villes s'ouvrent è ton approcbe. J'irai devant toi pour redreffer les cbemins tortus; je romprai les portes d'airain, £f je mettrai en pièces les barresde fer. Je te donner ai les tréfors cacbés, ceux qui étoient le plus foigneufement gardés, afin que tu facbs que je fuis VEternel, le Dieu d'Israël, qui t'appelle par ton nom, pour VamouT demon ferviteur Jacob. Cyrus fut bien furpris de voir, que Je pr« phète avoit crédit tout ce qui lui étoit arrivé, ainfi il pubiia un édit en ces ferm es; VEternel. le Roi des cieux. m%a denne ies royaumes de la terre: £f il m'a commandé lui-même de lui bdtir une maifm dans Jérufalem qui ejt en Judéei c 3 Que  54 Le Magasin Que ceDieu foit avec tous ceux des Juifs qui voudront s'occuper d bdtir cette mai* Jon. Je veux qu'on leur rende tout ce qui a été enlevè dans leur temple; que tout le monde les aide dans leur dejfein, éf que mes trêforiers kur fournijjent tout ce qu'ils demanderont pour finir eet ouvrage; ils y facrifieront au Seigneur pour ma profpérité, 6? pour celle de toute ma familie. Aufli-tóc après eet édit, un grand nornbr« de Juïfs fe rendirent en Jadée, & y jettèrent les fondemens du templ ?; maïs 1'ouvrage n'avarcoit pas beaucoup malgré les foins d'Efdras qui étoit un Scribe, c'eft k dire un écrivain, & de plus un faint homme; paree que les Samaritains enne mis des juift , avoient gagné les miniftres de Cyrut; il fut même interrompu, & on ce recommenga è y travailler, que fous le règne de Darius nis d'Hisdafpe. Nebémie qui étoit fon échanfon, obtint un nouvel ordre pour 1'achever, aufli-bien que pour relever les murailles de Jérufalem & Ie? portes de cette vil Ie. Quand Ie temple fut a^hevé, il alTembla Ie peuple pou'- en faire la dédicace. Les uns pleuroient de joye, de voir le temp'e retabli: les autres qui avoient  des Adolescentes. S5 avoient va la magnificence du temple de Salomon, & qui lui comparoient ce dernier, pïeuroient de douleur; mais le prophéte rfggèe leur dit pour les confoler; La gloire de cette dernière maifon fera plut grande que la première, dit l'Eternel, k Dieu des armées; car je mettrai ma gloire dans celui. ci. Lady SpirituELLE, Je ne comprcns pas cette prophétie, ma Bonne? Madem. Bonne. Voici 1'explication qu'on peut en donner, ma chère, & il n'eft pas même poflïble de lui en donner une autre. Quelle eft la paix de Dieu envers les hommes? c'eft Jéfus - Chrift; c'eft lui qui nous a réconcilié avec fon pèr«. Le prophéte vouloit donc nous marquer par fes paroles, que quelque grande qu'eöt été la gloire du temple de Salomon, elle n'égaleroit jamais celle de ce dernier. qui feroit honoré de la préfence du MeJJie promis, & d'un Dieu fait homme. Admirons , Mefdames avec quelle C 4 cïartés  56 Le Magasin clarté, Dieu avoit annoncé Cyrus, 11 ne fe contente pas de je nommer par fon nom, il défigne fes adlions. Vous ie verrez lorfque Lady Spirituelle vous racontera la vie de Cyrus. Lady ViaUnie, racontez - nous ce qui regarde Daniël, Lady Violente-. Daniël fut un grand prophéte qui dèj> fon enfance, garda fidèlement les commandemens du Seigneur. NabucbO' donofor avoit commandé qu'on choisit parrni les enfans des Juifs captifs, ceux qui étoient les mieux faits, afin qu'ils ïè feryiflent. On les mettoit fous le föin d'un gouverneur, qui leur apprenoit k s'acquiter des emploïs qu'ils devoient avoir chez le Roi. Pendant le tems de leur apprentiflage on leur fourïiiflbit des viandes de la maifon du Roi, afin qu'ils fuflent gras & qu'ils euflent bonne mine. Daniël cc trois autres enfans Juifs, qui comme lui craignoient le Seigneur, dirent k leur gouverneur: La loi de Dieu nous défend de manger de vos viandes; c'eft pourquoi permettez-nous de nous nourrir de légumes. Le gouverneur leur répondit: Je  des Adolescente». *f< Je voudrois pouvoir vous accorder votre demande; mais fi vous ne rnangez que des légumes, vous deviendrez p&les & maigres, cc le Roi me punira. LITytz pendant dix jours die Daniël, & fi nous devenons maigres pendant ce ternps, vous ferez Ie maftre de faire ce que vous voudrez. Le gouverneur eut cette complaifance, & comme ?il vit que ces jeunes gens avoient meilleure miQe que les autres, il jes kifia vivre a Jeur gré. Quand on préfenta tous ces efclaves è Nabucbodonofor, il s'attacha furtout è regarder ces quatre qui lui plürent davama^e que les autres ^ Quelque tems après3 ce prince eut^ un rêve qui lui donna beaucoup d'inquiétude; il y penfa une partie de Ia nuit & fe rendormit enfuite. Le Jendemain quand il fe réveilla - il eut beau cherener è fe rappeller fon rêve, il ne put jamais s'en fouvenir. Alors ii fit airembier tous les favans & tous Jea devins , & leur demanda l'explication dun rêve quil ne pouvoit leur dire. Us eurent beau lui dire qu'ils ne pouvoient lui expliquer une chofe qu'ils/« ne « favoient pas -9 il oe voulut- point irecevoir leurs excufes j; > ie^nisnap^  jf Le Magasin de les faire mourir, s'ils ne dévinoient ion fonge, & ce qu'il fignifioit. La fentence qu'il avoit portée eontre eux alloit être exécutée, Daniël & fes compagnons étoient compris dans cette fentence. Ils fe mirent en prières, & enfuite il fat trouver le Roi & lui déclara fon rêve, puis lui en donna l'explication , ce qui le furprit fi fort qu'il toraba la face cobtre terre, & com» man da qu'on donn&c è Daniël de quoi faire un facrifice a fon Dieu qui étoit le Dieu des dieux. Lady Charlotte. Ce Nabtkcbodonofor étoit un extravagant de vouloir une chofe impoflible, & de condamner les gens a mort pour un tel fujet» 'Madem. Bonne. C'eft un des peroicieux efTets de 1'éducation qu'on donne aux princes & aux grands, & qui étoit encore plus maavaife en ce terns-la qu'en celui-c*, quoiqu'elle ne le foit pas mal. Leurs fiatteurs leur perfuadent que toutes les criatures font faites .pour leur obéïrj ^je c'eft m crime inémifilble que de leur  des Adolescente*. yg leur réfifier. Ils s'accoutument fi bien a n'étre jamais contredits, qu'ils veulent qu'on leur obéïfle dans les chofes les plus ridicufes. Les parens ent la - deflus des foibleffes qu'on ne peut leur pardonner, & ils ne voyent pas qu'iis perdent lears enfans en les accoutumant ainfi a voir tout ployer au gré de leur caprice. II faut qué je vous fafle rire d'une petite avanture que j'ai vu arriver. II y avoit une dame qui avoit beaucoup d'efprit, mais qui n'étoit pas rai. fonnable fur eet article. Elle n'avoit qu'un fi's, & craigooit fi fort de le rendre malade en le contredifant, qu'il étoit devenu un petit tyran, & entroie en fureur a Ia moindre réfiftance qu'on ofoit faire è fes volontés les plus bifarres; le mari de cette dame, fes parens, fes amis, lui repréfentoient qu'elle perdoit ce fils chéri; tout éroit inutile. Une avanture ridicule fit plus que toutes les raifons qu'on lui avoit alléguées. Elle étoit un jour dans fa chambre & entendit fon fils qui pleuroit dans la cour; il s'égratsgnoit le vifage de rage, paree qu'un doraeftïque lui refuloit une chofe qu'ii vauloit. Vous êtes-. bien impertinent, die- elle h ce valet»' e 6 di.-  Co Le Magasin de ne pas donner a eet enfant ce qu'il demande, obéïflez - lui tout • a 1'heure Par ma foi. Madame, repondit le valet, il pourroit crier jufqu'a dein aio qu'il ne 1'auroit pa% A ces mots la dame devint furieufe, & prète a tomber en convulfion; elle court & pas fant dans une falie ou étoit fon mari avec quelques uns de fes amis, elle le prie de la fuivre & de mettre dehors 1'impudent qui lui réfiftoit; le mari qui étoit auffi foible pour fa femme, qu'elle 1'étoit pour fon fils, la fuit en levant les épaules,„ & les convives fe inirent k la fenêtre pour voir de quoi al étoit queftion. Infolent, dit-il au. valet, comment avez vous la hardiesfe de défobéïr a Madame, , en refufant è 1'enfant ce qu'il vous demande. En vént*4, Monfieur, dit le valet, Madame n'a qu'a le lui donner elle - même; il y a un quart d'heure qu'il a vu la luue dans un feau.d'eau, & il veut que je la lui donrte. A ces paroles Je mari & toute la compagnie ne purent retenir de grands éclats de' rire; la dame elle même quoiqu'elle fut enragée, ne put s'empêcher de riré auffi.,- & enfuite elle fut. fi honteufe de cette Tcèie, qu'elle fe corrigea s & parvint a fair©  des Abolescentes. 61 faire un joi g rcon ce 1'enfant du monde ie plus n,auflaJe. Combien de mères auroient befpin d'une avanare pareille, pour apprendre è ne pas accouturner leur tnfans è vouloir abfoiu^ menc ce qu'ils veulent. Lady Mary. Je commence a croire ce que vous me difiez il y a deux ans, que 'a vie dure conferve la fanté, car Daniël & fes compagnons fe portoient mieux en mangeanr des légumes, que ceux qui faifoient bonne chère. Mifs ChAmpetre. Aviez-vous befoin de eet exemple pour oroire ma Bonne; pour moi je fuis il per^ fua ée qo'elle ne voudroit pas me tromper, que je crois fans examen ce qu'elle me dit. Madem, Bonne. Je vous fuis bien obligéej ma cnè* re, mais voos avez oublié que nous fêmmes convenues de ne croire per*" fonne fur fa parote, è moins qu'il u& donne des preuves de ce qu'il dit* G 7 14*-  6i Le MagasiN' Lady Mary. Eft-ce qu'il eft pofljble de prouver par de bonnes nifons, qu'on fe porte mieux en vivanc fobrement, dürement même, qu'en faifant des repas magnifiques? Madem. Bonne. Tres pöfible, ma chère. Suppofez que le Roi nous fit préfent a chacune d'un chan'ot de charbon, & qu'il nous dit: mén3gez bien ce charbon, car vous n'en aurez point d'autre le refte de votre vie pour faire cuire ce que vous mangerez, & il ne vous fcra pas permis de manger aucune chofe qui ne foit cuite. Que feriez-vous, Lady Mary, pour ménager votre charbon? Lady Mar y. Je choifirois poür vivre ïes chofes les plus faciles a cuire, & qui uferoient Je moins de charbon; mais, ma Bonne, quel rapport y a-t-il entre ce -charbon qu'il faudroit ménager, & la ?ie d&re?  *for Adolescenten. 63 Madem. Bonne. Le voici, ma chère, Dieu nous donne quand nous venons au monde, è chacune une portion de feu. C eft ce feu qui eft dans notre eftomac qui cuit ies chofes que nous mangeons , c'eft-èdire, qui les digère. Les perfonnes qui mènent une vie fobre, ménagent ce feu, car vous fectez qu'il en faut moins pour cuire & digérer des légumes, que pour un morceau de bceuf D'ailleurs non-feulement une perfonne fobre ne mange que des alimens de facile digestion, mais encore elle en mange peu & feulement autant qu'il en faut pour foutenir fa vie. Les gourmands au contraire fe dépêchent d'ufer leur feu; ils y mettent cuire de trop grolTes pièces: ils y en mettent a tout moment; orl il faut mourir quand ce feu eft ufé & chez les gourmands il ne dure guè' re. II eft rare que ceux qui font un Dieu de leur ventre, vivent longtems • & il eft certain que s'il y en a parmi ceux ■ lè qui parviennent è la vieillelfe i s emTent vêcu beaucoup plus longtems s'ils eulTent été modérés. Le plus grand nombre eft vieux è quarante ans, & ne pafte pas foixante; vont au- de-  6'4 Le Magasin dela, vous les voyez malades, pefants, & infupportables i e ou même avec rodiftérence. Si nous penfions qu'elle nous eft donnée pour gagner le Ciel tous les momens nous en paroftroient précieux;. Cette indifférence pour la vie qui paroitiouabledu premier coup d'cei] ne 1'eft donc pas dans le fond. II fauJ enjouïravecplaifir., paree que Dieu nous la donne; alors comme on n'y eft at taché que paree qu'elle vient de luion la quitte fans répugnance, 'orsqu'il juge è propos de nous en priver. Lady Charlotte. Vous nous avez donné une raifon qui nous prouve que la fobriété nro. longe la vie. Y a t i] encore d'autres preuves de cette vérité ?  fo Li Macasin Maiem. BonneJ Oui, ma chère, mais j'ai peur d'ennui'er ces dames en parlant fi loDgtems de ia phyfique. Lady Violente, Je fuis Ia plus petite de la compagnie, & je dois avoir le moins d'efprit; cependant cela ne m'ennure pas: par conféquent cela ne doit pas ennuïer les autres. Madem. Bonne. Comment donc, Lady Violente, vous parlez déja géométriquement? Vous pofez un principe, vous en tirez une conféquence; vous prenez la une excellente habicude. Lady Violente. Cela eft fort dróie, ma Bonne,* j'ai fait touc cela fans le favoir; ayez la bonté de m'expliquer ce que j'ai fait. Madem. Bonne. Vous fuppofez d'abord qu'une per- fon.  des Adolescentes. 71 fonne d'efprit ne peut s'ennuïer en s'inmutant & cette fuppofition eft jufte. Vous fuppofez enluite, que 1'efpric doit&re proportionné aux ancées; ce. Ia n eft pas toujours vrai, mais enfin, cela devroit être. C'eft fur ces deux iuppofitions que vous pofez votre prin cipe; je fuis Ia plus jeune, donc je dois avoir le moins d'efprit. Voilé la conféquence de votre fuppofition qui devient le principe d'une autre conféquence que voici. Je ne m'ennuïe pas moi qui ai moins d'efprit que les autres; les autres qui ont plus d'efprit que moi, ne doivent donc pas sfennuïer, puifqu'il eft vrai que c'eft ra», pnt qui empêche que Ton ne s'ennuTc en s'mftruifant, Mifs Frivole. Donc je n'ai eu guère d'efprit jusqu'ó préfent, car ces belles chofes m'ont toujours fort ennuïées; doncl'efprit com mence a me venir, car elles commencent è m'amufer. ninen Madem. Bonne, A merveille, Mefdames, Si nous con-  ^2 Le Magasin tiouons fur ce ton, il fera bien difficile de vous tromper dans la fuite. Puisque cela doit vous amufer, Mefdames, felon le principe luppofé par Lady Violente , je vais vous donner une autre preuve phyGque, que la fobriété profonge les jours* Remarquez, Mefdames, que vous erandiffez tous les jours; non-feulement vous erandiffez, mais vous devenez auffi plus graffes. Vos os groffisfent & s'allongent, & cela augmentera tous les jours jufau'a un certain tems. Vos petits bras qui font fi foibles auiourd'hui, Lady Violente , deviendront avec les années de bons gros bras comme les raieas. Vous favez toutes que eet accroifiement vient de la nournture que vous prenez. Tout ce que vous niangez & büvez defcend dans 1 eftomac après quelques préparations qui fe font dans la bouche. Mifs Be lot te. Et quelles font ces préparations s'i} vous plait? Madem,  des Adolescenten ^ Madem, Bonne. Vous roangez plufieurs fois par jour, mes enfans, fans avoir jamais réfléchi lur Ia quaotité d'outils dont la providence vous a pourvues pour pouvoir vousnourrir. D'abord, elle vous a donne de deux fortes de dents, les unes ■.aites comme des couceaux, & les autres comme des mortiers. Ne crovez pas qu'elle aic fait cela par hazard. Vous aviez befoin des dents incifives, ceft-è.dire des dents tranchantes pour couper d abord votre nourriture en gros morceaux, mais fi vous n'eufllez eu que ceUes-Iè vous eufilez été fort embarraiTees. rw «-.«..„^ &*w uiuacauA u au- j roient pu pafier par votre gofier, & • ™ wU„ ^ uc cu mqUC ae vous étrangler. Daiileurs s'ils arrivoient fi dans votre eftomac, vous auriez dépenlé une trop grande quantité de feu pour les cuire. Pour prevenir eet inconvénieut, Dieu vous a donné les dent* mol ures, c'eft - h dire celles qui fo£ faites comme des mortiers, qui écra» fent vos alimens, & les redu^nren poudre. Mais faites une remarque/ Mes dames. Si cette poudre étoit feche" VOKJ0///étraDglerieZDencore en »&  74 Le Magasin lant; pour le faire avec facilité, il l falloit que cewe poudre fut pétrie avec | de 1'eau, & devint une pète claire & molle; Dieu pour ce fujet vous a mis plufieurs refervoirs d'eau dans Ia Douche. Cette eau eft renfermée dans les glandes qu'on nomme falivaires. En remuant votre machoire pour mettre vos alimens en poudre, vous en faites fortir cette eau qu'on nomme falive. £1- I le eft falée, & fert non - feulement k faire une plte de vos alimens, mais encore a les décompofer & k les cor- I rompre. Mifs Sophie, Qu'eft ■ ce que cela veut dire, décompofer nos alimens? Madem. Bonne. Toutes les parties de ce que nous mangeons ne font pas propres a nous nouirir, & nos alimens ne produiroient pas ces effet, fi nous les avalions tels qu'ils font. Avalez des noifettes, fans les m&cher, des pois & plufieurs autres chofes, vous les rendrez comme vous les avez prifes, toutes entières, &  des Adolescente s. 75 & fans qu'elles ayent produit aucune nourriture pour vous, paree que votre eftomac n'aura pas eu une chaleur fuffifante pour les couper, les corrompre, & féparer les partjes qu'il vous convient de garder, d'avec celles que vous devez rendre paree qu'elles vous font inutiles. C'eft la falive qui cornmence eet ouvrage qui s'achève dans 1'eftomac. Mais pour mettre votre nourriture en pa\te, vous avez befoin de la tourner & retourner plufieurs fois dans votre bouche; & quand elle eft bien préparée il faut enfuite la conduire proche le gofier: pour faire eet ouvrage, Dieu vous a donné une pelle qui eft la langue. Ce n'eft pas tout. Votre nourriture refteroit a 1'entrée de votre gofier, fi on ne venoit la chercher. II y a \k un mufcle qui eft chargé de eet emrtoi, & qui fait un moovement qui la fait defcendre. Dans Je chemin que prend la nourriture, IV y a un mauvais pas qu'elle doit éyiter, il ne faut pas qu'elle fe méprenne, fans quoi votre vie feroit en dar.ger. Remarquez, Mefdames, qu'a tous les inftans vous faires deux nióuvemens fi néceflaires k la converfatiorf de votre vie, qu'il faudroit mourir k i'inftant, D 3. £  7-6 Le Magasin fi vous cefllez de les faire. D'abord vous pfenez de I'air, qui entre dans vos poulmons pour les rafraichir, & enfuite vous faites fortir 1'ajr ancien qui étoit dans vos poulmons. II y a un paffage pour eet air qui va & qui vient, & fi quelque chofe entroit dans ce paltage & fermoit le chemin de 1'air, il faudroit mourir. Lady Mary. C'eft donc cela qui m'eft arrivé 1'autre jour en dinant; je büvois trop vitc, tout d'un coup je perdis la refpiration; je devins violette, & je crus que j'allois mourir; fans doute qu'il étoit entré de 1'eau dans Ie chemin de I'air. II faut qu'il foit bien proche du chemin par ou doit pafler Ia nourriture,- & cefa étant, je m'étonne que nous puisiions manger fans nous étrangler, Madem. Bonns» D!ea a prevenu eet accident. Ce pafTage ou conduit de I'air, a une petite porte que I'air fait ouvrir & fermer è tout moment, & cette porte fe ferme qusnd nous prenons de la nourri* ture, ou plutót, quand nous 1'avaïons; Moyen  des Adolescentes. 77 Moyennant cette porte, nos alimens font un bon voyage, & arrivent heureufement è 1'eftomac, qui eft la cuifine de Ia maifon. La ils trouvent un bon feu qui achève de les cuire, & les réduit en efpèce de gelée. Ce n'eft pourtant pas toute Ia nourriture qui eft ainfi changéè, il n'y a que les parties qui font propres è s'unir avec les parties de notre corps,- le refte qui n'eft bon è rien, tombe dans nos boyaux, & fort enfuite, après avoir pourtant fait bien du chemin. Lady Louise. Comment pouvez-vous dire, ma Bonne, que la nourriture fait bien du chemin avant de fortir, il me femble a moi, qu'il eft bien court? Madem. Bonne* Les perfonnes d'une taille ordinaire ont communéraent trente verges de boyaux dans le corps, il faut que Ie lupe?flu de la nourriture paffe par ces boyaux, jugez fi le chemin eft court. yuand on examine le dedans du corps numain, on a peine a comprendre qu'il D 3 y  7$ Le Macasin y puilTe tenir une fi grande quantité de machines différente*; mais cela eft fi bien arrangé, que chacune y trouve fa place. Lady Violente. Vous parlez de tout cela comme fi vous 1'aviez vu ma Bonne? Madem. Bonne, Aufli 1'ai-je vu & exarainé trés atteniivement, ma chère* Lady Louise. Vous me faites frémir, d'y penfer feuleraenr, & a quoi je vous prie peut fervir la vue d'une chofe fi horrible? Madem. Bonne. Demandez k Lady Senfée è quoi cela lui a fervi; elle étoit avec moi quand fai fait eet examen. Lady Sincère. Je ne voudrois pas pour de bonnes chofes n'avoir pas vu ce fpettacle. Je vous avoue pourtant, Mefdames, que d'a.  des Adolescentes. 70 d'abord il m'a fait frérair, óc m'a eau. fé une grande répugnance, paree que j'ai beaucoup d'amour pour moi-même. Je ne pouvois penfer fans horreur, que je ferois un jour réduice è cette alTreufe fituation: enfin, petit - è-petit je repris courage, cc j'examinai cette belle machine. Que de reflbrts! peut-on la regarder fans admirer la fagelfe de fon ouvrier. Tous les hommes du monde s'uniroient enfemble pour me perfuade* que le corps de l'homme eft 1'ouvrage du hazard; on ne parviendroit pas k me le faire croire. J'admirai enfuite comment nous pouvons avoir de la vanité. Je regardois ce vifage couvert d'une peau défféchée, & enfuite me regardanc dans un miroir je me difois en moi - même: prens bien foin d'orner cette tête, regarde ce vifage avec complaifance; fouhaite qu'on te loue» qu'on t'admire; tu deviendras en pen fort aimable. Je fis encore une aucre. réflexion que ma Bonne me fuggéra*' En confidérant la quantité de machines qui font dans notre corps cc leur délicatefle, on ne concoit pas comment on peut vivre vingt- quatre heures. Si la création eft un miracle, la confervation en eft un bien plus grand, & D 4 il  So Le Magasin il eft aifé de concevoir que Dieu veille fur nous dune manière bien particuliere, pour qu'a chaque inftant il ne le détraque pas quelques. uns de nos resforts; cela eft bien plus délicat qu'une montre, & cependaut vous favez, Mesdames, combien il eft facile de la dé* ranger. Lady Louise. J'avoue que je n'aurais jamais imaeiné qu'on püt tirer tant d'utilité d'un fpec* tacle fi trifte, & malgré la répugnance naturelle que j'y feDS, je crois que je ferois bien aife de le voir. Madem. BonnE«. . Vous pouvez vous épargner une partie de cette répugnance, On montre a Londres'des fignres d'Anatomie en cire, qui font exacïement comme Ie corps iiumaio; mais voyons ce que devieonent nos alimens. Cette geiée en laquelle ils fe converdflent prend divers chemins. Une partie paffe dans les veines pour produire le fang; il eft blanc d'abord, & ne prend la couleur rouge qu'en chemin, & en pafiant par un certain endroit dont  dis Adolescentés. Èi dónt j'ai oublié Ie nom. Le refte fe diftribue avec fageflc dans toutes les autres parties du corps, fans qu'il y en ait aucune qui foit privée de fa portion. Les os, les mufcles, les fibres, les nerfs, tous recoivent la part qui leur eft néceflaire. II faut remarquer, Mefdames, que toutes ces parties que je viens de vous nommer font creufes. N'avez - vous jamais vu une rue dont on a óté les pavé* ? Vous avez du remarquer des grands arbres dans la terre qui font creux par le milieu, & par oü pafte 1'eau qui vient dans toutes les maifons. C'eft tout dé même dans notre corps, nos os, nos nerfs, nos mufcles & nos ü« bres font de grands & de petits arbres creux, par ou coule inceflamment une liqueur plus ou moins épaifle Dans la jeuneffe, toutes ces parties font extrèmement molles & tendrës, & par cofl. féquent peuvent s'élargir & s'éterjdre* Les parties de la nourriture vcmt donc s'y loger & trouvent le moyen de fe faire faire place; mds è forse de prefier ies parties oh elles fe lofent, elles les endurcitTent, enforté qu'elles ne peuvent plus s'étendre, & alors noüi* difibns plusv ® 5 - Lêiij  82 Le Mag as in Lady Louis e. Mais malgré cela nous continuons de manger: que devienc alors la nounture qui ne peut plus fe loger dans groffirTiCS P°Uf D0ÜS fahe grandIr & Madem. Bonne. Qaand nou» ne croiiTons plus en dehors, nous croiiTons en dedans,- nos veines par oh pafle le fang, nos nerfs par ou coulent les efprits qui nous donnent le mouvement: toutes ces parties fe remplilTent, fe bouchent petit - è - petit; & quand elles font bouchées tout. a-fait, les plus terribles accidens en arrivent. Si ce font les veines qui fe bouchent, & que le fang ne puifle plus couler, on tombe en apoplexie & Ton meurt | fi ce font les nerfs de Ia main, du bras ou de la jambe, on devient paralitique de ces parties, c'eft - è - dire que ces membres reftent fans mouvement & comme s'ils étoient morts. Vous voyez pais-lè, Mefdames, que aéceflairement les gourmands doivent naaurif plutéé que les autres, paree qoSifa. enmyenttuae s-plas gpnde; quantité;*  dés Adolescent Es. tité de nourriture dans ces parties qui dojvene refter creufes, & qui par la Te remphiTent d'autant plus vite, qu'on v foure plus de chofe. J CompreDez vous a prefent, comment Ia gourmandife abrège les jours, & donne des maladies ? Comprenez - vous combien il eft avantageux de s'accoutumer des ia jeunefle a vivre fobrement? Mifs Molly. Je le comprens fi bien, que je vais me corriger de la mauvaife habitude de man'ger k tout moment. Je prens auffi la réfolution de ménager mon feu, « de ne lui pas donner une ö grande quantité de viande a cuire; car je vous avoue, ma Bonne, que je mange beaucoup plus de viande que de pain. Madem. Bonne. Vous avez bien raifon de promettre que vous^ ne mangerez plus tant de- même réfolution , on ne verroit pas tant de fcorbutiques en Angleterre,. Cee; te--mataéie-> «ft-; bien plus rare en «an-  84 Le Mag&sin ce oü Ton mange moiDs de viande que de pain. Lady Lucie. Je vous aflbre, ma Bonne, que je n'ai jsmais rien entendu que m'fcit faic aucant de plaifir. Que de miracies fe paflent au dedaas de nous, fans que nous y faffions attemionl Madem. Bonne. Nous avoDs afiez parJé fur cette matière aujourd'hui. Mifs Molly. dites votre iecon. Mifs Molly, Nabucbodonofor fit faire une trés grande ftatue, & il cornmanda qu'au moment oü 1'on fonneroit de Ia trompette, tout le monde fe profterneroit pour 3'adorer. Les trois jeunes hommes qui avoient, été élevés avec Daniël, ne youlurent point adorer cette ftatue, & ils furent conduits devant le Roi qui leur demanda, pourquoi ils refufoient de M obéir ? ? Ils Joi xépondirent avec nw jefpèööeöferfermeté 9 que leur, con- fcience.;,  des Adolescentes." fcience ce leur permettoit point de fervir fes dieux. Le Roi tranfporte de colère, commanda qu'on augmendt de beaucoup le feu de la fournaife. C'étoit un grand endroit oü 1'on allumoie un feu fi épouvantable, que la flamme montoit a quarante coudées. Pour obéïr au Roi, on jetta ces trois jeunes hommes dans eet horrible feu. Quelle fut fa furprife de voir qu'ils fe promenoient auffi tranquilement dans les flammes que dans un jardin déliciewx I II rémarqua même qu'ils étoient quatre, car le Seigneur avoit fait defcendre un ange avec eux. lis compofèrent un cantique dans eet épouvantable lieu , Ie Roi aïant commandé qu'on en ouvrit les portes ils fortirent fans qu'un feul de leurs cheveux, ni un poii de leurs habits, eus* fent été endommagés» Ndbucbodonofor aïant vu ce miracle éleva fa voix & die : béni foit le Dieu de ces jeunes gens qui les a délivré paree qu'ils avoient choifi de livrer leur corps aux flammes plutót que de Pof. fenfer. Que fi quelqu'un blafphème contre ce Dieu, qu'il foit mis en pièces, & que fa maifon fok détruite car il n'y a que luiqui punTe faire dl ft grands: noiraciesi pour déliyrer; fes fer- ^ 7 viteuis»  86 Le Magasin viteurs; Enfuite il donn3 de grands emplois è ces jeunes gens, perfuadé que ceux qui aiment mieux périr que •d'étre infidèles è Dieu, ne font pas capables de trahir leur Roi, Madem* Bonne. Remarquez cela, Mesdames; il n'eft. que trop ordinaire de voir les princes négliger les honnétes gens; mais s'ils ont k traiter quelques affaires de conféquence, qui demandent de la fidélité, n'ayez pas peur qu'ils les confient a leurs compagnons de débauche ou de leur méchancetés: ils s'en gardent bien s'ils ont le fens commun; ils n'ont ni eflime, ni confiance en eux. Ils vont chercher les honnétes gens dans ces occafions, paree qu'ils favent que quoi qu'ils les ayent maltraités, cela ne fera pas capable d'altérer leur fidélité, Lady Senfée% parlez-nous, s'il vous plait, de I'Amérique feptentrionafe. Lady Sensee. On la divife en neuf parties qui font,, le Mexique, la nouvelle France, la. $te>ride, la&nouvelie Angïeterr©, la Ca*  ies Adolescent es, lifornie, le païs de Chriftinaux, ceux d nma?,V ceux^de Quïvira, & Ja nouveJIe Albion, Trois grandes rivières la traverfent, qui font, le MififfipL le fleuve Saint Laurent, & celui de DelNorte. Il y en a un grand nombre de moins confidérables. Ou ere cela il y a nn grand nombre de lacs qui font connus fous ces noms. Le Michian ou ia mreTr douce> le lac Supérieur, le lac des Hurons, celui appellé Erié, le lac Untano, que les Francois nomment i^ontenac & plufieurs autres. Le Mexique fe divife en vieux & en nouveau, le premier qui porte le nom de la capitale, s'appelle auffi nouvelle ülpagne, Quoiqu'il foit presque entièrement dans la Zone Torride, I'air v elt cependant fort tempéré & trés fain ♦ & dans les endroits oh il y a de Yora bre, il eft presque aufii fraix qu'eft trance. La terre y eft trés fertile. 11 y a une prodigieufe quantité d'or & dargent; cependant on fe fert au-lieu de monnoye, d'un petit fruit noromé Cacao, qui eft une efpèce d'amande dont ou fait le chocolat. La rivière ^ Del-Norte fépare en partio.ee pais •V 3a nouvelle Ftanee, &, a fon em^ Mem*  18 Le Magasin bouchure dans le golfe du Mexique fcas ]e nom de Rjo Bravo» La ville de Mexico paffe pour étre une de* plus belles villes du monde. Un auteur dit qu'elle étoit autrefois fituée fur deux lacs, 1'un d'eau douee, & I'autre d'eau lalée, & qu'il y avoic cinquante villes autour. Ferdinand Cortex décogvric cette partïe du nouveau monde. Les habitans étoient idolatres, & facrifioient des hommes qu'ils mangeoient enfuite par dévotion. Ils vivoknt dans des villes bien b&ties, & avoient leurs fciences & leurs arts. Ils faifoient des tableaux admirabks avec des plumes de différentes cooleurs, qui repréfentoient fort bien ce qu'ils vouloient peindre. Ils difent que certains oracles leur avoient prédit qu'il vieadroic par Ja mer des Etranger* qui s'empareroient de leur païs. Quand les Efpagnols y abordèrent, ils furent extr^mement mroris, cc écrivirent h leur Empereur, que ces gens avoient des maifons flottantes fit les eaux; qu'ils portoient le tonnerre, & qu'ils montoient des5 monftres apprivoifès & dociles.> Voila i lïdée que leur 5 fit aaltre Ia vue des vaiffeaux^ Je ca- - ion ?! •  ies Adolescentes. 89 non, & les chevsux. L'Empereur leur fit de grands préfens pour les obliger a retourner chez eux; mais Cortex voulut nbfolument aller è fa Cour oh il fut crès bien recu. L'auteur de fa vie prétend que les Mexiquains cherchoient è faire périr les Efpagnols, & i! dit cela fans doute pour excufer les tiorribles cruautés qu'ils commirent en ce païs; möis en vérité elles font fi grandes, qu'en les lifant on croiroit que ce font des démons plutót que des hommes qui les ont excercées. Cela m'a don* né une fi grande horreur pour les Es* pagnols, que j'aimerois mieux aller vivre dans les déferts, qu'au milieu d'une nation fi cruelle. Madem. Bonne. Je penfe a peu prés comme Lady Senfée, & ce qui m'y obiige, c'eft que ces pauvres peuples avoient un fort bon cara&ère. Les cruautés que les Efpagnols ont exercé contre eux, ont beaucoup nui è 1'avancement de la religion Chrérienne. Us ne peuvent croire que des hommes fi roéchans ayent une bonne religion. J'ai out-dirë qu'un natu- 1^1 uc cc pais ia etanc Dien malade, étoit  po Le Magasin étoit tout prét de fe faire Chrétierr toutdun-coup il demanda a celui qui alloit le baptifer. ü les Efpagnols alloit au Ciel. Vraiment oji, lui répondit - iL Si cela eft, reprit le mourant, je ne veux pas y aller, cc j*aime mieux demeurer en enfer avec tous les diables, qu'avec les Efpagnols en jr arsuis« Lady Lucie. Les Mexiquains d'aujourd'hui ne font donc pas Chréeiens? Madem. Bonne. II ne refte plus, ou prefque plus auennei des families originaires du pais, les Efpagnols les ont toutes maflacrées. ^cöx qui nsiftent aujourd'hui dans le Mexique font Créoles, c'eft -è- dire. 3,u'lls Xonc nés d'une femme du pais cc dun Efpagnol, cc ils font Chrétiens comme leurs pères. Lady L uc i e. Eft-ce que les Efpagnols font Chrétiens d'une aucre manière que les autres ? Ma-  des Adolescentes. 91 Madem.. Bonne. Oui, ma chère; ils font ü fuperfti* tieux auffi-bien que les Portugais, qu'ils deshonorent le Chriftianifme, mais kous eu parierons plus amplement quand nous traiterons de 1'Efpagne. Lady Mary. Vous avez I'air d'être en colère en difant cela, ma Bonne. Madem, Bonne. Oui, ma chère. J'aimerois mieux un voleur, un libertin, un Athée même, qu'un Chrétien fuperftitieux ou faux dévot. C'eft _ mon araignée* Adieu, Mesdames. Nous comrneDcerorjs Ia le* gon du matin par Ia fuite de 1'hiftoi* re de Fidelia. XXI  Le Magasin XX. DIALOGü E. Madem. Bonne. V05ifKSzl.bien» Mesdames, que ,T ceüFïdeUa qui parle, Dous en étions è 1 endroit ou elie fortit de chez ion indigne coufin. Je revins chez moi fi abatue, fl découragée, que js pafTai piufieurs jours enfermée dans ma. chambre, fans vouioir parier è qui que ce fut. A Ia fin pourtant, je refolus de faire encore une épreuve pour voir fi 1'jndigence & ]'amitié étoient réellement incompatibles. J jivois une amie qui avoic fait toute la douceur de mes premières années, & ce fut auprès d'elle que je réfolus de faire cette feconde tentative. Elle ie nommoit Amanda, je lui connoiflbis un cceur tendre & capable de généreux fentimens; Ce c'étoit pas des fecours que j allois chercher aoprès d'elle, c'étoit de la confolation, de l'encourage. ment h tout facrifier è la vertu, tVion ancienne amie avoit eu de fes parens une tortune médiocre, fa beauté pou- voit  des Adolescentes. 93 voit y fuppléer cc lui faire trouver un parti avantageuxi mais elle avoit facrifïé tous fes avantages è 1'amour, en époufimt un jeune officier qui n'avoit d'autre bien que fes appointemens. Son choix fi éloigné en apparence de ce qu'on nomme prudence humaine, fembloit m aflurer fon approbation fur le refus que j'avois fait d'un mariage mercénaire; j'y fus donc avec confiance. Amanda ignoroit eocore mes infortunes, paree qu'elle arrivoit de la campagne oa elle avoit pafié quelques mois, elle m'écouta avec beaucoup d'attention, 6c me répondit avec aflez de politefle; mais a travers ces dehors polis, je démélai une froideur qui me glaca Ie cceur. Vous avez tant d'efprit, ma chère Fidelia, me die-elle, que je n'ai jamais prétendu entrer en coraparaifon avec vous: je connois 1'infériorité de mes lumières aux vótres & c'eft pourquoi, fans doute3 votre'facon de penfer me paroit fort étrance cc fort finguüère; cc fi vous me permetcez de vous dire mon avis, je trouve votre conduite tout-è-fait mauvaife en vers un fi bon oncle, furtout pour une fille dans la fituation oh vous e»es Vous 1'avez oftenfé en foutenant une  £4 Le Magasin une doctrine qui peut être bonne, mais qui eft trés contraire aux opinions recues dans lefquelles on nous a tous élevés. Secondement vous 1'avez cruel* lement offencé en renoncant k fon amitié & è fa proteclion; & en choififlant de vous expofer è la plus grande mifère plutót gue d'époufer un homme dont il avoit fait choix pour vous: un homme pour lequel vous n'aviez point d'antipatie, cc aaquel vous ne pouviez reprocher aucun défaut eflentiel. Et mon Dieu.' ma chère, lui répondis-je, il y a bien des dégrés & une grande différence, entre aimer & honorer un homme préférablement a tout autre, cc avoir de 1'horreur & de 1'averfion pour lui. Le premier eft, feIon moi, un devoir pour une honnête femme, devoir, auquel elle s'aflujéttit volontairement en fe mariant de la manière du monde la plus folemnelle. Je ne me fentois pas capable de remplir ce devoir; ma confcience ne me permettoit donc pas de m'en charger. II eft vrai que par la je me trouve expofée k tous les défagrémeus de Ia pauvreté; mais comme ils feront les conféquences d'une aftion vertueufe, ils ne peuvent être des xnaux réels, & ne font  ies Adolescentes. of font pas capables de détruire le bonheur que procure la vertu. Je fuis charmée, répondic Amanda, que vous aiez trouvé Tart de vous rendre heureufe par la force de 1'imagination; je fouhaite que votre enthoufiasme continue, & que vous puiiliez toujours être convaincue par votre expérience, que les hommes fe trompent en fuppofant que la pauvreté & le mépris font des maux réels. - Mon ame fut vrayement bleffée de finhumanité avec laquelle Amanda ofoit me railler, & j'allois lui reprocher la dureié des avis qu'elle feignoit de me donner par amitié, lorfque fon mari rentra. II étoic accompagné d'un gentilhomme, qui s'ateira toute mon attention, malgré Tamertume dont mon cceur étoit fubmergé: mais fi fes graces extérieurs avoient fixé mes yeux, la policelTe de fes manières, & 1'agrément de fes difcours achevèrenc de me prévenir avantageufement en faveur de fon efprit, Le capita ine le préfenra è fon époufe comme un homme de mérite & Je meilleur de fes amis,- & George* (c étoit fon nom) s'efforca de vouloir montrer qu'il méritoit 1'éloge qu'on venoit de faire de lui. II y réuffit fi bien qu'A*  96 Le Magasin qu''Amanda crue fans doute qu'il chefchok k lui plaire, & voulant a fon tour lui paroitre afiez airnable, pour entretenir le goüc qu'elle lui fuppofoit, elle reprit fa belle humeur. Je m'étois levée pour prendre congé d'elle, mais elle me preffa fi fortement de refter k diner, que je n'aurois pu la refufer fans lui faire croire que je confervois da reftentiment de fes manières dures, ce que je voalois éviter. Je crus da moins agir par ce motif ,• mais la vraye rai* fon pour laquelle je cédai k fes empreflbmens, fut Ie défir de connoitre plus particulièrement eet airnable étranger pour lequel mon cceur s'iGt^reflbit déja fi vivement en fécret. La con verfation s'anima, je n'oubliai rien pour y faire briller mon efprit fans arTeótation, & 1'attention de George m'apprit que j'y avois réufii; au deflert, Amanda trouva occafion de raconter mon histoire* mes fentimens & ma rnalheureufe fituation. George écouta ce récie fort attentivement, la pitié & 1'admiration fe pei&noient sJternativement fhr fon vifage, je connus qu'il étoit pénétré. Nous nous féparames ford tard. George fit les plus prandes inftances pour obtenir la permifiion de me rerret- tre  des Adol es centes. ©7 tre chez moi, & je le refufai abfolument; mais ce fut avec une répugnance qui tenoit plus de la femme que da philofophe. II eft vrai que je comdironois mes fentimens naiflans; hélas! ils n'en exiftoient pas moins, je ne pouvois me le diffimuler, & ce fut peutêtre autant par art que par décence, ; que je refufai fes offres. Notre coaj noiflance étoit trop nouvelle pour lui : procurer de mon aveu la facilité de me revoir, & il en eüt peut-être congu | une mauvaife opinion de moi. J'cni voyai donc chercher une chaife; & }e 'n'y gagnai rien; George & fes domesI tiques m'attendirent a quelques pas de 'la maifon. J'eus beau le conjurer de me laifler feule, il s'obftina a m'accompagner avec fa fuke, ce qui me procura la plus fenüble confufion que jj'eufie regu de ma vie, puisqu'il fallut entier devant tout ce monde dans une miférable petite chambre oü Ton ne Ipouvoit arriver qu'en traverfant une iboutique. La vue de mon chétif logesment ne 1'ernpêcha pas de prendre conté de rnoi avec autant de refpett, que |s'iJ m'eüt conduite dans un pa'.ais. Je me couchai auffi-tót fans qu'il |me füt poffible de fermer TceiL Les Tom, IIL E ma°  ©8 /^Magasiw rnanieres d'dremanda avoient fait une profonde blelTure dans mon ame; je gémiflbis de ne poavoir plus le mectre qü'au nombre de mes connoiffances; elle ne méritoit plus le titre d'amie. Mon cceur étoit défolé, abbattu. Ma fituation augmentoit mon trouble; je ne favois quel parti prendre pour iubvenir k ma fubüftance. Les tourmens ~que m'avoient fait fouffrir les mépris que j'avois éprouvés,5 m'annoDcoient que chez moi 1'orgueil étoit encore bien vif, & que je m'étois abufée moi-même, lorsque je m'étois flattée d'avoir foumis les paffions humaines au joug de la philofophie. Que ne me reftoitil pas a fouffrir dans Tétat d'ind;gence totale, que j'étois a la veille d'éprouver. Le réfultat de mes réflexions fut de travailler k détruire mon orgueil, & d'appeller ö mon fecours 1'exemple de tous les anciens fages, qui avoient li généreufement méprifé les honneurs cc les richeffes; qui avoient confervé Ia paix de leurs ames au milieu des défagrémens apparens de la pauvreté. Après m'être excitée au mépris des applaudhTemens du vulgaire, cc être parvenue, h ce qu'il me fembloit, h regarder avec indifférence les faveurs ou les  des A DOL BS CE NT ES. Qf les difgracei de la fortune; Je me flac I tois d'ëcre en fituation de prendre quelque repos; maïs 1'image de George vinc s'emparer de mon imagination, ét y I détruire tous mes raifonnemens. Je troavois qu'è la vérité, j'étois en état de e méprifer J'opinion du monde entier; j mais je n'étois rien moins qu'indifféren1 te fur fa fagon de penfer è mon égard, cc Ia penfée d'en être méprifée m'éi toit infupportable. Je me rappellois que ! ma fituation étoit bien différente de 1 celle de ces anciens philofophes, Ia {plupart d'un £ge avancé, qui peut être l n'avoient facrifié les plaifirs 6c les comjmodités de la vie, qu'è 1'orgueil 6c au gdéfir d'être refpe&és. Je fentois que Hmes défirs 6c mes penfées préfentet I étoient bien différentes de celles qu'ins| pire Ia philofophie. Je ne pouvois me tldiflirauler que je n'eufTe fait fur le :jcceur de George, la même impreffion 1 qu'il avoit faite fur le mien; pourquoi laurois-je cherché a éloigner cette bon\ne fortune? Je n'avois point cherché a lui en impofer fur ma fituation, il la connoiflbit ,• fi elle ne le rebutoit pas , étoit-ce h moi è chercher a déjtruire des fentimens qui pouvoient me procurer en même te«$, & les dou£ 2 cours  ïoo Le Magasin ccurs d'une union afïbrtie, & les aifan ces de la fortune ? Ce fut alors touc ce qui fe préfenta k moo efprit; car de penfer que je puffe jamais lui appartenir par des voyes deshonorantes; c'étoit affurément ce dont je me croyois incapable. Je fus furprife par George Ie matin fuivant au milieu de mes rèfiexions. 11 commenga par les plus refpeftueufes excufes fur la liberté qu'il prenoit. II ajouta eofuice, qu'ai'ant appris les fa*cheufes. circonftances 011 la dureté de mon oncle m'avoit réduite, il n'avoic pu fupporter 1'idée de voir la plus respedable de toutes les fi'les, dans une telle extrêmité; qu'il avoit congu Ie deffein de réparer les injuitices de la fortune k mon égard, & que je pouvois difpöfer a mon gré de tout ce qui lui appartenoit. Je 1'interrompis pour lui dire, qu'il n'y avoit qü'une chofe en fon pouvoir, que je puiTe accepter avec honneur; que je me plaifois a penfer, que le respect & la corapaflion qui étoient dues a la talie d'un,grand gentil- homme, lui avoient fait oublier les régies ordinaires de la bienféance, qui ne permettenc guère k un étranger d'offrir de tels fe- cours;  des Adolescentes. ior cours; qu'une fille bien née ne pouvoit être autorifée a les acccpter que d'un ami éprouvé depuis lorgtërfis; que je n'étois prs en fituation a pouvoir lier avec lui un commerce d'amitié, ni è recevoir des vifites, qui dans d'autres circonftances, eufient pu conmbuér au bonheur de ma vie; & qu'ainü\, je le remerciois de fes offr'es, &Me priois de ne point réïcérer fes vifiteF. A peine eut - il entendu eet arrêt', qu'il fe jetta è mes genoux, & avec tout 1'art d'un habile féducleur, il imputa la liberté qu'il avoit prife-de m'offrk fes fervices, a la force de la pas. fion que je lui avois infpirée; il me conjura en verfant des Iarmes, de ne le point punir fi févèrement, puisque le plus grand fupplice qu'il püt éprouver, étoit celui d'être privé de ma vue, & de devenk par mes confeils % plus di-, gne de mon eftime. Mon foible cceur fut vivement touché par ces artifices,- j'eus pourtant la force de perfifter a lui refufer Ia libei»té de me voir, & je le priai fi férieufement de fe retirer, qu'il m'obéït. II me montra en me quittant tant de douleur, de refpecT; & de tendrefle, que je fus quelque tems fans pouvoir rappeller Ë 3 mM  io2 Le Masasin ma raifon pour examiner ce que je devors penfer de fa conduite. Le fruit de mes réflexions fut un doute bien fondé de la pureté de fes intentions; fes vues me parurent deshonorantes pour moi, & je me déterminai è ne le revoir jamais, Après avoir donné è mon höte les ordres les plus pofitifs pour lui refufer ma porte, je m'enfermai dans tm chambre. Ma raifon applaudiflbit è cette conduite, mon coeur en étoit déchiré & ne fuivoit Ie parti que lui dicloit la fagefle, qu'avec pefanteur & regret. Je me fïattois au moins de trouver au-dedans de moi Ia récornj penfe de ce facrifice; cette douceur fi vantée par mon père, qai naft toujours de la vertu , & qu'elle feule peut produire, j'eus beau la chercher: au lieu de cette fatisfacïion intérieure que je métois promife, je trouvai en moi de nou velles paflions, de nouveaux défirs, ©u plutót celle è laquelle mon cceur étoit en proye, reveilloit toutes les autres pour qu'elles l'aidalTent è me ter. rafier. Les richelTes jusqu'alors 1'objet de mon mépris, me parurent efiimables, puisqu'elles auroient pu me procurer George pour époux. Je me trou v*is donc trés malhcareufe; & j'en étois.  des Adolescentes. 103 étois furprife, paree que ie n'avois fait aucune attion que je cruiTe devoir me reprocher, & que ma mauvaife fituatioD au contraire, aroit pour caufe mon amour pour la vertu. Malgré cette expérience, je réfolus de ne point m'écarter de Ja route que mon pére m'avoit tracée pour arriver au bonheur s & de 1'attendre avec patience jusqu'a ce qu'il plut k la vertu de récompenfer mes efforts. J'étoisbien dans 1'erreur. Je n'avois pas la plus pe« tite idéé des vioknees qu'il eut fallu me faire pour exécuter cette réfolutioa. Gterge qui connoiiToit trop bien mon lexe pour fe rebuter de mes premiers refus, faifoit chaque jour de nouvelles tentatives pour parvenir k me voir ,* il m'écrivoit des lettres paffionnées qui m'étoient rendues par des voyes qui ne pouvoient m'être fuspectes; je les ouvrois avant de foupgonner la rnain qui 3e# avoit écrites, & je ne pouvois me refufer la fatisfacïion de le* lire. Je ne pouvois fortir fans le trouver fur mes pas: Eh! qu'il étoit éloquent alors pour me prouver la violence de fon amour! Tous fes efforts qui n'ébranlèrent point ma vertu, détruifirent abfblument E 4 ia  104 Le Magasin Ja paix de mon ame, qui étoit 1'unique fruit que j'fttendois de tous les facrifices que je faifois au devoir. Lorsque George trouvoit le moyen de me parler hors de chez moi, je ralTemblois toutes les forces de mon ame pour lui montrer Thorreur que me eauKlit 1'indignité de fes pourfuites; & lans écouter les cris de mon foible cceur, je faifois pafler dans mes yeux la colère qu'excitoit en moi la connoilTance de ma foibleffe ; è peine étois je feule, que je payois chèremenc ies apparentes vicboires que j'avois rempoitées. Je déteftois mon état, je murmurois contre 1'auteur de la nature qui avoic mis en moi des paflïons fi vjolentes , fans me donner Ja permiffion de les fatisfaire^ Je le trouvois injufte lorsque j'éprouvois des remords. A quoi fervent • ils me difois je ? Pourquoi me les a -1 - il donnés? A-til voulu m'asfujétir è des tourmens iDévitables foit que je réfifte aux pafiions foit que j'y fuccombe? Je comparois ma fituation avec celle de mon coufin , dont les pernicieufes maximes m'avoient donné tant d'horreur,. II donne un libre efFórt a fes défirs, me difois - je; fa maifon eft Ie rendez-vous des plaifirs; fon vifa  des Adolescente §. vifage eft toujours riant, & fon cceur paroit exempt de foins & de croubles,II-dit qu'il eft heurenx; quel eft donc le pouvoir de la vertu ? Je lui ai facrifié ma fortune, mes amrs, le penchant le plus cher a mon cceur, quel dédommagemenc m'offre-1- elle ? Que dois je efpérer pour le relte de ma vie? pauvreté, humiliation, fouifrance.' 11 faudra refufer a mon cceur tout ce qu'il pourra fouhaiter, combatcre avecviolence les pafiions les plus chères a ■■ 1'humanité, lans avoir la force de les vaincre: eft* ce donc lè la bénédiclion que le ciel réferve è fes favoris ? A t-il deftinés des foibles créatures, fesouvrages , a être en proye a la douleur ? cela feroit indigne de Dieu , mon cceur répugne h le croire. Cependant malgré ma répugnance, je ne puis» me diftimuler que Ja condition des honnétes gens eft plus miférable que celle des méchans , j'en fais moi • même Ja» trifte expérience, L'avenir ne m'offre * rien de plus heureux; fi mes mifereg* avoient pour borne le tems de ma vie& qu'une éternité bienheureufe 'm'Oïfrisun dédomagement, j'aurois padènce; mais non , le terme de tout ceei 'f©m j ua anéandffement total,  lotf ' Le Macasin Mais pourquoi dis je, que I'avenir ne m'offre rien de plus heureux ? 1'arnour veut me donner tous les biens qui font a mon ufage; un amant airnable, riche, libérai, qui veut prévenir mes défirs; il fera mon ami, mon amant, mon protecleur; cV tous ces titres réunis dans un feul homme que j'adore, je refufe d'en profiter? eet état que je fuis, n'eft - il donc pas préférabie a celui oh la vertu m'a réduite ? Mais qu'eft - ce donc que cette vertu a laquelle j'ai facrifié jusqu'è préfent le bonheur de ma vie? n'eft ce point un beau phantóme que je me fuis forgé? Quelle doit être la vertu d'une créature qui n'a que quelques années è exifter? c'eft fans doute d'être heureufe. Je me plaignois tout-è 1'heure du Créateur qui m'a donné des pasfions pour me tourmenter, fi j'en crois mes nouvelles lumières, je fuis moimêaie 1'ouvrière de mes infortunes.. Dieu qui m'a. mife fur la terre pour fi peu de tems, prétend fans doute que je goftee les biens qu'il y a répandus; il m?a placée entre le plaifir & la douïeur, fcnrV laifTé la, hberté du choix. Iia-t douleuij,, voilèi le mal, le; plaifir 5 Tolliila Ye?tu.. £ê qu&j'aiiappelléjver*  des Adolescentes. 107 tu eft le mal pour rooi, puisqu'il m'a rendu miférable* Pourquoi craindroisje les remords, en ai je après avoir bü & mangé? Nod, Dieu qui eft 1'auteur de mes befoins ne peut être offenfé quand je cherché a les facisfai • re, le bonheur eft le plus grand de tous mes befoins. Je n'ai pu y arri* ver en réfiftant a mes paffions, eflayons d'y parvenir en cherchant a les fatisfaire. Malgré ces beaux raifonnemens, une voix fécrette s'efTorcoit de me rappelter aux principes d'honneur que j'éiois prête a abandonner; mais la juftice de Dieu vouloit punir mon orgueïl par une chute honteufe; je n'avois jamais aimé véritablement la vertu, mon amour pour le bien n'étoit fondé que fur 1'efpérance d'être heureufe ; c'étoit moi. même que je cherchois, j'étois mon idole. Une telle idolatrie méritoit le jufte chatiment que j'étois fur le point d'éprouver. Mon' éducarion ne pouvoit me juftifier, laraifon m'apprenoit que Dieu étant le principe & la dernière fin' de toutes chofes, je devois lui rapperser mes aótions;.-cette ftdólitê nfeut aüiréles lumières qui me; manquoieati Éi & Hm-  'ro$5 Le Magasin Lady Lucie. Mon Dieu, ma Bonne, n'achevez pa*; elle va lans doute devenir prinm nelle. Madem. Bonne. Elle vient de vous dire elle-même qu'el'e Tavoit toujours été. L'orgueil, 1'amour propre, mettent fouvent celles qui parohTent les plus fages, au-deflbus des malheureufes qui s'attirent 1'indignation publique; mais Mesdames, cette hiftoire eft fi longue qu'il ne faut pas éfpérer de la finir aujourd'hui, ainfi je la remets k une autre fois. . Lady Lucie. Je fuis bien piquée contre Amanda * Tindigne amie. Madem. Bonne. Lés- amiei réelles font bien rares, Mesdames, ct cela n'eft pas furprenant; On donne ce nom a fes connoiflances, &. il y a pourtant une grande diff&ence. Vous n'aurez jamais une vé-  des Abolescenïe?. io> ritable amie, a moins que la vertu ne vous ait unies. Rernarquez pourtant, que ce qu'elle dit è Fidelia, eft affez fenfé, mais c'eft la manière de le dire qui étoit offer gante. Mifs. Zina. Pour moi, je trouve que Tonele de Fidelia étoit bien cruel; plus il étoit perfuadé que fon état étoit dangereux5. pius il devoit avoir de compaffion pour elle: il la croit fur le bord du précipice, & loin d'employer tous fes foin* a l'empêcher d'y tomber, il ï'y pouffe. Madem, Bonne. Votre réflexion eft excellente, m& chère; remarquez auffi que cette conduite confirme Fidelia dans fes malheureufes difpofitions. Rien ne fait plus de tort 4 la religion, a la dévotion, que la mauvaife conduite de ceux qui en font profeflion. Je fuppofe, par exeraple, que jé n'ai jamais cru un feuLmot de ce qui eft dans TEvangile, en un mot, que je ne fuis pas Ghrétienne; car vous favez, MesdaBfe 3nes; ,  ho Le Magasin mes, qu'un Chrétien eft un difciplö de Jéfus-Chrift, qui croit fermement touc ce qu'il a die, & qui praeïque ce qu'il a commaodé. Vous vous efforcez de me convertir & de roe prouver la vérité de 1'Evangile, & dans le même tems que vous prenez beaucoup de peine pour cela, vous ne le pratiquez pas vousmême. II eft tout naturel que je croye que vous n'avez pas plus de foi a FE* vangile que moi; car me dirois-je k moi même, fi vous éciez convaincu que Jéfus-Chrift eft Dieu, & qu'il a dit ce qui eft contenu dans ce livre que vous croyez facré, afiurément vous pratiqueriez cette doctrine que vous croiricz vraye; Nous voyons dans 1'Evangile, que Jéfus-Chrift avoit une grande compasfion des pauvres pécheurs; il n'a pas voulu condainner une femme adultère, il a parlé k la Samaritaine , il mangeoit, converfok avec des perfonnes de i mauvaife vie. Mifs Frivole, Et vous m'avez expreflëtnent recom^ Sftandè'de ne point v©k les perfonnes'  des Adol.escentes. iiï qui onfr une mauvaife réputation. Madem. Bonne, C'eft une remarque que j'allois vous faire, Mademoifelle; toutes les vertus ont chacune leur place, & ne fe nuifent point. Une jeune dame doit être charitable, mais elle doit auffi être prudente. Or la prudence lui défend de fe mettre dans J'occafïon de g&ter fes mceurs ou de détruire fa réputation, en fe liant avec des perfonnes vicieufes. Comment doit-elle donc pratiquer Ia charité envers ces pe:fonnes, & imiter Jéfus Cbrift? En priant pour elles, en ne parlant jamais avec aucune perfonne de leurs mauvaifes adtions,. en fe gardant bien de les méprifer. En un mot, ma chère, il faut hai'r & détefter leurs crimes, & avoir une grande compaflion & charité pour leur perfonne. Voila les devoirs d'une dame de votre êge. Mais moi par exemple, & les autres qui font vieilles comme moi ou plus que moi, nous pouvons faire davantage. Notre caradère & notre réputation doivent être formés, & d'ailleursv nous* ne- fommes plus d%e & avoir>. des intrigues. Nous pouvons, donc  h2 Le Magasin" donc fans danger connoitre des perfonnes donc la conduite n'eft pas règlée, t3cher de gagner leur amitié, leur confiance, pour ies remettre s'il eft poflïble dans le bon chemin. Mais nous ne devons jamais oublier qu'on ne peut y réuflir que par une grande douceur, beaucoup de patience, & une charité a 1'épreuve des mauvais fuccès Lady L oui se, . Que veut dire, une charité a 1'épreu-: ve des mauvais fuccès? Madem. Bonne. II arrivé trés fouvent, ma chèrea qu'on ne réuffit pas dans fes bons desfèins. J'aurai fait mes efforts pour arracher vingt perfonnes au vice, elles n'auront payé ma charité que d'une noire ingratitude; il s'en prélente une' vingt & unièrae, & je me dis: II en< fera de celle- la comme- des autres, j'yperdrai mes peines, il vaut autant 1'abandonner a fon mauvais fort. Vous voyez que ma charité n'eft point a 1'épreuve des mauvais fuccès-, & c'eft une Sfcarquecertairje. qu'elle n'étoic pas fore ardes-  des A D O £ E S C K-N T E s. 113 ardente. Si j'avois employé toute ma vie è ramener les pauvres pécheurs a la vertu, je ferois payée de mes peines fi je pouvois réuffïr feulement auprès d'une feule, fi j'avois feulement fait éviter un feul pêché. De plus, fi j'agis vrayement par charité, c'eft-èdire pour l'amour de Dieu, je ferai affligée de mes mauvais fuccès, mais ce fera feulement par rspport a ces pauvres rralheureufes perfonnes qui refuferont le bien que je leur préfente; j'aurai fait de mon cóté tout le bien cue Dieu vouïoit de moi, & cela fuffira pour me rendre tranquille. Lady LuciE. Qu'efl-ce que vous entendez par les faux dévots ? efi-ce des hypocrites que vous voulez parler ? Madem. Bonne. Et d'üne grande quantité^ d'autres: Les vrais hypocrites, c'eft-a< dire ceux qui facbant qu'ils vivent dans le crime, affe&ent d'être vertu eux, ces gensla font des monftres, & grace a Dieu ils font trés rares, ét je ne veux pas par*  i*i Le Magasin parler de ceux, la. II eft queftion des hypocrites de bonne foi, qui ne trom- SS Z 3Utres ^rès s'étre trompés eux- mêmes qui, paree qu'ils ne com- ^nrï P2SrrC g^ndS «"«es qu'ils vont è léghfe, font quelques aumó- 3?ï«,f Cc0Ir0Dt très. Parfaits & eö droit de dire: Seigneur, je vous remercie de Twfj P£- C°?me le refte des hommes. J aurai bien des chofes è vous dire fur eet article, & nous en aarons 1'occaIion en parlant du Saint Evangile. C'eft Ja ou nous trou verons tous les caraftères de la vraye piété & de la faufle; AtJieu mes enfaos, Mifs Frivole peut «^V.T ce.s 'dames è ,a converfation particuliere, fi cela lui fait plaifir. XXI. DIAL ÖGü E. Lad2.h0vis*> Lady Lucii, Mifs Zina, Mifs Frivole Modem. Bonne, Lady S i n- c e r e. Lady Louise. VOUS fives, ma Bonne, que Lady Lucie devoit nous apprendre comment  des Adolescente». 115 ment elle paflbit fa journée: elle es étoit encore è fa prière du matin. Madem. Bonne. Elle va continuer, Mesdame*.* Lady Loüise. En vérité, ma Bonne, je ne comprens par pourquoi rous exigez cela de moi; il me paroit fort fot, d'entrenir ces dames de ce qui me regarde. Madem. Bonke. Si j'étois flatteufemnnt polie, je ferois remarquer a ces dames corabien vous êtes humble, puifque vous ave« tant de répugnance è parler de vous; mais ce n'eft pas lè mon emploi, ma cfeère & pour m'acquitter de la parole que je vous ai donné, de ne vont rien déguifer ; voilé un amour -propre mafqué en humilité. Vous craignez moins d'être fotte en parlant de vous , que de le paroïtre, & vous vous dépêchez de nous prévenir lè • defius. Pour vous punir de cette petite rufe d'orgueil dont vous aveï été la dupe, j'e-  iió" Le Mag,asin- j'exige que vous donniez fatisfa&ion è vos amies fans repiiqucr un feul mot. Lady Lucie. J'obéis , mais auparavant il faut que je vous remeicie. Quel fervice vous me rendez, en- m'ouvrant moo propre cceur! Combien de chofes imporcantes y~ font encore cachées, & que j'y déCQuvrirai avec votre fecours. Lady Sincère. Permettez, moi de vous interrompre un moment. De quelque utilité peut être pour nous eet examen perpétuel ? Vous voulez nous faire vivre. comme on dit que les religieufes vivent dans les couvents; mais, ma Bonne, nous Ibmmes nées pour vivre dans dans le grand monde, k quoi bon nous alambiquer J'efprit depuis le matin jufqu'au foir, fur nos motifs fecrets; faifons le bien tout bonnement fans tant de recherches. Mifs Fjrivole. Lady Sincère prend mon parti, je penfois tout comme elle a ce moment. Lady  des A do l es centes. 117 Lady Sincère. Permettez-moi de m'expliquer , ma chère; quand je fais des objeclions a ma Bonne, c'eft pour obeïr è ce qu'elle m'a commandé; elle ne veut point que je la croye fur fa parole, par conféquent je dois lui dcmander des preuves; mais dans le fond quand elle avance quelque chofe , je fuis perfuadeé qu'elle a de bonnes raifons, & je fuis toujours dans la difpofition de renoncer a mes opinions, auffi tót qu'elle me fait appercevoir qu'elles font fauffes. Madem. Bonne. C'eft une bonne difpofition , & je fuis perfuadée que vous allez eonvenir qu'il ne faut pas laiflTer aux religieufes ce foin & cette vigilance continuelle fur ce qui fe paffe dans notre cceur. Vous voulez être heureufe, ma chère ; nous avons découvert que la fource du bonheur eft dans notre cceur, que les obftacles au bonheur font nos pasfions déréglées & furtout notre amourpropre mal entendu A mefure que nous cnons de notre cceur quelques unes des racines de 1'amour-propre & des  Le Magasin des autres paflions , nous en arrachons un obltacle au bonheur. Pour découvnr ces obftacles & les expulfer, il faut une attencion, une vigilance perpetuelle: donc, toutes les perfonnes qui veulent devenir heureufes, doivent pratiquer cette vigilance , car on ne peut détruire des ennemis qu'on ne eonnoit pas. Lady Sincère. Je/ois.c]?vainca è prefént de Ia néceffité de fouiller fans celTe dans les rephs les plus cachés de mon cceur. Je vous prie, Udy Lucie, de continuer ce que vous vouliez nous dire. Lady Lucie. J'employe , comme j'ai eu 1'honneur de vous le dire, une de mie heure è ma pnére du matin; & jusqu'au déjeóner qui fe fert è une heure, je lis un livre de piété. Madem* Bonne. Et que faites-voas pour tirer du fruit de cette le&ure? Lady  des Adolescente?. 11$ Lady Lucie. Suppofez que ce foit un fermon contre la vanité. Avant de le commencer je demande les lumières du St. Efprit. afin de profiter de ma Ie&ure; je me perfuade que c'eft Dieu qui va m'instruire, & cela me met dans la difpofition refpeciueufe que deraandent fes paroles. Si je trouve qu'on ait touché dans ce fermon quelques - unes des fautes que la vanitè me fait commettre ordinairement, j'en demande pardon a ;Dieu, & je cherché les moyens de me corriger. Je réfléchis aufli fur les jfautes oh la vanité pourroit m'entrai!ner, fi je lui laiflbis prendre un trop 1 grand empire fur mon cceur, & cela I m'encourage è prendre de bonaes réfolutions pour toute ma vie, & en particulier pour ce jour; mais comme je connois ma foiblefTe, je demande a. I Dieu par les mérites de Jéfus - Chrift i la force nécefiaire pour accomplir mes bonnes réfolutions. Je finis ma ltélure en remerciant Dieu de tous les bons mouvemens qu'il m'a donnés en Ia faifant. Je fais la même chofe Jorsque je vais au fermon. Madem.  120 Le Mag as in Madem. Bonne. Mifs Frivole m'a promis qu'elle vouloic fe corriger & vivre en chrétienne en voici les moyens. Avouez, ma chère, que vous n'aviez pas même 1'idée de ce qu'il falloit faite pour fe mettre en étac de profiter de la parole de Dieu ? Mifs Frivole. fe vais vous faire le détail de la manière dont j'affifte au fermon, car pour de bonnes leftures, j'avoue a ma honte, que je n'en ai jamais fait. Mon premier foin eft qu'il ne manque de rien a mon ajuftement; je regarde léglife comme une falie de fpectacle; öc comme je me défennuïe a examiner & critiquer 1'habiHement des autres, je m'imagine qu'elles en font autant de leur cóté, Quand je fuppofe qu il y aura qaelques Meffieurs de ma connoisfance au fermon, je m'ajufte beaucoup plus, mais cela eft rare, car ils ny viennentguère; il n'y a que les vieux., & je ne me foucie pas de plaire a ceux - lè. Madem.  * des Adolescentes. m Madem. Bonne. Autrefois, ma chère, on voyoit beaucou» plus de jeunes cavaliers a 1 éelife, & ils Ven étoient pas plus dévots pour cela. L'envie de voir les dames les y attiroit, car elles ne fortoient que pour aller la, & le refte du jour elles reftoient dans leurs maifons. Aujourd'hui c'eft toute autre chofe; on les voit par - tout, elles font de tout. Le matin on n'a qu'è aller k Saint James, au pare, & dans tous les lieux publics, on en voit desntiees? & il n'eft pas difïicile de déviner en les regardant, qu'elles n'y vienneet pas a deflein de prendre 1'exercice nécesfaire è la fanté, mais pour fe faire voir & être vues. Le foir elles fourmillent aux fpeaacles, aux aflemblées; vous voyez bien qu'il feroit inutile d'aller les chereher dans les églifes* Continuez, Mifs Frivole. ilfi/jr Frivole. Si le prédicateur prêche mal, je bail* le & je m'endors. S'il peint les vices, je me dépêche d'appliquer le portrait qu'il fait è Madame ou è Mademoifel- Tom. 1IL F le  122 Le Magasin le une telle, & jamais je ne me fuis avifée de rentrer en moi-même pour voir 13 cela ne me regardoic pas. Dans 1'incervalle de ces applications je falue une perfcnne a droite, je fais un coup d'ceil a gauche, je m'occupe d'une comédie oh je dois aller le foir, d'une affemblée oh j'ai été la veille, en un mot je fais de mon mieux pour tuer le tems & acqurcir celui que je paffe lè qui me paroit bien long. Lady Louise. Je ne fais pas tout-è fait la même chofe, mais cela revient au même. J'écoute avec indifférence; quelquefois pouriant j'ai. de bons mouvemens, mais cela paffe comme un éclair, & les distraciions auxquelles je me livre en fortant de l'églife, effacent le fouvenir de ce que j'y ai entendu, è moins que je ne m'en fouvienne pour critiquer le prédicateur. Madem. Bonne. Jugezaprès cela, Mesdames, du fruit que 1'on peut tirer de la parole de Dieu: cependant 1'Ecriturc nous ap- prend  des Adolescent es. prcnd qu'elle o'eft jamais prononcée envain; elle endurcit ceux qu'elle ne convertic pas. C'eft comme le Soleil qui produk des effets bien différens fuivanc la nature des objets qu'il frappe de fes rayons. II blanchit la cire, & noircic le vifage; il fond la glacé, & endurcit la boue, Que faites vous après votre leclure, ma chère? Lady Lucie. Je defcends pour déjeéner, & ea chemin je prie Dieu de ne permettre jamais que j'oublie Ie foin de mon ame pour trop penfer è mon corps. En me mettant a table je le remercie de la bonté qu'il a de me fournir des alimens, & aflez d'appétit pour les manger avec plaifir. Mifs Zina. Eft-ce qu'on peut offrir fes plaifirs a Dieu auffi-bien que fes peines? \ - . Madem. Bonne. II faut tout lui offrir, Mesdame?; Dailleurs, les plaifirs mnocens qu'il nous permet de goüter, doivent exciF 2 ter*  124 Le Magasin ter notre reconnoiflance. Vous avez peut - être été dégoütée quelquefois; c'eft un fupplice alors de prendre de la nourriture; que feroit-ce fi nous étions toujours dans cette défagréable fituation? puifque Dieu a eu la bonté de nous 1'épargner, & d'attacher au contraire un plaifir è la fatisfaftion de nos befoins, c'eft bien la moindre chofe de lui en marquer notre reconnoiflance» Continuez, ma chère. Lady Lucie. Après Ie déjeuner, je prens une heure de récréation, c'eft - è - dire que je vais faire une promenade dans le jardin, ou bien je chante en travaillant ou je joue du clavecin. De tems en tems, je me rappelle que Dieu eft préfeDt, je lui offre mon a&ion, ou je fais d'autres prières fort courtes. Lady Louise. Mais cela ne voas empêche-t-il pas de vous divertir? Cette penfée & les autres de cette efpèce font bien graves pour un tems de récréation ; d'ailleurs , il me femble que cela doit être pénible de rappeller ainfi fon attention. Lady  des Adolescentes. 125 Lady Lucie.* Point-du tout, Madame. Cette penfée que Dieu eft préfentj eft trés confolante. II me femble alors que je fuis un enfant chéri qui s'amufe en préfen* ce d'un bon père; ce père tendre le regardeavec complaifance, & il eft charmé de fa joye; & comme les prières que je fais alors font fort courtes, ce n'eft qu'un vif mouvement du coeür vers le Seigneur. Dans le commencement j'avois beibin de faire tous mes efforts pour me rappeller ces bonnes penfées, a préfent elles reviennent tou~ tes feules, & fans qu'il m'en coute la plus légère contrainte. A onze heure* je remonte è ma chambre & je lis 1'histoire, j'étudie la Géographie, j'écris ce qui me frappe dans mes ledlures. Je m'occupe ainfi jufqu'è trois heures & démie que ma femme de chambre en~ tre pour m'habiller. Ce tems a paffé fi vite que je crois toujours qu'elle fe trompe d'heure. Quand je fuis a la campagne ou qu'il tait beau en ville* je quitte une heure plutót pour m'allèr promener, mais cela me coute beaucoup , furtout fi je lis un livre intéreflant." F 3 Mifi  U6 Le M A C a sin Frivole. Et qui vous force a quitter votre Iecmre, fi elle vousamufe plus que la promenade? r iad^ Lucie» Le défir d'accomplir la volonté de Dieu, & de ne pas prendre rhabitude dagir par caprice. Mijs Frivole Eft • ce que le bon Dieu s'embarrasfe que vous lifiez ou que vous alliez promener; je crois que cela lui eft fort indifférent? Et puis je ne vois pas non plus la nécefiité de contraindre fes caprices quand ils font auffi innocens que ceux-lè, <& qu'ils ne blesfent perfonne? Lady Lucie. Dieu en me donnant un corps, m'a chargé du foin de ma fanté, & je ne pourrois y nuire ou la négliger fans manquer a ce qu'il exige de moi; or 1'exercice eft néceflaire a la fanté, & ü je reftois toujours enfermée je de- vien •  des" Adolescentes. 127 viendrois malade par ma faute, se qui feroit cenainement contraire è la volonté de Dieu. Vous dites qu'il n'y a point de mal è fuivre fes caprices quand ils font innocens: j'en conviens, & c'eft par amour - propre feulement que je m'applique è détruire les miens. Je ne fais ce que" je deviendrai par la füite. Peut-être me marierai-je; & malgré toutes mes précautions, il pourröit fort bien arriver que j'épouferai un mari qui aura des caprices d'une autre couleur que les miens. II arriveroit fi je m'étois trop accóutumée a les fuivre 5 qu'il faudroit quéreller depuis Ie matin jufqu'au foir, ou fouffrir beaucoup par la néceffité d'être toujours contredite. Ne vaut-il pas mieux én* prendre 1'habicude de bonne-heure, & m'accoutumer a me contredire moimême? Mifs Frivole. Je vous admire de prendre Ia réfolution de vous gét)ér pour ün mari;* vous le gtoez, Madame. Je ne dis' pas que je ne céderai jamais au mien, mais aflurément il faudra qu'il m'en donne 1'exemple; je le mctttai fur ceF 4 pied-  128 Le Magasin pied-tè avant de 1'époufer, & je lui déclarerai trés formellement que je ne prétens pas devenir 1'efclave de fes fantöifies. Madem. Bonne. Vous ferez de belles befognes, ma chère. Un amant vous promettroit de prendre la Lune avec les dents fi vous 1'exigiez, mais les promefles de eet Meffieurs font écrites fur des feuilles d'arbres, gare le premier vent. Vous me faites fouvenir d'une demoifelle qui ne vouloit abfolument point . fe marier fans avoir un carofle. Son amant pro* mit de lui en donner un , & même s'y engagea par écrit, il lui tint parole, , & lui acheta un fort beau carofle, mais jamais il ne voulut avoir de chevaux. Lady Sïncere. Si je croyois qu'il döt m'en arriver autant, je refterois fille toute ma vie. J'obérs depuis que je fuis au monde^ bjen. ou mal, & j'en fuis fi fort ennuïée que jc prétends a mon tour faire obéïr les autres, & n'obéïr a perfonne.. Mifs ,  dn Adolescehtes. 129 Mifs Zina. Je vous avoüe , ma chère, que je ne penfe pas comme vous. Je fais qu'en prenant un mari, je me donnerai un maltre, & je fuis trés déterminée k faire tous mes efforts pour régler mes volootés fur les Hennes, petites & grandes; je regarderai cela comme un devoir. Madem. Bonne. II m'eft trés aifé fur cela de tirer votre horofcope, Mesdames. Lady Sincèft fera la plus contredite de toutes les femmes, & par conféquent la plus malheureufe fuivant ces principes; & Mifs léina parviendra a gouverner abiolument fon mari. Ce n'eft que par la oom pi aifahce qu'on parvient h s'aflervir les cceurs* Dans quelques années, Mesdames, vous me pourrez rendre compte de mes prédiclions. r  Le Magasin XXII. DIALOGUE. Madem. Bonne. Commengons par 1'hiftoire de Lady Mary. Lady Mart. Ciaxare oncle de Cyrus, & que 1'Ecriture appelle Darius, nomma un trés grand nombre de Satrapes pour gouverner dans les différentes provinces de fon Empire, & il établit cmq hommes qui devoient veiller fur leur conduite. Un de ces cinq fut Daniël que Darius airooit plus que les autres, ce qui £t naftre Ja jaloufie des Satrapes, c'eft-è dire, des grands feigneurs de la Cour. Ils monroient d'envie de le perdre, mais Daniël s'acquittoit fi fidèlement de fon devoir, qu'il n'y avoit pas moycn de J'accufer d'aucun crime, ils refolurent donc de lui tendre un piége au fujet de fon attachement è la loi du Seigrjcur. Pour ,cela ils engagèrent Ie Roi a donner un édit par lequel il étoit ? èéfenüu de .préfenter requête ni prière ]  des A dolescente si 131 è aucun autre qu'a lui, pendant trente jours; & ceux qui n'obferveroient pas cette défeofe, devoient être jettés daos une grande foffe ou il y avoit des lions. Ce décret n'empêcha pas Daniel de prier trois fois par jour felon fa coutume, ia face tournée vers Jérufaiern. Les Satrapes en avertirent le. roi, & lui repréfentèrent qu'il ne lui étoit pas permis de marrquer a faire exécuter fon arrêt. Darius tic ce qu'il put pour fauver la vie a Daniël; mais comme c'étoit un prince foible, il n'ea put venir è bout; & par crainte ïhfit jetter Daniël dans la foffe aux lions. II lui-dit en pleurant; j'efpère que le Dieu que vous fervez fi fidèiement vous préfervera de ce danger* Comme ce prince craignoit plus pour fon favori la rage de ies ennemis que celle des lions, il pofa fon fceau fur la pierre qui couvroit la foffe, afin qu'on ne put la lever. II fut trifie toute la journée, ne ibupa point, il ne voulut pas entendre de mufique, & paff* toare'la:< nuk fans dormir. Le lendemain il courut k Ia foffe & * cria k haute xoixt i Bantel i feroit-il bien poflïble que votre Dieu • vous eèt • déli vré ' de la dcBt des lions? Oui ? répondit DanUl> ü §  i$ï Le Maoasin m'a envoyé fon ange, & je fuis de*, meuré en fureté au milieu de ces terïibles animaux. Darius charmé fit retirer Daniël de la fofle & y fit jetter fes accufateurs; mais ils n'arrivèrcnt pas jtifqu'au fond, car les lions s'élan^ cèrent pour les prendre, & les mirent en pièces, Madem, Bonne. Si on traitoit ainfi les jaloux, les méchans & les calomniateurs, il n'y en auroit pas un fi grand nombre. Lady Mary. Pour moi je penfe que Ciaxare Da* rim étoit un graad téehe, d'expofer è la mort un homme qu'il favoit être innocent, & de ne pas punir fes en* vieux» . Modem. Bonne. Voila le fors de principes foibles, ils font les miniftres des pafiions de tous ceuxr qui les apprechent. La foibleife 3eur : tient lieu d©: tous les autres dé* fauts. Ge, que, je dis 4es princes$ doit s'cnteadre de tous les hommes. Une ame &  des Adolescentes* 133 ame foible eft capable de tout le mal qu'on veut lui faire commettre,- j'aimerois mieux, je crois, avoir affaire a ua méchant qu'è un homme de ce caraclère , on ne peut compter un quart d'heure fur lui. Lady Sensée.. Vous m'avez permis de dire h ces dames les hiftoires qui ont rapport a Cyrus, je vais leur prouver que ce Ciaxare n'avoit point d'efprit, car il étoit jafoux. Madem. Bonwe. Vous avez raifbn, ma chère, la jaloufie eft la marqué infaillible d'un pe* tic génie. 11 me femble pourtant qu'avant de parler de Ciaxare, il faudroie news dire ce qu'étoit Cyrus. Lady Spi-r rituelle va commencer, enfuite vous continuerez. . Lady Spirituelle. Aftiage Roi de Médie avoit une fille déja grande, lorsque^ Ciaxare fon^ fils vint au monde. II maria cette fille qui fe nommoit Mandane & cela m'a ren* toot ,n Di« erV1Ce' -16 dors bien partont^au -beu que je vois des gens fermer 1 ceil; avouez que cela eft bien £ ce m,?fi« -qUe °e qu,eIIe c°Dnoit ce quelle aime; un enfint né dans roir des pommes de terre, cVfi réco fonnable; «*eft un animalbab .* sue cemme o0 veut. . ConS, La"  des Adolescentes. 137 dy Spirituelle, que faifoit-on dans Ia. fcconde clafle ? Lady Spirituelle. On achevoit de former le corps des jeunes gens par des exereices pénibles., Enfin dans la troifième claffe on s'appliquoit a leur enfeigner les fciences convenables è la condition qu'ils vouloient embrafler. Mandane aïant eu un fils nommé Cyrus, il fut élevé comme les autres dans les écoles publiques; mais quand il eut douze ans, f* mère le prit avec elle pour aller rendre vifite a fon Grand-père AJliage. C'étoit un voyage bien dangereux pour Cyrus; on vivoit avec magnificence en Médie, & il y avoit a craindre que le luxe & la bonne chère, ne dégoutasfent un enfant de douze ans de; la firnplicité & de l'auftérité des mceurs des Perfes. Le bon naturel de Cyrus le fauva de ce danger, & lorsque fon grand père lui demanda ce qu'il penfoit de ces grands feftins, il lui réponbit: les Médes fe fatiguent & font un grand chemin pour fatisfaire aux befoins de la nature; les Perfes prennent un chemin plus court & plus facile; un  Le Macasin m peu d'eaü & de creflbn Jeur fuffit; Madem. Bonne. c^0lenJ,elJl vous voas r°uve. Bez du feftm é'JJtiage, je vous Drie de sous en faire le récitl P Lflcfy Violente. fe mit dans la téte d'ëblouïr Cyrus par la magnificence de fa Cour: pour cela jj ,Dvita les principaux de fa Cour è un grand feftin, & leur comSurDdafldefir%fairexhabi,,er ^Perbement. j^cut-niS, je VOUS donne rnne des «tóWe» V0US Pouvez^en faire mLl r 3 c!u* ^ue vous aimez Ie mieux. Oyrwr donna un plat a un of- •. f2 b0n coeur * fon Grandpapa, il donna un autre plat è un officier qui avoit foin de fervir fa mère; ce ui qui lui montroit k montrer è che▼alt eut aufii un préfent; enfin il ne fn°nniV,e° *u'il n'eut UDe bonne raTfon k dire pour autorifer fon préfent; Léchanfon du Roi qui se nommo Sacas. avoit auffi la charge d'ouvrir Ia por-  des Adolescentes. *39 porte de la chambre de ce prince, & il avoit empêché le jeune Cyrus d'y entrer quand fon grand père étoit en affaire. Cyrus avoit cela fur le cceur, & pour s'en vanger il ne lui donna rien. Puisque vous récompenféz le mérite, dit Aftiage, vous auriez dü faire un préfent a Sacas qui verfe fi bien a boire. II ne faut pas être bien habille pour cela, dit Cyrus je ne fuis quun enfant, cependant je fuis für de m en acqüitter auffi bien que lui. C'eft cequ'il faut voir, dit le Roi. Auffi - tót Cyrus prit tout ce qu'il falloit pour cela, & verfa è boire de fort bonne grace. Comme il s'appercut que fon ayeul avoit I'air fatisfait, il s'écria en riant: tu es perdu pauvre Sacas, j'aurai ta charge. Pas encore, dit Afliage, car vous avez oublié le principal, vous n'avez pas goüté le vin. C'eft tout exprès que je 1'ai oublié, dit Cyrus, je n'avois garde de vouloir goüter du poifon. Et pourquoi dites* vous que le vin eft du poifon, demanda Aftiage? Cyrus réoondit; c'eft qu'il fait perdre fefprit a'ceux qui en boivenr. Je remarquai 1'autre jour qu'après en avoir bü", vous oubliatés que vous étiez Roi, & les autres oublièrenc qu'ils étoient vos fu-  Le Ma ga sin füjets. Vous parliez toas enfemble. vous nez fans fujec% & quand j voulutes danfer, vous alliez tout de travers. Mais, dit AJiiage; Ja mém» chofe njarrive i - elle pas V votre pèrl Cambifeï non , répondit Cyrus. Quand mon père a bü, ü D«a P4 foif.Tvoitt tout ce qui arrivé; M/> Belotte» iJï& B>°n/Se5 Je,penfe <ïQ'aa Men d'ap* prendre è Oyw a ne vivre que d'herbe comme un animal, on auroit tout SSLb,CD ff dC rhabituer * De pS facher mal. a ■ propos. & 4 ne pas cher- llrrf/erVa^ CeIa «^oitfort vi. lain de fe fécher contre 1'echanfon Z h°fid- C£tr h°mme ^? que rXlr\Le,; vertus des Perfes no Madem. Bonne. J'avoue que votre rérlexion eft trés bonne, Madame. La colère de Cyrus n étoit pas jufte, & ja vangeance qu'il .M1?3 éi0? £afre' üoe Perfonne qni a de la généroöté ne fe vasge pas d'un ne  des Adolescentes» 141 ne autre qui ne peut fe défendre contre elle. Au refte, ce n'étoit peutêtre pas la faute de 1'école de Perfe, mais celle de Cyrus. N'avez vous jamais manqué , Mesdames ; è obferver les chofes que je vous avois recomman. dées? Nous parierons encore de Cyrus k la fin de cette lecon , fi nous avons le tems; il nous refte des hiftoires par les quelles il faut commencer. Lady Vti* lente, c'eft a vous Lady Violente. j Dieu paria un jour è un homme appellé Jonas, & lui dit: marchez vers Ninive pour lui annoncer qu'elle fera ruinée le quarantième jour après la prédi&ion» Jonas ne voulut point obéir è Dieu, & s'embarqua pour aller dans un autre endroit, car il difoit en luiméme: je fais que le Seigneur eft bon & miféricordieox; qu'il eft prompt a pardonner, & lent k punir. Si les Ninivites fe répentent, il leur pardonnera, & je ferai trouvé menteur. Jonas s'embarqua donc dans un vaifteau pour fuir la préfence du Seigneur, comme s'il y avoit un lieu oh 1'on pöt fe dérober k fa vue & a fon pouvoir. Quand  f42 Le Ma©asin Quand le vaifleau fut en pleine mer, il furvint une grande tempéte. Alors Je pilote, les matelots & les paflagers, prioient chacun leur Dieu de les préferver de ce danger. Le feul Jonas dormoit au fond du vaifleau, & le maltre aïant appris que eet étranger fuïsit fon Dieu, 1'eveiila & lui dit: que ferons-nous pour nous préferver de ce danger? Jonas lui dit; jettez moi dans la mer, car c'eft moi feul que Dieu pourfuit, Ces gens eurenr beaucoup de peine a i'y réioudrej mais comme la tempête augrnentoit toujours ils prirent Jonas & le jecièrent dans la mer. Dieu avoit. envoyé la un grand poisfon, une baleine fans doute, le Seigneur conferva Jonas pendant trois jours dans le ventre de eet animal* oh il compoi3 uncantique Au bout de trois jours la baleine vomit Jonas fur le fable, & il marcha vers Ninivc. Cette vilie étoit fl grande qu'il faloit trois jours pour en faire le chemin, & Jonas la parcouruc en criant; encore quarantejours, & Ninive fera détruite. Le Roi & les habitans aïant ent.'ndu ces terribjes paroles, fe profternèrent contre terre & fe couvrirent de facs & de cendres. Le Roi même or- don  des A DOL ESC ENT ÏS. donna un jeüne trés rigoureux en du fant: oue favons-nous fi Dieu ne fe Jaiflerai pas fléchir par nos pleurs & s'il ne nous fera point miiericorde? Dieu touché de leur humiliation, leur pardonna, ce qui fdcha fort Jonas, paree que cela 1'éxpofoit è paffer pour un faux prophéte. Dans fa colère il fortit de Ja ville & fouhaita de mourir; il pafla la nuit fur la terre, & Dieu fit naïtre un arbre dans eet endroit, qui le garantiflbit des ardeurs du Soleih La naiflance de eet arbre coufola un peu le prophéte; mais la nuit d'après, Dieu envoya un ver qui en picqua Ia racine, enforte qu'il mourrut. Le lendemain Dieu fit lever un vent chaud, & la chaleur fut fi grande que le prophéte qui n'avoit rien pour s'en garantir, tomba en foiblefle, & fouhaita une feconde fois de mourir. Alors Dieu lui dit: tu ne 1'avois point planté eet arbre, tu ne Pavois point arofé; cependant fa mort t'arHige au point de te faire haïr la vie, tu aurois fouhaité qu'il fut épargné. Combien ai - je plus fouhaité le répentir de ceux de Ninive, afin que ma juftice püt me permettre de pardonner è cette ville dans laquelle j'ai fix-vingt mille créatu- reg  Ï44 Le Magasin res qui ne peuvent diftinguer leur maifi i droit de leur main gauche. Lady Mary. Fi, que cela étoit vilain a ce prophè te, d'étre f&ché que Dieu pardonn&t Ai ces pauvres gens» Madem. Bonne. II faut pourtant bien oublier fa faute, puisque Dieu la lui a pardonnée, & a fait des miracles pour lui faire connoitre fa faute, & juftifier la conduitte qu'il gardoit a 1'égard de cette ville coupable & répentante. Admirez auffi 1'excufe de Jonas pour fe dispenfer d'obéir; Le Seigneur ejt prompt d pardonner fcp lent d punir. Il punit pourtant a la fin quand on continue è abufer de fes graces. C'eft è vous Lady Cbarlotte. Lady Charlotte. II y avoit un homme qui s'appelloït Jobt & qui demeuroit au païs de Huts. li cratgooit Dieu ,• & le fervoit fi fidellement, que le Seigneur le combloit de fes bénédi&ions. II avoit fept fils- &  des Adolescente?. 145 & trois filles, & il étoit extrêmement riche & puiflant. Chaque jour un de fes rils donnoit un feftïn a fes frères & fceurs; & le huitième jour, Jobles rasfembloit chez lui pour les punfier, & demander pardon a Dieu des fautes qu'ils auroient pft commettre. Un jour les enfans de Dieu fe préfentèrent devant 1'Eternel, & Satan avec euxj & Dieu dit k Satan; n'as tu pas admiré la vertu de mon ferviteur Job? Satan lui répondit, il ne vous fert pas pour rien, car vous Tavez comblé de biens: il n'eft pas difficiJe de vous aimer & de bénir votre nom dans la profpérité; mais, frappez Job, ótez lui ces biens que vous lui avez donnés & vous verrez qu'il blafphémera votre nom. Je t'abandonne tous les biens de Job, dit Dieu; mais je te défens de toucher è fa perfenne. En même tems Satan defcendit fur la terre, réfolu de faire tant de mal k Job , qu'il le forceroit a la fin k murmurer contre Dieu. TJn jour donc que tous fes enfans dihoient chez leur frère ainé, un des ferviteurs de Job vint le trouver, & lui dit: les ennemis font venus contre vos troupeaux, & ils les ont eramenés, & ont tué vos ferviteurs: je me fuis Torn. HL G fau-  Le Magasin fauvé feul pour vöus eu apporter la nouvelle. Cet homme finiflbit è peine de parler, lorfqu'un autre arriva qui lui die: le feu du ciel eft tombé fur vos chameaux & vos ferviteurs, il a tout confumé, & il n'eft échapé que moi. Un troiftème lui dit: un grand vent a abatu la maifon ou tous vos enfans dinoient, & ils ont été écrafés fous les ruines avec leurs efclaves. Lorfque Job apprit tous ces malheurs, il^déchira fes habits, pour montrer qu'il n'étoit pas infenfible a tant de pertes; mais en même tems il proféra ces belles paroles: je fuis forti nud du fein de ma mère, & je rentrerai nud dans le fein de la terre. Le Seigneur m'avoit donné tous ces biens, il rne les a ótés; que fon faint nom foit béni. Voda les feules paroles que 1'affliclion arracha de Ia bouche de Job, & jamais il ne murmura contre Ie Seigneur. Satan enfuite demanda permifllon d'affliger Job en fon corps, il J'obdnt,* mais Dieu lui défendit de toucher a fa vie. A 1'inftant, le Diable couvrit Ie corps de Job d'un ulcère épouvantable; & comme il ne lui reftoit plus rien dans Ie monde, il étoit obligé de né- toyer  ies Adolescent es» I tover 1'ordure qui fortoit de fes playes, ■ avec un morceau de pot cafié. Pour 1 mettre le comble a fes maux, Satan 1 qui Jui avoit tout óté, lui avoit laififé 1 fa femme, paree qu'elle étoit méI chante, & que le plus grand malheur I de la vie eft d'avoir une femme de 1 mauvais caradère. Cette méchante créatUTe tachoit de le jetter dans le défefpoir; elle lui reprochoit fa vertu qui ne lui avoit fervi de rien, & lui difoit qu'il étoit un extravagant de fe fou\ mettre è la volorté de Dieu. Les amis de Job vinrent le voir comme pour le confoler,* mais au-lieu de le faire, ils 1'accablèrent de reproches fans que par tous ces maux, la patience de ce faint homme fut aUérée. Enfin Dieu voulut récompenfer fa foumifiion. 11 lui rendit la fanté & des enfans plus beaux cue ceux qu'il lui avoit ótés, & des richefles plus abondantes que celles qu'il avoit perdues; & il en jcui't pendant une loogue & heureufe vieilkfle. Madem. Bonne. Voilé un endroit de 1'Ecritur* qui nous préfente un grand nombre de ré- G 2 ne-  148 Le Magasin flexions; voyons, Lady Senfée, les fentimens que cette hiftoire a produit chez vous. Lady Sensée. Elle me remplit d'une grande confiance en Dieu. II me femble que les évènemens qui paroilTent facheux, foyent produits par le hazard; je vois cependant que c'eft Dieu qui les ordonne, qui les méfure & qui méfure aufti la patience dont nous avons befoin pour les fupporter; il me femble qu'il n'y a rien de plus confolant. Madenu Bonne. Cela eft vrai, ma chère; tous les cheveux de rotre tête font comptés, il n'en tombe pas un fans la permiflion du père célefte. Toutes les puiftances de 1'enfer ont beau s'unir contre nous, elles ne peuvent rien fans une permisfion exprefle de Dieu qui ne 1'accorde jamais que pour notre bien; c'eft - a - dire, ou pour nous punir de nos fautes & nous engager a retourner è lui, comme nous 1'apprenons de 1'hiftoire de Manajféi ou pour nous procurer 1'otf  des Adolescentes. MS> canon' de pratiquer de grandes vertui, eomme celle de Job nous le prouve. II nous refteroit eccore plufieurs chofes è apprendre dans 1'Ecriture, mes enfans; mais ce que vous en favez fuffit pour votre édification, & le reite demande quelques années de plus que vous n'avez. Les livres des prophéties, par exemple, vous les lirez vousroêmes . & je vous expliquerai du mieux que je pourrai ce que vous n entendrez pas> bien. Mifs MOLLY. Ma Bonne, j'ai dans ma Bibljothèque. une tragédie qu'on appelle EJtber > & on dit dans la préface qu'elle eft tirée de la Sainte Ecriture, cependant vouj ne nous en avez pas parlé* Lady violente; Et mon papa a un tableau qui repréfente Tobie, pourquoi ne nous en avez vous rien dit? Madem. Bonne. Paree que ie ne veux offenfer perG 3 foa*  '50 Le Magasin fonne, Mesdames. II v a fur ce* hi« KL**? Piufiïürs deïïfti timens. En Angleterre on dit qu'ellrs n h^q'- & au'ainfl el,es font pas de la Samte Ecriture, & pour ce- l dfre a W°,reS AP°criPhes, c'eft- S *?ftPerfes * ^es autres nations quon neft pas abfoluraent obligé d^ croire, paree que les hommes qui les ofit éentes, ont pü fe tromper. En trance au contraire, en Éfpagne, en 1% h%Siïi routIe7fltc^e ce» hiftolres ont oécefTaire de les croire, pareeqo'ij n'eft pas poffible ou'il a „.P £t engagé è ne point: vous en pat Ier; car fi je vous eu/Te dit qu'elles étoient de la Sunte Ecriture, j'aurois offenfé les Anglois cc plufieurs autres qui ne le croiront pas ,• fi au contraire ie vous difoi* qU elles font Apocrvphes, j'offencerois les Fraoeois & plufieurs autres. Vous voyez donc que j'ai eu une trés nonne raifon de n'en pas parler. Mifs  des Adolescente $. 151 Mifs Belotte. Je trouve un boD rerxède è cela, ma Bonne,* donnez-les nous, & ne dites pas ce que vous en penfez, alors chacun les prendra pour ce qu'il voudra, & perfonne n'aura fujet d'être offenfé, Madem. Bonne. Vous avez raifon, ma chère, ainfl je vous les donnerai pour la première fois. Mais vous baillez. Lady Mary. Le baillement eft un effet, un accident de Pennui; ce que nous venons de dire vous auroit- t-il ennuïé? Lady Mary. Qu'eft-ce que cela veut dire, que I Je découvre que de tems en temps il fait de grands vents fur la terre. pour ,1a purifier» Enfuite j'obferve  des Adolescentes. 157 la mer, & je m'étonne comment elle ne couvre point toute la terre, puisqu'elle n'a d'autres murailles pour la retenir, que quelques grains de fable, J'admire la beauté de Ia Lune & des Etoiles, & mille autres fpeótacles tous plus beaux les uns que les autres. Si je ne fuis plus ftupide qu'un animal, quelles penfées cela doit - il faire naitre dans mon efprit ? Lady Sensé Vous direz: comme il feroit ridicule que le rien eüt fait toutes ces chofes, il faut que je dïfe qu'elles ont une caufe dont elles font 1'efFet. Ec comme toutes ces chofes font arrangées parfaitement bien , il faut que je penfe que ia caufe qui les a produites , eft trés fage, car on doit juger de FOuvrage par 1'ouvrier. Mifs Sophie» Voici une bague extrêmement jolie; &, dont 1'ouvrage eft admirable. Cette bague eft un effet, & par fa perfection je juge que 1'ouvrier qui 1'a faite eft fort habile* G 7 ; Modem  ïS% Le Magasin Madem. Bonne. Fort bien, Madame, il me parott que vous comprenez tout ceci parfaitement. Reprenons notre exemp e. La lumière eft reffet du Soleil. Je puis donc afiurer que le Soleil eft un corps luminieux; paree que s'il n'étoit pas !umineux, il ne pourroit pas noas donner la lum ère qu'il n'a pas. Lady Louise. On peut dire aufli: la chaleur eft produite par le Soleil, donc le Soleil eft un feu. - Madem. Bonne, Rémarquez, Mesdames, que je vous at dit qu'on pouvoit connoitre la caufe par 1'efFet, pourvü qu'on conuüt parfaitement eet effet: or fl je puis vous prouvex que la chaleur n'eft pas toujours produite par le Soleil, c'eft a-dwre, 'qu'il y a des endroits oh le Soleil darde fes rayons faos qu'il y fasfe chaud, n'eft- il pas vrai que vous ne pourriez plus- penfer que le Soleil «fk'-ain feu; ,;car s'il. étoit un feu, /a eha-;  des Adolescentes. 159 chaleur feroit un effet néceflaire de fa préfence. Lady Lucie. Vous allez nous parler des montagries des Cordelières daos PAmérique; elles foDt dans la Zone Torride & cependant il y fait trés froid. Madem. Bonne. Juftement, ma chère. Un feu qui n échauffe point eft un être de raifon c eft a dire une chofe qui n'exiftj pas. Je fais que le feu doit éehaufter. Ia chaleur eft une qualité qui lui eft eftentielle, par confequent il eft ridicule de dire qu'une chofe qui n'échauffe pas, eft un feu, car on ne peut ètet une qualité eflentielle k un objet fans le détruire. J Lady..Louis e; Jj /oü« demande pardon de ma ftg. pidité , ma Bonne, je n'entens pas cemot de qualfté eflentielle. .  ïöo Le Magasin Madem. Bonne. Je crois pourtant l'avoir expliqué kl ces dames: mais je n'en fuis pasfüre; en tout cas je vais le répéter, ce font de ces chofes fi nécefiaires a favoir pour raifonner jufte, qu'on ne rifque. rien a les dire plufieurs fois. II faut favoir, Mesdames, qu'il n'y a aucune chofe dans le monde qui n'aic des qualités bonnes ou mauvaifes; or, il y a de ces qualités qui tiennent fi fort a cetce chofe, qu'on ne pourroic les öter fans la détruire; il y en a d'autres au contraire qu'on peut fort bien en öcer fans pour cela que la chofe cefle d'exifter» II 'faut encore vous donner un exemple de cela, Une qualité eflentieile a la matière, c'eft a dire k tout ce qui a plufieurs parties, eft d'avoir une forme ronde,, quarrée, poincue, large, crochue, n'importe quelle qu'elle feit. Voila une chofe qui ne peut fe féparer de Ia matière; oh il n'y a point de forme, il n'y a point de matière, Une qualité eflentieile k une montagne eft d'êtra élevée. Elle ne feroit plus une montagne fi on lui ótoit fon élévation. Une qualité eflentieile a une pièce d'êtof- fe3  ies A dolesgekte?. 161 fe, eft d'avoir de la largeur. Un fil qui a de la longueur & point de largeur, n'eft pas une pièce d'étoffe.' Je vous paroitrois ridicule fi je vous •difois le contraire. Mais la couleur blanche, ou rouge ou verte, eft une qualité accidentelle è cette étoffe. Elle eft blanche auiourd'hui, je la ferai teindre en couleur de rofe demain, & elle n'en fera pas moins une étoffe pour avoir changé de couleur. Qu'une montagne foit unie & fans cailloux, ou qu'elle foit toute raboteufe, elle n'en eft pas moins une montagne ; quand j'óterois tous les cailloux qui la rendent difficile è monter, cela n'empêcheroit point qu'elle ne fut une montagne. Comprenez-vous bien cela, Mesdames? Mifs Belotte. Je fuis une fille ou un homme * c'efta-dire, une créature compofée d'un corps & d'une ame. Si on m'ötoit mon corps ou mon ame, je ne ferois plus 'üne fille ou un homme, ces deux qualités me font eflentieile* pour ê;.re une fille óu un homme Mai> que je fois bonne ou méchante, cela n'y fera rien ; je  *6z Le Ma ga sin anui que je Cais bonne, que hier a■ <* g^nStD/en'ai ces n JS • Comment nomme t-on & aVnn rLm ne lont Pas effemiellM, MtBKÏ Perdre faDS Ch3DSC" dl Madem. Bonne. & UQfInt KPpelIe q^Iités accidentelles, Or to L ? les,d.lfti^r des autres ur ZOjtes les fois que vous vouW eonnoitre un objet, i? faut b en eTa" cidentel^ n>S' & ^ 1>autre ]es »*> Sft n«« r P^s-moiè préfent quelle eft une qualité eflentieile au feu? Belotte. D'échauffer, de bróier, felon qu'on *en approche plusou moins. Madem. Bonne. br^iIè/a-DS Ce tabIe?u un v»iffeao W brüle, fi Je vous difois que ce n'eft pas une peinture, mais un feu réel que me répondriez vous? '  des Adolescentks. 163 Mifs Be lot te» J'approcherois ma main &' je dirois, ce n'eft point un feu, ma chère, car il n'échauffe point ma main , & Ja chaleur eft une qualité eflentieile au feu. Madem. Bonne. Et fl nous étions fur les montagnes des Cordelières, beaucoup plus proches du Soleil qu'icï. & que nous fentislions un tres grand froid, que diriezvous? Mifs Be lotte. Je dirois: Ie Soleil n'eft point un feu, car s'il étoit un feu il m'échauf. feroit, il me brüleroit même en cette place oh je fuis bien plus procbe de lui qu'au bord de la mer, oh il fait un« I chaleur étourfante. Lady Loüise. Ceci fait une grande contradicTloa dans mon esprit, car, fi le Soleil n'eft point un feu, pourquoi m'écbauffe t il; n n y a que le feu qui puifle m'échauf. i'ter 4 Lady  Ï64. Le MagasiN Lady Violente. Pardon nez-moi, Maiame. Maman ne veut pis me permettre d'aprocber du feu, & je m'échauffe bien fans lui. Quand j'ai froid, je faute, danfe, je cours, & quelque fois cela m'échauffe ü bien que j'en fue, Madem. Bonne. Me diriez vous bien qu'eft-ce qui vous échaufFe alors ? Lady Violente. Le mouvement que je donne k tous mes membres, je n'ai qu'è frotter ma main bien fort & bien longtems; eïlfe eft trés froide, elle fera trés chaude^ Madem. Bonne. Voila un effet du mouvement. II caufe la chaleur, cela eft trés für; mais, Mesdames, je ne fais ü vous êtes comme j'étois a votre age, je ne pouvois avoir un moment de repos qua je* ne connulfe la caufe de la caufe» Si on m'avoit dit que le mouvement produifoit la chaleur, j'aurois tourmen- té  des Adolescentes. 165 té tout le monde jusqu'a ce qu'on m'eüt appris comment & pourquoi le mouvement produifoit eet effet. Mifs Champetre. Je réponds pour ces dames & pour moi, nous avons aujourd'hui la même curiofité que vous aviez alors. Madem. Bonne. Je le ferai d'autant plus volontiers, que cela répondra en même tems aux difficultés de Lady Louïfe. Vous fouvenez vous, Mesdames, que je vous ai dit que notre corps étoit tout compofé de flbres, &c Ces fibres qui forment notre chair, ne font pas extrêcnement preffées les unes contre les autres, car vous voyez que notre chair eft molle & flexible. Cette chair eft couverte d'une peau un peu plus ferrée, mais qui eft percée d'une infinité de petits trous qu'on appelle Póres. Mifs Sophie. Je vous afiure, ma Bonne, que ma peau  i6<5 Le Magasin Madem. Bonne. Voyez-vous tous ces petïts points qui font presque imperceptibles, ce font des póres, & quand vous avez chaud ] eau fort par ces pöres & produit cê $!?„ ^M*0?™ ,a Sueur' Vous favez bien, Mesdames, que I'air a des par- DaiTéesD°Or J t?DS Pr°uvé les *™é™ paiiees. ür eet air entre perpétueile- fibres, & ce mouvement caufe Je mouvement de toutes nos liqueurs &les empêchent de fe glacer. Quand i! fa?t froid, 1'eau qui él en repos fe g ace & toutes ces parcies fe ioWnt- üi «V rernuoit Peau i'ceiTamme^lveclro1! dre. Ur fi ]mr qu, remue ^ eft extiémement fin & déiié, c'eft è? dire, fi fes parties font trop petjes fe."™n°ilPÓre,*aoi G^°* ies remuer, lea trous qu'il v trtrnv» tance il/'" tf0Uvei; ^"ne réOsr™, «"contraire les parties de !air font groffières, elles pouffent les fibres  des Adolescente s. 367 fibres avec violence pour fe faire un paflage; elles le mettent en mouvement, & parlè ptoduifent la chaleur. C'eft donc la grofleur ou la petitesfe des parties de fair qui nous pérètrent, qui occafionnent un grand mouvement, on un petit; le chaud ou le froid dépendent donc de la qualité de l air dans lequel nous vivons» Le favant auteur dans lequel j'ai Jü cette remarque, dit: -Le Soleil met fair en mouvement mais il le mouve comme il ie trouve* Sur le rivage de la mer dans le Péroui 1 air eft extrêmement épais; le Soleil lui donne le mouvement, & ce mouvement eft fi brutal qu'il prefle nos hbres pour fe faire un pafiage, & les remue fi fort qu'il met toutes nos liqueurs en aftion. Au pied des montagnes, I'air n'eft ni trop épais ni trop délié; ainfi ilnous remue honrétement ni trop ni trop peu, enfone qu'on n'v a jamais ni chaud ni froid. Sur les mon tagnes, i'air eft fi fin; fi délié, qu'il" paffe üèlicatement dans Jes fibres & les pöres fans y toucher & fans y caufer de mouvement; alors les liqueurs fe tranq^ilifent, leurs parties s'approchent fe giacent; $ comme notre vie ne s'ea  ï6g Le Magasin s'entretient que- par le mouvement, elle finit avec lui. Ceci eft bien difficile, n'eft-ce pas, Mesdames; 1'avez-vous bien entendu ? Lady Lucie. r II me femble que je le comprens fort bien, pourvü qu'il foit für que le mouvement produife la chaleur.♦. Mais oui, cela eft für; toutes les fois; que je m'agite je fens de la chaleur; quant je fuis en repos, j'en ai moins Dites moi, ma Bonne, eft ce que I'air eft plus fin & plus délié en Hyver qu'en Eté? Madem. Bonne. Je le croirois volontiers, mais comme je n'ai jamais fait aucun examen a ce fujet, je ne pourrois vous prouver par de bonnes raifons que cela foit ainfi; par confequent je ne puis vous en rien dire, du moins je ne dois pas vous 1'aflurer. Mais quand même il feroit auffi épais en Hyver qu'en Eté, puisque c'eft le Soleil qui le met en mouvement , il doit en avoir moins en Hyver, paree que le Soleil ne le touchant pas  des Adoleschntes. jó^ I pas perpendiculairement, mais de cóté, | il doit faire moins d'effet fur lui. Lady Mary. 1 Je veur faire ufage de ce que vous . venez de dire pour me juftifier; car , enfin, vous m'avez calomniée, vous J?,v.ezuP??fé <3ue le m'ennuïois paree que Lai.„ allIé' Ditcs-moi, ma Bonne, le IjbaiIIement eft - il un effet eflèntiel de Jlennui, & ne peut-il pas avoir une au. Jtre caufe? Madem. Bonne. Oui, ma chère, il peut etre occa* lionne par Ie befoin de dormir. Lady Mary. Et voilé juftement pourquoi J'ai bail Ié. C eft que je n'ai pas fermé J'ceil ]a touit paffée, & que je mourois d'envie de dormir. Madem. Bonne. II faut donc vous renvoyer bien vitp ma pauvre enfant. 5 Tom. III. H Ltl9  170 . Le Magasin Lady Mary. Oh, vous m'avez éveillée avec toutes les belles chofes que vous avez dites, j'attendrai ces dames, & vous avez; promis de ne nous renvoyer qu'a huiti heures. Madem. Bonne. Et bien en attendant, Lady Spirituelle nous dira quelque chofe de Cyrus; Lady Spirituelle. Mandane quitta bientót Ia cour d'^rtiage pour revenir en Perfe, mais Cyrus lui demanda permifïion de refter en^pre: en Médie. Ce n'étoit pas pour faire: bonne chère & fe divertir au moins, il me fe foucioit guère de tout cela. Voicï quelle en étoit la raifon. La Perfe eft un païs rempli de mon-i tagnes; or dans les montagnes une ar-i mée d'hommes a cheval ne peut pas combattre aifément: ainfi les Perfes c'avoient que de 1'icfanterie dans leurs1 armées, & ne fe foucioient guère dei favoir combattre h cheval. Ce fut pouri apprendre cette fcience, que Cyrus de-i manda permiffion de refter en Médie.j Ce:  des Adolescente*. Ce fut Ja qu'il fut ö Ja guerre pour Ia première fois; elle ne fut pas longue J?r }?30i d'Arménie qui étoit 1'enne! mi d Aftiage , aïant été battu, il Drornit de payer un tribut & obtint la pais è cette condition. p Cyrus aïant appris è monter è cheval revint en Perfe & entra dans la fcconde ecoie. Ses compagnons penfoient qu'il auroit bien de la peine è vivre comme eux dans la pauvreté & 1'obéïflance après avoir vêcu plufieurs années dan^ le falte & dans l indépendance; ils fr trompèrent, & Cyrus fut Je premier I leur donner 1'exemple de toutes fortes de vertus. Cependant Aftiage mourut, & laiïfe le royaume de Médie a fon fi]s c f *are qm étoit oncle de Cvrar, & aiff n avoit que peu d'années plus que lii Les Rois de Babylone & de* Lvdte crurent cette occafion favorable pour isenjparer du royaume de Médie, & i déclarèrent Ja guerre h Ciaxare. Ce •jeune Roi demanda du fecours k Catl \byfe fon Beau-frère, & Cambyfe lui en qu'après' lui avoir jetté au vifage tous les gages de mon crime, c'eft adire , tous les préfens qu'il m*avoit faits; je fortis de fa maifon la rage dans le cceur. Je retournai è mon ancien logement oh 11 ne me fut pas posfible de me tranquilifer,- la fcène que je venois d'effuïer me rappelloït d'une maniêre bien accablante, toutes les circonftances de mon crime; les ïaites humiiiantes qu'il avoit eues, & qu'il auroit encore è mon égard; je me trcuvois fi^coofondu?, que je n'ofois lever les yeuxfur les perfonnes qai m'avoienÊ connue innocente. - Tout -ï^coup je mnqqs 'ïefyoiv de recouvrer quelque H: f repos-'*  Le Magasin repos en m'éloignant des yeux des temoms de mon crime; je me jettai dans une chaife de pofte è deux beures du matin, & je commandai au poftillon de marcher jufqu'è la nuit, lui laiflant le choix du chemin. K^l^i ce j°ur dans une efpèce dinfenfibihté, & fans faire aucune réflexion fur le palfé ni lur 1'avenir. Le foir mon poftillon voulut s'arrêter dans une ville & entrer dans une grande auberge, je le priai d'aller en un village qui n'étoit pas éloigné, & je delcend» dans un mauvais cabaret fans avoir ni vue ni motif. Je m'enfermai dans une chambre & je paflai la nuit fur une chaife toute habillée, j'en fortis è la pointe du jour auffi-bien que du ymage. Le hazard conduifit mes pes au bord dune rivière ombragée de faules, que je fuivis quelque tems fans favoir ce que je faifois A Ia fin, Ja fraicheur de lair rappella mes fens; & avec eux ma raifon, ma mémoire, ma fituation a mon défefpoir. . Chaque circonftance de,ma vie fe peignit è mon imagination djine manière accablante. Mais quelle .fut. ma: frayeur,au milieu de ces peniées: défefpérantes -de retrouver 1'a» mour.:  ies Adolescentes. mom au fond de mon cceur ? Mon perfide amant 1'occupoit tout entier, & ce que je croyois 1'horreur de mon crime, étoit le défefpoir de n'être plus en état de le commettre, Cette difpofition mettoit le fceau k ma mifère, . elle étoit a fon comble, & je ne pou! vois me flatter d'y trouver du remèdk Abattue par le poids de mon infortune, Je tombai fur la terre fans avoir ia force de me reiever. Je levois machinalement les yeux & les mains vers Je Cel,- hélasJ ce n'étoit pas pour v chercher du fecours, c'étoit aS contraire pour le prendre k partie ; murmurer contre Dieu, prononcer dès biaspriemes. Je dis prononcer, car i'articulois mes penfées; & mes difcours quoique fans fuite, prouvoient 1'excès de mon défefpoir. Tout-è-coup je jette Jles yeux fur la rivière & je dis- oui i m ernpêche de terminer mes malheurs ? i la vie eft devenue pour moi un fardeau imfupportable, il faut m'en délivter Le moment de ma mort étant celui de mon aneantiflement, deviendra lecom. i mencement de mon repos. LvFeite &enfé? me Iendit ma tranquihté-& affe* de förce pour me lever;« eouru : vers ia rivière dont je; ö 6'" t0^|A  i8ö * Le Mag As in toïs pas éloignée; j'y touchois lorfque j'entendis pouffer un grand cri aflfez proche de moi, qui m'obligea de tourner ia tête, & dans le móme tems je me fentis faifie par un éccléfiaftique qui avoit entendu mes plaintes, & connu mon deffein. La honte que j'eus d'être vue dans un tel état, fut le premier fentiment que j'éprouvai. La reconnoiflance le fuivit bientóc. Cet homme me paria avec tant de douceur; la pitié, la compaffion, la bienveillance fe peignirent avec tant de force fur fon vifage, que mon cceur déchiré, s'ouvrit a un fentiment qui avoit quelque douceur; hélas! depuis ma fortie de chez mon oncle,, c'étoit la feule perfonne en qui j'eufïc découvert un fentiment d'intérês réel k ce qui me touchoit. AJi, Madame! me dit^il, quelles a&ions de graces ne dois • je pas au Tout - puiifant pour avoir dirigé mes pas vers cet endroit. Je vous ai obfervée • depuis quelque tems, j'ai entendu vos plaintes, vous accuièz Dieu de vos peines; toutefois il ne vous a pas encore abandonnée ^ puifqu'il a permis que je me fois trouvé k propos pour v©us empêcher de perdre vosre -pauvre ame.  des Adolesce kt e s. s8l ame. Revenez a vous, ma chère dame, rappellés votre raifoD; quelque miférable que foit votre êtat, ne per» dez point courage; il peut chaoger fans doute; & fi mes confeits, mon amitié & mes foibles fecours peuvent y contribuer, vous pouvez y compterfürement. Que la charité eft féduifante! qu'on me paffe ce terme, La fincerité des offres qui m'étoient faites, pénètra mon cceur. Je ne pus rejetter les efpérances qui m'étoient offertes, & il fe fit en moi un changement, qui s'annonga par un déluge de larmes. Elles me mirent hors d'état de téraoigner ma reconnoisfance k mon libéraïeur; il entendit pourtant leur lacgage* Ma chère dame, me dit-il, les plus grands malheurs vous ont fans doute rédoite a la trifte fituation dans laquelle je vous ai trouvée; mais fi vous voulez me fuivre, je vous montrerai que le bonheur & les fouffrances ne font .pas incompatibles. En difant ces paroles, il me prit par la main, & je le fuivis fans réfiffance. Nous eotrames dans une pauvre raaifon oh il me préfenta a fon- époufe qui étoit cou^ chée*- C'étoit une femme entre deux tgesv pile, - extremêment maigre.., H-7-v cc-  182 Le Magasift enforte qu'il étoit aifé de voir qu'elle étoit malade» Cependant on eüt pu croire en la voyant, que fa maladie n'étoit point aigue, & que c'étoit plutót un état de langueur que de foufFrance. La ierénité, ia paix, la joye même paroiflbient fur fon vifage, & annoncoient la tranquilité de fon ame La fituation de la mienne n'étoit pas équivoque, le défespoir étoit encore peint dans mes yeux, & mes larmes continuoient a couler avec abondance. Cette dame y mêla les fiennes, & cette manière de me confoier fut plus efficace que celle qu'on employé ordinairement dans ces occafions. Elle m'exhorta enfuite a me calmer» ct ce fut avec un ton de voix fi doux fi touchant, fi affectueux, qu'il ne me fut pas poflible d'y réfifter, J'ai fouvent entendu parler de la politefle; c'eft un art, dit on, qu'il faut étudier: quiconque auroit vu cette femme, eüt changé de fentiment. Elevée loin du gïand monde, elle en ignoroit les ufages; la fource de fa politefle étoic dans la charité qui poltédoit fon cceur , &:en vérité elle eüt pu pafler pour un modèle en ce genre. II n'étois pas pofiible que raon défelpoir ■ pü^teoir  des Adolescentes: 183 contre de tels confolateurs; je commencai è refpirer, & après avoir pris quelque rafrachiflement, j'eus la force de raconter mes triftes avantures, Ma chère dame, me dit-elle, vos fautes font la fuite néceffaire de votre éducation ; auffi la bonté de Dieu v a- t-elle eu égard, & vous a préparé un remède dans les exeès même oh vous vous êtes livrée. II ne faioit pas moins que les triftes avantures que vous avez fubies pour vous découvrir Ja fauffeté des principes de votre père. II parïoit }-u~e lorfqu 11 dlfoit <3ue la vertu feule fuffit au bonheur de 1'homme, & aue Ia pauvreté, les foufFrances & les mépns des hommes ne peuvent altérer la paix d'une ame vertueufe; mais ce n'eft pas la vertu ftoïcienne qui peut produire ces admirables effets, c'eft celle 1 qui a pour principe la connoiflance & la pratique des vérités du chriftianis. i me. C eft celle qui connoilTant fon im- puiflance, fe tourne è tout moment vers Dieu pour en obtenir un fecours 1 qu'il ne refufe jamais, & qui élève i les plus foibles au-delTus des peines 1 de la vie» Permettez. moi , de vous en éoanm en; ma perfonne un exemple d'aü-.  1^4 Le Magasïn d'autant plus frappant, que ma vertui! eft- des plus médiocres. II y a aujourd'hui dis jours que j'ai 9 perdu mon rils unique, & c'eft lel huitième que je perds depuis trois ans.1 Ce dernier enfant a fouffert depuis uni an des maux bien propres a dechirer: le coeur d'une mèré tendre; & pour: agraver mes peines, je me fuis vue: fouvent hors d'état de lui procurer' -les fecours que demandoient fa fitua-tion & fes fouffrances, quoique je m'épaiiTaflTé au travail des mains pour le foutenir, car mon mari quoique bon gentil- homme n'a aucune fortune. La fórce du travail, joint a la délicatelle de ma complexion & au manque des chofes nécefïaires, a corrompu mon fang. Je fuis attaquée d'un cancer qui me devore toute vive, & me fait fentir des douleurs au deflus de Texpresfion. Rien ne peut me fauver la vie; il eft yrai que je pourrois adoucïr mes maux fi j'avois le moyen de me procurer quelque fecours > mais' ma pauvreté m'en empéche. En finifiant ces mots, elle me découvrit fon fein, & offrit a mes yeux un fpe&acle qui me gfcca; d'eSroi. Consment pouvez-vms «  des Adolescentes. i8j? fupporter un tel fupplice, lui dis-je? Pourquoi ne cherchez vous pas a yous en garantir par une mort volontaire ? Comment fe peut il faire qu'au milieu de chagrins fi infupportables, vous afez pü conferver cette férénité qui fe remarque dans vos discours & fur votre vifage? La fource de ma tranquilité eft dans ma foi, me répoodit cette digne femme; c'eft eHe qui nourric dans mon cceur 1'espérance qui produit une joye pure & douce; elle en a bannie ia terreur, le dépit & le défespoir. N'allez pourtant pas croire que je trouve ces difpofitions dans mon caractère; je fuis née foible; impau>nte & fenfible. Prenez & lifez, ajouta *t- elle, en me préfentaut les Saintes Ecritures; voilé le. dodbur qui m'a enfeigné le grand art d'être heureufe* C'eft la que j'ai appris qu'une gloire éternelle eft Ia fin de toutes les fouffrances de ceux qui les fupportent avec réfignation. C'eft la que j'ai trouvé & qui je pouvois demandeir de la r/fignation & de la force. C'eft par Ia leclure de ce livre divin, que je me fuis convaincue, que la main qui me frappe, eft celle d'un père qui connoit ce qui. nfeft ■  I8<5 Le Macasin m'eft avantageux, & qui eft trop bon pour me le refufer. Oui, Madame, ma pauvreté, ma maladie, la per te de mes enfans, ma mort même, font des bienfaits du Très-haut qui plein de bonté, récompenfe ma foumiffion a ies ordres, qui pourtant eft fon ouvrage, par une joye qui peut être goütée, rnais qui eft au-deflus de toute expreflion, Pendant ce discours les yeux de cet» te femme s'étoient animés d'un feu divin: cette joye intérieure donc elle parloit, s'etoit repandue fur fon vifasre abbattu, elle étoit éblouMante. Je rêfoïus d'examiner une religion capable . d opérer de tels miracles; je dis miracle, & je ne crois pas le terme trop xort. La réfurre&ion d'un mort n'eft pas plus au deflus des forces de Ia nature, qu'une telle joye dans un état li déplorable. Ces bonnes gens applaudirent h ma réfolution & me prellerent fi aifectueufement de refter cbez eux en attendant que je fuffe déterminée a quelque chofe, que j'aceeptai leurs offres; & avec 1'afliftance de cet éccléfiaftique j'étudia 1'Ecriture. D'abord je lui répétai les obje&ions des Déïftes que je n'avois que tr©p étudiées, & il  des Adolescentes. ï87 ïi y répondit avec une force qui ne me laifla pas ]e moindre doute, & qui roe mit dans une dispofition d'esprit propre a lire avec refpect des écrits qui venoient de Dieu, comme 1'examen que j'avois fait de leur divinité m'en avoic convaincu. Nous faifions avant nos letïures une prière ardente pour obtenir de Dieu par les mérites de Jéfus- Chrift, ce bon efprit qu'il a prorcis a ceux qui le demandent en fon nom. Le fruit de mes méditations fur 1'Ecriture, fut Ia connoiffance de mes erreurs, & une ferme réfolution de ne rien épargner pour réparer le paffé par une vie nouvelle. Pendant mon féjour dans cette maifon, je fus témoin de la mort de mon hóteffe. Qu'on ne me vante plus la fermeté des philofophes en pareil cas , jc ne vois en eux qu'une tranquilité Itupide, produite par 1'ignorance des fuites de la moru lei c'étoit de la joye, une espéce de ravilfement, d'extafe, Ce n'étoit point un fentiment douloureux qui fe faifoit fentir a la vue de cette agonifantet c'étoit un mouvement d'envie, on eüt fouhaité d'être en fa place; enforte que je ne pus m'empêcher kde m'écrier: O Umbeau% li  l8o Le Magasin o& eft ta vittoire? O mort, oü efi toto aiguillon. J Auffi tót après je quittai mon généreux bienfaiteur qui me procura une place dans une familie du voifinage. Cet état de fervkude qui d'abord me parut extrêmemenc mortifiant, s'adoucithientóc par Ia dimmution de mon orsueil, auquel feulement il étoit infupportable. Le cnristianisme vainquit en peu de tems un ennemi qui avoit refifiéè toutes les forces de la philoföphie. En qualité de pénitente je devois me foumectre è tous les défagrémens de mon nouvel état; mais bientóc comme chrétienne, je fentis que rien ne devoifc m humiher & me faire fouffrir que le fouvenir de mes crimes. Ce fouvenir étoit Ia feuie chofe qui troubloit ma paix; mais 3'exprès commandement que me faifoit le Sauveur du monde d'efpérer le pardon de Ja Divine Miféricorde, rappelioit Je calme dans mon efpriu Je luis depuis plufieurs années dans cette fituation heureufc, toujours ^auvre, toujours contente, & toujours prête a quitter cette vie quand il plaira è Dieu de m en retirer; pour continuer & aug. menter ma béatitude Lady  des Abolescentes. ig$ Lady Louise. lMod Dieu ! que cette hifloire eft tou« chante, je n'ai pü reteair mes larmes en lécoucanr. Madem. Bonne. Rappelez* vous, Mesdames, a quel fujet je vous 1'ai racontée. II s'aeisioic quil n'y a point de vertu réelle & conftante fans Chriftianisme. Je defie de trouver un Deïfte plus attaché è Ja vertu morale que Fidêiia; cependant cet attachement ne put tenir contre les circonftances fêcheufes oh elle fe trouva expofée, & contre la vioJence d un paftion. Si toutes les perfonnes qui penfent comme elle en Matière de religion, vouloienc nous faire leur hiftoire; nous connoitrions clairement que leur vertu eft de la faufte monnoye. Retenez bien ceci, Mesda mes. ta)us entrez, oh vous éres pré'. tes d'eötrer dans le monde oh vous ne trouverez que trop de gens de cette efpóce; vous entendrez des raiJJeries contre les ames iimples qui fe foumettent humblement a la parole de Dieu • vous aurez les oreilles rebatues des mau- va  190 Le M&sasin vais raifonnemens des libertins a ce fujet, on vous excitera è lire des livres pernicieux. Regardez ceux qui vous parleront ainfi, ou qui voudront vous prêter de tels livres, comme des empoifonneurs, des peftes publiques; ne craignez point de penfer que ce font de mal honnétes gens; fi leur cceur pouvoit vous être dé voilé, vous verriez que ce jugement n'eft point trop rigoureux. Lady Lucie. Fidelia dit qu'elle fe convainquit par la raifon de la divinité.des Ecritures fainte», eft ce que cela eft poflible? J'avois toujours cru qu'il n'y avoit que la foi qui püt nous engager k foumettre nos efprits k des choles fi contraires k la raifon. Madem. Bonne. Vous n'y penfez ptfs, ma chèri; avezvous oublié que Dieu eft la fouveraine raifon, que toutes fes ceuvres font inftoiment fages & raifonnables ? Je  des Adolescente*. iqï Lady Lucie. Je fais cela, ma Bonne, mais pour. tant il y a bien de chofes dans 1'écriture qui font contraire* k ma raifon. ÏZ^TfK' je ne Puis «>ncevoir la néceffité de l'incarnation; Dieu ne pouvoit-n pas fans envoyer fon Fils fur ia terre, fe réconcilier avez les hommes. On croit ces chofes par la roi, je le répète, mais c'eft tout. ' J c Madem. Bonne. P°U!?is réP°D£Jre direöement k rotte queftion par rapport au miftère tems & cela viendra une autre fois Te vérnés contenues dans Ja fainte Ecri. 2l i u °ür élte? ^dles f0Dt contra fes k la raifon, & vous dites mak mais il eft vrai qu'il y a bien des chofes incom&réhenfibies a Ia raifon. Dke? moi, ma chère, y a-t-il rien qui paroze plus ridicule au premier coup d'Sï que de penfer que de 1'autre cóté de ]a terre, précifement vis-è-visde Ia r>li ce que vous occupez, il y a des hni «ies dont les pieds touchlroient 4 v"," pica*  102 Le Magasin pieds fi vous pouviez percer la terre & atfriver jusques la ? Lady Lucie. Cela me paroiflbit abfurde avant qu'on me 1'eüt expliqué, a préfent cela me paroit tout naturel. Madem. Bonne. Mais avant cette explication, pouviez-vous croire qu'il y eüt une Amériqae, ou comme 1'on parle communément, des Antipodes? Lady Lucie. Je le croyois fans examen, paree que je ne pouvois me perfuader que tant de voyageurs fe fuflent accordés pour me tromper. Madem. Bonne. Vous aviez donc une bonne raifon pour croire qu'il y eüt des Antipodes. Et dites-moi, je vous prie, fi vous trouviez une perfonne qui ne füt jamais fortie de 1'Angleterre, & qui vous fou- tifit  des AD ole 8 cent es. 193 tint que cette ile comprend le monde entier, qu'il n'y a que Ia mer au-dela, & que tous ceux qui reviennent de quelque voyage font des importeurs qui cherchent a vous tromper par des fictions; que lui diriez-vous? Lady Lucix. Qu'elle eft folie, & que s'il ne falloit croire que ce qubn auroit vu, on croiroit bien peu de chofe. Madem. Bonnej Et fi je vous difois qu'il y a daas une tafie de vinaigre qui vous paroit bien clair, une grande quantité de vers, & même de petits ferpens. Lady Lucie. Je vous demande pardon ma Bon° ne, j'y regarderois de bien prés, & fi je n'y voyois rien, je prendrois la ïiberté de douter au moins de ce que vous m'auriez dit. Tom, HL Madem*  J.94 Le Magastn Madem* Bonne. II eft aifé d'en faire 1'expérience, J'ai du vinaigre blanc dans ce cabinec, je vais en mettre dans une tafle a caffé, . . . regardez bien. Lady Lucie. J'ai beau regarder, il n'y a rien que queïques ordures imperceptibles, quelques grains de pouffière que j'appercois a peine, tant ils font petits. II n'eft pas polfible de fuppofer des vers plus petits que ces grains de pouffière, s'il y en avoit je les appercevrois; je ne les vois pas, donc il n'y en a point. Madem* Bonne. Je vois Lady Senfée qui fourit de votre donc, je lui laifle le foin de vous dire pourquoi elle fourit? Lady Sensée. Pardonnez-moi, ma chère Lady Lucie, je ne fuis pas alTez vaine pour croi* re avoir plus de lumières que vous; maïs il y a fi longtems que ma Bonne m'in-  des Adolescente*. i&$ m'inftrult, qu'il n'eft pas furprenant que je me fois appergue de votre erreur, Votre donc pofe fur un principe fatfy. ou plutót il en eft Ja conféquencel vous en pourriez dire cent de cette efpèce , fans rien prouver comme il ftut Vous n'êces pas fachée au moins ? Lady Lucie. Pardonnez-moi, chère amie; je fuis vraiment fachée de ce que vous craignez de m'avoir offenfée. Je ne fuis pas aflez ftupide pour cela; je cherché a m'inftruire, & on peut le faire hardiment, furtout quand ocs'y prend avee mutant de politeffe & de ménagement que vous ï'avez fait. Ayez donc la bonté de me montrer la fauffeté de mon principe ? Lady Sensée. C'eft que vous avez fuppofé qu'il ne pouvoit y avoir aucun animal plu* petit que ces grains de pouffière. Si ma Bonne veut neus prêter fon microscope , vous verrez des am'maux auprès desquels ce grain de pouffière paroftra une montagne 9 éc j'ai ouï dire a det I 2 fa»  103 Le Magasin favans, qu'il y a des animaux beaucoup plus petits encore que les verres les plus parfaits ne peuvent faire appercevoir. Madem. Bonne. Voilé mon microscope, Mesdames, regardez a préfent dans la talfe. Lady Lücie» Miféricordel Voila une fourmillière d'animaux de toutes fortes de formes. Je me reods, ma Bonne, c'étoit la faute de mes yeux 0 je ne voyois pas tout cela. fis ne font pas aflez pergants. Madem. Bonne. Et c'eft la faute des yeux de votre raifon , fi elle ne comprend pas les chofes qui vous paroiiïent incompréhenfibles dans les Saintes Ecritures, elle eft trop foible pour cela. ■Lady Louise; Ma Bonne, je cherché h m'inftruire aufli-bien que Lady Lucie, ainfi ayez la  des A d o l e s c e n t e s. lyj Ia patience d'écouter UDe queftion qui eft bien impertinente, Puisque Dieu vouloit que je crufte les miflères renfermés dans Ja Sainte Ecriture , pourquoi ne m'a-t-il pas donné une raifon aflez éclairée pour cela, ce préfent ne lui auroit pas couté plus que 1'autre? Cette raifon qu'il m'a donnée, me devient inutile dans les chofes qui font de la dernière conféqoence pour moi, & elle eft fi foible, qu'elle ne peut me fervir au plus, qu'è découvrir des bagatelles qui ne m'importent guère. Madem. Bonne. La railbn doit vous fervir a croire ces chofes incompréhenfibles fans les concevoir. Ecoutez moi bien attentivement, Mesdames. II ne peut y avoir de contradittion dans les ceuvres de Dieu. II nous a donné un entendement, & dès la, c'eft une marqué certaine qu'il veut que nous nous en fervions pour régler notre foi & notre conduite. II n'y a que deux facons d'étre chrétienne & de croire les Ecritures. La prémière, c'eft de foumettre fon efpric, parceque nos pères ont foumis le leur fans examiner s'iis I 3 ont  198 Le Magasin ont eu raifon de Ie faire; c'eft lè la | fagon commune, & qui mulciplie le noaibre des mauvais chrétiens ou du j moins dei chrétiens foibles. Lady Spirituells. J'ai entendu dire cela bien des fois I è des gens d'efprit ; je fais Chrêcien paree que je fuis né Chrêtien: fi j'étois né Turc 3 je rejlerois Turc, car un honnère homme ne doit pas changer de religloa* Madem* Bonne. Ceux quitiennent ce discours, ne font pas Chrétiens a Londres, non plus qu'ils ne feroient pas Turcs è Conftantinople. Un telle foi n'honore point Dieu. Ces gens lè ne foat d'aucune religion. Je le repète, Dieu ne nous a donné la raifon que pour nous en fervir. Ditesmoi, Lady Lucie, pourquoi vous ai-je prié de ne me jamais croire fur ma parole, ni moi ni les autres? Lady Lucie. Paree que vous nous avez fait remarquer  des Adolescentês* 199 quer que tous les hommes peuvent fe tromper ou chereher a nous tromper, & qu'ainfi il eft raifonnable d'examiner ce qu'ils cous difent. Madem. Bonne. Fort bien; mais 13 vous étiez lure que je ne pufle me tromper ni vous tromper, feroit-il néceflaire d'examiner ce que je vous dirois? Lady Lucie. Non aflurément; la raifon m'enfeigneroit è vous croire au premier mot, & je ceflerois d'agir en créature raifonnable, fi j'avois befoin d'examen pour cela.| Madem. Bonne. Et bien, Mesdames, pour favoir ü la raifon vous permet d'être chrêtiennes, fi vous devez croire aveuglément tout ce qui eft contenu dans les Sain*tes Ecritures, il n'y a qo'une chofe * examiner qui eftce)le-ci. Puis je me convaincre par ma raifon que c'eft Dieu qui a dicTté ce qui eft contenu dans ces livres? Si ma raifon peut me donner I 4 cet-  2oo Le Magasin cette preuve, elle m'enfeignera en même tems, que je ne fuis plus en droit d'examiner ce que Dieu m'ordonne de croire, paree que je fuis bien füre qu'il ne peut fe tromper, ni me tromper. Voilé, Mesdames, Ia feconde fagon d'être chrétienne, & ce fut celle-la que choifit Fidelia. Sa foi étoit aveugle, c'eft - a dire, qu'elle croyoit les miftères fans les comprendre; mais les motifs de fa foi étoient raifonnables, car ils étoient fondés fur I'examen qu'elle avoit fait de la divinité des Ecritures. Lady Louise. Que j'aurois de fatisfa&ion fi j'étois en état de faire le même examen l Madem. Bonne. Nous le ferons enfemble quand nous répéterons 1'hiftoire du Nouveau Teftament, c'eft» a*dire , la vie de JéfusChrift. II n'y a rien dans le monde de plus capable de nous attacher fincèrement au chrjftianifme, Un chrêtien dont la foi n'eft pas fondée fur la raifon, ne mérite pas de porter ce nom. D'ailleurs rien de plus aifé que de faire  des Adolescenten %o4 rs Ia preuve que j'exige; il ne faut que lire Ia Sainte Ecriture avec quelque attention. Revenons è 1'hiftoire de FU delia, & aux fentimens qu'elle fait na£~ tre chez nous. Mifs Fr ivole. Pour moi je fuis d'une fi grande coJère contre George, que je 1'étranglerois fi je le pouvois. Quelle indignité de battre cette pauvre rille I Madem. Bonne* II eft vrai que c'eft une chofe infame; mais, Madame, les hommes fe croyent autorifós k tout vis-a- vis d'une femme qui s'eft deshonnorée; les hommes furtout du cara&ère de George^ Lady Spirituelle. J'en ai été la dope, & dans Ie commencement j'aurois juré qu'il étoit- le plus honnête homme du- monde. Madem, Bonne. Pöuvies-voös penfer- comm»-; céïa» 1 > m* f  202 " Le Magasin ma chère? Tout homme qui cherché & détourner une femme de fon devoir, eft un fourbe auquel il ne faut non plus fe fier qu'è un voleur. Dites moi, ma chère, quelle eft la chofe du monde la plus précieufe, des biens» de Ia vie même, ou de la grace de Dieu & d'une bonne réputation? Lady Spirituelle. Aflurément, ma Bonne, ce font ces deux dernières chofes, & je concois fort bien» que celui qui voudroit me les faire perdre, feroit plus méchant qu'un autre qui voudroit me prendre mon argent ou même m'óter Ia vie. Mifs Zina. Pour moi, j'ai été véritablement touchée de Ia conftance & de Ia charité de cette pauvre dame qui avoie un cancer. Oombien de pauvres perfonnes font tombées dans le défefpoir & fe font perdues, faute d'avoir de pareils confolaceurs. Madem. Bonne. Vqös aves raifon, ma chère 5 ; mais  des Adolescentes. 203 j.e vous le répêEe: ce n'eft point h votre êge, qu'on doit entreprendre de teis aftes de charité, ils feroient dangereux. II viendra un tems, ou vous pourrez è cet égard fuivre les mouvemens de votre zèle; en attendact, lorsque vous ferez en fituation de dispofer de quelque argent, fouvenez-vous qu'une des plus grande? charités que vous puiffiez fsire, eft d'empêcher de pauvres filles de tomber dans cette extrêmité. II y en a plufieurs qui ne fachant aucun e profeflion, & n'aïant pas dequoi vivre, font expofées è la même tentation de Fidelia. Hélasl un p.etite fomme fiiffiroit pour leur faire apprendre a travailler, Quelle joye n'auriez-vous pas, fi vous pouviez vous dire h vous- même : voilé une honnêce perfonne qui gagne fa vie en travailiant; peut étre doit-elle la converfation de fa vertu au petit fecours que je lui ai donné. Je connois un négoeiant qui depuis fix mois a trouve' i'occafion de faire une bonne oeuvre de cette efpèce; les parens de la fille qu'il avoit fauvée3 lui écrivirent 1'autre femaine pourle reraercier, & lui dirent qu'eile fe comportoit avec beaucoup de fageife. Ge 'pauvre homme pleuroic de joie en lifant cette  204-.; Lë M a g a s ï n lettre, & n'avoit garde de regretterquelques guinées qu'il lui en avoit couté. Adieu, Mesdames, nous nous reverrons tantót. XXIV. DIALOGÜE. Madem. Bonne. MI& Molly, dites nous le commencement de 1'hiftoire d'Ejter. Mifs Molly. II y avoit un Roi d'Aflirie qui fe nommoit AJfUérus, & fa femme fe nommoit Vajlby. Un jour que le Roi donnoit è fouper a tous les grands de fa Cour, il fit prier la reine de descendre dans la falie du feftin. Elle le refufa paree que cela étoit contre la coutume du païs. Auffi - tót le Roi fe mit dans une grande colère, & tous les feigneurs lui dirent: Sire, fi vous ne puniflez pas la reine, nos femmes fuivront fon mauvais exemple, & au^une-ne voudra plus nous obéïr. Le oi cWfa donc fon éponfei . mais comme .:  des A D 0 L E $ C E NT E S. fioj me il avoit peine h Toublier, od chercha de tous les cótés les plus belles filles, & on les préfenta au Roi afin qu'il püt choifir une femme parmi elles. Dans ce tems les Juifs étoient cap* tifs en ce pai's, & il y avoit parmi eux un homme nomme Mardocbée qui craignoit le Seigneur, & obfervoit fidèlement fa loi. II avoit une nièce nommée EJter qui étoit extrêaiement be le, & qui fut mife au nombre des fiiles qu'on devoit préfenter au Roi. Ce prince fut fi enchanté en la voyant, qu'il daigna a peine jetter fes yeux fur fes compagnes, & la choifit pour fa Reine. Voilé donc Efter fur Ie tróne; mais elle ne fe laifla point éblouïr par la magnificence, elle foupiroit dans fa grandeur en penfant que le temple de Jérufalem étoit détruit. car nous avons vu que les ordres que Cyrus avoit donnés pour cela, n'avoient point été exécutéf. AJJuérus avoit un favori nommé Aman qui étoit un trés méchant homme. II avoit toutes fortes de mauvaifes qualités, 1'orgueil étoit fur tout fa pafilon dominantes AJJuérus qui avoit pour lui me complaifance aveugle, fit . publier 1*7*; un  2o5 Le Ma ga sin nn édit par lequel il étoit ordonné è tous fes füjets de fe profterner devant Aman. Tout le monde obéïc a cec ordre excepté le feul Mardocbée, paree qu'il ne vouloit fe profterner que devant Dieu. II fe tenoit a ia porte du palais revêtu d'un fac & couvert de cendre, & quand Aman paffoit, il fe tenoit dehour. Le favori qui ne fa voit pas que Mardocbée étoit oncle de la reine, concut une grande rage contre lui, & devint tout mélancolique; fa femme & fes amis lui aïant deraandé la caufe de fa triftefle, il leur répondit que c'étoit Ie refus que faifoit Mardocbée de fe poftemer devant lui. Vous n'y penfez pas, lui dirent fes amis: toute 1'Aflirie s'abaifTe devant vous , devez vous vous embaraffer du mépris d'un feul homme? Apprenez, leur dit Aman, que je fuis moins fiatté de tous les honneurs qu'on me rend que piqué des- mépris de ce feul homme, cc que je ne ferai jamais content è moins que je ne 1'aye fait pérïr. Madm. Bonne. Vöila une image bien fenfible du soeur de: Fambicieux, & de tous ceur qui  des Adolescektes. 207 oui fe laiflent gouverner par une pasfion violente. La moindre bagatelle fuffic pour troubler leur bonheur, & cette bagatelle fe rencontre toujours dans leur chemin. Je vous ]e difois il y a quelque tems, Mesdames: on peut parvemr avec la grace de Dieu a modérer fes defir?; mais il n'eft pas polhble de les fatihfaire pleinement. Contmuez, Lady Cbarlotte. Lady Charlotte. Amanüe pouvant pardonner a Mardocbée, réioiut donc de le perdre. Pour cela, il fe leva de grand matin & fu£ chez le Rot pour demander pcrmiflion de faire pendre ce Joif; & comme la porte du Roi étoit encore fermée il fut obligé d'attendre dans 1'anti-chambre. II y avoit eu quelque tems auparavant une confpiration contre la vie du Roi. Mardocbée Ta voit décou verte ° mais comme on oublie faciiement les bonnes aftions d'un homme quand il na pas de proteéleur è la Cour, Mar, docbée n'avoit regu aucuce récompenfe de ce fervice. II arriva par 1'ordre de Dieu qu'il ne fut. pas poifible au  208 Ze Mag as in Roi de dormir cette nuit dans laquelle Aman avoit réfolu de perdre Tonele ü*Efter. Comme AJJuêrus s'ennuïoit dans fon lit, il commanda a fes officiers de lui faire la lecture d'un grand livre dans lequel on écrivoit tous les jours les chofes remarquables. Quand le letteur vint a 1'endroit de la confpiration, le Roi 1'interrompit pour lui demander, fi celui qui 1'avoit dècouverte avoit été recompenfé? Nonfeigneur, lui répondit 1'officier, cc il elf tout le jour k la porte de votre palais dans un état trés miférable. C'eft une grande injuftice, dit le Roi; voyez s'il y a quelqu'un dans mon anti chambre. L'officier lui aïant dit qü'Aman v étoit, Le Roi commanda qu'on le f£e entrer & lui dit: Mon ami, que penfe - tu qu'il faudroit- faire en faveur d'un homme au* quel je voudrois donner une grande preuve de mon amitié? L'orgueilleux Aman penfa que cette queftion ne pouvoit regarder que lui, & il répondit au Roi: II faüdroit, feigneur, lé Tevêtir de votre habit royal, & mettre fur fa tête votre diadème \ qu'en cet état, , snonté fu? un chevalvmagnifique,-il #c le s  dtS A DOL esc ek te s. 200 lè tour de la ville, & que le plus grand Seigneur du royaume après vous conduisic ie cheval par la bride en criant: c'eft ainfi que le Roi traite celui qu'il veut honorer. Cela eft fort bien, dit Affuérus. Prens le Juif Mardocbée & 1'habille comme tu 1'as prescrifi, & tu le conduiras par toute Ja ville, en tenant la bride de fon cheval. Le fuperbe Aman penfa tomber mort lorqu'il entendit ces paroles; mais il n'y avoit pas moyen de reculer fans s'expofer è la disgrace du Roi. 11 fortit donc la rage dans Je cceur, & fervit lui-même au triomphe d'un homme dont il avoit juré la perte. Mifs Be lotte, Tour cela Aman fut bien attrapé; je vous avoue, ma Bonne, que j'en fuis bien-aife; il y a un grand plaifir quand on voit les gens qui font fi orgueillieux bien punis. Madem. Bonne. C'eft ce. que je vous repréfënte tous les jours, Mesdames. Si cela fut arrivé a un honnête homme, vous en fe-  2io Le Mag as in feriez féchée». T^chez d'intéreffer tout Ie monde en votre faveur par des manières MaryS & P°liCS' Ceft è V0US' Lady Lady Mary. Aman outré de favanture qui lui étoit arrivée, réfo!u de perdre tous les Juifj afin d'enveiopper Mardocbée dans leur perte. Pour cela il fit au Roi mille calomnies contre cette nation, & le Roi qui ne voyoit que par fes yeux, crut aifément ce qu'il lui difoit, & réfolut de faire maflacrer dans un feul jour tou« les Juifs qui étoient dans fes états. Mardocbée aïant appris cet ordre cruel, vint trouver EJter,& lui commanda de parler au Roi pour 1'engager è révoquer cet arrêt. Efter lui répondit qu'elle étoit bleu fichée de ne pouvoir exécuter fes ordres, paree que ceux qui entroient dans rappartement du Roi fans fon ordre, étoient punis de mort, è moins qu'il ne les touehdt de fon fceptre, & qu'eH?} ne pouvoit s'expofer h ce danger. Mardocbée lui répondit avec févénté, qu'elle ne devoit -pas craindre d'expofer fa vie pour fauver fa nation,- que Dieu ne 1'avoit placée dans ce haut rang, que pour cette finj qu'il fauroit bien fans elle j  ies Adolescentes. 211 elle fauver fon peuple, & qu'elle cc devoit pas efpé'rér de fe fauver du masfacre gér.éral. EJier fe retira dans fon appartement aprës avoir promis d'obéïr, & elle fe prépara a paroitre devant fon époux par le jeüne cc la prière, Ce fut dan* cette occafion qu'elle dit a Dieu : Seigneur, vous favez que j'ai régardé avec horreur la pompe cj* la magnificence qui m'environnent* Lorsqu'elle entra dans la chambre du Roi, les yeux de ce prince parurent étincelkn- de colère, & Efler en fut fi efFrayée qu'elle tomba évancuïe ertre les bras de fes femmes; AJJuérus frémit du darger oh elle étoit, & descendant de fon tróne avec précipjtation, il Ia toucha de fon fceptre d'or & lui dit: rafiurez - vous, EJier % la loi n'efl pas faite pour vous. La reine étant revenue de fa foiblefle conjura fon époux de lui faire la grace de fouper chez elle, & d'amener Aman a ce feflin. La favori fut fort content d'apprendre la faveur que lui faifoit Ia reine, & il n'eut g^rde de mtnquer k ce feftin, Lorsque le Roi & le favori furent entrés, la reine fe jetta a genoux, & lui demanda la vie & celle uc id canon, Jijjmrus nc comprenoic rien  212 Le Magasin" rien a ce discours car il ignoroit que fon époufe füt Juive. Le Roi parut frappé de cette nouvelle, & étant entré daos le jardin, il s'y promena quelque tems fort rêveur. Pendant ce tems, Aman qui comprit le danger oü il étoit, fe jetta aux genoux d''EJier, & la conjuroic d'avoir pitié de lui. Le Roi entra dans ce moment, & croyant qu'il infultoit fon époufe, il entra dans une furieufe colère, & commanda qu'on le ■tim de ia falie pour le faire mourir. Alors un de ceux qui étoient préfens dit au Roi, qa'Aman avoit fait élever une potence de quarante coudées pour y faire pendre Mirdocbée. AJJuérus commanda qu'on y attaché Aman, ce qui fut exécuté. Lady Spirituelle. Je ne concoïs pas comment Aman pouvoit avoir 1'effronterie de faire périr Mardocbée après ce qui s'étoit pasféj ne devoit-il pas croire que le Roi feroit fort en colère quand il apprendroit cela? Ma*  des Adolesceittes. 213 Madem. Bonne. Bon, rca chère, efr-ce que Jes rois ont des yeux V ils ne voyent que ce qu il plait è leurs favoris de leur montrer. Comme ils ne font environnés que de vils esclaves, perfonne n'ofe s'expoier è la colère de ces petits tyrans. Lady Charlotte. Et celui qui avertit Je Roi de Ja potence qu Aman avoit fait drelfer, étoit1J fon ennemi? ■ Madem. Bonne. C'étoit peut-être un homme qui une heure auparavant s'étoit protlerné dévant lui, & lui avoit fait offre de fervice. Vous ne connoiffez pas encore Ia Cour, Mesdames: on y embralTe celui %öAZCfr?1C éfranêIej*- Si un homme elt dans Ia faveur; tout Ie monde 1'encenfe; tornbe-t-il dans Ja disgrace, chacun Ie fUJt comme s'il avoit Ja peste, & ceux qui faifoient profeflion d'être de fes amis, croyent être fort généreux ne lui font point de mal' Mi/s  2t4 Lt Magasin Mifs Champetre. r Voila un étrange païs; ü j'étois obligée d7y vivre, je ne pourrois jamais m'accoutumer k trahir ainfi mes fentimens. Madem. Bonne. Te 1'espère au moins, mais cela eft beaucoup plus difBeile que vous ne penfez On y respire un air contagieux dont on a bien de la peine k fe préferver. Oü ie peut pourcan". La Cour a fes phénomênes en ;r ob-té; ce* gens\k plaifent moins q e i s nutres, mais è coup fü;, ils font beasKoup plus eftimés. Lady mary. Qu'eft • ce qu'ua ph laomêne, ma Bonne f Madem. Bonne. C'eft une chofe extraordinaire. Une I éclipfe, une comette, 1'électricité, enfin tout ce qui paroit forxir des loix ^rdinaires de la nature. La'. I  des Adoleschntes, 2ij Lady Mary. Je fuis tout auffi favante qu'auparavant.a Je connois les éclipfe., mK tes ni de l électricité. Madem. Bonne. En vérité, ma chère, je ne fais il k bien exacte. Je fais ce que c'eft qu'une comette, mais pas aflez Pour vous l exphquer clairement. F3iteSFmoi ere! dit de cette explicatie* jusqu'è demain, ?pprisV0US dlrai t0Ut Ce ^e i'eQ Lady Spirituelle. 4 J adraire une chofe, ma Bonne, & je veux en profiter. Quand j'ai Ja plus petice idéé d'une chofe & qu'on en paile devant mo,\ j'en raifonne hardiment comme ü j'étois bien habile, für touc ü je fuis avec des perfonnes qui je crois plus ignorantes que moi; i'ai une grande répugnance è convenir que je ne fais pas Jes chofes fur lesquelles on m'mterroge, & vous qui éteVdix! mille  %i6 Le Magasih mille fois plus habile qui moi, vous dites bonnemenc: Je ne fats pas cela. ie le las ïmparraiceracui.. v^-"»— Uz vous fait pour n'avoir plas du tout de vanité ? car je me V*to*° *f ".„o i» vanité ou1 me fait parler de tout, bien ou mal. Madem. Bonne. Cela fignifie au contraire, que j'ai beaucoup plus de vanité.que vous. I n'v a rien, ce me femble, de pms. mortifiant pour 1'a.nour propre que denrpndre dire: cette perfonne n*a point ae ,dement; elle veut parler de tout, & a moitié du tems elle ne fait ce %>e le dit je fais qu'on ne parierapasi ainffi devant moi, mais °n le penfera, & c'eft toujours la même chofe. Ainfl votre babil & mon filence ont tems: deux la même caufe. La vanité & amour'propre; & en 1'examinant bien on peSt dirè que mon orgue 1 eft pLPférieux & plus grand que e vótre D'ailleurs, ma chère, il y a de deux fortes de fciences, & pan conféquent de deux fortes tfignorances. La première eft celle qui comprend te chofes néceffaires & convenabks 1  des Adolescentes. 217 notre état. Ii eft trés honteux d'ignorer les fciences qui 7 ont rapport. Les autres fciences fcnt feulement des fciences d'agrément qu'il eft fort avantageux de polféder, mais qu'il n'eft pas honteux d'ignorer. Si cela étoit en mon pouvoir je faurois toutes les langui je n'jgnorerois aucune des parties des mathématiques; cependant je n'ai pas de honte de ne pas favoir 1'Hébreux ni 1'Aftronomie, ni quantité d'autreJ belles ch©,ès que je ne faurais jamaisau-heu que je mourrois de honte fi iè re favois pas Jire & écrire, paree qu'jj eft fuppofé qu'on m'a dooné des maf tres pour apprendre ces chofes qui con yenoient a mon état, & que fi ie w ignore, c'eft que je fuis une pareifeu fe qui a négligé de m'app'iquer qnand* étois jeune. ^ u II y a quelque tems qu un officier déja dun certam êge, demanda dans une compagnie: Monfieor, quand o* wut a Ier en Angletcrre par teire! n? fm-t\ pas pafier par la HoIIandeS re vieux ignorant ne favoic pas que Argleterre eft une He. Oo fe mor ^-g*. i un officie,/^ AX n'eft  218 Le Magasin n'eft pas en fituation de bien remplir les devoirs de fon état, s'il 1'ignore. Lady Sincère. Je vous prie, ma Bonne, dites-nous quelles font les fciences qu'il eft honteux a une fille de qualité d'ignorer? Madem. Bonne. La demande eft d'une fille de bon fens, & je vais y répondre. Elle doit premièrement favoir trés bien lire, & écrire nettement & corredtement; c'efti-dire, que fon écriture foit Jifible & bien ortographiée. II n'y a rien de plus ignoble que d'ignorer ces deux chofes. II vint dans une ville oh j'étois une dame qui fe difoit de grande qualité ; tout le monde le crut, & il n'y eut que moi qui foutint qu'elle étoit une perfonne du commun. Au bout de queloue tems, on découvrit que je ne m'étois pas trompée. Savez-vous comment je connus qu'elle n'étoit pas de qualité? C'eft qu'elle lifoit fort mal, & qu'elle favoit a peine figner fon nom. II eft arrivé plufieurs fois au contraire, qu'on s'eft oh- ftiné:  des Adolescent es. 21$ ftiné è me croire d'une grande qualité dans les endroits oü je n'étois pas connue. J'avois beau dire qu'on fe trompoit, on ne vouloit pas me croire, paree qu'on difoit, que j'avois trop d'éducation pour une fille du commun. Mifs Belotte. Eft-ce que vous n'étes pas de qualité ma Bonne? ' Madem. Bonne. Non en vérité, ma chère. Je fuis née bourgeoife, c'eft è dire, fille d'un marchand, non pas d'un de ces mar chands, tels qu'on les voit k Londres qui ont des carofies & qui font regardés comme des feigneurs; mais d'un marchand qui avoit une boutique» il eft vrai qu'il étoit è fon aife, & c'eft ge qm lui a donné Je moyen de me pure avoir une bonne éducation. Lady Lucie. Voilé la première fois que je trouve pne perfonne venue deloin, qui avou* jgu'elie n'eft pas de qualité/j'ï eu phf. K 2 fieurs  220 Le Magasin fieurs gouvernantes qui avoient chacune une hiftoire toute prêce, pour prouver qu'elles descendoient d'une grande raaifon, & fi j'en juge par leur ignorance, elles devoient être bien roturières» Madem. Bonne. Je vous répéterai iei ce que j'ai déja dit plufieurs fois. La noblefle eft un avantage, paree qu'on fuppofe qu'elle a été le prix des belles aÖions, je ne donnerois pas un foi de celle qui a une autre origine; mais quoique je refpetle beaucoup cette première noblelTc, ce n'eft qu'è conditiën que les fentimens & les vertus des aïeux,. ayent pafifé en héritage a leurs descendans auffi-bien que leurs titres. D'ailleurs, quelque vénération qu'on doive aux families anciennes, je fu s du fentiment .qu'il eft bien glorieux d'être le premier noble de fa familie, & fi on ne parvient point a Ie devenir, de mériter au moins de J'étre. Continuons a examiner ce qu'une fille de qualité doit nécefiairement favoir. Elle doit favoir fa langue par principes a afin de la parler comme il faut. Elle  des Adolescente?. lix Elle doit apprendre è fe préfenter de bonne grace dans une compagnie , a faluer comme ii faut, & pour cela elle a befoin de prendre pendant quelque teras> un mai le ne me-foi>* cie pas de fon urgent, je ne fou^qne * '' pat'-?  'Le Magasin par complaifance. Ne pourroit on pas répondre cela, ma Bonne? Madem. Bonne. Non, ma chère; il eft fort mal de profker du foible d'une perfonne pour la dépouiller, il y a la-dedans une vxaye baflelfe; ma'is vous ne vous fouciez pas de fon argent & vous ne jouez que par complaifance, car naturellement le jeu vous esmuie. Et fi cette perfonne vous prioit de lui prêter votre canif pour fe couper la gorge, vous croiriez vous obligée de le lui donner ? Vous jouez par complaifance, & le jeu ne vous arnufe pas, vous êtes donc une grande dupe de faire ie mal fans plaifir & avec répugnance? Car enfin vous vous expofez è tous les inconvéniens que je viens de citer, fi vous perdez. Vous avez beau être, riche, ce fuperfiu ne vous appartient pas, c'eft la fubftance des pauvres, vous leur voïez< cet argent, & vous rendrez un compte trés rigoureux du mauvais ufage que vous en aurez fait..  des Adolescentes. 2»> Lady Loüise. Ne nous avez vous pas dit qu'il étoit permis de fe divertir honnêtement, & que cétoit même un devoir; ne puisje en confcience dépenfer une partfe de mon bien a cet ufage? Madem. Bonne. Ecoutez, Mesdames, je ne veux pas avoir avec vous une morale trop févère: fans doute qu'il vous eft permis de facrifier quelque argent pour vos plaifirs honnétes,- mais G vous jouez pour gagner beaucoup d'argent nou* avons montré que ce plaifir n'eft pas honnête; que fi vous jouez avec dégout, ce n eft plus un plaifir. 6 5 Lady Lucie. Je penfe comme vous, ma Bonne; mais cela n empêche Pas que je n'aHifle tout autrement. Que voulez vous que J&i ™f J qUand J! fuU avec des dames qui ont coutume .de jouer gros ieu & qui me propofent de faire leur païtie vou ez-vous que je la falie manquS■ fan-' te de complaifance? H  i°p Le Magasin Madem. Bonne. Oui, Madame, il n'eft pas permis'* de poufler la complaifance trop loirj. D'ailleurs, vous n'avez qu'a vous mettre fur ce pied la, on y fera bientöt accoutumé. Fixcz votre jeu a fort peu de chofe; celles qui feront comme vous du jeu? un fimple amufement , feront charmées de faire votre partie, cc il y a un grand nombre de dames qui n'attendent qu'un bon exemple fur ce fujet pour le fuivre. J'avoue que celles qui font du jeu un trarlc honteux, ne s'accommoderont point de cela; eiles vous tourneront en ridicule, elles di. ront que vo js n'êtes bonne a rien dans Ia fociété; & que vous im porte ces fots discours? il faut être auffi ftupide que celles qui les tiennent pour s*en embaraffer. Lady Louise. J'en reviendrai toujours a ma quesdon. . Comment avec ces penfées-las , pouvez-vous jouer tous les jours? Modem**  ies Adolescente s. S31 Madem. Bonne. . Je vais voos répondre. Je «garde I* jeu comme un délaflement; paf confé quentJe n'ai garde d'en faireP nne étu d?une f,k>êtVffire gf^emene autour d une table, fans 0fer lever Jes yeux • c eft un travaU qu>un , . y™xa pour ^mnf jouaD[J e veox bené de parler, de rire. Vous conce tif Si.15!?que Ie itu foic Ktpt „f'5,0» na Pas envie de rire quand on perd beaucoup d'argent, & ji *Z -fa?» pas bonnéte de rire devant ceux ^nfrfr°,ent fujet d'étre facbés d'une LaJd ft rif ,3™aiS jouer ks ieü* de nazara, & de ne jouer qu'une bagatel!* aux jeux de commerce. H On a e# beau me prefler lè deflus, ma réfolution » été loviolable & j'ai répondu a ce * ff' J^Perréeutoient è Pce"flje: êtes de beaux joueurs, qui nerdrii» orerlles fins, vous faehWT pour mol nuf fuis mauvaife joueufe, jè ne ve^x ff. avo!r occafion de fai're Ia grimaceP vous me gagniez beaucoup d'frgen touraaot ainfi la chofe en' raiS ft  Le Mac as in fiché perfonne, & j'ai été en état de tenir ma réfolution. Lady Lucie. Et j'en Drends une trés ferme de vous imiter. Si les gracdes joueufes veulent que je falie leur partie, elles auront la bonté de defcendre jufqu'a moi, car aflurément je ne m'éieverai pas jusqu'a elles. L.ady S e nsé e. Vous nous avez dit qne c'étoit par orgueil & amour-pro pre qu'on étoit fa^ ché de perdre quand ou joue peu de chofe; expiiquezmoi cela s'il vous plaM Je croyois que c'étoit toujours par intérêt, grand ou petit ? Madem. Bonn Ét 11 faudroit qu'une femme de qualiré efit l'ame bien bafle & bien intéreiTée, pour écre f&ehée de la perte de quelque fhelins. Cependant la plus gén&reufe fent un mouvement de dépit en perdant ces fhelins dont elle ne fe fouciagHyere; c'efique -Pamour-proprs -vent toti-  des Adolescentes. 235 toujours avoir le delTus. Eft - il quest:OD de la promenade, on fe piqué d'être Ia meilleure marcheufe ; par!e~t-on de monter è cheval, on fe fait nonneur de fauter les foifés mieux qu'une autre. Eft - ce 1'habillement qui eft far le tapis, on prétend avoir la deffus un gout déiicat, on montre rétoffe qu'on a choifie, on diroit que c'eft celle qui 1'a achetée qui en eft 1'ouvrière, tant elle fe plait a en voir admirer le desfein & les nuances. Eft il queftion du jeu, on veut Je favoir mieux qu'une autre, on prétend même au fond du cceur, que le hazard eft injufte d'en favorifer un autre è notre préjudice. Gagner, eft une petite fupériorité de fortune, de bonheur, & on veut être fupérieur a fon voifin en tout & par tout, dans les petites chofes comme dans les grandes. Lady Lucie. 11 faut avouer que notre cceur eft un vrai labyrinthe, qui a mille tours & détours dans lesquels I'amour ■ propre fe cache ft bien, qu'il n'eft prefque pas poffible de le déterrer. Lady  234 Le M a g a 51n. Lady Louise. Vous en voulez beaucoup h ce paivre amour-propre, Madame; il femble que vous vous foi'ez donné le moe avec ma Bonne, pour Ie perfécuter. Quand elle a fioi de lui donner un coup, vous vous dépêchez de lui en donner un autre; pour moi je fuis plus accommodance, & je lui accorde quelque tréve. Madem. Bonne; C'eft que vous ne Ie connoirTez pas * fi vous le voiez tel qu'il eft, vous en auriez horreur. Lady Lovi se; Mais enfin, qu'a-t-il donc de H épouvantable ? Madem. Bonne* II eft méchint, cruel, barbare; il ne fe nourrit que des chagrins & des peiftes des autres» Lady  des Adolescentes. 235 Lady Loüise. Je crois avoir une bonne dofe d'arnour propre; cependant j'ofe vous asfurer qu'il ne reflemble point - du - tout au vilam portrait que vous en faites. Madem* Bonne. Nous y voilé; c'eft que vous ne le connoiflez pas, ii ne fe préfente a vos yeux que fous un masqué agréable, voulez-vous que je vous prouve qu'il vous rend barbare & crueile? Lady Loüise. De tout mon cceur, mais je me flatte que vous ne pourrez y réuflir. Madem. Bonne. Vous avez beaucoup de diamans, ma chère, & vous vous en fervez avec plaifir. Cherchez avec foin au fond de votre cceur, quelle eft la caufe de ce plaifir, eft-ce qu'une coifture de dia. mans fied mieux è votre vifage qu'un ajuftement de fleurs? N'avouerez-vous pas même que cette parure a de gran- des  23^ Le Macasin des incommodités? votre tête eft accaOJée fous Ie poids, la crainte de perdre vos diamans vous donne ud certain fom, & toujours une forte d'ioquétude. Lady Loüise. Je vais être de bonne foi en vous repondant. li eft certain qu'une fleur, ace piume, ou autre femblable bagatelle, va mieux a I'air du vifage qu'un diamant. II eft encore vrai, que les diamans font fort lourds & trés difficiles a attacher comme il faut. Mais une petite bourgeoife peut avoir une fleur, une aigrette, une plume, & elle ne peut pas avoir un diamant. Cette parure me diftingue d'elle, & on aime è être diftinguée des autres. Voilé 1'amour - proprei 3e I avoue, mais je ne vois pas en quoi il eft cruel & barbare. Madem. Bonne. Croyez-vous que les autres n'ayent pas de 1'amour propre auffi, & qu'elles J?e JouhaitaiTent pas d'avoir ce moyen de le diftinguer? fi les diamans étoient auffi communs que les fleurs, n'eft il pas vrai qpe vous n'en porteriez jamais? Lady  des Adolescentês. Lady Loüise. J'eo conviens , car alors il ne pourroient plus fervir a me faire diftinguen Madem. Bonne. Qu'eft ce que cela veut dire fe dis tinguer, ma chère? n'eft.ce p*s Jl ie ver au deffus des autres, chercher k fe mettre fur leur tête, & è les met tre a nos pieds? Vos dia mans S d autre prix k vos yeux, qUe celui on'n tirent de la douleur ic du óénU- J celles qui n'en ont pas Vol*. e Plaifez k Is étaler fte* Jeux p™! es humeher, pour leur prouverPQUe leur opulence n'approche point de* U vócre & qu'elles font votre tord. AppeIIcrez.vou. ces fentiment ia des fentimens humains & généreux? Z.a^ Loüise. Cela eft bien fingulier, mon c^nr étoit méchant, & jAVav™ p^E momcre doute. Je vous conjure Ja Bonne, d'achever de me brouXr'av^c 1'amour.propre en lui ócanMe oo que qui me cache fa laideur. Madem  ^33 Le Macasin Madem. Bonne. Je ne perdrai aucune occafion de Ie faire. Mais Mesdames, nous avons oublié une réflexion importante que nous préfente EJier. Au milieu d'une Cour toute Païenne elle conferve la pureté de fes mceurs. Cela eft bien confolant pour vous qui êtes deftinées a vivre dans Ie grand monde. Quel fecret cette fainte reine avoit-elle employé pour cela? elle vous 1'apprend elle-même: Seigneur, ofe-t-elle dire k Dieu qu'elle en prend è témoin, j'ai toujours regardé avec horreur la pompe dont je fuis environnée. C'eft comme fi elle eüt dit: Seigneur, votre Divine Providence en me pla^ant fur le tróne, m'a alTujettie au pénible foin d'être parée, de me trouver dans des fêtes, des feftins, vous (avez que je n'ai point attaché mon cceur a toutes ces chofe?, au contraire, je les ai en horreur, & fi j'étois la mai'trefle, je préféreróïs la fimplicité & la retraite a Ia magnificence & aux plaifirs auxquels je ne me prête que pour accomplir votre volonté & remplir les devoirs de mon état. Quand vous ferez en état d'en dire autant, Mesdames, je vous regarderai com»  des Adolescentes; 239 comme des fcintes, & vous Je ferez en effet. Lady cootinuez è ïigue! fU,re ^ kS Paf[ieS Lady Sensée. pwffon. Elle eft habitée par un eranH l°biern\%r^s ?ai f0Dt MS cc Dien policés ils font gouvernés Dar & lSP,es c'hnirt0" n°m"!e I les nll Ö^,m Pa™'' Ies D,us «mi « 'es plus vaillans d'entr'eux I.e. Efpagnols y ont plufieurs étaWffèmenf & leur ville capitale eft Santa Fe ' nnf3!^??^3!30 ^ borDée au Nord land, la Vjrgmie & Ja FJoride;  240 Le M a g A sin Sud par le golfe du Méxique, & elle a un grand nombre de bornes a POueft. L'air y eft pur & tempéré, la terre fercile, cc on y recueille deux fois par année. La rivière du Mififlipi traverfe ce païs. Les naturels du païs font doux. Ils naiffent blancs, mais par la fuite ils deviennent olivètres a force de fe frotter de graiffe pour fe garantir du froid. Ils aiment la guerre, marcbent tous nuds. Les Franeois y ont pluüeurs habitations dont la principale eft celle de Ia nouvelle Orléans fituée fur le riva2Q du Mififtipi a 1'Eftj mais les naturels du païs poiïëdenc encore ie dedans des terres- Ces peuples n'ont poiot de rois, mais ils élifent des capitaines dans chaque bourg ou village, ils nomment ainfi leurs habitations. Madem. Bonne. Te dois vous avertir, Mesdames, qu'il arrivé de jour k autres de grands changemens dans ce païs, & qu'il y a auifi de grandes disputes entre les Andois & les FraE9ois fur les bornes j ie n'ai garde de vouloir ies décider. Ladv Senfèe vous dit ce qu'elle a apJ pris  des Adolescent! 8. 241 pris il y a plufieurs années & avant qu'il füt queftion de ces difputes; ainfi il pourroit bien arriver qu'elle ne par* lét pas au gré des deux partis. Nous ne cherchons pas, je penfe, k devenir les arbitres de ces querelles, mais feulement a nous inftruire de ia pofition des lienx. XXV. DIALOGUE. Lady Loüise, Lady Lucie, Mifs Zina> Madem, Bonns, Lady Lucie. Mifs Frivole m'a dit de vous faire des excufes de ce qu'elle vien» droit un peu plus tard, elle eft allée avec une de fes amies choifir des étoffes; Madem. Bonne. Vraiment, c'eft une affaire de con» féquence; nous commencerons fans elle. Dites-moi, Mefdames, j'ai appris qu'elle eft bien moins difij^ée, & Tom. JJL L qu'elle  242 Le Macasin qu'elle commenee a s'appliquer k des chofes louables? Lady Lucie. Cela eft vrai, Ma Bonne. En véritê elle n'a pas un mauvais cara&ère, & le public eft bien méchant de la trafter fi mal, elle ne le mérite pas. Madem. Bonne» Vous avez raifon de dire qu'elle n'a pas un mauvais caraétère, je la connois mieur que perföane, & je puis aflurer qu'elle eft fort fage ; elle a de la douceur & ne manque pas d'efprit; mais cela ne fuffit pas pour fe faire une bonne réputation. Les filles qu£ n'ont point de mères, ont befoin de mille fois plus de précautions que les autres pour conferver & établir la leur. Or ces précautions, notre amie n'a jamais penfé è les prendre. Elle me fait pitié, paree qu'elle a fort peu de fecours; fon róalheur eft d'être liée avec de jeunes folies qui fournilTent k parler au public par leurs étourderies. Par charité, Mefdames, redoublez vos ca* reiTes & vos amitiés pouï elle, aria de  ies Adolescente s. 243 de 1'arracher a ces dangereufes fociétés. Si nous y parvenens, elle devicndra une fille trés eflimable. On dit qu'elle le manera bienrót, je lui fouhaite un ^Lra-i°5DabIe.; fait 3a P'endre voud?-f * CD fCra> t0Ut CC Mifs Zina. Je vous aflure, ma Bonne. que fe connois une demoifelfe qui a eu e bonheur de s'attaeher è un honnête ™™ine qu'eife éPöufera bientót; il a Sre! dC €haD^er tout ^ Madem. Bonne. . II n'y a rien de fi heureux que de jetter les yeüx fe* UB horome \m™_ oie. Lomme on connoit qu'il n'a de goftt que pour la vertu; le defir de lui plaire, engage è faire des efforts pour fe cornger de fes défauts ét de- ÏÏHord . comeme <*» earaaère dl L 3 Mi/S  244 Le Magasin Mifs ZlNA. Oüi, ma Bonne. II a beaucoup d*e«time pour la vertu, & n'a aucun défaut dans le caraüère qui l'empêche: de la pratiquer; il eft vrai qu'il eft en* core bien jeune. Madem. Bonne. S'il étoit queftion de Mifs Frivole, je dirois que c'eft un défaut, elle auroit grand befoin d'un mari qui eüt le cara&ère formé, & qui fut capable de: la conduire avec adrefle & fans qu'ellei s'en appergüt. Le Ciel vous a favori-ï fée d'un efprit plus mür, & il vous deftine fans • doute a former le carac-: tére de votre mari. Mifs Zina; Comment cela fe pourroit-il, n'eft* ce pas moi au contraire qui doit con-i former mon caractère au lien, & l'o-i béiffance ne fera-1-elle pas mon premier & mon principal devoir? Madem.i  ies Adoliscentes. 245 Madem. Bonne. je n'ai garde de vous dire le cör> traire, car c'eft par l'obéüTance & la complaifance qu'il faudra gagner fon cceur. Or quand vous aurez fait cette conquête, vous le conduirez fans qu'il s'en appercoive , h tout le bien que vous fouhaiterez. Quand vous en ferez Jl, nous en parierons plus particulièrement. Continuez a nous répéter Je réglement de votre journée , Lady Lucie. Lady Lucie. Après le diner, je monte pour m'habiller, & je taehe en le faifant, de m'occuper de quelque bonne penfée. Si je dois faire ou recevoir des vifites ce- jour lè, je prens un demi quartd'heure pour demander a Dieu la grace de ne point 1'ofTenfer dans le mon* de. Lorfque je fais malheureufement avec des perfonnes qui ont une converfation trop libre, je tèche de me diftraire en renfant è quelque autre chofe, & Dieu me fait la grace d'y réuffir; il eft vrai que cela me donne un-air diftrait que quelques-uns actr> L 3 bueafc  *4<5 Le Macasin baent è la hauteur, & les autres è Ia ftopidieé, raais c'eft de quoi je ne me loucie pas abfofument beaucoup. Si on parle de pué-ilité, j'offre k "öieu Ia yiolence que je fuis obligée de me faire pour en parler comme les autres bi on parle contre Ia charité & que ce foit des perfonnes de mon êge, ie press la überté de les prïer bien honnêtement de changer de difcours. Lady Loüise. Comment ofez-vous faire cela; ma chere, nVez»Vous pas peur de fftcher ces dames? Lady Lucn. Céïa ne m'eft arrivé qn'une fois; une de celes è q*H je remontni que nous demons ménjger Je prochain, m'appel. la mé^iodifte> & voila tout Je mal qui m'en arriva. Les autres fois j'ai trouvé des dames qui avoient I'efprit bien fait, & qui ont ea la bonté de me favoir gtë des précautions que je prenois pour ne les point facher* II eft mêï;ue arrivé quelquefois auffi qu'elles m'ont remerciées, paree que c'étoit  des Abolescentes. 247 toit par légèreté qu'elles le faifoient. Mifs Zina. Et je fuis une de celles-la. C'eft une chofe fi ordinaire de s'entretenir de fon prochain, qu'on médit fans s'en appercevoir, & j'ai beaucoup d'obligation k Lady Lucie qui m'a aidé k me corriger de cette faute. Madem. Bonne. Voila les fruits de 1'amitié quand elle eft réelle & fincère; on s'avertit mutuellement de ces fautes avec bon» té, charité, politefle. Continuez, Mes* dames, a cultiver les fentimens qui vous attachent Tune k J'autre* Votre amitié deviendra le charme de votre vie. Lady Loüise. Mais quand ce font des perfonnes au-deflus de vous qui médifent, ap* parament vous ne les reprenez pas? L 4 Mifs  ^43 £*Magasin Mifs Zina. Je vais vous dire ce qu'elle fait, car je m'y fuis trouvé plufieurs fois; elle prend alors un air glacé & fi férieux , qu'il eft aifé de s'appercevoir que la converfation n'eft pas de fon gout, & fi on 1'incerroge, elle dit tout Ie bien qu'eile fait de la perfonne cu'on ééchire. Nous én'ons 1'autre jour chez une dame oh i'on mit en piéce une demoifelle fort connue. On difoit au'elle étoit avare, niéchante, quellereufe,. & mille autre chofes ; on ne i'attaquoit pas du cóté de la fagefle, car on difoit qu'elle étoit trop laide. pour en manquerj éi que jamais elle n'en avoit trouvé 1'occafion. Vous favez combien Lady Lucie eft timide, elle ne Ie fut pas ce jour Ja, je vous jure , a chaque hiftoire qu'on difoit contre cette fille, elle en avoit une toute prête pour la juftifier. Enfin elle fortit, & la maïcrefle de Ia maifon dit; pour cela, il faut avouer que Lady Lucie eft une amie bien chaude; avec quelle vivacité n'a-1- elle pas pris le parti de Mademoifelle D. . . . apparament qu'elles font fort intimes ? Je vous aflure, Madame.  des Adolescente?. 149* dame, lui répondis je, que Lady Lucie ne Ta jamais vue. Ce n'eft poinr 1'amitié qui a excicé fon zèle, c'eft la charité; elle ne peut fouffrir qu'on parle mal de perfonne, & elle a toujours vingt hiftohes en poche pour jus-' tifier les abfens. II faut avouer que voila un carscïèrö bien refpeftable, dit la maicrefte du logis. Je regardois Lady Lucie comme ue fille airnable, aujourd'hui je la regarde comme trés eftimable. E.le nous a pourtant fait a toutes notre procés, mais dans le fond a-t-elle tort, avonsnous fait autre chofe que de déchirer le tiers & Je quart? Lady Lucx-tt. ? Mademoifelle ne vous dit pas qiill ne m'arrive que trop fouvent de tomber moi - méme dans la médifance èt dans quantité d'aütres fautes. Mais laisfons cela lè, crainte de 1'humilité k crochet. Quelquefois je joue, & je perds mon argent avec beaucoup > de répugnance, je 1'avoue, car je n'en ai pas la moitié de ce qu'il me faudroit * pour les chofes efientielles. Je me tetire k dix heures3I & avant -de me»eou-  25 e. Le Magasin cher, j'examinernaconfcience, je m'accufe de mes faur.es en la préfence du Seigneur, je lui en demande Ie pardon ; & pour 1'obtenir, je lui offre les mérites de Jefus - Chrift. Enfuite je prens des réfolutions pour Ie lendemain & je me couche* Madem* Bonne. Et de quoi vous occupez - vous en vous deshabillant* ma chère? Lady Lucie. Tantót d'une fagon, tantót d'une autre, mais le plus fouvent je penfe qu'il viendra un jour oh je me deshabillerai pour la dernière fois, & oh je ne fortirai de mon lit que pour entrer dans le tombeau. Lady Louis e, Et cette penfée ne vous empêche-tslle pas de dormir ? Lady Lucii. Nonj ma chère 5 elle me procere au con*  des Adolescentes. 251 contraire plufieurs autres bonnes penfées daos lesquelles je m'endors. Je vous ai obéï, ma Bonne, j'ai aflez p$rlé de moi, je penfè* Lady Louis e» N'en aysz point de regrêt, ma cbère., ce que vous nous avez dit ne fe. ra pas mut-ile ; j'ai déja commencé k vous imker en qtieique chofe, & j'espère que Dieu me fera la grace öc vous imiter tout-k-fait; mais voici Mifs Frivole. .Mi/s Frivolje Je vous demande pardon, ma Bonne, d'être venue fi tard, mais une de mes amies m'a prié de 1'accompagner chez fon marchand; ah que nous avons vu de riches étoffes.' Modem. Bonne. Ne pourriez* vous pas ajouter? Ah • que j'en ai fouhaité! ah que je me fuis trouvé malheureufe de ce qm mm père ne me donne pas aflez d'argen£ pourfatisfaire rjon gout. è cet égard. Mi fis  2f2 Le Masasïn Mifs Frivole, Vous avez déviné tout jufte, mar Bonne; je vous alTure pourtant que je commence a profiter de vos legons. J'ai eu tous ces mouvemens, mais il n'ont pas été de moitié auflï vifs qu'ils l'auroient été i'année palfée; a ia fin Ia folie des habillemens me palTera toutö - fait. Mais, ma Bonne, j'ai une grace è vous demander; mon père dfnera ici aujourd'bui, ne lui dites pas, je vous prie, que je fuis venue fi tard, car il me gronderoit„ Et pourquoi vous gronderoitil ma chère, ce n'eft pas un crime d'avoir été voir des étoffes, c'eft une enfance, & il faudra bien vous en pafler d'aütres,. II faut vous dire tout, ma Bonne; c'eft qu'il n'aime pas que je fois dans la compagnie de cette dame-Ia qui pourtant eft fort fage0. Je Taime beauC0UPs , & jè - vous avoue que je la vois fÖffc Madem. Bonne. Mifs Frivools.  ies Adolescentes. fort fouvent fous prétexte d'aller en d'aütres endroits. Madem. Bonn e, Vous avez grand tort, rna chèrej Vous manquez au refpecl que vous devez a votre père en lui défobeïflant. Quoiqu'il ne vous dife pas les raifons qu'il a de vous. empêcher de voir cette dame, vous devez penfer qu'il en a de bonnes, Mais je- fuppofe que c'eft un caprice; n'êtes-vous pas faice pour lui obéïr? Ne favez - vous pas que vous 1'afligeriez s'il découvroit votre peu de complaifance pour lui, & mille chofes peuvent le lui découvrir* votre femme de chambre ou quelques' uns des domeftiques qui vous accompagnent. Mifs Frivole. Ces gens-Ja font abfolument dans mes intéréts; je pourrois faire toute chofe au monde qu'ils ne me trahiroient pas, & quand.je leur ai commandé de dire une chofe k,mon.père., ils Ja foütiennent - pour toujoun. -  $54 Le Mag as in Madem. Bonne. Voilé mon étourdie, pardonnez-moi cette injure. Ec avez-vous jamais réfléchi fur les conféquences d'une teile conduite? Mifs Frivole. Et quel grand mal y a«t per mon père?. il n'eft jamais queftion que de bagatelles que vous me permettri ez vous - même , & je n'ai point era que cela put tirer a conféquence, S'il y a quelque faute, c'eft que je fuis obligée de mentfr quelquefois, mais ces menTonges ne font tort è perfonoe. Madem. Bonne. Quand il n'y auroit que ce mal, il feroit trop grand, Le menfonge offenfe Dieu, & par-ta feil il doit nous être odieux; mais lailTons cela a part. Le menfonge a les effets ies -plus pernicieux; ; fi i votre père s'appercevoir de cela, vous perdriez i fa confiance, ce qui vous feroit trés préjudiciable. D'aü.'  des Adolescentes. 259 D'aifeurs vous prenez 1'habitude de tromper les perfonnes avec iesquelles vous vivez, & cela peut avoir les frites les plus funeftes darjs le cours de votre vie. Faites moi fouvenir de vous dire a cette occafion, une hïstoire que nous avons traduite de VAdventuur, je veux que nos jeunes dames en profitent, ainfi ce fèra pour la lecon générale; & Ja première fois que nous nous reverrons en particulier, je vous détaillerai les inconvéniens de cette conduite. Mifs Frivole. Faites-Ie dès aujourd'bui, ma Bonne; 11 eft vrai qu'il eft un peu tard„ maïs facrifiez - moi un quart .d'heure. Madem. Bonne. Je le veux bien, mais c'eft i condition que vous obéïrez fans replique è ce que j'exigerai de vous. Mifs Frivole, Cela fera peut-être bien difficiJe; mais n'importe 3 je. vous le prometss 3 je ■  j&50* Le Macasin je fens que j'ai bien befoln de vos coti» feils, & je fuis déterminée i les fuivre. Madem. Bonne. II n'y a rien de plus dangereux, ma chère, que d'avoir la puiflance de faire le mal. Vous me dites que tous les domeftïques de la maifon font dans vos intéréts, & que vous êtes füre de leur difcrécion. Je fais que vous ne la mettez a 1'épreuve que pour des bagatelles; mais que favez vous s'il ne vous pren* dra pas envie un jour de vous en fervir pour des chofes d'une plus grande conféqueoce. Nous ne pouvons avoir trop de barrières pour nous emp^cher de faire le mal, & loin de chercher a les rompre, il faudroit les multiplier s'il étoit porüble. La crainte que des domeftiques ne vous trahiflent en révélant des adtions que vous voudriez tenir fecrêtes, eft un frein falutaire, pour les mettre hors d'état de vous nuire; vous êtes dans Fobligation de ne faire que des attions louables. Or vous avez. rompu ce frein,* c'eft un obftacle de moins que vous auriez a furmooter» fi vous voulies devenir^mé- sfeaate^- Ce * n'eft pas - tout * ces do- meftiq»es  du Adolescintes. sj7 meftiques fi fidèles è garder votre fecrêt tant qu'ils font dans votre maifon, s'en croyent dispenfés auffi-tót qu'ils en font fortis: c'eft 1'un deux qui Tanoée paftée vous décria, & qui Join de dire Jes chofes comme elles étoient, les empoifonna. Ils perdent le refpeft qu'ils vous doivent auffi tót qu'ils vous voyent manquer è celui que vous devez a votre père; ils vous regardent corrme un menteufe, comme une fille indocile; hab'le è tromper. Cetre femme de chambre dont vous craignez 1'indiscrétion ne manquera pas de devenir infolente avec vous; Elle vous fervira mal fans craindre que vous ofiez la chafler ou même la reprendre. Je ne finirois pas fi je voulois vous détailler tous les dangers que vous courez, ce que je vous en ai dit fuffit fan& - doute pour vous obliger a tout facrifier pour vous corriger. Mifs Frivole. J'avoue, ma Bonne, que je n'ai rien a dire a cela. Je ne vous cacherai pas que j'ai commencé a éprouver 1'impertinence de ma femme de chambre; elle me paria hier d'un ton fi haut, que fa  258 Le Maoasin je ne pus m'empêcber de Ia menacer de Ia chafler. Madem. Bonne. Voos m'avez promis d'étre docüe h mes confeils. Je vais vous mettre è I'épreuve. J'exige abfolument que vous déclariez dès aujourd'hui a votre père les fautcs que vous avez faites fur cet art iele. Mifs Frivole. Vous n'y peMez pas, ma Bonoe, mon père me le pardonnerot jamais, fi vous faviez combien ii eft févère. Madem. Bonne. Je Ie connois mieux que vous, ma chère, & je fuis fÜre au contraire que cette a&ion vous gagnera fon cceur,* elle doit produire cec effet fur un honnête homme & votre père l'eft. Je fuis caution des fuites de cette démarche* Mifs Frivole. J'obéïrai, mais s'il fe fdche trop fort, je me fauverai ici, je vous en avertis. Ma-  des Adolescentie Madem. Bonne. Encore une fois, ma chère, je le prens fur moi, & je- ne vous le confeillerois pas, fi je n'étois fure qu'il ne vous fera aucun tort. Dieu bénira cette démarche, mais ayez foin de la lui offrir pour réparer tous les menfonges que vous avez a fait cette occafion.    I