M A G A S I N ADOLESCENTES, o V D I A L O G U E S E n t r E Une sage GOUVERNANTE, e t Plufieurs de fes ELEVES de Ia première DISTINCTION; p a r Mad-. LE PRINCE DE BE AU MO NT. TOME IV. 4 LEID E & A LA ITATE, '"LUZAC et van damme, \ ' l.pierre frederic gosse, f M. D. CC. LX X XII. Ayec Prhilège de non Seigneurs ies Etats éHMlünde & Je Wefifrlfe,  M  L E M A G A S I N DES ADOLESCENTES. XXVI. D IA LOG JE. Le père de Mi/s Fritoie, Madem. Bonne. Le Pere, ON nTa dit que voos me defrandiez. MaderaoifeUe, & je fms charmé d'avoir cette occaüon pour vous remercier de toutes les peinea que vous prenez avec ma fille. Je ne fais cc que vous lm avez fait, maïs die voudroic A % A|c  4 Le Magasin être avec vous depuis Ie matjn jusqu'au ibir. C'eft une bonne enfant, & qui ne manque pas d'efprit, c'eft- ce pas? Madem. Bonne. Non aflurément, Monfieur, elle joint aux graces de la figure, une grande douceur de caraólère, & j'efpère que vous aurez toujours fujet d'êcre content d'elle. Le Per e. J'ai grande envie de Ia marier; une fille de la figure eft d'une dangereufe garde ; & un homme eft bien malheureux de refter fans femme avec fix enfans. II eft vrai que je me débarrafle fans peine de mes quatre gar^ons; mais mes deux filles me donnent beaucoup de peine; un homme n'eft guère propre a conduire des filles» Madem. Bonne. Eb pourquoi, Monfieur? Un père peut fort bien fervir de guide è fes filles , pourvfc qu'il foic leur ami autanc &  des Adolescbntes. s ,& plus que leur père, & que pat - li, il sature leur confiaDce Le P e r e. Bon ! un père eft le dernïer des homroes quune rille voudroic choifir pour ion confident; on a beau avoïr des bontés pour elies , ces péronelles en abufent, & püïs c'eft tout, cela ce fait pas nanre Jeur confiance. Madem. Bonne. Ce n'eft pas toujours Ia faute d«s filles» Le Pire» Ah ah, Mademoifelle Bonne; vous avez envi« de me donner une legon. Madem. Bonne. Sur tout autre fujet j'en recevroïs de vous Monfieur. il eft vrai que fur cec article une longue expérieoce m'a donné des Jumières qui s'acqoièrent difficilement par la théorie,- & Paffeftion que je porte è votre aimabJe fille, .n'a A 3 fak  6 Le Magasin faic naïcre le defir de vous en faire part Vous regardez eornme une chofe inouïe qu'un oère divknce le confident de fa fille, (5 vous vouiez me dooner votre parole d'ho'ineur d'agir a ma mode une feule fois4 je vous réponds de la fconfiance de Mifs Frivole. Le P e g e» S'il ne tient qu'è cela, je vous en» gage ma parole, & vous poavez y compter. Madem. Bomhi. Prenez y garde au moins, ce coup fera déciOf pour la conduite de Mademoifellej eile a auprès d'elle un mauvais fujet, une femme de chambre qui fe prête k toutes fes fantaiües; j'avoue au'elle n'en a eu jufqu'a préfent que de fort innocente» ,• mais comuie h fon &ge il pourroit lui en prendre de plus dangereufes, il faut lui óter cette tentation. Le Pere, Da tout moa cceur, mais ce moyen me  des Adolescentes. 7 me paroit peu propre h gagner le coeur de ma fille, elle aime cette femme de chambre a la folie, & il y aura bien des larmes répandues, fi j'entreprens de la chaffer* Madem. Bonne. Je ne prétens pas non plus que ce foic vous qui la mettiez denors; ce fera Mifs Frivole qui vous engageia i le faire. Je vais vous révéler un feeree que vous me garderez, s'il vous plait; tout feroit perdu li Mifs foupc/mnoit notre intelligence. Vous lui ave* defendu de voir Mifs . . . ♦ „ &*vous avez eu grande raifon; c'eft une étour* die qui n'eft propre qu'a lui gêter 1'esprit. Vous avez cru être obéi', & 1'oa vous trempe journellement» La femme "de chambre, le cócher, Ie Iaquais a tóps s'encendent pour vous trompers j'ai fait concevoir a Mademoifelle les conféquences de cette conduite, & je 1'ai déterminée k vous faire l?aveu de fes fautes a eet égard. Or, de la facon dont vous recevrez cette confldence, dépend la conduite que Mademoifelle votre rille aura a Tavenir par raporc è vous» A d Le>  I Le M Af as in Le Pere. Oh parbleu, Mademoifelle Bonne, vous êces plus habïle qae la dame «'étoit pas aflurément une avanturière, & cm'el. te avoit tout 1'air d'une honnête fem. me & dune femme de qualicé. Pour le perfuader mieux, il la dépeignit de ftcon qu'il n-etok pas polliole de SV méprendre. ^ Lorfqu'il fut forti, James & Marie peu.-etre fe communiquer leur pei- nes,  22 Le Magasin nes, lorsque le capitalne rentra, & dit è James qu'il avoit Iaillë fon époufe chez fa coufine, oh elle avoit déjeüné. James fortic pour s'informer de ta vérité, & alors Marie racorjta au capitaine le difcours du médicin. Le capicaine qui prévit les conféquences de cette affaire, avoua de bonne foi a fa femme comme tout c'étoic palTé, & comme la vérité porte un carattère qu'il n'eft pas poflible de contrefaire, elle demeura convaincue de 1'innocence de fon mari Sc de fon amie, & fe Mta d'écrire a cette deroière pour 1'avertir de ce qui s'étolt pafle", mais fa ïettre arriva trop rard. James aroit appris de fa coufine que fa femme étoit forti e de fort bonne heure, & ne doutoit point qu'elle n'eüc pafle* le refte du tems dans une mauvaife maifon; il retourna chez lui furieux, mais ils fe compofa, & demanda d'un air tranquille è fon époufe ce qu'elle avoit fait depuis fon départ. Cbarlotte avoit été bien féchée de ne s'être pss trouvé au logis quand il y étoit revenu Quoiqu'il n'y eót rien ?|ue d'innocent dans fa conduite, elle estoit qu'elle avoit été imprudente, & qu'on pouvoit 1'expliquer plus mal. Elle  des Adolescente»; 23 le réfolut donc de déguifer une partie de la vérité, & dit è fon époux, que yawx l avoit remife chez fa coufine d ou elle étoit revenue chez elle. Com* roe e e n étoit pas accoutumée è men» tir, elle rougit prodigieufemcnt, ce qui confirma fon mari dans fes foupcons. li la quitta brufquement & vint dans une fameufe taverne, d'oh il écrivjc è Free. £ou,oit ^iparler. Malheureufement Freeman recut ce billet, & fe rendit fur l'hWau üeu marqué James lui dit froidement: il eft donc vrai que vous n'avez pas revu mon époufe depuis que vous 1'avez laiffée cnez fa coufine ? A quoi bon cette queftion, lm dit Freeman; je croyois deyoir étre cru au premier mot? &>n traïcre, lm dit James, en mettant Pé- eüt bien fpuharé alors de lui dire la vl £&i ma.M ^?es étoit <**ns une telle fut obhgé de penfer a fe défendre. I «n ZJï P*s «yec fuccès, & arant recu un coup mortel, il tomba. v Au bnut qui fe faifoit dans cette chambre les gens de la taverne prhcm Lai,arn^r& ™' ^ fecours? PgS5 les perionnes qui accoururent, il fe trouys  24 Le Magasïn trouva un connéeable qui fit enfoncer la porte, & s'afiura de la perfocne de James. Freemm qui fentoit qu'il étoit prés de fa fin , témoigna qu'il avoit quelque chofe de particulier a dire a fon arni. Tout le monde fortit aufiibien que le connétable qui fe tint dehors è la porte de la chambre pour garder le meurtrier. Alors Freeman lui raconta tout ce qui s'étoit psllé & lui protefta que fa femme étoit innocente. Un homme mourant s'attire une confiance entière, & fon témoignage n'eft point révoqué, ainfi James convaincu de 1'innocence de fon ami & de fon époufe, fe trouva dans la plus terrible de toutes les fituations, & Freeman s'appercut qu'il s'attendriflbit fur fon fort. 11 lui tendit Ia main & lui dit d'une voix foible: je vous pardonne ma mort, qui eft une fuite de mon menfonge* Vivez pour être le protedteur de mon époufe &f de mm fils. Vous n'avez qu'un moyen de mettre vos jours en füreté; fauvez - vous par cette fenêtre. James fuivit ce confeil & s'échappa; U ne rentra pas même chez lui., & partit tout de fuite pour un porc d'oh il pouvoit pafler en Hollande. Ce    des Adolescent es. 55 Ce fut de la qu'il écrivit h fon époufe pour lui réprocher fa diffimuladon, & les extrêmités dans lefquelles elle 1'avoit réduite» Cbarlotte au défefpoir fe préparoit a Ie fuivre, mais elle r/en eut pas le tems, car elle apprit qu'il avoit fait naufrage &ti chcmin. Mifs Prxvoleü Vous aviez bien raifon de dire que cette hiftoire étoit terrible. Quel malheur le menfonge De peut-il pas caufer! Mifs Molly. Je crois que j'en fuis corrigée pour toute ma vie. Oui, ma Bonne, j'aime roieux m'expofer è étre grondéj que de mentir jamais. Madem. Bonne. Je vous aflure, ma chère, qu'il n'eft guère poffible de gronder une perfonne qui avoue tincèrement fa faute; mais vous dices fort bien qu'il vaudroic mïeux s'y expofer que de mentir. Mifs Belotte va nous commencer YhiHo'iTQ de Tobie. Tom. IV. B Mifs  i6 Le Mag as in Mifs Belotte, Dans le teois que les Juifs étoient ciptjfs è Ninive, il y avoit parmi eux un faint homme nomraé Tobie ^ qui employoit fa perfonne & fon bien k foulager (es frères, c]ai étoient captifs" avec lui. II foignoit les malades, nouriiïbit ceux qui manquoient de pain & enfevéliflbit les mores. Un jour qu'il étoic fatigué en ces bonnes csuvres, il s'affic pour fe répofer & s'endormic. Pendant qu'il dormoit, il lui tomba quelque chofe dans les yeux d'un nid d'oifeaux, & cela le rendit aveugle.' Prefque dans le möme tems il perdic tout fon bien, & devint fi pauvre, que fa femme fut obligée d'aller travailler dehors pour Ie nourrïr. Uq jour on lui donna en payement un chevrau vivant. Tobie entendant le cri de eet animal, craigeïc qu'il n'eut été dérobé, & fit a cette occafion plufieurs queftions qui impatientèrent tellement fa femme, qu'elle fe mit a iui dire des injures, & lui réprocha fes bonnes oeuvres comme fi elles euflent été caufe de fes malheurs, ce que Tobie fouffrit avec beaucoup de patience. Tobie  des Adolescentes* 27 Tobie n'avoït qu'un fils unique qu'il avoit élevé dans ia crainte da Seigneur ; & il fouhaitoit de fe voir en fituation de 1'établir; ainfi il dit è fa femme: dans le tems que j'étois riche, j'ai prêcé une grofle fomme d'argent a un honnête homme qui demeure bien loin d'ici; j'ai fon billet, & je fuis perfuadé qu'il le payera fur le champ; ainfi j'ai envie de faire partir notre fils pour lui demander cette fomme. Sa femme aïant entendu ces paroïes, jetra de grands cris & dit: il ne me refte que mon fils qui me confole de la perte de tous mes biens, & cependant vous voulez m'en priver pour i'engager dans un voyage périlleux, duquel il ne reviendra peut-étre jamais. Ne craignez rien, dit le jeune Tobie > 1'arge du Seigneur me ménera, & me raménera. Le voyage étant réfolu, Tobie die a fon fils de chercher dans Ia ville un honnête garcon, qui put lui fervir de guide. Le jeune Tobie fortit pour obéïr è fon père, & étant arrivé fur la place, il vit un Jeune homme qui étoit ceint comme un voyageur, & qui avoit un baton è la main, Tobie fat charmé de la phiGonomie de ce jeune B 2 homme,  28 Le Magasi-w homme, & certainement il avoit bien raifon, car c'écoic Tange Rapbaei, è qui Dieu avoit ordonné de prendre la figure humaine pour conduire Tobie. Jl 1'aborda, & lui ayant expofé fon deflein, range confentit a le fuivre chez lui» Le vieux Tobie lui expliqua fes intentions; ils convinrent de Ia récompenfe qui lui feroit donnée a fon retour, & après que le père & la mère lui eurent bien recommandé d'avoir foin de leur fils, ils leur fouhaitèrent toutes fortes de bénédiclions, & les laiffèrent partir. Un jour que le jeune Tobie fe «rouva fatigué paree qu'il faifoic chaud, il eut envie de fe baigner. A peine fut» il dans 1'eau qu'il vit venir k lui un ,gros poiflön qui fembloic vouloir ie oévorer. II eut une grande peur, il appella fon guide qui lui dit: ne craignez rien. Prenez ce poifon par les nageoires, & le tirez fur le fable. II mourut peu de tems après, non fans s'être bien débatu, & alors 1'ange dit k Tubie: precez votre couteau & ouvrez le ventre de eet animal; vous en tirerez le fiel & le foye, que ,vous conferverez foigneufement, Le fiel a la propriété de guérir les aveugles, & fi vous  des A dq les ce ntes. 29 vous faites biüler Ie foye fur des cbarbons, vous éloignerez de vous le maIfö efprit. Tobie obéït è Rapbaèly & ils continucrent leur voyage. Mifs Sophie. La femme de Tobie reflembloit è la femme de Job. Mais dites • moi , ma Bonne; d'oïi vient les femmes font -elles plus iropatientes, & oDt - ellea moïns dö courage que les hommes ? Lady Spirituelle. C'eft une calomnie que les hommes font eontre nous; je fuis perfuadée que les femmes valent autant que les hommes, n'eft-ce pas, m$ Bonne? Madem, Bonne» Voilé donc un procés que je doif juger. Je fouhaiterois pouvoir être da fentiment de Lady Spirituelle; «ais malheureufement, la vérité m'oblige h être de celui de Mifs Sopbie. J'en fuis bien fachée, ma chère, mais pourtanr cela eft vrai* r B 3 Lady  30 Le Magasin Lady Spiri tuelle. Mais pourquoi cela ma Bonne? Eftce que jes ames des hommes font d*upe nature plus excellente que celle des femmes? Madem, Bonne» Je ne le crois pas, ma chère. Je fuis perfuadée que toutes les ames étant faites a 1'image & a la refiemblance de Dieu, font abfolument femblables» Lady Louisej Cela me paroit difficile k concevoir, car d'oü viendroit la prodigieufe difFérence qu'on remarque dans les efprits & dans les caracïères; elle eft encore plus grande que celle qu'on trouve dans les vifages, quoique celle - ci ie fok beaucoup, Madem, Bonne. Je ne fuis pas bien favante fur eet article, cependant je vais vous dire ce que j'en penfe, Mais je ne prétens pas que vous me croifez, qu'autant que ce que je  des A'dülescentes. 31 je vous dirai, vous parokra raifonrjable., & jufqu'a ce que quelqu'un plus Pavane que moi, vous fafi'e voir que je me fuis troropée. Vous fouvenez • vous, Madame, de ce que cous dimes il y a quelques jours des qualités elTentielles. Nous trouvames ce me femble, qo'une qualité esfentielle k la rratière, étoit uce forme felle qu'elle fut. Lady Louise. Je m'en fouviens fort bien, rrais je crois pourtant qu'un petit mot d'explication è eet égard, ne fera pas de mal. Madem. Bonne. Cette table eft quarrée, cette autre eft ronde, ce baton eft long & rond* cette plume è une autre figure que la table; en un mot, Mefdames, je vous défie de me trouver rien dans J'univegs qui n'ait un forme, grande ou petite. Lady Spirituelle. Je gage qu'oui, ma Bqnne, J'ai B 4 une  32 Le Ma-gasi« 15 une penfée attuellement; je défie h quelque perfonnc que ce fok, de dire fi éile eft ronde, ou quarrée, ou pointue, car je ne pourrois pas le dire moi- même. Mifs Belot.te» Cela eft fort dróle ; eft. ce qu'une penfée ne feroit rien, puifqu'ellê n'a pas de forme & que tout ce qui eft dans le monde en a une? Mais cela ne peut pas être; & je raifonne comine une fotte, car je ne puis connoitre Ie rien, & je connois fort bien ma penfée. Expliquez-nous donc cela, ma Bonne- Madem. Bonne. 1 Nous fommes bien fures qu'il n'y a Soint de matière qui n'ait une förrae. fous (ömmes füres que notre penfée qui eft quelque chofe, n'a point de forme; il eft donc bien für auffi, que notre penfée n'eft pas matière. Lady Mary. Qu'eft-ce donc qu'elle eft, ma IJonjoe ? Maden.  &x Adolescei?tïs. 3£. Madem. Bonne. Le contraire de la matière, puis-' qu'elle a des gualités oppofées a la matière. Mifs Sophie» Jé n'entens pas bien cela, ma Bennek Madem» Bonne. II n'y a rien qui n'ait fon contraire. Le froid eft Je contraire du chaud; ce qui eft grand, de ce qui eft petit; ce qui eft bon, de ce qui eft mauvaisvOr les contraires ent des qualités ab« folument oppofées, & ne peuvent jamais s'accorder enfemble. Donc la matière doit avoir- fes contraires, & ce font les fubftances fpirituelles. Lady Lücie. Qu'eft-ce que vous appellez les fub~ ftances fpirituelles, comment poarroas* * sous les connoitre ? Madem. Bonn-It* Ge fost celles qui ons d@s qüaJffèV  34 Le M A c A s i n» oppofées k celles des corps, qm" n'ont point de forme. Par exemple, la penfée. Lady Lucie. J'entens; Tout ce qui aura une forme }e 1'appellerai corps ou fubftance matérielle. Tout ce qui n'aura point de forme, je 1'appellerai fubftance fpirituelle. Madem. Bonne. Fort bien. Mais remarquez, Mesdames, que toutes les chofes qui ont une forme, font compofées de plufieurs parties, qu'on peut les augmenter ou les diminuer. Je puis couper un morceau de cette table, & ce morceau que j'ai coupé, c'eft une partie que j'ai óté k la table. Je puis au contraire 1'agrandir en y ajoutant un morceau de bois, & ce (jue j'ai fait k cette table, je puis Ie faire k ce lit, k cette chaife. La nature le fait tous les jours; cos corps s'augmentent en dehors ou en dedans, a méfure qu'il s'y joint de couvelles parties: les arbres croillent par le même moyen. Une pierre n'eft que faftembiage de petites parties de pous- fière  des Adolescent es, fiére & d'atomes qui fe font alTemblés, & collés étroitement 1'un contre 1'au» tre. La matière qui a UDe forme, a donc de 1'étendue grande ou petite; cette étendue vient de ce qu'elle a plufieurs parties, ainfi la forme, les parties & 1'étendue font des qualités eflentielles a la matière. Concevez-vous cela, Mefdames? Lady Senféc9 répétezle moi. Lady Sensée. Voici un dez è jouer, il a une forme quarrée; il eft compofé de plufieurs parties, car je peux en 1'écrafant avec un marteau, ie réduire en mille parties. Ces parties qui feront féparées, auront moins d'étendue que n'a ce dez a préfent, mais pourtant elles en auront une, Madem. Bonne. Fort bien. Or fi vous trouvez quelque chofe qui n'ait ni étendue, ni parties, ni forme, cette chofe fera le contraire de la matière, c'eft - a - dire qu'elle fera fpirituelle. Nous avons trouvé que la penfée «'avoit ni forme, ni larB 6 geur,  3S* Z^MAéAsiH- geur; ni Jongueur, par conféquent la» penfée n'a point de parties, & ainfi elle eft fpirituelle. Me diriez vous è préfent ee qui produit votre penfée, eft-ce. ' votre main ou votre pied ? Lady Spirituelle. Cela feroit impofllble , ma main &; mon pied font des corps; leurs qualités elfentielles font abfolument contraires k celles des fubftances fpirituelles, par conféquent elles ne peuvent produire , ... autrement elles me donneroient ce qu'elles n'ont pas. Mifs Belotte, J'avois toujours cru que c'étoit ma tête qui produifoit mes penfées, mais je me trompois, ma tête eft auffi bien, matière que ma main & mon pied. Lady Lucie. N'eft-ce pas notre arae qui prodüit nos penfées, & ne pouvons-nous pas en conclure qu'elle eft fpiriiaelle, puis-v que les penfées qui font les eofans de ios ames^ le.fontauffi?. Madem-  des Adolescentes. t^r Madem. Bonne. La conclufion eft jufte, Madame Or vous favez qu'une chofe fpirituelle n'a point de parties, qu'on ne peut par conféquent y rien augmenter, ni y rien diminuer. Ne puis - je donc pas en conclure, que 1'ame des enfans qui vien nent au monde, eft celle qu'elle Je fera quand ils auront vingt ans; puifqu'une de fes qualités eflentielles eft de ne nouvgir augmenter ni diminuer? Lady Looi se. Cela me paroit inconteftable. Cépeudant cette vérité eft démentie par 1'éxpérience de tous Jes jours, & on dirofc qne 1'ame des enfans croit & s'augmente avec leurs corps. Madem. Bonne. Je crois avoir tfxpliqué cela è nos jeunes dames il y a deux ans, mais vous ny étiez pas, & d'ailleurs, ces chofes ont befoin d'étre repétëes plus d'une rois* Vous favez fans doute, Mefdames, que la mémoire eft une faculté corporelle, c'eft - k - dire qu'elle eft £ t" attsr-  %t Le Magasin attaché k nos corps, & qu'elle «n dépend. Lady Loüise; Je n'ai jamais entendu parler de cela, & je vous prie de nous 1'expliquer. Madem. Bon ne» Les facultés eflentielles de notre ame font Tentendement & la volonté, c'eftè-dire que notre ame eft capable de penfer & de vouloir. Elle a un papier fur lequel elle écrit fes jugemens & fes volontés, & ce papier c'eft notre cervelie qui eft renfermée dans notre tête. Vous avez vu fans doute la cervelle de quelque animal, il n'y en a aucune de vous qui n'ait mangé une tête de veau. C'eft une matière blanche & molle; Ia nótre eft auffi blanche & molle. Outre que notre ame a ce papier, elle a auflï des plumes pour écrire fur ce papier, & ce font nos fibres; c'eft- a- dire, une prodigieufe quantité de petits filets propres k toucher notre cervelle, & a y écrire. Ce n'eft pas encore alTez. II faut quelque chofe pour remuer ces fibres, &  des Adolescentes. 30 & ce font les parties les plas fubtiles du fang qu'on nomme efprits animaux. & qui montant fans ceffe au cerveau remuent ces fibres. Comprenez - vous cela, Lady Violente. Lady Violente. Oui, ma Bonne. La cervelle eft Je papier, les fibres font les plumes, & les efprits animaux font les doigts c-ui remuent ces plumes. Madem. Bonne. Dites-moi, ma chère, pourriez-vous eenre fur du papier brouillard ? Lady Violente. Cela m'eft arrivé quelquefois, mais il re m étoic pas poffible de lire ce que javois écrit, cela faifoit des lettres larges comme le doigt qui n'avoient pas de forme. v Madem. Bonne. D'oh vient cela, je vous prie? Mifs  #3 Le Mag asiw Mifs Belotte. G'eft que le papier étoit trop mince*. Madem. Bonne. Et qu'il n'y a pas aflez de colle pour lui doaner de la force. Je vais vous faire encore une autre queftion. Pourriaz v^us écrire avec un cheveu? Mifs Sophie. Non, car il eft trop foible. Madem. Bonne. Et bien, Mefdames; le cerveau des petits enfans eft. extrécuement mou; par conféquent il eft comme le papier brouillard; on n'y peut rien écrire de lifible; ce qui s'écrdt deflus s'efface aufiatót, comme fi on vouloit écrire fur de^ 1'eau. D'ailleurs, les plumes, c'eft-è» dire, les fibres font fi foibles qu'il n'eft non plus pofilble de s'en fervir que d'un cheveu. Notre ame dans la première enfancs n'aïant auoun- moyen d'écnre fes idéés, ne peut fes lire dans fa"mé« moiré; & comme ce n'eft qu'en com. parans  des Adolescente s. 4.x parant enfemble plufieurs idéés qu'on peut former un jugement & enfuite un défir raifonnable, il s'enfuit que notre ame ne peut alors former aucnn jugement. A mefure que fa cervelle s'endurcit, & qae les fibres prennent de Ja force, elle écrit fes penfées, les lit, & agit en conféquence; & elle continue de le faire jufqu'a ce que la vieiilefle ait tellement endurci fon cerveau, & rendu fes fibres fi roides, qu'elle ne peut plus s'en fervir, alors 1'homme retombe dans 1'enfance. Lady Luei e, Je commence h comprendre comment il fe peut faire que des hommes qui ont des ames ftmblables, ont des gémes fi différens. Cela dépend de la mollefle oa de la dureté de leur cerveau, de la flexibilité de leurs fibres, & de la quantité d'efprits animaux que k fang envoye è leur cerveau. Madem. Bonne. Oui, ma chère, & de la vient aufl Ia djfférence qu'il y a entre les hommes cc les femmes; mais il faut remtr- tre  te Le Magasin tre cela ê Ia première iecon, avec quelques autres chofes fort importantes qui dépendent du menie fujet, & dire quelque chofe de Cyrus. C'eft k vous, Ladu Spirituelle. Lady Spirituelle, Cyrus étmt arrivé en Médie k Ia tête du fecours qu'il conduifoit, trouva ion oncle Ciaxare dans un grand emDarras. Le Roi fon père avoit obligé ïw i -1 Arme°ie k ,ui Payer un tFiParoiffoit que ce prince penioit è profiter de la guerre qu'on alloit ^,rf uux ^édes, P°ur s'exenipter de ce tribat. Cyrus aïant pris de bonnes melures pour favoir ce qui fe paffoit dans le royaume d'Arménie, connut que la cramte de fon oncle étoit bien tondée, & il promit de le tirer de eet em barras. J-? J°y^me d'Arménie touchoit k celui de Médie, & Cyms faifoit de grandes chaffes fur les frontières, & quelquefois fes chaffes 1'entrainoient dans Ie royaume voifin. On s'accoutuma k Ie vojr fur les frontières, fans en prendre ombrage. Un jour il pric un bon corps de trou- pts  des Adolescentes. 45 pes eu - lieu de chsfleurf, & il étoit déjè proche du lieu ch étoit ie Roi, Ibrfqu'oD a ver til le prince qu'il n'avoit pas un inftant ó perdre pour fe fauver. II fit panir auflï - tót fa femme, fes filles & fes tréfors; & leur ordonna de fe retirer dans les gorges des montagnes ou il étoit facile a un petit nombre d'hommes, de fe défendre contre un plus grand, Cyrus qui n'oublioit rien, avoit prévu que le Roi d'Arménie prendroit cette réfolution, & il avoit envoyé des foldats dans ces gorges, qui fe faifirent de la familie & des tréfors de ce malheureux prince. II ignoroit encore ce malheur, & aïant raflemblé tout ce qu'il put de troupes, il les placa fur une hauteur peur efiayer de fe défendre; mais fe. voyant environcé de toutes parts, il fut obligé de s'abandonner a la difcrétion du vainqueur; ainfi Cyrus par fa prudence, commcrjca & finit cette guerre dans le même jour, Le prince des Perfes aflembla les principaux officiers des deux armées, & fit même approcher les chariots des priacelTes. Ce fut en la préfence de toutes ces perfonnes qu'il dit au roi pri- fon-  44 Li Macasiw fonnfer: je vais voas faire quelques queftions, & j'efpère que vous me dï' iJa vfnté; car fl Ie meafonjre eft odiêux dans Ja bouche d'une perfonne du commun il eft eocore plus S dans Ja bouche d'un grand & d'un & Ie deshonneroit oour jamais. Dkes^ moi donc pourquoi vouliez-vous ne %iïgï?X tribUC qUG V0US a iraP°ré «mP-^01 d'Arraénie répondit; paree cue ja, cru qu'il étoic de ma gloire de laiiTer mon royaume libre k mon fils, comme Je I'ai recu de mon oère > Ce te penfée eft belle & digoe M'un Roi qui n'a rien promis, dit Cyrus ft vous deviez 1'avoir avant d'avoir été «étoit rendu maftre de votre royaume, & qu'il ne vous I'a rendu qu'/condiaon que vous payeriez Je tribut. Dkes. mot, Je vous prie, fi vous aviez donné une provmee è un homme k certafnes piir, que fenez - vous ? , JZ q?e J£ *ais Pr°Doncer mon awêt, dit Ie Roi d'Arménie,- mais ?ir,mPT-' J'ai promis de dire'Ia vétl ' t5 ie Ia d,rai ^uoiqu'il m'en couw« Je rerois mourir un tel homme. Dans  des Adolescentes. 45 Dans ce moment les princeflTes qui étoient dans les chariots, jettèrent de ,grands cris comme fi elles euifent déjè vu Ie Roi fur 1'échafaut. II avoit un fils nommé Tygrane que Cyrus avoit connu dans fa jeunefle. II i'avanca & ai'ant obtenu la liberté de parler, il Ie fit en ces termes. Je ne chercherai point, feigneur, h excufer mon pére, je fais qu'il mérite la mort; mais j'efpère que vous voudrez bien confidérer qu'il y a beau* coup plus de gloire è pardonner è un ennemi vaincu, qu'a 1'accabler. D'ailleurs, votre propre intérêt vous engage a ufer de clémence a fon égard, puifqae vous acquérerez par ce moyen tui allié dont 1'attachemeEt vous fera beaucoup plus urile que par le paiTé. Je ne comprens pas cela, dit Cyrus. Comment pourrai-je croire que 1'amil tié de votre père nous fera plus avantageufe après fa révoke qu'auparavant ? Je vais vous le prouver, dit Tygrane'. Qu'eft - ce qu'un Roi qui n'a jamais" été roalheureux? C'eft pour 1'oi-dinaire un homme fans fagefle & faD< prudence, & qui n'a d'autre guide que fes pafiions. L'adverfité eft 1'école des princes; c'eft Ik qu'ils apprennem qu'ils font  4ó* Le Magasin font hommes auffi-bien que Ie dernier de leurs fujets. Mon père a recu une grande lecon de cette fage maftrefie, & votre allié eft devenu un homme fage & prudent. Or je vous le demande; de quel prix n'eft pas un tel allié? D'ailleurs, que ne devez*vous pas attendre de la reconnoiifance d'un prince qui a le coeur bien fait, & qui vous devra touc ce que vous lui laiflerez. Je me rens, dit Cyrus, vous n'avez rien a craindre pour votre vie, & même je vous laifle votre royaume. Maïs que donnerez - vous k mon oncle pour la rancon de votre familie? Eh.' que pourrois je lui donner, répondit Ie Roi transporté de gratitude? Tout ce que je poflede eft k lui & ü vous. Je fuis content de cetce déclaration, dit Cyrus, Vous avouez que vous devrez k mon oncle plus que vous ne pouvez jamais lui payer, & par conféquent vous feriez le plus ingrac de tous les hommes, fi vous ceffiez jamais de lui être attaché. Je vous rens en fon nom votre familie, & Ia feule peine que je vous impoferai, eft d'augmenter le tribut que vous lui païez auparavant; ce fera la feule chofe qui  des Adolescentes. 4^ qui vous rappellera votre faute. A préfent que je vous regarde comme amL voyez ce que vous pouvez faire poür nous dans Ja guerre que nous allóns avoir fur les bras.; Le Roi d'Arménie promit a Cyrus des foldats, & lui ofFrit en préfent de groffes fommes que le jeune prince ne voulut recevoir qu'è titre de prêt, & qu'il rendit effe&ivement dans la fuite. La femme du prince Tygrane étoit parmi les princeiTes prifonnières. IJ n'y avoit pas Jongtems que ce prince 1'avoit époufée; & il 1'aimoit uniquement. Cyrus lui demanda en riant, quelle rancon il lui donneroit pour eU le? Mille vies fi je les avois, répondit Tygrane avec vivacité. II m'en couteroit trop cher, répondit Cyrus, puisque j'y ^perdrois un ami, cc j'aime mieux vous la rendre pour rien. Après cela, Cyrus fit couvrir de grandes tables qu'on avoit drelTées par fon ordre, & après qu'il eut regalé la familie royale & les officiers, ils Jes reconduifit, & en chemin, il dit è Ty* , grane: qu'eft devenu votre gouverneur ? Je le connus pendant mon preimier voyage, & il me parut honnête I homme? Hélas! répondit le jeune prince  4S Le Magasin ce en foupiract: des flateurs ont trouvé le moyen d'empoifonner Ie cceur de mon père è fon fujet, & 1'aïant fait patTer pour criminel, il a été mis a mort. Quelques heures avant fa mort il me recommanda fortement de ne m'écarter jamais de 1'obéïffance que je devois a mon père. Oh! 1'excellent homme, répondit Cyrus; fouvenez-vous de toutes ces legons; mais furtout, n'oubliez jamais Ia dernière. Cyrus s'étant féparé du Roi d'Arménie, le lailTa dans 1'admiration de fa prudence & de toutes fes autres qualités, & il fut le fujet de la converfation de toute la Cour. 11 n'y eut que la femme de Tygrane, qui ne dit rien du prince de Perfe. Tygrane remarqua le filence de fon époufe, & lui en demanda la caufe. Que voulez-vous crue je vous dife de ce prince, répondit-elle? Je ne 1'ai pas regardé. Comment cela fe peut-il croire, reprit fon éDoux? Vous avez paffé pluüeurs heu¬ res en fa compagnie. De quoi étiez- j vous donc occupée? De celui qui dilbit, qu'il donneroit mille vies pour moi s'il les avoit, lui répondit • elle. Madem.  des Adolescent es. 4? Madem. Bonne, Voilé un bel exemple, mais il n'eft guére imité par les j, unes dames d'aujourd'hui. On peut leur demander k coup iür Je portrait de tous les 'jeunes gens, & quand même eJles ne les auroient vus qu'une feule fois, elles peu^ vent les peindre fans qu'il y manque un feul trait. CeJa eft bien contraire a la modeftie, qui doit faire Je plus bel ornement des perfonnes du fexe. Mifs C'hampetre. J'admire 1'adreiTe avec JaqueJIe grane ménagea 1'efprit de Cyrus pour 1'engager è pardonner k fon père. II De lui dit pas qu'il eft innocent; il ce cherche pas même k excufer fa fauce cela eut été capable de 1'irriter. Il convient qu'il mérite la mort, car il fait bien qu'on défarme une perlonne raifonnable, par ces mots, fai tört, Madem. Bonne. La réftexïon de Mifs Cbampêtre eft admirable. Une perfonne eft en colèrcontre vous, paree qu'elle creit cue Tom. IK i C vcus  Is Magasin vous avez fait une faute. Soit que vous foïez innocente ou coupable, gardezvous bien de la contredire, vous la mettrie? en fureur* J'ai vu 1'année pasfée une dame è qui Pon avoit joué tant de mauvais tours que la patience lui échappa, & elle dit qu'aflurément elle fe vangeroit. Uq homme raifonnable & qui n'avoit guère de raifon alors, entreprit de lui prouver déroonftrativement qu'elle avoit tort de fe mettre en colère, & qu'elle devoit renoncer au projec de fe vanger. Cette rémontrsnce è comre-tems la jetta dans ure cfpèce de fureur. Elle jura qu'elle brüleroic piutöt la roaifon, & pognarderoit fon ennemie; elle étouffoic de rage, & étoit prête a tomber en convulficn. Dans ce moment arrivé une autre perfonne qui s'informe du fujet de la querelle, & qui dit froidement, qu'il n'y avoit pas moyen de fouffrir une telle injure, en un mot, elle entre dans le reflentiment de la perfonne offenfee. A mefure qu'elle parloit, la colère de celle - ci s'appaifcit, & elle parvint a fe tranquilifer entièremenr. Comment donc, lui dit 1'autre, vous voila toute appaifée: avez-vous oublié qu'il neus refte une maifon a brü-  des A dolescentes, bruler , & une femme è poignarder; je vousavertis que je n'en rabattrois pas un iota. La dame qui avoit été fi fort en colère fe mit a rire, & 1'homme raifonnable a contre - tems apprit qu'il ne faut jamais s'oppofer k un torrent, mai? au contraire Jui faciliter un paflage, è moins qu'on ne veuille 1'expofer a lui voir faire les plus grands ravages. Continuez , Lady Sen/ée. a nous parler de l'Amériquc. Lady Sensée. Quoique Je Canada ne foie qu'une petue province, on y comprend tout le pai's qui eft borné au midi par Ja nouvelle Angleterre & par la Loui'fiana; mais on die qu'aujourd'hui il y a une grande difpute entre les Anglois & les Frarjcois, chacuns des deux nations prétendent a la propriété d'une partie de ce pais. Que Dieu les accorde' Ma Bonue dit que nous ne fommes pas afiez halles pour décider qui a raifon, aiofi je me contente de fou haiter que ce foit ma nation. Les priacipales villes des Fraogois dans ce pais font Québec, Mont-réal, & les troïs c 2 ri„  j.2 Le Magasin rivières. II y a auflï un grand nombre ce fo ts. Le fleuve St. Laurent coule dans le Canada, II a cinquante lieues de large dans fon embouchure, & en beaucoup d'endroits il eft de plus d'une lieue de large. La navigation y eft trés dangereufe par la ouantité de rochers qui s'y trouvent. II y a de grandes chutes d'eaux qu'on appelle faults; c'eft è-dire, que 1'eau tombe du haut d'un rocher. Les deux plus grands faults font ceux de Niagara & de Saint Louïs. Imaginez-vous, Mesdames, un rocher que a deux mille de longeur, celui de Niagara eft tej. Eh bien, toute ia rivière itombe du haut de ce rocher qui eft prodigieufement élevé, & forme en tombanc une nape d'eau qui fait un bruit épouvantable, & qu'on entend de piufieurs lieues. Lady Lücie. Comment faicon pour voyager fur cette rivière, il n'y a pas d'apparence qu'on puiffe y condulre des vaisfeaux ? Madem  des Adolescent es. 53 Madem. Bonne. Les grands vaiiïeaux ne voet pas plus Join que Qaébec, & pour aller jusquè Mont-rea! on en a d'une autre fjbrique. Après cela, on ne voyage plus qu'en canots. Lady Mary. Je ne fais pas ce que c'eft qu'un ranot ? 1 Madem, Bonne. C'eft un petit bateau fait d'écorce darbre, adroitement cóufue avec un ni fait des mêmes écorces. Les plus grands tiennent huit hommes. Les fau. vages font extrêmement habiles a conauire leurs canots au millieu des 10chers, & quand ils trouvent des paslages difficiles, ils prennent le bateau. lur leur tete & vont par terre iusqu'è ce quJls ayent trouvé un palTage plus aifé. Ils appellenc cela faire un portage. JNommez nous, Lady Senfée. les principaux fauvages qui habitenc ce pais. G3 Lady  Le Maqasik Lady SensIe* Ce font les Hurons, les Algonqufns, les Iroquois, les Ilinois, les Ootaouais, les Affinipoils, ks Sioux & piufieurs autres. Lady Violente. Vient - il du bied & ü'autres chofes daas ce païs ? Madem. Bonne. Oui, depuis que les Européens y font; auparavant les fauvages ne fe donnoient pas la peine de cultiver la terre. Mifs Belotte. Et de quoi vivoient-ils donc s'ils n'avoient ni bied ni légumes? Madem, Bonne. De Ia chalTe & de la pêdie. Ce pi is eft rempli de roomagnes & de lacs, qui leur fous nifibient abondamment de quoi vivre. Les fauva&es de ces quar- tier s  des A OLESCENTES. S5 tiers font en même tems fort gourmands & fort fobres, felon qu'ils ont peu ou point a raanger. Comme ils pasfent la plus grande partie de leur vie k la chafiê, il faut bien qu'ils s'accou^ tument è jeóner, Mifs Molly. Mon père chaffe beaucoup, cependant il ne jeüne pas, il revient manger k la maifon, ou bien il porte quelque chofe k manger,* pourquoi les fauvages ne font-ils pas la même chofe? Madem, Bonne. II y a bien de la différence de cette chafle aux nótres. Imaginez tous, ma chère, que ce vafte pats n'eft pour ainfi dire, qu'une immenfe forêt. II y a des endroits oh 1'on trouve trois & quatre cents lieues de bois. Les faavages s'aflemblent par bandes au co?nmencement d'Odrobre dans ces vaftes forêts pour concerter leur chr«iTe. A.ttrefois ils n'avoient d'autres armes que des arcs & des flêches, è préfent ils ont des fufils. Toutes leurs provifions confiftent en plomb & en poudre, & C 4^ cha-.  Jtf Le Magasin ebaque homme porte derrière fon dos un fac; oü il y a de la farine de bied d'inde. Voiiè tout ce qu'ils emporteot pour une chaJTe de trois moïs au moins. Mifs Sophie. Mais comment peuvent ils vivre tout ce tems avec fi peu de farine? Oh ccuchent-iis dans ces granöes forêu? Jfiït-ce qu'ils ne portent pas des hadks pour changer quand ils font bien mobiles, quelques chemifes au moins? Madem. Bonne. Je vais répondre par ordre è toutes vos queftions. Ils tuent des bêtes dans cesforets, alors ils Jes écorchent pour en avoir Ja peau, & ils mangent Ia ehair. Dix hommes quelquefois mangent autant de viande dans un feul jour que cinquante en pourroient manger ici. Ils gardent leur farine pour les tems malheureux oh ils ne tuent rien, & alors ils en prennent plein leur main qu'ils délayent avec un peu ü'eau, & voila un repas, pour toute Ia journée; c'eft pourquoi je vous ai dit qu'ils étoient  des Adolescentes. ff* étoient fobres & gourmands felon (qu'ils avoient des vivres. Le foir, "comme ils ne manqueEt pas de bois, ils allument un grand feu, & fe couchent auprès. D'autres font vite une cabane avec des branches d'arbres. D'autres enfin font de grands trous dans la neige & s'y couchent. On prétend qu*ils y ont trés chaud. Quand leurs habits font mouil és, ils fe féchent auprès d'un grand feu. Pour des chemifes, ils n'en changent pas fouvent, & ils les gai*dent jusqu'a ce qu'elles tombent par morceaux. Si vous leur donnés' une chemife blanche, ils la mettent par desfus la fale, & il y en a qui ont fouvent quatre a cinq chemifes les unes fur les autres. Lady Luche. Oh les vilaines gens, ils n'ónt güèv re de propreté. On ne peut pas au ^ moins les accufer d'avoir de la vanitédans leurs habits» Madem. B:o ï.U i, Je vous * de mande pardon, ma 'chè'ce * ils onc bfeaucoup-dc-- vanité; crêft" Cf; ppw  g$ Le Magasin pour cela qu'ils fe mattaehent, c'eftè dire qu'ws fe peignent toit ie corp.v & le vifage. Une grande parure pour les hommes, eft d'avoir un grand ferpent peint fur le vifage, ils fe perfuadent que cela les rend teiribles è leurs ennemis. Qaelques • uns fe peignent avec du vermilion & avec d'autres couleurs mais ceux qui veulent que cela dura toujours s'y prennent ainii. Ils fe font des égratignures avec la pointe d'une éguiiie, c'eft. a-dire, qu'ils deffinent fur leur peau en la dé. chirant, puis ils y nuttent de la poudre è canon, & enfuite ils y metcent le feu. Cela fait des marqués qui restent toute leur vie. Lady Charlotte. II1 faut être poftedé du diable pour foufrnr & plaifir tant de douleur. Modem. Bonne. Et les dames qui fe ferrent dans un corps de baleme jusqu'a étouffer pour avoir . une belle taille;; celles qui fe font yemr r des > corpt, auz pleds pour w le P*8d mgnou. Celles qui fe k feae i  des Adolescentes. 5$ fent tirailler les cheveur pendant trols heures par un perruquier; qui s'expofent è fe faire brüier les oreilles,- qui paffent ia nuit fdns dormir paree que Jeurs papillotes les en empêchenc. Tou* tes ces femmes dis je , font eties moias extravagantes que les fsuvages ? Lady Louise. Cela eft fingulier. j'étois frappée de l'extravaganee de ces peuples, fans penfer que la mienne eft encore plus grande; car enfin ils fe mattacnent une fois pour toute leur vie, & ie fupphee que je m'impofe pour fuivre la mode, recommence tous les jours. Les femmes fauvages fe mattacheut. elles aufil ? Madem. Bonue» Non, mais elles ont des ajuftemens. *£LVU rïf, -G JeUrs J>es des Bendes «tes. C étoit une efpèce de fac de cuir fans aucun pli, avec une franee au bas compofée d'un petit étui fair presque comme une cloche. Ori le trou- «» ! 3 TT de,s fercené aom. më ;a caufe de. cela* ftrpent.-d^mnmé^ c ö Ladfj  6.cr : Le Mag as in Lady Loüise. Je gage que ces pauvres malheuren fes fe croyent aufli parées avec cela que n oi avee mes habits dorés & avec mes diamans. M.adem. Bonnk. A^urément, ma chère, la parure ce confifts. que dans 1'opinion. Lady Mary. Je concois fort bien que les fauvages étoieac obligés a faire ces terribles chaffes avant que les Européeos leurs eulTent enfeigné a travailler è la terre, mais a. préferjt pourquoi prennenc ils tanc d? peine? Ne leur feroit-j] pas plus aifé .de vivre comme nos fermiers? ' Madem, Bonni. Mais les Européens ue leur donneroient pas pour rien les chofes nécesfaires pour cultiver la- terre; pour les obtenir, ils donnent la peau des bêtes qu'ils on£-tuées, & par conféquent ils» fqnt obligés de continuer • è aller è !a < efaaÜkr.'.  des Adolescent es. öi ehafle. D'ailleurs les fauvages font trés parclleux; ils fe dcnnent cant de fatigues trois mois de Tannée , afin d'avoir le piaifir d'être è rien faire le reste du tems. Ils veulent vivre dans Tindépendance & sVftiment fort heureux de n'avoir obligation è perfonne. Lady Louis e. En cela ils ont raifon. Je crois qu'u» homme qui n'auroit befoin de perfonne, pouroit être regardé comme un homme parfaitement heureux. Madem. B o n ne. II faudra quelque jour examiner cela, pour aujourd'hui il eft trop tard. ^*^*^^*^*^$^>*> XXVIII. DIALOGüE. Lady Louise, "WOUSUvez dit la.dernière fóïs > .T™a., fionne»,que vous eramine-' nes-la propofition que je vcis faifois  m Le Magasin j'y ai beaucoup penfé depuis notre derniere Jecon. La liberté eft ie plus précieux de iou* les biens, & il me femble qu un ho nme qui n'a pa* befoin de tout ceqm lenvironne, eft vraiment iibre. Madem. Bonne. Ooi, h peu prés comme Pétoient les ' acédémoDiem. Leur république étoit pour eux Ie monde entier. Comme ils y trouvoient tout ce dont ils avoient befoin Ie refte de Ia terre leur étoit indifférent; & ils fe feroient fort peu embarraffé qu'il périt. Rien ne les intérefToit a fa confervation. Lady Louise»* Eft-te que leur indépendance éteignoit chez eux les fentimens d'huma*nité? Madem,. Bonts ml* Je le crois du moins, & je fuis i0* timément perfuadée, que Ie befoin continuel que nous avons les -urn- ie* autres» produit milleiverttts,,&*eatr^ as* tres l'tiuiiuiDité** l Lkd^j  des Adolescentes. tfj- Lady Louise. Mais noas fooimes véritablement esclaves de ceux dont nous efpérons quelque chofe. Or comme je vous J'ai dit, je regarde Ia liberté comme ie plus grand de tous ies biens. Nous troquons donc notre liberté qui eft un grand bien contre nos commodités & nos faotaifies, qui font de petits biens. N'eft.il pas clair comme le jour, que eet échange nous eft fort délavantageux ? Madem. Bonne. Lady Louïfe deviens une adverfaire redoutable; elle pofe des principes, elle tire des conféquences. II faut pour. tant elTayer de la contredire un peu. II me femble, ma chère, qu'il eot été è propos de commencer par une bonne définition de la liberté. Peut-étre par lè, entendez vous une chofe, & moi 3'autre ? Quand on veut difputer, il faue coinmeocer par s'entendre,. Mifs /B EXOTTEo - PöurquQi croyeswous que La6y\LwP'  #4 Le Mag as in fe veut disputer avec vous, je Ia crois txop polie pour cela ? Ma tem* Bonne. Vöilè juftement ce que j'ai dit, ma chère, il eft d'une grande importance de bien entendre le lens des mot?. Par exemple, ma chère; difouter & quereller ce font deux chofes fort dif. férentes. Difpucer, c'eft avoir une opinion différente de ceile de la perfonne è qui on parle, ce n'eft point un mal; nous favez bien que nous ne devons croire aecufce perfonne fur fa parole, & qu'il faut exaiuiner fes raifons & lui dire les nótres. Voilé ce qui s'appelle difpnrer, & toutes les fois qu'on le fait avec douceur, modeftie & -politeffe, cela n'eft pas un mal, au contraire, cela dfvertit & amufe. Mais li au liet? de dire fes raifons, on s'emporte , on dit des paroles grcffières, , cela s'appelle quereller, & les honnêfces gens ne le font jamais. Je vais voüs faire quelques-queftions,, Lady , répon- dez moi, s'il vous plait. La liberté conGfte-t-elle a faire foute* Jes niauvaifes a&ions qui viennent j fure; par conféquent, ils volèrent toute i la terre qu'ils eurent de furplus» Madem* Bonne. Ecoutez bien ceci, Madame. Tou- [ tes les guerres & toutes les acquifitions ne font pas injuftes. Je ne vois pas que Romulus ait attaqué perfonne; il ce fit que fe défendre, & cela eft permis. 11 eft même permis de demander des dédommagemens a un ennemi qui nous attaque mal - h « propos. Romulus demanda des terres il n'y avoit pas de mal è cela. Lady Charlotte. Et qui nouriiToit tous ces hommes - Ia avant qu'ils euffent ces terres? * Maiem.  des Adolescente?? 73 Madem, Bonne. Ne venez-vous pas d'entendre que Numitor donna a Romulus environ quatre mille & "démi de-terrain. II le partagca en trois parts inégales, & la plus grande de ces trois, il la diftribua en égales parts a chaque homme qui prit le foin de cultiver, enforte que tout le monde eut de quoi vivre en travaillant* 1 Lady Charlotte, Je concois qu'un homme peut vivre de fon travail, mais ceux qui avoiene 'une grande familie, comment pouvoient- ils nourrir leurs enfans? Lady Sensée. Les premiers Romains n'avoient ni femmes ni enfans, cYtoit des hommes ou qui n'avoiect jamais été mariés, 0*4 qui avoient quitcé leurs femmes. Lady Violente, Comment donc Ia ville de Rome ant - elle pu durer fi longtems, puisque les Tom. IK D pre-  74 Le Ma ga sin premiers Romains n'avoiect ni femmes3 m enfans ? Madem. Bonne. Ils en eurent bientót, Mesdames,, & eelt ce que Lady Senfée va vousi raconter. Lady Sensée. Romulus voyant que Ia plus grande partie de ceux qui étoient venus Ie trouver, n'avoient point de femmes, envoya des ambafïadeurs dans toutes les villes voiünes pour leur demander leurs filles en mariage* lis furent rebutés de tous les cótés, & les Sabins ne fe contentèrent point de leur refufer leur demande, ils lés infulterent même, en difant, que fi Romulus vouloit faire un afyle pour les femmes qui ne valoient rien comme pour les méchants homBies, jl en auroit une affez grande quantité. Romulus fut piqué de cette réponfe, & aïant fait publier qu'il vou» loit faire une féte en 1'honneur de Nep» tune, qui devoit durer trois jours; tous les habitans des villes voiünes de Ro. me y vinrent en foule, & fur tout les Sabins»  des Adolescïntes. >?$ Sabins. Après la première journée les Romains priérect fort honnêtement les étrargers d'entrer dans leur ville. lis les régalèrent $ les logèrenc dans leurs maifons, & ils proficérent de 1'occafion pour connoftre leurs filles. Le lendemam Romulus fit un fignal, & alors chaque Romain s'étant iaifi d'une fille, 1'emporta dans fa maifon, & les portes furent fermées auffitót; & le même jour, Romulus fit marier touI tes ces filles felon les cérémonies de leur pais» Lady Lucie. Ah, ma Bonfle! que je hais Romulus: il tüc mieux valu qu'il cüt faic tuer ces psavres filles qüe de les obliger è époufer des hommes qu'elles ne connoilToienc pas, & que par conféqueuc elles ne pouvoient airaer» Madem, Boerhe. Je vous difois il j a quelque tems, que les mariages de raifon étoient plus heureux que ceux qui fe xontraclent Ipar inclination. En voici la preuve* ifQuelque tems après on donna perD 2 mis-  76 Le Ma-ga sin miffion è celles de ces femmes qui neferoient pas contentes de leurs rnaris, de les qukter, & de s'en retourner dans leur païs: il n'y en eut que deux qui proficèrent de cette permiffion ; cc elles proteflèrent toutes qu'elles étoient ü contentes de la conduite de leurs maris a leur égard, qu'elles aimeroieot mieux raourir que de les quitter. Lady Lucie. il fatoit que les Romains eulTent eu de bonnes manieres pour elles, pour fe les être ainü attachées; & je ne comprens pas comment de tels hommes avoient pu être changés en fi peu de tems? Madem. Bonne. Ils ceflerent d'être méchans dès Ie moment qu'ils s'aflujéttirent au travait & aux fages Ioix que leur donna itomulus. Pour vous donner une idéé de fou humanké, je ne vous en rapporterai qu'un feul trait. C'ecoit alTez Ia coutume parml les Païens; de cuer lesj enfans qui naifibient foibles & diffor-J mes, comme chez les Lacédémoniens; mail  des Adolescente?. 7^ mais Romulus plus fage & plus hursain que Lycurgue* n'établit cette loi qu'avec une grande rèpugnance; & pour la rendre inutile, il ordonra que les pères & mères n'auroient permifljon de tuer ces malheureux enfans, qu'au bout dé trois ans; non feülement paree qu'il pouvoit fort bien arriver qu'ils fe fortifiaffent pendant ces trois années, mais aufli paree qu'il penfoit, qu'il n'étoitpas pcflible qu'il y eüt des parens alTez barbares pour tuer un pauvre enfant qu'ils auroient élevé pendant trois ans, & dont ils auroient regu les innoccntes carefles. Cependant cómme il fe trouve de tetcs en tems des phénomè* nes de cruauté & de barbarie, c'eft -adire, des pères & des mères qui baïsfent leurs enfans, Romulus qui prévoyoit tout, ordonna qu'avant de tuer ces pauvres enfans, il faloit affembler les principaux parens paternels & materBels pour prendre leur avis» Lady L ücie, Vous avez trouvé le moyen de me réconcilier avec Romulus; je lui pardonne 1'enlèvement des femmes en fa- D veur  78 L$ Macasin veur des loix qu'il fit pour fauver les pttm enfans. Lady Violente. Je vous prie, dites-nous quel étoie ie gouvernement des Romains, & fi Romulus ne fut pas le premier Roi de Rome ? Madm. Bonne. Ou', ma chère; il ralTembla Ik tous les habitans de Rome, & leur demanda quel gouvernement ils fouhaitoient d'avoir? Ils lui répondirent, le Monarchique, & le choifirent pour le premier Roi ,• cependant fon autorité n'étoit pas abfolue, il avoit choifi cent hommes pour en faire un Parlement qu'on nommoit Simt,* & Romulus étoit obligé de le confulter dans les affaires de conférence. Le peuple devoit auffi décider de certaines affaires. Lady Louise. Voilé précifernent Ie gouvernement quej'aime, Un Roi donU'aucorké foit bor*  des Adolescent es. 79 bornée par 1'autorité d'un Parlement & par celle du peuple. Madem* Bonne. Cela eft excellent dans un royaume élecliT, mais dans un royaume héré» ditaire, c'eft felon moi la chofe la plus dangereufe & la moins cbnvena» bie. Lady Champetre. Heureufement vous nous avez permis de ne pas nous en rapporter k vos fentimens- Je vous avoue que je ne pourrois jamais adopter le vótre a eet égard. Je hais le despotisme & la trop grande liberté. J'aime un jufte milieu entre ces deux chofes * & je crois le trouver dans le gouvernement primitif de Rome. Madem. Bonne. J'aïrae 3 comme vous, une liberté également éloignée du defpotifme & de la licence; mon idolè eft la liberté, je veux bien vous 1'avouer, & c'eft pour cela que je fuis plus affeëtionnée D 5 au ^  8° Le Magasin «u gouvernement monarchique. Ce que je vous dis, vous paroit extravagant, .je vous pardonne de Ie croire; mais je vous prie de fufpendre votre jugeraent jusqu'a-ce que la fuite de lUn'stoire Romaine décide fi j'ai. tort ou rauoo. Continaez - la, s'il vout• plaic» Lady Senfée. Lady Senseb. Les Sabins fe préparèrent pendant aeux ans a fe vanger des Romains , car Ie plus grand nombre des filles qui avoient été enlevées étoient Sabines. Ils japproehèrent donc de Rome pour en raire Ie fiège; La citadelle de cette ville, étoit fur un grand rocher:" elle |y,olc J5oar gouverneur TarpeUs dont la Jlle fe nommoit Tarpeïa. Cette mallieureufe créature aimoit beaucoup I or ,• & comme les foldats Sabins avoient au bras des bracelets de queloue chole qui reflembloit è ce riche métal, elle fouhaitoit beaucoup de les svoir. £l*e fit donc dire è Tatius Roi 'des fcabins, qu'elle lui ouvriroit Ia porte de la citadelle s'il vouioit lui donner les chofes que fes foldaïs portoient au bias,,.  des Adolescentes. 8? bras, car elle ne favoit pas que cela étoit Dommé des bracelets. Tatius promit avec ferment de lui donner les cnofes que ces foldats portóient au bras fans s'expliquer davan^ tage, mais quand elle leur eut ouvert 3a porte» ils jettèrent fur el'e leurs boucliers, & elle fut étouffée fous leur pöid. Cependaot les Romains s'étanc éveillés, courrurent aux- armes, & il y eut un • combat G furieux qu'il étoic k craindre que les Römains & les Sabins ne quitaflent les armes qu'èpiès s'étre entretués jüsqu'au dernier. Mais les Sabines ne purent voir leurs mans égorges par leurs pères ou lès frères: elles prirent leurs petits enfans entre leurs bras, & fe jettèrent toutes échevélécs entre les deux armées, ce qui obligea les deux partis auxquels elles étoient également chères, de mettre bas leurs armes. Alors elles direnc k leurs parens, qu'eües étoient ü contentes de leur maris, qu'il faudroit les tuer avant d'attenter a leur vie, & elle-les firent confentir k faire la paix. II fut réfolu que les Romains-cc les Sabins ne feroient plus qu'un peu» ple, & que1 Tatius feroic Roi avecRömulus,  22 Lè Macasin Mifs Be lot tb. Vous difiez, ma Bonne, que les femmes n'a voient pas tant de courage que les horpmes, vous voyez pourtant que les Sabines ne cragnirent point de s'expofer è la mort, eo fe jettant entre des épées qui pouvoient fort bien les blesIer ou les uuer. Lady Lucie. Cela me fait aufli foovenir que vous nous aviez promis de preuves phyfiques de la fupériorité des hommes fur les femmes, & vous ne nous les avez pas oonnées. Madem. Bonne. Je ne vous ai point dit que les hommes fuflenc fupérieurs aux femmes, mais feulement que les derniers avoient moins de foree tfr, de courage que les premiers. Or la force, le courage & la valeur ne font pas toujoers de bonnet qualités. Mifs SöS>HI;E. lo; mérité* ma goms^ vous peofes  des Adolescenies. 83 ' d'une manière bien ilngulière fur une grande quantité de fujecs. Par exen> ple, jé n'ai jamais ouï dire qu'è vou«, que la force, la valeur & le courage, ne faflect pas de bonnes qualités, Madem. Bonne. Pour favoir fi c'eft moi ou les autres qui penfent mal, il faut examiner nos différentes opinions, & je vous promets d'abandonner les miennes aufiitót que vous me prouverez qu'elles font mauvaifes. Leouel croyez-vous, Lady Louife, qui ait plus de courage, de Cyrus ou du voleur qu'on pendit hier £ Lady L out se. Je ne crois pas qu'il y ait la moindre comparaifon; c'étoit Cyrus» Madem. Bonne. J'en reviendrai toujours 4 ma métho-' de, Mesdames,* elle eft gênante9 mais elle eft füre, li me faut des définiiions Qu'ententiez.vous par 16 courage  Le Magasin- Lady Louise; Od dit qu'un homme a du courage quand il s'expofe fans crainte aux plus graods dangers; ainfi je dirai que le. courage eft le mépris du péril & de tout ce que le commun des hommes craint le plus. comme la mort, les fouffrances, les mépris, 6icé Madem* Bonne. Je m'ea tiens h cette déflnition, & je foutiecs que felon elle, ie voleur a plus de courage que le héros & le eonquérant. De cent voleurs, il y en a quatre vingt dix au moins, qui perdent Ja vie * far un échafaut: * & de cent conquérans ou héros, plus de la moitié échappent h Ia mort qu'ils affrontent dans les combats. L'immortalité, la gloire, les honneurs, les récompenfes,, quelquefois méme le devoir encouragent les héros, & cette perfpeftive briljante, eft biencapable de les élever au deiTusde la timidité naturelle» Le voleur n'attend que Ta honte* Tignominie &, le chitiment. Vous fente» parfaitemenc qu'il lui faut beaucoup/ plus de fórce qu'au . héros\,, puis--  des Adolescent es. 85. puisqu'il n'a rien k efperer & tout è craindre. Le courage par lui même n'eft donc point une qualité louable, & le plus fouvent même il a pour principe la férocjté ou le défefpoir. Ce font les motifs qui le mettent en aclion, qui déterminent 1'idée qu'on en doic avoir. i,es femmes par conféquent ne doivent point être regardées comme inférieures aux hommes, paree que la conftitutioa de ieur corps ne permet pas ordinairement h Jeurs ames d'avoir autant de mépris pour la mort & les fouffrances que les hommes. Lady Louise. J'ai deux qtfeftions k vous faire. Eft. ce que le corps des femmes eft différent de celui des hommes ? En fecond lieu, quel rapport peut il y avoir entre la conftruftion du corps, & le courage qui eft une qualité de 1'ame? Madem* Bonne. J'ai vu des têtes d'h'ornrnes & de femmes, & ri y a de la différeuce dans lés os; je ne m'en fouviens pas trop bien pourtant ° . mais il me fenible que D! 7t les  $ö Le Macasin les têtes des femmes ont plus de coutures que celles des hommes. Lady Mary. Eft-ce qu'il y des coutures dans les têies des hommes & des femmes ? Madem. Bonne. Oui, ma chère; notre tête eft com~ pofée de plufieurs os faits a - peu p ès comme une fcie , ou comme un peigne; & cela eft découpé fi jufte, que • les deots, ou fi vous voulez» les festons d'un os s'ajüllent & fe joignent jexadlemenc avec ceües de 1'autre, morceau. Mais outre cette diffërence, les os des femmes font ordinairement moins gros & moins durs que ceux des hommes; leurs fibres font plus délieates, leur cervelle plus molle, Toute? ces chofes les rendent moins fortes que les hommes, plus fenfibles a la douleur, & moins capables de k fupporter, A cette foibleiTe naturelle fe joint la différence de i'éducatioc.: Oo accoutume les horomes ? dans la jeunefife a un exercice plus violent que les femmes, & la moleffe dans lacjueile ou nous élè. ve9 »  dés Adolescentes. g? ve, ne concribue que trap h la foiblesfe qu'on remarque en nous. Vous me demandez comment cette foiblefle du corps peut influer fur les qualités de 1'ame; fans doute que vous avez oublié que Je corps eft 1'inftrument dont 1'ame fe fert pour connoitre tout ce qui 1'environne. Le cerveau d'une femme plus mou que celui d'un homme, recoic des impreftions plus vjves, mais moins durables, & par conféquent moins capables de fe foute, nir, & de fe conferver un tems confïderable. Voüè pourquoi en général, les femmes ont plus de petitefte que les hommes, qu'elles ont peur des efprits qu'elles croyent aurrêves, qu'elles fonc fuperftitieufes. C'eft que tous ces objets font une impreflion beaucoup plus vive fur elles que fur les hommes. C'eft encore pourquoi elles ne font pas propres aux fciences fublimes ou abftraites; leurs ibres font trop délieates pour être fortemecc tirées, tendues- cc elles risquent de fe cafler* ff on ne leur donne fouvent du rel Jicht,; Lady ■  83 Le Magasïn- Lady Louise, C'eft-a dire en bon Francois, qu'ellès risqueroient de devenir folies, fi elles s'aflujétiflbient aux mêmes écudes que les hommes: cela eft bien humiliatie. Madem. Bonne, Non, Madame, cela n'eft point humiliant. Vous êces-vous jamais avifée d'avoir honte de ne pouvoir voya°"er dans 1'air comme les oifeaux? ö Lady Louise. Non, aflurément, ma nature eft dé marcher & non pas de voler. Modem. Bonne. Eh bien, votre nature eft de pou* voir cukivef les fciences d'agrément,lès femmes y réuflifient mieux que les hömnes pour l'ordinaire. Croy.z- moi, ma chère* les avancageÜ fonrcompenfés,< & fi les hommes ont quelques avantages qui nous manquent4 nous en avons aulli- qui» ne- leur font pas naturels,/ «  des Adolescentes. 89 turels, & qu'ils ne poffèdent que rarement. Lady Lucie. Ma Bonne, je fais une réflexion. C'eft que jusqu'è préfent j'ai eu des idéés fauffes fur quantité de chofes; & je vois que ce défaut vient de ce que je n'ai jamais bien connu la valeur des mots, même dans ma propre langue. Madem. Bonni. C'eft un défaut bien général. Nous recevons avec la fcience du lsngage» les préjugés de ceux qui nous ï'enfeignent, & ce font ordinairement des perfonnes d'une ftupidité qui pafte Vimaginstion. II femble qu'on choifille expres des nourrices qui n'ont pas lé fetscommun, auxquelles on fait fuccéder des fervames qui ne valent guère mieux, il eft donc de la dernière importance, quand on parvient è 1'êge de raifon, d'examiiaer & de pefer foigneufement la vaieur des mots, & de voir s'ils ögnifient précifément la chofe dost ils nous préfentect 1'idée, faas quoi  *® Le Mag as in ?inln0US ri^l30n5 ^ nous trom Der con- 2M/f robles qui poorroieni exercer' ies charges & les emplois; c'eft.è-difp,UqUe t0uces Ies dignités furent ré?r/rtf arPetit n°mbre t & ^e le plus grand en fut exelus pour jamais. F Madem. Bonne, dez v!;La?y L>uïfe> comment accoraez-vous cela avec la liberté? Lady Louise. Cela étoit injufte, mais je ne trou. Pas troavé cette g? leur gr^a- voient  des Adolescent!9. ?i voient qu'a fe retirer & aller vivre ailleurs* Madem. Bonne. Fort bien. Mais trouvez-vous que des pères & mères puiflent engager leur Ïoftérité d'une manière défavantegeufe. e foppofe que je fois nee deux eens ans après la fondation de Rome. Mon Père étoit plébéïen, & je le fuis par conféquent ; j'ai toutes les qualités néceflaires pour parvenir aux grands emplois, cependant je n'ai pas de liberté d'y aspirer. II faut roalgré mes talens, que je paffe mes jours dans 1'obscurité, pendant que je vois fur ma tête des gens qui ne me valcnt pas, & dont tout le, mérite eft d'étre nés patriciërs* Si cela m'ennuïe, dites-vous, jé n'ai qu'è m'exiler : voila un exellent re* méde. Toute ma liberté confifte donc è m'expatrier ou a vivre daps la médiocrité fans avoir 1'espoir d'en fortir jamais. Lady Tempé te. XI me fensble que cela devoit produire un autre mauvais effet. C'étoit com-  92 Le Macasin comme deux peup]es qui vivoient dans J,?me> & qui étoient fi bien féparés dintérét, qu'ils ne devoient avoir aucun attachement ï'un pour 1'autre. Madem. Bonne. Romulus prévit cela ., & crut y remédier en permettant aux families plébéiennes defe choifir un protector, un patron parmi les patriciens. Ceux qui tfifoient ce choix étoient nomrnés utens, & ils avoient des obligations S f™qües- Dice*-les nous, Lady Lady Sensée. Suppofez, Mesdames, que vingt familles plébéïennes fe miflent fous la protection d'un patricien; on difoit que cet bomme étoit leur patron, & qu'ils étoient fes cliens. Si un cliënt avoit un procés, fon patron étoit obligé de plaider fa caufe, de Ie recomrnander è fes juges. Si on 1'attaquoit, le patron prenoit fa défenfe. Si Ie patron avoit un procés; alors tous fes cliens prenoient le deuif; ils 1'accompagnoient pour lui faire honneur; s'il vouloit obtenir une  des Adolesceintes. 9$ ce charge, ils lui donnoient leurs voir. Ils étoient obligés auffi de raider dans tous fes befoins. Si fa maifon étoit brfilée, il faloit que fes cliens lui aidalTeat k Ia reb&tir; s'il étoit pauvre & qu'il n'cüt pas moyen de marïer fes filles, les cliens devoient faire une dotte entre eux. Le patron & les cliens ne devoient jamais avoir de procés enfemble, cc 1'on ne pouvoit les obliger a porter témoignage les uns contre les autres; c'eft-a-dire, que fi par exemple, un patron avoit tué un homme devant fon cliënt, Ja juftice ne pouvoit obliger le cliënt k jurer coatre lui, öc k 1'accufer, Tous ces devoirs des patrons & des cliens étoient facrés, & on ne pouvoit y maDquer faDs devenir infame & facri ège; le premier venu avoit permiflion de tuer un homme qui avoit manqué a ces de. voirs* Madem. Bonne. f Mesdames; cous n'spprenons pas 1'histoire feulement pour contenter notre curiofité & rous amufer, Notre but principal doit étre de former ros mceurs & notre efprit. ]e voudrois donc bien fa-  P4 Le Mag as in favoir ce que vous penfez du moyen que pnc Romulus pour unir enfemble les patriciens & les plébéïens. Qu'en penfez-vous, Lady Spirituelle? Lady Spiri tuelle. II me paroit que les plébéïens étoient comme les efclaves des patriciens, & qu'il y avoit pour eux plus è perdre qu a gagner dans ce marché. Lady Lucie. Je ne trouvé qu'un avantage pour les plébéïens; mais felon moi, il étoit trés confidérable. La vanité, 1'inféröt des patriciens étoient d'avoir un grand nombre de cliens, lei plébérens étoient hbres de choifir, & choififlbient fans doute celui qu'ils croyoient le plus honnête homme, & dans lequel ils remarquoient le plus de bonté & d'humani*tv ?arfonfëquent les patriciens étoient obligés de pratiquer toutes ces vertus au pront des plébléïens, qui étoient presque toujours fürs d'étre bien tra!tés de leurs patrons, & careffés de ceux qui vouloient le deveouy Lady  dët A dölescentes. 95 Lady Spirituelle. C'aft-dire que c'étoit un efclavage réciproque, Les plébéïens payoient de leurs biens & de leurs per/onnes la proteótion de leurs patrons qui, a leur tour payoient par des bontés & des vertus 1'attachement da leurs cliens. Lady Louise. Lady Lucie a raifon; fi cela étoit une efpèce d'efclavage, il étoit avaotageux a ceux qu'il foumettoit. Madem. Bonne. L'efclavage, 1'afiujétiflement, la fou. mifllon , ne font donc pas toujours un raai ? Les cliens perdoient leur liberté a plufieurs égards, puifqu'ils n'étoient pas libres, par exemple, de ne point fécourir leurs patrons. Ils perdoient le pouvoir de pjaider contre eux, de les accufer en juftice; & ce facrifice ae leur liberté, eet efclavage, leur étoient avantageux. Gontinuons, nous trouverons bien d'autres preuves de la vérité de mon fentiment, & de la faulTeté de  qS Le Maoasin' de celui de Lady Louïfe, que je vais répéter pour le rappeller a votre efprit • Un bomme maiment libre eft celui qm n'a pas befoin de tout ce qui Venvironne. La liberté eft le plus grand de tous les biens* Vous voyez, ma chèrc, que c'étoit un bonheur pour les patriciens d'avoir befoin les uns des autres, <5? que leur dépendance & leur affujétiflement leur procuroient des avantages beaucoup plus grands que la liberté. Mifs Sophie. Lady Senfée nous a dit que les plébéïens étoient obligés de donner leurs voix au patriciens qui vouloient obtenir des charges, je n'entens pas bien ce que cela veut dire ? Madem. Bon HE. Pour bien Tentendre, il faut que je vous explique quel étoit le gouvernement des Romains. Romulus les aïant affemblé, leur donna a choifir celui qu'ils voudroient. lis fe déterminèrent pour le gouvernement mixte, c'eft adire, qu'ils partagèrent 1'autorité entre un  des Adoliscentes. ^ on Roi, la nobleffe cc le peunïe • ™„ favez bien, Mesdames, qu?0n&t ™' verné par un Roi f>aHrJl ^"^.B0^ ole», eft ariftocratfqae, & aSe JSL, je peuple gouverne] eft démocra inuf tres digmtés. Lady Senfée dir« t u" Lady Sensée. plus Vune . & iïTDT ? eD feroienc P8 fantaifie hnQ rffi!f s affaires * de, confulcer e ^ ^ ia Pe'*°e en»  93 Le Magasiij enragès contre lui, cherchèrent la le faire périr, ce qui étoit fort difficile, car Romulus étoit adoré du peuple. On prétend qur'ils fïrent tous enfemble un complot, & qu'ils tuèrent Romulus dans le fénat; & que pour empêcher que leur ciime ne fut découvert, ils coupèrent fon corps par petits morceaux, & que chaque fénateur en emporta un fous fa robe. Cependant le peuple étoit bien inquiet de ne point voir Romulus; on le cherchoit de tous les cótés, ce qui effraya les fénateurs. Un d'eux trouva le moyen de faire cefler cette recherche. 11 aflembla le peuple & dit: Romains,, ne cherchez plus Romulus fur la terre, je 1'ai vu tout brillant de gloire , & il m'a dit que Jupiter 1'avoit enlevé pour le placer parmi les dieux. Le peuple ajouta foi h cette fable, èc juftement il parut une comète qui aida aux fénateurs è le tromper, car ils aiTurèrent que c'étoit Romulus qui paroilToit fous cette nouvelle forme. Lady Spirituelle, Vous nous aviez promis de nous explicuer ce que c'étoit qu'une comète  des Adolescente». p9 & quelque autre chofe dont je ne me fouviens pas. Ah! c'étoit l'éle<3ricice? Madem. Bonne. Ce fera pour Ia première fois. tl faut encore dire un mot des Romains Romulus qui avoit beaucoup de prndenl ce, cbercha dans fa tête les. moyens de conferver & d'augmenter fa LnvQ\\l ville. II fe doutöit bien que les villes voifines ne verroient pas Rome fans envie, & qu'elles chercheroient è la détruire; il JU1 falloït donc des foldats Pour e^r avoir, il détermina que tout Romain feroit foldat, c'e^dife, oblï ge de porter les armes jusqu'è un rer qo il dorma è chaque homme une eertaioe quantité de terre. Les Romains étoient donc Muwears. quand on les laiflbit tranquiles, & lorsqu'on b s at2^ ^ .quitcoient Ja charue pour prendre 1 épée.. Ils Je Srent plufieurs fois du vivant de Romulus, & ils remporterent toujours Ia vi&oirL Les peupies qui les avoient attaqué fe voyant battus, demandoient Ia plix, & Romu bi iS ac^doitPqu% conlS quils lui céderoient une certaine quanE 2 tité  io© Le Ma gas in tité de rerre. Alors il difoit aux hommes qu'il avoit fait prifonniers dans Ia guerre, fi vous voulez demeurer avec nous, vous deviendrez citoyens de Rome, & je vous donnerai, un morceau de terre qui vous appartiendra. La plus grande partie de ces prifonniers qui n'avoient aucune Fortune dans leur pais, acceptoient fes propofitions, enforte que toutes les fois qu'on 1'attaquoit, il gagnoit de la terre & des hommes; auSi Rome étoit - elle confidérablement augmentée avant la mort de Romulus* Adieu, Mesdames, je n'oublierai pas les comètes, & nous finirons par la notre première legon. XXIX. DIALOGUE. Madem* Bonne. LADY Violente, continuez, s'il vous plait, 1'hiltoire de Tobie* Lady Violente. Tobie & fon guide paffèrent par uae ville oh demeuroit un des amis de Tobie  des Adolescent es. Tot *w Ie père, qui fe nommoit Jtaatf; II n avoit quune filje unique nomraée, Sara qui étoit fort beile & fort riché ce qui rje 1'empèchoit pas d'étre fort malheureufe. Elle avoit déja été manée fept fois, au moment que fes mans étoient prêts a fe coucher. ils avoient été étranglés par le diable! Un jour Sara reprenant fa fervante qui avoit fait une faute, celle - ci pour fê vanger, I'appella meurtrière de fept maris. Sara fut vivement touchée de ce reproche,- mais au-lieu de s'en vaneer en maltraitant cette fervante, elle fe retira dans fa chambre, s'étant ienèe* è genoux baigné de fes temes, elle cm i üieu; Seigtieur', vous favez que je nat point foübatteê d'être mariée dans lindépendance. C'ejt feuiement pour obéir A mon père. cjpenln'v™ \ me puniJTez bien févèrement, puisZe VZ5rXp°fée a™rsProcbesUnjuri?Z£ ) dt ma fervante. Si vous avez réfolZ 4 que je vtve dans le mariage, envmez. mm celui que vous riavez deJèiné - % U fmat Cmre US r* >S cxau9a la Prière de Sara, & lange du Seigneur qui conduifoit 7oE 3 bis  102 Le Mag as in bie, lui dit: nous voilé dans la ville oh demeure Raguel, j'ai envie de vous faire époufe* fa fille Sara qui eft vertueufe, belle & riehe. Votre père fera charmé de ce manage, car Raguel eft de fes amis. J'ai oüï dire, reprit Tobie , que cette fillo a été mariée fept fois, & que Ie diable a étranglé tous fes maris. C'eft qu'ils n'étoient pas dignes d'elle, répondit 1'ang^. Apprenez que ceux qui, eo fe mariano n'ont pas de bonnes iiteatïons, tornbent fous la puiiTance du diable , mais vous éviterez ce daoger* * Auffitöt que Sara fera votre *£>oafe, vous vous enfermerez dans votre diaïïibre avec elle, & vous. pasferez töus les deux en prière, les trois premières nuils do votre mariage, fans que pcacnoe en'fache rien* Vous n'oubUerèz pas non plus de faire brüler fur des charbons, le foye du poiübn que vous avez tue. Le jeune Tobie rèfolat d'obéïr k 1'ange, & étant entré chez Raguel, il lui dernanda fa fille Sara en mariage. Raguel fut trés fÉché de cette demande , car il Tavoit que Tobie étoit fils unique & tres aimé de fes parens; & il craignoit pour. lui le fort de fes autres gen-  des A D O L E S C E ÜJ'T E So io^ gendres. Cependaoc il lui accotda fa fille après bien des difficultés & paiTa la nuic ó faire une folie pour 1'enterrer en caehete, fuppofé qu'il fut étranglé. Tobie pafla toute la nuit en priére avec Sara, & le lendemain Raguel qui avoit frappé a la porte tout en tremblant, fut ravi de joye, lorsqu'il vit Tobie en bonne fanté. 11 le prefia de refter quelque tems chez 'h&L mais Tobie lui dit: je ne puis rn'arrëterj mon père & ma mêre comptent les momens de mon abfenee, & fi je ne revenois pas au tems marqué, ils croiroient qu'il me feroit arrivé quelqua accident. Alors 1'auge dit è Tobie: demeurez ïcj, & j'irai moi même chercher 1'a*gent qui vous eft tjü, ainfi votre féjour chez Raguel, n'allongesai pas le tems de votre voyage* Tobie y confentit, & I'ange étant de jetour, le pè*e & ia mère de Sara embrralterént leur fille h laquelle ils donnêrent une groflè dote. Cependant la mère de Tobie étoit ex. trêmementinquette; elle alloit tons les foirs fur le grand chemio, & montant * ,unJieu élevé eIIe regardoit de tous cötés fi elle n'appercevroit pas fon fils: E 4 elle-  ic34 Le Mag a sin elle rentroit toute trifte a la maifon, & fatiguoic fon mari de fes reproches. A la fin elle appercuc fon fils, & fa joye fut extréme de le revoir en bonne fanté. Le jeune Tobie étant entré dans la raaifon, fit ce que 1'ange lui avoit com* mandé. II prit le fiel du poifibn qu'il avoit tué, & en frotta les yeux de fon père. Aufiitót, il en tomba comme des écailles, & ce faint homme recouvra la vue. Lorsque fon fils lui eut raconté toutes les obligations qu'il avoit è fon guide, Tobie ne favoit comment lui marquer fa recosnoififance, & lui offrit la moitié des richeflès que fon fils lui avoit rapporté. Dans ce moment 1'ange lui dit: connoiflez-moi, j'ai emprunté par ordre de Dieu la figure d'un Ifraëlite; mais je fuis 1'ange Rapbaeh II vous a paru que je mangeois, mais vos yeux vous trompoient. En méme tems il difparut, & laifla cette familie dans des transports de joye & de gratitude envers le Seigneur. Tobie vêcut jusqu'a une extréme vieilleile, & vit les enfans de fon fils & de Sara. Avant de mourir, il recornmanda a fes enfans de quitter Ninive de peur d'être enveloppé dans tv  des Adolescentes. 105 dans le chitimenc des méchans hommes qui l'habitoieiit. Lady LuciEé Comment 1'odeur du foye de ce poisfön, pouvoit-elle faire fuir les malins efprits? Le diable qui eft un pur esprit, peut-il öcre fenfible aux bonnes ou aux mauvaifes odeurs? Madem. Bonne. La réflexion eft jufte, Madame. Peur* être Dieu vouloit-il exiger cette preuve de TobéilTance du jeune Tobie, mais voici ce qui me paroit de plus probable. Mettez vous bien dans 1'efprir^ que Dieu qui eft la fagelTe même, ne fait rien d'inutile. II ne prodigue point les roiracles, & fe fert plus volontiers des moyens phyöques que des furnatürels. II eft vrai que fouvent bien des chofes nous paroiffent miraculeufes, quoiqu'elles ayent des caufes phyfiques», c'eft • S • dire, naturelles; mais comme nous ne les connoiflbns pas, ,nous-lesA croyons au-deflus des forces de la na-ture9 u Par exemplé. Quand oh dit que le^  rjê Le Magasin diable avoit étranglé les fept premiers maris de Sara; il ne faut pas prendre cela a la iettre Pour étrangler il faut des mains, & le diable n'en a point. II eft vrai que Dieu lui a quelque fois permis de prendre un corps, comme vous le verrez dans 1'Evaügile; mais il n'en avoit pas befoin dans,cette occalïon* II pouvoit fort bien occafipnner une maladie h ces jeunes gens que Dieu lui avoit abandonnés, & cette maladie faifoit le même efFet que s'ils euflent été étranglésj or, il pouvoit fort bien arriver, que la fumée du foye de ce poiflbn, fütle remède de cette maladie; & comme je vous Pai dit, Dieu n'employe les miracles que quand les eaufes phyfiques se peuvent fuffire. Mifs Fiuvole. Mais eft - il bien vrai, ma Bonne a que le diable ait le pouvoir de nous donner des maladies & de nous tuer? Cela fait trembler, car il eft fi mécbant «qu'on n'eft pas en fureté un quars d'beure* Mèdem.  des Adolescente*. ' 10? Madem. Bonne. l W Ce/Ut> dia^e qui le couvroic d ulcères depuis la téce juiqu'aux pieds öiais pour cela ij avoic eu befoin d'une permiffion exprelfe de Dieu • fan< quoi H n'auroit pas ofé töS èun de fes cheveux. un Lady Lucie. Je concois que nous n'avocs rien k cramdre, paree que nous fommes fous Ja proteclion immédiate de Dieu» ,^1 je voudrois bien favoir comment 'te™! ble put couvrir le corps de %^d'un te ulcère après en avoir reeft p™ mimop. Dieu lui donna-t^il le pouVol de faire un miracle? PWoir Madem. Bonne. chère. Le démon, qui eft un efprit erf 5Xr? Tfie iTa^V 1" defluTd'eJa notre, & (3 Dieu n'arrètoit les efFets ch0Jes, furpreBantes par fa coosoiUance qu'il a tamfc^l.  ic8' Le MA-GASiïf- dos corps. En airêtant un feul de fes reflbrts, on peut bouleverfer toute la machine, & c'eft fans doute de ce moyen donc il fe fervit pour caufer la maladie de Job. Au refte, Mesdames, nous fommes dans un fiècle, oh Ton fe piqué de bel efpric. Un grand nombre de perfonnes me tourneroit en ridicule fi cette converfation étoit entendue; mais pour moi, je m'en tiens a la fainte Ecriture; tout ce qu'elle me dit, je le crois fans balancer. Elle m'apprend que le diable frapoa Job, je n'ai garde d'en douter, & je me croirois une fotte, une extravagante, & une folie, fi je pouvois douter une minute des chofes que Dieu m'a révélées. Mifs Frivole. II y a encore une chofe terrible dans cette hiftoire; c'eft que le diable a pouvoir fur les perfonnes qui ne fe ma- lienC pas avcu ;uc uuimc» iwcuuuua. Mifs ZiNAo- Ma Bonne,.dites»noas> jé vous prie, les intentions qu'une.* chrétienne doit avoir. en fe mariantf  diS A'D0LESC2NTIS. fqg; Afc&tfj. Bonne. Elle doit Ie faire pour obéfr k Dï™ qui deftine le plus |raod ™ hommes au mariage, & pour ^ enfans qu'elle puifie élever dans Ta! aTnUrAdaDS la,CfaiDte du S^eurl afin de donner des enfans h 1'lelife des fujets a 1 Etat, & des cltoyem au ciel. Nous parierons une autre foi"nlus amplement de cela, ie ne vpm v pL iei^nttPPer T ^» « ™ je viens de vous dire. - i eiecmcite. c eit une de ces chnfo. naturelle, qui pafferout toutours Pou? rniraculeufes dans 1'efprit d'usfZff Imagmez - vou,, Mesdame,, qu£° v a fur cetie table ou autre part un grind ris"' w ™'? ? •■».*«"s ic cuoe. i.a plume fe ployer tour dnn cement pour, 1'aller baifer, & enfuite revemr en fa place.: 3 eaiuite S-7: Mafe*  $lö Le MAoasi-bt Mais cela n'eft rien au prix de ce que je vais vous dire* Si vous frottez le tube un peu davantage; la feuille d'or ou la plume s'approcheront avec vivacité. toucheronc le tube, feront repouffées avec violence, & fe foutiendront en Fair toutes feules; du moins vous ne verrez rien qui les foutienne» Lorfque vous frottez le tube avec la main dans un lieu obfcur, vous £ppercevrez des étincclles encre votre meio & ie tube; la même chofe arrivera fi vous en approchez uie barre de fer, ou une corde mouillée. Si on fait tourner le tube avec une roue, & que 1'on pofe légèrement les doiers deflus» on verra fortir de desfous les doigts des étincelles qui feront Ie móme brult que quand on brüle des cheveux, & qui aurónt deTodeur. Si; on fuspend un morceau de fer avec de* cordons de foye a une cerftaine diftance du tube, il fortira d'un des bouts de la barre deux lumières cóminuelles, & de 1'aütre bout, des aigrettes de feu. Que fi voos en approchez te doigt a un pouce de distan.ce»-' raigrette.-de feu vient le trou- v ÜtB  des Aöole-scentes.- iu ver & Ie piqué trés fort. Si on ierr* des goutes d'eau tout du long de ce«t barre, <£ qu'enfukte on Kl? iouc aupres chaque goutte d'eau nm duira une aigrette pro~ Montez fur un gateau de réllne & empojgnez un boït de cette alors votre corps aura ies rX2 aüa' Jités que a barre de fw • qua~ étinceV deTu de de vin, vous y mettrez ié feu ave, fonne y mettra Ie feu. Et % f,jP r"  (t£, Le Magasin ; Lady Mart. En bonne foi, ma Bonne, n'eft-H pas vrai que vous vous moquez de nous/ Tout ce que vous venez de nous dire n'eft pas poffible. Mifs Belotte. Té crois le commencement, car avec de la cire a cacheter je léve fort bien une paille, par conféquent ce tube peut lever une feuille d'or ou une plume. Lady Spirituelle. Mais ce feu qui fort de tcutcs les mrties du corps fans que les perfonnes brülent. Avez-vous vu tout cela, nia Bonne, ou> 1'avcz, vous lü quelque part? ftiadem. Bonne. Té 1'ai vu* ma chère, jel'ai fenti9 & bien d'autres chofes qui me reftene a vous* dire; mais • ce fera pour use autre fois-, j'ai-peur. de vous ■ ©nauïesv  des Adolescente*. iig Lady Violente. Oh pour cela non, ma Bonne; continuez, je vous prie, a nous dire ce que vous avez vu. Madem. Bonne» Si on met un homme de manière que fes talons foient proche de la boule de verre ou du tube, & que pluCeurs perfonnes mettent la main au desfus de fa töte, fes cheveux fe hérisferont, il fortira de fa tête des aigrettes de feu, & cela fera comme une couronne de rayons. Mifs Sophie. Ce ne feroit pas moi qui préteroit ma tête pour faire cette preuve, je n'aimerois pas a por ter une couronne de feu.. Madem. Bonne. Cela ne fait pas de mal, mais il f a une autre chofe qui en fait beaucoup, & que j'ai eu le courage d'éprouver. J'ai regu 1'étincelle foudroyante. Mip  |I4 Le Ma gas in Mifs Molly. Qu'eft-ce que' cela veut dire,: ma* Banne, eft-ce comme le tonnerre? Madem. Bonne. Ce que Ton appelle vraimect 1'étincelle foudroyante, a beaucoup de rapport avec Ie tonnerre, puifqu'elle feroit. capable d'óter la vie è plufieurs fortes d'animaux. Ce n'eft pas abfolument celle- ia que j'ai éprouvée, mais quelque chofe qui avoit un petit rapport. C'étoit k la campagne, & comme on cherchoit a fe divertir, ou fit monter tous les domeftiques , depuis les premiers jufqu'aux derniers, & on nous fit tous prendre par la main, & comme fi nous avions voulu faire une danfe ronde. IjQ hazard me placa auprès d'une grofle païfanne qui rioit de tout fon cceur de cette cérémonie, & qui ne favoit k quoi tout cela devoit aboutïr, Quand nous fumes tous arrangés, uae dame qui menoit la bande, toucha la boule de verre du bout du doigt. Au même moment, nous resfentimes tous en même tems, comme deux  des Adolescentes. iif deux bons coups de batons qu'on nous auroiir donnés fur les coudes. La grosfe fervante qui étoit a cóté de moi fe retourna fort brusquement, & aïant appercu fa maftrefle qui n'étoit pas fort éloigcée, elle lui dit: en vérité, Madame, cela eft bien vilain, de me faire -monter pour me battre, On eut beau lui jurer que perfonne ne 1'avoit touché, elle n'en voulut rien croire, & s'étant mife le dos contre une muraille, les deux coudes bien appqïéj, elle demanda è recommencer. Elle recut encore les mêmes coups aux mémes endroits, & comme elle étoit bien afTurée que perfonne ne 1'avoit pu toucher, elle fe perfuada fortementque c'étoit le diable, & quoi qu'on put lui dire, il ne fut pas poflible de lui ócer ceite fantaiüe de l'efpriu Lady Lucie. En vérité, ma Bonne, cette fille n'avoit pas un fi grand tort. Vous dites que vous avez fenti toutes ces chofes, que Vous lés aviez vues; je vous crois afrurémerit, mais cela me paroit bien extraordinaire; & je donnerois toutes chofes au monde pour connoitre les csu- fes  116 Le Magasin fes phyfiques de tous ces prodiges. Madem. Bonne. Je vous parlerai Ia première fofs de i I'édncelle foudroyante, & enfuite je i vous expliquerai du mieux que je pourrai, ce qu'un favant de mes amis ai écrit des caufes de ces prodiges naturels En vo\\k aflfez pour aujourd'hui.' Lady Spirituelle va nous continuer a i préfent les hiftoires qui ont quelque rapport a Cyrus. Lady Spirituelle» Un jour que Cyrus étoit k Ia chafTe il arriva chez fon oncle des ambafladeurs Indiens. Ciaxare avoit demaudé! du fecours è ceux de cette nation; le: Roi de Babylone leur avoit fait la même prière, & eux en gens fages &i prudens, envoyoient ces ambafladeursi pour s'tnformer du fujet de la guerre, afin de fe déclarer pour ceux qui au^ roient la raifon de leur cóté. Ciaxare envoya un exprès k Cyrus pour le prier de venir dans le moment & il le fit prier en même tems de metare un habit magnifique, que le mefla- ger  des Adoxescentes» \ ger lui portoit. Cyrus voyant qu'il ne ) pouvoit .exécuter è Ia fois ces deux ] commandernens, choifit celui qui étoit e plus felon fon humeur, <& étant par; ti lur le champ, fans avoir perdu le tems a s'habilier; ii arriva dans Ia falIe, tout couvert de fueur & de pous- ' nn^J00, °"de-lui aiaDt demandé pourquoi il n avoit pas mis Ie riche I habit quil lui avoit envoyé; Ovr«r lui répondit: j'ai cru vous faire nlus ■ d'nonneur par la promptitude de mon obéjiTance, que par la msgniricence de mon habit Mifs Frivole; Si j'avois été k la place de Cyrus p aurois obéi' k J'autre commandernen? & 1 aurois trouvé de bonnes raifons pour YeCMÏKBVCA C£la -ét0it lG Plus co*D • A Ce ^Ue Je vois ■ ma Bon5?F S JV°ns t0US Un PeDchant bien vff pour faire notre volonté & fuivre nos inchnations? e Lady Sincêre. Mais, mon Dieu! il n'y a rien de plus  u8 Le Magasin plus naturel, & je ne crois pas qu'il y ait de mal a cela. Madem. Bonne. II y a mille bagatelles dans les quelles on peut fuivre fon goüt; mais une jeune dame qui a du bon-fens , & qui veut vivre heureufe dans le monde,; s'accoutume a fe contrarier elle • même, oour être moins fenfible le refte de fai vie a la néceffité ou elle fe trouvera trés fouvent, de facrifier fa volonté a celle d'autrui. Souvenen vous du conté de Fat al; il ne fut heureux que lors qu'a force d'être contredit, il n'eut plus de volonté propre. Demandez a Lady Tempête , quel bienfait lui a fait la concradi&ion? Eüe eft retournée chez* elle ou on lui a donné pour gouvernante la meiileure femme du monde;; elle n'a qu'un petit défaut, c'eft que: dü matio au foir cette bonne femme; lui fait faire tout le contraire de ce: qu'elle fouhaiterok. 11 y a trois ans) qu'elle auroit dévifagé cetre femme, &i qu'elle feroit r orte de rage d'être; oDligce de dépendre d'elle: aujourd'hui, cela «e lui fait point de peine, ou da, moias fort peu.  dct Adolescente5. llg Lady Sincère. Lady Tempete. . Avec la permiffion de ma Bonn* je vau vous faire mon hSoirf0 elte ^n.fera pas .fort 4 avïïSrc te vous en avertis. ■""•uiagCj ja- fon Xe d'ab-°rd 1™ J* eté rort gatée dans ma jeunefle; ie n'é. W C pourtant pas Ia faute de ma mère éleve?"™,- ^? f°Uhaité de SS "fén gie, u on ine faifoit oleurer Rï«„ wftruite de cela i« Ji; 5 . n de  i2o Le Mag as in de ma mauvaife humeur; j'en ai fait une vraie martire de patience. Enfin Maman voyant que mes yeux étoient guéris* & que mes hauteurs & mes caprices ne discontinuoient pas, prit le parti de me remettre entre les mains de ma Bonne. Ces dames ont été témoins de 1'infolence avec laquelle je lui parlai dans le commencement; je lui en demande bien pardon; mais fi feulTe été la maitrefle, je 1'aurois, je crois, étranglée. Elle eut la bonté de fe montrer plus méchante que moi, & ne voulut jamais fouffrir que je lui manquaflTe de respect.. Puis elle s'attacha k me faire entendre raifon, & puis pour dire la vérité, je fus touchée du bon exemple de ces dames. Je commeccai donc a me corriger, mais c'étoit bien peu. Cependant, ma Bonne applaudit £ ce peu, comme fi c'eüt été beaucoup. Eile me louoit, me careflbit, me récompenfok. infecfiblementelie gagna mon cceur, & ie réfolus de me corriger, pour ne lui plus donner de chagrin, elle me fit comprendre enfuite que je devois plus au bon Dieu qu'è elle, & qu'ainfi je devois faire pour plaire au Créatuer, beaucoup plus aue pour plaire a la créature. Au mo* ment  des AüOL ESCENTES. 12! ment que j'eus commencé k agir pour 1'amour de Dieu; cela devint fi facile, que j'en étois moi - méme étonnée. Dieu me donnoit chaque jour de nouvelles forces. Enfin voyant qu'avec le fecours du Seigneur j'avois réduk ma volonté è ne vouloir que ce qui étoit jufte, je réfolus par le confeil de ma Bonne, d'aller plus loin. Je crois qu'elle avoit ^révu cette terrible gouvernante que j'ai aujourd'huL Je m'accoutumai donc h me contredire moi-méme dans les chofes indifféren» tes, & je me trouve aujourd'hui en fituation de préférer fans répugnanee la volonté des autres a la mienne. Madem. Bonne. Vous ét es une hiftoriographe trés fidéle, voila votre hiftoire mot pour mot. Suivez fon exemple, Lady Sincère, vous vous en trouverez bièn par la fuite. Au refte, Lady Tempete, vous ne retrouverez pas ce foir cette terrible gouvernante; votre Maman efl trop fatisfaite de votre conduite, pour ne pas chercher k vous rendre la vie douce, ainö elle lui a donnéfon congé. Cela n'avance rien de contre dire Tom, IP. F les  122 Le Macasin les jeunes dames dans leurs défirs innocens: il e(t bon qu'elles s'accoutument a pouvoir y renoncer; mais il fauc que cela vienne d'elles même. On peut le leur confeiller, fans 1'exiger. Lady Senfée, continuez k nous dire quelque chofe de Cyrus. Lady Sensée. Cyrus aïant remporté de grands avantages fur les Bab'yloniens & fur leurs alliés, les forca a recourner dans leur p-afs. Ciaxare crut la guerre finie, & dit k fon neveu qu'il falloit retourner dacs fon royaume. Cyrus lui repréfenta qu'il ne falioit pas refter en il beau chemin; que les babyloniens ne s'étoient retirés que pour reverar enfuite avec de plus grandes forces; que pour leur en óter Penvie, il falloit les attaquer dans leur propre pais. Cette entreprife étoit au - deflus de 1'esprit & du courage de Ciaxare; ainfi il refufa de fuivre fon neveu. Le foir è table on paria du delTein de Cyrus, & Ciaxare qui, felon la coutume des Médes, avoit un peu trop bö, dit k fon neveu, qu'il lui donnoit permiffion de mener avec. lui toutes les troupes Médes  des Adolescentes. 123 des qui voudroient bien Ie fuivre. II lui donnoit cette permiffion pour fe moquer de lui, car il croyoit que fes officiers & fes foldats aimoient trop leur vie & leurs commodités, pour s'expofer volontairement aux dangers & aex fatigues d'une telle expédition. Ciaxare ignoroit l'efljme & l'attachement que Cyrus avoit fait nastre eo fa faveur dans 1'efprit & le cceur des, JVlédes, fon exemple & celui de fes foldats en avoient fait de nouveaur hommes. Quand le bruit de la permisfion que le Roi avoit donné, fe fut répandu, tout Je monde voulut aller avec lui, & ceux qu'il obligea a rester, furent trés affligés* Cyrus partit de grand matin, & il avoit déja fait beaucoup de chemin , lorsque fon oncle fe réveilla. Surpris de voir fi peu de monde auprès de lui, il demacda ce qu'étoit devenu fon armée? II fut fort en colère quand il apprit ce qui s'étoit paffé, & il envoya un courier après fon neveu pour lui redemander fes troupes,, Cyrus lui écrivit avec refpeft, mais avec fermeté, qu'il avoit fa parole, & qu'il ne peuvoit la lui rendre avec honneur. II continua donc fon voyage, entra fur les F 2 ter-  12! 'L* Macasim terres du Roi de Babylone, & lui prit piufieurs places. Ses foldats par foa ordre, évitoienc de faire aucun défordre, & le jeune prince traitoit avec tant de bonté ceux qu'il avoit vainco, qu'il fe les attacha entièrement. Piufieurs feigneurs mécontens du Roi de Bibylone, lui offrirent leur amitié, cc les places dont ils étoient les maitres; mais ce qui acheva de lui gagner 1'estime publique, fut Ia conduite qu'il tint a 1'égard de la princeffe Pentbée. Madem. Bonne. Je fais que Lady Violente a 1& cette hiftoire, ainfi elle va nous la raconter. Lady Violente. Les troupes de Cyrus firent prifonnière une 'princeffe nomrnée Pentbée 9 qui étoit extrêmement belle» Comme on lui dit qu'elle étoit mariée, il ne voulut pas la voir, crainte de laifler amolir fon cceur par l'amour. Un jeune feigneur ami de Cyrus (car ce prince poffédoit un bien ignoré de la plus grande partie des fouverains) ce jeune lei-  de:S A DO LEE C2NTES. l2g feigneur, dis-je, badina Cyrus fur ïa défiance qu'il avoit de lui - même, & lui dit: comment, feigneur! vous qui< affrontez fans pülir, les plus grands dargers k la tête è'une armée, vous tremblez lorsqu'il eft queftion de deux besux yeux. J'ai plus de courage que vous: quelque grande que foit la beauté d'une femme, je ne crains point qu'elle me Tournette malgré moi, cc fi vous voulez me confier le foin de la princefiè, je vous promets de triompher de cette ennemie qui vous paroit fi dangereufe* Cyrus fourit de Ia témérité de ce jeune horome, & voulant lui donner une utile lecon, il lui confia le foin de fa belle prifonnière. D'abord cè felgneür la trouvant belle, prit beaucoup dè plaifir a la regarder, & il penfoit que c'étoit une fatisfadlion qu'il pouvoit s'accorder fans conféquence: infenfiblement & fans s'ea appercevoir il devint fort amoureux de Pentbée. Honteux d'avoir fi mal tenu fa promefle, il refolut au moins de renftrmer fon amour au fond de fon cceur; comme fi on pouvoit être maitre de fes actions, quand oa a livré fon cceur è une paffion violente* II connut bientót-rimpoflïbiiité F 3 * SL  n6 Le Magasin de fuivre ce projet, & après s'être to'jrmenté longtems pour s'efforcer k garder lefllence, il penfa qu'il ne pouvoit devenir plus maheureux qu'il ne 1'écoic alors, & il ofa parler de fon amour h celle qui 1'avoit fait naftre, Pentbée. qui étoit fort vertueufe, reqnt fort mal fa déclaration d'amour, cc ne voulant pas refter expofée è de pareils discours, elle écrivit è Cyrus, pour fe plaindre de 1'audace de fon favori. Cyrus ne fut point furpris de ce qu'il apprenoit, il s'y étoit attendu, & chargea un vieux feigneur de dire au gardien de Pentbée, qu'il étoit mécontent de fa conduite. Get honnête homme döat 1'esprit & la vertu étoient durs & auftères, fit de fi grands reproches au coupable, qu'il le jetta dans le défespoir, Cyrus aïant appris la fituation de fon favori, le fit appelier, & lui remontra avec douceur qu'il n'avoit que ce qu'il méritoit par fa préfomption, & il i'exhorta è devenir plus circonipecl è 1'avenir par le fouvenir ae fa faute , puis qu'il étoit vrai que ceux qui s'expofoienc au péril de propos délibéré, y périlToient prefque toujours. Ce jeune homme touché des bontés de fon raai-  des Adolescentes. 127 maitre, fe jecta h fes pieds, & voulant réparer fa faute par quelque grand fervice, il s'offrit de palier chez lesBabyloniens pour lui fervir d'espion. Cyrus accepta fes offres, & Ie favori feignant de craindre le colère de fon rnafcre, fe fauva auprès du Roi de Babylone, qui le croyant mécontent de Cyrus le recut fort bien. Cependant Adrafte mari de Pentbée aïant appris que la confidération que Cyrus avoit eue pour fon époufe, lui avoit fait perdre un de fes ferviteurs, crut devoir réparer cette perte, & vint s'offrir au prince de Perfe avec un bon corps de troupes. Quelques jours après, ïl y eut une grande bataille, & Pentbée en attachant'a ion époux une cuiraflè qu'elle avoit travaillée de fes propres mains, lui dit: voici le moment de paiyer c© que vous devez & mon genereux vainqueur. IJL m'a respectée comme fa foaiar, & m'f confervée comme un dépót facré, marquez lui en combattant pour fon fervice , que nous ne fommes pas indigres des bontés qu'il a eues pour nous. En finiflant ces mots. Pentbée ne put retenir fes jannes, comme fi elle eüt prévu qu'elle parloit a fon époux. F 4 pour  Ï28 Le Masasin pour ïa dernière fois. Effetlivement elIe,né le revit plus. 11 combattit avec un courage que Cyrus admira, & ne contribua pas peu au gain de la batail 3e; mais il y fut tué. Cyrus lui donna des larmes 3 & envoya fon corps è fa malheureufe époufe, ordonnant qu'on lui fit de fuperbes funérailles. La fidéle Pentbée voulut elle même laver les playes d'un époux qu'elle avoit tant aimé, & fa douleur fut fi vive, qu'elle expira en lui rendant ce trifte devoir. Le prince de Perfe ne pouvant plus leur témoigner autrement fa reconnoiflance & fon ellime, leur fit faire un magnifique tombeau, oü il réu* nit leurs cendres; Madem. Bonne. II n'y a pas une feule circonftance de cette hiftoire qui ne nous offre d'utiles reflexions; quelles font les vótres» Lady Louïfe? Lady Louise. Je ne reflemble pas mal au favori de Cyrus; comme lui je me crois invincible, & je me fuis moquée de cel* les  des Adolescent as. lij les qui, plus fenfées que moi, tremblent toujours lorfqu'il s'agit du moïndre péril. II me fembioic que 1'honneur du fexe demandoit plus de fermeté, & que la vraye vertu, étoit celle qui avoit été éprouvéé par 1'occafion. Madem. Bonne. Cela eft vrai, Madame; mais rêmarquez qu'il ne faut pas s'expofer a cette occafion. Je m'arrêterai fur eet artiele, il eft de la plus grande, eonféquence. Savez-vous bien ia différence que je mets entre la femme Ia plus lage, & celle qui eft la plus déréglée£ Qu'en penfez-^vous, Mifs Frivole? Mi/s Frivole. C'eft que la première a de bonnes.' iöclinations, & que 1'autre en a de mauvaifes qui n'ont point été.-corngées> par 1'éducation. Lady Lücïé. Et moi je penfe, que I'une srbeas.' coup; de religion, & que 1'autre n'en 3.* pas.  X30- Le Magasin Madem. Bonne. Et moi je fuis trés füre, que ce n'eft lè que les caufes éloignées de la vertu ou du déréglement des femmes. Raffemblez ici toutes les Lucreces de 1'univers, quelque grand que foic leur amour pour la fagelTe je foutiens qu'elles en manqueront, fi elles s'expofent volontairement dans 1'occafion d'en manquer. Lady Loiiïfe dit que pour 1'hon-. neur des dames il faut leur fuppofer plus de forces; elle ne connoic pas en quoi confifte le courage dans cette efpèce de guerre qu'il faut livrer aux paflions. Cyrus agit en héros en refufant de s'expofer au co rabat, car il favoit que le feul moyen de remporter la vittoire, eft de fuir. Au refte, Lady Lucie a fort bien dit qu'un grand fond de religion allure la vertu des femmes, car elle leur apprend a fuir les occafions dangereufes. Lady Louise. II y a .la quelque chofe qui mortifie mon orgueil ; il me femble que vous avez bien mauvaifei opinion de la vertu ées perfonnes de votre fexe? ' * MMetn.  des Adolescentes. igf Madem. Bonne, Point - du - tout, ma chère, moi j© « les eftime toutes en général; msis je penfe en géomêtre & en pbilofophe. Je pèfe d'un cöté les forces de la vertu humaine, & de 1'autre ie principe de corruption que le pêché originel a laifTé dans nos cojurs; je trouvé que ja bal3nce penche déja horriblement du cöté du vice. II eft vrai qu'il me refte des reilources. Je puis mettre du cöté de la balance qui léve en haut, le fecours du Seigneur qu'on attire par de ferventes prièrcs, par la vigilance fur foi - même. Cela mis du cóté oppofé è la corruption, peut 1'emporter; mais fi malheureufement vous ajoutez au poid de la corruption, le danger des occafions en vous y expofant volontairement , vous périrez, j'en ferois ferment,; & fi vous fortez vercueufe de ces occafions, je regarderai cela comme un miracle plus .grand que celui des trois enfans qui fortirent fa.ns bruiure de la fournaife ardepte. Lady -Ld-cïE.Mais' qu'eft - ce que vöus> entenöfe.  ï3^ Le Ma,gasin par ces occaflons dangereufes oh 1'on doit fuccomber quand on s'y expofe volontairement, car pour les éviters il fauc les connoitre? Madem. Bonne. ' II y en a de deux fortes. Les éloïgnées & les prochaines. Une dame chrë* tienne & prudente les fuit routes deux également. Lesoccafions êloignées font: 1'oifiveté qui produit 1'amour de la disfipation, les fpeftacles, les bals, les aflemblées, la le&ure des romans & des livres d'amourettes. Les occafións prochaines font, une comédie malhonnête, la leclure d'un mauvais livre, comme par exemple, les lettres de Ninon VEnclos que j'ai vu chez une de vous que je ne nommerai pas. Un bal, oh .pon fait que doit fe trouver un cavalier qu'on voit avec plus de plaifir qu'on autre, une amie déréglée, libre dans fes difcours ou dans fes moeurs* Une compagnie oh. 1'on bleffe la . rnodeftie dans les difcours. Remarquez * s'il vous pïait, Mésdames, qu'on ne, peut fans commettre un pêché trës confidérable, s'expofer aux^occafions. prochaines,. quand»même on  des Adolescen.tes. i$| on n'y fuccomberoit pas, parceque c'eft tenter Dieu, Mifs Mölly. Qu'eft • ce que cela veut dire, ma Bonne; tenter Dieu? Madem. Bonne* On appelle tenter Dieu, lui demairder un miracle fans befoin. Je fuppofe par exemple,, que vous difiez en vousmême: Jéfus-Chrift a dit que fi nous avions la foi, nous pourrions faire changer de place è une montagne. 11 n'eft pas plus difficile de vivre fans manger que de faire eet autre miracle, ainfi je vais efiayer de vivre fans macger. Vous voyez qu'en faifant ce'a, vous demanderiez un miracle è Dieu fans aucune néceffité, & feulement par curiofité. Or vous expofer è 1 occafion prochaine du pêché, & prétendre que Éieu vous préferve d'y tomber, eft un miracle. Ce feroit toute autre chofe, fi vous n'aviez pas cherché 1'occafion vous pourriez compter fur le fecours du ciel, mais non autrement.. * T. Ledj*-  £3$ Le Magasin Lady L u c i e. Hélas! ma Bonne, quand on fe léve le matin, on devroit ötre dans la fituation d'un homme qui a une grande forêt a traverfer, oh il doit eiïuïer mille dangers. Cette idéé me frappe, ma Bonne; permettez - moi de vous la dépeindre, telle qu'elle fe préfente a mon efprit. Je crois voir une forêt remplïe de belles allées toutes couvertes d'un gsfon émaillé de fleurs, & bordées des deux cötés de tabfes déiicieufement couvertes» Je fuis prêce d'entrer avec empreflement daDS un lieu fi agrèaöle, lorfqu'un homme charitable m'arrête par le bras & me ditrque je plains votre fort 1 II faut nécefiairement que vous paffiez par cette forêt Et pourquoi trouvez • vous cette néceffité fi terrible, lui dis-je? Ce chemin eft fi agréable, que je me fais un vrai plaifir d'y entrer. On voit bien que vous ne le connoiflez pas, répond le charitable in» connu. Ces gafons couvrent un grand Eombre de précipices que vous ne pou* vezv éviter ? qu'un marcbant ■ pas - è - pas, en fondant fojgn©afemenr 3é terfain. Les -  dés Adoles centes. 13$ Les viarjdes dont ces tables font couvertes, renferment un poifon fi fubtil, que leur feule vapeur fuffic pour vous empoifonner. Un des cótés de la forêt eft remplie de voleurs & d'affaflins dcnt 1'unique plaifir eft d'attirer les voyageurs, pour les égorger impitoyablement. Ils vous offriront leur fecours, ils voudront vous férvir de guides; vous diront qu'il habitent des palais charrnans oh vous pourrez goater mille plaifirs. Leur figure eft iéduifante, leurs manières aifées, leurs difcours enchanteurs; il vous plairont a coup für & rien ne peut vous fauver fi vous leur prêtez 1'oreille. D'un autre cóté, cette forêt eft remplie de bêtes les plus cruelles; 1'Afrique a moins de monftres, & vous êtes en danger de devenir leur proye. Voilé , Mefdames , fidée qui m'a frapée. Voilé la forêt qu'il faut que je traverfe jufqu'è la fin de ma vie| cette idéé me fait frémir. Lady Louise. Cé tableau me paroit fi effrayant, qu'il ne nous refte d'autre refiburce pour évitei ces dangers 3que d'aller nous  t%9 Le M A G A SI N nous enfermer entre quatre murailles dans une folitude bien écarcée. Madem, Bonne. Vous ne fauriez trop vous etTrayer^ ma chère, cette crainte eft falutaire; mais fouvenez « vous que vous n'êtes pas malrelTe de vous difpenfer de traverfer cette forêt. C'eft par ce chemin qu'il faut arriver è la maifon de votre père .célefte; une gloire infïnie vous y attend, & fera la récompenfe des travaux que vous aurez è elTuïer dans ce terrible & pénible voyage. Je vais reprendre Tallégorie de Lady Lucie, qui me paroit admirable: fon cceur eft pénétré de ce qu'elle viest de vous dire, c'eft lui qui la lui a dictee, & c'eft pour cela qu'elle vous a fait un telle imprcffion. Le cceur touche le cceur. Mettez-vous donc èia place de cette perfonne obligée de traverfer cette forêt, . que feriez - vous ? Répondez moi,. Mifs Zina* vous y-entrerez bien'ót, le .péril eft prochain pour vouso« Mifi*  des Adolescintes. "J37 Mifs Zina. Je commencerois ce me femble, par prier I'homme charitable qui m'auroit avertie, de me doneer fes confeils pour échapper è ces périls. Madem. Bonne. Vous re vous laifleriez donc pas aller a la joye* & a la diflipation? Mifs Zina-. Au contraire, j'aurois une grande peur, & je prendrois une ferme réfolution d'écarter toute idéé inutile, pour ne m'occuper qu'è fuivre fes confeils. Madem. Bonne. J'imagice qu'il vous recommanderoit de marcher avec beaucoup de circonfpeftion, de boucher votre nez & vos oreilies pour n'être point attirée par 1'odeur de ces viandes, & féduite par les difcours de ces méchans hommes dont il vous auroit fait le portrait. je me perfuade encore qu'il vous fourniroit des armes pour écarter lts mons- tres  J38 Le Magasin tres dont cette forêt feroit remplie, & quavec ces fecours, vous pourriez esperer de Ja franchir heureufement. Lady Lucie, Ainfii pour éviter les dangers dont ie fuis effrayée, il faut que je ne m'occupe féneufement que de Ja place ch je dojs pofer mes pieds, c'eft.a~dire, des lieux ou je puis aller, & de ceux que je dois éviter. Non. feulement te ne oois pas me jetter dans les précipiaIS J?Alulont ,es °ccafions prochaines ™JÏr; ?ais *e dois ™® oe pas marcher fur les bords, crainte de voir Ja terre sébouler fous mes pieds, c'eft. a-dire, que je dois fuir auffi les oecaflons éloignées. je boucherai mes oreilles, c'eft-a-dire, que je veillerai exactement fur mes fens, & je me fervirai des armes qui m'auront été données, & qm font je crois, la prière, une grande confiance en Dieu, cc beau! eoup de dénance de moi - même. Madem Bonne. Avec de telles précautions, marchez cn aflurance, ma chère, j'ofe vous ré- pon-  des Adolescentes. 13° i uondre du fuccès du voyage, & voila I Lady Louife dispenfée de la peine de |fe mettre en prifon. Mifs Zina, Je ne m'étonne plus de ce qu'on me dit, qu'en France & dans tous les auItres païs, il y a un grand combre de iljeunes perfonnes qui fe jettent dans des ij couvens; fes réflexions font toutes :| propres a y conduire. ; Madem. Bonne. II a'arrive que trop fouvent, ma chère, qu'on porte le monde avec io* iusques dans ces couvens; & alors lom de devenir un afyle, ils font mille fois plus dangereux que 1'horribie forêt qu on vient de nous dépeindre. Lady Louise. Je ne concois pas qu'on puifle s'énfermer dans un couvent pour toute fa vie, mais j'aimerois bien une maifon oh 1'on put fe retirer du monde, fans s'engager pour jamais. Cela feroit une retraite honnête pour des filles de qualité  140 Le Magasin lité qui n'auroient qu'une petite fortune, ou pour celles qai voudroient fe féparer,du grand monde. Modem. Bonn e. Milord R . . . qui comme vous le favez, eft un des plus grand féigneurs d'Irlande, a eu la même penfée que vous. Dans fon voyage en Dannemark, il vit un maifon telle que vous la fouhaitez, & il fut fi charmé des avantages que le public en retiroic, qu'il fit un teftament par lequel il laiflbit tout fon bien pour un pareil établiflement, en cas qu'il mourüt avant d'êxre marié. II 1'eft acluellement & a des enfans; il faut efpérer qus Dieu infpirera le même deflTein k quelque perfonne riche. J'ai our dire qu'il y a plufieurs de ces mai* fons en Hollande oh des filles pieufes, des veuves, & toutes fortes de perfonnes de bonnes mceurs peuvent fe retirer Lady Tempête, 1'hiftoire de Pentbée, ne vous a-t-elie pas fourni quelqu'autre réflexion? Lady  des A bolus ce nt es. l%t Lady Temp et e. 0ui, ma Bonne. J'ai penfé qu'une perfonne qui reprend avec dureté, fait beaucoup plus de mal que de bien è celle qu'elle veut corriger. Mifs Zina. ' Et moi j'ai penfé que cette princefle étoit bien courageufe, puifqu'elle exhortait fon mari a faire fon devoir, aux dépens de fa vie. Madem. Bonne. Voilé le véritable courage, & 1'amour réel. Jl fait tout facrifier au devoir. AlTurément on ne peut accufer Pentbée d'indifférence pour fon mari, puifqu'elle mourut de douleur de 1'avoir perdu; mais elle aimoit mieux expofer des jours qui lui étoient fi chers, que d'engager ce prince a manquer de courage & de reconnoiflance en vers fon bien* faiteur .... Qü'avez - vous, Lady Spirituelle; vous pleurez, ma chère amieP Lad%  142 Le Magasin Lady Spirituelle. Ce n'eft rien, ma Bonne, je vous prie, n'y faices point d'attentïon; je vous diraiceque c'eft, après que lalecon fera finie. Madem* Bonne. Je vous en prie, ma chère, car vous m'inquiétez. Lady Senfée va nous dire une autre hiftoire de Cyrus par lequeile nous finirons. Lady Sensée. Le bruit des grandes aótions que faifoit Cyrus s'étant répandu, Ciaxare en concut une grande jaloufie. II penfoit avec quelque raifon, que fes officiers & fes foldats ne pourroient s'empêcher de le méprifer, iorsqu'ils feroient comparaifon, de lui & de fon neveu. Ce dernier revint enfin en Médie, & Jorsqu'il appergut fon oncle, il courut pour l'embraffer Ciaxare détourna le vifage, & ne voulut point recevoir fes carefles, ce qui fit trembler tous ceux qui étoient préfents, & qui craignoient une rupture eatre 1'oncie & le neveu- Elle  des Adolescent es; 143 Eüe fut arrivée infailliblement fans la prudence de ce dernier qui conjura fon oncle de lui accorder une converfation particuliere. Lorsqu'il fut feul avec lui, il lui repréfenca qu'il n'avoit travaillé que pour fa gloire & fa füreté, qu'il lui ramenoit des troupes foumifes & afteclioDnées h fa perfonne; enfin lui paria avec tant de modeflie, & lui marquatantde déférence, qu'il éteignit la jaloufie dans fon cceur. ils revinrenc avec un vifage content rejoindre 1'armée qui poufia mille cris de joye; & tous les Médes, felon 1'ordre qu'ils en avoient regus de Cyrus, fe rangèrent autour de leur Roi qui connut è leur air refpe&eux, que Cyrus n'avoit eherché qu'è leur infpirer beaucoup d'attachement pour fa perfonne. En même tems on expofa a fes yeux les chofes les plus précieufes qui s'étoient trouvées psrmi le butin qu'on avoit fait fur les ennemis, & que le vainqueur avoit fait referver pour fon oncle. Le Roi de Médie fe reprocha alors fon injuftice, il voulut la réparer & offrit è Cyrus fa fille qui étoit fon unique hérkière,- mais quelque avantageux que füt ce mariale, Cyrus ne voulut y con-  144 Le Mag as in confentir qu'tprès en avoir obtenu Ie confentement de fes parens. Lady Marl Ce Ciaxare étoit un petit efprit qui cournoit comme une girouette. Madem. Bonne, Vous avez bien raifon, ma chère. La jaloufie eft la marqué infaillible d'un petit génie. Mifs Molly. Je fuis bien jaloufe a&uellement, ma Bonne. II n'y a que fix mois que ma fceur cadette apprend k jouer du clavecin, & cependant elle en joue _beaucoup mieux que moi qui ai appris.depuis deux ans; je la haïs a caufe de cela. Madem, Bonne. ' Comme fi c'étoit fa faute d'avoir plus de difpofition ou d'application que vous? Avouez que vous êtes bien in- jufte?  des Adolescente*. 145 jufle? Vous me faites fouvenir d'une chofe terrible arrivée depuis quelques années, je veux vous Ia raconter la première fois. Adieu, Mefdames; vous refterez, Lady Spirituelle. XXX. DIALOGO E. Madem. Bonne, Lady Spirituelle. Lady Spirituelle. AH, ma Bonne, j'étouffe! j'ai manqué mourir pour m'émpêcher de pleuren J'ai quelque chofe de bien terrible è vous dire; vous allez me méprifer, haïr, j'en fuis füre. Madem. Bonne. Voüs me croyez donc bien injufte, ma bonne amie, avez-vous oublié mors amitié pour vous ? Lady Spirituelle. Non, ma Bonne; je fais que vous m'aimcz véritablement, & c'cd cc qui Tem. IV. G me  146 Le Ma ga sin me cbagrine le plus. Vous croirez que j'ai maoqué de confiauce en vöus: cependant fi je ne vous ai pas parié plutót, c'eft qu'on me 1'avoit expreffé. ment défendu. Madem. Bonne. Et qui vous avoit fait cette défenfe? Si c'étoit Madame votre mère, il faudroit bien vous garder de lui défobéïr. Lady Spirituelle. Non, ma Bonne. C'eft Lady Maligne. Vous favez que depuis quelque tems nous allons enfemble a la campagne tous les Samedis roatin jufqu'au Lundi au foir: elle m'a fait mille carelTes, & j'ai cru qu'elle étoit la meillèure amie que j'eulTe au monde. C'eft une vraye llupidité de ma part,* je devois penfer pour de bonnes raifons qu'elle ne m'aimoit pas véritablement; mais ces raifons, je n'ofe vous les dire. Madem. Bonne. Et qu'eft-ce qui peut vous en em« pêcher, ma chère? D'abord vous pou- vez  des Adolescent es. 147 Jvez corapter fur un fecret inviolable de Ima part. Lady Spirituelle. | Ce n'eft pas la crainte que vous oe Ime manquiez de fecret, mais ce que j'ai è vous dire eft injurieux pour vous» Madem. Bonne* N'eft-ce que cela, ma chère, rafiurez - vous. Parlez - moi comme fi cela regardoit une autre perfonne. Lady Spirituelle. Ce qui auroit dü me faire connoitrc que Lady Maligne ne m'aimoit pas, c'eft qu'elle cherchoit a me dégoüter de vous; elle me difoit continuelleroent que vous étiez une vieille de mauvaife humeur, qui, paree qu'elle n'étoit plus en êge de goüter les plaifirs, ne vouloit pas permettre aux autres d'en jouïr: elle difoit de plus, que n'aïant jamais vêcu dans le grand monde, paree que vous n'ëtes pas de qualité, vous ne pouviez favoir comment des filles de ootre rang doirent s'y comG z por-  148 Le Macasin porcer; enfin elle me difoit mille autres chofes, que je ne croyois pas, je vous en allure. Nous avons toujours grande compagnie è la campagne, & comme ce font des gesuis-hommes fort polis, ils me difent toujours mille chofes gracieufes.' J'ai cru m'appercevoir que ma nouvelle amie en étoit un peu jaloufe, car comme elle eft fort laide, perfonne ne lui dit rien; je lui ai lailté voir ce que je penfois iè-deflus, & auffitót elle m'a embraflee, en me difant, qu'érant plus jeune & plus jolie qu'elle, il n'écoit pas fürprenant qu'on me donnftt ïa préférence. Je veux vous montrer que je ne fuis pas jaloufe, a -1 - elle a jou té. J'ai un coufin fort aimable aui m'airne è la folie malgrè ma Iaideur; il eft vrai que je ne 1'aime pas, & qu'il y a un autre cavalier è qui j'ai dorjné mon cceur; mais malgré cela, je fuis charmée d'être aimée de 1'autre; cela flatte ma vaoité, d'ailleurs il eft fi doux, fi complaifant. 11 ne cherche qu'è me faire plaifir, & fous prétexte que je fuis fa coufine, il me fait préfent de toutes les bagatelles que je fouhaite. Vous voyez qu'un tel amant n'eft pas  dtt Adolescektes. 149 pas ó négliger; cependant je veux-vous en faire Ie facrifice; je l'ai prié de ve. nir ici demain; vous êtes fi aimable, quM ne pourra s'empêcher de vous airoer auflïtót qu'il vous aura vue; je Ie perdrai, mais je m'en confolerai s?il vous refte. Je yous avoue, ma Bonne, que j'ai été bien flatcée de ce que mon amie me difoit de mes charmes; cependant j'ai été choquée de ce qu'elle écoutoit deux hommes, & je lui ai demandé fi fa mère favoit cela? Bon, m'a-t elle répondu, me eroyezyous alTez ftupide pour rendre compte a ma mère; mais è propos, n'irez-vous point dire ceci a votre Bonne ? Je ne vous le pardonnerois jamais afr moins» & je cefierai d'être votre amie, fi vous ne me promettez de ne lui en pas dire un mot. Je n'aurois pas dü faire cette promeiTe, mais j'avois cant de peur de perdre fon arakié, que j'ai fait tout ce qu'elle a voulu. Me le pardonnez-vous, ma Bonne? Madtm. Bonni. öui, ma chère amie, tout pêché G 3 avoué  i$o Le Maoasin avoaé eft pardonné, mais coctinuez^ Lady Spirituelle. J'ai dit enfuite k mon amie, que favols toujours cru qu'il étoit fort mal de prêter 1'oreille aux difcours des horames, k moins qu'ils ne vouluiTent nous époufer. Ecoote, m'a-t-elle dit, je t'aime, & je veux te rendre heureufe. II n'y a pas de plus grand plaifir dans le monde que d'avoir des adorateurs; on ne fait pas de mal pour cela, on les écoute, &. c'eft tout; promets-moi d'aimer mon coufin fi tu le trouve è ta fantaifie. A quoi cela me ferviroit-il, lui aije répondu ? 11 faudroit qu'il füt aufiï du goft: de Papa & de Maman, fans quoi ils ne voudroient pas me permettre de 1'époufer, & je fais bien que je ne me marierai jamais fans leur confentement. Alors, Lady Maligne, pour me ra?furer, m'a conté toutes fes avantures. Elle a déja aimé cinq perfonnes différentes, & elle me dit qu'elle changeroit d'amant jufqu'è ce qu'elle en eüt trouvé un propre a être fon mari. Madem.  ia A DOLESCENTES. Ij£ Madem. Bonne. Elle a 1'air d'attendje 'longtems; de ' pareilles filles fonc trop méprifables & j trop méprifées pour crouvef des maris. j Mon Dieu, ma chère enfant, que vous êtes tombée en dé tnauvaifea mains ! Mais continuez. Le coufin vint-il? Lady Spirituelle» Oui, ma Bonne, & en vérité il eft fort aimable ; ce n'eft pourtant pas la ce aui m'a attachée a lui: c'eft ma ! miférable vanité; il m'a donné tant de louanges, & j'aime fi fort è être louée» que je 1'ai ai mé par reconnoiflance a , ce que je crois* Madem. BoNNE. Et lui avez-vous dit que vous Tak miez, ma chère? Lady Spirituelle. Non, ma Bonne, mais mon amie Ta fait pour moi, & je n'ai pas eu le courage de la dédire, j'ai même dit au G 4 che-  J52 Le Magasin chevalier, qu'il me feroit plaifir de me demander en mariage a mes parens. Madem. Bonne. Et qu'a-t-il répondu? Lady. Spirituelle. Qj'ii Ie feroic avec plaifir, mais qu'il laioic encore attendre quelque tems. paree qu'il n'a point de fortune, & qu il efpéroit d'engager un de fes oncles ó Jui faire du bien. II m'a bien pné de ne pas parler de cela, parcequaiors il n'auroit plus Ia liberté de me yoir: il m'a fait promettre auflï que je Ie verrois quelquefois è Londres chez Lady Maligne, & j'y ai été hier matin; elle étoit avec cec autre amant qu'elle aime, & comme nous étions dans fa chambre, elle a dit qu'elle avoit quelque chofe a dire è ce cavalier en particulier , & qu'elle nous prioit de 1'attendre un moment, mais je n'ai pas voulu refter feule dans cette chambre avec le chevalier, & je fuis fortie tout auflltót. J'ai depuis longtems envie de vous conter tout cela, mais-je n'ofois, è caufe  des Adolesce^tes. ff%§ caufe de la promeiTe que j'avois fake* Cependant quand Lady Lucie a parié de cette terrible forêt , j'ai cru qu'elle difoit cela expres pour moi. II me fem* bloit que ces alTaffios ö agréables étoient mon amie & le chevalier; qu'en pee fez-vous, ma Bonne? Madam. Bonne. Venez m'embrafler, ma chère , & remercions enferable le bon Dieu des graces qu'il vous a faites. Vous avez été fur le bord du précipice, ma pauvre enfant, car enfin, fi de telles chofes venoienc a être fues dans le moade, vous feriez perdue de réputation. Concevez - vous combien cela eft terrible d'avoir perdu fa réputation a feize ans, d'être montrée au doigt daas le monade, d'être le fujet des converfations, des chanfons ? Lady Spirituelle. Si cela arrivoit, ma Bonné, «j'en mourrois de douleuf» Mais■ comme perfonne ne le fait que mon amie & vousj, « il . n'eft pas poffible que cela deviencs » publia  Le Macaiik Madem. Bonne, Ofez-vous bien encore nommer cette infime créature votre amie: eïie feia la première a le publier, je vous en allure, è moins que vous ne fuiviez le confeil que je vous donnerai a eet égard. Lady Spirituelle. Vous n'avez qu'a commander, ma Bonne; j ai un ü grand regrêt de mon imprudence, que je ferai tout ce que vous me direz pour ia réparer. Madem. Bonne. „Ju l'fpPeïe> ma b0Dne ami*€- H faut d abord déclarer tout cela è Milady. Lady Spirituelle. Ah, mon Dieu! fi elle Ie fait, elle n© voudra jamais me revoir. Madem. Bonne. Vous vous trompez, ma chère; vous avez fait fans.doute .de grandes iropru- denu:  des Adolescentes. iff& dences, & cela 1'affiigera,- mais elle fera fenfible k votre conöance, & vous faura gré de 1'avoir avertie a tems. Suppofez, méme qu'elle vous grondfit, ce que je ne crois pas, ne i'avez-vous pas mérité, & n'eft-il pas jufte que vous faffiez pénitence de votre fauteV Souvefiez - vous de ce qui eft arrivé k Mifs Frivole,- Elle ne s'eft point répentie de la conrlance qu'elle a eue dans Monfieur fon père. Lady Spirituelle. Mais fi, k caufe que le chevalier n'a point de bien, elle va lui défendre ae me voir? Madem. Bonhi, saWbai otiov ' ~i • *'*;qatoo nu y&i r Ce ne fera pas paree qu'il eft pasvre qu'elle lui fera cette défenfe; mais paree que c'eft un mal • honnête homme* Lady Spirituelle. Vous aliez croire que je 1'excufe paree que je Paime? non, ma Bonne , c'eft' feulement pour lui rendre juflicej Je s vous allure qu'il a beaucoup de pwbu G-<5 ré 11  3f# Le Macasin té, fans cela je ne 1'aurois pas aimé. Lady Maligne m'a conté, je ne fafs corabien de belles aétions qu'il a faites; il eft charitable, & è la campagne il donnoit beaucoup aux pauvres. Madem. Bonne. Et fi je vous prouve que c'eft gö coquin, 1'aimerez vous encore? Lady Spiritüelle. Non; au contraire, je vous promets de n'avoir plus que de la haine cc da mépris pour lui* Madem, Bonne. Ne voyez-vous pas, ma chère, qu'il a fait un complot avec votre indigne amie pour vous perdre. Ouvrez les yenx fur les fuites de eet affreux compict. Vous aurez un jour des biens imm< n-« fes, tout le monde le fait. Le chevalier eft fort pauvre & le fera toujours; ce qu'il voos dit de fon oncle eft une fable inveotée pour gageer du tems, & ce tems, il prétend remplpyer è vous deshonorer pour mettre vos^  des Adolescentes:' jff vos 'parens dans la néceflité de faire ce manage. 11 auroit continué le plus longteras qu'il auroit pu a vous voir fecrêtement; il vous auroit engagée k lui écrire, & quand il vous auroit cru bien arooureufe de lui, il auroit; faic publier fon intrigue avec vous, auroit montré vos lettres, & auroit fi bien fait, qu'il vous auroit rendu la fable de toute la ville; & par-lè il auroit emp^ché qu'aucan honnête homme ne penfêt a vous. Alors vos parens auroient été forcés de confentir k votre mariage avec lui, & peut être en leroient-ils morts de douleur. Quelle récompenfe des foins avec lesquels il vous ont élevée? Quel retour pour la tendrefle qu'ils vous portent? Si le chevalier étoit vraiment honnête homme, au-lieu de fe prêter aux vues de fa coufine? il auroit averti vos parens du danger que vous couriea dans fa compagnie: c'eüt été une preuve de fon amour & de fa probité qui eüt été capable de toucher & intéreiTer en fa faveur Milord & Milady qui font plus de cas de la vertu que de toutes les richefles des Indes. Gf" Lady  $ 5$ Le M a o a s i ft Lady Spirituelle. Vous m'ouvrez les yeux, ma Bonne; le chevalier & fa coufine font des monftres que je ne reverrai jamais, & des ce jour je veux tout déclarer è ma snère. Madem. Bonne. II faudra auffi avec fa permiffion, écrire une lettre fort hauce k Lady Maligne, & lui mander que vous avez été fi fcandalifée de Ia propofition qu'elle vous a faite de refter feule avec le chevalier, que vous en avez fur le chamo averti Madame votre mère, a Isqud]e vous aviez demandé en grace da lui fermer fa porte. Adieu, ma chère: courez exécuter vos bonnes réfolutions, & n'oubliez pas furtout 9 de bien remercier Dieu de la grace qu'il vous a faite en vous arrêtant fur Je b)rd du précipice.  des Adolescente s» 15J3 XXXI. D I A L O G U E. Madem. Bonne. Nous avons fini, jé crois, tout ce qui regarde Romulus; Lady Sen* Jée, dites-nous qui fut fon fuccefTeur. Lady Sensée. Après la mort de Rmulus, \\ y euc de grandes difputes è Rome; les Romains & les Sabins voulant avoir un Roi de leur nation. A la fin, les Romains choifirent Numa Pmpitiut. Cé* toit un Sabin qui demeuroit a Ja campagne & qui n'accepra la royauté, que paree qu'on lui repréfenta qu'il pouvoit faire de grands biens dans ce rang élc« vé. II s'appliqua è adoucir Jes mceurs des Romains, en leur infpiraot du respect pour la religion. II fit batir un temple è 1'honneur de Janus. Ce Janus avoit autrefois règré en Italië & fes peuples étoient fi heureur, que les poëtes difoient que Ssturne chaUé du-ciel par fon fils Jupiter* s'étoit l re-  4\o Le Masasin retiré clez ce prince cu il avoit porté 1'age d'or. Comme ce prince avoit été fort prudent, ou le repréfentoit avec deux vifages, pour moctrer qu'il ne perdolt pas de vue le palTé, & qu'il prevovoic 1'avenir. C'étoit par la même ra'fon qu'on avoit donné fon com au premier mois de 1'année; car Janvier oa Januari vient du mot Janus, parcequ'on difoit que le roois de Janvier regarde 1'année qui vient de finir, & celle qui commtnee. Ce temple de Janus devoit être fermé en tems de paix, & i! le fut toujours fous le règne de Numa, qui dura quarante trois ans. Mifs Belotte. J'entendiS 1'autre jour une perfonne qui difoit qu'elle éléveroit volontiers une ftatue a celui qui fermeroit le temple de Janus; je ne pouvois coroprendre ce qu'elle vouloit dire, je le comprens a préfent. Elle vouloit parler de ■ celui qui feroit la paix. Modem* Boa tut, Oui, ma chèfe, & je dirois la même chofe qu'elle. Continuei,, Lady Ben fit. Lady -  des Adolescente». *sl Lady Sensée. Tullus Hojiilius fuccéda è Numa, & il ouvrit le temple de Janus % a loc cafion de ce que je vais dire. La ville de Rome étant devenue pmsfante, prétendit 1'emporter fur ce Ie d'Albe qui lui avoit donné naillance. Cette prétention occaüonna la guerre; Comme les deux armées étoient en préfence Tune de 1'autre, & qu'elles alloient combattre, quelques perfonnes des deux rations, qui vouloient épargner le fang, propofèrent de choiür de chaque cóté trois hommes qui combattroicnt 1'un contre 1'autre, & qui repréfenteroient toute la nation, enforte que la ville dont les champions feroient viftorieux, feroit rcgardée comme la xnaftreffe de 1'autre. Le parti fut accepté. On choifit un champ entre les deux armées, & on le ferma de barrières. Les Romains choifirent pour défendre leur querelle trois frères nommés Horaces, & les Latins remirent leurs intéréts entre les mains de trois frères, nommés Curia. ces. D'abord il y eut deux des Horaces de tués, mais les trois Curiaces étoient blelfés, & le feul des Hcraces qui  ifo Le Magasin qui refloit, ne 1'étoïc pas. Mabré eet avantage il peDfa qu'il ne pouvSic feul entreprendre de tuer trois hommes qui combattoient en défespérés, ainfi il eut Jjecours * ,a rufe* * «fffc d prea. t Jï fU3Cf' A cette vue les ES* poufTèrent de grands cris de joye, pendant que la confternation fe répandolc ies Cw« pourfuivireot leur ennemi, & comme i[s n'étoïent pas égttic blellés, leurcourfe fuc inéeale& h fe trouvèrent bientóc féparef. Ceflce qu Horace avoit efpéré. Alors il tour. Da vjfage, & les tua les uns aorès les JPaer de leurs armes feloo la couterne de ce tems . !è, U prit parmi leurs dépouilles une riche écbarpe que fa fceur avoit brodée pour un des (W ces>avec lequel elle étoit fiancée. Lort fk fïnr £ nParé de cette écharpe, la iceur a qui cette vUe rappelloit dou' Sm r en*P°rter a ^ douleur, & ac- tiaaé de » rère de rreP!loch^ Hora,, piqué de Ia voir mfenQble a Ia gloire aèle brutal & féroce, & lui pafla fon épée  des Adolescentes. 163 épée au travers du corps en iai difant: puifque tu préfère ton amant è tes frères & a ton pais, va le rejoindre» Tout le monde eut horreur d'une ac» tion fi barbare. Horace fut arrêcé & conduit devant le Roi qui, défirant de le fauver, renvoya 1'affaire devact le peuple. Le pére é*Horace plaida pour fon fils, & n'eut pas de peine a attendrir le peuple en fa faveur, enforte qu'il obtint fa grace. Mifs Frivole. Je ne faurois pardonner k Horace cette inhumanité; fa pauvre fceur eut fans doute dit les nêmes injures k fon amant, s'il fe ftit offert k fes yeux chargé des dépouilles de fon frère. Madem* Bonne. Peut-être bien; on s'intérefle plus volontiers pour les malheureux, que pour ceux qui font dans la profpérité» Continuez, Lady Senfée. Lady Sensée. La ville d'Albe fut obh'gée par la vi&oi-  164 Le Magasin vict.oire d*Borace9 de céder la fupérïorité a celle de Rome, & Tullus prétendic que vingt-cinq colonies Latines qui dépendoient de cette ville , fuivisfent 1'exemple de cette capitale; cela dooDa lieu a de nouvelles guerres dans !ef;uelles Rome fut toujours vi&orieufe. Quelque tems après Albe prit des rnefures pour n'être plus foumife, éi Tullus 1'aïant appris, Ia détruifit, & en tranfporta les habitans è Rome. Ce Roi, è ce qu'on croit, fut tué d'un coup de tonnerre. Ancus Martus lui fuccèda. II eut toutes les qualités guerriéres de Romulus, & les vertus pacifiques & religieufes de fon ayeul Numa. Ses voifins ne croyoieot pas qu'un homme qui montroit beaucoup de religion püt avoir da courage; mais il les convainquit que s'il aimoit le paix, il favoit faire la guerre, & la fit è 1'avantage de Rome toutes les fois qu'il fut attaqué. II y avoit alors dans la ville de Tarquinie un citoyen qui avoit de grands talens & dont fes compatriotes faifoient peu de cas. Sa femme nommée Tunaquil, lui dit: que faites - vous ici? AUez vous établir è Rome oh Ton diltingue sous les étrangers qui ont du me-  des Adolescentes. i6f I mérite; Cet homme fuivit le confeil I de fa femme, & prie Je nom de TarI quiniui. On prétend que Jorfqu'il fut I proche de Rome, un aigle lui enleva I fon chapeau, & qu'après 1'avoir eraJ porté fort haut, il le lui remit fur Ia J tête. Tanaquil qui fe piquoit d'exceiler I dans la fcience des augures, lui prédit I qu'il feroit Roi de la ville dans laquelI le il alloit entrer. Tarquinius perfuadé ide Ia vérité de cet oraele, prit dès | ce moment des mefures pour parvenir i au tróne, è quoi il n'auroit jamais penfé fans Ia prédiclion de fa femme. D'abord il commeiica par afFe&er une I grande probité, ce qui lui gagna 1'efti. 1 me du peuple. Le bruit de fes vertus i parvint jufqu'au Roi qui voulut Ie con1 noitre, & qui lui ai'ant reconnu beauV coup d'efprit, le fit fon confident. Toriquinius joua fi naturellement le role I d'honnête homme, que Je bon Marcus ] y fut trompé, & le nomma tuteur de I fes deux fils quand il mourut. Tarquij nius répondit mal è la confiance de Ifon bienfaiteur, il engagea fes deux I pupijs dans une partie de chaiTe, & I pendant ce tems aïant fait affembler Ie 1 peuple, il fe fit recounoitre pour Roi; Mifs  i66 Le Macasik Mifs Sophie. Qa'eft-ce que c'eft que la fcience des augures? Madem. Bonne. Les Romains, & prefque tous les peuples de ce tems-lè, étoient extrêmement fuperftitieux. Ils prétendoient prédire 1'avenir par les chofes qui s'offroient è leurs yeux. Si un oifeau voloit d'un cöté plutöt que d'un autre, fi une béte qu'on avoit immolée, avoit le cceur ou le foye bien difpofés, ils en tiroient des conféquences, & faifoient des prédidions. Lady Louise. Mais par la fuite du tems, les Romains devinrent favants, ne comprirent-ils pas alors la folie de Ia fcience des augures ? Madem. Bonne. II y eut, je penfe dans tous les tems, des gens d'efprit qui fe raoquèrent de cette fcience, mais ils n'eurent garde de  des Adolescentes. i6y de dire ce qu'ils penfoient, par la raifon que je vais vous dire. Souvenez vous que Je peuple avoit quelque autoricé k Rome, & dans Ja fuite elle augmenta confidérablement, enforte qu'il y eut comme une guerre perpétuelle entre les patriciens & les plébéi'ens. 11 fuffifoit que le fénat voulut une chofe, pour que Je peuple y eut de la répugnance. Ce peuple fi impérieux, avoit un grand rcfpect pour les cérémonies de religion que Numa lui avoit Jaiffées, & dont les aueures faifoient une partie: or il n'y avoit que les patriciens qui pulTent exercer la charge d'augure. C'étoit donc un fur moyen d'obliger le peuple k fe conformer aux volontés du fénat. Je fup. pofe, par exemple, que le peuple voulüt la guerre, & le fénat la paix; on confultoit les entrailles des bêtes & on difoit gravement aux peuples que les préfages n'étant pas favorables, on feroit mfailliblement battu fi on combattoit; cela étoit fufhTant pour faire abandonner aux Romains les entreprifes qu'ils avoient le plus è cceur; Vous concevez par-lè, qu'il étöit de 1'intéret des nobles d'entretenir la fuperfti- tioo  I68 Le Macasin tion du peuple , dont ils fe fervoient pour 1'alTujétir. Mifs Belotte. Mais pourtant, vous voyez que la prédiaion de Tanaguil s'accompht. Mifs Champrtre. Quand Tanaquil prédifoit quelque v^ET r'eft ou'elle avoit une grande : nn-elle couvoic prendre de bonnes me?urei pSur la faire réuffir, comme ce» j damesTe verront dan» rhiftare de Ser- vius. Mifs Frivole: Te vous avoue, ma Bonne, qu'une 1 JL folies feroit de connoure l'ave«?r & fi Dieu laifïbit une grace a mom SESt ie le prierois de me faire eonStout ce qui doit m'arriver le; refte de ma vie. Madem. Bonne. Et a quoi xela vous ferviroit-iUJei  des Adqliicentes. 10-9 voisprie? A vous tourraenter, en vous rendant préfeos dès aujourd'hui ie* maux qui doivent vous arrivcr. Mifs Frivole. Mais fi je pouvoïs les pTévoir, ne pourrois - je pas auffi les prévenir? Madem. Bonne. Pour toute réponfe, je vak vous dire un petit conté, que j'ai lü dans le Ma- gafin Frangois. II y avoit un homme qui étoit pos- fédé de la même manie que vous. Une fée lui prédit qu'il connoitroit le i premier jour de chaque mois, tout ce i qui lui devoit arriver dans ce mêrae f mois. Le voila bien content, mais fa I joye ne fut pas de longue durée, car ( il connut le premier jour de 1'an, qu'il étoit en danger d'avoir les bras & les jambes caffées, & qui plus eft de peri dre 1'efprit. Béni foit Dieu, dife cet homme; t puifque j'ai prévu ce mal, je puis le ï prévenir. Je n'ai qu'a demeurer cou- ché tout le mois de janvier, du moins j ie ferai für par-Ia de fauver mes bras Tem. IV. H &  170 Le Macasin & mp jambes. II exécuta fon deflein, cc comme c'étoit un marchand, il abando^na le foin de fa boutique a fa femme & k fes enfans; & pour chofe au monde, il h'eót pas voulu bouger de foa lit. Un beau matin pendant qu'il étoit tout feul dans fa chambre, le plancher enfonga & il fut prefque écrafé fous les ruines. II en eut tant de chagrin qu'il en perdit 1'efprit, & fut un an dans ce miférable état. Lorfqu'il eut recouvré fon bon fens è force de remèdes, il regat une viQte de la fée qui lui avoit fait un ü beau don. II fe mit fort en colère en la voyant, & s'en prit a elle du malheur qu'il avoit eu. Ne vous en prenez qu'a votre focte curiofité, lui dit-elle: ce font vos précautions qui vous ont attiré le malheur qui vous eft arrivé. N'eft - il pas vrai que fi vous euffiez été a votre place, c'eft-a-dire, dans votre boutique, la chute de votre chambre ne vous eüt pas fait plus de mal qu'a votre femme & è vos enfans.' Apprenez, mon ami, que ceux qui veulent prévoir & prévenir I'avenir, occafionnent par leurs précautions, des malheurs qui ne leur feroient point arrivés, s'ils ne les eufifent pas prifes. Mifs  des Adolescent es. tft Mifs Be lotte. II me paroit bien fingulier, qu'un aigle emporte le chapeau d'un homme, & après un certain tems vienne le lui remettre fur la tóte; cela ne me paroit pas naturel. Madem* Bokne. Et cela ne 1'eft pas non plus. II ne faut pas tout-a-fait croire les Romains & les Grecs, quand il s'agit de faits finguliers, a moins qu'ils c'ayent été extrémement publics. lei, par exemple, il n'y avoit d'autre témoin que Tafquinius & fon époufe, & peut - être quelques efclaves qui dépeodoient d'eux abfolument, & qui n'auroient ofé les contredire. II put fort bien arriver qu'un oifeau de proye eüt emporté le chapeau de Tarquinius & Peut laifiTé tomber enfuite paree qu'il ne pouvoit Ie manger. Tanaquil qui profitoit de tout, aura embelli l'hiftoire, & quand elle fut fur le tröne, les Romains qui avoient beaucoup de goüt pour le merveilleux, eurent la bonté de i'en croire fur fa parole. En général, MefdaHies, on doit croire difficilement un H 2 fait,  iy-2 Le Magasin fait, quand il n'a d'autre téraoïn que des gens incérelTés è mentir, furtout fi ces gens ne font pas d'une exa&e probité. C'aft alors qu'il eft permis d'être pyromen. /. Lady Violente, Qu'eft - ce que c'eft d'être Pyronien ? Madem. Bonne. Pyron étoit un ancien philofophe qur9 s'étant bien convaincu que pos lens nous trompent le plus fourent, prit le parti de douter de tout. Mifs Belotte. Eft-ce que nos fens nous trompent? Mes yeux ce me femble font bien bons? Madem. Bonni. Pas fl bons que vous Je croyez, ma cbère. Si vous étiez au haut d'un rocher je nevous paroitrois pas plus haute que votre bras, vos yeux vous tromperoieot donc fi vous n'aviez que des yeux  des Adolescentes. 173 Veux : mais la raifon repare ce défaut k vousapprend, que c'eft 1'éloignement dans lequel je fuis de vous, qui me fait paroitre fi petite. Lady Lucie.' Vous êtes pyronienne, ma Bonne, car vous ne voulez rien croire fans preuve. Madem. Bonne. s C'eft une preuve certaine que Je ne fuis pas de Ia feéte de Pyron, car il ne croyoit pas qu'il fut poffible de rien prouver. II ne nioit rien non plus , & fe contentoit dé dire, cela peut etre. On a tourné les Pyroniens en' ridicule d'une raanière fort jolie, dans une de nos piècès de théatre. Arlequin va demander des confeils a un de ces philofophes qui ne lui répond que par des peut-être, & qui lui dit que c'eft par fageflè qu'il en agit aihfi, paree que nos ferjs nous trompent &' nous font imagioer, voir, eDtendre & fentir bien des chofes qui n'éxiftent pas. Arlequin que ce difcours impatiënte, lui applique une douzaine de coups de blton. H 3. Et  174 Le Magastn Et comme Ie philofophe fe plaint d'a» voir été battu, Arlequin lui répond froidement, cela peut êcre, mais aufli cela peut fort bien n'être pas. Vous mo~ quez-vous dit le philofophe, j'ai fortt bien fenti les coups de béton. Et ne ; favez-vous pas, lui dit Arlequin, que: nos fens nous trompent: vous vous ima- ■ ginez avoir rec,u des coups de baton, | pour moi fuivant votre doctrine, je ne: vois rien de fór la - dedans. Lady Lucie. Je crois que c'eft la meiïleure raanière de réfuter les opinions de ces gens - la; il fauc, je penfe, prendre un jufte milieu entre une crédulité ftupide, & un entêtement ridicule. Mais ma Bonne, permettez-moi de faire une remarque fur ce que vous venez de dire. Vous nous avertilTez qu'il faut bien examiner une chofe extraordinaire, quand elle n'a pour témoin que des gens qui ont intérét a la faire croire. Ne pourroit-on pas dire que les Apotres ont été les feuls témoins de Ia réfurreclion de [éfus - Chrift : c'eft un événement bien fingulier & qu'ils avoient intérét de faire croire? Madem.  des Adolesce'N tes. 175 Madem, Bonne. Aufïï eft-il trés permis de Vexaminer, & les premiers chrétiens euffent été de grande:fdupes, s'ïls euffent cru les apötres fur leur parole. Nous en ewminerons les preuves en apprenant 1 mitoirc de 1'Evangile, elles font plus clairesque le Soleil. . • • im 11 ne nous rede plus a ce que je crois qu'une hiftoire ou deux de- 1 ancien Teftament, nous les fimrons auiourd'hui, s'il vous plait. Lady Violente, dites-nous, je vous prie, celle du Dieu de Darius* Lady Violente. Un jour Darius Ciaxare dit h Daniël, pourquoi n'adore - tu pas mon Dieu ? Ja n'adore que le Dieu vivant, lui répondit DanieU Je t'affure, dit Darius K que mon Dieu eft bien vivant, & que je depenfe de grandes forames pour fa nouriture, car tous les foirs je fais couvrir de viandes de grandes tables qui font dans fon temple, & le lendemain il n'en refte pas un morceau, quoique les portes da temple foyent bien fermées. 4 Dankl  J7# Le Magasin Daniël qui aimoit fon maftre, futt veniaolcment touché de fon aveugle- ■ went, <& lui dit, que s'il vouloit le lui i permettre, il Tui feroit voir que fes i prêtres le trompoient. Ciaxare y coaïentit, & aïant fuivant 1'ordre de Daniël, fait couvrir les tables du Dieu des vjandes ordinaires, il fit fermer les portes du temple qu'il ferma avec ion cachet* Daniël avoit eu la précaution de mettre de Ja cendre autour de ces taoles, & il étoit trés perfuadé que par ce moyen, il découvriroit Ia trom* pene. L,e lendemain Ie Roi fe transporta au temple avec Daniël 9 & voyant que le cachet n'avoit point été levé, il tnornphoit déjav Mais Daniël 1'arrétanc a 1'entrée du temple, lui dit, qu'il avoit femé de Ia cendre autour des tables, & qu'il Je prioic de confidérer attentivement s'il ne découvriroit pas quelque tracé. Darius atant examiné cette cendre, découvrin les marqués des pieds de plufieurs perfonnes qui s'éto,ent imprimées dans la cendre, On y diftmguoit des pas d'hommes, de femmes & de petits enfans. Cela fuN pnc beaucoup le Roi, & par fon ordre on chercha avec tant de foin > gu on découvrit que les prêtres entroient  iét A'd o les ce nt es. IfT Ia nuit par un cbemin fouterra'n qui conduifoit au temple, & qu'ils y menoienc leurs femmes & leurs enfans pour faire bonne chère aux dépens du? Roi. . Darius fit punir ces importeurs; mais c'étoit un pauvre efprit que rien n'étoic capable de corriger de fa fottife. Elle étoit fi grande, qu'il adoroit un ferpens monftrueux, & vouloit perfuader a Daniël que c'étoit un Dieu. Je fuis plus puiflant que lui, dit Daniël, & je puis le faire mourir fi' vous m'en donnez-la permiflion. Le Roi y aïantcon' fenti, Daniël fit une pAte avec de la cire, des poils d'animaux, & plufieurs autres drogues. II fit une grofie boule de tout cela, & 1'aïant jettée au dragon , cette béte voulut 1'avaler, & s'étrangla. Lady Mar?;'- Cela me pafle qu'il y ait des hommes alTez ftupides 'pour adorer de pareils monftres. Eft-ce la tout ce que nous devons favoir de Tsncien Tefts-4 ment, ma Bonne?' H 5-'  tfö Le Mag as in Madem. Bonne. II y a encore de fort belles chofes,, ma chère, comme les pfeaumes, ksi prophètes; mais comme cela n'eft pas i hiftorique, je craindrois de vous ennuïer fi je vous les faifois répéter a préfent, car nous n'aimons que les hiftoires. Lady M ary. Et quelquefois auffi les contes; il y a bien longtems que vous ne nous en avez dit, ma Bonne; cependant vous nous aviez promis que Lady Seiu Jée nous raconteroit ceux qu'elle a cornpofés. Madem, Bonne. Et bien, ma chère, je tiendrai ma parole. 11 eft encore de bonne-heure elle va vous en raeonter un. * Lady Sensée* . II y avoit une demoifelle nommée Rmüie, qui è vingt ans étoit abfolument maffitefle de fes volontés. Elle étoit de qualité, elle avoit de grands • biens  des Adolescëntes. 179 biens, & fa beauté étoit fi grande, qu'on ne pouvoic la regarder faas admiration. Outre ces qualités, el ie avoit le cceur fort bon, & fon efprit étoic fupérieur a celui des perfonnes de fon &ge & de fon fexe. Cependant plufieurs perfonnes croyoïent qu'elie étoic fotie & méchante, paree qu'elle avoic des défauts qui g&toient fon efprit & fon cceur. Son orgueil étoit fi grand, qu'elie croyoit toujours avoir raifon, & quand on prenoit la liberté de la con* tredire, elle fe mettoit dans une colère horrible, & accufoit ceux qui ne penfoient pas comme elle, de ftupidité , d'entêtement & d'arrogauce, comme fi tout 1'efprit du monde eüt été renfermé dans fa tête. Je vous ?i dit qu'Emilie étoit riche; j'ajoute qu'elle étoit fort généreufe: elle faifoit de grands préfens aux perfonnes qu'elle aimoic, mais elle p'atmoit que celles qui étoient de fon aviy» . Elle leur trouvoit alors de 1'efprit & du mérite. II eft vrai que fi après 1'a» voir louée &■ applaudie pendant une" année, on hazardoit de lui donner un' petit confeil, on perdoit fur le c ha rep v fes bonnes graces. Elle avoic une fesu? fille de fon père 3 mais qui étoic-d'une " H 6 ' Sto&s»  i$o ify Magasin autre mère; "elle fe nommoit Elianie., Cêfoit une rille de bon fens. qui airooit véritablement Emilie% & qui ne pouvoit foufFrir que les flatteus empoilonnallent fon heureux naturel, Eliante n étoit pas riche, paree que tout le bien étoit du cdté de la mère d'Emilie; il eft vrai que cette dernière, qui comme je 1'ai dit, avoit Je cceur bon* ne la lajiToit manquer de rien; elle Tavoit même priée de venir demeurer avec elle. Les deux fceurs ne s'accommodérent pas longtems; cette Eliante étoit trop fincère pour conferver les bonnes graces d'une perfonne k la- pHfoit DC fal0It dife qUe Ce qui lui Fakes comme nous, difoient k Eliante les parens & les amis d'Emilie, Jattez votre feeur, puifque vous avez befoin d elle, & que vous êtes füre den tirer par-lè tout ce que vous voudrez: elle eft aiTez fotte pour fe croire parfaite, h la. bonne heure, fa folie ne fait mal qu'è elle, ayex la complailarice de vous y conform er: J'en ferois bien fêchée, répondit Eli. me. J'aime trop ma fceur pour ache. vor de la gltér.: Cette bonne fille con«ouQit donc a avertir Emilis de fes , dé-  des Adolescentis. i&i défauts, ce qui impatienta fi fort cette dcrnière, qu'après 1'avoir beaucoup maltraitée, elle la chaiïa de la maifon. Un jour qü'Emilie étoit k la cam>pagne, elle vit un paifan qui maltraitoic une vieille femme, psrce qu'en marchant, elle avoit eu le malheur de caüer un pot plein de lait qu'elle ne voyoit pas, & qui appartenoic au païfan. Cette femme proteftoit qu'elle ne 1'avoit pas fait exprès, que c'étoit la faute de fa vue qui éroit balie, qu'elle en étoit bien fachéè: rien ne pouvoit appaifer cet horome brutal, qui loin de recevoir fes excufes, continuoit a lui dire les injures les plus groflïères, & paroilToit difpofé è la oattre. Emihe qui étoit toujours équitable quand il étoit queftion de chöfes qui n'intérefloient pas fon orgueil, dit è ce brutal: pourquoi querellez-vous cette pauvre vieille qui vous demande pardon ? Elle eft f&chée d'avoir repeni du votre lait, il faut le lui pardonner. 11 n'y a rien de fi vilain que de gronder les gens pour une chofe qu'ils ont faite faDs le vouloir & par accident, furtout fi cette chofe ne fe peut réparer. Tenez, voila un écu pour H 7 . payer r  182 Le Ma gas in payer votre pot & votre lak, qu'il n'en foit plus parlé. La bonne vieille remercia Emilie de fa charité, & celle -ei lui fic plufieurs queftions fur fon 3ge & fur fa fituation, car elle en avoit pitié, paree qu'elle lui paroüToit extrêmement pauvre. Pendont que la vieille lui répondit, elle eut Ie malheur de mareher fur la patte d'un petit chien ^Emilie aimok beaucoup, Auflitót 1'animal jette de grands cris, & fe fauve daas les bras de fa mairrefle, qui touchée jufqu'aux larmes, fe mie dans une colère écrange, & maltraita la vieille encore plus que le païfan. Cette pauvre femme toute tremblante lui difoit: je vous demande nardon, Mademoifelle, je ne 1'ai pas fait exprès. Emilie aulieu d'être touchée de la douceur qu'elle lui témoignoit, leva la main pour la frapper, mais dans Ie même moment la vieille changea de figure, & parut aux yeux d'Emilie (bas la forme d'une dame qui avoit 1'air trés majefteux % &■ qui Ia regardant d'un air moqueur lui repéta les raêmes paroles qu'elle avoit dites au païfan Rko n'eft fi^vilain, difiëz-vous, il  des A bolescentes. iti n'y a qu'un moment, que de quereller une perfonne qui demande excufe d'une faute qu'elle a commife par accident, & fans deHein d'offencer, furtout quand le mal eft irréparable. Qje ceci vous ouvre les yeux, continua la dame. Vos paffions auxquelles vous vous êtes abandonnée, troublenc votre raifon qui naturellement eft droite. Eiles vous rendert injufte, capricieufe, méchanre & fotte, quoique' vous aïez reg,u du Ciel un excellent caraclère, qui paro tra tel auffitót que vous travaiilerez férieufemenc a régler vos paflions. Ab! Madame, dit Emilie, étes-vous un ange? Etes-vous un génie bienfaifant envoyé pour m'ouvrir les yeux? Je no fuis ni un arge ni une fée, re» pliqua la dame. On m'appelle la raifon. J'éïois deftinée a régrer fur tous les hommes, & s'ils euffent voulu refter fous mon empire, je les aurois conduit au bonheur; mais les paflions .déréglées qui font mes mortelles ennemies m'ont difputé mon pouvoir, & el!es font parvenues a me chalTer du cceur de la plus grande partie des hommes. Forcée de m'exiler de mon royaume , je ne règne plus que fur le peut nombre. Voulez^vous augmenter mos  ï*4 Le Magasiet mon empire & devenir une de mei fd-? jetces? De tout men cceur, reprit Emilie? mais j'ai bien peur que mes paflions' ne 1'emportent. Elles font un fi grand bruit, qu'il ne me fera guère pofilble d'entendre votre voix. Je parle bien haut, reprit la raifon: mais comme vous le dites fort bien, les paflions font un g'and vacarme, il faut rémédier a cet inconvénient. Vous trouve-: rez dans votre cabinet un miroir qu'on nomme réflexion; toutes les fois que vous voudrez connoitre la fituation de votre ame, en décoavrir les maladies, & en trouver les remèdes , vous n'au^ rez qu'a entrer dans ce cabinet. Vous en fermerez foigneufement la porce, & vous vous regarderez attentivement dans ce miroir. Je fuis füre que vous ne le ferez pas longtems, fans être ex» citée a faire les plus grands efforts pour vous corriger. La raifon difparut en prononcant ces derniers mots, & Emilie fans perdre nn moment j retourna chez elie, &■ courut fe renfermer dans fon cabinec. Elle y trouva le miroir dons la raifon lui avoit parlé, mais la glacé en étoit fi-trouble4 qu?elie -ne put y rien difiia-^  êes Adolescentes. i5? ; guer. Elle fe fouvint alors qu'on lui avoic recommandé de fermer la porte de fon cabinet, elle obérc, & cornmenca è voir quelque chofe de conrus dans la glacé, fans pourcanc P™™11 bien connoitre ce que c'étoit. Elle ruc tentée alors de tout abandonner; toutefois elle repriraa ce mouvement, oc réfolut de ne point fortir de ce liep fans découvrir ce que la raifon avoit promis de lui faire voir. Elle jaffidonc tranquillement, fit tous les efforts pour vuider fon efprit des penfées inutiles, afin de ne s'occuper qu'a regarder dans le miroir. Tout - d'un • coup 1 elle y découvrit un monftre dont la vue 1 faillit è la faire mourir de frayeur. Voila votre image, lui dit une voix li qu'elle reconnut pour celle de Ia raifon. Vous croyez peut-être qu elle Ia Iremercia de ravmiffement, point-autour. Au contraire elle fut fi P]^6 de la comparaifon qu'on faifoit d elle \h pp mnnftrp. oue tranfoortée de co- lère, elle fe leva pour cauer ia gwtc maudite qui lui offroit un fi vilain tableau. La même voix lui dit en criant bien fort: pourquoi vous en prendre è cette glacé? Ce n'eft pas elle qui donne è votre ame la figure que vous  185 Le Magasin y voyez, c'eft votre ame qui fe peint dans ce miroir. Quand vous le caflerez, il n'en fera ni plus ni moins. Si vous avez du bon fens, vous ne travaillerez qu'è effacer ce portrait qui vous choque, vous n'avez qu'a vous corriger. Effeclivement, dit Emilie, je n'ai d'autre parti a prendre qu'è fuivre le confeil de la raifon. Voila qui eft fait, je veux modérer mes paflions: j'aurai fans doute beaucoup de peine a y ré" uflïr, mais on peut venir k bout des chofes les plus difficiles avec le fecours de la raifon. Mifs Belotte. Je vous demande pardon de vous interrompre, mais je ne congois pas bien pourquoi le miroir étoit fi trouble lors« qu''Emilie entra dans fon cabinet? Madem. Bonne, Ne voyez-vous pas, ma chère, I qu'une perfonne bien diflipée, toute occupée de ce qu'elle a vue ou entendue, n'eft pas en état de réfléchir. Ne vous I  des Adolescentes* *»2 yous eft-il jamais arrivé de vous regarder dansl'eau? Mifs Belotte. Cela m'arrive fouvent a la campagne. Je me vois dans 1'étsng comme dans un miroir, mais nour cela n faut cue 1'eau foit calme. S'il fait du vent, ou cue mon frère pour s'amufer y jette une pière, alors je n'y vois plus rien diftic clement, Madem. Bonne. Notre ame reiTemble a cet étang, ma chère. Lors qu'elle eft bien calme & bien tranquille, elle peut en réfiéchiflant fur elle-méme, ie voir comr me vous voyez votre vifage d^ns un miroir; mais pour le peu qu'elie foit agitée, elle fe trouble, on n'y peut rien diftinguer. Au refte, Mefdames, ne vous contraignez point quand vous aurcz quelque queftion & faire. Nous femmes jci pour nous amufer & nous mltruire. D'ailleurs cela foulagera la poitrine de Lady Senfée, fon allegorie eft fort longue, & elle a befoin de fe repofer de tems cn tems. ^  ï88 Le Mag as in' Lady Sensée. Pendant qy? Emilie étoit dans fon ca-' binet, un doóiefb'que frappa a la porte, & lui annonca la vifite d'une de fes tantes. C'étoit une dame de cinquante ans, alTez bonne femme ; mais fi capricieufe qu'elie en étoit infupportable, Elle changeoït d'avis a tout rao. ment; & pour vivre en paix avec elle, il eüt falu n'avoir pas une volon- tér} foi> & fe fervir de la fienne; auffi tout le monde la fuyoit-il, elle laflbie la patience de fes domcftiques & elle étoic réduite k vivre tojute feule. Emilie qurtta fon cabinet pour la recevoir & fa tante après 1'avoir embrarfée, lui dit, qu'elle venoit lui dire adieu, paree qu'elle alloit palier quelqaes mois è la campagne. Dans Ie moment Emilie entendit la voix de Ia raifon qui lui difoit: voila une belle occafion de vous corriger; fi vous aviez le couarge de fuivre cette femme è la campagne, il faudroit è tout moment renoncer a votre volonté pour fuivre la fienne. Emilie frémit a cette propofition, mais comme elle avoit un grand courage, elle furmonta fur le champ fa re»  des Adolescente?» 189 lépngnance, & dit è fa tante: j'ai befoin 'de prendre Pair; je voos ferois bien obligée ü vous vouliez me permettre de vous accompagner. La bonne femme fut ravie de cette propofition, & demanda a fa nièce comment elle vouloit faire ce voyage? Comme vous le voudrez, répondit Emilie. Oh, dit la tante, cela m'eft abfolument indifférent, vous n'avez qu'a choifir, ma chère nièce,, demain è hujt heures, je viendrai vous prendre. Puifque vous n'avez rien décidé fur nos voitures, dit Emilie, 11 vous le voulez, nous irons a cheval. Je fuis charmée de votre goüc, dit la tante, je ne trouve rien de plus ridicule que de s'enfermer dans une chaife de pofte oh 1'on étouffc & oh 1'on eft fecoué depuis la 'tête jufqu'aux pieds. Voila qui eft finif nous irons & cheval. Quand la bonne femme fut partie^ Emilie trembla, en penfant a 1'ennui qu'elle alloit éprouver avec cette tante, ^lle fe remic pouttant, & dit en ellemême: puifque j'ai deflein de me corriger, il faut le faire de la bonne manière & une fois pour toutes. Je vais palier trois mois dans une école de patience ü eft vrai; mais je ferai erop  ipo Le Magasin récompenfée fi j'en puis revenir plus douce, & moins attachée a ma propre volonté. Elle entra dans fon cabinet en fioiflant ce petic raifonnement: quel. le fut fa furprife & fa joye en jettant les yeux fur fon miroir, de voir que fon ame étoit déia changée. Prefque tous les traics du monftre avoient disparu. La raifon lui dit alors: on eft a demi corrigé, quand on a pris une ferme réfolution de travailler a ce grand öuvrage. Mifs Frivole, En vérité, ma Bonne, cela feroit bien confolant, cependant je Be puis croire que cela foit ainfi. II y a dèji bien du tems que j'ai envie de me corriger, & mafgré cela je fuis' toujours la - méme, Madem, Bonne. C'eft que votre envie n'eft pas bien Cncère, Remarquez bien ceci, Mesdames. Quand on veut fortement une chofe, on prend les moyens de la faire réuffir. Si je vous difois: j'ai grande envie depuis dix ans de faire for- tune  diS A'DOLESGENTRS, IQI tune dacs le commerce, & cenendant je ne puis en venir a bout. Vous me demanderiez fans doute; mais qu'eft-ce qui vous en eropéche? Eft-ce que vous n'avez pas de bonnes marchandifes, ne faites vous pas politefie aux marchands qui viennent vous les apporter & aux perfonnes qui fe préfentent pour les accheter? je n'ai jamais penfé è cela, vous dirois-je. Ma fervante achette & vend les marchandifes comme elle 1'entend je ne faurois m'aflujétir a les examiner, ni a refter plantée dans ma boutique pour les vendre. Oh, me répondriez- vous, vous n'avez pas delTein de faire fortune dans Ie commerce; fi vous en aviez grande envie, vous prendriez les moyens néceiTaires pour y réuflir, cela eft trés für. Je vous en dis autant, ma chère; voulez - vous faire fortune, c'eft - è . dire . réuflir dans le deflfein de vous corriger! mettez la main è 1'ouvrage comme fit Emilie. Ne dites pas, je voudrois; dites, je veux; & bientöt vous verrez Je fruit de votre cravail. Lêd$  los Le MagAsin Lady Lucie. Voila un de ces defirs dont vous nous parliez il y a quelque tems. II fuffic de le former véritablement pour être en état de le fatisfaire (avec le fecours de Dieu s'entend) ce défir que nous pouvons remplir, renatt pourtant chaque inftant, puifque pendant tout le tems de la vie nous aurons toujours quelque chofe a corriger. Lady Louise. Mais, ma Bonne nous a dit que les déürs étoient dep obftacles au bonheur. Madem. Bonne. Oui, quand il ne dépend pas de nous de les fatisfaire, ils font notre tourment. Au contraire leur fatisfaction fait notre félicité, pourvh qu'il y ait toujours quelque chofe de nouveau k fouiiaiter que nous puiflions auffi obtenir fans le fecours des créatures, & feulemenc avec 1'aide de Dieu qui ne nous manque jamais. Continuez, Lady Sen* fée* Lidy  des Adolescentis. 193 Lady Sensée. Emilie ne penfa plus qu'aux préparanfs de Ion voyage. Elle n'avoit pas d'nabit pour monter a cheval, jsmis.jelle favoit que fon tailleur étoit accouAmé a fes caprices, & qu'il quitteVoic /out pour la fatisfaire. Elle 1'envoya donc chercher & lui dit. 11 mc faut un habit de chefal pour demain a fix heures. Je fais qu'il eft huit heures du foir, ainfi, il rljSd^r y i travailler toute la nuit, car je veux IV i voir abfolument. Souvenez - vous do j plus, qu'il me le faut magnifique & ga; lant, n'épargnez pas ma bourfe, je ne dirai rien du prix, pourvü qu'il foit beau. Cela fuffit, Madame, reprit le tailleur, vous ferez fatisfaite; & ft étoit fort content lui - méme quand Emilie avoit des iantaifies, paree qu'il favoit qu'elle ne régrêtoit pas 1'argent dans ces occaliocs; elle payoit le mémoire fans le lire, & il avoit coutume alors de lui demander vingt guinées, pour une chofe qui n'en valoit que dix. Emilie ne put dormir toute la nuit, tant le déGr de voir fon habit, lui avoit 3gité le fang. Le tailleur étoit k Tam. IV I fa  194 Le Magasin fa porte è cinq heures du matin, mais par le plus grand malheur du monde, cet hemrae qui favoit fa taille par cceur avoit pourtant fi mal coupé cet habit, qu'il faifoit des grimaces de tous les cótés. Le premier mouvement d'EmL lie fut de battre 1'homme, & de déchirer 1'habit* Dans le moment elle entendit la raifon qui crioit a tue-tête; Si vous vous mettez en colère, vous gaterez votre ame, fans racommoder votre habit. Si la raifon n'avoit pas crié bien haut, Emilie ne Teut point entendue, car la colère & le dépit faifoient chez elle un bruit épouvantable. Elle les fit taire, & Emilie dit en elle-même: j'allois faire une grande folie qui ne m'suroit fervi de rien, il faut Téviter. En même tems elle s'affit, bailTa les yeux & refta quelque tems comme une ftatue, paree qu'elle s'occupoit a modérer fes mouvemens. Lorfqu'elle fe fentit plus tranquille, elle dit au tailleur d'une voix douce: mon cher Moniieur, il y a encore trois heures jufqu'è nuit oh je dois monter h cheval, croyez - vous pouvoir racommoder cet habit? Le tailleur qui trembloit de crainte, & qui s'attendoic a être battu, fut bien fur- pris  des Adolescentes, j9s prïs de voir Emilie fi tranquille; Mademoifelle, lui dit-il, dans deux heure* je ferai de retour, & vous aure* fujet d être contente. j Auffitót que cet homme fut forti, elle courut a fon miroir. Le changement quelle remarqua en elle, 1'en couragea è contiauer,; elle remercia le" Ciel de la grace qu'elle ea avoit recue pour le vamcre; cc quoiqa'elle fe fee fait une féte de mettre cet habit, elle pnt une ferme réfolution de refte? tran. quille, quand même il feroit gêté touta-fait. Le tailleur revint deux heures après; 1'habit alloic è merveilie, & Emu nn«VttCnidant f? tante fe P'omenoit en long & en large dans une chambre rem- Plie,de 2V,roirs P°ur fe V0I> de tous les cótés. Elle en eut tout le tems, car k tante n'arriva qu'a dix'heures, ce qui procura une nouvelle viftoire a Emilie quj mouroit d'envie de s'impatienter & qui n'en fit rien» £ w La tante avoit un habit de cheval qui. étant fait dès 1'année précédente ble a cóté de celui d'Emilie, & U bonne femme en eut tant de dépi qu'elle étoit préte a en pleur r & comme elle ne pouvoit fe réfoudre k 1 * forti*  i9<5 Ie Magasin fortir avec ccc habit la, elle dit k Emilie: en vérité; ma chère nièce, ii fait uce chaleur infupportable; il n'y a pas moyen d'aller è cheval, Ie Soleil me donneroic un grand mal de tête; ainfi je vais me de*habiiler, & j'irai dans ma cbaife de pofte. Emilie corcut fort bien la véritable ra.fon du changement de fa tante, & Ia raifon lui dit: pourquoi donneroistu du chagrin k cette pauvre femme? Jl eft vrai qu'elle eft une fotte d'être jaloufe de ton habit, mais n'es-tu pas plus fotte qu'elle, d'avoir obligé plufieurs hommes a travailler toute Ia nuit pour fatisfaire la fantaifie que tu avois de i'avoir? L'intérét les a forcés k fai. re le facrifice de leur fomrneil è ton caprice; ia vertu ne pourra-1-elle pas t'obliger k lacrifier ton habit k la jaloufie de ta tante? Tu peux la rendre heureufe a peu de fraix* Emilie docile è Ia voix de la raifon, dit a fa tante: je vais me deshabiller aufil pendant que j'enverrai chercher votre chaife de pofte. Auffi - bien depuis un moment je n'aime plus tant mon habit qui me paroiflbit fi joli ce matin. La couleur du vótre iroit peutêcre mieux a mon vifage. Je voudrois que !  des Adolescente», 157 I que le- mien vous convinc, ja vous I propoferojs de faire un troc. EflayezIe,nos tailles font fembiables, & je crois qu'il vous ira è- merveille. La i| tante confemit de bon cceur è cette FÏÏ?ofin??9 & ^uand eUes furent ba1 billées, Emilie lui dit: oh pour cela I vous garderez cet habit qui femble faic I pour vous. Vous perdriez au change, dit la^ante, cependant je le veux bien, fi cela vous fait plaifir. Aflurément! reprit Emilie % c'eft une chofe canclue! je penforjs plus qu'è déjeüner. La chai! le de pofte arriva pendant ce tems, & la tante qui brüloit d'envie d'être vue avec ce bel habit, dit è Emilie-. ma nièce, il me femble que le tems eft couvert, & qu'il fait un vent qui a rawaichi 1 air; ce vent nous étouffera de 1 poufiiere dans la chaife,- puifque nos chevaux font prêts, ne ferions-nous pas mieux de nous en fervir ? De tout mon cceur, dn Emilie, qui n'en pouvoit plus d impatience, mais qui fe contraienit fi .jDien, que fa tante n en vit rien. Lady Louise. En vérité elle avoit plus de vertu 1 3 que  ïoS Le Magasin que moi, le fang me boult dans les veines feulement d'entendre cela, que feroit - ce fi j'étois obligée de foofFrir quelque chofe de pareil? Mifs Zina. Vous avez trop mauvaife opinion de vous - méme, ma chère, je fuis fure que vous feriez comme Emilie. Après tout, deqaoi étoit-il queftion; d'une bagatelle. Qa'importe d'aller è. pied, è cheval, en caiofie, pourvü qu'on aiile. II me femble qu'on eft fort heureux quand on peut pour fi peu de chofe, donner quelques heures de bon tems aux perfonnes avec lefquelles on vit. II me femble même, que notre propre intérét nous doit engager a le faire: cela met les gens de belle humeur, leur converfation en eft plus agréable, leur efprit plus doux. Si Emilie n'avoit pas eu cette complaifance, elle auroit efluïé tout le long du voyage une bouderie bien défagréable. II me femble qu'elle gagna plus en 1'évitant qu'en mettant fon habit. Mifs  des Adolescentes, J99 Mifs Frivole. Je vous fais ma confefliön, MefdaI mes; je fuis fille jufqu'au bout des ;3 ongles. Un habit neuf eft pour moi j une affaire de conféquence, qui m'ocj cupe plus de huit jours: jogez de Ja I grandeur du facrifice que j'aurois fait fi j'avois été & la place ó'Emilie-? J'avoue pourtant que Mifs Zina a ra'fon, & j'ai fait hier Pexpérience de ce qu'elI le vient de dire, On nous apporta des i mouchoirs de blonde, il y en avoit i un beaucoup plus joli que ies autres, j je me jettai defius en méme tems que I ma fceur, mais je fus plus heureufe qu'elle, car je 1'attrapai. Je vous allure qu'elle en a été fi piqüée, qu'elle m'a cherché quérelle toute la journée ; è propos de rien, & m'a fi fort im1 patientée, que j'ai été tentée vingt fois j de jetter ce maudit mouchoir au feu^ pour qu'il n'en füt plus queftion, Madem. Bonne. Et croyez-vous qu'il n'y eüt rien de mieux a faire? Ce bel expédient auroitil calmé la bile de votre fceur? Qj'en j penfez-vous, ma chère? I 4 Mifs  zoo Ls Magasin Mifs Frivole. Cela 1'eüc fêchée encore davantsge. 11 n'y avoic qu'un moyen de 1'appaifer dont je n'aurois pas voulu me fervir bier pour toute chofe au monde, & que j'empioierai pourtant sujourd'hui s'il plait è Dieu. Je lui ferai préfent de ce moachoir.. Madem Bonne. Voilé ce qui s'appelle metrre la main è 1'ceuvre. Si j'avois è préfent le miroir d'Emilie, vous vous trouveriez embellie de moitié .... Mais Lady Spirituelle vous ne dkes rien, vous êces la toute rcélsncolique. Allons, de la gayeté, ma bonne amie. Dites-moi ce que vous avez remarqué dans cette niftoire ? Lady Spirituelle. La manière délicate qu'Emilie employa pour faire accepter fon habit è fa tante: il femble qu'elle veuilie la difpenfer du foin de Jui en avoir obligation. Je n'ai pas agi comme cela jufqu'è préfent. Quand je cède ou que je I  des A DOLESCRtfTES. 201 je donne quelque chofe, je veux qu'on m'en foit fort obligé. J'étale mon préfent, je le Ioue, j'en fais beaucoup de bruit, & je fais fentir aux gens, que je m'en privé pour 1'amour d'eux aria qu'ils en ayent plus de reconnoMTance. Mudem. Bonne. Savez-vous bien, ma chère, que quand on me fait un préfent de cette forte, je pourrois fort bien le jetter au nez des gens ü j'en croyöis mon courage. II me femble qu'ils me le font acheter trop cher, & il faut me faire beaucoup de violence pour en être reconnoiflante. Mifs Frivole. Voilé précifément ce que j'eufTe faiit, fans la réflexion de■ Lady Spirituelle-; j'en profiterai, & je dirai è ma foeur, que je ne me foucie plus de mon mouchoir. Maderm Bón NE;' Ce feroit tomben d'une' extrêmité ' dans une- autre; ïi eft mal honnête-^e r I 5  101 Le Macasin dire aux gens, je vous donne cela, paree gue je ne m'en foucie plus. Vous avez iurtout une raifon d'en agir au* trement. Mademoifelle votre fceur ne vous aime pas, & charitablement vous ne devez rien épargner pour gagner fon amitié. II faut donalui dire, que vous aimez votre mouchoir, mais que vous aimez encore plus fa fatisfa&ion, & qu'ainfl vous étes charraée d'avoir trouvé 1'occafion de lui faire pkifir en lui facrifiant cette petite bagatelle. Continuez votre hiftoire, Lady Senfée, vous devez en être bien contente, car elle nous fournit d'utiles réflexions. Lady Sensée. Je fuis bien obligée a ces dames de 1'attention qu'elles ont la bonté de donner a cette bagatelle. D'ailleurs, leurs réflexions font la preuve de la folidité de leur efprit plutöt que de la bonté de mon hiftoire. Je continue. Pendant le voyage, Emilie comparoit Ia paix, la joye, la tranquilité dont elle jouifloit, avec Ia peine qu'elle avoic eue a fe reprimer, & elle n'y trouvoit mille comparaifori. J'ai été bien dupe jufqu'è préfent, difoit» elle  des Adolescëntes. 20$ en elle-même; je faifois cönfifter mó*n bonheur, a voir touc ce qui m'envi* ronnoit fe plier è mes gouts; je fens qu'il y a beaucoup plus de fathfa&ion k facrifier quelque chofe pour les autres. On eft heureux de leur bonheur, & ce font deux plaifirs au lieu d'un, Emilie arrivée è la campagne, foutint courageufement la réfolution qu'elle avoit prife, de ne contrarier jamais fa capricieufe tsnte. Vous jugez, Mefdames, par óe que je vous ai dit, de tout ce qu'elle eut a fouffrir pendant un tems fi confidérable. II eft pourtant vrai qu'il n'y euc que le premier mois de pénibie, on s'accoutume k tout; & quand elle revint a la ville, elle fut teótée de croire que fa bonne tankte s'étoit corrigée, tant elle étoit peu fenfible k fes contradiélions ,* elle ne les appercevoit prefque plus. La première chofe qu'elle fit en arrivant chez elle, fut de courir è fon cabinet pour fe voir dans le miroir de ia réflexion. Quelle fut fa joye l le' monfïre avoit difparu, & fon ame étoic d'une beauté éblouïfiante. Au même* moment la raifon lui apparut fous la forme oh elle s'ésok offerte k fes yeu-r3a i -première • fois f W*M * dit: Emïlk'l' ■ I 6 quaéi i  204 Z> Magasin quand on prorite des premières graces, on mérite d'en recevoir de nouvelles. ]e viens pour vous faire préfent d'une bague qui doit afiurer votre repos. Quand vous l'aurcz au doigt, toutes les perfonnes avec lefquelles vous vous trouverez, feront forcées de vous parIer felon leurs penfées, & de vous découvrir le fond de leur cceur. Mais comme cette bague ne peut fervir que deux fois , gardez - la foigneufement pour vous en fervir dans les deux plus importantes affaires de votre vie. En finilTant ces mots U raifon difparut, c'eft - a - dire, qa'Emilic ne la vit plus fous une forme fenfible, mais elIe fentit qu'elle s'étoit retirée au fond de fon cceur, ce qui lui donna beaucoup de joye. Mais la bague ne laifla pas de ïui caufer une aflez grande inquiétude, elle lui devoit fervir dans les deux affaires les plus importantes de fa vie; oq ne lui avoit pas dit qui elles étoient. A la fin elle penfa qu'il n'y avoit rien d'auffi grande conléquence pour elle, que de choifir des amis finGères, & un mari honnête homme; ainfi elle réferva fa bague, pour ces deux occanons. Quelque tems après elle tomba dan»  des Adolescentes. 205 gereufement malade, & comme elle fut réduite k la dernière extrémité, elle fit fon teftament. Sa jeuneffe & fon bon tempérament la fauvèrent; & lorfqu'elle fut entièrement rétablie, elle aflembla toute fa familie & fes amis pour leur donner un grand diner. Tout le monde lui marqaoit fa joye de fon heureux rétablnTement, & les complimens qu'on lui faifoit k cet égard, paroiflbient fi fincères, qu'elle fut tentée de fe réjouïr d'avoir un fi grand nombre de vrais amis. Tout-d'un-coup il lui vinc en penfée, qu'elle ne pouvoit trouver une meilleure occafion de faire ufage de fa bague, puifqu'elle pouvoit lui faire connoitre fi la tendrefle que fes parens & fes amis lui témoiguoient, étoit réelle. Elle la mit donc a fon doigt, & dans le même moment une de fes coufines qui 1'accabloit de careflês, changeant tout ècoup de vifage, lui dit: Si tu avois valu quelque chofe, tu ferois crevée; je 1'efpérois bien & j'attendois Ie moment de ta mort avec impatience, pour devenir la maïtrefie de ces girandoles de diamans . que tu me laifibis par ton tefiament. Etes• vous folie, ma fille, dit la I 7. rnè-  206 Le Mag as in mère de celle qui venoit de parler? A-t-on jamais dit de telles fottifès aux gens? J'avois plus d'envie que vous qu'elle fut crevée, puifqtie fa mort me remettoit eu poflêffion d'une belle terre que- fon père a volé au mien, & qu'elle me laiflbit fans-doutea titre de reftitution; mais je me contente de le penfer, & ea mille ans je ne m'aviferois pas de le dire. Pour moi, dit un autre, je lui ai fouhaité la mort, mais ce n'étoit pas par intérét i elle y avoit mis bon ordre: c'étoit par vangeance. Imaginezvous que; depuis deux mois j'encenfe cette péronelle; j'ai eu la cómplaifance d'applaudir a toutes les impertinances qu'elle difoit, je me fuis fait Ie martir de fes volontés les plus fantasques dansTefpérance d'en tirer quelque chofe: cependant elle ne me laiflbit que cent piftoles; favez-vous bien que fi on comptoit exaftement, il n'y auroit pas un fol pour chaque menfonge que j'ai fait en la louant. Je ne finirois pas, Mefdames, fi je vous raconcois tous les difcours de ces faux amis; qu'il vous fuffife de favoir qtfEmilie fut convaincue5 que tous ces gens a belles démonftratioss s'étoient  des Adolescent es. 207 moqués d'elle, ou que tout au plus, ils ne 1'avoient aimée que par intérét. II ne reftoit plus que la tante avec laquelle Emilie avoit été a la campagne, & fa belle fceur Eiianêe. Pour moi, dit la première, la bague que ma nièce me laiUcit ne m'eüt pas confblée de fa mort; c'eft une bonne enfant qui a eu mille complaifances pour moi. Elle m'a même fait préfent de fon habit de cheval paree qu'elle voyoit que j'avois une vraie jaloufie de" ce qu'elie étoit mieux mife que moi, & elle eut la générofité de ne pas faire femblant de s'en appercevoir. Ces chofes-la ne s'oubliect point, & gagnent le coeur, elle s'eft tellement emparée du mien par ce bon procédé, que je lui JaiiTe tout mon bien par mon teftament , & que je fouhaite bien fincèrement qu'elle en jouïfle longtems. II eft vrai que je veux tenir la chofe fecrête. Chacune de mes nièces croit être mon héritiere, & par cet efpoir elles me font foumifés & ont mille complaifances pour moi dont je me moque, paree que je connois leur intemion. Elles feront bien attrapées k ma mort3 Je fouhaiterois de reflusciter feulement- pour vingt-quatre heures; afiii  a©8 Le M A G A S IN afin de pouvoir me divertir de la grimace qu'elles feront. Hélas! dit Eliante, je vous fais bon gré, ma chère tante, de vous être attachée è Emilie; je vous allure qu'elle le mérite dans le fond, quoiqu'elie foit fort impertinente. Ses vices ont été nourris par toutes ces pécores que vous voyez ici, ce font elles qui m'ont brouillée avec cette chère fceur que j'aime plus que ma vie. Je 1'aurois donnée de bon cceur pour fauver la fierne, quoiqu'elie m'eüt donné la moicié de fon bien. J'y renonce de bon cceur & je facrifierois même le peu que je polfède, pour qu'elle pilt payer mon attachement de fon amkié, mais j'aurai beau faire, elle ne m'aimera jimais, paree que je ne pourrai jamais me réfoudre a la flatter. Emilie fe leva, & courut embraffer fa fceur & fa tante avec tranfport. Elle alloit leur téaioigner combien elle étoitfenfibleaux fentimensqu'ellesa voient pour elle, lorfqu'une femme-de chambre qui avoit befoin de quelque chofe dans la chambre, y entra, & ne pouvant fe défendre de la vertu de la bague , elle dit a fa maïtrefle: Made-  des Adolescentes. *oq moifelle, je vous fais compliment fur votre convalëfcence. C'eft de bon cceur au moim. Si cela fut arrivé il y a fix. mois, c'eüt été toute autre cbole, je vous fouhaitois alors üx pied* fous terre, car vous étiez méchaote comme un démon. Aujourd'hui vous êtes davenue fi bonne & fi douce, que nous avons tous pleuré votre perte, depuis moi jufqu'au plus petit laquais. II eft tems de finir cette fcène, dit Emilie-* en remettant fa bague dans fa pcche, je fais a préfent è quoi men tenir fur le chapitre de mes amis. Aulütöt que cette bague fatale fut re lletree, toute la compagnie fe trouva dans une confufion inexprimable. Chacun etoit furpris des extravagantes vérités quil avoit dites, & de celles qu'avoient dites les autres; enfin ne pouvant lupporter la vue d'Emilie, ils fortirent 1 un après 1'autre-, fans ofer prononcer un feul mot. Madem. Bonne, Eh bien, Mesdames, fi j'avois une pareille bague, n'y en auroit-il pas quelques-unes de vous qui fe fauveroient bien * vite, crainte de trop parler ? Je badi-  sio Le Magasin badine au moins, je n'ai que faire de la bague pour connoitre ce qui fe pasfe dans vos cceurs. Mifs Sopbie, quelle impreflion a faite fur Je vótre, ce que Lady Senfie vient de dire? Mifs Sophie. J'apprendrai a conöoitre mes vrais amis, & je n'oublierai jamais qu'il ne faut pas les chercher parmi les oerfonnes qui nous flattent, Je prees auflïlaréfolution de fupporter la mauvaife humeur d'une certaine perfonne que vous favez, cela m'accoutumera a la patience, Mifs Frivole. Et moi je veux m'attacher h trionv phér de la haine de ma fceur: j'avoue que je me Ja fuis attirée par ma faute; je Ia raille fouvent, je 1'obftine au lieu de lui donner bon exemple, comme j'y fuis obligée en qualité de fon ainée. Lady Louise. Si jamais j'ai fouhaicé quelque chofe, ce feroic une telle bague. Quel plaiör de  des Adolescentes. 211 de démafquer les hypocrites, les flatteurs, les faux amis, les méchans! Lady Lucie.^ Pour moi je la refuferois fi on youloic m'en faire préfent, & fi jetoia obligée de 1'accepter, je ne men iervirois que dans les deux occaüons 00 1'on fuppofe qü'Emilie s'en eft fervie. Madem. Bonne. Je fais de votre fentiment, Madame. Une telle bague feroit toute propre a me rendre mifantrope. J'aimerois mieux une bague qui me découvriroit les bonnes qualités des hommes, que leurs défauts; je n'appercois que trop, bien fouvent, des chofes qui m'empêchent de les eftimer & de les aimer autant que je voudrois. II me femble même qu'ils affeftent de fe montrer pour la plüpart auffi au naturel que les parentes & les amies d'Emilie, Lady Louise. En vérité, ma chère, je ne me fuis jamais appergue de cela, vous me fe-  212 Ls Ma ga sin riez cm're que vous n'avez jamais vu de bonne compagnie. Mifs C hampet re. je dirois volocters comme ma Bonne. Expliquons cela. Ceia eft bientót dit, la bonne compagnie. Entendezvous par la, Madame, celle oh 1'on troove de beaux parJeurs, des ^ens a. nouvelles, des perfonnes amufantes, agréables? Oh je coondis beaucoup de cette bonne compagnie ]k, mais ce n'eft pas la ce que j'eniens par bonne compagnie. J'ai vu quelquefois une dame arriverdans uncercle, tout le monde la fétoit. Vous avez lè une robe de bon goüt, lui difoit i'une, elle vous lied km merveiJle. Pour moi, difoit 1'autre; j'admire votre coefFure; vous ne devriez jamais mettre de poudre, Ja f rifure en brun vous va è merveille. Cette pauvre dame charmée d'avoir fait pendant un quart - d'heure 1'admiration d'un eerde, fe hatoit d'aller dans un autre recueillir de nouvelles louanges; pauvre fotte! j'aurois bien voulu qu'elle eüt été cachée dans un coin pour entendre ce qui fe difoit aufïïtót qu'elle avoit les talons tournés. Véritablement,  des Adolescentes. 213 ment, difoic une dame d'un air malin, 1'étofFe de Milady eft de bon goüt; mais eDtre nous elle n'eft pa* d'un &ge è porter des coüleurs fi éclatan* tes; elie croit fe donner par Ja un air de jeuneiTe, comme fi tout Ie monde ne favoit pas qu'elle pafte cinquante ans. C'eft domage qu'elle ait ce ridicule , car dans ie fond c'eft une bonne femme. J'admire, difoit 1'autre, la fureur qu'elle a de fe mettre en ha« bit troufTé; Ü faut avoir une taille bien parfaite pour foutenir cela; que ne porte t • elle des robes è la Frarcnife, cela lui conviendroit davantage, & épargneroit Ia peine è fa couturière de lui garnir fes habits d'un cóté, ce qui ne fe peut faire fi aifément que tout le monde ne s'en appercoive. Je vais vous confier un fecrèt, dit une troifième. Elle m'a beaucoup vanté les mantilles, & fi je 1'euiïe cru, j'en euflTe amené la mode pour 1'autorifer i s'en fervir; mais Dieu merci, je n'ai pas befoin de cela. Laifièz - I a fa bosfe, dit une quatrième, & parions de fa coeffure; elle n'a point de front, & paffe Ia moitié de la matinée è s'arracher les cheveux pour s'en faire un. Cela ne réuffic pas, on découvxe fon tra-  214 Le Magasin travaü, cela fe verroit moins fi elle mettoic de la poudre, & elle le devroit d'autant mieux qu'elle a les yeux fort rudes, & que fa peau ne pêche pas pour être trop blanche. Et bien, Lady Louife, s'entretienton autrement dans les bonnes compagnies que vous fréquentez? N'ai-je pas raifon de vous dire que ces gens - la n'ont pas befoin de bague, ni d'être mis a Ja queftioa pour découvrir toute Ia malignité de leur cceur? Ce qu'il y a de fïngulier, c'eft que ces dames furent k peine forties, qu'elles devinrent è leur tour Ie fujet de la converfation. L3 dame a la mantille étoit aveugle* puifqu'elle ne s'appercevoit pas qu'elle étoit de travers; 1'autre étoit trop médifante pour étre méthodifte. Celle qui blèmoit la manière de vouloir paroitre jeune, cachoit au moins dix de fes années. En dis.je trop, Madame, & n'avez-vous pas vu vingt fois I3 répétition de cette fcène* Lady Louise; Je 1'avoue, & ce qu'il y a de fingulier, c'eft qu'è force d'entendre ces difcours, ils ne me fcandalifeat plus. On  dit Abolescentes. aiy On diroit prefque comme une certaine perfonne: il-faut bien fe moquer, médire, car fans cela on mourroic d'ennui, mais il faut le faire avec plus de modération. Je n'en dirai pas davantage, car ji nous refte k favoir une autre fcène de la bague, je fuis trés irppatiente de Tentendre; ainfi je prie Lady Senfée d'avoir la bonté de continuer. Lady Lücie. Permettez moi auparavant, ma Bonne. de vous dire que je trouve Je fort d'É. mihe fort k plaindre. Comment, dans ce grand nombre de perfonnes, elle n« peut trouver qu'une amie? C'eft bien peu ce me femble, elle fut donc réduite k s enfermer avec cette fceur & fa tante car il n y avoit pas moyen d'avoir aucun commerce avec tous ces maiheureux aui avoient fouhaité fa mort. 4 Madem. Bonne. re, Cc Ion eft fort heureux quaod on peut en rencontrer une dan? tout °e cours de fa vie; cela n'empéche pas qu'on  2iö ht Mag as in qu'on ne puiflTe vivre avec d'autres per\ fonnes. On peut avoir outre une amie, des connoiffances, des- liaifons, foiE de voifinage, de parenté ou de bienfén ance. Ii faut rendre a ces fortes d'amis tous ies devoïrs que ia politefle & 1'hun manité exigent, on doit avoir pour eux une forte eaucoup, & fur la fin du jour Emilie :ommenga fon épreuve. Le premier qui en refiêntit Ie pouroir fut'un jeune marquis de la plus elle figure qu'on puiflè imaginer. Bel : Emilie, lui dicil, favez - vous bien ue je commence a m'impatienter de 1 coroédie que je joue auprès de vous? Tom, IK K Ê  218 Le Magasïêc II y a öï mois que j'amufe mes crèanciers de Pespéranee de notre mariage; ils comptent fur votre argent pour être payés; déterminez - vous donc, il n'eft pas honnête de les faire atteadre fi longtems, & vous ma devez quelque rcconnoiflance pour m'étre asfujetti depuis un an, k remplir le role d'amoureux tranfi. Un oui ou un noo, s'il vous plait, afin que je puifTe prendre un parti, & chercher ure autre dupe, fi vous ne voulez pas être la raicnne, je fuis Dieu merci d'une figure a n'en pas manquer. Je vous fóüfe'dite bonne chasce, dit Emilie en riant. Et vous , chevalier , fouhaicez-vous aufli de m'époufer pour avoir de quoi payer vos dettes? Tout au concraire, répondit le chevalier; le feul nom d'un créancier me donne la fièvre , & je hais mortellen ment les dettes. \ C'eft pour cela que je file le parfait amour auprès de vous; car enfin j'aime la dépenfe, les grand» airs, & je fuis le plus gueux.des cadets de Gascogne; vous voyez bien qu'il ne m'eft pas pofiible d'accorder ma répugnance pour les dettes & mon goüt pour ie fafte, k moins que je n'epouse une riche hérkière. Mon bonheur ■  des ABOLEscfiNrEs. 2ï> beur; Wut que je Ia trouvé en vous qui joignez è une grande fortune une ngure.pa/fabie; j'ai donc raifon de vous prciTer de me donner la préférence fur ces Meffieurs qui D'ont pas de fi bonnes raifons de vouloir vous époufsr cue A peine celui-Ia eut-il fioi de parler qu un jeune magiftrat nommé Oronte f mitrh parole. Le cceur éEmi* lie battic alors avec violence,• c'étoit de tous fes adorateurs < celui auquel elJe eut donné la préférence, IS elle elk écouté que fon penchant. Et elle trembloit quil n'eut en la recherchant, de* motifs aulfi inéignes que les autres. Belle Emilie, lui dit.il, d'un aic ?2 i u& r?fPc^eux, li mos cceur eac ete Jibre lorsque je vous vis pour las première fois, il vous eüt fans douta adorée, mais j'en avois difpofé avacg de vous connoitre. L'amour le plus* tendre & le plus couftant m'attacha & votre fceur Eliante; elle répond k nm tendreffe, & ja mort feule fera caw pable de bnfer les noeuds qui nous unis* Et pourquoi, lui dit Emilie un peu emue, feigniez *vou$ de vouloir ro'épouler pmsque vous aimiez ma fceur? J K 2 -par.  220 Le Macasim Pirdonnez cette feinte k un amant réduit au défespoir, répondit - il. Un père barbare m'a contraint i vous adrefler mes vceax; j'ai toujours espéré que mon peu de mérite, & le peu de vivacité de mes fentimens , vous porteroient a me donner 1'exclufion* J'ai feint, paree que voulant lui cacher 1'objet de ma tendrefle, & ne pouvant mé priver de la vue d1'Eliante, il ne me reftoit d'autre lieu oii je la pufle voir que chez - vous- As-tu le fmscommun, dit le père de ce jeune homme en 1'interrompant ? Tu polTede déja de grands biens, & loin de chercher k les doubler en époufant une femme riche , tu t'avife de facrifiér ta fortune k une figure qui te plait aujourd'hui, & qui te déplaira fürement fix mois après la noce; paree que tu te rappelleras alors Ia fottife qu'elle t'aura fait faire. Pour étre heureux dans Ia vie, apprens qu'il ne faut que beaucoup d'argent; avec cela on achette des plaifirs, des honneurs, de la réputation & du mérite. Mais, Monüeur, dit Emilie, je ne fuis pas plas riche que ma fceur Eliante, & mon deflein eft de partager mi fortune avec elle, ü vous voulez don-  des A D OLESCENTIS. lil dcnner votre confentement è fon rcariage avec votre fils. J'acheterai volonfiers è ce prix Ie bocHeur de ma fceur, öt d uo homme que je me croirai trop tortunée d'avoir pour ami. Je roe trompe fort, ou ce n'eft point la beauté de ma fceur qui a fait naitre chez lui Ie violent amour dont il brüle pour Vous me rendez juftice, répondit Ie jeune roagiftrat. Ce font les vertus d'Ü *i^^^u,„ra,?Dgageroient a préférer fa main a celle d'une grande Reine. Discours de roman , répondit le nèremais enfin, puïsqü'Emilie eft affez dupe pour fe dépouiller è moiüé en ft. 2ï„ÏSrCe fera fottife Cfl ^ufant ta IHKtf* Je/ef0,s eDC°repïus content " ïmlhe vouloit nous promettre de ne point fe marier, & te déclarer héritier de Ja moitié qu'elle fe réferve. t#üi^m,y' 0PP?fe> dié na aomroe de trente ans, qui .avoit une fort belle Cï réiené. fi Vous voulez ac- cep er ma main, nous ferons ces deu* manages enfemble. II ^v0ilècinn ofrUit DOUvean/ dit Emilie, 1 ya C1D(J ans que nous nous connoisK 3 fons,  222 Le Magafïn fons, & je ce vous ai jamais remarqué aucun empreflernent pour moi, vous m'avez même foliicité il n'y a pas longteacs en faveur de celui qui va devc jair 1'époux ó'ElUmte.- Emilie, répondit dc cavalier, je vais vous faire un mauvais compliment, j'en fais bies fèché; mais foi d'horatne d'bonnesr je ne faurois m'en empêcher, «ion cceur vient malgré moi fur mes Jèvres. Vous étes belle, & vous le favez bien: vous n'ignorez pas non plus que vous as/ez tout ce qu'il faut pour faire une fille öccomplie; je connus tout ceïsl au moment oü je vous vis pour la première foit, & je devins amoureux de vous jusqu'a la folie. Heureufement pour moi, je me fuis habitué des ma leunefFe a confulter ma raifon plutót 2ue mes goücs, & voici ce qu'elle me it: Emilie eft ftns contredit une fille airaable, cela fufiiroit pour une maïtrefte; il faut autre chofe pour une époufe, & 1'on a befoin pour cela d'une perlöane eftimable, Emilie 1'eftt-elle? Tu n'en fais rien, il faut donc I'examiner, & cn attendant, cach?.r foigoeufemet ton arcoar car fi elle pouvoit le foupconner, elle fe con train-.  des Adolescente*. 223 tfaindroit peut. être, 6: éviteroit de fe mqrtfer telle qu'elle eft. Voilé1 ce que me dit Ia raifon, & je ruws fon conftil. Vous ne gagnates pas a cet examen, je vous trouvai coquerte, capricieufe, orgueilleufe, opiDiarre. Ces belles découvertes étouffèrent mon amour; cependant il me resta pour vous un goüt que je ne pus vaincre; je fouhaitois paffionnement de devenir votre ami, & de gagner votre confiance pour être en état de vous oavnr les yeux fur-vos défauts. Vous favez que je 1'elTayai, & vous devez vous fouvenir aue je fus fort mal re£alais. r ' Son père mourut, & comme s'il eue pu prévoir lextravagance. de fa fille, il fit un teftament par Iequel il lui jajs! foit trois mille pièces, a condition qu'elle ne fe maneroit que du confentemenc de fes tuteurs & de fa mère. U y avoit proche de fa maifon une éelife ou chapelle, oh les païfans fe raiTern! bloient pour chanter des pfeaumes. EI- lui plüt, & découvnt que celui qui chantoit fi bien a fon eré, étoit un viIct de paifan d'une fifure' p fraaie* mais d'une ftupidité furprenante Elll irouva moyen de lui parler, ^'.forma K-7: Ie  Lt Macasih le beau projet de 1'époufer, fe faifant une peinture délicieufe de la vie charapêcre qu'elle méneroit avee lui. Sur ces entrefaites la mère de Betfi la meca è Londres, & comme ëüe étoic fort aimable, un homme riche en deviot amoureus, la demanda en manage & 1'obtint. Tout étoit prêt a conclure, loifque notre folie, qui croyoit que ce dernier trait 1'égaleroit aux héroïnes qu'elle avoit admirées, demanda un entretien particulier a fon futur , & lui dit: Monfieur, 1'eftime que vous m'avez infpirée m'a fait croire que je ce risquois rien en vous ouvrant mon ceein }'ai depuis longtems une incliBation,& je me fais un fcrupule de vous époafer dans le tems que j eo aime un autre. j'efpère donc que vous voudrez bien rompre notre manage, fans que je paroilTe y avoir donne lieu, vous me rendrez un fervice que je n'oublierai de ma vie0 . Un honnête homme a bientót pns fon pani en pareilie rencontre: le mariège fut Tompu fans que la mère de Betfi put foupgonner d'y avoir part. EUe la ramena a la campagne cu quelques mois après elle époufa fon païian 9 & par-la fe vit deshéricé». Sa mere  éts Adolescentes. 231 après avoir éte prête a en mourir de défespoir, lui a pardocné, & a fait tous fes ifforts pour mectre fon gendre en état de faire cuelque chofe el le n'a pu réuflir t.int'il eft borné' & tout ce que fa femme a pu faire, eft de lui appreudre a lire. 11 eft è préfent chartier, & gagQe ftpt fchelins la femaiEe. La pauvre mcre fe privanc dune partie de fon cécefTaire, les aide a fubfilter, mais cette refiource ne leur reftera pas lorgtems, le chagrin la coniume, & fa malheureufe fille aura bien tót fa mort è fe reprocher. Mifs Chimpetre. Cette fille étoit folie, & un tel malheur neft a camdre que pour celles qui le deviendront. * Madem. Bonne. II y a de deux f0-tes de folie, ma chère, 1 une qui fait perdre eDtièrement refprit, & c'eft peut-être |a™. funefte comme la pius rare. I'autre qui trouble Ia raifon, & celle.\h ml ve toutes les fois qu'on fe laifie posieder par une pafilon violente. C'eft d$. -,  TT a32 L* Macasih* de cette forte de folie que vous deve* vous garder. Combien de femmes qui palTent pour avoir du bon-fens, font de plus grandes folies que Mifs Betfil Lady Louise. Eft-ce qü'il eft poffible d'en faire une plus grande que celle d'époufer un i tel homme? Madem. Bonne! Oui, Madame; celle qui malgré fes? parens époufe un joueur, un débauché, un homme fans mceurs, fait fans contredit un phis mauvais mariage que cette fille; fon mari eft une béte, un miférable du cöté de la fortune, mais on dit qu'il eft honnête homme & quil la refpede beaucoup, Eile eft fans contredit moins malheureufe avec lui quavec un homme de mauvaifes mceurs. II eft tems dé nous féparer, Mesdames, notre lecon a été beaucoup plus' longue 4&'a rordinaifto>  des Adolesc-tntes. 233 XXXII. D I A L O G U Madem* Bonnï. NOUS voici parvenues, MePdamer," è 1'hiftoire du Nouveau Teftament. Redoublez, je vous en conjure, votre refpect. & votre attention. Ce ne font plus les prophètes dont Dfeu va fe fervir pour nous enfeigner fes faintes volontés; c'eft fon propre Fils qui fe fait homme pour devenir notre Sauveur, notre Maltre & notre Dotteur. Prionsle de parler a nos cceurs, tandis que fa divine parole frappera nos oreiP les. Lady Mary t c'eft a vous de commencer. Lady Mary; II y avoit une fille nommée Marït qui étoit extrêmement douce, la men> leure qu'il y eut jamais eue. C'étoit une fille de grande qualité, puijqu'elle étoit de la familie de David; cependant elle étoie extrêmement pauvre? G étoit la coutume chez te Juifs, que les  234 Le Mac as in ]es filles époufaflent leurs parens. A'nQ Jofepb qui étoic de la familie de £*. vti comme Marie, & qui n'étoit pas plus riche qu'elle, 1'époufa. II étoit charpentier de fon métier, & après 1 avoir époufée, il la lailTa quelque tems chez fes parens; 1'Evaogile n'en cit pas la raifon, peut-être étoit-ce paree qu'elle étoit fort jeune. Un jour que Marie priort Dieu dans fa chimbre, elle vit un ange qui lui dit: Je vous falue pkins de grace, le Seigneur ejt avec vous. Marie fut troublée & ex4minoit en elle-même ce que vouloit duecetie falutauon L'ange ajouta; /V ayez -.point de peur, Marie, car vous avez trouvé grace devant Dieu. Vous -aurez un fils, auquel vous donnerez k nom de Jëfus. Jl fera grand, & fe* ra appelli le Fils du Très-baut, fi? le Seigneur. Dieu lui donnera le tróne de D.Yid fon père, il rêgnera éternelle* ment fur la maifon de Jacob, £f fon fhgne n'aura point de fin. Alors Marie dit è l'ange: comment cela fe fera t*il, car je ne demeure point avec mon mari ? L'ange lui répondit: Le Saint• Ef prit furviendra en vous, & la vertu du Très^baut vous couvrira de fon om- bre.  des Adolescente?. 235 bre. Ceft pourquoi le Fi?s qui naüra ae vous, fera appellé le fils de Dieu. Je vous annonce aujji que votre cou» Jme Ehfabeth qui ejt fort vieille, au- Dieu71 ^5 ^ 9 im$°flïble * Alors Marie dit; Jè fuis la fervante du Seigneur, qu'il me foit fait feIon votre parole; & l'ange fe retira. Madem. Bonne, Faifons quelques réflexions fur eette Mtoire, Mefdames. La feconde perfonne de la Sainte Trinité voulant fe faire homme, fe choifit une mère. Ce neft point parmi les reines ou parmi les nches qu'il la choifit. II eft vrai que Marie étoit du fang royal, maia fon état n'cn n'eft pas moins obfeur. Large ne lui dit pas: je vous falue paree que vous ét es de la familie de Vavid, paree que vous étes belle. Tous ces avantages font comme du fumier aux yeux de Dieu & des anges. II la Jalue pleine de grace, c'eft. è * dire s pleine damour de Dieu, de douceur, de charjté, de modeftie, en un mot de toutes les vertu?. Voilé les feu Is vrais biens, les feuls dont Dieu faite c€s 9 .  n 23G Le Ma ga sim cas, les feuls qu'il accorde è fa mère & a ceux qu'il aime. Nous fommes: donc bien aveugles quand nous eflimonsi d'autres biens que ceux-la: quand nous facrifïons Ces vrais biens pour acquérir les richeiTes, la réputation, & les autres avantages frivoles qu'on eftime tant dans le monde. Laiy Lucie; Je vous prie, ma Bonne, pourquoii Marie fut «elle troublée a la vue de l'ange? Madem. Bonne.- Dans tous les endroits dé la Sainte Eeriture, elle ne donne pas lés motifs dé faits qu'elle avance, nous ne pöuvons en parler que par conjectures, Voici , je crois, celles qu'on peut faire fur le trouble de Marie. Elle fe voit feule avec un ange fous la figure d'un homme , & il lui donne des louanges. II n'en faloit pas d'avantage pour troubler & efFrayer une fille fage & modefte., En cela, Mefdames, elle donne une: excellente legon aux jeunes filles. Les 1 louanges des hommes lui font fufpec- tesj  des Adolescente*. 237 I tes, & elle craint toujours que ceux 1 qui débuteet avec elle par Ja flatterie, 1 ne cherchent a la tromper. - Continuez i Mifs Molly. I Mifs Molly. II y avoit un Prêtre du Seigneur, nnommé'Zacbarie, qui, craignoit le Seigneur auffi - bien que fa femme Elifabetb. JIs n'avoient point d'enfans, & il n'espéroient point d'en avoir paree l qu'ils étoient avancés en Ége. Un jour que Zacbaris ofiroit de Pencens au Sei gneur, & que le peuple étoit debors felon la coutume, il vit un ange k cóté de 1'aucel, qui lui dit, qu'il auroit j. »n fils qui feroit le Précurfeur du Mesyfte, c'eft - è - dire , qui viendroit anj noncer Ia nailTance de Jéfas, & en méme tems il lui commanda de Ie nom5mer Jean. Zacbarie dit è l'ange: comj ment cela arrivera • t • il, car je fuis ■ vieux auffi-bien que ma femme? parI ce que vous avez douté, lui dit 1'anke, vous demeurerez muet jusou'è la 'i jaiflance de ce fils. * j .Cependant le peuple qui étoit debors iiftoit fort étonné de ce que Zacbarie j cfioit fi Jorgtems, & il Ie fut bien > da»  238 Ls Macasih davantage en voyant qu'il étoit deven i muet, & qu'il faifoit entendre par {kne qu'il avoit eu une vifipn. H retour na chez lui & fa femme devlnt gros* fe. Marie a qui l'ange avoit déclaré Ia RroflefTe de fa coufine Elifabetb, traverfa les montagnes de Judée pour lui rendre vifite & fe réjouïr avec ellc^ Auflicót que Marie qui portoit dans, fon fein le Sauveur du monde, parut; devant Elifabetb, fon enfant treflaillic dans fon fein, & elle fut remplie du Saint-Esprit. Ec élevans fa voix elle s'écra, z[ Vous étes bénie entre toutes les remmes, & le fruit de vos entrailles eft béni. Et d'oh me vient ce bonheur, que Ia mère de mon Dieu vienne vers* moi? Car votre voix n'a pas plutoi; frappé men oreille, que mon enfaat a treffailli de joye dans mon fein. Et vous êces bienheureufe d'avoir cru, paree que ce qui vous a été dit de la part du Seigneur, fera accomplie. Alors Marie dit ces belles paroles: Mon ame magniSe le Seigneur, & mom esprit eft ravie de joye en Dieu mon Sauveur: paree qu'il a regardé la bas-i feffe de fa fervaote, & déformais je ferai  des Adolescente. ftrai appellée bietheureufc dam la M tê de tous Jes fiècles. U1" \ fesC35ui «i^ft-T deJ^ndes cho-, iuj qui eit Tout-punTact & do „„; pand dr dge en age fur ceux aui le c . » f depïoyé ia force de fon t ? dans les penfées de leur fceur gji i 9 élevé les petitp. 1! a remnli h» i? ceux qui éfoient affarnésfft b £ïé fvu'de' ceux qui étoient riche"' 1 éiact fouvenu de fa miléricorde n ' »n en fa proieftion Israël fen fe vi :eur, feioo Ia promeflè qu'il fi» i" )os peres, è Abraham &\ ft*P£{ four jamais. (-onente to,/ef°reiivi'011 trois ffioisavec Ktéma|a!nf0,tej 6lie *n retou»» Bonne. f & enceadu p!ufie„'rsqfoisTn llcsV^Xodui^neTie.*- Moa  44© Le Magasih Mon ame glorifïe !e Seigneur, & mon esprit eft ravie de joye en Dieu mon Sauveer. . t _ Q ;e penfez vous de ces paroles, Lsa- dy Lucie ? Lady LuciBo Que ce n'eft qu'en glorifiant Ie Seigneur qu'on peut être ravi de joye. Madem. Bonne. i .Lady Louïfe, vous voyez que la plus grande piété n'empöche pas d être heufeufe. Etre ravie de joye, ceftpoiTéder 1'excès, le dernier degré du bonheur , & on le poffédera toujours k proportion du degré de fa piété & de fes vertus. Continuons. . _ _ . Paree qu'il a regardé ra baflelTe de fe fervante, & déformais je ferai apvellée bienheureufe dans la fuite de tous fes Gècles, car il a fait en moi de grandes chofes, &c. Que penfez vous de ces paroles, Lady Louife 1 Lady Louise. je remarque, ce me femble, un des • ca*  des Adolescente». caraclères de la vraye piété qui eft rhumilieé. Marie devenu mère de (V Dieu, fe rappelle fa baflefle, & raoporte au Seigneur coufes les grandes chofes qu'il a faites en elle. Madem. Bonne. La réflexoin eft hieiD jufte. La pierrede touche de Ia vertu eft i'humiJite, Ja baflj opicion de foi-rcéne Donnez-moi une perfonne qui donoé tout fon bren aux pauvres, qui Daffc fes jours en prières & en bonnes cea vres, qui falie méme des rniracles ar>* parens; fl elle a bonne opinioo d'elle ffiéae.0 elle ofe fe préfeier zux lt' tres,, je dirai hardimcnt, c'eft une hv" ppcnte, une ftulTe dévote, fa ryiéJé n eft point véritable. p l6 Lady Spirituelle. Mais,,ma Bonne, fuppoftz cu'urj* f '£Te uf01t vra^ent venueufe Q?^*? le. fafle beaucoup de bonnes ceuvres eüe ce peut pas s'empécher de Je f*' voir, & we penfcr qu'elle eft Hlen re que les voleurs \ Jes autre? de raauvaife vie. &CDS Tem, IK L a/j  24- Le Magasin Madem* Bonne. Si cette perfonne eft vraiment vertueufe , elle dira comme Marie: Le Seigneur a fait en moi de grandes chofes, Je vous 1'ai déja die, Mesdames , & je ne ceffe pas de le répéter. On ne peut fans .folie avoir de la vanité , paree que tout ce qu'il y a de bien en nous, vient de Dieu. Si le voleur, la femme de mauvaife vie3 avoient eu vos lumières, votre éducation, peutêtre en auroient.ils profité davantage. Avec cette penfée, Mesdames, nous nous garderoDs bien de méprifer perfonne: & fi nous pouvons agir fur caprincipe, nous trouverons qu'il n'eft perfonne, qui n'ait droic a quelques égards de notre part. Que la fociété feroit douce, fi chacun pouvoit y apporter ces dispofitions! Continuons. La miférlcorde du Seigneur fe répand d'ège en Sge fur ceux qui le craigoent. II a déployé la force de fon bras. 11 a diflipé ceux qui s'élevoient d'orgueil dans les penfées de leur cceur. Que penfez - vous de ces paroles, Lady Spirituelle? Lidy  des Adolescentes. 243 Lady Spirituelle. je les trouve vraiment erTrayantes nour uce orgueiileafe comme moi. Qn dï roie que Dieu n'eft plu$ miféricordieux quand il eft queftion de Torgueil. n déploye Ia force de fon bras pour disfiper ceux qui s'élèvem, è peu-prés u°T*an diffipe de Ja P°affiè^ dost Jl ne refte aucune tracé, Madem. Bonne. Vous avez raifon, ma chère. Dien paroit fe plaire k écrafer les foperbes La fuite du cantique de Marie le fai> voir encore plus clairement. II a'awaché les grands de leur tróne . il ■élevé les petits. II a retnpli di biens ceur qui étoient affamésf & il chét? VUMeS CCUZ qui étoicm ti' Lady Sensée; ' C'eft une bonne place que Ia pousfiere aux yeux du Seigneur, Geux qui s y üennent, qui ont toujours leur néfnD^&Jei? Pouffière ^vant les yeux, lont élevés par le Tout. pniflanc, & L a 0 m\s  244 Le Mag as in mis en place des riches orgueiileux qu'il apache de leur uóne, de leur grandeur & de leur abondance. Lady Louise. Mon Dieu, ma Bonne , quellc différeace des maximes du monde dans lesquelles on nous éiève, & des maximes de TEvangilel Confervez votre rang, fouvenez- vous que vous avez un tftre, que vous êtes riche, que vous ferez une grande figure dans Ie monde Ces maximes nous inünuent imperceptiblement que le bonheur eft de fe voir fur la tête des autres, & 1'on n'eft en füreié qu'en fe raprochant de fon céant* Madem. Bonne, Oui, Mesdames, c'eft vraiment la notre place , ce qui n'empeche pas que chacune de voas ne doivc remplir les bienféinces de 1'état dans lequel la Provideace 1'a placée; auffi le St Esprit ne parle que de ceux qui s'élèvent dans leur cceur. C'tft ik oh il faut travailler. Continuez 1'Hiftoire de 7,acbme, Lady Cbarlotte. Lady  des A dolescentes, 24-7 Lady Charlotte. Elifabetb accoucha d'un eis, & tous les parens aïaot appris les graces que Dieu lui avois faites, s'en réjouïrent avec elle, & quand il fut circoncis , ils vouJoient le nommer comme fon pére, mais Elijabetb- leur dit, il faut Je nommer Jean. Pourquoi, lui diton, lui doneer un nom que perfonne ne porte dans Ja familie? Ha deroandèrent par figoe è Zacbarie quel nom H. falloit donner a cet enfant? il écrivit fur des.taWettes: il doit être nom*né jeany ce qur fürprit^les parens. -Au même. tems fa bouche s'ouvrit, & H pronone* un beau cantiqu*, oh après cé Je Meffie. promis, fl foMftfee que fu |es, f]OI™es le fervent dan* la fa%. teté & la joftice, en fe tenant e» la fear Dvf. tOUS? Ies i^s de nSl^ï 11 aJ0U£a enru»e: et vous Dhète dunT r°us4ferez *PP*M Ie prophéte du Trés - haut, car vous mar- Sria^ la face du Scféneur pour im.préparer fes voyes, pour'doneer i %° l* conLlfance^T^: Sé2hA 1n°b|,Cnne 18 rem ffi0D de fe* pechés, par les entrailles de ia miféri- k 3 corde  246 Le M a G a 8 1 w corde de Dieu qui a fait que ce SoJeil levant nous eft venu viOter d'enhaut, pour. éciairer ceux qui font daas les ténèbres & dans Tombre de ia mort-, & pour conduire nos pieds dans ie chemin de la paix.. Or Tenfanï croiflbit cc fe fortifioit en espris, & il demeura dans lus déferts jusqu'au jour oü il devoit paroitie devant les enfans d'israël. Modem, Bokks. . li \ ai X v> y.'i ê Ki'i~ i. ^ -i ).-!fi1 li Remarqaez, rnes enfans , que le St» Esprit ne fe laffe point de nous incul* quer les feminiens de notre mifére & de notre foiblefle. Nous fommes comme des enfans quand il s'agit de marcher dan» les voyes de la juftice, il faut que le Seigneur conduife nos pieds. Mifs Belotte. Perraettez-moi ma Bonne, de vous faire une queftion. Pourquoi Zacbarie adreffoit * il la parole a ion rils, ne favoit-il pas bien qu'un enfant de huit jours ne pouvoit Tentendre ?. Madem.  des Adolescentes. 247 Madem.- Bonne; Avez «vous oublié que Jean avact fa nailTance, avoic treflailli de joye è Tapproche du Sauveur, Ce mouvement de joye ne put être excité que par la connoiiTance des qualités de celui qui 1 honoroic de fa vifite. Cette connoislao°e pouvoient exifter fans la raifon: donc Dieu qui oeut tout_ avr»j> avan. cé a Sc. Jean 1'ufage de Ia raifon, & i\ étoit capable d'entendre fon père. Lady Sensée» » J'ai fait auffi une réfléxiorj, ma Bonne. Marie en qualité de mère de Dieu étoit bien fupérieure è fa coufine, cependant elle lui rend la première vifite, fans pointiiler fur Ie rang k te préféance, Madem, Bonne» V°tre réflexion eft trés bonne, ma c?ère> & nous devons regarder 1'exetnple de Mme comme une ütiie lecon» Rien n'eft plus défagréable dans le commerce de Ia vie, que ces gens qui ont toujours Ia balance è la main pour faL 4 voir "  2,3 Le Magasin voir ce qu'on leur doit, & ce qu'ils dorren! aux autres- li faut paiTtr fur ces bagatelles pour le bien de la paix , & rendre aux autres plutót un ptu pl^s que moins* Mifs Champetre. J'ai auffi une diftkulté, ma Bonne. Marie & Zacbarie difent tous deux les mêmes paroles, Comment eela fe ferat-ü? Cependant i'ange ne dit rien è Marie, & annonce un ch&timent afTez rigoureux a Zacbarie* Modem. Bonne* C'eft. que le comment de Marie. eft un efFet de fa, prudenee, & celui de Zactiarie9 un effet de fon incrédulité. |e vous difois il y a quelques jours qu'il falloit examiner la Divinité des Saintes Ecritrares. La prudenee 1'exlge; la feule raifon doit me faire donner la préférence a la loi de Jéfus- Chrift, fur celle de Mabomet. Quand je fais cet examen, je ne doute pas que les chofes renfermées dans 1'Ecriture re ioient poflibles a Dieu, je fais qu'il eft le Tout-puiflaat, il n'eft queftion que  der AsDO£ESCEH*TES. que de (avoir ü c'eft lui qui m'aflure quil lui a pil de faire ces chc%; Mabomei m'afiüre qu'il a. été enlevé rr.e dit la même chofe. Je fuspends mon jugemenc & j'exaïmne ce qui peut prouver la vérré de ces deu? fS Mabomet ap cs un mür examen me naroic un irnpofteur. Pöwi au C0DfJre aïe^fl^? ApÓrrCS de W Chrift etre Ie fils de Djeu: la raifon m'obli- f nlnCpde,cr?5re (3ue ment, & que Paul dit vrai Toutes forteS de doutes Ce font donc pa$ offenfarl au Seigoeur;; puifqu'il a pPuni celui de Zatfarw, il faloic qu'il fut d'une autre nature que celui de Marie qu'il ne wait pa»; apoaramenc .qu'il douta de la Toute-puiffaoce de Dieu, & qUf. volontéDC V°U qUC sWürer de & rel?eeCiM,mnDe °ne réflexJan bien naturelle, Mefdames. II y a fans doute une grande témérité k juger des acïions dn ?a0ca m \ puis^ae cous ne pouvons pn pécétrer les morifs. Remarquez que fe ne parie pas des sétioos moralement mauvaifes Je puis faos jueer téraérav remem pcafer qu'un homme qui va!";,  4p Le Ma ca sin qui aflaffiae, eft un roéchantj je ne parle que des actions qui ont deux cótés, &, qui peuvent é\re bonnes ou mauvaifes lelon leur motifs. Mifs Sophie. Donnez-nous un exemple de ces ac» tions qui ont deux cótés. Madem. Bonne. Volontiers, ma chère, on m'apprit hier une chofe qui eft propre a vous le faire comprendre. 11 y a dans Londres une dame de trés grande qualité qui eft fort ménagère. Elle veille exaclement fur fes domeftiques pour empê* cher qu'ils ne dépenfent mal- a-propos; elle marchande beaucoup quand elle achette quelque chofe, & n'aime pa* a faire dei dépenfes inutiles. On peut agir comme cette dame par deux motifs. Par fageffe, ou par avarice. Lt monde, qui juge plus aifément en mal qu'en bien, a décidé que cette dame étoit une avaricieufe. Cependant rien n'eft plus rfaus que ce jugement 9 &vC» voici la preuve. Us Anural Ui^k■■; troit gargons & une Elle  dtt Adolescent^;- ff6^' "i06 condition !?""en miférable La mère de ces malheureusr ■ enfan. avmtété amie de la. dame dom je vou . P?rie, & quelquec amies communes im» ginèrent . qull falloit s'adreffe { 4?!*" ae pune è sy réfoudre; e !e me don. neta UD douzaice de guindes, dit je lui arnche 1'ame. Dan, r,>rr. 3 a vention, elle fut ucu™ c££ & lui expoü fa commiffion dans w termes Jes plus touchans. La dame rrécria beaucoup fur la rareté de Pa? g«t: qui 1'empdchoit de faire tout c- occaüon, & finit en difact'. oue fe» «mi auroit foin de pou voir ?eS tro^ gabons & elle doDDaP trois cents r$l ces pour Ja fille. Celle ooi £. ,P L6Ü .  2ƒ2' Le Magasin Vous voyez par-lè, Mefdames, com» bien il eft important de fuspendre fon jugement, par rapport aux aclions qui pcuvent être regardées fous deux cócés différens. Lady Spirituelle. II y a lorgtems, ma Bonne, que vous nous avez promi< une hiftoire fur les dangers de la jaloufie; ne voulez* vous pas payer cette deue? Modem. Bonne. Voas avez raifon, ma chère; acquit* ter une parole qu'on a donnée, c'eft payer une dette, je ne veux pas différer plus longtems a vous fatisfaire. II y avoit dans la province d'York un gentil- homme trés riche, qui avoit deux filles; 1'ainée fe nommoit Emilie, & la feconde Betfi* Ces deux foeurs étoient fort aimables, elle s'aimèrent beaucoup jufqu'è 1'age de quinze ans, & voici quelle fut Toccafion de leur défunion.. Elles avoient toutes deux beaucoup de goüt pour le clavecin, & elles avoient fait de grands progrès dans la  des Adolescente». 2*3 mufiqüe. On ne parloit que de leur habileté dans la viile cïi elles demeuroient; mais c'étoit 1'occafion d'une difpute perpétuelle, car les uns trou» voient que Be fi jouoit mieux qu*Emi« lie, & les autres décidoient en faveur de 1'ajnée. D'abord cela produifit une peüte froideur entre les deux fceurs, & comme elles n'eurent p3$ foin de corriger ce premier mouvement, il dégénéra en jaloufie, & biectót après en haine. II arriva dans cette ville un officier qui devoit y demeurer quelque tems, & qui avoit palTé toute fa vie a Londres, 011 il avoit acquis la réputat/ion d'un homme qui touchoit parfaitement le clavecin: d'abord que les deux fceurs eurent appris cela elles fouhaitèrent avec paflion de voir cet homme, chacune d'elles fe flattant qu'il décideroic en fa faveur. Leur père qui avoit beaucoup de complaifance pour elles, invica Tomder a venir prendre le thé chez lui, èc il fut établi juge entre les deux fceurs. D'abord il dit qu'elles avoiem toutes deux de grands talens, mais étant presfé de parler lïbrement, il sjouta qu'Émilie avoit la main plus légère que fa foeur. La joye é^Emiïie ne put être L 7 com*-  2J4 Le M a g X s i n comparée qu'au dépïc de 5*j/ï§' cui défagré.ble. Par Ia raifon contrare fa lceur penfa que c'étoit le plus aimable homme du monde, & comme fis s'of. tnt de lm doDner des lec^ns , eüe eut toutes fortes de foins k d'attemiooï pour lui. L'officier qui étoit un mal . npoDete homme qui avoic beaucouo oespnt, connut.. bientót le fuible &£> mme,®; comme il vouloit la féduire. ü badinoit fans ctffj Betfij & parloit raai de fon talent, ce qui lui g^ra le cceur de fa j-loufe foDur. Quand if connut queile 1'aimoit, il devint forr friste , & dit qu'il vouloit retourrer è Londres. Emilie au défesooir, lui en demanda ia raifon avec beaucoup d'em prelTement; mais il n'eut garde de lui répondre d'abord, au contrare, il fe fic beaucoup prier pour augmenter fon envie. Etm un jour qu'il. étoit feul avec elle, il fe jetca è fes pieds, & lui dit, qu'il étoic forcé de s'éioigner pour têcher de J'oublier,* paree qu'elle- faifoic tout Ie malheur de fa vie Je vous aime, lui dic-il, & comme je fuis un cadet lans fortune, je ne puis , efpérer de vouï obtenir de votre père. Emilie- convint que ce mariage n'étok W !  des Adolescentes. 25-5 pas poflïble. II Is feroic fi vous m'aimiez, lui dit l'officier» Je vous jure ici devant Dieu que je vous épouferai en srrivant a Londres fi vous voulez y venir avec moi, & quand Ie mariage fera fait, il faudra bien que votre père y confente. D'abord Emiliê fe faeha beaucoup d'une telle propofition ,• puis elle 1'écouta avec moins de répugnance, & enfin la crainte de perdre fon amant la détermina. Remarquez, Mefdames que cet homme étoit riche, & que ce qu'il avoit dit de fa pauvreté n'étoit qu'un précexte pour ne pas époufer la pauvre Emilie. Quand elle fut è Londres, elle le fit fouvenir de fa promefie, & tout le tems qu'il fut amoureux d'elle, il lui donna des raifons de différer le mariage; mais 00 n'eft pas longtems amoureux d'une fille qui n'eft pas fage, quelque belle qu'elle foit, Au bout de trois mois 1'officier dégoóté, lui dit avec hauteur, qu'j] De 1'épouferoit jamais. ËHe eut beau pleurer cc gémir, elle ne gagna rien , & comme il s'enauïoit de les plainies il la pJanta lè un beau matin facs lui laiffer un foL La malheureufe Emilie tomba malade de défespoir, & on I* fit-.parter k J'hópital.- Elle en fortit au bouê  2-56 Le Macasïm- bout de quelqucs mois fi changt'e, qu'elle n'étoit plus coonoiflable. Se trouvant fans argent, fans habits, elle fut contrainte de demander I'aunóne. Un jour un gentil homme de fa pro* vicce la regarda fixemeDt & difoit en lui-néme, cette fille a le même fon de voix qu'Emilie,. t41e a rtême un faux air de cette fille, il l'mterrogea & aïant découvert qu'il re fe trompoit pis il la mie dans une chambre , & écrivit è fon père pour lacher d'en ohtenir quelque fecour, rrais il arriva trop tard. Emilie dévorée de chagrin & de honte avoic péri, en déteftant fon amant, fon smour, fa vaDi'té, la jaioulie qu'elle atoit fait nakre. Lady Spirituelle. Vous aviez raifon de dire aue cerre hiftoire étoit bien terrible. Qui auroit jamais imaginé qu'une petite jaloufie tüc pu conduire Emilie a une fin fi' étrangel Madem. Bonne* Voilé le chemin ordinaire des pafijons. Foibles dans leur origine, il n'efl point.  des Adolescent es. 257 point d'extrêmité ou elles ne puifTent entrainer celles qui les nourriiTeDt avec complaifance. 11 nous refte è dire quelq^e chofe de Cyrus, Mefdames. Lady Senjée va lous apprerdre comment il prie la ville de Baby loc e. Lady Sincère. La ville de Bab.ylone paflbïc avec raifon pour imprenable. L'Euphrate qui eft un ffsuve trés grand cc trés profond lui fervoit de folTé, cc dans les endroits que ce üeuve n'envronnoit pas, il y avoit des murailles trés hautes. Ses portes étoient d'airain, mais ce font des foibles défenfes contre Ie Seigneur, cc il conduifoit Cyrus. Ce héros fit placer fon armée fort tranquillement fur les bord* de l'Euphrate, cc cotBme il n'avoit pas de bateaux pour palier ce fleuve, les Babyloniens fe moquoient de lui, & lui demandoient fi fes foldats auroient des ailes pour paffer le fleuve ? Cyrus les laiflbic dire, & pendant ce tems, il faifoiè creufier derrière fon armée, un grand T i 1 attendit UD i°^r de fêie dans iequel les Babyloniens ne penCoient qu'4 faire bonne chère cc a fe divertir. Au com-  2J8 Le Mag as in coramencement de la nuit, il tic conduire fon foiTé jusqu'au bord de 1'Euphrate. Les eaux qui venoient d'eo« haut, trouvant ce nouveau lit, y entrèrent, & par conféquent laiiïêrent a fee une partie du fleuve. Cyrus paffa par cet endroit avec fes foldats; & comme les habitans de Babylone avoient fait la débauche, & qu'üs étoient enfévelis dans ie fommeil, il fut aifé de les ma(T3crer & de prendre leur vil- I le. C'étoit la même nuit que Baltbazar avoit vu cette main qui écrivoit fur la , j muraille. Mifs Sophie. Et Cyrus faifoit - il toutes ces con* i quêtes pour fon oncle Cyaxare ? Madem. Bonne* Oai, ma chère, mais comme il a— 1 voit époufé fa fille unique , tous fes i 1 royaumes lui revinrent, enforte qu'il I en avoit quatre. Celui de Perfe dont: ! il hérita k la mort de fon père Cam-- I hyfe. C*lui de Médie qui étoit 1'héri- ■ 1 nge de ft femme Mandane, fille de: £ Cyaxare, & ceux de Babylone & de:p Ly- ■  des Adolfscentes. 2/9 Lydie qu'il avoit cocqais fur Salthafar & Crefut? J Lady Violente, r Kt après avoir tous ces royaumes, lans doute que Cyrus ne rit plus la guerre? r Madem. Bonn8. Non, Madame, il pafTa le refte de jes jours tantót dans 1'un & tantóc dans ■W*/> Belotts. le refte de fa vie ? Madem. Bonne. Oui, ma chère, cependant il fit deux fottifes qu'on a bien de la peine a lui pardonner. II crut devoir nar corDplaifance s'habiiier & vivre comme les Babyloniens en quelques occafions* pour moi je crois bonnement que ce nécoj^m par vanité ni par gourmanÖife, ce qu, n'empêcha pas !e maums eftet de cette conduite. Les Per- f fes  a'cTo Le M a q as ï n fes avoient un grand refpect. pour Cyrus , & une haute opinion de fa vertu. Quand ils virent qu'il s'habilloit manifiquemeot , & qu'il donnore «ni'i M°sdames» «aw elle n'obligeoit que es hommes; dans tous Jes lems on n a rien exigé des femmes a cet i£v ' °n- ï tro? ma"va»fe opinion de re lur 1 Aménqae, Lady Senfée, Lady Sensée. La Floride eft féparée de la Lonfliane par les montagnes Apalaches- les blï« T Ccsrde^^tio£s fonc fem! fans Hnnfi £sPa.g°?Is y ont plufieurs £ Vi -S? les, Papaas Te nommenc St. Matthieu & St. Auguftin- rAca'die0" iflGNADgI,?terïe co J Acadie, Ja Nouvelle Anpleterre l? Nouvelle Vork, Ja Penfiivalie, la Vi ! giwe, Ja Caroline, & la Georgië. itöfcfcra. Bonne. Comme vous devez connoitre d'ucl facon particuliere cette partie de lAmennne, D0U8 entrerons dans un M 2 plas  268 Le M a g a s i n plus grand détail, & ce fera pour la première fois XXXIII. DIALOGUE. Lady Lucie. MA Bonne, permettezmoi de vous. faire fouvenir que vous nous dévez une définition de la liberté , vous nous avez bien dit que cette liberté qu'on vante tant, ne conüftoit pas k pouvoir faire le mal impunément, ni a diriger a fon gré les adions particuiières, mais vous ne nous avez dit que cola. Madem. Bonne. La queftion n'eft point embaraflante, s'il ne s'agit que de la liberté d'un peuple en général; elle le feroit davantage s'il étoit queftion de celle de chaque homme en particulier. Ce qu'il y a de vrai, c'eft que je fuis moins propre qu'un autre h traiter cette matière. car je luis rbien éloignée de re- gar-  des Adolescentes, 269 garder Ia liberté comme le plüs grand de tous les biers, j'ai même un fentimert confus qui femble m'aiTurer que ce n'eft pss un bien, & qu'elle n'eft pas faite pour Thora me. Mifs Cha^petre. m. C'eft pour Ie coup, ma Bonne, que je vais profiter de la liberté de vous contredire. Non * feulemeut la liberté rae paroit le plus grand de tous les biens, mais elle me paroit le feul bien digne d'une ame raifonnable. Madem. Bonne. . Vous avez donc une idéé bien dis* tintte de Ia fignificatioo de ce mot, car fi vous ne 1'aviez pas, vous ne pourriez affirmer que c'eft un bien, loin de pouvoir dire que c'eft le plus grand de tous les biens.- Donnez - moi done une définition de ce que vous entendez par liberté, vous me rendrez un grand fervice. Lady Lucii. Pcrmettez, moi une réflexioa auparaM 3 vant  &70 Le Mag a sin vsnt. Je m'appercois que nous n'entem ■) doos par la moitié des mots dont nousij nous fervons. Le moe de liberté eft ij dans la bouche de tout le monde, on ij s'en fert avec tant d'aifance, qu'on i jureroit que tous les hommes font d'ac-^j cord fur fa, fignificadon ét fes avantages; cependant je fens comme ma Bonne mais. d'une manière confufe, que: Ja libérté pourroit bien n'être pas une \ auffi bonne marchandife qu'on fe Ie per- fuadcv Je-fens même qu'elle ne peut! exifter fans troubler 1'ordre. Mifs Champetre. Je ne faurois feulement fouffrir d'en- ■ tendre raifonner de cette forte, tout mon fang s'émeut. Voyez-vous, Ma* dame, 'fur cet article,. je fuis Angloife & demifi; & s'il faut vous parler avec ma fincérité ordinaire, je ne concois pas que Ja chofe du monde Ia plus claire ait befoin de ia plus petite expiication. Madem. Bonne. Admirez Ia force du prejugé & de la paffion dominante. La nature a fait pré- I  des Adolescentes. 271 préfent è Mifs Cbampêtre d'un esprit géométrique: jufqu'a préfent, nous 1'avons toujours vue le compas & la balance en main, rnefurer, pefer, prouver fes opinions. Nous avons touché5 è fon idéé favorite, Ja voilé hors de mefure, elle n'écoute plus fa raifon, elle eft tentée de nous dire des injures. Cette zélatrice de la liberté trouvé mauvais que nous ofïons penfer librement , elle voudroit nous aflujétir despotiquement & fans preuve è fon fentiment. Je fuis moins tiran, ma chère; je ne condamne point votre fenpment, je ne donne pas le mien pour infailüble, je ne veux que Pexaminer. Lady Spirituelle, j'en fuis füre , trouve que j'ai raifon: ü pourtant jsat«aquois fon préjugé favori, fa manie, eile ne féroit pas moins vive que fa compagne. Moi toute la première, Mesdames, il pourroit fort. bien m'arriver de faire la même faute en pareil cas. Voilé comme on s'accoutume a deraifonner quoiqu'on ait beaucoup d'esprit d'ailleurs. Soyons bien en garde contre ce défaut qui güte le jugemenc. Inftruifez - nous , Mifs Cbavipêtre , donneznous des raifons, vous nous trouverez dociles, maisn'allez pas jusqu'aux injuresM 4 Mifs  271 Le Ma ga-sin Mifs Champetre. Je fuis bien honteufe, ma Bonne, vous m'ótez comme un voile qui étoic devaut mes yeux. Oui, mon esprit eft despotique: je voudrois aflujétir tout Je monde k ma facon de penfer, & je prononce intérieurement Ia fentence de ceux qui ne penfent pas comme moi. J'espére que je deviendrai plus équitable. Je vais vous dire ce que j'eotens par la libérte d'un peuple en général C'eft celui qui eft gouvcrné par de bonnes loix, & chez lequel perfonne n'a Ia liberté de les vioier impunément. J'ai ouï dire qu'il en étoic ainfi chez les Romains, & il me femble que ce gouvernement que je chéris, eft celui ibus lequel nous vivons en Angleterre. Par rapport k la liberté des particuliers, il me femble qu'elle eft telle qu'elle doit 1'être fous un tel gouvernement, furtout quand on a la libérté comme ici, de penfer k fa fantaifie s & d'écrire tout ce que 1'on penfe*. Madem. Bonne. Ge n'eft plus un phantöme que j'ai V> combattre, je connois Ia liberté qui eft  dés Adolescentej. 1 eft 1'idole de Mifs Cbampêêre; je vous avoue qu'elle feroitauiïi la mknne, mail j'ai bien peur qu'un tel gouvernement n'ait d'exiüence que dans fon imagination. En continuant l'hiftoire Romöine, vous apprendrez, ma chère, combien les Romains étoient éloignés de cette efpèce de liberté. Mifs C h am petr e. • Apparament lorSquel'autorité étoit entre les mains d'un feul, comme du tems de Tarquin, mais du tems de la république, lorsqu'elle étoit partagée entre les confuls & les tribuns.... Madem» Bonne. C'eft' précifernent de ce dernier tems dont jé parle. A la preuve, nous Ia trouverons dans l'hiftoire, quelque jour nous examinerons, fi cette liberté donc alTurément les Romains ne joui'rent jamais, étoit réfervée pour 1'Angleterre. A quel règne en fommes- nous reftéeV» Lady Spirituelle? Lady, S p i r^i t u e11 e: Au règne de Tarquinius 1'anc'èn,* |é vak finir en deux mots ce qui regarde»-  274- Magasin les Rois, pour paffer vite au tems des confuls. Lady Violente. Non pas s'il vous plait, Madame; aveo la permiffion de ma Bonne, vous nous direz tout ce que vous en favez, je ne fuis pas impatiente d'arriver aux confuls ? Madem. Bonne. Une petite réflexion, Mesdames, Si chacune de nous vouloit actuellement jouïr de fa liberté, il faudroit nous batcre. Lady Spirituelle veut abréger, Lady Violente veut du dét3il 5 toutes tant que nous fommes nous avons aufü des vouloirs. Faifons apponer des pistolets, & voyons qui 1'emportera. Lady Spirituelle. Mon Dieu! ma Bonne , il ne faut pas nous battre. II eft raifonnable de fatisfaire Lady Violente. Je ne me foucie pas de répéter ce commeiacements paree que je le fais; mais il feroit injuste de la priter d'un plaifir que j'ai eu. Lady Violente, "?öu& êlcs bien \ bonae3 , ma chère m  des Adolescentev kff je ne veux pourtant pas abufer de votre complaifance; fi ceia vous coutetrop a répéter, je le lirai moi-même. Madem. Bonne. Nous voilé d'accord fans combat'. Ditesmoi, Lady Spirituelle ; vous alles agir contre votre volonté, vous n'êces pas libre a ce moment de faire ce que vous avez envie de faire. N'êtrepas 'ibredans une chofe, c'eft être esclaves par rapport è cette chofe, qu'en penfez^vous, ma chère? Lady Spirituelle*Je ne crois pas que je fois esdave , car je n'obèïs qu'a la raifon; ce feroie un grand mal, ce me femble, que d'avoir la liberté de n'être pas raifonnable. Madem. Bonne. Ne pourrions . nous donc pas déümt 1'horame libre, celui qui n'obéït qu'è ■* la faifon? Lady L u c i e. En vérité je crois que cetÊe défiaition eft fort bonne. Mifs C iiampetr E?' Mais il pourrok fort bien arnvér qua-'  kfê' Le Magasin ma raifon fut différente de la vêtre. Je fuppofe que j'ai une maifon proché de la vótre, ma raifon me die que je dois la faire la plus commode pour moi qu'il me fera poffible. II n'y a que deux étages, j'en fais bétir un troifième qui vous óre ia vue d'un grand jardin. Vous ne pouvez m'en empêcher fans m'oter ma liberté; cependant votre raifon ue vous défend pas de faire tous vos eftorts pour m'öter cette liberté*; Lady Spirituelle. Je vous demande pardon , Madame. Si la vue de ce jardin n'eft qu'un agré« ment pour moi, je puis fort bien m'en pafier ; fi je veux abfolumenc en jouïr, ne fuis-je pas libre d'ajouter un étage è ma maifon auffi bien que vous? Que fi ma maifon n'eft point fusceptible d'un étage de plus, & que la vcVre m'öte abfolument mon jour, j'aurai recours è votre raifon pour me faire rendre juftice; & fi elle me la refufe, j'aurai recours aux loix qui doivent régjer tellement la liberté des particuliers qu'elle ne nuife pas a celle des autres» Lady Louise* Vous. pourriez fort bien perdre ^votre  des Adolescenten* q^I tre procés, ma chére. Quand Ja ville de Londres ^fut brülée & quton voulut la faire rebatir, on préfenta un plan magnifique Toutes le rues euffent été droites, les maifons uniform es. L'églife de Sc* Paul eüt été au milieu d'une grande place percée de tous cótés par de belles rues. On ne put remplir ce pian, paree que les partïcuüers voulurew; rebatir è la place qu'ils occupoient auparavant, & que la liberté ne permi t pas de les contrsindre^ enforre que ce repedl pour la iibené, eft eau fe que la cité eft bêtie tout de travers. Lady Lucie. Je fuis Ia fervante de cette liberté des particulier*, qui devient la tiranie dü public. Eft elle de votre goüt, Mifs Cbampêtre Mifs Champetrf. Non, Madame, j'avoue qu'il eüt été raifonnable de forcer les particulier* a Têtre, puisqu'ils s'obftinoit a ne 1'être pas. Madem: Bonne. Retenez bien cela, Mesdams, ?a^ Ij. berté publique doit avoir le pas fur cel M-7 3e-  i?2 Le MagAsiif le des particuliors, nous aurons fouvenïr befoin de ce principe. Parions de Tarquinius. Lady Sensée. Ces dames fe fouviennent, fans doute, que Tarquinius avoit joué 1'honnête homme pour parvenir an tróne, Comme il avoit fait le personnage d'homme vertueux pendant plufieurs aonées, i! avoit tellement pris 1'habitude de faire de bonnes acTons qu'il ne put la perdre,,enforte qu'il fut un fort bon Roi. Les - rils ÜAncus ne lui pardonnèrent pas; pour ce'a la tromperie qu'il leur' avoit faite, i!s tachèrenc de lai fusciter des embarras; .leur mauvaife volonté fut inmile, & il vint a boat de les faire banm>. II eut plufiems guerrcs qu'il termina k 1'avantage de Rome ; & dïrï$< les petits intervailes que lui doncoit 1'hyver, il s'appliquoit è faire rég* ner 1'ordre & - Tabond-nce. Dans une ; de ces guerres, il fit prifonnière une femme de qualité qui éto't grafie. Elle accouchn d'un fils qui fut nommé Sérvius Tullus& qui fut deftirié a fervir dans le palais Un jour que cet * enfant dormoit, on crut voir fa tête environnée de flammes, c'étoit peutetre qu'il avoit été éle&rjfé, ma Bonne^ i  éts Abolescentes» 279 r?e; je badine au moins, Mesdames; fans doute que les rayons du foieil le frappoient dans un oertain fens. Quoiqu'il en foit, Tanaquil qui aimoit le mtrveilleux, crut fermement ce qu'on lui difoit & publia que cet enfant devoit être la gloire de fa familie. Après avoir fait cette prédidtion, il étoit de fon honneur qu'elle s'aocomplit; elle n'oublia donc rien pour la faire réusijr, & fit donner a Servius une excellente éducation. II en profita, & devint les dólices du Roi & du peuple. Le premier lui fit méme époufer fa fille, & quoiqu'il eut deux petits fils nommés Tarquin & Aruns, Tanaquil corcut Je deflein de le mettre fur le tróne après la mort de fon époüx; elle le pouvoit d'autant plus aifément, que tout le peuple Ie fouhaitoit ainfi. Cependant les deux fils d'Ancus qui étoient bannis, avoient pris patience, dans 1'espérance de fuccèder au Roi qui étoient vieux. Ils entrèrcct en fureur quand ilsapprirent les difpofitions du peuple , & ne voulant pas doneer a Tanaquil Ie tems de fortifier le parti de Servius y, ils réfolurenr de faire a.Taffiner Tarquu nius* Deux afTafïins déguifés en pti'fans • prirent quérelle-devant Ie palais du Roi; ce  2Q0 Le Macasht ce bon prince qui penfoit devoir la Jastice aux derniers de fes fujets, commanda qu'on les fin monter pour Jes accorder. Pendant qu'un des deux lui racontoit le fujet de leur qüerelle prétendue, 1'autre fe jetta fur lui, & le tua avec une hizhe qu'il avoit è la main. Tanaquil ne perdit point la tête dans un fi grand malheur, elle fic mettre le corps du ROi dans fon lit par des gens dont elle écbit fóre, & publia qu'il n'étoit que bleflé. Elle ajouta qu'il priofo le peuple^ de pernuntre a Servius de prendre foin des affaires jusqu'a fa convalefcence , & ce dernier employa fi bien le tems pour étabür fon autorité, que le peuple lë regardoit comme le Roi. Le fénat n'étoic pas fi bien difpofé en fa faveur. Servius voyant qu'il ne pouvoit obtenir fon confentement; s'en pafTa & fe fic élire par le peuple. Mifs Be lot te. Je n'aime pas les royaumes éledlifs , il me femble qu'il eft difficile que 1'éJe&ion d'un Roi fe faiTe tranquilemenc, & puis cela fait deux intéréts dans un royaume, celui de 1'Ecac & celui de la familie du roi règnant, L&>4  des Adolescentes. 283 Lady Mary. Je n'entends point cela, je vous prie de me 1'expliquer, ma chère Mifs Be lotte. N'eft - il pas vrai, madame, que dans un royaume héréditaire, le Roi fait que fon Etat eft 1'héritage , le bien de fon enfant; par conféquent 1'avantage de TEtat & celui de fon fils font réunis; je vais vous expliquer ma penfée, par un exemple* Le Roi nous donne è chacune une grande forêt; è vous, pour vous & vos enfans : k moi feulement pour toute ma vie. N'eft - il pssvrai, fi vous êtes raifonnable, que vous vous contenterez de couper les branches des arbres, & que vous entretiendrez cette forêt dans une bonne fituation , paree qu'elle eft 1'hèritage de vos enfans, & que vous ne pourriez ia ruiner,. fans leur caufer un grand préjudice. L'intérêt de vos enfars & celui de cette forêt, fi je puis ra'exprimer ainfi , eft le même. Je ne fuis pas dans le néme cas; 1'amcur que je porte k ma familie, ne m'intérelTe point k la confervation d^un bien qui ne--lui palTera pasj au contraire, il me porte  282 te Mag as in porte naturelïement a tirer le plus d'ar-1 gent de Ia forêt qu'il me fera poffibie f pendant ma vie; je couperai les gross arbres, j'arracherai, je detrulrai, faoss membarraOer des intéréts de Ceux qui i doivent la pofleder aprés moi, & quit font étranger par rapport a moi. II en eil de même d'un Roi qui ne! doit pas laifler un royaume è fapoftérité.. II en tire le meilleur parti qu'il lui eft: poffibie, paree que fintérêt de fa familie ; & celui dece royaume font oppofés, au i lieu qu'ils fe trouvent réunis dansunEtat ; héréditaire. Gontinuez l'hiftoire durègne: de Servius Lady Spirituelle. £ Si on s'en raoportoit è mon jugement, je dirois que Servius a étéle meilleur, le plus grand cc Ie plus habile Roi de Rome, & felon la coutu re de ma Bonne. je vais tiener, Mesdames, de vous prouver la vérité de mon fentiment- Romulus avoit partagé les habitans de Rome ou des environs, en trente clafles qu'on nommoit curies» II'y avoit autant d'hornmes dans une carie que dans une autre. Or vojs favez bien, Mesdames, que dans un royaume, il y a beajeou? plus  des Adolescentes. 283 plus de pauvres que de Tiches. Jefuppofe par exemp!e qu'on fcfTe ces curies dans k ville de L ondies; il y aura cent curies de pauvres & dix de riches, c'étoit la même chofe h Rome, & cela produifoit deux mauvais effets, Le premier, c'eft que dans les aiTernblées pour les affaires, les éleöions * la paix & la guerre, on votoit, c'eft- h ■ dire, cu donnoit fa voix par curie. Lés pauvres avoient donc cent voix & les riches dix. Le fecond, c'eft que les taxes fe payoient par curies, & par conféquent, le Rorrain le plus pauvre payoit sutant que le plus riche, ce qui étoit injufte. Mifs Sophie. Je CGticois fo*t bien qu'il étoit injutte de f&ire payer autant de taxe aux pauvres qü'aux riches, mais je ne vois pas pourquoi vous dites qu'il n'étoit pas a propos que les pauvres euffent plus de voix que les riches; il me femble que les pauvres a'ïant moics d'ambition que les riches, ils en étoient d'autant plus pro* pres a gouverner, Madem. Bonne. , Cette penfée paroit bonne & ce 1'eft pasa  284 Le Magasiw pis. Vous dites que les pauvres ont moirw) d'ambition que les riches, & vous vous; trompez, ma chère: les objets de leurt ambicion font moins élevés, mais ils ne: font pas en plus pene nombre. Je penfe: comme Lidy•• Spirituelle, que les riches i fort plas proprei que les pauvres k gouverner 1'Etat, & voici mes raifons. C'eft que 1'intérêt du plus grand nom-bre des riches, eft que I'Etat conferve !a i tranqulitë & la paix, paree qu'ils joulsfent d'une Gtuation heureufe qu'ils pourroient perdre dans un tems de trouble. Le pauvre au contraire n'a rien ou peu de chofe a perdre; fa lituation eft telle bien fouvent, qu'elle ne peut devenir plus mauvaife, tout changement lui peut devenir avantagueux. Je fuppofe que je fuis abfolument aveugleccque vous avez la vue foibïe: un charlatan nous as* ifüre qu'en mettant une poudre fur nos yeux, il me rendra Ia vue, & rendra de la force k vos yeux,- je ne dois pas ba. lancer a me fervir de fa poudre, pourquoi ? C'eft q je je n'ai plus rien k p?rdre & k méaager; je fuis aveugle, il ne peut rien arriver de pis k mes yeux; ft ïerèmede eft mauvais, je refterai cc que je fuis. J'ai donc tout è gagner & rien k perdre. II n'en eft pas de même de vous. Vous  des Adolescentes. 285 Vous avez la vue foible, mais enfin vous voyez ; & il pourroit fort bien arriver qu'en voulant eharger votre fituation, vous Ia rendriez pius mauvaife. II en eft de même des riches & des pauvres. Ces derniers peuvent dire, il m'importe peu que les ennemis s'emparent du royaume, ils ne peuvent rien m'óter car je ne posfëde rien. lis pilleront la ville, tant pis pour ceux qui auiont de 1'argent, ils ne m'en prcndront pas h moi; il pourroit n éme fort bien arriver.que je profiterois du pillage. Lady Louise. Ne pourroit on pas dire aufli, que les riches aïant plus d'éducation que les pauvres, ont plus de Jumières, cc font par conféquent plus capables de connoitre ce qui eft le plus ou le moins avantageux a I'Etat ? Madem. Bonne. , Oui, Madame: ainfi je crois avoir prouvé que le gouvernement des riches eft plus avantageux a I'Etat que celui des pauvres Lady Spirituelle. Par conféquent, Servius fut trés fage de faire pafler 1'autorité entre les mains des riches, mais il faloit être trés habile peur  286 Le Mac as in. pour parvenir a faire ce changement, cas le peuple Romain étoit extrêmement ja-i loux du privilége de gouverner I'Etat. Lady Violente. S'y prit-il comme Lycurgue, propofatil ceite loi entouré de.foldats? Lady Spirituelle. Non Madame, il'eut aflez d'espritv pour faire ce changement fans facher perfonne. II aiTembla le peuple, & dit qu'il! trouvoie fort injufte que les pauvj es payas« fent autant que les riches: il ajouta que 11 i on vouloit lui donner la permi/üon del faire un autre arrangement, les pauvres 1 ne paycroient presque rien. Mifs Belotte. Je gage que Servius eut la plus gran- f de quantué des vo;x pour lui, Lady Spïrituêlle. Vous gagperiez, Madame, on lui donna la liberté de faire tbut ce qu'il jueeroif' a propos , & il commen^a par ordonn^r que tous les Romeins donneroieüt une dé. claration de leurs biens. Enfuite il les nar tagea en 193 dalles, qu'il appelja centu- riea;  des Adolescentes. 287 rJes; mais pour bien comprendre cela, je vais faire une cornparaifon, Je fuppofe qu'on falTe la méme chofe a Londresa cc | qu]on metce dans la première centurie ceux i qui onc vingt-cinq milles livres fterlings I par an, vous fentez bien que cette claiTe ne feroit pas fort nombreufe,- peutêtre c'auroit ü pas de cent perfonnes. Si on mettoit dans ia feconde centurie ceux qui ont vingt-mille livres fterlings par an, il y auroit plus de monde cue dans Ia prémière: il y en auroit bien davantage dans la troifième 0111'on mettroit ceux qui auroient quinze mille livres encore plus dans celle de ceux qui auroient dix mille livres. Vous concevez que cela iroit toujours en augmentant, cc qu a mefure qu'il faudroit moins de biens dans une centurie, il y auroit plus de perIonnes. Enforte que dans Ia dernière il v auroit peut-être vingt mille hommes, pendant qu'il n'y en auroit que centdans Ja première. Tout cela étant arraneé, ie fuppofe qu'on décidèt que chaque centurie psyeroit mille livres fterlings chaque année, combien payeroit chaque homme dans la première cc la dernière centurie. Lady Charlotte. Chaque homme dans la prémière payeroit  283 Le Mag asi n roitdix livres & dans Ia dernière un fchelin. Lady Spirituelle. Vous concevez bien, Mesdames, quelle fut la joye des pauvres quand ils virent ce réglement, mais en même tems Servius en ficun autre auquel ils ne firent pas d'abord beaucoup d'attention; c'eft que dans les aiTemblées chaque centurie auroit une voix, celle de cent hommes, aufll bien que celle de vingt-mille. Or il y en avoit 91 ne riches, & 95 de pauvres. Ou commencoita prendre les voix, paria première centurie: par conféquent, toutes les affaires fedécidanta lapluralité des voix, elles pouvoient letre avant d'arriver jusqu'aux centuries des pauvres, dont on ne demandoit enfuite les voix que pour la forme. Lady Violente. II faut avouer que Servius étoit bien malin, & qu'il attrappa bien habilement la populace. Lady Lucie. J'ai lü trois fois l'hiftoire Romaine fans bien comprendre cela, ce qui m'empêchoit d'entendre pourquoi ces disputes perpétuelles entre les patriciens & les plébéïens ,  des Adolescente s. 289 béïens, les premiers voulant toujours qu'on prie les voix par centuries, & les autres voulant les doneer par curies. Je 1'entens a préfent. Lady Spirituelle. Servius ordonna enfuite qu'on rit tous les cinq ans le dénombrement du peuple & apparament des biens. Ce dénombrement finiiToit par un facrifice qu'on nommoit lujtrum; & c'eft 1'origine du mot de luftre. Mifs Be lotte. Je n'entends pas bien ce mot, ma Bon* ne, j'ai lü dans un ouvrage de poéfie quePauteur avoic buit luftres, qu'eft ce que cela veut dire ? Madem. Bonn e. Cela veut dire qu'il avoit quarante ans, car la cérémonie luftrum fefenfant tous les cinq ans, un luftre comprenoit cinq années. Ainfi huit luftres font huit fois cinq ans qui en font quarante. Combien avez-vous de luftres, Lady Mary ? Lady Mary. Je n'cn ai pas encore deux s ma Bonne* Tom. ir. N Ma*  Mo Le Ma ga sin Madem. Bonne. Fort bien, ma chère ; continucns 1'his•toire de Servius. Lady Spi rituele e. I e régne de Servius fut agité de guerre> qui durèrent vingt ans, & qu'il terra ma toujours heureufemenc pour Rome. Elles ne 1'empêeherent pas de s'appliquer a tout ce qu'ij crut propre è faire ie bonheur de fes fujets, & ce fut dans cette vue, que prévoyant un mauvais JRoiqu'ils devoient avoir aprés lui, il prit la réfolunon de quitter Ia couronne pour faire de Rome une république, mais il n'en eut pas le tems. Servius avoit deux filles qui toutes deux portoient le nom de Tuiies, mais dont le cara<3ère étoit bien différent. L'ainée poffédoit toutes les vertus, Ia cadette étoic un monftre plus crue! que les ours & les tigres, en un mot, c'étoit un démon fous ia figure d'une femme. Vous vous fouvenez, Mesdames, que Tarquinius avoit laiiTé deux petits fils; ilsfenommoient Tarquin &Aruns, comme je vous J'ai dit. Tarquin avoic le caraclère auffi méchant que Tulie la cadette. Ar-  des Adolescektes. 291 Arms avoic les mémes vertus que Tulie 1'ainée, Servius qui étoit ud trés honnête homme ne pouvoit penfer fans douleur è ia méchanceté de fa fille & de fon neveu ; il rut avoir trouvé un excellent moyen de changer leur caraélère; il fic époufer l'ambitieufe& laméchante Tulie > au vertueux Aruns, & donna la bonne Tulie a Tarquin, dans 1'espérance queleur bons exempies adouciroient ces cceurs féroces. Des unions fi mal aflbrties eurent le fort qu'on devoit en attendre, Tarquin empoifonna fa vertueufe femme ; Aruns fut empoifonné par fa .cruëjle époufe; après quoi ces deux monftres fe marièrent enfemble. Dèscemoment, Tulie nelaisfa pas un moment de repos a fon époux» Elle lui reprochoit fans celTe, la patience qu'il avoit de laiflèr le tróoe a Serviur Mais c'eft votre père, lui difoit Tarquin; jN'importe, lui difoit elle, qu'il périfle pourvü que vous montiez fur Ie tróne. Tarquin n'avoit pas befoin d'être trop prelTé pour faire une mauvaife aftion, il fut un jour au fénac & repréfenra aux fénateurs qu'ils n'avoient pas confenti a 1'élection de Servius, & que lui qui étoit petk fi s de Tarquinius 9 avoit plus de droit que lui au tróne. II s'y alïlt dans Ie N 2 même  :11 ...aGasïn même tems, & Servius étant accouru au bruitdecetattentat, Tarquin fans respect pour fa vieillefie, le prit par le milieu du corps, & le jetta du haut en bas des degrésdu tróne. Le pauvre Sertmtf fereleva toot froilTé de fa chute, & reprit lechemin de fon palais presque feul,mais Tar^m envoyades foldats après lui qui letuèrenc, & ia'flerent fon corps au milieu de Ia rue. Tarquin aïant appris la mort de Servius écrivit k Tulie, qu'elle pouvoit venir le faluer comme Roi. Auffi-tót cette furie monte dans fon char pour aller au fénat, & entra par hazard dans la rue oh étoit le corps de fon père. Comme cette rue étoit fort étroite, & qu'il ent falu faire paffer le char fur le corps de Servius , le cocher vouloit prendre un autre chemin; la barbare Tulie ne voulut pas le lui permettre, & lui dit, que tous les chemins qui menoient au tróne étoient beaux. Depuis ce tems cette rue fut appellée la fcélérate- Lady Violente. Vous aviez bien raifon de dire que cette femme étoit un démon. On croit rêver quand on entend une pareille hiftoire, & on a peine a croire qu'une créature humaine ait pu porter auffi loin 1'inhumanité ct la noireeur. Madem.  des Adolescente*»- 293 Madem, Bonne» Vous avez bien raifon, Madame; ce font des phenomènes de méchancecé qui font hors de la nature. Ditesnous, Lady Spirituelle, quels régiemens ric Servius? Lady Sp 1 ritüell e. 11 permit aux maïtres d'affranchir leurs efclaves, qui paiToient eofuits dans la dernière clalTe du peuple. Je croyois que c'étoit'auffi lui qui avoit rnftitué les fa* turnales, mais j'ai relu fa vie hier au foir, & on n'y par le point de cet écabliiTemeno.' Lady Mary. Qu'eft-ce que cela veut dire; leafaturnales ? Madem. Bonne. C'étoit des jours de fêtes dans iesque!les on faifoit des mafcarades. Vous favez , Mesdames, qu'on difoit que Saturne chasfé du ciel par fon père Jupiter, s'étoit réfugié en Italië, oh il avoit amené 1'Sge d'or , c'eftè dire, la pureté des mceunv Les poëres P'aïcns avoient iaris- doute quelque connoiffance de 1'étatdenos parens dans le paradis cerreftre avant kor oé#  p.94 I* Magasik fous le nom de l'&ge d'or. Alors, di* foient ils, le tigre & le lion fans fèrocité, paiflbient dansle même champavec 1'agneaa. L'homme fans cupiditéne fon^ haitoit que le néceiTaire a la vie, que les fruits de la terre lui offroient fans travail. Les brebis loin de craindre lefermeurtrier, ne fevoyoientpas même endanger de perdre leur toifon, l'innocence des hommes ccPégalitédes faifons,ne les mettanc point dans la neceffité d'avoir des habits. Ces deux mots, le tien, le mien . n'éroient point connus daos le monde, tous les biens étoient communs , & tous les hommes égaux. Ce fut pour perpétuer le fouvenir de cet ègc heureux qui n'exifta jamais que dans l'imagination des poëres, que Janus ouSatarflffjinftituèrent les faturnales, dans Jesquelles les hommes fe mafquoient fous des peaux d'animaux, & pendant lesquelles les maiires fe dépouilloient de 1'autorité qu'ils avoient fur leurs efclaves, & fe fai* foient même un amufementde les fervir» Lady, JLo.uise:. J'aimerois bien qu'on établit une pa* reille fête, elle me paroit propre è faire fouvenir les hommes, qu'originairement Ils font égaux.. Madem *  m Adolescïntes. 295 Madem Bonne. II en refte quelques veftiges. A Ia campagne en France, les granas s'humanifenc avec leurs voifins, qu'ils ne connoiffent plus quand ils font de retour en ville. J'ai ouï dire que les Anglois vivent de même aux eaux» Mifs Champetre. Vous nous avez die que 1'êge d'ór n'avoit jamais fuböftéque dans 1'imagination des poëtes: croyez vou* qu'il eüt été réel, fi Adam & Eve fe fuflent confervés dans 1'innocence? Madem. Bonne. Jëne puis vous rien répondre de eer*» 1 tain è cet égard , que ce que nous en fa» i vons par la Sainte Eeriture; on peut fe former a cet égard telles idéés qu'on le juge è propos, pourvü qu'elles ne foient point contraires a 1'Ecriture. Dieu mena5a l'homme de mort s'il lui défobéïfibit: donc s'il oe 1'eüt pas fait, il eüt été ira* mortel. Mifs Champetre. Mais, ma Bonne, cet état d'irnmortalité n'eüt - ilpas été con*raire a la nature de nos corps? Ils font cormpofés de parties, & par conféquent ces parties pouvant être défunies on ne peut pasoire que I l'homme füt devenu immortcli Ja divifion eil-i  2£