LES ÉPOUX RÉUNIS, C O 3£ JÉ 1B X JE en un acte et en vers, ReprÊsentÊe pour la première fois, ct Paris, />«r Comédiens Italiens ordinaires du Roi^ le ji Juillet i;3p. A AM STER DAM, Chez Gabriel Dufour, Libraire. m. dcc. xc;  PERSONNJGES. L E C O M T E. O R P H I S E. VERSEUIL» S O P H I E. H E N R I, Enfant de 7 a 8 a£& La Sane efi d Paris. ■ <•="•. k CS & IÉ 'V'-.*. \ti w *  LES ÉPÓUX RÉUNIS, C O JVC JÉ jO X JET. (Le Thédtre repréftnte un Sallon.) SCÈNE PREMIÈRE. VEK.SEUIL, feul, une lettrc a la main. Je n'en faurois douter, en voici la nouvelle; Ce matin, mon beau pere arrivé de Bruxelle, Oü depuis prés d'un an il étoit retenu: Un fi grand changement tout-a-coup furvenu, Va 1'affliger fans doute, il aime fa familie: Ce jour va donc me voir féparé de fa fille, Séparé de ma femme! Ah, quel affreux moment! C'eft convenu d'hier, & très-décidément. Je commence a le croire, oui, notre caraciere, Comme le dit fa tante, en chaque point differe: Depuis que pour les Clubs un goüt fort innocent, Eft caufe que chez moi je fuis plus rarement, J'ai vu foudain changer 1'humeur de mon époufe; Eft-ce donc un fujet pour qu'elle foit jaloufe? C'eft manquer de raifon, c'eft une cruauté; Elle a tout, rang, fortune, agréments, libertéj Mais elle va plus loin; hier, dans la querelle, J'ai bien vu qu'elle croit que je fuis infidele* Le plus léger foupcon bleffe un cceur délicat; Dans_ un cercle nombreux elle a fait un éclat. Jamais querelle enfin ne fut auifj publique: Que va djfe le Monde? Oh! c'eft ce qui me piqué, A i  ( 4 ) C'eft ce qui m'a fait prendre un parti violent. Je n'ai pu fupporter eet outrage fanglant; Une pareille idéé, ou fauffe ou légitime, Toujours, pour un Mari, fuppofe.peu d'eftime. SCÈNE I I. OR.PHISE, VERSEUIL. O r p h i s e. CommenTj tout feul ici? Vous penfiez furemcüt Au" grand parti qu'hier vous prites fagement, N'eft-il pas vrai, Verfeuil? Verseuil. Oui, j'y penfois, Madame. O r p h i s e. Vous ne verrcz donc plus ma niece, votre femme, C'eft décidé ? Pour vous ce doit être un beau jour. verseuil. Quand je vais renoncer au bonheur fans retour, Pour moi c'eft, felon vous, un beau jour. O r p h i s e. Oui, fans doute. Verseuil. Quand nous nous féparons !... O r p h i s e. C'eft la meilleure route, Pour trouver le repos. Verseuil. Nous avions bien vécu Pendant huit ans. O r p h i s E. Tant pis; foyex bien convaincu Que lorfqu'on a longtems exifié fans querelles, S'il en furvient enfuite, elles font éternelles. Avec feu mon mari que j'a'i bien regretté, Si pendant vingt-cinq ans j'ai toujours habité, C'eft que dès le jour mime oü nous nous mariamesi, Teus les deux a 1'envi nous nous contrariamesj  ( 5 ) Eh bien! Qu'arriva-t-il? Nous fümes très-heureux, Paree qu'a difputer nous étions faits tous deux: On fe connoit du moins; cela s'appelle vivre: Mais quand, plein de Pardeur dont Ton ame s'enyvre, Chacun s'exagérant de 1'autre les vertus, Croit qu'une fois vcnu, 1'am.our ne s'en va plus, Et qu'il dure toujours; c'eft alors qu'il faut craindre Que 1'un de 1'autre enfin ils n'ayent a fe plaindre. Fi de ces amoureux a grande paffion, De ces hymens fofmés par inclination! Quand on vous maria, je le dis a mon frere, Mais ordinairement il ne m'c'coute guere. L'augure lui fembloit auffi faux que fatal , Quand je difois qu'un jour cela tourneroit mal, Et je devinois julie. Verseuil. Oui, je vpis avec peine Qu'un caprice du fort peut brifer une chaine, Dont rinclinatLm avoit tiffu les nceuds; Mais elles ne font pas toutes des malheureux, Ces douces unions que 1'amour a ipndées, Et je crois qu'il en eft ... O r. r ii i s e. Voila de vos idéés! Vautez-les donc encor ces douces unions! Je vois mieux que vous tous; mes principes font bons, Et j'y tiens; déformais ayez-y confiance. Quoiqu'il en foit, Verfeuil, dans cette circonflance, Vous avez fgu du moins prendre le bon parti, . Verseuil, Oh! J'y fuis réfolu. O r p h i s e. Point de brouille a demi'; Rien n'eft fi dangereux: vous connoilfez Mélife, Qui de fon jeune époux fembloit fi fort éprife; Ceux-la s'étoient encor mariés par penchant: Un jour, ainfi que vous, très-férieufement, De propos en propos enfemble ils fe brouillerent; Mais Ü furvint des tiers qui les raccommoderent, Et nos habiles gens difoient que c'étoit bien: A3  ( 6 ) Au lieu de rê\ouver dans leur trifte lien Ses anciennes douceurs, tous deux ils achevercnt De s'en dégoüter mieux: puis ils recommencerent A fe bien quercller; enfin a tel exces ^ ,. Qu'au bout de quelques mois ils eurènt un procés, Procés qui dans le teras a fait un bruit terrible, Et quoique féïieux, a paru trés-rifible: Car, pour comble de maux, un bavard d'Avocat En fit, par intérêt, une caufe d'éclat. Verseuil.' Je fais qu'il n'eft que trop de ces caufcs. honteufcs, Oü, fans nulle pudeur, des bouches fcahdaleufes, Divulguant des époux les facheux différents , Font rite le Public, fouvent a leurs dépcnds. Dans des procés pareils fe peut-il qu'on ignore Que roême le fucces dégrade & deshouore? Coranient de ces époux les amis, les enfants, Pourroient-ils cftimer des amis, des parents, Dontrien, même au Public, alors ne difiimule Les vices, les défauts, ou bien le ridicule? C'eft depuis quelque tems une contagion , Que ces alfreux procés en féparation! L'orgueil, 1'intérêt vil, la haine les intente, Et par 1'exemple encor le nombre s'en augmente: Ils outragent les loix, 1'honneur des Tribunaux, Et pour les bonnes mceurs ce font de vrais lléaux. On peut facilement, quand on eft raifonnable , Se quitter fans éclat, fans bruit, a 1'amiablc; J'en vais être une preuve. r O r p h i s e. Eh ! c'eft ce que je dis; Voila commeje penfe. Verseuil. Au parti que j'ai pris Je tiendrai fermement, & je le dois, Madame, Le trait a penétré jufqu'au fond de mon ame. II me femble quJencor je la vois , je Pentends, Qui me dit en courroux : „ tous les hommes du tems ■n Sont tous tels qu'on les peint; oui, tous ils fe relfemblent; r> Avec tant de plaifir entr'eux ils ne s'aiTemblent,  ( 7 ) «Que pour mieux complotter ce qui fait nos malheurs, ■n Et rire en liberté de toutes nos douleurs." SCÈNE III. ORPHISE, SOPHIE, VERSEUIL. (Sophiefait un mouvement pour fe retirer, lorfqu'eüe appercoit VerfeuiQ Verseuil a fa Femme. A h! Madame, arrêtez; ne fuyez point, de grace. sophie. Ouoi, Monfieur. Verseuil. C'eft a moi de vous céder la place, Mais je crois cependant devoir vous avertir Du prompt retour d'un pere, avant que de fortir. S o p h i e. Mon pere! Verseuil. J'en recois 1'avis par cette lettre Qu'un Courier tout-a - 1'heure eft venu me remettre. o r p h i s e. Ah! ah ! mon frere arrivé. Verseuil. Oui, Madame, aujourd'hui; Souffrez que de ce pas j'aille au - devant de lui. SCÈNE IV. ORPHISE, SOPHIE. sophie. Ah ' Ciel! Dans quel moment il arrivé, ma tante J Combien ce qui fe paiTe eft loin de fon attente! Que va-t-il dire, hélas! A4  ( 8 ) O r p h i s e. Tout cc qu'il lui plaira; Mais j'efpere a prcfent qu'au moins ü me croira , Quand je lui prédirai déiörmais quclque dieft. S o p h i e. II eft jufte, il verra que je ne fuis point caufe De ce parti Cruel, convenu fans retour, Qui d'avec mon Mari me fépare en ce jour. Depuis cinq ou fix mois que, dans mon ame aigrie, Tout-a-coup j'ai fenti germer la jaloufie , Ma Tante, vous favez que ma feule langueur Déceloit a Verfeuil les peines de mon coeur. Souvent il medifoit:,, Qu'avez-vous donc, Sophie, ti Auriez-vous des chagrins? Rien ne lesjuftifie." Hier, le cceur prcffé du plus vif mouvement, Je parle , je m'explique en tin ou vertement. O r 1' h i s e. Devanttrente témoins! ; t M> Sophie. ■ Mon cceur, laffé de feindre . Dans ce moment cruel n'a pas pu fe contraindre; Mais Verfeuil auffnót, fans elforts, fans regrets,. !N'a-t-il pas propofé de rompre pour jamais? Le coeur de ces maris eft pétri d'injuttice! Quand leur éloignement met notrc ame au fupplice , II faudroit, n'eft-ce pas, nous cn voir négliger, Par 1'inconftance enfin nous en voir outrager, Sans ofer en gémir, fans fe montrer fenfible? En fait d'indifférence, ils croyent tout poflïblc. O r p h i s e. "Vos nceuds avec Verfeuil étoient mal - afiortis; Tel fut & tel fera fans ceffe mon avis, DuiTai-ie, mon enfant, vivre mille ans encore! Sophie. Puifque nous nous quittons, je prctends qu'il ignore Ce qu'il en coüte, hétas! a mon cceur agité, Oh! oui, j'aurai, je crois, affez de fermeté. .  C 9 ) SCÈNE V. 0RPI1ÏSK, SOPHIE, IIENR.I. H e n r i. Bon Jour. , cherc hiamap; bonjour, ma grande Tante. 'S o s ii i e. Votre bonne de vous eft - elle bien contente? H e n r i. Oui, ma chere maman, oui. Sophie. Mon Fits , c'eft Foit bien. O r r h i s e , embrajfaiit Henri. Henri, te voiia fier aujourd'hui qu'il n'eft rien Qu'on puifle t'objeclxr! Sophie, fixant Henri avec attendrijfement. Ah! Comme il lui rèflemble! O r r h i s e. A qui donc ? Sophie. A Verfeuil. 0 r p h i s e. 1 C'eft poffible. Sophie. II me femble Que je le voisiJpï-même; oui, c'eft bien fon portrait; Ma Tante, dans fon Fils il s'eft peint trait pour trait. O r p h i s e. Eh! Que concluez-vous de cette relfemblance? ' Sophie. Oh! mon reflentiment s'en augmente, je penfe; (Serrant vivement fon enfant cantre fon fetn.~) Viens au fein de ta Mere, aimes-Ja, mon Henri, Aimes-moi. Plaife au Ciél que cetAenfant chéri, Si le deftin permet qu'un jour il fttmarie, De celle qu'il aura ne trouble poin\la vie! QReprenant un ton calm\) Henri, ton grand Papa va venir, ^ ■ - •' ■ *■ ' A 5  C 10 ) Henri fautant de joic. Ah, Maman, 31 va venir, bien vrai ? c'efl que je 1'aime tant 5.... Sophie. Oui, mais il faut avoir 1'air d'un grand perfonnage En fa préfence. 11 faut être pofé, bien fage. 3'entends une voiture. O r p ii i s e. Oh! c'eft lui. SCÈNE VI. le comte, orphise, sophie, verseuil, Henri, Pl-usieurs domestiques. Un Domestique accourant le premier. Le voila! (.Tous fe prejfent autour da Comte.) Sophie. Ah! mon pere! O r p ii i s e. Mon Frere! Les Domestiques. Ah! Monfieur! Henri. Bon Papa! l e Comte les emhrajfant tms. Bonjour, maSeeur; bonjour Henri; bonjour, ma Fille. (d fes Domeftiques.) Oui, c'eft moi., mes amis. Enfin, dans ma familie, Je me retrouve donc après un fi long tetns! Vous me paroiflez tous, comme moi, bien portants, N'eft-ce pas? V e ,r s e u i l. ii eft vrai qu'a voir votre vifage , ii faut que la fanté, dans tout votre voyage, Vous ait accompagpé. L e Comte foulevant le petit Henri.^ Mais cpmme votre Henri, Depuis un an, ma Fille, a tout-a-coup grandi!  (ptndaut les morceaux précédents, les Bomefiiqu.es ont drejfé une table oü l'on voit tout ce qui eft nécefaire pour un déjeuner de familie.) Verseuil. Voici le déjeuner: a ce que je fuppofe, Monfieur, avec plaifir, vous prendrez quelque choie. {Tous fe placent autour de la table.') [ L e Comte. Oh! j'ai fait feulement trois poftes ce matin. Verseuil. Oui, mais 1'air, 1'exércice aiguillonnent la faim. Oiïhise fervant le Comte. Tenez, tenez. L e Comte. J'éprouve une fi pure joie! (JPrenant tour^d-tour la main de chacun de fes enfans.) 11 faut abfolument que mon cceur la déploie; (Après une paufe.) II n'y manqueroit rien, fi ma Femme exiftoit. O r v ii i s e. Votre Femme! L e Comte. Oui, c'eft la... la qu'elle fe mettoit, Vous vous en fouvenez: quand je vois cette place, Son image auffitöt a mes yeux fe retrace: Quelle Femme ! Sophie.' Papa, vous vous attendrilTez. O r p h i s e. Buvez, votre café feroit froid; oui, buvez. L e Comte. Combien de fois émus d'une douce tendrefle, Nous avons defirés une longue vieilleffe, Pour gouter la douceur, dans nos derniers inftants, D'être entourés d'enfants & de petits enfants! Ah! plus je lui furvis & plus je la regrette. Sophie verfant d fon Fils. Tiens, mon fils. . Li Comte. Elle n'eut ni ces airs de coquette,  ( 13 > Ni... O r. p ii i S E. Buvez donc, mon Frere. L E C o M t E. Allons, allons, ma Sceur, (Ils fe levent tous."} J'ai bu. Mais permettez que j'épanche mon cceur: Ne fgavezvous pas bien que, quand je parle d'tlle. Je ne taris jamais? C'eft que je me rappelle Que nous fümes heureux julques au dernier jour: Aufli nous nous étions marics par amour. O e. p H i s E. Par amour! L e Comte. Je Je vois, de votre ancienne idee, Vous n'êtcs point, ma Sceur, encore diffuadéc. O r p ii i s E. J'eii fuis Ioin. ' L e C O. M t E, Vous avez cependant, fous les yeux , Un exemple qui doit vous faire pcnfor mieux. (d fon Gendre & d fa Fille.) Mcserfants, c'eft vous-même, &: votre heureux ménage, De mon bonheur pafte me préfente Fimage. (appercevant leur embarras.) Mais avant mon départ, fi j'ai bien obfervé.,, Devant moi vous aviez un air moins réfervé: Ou vous vous adreffiez quelques mots de tendreffe, Ou bien vous vous faifiez quelque douce carcffe. Sop ii ie, 4 part* Ah! Dieu. Yerseuil fe remettant. » N'eft-il pas jufte, en un pareil moment, Que nous nous occupions de vous uniquement? (d part) Que d'un autre du moins il fache ce myftere l (haut) J'oubliois... Pardonnez... Une certaiqe affaire..., Si vous m'aviez appris plutöt votre retour, Je ne m'en ferois point pccupé dans ce jour.  C 13 ) Voici 1'heure oü chez moi quelqu'un a dü fe rendre, II feroit irapoli de trop fe faire attendre , Et pour quelques inftants... Le Comte, le fixant. Faites, mon Gendre. SCÈNE VII. LE COMTE, ORPHISE, SOPHIE, HENRI. Le Comte, a Henri qui fe tient bien droit. \ Eh bien! Mon cher Heriri, viens 9a, tu ne me dis donc rien ? Parle, a quoi penfois-tu? Henri. Je penfois que je t'aitrië. L e Comte. A ton égard, mon fils, je penfe aufli de même. (d part) Pour un fenfible cceur que 1'enfance a d'attraits: Sophie, d Henri. A votre grand Papa faites voir vos progrès. Henri. Dirai-je de ma Fable, ou bien de mon Hiftoire? L e Comte. Tu fais tout cela? Henri. Certe. Sophie, bas au Comte. II a de la mémoire , (haut d Henri.)' C'eft.étonnant... Henri, qu'eft-ce»que le Dien Mars? Henri, rédtant d la maniere des enfants. C'eft le Dieu de la Guerre; & le Dieu des Beaux Arts , C'eft Apollon. Sophie. Fort bien; & qu'eft-ce qu'Alexandre? Henri toujours d la maniere des enfants. ün Koi de Macédoine, il mit 1'Afie en cendre,  C M ) II triompha de Darius, Il tua fon ami Clitus, Et dans fon Médecin , malgré la médifance, II eut beaucoup de confiancc. Paree qu'un fi grand Roi croyoit a la vertu. S o p h i l'embrajfant avec tranfport. A merveille, mon fils. Le Comte, froidement. De quel pays es - tu ? Henri. Je ne fais pas. L e Comte. Comment, cela ne peut pas être , Après tout le f$avoir que tu mJas fait paroitre Et lorfqu'on fait fi bien qu'Alexandre jadis... Henri d'un petit air impatienté. Etoit dè Macédoine. L e Comte. Et toi? Henri trés - étonné. Moi! L e comte. De Paris. Henri ingênuement. On ne m'apprend pas 5 a. L e Comte. Voila donc la méthode Des éducations de nos Gens a la mode! Les enfants ont a peine atteint fix ou fept ans, Que 1'on veut qu'avant tout ils paffent pour favants: Je ne dis point cela pour t'affliger, Sophie, Mais je n'approuve point cette folie manie, Et d'une autre méthode il faudra faire choix. Nous en cauferons raieux, ma Fille, une autre fois. Sophie un peu cohfufe. Oui, mon Pere... Je vais le conduire a fa Bonne. L e Comte. (l'embraffant affeclueujement.) Va... Tu n'es point fachée? ('Sophie fort avec fon, enfant.}  C 15 ) SCÈNE VIII. ORPHISE, LE COMTE. L e Comte. Une chofe m'étonne; Sophie avoit un air penfif, embarraffé, Et Verfeuil eft forti trés - décontenancé; Crainte de quelqu'erreur je n'ai voulu rien dire, Saus être mieux inftruit... Mais je vous vqis fourire O r p h i s e. Enfin, mon très-cher Frere, on ne me dira plus Que je vois toujours faux. L e Comte. Quels propos fuperflus! O r. p h i s e. Et Pon aura fans doute un peu de confiance Dans ma fagon de voir, dans mon expérience. L e Comte. Je ne vous entends pas. O r p h 1 s e. cSoit; mais moi, je m'entends; L'homme qui s'inftruit ;tard, s'inftruit a fes dépens, Mon Frere. L e Comte. Expliquez-moi, fans tout ce préambule, Ce que je m'appérgois que Pon me dillimule. O r. p h 1 s e. Eh! non, non; vous croiriez que j'ai vu de travers: J'ai toujours, felon vous, rêvé les yeux ouverts. L e Comte. Etes-vous folie? O & p h 1 s e. Soit, comme vous fütes'fage, Mon Frere; vous favez que ce beau mariage De Sophie & Verfeuil, s'eft fait contre mon gré; Mais Pamour, difiez-vous, Pa déja préparé; De telles unions ne font bien aiforties, Que fur le fondement des goüts, des fyrapathics.  c is y L è Comte. Je le répete encore, O r p h I s e. Et c'eft un nouveau tort. Demandez-leur s'ils font bien contents de leur fort? L e c 0 m t e. Ma Sccur, vous m'eftrayez. O r p ii i s e. II eft bien terhs de craindre, Mais de vous feul au moins vous avez a vous plaindre. Le comte'a part, Quèl fupplice! ö r p h I s e. II falloit croire qu'en fait d'épotix. Mal "ré vos beaux difcours, on voyoit mieux que vous. L' e Comte.' Continuez, maSceur , fur ce ton ironique, J'y confens : mais qu'au moins votre bouche m'explique Ce que vous ne pouvez me laiffer ignorér. O r p h i s e. Eh bien ! Sachez-le donc , ils vont fe fe'parer. L e Comte. Ouoi, Sophie & Verfeuil? O r p h i s e. Oui, Verfeuil & Sophie, Ces époux qui devoient, pendant toute leur vie, Se convenir toujours. 1/ e Comte. II fe pourroit, hélas? o' r p h i s e. Eh bien! vous allez voir qu'il ne le croira pas. L e Comte impatknté. Ouard vous me citeriëz encor d'autres viótimes, J'oppoferois lans ceife a vos fauffes maximes, . L'exemple de mes nccuds, qui vous démentit bien. O r p h i s e. C'eft une exception; cela ne prouve rien. L e Comte. Mais laHfons-la, ma Sceur, notre difpute vaine. Dites-moi feulement quelle caufe foudaine ' Les  ( 17 ) Les potte, les décidë a fe quitter ainft ? 6 r p h i s e. Tout. L e C o m t e. Par un mot fi vague on n'eft point éclairci. Avec plus de détail je fauraï d'eux, je penfe , Ce qui fait de leurs cceurs la méüntelligence. Vous êtes bonne au fonds; je ne foupgonne pas Que vous ayez, ma Sceur, excité leurs débats. O r p h i s e. Dieu m'en garde jamais! L e Comte. Je vous crois; mais je gage Que vous n'avez rien dit, ni rien mis en ufage , Pour fufpendre, empêcher leur féparation? Tant vous tenez, ma Sceur, a votre opinion! O r p h i s e. Non, mon Frere, je penfe & leur dis au contraire . Que, dans un cas femblable, ils ne fgauroient mieux faire. L e Comte. Lorfque vous devriez, pour les voir rêunis, Employer tout!.. O R p h i s E. Après, ce feroit encor pis. L e ComtÉj avec débit & beaucoup de chaleur. Vous m'étonnez, ma Sceur, la maxime eft nouvelle; Et, fi je 1'entends bien, il faudroit, felonelle, N'oppofer rien au mal, & même s'y tenir, Paree que dans la fuite il pourroit revenir. Ciel? comment fe peut-il qu'un être raifonnable Articüle fans honte un fophifme femblable ? La plupart des époux, des amis, des amants, (Et ce ne font point la de vagues arguments, Ma Sceur,) Quand il s'éleve entr'eux une querelle j Au lieu de s'entêter, de la rendre étemelle, A fe raccommoder mettroient chacun leurs foins $ Si de leurs différends ils n'avoient des témoins si Mais c'eft encor bien pis, lorfque quelqu'un s'en mele, Loin que de leurs débats la trame fe déniêle, Alors devant un Tiers ils craignent de rougtr: B  ( x8 ) L'amour-propre & Torgueil les font parler, agir. Certains motifs fentis, mais indéfiniifables, Que le fentiment feul rend aux cceurs explicables, Dont vis-a-vis d'un Tiers ou eft fouvent confus, Ne peuvent être alors reprochés, reconnus; Les motifs apparents des vrais prennent la place; L'un & 1'autre on s'aigrit, quelquefois on fe glacé: Un Tiers fenfible, ardent, d'un zele courageux, De réunir les cceurs a feul le droit heureux, Lorfqu'en ces cceurs blefles, il fait avec adrefle, Sans les humilier, ranimer la tendrefie. O r p h i s e. Ou le trouver ce Tiers dont les habiles foins ? ... L e Comte toujours rapidement. Oh! pour un de ce genre il en eft mille au moins, Dont tout eft dangereux. L'un gronde, moralife; Avec trop de prudence un autre temporife, Et par - la donne enfin acces a la froideur. Celui-ci fauflement fe croit médiateur, Et n'eft que PAvocat d'une feule partie, Dans fou opinion encor plus affermie. Celui-la , qui voudroit le bien fincerement, Cherche a vous rapprocher, mais s'y prendgauchement: Quelques-uns' foiblement au retour vous excitent, Quelques-uns font trop vifs & par-la vous irritent. Ainft je foutiens donc qu'un Tiers, en général, Produit toujours cent fois moins de bien que de mal: Et je me tais fur ceux dont la main criminelle Sait aggrandir la plaie, en affe&ant le zele, Et fur ceux, qui, n'étant qu'aveugles comme nous , Rougiroient d'appaifer nos deux jeunes époux, Paree que, dans leur tete, oü tout devient extréme, Ils ont enraciné quelqu'abfurde fyftême. O e. p h i s e. A les raccommoder on ne parviendroït pas . Et je crois qu'a préfent vous devez faire cas De mes prédictions.... C'eft la chofe impoffible: Oui, fufliez - vous ce tiers plein de zele, fenfible, Non moins adroit qu'ardent.  ( 19 > L e Comte. Si j'y réuffiffois? O r. p h i s £. Mais cela ne fe peur, vous dis-je, non, jamais L e Comte. En feriez-vous fachée? O r. p ii i s e. Oh! non, je fuis fmcere. L e Comte. Que diriez-vous enfin? Orphisi. Mais je dirois, mon Frere... Oh! Je dirois toujours que mon principe eft bon, Mais qu'ils y font encore une autre exception. L e Comte. Soit. O r. p h i s e. Vous vous fiattez trop; au furplus, je vousianTe: Allons, mettez encore en défaut ma fagefie. L e C o m t e. Nous n'avons, par malheur, jamais vu du même oeil. Faites-moi le plaifir de m'envoyer Verfeuil. SCÈNE IX. L E COMTE, feul. J'arrive a tems; je vois que, pendant monvoyage^ La difcorde chez moi préparoit fon ravage. II faudra leur prouver, pour les mettre d'accord, Qu'ils ont tous deux raifon, & qu'ils ont tous deux torfc, A de vulgaires yeux cela femble facile; Aux yeux des gens fenfés rien n'eft plus difficile. Quand il exifte, hélas! tant de difficultés Pour rapprocher des cceurs qui fe font écartés, Pourquoi le plus fouvent faut-il qu'un rien fuffife, Pour détruire a jamais une telle entreprife? Le plus fouvent de même il n'a fallu qu'un rien 9 Pour troubler la douceur du plus heureux lien. B a  SCÈNE X. LE COMTE, VERSEUIL. Li Comte. "V^ERsEuiir, je viens d'apprendre une étrange nouvelle: Vous voulez me quitter ? Verseuil. Monfieur, une querelle Oü je crois que le tort n'eft pas de mon cöté, Me force a ce parti cruel; mais arrêté. Ma foi n'auroit jamais du paroitre fufpecle; Vous favez a quel point, Monfieur, je vous refpecte; Demeurant avec vous, j'appris a me former Sur vos rares vertus que je fais ellimer; Ce n'eft pas fans chagrin que pour toute ma vie, Je m'apprête a quitter une maifon chérie, Oüj'ai vu s'écouler mes inftants les plus doux, Oü j'avois le bonheur de vivre auprès de vous. L e Comte. Dans votre difFérend je crois voir clair, mon Gendre, Et tout votre difcours m'a fait affez comprendre, Que les torts qu'a ma Fille aujourd'hui vous trouvez, C'eft d'être un peu jaloufe. Verseuil. Ah, Monfieur, concevez Tout ce qu'a de cruel, alors qu'il fe déclare, Ce fentiment qui rend l'humeur trifte & bizarre, Qui, s'irritant toujours, & toujours s'accroilfant, Lorfqu'il n'eft pas fondé, devient trop offenfant. L e Comte. Le tems de plus en plus accroit la jaloufie, J'en conviens, quand on fut de cette phrénéfie, Très-malheureufement atteint dès le berceau; Mais celle de ma Fille eft un mal trés-nouveau , Oü je vois qu'il faut bien, d'une ou d'autre maniere, Que vous ayez, Verfeuil, donné quelque matiere.  ( 31 ) Verseuil. Non, Monfieur, non, je n'ai rien a me reprochef. L e Comte. Cela ne fuffit pas; la, fans me rien cacher, Dites-moi, (je crois bien que vous fütes fidele;) Dites-moi, cher Verfeuil, fi, le même avec elle, Vous vous êtes conduit toujours également, Avec autant de foins, autant d'emprefl'ement. Verseuil. L'ufage, le bon ton veut qu'au tems oü nous fommes, Nous fréquentions les Clubs; nous vivons plus entr'homnies i Nos femmes en effet y perdent quelques foins; Mais croit-on pour cela que nous les aimions moins. L e Comte. On peut le foupconner. Verseuil. Ce feroit être extréme. L e Comte. Elles pourroient vous dire, on cherche ce qu'on aime: Mais quel eft de ces lieux oü vous paffez le tems L'irréfiftible attrait ? Verseuil. Tous les honnêtes gens De la Cour, de la Ville, y vont, s'y réuniffent. C'eft la que nos efprits a 1'envi s'enrichiffent. Des mérites divers partagés entre nous,^ Qu'un utile commerce y rend communs a tous. Les aclions d'éclat, & les nouveaux ouvrages , Y paffent au creufet pour avoir les fuffrages. Un proces n'acquiert point de la célébrité, Que dans ces Tribunaux il ne foit difcuté; C'eft li que, calculant fes forces,-fes lumieres, Un Etat fe difpofe a ces crifes profperes, Oü, la nature enfin rétabliffant fes droits, L'homme éleve fur eux 1'édifice des loix. La, fur la liberté librement on s'explique; C'eft dans les. Clubs que. nait 1'opinion publique: Les honneurs, la fortune y font comptés pour rien, On n'y connoit qu'un rang, celui de Citoyen. B3  C 2a ) L e Comte. Quelques enfoient, Verfeuil, les brillants avantages, Ne pouvons-nous fans eux étre inftruits, libres, fages? On s'éclaire bien mieux au fond d'un cabinet; Ce n'eft guère en public qu'un grand homme fe fait. Vous croyez que par vous un Etat fe dirige ? Tót ou tard de lui-même il faut qu'il fe conige. Ces réformes des loix, ces révolutions, Nous les devons plutöt aux méditations Des efprits courageux, qui, dans la folitude, Ont fait des droits de 1'homme une profonde e'tude. Quoiqu'aux Clubs chaque jour 1'Onivers foit jugé, De tout on n'y doit être inftruit qu'en abrégé; Les hommes, dites-veus, s'y raflemblent en freres; Mais leurs maifons alors leur deviennent moins cherei, Leurs enfants font bientót étrangers a leurs cceurs; D' une époufe fenfible ils expofent les moeurs. Si vous y refpirez 1'honneur, la bienfailance, On_ peut également s'y livrer en filence: Oui, 1'on peut a fa Femme, ainfi qu'a fes enfants, En donner tous les jours des exemples touchants. Heureux qui plus qu'ailleurs fe plait dans fa familie! Mon Gendre, que votre ceil aujourd'hui fe deffille! Revenez a Sophie; oubliez tous les deux, En vous réunifiant., un moment malheureux. Verseuil. Que me propofez-vous? Pourriez vous vous attendre Que je change un parti, lorfque j'ai dü le prendre? L e Comte. Avez-vous calculé fes funeftts effets? Verseuil. Sans avoir des remords, j'aurai d'affreux regrets. Oh! je fais bien, Monfieur, tout ce que, dans fon ame, Doit fouffrir un époux féparé de fa femme; Je fais que fur la terre on languit ifolé; Dans fes afrMions on n'eft plus confolé, On ne peut plus brüler d'une chafte tendrefle, Et I'on voit a grands pas arriver la vieillefle, N'ayant pour oppofer a fes infirmités, Que des foins incertains, des fecours achetés.  ( 33 > Te fais que 1'ame enfin défiechée & flétrie, Par aucune douceur ne tient plus a la vie, Et qu'on éprouve, hélas! dans eet hornb e ét^t, Tous les maux que le tems réferve au cehbat. Le Comte. Et lorfque votre efprit en a la certitude, Vous vous condanmeriez a cette iolitude t Verseuil. II le faut: entr'époux rien n'eft indifférent: Plus 1'objet nous eft cher, & plus 1'outrage eft grand. Je dois faire paroitre, en ce moment terrible, La jufte fermeté d'un cceur noble & lenlibie. Te dois me féparer, je le dois, je le veux; C'eft montrer a quel point ce cceur eft courageux, Mais il n'eft point d'efforts dont ü ne foxt caPable Quand ma Femme envers mox d'un foupeon eft coupable. SCÈNE XI. L E C O M T E, feul. Plus que je ne penfois Verfeuil eft irrité, Et j'aurois gaté tout, en brufquant fa fierte. Mais, par bonheur, malgré le depit de fon ame, II n'a pu me cacher qu'il aime encor fa Femme. Ainfx je puis coanpter que 1'amour m'aidera; J'ofe penfer auffi que ma Fille voudra A fon époux bleffé faire au moins quelqu avance , Et cela détruiroit le mal dans fa naiüance. . Le plus grand ennemi de 1'amour, c eft \ orgueu. J'efpere la trouver moins fiere que Verleun. SCÈNE XII. SOPHIE, LE COMTE. Sophie. Mon Pere, plus tongtems je ne faurois me taire. Apprenez.... 2 ^  C 24 j L e Comte. Ma Fille? J° faiS t0Ut' Eh qUe prdtCnJs"tu £tire' Sophie. Me jetter dans vos bras, y pleuren •p LeComte. 7* t01> Sophie, auffi, tu veux te fe'parer? OnmePa propofé.... Je fens, q'uoiqu'il m'en coüte Le coeur de mon Epoux eft tout ■ a-fait changé. r, ,,. . _ LeComte.' £ar d injuftes foupcons il fe crbit outragé; TumcaL!. ..ParCe qU,ailleUrS Ü Paire fes j^™ées, Sophie. ti Z •, E1Ies m'étoient autrefois deftinées. li va, dit-il, aux Clubs, mais ne va-t-il que la? a u, E Comte. Ah! ma Fille. Sophie. T . O" prétend qu'ils difent tous cela Lorfque pour leur Epbufe ils ne font plus les mémeS. Tll o . , -LeComte. Sonh?^and°fMee è des craintes extrêmes. Tof' 11 ne/aut,Pas «oire fi promptement ■iout ce que dans le monde on dit légerement. ■xr r Sophie. Verieiul ne m'aime plus. L e Comte. ti ,1 • ., Ma Fille, tu t'abufes • II t'aime, ,1 me Pa dit; fauffement tu Paccufes.' tvt -i Sophie. Won: il me le diroit encor a chaque inflant: *-e qu Qn aime a penfer, on le dit fi fouvent J ti fa ~ L E Comte. MaFi£ë%\r?ï ™ÜS au tems oü nous fc«nm«f TTrê£& w U1 P^i3"1 exjger des hommes. ' Je réponds a ton cceur de fa fidélité, ^ c eft la le grand point: on n'eft pas irrité  < 25 ) Si fortcment que lui,-lorfque 1'on eft coupable, Ou bien il faudrott être un homme abominable. La contradidtion de rien ne vient a bout; Non, il ne faut jamais contrarier un gout: ' Souvent, par ce moyen, on change en frénéfie, Ce qui n'auroit été qu'un goüt de fantaifie, Dont en trés peu de tems on feroit revenu : Moi, je fuis de fang-froid, & Verfeuil m'eft connu; J'ai bien étudié fes mceurs, fon caraftere; Tu ferais devenue a ton mari plus chere, Si ton cceur, fans fe plaindre, & fans le maljuger, Eüt attendü la fin de ce goüt paffager. S o p h i f. Mon Pere, c'eft en vain flatter mon infortune; Et je fais trop combien je lui fuis importune. L e Comte. Que eet événement te ferve de lecon! Ma Fille, ilfaut montrer ton bon cceur, ta raifon; Songe en te foumettant a ce que je fouhaite, Songe combien mon ame en léra fatisfaite: D'ailleurs tu conviendras qu'une femme, entre nous , Peut bien , fans en rougir, prévenir fon époux. Sophie. Moi, mon Pere . a prefent qü'a ce point je m'abaiffe ! L e Comte. Ma Fille, voila bien 1'orgueil & fa foiblelfe ! Qui ramehe un époux, ne peut, dans aucun cas, Que s'honorer beaucoup, & ne s'abaifle pas. S o p h i e , tombant aux genoux de fon Pere. Eh! qu'obtiendriez-vous demon obéiffknee? Si je peüx a ce point me faire violence , Je fuis fure qu'a rien je ne remédierai, Oui, quelqu'en foit 1'effet, jamais je ne croirai: Non jamais a préfent je ne croirai qu'il m'aime, Que s'il vient aujoud'hui, le premier, de lui-même, Demander vivement notre réunion. L e Comte relevant Sophk, Mais s'il en. dit autant. Sophie.' Oh! non, mon Pere, non. B5  (5«) Je n'ai point propofé ce parti qui m'outrage , Je dois, puifqu'il 1'a prie, en m'armant de courage, D'un cceur fenfible & fier montrer la dignité; Et le premier moment une fois fupporté, Sur mon fils & fur vous raffemblant ma tendrefie, Avoir pour fon enfance & pour votre vieillelfe, Les plus touchans égards & les plus teudres foins , Et tacher d'oublier, ou de regretter moins L'ingrat dont je croyais la tendrefie éternelle: Epargnez-moi, mon Pere, une fcene cruelle. Le Comte, d part. Sa démarche, bien loin d'en hater le fuccès, Je le vois, détruirait a jamais mes projets. (hautï) Je n'exige plus rien ; foyez libre, Sophie. SCÈNE XIII. ORPHISE, LE COMTE. Le Comte, fans voir Orphife. ^5on, non, ü ne faut pas forcer une ame aigrie. O r p h i s e. Vous avez, n'eft-ce pas, réufïi pleinement? Je viens pour vous en faire exprès mon compliment. L e Comte. Oh! ma Sceur, faites trêve a la plaifanterie. O r p h i s e. De fa chimère, au moins, vótre tête eft guérie. Eh bien! Qu'avez vous fait? L e Comte. Rien, mais j'efpere encor Réuffir. O r p h I s e. Celui-la me pafte, il eft trop fort, L e Comte. Oui, j'efpere qu'ici, fans contrainte, & d'eux-mêmesJ Ds fe réuniront.  O h. p h i s e. Chimères! Vains fyftêmes! Oh! vraiment, c'eft ainfi, j'en conviens avec vous, Qu'oa peut folidement rapprocher des époux; Mais vouloir le tenter, c'eft plus qn'une folie. Vouloir que de foi même on fe réconcilie! Hélas! mon pauvre frere.... L e Comte. Oui, ma Sceur. O e. p h i s e. C'eft, ma foi, Avoir un trop grand fonds de ccnfiance en foi. Mais rien ne vous effraye en fait de tentatives, Et vous voyez toujours d'heureufes perfpeélives. Je vois différemment, & ce n'eft pas en vain Que je me natte un peu de lire au cceur hümain. L e Comte. Pour y bien lire, il faut favoir que £a nature, D'elle-même, eft fans cefie honnête, fimple & pure. Et qu'il eft toujours bon, quand il eft dégagé De tout fyftême faux, & de tout préjugé. (a part.) Remettons, s'il fe peut, la paix dans ma familie, (ƒ/ appelle... Un laquais vient.) Sans perdre un feul moment... Eh quelqu'un! Que ma fille Vienne ici tout-a-l'heure, ainfi que fon mari! O r. p h i s e. Quoi! lorfqu'a tel exces chacun d'eux eft aigri, Vous efpérez ?.. L e Comte. Ma Sceur, daignez au moins attendre Le réfultat du plan que vous m'allez voir prendre. Vous eütes un Epoux. O b. p h i s e. Et pendant vingt-cinq ans, Mon Frere. L e Comte. Mais, ma Sceur, vous n'eütes point d'enfants, Croyez-moi, fi jamais vous aviez été mere, Vous apprécieriez mieux 1'efpérance d'un pere.  ( 28 ) , Orphise. De ma prefence ici vous n'avez pas befoih. c. f. , . LeComte. &i lait: daignez, ma Sceur, de tout être témoin.- SCÈNE XIV. ORPHISE, SOPHIE, LE COMTE, VERSEUIL. (Ferfeu.il & Sophie entrent par des cötés oppofés.) LeComte. Approchez tous les deux: par vous ma Fille exifte fceion Ion rang, Verfeuil; toute fa dot confifte En peu de chofe: ainfi, c'eft 1'inclination Qui vous fit dans le tems former cette union Prefcnvez la facon dont elle devra vivre: Quelle que foit fa loi, ma Fille, il faut la fuivre. S o p H ï e. Aux plus e'troits befoins je faurai me borner. Verseuil, Madame, fur ce point c'eft a vous d'ordonner, Sophie, Non, Monfieur. Verseuil. Je vais donc propofer, & j'efpere Que mon arrangement aura droit de vous plaire Jl eft troü de Maris, dans ce fiecle pervers, Qui, couvraut 1'intérêt de prétextes divers, Aux plus foibles fecours, en fe féparant d'clles, Eorneht injuftement des époufes fidelles; Du luxe trifte effet' Celui qui n'avoit rien, D une femme trompée u(urpe ainfi lë bien; Et le riche, qui eroit avoir été 'peu fage, En formant par 1'amour les nceuds du mariagea Reptre dans la fortune, en agifiant ainfi: Jé crois devoir donner un autre exemple, ici. ^fais ce qüe je dois a vos mceurs que fhonore, adame, & ne veux point que le Public ignore,  ( =9 ) Qu'en ne vous voyant plus, votre équitable Epoux . Eft toujours plein d'eftime & de refpect pour vous. Que de ces fentiments mon procédé 1'inftruife! Sophie. Monfieur.... v e e. s e u i l. Ne parions point de ce qui nous divife, Ou je fors a 1'inftantj je dois vous maintenir Dans 1'état diftingué qu'on vous vit foutenir. Tout ce que je ferai n'eft que jufte, Madame, Et de mon équité votre honneur le reclame. Confervez tout, fortune, agréments, liberté; Et, fi j'ai droit d'ufer d'un peu d'autorité, , Pour cette unique fois fouffrez que je m'en ferve, Madame, confentez d'accepter fans réferve La moitié de mes biens: ma propofition Ne doit me mériter nulle obligation. Même a s'en féparer quand un mari s'apprête, ■, Le bonheur de fa femme, alors qu'elle eft honnête, Fixant toujours fes foins & fes plus chers defirs, Doit être encor pour lui le plus vif des plaifirs. Sophie.', Monfieur, dois-je accepter cette offre généreufe? verseuil. ("erna ) Pai droit de i'exiger Puifïiez-vous être heureufe! Sophie. Croyez aufiï, Monfieur, croyez que tous mes vceux Sont que vous jouifiiez d'un fort toujours heureux- L e Comte, après une paufe, & d'un ton attendri. Eft-ce que maintenant votre ame perfévere Dans ce parti cruel? 'Verseuil, fe raffermiffant tout-d-coup. Oui, Monfieur. Sophie, avec un dépit douloureux. Oui, mon Pere. L e Comte. Avant de vous quitter, de vous fuir pour jamais, RégleZ donc le plus cher de tous vos interets. Un enfant eft le fruit de votre mariage,  ( 3° ) De vos tendres amours il eft 1'unique gage; Qui de vos deux aura ce gage intéreiTant ? Verseuil. Je 1'emmene avec moi. Sophie, avec tornt l''énergie d'une Mirt. M'enlever mon enfant! Ah! 1'on m'arrachera cent fois plutót la vie. Verseuil. II ne m'eft pas moins cher. Sophie. II eft tout pour Sophie. L e Comte. Voulez-vous qu'il choififle entre vous? Verseuil. J'y confens. Sophie, d part. Pourra-t-il réfifter a mes embraflements, Aux defirs, aux tranfports, aux larmes de fa Mere? ( haut.) Oui, j'y confens; qu'il foit a celui qu'il préfere! Qu'il vienne! LeComte, appellant. ( Un laquais vient. ) (Ze laquais fort.) Hola quelqu'un! Que 1'on amene Henri! Cd part.J Deux cceurs aulft bien nés, qui, dans un Fils chéri, Avec tant d'intérêt fe confondent fans cefie, Ont encor l'un pour Fautre une vive tendrefie. SCÈNE XV & demiere. Les Précédens, HENRI. Sophie, courant au-devant de fon Fils. Tu reftes avec moi, dis, mon Fils! Henri. Oui, Maraan. Verseuil, le prenant dans fes bras. Tu veux donc me quitter ?  C 3i ) Henri. Oh! non, aflurétnent L é Comte. Ton Pere & ta Maman féparément vont vivre: Dis-nous lequel des deux, mon enfant, tu veux fuivre. Verseuil. Ton Pere. Sophie. Ta Mamam Henri. Oui, Maman & Papa. L e Comte. Mais ils vont fe quitter, n'entends-tu pas cela? Henri. (Le Mari & la Femme fe détournent attendris.) Se quitter? Pourquoi donc? Pourqnoi? Papa, je t'aime Maman aufli... Tous deux je vous aime de même; (D'un ton careffant, & les tirant par leurs habits.) Oh! ne vous quittez point. Verseuil, d part. Ah! Quel moment! Sophie, d part. Helas! Henri. Vous refterez tous deux avec moi, n'eft-ce pas? ( Les deux Êpoux fe retournant & fe baijfant en mêmt. tems, pour embrajfer leur enfant, fe rencontrent, fi regardent & s'embrajfent.') Ij e Comte, foulevant avec tranfport l'enfant ims fes bras. La nature triomphe, & mon ame eft contente. Je te rends grace, ó ciel! Tu remplis mon attente. Sophie. Ah! Verfeuil! Verseuil. Ah! Sophie! Le Comte, d Orphife qui ejfuie fes youx. Eh bien! ma chere Sceur, Vous pleurez, je le vois? Orehise, d'un ton atteniri. N'ai-je donc pas un cceur?  ( 32 ) L e Comte. J'avois lieu d'efpérer. O r p h i s e. Vous faites des miracles, Et vos difcours, pour moi, feront tous des oracles. H è n e. i. Mais tu pleures auffi, dis donc, mon grand Papa? L e Comte. Elles font de plaifir, mon Fils, ces larmes-la. O r p h i s e. Je fuis tout-a-la fois, émue & fatisfaite: Les voir toujours unis eft ce que je fouhaite; Mais je 1'aj dit tantót, nouvelle exception, Et je n'en tiens pas moins a mon opinion. Li Comte. Soit: que chacun, ma Sceur, perfifte dans la fienne, Pourvu que parmi nous le bonheur fe maintienne. Verseuil. Ah! je fens que les Clubs, par moi facriftés, Ne peuvent convenir aux hommes marics. Sophie. Non, fatisfais ton goüt, je t'ai fait un.outrage, Ta Femme déformais n'en aura plus d'ombrage. • L e Comte. Ce qui caufoit hier le plus cruel débat, N'excite plus en vous qu'un généreux combat; Vous avez tous les deux de très-bons caraétères, Vous en avez auffi les défauts ordinaires. (a Verfeuil') Vous, quand elle s'allarme, il faut la rafiurer, (i Sophie.) Et vous, quand il s'emporte, il faut le modérer. O! mes enfants, fachez qu'un excellent ménage, Du célefte bonheur, fur la Terre, eft 1'image! F I N.