LETTRE BE Mo JUJLIEN BJENTANB DE GENEVE, Sur le Requifitoire de M. de Seguier , Avocat-Général , contre le Mémoire publié en faveur de trois Hommes condamnés a la roue par le Parle* ment de Paris. A.AMSTERDAM; Et fe trouvé Chez les principaux Libraires de FranceJ   AVIS DE L'ÉDITEUR. @Uel qu'ait êté le but de ïAuteur de cette Lettre en l'êcrivant, il me fuffif qxCelle me fok parvenue de fin aveu; pour nepas héfiter a la rendre publique , & a Voffrir a la médïtation des perjonnes qui s'intéreffent véritablement au bonheus de l'humanité. L'importance des matieres qui en font lobjet , la clartê avec laquelle elles y font traitées , Vexcellence des principes, a ij  P avis qui y font développés , & enfin la falutaire influence que ne peut manquer 'd'avoir leur propagation , font des motifs qui Vemportent , d mesyeux , fur toute confidération , & qui me font efpérer que le Public me faura grê de lui faire connoitre un ouvrage utile a toutes les dafjes qui le compofent. Le Citoyen accueillira avec reconnoiffance le %elc d'un homme de bien qui défend fes droits & fa füreté , 6* VHomme en place , ou le Magiftrat , ne dédaignera pas le travail d'un Philofophe qui Véclaire. Un autre avantage qui réfulte de la publication de eet Ecrit , ceft le defer gu'il infpire de connoitre un Ouvrage  DE L'ÉDITEUR. $ trop peu répandu , & qui fortit , il y a deux ans , de la- même plume ( i). Cet Ouvrage eftimable, & auquel la modeftie de VAuteur n a donnè que le titre J'Effai ouvre une nouvelle route pour arriver a la perfeclion des Loix criminelles. II renferme même un canevas complet qui pourra fervir de bafe ou de modele au feul plan qu'on adoptera peut - être , fi jamais on s'occupe férieufement de la réformation fi nécejfaire 6* fi defirée de la Jurifprudence Francoife. Heureux ceux qui gouvernent, s'ils (i) Effai de Jurifprudence Criminelle, a vol. in - 8°. Imprimé a Laufanne en 1785. a iij  ■vj AVIS DE L'ÉDITEUR: étoient toujours éclairés par des Ecriis femblables ! Plus heureux les Peuples, s'ils en reffentoient l'effet , ■ avec moins d'obftacks & de lenteur!  LETTRE BE Mo JULIEN BENTANB. DE GENEVE, Sur le Requifitoire de M. de Segiuer) Avocat -Gênéral, contre le Mémoire publié en faveur de trois Hommes condamnés a. la roue par le Parlement de Paris. j^JOnsieur, Je vous remercie de votre cmpreffement a m'envoyer le Requifitoire de M. de Seguier, contre le A4  ( 8 ) Memoire publié en faveur de trok hommes condamnés a la roue par le Parlement de Paris. Le volume feul de ce Requifitoire m'auroit démontré 1'imperfeaion des Loix criminelles de France, quand les cris des perfonnes Jnnocentes qui en ont été les vi&ünes ne retentiroient pas conftamment k mes oreilles. II eft impoffible qu'une légiflation qui a bsfoin pour fe juftifler, de tant d'éclaircifTemens, de tant de commentaires & de tant de diflinctions, foit une légiflation convenable a d'autres qu'a des Jurifconfultes; & les aveux que Tamour de la vérité arrache a M. 1'Avocat-Général en plufieurs endroits de fon Requifitoire, n'ont fait que me confirmer pleinement dans cette facon de penfer. Ce qui empêche les honnêtes geus  ( 9 5 des différens partis de s'entendre fur cette matiere , c'eft qu'ils n'en difcutent pas les queftions, dans 1'ordre fuivant lequel elles devroient être difcutées. La première de toutes , celle qu'il faut réfoudre préliminairement, paree que fa folution influe d'une maniere décifive fur la folution des autres , c'eft la queftion qui a pour objet le but principal de la Légiflation criminelle dans fes rapports avec les prérogatives de 1'innocence accufée , &. qui peut être concue en ces termes: Doit-on fe propofer de punir les coupables au rifque de faire périr Vinnocent , ou bien celui-ci a-t-il un droit fi particulier a la proteciion des Loix , qu'il faille en bannir toutes les fanclions qui Vexpoferoient le moins du monde ? Tant qu'on ne prendra pas fon parti ouver-  ( io ) tement & de bonne foi fur ce problême eapital, dès 1'entrée de la conteftation , 1'on difputera éternellement & fans fruit fur le mérite des diverfes Loix criminelles. Les uns verront en beau^commenéceiTaires a la tranquillité générale , des procédés qui feront frémir les autres; & tandis que le facrifice involontaire de 1'innocence paroitra a ceux-ci un vrai maflacre juridique , les premiers n'y appercevront qu'une foibleile inféparable de 1'humanité. II paroit d'après les principes contenus dans le Requifitoire , que M. 1'Avocat - Général eft du nombre de ceux qui ne croyent pas la Jurifprudc;ice criminelle fufceptible d'une perfeüton capable d'établir complétement ia füreté publique , fans préju-  ( II ) dicier quelquefois a 1'innocence. C'eft du moins ce qui réfulte de fon attachement fcrupuleux a la confervation. invariable des Ordonnances du Royaume, de fes craintes excefïïves par rapport a la fubornation des témoins, de Papprobation qu'il donne a 1'admiffibilité des témoins nécefïaires, au fecret de la procédure , & a cette multitude d'inftitutions qui concentrent dans un ordre de perfonnes la connoiffance Sc I'application des formes nuifibles ou favorables a 1'accufé. II n'efl pas étonnant qu'avec de pareilles maximes, M. 1'Avocat-Général foit 1'admirateur des Loix dont il eft le miniftre. En effet , on ne fauroit difconvenir que ces Loix ne foient redoutables a plufieurs efpeces de fcélérats , tant par la rigueur de 1'inf-  ( 12 ) trudtion , que par Ia févérité des peines.' Mais tous les prévenus appartiennentils donc a la même claile , & vos Loix criminelles ne vont-elles pas fouvent au-dela du hut, en faifant couler le fang innocent fur 1'échafaud defriné au crime ? C'eft fur quoi les annales judiciaires de France & les fréquentes réhabilitations auxquelles on s'y voit forcé ne laiftent aucun doute. Ecoutez , Monfieur , je vous prie , le Défenfeur des Sirven , qui me paroit s'être exprimé la - deiTus avec autant de vérité que d'énergie. ( Caufes célebres, Paris, 1774, T. VIII. ) » Qu'on interroge les gens » éclairés & prudens, ils vous diront » que le premier confeil qu'on doit » donner a un accufé , pour fi inno» cent qu'on le fuppofe, c'eft de  <: *3 ) » commencer par mettre fa perfonnc » en füreté. Ce moyen fi humiliant » & fi douloureux pour 1'innocence , » efl devenu néceffaire par la dureté » de notre Légiflation criminelle. Nous » avons des Loix fpéculatives pleines » d'humanité 8c de fagefle. Les Loix » Romaines, les Capitulaires de Char» lemagne , font faites pour raflurer » tout accufé a qui fa confcience ne » reproche rien. Mais nos Loix pra» tiques , plus dignes du Code de » Dracon que de celui d'une Nation » douce 8c polie , doivent néceflaire» ment effrayer 1'homme le plus ver» tueux. On n'a qu'a remarquer de » quels témoins font compofées nos » Procédures criminelles. N'eft-il pas >3 convenu que des perfonnes d'un » certain état, d'un certain rang, ne  ( ï4 ) » doivent point être affignées i fi elles » n'y confentent , £c qu'on dok tou» jours fuppofer qu'elles n'ont rien » vu ni entendu. Cette opinion pu» blique , qui efl: le réfultat de nos » moeurs , eft en même tems la cen» fure la plus humiliante de nos Loix, » Perfonne ne rougifiok d'être témoin ï> chez les Romains; perfonne n'en » rougit chez des Nations voifines, r> paree qu'il n'y a en effet rien de » plus digne du Citoyen que de ren» dre témoignage a la vérité. Mais » chez ces Nations, l'inftruaion cri» minelle fe fait contradi&oirement t » elle n'eft redoutable qu'au crime. » L'accufé a la liberté de fe défendre. j) Parmi nous, c'efl une inquifition » fecrete qui ne lanTe de refiburce » qu'aux accufés adroits 8c puifians,  i ( 15 ) » Nous avons pris des Romains les » petitefies & les fubtilités de leurs » Loix , & nous n'avons pas pu faifir » ces grands principes d'humanité, » ces lecons fublimes d'équité & de » douceur qui ont fait furvivre 1'Em» pire de leur légiflation a 1'anéantif» fement de leur puhTance. II y a » long-tems que les vrais Magiftrats » gémifTent des atteintes que fouffre » la liberté civile dans les Tribunaux » établis pour la protéger. Mais le » caractere de notre Nation efl de » s'endormir au fein des abus les plus » révoltans. On fe fait une cruelle » habitude de regarder comme jufte » ce qui efl: autorifé par une loi in» jufte. Souvent même on va plus » loin que la loi, paree que lorfqu'une » loi eft atroce , on croit entrer dans  < i<5 ) >j 1'efprit du Légïflateur en 1'exécutant » avec atrocité. N'eft-ce pas une chofe » bien étonnante que notre légiflation » civile fourniffe tant de reflburces au » défendeur pour les plus légers inté» rêts pécuniaires , & que notre lé» giflation criminelle en fourniffe fï » peu , lorfqu'il s'agit de la vie &. de 3) 1'honneur ? » Suppofons maintenant, Monfieur^ que , fans adopter précifement les mêmes idéés, M. 1'Avocat - Général eüt été cependant plus affetté des rifques qui environnent le prévenu dans l'inftrufrion criminelle , que des avantages dont il peut fe prévaloir ; ne croyez-vous pas qu'alors fon Requifitoire eüt au moins porté 1'empreinte de fes alarmes en faveur de 1'innocence accufée , malgré la nature des  C *7 ) des fonftions dont il efl chargé ? Né croyez-vous pas qu'il auroit de tems en tems dirigé fes efforts vers le perfe&ionnement de la marche judiciaire 5 & qu'enfefoumettantcomrne agent de la loi aux ordonnances exiftantes, il en auroit néanmoins demandé avec inftance 1'amélioration, bien loin d'en devenir l'apologifte ? II fuit de-la, Monfieur , que le feul point qu'il s'aghTe de débattre avec M. PAvocat-Général, c'efï la néceffité imaginaire de laifler 1'innocence expofée au danger de I'infamie, ou de la mort dans la pourfuite des délits. Telle eft auffi la principale face fous laquelle j'examinerai le Requifitoire. Si par malheur mon fyftême fe fe trouvoit faux, & qu'on parvint jamais a démontrer que le facrifice accidentel de 1'innocence pardevant les Tribunaux  ( 18 ) criminels, efl un mal inévitable dans Ia condition civile, non-feulement il feroit injufte de continuer a livrer ainfi le genre-humain au plus terrible des fléaux fans fon confentement; mais il fe trouveroit encore que, malgré cette précaution , le pafte focial qui doit être la faurce pure & intariflable du bonheur public , ne s'ofFriroit plus a la raifon que fous un afpeól: hideux & révoltant. Du moins , dans 1'état de nature , chacun prévenu qu'il a de grands rifques a courir, fe précautionneroit d'avance contre les attaques imprévues. On auroit la liberté de fe défendre & de combattre a armes égales fes ennemis , ou fes rivaux. On pourroit s'entourer de fes liaifons paffageres & former des affociations momentanées pour fa füreté. Enfin , fi  C 19 ) Ton étoït égorgé , ce feroït au coïrï d'un bois , promptement, fans ignominie. On feroit a&if fur la défenfive jufqu'a fon dernier foupir 5 au lieu que, dans 1'état aftuel d'imperfe&ion oü croupiflent les Loix , 1'innocent, en proie a des formalités perfides qu'il ne connoit point, ou dont il ne fe défie pas , après avoir langui dans les cachots les plus fombres & les plus mal fains , va expirer fur un échafaud paffivement, lentement., méthodiquement, cruellement, & avec opprobre, Heureufement, Monfieur , nous ne fommes pas réduits encore a la dure extrêmité de fuir les hommes pour échapper a 1'imprudence, ou aux maximes fanguinaires des Juges criminels. II efl d'autres refïburces également compatibles avec 1'exillence de Bz  C 20 ) Ia fociété civile & avec une fécurité légitime qui ne puhTe pas devenir funefte a 1'innocence accufée. J'efpere que mes obfervations fur les vices de la Jurifprudence criminelle de France, extraits uniquement du Requifitoire de M. 1'Avocat - Général , vont vous convaincre entiérement de cette importante vérité. PREMIER VICE De la Jurifprudence criminelle de France* ou Premier Ecueil pour 1'innocence accufée, favoir ; L'ignorance dit Peuple en matiere de Législatiok. ]VÏ» 1'Avocat - Général en convient lui-même , page 13 de fon Requifitoire. La multitude , dit - il, ne fe  (21) 'cloute pas de fa profonde ignorance en matiere de légiflation. Mais d'ou vient, Monfieur , s'il vous plait, cette profonde ignorance de la multitude en matiere de Loix criminelles ? N'eft-ce point de ce que ces Loix encore éparfes n'ont pas été mifes a la portée du peuple par une rédaftion fommaire & intelligible ? N'eft - ce point de ce que les fan&ions du Légiflateur ne font pas énoncées en ftyle vulgaire & communiquées a tous les Citoyens par une promulgation authentique ? N'eftce point de ce que Fobjet de ces Loix n'y eft pas tellement généralifé qu'elles puhTent conftamment fervir de bouffole aux Juges criminels, en forte qué leurs jugemens varient al'infini pour la qualification des délits, pour la gravité des peines , & pour Ia marche de la B3.  C " ) procédure ? N'eft-ce point encore de ce que cette procédure eft fecrete ? Enfin , n'eft - ce point de ce qu'il eft défendu , ou du moins irrégulier en France d'occuper le public des cas criminels qui fe préfentent, d'en dire librement fon avis , &. de critiquer ouvertement les Arrêts qui les terminent ? Vous le voyez donc , Monfieur, 1'ignorance du peuple en matiere de légiflation criminelle n'a pas d'autre caufe que le voile myftérieux dont on couvre celle-ci , &. les efforts que 1'on fait continuellement pour dérober aux yeux du public les a£res les plus effentiels du pouvoir judiciaire. Mais, comment croire avec M. 1'Avocat-Général que tout feroit perdu dans la fociété , &. que les fcélérats s'en ren-  ( M ) droient les maitres , fi 1'on corrigeoft ces défauts de la Jurifprudence criminelle de France ? Ne vous femble-t-il pas, au contraire , Monfieur , que la publication & 1'exécution d'un code cnminel peu volumineux dont on auroit banni les expreffions fcientifiques; &. qui , fous le difpofitif d'un petit nombre d'articles aulïi clairs que précis , contiendroit des définitions Jumineufes & des regies invariables, feroient bien plus propres a prévenir les crimes , a intimider les mécharis , & a maintenir le bon ordre , que la méthode ténébreufe dans laquelle on s'enveloppe aujourd'hui? On connoitroit, il eft vrai , beaucoup mieux le fort &. le foible de la Loi ; le défenfeur d'une mauvaife caufe y pourroit puifer quelquefois des fophifmes fpécieux & B4  ( M ) favorables a fes cliens. Mais le Juge auroit-il pour cela les mains liées , & ne feroit - il pas toujours en derniere analyfe libre d'exécuter la Loi conformément a fon véritable fens ? D'un autre cóté , quels affreux dangers ne court pas l'innocence accufée , au fein de la fécurité que lui donne une ignorance dont elle ne fe doute pas ! Elle croit bonnement que fa condamnation eft impoffible , s'il n'eft démontré complétement qu'elle eft coupable du délit qu'on lui impute, fandis que c'eft précifément le contraire , & qu'elle eft tenue de prouver juridiquement qu'elle n'a point commis 1'adte pour lequel on la pourfuit. Elle met donc fa conflance dans de fimples négativea, au lieu qu'il faudroit qu'elle fe hatat d'accumuler les faits juftifica-  C 25 ) tifs. Elle ne fait point qu'il amvera un moment oü elle n'y fera plus admife. Elle ne fait point que ceux qui 1'accufent deviendront fes Juges en dépofant contre elle , fi le ïribunal le trouve a propos. Elle ne fait point que la plus légere variation fur un fait important & décifif au procés peut la perdre j qu'elle doit en conféquence pefer tous fes termes , prendre garde aux équivoques qui pourroient réfulter de la tournure de fes phrafes, &. aux préfomptions qui découleroient de la naïveté de fes réponfes a des queftions captieufes. Toutes ces connoifiances qui lui manquent & qui font eflentielles a fa füreté , elle les acquerroit par une plus grande publicité des loix criminelles & par celle de la procédure. Elle y verroit comment  ( 26 ) il faut que Phomme le plus integre fe défende lorfqu'il eft attaqué en juftice, & a quel malheur il fe trouveroit expofé par une juftification incomplete. Elle y verroit que cette juftification varie fuivant la nature des délits , & qu'elle dépend fur-tout des circonftances particulieres qui les ont accompagnées. Elle y verroit quelles conférences les Juges ont coutume de tirer de telle ou telle efpece de réponfe, de felle ou telle efpece d'indice extérieur , comme 1'air , Ie ton , 1'habillement \ rindigence , &c. Veut-on qu'un jour» nalier quitte fon travail pour palir de faim fur les criminaliftes ? Cependant fon ignorance a ces divers égards eft capable de le conduire au bücher ou fur la roue , en Pempêchant de s'appliquer a édifier fes Juges fur les pré-  ( *7 ) ventions défavorables que de fimples acceflbires pourroient faire naitre dans leur efprit, & a diffiper 1'illufion des apparences qui font contre lui par tous les moyens que fa pofition individuelle ou fon imagination lui fuggéreroit. Vous m'obje&erez fans doute , Monfieur , qu'il ne feroit pas poffible de faire une légiflation criminelle fi claire & fi exafte , qu'elle fut a la portee des dernieres clafTes de la fociété , & fufiifante en même tems pour diriger les Tribunaux dans la folution de tous les cas qui fe préfenteroient. Mais , c'eft - la une erreur dont il feroit facile de revenir , fi 1'on vouloit travraller férieufement a la confeftion d'un pareil code. Pen jüge par la tentative que j'ai faite moi-même dans  I ( 28 ) un Effai de Jurifprudence criminelle: ( Laufanne 1785.) Extraifez - en , Monfieur , tout ce qui eft en caracteres italiques , fous le titre de Modele de Loix ; vcus en formerez un volume in-8°. d'une cinquantaine de pages au plus, & cependant vous aurez, je crois, bien de la peine a trouver un feul cas vraiment criminel, & d'une importance majeure pour la fociété qui ne puiffeêtre équitablement décidé par 1'obfervation littérale de quelqu'un de ces modeles, tant par rapport a la définition du délit & au degré de la peine , que par rapport a Ia marche de la procédure. Or fi, feul, fans fecours, peu au fait des Criminaliftes, & furchargé d'autres occupations, j'ai eu le bonheur de réuffir a ce point, que ne feroient  pas vos habiles Jurifconfultes ^ s'fls parvenoient a s'entendre & a diriger cn commun leurs efforts vers le but que je me fuis propofé ? Je ne doute point qu'on ne vit éclorre des chefsd'ceuvres, & que M. Seguier lui-même ne fe diftinguat dans cette nouvelle carrière , s'il changeoit feulement de point de vue dans 1'application de fes talens. Un mot échappé a fa plume , & qu'on a en vain relevé dans un errata , femble nous permettre des efpérances a eet égard. C'eft 1'épithete trifte ajoutée ( pag. 14) a 1'impoffibilité oü font les défenfeurs du prévenu de vérifier fur la procédure 1'exadtitude des faits. Comment ne voit-on pas que ce défaut de communication öte aux Avocats le moyen de fervir leurs clients avec aflurance & folidité?  ( 30 ) Ce vuide dans la marche du procés y forme un abyme oü 1'innocence efl: impitoyablement précipitée, fans qu'il en réfulte aucun avantage contre les atteintes que le fcélérat porte a la füreté générale. Car , s'il efl: démontré par la procédure que 1'accufé efl: coupable, 1'Avocat ne pourra qu'atténuer fon crime par des confidérations dont les Juges ne fauroient être dupes; mais fi , malheureufement , ce font des vices de forme ou des réponfes obfcures , équivoques, embarraffées, qui doivent fervir de bafe a la condamnation du prévenu , 1'Avocat qui conférera avec lui fur les irrégularités qu'il auroit commifes , fur les motifs de fes réponfes , & fur les conféquences dangereufes qui en font inféparables, aura la faculté , fi fon cliënt efl: innocent,  ( 3i ) ü'expliquer aux Juges la caufe de fes méprifes & 1'incohérence de fes allégués. Ainfi fon miniftere ne fera pas moins utile au tribunal qu'a Taccufé, & la lumiere qu'il répandra ne fervira jamais efficacement que 1'innocence. J'en dis autant des Mémoires & des autres Ecrits que 1'on publie fur les queitions pendantes pardevant les Tribunaux criminels , ou fur celles qu'ils viennent de réfoudre. Qu'importe, en effet, que ces Ecrits ne foyent pas admijfwles dans Vordre judiciaire ( p. 15 ), s'ils font indifpenfables dans 1'ordre politique , comme étant le frein le plus falutaire qu'on puilTe mettre a 1'impéritie & ala corruption des Juges? M. 1'Avocat-Général ne croit pas fans doute a 1'infaillibilité des Tribunaux. Or, n'eft-il pas naturel que le peuple  I3*) éclaire journellement la conduite dé ceux qui le déciment tous les jours, & qu'il prononce en gros a fon tour fur des corps qui jugent en détail tous fes membres ? Suppofons que des Mémoires infidieux portent 1'alarme dans fon cceur, les Pariemens ne peuventils pas toujours lui rendre le calme par une publication authentique de Ia procédure ? C'eft 1'obfcurité feule des procés criminels qui donne quelque prife a 1'audace ^ a la calomnie, aux réclamations injurieufes. Difllpez ce brouillard épaix qui cache a la Nation les procédés juridiques $ que la lumiere fóit pour elle comme pour le Juge , & celui-ci n'aura plus rien a craindre de la clameur publique. II la braveroit même fous une légiflation moins imparfaite , fi elle venoit a fe lever contre  ( 33 1 fcontre lui pendant l'inftruftion de Ia procédure, car il auroit conftamment une loi précife pour guide & pour bouclier. II ne faudroit donc pas appréhender que des Mémoires publiés extrajudiciellement interrompüTent jamais, ou filTent varier le cours de la jüftice. En Angleterre , oü les papiers de nouvelles occupent fans cefTe Ie public des cas criminels qui ne font pas encore jugés, on n'apperc/oit pas que cela ait aucune influence fur Ia décifion des Jurés. Que dis-je ? Telle eft la droiture de ce Tribunal momentané , qu'il réfifte aux impulfions les plus fortes & les plus féduifantes pour remplir Ie voeu de la loi. Èn vain Ie Do&eur Dodd, convaincu d'un a&ö de faux , a-t-il pour lui 1'indulgence de fes compatriotes 5 en vain fix mille  C 34 > 'perfonnes fe réunifTent pour demander avec inftance que grace lui foit faite, les Jurés le condamnerent a mort, en le declarant coupable , & il efl exécuté. II en a été de même du fameux graveur d'eftampes Reyland, quoique penfïonné du Roi & appuyé des plus puüTantes prote&ions. Voila ce qui fe pafferoit en France , malgré tous les écrits & toutes les défenfes apologétiques , fi la légiflation criminelle y étoit bonne & 1'ordre judiciaire mieux connu des citoyens. Ne trouvez-vous pas, Monfieur ^ que ces citoyens ont lieu d'être bien tranquilles , bien édifiés fur leur propre fort & fur celui des perfonnes de leur connoifTance qui font mortes dans les tourmens d'un fupplice infame, paree qu'on aura mis plutöt atteint & con-  ( 35 ) Paincu , que pour les cas réfultans du proces , ou vice verfd dans la Sentence qui les y condamne ? (P. ig, 22. ) En vérité, c'eft fe moquer que de mettre de 1'importance a de pareilles formules , lorfqu'elles ne font pas accompagnées d'un extrait de la procédure qui contienne au moins 1'énumération fuccindte des preuves qui ont fondé le jugement. Les Cours Souveraines , dit M. 1'Avocat^Gértéral, ne font pas obligées d'exprimer dans leurs Arréts les motifs de leur décifon. Aucune loi ne les aftreint a cette fcrmalite'3 fok au civil, fok au criminel 3 fok dar■ § le cas de condamnation , fok dans le cas d'abfolution , & principalement en matiere de délit. La raifon en efl fenfible. La Cour ne peut que confirmer ou infirmer la Sentence dont efl appel. Or,  < 3* ) toutes les fois qu'il y a dans la Sen~ tence peine affliciive , l'appel eft de droit. ( P. 21. ) Mais fi les Juges fubalternes ne rendent point compte au public des motifs de leur détermination , & que le Parlement feul en connoifle , fur Ie vu de la procédure , n'eft-il pas clair que le tout fe pafte a 1'infcu de la Nation, & derrière la toile, excepté 1'exécution du criminel ? Quelle feroit donc la fource de cette confiance publique & univerfelle dont M. 1'Avocat-Général prétend que le premier Sénat de la France a jouï conftamment ? Elle ne fauroit être dans la reftitude des inftitutions judiciaires , puifque la multitude ne fe doute pas de fon ignorance a eet égard. Elle ne fauroit être non plus dans une ponnoiftance perfonnelle qui garantüTe  ( 37 ) au peuple les lumieres Sc Pintégrité des Juges, puifqu'il ignore également a quels fignes ils reconnoiffent les coupables ; qu'il fait d'ailleurs que leur office n'eft pas exclufivement donné au mérite , mais qu'il s'acquiert a prix d'argent; que des avis diamétralement oppofés partagent fouvent les fuffrages du tribunal, 8c que des demandes en cafiation fuivies de réhabilitations légales annoncent manifeftement que le tribunal eft fujet a 1'erreur. II ne s'agit donc point ici de confiance , puifqu'on n'a pris aucune des mefures convenables pour Pinfpirer ; car la confiance ne fe commande pas plus que 1'amour. Difons-le, avec franchife ; il ne s'agit abfolument que d'autorité dans les Pariemens de France. Ils font même fi peu gênés  ( 38 ) par les Ordonnances du royaume , les formes & les opinions judiciaires les plus accréditées font tellement flexibles , qu'on peut dire fans exagération qu'ils font le plus fouvent ce qu'il leur plait en matiere criminelle > feuf le recours a la volonté du Roi. Ce n'efl jamais qu'accidentellement & après coup que le public efl inflruit de la nature des queftions qui fe débattent dans les tribunaux , & des diverfes folutions dont elles peuvent être fufceptibles, Je prévois , Monfieur , que vous ne manquerez pas de me combattre dans cette occaflon avec mes propres armes, en m'oppofant ce que j'avance dans le fecond volume de mon EfTai, ( p. 88, 115) fur rimpoffibilké oii efl le Légiflateur de tracer aux Juges  ( 39 ) des regies fixes pour 1'évaluation de la preuve néceflaire a la condamnation du prévenu , & vous en conclurez pertinemment que les Juges ne pourroient pas mieux en rendre compte dans leurs Sentences , paree que cette preuve n'eft fouvent que le réfukat du concert général qui regne entre tous les faits &. toutes les pieces de la procédure. Mais, outre que dans la Jurifprudence criminelle de France, la force de Ia démonftration paroit repofer toute entiere fur le témoignage , dont il eft facile de donner toujours une analyfe concluante , il ne s'enfuivroit autre chofe de votre objection, finon qu'en certains cas, toute la procédure devroit être rendue publique par la voie de 1'impreffion, ce quf rentre dans les principes que je déveC 4  ( 40 ) ïoppe tome 2 , pag. 189. Maïs cela ne fufïïroit point encore 5 & la publieke des interrogatoires ou des confrontations, me fembleroit auffi inftru&ive pour la Nation qu'utile a fa füreté. En effet, il eüt été quelquefois bien eflentiel qu'elle vit, par ellemême 8c avant le Jugement, comment des hommes d'un caractere doux 8c paifible , des hommes honnêtes , fenfibks , 8c d'une réputation fans tache, avoient pu tout d'un coup devenir des monflres , au point que 1'un avoit étranglé fon propre fils, paree qu'il vouloit fuivre fa confeience comme Calas , 8c que 1'autre avoit malTacré fa mere, a Foccafion d'une légere difpute , comme Montbailly. Peutêtre fa maniere d'envifager les préyenus auroit-ejle defllllé les yeux des  C 41 5 Juges , Sc les auroit-elle empêché de verfer le fang innocent, Reduite au filence par le fecret de Ia procédure, Sc par fon ignorance involontaire en matiere de légiflation , elle n'apprend les prétendus crimes des accufés que par les tourmens affreux qu'ils fubiffent, Sc leur innocence que par le rétablüTement tardif de leur honneur. Tout, dans ces finiftres événemens , concourt a remplir les ames de trouble , d'effroi, de confufion Sc de défefpoir 3 1'atrocité du délit , Ia gravité de Terreur la témérité des Juges, Sc rinfuffifance de la réparation,  ( 42 ) SECOND VICE De la Jurifprudence criminelle de Trance, ou Second Ecueil pour 1'innocence accufée , favoir : Les questions de compétence. ne prétendons point, dit M. FAvocat-Général, pag. 2 8 du Requifitoire , dijfjïmuler la lenteur qui a étê mife dans cette inflruction, mais il faut faire attention que la procédure a étê infindte dans trois tribunaux différens. II afallu juger deux fois la compétence , avant de juger le fonds de l'accu fation. ' L''Auteur ignore , ou plutót il feint d'i~ gnorer que les queftions de compétence entrainent néceffairement de longsdélais. Pourquoi , Monfieur , y a-t-il tant  c 4i y 'de conflidYs entte vos tribunaux crt* minels pour la compétence, fi ce n'eft paree que vous en avez plufieurs dont la jurifdi&ion coïncide fur le même lieu , & que le Légiflateur n'en a pas pu tracer exa&ement les limites ? Mais, oü efl: te néceffité d'avoir plufieurs tribunaux qui jugent au criminel dans le même endroit ? C'eft une fuperfluité évidemment préjudiciable a 1'innocence , par les délais prefque inévitables dont M. 1'Avocat-Général convient $ & qui, bien loin d'être d'aucune utilité pour préferver 1'état des aótes de fcélératefie , peuvent, au contraire, y inviter quelquefois, par 1'efpoir de 1'impunité. Car la rapidité de l'inftru&ion , la fimplicité de la marche judiciaire & l'a&ivité d'une jurifdi&ion exclufive qui fe dé-  ( 44 ) ployeroït librement dans fa fphere \ fans avoir k redouter aucune queftion de compétence , erTrayeroient les malhonnêtes gens , au lieu que les lenteurs inféparables de Ia multiplicité des tribunaux produifent nécelTairement un grand nombre de chances favorables aux fourdes manoeuvres dont Ie crime peut fe fervir pour fe fouftraire a la peine qu'il mérite. Divifez donc toute la France en petits départemens auffi égaux que Ia nature de Ia chofe Ie comportera , & établüTez dans chacun de ces départemens un tribunal criminel auffi-bien conftitué qu'il vous fera poffïbJe 5 vous y aurez par ce moyen tout 1'échafaudage nécefTaire pour mettre en exécution les ordonnances criminelles du royaume, fans être expofé aux inconvéniens  C 45 ) majeurs de la forme actuelle. Dès-lors^ plus de conflidts de jurifdiftion qui dégénerent quelquefois en conteflations fcarkdaleufes dont les prifonniers font ordinairement les vidtimes ; plus de ces tranfports difpendieux, indéeens & cruels du prévenu , des prifons d'une province dans celles d'une autre, fouvent très-éloignée ; plus de ces appels a un tribunal fupérieur qui ne font bons qu'a décréditer dans 1'opinion publique la capacité ou la bonne foi des Juges inférieurs. Le recours a la grace & la demande en cafTation refleroient toujours aux condamnés pour derniere relTource , contre les furprifes faites a la religion des Magiflrats 5 & fi 1'on craignoit de ne pas trouver fur les lieux mêmes des hommes qui fulfent en état de remplir  ( 4 6* ) Jes fon&ions de Juge , 1'élite de vos Pariemens pourroit parcourir le royaume pour le jugement des caufes criminelles, comme les grands Juges d'Angleterre vont tenir leurs affifes , a des époques marquées dans les différens diftri&s qui leur tombent en partage , pour faire prononcer le tribunal des Jurés fur le fort des accufés qui y font détenus. Certainement, s'il efl: une branche de votre légiflation qui foit digne par fon importance 8c par fes abus d'exciter le patriotifme 8c 1'attention de M. 1'Avocat-Général , c'eft , fans doute , celle qui confume en pure perte le tems, la fortune 8c la fanté des prévenus. Le droit de propriété qui efl: attaché aux juftices feigneuriales , ne mettroit point un obftacle infurmontable a cette réforme ^  t 47 ) car on pourroit facilement trouvet dans la munifïcence royale des compenfations a ce droit, dont le facrifice imaginaire a plufieurs égards ne feroit pas moins honorable qu'avantageux pour tous ceux qui auroient le courage de le faire. TROISIEME VICE De la Jurifprudence criminelle de Francs^ ou Troisieme Ecueil pour 1'innocence accufée , favoir : Le défavt de précision. ( Pag. 33 , 57 , du Requifitoire. ) J~ 'Accorde fans peine a M. 1'AvocatGénéral les deux principes qu'il pof& ( p. 32) : La nullité n'eft qiCun vice de forme & la Loi feule peut créer des nullités. Mais il faudra aufii qu'il  < 48 ) «ï'accorde a fon tour que vos Loix criminelles n'ont point pourvu k la füreté de 1'innocence , en établiffant, fous peine de nullité, des formes afiez rigoureufes & aflêz facrées, pour la préferver des méprifes du Juge, quoique cette rigueur de forme n'eüt favorifé en aucune maniere la claffe des maihonnêtes gens. C'eft ce qui réfulte de 1'indécifiqn oü font encore les plus grands Jurifconfultes de France , par rapport a ce qu'on doit appelier le corps du délit , de 1'aveu même de M. 1'Avocat - Général, qui rapporte que le célebre d'AguelTeau ne vouloit pas que dans les cas de meurtre Ie cadavre fut le corps du délit, prétendant qu'il n'y en avoit point d'autre que le délit lui-même. Pag. 39 du Requifitoire. ( Voyez aulïï ce que j'ai dit  ( 49 5 dit a ce fujet, t. 2 , p. 106 de mon Eftai. ) Mais, fi 1'on eft en droit d'entamer une procédure , de nommer des experts pour examiner ce corps du délit fur lequel on n'eft point d'accord, & de chercher des coupables avant que le délit foit conftaté , il faut avouer que les Ordonnances de 1536 & de 1670 manquent tout-a-fait de précifion. Pour que celle de Francois 1". eüt été bonne, il n'auroit pas fallu mettre: Quand il y aura exces , battures & navrures, &c. mais il falloit mettre : Quand il y aura plainte de quelque partïculier , ou du Procureur du Roi, fur exces , battures & navrures , &c. Alors la plainte néceffiteroit légitimement rinformation, & la vilite des experts, fans que la queftion de 1'exiftence du D  C 50 ) corps de délit put enchaïner le moins du monde 1'attivité du Juge , paree que le corps du délit ne feroit autre chofe que 1'objet même de la plainte; ce qui efl , felon moi, le feul fens, raifonnable qu'on puiïTe lui donner. Pour que TOrdonnance de Francois Ier. eüt été bonne, il n'auroit pas fallu mettre : Sera incontinent après icelles avenues, fait vifitation defdits exces , battures & navrures. Car on ne fait fi cette vifitation doit avoir lieu par 1'ordre du Juge, ou fi elle peut faire preuve en juftice , quoiqu'elle foit uniquement le fait des particuliers hkffés , ou de leurs amis & parens. II eft vrai que TOrdonnance de 1670 autorife les perfonnes bleffées a fe faire vifiter , pour être le rapport des Chirurgiens joint au procés , & qu'elle  ( Si ) &ccofde aux Juges la faculté de nom* roer d'offlce des expefts pour une fe* conde vïfite. Mais tout cela eft beaucoup trop vague , & le Légiflateur , dans un objet de cette imnortance , n'auroit pas dü fe contenter d'un pouvoir facultatif. II auroit dü impofef aux Juges Tobligation ftricte de nommer des experts pour vifiter les exces, battures & navrures qui feroient le fujet de la plainte , d'abord après que celle-ci auroit été recue. Sans cela, il femble que eet article capital de finformation eft laifte par 1'Ordonnance entiérement a la difcrétion des particuliers, puifque les Juges ne peuvent ordonner qu'une feconde vifite , qui d'ailleurs étant plus tardive que celle qui auroit lieu immédiatement après la plainte, ne fauroit tou" D 2  C 52 ) jours procurer des réfultats auffi concluans & auffi précis. Enfin , pour que les Ordonnances de Francois Ier. & de Louis XIV fuflent bonnes , il ne faudroit pas qu'elles bornafTent les vifites d'experts aux cas de rixe & de flagrant-délit, attendu qu'il y a une foule de cas intermédiaires , ou abfolument diftinfts, dans lefquels le Tribunal peut avoir befoin du rapport des experts , nonfeulement pour fe faire une jufte idéé de la nature du délit; mais encore pour avoir une bafe folide fur laquelle il foit en état d'élever Fédifice des preuves qui doivent fervir a 1'abfolution ou a la condamnation du prévenu. II efl bien étonnant que dans le grand criminel qui n'eft pas flagrantdélit, & dont pourtant la loi ne tracé  C 53 ) pas les caracteres eüentiels , afin qu'on puifïe le diftinguer du petit criminel , les vifites d'experts ne foient pas fpécialement requifes ( pag. 34 du Requifitoire ) , tandis qu'elles le font dans ce dernier. II eft bien étonnant auffi que les procès-verbaux foient interdits dans les fecondes vifites d'experts ordonnées par les Juges ( p. 36), 8c cela , fous une peine auffi grave que 1'eft en France , dans 1'opinion , celle de 100 liv. d'amende , comrne s'il s'agiftbit d'un des points les plus ïmportans de la procédure criminelle, tandis qu'il y a toute apparence que c'eft un fimple ménagement pour la bourfe des particuliers. Je déduis , Monfieur , de ces confidérations , la néceffité de réformer les Ordonnances de 1536 8c de D 3  ( 54 ) i6yo , en les rendant plus générales fur la vifite des experts, & plus rigoureufes tant pour le moment de cette vifite , que pour la défignation de 1'autorité dont elle doit émaner. Mais, fi 1'on vouloit faire mieux encore , ce feroit de laiifer de cöté la fanction fpéciale de ces détails , dont la légiflation peut fe paffer , & de ftatuer feulement comme je Fai fait, torn. 2, pag. 2 3 de mon Eflai, que le Juge , après avoir recu la plainte & entendu les deux parties contradicïoirement fur leurs allégués & requifitions t ordonnera en leur préfence & en prêfence de leurs confeils , les vérijications, rap-' pons d'experts, tranfports, fcellés, informations , vifites , féqueftrations t confrontations} & autres opérations qiCil cflimra convenabies pour la découvem  ( 55 ) rde la vér hé pourvu qiCelles ne foient contraires a aucune loi , & que chacun des fufdits acles fe fajje en préfence de quatre perfonnes produites par les parties f & dont la fignature fera requife dans toutes les pieces deftinées a les conflater. De cette maniere vous ouvrez au Juge toutes les routes légales par lefquelles il lui eft poffible d'arriver a la vérité , & vous ne le gênez plus dans cette recherche par des formes minutieufes qui Fexpofent continuellement a la tentation de fortir des regies prefcrites , ou de fe contenter d'une preuve incomplete pour condamner le prévenu. De cette maniere, vous mettez parfaitement 1'innocence a couvert, fans avoir befoin de multiplier en fa faveur , fous peine de nullité , des fanctions qui autrement D4  < C s6 3 deviendroient indifpenfables. Par-Ia ,v tout ce qui n'eft pas illégal feroir conftamment de rigueur a charge & a décharge dans 1'information juridique. Les requifitions contradiftoires des parties & de leurs confeils ferviroient en quelque forte de garantie au légiflateur & au public pour 1'exattitude avec laquelle 1'inftruaion criminelle doit fe faire. On n'auroit a craindre que des omifiions abfolument involontaires , & le coupable feul trembleroit d'une marche auffi propre a confondre le menfonge , ou la difïïmulation dont il tacheroit de couvri* fon délit. Auffi n'ai-je voulu foumettre expreftement a la peine de nullité que les' conditions mêmes de la plainte , ( t. 2 , p. 20 ) paree que ces conditions devant influer fur toute la pro-  ( 57 ) «édure dont elles font la bafe , elles en déterminent tellement le point da vue , qu'elles exigeoient par conféquent une précaution tout-a-fait particuliere , pour réveiller 1'attention du Juge & du plaignant ; au lieu que le refte de la procédure deftiné a former la maffe des élémens de la preuve juridique , peut être rejetté ou admis a volonté par les jurés au moment oü ils déliberent fur la prononciation du jugement, fans qu'il foit néceftaire de les gêner d'avance dans le choix de leurs motifs par des claufes fuperflues & embarraftantes de nullité; ce qui ne veut pas dire que la procédure entiere ne puüTe pas être déclarée nulle , s'il s'y eft commis des illégalités manifeftes ; mais ce doit être 1'objet d'une inftance extraordinaire  ( 58 > ïflu Procureur-Général , comme je 1'établis pag. 163 du tome 2. Je ne faurois, Monfieur, en finifiant eet article , m'empêcher de relever encore une expreflion abfurde de la loi, concernant la queftion qui montre que les rédacteurs de FOrdonpance de 1670 n'avoient point Fefprit de précifion nécefiaire pour faire de bonnes loix j foit qu'ils ne connufient pas la nature des chofès fur lefquelles ils flatuoient , foit qu'ils ïgnoraffent la valeur intrinfeque des termes dont ils fe fervoient pour les défigner. C'eft le mot, s'ily a preuve confidérable , de Partiele 1 du titre 19 ( pag. 46 du Requifitoire ). L'épithete confidérable annonce clairement le vague des idéés qui prévaloient dans la tête des rédacteurs,  ( 59 ) puifqu'une preuve ne fauroit être plus ou moins confidérable. Elle eft entiere, ou nulle. II n'y a point ici de milieu. Ce qu'on appelle un commencement de preuve n'eft jamais que le fil par lequel on fe flatte d'y arriver. L'Ordonnance auroit dü dire , s'il y a de fortes préfomgtions contre l'accufé , & non pas , s'il y a preuve confidérable. Mais peut-être qu'alors cette exactitude fcrupuleufe & philofophique eüt ouvert les yeux des rédacteurs de 1'ordonnance , fur les dangers affreux de la queftion préparatoire, & qu'on eüt renoncé par cette raifon a la loi qui en confacroit 1'ufage dans les tribunaux , comme MM. Puftbrt &. de Lamoignon le defiroient. Voyez, Monfieur , je vous prie, quelles conféquences monftrueufes peuvent dé-  C 60 ) isouler d'une expreffion peu jufte employée dans la tenorifation des loix l La doctrine extravagante des demipreuves ne doit vraifemblablement fon origine qu'a des termes ïnconfidérés, tels que celui de preuve confidérable ; & ce qu'il y a de fingulier , c'eft que fi les tribunaux exécuteurs de Fordonnance avoient pris ce mot au pied de la lettre & dans fon véritable fens , ils n'auroient jamais admis la queftion qu'après la conviftion pïéniere , & non comme un moyen de 1'acquérir. II eft bien poffible , & je préfume fortement fur la droiture d'intention que manifeftoient ces deux Mefïïeurs , qu'ils crurent couvrir fufjfifamment 1'innocence, en exigeant une preuve confidérable pour fe croire autorifé a ordonner la queftion. Mais  ( Si J en fflatïefe criminelle , rien n'eft plus fatal au prévenu que les tempéramens & les tournures mitigées, qui laiftent trop de marge a Farbitraire , & font, pour ainfi dire , de chaque juge un nouveau légiflateur. ■t== QUATRIEME VICE De la Jurifprudence criminelle de Trance l ou Quatrieme Ecueil pour V innocence accufée , favoir : La muzti- plicité des formes admises pour rendre plainte. ( Pag. 59 , 8a du Requifitoire. ) § Uivant M. FAvocat-Général, il y auroit en France cinq manieres de porter plainte , ou de nantir les tribunaux de la pourfuite d'un délit.  (*i) ï°. Le miniftere public peut accufef quelqu'un de fon propre mouvement ^ d'après les connoifTances qu'il acqüiert par lui - même dans la fociété , ou dans Fexercice de fes fon&ions fur Ia conduite de celui qu'il accufe. 2 °. Tout particulier peut avertir fecrétement le miniftere public d'un délit qu'il fait, ou qu'il croit, ou qu'il fuppofe avoir été commis 5 & pourvu qu'il figne fa dénonciation dans un regifïre qui refte entre les mains du Procureur-Général, ou de fes fubflituts, il n'eft obligé de paroitre en juftice que dans le cas oü la perfonne accufée feroit abfoute par le jugement. 3P. II y a des dénonciateurs publics & connus. Ce font ceux qui vont inftruire la juftice des attentats qu'ils ont foufferts, en fignalant, s'il leur eft poiïible , les  C SJ J toupahks j mais fans accufer perfonne nommément. 4? Le plaignant efl celui qui rend plainte formellement contre quelqu'un ; mais qui ne lui fait pas portie civile, quoiqu'il y foit admiffible a volonté pendant tout le cours de Ia procédure. 50. Enfin, 1'accufateur eft celui qui porte plainte en fon propre nom , qui déclare qu'il fe rend partie civile , qui demande d faire informer, qui adminiftre les témoins , & qui pourfuit le jugement de l'accufation qu'il a intentée. Je n'ai pas, Monfieur, fous les yeux, 1'Ordonnance de 1670, 8c j'ignore fi cette Ordonnance , ou les autres Loix criminelles du royaume , confacrent ces cinq manieres de pro' céder dont M. 1'Avocat-GénéraI fait état dans fon Requifitoire. Mais ce que  ( 64 5. je fais fort bien par expérïence , 8c cê que la théorie feule annonce déja , c'eft que la confufion la plus horrible 8c la plus fatale a 1'innocence eft le réfultat nécelTaire d'une trop grande liberté de choix dans la maniere d'attaquer lè prévenu. Quel défavantage , par exemple n'a-t-elle pas dans Ia première efpece de combat, c'eft-a-dire , dans 1'attaque minifterielle ? Dans les cas , dit M. 1'Avocat-Général , ou le Procureur du Roi agit d'après ces connoijjances perfonnelles , il doit compte a la juftice du motif qui a déterminé fa démarche. Si l'accufation eft jugée calomnieufe, l'accufateur légal pourroit être pourfuivi comme criminel d'avoir abufé de fon miniftere. Mais Heft exempt de reproche, quand pour remplir fon devoir il accufe un  ( 65 ) tin citoyen mal famé & véhémentemeni fujpeci. Sa qualitê excufe l'ufage de fes fonclions. II ne peut être condamné que lorfqu'il y a dol apparent & calomniè évidente • encore faut~il un jugemeni nouveau & qu'il foit permis de le prendrè a partie. Ce qui, a mon avis , ne fignifie autre chofe, iinon que la partie publique a le droit d'imprimer , quand il lui plait & a qui il lui plait, une note d'infamie , fur de fimples apparences qui puifTent donner lieu a des: foupcons défavorables, excepté lorfqu'il feroit évident que Faccufation efl: calomnieufe. Ce qui certainement n'arrivera jamais, puifqu'il n'y aura jamais de Procureur - Général aflez mal-adroit pour ne pas fonder fes imputations fur une bafe fpécieufe qui lè garantifTe d'une prife a partie ; qüö E  ( 66 % d'aflleurs on n'accorderoit pas chez vous a un prévenu déclaré abfous contre le miniftere public , paree que vos tribunaux n'eftiment pas qu'il y ait parite , entre 1'honneur d'un magiftrat & celui d'un fimple citoyen. S'il arrivé donc que cette prife a partie foit refufée , ou paree que la qualité du Procureur-Général excufe Vufage de fes fonciions , ou paree que le hafard aura raffemblé fur la tête du prévenu un nuage de préfomptions, quel effroyable malheur ce refus ne traïnet-il pas a fa fuite felon les principes de M. 1'Avocat-Général ? II annonce a tout le public que le prévenu eft un citoyen mal famé & vêhémentement fufpecl; en forte que le miniftre de la loi a dü 1'accufer , pour remplir fon devoir & être exempt de reproche.  X 671 Voila \ Monfieur , comment un }öl gement grave fur Ie caractere moral d'un citoyen fe rendra accidenteilement, indireóltement & par contrecoup , fans que ce citoyen foit admis par le tribunal k fe juftifier fur les caufes de la mauvaife réputation qu'on lui impute. II faut, fans doute, qu'il y ait un miniftere public , paree que les particuliers tranfigeroient fréquemment au préjudice de 1'Etat, fur les offenfes qui leur feroient faites , & il ne faut pas que ce miniftere foit jamais pris a partie comme calomniateur , paree qu'il doit être toujours cenfé agir de bonne foi , tant qu'il ne s'écarte pas du but de fes engagemens , de 1'obfervation defquels il eft refponfable au Sourerain , fous peine de parjure 5 mais pourquoi Ie E 2  I 68 ) miniftere public ne feroit-il pas aftïijetti avec les autres accufateurs a la j-éparation civile des dommages qu'il auroit caufé par fon erreur ? ( Voyez mon Eftai, t. 2 , p. 28 & 162. ) II eft ridicule de vouloir faire regarder 1'infaillibilité comme 1'apanage certain de la magiftrature.; bien entendu qüe celui qui fait les fon&ions de partie publiquene doitpas payer de fa bourfe le dommage qu'il porte involontairement a celle des particuliers; mais que le Fifc feul eft tenu de le réparer. Je ne faurois, Monfieur , qu'approuver 1'Ordonnance de Charles IX, fur la révélation des délits & 1'ufage oü font les Procureurs - Généraux de recevoir des dénonciations, publiques ou fecretes , puifque j'en fais moiinême une loi exprefte qui a révolté  ( 60 ) quelques perfonnes, mais que je croïs néanmoins indifpenfable pour prévenir une foule de délits. ( T. i , p. 235. ) Mais ce qu'il y a de vicieux dans cette pratique , 8c ce qui la rend trèsdangereufe pour 1'innocence , c'eft : 1 °. Qu'il eft a craindre que le dénonciateur fecret qui doit être contraint de fe montrer, dans le cas du mauvaïs fuccès de fa dénonciation , n'appréhende tellement de fe voir réduit a cette extrêmité , qu'il foit tenré d'employer des mefures illégales 8c malhonnêtes , pour fe mettre a Tabri d'un pareil événement; 2°. Le dénonciateur étant inconnu , il pourra intervenir dans la procédure , fous la qualité la plus propre a faire réuffir fa dénonciation , fans que le prévenu fe doute qu'il a affaire avec fon véritable; E 3  ( 7° ) accufateur , ni qu'il puifie par conféquent le recufer a ce titre , ou le refuter par des argumens tirés de fon doublé caraftere. II fera, par exemple, admis fans difficulté comme témoin. Mais eet inconvénient qui ne feroit pas d'une conféquence majeure dans mon fyftême , paree que mes jurés ne font nullement aftreints a prononcer fur la dépofition d'un certain ncmbre de témoins, devient épouvantable dans la procédure francoife , oü un feul témoin forme déja une demi-preuve. II eft par-la aifé de concevoir a quel rifque 1'innocerce fe trouve expofée, par le róle mafqué que peut jouer le dénonciateur. 30. C'eft en vain qu'on oblige le dénonciateur a paroitre au grand jour , en fin de caufe dans le cas de 1'abfolution du prévenu , s'il  ( 7i ) eft infolvable ou hors d'état de le dédommager , en grande partie , des pertes que fa dénonciation lui a caufées , &. qui font quelquefois inappréciables. II faudroit du moins, qu'outre la fignature dans le regiftre , le dénonciateur fournit des cautions au Procureur-Général pour la réparation civile. Mais cette condition rendroit peut-être les dénonciations trop rares, en obligeant les dénonciateurs a plus de circonfpe£tion. 40. Enfin , il me paroit peu aflbrti a la dignité de Ia charge du Procureur-Général, que ce magiftrat foit , pour ainfi dire , 1'inftrument public d'une accufation fecrete. II vaudroit mieux , pour 1'honneur de fa place, qu'il fut tenu d'exiger du dénonciateur la preuve du délit dont il lui fait part 5 & que prenant E4  ( 7* ) ènfuite la chofe fur fon compte comme dans la première efpece de plainte , il attaquat uniquement de fon chef le prévenu , en reftant expofé , vis-avis de lui , aux dommages & intéréts qu'il pourroit répéter, s'il étoit déclaré innocent, La troifieme maniere de porter plainte devroit encore rentrer dans 1'attaque miniftérielle, ou dans la dénonciation fecrete. Car un accufateur peut, fans nommer les coupables, les défigner de facon qu'ils foient reconnus aifément , & il a en outre fur le dénonciateur fecret , 1'avantage de n'être tenu a aucun dédommagement en faveur des perfonnes défignées, au cas qu'elles foient abfoutes par le jugement. II eft certainement indifpen-^ fable d'autorifer les plaintes dirigéesj  ( 73 ) coatte des ïnconnus , & d'achemïner le juge a faire des recherches pour les découvrir. C'eft auffi ce que j'établis formellement dans les Articles II & V de mon Modele des élémens de la procédure criminelle, t. 2 , p. 19. Mais ce qui met une dirférence énorme entre la pratique francoife , &i celle que je defirerois pouvoir confacrer , c'eft que le premier a&e de ma procédure après 1'arreftation du prévenu , eft une confrontation rigoureufe entre le dénonciateur & la perfonne arrêtée fur fes indices; [Art. VI J ce qui conduit le juge a vérifier promptement s'il y a lieu de croire qu'on fe foit trompé fur le compte de celui qui comparoit en fa préfence fous la qualification d'accufé, de forte qu'en cas d'erreur , ij. a la facilité d'accélérer  ( 74 5 tellement la procédure & la prononciation des ju'rés , que le mal de fa détention foit le moindre poffible & devienne prefque nul par le fait, d'autant plus que pendant 1'inftruttion du procés, je réduis fimplement les accufés dans des maifons d'arrêt commodes & décentes; [ t. 2 , p. 24] au lieu que dans votre jurifprudence, on renvoie les confrontations a la fin de la procédure ; ce qui peut la faire durer très-longtems & retenir dans les plus horribles prifons , des mois entiers , peut-être même des années , un homme accufé injuftement, avantque les allégués refpe&ifs & contradi&oifes des parties ayent jetté un jour afiëz lumineux fur le fonds de la caufe , pour que Tidentité de la perfonne défignée, avec celle qui eft détenue,  ( 75 ) commence a n'être plus un problême. [ Voyez la-deflus mon Eflai, t. 2 , P- S1- ] La quatrieme méthode admife pour rendre plainte , eft de toutes la plus injufte & la plus ridicule. Car dès que vous défignez nommément quelqu'urt eomme Pauteur du mal dont vous vous plaignez , il eft naturel que vous lui teniez compte de celui que vous luf caufez vous-même, par une accufation téméraire , puifque la juftice n'eüt point dirigé fes coups contre lui , fans cette indication perfonnelle. La liberté d'intervenir en qualité de partie civile, durant le procés , au moment qui conviendra le mieux a Paccufateur , eft le comble de Pabfurdité. C'eft manifeftement autorifer un homme qui en foup9onneroit un autre d'avoir  ( 5* J voulu lui nuire , a dire aux Juges Sc au Procureur-Général : » Meffieurs » je vous déclare formellement qu'un » tel a tenté de me voler , de m'af» fafllner, &c. mais je ne veux jouer » ici qu'a coup fur. II ne me convient » pas d'avoir affaire a quelqu'un qui » fe trouveroit innocent. Si donc vous » vous y prenez de maniere qu'il foit » très-probable que la perfonne dont » je fuis 1'accufateur fera condamnée, » alors je ne manquerai pas d'ac» courir , pour mettre en füreté mes » intéréts pécuniaires; finon, je vous » avertis que c'efl uniquement votre » affaire , & que je ne m'en méle » point. » Peut-on, Monfieur, imaginer un langage plus indecent, plus inique , plus cruel envers un prévenu qui ne feroit pas coupable ? Or, juf-  I 77 ) qu'a ce qu'un accufé foit déclaré ;convaincu, il efl fouverainement injufle qu'il ne foit pas a tous égards traité comme innocent. Enfin , la cinquieme maniere de procéder, ou 1'accufation proprement dite , a auffi un inconvénient très-facheux pour 1'innocence accufée , en ce que Ia marche de 1'information & le choix des témoins étant laifies entiérement ala difcrétion de la perfonne plaignante , celle-ci ne manquera pas d'écarter foigneufement tout ce qui pourroit fervir a la décharge du prévenu. D'ailleurs , fous cette forme de procédure , les Juges ont un cara&ere paffif qui choque la bienféance, & qui me femble tout-a-fait incompatible avec Taftivité eflentielle a leur office. J'ai applani ces difficultés dans  ( 78 ) mor; £flaï, ( t. 2 , p. 2 3 ) en rendan? le Juge paffif relativement a la plainte 5c aux requifitions des parties ; mais je lui ai confervé toute 1'attivité dont il avoit befoin pour fe frayer lui-même un chemin a la vérité , fi par hafard ces requifitions ne le mettoient pas fur la voie , ou étoient de nature k lui en fermer 1'accès. Vous trouverez, Monfieur , les motifs de ma détermination a eet égard , depuis la page 37 , jufqu'a la 46 du même volume. Toutes ces réflexions conduifent néceffairement a adopter un fyftême dans lequel il n'y ait que deux facons de porter plainte , favoir : Vaccufation miniftérielle , qui , quoique fondée fur des informations fecretes , n'en foit pas moins toujours envifagée comme le fait propre du Procureur-  C 79 > öénéraï, & Vaccufation directe d'un ou de plufieurs particuliers. Mais , dans 1'un & 1'autre cas, il ne devroit pas y avoir de la différence quant a la marche du procés. Car la vérité efl: une , indivifible , conftamment femblable k elle-même, & 1'émïnence d'un office ne fauroit raifonnablement difpenfer, ni de 1'obligation de la démontrer pour obtenir le but de fes ïnftances en juftice , ni de la néceflité de fuivre les feules routes qui y aboutiftent, pour être en droit d'exiger Ia eondamnation de fa partie adverfe.  ( 8o 5 P 1''"; 1 .' 1 , J' CINQUIEME VICE De la Jurifprudence criminelle de France, ou Cinquieme Ecueil pour l'innocence accufée , fayoir i L'admisswn DES TéMOINS NÉCESSAIRES. ( P. 8o, 123 du Requifitoire. ) JE me fuis déja , Monfieur , explïqué la-defTus , t. 2 , p. 243 de mon EfTai, & je crois avoir" tout dit en deux mots fur cette matiere quand f ai avancé, qu'admettre Ja méthode des têmoins néceffaires , c'eft foutenir qu'il faut en certains cas abandonner la regie établie pour la fürcté de Uinnocence , de peur que le coupable n'échappe. Or. voila ce que M. 1'Avocat-Général devoit dire naturellement dans fon Requifitoire. Car c'eft , comme je 1'ai  ( 8i ) I'ai obfervé , la feule queftion préliminaire qu'il importe de réfoudre, pour aligner convenablement tous les autres principes & tous les pas de la procédure criminelle. II eft vrai que M. 1'Avocat - Général donne a connoitre fon fentiment de maniere a ne pas faire illufion aux perfonnes qui creufent un peu les idéés qu'on leur offre. Mais il y auroit eu un avantage ïmmenfe pour le public , a ce que 1'objet lui eüt été préfenté nettement fous fa véritable face. EfTayons, Monfieur , de voir comment on pourroit lui rendre ce fervice , en analyfant les maximes & les exemples de M. 1'Avocat-Général.  ( 82 ) Première Maxime. [ P. 83 du Requifitoire. ] Vimpunitê du coupable feroit un bien plus grand malheur que le danger de recevoir une dépofition dont l'intérêt public confacre la néceffité. Mais de quelle impunité M. 1'Avocat-Général peut-il parler ici, puifqu'il reconnoit lui-même qu'il y a du danger a recevoir la dépofition fans laquelle il n'y auroit point de coupable , & comment l'intérêt public confacreroit-il la néceffité de trouver nn coupable en recevant cette dépofition , puifque M. 1'Avocat-Général convient qu'elle eft dangereufe pour 1'innocence accufée ? N'eft-ce pas dire qu'il vaut mieux qu'un accufé périfte  83 ) malgré Tori innocence , que fi un coupable échappoit? Cependant, Monfieur , fi 1'accufé peut être coupable du délit que lui impute le témoin , celui-ci peut 1'être auffi de faux témoignage , pour fervir fa haine , fa vengeance , ou fes autres intéréts particuliers. Car j'efpere que M. 1'Avocat-Général ne me niera pas la poffibilité d'un témoignage calomnieux de la part d'un homme qui dépofe dans; fon propre fait, & fur lequel il a déja rendu plainte. II y a donc tout au moirts parité entre lui & 1'accufé qui nie 1'imputatiön qu'on lui a faite. Tous deux font également fufpe&s , attendu qu'un intérêt éminent les follicite toüs deux a taire les vérités qui leur feroient nuifibles. Pourquoi donc 1'équilibre fe trouve-t-il rompu en fa- F 2  C 84 ) veur du premier? paree qu'il répete comme têmoin , ce qu'il a dit comme plaignant. Si le prévenu de fon cöté répete auffi fa négative, par cela feul 1'équilibre doit être cenfé rétabli. Autrement la balance n'eft plus égale ; & toute loi qui autorife un procédé différent permet a la juftice de fe fervir de deux poids , ou de deux mefures. L'intérêt public ne confacre pas moins la néceffité d'épargner un homme qui peut être innocent, que celle de punir un coupable avéré. Si ce dernier échappe pour le moment a la peine qu'il mérite , du moins y at-il poffibilité de le retrouver en tems & lieu , tandis qu'il n'y a plus aucun moyen de rendre la vie a Tinnocent qu'on a fait périr ; en forte que le malheur de fa condamnation eft infi-  C 85 > ïiimenr 8c évidemmentplus afïreux que Fimpunité du coupable. Mais, oü eft , Monfieur, s'il vous plait, dans 1'admiflïon du témoin nécejfaire , la preuve que c'eft lui qui n'eft pas le coupable ? Elle ne fauroit être dans la préfomption de fon impartialité , puifqu'il eft intérefte dans 1'objet même de fa dépofition , qui s'identifie parfaitement avec celui de fa plainte. Peut-être, me direz-vous , que le fondement de cette preuve eft dans la perfpicacité des Juges , qui favent bien reconnoitre, au ton du témoin , a fa bonne renommée 8c aux circonftances dans lefquelles il fe rencontre , s'il dit vrai ou faux. Mais , fi cela eft ainfi , pourquoi ne pas fe contenter de la plainte ? Car les Juges pourroient également reconnoitre aux F 3  ( 86 ) merries indices , fi elle eft véridique & bien fondée. D'ailleurs 3 rien n'eft plus difficile que d'apprécier au jufte la folidité d'un témoignage. M. de Warville , par exemple , prétend , [ t. 2 , p. 109 de fa Théorie des Loix criminelles ] que » la preuve de la vé» racité d'un témoin ne peut s'ac» quérir que par la connoiffance ap» profondie de fon caraótere » ; & tout vrai philofophe qui y réfléchira férieufement, ne pourra s'empêcher d'être de fon avis. Mais , comme je le foutiens , ( t. 2 , p. 94 de mon Effai ) » de cent procédures crimi» 'nelles , il n'y en a pas le quart oü la p dixieme partie des Juges ait une » connoilTance approfondie du carac» tere de la pluralité des témoins. » Ce qui, felon moi, doit engager |§|  C 87 ) légiflateurs a ne pas faire du témoïgnage en général , ni d'un certain Gnombre de témoins, la fource unique de la preuve judiciaire ; mais a fe contenter fimplement de 1'admettre ■dans la maffe des élémens de cette preuve, pour concourir avec les autres faits a la completer. Je développe , Monfieur, dans mon Effai , les fondemens de cette vérité importante, t. 2 , p. 88 , 126. Vous allez encore vraifemblablement m'objedter que j'aurois peutêtre raifon fi, dans 1'admiffion des témoins nécejjaires , on condamnoit fur la dépofition d'un feul; mais que la loi & 1'ufage introduifant le concours de deux témoins pour la formation de la preuve , ils fe prêtent mutuellement une telle force , que , F4 '  ( 88 ) foit qu'il y en eüt un de récufable dans les cas ordinaires, foit qu'ils le fuffent tous les deux , il n'y a plus o moyen de réfifter a un pareil trait de lumiere , & qu'il eft rnoralement impoffible qu'un innocent puiffe être condamné en vertu de leurs dépofitions. Mais faites attention, Monfieur, a Une chofe , c'eft que la nature d'une preuve quelconque ne fauroit jamais être qu'un réfultat analogue aux parties intégrantes requifes pour la former. Or , felon votre jurifprudence , il faut deux témoignages bien diftincts , irréprochables & concordans pOUr la preuve juridique , en rnatiere criminelle. Si 1'on peut donc cotter quelque reproche contre 1'un ou 1'autre des témoins envifagés féparément } il eft évident que la réuniori  c 89 i des deux témoignages légaux n'exifte pas , & par conféquent que votre preuve eft incomplete. De ce que vous dites au plaignant, tu dépoferas , paree que tu es nécejfaire comme témoin d la condainnation du prévenu, il ne s'enfuit pas qu'il acquierre réellement par ce mot magique les qualités légales & indifpenfables pour conftituer un véritable témoignage encore moins s'enfuit-il qu'il puifle acquérir de cette facon une vertu en quelque forte électrique , par laquelle il communiqueroit a 1'autre témoin néceffaire , ou non , la faculté merveilleufe de fuffire tout feul a la preuve , ou de lui conférer a lui-même une influence légale qu'il n'a pas fonciérement.  < 90 > Seconde Maxime.' (P. 103 du Requifitoire.) Un témoin nécejfaire n'eft pas un témoin fufpeci ; c'eft un témoin qui a été témoin du crime , & fans lequel on ne pourroit en acquérir la preuve. Condamner fur la foi d'un témoin qui peut être fufpeci , mais qui n'eft pas juge tel, ce n'eft pas condamner fans preuve. Sa dépofition fait foi, Icrfque la loi a permis de l'entendre , & que rien ne détruit fa dépofition. J'appercois, Monfieur, dans cette maxime, trois équivoques qui en détruifent toute la folidité apparente. i°. Etre fufpeci, & pouvoir Vêtre, font deux chofes abfolument fynonymes a 1'égard d'un témoin. Car quand efi>ce  ( S>i > qu'un témoin peut être fufpett ? C'eft lorfqu'il fe trouve dans des circonftances qui peuvent naturellement réveiller 1'idée ou le foupcon de partialité; & quand eft-ce qu'il eft fufped? c'eft lorfqu'il fe trouve dans ces mêmes circonftances. Mais , fi jamais il y eut un cas oü le témoin puifle être foupconné de ne pas dépofer d'une maniere défintéreffée , c'eft lorfqu'il dépofe fur 1'un des deux plus grands intéréts qu'il foit poffible d'avoir dans la caufe. N'importe , dit M. 1'AvocatGénéral, il fuffit qu'il ne foit pas jugè tel : c'eft-a-dire, qu'il fuffit que les Juges ne le foupconnent pas. II feroit certainement fufpea, felon M. 1'Avocat-Général, fi les Juges avoient des foupcons fur fon compte; mais comme |ls n/en ont point, il ne lui refte plus.  ( 9* J que Ia poffibilité métaphyfique de devenir fufpett, au moment oü le foupcon fe glilTeroit dans 1'efprk des Juges. M. 1'Avocat-Général prend donc manifeftement ici le fait pour le droit. Or , Ie véritable état de la queftion confifte a favoir fi les Juges ont raifon de ne pas regarder conftamment les témoins nêceffaires comme des témoins fufpedts, par cela feul qu'ils feroient recufables dans un cas ordinaire , & s'ils font les maïtres de faire de leur chef, fans 1'aveu formel du légifiateur , deux claftes de témoins nécefTaires, dont Tune feroit fufpecte pour eux & 1'autre ne Ie feroit pas. En effet, que fignifie cette néceffité légale d'admettre le témoin nécejfaire pour compléter la preuve , fi dans tous les cas extraordinaires le  ( 93 ) Juge ne fe croit pas forcé a cette admiffion en vertu de la loi ? Ne devient-elle pas alors auffi verfatile que la volonté arbitraire du Juge, &. n'efl-elle pas entre fes mains comme une épée a deux tranchans, pour perdre ou pour fauver 1'accufé ? La feconde équivoque fe trouve dans le mot acquérir la preuve. Si M. 1'Avocat-Général eüt entendu par-la que des témoins recufables peuvent être admis quelquefois a donner leur déclaration fur certains faits de la procédure , pour fournir aux Juges les fils dont ils ont befoin dans la recherche de la vérité , il auroit avancé un principe très-fpécieux , qui m'a fait héfiter moi-même, en compofant mon Effai fur le chapitre des récufations. Car il me fembloit que , puifque les  ( 94 ) jurés n'étoient pas rigoureufement aftreints a prononcer fur la dépofition. d'un certain nombre de témoins, il falloit leur ouvrir un libre accès k tous les genres de témoignages, k toutes les efpeces de déclarations, afiri de leur procurer le plus grand degré de lumiere poffible. J'étois donc fur •le point de fupprimer toutes les caufes de récufation , relativement a 1'objet de 1'information jüridique, lorfque j'ai été arrêté dans 1'exécütion de ce projet par un incohvénient terrible qui ne s'étoit pas d'abord offert k mon efprit. ' C'eft qu'en admettant ainfi indiftinctement les parens , les alliés , les créanciers , les débiteurs , &c. a déclarer ce qu'ils favent fur les perfonnes & fur les chofes auxquelles ils prennent le plus grand intérêt, vous les  ( 95 5 éxpofez néceflairement ou a mentïr ou a mitiger du moins leurs imputations , de maniere qu'elles ne portent que peu ou point de préjudice a celle desparties qu'ils doivent naturellement favorifer. [ T. 2 , p. 207. ] Je dis, Monfieur, que eet inconvénient eft terrible , paree qu'il tend a faire des malhonnêtes gens dans 1'inftruction des procédures criminelles, & qu'il ne faut jamais fervir la juftice aux dépens des mceurs. Mais remarquez que les témoins nécejjaires font exa&ement dans ce cas la , & que c'eft les inviter a manquer de probité, que de leur afturer un moyen d'avoir gain de caufe par la répétition affermentée de leurs griefs. Je fais bien que dans 1'efprit de M. 1'Avocat-Général, le mot acquérir la preuve, ne  ( 96 ) veut dire que la compléter. II eüt donc été a fouhaiter que pour la clarté de fa maxime , M. 1'Avocat-Général eüt préféré ce terme a celui dont il s'eft fervi , &. qu'en même tems , au lieu de 1'exprefïion témoin du crime, il eüt employé celle de viclime du crime , qui eft rexpreffion propre , lorfqu'il s'agit d'un plaignant qui reparok dans la procédure en qualité de témoin nécejfaire. Car alors la maxime entiere de M. 1'Avocat - Général, réduite a fa jufte valeur , auroit pu fort bien s'énoncer de la maniere fuivante : Un témoin nécejfaire n'eft pas un témoin qu'on puiffe foupconner , a moins qu'il ne s'éleve des foupcons dans l'ejprit des Juges. C'eft un témoin qui a été viclime du crime & fans Itquel il n'exifteroit aucune preuve de ce crime. Condamner donc  ( 97 5 donc fur la foi d'un pareil témoin ] ce ■n'eft pas condamner fans preuve. Sa dépofition fait loi lorfque la loi a permis de l'entendre , £• que rien ne détruit fa dépofition. Je doute fort que la maxime de M. 1'Avocat- Général , préfentée ainfi fous fon vrai point de vue , füt pour un grand nombre de le£teurs un argument plaufible , en faveur du fyftême de 1'admifilbilité des témoins nécejfaires dans les procédures crimïnelles. Enfin , Monfieur , Ia rroifieme équivoque efl: dans cette derniere phrafe : Sa dépofition fait foi lorfque la loi a permis de l'entendre , & que rien ne détruit fa dépofition. Car faire foi Sc faire preuve font deux chofes très-diftin&es. La première fignifïe ordinairement être authentique • mais il paroit G  < 98 ) *|ue M. 1'Avocat-Général s'en feit uniquement pour exprimerla feconde, & qu'il entend que la dépofition du témoin nécejjaire devient partie intégrante de la preuve juridique, & la complete tellement , que les Juges font par cela même forcés de condamner le prévenu , fuppofé que rien ne détruife la dépofition du témoin. Mais , qu'eft-ce qui pourroit détruire dans 1'efprit des Juges une dépofition que le voeu de la loi rend indifpenfablement néceiTaire ; une dépofition qu'ils connoiiTent d'avance par la teneur de la plainte ; une dépofition enfin qu'ils n'ont ordonnée que comme une forme légale au moyen de laquelle ils pufTent avoir le droit de condamner le prévenu ? Franchement, je ne vois pas ce qui feroit capable  ( 99 ) tfébranler le moins du monde la folidité d'une dépofition auffi folemnelle , ni quelle efpece de refïburce il refte en pareil cas a 1'innocence accufée, L'ordre feul de recevoir la dépofition de fa partie adverfe , annonce déja une telle prévention chez le Juge, que eet ordre eft en quelque facon pour elle , une véritable fentence de mort. En vain placeroit-elle encore fa confiance dans la claufe [ pour y avoir tel égard que de raifon ] mife par le légiflateur a la dépofition des impuberes , & que vos Juges tranfportent de leur autorité privée a celle des domeftiques , parens ou alliés des parties. Qu'y auroit - il en effet de moins raifonnable de leur part, que de n'avoir aucun égard a une dépofition qui feroit parfaitement légale ? G 2  100 Convenons , Monfieur; qUe fi le légiflateur impofe a vos tribunaux la néceffité d'enténdre quelquefois des témoins, qui feroient recufables dans les cas ordinaires , il n'a pas voulu , fans doute , qu'ils mifiént conflamment leurs dépofitions de cóté ; mais il faut convenir en même tems que , fur ce point, votre légiflation criminelle efl tout au moins prodigieufement obfcure , ou incomplete , & qu'elle a hefo'm de plufieurs éclairciffemens. Troisieme Maxime. £ Page 115 du Requifitoire. ] Ceft un principe génèralement recu , & qui ne peut être contefté , que ce n'eft ni la plainte ni l'Information qui conftitue 1'accufé. C'eft le décret.  'Jufques-ld la procèZure efl fecrete & tout eft effacé , fi la juftice prononce qu'il n'y a lieu de fuivre l'inftruciion. Pourquoi, Monfieur, cette maxime n'eft-elle qu'un principe Sc non pas une loi ? II me femble néanmoins que fon objet efl affez grave , pour que le légifiateur eüt dü ftatuer difertement la-defTus. Car fi , tandis qu'il exifle une plainte juridique contre moi, tandis que les Juges informent fur mon compte , je ne fuis pas encore accufé, que fuis-je donc ? Peut-on m'envifager comme étant fous le reat, ou comme n'y étant pas ? La queftion méritoit bien une réponfe , fans doute ; Sc oü cette réponfe devroit-elle fe trouver , fi ce n'eft dans le recueil des loix écrites fur la marche de la procédure ? Une omifiion auffi capitale caractérife G 3  parfaitement votie "jurifprudence criminelle. Chez vous le légiflateur a efquifle quelques grands traits; puis il a abandonné tout le refte aux ufages & a 1'opinion. II ne faut donc pas s'étonner fi des variétés de procédure donnent lieu a des débats continuels parmi vos jurifconfultes. Tout ce qui eft effentiel a la füreté de 1'innocence doit être expreffément déterminé par les loix, & il ne faut livrer a 1'arbitraire que les points de procédure qui ne fauroient mettre en péril 1'honneur ou la vie des accufés. Des informationsfecretes,& dontle prévenu même n'a aucune connohTance , font un procédé qui n'eft digne que du tribunal de 1'inquifition. Que m'importe qu'on ne fuive pas a I'inftruclion , fi 1'on ne me fournit pas le moven de détruire  C 103 5 clans l'efprit du Procureur-Général 8c dans celui du dénonciateur dont il a accueilli la plainte , les foupgons injurieux qui s'y font élevés contre moi l Que m'importe qu'on ne fuive pas a 1'inlïruction , fi un feul de mes Juges a été d'avis qu'on y fuivit ? Ne m'at-on pas fait ainfi, fans que je le fache, une mauvaife note auprès d'un homme qui peut influer un jour d'une maniere décifive par fon fuffrage , fur ma vie , fur ma fortune , fur mon honneur ? Quel eft 1'honnête citoyen qui ne préférat cent fois qu'on fuivit a 1'inftruót.ion; qui ne regardat en pareilcas le décretcomme une faveur, & qui ne dit au Procureur-Général , ainfi qu'un des héros d'Homere a Jupiter : Rends-nous la clartê du jour, 6* combats contre nous ? Tout eft ejfacé , G4  C 104 ) ajoute M. l'Avocat-Général: oui, fur le papier peut-étre ; mais non dans Ie cceur ou dans la tête de mes adverfaires & de mes Juges. Afin qu'une femblable procédure ne tirat a aucune conféquence facheufe pour 1'honneur des citoyens, il faudroit que toutes les réfolutions fe priffent dans le tribunal , a 1'unanimité des fuffrages : mais alors ce tribunal devroit être compofé fuivant des principes analogues a ceux qui m'ont dirigé dans la formation de mon Tribunal de cenfure , & afTujetti au régime que je lui prefcris [t.i, p. 47 , 102 ]5 ce qui fouftrairoit néceffairement a fa jurifdiftion les matieres criminelles proprement dites.  ( ™5 ) Quatrieme Maxime.' [ P. 116 du Requifitoire. ] Un Philofophe dira : la preuve qui ré-* fulte de la dépofition de deux témoins nécejjaires n'eft qu'une préfomption ; & fi la juftice condamne fur des préfomptions , je fuis expofé a périr fur un échafaud. La juftice lui répond par notre bouche. La dépofition de deux témoins nécejjaires n'ejl pas une préfomption , c'eft une preuve ; & , fi je la rejette tous les citoyens confiés a ma garde feront expofés a être égorgés impunément. C'eft donc le cas de dire avec la loi des dou^e tables : Salus populi fuprema lex efto. Le falut du peuple eft la loi fiprême. II s'agit ici ? Monfieur , de favoir  ( io6 j quï raifonne le mieux du Philofophe J ou de la Juftice. Je conviens que celleci doit tirer toute fa logique de la loï même ou de la volonté du légiflateur. Mais oü celui-ci a-t-il déclaré formellement que la dépofition de deux témoins néceffaires étoit une preuve, & non pas une préfomption ? II faut bien qu'il ne Fait pas fait, puifque nous avons vu précédemment qu'un témoin néceffaire peut être fufpeft aux Juges & écarté comme tel. Ce n'eft donc pas fur la néceffité de fon témoignage , mais fur des qualités étrangeres a cette néceffité , que repofe la folïdité de la preuve qu'on acquiert par fa dépofition. Tant que ces qualités n'ont pas été duement conftatées par les Juges ; tant qu'elles ne font pas indiquées & confacrées par les  ( io7 ) ïoix, comme des fignes certains auxquels les tribunaux puiflent reconnoitre ceux d'entre les témoins nécejjaires qui font légalement admiffibles, leur admiffion n'eft autre chofe qu'une préfomption de la part des Juges. Ils préfument afiëz de la probité des témoins néceffaires qu'ils admettent, pour croire que ces témoins ne voudroient pas fe rendre coupables de parjure , en faifant périr un innocent. Mais ils n'ert ont aucune preuve ; & s'ils réfléchiffoient a la délicateffe du pas oü fe trouveroit un plaignant qui refuferoit de confirmer fa déclaration par ferment ; s'ils faifoient attention a la mauvaife idéé qu'ils ont eux-mêmes de cette claffe de citoyens fur la plainte defquels la méthode des témoins nécejjaires eft le plus fréquem-  C 108 ) ment employée , bien loin de s'écrïef avec M. 1'Avocat-Général : Si nous rejettons cette méthode , tous les citoyens confiés d notre garde feront expofés a être égorgés impunément ; ils s'écrieroient plutót : Si nous adoptons cette méthode , tous les citoyens foumis d nos fentences vont courir le rifque d'étre impitoyablement égorgés de nos propres mains. Notre philofophe a donc raifon, jufques dans le fanftuaire de la juftice ; mais , s'il a tort , pourquoi lai/Ter du louche dans vos loix fur ce chapitre intéreffimt ? Pourquoi , fi le Mut du peuple dëpend de 1'obfervation d'une maxime qui peut néanmoins devenir fatale a quelques citoyens , ne pas foutenir ouvertement, & inférer jnême parmi vos fandions les plus formelles, que comme il eft  1109) nupofïjble d'établir un ordre judiciaire dans lequel il n'y ait pas de tems en tems quelques hommes de bien facrifïés, nul ne pourra déformais reprocher aux tribunaux , a titre de déshonneur, ou de négligence , qu'un certain nombre d'individus périlTe injuftement par le glaive de la juftice , pour la füreté de tous ? Cinquieme Maxime. fj P. ji8 du Requifitoire. ] 11 vaut mieux fauver un coupable que de perdre un innocent. Eh ! qui peut douter de cette vérité? Mais un accufé qui a contre lui la dépofition de deux témoins , n'eft pas eet innocent dont le refcript a parlé ,& la maxime de Trajan ne peut s'appliquer dans  < HO ) une injiruciion autorifée par la loi. De la facon dont M. 1'Avocat-Général explique la maxime de Trajan, elle devient tout-a-fait abfurde & indigne de eet Empereur. Car elle fïgnifieroit feulement qu'il vaut mieux fauver un coupable qu'on fait être coupable , que de perdre un innocent qu'on fait être innocent. Mais il efl: évident, par les détails mêmes dans lefquels M. 1'Avocat-Général entre a eet égard, que la maxime de Trajan porte fur 1'état de doute & d'incertitude oü Ie Juge peut fe trouver, par rapport a 1'innocence du prévenu , puifqu'il s'agit dans fa réponfe d'un homme abfent ou foupconné. Or, pourquoi l'abfent & le fufpeci ne doivent-ils pas  ( in J • ëtre condamnés antérieurerflent aux formalités judiciaires qui font deftinées a cara&érifer la contumace ? N'eft-ce pas uniquement paree qu'ils peuvent ri'être point coupables du délit dont on les accufe ? Ceft donc la poffibilité & non la certitude de leur innocence que Trajan a voulu exprimer <3ans fon refcript. En efiêt, y auroitïl eu quelque queftion a faire au Prince , & quelque folution k attendre de fa part, fur le cas d'un homme dont 1'innocence auroit été parfaitement conftatée ? Je conviens que 1'accufé qui a contre lui la dépofition de deux témoins irrécufables , n'eft plus juridiquement eet innocent dont le refcript parle , fi la loi impofe aux Juges la néceffité de le condamner fur cette dépofition. Mais ne peut-il pas  { 112 5 1'être réellement ? L'expédient du doublé témoignage imaginé par votre légiflateur , pour tirer d'affaire vos tribunaux , dans les occafions obfcures Sc embarraffantes, n'eft pas tellement infaillible qu'il foit moralement impoffible aux Juges de condamner une perfonne innocente , en y recourant. La loi donc qui place la certitude judiciaire dans le concours de deux té■moins qui dépofent uniformément, eft une loi dangereufe pour 1'innocence accufée. N'y pourroit-on pas fubftituer une marche moins hafardeufe Sc fuftifante pour réprimer le méchant ? Voila ce qu'il importeroit d'examiner a fonds ; Sc voila fur quoi j'ai propofé quelques idéés dans le fecond volume de mon Elfai. S IX IE M E  ( t*3 ) Sixieme Maxime. [ P. 119 du Requifitoire. ] Quoique la dépofition de deux témoins uniformes , non - valablement reprochés , appuyèe d'indices certains fur un même fait, doive paffer pour une preuve complette felon toutes les loix divines & humaines , il efl néanmoins dans la nature des chofes que deux témoins irrêprochables fe foient trompès, & ayènt trompés les Juges. La juftice humaine ne peut pas fonder les replis du cazur de Vhomme. La confcience des témoins , ainfi que celle de Vaccufé, font un livre fermé aux re gard s du Juge. II n'eft point d l'abri des complots de la méchanceté. Le Magiftrat le plus integre peut être furpris. Mais il ne perd rien de fa H  ( "4 ) dignité , quand il s\fl conforme aux volontês de la loi 3 regie unique de fes juge mens. Si M. 1'Avocat-Général nous eüt, dès le ccmmencement de fon Requifitoire , expofé aufll nettement que dans ce paragraphe fon fyftême & fes principes fur la nature de la preuve qui doit fervir de bafe a la condamnation du prévenu , il nous eüt épargné la peine d'éclaircir plufieurs de fes propofitions , oü 1'on ne faifoit qu'entrevoir fes véritables idéés. Mais il nous a mis la-deffus tout-a-fait hors d'intrigue , par ce morceau auffi précis que lumineux. II en réfulte que pour être en droit de condamner un accufé, il faut : i°. Les dépofitions de deux témoins. zp. Que ces dépofitions foient  C 115 > üniformes. 30. Que ces témoins ne puiffent pas être valablement reprochés. 40. Que leur témoignage foit appuyé fur des indices certains. 50. Que ces indices certains portent fur le même fait. J'obferve d'abord , Monfieur, qu'il y a pourtant encore ici une petite obfcurité. C'eft la notion de eerti'tude jointe a celle d'indice quï femble 1'exclure formellement. Car une indication , ou un indice , n'eft qu'un renfeignement propre a montrer au Juge la route qu'il doit fuivre pour arriver a la certitude d'un fait , rnais nullemertt a 1'opérer par luimême ; ces indices par conféquent ne fauroient appuyer la dépofition des deux témoins , puifqu'ils ne deviennent des indices certains contre le pré- Hz  ( t.t'6 ) venu que par le concours de leurs témoignages. Autrement ce feroit retomber dans 1'efpece de fophifme, que les logiciens appellent un cercle vicieux. Ainfi, pour rendre la conftru&ion de fa phrafe plus exafte , M. 1'Avocat - Général auroit dü dire : Quoique des indices nombreux ( Sc non pas certains ) fur le même fait appuyés de la dépofition uniforme de deux témoins non-valablement reprochés, doivent paffer pour une preuve complette , felon toutes les loix divines & humaines , &c. Mais ne difputons pas trop le terrain dans un fujet oü nous avons de la marge , Sc fuppofons que , par des indices certains , M. 1'Avocat-Général n'a entendu que la certitude de l'exiftence des indices , il reftera toujours a expliquer dans ce fyltême,  ( "7 J que je crois bien néanmoins être celui de votre légiflation ; i°. En quoi confifte 1'uniformité requife dans les deux témoignages, pour les rendre concluants au préjudice de 1'accufé. 2°. Quels font les reproches valables qu'on peut cotter contre les témoins. Si vos loix n'entrent pas a ces deux égards dans le plus grand détail pour diriger vos Juges & les tenir en garde contre les pieges de la prévention , ou de 1'habitude, il eft clair qu'elles n'ont pas pris des précautions fufEfantes en faveur de 1'innocence accufée, contre laquelle on trouvera uniformes a fon gré des dépofitions très-incohérentes fur des points effentiels, & que 1'on condamnera fur la foi de témoins qui auroient paru aux Juges valablement reprochables, fi le légiflateur avoit eu H3  ( "8 ) foin de donner un catalogue complet de toutes les qualifications qui doivent naturellement devenir en matiere criminelle des caufes légitimes de récufation. Vous allez fans doute , Monfieur , vous recrier fur rimpoflibilité de dreffer un tel catalogue , & de pofer une limite exafte qui détermine rigoureufement le degré & 1'efpece de la concordance légale des deux témoins , qui doit fonder la fentence. Mais c'eft juftement, Monfieur , oü je vous attendois. Car votre obje&ion démontre , felon moi , que c'eft une mauvaife regie , de faire dépendre le fort du prévenu d'une uniformité qui peut devenir auffi variable que la vojonté particuliere des Juges, & d'une validitè de témoignage dont les caracteres ne, fauroi'ent être fpécifiquement  ( IT9 ) ënoncés dans la loi; puifqu'il eft dans la nature des chofes que deux témoins irréprochables fe foient trompés & aient trompê les Juges ( volontairement ou ïnvolontairement ) ; puifque la juftice humaine ( faite néanmoins pour découvrir les intentions criminelles ) ne peut pas fonder les replis du cceur de l'homme • puifque la confcience des témoins , ainfi que celle de 1'accufé, font un livre fermé aux regards du Juge qui n'eft point a Vabri des complots de la méchanceté, pourquoi reflreindre la certitude judiciaire a la dépofition de deux témoins uniformes non-valablement reprochés , appuyée tfindices certains fur un même fait ? Pourquoi ne pas ouvrir au tribunal toutes les fources de la vérité , & toutes les routes de la lumiere ? Plus il eft en danger d'être H4  ( "O ) furpris , moins il faut le gêner dans le choix de la preuve, par des régiemens illufoires qui ne le gênent point au fonds; mais qui fervent de mafque a des volontés arbitraires. Vous voyez, Monfieur , que, bien loin de manquer de confiance dans les Juges, bien loin de vouloir en faire des automates Sc leur lier les mains au préjudice de la. fociété , en faveur des malhonnêtes gens , je leur ouvre une immenfe carrière dans laquelle ils font libres d'épuifer toutes les combinaifons dont un procés crimjnel foit fufceptible pour la dccouverte de la vérité. Je livre également 1'innocent Sc le coupable a 1'univerfafité de leurs recherches, Sc je ne les réduis pas, pour 1'évaluation de la preuve , comme votre jurifprudence j au cerck étroit de quelques  ("I) formalités dangereufes, qu'il m'a été impoffible de trouver dans les loix divines ; mais que des monumens de fang doivent faire bannir de toutes les loix humaines , oü Tignorance & le défaut d'exa&itude les ont malheureufement introduites. J'avoue , Monfieur, qu'un pareif fyftême a befoin de quelques précautions qui nous préfervent de 1'abus que les Juges pourroient faire du vafte champ qu'ils ont pour la détermination de la preuve. La première eft, fans contredit, qu'ils ne puiffent en aucun cas employer un moyen illégal, ou contraire aux loix écrites t pour s'afmrer ft un homme eft coupable. La feconde doit être que le prévenu jouilTe dans tout le cours de la procédure- du fecours de deux confeils,  ( ) ou amls , a fon choix , en état de fuppléer a 1'incapacité dans laquelle les gouvernemens lahTent tomber le plus grand nombre des citoyens , quï ne favent pas même lire , qui étant par-la , auffi-bien que par la maffe énorme des loix , dans 1'impofïïbilité phyfique de les connoitre , ne coraprennent fouvent ni Ie fens , ni le but, ni le danger des quefu'ons qui leur font faites dans les interrogatoires juridiques, & qui ayant été , par le fentiment de leur inaptitude a fe conduire feuls dans leurs affaires civiles, obligés de confulter des perfonnes qui avoient gagné leur confiance, n'ontpas moins befoin de leurs fecours dans les affaires criminelles qu'on peut leur fufciter. Que ces confeils ne foient pas pris dans la claffe des gens de loi, paree qu'on  (12?) fe croiroït par-la trop expofé aux entraves qui naifTent des détours de la chicane , a la bonne heure ; quoiqué je fois intimément convaincu que fous une légiflation bien faite , les fubtilités, & les tours de force des Avocats, ou des Procureurs , ne feroient jamais qu'un fujet de rifée pour les Juges , cependant il efl: poffible que jufqu'a ce qu'on ait porté les loix au dégré dé perfe&ion dont elles font fufceptibles , il vaille mieux que le confeil des prévenus ne foit formé que de fimples particuliers. Mais il faut abfolument qu'ils le choififfent eux-mêmes. Car la véritable confiance eft entiérement perfonnelle 8t indépendante de Fautorité. La troifieme précaution feroit de diftinguer le Juge informateur de celui qui pronohce la condamnation ou 1'ab-  c 124 ) folution du prévenu. Ces deux qualités font abfolument incompatibles dans le même corps , ou dans la même perfonne : i°. Paree que des -préventions défavorables au prévenu peuvent rendre le Juge informateur trop facile fur Ia nature de la preuve. 20'. Paree qu'ayant raffemblé lui-même les matériaux de cette preuve , il s'eft attaché a fon ouvrage de maniere a n'en pouvoir plus juger impartialement. La procédure eft devenue fon propre fait, & il s'eft , en quelque forte , rendu récufable en y travaillant. II importe donc , pour la füreté de 1'innocence , qu'un autre Juge prononce , fi cette colleótion renferme tous les élémens néceffaires a la formation d'une preuve juridique , & fi cette preuve abfout ou condamne le prévenu. Dans la  ( U5 ) iméthode contraire , le tribunal qui envoie un homme au fupplice , fe donne a lui-même un témoignage authentique d'approbation , en aghTant comme s'il ne lui étoit échappé aucune faute , & qu'il eüt bien fu créer la lumiere dont il avoit befoin pour decouvrir la vérité. Enfin la quatrieme précaution fans laquelle 1'innocence accufée courra toujours les plus grands rifques , quelque fyftême de jurifprudence qu'on adopte d'ailleurs , c'eft que le tribunal qui décide finalement fi le prévenu eft coupable , ne puifte former de jugement valide , qu'a 1'unanimité des fuffrages , & qu'il foit compofé accidentellement d'un nombre affez confidérable de citoyens fans reproche , pour qu'on puifte inférer de leur unanimité la plus grande eer-  ( 126 ) Stïtude poflible fur 1'innocence ou ïtf conviftion de 1'accufé. Cette inftitu•tion eft feule capable de fuppléer a J'impoffibilité oü fe trouve le légifla■teur , de tracer aux tribunaux pour i'eftimation de la preuve des regies -fixes qui foient d'une utilité univerfelle, £t qr.i ne puiftent pas en même tems devenir quelquefois fatales a 1'innocence accufée. Tout cela, Monfieur, -eft plus amplement déduit dans le fecond volume de mon Effai. Je vous y renvoie donc , pour ne pas allonger fans néceffité cette lettre qui ne vous paroit peut-être déja que trop longue. La feule chofe a laquelle je vous prie de faire bien attention , c'eft que fi je fins d'accord avec M. 1'Avocat-Général, lorfqu'il avance, p. 12 o , qu'une loi qui exigeroit des preuves trop fortes,  C "7 > trop mulripliées feroit une loi dangereufèj une loi oppofée a la fur et é publique , & qu'elle inviteroit au crime par la certitude morale qu'elle donneroit au malfaiteur de nepouvoir être convaincu ; je ne penfe pas comme lui, que la dépofition de deux témoins uniformes , non-valablement reprochés, appuyêe d''indices certains fur le même fait , tienne un jufte milieu , entre les preuves trop fortes ou trop multipliées qui favoriferoient le méchant , & les preuves trop foibles { c'eft-a-dire infufiifantes ou nulles ) qui nuiroient k 1'innocence. Je foutiens, au contraire, que cette moyenne proportionnelle eft auffi difficile a trouver que la quadrature du cercle ou le mouvement perpétuel, & que la conftitution politique du tribunal criminel , telle que je 1'ai propofée ci-  C »8 5 deiïiis , efl 1'unique bouclier de 1'iflnocence , comme le meilleur boulevard que les loix puiiTent oppofer aux alTauts de la fcélératefle &. aux trames de la perfldie. Dans le débordement des vices dont la fociêtê eft inondée ( p. 120 du Requifitoire ) , il efl non-feulement poflible , mais encore probable , que des témoins nécejjaires ou non , foient des méchants. II faut donc prévenir leurs complots , par une méthode qui difpenfe le Juge d'en être involontairement le complice dans le jugement forcé que lui arracheroit le difpofitif imprudent d'une loi qui circonfcriroit a fes yeux la preuve juridique dans des bornes trop refTerrées , & qui foumettroiènt fa confcience a une forme ftriëte capable de Fégarer. Septieme  ( 129 ) Septieme Maxime et Exemples de M. l'Avocat-Général. [P. 105,106 & 107 du Requifitoire.] Seroit-ce donc un problême de favolr s'il eft préférable de replacer un fcélêrat dans la fociétè , ou de le condamner fur la foi de témoins néceffaires ? Faut-il par des exemples malheureufement trop communs en donner la folution ? Tremble^ , atnes cruelles , qui affaffine-{ le citoyen en paroijjant le défendre , &c. Pourquoi M. l'Avocat-Général fuppofe-t-il toujours ce qui eft en queftion ? Comment fait-il que les vi&imes de 1'admiffion des témoins nécejjaires étoient des fcélérats ? II n'en a pas d'autre preuve que cette admiffion I  ( iSo ) même , qui peut bien excufer les Juges aux yeux du légiflateur , s'il les y a contrahits ; mais qui ne juliifie pas ce dernier aux yeux de la raifon , de J'humanité & de la juftice. D'ailleurs, tant que les témoins nécejjaires ne font pas encore admis , le prifonnier n'eft point un fcélérat ; c'eft feulement un homme prévenu de crime. La loi feule ou le tribunal en fait un fcélérat par 1'admiffion du témoin que 1'on déclare admiffible paree qu'il devient néceffaire a la condamnation de 1'accufé. Voyons fi les exemples de M. l'Avocat-Général font bien énoncés , pour paroitre concluans en faveur de cette méthode. Dans le premier , M. l'Avocat-Général ne nous dit point fi le prifonnier avoue fon crime j ce qui étoit néan.  C 131 ) moins le noeud de la queftion : car J s'il le nie , la reconnoiflance du plaignant , du domeftique & de 1'ami ne fulrifent point pourconftater 1'identité de la perfonne accufée avec celle de 1'affaffin. La fcene a été fi rapide , & en la placant même dans une ville beaucoup moins peuplée que Paris , le nombre des perfonnes qui s'y reffembleroient par la taille, par les habits, par la phyfionomie , 8cc. feroit tel , qu'il n'y auroit rien de plus aifé que de s'y trcmper , fur-tout lorfqu'on n'auroit vu 1'homme dont il s'agit qu'un inftant, rempli encorede trouble & d'effroi par des circonftances périlleufes, femblables a celles oü fe trouvoient les affiftans , dans 1'exemple cité. Au contraire , fi le prifonnier avoue le contenu de la déclaration du I 2  ( 132 ) plaignant, a quoi bon recevoir fa dépofition , 8c celle de fon domeftique ? Elle n'ajoute abfolument rien a 1'évidence qui réfulte de 1'aveu du prévenu. La feule chofe dont il faille s'alfurer a fon égard , c'eft qu'il ne foit pas dans un état d'aliénation qui 1'empêche de fentir la nature 8c les conféquences de fes réponfes , ou qui lux faffe defirer la mort , füt-ce même par la main du bourreau. Enfin , je remarque qu'il pourroit y avoir dans le délit imaginé par M. l'AvocatGénéral , des circonftances telles qu'il fut moralement impoffible que le prévenu n'eüt pas commis le crime dont il eft accufé, en forte qu'il devroit être condamné malgré fa négative. Mais ces circonftances ne fauroient ni fe prévoir ni s'énoncer par le légiflateur; 8c  ( *33 ) c*eft ce qui démontre complétement la néceffité du tribunal des jurés, pour prononcer fur la validité de la preuve. Cela ne vaudroit-il pas infiniment mieux que le tour de force placé dans 1'admiffion des témoins nécejjaires ? De cette facon 1'innocence feroit en füreté , fans que la fociété courüt le rifque de voir rentrer dans fon fein des accufés fuffifamment convaincus de quelque crime capital. Le fecond exemple eft encore plus mal choifi ou rendu que le premier. Car au moins dans celui-ci , il y avoit un ami> dont la dépofition pouvoit n'être pas irréguliere , & par ces mots il ejï convaincu , M. l'Avocat-Général vouloit, felon toute apparence , parler implicitement ou de 1'aveu du prévenu , ou de quelque circonftance 13  C 134 ) extraordinaire qui mettoit hors de doute 1'identité de la perfonne. Mais dans le fecond exemple; i°. II n'y a que les plaignans qui dépofent. 20. Leur reconnoifTance feule eft la bafe de la condamnation des prévenus , quoique les voleurs ayent pris la fuite au moment oü le domeftique paroiffoit , & que celui-ci ne les ait vus que de loin , au milieu des arbres d'une forêt , peut - être extrêmement touiïue. II eft vrai que les perfonnes arrêtées font fufpeci es , mal famées & fans domicile. Mais pourquoi y a-t-il chez vous des perfonnes fufpecies , mal famées & fans domicile , deftinées en quelque forte a fervir éternellement de plaftron aux accufations criminelles qui ne portent pas fur des individus biencara&érifés ? N'eft-ce point paree  ( 135 ) que vous n'avez pas des tribunaux propreraent dits de cenfure , ou dlwnneur , qui aient, pour ainfi dire , en dépot, la diftribuüon des fignes non équivoques de la bonne & de la mauvaife réputation des citoyens ? N'eftce point paree .que les citoyens n'étant pas clafies , ni obligés de rendre compte au gouvernement de la maniere dont ils gagnent leur pain , plufieurs d'entre eux ne vivent que de rapine & de filouterie ? N'eft-ce point paree que les Paroiftes des Villes & des Villages ne font pas régies par un petit nombre d'adminiftrateurs bien choifis, qui tiennent un regiftre exaëfc de tous ceux qui en dépendent, & qui foient aftreints non-feulement a veiller fur leur conduite ; mais foient encore refponfables au gouvernement des dé- 14  ( ) fordres qu'ils auroient pu prévenir ? Au lieu de cette police fi fimple , fi falutaire & fi facile a établir , on veut que les tribunaux criminels fuffifent a tout; on veut qu'ils contiennent, par la terreur des fupph'ces, des hommes que la mifere poignarde , Sc qui n'ont plus rien a perdre que la vie. On laiiTe multiplier autour de foi cette engeance malheureufe , qu'une bonne adminiftration paroiffiale feroit difparoitre en peu de tems 3 puis 1'on trouve admirable qu'un plaignant foit entendu comme témoin dans fa propre caufe, au rifque de faire périr 1'innocent. L'on s'écrie, que deviendroit autrement la füreté publique ? Ofera-t-on déformais > dans un royaume policé , fe mettre en chemin fans fe faire efcorter ? Mais ce qui prouve au contraire qu'on n'a  C ii7 ) pas encore découvert la véritable police qui convienne a ce royaume, c'eft que les tribunaux criminels y foient dans 1'ufage de qualifier comme fufpecis & malfamés des citoyens, contre lefquels il n'exifte aucune fentence de condamnation ; c'eft qu'il puifte y avoir des citoyens fans domicile; c'eft qu'il fuffife d'y être fans domicile , pour y devenir fufpeft "& y être eraprifonné fur les plus légers indices; C'eft enfin lorfque vous y avez été emprifonné , & que 1'on ne peut pas acquérir une preuve dire£te fufftfante pour votre condamnation , on y foit autorite par la loi a faire un détour , £c k changer en dépofition la déclaration , ou la plainte de votre adverfaire , pour s'óter tous les fcrupules , & pour ne voir plus en vous qu'un fcélérat.  ( 138 ) SIXIEME VICE De la Jurifprudence criminelle de Trance , ou Sixieme Ecueil pour Vinnocence accufée, favoir : Le serment des prévenus. ( Pag. 162 &. 163 du Requifitoire. ) JQ) Ans une procédure criminelle , toute formalité judiciaire qui n'eft pas en général un moven d'arriver a la découverte de la vérité , eft nonfeulement une fuperfluité embarraffante , mais peut devenir encore un obftacle invincible a cette découverte , ou un piege dangereux pour 1'innocence accufée. C'eft , Monfieur, exactement Ie cas du ferment qu'on impofe aux prévenus dans les confrontations & les interrogatoires, Je ne le  ( 139 ) rejette pas, paree qu'il oblige le prifonnier a fe trahir lui-même, puifque, felon moi, 1'obligation de dire la vérité aux Juges a fon propre préjudice, efl une fuite néceffaire de la condition foeiale. ( T. i , p. 208 & 209. ) Mais je rejette ce ferment, i°. Paree qu'il femble que fi 1'on ne le prêtoit pas , on en feroit plus libre de mentir pardevant les tribunaux. z°. Paree que le fcélérat qui efl bien déterminé a fe rendre parjure , pour fe tirer d'aftaire , & qui fent fortement combien fon caradtere deviendroit plus odieux, par la connoiiTance de cette réfolution , n'en efl que plus attentif a la nature des réponfes qu'il fait aux queftions de détail que fes Juges lui adreffent, tandis qu'une perfonne injuftement accufée qui n'a point héfité  ( I4° ) & prêtcr ce ferment dont elle ne prévoyoit pas les conféquences , peut fe trouver tout-a-coup arrétée au plus fort d'un interrogatoire, par une queftion indirecte qui 1'obligeroit de révéler ce que 1'honneur lui ordonne de taire. Je n'ai pas befoin , Monfieur , de vous en citer des exemples ; vous les imaginerez facilement. Mais quel n'eft pas Ie malheur du prévenu qui fe rencontre dans une circonftance auffi critique ! Son air intrigué fait déja dans 1'efprit de fes Juges une facheufe impreffion contre lui. S'il déclare franchement que 1'honneur d'autrui dont on lui a confié le dépot, &. qui eft intéreffé dans Ia queftion qu'on lui fait, ne lui permet pas d'y répondre le Juge ne manquera pas de croire que c'eft un faux-fuyant. II commen-  ( I4I ) cera k foupgonner le prévenu d'être Infidele au ferment qu'il a prêté , & pariera même de le condamner comme muet volontaire. Ainfi la crainte de fe rendre par une femblable réponfe fufpeci: du délit qu'on lui impute , ou de parjure, 1'engagera , felon toute apparence, k s'exécuter promptement fur la néceffité de répondre , pour ne pas laifier aux foupcons de fes Juges le tems de fe confolider ; mais il répondra en biaifant, d'une maniere vague , avec des tournures mitigées qui produiront malheureufement pour lui le même effet que fon refus pofitif de répondre , & le feront paroitre en contradi&ion avec fon ferment, quoi. qu'il ne 1'ait prêté que pour les faits qui le concernent perfonnellement, & non pour ceux qu'il croit de bonne  ( M2 ) foi être abfolument étrangers h fa caufe^ Tel efl, Monfieur, felon moi , un des principaux inconvéniens de 1'ufage , qui impofe au prévenu 1'obligation du ferment par lequel il femble s'interdire lui-même toute efpece de réticence 8c de diffimulation fur les divers interrogats de fes Juges, qu'on ne doit 8c qu'on ne peut en aucune facon gêner a eet égard. Du moins, s'il n'y avoit pas eu preftation de ferment , 8c qu'il fe fut trouvé dans le même embarras, il n'auroit été fufpeft que d'un déguifement utile a fa défenfe, Sc non pas d'un parjure. Mais il efl bien clair, en même tems , qu'il y a ici un milieu a garder entre Ia fupprefïion totale de eet ufage Sc Ia liberté illimitée qu'on accorderoit aux accufés, de ne répondre qu'aux quef-  ( M3 ) tions qui leur plairoient, fous prétexte d'un lilence forcé , 8c prefcrit par les loix de 1'honneur , derrière lefquelles ils fe retrancheroient toujours, comme dans un fort inexpugnable. Or ce milieu qu'il conviendroit de prendre, j'eftime , Monfieur, 1'avoir trouve dans la loi que je propofe, t. i , p. 218. J'en indique les motifs depuis la page 209 jufqu'a la 219 inclufivement, 8c je perfifte a foutenir qu'impofer le ferment en juftice, même aux témoins , eft un affront fanglant pour eux 8c pour la nation entiere 5 que c'eft une dérogation manifefte au droit naturel 8c facré qu'ont les tribunaux de connoitre la vérité. Enfin , pour terminer eet article par une obfervation plus particuliere au Requifitoire de M. l'Avocat-Général, combien ce  ( M4 ) ferment n'eft-il pas contradictoire avec radmiffion juridique d'un témoin quelconque, & fur-tout avec celle du téynoin nécejfaire , puifque le légiflateur n'exige cette formalité que paree qu'il n'eft pas polïïble que le Juge ait une connoiffance affez füre de la probité des témoins , pour faire de cette connoiftance la regie de fes déterminalions ? Ce qui , a mon avis, détruit radicalement la validité du ferment en général, par rapport au but qu'on fe propofe d'atteindre dans les procédures criminelles , attendu que toute fa force repofe en dernier reffort fur cette même probité , contre laquelle on prend néanmoins une précaution auffi humiliante. Cette objedtion appliquée au ferment du prévenu devient plus confidérable encore j car quelle incon- féquence  ( «45 ) féqüence n'y a-t-il pas a fuppofer des principes religieux & une grande délicateffe a 1'égard du ferment, chez un homme foupconné d'un acte de fcélératefTe ? II faudroit tout au moins le réferver pour les prévenus qu'on accufe de délits moins graves que le parjure , & deftiner conféquemmenta ce dernier les peines les plus rigoureufes. SEPTIEME VI CE De la Jurifprudence criminelle deFrancei ou Septieme Ecueil pour 1'innocence accufée , favoir : La trop grande simplicité de l.'interrogatoire sur la sellette. [ P. 106 du Requifitoire. ] l'Avocat-Général dit, p. 165 ; que le criminel feul s'intimide } fe K  C 146 ) trouble , tremble & pdlit en entrant dans le fanciuaire de la juftice. II feroit, fans doute , fort heureux pour les Juges que cette regie fut fans exception 5 car ils auroient alors un moyen auffi fiinple qu'infaillible , pour reconnoitre les vrais coupables, 8c , en ce cas , 1'interrogatoire fur la fellette pourroit fans inconvenient n'être pas plus long que celui qu'ont fubi les trois condamnés. Cependant, outre que ma propre expérience m'a quelquefois appris que la honte de comparoïtre devant un tribunal criminel fans 1'avoir mérité , produit chez 1'homme de bien a-peu-près les mêmes efïets extérieurs , que les reproe hes d'une confeience tourmentée par le fouvenir du crime qu'on a commis 5 j'ai fouvent ouï citer des  ( *47 ) exemples tout-a-fait dérogatoires k 1'axiome de M. 1'Avocat - GénéraL En particulier , 1'on allure que ce qui perdit le malheureux Galas , ce fut le trouble 8c la confuiion d'efprit oü le jetterent les flammes d'un bücher allumé par ordre du tribunal , devant lequel on le conduifoit, pour y brüler un écrit licentieux. Qua de caufes abfolument inconnues aux Juges, ne peuvent pas produire dans la contenance 8c fur le vifage du prévenu , des apparences femblables k celles qu'imprimeroit les remords ! Le feul arfoibliffement du corps , öcCafioné par un trop long féjoür dans lei cachots, fuffiroit pour répandre fuf toute la perfonne de 1'accufé ces fyrnp» tomes externes , qu'on admet fl fréquemment 8c ü légérement, comtoé K i  ( 148 ) autant d'indices véhémens d'une fcélérateiTe déguifée. Auffi n'efMl pas rare que le fimple abattement ait te nu aux yeux des Juges la place d'un aveu, M. l'Avocat-Général dit enfuite que , dans les cas d'appel, 1'interrogatoire fur la fellette ne route le plus fouvent que fur le fait principal. Les queftions, ajoute-t-il, qu'on fait a Vaccufé font fi fimples , qu'il na pas la douleur de s'embarrajfer dans fes réponfes. Cruelle indulgence ! Ne vaudroit-il pas beaucoup mieux pour lui & pour fes Juges qu'il retombat de nouveau dans les contradictions qui vont le fairej condamner ? S'il eft innocent, il aura peut-être une occafïon d'éclaircir ce qui eft a fa charge. S'il eft coupable , fes Juges en ac-  ( M9 ) querront Ia preuve par eux-mémes ^ ce qui les tranquillifera davantage fur la juftice de la fentence qu'ils ont a prononcer. Cela n'eft pas néceiTaire , repliquerez-vous avec M. l'AvocatGénéral , le premier interrogatoire fur la fellette réunit tous les faits , tous les aveux , toutes les circonftances , les moyens de défenfe & de juftification , en un mot tous les détails que la cour pourroit exiger. Mais fi cela efl ainfi &. que ce premier interrogatoire fe trouve conftamment auffi parfait qu'on le fuppofe , par 1'adrefiê & Ia fagacité avec laquelle les premiers Juges favent tirer la vérité du fonds du puits, pourquoi y a-t-il appel ? C'eft , répondra-t-on , paree que ces Juges n'ont pas bien connu Ie degré de peine que méritoit le délit , ou qu'aK 3  C 15° ) prés avoir fait une très-bonne procédure , ils n'ont pas été. en état d'y yoir bien clairement le fait principal qui en rélultoir. Voila certainement une chofe bien extraordinaire , que vos Juges de première inftance foient d'un cóté fi propres a l'inftru&ion criminelle , & de 1'autre fi peu capables de rendre un bon jugement. Pourquoi donc les laiiTez-vous prononcer & les mettez-vous ainfi perpétuellement en contradiórion avec les tribunaux fupérieurs ? L'abus cefferoit par la fupprelïïon du droit de [enteneer, &. vous auriez en outre le triple avantage 5 i°. De ne pas décrier la juftice dans 1'efprit du peuple par une doublé pronongiationfur le même cas ; 20. De. n/avoir qu'un feul véritable Juge pQur Je mêrnq reftort j 3 0, De féparer;  ( *5* ) en matiere criminelle deux objets ; qui. ne peuvent être , fans le plus grand danger , placés dans les mêmes mains, favoir , le droit de faire des recherches pour découvrirfi un homme eft coupable , Sc celui de prononcer qu'on a bien fait toutes les recherches néceftaires , qu'on n'a commis aucune erreur de forme, 8c qu'on eft fur d'être parvenu a 1'évidence indifpenfable pour juger équitablement. II y auroit encore une autre remede a employer dans Ie cas dont il s'agit , ce feroit de fixer dans vos loix , comme je 1'ai exécuté dans mon Eflai , un genre de peine bien déterminé pour chaque efpece de délit, 8c d'avoir en même tems des tribunaux momentanés pour réfoudre la queftion de fait. K4  ( 152 ) Enfin , il fe préfente une troifieme refïburce , qui ne feroit pourtant qu'un pis-aller, comparativement aux deux autres, c'eft que le tribunal fupérieur recommence la procédure ab ovo pour fa propre édification , fauf a 1'égard des vérifications locales , ou des premiers rapports d'experts qui refteroient au procés en qualité de moimmens authentiques des faits fujets a être dénaturés. De cette maniere le tribunal fupérieur auroit deux procédures au lieu d'une pour fe diriger dans le jugement. II y auroit également deux interrogatoires fur la fellette remplis d'aveux , de faits , de circonftances , de moyens , de défenfe & de juftification. II feroit impoffible qu'il n'en réfultat une plqs grande lumiere pour les Juges dont  < «53 3 ïa pluralité n'aflifte pas ordinairement aux interrogatoires & aux confrontadons, dans lefquelles néanmoins mille acceffoires qui ne tiennent au principal que par des fils déliés, qui échappent fouvent aux premiers regards , peuvent altérer tellement les imputations qui font a la charge du prévenu, qu'elles ne fe préfentent plus fous le même point de vue qui les avoit d'abord caradtérifées. Je ne comprends pas , en efFet, comment un Juge a le courage de condamner un homme , fans 1'avoirentendu lui-même plufieurs fois fur tous les chefs importans de l'inftrucïion criminelle , & fans lui avoir fait toutes les queftions imaginables , par lefquelles il puifTe s'affurer qu'il n'eft pas poffible que eet homme foit innocent. Le fecond in-  ( 154 ) terrogatoire fur la felletre devroif donc au moins s'étendre a toutes les principales branches de la procédure. II devroit conüenir des repréfentations de la part des Juges , fur les contradictions dans lefquelles le prévenu eft tombé , des demandes fur les moyens de concilier ces contradiclions , des avertiffemens même fur les conféquences dangereufes qui découleroient du défaut de concordance & d'harmonie , &c. Car pourquoi les tribunaux fupérieurs auroient-ils a tous ces égards une confiance aveugle dans les premiers Juges , tandis que 1'appel feul ruine cette confiance par les fondemens , & fuppofe d'une maniere évidente la néceffité d'une revifion entiere du procés , par des gens plus habiles que ceux qui viennent de s'en occuper ?  ( 155 ) ■g ■ ===»■ HUITIEME VICE JJe la Jurifprudence criminelle de Francet ou Huitieme Ecueil pour Vinnocence accufée , favoir : La nêcessitè d'ALLÉCUER des faits justificaties. [Pag. 167, 199 du Requifitoire. ] (Q) Uand un homme eft accufé d'un crime , il ne doit point être tenu juridiquement a prouver qu'il ne 1'a pas commis 5 puifqu'il y a une foule de eas ou il lui feroit impoffible de faire une preuve négative. C'eft. au piaignant&aux Juges a s'y prendre de maniere , que la démonftration réfulte de la procédure elle-même , en forte que fi elle ri'en réfulte pas , il efl de toute juftice que le prévenu foit renvoyé abfous. Mais, ce qui n'eft pas  C 156 ) pour lui d'obligation étroite , eft prefque toujours de convenance , foit pour abréger fa détention , foit pour diffiper les préventions de fes Juges. Car s'il peut démontrer par fon alibi , ou par toute autre circonftance , qu'il a été dans 1'impofïibilité phyfique de commettre le délit dont on 1'accufe , il eft fouverainement injufte de faire languir 1'inftruttion criminelle , & le tribunal ne doit rien avoir de plus preffé que de 1'accélérer pour arriver a un jugement d'abfolution qui libere le prifonnier. Sans pouvoir démontrer cette impoffibilité phyfique , le prévenu peut néanmoins alléguer a fes Juges des chofes qui rendent tout-a-fait improbables les imputations qui font a fa charge , ou qui du moins mettent le tri-  ( *57 ) bunal fur la voie d'en vérifier fi facilement 1'injuflice , que le mépris qu'il feroit de ces moyens de défenfe & fa lenteur a les examiner , ne pourroient être envifagés que comme une réfolution pofitive de fermer les yeux è Tinnocence du prévenu , fi une loï monflrueufement funefte a celle-ci , ne venoit arrêter la marche de I'équité la plus fimple & la plus naturelle. Je ne crois pas, Monfieur , cara&érifer trop durement la loi que cite M. 1'Avocat - Général p. 167 , & qui interdit formellement aux tribunaux d'ordonner la preuve d'aucun fait jujïificatif ni d'entendre aucun témoin pour y parvenir pendant l'inflru£tion de la procédure. C'eft comme fi la loi eü£ dit aux Juges : » En vain 1'accufé » vous offriroit-il la preuve la plus  C 158 ) » complette de fon innocence , dès le » premier jour de fon arreftation , » allez votre chemin fans y faire at» tention 5 tenez-le en prifon fïx n mois , une année , s'il le faut, £c » même davantage , pour vuider » toutes les queftions de compétence » & entendre a fa charge tous les té» moins qui feront adminiftrés par fa » partie adverfe. Alors feulement , » vous examinerez les pieces juftifiï) catives qu'il vouloit produire dès le m commencement du procés ; » tandis que peut-être ces pieces n'exiftent plus 5 tandis que les témoins qu'il fe propofoit de faire entendre font niorts durant le cours de la procédure$ tandis que le fouvenir des circonftances dont il prétendoit tirer fa juftification , s'eft effacé dans la tête de  ( «59 ) ceux qui auroient dépofé en fa faveur) tandis enfin que plufieurs objets eflentiels a la démonftration de fon innocence ont été dénaturés par les ames atroces qui ont formé le complot de fa perte. Que devient donc, dans votre jurifprudence , cette foi fi abfolue pour le témoignage juridique, & quï va jufqu'a transformer le plaignant même en témoin pour la condamnation du prévenu ? Pourquoi vous en défïer fi prodigieufement , lorfqu'il s'agit de confiater 1'innocence de 1'accufé ? Le légiflateur n'a-t-il pas manifeftement ici deux poids &. deux mefures ? Tout n'eft-il pas calculé uniquement pour trouver les coupables , &. rien pour fauver 1'innocent? Voyez encore , Monfieur, s'il vous plaït, quelles précautions fatales a ce  ( 16-0 ) dernier, le légiflateur a prifes dans 1'Ordonnance de 1670. i°. Les Juges feuls peuvent choifir entre tous les faits juftificatifs , ceux für lefquels le prévenu fera admis a faire preuve , quoique la liaifon intime de plufieurs de ces faits avec fon innocence ne puiffe être bien connue que de lui-même. 2°. Ces faits ne peuvent être tirés que de ceux qu'il a allégués dans fes confrontations ou interrogatoires 5 en forte que fi malheureufement il n'a pas fu , faute d'un confeil, tirer parti des moyens de fa caufe , s'il a oublié quelque circonftance favorable, ou s'il découvre trop tard un expédient für de faire briller fon innocence , il ne peut plus, du fond de fa prifon , en informer fes Juges, ni être admis par eux a la preuve de ce nouveau fait  ( 1*1 ) fait juftificatif. 30. C'eft dans les Vingt-' quatre heures que le jugement qui admet a la preuve des faits juftificatifs, doit être prononcé a faccufé ; mais C'eft fur le champ qu'il doit nommer les témoins qu'il veut faire entendre , a défaut de quoi il en eft forclos, comme s'il ne pouvoit pas y avoir des faits juftificatifs de telle nature , que le prévenu n'ait aucun témoin a faire entendre , öu qu'il ignore abfolument le nom des témoins qu'il peut indiquer. Ce fera tantót des voifins , tantót des inconnus qui fe feront trouvés par hafard fur le lfeu de la rixe ou du délit, & que la juftice néanmoins pourroit découvrir par fes recherches. 40. Enfin , lorfque 1'accufé aura nominé fes témoins , il n'en pourra plus nommer d'autres, quoiqüe duement qualifiés L  ( i6t ) pour être entendus; au lieu que fon antagonifte eft libre d'en adminiftrer continuellement pendant toute la procédure , ou du moins avant les confrontations. Tant de difpofitions fi cruelles pour 1'innocence accufée devroient avoir pour motifs des raifons graves , & en quelque forte irréfiflibles. Cependant je n'en appercois pas d'autre que le defir ardent qu'a eu le légiflateur de ménager le tems des Juges, qui eft fans doute infiniment précieux , mais dont le prix n'approche pas de celui de Finnocence aux prifes avec les dangers qui la menacent de toutes parts , fous une légiflation criminelle auffi imparfaite que la vötre. Avouons néanmoins que fi la défenfe du prévenu n'étoit pas circonf-  C *** ) cnte dans les limites convenablesj 8c qu'il fut le maitre d'adminiftrer a dif. crétion la preuve de tous les faits juftificatifs qu'il allégueroit, les coupables qui n'ont d'efpoir que dans les lenteurs de la procédure, ne finiroient point ni fur le nombre de ces faits, ni fur celui des témoins qu'ils auroient a produire , pour en faire confter. Mais ce n'eft point dans les mefures prifes par votre légiflateur contre eet inconvénient , qüe fe rencontrent les véritables limites de la défenfe du prévenu , puifqu'il en peut être Ia viclime , quoique innocent. Ces limites ne fe trouvent que dans une marche analogue a celle que j'ai propofée, t. 2 , p. 2 3 j marche qüi abrege la procédure, paree que les allégués 8c requifitions contradictoires des parties  C *«4 ) déterminent la nature de la caufe , dès le commencement du procés. Elle facilite la convi&ion du coupable, paree que le plaignant & fes deux confeils dirigent le Juge dans la recherche de la vérité. Elle protégé efficacement Finnocence , paree que le prévenu a auffi fes deux confeils , & qu'il fait inftruire le procés a fa décharge , en même tems que fa partie adverfe le fait inftruire a fa charge. Enfin , elle eft favorable a la loi , paree que le Juge qui préfide k Finftru&ion eft en droit de rejetter tout ce qui lui paroit illégal, & qu'il peut ordonner feul ' fans le confentement des parties, tout ce qui n'étant pas contraire aux loix pourroit néanmoins fervir a la découverte de la vérité. Mais fi , par hafard, une femblable marche vous pa-  ( 1*5 ) roïfFoit trop philofophique , il y auroit un moyen fort fimple de doubler le tems des Juges, ce feroit de refferrer 1'étendue de leur compétence. La multitude des affaires dont un tribunal efl furchargé , n'a pas d'autre caufe que le champ trop vafle de fa jurifdiótion. Limitez-la en proportion de fes forces , & du tems dont il a befoin pour inftruire convenablement les procédures criminelles; les Juges n'auront plus de répugnance pour admettre tous les faits juftificatifs contenus dans les réponfes de 1'accufé, & pour les vérifier d'office fur fes indications , fans qu'il le requierre. Dans le cas, par exemple, des variations reprochées aux trois condamnés , on auroit pu faire quelques recherches fu r le lieu oü ils avoient couché la nuit L3  ( i66 ) du délit j & peut-étre auroit-on découvert un alibi qui les eüt difculpés, fans qu'ils aient pu 1'établir d'euxjtnèrnes , faute de mémoire , ou autrement. Qu'y a - t - il , en effet, d'extraordinaire a ce que des gens qu'on repréfente comme des vagabonds , ou des mendiants, & qui par conféquent changent fréquemment de domicile, ne fe rappellent plus diftinctement, a des intervalles même peq confidérables, oü ils ont couché une telle nuit ? Une conftante uniformité dans leurs réponfes a eet égard , pendant tout le cours d'une auffi longue procédure , feroit peut-être pour des gens de cette catégorie , plus étonnante encore que les variations dans lefquelles ils font tombés ne le font $ans la fuppofition de leur innocence.  C 167 ) D'ailleurs, il n'eft pas nécefTaire pour que Valibi opere quelque choie en faveur du prévenu dans 1'efprit des Juges , qu'il réfulte de eet alibi une ïmpoffibilité phyfique d'avoir commis le délit j il fufHt qu'un alibi quelconque foit indiqué par le prévenu entre fes moyens juftificatifs , pour que le Juge doive prendre des informations la-deftus a la décharge de 1'accufé. Si 1'on eüt mis cette maxime en pratique dans l'affaire des trois condamnés, qui peut aflurer qu'on n'eüt pas acquis» par des témoignages authentiques, la certitude qu'un d'eux au moins n'avoït pas quitté le lieu de fa retraite dans la nuit, ou feulement dans 1'heure a laquelle les Thomaffin avoient été maltraités ? Ce qui détruifant le foupcon de complicité entre les trois prévenus,  ( i68 ) auroit, par cela même , affoibli de beaucoup les préfomptions qui fe trou» yoient a Ia charge des deux; autres. Bien loin que la réponfe naïve de Simare , qu'il ne fait point fi la croix qu'il a recue de fa femme efl celle qui a été arrachée du col de la ThornaJfin, dut lui nuire effentiellement, il me femble au contraire, qu'elle faifoit en fa faveur, paree qu'un coupable n'auroit pas manqué de foutenir qu'il étoit ijnpoffible que ce (fut la même. Mais Simare ne met aucune importance a Ce que cette croix ait été arrachée ou non du col de la Thomaffin, & il y auroit eu peut-être encore ici quelque autre recherche a faire , pour favoir d'oü cette croix provenoit originairement; & chez qui elle avoit été, achetée j détails qui auroient pu  ( >«9 5 conduire a des plus amples éclaïrciflemens. Car la reconnoiffance des Thomoffin ne fauroit être tellement valide dans leur propre fait, qu'elle put détruire fans autre information la réponfe de Simare. En général, il efl certain que les variations du prévenu n'étant pas toutes de la même gravité, le Juge peut en tirer des conféquences plus ou moins fortes , pour ou contre 1'opinion de fon innocence. Mais 1'équité voudroit au moins qu'on fuivit a fon égard le même tarif , & qu'on fe revetit de la même indulgence que par rapport aux témoins. Voyez , Monfieur , p. 207 du Requifitoire , tout ce que M. 1'Avocat - Général leur paffe. Cependant il n'eft prefque aucune de leurs variations qu'il excufe , ou qu'il traite d'indifférentes ,  (i7° y dont la gravité n'approche beaucoup de celle des variations qu'on reproche aux accufés , & qui ont peutêtre fervi de motif a 1'admiffion des témoins néceffaires contre eux. II y auroit bien du danger a fonder ainfi la condamnation d'un prévenu , fur des variations qui ne feroient pas capitales & parfaitement contradictoires avec des faits bien avérés , ou des allegués pofitifs , fur lefquels 1'inftabilité de la mémoire ne pourroït avoir aucune influence. J'ai développé , Monfieur , cette réflexion aux pages 108 , 109 & 110 du tome z de mon EfTai.  ( «71 ) NEUVIEME VICE De la Jurifprudence criminelle de Trance± ou Neuvieme Ecueil pour 1'innocence accufée , favoir ; Le secret de la procédure. [ P. 246 du Re- quifitoire. ] E m'attendois , Monfieur , a trouver dans la troifieme partie du Requifitoire , que M. 1'Avocat - Général avoit annoncée comme une apologie générale de la légiflation criminelle de France , un tableau complet , quoique rapide , des diverfes branches de cette légiflation , qui en eüt fait fentir la cohérence & qui en eüt fondé Ie mérite fur l'exadtitude avec laquelie les délits y auroient été clafTés, les peines déterminées, & la marche  ( *7* ) de la procédure tellement fixée ; qu'il eüt été difficije de s'en écarter beaucoup. Car, vous conviendrez avec moi , Monfieur , que ce font la les trois points qui conftituent eflêntiellement la perfecHon d'un code criminel, & que par-tout oü le légiflateur n'a pas encore épuifé les fanftions générales qui leur font rélatives , on peut dire avec afiurance qu'il n'a pas encore fufïïfamment pourvu ni a la füreté de 1'innocence , ni a la punition des criminels. Dans la ferme perfuafion d'arriver enfin a quelque chofe d'analogue au tableau dont je vous parle , j'avois réfolu d'enrenvoyerl'examen approfondi a un autre tems , dans une feconde lettre , toujours fous le même point de vue que ci-devant 5 8c je n'avois  C 173 ) regardé que comme des préliminaires * les obfervations que je vous ai déja fait parvenir , fauf a me retra&er , fur tout ce qu'elles pouvoient contenir de défe&ueux par rapport a votre jurifprudence , fi le rapprochement philofophique de toutes vos loix criminelles m'en eüt fait prendre un autre opinion. Mais j'ai changé d'avis en appercevant que cette troifieme partie ne rouloit proprement que fur trois chefs, qui euffent quelque trait au plan que je me fuis tracé , Sc donf deux encore ont été incidemment traités a 1'occafion de quelques autres morceaux du Requifitoire. En forte , Monfieur , que vous penferez , j'efpere , comme moi, qu'il vaut mieux n'y pas revenir 8c que j'acheve tout de fuite , malgré 1'énormité de cette  ( *74 ) lettre \ de vous dire raon fentfment fur ces trois chefs, qui font: i °. L'origine , ou plutöt le fondement de la différence qui exifte entre Ie code criminel de France , & celui des Nations dont le gouvernement efl refté républicaina quelqueségards. zQ. Le fecret de la procédure. 30. La liberté lanTée aux Juges d'accorder, ou de refufer un confeil au prévenu. Les conféquences légitimes du paffage de Pétat républicain a 1'état monarchique n'ont encore été calculées par aucun politique , & Montefquieu luimême a peut-être jetté fes leéteurs dans une erreur funefte au peuple , par des carafteres diftin&ifs tellement tranchés , entre les trois efpeces de conftitutions dont il parle , que lorfqu'il s'agit de faire f application de  C 175 > fes principes , on perd facilement de vue les nuances intermédiaires & avantageufes qui pourroient réfulter , dans la monarchie même , de la combinaifon des diverfes formes de gouvernement. Paree que vous avez un Roi , paree qu'en lui réfide perfonnellement toute la plénitude de 1'autorité légiflative } s'enfuit-il donc que la vie , 1'honneur & la propriété des citoyens foient d'un moindre prix 3 &: pui/Tent être moins facrés chez vous que dans une république ? S'enfuit-il que 1'intégrité , 1'innocence accufée en foient moins refpe&ables , Sc qu'elles ne méritent pas les mêmes égards, les mêmes ménagemens, quefi la nation entiere concouroitala formation des loix ? Faut-il que cheE vous la preuve juridique foit plus foible 4  ( *76 ) 'paree que Ie pouvoir exécutif cortcentré dans un petit nombre de mains n'en a que plus d'a&ivité , 8t la défenfe du prévenu doit-elle être moins libre , paree qu'il vit fous une adminiftration plus arbitraire ? Ne vous femble-t-il pas, au contraire , Monfieur, qu'aux yeux de la raifon &. de la juftice , la transformation de la republique en monarchie donne néceffairement des réfultats. tout différens ? Car moins le citoyen peut influer par lui-même fur la félicité générale & 1'amélioration des loix , plus il faut qu'il foit affuré de la prote&ion de ces mêmes loix , quand il les a refpe&ées & qu'il n'a rien a fe reprocher. Moins il a de force politique , plus il eft a la difcrétion de ceux qui y participent , & plus par conféquent il a  C 177 ) & befoin de tout le développement de fes facultés , pour la jufte défenfe de fes droits & de fa perfonne pardevant les tribunaux. D'ailleurs , Monfieur , la route de la vérité eft exaclement la même , quelle que foit la nature du gouvernement fous lequel on vit. L'on ne fauroit parvenir dans la monarchie , a conftater un délit ou a découvrir le coupable autrement que dans la république , & il nc fuffit pas qUe le légiflateur ordonne aux Juges de condamner toujours fur la dépofition uniforme de deux témoins , pour que 1'innocence dü prévenu foil toujours improbable. 11 y a donc entre la république & la monarchie des points de Contaft tels qu'une quantité prodigieufe d'opérations légalesdoit s'y faire précifément de la même maniere, pour M  ( 178 ) qu'elles foient faites conformément aux loix immuables du jufte 8c du vrai. C'eft une vérité qu'aucun prince n'a encore approfondie pour fa propre utilité , 8c pour celle de fes fujets. Les avantages qui font propres au gouvernement républicain, 8c ceux qui naiftênt de la forme monarchique , ne font point incompatibles, lors même que la puiftance du Monarque feroit beaucoup moins limitée que celle du Roi d'Angleterre. Que dis-je ? le premier Prince confidérable de 1'Europe qui voudra s'occuper férieufement dans la pratique , de 1'introduaion des formes républicaines dans 1'adminiftration de fes états , y fera une révolution femblable a celle que le feu Roi de Prufte a produite dans le militaire , 8c qui a forcé toutes les autres grandes puif-  ( «79 ) fances de 1'imiter , pour refter a fort niveau j avec cette différence néanmoins que ces puiftances fe trouvent par-la conftamment entre elles dans un véritable état de guerre, & font gênées a tout autre égard par 1'épuifement oü les jette le nombre prodigieux de troupes difciplinées qu'elles font obligées d'entretenir 5 au lieu que la lutte a laquelle je les invite accrofrroit confidérablement la profpérité refpective de leurs peuples, fans nuire le moins du monde au bonheur de Thumanité. Mais ne nous enfoncons point ici dans les profondeurs de la politique, & contentons-nous d'obferver que vos Pariemens eux-mêmes ne prétendent pas que le gouvernement chez vous foit tellement dégénéré en monarchie M 2  ( 180 ) abfolue , qu'il n'y ait pas encore , eri faveur du peuple , une balance conftitutionnelle, dans le droit qu'ils exercent de refufer l'enrégiftrement des loix , & de faire des repréfentations fur leur objet. II fuit donc dela, i°. Que le prévenu ne devroit pas être traité , parmi vous, auffi monarchiquement qu'on a coutume de le faire, a prendre ce mot dans le fens que M. l'Avocat-Général lui donne, & 2°. Que vos Pariemens qui voient par leur propre expérience, les dan-, gers de certaines formes , devroient être inflans auprès du légiflateur, pour qu'il perfe&ionnat les loix criminelles , jufqu'a ce qu'ils euffent obtenu les changemens, ou les explications dont elles ont befoin. Car cette foumiffion aveugle qu'ils témoignent pour les  C 181 ) fan&ions les moins falutaires de l'au2 torité légiflative , ne fauroit être honorable pour eux, qu'après avoir fait tous leurs efforts pour éclairer la religion du Prince , & lui tracer funique route qui conduife en même tems ■ a la prote&ion de 1'innocence & a la condamnation des infracvteurs de la loi. L'abrogation du fecret de la procédure feroit en particulier un excellent moyen d'y parvenir. En effet, c'eft: dans les ténebres que fe trament les complots funeftes a l'homme de bien. Si le public avoit connoifTance de la nature des imputations qui font faites a un accufé , & du nom des témoins qui dépofent contre luiil pourroit s'élever contre 1'invraifemblance des premiers & contre le caraftere moral des feconds, Le Juge averti par des réclaj M 3  C 182 ) triatlons aufïï refpeftables , feroit fur fes gardes & examineroit plus atten* tivement les circonflances du délit ou du procés. II deviendroit plus difficile fur la rigueur de la preuve , & c'eft fans contredit le moindre hommage qui foit dü a une bonne réputation. Mais, comment veut-on qu'un tribunal proionce équitablement fur les égards que mérite une conduite eflimable , antérieure a 1'accufation , larf-» qu'il n'eft pas fur ce point dirigé par la voix publique , &. qu'il juge des êtres qui lui font teilement étrangerSj qu'il ne les connoït que par le crime dont on les charge ? La publicité de la procédure , en Angleterre, produit tous les jours dans ï'inltruétion des caufes criminelles, des incidens qui font tqur-a-fait propres a 4^  ( i'8'3 J devoiler les intrigues des coupables? &. a décourager ceux qui alïiftent a 1'audience, d'entrer dans la même carrière qu'eux , par rimpoffibilité abfolue de fe fier aux complices qu'ils pourroient fe choifir. Je me rappelle qu'ayant voulu, pendant mon féjour a Londres , favoir par moi-même comment 1'on jugeoit les prifonniers a Old Baily , j'y confacrai une journée entiere , & je vis entre autres arriver a la barre un homme accufé d'avoir pris en plein jour une balie de marchandifes dans une boutique. QuoL qu'on n'ait pas aboli en Angleterre la loi par laquelle les Jurés font en quelque forte obligés de condamner tout prévenu qui a contre lui la dépofition uniforme de deux témoins afiermentés, cependant, on y a tellement fenti, M4  (-i84 ) par 1'expérience , les inconvénients S< les dangers d'une femblable loi , qu'il s'eft introduit dans la pratique une méthode qui en eft , pour ainfi dire , le contrepoids, &. qui confifte a permettre aux accufés de faire paroitre en leur faveur toutes les perfonnes qui peuvent rendre un bon témoignage de leurs mceurs &. de leurs principes, afin que les Jurés étant retenus par la nature de ce témoignage , en foient plus réfervés & plus circonfpefts dans la condamnation du prévenu. Cette marche eft irréguliere , fans doute, tant qu'on laifiê fubfifter la loi qui fait dépendre le fort de 1'accufé de Ia déclaration affermentée de deux témoins 5 mais ce n'eft pas ici le lieu de s'étendre la-deftus. En conféquence de eet ufage ie prifonnier dont je parle  ( i85 3 fit avancer un homme quï commenga; 3 dire : » qu'étant un tel jour avec le » prévenu , ils s'étoient allés prome» ner enfemble dans les rues de Lonr> dres , pour voir s'il n'y auroit rien » a voler.» Aufli-tót le grand Juge qui préfidoit a l'inftru&ion du procés, impofa filence au témoin , 8c dit a 1'accufé de 1'envifager attentivement, pour favoir fi c'étoit bien le même homme qu'il avoit voulu produire a fes Juges, pour leur donner bonne opinion de lui. Le prifonnier ayant afTuré pofitivement que c'étoit bien le même , le témoin recommenc,a fon récit , 8c fut interrompu de nouveau par le grand Juge , afin que 1'accufé fit un nouvel examen de Fidentité de la perfonne dont il réclarnoit le témoignage 3 8c qui le trahifibit  ( i86 ) fï effrontément. Cette formalité fe répéta jufqu'a trois fois ; après quoi le témoin continua librement 1'hiftoire de la maniere dont le vol avoit été confommé. II fe retira enfuite tranquillement de 1'audience, fans inquiétude fur fon propre fort , paree que Ie Négociant ayant recu fa balie de marchandifes, n'avoit plus aucun intérêt k le pourfuivre pardevant un Juge k paix. Je ne doute point que fi pareille aventure fe fut paffée a 1'audience du Parlement de Paris , M. le Procureur-Général n'eüt cru qu'il étoit de fon devoir de faire arrêter le témoin comme complice. Cependant il eüt rendu en cela un très-mauvais fervice au public. Car s'il y a quelque chofe qui foit propre a décourager les méchans, c'eft de fe voir trahis par  ( i87 5 ceux mêmes en qui ils ont placé leur confiance,& qu'ils fe fontaffociés pour 1'exécution de leurs projets criminels. Voila , Monfieur, un des grands avantages de la publicité des procédures ; & quand on fuppoferoit qu'il échappe en Angleterre par des vices de forme plus de coupables que le crédit ou la proteftion n'en fauve en France , ce que je ne crois pas, toujours efi-il certain que le danger a été fi grand pour les premiers, qu'il ne peut qu'avoir fait une forte impreffion fur leur efprit, & en ramener le plus grand nombre dans le bon cheinin. Si même ia chofe n'arrive pas conftamment a Londres, il faut Tattribuer a 1'accumulation exceffive de fes habitans, a la corruption de moeurs qui en réfulte , a raccroiiTement du  ( 188 ) luxe &. du prix des denrées ; enfin ai* défaut d'induftrie proportionnellement a la rigueur & a la multitude des taxes. Mais écoutons M. l'Avocat-Général, & voyons un peu en détail fur quels argumens il établit la juftice ou la convenance du fecret de la procédure. M. l'Avocat-Général dit d'abord que ce fecret eft la bafe inèbranlabls de la loi. J'eftime, au contraire , Monfieur , qu'il en eft le renverfement & FanéantifTement total. Qu'eft-ce , en effet , que la loi aux yeux du peuple qui ne lit point, qui n'analyfe point Fouvrage du légiflateur ? Elle n'eft a fes yeux , & ne peut-être , que le tiftu des attes par lefquels on Fexécute. Or , fi ces a&es fe font fecrettement, il ne fe formera aucune idéé jufte ni de Fobjet de la loi ni de fon étendue  C 189 ) ni des applications indire&es que les tribun aux font en pofTeffion d'en faire, fous le nom de Vefprit du légiflateur , ni de 1'ordre légal qu'ils doivent fuivre dans leurs opérations pour 1'accomplifiement du but de la loi , ni enfin des fignes vrais, ou faux , dans lefquels celle-ci, & le Juge a fon défaut, place les cara&eres diltinctifs de 1'évidence juridique. Tout cela fera pour lui une véritable énigme , une chofe incompréhenfible. La loi s'évanouira, pour ainfi dire , a fes régards : on n'aura pas plus de confiftence dans fon efprit , qu'un de ces fonges obfcurs dont on conferve k peine quelque fouvenir j & comme il verra tantöt un homme qu'il fait être coupable échaper au chatiment qu'il mérite , tantót un innocent con-  ( 19° ) damné a un fupplice infame 8c rigoureux , par 1'application différente de la même loi , telle que feroit celle de 1'admiflion des témoins nécejjaires , ou celle de 1'admifïion a la preuve des faits juftificatifs , il ne faura plus que penfer de ce qu'on appelle la légiflation de fon pays. II la regardera comme une forte de magie ou de fcience cabaliflique 5 il dira dans fon bon fens énergique , qu'il n'y a qu'heur & malheur dans ce monde , bien réfolu ■de fe tourner du cöté de la fortune , dont il voit la toute-puiffance dans 1'ordre focial, plutót que du cóté des loix pour chercher a les comprendre, 5c en faire , comme il le devroit, la regie exclufive de fes aftions. Je ne préfume pas, au refte , que M. l'Avocat-Général ait eu en vue  ( *5>* ) les tribunaux eux-mêmes , en difanr que le fecret eft la bafe inébranlable de la loi. Car comment les Juges feroient-ils dans l'impoffïbilité phyfique ou morale , d'exécuter une loi, paree que cette exécution feroit publique ? Au contraire le peuple qui eft fouverainement intérefle a ce que les vrais coupables foient chatiés d'une maniere exemplaire , favoriferoit finguliérement de fes vceux & de fon approbation , les fentences qui repoferoient fur des démonftrations fuffifantes, pour tranquilifer les ames délicates. C'eft ce qu'on voit conftamment en Angleterre. L'honneur de paroitre fe conformer aux intentions du légiflateur avec prudence , exaftitude & fagacité, y fournit de puiffans motifs aux tribunaux pour ne rien négliger d'efien-  K 5 tiel dans 1'inftrudtion de la procédure 1 8t les recommandations en matiere criminelle y font envifagées comme Un fi grand affront pour le Juge , qu'un AmbafTadeur de Portugal ayant cru pouvoir s'en permettre une , en faveur d'un de fes domeftiques le Préfident du tribunal fe vit obligé de déclarer , en pleine audience , qu'il n'y avoit que la qualité d'étranger qui put excufer chez eet AmbafTadeur: un procédé aufïï injurieux. La répugnance qu'un ordre de cltoyens témoigne chez vous , pour aider les tribunaux a découvrir la vérité dans les procédures criminelles , vient uniquement du fecret de fes procédures , de la cruauté des peines 8c de la foibleffe des motifs qui fuffifent ordinairement pour déterminer le Juge k  ( 193 ) a les infliger. On ne veut point avoir a fe reprocher la mort d'un innocent, ni même le chatiment trop févere d'un coupable qui mériteroit quelque indulgence j au lieu que fi rinftru&ion étoit publique, lespeinestoujours modérées, & la preuve feule conftamment rigoureufe , chacun fentiroit que Ia fociété a befoin du témoignage des honnêtes gens , pour fe préferver des attaques du crime , & 1'on ne fe feroit plus aucun fcrupule de dépofer en juftice l'exad~te vérité. Mais , dit M. l'Avocat-Général, le fecret eft prefcrit pour éviter les pieges de la mauvaife foi , & prévenir les complots de la fubornation, Comme fi le myltere n'étoit pas Ia chofe du monde la plus favorable aux intrigues capables de tromper les Juges &. a la N '-i  ( r94 ) fubornation des témoins. L'ceil du public eft le feul qu'on ne brave pas impunement, 8c les tribunaux doivent joindre fa pénétration a la leur, s'ils ne veulent pas être fouvent le jouet des complots les plus odieux. Tel ofera fe parjurer en leur préfence , couvert des ombres du fecret de la procédure , qui n'en auroit jamais eu le courage a la face du public , paree qu'il auroit eu a redouter les inculpations de tous ceux qui le connoiiTent perfonnellement. II n'y a que la confcience de 1'honnête homme qui ne craigne pas le grand jour. Celle du méchant fe trouve a fon aife dans 1'obfcurité , 8c il eft pour 1'ordinaire tellement inconnu aux Juges entre les mains defquels il dépofe , qu'il peut fe regarder comme parfaitement a  C 195 ) l'abri de tout foupcon de leur part fut la véracité de fon témoignage. Dailleurs, M. l'Avocat-Général ne fonge jamais qu'a la fubornation qui a pour objet la délivrance d'un coupable , SC nullement a celle qui pourroit faire périr un innocent. Or il eft certain que , quand on fuppoferoit qu'il y a quelque avantage au premier égard , il y auroit toujours , quant au fecond , un défavantage 8c un danger manifeftes. L'équilibre feroit donc au moins rétabli par la publicité des procédures, avec 1'immenfe bénéfice de toutes les lumieres Sc de toutes les indications , que pourroient fournir aux Juges, dans le cours du procés , les perfonnes qui n'y feroient pas intervenues foit accidentellement foit de propos délibéré ? fi 1'inftrucTtion N 2  ( i96 ) eüt été fecrete. Enfin la fubornation des sémoint ne peut être extrêmement préjudiciable a la juftice , ou fatale a 1'accufé , que dans les pays oü les Juges font obligés par la loi de le condamner fur la dépofition afiermentée d'un certain nombre de témoins. Si , au contraire , fon fort dépendoit d'un tribunal impartialement compofé , qui ne tirat fa preuve que du concours des faits , des aveux du prévenu & de la totalité des circonftances du procés ; quoique la fubornation d'un témoin ne laiftat pas que d'être un très-grand mal en pareil cas, cependant il ne feroit pas a beaucoup prés auffi confidérable que dans la procédure aótuelle , paree qu'il feroit bien rare & bien difficile qu'un homme injuftement accufé , ne décou-  ( «97 ) vrit pas quelque moyen d'infirmer plus ou moins la dépofition qui fe trouveroit a fa charge. Mais voila comment une abyme entraine nécefiairement dans un autre abyme. Le légiflateur veut a tout prix flxer une régie aux tribunaux pour la détermination de la preuve , & je conviens qu'alors il pourroit difficilement en tracer une plus naturelle , plus intelligible & plus uniforme que celle qui fe tire de la dépofition de quelques témoins. Enfuite , 1'expérience a démontré qu'on gagnoit & qu'on corrompoit ces témoins dans le deffein de fauver le coupable. Que faire pour parer a eet inconvénient ? On a imaginé de couvrir la marche de la procédure du fecret le plus profond 3 mais ce fecret eft devenu funefte a N3  ( ip8 ) 1'innocence accufée. N'eft-il donc pas clair , Monfieur , qu'on a pris ici le * change , qu'on s'eft égaré dès le premier pas qu'on a voulu faire, & qu'on eft enfin tombé de Caribdes en Scylla, Le fecret eft prefcrit, dit encore M. 1'Avocat - Général , paree qu'il n'y a cTautre accufateur que le ProcureurGénéral , & qu en aucun cas il ne peut être foupconné de pourfuivre un accufé par vengeance , ou par anhnoftté. M. l'Avocat-Général convient donc que , lorfqu'il y a un autre accufateur que la partie publique , il eft bon que la procédure foit auffi publique. Mais peut-on dire qu'il eft le feul accufateur dans les dénonciations fecretes , puifque le dénonciateur qui s'eft tenu derrière le rideau pendant la procédure eft contraint de fe montrer fi le  K 199 ) prévenu a eté déclaré abfous ? Ne s'enfuit-il pas manifeftement de la qu'on 1'envifage comme la fource du procés, & le véritable auteur de 1'accufation ? Peut-on dire auffi qu'un particulier qui m'accufe nommément n'eft pas mon accufateur paree qu'il ne me fait pas partie civile dès 1'entrée du procés ? A entendre M. l'AvocatGénéral on croiroit qu'il fuffit de remplirl'officedontileftrevêtu 3 pourn'avoir plus ni aucune relation d'intérêts, ni aucune des foiblefles de 1'humanité. Quand on fuppoferoit que cette place donne toujours 1'élévation d'ame qui lui eft néceffaire, cette élévation même pourroit devenir un écueil par 1'indignation que certains délits , ou certaines circonftances, peuvent exciter contre des perfonnes mal famées , avant N4  ( 200 ) qu'on alt obtenu la démonftratiori des a&es de fcélératefte qui leur font imputés. C'eft juftement paree que le Procureur - Général eft cenfé mettre dans 1'exercice de fes fonftions toute Ja noblefte , tout le défïntéreftement, toute 1'impartialité pofiïbles , qu'il n'y a plus aucun danger a la publicité des procédures. La plus belle 8c la plus füre juftification des tribunaux 8c des magiftrats chargés de quelque branche de 1'adminiftration publique, c'eft 1'exécution conftante 8c uniforme de la loi. Mais comment faura-t-ori que cette exécution a lieu , fi les procédures font fecretes ? A quelle école les citoyens apprendront-ils quelles font lesvolontés du légiflateur, fi 1'application s'en fait myftérieufement'{ Comment la légiflation elle-  ( 201 ) même fe perfe&ionnera-t-elle, fi la nation n'eft pas acheminée paria publicité des procédures, a s'occuper des queftions qui leur font relatives, & a les difcuter journellement dans le commerce de la fociété ? La liberté qu'on lailfe au prifonnier , après les confrontations , de s'entretenir avec fes défenfeurs , n'eft point une véritable publicité , puifque la procédure ne leur eft point communiquée. Quel rifque y auroit-il donc a le faire ? Les faits font conftatés par les dépofitions ; les réponfes du prévenu font confignées dans les interrogatoires authentiques; & elles ne peuvent plus être changeés. II ne s'agiroit par conféquent dans fa défenfe que d'explications apologétiques, ou de confidérations atténua*ives. Quel mal tout cela feroit-il a  ( zoi ) la vérité & aux Juges ? En feroientils moins les maïtres , au bout du compte , de trouver la preuve complette & de condamner 1'accufé ? DIXIEME VICE De la Jurifprudence criminelle de France , ou Dixieme Ecueil pour Vinnocence accufée , favoir : La liberté qu'ont les Juges de refuser un conseil au prévenu. [ P. 247 du Requifitoire. ] ^Uivant M. l'Avocat-Général. rien n'étoit plus naturel dans la république Romaine que de donner un défenfeur a l'accufé , paree que 1'accufation étoit publique , en forte que dans la monarchie , rien n'eft plus naturel que de lui en refufer un, paree que  ( 2°3 ) ï'accufation efl: fecrete , c'efl-a-dire > que moins les relïburces du prévenu font grandes contre fon adverfaire , plus il faut les diminuer. Ainfi tout favorife celui qui attaque contre celui qui efl:attaqué. Doit-ons'étonner après cela que ce dernier fuccombe prefque toujours ? Mais, ditM. FAvocat- Général , de quelle utilité peut être un Avocat en matiere de grand criminel ? Voici certainement , Monfieur , quelque chofe de bien étrange. J'aurois cru au contraire, que plus Ï'accufation étoit grave , plus la peine étoit terrible & plus auffi le fecours d'un confeil étoit indifpenfable , pour fauver 1'innocence en péril. Au moins , dans le pet 't criminel , lorfque le Juge a eu le malheur de fe tromper , il eft poffible d'imaginer des compenfations  ( 204 ) qui effacertt en quelque forte la faute qu'on a commife \ mais quand on a martyrifé un innocent, qu'on a plongé fa familie dans le défefpoir , vous ne pouvez jamais qu'imparfaitement réparer le mal que vous avez caufé. En vain rétablit-on 1'honneur de 1'infortuné qu'on a fait périr fur un échafaud ; fes tourmens ne font-ils pas irréparables ? Le deuil & la triftelTe ne fe font-ils pas emparés pour toujours du cceur de fes proches ? N'avez-vous pas privé fes enfans de ce zeïe paternel, dont rien ne peut remplacer 1'adtivité & 1'énergie ? La patrie n'a-t-elle pas irrévocablement perdu un citoyen vertueux ? Les caufes donc oü il importe le plus au Juge qu'il n'ait rien a fe reprocher 7 ce font les caufes de grand* criminel.  ( 2o5 ) II faut du moins que li l'imperfe&ion. des loix le force a condamner un prévenu fur une preuve auffi hafardeufe que la dépofition de deux témoins, il puifte fe dire a lui-même pour fa confolation : » tu n'as négligé , en faveur » de 1'accufé , aucune des reftburces » que tu avois la liberté de mettre k » fa portée, ou d'employer toi-même » pour découvrir s'il étoit innocent.1 » Tu as pris des informations fur tous » les faits juftificatifs contenus au » procés, quoique le prévenu n'ait » pas fpécialement requis d'être admis » a en adminiftrer la preuve. Tu lui » as fait dans les interrogatoires , & » en particulier dans celui qu'il a fubï » fur la fellette , toutes les queftions » qui pouvoient 1'acheminer a lever » les contradidtions, & a éclaircir les  » dirficultés qui fe trouvent dans fes » réponfes. Enfin, tu lui as donné ou » plutöt laiffé prendre un confeil, » dont le fens froid pouvoit fuppléer » au défordre que le fentiment de fa » douloureufe pofition étoit capable » de jeter dans fes idéés j un confeil » qui , par 1'étude qu'il avoit faite » des loix , & par fes talens, étoit » en état de lui indiquer & de dé» velopper tous les moyens légaux » propres a dilïlper les nuages répan» dus fur fon innocence. » II eft vrai que, fi 1'on en croït M. l'Avocat-Général , l'expérimce apprend qu'en permettant un confeil , la preuve du crime s'évanouit au milieu des formalités prefcrites pour préparer le jugement. Mais de quelle nature étoit donc cette preuve, puifqu'elle s'éva-  ( 2o7 5 nouit auffi facilement a 1'approche des formalités prefcrites pour la prononciation du jugement ? Ne feroit-ce point , Monfieur, ou paree qu'on n'avoit pas fuivi le fentier tracé par le légiflateur , dans la colleftion des élémens de la preuve , ou paree qu'on avoit donné le beau nom de preuve a un tifiu de probabilités, de vraifemblances ou de fimples préfomptions ? Cependant M. l'Avocat-Général nous afluroit , p. 119 du Requifitoire , que la dépofition de deux témoins uniformes non valablement reprochés , appuyée d'indices certains fur un même fait , devoit paffer pour une preuve complette felon toutes les loix divines & humaines. Or, fi une femblable preuve eft confacrée par votre légiflation, & fi vos tribunaux, comme j'aime a Ie  < 208 ) croïre ^ ne condamnent jamais fans être intimément perfuadés de 1'avoir acquife , comment arrive-t-il qu'une preuve aufïi complette difparoifie touta-coup aux yeux des Juges, dans le moment oü ils s'occupent de 1'application des formes légales effentielles a la fentence ? Je n'imagine que trois caufes qui peuvent contribuer a un pareil anéantiffement de la preuve. La première feroit une telle incohérence entre cette preuve & les formalités requifes, lorfqu'on donne un confeil au prévenu, que le tribunal perdit abfolument la faculté de prononcer ftnvant la loi , en voulant fe conformer a ces dernieres. Cette incohérence n'eft pas préfumable. Mais je ne connois pas affez votre jurifprudence écrite , pour affirmer ou nier fa réalité. Je  c ) me eontenterai donc de dire a cei égard que , fi elle exifte , c'eft un vice énorme qu'il faut fe hater de corriger , & qu'alors il n'y aura plus d'obftacle a ce qu'on donne un confeil au prévenu. La juftice & 1'humanité triompheront fans que la vérité s'évanouiffe. En fecond lieu , 1'anéantijTement de ïa preuve pourroit encore réfulter de fon infuffifance ,comparativement avec les découvertes que feroit Ie tribunal, par les nouvelles informations , les nouvelles recherches ordonnées , & 1'inftance du confeil qu'auroit obtenu 1'accufé. Mais fi ces recherches & ces informations démontrent qu'une preuve eftimée complette felon toutes les loix divines & humaines , fe trouve , je ne dis pas anéantie , mais feulement O  ( zio ) ebranlée par des faits juftificatifs, indépendans de la dépofition de deux témoins uniformes non valablement reprochés , appuyée d'indices certains fur un même fait, il y a donc encore ici une imperfeftion dans vos loix criminelles. Elles permettent au Juge de fe contenter a trop bon marché , en matiere de preuve , ou elles lui en impofentla dure obligation. Abattez donc au plutöt cette enceinte étroite & cruelle qui borne fa vue. Ne fouffrez plus qu'il frappe le prévenu de fon glaive redoutable , qu'après avoir épuifé toufes les combinaifons favorables a la poffibilité de fon innocence 5 &. pour mieux vous affurer qu'il ne fe commettra la-defius aucune négligence funefte.a Taccufé, donnezlui un confeil a fon choix. Bien loin  que vous ayiez le chagrin de voïr la preuve s'anéantir, s'il eft coupable , elle deviendra toujours plus lumineufe pair les moyens mêmes qu'on emploiera pour 1'obfcurcir. La troifieme 8c derniere caufè qu'on puifte imaginer pour expliquer 1'évanouiftement de la preuve , c'eft la démonftration même de Terreur dü Juge , qui auroit cru avoir acquis une preuve complette , 8c qui néanmoins n'auroit fait ques'égarer, foit paree qu'il auroit ignoré qu'un des témoins étoit valablement reprochable , foit paree qu'il auroit été la dupe de leur bonne foi apparente , 8c que 1'uniformité de leur dépofition étoit une uniformité concertée entre eux, pour faire périr le prévenu. Mais alors le Juge pourroit-il avoir quelque regrefi Pa  ( 212 ) p la pcrte de 1'illufion dans laquelle il fe trouvoit ? Quelle joie , au contraire , ne doit-il pas reffentir d'une pareille découverte ? Combien il doit s'applaudir d'avoir donné un confeil au prévenu , puifque , fans cette précaution , il eüt facrifié 1'innocence! Touché de fon bonheur & docile a la lecon qu'il aura recue , il prendra, s'il eft fage & délicat, la réfolution de ne refufer jamais un confeil au prévenu ; & s'il a quelque influence fur 1'autorité légiflative , il tachera de la déterminer a en faire une des fanétions les plus folemnelles de fon code criminel. Suivons néanmoins , Monfieur, les raifonnemens de M. TAvocat-Général, peut-être appercevrons-nous enfin , comme lui , 1'évidence de cette inu-  ( «j ) tilité abfolue d'un confeil pour la défenfe du prévenu. L'accufé, dit-il, [p. 247] ne fait-il pas ce qu'il a fait } ou na pas fait, auffi certainement que le témoin fait ce qu'il a vu ou entendu ? Dans un proces criminel il n'y a le plus fouvent qu'un fait principal. II s'agit d'avouer ou de nier ce fait , de prouver que le crime a été commis par un autre , cu que l'accufé na pas pu le commettre. Pour répondre fur un fait fi fimple , un confeil eft inutile. La préparation marqué bien plus le defir de trahir la vérité que la volonté de lui rendre hommage. M. l'Avocat-Général confond manifeftement dans ce paragraphe deux chofes très-diftin&es , favoir, Vaveu ou la nêgation du crime & la néceffité de prouver qu'il a été commis par un autre , ou que l'accufé n'a pas pu le commettre.  ( 2 14 ) Si dans vos tribunaux on ne condamnoit jamais perfonne que fur fon aveu, je conviens qu'il feroit aiTez fuperflu de donner a l'accufé un confeil , qui n'auroit rien de mieux a lui dire que ce a quoi la loi &c 1'ufage 1'inviteroient déja fortement en 1'acheminant a fe tenir ferme fur la négative. Mais, lorfqu'il s'agit de prouver qu'on n'a pas pu commettre le crime dont on eft accufé , ou feulement qu'il n'eft pas vraifemblable qu'on ait pu ni voulu le commettre ; lorfqu'il s'agit de prouver que c'eft un autre qui a commis ce crime , quelle chaïne de raifonnement ne faut-il pas former pour en venir a bout ! Combien peu de perfonnes , entre celles qui comparoiffent pardevant les tribunaux font en état de le faire fans le fecours d'au-  'trui ! Il efl: déja bien abfurde que ? quand on m'accufe d'une mauvaife aftion , je fois tenu a démontrer qu'un autre 1'a commife , ou que je n*aie pu ni voulu la commettre. L'un fk 1'autre peuvent m'être entiérement impofiible , quoique je fois parfaitement innocent. C'eft: aux Juges a chercher la preuve de mon crime. Je ne dois être rigoureufement obligé qu'a celle des faits juftificatifs que je veux bien alléguer pour abréger ma détention. Mais, en fuppofant que ce fut une bonne regie de me traiter comme comme coupable , paree qu'il n'eft pas en mon pouvoir de faire paroitre au grand jour mon innocence , du moins M. 1'Avocat - Général m'avouera-t-il que pour remplir la rude tache qui m'eft impofée , j'ai befoin O 4  C 216 ) de raftembler des matériaux , de comparer des circonftances , de conftater des alibi, de développer le caraclere moral 6c les motifs de certaines gens. Comment pourrai-je faire cela tout feul , & fans être aidé dans ce travail par quelques perfonnes intelligentes , moi qui fuis un homme du peuple dont 1'éducation a été négligée au point que je ne fais ni lire , ni écrire j moi dont les idéés ont toujours été auffi bornées que les reftburces par lefquelles je gagne mon pain $ moi qui fuis toujours embarrafte , lorfque je veux rendre compte aux autres de ce que je penfe ; moi qui, a la vérité, fuis bien plus certain de ce que j'ai fait que vos témoins ne favent ce qu'ils difent avoir vu ou entendu t mais qui ignore quelle eft cette forte de faits  ( 217 ) que vous appellez juftificatifs, dont vous prétendez que mon abfolution dépend , & qui ne fais quand , ou comment il faut les propofer j moi, enfin, qui n'ai en ma faveur que le témoignage d'une bonne confcience connue de Dieu feul , mais qui fuis incapable de faire fentir aux hommes mon intégrité, par eet enfemble de moyens & de confidérations dont j'appercois tous les jours la néceffité pour produire en eux la perfuafion ? N'y a-t-il pas de la cruauté a me refufer une aide, un fecours qui fupplée k mon infuffifance , & ne m'accable-t-on pas d'un fardeau qu'aucun de mes Juges ne voudroit porter dans ma malheureufe condition ? Mais , fuivant M. de Lamoignon, Une feroit pas raifonnable d'adminijtrer  ( 2X8 ) confeil en toutes fortes de crimes & é tous les accufés. Pourquoi cela ne feroit-il pas raifonnable ? tous les accufés ne font-ils pas également obligés, par votre jurifprudence , de prouver qu'ils font innocens , 8c y a-t-il chez Vous des efpeces de crimes , dont 1'imputation feule tienne lieu de démonftration en forte qu'il foit inutile d'accorder au prévenu les fecours néceffaires pour préparer fes moyens de juftification ? M. Puffort nous explique cette égnime en difant , que Von fait combien ces fortes de confeils font féconds en ouvertures , combien ils inventent de fubtilités pour faire trouver des nullités dans la procédure, & pour faire naitre une infinitê d1 incident ; 8c M. Talon ajoute, que le confeil ne fert qua retarder le jugement du procés,  ( 219 3 par des appellations , des requêtes civiles & d'autres expédients de chicane. C'eft donc la , Monfieur, a quoi fe réduifent les motifs graves pour lefquels on a refufé un confeil au prévenu , favoir : les fubtilités des Avocats , les expédients de la chicane Sc les délais dans le jugement du procés • comme s'il ne valoit pas mieux que le tribunal pronon^at un peu plus tard , & ne fe trompat pas au préjudice de 1'innocence 5 comme fi les Juges étoient paffifs entre les mains des Avocats Sc des parties; comme s'ils étoient enchainés par la chicane , par des requêtes, par des prétentions de nullité j Sc s'ils ne pourroient pas fïxer d'avance un jour fatal ou déflnitif pour la prononciation du jugement. Toutes ces reflburces qui feroient entiérement  ( 2 20 ) yaïnes & illufoires , fi elles n'avoïent quelque apparence de fondement dans *vos loix, peuvent effe&ivement occafioner quelques lenteurs , fous une légiflation défe&ueufe qui leur prête ide la force 5 mais fous une légiflation plus exa£te , qui cara&ériferoit mieux les délits , qui détermineroit mieux le degré des peines, & qui établiroit une procédure uniforme pour tout ce qui tient au criminel, on n'auroit a redouter ni fubtilité , ni délai, ni incident. La fimplicité de la loi & la marche invariable du procés préfenteroient de tous les cótés une barrière infurmontable, & fuffifante par conféquent pour retenir les parties & leur confeil dans la feule route légale qui feroit permife aux juges eux-mêmes. La plupart des mauvaifes loix ne  ( Izr y «ïoivent leur origine qu'a des idees trop vagues, ou a des diftinftions trop métaphyfiques. Vous avez vu , Monfieur , ci-devant un grand criminel & un petit criminel, entre lefquels néanmoins il eft impoftible de trouver une ligne de démarcation ; voici maintenant des crimes fimples & des crimes compliqués, dont la féparation n'efl pas moins difficile & embarraftante.1 Suivant M. 1'Avocat - Général & M; Talon , les crimes fimples font ceux dont la preuve ne dépend que de Ia dépofition des témoins ; & les crimes compliqués , ceux dans lefquels il y a des pieces rapportées pour Ia conviction de l'accufé , qui par conféquent peut en produire pour fa défenfe. Mais fi ces définitions font exaftes, 1'énumération que fait 1'ordonnance des  (222 ) 'crimes compliqués , eft très-imparfaite? Car combien n'y a-t-il pas de délits, entre ceux dont 1'ordonnance ne parle point, qui ne fauroient être conftatés que par 1'exhibition d'une correfpondance criminelle ? En particulier, plufieurs crimes d'état n'ont été découverts 8c prouvés que de cette maniere. Un confeil devient donc nécefiaire en pareille occafion , comme dans toutes celles qui lui font analogues 8c qui font innombrables. L'ordonnance, au contraire , ne réferve abfolument que des cas qui tiennent a des intéréts pécuniaires. Ainfi , 1'argent eft toujours mis , jufques dans vos loix , a la première place ; 1'honneur , la liberté 8c la vie n'y font qu'au fecond rang. Rien de plus foible , Monfieur , a mon avis , que le dernier argument  ( "3 ) dont M. l'Avocat-Général fe fert pout montrer qu'il n'eft pas néceiTaire de donner un confeil au prévenu : les accufés, dit-il, ont un confeil né qui veille a leurs intéréts. Ceft M. le Pro-i cureur-Général êgalement chargé de les pourfuivre & de les défendre. Son mi-, niftere ne voit qu'un citoyen dans le criminel qu'il accufe. Je répons, Monfieur,' que le doublé róle dont M. l'AvocatGénéral veut fe charger eft d'une exé-j cution impoffible, malgré tous fes talens & toute fon impartialité. Telle eft la nature de 1'efprit humain, qu'il ne fauroit diriger en même tems fa vue d'une maniere parfaitement égale vers deux objets diamétralement oppofés. Or, c'eft néanmoins ce que le Procureur - Général feroit obligé de faire, s'il devoit s'occuper autant de  ( 224 ) Ia juftification du prévenu; que dei points qui fe trouvent a fa charge. Etre accufateur & défenfeur font deux chofes tellement incompatibles , que vous ne voyez jamais, pardevant les tribunaux , le même Avocat plaider pour les deux parties j & fi vous voulez , Monfieur , une preuve fans réplique de cette incompatibilité, vous n'avez qu'a fubftituer, dans la derniere phrafe de M. l'Avocat-Général, le mot d''innocent au mot de citoyen qui y a été adroitement glifle, pour faire le pendant de celui de criminel , en forte que vous aurez la phrafe fuivante : /on miniftere ne voit qu'un innocent dans le criminel qu'il accufe. Ce qui forme une véritable contradiaion. Car les motifs qui déterminent un ProcureurGénéral a accufer un individu quel- conque ,  C 225 5 conque , excluent néceffairement en lui la perfuafion de fon innocence. II en eft a eet égard de toutes les caufes criminelles, comme des procédures qui fe font a Rome pour la création d'un faint. L'Avocat de celui - ci ne pourroit pas être 1'Avocat du diable , ni le défenfeur de ce dernier être 1'Avocat du faint, paree que leurs points de vue font totalement difFérens, & que leurs recherches portent fur des qualifications fi contraires , qu'on ne peut fe fier a la même perfonne pour les découvrir toutes également. D'ailleurs un particulier , ou un Magiftrat, qui accufe quelqu'un en juftice , devient inconteftablement fa partie adverfe , & en cette qualité il n'eft plus admifiible a celle de défenfeur du citoyen qu'il attaque. Autrement ce  C 226 j feroit remettre le prévenu dans les mains mêmes de fon ennemi naturel. Pour adopter un pareil fyftême, il ne faudroit pas feulement que le ProcureurGénéral eüt le plus haut degré de délicateffe poffible, il faudroit encore qu'il eüt enpartage 1'infaillibilité. Car quelle füreté pourroit-il avoir fans cela que fon cceur ne courra point le rifque d'être la dupe de quelque prévention défavorable a fon cliënt ? La chofe feroit d'autant moins extraordinaire, que fon début contre lui annonce qu'il n'en a pas une trop bonne idée. Bien loin d'afpirer ainfi a être inftant pour & contre le prévenu dans le même procés , un Procureur-Général ne devroit rien defirer plus ardemment , que de n'avoir qu'un feul but a remplir dans l'a&ion qu'il auroit intentée,  ( 227 ) de peur que fon attention ne füt partagée dans les efForts auxquels il feroit appellé , pour 1'application rigoureufe de la loi j mais en même tems il devroit voir avec le plus grand plailir que le prévenu eüt pour fa défenfe tous les fecours imaginables, afin que le triomphe du légiflateur & le fien propre ne fufTent pas équivoques dans le cas oii fon antagonifle viendroit a fuccomber. Je termine ici , Monfieur , mes obfervations fur les principes de M. 1'Avocat - Général & fur les vices de votre jurifprudence criminelle. Je ne doute point qu'il n'y en ait un plus grand nombre ; mais j'ai dü me bomer a ceux qui réfultoient clairement du Requifitoire, afin que vous nem'accufafïiez pas de lui faire des imputations déraifonnables, Un feul de ces vices P 2  '( Z28 ) fufïiroït pour corrompre la malTe de vos loix. Jugez de-la quel effet monftrueux doit produire leur enfemble. Ce qui m'étonne maintenant , quand f y réfléchis , ce n'eft plus qu'il y ait des innocens condamnés parmi vous , mais qu'il n'y en ait pas davantage; &. il faut certainement que le cara&ere national ou le mérite de vos Juges compenfe une partie des défauts de votre jurifprudence , pour qu'elle ne faffe pas des ravages encore plus grands. Mais fi toutes les fois qu'on a eu chez vous le malheur de faire périr un innocent &. de fe voir contraint a une réhabilitation aufti douloureufe qu'humiliante , le légiflateur avoit nommé une commiffion formée des plus grands jurifconfultes du royaume, pour examiner comment il étoit ar„  ( 229 ) ïivéque, malgré les lumieres 8cl'impartialité des Juges, la loi faite uniquement contre le crime , étoit néanmoins devenue fatale a la vertu Sc a 1'innocence 5 il y a long-tems que vos loix criminelles auroient atteint le degré de perfeftion dont elles font fufceptibles , 8c il eüt enfin exiflé un fiecle qui n'auroit été fouillé d'aucun meurtre juridique. Tel eft, Monfieur, 1'examen auquel il faut que vous travailliez inceffamment , fi vous ne voulez pas que vos annales du dixneuvieme fiecle foient auffi lugubres 8c afïligeantes pour 1'humanité , que celles du dix-huitieme. Quatorze années font plus que fuffifantes pour balancer tous les fyftêmes de jurifprudence criminelle , 8c y choifir les matériaux convenables, pour en édir P3  ( 230 ) fier ne , qui foit aftez bon pour n'être pas moins favorabïe a 1'innocence accufée , que terrible aux vrais coupables. Je vous accorde , Monfieur , un terme long , paree qu'il ne convient pas de fe déterminer a la légere fur des objets d'une auffi haute importance , & que la feule exiftence d'une commiffion établie pour la révifion des loix criminelles , fuffiroit jufqu'a leur réforme , pour tenir vos tribunaux en garde, contre 1'application trop rigoureufe de celles qu'on fe propoferoit de changer. Je n'ai moi-même découvert qu'a la longue , par une expérience de dix années confécutives, quelquefois par hafard , & fouvent par mes propres erreurs , les difFérentes branches du fyftême que je développe dans mon EiTai. C'eft 1'unique fruit  ( 23i ) que j'aie recueilli des diverfes magiftratures que j'ai exercées dans mon ancienne patrie , & dont les principaux ordres de la république m'avoient honoré. J'avoue franchement, Monfieur , que j'aurois cru faire une mauvaife aftion , fi j'en avois privé le public , par un de ces motifs d'amour propre trop communs , qui lui dérobent fi fréquemment la connoiffance de la vérité. En finiffant cette lettre , je m'appergois , Monfieur , que vous pourriez me faire un reproche qui feroit bien grave s'il étoit fondé , c'eft que j'ai un peu battu la campagne dans la tractation de mon fujet; que j'ai couru après M. l'Avocat-Général plutót pour le harceler , & faire affaut avec lui, que pour atteindre mon but; & qu'en?4  ( 232 ) fin je n'ai point rempli la tache qué je m'étois impofée dès le commencement j puifque je n'ai pas démontré , comme *je 1'avois promis , que la néceffité d'expofer 1'innocence au danger de 1'infamie , ou de la mort, dans les jugemens criminels , étoit imaginaire 5 que j'ai bien fait voir a la vérité que les loix de France lui étoient contraires , en plufieurs occafions , par les dix cötés vicieux que je leur impute j mais qu'il auroit fallu , en outre , prouver que ces vices n'étoient pas effentiels a une légiflation bonne , contre les actes de fcélératelTe , en forte qu'en voulant fauver 1'innocence accufée, j'ai ouvert par cela même une carrière beaucoup plus Iibre au méchant. Je ferois en droit, Monfieur , de  ( 253 ) vous nier complétement la folidité de ce reproche. Car je me rappelle trèsdiftin&ement que dans tdut ce que je vous ai fait déja parvenir , j'ai envifagé également les deux faces de la queftion , de maniere que le procés fe trouve a&uellement inftruit a charge & a décharge , comme ils devroient tous 1'être. Mais , revenons encore pour plus de füreté aux dix chefs d'accufation que j'ai intentés a votre jurifprudence , & répondez je vous prie cathégoriquement aux dix interrogats qui fuivent. Cro)^ez-vous de bonne foi que fi 1'on parvenoit jamais a faire un code criminel qui tirat la multitude de fa profonde ignorance en matiere de légiflation , il y auroit plus de malhonnêtes gens, qu'il n'y en a actuelle-  ( 234 ) ment, & que ces malhonnêtes gens auroient plus d'influence fur les tribunaux , plus de crédit auprès des Juges, plus de moyens pour fe les rendre favorables, & plus de reffources pour fe fouftraire a la peine qu'on voudroit leur infliger ? Croyez-vous de bonne foi que , li chaque ville ou village de votre pays ne dépendoit pour le criminel que d'une feule jurifdiciion , celle-ci en feroit plus foible pour réprimer les crimes, & qu'il fe fauveroit d'autant plus de coupables , qu'elle feroit plus obligée d'avoir les yeux ouverts fur tous ceux qui le deviendroient, ou moins gênée par 1'exiftence de quelque autre tribunal dans fes premières opérations contre eux ? Croyez-vous de bonne foi que, li  ( 235 ) Ton portoït la précijion des loix auffi loin qu'elle peut aller, il feroit plus facile d'en éluder la rigueur , & qu'a mefure qu'on rendroit plus étroit le fentier de la vérité & de la juftice, ou qu'on le fermeroit de barrières plus exactement pofées , ceux qui veulent s'en écarter n'en pourroient que mieux fuir a travers champs ? Croyez-vous de bonne foi que fi les fcélérats n'avoient affaire qu'a la vigilance du Procureur-Général, ou au reffentiment légitime des particuliers qui auroient lieu de fe plaindre d'eux , ils en feroient beaucoup plus a leur aife , en forte que Ie premier n'oferoit pas les attaquer , ou que les feconds ne feroient pas efEcacement protégés par la juftice , dans la pourfuite de leur inftance pour la réparation de leurs griefs ?  ( 236 ) Croyé*z-vous de bonne foi que fi ; au lieu de limiter la preuve juridique, on en abandonnoit la détermination a la confcience des Juges, avec des modifications qui fufient garantes de la droiture & de 1'impartialité du tribunal , les méchans auroient plus de large pour braver la juftice , & qu'en difpenfant celle-ci d'avoir befoin du témoignage pour Ia conviótion des coupables, on lui lieroit davantage les mains, qu'en 1'obligeant a recevoir la dépofition du plaignant, pour venir a bout de créer une preuve imaginaire ? Croyez-vous de bonne foi que le ferment des prévenus foit un frein bien redoutable pour des ames corrompues, &. qu'un homme qui vient de fe jouer de tout ce que la religion a de plus  C 237 ) facré , en commettant un a&e de fcélératelTe, fera afiêz fcrupuleux fur 1'article du ferment, pour révéler fon crime plutöt que de fe parjurer ? Croyez-vous de bonne foi que , fï Fon multiplioit les confrontations, ou les interrogatoires, & qu'en particulier celui qui a lieu fur la fellette fut un peu plus étendu qu'il n'a coutume de Fêtre dans les cas d'appel, la vérité en feroit obfcurcie & le fcélérat plus en füreté ? Croyez-vous de bonne foi que fi J pendant tout le cours de la procédure , Ie prévenu étoit admis a alléguer des faits juftificatifs &. a les prouver d'une maniere fatisfaifante, le Juge auroit les yeux bandés fur la nature de cette preuve , & qu'il ne difcerneroit pas auffi-bien quand elle  ( *38 5 feroit une manigance de la fcélératefle aux abois , qu'il difiingue les cas oii 1'admiffion des témoins néceflaires ne peut pas expofer 1'innocence ? Croyez-vous de bonne foi que , fi la procédure criminelle étoit chez vous auffi publique qu'en Angleterre , le fecret feroit mieux gardé parmi les coupables , & qu'a force d'étaler les circonftances du délit fous les yeux de la nation , celle-ci feroit moins révoltée de leur atrocité , moins difpofée a aider le Juge dans la recherche des indices , & moins ardente pour le maintien de 1'ordre légal qui lui aflujeroit la jouilfance paifible de fes droits , de fes propriétés & de fon bonheur ? Enfin , Monfieur, croyez-vous de bonne foi que , fi la fcélératefie dans  ( 235> 3 fes fers avoit un confeil , celui-cï pourroit embarralTer les Juges autrement qu'avec des loix mal faites , & que fans cette relTource il lui fut poffible de couvrir fon cliënt d'autre chofe , que d'un tas de fophifmes incapables de Ie dérober aux regards percans du tribunal ? Je n'ai pas befoin , Monfieur , d'attendre vos réponfes a mes queftions pour favoir de quelle efpece elles feroient. Je fuis bien convaincu que je n'obtiendrois de vous, que des néga« lives fcdicc Ne fuit-il donc pas clairement dela que toutes les précautions que j'ai prifes , en faveur de 1'innocence accufée , font autant de préfervatifs contre les entreprifes des fcélérats , & qu'en travaillant a Ia garantir des dangers auxquels elle eft  ( Mo 5 expofée , j'ai réellement pourvu aü doublé but que je m'étois engagé de remplir ? Cependant, Monfieur , afin qu'il ne vous refte rien a defirer fur un point de cette importance , examinons fommairement quelles font leS caufes qui fouftrailent pour 1'ordinaire les criminels aux pourfuites de la juftice , & comment il faudroit s'y prendre , pour qu'aucun ne put échapper , fans faire néanmoins courir aux perfonnes innocentes le rifque affreux de fuccomber pardevant les tribunaux. Un coupable échapne , quand il a le tems de prendre la fuite , avant que le Juge informé de fon délit , puiffe le faire arrêter. II conviendroit donc que dans chaque paroiiTe, il y eüt un Juge criminel toujours pret  K 241 ) prèt a recevoir les plaintes qui lui feroient portées , Sc que non-feulement il eüt fous fes ordres un certain ilombre d'hommes deftinés a faifir le prévenu , mais encore qu'en cas de befoin , il püt, comme en Angleterre, fe faire aider pour cette arreflation , de ceux d'entre fes paroiffiens qui feroient le plus a fa portée. Un coupable échappe , quand il a le tems de faire fon thême , & de dé-' tourner fur autrui les foupcons dont il eft 1'objet. Rien par conféquent ne feroit plus pfopre a le déconcerter , qu'une confrontation rigoureufe entre lui 8c fon accufateur, dès 1'entrée ds la procédure. La confrontation en devroit donc être le premier 8c non pas le dernier afte. Un coupable échappe, quand fes Juges fi  C 242 ) font tellement bornés par la loi dans les moyens qu'ils peuvent employer pour confrater la vérité que } quoiqu'il exifte une preuve fuffifante de la réalité de fon crime , il foit illégal de le condamner , paree que cette preuve n'eft pas d'une efpece particuliere , comme feroit celle du témoignage. II faut donc que le Juge ait a eet égard les coudées plus franches , & qu'avec le droit de faire toutes fortes de recherches pour la convi&ion du prévenu , il ait auffi celui de le chatier , s'il arrivé a la démonftration de fes torts par une route différente de celle qui eft maintenant la feule légale. Un coupable échappe , quand la brigue , le crédit & 1'intrigue peuvent  C 243 ) ïnfluer fur le tribunal. II ne faut donc pas que celui-ei foit permanent ou connu trop a 1'avance , mais il faut qu'il naiffe 3 pour ainfi dire , occafionnellement , 8c que fon exiftence foit momentanée, afin qu'on ne le prévienne pas pour ou contre l'accufé.' Tel eft le tribunal des Jurés en Angleterre. Inftitution admirable pour réfoudre la queftion de fait, 8c qu'on pourroit encore perfectionner , en concentrant leur éligibilité dans la claffe la plus éclairée 8c la plus méritante de la nation par des qualifications indifpenfables. Un coupable échappe , quand une affaire vraiment criminelle peut s'accommoder en juftice , 8c que le Juge informateur eft trop indulgent , ou 1'accufateur trop facile a pardonner, Q2  ( 244 5 II ne faut donc pas qu'il puifte avoir lieu a aucun accommodement en matiere criminelle , & le procés une fois commencé doit avoir fon cours jufqu'a fentence définitive , fans aucun égard pour perfonne. Un coupable échappe , quand fon délit n'eft pas fuffifamment caraftérifé dans les loix , ou que la marche de la procédure n'y eft pas aflez netïement fixée. II faut donc que Ie légiflateur donna dans fon code criminel une définition exa&e de toutes les aftions qu'il veut interdire , & qu'il tracé en même tems aux Juges tous les pas eftentiels qu'ils doivent faire, pour acheminer 1'inftruttion du procés a raccompliftement final de la loi. Un coupable échappe , quand les Juges n'appercoivent pas tout ce qui  ( M5 > «ft a fa charge. Un confeil eft donè néceflaire a 1'accufateur pour les éclafrer fur eet objet , comme il 1'eft k l'accufé pour défendre fon innocence préfumée. Un coupable échappe , quand les Juges abandonnent la lettre de la loi, pour en fuivre 1'efprit qui eft auffi mobile que leur imagination , & auffi variable que leurs maximes. II conviendroit donc qu'ils fufTent aftreints a 1'obfervation littérale des volontés du légiflateur. Un coupabk échappe , quand il peut k 1'ombre du myftere de la procédure tramer des complots pour furprendre la religion de fes Juges. II faut donc que 1'oeil du public pénetre jufques dans le fan&uaire de la juftice, & qu'il y produife conftamment une lumiere aflêz éclatante , pour qu'on  < 246 } ïi'y prenne pas facilement le changl fur le carattere moral des prévenus , CU des témoins. Enfin un coupable échappe , quand on juge plutöt les perfonnes que les cas ? ou qu'une commifération déplacée fait croire aux tribunaux qu'ils peuvent modérer la rigueur des loix , fans le confentement du fouverain 3 qui appartient le droit de grace. II faut donc que 1'ordre légal mette le Juge dans 1'indifpenfable néceffité de s'en tenir a 1'objet de la plainte dans toute la procédure , & que la fan&ion du légiflateur l'oblige de prononcer fans adoucifiement la peine qu'il aura déterminée , pour 1'efpece de délit dont il efl queftion dans cette plainte, Telles font, Monfieur , les principales bafes fur lefquelles j'ai cru de»  ( 247 f voir élever 1'échafaudage du fyftême que je développe dans mon Effai. Auffi. ne le crois-je pas moins propre a découvrir les vrais coupables qu'a garantir les honnêtes gens de toute vexation. En particulier , mon tribunal de jurés eft fait pour infpirer la plus entiere confiance. Car il eft pris dans J'élite de la Nation , au moyen de combinaifons accidentelles qu'il ne feroit ni aifé de pré voir avec certitude , ni poffible de déranger effentiellement. Je me fuis fouvent demandé, en Angleterre <4pourquoi , fi j'y avois été injuftement accufé , j'aurois paru avec plus de calme & de fens froid en juftice , que par-tout ailleurs oü les jugemens par Jurés ne font pas en ufage ; & j'ai toujours reconnu que gette fécurité avoit pour fondement  ( 248 ) Vunanimhé k laquelle mes douze Juges auroient été obligés par la loi. » Car, » me difois-je a moi-même , il fau» droit que tu euffes bien du malheur, ») fi , dans ce nombre , il ne s'en » trouvoit pas un feul qui eüt affez » d'intégrité & de fens pour apperce» voir diftin&ement ton innocence , » & pour te défendre en conféquence » jufqu'a la derniere extrêmité ; au » lieu que , devant tout autre tribunal, » tu ferois obligé de faire la même » imprefHon fur la pluralité de tes » Juges. )j Ce fentime.it eft même devenu fi général k Londres, que les étrangers en contra&ent infenfiblement la douce habitude , au point que Htalien Buretti , qui avoit tué deux hommes , pour n'être pas jetté dans un tas de boue oü il auroit infaillihle-  ( M5? 1 tnent perdu Ie peu de vue qui luï reftoit, ne voulut pas profiter du privilege qu'ont les étrangers , de faire compofer de leurs compatriotes la moitié du tribunal, & qu'il déclara qu'il avoit une trop haute idee de la juftice 8c de 1'impartialité du tribunal des Jurés tel qu'il eft ordinairement formé , pour ne pa's s'en remettre abfolument a fa décifion. Quel honneur,' Monfieur, pour des Juges, qu'une pareille confiance ! Quel bonheur en même tems pour un peuple , que de pouvoir s'y livrer légitimement 8c fans referve ! Si mes foibles efforts pouvoient jamais contribuer a une révolution auffi defirable , je ne dis pas fur la face du globe , mais feulement dans quelque coin de 1'univers oü nous puiffions vous 8c moi nous réunir en-  ( 2S° ) rui ; ma joie feroit égale a 1'attache-; ment avec lequel je mis, Monfieur , Votre trés - humbïe & très-dévoué Serviteur, JULIEN DENTAND, Confiance le 25 Janvier 1787.  ERRATA. Page z6, ligne 9 , accompagnées, life\ accom» pagnés. P. 32 , 1.14 , épaix, lifei épais. Idem , 1. 20 , fe lever , /(/è^ s'élever. P. 34 , 1. 3 , condamfierent, life% condamnenr; P. 64 , 1. 13 , ces, Ufe% fes. P. 116, 1. 15, terrain, life% terrein. P. 181 , 1. 19, premiers, Ufei premières." P. 189 , 1. 14, on , life\ ou. P. 198 , 1. 5 , Caribdes, lifei Charibde,   BOEKBINDERIJ BOUWERIK.S AMSTERDAM