OEU VRES D E BOULLANGER: TOME PREMIER.   OEUVRE S D E B OULLANGER'; Homo, quod rationis est particeps , eonsequentiam cernit, causas rerutt» videt, earumqiae progressus et quasi antecessionei non ignorat, simi-j litudines comparar, rebus praesentibus adjungic, atque anaectit futuratJ Cicero de offic. lib. 1. c. 4. TOME PREMIER. K AMSTERDAM-: 1 7 9 4.   PRÉCIS Sur la vie et les ouvrages de Boullanger.1, Nico las-Antoine Boullanger naquit h. Pari3 d'une familie honnête, le 11 novembre 1722, il fit ses humanités au college de Beauvais : il montra si peu d'aptitude pour les lettres , que 1'abbé Crevier, son professeur de rhétorique,, avoit peine a croire que eet homme , qui se distingua ensuite par sa pénétration et ses connoissances sous le nora de Boullanger, fut la méme que celui qu'il avoit eu pour dLsciple. Ces exemples d'enfans rendus ineptes entre les mains des pédans qui les abrutissent en dépit de la nature la plus heureuse, ne sont pas rares; cependant ils surprennent toujours. En 1739 , il s'appliqua aux mathématiques et a Tarchitecture, et ce ne fut point sans succès ; c'est-a-dire, qu'avec les connoissances propres a ces deux genres d'étude, il puisa dans le premier un esprit net et juste, et dans 1'autre un goüt simple et grand. II accompagna M. le baron de Thiers a. 1'ar-! mée , en qualité de son ingénieur particulier f fonction qu'il exerca pendant les années 174^ et 1744, jusqu'au siège de Fribourg : il entra dans les ponts et cbaussées en 1746 , et fut envoya dans la Champagne, la Lorraine et la Bourgogne, pour y exécuter différens ouvrages publiés. II construisit le pont de Vaucouleurs sut Tome I. K  Si Précis le passage de la France en Lorraïne ; il fut interrompu dans la conduite de celui de Foulain, prés de Langres, par une maladie grave qui le relégua et le retint, une saison entière, a Chalons-sur-Marne. II est impossible que le séjour habituel des champs, le spectacle assidu de la nature, la vue des montagnes, des rivières et des foréts, 1'empire absolu sur un nombreux attelier , la conduite de grands travaux , n'élè-t vent une ame bien faite et ne 1'étendent. Mais combien de fois n'ai je pas vu la sienne pénétrée de compassion pour le sort de ces malheureux qu'on arrache a leur chaume et qu'on appelle de plusieurs lieues k la ronde a la construction des routes sans leur fournir le pain dont ils manquent, et sans donner du foin et de la paille a leurs animaux dont on dispose! II ne parloit jamais de cette inhumanité, si contraire au caractère d'un gouvernement cloux et d'une nation bienfaisante, sans décéler une in' dignation amère et profonde. 11 sortit de Chalons pour venir a Paris assurer clans le sein de sa familie sa guérison et sa convalescence. Ses supérieurs dans les ponts et cliaussées , convaincus de ses talens et satisfaits de sa conduite, 1'employèrent en Touraine aux mémes opérations qu'il avoit dirigées en d'autres provinces. Par-tout il fit voir qu'il étoit possible de concilier les intéréts particuliers avec ceux de la cbose publique : il étoit bien loin de servir les baines d'un homme puissant , en coupant les jardins d'un pauvre paysan  sur u vïk, etc.' S par un grand cbemin qui pouvoit étre conduit sans causer de dommage. On sait que le corps des ponts et chaussées est distribué par généralités : il entra dans celle de Paris en iy5i ; il avoit obtenu le grade de sous-ingénieur en 1749: en 1755, il fut employé sur la route d'Orléans, mais des travaux au dessus de ses forces et des éludes continuées att milieu de ces travaux, avoient épuisé sa santé naturellement foible, etil fut obligé de solliciter *a retraite des ponts et chaussées en 1768 : on la lui accorda avec un brevet d'ingénieur , distinction qu'il méritoit bien , et qui , je crois % n'avcit point encore été accordée. Il sentit alors que sa fin approchoit, et en effet elle ne tarda pas a arriver : ilmourut le 16 septembre 1769,; J'ai été intimement lié avec lui. II étoit d'une flgure peu avantageuse ; sa té te applatie , plus large que longue, sa boucbe très ouverte , son nez court et écrasé , le bas de son menton étroit et saillant, lui donnoient avec Socrate , tel que quelques pierres antiques nous le montrent, une ressemblauce qui me frappe encore. Il étoit maigre , ses jambes frêles le faisoient paroitre plus grand qu'il ne Fétoit en cffet : il avoit de la vivacité dans les yeux -; sérieux en société, gai avec ses amis , il se plaisoit aux entretiens de pbilosopbie, d'bistoire et d'érudition. Son esprit éloit tout a fait tourné dece cölé ; ilétoil simple de caraetère et de moeurs trés innocentes ; doux quoique vif , et peu contredisant , quoiqu'inliniment instruit. .Je n'ai guères vu d'bomm? A 2  % P r é c i m qui rentr&t plus subitement en lui-méöie lors3 qu'il étoit frappé de quelqu'idée nouvelle, soit: qu'elle lui vint ou qu'un autre la lui offrit: le changement qui se faisoit alors dans ses yeux étoit si marqué, qu'on eüt dit que son ame le quittoit pour se cacher en un repli de son cerveau. Une imagination forte , jointe a des connoissances étendues et diverses et a une subtiïïté peu commune , lui indiquoit des liaison» ■fmes et des points d'analogie entre les objets les plus éloignés. Les dernières années de sa vie iurent laborieuses , contemplatives et retirées. Quelquéfois je le comparois a eet insecte solitaire et couvert d'yeux, qui tire de ses intestins une soie^qu'il parvient a attacher d'un point du plus vaste appartement a un autre point éloigné, et qui se servant de ce premier hl pour base de son merveilleux et subtile ouvrage, jette è droite et a gauche une inhnité d'autres hls, et finit par oceuper toute 1'espace environnant de sa toile , et cette comparaison ne 1'offensoit point. C'est dans 1'intervalle du monde ancien au monde nouveau, que notre philosophe tendoit des hls : il cherchoit a remonter de 1'état actuel des choses , ace qu'elles avoient été dans les tems les plus reculés. Si jamais homme a montré dans sa marche les vrais caractères du génie , c'est celui-ci. Au milieu d'une persécution domestique qui a commencé avec sa vie, et qui n'a cessé qu'avec elle; au milieu des distractions les plus réitérées et des occupations les pius pénibles, ilparcou-  / is tr ft la vie, etc. S *ttt une carrière immense. Quand on feuillette ees ouvrages , on croiroit qu'il a vécu plus d'un siècle; cependant il n'a vu, Iu, regardé, réfléchi, médité , écrit, vécu qu'un moment: c'est qu'on jpeut dire de lui ce qu'Homère a dit des ehevaux des dieux: autant 1'oeil découvre au loin d'espaee dans les cieux, autant les célestes coursiers en franchissent d'un saut. Après de mauvaises études ébauchées dans des écoles publiques , il fut jetté sur les grands cbemins : ce fut la qu'il consuma son tems, sa santé et sa vie a eonduire des rivières , a couper des montagnes, et a exécuter ces grandes routes qui font de la France un royaume unique. Ce fut aussi la que se développa le germe précieux qu'il portoit en lui : il vit la multitude de substances diverses que la terre recèle dans son sein, et qui atteste son ancienneté et la suite innombrable de ses révolutions sous 1'astre qui 1'éclaire; les climats changés , et les contrées qu'un soleil perpendiculaire bruloient autrefois, maintenant effleurées de ses rayons obliques et passagers , et chargées de glacés éternelles : il ra massa du bois , des pierres , des coquilles ; il vit dans nos carrières 1'empreinte des plantes qui naissent sur la cóte de 1'Inde ; la charme retourner dans nos champs des étres dont les analogues sont cachés dans 1'abime des mers; 1'homme couché au nord sur les os de féléphant, et se promenant ici sur la demeure des baleines : il vit la nourriture d'un monde présent, croissant sur la surface de cent mondes passés ;. il A. 3  6 Précis considéfa I'ordre que les couches de Ia terre gardoieht entr'elles , ordre tantót si régulier,, tantót si troublé , qu'ici le globe tout neuf semble sortir des mainsdu grand ouvrier ; la, n'offrir qu'un cbaos ancien qui cherche a se débrouiller ; ailleurs que les ruines d'un vaste édifice renversé , reconstruit et renversé de rechef, sans qu'a travers tant de bouleversemens successifs , 1'imagination méme puisse remonter au premier. Voila ce qui donna Iieu a ses premières pensees. A[ rès avoir considéré de toutes parts les traces du malbeur de la terre , il en chercha Tinfluence sur ses vieux babitans ; de-la ses conjectures sur les sociétés, les gouvernemens et les religions. Mais il s'agissoit de vérifier ces conjectures en les comparant avec la tradition et les Listoires , et il dit, j'ai vu, j'ai cherché i\ deviner; vovons maintenant ce qu'on a dit et ce qui est. Aiors il porla les mains sur les auteurs latins , et il s'apperout qu'il ne savoit pas Je latin ; il l apprit cionc , mais il s'en manqua de beaucoup qu'il en put tirer les ér.laircissemens qui lui étoient nécessaires : il trouva les Latins trop ignorans et trop jeunes. II se proposa d'interroger les Grecs. II apprit leur lan./,ue , et en eut bientót dévoré les póëtes , les plulosophes et les historiens; mais il ne reneontra dans les Grecs que fictions , mensonges et vanité , un peuple défigurant tout pour s'approprier tout; des enfans qui se repaissoient de contes merveiileux , ou une petite circons-  sub. l a vie, etc. 7 tance historique, une lueur de vérité alloit se perdre dans des ténébres épaisses; partout de quoi inspirer le poëte, le peintre et le statuaire, et de quoi désespérer le philosopbe. II ne douta pas qu'il n'y eut des récits plus antérieurs et plus simples , et il se précipita courageusement dans 1'étude des langues hébraïques , syriaques, chaldéennes et arabes , tant anciennes que modernes. Quel travail! quelle opiniatreté ! voila les connoissances qu'il avoit acquises lorsqu'd se promit de débrouiller la mythologie. Je lui ai eutendu dire plusieurs fois que les systémes de nos érudits étoient tous vrais et qu'il ne leur avoit manquë que plus d'étude et plus d'attention pour voir qu'ils étoient daccord et se donner la main. II regardoit le gouvernement sacerdotal et théocratique , comme le plus ancien connu : il inclinoit a croire que lessauvages descendoient de families errantes , que la terreur des premiers grands évenemens avoit confinées dans les foréts oü üs avoient perdu les idéés de police , comme nous les voyons s'affoiblir dans nos cénobites a qui il ne faudroit qu'un peu plus de solitude pour étre métamorphosés en sau- II disoit que si la philosophie avoit trouvé tant d'obstacles parmi nous , c'étoit qu'on avoit commencé par oü il auroit fallu hnir, par des maximes abstraites, des raisonnemens généraux, des réflexions subtiles qui ont révolté par leur étrangeté et leur hardiesse , et qu'on auroit ö A 4  £> P E E C I J, admises sans peine si elles avoient été précédéet des faits. Ii lisoit et étudioit par-tout: jel'ai moi-méme rencontré sur les grandes routes avec un auteur rabinique a la main. Ses liaisons se bornoient a quelques gens de lettres er a un petit nombre de personnes du auonde. II étoit attaqué d'une maladie bizarre qui se portoit sur toutes les parties de son corps, ,a la téte , atix yeux, a la poitrine, a 1'estomac, aux entrailles, et qui s'irritoit également par les remèdes opposés. II étoit allé passer quelquetems a la campagne chez un honnéte et célèbre philosopbe, alors persécuté : son état étoit déja très-faeheux; il sentit qu'il empiroit, et se hata de revenir a Paris dans la maison paternelle oü il mourut peu de semaines après son retour. A juger des progrès surprenans qu'il avoit faits dans les langues anciennes et modernes , dans l'histoïre de Ia nature , celle des hommes,, de leurs mocurs , de Ieurs coutumes, de leurs iisages, la philosophie , et Ie peu de tems qu'il avoit pu donner a 1'étude, il eüt été nommé parmi les plus savans hommes de 1'Europe, si la nature lui avoit accordé les années qu'elle accorde ordinairement a ses enfans. Mais consolons-nous :si une mort prématurée 1'aravi aux lettres et 'a Ia philosophie qui 1'honoroit, el!e 1'a ravi aussi a la fureur des intolérans qui 1'attendoit : I'imprudence qu'il avoit eue de répandre quelques exemplaires manuscrits de son JDespotisme oriental, auroit infailliblement dis-  strr ti vie, etc; 5> posé du repos de ses Jours, et nous aurions vu 1'ami de 1'homme et de la vérité, fuyant de contrée en cóntrée devant les prètres du mensonge, a qui il ne reste qu'a frémir de rage autour de sa tombe. II a écrit dans sa jeunesse une vie d'Alexan'dre, qui n'a point été imprimée. II a laissé en manuscrit un dictionnaire considérable, qu'on pourroit regarder comme une concordance des langues anciennes et modernes fondée sur 1'analogie des mots simples et coraposés de ces langues, sans en excepter la langue Franchise; eet ouvrage est en trois vol. in*fok Dn a publié il y a quelques années son traité du Despotisme Oriental; c'étoit le dernier cbapitre de 1'ouvrage que 1'ori donne ici sous le titre de / Anbiquitè dèvoilèe par ses usages , qu'il en détacha iui-même pour en faire un ouvrage a part. II n'a manqué au Despotisme Oriental, pour ètre une des plus belles productions del'esprit bumain , qu'uneforme plus concise et moins dogmatique , forme qu'il convient d'affecter toutes les fois que 1'objet n'est pas démontrable; il faut alors plus compter sur 1'imagin ation du lecteur que sur la solidité des preuves , donner peu a lire et laisser beaucoup k penser. Outre les dissertanons sur Esope , sur saint Pierre, surEnoch, il en acomposé deux autres sur saint Ftoch et sainte Genevieve qui se sont égarées. J'ai encore vu de lui une Histoire naturede  io Précis sur la vie, etc." du cours de la Manie, et une histoire nalurelle du cours de la Loire, avec figures. Ces cleux morceaux sont apparemment dans le cabinet de quelque curieux qui n'en privera pas le public. II a aussi fait graver une mappemonde relative aux sinuosités des continens, aux angles alternatifs des montagnes et des rivières. Le globe terrestre y est divisé en deux hémisphères; les eaux occupent 1'un en entier , les continens occupent tout 1'autre; et par une singularité remarquable, il se trouve que le méridien du continent général passé par Paris. II a fourni a 1'Encyclopédie les articles , dèïuge , corvee, société, etc. que nous en avons extraits afin de completter cette édition autant qu'il nous a été possible.  AVANT-PROPOS. ON ne peut lire 1'histoire des anciens peup.es et de ceux que les découvertes des siècles modernes nous ont fait connoitre , sans remarquer que presque toutes les nanons de la terre ont eu et ont encore des traditions qui leur ont transmis des changemens arrivés autrefois dans la nature. Les unes nous parient d'inon- . dations et de déluges qui ont submergé le genre humain-, d'autres nous parient d'incendies qui lont devoré; plusieurs nous retracent des révolutions dans le soleil même, dans les planètes, et dans toute letendue dés cieux; presque toutes ces tradinons nous tont entrevoir et soupconner qu'il fut un tems ou la race actuelledes choses a été très-difFérente de ce quelle est depuis tous les siècles connus , et que ces révolutions physiques ont donné lieu a des renouvellemens dans les sociétés humaines. Ces rxadidoris sont ordinairement peu detaillees et très-confuses; quelquefois elles sont visiblement fabuleuses, ou du moins noyées dans des fables qm en déhgurentla vérité. Presque toutes sont en contradiction pour les dates-, il semble que les difterens peur ples n'ont déterminé ces dates qua leur fantaisie, et que par une suite de leur ignorance ou par un ettet de leur vanité, elles sont plongées plus ou moms dans la profondeur des tems. ( L'importance de ces traditions et des consequences quelles présentent e:dge que, sans nous effrayer des téncbres qui les enveloppent, nous portions sur elles nos premiers regards. S-il est arrivé des révolutions génerales dans la nature, s'A s'est fait dans un cerram tem* un renouvellement des sociétés, eest jusques-ia sans  ii Avant-propok' doute que doit remonter 1'étude de 1'antiquité. En effét les sociétés présentes ne peuvent dater que de ces instans; et eet ouvrage devant servir d'introduction a 1'histoire de Thomme en société , il convient de commeneer par examiner les faits a la suite desquels on dit que le genre humain détruit s'est renouvellé, et a repeuplé une terre nouvelle. L'époque de ces faits, s'ils sont vrais, doit être l'époque particulière des usages et des loix de la société rétablie, ainsi que Fhistoire des nations; depuis cette renaissance elles n'ont plus cessé de s'engendrer les unes des autres, et de se succéder jusqua nous. L éloignement des tems en rendant ces traditions obscures les a rendu aussi trés - indifférentes a la plupart des hommes; on est même parvenu a mettre en problême non seulement la vérité, mais encore la probabilité de ces révolutions. Quoi! vous croyez au déluge? s'écrie-t-on aujourd'hui dans un certain monde, et ce monde est trés nombreux. Cette espèce de dogme historique ne se soutient plus- que chez le peuple aveuglement soumis aux traditions de ses pères, et chez quelques-physiciens accoutumés a lire dans la nature. La physique, comme 1'a prévu Fontenelle, est devenue pour ces derniers une sorte de théologie. Que 1'on ne confonde pourtant pas le physicien avec le peuple. Le peuple croit, le physicien sait. II est réservé a la physique de faire le tableau des révolutions de la terre , dont elle trouve des vestiges en tous lieux, et de consigner ses observations dans les archives des sciences ; elle pourra se servir des monumens naturels pour vérifier et pour corriger les traditions historiques; et quelquefois elle emploiera ces Traditions pour éclaircir les monumens naturels: c'est Tunique moyen de trouver la cha'ine qui les lie, et d«  'A v a m t - p r o f o s; t $ ^crindre des connoissances précises a la certitude générale des faits. Ce sera encore a la physique a chercher quelles ont du être les suites naturelles de ces révolutions a 1'égard de la terre et de toutes les créatures qui lhabitentj cette recherche lui sera plus facile et plus utile que celle des causes qui sont peut-être destinées a être éternellement cachées i nos yeux. Nous nous bornerons a chercher quelles ont été les suites morales de ces révolutions, c'est-a-dire, les impressions qu'elles ont pu faire sur des êtres sensibles et pensans. De quelle nature qu'aient été ces im-> pressions , elles ont dü nécessairement influer sur la conduite des hommes sur leurs idéés, sur les démarches des sociétés renouvellées, et m'êmes sur celles da toutes les sociétés qui par la suite sont dérivées des premières. Cette carrière nouvelle , peu éclairée pat les monumens historiques, demande de grandes précautions pour ne point s'égarer; nous ne marcherons donc pour ainsi dire qu'en tatonnant et pied a pied » jusqu'a ce que nous trouvions des faits assez lumineus pour nous diriger et nous conduire. Nous pourrions, il est vrai, consulter d'abord les traditions; mais elles sont souvent obscures et contradictoires : nous pourrions aussi interroger une conscience commune qui nous diroit que 1'homme a eu peur, et il seroit dimcile da n'en point convenir; mais cette conscience commune» ne suffit point toute seule pour nous apprendre les suites de cette peur, il faut y joindre des faits; des observations exactement suivies et muitipliées nous ont fait connoïtre et déméler les monumens réels et authentiques des révélations de la terre, qui jusqu'a nous n'avoient été connus que par des traditions ou obscures , ou corrompues , ou contestées, Le physicien a cru. a ces monutnen,s, pajrce qn'ii ^'a pu, se yefuser 4  jT4 AvANT-PROPOS," leur témoignage; mais s'il a admis avec le peuple la" vérité des révolutions de la terre, il s'en est quelquefois formé des images très-différentes; et le philosophe' en a tiré des conséquences auxquelles ni 1'un ni 1'autre n'avoient jamais songé. La partie la plus utile de 1'histoire n'est point la connoissance aride des usages et des faits; c'est celle qui nous montre 1'esprit qui a fait établir ces usages et les causes qui ont amené les événemens. Tous les usages ont des motifs, et ces motifs sont puisés ou dans de simples opinions, ou dans des faits; ces opinions elles-mêtnes ont eu des faits pour principes et pour causes. S'il paroit quelquefois dans la conduite des hommes qu'ils ont des usages sans motifs c'est que ces motifs ont été oubliés et que ces usages se sont tellement défigurés que, n'ayant plus conservé d'analogie avec leurs motifs, ceux-ci s'en sont peu-a-peu dé* tachés, soit pour se perdre tout-a-fait, soit pour se conserver d'autres cana-ux, Chaque usage a donc son histoireparticulière, ou aumoins sa fable; chaque usage appartient et remonte a un fait particulier; peut-être mcme y a t-il encore un lieu secret et commun qui. lie la masse générale de tous les usages avec celle de tous les faits. L'histoire des usages et de leur esprit ne seroit ainsi qu'une nouvelle manière de faire 1'histoite des hommes. La difficulté de cette manière de lire 1'histoire se fait assez corinoitre par le défaut de tentatives. Nul Auteur n'a encore cherché l'histoire du genre humain dans 1'esprit des établissemens qu'il a faits dans tous les ages; les uns n'y ont pas même pensé , les autres ont sans doute été effrayés par 1'idée seule d'une relle enrreprise; tout y est immense : vu dans sa généralite , 1'esprit ne peut 1'embrasser; vu dans les détails, cha-  •AVANT-PROPOS.' ff «un d'eux présente des difficultés dont quelques-uries sont insurmontables. D'ailleurs par oü commencer, Les usages sont innombrables , ils sont diversifiés a i'infini, quel sera le premier ? Peut-on le prendre indifféremment dans la foule, ou bien en est-il qui conduise naturellement a d'autres, et qui soit comme le tronc doü se sont distribuées sur la surface de la terré les branches des usages domestiques, les branches ec les rameaux des usages civils et politiques, enfin celles des usages religieux > S'il en est un de cette espèce, quel est-il ? et oü le trouver ! quel est 1'évenemenc qui a fait naitre eet usage? II faut donc prendre (tin fait dans les traditions des hommes, dont la vérité soit universellement reconnue; quel est-il ? Je n'en vois point dont les monumens soient plus généralemear attestés que ceux qui nous ont transmis cette fameuse révolution physique qui a, dit-on, changé autrefois la face de notre globe, et qui a donné Héu a un renouveliement total de la société humaine: en un mot le déluge me paroit la véritable époque de 1'histoire des nations. Non-seulement la tradirica qui nous a transmis ce fait est la plus ancienne de toutes j mais encore elle est claire et intelligible; elle nous présente un fait qui peut se justifier et se confirmer i°. par 1'universalité des sufFrages, puisque la traditioii de ce fait se trouve dans toutes les langues er dans toutes les contrées du monde; i°. par le progrès sensible des nations et la perfection successive de tous les ditïérens arts; quoique l'histoire ne puisse atceindre aux premiers tems, elle nous montre, sinon le genre humain naissant, du moins une infinité de nations encore dans une espèce d'enfance; ces nations croissent et se fortifient peu-a-peu, et soumettent insensiblemcnt une grande portion de la terre a leur empire. 30. L?ai!  t# AvANT-PROPOS.4 du physicien a fait remarquer les monumens authentiques de ces anciennes révolutions; il les a vus gravés partout en caractères ineffacables; s'il a fouillé la terre, il n'y a trouvé que des débris accumulés et déplacésj il a trouvé des amas immenses de coquilles au sommet des montagnes aujourd'hui les plus éloignées de la mer; il a trouvé des restes indubitables de poissons dans les profondeurs de la terre; il a trouvé pareillement des végétaux dont 1'origine ne lui a point parit douteuse ; enfin il a trouvé dans les couches de la terre qu'il habite des ossemens et des restes d'êtres animés qui ne vivent aujourd'hui qüa sa surface ou dans les eaux. Ces faits ignorés du vulgaire , mais connus actuellement de tous ceux qui observent la nature, forcent le physicien de reconnoitre que toute la surface de notre globe a changé; qu'elle a eu d'autres mers, d'autres continens, une autre géographie, et que le refrein solide que nous occupons aujourd'hui a été auttefois le séjour de 1'océan. Douter de la réalité de ces faits, ce seroit démentir la nature qui a dressé elle - même en tous lieux des monumens qui les attestent. Ainsi la révolution qui a submergé une portion de notre globe pour en mettre une autre a découvert, ou ce que 1'on a nommé le déluge universel, est un fait que 1'on ne peut récuser, et que 1'on seioit forcé de croire quand même les traditions ne nous en auroient point parlê, A la suite de eet événement, les ttaditions de lage d'or et du règne des dieux paroissent encore plus bizarres; comment trouver leurs rapports et leur liaison avec des révolutions qui n'ont du faire de la terre qu'un séjour de douleur et de misère > II faudroit pouvoir se former quelques idéés précises de eet age et de cë règne, sur lesquels nous n'avons que des idéés vagues et confuses; mais oü sont les monumens qui peuvent fixer  AyAXT-f ROPOS, 17 jqos idéés a eet égard; Qu'est-ce qui peut nous y conduire l C'est 1'homme échappé aux révolutions de la terre qu'il faut nécessairement consulter; c'est dans ses dispositions qu'il faut chercher la source de sa conduite que ces traditions nous transmettent. L'effet que le rableau de La terre bouleversée doit produire naturellement sur des êttes sensibles et pensans qui le considèrent, c'est de ramener leur esprit sut 1'homme qui alors habitoit cette terre ; c'est de leur faire chercher eet être malheureux parmi les débris du monde ; c'est de les intéresser a son sort infortuné; ils y sont d'autant plus forcés que c'est d© eet hom me malheureux que descendent les races actuelles si muhipliées , si tranquilles et si heureuses» lorsquon les compare a lui. L'instant de ces anciennes révolutions est en effet 1'instant précis ou 1'on doit remonter pour parvenir a la naissance de nos sociétés actuelles ; ce n'est pas qu'au-dela il n'y en ait eu encore d'autres , mais elles ont été détruites et dissoutes pat ces subvetsions; il s'en est ensuite reformé de nouvelles dont les autres sont issues, et ces nouvelles sociétés tirent toute leur origine du petit nombre de malheureux qui ont eu le triste avantage de survivre a 1'ancien genre humain , et aux grands changemens arrivés dans la nature. Voila donc eet homme qu'il faut consulter sur 1'origine des sociétés présentes , c'est 1'homme échappé aux malheurs du monde. En vain voudroit-011 remonter plus haut et chercher un autre homme •, les révolutions physiques de la terre ont mis entte 1'ancien et le nouveau genre humain un mur imréaétrable ; 1'homme qui a précédé ces réHexions , tel qu'il a été , n'est plus pour,nous un être histonque dont la position Tomé L B  1Z AvANT-PROPOS. L'état actuel de la terre nous présente des empkes pkis ou moins absolus, des républiques de différente nature des nations civilisées, des peuples barbares, d:s hordes de sauvagesi Depuis environ trois mille ans, la terre n'offre pour ainsi dire que le même tableau; on pourroit en quelque facon avancer que depuis tant de siècles il n'est rien arrivé de nouveau dans le monde. En effét les détails dont l'histoire s'est remphe ne sont que dss 'répétitions ou des transporrs de scène : quelques nations ont changé a la vérité, mais l'état dq genre humain est toujours a-peu-près le même; ainst ce qu'on appeile l'histoire n'en est que Ia partie la plus ingrate, la plus uniforme et la plus inutile, quoiqüelle soit la plus connue. La véritablé" histoke est couverte par le. voile des tems. Si 1'on doit ajouter foi aux traditions, il s'en faut de beaucoup que dans les siècles amérieurs a ces trois mille ans on ait vu regner sur la terre une semblable uniformité-, mais ces traditions nous rapportent des choses si étranges qu'on n'en a point pu profiter pour écrire l'histoire, et que même les écrivains les plus graves ont cru devoir les rejetter entièrement. Au-dela du règne des rois ces traditions placent un règne de héros et de demi-dieux; par-dela encore elles placent lemerveilleux règne des dieux, et les fables de lage d'or. Toutes nous parient aussi de déluges, d'inondations, d'incendiès qui ont changé la face de la terre, et presque détruir le genre humain. Peut-cn être surpris que des annales aussi merveilleuses ayent éte rejettéet de presque tous les historiens ? Cependant les idéés quelles nous présentent ont été autrefois universellement admises; elles ont été révérées de tous lts peuples;.plusieurs les réverent encore et en font la base de leur conduite. Cette considéraüon scmblcrcitexiger que le j ugo-  'A V A N T - P R O P O S. 2 5 C'est sur ce plan nouveau que j'ai fait mes recherches sur 1'origine et sur 1'esprit des usages ne les destine a servir d'mtroduction a l'histoire de 1'homme en société. J'ai taché d'y montrer les vraies sources d'ou sont découlées ses erteuvs tant en religion qu en politique; j'ai fait voir que le déluge en les grandes révolutions physiques de notre globe, sont les véritables époques de l'histoire des nations. Dans 1'ouvrage que je présente; je foutnirai les preuves de cette véri'té; elle ne paro'uta un paradoxe, ou un systême hazardé, qua ceux qui n'ont jamais su considérer le globe quils habitent, ou a ceux qui ne lisent l'histoire qu'avec les yeux du préjugé. il n'y a que les observateurs exacts de la nature qui sachent que notie globe n'est pour ainsi dire qu'un amas de ruines, et porte dans toutes ses parties les empreintes d'un bouleversement général: c'est a eux que j'en appelle pour ce que j'ai dit de 1'étendue et de 1'universalité des révolutions de la terre •, c'est a ceux qui étudknt 1'antiquité que je soumets les faits que j'ai recucillis dans le présent ouvrage; il servira a remplir 1'esprit du lecteur des connoissancts nécessaires pour se faire une juste idéé des premiers ages de notre monde renouvellé ; je me harte qu'alors il vetra que le sistéme que j'ai suivi n'est' fondé que sur des fairs. En général on a de i'antiquité et de ses usages des idéés si décousues et si vagues, qu'il faut nécessairement cqmmencer par les fixer au moins quant aux objets essentiels. On est dans 1'ignorance parfaite des improssions que le déluge a faites sur ceux d'entre les hommes qui ont échappé a ce fléau recloutable; il faut donc faire connoitre avant tout combien eet événement a dü affecter les premières sociétés, et en combien de manièixs ii a inHué sur leur fagon de penser et d'a-  26 A V A N T - P R OP O S. gir : c'est dans ce dessein que j'ai entrepris eet ouvrage; on y trouvera une suite de disserrations dans lesqueK les j'examine differens sujets , différentes traditions et différens usages réligieux et politiques, relatifs a notre objer. J'ai réuni toutes ces disserrations sous le titre commun de l'Antiquïté dévoiléc par ses usages. Je les partage en dix livres. Dans le premier j'examine les institutions faites par les différens peuples de la rerre pour se retracer la mémoire du déluge : ce qui constitue dans 1'antiquité ce qu ón peut appeller son esprit commémoratif. Le second livre prouvera que toutes les fêtes et les institutions anciennes ont eu un caractère lugubre de tristesse qui perce au travers de leurs solemnités les plus gaies et les plus dissolueSj c'est ce que j'appelle 1'esprit funekre. Dans le rroisième livre je uche de développer les mysrères des peuples anciens, et de découvrir les vrais motifs de ces énigmes voilées aux peuples: c'est ce que j appelle 1'esprit mysterieus ■ et je trouve que ces mystères n'ont eu pour objet que de cachet au vulgaire des dogmes dangeteux a son repos. Dans le quatrièfhe livre je considère les motifs qui sont cause que les peuples ent toujours attaché des idéés particulières a tous les changemens des siècles et périodes : c'est ce que j'appelle 1'esprit cyclique. Dans le cinquième livre j'examine la nature des fêtes, des cérémonies et des usages institués a 1'occasion des années, des mois et des jours : c'est ce que j'appelle 1'esprit liturgique. Enfin dans le sixième livre on trouvera le tableau des effets physiques et moraux du déluge. J'y examine les impressions que cette terrible catastrophe a feite sur les hommes, qui ont été pour eux une source d'égaie-  A V A K T - P R O P O S. *7 nvms et de maux, et qui ont mflüé sur toutes leuts instkutions rehgieuses, poliriques et mprales. Lon ne peut douter d'après ce qui a ete dit, quil ne soit arrivé de grandes révolutions dans la naturk face de notre globe en a été totalement changee peu être même que celle de 1'umvers entier nest plus la même qu'autrefois; les sociétés humames, ou les naucTéteintes, divisées et dettuites pat ces révolutions, e ont depuis renouvellées par le moven d un peut nomL d'hommes, reste déplorable d'un genre humain plu ancien; ces évenemens ont été transmis dages en ages pat un; multitude de traditions; ils ont éte attestes Pdes histoires graves; et 1'esprit qui medite sur les faits d'accord avec 1'ocil qui observa les monumens, les a nadcns et les nations elles-mêmes datent de ce renou" l em'nt, les unes immediatcment, les autres par une veneuKiu, i« , circonstan- gradation et une succession de Faits et de ces Depuis eet instant tout est hé et suivi dans lhis Se de hommes, quoiqu'elie ne sok point route onZ, tut doit être également lié et suivi dans 11rorre de leurs usages et de leurs opimons. Ces usa.es som sans nombre , la collection seule de leurs tittes et de leurs noms est effrayante, si même elle n'est irripóssible. Ils sont diversifiés presqualinhm par des cérémonies subordorinées au génie inconstant des Sclés et au caprice des pe^es, et dmgées par des moufs tirés de mille préjugc, Très-souvenr a»»usaees sont tellement altérés et corrompus, quils sont nu ridicules ct émgmaticues. Rien n'est donc plus trassant que de se ^fëfëgg. lier dans ce genre de travail , et rien nest piu , die que de trouver le vrai pomt de vue dou lon  *8 Avant-propos. pourroit les considérer tous avec exactitude et avec méthode. II y auroit de la présomption a prétendre que nous avons pris la position la plus vraie et la plus favorable; mais puisqu'Ü en falloit une, nous 1'avons choisie sirhple et naturelle relativemen t a la sphère étroite de nos connoissances particulières. Si ce n'est point la vérirable, ceux qui nous suivront dans cette étude nouvelle profiteront de nos erreurs et se placeront plus avantageusement. Ce n'est cependant point sans raison et sans motifs que nous nous sommes déterminés a ouviir cette carrière par les usages qui onr rapport aux révolutions dans la nature; les sociétés renouvcllées ont pour première anecdote de leur histoire celle de leur renouvellement; fhistoire des usages peut donc commencer par ceux qui onr été établis pour conserver le souvenir de ce renouvellement et des révolutions qui lont occasionné. D'ailleurs ces usages ne peuvent être que du nombre des premières insticutions de la société • il n'est guere possible de remonter plus haut; er de plus; pourroit-on en choisir qui fussent par eux-rnêmes plus intéressans, plus propres a un début, et plus capables de déterminer par la suite la marche de nos pbservations et de nos recherches ? Ces usages , que j'appelle commémoratifs, semblent en effet devoir nous procuret un grand avanrage en ce quils nous font connqitre de quelle manière les hommes ont été afrectés de leurs malheurs et de ceux de 1 univers : c'est une connoissance essentielle a acquérir si lon veut réussir a faire l'histoire des sociétés renouvcllées. Les histoires même les plus anciennes ne parient point des impressions que le spectacle d'un monde détruit et bouleversé a fait sur les hommes, ces impressions sont restées enaéveües dans la nuit des tems, ainsi que les premiers.  avant-PROPOS. 19 pas des sociétés renaissantes. Mais ces détails ignorés ne doivent-ils point se découvrit pat 1'espnt des usages établ.s pour en consetver la mémoire? Nous allons donc exarriiner ces usages et nous en étudierons 1 esprit dans ce premier livre, en les considérant non-seulemenc comme les preuves morales des révolutions arrivées sur la terre, mais encore comme les monumens des impressions que ces révolutions ont faites sur les hommes. , Les usages relatifs a ces révolutions ne se presentent d'abord qu'en trés-pent nombte sur la scène de 1'antiquité; ce nest que dans quelques fêtes^que eet esprit commémoratif se rencontre a découvert et dan? sa simplicité; eest par 1'exposition de ces fètes que nous commencerons. Plusieurs peuples nous en presentenr aussi quelques-unes dans lesquelles ce même moot s'appercoit ou se fait violemmeht soupconner : mais lon y'découvre aussi un mélange bizarre de motifs étrangers et mvthologiques. Pour trouver le véritable objet de ces dernières solemnités dont les motifs sont compliqués, nous^ nous -attachons a analiser leur céremonial et a chercher 1'espm de leurs usages; et eet esprit achève de nous faire connoitte 1'objet que nous n'avions d'abord qu'entrevu ou soupconné , quelquefois même il nous développe encore la nature des motifs étrangers et mvthologiques, et ces motifs se trouvent pour la plupart n'être que des traditions du même fait qui ont été ou corrompues par le temps, ou travesties par des allégories. La rencontre fréquente de ces allégories nous invite souvent d'entrer dans les vastes domaines de la mythologie , dont les arbres inaccessibles sur toute autre face, semblent sous celle-ci se montrer d'un accès facile et naturel. Maïs nous a'usons de cette liberté qu avec p>  '5° AvANT-P R OPOS. tenue, nous ne nous arrêtons qua quelques fables remarquables communes a tous les peuples du monde, a quelques légères difrërences prés, et visiblement liées ou relatives a notre objet: nous les considérons dans leurs ressemblances et dans leurs variétés: les diverses nuances dont ces fables sont colorées , selon le caractére et le génie des différens peuples, ne servent qu'a nous en faire mieux connoitre 1'esprit; nous comparons les traditions avec les traditions, les fables avec les fables, et par leurs mutu'elles dispositions nous leur arrachons leur secret comme malgré elles. Dela nous revenons aux usages. La découverte de 1'esprit de ces fables et de ces allégories nous conduit vers une multitude de fètes anciennes qui n'avoient que ces fables allégoriques pour motifs vulgaires; nous en examinons de même les rites, et nous ramenons ces fêtes a la source commune lorsque 1'esprit de leurs usages est le même que 1'esprit de leurs motifs mytologiques. Nous ne nous sommes point dissimulé que dans ce genre de travail il falloit se tenit en garde contre 1'imagination et les illusions; nous n'avons donc matché qu'avec ptécaution ; mais nous nous sommes crus suffisamment assurés lorsque nous avons appercu dans les fêtes dont les motifs dépendent de la fable, les mêmes usages qu'on ttouve ailleurs dans les fêtes nuement et simplement motivées sur les révolutions arri* vées au monde. II est encote une autre sorte d'antiquité que nous avons consultéa, ce sont les usages des peuples qüe les voyages des derniers siècles nous ont fait connoïtre en Afrique, en Amérique et dans les extrémkés de 1'Asie. La distance des climats doit nous tenir lieu a leur égard de la distance des tems, et l'attachement religieux qu'on a remarqué chez la plupart d'entre eux pour les  par ses usages. Liv. I. Ch. I. $y fcïgnifie le nom d'Hiérapolis. Lorsque ces pelerins étoient tous arrivés , ils se chargeoient d'une statue que 1'on disoit étre celle de Bacchus , et réunis au cortége des Syriens, ils se transportoient ensemble sur le bord de la mer, quoiqu'elle für très-éloignée ; la ils puisoient de 1'eau, qu'ils emporroient dans des vases ,'et ils revenoient la répandre dans le temple de la déesse. Cette eau s'écouloit par un canal dans Tamme dont 1'ouverture étoit encore entretenue avec soin pour cette usage du tems de Lucien. Voila ce que cette fête avoit de commun avec les hydrophories d'Athènes. Elle en différoit en ce que les Syriens la célébroient deux fois 1'année , et qu'ils avoient encore un autre usage qui leur étoit patticulier. Dans chaque célébiation un homme montoit au haut d'une colonne placée dans le parvis du temple , il y restoit sept jours pour représenter 1'ancien état des débris du genre humain sauvés sur les montagnes au tems du déluge, et n'habitant que des hauteuts encore long - terns après , dans cette situation il prioit sans cesse les dieux pour les biens de la terre et pout la fertilité du pays. Le temple d'Hiérapolis étoit 1'un des plus célèbres par ses mystères et 1'un des plus riches de 1'Asie. La divinité a qui il étoit consacré , tantót appellé Rhéi, tantót Junon Assyrienne, et vulgairement la déesse de Syrië , ressembloit a la Cybèle de Phrygie. Elle étoit comme elle couronnée de tours, et assise sur un char trainé par des lions. La religion de ces tems voyoit en elle la mère des dieux , la reine , la mète et la nourrice des hommes (i). Bacchus, dit Lucien, sembloit partager les honneurs du temple avec cette cléessè} (i) rjiêe signifioit eu oriënt reine tt nourrice.  3p L'Antiquité dévoilée mais ce Bacchus de notre auteur n'étoit , suivant Ie» apparences, qu'Atys le bien-aimé de Cybèle ; le Phatlus (i), monument indiscret de son infortune , étoit publiquement exposé en divers endroits de ce temple. On reconnoit encore eet Atys dans le genie des ptêtres qui desservoient ce temple ; c étoient des Galles : ils étoient obligés de gatder la continence; ils s y forcoient eux-mêmes par une mutilation ctuelle afin de mieux ressembler a leur maïtre. De tous les prêtres de l'antiquké il n'y en eut guère de plus impudens et de plus fténétiques. Hiérapolis étoit leur métropole et leut séminaire : de-la ils se répandoient dans tout le monde , en mendiant leur pain , n'exercant que la profession des prophètes et de diseurs de bonne aventure, et prédisant des biens et des maux aux particuliers , aux villes et a filmvers. II est singulier sans doute de voit des fêtes diluviennes célébrées par de tels prêtres, et confondues avec le culte de Rhée , de Cybèle, d Atys, de Bacchus , d'Apollon , etc. tous personnages dont 1'existence ou la fable ne peut être que moderne, en cemparaison d'un motif qui doit dater immédiatement des premiers tems. Notre surprise diminuerok vraisemblablement si nous pouvions dès ce moment nous rendre au sentiment de quelques mythologues anciens et modernes, qui n'ont vu ou qui n'ont voulu voir que la terre et la nature personnifiées dans Rhée et dans Cybèle; qui n'ont vu que le genre humain heureux et malheureux dans Bacchus et dans Atys, et que le soleil dans Apollon. Le soleil, la terre et 1'homme ont du jouer d'assez grands róles dans la scène des révolutions du monde, pour qu'on puisse les retrouver peints sous divers images dans des fêtes commémoratives} (2) Fi/^ere qui repriieruoit le meirJjre firil.  par ses usages. Liv. 1. Ch. J. 41 mais nous ne sommes point encore assez avancés dans la connoissance des usages pour chercher dés a présent des allégories dans les fables. III. II est une autre singularité particulière au temple d'Hiérapolis que nous pouvons présenter, c'est sa ressemblance avec le temple de Jérusalem (1). On a remarqué dans tous les deux un même plan et une même disttibution des batimens , une hiërarchie route pareille dans 1'ordre des pondfes et des prêtres; ils étoient mutilés dans 1'un et circoncis dans 1'autre; on voyoit un même cérémonial dans le service , et , ce qui est le plus étonnant, 011 trouvoit les mêmes rites et les mêmes fêtes en apparence. Jettons sur ses fêtes un coup d'ceil, ce ne sera point nous écarter de notre sujet. La plus grande fête de 1'année se célébroit au printems chez les Syriens} ainsi que chez les Hébreux. Ces derniers la célébroient sous le nom de paques , les Syriens 1'appelloient la fête de la torche ou du bucher: ils dressoient ce jour la quelques arbres devant leur temple , ils suspendoient aux branches des animaux vivans , et des orfrandes précieuses d'or et d'argent; et après avoir promené leurs dieux a 1'entour , ils y mettoient le feu : prés de-la étoit un autel oü chacun venoit présenter un mouton ou un agneau; la foule étoit immense ; les prêtres faisoient sur chacun de ses animaux les premières libations, et les laissoient ensuite emporter aux particuliers qui achevoient chez eux les sacrifices et mangsoienf la victime avec leur familie et leurs amis. Rien n'est si voisin de 1'agneau pascal. IV. Une autre fète de Syrië sembloit imiter la fête juive des expiations ce jout-la les Syriens , dévots jusqu'a la fureur, ctioient et hurloient en désespétés : (1) Voy«z la mylIiolog!e_de Eannier. liv. Y1I. tlwp. 2.  41 L'Antiqulté dévolle'e les uns prenoient des charbons ardens et se brüloienr au col et aux poignets; le nombte de ces zélés devoit êtte grand, s'il est vtai , comme Lucien le dit, que presque tous les Syriens portoient les marqués de ces brulures ; d'autres se déchiroient et se cicattisoient avec des couteaux; plusieurs se défiguroient d'une facon hideuse; les moins enthousiastes se flagelloient offïcieusement les épaules les uns des autres , ainsi que les Juifs le pratiquent encore a la même fête dans leurs synagogues. Enfin cette fête d'oü chacun sortoit ou brulé, ou mutilé, ou fustigé , se terminoit par 1'offrande d'une victime qu'on couronnoit et qu'on lachoit ensuite : de manière cependant qu'elle allat se précipiter du haut d'un rocher sur lequel le temple étoit bati. On entrevoit aisément dans ce dender usage celui qui se pratiquoit a Jérusalem au jour des expiations; on y lachoit de même, comme on verra par la suite, un bouc qui se perdoit dans le désert; la loi de Moyse ordonnoit aux Hébreux d'afriigcr leur ame ce jour-li sous peine d'être exterminés (i). Le motif de cette affiiction forcée est ignoré; mais soumis a scn législateur , le Juif se déscle encore aujourd'hui a cette fête lugubre comme s'il étoit a%son dernier jour. On est dans la même ignorance sur les motifs des rigueurs que les Syriens exercoient sur eux-mêmes dans leur fête. Lucien rematque qu'ils faisoient souvent un mystère de la plupart de leurs usages. On ne peut supposer qu'ils ayent été assez dupes pout ne faire qu'imiter des voisins que d'ailleuts ils haïssoient e: méprisoient souvetainement; ils avoient sans doute leurs raisons, et les Hébreux avoient les leurs , mais les conformités (i) Ltïitic. chip. XXIII. Tl. 29.  par ses usages. Liv. I. Ch. I. 4j position de la seconde fête commémorative ; nous sommes cependant portés a la regarder comme faisant une partie de la fête des torches; ainsi elle devoit correspondre avec elle au tems de la paque des Hébreux qui arrivoit a la pleine lune de mars, et ouvroit chez eux 1'année sacrée ; il semble que les renouvellemens d'années et des saisons étoient les momens proptes k rappeller aux hommes le souvenir du renouvellement du monde. La fête des totches étant la plus gtande pour les Syriens duroit vraisemblablement plusieurs jours, et la cérémonie du bucher étoit sans doute la pattie Néo-cyclique de la fête, dont 1'erfusion étoit la partie Eno-cyclique. Si cette fête ressembloit a la paque da Judaïsme par sesagneaux, elle ne ressemble pas moins pat son bucher a la paque du christianisme dans laquelle on nous montre un feu nouveau. Chez les Hébreux la fête de paques et celle des tabernacles étoient deux occasions d'un trés-grand concours de peuple a Jérusalem; et les deux fêtes diluviennes des Syriens étoient pateillement 1'occasion d'un trés-grand concours a Hiérapolis. Enfin les deux fêtes mosaïques avoient 1'une et 1'autre a peu de ehose prés un même objet chez les Hébreux, celui de leur passage au travers de la mer rouge et de ses suites; on pourroit donc croire que les deux fêtes du déluge étoient chez les Syriens leuts deux plus grandes fètes, et que 1'une correspondant visiblement a celle des tabernacles , 1'autre devoit cottespondre a la paque des Hébreux .. et faire ainsi une partie de la fête des torches. Au reste ces conjectutes ne sont fondées que sur des analogies qui peuvent nous tromper. II est bon de remarquer qu'en commencant ce chapitre nous avons presque accusé les Grecs d'avoir porté 'leurs usages en Syrië, et qu'en le finissant ce som  4) Levitic. chap. XXIII. vs. 43. Deuteronome , chap. XIV* TS. 14. (2) Plutarque, propos de tabl. liv. IV. quest. 5, 6. (S; Exod. chap. X^IJ,!. iu. Deuteroj!- XV. i3.  r{g , 'A V A N T - 1> R. O P O S.' puisse tious être connue ; c'est un être abstrait et aussi métaphisique que s'il n'eüt jamais existé. D'ailleurs eet homme primitif, quelqüait pu être son caractère, a du essentiellement différer du second dans ses principes et dans sa conduite. Si 1'on veur. s'en convaincre, que 1'on regarde de prés 1'homme échappé aux malheurs du monde , et 1'on sentira que eet homme ne peut point avoir ressemblé au premier; il ne peut point avoir été un homme ordinaire; pour lui ressembler il eüt fallu que le premier se fut trouvé dans une position aussi extraordinaire que la sienne. On verra que cette position a créé pour-ainsi-dire un esprit humain singulier et nouveau , et que 1'affreux spectacle d'un monde détruit a fait sur 1'homme des impressions si étranges et si profondes , qu'il en est nécessairement résülté des principes nouveaux qui ont influé sur sa conduite et sur celle de sa postérité, pendant un grand nombre de siècles. N'est-ce pas une chose bien étonnante que 1'indifférence extréme qu ont eu tous les écrivains pour eet homme échappé aux malheurs du monde ? Lom de le chercher et de le regarder, a peine s'en sont-ils occupés. Le déluge même , cette catastrophe si remarquable de notre planete, n'est sous leur plume qu'un fait isolé , aussitót oublié que raconté ; une inondation du Tibre affecte plus les Romains dans The-Live, que le déluge naffecte le genre humain dans leurs histoires. Ces écrivains ont-ils donc pensé que 1'homme dans ces tems malheureux n'ait été qu'un animal stupide , ou que, semblable a un rocher insensible , il n'ait point gémi des coups qui le frappoient ? Quoi ! le séjour de 1'homme , la terre entière sera détruite, le gente humain sera exterminé, et 1'hcmine qui sur-  AVAHT-PROPOS. f 9 vïvra a un événement si effroyable le verra avec indifférence et avec insensibilité ! Son caractère n'en sera point changé , ec sa conduite ne cessera point d'être la même ! il retournera a son ancien genre de vie ! il cultivera la terre aussi tranquillement qüauparavant; il rebaiira ses villes avec inirépidité, même avec audace! Non, jamais cela n'a dü et n'a pü être ainsi; ceux qui ont écrit Thistpire Sar ce principe rts nous ont donné qu'un roman insensé et dépourvu de vraisemblance. Pour moi, j'ai vu écrit dans la natuie que 1'homme a été vivement affecté et profondément pénétré de ses malheurs; j'ai vu qu'il a tremblé ; j'ai vu qu'il est devenu triste, melancciique et religieux k 1'excès ; j'ai vu qu'il a concu un défaoüt total pour cene terre malheureuse; j ai encore lu dans ce hvre qtie toutes les premières démarches de ï'homme ont é é ré.-léés par ces différences arrections de son ame, que tout ce qui est arrivé par la suite des siècles dans le monde moral, religieux et pohrique, n'a eté qüë la suite de ces démarches' priminves; enfin j'ai reconnu que cette première position de Thomme qui a renouvellé les sociétés, est la vraie porte de notre histoire , et la clef de toutes les énigmes que les usages et les tradirions proposent. C'est donc par le déluge que 1'on doit commencer Thisroire des sociétés et des nations présentes. S'il y a eu des religions fausses et nuisibles , c'est au déluge que je remonterai pour en trouver la source; s'il y a eu des doctrines ennemies de la société , jen verrat les principes dans les suites du déluge; s'il y a eu des législatioHS vicieuses et une infinité de mauvais gouver*rmens, ce ne sera que le déluge que ƒ'en accuseiai; si une foule d'usages, de cérémonies, de coutumes B z  ao AvANT-PB-OP 0$. et de préjugés bizatres se sont introduits chez les hommes et se sont répandus sur la terre , c'est au déluge que je les attribuerai ; en un mot , le déluge est ie principe de tout ce qui a fait en divers siècles la honte et le malheur des nations : hinc prima mali labes. La crainte , qui s'empata pour lors du cccur de rhomme , 1'empêcha de découvrir et de suivre lesvrais moyens de rétablir la société détruite. Son premier pas fut un faux pas, sa première maxime fut une erreur., et ne cessant d'agir ensuite conséquemment a* son début, il n'a point cessé de s'égarer. Ne croyons cependant pas être en droit d'accuser 1'homme et de le reprendre avec aigreur. II n'a fait qu'une seule foute, toutes ses erreurs remontent a une etreur prirriitive qui étoit bien pardonnable. En effet qui n'eut été saisi de crainte dans la position de 1'homme accablé pour ainsi dire sous les ruines de 1'univers; Le déluge qui a été le tombeau de tant de nations a été également le tombeau de la raison et de la philosophie, le tombeau des arts, des sciences, des législations \ il a fallu une longue suite de siècles heureux et paisibles pour les faire reparoitre-, et ces choses sont encore fbibles et peu assurées. Le tems a réparé les désordres physiques que le déluge a produits sur la terre, mais il n'a pu endore réparer les désordres moraux que eet événement terrible a produits dans 1'esprit humain; nos pètes nous ont appris a trembler d'une catastrophe arrivée depuis des milliers d'années, et nos institutions religieuses et politiques se sentent encore des impressions que la terreur a fakes alors sur le genre hurriain. L'histoire de 1'homme, présentée sous un point de vue général, se partage donc naturellement en deux portions : 1'une voilée par la nuk des tems contient les premiers pas des sociétés naissantes, Fauye plus con-  AVANT-PROPOS. il «ue et plus lumineuse montre a découvert ces sociétés toutes fotmées. La première partie doit être la plus instructive et la plus intéressante , elle seule renferme les principes et les causes j la seconde ne contient que leurs suites ou leurs effets. Ces: dans la première qu'on verroit, par exemple, (si on pouvoit la pénétrer) l'origine ttès ignotée de 1'empire des Assyriens, et surtoutde ce royaume d'Egypte dont nos histoires ne nous montrent distinctemenr que les dernières dynasties. Nous ne connoissons par elles que leur décadence et leut des- • rruction; c'est 1'autte partie de leur histoire qui nou» montreroit leurs premiers principes et les dégrés par lesquels ces énonnes puissances se sont élevées sur la terre. La monarchie des Ferses (fondée par Cyrus 538 ans avant notre ère chrétienne, et renversée par Alexandre 330 ans avant cette même ère ) est la première des monarchie dont l'histoire puisse embrasser le commencement et la fin , encore ne peut cn pas dire que l'histoire nous fasse connoitre par-la 1'origine des monarchies; celle des Perses n'a point inventé de nouveaux moyens pour conduire les hommes, elle a trouvé une société déja toute formée ; et pour la maintenir elle n'a fait qu'adopter le système politique des Assyriens. Toutes les monarchies que les siècles suivans ont vu naitre, n'ont fait de même que se copier les unes et les autres; elles se ressembient toutes, et ne différent que par leurs noms. L'histoke de la première et de la plus ancienne seroit donc l'histoire de toutes les autres> si elle étoit connue, elle auroit 1'avantage inestimable de pouvoir nous rendre raison des loix, des principes et des usages qu'elle a établis •, ils ont été suivis ensuite pat les auttes monarchies qui les ayant adoptés, moins par réHexion que par habitude, ne peuvent plus nous en expliquer mies motifs ni les.vues.  AvAUT-PHOPOS; ^3 ment qu'on en a porté eut été moins précipké^ s'il ne convient pas a la raison d'adopter grossièrement des fables, elle ne doit pas non plus les mépriser: tout-afait; d'ailleurs ces fables ou ces énigmes sont les seuis monumens qui nous restent des premiers tems; nous n'en avons point d'autres et 1'on ne peut se dissimuler quïls sont respectables a quelques égards par leur umversalité. Les anciens de qui nous tenons ces traditions que nous ne recevons plus paree que nous ne les-cornprenons plus, ont pu avoir des motifs de credibihre que leur proximité des premiers ages leur donnoit et , que notre éloignement nous refuse. Hs ont eu necessairement suf bien des choses des lumiètes et des instructions dont nous sommes privés; en un mot ils ont eu 1'intelligenee de ce qui nous paroit aujourdhui inmtelligible. II est vraisemblable que les anciens eussent usé de auelques précautions pour nous en transmettre le sens/s'ils eussent pu prévoir que des choses simples et communes de leur tems sembWnt un jour bizarres et extraordinaires. . je me détermine don. a faire usage de ces traditions dédaignées; bien plus je ne veux me servir que d elles pour remplir les vides de 1'histoire et pour porter quelques lumières dans les epaisses ténèbres qui enveloppent encore le berceau des sociétés naissantes. Je m.gnore pas que quelques, écrivains ont deja essayé de mettre en ceuvre les mèmes traditions sans pouvoir y réussir. L'inutilité de leurs efforts neprouve point 1'injpossibilité du succes; on dok plutöt présumer quils s'y sont mal pris, quils n'ont point trouvé le vrai point de vue oü ils doivent se placer; il ne sufht pas de faire d'amples commentaires de chacune de ces traditions , il faut encore étudter quel est leur ordre. et B 4  224 AvANT-FROFOS. leur cv-emble; la difficulté est peut-être plus dans Is méthode que dans la chose même. .Te sais encore que le plus grand nombre des écrivains, ayant renoncé a ces traditions, ont tenté de remonter a 1'origne des sociétés par d'autres voies; des phifosophes, des méraphisiciens , des jurisconsultes ont cru qu'au défaut de l'histoire on devoit consulter les lumières de la raison, et qu'après avoit bien médité sur le caractère et sur la nature de 1'homme, on pouvoit parvenir a deviner ses premières démarches. Si ceux-ci n'ont pas fait une histoire vraie, si même quelques-uns en onr fait d'absurdes et évidemment fausses, plusieurs en ont fait de vraisemblables et de possibles; c est tout ce qu'on peut dire en leur faveur; car on pourra toujours douter qu'ils aient pu parvenir a la réalité en étudiant 1'homme d'une manière si abstraite et si vague. Pour moi , j'ai toujours soupconné qu'une conncissance de ce caractèfe général de 1'humanité étoit susceptible d'erreur, étoit insuffisante, et ne pouvoit conduire qu'a de fausses spéculations sur 1'origine des sociétés. J'ai pensé qu'il devoit y avoir quelques circonstances particuüères et même un certain homihe particulier qu'il faudrcit d'abcrd découvrir par le secours des traditions', afin de pouvoir ensuite, aidé de la connoissance générale qu'on 3 du cceur et de 1'esprit humain, juger de ses ptemières démarches, non comme on a fait jusqu'ici d'après des circonstances générales et indéterminées, mais d'après la position particulière oü eet homme nous seroit montré par les traditions, Un fait et non une spéculation de métaphysique m'a toujours scmblé devoir être le tribut naturel et nécessaire de 1'liistoire; et ce fait, comme je 1'ai dit, ne peut être que le déluge.  AvANT-PROPOS. * » Usages de leurs ancêtres, penner d'ailleurs de les regarder comme une antiquiré vivante et roujours subsistante. Les Chinois d'aujourd'hui différent a peine des Egyptiens, et les sauvages du Canada ressemblent encore aux anciens sauvages de la Thrace. Les usages de ces peuples sont un excellent supplément a ceux de notre antiquité; ils onr aussi des fêtes de commémoration; que nous examinons d'abord séparément cr que nous comparons ensuite avec celles de nos anciens peuples; comme ces fêtes ont aussi tantót des motifs purs, tantót des motifs allégoriques, elles nous fournissene un nouvel objet de comparaison, et la mythologie générale du genre humain se développe et s'éclaircit par les détails conciliés et rapprochés des mythologies particulières a chaque nation. Nous appercevrons souvent qua les mcrifs des usages ont été moins corrompus, et que les allégories sont plus difectes et plus naturelles chez les peuples sauvages et barbares que chez les peuples scavans et policés; aussi ne sera-r-il point rare de voir dans eet ouvrage les énigmes des antiquités Egyptiennes, Gtecques et Romaines, résolues par des Cara'x'bes ou des Mexicains. Le concours de tous les peuples du monde et le tableau de leurs usages, étendent ainsi la sphère de nos connoissances et de nos idéés; 1'antiquité s'cffre a nos yeux sous des aspects nouveaax; on appercoit qu'il y a une nouvelle manière de voir et d'écrire l'histoire des hommes: leurs premières sociétés profondément aftectées du spectacle et ensuite du souvenir des malheurs du monde, les méditent sans cesse; elles eherchent a en éterniser la mémoire par des fêtes et par des usages sans nombre pour 1'instruction sans doute de la postérité. Ces usages sont en vigueur dans tous les tems que 1'on a jusqn'ici appellis inconnus, fabuieux, hé-  \l AvANT-PROPOS. roïques; ensuite viennent les tems connus dans lesquels ces fêtes et ces usages sont pour la plupart altérés ou défigurés, soit par les suites d'une ignotance déja générale, soit par des vues particulières des nouvelles législations. Cependant ces fêres ne se perpétuent pas moins, quoique sous des motifs étrangers ou mvthologiques ; elles sont même encore aujourd'hui célébrées en une infinité de contrées, sans le moindre soupcon de leur objet primitif; le peuple qui corrompt tout sans le savoir, est toujours 1'esclave de ses usages, et y est tellement attaché qu'il a été dans tous les tems plus facile aux législateurs politiques et religieux de changer les motifs des fêtes que de changer ou d'ancantir les fêtes mêmes. L'ANTIOUITE  L'ANTIQUITÉ DÉVOILEE PAR , SES USAGES. ! LIVRE PREMIER. Des ''institutions faibes par les différens peuples fa la terre , pour retraccr la mêmoir& du déluge. CHAPITRE PREMIER. Des hydrophories , ou de la fête du déluge a. Athènes '3 et de la fête de la Déesse Syrië a Hiéropoiis. L LEnom d'Hydrophorie désigne 1'usageoü étoient les Athéniens le jour de cette fête de porter en pompe 1'eau dans des vases et des aiguières en [mémoire du déluge ils alloient chaque année verser certe eau dans une ouverture ou gouffre qui se trouvoit auprès du temple de Jupirer Olympien, et dans cette occasion ils se rapelloient le triste souvenir que leurs ancêtres avoient été subinetgés. Cette cérémonie est simple et très-analogue au sujet; elle étoit très-propre a enrreenir le souvenir de la catastrophe causée par les eaux du déluge. La superstition y mèloit quelques autres Tome ƒ. C  33 VAntiqu'itè dévoilee usages ; la fable ajoutoit encore quelques anecdotes ets détail au motif général de la solemnité. On jertok dans le même gouffre un gateau de farine et de miel (i); c'étoit une offrande pour appaiser les dieux infernaux, c'est-a dire les puissances souterraines a qui les payens attribuoienr les mouvemens de la terre et les désordres de la nature, On les invitoit sans doute par eet hommage a laisser le genre humain habiter tranquillement la terre, et a ne point y ramener un nouveau déluge. On ne leur eüt rien offert si on ne les eüt pas redoutés. L esprit de cette évocation et le sujet lamentable de cette fête faisoient du jour des hydrophories un jour triste et lugubre. Les Grecs le mettoient au rang de leur jour malheureux •, dela vient qu'ils remarquèrenr que Sylla avoit pris leur ville d'Athènes le jour même qu'ils faisoient cette commémoration du déluge. La superstition observe tout, non pour se corrigér, mais peur se confirmer de plus en plus dans ses er-reurs (2). C'étoit, selon la fable, pat 1'ouverture de ce -ouffre , que les eaux qui avoient couvert 1'Attique s'étoient écoulées, elle disoit encore que Deucalion avoit élevé prés de ce lieu un autel qu'il avoit dédié a Jupiter sauveur. La ttadition faisoit aussi remonter jusqu'a Deucalion et atribuoit a. sa reconnoissance envers les dieux, la première fondation du temple de Jupiter Olympien auprès duquel se faisoient ces cérémonies lugubres. Les Grecs,, ainsi que bien d'autres peuples, privés des premiers monumens de leur hisroire, n'ont pu nous montrer les titres de leurs prétentions. Ce- (1) Pausanias. Lib. I. cap. ïS. (2) Vid. Mursii gr.x-c. Feriat. Lib. VI. et Fa^sodi Jcrologia. DecaJ. VIII. rluwrcb. ia Sylla.  par ses usages, Liv. I. Ch. I. 5 y pendant nous ne pouvons nier la haute antiquité de ce temple; on le voit, au moins dans tous les siècles connus, respecté et célébré par les nations payennes, aptès n'avoir été pendant longtems qu'un monument simple et pauvre des premiers ages de la Grèce : Pisistrate le fit reconstruire sur un plan magnifique vers 1'an 540 avant notre ère? toutes les villes et tous les princes de la Grèce contribuèrent encore après lui a 1'orner, a le perfectionner et a renrichir. Les Romains eurent le même zèle; enfin après plus de six siècles de travail presque continu, il fut totalement achevé par 1'empereur Adrien 1'an 126 de notre ère, et ce temple le disputa alors en dignité et en richesses aux plus fameux temples de 1'Orient. L'antiquité de ce monument, le respect que toutes les nations lui ont porté, et le caractère des traditions que 1'on avoit sur son origine, doivent faire accorder a la fête des hydrophories une trés grande ancienneté. Les fêtes en général sont plus anciennes que les temples; et entre toutes les fêtes il ne peut y en avoir de plus anciennes que celles qui ont eu le déluge pour objef, cette fête des Athéniens est donc une des premières du monde renouvellé. II est vrai que comme elle avoit chez les Athéniens le déluge de Deucalion pour objet, et comme bien des gens croient ce déluge moins ancien et différent de celui qu'on nomme universelon se flatteroit de pouvoir a-peu-près déterminer le siècle de 1'institution de cette fête Athénienne par le siècle de Deucalion, qu'on s'imagine conno'itre et que 1'on compte le seizième avant notre ère; mais nous verrons cette •effusion des eaux pratiquée chez rant de peuples qui n'onr jamais connu les noms ni de Deucalion ni d'Athènes, qu'on Sentira ciu'elle nè peut être relative C 2  L'Antlquité dévo'dée qua un fait universel ou universellement connu. ïl est donc inutile de nous arrêter ici pour le prouver d'avance; il setoit plus convenable de chercher k connoitre le canal par lequel cette fête singulière a été communiquée aux Grecs, si le préjugé commun est vrai -que tout leur a éré communiqué ; mais c est un ptoblême trop difflcile a résoudre pour hazarder, en nous y arrêtant, de nous égater dès les premiers pas; remarquons plutót un des caractères de 1'antiquité de cette fête, dans la simplicité de 1'orfrande qu'on y faisoit aux dieux infernaux. C'étoit un des principes des anciens peuples de n'offrir dans leurs sacrifices que des productions de la tetre et non des vicumes sanglantes, lorque leurs fètes étoient relatives a la situation des premiers hommes et aux premiers ages des sociétés. Au reste cette fête se célébroit a Athènes le premier du mois Antisterion (i)qui du tems de Sylla cotrespondoit au premier jour de mars de 1'année romiine. Le désordre qui a presque toujours regné dans les caiendriers grecs et romains , et les réformes même qui'y ont été faites a diverses reprises, ne nous permettent pas d'assurer que le premier de mars ait été la position constante et originelle de cette fête; on peut seulement conjecturer qu'elle a dü être primitivement M Jntkterion étoit le H-.ois des Nechrusia ou fête» funeraire, et des petites Eleusines annuelles. C'étoit le mois de la fète de» mort.; ,1 étO,< léputé tristeer malheureux. Echanim et Thisri sout deux noms du mois de septembre chez le» Hèbreux. II pourroit se faire que le mois Antisterion des Grecs dan. leouel ou appercoit les mêmes fètes que chez les Hèbreux dans ctla. de Thisri, ne fut qu'un nom cor.ompu et compost des rad.ca'es de ces deux norns Ethcrn et Thisri qui donnent Atin-tesri, dont par une leger, Héfthèse on a fait An***, « » tou'""'e «U finaU &"C^* Antisterion.  par ses usages. Lïv. I. Ck. I. dcterminée par une fin ou par renouvellement d'année soit vernale , soit automnale, ou autte (i). Au commencement du printems les Eginetes célébroient aussi 5 et pour le même motif , des hydrophories comme les Athéniens; mais elles étoient suivies chez eux d'exercices et de combats gymnastiques cn rhonneur d'Appollon. Pourquoi des combats dans une telle fête , et pourquoi Appollon en est-il 1'objet > est-ce paree que, selon la fable , c est ce Dieu qui avoit desséché la terre , et qui avoit combattu et tué 1'affreux serpent engendré du limon et des boues. du déluge ? C'est ce qu'il nous sera facile d'approfondir par la suite. Souvenons-nous donc que le culte d'A- (.1) J'appellerai dans eet ouvrage fètes eyc'iques toutes celles qnf étoient attachéeï a une fin ou a un renouvellement d« mois , de saison, d'année, de siècle, ou de tout autre période. Le mot cyclir/ue sera ane épithète générale pour toutes les fètes péiiodiques, sur-tout Io:squ'i! ne s^ra pas bien décidé si leur objet a rapport k une fin ou a un renouvelle.ncnt de période. Si les anciens n'eussent point porté dans Jeurs fètes. une trés grande confusion qui en corrompit 1'csprit et les motifs, ili seroit facile de faire cette distinctiou. Une fère de én de période est triste et funèbre ; celle d'un lensuvellement est consacré» au plaisir et a 1'allégressc : mais comme la fin et le retour d'un cycle s« touchent, et comme les fète» qui consacroient les deux extréme» d'urt période se toushoient aussi et se suivoient, c'est-la ce qui a occasionni, cette confusion dan» les fetes et cett» altération dan» 1'esprit de leur», usages dont nous verrons mille exempies. Lorsque par la cennoisjanea de 1'espnt des usages nous pourrons. paitenïr au véiitable esprit d» ces fetes , a'ors nous nomineren» Eno-cyclic/ues celles qui aurout rapport aux périodes finissans ; et Néo-cycliques celles qui auront rapport aux périodes [commoncans. La fète de 1'effoai'ön de 1'eau a Athènes 3 du être une fète Eno-eycliijue qui prèparoit a une fète Néo-eyclique. Xes Athéniens qui étoient tiistcs au jour de cette effusion avoient donoeonseivé Ie w'ritable esprit de cette fète. Nous verrons d'autres peuple» au contraire affecter une grande joie ce jour-la. C'est que ces dernier» avoient sans doute confonJu 1'esprit de Ja fète Néo-cyclique qui suivoic avec 1'esprit de la fète Eno-cyclique qui piécédoir. Je donne ici le» élém*ns d'une scienci nouyeüe, il doit m'èlre permis de eréer quelquea £ I  UJntiqu'ité dévoitee polion se trouve uni a une des fêtes destinées £ rénouveller le souvenir du déluge (i). II. Nous devcns a Lucien une description intéressante du temple d'Hiérapolis en Syrië , et des fêtes qu'on y célébroit_, entre lesqueiles il y en avoit deux ou 1'on faisoit mémoire du déluge. Leurs cérémonies et leurs fables ressembloient en partie a ce qui se pratiqucit et se disoit a Athènes. On pourroit pour cette fois presque soupgonner les Grecs d'avoir porté en Asie leurs usages et leurs fables dans les tems ou ils y ont porté leur empire. On monrroit de même k Hiérapoüs un abime qui s'étoit ouvert pour délivrer la terre et ceux-ci en donnant la date de 1'effusion des eaux prétendent encore nous en expliquer le sujet. Ce qu'ils en rapportent, tout absurde qu'il est, se trouve néanmoins avoir une singulière analogie avec les motifs des effusions d'Athênes et d'Hiérapolis, et mérite pour cela seul d'être ici rapporté. Nous n'insisterons point sur ce qu'ils disent qu'Aggée et Zacharre ont été les instituteurs de cette cérémonie; la racine d'Aggée signifie fête , celle de Zacharie signifie mémoire, et ces deux noms ensemble signifient fête commèmorative. Les noms de ces prophêtes ont sans doute donné lieu a cette première fable. C'est ainsi que dans les hymnes romaines des Saliens une expression de cette même natute qui dans leur idióme prifnïtif signifioit ancienne mémoïre 3 s'étoit corrompue et personnifiée de facon qu'elle avoit produit un Veturius Mamurïus3 être idéal dont on croyoit chanter 1'éloge (i). La meprise de nos Rabbins ne dispose point a accueillir leur récif, il faut pourtant Fentendre pour en prendre 1'esprit. Comme on fouilloit la terre, disentils, pour reconstruire le temple après la captivité de Eabylone, des eaux extraordinaires sortirent avec force des anciens fondemens, et s'élevant rapidement de quinze coudées sur la terre, alloient la submerger comme au tems du déluge , si les prophêtes, en prononcant le nom ineffacable de Dieu, n'eussent fait rentrer les eaux dans Fablme d'oïi elles étoient sorties. C'est en consêquence de cette tradition fabuleuse, mais ttès-ancienne, parmi les Juifs, que les paraphrastes Chaldéens ont (0 Varro de lingud latind. Lib. V.  par ses usages. Liv. I. Ch. II, JJ intetprété le tirre des quinze pseaumes qui se chantoient a la fête des tabernacles: Cantiqucs de la montée de l'abime 3 ascensionum abyssi (i). Nous ferons aller de pair avec cette fable celle de 1'historien Josephe (2) qui dit que lors des deux sièges de Jérusalem par Nabuchodonosor et pat Tite, la fontaine de Siloë quoique dessécliée s'étoit subitement et exriaotdinairement enflée pour annoncer aux habitans la colère de Dieu et la ruine de leur ville. Cette dernjère particularité nous fait connoitre que 1'éruption des eaux passoit dans 1'esprit des Hébreux pour un phénomêne cyclique, dont ils appliquoient 1'apparition tantót a la fin et tantot au, retour des périodes poliüques et chroniques (3). Cette (1) Nous las nommoni, simplement d'après les Hèbieux Canliquetdes dégrés , rar ce qu'on a traduit par graduum le terme isolé da filndleth , qu'on peut traduire également par ascensionum. llais cel expresiioss toutes seules ne dt'siguent ri.-n clairement. Ce qu'on a pa imaginer, c'est qu'on chantoit ces pseaumes suceessivement sur les, montèes ou dégrés du temple ; roste a sa.vn.ir ponrquoi on les chantoi^ dans eet endroit et de cette manière. Des Rabbins répondroient . C'est qu'a mesure que les.eaux s'élevoient on se retiroit successiveinene, sur les bauteur» voisines , et , s'étant élevées de quinze coudces , on a du cons'truire pour cette raison quinze dégrés pour monter au temple , et cbanter quinze pseaumes. Au reste ces pseaumes sont depuis le 119e. jusqu'au i55e. inclusivement ; presque toua respirent I» deuil ètf'efn ction; que!ques-uns cé'.èbrent mie déiivrance , d'autres soul de niora'e. (2) Vide TösTph de Eello Judaïeo , ld>. V. cap. 26. (3) On 1 pourroit acuter les périodes ou tems aporalyptiques. Erf* ehiel voit dans 1'avenir des eaux qui sortent de dessous la pnrte du temple, et qui forment un vaite torrent. Mai4 nn angc , pour le raslürer , lui dit que ce torrent se dechargera dans la mer , que les eaux deviendront saines , et que les crèatures vivront. Joel dit aussi qua la fin des tems, lorsque ie soleil et la lune s'obscurciront, une fontaine sortiia du temple. Voyez chap. III. Zacharie, chap. XIV , nous offre la mème image. On remarque jusques dans 1'Aposalypse de Sr. Jean , chap. XXII, un grand fleuve qui sort de dessous le temple de Dieu; mais c'est pour faire la félicite de la Jérusalem céleste. Aux jours de xoire déiivrance et de uotre salut, dit Isaïe, chap. XXII, vs. 3 , e» parlaut des iours du Messie, vous puiserez dans une grande joie les.. D 3  S4 L'Antlquué dévoilée nouvelle idee reünie a 1'esprit de 1'une et de 1'autre de ces fables, démonrre pleinement que 1 effusion des eaux de Silon étoit a Jérusalem ainsi qua Athènes et a Hiérapoiis une cérémonie en mémoire du déluge ? Elle proiive aassi que les Hébreux qui font pratiquée sans en connoïtre le motif, n'ont pu la communiquer a des peuples qui étoient a eet égard beaueoup mieux instrurts qu'eux. Cependant d'ou les Athéniens, les Hiérapoiuains et les Hébreux ont-ils tenu eet usage ? VI. II y a si peu d'empreintes du souvenir du déluge'dans toutes les institutions de la loi des Hébreux, qu'on ne peut aucunement attribuet a Moyse la cérémonie de 1'effusion de ces eaux, ni même aucune fête diluvienne. Ces sortes de fêtes sont cependant d'une telle nature que leur origine doit être antérieure a ce législateur lui-même, et doit remonter nécessaiiement aux premiers tems du monde renouvellé; cela nous permet de conjecturer que Moyse a dü les connoïtre, et que^s'il' ne les a point conservées ni consacrées dans sa loi, c'est peut-érre qu'il a jugé a propos de les supprimer pour des raisons que ia suite de eet ouvrage nous développera suffisamment. Plus nous avancerens dans la connoissance des fêtes commémotatives , plus eaux des foncaines du sauveur. Ces expressions n'orrt qu'un sens figuré dans les prop ètes , mais ta lettre et la nature des images n'en exposent pas moins quelles ont été les idéés et les opinions f.imrières des anciens Hébreux. Leur analogie avec les traditions de ce* góuffiet qui avoient Tomi Pt afesorbé les eaux nous fait connoïtre Porigine de ce langage. II est vi'.ible que le souvenir du passé a quelquefois jervi k pcindre le futnr , comme les eaux du déluge , qui ont détruit un monde, on donné lieu au renouvellement d'un autre monde. Voili san* uoute la raison pour laqnelle les éruptións et les effusions d'eaux étoient jrésentées et recues tantót comme des signes beureux , tantót comme «es signes malheureux. Tous les usages cyciiques ont élè eujets a cette siémt alternative d'opiuions.  par ses usages. Liv. I. Ch. II. i% „ous découvritons combien 1'esprit de ces fêtes étoit funèbre et a combien d'abus elles ont donné beu. JNous avons déja remarqué de quelle manière les Syriens se déchiroient dans leurs commémorations •, ce culte batbare étoit bien ancien, puisque Moyse a défendu a ses Hébreux, sous peins de mort, toutes ces incisions et macérations sanguinaires déja en usage chez toutes les nations de son tems. Un dieu terrible et extermmateur avant été, a ce qu'on peut présumer, lobjet du culte commémoratif du déluge, il ne seroit pas étonnant que la plupart des premiers hommes se soient hvres a une religion d'abord austère et funèbre, ensuite barbare et cruelle, enfin absurde et ridicule par 1'altération surven«e dans les usages et les motifs. Moyse sa nation au vrat Dieu, a voulu sans doute la ramener aussi a un culte plus sage et plus doux. Cest probablement pour éloigner des images tristes et dangereuses que ce grand homme a substitué dans ces retes des motifs tirés de l'histoire primitive du genre humain. Si 1'on croit entrevoir dans ces motifs nouveaux une sorte d'analogie avec les anciens , on ne doit 1 atmbuer qu'a la sagesse du législateur; ces Similitudes pouvoient être nécessaires vis-a-vis d'une nation grossicre, attachée a ces vieux usages, et toujours portee a suivre ceux des nations étrangères lorsqu elle y trouvoit quelque rapport avec son goüt et ses préjuges, ce qui devoit souvent arriver: il n'y avoit pas de meilleurs moyens de dompter ce penchant des Juifs, et de leur faire aimer le culte auquel il leur étoit ordonné de se soumettre, que de rendre ce culte relatif a leur histcire particulière, et de motiver toutes les fètes et tous les usages sut des détails choisis dans cette histoite avec assez d'intelligence pour que leurs rapports même avec d anciens motifs ne servissenr qua y attacher la nation pms D 4  56 L'Antiquité dévo'dée étroitement, et a lui rendre le changement de son culre moins sensible. Rien ici ne doit nous étonner ■, combien de fois nous a-t-on montré les condescendances extrêmes que ce fameux législateur et Dieu lui-même ont eues pour cette nation dure et indocile; Au reste ce que nous ne faisons ici que présumer de la conduite de moyse, se trouvera vrai par la suite de plusieurs autres législateurs. II fut un tems, et 1 etude des usages nous le fera connoïtre, Ou quelques chefs de sociétés ont cru devoir faire un secret de la teligion diluvienne , ou la supprimer tout-a-fait comme conttaire a l esprit de la raison et de la sociabilité; vétité que tout confkmefa par la suite. VIL Les fréquentes idolatries des anciens Hébreux justifient ce que nous venons de dire du penchant qui les portoient a se livrer a des usages antérieurs ou étrangers au plan de la législation Mosaïque. Du tems de Moyse même et sous ses yeux ils retournèrent au culte d'Egypte qu'ils sembloient ne quitter qua regrer L'effu sion des eaux est vraisemblablement un de ces usages antiques qu'ils ont repris ou conservé au mépris de leur loi. Cette cérémonie n'étant plus fondée que sur une tradition, a dü nécessairement se corrompre. Ils la regardèrent donc par la suite des tems comme une occasion de réjouissance , tandis que ce n'étoit dans 1'origine qu'une cérémonie funèbre qui le» auroit portés au deuil et aux larrnes s'ils en eussent nettcment connü le véritable esprit. Je dis nettement j paree que divers usages qu'ils pratiquoient encore a la fête des tabernacles et lors de leffusion des eaux , prouvent qu'ils lont cennu ou du moins entrevu : ces usages indiquent encore des motifs pris dans l'histoire de "la nature, et un certain sentiment des anciens malheurs u monde; c'est une coutijme qu'ils ent conservée da  par ses usages. Liv. I. Ch. II. J7 porter a la main des faisceaux de palmiers et de sauter pendant cette fête (i). Ils les agitent et les secouent d'une manière mystérieuse en les élevant successivement vets les quatre vents, dans la crainte , disent-ils, des jugemens de Dieu; s'ils prient, c'est avec une rapidité prodigieuse et un desordre affecté en ftappant sut tout ce qu'ils rencontrent, et en se tournant et se retoutnant comme des gens déroutés; ce qu'ils font pour contrefaire , a ce . qu'ils disent, la vie errante et la démarche de leurs ancêtres, dont toutes les couises et les actions étoient incertaines et précipitées dans les déserts (i) ; sut quoi il faut temarquer que divers peuples anciens ont témoigné la même incertitude , le même ttouble et les mêmes inquiétudes dans certaines cérémonies religieuses : les Siciliens et les Athéniens pour imiter les courses de Cérès cherchant Proserpine (5) j les Egyptiens pour imker Isis dans la recherche qu elle fat d'Osiris enlevé et perdu (4); les Phrygiens a cause de fi) Lèon de Modène. V. III , chap. 7. (2) Voyez l'histoire des Juifs de Basnage , liv. VI , chap. >7 > ParaS5 el les cérémonies religieuses, toni. I. '(3) Les fètes de Cérès , déesse des bW, avoient toutes rapport i 1'ancien état du genre humain , devenu miserable fauie de subs.stance. Bi|¥ se célébroient toutes au tems des sèmailies et de la recolte ; elles avoient aussi rapport aux lég.V.tion. qui avoient civilisè le genre humain ■ r'est ce qui leur faisoit donner le nom de Thesmophones , c estkttttlj&t des hicc. Ceci présente des analogie, singulières avec Ia fête des tabernacles, qui étoit .» une fète co«mèmo.ativo des Hébreux cbe.chant une terre fertüe qui leur éloit promise; 2° une fete de la dernière réco'te Hes fruit".; 5- une fète de la lecture de la loi. Deuteron. XXM. 10. (4) Cette cérémonie se faisoit plusieurs fois l'annee en igypteie, d'Athys vers le milieu de 1'automne, étoit un des jours de la féte de 1» di'.pariti0B et de la recherche d'Osiris. On Ia commencoit le ,7 par les larmes , et Ia nuit du 19 on portoit en proce.ss.on et en crand deuil le ceieueil d'Osiris jusqu'aux bord. de la mer; I on y Laoi, de 1'eau que 1'on versoit sur ce cercueil , et 1'on erio.t en.uit. .ju'Os.ri. étoit «trouvé , «.Wc. djsoient tyt'3 éloit m.u«.ie, et  5° L'Antiquité dévoile'e Cybèle désolée et en-ante après la mort d'Atys. Toutes? les nations payennes faisoient la même chose dans leurs orgies comme pour chercher et appelier Bacchus. D'autres peuples ont eu ces usages bizarres pour des raisons qui ne valent pas mieux que toutes celles-la ; et les Mahométans la pratiquent encore a laMecque, s'imaginant imiter 1'inquiétude d'Agar cherchant ïsmafet Des usages aussi généraux et aussi uniformes , variés seulement par les morifs , ne peuvent avoir leurs principes dans l'histoire particulière de quelques nations; il faut les chercher dans l'histoire générale du genre humain. Mais jettons les yeux sur le pseaume 28 Aff ene Domino &c. que las Juifs , une branche de saule a la main, chantent aujourd'hui dans cette fête en tournant sept fois autour du pulpitre qui représente 1'ancien autel , autour duquel leurs ancétres tournoient de même, selon leurs traditions qui ne disent rien aujourd'hui (1). Quelles images présente ce pseaume ! La voix de Jehovah domine sur les eaux le trés haut a tonné sur les grandes eaux, que sa voix est puissants ! quelleest terrible ! Sa voix répand les feux et les flammes• elle ébranle la terre ; elle découvre les lieux sombres ; Jehovah s'est assis sur le dciuge ■ il sera roi a jamais; il bénira son peuple. Joignons a un pseaume sf visiblement commémoratif, et bien plus analaogue a la cérémonie de l'efrusion des eaux de Siloë qu'aux usages «lora on s'abandonnoi't k la joie. Voyez Plutarque , de Inde et Osiride 61S. Cet auteur, dans tout ce traité'; préteml que tous le» malheurs d'Osiris ne sont qne les malheurs de la terre ; que la défaite de Typhon est la retraite de la raer , et que la vi'ctoire d'OjiWs et de Horus est laierre dècouverte ct desséclièe. (0 Vers le solstire d'Hiver, on imltoit en Egypte la recherche d'Osiris par Isis , en faisant tourner une Yache sept fois autour d'un- tempV Yoycz Plutarquc ibid. parag. 57.  par ses usages. Liv. I. Ch. II. presents par Moyse pour la fête des tabernacles (i); joignons , dis-je, a ce pseaume les fréquens Hosanna qui en faisoient le refrein et cherchons quel est le véritable esprit de cette exclamation si parriculièiement consacrée au septième jour de cette fête, ( sans 1'ordre du législateur cependant ) que ce jour s'appelle le grand Hosanna. Hosiah-na 3 d'oü ce cri est tiré , signifie sauvei-nous de grace 3 sauve^-nous. Les Hébreux en ont fait depuis long-tems un cri de joie et d'allégresse; mais leur erreur est sensible : on ne crie sauvei-nous, que dans la déttesse , et non dans la joie; et cet Hosanna nest en lui-même qu'un cri plaintif, aussi opposé a la joie qu'il est convenable a des fêtes destinées a rappeller la catasttophe lamentable du déluge. Fautil actuellement demander poutquoi les Juifs d'aujourd'hui regardent la pluie qui tombe au jour de cette fête comme un mauvais signe? Pourquoi ils ont dans hdée que Dieu décide en ce jour de la quantité d'eau qu'il veut envoyer sur la terre dans 1'année ? Pourquoi ils vont cbserver 1'état du ciel, la température de l'air, la direction des vents > Pourquoi leurs pères alloient saluer le soleil levant, et pourquoi ils consultent encore la lune ï Tous ces usages sont des suites évidentes fa) Le citre rle re pseaume ( in consummalione cabernaculi ) semble indiquer qu'il a été composé par David , après qu'il eut achevé le tabernacle ; ma,s il y a tout lieu de croire qu'il n'a po.nt eompose ce pseaume'; les titres des pseaumes sont depuis long-tems justement suspectés. Cependant, t.ri qu'ils sont, ils sont trés-anciens, et .1 ne fau» pas les rejetter tont-i-fa.t. Quelquefois il semble qu'on peut en sats.r 1'esprit; dans ce'ui-ci , par «tempte, une raison d'analog.e demande pour titre te rétabüssement du monde aprè, le déluge, et non le .établissement ou la construction du tabernacle. On peut soupconner encore que le tftre po, toit : in consummatione tabernacu. 'lorum; c'est - i - dire , cantique pour la clóture de la fete «es tabernacles.  6o L'Jntlquité dévoUée- et de, effers traditionels des terreurs et des inquiétudesr dont le deluge et le souvenir du déluge avoient rempli iespnr des sociétés renouvellées. Telle doit être la conclusion de tout ce que nous avons vu jusou ici pratique avec plus ou moins de connoissance du véritab e objet chez les Hébreux ainsi que chez les Grecset les byriens (1). Cette analyse des usages des Hébreux dans leur fête des tabernacles détruit Terreur si commune oü Ton est qae es Juifs n ont cette multitude d'usages étrangers au plan de leur législation que depuis leur dernière dispension; ils Ies tiennent de leurs premiers ancêtres qui les tenoiem eux-mêmes cfune source commune oü les autres nations ont également puisé. De-la sont sorties toutes ces ressemblances que nous venons d'appercevoir, et tant d autres sur lesquelles on a si souvent et tou< jours si maladroitement insisté. CHAPITRE III. De F effusion des eaux a Ithome. D'une fête du déluge d'Inaehus dans l'Jrgolide- de quelques autres usages relatifs au même objet. Des fites des eaux chez d'autres peuples. TV Ij-1 ous donnons ici le nora de fêtes diütvtemes a deux fètes antiques, Tune célébrée dans la Messénie et 1 autre dans TArgolide. Les anciens ne leur ont .point attnbué ce motif, mais les connoissances que viennenc (O VJd. Cramer «d Cod. Sueea. pag. i55. Hór. ècS Juif, de Bssnag.. SI. chap. ij, & *  par ses usages. Liv. I. Ch. III. <5r de nous fournir les hydrophories d'Athènes, d'Egine , d'Hiérapolis et de Jérusalem nous rendront déja assez entreprenans pour montrer a 1'antiquité elle-même la vraie raison de ses usages quelle asouvent méconnue. La ville d'Ithome dans la Messénie avoit une hydrophorie qu'elle célébroit sans faire aucune mention du déluge; les habitans appelloient Clepsidre oueau cachée (i) la fontaine ou ils alloient puiser de 1'eaii pour en faire 1 effusion , le jour de la fète de Jupiter Ithomate. On ne disoit point cependant a Ithome ainsi qua Arhènes , que des eaux débordées se fussent autrefois dérobées et cachées par cet endroit •, mais on diü soit que Satume qui dévoroit tous ses enfans , ayart aussi [voulu dévorer Jupiter qui venoit de naitre , on le lui avoit enlevé par surprise pour le confier aux nymphes de la Messénie qui fenlevèrent en secret prés de cette fontaine dont 1'eau servit a le iaver. Ce n est pas trop oser que de traiter de fable le motif de la fête , de fausseté l'histoire prétendue du nom de cette fontaine, et de rendre le tout a son objet véritable et primitif qui ne peut être que le souvenir du déluge. Nous seroit-il aussi facile de découvrir s'il y avok quelque analogie entre ce souvenir et la fable qui en teiioit lieu ? Cette recherche sera dirférée jusqu'a ce que nous soyons parvenus aux fêtes de Saturne motivées sur le déluge par les Thessaliens : néanmoins nous pouvons d'avance rappeller aux gens insttuits de la mythologie, que Saturne passoit pour un dieu qui présidoit a la succession des tems, aux révolutions des années et des périodes j que ses fêtes pour cette raison étoient déterminées a Rome pour i'ouverture de 1'année (i) Pausania., , Ut. IV, chap. 53. Mythologie dï Bannier, t.m. f. 35i, td. ia-ia de 1739.  61 UAntiquité dévoilée solaire en décembre, et par celle, de 1'année civile en mars. Ainsi nous devons quelquefois rencontrer ce dieu dans notre carrière, et lui voir jouer un röle dans les fètes commémoratives des grands périodes changés et du monde renouvellé. Cette naissance de Jupiter, objet vulgaire de la fête des Messéniens, ne seroit ainsi qu une allégorie de la naissance des tems et d'un nouvel ordre de choses après le déluge; vétité dont on ne peut guète douter. II. Ce qui semble avoir porté les Messéniens a choisir 1'allégorie de Jupiter enfant ptéférablement k tant d'autres qu'ils pouvoient prendre , et que d'autres peuples ont pris , c'est, k ce qu'il paroit, le nom de la ville d'Itkome oü se célébroit la fête dont nous patlons. Ithome dans la langue oriëntale de ces tems signifioit un enfant et même enfant privé de son père, ou un orphelin. Peut être aussi cette ville a-telle recu ce nom de la fête même de cet enfant allégorique. Le motif vrai et primitif de cette solemnité a pu donnet assez de célébrité a cette fête dans des certains ages , pout que celui qu'elle consacroit et oü elle occasionnoit un concours de peuple , ait pu prendre un nom relatif a ses usages. La ville de 1'enfant dont on faisoit la mémoire, sera ainsi devenue la ville d'7thome, c'est ce qui est assez vraisemblable (i). Si par la suite la fable a ajouté a 1'allégorie que cet enfant avoit été caché prés la fontaine Clepsydre 3 ou eau cachée, le nom de cette fontaine en est visiblement la cause ; mais ce nom ne doit nous indiquer que quelques traditions semblables a celles d'Athènes et des au- (i) La fète de Jupiter Ithomatt on les Ithomèes avoient beaucoop de célébrité dans la SJstsénie. On y proposoit des prix aux chaiuics et l«ux inujiciens.  par ses usages. Liv. I. Ch. III. 6$ tres villes sur les eaux du déluge cachées et absorbées sous terre, ou sur quelques cérémonies inconnues relatives a ces traditions. Si cette même fable dit encore que Jupiter enfant fut lavé dans cette fontaine , eest que pat la suite des tems la superstition qui suit toujours 1'ignorance d'un pas égal et constant, a changé toutes ces eaux commémoratives en eaux putificatoires et même expiatoires. III. Le motif vulgaire de la fête célébrée dans 1'Argolide étoit 1'enlèvement de Proserpine par Pluton; 1'usage étoit de jetter des torches ailumées dans une fosse profonde, paree que la fable disoit que c'étoit par cette ouverture que le dieu infernal avoit dispara avec la fille de Cérès (i). Nous ramenons cette fète au déluge, paree que cette fosse étoit toüte voisine d'un temple consacrée a Neptune , en mémoire de de ce que ce dieu avoit délivré la contrée d'un déluge. Voici le fait, ou plucót la fable qui enveloppe le fair. Du tems d'Inachus, Neptune et Junon en dispute sur la souveraineté du pays d'Argos, prirent Inachus poun juge : il prononca en faveur de Junon. Neptune iirité voulut s'emparer pai* la force de ce que le juge- (1) Pausan. lib. IJ. cap. aa. II y a deux villes d'Ar^os dans la Grèce; Tune dans le Pé'oponèse , eest la plus illustre ; 1'autre surno-inmèe Ampkilochium au nord dp PAcarnanie , et proche du Jleuve Achelous. Chacune de ces deux ville» avoit son fleuve Inachus, nom d'un ancien roi : Ia source de 1'Inachus d'Argos Amphilochium est, ninsi rjue celle de TAchelons , nu sommee des montagnes de la ÏThessalie , contrée fameus© par ses tia h'tions du déluge. On pourroi: , avec quelques autears ; placer prés de cet Argos le théatre de la colèrc de Neptune; d*un autre cote , 'toute Ia mythologie nous montrs la familie d'Inachus dans le Péloponèsé ; si je me dérermine pour 1'Argos de cette denaière contrée , c'eat par ce ■ oc obre S,.l„„ i ,. "yae, au mois de |uin, jadis oc o„re. Selon quelques autre,, 1'eau rosé doit être jeltée 'e 3o behman , bUi^Jy^T *'T "tte ■**«»•»-'• «*P"»'q«. è Ispa- tom! TyPZ 'erCUeil t" T°yageS ^ 'a Wffig* d«« I»aes oriënt, pa" 57'o P!,§e ^ " géaéwle de' v°yaS« , tome XYIH,  par ses usages. Liv. I. Ch. III. 73 poïtes jusqu'aux toirs, les maisons sont alors décotées de rameaux et de branchages; on se fait réciproquement des visites sans se jetter de 1'eau; mais la jeunesse monte sur des gondoles très-ornées et construites en forme de dragons; elle court ca et la sur les fleuves et les rivières en criant et répeunt souvent Peirun, Peirun; tandis qu'une partie semble occupée a chercher ce Peirun, 1'autre se joue sur 1'eau et s'y exerce ; les gondoliers luttent de force, de viresse et d'adresse, et les vainqueurs recoivent des prix. On reconnoit-la un peuple policé jusque dans ses plaisirs , et qui a su mettre de 1'agrément et de 1'utilité dans les usages grossiers qu'il tenoit de ses ancétres. Par les motifs que les Chinois donnent a cette fète nous allons nous appercevoir néanmoins que ce peuple qui se vante de 1'antiquité et de 1'exactitude de ses annales, ne connoit guères les motifs de ses usages, et qu'il n'en a que des idees mythologiques et confuses comme tous les autres peuples de la terre. Quelques écrivains Chinois placent 1'origine de la fête des eaux au troisième siècle qui a précédé notre ère (1). Sous le règne de Ugan Vemg II3 trente-quatrième empereur de la troisième dynastie, un mandarin de Chang-Cha-Fu, ville de la province de Hunan, eut, disent-ils, le malheur de se noyef; les habitans pleins de vénération pour lui, accoururent tous pour le secourir-, ils le cherchèrent long-tems , et leurs soins avant été superflus , ils voulurent éterniser leur douléur et la mémoire de ce magistrar 3 en courant de même tous les ans sut les rivières pour le chercher encore et pout 1'appellet par son nom. Ce récit, quoique trés- (1) Histoire de Ia Cuine du P. du Halde. Hist. gcnèr. des voyagcs, lom. V. p. 73.  74 L'Antiquité dévoilée circonsrancié et assez historique, est cependant contreUit; plusieurs prétendent que ce ne fut pas le mandarin qui se noya, mais que ce fut sa fiile qu'il aimcit tendrement; qu'on la cbercha vainement, et que la fète fut msutuée pour ccnsoler ce père malheureux Cette histoire est la même sur laquelle est aussi mopvée !a fameuse fite des lanternes qui se célèbre par toute Ia Ghme au tenouvellement de 1'année; mais il nest pas vraiscmblable qu'un fait qui n'a dü intéresser dans son tems que les habitans d'une seule vifle soit le menf-de deux fêtes aussi cèlébres et aussi générales; jettons donc les yeux sur un autre inotif que 1'on en donne encore, celui-la sera peut-être plus intéressant paree qu il est plus mythologique, et qua la Chine, comme dans bien d'autres contrées , la mythologie est souvent bien plus instructive que ce qu'on appel le l'histoire. Ce Peirun dont le nom retenrit durant la fète des eaux, étoit, suivant quelques traditions, un rei J.isteet vertueux, souverain d'une iie rrès-riche et trèsfertile; ses sujsts piongés dans les délices et dans 1'abondance devinrent si méchans et si corrompus, qu'ils attirèrent la colère du ciel, er l'ife entière fut abimée dans la mer. Peirun, aimé et chéri des dieux, en fut averti; il se sauva dans une barque, er s'étant retiré dans une autre contrée avec sa familie, il disparut, sans qu'en air jamais pu savcir ce qu'il étoit devenu (i). Or c'est suivant cette dernière tradition qu'on le cherche et qu'on 1'appelle depuis ce tems tous les ans a Ia fète des eaux dans toute-la Chine et dans tout le Japon. On ne donne point Ia date de ce fait. Ce récit si semblable a celui des Chaidééns sur 1'en¬ en Ksmpfer. Wt> ^a Jap™. Hf, Hl. caap. 3. et lappend, pararr. 3. Cerem. re:g. torn. V et VI.  par ses usages. Liv. I. Ch. III. 75 lèvementde Sisukrus après le deftige (1) doit fixc-r ici nos idéés sur ces fêtes des eaux , déja motivées chez les Fersans, sur le souvenir d'une grande pluie. D'ailleurs cette fète presente a la Chine et au Japon le spectacle cornmémoratif des PIébreux sous des berceaux a la fête des tabernacles; celui des Egyptiens et des Grecs dans leurs recherches annuclles d'Osiris, de Bacchus , de Proserpine, &c. C'est une forte présomption que l'histoire du mandarin et de sa fille n'est qu'une fable datée et qu'une allegorie chinoise du même genre que celle de Cérès et de Proserpine. C'est a ceux qui conncissent la langue chinoise a dierder dans la signification des noms de ces personnages la confirmaticn de ce soupcon (1). Enfin on peut encote remarquer que la fête des eaux et des aiguières étoit fixée au renouvellement d'année chez les anciens Perses, et que la fête du hoorei an a la Chine, se motive ainsi que la fête des eaux sur l'histoire ou la fable d'un mandarin et de sa fiile. IX. Lotsque ces peuples pessesseurs d'un usage nous en rendent raison , comme les Chinois, par de doublés motifs, les uns obscurs ou faux, les autres lumineux et plus vrais, ils nous offrent par-la diverses ressources pour parvenir aux principes historiques et naturels de cet usage; mais il drive aussi quelquefois qu'un, usage s'étant multiplié chez un même peuple et ayafrts produit divers usages paree qu'il y a pris plusieurs (1) Euseb. pro-parat, evangelie. IS» X, cap. 12. (2) C'est sans «ont* une t&iérité d'expliqner un mot cbino.s par un mot phe'nicleV; mai, en a.tendaut.une interprétation plus lég,,™,-, on peut faire obserrer qu'en phénirien Peirun pent sign.fier celu, fl ouwe «pertor, janitor , racine pdar. Ce Peirun est peit-ètre un Janus chinois, comme Peor étoit un Janus phémcen. Ceux qui en. réré sur la mythologie du Janus romain , ont cru y reconnoitre ïïoé.  7 6 L'Antïquité dévoilée formes , nous foufnit encore par-la de nouveaux moyens pour remonter aux sources primitives. Tel peuple qui ignote le motif d'un de ses usages pratiqué d'une certaine manière, le connoit dans une autre occasion oü il le pratique d'une autre manière ; ce n'est pas que son usage alors soit plus simple oü plus pur, ce n'esr qu'un effet de la bizatrerie des canaux traditionnels , sur lesquels on pourroit beaucoup parler, et ne faire cependant que des raisonnemens faux ou superflus. Les Peisans modernes, qui ne songent nullement au déluge dans leur fête de 1'effusion de 1'eau rosé , vont nous montrer une autre fête, une autre espèce d'effusion dont ils savent que la mémoire du déluge est le motif; cette dernière cérémonie jettera le dernier coup de luraière sur les fètes du Pégu, de la Chme, du Japon, ainsi que sur la première fête des Persans et des Arméniens dont nous avons parlé. C est une chose assez singulière , que de tous les peuples modemes qui occupent les contrées connues de notre histoire ancienne, les Turcs et les Persans soient les seuls qui aient une solemnité nommément destinée a la mémoire du déluge; elle n'est point chez eux de 1'nistitution de Mahomet; ce conquérant 'législateur n'a érabli aucune fête dans sa religion, celles qu'on y célebre ne proviennent que de la dévotion des peuples et de leurs anciennes habitudes. II seroit trés - difficile de connoitre par quelle ehaine cette fête diluvienne s'est transmise jusqu'a ces peuples; c'est au moins un préjugé certain que ceux qui les ont précédés ont eu de ces sottes de commémorations. Une fête qui a un motif de cette nature-, ne peut être nouvelle, ni d'institution récente. Les Mahométans prétendent retenir cette fête de Noé , mais voila de la fable, ou au moins de l'histoire fabuïeuse. Ils appellent Ie déluge ïérupüon du four  par ses usages. Liv. I. Ch. III. jy de Cupha, ville d'Arabie (i). Ils disent que c'est de-la que les eaux comraencètent a sortii par le four d'une pauvre veuve; que la terre parut ensuite percée comme un crible; que les sources en sortoient a gros bouillons, et que, s'élevant par mille jets, elles retomboient sur la terre en forme de pluie avec les nuages du ciel. La commémoration de cet événement se fait au renouvellement de 1'année arabe, c'est-a-dire au mois sacré de moharram: les dix premières nuits de ce mois sont réputées trèssaintes: dans 1'alcoran, au chapitte de Xaurore, Dieu jure par ces dix nuits, comme Jupiter juroit par le Styx. La fête se célebre ou plutót se tetmine au dixième jour de ce mois; elle n'a chez les Turcs tien de bien remarquable ; ils consacrent ces dix jouts et ces dix nuits au jeune et a la prière, et les regardent comme un tems redoutable auquel Dieu exerce ses jugemens (2). X. Cette fête est bien plus solemnelle en Perse oü elle ne le cède qu'a la fête du sacrifice de la Mecque qui est la plus gtande de celles de la religion mahométane. Selon les Petsans c'est au dixième jour de moharram que le déluge a commencé , que Pharaon a été submergé, et que Jonas a été jetté a la met. Ils ajoutent encore qu'k pareil jour Hénoc fut enlevé, Sodome fut brulée, David mourut, 1'alcoran fut envoyé du ciel, et enfin que c'est en ce jour que Husseia , fils d'Aly, fut tué a la bataille de Ketbela par les sectateuts d'Omar(3). L'esprit funèbre d'une fête diluvienne est, sans doute, ce qui a chatgé ce jour de tant d'é- (1) Voyages de Chardin , tom. V, p. i53, torn. VII, p. 435, et torn. IX, p. 218 et 232. (3) Voyez biblioth. oriënt, au mot Aschour. (3) Biblioth. oriënt. Voyez au mot Houssain. Voyagej de Chardin t tom. IX. p. 276-285. Cérém. relig. to n; V. La bataille de Kerbela est de 1'an C80 de notre èr« vulgaire. .  ~8 L*dntiquué dévo'dce vénemens funesres er extraordinaires, et qui a noifci 1'imagination des Persans. Cette bizarrerie qui a son principe dans une superstition très-ancienne, n'a setvi chez eux qu'a diminuer 1'inrérét de 1'événement primitif; la dernière anecdote de leur legende les touche plus que toutes les autres, et ils ne semblent ajourd'hui affectés dans ces jours solemnels que de ia mom du nis d'Aly; c'est donc cet Hussein qui recoit tous les honneurs de la fête , et qui en est regardé actuellement comme 1'objet principal. Mais nous n'avons pas le même intérêt que les Persans a nous méprendre. Les Turcs eux-mémes n'en sont poinr les dupes, puisqu'ayant la même fête, ils maudissent Aly, son Sis et sa doctrine. Nous savons d'ailleurs le peu de cas que 1'on deit faire des motifs que la plupart des nations allèguent de leurs usages, et nous savons que ce sont les usages qui, presque toujours, doivent être interrogés. Quoique les dix jours et les dix nuits de cette fête soient les premiers jours et les premières nuits du renouvellement de 1'année arabe, tems que presque tous les peuples du monde cousacrent a la joie; les Turcs jeunent alots ainsi que nous 1'avons dit, et chez les Persans, tout teprésente un anniversaire de larmes et des lamentations exttavagantes ; les rues et "les places sont tristement décorées de lits de parade, de cercueiis etdeteposoirs funèbres. Les Egyptiens, les Phéniciens et les Grecs en faisoient autant Pour Osiris , pour Adonis et pour Bacchus , bien des siècles avant la naissance et la mort du fils d'Aly; ils le pratiquoient de même dans les termes chroniques de la chüte et du renouvellement des saisons. Chez les Hébreux le retour de 1 année civile étoit aussi un tems de jeünes et de larmes. Ispahan est actuellement dans le deuil et la tristesse ainsi qu'étoient alors Memphis, Tyr et Athènes ; les austéricés  par ses usages. Liv. I. Ch. III. 79 et les pénitences y changent aujourd'hui tous les usages; c'est le tems des gtandes aumönes; on se fait sur-tout une dévotion particuliere de présenter de 1'eau a tout le monde, d'en offrir aux pauvres, aux étrangers et aux passans les plus inconnus; les uns payent des porteurs qui vont en distribuer dans tous les quartiers; d'autres placent devant leuts portes des cuves et de grands vases oü chacun puise en liberté; les nuits se passent a veiller, et 1'on n'entend par-tout qu'un chant plaintif et lugubre. Ce qui paroit le plus extraordinaire aux voyageurs, c'est qu'on mêle a cette dévotion si lamentableles mascarades les plus étranges, on y pousse des hurlemens affreux; et des gens armés de toutes pièces , comme pout un jour de combat, entrent en fureur, et semblent représenter les orgies. Ces usages si discordans, sont, suivant les légendes persannes, relatifs aux divers accidens de la vie et de la mort du fils d'Aly , mais leur étroite relation avec les fêtes les plus antiques, leur liaison connue avec la mémoire du déluge et avec les hydrcphories, rappellent cette fête a sa véritable origine. Les Chinois , dans leur fète des eaux \ appellent Peirun qu'ils disent avoir été enlevé; c'est au deuxième jour de la fête persanne que les Arabes prétendent qu'Hénoch fut enlevé ; bien plus, les Persans disent qu'Aly, le père de leur Hussein, a été enlevé aussi et doit revenir a la fin des tems. Dans ce cahos de traditions on ne reconnoit pas moins qu'il n'y a par toute la terre qu'une mythologie; celle d'Aly et de son fils Hessein est ici un exemple moderne des causes diverses qui, chez chaque peuple, ont, de siècle en siècle, altéré les motifs des premières commémorations. On sait d'ailleurs que les dix premiers jours des mois, et parriculièrement le dixième, étoient déja consacrés au jeune chez les Arabes avant ia venue de Mahomet  So L'Antiqü'ué dévoüée et la connoissance de sa religion(i). II en étoit, sans doute, de ce dixième jour du ptemiermois des Arabes, comme du jour des expiations chez les Hébreux qui arrivoit le dixième jour du premier mois de 1'an civil. Ascor ou Aschour signifioit dix dans les langues orientales ; Aschour est le nom que les Turcs et les Persans donnent a la fête commémotative dont nous parions. Les dix premiers jours de 1'an civil étoient aussi destinés a la pénitence chez les Hébreux. Le premier jour se célébroit par le son des trompettes; les Juifs modernes prétendent que ces trompettes les avertissoient de songer et de se préparer au jugement; les jours qui suivoient jusqu'au dixième se sanctifioient par la retraite et par des actes de pénitence qui préparoient a la fête des expiations , ou despardons comme ils 1'appellent maintenant. Nous avons déja dit que c'étoit le seul jour de 1'année oü le grand - prêtre pouvoit entrer dans le sanctuaire , et celui oü Dieu se manifestoit d'une facon plus sensible et plus particulière dans son temple. Selon toutes leuts traditions, c'étoit un jour de larmes et de terreuts : en effet, leur loi, sans en alléguer de motifs , leur enjoignoit de s'afrliger dans cette fête ; encore aujourd'hui ils veillent toute la nuit dans leurs synagogues , revêtus pour la plupart de draps et d'habits mortuanes; ils se frappent la poitrine, ils se donnent la discipline, et se patdonnent réciproquement les offenses comme s'ils étoient proches de la mort ou de la fin du monde ; mais ils observent rous ces usages sans les rapprocher du déluge, comme les Arabes, les Turcs et les Persans. La fin de la fête des expiations est aussi la fin de toute cette tristesse; la joie succède a ce ton li gubre, on change les babits mortuaires pour des habits («) V. biblioth. oriënt, au mot Aschour. blancs,  par ses usages. Liv. I. Ch. III. Si "blancs, et chacun fait alors ses provisions de feuillages pour cornmencer le quinze du mois la fète des tabetnacles et celle de 1'effusion des eaux de Siloë, que nous avons reconnue être une cérémonie établie en mémoire du déluge (i). XL II est singulier que toutes les fêtes du déluge, que nous avons jusqu'a présent reconnues chez tant de nations divetses, nous aient toujours constamment ramenés aux fêtes des Hébreux, et que cependant la religion et la législation de ce peuple ne soit nullement diluvienne: tout cela ne peut que forti fier le soupcon qu'il y avoit avant Moyse une religion commémorative du déluge, commune a tous les peuples , et dont il semble que ce législateur n'a fait que réformer 1'objet et 1'esprit pout sa nation , sans toucher d'ailleurs aux usages, et en se contentant de quelques changemens dans 1'ordredes fêtes. Nous jugerons par la suite de ces changemens; ils sont tels que 1'ordre des fêtes juives , considérées uniquement comme diluviennes j seroit confus et bizatte, et qu'il n'est exact et régulier , que relativement a 1'esptit mosaïque. Quoique ce soit signe évident que le plan mosaïque et le plan diluvien ne sont point les mêmes, malgré la similitude de leurs usages, cependant I'analogie de leurs motifs, malgré la différence de leurs objets, peut quelquefois nous servir a découvrir quel a été fesprit des usages diluviens auxquels ils correspondent ie plus. II semble donc ici, que dans ces fêtes établics pout cc nserver la mémoire de 1'ancienne destruction du mende, célébrées tantot a la fin, tantot au renouvellement des années, 1'esprit de la religion de ces premiers tems a^t été non-seulement de rappeller aux hommes le souvenir j(f) Leon de Modène , liv. III. ch*p. 6, Lome I. F  Si UAntiquité dêvóilée du passé, mais encore de tirer de ce passé des Ieccns inS-' uuctives pour le futur, et d'entretenir dans les hommes une crainte morale et salutaire, en les avertissant, surtout au déclin des périodes, que la durée du monde renouvellé dépendoit de la volonté de celui qui 1'avoit déja détruit; qu'il pouvoit encore le détruire s'il jugeoit a propos d'arrêter le cours des années et de finir les tems, et qu'ainsi 1'homme devoit toujours se ptéparerè. ce jour temble. Une partie des usages que nous avons parcourus jusqu'ici, sur-tout ceux qui ont le plus d'analogie avec les usages des Hébieux expliqués par la loi orale et non par la loi mosaïque écrite, semblent dériver de ce plan d'instruction. Si la religion prenoit pour ses lecons le déclin et le retour des années, ce n'est pas qu'elle s'imaginat que chaque fin d'année ou de période püt amener la fin du monde : c'est que toutes les révolutions chroniques étoient des occasions naturelles de tenir un tel langage aux hommes. Mais nous verrons par la suite qu'il a été ptis a la lettre; que les nations obsédées de fausses terreurs, ont donné en conséquence dans des excès si bizarres et si dangeteux, que des législateurs ont cru devoir enfin employer tout leut crédit et toute leur puissance pour ramener le calme et la raison dans 1'esprit des nations. Ces faits ne sont point écrits dans l'histoire , mais nous les trouverons écrits dans les usages.  par ses usages. Liv. I. Ch. IV. |j CHAPITRE IV. Vzstiges £ usages hydrophoriques dans plusieurs fêtes anciennes et modernes. T outes les hydrophories des anciens n'étoient point,' comme nous avons vu, aussi distinctement motivées sur le déluge, les unes que les autres; plusieurs prenoient des motifs allégoriques , dont nous avons ou entrevu ou appercu le sens: elles prenoient encore des motifs étrangers, qui, dans 1'examen que nous en avons fait, ont aisément cédé, pour la plüparr, aux motifs vrais et primitifs. Les anciens avoient encore un grand nombre d'autres fêtes dans lesquelles 1'usage que 1'on, faisoit de 1'eau, ou bien des pélerinages et processions que 1'on faisoit vets les rivières, les Heuves et les mers, semblent indiquet que ces fêtes avoient autrefois appartenu aux anciennes commémorations diluviennes. Nous n'entreprenons point de présenter ici toutes les fêtes dans lesquelles se pratiquoient d'ailleurs divers autres usages ; plusieurs se présentercnr d'elles-mêmes dans Ij -cours de cet ouvrage; nous nous contenterons ici de jetter un coup d'ceil sur quelques-unes. La Grèce n'avoir rien de plus sacré que les grands mystères qu'on célébroit a Eleusis le i y du mois Boe■d'vmion. Chez les anciens, les mysrères étoient un amas de cérémonies secrettcs et d'instructions, qu'on ne communiquoit qu'a un très-petit ncmbre de personnes choisies; tout ce que le peuple en savoir, c'est qu'ils avoient rapport a l'établissement des icix et de 1'agncuiture qui avoient rcndu les hommes sociables, beureux et tranauilles , de sauvages, errans et ïiiicérables au ils étoient  $4 L' Antiquité dévoUét autrefois. La célébration de ces mystères duroit ïiëuf jours; et pour ne parler ici que des usages qui semblent relatifs a notre objet présent, on alloit le second jour sur les bords de la mer; le neuvième et dernier jour, on portoit en pompe deux vases remplis d'eau, qu'on déposoit ensuite a tette en observant d'en placet un a 1'orient et 1'autre a 1'occident ; alots on élevoit les yeux vers le ciel, puis on les ramenoir vets la terre, d'abord ptononcant quelques mots barbares et mystérieux, et ensuite quelques paroles d'heureux présage, après lesquels on renversoit les deux vases dont 1'eau s'écou— loit pat une ouverture; c'étoit le dernier acte de la célébration de ces mystètes (i). Dans la procession pompeuse et solemnelle qui se faisoit a la fête des grandes Panathénées , depuis la citadelle d'Athènes jusqu'au temple de Cérès Eleusine» une partie des femmes portoit des vases propres a puiser de 1'eau, les jeunes filles portoient des corbeilles; toute la jeunesse étoit armée , les vieillards tenoient des rameaux dans leurs mains, et tout ce cortège suivoit en habits blancs un vaisseau qu'on trainoit sur tetre avec des machines; c'étoit aux agrêts de ce vaisseau qu'étoit suspendu le voile de Minerve sur lequel la victoire des dieux sur les géans étoit représentée en broderie. Plutarque dit qu'anciennement c'étoit 1'usage de pottet un vase rempli d'eau aux pompes des bacchanales. Les canéphores, c'est-a-dire les filles qui portoient les cotbeilles, marchoient ensuite (i). II. On dit que les Egyptiens avoient un dieu Eau, et qu'ils le représenroient par un vase que 1'on rem- f^i) Ablientr. lib, XI. cap. i3. J. Meursii Eleusiiüa. cap, 3o. J. Jonstc-Ti Schediasma de Fest. Grcecor. (2) /. Meursii Penadien. Vlutarch. de Itide el Osiride.  par ses usages. Liv. I. Ch. If. 8y plissoit d'eau a de certains jours, que 1'on ornoit avec soin et que 1'on placcit sur une espèce d'autel ou d'es^ trade pour 1'exposer a la vénération des peuples; alors tout le monde venoit se prosterner devant cette eau en levant les mains au ciel; et 1'on remercioit les dieux des biens que cet élément procuroit. Ou les auteurs qui nous ont fait ce récit, ou les peuples qui ont aclmis ce culte se sont ttompés; ce récit ressemble a une cér ïémonie commémorative : mais il a pu arriver, soir par un eJïet de la supersrition, soit par un effet du mystère que 1'on jettoit sur la plupart de ces usages, que ces commémorations ayent peu-a-peu dégénété en une pure idolatrie dont 1'eau sera devenue 1'objet (i). Dès les premiers tems connus de l'histoire on appercoit que les nations avoient déja. des solemnités trèsformelles qu'elles alloient célébtet sur les bords de la mer ou des fleuves.. Homère , et depuis lui Diodore de Sicile et Pausanias, ainsi que d'autres écrivains patiënt des fètes des Ethiopiens, des Egyptiens et d'autres peuples de 1'Afrique, dans lesquelles on portoit en procession les statues de tous les dieux sur les rivages. Ces fêtes duroient douze jours ; c'étok, disoit-on, le tems du banquet des dieux et des habitans de 1'Olympe; paree qu'on faisoit des festins en leur honneur, et qu'on leur offroit des tables toutes couvertes de toutes sortes de mets. La dévotion des peuples présentoit ces mets a ces divinités, et leurs prêtres les mangeoient sans doute a leur intention, comme les prêtres de Bel faisoient a Babylane, Les Egyptiens et les Ethiopiens pensoient que dans ces fêtes épiphaniques, les dieux venoient réellement se récréer chez eux et avec eux , en mémoire de ce qu'ils avoient trouvé un azile dans leur pays du (O ruruvius, lik rui, E 3  86 L'Antiquité de'voile'e tems de la guerre des géans. L'histoire ou la fable des géans qui se présente si souvent tiendroit elle par quelqu'endroit aux fêtes instituées en mémoire du déluge? Les Japonois ont encore de même que ces Ethiopiens , une fête annuelle pendant laquelle on suppose que tous les dieux sont descendus sur la terre. Cette fête dure un mois , qu'ils appellent le mois de Favent, ou de Varnvét des dieux; on leur fait alors des festins conrinuels dans le palais dü Dairi ou souverain pontife, ou 1'on assure que ces divinités se rassemblent; cependant il ne se fait en cette occasion aucune cérémonie sur le bord de la mer, dont le palais du Pontife est éloigné. III. Après le solrice d'hiver les anciens habitans de 1'Inde descendoient avec leur roi sur les bords de 1'indus; ils lui sacrihoient des chevaux et des taureaux nous, signe d'une cérémonie funèbre; ils jettoient ensuite dans les eaux un boisseau a mesurer le grain , sans qu'on en sache le motif. Personne n'ignore la profonde vénération que les Indiens modcrncs ont pour le Gange (i). Les anciens peuples d'Italie nommés Aio'rigenes , se rendoien: une fois 1'an sur les bords du lac de Ciïtilie; ils y faisoient des sacrifïces et y célébroient des mystèrés ou des cérémonies secrettes: il n'étoit point permis d'approcher de ce lac dans aucüri autre tems (2).. Peu après I'éqüïnöxë d'automne on voyoit a Rome Les pontifes marcher vers les rives du Tibrè accompagnés de vestales gardiennes Au feu sacré; la ils faisoient des sacrifïcesexpiatoires a Saturne, ce iïsüc'RrbTiiqxe. Dans les premiers tems c'étoient des hommes ()) V. Vhilos;;a:es in vitd Appollon. Thyan. ('-•) Di-jriys. ïlaiicarnass. lib. I. cap. 2.  par ses usages. Liv. I. Ch. IV. "87 qu'on lui immoloit et qu'on jettoit dans le Tipte; pat la suite un culte plus doux leur substitua de petites figures ou poupées qui eurent le nom d'argées (1). La plupatt de ces fêtes ont un rapport visible avec la fin et le renouvellement des périodes et des tems,; anssi peut-on remarquer que les priircipales cérémonies des jeux séculaires, c'est-a-dire des fêres du retour des siècles, se célébroient encore a Rome sur les bords du Tibre On prétend que les Egyptiens, long-tenis avant les Romains, avoient aussi la cérémonie cruelle de se rendre au bord du Nil, et d'y noyer solemnellement une jeune fille (2), Le même usage subsiste, selon quelques relations, dans une üe des Indps orientales dont les habitans précipitent une jeune fille dans la mer au septième mois de leur année. Ce terme Cyclique est digne d'êrre remarqué (3). Si tous ces usages dérivent du culte rérabli en mémoire du déluge, il paroit qu'en 1'a rendu bien cruel: voici un autre peuple qui 1'a rendu ridicule: au royaume de Saka en Afrique la plus grande sciemnité se célèbre sur les bords de la mer; le roi lui-même y préside. Mais les cérémonies funèbres et expiatcires que pratiquoient les anciens dans de pareilles occasions sont devenues énigmatiques pour le peuple de ce pays; il s'imagine que son roi évoque et enchante la mer pour qu'elle soit favorable a la navigation de ses sujets. (4). • IV. Quoique les religions modernes aient changé la (1) Dyon. llalie. lib. I. cap. S. (2) Mythologie de Banier, tom. IV, p. 277. (5) Du Halde, Ilisloire de la Chine, tom. IV. p- 54544) Bitt. génér. des vojages , tem. III. p. 6jg.  L'Antiquitê dévoilée face des choses dans 1'orient, on peut néanmoins remarquer que plusieurs de leurs solemnités tiennent encore a ces anciennes commémorations; elles ont consetvé 1'usage antique d'aller annuellement s'acquitter de certains devoirs religieux sur le bord des rivières et des mers. Les motifs historiques ou fabuleux que 1'on donne de ces usages ne sont plus les mêmes; mais il est bon de suivre un usage jusques dans les routes détournées que les tems -et les changemens lüi ont fait prendre. Les chrétiens orientaux descendent tous les ans aux bords des eaux. Les Afméniens se rendent le jour de Noël sur les bords des étangs et des fleuves, ils se mettent dans les bateaux oü ils célèbrent leur office; ils bénissent les eaux ils piongent leurs enfans dans la riviere pour les baptiser (i). Les Grecs ont consacré le jour de 1'épiphanie a cette cérémonie; ils bénisles puits , les fontaines et la met, et font leur eau lustrale (z). les Abyssins, les Ethiopiens, les Cophtes , les Moscovites ont pris le même jour que les Grecs, et chacun d'eux met quelque diversité dans cet usage. Les Abyssins vont toais alors se faire rebaptiser dans un lac en mémoire du baptême de Jesus-Christ; les Ethiopiens se baignent et se lavent sclemnellemeir. En Egypte les Cophtes bénissent un réservoir dans lequel ils se jettent en foule et, dit-on, avec une indécence payenne. Les Moscovites, malgré les rigueurs du climat, se jettent dans 1'eau avec intrépidité le jour de 1'Epiphanie; pour cet effet on commence a casser la glacé qui couvre les rivières, on y fait une ouverture par laquelle le patriarche bénit les eaux; les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes s'y piongent, on (i) Tavernier, liv. JV, chap. 2 . tojn. II, p. u5. (a) Céréin. rcüg. tom. JU.  par ses usages. Liv. I. Ch. IV %9 amène ensuite les chevaux, les bccufs, les anes et les autres bestiaux que 1'on y plonge pareillement (1). Ces usages se sont soutenus ehez tous ces peuples •, ils sont fondés sur des traditions qui leut disent que Jesus-Christ a été baptisée ce même jour dans le Jourdain ; comme cette tradition n'est point universellement rccue de 1'église , ni justifiée par l'histoire, on voit aisément qu'ils ont approprié a leur religion des usages qu'ils tenoient d'une religion plus ancienne. Si les uns font leut solemnité a 1'Epiphanie , et les autres a Noël, c'est que dans 1'origine du christianisme ces deux fêtes , aujourd'hui distinctes et sépatées, n'en faisoient qu'une (2) que 1'on célébroit le six de janviet. Voila pourquoi les Cophtes célèbrent a 1'Epiphanie la messe nocturne qu'en Europe on célèbre a Noël, fête instituée au IVe siècle. Ce qu'on appelle a 1'Epiphame les chandelles des rois est un reste de veille Egyptienne, et a été d'un usage plus général auttefois. Mais la meilleure raison pour laquelle cette descente aux bords des fleuves est fixée chez ces peuples aux jours de ces fètes, c'est que 1'une et 1'autre ( abstraction feite de tous les motifs historiques quelles ont aujourd'hui ) sont des fètes cycliques. Epipkanie signifie manifestation , et tous les peuples anciens avoient en 1'honneur de leurs dieux des fetes de manifestation annexées ordinairement au renouvellement des saisons et des années. La fête des expiations chez les Hébteux étoit une véritable Epiphanie, puisque dans ce jour Dieu se rendoit présent dans son sanctuaire d'une manière plus sensible; c'étoit une des fètes cycliques du renouvellement de leur année civile. Les cérémonies des chre- (1) KeÜ£. des Mo*c. rliar- 7- ij.) Du Cauge , Glifflsaiie , au reoc T.piphanie.  5° L'Antiqu'ité dévollee tiens orientaux dans cette fête procèdent donc des anciennes commémorations et des expiations qu'on faisoit tantót a la fin et tantöt a la renaissance des périodes. Enfin ce qui acheve de montrer 1'ancien esprit cyclique de la fête de 1'Epiphanie , c'est qu'en certaines contrées de 1'Angleterre, la nuit qui précede cette fète voisine du solstice d'hiver, on fait des feux de joie que dans la plupart des autres contrées de 1'Europe on fait au solstice d'été (i). V. II en est de même de la fête de Noël. On sait qu elle a été substituée a une fête payenne sous le nom de la naissance de Mithras : elle présentoit aux payens la fête de 1'allégorie du retour et de la renaissance du soleil qui, parvenu toujours en descendant au solstice d'hiver, commence aiors a remonter et a donner de plus longs jours. Tous les usages de la fète de Noël ne sont point nouveaux; nous les retrouvons dans la plus haute antiquité, le chtisrianisme n'a fait que les sanctifiér en les dirigeant vers un point de vue plus noble et plus sublime. Cependant cette fête est toujours une fête cyclique, les motifs des anciens usaEes ont été tantót altérés, et tantèt tectifiés ; mais presque jamais les usages ni leur esprit n'ont été totalerhent changés. II est important de faire atte-ntion a cette rèmarque, paree que la connoissance qu'on a de 1'esprit actuel des usages pourra quelquefois nous faire découvnr quel a été 1'ancien esprit de ces meines usages, lorsque 1 antiquité qui les pratiquoit ne nous aura point donné la raison. Les usages ont üsé traditïorï que 1'on doit suivre en' descendant de 1'ancien au moderne ouand (0 Beausobrt , hut. dea Manjch. tom. II, p. 690. Nous aurons oc_ «asion de revenir plus d'une fois sur toutes les fètes dont nous ne r?.-r5«cs ici qu'en passant.  et de ses usages. Liv. I. Ch. IV. 9* |fc le peur; mais il faut remonter du moderne vers rjLfquakd on ne peut fane autrement : ces deux méthodes'ne sont pas plus dimcdes lune 4*^™' paree cue cette tradition est contmuee et wujouis Lee, même quand les usages ont changé d objets et de motifs Ouand on Ut aujourd'hui 1'oftice de 1 avent qu termine chez nous la liturgie de 1'annce ouand on y remarque, nom.eulement des instrucuons q JuXnt s-ir une prochaine renaissance sur un renouvellement, kh «»e V . ^ sur lVrivée dn hls de Dieu , mais enco.e des pem ures funèbres de ce qui doit arriver a la consomtnat^n des siècles , on appercoit la confirmauon de ceque nous avons entrevu dans les fètes cychques e, conu£ moratives de 1'antiquité et 1'on voit que I spn, d usages pratiqués par cette antiquité a la fin des periodes «éi jamais erdu. Quand on se ^Ue comben dans ces instans cycliques le culte étoit lugubre , rana tique et quelquefois barbare , on jugbra que .es anciens n'etoient alors occupés que d'un aten ^ermmateu.. . Ce dieu de la fin des tems es: en effet un dieu ternble etil devoit l'ètre bien Flus pour ces ~ n^^ons qui n avoient point encore flfttflië ia mme du ptto* rcVL°Yes usigès cvchq.es et cemmémoratifs applirftiÊs vraiscmHaWement dans leur origine aux peuodes purement astroncmiques, ayant été ensuite apphques aux périodes civils , sacrés, et ecclostasaqucs , les ra evehnues se sont en conséquence mubtphees. Nou, avon déja vu que les fètes d'Hiérapolis avoient une secrette analogie non-scubment avec la lete des tab Üaftés Fête êe 1'an civil chez les Hébreux, mais en' c.tc dfe -::aues, fète de 1'année sacree cnez mMléëi peuples 5 nom avons mème entrevu un rapport ave; la paque du christianisme qui nous presente  I1 L''Antiquité dévoile'e un cierge ou une torche et un feu nouveau; eest ce rapport qui nous engage ici a en présenter encore un autre. On voit dans nos églises la veiile de cette grande tete une espèce d'hydrophorie : on bénit de 1'eau dans de grandes euves, et tout le peuple en vient prendre avec assez de désordre et 1'emporte chez lui dans des vases; le jour de piqués on fait une procession solemnelle aux fonds baptismaux : il n'est point ici question de l esprit religieux qui préside actuellement a cet usage ; mais 1'usage lui-même correspond de loin aux hydrophories de.la fête Syrienne des torches , et de plus pies aux usages des chrétiens orientaux aux fêtes de Woel et de 1'Epiphanie. Toutes ces ressemblances sont necessaires entre des fêtes cycliques quoique divetsement placees dans 1'année : or tout le tems paschal est cyenque; dela les rameaux, la consécration de 1'eau le reu ereint et rallumé, les veilles dites nocturnes et ténebres , les chants iugubres de la semaïne sainte suivis de chants d allégresse ; des vêtemens noirs et ensuite des vêtemens blancs; enfin la mort et la résurrection de Jésus-Christ qui donne a ces usages un mérite quils n avoient point chez les payens qui les ont tous pratiqnés. VIT Personne n'ignore que 1'eau est entrée dans toutes les cérémonies religieuses des anciens peuples • ils s en servoient pout faire des effusions , des libations, des ablutions , des purlficatïons 3 et des expiations, « une infimté de nations ont conseryé ces usages L eau est de sa nature destinée a laver et a nettoyer ce" quelle touche , ainsi rien nétoit plus simple que de i employtr aux cérémonies préliminaires des fêtes religieuses. Les hommes ont toujours été si pénétrés de respect pour 1'ètre suprème qu'ils ont sans doure vou. 'u patüitre avec propreté et décence lórsqu'ils albienc  par ses usages. Liv. I. Ch. IV, Se présenter devant lui pour 1'invoquer dans les endroits qui lui étoient censacrés : persuadés de plus que la propreté du corps ne suffisoit point _, et qu'il falloit encore celle de 1'ame , ils ont cherché a exprimer la Ja pureté intérieure par des usages et des signes sensibles qui leur rappellassent les dispositions dans lesquelles ils doivent être devant 1'atbitre de leurs destinées. L'eart fut la substance la plus convenable a remplir ces vues. Quoique cet usage de 1'eau tite son origine de la nature même de cet élément , il n'en est pas moins cettain qu'on peut aussi lui chercher une origine histotique : sut-tout si 1'on considère cet usage dans ses détails : or que toutes ces eaux expiatoires aient été destinées a représenter les eaux du déluge, c'est, ce qu'on doit connoïtre au ptemiet coup d'ceil. Une expiation étoit un déluge artifïciel qu'un homme qui se sentoit criminel faisoit passer sur sa tête comme pour prévenir la punition divine et pour obtenir sa grace par cet aveu de sa faute et pat cette soumission volontaire a la peine qu'elle avoit méritée. Les Hébreux tombés dans 1'idolatrie du tems de Samuël, se voyant prés d'êtte attaqués par les Philistins , s'assemblètent a Masphath; la ils jeünèrent et ils puisèrenr de 1'eau, et en criant qu'ils avoient pêché ils la répandirent devant le Seigneur. Cet aveu de leur faute et leur répentit sincère leur valurent une pleine victoite, que les payens auroient attribuée a la magie de cette cété-, monie (i). Tel est 1'esprit de cet usage que la bible n'a point expliqué , et qui ne peut 1'être que par la ccnnoissance (1) Livre des rois, chap. VII, vr. 6, et aatiquit. Judaïc. liy. VI,' sbapitre a.  94 VAntiquité devollée des commémorations du déluge que les Hébreux onc eues quelquefois et que les payens n'ont point eptièreinent ignorées. On le voit dans Ovide qui ramène les expiations par le reu au souvenir de lincendie causé par Phaëton, et les expiations par 1'eau au souvenir du déluge de Deucalion. Sunt qui Phaetonta referri Crtdunt et nirnias Dtucalionis aquas. Ovid. Tast. Lm. iy. C'est aussi le sentiment actuel des idolatres de lTndoustan qui se lavent si fréquemment dans leurs rivières. Ils disent que cette coutume commenca au second age du monde , et qu'elle fut mise au rang des choses divines, et destinée a leur rappeller le souvenir de la desrruction du premier monde par un déluge (i). Ces peuples entteprennent les plus longs voyages pour aller se baigner dans les eaux de 1'Indus et du Gangej dans certains tems de 1'année on voit sur les bords dé ces fleuves un concours infini de gens qui s'y piongent pat dévotion , et qui y jcttent par piété des richel-es inestimables. Ce sont ces peuples dont parloit sans doute Appollonius de Thyane. VIII. En regardant les expiations par 1'eau sous ce point de vue qui est a la fois commémorarif et fïguratif, on ne doit plus être étonné de voir que ces expiations se faisoient périodiquement, c'est-a-dire a la fin et au commencement des années, soit civiles, soitsacrés soitastrbnomiques; dès quelles représentoient une fin et un renouvellement soit historique, soit meral, on devoit lespratiquer ou alafin ou au renouvellement des périodes  par ses usages. Liv. I. Ch. IV y jj Chaque fin d'année rappellen la renaissance ou le rétablisseraent du nouveau. C'estici qu'en consultant le véritable esprirde ces effusions , de ces expiations ou purifications, on peut juger entre les peuples qui faisoient cette cérémonie dans la joie et ceux qui la faisoient dans la tristesse , entte ceux qui la faisoient a la fin et ceux qui la faisoient au renouvellement des périodes. Toute effusion ou toute purification est une cérémonie funèbre , soit qu'on la regarde comme commémorative» soit comme figurative; en effe: un homme qui par so» intention se plonge dans les eaux du déluge, est un homme qui se reconnoït coupable et qui s'avoue digne de périr dans les eaux comme les habitans de 1'ancien monde , et qui, autant qu'il est en lui, se noie pour mériter son pardon et pour se trouver ensuite pur et net comme un habirant du monde renouvellé. Cette action est donc en elle - même funèbre, elle exprime une mort semblabie a celle qu'apporta le déluge, et elle nauroit jamais dü être pratiquée que dans les larmes a la fin des périodes. C'est dans des coupes que 1'apocalypse nous dit que les fleuves sont répandüs sur la tetre. En un mot ces cérémonies ont toujours du rappeller la rigueur des jugemens de Dieu. D'un autre cöté si la cérémonie étoit lugubre 5 sa fin ne 1'étoit pas; si le déluge avoit détruit un monde, il en avoit fait naitre ou reparoitre un nouveau; par conséquent les cérémonies figuratives en feignant de donnet, la mort feignoient ensuite de donnet une nouvelle viej ainsi cette action funèbre en elle-même devenoit régénérative dans sa fin. Ce sont ces deux différens pcintsj. de vue , qui ont fait confondre les idéés: les uns n'ont vu dans cette cérémonie que ce qu'elie avoit de fu-. nèbre, et ils 1'ont célébrée a la fin des périodes comme «ne fète Eno-cyclique; d'autres n'ont eu égard qu'a la  2 6 V Antiquité dévoiUe fête régénérative de la cérémonie, ils se sont réjouis / en la celebrant, du renouvellement des années, et en ont fait une fête Néo-cydlque • mais le plus grand nombre conservant les fêtes sans en connoitte 1'esprit ni la fin, en ont changé ou interverti 1'ordre, tantót par caprice, et tantót par quelque nouveau systême. C'est dela que vient ce spectacle bizarre d'un peuple qui pleure dans une fête dans laquelle un autre peuple seréjouit; 1'un la célèbre a une fin d'année, tandis qu'un autre la célèbre au commencement. Mais ce spectacle n'est jamais si absurde et si contradictoire avec 1'esprit primirif et avec la nature même des choses que lorsque des peuples se réjouissent k la fin d'une année ou d'un période pour pleiner a son renouvellement ; c'est alors que 1'on peut dire que 1'ordre est renversé. Nous nous servirons beaucoup par suite de Ia connoissance de 1'esprit des usages pour ttouver la position primitive de toutes les fêtes de 1'antiquité, dans laquelle souvent nous verrons le plus grand désordre. IX. Après avoir parlé de 1'antiquité , il est tems d'examiner des siècles plus modernes. Les fètes des eaux des Arméniens, des Moscovites, des Abyssins et des Cophtes, toutes motivées sur le baptême de JésusChrist, quoique sorties plus directement des commémorations du déluge, nous indiquent que les premiers chrétiens ont senti qu'il y avoit aussi quelque analogie entte le baptême et les cérémonies diluviennes : en effet il y en a une trés grande. Le baptême qui dans le christianisme a une fin si haute et si sublime, qu'il n'est qu'un sacrement d'allégresse et de joie , n'est qu'une action lugubte et mortuaite faire pour rerraar le souvenir du déluge. Pour le prouver, il n'est pas nécessaire que ce soit nous qui parlions ici afin de rectifier les idéés de ceux qui pourroient en avoir de fausses  par ses usages. Liv. I. Ch. IV. y-y fausses sur cetre matière. Ce sont les apotres qu'il faut entendre : ils ont prêché le baptême comme une cérémonie de mort, et comme une image du déluge. Nous sommes ensevelis par le baptême dans la mort dit S. Paul, pour rentrer et marcher dans une nouvelle vie. Le même apotre dit ailleurs : Vous êtes ensevelis dans les eaux du baptême pour en sortir ressuscitéspar la foi. Enfin S. Pierre dit : de même que les eaux du déluge en submergeani les nations ont conservé Noé qui les a renouvellées 3 dz même vous eies sauvés par les eaux du baptême (i).' Selon la doctrine de l'église, le baptême désigne la mort au monde pour ne vivre qu'en Jésus-Chrisf. Ce sacrement est donc pour ainsi dire un homicide mystérieux et emblêmatique ; il tue celui qui le recoit pour le faire ensuite revivre par la graoe qui est attaebée a cette mort volontaire ; et ce n'est pas trop dire que de prétendre que sa fin est de faire mourir 1'homme en nous pour y substituer le chrétien. S. Paul dit lui-mème : Qui que vous soye-; qui êtes baptisés 3 vous nêtes plus juifs , vous nêtes plus grecs 3 vous nêtes plus esclaves, vous nêtes plus maüres _, vous nêtes plus males , vous n'Ctes plus femelles , vous êtes chrétiens (z). Si le déluge. a noyé autrefois le genre humain et n'a épargné que 1'homme juste, le baptême, image du déluge, noye en nous i'humanité pour n'y laisser que le christianisme, c'esta-dire une humanité sainte et rectifiée. Si le baptême se trouve ici placé a la suite des usages profane s des nations , ce n'est qua cause de lactiön prise en elle • mème , dont un grand nombre de chiétieïis ignore la (i) Epitie anx Fomains , ch. VI , vs. 4) et au~ Colbsaieüs, ch. 1£ ■vs. i»>, Epitre I, ch. III, vs. 2» et ai, (2.) Epitie sax Calatos , ehap. II!, vs. 2-. lome I. G  ij% L' Antiquité ihoilée nature , tandis qu'un plus grand nombre encore 11* profite point des gtaces que tous y savent attachées. X. Nous avons dit que chez les payens les erfusions, les purifkations et les expiations que 1'on faisoit avec 1'eau j étoient aussi regardées comme propres a régénérer : il seroit inutile de compiler ici toutes les autorités qui le prouvent; mais puisque c'est un fait ccnnu, il importe de faire remarquer en finissant que toutes leurs régénérarions n'étoient que des inventionsv humaines , par conséquent illusoites, et qui n avoient d'autre eifet que de favoriser les crimes en lavant les criminels. Ces fausses expiations n'ont dü leut origine qu'aux méprises de 1'ignorance, et a 1'abus que la superstition a fait de quelques usages qui n'étoient dans leur origine que des commémorarions et des emblêmes d'un événement qui avoit changé, détruit et renouvellé la face du monde. L'homme trompé par ces usages y attribua a 1'eau une puissance quelle n'avoit point et qu'il ne dépendoit point de 1'homme de lui donnetj ainsi ses usages se changèrent en une idolatrie aveugle et d'autant plus critnineHe envers Dieu, qu'elle fur destructive et meurtriëre pour la société. Combien deforfaits et d'homicides la crédule antiquité eüt-elle prévenus, si elle n'eüt point présenté aux hommes mille snoyens simples, commodes et faciles d'expier toutes leurs méchantes actions ! La religion se rendit complice de tous les crimes, et le fut si souvent et si long-tem? qu'il est a présumer que si la police n'eut été perpétuéltement génée et asservie par elle, cette police eüt supprimé toutes les cérémonies et les formules expiatoires, ainsi que les asiles que la religion donrioit aux criminels, comme n'étant que des encouragemens au crime. XI. Les effusions des eaux sont elles-mêmes devefiu»  et.de ses usages. Liv. I. Ch. IV. c/y des cérémonies idolarres et superstitieuses. C'esr encore au déluge seul qu'il faut attribuer cette dépravation: routes les natiohs ont rendu, et plusieurs rendent encore un culte aux eaux en général, aux sources , aux rivières et aux fleuves en particulier, et enfin a la mer; un grand fleuve inspire encore de 1'eifroi a la plupart des peuples de 1'Afrique; lorsqu'ils doivent le passet ils y puisent auparavant de 1'eau avec leurs mains pour en faire une effusion religieuse; ils se barbouillent ensuite de limon , et faisant d'autres cérémonies d'un air grave, ils murmurent quelques paroles , soupirent et «raversent le fleuve (i). Les Negres de la cöte des esclaves font encote des sacrifïces a la mer (2). Presque tous les peuples idoJatres ds lT-ndoustan ont pour 1'eau le mème respect que les anciens Perses avoient pour le feu ; mais les Perses avoient eux-mêmes pour 1'eau une égale vénéraration : il y avoit parmi eux des officiers préppsés pour empêcher qu'on n'y jeitat rien de profane et d'immonde; ils n'osoient pas mème y cracber. Chez les Grecs de même les sources , les fontaines et les fleuves étoient divisés. Hésiode leur recommanae de respecter les fleuves;. jamais ni les Romains, ni aucunedes nations payennes ne s'embarquoient sans avoir offert des sacrifïces a la mer er aux divinirés des eaux. Le culre de 1'Océan étoit fameux chez certains peuples; enfin c'est de 1'eau que 1'on peut dire que la crainte a fait les dieux 1 en eifk le culte qu'on lui a ïvndu n'étoit qu'un culte de ■terreur, souvent sonillé cle victimes humaines. L'origine de ce culte en explique aussi toutes les bizarreries. (i? Aai', gén'r. AeTaomi Lantert, torne Xllf, p. G. et h:st. gèti.'r«ïes TOyagts', tom V, p. 1-5. (3) Hist. jénér. des vnva«n , tonic IV- G 2  jco L'Antiquité dévoilée Les peuples qui regardoient 1'eau comme une divinité* la haïssoient quelquefois ; les Perses la regatdoient comme le mauvais principe ; aujourd'hui même les Persans ont de 1'aversion pour la mer ; jamais ils n'ont eu de commerce maritime; ils ttaitent d'impies et d'athées ceux qui naviguent sur la mer (i). Quoiqu'en Egypte 1'eau fut une divinité que 1'on honoroit d'un culte religieux, la mer ne laissoit pas d'être un objet de haine; on lui donnoir le nom odieux de Thyphon; on la regardoit comme une chose contre la nature, et comme une suite d'un ancien incendie du monde (2), Le culte de 1'eau n'est donc en effet qu'une suite des impressions du déluge et des maux que 1'eau avoit faits. Pourquoi 1'Achéloüs étoit-il honoré d'un culte particuliet par les peuples qui habitoient ses bords ? c'est paree qu'il s'étoit soulevé contre les dieux, et avoit combattu contre Hercule qui le forca de rentrer dans son lir (3). Nous avons suivi les fètes des eaux, et les usagesles plus remarquables qui y ont raport, ainsi que les traditions qui ont donné lieu a ces usages. II peut y avoir encote différens faits qui y soient relatifs, mais ils sont tellement déguisés que leur origine et leur but ne sont plus reconnoissables. De meilleurs yeux que les nótres les appercevront peut-être; nous nous contenterons d'avoir frayé la route, et les principes qui viennent d'être posés peuvent suftire pour résoudre les probiêmes en ce genre. Si 1'on demande», (1) Sérodbt. lib. I. Strabo lib. XV, et Hyde , cap. VI. Hesiod,. cper. et di. lib. II. De torigine des arts , par UI. Goguel, tom» 1, p. 284. (2) S. Athanasii oratio contra gentes. J. Firmi. de erroribus prajrclig. Vlut. de Iside et Osiride. (5) Mythologie de Bannier, tom IV, p. 279.  par ses usages. Liv. I. Ch. IV. 101 pat exemple, pourquoi les Hébreux alloient sacrer ïeurs rois a la fontaine de Siloë, on répondra que les cérémonies d'un sacre ayant en pattie pour objet de donnet un nouvel esprit a celui qui est élu, et de le changer en un autre homme afin qu'il puisse gouv.erner son peuple avec une sagesse supérieure, ces cérémonies qu'on alloit faire aux eaux de Siloë sembloient remplir eer objet pat des effusions qui d'une manière mystique et figutée faisoient disparo'itre 1'homme pout ne plus montrer que le roi ou le souv-erain. Voici encore chez le même peuple un autre usage qui semble avoir rapport aux anciennes commémorations; c'est la coutume oü sont les Juifs de verser dans la rue toute 1'eau qui se trouve dans la maison d'un homme qui vient de mourir (i). Comme les Juifs ne donnent aucune raison valable de cette pratique, il y a lieu de eroire que comme toute effusion d'eau est un usage cyclique, on 1'a appliqué a la fin du période de la vie humaine. Peut-être cet usage a-t-il eu autrefois chez les Hébreux le même esprit que celui qui est propte au christianisme; nous jettons de 1'eau Sut un cercueil comme un signe d'expiation er de régénération; la fin de la vie doit être expiée paree qu'elle est suivie d'une nouvelle vie. Au reste tous ces usages sont religieux; il n'en est pas de même du proverbe après ma mort le déluge; il annonce un esprit offensant pour les families, les amis, et pour toute fa société. (i) Léon do Modène , part. V , ch. 7. Basnage , hist. des Juifs^ l(V« YX; cbi 26, parag. \. G s  iini L'Antiquité dévollée CHAPITRE V. Des avtres fttes et usages célébres cke* les anciens en mémoire du déluge. Des Pélories , des Antistëriés , des Saturnalc-Sj et des fêtes modernes du même genre. I. Suivant la fable, le déluge avoit causé de grands ravages chez les Théssaliens, ils en avoient ccnsacté la mémoire par des feces très-célèbres connues sous le nom de Pé/orles. Pélasgus, fils d'Inachus,. en éroit le fondateur; il voulut que ce jour ia il y eut des banquets publics en faveur des esclaves; il ordonna même que les esclaves y fussent servis par leurs maitres (i). La tradition portoit que dans les anciens tems la Thessalie n'avoir été qu'un lac; mais Neptune en séparant les monts Ossa et Pélion, fcrma un eanal par lequel ies eaux s'écoulèrenc dans le fleuve Pénée; par ce moyen le pays fut mis a sec*. Hércdote regarde cette tradition comme vtüie ; il se fcnde sur ce que Neptune est le dieu des treniblemens de terre; d'aiileurs la situacion des lieux, la position de la valiée de Tempé, et ia séparation de la montagnc annoncoient quelque révolution naturelle ou quelque trembkment de terre (2). Comme on ne sait point quel est le déluge dont les Pélories consacroient le souvenir, püisqué la Théssahe, contrée limiircphe de la phocide et de la Béotie, én a été le théatre, cet événement semble iié avec le déiuge de Deucalion cu (1) Aihcr.tr Kb. XIir. cap. 10, et mythologie de Bannier, !i\>. I ^ chap. 5, parag. 7. (3j Ilcrocot. liv. VIII. Yi»g. Gcorg. liv. 2, vs. aSi.  par ses usages. Liv. I. Ch. V■ 105 ie la Phocide qui forca ce prince a se réfugier sur le Parnasse (i). II paroit aussi avoir rapport avec le déluge de Béotie, et avec la rupture de mont Ptoüs: tous ces faits sont de même nature, et semblent devoit être rapportés a la même époque dans des contrées qui se touchent et qui ont des montagnes communes d'oü sortent les eaux du Pénée et du Céphise. La variété des détails a chaque contrée nous prouve que dans chacune d'elles il y a eu des lémoins qui les ont décrits a leur manière; il y a donc lieu de croire que ïancienne inondation de la Thesralie est du même tems que le déluge de la Phocide, que la rupture du mont Ptoüs, et que la sépatation du Pélion et de 1'Ossa. En eifet 1'engorgement causé par le mont Ptoüs en Béotie, a dü produire une inondation en Phocide comme en Béoris, puisque le Céphise qui fat engorgé, et qui forma depuis un lac dans la contré; la plus basse, c'est-a-dire dans la Béotie est uno rivière qui traverse 1'une et 1'autre contrée. Quoi qu'il en soit, les fètes appellées Pékries> fureut fondées, comme on a dit, par Pélasgus, qui étoit d'une race inconnue, et qui chez les Arcadjens passoit.pour avoir été le premier homme et le premier législateur (2). II leur apprit a faire des cabanes pont (1) Ovii. meth'atïorphi Hv. I , fat». 7- (2) L'ancien ScUoüaste d'Apoüonius de IUiodes. dit que Pélasgus«•tolt Hls d'Inachus, Eustrate, d'après Hellanicus , fait Pélasgus Hls d« Phoröoée , qui lui-mènie étoit Hls d'Inachus. On trouvé encore un Pélasgus fils de Miobé , pelite fille d'Inachus. Hèsychius parle d'un autr» Pélasgus fi s d'Arcas, fils de Lyraon. Ainai tous les Pélasgus paroisss.it avo'r été Arcadiens et de Ia race d'Inachus. Voyez la mythologie de Bannier, liv. I, chap. 4. Inachus étoit phénicien , ou étranger.o* fils de la mer. II eut un démélé avec Neptune a cause de Juuon. II "ast bon de reinarrpier que les Arcadiens sont au centro du Péloponèse et au sominet de teUt grande pre.qu'isle dont ils sont les pliU aucicns uabiuuis, G 4.  104 L'Antiquité dévoilée se garanür cis Tintempérie des saisons, a se couvrir de peaux, et a rrianger des glands au lieu des feuilles d'arbres dont ils se nourissoient avant lui. II fut pue de Licaon et instituteur des jeux consacres a Jupiter Licéon; et Licaon immola des enfans, et fiiEj suivant 3a fable, transformé en loup (i). II. L'usage de servir les esclaves a table se rettouve encore dans les trois jours des fêtes Athéniennes, appellées Antkictérics. Ces fêtes avoient pour objet une commémoration, et 1'on en atribuoit la fondation a Deucalion; elles étoient aussi consacrées a Bacchus, ce qui les a fait nemmer les anciennes ou les grandes bacchanales. Lc premier jour de la fête, on percoit les tonneaux et on goiitoit le vin; le second jour, on faisoit des tesrins au son des trompertes; celui qui vuidoit un langius avoit pour prix un outre de vin et une couronne de fleurs. On sacrifioit encore pendant eg jout a Mercure, conducteur des morts; on faisoit des libations et de effusions funèbres pour les ancétres; le temple de Bacchus, ferme toute lapnée, souvroit en ce jour-la, les femmes seules pouvoicnt y entrer, et y célébroient des mystères sous la conduite de la femme de 1'Archonte Roi. Enfin le troisième jour étoit encore consacré a Bacchus et a Mercure; 1'on orTroit a ce dernier toutes sortes de lcgumes que 1'on cuisoit dans de grandes marmires, mais que 1'on ne mangeoit point. Cette ihstitution étoit particuiièreraent attribuee a Deucalion (2). On n'est point sur en quel temps de 1'année ces fètes avoient été fixées, paree que 1'année grecque (1) Pa.isanias in Arcad. cap. 1 et s. (2) les mem. de 1'acad. de» inacript. toni, I, p. 26a. Piction. mytholog. deChyrres, ces cérémonies sVppeiloicnt Kechut.a funerili» et Thanatousia iciiialiu.  par ses usages. Liv. I. Ch. V. ioy éroit fort' peu réglée. Du tems de Plutarque le mois antistérion, durant lequel les antistéries se cêtèr broient, répondoit au mois de mars, qui chez les Romains étoit le premier de 1'année (i). Ainsi ces trois jours de fêtes précédoient de quelques jours 1'équinoxe du printems; mais on présume qu'avant Meton qui réforma 1'année des Grecs, elles devoient apeu-près correspondre a 1'équinoxe d'automne; les fêtes de Bacchus qui étoient jointes a ces commémorations funèbres, indiquent en effet cette saison. La fête des tabernacles chez les Hébreux, dans laquelle nous avons entrevu une semblable commémoration du déluge, étoit, comme on a dit, aussi appellée la fête de la 'rècöltë des fruits, ou la fête des vendanges, et 1'on y faisoit pareillement des festins et des réjouissances auxquels les étrangers et les esclaves prirent part. III. Voila donc encore les saturnales qui se présentent a nous comme des fêtes instituées en mémoire du déluge-, or chez quels peuples ne trouvons-nous point les saturnales, ou du moins les usages principaux qui dépeudoiént de ces fêtes? Nous les voyons chez les Babvloniens, chez les Arméniens , chez les Scytes:el'lesse célèbrent encore chez les Tartares au nouvel an. II est étonnaut, sansdoute, que ces fêtes fussent regardées chez les Grecs comme la commémoration d un événement funeste et malheureux, tandis que chez les Romains eiles servoient a retracer 1'idée de 1'aged'or, c'est a dire d'une vie innocente et heureuse. Comment concilier des motifs si oposés, a moins de (,) J'Wque dit ijoéc'etbit aux c.ilendes de mars, rjui répondeht i la nouvelle lune d'Antisiérion. Or, re jour-li, on céléhroit la mémoire de la désolation causëe par le déluge , ce qui indique les hjrdrophories et non les aniutéfief dont on a parlé dans le eliapitre 11 de ce livre.  1Q & L'Antiquité dévoilée dire que 1'age dor n'a été que lage moral qui a suivi immédiatement le déluge, et de supposer que les saturnales tbessaliennes, athéniennes et romaines, étoient non-seulement des commémorarions du déluge, mais encore du siècle qui a suivi ce terrible événement? C'est, comme je 1'ai dit, moins dans les motifs que les hommes donnent de leur usage que dans 1'esprit de ces usage qu'il faut chercher leur véritabk origine; les fables et les tems ont toujours corrompu les motifs, tandis que les usages se sont toujours conservées; c'est une serte d'écriture qui n'a jamais, changé, quoiqu'on 1'ait souvent mal lue, ou lue divers ement. Les Thessaliens, pour rendre raison de leurs Péiorks ou satunales, rapportcient qu'un esciave nommé Pélorus 3 ayant appercu le premier que les eaux du dcluge s'écouloient par une ouverture de la valiée de Tempé, et en ayant le premier apporté la nouvelle au fils dlnachus, cc prince, pour le récompenser d'une si1 grande nouvelle, le servit a table, er voulut, qu a 1 avenir on fit mémoire de sa reconnoissance par une fète qu'il nomina Pélork du nom de son esciave, dans laquelle les maitres, a son exemple, serviroient leurs esclaves (i). Ceci, comme on doit le sentir, n'est qu'une fable imaginée et b.uie sur le nom de Péiorks. L'esclave Pelorus et le prince Pélasgus sont également deux êtres imaginaires, ce sont quelques circonstances de la fète que 1'on aura persennifiées ? il est constant seuiement que ces fêtes dans lesquelles les ma'nres vouloient bien se confondre avec leurs esclaves , avoient rapport aux premières suites du déluge. Le nom de Pélagns se trouve chez les Grecs, presque pat- £,;) Atliena:. lti. XIp'.  par ses usages. Liv. I. Ch. V. 107 tout oü il est question des tems les plus proches du déluge, c'est-a-dire de ceux oü les hommes etrans sur les débtis de la terre détruite, cherchoient a former de nouveaux établissemens. Le mot Pélagos des Grecs et celui de Pelagim des Hébreux ne sont point des mots différens. Ils signifient disperse'3 divisé, et Ton sait que c'est un nom qui pour les Hébreux a rapport aux premiers tems qui ont suivi le déluge. Le parfait accord qu'il y a entre ces deux. noms et entre l'état des premières sociétés quelque tems après le déluge de Noë pour les Hébreux, et celui de Deucalion ou d'Inachus pour les Grecs, démontte bien que ces différens déluges ne sont qu'un même fait, quoiqu'en disent ceux qui préfèrent de méditer de mauvaises chronologies a s'occuper des faits: les déluges ne sont point des événemens si communs dans la nature, il est ridicule qu'on les ait multipliés a plaisjr, presque tous les chronologistes paroissent avoir été de mauvais histcriens. Quoiqu'ii en sohPhaleg étoit pour les Hébreux un des noms commémoratifs de 1'ancien état du genre humain. Chez les Romains oü 1'on reconnoissoit que les saturnales étoient plus anciennes que la fondation de Rome, on en atnibuoit 1'institution ï ces mêmes Pclcsges et on les regardoit comme une commémoration d'un ancien age oü, comme dit Lucien avec tous les poëtes, le'bied venoit sans avoir été semé, il couloir des fleuves de lait, des sources de miel et de vin, et oü tout étant commun ? 1'on ne trompoit et on ne trahissoit personne (1) IV. Comme les usages des saturnales romaines sont beaucoup p]us connus et plas détaillcs que ceux des. samrnales tbessaUennes et athéniennes, c'est aux pre- (,) /.Ucrob. Satxvnal. Ub. I, cap. 7 , et huciaa Saturna.  ïo8 L'Antiquité dévoilée mières qu'il faut recourir pour connoïtre 1'esprit de ces usages -s mais pout les bien comprendre il faut d'abord, connoïtre ce qu'on doit penser de Saturne. (i) Saturne étoit le symbole du tems, c'est ce que son nom de Chronus ou Chronos désignoit chez les Grecs. La Succession des tems n'étant rendue sensible que par les espaces chroniques qui servoient a les mesurer, tels que les semaines , les années, les siècles er tous les périodes sabbariques, ces fêtes répondoient toujours a la fin ou au renouvellement des période Saturne est, suivant Cicéron, ledieu qui mamtient 1'ordre des tems et qui préside a son cours et a ses périodes. (2). On le voit souvent représenté accompaené du serpent qui se mord la queue, cet embléme si universel de la succession , de la durée et de la renaissance des etres; on le représenté aussi avec des yeux par derrière et pat devant, et alors on le confond avec Janus cet autre dieu chroniqne. Le tems, eer être méraphy* sique, considéré comme un fleuve immense qui coule sans cesse, qui ne reflue jamais, qui engloutit le passé, qui dévote le présent et qui abserbe de même l'avenir ($), présente a i'imagination un être aussi effrayant qu'incompréhensible, que 1'on n'a pu designer 'que (1) Kranos Saturne, vieillard. K ronos le tem.. Les anciens ont personnifié le tems et toutes ses parties. lUviiio'opie de Barnier livre T, ch.p i, et Athenv, lib. r, cap. 7'. Les Lm es, !es ..'iVon.: laurore, la nmt, etc. tout fut personnif.é. (2) Cicer. de nalurd Deor. lib. II, cap. a5. (3) Ovide.... cuncta fluunt Tpsa quoque assiduo labimtur tempora mom Non secus ac flumen. Neque enim consitiere flemen, Ne ■ levis hora potesl ■ sed ut unda impeiliuir undd ' Vrgeturque prior venienti, urgeUfue priarem , Tempora sic fugiunt piritef, pariurfue seqüuntur. SbM& Li», xy. Pij. 5.  par ses usages. Liv. I. Ch. V. io qui a ioué sur le mot Saturne , ce dieu s'y étoit cache. Chez les Celles Saturne étoit appelé Sater; Saterdag en Flamand, Saturday en Anglois sKmifient le samedi. Dans PEdda ou mythologie des Scandmare. 'Surtur, qui doit vcnir pour détruire le monde, semble être Saturrm O) Voye, Eschil. Prometha-, «t. 9S0; Mémoires de , .radem.e df8 i.sVriptións, terne XVIII, page ao. Lucien, d.»*on d.aloRue I 4e, Dieux , dit que Jupiter devoit ctre délrönè par u0 Bit qu .1 auiort d Cn«  11 ö V Antiquité dévo'dée dont il n etoit point permis de révéler la nature ils le regardoient comme le principe d'une meiïleure vie (i) comme le roi de 1'age dor; ils prétendoient que c'étoit sous son règne" que les hommes avoient été justes, mnö-cens et heureux. Platon en parle avec les mêmes éloges, il le regarde comme 1'auteur de 1'ancienne félicité du genre humain. Pindare 1'appelle le roi des champsélisées, il nomme le séjour éternelle des bienheureux l'auguste palals de Saturne; il dépeint ce séjout fortuné, sous les mêmes trairs dont Homère s'étoit setvi avant lui. Hésiode dit que ce dieu habitoit les extrémités du monde dans des lieux fortunés, ou les ames des héros se rendoient après leur mort (2). Saturne considéré sous ce beau point de vue, ne peut être que le dieu rémunérateur de la fin des tems , le roi de la vie future, cet objet de 1'attente de toutes'les nations sous tant de noms, de formes et d'aspects différens. Comment Saturne pouvoit-il donc être vulgairement envisagé comme une divinité cruelle et malfaisante? c'est que le dieu de la vie future qui sera le roi et le pète des justes, sera le juge et le vengeur des méchans, auxquels il ne réserve que des supplices; c'est que le dieu du monde futut sera le destructeur (1) Dionys. Halicarnas. lib. II, cap. 7. Macrob. Saturnal. lib. X, cap. 7. (2) Piadar. Olymp. Od. II. Homer. Odys. lib. Ir. les immor- * tels, dit Protée a Ménflas , voua conduimnt aux champs élisées > places aux exttèmhi, de la terre. C'est-la que lé sage Khadarnante » donne des feut; 'es hommes y mènent une vie doure et tranqniile; » les neiges, les pluies, les ftimats n'y désolent famais les campagnes; » en tont tems on y respire un air tempéré; d'aimables zéphirs, qui • s'élevcnt de 1'océan, rafraichissent sans cesse cette délirieuse con» trée ». Les poétes ont succéssivemen't fmiti cette description qu'Hcmère a_faite des champs élisées , et Pindare dit que fhomme juste achtera heureusemenl la route que Jupiter „nu., „ tracék pour aller aux remparts de Saturne. Voy'ez Olymp. od. II.  par ses usagss. Liv. I. Ch. V. i\\ du monde actüeïj comme source des récompenses et du bonheur a venir, il étoit aimé et chéri des bons j comme dispensateut des chatimens, il étoit la terreurdes hommes injustes et criminels; mais comme arbitre de la durée des êtres et de leut destruction finale, il étoit également redoutable aux bons comme aux méchans qui n'envisagent point sans frayeur la dissolution de leur ètte. Enfin Saturne considéré méraphysiquement étoit le tems, et théologiquement il étoit le maitre de» tems et sut-tout la fin de tous les êtres. En un mot il étoit le dieu Sahaoth , c'est-a-dire le dieu de la fin (i). La mythologie qui lui avoit associé Némésis- déesse de la vengeance, a voulu nous montrer par-la qu'il avoit été considéré sous cet aspect. Némésis elle-même étoit quelquefois. regardée comme la même divinité que Saturne, et comme unepuissance invisible qui d'une éternité cachée (2) et inac- (1) Sabaoth est ordinairement traduit par armées , mais il signifij «Tailleurs fin, terme, tems déterminé. Je serois tenté de regarder cctta dernière interpiètation comme plus convenable a la divmitc. Les Hébreux. donnent a Saturne le nom de Sabathi; mais quoiqu'ils 1'écriYenC divèrsémeit, ce mot présente le mème sens ; sabbath marqué Ie norsbr« de sept, et signifie cessnthn , repos. C'est le nom du mois Hébraii qui corrcapond i'celui de dècembre et a celui de janvier, c'est-a-dire, è. la fin et au renouvellement de 1'année. Ces trois noms , quoiqu'écrit* diversement présentent le même sens , ct ont un rapport visilde aur. mimen idéés. Les différences dans 1'écriture des anciennes langues peuvent venir de ce que ces noms ont été trop long-tems traditional / avant de s'écrire , ou de ce qu'ils s'écrivoient en différens dialectesT,ü planete de Saturne C3t pour les Juifs tétoile da sabbnth. Voséx* de idol. leb. TI, cap. 54. Les Caraïtes attribuoient !e retard du Mes■ie a la lenleur de la révolution de cette planete. Basnage , hist. des Juifs, liv. II, chap. 16 , parag. 20. (2) Amniian Mareetlin dit : ev dbtÜtd rfuddam rrternhala , lib. XIV, cup. 11. Cette faron de s'erprimer revient, comme 011 a vu , a 1'idèe que présente le mot Saturne qai signifie caclié. 11 est encore bo:j d« remarquer que d'après les èiymologies Saturne ou ledieu carhé sucrc-I» k Uur ou Ouraiios le dieu du feu, ou la culte dn fuu , et est lui-niénist  x 11 L'Antiquité dèvollée cessible, considéroit tout le mal que 1'on faisoit suf. la terre pour en tirer vengeance; aussi netoit-elle jamais oubliée dans les expiations tant publiques que particulières; et ces fêtes appellées Némésées étoient funtbres et mottuaires. VI. Lorsque les hommes ont raisonné sur la divinité , relativement au bien et au mal qui arrivent dans le monde physique et dans le monde moral, ils ont toujours eu de la peine a ne pas tomber dans quelque erreur; la théologie des anciens peuples neut pas d'écueil plus a ctaindre: en efFet on courra toujours risque de diviser la divinité toutes les fois qu'on patlera de sa bonté en faisant abstraction de sa justice, et de sa justice en faisant abstraction de sa bonté. Si 1'homme eüt pu comprendre Dieu entier, il ne 1'auroit pas divisé ; les anciens Perses n'eussent point donné ï'être a un mauvais principe pour 1'opposer au bon, c'est-adire ils n'eussent point opposé Dieu a Dieu même; le paganisme neut point imaginé cette distinction des dieux célestes et des dieux Infernaux, des divinités propices et des divinités malfaisantes; la raison leur eüt fait connoïtte qu'il n'y avoit réellement qu'une seule et unique divinité dont le bon sens forcoit d'admettre la suprêmatie; malgré les égaremens d'une théologie embrouillée dans ses idéés, déhgurée par un langage allégorique, et'destinée dés sa naissance a devenir inintelligible. Le maitre des tems, sous le nom de Saturne, étoit du nombre des divinités infernales; le culte public le détroné par Jou ou Jehovah ; en effet 1'Etre suprème est appellé dans la Genese, ch. XV, vs. 2, et chap. XIX,x vs. 16 , Jehoiih on Jho\ihbschem-lath Jhori ( propter indulgenti m domiui ). Les Juifs, au lieu d'être appellés Judcri en latin , auroienr dü se uommer Jovei ou Jovécns. Les hommes n'ont, pas été aussi po'ythéistes qu'on le pense. conto ndoit  par ses iisages. Liv. I. Ch. V. 113 confondoit souvent avec Pluton, le dieu des enfers (1)5 et comme on le regardoit comme le principe de la dissolurion des êtres, le vulgaire ne pensoit jamais a lui sans crainte, et ne 1'envisageoit que comme 1'ennemi du genre humain et de la nature entière; en un mot, comme Typhon ou le mauvais principe , sous le nom de Janus, ce dieu étoit une diviniré bienfaisante et chérie. L'ancienne représentation de Saturne , selon Eusebe, montroit ce dieu avec quarre yeux, dont deux ouverts et deux fermés; il avoir quatre ailes au dos, dont deux étoient étendues et deux pliées ; enfin, il avoit deux ailes a la tête. Ainsi, sous un de ces noms, Saturne étoit regardé comme 1'auteur de la fin des périodes et des choses; tandis que sous 1'autre nom, il présentoit 1'auteur de leur renaissance et de leur renouvellement: 1'un présidoit au detnier jour de la semaine, au dernier mois de 1'année , et ses jours de fêtes étoient réputés sinistres et malheureux; 1'autre présidoit au mois de janvier, au renouvellement de 1'année et des saisons ; cependant 1'un et 1'autre n'étoit originairement que le même principe, ainsi qu'on le voit par leurs attributs et leurs légendes, qui ne cessent jamais de se confondre. Ainsi le dieu porte-clef étoit haï et craint sous le nom de Pluton, les jours qui lui étoient consactés étoient réputés funestes : les Romains disoient alors que le monde étoit ouvert (2). (1) Chez les Grecs Pluton présidoit aa douziéme mois ; on le regardoit comme le dieu de la dissolution des choses. Voyez Plato de leg. lib. rill. Les poétes lui ont mis en main comme a Janus. Xatalis Comes. lib II. Orphée lui dit : qui terra; claves et gubernas regnas Voyez son Hymne a Pluton, et Pausanias !iv. V. (2) Cum mundus patet, nefcs est prcelium sumere, nee latinarum tempore, nee Saturni festo , nee potente mundo , dit Macrohe liv. I, chap. 16; on faisoit alors des sacrifïces a Pluton et il Proserpine. Varron dit que, lorsque le monde est ouvert: 'a porte des Dieux. tristes Tome I, H  ii4 L'Antiquité dévoilée Comme Saturne présidoit a la succession des tems et au renouvellement des périodes , on doit sentir qu'il devoit avoir part aux commémorations de la destruction et de la renaissance du monde, et 1'on connoitra pourquoi ces commémorations étoient ordinairement célébrées a la fin des périodes. En erf "et, comme nous 1'avons dit, tout période expirantrappelloit cette ancienne époque qui avoit été autrefois si fatale au genre humain; et comme ce funeste événement avoit imprimé la tristesse dans 1'esprit des hommes, toutes ces fêtes commémoratives et le tems oü on les célébroit, leut rappeloienr un souvenir facheux et leur inspiroient des craintes pour 1'avenir. La fin de 1'année , la fin du jour même , comme on le prouvera, avertissoit les hommes de ne faire aucun fond sur la durée du monde. VIL Ce doublé point de vue que présentent toutes les solemnités anciennes, nous doit donner la solution de tous les usages des saturnales que nous allons parcourir. II ne faut point, comme les Romains, les considérer uniquement comme des usages établis en mémoire du passé, mais encore comme des emblêmes de 1'avenir. C'étoit ce second point de vue que 1'on cachoit soigneusement aux peuples, par la même raison qu'on leur cachoit les oracles des Sybilles ; il étoit permis de et funèbres est ouveite , et que c'est la raison pour laquelle on ne doit ni combattre , ni parler de -guerre , ni partir pour 1'armée , ni s'enréïler, ni se marier , ni plaider. Le monde ètoit censé ouvert trois fois 1'année ; i° le lendemain des fètes appellées Vulcaines ; 2° Ia veille du six des ides de novembre , c'est-a-dire le 7 de novembie; 3° la veille du treisième jour avant les nones d'octobre, c'est-a-dire le 4 oetobre. Cette opinion étoit fondée sur ce qu'on croyeit que la partie inférieure du monde, consacrée aux dieux mêmes et ferinèe en tout autre tems, étoit ouverte en ces jours, qui pour cette raison furent regardés comme tristes, funestes et consacrés au culte des dieux souterrains. K. Pomp. Festut au mot Mundus.  par ses usages. Liv. J. Ch. V. 11 j parler de Saturne et des saturnales a la manière des physiciens; mais quant a la nature de cette divinité et aux véritables motifs de son culte, il n'en étoit qüestion que dans les mystères , et la-même , on ne s'expliquoit sur ces choses qu'avec la plus grande réserve et dans le plus grand secret, c'est-a-dire, que le peuple devoit ignorer quel étoit le sens théologique et 1'objet dogmatique de tout ce qui se pratiquoit dans ces fêtes. Nous verrons ailleurs en parlant des autres mystères des anciens, quel pouvoit être le principe de cet étrange secret (i). La solution de la plupart des usages des saturnales est 1'esprit allarmé de 1'anriquité qui s'attendoit a la destruction du monde a la fin de chaque période; par une suite de ce dogme et des usages qui en derivoient, on se comportoit dans ces fêtes comme si 1'on ne comptoit plus sur 1'avenir; tous les soms de ce monde étoient bannis ; on menoit une vie toute bisarre, et il n'y avoit plus de ttibunaux. pour punir les coupables, plus d'écoles pour instruire , plus de soins domestiques ni d economie, plus de sénat pour gouverner la république , enfin plus de guerre 3 plus de disputes (i). Tous les états étoient confondus ; le maitre et 1'esclave (1) Volei comme Macrobe s'énonce clans le liv. I, cbap. 7, (le ses Saturnales. Saturnaliorum originent illam mihi in médium proferre fas est, non qua' ad arcanam di.initatis naturam refertur , sed ques aut fabulosis admista disseritur , aut a physicis in vulgus aperitur ; nam occultas et manantes ex meiï veri foute rationes, ne in ipsis quidem sacris etiarrar» permittitur; et si quis illas assequitur, continere intra conseientiam tactas jubetur. (2) Macrob. Saturn. lib I, cap. 10. Lucien, Saturnal. Plusieurs de ces usages se sont conservés jusiju'i nous. Nous avons encore L'usage cruel de sacrifier des hommes a Saturne fut, dit-on , aboli chez les Romains pat Hetcule , qui subsritua a ces victimes des figutes humaines en 1'honneur de Pluton , et des cierges que 1'on oftroit a Saturne. Cependant le motif secret de ces offrandes n'étoit point tellement éteint, que les Romains en célebranr les saturnales ne mêlassent a leurs dissolunons et a leurs débauches beaucoup de purifications préparatoires , dans la vue , disoient-ils, d'écarter les pestes , les famines et les autres calamités. Les cierges , que 1'on s'envoycit en présent, pouvoient même n'être qu'un reste de 1 usage des torches de Syrië et du feu du nouveau période. Les figures de tetre cuite qu'on se donnoit mutuellement étoient unexfigure expiatoire que chacun offroit pour sa tête au dieu des enfers (i). Les gateaux que les Cyréniens s'envoyoient pouvoient avoit le même objet s'ils pottoient quelques empreintes, ou ils pouvoient être une commémoration de la vie frugale des premiers hommes, ainsi qu'il se pratiquoit dans une multitude d'autres fêtes établies en mémoire de 1 ancien état du genie humain. On vouloit peut-être se rappeller par-la la manière dont on vivoit dans les ancien- et nou» remarquerons encore que 'es anciens, en de certams tems qu. étoient toujours a.nuels , périodiqne, et cycliqnes , croyo.ent qne Ia divinité descendoit snr Ia terre , et étoit alors présente dan. son temple; c'est, comme on a vu, ce qu'ils „ommoient Epiphame , aPFarition ou manifestation. Le grand prètre des Hébreux entro.t, ce seul jour, dans le sane.uaire , ct Ia divinité redoutable se mamfe.to.t a lu,. Cet usa*e n'avoit d'autre principe que 1'attente commune a toutes es nations d'un juge sévère qui deveit juger le. hommes a la fin de. tems , image qui ,e retracoit aux hommes a la fin de tous les penodes. Le temple de Pluton en Elide ne s'ouvroit qu'une fo,s 1 annee, et méme a'ors il n'y avoit que le seul sacrificateur i qui il fut perm.s d y entrer. V. Pausanias in Elid. cap. XXV. (i) Lucien. Cronosol. Macrob. Salurnal. Livre I , cliap.tre 7 ■ H 4  i-2-o L'Antiquité dévoilée nes saturnales, oü lon ne se nourissoit que des fruits de la terre. (i). IX. Un autre usage des saturnales qui n'a été ni moins répandu , ni moins durable, c'est 1 'élection d'un roi qui se faisoit dans chaque maison pour y régner pendant la fête. Cet usage contredisoit ouvertement les mqeurs de 1 age d'or prétendu-, oü tous les hommes étoient égaux : il ne faut donc point regarder cet usage comme commémoratif, mais comme une suite de cette anarchie qui devoit s'établir a la fin des périodes, et qui devoit préparer un nou vel état de société. C'étoit dans le même esprit qu'en faisant cesser toute législation , on s'en représentoit une nouvelle par 1'élection d'un roi postiche. C'est une des idéés théologiques des anciens que tous les périodes passés avoient eu chacun leur dieu, et que tous les périodes futurs auroient le leur ; on s'imaginoit que les changemens des périodes faisoient des révolutions dans le.ciel comme ils en faisoient sur la terre dans 1'esprit des hommes. Ce systême avoit dominé dans tout le paganisme et domine encore aujourd'hui dans 1'Indoustan ; de-la toutes ces révolutions dans les families des dieux grecs, lomains, égyptiens; de-la toutes ces renaissances des dieux des bramines; on pourroit dire aussi que de-la sont vehues toutes les révolutions politiques sur la terre qui ont eu pour principe les préventions des hommes sur 1'effer des renouvellemens de périodes. Vriila ce qui procura 1'encens de la\ Hatterie a Auguste, (O C'eat vjaiaerobUblement de Ia mème source que part l'usage qut " ' "'ons 'lc s mi gJteaux sur ins tables i la fète des rols ; et les fetes, qui chez les anciens avoient été établies pour leur rappeller Ia vie fru a!e de leurs ancètres , sout devenues pour nous des occasions e l on.ierhere ; usage d'éJire un roi dans les saturnales est visiblement 1 origine de calui d'élire ua roi de Ia féve.  par ses usages. Liv. L.Ch.V. x 21 paree qu'on crut que son règne alloit amener un nouvel ordre de choses (1). En un mot 1'usage d'élire un roi aux saturnales doit être regardé comme un usage cyclique, adopté par sa nature a la fin et au retour des périodes, et ces fêtes adoptées par un grand nombre de nations qui n'ont fait que changer leur nom et altérer quelques-uns de leurs détails ,* ont toujours eu pour objet une fin et un renouvellement. Les anciens célébroient ces fêtes assez généralement avant Ie solstice d'hivet (2). Dans 1'Europe moderne cet usage s'est comme incorporé a la fête de 1'Epiphanie qui suit de prés le nouvel an. C'est un usage déplacé, ainsi qu'une infinité d'autres que 1'on suit sans connoïtre ni leurs motifs, ni leur origine. Nous avons vu ci-devant que cette fète se confondoit avec les fêtes chroniques du solstice d'hiver : c'étoit aussi dans les jours du solstice d'hiver et aux fêtes de Noël que 1'on élisoit auttefois les abbés , les évêques et les papes , comme nous choisissons a la fête de 1'Epiphanie un roi de la fêve. Ces différens usages, toujours les mêmes pour le fond , quoique pratiqués 'en différens motifs, ramènent toujours au dogme ancien de la manifestation du grand juge qu'on attend a la fin des siècles. Les excès qu'un reste de paganisme conserva dans 1'Europe-chrétienne jusqu'au XIVe. et XVe. siècle dans ces jours de renouvellement, ont détermmé a supprimer toute la solemnité des usages qui accom- (1) Magnus at> intsgro aa-clorum nascitur ordo ; Jam nova progenies cceto dimktitur alto. Vib.6. Eg log. IV. (2) Les Tartares célèbrent au nouvel an une fète dans ,a,lue,Iej 1 * s'habi'Ient de neuf; ce jour-U on va dans une plaine du cöté de l'Orlent ; on y tire de 1'arc , et celui qui adr-esse au but est roi pendant nn jour. V- -«'St- ^« Huns, tome II, p. 7J<  r 22 JJ An tiquitè dévoilée pagnoient le jour de Tan ; parrni nous il n'a presque plus rien qui le distingue des autres fètes de 1'année; peut-êrre dans cette réforme est-on tombé d'un excès dans un autre. A ne consulter que le sentiment naturel , et a voir ce qui se passé encore chez tous les peuples du monde au jour de 1'an , ce jour semble porter avec lui le principe d'une grande solemnité. II faut avouer que 1'indifférence actuelle que nous avons pour le jour du renouvellement de notre année, peut aussi venir de la mauvaise disposition de notre année civile, qui, comme nous le ferons voir , commence en un jour qui n'a rien de cyclique ni d'astronomique. Les nations qui le placent aux jours des solstices ou des équinoxes ont un usage plus raisonné et plus naturel ; mais ce qui fait bien voit comme les usages triomphent des nouveaux systémes , c'est que chez nous la célébration de la nouvelle année semble s'être réeliement maintenue au solstice d'hiver , et que les fêtes qu'on y célèbre ont toujours rapport a une renaissance ou renouvellement. Quoi qu'il en soit, 1'élection d'un roi dans de certaines fêtes avoit chez quelques peuples une issue très-funeste pour celui qui avoit été élevé a cette dignité postiche ; chez les Perses , après 1'avoir traité en roi , on le pendoit après la fête (t), il est vrai qu'on ne prenoit alots qu'un criminel pour remplir une place si périlleuse ; mais cet usage a néanmoins quelque chose de si cruel , qu'il ne pouvoit avoit sa source que dans quelque superstition ou dépravation religieuse. Ne seroit-ce point dans la vue d'augmenter le prix de la victime destinée a être (i) V. Vossias de Idnl. lib. II, cap. 22. Strabo lib. Athence. lib. XIV, cap. 10. Dim. ChrjrsosC. in Orat. de regno.  par ses usages. Liv. I. Ch. V. izj sacrifiée a la fin du période , que le roi, ou, pour ainsi dire, le dieu de la fête, étoit livré a la mort? Nous ttouvons le même usage chez un grand nombre de peuples. Les Albaniens qui habitoient les bords de la mer Caspienne entre la Scythie et riTitcanie, sacrifioient un homme a la lune après 1'avoir bien traité pendant un an. Les Mexicains entretenoient toute 1'année un homme dans les délices et 1'honotoienr comme un dieu , après quoi ils finissoient par 1'égorger et pat le manger , dans la persuasion de manger une divinité , mystère abominable, et digne d'un pays oü la férocité s'étoit exaltée jusqu'au fanatisme (i). X. Aux fètes des saturnales chez les Romains on en avoit uni plusieurs autres qui entroient aussi dans le systême que nous venons de développer. La tetre sous le nom d'Ops , qui est la même que Cybele et que Rhea, n'étoit point oubliée; elle se trouvoit intéressée dans ces fêtes commémoratives; c'est elle que 1'on célébtoit dans les fêtes nommées Opalies. Les ancêtres et les morts sous le nom de dieux Lares , de Manes 3 de Penates avoient aussi leurs fêtes •, on les nommoit Compitalia. Leur commémoration faisoit une pattie d'une fête dont 1'objet étoit entièrement funèbre. On céltbroit encore les Laurentalia sur les bords du Tibre, en 1'honneur d'une nourrice de Romulus , ou , suivant d'autres , d'une fameuse courtisane ; mais 1'absurdité de ces motifs fabuleux jointe aux indécences qui se ptatiquoient a ces fêres , doit faite penset que cette solemnité avoit plutöt rapport a la natute , a la terre et a la succession des tems et des êtres , que 1'on considéroit quelquefois sous l'emblême de la génération , et qui inttoduisoit une (i) Naulis Cornet lib. I. Hist. génér. des yoyages.  1H L'Antiquité dèvoilce fouled'abus (i).On sait d'ailleurs que les Jeuxfloraux , qui se confondoient avec les fêtes de cette nourrice ou de cette courtisane, étoient des fêtes qui se célébtoient ia nutt, et qui pat conséquent devoient avoir une origine lugubre. Enfin toutes les fêtes que les Romains célébroient au mois de décembre rappelloient des idéés funèbres et dépendoient du même systême Les faunaks se celebroient aux nones de décembre; on s'nnaginoit qualors Pan ou Faunus qui sont la même divinité, quittoit litalie pour se rendre en Arcadie; c'étoit un dieu chronique, et c' étoit particulièrement le dieu de la terreur. On célébroit encore une fête en son honneur en février, dernier mois de 1'année civile des Romains (i). Les Juvenalia, les Angeronka, les Brumalia, étoient encore des fêtes, qui comme on le fera voir, avoient toutes, rapport a un point de vue affligeant: en un mot avant le solstice d'hiver toutes les cérémonies ne peignoient que la fin des tems et la desttuction de la nature, et elles retracoient ensuite leur renouvellement et leur renaissance : le mystique y étoit toujours confondu avec le phisique, et le tout étoit obscurci par des allégories dont on ne vouloit point expliquer le vrai sens au peuple. Enfin les saurnales étoient des fêtes funèbres et apocalyptiques, (1) Nous n'entrons pas ici dans les détails de ces fêtes romaines , par ce que nous aurons occasion par la suite d'en parler plus au long, et de faire voir comrnent ces fètes avoient été déplacées par les vices qui regnoient dans Ie calendrier romain. (2) Pan etoit nn dieu dom on craignoit le passage , comme on peut le voir par ce que dit Horace, livre III, ode 18. Les Phéniciens le représentoient sous l'emblême du serpent circulaire, ce qui prouve qu'il étoit le diaa du tems, et parconséquent un Saturne sous un autre nom. Les Egyptiens le nommoient Phanes , et les Grecs rhainon.  par ses usages. Liv. I. Ch. V. 125 et des suites de 1'impression que 1'ancienne destmction du monde avoit faite sur les hommes. Nous avons vu des saturnales chez les Grecs; on les nommoit Chronies : nous les retrouvons encore dans les Ermées de 1'isle 'de Crete, chez les Rhodiens on les célébroit au 17 d'octobre, et Ton y tuoit un homme. Nous les voyons chez les Babiloniens, chez les Perses, les Arméniens et les Scythes. Les peuples d'occident, dit Théopompe, appellent 1'hiver Saturne, 1'été Fenus, le printems proserpine. Les Phrygiens dans 1'idée que Saturne dormoit pendant 1'hiver, et veilloit pendant 1'été, célébroient deux fêtes, 1'une en 1'honeur du sommeil, et 1'autre en 1'honneur du réveil de ce dieu, qui pour eux étoit visiblement 1'emblême de la nature. Cette idéé est encore prouvée par le sentiment des Paphlagoniens qui disoient que Saturne | étoit lié pendant 1'hiver, et qu'au printems il étoit délié et commencoit a remuer; en conséquence ces peuples jeunoient pendant 1'hiver, paree que la nature est alots dépouillée de ses fruits (1). En un mor, une infinité de fêtes et d'usages tant anciens que modernes nous prouvent que les fêtes de Saturne ont été chez un grand nombre de peuples dee commémorations du déluge, que chaque nation a modifiées a sa manière, et dont 1'esprit et les motifs se sont altérés et confondus, souvent au point de devenit totalement méconnoissables. XL L'écrirure dit qu'après le déluge Noé ofFrit un sacrifice qui fat agréable a Dieu. Josephe ajoute (1) V. Meurüus Ub. III. Fasold. n. 9. p. 1. Athencs , lib. XIK, cap. io. Vlutarch. de Iside et Osiride. Eusebe nous apprend que les Babyloniens croyoient que c'étoit Saturne qui avoit envoyé le déluge sur la terre, et qui avoit averti Sisuthrus de se sau-er dans une barque.  116 L'Antiquité dévoilée au texte que le motif de Noé étoit la crainte qu'il eut que Dieu ne couvrit tous les ans la terre d'un nouveau deluge et quil lui demanda d'épargnet les restes du genre humain, et de rétabJir le calme dans la nature afin quil put peupler la terre et cultiver (i). Quoique ce soit a une addition au texte de la bible, la réponse favorable que Dieu fait a Noé dans 1'écnture, montre que ce que dit Josephe n'est point a rejettet. En effet cette crainte étoit bien naturelle: et Josephe a raison dy insistet plusieurs fois; car il fait voir les enfans de Noé en partie retenus sut les montages par la crainte, ils n'en descendirent pour aller dans la plaine que pour y batir une tout qui put les mettre a couvert d'un nouveau déluge. Quel qu'ait été le motif d'un entreprise que Dieu punit, on doit presumer que les premières générations qui ont suivi le léluge ont vécu dans la terreur. Aussi voit-on dans 1'écriture même qu'apres la submersion et 1'incendie de Sodome, les filles de Loth crurent fncore le gente humain détruit. C'est a cette même terreur qu'on doit peut-êtte attribuer la construction des énormes pyramides d'Egypte et des caves profondes dans lesquelles Ammian Marcellin nous dit que les anciens Egyptiens consetvcient les monumens de leur histoite et de leur religion, comptant sans doute les soustraire par la aux efforts de la nature au cas d'une nouvelle submersion de leur pays (2). Quoi qu'il en soit, c'est dans le seul endroit de 1'écriture qui vient d'être rapporté, que 1'on peut voir quelles ont été les suites du déluge, et que 1'on trouve un monument de lun- (1) V. Joseph. anlicjuit. Judaïc. lib. I, cap. 3, parag. 7, ei cap. 4. (2) Ammian. Marcel, lib. XXII,  par ses usage. Liv. I. Ch. V. ïzy pression que cet événement fit sur 1'esprit des hommes. On ne trouve ailleurs rien qui en retrace Ie souvenir. XII. Diodore de Sicile nous parle des commémorations (i) annuelles qui se faisoient dans 1'isle de Samothrace en mémoire du déluge qui avoit submergé toute 1'isle a 1'exeption du sommet des montagnesLes anciens habitans y avoient marqué le terme de 1'inondation et de la hauteur des eaux par des autels oü ils alloient sacrifier tous les ans et rendre graces aux dieux qui les avoient sauvés. Le détail qui s'est conservé de ce déluge donne lieu de croire qu'il étoit atrivé par 1'éruption du Pont-Euxin dans 1'Archipel en forcant son passage par les montagnes qui en faisoient un lac. On a cru que ce déluge étoit différent de celui dont parient toutes les auttes nations; je le répete encore, les déluges ne sont point des événemens assez communs dans la nature pour que 1'on soit en droit de les multipliei; ainsi ce déluge de Samothrace n'a point été un événement assez peu considérable pour n'intéresser que cette isle-, elle n'a pu être submergée sans que 1'Asie mineure, la Grece et les isles de 1'Archipel beaucoup plus exposées a 1'irruption des eaux, ne fussent en même tems inondées. D'ailleurs pour que le lac du Pont-Euxin débordat d'une manière aussi furieuse, on doit supposer que cet effet doit être artribué a des pluies violentes et extraordinaires qui firent déborder tous les fleuves qui se jettent dans la mer, tels que le Danube, le Boristhène, le Niester, le Tanaïs et le Pliase. II semble même que c'est le sentiment de Diodore, puisqu'il dit que la mer de Pont, autrefois renfermé comme un lac, fut pour (a) Diodur. Sicul. lib. V.  n8 L'Antiquité dévoilée lors tellemenr grossie par les eaux des fleuves qui s'y jettent, quelle s'éleva avec violence par dessus ses rivages, et se répandit sut les campagnes d'Asie. Ce n'est point la, comme quelques-uns Font pensé, une crue lente et insensible que la décharge journalière des fleuves auroit faite dans un bassin sans issue; de cette facon toutes les nations voisines eussent été averties de 1'effet que devoit avoir cette crue d'eaux; alors, ou elles auroienr travaillé a leur donner un écoulement, ou du moins elles auroient reculé leurs habirations a mesure que 1'eau faisoit insensiblement reculer ses rivages ; et dans ce cas , personne n'auroit péri. II y a donc toute apparence que cette inondation de Samothrace n'a été qu'une suite secondaire des effets du déluge sur toute 1'Europe, sur la Russie, sur 1'Arménie , et sur toutes les vastes contrées dont les eaux se déchatgent encore aujourd'hui dans le Pont - Euxin. Deplus, ce déluge est sans date dans l'histoire, ce qui prouve sa haute antiquité: les suites de ce déluge sont d'ailleurs les mêmes quant aux impressions quelles firent sur les hommes; les infortunés qui échappèrent a sa fureur, en se retirant sur les sommets des montagnes de 1'isle, y devinrent errans et sauvages , et oublièrent tous les arts, Ce fut, selon Diodore, un fils de Jupiter qui les rallia par la suite, et qui les fit vivre en société ; on voit des colonies en sortir pour s'établir d'abord en Phrygie, qu'Hérodote présumoit n'avoir été anciennement qu'une mer ou qu'un marais (i), ainsi que les plarhes d'Ephèse et du Méandre. Enfin, on voit dans 1'isle de Samothrace, des fêtes, des mystères et des orgies qui rendirent cette isle fameuse et révérée. Cérès lui donna le bied lorsque Cadmus cherchant Europe, (i) V. Herodot. lib. TI. aborda  par ses usages. Liv. I. Ch. V. \iq aborda dans cetre isle , oü il épousa Hermione ou Harmonie. II semble que la fable de ce Cadmus qui cherche Europe , pourroit s'expliquer naturellement, en disant que c'est 1'orient qui cherche 1'occident. Les Asiatiques ont pu croire après le déluge, que 1'Europe étoit perdue en tout ou en partie; aussi voyons-nous que toutes leurs navigations et leurs recherches se sont tournées de nos cótés aussi-tót qu'ils ont osé voyager sur les mers. Cette idéé nous donne encore 1'explication de toutes les fètes qui se célébroient a 1'occasion de 1'arrivée de Cadmus et de son mariage avec Harmonie aussi-tót après qu il eut touché aux isles de 1'Europe j mariage qui ne semble avoir été qu'un traité de commerce entre 1'Europe et 1'Asie qui se reconnoissent, et qui se communiquent réciproquement les secours nécessaires a la vie; c'esrde la joie et de la solemnité de ces noces allégoriques , que parle Diodore, et oü il dit que tous les dieux voulurent assister, que chacun fit son présent; que les uns donnèrent la religion , les autres les arts, d'autres 1'agricultute, etc. (i). Concluons dela que le déluge de Samothrace n'est qu'une partie d'une révolution plus générale: et les fêtes annuelles qui en rappelloient le souvenir sont des preuves des anciennes impressions que cet événement avoit faites sur les hommes. VIII. Le même Diodore de Sicile nous dit que U) 1'isle de Lesbos et le continent de 1'Asie mineure furent détruits et dépeuplés par le déluge de Deucalion. (1) Jjiodor. Sic. lib. V. P'aton dit qu'a rès le djèluge Ia rareié des hommes étoit si grande qu'ils se félicitoient chaque fois quils se renconlioieuf. V. Pl'alo de Legi'/us lib. III. (2) Diodór. Air. li(,. fr parag. 4g. Toir.e I. I  tjo VAntiquité dévoilée Comment un déluge de thessalie a-t-il pu faire une impression si marquée sur 1'Asie ? s'il neut point été le même que celui de Samothrace, auroit-il pu ne pas causer un ravage universel dans tout 1'Atchipel et dans toutes les contrées maritimes correspondantes} Les funestes effets de ce déluge ont donc été trop vasres et trop affectés aux mêmes contrées pour en faire deux déluges différens (i). C'est peut-êtte encote a ce même déluge que 1'on doit attribuer le culte que les Rhodiens tendoient au Soleil auquel leur isle étoit particulièrement consactée; c'étoit suivant Pindate, en mémoire de ce que cette isle étoit autrefois sortie des eaux. Diodore de Sicile nous dit qu'au déluge les anciens habitans réfugiés sur les hauteuts, virent insensiblement leur isle se desséchet pat 1'effet des rayons du soleil, ce qui^ la rendit habirable et féconde. Ils cfoyoient aussi que c'étoit dans leur isle que les géans avoient pris naissance, tradition qu'il faut joindre a la fable qui prétend que les premiers habitans de cette isle furent (1) changés en rochers a cause de leur méchanceté, ce qui n'exprime que le ravage des eaux d'une manière allégorique. Le culte du soleil joint ^ ces traditions semble nous en indiquer 1'origine. En un mot tout semble nous prouver que rous les déluges que les traditions des Grecs ont multiphés, sont le même déluge considéré diversement par les habitans de diverses contrées qui en ont senti les ïnfluen- (5) Piaton au troisième livre des Loix , en parlant en général de» effets du déluge sans nommer ni Beuealion , ni le Ponl-Eu*... , dit qu-après le déluge les peuples de la Phrygie habitèrent long-tems Ie sommet du mont Ida et n'osèrent descendre dans la p'ame. (9j Yindar. Olymp. 7. Diudor. li!,. V , parag. 54- Oud. mttam. Ié, Vil, fab. 9.  par ses usages. Liv. I. Ch. F. 131 ces. Xénophon compte cinq déluges; celui de Samothrace, dont nous parle Diodore de Sicile, fait le sixième. Aussi rien ne paroit plus naturel que de croire que le déluge d'Ogygès, celui de Deucalion, ou dela Phocide, celui d'Achéloüs et de 1'Arcananie, celui de la Béotie, enfin celui de Samothraceont été une seule et même révolution; on peut en dire autant du déluge d'Hercule et de Prométhée, de celui de Protée, et du déluge Pharaonien en Egypte. Toutes ces inondations peuvent se réduire au déluge de Noé, dont 1'écriture nous a transmis les effets dans la génèse. XIV. Les Américains de la Floride et des Apalaches qui, de même que les Rhodiens , adorent le soleil , attribuent au déluge le motif de leur culte. Le déluge arriva , selon eux, paree que le soleil suspenpendit sa course, alors le lac Théomi déhorda et inonda toute la terre, a 1'exception du mont Olaymi que le soleil épargna paree quil y avoit son temple:par-la plusieurs des habitans furenr sauvés du naufrage ; c'est en mémoire et en reconnoissance de 1'asile que leurs ancêrres y avoient trouvé, que les Floridiens vont quatre fois 1'année en pélérinage sur cetre haute montagne pour offrir au soleil du miel et des fruirs de la terte. Durant ces 'quarre fêtes on allume des feux sulles montagnes, les prêtres veillent pendant la nuk et vivent dans la retraite, ils entrent seuls dans le temple dont le peuple n ose approcher. Cette fète a d'abord un ton lugubre, mais elle se termine par des processions ou des courses que font les habitans en tenant des branches ou des rameaux a la main • on rit, on danse, on se livre au plaisir, et 1'on donne 1'a liberté a six oiseaux en mémoire de 1'ancienne délivrance (1). (1) V. ci-isjn. rt-lig. lome YII. I X  Ijl L'Antiquité dévoilée Les Caraïbes de 1'isle de S. üomingue avoient un pélérinage tout semblable vers une caverne oü la tradition porroit que le soleil s'étoit autrefois caché avec la lune, et qu'ils en étoient ensuite sonis ainsi que les hommes : d'oü 1'on voit que cette cavetne étoit pout ces sauvages le lieu consacré a des commémorations dont le motif s'étoit peu a peu corrompu (i). Les Japonois nous fournissent un exemple frappant de commémoration dont le motif s'est corrompu de la même manière dans le grand pélérinage qu'ils font dans la province d'Isje (i). Ces peuples prétendent que cette province est le premier séjour de leurs ancêtres et des premiers hommes. Les dévots y vont une fois 1'an, mais tous y vont au moins une fois dans leur vie pour obtenir la bénédiction du ciel en ce monde et la félicité éternelle dans 1'autre. Le terme du pélérinage est un temple qu'ils appellent le temple du grand dieu ; il n'y en a point de plus saint et de plus fameux au Japon; cependant il n'y a tien de plus simple et de plus pauvre que ce temple, qui est construit de bois et couvert vde chaume : tout son ornement est un miroir qui représenté a 1'esprit du Japonois 1'ceil la pénétration et la pureté de 1'intelligence suprème. Les Japonois, cette nation riche, puissante et policée, ont plus quaucune autre cet esprit commémoratif dont nous cherchons les trans épars chez tous les peuples. •S'ils entretienne'nt ce temple d'une facon si simple , c'est pour qu'il serve de monument de 1'extrême pauvreté des premiers hommes: ils n'ont presque point de fêtes ni d'usages qui ne rappellent sans* cesse cette antique indigence du genre humain. Non loiri de ce temple, (1) Hist. ginir. des voyages, tome XII, èdit. in-4- (2) Kempier. hisr. du Japon , liv. I, chap. 6.  par ses usages. Liv. L. Ch. V. i} j sur une colline, est une caverne que les pélerlns ne manquent point de visiter; c est-la, leur dit-on, que leur grand dieu s'est autrefois cacHé lorsqu'il priva le monde, le soleil et les étoiles de leut lumiète: la on leur montre une idole assise sur une vache, qu'ils appellent la grande représentation du soleil. On sent bien qu'une tradition de cette nature ne peut ainsi que celles des Caraïbes, être prise a la iettre. Le soleil ne s'est jamais caché dans une caverne; mais il y a tout lieu de croire qu'une telle fable a pris son origine dans 1'usage primitif de faire ces commémorations dans des cavernes et d'y représentet les événemens par des emblêmes et des allégories. On peut jugér que cet usage n'est point encore tout-a-fait perdu et corrompu au Japon; cette vache et 1'idole qui 1'accompagne seroient pour les Egyptiens et les Grecs une /o, une Isis avec son Osiris ou son Horus j tué par Typhon ; au Japon cet emblême n'est encore que la représentation du soleil autrefois éteint et obscurci par un effet de la colère de 1'être suprème. Remarquons encore que le lieu de cette représentation est- un lieu séparé et distingué du temple oü il n'y a nulle idole et nulle image, et que l'idolatrie, suivant toutes les apparences , doit en partie son origine a 1'introduction des objets symboliques destinés a rappeller la mémoire des événemens de la nature; c'est a un tel abus que 1'on peut rapporter 1'absurdité de toutes les traditions et légendes de ces dieux tantót heureux et tantót malheureux, tantot morts et tantót renaissans; la divinité a du naturellement se perdre et se confondre dans cette multitude de figures symbcliques placées dans les temples, personnifiées et divinisées par les progrès de l'ignorance. II est encore important de faire temarquer que ce pélérinage des Japonnois a de plus pour objet les biens_ I 3  '134 L'Antiquité dévoilée de la vie future; c'est dans cette vue que les vrais dévots le font a pied et en mendiant; tout le monde se purifie et fait pénitence ; tout y rappelle a 1'homme qu'il n'est qu'un pélerin sur la terre , vérité qui avoit dü faire une profonde impression sur les habitans du monde au tems des grandes révolutions de la nature. Voila pourquoi chez les Japonnois, comme chez tous les autres peuples oü nous trouvons des usages relatifs aux événemens passés, nous les verrons aussi toujours relatifs aux événemens futurs. Nous parierons ailleurs plus en détail de cet esprit des anciens pélérinages, aussi bien que du culte sur les montagnes, que les anecdotes qui précédent nous annoncent comme ayant pour objet le souvenir des anciennes révolutions de la terre. Continuons de suivre ici la chame de ces commémorations chez tous les peuples oü les motifs en sont le moins oublieés et obscurcis. XV. Les habitans du Brésil ont conservé la mémoire constante du déluge dans leurs chansons funèbres. Suivant leurs traditions, un étranger ennemi de leurs ancètres, les fit tous périr dans une grande inondation dont il ne sauva que deux personnes (i). leurs chansons roulent d'ailleurs sur des victoires ou sur la mort de leurs ahcêtres; on ne peut point affirmer positivement que ces chansons aient le déluge pour objït, mais on peut le présumer vu quelles célèbrent aussi la vie future des bons et la destruction de leurs ennemis. Ces chansons se chantent dans de certaines fêtes que célèbrent les Caraïbes aussi bien que les Brésiliens, et que 1'on peut comparer aux orgies; on y danse (0 Voyez bistoire générale des Toyages , torae XIV, éditio» in-4.  par ses usages. Liv. I. Ch. V. 13 f en faisant mille contorsions •, les femmes et les enfans prennentpart a ces extravagances \ on se repose ensuite aptès s'être violemment agité, on prend un ait plus calme, on chante sur un ton plus doux, on forme une danse figurée et mesurée , tantoten cercle, tantöt séparément et deux a deux \ les prêtres qui président a cette cérémonie , soufflent a la fin sur les danseurs , et leur disent d'un air grave, receve^ tous 1'esprit de force, et tout le monde va se réjouir et régale les prêtres. Cette fête , indépendamment de ce quelle peut avoir de commémoratif et de conforme aux orgies , comme le dit Corréal, ressemble encore aux anciens mystères danslesquels on se faisoit initier pour se régénérer. Cet esprit de force que le prètre soufflé sur les assistans, semble indiquer une régénération. Nous ne dirons rien des habitans de la Trinité , de Cubagua, et de la nouvelle Andalousie, qui conservent la tradition d'un ancien embrasement du monde , causé par le soleil irrité, ü faudroit d'ailleurs connoïtre leurs usages commémoratifs; c'est chez tous les peuples la vraie pièce justificative de leurs histoires et de leurs traditions (1). ij XVI. Nous verrons en parlant des géans, les grandes actions de tous les dieux de 1'Indostan : nous nous contenterons ïci de dire que touteS les fêtes annuelles des Indiens ont tapport aux exploits de ces dieux; les unes célèbrent un dieu qui a triomphé des géans ; d'autres nous retracent le souvenif d'un autre dieu qui a soutenu le monde ébtanlé , et qui a rétabli la nature ; dans une autre solemnité, nous voyons le soleil et la lui* battus par un dragon. Les prières journalières des Indiens et ïhymne que les Bramines chantent avant 1'aurore , pré- (1) Céiém. relig. tome VJl I 4  'i 3 L'Antiquité dévoilée sentent l'histoire allégorique d'un dieu qui vole dans les cieux avec une vitesse infinie , et qui pendant mille ans combattit contre un crocodile, qu'il tua; cette hymne célèbre ses malheurs, ses combats et sa victoire; c'est un Apollon persécuté et enfin victorieux (i). Les Malabres célèbrent au mois d'aoüt une fête funèbre et lugubre, qu'ils appellent Ona, dans laquelle ils déplorent la perte de lage d'or,et chantent la descente d'un dieu qui amena la pauvreté, 1'adversité et les maux sur la terre. Ces fêtes sont de vraies bacchanales et de vraies saturnales (2). Dans le même mois, on célèbre une autre fêre dans 1'Indostan; il y est question d'u'n dieu vainqueut d'un ennemi terrible,'er qui ouvroit des abimes. Les usages qui s'y pratiquent ressemblcnt a ceux des Palilies : on s'y régale de crème , de fruits, de fromage , et tout est orné de feuillages et de verdure. Une des fêtes les plus riches de ce pays, est celle dans laquelle on fait la commémoration du secours que Vistnou donna a la terre qui s'enfoncoit dans les eaux, et qu'il soutint en la métamorphosant en tortue. Toutes ces histoires nous présentent un abus visible des emblêmes piimitifs; mais 1'abus que 1'on y fait aussi des dogmes primitifs qui en étoient 1'objet, n'est pas moins étonnant et ridicule (3). C'est dans la ville de Jagannat, située sur le golphe de Bengale, que 1'on fait la commémoration annuelle de cette dernière anecdote. On accourt en cette ville de plus de trois cent lieues, en se prostemanf de toise (1) Cérém. relig. rome V. (2) Oni en hebreu signifie douleur , affïictinn. (3) Voyez cciVnon, relig. tome VI, el lettres édiCanies , tom.4 XIII,  par ses usages. Liv. I. Ch. V. 137 en toise, ce qui rend le voyage très-long et trés - fatiguant; quelques-uns des pélerins, pour le rendreplus rude se chargent de chaines \ en un mot, cette fête attite un concours incroyable (1). On y fait une piocessioii composée quelquefois de cent cinquante mille personnes, qui escortent le chat de la divinité dont cette solemnité représenté ladescente; ce char est une machine immense chargée de mille figures extravagantes , de monstres a plusieurs têtes et a plusieurs bras, de géans et de bêtes de toute espèce : le tout est surmonté de la figure du dieu. Ce char est posé sur des roues énormes sous lesquelles les dévots frénétiques et enthousiastes se font écraser aux yeux d'une multitude qui applaudit a leur zèle , et qui demeute convaincue que le dieu récompensera dans une autre vie ces pratiqucs barbares et insensées. Nous dirons ici avec Plutarque , que si les typhons et les géans eussent établi un culte sur la terre, ils n en eussent pu choisir de plus abominable. Voila cependant quel a été le fruit du dogme de la descente d'un dieu qui devoit venir juger les hommes a la fin des périodes. On peut dire que le genre humain s'est fait plus de maux par sa superstition , que tous les déluges et tous les embrasemens de la terre n'ont èté capables de lui en faire •, la nature s'est téparée, mais 1'esprit humain ne 1'a jamais été, paree qu'il a lui- mème entretenu une plaie dont il a tendu la guérison incurable. Cette superstition des Indiens est d'autant plus insensée, que, quoique 1'cbjet de leur fête soit visiblement le souvenir de la destruction du monde, cet événement est tellement déhguré chez ces peuples par des emblêmes, des allégories et des fables, que 1'on n'y comprend rien , et que (1) Jlistoire générale des voyages , loine X. Lettres cdifwntes, ieme XII.  13 ^ L'Antiquité dévoilée 1'on peut dire que le fond de la sdlemnité leur est totalement inconnu, et qu'ils sont gratuitement les dupes et les vicrimes de leur désespoir et de leur fanatisme. D'ailleurs on ne peut pas concevoir que chez les premiers hommes, même chez ceux qui ont été témoins des révolutions de la nature, la terreur ait pu produire des excès plus terribles; devenus trés - malheureux, ils n en ont été que plus religieux et plus soumis a la providence qui les frappoit; mais il est étonnant que leur postétité heureuse et paisible ne se soit rendue malheureuse que par la superstition et par un renoncement total a la taison. CHAPITRE VI. De Ia fable des Géans, ou de la Gigantomachie ^ sous laquelle on a voulu peindre les révolutions de la nature. Ï.ÏNous venons d'exposer des institutions et des usages qui ont un rapport visible avec le déluge ; nous. avons décrit des fêtes qui ont été évidemmenr consacrées a la mémoire de ce grand événement; on ne peut donc contester que les anciens n'en aient conservé un religieux souvenir et que cette terrible catastrophe ne soit originairement entree dans le plan de leur culte, ou même ne lui ait setvit de base, et qu'elle n'ait été J'objet d'une tradition suivie depuis les premiers hommes du monde renouvellé jusqu'au tems oü nous avons retrouyé ces fêtes chez les Grecs, les Syriens , les Juifs , les Américains, &c. Ce ne sont point ces ïiations qui, par la suite des tems, ont pu établir ces  p&rses usages. Liv. I. Ch. VL. i?9 sortes de fètes; elles n ont pu en tenir les motifs et les usages de leurs ancêttes qui avoient été les témoins des désastres du monde. II est vrai que les livtes ne nous ont point ttansmis 1'hfetoire de ces premiers hommes , ou du moins ils ne nous ont point appris quelles ont été les imptessions profondes que les déluges ont faites sur le cceur et 1'esprit de ceux qui ont échappé a ces affreux fléaux 5 ils ne nous ont point fait connoïtre le caractère de leurs premières institutions; mais les fêtes et les usages que nous venons de tetrouver ne peuvent êtte sottis que d'une tradition continue dont les lueurs ont percé au travers de 1'obscurité des siècles. Ce sont-la les monumens et les piéces authentiques de la véritable histoire de ces premiers ages du monde renouvetlé ; ce sont eux qui peuvent nous aidet a remphr le vuide ténébreuxquiaprécédé les tems historiques. Poutroit - on contester de pareils titres lorsque d'ailleurs ils se fondent sur les reflexions simples que nous devons faire actuellement sur le caractère des hommes échappés aux crises de 1'univers ? en effet rien de plus naturel a 1'homme que d'avoir été vivement frappé du spectacle effrayant de son séjour bouleversé ; rien de plus conforme a son esprit que d'être occupé de ees révolutions terribles pendant un grand nombre de siècles , d'avoir même prolongë ses peines beaucoup au-dela de ses maux réèls, et de nourrir en lui-même ses dispositions mélancoiiques. Tel est le caractère de 1'homme craintif et malheureux; il est bien étonnant que ceux qui les premiers ont entrepris d'écrire l'histoire des sociétés, n'en ayent point cherché le? premiers élémens dans cetre source er n'aienr point consulté, soit les anciennes traditions sur le renouvellement du monde et des^ sociétés , soit leur propre caractère pour juger de^ 1 état et des sentimens de 1'homme a la suite de ces évène-  *4° L'Antiquité dévoilée mensdestructeurs. La longueur du tems qui s'est écoufé entre la renaissance des sociétés et les premiers écrivains pouïroit rendre raison de leur silence ou de leur mépnse ; mais il en est plusieurs autres , tels que le style aüegonque et 1'écriture symbolique et hiérogliphique des premiers tems , qui , lorsqu'ils ont cessé d'être d un usage commun, ont donné lieu a 1'oubJi ou a la corruption de l'histoire de tous les ages antéricurs, et des faits dont ils devoient conserver le souvenir. Les tableaux de l'histoire sont alors devenus muets et inmtelligibles ;onya vu toute autre chose que ce qu'ils représentoient; le passé n'a plus été que le champ de Ia fable ; l'histoire a disparu, ou il n'en est plus resré qu'un souvenir confus.; et quoique les usages destinés 3. en perpétuer la mémoire ayent été soigneusement conservés , leurs motifs ont été, ou totalement oubliés, ou du moins changés et défigurés. L examen que nous avons déja fait d'un petit nombre de fêtes en mémoire du déluge que 1'antiquité nous fait connoïtre, est une preuve des causes particulières d'oubli de ce grand évènemenr. Avec combien de fables ces fêtes ne sont-elles point confondues ? a combien de faits étrangers et modernes les usages primitifs ne sont ils pas appliqués ? presque tous les peuples du monde ont ces usages, et tous les expliquent diversemenr, il n'y en a qu'un trés - petit nombre qui les ramènent a un principe commun , qu'on ne peut s'empêcher de regarder comme le seul véritable. Nous avons de plus remarqué que ces fêtes primirives sont liées avec une théologie expfimée dans un langage aiiégorique, que nous appellons mythologie. Les malheurs du monde y sont communément reptésentés par des symboles et des images , dans lesqueis on ne voit que les aventures heureuses et malheureuses  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. 141 des dieux , leurs guerres, leurs combats , leurs victoires, et les biens ou les maux qu'ils ont faits aux hommes. Nous avons cependant entrevu la liaison de ce style avec les faits \ il faut donc nécessairement se familiariser avec lui pour découvrir, s'il se peut, jusqu'a quel point le souvenir des révolutions anciennes s'étoit ïmprimé et perpétué chez tous les peuples ; cette voie que nous sommes obligés de prendre n'a point ce ton d'autorité et de conviction que 1'examen des usages précédens peut avoir. Les usages dans lesquels le souvenir du déluge est empreint d'une manière simple et naturelle , sont très-rares ; et je ne crois pas qu'on en trouve beaucoup d'autres que ceux qui font 1'objet des chapitres qui précédent. Mais lorsque les traditions altérées, les légendes et les fables seront confrontées avec les usages qui y auront rapport , on trouvera le moyen de les rapprocher au moins du ton de la vént© que i'on trouve dans les traditions pures et simples. Au reste, je serai réservé sur ces légendes. Je n'entreprends point ici d'expliquer toute la mythologie , ce vaste champ de conjectures dans lequel 1 esprit humain ne cessera point de s'égarer , je me contenterai de choisir les sujets que le concert des anciens et des modemes a déja raprochés de mon objet , j'abandonnerai non-seulement'les fables et les légendes qui ne setont point liées aux usages , mais les usages eux-memes lorsqu'ils ne seront point évidemment hes au peu de faits par lesquels nous avons commencé nos rechercnes. II. Les Egyptiens et la plupart des Orientaux [quels que soient des uns ou des autres ceux qui en sont les hiventeurs ) avoient, dit 1'auteur de l'histoire du ciel, une allegorie ou une pemmre des suites du déluge, qui devint célèbre et que 1'on trouve partout (1) : elle rj ' O) V. llUtoire du ciel, de M, ihA^^l, cuapittel, ?*™ë- l5>  142 L'Antiquité dévoilée présente le monstre aquatique tué, et Osiris ressuscité; il sortoit de la terre des figures hideuses qui entreprenoient de le détröner ; c'étoient des géans monstrueux dont 1'un avoit plusieurs bras , dont 1'autte arrachoit les plus grands arbres, un autre tenoit dans ses mams un quarrier de montagne, et le lancoit contre le ciel; on distinguoit chacun d'entr'eux par des entreprises étonnantes et par des noms effrayans ; les plus connus de ces géans étoient Briarée 3 Othus 3 Ephialtes 3 Encelade 3 Mimas 3 Porphirion et Rcechus. Osiris reprenoir enfin le dessus, et après avoir été maltraité il se délivtoit heureusement de leurs poursuites. Pour montrer combien ce tableau est historique, notte auteur traduit les noms particuliers que 1'on a donné a chacun de ces géans. Briarée 3 dit-il , signifie la sérénité renversée ; Othus 3 les saisons dérangées; Ephialtes 3 les nuées épaisses ; Encelade 3 le passage des torrens ; Porphyrion 3 les fractures de la terre; Mimas 3 les pluies; Raechus, le vent. Si cet auteur ne nous présente point ici une de ses illusions ou de ses méptises , il faut avouer que la fable des géans et de leurs combats contre les dieux , est un des plus gtands monumens des révolutions de la terre que 1'antiquité nous ait transmis. Quoique souvent je ne croie point devoir adopter les idéés de cet écrivain, je me rendrai ici a ses conjectutes qui sont fortifiées par le témoignage des anciens et appuyées par un concours d'etymologies assez justes ; d'ailleurs la commémoration des géans et de leuts entteprises se trouve liée ^ presque toutes les institutions religieuses des anciens peuples. Dans presque toutes les fêtes on pleuroit sur les malheurs que les dieux avoient jadis éprouvés , et 1'on se réjouissoit ensuite de leurs victoires. En Egypte dans les sacrifices on chargeoit Ty-  par ses usages. Liv. I. Ch. VL> 14-$ ] phon d'injures (1) , en même tems qu'on chantoit les ! louanges d'Osiris, et 1'on accabloit de coups des figures 1 énormes et effrayantes que les Grecs j dit Diodore,, ont par la suite appellées des Géans }fils de la terre (2). Ces figures énormes étoient exposées a 1'entré des temples ; avant d'y entrer on les maudissoit a cause des maux qu'on prétendoit qu'ils avoient fait au monde; et 1 1'on n'alloit a ces temples que pour implorer contte eux 1'assistance des dieux (3). III. Je ne serai donc dans ce chapitre que le com1 mentateut de 1'auteur de l'histoire du ciel. Ainsi nous j allons rechercher ce qu'ont été les géants , ce qu'ils ont fait, quel a été leur sort, ce qu'en ont pensé les an» ciens peuples de notre hémisphère, et même ceux du 1 nouveau monde •, faisons même, s'il le faut, un nouvel examen de leurs noms. Considérons aussi la pare qu'ils ont eue dans les commémorations religieuses; dévoilons , s'il se peut, les fables par les usages , les usages par les faits : coufrontons le connu avec 1'inconnu pour vérifier 1'un et pour jetter du jour sur I 1'autre. Dans Hésiode les premiers géans sont appellés I Hécatonchires , fils du ciel et de la terre; il les nomme (1) Plutar. de Iside et Osiride: (2) niodor. lib. I, sect. 1 , parag. i/}. (5) Norden , le plus récent et le plus exact des voyageurs qui ont décrit lT.gypte, dit avoir vu un assez grand nombre de ces colosses oa fioures énormes ; il en décrit deux sur-tout qu'il a trouvées h Luxor qu'il suppose avoir été 1'ancienne Thèbes : il leur donne ciiKiuanta pieds de hauteur. Voyez les voyageurs modernes, lome II, pag. 184 et suiv. L'on peut attribuer la mème origine a ces colosses ridicules , que l'on voit encore a Pentrée de quelques-uues de nos èghses, 4 qui l'on a donné le nom de saints , et qui ne sont propres qu'i faire peut aux p-Jtits enfaus. Oh » trouvé des usages semblables ea Aoiéjique,  '144 VAntiquité dévoilée Cottus Briarée, Gygés (i). Ils avoient chacun cinquante têtes et cent bras ; le ciel n en put supporter la vue, et a mesure qu'ils naquirent il les cacha dans les sombres demeures de la terre , et les chargea de chaïnes ; la terre indignée de les voir traiter ainsi, engagea ses auttes enfans a les venger ; Sarurne fut le seul qui osa 1'entreprendre; il détróna le ciel son père, le mutila, et de son sang que la terre recut dans son sein, il en naquit encore d'autres géans, avec les furies et les nymphes Mélies. Le Ciel détroné fit des repioches a ses enfans, il les nomma Titans , patce qu'ils avoient suivi les conseils de la terre leur mère, et leur annonca qu'ils en seroient un jour punis. En effet, Jupiter _, fils de Saturne, 1'ayant encote a 1'instigation de la terre détroné a son tour, les Titans refusèrent de se soumettre a lui , et lui déclarèrent la guerre •, cependant quelques-uns reconnurent Jupiter; celui-ci défit les autres a 1'aide des Cyclopes, Brontes Steropes ., Argès (2) , qui lui donnèrent le tonnerre (1) Conus désigne dans 'a langue Phénicienne un monstre tffrayant qui écrase , qui brise , qui atat, qui extermine, soit que sa racine soil Khath, ou Catath ou qatal ou qut , qui tous reviennent au mème sens. Briarée est expliqué , par Pluche , par la sérénité renversée ; on 11e peut guère lui trouver un autre sens ; cependant il seroit plus naturel de 1'appeller l 'ennemi de La sérenilè , de Beri et de Ar ennemi; 3a linale de Briareus est latinc , et Pluche n'auroit pas dü y avoir égard, ïii y voir le mot phenieien barus , renversé. Gygès est exp'iqué par Vossius et bien d'autres par feu , einbrdsement, ee qui brille ou celui qui brüle. Ce doit être aussi ia racine du gèant Eycon et du monstie j4Egide qui, suivant la fable, mit toute la Phrygie en feu. En grec le mot Phiygie désigne un pays brülé. (1) Ees noms des trois cyclopes d'Hésiode signifient tonnerre, foudre et éclair ; ce poëte les fait enfans du ciel et de la terre ; Homére les dit enfans de Neptune et d'Amphytiitc. Leur principal séjour étoit le mont Etna en Sicile. Ce sont les éruptions de ce volcan qui ont donné lieu a la fable qui y place Vuicain et les fihricateurs de la foudre. Peut-en ne pas reconnoitre ici une physique a' égorique ? et  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. ttf et la foudre •, il fut encore secondé par ces mêmes géans quele ciel effrayé avoit autrefois renrermés sous terre; appelésausecoursde Jupiter ces géans couvroienta chaque instant les Titans de trois cent pierres qui partoient a la fois de leurs mains; ils les poussèrenrj usqu'au fond du Tartare, et las y renfermèrent dans un cachot d'airain, afrreüse demeure contenue dans les abymes de la terre et de la mer. Après la défaite des Titans parut encore Typhée (i) fils de la terre et du tartare , monstre a cent têtes de serpens; ses langues étoient noires; un feu ardent partoit de tous ses yeux , et toutes ses bouches prcféroient des sens intelligibles, semblables aux mugissemens des taureaux, aux rugissemens des lioris, qui faisoient retentir les montagnes de sifHemens effrayans. II seroit devenu souverain des dieux et des hommes, si' Jupiter n eut arrêté ses efforts; ce dieu armé de son tonnerre, fait retentir la terre et les cieux; la mer s'agite, et les flots se poussant impétueusement les uns contre les autres, viennent se briser contre les cotes; la mer gémit, le ciel s'entiamme ; Pluton est effrayé dans les enfers , et le bruit de la foudre de Jupiter rapporte la terreur jusque sous le tartare dans le ténébreux séjour (,) Typhée en grec signifie la famée du feu , les vapeurs enflammècs; Typhon en phénicien iignifi» caisson, brillure. Truphon , dragon, monstre, ennemi caché. Ttupk, inonder. Les Egyptiens et les Grecs ont fait allusio» i toutes ces slgnif.rarions en parlant de Typl.ée et de Typhon qui sont les memos. Typhon étoit fis des vapeurs dela terre : ou )• repr.'sentoit sous la forme d'un monstre , on le p'acoit sous terre; on disoit qu'il avoit hrülè diverses régions. Les Egyptiens donnoient encore k la mer le nom de Typhon; les HèLrcux appelloient la merrpuge Suph ou Tsuph qui ne sont que le mème mot en des dialectes différens. Les Egyptiens disoient que la mer étoit une suite de Tentbrasement du monde et une ma'adie contre nature. Le déluge se dit en aiahe al-tu-fcn. Pline dit que sous Typhon il parut une grande comete qui présage» les ca'amités dont le monde alloit être accahlé. UUt. natur. lib. II, cap. i5. K fotsiu, lib. 11, cap. 75. Vluuaeh de Iside et Osiride. Torr.e t. ■ K  ur6 L'Antiquité dévoilée des Titans ; il part de 1'Olympe et brüle toutes les tétes du monstre qui tombe sous ses coups redoublés ; le feu dont elles sont embrasées se communiqué a la terre qui fond comme 1'étain dans les fourneaux ; enfin ce monstre est précipité dans le tarrare. De Tiphée sont venus les vents nuisibles aux moreels et différents de Notus , de Boree et de Zéphlr (i). L'origine de ceux-ci est divine, et leur utilité répond a 1'excellence de cette origine ; mais les autres soufilant sur la face de la mer, font périr les navires et les nautonniers. Rien ne peut garantir de leur rage ceux qui ont le malheur den être surpris , ils se répandent avec une égale fureur sur la terre oü ils détruisent les ouvrages des hommes, et leurs tourbillons impétueux gatent, renversent et corrempent tout. Typhon, dit-il ailleurs , est un de ces vents terribles et furieux; et Astree , autre géant , est le mari de 1'Aurorej et le père des vents bienfaisans. IV'. Telle est dans Hésiode cette fameuse anecdote que tous les pectes après lui ont mise a la tête de leur théoganie comme un des premiers événemens du monde. II ne faut point ici beaucoup d'imagination pour appercevoir dans ce tableau une physique allégorique de quelque grand changement survenu a la terre. En effet qu'est-ce que la théoganie d'Hésiode ? Sinon une phy- (i) N~ot/is est le vent du midi , Bort'e Ie vent du nord , Zêphir na vent doux ; 1'éloge que le poöte fait ici de B»rée ne peut ètre ]usti/ïë que dans la langue phénicienne, oü Hor signifie pureté , sérènité ; c'est ca effet le propte du vent du nord de nétoyer et de puriu\r 1'air ; ce n'est doac point a tort qtrc nous cheielinns dans les langues orteata)cs 1'expVatiou de toutes ces nouvelles mytWogies. Notus , Tem du midi, si on peut le d rher de Natah , multiplier, augmenter planter, a pu designer un vent propre a Ia végétation et au développement des semences. Zépfèir vient de Trephirah , le point du jour. C'est lo vent doux du matin , celui qui fait écloic les llcurs, il signifie aussi maturité.  per sis usages. Liv. I. Ch. "I. . t*.sique confuse dans laquelle les phénomènes , les météores, les élémens, le feu , fair , le verit 3 1'eau , la terre, le ciel, les rivières et les mèrs sont personnifiés, et sont mis dans un ordre apparent de génération , suivant les idéés de la physique ancienne, et dans le style des tems allégoriques, Au milieu de ces peintures physiques on voit encore les peintures morales et les générations méthaphysiques de 1'odieux destin , de la patque noire, de la mort?, de la misère , du chagrin , de la clouleur , de la vieillesse, du travail, de la famine , de la guerre , &c.; chacun de ces maux y occupe son rang, et ce livre d'Hésiode tout entier ne nous ortre que le tableau du mal moral et du mal physique qui se disputent 1'empire de 1'univers. II ne faut point être prévenu pour n'appercevoir dans cet ouvrage qu'une histoire physique du monde mais il faut bien de la prévention et de 1'aveugiemenr pour y voir , comme ont fait quelques auteurs, de; êtres réels , des peuples révoltés, des invasions de baibares, et des principes vaincus et détrónés. La confusien et les contradictions qui se trouvent dans Hésiode,ramènent toujours a la nature : on y voit non - seulement les géans soulevés contre les dieux, mais les géans opposés, aux géans eux- mêmes; tantot ceS géans attaquentles dieux, tantut ils les défendent, Briarée , ditHcsiode , fut leur protecteur. Hqmère dit que, lors de la conspiraticndes dieux contre Jupiter, Briarée seul monta a son secours ; et que par sa cöntenance fiére et terrible, il épouventa et dispersa Pallas, Junon , Neptune; ailleurs on voir ce géant le juge et Farbitre entre le soleil et le dieu de la mer qui se disputoient la possession de Corinthe. Cependant ce mème Bfiarée est aussi représenté comme un ennemi des dieux; c'est le même, dit Homère, que le redoutable Egécn qui sortit du sein de la mer pour ccm- K z  L''Antiquité dévcilée battre les dieux, en vomissant contre eux des torrens de rlamme, et Neptune le précipita dans la mer (i). D'oü vient ce contraste , sinon de ce qu'il n'y a aucun des élémens qui ne soit tout a la fois bon et mauvais (2.) J Rien n'exprime mieux que cette fable le soulèvement de toute la nature contre elle-même; tantot le feu est cpposé au feu „ 1'eau est en guerre contte 1'eau, le vent combat le vent; et souvent Hésiodé connoissoit en partie le style dont il se servoit puisque souvent il en donnoit 1'mterprétation physique. Dans Homère on voit un autre contraste , mais qui part toujours de la même source; ce ne sont point les géans qui attaquent Jupiter , ce sont les dieux qui se soulèvent contre lui; et ce sont ces dieux qu'il combat et qu'il terrasse a 1'aide des géans (5). Que vcut dire ce nouveau langage , sinon qu'au tems d'Homère les élémens étoient divinisés er personninés , et que c'étoient eux encore qui se soulevoient contre 1'auteur de la nature ? II en-est de même des fables contradictoires des autres poëtes dans 1-jsquelles tous les dieux et toutes les déesses accourent et partagent les travaux et la victoire de Jupiter; enfin on voit quelques dieux qui, suivant quelques poëtes, le secondent, tandis que, suivant d'autres, ils 1'attaquent et le combattent; tantót on voit Heicule faire des prodiges de valeur en faveur de Jupiter et défendre les dieux contre les géans; (1) Mythologie de Bannier , tome IV , p. 554. (2) Boiée et Brialie n> paroisscnt avoir qu'une même racine commune. C'est rantéït Ie vent du nord qui dissipe les nuages et rend au ciel la sérénité, tanlót c'est un vent violent qui renversé et détruit tout. On peut voir comment Ovide a prrswinilié Boiée, et le tableau qu'il fait da ce personnage figuré lors de l'en'.evement d'Orithie. Métomorph. lib. VI, fab. 9. ( j) V. Humer. Wad. lib. I et XIV.  par ses usages. Liv. I- Ch. PI. 14S> tantót on le voit dresser son are contre le soleil, contre Junon , contre Pluton et les autres immortelsj ce qui est fondé sur ce que le soleil est tantót le biénfaiteur et tantót l'ennemi des hommes. On peut ignorer combien les peuples ont respéeté cet astre , cependant lorsque ses chaleurs étoient nuisibies , les Egyptiens lui donnoient le nom de 1'odieux Typhon ; les Grecs lui donnoient aussi le nom de Titan qui désignoit chez eux les cruels enfans de la terre, et qui a pu designer le feu, puisque dans la iangue celrique , tan signifie encore feu , et maison de feu. Pline nous dit que les Atlantes , peuples de la Lybie , maudissoient le soleil a son lever et a son coucher, paree que sa chaleur brule et ruine leur pays. Strabon dit la même chose des Ethiopiens (i), V. Si nous suivons le soleil ou Apollon dans toute la conduite 3 'souvent contradictoire , que la mythologie lui attribue, nous le voyons tantot prêrer son secours a Jupiter, tuer le serpent Python , que le limon déposéparle déluge avoit fait éclorre 3 et qui ravageoit la terre; tantót on le voit tuer le géant Titye , autre fils de la terre; ailleurs on le voit se soulever contre Jupiter, et exterminer les Cyclopes qui avoient fabnqué les foudres de ce dieüj pour se venger de la mort d'Esculape , ou de la chute de Phaëton. Hésiode nous présente ces Cyclopes comme des êtres semblables aux dieux; Homère en fait des géans cruels, des antrofophages (i). (1) Ylutarch- de Iside el Osinde. Vossius de ldol. lib. II, *ap '34 Ylinii hut. nam. lib. V, cap. S. Strabo , Kb. XVII. Die-dor.. Sicul. lib. I. II faut se rappeller ici ce qui a été dit ci-devant de Saturne qui étoit regardé tantót comme un dieu hienfaisant, tantót comme u« dieu exterminateur et malfuisaut. \ (2) Apollon institua les j'ux pythienj en m nioire de sa victoire tut K 3  i)0 IJ Antiquité dévouée Nous voyons la mème contradicticn dans la conduite que la fable atribue a Minerve : rantót elle est appellèe Cigantophonte, pour avoir tuéplusieurs géans; rantör elle se ligue avec Neptune et Jupiter qui est alors secouru par Briarée. VI. Pour peu que nous y fassions d'attention, nous retrouverons encore les images de la nature dans les exploits de cet Hercule si fameux dans 1'antiquité (i). Lors de sa conceprion la nuit est ttois fois plus longue qu'a 1'ordinaire. Ses travaux consistoient i°. A tuer le lion de Némée dans les montagnes d'Arcadie et de 1'Argolide oü 1'Inachus prend sa source pour se répandre dans les plaines. i°. II tue 1'hydre de Lerne en Argolide, dont les rêtes renaissent. Lerne ne désigne ici qu'une rivière er des marais. 30. II tue le sangüer d'Erimanthe en Arcadia, qui n'est autre chose qu'une rivière. II combat les Gentautes, enfans de Néphélé, ou des nuées qui pour protéger ses fils faisoit pleuvoir durant le combat. 40. II atrrape a la course la biche aux cornes d'or. y°. II chasse les oiseaux du lac Stymphale p-ès de Némée, aux sommets de 1'Arcaclie et de 1'argolide; ces oiseaux déso'.oient la compagne, il les faitfuir a 1'aide d'un tambour d'airain. 6°. Ilnétoye les étables d'Augias en y faisant passer le le Serpent Pylhon. V. Ovil. lib. métam. I, fab. 8. II tna lei Cyclspes. K Euripid. Alccst. A la mort de Phaëton , le soleil accablé de tristesse se caeha, et fut un jour entier sans se montrer. Le monde ne fut éclairé que par la Juenr de riucendie que Phaëton venoit de canser. Mc tam. lib. II, fab. 2 et 4. Lr terre, lors de cet embrasement, s'écrie qu'elle va rentrer dans l'ancie.'i chaos. Métamorphos. Lib. II, fab. .•; (1) T.« nom d'llercule, en grec rtPAKAttg , ne viendroit-il pas du mot hebreu Rachal traficant, ha-rocel marchand , ou de ha-mhc-el, espiit divin ou de dieu ? Hr-KJial-HoXk thcx les anciens Persans signi&e héf05, homme nreux et va.'7/ant.  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. i y i fleuve i Pénée. 70. H amene dans le Péloponese leMitaute de Crète, et institue les jeux olympiques sur 'les bords du fleuve Alphée enElide. 8°. II va au secours des dieux attaqués par les géans a Pallene en Macédoine vis-a-vis la bouche du Péne., dans le golphe Thermceus. II tue le vautour de Promómée. <;°. II enléve en Tbrace les cavalles de Diomède qui se nourrissoient de chair humaine : il part ensuite avec Jason pour 1'expédition de la toison dor. II enléve la ceinture de 1'amazone Hyppolite. io°. En Espagne il enléve les v acnes de Gérion, et tue les trois Gérions. En Afrique il tue Antée, et Busiris en Egypte, et élève les deux fameuses colonnes de Calpe et d'Abila, au détroit de Gibraltar; ce qui signifie, dit-on , qu'Hercule rapprocha fEspagne de 1'Afrique, en remplissant de terre 1'intervaüe qui les séparoit; ou plutöt qu'il les sépara en coupant 1'isihme, et en ouvrant une communication entre les eaux de la Méditerranée et de 1'Océan. II dessèche la vallee de Tempé et découvre les plaines de la Thessalie en prrcant les monts Ossa et Olympe. Au contraire il inonde la Béotie en bouchant les passages des eaux. D'Espagne, suivant quelques-uns, il passé dans les Gaules, d'oü il se rend en Italië; il vient combatre les géans aux champs Phlégréens prés de Cumes; c'est 1'endroit cü est placé le Vésuve; de la il passé en Sicile qu'il remplit de ses exploits. 110. H tire Cerbère des enfers, et avant d'y descendre il se fait initier aux mystères d'Eleusis institués par Orphée qui avoit été lui-même aux enfers. iz°. II va en Afrique ov^ il enléve les pornmes d'or du jardin des Hespérider.' II assiste a la fameuse chasse du sanglier de Calidon, et pour obliger les Calidoniens il détourne le fleuve Achéloüs, ce qui a donné lieu a la fable 1 K 4  151 L'Antiquité dévoilée de son combar. II desséche 1'Etolie. Hercule secourt les dieux contre Typhée et les géans; les dieux le secourent a leur tout en faisant tomber une pluie de pierres sur ces géans; dans une autre occasion il combat Appollon et remporte la victoire sur lui; fatigué des rayons du soleil, il décoche ses flèches contre lui. Homère dit qu'Hercule blessa Junon d'une flèche au sein , et Pluton a 1'épaule; enfin , aux jeux olympiques il combattit Jupiter lui-même. Diodore dit qu'Hercule vint au secours d'Osiris lors du déluge, et remédia aux désordres que le Nil avoit faits en Egypte; ce déluge arriva a 1'entree de la canicule, ruina sur-tout la basse Egypte dont Prométhée étoit le gouverneur. Pausanias dit qu'Hercule fit un lit au fleuve Olbius qui descend de Némée pour se rendre en Arcadie; prés de Trésene, il sort de terre une source pour le désaltérer. Enfin , suivant Athénée, il fut cué par Typhon , et ressuscita par la suite. VII. II est aisé de voir que dans ces tableaux confus, la mythologie n'a voulu représenter que les malheurs de la nature, les combats des élémens et les maux du genre humain réparés par le dessèchement des marais; par le cours que l'on fit prendre aux fleuves en ouvrant des monragncs et en creusant des canaux. Ces images, souvent contradictoires, nous monrréht par-rout un désordre et des révolutions dont les pcé'tes n'ont eu que des idéés peu claires; en effet, il y a lieu de croire que peu d'entr'eux aient connu 1'objet qu'ils décrivoient: ils ne suivoient dans leurs peintures que le langage' d'une ancienne rradition dont le sens étoit déja devenu inintellig'ble ; ils l'ont encore rendu plus méconnoissable, en y ajourant les idéés enfantées par leur propre imagination; cependant, il faut convenir que, quand même ils auroiem composé ces tableaux avec une entière  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. iyj connoissance de cause , et produit a dessein cette foule de contrastes _, ils n'auroient pas pu mieux nous dépeindre ce qu'ailleurs ils appellent chaos , et ce qu'en d'autres terrnes ils décrivoient sous ce nom , comme la peinture du premier état de la nature avant 1'existence et 1'organisation présente de notre globe. Pour nous convaincre de cette vérité , écoutons le début d'Ovide, qui nous représenté la confusion primitivedes élémens. Selon lui, la terre, la mer et 1'air étoient confondus: la terre n'avoit ni consistance , ni solidké, ni fotme détetminée; 1'eau n'avoit point les piopriétés que nous lui voyons; 1'air étoit privé de lumière •, les êtres n'avoient point de figure , ils se nuisoient sans cesse les uns aux autres; le froid luttoit contte le chaud, le sec contre 1'humide, la dureté contre la molesse; tout gtavisoit sans avoir depoidsj etc. (1). Personnifions tous ces diiférens caractères de la nature ; donnons un corps er des noms symboliques a rous les phénomènes qui en dérivent, et nous connoïttons bientót par 1'analogie de ce spectacle avec celui que nous offrent les géans, que ces deux tableaux n'en fonr qu'un; ils n'ont rapport qu'a un seul état de la nature dans mi tems de désordre et de révolution dont il s'étoit conservé un doublé souvenir, 1'un simple mais confus a cause de la longueur des tems; 1'autre plus détaillé et plus connu , mais rendu presque inintelligible par la nature du langage et du style figuré. C'est sur le premier souvenir, que les anciens ont fondé tous leurs systêmes sur 1'origine des choses. Le chaos tumultueux qui précède la création dans tous les systêmes de cosmogonie, n'est qu'une chimère qui n'eut jamais d'exis- (1) Ovid. raetam. lib. I, fab. i. sints mare et terras, etc.  ij4 L'Antiquité iévoiiée tence que dans la eervolle de ceux qui avoient oublié ou ignoré 1'antiquité , et confondu les phénomtnes du renouvellement du monde avec ceux de sa production. Comment a-t-on pu chercher l'histoire de la création dans toutes les cosmogonies payennes \ Comment des hommes qui n'avoient aucunes idees nettes du déluge même, et qui en ignoroieat totalement l'époque, pouvoient-ils se souvenir d'un fait infinimenr plus ancien et plus incompréhensible que lui ? Si les auteurs payens peuvent nous prouver une création a ce n'est pas par les détails qu'ils nous en ont donnés, mais par leur sentiment intime qui s'efForcoit de remonter au premier auteur des choses, tandis que leur imagination et leur langage les égaroient sans cesse. Comme les hommes ne peuvent et ne pourront jamais deviner par eux-mêmes les détails de ce premier de tous les événemens, pour le placer a la tête des annales du monde; et comme il leur a été impossible de se repiésenter les opérations surnattirelles d'un Dieu créateur et architecte de 1'univers, autrement que par des rapports et des analogies grossières, tous les anciens n'ont pu dépeindre cet acte sublime et incompréhensible de la toute-puissance, qu avec des couleurs souillées par les idéés que leur föurnissoit encore un souvenir ténébreux et corrompu des grands désordres arrivés lors de la destruction de 1'ancien monde. Telles sont les sources profanes de ces téntbres, de ce chaos, de :e mélange primitif des élémens, et de cet état de confusion qu'on a supposé avoir précédé la naissance du monde; de-la toutes ces histoires frivoles et ridicules de combat du bon et du mauvais principe; des bons et des mauvais géniesj des géans contre les dieux, d'Oromaze et d'Arimane, de Typhon et d'Osiris; en un mot de-la toutes les fables que l'on  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. *55 place tantót aux premiers insrans de la nature et tanrót au tems de son renouvellement. Cette mdecision fait assez connoïtre que la création tumultueuse des anciens n'est autre chose que le renouvellement du mondei c'est encore a quoi revient le dogme de quelques philosophes qui ont prétendu que la discorde avoit ere la mère et le principe des choses (0, dogme blasphematoire si on 1'applique au véritable acte de la création , mais raisonnable et naturel, si on 1'apphque, comme on le doit, a 1'ancien acte du renouvellement du monde, et au renouvellement perpétuel de toutes les créatures. VIII. Je ne m'arrèterai point ici a rapporrer les unes après les autres les différentes cosmogonies des Chaldéens, des Egyptiens, des Atlantes, des Orphiques d'Hésiode, et de divers autres peuples ou sectes de philosophes : on reconnoïtta leurs méprises pour peu qu'on les relise d'après le point de vue oü nous venons de nous placer. Mais arrêtons-nous un moment sur la cosmogonie pbénicienne de Sanchoniaton; ellea cela de particulier quelle ne présente qu'un seul fait que lon croit être celui de la création, et elle nous montre les premiers tems qui 1'ont suivie sans quelle fasse aucune mention du déluge, ce dont quelques modemes lui ont fait un trés-grand crime. Le commencement de 1'univers, dit cet auteur, étoit un air ténébreux , privé de toute clarté , mais mftni rO Vovez Tlutar. in Agesila. 11 dit que le sentiment des phys.c.en, est Le « la guerre et la discorde étoient bannies Ovide en suivant Deucalion et Pyrrha, ne leur fait pas moins créer de nouveaux hommes avec des pierres; dans un autre endroit ce poëte dit que dans les premiers tems a Corinthe il naquit des hommes des champignons que produisit la terre humide (i). N'est-ce pas du limon que les eaux du déluge avoient déposé sur la terre que les peuples des régions basses et marécageuses ont dit que 1'homme avoit été reproduit? Les Egyptiens, selonDiodore, croyoient être nés du limon du Nil. D'auttes peuples ont cru être sortis des érangs; dans le langage des peuples qui habitoient des montagnes, ils se disoient sortis des plus loin, nous verrions que 1'eurs histoires ne nous donnent pas plus de lumières sur les inventeurs des arts , et nous trouverions que 1'inTenteur di labourage se nommeroit laboureur, etc. (0 Voyez inétamorphos. liv. I, fab. 7, et liv. VII, fab. ao , ou U dit : Hic cpvo i-eteres mortalia prirno Corpora vulgarunt pluvialibus *di[a fungis. et liv. I fab. 8 , il dit : C.rtera diversis tellus animalia formis Sponte sud peparit. Le mot Adam lui mème-signifie 'imon. Les Orientaux prétendent que le limon dont Adam fut forraé fut prepare par uue longue pluie.  ic8 L''Antiquité dévollée pierres et des cailloux; ceux qui habitoient depuis longtèms des cavernes et des forêts ont prétendu être nés des aibres et des cavernes (i). Toutes ces diverses ttadirions sentent trop le terroir pour qu'on puisse faire fonds sur aucune d'elles. On y voit toujours que tantot le desordre causé par le déluge a été pris pour une création, et tantöt que la création antérieure a été confondue avec la tévolution qui suivant la nature des lieux a été tantöt un inondation, tantót une incendie, tantöt 1'un et 1'autre a la fois. Sanchoniathon a donc eu raison de ne parler que d'un seul fait ; quoique sa théorie ne soit pas sans défaut, elle vaut encore mieux que celles oü après avoir parlé, comme Ovide, d'une création tumultueuse, on fait ensuite mention du déluge, ce qui n'esr qu'un doublé emploi d'un seul et même fait (z). Cette méprise, commune a beauceup d'anciens, nous explique une'énigme du IVe. livre d'Esdras chap. 7. L'auteur apocryphe après avoir annoncé toutes les horreurs de Ia fin du monde qu'il croyoit prochaine, dit que tientót le monde va rentrer dans le chaos des sept jours comme il est arrivé dans les anciens jugemens. L'auteur regardoit, suivant toute appatence, la création du monde que l'on trouve dans la génèse; comme le jugement dernier du monde plus ancien que celui-ci. Le dogme de la pluraliré successiye des mondes n'est pas inconnu des Rabbins'; d'ailleuts l'auteur dont il sagit, a pu se méprendre sur divers passages de fécritute dans lesquels le commencement des tems, le déluge et les géans (1) V. Uistoirc général» des voyages, tome IV, p. i5g, el lome XII, p- 219- (2) Hésiode ne parle, ni du déluge de Deucalion, ni de ce'ui «TOgygês.  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. i y<) ne sont pas aussi parfaitement distingués qu'ils le sont ailleurs. (1). Moyse dans la génèse en parlant de la création, nous dit que la terre éroit informe et toute nue, inanis et vacua ; les ténébtes couvroient 1'abyme, et 1'esprit de Dieu étoit porté sur les eaux. II ajoute ensuite que le premier jour Dieu créa la lumière et la sépara des ténèbtes ; le second jour il créa le firmament, et sépara les eaux qui étoient au-dessous du firmament de celles qui étoient au-dessus , et il appella le firmament ciel ; le troisième jour il sépara les eaux de l'aride , rassembla ces eaux dans la mer, et l'aride fut appellé terre. Le quatrième jour il fit le soleil et la lune, pour servir a marquer les tems , les saisons, les jours et les années. II fit aussi les étoiles, et il les placa dans le firmament pour y luire , pour présider au jour et a la nuit, et pout sépater les lumières d'avec les ténèbres. Le cinquième jour il créa les poissons et les oiseaux ; le sixième jour il créa les animaux reptiles et quadrupèdes et autres bêtes de la terre; enfin il créa 1'homme pour être le ïoi de tous les animaux , il les créa male et femelle , et il les bénit, assignant a 1'homme et aux animaux les herbes des champs pour leur servir de nourriture. Le septième jour fut celui du repos et de la fin des ouvrages de Dieu. Moyse dit que telle esr 1'origine du ciel et de la tetre, et qu'ils furent créés au jour que Dieu fit 1'un et 1'autfe. II ajoute qu'en ce tems Ta il ne pleuvoit point sur la terre : il n'y avoit point d'hommes pour la labourer, il y avoit seulement une fontaine qui s'élevoit de tetre pour 1'arroser. Dieu fit ensuite un jardin qui étoit arrosé par un fleuve qui se parta- (aj Job. chap. VI. Le livre de 1» sagesse, chap. XIV.  i6o L'Antiquité dévoilée geoit en quatre canaux ; la il donna a riiomme dfs fruits a manger, er enfin il lui donna une compagne pour combler tous ses voeux. Dans la cosmogonie des Chaldéens ou des Babyloniens, Bérose rapporce qu'originairement 1'univers n'étoit qu eau et obscurité; il étoit peuplé de monstres qu'il dépeint sous la forme des anciens symboles effrayans; on en voyoit la peinture dans le temple de Bélus. Ce Bélus ayant rétabli la nature , les animaux et les monstres moururent paree qu'ils ne purent supporter la clarté du soleil. Les Egyptiens placoient le dcbrouillement du chaos au lever de la canicule , tems auquel ils placoient aussi le déluge; ils avoient en cela a peu prés les mêmes idéés que les Juifs qui prétendent que le monde a été créé au premier jour du premier mois de leur année civile; ils disent qu'a pareil jour les eaux du déluge furent dessèchées, et que Dieu exetce tous les ans sur I'univers un jugement. Ainsi chez les Egyptiens et chez les Juifs chaque premier jour du nouvel an étoit tout a la fois commémoratif de la naissance du monde et de son renouvellement , et il paroit qu'il rappelloit aussi le souvenir du renouvellement futur et du jugement dernier. Dans le livre d'Enoch il est dit que le déluge et 'la chute des géans sont arrivés au même tems (i). Les Péruviens disent qu'autrefois il vint du nord un homme extraordinaire nommé Choun , sans os et sans muscles, qui abaissoit les montagnes , qui combloit les vallées, qui se faisoit des chemins par des endroits inaccessibles. Ce fut cet homme qui créa les (i) Voyez Basuage, histoire des Juifs, livre IV, cliapitre 12 parag. g. premiers  par ses üfages, Liv. I. Ch. VI. i^i premiers Indiens et leur assigna pour vivre les herbes des champs et les fruits sauvages. Les sauvages de 1'Amérique septentrionale onr une idéé du déluge, er le commencement du monde ne date chez eux que de ce tems-la. Ce qu'ils racontent de la création du monde, n'est qu'un mélange de fables dans lesquelles on entrevo'it des idéés du déluge (i). Les Japonnois onr adrriis un chaos qu'ils placent a la tête de leur mythologie , et les historiens Chinois prétendent que les eaux qui couvroient encore sous le règne de Yao les plus belles provinces de 1'empire de la Chine étoient des restes du chaos et de la naissance du monde (2). IX. Non-seulement la plupart des compagnies ont confondu la création du monde avec sa destruction , mais encore elles onr représenté 1'homme nouvellement formé comme misérable , et son séjour comme le théatre des révolutions et de la misère. Diodore de Sicile représenté les arbres , les plantës , les bêtes, et 1'homme lui-même comme sonant de la fange échauffée par le soleil , et nous montre les premiers hommes comme brutes et foibles, et tout le reste de la natürè comme mourante et misérable. Héraclite dans Plutarque rendoit compte de la formation du monde en disant que le feu ayant été éteiht, ia masse de cendres restante avoit formé la terre. Le mème Piutarque parle ailleurs (3) de ces premiers ages de i'univers comme d'un tems de temnètes et de révolutions dans la na- (1) VoyagM de Corèal, taaie h La Pattjerie. hisf. de l'AniéiIque teptentrion. Cérém. religi tome VU. flecuail d« voyages de la Lorde, p. 6 et (■) Kemfjfer. livre III , rliap. I. Biodur. Skul. lib. I, caf>. 2. Tlutarch. dj: fottun. roman, Tornt I. L  s / l6z L'Antiquité dévoilée ture, et de misères pour les créatures. Rien de plustouchant que le tableau que fait le même auteur du genre de vie des premiers habitans de l'univers , dans' son tiaité s'il est permis de manger de la ckair, oü il introduit un homme du premier age du monde , qui dit aux hommes des derniers siècles : « O que vous êtes » chétis des dieux, vous, qui vivez maintenant! que » votre siècle est heureux! la tetre fertile vous produit " mille richessses, toute la natute u est occupée qu'a » vous procurer des plaisirs; au lieu que notre nais*• sance est tombée dans lage du monde le plus triste » et le plus dur; il étoit si nouveau que nous étions » dans 1'indigence de toutes choses •, fair n'étoit pas en» cote bien établi , ni le soleil lumineux et affermi; » les rivières sans un cours réglé désoloient la terre, » tout étoit marais, ou bourbier ou forêts sauvages ; » les champs stériles ne pouvoient être cultivés; notre » misère étoit extréme ■> nous n'avions ni invention , » ni inventeur, et la faim ne nous quittoit jamais, » nous déchirions les bêtes pour les dévorer, lorsque » nous ne trouvions ni mousse, ni écorce 5 lorsqu'on » pouvoit trouver du gland , hélas , nous dansions » de joie autour du chêne en chantant les louanges de » la terre : nous n'avions point de fètes et de plaisirs. » que ceux-la, et tout le reste de notre vie n'étoit que » douleur, pauvreté et tristesse (1) ». X. Nous ne nous sommes étendus sur ces cosmogonies, que pour monrrer par leurs rapports avec tout ce que la fable raconte des combats des dieux et des géans ou du bon ou du mauvais principe, que ces combats n'exprimoient chez les anciens que letat de la nature lors du changement ou de ia destruction de 1'an- (1) Plular. il/iJ. sect. 1,  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. iSj cien monde et de son renouvellemenr. Les Scandinaves qui avoient conservé quelque souvenir du déluge , placent a cette époque la guerre des géans dont la sang noya tous les hommes, et 1'apparicion d'un autre monde qui fut formé du cadavre du géant Junner; la ciel fut formé de son crane; la mer et les rivières da son sang et de son urine ; les nuées de sa cervelle; less inonragnes de ses os; les pierres de ses denrs. Le soleil fut alors formé des feux de l'abime , et avant ce tems cet astre ne savoit pas ou étoit son palais, lat lune ignoroir ses forces, et les étoiles ne connoïssoient point la place quelles devoient occuper (r). Telle est la peinture du déluge et de ses suites dans? 1'Edda ou dans la mytthologie des Scandinaves; ella nous présente a peu prés le meine tableau que celuÊ sous lequel les Chaldéens représentoient l'origine du monde .lorsque le dieu Bel détrilisit le monstre Omorca, qu'il coupa en piècesj pour former de chacune le iecl J la terre et 1'homme. Cet accord entre des peuples si éloignés , n'est pas moins instructif pour notre sujet qu'il étonnant et singulier. Mais ce qu'il y a encore de plus instructif' dans les traditions du nord , c'est que la fin du monde doit arriver par des événemens sem-' blables. L'ennemi du monde er les géans , piongés dans l'abime , qui habitent depuis le déluge les sombres extrémités du monde , en sortironr un jour pour dé- 1 tróner les dieux, ils rompront leurs noirs cachots ; leurs erforrs pour briser leurs liei:s produiront les secousses de tremblemens de terre. Lorsqu'ils seront déchaïnés ils (■) V. Elda, M>Us 2, 4 et ft. Dans las far/e, iS et i7. II e.t question de LoKe , ennemi des dlcu^, du ïoup J'efnis qui man^eia Ju soleil, et du grand serpent dont les r, püs- e. „bias- ent le monde. Dans 1'aporalypse, i'ange doit a la Gn 3es tï'ir.s del.ei !e giand serpent qui fera Ia guerre aux saints. L x  jg^ L''Antiquité dévöilée plongeront le "genre humain dans toutes les misères imaginables. Ils ne feront de son séjour qu'un lieu de larmes. L'arc-en-ciel sera le pont par lèquel ces géans monteront a la demeure des dieux; ils les attaqueront ëux-mêmes, ils leur livreront les plus sanglans combats ; le ciel ne sera pas moins malheureux que la tette ; les dieux et les hommes périront a fexception d'un trèspètit nombre qui vengeront enfin 1'univers, et qui le renouvelleront après avoir exrerminé les géans. On ne peut voir d'images plus grandes et plus tristes ; jamais la poésie grecque n'a si fort échaurfé son imagination pour peindre les anciens géans , que' celle de ces cli"mats glacés pour peindre les géans futurs. Tout concourt donc a prouver que cette allégorie des géans n'est que 1'emblême des desttuctions arrivées , et de celles que 1'esprit effrayé a voulu prédire et prévoir. On ne trouve point chez les Grecs de prédictions semblables sur les géans futurs •, mais les Egypdens et les Orientaux en annoncoient de semblables dans un langage allégorique. Plutarque , qui ne parle jamais des ritans , des géans , de Tiphon , et des malheurs des dieux , que comme des emblèmes des révolurions arrivées autrefois dans le premier principe des choses, rapporte, que les démons , mis en fuite j habitoient depuis ce tems dans un autre monde, et reviendroient après neuf périodes de la grande année (i). i On voit aussi dans son traité d'Isis et d'Osiris qu'il doit venir un rems fatal, oü Typhon , Arimane, Pluton rameneront encore de nouveaux malheurs; après quoi ils seront exteiminés , le monde et les hommes seront renouvellés; ce qui doit, selon lui , arriver au bout de neuf mille ans. La doctrine des peuples du (1) Traité des oracles qai ont cessé.  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. i6y midi étoit donc la même, ainsi que le langage figuré dont on se servoit pour 1'exprimer : et les géans ne sont réellement que les phénomènes et les causes inconnues des révolutions du monde. On peignoit les tristes instans des crises de la natute avec 1'appareil guerrier et militaire; ce style mème n'est pas encore tout-a-fait perdu parmi nous. La fin des tems, le jugement dernier nous sont encore représentés comme un grand jour de bataille, de carnage, qui sera annoncé aux quatre coins du monde par le son de la trompette. Joignons a toutes ces considérations qui démontrent la justesse des conjectures de l'auteur de l'histoire du ciel, quelques remarques sur les détails de cette guetre des géans, et sur les lieux divers oü la mythologie a placé la scène de ces combats. XI. Dans Ovide et dans tous les poëtes on voit les géans déraciner les montagnes , les lancet contre les dieux , les entasser les unes sur les autres..Les Grecs ont chanté particulièrement le mont Ossaentassé sur le mont Pélion , et renversé ensuite sur les corps des géans. Ces montagnes sont en Thessalie , c'est-a-dire dans ce pays oü nous avons vu que le souvenir du déluge s'étoit le mieux conservé ; oü l'on se souvenoit encote que la rupture de ces deux. montagnes avoit changé la face de cetre contrée , et avoit procuré un écoulement aux eaux du déluge pour se rendre dans la mer. Cette rupture heureuse qui délivra le pays est exprimée dans le langage ailégorique par Neptune , qui d'un coup de son ttident sépare 1'Ossa de 1'Olympe , pour écraser les géans sous ses débris. Ovide nous présente ailleurs le mont Ossa comme volcan (i). Ailleurs Jupiter armé P (i) V. «afca*. lib.IT, fab. i, lib. r, Ab. 6; lib. I, f.b- 4. ffirg. g.vrgi«. lil'. I, vs. s8i.  'jC6 U Antiquité dêvoilée de foudres , poursuit le cruel Typhée, et 1'écrase sous ïe poids de la Sicile : Erna se trouve sur sa tête; les efforts du géarit pour se délivrer produisent des tremblemens de terre , et son haleine enflammée est la cause de 1'incendie de ce volcan. Selon d'autres c'est iEncelade ou Typhon qui mugissent sous ce nom terrible; ou bien c'est-la que Vutcain et les Cyclopes fabriquent la foudre et ks météores dont Jupiter_punit les mortels. Remarquons en passant que 1'atteliet de .Vulcain est értcore placé tantót a Lemnos , tantot dans les isles Lipares, isles qui ont été ou qui sont encore des .volcans. Les isles et les montagnes sont les armes communes des géans et des dieux. Dans Homère ce sont les montagnes' des Arknes ou de Syrië qui ont écrasé /Typhon , paree que la Palestine qui en fait partie , est sun pays rempli de bitume et de feux souterrains (i). Les autres pcü'.es ne s'éloignent pas de ces traditions, als ne font que placer ailleurs la scène des combats et de la mort des géans, mais ils ont toujours choisi pour cela des lieux sulphureux et remarquables par des vclcans ou des feux souterrains; tels sont les environs de Cumes ou de Vésuve que Diodore appelie le pays dis ■géans, les champs Phlégréens dans la Campanie , un dieu d'Arcadie, d'ou, suivant Pausanias , il sort des .vapeurs enflammées, et Pallène en Macédoine. En un onot , comme 1'a fort bien remarqué le scholiaste de Pindare , toute montagne qui jette du feu est cènsée avoit accablé le malheureux Typhon , ou suppose qu'il y esr dévoré par les Hammes. Voila pourquoi Pindare appelie toute la contrée de Naples , de Sicile , de Cu- (1) Diodor. Sicnl. lib. F, parag. 6. Strabo, lib. X. dit que Polybote» Sèfait par Neptune fut ensevoli dans 1'isle de Cos. V. le vóyage d.Otter, 'terne I, page /,„. Jcs-'ph anriquit. Jud. lib. V, 2.  pat ses usages. Liv. I. Ch. VI. 167 mes , de Pouzzole , de Bayes , celle du voisinage de 1'Etna, et toutes les isles de cette mer, le domaine de Typhon (1). On a'aussi feint que les géans avoient été précipités dans tous les lacs ou marais dont il sortoir des vapeurs nuisibles , comme lé lac Serbonide entre 1'Egypte et 1'Atabie ; les Egyptiens disoient que ses exhalaisons étoient l'haleine de Typhon. On a fait parcourir a ce géant la Phrygie , la Thrace , la Lydie , la Cilicie , la Béorie , enfin 1'Europe, 1'Afrique et 1'Asie, jusqu'aux Indes oü tout fut consumé pat son venin. C'est lui qui en se précipitant sous terre 1'entr'ouvrit et creusa la vallée d'Oronte en Syrië , et suivant Strabon il en sortit le fleuve qui s'y trouve. C'est a 1'aspect des géans que plusieurs fleuves effrayés se sont cachés sous terre: dela les fables de 1'Achéron fleuve d'Epire , qui roule ses eaux pendant quelques tems sous terre. Les monts Harmus, le Caucase, le Cassius sont autant de tombeaux dans lesquels les dieux ont enseveb Typhon. II en est donc du fond de ces détails comme du fond de la doctrine; ce n'est jamais que l'histoire de la nature, et l'on doit y ramener de même tout ce qu'on rapporte des autres monstres qui ont autrefois désolé le genre humaain; tels que la cruelle Egide qui fut tüéè par Minerve, la Chimère de Bellérophon; (2) , les Gorgones, le serpent Pithon , tous les monstres (,) V. Plnd. Pylh. Apollonius Rhodicus Argonaul. lib. II. Diodor lib. IV. parag. 6. Pausartias ia Arcad. (2) Bellérophön paroit risildement derhre de Haal, dieu ou seigneur, «tde/!o^«, restaurateur, gnérisseur. Dicu-reHaurateur. Chimère semble pareillement venrrde cham, chamam , ètre chaud , èebauffer. Cbamar, rougir; rhamer , un .W, un l.ufle, une ehèvre. Camar , »•!lomer, faire du br.it en brulant. Chemer, rougeur; chom eliaud , .oir', brulè; cfawn , chaleur ; Aor , feu , lumière ; Har , montajne. L 4=-  '168 ■ ■ L'Antiquité dévoilêe externjinés par Hercule, et les grands changemens qtie ce dieu a faits sur la terre. Tout ce que la fable nous presente de terrible en ce genre a au moins un fond de vérité qui est le seul objet que nous devons chercher: a. cet égard 1'imagination de 1'homme n'a rien inventé, il a copié la nature, il a suivi d'anciennes traditions, et il ne les a défigurées ou ornées que par son langage et son style, a cause de la confusion que le tems a du mettre dans les traditions, Le combat des géans et des dieux est, suivant Platon, un emblême tbéologique sous lequel on a voulu peindre le problème du bien et du mal. Plutarque nous dit que c'est méconnoïtre la nature sublime et immortelle de la divinité, et pousser J'impiété a son comble , que de prendre a la lettre l'histoire de Ia guerre des dieux et dfe leurs malheurs; il ajoute que ce langage n'est point faux en lui même, et qu'il nous décèle la mémoire des grands accidens, arrivés autrefois a la nature , dont on fair journeliement la commémoration dans les lamentations et ks sacrifices. Ainsi les auteurs'' les plus sages du paganisme ont regardé ces histoires et ce langage comme des peintures aiiégoriqucs. L'aigle de Prométhée tué par Hercub, n'est, suivant Diodore , que le déluge vaincu et réparé: quel est parmi les auteurs anciens et modernes celui qui n'a pas vu dans Pirhon né des boues du déluge et tué par Apollon, la victoire du soleil sur Jes mauvaises "exhalaisons , soit du déluge', soit du ' chaos (i) ? Phtfê nous dit que la Chimère, "fille de Typhon et d'Lchidne, n'est qu'un volcan de la Lycie qui ne s'éteint jamais. Pktarque regarde de même ia Chimère comme un fait physique, c'est-a-dire comme (i) PUto de rcr.ub. lib. II, n. 8. PLurcJi. de Iside cl CsiriJc. 'i>it,dor, lib, I\ parag, i.  par ses usages. Liv. L. Ch. VL. 169 «ne rêvolution causée par la mer er par un volcan dans la Lycie, qui est voisine de la Phrygie ; les poëtes 1'ont dépeinte sous les traits d'un monstre qui vomissoit des Hammes. Quant a Python , il fut tué par Apollon auprès du Céphyse, ce même fleuve qui a produit le ^ déluge de la Phocide et de la Béotie; ce fut sur le mont Parnasse que Deucalion se réfugia pour se soustraire a 1'inondation. Ce fut en mémoire de sa victoire qu'Apollon fonda les jeux pythiens. Ce dieu tua, dit-on, ce monstre qui poursaivoit sa mère Latone, et qui la foixa de se rérugier dans 1'isle de Délos; ce fur la, suivant quelques tradirions, le premier lieu que le soleil, éclaira après la retraite du déluge d'Ogygès ; cette isle autrefois flottante , devint alors ferme et stable (1). Les querelles de Jupiter er de Junon qui, suivant la fable, sont cause en partie de la production de Typhon et des géans, n'étoient en Béotie que des allégories du déluge qui étoit arrivé. Plutarque dit ailleurs que 1'expulsion de Typhon est la retraite de la met et que la victoire de Horus est la terre séchée et dêcouverte. Enfin cet auteur ne voit dans route cette partie de la mythologie qu'une théologie emblématique du bon et du mauvais principe, et que des allégories des météores et des phénomènes , soit de la création, soit du renouvellement- du monde, ou de quelque grande rêvolution arrivée autrefois. Varron nous explique la fable des malheurs de Cérès er de Proserpine causéspar pluton et par Neptune, en disant qu'on a vpulu peindre par-la un tems ou la terre fut frappée de stérilité (2). (,) Latone, «don Voss'..s. signifie tènèbres. V. Vossius de idul. lib. II, cap. 5. Helt* signifie manifestèe , et plus anciennrmeut e'le se noïnmoit jislérie, ce qui signifie caehée, dans les langues V. Plutarch. de Iside et üsiride, St. Aagtmn. de Civitate Vil, /il/. Vil-, cap, 21.  '17° V Antiquité dévoilée XII. Parcourons encore quelques autres traditions 'des Indes et de l'Amérique ; leur tournure différente ne fera que dcnner un nouveau poids a l'interprétation que nous avons donnée a celle des Grecs. On regardoit au Mexique les flammes et les étincelles des volcans comme les ames des méchans que les dieux faisoient sortir de L'abime pour punir et tourmenter les hommes. Ne trouve-t-on point de 1'analogie entre le sentiment des Grecs qui placoient les géans sous les volcans et 1'opinion des peuples du nord qui croyoient que les géans sottiront un jour de leur prison pour faire le malheur du monde ? le mont Hécla étoit pour les Irlandois une porte des enfers comme le mont Etna pour les Gtecs. Les Péruviens placoient les guerres desx géans et leur desttuction aussitöt après le deluge; la tetre alors se couvrit, disent-ils, de serpens; et ce ne fut qu'après la défaite des uns et des autres, que les hommes retirés dans les montagnes osèrent descendre dans les plaines et les habiter (i). Cela ne ressemble-t-il pas a la fable du serpent Python, produit du limon diluvien, qui fit de la terre une habitation dangereuse et malsaine ? Les habitans des Philippines ont la tradition d'une querelle de la lune avec le soleil; la lune frappée dans le combat, accoucha de la terre qui se brisa en morceaux en tombant; il en sortit alors des géans qui la remplirent de trouble et de confusion et qui s'emparèrent des mers, des fleuves et des tetres. Ne voit-on pas dans cette étrange histoire la querelle de Jupiter er de Junon , et la producricn de Typhon et des géans qui en (0 foyage du Nord , tome I, p. Voyage dc le C*ntil, tome 1 , pï»6. Cjnquète du Mexique , liv. III, chap. \.  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. 17 1 fut ia suite ? 011 y voit aussi la création de la tetre et sa ru ine sous une même époque. Les mêmes insulaires croyent encore que la lune accouchera un jour d'une autre terre lorsque le soleil aura brülé celle que nous habitons (1). Les habitans de 1'indostan ont une tradition qui porte que lei montagnes se révoltèrent contre les dieux; alors elles volèrent en 1'air, elles cachèrent le soleil, elles bouchèrent les portes des villes et les écrasèrent; un dieu accourut pour leur faire la guerre, il parvint a leur couper les ailes, alors elles tombèrent et furent précipitées de toutes parts •, la terre en fut couvette et ébranlée (2). Voila, suivant la mythologie du pays, 1'origine des chaines des montagnes, des isles, des écueils et des rochers. Dans ce récit il ne faut que donnet des noms allégoriques aux montagnes déja personnifiées, et aux forces actives de la nature, pour voir comme les Grecs le combat des Typhon, des Ancelade, et des Ephialtes contre les puissances du ciel. Au reste rien de plus ancien aux Indes que cette facon de s'exprimer. II faut reconnoitre que d'un bout du monde a 1'autre et dans tous les siccics il n'y eut qu'une seule mythologie, c'est une vérite que les traditions que nous venons de rapporter décèlent de toute part; ainsi pour expliquer cette mythologie universelle, on ne pourra mieux faire que d'en confronter les parties éparses chez tous les peuples; cette seule confrontation suffit pour en donner 1'explication. Les pseaumes nous montrent sur les montagnes des peintures fort analogues a celles des habitans de 1'in- (,) Ou peut jolndre i cette falie colle du lion de Némée et du taureau de Marathon , monstre qu'on disoit dtscendu de Ia lune, et qui fut 4*. fait par Hrrule. 'i.) Lettras curieuscs et éjjfiantes, tome XIII.  17l L'Antiquité dévoilée dostan, quoiqu elles aient saus döute rapport a tout autre événement que les anciennes révolutions du monde. Dans le pseaume CXLIII. qui a pour titre contre le geant Goliath, David dit: » Seigneur abaissez vos cieux, » descendez, frappez les montagnes et elles se rédui» ront en fumée; faites briller vos éclairs er vous les » dissiperez; envoyez vos fleches contre elles, et vous » les remplirez de rrouble; faites éclater du haut du ciel ^ verre puissance, délivrez-moi des grandes eaux ». Dans le pseaume XVII. on voit cette magnifique pein»» ture :» La terre s'est émue et a tremblé, les fonde» mens des montagnes ont été ébtanlés; le Seigneur » s'est mis en fureur contte elles, sa colère a fait éle»> ver la fumée, et le feu s'est allumé par ses regards, >\des charbons ont été embrasés; il a alxiissé les cieux, « et il est dejeendu; il a volé sur les ailes des vents; " les nuées se sont fondues par leekt de sa préserice; » il a tiré ses fleches contre elles et il les a dissipées-^ => il a.fait briller parrout ses éclairs, et il les a trou» blées et renversées; les sources des eaux ont paru, et *> les fonderhens des vastos corps de la terre ont été dé» couverts; mais il m'a pfis er m'a sauvé de 1'inonda» tion des eaux ». II est vrai que ce langage de David est ie. appliqué a -ses ennemis, mais qui est-ce qui ne sent point que toutes ces peintures' énergiques sont tirées de la nature , et font une a'fiusion perpétuelle aux anciennes révolutions du monde et aux images communes que toutes les nations s'en sont fakes-: XIII. Le langage dans lequel on personnifioit les météores pour les faire agir et combatre, étoit encore usitéen Egypte au tems de Plutarqne; pour expnmer cne éclipse de soleil ou 1'erfèt des nuages, en disoit tantot que Typhon avoit donné un coup sur Peul d'Hans , tantót on disoit qu'i/ le lui avoit avraehé, et qp.'il  par ses usages. Liv. L. Ch. VL. 175 le lui avoit ensuite rendu (1). Toutce qui arrivoit d'extraordinaire dans la nature, météores , tremblemens de terre, maladies contagieuses, tout étoit 1'ouvrage de Typhon, comme tout ce qui arrivoit de bien étoit 1'ouvrage d'Osiris. Plutarque nous apprend encore qu'aprés que Typhon eur mis toute la natute en rombustion, et couvert de maux la terre et la mer, Isis fit des commémorations religieuses de ces calamités; elle les représenta par des images, afin que leur souvenir servit d'instruction aux hommes, les portat a respect ter les dieux , et fik un motif de consolation dans les tems de misère. Ce que plutarque dit ici de 1'Egypte et du motif des fêtes qui y furent instkuées par Isis, peut être appliqué a toutes les autres parties du monde, et aux usages religieux et commémoratifs qui y ont été établis: le paganisme doit nous montrer partout des institutions destinées a perpéruer le souvenir des révolutions du monde. En effet n'est-ce pas les victoites de Jupiter sur le* géans dont on célébroit la mémoire aux jeux olympiques, les plus grands et les plus solemnels de la Grece,' et dont 1'instkution étoit d'une antiquité si reculée que les Grecs eux-mêmes en ont toujours ignoré la - date ï n'est-ce point pat les jeux pythiens que l'on avoit éternisé la mémoire de la défake du serpent Python et du triomphe d'Appollon après le déluge 2 Dans les jeux Néméens on célébroit les ttavaux d'Hercule et les services qu'il avoit rendus au monde. Les hymnes d'Appollon chantoient les victoires de Jupiter; et dans les grands Panathénées le voile de Minerve représentcit les géans terrassés (2). (1) In Iside el Osiride. p) Plutarch. in Thetto. Proclus in Timaeum Platonis.  174 VAntiquité dévoilée XIV. Voila donc une tradition constante et soutenue du souvenir des malheurs du monde : aussi malgré I 'éclat et la solemnité de ces jeux et de ces fêtes a-ton remarqué qu'ils ressembloienr plutót a des jeux funèbres qua des réjouissances ; en effet de quelle source pouvoient venir ces combats d'athletes qui se faisoient dans tous ces jeux ? leur objet primitif avoit été sans doute de reptésenter d'une facon sensible les combats des dieux. II est vrai que la politique sut tourner ces combats en exercices utiles a la société et favorables au progrès des arts ; mais il y a tout lieu de croire qu'ils n'avoient pas toujours eu ces objets. A Delphes on représentoit tous les neuf ans la défaite de Python les habitans venoient assiéger une cabane de feuillages qui représentoit la rettaite de ce monstre ; un jeune homme y mettoit le feu, après quoi (i) tout le peuple fuyoit a Bathos dans une vallée de 1'Atcadie oü les habitans de cette conttée prétendoient que le combat des géans s'étoit livré, paree que ce lieu est rempli d'eaux minérales; on y alloit sactifïer aux tempêtes , aux éclairs et au tonnetre; on y contrefaisoit ces météotes et ces phénomènes par un grand bruir. Les danses guerrières de Castor passoient pour avoir été instituées après la guerre des géans. On peut en dire autant de la Pyirhique. Athénée parle d'une danse que l'on ncmmoit l'incendie du monde. 3 Kosmou Ekpurosis (i). Les danses guerrières des prêtres de Mars n'avoient suivant les apparences d'autres motifs que les combats des géans. Dans une fête d'Egypte qui se célébtcit i Pampremis après 1'équinoxe d'automne , lorsque le soleil commence i se retirer vers le midi, les prêtres de (1) Plutarch. (le Orr.cul. (2) Athsnae. lib. XIV, cap, t,  paf ses usages. Liv.I. Ch. VI. ijf Mars après avoir promené ce dieu dans une procession solemnelle , vouloient le faire entrer dans le temple ; alors des hommes armés de massues se présentoienr, pout Ten empêcher, les prêtres et le peuple munis d'armes offensives leur livroient un combat dont 1'avantago restoit toujours au dieu (i). On voit encote au Japon des fêtes de la même na-', ture que celles de Pampremis. On promène en certains jours plusieurs idoles escortées de gens a pieds et & cheval armés de toutes pièces , et portant chacun uns dieu sur le dos ; on se bat a coups de pietres, de iieches,' de lances et de cimetetres, et la victoire coüte toujours beaucoup de sang aux vainqueurs et aux vaincus (2). Tous ces dhférens usages ne semblent devoir se rapporter qu'aux anciens combats des dieux dont les légendes de tous les peuples de la terre sont templies, il n'y a rien qui ait été plus dans le goüt de rantiquiré que de les présenter par des scènes réelles.. C'est sans doute dans les bacchanales anciennes qu'il faut chercher les premières traces de ces combats figures; ont y célébroir périodiquement le retour 'de la naissance de Bacchus qui après avoir été déchiré et brülé par les géans, étoit revenu a la vie en vainqueur et en conquéranr-, 011 le représentoit par un jeune enfant que l'on escortoit, et le peuple armé de toutes pièces, de lances , de thyrses , de massues , se répandoit dans les campagnes et sur les colines, en poussant des cris et des hurlemens comme dans un véritable combat. L'auteur de l'histoire du ciel a bien fait voir que ces cris barbares qui n'avoient aucun sens chez les Grecs,' (1) Iïerodot. lib. II. Pausanias in Arcadia , cap. 29. Natalis Cti mes, lib. VI. (2) Chailevoix, Hisr. da Japon, üvre préliminaire, cliap. i3.  \-G L'Antiquité dcvoilée n'étoient les uns que des cris de douleur, et que des in* vocations pat lesquelles on implotoit le secouts de la divinité. S'il s'est trompé c'est en prenant ces combats figurés pour des représentans des anciennes chasses, tandis qu'ils* représentoient les combats livrés auttefois aux ennemis de la nature (i). Pluche ne s'est égaréquelorsqu'en examinant les usages il a perdu de vue le principe qu'ils ont leut source dans l'histoire générale de la nature, dans l'histoire universelle du genrehumain, et non dans celle du peuple' ou d'une seule contrée, telle que 1'Egypte; il auroit montré plus de sagacité s'il eut fait voir que non-seulement les Grecs avoient corrompu les usages de 1'Egypte , mais que 1'Egypte elle-même avoit corrompu ses propres usageS, paree qu'elle n'en connoissoit plus ni le sens, ni lë motif. C'est ce qu'on appercoit a chaque ligne du traite de Plutarque sur Isis et Osiris. On voit qu'en Egypte l'histoire d'Osiris et de Typhon étoit appropriée aux phénomènes du Nil et du climat d'Egypte, et .que cè qui auroit dü être fête du déluge n'étoit plus que la fêtë du débordement du Nil. Au reste les Egyptiens ne sont (1) C'est dans Ie mème esprit saus doute que, dans les tems d'o'rages , les Thraces lancoient leurs flèches contre le ciel. Hérodote , lib. IV, nous dit qu'un peuple de la Lybje aüoit faire la guerre aux vents, lorsqu'il en étoit incommodé. Aul. Geil. lib. XVI cap. 4" Suivant Strabon, les Cimbres prenoient les armes contre les inonda'tious dela mer, et les Celtes septentiionuux, au risque d ètre englouris, lui alloient tenir la tête, lorsqu'elle se dèboidoit, et niarchoieut contre e'le aimés de lances et d'épées , dans Ia vue d'épouvanter les Hots. ■Strabo , lib. VII. Un grand nombre de peuples ont affecté de pousser de grands cris et de faire du bruit au tems des éeh'pses, pour chasser , disoient-ils , 1'ennemi ou le dragon qui vouloit dévorer le hcdeil ou la lune. En iB65 , dans Ie grand trembltment de tetré qui se lit sentir au Canada , les sauvages , armés de toutes piéces, déc'i.u :ro <. nt 'eurs fusils et leurs ares contre les montagnes, pour ecarter les mauvais es,j>rits qui vouloient sortir de dessous terre pour fV&iparer de l.'urs p^ys> V. le traité de ïopinion , tome IV, p. 26S. pas  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. 177. pas les seuls qui se soient trotnpés ; il n'est presque aucun peuple qui de l'histoire générale de 1'univers n'en ait fait son histoire propre et particulière; c'est dela que vient cette monotonie qu'on a remarquée dans 1'histoite mythologique de tous les peuples. Mais revenons aux bacchanales et aux orgies ; si nous examinons ce qui se passoit dans ces fêtes, tout nous convaincra quelles n'avoient pour objet que de représenter un souvenir funèbre ; en effet lorsqu'il périssoit quelqu'un dans le tumulte et les combats qui s'y livroient, la fête n'en paroissoit que plus complette, et l'on pensoit que la fureur des puissances ennemies des hommes étoit appaisée par la mort de ces victimes qui payoient de leur vie le salut de 1'univers; ces infortunés tenoient lieu de la victime que 1'ennenji du monde exigeoit a la fin des périodes avant de permettte qu'on en recommencat un autte. Cat tel étoit 1'égaremenr des anciens que ces géans et ces monstres que l'on combattoit figuradvement et dont on frappoit les statues dans les sacrifices , avoient aussi usurpé les tributs dus a la divinité. En Egypte on sacrifioit quelquefois a Typhon, au rapport de Plutarque; le géant Tytie avoit un temple dans 1'isle d'Eubée , suivant Strabon, et l'on célébtoit en 1'honneur des Titans des fêtes que l'on nommoit Titannies ; il est vrai qu'on ne les invoquoit que pour qu'ils ne fissent point de mal; mais ce culte explique encore 1'esprit des institutions anciennes (1). Les Grecs avoient de grandes et de petites bacchanales ; les grandes s'appelloient Dionysiaet se célébroienr dans les villes vers le printemps ; les petites se nommoient Lenea, et se célébroient en pleine campagne vers 1'automne. Ces deux fères étoient accompagnées de (1) Arnob. lil>. V. Plutarch. in Iside, etc. Tome I, M  17S L'Antiquité dévo'dee spectacles, de jeux, de disputes ou de combats entre les poëtes, et Ton distribuoir des prix aux vainqueurs ; d'oü l'on voit que c'est la religion qui chez les Grecs a donné naissance aux théatres et aux pièces dramatiques •, leurs spectacles ont commencé par des chants lugubres et des représentations tumultueuses et peu régulières; a mesure que le goüt s'est formé on a donné plus de régularité et de décence a ces spectacles 3 et le génie des Grecs leur fit perfectionner et égayer les institutions grossières et lugubres de leurs ancêtres. Pausanias (i) dit que ce sont les géans qui, les premiers, ont sacriiié aux Muses sur le mont Helicon ; cette tradition fortihe tout ce qui a été dit ci-dessus , et nous prouveroit de plus que le chant et la poésie ont eu pour premiers objets l'histoire des révolutions du monde; les malheurs du genre humain qui en furent les suites nécessaires, et enfin sa délivrance. Dans les bacchimales les initiés se couvroient de peaux de bütes, ils se barbouilloient le visage de sang, et par la suite avec de la lie de vin ; ils se couvroient le visage de masques dans des tems postérieurs ; ils tenoient dans leurs mains des thyrses ou des demi-piques couvertes de feuilles de lierre ; ils dansoienr et couroient au son des cistres, des cors et autres instrumens bruyans. Les uns représentoient Siiène , Pan, les Satyres (2). Les hommes et les femmes ainsi travestis couroient le jout et la nuit avec une indécence et des extravagances dignes de gens ivrés ou insensés ; ils alloient dans les champs et sur les montagnes qu'ils rempiissoient de (1) Pausan. in Beot. (1) I.e mot satyre paroit venir de sathar caclier, et signifie dans ce cas les cachés, les dêg-aisés. On peut aussi dénier ce nom de èeÜ roth, vulus.  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. 179 leurs hurlemens. Les femmes surtout se disringuoient par leurs empórtemens ; transportées de fureur elles appellcdent a grands cris le Lieu Lvoi Bacche, o lacche, lo Bacche. Ces femmes que 1'ont nommoit bacchantes , étoient suivies des Canephores qui portcienr sur leurs têtes des corbeilles couvertes de pampre et de lierre. On portoit aussi des torebes dans ces fêtes qui étoient nocturnes. II paroit encore que ces fêtes avoient pour objet de repi'ésenter 1'ancien état du genre humain pauvre, riud ou vêtu de peau , sans subsistance , et perpétuellement occupé a combattre les bêtes farouches ; elles rappelloient qu'on étoit parvenu ennn a une vie plus heureuse , plus raisonnable et pclicée; c'est ladessus qu'étoit sans doute fondée 1'histoire de Bacchus que l'on regardoit comme bienfaiteur du genre humain comme un cenquérant, comme 1'inventeur du labourage , du vin , et du culte des dieux. XV. Le culte des animaux si répandii dans 1'univers et surtout en Eygpre, nous ramèue rcujours a la guerre des géans. Quelqu'ait été 1'esprit primitif de ce culte, la tradition nous apprend qu'il avoit eu pour objet les dieux imimiaés et travestis en animaux pour échapper a la fureur des fiers enfans de la terre. Ce fut sur cette idéé que fut fondé le cuhe de route 1'L'gypte oü l'on prétend que les dieux poursuivis se réfugiérenr. On adora ces dieux sous la forme qu'en supposa qu'ils avoient choisie ; on leur éleva des temples et des autels, et l'on s'abstencit de manger les animaux dont .les corps avoient autrefois servi ü masquer les divinités. Les villes même firent poire de porter les noms de ces animaux (1). (1) Bubczte signifie diane ou chatte. Mendes signifie bouc, Tan ou Baecliui. 1 Mi  tgo L'Antiquité dévoilêe Si nous quittons les antiquités grecques et égyptiennespour passer aux Indes, nous y verrons presque toutes les cérémonies et les fêtes avoir pour objet les anciennes révolutions de la nature représentées par des allégories plus ou moins faciles a expliquer. La pritre du matin que récitent les bramines tous les jouts avant 1'aurore n'est qu'une hymne de reconnoissance envers le dieu qui les éclaire, et une commémoration d'un combat qu'il eut a soutenir autrefois contre un monstre qu'il vainquit enfin, après 1'avoir longtems combattu et en avoir recu beaucoup de maux (i). Toutes leurs fêtes ont pour objet divers autres commérnorarions de ce genre. Tautót comme, on a vu, c'esc an dieu qui a soutenu le monde en ce transforrnant en tortue ; tantöt c'est un autre qui a tiré le monde d'un abime dans lequel un géant 1'avoit précipité; un autre a tué un monstre, la terreur de 1'univers ; un autre a renversé les montagnes pour écraser les Titans; un autre a secouru le monde dans un tems oü la mer débordée mouillcit les montagnes des Gattes; il fit petcer un van pat une fourmi, et la mer écoulée comme par un crible rentra dans son bassin. Tels sont encore aujourd'hui les objets des plus grandes solemnités de 1'Indostan : on voit qu'il seroit inutile de leur chercher une origine ailleurs que dans le souvenir universel que tous les peuples ont consetvé des révolutions de la terre. C'est pour en perpétuer la mémoire que la plupart de leui's fètes et de leurs usages religieux ont été institués • (i) Au Japon , l'histoire des premiers rems du monde ne contient que la relation des combats des dieux contre des géans, des dragons et d'autres monstres qui dé- (i) V. cerém. relig. tome VI. (j) V. Kempfes , lib' III, chap. i.  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. 181 soloient alors la terre: plusieurs villes et villages de 1'ernpire ont piis leurs noms de ces actions mémorables arrivées dans leur voisinage •, on conserve dans les temples les épées et les armes de ces dieux. On trouve beaucoup moins de ces histoires a la Chine, paree que la religion dece pays guidée par la politique, s'est toujours écartée de plus en plus de la superstirion. Le suffrage de tous les peuples, et 1'accord de leurs différens usages concourent donc a nous prouver que la fable des géans n'est que l'histoire allégorique des anciennes révolutions de la terre. Comme la gigantomachie ne retrace pas moins la terre enflamée et détruite par les volcans qu'inondée par les eaux des fleuves et des mers, on sera peut-être embarrassé a la vue de ce spectacle qui n'est pas celui que le déluge nous présente vulgairement. En effet on n'est accoutumé a considérer cet événement que comme une inondation universelle qui seule a détruit le genre humain, sans qu'aucun autre fléau y ait eu parr. Je ne m'arrêterai point ici a montter la fausseté de ce préjugé; il est aisé de prouver que le feu n'a pas moins contribué que 1'eau a la ruine de notre globe-, une mulritude de monumens feront voir a tout physicien attentif les eflets qu'ont ptoduits et que produisent encore journellement les embrasemens souterrains; d'ailleuts il est naturel de penser que dans les révolutions de la terre 1'éruption des j eaux et les pluies extraordinaires ont été accompagnées j de tous les phénomènes et météotes , tels que les oraJ ges, la grêle, les tonnerres , les éclairs , les tremble| mens de terre, les marées violentes, les chütes des mon1 tagnes, &e. Toutes les causes ont pu concourir a la | fois a la destrucrion de la terre , et agir diversement idans les différens pays ou elles se font sentir. De-la ont pu venir ces traditions sans nombre et si diverses qui M 3  j3i L'Antiquité dévoilée nous ont transmis les ravages du déluge. II est vrai que le tableau que nous présente la génèse sur le déluge ne nous rhbntre point ce fracas ou cetre multitude de causes reünies' contre le genre humain; cependant si nous regardons ce livre de plus prés , nous y verrons que Fieu dit a Noé qua 1'avenir la scmaille er la moisson, le chaild e- le froid , 1'été ct 1'hiver, la riuit et le jour ne cesseront plus de se si i re. Que conch re dela, sinon qu'au déluge le cours des saisons , 1'ordre de la nature , et même la marche de 1'univers a cessé pour un tems, si même elle n'a été totalement changée par cette rêvolution ? Je laisse aux personnes instruhes a voir les rappons des effets de ces changemens avec les anecdotes de la Fable des géans et avec les autres que nous donnent les différeris peuples du monde. C'est aux naruralistes et aux physiciens a rechercher les suites naturelles et nécessaires d'une cèssation ou d'un changement dans le systême de 1'univers: nous en parierons encore dans le livre sixième oü nous ferons ycir les effets physiques de cette terrible catastrophe. Fin du pre/nier Livre,  L'ANTIQUITÉ DÉVOILÉE PAR S'E S USAGES. LIVRE SECOND. De 1'esprit funèbre des fêtes anciennes ; des sectes anciennes ; de la vie sawage. CIIAPITRE PREMIER. Du ton (riste et lugubre que l'on remarque dans les solemnités j les fètes et les jeux du paganisme. I. IMous avons vu jusqnici que les plus grandes solemnités de l'antiquité avoient pour objer la mémoire du déluge, et les grandes révolutions de la terre; nous allons retrouver cette même vériré dans le ton lugubre et funèbre que nous verrons percer au travers du tumulte et de ia joie de la r lupart des fètes anciennes ; nous nous convaincrons que tristes dans leur origine, elles ne sont égayées que par 1'oubli des causes réelles qui les avoient fait instituer; alors neus cess que de glands , de feuilles d'arbres et d'hetbes : dans les fêtes de Cérès on portoit des figues séches , des laitues, des pavots, des gateaux , des grenades , de la laine et diverses autres productions peur retracer la mémoire des premiers tems. Comme la divinité s'étoit multipliée par la multitude des noms et des emblêmes sous lesquels on la désigna, on voit que les mêmes pratiques s'observoient aux fêtes de divinités très-difféfentes ; c'est pout cette raison que l'on faisoit de semblables commémorations a Athènes dans la fête dite Planteria en 1'honneur de Minerve Agraule, jour qui étoit réputé si malheureux que tous les temples étoient fermés. Aux fètes d'Adonis les diiférentes productions de la terre étoient portées en procession et ensuite jettées dans la rivière ou dans la mer. Dans ces jours funestes et malheureux on étoit couronné de myrthe et de narcisses; on cqüroit la nuk avec des torches a la main ct en criant comme des forcenés , et l'on erroit de cóté et d'autre pour re-présenter, disoit-on, les courses 'de Cérès cherchant Proserpine (1) Diodor. lib. V, parag. 4- Cérès semble visiblement dér-ryé de Kharas, labourer, travaillsr a la terre. Carath siguifle coupor, at lacher. Proserpine se 4i't eu grec Peruphone . le fruit couvert ou caehé ; raciue Saphan. Perephatle , le fruit péri, perdu. Phathath , rompre, brisèr. Ainsi l'histoire de Céxcs et de Proserpine ne semble ètre que 1c travail du labour personnifij.  191 VAntiquité dévoilée enlevée par Pluton ; en Egypte c etoit Osiris qu'on affectoit de chercher de la même manière en pleurant et vêtu de deuil pour imiter les recherches d'Isis ; ou peutêtre ces courses avoient-elles pour objet de représenter la vie inquiète et vagabonde des premiers hommes embarassés de trouver leur subsistance. II n'est donc point surprenant si les Boétiens, comme le dit Plutarque, appelloient toutes les fêtes de Cérès odieuses et funèbtes (i). Cérès elle-même étoit appellée triste, Achuia, paree qu'elle ne cessoit d'être représentée comme désolée de 1'enlèvement de sa fille , de même que la Vénus de Phénicie, la Solambo de Babylone , pour la perte de leurs Adonis. Aux fêtes des saisons a Athènes on chantoit des chansons lugubres dans lesquelles on rapportoit les avantures d'Erigone , vagabonde et réduite a la mendicité. En Egypte on ne se présentoit jamais aux temples pour y prier les dieux qu'avec quelques herbes sauvages a la main en mémoire des ancêtres qui n'avoient point eu d'autre nourriture. Dans les jours mêmes qui sembloient desrinés a la joie, tels que sont les jours de noces, les Grecs et les Rcmains rappelloient aux époux les anciennes misères des premiers' habirans du monde; a Athènes ont leut présentoit du gland et du pain , et a Rome on leur faisoit manger du gateau de fromage d'une espèce particuliète (2), (0 V. Pausanias in arcad. lib. 8, cap. i Plutarch. in Alcibiad. idem in Iside et Osiride, parag. 36. (2) V. Diodor. Sicul. lib. I, seet. 2. Potter Archa?ologia. lib. 4. cap. 18. Dionys. Halicarnass. lib. 2, cap. 8 , parag. 4. Chez les Homains, c'étoit la comésion de ce gateau entre les époux que l'on uornmoit confarrsatio , qui faisoit Ia partie sacramentale du mariage, et qm donnoit Ie seau de 1'authcnticité 4 cette cérémonie. Bodin. I. 04. Ovid. fastor. 4. on  par ses usages. Liv. II. Ch. I. T 9 J on leur servoit des oignons, des noix , des porames de pin , des grains de pavot, du laic et du miel; on leur rappelloit qu'autrefois les hotumes s'étoient nourris des glands de la forèt de Dodone. IV. Au nouvel an des anciens Perses on apporroit au roi dans des vases dargent des grains et des légumes, le roi en mangeoit lui même, et en offroit aux assistans. Le Japon va nous expliquer le motif de cette cérémonie; en effet le jour de fan les Japonois s'envoyent réciproquement de petits coquillages, et ilss le font pour se rappeller la pauvreté de leurs ancêtres-, a leur grande fêre appellée Mateuri, qui se célèbre le neuf du neuvième mois de leur année, ces insulaires ont une solemnité qui ressernble assez aux bacchanales et aux saturnales par le tumulte qu'on y fait. Cette fête semble consacrêe a retracer le souvenir de la misère primitive: on y promène de vieux chevaux, de vieilles armes, de vieux- souiiers que l'on porte en triomphe, et l'on y fait effusion d'une espèce de bière commune que l'on vuide avec une cuiller d'or dans des vases de terre non vernissés, pour en présenter aux magistrats en mémoire de l indigence des ancêtres. II n'est point de grandes solemnités ou l'on ne fasse usage de cette boisson par le même motif. Dans cette même fète on représenté un temple construit de bambou, couvert de chaumè, muré de planches et entouré de branchages, qui mériteroit a peine d ene comparé a une grange, tant il est simple et chétif; p.ar-la on se propose de représenter 1'atchitecture des pauvres ancêtres. On peut rapröcher de cet usage celui qu'observoient les Romains pour la cabane de Romulus que l'on conservoit avec le plus grand soin et que l'on réparoit avec du c'naume er des roseaux. II faut aussi se rappeller que dans la féte,des tabernacles Tornt I. N  194 DAntiquité dévo'dée les Juifs demeuroient dans des betceaux et des brarrchages. Les mêmes Japonnois ont conservé le temple d'Isse, le plus révéré qui soit au Japon, dant toute sa pauvreté primitive. Nous rettouvons au Tonquin (i) des usages analogues a ceux qui viennent d'ètte rapportés. Au nouvel an on est obligé de manger d'une espèce de noix particulière, et la superstition ayant corrompu cet usage, les Tonquinois empoisohnent quelquefois ces noix qui font mourir les enfans a qui ils les donnent. En Europe tout le monde sait qu'au jour de 1'an on donne aux enfans des gateaux, des dragées et d'autres friandises, présens qui dans 1'origine peuvent avoir eu les mêmes motifs lugubres que les anciens, mais adoucis par le tems et par 1'ignorance des intentions antiques. Je ne sais si c'est a cet esprit commémoratif qu'on doir rappeller 1'usage des prêtres du Tonquin qui a tous les renouvellemens de lune font mémoire de leurs ancêtres autrefois morrs de faim. Je crois pouvoir soupconner que c'esr-la le principe originaire du culre des ancêtres établi généralement au Japon et a la Chine (2), culte qui paroit avoir bien du rapport avec celui que l'on rendoit quelquefois aux Pénates, aux Lares , aux Lemures, d'autant plus que les usages actuels de 1'orient y correspondent tout-a-fair. Au treizième de la septième lune , c'est-a-dire vers la mi-aout, les Japonnois ont une fête des morts. On suppose que dans ces jours , les morts viennent habiter leurs anciennes demeures sur la terre •, toutes les maisons sont (1) V. Kempfer. lib. III, c*p. 3. et liv. IV, chap. 6. Dionys. HaTirarn. lib I, cap. iS. Tit. Liv. lib. V. Valer. Maxim. lib. IV. cap. A'"Yoyages de Tavernier tome V. lib. 4. (aj Céïèm. relig. tom» 6.  par ses usages. Liv. II. Ch. I. 19 ƒ ornées pour les rëcevoir , on va au-devanr d'eux , 011 leur parle, on les complimente comine si on les voyoit devant ses yeux; pendant la nuit , les villes et les campagnes sont éclairées de flambéaüx ; le lenderriahi 011 congédie les morts avec un compliment , on les conduit hors de la ville ; er lorsqu ori est de retour , on fait la visite des maisons , et a coups de batonset de pierres on chasse les ames qui aurbient voulu rester. C'est aussi dans ce même tems , que l'on fait a la Chine le grand sacrince en 1'honneur des ancêtres. La fêre nocturne des Lemuns se célébroit chez les Romains au mois de mat; on étoit aussi dans 1'usage de chasser les ames des morts (1). On célébroit pareiner ment a Athènes des fêtes funèbres en 1'honneur des ancêtres péris dans les eaux du déluge. V. Les Juifs qui ont si souvent négligé leurs usages pour ceux des étrangers, nous en mont rent encore aujourd'hui qui dérivtnt de la plus haute antiquité, sans pouvoir nous en donner d explicatiori raisonnable , soir par leur loi qui n'en parle point, soit par leur tradition orale. A la fête de la Pentecote, qui étoit pour leurs pères la fêre de la moisson ou des prémices des grains, ils mangent aujourd'hui du laitage , des gateaux, de la patisserie et d'autres friandises , et sont bien éloignés de penser qu'ils observent en cela un usage funèbre et appartenant aux anciennes fêtes de Cérès; mais ils ne manquent pas de lire pendant cette fête le livre de Ruth, paree qu'il y ést parié de famine et de moisson, de la mort de Mahalon et de Hélion, ainsi que A'Orphay des voyages et du retour de la triste No'e'mi (2). De même (1) O.i.l. fattor. lib. v. .. (2) Noorni, belle ; plenrer , gémir ; Mahalon, maUdc, infirme.; Cileion, ia, teime, KtenrpUuttuent; Ruth Jttfha , deUuiM, dé- N 2 .  I ex? L'Antiquité dévoiléi au premier jour de 1'année civile, en septembre, les* Juifs mangent du pain levé et du mieljet les R.abbins fondés sur la tradition, conseillent de manger du fenouil et de 1'ail (i). On voit encore dans la bible, qu'au commencement de 1'année sacrée, en mars, il faut manger des laitues amères et du pain d'afrliction. On ne peut point regarder cet usage comme une des commémorations des nations, puisqu'il se rapportoit a la célébration de la paque et du passage de la mer rouge; il est cependant singulier qu'un précepte aussi funèbre füt joint a la mémoire d'un événement aussi heureux pour les Israélites. Au 19 du mois thst, premier mois de 1'année Egyptienne vers 1'équinoxe d'Automne, et qui répond au commencement de 1'année civile des Juifs, on ne mangeoit en Egypte que des figues et du miel (2). Au 9 du mois theveth les Juifs ont un jout de jeune , de deuil, de tristesse dont ils avouent ne point connoïtre le motif; peut-être a-t-il pour objet le soltice d'hiver qui tombe vers ce tems-la. Les Athéniens avoient aussi une fêre de tristesse appellée diafic, consacrée a Jupiter m'dichien. Durant cette fête on s'assembloit hors de la ville et l'on y pleuroit sans autte motif que la crainte de 1'avenir (3). capitée ; Baah , tamme ; qetsir', moisson. On voit que tous ces noms annoncent de la tristesse , et que la solemnitê dans laque'le on rappelle tliistoire de Ruth doit avoir eu pour objet primitif uue commé. anoration lugubre et facheuse. ti) Voyez Lcoii de Modena, part. 5, chap. 5. Cérémonies rehg, lome 1. (2) Piutarque in Iside , etc. Mémoires de 1'académie des iascript. tome 6 , p. 85. (5) II ya toute apparence que ce surnom de Jupiter est oriental, et vient de Malac , roi; s'il vlent de Malach ou de Malaq , il signifie destructeur, exterminateur. Meiehom, Milcorn , Moloch et Malee Sij  par ses usages. Liv. LI. Ch. L. 197 VI Enfin pour terminer toutes ces fêtes lugubres, nous rappellerons ici la fameuse fête d'Adonis. Presque tous les anciens ont expÜqué sa fable par 1 astronomie et la théologie; Vénus Astartê fut 1'amante d Adonis, que Mars fit tuer a la ehasse par un sangher, ou qui le rèndit impuissant; descendu aux enfers, Proserpine en devint amoureuse, et Caliope décida entre les deux déesses rivales que leur amant demeureroit six mois sur terre et six aurres mois sous terre. A la fête anniversaire d'Adonis toute une ville prenoit le deuil et donnoit des matques de la plus profonde tristesse ; les femmes seules prêtresses de ce culte, se rasoienr la rère et sefrappoient la poitrine en courant les rues. Au dernier jourde la fète la tristesse se changeoit en joie, et chacun se réjouissoit comme si Adonis fut ressuscité. Le commencement de la fète s'appelloit afanismos disparition; c'étoit alors qu'on se lamentoit sur la mort d'Adonis; et la fin de la fète s'appelloit eurests la trouvaille; c'étoit alors qu'on se réjouissoit de 1'avoir retrouvé, ou desa résurrecrion. Dans la partie lugubre de la fête on faisoit pour'Adonis une pompe funèbre réelie , dans laquelle on portoit la représentation d'un jeune homme pale et rüourant. Le cortège étoit accompagné de co» beilles rernpÜes de gateaux, de fleürs, de branches d'arbre et de toutes sortes de fruits. Le culte d'Adonis étoit établi dans toute la Syrië et 1'Assyrie; il n'étoit point inconnu aux Juifs, ils donnoient a Adonis le. nom de Thammus qui étoit celui du mois de Juinde da les Hébreux appelloient le soltice d'été TecuphaThammus , ou le période de Thammus, paree que c'étoit alors qu'on faisoit la mémoire de sa mort, er que jrnifent roi en diff reus dialect»»; c'ètoient des noms que les Phémciena «t les Carthaginoil donnoient * Sslurne, N 3  19 S L'An tiquité dévoilée Ton célébroit sa fète (i). Le culte d'Adonis étoit établi dans toute la Gtèce , on y célébroit des mystères pour les femmes. Dans ces fêtes on ne voyoit aux coins des rues que des représentations de cadavres; les femmes vêtues de deuil venoient les enlever en pleurant, et on célébroit leurs funérailles avec tous les *ignes de 1'aflliction la plus profonde et la plus réelle, par des chants lugubres, par des sanglots et des gémissemens. Les jours des fêtes étoient réputés trés malheureux; on y portoit des vases de terre dans lesquels on •mettoit du bied, des Beurs, des herbes naissantes, des fruits de jeunes arbres , des laitues qui étoient regardces comme la nourriture des morts ; après quoi l'on jettoit toutes ces choses dans la mer ou dans quelque fontaine (2). II est a propos de remarquer que vers le même tems. on célébroit en Egypte la même fète , mais au lieu d'Adonis c'étoient Osiris et Apis qui en étoient les objets. Les cérémonies d'Egypte et de phénicie avoient une grande confqrmité dans les deux pays. L'Egypte sernbloit avertir la contrée voisine de se réjouir, paree que le d:eu qu'on avoit pleuré avoit été retrouvé. C'est alors en eftet qu'en Egypte on noyoit le bceuf Apis en (1) I.os Assyriens , l«s Egyptiens , les Phéniciens et 'es Cvpriens se disputoient Adonis; son culte étoit farneux a Byhlos en Phénicie. Né •le la passie») que Cyniias concut pour sa fille Myrrha , il paiolt avoir quelques rappnits avec l'histoire ile Loth et do ses filles, on avec celle de Cham qui vit son père endormi dans une posture indecente, comme Myrrha vit son père Cyniras ; celui-ci éveidé maudit son fils Adonis. (a) Voyez Plutarque in Alc&iad. et les mémoires de Pacademia des msrrtprions , rome ■ pac,P rfi et raitanle». Maeffca pretrve qu Adonis n'étoit autre chose que Ie solt.il. Voyez Salurnal. lib i , 21.  par ses usages. Liv. II. Ch. I. 199 cérémonie, et L'on ne se livtóit a la joie que lorsqu'on en avoit retrouvé un autre (1). VII Chez les anciens, non seulementles fetes avoient toujours quelque objet triste a présenter aux hommes, mais on trouvoit encore quelque chose de lugubre, même dans leurs festins et leurs parries de plais.r. Les repas de cérémonie commencoient et fimssoient pat des chansons consacrées sous le nom de LinosA Elmos, er Marenos. Ces chansons nétoient que de ventables lamentations en Egypte et en Grèce : elles rappelloient le souvenir du fils unique dun ancien roi. On ne sait point ptécisément quel étoit Linus qui, aussi bien qu'Orphée, avoir, dit-on, chanté 1'origine du monde , les victoires des dieux, et les révolutions qui doivent par la suite arriver a la nature. Ces deux poëtes sont souvent confondus. On voir encore la mort de Linus et celle d'Adonis souvent chantées ensemble. Si .nous consultons la fable, tantöt elle nous dit que Linus étoit fils d'Apollon , tantöt qu'il étoit fils de Mercure. Les uns nous disent qu'il fut tué par Apollon pour avoir osé se comparer a lui; les autres nous apprennent qu'il enseigna la musique a Hercule qui le tua. On prétendoit avoir ses os aThèbes en Eéotie, et les Béoj tiens célébroient tous les ans son anniversaire surfHélicon, avant que de sacrifier aux Muses. Pausanias regarde le Linus des Grecs e't le Maneros des Egyptiens comme le même personnage. Quoiqu'il en soit, Plutarque nous dit que Linus fut 1'inventeus des lamen- 0 O,, noyöit ce boeuf, amblème de l'.griculture, pour. provenurindédence de sa mort «tarallp. Ce bceuf divinisé s'appeïoit Mana^i on ilf^tó-a Memphia; Alnsc-, Piènicie; Bppfhu. en Grèce. C est, £,va« No-mus , le mèma dieu que Cronus , Veins , Amman et Zeu,. Suivant les Egyptiens , 1'amc d'Osiris paasoit dans ce b«ut aacrcv N 4  ico L'Antiquité dévoilée tanons funèbres-, la plus ancienne musiqua fut triste etfuncbre; et peut ê'.re que le nom de ^ póé'te, prophéte ou müsicien, nest autre choseqiiè quelque titre de chanson ou de compiaime s n tes anciens malheurs du monde, dont on a fait un petsohnage ou un héros malheureux (i); d'ailleurs on célébroit les fêtes de Linus et d'Orphée de même que celles d'Osiris, par des cris et des lamentations. Aux chants lugubres qui commencoientetterminoient les festins, on joignoit encore en Egypte un spectacle très-propre a attrisrer les convïvës; on leur montroit un cadavre, un squellete ou un cercueil; souvent les Egyptiens placoient celui de leurs pèrcs ou de leurs mères qui demeuroir pendant le repas au bout de la table. Ce spectacle triste dans son origine, ne servit par la suite des tems qua avertir les hommes de se livrer au plaisir et de profitei du présent en véritable Epicurien. Cependant les chansons lamentables dont ces repas étoient assaisonnés, indiquent que primitivement ces usages avoient une toute autre vue, et contenoient des institutions sérieuses; ils étoient destinés a avertir les hommes ce leur frugalité, de leur son futur, et a les engager a vivre clans 1'union et dans la concorde pendant leur séjour passager sur la terre. Enfin le cadavre qu'en exposoit étoit 1'image de la terre, ou d'Osiris sui ;anr d'autres, qui étoit 1'embiême de la nature j par lesquels on vouloic rappeller la mémoire (i) On peer Tofr tor Linus Patmmas , lib. 9 , cap. 29. Eastach. in Bomeri ilind. lib. 18. Piutaraue de Music. parag. 2. Hu«. monsir. evang. propos. 4, cap. 8, parag. 20 En Phémcieu, Lanotf* «t Lunouih, ainsi qu'en Héurfii Theïunoth, Thlunoih sigaifieiit ton*, plainta, mormure. Qac'tpes auteurs out regardé L(*us° corona m$  par ses usages. Liv. II. Ch. I. lot de la destruction du monde, et faire souvenir qu'il étoir encore périssable (i). VIII. Si nous passons en Amérique nous y remarquerons aussi ce ton funèbre. Les Péruviens avoient des temples ou le soleil étoit représenté par une pierre appellée Guacas, c'est-a-dire larmes ou pleurs; on h'entroit jamais dans ces temples qu'en pleurant, et l'on sacrifioit des hommes a cette divinité lugubre; chaque maison avoit aussi son Guacas ou emblême funèbre du soleil. Ces mêmes peuples avoient des fètes de tristesse consacrées aux jours d'éclipses : le chant y étoit lamentable paree qu'on se croyoit proche de la fin du monde. Les Moxes avoient des fètes funèbres qui se célébroient annuellemenr. Parmi les peuples du Mississipi il en est une qu'on a nommépleureurs, paree qu'on y pleure a la naissance des enfans et a la vue de tous les étrangers que l'on rencontre, vu que ces sauvages attendent le retour de leurs ancêrres. Chez un autre peuple des mé mes contrées on trouve des féres funèbres que l'on solemnise par des chansons tristes et par des cris e&ayants (2). Les Fioridiens , comme on a vu , ont conservé le souvenir du dciuge ; ils en faisoient mention dans des chants lamentables •, les Brisiliens avoient aussi des chants de la même nature. On rapporte la même chose des Canadiens; leurs airs sont languissans, et plusieurs de leurs fêtes ressemblent aux orgies, er aux usages qui se pratiquoient aux fêtes de Cérès et d'Isis. Tous les voyageuts nous représentent (1) ITerodote, li*. 2. Lucien, du Deuil. Plutarque, dan» le banquet des 7 sages, et dans le traité d'Isis et d'Osiris. Voyages de Paul Lucas , liv. 6 , p. 237. (.■) V. conquéte du Téron , tome I, liv. r, chap. 2. Voyage de Goréal, tome 2, page 562. Vyages. du Hard', tome 5. Cèrém. rebg. Some 7.  xot L' Antiquité dévoilée ces sauvages comme des nations tristes et mélancoliques. Drake ne vir au détroir de Magellan que des hommes et des femmes qui, aux félicitarions qu'ils lui faisoienr, mêloient des pleurs et des sanglots. Parmi les insulaires de la mer du sud , Dampierre a vu un peuple qui dans ses jours de fêtes , qui se célèbrent ordinairement la nuit, observe des usages particuliers, et par sa facon de s'habiller prétend rappeller les moeurs de ses ancêtres. Aux isles Mariannes les femmes, aux phases de Ia lune vont chanter au clair de la lune des chansons lugubres, cet usage s'appelle lacomp/ainte des femmes (i). Les annales chinoises disent qu'avant Fohi les hommes errans dans les forêts vivoient trés - malheureüsemenr, après avoir dormi ils se levoient et soupiroient, puis. ils alloient chercher leur nourriture comme les bêtes. Les Groenlaudois sont naturellement mélancoliques , quand ils sont seuls ils baissent la tête et soupirent , souvent sans pouvoir en rendre raison. Ils n'ont aucun motii de religion ni de philosophie pour se consoler de leur misère et du climat rigoureux qu'ils habirent (:). Si nous lisons 1'Edda , ou la mythologie des Scandinaves, qui faisoit la base de la religion des Celtes septentrionaux,. nous n'y verrons qu'un livre apocalyptique et des poésies lugubres et effrayantes qui menacent égalément les dieux et les hommes des malheurs les plus aiireux. Chaque page de cet écrit nous retrace le dogme de la fin du monde et du renversement de la nature; les traits les plus frappans et les plus énergiques nous y peignent sans cesse 1'avenir le plus redoutable ct le plus triste ;. (1) Lafiïteau , moeurs des sauvages, tome I, p. 22". Ilist. géuer des voyages. Leitres êdifiautes y lome 18. (2) H>st. géner. d'Islaade et de Groealand par Aulersoa, tome a p. 242.  par ses usages. Liv. LL. Ch. I. 105 les poëtes de ce climat glacé ne semblent avoir échaufFé leur imagination que pour rendre les hommes malheureux par 1'attente d'un avenir effrayant. Non contens de représenrer une nature toujours prête a expirer, et de prédire tant de maux , ils célèbrent encore une déesse semblable aux Cybèle et aux Astarté, qui ne cessoit de pleurer la mort de son époux ; ils la nommoient la déesse de 1'espéranc;, paree qu'elle se flattoit de le retrouver un jour. Ils célébroient la mémoire et la mort de Balder , dieu puissant que l'on prétend être un Apollon, que les hommes, les bêtes, les arbres, les planres , la terre et le ciel avoient pleuré •, c'est ainsi que les Pan et les Satyres avoient autrefois pleuré la mort d'Osiris. Ainsi le passé et le futur offroient partout quelque chose de sinistre aux hommes, et toutes leurs institutions reügieuses sembloient toujouts les rappeller a la douleur et aux larmes. On sair d'ailleurs que cette doctrine effrayante étoit celle des Dtuides, c'est-a-dire des prêtres de toutes les nations Celtiques qui habitoient autrefois 1'Europe. IX. Nous ne pouvons quitter ce chapitre sans parler des jours que les anciens regardoient comme malheureux. Tous ces jours dans leur origine éroient consacres par la religion primitive a la commémoration de la destruction du monde et de 1'ancienne misère des hommes , ils étoient destinés a leut donner des instructions sur le passé , le présent et 1'avenir. Suivant Plutarque, Xénocrate prétendoit que toutes les fètes ou les jours malheureux oü l'on jeune et se tourmente par des macérations ne sont point consacrés a des dieux bons, mais a des puissances méchantes, a des démons. Le mardi étoit réputé un jour malheureux en Egypte, paree que c'étoit celui de la naissance de Typhon. Le samedi étoit un jour malheureux, paree que c'étoit  i©4 L' Antiquité dévoilée celui qui étoit consacté a Saturne, dieu qui, sous de certains aspects, étoit regardé comme malfaisant. Le cinquième jour étoit regardé comme malheureux : selon Hésiode, en ce jour , les furies de 1'enfer se promènent sur la terre ; c'est celui de la naissance de Pluton et des Euménides; c'est en ce même jour que ia terre enfanta Cée, Japet et le cruel Typhée , et toute la race des impies qui conspirèrent contre les tiieux. Tous les jours des fins des périodes furent censés malheureux. A Piome les jours malheureux étoient ceux oü l'on sacrifioit aux Manes le lendemain des Volcanaiia , les Féries Latines, les Saturnales, les Lémuries. Chez les Grecs les fètes d'Adonis ne passoient pas pour être d'un meilleur augure. Par la suite les divers événemens arrivés aux états donnèrenr lieu a instituer divers autres jours malheureux; enfin chaque souverain ou chaque particulier s'en faisoit a lui-même; Auguste neut rien voiilü entreprendre le jour des noiies. (i). Chez les Persans le dernier mercredi du mois Sapher s'appelle le jour de Ia trompette , paree que ce sera ce ïour-la que les anges réveilleront les morts pour fes jappeller au jugement dernier. On sent bien que dans son principe 1'objet de cette tradition n'a été que d'instruire les hommes et de les faire songer a cet événement redoutable. Quoi qu'il en soit, les Persans ne font aucune affaire ce jour-la, ils ne sortent point de chez eux lorsqu'ils peuvent s'en exempter. Bien plus ce triste mercredi a communiqué ses quaikés sinistres a tous les autres mercredis qui sont regardés comme des jours malheureux; jamais les caravannes ne partent ce jour- () Plutarque de Iside et Osiride, parag. 12. VÏTS Gecrg. lib. i, vs- 277. Dies. rnytliok torn. 2, p. 202'  par ses usages. Liv. LI. Ch. II. lof la , plusieurs Persans ne veulent point ouvrir leng boutiques ; et cette superstition tient telleraent i la contrée que les Arméniens, qui ne suivent point la religion du pays , y sont aussi livtés que les Persans eux-mèmes ; jamais ils ne voudroient dater un acte le mercredi, ni le signet ce jour-la (i). D'un aurre coté chez presque tous les peuples le premier jour d'un nouveau période , d'une nouvelle année , d'un nouveau cycle , a toujours été regardé comme un jour heureux ; il est avantageux ï pareal jour de commencer une entreprise, et les anciens réputoient comme un des plus heureux augures lorsqu na prince commencoit son règne avec un nouveau cycle (1). CHAPITRE IX Des sectes anciennes , des pèlerinages 3 du culte des montagnes. J.L'homme que la mélancolie accable fuit la société; un des effets naturels de 1'esprit funèbre des religions fur de produire le dégout du monde ; des hommes i qui tout sans cesse rappelloit les révolutions de la nature, les fléaux envoyés sur la terre par la divinité irritée, enfin les jugemens qu'elle devoit un jour ëxercer sur le genre humain , durent regarder la vie actueüe comme un passage, et se dégouter d'une société qui na (1) Les voyages de Chardin, tome 9. (2) Les mémoires de 1'acad. des inscrrpt. tome 16, pap 240. Hèsiode dit que Ie septième jour est heureux , par ce que c'est celui ëa la naissance d'Apollon. Nous aurons encore occisio* de revenit par la suite sur la mème matière,  io6 L' Antiquité dévoilée convient point a des êtres chagrins j dont le plus grand plaisir est de méditer leurs peines et de se hourir des objets qui les allarment. Si les solitaires que le dégoüt du monde a fait retiter de la société dans les premiers siècles de 1'église chrétienne , n'ont point produit de nations sauvages, c'est que leurs retraites ne futent point éloignées des villes, c'est qu'ils demeurèrent toujours environnés des peuples fixes et civilisés j d'ailleurs le vceu de continence qu'ils ont tous embrassé renditheureusement leur état stérile ; il ne s'est entretenu et petpétué jusqu'a nos jours que par une sorte de génération mystique; mais si la nature eut contribué a sa perpétuité, il n'est pas douteux que le genre humain ne fut rentré dans son ancien état. Les hermites qui onr vécu séparés les uns des autres , n'auroient avec le tems produit que des sauvages, et ceux qui se sont réunis ensemble pour vivre suivant des régies fixes et sous une discipline commune , auroient peu-a-peu formé des peuplades et des nations toutes religieuses qui n'auroient différé les unes des autres que par les variétés de leurs rgèles qui pour elles se seroient changées en usages civils et politiques. La même chose est atrivée dans les premiers tems du monde renouvellé. Les hommes qui se sont le plus écanés les uns des autres, ont produit des families solitaires que le tems a rendu sauvages; ceux au contraire que quelque heureux climat a su attirer et réunir en plus grand nombre, y ont insensiblement formé de grandes et de puissantes nations ; mais toutes nombreuses que ces differentes peuplades ont été , il ne faut les regarder dans leur principe que comme ayant été des ordres d'hommes religieux, soumis a une discipline toute religieuse, en un mot comme des hommes qui n'avoient point d'autre loi ni d'autre code que ceux que la religion leur pres-  par ses usages. Liv. II. Ch. II. zoy crivoit. C'est a cette origine que l'on doit rapporter cette sage morale et cette discipline de police dans lesquelles ces peuples ont tous excellé , et qu'ils ont entrerenu pendant tant de siècles; c'est dela que ptocèdent suivant les apparences, toutes ces cérémonies légales , tous ces usages gênans et minutieux , et cette abstinence de caprice pour certains animaux dans un pays , et pour d'autres animaux dans un autre. La vie des anciens peuples Indiens, Egyptiens, Hébreux, Chaldéens, Perses er meme celle des Crétois et des Lacédémoniens » ne nous paroit si monastique et si remplie de rites , de rubriques et d'usages, que paree qu'elle les dérivok des premières families qui s étoient totalement consacrées a la religion •, le tems nous offriroir le même spectacle si les ordres monasriques d'aujourd'hui en se sécularisant et en renoncant au célibat conservoient cependanr toujours leurs usages et leurs régies ; on verrok d'abord des villes et ensuite des peuples entiers asservis a des usages et des habillemens singuliers , a des abstinences diverses; les uns se nourriroient de chair, .les autres de poissons, quelques-uns n'useroient jamais que de 1'huile j enfin tous ces ordres disringueroient les peuples de la rerre, et leurs rubriques devenues générales dans une nation , ne seroienr plus regardées que comme des usages politiques et civils , de religieuses quelles auroient éré dans leur principe. Cette sécularisation des premières families religieuses converties en nations, n'a donc point entièreinent fait perdre aux hommes leurs facons de penser et leurs institutions primitives. Si la multiplication des hommes et leur état fixe et sédentaire a changé peu-a-peu leur facon de vivre, et les a engagés dans une infinité d'occupations nouvelles qui ont fair perdre au vulgaire ses ancienBes idéés et son esprit primitif, il s'est formé  'ioS L'Antiquité dévoilie chez toutes les nations des classes d'hommes particu* lières qui ont cherché a perpétuet l'ancienne facon de vivie et les dogmes relirieux qui en étoient les principes. Toutes les nations ont toujours eu dans leur sein des hommes particuliers qui se sont fait un mérite de mépriser le monde , et dont 1'état a été de n'en point prendre sur la terre pour ne s'occuper que de la vie future. Dans les premiers tems c'étoit la religion qui dictoit ces sentimens, par la suite 1'ambition a eu lieu de s'en louet, lorsque les hommes ont presque universellement donné 1'autorité et le pouvoir a ceux que cette facon de penser distinguoit des autres. Enfin ce genre de vie est aussi devenu 1'asyle de la pauvreté et de la paresse, lorsque par la suite des tems le monde s'est vu forcé de nourrir ceux qui avoient fait vceu de renoncer au monde et de ne rien faire pour lui. Ce n'est point ici le lieu de suivre les abus que 1'orgueil, 1'ambition, 1'avarice et la paresse ont fait de ce gente de vie chez les nations sédentaires et civilisées ; nous nous en tiendrons a 1'esprit primitif qui 1'a fait embrasser, nous en ferons voir la suite et la chaïne non intetrompue chez les peuples mêmes les plus ensevelis dans les ténèbres de 1'idolatrie II. Rien n'a plus frappé nos voyageurs modemes que la vie des pénitens Indiens connus sous le nom de Fakirs. Les austérités qu'ils pratiquent vont jusqu'au prodige; nuds pendant toute 1'année j ils couchent sur la cendre sans aurre couverture que le ciel; leur vie n'est qu'un pélérinage perpétuel de Pagode en Pagode j les uns s'ensevelissait rous vivans dans des tombeaux oü ils ne recoivent de fair et de la nourriture que par un trou; d'auttes font des jeunes excessifs presque tous prennent des postures incommodes; ce sont des tortures' constantes qu'ils s'imposent pendant des an- • nées  par ses usages. Liv. LI. Ch. II. 20$ nées entières et même pendant toute leur vie, et qu'ils soutiennent avec une patience imcomprèhensible. lis pratiquent toutes ces choses dans la vue de faire pénitence, de fléchir le ciel irrité, et de mériter un heureux avenir. En un mot rien n'est plus étonnant que le genre de vie adopté pat des gens que l'on nous représenté comme les plus ignorans, les plus fourbes et les plus méprisables des mortels, mais que leur manière de vivre extraordinaire fair regarder par leurs concitoyens comme des saints, des prédestinés (1). Les Fakirs, nous dk-on, sont une secte de Banians; ils n'exercent aucun métier, ils ne se manent point, ils méprisent les biens et les plaisirs aussi-bien que le travail., ils courent sans cesse les chemins, ils ne vivent que d'herbes et de fruits sauvages, ils ne se logent que dans des masures et des grottes. Les plus saints vont tout nnds, ils Se font gloire de la saleté la plus dégoutante •, jamais ils ne font leur barbe, et ne se lavent le corps; jamais ils ne peignenc leurs cheveux, et sont comme des sauvages; ils ne vivent que d'aumones, et sont soumis a un chef qui exerce sur eux 1'autorité la plus absolue. En génétal ils se livrent a des austérités incroyables , et s'inHigent des tourmens inouis. On les nomme Gougls> cest-a-dire, unisdDieu(i). Cette de scription, tirée des voyageurs modernes, s'accorde avec le tableau que Strabon nous atransmis des anciensBrackmahes. «Ils mènent, nous » dit-ü, une vie très-austère; ils vivent hors des villes » dans les bois, ne mangent point de chair, n'appro» chent point des femmes; ils couchent sur des peauX, (1) Tavernier, tornt 4 , l>*. 5> c>ian- 5 et 6. V.y« histone géneralt dta V0jra5e« , lome 9 et to. Strabon , liv. XV- Tome I O  ll° L'Antiquité dévoilée » ne parient que de la vie a venir, toute leur vie est » une ptéparation a la mort : ils disent que le monde » périra j et attendent des jugemens et des peines futures ; » plusieurs vivent de feuilles et de fruits sauvages; ils » s'habillent decorce; les uns, couchés sur le dos , » demeurent exposés au soleil et a la pluie, et restent » immobiles; d'autres tiennent un bras ou un pied en » l'air^la plupart vont tout nuds, et quelques-uns » se brülent pour aller dans une meilleure vie, plus " pure et exempte des maux de celle-ci. » En effet ce genre de vie surpasse notre nature; ces hommes merveilleux ne s'occupent ni des biens, ni des plaisits, ni d'une postéfité , ni de la société. L'esprit de leurs usages est de ne s'attacher qu'au culte divin et a la méditation des choses célestes; ceux qui embrassent leuts institutions ne tiennent plus a la terre et a la vie mortelle; ils n'ont que leur corps sur la terre, leur esprit est dans le ciel, ils 1'habitent déja comme des intelligences pures, le monde n'est qu'un enfer pour eux. Cette vie et cette facon de penser ne sont point, comme on pourroit le croire, empruntées des doctrines modetnes; ce que les Fakirs font aujourd'hui , les Brachmanes le faisoient il y a deux mille ans. Les anciens Brachmanes, dit Porphyre, méprisoient cette vie dans 1'espérance d'une autre, et regardant ce monde comme une prison, ils félicitoient les morts et pleuroient sur les vivans ( i ). Eusebe nous dir que chez les Bactriens et les Indiens il y avoit des milliers d'hommes qui s'abstenoient de viande , de vin et de liqueur fermentée; c'est une loi, dit-il, qu'ils avoient recue de leurs ancêtres; leur vie est pure et chaste; ils n'adorent qu'un seul Dieu, ne s'occupent (1) Porphyr. de abstinent.  par ses usages. Liv. II. Ch. II. ut que de lui seul, et s'abstiennent de toute action impure et criminelle (i). Les Indiens, dit Valère-Maxime, se jettent dans les Hammes avec une intrépidité merveilleuse, ils ne craignent point la douleur (2). Ainsi le genre de vie des pénitens indiens de nos jours remonte a la plus haute antiquité; s'ils pratiquoient il y a deux mille ans les mêmes usages qu'aujourd'hui, c'étoit, suivant les apparences, en conséquence de quelque loi ou discipline établie par leurs ancêtres-, et si l'on fait attention a 1'attachement singulier des Orientaux pout tout ce qu'ils tiennent de leurs pèfes, on risquera très-peu d'assurer que les usages des Indiens ont pris leur source dans les premiers ages du monde renouvellé (3). La seule diffcrence qui se trouve entre (1) Euseb. prgsparat. evangel. lib. 6 , trap. 10. (2Ï Knier Muxinf. lü>. 3, cap. 3, parag. 8. n) Rien n'est p'us élonuant que rattacheraent des peuples orienrtüx pour laars .«ages. Platon , dans son traité des loix , Ut. 5 , dit que par une loi dÏEgspta il étoit défeadu de faire aucune innovat.on o» de rien chanSer ni dans le chant , ni d,.ns les Instruments, ni dans los formrs, ni dans les dessins, ni dans la peinture. Auruu artisle ne pou.oit rien faire de contraire a ce qui étoit: établi. Ainsi, ajoute-t-II, vous observerez dans ce pays que ce qui a été pemt, ou sculptè, ou. construit, il y a dix mil'e ans, semble aussi nouveau que le moderne, par ce que le moderne n'est pas inieux fait que landen , ni 1'ancien plus mal fait que fa moderne, et que 1'a. r n'a été ni altéré , ni perfectionné. C'est ainsi que Platon parlojj il y a environ 2160 ans. Lea Chinois montrent le mème attachernènt «. leurs usages , et oans cet empire une questlon est sur le champ décidèe dés qu'on peut prouver qu'elle est autoiiiée par la conduite des antsêtres. Strabon , livre XV, nous dit que les rois indiens ne sortent jamais qu'avec 1'appareil d'un camp; les Mognls er tous les princes de flndosTan , de Siam et du Tonquin observent encore est usa»e. Le mème auteur parle de 1 usag. ou sont let femmes de se bróler apres !a mort de leurs époux. Lei ancieas nous ont aussi parle de padr.sse des Indiens dans la teinture des éloffes , peinture des toilos, et de leur industrie. Pline dit que les Seres ou Chinois sont hn.n.-tins et dou.v , mais qu'ils évitent les autres nations; ils ne les vont point chetcher pour cominacel , mais ils les atteudent. Hist. nat- lib. 4, cap- 17. O 2  21 * L'Antiquité dévoiléc les Brachmanes et les pénirens de nos jours, c'est que ceux-ci sont ignorans tandis que le témoignage de 1'antiquiré s'accorde a nous dire que les Brachmanes étoient des philosophes savans et respectabks ; les grands hommes de la Grèce alloient les consulter , de mème •que les sages de 1'Egypte; ils étoient les dépositaiies d'une tradition vénérable : ceux d'aujourd'hui ne sont plus que les dépositaires d'une mythologie bisarre et d'une théologie confuse, qui portent néanmcins 1'empreinte. de . la plus haute antiquité; cette mythologie est vraisemblablement chez eux comme chez tous les peuples du monde, le fruit du langage énigmatique de leurs prédécesseurs. Ainsi que tous les docteurs du genre humain, ils ont voilé leur doctrine pour la rendre sacrée et plus respectable au vulgaire; la longueur des tems i'a rendue a la fin inintelligible pour les docteurs eux-mèmes; ainsi que le peuple, ils ont insensiblement perdu de vue le sens spirituel pout prendre 4 la lettre 1'emblème et 1'allégone. Ce que la doctrine des docteurs indiens a toujours eu de plus particulier, c'est le dogme de la Metempsicose et toutes les incatnations de leurs dieux; c'est a ce dogme que les peuples de 1'Indostan ont 1'obligation de ne s'ètre point jettés autrefois comme les Grecs dans un polythéisme grossier, qui n'avoit sa source que dans la diversité des emblêmes dela divinité , que l'on a considérés comme représentant des puissances et des intelligences distinctes. et séparées; au lieu que les Indiens onr presque tous considéré ces emblemes comme représentant toujours le racine être, ^qui avoit pris successivement diverses formes d'hommes, d'animaux, de plantes, ékc. suivant les diflérens services qu'il a voulu rendre au genre humain. L'origine de leurs premiers pénirens se trouve coniondue avec toutes les fables antiques; leurs dieut  par ses usages. Liv. II. Ch. IL 213 eux-mèmes n'ont quelquefois point dédaigné de se déguiser en Fakirs ,' et les légendes de leur mythologie ne parient que de pénken, fameux, de leurs pélérinages, et de tout ce quils ont fait pöur mériter un avenir heureux (1). ' III. Les sectes des Bonzes de la Chine, du Japon et des autres contrées des Indes Orientales, n'ont pas vraisemblahlement une origine moins ancienne. Le Foëdes Chinois n'est que le Vismou des Bramines. Le Sommona-codom des Siamois, le Budom de Ceylan, Le Siaka du Japon, ne sont que le même dieu, ou le même être que l'on prétend s'être rransformé jusqu'a huk mille fois, s'être fair connokre sous différens noms, et dont la doctrine s'est répandue depuis les Indes jusques au Japon , et jusques dans les déserts de la Tartarie et des climats glacés de la Sibérie (2). Ce qui a fait douter de 1'antiquité de ces doctrines, c'est que chez presque tous les peuples qui croyoient ces dirfcrentesincarnations.ouincorporations de la divinité, ce dogme a quelque fois servi de voile a différens imposteurs pour trompet les hommes et pour abuser de 1'attente vague dans laquelle ils vivent presque tous des ttanfotmations futures. Par la souvent des imposteurs adroits se font passer pour des dieux; mais quoique ces fausses apparkions aient eu souvent lieu dans ces contrées, les diverses doctrines quelles apporteient n'ont fait que renouveller d'anciennes idéés, et des préjugés antérieurs, et enter de nouvelles fables sur les anciem nes; tous ces impesteurs ou dieux transformés ont prêr ehé le dogme de la vie future , la fin du monde, -le (1) Lefhrcs èdlfiantes , tome XIV. (2) Hist. génér. den Huns , tome II , p» 325 et suivn Du Hald» , fels, oiM de la Chine , tems III, page «. O 3  214 L'Antiquité dévoilée mépris de la vie actuelle. La doctrine de Foé est trèssublime; elle anéantit rhomme pour 1'unir avec Dieu, elle ordonne d'abandonner père, mère, pour le suivre, de s'oublier soi-même, de marcher a la perfection, et de se rendre en quelque facon insensible, jusqu'au point d'oublier ses membres póur arriver aux récompenses éternelles (i). II n'est point ,étonnant que toutes ces prétendues apparitions de la divinité aient toujours produit la même doctrine cbez tous les peuples; elle est fondée sut 1'attente indéte'rminée oü les hommes ont toujours été du dieu de la fin des tems: c'est un dogme corrompu, mais apocalyptique dans son origine, et qui a dü chaque fois qu'il a été présenté aux hommes, les effrayer, contribuer a perfectionner leur morale, et les porter au mépris des choses d'ici-bas. C'est cette doctrine que suivent les Lamas de Tartarie et du Thibet, les Talapoins de Siame, les Bramincs des Indes, en un mot presque toutes les sectes des contrées orientales qui toutes sont , ou mystiques ou quiétistes. Les Talapoins sont de toutes ces sectes ou ordres religieux ceux qui mènent la vie la plus austère et la plus retirée : ils sont soumis a une hiérarchie régulière , ils vivent dans des monastères oü ils se livrent a la prière et a la contemplation pour se rendre dignes du ciel. Cependant quelques voyageuts nous les dépeignent sous des traits bien ditrérens, et nous assurent que ces religieux se livrent a toutes sortes de désordres; et que leur habit les met a couvert des chatimens que la puissance temporelle inrlige aux autres citoyens (2). Nonobstant leur doctrine sublirne 2 ces ordres sont rem- (:) Hist. fles Jfiins , rome II , p. 225. er iutrj (3) Kempfer, hlst. du Japoa , livre I, ch. ^  par ses usages. Liv. II. Ch. II. iij plis de vices et d'abus, introduits sans doute par les fables et les superstitions ridicuies que l'on a mêlées k des vérités morales. C'est un effet de tout langage mystique et plus qu'humain. Dés que 1'homme veut sonder les profondeurs inconnues, ou s'élever au-dessus de sa sphère, il est bientot forcé d'en descendre, et souvent il se jette dans des exrrémités opposées } 1'humanité est le milieu que 1'homme doit tenir; a mesure qu'il a voulu s'élancer au-dela de son être, sa chüte est devenue plus rude et plus rapide. IV.Quelques-unes de ces sectes s'occupent de sciences occultes et surtout de la recherche du breuvage de 1'immortalité. Les Bonzes de la secte de Lao-kium dans la Chine , sont fort adonnés a 1'alchimie, et travaillent a la pierre philosophale et au remède universel. Ce Laokium se vantoit d'avoir le secret de prolonger la vie humaine, ce qui fit appeller sa secte la seete des immoreels ; des empereurs de la Chine , ainsi qu'un grand nombre de leurs sujets furent souvent les dupes de ces prétentions merveilleuses , si propres a en imposer ï la crédulité des hommes qui voudroient perpétuer leur existence (i). Peut-être que le prétendu breuvage de 1'immortalité des Chinois n'a été fondé dans son origine que sur la doctrine de la vie future et de 1'immortalké de 1'ame, marqué par quelque allegorie qui fut prise pat la suite a la lettre; ce sont toujours les vérités qui ont conduit 1'homme aux erreurs; des 'sectes entières bvrées a cette folie recherche , semblent nous prouver que cette folie a eu quelque chose de religieux dans son principe. La Fontaine de Jouvence est une fable universelle et de la plus haute antiquité , elle se trouve, (O Illst. de la CUme de De Du HaUe, torna 5 , p. 19- O 4  X i S TL Antiqtmé devo'ilêe suivant les Juifs , dans le pays oü Elie et Enoch sont cachés, elle ne sera comme qu'a Ij fin du monde dont ces deux prophêtes seront les persécuteurs (i): V. Non-seulement ces sectes orientales se livrent a 'des extravagances , mais même leur doctrine porte 1'homme a des actions cruelles a lui-même et inutiles a la société. Les Fakirs de 1'Indostan ne sont point les seuls que 1'idée de la vie future porte a se tourmenter avec fureur; au Japon , les Jambados sont des espèces d'hermites qui peuplent les montagnes; leur nom signifie soidats de montagnes • 1'esprit de leur insdtut est de combattre 3 s'il le faut, pour la cause des dieux et de la religion du pays, Ils pratiquent les austérités les plus rigoureuses; ils passent leur vie a voyager de montagnes en montagnes ; tous les ans ils s'imposent ledevoir d'en grimper une fort élévée et remplie de précipicesi ils se préparent a ce pélérinage par les jeünes et la plus exacte continence. Cette secte est de 1'ancienne ïeligion des Camïs , la première du Japon (i).. Cette religion prescrivoit une multitude de pelerinages que les reiigions er les sectes modernes ont adoptés ; ils ont pour objet d'obtenir la féhcité temporelle et éternelle; nous avons paile ci devant du pélérinage d'Isje qu^ est Ie plus saint de tous. Le Foè' des Chinois qui est ie mème que le Siaka des Japonois, parle , dit-on , dans ses écrits d'un Dieu plus ancien que lui appelie O-mi-to, ou Amida 3 en 1'honneur duquel on fait des péniterices {i) Cette fontaine e»t famauae in» les üvres crienlam. Tnus lea lois de 1'Oritnt font chercliée avec sorn. On la commr Jlia-Kedher eau d'E'le : el'e e qui est plus moderne au Japon , et dont Siaka est le fondateur , n'est guère plus sensée; ses disciples s'imposent des austérités, despostures gênantes, et ttavaillent a 1'anéantissement de leurs sens, en vue d'une autre vie ou les méchans seront punis 3 mais reviendront en ce monde après avoir expié leurs péchés. Enfin le dieu de tous ces peuples semble n'être dans leur esprit qu'un dieu cruel et exterminateur. Tous ceux qui ont été témoins des austérités révoltantes que pratique cette multitude de Fakirs, de Bonzes et de dévórs dont 1'Asie est remplie, paroissent avoit peu rélléchi sur ces usages , et s'être peu occupés d'en connoïtre les motifs et les sources. C'est cependant cette connoissance qui peut seule nous montrer le tableau moral de 1'univers ; ces macérations de route espèce que 1'Asie ancienne et moderne a pratiqUées , n'ont point eu d'autre origine que les impressions qu'ont fait sut les hommes les dogmes antiques et sacrés de layue d'un grand Juge „ de la destruction du monde d'un jugement dernier, enfin des ïécompenses et des peines d'une vie future. Mais cette impression a frappé les Asiatiques en raison de la force et de la chaleur de leur climat, qui est cause que ses habitans ont tout porté a l'extrême. La raison apprend a toutes les sociétés que Ton doit aux monarques lobéissano» et le respect; les Orientaux ont substitué la servitude a 1'obéissance et 1'aioration au respect; la raison nous apprend que le premier de nos devoirs est d'adorer le Createur, de se soumeftre a ses décrets , et de s'humilier devant lui; les Orientaux ? esclaves en religion comme en politique,  xi% L'Antiquité dévoilée ont poussé leur religion jusqu'a 1'abrutissement et jusqu'a méconnoïtre la nature humaine. Leurs prières et leurs méditations ne sont que des folies et des extases, leurs humiliations sont des indignités, et leurs pénitences des fureurs. VI. Le dogme d'un jugemenr dernier ne s'est pas moins maintenu dans 1'ancienne Egypte. Les peuples de cette contrée, dit Diodore de Sicile (i) , regardent la durée de la vie comme un tems très-court et de peu d'importance, c'est poutquoi ils appellent les maisons des vivans des hötelleries par lesquelles on ne fait que passer, tandis qu'ils donnent le nom de demeures éternelles aux tombeaux des morts oü l'on demeure toujours ; voila pourquoi les anciens monarques de ce pays ont été assez indifférens sur la construction de leurs palais, pendant qu'ils se sont épuisés a construire leurs tombeaux. Cette doctrine n'étoit point particuliere a un certain nombre d'hommes , c'étoit la fa$on de penser d'un peuple très-nombreux , c'étoit la-dessus qu'étoient fondés toute sa législation, toutes ses coutumes, et tous ces usages tant publics que domestiques, Pour retracer sans cesse a ce peuple le dogme d'un jugement a venir , un tribunal visible après la morr de chaque homme jugeoit ses actions en présence de tout le monde et 1'attente d'un jugement semblable retenoit chaque particulier dans 1'exacte cbservation de ses devoirs; ce qui étoit, dit Diodore, très-propre a rendre les hommes plus sages , et plus disposés a former entre eux une société qui fut également avantageuse a tous (2). Le même auteur ajoute que le lac Achéron , que la barque de Caron, la pièce de monnoie qu'on donnoit ( 1) Diodor. Sicul. lib. I, sec'. r>. {■>} Diodor. lib. I , parag. 2, cap. 54 et 56.  par ses usages. Liv. LL. Ch. II. 2.19 pour le passage de chaque mort, étoient des usages ar* vils qui se pratiquoient auprès de Memphis, que les Grecs ont appliqué aux enfers , er qu'ils expüquoient dans leurs mystères. II pourroit suivre de ceci que les Grecs ont pris a la lettre les usages civils qui se pratiquoient aux funérailles des Egyptiens, et qu'ils ont dit que la même chose se faisoit dans les enfers : c'est - la ce qui fait dire a Diodore que les Grecs ont corrompu. par leurs fictions et leurs fables ce que l'on doit croire de la récompense des bons et de la punition des méchans, et que par-la ils ont livré a la raillerie des libertins un des plus puissans motifs que l'on puisse donner aux hommes pour les engager a bien vivre. Je soupconnerois que lt commun du peuple en Egypte ignoroit le vrai motif des usages ; ses rites étoient des mystères pour lui; la religion et la politique le retenoient par 1'image sans lui rien dire de la réalité d'une autre vie; ainsi il' peut se faire que le peuple Egyptien ne crüt pas si généralement une autre vie qu'on se 1'imagine communément. Un ordre de prêtres et de prêtresses étoit cependant dépositaire du dogme de la religion Egyptienne i il étoit destiné a instruire le peuple et a prêcher surtout par ses exemples. Ces prêtres, selon Plutarque , se dévouoient au service des remples et a la contemplarion des vérités éternelles ; ils étoient rasés en signe de deuil, vêtus de fin en signe de pureté, soumis a la circoncision et a toutes les cérémonies légales; ils s'abstenoient de plusieurs viandes, et ne mangoient jamais ni légumes, ni poissons, ni porc 3 ni mouton, ni féve, ni oignons; ils n*usoient point de sel, et ne buvoient que très-rarement du vin; par la privation des plaisirs' de la chair, par de fréquentes purifications qu'ils pratiquoient la mat et le jour, ils cherchcient pour ainsi dire a se deitiereta s'élever au-dessus de la nature hu-  HO L' Antiquité dévo'dée maine, par la haine et le mépris qu'ils portoient pour toutes les voluptés et les délices qui font 1'objet des desits des auttes hommes. Ces prêtres si exemplaires se faisoient ensevelir dans leur habit de religion (i). Nous avons déja fair remarquer dans une note qui ptécède ( II. ) 1'attachement singulier des Egyptiens pour leurs institutions, ainsi nous ne pouvons douter que ces usages des prêtres Egyptiens ne remontent a la plus haute antiquité; nous devons en conclure que le genre de vie et la police des premières nations du monde renouvellé étoient austères, ressembloient a une régie mcnacale, et que les prétres ont ainsi conservé le tableau des premiers ages du monde. Pour connoïtre l'esprit de ces usages et de la doctrine qui leur servoit de base, il ne faut que rappeller ce que nous avons dit sulles cérémonies , les fêtes et les commémorations des anciens , et nous verrons que ces institutions étoient fondéessur unemorale sombre et mélancolique qui portoit toujours les regards des hommes sur une divinité irritée qui, après avoir détruit le monde, reviendroh encore pour le détruire et le juget. C'est ce que l'on peut conjecturer par les livres de Trismégiste et d'autres auteurs Egypaens , dans lesquels on prétend que les événemens futurs et le sort du monde étoient prédits. VII. Quoique les Grecs , suivant Diodore , eussent abtisé de tous les dogmes qui avoient rapport a 1'avenir, et eussent-inventé a leur sujet mille ridicules qui avoient cécrédité ces dogmes importans et sacrés, on ne laisse pas de trouver parmi eux des hommes qui se consacroient a un genre de vie tout particulier, et qui se livroient entièrement a 1'étude et au culte de la religion. I/origine de ces sectes étoit si ancienne que l'on se ('■} P^uUr. ie Ui Je et OjijiJc. Htro^ote, l.w 2.  par ses usages. Liv. L. Ch. IL. txi' II flatteroit en vain de trouver la date de leur établisse- ment ou les noms de leurs fondateurs. Je commencerai par ceux qui onr mené la vie Or,J phique, auxquels se sont joints par la suite les disciples dé il Pythagore et ceux de Plaron , qui se sont livrés a la contemplation 3 qui ont fait profession de mépriser les choses terrestres et de ne s'occuper que d'un heureux avenir. La théologie des Orphiques sembloit avoir pour I base une naissance de Bacchus sous le nom de retout ou de renaissance d'Osiris, (ij. De-la cette secte fut appellée Bacchique , ce qu'il ne faut point entendie dans le sens vulgaire, vu qu'on a plus reproché aux OrphiJ ques leurs visions que leur licence. Malgré le fabuleus i du dogme qui servoit de fondement a cette secre , ii pouvoit renfermer une vétité. Les Grecs comme les j Indiens ont pu être les dupes de cette attente indétenniriée que L'on a vue dans rous les peuples ; ce que l'on rapportoit de cette génération d'Ositis n'est ni plus vrai, ni plus faux que la génération du Vistnou ; ce dieu qui tous les ans se régénéroit en Egypte , pouvoit bien I passer pour s'être régénéré une fois en Grèce. II est J même très-vraisemblable que plusieurs autres dieux des ; Grecs n'ont point eu une origine différente, et que les | mythologies égypriennes , grecques et romaines n'ont J point été différentes de celle qui subsiste encore dans i les Indes, et nous montre le passage successif de la divinité dans différens corps d'hoinmes ou d'animaux. Quoi qu'il en soit, les Otphiques institués en mémoite de cette régénération d'Osiris, avoient pour objet dans leurs mystères de régénérer les hommes, er de les detachef de ce monde ën leur révclant ce qu'ils savoient de son origine, de sa nature et de sa fin ; ils Leut expli- (1) Diodor. lib. I, tect. 1 , c«p. i3.  222 L' Antiquité dévoilée quoient ce que c'étoit que la divinité, qu'elle étoit la religion dont elle vouloit être honorée. C'est de-la qu'Orphée, qüi n'est peut-être que le nom d'une secte personnifiée, passa pour 1'instituteur du culte des dieux chez les Grecs, des cérémonies religieuses, des expiations, des orgies et des mystètes sacrés; c'est encore pour cela que l'on a mis sur son compte la plupart des événemens et des malheurs de 1'Osiris égyptien; on lui a rendu , comme a lui, un culte annuel et périodique; on a pleuré sa mort; bizatteries qui indiquent le cahos d'obscutité dans lequel 1'ancienne religion étoit tombée (i). (l) Cicéron nous dit qu'orphée n'a jamais existé. De naturd Deer. lib. x , cap. 108. Aristote a piétendu Ia mème chose. Voyez Huet, demonslrat. evang. propos. 4> cap. 8, parag. ïq. Cependant Diodoie de Sieile nous dit qu'il rapporta d'Egypte ses mystères , ses orgies et foute la fable des enfers. Diodor. lib. 1, sect. 2, cap. 36. Les Grecs le regaidoient comme Ie plus ancien des poëtes; il ètoit prètre, musicien , astronotne , philosophe, thèo'ogien et proplrète ; il avoit, diton , ècrit sur le chaos , la fabrique du monde , et Ie commencement ^es choses, et il avoit annoncé le sort futur de 1'univers; il avoit civilisé les hommes, et leur avoit appris a vivre en société, a batir des maisons, ce qui a fait dire qu'il attiroit les pierres et les aibres par des accens de sa Iyre ; il descendit deux fois aux enfers , enfin il fut tué par la foudre, ou selon d'autres déchiré par des Baccbantes , et sa tète rendit des oracles. Les Bistonides le pleurèrent, et on le pleura dans la Grece comme Atys, comme Adonis et comme Osiris. Or:phée , suivant Plutarque, ne mangeoit ni chair , ni osufs. Voyez le fcanquet des sept sages, et les propos de table. Pausanias lui atrtibue 1'institution du culte et des mystères d'Hècate a Egine , et de Cérès en laconie; la statue d'Orphêe avoit celle du mystére a cólé de lui, et 1'on chantoit ses hymnes dans les snistères des anciens. Voyez Pausanias, lib. XI, cap. 3o. Mém. de 1'acad. des inscript. tome V , p 117. On piut comparer l'histoire d'Orphêe avec elle de Musée , et l'histoire de 1'un et de 1'autre avec celle de Moyse le légis'ateur des Hébreux, dont le véritahle nom est Mouse ou Moiises , qui est cemposé des mot* egyptiens Moü, tau , et se , se conserver. Musée passé aussi pour être un des inventeurs de la poésie et de la musique. II alla, dit-on, en Egypte, et a son retour, il en et prescrivoit la tempérance er la frugalité comme les moyens les plus sürs de s'en dégager. II défendoit 1'usage de la viande , voulant qu'on ne vécut que de fruits et de légumes; il ne permit point de sacrifier des animaux aux dieux, et voulut surtout que l'on respectat lebceuf (i). Pithagore étoit outre cela géometre et physicien ; il discouroit sur 1'origine du monde, sur les principes des choses et sur les productions de la nature. Il apporta aux Grecs le dogme de la métempsycose j et leur enseigna que 1'ame immortelle ne fait que chan- (1) Plutarque, 'lans la vie tle Numa, attribue divers miracles et prodiges a Pytliagore. Les Carmes ont regardé Elie et Pythagore comme leurs fondateurs. y. histoire des ordtes monastiques , tome, I. Aul. Geil. lib. I, cpp. g. Tome I. E  %x6 U Antiquité dévoiïée ger de demeure, et passé dans les corps des animaux:'£ il montra que tout changé dans 1'univers, et que tous les êttes qui le composent sont dans une circulation perpétuelle qui fait que rien n'est stable, que tout na'it et se détruit, disparoit et paroit, finit et recommence sans que jamais rien périsse. II enseigna que la terre avoit été la mer. Le Phénix étoit 1'emblême dela nature circulante; elle est comme les empires, sujette a changet, et tous les êtres physiques et motaux croissent, décroissent et se succèdent (i). II y avoit encore chez les anciens diverses sectes que l'on peut compater a des fakirs indiens; ces hommes menoient une vie errante et vagabonde ; ils alloient de ville en ville chanter les victoires des dieux, et après s'ètte condamnés a une pauvreté volontaire, ils mandioient sous le voile de la religion; la Phrygie inordoit 1'empire romain de ses prêtres de Cybèle , connus sous le nom de Galles, que les anciens nous ont représentés comme des charlatans et des vagabonds, des fanatiques et des misérables dont on ctaignoit souvent la fureur. Ils portoient tous la petitejmage de la mère des dieux; ils alloient quêter pour la déesse; ils jouoient des gobelets et faisoient le métiet de prophêtes ou disêurs de bonne aventure. Hiérapolis , comme on a vu ci-devant, étoit la pépinière de ces Galles, et nous avons déja dit qu aux fêtes qui s'y célébrcient ils se faisoient rëmarquer par des extravagances souvent cruelles pour eux-mêmes ; ils se mutiloient en 1'honneur d'Atys. (i) Ovid metamorph. lib. XV, fab. 2, 5 «t 5. Pythagore avoit beancoup voyagé en Phénicie, en Syrië, en Judèe, en Arabie , en Chaldée, en Peise et en Egypte , oii il fut initiè a tous les inyslères- II adopta une partie de la doctrine des Orphirjnes , et ne fut que le tinge d'Orphêe cjui , ainsi qu'IIomère, avoit dèji parle dela métenapsycose.  par ses usages. Liv. II. Ch. IL xzy Une secte , aussi méprisable aux yeux mème des anciens, ne mérite point sans doute qu'on la mette au. rang de celles qui nous ont transmis le dogme de 1'antiquité ; il fauiroit pour cela connoïtre la nature des prophéties que ces Galles alloient débiter de ville en ville; cependant il est diiiïcile de ne les point regardé* comme un reste de quelque ordre ancien de pénitens: leur point de réunion a Hiérapclis , leur castration, ou si l'on veut, leur circon,i:ion cruelle en 1'honneur d'Atys, sont des choses qui annoncent un fanatisme qui ne pouvoit être qu'une suite des idéés funestes caulées par les malheurs de la terre; le métier de di'sent de bonne aventute, a pu procéder de ces idéés apocalyptiques sur lesquelles 1'antiquité religieuse avoit fondé une science secrette et mystérieusè. On peut présumer que dans 1'origine ces prophêtes n'ont parlé que du destin de 1'univers, qu'ensuite ils ont hasardé des oracles sur le sort dss empires et des nations, et qu'enfin ils se sont abaissé jusqu'a parler du sort des particuliers et des moindtes affaires; par-la ces rêveurs sablimes ou ces imposteurs sont devehuj semblables a ces devins et charlatans qui, mème a; jourd'Lui, savent tirer parti de la crédufoé du peuple. Les Orphiques étoient aussi regardés comme des devins. II n'y eut jamais a Rome un plus grand nombre de devins et de Chnldéens que sous les Césars : leur empire étoit alors troublé par des doctrines efrrayantes. Les mauvais go li vernemen s rendent toujours les peuples superstitieux et inquiets. X. Ceci nous conduit natureïïemént a pariet des oracles lameux dont Fantiquiré nous a coivervé le souvenir 'foftdé sur la curiosité inquièti des nations; il y a lieu de conject,;r:r qu'ih n'eurent dans 1'origine' d'autre objet que d'appféndre aux hommes ce qu'ils P 2  xl% L'Antiquité dévo'dée devoient penser des phénomênes eftrayans de la ftjp* ture; on alloit les consulter lorsque cette nature altérée ou dérangée par quelqu'événement extraordinaire, sembloit menacer le monde de quelque rêvolution ; peut-être la curiosité que les hommes montrèrent paria suite pour connoitre 1'avenir jusque dans les moindres choses , n'a-t-elle eu pour principes que la soliicitude primitive oü les anciennes nations ont été longtems sur le sort de 1'univers «ntier. II paroit que Ton doit ramener presque toutes les grandes erreurs a une même source-, elles ne sont que des suites des impressions de crainte et de terreur que les anciens malheurs du monde ont faite sur les mortels. Nos conjectures se trouvent confirmées si l'on fait attention que les oracles les plus célèbres de 1'antiquité se rendoient dans des lieux remarquables par des phénomênes naturels et pat des exhalaisons. Les physiciens savent que les vapeurs annoncent les variations du tems , la pluie , la sécheresse , les orages, la chaleur , le vent; on crut bientöt que ceux qui avoient eu occasion de faite des observations de ce genre, et qui demeuroient dans le voisinage de ces lieux, avoient également une connoissance parfaite de tous les événemens futurs (i). Un berger qui faisoit paitre ses chèvres dans le voisinage du mont Parnasse, s'appercoit d'une grotte d'oü sortent des vapeurs qui étourdissent les chèvres qui en approchent; il profire de cette découverte pour prédir 1'avenir -, tout le monde accourt au- (1) Diodor. lib. XVI. Dela vient sans doute 1'opinion oü le vulgaire est parmi nous que les bergers sont sorclers. L'hahitude qu'ils ont d'être a 1'air les met a portee de prédire les variations du tems ; on conclud que l'on peut s'adresser a eux, pour retrouver les ehoseï ptrduts*  par s£s. usages. Liv. LL. Ch. II. 229 px-ès de lui, er voila, suivant Diodore, 1'origine du plus fameux des oracles de la Grèce, qui pendant un grand nombre de siècles a décidé non - seulement des affaires des particuliers, mais encore des intéréts les les plus grands des villes des peuples , des rois, de la paix et de la guerre et de la religion. Echisle dit que la terre fut la première qui rendit des oracles a Delphes; ensuite que ce fut Thémis, et enfin que l'on crut que c'étoit Apollon qui rendoit les réponses- Ce passage semble indiquer que cet oracle n'annonca d'abord que les variations des saisons, et qu'ensuite on s'adressa a lui pour la décision des procés et des disputes5 enfin que 1'oracle paria en vers, langage du dieu de la poésie. Qnoiqu'il en soit, nous voyons que la plupart des oracles se trouvoient placés dans des lieux sujets £ rendre des exhalaisons ou vapeurs, et dans des régions remplies d'eaux minérales et thermales, et de souffre. La Béotie étoit la partie de la Grèce oü il se rendoit le plus d'oracles, a cause des montagnes et des cavernes qui s'y trouvoient. Plutarque compte vingt-cinq de ces cavernes. L'oracle de Cumes étoit placé dans une contrée sulphureuse, remplie de vapeurs et de bains chauds. Les oracles de Trophonius se rendoient dans un antre d'oü l'on sortoit tout étourdi des vapeurs qui y régnoient; et l'on prenoit sans doute pour une communication avec les dieux l'état de vertige et de convulsion oü mettoient ces exhalaisons dangereuses : comme ceux qui parloient ne jouissoient point de leurs sens, on crut que c'étoient les dieux qui parloient pout eux et qui s'expliquoient par leurs organes.- C'est ainsi que prophétisoit la pythie de Delphes; après s'être assise sur un rrépied, et avoir été quelque tems exposée aux vapeurs. qui sortoient de 1'antre sacré,. elle en-, P 3  *5° VAntiquité dévoilée troit en fureur, et IWprènpi, pour des oracles les réponsc-s qu'clle faiscir. L'cracit de Clarcs epéroit par le moyen d'une fontaine dont les eaux enivroient et étourdissoient. On peut en dire autant de 1'oracle de Jupiter Amraon en Lybie, dont le temple étoit auprès d'une fontaine périodique sujette a croitre et a, décroitre. Quant a 1'oracL de Dodone oü les arbres „parloient, on prétencloit sans doute expliqner le bruit singulier que le vent excitoit en agitant les feuilles d arbres. Suivant Strabon les habitans de Lipari avoient le don de prédire 1'avenir, ce qui peut signifier que la qualité des vapeurs et des fuinées qui partoient des feux souterrains dont leur isle étoit remplie, les mettoit en etat de prévcir les variations de 1'air; c'est de-la vraisemblablement que la fable attribuoit a Ecle ie don de prédire les vents, les tempétes et les orages (i). XI. Revenous a nos sectes. Ees tems mythologiques de la Grèce nous monttent encore divers personnages que l'on peut reproer comme ayant formé des sectes ^ligieuses, Tels sont ces prêtres connus sous les noms de Bacylcs Idéms 3 de Oiretes , de Cotyhintcs 3 de Ctzbires, de Teleh'mes 3 Sec. mais on ne peut donner sur ces sectes que des conjeetures hazardces, faute de détails historiquës, Les Dactyks passoieht pour avoir été les premiers prêtres de Cybèle. Ils" étoient pcè'tes ; en -dansant ils chantoient la naissance de Jupiter , et ils passoient pour avoir mvcr.tó ou renouvellé les arts après le déluge de Deucalion. Les Idéms, que l'on confond aussi avec les Dactyks , passofe pour être les premier; qui anrès être descendus da Mont Ida ou ils s'étoient refugiés, vihrent s'établiï an pied de cette mentagne. Ils loucient (') &WbQ, Vb- Vi. fausanias ia Beot. cap. a3.  par ses usages. Liv. LI. Ch. II. 231 les dieux par leurs chants, ce que leur nom semble indi • quer. Les Curetes furenr égalemenr confondus avec les précédens et avec les Cabires ; on les regardoit comme les anciens ministres de la religion; on les représenté comme des hommes livrés ala contemplation; ils étoient, dit-on, en Crète ce que les mages étoient en Perse, les druides dans les Gaules, les Saliens et les Sabins chez les Romains. On leur attribue 1'invention de quelques danses sacrées qu'ils faisoient tout armés, au bruit des cris rumultueux, de tambours, des Hutes, des sonnettes; ils frappoient avec des épées sur des boucliers , ce qui les remplissoit d'une fureur divine qui en imposcit au peuple épouvanté : c'est-la , selon Strabon, ce qui leur fit donner le nom de Corybantes (1). On les regardé aussi comme instituteurs des jeux Olympiques, dans lesquels , comme on a vu , l'on célébroit la victoire de Jupiter sur les Titans. Le bruit qu'ils faisoient dans leurs danses avoit, dit-on , ponr objet de rappeler le bruit que l'on avoit fiit autrefois pour empêcher Saturne d'entendre les cris de Jupiter enfant, que l'on vouloit soustraire a sa voracité. II y avoit de ces Corybantes en Crète, en Phénicie , en Fhrigie, a Pihcdes, et par toute la Grèce ; peut-êire a-t-on donné ce nom a tous les prèrres qui faisoient des danses ou des extravagances en 1'honueur de leurs divinités, quelles que fussent celles a qui ils s'étoient le plus particuiièremenr consacrés. Lucien dit que les Corybantes de Ci- (1) Strabo, lib. X. Koduptónles hainein qui remoentls tète ra saillant. Cette étymologie grecque doit peut-ètre le rider a 1'onentale qui explique ce mot par ofïrande et aiim<*.nc. Corbanim signifie en hébreu. des gems dèvouès au aeivice de Dieu el de son temple. V. Joscph conti» jppion. Vb. I. et Basnage, kist. dos Juifs , tome VI, p. ,a3. U nom de Curetes peut s'e-.pliquer par catlrati ou circoncis , en e f*i-. iiut dériver de Gurat't, couper. P 4  i $ i L'Antiquité dévoilée bèle se faisoient des incisions; les uns couroient échevelés par les précipices , d'autres sonnoient du cor, d'auttes hurloient et frappoient sur des tambours et des timhales;-enfin ils se mutiloient en mémoire de Cybèle désespérée de la mort de son Atys. Ils obsetvoient óutre cela des jeunes rigoureux et ne mangeoient pas ;ain; enfin torn les usages n'étoient qu'une rtèbre de l'histoire de leur déesse et de son . retracoient dans leurs mystères. iiis avoient leurs Saüens; c'étoient des ptê ars dont les usages étoient assez con- i £ les Curetes et Corybantes. Nous n'avons rien dë certtun sur leur origine; antérieure a lafondation de Rome , elle étoit inconnue des Romains mêmes. Leur grande fête ;e célébroit en mars, au renouvellement ue 1'année civile. Les Saliens étoient gardiens des boucliers sacrés, desqüels on faisoit dépendre le destin de Rome ; ils les portoient en triomphe en diamant et en dansant pendant treize jours consécutifs; ces jours étoient èe la plus grande solemnité pour les anciens Römains. Pour juger que Finsritution de ces prêtres avoit été dans 1'origine fondée sur les idéés apocalyptiques, il faut seuiement remarqaer que pendant les treize jours que duroit cette fête périodique on ne pouvoit nen entreprendre d'important , on ne faisoit ni mariage, ni expédition militaire. D'ailleurs le culte des Saliens avoit pour objet un dieux belliqueux et exterrainateur, comme l'indiquent les noms de Palloriens. et Pavoricns que l'on donnoit aussi a ces prêtres. Les Bdionaises étoient encore un ordre de prêtres de la mème trempe, ils recevoient leur sacerdoce par des incisions qu'ils se faisoient aux cuisses et aux bras, ils Offroiem le sang qui en sortoit a leur divinité cruelle en branJant la fête et en faisant des contorsicns extraoidb  parsesusages.Liv.IT.Ch.il. i$$ naires, ils se donnoient la discipline assidument dans leut temple. Ils étoient regatdés par les uns comme des devins et des prophêtes , et par d'autres comme des enthousiastes et des furieux •, en effet dans leuts accès ils prédisoient la piise des villes } les grandes défaites , et n'annoncoient jamais que le sang et le carnage. C'est de cette espèce d'hommes que nous est venu le nom «!e Fanatique qu'ils ont potté les premiers ; il leur fut donné paree qu'ils se tenoient dans le temple dit Fanum , oü ils avoient leuts visions; peut-être ce nom leur vint-il paree qu'ils étoient les trompettes de la terreur. Isis , Sérapis et beaucoup d'autres dieux avoient, comme Bellone , des ministtes de cette espèce, qui portoient aussi le nom de fanatiques , sans se ctoire offensés de ce titre, qui n'étoit point ptis autrefois dans le sens défavorable qu'on lui donne aujourd'hui. Nous ne parierons point ici des Vestales de Rome et du Pérou. L'on ne peut douter que leur institution n'ait eu pour objet un acte apocalyptique dont nous parierons en son lieu. XII. Pour completter le tableau des sectes religieuses de la plus haute antiquité , il rious reste encore a parler des sectes des Hébreux que l'on peut regarder comme une nation totalement sacerdotale. Mais laissant ici ce que l'histoire nous apprend , nous ne dédaignerons point de consulter les traditions de ce peuple et sa mythologie rabbinique , utile en ce quelle est un excellent supplément a la mythologie des autres nations •, d'ailleurs il n'en e;t point dont 1'esprit ne soit utile a connoïtre pour éclairer l'histoire. Les ordres religieux sont, suivant les Hébreux , aussi anciens que le monde. Seth , Enos, Caïuan , Enoch, Nee , Elie ont tous été msatuteurs, de régies monasriques, dont les sectateurs  ■aJ4 L' Antiquité dévoilée sont détachés des choses de ce monde. C'est \ ces patriarches qu'ils rapportent 1'origine des Enoséens , qu'ils prétendent avoir été les mêmes que les Esseniens, les Cméens, et les Qnéséens, dont il est parlé dans la fobie, ainsi que les Réchabites. Les Hébreux eux-mêmes n'ont tous été que des marnes de lmstitution de Noé. Les Zu-im, les Embn , les Nepjhilim, les Zom^omim, les Eriachim, et tous les Rephaim que d'après la bible nous ne regarderons que comme d'anciens géans et des Mnpies, étoient , selon quelques-uns, des gens consacres a Dieu et remarquabies par leurs vertus. Voila sans doute de grandes fables et de grandes absurdités; mais en faveur de l'historique auquel eiles se trouvent jointes , nous ne devons point les dédaigner tout-a-fait. Si Ton nous donne les Zu%im , et les Zomeomun (i) pour des saints , leur nom signifie en effet des hommes qui méditent, et ce nom n'est point fort éloigné de celui de Zcphasemitn sous lequel Sanchoniathon désigne les premiers ccnrcmplateurs des cieux. De même la significaüon la plus naturelle du mot Rephaim est médecin : Orphée qui , comme on a vu , passé pour l'instituteur des Orphiques , étoit , dit-on , aussi un grand médecin. En cela la mythologie des Répnaïm et des Orphiques se confond et les noms des deux sectes sont les mêmes. Quant a la secte instituée par Seth, on ne neus en apprend rien; on sait seulement qu'il y eut des hommes qui ontprétendu suivre la doctrine de Seth et poss'éder ses ouvrages qui, ainsi que ceux d'Enoch, étoient apocaliptiques. Les Juifs nous donnent les Cinécns , que la Vulgate dit être dsscendus de Cïny pour les enfans naturels ou inystiques de Cai'nan; en ef- 0) t» racine Ce ces mots est Zamant, peiiw», réfléchir. Dcutcio». ♦iiap. II.  par ses usages. Liv. IL. Ch. II. 2.3 J fet les ncms que la vulgate a , pour je ne sais quelle raison , rendus par Cin et Cinéens , sont écrits dans le texte Caïn et Caïnites ; sans doute que les Juifs qui attribuent cette secte a Caïnan et la vulgate a Cin. qui n'est pas un nom réel, n'ont pas voulu que le nom de ces hommes religieux eut rien de commun avec celui de 1'odieux Caïn ; cependant rien n'est plus vrai que cette conformité de nom (1). Quoi qu'il en soit de 1'origine de ces Caïnites ou Cinéens si l'on veut, leur secte se perpétua très-long-tems chez les Cananéens et chez les Hébreux sédentaires; ils ne demeuroient que sous des rentes ,■ et menoient une vie pastorale a 1 imitation des premiers hommes ; labible les fait Madianites et Arabes d origine; il paroit qu'ils étoient très-nombreux du tems de Moyse , puisque Balaam parle des Cinéens comme d'un peuple puissant , habitant les montagnes et les déserts, et il prédit que 1'Assyrien les ferolt un jour captifs (2). Les Essc'ens appelles aussi Esséniens et Jesséens, formoient chez les Hébreux une secte dont les vertus ont été louées par les payens eux-mêmes. II J a tout lieu de croire que leur secte étoit Judéo-Egyptienne, et qu'elie étoit composée d'Egyptiens qui avoient déja renoncé au culte des idoles, et de Juifs refermés par quelques-uncs des phiiosoplr.es de la Grèce, et surtout par celle des Pythagoriciens auxquels ils ressembfoient si fort, que leur secte n'étoit probablement qu'une branche de la lenr. Joseph, Phiion etPline sont les premiers qui en aient parlé; 1 ancien et le nouveau testament n'en ont point fait mention, ce qui paroit (1) Oennm, Qtim, Qeni. (a) Ifombrej, ehapï X, vs. 23. Jnge», chap. IV, vs. in Nornbies . ciian. XXIV, vs. 21,  6 L'Antiquité dévoilée fort étonnanr. On voit dans Joseph cette secte toute formée 1'an 14; ans avant Jésus-Christ, tenir école dans 1'art de prédire, et faite le métier de devins ou de .prophêtes; cet auteut cite ailleuts plusieurs de leurs prophéties qui eurent leur accomplissement du tems d'Hérode et des princes Asmonéens. (1). Pline leur donne plusieurs milliers de siècles d'antiquité, et dit quils vivoient sans femmes au milieu des déserts; les comment'ateurs de la bible les font aussi anciens que Moyse, et ne sont pas moins dans Terreur que Pline. II ne s'agit ici, ni de 1'origine particulière de cette secte, ni de son nom, mais de 1'origine de sa conduite et de sa facon de vivre et de penser. Comme sa doctrine et sa morale sont les mêmes que celles de toutes les sectes Orphiques et Pythagoriciennes dont nous avons déja parlé, il y a lieu de croire qu'ils n'en étoient qu'une branche, et que par ce canal la doctrine austère de ces Juifs étoit dérivée des Indes (2). Les Esséniens se croyoient plus purs et plus saints que les autres Juifs; ils n'enrroient jamais dans le temple de Jérusalem, de peur de se souiller avec ia mukitude, ils se contentoient d'yenvoyer leurs offrandes, vii qu'ils n'habitoient point les villes; ils se tenoient dans les déserts et sur-tout dans ceux de 1'Egypte, oü étoit leur centre commun. Ceux qui demeuroient proche des villes étoient laboureurs, ceux du désert étoient contemplatifs; ils passoient par un noviciat, et faisoient plusieurs vceux; ils ne mangoient jamais (1) Joseph antiquit. lib. XIII, eap. 5, parag, q , et cap. 2, fa. rag. 2. lib. XV, cap. ,o. Plin. lust. natur. lib. V, cap. . (2) Les Bamars de 1'Indostan ne mangent ancune sorte d'an.'matix : ■Is ont horreur de la guerre et de toute effnsion de sang. 11 y a , ps-rmi eu-x, des secte; qui ont be.-.ucoup de rajnort avec les És5«PMaf.  par ses usages. Liv. IL. Ch. LI. 2.27 rien qui eut eu vie (1); ils avoient en horreur toute effusion de sang, et sur-tout celle qui se faisoit dans les sacrifices et a la guerre; ils s'abstenoient de femmes; et réduits a se nourrir des plantes et des légumes qu ils cultivoient de leurs mains, leur genre de vie étoit aussi simple qu'austère. Ils sortoient vêtus de vieux habits, n'habitoient que sous des cabancs ou des rentes d'ou les contemplatifs ne sortoient que le jour de Sabbath; les autres jouts ils restoient dans le silence et la retraite; ils chantoient leurs hymnes en dansant; entr'eux tout étoit commun; avant d'entrer dans leur secte, il falloit distribuer tous ses biens a sa familie ou a la communauté sans rien réserver. Tant de rigueurs sur euxmêmes et le grand respect qu'ils portoient a Moyse ne les empêchoient pas d'être très-superstitieux et trèsfanatiques. Un de leurs devoirts- vulgaires, étoit de saluer tous les jours le soleil levant, de 1'invoquet pour lel priet de se montrer, et de ne faire aucune saleré en sa présence; ce qui semble prouver que leur secte étoit un mélange de Judaisme et de la superstition Egyptienne qui s'étoient mutuellement corrompus et réformés. D'ailleurs les Esséniens étoient des visionnaires üvrés au systême d'une fatalité inévitable; ils s'abrutirent a force de mysticité; ils s'étourdirent a fotce d'allégories; ils s'endormirent dans leuts médirations, pour ne jouir que des plaisirs de 1'ame; en commerce avec les anges, ils croyoient avoir des visions prophétiques, apprendre par leur moyen la science de Dieu et de la nature, et posséder seuls les secrets d'une théologie mystiqv.e qu'ils ne divulgoient pas plus que leurs mystères. Ils se vantoient de leurs connoissances en chymie et enmédecine, qu'ils prétendoient acquérir (1) Porphyr. de abstinent.  IjS L'Antiquité dévoilée en méditant leurs livres antiques, dans lesquels ils* trouvoient une foule d'allégories. Ils demeuroient fermés et inébranlables dans leur doctrine; ils étoient prêtS a sacriher leur vie a leur liberté et a leur indépendance, et enduroient avec fermeté les supplices que les Romains firent soufrrir aux Juirs qu'ils regardoient cemme les ennemis de leur religion et de leur empire; ils étoient soutenus par 1'espérance d'un séjour bienheureux qu'ils placoient dans un pays chaud, situé au-deia de la mer, et bien loin de 1'enfer qu'ils placoient dans un pays froid. A la fin cette secte se divisa, une branche forma la secte des anges, qui disparut peu-a-peu; une autre branche ne voyant point que le monde changeat, reprit 1'usage du manage; enfin une troisième branche, plus livrée que jamais a ses austérités, a ses vivions, a ses extases, se perdit sans doute dans les désetts ou se réforma avec les chrétiens (i). Le nom de Tkérapeutes que l'on a aussi donné aü moins a tine des btanchés des Esséniens, est le plus propre a faire connoïtre leur vérirable origine; cenom est grec et signifie médecin; ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il a le même sens en hébteu (2), circonstance qui paroit ptouver que les Esséniens étoient une,branche dela secte des Orphiques, dont les Pythagcriens n'étoient, (1) Voyez Easnage, histoire des Juifs , livre II, chapirre 20 , 21 , 92 et 25, et Euseb. proeparat, enting, lib. XI, ccp. 5. Porphir* de abstinent. (2) En Hébreu Thirepha , Thirepheu., vous guerirez ; liitherapetha, il s'est guéi i; ce qui déaote que fe verbe grec therapenó, güérfr , dérive de 1'or'ental rapha guérir, duquel déiiveir. encore riphenth santé, rophe et barophe j. édeein ; c*st de ce dernier mot que paroit veniï" le nom de I'Orpllé des Grecs dont ils ont fait uu grand mt'detin. D'oii l'on seroit en droit de conjeotuier que les Therapeutes et les Orphiques ne sont pas des noms diférecs ; en supprimant les pféfires de Ia grammaire oiienta'e , on a pu dire Rophiques et Théroptiiques dont: on a pu faire Orphiques.  par ses usages. Liv. II. Ch. II. comme on a vu, que les imitateurs. De plus, on cessera de s'étonner de la bizarrerie de la fable des Juifs qui font une secte religieuse de' ces Géans que 1'écriture appelie Rephaim, puisque la racine de ce mot est la même que celle des précédens* Ceci indique que 1'origine de ces sectes remonte a une prodigieuse antiquité; sur-tout si nous remarquons que toutes les sectes des Indes, de la Chine, du Japon, prétendent de même exceller dans la chymie et la médecine. La raison de cette conformité est si simple : des gens qui abandonnent le monde pour se livrer a la méditation, n'ont eu dans le commencement d'autre étuis que celle de Dieu et de la nature; dela ils ont cru en tout tems s'être mis en possession des clefs du ciel et de celles de la nature; en se vantant d'être les médecins des ames, ils se sont aussi peu-a-peu rendus les médecins du corps : doublé moyen qui leur a souvent servi a tromper les hommes, er quelquefois a. leur être utiles. Au reste, sans vouloir faire aucuns comparaison injurieuse, je rappellerai ici que beaucoup de nos ordres monastiques qui se sont rendus utües par leurs bibliothèques et leurs lumières, ne i'ont pas été moins par leurs connoissances médicinales c: leurs pharmacies. L'origine des Réchakites n'est pas moins inconnue que celle des Esséniens; il paroit par ia bibie que c'étoit une secte religieuse qui, par une loi de'ses pères, ne batissoit point de maisons, ne semoit, ni ne mgissonnoit point, ne plantcit point de vigne, etnebuvcïc jamais de vin; ils habitoient constamment sce.-, des tentes pendant toute leur vie sur la terre, qu'ils nz regardoient que comme un passage. Si fes Juifs atrribuent a Enoch et a Elie la fondation de cette secte, s'est d'abord une preuve de sa haute 'antiquité; en  240 L'Antiquité ctévoilèe second lieu toute vie errante et de pélérinage étanl une vie d'attente fondée sur une doctrine apocalyptique, les Réchabites ont du regarder, avec le tems, comme leurs fondaieurs et leurs maïtres deux prophêtes dont la venue doit, dit-on, être 1'annonce de la fin du pélérinage du genre humain et du commencement de la vie bienheureusê. II seroit d'ailleurs inutile de chercher quel est le Réchab inconnu dont cette secte portoit le nom, il faut s'en tenir aux dogmes et au genre de vie des Réchabites pour juger de leur origine et de leur antiquité. C'est ainsi que la fable se joint avec l'histoire pour contribuer a nous prouver que les sectes, ainsi que les pélerinages et la vie errante, ont tiré leurs sources des idéés religieuses, et remontent aux tems les plus voisins du renouvellement du monde. XIII. Nous allons terminer ce chapitre par un tableau général des pélerinages pratiqués par un grand nombre des peuples de la terre ; on ne peut s'empêcher d'y reconnoitre la peinture de la vie errante et vagabonne des premiers habitans du monde renouvellé, et nous devons les regarder comme les suites du dégout que les révolutions de la terre avoient inspiré a ceux qui en avoient été les malheureux témoins. Nous avons déja eu occasion de parler de quelques pélerinages des Indiens et des Japonois, et des extravagances dont ces peuples superstitieux les accompagnent; nous allons encore trouver le même esprit chez la plupart des habitans de la tetre ancienne et moderne (1). Les Indiens ont sept pélerinages fameus en sept endroits différens qui sont par eux réputés sacrés. Les Chinois font des pélerinages a une mon- (1) Cérémonies religieuses , tome VI. Lettres édifianres , tome XII, XIII et XIV. Histoire de Ja Chine de D11 Halde , tome Vf. tagne  par ses usages. Liv. II. Ch. II. i4,ï ! ïügne zvvcllce Kicou-hoa-ckan , que le-, pélerins, par dévotion, ne mohtént qu'a genoux. Quelques Gentils , Indiens vont en pélérinage faire leurs offrandes :u: le i Pyr-pan-jalj la plus haute des monragnes du Caucase. i Aux sources du Menve Songari est la plus haute moni tag'ne de toute la Tarrarie oriëntale, que l'on nomme » Chamg-pe-chan; les Chinois et les Tartares ent pour : elle la plus grande vénération; ils débirent une infinité i de fables a son sujet, et se vantent den tircr leur : origine. II est aisé de sentir que ces merveilies sont ; fondées sur une tradition corrompue par les tems , i qui a appris a ces peuples que leurs pères réfugiés t autrefois sur le haut de cette monragne au tems du t déluge , en sont descendus par la suite pour habiter les plaines. Les Chinois ne débiteur pas moins de , fables sur le mont Pecha, qui n'est qu'un amas de i montagnes accumulées qu'ils regardent comme les plus hautes du monde. Dans la province de Fokien lé > mont Vou-y-chan n'est pas moins 1'objet des respects et des pélerinages des Chinois : en effet, il passé pour 5 être le séjour des immortels; il est rempli d'une multitude de temples et d'hermitages. Les Apalachites ou Floriens sauvages vont a toutes les saisons sacrifici: j sur le mont Olaimi, pour rendre leurs actiens ce gtaces au soleil d'avoir sauvé leurs ancêtres du déluge du lac Théomi. Leur sacrifice n'est point sanglant, ils t offrent seulement du mabis, des fruits, du miel : il t n'y a que leurs prêtres qui osent apprecher de la vaste ï caverne qui sert de temple, et oïi, dit-on, le soleil s se eacha autrefois. Nous retrouverons la même fable et le même pélérinage chez les Japonois, lorsqu'ils vont a la montagne d'Isje, qu'ils regardent cominé le premier séjour de leurs ancêtres, et oü le soleil Se ' cache pareilletnent. Tout Japonois, comme oh a vu, Tome I, Q  Z42 L'Antiquité dévoilée fait ce pélérinage au moins une fois dans sa vie, er croit a son retout être comblé de graces et de bénédictions, et s'être rendu digne de la félicité éternelle. Les Caraïbes de S. Domingue faisoient, comme on 1'a déja observé, un pélérinage vers une grotte de leur isle, oü le soleil et la lune se retirèrent, après avoir détruit les anciens habitans de i'isle (i). Le dernier mois de 1'année Arabe s'appelle Dhouthegiat, ce qui signifie le mois du pélérinage; c'est Ie dix de ce mois que se célèbre le grand Baïram des Turcs, et l'on fait a la Mecque le sacrifice d'un mouton; c'est alors que l'on pratique dans cette dernière ville les grandes cérémonies sur les pélerins. On sait que les Musulmans sont obligés de faire ce pélérinage une fois en leur vie; on prétend que cet usage est beaucoup plus ancien que Mahomet. Chaque année ce pélérinage attire un concours incroyable a la Mecque. L'usage veut que les pélerins tournent sept fois autour de la Caaba ou maison sainte d'Abraham; ensuite ils coutent sept fois d'un lieu marqué a un autre, d'abord lentement et puis avec vitesse; enfin l'on marche er l'on s'arrête en regardant avec inquiétude de cöté et d'autre comme pour chercher quelque chose; ce qui se fait, dit-on, pout imiter Agar qui cherche de 1'eau pour Isfaaël. On ne peut s'empêcher de remarquer que presque tous les pélérinages des nations du monde ont toujours quelque montagne pour terme; pour peu que l'on y fasse attention, on trouvera que cette circonstance confirmetoutce que nous avons dit jusqu'ici des impres- (1) Voyez histoire générale des vovages. lïistoire de la Ia Chinè de du Halde, tome I. LaitUeau , iuosurs des Sauvages, tonae I, paffe , 15.1.  pax ses usages. Liv: li. Ch. II. sions faites suf 1'esprit des hemmes par le déluge et les révolutions de la terre; c est dans ces idéés qu'iï faut chercher la source du respect que tous les peuples ont eu pour les monragnes et les lieux élevés. L'écriture reproche sans cesse aux Hébreux la passion qu'ils avoient pour allet sacrifier sur les lieux hauts. On se rappelle le respect que les Samaritains avoient pour is mont Garbnm 3 fondé sur ce qu'ils croyoient que le déluge ne 1'avoit point couvert. Ezéchiel en patlanr des transgresseurs de la loi qu'il nomme calomniateursj dit quils ont man gé les montagnes (i). Nous voyons chez un grand nombre de peuples le même respect pout les montagnes. Les Perses, suivant Hérodote et Strabon, sacrifioienr sur les montagnes les plus élevées aux dieux, aux astres, aux élémens. Les Ethiopiens, dont le pays est rempli de montagnes fort hautes, prétendoient être les premiers des hommes et les premiers instituteurs du culte des dieux; en effet ils ont passé chez les anciens pour les plus religieux des hommes; et peut-être seroit-on fondé a ctoire que la religion ancienne a pu être un fruit de 1'imagination embrasée de ces Ethiopiens (2). Diodore dit qu'ils regardoient les Egyptiens comme une de leurs colonies qui tenoient d'eux son culte et ses loix, et qu'originairement 1'Egypte n'étoit qu'une mer. Chez les Grecs, toutes les hautes möntSgnes telles que 1'Olympe, le mont Ida, le mont Nisa, étoient un objet de vénération. Le mot gret b jmös , 'tuttel, semble dérivé de Bamah qui en Hébreu sigrtiffë élifë. Les Arcadiens alloient annuellemenr sacrifier sur le (1) Ezech. cap. XXTT. vs. 9, (2) Voyez Sirabo, lib. XF. Herodjt. lib. I. Diodor. lil. Xïï rap. 2.  L'Antiquité dévoilée mont Lycée, la plus haute montagne du Péloponnèstf , a Jupiter Lycams: ce sacriflce étoit accompagné de cérémonies qu'il n'étoit point permis de divulguer, il se faisoit sur un autel de terre. Cette montagne étoit trèsfameuse •, le temple étoit fort étroit et resserré, et l'on ctoyoit que ceux qui y entroient mouroient inévitablement dans 1'année. On dit que ce culte avoit été otiginairement établi pat Licaon, roi d'Aarcadie, qui éleva un autel a Jupiter, sur le quel on immoloit des victimes humaines , mais que le dieu le changea en loup pour le punir de sa cruauté. C'est sur le mont Lycée que quelques-uns prétendoient que Jupiter avoit été élevé ; cette montagne est la même que le mont Geranion oü Pausanias dit que les Mégatiens se réfugièrent au tems du déluge de Deucalion (i). Nous ttouverons i'cxplication des motifs de ce culte des Arcadiens dans ce que nous dit Denis d'Kalicarnasse ; il nous apprend qu'après le déluge les plaines d'Arcadie restèrent longtems inondées et incultes; que les Afcadiens refugiés sur les montagnes y menèrent une vie ttès-dute et très-misérable, et que par la suite ils envoyèrent des colonies dans 1'isle de Samothrace, dans la Phrygie et sur le mont Ida (2). Apollodore dit que les plus hautes montagnes de la Grèce se trouvent en Thessalie; c'est-Ia, selon lui, que les hommes échappés du déluge se sauvèrent en petit nombre; Pausanias nous apprend que le mont Parnasse leur fournit un asyle. C'est peut-être sur le même fondement que les Cappadociens et les Daces tegardoient les montagnes comme des dieux. L'Atlas étoit un cbjet de culte pour les Africains. Les Péruviens adoroient les montagnes. (1) Pausanias , lib. cap. 40. lib. 8, cap. 58. Dionys. Halicarncss. lib I, cap. 14.  par ses usages. Liv. II. Ch. III. 245: Selon leur fable et leur tradition, ils s'éroient autrefois réfugiés sur les montagnes; et quand ils voulurent en descendre, le limon et les géans qu'ils trouvèrent dans les plaines les obligèrent de se réfugier dans les cavernes oü ils furent contrahits de demeurer fort longtems. Le mont' Pora au royaume d'Arrakan est regardé comme un dieu, il est 1'objet de la superstition du pays (1). Le mont Firpanjat dont nous avons déja parlé , et que nous avons dit être un lieu de pélérinage et de dévotions pour les Indiens, ne seroit-il pas le lieu oü Bacchus livra de si Furieus combats aux Egipans ? Du tems d'Apollonius de Thyane, c'étoit une retraite de sages qui étoient dépositaires de quelques fontaines merveilleuses , dont les eaux servoient a purifier les Indiens .qui, par ce moyen, obtenoient la rémission de leurs péchés. Les Grecs ont appeilé cette montagne Mercs , les Indiens Muhameron. Ces derniers y placent le paradis, et prétendent que c'est de-la que Brama leur a donné la loi (2).. C H A P I T R E III. De la vie errante et sauvage des premiers peuples. I.TPout ce qui a été dit jusqu'ici nous fait voir 1'uv nivers absorbé clans la tristesse et cherchant a la nourriï perpétuellement par ses usages, ses fètes et ses commémorations. II fut donc un tems oü les malheureux ha- (i) Voyage tie le Gentll, tome I, p. 10g. Hilt. génér. des voyages to.ne IX , n. 65. (.2) E!. de Veghiére dans la vie d'Apollonius, liv. III, chap. 5-; el «55 Ismes eurieuses et sciÊaiitcs, tome IX, Q 5  24^ L'Antiquité dévoilée bitans de la terre durent prendre un dégout total pour leur demeure qui étoit le théatre des catastrophes les plus terribles, et pour une vie de misère er d 'effroi. Mais d'oü pouvoient venir cette mélancolie , ces fêtes lugubres , ces usages lamentables , cette vie troublée et inquiette , cette attente accompagnée de terreur, sinon de 1'impression faite sur les hommes par les révolutions du mende > Si l'homme eüt été heureux, il neut eu aucuns motifs pour se plonger ainsi dans la tristesse; son culte n'eüt été qu'un culte de joie , de louanges , de reconnoissance pour les bien faits de la nature, et radmiration pout les ceuvres du créateur; il n'auroit point iqventé mille institutions proptes a abattre son ame , a empoisonner ses jours par des larmes perpétuelles et a rendre son existence malheureuse. On voit que chez plusieurs peuples anciens le dégout do la vie étoit tel qu'ils pleuroient a la naissance de leurs enfans, et se réjouissoient a la mort de leurs semblables. C'étoit , suivant Hérodcte et Strabon , 1'usage des peuples voisins du Caucase, des Thraces, des Troglodytes (i). En général chez les anciens la naissanee étoit regardée comme un mal, et la mort comme un bien •, ia première étoit regardée comme une pünirion , et la dernière comme un bienfait des dieux. De la venoit qu'on ne faisoit jamais de cérémonie de deuil a la mort des enfans, que l'on estimoit très-heureiix (2). Le cercueil que, comme on a dit ci-devant, l'on présentoit aux conviés dans les festins, n'avoit point d'autre motif que ce dogme funèbre. Au Mexiqüë on faisoit aux nouveaux nés une exhortation par laqueile 011 prétendoit les préparer aux pei- (?J flutsrcfi, Ccisvlut. ad Afollon. etc.  par ses usages. Liv. II. Ch. III. 247 nes et aux misères qu'ils alloient avoir a sourfrir dans ce monde (1). Les Chinois sont encore dans 1'usage de se faire consttuite un cercueil long-tems avant leur mort; les pauvres mêmes n'y manquent pas : on les conserve chez soi, on va les contempler tous les jours et ce meuble est réputé le plus précieux de la maison (z). II. Avec des idéés si lugubres, avec un cceur si pénérré des révolutions du monde et des misères de la vie, il est sans doute étonnant que 1'homme échappé aux malheurs de la nature ait songé a perpétuer son espèce. Des principes si chagrins semblent avoir dü naturellement le conduire au célibat. C'est au moins 1'effet que le dogme de la fin du monde produisit sur les Millenaires3 et sur ceux des piemiers chrétiens qui donnèrent dans des visions apocalyptiques. Les hérétiques qui proscrivoient le mariage se fondoient sur 1'autorité d'un évangile des Egyptiens. Ils disent dans Eusèbe : Vous êtes surpris que nous prêchions la virginité, et que nous ne nous marions point 3 mais ne save^-vous pas que nous touchons a la fin des tems (3) 1 ils citoient Saint Paul qui avoit dit que le tems étoit court, et qu'il falloit user du mariage et des femmes comme n'en ayant pas (4). Ils faisoient une fausse application des paroles de Jésus-Christ qui avoit dit : Malheur aux femmes grosses en ce tems-la ; he'ureuses les stcriles en ce tems-la. Tertulien (5) recommande la virginité a cause des malheurs dont on est menacé. Les Sybiles en prédisant la fin du monde s'écrient: ne pariat tuncfemina prolem 3 humani (1) Hist. de la conrjuète du Mexique , liv. 'öi (2) Lettres curleuses et èdifiantes, tome XV(5) Eus&b. dêmonst. èvan. (4) Epitre aux Coriuth. c'iap. 8 , vs. a5-3i. ló) Turtull. liber ad uxcr. i. Q 4  *4<5 VAntiquité dévoilée 'generis strages et maxima messis imtat, Vee quas illa dies deprendet ventris onustas pondere (1). Bien des exerhples nous prouvent que les anciens onr attaché une haute idéé a la virginité, et lont regardée comme une vertu divine; au moins est-elle surnaturelle, et par conséquent la continence a dü paroitre une privation agréable a la divinité irritée contre les hommes et jalouse des penchans de leur nature. Le mérite de cette vertu dut encore paroitre plus grand et plus extraordinaire dans les cllmats chauds de 1'orient oü la nature semble solliciter les hommes bien plus fortement a la propagation de leur espèce, que dans les contrées. plus tempérëes ou plus froides. Les Rabbins nous disent que ceux qui se destinoient au service du temple et a 1 etude de la loi étoient dispensés de la nécessité du mariage. Bien plus, Moyse ordonnè aux prêtres de se séquestrér de leurs femmes pendant plusieurs jours avant les sacrifices et les fêtes. Les prêtres Egyptiens observoientla chasteté et buvoierit des liqueurs réfroidissantes , ou même quelquefois se mutiloient. Les Esséniens , les Naiaréens chez les Hébreux , les Gyrnnosophistes chez les Indiens, les Kiérophantes chez És Athé> ' niens cèservofent un célibat aussi rigoureux que nos Ana-choretes , il en étoit de même des Pythagoriciens et des Cymques. La loi du célibat étcut prescrite en Perse aux filies du soleil; et l'on sait avec quelle rigueur les Romains punissoient dans leurs Vestales les transgressiohs, opposées £ la continence. Chez les anciens Gaulois, llsle de Sène étoit gardée par neuf vierges , ou même entièrement peuplée de vierges, dont quelques-unes faisoient de tems en tems de petits voyages sur le centi- (0 OrdcU. Sjbillin, lib. a.  par ses usages. Liv. IL. Ch. III. 249 nent pour la conservation de leur république virginale (1). De reis principes étoient sans doute aussi absurdes que dangereux , mais ils étoient des conséquences naturelles des idéés qu'avoient dü faire naitre dans 1'homme ou les révolutions téelles de la nature, ou de fausses terreurs •, aussi malgré le silence de 1'antiquité on ne peut presque douter que les premiers hommes ne se soient porté? a quelques excès , et qu'ils n'ayent peut-être par la rendu la réparation du genre humain trés-lente; peut-êtte notre espèce ne doit-elle sa conservation qu'a un cri involontaire de la nature, qu'a un penchant qui a biavé les spéculations et les idéés lugubres de 1'homme effrayé des malheurs du monde. Je regarderois comme une suite de ces principes fatals et destructeurs de 1'espèce , les usages que lious trouvons encore chez quelques nations sauvages anciennes et modernes. Strabon nous dit que parmi les peuples de la Thrace on voyoit des sociétés de gens qui vivoient sans femmes et qui menoient une vie austère et innocente; c'est dans ce pays que Zamolxis avoit porté ie dogme d'une autre vie et de 1'immortalité de 1'ame. C'est aux mêmes principes que l'on peut attribuer 1'origine de ces amazones ou religieuses guerrières , si tant est quelles aient jamais existé. En Améfique chez quelques sauvages 1'usage veut que lemari se metteaa lit lorsque la femme estaccouchée.Lamême chose se pratiquoit chez les Celtibériens, suivant Strabon, et dans 1 isle de Corse, suivant Diodore de Sicile. Nos voyageurs modernes parient d'un peuple deTartariequi observe le même usage (2). Pour expliquer (1) Voyez les mimohes de 1'académie des iiiscriptions , tome IV, p. SoS. , fl) Sirabo, lib. VIT. id. lib. 5. Dlódar. lib. Y- Hist. géaer. de» yoyngei, tome 7, Lettres édiüautes , lome 2.4.  VAntiquité dévoilée unecoutume si bizarre d'après notre systême, il sembleque ï'ondoit regarder cette conduite dumari comme une sorte de pénitence fondée sur la honte et le repentir d'avoir donné le jour a un être de son espèce. Cette conjecture paroit d'autant plus fondée , que suivant les lettres cdifiantes citées dans la note, le mari pendant sa retraite observe un jeune très-rigoureux et s'abstient même de boire, ensorte qu'il maigrit considérablemenr. Nous ttouvonsencote des preuves plus cruelles et plus extraordinaires de la haine de quelques peuples pour la propagation de leur espèce. Dans 1'isle de formose il n est point permis aux femmes d'accoucher avant trentesept ans; une prêtresse fait avorter celles qui sont enceintes avant ce tems. A cet exemple on peut joindte celui des femmes qui habitent les bords de 1'Orenoque. Le P. Gumilla nous apprend que toutes les exhortations des missionnaites n'ont pu déraciner la coutume oü elles sont de faire périr leurs filles en naissant: elles justinent cet usage barbare par la crainte oü elles sont des peines que leurs filles auront ï éprouver dans le cours de leur vie (i). Les faits qui précédent semblent nous prouver qu'il fat un tems oü un gtand nombre de peuples de la terre ont regardé comme un crime de faire des enfans, et oü ceux qui cédoient a ce penchant de leur nature cherchoient a expier leur faute et se punissoient euxmêmes d'avoir conduit un malheureux de plus sur la terre. III. Qui sait si dans 1'origine la circoncision ne pro«ïédoit pas des mêmes idéés ? Les Payens en rapportoient (i) Voyez les voyages de la compagnie dei Indes , tome V , page 2S5 , et de la deseription de rpienoqoe , pai le R. F. Cunilsa? tome 5.  par ses usages. Liv. IL. Ch. III. zji rinstitution a Saturne; mais cette prétendue circoncision n'est dans Sanchoniaton qu une castration et une mutilarion réelle et entière. Chronus, suivant cet auteur j se mutila avec les siens en expiation de ses crimes et a cause des calamités qui affligèrent la terre de son tems; il le fit pour appaiser le ciel irrité (i). La circoncision paroit avoir été plus ancienne qu'Abraham; toute 1'anriquité nous apprend que les peuples de la Colchide étoient une colonie d'Egypte ou d'Ethiopie, et qu'ils avoient conservé 1'usage de la circoncision. Ces peuples sont les mêmes que 1'écriture appelie G'nasluim 3 Gaslubim et Gasloubim 3 fils de Mesraïm, qui est 1'Egypte; ainsi toutes les traditions s'accordent sur 1'crigine Afriquaine de ce peuple Asiatique; 1'écriture remarque de plus que de Phetrusim et Gastouchim, qui étoient frères , sortirent Pelistim et Gaphtoritn ; or ces Pelistins 3 qui sont les Philistins, étoient déja pleinement établis en Canaan du tems d'Abraham, puisque ce patriarche ét Isaac son fils firent une alliance avec un de leurs rois qui régnoit & Gerrare (z). Cependant les Philistins n'avoient point la circoncision. Sur quoi il est bon d'cbsetvef que les anciens font sottit les Ibériens d'Espagne de la Colchide, et que les noms d'Ibériens et d'Hébreux ne sont peut1 être que la même chose. Quoiqu'il en soit, nous voyons dans Hérodote la circoncision adoptée par les Ethicpiens, les Egyptiens , les Syriens, les Arabes , les Phéniciens; ce sont les Grecs qui firent perdre cet usage a ces derniers. Les (1) Euseb. prarparac- evangel. lib. I, cap. 10. (2) Genese, chap. XX, XXII et XXIV. Heroaor. lib. II. Strabo,, lib. I. niotlor. lib. I, cap. rC, parag. I Apollon. Rhodes. Argonant. lib. IV , vs. 277.  zji L'Antiquité dévoilée Troglodytes, suivant Diodore, et les Créophages , suivant Strabon , pratiquoient la circoncision , plusieurs même se mutilöieht totalement. Les Egyptiens comme les Arabes se circoncisoient a quatorze ans, et même a treize ans. Cependant, Origène prétend qu'en Egypte la circoncision n'étoit pas pour le peuple, mais qu'elle étoit réservéepour les prêtres, les devins, les astrclorgues , les savans, les aruspices et lés prophêtes ; ie sanctuaire des sciences et da dieu de 1'avenir ne s'ouvroit qu'aux circoncis ; il falloit 1'être pour être initié et pour participer aux mystères (i). Enhii, la circoncision fut de toutes lss macérations antiques des nations, la seule que 'Moyse conserva pour les Hébreux (i). Nous trouvöns chez les Mexicains un usage très-semblabie a celui de Ia circoncision; ils faisoient une légère incision auxparties vrriles pour en tirer quelques gouttes de sang , ensuite on plongeoit 1'enfant dans i'eau ; c'étoit un prêrre qui faisoit cette cérémonie et qui annoncoit a 1'enfant qu'il ne venoit au mende que pour soumir (3). Chez les Hottentots , le retranchement d'un testicule est la marqué de 1'initiation des jeunes gens dans le corps de la société (4). (1) Strain , lib. I. llerodot. lib. II. Ilhdor. lib. III, cap. 17. Strabc, lib. XVI. Huet. Mnet. qu.est. lib. a, cap. ra ,' parag. 7. Origen. ad Roman. II. 35. Joseph. contra Appion. , lib. a , (2) Deuteron. XIV, vs. ,. Aujourd'hui , celui qui circoncit, aprés avoir coupé Ie prépuce , le jette dans un vase rempli de sable, et 1'afamdonne i rennen.,' dn genre humain qui a cause la ch'ue du premier homme. Voyez Basnage , histoire des Juifs, livre VI, ch p. 8, pa*ag. 26. Les Juifs circoncisoient jusqu'aux arbres. Voyez Levitir. chap. XIX , vs. 25. 0} Voyez la conquête du Mecque, liv. 3, cn'ap. 17. Hist. génér««» voyages , tome XII. in-j, p. 558. f4) Cérém. rèligi tome YU. Hiwoire générale des voyages, toxeY, p. 16%  par ses usages. Liv. IL. Ch. III. i f j Nous avons vu ci-devant que la casrrarion étoit une pratique familière a ceux qui se consacroient au culte de Cybèle et de la déesse de Syrië. Peut-être la circon-r cision n'étoit-elle qu'une mutilation feinte et mhigéej mais il est inutile de hazarder ici des conjectures, tandis que nous avons tant de monumens et de faits qui prouvent le dégoüt de la vie dont les nations anciennes ont été atfectées. IV. Pour nous assurer de cette vérité , nous n'avons qu'a considérer 1'état primitif de toutes les premières families ; jettons ensuite les yeux sur quelques classes particulières d'hommes chez les premières nations; par-ïi nous pourrons suivre dans presque tous les ages ce dégout pour le monde que les hommes avoient concu dans les premiers tems. Quoique je remonte aux premières families j ce n'est pas pour y chercher 1'origine de ces sectes particulièies qui ont abandonné les choses de ce monde; ce n'étoit point encore la le tems de ces sectes, tous les hommes étoient alors également misérables et religieux; tous pensoient et agissoient de la même manière , tous vivoient sur la terre sans attaché, sans demeures fixes,sans prpjet pour l'avenir,sans compter sur la durée du monde , et dans une attente perpétuelle de sa destruction. En effet, quel projet fermer sur une terre malheureuse ? Quel goüt prendre pour une demeure infortunée 2 Quelle prévoyance pouvoit-on avoitJ Quelle précaution pouvoit-on prendre contre des maux jrrésistibles et sans remède; On ne songeoit qu'aux plus pressans besoins 5 l'on vivoit a la journée; les families long-tems cachées dans des cavernes, domiciliées sur les montagnes, ou errantes dans les environs, portèrent enfin dans les plaines la même facon de penser. Leur genre de vie, effet d'abord de la nécessité, devint ensuite une vie d'habitude, que la religion enuetinr ert;  ZJ4 VAntiquité dévoilée core long-tems , et qui s'identifia pour ainsi dire avec les hommes. On avoit etré sur les montagnes , on erra de même dans les plaines : on y devint chasseuts et pasteurs, et l'on consetva toujours le dogme religieux qu'on n'étoit que des pélerins sur la tetre, qu'il ne falloit point s'y attachet •, en un mot, le genre humain entier étoit un peuple de solitaires et de religieux. Si nous portons la vue sur quelque nation en particulier, nous y ttouverons des traces visibles de cette ancienne vie et de cette facon de penset. Qu'est-ce qu'étoient les Hébreux avant d'entrer en Egypte, sinon une troupe de pasteurs, une troUpe de pélerins? C'étoit un titre que leur patriarche se faisoit un honneur de porter. II y a quatre-quatrc ans que je suis pélerin sur la terre, disoit Jacob a Pharaon. Le nom même A'Hébreu , désigne un passant, un homme qui n'a point de demeure, et qui, comme dit Eusèbe, ne regardé le monde que comme un érat passager (i). Au reste, ce nom qui semble designer le genre de vie de ce peuple, ne lui est point si particulier, qu'il n'ait été de même porté par d'anciennes nations; le nom des Ibériens d'Asie et d'Europe n'a point d'autre étymologie. Iberi est dans les anciennes langues le nom du peuple Hébreu; ce n'est pas que je prétende ici faire sortir les Ibériens des Hébreux , mais c'est que ce nom , qui désigne un ancien état du genre humain , a été donné & tous les peuples errans, par les nations qui se sont les premières fixées oü domiciliées (2). {1) Voyez Euseb. prceparat. evangel. lib. 7, cap. S, et lib. g, clip. 6. {2) Cest-la Torigine de» Celtibères , des Cantabres , des ArtaBres, des Ibemiens, des Insubriens, etc. Straion , comme 011 a dit, fait •venirles Ibériens dela Colchide, et dit qn'ils out été chassis par les rèYo!u.tiöni de !» terre , lib. r,  par ses usages. Liv. IL. Ch. III. zjj On trouve eneore chez les Hébreux d'autres noms qui ont du rapport a cet ancien état des hommes; Heher signifie un peuple passant; Phaleg 3 un peuple disperséj. Rehu, un peuple pasteur; Sarugj un peuple mêlé et con^ fondu; Abraham et Aberaham , signifie lui-même uit peuple passant. II est vrai que le texte 1'écrit différemment; mais ce mot lui même est peu susceptible de 1'étimologie forcée qu'on lui donne: d'ailleurs, on le fait assez souvent jouer avec le terme Aber, pour faire sentir que les anciens se sont plu aussi a y voit ce sens, fort convenable d'ailleurs a la vie de ce patriarche. II faut aussi se rappeller ici ce qui a été dit ci-devant sut le nom Pelasges, sous lequel toutes les anciennes nations de la Grèce ont été désignées tant qu'elles ont été errantes et vagabondes : on les appelloit aussi Pelarges de Pelargoi, cicognes, oiseaux qui changent souvent de demeure. Dans les siècles qui ont suivi le déluge de Deucalion, ces peuples ne purent demeurer fixes et tranquilles, quoique 1'antiquité nous les donne pour des peuples très-religieux; un tremblement de terre, une inondation de quelque rivière, quelque maladie conragieuse, et plus souvent encore le caprice suflisoit pout mettre ces anciens peuples aux chafflps; leur vie n'étoit qu'une émigraticn continuelle, et l'on peut dire que dans 1'antiquité les hommes ne tenoient point au sol qui les avoit vu naitre. Pour se convaincre de cette vérité, que l'on jerté les yeux sur ces nations anciennes qui ont peuple 1'Europe, connues sous le nom de Celtes ou Gauloïs, II paroit que c'est aussi dela que leur nom est ven-j„ Les Grecs nommoient Keltoi et Galatai, Galates (e) (i) Keltoi ei Galatai sont les mêmes noms; on sait que le kap^a tt le gamma des Grecs ont ètè très-souyent confondus ainsi  x%6 L''Antiquité dévoilée ceux que les Romains nommoient Galli; mais les deux noms Grecs n'en sont qu'un seul en différentes dialectes; 1'origine de ce nom est Oriental. Galak signifie aller de cöté et d'autre 3 errer3 décamper_, ou bien de Galon Galaatj rouler 3 aller ca et la comme les flots. Aucun nom ne eonvenoit mieux aux anciens peuples, et sur-tout a ceux du Nord et de la Scythie qui n'eurent presque jamais de demeures fixes, et dont toutes les émigrations, arrivées en différens tems, ressembloient a des inondaüons. II paroit qu'il ne faut point donner d'autte étymologie au nom des anciens Scythes connus des historiens de 1'antiquité sous le nom de Getes et de Gelons ; peut-être même que ceux-ci ont été les ancêtres de tous les autres. Quoiqu'il en soit, 1'histoite ancienne n'est remplie que de transmigrations des peuples, de leurs expéditions, des colonies qu'ils envoyèrent en différentes parties de la terre; en un mot, on voit les nations se chasser et se repousser les unes et les auttes comme les flots de la mer (i). V. II sercit inutile de multiplier les autorités pour confirmer une vérité si connue et pour prouver que tous les peuples du monde ont été, dans 1'origine, errans et vagabonds sur la terre; mais en faveur de cette observation les histoiiens n'ont point examiné quel étoit le principe primitif de cette vie errante : ils ont bien dit que c'étoit un effet des révolutions de la terre, mais ils n'ont point approfondi cette triste situation du genre humain, ni examiné le caractète ft», Keltai , Galatai, Gahai ou Ka/tai sont les mé-mes rroms deï peuples que les Romains out rendus par Galli, et les modernes par Caulois et Gallois. (r) Voyez sur ces émigrations les mémoires de 1'acad. des iuscript. tomes 6 et 18. de  par ses usages. Liv. LI. Ch. III. 257 de ces peuples anciens que l'on a toujours faits ou trop sauvages, ou trop policés; ils étoient malheureux, et parconséquent religieux, car 1'un est une suite de 1'autre, voila leurs caractères; et tous deux ont concouru a mettre dans le cceur de 1'homme ce dégoüt pout la terre qui 1'a si long-tems empêché de se rixer et de ttavailler a son bonheur ici bas. Cette vie errante de tous les peuples a dü retarder infinimenr le progrès des sciences et des arts, indépendamment des connoissances que les révolutions de la natute ont du faire perdre, de la lethargie oü les malheurs du genre humain 1'ont nécessairemenr plongé, er de 1'indiflérence qu'ils ont dü lui inspirer pour tout ce qui pouvoit perfectionner la société. Nous avons deja prouvé que le dégoüt du monde avoit dü pateillement, dans les premiers tems, mettre de grands obstacles a la multiplication de 1'espèce et a la réparation du genre humain; on a dü craindre de perpétuer une race d'inforrunés, et se reprocher de leur donner la naissance. Mais si ce motif a peu-a-peu diminué ou perdu de sa force, si le cri de la nature 1'a fait oublier avec le tems, la propagation et 1'éducation des enfans out dü encore rencontrer de grands ohstacles dans 1'état d'une vie eirante : c'est un fait que toute nation errante ne peut avoir qu'une foible population; les Hébreux ne se sont si étonnamment multipliés, que lorsqu'ils ont été sédentaires en Egypte; on n'a ttouvé en Amérique de population nombreuse que dans le Mexique et le Pétou, c'est-a-dire, dans les sociétés policées; on en a trouvé pareillement dans quelques isles d'oü les habitans n'avoient pu sortir; d'ailleurs cette vaste partie du monde ne contenoit et ne contient encore que des families éparses, que l'on ne peut appeller des nations. II ne faut point que l'on nous objecre ici les Scythes Tome I. R  2y3 L'Antiquité dévoiléc et les Tartares (i), peuples errans, qui, en de certains tems, ont inondé la terre par leurs invasions; on doit presque être assuré que leur pays n'a jamais été peuplé comme ceux qu'habitent des nations fixes et sédentaires. Lorsqu'il s'agissoit d'une invasion, toute la nation se mettoit en marche, et ne laissoit personne en arrière; ainsi ce seroit une erreur de juger de la population des anciens Scythes par la grandeur de leurs années, peut-être même exagérées par les historiens qui en onr parlé; toutes les fois que ces peuples faisoient des expéditions, ils laissoient leur pays désert; les confedérations de plusieurs hordes réunies pour faire une invasion, dépeuploient de vastes pays pour plusieurs siècles; et l'on ne trouve dans ce pays, ainsi que dans quelques parties de 1'Arabie et de 1'Afrique, de si vastes déserts, que paree que ces contrées n'ont jamais été cultivées par des peuples sédentaires. Enfin la Scythie ne joue un röle dans l'histoire que par des intervalles assez longs, paree qu'elle ne pouvoir supporter ou réparer une déperdition d'hommes égale a celle qui se fait dans 1'Europe policée, cultivée, et par conséquent peuplée, dont les habitans, depuis tant de siècles, se font la guerre presque sans interruption. La population n'a été que le fruit de la législation , elle ne s'est augmentée qu'en taison de la sagesse ou de la bonté des gouvetnemens et des loix. L'Egypte, la Chaldée, les Indes anciennes et la Chine moderne nous prouvent cette vérité, ce sont la les conttées oü le genre humain a formé les premières sociétés permanentes, et oü ia population est devenue prodigieuse. (1) Les Scvthes et les Tai tares sont (Tailleurs (les peuples pasteurs , dont par conséquent la sulxstance est bcaucoap p'us assurée que celle des omment le genre humain devenu féroce, barbare et sauvage a-t-il pu se civiliser ? comment un être insociable a-t-il pu êtte ramené a la société ? comment est-on parvenu a rassembler des êttes faiouches sous les premières cabanes de 1'Egypte > c'est, suivant Cicéron , par le moyen des mystères que cette merveille s'est opérée. Examinons donc ces mystères qui ont procuré de si grands biens au genre humain dispersé et malheureux; ce sont eux qui ont tité 1'homme d'une vie errante, inquiette et barbare; ce sont eux qui ont adouci ses mceurs ; c'est d'eux qu'il tient le vtai principe de la vie sociale. « Les mystères, dit le même  *7° L'Antiquité dévoilée » Cicéron, nous ont donné la vie, la noutriture , ils » ont enseigné les mceurs et les loix aux sociétés, ils » ont apptis aux hommes a vivre en hommes » (i). Voyons donc comment ces mystères ont opéré ce pro- dige. Les mystètes étoient ce que la religion des anciens avoit de plus auguste et de plus saint. Ce qui a été dit jusqu'ici semble nous faire enttevoir dans le chaos du paganisme un ensemble, un caractère universel , un esprit commun , a presque tous les peuples. On ne peut douter que tous les mystères n'aient eu la même base; ils doivent, comme toutes les fêtes et les usages religieux anciens , nous présenter le projet de retracer aux hommes la mémoire du monde , et de leut inspirer cet esprit de crainte pour 1'avenir, qui s'étoit universellement tépandu sur toute la religion primitive du genre humain. Si jusqu'ici nous ne nous sommes point écartés du vrai chemin, nous pouvons encore nous promettte de trouver la solution de ces mystères, et de découvrir la raison du secret impénétrable dont ils étoient voilés; cela servira a confirmer tout ce que nous avons dit dans cet ouvrage, et nous marcherons avec plus de confiance dans la carrière dans laquelle nous nous sommes proposé de suivre 1'homme religieux et rempli du souvenir des maux de son espèce dans une antiquité dont il nóus reste encote une multitude d'usages et d'opinions a examiner. Toutes les anciennes nations policées ont eu des mystètes; nous en voyons chez les Egyptiens, les Fhéniciens, les Chaldéens, les Perses, les Grecs, les Romains &c. Les peuples du Nord et de 1'Amérique sont (i) Voyez Cicero de legibus, lib. II. Idem, Orat. in Verrem de G'lpplic.  par ses usages. Liv. III. Ch. I. zji les seuls oü je n'ai remarqué rien d'analogue. Les mystères éroient des cérémonies religieuses dont 1'objet véritable ne pouvoit être divulgué au peuple ; il étoit réservé aux seuls initiés a qui on le révéloitsous le sceau du secret le plus inviolable; les indiscrets étoient , ou punis de mort, ou bannis, ou exclus de la société; en un mot ils devenoient de vrais excommuniés (i). Les cérémonies pratiquées dans ces mystères étoient exercées pat un certain ordre de prêtres, ou par de certaines families auxquelles ce sacerdoce appartenoit comme un droit d'héritage , a 1'exclusion de toutes les autres; leur drait étoit fondé sur 1'usage et sur diverses traditions religieuses et très-anciennes. Les mystères abolis en Grèce sous le règne de Théodose le grand, y avoient subsisté pendant deux mille ans ; en effet leur institution datoit de la plus haute antiquité ; les noms de leurs fondateurs se perdent dans la nuk des tems ; Isis les fonda en Egypte ; Orphée, ce personnage fabuleux s les apporra aux Grecs; ce fut Musée suivant d'autres; quelques-uns attribuent les mystères d'Eleusis a Cérès; d'autres a Ogygès , d'autres a Eumolpe son fils, d'autres a Erechtée , qui délivra 1'Attique d'une famine, après avoir recu de Cérès le secret de 1'agriculture et des loix ; enfin d'autres a Triptolème qui passa aussi pour 1'inventeur de 1'agriculture et du labour. Outre la partie secrette les mystères avoient aussi la partie publique , ou du moins que le vulgaire croyoit connoïtre. En Egypte , on célébroit la mémoire d'Osiris et d'Isis ; en Phénicie et dans 1'Isle de Chyprs, celle de Vénus et d'Adonis; en Phrigie, celle de Cybèle et d'Atys; en Grèce et en Sicile , celle de Cérès (i) Mémoires de 1'acaderoue dej in»cripri«u« , tome XXI, page ïoö.  1-71 L''Antiquité dévoiléc et de Bacchus. Ces divinités étoient dans les mystètes comme dans toutes les autres solemnités , 1'objet du culte extérieur et public ; et comme les anciens nous apprennent eux-mêmes que tous ces différens personnages étoient les mêmes présentés sous des noms et des emblêmes divets , et que leurs fètes tant publiques que secreties avoient toutes le même objet; et comme leurs aventures nous auroient fait connoïtre cette unité de culte j quand même les anciens écrivains ne nous en auroient point informés, il seroit inutile d'en faite un examen détaillé , il suffit d'en connoïtre 1'esprit général. Dans toutes ces solemnités mystérieuses la partie publique laissoit voit au peuple que l'on y faisoit mémoire des aventures heureuses et malheuteuses arrivées a ces dieux , de leurs combats , de leurs travaux 3 de leurs victoires , de leurs défaites et de leuts triomphes , de leurs chagrins et de leuts plaisirs; tous avoient eu des ennemis puissans , tous avoient succombé sous leurs coups ; mais leur morr tragique n'avoit servi qu'a les conduire a la gloire et a les rendre vainqueurs de leurs ennemis et de la mort elle-même. Toute leur étude avoit été de secourir le genre humain , de s'interesser a son sort, de le consoler de ses maux , de le combler de bienfaits, de le civiliser par des loix sages , de lui enseigner les arts et suttout 1'agticulture si nécessaire a sa subsistance, en un mot de le faire vivre en société après 1'avoir tité de la vie sauvage et malheureuse qu'il avoit menée antérieuremênr. On adoroir ces différens êtres comme des dieux immortels, bienfaisans et restaurateurs de la nature, comme les créateurs des sociétés., et comme les inventeurs des arts utiles. Voila ce que le peuple savoir ou croyoit savoir. Toutes les fêtes a ses yeux renfermoient trois objets. i i°. Elles présentoient une commémoration de l'histoire  par ses usages. Liv. III. Ch. I. 2731 toire de ces dieux , relle que la mythologie la faisoit xonnoïtre , et le peuple n'y voyoit qu'un-sèns littéralj !Bacchus pour lui avoit été réellement ou noyé , ou bïülé , ou déchiré par les géans. Cerès avoit été pour:suiviepar Neptune ; elle s'étoit cachée, et son absence : avoit produit la s .érilité sur la terre •, elle s étoit vraiiment reposée a Eleusis sur une pierre que l'on montroit et que l'on appellch la pierre triste \ï) ■ elle avoit cherché par tout le monde sa fille enlevée-par: Pluton, elle avoit pour cela allumé des torches au mónt Erna. Dans la célébration des mystères d'Elëusis tout le -cérémonial représentoit cette lugubre aventuie : les fètes duroient neuf jours. Le premier étoit consacré' aux ihitiadons, le second on alloit se laver'clan-s"la-'mer, le troisième on faisoit divers sacrifices et l'on otfroit de la farine; le quatrième on faisoit la processión de Cérès, et l'on portoit des cassettes remplies de gateaux, ;de greuades, de pavots; le cinquième pendant la nuit on ilmtoit la recherche de la déesse •, le sixième on faisoit une procession d;Athènes a Eleusis, dans laquelle 011 pottoit Jacchos, öu Bacchus , qui tenoit un flambeau; cette procession étoit-accompagnée de cris et de danses j le septième étoit destiné a des jeux er des combats gymniques 5 le huitième étoit encore destiné a des iniriations. Enfin le neuvieme on faisoit, comme on a dit ailleurs, des effusioiis d'eau avec des vaisseaux de terre, ou des hydrophories. Les peuples de Syrië ne voyoient dans leut. Adonis qu'un dieu tué par un sanglier. Les Egyptiens dans les mystères' d'Osiris -prenoient pareiilement soa hisroire a fc lettre, et croyoient qu'après avoir ére tué par Typhon , son corps fut renfermé dans un coffre après avoir (1) OviJ. fait. lib. IV, garag. 5o2. Tome I, S  2.74 L'Antiquité dévoilée été démembré en pièces. Le souvenir d'une aventurg si iamentable rendoit ces fètes tristes et funèbres; une partie étoit consactée aux larmes •, et le peuple se livroit ensuite a la joie la plus effrénée, croyant que les souffrances de ce dieu n'avoient été pout eux que le chemin a l'immortalité. z°. Le second objet qui étoitencote connu du peuple, c'est qu'il devoit a ces dieux 1'agriculture j 1'usage du bied, du vin j de la charrue et de la découveite des arts. En même tems que le peuple leur rendoit pour ces bienfaits un culte de reconnoissance et de joie, il se rappelloit par différentes cérémonies la vie misérable de ses ancêtres avant ces heureuses invendons ; ensorte que cette demiète partie du culte étoit aussi triste que la première partie étoit gaie. 3°. Le peuple ctoyoit devoir a ces dieux 1'étatactuel de la société, il leur attribuoit sa police et sa législation; il savoit que ses ancêtres avoient mené autrefois. une vie errante et sauvage , sans aucuns principes degouvernement ; c'étoit encore une occasion pour lui de gémir 'sur le passé et de se féliciter du présent; ce dernier objet de culte étoit regardé comme si interres-, sant , que plusieuts fêtes ou' mystères se nommoient. fêtes de législation (i). Ces trois objets étoient presque toujours inséparablement unis dans toutes les solemnités. Toute mémoiré 'historique des dieux étoit accompagnée d'usa^es relatifs a 1'agriculture et a la législation , toute fète d'agticulture rappelloit l'histoire des dieux et des loix j toute fête des loix retragoit le souvenir des dieux et da (i) Les Thesmophories en grec stgnifient qui porte des loix. Palilies inlique 1'ordre public. Les Families 'inoiéraiion, circonspection. Plutarch. de script, symbel. art. 14.  par ses usages. Liv. UI. Ch. 1. 27 f 1'agriculture. II paroit que cet usage a été commun a toutes les nations civilisées ■, chaque fête des Juifs rappelloit la victoire de Dieu sur les Egyptiens, le passage de la mer rouge : et cette fète se nommoit aussi la fête des fruits nouveaux. La penrecote étoit la fête de la législation donnée sur le mont Sinaï, et la fête de la moisson. La fète des tabernacles étoit , comme on a déjit vu , une mémoire de la vie errante des Israélites dans le désert, de la récolte des fruits et des vendanges et Ton y faisoit la lecture de la loi. Les Chinois avoienr pareillement des fêtes d'agriculture er de législation; les cérémonies qu'on y observe ont beaucoup de rapport avec celles que les Grecs observoient dans leurs mystères : tout y est exprimé par des signes et des allégories, avec cette différence que chez les Grecs ces signes étoient mystérieux , au lieu qu'a ia Chine on les explique aux peuples. En effet le jour de la fète du labourage, les laboureurs en corps vont en cortége chez les magistrats: ils y conduisent en procession une vache de terre cuite , dont les cbfries sont dorées ; un enfant la suit par derrière, ayant un pied chaussé et 1'autre nud, il fouette de tems en tems cette vache comme pout la faire avancer. Ce cortége est suivi de gens déguisés da différentes tacbns y de musiciens, de danseurs; arrivés chez le magistrat, celui-ei fait aux assistans un discours de morale sur la culture et le travail; ensuite on brise la vache de terre cuite qui est remplie de petites vaches de même matière que l'on distribue au peuple. A la Chine la vache est le symbole de l'agriculture ; 1'enfant indique le travail et 1'industrie sans lesquels l'homme ne peut subsister : c'est la-dessus que route le discours que le magistrat prononcë devant l'assembiée. Ainsi ce que le peuple savoir de ces fètes et de ces  Zj6 L'Antiquité dévo'dée mystères ne pouvoit contribuer qu'au bien des sociétés il n'y voyoit que 1'éloge de 1'agriculture et le triomphe des loix ; il est vrai qu'on le voyoit aussi pleurer sur le sort de ses dieux, mais il se consoloit ensuite; sa tristesse étoit tempérée par la joie et la joie par la tristesse 3 ce qui le tenoit dans un état mitoyen ou dans une modération dont 1'objet étoit de l'empêcher de se porter a aucun extréme; 1'habitude le guidoit dans ses altetnatives, le sentiment n'y enttoit presque pour rien,. ou du moins il n'éprouvoit que des impressions passagères qui n'influoient en rien sur sa conduite. II revenoit a la vétité de ces fêtes fort touché des malheurs des ses dieux, mais fort content de ce qu'ils avoient remporté la .victoire sur leurs ennemis; rrès-soumis a sa police, et content, il retournoit a son travad ordinaire. Quelle étoit donc la partie de ces fêtes que l'on cachoit au peuple avec tant de soin2 quel pouvoit être 1'objet de ce secret inviolable 2 ne vouloit - on pas lui dire que ses dieux n'étoient que de faux dieux, ou n'étoient que des allégories des anciennes révolutions dela terre 2 vouloit-on lui cacher la funeste catastrophe du déluge ? le sentiment des anciens et des modernes paroit favoriser ce soupcon; cependant le déluge étoit un événement connu du vulgaire, il croyoit en connoïtre les circonstances et la cause 2 les fêtes consacrées en mémoire du déluge, la commémoration perpétuelle que l'on y faisoit de la vie misétable des ancêtres, nous indiquent que ce n'étoit point l'histoire du passé que l'on vouloit cachet: au peuple. D'ailleuts quand on auroit appris au peuple que tous ces dieux ou au moins quelques uns d'entre eux n'étoient point de véritables dieux, toute étrange qu'eüt été une pareille révélation j elle n'eut pu faire par elle-même aucun tors  " par ses usages. Liv. III. Ch. I. 277 a la législation qui tendoit a maintenir Thomme dans ï'état de société. De ce qu'il peut y avoir des faux dieux, le peuple ne pouvoit point en conclure qu'il n'y a point de divinité; en effet c'étoit-la le sentiment de ceux qui étoient revenus des préjugés du paganisme et des merveilles de sa mythologie; peut-être qu'un éclaircissement sur cet article eüt causé quelque mouvement passager dans les esprits des peuples, mais il 11e pouvoit anéantir Tétat de société, objet que la police ancienne avoit petpétuellement en vue. D'ailleurs c'étoit une vérité qui, quoique non prêchée par la religion des payens, étoit univetsellement, mais tacitement reconnue, et qui se décéloit par une multitude d'actions involontaires (1). Le peuple savoit d'ailleurs que tel dieu étoit adoré dans un pays ou dans mie ville, et que tel autre dieu avoit son culte dans d'autres. Si le peuple étoit tombé dans le polythéisme et d'une facon insensible, on pouvoit également le ram* ner a ses premiers principes par des instructions sagement ménagées; il ne falloit pour cela qu'aider les progrès des connoissances, et dégager aux yeux du vulgaire la divinité des nuages qui Tobscurcissoient: enfin si cette théologie secrette étoit pure et utile au genre (1) Horace , en parlant de Jupiter , en donne une idéé bien différente du vulgaire, et Ie montre comme un dieu unique. Uil ma jus generatur ipso , Nee viget /juidijuam simile aut secundum. Lib. I, Od. 12. I,es payens, se'on Tertuüien , se servoient comme nous des expressions Dieu nous -voit, Dieu. nous entend , Dieu le rendra ; ce qu d. disoient en regardant le ciel et non le capitole : c'est ce qu'il appello le UmbigMge* d'une ame naturcUement chrétienne. Yoyez Ap*loget. S 3  z~% VAntiquité dévoilée humain, il falloit la lui révéler, et les vues favorables que les anciennes législations ont eu pour le bien des hommes, nous doivent faire présumer quelles reussent fait si elles eussent jugé cette connoissance utile, ou si 1'unhté n'en eut été balancée par quelqueinconvénient, Nous devons donc légitimement soupconner que la théologie que l'on cachoit si soigneusement au peuple avoit quelque vice secret si ancien, si accrédité, et même qu'elle n'avoit pu ni voulu le supprimer ou le détruire, et qu'elle s'étoit contentée de le cacher a la connoissance du vulgaire. Je dis ici que c'étoit la théologie que l'on cachoit aux yeux du peuple; en effet Macrobe nous a dit ci-devant au sujet de Saturne le dieu des tems, qn'il étoit permis d'en parler au peuple selon le langage des poëtes et des physiciens; ainsi on ne lui cachoit que la partie théologique ou dogmatique du culte. 'Les mystètes des anciens avoient certainement un vice contre lequel tous les premiers pères de 1'église chréfienne se sont élevés avec raison : on leur reprochoif leurs spectacles impurs, leurs images impudiques, leurs symboles honteux propres a faire rougir la pudeur (i), Ces accasations sont fondées et ie récit des auteurs payens les justitie. Les mystères secrets étoient (0 On möntroit an* ycux du peuple Ie ÏXÏas et le Phallaï", rei preaentationi da merabae viril--. c'étoit , ««lon les apparences, un eniUènK de la jténération des choses, qui rappelloit aux hommes la reconnoissappe qu'ils devoient aux dieux pour la fécondité. Voye?. Die,. (fof. m. J-, j&ra'g. 2, cap. 52. Termllicn dit: Vink membrum tot-iiii est inrstnrium. Ccr e.nbiêuie étoit le méme p ut-ctre que celui-de ItBU^qtii eu ligyp-e et en Perse, etoit le syii.bole du monde, et de («u'.rjr deJa nari-re qut produjt tout en Iui-même : on en portoit dans les orgies , dans 'es mystire* d'Orphêe, iiucroL. Sc,turn lib. y , cap, \\, Theoiioret. Ub. X.  par ses usages. Liv. III. Ch. I. 279 aussi quelquefois souillés par des sacrifices barbares dans lesquels on répandoit le sang humam. H est vrai que tous ne donnoient point dans cet excès affreus; mais aucuns n'étoient exempts des premiers. Reearderons-nous donc ces abominations et ces impuretés comme la cause du secret des mystères? il n'est pas douteux que ce ne fut une taison de se cacher pout les célébrer; mais nous demanderons pourquoi la police qui tenoit ces choses secreties dans les mystètes, les laissait-elie voir a la multitude et pratiquer dans d'autres fêtes qui n'étoient point des mystères ? pourquoi montroit-on ces indécences dans des cérémonies publiques ou les femmes oubhoient toute honte et toute pudeut ? pourquoi renfermoit-on dans un coffre comme des objets mystérieux ces choses que dans d'autres circonstances on montroit a tous les yeux? en effet plusieurs statues et autres monumens placés dans les temples, dans les rues, dans les cirques, dans les maisons , représentcient des objets infêmes et si monstrueux, quil est presque incompréhensible comment la pudeur pouvoit Witter dans les temples et y lever les yeux au «iel (1). Ces pratiques ct ces images étoient sans doute très-dignes d'être ensevelies dans les ténèbres 5 cependant nous ne pouvons point en conclure quelles fussent la cause du secret des mystères, puisqu'elies étoient tolérées en tant d'autres occasions: elles étoient, suivant les apparences des abus de quelque usage prirriitif fondé sur quelque principe innocent ou utile dans (j) Varro apud Auguscin. de Civitate Dei, lib- 7, cap. al. Hérodote, Pausanias, Diodore de Sicile rioSs attesirent la même chose. Sur le linteau qui entoure le cirque si bien conservé que l'on volt dans la ville de Nistnes en Languedoc , on voit en bas reüef la Bgure d'un grand nombre" de mêmBWI WTffl al!.'.. Ca mème ville poasede la staue Sbrt- indecente d'an hetmanlirodite. • S'A  2^9 V Antiquité dévoiiée son origine : il ne faut point supposer les hommes gratuitement criminels. Mais quel pouvoit être ce principe que l'on cachoit au peuple? supposetons - nous quil étoit encore plus contraire a la police et aux bonnes mceurs que 1'abus énorme qu'on faisoit de 1'usage des emblcmes.? c'est ce qu'on ne peut concevou;, ni conCiker. avec les suites et les effets des mystères sur ceux qui étoient admis.a leur participation. Recueillons Ladessus le peu que 1'antiquité a laissé échapper de son secn j différens tems et en différens lieux. » 'lor j les mysières, dit Plutarque par la bouche » d un i..;onnu..qu'd fait parler, cm rapport a la vie *> future et a 1'état de 1'arne après la morti ce que l'on » y «presente n'en est que 1'ombre, c'est une foible » image de Routes les beautés dont la contemplation » est réservêe a tous ceux qui ont été vertueux ici" bas (i) ". Voyons ce philosophe s'expliquer luimême et dans une occasion oü son ceeur seul doit parler, puisque c'étoit pour se consoler avec son épouse de la perte commune qu'ils vejtioient de faire de leur fille. » Le vulgaire s'imagine, dit-il, qu'après la mort " "jie reste Pll,s lien ds 1'homme, qu'il n'y a pour " lui ni biens ni maux; tu sais bien le contraire; une » tradition de familie nous a transmis comme de main » en main une doctrine bien différente; d'ailleurs ini» tics comme nous le sommes aux mystères religieux » de Bacchus, et témoins de ces cérémonies sainres, » nous sommes instruits de ces grandes vérités que » 1'ame est incorruptible et qu'il y a un avenir (2) », Cicéron avoit dit avant lui:» ce sont les mystètes » de Cérès qui nous ont appris, non-seulement k (0 Plutar. de oracul. (aj Plutar. «oijsoJ. ad Mor«  par ses usages. Liv. III. Ch. I. 281 „ vivte avec joie, mais encore a mourir avec 1'espoir » d'un avenir plus heureux (1) ». Isocrate dit aussi que les initiés s'assurent de douces espérances pour le moment de leur mort et pour toute 1'éternité (2). On voit dans Aristophane que ceux qui participoient aux mystères menoient une vie innocente, sainte et tranquille, qu'ils mouroient dans 1'espérance d'une condmon heureuse, que la lumière des Champs Élisées leur étoit promise, et que les autres hommes ne devoient s'attendre qu'aux ténèbres éternelles (3). Diodore dit pateillement que 1'initiation rendoit plus religieux et plus juste qu'on n'étoit auparavant. Platon a dit qu on apptenoit dans les mystères que la vie n'est qu'un heu de passage et un poste qu'il n'est point permis de quitter sans la volonté de Dieu. II ajoute ailleurs que les hymnes de Musée qu'on chantoit dans les mystères parloient des récompenses et des plaisirs des bons dans le ciel , et des supplices qui attendoient les méchans (4). Aristide dit que les mystères ne sont point faits pour donner la tranquiilité de 1 esprit au moment présent, et qu'ils ne peuvent délivrer des accidens de cette vie, mais qu'ils ont pout objet d'amélioter notre sort après la mort, et d'empêcher que Ton ne soit plongé dans les ténèbtes et la boue avec les impies. Sophode avoit publié la même doe- (\) Cicero de Legibus lil». II. (2) Isocrate* in panngyiic. (j) Aristo; hau. in Kanis. (4) PV.oin T'hxdon. Strabo, lib. X. dan, P'ston , on apperco.t I« n;;mc langa.ee des initiés et leur espérance d'une féiicitè sans bornes ; il dit que-c'est par les mystères et les purifications qu'on y .mpose que l'on sera admis dans le séjour des dieux, et délivrè des pe.nes de 1 autre vie; anliet. que ceux qui n'auront pas été puri£w seront engloutts dan» 1'abyrae. Y- faxina.  iquite devollée terne-, ce n etcit, selon lui, que les iniriés qui pouvoient fouiir des plaisirs de 1'elisée, le tartare étoit réservé fom le reste des hommes. » Heureux", dit Euripide , » c;elui qui ayant été digne d'avoir la révélaticn des' * dieux, vit ensuite saintement ». Diogène éroit trèslévclré de ce sentiment qui excluoit les autres hommes ïfe la féiicitè I venir, il le trouvoit capable de mettre h désespoir dans le cceur des nations (i). Lucien , dans son dialogue de la barque , dit que les morts ayant passé le triste fleuve, Mycille étonné de 1'cbscurité et de tout ce qu'il rencontra, dit a un philosophe : ö dis-moi, toi qui as été initié aux mystères d'Eleusis, * tout ce que l'on voit ici ne te paroit-il pas sem» blable a ce que l'on représenté dans les mystètes 2 ■ Oui, tu as raison, répond le philosophe; en effet, » voici Tysiphone', 1'une des furies, qui s'avance, la » torche a la main , pout recevoir cette troupe que » Mercure lui amène ». Ainsi, sil en faut croire les anciens, ces mystères étoient en effet ce qu'il y avoit de plus saint et de plus sublime dans ia religion; il semblera difEcile de recuser leurs témoignages, si l'on considéré les rudes. é'preuves, les expiations, les lustrations, les abstinences et les vceux de continence auxquels il falloit se soumettre pour être admis a la connoissance de cette doctrine. Ce n'étoit que par dégrés et après différens examens de conduite, des mceurs er du caractère, que 1'on étoit admis a 1'initiation parfaite. II falloit un an de novkiat avant que d'être Evopte ou contemplateur; ü la fin les postulans couronnés de myrthe subisscient rendam- la- nuit leur dernier examen; ils entroient dans Ie sanctuaké, puis ils passoient rapidement par des T! tïar. Ju hcc. foetartim.  par ses usages. Liv. LH, Ch. L. 28j alternatives fréquentes de lumière et d'obscurké; on leut montroit mille objets confus, ils entendoient des voix extraordinaires, ils étoient envkonnés d'une nuk ptofonde et efFrayante, et ce n'étoit qu'après ces épreuves qu'ils parvenoient a voir 1'objet de leur recherche ou de leur attente; le Demingue leur expliquoit ce qu'ils voyoient, et on les conduisoit a la suite de leurs allarmes dans une prairie agréable. (1). L'Hikophante ou chef des choses sacrées vivoit dans le célibat; il s'oignoit avec de la cigüe, et même il en buvoit pour être plus sur de son fait. On n'adinettok point tout le monde indifféremment a 1'initiation des mystères, on criojt a haute voix pour écarter les profanes. Les homicides, même involontaires, les enchanteurs , les scélérats, les impies, les épicuriens en éroient exclus. Néron ayant osé s'y présenter, respecta la voix du crieur et se retira (2). «II » n'y a, dit Porphire dans Eusèbe , que ceux qui » ont réglé toutes leurs démarches et les actions de » leur vie pour le salut de leur ame, qui puissent par» ticiper et être initics aux mystères secrets de la " religion » (5). Voila le sentiment uniforme de toute 1'antiquité sirr 1'objet et la fin des mvstères. En vain a-t-on voulu en de certains tems ne voir dans cette doctrine qu'une philosophie moderne élevée depuis pour justifier la teligicn payenne. II faut s'aveugler volontairement pour refuser d'entendre ici la voix de 1'antiquité : elle nous dit que cette doctrine d'une autre vie est une tradition (1) •JUeuTtii Eleusinie. BiU'olh. choisiei» 1<- , tome VI , ei U« jm'moi. de l'ac»d. des inscript. tome XXI , page 32. (ai Sueton. in iitd Neronis, mp. 5H. (3) Eustb. preeparac. evang. lib. 4; cap. S  'iS4 L'Antiquité dévoilée soutenue dans tous les tems et chez tous les peuples policés. Ce qu'elle avoit de particulier et ce en quoi elle différoit prodigieusement du christianisne, c'est qu'elle nenseignoit qu'en secret et a 1'oreille d'un petit nombre d'initiés, ce que la religion chrétienne publie a haute voix, et a proclamé ouvettement dans toutes les parties de la terre. Èusefcé ne se dissimule point Im-même cette fin teligieuse des mystètes, quoique d'ailleurs il se déchaine contte eux avec véhémence; mais puisqu'en parlant aux initiés il leur dit que leur partage dans 1'autre vie sera très-différent de celui qu'ils s'y promettent, et quils n'y trouveront que des feux éternels, il supposöit donc que les mystères les avoient entretenus de cet avenir heureux ou malheureux réservé & ceux qui auroient bien ou mal vécu sur la tetre (i). Lorsque 1'Empeteur Julien, ce grand adversaire du ehristiamsme, voulut lui opposer la doctrine subïime des Platoniciens que pour cette raison il étudioit, ce fut a Hiérophante d'Eleusis qu'on le renvoya pour acquérir des lumières (2). Les mystères étoient dans le sanctuaire oü le dogme de 1'autre vie s'ctoit con- fi) Euseb. pro-parat, evang. lib. =, cap. 5. D'ailleurs les anciens, «roem des mystères achérontiques (sacra asherontia). Ce nom seul »rd,que leur objet; il vient de Khoron, lafin, re qui suit la demeure eïwniere. (a) Voyez les mémoires de 1'acadèmie des inscriptions , tome XXI . ■Stage 104 , ou Eunapius ia Maxim, II y a aussi lieu de croire que les oystéres des Athéniens n'avoient pas recu leur nom dn bourg d'Eleusis, réa.s qne ce nom vient de 1'objet d e ces myrtères , qui ëtoit d'obtemr' Ie ,a.ui qu, v,ent de Dieu ; rien de plus fréquent dans les pseaumes que e« expressions. El-isei, Deus salaris mëaf. Eki-isei , qui signifie Ia _>|ême chose, ou Eli-isa , mon Dieu est 1110» salut. Enfin je ciois que £/'««« .s.VniCe le salut de 'Dieu , salut divin, dont sont pareillemenc venusle nom i'Jlönus, rivière dans laquelle se faisoient les purifica'tions csttées dans ces mystères, et enfin Ie nom a'Elisée qu'on donnoit a-a ttqoar des bienheureux. Toy'ez pjea'umes 18 , 3 ,  par ses usages. Liv. III. Ch. I. i8| serve; c'étoit d'eux que precédoit vraisemblablement cette pliilosophie morale et religieuse qui commencoit déja a se répandre plus de trois siècles avant notre ère chrétienne, er qui, tot ou tard, auroit produit quelque rêvolution dans la religion payenne, si son renversement n'eut point été réservé a une autre cause. Cette pliilosopme étoit le ixuit du desir de savoir, et de cette ardeür mquiette que les grands génies de la Grèce ont e ': cönttpjtre la nature de 1'univers, celle des dieux < ioh de leur propre ame; on nignore; pas que les thtöfts de teuts vo'ages en Egypte, Chaldée et aux trides, étoient de s'éciairer er d'arracher aux prêtres leurs secrets, C'est de-la qti'est venue cette philosophie sublïme et quelquefois outrée et romanesque, qui s'eiforcoit d'approfondir toutes les questions et même celles que la nature a interdites a l'homme: on voulut connoïtre 1'origine de l'uiiivers, son antiquité, sa durée et sa fin. C'est aussi dela qu'estvenU le caractère silencieux et mystérieux des premières sectes de la philosophie; la fille devcit tenir de sa mère : on? ne communiquoit qu'avec peine ce qu'on avoit eu tant de peine a obtenir, et que d'ailleurs on avoit promis de ne point réveler. II fallut sept ou huit siècles pour nous fournir quelques mots échappés qui forment le puissant témoignage que nous venons de produire. Enfin une nouvelle preuve que les mystères devoient avoir quelque rapport avec la vie future , c'est que tous les héros, tels qu'Orphée, Thésée, Hercule; Bacchus , Ulysse, Enée, ne sont descendus aux enfers qu'après s'être fait initier aux mystères. • Si ce sont les dogmes de 1'immortalité de 1'ame et ceux qui annoncent les récompenses et les chanmens d'une autre vie, qui faisoient 1'objet des 'mystères, il est difficile de concevoir la raison pour laquelle on a  L'Antiquité dévoilée caché cette doctrine qui a toujours été regardée comme le principal lien de la sociéré, et comme le frein le plus capable de contenir les passions des hommes. Le dogme de 1'avenir semble avoir été dans tous les tems la base de toute législation civile et religieuse; le paganisme ne pouvoit méconnoitre un sentiment si universel; peut-on se figurer que le peuple 1'ignorat, tandis qu'on lui peignoit sans cesse les Champs Élisées, le Tartare, le Styx, 1'Achéron, Pluton, Minos, Eacus et Rhadamanres, les furies vengeresses, les supplices des criminels célèbres • Le peuple scavoit par cceur les descriptions des pcè'tes, et par consequent il en scavoit autant que les agrégés aux mystères. Comment donc Plutarque nous dit-il, comme on a vu tout-a-l'heure, que le vulgaire n'imaginoit rien après la mort ? comment Platon a-t-il pu dire, cmq cent ans avant lui, que c'est une opinion du peuple qui subsistoit encore dans toute sa force, qu'après la dissolution du corps 1'ame se dissipoit et cessoit d'être ? 11 ajoute que ce que l'on dit de contraite a cette opinion dans les mystères, est une vétité aussi impottante que difficile a comprendre et étonnante pour le vulgaire. D'un autre cöié, quelle contradiction ne trouvons-nous pas dans les écrits des anciens ; Cicéton dit en public, dans son oraison pour Cluentius, que tout ce qu'on dit de 1'autre vie n'est qu'une fable, et qu'au-dela de la mort il ne faut rien attendre; mais il parle bien différemment dans son cabinet et dans ses ouvrages philosophiques. Les enfans même, suivant Juvenal, ne croyent pas aux enfers, nee pueri cre dunt, &c. Platon trouvoit tout ce qu'on, disoit de 1'autre vie si contraire a la teligion et au bon sens, et si opposé au bonheur de |homme, qu'il vouloit qu'on n'en parlat qu'en bien et jamais en mal, et que l'on supprimat de ce dogme  var ses usages. Liv. HL. Ch. L. itj tout ce qu'il renfermoit de contraire a la bonté de Dieu (i). Mais comme le dogme de 1'autre vie doit nécessairement être considéré sous deux aspects inséparables, on cacha le bon au vulgaire et l'on suppriraa totalement le mauvais, qu'il ne falloit que recüner.Croire aux enfers a la facon du peuple, c'étoit n'y rien croire; voila pourquoi Plutarque qui croyoit a la vie future, se moquoit de 1'enfer des poëtes. Diodore de Sicile et Cicéron vont nous expliquer eux-même» ces conttadictions. Les Grecs, dit le premier, ont mêlé tant de fables au dogme de la vie future, qu'ils lui ont óté toute sa force. Le second nous dit que les descriptions vulgaires, c'est-a-dire poè'tiques, que jfag faisoit de 1'enfer, étoient triviales et si ridicules, qu'il n'y avoit que des enfans ou des femmelettes qui en' fussent effrayés. Lorsque St. Paul parle du jugement futut, Félix en est épouvanté ainsi que de la rgsur-. rection : il traite cet apótre- d'insensé. Le même S"r„ Paul prêche la résurrection devant 1'aréopage; les uns s'en moquent; les autres remettent a 1'entendre a une autre fois (2). Pline nous montre que les anciens regardoient la résurrection comme un dogme insensé (j/V Telle étoit donc a cet égard 1'ignorance et 1'indirTétence du peuple, qu'il eüt regardé comme un insensé 011 comme un impie celui qui lui auroit révélé le vraï secret des mystères; il faisoit consister sa religion a ne la point connoïtre; dela ce-propos d'un des interlocoteurs de Platon, qui dit : « .Nous n'estimons point — — i -V (1) Plato in P.-eJon. . Idem de repjib. lib. 5. Cicero pro Cleueniio. loi venal. Satyr. 2, vs. i52. f2) Actes des Apotres , chapitre XVIP, vs. 32 , et chapitre XXVI fél i 1? '< (5) Zêrddês logos. Anilis fabula, puerile de'iramentum. lib. 3. cajj? J, .et lib. 7 , cap. 55.  VAntiquité dévoitêe » qu'il soit religieux d'examiner la nature de 1'Etré » suprème et de 1'univers, ni de faire une étude pro» fonde de la nature des choses » (i). Le sentiment public et dominant étoit qu'il n'y avoit plus rien après la mort, comme on le voit en plusieurs endroits de Séneque, qui parle alors comme le peuple (z). Voila sans doute le nceud de 1'énigme ; les peuples et les initiés aux mystères connoissoient également une vie future ou un autre état après la mort; mais les peintures fabuleuses et contradictoires que l'on avoit faites de cet état , faisoient que depuis long-tems le peuple n'y croyoit plus; ce qu'il en savoit lui paroiss'oit puérile; les initiés au contraire y croyoient toujours , paree qu'ils en avoient des idéés plus pures et plus raisonnables. Les peuples ayant été disposés par des principes primitifs a croire une autre vie, il paroit bien étrange qu'on ait affecté de les laisser dans une ërreur oü les fables les avoient fait tomber, et que l'on ait si long-tems négligé de redresser leurs idéés. Pourquoi la police, d'accord avec la religion, a-t-elle caché au vulgaite pendant une longue suite de siècles des vérités si utiles, si importantes a connoïtre J Cherdions donc quel pouvoit être le motif de cette con-, duite ; est-ce par haine pour la religion ? est-ce dans la vue d'établir sur ses ruines le matérialisme ou le polythéisme? on ne peut le penser, puique les initiés comme on a vu, étoient des hommes plus religieux, qui détestoient les erreurs du peuple, ët qui n'avoient que du mépris pour son aveuglement. Est-ce pat l'-ambition jalouse de posséder exclusivement la vérité? (1) Plato de Legibus , lib. 7. (2) Senee. Epist, XXIV, XXX et HY, et eonsol. ad Marckn; wp.xix. Le  par ses usages. Liv. III. Ch. II. Le secret étoit-il uniquement 1 effet de cet esprit mystérieux commun a tous les anciens, et qui paroit avoit été si fort de leur goüt; Je ne crois pas que les conjectures puissent nous rendre raison du secret des mystères ; la doctrine qu'on y conservoit étoit assez grande et assez sublime pour que le gouvernement eüt des vues si retrécies; et malgté le crime que l'on peut faite a la police , je crois qu'il y auroit de 1'injustice a penser que ses vues n'eussent pas eu pour objet dans 1'origine l'utilité du genre humain et le bien des sociétés. II s'agit donc de connoïtre qu'elles ont pu être ses vues, et comm?nt elles pouvoient avoir assez d'apparence de sagesse pour avoir fait prendre un parti si étrange a des législations, d'ailleurs si sages et si raisonnables. CHAPITRE II. Des vrais motifs du secret des mystères. Ils avoient pour objet de cacher au vulgaire le sort du monde et sa destruction future. I. ï^o u r expliquer 1'énigme du secret des mystètes que l'on voiloit avec tant de soin au peuple s il faut encote remonter au premier état des hommes après les révolutions de leur séjour. II est vrai que le rableau que nous allons présenter est moins fait d'après l'histoire écrite que d'après les monumens de la nature ; mais c'est ptécisément ce qui le rend plus ressemblant et ce qui le doit rendre plus croyable. D'ailleurs l'histoire transmise par les usages des hommes nous offre des monumens très-confotmes a ceux que la nature nous fournit. Tome L T  2-9° L'Antiquité dévoilée Nous avons donc vu Thomme plongé dans la mélancolie la plus profonde, occupé du souvenir de ses maux , plein de dégoüt pour le monde, ne regardant plus la terre que comme un séjour malheureux, et comme une vailée de larmes qui ne méritoit point son artachement et son amour; nous Tavons vu soupirer après un avenir que devoit suivre la destruction du monde actuel : celui-ci devoit faire place a un autre oü il seroit content, fottuné et a couvett des maux auxquels sa nature Texpose. Cette morale étoit grande, sublime et digue dans tous les tems de Thomme religieux : mais lorsqu'il se trouve d'ailleurs, comme il Tetoit alors , accablé du poids de ses misères , ces sentimens si grands sont moins ceux de la religion que ceux du désespcir ; ces idéés ne sont plus que les effets d'une passion chagrinedont les suites, comme on a vu , deviennent funestes a la société ; le dogme de Tavenir dans des esprits ainsi disposés, loin d'être utile est nuisible , et n'est plus qu'un poison lent qui mine et qui détruit peu-a-peu Tesprit de société. Tel a été le sort des hommes; cet esprit mélancolique les a conduits insensiblement, comme on a vu, a cette vie errante, sauvage, batbare et déraisonnable oü toute 1'antiquité se souvient d'avoir langui et oü tant de nations se trouvent encore plongées. Ce n'est qu'a Taide du tems, qui peu-a-peu a affoibli ces idéés, que quelques families ou peupiades guidées par leur vie errante, sont arrivées dans des climats plus doux , plus tranquilles , plus heureux, et s'y étant arrêtées 3 ont présenté le spectacle d'une nation fixe et sédentaire. Mais que Ten ne s'imagine pas que cet état ait pu se fotmet de lui-même et tout d'un coup; le goüt de la vie errante , fortifié par Thabitude et par des idéés religieuses, a dü dissoudre plusieurs fois les  par ses usages. Liv. LIL Ch. Jl. 2ot peuplades que le hasard seul avoit forroée?; il a dü présenter des obsracles fréquens a la stabiiité des premières sociétés; enfin quelque génie puissant s etant appercu de la source du mal, a travaillé de concert avec le tems a détourner 1 esprit des peuples des idéés sombres et farouches que leur ehagrin et leut religion excessive leur inspiroient. II semble que le moven le plus naturel qu'un législareur düt prendre eüt été de multipliei les instructions , de faire servir la religion elle-même a reprimer la religion , et tfinspirer aux peuples des maximes plus douces , plus raisonnables et plus tranquilles. II est sans doute impossible de diie pourquoi cela ne s'est point fait; il faudroit pour cela connoïtre les circonstances oü 1'homme étoit alors, le dégré de sociabilité dont il étoit devenu susceptible , et même le détail de ses erreurs, la nature de ses opinions; nous senririons peut-être alors que les moyens que nous imaginions étoient impraticables, et que la police n'a pu trouver de moyen plus effïcace pour attacher 1'homme a son état présent, que de lui faire perdre de vue ou de lui voiler 1'avenir. II. Pour parvenu a cette fin, il ne fallut qümspirer aux hommes du goüt pour Ia culture des ten-es, premier moyen qui dut les rendre entièrement sédentaires; 1'occupation que 1'agriculture leur donna, 1'aisance et 1'abondance qui en futent les suites les attachètent au sol, et le travail affoiblk peu-a-peu en eux les idéés tristes dont ils avoient été presqu'en naissant pré-occupés •, ce que la religion avoit de plus lugubre ne fit plus 1'unique objet des méditations, on pensa a d'autres choses qu a 1'avenir, et la religion elle-même fut remise en dépot a quelques hommes qui en furent plus particuliètement chargés. Ce fut alors que la police et la religion, presaue toujours alliées ensemble dans T i  29i L'Antiquité dévoilée ces tems anciens, se virent en possession d'administrer les instnictions aux sociétés, et de diriget le culte de la manière la plus convenable anx besoins de la société et aux objets vers lesquels on voulut tourner les esprits. L'institution des mystères doit donc être regardée comme un des plus grands ressorts qui après avoir lié 1'homme a la société et 1'avoir rendu agriculteur, le fixa dans sa demeure et forma des nations policées. II est vrai que cette institution n'a pas moins contribué a 1'ignorance des peuples a 1'égard de la religion; mais ce malheur seroir arrivé tot ou tard quand bien même 1'homme fïït resté dans sa vie errante et mélancolique; la politique en lui cachant les dogmes religieux n'a fait que prévenir 1'eftet du tems. II falloit pour faire oublier a l'homme ses effrayantes- chimères et les objets lugubres qui 1'occupoient, le ramener a' 1'ignorance ; c'étoit peut-être le seul moyen de le changer et d'en faire un êrre nouveau. En erfet, nous voyons que 'ous les peuples qui n'ont point eu de mystères ont été les seuls qui aient persévéré dans une vie erranre, farouches, et qui soient restés sauvages ei barbares jusqu'a nous. Cicéron, et toute 1'antiquité avec lui, a donc eu raison de dire que c étoient les mystères qui avoient tiré 1'homme d'un é:at farouche et barbare pour le civiliser, pour adoucir ses mceurs, et pour 1'amener aux vrais principes de la société (i). II n'est point de peuple chez qui les mystères furent en plus grande vénération que chez les Athéniens; ils s'y célébrèrent pendant plus de deux mille ans avec une pompe trèspropre a entretenir le respect qu'on avoit pour eux > (i) Cicero de Lei^ibus'. lib. 2,  par ses usages. Liv. I. Ch. VI. 2^3 les magistrats y présidèrent long-tems. C'est sans doute a ces circonstances que Ton peut attribuer la douceur, la polkesse, la vivacité, la gaieté et cet esprit d'urbanité qui distingueront toujours les Athéniens des autres peuples de la Grèce. Les mystères , dit Epictète, ent été établis pour régler la vie de Thomme , et pour en écarter les désordres. II est vrai que 1'antiquité ne nous dit point que- la vie sauvage des premières nations ait été une vie religieuse, et que leurs désordres aient été les fruits de leur tristesse. Mais écourons Denis d'Halicarnasse. " Qu'on ne s'imagine point, noi.s dit il, que j'ignore » qu'il y a des fables utiles aux hommes : les unes » sont destinées pour représenter les ceuvres et les » effets de la nature par un sens caché et allégorique, *> d'autres ont été inventéés pour consoler les hommes >> dans leurs malheurs, pour adoucir leurs peines, nour " les détivrer des troubles de Tesprit et des craintes, » pour leur óter des opinions nuisibles et déraison» nables , enfin pour quelque autte utilité ou convep nance. Je sais ces choses aussi bien qu'un autte Ce passage est assez important pour être considéré de plus prés; on y voit d'abord que les fables , c'est-adire le voile de la religion , avoient été inventéés par des vues d'utilité relatives au bien de tout le genre humain ; on y voit qu'avant leur invention le cceur de Thomme étoit obsédé de troubles et de craintes, et que son esprit étoit rempli d'opinions nuisibles et déraisonnables , contraires a son bonheur er a sa tranquillité; d'ailleurs Cicéron nous a dit que les mystères avoient produit une vie heureuse et tranquille. Les désordres qu'ils ont fait cesser n'étoient donc point de la nature (») I>yonys. Halicamass. Ul>. 2 , cap. 7. T 5  294 L'Antiquité dévoilée de ceux que nous raontre la vie sauvage telle que nous la voyons en Amérique. Les sauvages anciens ont dü être différens des sauvages modernes ; le désordre des premiers étoit plus dans leur esprit que dans leur conduite domestique; leur genre de vie étoit moins déréglé du coté des masurs, que trcubié par des erteuts et des opinions extraordinaires; aussi quels sont les moyens que l'on a pris pour régler la vie des hommes? d'une part, on s'est sefvi du travail, de 1'autre on s'est servi du secret et du silence. Par le travail on a rendu 1'homrne sédenraire; par le secrer on lui a fait oublier ses erreurs et ses opinions anciennes. En un mot, c'est par les mystères que 1'homme s'est ttouvé heureux et policé. III. Examinons maintenant- quelles pouvoient être ces terreurs et ces opinions des premiers hommes. Elles devoient être tout a la fois nuisibles et religieuses; elles étoient dangereuses, puisque la police civ.t devoir les supprimer; elies étoient religieuses, puisque la religion les a consetvées et les a communiquées a quelques hommes choisis : d'ailleurs elle exigeoit que tous les citoyens y pardcipassent a quelques égards. Enfin c'étoit un point de religion chez les Athéniens de faire initier aux mystères les enfans au berceau , et tous les mourans, et la négligence a cet égard passoic pour un sacrilège (i). II y avoit , selon toute apparence , quelque partie cérémonielle ou vulgaire qué l'on comu.uniquoit a ces sortes de personnes, et l'on ne leur révéloit point les secrets iinportans réservés pour les seuls initiés (2). (1) Voyez les mêmoi. de 1'acacf. des inscript. tome XXI, pa^e 10a, et TerenI. in Phormion , act. I, scen. r. (2) Diolore de Sicile dit positivement qu'en Crète les mystères se cé. lébioient i 'a vae de tout 1« monde , que les initiés étoient recus pu-  par ses usages. Liv. LU. Ch. II. 295 Nous appellerons cette doctrine importante, que l'on cachoit au vulgaire, la seïence de 1'avenir. En effet?, nous avons fait voir que les dogmes de 1'immortaiité de 1'ame et de la vie future faisoient partie des mystères. Cependant si le dogme de la vie ruture eut été 1'unique objet de cette science des initiés, et s'il n'y eüt été question que des récompenses et des chatimens que les hommes recevront dans 1'autre vie, comment supposer qu'on eüt voulu faire un secret d'un dogme que la religion regardé comme propre a excirer une crainte salutaire, et a contenir les passions des hommes, et par conséquent a les rendre plus sociables ? Cette partie de la science de 1'avenir n'etit vraisemblablement point été mise sous le secret, si elle n'eüt pas été jointe a quelques autres opinions dangereuses. Aussi voyonsnous en effet que le dogme de la vie future avoit transpiré de toutes parts , et que cette partie des mystères n'étoit plus un secret. Quelle étoit donc la partie vraiment dangereuse des mystères; un passage de Denis d'Halicarnasse doit nous la faire découvrir. Peu de lignes après 1'endroit que nous venons de citer, il dit: « qu'il n'y a que « des philosophes qui puissent sans se choquer rece« voir 1'intelligence du sens et du secret des fables, « tandis que le vulgaire seroit choqué de ce qu'on bliquement, et que l'on ne eachoit rien k ceux qui vou'oient s'en instrnire. Diodor. lib. 4. 11 esr difficile de prendre a la lettre ce récit de Diodore; des mystères que l'on révè'e a qu'conque veut les entendre ne sont plus des mystères : il faut donc entendre ce qu'il dit des cérémonies et non des dogmes secrets. II peut se faire qu'on expliquat les cérémonies relativement a l'histoire connue de Jupiter , de Cérès , etc. On y jofgnoir peut-ètre quelqu'instruction morale ; d'ailleurs on a tout lieu de croire qu'il y avoit un nombre d'iniiics i qui l'on ne disoit pas tout. Voyez les mémoires de I'acadèmie des ir.scriptious , tome XXI , page 104. T 4  icj6 U'Antiquité dévoilée « lui diroit des malheurs arrivés aux dieux en prenant« les choses a la lettre ». Ce passage au premier coup d'ceil paroit avoir peu de rapport a notre sujet, il paroit même inintelligible. Le peuple n'ignoroit pas les malheurs arrivés a ses dieux? toutes les nations payennes en étoient instruitès; la plupart de leurs fètes, comme on a vu, retracoient leurs infortunes; le peuple les célébroit pat ses larmes, il n'avoit garde d'en être scandalisé quoiqu'il prit leurs histoires a la lettre; mais les philosophes n'y voyoient que l'histoire de la nature, une théologie obscure et cachée; selon lui les guerres d'Osiris et de Typhon, les calamités dont elles accablèrent le monde j n'étoient que les combats des imelhgences supérieures (i). Les guerres des dieux et des géans n'avoient, comme on 1'a prouvé, pour basse qu'un dogme pareil, puisque Platon comdamne le langage des poëtes qui ont chantc les vicroires et les défaites de ces dieux; il dit » que ces u discours sont durs a entendre, et qu'il n'en doit » point être question dans une ville policée; que la " divinité est bonne et la source unique de tout bien, « et qu'ennn il n'en faut parler que selon ce qu'elle « est, sans lui attribuer les malheurs du monde, dont » la cause, telle qu'elle puisse êtte, est ailleurs que » dans la divinité (2). » II ne faut donc point non plus prendre a la lettie ce que dit Denis d'Halicarnasse mais il faut lui donner le seul sens qui peut rendre raisonnable celles de ses impressions oü l'on peut soupconner du mystète. L'histoire des dieux avoit non-seulement rapport (1) Plutar. de Iside et Osiride. Mem de Oraculis, etc. Eujeb. praeparat. eVarig. lib. I , cap. 10 , et lib. 3, cap. 1. (2) Plato de Republic. ub. a.  par ses usages. Liv. IL1. Ch. IL. 29y au passé j comme le dit Denis d'Hahcarnasse et bien d'autres avec lui, mais encore elle avoit rapport au futiuv Les dieux avoient été autrefois malheureux, eest ce que le peuple scavoit; mais ils devoient encore 1'etre un jour, c'est ce que le peuple ne scavoit pas, et c'est ce qu'on vouloit lui cacher, Tout le monde en Grèce scavoit, pat exemple, qu'Uranus avoir été détroné par Saturne; que Jupiter avoit été autrefois attaqué par les géans; mais comme nous le verrons bientót, ce n'étoit que pat les mystères que l'on scavoit que Jupitet seroit enfin chassé du ciel par un autre dieu. Pour quitter le style allégorique 3 tout cela signifie que les mystères avoient non-seulement rapport aux anciens malheurs de l'univers dont le peuple scavoit au moins une partie, mais encore qu'on y annoncoit ses malheurs a venir; et c'étoitda ce qui rendoit la science de 1'avenir dangereuse er nuisible a la société. Le faux Lsdras semble neus fournir un exemple de 1'esprit mystérieux qui cachoit aux hommes le sort future du monde. Dieu lui dit: mon jugement approche, je ne l'ai dit qua. toi et a un petit nombre d!hommes semblables a toi (1). IV. Le dogme de la vie future dans les premiers ages du monde renouvellé, n'étoit point un dogme simple, il étoit uni insépatablement avec un système apocalyptique qui, menacant tous les jours les hommes de la fin de l'univers et de la descente d'un dieu qui devoit venir les juger, les tenoit toujours dans une attente redoutable, et en rempüssant les esprits de terreurs et d'opinions extravagantes j empêchoit les sociétés de se rallier, de travailler z leur bonheur et de songer a 1'avenir. On voit qu'il étoit nécessaire de dé- (1} Esdras , lib. 4> cap. 8 , vs. 6i.  i(jS L'Antiquité dévoilée rober un pareil systême a la connoissance des hommes, lorsqu'on voulut les engager a former des établissemens solides sur la terre : c'est-la, comme nous dirons par la suite, la cause du silence profond que l'on voit regner dans les livres de Moyse sur le dogme de la vie future et sur 1'immorralité de 1'ame, silence dont tant de gens ont voulu se prévaloir contre ce dogme ancien. Non-seulement il étoit d'une politique sensée et favorable a ia société,, comme étoit vraisemblablement dans son origine celle de notre ancien hémisphère, de cachet au peuple un systême insociabie et dangereux par les inductions que les hommes en tiroient; peut-être même la politique eüt-eile mieux fait de les supprimer totalement, vü que la folie de ce systême est égale a son danger. Si l'on n'a point pris ce partij si au contraire on 1'a transmis dans les mystères comme un point essentiel de la religion, cela prouve combien 1'esprit des hommes en a été arfecté; ceux qui ont d'ailleurs assez de force de génie pour oser entreprendre de rendre les hommes heureux sur la terre en les rendant sociables, nous montrent invinciblement pat-la qu'ils ont été eux-mêmes intimement convaincus de ces opinions. V. Jugeons par quelques anecdotes particulières arrivées bien des siècles après 1'institution des mystètes , du danget qui résulta de ces dogmes de 1'avenir que l'on n'avoit point osé totalement supprimer ; ce secret fatal étant venu a percer porta le trouble dans les sociétés, et devint funeste pour ceux qui en furent mstruits. Lorsque la doctrine de 1'immortalité de 1'ame et de la vie a venit eut été répandue par les ouvrages de Platon, la beauté de ce systême le fit accueillir avec le plus grand empressement; les philosophes le médi-  par ses usages. Liv. III. Ch. II. 2n tèrent et le répandirent a leur tour. Que résulta-t-il de cette découverte > Cléombrote d'Ambracie ne sait pas plutót que son ame est immortelle , qu'il monte sur une tour, et se précipite pour arriver plus promptement a la vie future (i). A Cyrène, Hégésias, philosophe , ayant tenu école sur la matière, ses disciples se tuèrenr pareillement pour sortir de cette vie malheureuse et passagère, et pour parvenir a celle que leur maitre leur promettoit (i). Enfin cette sublime doctrine se changea en moins d'un siècle en une maladie épidémique si dangereuse que Prolomée Philadelphe défendit de 1'enseigner de peur qu'elle ne dépeuplat ses états : alors les poëtes de sa cour entrant dans les vues de ce prince n'oublièrent rien pour décrier cette opinion et la rendre ridicule, afin que les peuples n'en fussenr plus les victimes (3). Cependant la doctrine de Platon n'avoit rien qui püt conduire a ce délire meurtrier : elle est bien éloignée d'ordonner ou de conseiller aux hommes d'attenter a leurs jours : au contraire, elle enseigne que la vie est un passage, mais qu'il n'est point permis a 1'homme de quitter son poste sans la volonté de Dieu; c'étoit aussi une des lecons que l'on donnoit dans les mystères. Cicéron parlant de mème des misères de la vie er de la féiicitè de 1'avenir qu'il appelie une véritable vie, arrêtoit les transportsde ceux qui vouloient se hater d'y parvenir, par ces mots remarqu?i)les : » Ceux, » dit-il, qui sont vraiment religieux doivent conserver » le plus qu'ils peuvent leurs ames dans leurs corps; » il ne faut point quitter ia terre sans 1'aveu de celui » qui nous y a fair naitre , de peur qu'il ne semble (1) Lucian. In Phi'ophar. (2) Valer. Maxim. , lib. 8, cap. Q, parag. 6. (5) L'argument du dialogee de Phedon, par Dacier,  •300 U Antiquité dévoilée » que nous voulions nous débarrasser du fardeau de » 1'humaniié que Dieu nous a imposé (1) ». Lorsqu'on réfiechit qu'au tems de Platon et de Ptolomée la nature entière étoit calme et paisible , et que cependant un grand nombre d'hommes ont porté jusqu'a la frénésie le dégoüt de la vie ; si l'on se transporte ensuite aux premiers tems du monde renouvellé, que l'on juge a quels excès le dogme de la vie future a dü porter le genre humain accablé de ses misères , effarouché par la Terreur, et consterné par le chagrin; on sent que la police primitive, lorsqu'elle eut acquis quelque pouvoir sur les hommes, n'a point eu d'autre parti a prendre que celui que nous venons de voir prendre a Ptolomée Philadelphe. VI. Rien ne prouve mieux les effets dangereux du dogme de la fin du monde, que le spectacle des nations chez lesquelles ces idéés apocalyptiques n'ont point été supprimées ou voilées par la police; on ne les retrouve que dans 1'Amérique et chez les peuples du Nord. A la fin de chaque siècle la religion annoncoit aux Mexicains la fin du monde, ce qui se faisoit sans feinte et sans mystète \ le peuple alors, comme on a vu , brisoit ses meubles et ses ustensiles de ménage qu'il jugeoit désormais inutiles. La dernière nuit de ce siècle étoit consacrée aux larmes et a la désolation. Cette politique qui permettoit que l'on annongat au peuple sa desiruciion, étoit bien moins sage que celle de 1'Egypte cü l'on cachoit au vulgaire le motif de la veillée ou de la fête des lumières; on s'efforcoit alors de changer la nuit en un beau jour (2). On peut en dire autant des jeux séculaires des Romains. A Athènes (t) Cicero somnium Scipioft. ?2) Herodol. Ijb. a.  par ses. usages. Liv. III. Ch. II. jox le cinquième jour des fêtes Eleusiennes étoit précédé d'une veillée funèbre : on y représentoit la recherche de Proserpine avec des flambeaux, et l'on affectoit d'irrïirer la tristesse de Cérès •, c'étoit, disoit-on , le jour le plus solemnel de la fête; on rappelloit dans cetre nuit 1'enlèvement de cette déesse par Pluton ; et c'étoit le Lampadophore qui conduisoit alors la procession , il représentoit le soleil. Au Pérou, les éclipses annoncoient au peuple 1'instant de la fin du monde ; et nous verrons que chez nos anciens le même motif étoit bien la raison secrette de leurs extravagances en ces occasions, mais il étoit caché sous des allégories que le peuple n'entendoit plus -, on lui avoit laissé ses usages , mais on avoit eu 1'adresse de lui en cacher peu- a-peu les motifs, et d'en dénaturer les principes; presque toutes les fètes des Egyp- j tiens, des Grecs et des Romains nous montrenr la vérité de cette conjecture. Tout ce que les Gtecs rap- I portoient sur les malheurs de leurs dieux 3 et sut leurs guerres, en un mot toute cette partie de leut mythologie n'avoit pour objet que 1'avenir; on attendoit un jour fatal oü les géans devoient attaquer les dieux de nouveau, les vaincre, et remplir l'univers de désordres I er de maux ; la nature entière avec les intelligences qui la gouvernent , devoient un jout succomber. Peut-on , après cela , s'étonner si des pays oü de tels systêmes étoient publics, connus de tout le monde, ont été piongés dans la barbarie ? VIL Varron distingue trois théologies, la mythologique j la physique et la civile; la première est celle des poëtes et du peuple dont on pouvoit parler publiquement et sur lesthéatres; la seconde traite des dieux, de leur nature, de leur essence, de leur étemitéj de leur durée; on ne doit en patier que sur les bancs de  JC2. L'Antiquité dévciice 1 'école et non en public et au barreau ; c'est la connoissance de runivers. Enfin la troisième n'a pour objet que «'extérieur du culte, les sacrifices, c'est la religion civile (i). Ainsi nous ne manquerons point de secours pour justifier le sens que nous avons donné aux différentes expressions de Denis d'Halicarnasse. Cicéron nous dit que les mystères expliqués et rappellés a un sens raisonnable font plus connoïtre la nature des choses ( natura remm ) que celle des dieux (i). Que faut-il donc entendre ici par la nature des choses , sinon quelque théologie relative a 1'univers , qui embrasse toutes les choses qui ont rapport non-seulement a sa forme et a sa disposition , mais encore les importans prcblêmes de son origine , de son anriquité, de sa durée et de sa fin ; c'étoient sans doute ces questions obscures et interressantes qu'il étoit dangeteux de faire connoïtre au peuple, et que, devenu par la suite plus éclairé , il estimoit luimême qu'il n'étoit point religieux d'approfondir (3). Cette étude de l'univers conduisoit d'ailleurs a rendre raison des phénomènes et des révolutions physiques , et a chercher ensuite le principe du bien et du mal , qui a été le problême de tous les ages et 1'écueil contre lequel tous les hommes ont échoué , soit qu'on ait fait un dieu seul dispensateer d'une justice terrible, et 1'arbitte unique des destins de l'univers , soit qu'on lui ait donné , comme les mages , un adversaite pour le combattre et détruire perpétuellement son ouvrage. Cependant il patoït que ce n'étoit point cette ques- (1) Prima théologia accomodala est ad thee tram , secunda ad mandam, tertia ad urbem. Varro apud Augustin. de Civitate Dei, lib. t\, cap. 8. (2) Cicero de naturd. deorum lib. I. (ï) Plato de legibus, lib. 7.  par ses usages. Liv. ƒƒƒ. Ch. II. ^ tion particuliere que la religion vouloit cacher au peuple pour n'en parler qu'aux initiés , il auroit fallu pour cela traiter de 1 essence et de la nature de la divinité ce que , suivant Cicéron , l'on ne faisoit point dans les mystères , et sans doute pour de bonnes raisons, vu | que 1 homme ne peut atteindre jusques-la par les Iumières naturelles. Peut-être pensok-on d'ailleurs que le dogme des deux principes n'étoit point en lui-même contraire a la tranquillité des sociétés; c'est apparemment pour cette raison que nous trouvons ce dogme si umversellement adopté des anciens peuples. En effet qu importoit aux vues de la police de ces tems-la comment on exphquoit le principe du mal, pourvu qu'on ne predit point ce mal et qu'on ne jettat point 1'épouvante dans la société par 1'attente de nouveaux malheurs • ce devoit donc être, selon les apparences, cette seule attente dont les mystères étoient essentiellement dépositaires. Nous avons déja vu qu'ils étoient dépositaires de la destmee des hommes après la mort, ils 1'étoient encore de la destinée de tout l'univers; et leur secret snt/a nature des choses quepoavok-A être, sinon que tout etoit périssable et que tout devoit périr un jour ? I ,V°yaSeurs modernes nous apprennent que les iettres de la Chine parient très-peu de la vie future • mais toutes les sectes Indiennes qui se sont établies dans cet empire, entretiennent leurs sectateuts du sort des hommes dans 1'aurre vie, ce qui donne lieu a une rou le de pratiques , d'abstinences et d'austérités auxquelies les devots se soumettent. Les Bonzes donnent J au peuple des spectacles de ce qu'on sera après sa mort> ies uns s y voient pauvres , malades, infortunés; d'au' tres sy voient ministres , rois, empereurs; sur quoi un auteur chinois se plaint que ces spectacles disposent j lt peuple a la revolte, VÜ que ces préventions lui font  L'Antiquité dévoitée prendre les armes , le rendent hardi et téméraire, lui font chercher la mort comme 1'introduction a une meilleure vie. En effet on dit que ces séditions religieuses ont fait périr des millions d'hommes en ce pays ; ces fanatiques mouroient en criant aux bourreaux: » Frap» pez, nous mourons contens, nous allons entrer dans » un séjour délicieux ou Foë doit nous rendre heu» reux (1)». Que peut la police sur des hommes que le fanatisme enivre au point de courir a la mort > Les lamas, ou prêrres du Thibet, font au peuple un myscère de la religion (i). Au Japon la religion du Sintos, qui est la plus ancienne de ce pays, est un secret pour le peuple; les prétres ne parient qua leurs disciples de 1'origine du monde-, ceux-ci, en s'initiant, s'engagent a ne rien révéler (3). On voit donc que la science de l'univets est au Japon , comme ailleuts, un objet mystérieux; le voyageur qui nous apprend ces particularités, ne dit point qu'on y parle de la fin des choses, il ajoute au contraire que les Sinroïstes ont peu d'idées de 1'immortalité de 1'ame et d'un érat futur. Si ces peuples ont toujours été dans 1'état oü on nous les représenté, ce qu'on ne peut guère supposer., ils ont eu sans doute une science ou théologie bien plus complette-, il vaut mieux croire qu'on a si bien conservé le secret, que les ptèttes eux-mêmes 1'ont a la fin oublié. II n'en est point de même des nouvelles sectes éttangères établies au Japon; elles font toutes des pénitences , des austétités et des pélerinages en (1) Kistoire générale des voyages tome VI, in-4°, P*ge i 52*r 5aq , 54o. (2) Histoire généra'e des voyages , tome 7, page, 127. (3) Kempfcr , livre 3 , chapitre 1. vue  par ses usages. Liv. III. Ch. II. vue de la vie futute, er elles se livrent a des extravagances dont j'ai déja tracé le tableau revoltant (i). VIII. Consultons maintenant la philosophie lorsqu'elle s'est livré a 1'étude de la nature, et par ses opinions jugeons un peu des mystères dont elle avoit en partie arraché le secret. On voit que les sectes des philosophes se réunissoient a croire que l'univers changeroit après une certaine rêvolution d années; on varioit dans les calculs que l'on osoit en faire, mais toutes les sectes ont donné des tableaux frappans et terriblés de ce qui devoit arriver dans les derniers tems, et de 1'age qui d'or qui devoit renakre. Le sage Platon prédisoit le dépérissement du monde et sa fin; le grave Séneque faisoit ses délices de cette conremplarion funèbre; chacun donnoit des garans de sa conduite apocalyptique; les uns citoient des prêtres Etrusques ou des Druides; d'autres des prêtres d'Egypte ou de Chaldée; d'autres s'appuyoient même du sentiment des barbares. Aussi est il arrivé que les premiers ëmpereurs de Rome voyant leur capitale et leur empire troublés par ces systêmes qui commencèrent a se répandre parmi le peuple de leur tems, et a se monrrer a visage découvert, chassèrent de Rome erd'Italie les philosophes, ainsi que les mathématiciens et les chaldéens, comme des gens qui ttoubloient le monde par leurs systêmes, leurs calculs et leurs prédictions (2). L'esprk qui détetmina la conduite de ces princes étoit ie mème que celui qui avoit fait instkuer lss mystères, ils croyoient devoir sévir contre ceux qui les divulgoient. Nous (1) Histoire du Japon do Charlevoix , discours préliminaire, chapitre i5. (:•.) Suétone dit que , «ous Caligula , des Maures et des Egyptiens cé« iébroient peudant la nuit des myitères iuttrnauï. 'lome I. V  joC L'Antiquité dévo'dée nous écendrons ailleurs sur les systêmes effrayans dV ces philosophes , il nous suffit ici de les annoncer et de dire que ces systêmes avoient leur source dans les mystères. Nous avons parlé ci-devant de la secte des Orphiques-, on peut aussi la regarder comme une secte philosophique et même comme la plus ancienne de toutes: les sectes postérieures n onr fait que 1'imiter en bien des choses, elles ont adopté ses idéés, et elle-même s'est souvent alliée avec les Pythagoriciens et les Platoniciens. Mais cette secte des Orphiques ayant été particulièrement consacrée au culte de Bacchus, et en ayant administré les mystères, nous devons la consulrer comme la dépositaire des secrets de la religion ainsi que de la philosophie. C'étoit un point de leur croyance que le règne de Jupiter sur les dieux et sur les hommes devoit cesser un jour, et qu'alors ce seroit Bacchus qui régneroit a sa place et qui rameneroit 1'age d'or (i). Ils adoptoient d'ailleurs, ainsi que le peuple, ce qu'on débitoit des anciens règnes et des guerres des dieux > ils poussoient même la succession des dieux plus loin que les autres; ils disoient que Phanès avoit été leur premier souverain; que la nuit lui avoit succédé; que son règne avoit été suivi par celui d'Ouranos, qui fut détroné par Saturne , et celui-ci par Jupiter. Ces révolutions et ces successions a 1'empire du monde n'étoient donc point un systême qui fut particulier aux Orphiques; tout le paganisme étoit instruit des règnes successifs des anciens dieux, de leurs guerres , de leurs attentats les uns sur les autres, ainsi que de toutes les calamités que leurs discordes avoient répan- (1) Mémoire de 1'académie des inscriptions , tome 28, page 2t35t Tredus in Timceum , lib. 5.  par ses usages. Liv. III. Ch. II. }oy dues sur la terre. Mais cette autre revolutiori qui menacoit le dieu régnant, n etoit point une norion Vulgaire; il est vrai qu'on enrrevoit une idéé scmblable dans Hésiode, et qu'on la voit plas clairement dans Eschyle, mais le premier n'en parle qu'avec une restricdon qui détruit la prédiction mème. Jupiter, suivant Hésiode, devenu souverain des dieux, épousa Métis qu'il rendit rhère de Minerve; mais les destinées ayant annoncé que le fils qu'elle mettroit ensuite au monde seroit souverain des dieux et des hommes, Jupiter le renferma au dedans de lui-même pour prévenir cet accident (i). Quant a Eschyle qui en parle dans la bouche de Prométhée d'une manière très-claire, celui-ci dit a Mercure : « Vous autres ministres des nouveaux » dieux , énivrés de la gloire de servir votre tyran '•» (Jupiter), vous le croyez assis sur un tröne 'iné» braniable; j'en ai déja vu deux qui ont été chassés, " et bientöt je verrai tomber le troisième. Vous croyez* » vous autres dieux nouveaux, que le palais oü vous » faites maintenant votre séjour est exempt de chagrins, » tandis que j'en ai déja vu chassei deux souverains' » et que je sais que le troisième qui y règne aujour» d'hui en sera honteusement chassé a son tour (2). " II est certain que le poë'te fut accusé d'avoir révélé » dans les pièces le secret des mystères, et qu'il courut » risque de la vie ». ^ Les mystères des Orphiques avoient donc un objet d'attente assez semblable a celui des peuples du Nord qui s'imaginoient que 1'empire de leurs dieux ne subsisteroit pas toujours, et périroit avec l'univers qui (■) Mémoires de lacsdérme des inscriptions, tome iS , pa^e 8 et ao, tome a3 , page 266. (2; Eschyl. Prometh. vers. gao. V X  ^0g L'Antiquité dévoilée prendroit ensuite une face heureuse. Cette doctrinè est tout-a-fait conciliée par cet oracle du destin dont parle Ovide (i), qili dit ) facilement dans ce systême des Orphiques oü Ton nomme Phanès le premier souverain des dieux (i), et oü Bacchus devoit être le sixième. Mais Phanès et Bacchus sont les mêmes selon Diodore de Sicile; Bacchus, dans la docrrine des Orphiques , n'étoit qu'Osiris régénéré; mais Osiris, qui pour les Egyptiens étoit 1'être suprème , pouvoit - il être autre chose que Jupitet, dieu souverain chez les Grecs ? Bacchus qui déttöne Jupiter n'étoit donc qu'Osiris qui détroné Osiris. C'est donc pour se délivrer de ce chaos théologique que les Orphiques et tous les anciens mystiques avoient imaginé toutes ces idéés de générations er de successions des dieux, adoptées par quelques spéculateurs et même par des philosophes qui ont donné ces rêveries pour des mystères sublimes ; mais ces rêveries absurdes n'étoient pas 1'ancien objet des mystères; on y expüquoit la succession des choses, et les malheurs du monde, et non la succession et les malheurs des dieux. Ainsi, pour donner du sens aux six successions ou dynasties des Orphiques, nous dirons qu'ils pensoient que le monde avoit déja passé pat quatre périodes diitérens; qu'on yiveit dans le cinquième qui devoit faire place a un sixième (2). (1) Saturne,. comme on 1'a dit aiüeurs, étoit aussi appellé Phaiuon. O) M. 1'abbé Soucbai, dans sa dissenatiou sur les hymne* des anciens, rasèrée dans les mémoires de raeadémie des inscriptions, tom» XII, page 5, entreToit, dansles hymnes d'Orphêe des caractères de théurgie, science obscure qui prétendoit pat des invoearions faire desceirlre les dieux. dana lesra simulacrcs , et ejianger les idoles en divinités. Ia théurgie savoit aussi l'art de forcer les dien* a être fisvorables au* piières , par le moyen des rites, des parfums , des fuwigations et des dffrandes dont ces priéres étoient accompagnèea. Pausanias dit que lea hyrpnes d'Orphêe étoient les plus religieuses et les plus saintes d« toiit-s. Ce n'étoient que des prières que ies initiés faisoient aux dieux pÓui lea rendre favorables , et pour écartcr les maux. Toutes les hym«es des pofctes sont indigo» de la diuniié | celles d'Orphêe som des  jio L'Antiquité dêvoilée Cette chfonique des Orphiques ressemble encore a celle des Bramines qui disent que le monde a été détruit et renouvellé six fois, et qu'il le sera encore lors de Ja descente de Vistnou. IX. Nous allons encote porter le flambeau dans les ténèbres de cette physique et de cette théologie embrouillées, en considérant une particularité des mystères. Plutarque nous apprend que dans les mystères d'Osiris on disoit aux initiés qu'Osiris étoit le dieu des morts, qu'il régnoit sur eux, et que ce dieu étoit. le même que Pluton (i). Cet auteur s'expiique en disant qu'Osiris étoit le dieu des bienheureux, de ceux; qui, dégagés des liens du corps, après avoir vécu sur la terre, iront dans un lieu ou ils seront sans passions et sans formes possibles, et oü ils adoreront ce dieu suprème 1'aimeront comme la bonré unique, et le contempieront sans jamais en être rassasiés. La conséquence que nous pouvons rirer de ce langage, eest qu'Osiris étoit dans les mystères Egyptiens le dieu de la vie future, et qu'ainsi aux yeux des initiés, A devoit nécessairement se confondre avec Plütcn qui étoit regardé comme le dieu de 1'autre vie, comme le dieu de la fin des choses, enfin comme un dieu qui, de même que Saturne, présidoit a la fin des périodes^ II en devoit être en Grèce de même de Cérès er de Proserpine , dont l'histoire se gravoit sur les tombeaux (2). Mais quelle sensation cette doctrine Egyptienne invpcations vives ct pressante*, par lesquelles on croyoit dans'Je pag»11 sme que les dieux, o'uèissant a la voix des hommes, alloient en effet se niamtester. (r) PUutar. in Iside et Osiride. Mémoires de Pacadémie, tome 3, paf'e p. U) Mémoires de Tacidémie, tome 4 , page 660.  par ses usages. Liv. III. Ch. II. 311 devoit-elle faire sur ceux qui regardoient Osiris et Pluton comme des êtres fort différens, et qui n'avoient pour le'dernier que des sentimens de répugnance et d'advetsion ? Le même Plutarque nous dit qu'il y avoit des personnes pour lesquelles Osiris et Pluton tenoient lieu du bon et du mauvais principe des Perses qui opposoient de même leur Oromaze et leur Arimane : ils croyoient qu'ils étoient alternativement vainqueurs ou vaincus; mais ils pensoient qu'au bout d'un tems faral et prédestiné qu'ils estimoient de neuf mille ans, Osiris devoit pour jamais triompher de Pluton; que celui-ci seroit détruit et anéanti, et qu'alors les hommes changeroient de nature, et deviendtoient parfaitement heureux. Quoi de plus contradictoite que ces deux théologies ! Dans 1'une, Pluton combat Osiris, celui-ci détruit Pluton ; et dans 1'autre, Osiris et Pluton ne sont qu'un seul et même dieu. Aussi Plutarque nous dit qu'il répugnoit beaucoup aux initiés d'apprendre que de grand, que le sainr Osiris fut un dieu infernal et soutetrain, et que cet article des mystères étoit un des plus redoutables et des plus cachés, qu'on le déguisoit avec tout le sein possible , et qu'on ne \t disoit même aux initiés qu'en courant (1). Mais doitil être pour nous bien difficile d'appercevoir la source de ces contrastes qui étoient réellement de nature a eftrayer les initiés, et qui nécessairement devoient a la fin embrouiller les théologiens eux-mêmes ? C'est qu'on avoit multipiié les êtres en considérant la divinité 3 tantöt relativement au monde présent, tantöt relativement au monde futur; c'est qu'a 1'égard du (1) Pliitai-jucirc ULls et Osiride. y 4  jij .. L'Jntïquité dévouée monde futur, on avoit encore soudivisé la divinité, tantot sous 1'aspect de la vie heureusj qu'elle destiné aux bons,*tantèt sous 1'aspect de la vie m lheureusè qu'elle réserve aux mécharis. Enfin on 1'avoit ü >re partagée et opposée a elle-même, en la consic éi nt successivement dans le passé qui n'est plus, dans le présent qui s'écoute et se détruit, et dans le futur qui absorbera et renouvellera toutes choses, et 'qui se dévorera lui-même. Envisageons toutes ces divctses situations de la divinité comme avant été la matière d'autant de drames théológiqdes et de spectacles figuratifs; représentons-nous la multitude et la diversité des formes, des noms et ces attributs qu'on a dü lui donner d'après les circonstances, et nous verrons dans la divinité un acteur, qu'on me permette ce terme, chargé tour-atour de tant de noms et de tant de röles différens, qua la fin on a triécónnu son véritable nom, et que l'on n'a pu se rappeller 1'unité et la simplicité de sa nature et de son caractère. Tour-a-tour la même dm-* nité sembloit bonne et mauvaise, étoit aiméeethaïe? revêtue c'u nom et des qualités- de Pluton, elle étoit le mauvais principe; sous le nom d'Osiris, elle étoit le bon principe et la bienfaitrice des hommes. Autant de rölés on faisoit faire a la diviniré , auranr elle faiscic naitre de sensations opposées dans les spectateuts; ils voyoient toujours plusieurs êtres lorsqu'il n'y en avoit réellement qu'un seul; et c'étoit cet étre uniqüe qu'on aimoit et qu'on détestoit, qu'on louoit et qu'on maudissoit alternativement; et ce qui est encore plus étrange, c'étoit cet être unique qui se baissoit lui-même , qui se combattoit, qui se détruiso;t, qui se reproduisoit, et qui, par une suite de la  par ses usagss. Liv. LLL. Ch. II. 21$ même illusion, sembloit alrernativement heureux, et malheureux, vainqueur er vaincu (1). X. Ramenons donc enfin la doctrine des Orphiques,' et celle que Ton enseignoit dans tous les mystères a. sa simplicité. Si nous lui ótons ce grand appareil de guerres, de combars, de détrónemens succcessifs des dieux j et si nous la dépouillons de ces généalogies et de toutes ces successions mystiques et illusoires, il ne restera plus rien qu'une science apocalyprique sur la durée du monde, sur ses révolutions passées, et sur les changemens qu'elle seroit encore obligée de subir. C'étoit-la en effet le véritable objet et 1'unique secret des mystères; c'étoit-la ce qui faisoit appelier Teletes les doctrines cachées que l'on y enseignoit. Ce mot signifie les choses de la fin } paree quelles étoient relatives a la fin du monde et a sa desrruction. Voila pourquoi S. Clément d'Alexandrie a dit que ce qui s'enseignoit dans les grands mystères intéressoit l'univers (2). Voila pourquoi l'on s'imaginoit que la conversation des mystères étoir de la plus grande importance pour le genre humain (3). Voila pourquoi tous les mystères avoient d'ailleurs un cérémoniel~astronomique; en effet un des (1) L'oracle d'ApnlJon a Claros dit q-te I'ètre suprème s'appelle Jupiter 911 printems , Snuiten été, Jao en automne , et Pluton en hyver. V. Jffuet. demonstr. evang. p. Janus, racontant dans Ovide les noms divers qu'il portoit , en plaisante ]ui-mème, et dit nomina ridebis, vous rirez des noms que je poite , de Patuleius , de Clusius, etc. C . st ainsi que Ia grossiére antiquité , voulant marquer mes différens emplois, m'imposa ces noms divers. Alterno voluit rudis illa vetustas Nomuie diversas significare -vlees. Ovid. Fast. Lib. I, pirag. 129. (2) Clemens Alex. in Stramat. V. (5) Mémoires de l'aceiémie des inscriptions, tome XXI, page 104.'  jt4 L'Antiquité dévoilée rrêtres dans les cérémonies s'appelloit le créateur du monde 3 un autre s'appelloit le soleil s un autre jouoit Ie róle de la lune. Dans les mystères de Mithras chez les Perses, les différens ordres des initiés portoient les noms des signes du Zodiaque et de diverses constellations du ciel (i). L'illustre Warburton (2) a prétendu comme nous que 1'objet réel des mystères étoit de révéler aux initiés le dogme de la vie future, de 1'immortalité de 1'ame , er des récompenses et des peines d'une autre vie; il ajoute que ces mystères avoient de plus pour objet de détromper du polythéisme et de révéler 1'ujiité de Dieu et sa nature. Mais tout ce que nous avons dit jusqu'ici prouve d'une facon décisive que c'étoit moins la nature des dieux que la nature de l'univers et son sort futur que l'on y apprenoit a connoitre; d'ailleurs toutes les expressions figurées qui y étoient d'usage, et tous les symboles qu'on y employoit et qui sont par la suite devenus eux-mêmes mystérieux et inintelligibles, n'avoient été dans 1'origine que le langage des mystères et non leur objet; ce langage lui - mème dans 1'origine n'étoit peut-être point particulier aux seuls mystères; c'étoit, suivant les apparences, le langage vulgaire et 1'écriture commune au tems de leur institution; ils doivent remonter a ces ages oü il n'y avoit point d'autre style que celui des comparaiscns et des allégories, et point d'autre écriture que celle des emblêmes, des symboles et des hiéroglyphes. Que signinoit ce serpent dont on voyoit presque toujours Sa- (1) Euseb. praeparat. evang. lib. 5, cap. 12. (2) dissertations sur l'union de la religion, Je 'a morale et de la polirirjue lirées de I'ouvrage de Warburton sur la divinité de la mis«ion de J.Ioysc , et traduites de 1'aogloil par Silliouette , tome I, disïert, X,  et de ses usages. Liv. III. Ch. II. 315 tarne, Osiris, Isis, Sérapis et tant d'autres dieux liés, éntourés ou accompagnés ? que vouloit-on désignerpar ce serpent que dans les mystères de Mithras et de Sabasius, on faisoit passer dans le sein des initiés et que l'on retiroit par dessous leurs vêtemens ? on s'en couronnoit la tête aux orgies, on les entottilloit autour des thyrses, on en mettoit dans les corbeilles des bacchantes. Le serpent fut le symbole de la vie et du renouvellement continuel des êtres; la physique ancienne s'imaginoit que ce reptile se rajeunissoit périodiquement de lui-même en se dépouillant de sa peau; par\ï il étoit devenu le symbole de la durée des êtres et de la régénéraöon du monde; il désignoit le rems sujet a des périodes réglées; enfin il désigna le dieu du tems (1). L'ceuf mystérieux des orgies étcit le symbole du monde; il étoit 1'emblème de. la génération active et passive. A Thèbes cn le placoit dans la bouche de la divinité pour désigner qu'elle avoit créé le monde. Chez les Druïdes c'étoit un serpent qui produisoit et qui faconnoit cet p. 10. (j) Mpstftucon , aa'.i'iuitó ejcptquée , tome 2,  j j£ L'Antiquité dévoilée Eiaines vèmes de blanc, et des torches a la m?ki,' portoient 1'ceuf en procession dans les fêtes de Cérès qui étoient des jours de jeune, de continence et de tristesse (i). Chez les Persans modernes, au premier jour de 1'année on se donne mutuellement des oeufs dorés, peints et ornés singulièremenr; c'est, dit-on, paree que ï'ctruf marqué le commencement des choses; ils prétendent tenn cet usage des anciens Perses, et il y a tout lieu de le croire (z). En Moscovie eten plusieurs autres endroits de 1'Europe ces oeufs se donnent au tems de paques, et sont regardés par le peuple comme mn symbole de la résurrection. C'est chez eux comme chez nous un usage très-aneien dont les motifs ont pris an ton moderne (5). Nous avons déja fait voir que le Kteis et le Pkalhis j ces symboles indécens, signifioient ainsi que 1'aEuf la snecession des êtres par la voie de la génération. Tantöt ces objets servoient a représenter Dieu comme le principe de toute génération, tantöt c'étoit la génération des êtres émanés de ce dieu. Chaque renouvellement de période étoit regardé ccrarr.e une génération de la nature (4). Le Lingam , cette figure infame que les femmes de 1'Indostan portent dévoteïrrent au cou, ne paroit être, comme le Phallus des Grecs , qu'un symbole- de la génération des êtres (y). (1) Varro de re rustic! , lib. I , cap. 2. (2) Les voyages de Chardin. f5) Cérémonies religieuses, tome 5. (4) Dansles baccanales et dans quelques mystères on portoit un var» long-tems, sont deux choses dont les principes ne : paroissent point s'accorder: on ne vit en pélerin que ] paree que ce monde n'est point digne de notre atta; che , et paree qu'on soupire après un autre monde : plus digne de notre affection. La doctrine des Rechai bites s'étoit donc altérée; enfantée dans son origine (0 Voyez Genèse, chapitre VIII , vs. 21 et 22, et chapitre IX, vs. 11 et i5. (2) Jérémie, chap. XX>V. X 2  3 24 L'Antiquité déyöiléc par le dégout du monde, ils avoient conservé leurs usages, mais les motifs étoient changés pour eux. Ce changement fut -il le fruit d'une sage politique ? c'est ce que nous n'entreprenons point de décider. Une remarque que nous pouvons encore faire sur les Hébreux, et que nous devons joindre a celle que nous ayons déja faite sur la différence de l'esprit de leur loi et de celui de leurs autres livres sacrés, c'est que leuts historiens nous onr appris que l'on n'a commencé que fort tard a lire aux peuples les prophêtes et les agiographes ou historiens sacrés , et que jusqu'aux JVIacchabées on ne lui avoit jamais lu que la loi de Moyse (1). Cette tradition, qui n'est point contredite par les livres sacrés , indiqueroit que la police des Hébreux avoit tenu jusqu'alors une conduite toute semblable a celle des autres nations. Mais étoir-ce par le même motif? c'est ce que l'histoire ne nous dit point, et a quoi elle semble même fort opposée. Si les fables des Rabbins étoient dignes de notre attention , nous" résoudrions aisément ces problèmes. Ils nous disent que le fameux paraphraste Jonathan , qui vivoit environ un siècle avant la ruine du reinple par Titus , avant fait un targum ou commentaire sur la loi, voaiut aussi enrreprendre d'en faire un sur les agiographes, et qu'il en fut empêché par une voix du ciel qui lui défendit par la raison que 1'avenir y étoit déterminé (2). Suivant Josephe , Théopompe ose traduire des choses divines, il vent les communiquer au vulgaire , il est frappé de Dieu ; le poëte Théodecte eut le même sort (3). Quelles fables pueriles ! cepèn- (\) BuxCorf. in bihl. Robin, pap. aS3. Hist. des Juifs de Prideaux, tome 2, page 25ü , tO'i'e 6, liv 18, page 12. (2) Histoire des Juifs de Pridcaux, tome 6, livre i5 , page 21. (3) Joseph.-aniiquit. Judaic. !ib. XII, cap. 2, parag. r5.  par ses usages. Liv. III. Ch. II. dant quelle conformité avec 1'esprit mystérieux que nous avons développé dans ce chapitre ! On tireroit peut-être plus de parti de la mythologie ou des fables des Hébreux , que de leur histoire même, mais s'il n'est point sensé de le faire, rirons au moins de cette mythologie tout ce qu'elle a d'anafogue avec celle des nations dont elle est, comme on a vu, un excellent supplément. U y a un peu plus de ressemblance entre les mvstères anciens et les mystères modernes: voicien queiüs se ressemblentet en quoi ils différent. les uns et les autres ont le bonheur du genre humain , en un mot le salut pour objet; mais chez les anciens c'étoit le salut dont on faisoit mystère au peuple : au lieu qu'aujourd'hui loin d'en faire un secret on le préche a haute voix, et le mystère n'est plus que sur les voies inccmpréhensibles dont la divinité s'est servie pour opérer le salut du genre humain. On trouve encore cette différence bien remarquable, que chez les anciens ce quiéroit mystère pour le peuple ne 1'étoit point pour les hiérophantes et les initiés, au lieu quaujourd'hui le prètre avoue humblement qu'il ignore les voies de Dieu , et croit avec slmplicité des mystères qu'il ne comprend pas et qui sont autant au-dessus de sa portéequ'au-dessus de celle du peuple a qui il les annonce'.  3 ié L'Antiquité dévcïlée CHAPITRE III. Des Sybilles j de leurs oracles 3 et de leurs livres mystérieux. I. -AlprIs avoir examiné les mystères du Paganisme comme ce que les nations avoient de plus sacré et de plus respectable , nous y avons trouvé cet esprit funèbre et apocalyptique qui a fait le caractère des anciens , et qui étoit celui de tous les peuples de la première antiquité. Nous avons vu que ces mystères , ainsi que presque tous les usages et fêtes, avoient pour objet de conserver la mémoire des anciennes révolutions du monde, et de confier sous le sceau du secret a quelques hommes choisis le sort qui attendoit encore i'univers a la fin des tems. Nous ne nous écarterons point de notie sujet en portant nos regards sur les Sybilles; le secret des mystères nous conduit naturellement a parler de ces personnes mystérieuses dont les livres étoient pareiüement enveloppés du secret le plus impénètrabk (i). Ce secret n'auroit-il point été fondé sur les mêmes principes et sur le même esprit ? la doctrine des Sybilles auroit-elle été par hasard la même que celle des mystères; les uns et les autres auroient-ils été réputés dangereux au peuple par les mêmes raisons ? Ce que l'on sair vulgairement des Sybilles semble déja nous annoncer que 1 examen que nous en allons faire ne sera point un écart ou une digression. II nous ramènera (i) Plutarch. in \ita Fabii Maximi, ct Dionys. Halicarni , 1. IV. cap. i4-  par ses usages. Liv. UI. Ch. III. 327 a notre premier objet, et nous procurera 1'avantage de connoitre le véritable point de vue sous lequel il faut continuer d'envisager 1'antiquité. II. Les livres sybillins ou les ouvrages des Sybilles ont été révérés chez tous les anciens; le respect que l'on avoit pour eux ou pour ce qui en portoit le nom, s'est conservé et peut-être même augmenté dans les premiers siècles de notre ère chrétienne; les connoissances dont le progrès se fait sentir quoiqne lenrement, ont enfin dépouillé ces livres fameux de toute leur autorité ; on ne regardé plus les ouvrages des Sybilles qu'ont eu les anciens , ainsi que ceux qui nous restent , que comme des ouvrages supposés en divers tems, par différens motifs , a la vérité, mais dont 1'objet fut toujours de tromper les autres ou de se tromper soi même, sous le voile de la religion que 1'homme a toujours respectée. , Nous nous épatgnetons ici beaucoup de recherches sur la personne des Sybilles que les anciens eux-mémes n'ont jamais parfairement connue. Autant que l'on peut enttevoir dans leurs récits , les Sybilles étoient des femmes qui couroient le monde en débitant des oracles et des prédictions que l'on avoit soin de recueillir (r). Jamais les anciens n'ont été d'accord ni sur leur nombre , ni sur le tems oü elles vivoient. Au tems d'Euripide, de Platon , d'Aristophane et d'Aristote, elles passoient déja pour très-anciennes, et si l'on excepte quelques esprits forts de ces tems, le gouvernement et le peuple regardoient leurs oracles de même oeil que ceux d'Orphêe, de Musée, de Bacis (2). Les anciens (1) Pausanias , lib, 22. (2) Les prophéties de Musée annoncoient les guerres et les combats, Hérodote nous dit ils ne doivent poinr eux-mêmes lire ces livres sans ordre du gouvernement et sans leurs adjoints : un d'eux fut puni du supplice des parricides pour les avoir montrés et communiqués a un étranger ; ce fut la le supplice dont on punissoit toute infidélité a cet égard, ce qui nous prouve le fanatisme , la superstition ou la prudence excessive des Romains (i). Ces livres sybillins , enfermés dans un coffre de pierre et déposés dans un caveau du temple de Jupiter Capitolin, n'en étoient rités que pour être consultés dans des circonsrances critiques er sur les besoins de la rtpublique. Ils subsisrèrent ainsi pendant cinq ou six siècles; enfin ils furent consumés dans 1'incendie du capitole qui arriva pendant ies guerres civiles de Sylla et de Marius. Cette perte fut infiniment sensible aux Romains; et la religion les ayant rendus nécessaires, il fallutenvoyer des ambassadeurs dans toures les anciennes villes fameuses par leurs oracles pour s'en procurer d'autres-, on alla a Samos, a Ilion, en Italië, a Etithrée, en Ionie j en Grèce, en Sicile , en Afrique, on en rapporta mille vers , et après en avoir fait 1'examen le plus soigneux pour en sépater 1'apocryphe , on cacha de nouveau ces oracles (2). Cette seconde édi- (1) Dionys. Halicarnass. ibid. Valer. Maxim. lib. I , cap. 1 , parag. i3. (2) Tacit. annal. lib. VI, parag. 12. Suelon. in yhi Augasti, cap. 5i.  3 5 o L'Antiquité dévoilée tion ne peut sans doute avoit le mérite de la première. Combien ne s'étoit-il pas forgé de nouveaux oracles sous le nom des Sybilles pendant le cours de cinq ou six eens ans, qu'il fut ttès-difScjle de distinguer des anciens ? II résulta encore un autie mal qui eut de plus grandes suites, c'est que cette nouvelle recherche s'étant faite en beaucoup d'endroits , donna lieu a la publicité de ces livres jusqu alors inconnus; 1'incendie du capitole et les soins qu'on se donna pour réparer la pene que cet accident avoit causée, excitèrent la cutiosité et firent rechercher ces oracles par les particuliers comme par le gouvernement , peut-être même qu'ils furent divulgués par 1'indiscrétion des envoyés du Sénat; enfin il y en eut des copies ou des fragmens vrais ou faux ; l'univers fut inondé de Hvres prophétiques qui servirent, suivant Suétone, de fondement a. des espérances et a des terreurs également vaines; ensorte qu'environ 64 ans après la recherche dont on vient de parler , Auguste étant souverain pontife, 1'an treizième avant 1'ère chrétienne , fit faire des perquisitions chez tous les particuliers oü l'on en trouva deux mille volumes qui furent btülés. Ce prince ne borna pas la ses soins, il fit encore faire une revision des livres sybillins , et après les avoir chatiés et épurés, il cacha cette troisième édirion dans deux coffres dorés qu'il placa sous la base de la statue d'Apollon palatin. Cet acte de police ne put néanmoins empêcher qu'il ne parut encore des oracles sybillins de tous cêtés j d'ailleurs les poëtes et les historiens les ont cités sans aucun voile; pat-la ils devinrent aussi connus du peuple que des savans. De ce qu'après 1'incendie du capitole le sénat Romain envoya chercher de nouveaux vers sybillins dans tous les endroits oü il y avoit des oracles, il faut con-  par ses usages. Liv. III. Ch. III. 331 dure qu'originairement ces oracies avoient été ce qu'étoient alots les Sybilles; d'ailleurs Pausanias nous apprend que les Sybilles s'étoient autrefois assises sut le trépied a Delpbes , a Claros , &c. , et y avoient prophétisé (1). Tacite nous dit que Tibère dans les premières années de son régne fit supprimer un livre des Sybilles; il fit encore faire une exacte recherche chez tous ceux qui avoient de ces livres; on en brüla un grand nombre , et l'on décerna les peines les plus sévères contre ceux qui garderoient de ces livtes que le gouvernement s'obstina toujours a regarder comme sacrés et redoutables. Ce même prince refusa de faire consulter les livres des Sybilles sur une inondation, voulant que le peuple ignorat les secrets de la religion comme ceux du gouvernement (2). Malgré toutes les précautions , les soins de la police devinrent inutiles; 1'avide curiosité en triompha toujours; il sembloit au contraire que la sévérité des loix ne fit que 1'irriter; les oracles des Sybilles parurent sortir du sein de la terre pour se révéler a l'univers ; tout le monde payen les connut ou ctut les connoïtre; et peu après une partie du monde chrétien encore dans le berceau les trouvant dans le plus haut point de leur publicité et de leur renommée , ne dédaigna point de les adopter, de les étudier et de les révérer. Lactance nous dit que les oracles de la Sybille de Cumes n'avoient point été connus, mais avoient été réligieusement gardés sans aucune communication (3). En un mot les vers des Sybilles furent les seuls monu- (1) Pansanias , lib. X , cap. 12. (2) Tacit. annal. lib. VI, parag. 12, et lib. I, parag. 76. (3) Lactant. cle fals.1 religione, lib. I, cap. 6 , et ie natura Dei, rap. 25.  5 31 L'Antiquité dévoilée mens de 1'antiquité payenne qui eurent 1'avantage glorieux d'être également chers a deux réligions ennemieS dont 1'une éroit expirante et dont 1'autre naisscir. Le mal de leur publicité étoit devenu sans remède , les empereurs ne se lassèrent point d'en défendre la lecture, ce fut toujours en vain , et les transgrésseurs leur fournirent les moyens de signaler leur cruauté despotique ; ils firent une guerre sanglante aux livres prophétiques de toutes les nations, et ces livres se mulriplièrént, paree que sous les princes mécharis les peuples cherchent dans la religion et dans 1'avenir des remèdes a leurs maux présens. Les livres de Trismegiste , ceux d'Hystaspes eurent le même sort que ceux des Sybilles : ces derniers furent toujours cités par quelques chrétiens pour convaincre ies payens de la verité de leur doctrine. Le règne de Constantin ayant procuré une pleine liberté au christianisme dans 1'empire Romain , cet événement qui sembloit devoir étre favorable aux Sybilles fut l'époque de leur décadence ; er lorsque 1'exemplaire de leurs oracles qui se gardoit a Rome dans le temple d'Apollon , et qui avoit toujouts été regardé comme authentique , eüt été brulé par Stilicon 1'an 405, après y être demeuré pendant cinq cent dix-neuf ans,. les copies multipliées qui s'étoient répandues cesièrent dèsdors d'ctre autant considérées, comme si ces livres n'eussent été impertans que par les obsracles et par le secret dont on avoit voulu les voiler. Le sang froid prit donc la place de l'enthousiasme qu'on avoit eu pour les Sybilles ; cependant un respect d'habitude a conseryé leurs oracles jusqu'a nos jours pour être 1'objet de notre curiosité et de notre critique. Telle est l'histoire des livres des Sybilles (1). (r) Dans notre iiecle même , 011 a vu des vestiges de 1'ancienne véneiaiiou de mos pèies pour los Sybilles ; ou en voyoit, il y 3 ijoelquee  par ses usages. Liv. III. Ch. III. 333 III. Nous ne mettrons point en problême si les livres sybillins que nous possédons sont ceux des anciens •, ce probleme est tout résolu, ils sont incontestablement 1'ouvrage de cet esprit apocalyptique qui avoit saisi quelques-uns des premiers chrétiens; ils ont dü être composés a diftérenres reprises dans les derniêres années du second siècle de 1'église. On a lieu d'être convaincu que les détails évangéliques qu'on y trouve aujourd'hui n'éioient point dans les oracles des Sybilles payennes; tout ce qui concerne Jésus-Christ dans ces Sybilles modernes est si détaiilé et si exactement décrit, qu'il seroit ridicule de penser que les Déiphobes , les Démophiles, les Daphné , les Amaltée en aient été mieux instruites qu'Isaïe, Jérémie, Daniël et tous les prophêtes Hébreux. Cependant il faut présumer que malgré les interpolations ces oracles des Sybilles que nous avons encore n'ont point été changés pout le fond ou pour 1'esprit général. En effet comment ces nouvelles Sybilles auroient-elles pu faire en ces tems-la 1'impression qu'elles firent, si elles n'eussent point eu une grande analogie avec les anciennes ? Ceux qui ont cherché a tromper les payens pour leur bien n'ont pu se promettte d'y réussir qu'en conrrefaisant parfaitement le génie et le caractère de leurs Sybilles : ils ont réussi sans doute , puisqu'on les accusoit moins années , Ia peinture d.tns Pegh'se paroissiale de St-Severin h Paris. Dans la prose qui se rhante aux messes des morts , on dit encore ces parolles lemarquables : Dies iras , dies illa Solvet sceclum in fa villd, Teste David cum Sybilld. Ce qui a été changé en 1/55, dans le nouveau bréviaire du diocese de Paris j on a substitué ces mots Crucis expandens uexilla.  VAntiquité dévoilée d'en avoir supposé de fausses que d'avoir altéré les anciennes , et d'y avoir inséré des blasphêmes contre les dieux du paganisme. Examinons donc ces nouveaux oracles sybillins, et tachons d'y retrouver 1'esprit qui lït parler les anciens; en ótant a ceux-ci tout ce qui sentira la nouveauté et tout ce qui nous présentera un esprit étranger au paganisme , nous les considérons suivant 1'ordre dans lequel on nous les montre dans les huit livres oü nous les voyons recueillis. Le premier livre est précédé d'une introduction sur 1'unité de Dieu et sur ses grandeurs: cn y fait de vifs reproches aux hommes de leur stupide idolatrie, de leur aveuglement et de leurs crimes; on les invite a la pénitence en leur annoncant la fin du monde (finem cevi) et la venue du dieu monarque (Deum regem) qui condamnera les idolatres au feu de 1'enfer, et qui feta enorer les saints au paradis. La Sybille entte ensuite en matière par l'histoire de la création du monde telle qu'on la voit dans la génèse. Adam, Eve, le setpent, la pomme, rien n'y est oublié; la terre se peuple , les arts s'inventent, les géans irritent le ciel par leurs crimes; Dieu, ou, pour mieux dire, la Sybille s'irrite j elle prédit le déluge; elle pleure néanmoins sur le genre humain qui va périr; elle ne se console que paree qu'elle sera la nourrice d'un autre genre humain et d'un peuple sacré. Enfin le déluge arrivé; elle se sauve avec Noë son beau père dans 1'arche; les eaux1 couvrent la terre , le soleil s'éteint, le tonnère gronde, les nations périssent. La colombe et le corbeau annoncent la retraite des eaux; la Sybille sort avec Noë et ses enfans; Dieu leur parle et leur ordonne de vivre en paix et en justice jusqu'au jugement qu'il annonce; les hommes lui obéissent pendant  par ses usages. Liv. III. Ch. III. 3 3 y quelque tems: cest-la le règne antique de 1'age d'or, c'est celui de la race des justes sauvés du déluge. Htnc nova progenies , Jiinc cetas aurea prima. Après ces singulières prophéties ou plutót ce tableau du passé , la Sybie prédit différens règnes de prinoes bons et mauvais ; ces derniers seront détruits par Sabaoth qui cependant 'n'exterminera pas tout le genre humain. Pieu viendra ensuite; c'est Jésus, c'est le Chrisr, dont elle décrit les souffrances et les misères ainsi que toutes les grandeurs et les miracles. Ce livre qui commence par la génèse finit par 1'évangile et parle toujours en Style prophétiqu . II apprend que S. Jean prêchera dans le désert; qu'Hérode persécurera 1'enfant qu'on mènera en Egypte , qui, parvenu a 1'age viril^ guérira les aveugles et les boiteux, les sourds et les muets, il délivrera les possédés, il ressuscitera les morts, multipliera les pains , il changera 1'eau en vin; sa passion et ses souffrances ne sont pas moins bien détaillées, on n'y oublie pas même le nel, le vinaigre et 1'éponge. Les ténèbres couvriront le monde, mais au bout de trois jouts Jésus réssuscite; peu après il monte au ciel. Les Juifs sont accablés de maux, et Jérusalem eSt déttuite. C'est par oü finit ce premier livre Sybillin qui, comme onvoir, n'est qu'un extrait fidéle de 1'ccriture. Le livre suivant n'a rapport qu'au dender age du monde, il en donne les signes et la description. Ces signes seronr des ttemblemens de terre, des tonnères, des guerres, des pestes, des famines, des crimes affreux, et le désordre le plus complet dans le monde moral comme dans le monde physique. C'est alors que Dieu, que la Sybille appelie Concussor terra, frappera Rome aux sept collines, et la tetre sera réduite en une telle  3 3 6 L'Antiquité dévoilée solkude qu'un homme sera étonné de rencontrer une autre homme. Si quis ut in terris hominis vestigia cernat Miretur. . . . Dieu rassemblera ensuire les hommes épars pour les faire vivre dans la justice et dans la paix sur la terre dont la stérilité sera égale a la féiicitè de ses habitans. la Sybille retourne ensuite sur ses pas ; elle voit encore des signes terribles dans le ciel et sur la terre : elle voit les vierges combattre et répandre leur sang pour la cité céleste. La peste et mille fiéaux ravagent cependant le monde; elle ne voit par-tout que désolation, elle n'entend que des gémissemens. Tous ces maux arriveront pour que la femme ne perpétue plus son espèce (ne pariet fcsmina prolem) paree que le grand jour de la ruine du genre humain approche. Humani generis strages et maxima messis In stat. Alors les faux prophêtes paroissent, ils font Ia guerre aux saints, les dix tribus arrivent, elles précédent le grand juge qui va descendre; il viendra au moment oü l'on y pensera le moins, et le Thesbite sera avec lui. Malheur alors aux femmes enceintes! des ténèbres universelles couvriront le monde; des fleuve de feu tomberonr du ciel sur la rene; les montagnes et les rivières, la terre et la mer ne feront qu'un seul bucher; les astres brüleront eux-mêmes, et le ciel ébranlé.... Mais arrêtons-nous; on ne peut rendre 1'affreux tableau que la Sybille présente ici, il est aussi terrible qu'inconcevable; et 1'esprit s'égare a la vue du triste enthousiasme et de la frénésie extravagante dont la Sybille ou ceux qui la font parler ont dü être possédés. Enfin  par ses usages. Liv. III. Ch. III. 3 37 Enfin c'est a la suire de tcu; ces maux que les anges font le jugement, et que Sahaoth-Adonaï ressuscite tous les hommes. Alors notre Sybille voit Abraham , Isaac, Jacob, Moyse, Josué, Elie, Jonas et Daniël marcher a la tête des justes. Elle décrit les vernis qui doivent faire parvenir a la féiicitè , et fait une peinture très-longue, quoique assez raisonnable, de tous les crimes qui conduisent aux Hammes éternelles. Rien ne eera comparablo au bonheur des bons •, il n'y aura plus sur la terre ni froidure, ni hiver; le vin, le lait, le miel y couleront éterneilement; la terre produira tout sans culture; les hommes exerceront toute sorte de vertus sanS être capables d'aucuns vices, les biens seront en commun, on vivra dans une égalité parrake; il plus de gouvernement, d'autoritès ni de rois; Dieu seul sera le grand monarque de ce royaume (rnagnys rex maximï regiü)-. Dans une secon le partie la même Sybille reprtnd le langage du premier livre; elle reproche aux hommes leur idolatrie, elle se répand en invectives ccntre les divinités payennes: elle prédit la ruine de R.ome et avertir cle i'approche du grand juge , (judicis aterni) et elle s'écrie:" Pourquoi, » ó hommes, pourquoi vous amusez-vous a batïr des » villes ? le jour fatal arrivé, bientöt vous sentirez l'o» deur fatale du soultre». Le troisième livre beaucoup plus diffus que le second, ne lui cède en rien pour la frénésie ; la génèse y est encore rappellée avec toute l'histoire des HcbreuXi La Sybille se dit aussi la bru de Noè', elle passé en revue tous les tems mythologiques qui onr suivi Ie déluge; elle voir les guerres des Titans, Saturne, 1'age d'or et le patrage du monde entre Jupiter, Neptune et Pluton. Elle voit ensuite (toujours d'un aeil prophttique) la guerre de Trok et les ditfércnves monarchies' Tome I, Y  Ij8 L''Antiquité dévoilée du monde, elle voit 1'éthiopie , 1'Egypte, 1'Assyrie, Ia Perse, la Médie, la Grèce; Rome sur tout fixe ses regards et excite sa colère, elle voit ses destinées, ses accroissemens, ses victoires, son invincible empire qui engloutira tous les autres, mais elle voit aussi sa fin qu'elle prédit en termes énergiques. Elle parcourt ensuite le monde en furieuse ; elle interpelle tous les peuples et toutes les villes par leurs noms et leur annonce a chacun quelque fléau: Samos ne sera qu'un monceati de sable , Délos sera submergée; Smyrne sera renversée; Rhodes sera ébranlée; les Phéniciens n'auront plus d'empire; la Grèce sera consumée par le feu; les Thraces périront, &c; enfin sa rage n oublie aucun des coins du monde, elle dévore rour dans sa fureur: elle emploie pour cela tous les agens physiques qu'elle décrit dans le plus grand détail: tremblemens de terre, comètes, éclipses, métécres, monstres, prodiges de tous les genres, pestes, guerres, famines, stérilité, sécheresse, tout fut prodigué: et le dénouement de toutes ces tragédies est un nouvel age d'or, une nouvelle race d'hommes, un peuple de saints, un roi qui descend du ciel pour apporter une paix éternelle sur la terre et pour faire paitre les loups avec les agneaux. Le quatrième livre, après avoir fait les plus vifs reproches aux impies , et donné des éloges aux justes, auxquels la terre restera en parrage, suit le plan du précédent. La sybille passé en revue les empires futurs r elle s'arrête sur tous les peuples du monde; elle finit par les inviter a la pénitence en leur annoncant fineendie général, la résurrection, et le jugement dernier.. Dansle cinquième livre, la Sybille se dit sceur d'Isis , et prévient qu'elle va annoncer des jours lugubres : elle prédit aux Grecs Alexandre, aux Romains Enée, Romulus et Rémus, César, Octave j Antoine et Cléo-  par ses usages. Liv. III. Ch. III. 33 c» patre, en les désignant chacun d'une facon mystérieuse, ainsi que Tibère , Néron, Galba, Vitellius, VespaSien, Titus, Domitien, Nerva, Trajan, Adrien , Antonin et Marc-Aurele, au-dela -duquel elle ne va point. Elle désole 1'Egypte, renversé encore Rome et Bab/lone; elle vole dans la Thébaïde, dans les Gaules et chez les Bretons pour leur annoncer des jours lamentables deda elle revient en Ethiopië, d'oü elle passé aux Indes pour avertir de lembrasement fïnal du monde, pour donner 1'oroscope de l'univers et le thême astrolo«ique de sa durée. La Judée seule sera épargnée, Canaan sera le siège du nouvel age d'or. Mais l'Italie sera brülée, il n'y aura plus de soleil pour elle; Babylone et 1'Asie formeront une mer, et la Méditerranée deviendra un continent aride. Enfin , apiès avoir volé de 1'orient et de 1'occident, et du septentrion au midi, la Sybille s'élève dans le firmament, elle disperse le soleil, la lune er 'les etoiles, et plenge le zodiaque avec toutes les constellations dans un nouveau chaos. Le sixième livre est beaucoup plus court que les autres, il na rapport qu'a Jésus-Christ, et n'est qu'un évangile en vers, mêlé de quelques prophéties contre les Juifs. Le septième livre est sur le ton du ttoisième et du cinquième La Sybille débute par annoncer un autre déluge; elle menace particulièrement la Phrygie, 1'Ethiopie et 1'Egypte; elle prédit encore la ruine de Troie, lasubmersion de laSardaigne, et ladésolationdes Gaules réduites en désert; Rome est cependant 1'objet principe 1 de sa fureur, et 1'incendie général est son terme fiual. Ces calamités horribles font place a 1'age d'or, qui ressemblera a 1'ancien ( ut fuit tempore prisco) et l'on verra alors des cceurs innocens et purs qui jouiront de la suprème féiicitè sur une terre qui produira tout d'elie- Y "%  L' Antiquité devoilée même. Enfin 3 l'on trouve une description aussi sédui.saiite du nouvel age, que celle de la destruction du monde avoit été effrayante et insensée. Le huitième livre est trés-conforme aux autres. La seconde partie a cela de singulier, qu'après avoir parlé de Jésus-Christ, de la Vierge, de la fin du monde et de la vie future sous i'image de 1'age d'or, elleprêche une morale sublime et vraiment évangélique en un style peu commun aux autres Sybilles. IV. Nous ne nous arrêterons point at faire de longues rérlexions sur'ces tristes recueils : on ne peut les lire sans frémir, et l'on devine bientöt quelles ont été les raison s pour lesquelles les empereurs Romains ont fait tant d'efforts, et quelquefois ont répandu tant de sang pour les arracher a ceux qui les publioienr, et pour les dérober a la connoissance des peuples de leur empire j que de paréilles lectures pouvoient tendre fanatiques. Indépendamment des dieux et de leur culte public que ces livres détruisoienr, ils portoient le trouble dans la société, er la remplissoient d'un esprit funèbre qui tèndöit a la dissoudre. Comment en effet des sociétés pouvoient-elles subsister avec des idéés aussi sombres et des expectatives aussi terribles ? Toute doctrine apocalyptique est, par sa nature et par ses effets, le fiéau du genre humain. II i faut avouer que le christiatnsnie a condamné ces égaremens de quelquesuns de ses membres; mais l'on ne peut se dissimuler que ces illusions ont été très-fatales au christianisme lui-mème : la frénésïe de quelques chrétiens devenoit un crime pour tous, et ils furent censés coupables envers le paganisme dont leurs livres détruisoienr les , dieux iniafgihai'resj ils 1'étoient encore envers la société. Les Romains irrités faisoient retomber sur leurs têres tous les maux que ces chrtftiens Sybillistes annoncoient  par ses usages. Liv. LU. Ch. III. 341 a leur patrie. On voit par Tacite que vers 1'an 64 on les trairoit moins comme des criminels que comme des ennemis du monde (1). Les idéés lugubres des prétendues Sybilles trouvoient dans les payens même des esprits disposés a les tecevoir : en effer , 1'attente de la desrruction étoit un sentiment presque universel chez eux, les philosophes, eux-mêmes n'en étoient point exempts. L'an 13 9 avant Jésus-Chrisr, le préteur chassa de Rome et de 1'Italie tous les astrologues, et ne leur donna que dix jours pour sortir, paree qu'ils abusoient des esprits foibles par les pronostics qu'ils tiroienr des astres (2). Lucien console César qui n'avoit pu faire les funérailles de ses braves soldats tués a Pharsale, par la raison que le feu qui doit embraser le monde les réduira en cendres, et qu'ils auront l'univers pour bucher et pour cercueil (5). Ovide console 1'impératrice Livie de la mort de Drusus, en lui disant que rout est périssable, et que voila qu'on annonce déja que le ciel, la terre et la mer vont périr. Séneque paroit avoir fait de ces événemens sinistres 1'objet chéri de ses. méditations; on trouve un ton lugubre dans la plupart de ses ouvrages; on y voit une tête échauffée qui ne se repait que d'horreurs, et qui s'en occupe avec une joie et une fermeté vraiment stoïque : ce qu'il y a de plus extragant dans ses peintures, c'est qu'il dit que ces choses ne tarderont point a arriver (4). Plutarque nous mentre que de son tems, par une folie épidémique, on aimoit h s'entretenir de la fin du monde, et chacun cherchoit (1) Lociao. in Phi'opntri ct Taciti aorial. lil). XV, parag. 44. (2) Valer. Maxim. lil). I, cap. 5, parag. =• (5) T.iioani Ph'arsat: lib. 7. (4) Srnor. ajusestion. natur. lib. 3 Je EcneScii!, lib. 4, de Consot. «1 JVfarciaSn. epi.st. gi. Y 5  ■f^z L'Antiquité de'voile'e l'époque de 1'embrasement de l'univers dans les oeuvres d'Ürphée, d'Hésiode et d'Héraclite (i). En effet , Lucien , dans ses philosophes a l'encan, représenté Héraciite épouvanté a la vue du prochain incendie de l'univers; et son philopatris est un tableau complet de la frénésie de son tems. La philosophie n'étoit devenue d'elle-même qu'une curiosité superstitieuse pour tout ce qu'il y avoit de frappant et d'extraordinaire dans la nature. Tout étoit magie, astrologie» prédiction; il n'est donc point surprenanr si les philosophes furent si souvent chassés de Rome par les empereurs qui les confondoient alors avec les Chaldéens, les sorciers, les astrologues, et qui les enveloppoient dans la même disgrace. Jamais on n'avoit été plus soigneux de remarquer les phénomènes de la nature; les comètes, les éclipses, les météores, les, tremblemens de terre , Jes inondations réveilloient toutes sortes d'idées sinistres dans des esprits ptéoccupés de la fin des choses. Les payens avoient 1'injustice d'accuser les chrétiens de tous les maux qui leur arrivoient. Si le Tibre se débordoit, si le Nil ne fécondoit pas 1'Egypte, si le ciel refusoit de la pluie, si la terre trembloit, s'il y avoit une peste , on crioit aussi-töt: jettez les chrétiens aux lions; on les regardoit comme les plus odieux des hommes, comme les ennemis des mceurs, des empereurs, des loix, des dieux et de toute la nature (2). En effet, on ne peut nier qu'un grand nombre de chrétiens ne fissent leurs dclices de leurs funèbres espérances (3) : dela ce gout (>) P'utar. de Oracul. qn.ie cess. parag- 9. (2) Tertull. Apolog. Arnob. adversus Gestes, lib. I. Lactant. Ju mort. persecutor. parag. 1. Idem, lib. V, cap. p. Institut. Taciti Annal. lib. XV, cap. 44. (3) Histoire erclés. de Fleury, tome I, livre 4, parag. 2, tomellj liv. 7, parag, r5.  pirses isages. Liv. III. Ch. IJL. 343 pour le célibat et ces opinions sur le mariage, sur la résurrection, sur la fin du monde ; dela ces hérésies, et sur-tout celle des Millenaires qui souillèrent la pureté de 1'église, et qu'il n'y a que le tems et 1'expérience qui aient pu faire disparoitre. Mais laissons-la ces lugubres erreurs du paganisme et du christianisme, et les tristes événemens qui en ont été les suites, pour revenir a nos Sybilles anciennes dont nous cherchons 1'esprit : il fut caché au peuple pendant bien des siècles , comrne 1'a été celui des nouvelles; il fut 1'objet de la vigilance perpétuelle des gouvernemens, long-tems avant qu'il y eut des évangiles et des chrétiens Sybillistes. Par quel endroit les oracles des Sybilles payennes pouvoient-ils être dangereux ï peut-on les soupconner d'avoir eu ce ton funèbre et apocalyptique que nous venons de voir dans les modernes ? leurs poésies pouvoient-elles représenter les mêmes images, et avoir rapport a des objets aussi sinistres ? Nous scavons déja par le témoignage de tous les anciens, que les livres des Sybilles étoient des prophéties que ces femmes avoient composées dans t'enthousiasme et durant les accès d'une fureur divine (1). Ces livres ont donc eu cela de commun avec les oracles des Sybilles modernes. Leur objet étoit la science de favenir, mais de quel avenir s'agissoit-il > étoit-ce de celui qui a rapport aux événemens purement humains, tel que le soit des villes, la fortune des particuliers, le destin des empires, ou est-ce de 1'avenir qui intétessoit le monde physique et le genre humain en général > Etoit il question de la fin et de la desttuction totale de tous les êtres. Pour (1) Viig. sewii. üb. 5 et 0. Varro de re ruttica , lib. I, cap. 1. Diodor. lib,. 4 , parag- a3. Cicero d« DtxUMtioa* , 2- Y 4  344 I'Antiquité dévoilée peu que nous examinions les auteurs anciens, nous verrons que la science des Sybilles payennes devoit avoir ces deux objets en vue. C'est une Sybille qui dans Virgile conduit Enée aux enfers, qui lui montre le Tartare, et qui le fait entrer dans les Champs Élisées; elle lui dit qu'elle est la gardienne de la porre des morts, et qu'elle a appris des dieux quels sont les chatimens réservés aux méchans; elle lui fait en effet un long et horrible détail de tous les supplices que souffrent les impies; elle lui rappelle les guerres er les forfaits des Titans que les dieux ont piongés dans l'abime; elle lui fait 1'énumération de tous les crimes qui conduisent a cet affreux séjour. « Quand j'aurois " cent bovohes, lui dit-elle, cent langues et une voix " de fer, je ne pourrois parcourir tous les crimes et " tous les supplices (;) ". La. Sybille conduit ensuite son héros dans les plaines de 1'Elisée, séjour des bienhemeux; elle lui montre les délices réservées a peu de personnes; par la bouche d'Anchise elle lui révèle les mystères les plus sublimes de la nature, 1 «wigine des ames et des inteliigences, leur sort, leur rêvolution, leur retour a la vie au bour de mille ans; elle hu dcccuvre ensuite les destins de Rome, ses guerres, ses combats, ses défaitcs et ses victoires, 1'éternité de son empire. Enée voit aussi le destin de tous les grands hemmes que Pvome verra naitre de son sein. C'est la que le poè'te., avec cette dextérité CO t^irg. cencid. lilt. V. / Sed ma cim lucis H?cace prcefecit a-vernis , Tpsa Deilm doe uit vomr.s. . . . JG5. Jfun , mini si kagu.r centum sint, oraque eencum , qerreq vn.x , omnes sceleritm comprenderc formas K Qmnia pasnapum percurrere nomina possim.  par ses usages. Liv. III. Ch. III. 54? qu'on a tant admirée, fait prédire Auguste et son glorieux empire; c'est lui qui, selon le poë'te, fait renaitre le siècle d'or; c'est lui dont 1'empire sera éternel et sans bornes; c'est ce héros que les dieux ont si souvenr premis aux Romains; déja les natious eftrayées par les oracles qui 1'annoncent, attendent,en frémissant, la venue de leur vainqueur (1). Si Virgile, dans ces prophéties anridatées de douze cent ans, n'a point tout-a fait suivi son imagination, et s'est au moins conformé au style vulgaire des Sybilles romaines , c'est-a-dire, environ vingt-deux ans avant 1'ère chrétienne, il faut avouer que leur doctrine avoit en bien des choses le même esprit qu'ont eu les Sybilles postérieures. Mais seroit-il possible de ne voir ici qu'un pur effet de 1'imagination du poë'te, puisque, dans tous les tems de la république qui 1'avoient précédé, les livres Sybillins étoient déja censés contenir les destins de Rome , puisqu'on ne les cachoit que pour cette raison, et puisqu'on ne les consultoit que dans la vue de s'instruire sur cet objet (2) ? Virgile ne suivoit donc en cela que 1'esprit d'une tradition ancienne et connue. VI. Examinons en effet les circonstances dans lesquelles on avoit recours aux livres des Sybilles; voyons quel usage les Romains en ont fait dans tous les tems depuis leur fondation jusqu'au siècle de Virgile; ce moyen sera peut-être plus sur pour connoïtre le caractère de ces livres mystérieux que tout ce que les auteurs en ont ecrit. On les consultoit lorsque 1'état avoit ■ (1) ttid. vi. 798. (.•) Til, Liv. d.-cad. 1, /;'.. 10, decad. III, Vb. a. On appelloit las 'ivres des Sybilles, libri fatnles , les livres des dwtiaées, feta yo* puli Jlomani, les dcsiius du reu^'ê JLoQMtW  346 VAntiquitédivollée recu quelque grand échec a la guerre; lorsqu'on craignoït quelque invasion étrangère; lorsque la ville étoit agitée de séditions ou décliirée par des guerres civiles; enfin lorsqu'on vouloit entreprendre quelque expédition importante. De plus, on les consultoit pout les tremblemens de tette, pour les météores, pour les pestes et les famines, pour les stérilités, les inondations, et pour toutes les calamités publiques; on les consultoit enfin a 1'occasion des ptodiges, des monstres et de tous les présages extraordinaires. Tous les historiens sont si remplis de ces faits , qu'il est presque inutile de les citer (i). On demandera peut-être si les Sybilles anciennes parloient réellement de tous ces genres d'évènemens civils, politiques et physiques dont les Sybilles modernes sont tellement occupées, ou si ce n'étoit que 1'inquietude et la crainte qui faisoient recourir a ces livres qui n'avoient d'autre mérite que d'être secrets et mystérieux ; Cette question me paroit ici déplacée; rien ne paroit plus simple et plus naturel que de penser que les Sybilles traitoient de ces divers événemens , puisqu'on ne les consultoit que dans les circonstances critiques. D'ailleurs, c'étoit le sentiment universel des anciens que les livres des Sybilles annoncoient des guerres, des. combats et des révolutions. Les guerres des Grecs et des Asiatiques, le siège et la ruine de Troye passoient pour avoir été prédits (i). On avoit un oracle Sybillin qui avoit prédit la grandeur des (1) Plntar. in vita FoLii Maxlmi. Dionys. HalicjPn. lib. IV. cap. 14, parag. 5. Vair. Maxim. lib. I, eap. i, lib. 8, cap. i5.Tir.Lntlecad. I , lib. 3 , p, et 10. Taciti Anaial. lib. I , parag 7», lib. XV, paJag. 44' Macrob. Saturn. lib. I, cap. 7. «tc. (2) rattfaüias ia Tho'il. cap. 12*  par ses usages. Liv. III. Ch. III. 347 Macédoniens et leur future décadence (1). Les Athéniens se consolèrent sur le destin inévitable de la perte d'un combat navale a Agospotamos, paree qu'ils crurent la voir prédire par une Sybille (2). La bataille de Chéronée passoit de même pour avoir été prédite. Les Argiens et les Lacédémoniens faisoient aussi valoir de semblables prédictions des Sybilles dans de semblables occasions de victoires ou de défaites. Une Sybille avoit prédit aux LesbienS qu'ils perdroient 1'empire de la mer (3). Enfin les Sybilles passoient encore pour avoir prédit les révolutions physiques comme les révolutions politiques, puisqu'a 1'occasion d'un tremblement de terre qui fit de grands ravages dans la Carie, dans la Lycie et sur tout dans 1'isle de Rhodes sous Antonin, les payens ne manquerent pas de publier que la prédiction de la Sybille s'étoit accomplie (4). II est vtai que les auteurs qui nous rapportent ces témoignages, qui tous, a 1'exception du dernier , sont relatifs a des siècles antérieures a 1'cre chrétienne, ont vécu dans notre second siècle, et qu'ils ont pu parler d'après 1'esprit des Sybilles modernes, qui dès-lors faisoient du bruit dans le monde. Mais puisque Rome réduite en monarchie ne faisoit des efforrs pour supprimer les prédictions des Sybilles, que paree qu'elles annoncoient toutes sottes de révolutions physiques et politiques propres a allarmer les nations; pourquoi Rome, dans 1'état Républicain, avoit-elle eu la même politique, si les. Sybilles anciennes n'eussent point parlé sur le même (\) LIem in Achaïc. cap. 8. (2) Mem lib. X , cap. 9. (ï) Plutar. in vita Demosth. (n) Pau.aiiias , in vita Demoith. li.au; in Gorinth. cap. 7. Strabo, lik L  54$ L'Antiquité dévoilée Jon, et puisque c'étoit précisément dans les tems de crise que le gouvernement les consultoit ? II est donc comme démontré que les livres des anciennes Sybilles ne pouvoient être que des livres apocalyptiques du même genre que les modernes, et dangereux comme eux par les mêmes endroits. C'est donc ici le lieu de disculper ceux des chrétiens qui se sont trop livrés a ce goüt aussi funeste que mélancolique : ce ne sont joint eux qui lont apporré dans ce monde, quoique quelques-uns d'entr'eux aient forgé des oracles Sybillins , ce goüt subsistoit bien des siècles avant eux. Une sage police 1'a voit heureusement réprimé pendant des siècles; elle avoit obligé la religion au secrer, et sans 1'incendie du capitole arrivé quatre-vingt-trois ans svant 1'ère chréticnne, ni les payens, ni les chrétiens mi siècle après eux, n'eussent point été frappés et iroublés par ces prédictions que le tems seul a convaincu de mensonge. Les ouvrages des Sybilles anciennes étoient donc des livres apocalyptiques et funèbres qui prédisoient aux anciennes nations les révolutions futures du monde politique ainsi que du monde physique, leur doctrine embrassoit tous les tems, tous les périodes et les ages qui se sont succédés; enfin la vie future et la destruction du monde en étoient Je terme. C'est ainsi que l'on doit. en juger par i'emploi de la Sybille qui conduisoit Enée , et par les instructions qu'elle lui donna; c'est sans doute paree que les livres Sybillins avoient rapport a la fin et au renouvellement des tems, que les officiers qui en étoient les gardiens, présidoient seuls aux fêtes de la fin et du renouvellemenr des siècles, c'est-a-dire, aux jeux sécuiaires : c'étoit une fonction naturellement dévolue a un ministère toata-fait apocalyptique.  par ses usages. Liv. III. Ch. III. $4^ VIL L'églogue de Virgile adressée a Pollion, esr. encore un monument précieux de la doctrine des anciennes Sybilles; elle est d'environ rrenre-huit ans antérieure a notre ère; elle annonce la fin d'un période et le renouvellement des choses. «Enfin, dit le poë'te „ » le dernier age prédit par la Sybille arrivé, un nou» veau cercle de siècles va recommencer; Astree " revient sur la terre; le règne de Saturne va rena'më; »» la ténej les mers, le ciel, tout témoigne sa joie »» dans 1'attente du siècle d'or qui va paroitre. Le » monde ne sera plus le théatre des crimes; il n'y » aura plus de guerres; la justice et la paix rondrent « les hommes éternellement heureux ». On ne peut point encore accuser Virgile de ne suivre ici que son imagination; dès le tems des guerres de Marius et de Sy 11a, c'est-a-dire, plus de douze ans avant ia naissance de Virgile, un bruirse répandit déja dans iTtalie qui annoncoit une nouvelle race d'hommes, un renouvellement du monde, et la fin prochaine du période de la grande année (1). Les Toscans qui expliquèrent cet oracle , dirent quil devoit y" avoir hüit races d'hommes & chacune desquelles Dieu avoit marqué le tems de sa durée; et que la fin de chaque age étoit annoncé par différens prodiges sur la terre et dans le ciel, que chaque race commenceir par être d'abord très-religieuse et chérie des dieux, et qu'cnsuite elle ne faisoit que dégénérer jusqu'a la fin. Le détail de Virgile ne diffère dans ce systême qu'en ce qu'il fait" entendre par cette nouvelle'race qu'il fait prédire a sa Sybille, moins une race d'hommes, ou un nouveau genre humain, qu'un prince qui devoir faire le bonheur du monde. D'ailleurs , le systême des Etrusques sar (1) Piutar. in Syil.l.  jy© L'Antiquité dévoilé: ces différens ages et sur la fortune parriculière dé chacun d'eux, étoit trés-ancien. Platon reconnoit aussi que chacun de cet age commence par un siècle d'or durant lequel toutes les vertus sont cultivées, la nature est dans toute sa vigueur et sa beauté, et il dit qu'il va toujours en déclinant, et finit par un siècle de fer pendant lequel la nature, affoiblie et corrompue, conduit tous les êttes a une fin générale par des maux physiques et moraux qui couvrenr la face de la terre de calamités et de crimes. Nos Sybilles modernes ont patlé sur le même ton; c'est d'après le déluge, c'esta-dire , après 1'ancien renouvellement du monde qu'elles placent 1'age d'or, et c'est après le futur changement du monde qu'elles en placent encore un autre, en donnant pour signe de 1'approche de la fin des tems et de ce nouvel age, les crimes des hommes et les désordres de la nature. Ce systême n'est guère qu'une fausse application du couts de la vie humaine au cours imaginaire des périodes que les hommes ont inventés pour mesurer les tems; il n'a servi qu'a allarmer le genre humain; lorsque son esprit s'est troublé et prévenu a la vue de certains phénomènes et de certaines calamités, il a cru alors être a la fin d'un de ces périodes, c'est-a-dire, a la fin du monde. Ceci servira a nous expliquer la raison pour laquelle on consultoit les livres des Sybilles a Rome, lors des phénomènes frappans; c'est qu'il falloit recourir aux livres prophétiques de la fin des tems , lorsqu'on voyoit les signes qu'on croyoit en être les avant-coureurs. ^ VIII. Mais quel est donc ce prince ou ce monarque que Virgile annonce, et dont la promesse est toujours inséparablement unie a ce cyclisme apocalyprique ? [Virgile et tous les poè'tes de son tems en font une  par ses usages. Liv. lil. Ch. III. ^ r T application continuelle a Auguste; mais ce qui doit être regardé comme un effet de la flatterie, ne doit pas nous empêcher de reconnoitre encore dans cette promesse un dogme Sybillin plus ancien qu'Auguste et que les poëtes qui lui en ont fair 1'application. C'est encore un fait trés-constant que les anciennes Sybilles annoncoient un nouveau roi et un nouvel empire , en même-tems qu'elles annoncoient un nouveau monde; eest un de leurs oracles qui se trouve clairement consigné dans plusieurs ouvrages de Cicéron qui, comme on sak, furent tous composés entre 1'an 60 et 45 avant 1'ère chrétienne (1). On voit dans TiteLive, Salluste, Suétone et Plutatque, que tous ceux qui jouètent alots un gtand röle dans la république et qui aspirèrent a 1'empire, se prévalurent de cet cracle, et que leur parti le leur appliquoit. Caulina, Lentulus, César , Auguste enfin et bien d'autres après lui s'en prévalurent (2). Les Romains, ces fiers répubhcains, d'abord étonnés de ce que cet oracle leur annoncoit un roi dont le nom étoit odieux, dégradés, avilis et fatigués de leurs divisions, ne furent ensuite que plus disposés a se soumettre a leurs vainqueurs cc a leurs tyrans, a qui ils prodiguèrenr bassement des hommages, des titres et même des cultes divins; la folie régnanre dans ce siècle fondée sur 1'attente oü l'on étoit de 1'accomplissement des oracles Sybillins 3 fit alors renaitre les apothéoses anciennes que depuis long-tems l'on ne connoissoit plus sur la terre: dela toutes ces généalogies divines, ces éloges pompeuxee ridicules, en un mot ces flatreties idolatres, par les- (1) Cicero de Divinatione, lib. 2, Epistola ad Atticsm. (2I Tit. Liv. lib. 4, cap. 1. Sallust. Car.il. paiag^ 47- Piutar. in vit;} Ciceronis, Cxsaris et Augusti,  2 ƒi L'Antiquité dévoilée quelles Rome subjuguée s'efforca de cacher sa honte ei de justifier sa bassesse; dela ce vil enthousiasme des poëtes et cette éloquence servile das orateurs qui contribuèrent a encenser et a corrompre les tyrans, et qui achevètent d'énerver 1'esprit de leurs concitoyens. Les historiens modernes n'ont jamais fait assez d'attention aux maux que ce dogme Sybillin accumula sut Rome; ils n'ont point senti combien il eut de part a la rêvolution qui se fit dans les idéés des sujets de cette fiére république , qui, nourris autrefois dans la haine de la royauté, se prosternèrent a la fin aux pieds des monstres les plus inhumains. Mais ce d'est point ici le lieu de suivre les effets de ce dogme; c'est son caractère qu'il faut démèler. II ne faut pour cela que nous distraire 1'esprit de toutes les applications que les Romains, toujours indécis et incertains, ont cherche a en faire pendant plusieurs siècles ; il ne faut juger de ce dogme que par le caractère enthousiaste et apo-1 calyptique déja empreint sut toutes les autres parties de la doctrine des Sybilles anciennes. Si la fin des périodes, annoncée par les signes du ciel, par les tremblemens de la terre , par les révolutions et par les crimes des hommes, indiquoit un renouvellement dans l'univers, une nouvelle race, un nouvel age d'or, enfin, comme dit Virgile, un nouvel ordre des choses, que pouvoit être ce monarque inséparablement annoncé par toutes ces prédicrions, sinon le dieu du période futur, Saturne, ou le dieu de la fin des tems dont on avoit tant de fois prédit le régne heureux , et qui après avoir détruit le monde et puni les méchans devoit être le roi, le père et le rémunérareur des justes i C'esr-la sans doute le monarque (Deus rex , magnus rex maximi regni, et judex aternus ) dont il est parlé dans le premist et dans le second livre des Sybilles modernes. Le  par ses usages. Liv. III. Ch. III. Le roi des Sybilles payennes nest que le dieu de la vie future, le même qui, suivant la doctrine cachée des mystères , devoit un jout déttóner le dieu régnant pour rérablir lage d'or sur les ruines de son empire. Enfin ce roi n'est que 1'Etre suprème envisagé dans ses opérations de la fin des tems, mais obscurci er méconnoissable par une théologie allégorique, représenté par les diverses nations payennes sous des emblêmes variés, et personnifié sous le nom d'un roi , d'un héros, d'un conquérant que chaque peuple se natrok de voir un jour a sa rête pour changer la face du monde en sa faveur. En corrompant ainsi le dogme de la descente du grand juge des hommes , on corrompit aussi nécessairement le dogme de la destruction du monde et de la vie future; les payens ne virent plus dans ces dogmes que les destructions politiques des villes, des sociétés et des empires, et 1'établissement de quelque grande domination qui absotberok toutes les autres. Cest pat leur nature que les erreurs qui résulrèrent de chacun d'eux furent aussi inséparables, et troublèrent le monde de concert et en mème tems. D'un autre cóté le vérkable esprit de ces Sybilles ayant transpiré aussi bien que le secret de ces mystères, on vit tout a la fois des gens qui, prenant ces dogmes dans leur sens vérkable et moral, augmentèrent encore le trouble de cet age en prédisant de bonne foi la fin du monde, la descente prochaine du grand juge, et le règne de la vie future. De-la le cahos énigmatique que présenrent les opinions diverses dont le monde fut agité dans les deux siècles qui suivirenr 1'incendie du capitole. IX. Les Romains n'ont point été les seuls qui aient été les victimes de ces fatales prédictions. EnviTome I. 2  j e^ L'Antiquité dévoilée ron 400 ans avant Auguste, Lysander, pour faite changer le gouvernement de Sparte et se faire adjuger la couronne, s'autorisa d'un oracle de Delphes tenu fort secret, qui annoncoit la naissance d'un fils d'Apollon; mais Sparte , plus heureuse que ne fut Rome par la suite, vit échouer les desseins de 1'ambitieux Lysander (1). II n'est point de nation a qui ces dogmes aient été plus funestes qu aux Juifs, qui confondirent foliement le dogme particulier de notre divin messie avec cette peinture vague et indeterminée du grand juge futur. Ils coururent, comme les Romains, la carrière de cette glorieuse et dangereuse chimère; mais devenus par ces idéés les émules et les rivaux du fanatisme et de 1'ambition de cette nation puissante, ils en furent a la fin écrasés et anéanus (2). C'est cette fatale erreur dans les Juifs qui nous expliquera 1'étrange aveuglemc-nt qui leur fit méconnoitre Jésus-Christ, et les contradictions bizarres qu'on remarque dans les opinions qui eurent cours parmi eux dans cet age-, ils ne vouloient voir qu'un roi, qu'un vainqueur, qu un conquérant qui devoit leur assujettir l'univers; et néanmoins ils s'attendoient a voit paroitre Elie , qui ne doit être que le précurseur de la fin des siècles •, en demandant a voir des signes dans le soleil et la lune , ils ne désiroient que les phénomènes apocalyptiques. Cette erreur ne s'éteignit point avec les Juifs , elie passa dans 1'esprit d'une partie de ceux qui eurent (1) Plutar, in -vitd Lysand. Les habitans de Veütre, petite ïiTe voisine de Jlome , s'imaginéi ent , au rapport de Stiétone, que le roi prédit du monde étoit né paimi eux, en couscquence ils se ïévoltèrent et furertt extertninés. (2) Josph. de bello Jadaic. lib. 7, ts. 12.  par ses usages. Liv. III. Ch. III, $ f y d'ailleurs le bonheur de connoïtre er de suivre le messie; c'est la ce qui donna naissance aux chrétiens sybilistes et millénaires; les uns confondirent JésusChrist avec le grand juge idéal des nations payennes, et se préparèrent en conséquence a la fin prochaine du monde : d'autres le confondant avec le roi que ce nou veau dogme avoit enfanté, s'attendirent a le voir règner mille ans sur la terre. Les uns et les autres frappés de toutes ces idéés, méditèrent les sybilles payennes, cherchèrent a les ajuster a leurs opinions, et nous transmirent les livres Sybillins que nous avons, dans lesquels on voit , comme on a dit, des prédictions qui annoncent tantót Jésus-Christ , et tantót le dieu dela fin des tems, et qui le plus souvent confondent ensemble le messie véritable et le vain phantóme de toutes les nations; sans compter les méprises continuelles sur les tems et les périodes que des calculateurs inquiets avoient inventés. X. II ne nous reste plus a considérer, au sujet des Sybilles anciennes, que les usages que les payens pratiquoient après les avoir consultées; ces usages nous. feront encore connoïtre 1'esprit de ces fameuses inspirées. En général on remarque que les Romains sa comportoient comme des gens qui regardoienr tous les fléaux du monde physique et politique comme des signes de la colère des dieux -, c'est dans cette idéé religieuse que le gouvernement roinain, après avoir consulté les livres des Sybilles, et demandé 1'avis des ponrifes, ordonnoit des jetines, des prières publiques, des sacrifices, des jeux solemnels, des fêtes extraordinaires, et souvent faisoit immoler des victimes hujmaines. C'est peut-êtte la ce qui fit instituer des combats de gladiateurs, et des jeux inhumains dont le sombre jds la superstition nous explïquera mieux les motifs dg  • e 6 L'Antiquité dévoilée la politique des Romains, qui vouloient, dit-on, que Ton accoutuma le citoyen a répandre du sang. En effet, il y avoit de ces combats dans les calamités publiques qui faisoient craindre la fin des tems; on les célébroit encore a la fin des périodes. On crut sans doute que ceux qui périssoient dans ces spectacles sanglans devenoient des victimes propres a appaiser la colère ccleste , et a expier les fautes du peuple. La religion en ■ fit d'abord des sacrifices, la politique ensuite en fit des spectacles ; et le peuple actacbé par sa curiosité aux usages de ses ancêtres, conserva son amour pour les institutions cruelles, et satisfit sans remords sa cruauté, religieuse dans 1'origine, mais dont le motif vérkable fut peu-a-peu mécónnu. Mais il ne faut point regarder les usages dans leur généralité •, il faut en examiner au moins quelques-uns danTle détail. Pourquoi, par exemple, les Sybilles ordonnoient-elles quelquefois de célébrer exrraoniinairement des Saturnales ou des jeux séculaires (i) ? A la bonne heure qu'elles fissent instituet, comme elles faisoient souvent, des fêtes toutes nouvelles, mais pourquoi déranger les anciennes, et particulièrement les Saturnales et les fètes séculakes qui par leur nature ■n'avoient rapport qu'a la fin et au renouvellement de certains périodes d'année ou de siècle ? Ne pouvonsnous pas soupconner que le motif de cet usage avoit été anciennement de préparer les hommes a la fin du monde , toutes les fois que les signes du ciel, les calamités , en unmot les désordres physiques et politiques sembloient la leur annoncer ? ou bien vouloit-on par la chercher a éluder les oracles, en changeant pour ainsi dire de période par la célcbration anticipée des fêtes (i) Tit. Liv. decad. 5, ld), a.  par ses usages .Liv. LH. Ch. IJl. t f 7 consacrées pour l'ordinaire a leur renouvellement et a. leut dédicace: Une doctrine antique , et dont nous avons parlé plus haut, pouvoit conduite a cette dernière idéé ; les hommes s étant prévenus que le tems étoit composé d'une suite de périodes, que chacun de ces périodes commencoit par un age d'or et finissoit par des misères et des calamités ; les hommes, dis-je, ont pu penser, lorsqu'ils se trouvoient réduits a quelque extrêmité , que l'on pouvoit écarrer leurs maux en laissant derrière eux le période malheureux oü ils se rrouvoient, pour entrer tout de suite dans un autte dont le commencement étoit toujours un objet d'attente et de desir. De-la enfin cette célébraricn extraordinaire et hors de tems fixés, des fètes qui n'avoient rapport qu'au renouvellement des choses. On pourroit encore appfiquer cet esprit aux institutions des fêtes nouvelles qu'ordonnoient aussi quelquefois les livres des Sybilles , et dont ils vouloient que 1'anniversaire se célébrat a perpétuité; en effet le principe de tout anniversaire est toujours d'établir un période nouveau et de mettre a la tête de tous les tems futurs 1 objer dont 1'anniversaire fait mémoire. XI. Examinons encore un autre usage qui a tant de rapport a cet esprit qu'on' peut le regarder comme 1'exphcation complette de rous ces usages. C'étoit une vieille tradition chez les Romains , que pour arröter le cours des calamités publiques , de quelque nature qu'elles fussent , il falloit enfoncer un clou dans la muraiïlè du capitole , et qu'a 1'instant la colère des dieux s'appaisoir (i). Certe triviale cérémonie s'est faite plusieurs fois dans Rome avec la plus grande solemnité; c'étoit un antidote contre leurs malheurs publics, sans que les (1) Tit. Liv. decad. I, lijj. 'j[ Z 5  3 c8 L'Antiquité dévoilée Romains eux-mêmes en cönnüssènt 1'esprit. Pour le connoïtre, il faut remarquer que chez les anciens peuples d'Italie et avant 1'usage de 1'écriture et des archives on n'avoit pas d'autre méthode de fïxer les terns écoulés que de mettre chaque année un clou dans une muraille du remple de Minerve : c'étoit une chronologie a portée de tout le monde qui fixoit les années et les périodes (i). Selon les Rabbins les anciens Hébreux ont aussi été dans 1'usage de remarquer les tems par des clous qu'on enfoncoit dans un rocher qu'on appelloit a cause de cela la rocke des clous (z). Ainsi 1'usage oü étoient les Romains d'enfonGer des clous ne pouvoit avoir d'autre motif que d'indiquer qu'on entroit dans un nouveau période ct qu'on abandonnoit celui oü l'on se trouvoit soit qu'il fut achevé ou non , pour en recommencer un sous de meilleurs auspicts. Je ne dis point que les Piomains en particulier ont eu ces idéés j il y a .toute apparence qu'ils avoient cet usage , comme bien d'autres, mais cet usage conservé par une tradition toute machinale n'en indique pas moins qu'il y avoit eu des tems antérieurs oü l'on avoit agi d'après des principes connus 5 la fidélité de la chronologie de tels peuples a dü en souffrir, mais le caractère et la durée attribués aux périodes cycliques n'étant qu'une illusion , on pouvoit se Matter d'échapper aux pronostics qu'ils donnoient par une autre illusion. On trouve chez les Juifs plusieurs usages et même (i) Cc. io Epistola ad Atticum. C2) Hieros. Charjg. fol. 78. 4. Les Pérurieni désignoient les périodes par des cordes nouées appellées quipos. On dir la mème chose des premiers Cliinois. Le fameux necud gordien qu'Alexandre trancha, et qui prédisoit 1'empire du mondei re'ni qui le dcnoueroit, u'ctoit-ü pas un acead ejitonique et apoca'yptique ?  par ses usages. Liv. III. Ch. III. 3 cp plusieurs faits qui semblent relatifs a ce même esprit. Job accablé du poids de ses misères s'écrie : que le jour de ma naissance ne soit pas mis au nombre des jours de 1'année , qu'il ne soit plus compté dans les mois (1). On remarque au quarrième livre des. roisune célébrarion extraordinaire d'une espèce de jubilé ordonnée comme un signe de la délivrance de Jérusalem assiégée par Sennacherib. Au même livre le signe que 1'heure finale d'Ezèchias est rerardée , c'est que 1'ombre du soleil rétrograde ; sans doute que Dieu pour se faire entendre des hommes voulut bien agir alors conformément a leurs opinions. Quoi qu'il en soit, c'est a cetté antique facon de penser que l'on peut ramener 1'usage ou sont encore les Juifs de changer de nom dans des tems d'infortune ou de maladie , ce qu'ils font dans la vue de se rendre des hommes nouveaux er de donner le change a leur mauvais destin (2.). Cet usage subsiste au Japon et dans la plus grande partie de 1'Asie, oü l'on change de nom suivant son age et ses ditférens états (3). C'est encore ce que nous voyons pratiquer aux papes en arrivant au pontificat: ils semblent alors dépouiller le vieil homme pour se revêtir d'un homme tout nouveau. Si les Sybilles ordonnoient 1'anticipation des fêtes anciennes et 1'institution des solemnités nouvelles ; si elles présidoient a des périodes fictifs, imaginaires , il n'est pas surprenanr qu'elles présidassent aux périodes réels , tels que ceux du renouvellemenr des siècles : voila pourquoi les gardiens des livres sybillins présidoient seuls de droit a la célébration des jeux séculaires. CO Job. III, vs. 6, IV. Livre des rois , chap. XIX , vs. 29. (2) Lèon de Modéne, livre V, chapitre 7, paiag. 3. (3) Histoire générale des vovages, tome X, in-40, page 768. Z 4  5 6o ■ L'Antiquité dcvoilée Pour juger de f esprit qui régnoit dans ces fêtes, nous n'avons qu 'a voir celui qui échauffa Horace dans son poëme séculaire ; on trouvera qu'il nous explique de la facon la plus claire les usages dont nous avons parlé, et qu'il nous dévcile le fameux secret des Sybilles. Ce poëme fut composé pour les jeux séculaires qu'Augusce fir célébrer 1'an 17 avant 1'ère chrétienne. D'abord le poëte y invoque les dieux ; il invite le soleil a renaitre; il fait des vceux pour la perpétuité de 1'empire 5 il prie les parques d'accorder des siècles heureux ; il supplie Phébus d'appaiser sa colère, Diane de rendre les Romains heureux et vertueux; et déja le poëte voit renaitre 1'age d'or (1). II faut remarquer a ce sujet que 1'esprir de ce systême des Romains sur les siècles est le même que celui des saturnales annuelles , dont , comme on a vu, 1'objet étoit caché pour le peuple. XII. Une autre suite de consultation des livres sybillins dans les tems critiques, étoit 1'élection d'un dictateur, c'est-a-dire d'un magistrat souverain devant qui tout autre pouvoir rléchissoit et qui étoit pour un tems un vrai monarque absolu. On élisoit ce dictateur non-seulement a 1'occasion des guerres extraordmaires ou des séditions intestines 5 mais encore lorsqu'on étoit inquiété par des prodiges, ou tourmenté par des calamités naturelles , comme des pestes , des ïamines , des sécheresses , Sec. (z). Ce dictateur ne s'élisoit souvent que pour s'acquitter de certaines cérémonies ordonnées (1) Jam fides ec pax et honas pudorque Ptiscus , et neglecta redi're vir'ttii' Audet, apparetque beata pleno Copia coma. Horat. Cahm. SsecvL. (2) Tit. Lir. decad. lib. f. parag. 28.  par ses usages. Liv. IJL. Ch. III. 561 par les Sybilles; quelquefois il ne gardoit le rang suprème qu'un seul jour et même pendant quelques heures •, et il se défaisoit le soir de la pourpre qu'il avoit prise le matin. Comment expliquer cet usage, et quel motif pouvons-nous lui donner > les Romains croyoientils que la divinité seroit plus honorée par le culte que lui rendroit un magistrat exrraordinaire au souverain , que par celui que pouvoir lui rendre un consul ou quelque autre magistrat; les pontifes et les sénateurs n'étoient-ils pas d'un ordre assez relevé pour remplir ces fonctions ? Oui sans doute; rien n'empêchoit de se servir de leur ministère, sinon 1'étiquette donr les livres des Sybilles étoient le répertoire. Lorsque ce code fatal fut révélé , les eprits échauftés publièrent d'après les Sybilles, que Pvome ne pouvoit être sauvée que par un roi qui seul pouvoit la rendre victorieuse. C'étoit cette mème doctrine qui faisoit un dictateur paree qu'elle existoit long-tems avant 1'incendie du capitole. On élisoit donc réellement un roi, mais il n'étoit que passager; er l'on éludoit encore par-la les oracles des Sybilles dont le peuple alors n'avoit aucune connoissance; on lui montroit le représentant du toi de la vie future, et on le lui otoit aussi-töt. II en étoit de ce dictateur comme du clou sacré, il représentoit le rei fictif d'un période imaginaire. Ce que nous disons ici du dictateut installé par tous les livres des Sybilles dans tous les tems critiques , nous le dirons aussi des divinités nouvelles que ces livres dans de pareilles circonstances envoyoient souvent chercher a grands frais et avec appateil pour les installer dans quelque nouveau temple de Pionie (1). Es- (1) Tit. Liv. ilecacl. I, lib. 10, decad. II, lib. ï. Dionys. Halicarn. lib. 2 , cap. 7.  L' Antiquité divoilée culape et Cibèle que les oracles sybillins ont appelles i Rome, jouèrent alors le même róle qu'on faisoit jouerau dictateur; si celui-ci représentoit le roi, 1'autre représentoit le dieu du période futur; et tous les deux ensemble n'étoient produits que par le dogme du oieu monarque de 1'age d'or qu'on espéroit. ^ On peut en dire autant des cükes renouvellés par 1'ordre des Sybilles pour cerraines divinités a tels que ceux de Cérès et de Vénus (t), II en étoit de même des hctistemcs si souvent ordonnés par les oracles sybillins , qui désignoient visiblement 1'attente oü l'on étoit de la descente des dieux. Souvent en conséquence des mêmes ordres on alloit chetcher de 1'eau de mer pour verser dans les temples (z). Tel étoit donc 1'esprit de tous ces usages • ils ne peuvent être plus analogues entre eux et avec la doctrine apocalyptique des Sybilles. Chaque fois que l'on étoit menacé de quelque fléau ou tounnenté pat quelque présage, on croyoit qu'en renouvellant le période le gouvernement et même la religion, on renouvelloit aussi 1'état de la nature , systême aussi extravagant que dangereux, et qui ne tiroit sa source que de cet esprit de frayeur et d'égarement que nous avons vu jusqu'ici régner dans toute la religion payenne. C'est-la ce qui fait dire a Cicéron au sujet de ces dogmes qu'ils étoient plus propres a renverser la religion qu'a 1'établir et ia consolider (3). Toute doctrine de renouvellement est en effet une doctrine de destruction ; elle est d'autant plus dangereuse que 1'esprit de 1'homme lorsqu'il (1) Valer. Max'm. HM, tap. i, parag. 2. f» Tacit. armal. !ib. XV. 11) Valeani nA duponendas pocius /Juam ad suscipiendas redieiones, Cicero, lih. II; de di.mac.  par ses usages. Liv. III. Ch. III. }6f se frappe de f attente d'une rêvolution imaginaire, en fait souvent naitre de très-réelles; c'est ce qui est arrivé , comme 1'a très-bien remarqué M. Fréret, qui a composé une savante dissertation sur les Sybilles , qui commence par une réiiexion qui fera la clötute de la notre (i). » Dans tous les siècles et dans tous les pays les » hommes ont été également avides de connoïtre 1'a» venir, et cette curiosité doit être regardée comme le » principe de presque toutes les pratiques superstitieuses » qui ont défiguré la religion primitive chez tous les « peuples». Ajoutons a cette réfiexion aussi vrai que lummeuse pour l'histoire celle qu'a fait M. Mallet qui nous a fait connoïtre les Sybilles du Nord, non moins apocalypriques que celles de la Grèce et de Rome. Cet esprit mélancolique et ces dogmes funèbres qui avoient toujours pour objet un avenit facheux , viennent, selon cet auteur, originairement des désordres auxquels notre monde a été exposé (z). Ces deux rériexions sont en effet analogues et ne doivent point se séparer 5 si les hommes ont été inquiets, ce n'est point par un put esprit de curiosité ; s'ils ont été superstitieux , ils' ne font point été sans cause ; s'ils ont eu des terreurs paniques , c'est qu'ils ont eu antérieurement des terreurs légitimes et fondées; s'ils ont erarat d'être malheureux , c'est qu'ils 1'avoient été autrefois. Enfin ce n'est que dans le souvenir des malheurs du monde qu'il faut chercher le principe^ de eer esprit de frayeur qu'il est impossible de méconnoitre chez les peuples de 1'antiquité 3 quoique jusqu'a pré- (1) Mémoires de tacadémie des inscriptions , tome XXXIII , ge 187. (?) Edda , note sur la fable VII.  3^4 L'Antiquité dcvoilè: sent on les ait a peine soupconnés d'avoir eu ces dis- positions. XIII. Autanr on remarque peu cet esprit de terreur, que je nomme apocalyptiquc J dans la génèse et dans les autres ouvrages de Moyse; autant est-il commun dans les traditions mythologiques dés Rabbins et dans leurs livres apocriphes. Ils supposenr que leurs premiers patriarches ont tous fait des apocalypses, c'esta-dire, ont décrit la fin des tems et prédit les derniers jours du monde. A les entendre , il sembleroit que que ces premiers hommes ayent réellement vécu, comme disent les Sybilles modernes, dans 1'attente de ce jugement dernier que Dieu leur promit après le déluge. Selon eux , Adam prévit le premier que le monde seroit détruit par 1'eau et pat le feu; Seth, son fils, fut un homme très-scavant dans ce genre de doctrine' et de peur que ses observations ne se perdissent dans les révolutions futures, ses enfans, suivant Joseph, eurent soin de les graver sur deux colonnes, 1'une de bnque, et 1'autre de pierre (,). Les Rabbins et tous /les Onentaux attribuent des apocalypses a Adam, a Seth, a Enoch, a Abraham , a Moyse et enfin a Elie; plusieurs de ces livres vrais ou faux subsistoient encore' dans \es premiers siècles de notre ère : les hérétiques que l'on a ncmmés Séthiens, appuyoient leurs opinions sur des livres attribués a Abraham et a Moyse. Les Sabiens croyent encore posséder les livres de Serh ou d'Enoch, et les Guèbres prétendent avoir les livres d'Abraham sur les révolutions futures (2). On a encore des fragmens de tous ces prétendus ouvrages; (0 Joseph. antiquir. Ju.laïe. lib. I, Cap. 2. (O Voyages de Chardin, tome IX, page i38. Herbclot, biblioth. oriëntale.  par ses usages. Liv. III. Ch. III. jjjj c'est la source dans laquelle les chrétiens Judaïsans ont été puiser 1 esprit des apocalypses supposées qu'ils attribuoient a S, Pierre et a S. Paul, ét des faux évangiles qui n'étoient pareillement que des livres apocalyptiques a bien des égards. Cette mythologie Rabbinique semble avoir pris a tache de conserver le souvenir de ce que les lègislations des autres peuples cherchoienr a ensevelir dans 1'oubli, et de ce que Moyse luimême semble avoir voulu cacher; aussi les Rabbins nous disent-ils que leur tradition orale a long-tems été un mystète. Quelques scavans ont pensé que les Sybilles des payens ont pu provenir des fausses prophéties des Hébreux; il est plus sage de croire que tous les peuples, sans rien s'emprunter a cet égard, n'ont eu de ces livres funèbres, que paree qu'ils avoienr été enfanrés par les impressions générales faites sut tous les hommes par des malheurs communs er généraux. C'est d'après ces principes qu'il faut expliquer tout ce que 1'antiquité nous offre d'énigmatique : les malheurs du monde ont été assez grands et assez généraux pour laisser une impression profonde et pout devenir la matière d'une tiadition continue qui n'a jamais du se perdre entièrement. Avant les Sybilles il y avoit eu des ouvrages d'Orphêe, de Musée, de Eacis (i) fils d'Orphêe, qui n'étoient de même que des livres prophétiques et apocalyptiques; avant ceux-ci, il y en avoit eu encore d'autres sans doute qui pouvoient avoir une origine plus antique, er remonter jusqu'au tems oü le genre humain ne menoit qu'une vie tioublée et (1) Les oracles de Bacis présidoient comme ceux d'Orphêe et de Musée aux révolutions. Hérodote en fait plusieurs appl'catïons aux événemens de la guerre de Veixès. Herodot. lib. 8, parag. 20 , 77 . 96 , et lib. IX. Pausanias, Xt cap. ia et 14.  2,0(5 L'Antiquité dévoilée remplie de 1'attente d'un avenir que ses maux lui faisoient desirer, et qu'une longue succession d'esprks enthousiastes et ftappés n'ont cessé de prédire de siècles en siècles et de transmettre jusqu'a nous. Quoique le passage de cette doctrine au travers d'une longue suite de rems, de nations et de religieus, air, suivant les apparences, singuliètement corrompu les peintures des révolutions que le monde a éprouvées, cependant il n'en faut pas regarder les livres apocalyptiques comme des monumens dignes de quelque créance; on y voit en effet des desctiptions physiques de phénomènes si grands et si extraordinaires, qu'il n'est guère possible que 1'imagination se fut élevée a de tels pressentimens, si quelque tradirion n'en avoit conservé le souvenir. Au reste, le tems et 1'expérience ont sufHsamment convaincu cette doctrine de faux relativement a ce qui concerne le futur, er la police ancienne nous a donné un grand exemple de la facon dont il est a propos de se conduire a 1'égard de cette doctrine; les révolutions qu'elle a causées nous donnent encore de tréspuissantes lecons. Quoiqu'il n'y ait rien de plus funèbre que cette doctrine, il y a des personnes mélancoliques qui la savourent avec complaisance ; c'est une maladie qui ne peut se détruire que par une raison ferme et tobuste, et dont il faudroit au besoin que la police entreprit la guérison. Qui eüt cru que dans un siècle aussi éclairé que le notre on ait vu renairre encore un fanatisme qui persuada quelques esprits de la proximiré du terme de l'univers ? cependant nous avons vu dans Paris une foule de gens énivrés voir le prophéte Elie dans un prêtre imposteur ou fanatique fi). Des personnes de (i) Panni les convulsionnaires du Janséniste, l'abbi Val lant passoit pour le prep'iite Eiie , précurteur da jujalBmït. Lersqu'il fut enftrrui  par ses usages. Liv. III. Ch. III. tous les rangs ont donné dans cette illusion. I a police des anciens a connu le danger des prédictions lugubres et effrayantes des oracles; si elle n'a pu les anéanrk, au moins a t-elle voulu les eacher : la notre a bien fait de llmiter et d'arrêter le cours d'un fanatisme dont les suites sont toujours dangereuses au repos des sociétés. Les sectes apocalyptiques seront toujours capables de faire de nouveaux dieux, de nouveaux rois, de nouveaux empires; les révolutions sont la fin oü tendent tous les fanatismes; la fin du monde n'arrive point; le grand Juge ne descend point; 1'age d'or ne renait point; mais, par les extravagances des hommes, la terre se trouve changée; elle ne quitte une erreur que pour se Uvrer a une autre, sans aucun profit pour le genre humain. XIV. Revenons a nos Sybilles. Leur doctrine apocalyptique ayant été développée, nous croyons pouvok hazarder 1'étymologie de leur nom. Nous le tirerons de la langue Phénicienne, fondés sur ce que Pausanias le fair venir de 1'Afrique (i), et sur ce que la langue Phénicienne a été long-tems en règne dans cette partie du monde. Nous pensons donc que le mot Sybille est le même que Siba-el ou Sub-elium , et qu'il signifie retour de Dieu, période divin rêvolution divine c'est-a-dire, la grande année, ou, comme on disoit en Egypte, 1'année Eliaque, ce qui signifie encore la même chose qu''année de Dieu. Ce n'est pas que nous croyions que le période qui a fait 1'objet des prédictions des Sybilles fut le période Egyptien de 1460 ans, mais un période général quelconque, pourvu qu'on le i la bastille, biea des geas alloieat pour Toir soa rarissemcut au «iel. > IJ, cap. 12.  par ses usages. Liv. ILL. Ch. IV. 373 que ce malheur dut inréresser tout l'univers; on pensoit que les éclipses présagoient la mort des rois ou des grandsj des maladies, des guerres, des calamités particulières, mais on ne songeoir point a la destruction du monde ni au renouvellement de la guerre des géans et de 1'anrique chaos. Les maux dont on étoit menacé ne regardoient qu'un prince en particulier, qu'une ville, qu'un empire, et même on ne croyoit les éclipses occasionnées que par quelque maléfice ou magie (1). Cependant les usages que l'on pratiquoit alors sans en connoïtre les motifs, indiquent claitement qae ces terreurs avoient un motif plus général qui avoit été connu dans 1'origine; le peuple rempli d'ailarmes se répandoit dans les mes et dans les places , muni de bassins ou de chaudrons d'airain, de clochettes, de clairons, de rrompettes _, et prétendoit aller au secours de la lune en travail, Luntt laboranti, (1). Avec tous ces instrumens on faisoit un bruit excessif, dont on ne pouvoit pas rendre raison en disant que cet appateil avoit pour objet d'effrayer et de combattre 1'ennemi du monde, comme cela se faisoit aux bacchanales et orgies sans scavoit pourquoi. Plutarque dit que c'étoit pour rendre le mouvement a la nature. Enfin on crioit et l'on hurlöit, on couroit ca et la comme dans les fêtes de Cérès avec des torches et des flambeaux. Quelques-uns tenoient leuts maisons fermées comme dans les tems des tristesse et de deuil; enfin tout le monde restoit pendant trois jours sans rien entreprendre afin de voir si 1'astre n'avoit souffert (1) Plutar. in Nicla. Uem in Emüio et PelopidV. (2) Juvenal. Satyr. 6, \s. 4^2, A a 3  374 Antiquité dévoïlée aucune altération; et lorsque tout étoit rentré dans 1'ordre accoutumé on finissoit par des sacrifices (i). Les sauvages sérviront a nous expliquer ceux de ces anciens, par la confortnité que nous verrons entte eux. Dans le tems des éclipses les lapons tirent contre le ciel; les habitans du Paraguai décochent des fleches et crient de la manière la plus efffoyables tant que dure 1'éclipse; d'autres peuples de 1'Amérique non conrens de pousser des cris lamenrables, ont une danse qu'ils ne peuvent cesser que lorsque 1'éclipse est finie. On retrouve les mêmes usages chez les Canadiens et Hurons; er rien, suivant l'auteur que je citej ne retrace mieux que leurs usages en cette occasion ceux qui se pratiquoient aux bacchanales et aux fètes de Cérès et d'Isis. Dans la nouvelle-Andalousie un jour d'éclipse est un jour de jeune; les femmes s'arrachent les cheveux et se déchirent ie visage ; elles crcyent qu'alors la lune a été blessée par le soleil. II en est presque de même d'un grand nombre de peuples d'Afrique qui au tems des éclipses se croyent menacés de quelque danger inconnu (i). Les idolatres de 1'Indostan ent des couturaes plus particulières (3). Au moment oü 1'éclipse commence ils ont soin de casser toute la vaisselle de terre qui est dans leur ménage , et qui produit un très-grand bruit j quoique ce bruit soit conforme a celui que nous avons vu faire a d'autres nations avec des instrumens militaires y je ne crois pas qu'il taille en confondre les (1) P'utar. in Emilio; Taciti annal. lib. I. Senec. Je Benef. bb. V. Diorlor. lib. XIII , parag. 7. (2) Cérémonies religieuses. tome VT. Corèal, tome T. Laffiteau , Mceurs des Sauvages , tome I, page 227. Labat, voyage d'Eihiopie ., tome I, page 265. (3) Yoyagea de Tavernicr, tome IV, livre 5, chapitre 14.  par ses usages. Liv: III. Ch.IV. 2.7J motifs. Les Indiens brisent peut-être leurs ustenciles dans la même vue que les Mexicains a qui nous avons déja vu prariquer la même chose a la fin de chaque siècle. C'est de la même manière qu'il faut expliquer 1'usage semblable qui se prarique chez !e mogol dans ces jours d'éclipse oü tous les peupbs du monde ont cru la nature en danger. II paro,t vraisemblatue que le bruit que faisoient les anciens de notre hémisphère avec leurs ustenciles, mais sans les briser, procédoit d'un même principe dont 1'économie avoit adouci les suites. Les autres usages que les idolatres du Mogol joignent a celui dont on vient de parler répondent parfaitement a ce principe caché-, chez eux un jour d'éclipse est précédé de trois jours de purification, de pénitence et d'aumönes ; on vient de toutes parts se plonger dans le Gange et dans les rivières du pays dont les eaux sont répurées sacrées; on y reste tant que dure 1'obscurité, en priant et faisant divers signes qui marquent finquiétude autant que la dévotion •, ensuite on se revêt d'habits tout neufs et l'on donne les anciens aux pauvres, toutes ces pratiques valent une indulgence plénière qui lave tous les péchés ccmmis , et qui renouvell" 1'homme ainsi que la nature (i).,On vok donc que ces différens usages ont la religion pour base : aussi les Mahométans, les Malabares et beaucoup d'autres peuples sont cbligés par leurs loix ou leurs usages , de prier Dieu et de se puriher particulièremeht aux jours d'éclipses, paree que ces jours sont regardé s comme des jours de sévéaté (2). Au Tonquin les jours d'éclipse on sonne les cloches, (2) Mémoires de I'académis des sciences, tome 8, page 284, et Histoire génèra'e des voyages , tome 7 , page 53g.  L'Antiquité dcvo'déc par les météores; et peu-a-peu comme dans 1'Occident, les révolutions que ce livre chinois annoncoit se sont changées en révolutions politiques, et sont devenues fatales aux peuples et a ceux qui les gouvernoient. C'est ainsi qu'il convient d'expliquer les idéés souvent contradictoires attacliées aux mêmes usages et aux mêmes opinions. Tantot nous voyons les éclipses annoncer la mort d'un prince et la destruction d'une monarchie; tantöt nous voyons qu'elles annoncent la fondarion d'un empire: d'ou cela vient-il ? c'est que dans toute doctrine apocalyptique, rien n'est si proche de la destruction du monde que son renouvellement, ce sont deux faits inséparabies, c'étoit-la le systême univërsel des anciens, et c'est-la la raison pourquoi les mêmes signes annoncoient quelquefois des événemens heureux et malheureux, dont on se réjouissoit chez un peuple tandis qu'en s'en afiiigeoit chez un autre. Cela dépendoit de 1'aspect sous lequel en s'étoit habitué a envisagsr ces signes : il est certain qu'en les envisageant du coté de la religion, l'on a pu quelquefois s'en réjouir, puisque les maux qu'ils prédisoient devoient être suivis d une vie plus heureuse, en un mot d'un age d'otj mais il faut avouer qu'une terreur toute charnelle 1'emporta le plus souvent sur cette attente flatteuse; nous verrons plus de peuples consternés ct rendus malheureux par les signes cu ciel, que nous n'en verrons de réjouis, a moins que ce ne soit chez des peuples ou dans des sectes fanatiques, dont on sait cependant que les saillies fimssent toujours par être dangereuses. Quoiqu'il en soit, c'est a ce principe qu'il faut rapporter la tradition ou plutöt la fable qu'avoient les Romains sur 1'éclipse de soleil qui avoit accompagné la naissance de Eomulus, sur celle qui avoit annoncé sa mort et sur cello qui avoit présidé a la fondarion  par ses usages. Liv. LU. Ch. LV. 3 79 de Rome (1). H faut mettre ces éclipses au rang des conjonctions astronomiques ou des autres phénomènes , que les historiens Chinois ont assez souvent supposés dans le ciel au renouvellement de leurs dynasties. Chez 1'un et 1'autre peuple, le principe de ces mensonges est toujours cetre idéé qu'il doit arriver des changemens sur la terre dès qu'il en arrivé au ciel, ce qui a conduit les anciens écrivains a supposer des changemens astronomiques lorsqu'il en arrivoit de politiques sur la terre. III. Les inconvéniens de ce dogme se firent souvent sentir aux anciens peuples , quoiqu'il n'y eüt rien de motivé dans leurs terreurs. Les Lydiens et les Mèdes se faisant la guerre depuis plusieurs années, furent sürpris par une éclipse de soleil au milieu d'une bataille; ce phénomène épouvantant les deux parties , ils se retirèrent et firent promptement la paix (2). Lorsque Nicias se préparoit a faire une retraite devenue nécessaire, une éclipse de lune arrêta ce général; les devins lui dirent de suspendre son voyage ; en attendant, il fut battu, fait prisonnier, et mis a mort, au grand détriment des affaires d'Athènes, dont la puissance fut anéantie en Sicile, c'est a cette occasion que Plutarque s'écrie que les ténèhres (1) Dionys. Halicarnass. lib. X, cap. 17, el lib. II, cap. Plutarch. de fortun. Romanor. Voss. lib. II. cap. 20. Les Romains avoient une fète atppellèe Populi fugiant, dans laquelle ils célébroient 1'enlèvement de Romulus; elle tomboit au 7 de juillet; on aüoit sacri-. fier hors de Ia ville, auprès d'un marais, en criant, en s'appellant Ie uns les autres par son nom, et en iwiiant la terreur du peuple qui prit la fuite ce jour-la. On régaloit les dames romaines sous des berceaux de branchages ; ies servantes étoient de la fète, el feignoieut de se hattre entre elles. Cette fète ressemble a celle de la défaite du serpent Python, a Delphes , a celle des tabernacles, et aux Saturnales, aux bacchanales , et aux autres fètes commémoiatives , dont nous avons ci-devant parlé. Plutarch. in Romul. (2) Herodot. lib. I. Diodor. lib. XIII. Plutar. in ïiicia.  }So VAntiquité dévollée de la superstltlon sont plus a craindre que celles des ■éclipses. Sans 1'adresse de Périclès les Athéniens manquoient une expéditiori nécessaire par une éclipse de soleil qui arriva au moment de 1'embarquemenr. Pélopidas n'eut point tant de pouvoir sur 1'espnt des Thébains, personne ne voulut le suivre dans une pareille circonstance; ce général, obligé de partii avec trois eens hommes seulement, périt malheureusement a la bataiile de Cénophale (i).. La foiblesse de Nicias ou des devins qui 1'engagèrent de laisser écouler un mois entier, pour revoir a ia lune prochaine si cet astre n'avoit point soufFert, peut servir a nous expliquer plusieurs usages des anciens aux jours des nouvelles et des pleines lunes, lors même qu'il n'y avoit point d'éclipse : comme ce sont-la les seuls jours du mois ou atrivent les éclipses, il n'est pas étonnant qu'ils fussent assez souvent réputés funèbres et malheureux : cette opinion entramoit fréquemment les mêmes usages qu'aux jours d'éclipses. Au déclin de la lune on étoit dans 1'inquiétude de savoir si elle arriveroit a son plein. En effet, comment expliquer autrement cette supetstition particuliere aux Lacédémoniens, de n'oser jamais se mettre en marche avant d'avoir vu la pleine lune ? C'étoit chez eux une loi fondamenïale 5 dès les premiers tems, Eurotas, leur troisième roi, les ayant forcés a se battre avant 13 pleine lune, son année ainsi violentée fut battue et se noya de désespoir. Cette opinion changée en loi leut fit encore dans Ia suite refuserdemarcher contre les Perses et de se trouver a la glorieuse journée de Marathon, paree qu'il auroit fallu partir trois jours avant la pleine lune (2). (t1 Pljiiareb'. in Pérïcl. er Pelopid. (2) Hered. li'-: 4. Pau«.am'as in Attic. esp. 28.  par se s usages. Liv. III. Ch. IV. 381 Les anciens ïe moquoient de cette superstition, qui a fait passer en proverbe les lunes lacédemonicnnes ; mais tous ces anciens qui s'en moquoient n'avoient-ils pas eux-mêmes les cris d'IIe'cate, qu'on appeloit dans les carrefours lors des renouvellemens des lunes , usage qui n'avoitlui-mêmed'autre principe que la même inquiétude sur le sort de la lune. On voit dans Strabon que chez les Celtibériens chaque familie s'assembloit a toutes les pleines lunes pour courir et danser toute la nuit a la porte des maisons, en invoquant le dieu sans nom (1), c'est-a-dire le mauvais principe; car c'est lui que les anciens désignoient sous les noms de Typhon, de Vejovis s de Demogorgon, et de dieux inccnnus, paree que n'osant prononcer leurs noms , ils s'étoient a la fin oubliés. Nous avons vu que les Caraïbes avoient une danse semblable; mais seulement aux jours d'éclipses : les Celcibériens ne pouvoient donc avoir comme eux qu'un motif de terreur dans cet usage , et c'est ce que confirme 1'invocation du dieu sans nom qu'ils adoroieut alors. C'esc donc a cette inquiétude sur les phases de la lune qu'il faut ramener ces usages, ainsi que toutes les assemblées noctutnes des femmes superstitieuses de nos premiers siècles, qui ont donné heu aux fables des sorcières et- de leut sabbats. Mais nous n'en sommes point encore aux usages qui ont eu rapport au retour et au renouvellement des périodes. IV. Revenons aux phénomènes extraordinaires. Les éclipses, qui par une suite des terreurs primitives ont fait faire tant d'extravagances aux anciens peuples , et qui ont influé sur les événemens politiques, ont au moins servi a constater quelquefois certains points fixes (1) Strabo , lib. a.  3S2 L'Antiquité dévoilée de rhistoire. Comme ces événemens in'téressoient bcaucoup les hommes , et comme par une suite de leur délire ils donnoient lieu a des changemens ou a des événemens povtiques 5 les historiens ont été obligés d en faire mention, il n'est guère de peuples dont les éclipses ne servent a justifier ou a démentit les annales; les époques des Grecs et des Romains sont souvent fixées pat ces phénomènes, et si nous avions le bonheur de posséder les anciennes annales d'Egypte et de 1'Asie, nous autions sans doüte de quoi fixer beaucoup mieux la chronologie : on est assuré que ces peuples, de même que les Chinois, consignoient dans leuts atchives tout ce qui se passoit d'extraordinaire dans le ciel comme sur la terre. C'est-la ce qui doit faire paroitte très-extraordinaire le silence des livres hébreux sur les éclipses, quoique leur histoire embrasse une grande conrinuiré de siècles; deux ou rrois de ces phénomènes , s'ils les eussent consignés dans leurs antiques annales, serviroient aujourd'hui a terminer tant de petits diïférends qui partagent si fort tous nos chionologistes ; mais malheureusement le mot d'éclipse ne se trouve pas une fois dans leur langue; l'on ignore par conséquent quelle impression ces phénomènes faisoient sur eux , et les usages qu'ils pratiquoient en pareil cas; cependant il n'est pas vraisemblable qu'ils n'en eussent point tecu , soit de leurs ancêtres, soit des peuples voisins, dont ils aimoient tant a copier les usages. Jérémie leur disoit pourtant : N'ayez point peur de ces signes du ciel que toutes les nations redoutent (1) : ce qui sembleroit au moins indiquer en général, si ce n'est point pour les éclipses en particulier, que les Hébreux parta- (0 Jéiéiiu'e , chapure X , rs, 2.  par ses usages. Liv. UI. Ch. IV. geoient les terreurs que ces phénomènes causoient aus autres nations. Le silence Ce- usage ressembie a celui de Congo, oh on rendie monarque responsable des maux naturels qui aflhgent les peuples (3). Les Lacédémoniens avoient encore un ïsage de la même nature : a la fin de chaque pénode (,) F,-,},, prroraiat. eva,-. Plot, de or=ru> ome ccssaruut. (,) Hiafoire'dw lT.in» . lome IL, page 79. ■<5; l'.Ut. g>'i:tT, de» \v\*g** , taaie 'i , V?Z' >'  3 9 i L'Antiquité dévollée de neuf ans les Ephores se transportoient la nuit en rase campagne pour examiner le ciel; s'ils y appercevoient quelque signe tel qu'un feu follet ou une étoile errante , c'étoit une marqué que le ciel étoit mécontentdu prince, que l'on déposoit en conséquence (i). lelies étoient les suites politiques de ces météores, tandis quils ne devoient avoir que des suites naturelles ■Les craintes des peuples n'avoient d'autre mobile que le souvenir des calamités passées qui dans 1'origine avoient donné lieu a un pressentiment des malheurs a venir. C est ce qu'Horace nous apprend clairement a 1 occasion de divers événemens facheux : on craignoit quele siècle de Deucalion et de Pyrrha ne revmt(z) : • ce siècle oü le monde avoit été détruit et effrayé pat tant de phénomènes terribles. Qui ne seroit ètonné de voir combien une pareille crainte avoit changé de nature, et quelle multitude d'événemens funestes a la societé" elle a fait naïrre dans les monarchies et dans les ï'épubliques! A la Chine tous les météores et phénomènes sont pns en mauvaise part. Dès qu'on voit un parélie , on dit qu'il y aura deux empereurs , toutes les nouveautés qui paroissent au ciel sont regardées comme des marqués de Ia colère céleste contre le prince et ses ministres ; alors pour peu que les Chinois soient mécontens , lon nemend que des discours sédirieux. II peut bien etre vrai qu'on ait vu quelques signes dans le ciel, mais on les exagère, chacun les décrit a sa facon , et (O P'utar. in >gi et Cleomen. Crave ne rfediret ÊKcultmi Pynhoa nova monstra quest.-e.. Hor.at, Ol-. Lib. I, On. II,  par ses usages. Liv. III. Ch. IV. 3 9 ij- la nation croit enfin que la Dynastie régnante va finir, que le ciel lui-même se déclare , 1'enthousiasme toujours contagieux , gagne de proche en proche , le tumulte s'élève, et si l'on n'y remédié, c'est un torrent qui entraine tout (1). On distingue de même qu'ailleurs dans ce pays des signes heureux et malheureux : les conjonctions des planetes sont d'un bon augure pour le prince ; aussi lorsqu'une Dynastie se renouvelle , on en suppose s'il n'y en a point de réelles; chacun alorsva complimenter le souverain sur cette faveur du ciel (2). Les autres peuples Orientaux sont dans la même erreur sur les conjonctions, leurs historiens en ont remarqué deux fameuses 1'une qu'ils placent au déluge et 1'autre au tems de 1'irruption de Gengiskan. Tamerlan eut aussi le même avantage, aussi lui donne-t-on quelquefois le titre de Saheb-Keran 3 c'est-a-dire maitre d'une conjonction favorable (3). Mais si ces conjonctions furent favorables pour ces indignes conquérans , quels fléaux n'apportèrent elles pas aux nations! On a donc eu raison de donner a ces princes féroces les mêmes signes qu'au déluge qui avoit tout détruit • ainsi en supposant qu'une conjonction soit un signe heureux, il n'esr point décidé pour qui : a en juger d'après le principe du dogme qui sert de base a ces idéés, ce ne peut-être que pour un prince a venir; aussi les usurpateurs savent-ils communément se servir des préjugés des peuples pour se faire valoir. Si l'on n'a supposé ces sortes de phénomènes qu'au re- (1) Lettres édifiaiites , tome 21, 24 et 26. (2) Du Halde, histoire de la Chiae, regae Thuenhio, septième erapereur. (3) Biblioth. oriëntale de d'Herbelot au mot Kgran.  ^j>4 VAntiquité dévo'dée nouvellement des Dynasties , il faut alors que fastronomie et la chronologie abandonnent leurs calculs pour se régler sur les systêmes des historiens et pour se mettre d'accord avec les préjugés des peuples. Demander a de tels peuples des aunales fidèles, c est renoncer au bon sens , c'est ignorer la folie des peuples et la flattetie des astrologues , c'est méconnoitre que 1'extravagance du clou sacré des Romains a été commune a presque tous les anciens peuples. Tels sont pourtant les fondemens sur lesquels On nous batit des chronologies.  T A B L. E DES ARTICLES Contenus dans ce volume. Avant-propos,- page sl! LIVRE I. Des inititutions faites par différens pertples de» Ia terre, pour se retracer la mémoire du déluge. 33 Chap. I. Des hydrophories , ou de la fête du déluge k Athènes, et de la fête de la déesse de Syrië a Hiérapolis" Ibid. Chap. II. De la cérémonie des e*ux de Siloë au templ© de Jérusalem pendant la fête des tabernacles. 4S Chap. III. De 1'effusion des eaux a Ithome. D'une fête du délu-e d'Inachus dans 1'Argolide ; de quelques autres. usages relatifs au même objet. Des fêtes des eaux chez d'autres peuples. gQ Chap. IV. Vestiges d'usages hydrophoriques dans plusieurs fêtes anciennes et modernes. gg Chap. V. Des autres fêtes et usages célébrés chez les anciens en mémoire du déluge. Des pé/ories, des antistéries , des saturnales , et des fètes modernes du même eenre. 0 Joa Chap. VI. De la fable des géans , ou de la gigantomachie sous laquelle on a voulu peindre les révolutions de la nature. rr> LIVRE II. De 1'esprit funèbre des fêtes anciennes; des sectes anciennes ; de la vie sauvage. ,33 Chap. I Du ton triste et lugubre que l'on remamue dans , les solemnités , les fêtes et les jeux du paganisme ibid. Chap. IL Des sectes anciennes , des pélerinages , du culte Ues montagnes. ^  tyt TABL -E, Chap. III. De Ia vie errante et sauvage des premiers peuples. page 245 LIVRE III. Des mystères des anciens ; des oracles des Sybilles ; du culte des astres et de 1'astrolpgie. 309 Chap. I, De 1'institmion des mystères ,'de leur objet et . de leurs effets. Des mystères d'Eleusis , etc, Ibid. Chap. II. Des vrais motifs du secret des mystères. Ils avoient pour objet de caciier au vulgaire le sort dü monde , et de sa destruction future. 389 Chap. III. Des Sybilles , de leurs oracles, et de leurs livres mystérieux: 52g Chap. IV. Des idéés astronomiques des anciens ; des terreurs causées par les éclipses , les comètes et les autres phénomènes de la nature. De la cause des craintes que les météores excitoient dans les hommes. o6g Fin du tome premier.