Bibliotheek Universiteit van Amsterdam 01 3127 9606  OEUVRES D E BOUL LANGER. TOME SE CO ND.   O E Ü V R E S D E BOULLANGER. Homo, quod rationis est particeps , consequenriant cern.t, causas rcrum v videt, earumqueprogressus et quasi antecessiones non ignorat, simililudinescomparat, rebus praesentibus idjungït, atque annectit futur»».Cicero de offic. lib. 1. e. 4. TOME SECOND. A AMSTERDAM; ' 7 9 4-   LA N TIQ UITÉ DÉVOILÉE P AR SES USAGES. SUITE DU LIVRE TROISIÈME. CHAPITRE V. De Vastronomie des anciens et de leurs idéés astrologiques ; de leur manière astrohgique d'ccrïre L'histoire; du culte des as tres, ou du sabïanisme. I. Tl est saus doute éconnant que dans une contrée policée telle que la Chine, ou il semble que 1'art du gouvernement se soit plus perfecciqnné que partout ailleurs , on ait laissé au peuple des préjugés capables de le porter toujours aux révohitions et aux convulsions les plus funestes; mais la surprise doit encore augmentex en voyant que eest lui-mème qui dans ce pays, comme dans bien d'autres , entretient et perpétue des idéés dont les suites ne peuvent être que pernicieuses a lui-mêrae et a la société gouvernée. L'astronomie, oupour mieux dire 1'astrologie est a la Chine un affaire d'Erat (i). (1) Voyez Da Halde histoire d« !a CUine , tome a , page 578 et tome 6 , page 336 542. Les Jésuites ne sont tol'jrès a ia Chine qu'en faveur Tome II. A  z L'Antiquité dévoiléc Le tribunal d'astronomie y est subordonné au tribunal des rites , c est souvent 1'observatoire et 1 ecole des pré. jugés. Tous les 45 jours les asironomes vont présenter a ï empereur la carte de 1'état du ciel, avec les changemens qui doivent arriver dans la température de 1'air, les pluies, les chaleurs, les sécheresses , &c. Pour faire cette carte ils ne cessent d'observer jour et nuk tout ce qui se passé dans le ciel; ils y sont interressés, vü que la raoindre négligence seroit punie de mort: dès quils appercoivent quelque chose d'extraordinaire, ils doivent en avertir 1'empereur et lui en expliquer les présages , afin quïl puisse se conformer aux volontés du ciel. C'est d'après routes ces observations que Ton compose le calendrier impérial qui de la cour se répand dans tout 1'Empire j on y indique les jours heureux. Ce calendrier est une chose si importante qu'il n y en a qu'un seul dans la Chine , et qu'un particulier n en pourroit pas faire un autre sans se rendre coupable de lèze-majesté. Bien plus les princes étrangers ne peuvent se servir de 1'almanach impérial a moins de s'avouer tributaires. Kien ne paroit plus bizarre que cette conduite qui donne tant d'importance a ce qui nest parmi nous d'aucune valeur (1)5 mais si nous examinons le principe de ces usages ,' nous reviendrons de notre surprise. des almaniichs fju'iïs font; ils ne rnanquent pas de les remplir de predirtions astro'ogiques adapiée. augoüt des prinreser de la nat on. C'e.t le s ul empioi qui leur reste dans un «npite oii il ne leur est p us peïmii de prêchcr, ni de faire des prosélyUi. (,1 Do tous les almanarlis 1. s p'ns accré.liris ta France, parmi I« peuple, soul Vaimanach.de Liége, et le messager boüeux de Suis»». I.« ta.son de cette préftrtnce est sans doute les piédiction» dont ce» caïeudriVr» s»nt templis ; elies doivent le» rendre précieux »ux fcmntei et aux ignorans.  par ses usages. Liv. III. Ch. V. z L'étude du ciel dans les premiers ages du monde renouvelle et échappé aux révolutions physiques, n'a du être qu'une étude inquiette , dictée par la terreur , en un mot apocalyptique; tous les changemens qui survenoient dans la machine de 1'univers devoient allarmer tous les esprits. Les législations les plus prudentes ont donc bien fait de faire de rastronomie uns science d'état, comme on a vu ailleurs des mystères et des oracles des Sybilles ; mais comme le gouvernement en órant au peuple la parfaite connoissance de ce qui se passoit dans le ciel , avoit encore la foiblesse de s'y intérresser lui-même; comme il crut y voir les arrêts et les volontés suprêmes, la connoissance de 1'avenir, le sort futur des Empires, il jugea nécessaire de faire du recueil des observations et des prédictions un secret pour le peuple. C'est sans doute de cette dernière raison que vient l'importance du calendrier impérial de la Chine : si les astronomes de Tempereur n'avoient le privilege exclusif de faire des pn'-dictions, 1'empire seroit bientöt inondé de libelles astrologiques ou de prédictions contradictoires, contraires au gouvernement dont 1'intérêtest d'ainuser le peuple par des prédictions arrangée.5 a sa fantaisie et qui ne troublent point les esprits de la nation. Peut-être même 1'esprit de cette défense étoit-il autrefois plus étendu; peut-être que dans l'origine la loi portoit, non qu'il n'y eüt qu'un seul calendrier dans tout 1'Empire, mais que ce seul calendrier demeurat dans les mains de iempereur. Je serois d'autant plus tenté de le croire que cette polirique en eur été plus sage, et que d'ailletu-s on voit que la possession du calendrier est un droit. impérial teliement attaché au tróne, que les usurpateurs en se soulevant contre 1'autorité suprème , ne manquent jamais d'en faire un en leur nom, ce qui leur tient lieu de manifeste. A x  4 L'Antiquité dcvoilée L'hcmme est toujours frappé des folies qui sont éloignées , et ne fait point attention a celles qui se passent /sous ses yeux. Le calendrier, en Europe même, a été chez quelques peuples un sujet de disputes et de divisions. En Allemagne la réforme du calendrier est mise au nombre des droits réservés a lernpereur. Malgré cette prétention le calendrier Romain réformé par le pape Grégoire XIII , ne fut admis que fort tard et après bien des débats par les états Protestans d'Allemagne qui ne consentirent qu ayec bien de la peine a recevoir une nouveauté utile , paree qu elle tiroit sa jouree d'un pontife qui leur est odieux; en Angleterre même dont les habitans se piquent d'une raison plus éclairéè, ce nest que depuis peu d'années que Ton consent a comprer comme les autres peuples de 1'Europe. II faur toujours des combats pour arracher quelaue chose a 1'opinion et au prejugé (i). ■ II. On ne voit pcint que chez les anciens Egyptiens, chez les Grecs et chez les Romains il y ait eu des calendriers populaires ; on remarque au contraire que chez eux 1'astronomie éroit une affaire d'état. L'ordre sacerdoral en Egypte étoit dépositaire du secreties planetes, ou chargé de la fonction d'astronomes; c'esta dire , pour pariet le langage de ces tems avec Diodore de Sicile , les prêtres étcient astrologues et aruspices (i). Cest par ce moven qu'ils connoissoient 1'avenir er quils en instruisoient les rois quils ne quittoient jamais. Ces prêtres avoient des tables astronomiques dressées depuis un tems immémoiial, ils y marquoient au juste les révolutions des planetes et tc/us les mouvemens; (1) Pfeffinger Corpus Juris Publici , torna 3, pages 370 et 574. (2) Diodor. lib. I, scct. 2, parag. 24 ei aft- Herodot. lïb. II. Siiabo, üb. XVII.  par scs usages. Liv. III. Ch. F. j de plus ils tenoient registre de tous les phénomènes et prodiges singuliers, ils étendoient les inriuences des astres sur les êtres sublunaires; ils déterminoient les biens et les maux que leurs différens aspects annoncojent aux hommes; ils prédisoient les années d'abondance ct de stérilité, les maladies , les tremblemens de teite, les déluges, 1'apparition des cometes, science qui, selon Diodore, étoit gardée dans le plus grand secrer. II en a été de même dans la Chaldée ; d'anciennes families étoient consacrées a 1'étude et a la contemplation des astres, et se transmettoient par un droit héréditaire leur science et leur secrer. La réputation des Chaldéens dans ce genre cle connoissance a été cause que chez les anciens leur nom étoit devenu le synoninie de devin , de prophéte, d astrologue ; c'est ce qui fait voir que rastronomie n'étoit encore chez eux qu'une science prophétique. Ils étoient en même tems de grands théologiens; car la connoissance du monde physique embrassoit celle de sa fin. Perpétuellement occupés de la contemplation du ciel , ils passoient pour être les hommes les plus instruirs de 1'avenii et les mieux initiés dans les secrets du destin. Ils avoient soin de faire des recueils exacts de toutes les observations ; ils prétendoient que les apparitions des éclipses et des cometes , que les trembh-mens cle terre, les méréores et tous les changemens qui arrivoient dans la nature étoient des présages heureux ou malheureux , non - seulement pour les Empires et les nations entières , mais encore pour les rois et les moindres particuliers. Assidus, comme les prêtres de 1'Egypte, auprès de la personne des princes, il falloit qu ils fussent toujours prêts a mterprêter leurs songes et leurs rêveries; et ces souvbraihs aussi cruels que crédules , les condamnoient a la mort lorsqu'ils ne réussissoient pas. On sent bien A 3  (5 L'Antïquité dévoilée qu'il falloit être bien mal-adroit pour ne pas satisfaire ces despotes stupides : la sottise ne devoit point en général être le défaut des prêtres Chaldéens , puisqu ils étoient les maïtres den dire afin de n'en point faire. Quoiqu' il en soit, la conduite de ces rois crédules faisoit que le peuple devoit attacher une très-grande importance a la science frivole de ces prêtres •, en vain lui enfaisoit-on un -mystère, le sacerdoce étoit le dépositaire du sort des rois; il n'aveit qua dire au peuple qu'il avoit vu un signe dans le ciel qui menacoit le souverain, cela suffisoit pour produire une révolution. En effet, l'Empire Assyrien, dont lorigirie se perd dans la nuk des tems, fut détruit 770 ans avant notre ère par les Mèdes appelles par les prédictions de Belesis, le plus célèbre des prêtres Chaldéens (1). On peut présumer qu'il en étoit de même chez les anciens Indiens. Diodore nous dit qu'au commencement de chaque année les Brachmanes se rendoient a 1'assemblée des états et y dcnnoient des prédictions de pluies, de séchcresse, de vents, d'orages, de maladies, ëcc. pour toute 1'année (2). Voila donc encore le calendrier de la Chine retrouvé dans 1'Indostan ; mais la science de ces sages Brachmanes se bomoitelle a ces différens tems i Non sans doute, ils avoient aussi leur secret; ils étoient sacrificateurs, et on les regardoit, suivant Diodore 3 comme les amis des dieux, paree quils avoient des ccnncissances sur 1'autre vie; ainsi leur astronomie étoit apocalyptique. Chez les Etrusques, ou les sages, selon Plme, étoient sans cesse occupés de 1'étude de la nature et de ses phénomènes, il y a tout lieu de penser qu'ils (t) Dlodor. lib. 2, parag. 19. (2) Dioaor. lib. 2, parag, 25. Strabo, lib. XV.  par ses usages. Liv. III. Ch. V. 7 étoient très-versés dans 1'astronomie, mais, a 1'exemple de toutes les autres nations, on a lieu de soupconner que c étoit moins la science de régler le tems que celle de deviner les changemens fututs, qui avoit rendu ces prêtres Toscans si fameux. A Rome c'étoit le collége des pontifes qui régloit le calendrier; il indiquoit au peuple le commencement de 1'année et du mois, les jours de fête, d'assemblée, de barreau, enfin les jours heureux et malheureux: ces pontifes faisoient ces choses d'une facon très-grossière et toujours a leur fantaisie, pour abrég^r ou allonger le tems des magistratures, suivant qu'elles leur étoient agreables ou déplaisantes. Le calendrier que les Romains appelloient leurs fastes, fut très-long-tems un secret; les prêtres seuls connoissoientl'ordre des tems; cela dura jusqu a ce qu'un greffier, nommé Flavius, divulguale mystère 304 ans avant notre ère chrétienne, aussi le calendrier ne fut plus un secret religieux; il ne fut plus permis aux prêtres de le disposer suivant leurs intéréts,' et le peuple sut si bon gré dans ce tems a Flavius, qu'il le fit Edile, quoiqu'il fut né d'un affranchi, pour 1'avoir délivré de cette tyrannie pontificale. Par la suite les empereurs, en qualité de souverains pontifes , réformèrent les erreurs d'astronomie qui défiguroient le calendrier; c'est ce qu'on vit successivement a Jules César, a Auguste, a Claude, a Marc-Antoine, &c. Ainsi chez les Romains le calendrier fut dans tous les tems un dépot de religion et un appage de la puissance souveraine; il contenoit des jours heureux et malheureux, et 1'on justifioit ses prédictions par des observaüons et des évènemens antérieurs que les pontifes avoient consignés dans les annales (1). (i) Mémoire de 1'acad. des insciiptions , rome I, page 67. Tit. Lit. dec»d. I, lib. 9. Aul. Geil. lib. VI, cap. 9. ' A 4  g L'Antiqu'aé dévoiléc III. Que Ton parcoure donc tous les tems et presque toutes les nations, on verra que 1'astronomie a été par-tout une science religieuse et un secret d'état, nous avons vu qu'elle étoit encore un mystère du gouvernement a la Chine, il en est de même au Japon er dans tous les pays qui ont conservé leurs anciens usages. L'astronomie n'y est point culrivée pour ellemême ou pour perfectionner les connoissances physiques, mais seulement dans la vue de connoitre 1'avenir et par une suite de cette inquiétude que nous avons remarquée dans tous les peuples de la terre. L'astrologie est la fille naturelle de la craihte; elle est devenue peu-a-peu la fille adoptive de la fourberie et la ■proie.de la charlatanerie, a qui la gloire de 1'invention n en peut pas même rester. Jamais les hommes n eussent . songé a lever les yeux au ciel pour lire leur destin a venir dans les astres, s'il n'étoit point arrivé autrefois quelque événement dans le ciel, qui eüt intéressé le genre humain, et qui ent laissé de profondes impressions dans les esprits. Je ne cherche point a justifier ici 1'astrologie, mais j'en ramène 1'origine a un principe raisonnable, ct non, comme a fait la foule des moralistes, a la folie et a la stupidité des hommes. Le genre humain nest déraisonnable que lorsqu'il se croit intéressé a 1'être : cette véricé est applicable, non-seulement a 1'astrologie, mais encore a tous les égaremens humains; il' n en est aucun qui n'ait eu un principe sensé, légitime et raisonné-, penser autrement, c'est méconno'itre l'homme et sa nature, c'est le dégrader, c'est avoir quelque intérêt a le faire passer pour stupide et pour méchant. Les hommes seront toujours aussi raisonnables que leur législation, ou leur police, voudra quils le soienf, il ne tenoit qu'aux législateurs anciens de ramener tout-a-fait les peuples  par ses usages. Liv. III. Ch. V. 9 a la raison, et d'effacer dans leur esprit routes les suites des anciennes frayeurs. On ne peut nier que la police ancienne n'ait eu ce sage point de vue, mais les legislateurs étoient effrayés eux-mèmes; car je ne parle point ici de ceux qui se sont fait un principe de rendre les hommes aveugles; ce sont ces terreurs qu'avoient eux-mêmes les guides des nations qui ont nui a toutes les institutions les plus sages sur le secret des mystères, sur les oracles des Sybilles et sur les calendriers prophétiques. En vain ont-ils donné le change aux peuples en leur cachant la nature des évènemens a venir; on découvre toujours ce que 1'on croit avoir un grand intérêt a connc'itre, et c'est, comme on a vu, ce qui est arrivé au secret des mystères; d'ailleurs la police a toujours laissé au vulgaire 1'idée qu'il exisroit une science prophétique qui avoit 1'avenir er les évènemens les plus importans pour objer; cette idéé seule a suffi pour rendre cette science plus dangereuse, et pour éveiller la curiosité des hommes. On ne voit plus dans le calendrier Chinois que des prédictions sur la pluie et le beau tems, sur les jours propres a se baigner ou a se couper les cheveux; mais il n'en faut pas d'avantage pour éterniser la science prophétique; dès que 1'on sait que les astres règlent les plus petits évènemens, on se doute bien qu'a plus forte raison ils doivent régler les plus grands. Que faut-il de plus pour rendre les révolutions humaines aussi périodiques que celle des astres ï c'est ce qui ne s'est vu que trop souvent sur la terre au grand étonnement de tous ceux qui ont ignoré le principe général de toutes les erreurs humaines et la chaine non interrompue qui les a liées depuis le renouvellement du monde. Que des politiques superficiels disent après cela qu'il est des erreurs innocentes ou  IC> L''Andquité dévoilée utiles aux hommes : trompez-les une fois dans leurs principes, leur conduite ne deviendra plus qu'une longue chaine d'égaremens. C'est cette malheureuse science de 1'avenir qui a déterminé certains points fixes dans les siècles oü 1'esprit humain retombe, pour ainsi dire, dans l'enfance ou dans la frénésie; alors la face politique et religieuse de 1'univers est forcée de changer., paree qu'au Heu des chimères qu'on attendoit, la force de 1'imaginarion et de 1'enthousiasme amène des révolutions réelles dont le principe n'est autre chose que quelque phantóme personnifié qui se montre a 1'instant fixé par un fanatisme inquiet, ce qui donne un nouveau crédit et de nouvelles forces a ce fanatisme lui-même qui, diversifié, amenera encore par la suite des tems d'autres révolutions, triste harmonie dans les erreurs des hommes, et que la législation la plus sage ne pourra jamais détruire, si elle ne commence par en connoïtre elle-même le principe et la source. Je ne dis point ceci pour 1'Europe qui semble de jour en jour s'éclairer des lumières de la raiscn ou de la philosophie; cependant il ne seroit peut-être point inutile de décrier aux yeux du peuple les prédictions auxquelles, même parmi nous, il donne sa confiance, et qui ne cessent de nuire a son repospourquoi permettre quon trouble et qu'on amuse le vulgaire par des mensonges publics ? ce ressort n'est point fait pour notre politique, que dis-je, elle le méprise-, mais notre politique ne devroit jamais négliger les occasions de rendre les hommes de plus en plus raisonnables j elle ne fait peut-être pas assez d'attention que c'est l elle qu'est réservée 1'instruction de la partie la moins éclairée des sujets dont les erreurs sont toujours les plus funestes a 1'Etat : rien n'est plus ridicule que de  par ses usages. Lïv. III. Ch. V. II prescrire et persécuter des ouvrages qui ne sont fairs pour être lus et compris que par des spéculateurs paisibles et éclairés, tandis qu on laisse entre les mains des ignorans et des foibles une foule d'ouvrages et de prédictions capables de troubler et d'allumer la frénésie. Les ouvrages de Bayle sont beaucoup moins dangereux que 1'almanach de Liège, les centuries de Nostradamus ou les commentaires sur l'apocalypse. C'est aux sciences et aux arts, en un mot a la pbilosophie, qu'est réservée 1'instruction des classes supérieures et même de ceux qui gouvernent les hommes; ceux qui refusent d'entendre sa voix sont des malades insensés qui frappent leur médecin. Ce sont pourtant ces lumières qui ont enfin banni de nos climars les terreürs frivoles dont ils ont été agités dans les tems de ténèbres et d'ignorance. Ce goüt pour 1'astrologie et cette curiosité puérile qui infectoit, il n'y a pas un siècle, les souverains et les hommes les plus éclairés d'ailleurs, n'est plus aujourd'hui que 1'appanage de quelques femmelettes et des génies retrécis. En effet , il n y a pas un siècle que 1'Europe étoit ce qu'est encore la Chine ou le Japon : nos historiens étoient aussi exacts a rapporter les phénomènes er leurs présages que Tite Live et les autres écrivains de 1'antiquité; souvent même les nótres montroient plus de crédulité. Graces a Bayle , au moins les gens de la bonne compagnie ne craignent plus les cometes, et }es prédictions astrologiques ne sont de quelques poids qu'auprès des personnes chez qui les lumières de leur siècle ne pénètrent jamais. IV. Quoiqu'il en soit, il fut un tems oü les phénomènes étoient regardés comme les points les plus importans de 1'histoire; ilyeutmême des nations chez qui 1'histoire ne contenoit que les phénomènes qu'elles  il L'Antiqulté dévoilée avoient remarqués; telleest, selon Kernpfer, I'histoire du Japon qui ne s'étend que ttès-peu sur les évènemens civils, n y dit que très-peu de choses de la vie des empereurs, de leurs vices et de leurs vertus, et de leur administration; on se contente de donner leurs noms, leurs généalogies, les périodes que la fantaisie leur a fait instituer; mais, en récompense, cette histoire ne fait grace au lecteur sur aucune ccmcte, metéore, tremblement de terre , apparition, miracles , calamités qui avoient été antérieurernent annoncés (i). Suivant le père Charlevoix, les fastes de 1'Empire se composent a la cour du Dairi qui, comme on sait, est une cour purement sacerdotale; on les y conserve soigneusemenr,, et on les communiqué fort peu. Autrefois le calendrier s'y faisoit aussi, mais aujourd'hui il est fait par des particuliers; cependant c'est le Dairi qui doit le voir et 1'approuver. Les prêtres d'Egypte et de Chaldée écrivoienr autrefois les annales de leur nation (i). Si nous avions ces annales ou celles des pontifes de Rome qui en faisoient un mystère., peutêtre n'y rrouverions-nous rien de plus instructif que dans celle des Japonois; au lieu d'y voir I'histoire de 1'homme et des nations, nous n'y verricns que I'histoire des metéores, des prodiges et des phénomènes opérés par la colère des dieux, et qui rendent toujours le sacerdoce plus redoutable et plus révéré. II semble en effet que rous les premiers peuples ne se soient intéressés au présent que par rapport a. 1'avenir; ils étoienr pLs occupés des mouvemens du ciel que de ceux de la terre; ils avoient bien moins en vue de (1) Kern pier , liistoire du Japon, livre II, chap. ~," «t Gharlevoix, livre préliminaire , cliap'irre 6 et 8. Ca) Jo-eph. c.nrra Anpion, lib. I, cap. 2. Mcmoire de 1'acad. dea inscrjptious , torr.e I, page 67.  par ses usages. Liv. III. 'Ch. V. 13 faire passer a la postérité les évènemens physiques; le spectacle de 1'univers étoit le seul qui eiit le droit de les intéresser, et qui, selon eux, fik digne d'occuper les races futures. Les crises de la nature , les combats des élémens, les changemens et les périodes des astres leur paroissoient des évènemens bien plus importans pour le genre humain que I'histoire des hommes, des villes et des Empires. II y auroit une certaine grandeur dans cette facon de penser, si la philosophie leut fait haitre; mais produite par la foiblesse et les craintes de 1'homme préoccupé de vaines chimères, cette grandeur n'esr dans le fond qu'une petitesse dont les suites sont devenues pernicieuses. Les premiers docteurs des hommes se rendirent astrologues et prophétes au lieu d'être historiens; plus ils contemplèrent les cieux, plus ils négligèrent la terre, et la soeiété fut ensevelie dans une nuit si profonde, que pour connoitre ce qui a précédé lage de I'histoire, il faudroit aujourd'hui être autant inspiré que pour connoitre 1'avenir. En vain les colonnes Sériadiques seroient-elles parvenues jusqu'a nous, nous n'y verrions, ainsi que dit Joseph, que les observations astronomiques des premiers hommes, par lesquelles ils présageoient les déluges et les incendies futurs; nous n'y verrions tien sur 1'homme, ni sur 1'état de soeiété. II en étoit de même sans doute de ces monumens énormes que les premiers peuples ont osé construire avec tant d'erforts pour transmettre a la postérité ce qu'ils croyoient alors mériter de lui être transmis. Ces pyramides, ces rours si élevées , ces souterrains si profonds, ces labyrinthes immenses n'ont peut-être d'abord été consacrés qua I'histoire des phénomènes et non a ceile des hommes. Enfin il semble que 1'antiquité vivement affectée du passé et toujours préoccu-  I4 VAntiquité dévoilée pée de 1'avenir, a ctó, par cette mêmeraison, négliger le présent; c'est la une des principales causes des^tenèbres qui enveloppent pour jamais les premiers ages du monde renouvellé. La science du ciel utile a de certains égards chez les peuples polkés pour étendre la sphère de 1'esprit humain, et pour regler les actes et les évènemens publics par la connoissance des tems, ne servit aux anciens qu'a retrécir leur genie, qua détourner leurs regards de dessus 1'homme pour les plonger dans un avenir inconnu, et pour les livrei a de vaines superstitions qui, loin de former le cceur et 1'esprit, les rendoient plus aveugles et plus corrompus. Que dis-je ! de ces observations inquiettes on ne retira pas même le fruit de voir les tems mieux connus et leur ordre mieux observé; on oublia bientot que 1'étude du ciel devoit être relative a 1'homme; on ne s'en occupa que pour nourrir ses chimères ou pour de vaines considérarions; elle devint totalement inutile b et a la fin si pernicieuse a la soeiété, qu'il fallut en faire un mystère; il ne resta plus aux peuples que des usages bizarres et sans principes, que des opmions ridicules et contradictoires, qu'une profonde ignorance sur les phénomènes les plus simples et les plus communs de la nature; enfin le genre humain fut infecté dun levain de fanatisme qui le disposa a fermenter sans cesse au moindre sujet qu'on appercevoit, soit dans le ciel, soit sur la terre. V. Cet esprit de terreur qui, comme nous 1 avons fait voir ailleurs, avoit opposc tant d'obstacles a la réparation du genre humain et au progres des sociétés, est donc aussi une des principales causes de 1'aridité et du silence de I'histoire, occasionnes par la diversion que la superstition fit aux espnts; on ne présuma point que I'histoire de 1'homme, que ses  par ses usages. Liv. III. Ch. V. t j démarches, que ses pas et ses progrès en tout genre pussent devenir un jour les objets les plus désirés et ïes plus intéressant pour le genre humain. On vécut pendant une longue suite de siècles dans une distrao tion perpétuelle, on parcourut, sans y penser, les espaces du tems : et après setre occupé sans relache de chimères, après setre assoupi dans un chaos de visions, de rêveries et d'erreurs, après setre repu de prédictions er de pronostics sur 1'avenir, 1'homme au réveil de sa raison se trouva sur la terre comme un être tombé des nues, sans savoir d'oü il venoit, sans connoitre son séjour, m les catastrophes dont il étoit anciennement le théatre, ignorant totalement 1'origine et les progrès de ces sociétés si nombreuses, et ne sachant que penser de tous les usages qu'il voyoit établis et universellement respectés; il ne vit donc en lui-même qu un vieil enfant, incapable de rendre raison de son age et des motifs de sa conduite. Que 1'on eonsulte les premières histoires, tout nous y peint cette ancienne disposition des peuples ; ils étoient tous réduits au seul orgueil et au seul pressentiment de leur haute antiquité, sans en connoitre les véritables preuves. Plusieurs nations ont été assez ignorantes pour n'avoir point eu de leur antiquité route lldée qu'eiles devoient en avoir : il ne faut point avoir lu avec réflexion I'histoire des Grecs et des Romains pour juger que ces deux peuples étoient bien plus anciens sur la terre qu'ils ne le pensoient eux-mêmes; ils ont pu même avoir des siècles flonssans avanr 1'époque qu'ils s'étoient donnée. Les Grecs ont ignoré lage de 1'institution des jeux olympiques; ils n'ont pu les compter que 1'an 779 avant 1'ère chrérienne; ils avoient cependant, comme quelques autres Peuples, la vanité de vouloir dater du déluge; mais  j (5 L'Antiquité dévoilée ce déluge ils ne le placoient que 1500 ans avant notre ère, c'est-a-dire, 800,1500, ou même 2000 ans plus tard que quelques autres peuples ne 1'ont placé, c'est qu'il leur sufHsoit de dater du déluge pour paroitre assez anciens, et que la vanité se concilioit avec 1'ignorance pour se jouer conjoinrement de la suite des siècles, dont on s'embarrassoit bien moins alors que de 1'évènement mémorable qui servoit de base a toutes les traditions des peuples. Rome, de son cóté , na pu se donner que 754 ans d'antiquité ; cependant une infinité de soupcons et même de preuves nous montre que cette ancienne capitale du monde avoit une origine beaucoup plus antique qu'elle ne croyoit elle-même; elle commence son histoire par le règne des sept rois; la Chine en compte pareillement sept avant sa première dynastie; le Japon compte sept esprits ou génies qui ont de même commencé a gouverner plusieurs autres peuples. Ce qu'il y a de singulier dans cette conformité d'histoires ou de fables, c'est que le septième roi est toujours ou enlevé, ou chassé, ce qui semble indiquer que ces sept personnages sont tous astrologiques, et que le septième a rapport au cruel Saturne qui termine les périodes. Le Japon ne peut dater que de 1'an 660 avant notre ère; cependant les usages de ce fameux empire et la nature de son gouvernement prouvent qu'il ne doit point le céder pour 1'antiquité aux plus anciens peuples connus et a la Chine ellemême. Mais si depuis cette époque les annales du Japon sont encore dans le genre astrologico-historique, que doit-on penser de ses annales antérieures ? VI. Nous devons donc mettre le goüt pour 1'astrologie au rang des causes qui ont dérobé aux siècles futurs la connoissance des siècles passés. Par la suite des  par ses 'usages. Liv. III. Ch. V. xy dés tems, les guerres, les destructions, les melanges des nations, les révolutions arrivées dans récriture et dans le langage ont produit le même effet; mais ii semble que tout d'abord 1'homme s'est mépris sur robjet de ses études, c'est la une des plus fortes raisons de la nouveauté de I'histoire, de sorte qu'il a bien pu arriver que les premières guerres ou révolutions ne nous ayent rien fait perdre ou du moins très-peu de choses, puisqu'il pourroit aussi se faire qu'il n'y eut encore rien dans les archives publiques ou dans les annales sacerdotales, sinon des chimères mystérieuses' et des observations physiques, mariées avec I'histoire, et faites dans le goüt des anciens systêmes. II y a aussi lieu de croire que le genre historique ne s'est formé que chez les nations libres, et seulement lorsque de simples particuliers ont osé faire les fonctions des prêtres, ou lorsque des hommes tels que les Hérodotej les Thucydide , les Tite-Live, s'embarassant peu des principes de ces corps politiques , ou ne les connoissant point, se sont avisés de faire I'histoire des hommes et des nations, au lieu de faire I'histoire des météores : méprise singulière, mais si heureuse qu'on doit leur en savoir un gré infini, ec leur pardonner tout ce qu'on peut remarquer encore en eux de foiblesse ou de crédulité; c'étoit la faute de leurs siècles et de leurs premiers modèles, bien plus que de leur génie particulier. Cette méprise devoit produire tót ou tard les plus heureux eriets, c'écoit de faire de 1'homme même la véritable école de 1'homme; les législations nouveiles ne se sont perfectionnées que par 1'étude des législations anciennes; les gouvernemens nouveaux n'ont pu se eorriger que par la connoissance qu'il; ont eue des gouvernemens anciens. Enfin il résuite pour 1'homme une facon de raisoutier plus ToTiC II. B  ï g: L'Antiquieé dévoilée grande, plus vraie et plus utile. Voyez la manière dont. Polybe parle de la république Romaine; voyez-le chercher dans les évènemens passés la cause des évènemens dont il étoit le témoin, et se servir du même moyen pour percer avec autant de sagacité que de sagesse dans la nature des évènemens a venir. D'une part considérez; la méthode des anciens pour expliquer des évènemens semblables; plus religieux qu éclairés, les uns les expliquent par 1'effet des faveurs ou de la colère du ciel', si une bataille est perdue, c'est que 1'oracle 1'avoit annoncé; si un gouvernement a été changé, c'est que la chose avoit été prédite; si un empire avoit fini, c'est que les astres avoient fixé son terme. Le ciel étoit le livre oü 1'on cherchoit 1'explication du passé comme du futur; 1'homme étoit totalement oublié, quand il s'agissoit d'expliquer les effets de sa conduite, il n'étoit pour rien dans I'histoire. De cette facon de raisonner et d'écrire l'histoire, il ne pouvoit rien résulter d'utile et d'instructif pour les races futures; les sociétés demem-èrent dans 1'enfance, 1'expérience des siècles antérieurs fut perdue pour elles, et elles furent forcées de régler leurs démarches sulles caprices, les intéréts et les volontés des gens gagés pour observer le ciel, au lieu d'observer les vices et et les vertus, les avantages et les désavantages des races précédentes, seule école capable de former et de diriger 1'esprit humain. VII. Si nous vculions donner un nom a ce systême des anciens peuples qui les portoit sans cesse a la contemplation du ciel, qui leur faisoit remarquer tous les phénomènes, qui leur faisoit tenir registre des moindres variations dans la nature, je ne sais si Ion pourroit en trouver un plus convenable et plus analogue a ce qui nous reste d'anciennes tradkions sur  par ses usages. Liv. III. Ch. V. 19 la religion des premiers peuples, que celui de Salüanisme. Le sabianisme esr une des plus anciennes religions du monde-, cela doir être puisque dans les premiers tems connus ce n'étoit déja plus qu'une , religion altérée, corrompue et convertie en une idolatrie astrologique. Une autre preuve de son antiquité c'est qu'elle semble avoir été universelle; on en rerrouve les vestiges partoute la terre, et dans les endroits ou son esprit ne règne plus on retrouve au moins ses usages et son étiquette. On tik parlé du sabianisme que comme d'une idolatrie; il ne suit point de-la que cette religion ait toujours été idolatre, mais nous pouvons en conclure que I'histoire ne remonte que jusqu'^ un tems ou tout en elle étoit déja changé et cofrompu. Le goüt qui déterminoit les premiers hommes a considérer la marche des cieux, a étudier les périodes des astres, et a régie r les tems et les actes de la religion. suivant le nombre des plantes et leurs différentes places, les a insensiblement conduits a abuser de ces usages fort innocens en eux mêmes. Ce n'étoit point une idolatrie de régler la marche des fêtes suivant la marche des astres; il faut des signes de ralliement aux sociétés, et les astres en donnent qui sont universels; le vice n'étoit donc point dans les usages périodiquesj mais dans la nature du culte même. Nous avons déja dit que la première religion des hommes, route pure qu'elle pouvoit être du coté de la morale et des idéés simples qu'elle donnoit de ia divinité, ne laissoit pas d'être souillée d'un vice apocalyptique, qui faisoit quelle considéroit les asrres et leurs phases sous des points de vue toujours redoutables, paree que 1'on effravoit la soeiété sous prétexte cle 1'instruire sur 1'instabilité des choses de ce monde. Voila le premier vice du sabiaedsme primitif; vice qui E 2  w VAntiquité dévoilée ayant mis ensuite les législations dans la nécessité de cachet les vrais motifs de la plupart des usages et des fètes, a donné lieu d'imaginet que les astres qui n'étoient que les annonces des solemnités en étoient les obiets, ce fut ainsi que les astres furent adorés. Cette chüte étoit aussi naturelle qu'inévitable a une religion dans laquelle le retour des périodes célestes amenoit toujours une fête, dans laquelle le déclin des astres et leurs éclipses annoncoient la crainte, le deuil et la tristesse. L'oubli oü 1'on tomba bientot des évènemens passés qui avoient donné lieu a ces usages, fit qu'on chercha a les expliquer par les vertus quW attribua a ces astres et par le pouvoir de leurs influences-, il fallut bien finir par respecter et adorer 1'armée cles cieux qui décidoit soxverainement des destinées de la terre et qui sembloit être 1'objet unique de la reli- gion- . ,. . Au reste il paroit que cette ancienne religion qui s'occupoit si fort de la marche et du retour périodique des astres, a pour cette même raison été appellée Sabianisme. Ce mot paroït venir de la même racine que nous avons trouvéé aux Sibilles, c'est-a-dire de Siba, retour, révolution; quelques-uns lont dérivé du mot Tsuba qui signifie Armée, ils fondent leur étymologie sur ce que les Sabiens adoroient 1'armée des cieux, mais il y a apparence que ce n'est que par un jeu de mots qui concilioit leurs noms avec leurs ouvrages, d'ailleurs ce mot lui-même signifie encore periode, term.e,jïn, temps précis et déterminé. Ainsi de facon ou d'autre le sabianisme annonce une religion dans laquelle les retours et les périodes des astres étoient l'occasiort des fétes et des assemblees reiigieuses. Religion d'abord apocalyptique et la source primitive et commune de toutes les terreurs vagues dont tous les  par ses usages. Liv. IIL Ch. V. 2r peuples, devenus par la suite idolatres et astrologiques, ■ont été agités a 1'aspect de tous les phénomènes et météores de la nature. L'examen des usages et de la conduite des Sabiens confirmera ce qui vient d'être dit de 1'esprit de leur religion. Ils saluoient le scleil a 1'aurore, a midi et au soir. Ils célébroient 1'enttée de eet astre dans ses douze maisons et sur-tout dans le signe du bélierj c'est aiors qu'ils commencoient leur année qui étoit solaire. Ils avoient cependant des temples pour chaque planète, et célébroient des fêtes pour leurs conjonctions; ils prioient sept fois le jour en leur honneur, et les regardoient comme les arbitres du soft des choses humaines; ils jeünoient au mois de février qui étoit ledernier de leur année. Tous leurs livres sont apocalyptiques et n'ont rapport qu'aux influences ces astres; ils les attribuent a Adam, a Seth, a Enoch, et ils disc-nt que pendant toute 1'éternité les mor: des doivent être successivement détruits et renouvellés, et prétendent que chaque période doit être de 3642; ans. Cette secte étoit fort livrée a la contemplation du système du monde, de la théologie physique et prophétique, a ia science des talismans, aux enchantemens et a la théurgie. Les Sabiens croient que la résurrection se fera au bout de 9000 ms. Les Perses suivoient le sabianisme avant d'embrasser le magisme; c'est des Sabiens beaucoup plus anciens qu'eux 3 que les Mages sèmblent avoir eraprunté un nombre de leurs dogmes; en effet le sabianisme paroit être la source commune de toutes les religions anciennes, il semble être venu d'Ethiopie, d'Arabie ou-de Perse. Les Sabiens avoient des 'jeunes et des macérations que les Perses n'ont point adoptés. Maïs les unes et les autres admettoient le dograe « 3, chapitre 27. paia- r livre 4i cuap. 6, parag. 1 comme nous 1 avons déja remarqué des Grecs et des Romains. D'oü il snit qu'en remontant aux premiers tems^de cette progression, ou doit trouver le tems oü les hemmes en voyant le soleil se coucher le soir , craignoient qu'il ne se~ levat pas le lendemain matin ; en un mot un tems 011 on étoit a chaque instant dans 1'attente de la destruction de 1'univers. IL Les Sabiens, comme on a vu, avoient une grande année assez semblable a celle des Egyptiens; elle étoit de 36425 années; on ne peut assurer sur quelle théorie ils 1'avoient calculée, ou si elle avoit la même source que 1'année égyptienne ; ce qu'il a de certain , c'est qu'ils donnoient les mèmes caractères y c'étoit, selon eux , le tems d'une révolution compïette du monde, aui devoit être suivie du renouvelle - D 4  tr!o:i des Banians par Lleniy Lord. Arnch. adv. Gentss , u'i. i. cm*7. iet Ueiirtuains , le siècle étoit divisé en tit absolument dans 1'univers; mais tout est sujet a » croitre et a décroitre , selon divers périodes; tout * cesse et tout recommence, tout meurt et tout renait; » 1'hiver suit la belle saison; la nuit chasse le jour , •> et le jour chasse la nuit; cette partie du soleil se " léve, et cette autre se couche; a peine eet astre a-t-i! « quitté sa station, qu'il tend a y revenir » (i). La grande année eüt-el let té coniposée de plusieurs milliers ou millions d'années, ce période immense n'étoit considéré que comme une petite portion de la durée du monde dont 1'homme, selon ce systéme, ne pouvoit embrasser rfi le commencement, ni la fin; cependant on croyoit ce même monde sujet a des changemens universels qui étoient réglés par les révolutions des astres. On voit cette doctrine exprimée dans Ovide par ces mots : Nee perit m tanto qiticquam , mihi credite , mundu ; Sed -variat, faciemque novat, nascique vocatur. Sic ad perrum, zenistis ab auro Svp.cula, sic tosies -versa est fortuna locon»n. Ovid. metam. lib. XV, fab. 4. (*) S'il y a peu de vérité dans ce systéme , on ne peut (1) Senec. epist. 55. (*) Cet ver» ont été ainsi traduits ou paraplirasés : Crois-moi , rien ne périt dans ce vaste univers, Kiea ne s'anéantit, tout se survit, tont ekange,  6i L'Antiquité dévoilet lui refuser une certaine grandeur ; est-il une erreur plus sublime ! elle a été la suite de 1'agrandissement de 1'esprit humain et de la sécurité rendue a son état et a la nature entière. L'ancienne révolution du monde qui fit penser dans le tems que la fin de toutes choses étoit arrivée , ne s'étant point trouvée être une fin absolue, on la crut diftérée ou retardée, on lui donna des périodes qu'on aggrandit toujours a mesure que les siècles s'accumuloient sur les siècles 5 enfin ces périodes se trouvant roujours en défaut, on vint & s'imaginer que le monde n'auroit point de fin absolue, qu'il pouvoit bien changer, mais qu'il ne périroit jamais. Cette doctrine auroit été capable d'erlacer a la fin tout 1'esprit apocalyptique de dessus la terre, et d'épargner aux hommes une multitude de fausses rerreurs; mais la doctrine des changemens étoit elle-mëme dangereuse et terrible pour le genre humain, elle étoit capable de produire les mêmes effets, et elle les produisit en effet; ainsi cette erreur de 1'éternité du monde fur inutile et dangerause. Qu'importe en effet au genre humain, lorsqu'il se voit détruit, de savoir que la matière n'est point anéantie, qu'elle survit a sa première forme, er qu'elle en doic prendre une seconde ; 1 nomme actuel n'en est pas moins détruit, et 1'homme futur ne peur ni le consoler dans ses malheurs, ni le rassurer dans ses craintes. Et de ce changement 1'alternative étrancre Kenouvelle a nos yeux tous les ètres diveis. Dans son immortelle carrière, La terre, enfant du noir chaos , En s'y replongeant toute entière, Dolt y trouver des cieux nouveaux. Mais Thomnte , ivre d'orgucil , foible en sa connoissance. Sujet a s'égarer quand il sonde les tems , Dans les èpaisses nuits des anciens changemen» S'iinagine du monde avoir vu la naissance.  par ses usages. Liv. IV. Ch. II. £^ Les millénaires qui adoptoient un règne terrestre de Dieu sur la terre renouvellée, n ont pas moins troubié le monde que les apocalyptiques décidés pour une fin totale et absolue de tout être et de toute forme. II est étonnant que presque toutes les religions pour contenir les hommes et modérer les-passions dans la vue de les rendre heureux dans ce monde et dans 1'autre , ayent toujours presenté au genre humain le dogma d'une fin rorale ou au moins d'un changement universel, er que les hommes n'ayent point de dogrne qui les affecte d'une plus grande terreur que celui de la fin du monde et du jugernent universel ; chaqne homme en particulier n'a-t-il donc pas sa fin devant les yeux, et son sort nest-il point décidé a sa dernièxe heure en bien ou en mal ? c'est sans doute un caprice de 1' esprit humain d'etre moins afFecté des véritts communes que des vérités extraordinaires ; il n'est point de jour qu'on ne voye ses concitoyens, ses pareus, ses amis, passer de cette vie a 1'autre; on sak qu'ils vont dès-lors recevoir le prix du bien ou du mal qu'ils ont fait, cependant la soeiété est tranquille, les esprits ne sont point émus. Mais prêche-t-on la fia du monde, annonce-t-on 1'approche du jugernent dernier er du royaume éternel, aussi-tót les hommes rremblent, la tête leur tourne; les nations troublées sont capables des plus grandes frénésies, et la soeiété est presque dissoute. Néanmoins chaque homrne, dans ce moment général, ne sera-t-ij pas pour son compte ou pour lui seul, comme il est dans son existence actuelle ? pourquoi donc préfère-t-on dans la mora'le un dogme que son éloignement devroit rendre foible, et que tant de fausses prédictions auroient du presque anéanrit , a un dogme instant et prochain, dont un homme raisonnable ne peut douter > II semble qu'une  . L'Antiquité dévoilée religion, amie du genre humain, devroit être sobre et réservée sur 1'autre. V. Un des caractères attribués par les anciens a la grande année, étoit de montrer a 1'univers lephénlAj autre dogme apocalyptique enveloppé'sous une allégorie qui est devenue par la suite fabnleuse et inintelligible. On se représentoit le phénix comme un oiseau rare et unique, de la forme d'un aigle, qui, lors des renouvellemens du période, sorroit d'Arabie, ou des Indes, ou d'un paradis terrestre situé vers 1'Orient, se montroit aux hommes, et se renouvelloit lui-même de ses propres cendres, après s'être brülé sur un bucher de parfums er de bois aromatiques qu'il avoit 1'instinct de construire, après quoi il portoit son ancieime dépouille en Egypte dans la ville d'Héliopolis sur 1'autel du soleil (i). Les tems de son apparition onr varié suivant les périodes que 1'on adoptoit; communément 1'on attendoit son retour tous les 500 ans : les Rabbins, toujours d'un esprit plus borné que les autres dans leurs fables même, font de 1'aigle une sorte de phénix qu'ils disent se renouveller tous les dix ans en se plongeant dans la mer. II est inutile de disserter sur ces périodes, dès qu'on convenoit en général que la vie du phénix étoit égale en durée a la révolution de la grande année, que sa naissance annoncoit le rétablissement des choses dans leur état primitif (2). Les Chinois et les Japonois ont de même un animal imaginaire de cette espèce qui ne patoït que rarement sur la terre. Tantót c'est un quadrupède aïlé, tantót c'est une espèce d'aigle d'une vitesse incroyable et d'un (1) Herodot. lib. I. ïacir. annal. lib. 4. ^a) Vossius , de idol. lib. 2, c*p. 47. caractère  pa f ses usages. Liv. IF. Ch. IL , et du passage que 1'ame fut pat la vie. Ce symbole » est un escaliet élevé qui conduit par sept portes a » une huitième , chacune de ces portes est de métal; » celle de plomb est attribuée a Saturne , celle qui est » d'or 1'est au soleil; il en est de même des autres se» Ion leur nature et leur analogie avec les autres dieux » ou planetes ». Sur cette merveilleuse doctrine , M. 1'abbé Bannier }i) SoMen in-nwfji. cle Tlils Syr. {.') Oligon. contra Celsurn, lib. VI.  par ses usages. Liv. IV. Ch. II. -ji demande si Cclse ne prête point trop d'esprit et de rafinement aux anciens Perses (i). Pour moi je n'y vois rien de trop forr; je n'y vois qu'un cyclisme imaginaire sous une forme sabbatique , accornpagné des opinions absurdes qu'une morale mystique et très-ancienne dérivoit de ce systéme. C'eüt été une science inutile de savoir que les planetes , que le soleil, que toute la nature étoient sujets a des déclins et a des renaissances, si on n'eüt pas travaillé en conséquence a se régénérer comme les -astres et a passer par rous les périodes de Ia perfection; c'étoit-la aussi une des préparations essentielles pour être initié , non-seulement aux mystères de Mithras , mais aussi a tous les autres que nous avons ci-devant parcourus et deint nous avons fait voir 1'esprit : il est vrai que le cérémonial de ces préparations étoit un peu plus astrologique dans les mystères de Mithras, mais le but oü 1'on croyoit qu'elles conduisoient étoit toujours le même. Les initiés prenoient des noms de constellation , se faisoient appeller /ion , corbeau, &c. ils en prenoient même la ffgurè par des habillemens propres a ces cérémonies; les degrés da perfection avoient rapport aux sept planetes, mais ces extravagances n'ernpêchoient point d'ailleurs que 1'on ne pratiquat des ausrérités réelles et même excessives pour arriver a (cette prétendue régénération; plusieurs y succomboient er mouroienr avant que d'atteindre le .but; quant a ceux qui avoient autant de force que de constance et qui subissoient toutes les épreuves., ils se croyoient a la fin ressuscités comme Mithras , régénérés comme le soleil, et révivifiés comme une nouvelle annee. VIII. Une sorre de conformité dans quelques céré- 0) Mytlio'ogie de Bannier, tome 5, page r58. E 4  If Antiquité dévcilée monies et surtout la ressemblance qui se trouve entre une espèce cle baptéme que les Mithriaques pratiquoient et celui des premiers chrétiens , a fait imaginer a quelques auteurs que ces fanatiques payens avoient emprunté le tout des chrétiens; mais qui ne sait que ces cérémonies et que ce baptéme étoient plus anciens que le christianisme ? Ils étoient d'usage chez les payens dans presque tous les mystèrès, et 1'esprit de ces purifications dérivoit naturellement de la doctrine cyclique des religions primitives. Ce seroit déshonorer en quelque sorte le christianisme de prétendre 5 comme on a fait si souvent , qu'il a éié la tige, ou comme le modele de cette foule de secres qui dans les premiers siècles de norre ère cnr troublé le repos du monde par leurs fausses prédictions, et qui ont dégradé 1'esprit humain par une multitude d'opinions bizarres et d'usages ridicules. La fausse nouvelle du renouvellement prochain du monde , qui avoit précédé de prés d'un siècle la naissance du christianisme , a été le principe comtnun de divers écarts auxqucls 1'esprit humain s'est poïté par la suite pendant plusieurs siècles coiv sécurifs. Cette nouvelle en révéiant la doctrine cachee si long-tems par la police et révélée aux seuls initiés, tépandit dans 1'univers le ferment du fanatisme que la sa^esse des législateurs s'étoit jusques-la eiforcée d'étouffer. Comme on s'attendit a voir finir le monde, il falloit bien se préparer a ce grand évenetneni en recourant aux mystères de la régénération •, mais comme on fut trompé dans son attente , il fallut imaginer quelque révolution mysiique et morale qui rïnt lieu d'une révolution natutelle et physique. L'homme aimera toujours mieux se repaïtre de nouvelles erreurs que de renonccr, tout simpltnient a celles dont U s'est vu le jouer.  par ses usages. Liv. IV. Ck. II. 7* Voila la véritable source d'oü nous verrons sortir cette foule de sectaires dont les opinions et les usages ont fait dans leur tems la honte de 1'esprit humain : c'est 1'unique dénoüment d'une multitude de faits énigmatiques et presque inconcevables, arrivés dans les mêmes ages, et de ces erreurs qui ont été 1'écueil des meilleurs esprits. A juger de Mithras par la nature de ses attributs et de son culte , il n'a été chez les Perses qu'une formule de période , qu'un planisphère astronomique er qu'une image cyclique , qui par la suite est devenu la divinité redoutable des cycles, des tems et des périodes, a laquelle les Mithriaques ont sacrifié des vi crimes humaines; en effer il n'est point de dieu plus cruel que celui de la fin des tems ; ori ne sauroit le'ïendre favorable que par des sacrifices très-précieux; puisqu'il détruir tout, ses sacrifices ont dü être barbares, inhumains , desrructeurs. Ce qui vient d'être dit de Mithras doit aussi s'appliquer a Moloch ie dieu des Ammonites (1). Si 1'on en croit les Rabbins la statue de cedieu contenoit sept chambres ou plutot sept autels ou chapelles dans lesquels on jettoit les oftrandes et les victimes, en observant de les mertre dans un rang proporrionné a leur mérite ; ainsi on ne jettoit dans le premier fourneau qu'une ofrrande de farine; on jettoit celle des animaux suivant leur dignité dans les autres fournaux, jusqu'au sixième qui étoit réservé pour le bceuf; mais le septième n'étoit destiné qu'a recevoirdes victimes humaines. Si ce récit est véritable , il semble qu'on doit reconnoitre dans Moloch un dieu cyclique par la progression septénaire ou sabbatique des offrandes qu'on lui (1) Ilyile, cap. V, p. 155.  74* L'Antiquité dévoilee faisoit et par la barbarie de son culte. II y a défh. long-tems que 1'on prétend que Moloch et Saturne n'étoient qu'une même divinité : on payoit a cette dernière des triburs ausssi inhumains , et 1'on sait d'ailleurs que Saturne étoit chez les payens le dieu du tems, ou le tems personnifié. Le jour universellement consacré a Saturne étoit le septième de la semaine, et les saturnales, comme on a vu, se célébroient a la fin de 1'année. Moloch et Saturne ont donc été aussi des emblêmes cycliques. En passant en revue la plupart des anciennes divinités , surtout celles qui ont un rapport sensible au soleil et a la lune, en les considérant sous eet aspect nous leurs trouverions aussi une origine semblable. Osiris , Adonis, Bacchus Proserpine , Cérès , Appollon, Mercure , Janus Sec. D'autres on vu 1'image de différens autres périodes dans les Parques , les Muses, les Gorgones ou Furies (i) armées de serpens, dans les Harpies , &c. IX. Mais c'en est assez sur ces symboles chroniques méramorphosés en divinités, il nous suffit de connoitre combien toute cette idolatrie étoit intimement liée a la science astrologique, dont il a été la source primitive et véritable. II est essentiel de remarquer combien ces opinions bizarres ont inrlué sur les divers évènemens de I'histoire du monde pendanr une suite étonnante de siècles ; cette doctrine apocalyptique, en chcrchan: a connoitre le destin furur de 1'univers, en voulant en fixer et en calculer le terme , se changea a la fin en une science astrolcgico-poluique, par le moven- (r) Les Gorgones , suivant Not-1 Ie Comto . livre 7 , sont nées dans la n'-gion des ténèbres , oü il n'y a ni soleil, ni lune. Leurs tètes sont prmées de serpens, leurs alles sont d'or, elles demeurent aux coniins d» 1'occident ; elles ont une vipère pour ccintuie et une maiu de fer. : ee; soat des dccsses infernales eï de la ven^i-ancc.  par ses usages. Liv. IV. CL II. 7$ de laquelle on chercha a deviner le sort futur des rnpnarchies et des puissances particulières qui dominoient sur la terre; on voulut de même prévoir et déterminer leur règne et leur durée par des calculs systématiques •, on voulut assujétir leur fortune au sort des années sabbatiques et climatériques ; on assigna a chaque peuple sa planète et son étoile, et 1'on prophétisa la chüre er 'la renaissance des empires, comme on prophétisoit la durée du monde, en examinant les jonctions des astres tutélaires. On a été jusqu'a faire 1'hoxoscope de diverses religions qui se sont établies sur la terre; c'est ainsi que le soleil a déterminé dans 1'esprit de quelques extravagans la naissance du christianisme qui, selon eux, devoit se détruire 1'an 365 de 1'ère vulgaire (1). C'est la planète de Vénus qui a fixé la naissance du mahométisme. C'est Saturne qui a fait naitre le judaïsme , lors d'une conjonction arrivée du tems de Moyse. C'est aussi une conjonction plus ancienne qui a fait naitre la religion de Zerdascht ou Zoroastre (2). Enfin la durée de ces religions est at- (1) Basnage , rome 5, page 656. (^} D'Herbelot, bibliothèque oriëntale, au mot Zerdascht. Quelques pèrea de I'église ont confondu Zoroastre avec Cham , fi!s de Noë,on le fait aussi roi de la Bactriane ; les pères croyoient qu'ils se nourissoit de feu. Les mages le font disciple du prophéte Elie, et d'autres Ie font disciple d'EIisée , d'Esdras ou de Jérémie. II a encore été eonfondu avec Abraham. On a prétendu qu'il étoit ressuscité dix jour* après avoir été tué a la guerre ; suivant d'autres, après sa mort il fut wis sur un bucher, dont il sortit sain et sauf au bout de douze jours. Ainsi sa fable a du rapport avec celle d'Osiris , d'Adom's , de Bacchus , etc. Qüelrjues-uns e» ont fait un Adam , d'auires un Moyse. On le regarde généra'emenr comme rinventeur du dogme des deux principes , Oromaze le bon, Arimane Ie mauvais ou démon, et Mithras le médiaïcur. II passé aussi pour rinventeur de la magie et de 1'astronomie: l« livre qu'on lui altiibue «'appelle Zenda-Vesta , a'Jume-feu. Zoroastre n'est peu-èiie que !e iablean des révolutions de ia terre par ie ff* , persomtjfiu/.-s.  $é L'Antiquité dévoilée tachée au retour de ces mêmes conjonctions. Cependant la raison devoit montrer que les erreurs humaines ne dépendent point de la conjonction des astres qui ne détruiront jamais Tempire de la vérité. Néanmoins c'est dans eet esprit que les Juifs caraïtes disent que si leur messie n'est point encore venu, il faut en imputer la faute a la lenteur du mouvement de Saturne que les Juifs, d'un accord assez ancien et assez commun regardent comme Tastte qui préside a leur nation. En effet ce ne sont point-la des opinions rnodernes nouvellement inventées et adoptées par quelques peuples, c'est comme un plan universel d'erreurs qui embrasse tous les tems. Les anciens Perses avoient une grande opinion des règnes qui commencoient avec les années er les périodes nouveaux. Tamerlan, comme on a vu, fut appellé le monarque des conjonctions ; le roi de Perse sous le règne duquel arrivoit le mois intercallaire du période de 120 ans, étoit réputé rrèsgrand er trés-heureux (1). On voit que les Chinois, toujours séparés du reste du monde, ont inveïité de fausses conjonctions et des phénomènes imaginaires pour faire leur cour a leurs souverains, lorsqu'il arrivoit des changemens politiques dans leur empire ; ils ont eu eet usage dès les premiers tems de leur monarchie, et ils le pratiquent encore en faveur d'un nouveau mairre. D'un autre cóté, chaque fois que la nature a produit des phénomènes réels, les Chinois comme tous ies autres peuples du monde ont été en rufneur, et souvent leur esprit frappé de ces (\) Memoires de 1'académie des inscriptionj , tomo XVI, p. 2.',o. B'Heroelot, p. 754 et o5S. Hyde , de relig. Pursarum, tap. r, p^ aoj. Eibliotii. oriënt, au mot Keraiij  par ses usages. Liv. IV. Ch. II. 77 dtangemens physiques, en a produit de politiques et de moraux. En un mot c est encore Ie systéme des Orientaux que les conjoncrions produisent de ttès-grandes révolutions dans le monde, et ce qu'il y a de plus malheureux dans ce préjugé, c'est que les évènemens occasionnés par la seule prétention n'ont souvent que trop justifié ce systéme. Joignons a ce tableau de 1'orient tous les évènemens divers que nous présente notre histoire ancienne, dans les tems oü les nations n'entreprenoient rien sans avoir consulté les astres. Point de guerre, point de bataiile , point de fondation de ville, sans avoir auparavant examiné 1'état du ciel. Songeons que cette science de 1'univers , dégénéra au point de régler les actions des moindres particuliers, comme les entrcprises des narions entières : un père de familie, une mère, un voyageur faisoient présider un astrologue a toutes leurs démarches. Qu'on juge après cela si les suites des anciens malheurs du monde n'ont pas mille fois coutri-. bué a changer la lace de la terre, le caractère du genre humain, et a produire les plus grands ravages. X. Mais voici une aurre réflexion que la connoissance de ces erreurs doit encore nous présenter avant de passer a un autre sujet. Si les anciens ont pensé que les évènemens futurs étoient soumis a un ordre. chronique de cycles et de périodes, n'auroient-ils pas aussi imaginé que les évènemens passés avoient été sujets au même ordre ? Ne seroit-il pas arrivé de-la que le* même principe qui a produit pour 1'avenir tant de fausses et tarit de dangereuses prophéties , a aussi produit de trés-fausses et de très-ridicules histoires du passé ï Cette réflexion est importante : elle paroitra peut-être singulière, mais elle se présente naturellement a quelqu'un qui est déja prévenu contre les fausses antiqui-  ^3 L'Antiquité dévoilée tés de la plupart des peuples, a quelqu'un qui sak par exemple que les premiers ages des annales de 1'Egypte et de la Chaldée qui présentent une suite prodigieuse d'années, ne sont que des périodes astroncmiques ou astrologiques; que la durée des premières families impériales ou divines est exprimée chez les peuples de ces pays par les termes chroniques de la révolution des fixes ou des planètes. C'est en effet a quoi se réduisent les 475 mille ans que les Chaldéens se donnent suivant Diodore, et les 436 mille ans que Bérose donne a leurs dix premiers rois (1). De-la aussi ces longues vies des hommes ou des dieux sur la rerre, er 1'on voit bien que celui qui avoit régné en Egypte 1460 ans, n'étoit autre chose que le période du cycle caniculaire personnifié, rransformé en un ancien monarque, et que ceux qui avoient régné 3000 et 9000 ans n'ont possédé la couronne qu'au même titre. On a remarqué chez les Chinois des erreurs semblables et sorties du même principe. Les règnes de la plupart des rois qu'on dit avoir précédé Fohi, ont été reconnus pour n'avoir été mésurés que par des périodes astronomiques ou cabalistiques qu'on a fait passer pour des espaces historiques réels (2). II en est de même des Japonois et des Indiens. II semble, dit Fréret a ce sujet, que dans tous les pays et dans tous les siècles les esprits aient été sujets a la même maladie (3). Ces énormes durées n'en sont pas moins remplies de faits; ils sont fabuleux, il est vrai, mais on y trouve des traces de 1'état des premiers ages du monde, (1) Diodor. lib. II. ■ (2) Mémoires de 1'académie royale des sciences , rome VIII , «jaee 2?4. (5) Mémoires de 1'académie des inscriptions, tome XVIII , page  par ses usages. Llv. IV. Ch. II. -ytj, qui montrent qu'il y a d'ailleurs un fond d'hi'stoire ou de vériré que 1'esprit de systéme a rendu monsrrueux et a défiguré de concert avec le style allégorique. On remarqué même que non-seulement le tems de la durée des règnes ou des families est dressé sur un plan astronomique, mais encore que souvent le nombre des princes des premières dynasties est assujéti ou au nombre dss yignes du zodiaque ou a celui des sept planettes ; ainsi I'histoire de ces rois se ressent des caractères attribués par 1'astrologie aux constellations et aux planettes. C'est ainsi qu'une ancienne chronique égypdenne compte six rois avant Typhon, et celui-ci, qui est le septième, est exterminé après avoir causé tous les désastres de 1'univers. Une chronique chinoise met pareillement six rois avant Iao , et le septième , qu'elle nomme Tchi, est chassé du tröne. Les Japonois commencent leur histoire par sepr esprits célestes : les Romains commencent la leur par sept rois, dont le dernier fut dépouillé de la couronne. Quoique ce dernier peuple soit bien. plus moderne que les autres, on ne doit point être effarouché de voir ses premiers règnes mis au même rang que ceux des esprits du Japon \ on a déja formé une infinité de soupcons contre 1'authenticiré de I'histoire des rois de Rome; la remarqué que nous faiscns ici doit servir a les augmenter, et je les justifierois pleinement, s'il n étoit pas trop long d«? faire une analyse comparée ds ces sept rois avec les sept planettes. Je ne prétends point par-la rendre Rome moins ancienne qu'elle ne doit 1'être; puisque je suis du sentiment que les Chinois et les Japonois peuvent être physiquement plus anciens qu'ils ne pensent, ce n'est qua Rome historique , ce n'est qua I'histoire de tous les peuples que  So L'Antiquité iévoilée je crois qu'on doit faire des retranchemens , en ii'ad-* mettant point comme réels des epoques et des périodes imaginaires inventés plutót par 1'ignorance de la véritable antiquité que par la vanité de passer pour anciens. Si les nations eussent exactement connu leur antiquité et leur histoire, elles n'eussent jamais eu recours a de vains systêmes et a de fausses spéculations pour régler 1'ordre des évènemens passés; on n'auroit point écrit que Rome a été fondée le jour d'une éclipse, le jour du renouvellement d'une grande année; que Numa étoit né le jour de la fondation de Rome; qu'Enée étoit morr ou disparu la septième année après la prise de Troie (i). On n'eur point écrit que les anciens rois ou dieux d'Egypte éroienr tous nés dans les jours du solstice d'hiver; qu'Osiris avoit règné autant d'années que le mois lunaire périodique a de jours. Qui ne voit pas que toutes ces fables antiques riennent a eet esprit de systéme qui fait que les Orientaux regardent encore aujourd'hui comme un signe très-heureux de commencer son règne avec le jour d'une nouvelle année ou d'un nouveau cycle, ou lors de quelque conjonction ? qu'estxe donc qui empêcheroit de croire que lés premiers écrivains de I'histoire romaine ne 1'aient altérée par une contagion générale d'opinions répandues sur toute la terre 3 en effet, des exemples plus rnodernes nous prouvent que la vérité ou 1'exactitude de I'histoire a été fréquemment altérée par ces vaines idéés. L'historien Josephe a placé 1'ère des Séleucides au i y d'avril, quoiqu'elle eüt commencé en automne, c'est qu'il a (1) Cicero , somnium Scipionis , parag. 18. Maerob. in Somnium Scipionis, lib. II, cap. 11. Dionys. Halicarnass. lib. I, cap. 21 , 27 «t 23. voulu  pat ses usages. Liv. IV. Ch. II. $L voulu qu'elle commencat avec une année paschale des Juifs. Quelques-uns pour cette même raison ont aussi placé au i; d'avril le commencement du règne dxHérode , quoiqu'il neut commencé que quelques mois plus tard (i). Les Egyptiens ont de même antidaté de plusieurs mois Tére de Dioclétien, afin de faire concotrir cette ére avec le renouvellement de 1'année particuliere dont ils se servoient. Depuis un tems immémorial, a la Chine tous les règnes des rois sont toujours censés commencer avec un nouvel an. XI.^ L'époque dont on se sert annuellement par toute 1'Europe est elle-même un monument de toutes ces antiques préventions. Nous lui donnons le nom d'ère vulgaire, paree qu'on a reconnu qu'elle n'esr point la véritable. D'après 1'habitudede plusieurs siècles d'ignorance nous comptions la i7;oe. année , tandis que nous étions réellement dans la i7;4e. L'intervalle de jzoo ans que 1'on compte, suivant la chronologie d'Eusèbe , depuis Ia création du monde jusqu'a 1'ère vulgaire, forme un grand période astronomique lunisolaire (2). ^ Jésus-Christ étant néj'an 7;o de Rome, et non Tan , on ne sait trop a qui attribuer Terreur de notre chronologie 5 on la remarqué déja dans Tertullien U) ; mais elle doit vraisemblablement appartenir au premier siècle de cette ère et a 1'esprit cyclique qui y régnoir. La destruction de Jérusalem et de la nation juive fut un de ces évènemens que les Orientaux et les Juifs eux-mêmes ne croyoient pouvoir être arrivé O; Basnage, histoire des Juifs, tome I, page i56. (3) Memoires de 1'académie royale des seiences , tome VIII. nao-e 28S. ' r 0 (5) Tertuliea, adv. J«dEOs, cap. d« pastione Christi et Tastation* /«rusalem. Tome II. p  §, L'Antiquité dèvoiléc que dans les années climatériques. Elle arriva 1'an 813 de Rome : et comme de la jusqu'a la naissance de Jésus-Christ, qui formoit aussi une époque bien plus intéressante, il se trouvoit 74 ans, ce nombre fut arrondi par quelque cabaliste ou chrétien judaïsantj et réduit a 70 ans pour être plus sabbatique. Voila sans doute ce qui a placé notre ére a 1'an 754 de Rome , tandis qu'elle devroit être placée a 1'an 750. La nature du calcul particulier aux Juifs tient a leur systéme favori sur la fatalité du nombre sept, et n'est qu'une suite d'un systéme général de chronologie que quelquesuns ont comme adopté, et qu'il est bon d'approfondir, paree que Terreur qui a produit notre ére vulgaire n'en est qu'une conséquence. Le temple de Jérusalem détruit par Titus Tan 70 de notre ére vulgaire , avoit subi le même sort de la part de Nabuchodonosor Tan 589 avant la même ère; ainsi Tintervalle chronique entre ces deux destrucrions est de 659 années chroniques et historiques dont jamais personne n'a douté et dont en effet on ne pouvoit pas douter, quoique les Juifs aient ajouté la fable que ces destrucrions sont arrivées au même mois et au même jour, hasard trop merveilleux pour être véritable, mais dont il est toujours bon de remarquer Tesprit. On ne soupconneroit pas qu'on eüt été tenté de corrompre un intervalle aussi déterminé par I'histoire , c'est cependant ce qu'ont fait quelques écrivains juifs en réduisant les 659 années £t 7 fois 70 , c'est-a-dire a 490, afin de mettre un période sabbatique entre deux évènemens également fatals a leur nation (1). Le calendrier juif de 1674, cité par Basnage, au livre VI, chapitre (1) Histoire des Juifs de Basnage , livre 7, cliapitre 12, parag. 19. Histoire ecclisiastiqua de Fleury , lome I, page 245 «t suit.  par ses usages. Liv. IV. Ch. II. 8; 29 de son histoire, comptoit depuis la destruction du remple par Nabuchodonosor 2097, et depuis celle de Ticus 1607, dont la différence est le nombre cyclique ou sabbatique de 490 ans. Si de tels calculateurs eussent été dans leur tems les seuls écrivains de leur histoire, on peut juger combien notre histoire ancienne seroit systématique sans que nous püssions nous en douter et -sans pouvoir la réformer si nous nous en appercevions. Si la chronologie des tems qui ont précédé ces deux destrucrions chez les Hébreux étoit énoncée dans leurs livres sacrés d'une manière plus méthodique et plus claire qu'elle n'est, et si les tems n'eussent point introduit entre les différens textes quelques variarions qu'on ne peut concilier , il faudroit se servir de cette chronologie pour apprendre aux chronologistes juifs que leurs pères n'avoient point eu de systêmes aussi ridicules , et que leurs premiers écrivains ont rapporté les dates et les faits dans leur simplicite ; mais malheureusement pour leur faire une telle lecon, il n'y a pas assez d'uniformité dans les résultats chroniques que les commentareurs rnodernes ont tïrés des livres hébreux; autant de commentateurs autant de sentimens divers , et plusieurs même d'entre eux semblent avoir suivi ce même esprit de systéme que nous venons de remarquer dans les Hébreux rnodernes. Si je veux connoitre qu'elle a été la durée de la royauté chez les Hébreux, et que j'ouvre les tablertes chronologiques de 1'abbé Lenglet, je vois le sacre de Saül, leur premier rpi, placé 1'an 1079 avant notre ère; je vois le détrönement de Sédécias, leur dernier roi, dans la même année que la destruction du temple par Nabuchodonosor en ƒ89 : je suppute et je trouve encore sept fbïs 70 ou 490 ans pour la durée de la F 2  84 L'Antiquité dévoilée royauté chez les Hébreux. Je suis très-éloigné de penser que eet écrivain moderne ait eu la folie du sabatisme; mais comme il esr bien difïïcile que ce soit la la chronologie effecrive de la bible, j'aime mieux croire que eet auteur judicieux a suivi, sans y faire attention, quelque plan plus ancien que celui qu'il vouloit faire. Si je veux pousser plus loin dans 1'antiquité judaïque, et connoitre par un auteur bien plus ancien que le dernier, quelle a été la durée du règne de dieu, ou de la theocratie , qui chez les Hébreux précéda l age des rois, je prends Eusèbe, qui a essayé de supputer tout le tems ou les Hébreux fixés dans la terre de Canaan ont vécu sous ce gouvernement : j'additionne très-exactement toutes les années des différens juges et des différentes servitudes jusqu'a Saül, et je trouve encore 7 fois 70 ans pour la durée du règne de dieu sur le peuple d'Israël (1). (z) Si je remonte plus haut encore et que je consulte Josephe pour savoir la durée du tems qui s'est écoulé depuis le déluge jusqu'a la naissance d'Abraham , je trouve 993 ans; si vous otez les unirés de chaque age, il reste 980 ans ou deux fois 490 ; cependant Josephe dit au même endroit que du déluge a Abraham il n'y a que 291 ans. Je le répète , de pareilles époques ne peuvent appartenir a la bible. Un cyclisme aussi absurde ne peut avoir été imaginé que par des esprits qui ont voulu disposer les faits dans un ordre systématique, qui a par la suke indult en erreur des hommes assez sages pour ne s'en pas métier, car il faut convenii que ce (1) Euseb. praeparat. evang. lib. X, cap. 14. Si les peuples ont eu 1'imaginaüon si frappée de la fatalité des rins de périodes et du bonheur attaché a leur renouvellement, qu'ils ent cru que le passé avoit été réglé comme ils ont cru que le seroit 1'avenir; la vanité des principes concourant avec les préjugés des peuples, n'a-t-elle pas pu aussi contribuer a 1'obscurité qui règne dans I'histoire \ N'ont-ils pas multiplié sans nécessité les ères er les époques, pour que leur nom passat a la postérité ? En effet cette vanité n'a eu lieu que. trop souvent; c'est elle qui a donné naissance a une multitude de périodes civils ou politiques, qui n'ont pas moins contribué que les périodes astrologiques a éteindre le souvenir des périodes antérieures. On dit que Nabonassar qui en 747 avant 1'ère vulgaire institua celle qui porte son ncm dans 1'Asie, le fit par la folie ambiticn de rendre son nom mémorable; il brüla et détruisit dans cette vue toutes lesantiquitésbabJoniennes, afin que I'histoire ne datat plus qi e par son ère et par son nom, et que le passé fut ainsi enseveli dans un oubli éternel (1). Un empereur de la Chine, nommé Chi-Hoangti, eut a-peu-près la même frénésie 1'an 214 avant notre ère. II livra aux Hammes tous les livres qu'il put découvrir, ce qui rendit sa mémoire exécrable. Cette (1) Beros. apud Syacell. p. 207.  par ses usages. Liv. IV. Ch. II. 87 malheureuse folie dérivoit trop naturellement des idéés de grandeur ec de célébrité que 1'on artachoit aux renouvellemens, pour ne pas sentir qu'elle a du quelquefois porter des princes a se donner du reliëf par des périodes factices, auxquels ils donnoienr leur nom. On date toujours a la Chine de 1'année de 1'installation du prince, c'est une époque qui porte son nom; s'il change de nom, 1'époque se renouvelle, et la date est forcée de changer (1). A Siam chaque prince établit pareillement une nouvelle époque qui a cours pendant son règne (2). Cette sotte vanité est encore d'un fréquent usage au Japon; presque tous les monarques cherchent a s'immortaliser par de nouveaux cycles; mais comme ils ont presque tous la même vanité , ils n'en deviennent pas plus célèbres pour cela; c'est par les bienfaits que les rois font a leurs peuples qu'ils devroienr songer a se rendre immortels. Les monarques Japonois trouvent plus court de faire des époques qui jettent I'histoire de leur pays dans la plus grande confusion (3). Joignons a ces fureurs pour le cyclisme la cérémonie bizarre du clou sacré, donr nous avons ci-devant parlé, et qui servoit a changer de période lors des calamités publiques; jugeons si de toutes les causes qui ont nui a la vérité de I'histoire, il en a été une plus dangereuse que le cyclisme qui 1'a corrompue dès sa naissance. Nous regrettons bien des monumens dont les révolutions etlabarbarie ont privé le monde; peut-être que si nous les avions, nous ne pourrions en rien (1) Histoire des Huns , tome I, page aG. (2) Mémoires de 1'académie royale des scie.-.ces, lome VIL, page 7°'9- (5) Ke.npfor , tome I , page i5a. F4  ss L'Antiquité dévoilée tirer, sinon la confirmation des erreurs que nous venons de développer dans les monumens qui nous restent, qui ont été basis eux-mémes sur de plus anciennes erreurs. L'esprit de 1'homme, engourdi, dans le malheur et frappé par les rerreurs pfimitives, n étoit dans les tems plus recules que plus absorbé dans les prejugés dont nous venons de voir les suites. Quels ont dü être les fruits de ces dispositions primitives dans les commencemens du monde renouvellé, puisque, même après tant de siècles, leurs effets et les suites de ces terreurs nuisent encore en mille manières a la tranquilLté dé 1'homme et au progrès de.la science et de la raison ? CHAPITRE III. Du dogme de_ la venue du grand juge a la fin des tems; de Vattente ou ont été les nations d'un dieu qui doit détruire 1'univers. Des opinions et des usages de l'antiquité occasionnés par ce dogme. j'attente d'un dieu qui doit venir a la fin du monde exercer ses jugemens sur la terre, est un dogme attaché a celui de la destruction et du renouvellement de 1'univers. Tous les hommes sont convenus que ce sera dans eer instant fatal que 1'Etre suprème viendra décider du sorr du genre humain, afin de récompenser les justes et punir les méchans. Ces dogmes étant inséparables, il faur aussi que les erreurs et les opinions bizarfes qri naquirent d eux, lonqu'ils eurent été obscurcis et corrompus, devinssenr inséparables; elles tnarchèrent de front avec les dogmes qui les avoient enfantces, et d'un commun accord ces dogmes et ces  par ses usages. Liv. IV. Ch. III. $«> erreurs troublèrenr conjoiatement les hommes, chaque fois qu'ils se sent imaginé voir expirer quelque grand période, ou chaque fois qu'ils se sont attendus a en voir renouveller un autre. Nous allons voir a combien de folies 1'abus de ces idees donna lieu, et de combien de malheurs elles furent la source pour le genre humain inquiet, toujours passionné pour le merveilleux. Les différens aspects sous lesquels 1'Etre suprème peut être envisagé en sa qualité de juge et de monarque de 1'univers, ont produit tous les contrastes que nous allons voir dans 1'attente indéterminée des nations ; un dieu qui doit punir et récompenser, qui doir détruire et renouveller la nature, est nécessairemenr a la fois un être redoutable et desirable; 1'union des titres de destrucreur et de réparateur doit infailliblement imprimer dans 1'ame une terreur religieuse, surnaturelle et un amour respectueux. Ce fut la, selon les apparences, la première disposition des hommes; lorsqu'ils virent les élémens déchaïnés contre eux, le monde ébranlé er leur habitation submergée par les eaux, ils crurent, sans doute, être a la fin de 1'univers. Mais lorsqu'une fois une théologie obscure et bizarre, jointe a un langage allégorique et a des peintures idéales , ent divisé ces deux caractères, on tomba dans cette première des erreurs qui fit imaginer deux principes dans la nature; on crut avoir tout a espérer de 1'un, on crut avoir tout a craindre de 1'autre. Le dieu des justes et des méchans, ainsi considéré comme une doublé divinité, fut honoré par des cultes contradictoires, il fut aimé et desiré sous un nom; il fut craint et détesté sous un autre; son attente fut pour les uns un dogme consolant et chéri, qui ne donna lieu qu'a des cérémonies gaies et a des espérances flatteuses; elle fut pour les autres un dogme odieux  90 L'Antiquité dèvoilée et désespérant, qui n'enfanta que des usages barbares, des opinions lugubres, des cérémonies cruelles et déraisonnables. Enfin au lieu d'un s?ul être on en attendit plusieurs, les uns bons et favorables, et les autres nuisibles et malfaisans. Quoique le dogme de la descente du grand juge soit un dogme religieux et respectable par lui-même, nous lui donnerons iei le nom de dogme apocalyptique , paree que nous ne le considererons que d'après I'abus qu'on en a fait. Ainsi que tous les autres dogmes que nous avons déja examiné, celui-ci a souffert une variété étonnante de déguisemens, et nous aurions bien de la peine a le reconnoitre chez la plupart des peuples, sans les autres opinions efïfayantes auxquelles il est presque toujours demeuré uni , quelque déflguré et dénaturé qu'il ait été; en sorte qu'il n'y a point de doctrine apocalyptique a laquelle on ne trouve jointe quelque attente vague d'un ou plusieurs êtres indéterminés, tantót bons, tantót mauvais , mais égalemenr décorés de quelque culte qui en décèle le véritable caractère. II. L'attente du jugernent dernier est peut-être le dogme dont on ait le moins soupconné 1'antiquité payenne; si on ne Ta envisagé qu'avec les mémes yeux avec lesquels tant d'autres 1'ont examiné jusqu'ici. Mais rappellons-nous ici ce que nous avons entrevu dans les premières fêtes commémorarives du. paganisme par lesquelles nous avons cemmencé norre travail; repassons ensuite ce que nous avons découvert par 1'examen qui a étê fait de la doctrine commune aux mystères et aux Sybilles. L'examen des Saturnales nous a d'abord montré que 1'esprit de cette solemnité qui se célébroir aux jours du solstice, étoit de rappeller aux hommes 1'ancienne destruction, le renouvellement  par ses usages. Liy. IV. Ch. III. 91 du monde, et de leur apprendre par différens usages que ce monde se renouvelleroit encore, qu'il y auroit une autre soeiété et un autre règne sous lequel les hommes seroient parfaitement heureux. Par le développement de la doctrine des mystères et de celle des Sybilles nous avons vu a découvert ce que nous n'avions fait qu'entrevoir dans la fête des saturnales. Nous avons vu que les anciens ont eu une science de 1'univers qui embrassoit 1'avenir ainsi que le passé, et qui promettoit un séjour de felicité ou un règne fortuné, qu'un dieu nouveau rameneroit avec un nouveau periode. Selon les uns, ce dieu furur devoit être Bacchus; c'étoit ce dieu qui devoit détrêner Jupiter, ainsi que ce-lui-ci avoit autrefois détróné Saturne qui avoit traité Uranus ou le ciel de la même manière ; selon d'autres, c'étoit Osiris; selon d'autres, c'étoit Pluton. On admettoit donc autant de dieux différens qu'on admettoit de périodes ou de grandes années; ce qui prouve que 1'attente d'un dieu monarque ou d un age futur étoit aussi apocalyptique que le systéme des pénodes; il y avoit nn cyclisme pour la succession des dieux, comme il y en avoit un pour la succession des mondes. Cette antique doctrine esr encore admise par les Siamois; chaque renouvellement du monde est censé donner un nouveau maïtre a la nature; leur histoire parle déja de quatre changemens, ils vivent constamment dans 1'attente d'une cinquième révolution qui changera leur culte et lui donnera un nouvel objer. Au Pégu 1'on croit pareillement la succession des mondes er des dieux; on est dans 1'idée que 1'univers a déja eu cinq dieux dont quatre ont régné; il y a environ 2000 ans que le quatrième est mort, et celui qui règne actuellement ne doit point tarder a avoir le  2 L' Antiquité dévoilée même sort; après son trépas le monde sera détruit par le feu, et, comme le Phénix, il se renouvellera de ses cendres. A Siam le règne de chaque divinité périodique est fixé par un cerrain nombre d'élus que dieu doit sanctifier pendant son règne; lorsque ce nombre est complet, le dieu retombe dans le repos éternel qu'ils nomment Nireupan, c'est-a-dire, dans un état d'insensibilité, d'apathie et d'inaction; alors un nouveau dieu succède et gouverne 1'univers a son tour (i). Les Quosas, peuple d'Afrique, croyent en un seul Dieu, créateur de toutes choses; mais selon eux il n'est point éternel; il aura un successeur qui punira les méchans et qui récompensera les bons. Le danger de ces doctrines a été reconnu fort anciennement; les législateurs des peuples policés ont senti combien cette attente étoit contraire au repos et au perfècrionnement des sociétés. Nous avons fait voir que le motif du secrer des mystères et des oracles sybillins étoit de cacher et de faire oublier au peuple un dogme religieux propte a le dégouter de la vie sociale, pour 1'occuper des rerreurs a venir. Avant cette politique ce dogme n'étoit que dangereux, mais par la suite il devint absurde par 1'ignorance oü on laissa les peuples sur les motifs des usages qu'on eut I'imprudence de lui laisser; mais il esr bien plus facile de tromper le vulgaire sur le motif de ses usages, que de les lui èter; c'esr la, comme on a vu, ce qui a fait qu'on a été si éloigné de soupconner que tant de fêtes payennes, tant de solemnités turbulentes, qui n'ont a 1'extérieur que des morifs mythologiques, ayent eu (i) Histoire générale , civile et politique par 1'abbé Lambert , tome 9, page i5o et 175. Histoire générale des voyages , tome 9, page ag5 et (ome 3, page 6o3.  par ses usages. Liv. IV. Ck. III. les Chinois, les Japonois, les Tartares, et tous ces peuples qui attendent un Vistnou, un Brama, un Foë, un Siaka , &c. assurent que ces dieux sont déja descendus sur la terre plusieurs fois; d'un autre coté ils disent que tous les dieux que 1'on voir dans leurs temples sous mille formes différentes ne sont qu'une même divinité qui leur est apparue autrefois et qui a vécu parmi eux sous des formes diverses et .sous des noms difrtrens ; enfin ils protestent tous contre le polythéisme dont on les accuse; ils expliquent paria métempsycose ce que les Grecs qui considéroient leuts dieux comme une grande familie , expliquoient par une génération ordinaire. Si les premiers Grecs eussent été aussi mystiques et aussi subtils que les Indiens , ils eussent vraisemblablement expliqué leur polvhréismè de la même manière, ils eussent pensé de tous leurs dieux et de leurs déesses ce que ion pensoit de Bacchus en particulier dans les mystères des Orphiques, c'est-a-dire, ils les eussent regardés comme • tics Osiris régénérés. Cette doctrine si cachée chez les Grecs ct dont on voit les traces dans les premiers tems (i) DioJor. !ib. 4, ait, 5.  par ses usages. Liv. IV. Cli. III. 119 indique que la subtilité des Indiens rnodernes est innniment ancienne, et que leur pays est peut-être la source de toutes les subtilités semblables qui de chez eux se sont répandues par tout le monde. Peut-être que Bacchus surnommé Bromius n'est que le Brama de 1'Indosran. On voit en effet par Diodore et par d'autres anciens auteurs, que les Indiens revendiquoient ce Bacchus contre les Egyptiens et les Grecs (1). Ce sont ces mêmes Indiens qui paroissent les inventeurs des incarnations ou renaissances multipliées des dieux : idéés que les voyageurs rnodernes nous attestent s'être conservées chez eux depuis 1'antiquité la plus reculée. Au reste, cette subtilité des Indiens qui n'est elle-même qu'une erreur, fait connoitre que ces peuples ont bien senti qu'ils s'écartoient de la vérité, mais qu'ils se sont trompés sur le chemin qu'il falloit prendre pour y retoarner. Cette subtilité est d'autant plus vicieuse qu'elle ne coupe point racine a 1'actente indéterminee et dangereuse de la descente d'un dieu suprème. En vain les hommes ont cru en divers tems posseder 1'ebjet de leur attente ; comme jamais les condirions de cette apparition n'ont été remplies,, paree qu'elles ne sont point faites pour 1'être, ils ont encore attendu de nouveau; et, ce qui semble bien étrange , c'est que loin d'en vouloir du mal a ceux qui les avoient trompés, ils ont toujours trouvé des tempéramens pour se tromper eux-mêmes en justifiant ceux qui les avoient abusés ; tantót ils ont imaginé un changement mystique arrivé dans le monde , tantót un changement moral, tantót un changement politique; ces changemens ont tenu lieu dans leurs esprits de ce changement physique et universel qu'ils attendoient, et quin'érant point en- (0 Diodor. 'ib. 4, cap. i.. Bé  no L'Antiquité dévoilée core venu, met le genre humain dans une disposition qui le livrera toujours a de nouvelles erreurs et séduetiöns. Joignons a cela 1'adresse de ceux qui ont trompé les hommes, et de ceux qui étant déja trompés ,, ont cherché a se faire iilusion a eux-mêmes et aux autres ; ils ont presque tous dit que la descente de leurs dieux n'avoit été que provisoire et faite pour préparer les hommes a'la fin du monde : voila pourquoi tous ces enthousiastes ont eu une morale austère , une discipline sévère et ont pratiqué des pénitences rigoureuses. II ne faut point sen é tonner : comme toutes ces apparitions des dieux ont toujours pour objet et pour base la destruction ds 1'univers , quelle autre morale ont pu prêcher ceux qui étoient pénétrés de ces dogmes , sinon celle qui convenoit a un monde agonisant ? Sa sublimité et ses excès sont les preuves des faux principes qui 1'ont fait débiter : si cette morale est la plupart du tems au dessus des forces humaines et peu faite pour la soeiété , c'est qu'on ne comptoit plus sur 1'exisrence ou la durée de la soeiété : c'est qu'il ne s'agissoit plus que de se préparer au grand jour qui devoit être le dernier cle 1'univers. Chez l?s Indiens, Vistnou, Buda, Foé', Sommonacodom , &c. ont cux-mêmes prédit leur retour, et ce retour est toujours le dernier qu'on attend; cependant depuis des milliers crhnnées que les Indiens sont les • lupes de ces promesses et des pénitences outrées que quelques-uns d'entr'eux pratiquent pour se préparer a 1'autre vie, les prédictions ne se sont point accomplies •, malgré cela ils sont toujours prêts a être trompés de nouveau. Les Siamois qui attendent Sommonacodom, courent après tous les sourds, les imbéciles et les stupides, paree qu'ils s'imaginent que tous ceüx qui ont 1'esprit égaré ont recu de ce dieu quelque  par ses usages. Liv. IV. Ch. III. til mission particuliere; leur attente les rend crédules et superstitieux; ce respect pour les imbéciles est général chez les Asiatiques. Megnoun en Arabe signifie un fou, un furieux, un inspiré, un homme a révélations; aussi les Musulmans, de même que les Indiens, ré verent les imbéciles comme des hommes divins et comme des saints extasiés (i). L'ambition ou le fanatisme des Bonzes a souvent cherché a faire valoir cette disposition des Siamois aux dépens de la süreté et de 1'autorité des rois qui ont été obligés de mettre ordre quelquefois a cette frénésie. II y a eu en différens tems chez les Mahométans plusieurs personnages qui ont voulu persuader aux peuples qu'ils étoient le Mahadi qu'ils attendoient; plusieurs fois 1'imposrure a été découverte et punie, cependant il s'est trouvé deux hommes qui 1'ont su si bien faire valoir, qu'ils ont fbridé deux grands empires en Affique, celui des Almöhades er des Fathemites; le premier poussa ses conquères jusqu'en Espagne, le second s'établit en Egypte (2). Ainsi cette attente toujours vague n'a servi qu'a donnet au monde tantót de nouvelles idoles, et tantót de nouveaux tyrans. Qui sait si les Sésostris, les Ninus, les Nabuchodonosor, les Odin, et ces con- (1) lVHerbelof au mot M-gnoun. Ajoutons a 'cela que dans les anciennes langun du nord fol et vol signifioient un enthousiaste, un pioph' te; de ce punt est eomposé Ie nom de "voluspa ou volauspa , qui est celui de Ia sybille celrique dans 1'Edda. C'est aussi de-li que vient fol et folie dans nos langues rnodernes, et peut-être encore le nom de Ia Vellida Jcs anciens Gcrmains. Platon dit très-gravement, & la fin de son Timêe , » que personne dtns son bon sens ne peut par» v nii a rendre des oracles divins , ou a être inspirè. Hist. de 1'abbé Lambert , tome IX , p. 1S4. (2) D-Hcrbelol, bibiiotii-é-jue ciic-niale, au mot Mohammed Abo'h<*csseia.  12z L' Antiquité dévo'dée quérans fameux qui onr autrefois aspiré a la monarchie universelle, ne se sont point servi de semblables moyens pont soumettre les peuples et pour s'en faire adorer ? qui sak s'il n'y a pas eu de faux Osiris, de faux Jupiter dont les actions et I'histoire confondues par la suite avec les idéés dogmatiques et théologiques attachêes a leur nom, ont porté la confusion que nous voyons dans la religion et I'histoire des anciens peuples ? La Chine a vu aussi paroitre des imposreurs qui , sous le nom de Fo, ont osé aspirer a 1'Empire, prendre le titre d'empereur, et se faire un parti considérable qu'il a fallu combattre avec des armées, et que souvent 1'on a eu beaucoup depeine a clétruire (r). Mahomet n'a-ril pas aussi voulu se donner pour 1'objet de Tattente des nations, ce qui le fit suivre des Arabes et d'une mulrirude de Juifs érablis dans 1'Arabie ? L'alcoran ïnsiste perpétuellement sur le dogme de la fin du monde et sur le jugernent oü le prophéte doit jouer un très-grand role; son livre doit être regardé comme vraiment apocalyotique. Aujourd'hui la religion Mahométane est la plus étendue dn monde, et son fanatisme s afrit pour apprendre combien les dogmes de 1'avenir ont causé de maux au genre humain. VII. J'ai déja plusieurs fois parlé de la frénésie des Juifs qui se sont fait exterminer par les Romains a cause de leur entêtement pour leurs idéés apocalyptiques. En effet tous les malheurs qui ont accablé cette nation sont venus de la fatale méprise qui leur fit négliger et méconnoitre 1'humble Messie des chrétiens, pour ne chercher, a 1'exemple des autres nations, qu'un roi ou un conquéarant qui devoit leur assujettk (1} Hi*t: ttes Huns, tome 2, p.  par ses usages. Liv: IV. Ch.III. izj le monde, méprise aussi absurde qu elle leur a été funeste, puisqu'ils ne donnoient d'ailleurs a fétre imaginaire qu'un caractère et un cortège apocalyptique. II vouloient qu'il fut accompagné d'Elie qui, selon selon leurs traditions, devoit être le précurseur de la fin du monde; ils vouloient voir des signes dans le soleil et dans la lune, mais tous ces signes nesont-ils pas apocalyptiques ? comment des hommes sensés pouvoient-ils attendre un empire avec la fin du monde > C'est que ces Juifs étoient, énivrés d'un fanatisme plus grossier que routes les autres nations du monde; c'est qu'ils avoient un attachement opiniatre pour leurs fausses traditions, qui les faisoit déraisonner sur les véritables. Ecoutons-les encore raisonner sur le phantome qu'ils attendent avec foi, qu'ils desirent sans cesse, dont ils demandent journellement l'arrivée (i), et nous verrons dans leurs espérances et leurs demandes les plus étranges contrarictés. Le messie qu'ils attendent sera un roi qui les rassemblera de rous les coins du monde, qui fera la gucrre aux nations, qui subjuguera les royaumes; il remporrera de grandes victoires sur ses ennemis; cependant son règne sera fortune , il n'y aura plus ni cnvie, ni guerre, ni colère; les bien* et les plaisits abonderont et seront aussi fréquens que la pluie; tous les hommes seront sages, ilsn'ignoreront rien, et connoitront l'éternel. Aussi-tot que ce roi desiré sera prêt a paroitre , 1'ange sonnera de la trompette, et alors il se montrera-, les captifs d'Israël se rassembleront •, les morts ressusciteront; on rebatira le temple; le royaume de Juda triomphera, et ses (i) Basnage, hist. des JuiTs . I'rre V, chapitre 3, parag, i et 5. I/attcnte dn Messie est V druzième ertide de foi des Juifs ?n général, cependant oüclrjucs auteurs ij'en font riüs na 4rt;c!e de fo).  IZ4 L'Antiquité dévoilée ennemis seront exrerminés. II n'y aura plus ni plaie, ni rnaladies; la vie des hommes se prolongera comme celle d'un arbre. Dieu se montrera a 1'ceilj il ötera du cceur toute mauvaise pensee; on ne veria plus de carnage; la paix régnera'si parfairement sur la terre, qu'elle sera elle-mème renouvellée, que tous les jour-s paroitront autant de sabbats. Les nations infidelles et les rois de 1'univers se soumettront a 1'empire du roi si desiré, &c. (i). Les Juifs joignent a ce tableau tout ce que les poëtes et la fable ont dit de plus touchant sur le bonheur et les vertus de 1'age d'or-, sans oublier ce lieu commtui que les loups paitront avec les agneaux, et que les bêtes féroces seront adoucies. Ces différens traits ne sont point contradictoires avec 1'ardeur de leurs desirs, ïls soupirent sans cesse paree qu'ils attendent un bonheur infini; en cela ils ne sont point blamables; mais d'oü peut provenir le tableau qu'ils se font de leur felicité, sinon de 1'abus éternel que les Juifs avec les autres peuples ont fait du règne célesre et de la vie future, qu'ils ont transfermés en un règne terrestre et en une felicité charnelle et grossière. Ils ont abusé d'un langage figuré, ils ont pris ces rermes a la lettre; ils ont fait et du sens littéral et du sens spirituel, qu'ils n'ont pu entièrement oublier, le mélange le plus absurde et le plus ridicule; au lieu de vivre dans l'espérance des justes, ils ont été possédés de la plus folie ambition et de 1'idée d'une monarchie universelie qui les a rendu 1'objet du mépris er de la haine de 1'univers pat le caractère de folie, de craauté et d'inscciabilité que cette fausse doctrine a denné a toute leur race. (1) Dasriajje cliap. 2. vs. 12 er 1 "1. Othom's Lexicon Rabtiaic. aux *aots con.ii.ium, Messias, mundu}.  par ses usages. Liv. IV. Ck. III. "Mais voici d'aurres idéés aussi constantes chez les Juifs, que toutes les précédentes, et qui sont encontradiction avec leurs cspérances et leurs vceux. Ils se persuadent que la venue de leur monarque sera précédée de présages affreux, que le monde phvsique et le monde moral seront dans le plus grand désordre \ que d'un co té il ni') aura plus de justice, de foi et de vérité sur la terre; ie la peste, les maiadies, la guerre et tous les i imaginables desoleront le genre humain; que la n . des .-nueingrate, ne rendra plus rien aux eultivateuts; qu 'Israël sera au comble de l'arüiction er de la misère; que leur monarque ne. triomphera pas sans peirie de ses ennemis; qu'il. essuyera divers succès dans sa fortune et ses combars; en un mot ils croyent que la felicité future ne sera. acquise que par des malheurs et des révolutions si terribles qu'un de leurs docteurs, en parlant du règne a venir de leur monarque , s'écrie : qu'il vienne 3 mais que je ne le voyepoint; c'est menie une de leurs prières communes de demander a Dieu de n'être pas témoins de ces jours infortunés. » Celui qui observera le sabbat - selon la loi, dit un de leurs rabbins, sera-délivré » de trois peines, des douleurs duMessie, du feu de » 1'enfer et de la guerre de Gog et cle Magog ". Ils entendent par ces douleurs , les horreurs et les maux qui arriveront au jour de l'arrivée du Messie; mais. en y joignant le feu de 1'enfer et cette guerre apocalyptique de Gog et de Magog, ne nous indiquent-ils point l'arrivée des derniers tems 2 « II y 3. rrois ages d'affliction pour le peuple Juif, » dit un autre rabbin. Le premier est celui oü les » patriarches nos pètes ontvécu en Egypte; le second " est celui de la destruction qui nous a dispersés; le >■> troisième ne viendra qu'au tems du Messie Une  ilS L'Antiquité dévoilée attente aussi opposée a leurs autres espérances, maïs non moins enracinée dans leur esprit, ne leur fait quelquefois envisager qu'avec terreur un tems que d'un autre cóté ils doivent desirer avec impatience. Cependant il parort que le fanatisme des Juifs commence a se réfroidir; il pourroit même arriver qu'a la fin il s'éteignit totalement, et que ce peuple malheureux ouvrit a la fin les yeux sur légarement de ses pères et sur Ie sien; déja ils demandent a Dieu dans leurs prières « que ceux qui calculent les tems du Messie » puissent crêver, que leurs os s'enflent et se brisent, » qu ils se pendent, qu'ils meurenr» (i), C'est un propos du peuple que les Juifs ouvrent leurs fenêrres quand il tonne, paree qu'ils regardent le tonnère comme un présage de l'arrivée du Messie. Quelqu'un m'a assuré qu'ils avoient réellement eet usage en de certains pays. Au reste si eet usage exisre, il répondroit parfaitement a routes leurs erreurs, et en fourniroit une nouvelle preuve; en effet il montreroir qu'ils attendent le roi ou le dieu du période futur dont, comme on a vu, les méréores annoncent l'arrivée ainsi que la fin du monde. On voit donc par ces idéés des Juifs qu'ils persistent toujours dans leur ■ systéme ambitieux et apocalyptique, qui les a conduits il y a dix-huit siècles a leur ruine totale, et qui depuis les a exposés a. une succession d'imposteurs dont ils ont toujours été les victimes et les dupes. Que de crimes et de forfaits leur ambitieuse frénésie ne leur a-t-elle pas fait commettre contre Dieu-, contre les hommes et contre eux-mêmes ? Fléaux jadis de leurs voisins, les Romains se virent obligés de les égorger (1) Basnage, loco citato, et lïvre V, cliapitre 7, et chapitie 2«, parag. 5.  par ses usages. Liv. IV. Ch. III. lVy par milliers comme des bêces féroces; ceux quiéchappèrent du carnage furent les ennemis les plus irrécouciiiables du monde oü souvent ils exercèrent les plus horribles cmautés; ils ne respirent plus qu'une haine héréditaire qui les rend odieux aux chrétiens et aux musulmans. En difFérens ages on a fait couler des ruisseaux de leur sang, et 1'on se croit en droit da les condamner aux Hammes pour les punir de leurs erreurs, que 1'on devroit plaindre, contenir, er qui devroient instruire. Si ces Juifs aveugles et infortunés jouissent enfin de quelque repos, c'est pour être les jouets et le mépris du monde entier. Leur exemple devroir iranrir les nations des excès oü conduit le fenatismé qui rend les hommes insociables, haïssables et malheureux. II semble que ce peuple infortuné ait seul porti la peme des égaremens de 1'univers; toutes les nations ont eu des opinions et des chimères semblables aux siennes, toutes ont été plus ou moins troublées; cependant aucune n'en a été si cruellement punie; il est vrai qu'aucune n'a porté si loin son fanatisme. La Judés étoit sans doute une trop petite contrée pour fonrrur des évènemens brillans qui pussent donner le cbange aux fausses espérances de ses habitans; les Juifs irrités par le défaut de révolutions changèrent leur ambitioa en désespoir conrre eux-mêmes et en rage contre les autres; par la ils ne firent naitre d'autre révolution que celle qui les détruisoit de fond en comble. Si dans ces circonstances il fut né parmi eux un Sésostris, un Alexandre, ou quelqu'autre de ces fléaiix du monde qu'on appelle conquérans, la Judée subsisteroir peutêtre encore. II n'en a pas été de même de Rome : agitée par les oracles des Sybilles, cette capitaie du monde étoit un théatre fécond en grands évènemens,  I2c> L'Antiquité dévoilée dont chacun étoit capable d'apporter un terme a 1'inquiétude des esprits des peuples; les Césars parurent et leur fortune fixant les yeux et les espérances indéterminées des Romains, ils demeurèrent contens et satisfaits, croyant jouir de 1 effet des promesses de leurs oracles •, cette confïance jointe a leur puissance réelle , les fit triompher du reste de 1'univers. On ne dit rien ici de nouveau sur cette fatale ambition des Juifs; route la terre a reconnu que leur intrépide aveuglement venoit des fausses espérances qu'ils avoient concues; on sait, d'après les histoires les plus authentiques, que 1'objet de leur attente étoit un conquérant qui devoit leur assetvir le monde, faire de la Judée la reine des nations, et de Jérusalem la capitale de 1'univers; mais on n'a pas si bien connu la source de ces superbes chimères, et 1'on a regardé leur aveuglement comme un prodige inconcevable , paree que, pour expliquer la conduite énigmatique des Juifs, on n'a voulu considérer que les Juifs; il falloit encore étudfet les autres nations, fouiller jusqu'a la racine des erreurs particulières a la Judée, c'est alors qu'elles se fussent expliquées d'elles-mêmes, et le principe en auroit été connu dès qu'on auroit appercu sa liaison a cette tige funèbre et apocalyptique , dont les branches trop fécondes ont offusqué la raison et le bon sens de tout le genre humain. VIII. Je n'entreprends point de montrer par quel genre de tradition les dogmes primitifs et tous les dogmes corrompus qui en sont sortis se sont introduits chez les Juifs; cependant on ne peut guère soupgonner la législation de Moyse d'avoir produit ce funeste effer; nous avons déja remarqué que loin de respirer ce cyclisme apocalyptique que nous avens vu par-tout ailleurs, ce législateur semble avoir pris a tache de donnet  par ses usages. Liv. IV. Ch. III. i % j> donnet un tout autre caractère aux usages et aux fêtes qui pouvoient y avoir rapport; d'ailleurs il n'a parlé de la doctrine de 1'avenir qu'avec la plus grande réserve. On pourroit donc croire que les Juifs n'ont connu ces dangereuses chimères que lors de leur captivité en Assyrie et par leur commerce avec les Chaldéens er les Indiens, peuples que nous avons vu livrés dès la plus haute antiquité a de faux calculs et a toutes sortes de rêveries. Cependant la commune origine des Chaldéens et des Juifs pourroit engager a placer plus haut cette époque, et même a ne chercher le canal de leurs erreurs que dans cette tradition sourde et universelle qui, par la suite des tems, a mis en défaut toutes les précautions des premiers législareurs. Si le secret des mystères er celui des Sybilles ont enfin transpiré , n'en auroit-il pas été de même de cette espèce de secret qu'il semble que 1'on entrevoit dans toute la législation de Moyse ; ce secret ne seroit-il pas la source, ou au moins le prétexte de cette tradition orale ? En effet ainsi que dans les mystères et les Sybilles du paganisme, on y découvre ce systéme confus et bizarre qui annonce le sort futur du monde. Ce qui est surtout a considérer dans une tradition si respectée des Hébreux , et que leurs docteurs prétendent dérivée de Moyse lui-même, c'est que les fables dont elle est remplie , quoiqu'uniquement adaptées au goüt des Juifs, n'ont rien d'étranger a celles des autres nations, elles en sont même le meilleur supplément , et 1'on ne peut tefuser ni aux unes, ni aux autres, une antiquité très-reculée. De plus cette tradition hébraïque confond la fin et le renouvellement des monarchies; le règne de Dieu sür les saints avec le règne d'un conquérant sur les hommes; la vie future avec la vie présente, en un mot le ciel avec la terre. Tome II, I  I jo L'Antiquité dévoilée Je regarde 1'attente oü sont les Juifs de Iartivé» d'Elie et d'Enoch comme un doublé et triple emploi de 1'attente générale du dieu de la fin des rems qui s'est multiplié par la diversité de ses noms: c'est ainsi que les Grecs qui 1'attendoient sous ie nom de Bacchus, 1'attendoient encore sous ceux de Saturne, d'Osiris } d'Hercule, de Castor, &cc. en un mot chaque ville 1'attendoit sous le nom de son dieu particulier; et comme les peuples adoprèrent successivement différens culres et différens dieux, ils attendirent le dieu futur sous une infinité de noms et de formes divers. C'est ainsi que les Indiens attendirent un Brama, un Foë, un Vistnou, un Buda, &c. Quoi qu'il en soit, le dogme des Juifs sur la venue d'Elie et d'Enoch fut adopté par un grand nombre de chrériens; cependant ce dogme ne fait point un article de foi dans 1'église chrétienne, paree qu'il n'a en effet nulle authenticité. Comment pourroit-il en avoir? les deux noms de ces prophêtes nesonrque des dénominations différentes données autrefois par les orienraux en différens lieux au grand Roi qu'on attendoit a la fin des tems. Ce monarque futur ayant eu le soleil pour symbole le plus universel, il en a porté tous les noms: une preuve de cette vérité c'est que les noms de dieu et du soleil sont communément des synonymes chez les anciens. L'on ne peut, par exemple, refuser de reconnoirre que le nom d'Enoch ou d'Henoch a été dans quelque ancien tems un des noms du soleil, puisqu'on voit le nom d'Henochia, gouvernante , conductrice, donnée a la lune par les occidentaux; ce qui indique visiblement, que le soleil chez quelques peuples de 1'orient pouvoit s'appeller Henockj ma'itre, instituteur, fondateur, nom qui a pu aussi être donné a la divinité. Quelque soit le peu-  par |fi usages. Liv. IV. Ch. III. t., ple oriental chez qui ce nom d'Henock ait été donné i dieu et au soleil, il n'en a pas fallu davantage pour trompet les Hébreux qui auront confondu l'J&noch suprème ou la divinité avec leur patriarche Henoch; conséquemment ils auront attendu 1'un pour 1'autre, surtout si la superstition toujours ad roi te a se tromper, leur a fait remarquer que leur patriarche 3 suivant la genèse, a vécu }6j ans, c'est-a-dire autant d'années qu'une révolution solaire contient de jours. (V. Gen es. Chap. V vs. 25.) Quand au nom cVElie il ne faut pas beaucoup creuset pour trouver que ce nom d'homme est d'ailleurs un nom commun qui a été donné a Dieu par les orientaux.etau soleil par les occidentaux. C'étoit aussi un des noms de Saturne , ce dieu des tems. Ainsi il saute aux yeux qu'il a pu y avoir quelque contrée oü le dieu de la fin des tems a été attendu sous le nom d'EÜe comme il 1'étoit ailleurs sous le nom d'He'noch, et que les Hébreux ayant reconnu dans ces deux noms celui de deux de leurs grands personnages, se sont mis dans la tête que c'étoient eux qui viendroient ut. jour leur annoncer la fin du monde. II faur cependant avouer qu'il est un passage dans la bible oü Malachie semble annoncer que le prophéte Elie viendra avant le grand jour du Seigneur. ( V. Malachie 3 Chap. IV. vs. 5. ) Mais Je suis' porté a croire que le mot Elie y a été interposé, qu'il y avoit simplement un prophéte: quelque Juif Egyptien ou Helléniste, versé dans la connoissance de sa langue ou de celle des Grecs, ayant remarqué trois versets plus haut, qu'un soleil de justice , É/ios en Grec, s'éléveroit a la fin des siècles, par une allusion a ces mots Elios, soleil, ou par un effet de sa prévention sur la venue d'Elie, aura placé ce nom a la suite du I 2  j j L L''Antiquité dévoiléc mot prophéte. J'ose former ce soupcon, paree que Jésus-Christ dans 1'évangile (i) ne prend nulle part ce passage a la rigueur, quoique les Juifs en fussent prévenus. Au reste si ma conjecture n'étoit point recue des savans, je souscris d'avance a leur jugernent. IX. Si nous portons nos regards sur TAmérique, nous retrouverons les peuples de toute cette vaste partie du monde préocupés de 1'attente religieuse qui a fait le sujet de ce chapitre; nous les voyons au moins autanfque les Juifs, les victimes et les dupes de leurs idéés apocalyptiques. Nous voyons 1'empire des Incas soumis sans résistance a des Espagnols que 1'on regarde comme des dieux, ou comme des enfans du soleil annoncés par les oracles. La prévention des Péruviens nourrie par la supersrition et par des prophéties vagues, fait qu'ils adorent une troupe d'Européens sanguinaires et avares ou de bêtes féroces qui bientöt deviennent les exterminateurs d'une nation que 'ses princes avoient jusque-la rendu heureuse. Que dis je ? ces princes. eux-mêmes deviennent par leur superstition les complices des indignes usurpateurs qui viennenr de si loin les dépouiller; ils souïfrent paisiblement qu'on les égorge, par une soumission aveugle aux décrers prétendus de la providence et aux oracles de leurs pères dont ils croient voir 1'accomplissement. Ces idéés soumettent les Mexicains farouches a des vainqueurs plus farouches encore. L'empire de Momtezuma devient la proie des Espagnols en qui 1'on croit reconnoïtre des conquérans annoncés par les prophéties du pays, et par une foule de phénomènes que 1'on croit voir dans le ciel. Nous voyons la même attente vague et indéter- (1) S. Maihieu, chap. 17, tj. 10. S. Luc, chap. I, vs. 17. L Mare, chapitre IV, ts. 10.  par ses usages. Liv. IV. Ch. III. 133 minée dans les habitans de 1'Amérique septentrionale. Drake fut traité comme un dieu par les habitans de la Nouvelle-Albion, ils lui offrirent des sacrifices qui montrent visiblement qu'ils le prenoient pour une diviniré cruelle et qui venoit pour exrerminer (1). Les Francois furent recus comme les envoyés du soleil par les peuples qui sont au nord du Mississipi. Dans une autre contrée on rrouvera un autre peuple qui ne rencontroit point d'étranger sans pleurer. Les insulaires de S. Domingue ne furent point surpris de l'arrivée des Espagnols; ils étoient prévenus comme les autres Américains, que des étrangers viendroient un jour dans leurs pays pour les détruire. Cette tradition mise en chant servoit a rappeller a ces peuples ces prédictions lugubres dans certains jours destinés a de tristes cérémonies. En un mor les Européens furent recus comme des envoyés du ciel dans toutes les parties de 1'Amérique oü ils abordèrent, et ils profitèrent des dispositions'des Américains pour les asservir, les égorger et les immoler a leur insatiable avarice (1). Ainsi ces infortunés furent trompés dans leurs espérances; ils se livrérent pour la plupart avec simplicité a leurs tyrans et furent exterminés sans qu'ils osassent murmurer contre des démons ennemis a qui ils pardonnèrent leurs excès paree qu'ils avoient été prédits. On voir donc en Amérique la même chaine d'erreurs que nous avons vue chez les autres peuples de la rerre. Le dogme de (1) Voyages de Le Gcntil, tome I, page ii3 et 117. Conquête du Mexique, üvre 2, chapitre 4 et 16, livre 5, chapitre 8 et 11. Hiet. génér. des voyages. Hennequin, et Toyages du nord, tome V , page i5o , 249, a52. (2) Charleroix, histoire de S. Domingue, livrei, page 63, SS, 89 ; et Iit. 2 , page gï et 97. Hijt. génér. de» royages , tome XII , p. r6, 17 , Sf, I 3  T34 L'Antiquité dévoilée la venue du dieu de la fin des tems s'éroit corrompu dans cetre partte du monde comme dans les autres; il s'étoir converti en une attente vague qui fut la vraie source de toutes les calamités de ses malheureux habitans. . II faut observer ici que c'étoit de 1'orient que les peuples du I'érou et de 1'Amérique attendoient les prétendüs envoyés du ciel que leur annoncoient leurs prophéties. Que 1'on ne s'imagine point pour cela que ces sauvagés grossiers eussent connoissance de nos conrrées ou de la géogra; hie: ils ignoroient sans doute que nos contrées fussent habitées, et 1'on doit regarder 1'attente oü ils vivoient comme fondée sur des idéés cycliques et apocalyptiques. X. L'oriënt fut tot:jours un point remarquable pour toutes les nations du monde. II n'en faut point ch'ercher d'autre motir que le penchant naturel qu'un homme qui se réveiHe a de tourner les yeux du coté oü le jour doit paroitre. C'est du coté de 1'orient que le soleil se montre d'abcrd ; c'est de-la qu'il commence ses révolutions; c'est de-la qu'il semble réveiller, ressusciter la nature et renaitre lui-même. Voila la source naturelle de ce respecr de toutes les nations pour 1'orient , qui a enfanté par la suite une foule d'opinions ridicules et bizarres, de cérémonies et d'usages consacrés tantot par la religion, et tantot par la superstition. Les hommes, toujours remplis d'attentes et d'espérances, toujours inquiets et craintifs, n'ont cessé de lever les yeux vers le ciel, et surtout vets eet astre bienfaisant de qui dépendoit leur bien être , et qui chassoit des ténèbres si propres a nourrir ieurs troubles et leurs inquiétudes.-L'orient étoit le coté d'oü 1'on attendoit le père du jour; ce fut aussi de-la que 1'on atteudoit tous les retours j les renouveliemens, les nais-  par ses usages. Liv. IV. Ck. III, 13 j sances astrologiques , mystiques et apocalyptiques: le soleil, image de la divinité, sembloit, en parcourant le ciel, indiquer la route de la divinité; ce fut elle que 1'on chercha d'abord en se tournant de ce coté, mais par la suite on chercha le soleil lui-même, qui a la fin parvint a éclipser le dieu donr il avoit été 1'image. Ce fut un usage presqu'universel, dérivé du sabianisme , d'adresser ses vceux dès le matin du coté du soleil levant; il s'est encore conservé chez les peuples d'Amérique et de 1'Indostan. Nous n'avons plus eet usage, il est vrai, mais nos prières du matin en ont encore conservé 1'esprir, elles en présentent même 1 allégorie; éclairés comme nous le sommes, nous expliquons ces allégories dans un sens spirituel, nous n'y voyons que Dieu le soleil de justice. Cependant les chrétiens orientaux se tournent encore vers 1'orient pour prier, et eet usage n'étoit pas totalement éteint dans 1'église d'occident au milieu du cinquième siècle; le peuple, surtout a la fête de noè'1, se tournoit vers le soleil levant pour prier, et le pape Léon I. eut de la peine a abolir ce reste du paganisme (1). Cet usage antique a été accompagné d'un autre usage non moins ancien, je veux dire celui de disposer les temples et les églises selon la direcrion de 1'orient : cet usage n'a varié qu'en ce que les uns ont placé les porres a 1'orient, les auttes y ont placé le sanctuaire : mais cette variété est fondée sur le même principe. Les hommes prévenus de 1'idée que la divinité arrivoir sur la terre par le chemin que le soleil indiquoit, placèrent leurs portes a 1'orient afin qu'elle entrat directement dans son temple : et ils eurent soin (1) Voyez Yoisius de idol. lib. 2, cap, 3. Ceremonie» religieusej » tome 3. 14  j 3g L'Antiquitédévo'dée d'ouvrir ces portes au lever du soleil; ceux qui pla* cèrent le sanctuaire a rorient voulurent que les prières qui se faisoient dans leurs temples se fissent la face tournee vers le soleil en même tems que vers 1'autel. Moyse tourna le tabernacle du coté de 1'orient , afin que le soleil y lancat ses premiers rayons. Les Romains placoienr quelquefois le sanctuaire du coté de 1'orient•> cette méthode est actuellemeut la notre , mais jusqu'au milieu du f. siècle les chrétiens avoient préféré la première position qui en effet doit avoir été la plus ancienne (i). Au temple de Jérusalem la porte du cóté de 1'orient étoit celle par oü la gloire du Seigneur entroit; il n'étoit permis a aucun homme d'y passer ; son entrée étoit iriterdite au Roi lui-même qui pouvoit seulement adorer sur le seuil de cette porte, elle ne s'ouvroit qu'aux nouvelles lunes et au sabbat (i). Les Rabbins et d'autres auteurs après eux , ont dit que cette porte étoit ainsi disposée afin que i'on tournat le dos au soleil en priant, et que 1'on montrat parda que cet astre n'étoit point 1'objet a qui 1'on rendoit un culte, taison dont il est aisé de sentir la foiblesse. (3) Les temples de Sérapis en Egypte, aussi bien que celui du dieu de Memphis, avoient leurs portes h. 1'orient, et ces portes s'ouvroient chaque jour au levtt du soleil : ce qui nous momre que le céréroonial peut être le même dans deux religions opposées sans avoir les mèmes motifs. Au renouvellement de chaque semaine les Hébreux ne disoient-ils pas, ouvre^-vous (1) Pluiar. in vila Numae. Joseph. «nriquit. Judaic. lib. 3, eap. 6, parag. 5. Mém. de 1'acad. des inscript. tome 1 , p- ao5. (2) Ez.échii-1 , rap. 4^ , vs. 2 et 4 ; 56 , vs. 1 ; 47 » Ts- '• (3) Diodor. lib. 1, parag, a, cap. ao. Basnage , livre 6 , chap. 18, parag. t.  par ses usages. Liv. IV. Ch. III. 13 7 portes éternelles , et le roi de gloire entrera ? Le motif primirif qui fit placer ces portes a 1'orient étoit donc d'ouvrir un passage a 1'Etre suprème. Ezéchiel dans une vision voit un temple dont la porte est a 1'orient, et il voit la gloire de Dieu entrer par cette même porte. Encore aujourd'hui le vulgaire des Juifs pense que Dieu entre dans leur synagogue aussitöt qu'on 1'ouvre, et croit que c'est pour cette raison qu'il faut y aller de grand matin, afin que Dieu y trouve des adorateurs. Toures ces opinions ne sont point idolatres , ce sont les intentions seules qui peuvent rendre criminelles des actions qui dans leur principe n'ont été qu'emblématiques et figurées; lorsque les Hébreux ont voulu en abuser ils ont fait comme les autres nations. Ceux des payens qui alloient rendre leurs hommages au soleil dans les temples dont les pórtes étoient a 1'orient, se voyoienr obligés de toutner le dos a 1'autel et aux statues des dieux; les Hébreux quand ils ont été idolatres faisoient la même chose; Ezéchiel est indigné de les voir tourner le dos au sanctuaire pour adorer le soleil : il ne faut pas croire pour cela que ces mêmes Juifs idolatres ne chantassent pareillement, ouvre^-vous portes j &c. Ces paroles dites dans des intentions pures ne peuvent être criminelles , mais elles le deviennent lorsqu'elles ont pour objet un culte faux et idclatre. Pourquoi les Hébreux n'auroient-ils point chanté ces paroles lorsque leurs rois se livroient a 1'idolatrie ? Ils avoient comme tant d'autres nations, des chars et des chevaux consacrés au soleil , et 1'on dit que chaque jout ces rois les montoient pour aller depuis la porte oriëntale du temple jusques hors de la ville au-devant du soleil pour le saluer a son levet (1). Cet usage ido- (i) Ezéchiel, chap. 8, Ti. jfi. iLm» 4 ut» roi», ïh»p. 3.3. Cslmet , «liction. ta mot (beval,  IjS VAntiquité iévo'dét latre des rois de Juda ne s'est transmis que par Ia tradirion des Rabbins ; mais il est dans 1'ordre et conforme au cérémonial du culte qu'ils avoienr adopté. Au Pérou les portes des temples étoient du coté de 1'orienr. Les Incas, ou souvcrains du pays , tous les ans a la fête du grand Rami, jour auquel on renouvelloit le feu sacré , alloient en grande cérémonie au devant du soleil pour le saluer et le recevcir au renouvellement de leur année. A la fête du labour a la Chine j qui se eélèbre au renouvellement de 1'année chinoise, c'est par la porte oriëntale de la ville que passé le cortège qui accompagns cette cérémonie. L'intention de cet usage est d'aller au devant de 1'année et du prinrems (1). Ces usages et ces marches vers 1'orient renrrent dans la coutume universelle de prierducóté du soleil, de regarder 1'orient comme le cöté des renouvellemens, des retours et des régénérations. Ainsi 1'on ne doit point être surpris de voir que lorsqu'au beu du dieu de la fin des tems on a attendu des êtres chimériques} on ait imaginé qu'ils viendroient du cóté de 1'aurore: 1'on ne doit point être éronné si 1'orient a été pour tous les peuples le póle de leurs espérances 5 mais c'esr 1'universalité de cet usage qui en montrela vanité. Que 1'on parcoure tout notre globe, partouton verra des portes orientales ouvertes, 1'orient est 1'objet des regards de i'Asiatique , de 1'Américain et de 1 Européen. Par tout 1'homme est le jouet de ses craintes (1) Céiém. relig. tome 5 et 7. Conquête du Pérou, tome 1. Du ïlalde, histoire de la Chine, tome 1, page 18. Selon la tradition des Banians, 1'Ojient a été peuplé Ie premier, por ce que les enfans de» premiers hommes diiigèrent leurs pas vers 1'endroit d'oü li soleil commsneait sa carrière. Voyez hiat. de Ja religion des Banians , par H: lord. chap. 2.-  par ses usages. Liv. IV. Ch. IV. 13$; et de ses espérances. Après cela faut-il être étonné d» voir tant de nations trompées dans leurs attentes; ce qui ne les empêchera point d'être encore trompées par la suite. CHAPITRE IV. Des usages des anciens 3fondés sur leurs idees cycliques, astrologiques et apocalyptiques. I, J'ai cru devoit faire ici un chapitre particulier pour montrer le caractère le plus universel de presque tous les usages des anciens. Presque toutes leurs fêtes et leurs solemnités étoient cycliques. Je me garderai bien de passer rous ces usages en revue, la carrière seroit trop longue- Je me contenterai de choisir les plus remarquabies par leur généralité et leur célébrité : il en est beaucoup dont nous avons eu déja occasion de parler, je les rappellerai en deux mots, lorsqu'il sera nécessaire ; a Tégard des autres nous les laisserons a 1'examende ceux qui voudront nous suivre dans la même carrière; montrons-leur le chemin ; ils le parcoureront en entier s'ils le jugent a propos, et s'ils trouvent le ton de la vérité dans ce que nous dirons. Nous ne nous servirons point ici ni des Egyptiens, ni des Grecs , ni des Romains 3 pour éclaircir les usages des nations \ ce sont les Mexicains que nous allons d'abord considérer : ils vont nous donner 1'explication d'une multitude d'usages dont les peuples anciens ignoroient le principe. Les Mexicains avoient comme les anciens Persans et les Egyptiens, une annéa  i^o L' Antiquité dévoilée de 3 65 jours, dont cinq étoient épagomènes ou surnuméraires : ils divisoient 1'année en 18 mois de 20 jours chacun , méthode qui leur étoit particuliere ; ils avoient aussi imaginé une intercalation très-exacre , quoiqu'elle ne ressemblat a aucune de celles que nous connoissons; ils distribuoient leur année en cycles de treize jours; ils multiplioient ce cycle par 1460, ce qui donnoit 52 années de 365 jours; eteommela cinquante-deuxième année finissoit treize jours plutct que 1'année solaire, ils y ajoutoient ces rreize jours, c'est-a-dire un nouveau cycle; et ces 146 r cycles de treize jours formoient chez eux leur grand cycle , ou , comme ils 1'appelloient, leur nouveau soleil. Ce grand cycle ressemble par la figure numérique a la grande année égyprienne formée de 1461 année; et comme il est égal a 52 ans, quelques-uns ont cru y voir aussi le grand jubilé des Hébreux qui étoit de 49 ou de 50 années (1). Freret remarqué que ce cycle mexicain fait reconnoïtre chez ces peuples , réputés barbares, des observations et des vues qui avoient échappé a des nations plus policées a d'auttes égards, comme les Grecs et les Romains (2). L'auteur de la conquête du Mexique parle avec éloge du soin et ,de 1'adresse que les Mexicains avoient de fixer par le moyen de ce grand et de ce petit cycle , les évènemens mémorables de leur hisroire ; mais il relève aussi la superstition qui les portoit a tenir un compte exact des années de ce cycle de y 2 ans, ou de 1461 cycles de 13 jours. Les Mexicains ainsi que les Péru- (1) Mémoires de l'académie des inscriptions, tome XVI , p«<»« (a) ConqnJte du Mexique, liv., ch»p. 17. Hist. génér. des tot*-. g«* , tome XII, p. Jag.  par ses usages. Liv. IK Ch. IK. 141 viens croyoient que le monde finiroit un jour j sans savoir de quelle manière ; au Pérou 1'on en fixoit le terme , mais au Mexique la religion enseignoit que le monde couroit risque de finir toutes les fois que le soleil arrivoit au terme de yi ans : ainsi quand ledernier jour des cinquanre-deux années arrivoit , tout le monde étoit dans le deuil et dans 1'affliction; on se préparoit a cette affreuse disgrace pat la pénitence , on s'humilioit devant les dieux, enfin on se disposoir a la mort ; on cassoit , comme on 1'a dit ailleurs, la vaiselle et les autres ustensiles , comme des choses devenues inutiles désormais, et comme si le monde eüt dü rentrer réellement dans le chaos ou le néant; on éteignoit le feu sacré des remples et les feux domestiques; 011 veilloir toute la nuit, on couroit comme des gens qui ont perdu 1'esprit; la terreur augmentoit avec 1'obsciuité : on montoit sur les toits, et 1'on-necommencoit a respirer que lorsque le crépuscule se montroit •, alors on regardoit attentivement 1'orient , on étudioit les progrès les plus imperceptibles de 1'aurore; a peine avoit-on appercu le soleil lui-même , qu'un cri universel rappelloit 1'allégresse et la joie; on le saluoit alors par mille acclamations , par des hymnes et des cantiques; les Mexicains se félicitoient réciproquement de ce que la durée du monde éroit encore assurée pour un cycle, et ils alloient en foule aux temples en rendre graces aux dieux. Ils recevoient de la main des prêtres, du feu nouveau qu'on rallumoit sur les autels avec deux motceaux de bois sec, frotté 1'un contre 1'autre. Alors chacun faisoit de nouvelles provisions, on faisoit de nouvelles ptovisions, on faisoit des sacrifices , des réjouissances, et des aanses,- en un mot, dit notre auteur , on en usoit de la même manière qu'a Rome dans la célébration des jeux séculaifes.  L'Antiquité dévo'dée Je ne m'arrêterai point ici a faite remarquer que cette fête cyclique et apocalyptique commencoit par la tristesse et finissoit par la joie, de même que les plus grandes solemnicés du paganisme , ni que 1'orient 'étoit ce jour-la le coté du salut et de l'espérance; on doit connoitre actuellement les raisons de ces usages, et en retrouver ici les preuves, mais trois usages particuliers se décèlent ici sous un esprit apocalyptique; c'est ce feu sacré éteint et rallumé ; c'est ce detachement anticipé des choses de la terre , exprimé par les ustensiles brisés; enfin c'est la veillée funèbre que les Mexicains pratiquoient a la fin de leut période qu'il nous importe d'examiner. Considérons ces rrois objets chez tous les peuples qui les ont eus, pour connoitre 1'esprit qui a donné naissance a ces pratiques, et voyons si j a 1'exemple des Mexicains, c'étoit chez eux une conséquence du dogme de la fin du monde. II. Presque tous les peuples du monde ont eu un feu sacré; on le retrouve chez eux dans 1'antiquité la plus reculée. Les Indiens, les Perses, les Egyptiens, les Juifs, les Grecs et les Romains, les peuples du Nord et de 1'Amérique ont eu ce culte, sur lequel on a fait jusqu'a présent tant de recherches et de raisonnemens inutiles. Pour voir a présent quel étoit 1'objet de ce culte universel chez les anciens, il ne faut que considérer les alarmes oü ils étoient lorsque par quelque accident ou par quelque négligence le feu sacré venoit a s'éteindre. Les auteurs anciens ne nous montrent que des craintes vagues et indéterminées de toutes sortes de malheurs. Rome se croyoit alors menacée d'une mine totale , c'étoit le présage le plus affreux pour la république et pour 1'empire •, routes les affaires puhliques et partioulières cessoient dès-lors: on recou-  par ses usages. Liv. IV. Ch. IV. rok aux expiations , on consultoir les Sybilles sur le «langer de 1'état \ on punissoit de la mort la plus cruelle les gardiennes de ce feu sacré, on les enterrok toutes vives; et après avoir cherché a appaiser les dieux, on allumoit un nouveau feu tiré des cailioux par le frottement, ou du soleil par le moyen de certains vases d airain qui avoient la même forme et la même propriété que nos miroirs ardens (i). U en étoit de même en Grèce lorsque le feu perpétuel d'Apollon a Delphes, ou lorscme la lampe de Minerve Poliade a Athènes venoient a s'éteindre. Cet événement étoit regardé comme un présage de calamites et de guerre (2). On ne voit point dans la bibls que les Juifs, a qui Ia loi recommande si expressément l enrretien du feu perpétuel, aient eu les mêmes terreurs lorsqu'il venok a s'éreindre; mais leurs tradiuons ne mettent pas moins au nombre des signes qui les menacoient après la mort de Simon le juste, 25, r ans avant Jésus-Christ, qu'une lampe du chandelier dor s'éreignit a plusieurs reprises, et que le feu sacré fut extrêmeinerit foible. Ils ont même un jeüne le 18 &Ab pour la lampe du chandelier d'or, éteiute sous Achaz : ce chandelier avoit sept branches, ce qui doit encore être remarqué. Maïmonide dit qu'on punissoit celui qui laissoit éteindre le feu sacré, mais qu'on ne faisoit nen a celui qui laissoit étemdre les lampes du chandelier (3). On n'a vu dans ces terreurs des anciens qu'une su- sllfa'H!' HaI''Caruass; ,lb- 11 > «P- '7- Plutarch. ia NumJ n ■n Sylla , et memo.res de 1'académie de5 i^criptioaa , ,ome W page 172. ' (2) Strabo , J/b 9. P,„MniaJ ;n Att;c;s  1^4 L'Antiquité dévoilée perstition aveugle, sans principe et sans cause, paree qu'ils n'ont pu eux-mêmes nous en rendre raison: mais si nous amenons les usages des Mexicains au secours des antiquités grecques et romaines , ces Américains nous montreront que le motif des terreurs lors de 1'extinction du feu sacré, étoit 1'idée que 1'on étoit a la fin du monde. En effer, rien n'esr plus vraisemblable que ce motif, puisque les Mexicains n'éteignoient volontairement ce feu qu'a la fin de leur cycle de yi ans, c'est-a-dire lorsqu'ils s'imaginoient que le monde alloit rentrer dans le néant, et qu'ils ne reverroient plus le soleil •, et ils ne le rallumoient avec de grandes réjouissances que lorsque la durée de 1'univers leur sembloir prorogée. Chez les Péruviens le feu sacré étoit gardé par des Vestales, qui toutes étoient des princesses du sang royal; dès qu'elles péchoient contte la chasteté, elles étoient enterrées vives cemme a Rome, et le galant, avec toute sa familie, étoient exterminés. L'extinction du feu sacré éroit aussi regardée comme d'un funeste présage. Chez les Natchuz , peuple sauvage de la Louisiane, on croyoit que 1'extinction du feu sacré annoncoit la destruction de toute la nation. Ce feu étoit, comme a Rome, conservé dans un temple de forme ronde , et tourné du coté de 1'orient; chez les Natchuz, il est gardé par des hommes. A la mort du chef de ces sauvages, que 1'on appelle le grand soleil, on éteint tous les feux domestiques (i). Nous ne devons donc plus nous étonner des fausses terreurs des anciens; elles avoient été, comme celles (1) Histoire général, par 1'alibé Lambert, tome XIII. Histoire de la Louisianne, par le Page du Fratx , terne II, chapitre 14 , torne III, chapitre 3. des  par ses usages. Liv. IF. Ch. IF. i4) des Mexicains, apocalyptiques dans leur principe, et si ces terreurs n'etoient plus motivées, c'étoit encore une suite du secret des législations primitives qui, en laissant , comme on a vu , subsister les usages, en avoient supprimé et caché les motifs pour le bien de la soeiété. Le feu sacré chez tous les anciens, ainsi que les Mexicains , n'a pu être autre chose que le symbole de la vie de la nature: voila pourquoi 1'on desiroit qu'il fut perpétuel, et 1'on trembloit lorsqu'il venoit a s'éteindre. « Le feu, dit Varron, est 1'ame du monde, er lorsque » cette ame se dissipe par les tonnerres, le monde périt » (i). Ainsi le feu étoit 1'emblême de la vie : plusieurs auteurs anciens 1'ont dit, et nos rnodernes ont mieux aimé ne voir en eux que des adorateurs grossiers de cet élément , que de les en croire sur leur parole. cc Le " feu , dit Plutarque dans la vie de Camiiïe , est la » plus vive image de la puissance immortelle qui ar» range et conservé 1'univers; c'esr dans le feu qu'est » le principe et le commencement de toutes choses; ie » temple de Vesta, oü on le consetve, est rond, paree " qu'il est fait pour représenter 1'univers : le feu est » 1'ame du monde ». II n'y a rien de trop subtil dans ce langage, c'est une vérité physique très-sensible qui est la source de ce raisonnement , et il ne peut être vicieux que lorsque les langages physiques et théologiques se confondent, ce qui a pu arriver quelquefois chez les anciens, sans que cela arrivat toujours. D'aill eurs le feu étoit teilement le symbole de la (i) Varro apud Isidor. lib. S. On connoit ces vers d'un poëte moderne : Ignis ulique latei, naturam complectitur omnem, Cuncta fovet , renavat, di.idit f unit, alit. Tome IL X  1^6 L'Antiquité dévoilée vie, que tous les monumens funèbres nous présentent des flambleaux éteints. « Mon fils est mort, dit une » femme dans Esdras , et nous avons éteint les lu» mières ». Au contraire , des flambeaux allumés sont des signes que Ton mettoit dans les mains de 1'amour et de Thymen, paree qu'üs sonr les sources de la vie. Au Japon les nouveaux époux ent chacun un flambeau qu'ils allumenr en mème tems a une lampe du temple. Nous allumons des cierges auprès des morts, mais c'est toujours dans le même esprit, nous voulons exprimer par-la qu'ils sont p;s;és a une nouvelle vie (i). Les Juifs avoient le feu sacré comme toutes les autres nations, ils n'étoient point idolatres pour cela; on peut dire la même chose des Perses anciens et des Gucbres ou Parsis rnodernes. L'institution du reu sacré chez tous les peuples de la terre n'ayant point d'autre motif que de représenrer le mouvement perpétuel de la nature , les Mexicains ont dü 1'éteindre routes les fois qu'ils croyoient que ce mouvement alloit finir, c'étoit agir conséquemmenr a leur principe. On a dü s'épouvanter ailleurs, lorsque ce feu s'éteigncit par aecidenr, et puisque nous avons vu précédemment par les usages et les opinions des anciens peuples qu'on s'étoi.t autrefois attendu a la fin du monde et a 1'expirarion de tous les périodes , on a dü aussi bien souvent éteindre volonrairement ce feu sacré j pour se préparer, ainsi que les Mexicains, a 1'extinction de la nature, et pour s'y soumettre avec une résignation religieuse. Or cet usage se trouve chez les anciens, sans qu'ils nous eu aient transmis aucune raison. L'année civUe des Romains finissoit en février; (i) Esdras , lib. 4, tmtp. 10, ts. 12- Voyages de !a compagn. des bacchantes et des désespérés ; ils se battent les uns contre les autres, et ce désordre dure jusqu'a ce que le patriarche paroisse avec le feu que 1'on prétend être descendu du ciel; alors un nouveau tumulte .succède au premier par 1'empressement et la furie avec lesquels chacun s'efrorce d'allumer sa bougie, et par la joie dissolue qui convertit alors 1'eglise en un cabaret, ou 1'on mange j oü 1'on couche et oü 1'on commet des indécences peu dirférentes de celles des fêtes les plus dissolues du paganisme (1). II étoit autrerois d'usage dans nos églises de mettre sur le cierge paschale une rablette sur laquelle on écrivoit les ères, les époques des rois , des princes, des évêques , le lieu et le jour cle la lune et d'autres instructions cycliques et astronomiques propres a 1'année paschale oü 1'on entroit (z). Quoique le feu éteint et renouvellé soit un usage cyclique uniquement employé a la fin et au renouvellement des périodes , il s'est aussi pratiqué extraordinairernent, de même que chez les Romains on enfoncoit ie clou sacré sans avoir égard au période. Lorsque les Grecs eurenr repoussé 1'invasion des Perses, 1'oracle de Delphes ordonna qu'avant de remercier Jupiter sauveur, on éteignit tous les feux de la Grèce , et que 1'on en vïnt prendre un nouveau a Delphes, sur 1'autel commun; on allégua pour raison que le feu ancien avoit été souillé par les barbares \ c'esr plutót paree (1) Mém. du cheralier d'Arvieux , tornt I, chap. i5. (2) Du Cange GJossaire, au mot Csreut J?aickalis. K i  i ro L'Antiquité dévöitée qu'ayant échappé a une ruine totale, on se regarda ccmme des régénérés et comme des hommes qui entroient dans un nouveau période (i). II en est de cette cérémonie après lé salut de la Grèce comme des cierges que le peuple allume.et met auptès des images des saints; c'est pour cbtenir par leur intercession une nouvelle vie, soit du corps, soit de 1'ame. En Persé, cü le feu sacré étoit un objet si important dans le culte public, on 1'éreignoit a la mort des rois , et on le rallumoit pour leurs successeurs; c'est cye le règne d'un' monarque esr regardé comme un période, et 1'étiquette de la cour'des rois de Perse étoit sortie de la religion. Le feu sacré des Perses fut éteint pour la mort d'Ephestion , ce qui fut regardé comme d'un mauvais présage pour ATêxandre', vu qu'on ne réreigsèft que pour la mort des rois (;). Selon la la loi deZoroastre, les Perses doivent conserver le feu sacré da ciel ailümé par cè prophéte, jusqu'a ce que le feu vienne dé.ruire le monde •, cependant Hyde dit que l'extinction de ce feu n'étoit point regardée comme un présage funèbre chez les Perses, paree quils avoient un grand nombre de Pyrées,tandis que les Grecs et les Romains n'en avoient qu'un seul. Les Parsis ou Guèbres, descendans des anciens Perses, ont une fête annuelle dans laquelle ils éteignent tous les feux de leurs maisons après quoi ils vont en chercher de nouveaux dans leurs temples, ce qui fait une partie du revenu de leurs prêtres (3). III. Le second usage que nous avons remarqué dans (1) P'utar. in virA Aristidis. N (:.) Diodoi. I I'. XVII , rap. j%. 1,51 Kyde, de i -iligioae Perxarom, cap. I, V3I, VIII er. XXVIIIJ cï H m/i Loid. rbap. 7.  par ses usages. Liv. IV. Ch. IV. iyi la fête séculaire ou cycüque des Mexicains , c'est ce détachement anticipé des choses de ce monde exprimé par les ustensiles brisés. Nous avons remarqué en. parlanr des éclipses, que les allarmes oü étoient les, anciens a la vue de ces phénomènes venoient de 1'attente de la fin du monde, et du danger oü ils se croyoient alors; nous avons vu qu'encre autres usages qu'on praiiquoit alors chez les peuples de 1'Indostan, on avoit celui de briser la vaisselle de rerre (i), er qu'après les éclipses on quittoit ses anciens habits pour en prendre de nouveaux. II y avoit en Amérique une fête annuelle des songes; elle ressembloit assez au bacchanales, et ceux qui la célébroient brisoient tout ce qu'ils. rencontroient (2). Des usages au.s;i coüteux et aussi destructeurs dont on a dü bientót reconno'itre 1'inutilité, n'ont pu être bien généraux, ou, s'ils 1'ont été , ils ont dü- s'éteindre de bonne heure dans la plus grande partie du monde, aussi ne les ai-je retrouvés nuile part que sous une forme beaucoup plus économique. Cest un usage constant chez les Juifs deux jours avant le retour de leur année paschale, de purifier et de netroyer tous leurs ustensiles; et même de les renouveller: cet usage est passé en partie chez les peuple de toute 1'Europe oü il se pratique dans le même tems. La semaine qui précede la fête de Paques est généralement destinée par les gens du monde a nettoyer les meubles et les maisons; dès que la fête est arrivée, le peuple quitte ses vieux habits, et en prend volonriers de nouveaux, suivant ses facultés; la religion ell e-meme demande que chaque chrétien devienne un homme nouveau. Chez les Juifs, on se préparoit en- (0 Voyages cle Taveruier , tome IV, liv. 5, c'uap. »4(2) Cérém. relig. tome VII.  iyi L''Antiquité dévoilée core a ce renouvellement en nettoyant même les chemins, et en arrachant les mauvaises herbes dans les champs (i). Chez les autres • peuples du monde qui n'ont point de paques, ni d'année paschale, c'est au renouvellement de 1'année civile que 1'on charge d'habillemens. On ne peut,il est vrai, regarder tous ces usages comme apocalyptiques , cependant il est bon de connoitre la prémière origine. S'il y a eu des usages bons et naturels dans leur principe, qui par la suire sont devenus dangereux, il y en a eu d'autres qui étant mauvais originairement, sont ensuite devenus bons et utiles: telle est cette-espèce de purifkation annuelle des ustensiles} des maisons , des chemins et des habits. Outre cet usage annuel, les Juifs en pratiquoient d'autres en d'autres tems, qu'on peut aussi rapprocher de celui oü étoient les Mexicains de se détacher des choses de la terre a la fin de leur siècle, et de se ccmporter comme des gens qui ne comptoient plus sur la durée du monde; ces usages des Juifs sonr ceux de leur jubilé. On a déja été fort porté a regarder la fête séculaire des Mexicains comme un grand jubilé hébraïque , paree que leurs deux périodes étoient a peu-près égaux. Mais ce n'est point en cela qu'il peuvent se ressembler; puisque les élémens du calcul du cycle de 49 ou de ;o, et de celui de 52 ans, sont totalement différens; 1'un est astrenomique, et 1'autre ne 1'est point. La ressemblance, s'il.y en a, n'est pas même dans les usages ; les Juifs ne brisoient point leurs ustensiles aux jubilés comme les Mexicains, et ceux-ci ne cessoient point, suivant les apparences, la (1) Céréra. relig. lome I. I>on de Moderie , part» III, chap, 5, parag. » que nous attendons l'arrivée de notre dieu et de » notre roi; il descendra sur les feux , il ébranlera le » monde (2) ». En un mot, 1'on voit que Lactance (1) Tertu jan. a:l uxor. lib. 2. Constit. apostol. lib. V, cap. ig, (2) Lactaul. lib. j , cap. ïg.  par ses usages. Liv. IV. Ch. IV. i8y croyoit que cette nuit le monde alloit devenir une Egypte, et Jésus-Christ, un ange extetminateur. S. Jérome prétend que 1'usage de cette veillée, qui a été universel e, venoit des Juifs qui croyoient que le messie viendroit au milieu de la nuit de paques ccmme Tanden extetminateur d'Egypte (i). S'ils ont eté réellement dans cette attente elle ne pouvoit venir que de leur tradirion orale , puisque la législation mcse.ïque ne donne aucun motif de cette nature, et qu'elle ne paroit avoir tout rappellé au passé que pour écarter les dangers de ces attentes vagues et indéterminées. II ne manqueroir plus ici pour reconnoitre dans la paque des Htbieux tous les caractères du cyclhme, que d'y trouver des traces des feux qui accompagnoient les veillées funèbres; mais on n'en remarqué point chez eux , quoiqu'on en trouve des traces dans la paque des Chrétiens. "Au défaut des Hébreux on retrouve ces feux dans une fête d'Hiérapolis de Syrië, qui n'étoit pas fort éloignée de Jérusalem, Dans cette fête chaque particulier présentoit un agneau a 1'autel, et emportoit ensuite cette victime chez lui pour 1'apprêter et la manger. On en faisoit autant a Jérusalem ; ainsi la solemnité de Syrië peut être rapprochée de celle des Juifs. De même que la paque des Hébreux elle se célébroit au printems; et comme a Jérusalem on voyoit a Hiérapolis un concours étonnant de toutes les provinces voisines qui venoit chaque année s'acquitter de ce devoir religieux. Cependant cette fêre n'étoit appellée ni paque, ni passage , maïs la fête du bucher , paree qu'une des principale s cérémonies étoit de planter de grands arbres, d'y suspenclre des victimes , de promener les dieux a 1'entour, et d'y mettre ensuite le feu (2). (1) S. Hieronym. ad Matfaura, cap. 25, vs. 6. (2) Lucian. de Dei fiyria.  iSó L'Antiquité dévoitée XII. Nous venons de parcourir les veillées des périodes séculaires, jubilaires et annuels; si nous voulons continuer nos recherches, nous les verrons appliqués a des périodes encore plus courts. La veille de la nouvelle et de la pleine lune les Bonzes Chinois passent la nuit en prières , les Cehibériens vtilloient a toutes les pleines lunes ; les habitans du Cap de bonneespérance passent toute la nuit debout au renouvellement de la lune, et lors de son plein ; lorsqu'elle paroit ils font un grand bruit en criant et en frappant des mains, ils la regardent avec admiraticn et font a cette occasion mille autres extravagances (i). En Egypte les Cophtes passent la nuit de chaque septième jour dans leurs églises; ils y prennent du café , ils y fument, ils y dorment. Cet usage nous rappelle la lampe sabbatique que les femmes des Hébreux allument chaque septième jour cn ménioire de 1'extinction du soleil, et nous verrons clairemenr par la que le septième jour fut originairement funèbre ; et que si les Manichéens attendoient chaque dimanche la fin du monde et les Musulmans le vendredi , ces opinions apocalyptiques ne leur étoient point particulières, mais découloient des erreurs communes que tout. le genre humain avoit malheureusement hérité de la première antiquité. Voila donc les veillées et les feux funèbres appliqués a tous les périodes, soit grands, soit petits ; il est bon de remarquer aussi ces usages lorsqu'on les a pratiqués Ci) Cerém. relig. tome 3 et 7. Kappeüons ici le passage d'Horace, ei il dit : , Cttlo supinas si tuleris manus Nascekte Lund. . . . Horat. Lib. III. Od. i7.  par ses usages. Liv. IF. Ch. IF. 187 dans d autres tems qu'a la fin des périodes. Denis d'Halicarnasse nous dit que lorsque le peuple romain élisoit quelque citoyen a une charge de magistrature , ce citoyen étoit obligé d'aller passer la nuit dans une tente jusqu'au point du jour (1). II ne faut point donner a cet usage d'autre esprit dans son principe, sinon qu'on regardoit chaque état de la vie comme un période, et chaque changement d'état comme un changement de période. Lorsqu'on passoit de 1'état de citoyen a celui de magistrat, on se conformoit a 1'étiquette religieuse attachée a la fin et au renouvellement des périodes: on faisoit donc la veillée funèbre ; il est vrai qu'on pratiquoit ces usages sans en connoitre 1'esprir; on en usoit a cet égard comme quelques orientaux qui changent de nom en passant a de nouvelles dignités. et qui par 1'imaginarion deviennent des hommes régénérés et renouvdlés. La veillée des armes de notre ancienne chevalcrie , n'a point eu , suivant toute apparence , d'autre origine ; on sait combien 1'esprit de cette chevalerie tenoit a celui de la rehgion, et mème a des idéés mystiques (2). Quelquefois la superstitiën faisoit regarder cette nuit comme fort dangereuse ; elle devoit en effet paroitre telle suivant les idéés primitives. On a trouvé ces mêmes usages établis au Mexique et parmi les nobles de la Cóted'Or(3). ; Les anciens s'imaginoient que ces veillées étoient étabhes pour examiner les signes du ciel et pour y chercher 1'approbation des dieux ; c'étoit-la, selon Denis d'Halicarnasse, 1'idée des Romains. A la veillée du pé- (1) bioni'i. Halieara. lib. 2, cap. 2, parag. 7. (4) Mémoires de 1'académi'e des iuscriptious , lome XX, page 6i5 et 720. (3) Ilist. géaér. des voyages , tome 12.  i SS VAntiquité dévoiléc riode de neuf ans les Ephores de Spatte passoient la nuit en pleine campagne , pour examiner s'il n'y avoit point quelque nouveau phénomène au ciel, et suivant la nature de ce qu'ils avoient vu ils connrmoient ou annulloient la dignité royale. C'est le sort de presque tous les faits que nous avons a examiner de les trouver par-tout sous des formes diverses; Terreur et la vérité sont au centre de toutes les actions humaines, et lorsqu'on a le bonheur de tomber dans les routes qui y aboutisscnt de toutes parts, on les appercoit par-rout Tune et Tautre, ce qui n'arrive point lorsqu'on se jette dans les sentiers tortueux qui approchent ou qui écartent sans qu'on le sache de ce centre, ou qui ne permettent de le voir que sous un seul aspect. On a fait encore des veillées et des feux pour les dédicaces des villes et des temples; cela vient de ce qu'une dédicace suppose un commencement ou un renouvellement, et par conséquent un période terminé qu'on laisse derrière soi. Dans ces occasiens ces feux, ces veillées , ces illuminations , ces feux d'artifice ne sont plus aujourd'hui que des signes de joie , paree que les usages n'ont plus leur esprit primirif. A la fondation de Rome , Romulus fit faire des feux devant toutes les tentes des soldats ; c'étoit pour les purifier, selon Denis d'Halicarnasse; c'étoit donc une cérémonie expiatoire qui est toujours une cérémonie funèbre f>). Les Juifs ont en mémoire de Tautel et du culte rétabli a Jérusalem par J. das Macchabée , une fête annuelle appellée hanucah ou la dédicace ; ils TappelIent aussi la fête des lumieres , paree que les maisons, les synagogues et les rues sont illuminées pendant huit CO Dionys. Halicarn. lib. i, cap. i.  par ses usages. Liv. IF. Ch. IF ige, jours: ils la nomment encore fète des tabernacles, paree qu'ils tiennent alors quelques branchages a la main. Cette fète est toute consacrée a la joie, mais par quelques usages qu'ils y ont joints on pourroit douter qu'elle ait réellement du rapport a leur histoire, d'aurant plus qu'elle commence le 25 de Cisleu, et que les huit jours de la fête précédent de peu le solstice d'hiver (1), On faisoit autrefois des illuminarions au baptéme des Driuces ; cetoit, dit Grégoire de Tours, une ima^e de la vive lumière dans laquelle ils entroient dans- la foi (2). Paul-Emile, après la conquête de la Macédoine, fit allumer un feu magnifique en présence des Grecs, pour annoncer qu'il mettoit fin a leur escla< vage et que le période de leur liberté alloit recommen;: eer (3). Ainsi 1'on voir que les usages funèbres de la i fin des périodes se sont changés en plaisirs; c'est leur I motif actuel parmi nous. Les feux funèbres et de destruction se sont changés en feu de joie, en feux nouveaux. Les législations ont depuis long-tems détourné les regards des peuples des objets primirifs dont leur i mélancolie se nourrissoir autrefois, pour les occuper i d'objets plus agréables et plus gais. D'un autre coté il est aisé de sentir que presque tous les usages se sont peu-a-peu déplacés : les jubilés nous en fournissent un exemple. On les publie aujourd'hui parmi les catholiques romains au renouvellement d'un pape; mais un jubilé, comme on a vu, est une fête funèbre et préij paratoire a la fin des tems; ainsi si 1'on suivoit 1'esprit de leur institution primitive, il faudroit les placet (1) Maechabées , IW. 2 , chap. 1 , vs. g. (2) Grég. de Tours , liv. V , chap. a. (3) Tir. Liv. decad. V , lib- Y.  19 ö L'An tiqu'ué de'voile'e a Ia mort des papes, c'est-a-dire a un tems de deuil, de vacance et de cessation. On connoit Ie jubilé par .'ouverture de la porte sainte. on la ferme après : c'est tout le contraire que 1'on devroit faire , puisque le jubilé est un tems oü on se prépare a 1'ouverture mystique ou politique d'une nouvelle vie ou d'un nouveau règne. C'étoit le lendemain du sabbat que les Juifs chantoient attollite portas, et non le jour du sabbat qui étoit, comme on a vu, un jour lugubre', Ie dernier de la semaine, oü 1'on se préparoit a une nouvelle semaine. Nous voyons le mème contre-tems dans 1'usage oü étoient les Romains de fermer le temple de Janus en tems de paix et de 1'ouvrir en tems de guerre. Dans cette cérémonie Mars étoit le vrai dieu des Romains, et Janus n'étoit qu'un dieu chronique. Pour expliquer cette bizarrerie on a dit que cette cérémonie étoit fondée sur ce que pendant la paix on n'avoit rien a deman der a un dieu paisible; cela peut être , mais ces Romains si belliqueux trouvoient sans doute que la guerre étoit leur véritable élement et ils ne regardcienr point la paix comme un bienfait; ainsi 1'on pourroit soupconner que c'étoit a Mars qu'ils ouvroient les portes du temple de Janus, paree que son tour ou son période étoit arrivé. Voila. ce que j'ai trouvé de plus remarquable sur les veillées pratiquées par toutes les nations ; cela suffit pout ptouver qu'elles ont eu , comme les Mexicains, un ton lugubre et funèbre, et que leur principe étoit' fondé sur la terreur. Pour achevef d'appuyer ma conjecture, j'ajouterai que veiller et pleurer s'exprimoient par un seul et même mot dans les anciennes langues orientales; Lun signifie également il veille er il pleure, signe certain que les premiers peuples ne veilloiènt  par ses images. Liv. IF. Ch. IF. 191 que pour la mstesse et ncn pour les réjouissances. XIII. Nous avons suivi les trois principaux usages de la fète séculaire des Mexicains : nous avons reconnu le rapport soupconné entre cette fête et le jubilé des Hébreux ; on a encore trouvé du rapport enrr elle et les jeux sécnlawes des Romains , dont jusqu'ici nous n'avons dit que peu de chose; nous allons examiner avec plus de détail cette solemnité romame, elle est assez importante pour atrirer nos regards. En effet ces jeux destinés a n etre célèbrés que tous les cent ans, étoient accompagnés de laplus grande solemnité. Toutes les villes d'Iralie, invitees par des hérauts, accouroient a Rome; dès que le tems de leur célébration arrivoit, les consuls et les décemvirs, gardes des livres sybillins. et par la suite les empereurs eux-mêmes alloient dans différens temples offrir des sacrifices, et faisoient distnbuer au peuple les choses nécessaires aux expiations préparatoires, comme des torches , du soufre, du bitume : tout le monde, a 1'exceprion des esclaves' étoit obligé de faire ces expiations. Le peuple muni de ces matières alloit en foule au temple de Diane sur le monr Aventin, et chacun donnoit a ses enfans de 1'orge, du bied et des fêves pour offrir aux Parques afin de les fléchir. Lorsque la nuit arrivoif, les consuls accompagnés des décemvirs, présidens nés de cette solemnité , alloient sur le bord du Tybre cü ils trouvoient trois aurels préparés; ces autels y restcient toujours, mais on les couvroit de terre après la fêre; ils immoloient un agneau sur chacun de ces autels.,' et après les avoir arrosés du sang de ces victimes, ils en bruloient le reste. Cette cérémonie étoit éclairée d'un grand nombre de lampes 5 on chantoit des hymnes en rhonneut des dieux er 1'on fïnissoit par immolej  IC,_ L'Antiquité dévoilée plusieurs victimes noties a Pluton, a Cérès et a Prosetpine. Au commencement du jour on alloit au capitole sacrifier a Jupiter, et Ton revenoit au bord du Tybre célèbrer sur des échafFauds et des théatres préparés des jeux en 1 nonneut d'Apollon et de Diane. Le second jour c'étoient les dames romaines qui alloient au capitole sacrifier a Junon, et l'empereur. accompagné des décemvirs, alloit offrir a Jupiter , a Neptune , a Vulcain , a Mars, a Saturne , a Vesta et aux dieux célestes et infernaux. les victimes qui leur convenoient. Le troisième jour vingt-sept jeunes hommes des premières families et autant de jeunes filles alloient au temple d'Appollon chanter des hymmes et des cantiques pour rendre les dieux favorables au peuple romain. Chacun de ces deux jours avoit aussi sa veillée comme le premier, pendant lesquelles on alloit au bord du Tybre répéter sur trois auteis le triple sacrifice aux dieux infernaux. La ville étoit tellement illuminée pendant ces trois nuits qu'il n'y avoit plus d'obscurité dans Rome, et pendant le jour cette capitale étoit remplie de jeux, de spectacles _ de courses , de luttes, de combats de gladiateurs , etc., ensorte que le peuple parrageoit son tems entre la joie et la dévotion. Mais il ne faut point oublier qu'une des principales cérémonies de cette fête étoit 1'ouverture de la porte du temple. qui représentoit 1'entrée du siècle. On a des médailles sur lesquelles on voit un empereur frappant cette porte d'une verge ou baguette. Tels étoient les jeux séculaires des Romains. Si nous n'avions encore ici que ce peuple eélèbre a consulter sur 1'origine et les motifs de cette grande solemnité, nous n'en tirerions que rrès-peu de lumières ; on nous diroit qu'un particulier nommé Valerius Volusius, citoyen  par ses usages. Liv. IV. Ch. IV. i j * citoyen d'Erete dans le territoire des Sabins, voyant ses I trois enfans guéris de la peste par un miracle des dieux, J opéié avec 1'eau du Tybre, en un lieu appelé Térente, I oü il passa pour aller a Osue, les remercia de ce bienj fait signalé en offrant des victimes noires aux divinités infernales pendant trois nuits consécutives, sur un auj tel qu'il trouva enfoui dans la terre de ce lieu même; j et que c'est ce même sacrifice que 1'on a renouvellé tous les cent ans , et toutes les fois que 1'état étoit j menacé de quelque calamité (ij. II n'est pas difficile 1 de remarquer que ce particulier et ce motif obscur ne I répondcnt guère a la dignité des jeux séculaires: cette J fable ressemble a celle du mandarin Chinois a qui | 1'on attribue 1'origine de la grande fête des lanternes, j Nous n'avons pu expliquer la fable des Chinois, faüte | de savoir la signification du nom des acteurs; mais I tentons de ramener la fable romaine a son véritable | sens. Les jeux séculaires des Romains avoient pour objet 1 le renouvellemeur d'un période de cent ans, c'est ce que leur nom annonce; ces jeux étant périodiques , 3 devoient naturellement s'appeller les jeux du retour , j et en un seul mot les jeux Volusiens, de la racine de Volvere tournet, retourner; le nom de fête s'étant ( personniné a donné vraisemblablement naissance a ce ! Volusius , qui pourroit bien n'avoir jamais existé que dans la légende. La propriété de toutes les fêtes chroniques et cycliques ayant été , suivant les idéés des anciens, de chasser et d'écarter les maux et les calamités, et de ramener un état plus heureux , ces jeux i auront été surnommés Valentes , et ce Volusius aura : été nommé Vilerius de la racine Valere, se bien porter, —— * (i) Varro apnd Censorinum de die natali, cap. 27. Teren, en sabia signifioit mol , tendre. Macrofe. latuïn. lib. 3, cap. aS.  par ses usages. Liv. IV. Ch. IV. 19 < qui y pfëskbient; ces livres, que 1'on regardoit comn e ie dépot sacré du desdn de Rome, étoient apocalyptiques: ainsi la célébration de la fête séculaire avot aussi pour objet le destin de Rome, et par conséque: t étoit apocalyptique et relative au sort futur du gen e humain. On y veilloit comme chez les Mexicains, ct sans doute dans les mêmes idéés funèbres, puisqu'on invoquoit particulièrement les divinités infernales telles que Pluton , Cérès , Proserpine, et ces parques de qui dépendoient la vie et les destins des mortels (i). Les victimes étoient noires; on y voyoit un tripte sacrifice ; les illuminations é:oient brillantes, mais elles avoient eu un principe funèbre et lugubre. Les jeux séculaires avoient donc encore rapport _ la fin du monde et a son renouvellement, c'est pour cela qu'ils commencoient par la tristesse, et finissoient par la joie-, cependanr le vulgaire n'en connoissoit point les motifs, mais les gens éclairés les connoissoient au moins en partie; on le voir par le poè'me séculaire d'Horace qui commence par des vers subiunes, tm'un de nos poè'tes a traduits d'un facon également grande : Les rois sont les maitres du monde ; Les dieux sont les maicres des rois { * ). C'est le grand Jupiter qne 1'on annonce, c'est lui qui, par la force de son bras, a vaincu les géans ; c'est lui qui fait trembler 1'univers. Quoi de plus capable d'instruire les rois et les sujecs que cet avertissement qui faisoit attendre avec frayeur un dieu, (0 Le motParque semble venir de paraq , lévhiïcr , ou de phuiaq. (') Piegtim timendorum in proprios greges Reges in ipsos imperium est Joris. N x  je,, VAntiquité dévoilee maitre des destins de 1'univers > Le poê'te invoque ensuite Apollon et Diane pour obéir, dit-il, aux ordres de la Sybille, et pour se préparer a des tems redoutables qu'elle avoit annoncés. « Soleil, toi qui » nous donnés la lumière, er qui nous en prives quand w il te plait, puisies-tu ne rien voir dans ra course » de plus grand que Rome ! Puissante Lucine, fais " que la race romaine se perpétue; et vous, Parques, » qui tenez les destins, faites que nos oracles im» muables s'accomplissent, accordez a Rome le sort » sublime qui lui esr promis ». Ces grands destins, comme nous avons vu, n'étoient que 1'attente de cette vie heureuse, de cet age d'or promis aux justes et de ce juge souverain que Rome corrompit et pcrsonnifia. C'est en conséquence de cette erreur que les Romains et d'autres peuples se sont emparés du monde ou des terres de leurs voisins comme d'un bien qui leur étoit adjugé par les dieux. Le poëte supplie ensuite le soleil de s'appaiser, d'écouter favorablement les prières que lui adresse la jeunesse romaine. On doit remarquer la-dessus ce que nous avons déja vu ailleurs , que les enfans, ou les jeunes gens étoient toujours consacrés pour les fétes de périodes. Ce sont chez les Juifs les amés des families qui jetinent la veille de Paques. Nos enfans de chceur nous montrent des testes de ces usages. Aux Apollonies, c'étoit par de jeunes garcons et de jeunes filles qu'on faisoit chercher Apollon. Ainsi, comme le dit Horace, des vierges choisies, des enfans chastes et purs chantoient les hymnes aux fétes séculaires, paree qu'on supposcit que leurs hommages devoient être plus agréables aux dieux, et méritoient plus d'indulgence de leur part; la fin des périodes et la destruction du monde étoient plus a craindre pour une jeunesse qui alloit être mois-  paf ses usages. Liv. IV. Ch. LV. 197 sorinée dès le commencement de sa carrière, et qui devenoit par la un objet de pitié pour les dieux. Enfin le poëte finit son peëme par annoncer le retour de 1'age d'or ; il y déploie un enthousiasme •poëtique fondé sur 1'attente de la vie future qui ramenoit chaque fin de période. A 1'ouverture de nos 'jubilés nous chantons: volei la porte de la justice , et les justes y entreront; c'est dans le même esprit que les Romains chantoient aux jeux séculaires : "Déja » la paix, la bonne foi, 1'honneur et 1'antique pudeur " paroissent; déja les vertus si négligées ont le courage » de se remontrer; la félicité et 1'abondance reviennent » sur la terre. » Ce langage poëtique et notre langage mystique n'ont qu'une même origine. Voila quel étoit le motif de la joie que les Romains faisoient éclater dans la seconde partie de la fète; elle étoit fondée sur 1'attente oü 1'on étoit du bonheur réservé pour les justes dans un avenir heureux, mais que 1'on confondoit avec lage d'or ou la felicité primitive dont les payens se formoient des idéés matérielies et terrestres, tandis que les chrétiens plus éclairés n'atrendent un bonheur permanent que dans une éternité bienheureuse dans le sein de la divinité. Quoique les Romains ignorassent les vrais motifs de leur fête séculaire, ainsi que le tems oü elle avoit été instituée, ils crurent en général que son effet devoit être d'écarter tout grand désastre. On auroit donc cru s'exposer aux plus grands malheurs, si on eut manqué a les célébrer; c'étoit comme un piéservatif_ c'étoit un remède propre a changer le cours des choses , paree qu'il changeoit les périodes. En conséquence on célébroit des fêtes séculaires non-seulement tous les cent ans, mais encore dans toutes les occasions extraordinaires, oü 1'on vouloit écarter quel- N 5.  ic)8 L'Antiquité dévoilée que grande calamité : usage aussi frivole que celui da clou sacré qui, institué d'abord pour indiquer les années, devint dans la suite un préservatif idéal contre tous les maux. . Quelques-uns ont prétendu que les jeux séculaires avoient été célébrés pour la première fois par le consul Valerius Publicola, 1'an 24; de Rome, et 508 ans avant Jésus-Christ. Mais il n'y a point d'apparence que ce fut pour la première, fois, la circonstance oü les Romains se trouvoient alors semble le prouver; ik venoient de chasser les Tarquins 1'année précédente., Rome, d'une monarchie, se changeoit en république,. on changeoit de gouvernement, et il falloit célébrer ce renouvellement comme si 1'on füt entre dans un nouveau siècle, sans s'embarrasser si le siècle véritable étoit firn; dès-lors les Romains abusèrent.de cette, solemnité, et par la nature de 1'abus, il est a présumer qu'il étoit déja fort ancien parmi eux , puisque cet abus tient aux idees répanducs chez tous les peuples de ia terre qui en ont également abusé. XIV. Le lustre chez les Romains doit encore être mis au nombre des usages cycliques et périodiques.. Ce mot vient de lucre, expier. Tous les cinq ans a Rome, après avoir fait la revue et le dénombrement des citoyens dans le Champ-de-Mars, on purifioit la ville, on sacrifioit un taureau, et 1'on prioit les dieux pour le salur de la république. Ces cérémonies s'appelloient fermer le lustre {lustrum condere). Les citoyens s'assemblcient rous armés, tant a pied qu'a cheval, et prêts a combattre. On immoloit ï Mars des victimes a qui 1'on faisoit faire trois fois le tour du champ. C'étoit les pontifes et les censeurs qui présidoient a cette cérémonie. C'étoit alers que 1'on renouvelloit les baux pubiics \ de-la le mot lustre étoit  p,trses usages. Liv. LV. Ch. LV. «li synonime de bad. Chaque citoyen donnoit la déclaration de ses biens, étoit imposé en conséquence. Enfin c'étoit alors qu'on s'occupoit de la réforrne des mceurs (i). On purifioit aussi tous les ans, au mois d'octobre , les soldats, ce qui s'appelloit Arm dus ere ; la fête de la purification des trompettes consacrées & Vulcain se nomnioir Tubdustre (i). Chez les Hébreux, les dénombremens doivent être pareillement regardés cemme des usages cycliques et liés a la religion. II est dit dans 1'exode, chap. XXX, vs. 12 : « Lorsque vous ferez ie dénombrement d'Is» raël, chacun, le pauvre comme le riche, donnera » un demi-sicle pour racheter sa vie, afin qu'il ne » leur arrivé point de calamité après le dénombre» ment. » Le demi-sicle se levoit annuellement quinze jours avant Paques, a la fète appellée Purim , qui étoit une vraie Bacchanale. Les Rabhins nous prouvent que le dénombrement étoit une chose sacrée chez les Hébreux , et ils prétendent qu'il ne convient a personne de faire le dénombrement des hommes sans un ordre de Dieu : c'est sans doute la raison qui irrita le Seigneur contre David, et qui attira de son tems Ia peste sur Israël. Joseph dit que dans le dénombrement fait par David, on omit de payer le demi-sicle; dans les paralipomènes il est dit que ce fut Satan qui s'éleva contre Israël, et qui engagea David a le dénombrer (3). Chez les Grecs, nous voyons une foule de fètes ct (1) Valer. Mar. lib. IV, cap. 1, parag. i». Dion. Halic. lib. IV, Mp. 5. Tit. Liv. Decad. I, lib. ï. (2) Ovid. Fast. V. (5) Maunonid. ad cap. 2. Joma et Cemar. Les rois , liv, II , chap. 24. paralip, liv. I, eh. 12, vs. 1. ct 27, vs. 25. Antina: t .. jdaic^ Eb. 7, cap. iói N4-  100 L''Antiquité dévoïlée d'usages cycliques. Les jeux Olympiques doivent être mis dans ce nomb_i, ainsi que les autres solemnités périodiques dont nous avons parlé plus haur. Nous y joindrons encore les Ascléples qui se célébroient a Epidaure tous les quatre ans dans un bois sacré; les fêtes 'Déllennes que 1'on célébroit en 1'honneur d'Apollon tous les cinq ans, ainsi que les Actiaques, les Dédalles que 1'on célébroit a Platée tous les sept ans, 1 s grandes Panathénées se célébroient tous les cinq ans. Les Mexicains avoient tous les quatre ans un jubilé qui duroit neuf jours, consacré auxpleurs, a la péni'tence ét aux macérations; la fête se terminoit par immoler un esclave que jusquesda on avoit traité en dieu. On trouve les mêmes cérémonies lugubres et la même tristesse dans une fête d'expiation que ces peuples célébroient annuellemenr, et qui duroit neuf^jours. On n entendoit alors que des cris de rerreur ' er des hurlemens affreux, tout le monde donnoit des signes de la plus grande consternation, et 1'on appaisoit le ciel par le sacrifice d'un homme (i). (i) Hist. ééhér. des voyages, tome XII, p. 5\o , 54j. , Fin du Livre quatrlëme*  L'ANTIQUITÉ DÉVOILÉE SES USAGES. LIVRE CINQUIÈME. De l'esprit liturgique cle 1'antiquité. Des fétes solaires et des fétes lunaires, etc. CHAPITRE PREMIER. Des fêtes solaires che^ les Romains. De la confusion que produisirent leurs deux années. Des défauts de notre calendrier Grégorien. I.Ï_j e nom cle fêtes solaires convient a toutes les fêtes qui ne sont point mobiles j mais qui sont réglées par le cours du soleil. Je n'entreprendrai point d'examiner toutes les fêtes des anciens qui pouvoient être dans ce cas; je me bornerai ici a examiner les fêtes par lesquelles ils fïnissoient et commencoient leurs années et leurs saisons. Nous avons déja parlé dans le chapitre précédent des fêtes du nouvel an chez diiférens peuples ; mais nous entrerpns ici dans un plus grand détail a leur sujet, scit afin d'observer de nou-  L' Antiquité dévoilée veauSr. usages, soit afin de justifier pat de nouvelles preuves ce que nous avons dit de 1'esprit apocalyptique et cyclique de toute 1'antiquité. Dans cette vue, nous allons jetter un coup d'ceil sur les usages des principaux peuples de la terre, qui nous ont été conservés dans I'histoire; commencons par ceux des Romains. Les Romains ont eu en différens tems deux années. Suivant O vide (i), celle qui eommencoit aux calendes de janvier étoit leur ancienne année; il y a eu lieu de !e croire, vu que le nom de janvier est tellement lié è celui de Janus et avec la mythologie de ce dieu qui ne peut être que très-ancienne, que tout semble nous prouver que les peuples' du Latium ou de 1'Italie ont öuvert leur année par le mcis de janvier : cela dura jusqu'au tems oü elle s'ouvrit au mois de mars, ce qui, dit-on, se fit par les ordres de Romulus; ce Prince le voulut ainsi a cause du dieu Mars qui pas soit pour son père. Cette autorité de 1'année jattuale sur 1'année martiale n'a point empêché que 1'on n'ait dit et écrit que la première étoit de 1'institution de Numa; cela nous montre combien les Romains ont été peu soigneux de consetver les monumens de leur ancienne histoire ; d'ailleurs, quelles que soient les raisons historiques que les Romains, ainsi que les autres peuples, ont dónnées de la position de leur nouvelle année, on peut a coup Sur les regarder comme des fables. L'année commence en janvier chez certains peuples, pat la raisön naturelle que le soleil commence alors a remonter sur 1'hörlsón, et que les jours augmentent. Lespremiers qui ont mis leur nouvelle année en mars, 1'ont fait aussi pour une raison naturelle; c'est que ce |i) OviJ. fast. lib. a.  par ses usages. Liv. LV. Ch. I. 2*3 ïnois est celui de 1'équinoxe, c'est qu'il amène le printems et les premiers beaux jours, qui annoncent pour ainsi dire la renaissance er le développement de la nature. Enfin d'autres onr placé le commencement de 1'année vers le solstice d'été, d'autres a 1'équinoxe d'automne; en cela, ils ont été guidés par des raisons simples et naturelles tirées de 1'ordre du ciel, de 1'état de la terre, et de la température de 1'air. Cependant il faut convenir que de toutes ces raisons la plus naturelle est celle qui place 1'année en janvier, c'est-a-dire prés du solstice d'hiver, paree que c'est alors que le soleil semble relativement a nous recommencer sa carrière. Si beaucoup d'anciens peuples, et sur-tout les orientaux, ont placé leut année en septembre, c'est-a-dire vers 1'équinoxe d'automne, je soupconne qu'ils n'ont point eu d'autre raison que celle qui leur a fait ccmmencer le jour a six heures du soir; aussi a-t-on une tradition qui assure que le monde fut créé au mois de septembre; on vouloir que la partie la plus sombre de 1'année, comme la partie la plus sombre du jour, ramenat toujours a des idees religieuses. Je ne me bomerai point ici a examiner simplement ce que les Romains faisoient au premier jour de janvier ou au premier de mars. Pour bien connoïrre 1'objet de la solemnité de ce jour, il faut considérer non-senlement le mois entier, mais encore le mois qui 1'avoit précédé, paree que c'est un usage que tous les peuples du mende ont cbservé, de finir 1'année par des fêtes ou des cérémonies funèbres avant que de passer aux réjouissances du renouvellement qui suivoit. II en étoit du période annuel comme du période journalier y on pleuroit le soir, c'est-a-dire au dernier mois, et pon se réjouissoit le matin , c'est-a-dire au premier  •204 L'Antiquité dèvoilèe mois; ainsi c'est dans les solemnités diverses de décent bre et de janvier que 1'on doit chercher les traces de cet ancien esprit; car il ne faut pas s'attendre a trouver 1'ancienne méthode bien exactement suivie par les Romains; il nous suffira d'en appercevoir 1'esprit dans les usages ou dans le caractère de la légende, ou de la fable de chaque fête. II. Nous avons déja parlé des fêtes romaines du mois de décembre , a 1'occasion des Saturnales; nous ne ferons que rappeller en peu de mots ce que nous en avons dit, et nous ajouterons ce que nous n'avons point encore eu occasion d'en dire. Vesta étoit chez les Romains la divinité qui présidoit au mois de décembre: on ne nous en donne point de raiscn valable, mais comme elle présidoit au feu sacré , symbole de la durée des êtres, il y a tout lieu de croire qu'il fut un tems ou, soit les Romains, soit les anciens Latins, faisoient en ce mois les cérémonies d'éfeindre le feu sacré , et de le rallumer ensuite. En effet, comme nous 1'a^ons dit ailleurs, ce n'est point en janvier qu'est le véritable commencement de 1'année solaire, c'est aux jours du solstice d'hiver qui tombe en décembre : c'est ce que les anciens n'ont pas méconnu, ainsi que nous le verrons par le caractère de leurs usages. On avoit donc mis le mois de décembre sous la protection de Vesta, a cause de la cérémonie principale que 1'on y faisoir; Rome dans le tems de la république , ne faisoit plus cette grande cérémonie qu'au premier de mars. Vesta étoit une divinité si importante que quiconque ne lui sacrifioir point passoit pour un impie: on eommencoit et on terminoir tous les sacrifices en rendant des honneurs a Vesta. De plus elle présidoit aux portes et aux entrées des maisons ; c'est1dc-Ia qu'est venu le mot vestibule. Tout désigne chez  par ses usages. Liv. IV. Ch. L. _o«; une divinité cyclique et apocalyptique; et tout indique que les peuples d'Italie ont eu une année qui. avoit commencé au mois de décembre. Enfin Vesta étoit 1'embléme du monde , et son temple étoit de forme ronde (i). La première fête remarquable du mois de décembre étoit celle des Faunales _ que Ton célébroit le jour des nones, c'est-a-dire le cinq. C'étoient des fêtes champêtres et joyeuses que les villageois célébroient dans les prairies en sacrifiant unchevreuil au dieu Faunet qui est le même que le dieu Pan des Grecs. Nous avons déja remarqué que dans ce mois on s'imaginoit que ce dieu quirtoit 1'Italie pour retourner en Arcadiej et 1'objet du sacrifice étoit d'empêcher que son passaee ne füt nuisible aux troupeaux. On est peut-être surpxis de voir joindre a ces motifs de terreur la gaieté et la danse doiit Horace nous parle (2), mais c'est que le dogme du passage de 1'exterminateur n'étoit plus regardé que comme une fable ridicule sous le nom de Faune ou de Pan. L'ancienne crainte que le dieu desttucteur avoit inspirée aux premiers hommes s'étok affoiblie a mesure qu'on en avoit oublié les motifs; enfin cette crainte étoit devenue puérile. De-la les terreurs paniques, nom que 1'on peut donner a toutes les fausses craintes que 1'on avoit eu de la fin du monde, et de la descente du juge de 1'univers, a qui 1'on avoir donné le nom de Faune. fils de Mars et de Picus, et que 1'on avoit confondu avec Saturne. Ce même être sous le nom de Pan étoit fils de Mercure, le conducteur des morts, ou selon d'autres de Jupiter: voifa tont ce qu'il conserva de plus analogue a son ancien (1; Ovid. fast (2) Horat. lib. 5, Od. iï.  iö6" L'Antiquité dévoiiée titre de dieu de la fin des tems; son nom peut venir „«■ Phanag, regarder, se retourner, revenir sur ses pas, ou de Phan, visage, face. Les trairs sous lesquels ort 4e peignoir répondoient assez a la crainte qu'on en avoit; on le représentoit sous la forme d'un satyre qyi eftrayoit toutes les nymphes dont il étoit pourtant sans cesse amoureux. Le Phanés d'Egypte, le Pan des Grecs, le Faune et le Sylvain des Latins n'étoient qu'un même être. Au reste ce dieu étoit connu des Egyptiens et des Arcadiens, peuples tfès-anciens; il étoit un des huk grands dieux, 1'un des compagnons de 1'Osiris Egyptien; on disoit que dans la guerre des géans il s'étoit métamorphosé en bouc. Ces deux peuples le reconnoissoient pour le dieu universel (i). On voit donc par la nature de ce dieu que la fête que 1'on célébroit en son honneur a dü être commémorative, instructive et relatix e aux révolutions de la nature, et que parconsequenr elle étoit funèbre dès son origine. Ce dieu piourroit sous ce point de vue être encore regardé comme un Bacchus appellé quelquefois Phanés, ou comme un Saturne. appellé queiquefois Phainon ; dans ce cas il ne seroit pas étonnant que dans 1'origine sa fête eüt les caractères de celles de ces dieux redoutés. III. (2) Les Saturnales ont sübi chez les Romains ces variations pour le jour du mois de décembre oü on les eommencoit et pour la quantité de jours qu'eiles duroient. Dans les plus anciens tems elles avoient duré sept jours; on les réduisit a trois, a un, et elles revinrent enfin a sept. Lorsqu'eües n'étoient que d'un jour , elles se célébroient le 19 de décembre. c'est-a-dire un (1) Macrpb. Saturnal. lib. I, cap. 22, ia) Idem, lib. I, cap. 10 et li.  par ses usages. Liv. IF. Ck. I. jour ou deux avant le solstice d'hiver. Lorsqu'elles reviiirent a sept jours, elles comrnencèrent le 17 et finirent le 23. Les Saturnales étoient une suite de différentes fêtes réunies , comprises sous les noms de «5^turnalia et Sïgillaria. Les ttois premiers jours étoient proprement les Saturnalia, les quatre derniers étoient les Sigillaria. Nous avons assez pariéde Saturne, ce dieu redou-1 table de la fin des tems, dont la sratue se délioit a la fin de 1'année •, nous avons assez fait connoitre lespet funèbre qui caractérisoit ses fêtes , malgré la dissolution dont 1'oubli de leurs anciens motifs les rempiit par la suite. Nous avons dit que ces fètes étoient mises au rang des jours funestes et malheureux pendant lesquels on «'osoit rien entreprendre : toutes ces choscs étoient relatives au caractère du dieu des tems qui mettoit fin aux périodes, qui devoit détruire le monde et régner dans une autre vie : ce dieu armé d'une fauïx devoit moissonner 1'univers et par conséquent il devoit être plus redoutable qu'aimable, ^ Le troisième jour des Saturnales étoit nommé OpaHa. La déesse Opa avoit donné le nom a cette fète; elle étoit la même que Rhéa et que Cybèle; c'étoit la' terre personnifiée dont on avoit fait ia femme de Saturne : leur culte étoit inséparable ; et cette union de la terre avec le dieu du tems prouve bien que leurs fêtes avoient rapporr a la durée de i'univers (1). Les quatre jours suivans portoient le nom de SigiU laria et tcmboient aux 20 . 21, zi, et 23 de décembre : chacun de ces jours avoit un nom particulier a 1'exception du premier qui 'ne nous est point parvenu : fe 21 étoit les Ferice Augeroniee j le 22 les Ferice Larlbus - . 5, cap. 19, dit cjue !es expiations du mois de fivcicr étoient pour chasser les terreur* souterraiues. Ovid. Fast lib. 2. Pluion s'appclloit februus ; il devoit donc aussi avoir sa part dans les usages de février.  t par ses usages. Liv. V. Ch. L. iij ce jour étoit réputé malheureux a cause de la défaite des anciens Fabiens, mais il y a lieu de croire que c'étoit la nature des cérémonies religieuses de ce jour qui le rendoir funèbre. On célébroit le i y une des plus grandes fêtes de ce mois, c'étoit celle des Lipercalcs : elle étoit une des plus anciennes qu'eussent les Grecs, les Latins et les Romains; on alloit ce jour-la sur les bords du Tibre en mémoire, disoit-on , de Romulus qui y avoit été exposé : on faisoit le saairïce d'un chien a Faune; on lui sacrifïoir aussi des boucs et des beliers; on y faisoit des expiations et des punfications; entr'autres on y amenoit deux jeunes hommes des families les plus distinguées et une partie des assistans leur. touchoir le front avec un couteau sanglant, les autres les'essuyoient avec de la laine rrempée dans du lair. Cette cérémonie rënoit lieu peut-être des victimes humaines qu'une législarion sensée avoir abolies. Après cette cérémonie la jeunesse Romaine se répandoit dans les champs, sans autres vêtemens qu'une ceinture faite avec la peau des animaux égorgés; d'une main ces forcénés tenoient un couteau dont ils frappoient rout ce qu'ils rencontroient, et sur-tout les femmes; celles-ci loindefuir venoient s'offrir a leurs coups dans 1'idée que cela devoir les rendre fécondes. Les Arcadiens, suivant Ovide, avoient institué ces usages , en mémoire de la vie grossière, sauvage et vagabonde de leurs pères; dans ce cas cette commémoration étoit funèbre; aussi le jour des Lupercales étoit réputé le plus malheureux de tout le mois; Faune n'étoit donc que 1'emblême personnifié des premières misères du genre humain (i). (c) Valer. Max. lib, 2, cap. 2, parng*s. Plutar. in Bomulo et in Ao■onio.  lig L'Antiquité dévoiïée Le 17 de février sous le nom de Quirinatia, étoit consacré a Romulus , ou peut-être au dieu de la guerre, qui étoit le Quirinus des Sabiens qu'ils honorèrent sous ia forme d'une lance. Ovide rappelle a 1'occasion de cette fête 1'enlevement de Romulus arrivé pendant un grand orage au milieu des feux, des éclairs, et lors d'une éciipse de scleil. Je croirois plutot que cette fête avoit rapport a 1'extinction du période. A comptet de ce jour, le reste du mois étoit consacré a rendre des honneurs funèbres aux morts et a potter des offrandes sur les rombeaux, c'est de-la qu'est venu le mot feralia et celui de fèria. Ces offrandes conristoient en quelques couronnes qu'on mettoit sut une tuile , accompagnées de gateaux couverts d'un peu de sel, que 1'on arrosoit de vin et que 1'on orncit de violette : on placoit ces tuiles au milieu des chemins; en faisant des présens aux morts on y joignoit des prières, des paroles expiaroires , et 1'on allumoit des cierges. Sans doute que ces usages se pratiquoient dans 1'origine en mémoire des ancêtres, puisque Ovide appelle ces jours diesparentales ; mais par la suite ces fêtes eurent pour objets d'appaiser les morts que 1'on croyoit irrités et sortis de leurs tombeaux pour errer sut la terre ; on vouloit les empêcher de faire du mal. On ne cessöit de faire des expiations pendant tous ces jours funèbres; les noces y étoient proscrites ; les gens mariés devoient garder la continence; et 1'on croyoir que les morts e£ toutes les divinités souterraines étoient irrités et soulevés contre le repos des vivans; les portes des temples demeuroient fermées j on n'encensoit plus les autels; le feu étoit éteint dans les brasiers sacrés. I3ans l'incertitude de ce qu'ils avoient a craindre , les Romains invoquoient la déesse Tacita ou la déesse du  par ses usages. Liv. V. Ch. I. 219 silence , afin qu'elle voulut lier la langue cle leurs ennemis et de leurs envieux. On faisoit de cette déesse une nymphe du Styx, qui étoit la mère des Lares c'est-adire des morts, dont Mercure étoit lepere. Le 22 on célébroit les earistiés , fète qui n'étoit célébrée que par ceux qui étoient unis par les liens du sang : 1'on n'y admettoit point d'étrangers. On se rassembloir auprès des penares ou dieux domestiques de la familie } a qui 1'on offroit de 1'encens; de-Ia on alloit visiter les tombeaux de la parenté j ensuite on se rendoit des visites en se faisant des presens, comme pour compter les vivans , dit Ovide, après avoir compté les morts. La fète finissoit par un repaS en familie oü devoit règner 1'union et la concorde; il étoit accompagné de libations et de vceux pour le salut de 1'étar et pour la prospérité de chacun des convives. Le lendemain 23 du mois étoit la fète du dieu Terme ou de Jupiter Terminalis; sous ce nom les Romains désignoit le dieu qui présidoit aux bornes des champs et des territoires , et ils le représentoient par une grosse pierre. Ce jour-la les possesseurs des terres se rendoient au lieu de leurs borncs communes ; ils ornoient ces bornes de guirlandes; ils offroient des gateaux ; on allumoit un feu en pyramide, et trois fois on y jettoit du grain. Les enfans du laboureur présentoient les uns des rayons de miel, tandis que d'autres faisoient dês libations de vin sur le feu. Par la suite on ajouta a ces offrandes le sacriiice d'un agneau et d'un cocLon de lak; c'étoit une fète charnpètre qui eommencoit avec une gravité religieuse, et qui se terminoit par des chants, des danses et des festins que les laboureurs voisins se donnoient. Les villes ne célébroient pas moins cette fête paree que chacune d'entr'elles avoir son territoire; Rome alloit sacrifier a Thermus a six  na L''Antiquité dévoilée mille de la ville, paree que c'étoit-la qu'étoient, suivant Ovide , les anciennes-limites du royaume d'Enée. Cette fète placée dans les jours funèbres Atsferalia et a la fin de I'année martiale, donne lieu naturellement de faire réflexion sur le dieu Terme et sur son nom. Quoique ce dieu fut généralement considéré des Romains comme le dieu des bornes des champs , ne pourroit-on pas soupconner'qu'il avoit été plus anciennement le dieu qui préside aux termes chroniques, c'est-a-dire a la fin des tems ? En effet la cérémonie de cette fête étoit, suivant Ovide, la dernière de I'année sacrée ; on attendoit alors le dieu de la fin des tems qui dans 1'esprit primirif étoit comme on a vu , 1'objet que la religion mettoit sous les yeux a routes les fins de périodes (i). Lorsque Tarquin voulut batir le capitole et que pour cet effet il fit abbatre les temples et enlever les statues des autres dieux qui occupoient remplacement choisi, la tradition rapporte que tous ces dieux cédèrent la place de bonne grace; il n'y eut que le dieu Terme et la déesse de la Jeunesse qui ne voulurent jamais céder la leur; d'oü 1'on augura que Rome conserveroit a jamais sa force er sa jeunesse. Joignons a cette tradition fidée oü 1'on étoit suivant Lactance que la pierre du dieu Terme qui éroit restée au capitole er qu'on y conservoit religieusement, étoit la fameuse pierre que Saturne avoit dévorée au lieu de Jupiter et nous aurons raison de soupconner que le dieu Terme dans son origine devoit avoir été toute autre chose que le dieu des bornes des champs (2). Saturne qui dévore ses enfans et les pierres, a toujours été 1'emblême du (1) Ovide dit : Tu quoque sacrorum Termine finis eras. Fast. lib. 3. Varro de lingua latina , lib. 5* (2) Lactaat. inatit. divin. lib. I, cap. 20.  par ses usages. Liv. V. Ch. I. 221 tems qui se dévore lui-même, qui engloutit les jours, les années, les siècles qui ne sont que ses enfans; ainsi Jupiter Terminalis, pourroit bien n'être qu'un Saturne. Peut-être qu'une législation sage, pour détourner les esprits du peuple des idéés facheuses que présentoit dans 1'origine le dieu des tems , 1'a changé en un dieu chainpêtre moins efrrayant ou moins apocalyptique. Le jour suivant qui étoit le 24, étoit le Régifuge. Suivant Ovide et Plutarque, cette fète avoit pour objet la mémoire de 1'expulsion des Tarquins et de la suppression de la dignité royale. C'étoit, dit-on, pour en retracer le souvenir que ce jour-Ia le roi des sacrifices sacnfioit en public et s'enfuyoit aussitót. Mais cette cérémonie placée a la fin du période ne pouvoit-elle pas signifier primitivement la dissolution de la soeiété et La fin de toute législation et de tourpouvoir; Enfin la dernière fète de ce mois se npmmoit Equiries, elle se célébroit par des courses de chevaux que 1'on faisoit sur le champ de Mars. C'est ainsi que se terminoir 1'ancienne année martiale des Romains. m y^I- Ees calendes de mars étoient bien plus solemnisées que les calendes de janvier. On renouvelloit alors les couronnes de laurier attachées toute I'année aux portes des Pontifes, des Flamens et du Roi des sacrifices. Le temple de Vesta étoit alors orné de feuillages. L'autel du feu sacré étoit aussi décoré de nouveaux lauriers; et comme on avoit éteint ce feu dans les purihcations funèbres de janvier, on le rallumoit ce jour-la. II paroit que cette cérémonie se faisoit avee un secret mystérieux , puisqu'Ovide dit: Adde quod arcand fieri novus ignis in ceda Dia Uur. Lib. 5. Tast. vers 143. Ce feu sacré passoit chez les Romains pour une  1ZZ L'Antiquité dévoiléc parrie des choses sacrées qu'Enée avoit apportées; aussi 1'appelloit-on feu troyen. II étoit gardé dans le .sanctuaire de Vesta avec le palladium et d'autres divinités troyennes que le public ne connoissoit pas. Ce feu étoit regardé comme le gage de la durée de 1'état. On célébroit le même jour la fête des Anciles ou boucliers sacrés, en mémoire d'un bouclier d'airain , qui, du tems de Numa, étoit tombé du ciel , a la conservation duquel le sort de Rome étoit attaché. Numa fit faire onze boucliers semblables , de peur que le véritable ne füt volé - les Saüens ou prêtres de Mars en étoient les gardiens; ils couroient ce jour-la en formant des danses guerrières et en chantant des hymnes a leur dieu. Ces courses des Saliens duroient pendant tout le commencement du mois et finissoient le i4e. jour; alors on recommencoit a faire des courses de chevaux en 1'honneur de Mars , comme aux Equiries. Peut-être qu'en examinant les détails de ces fêtes nous y rrouverons encore 1'esprit d'attente d'un dieu exterminateur sous les trairs de Mars. Nous observerons au sujet des boucliers Anciles , que dans les traditions des orientaux il est questicn d un bouclier fameux qui rendoit invincible ; une longue suite de Rois, .antérieurs a Adam, s'étoient transmis ce bouclier merveilleux de père en fils; il fut remis a Adam, de qui il passa a Noë et ensuite aux tois de Perse (i). Cette rêverie des Orientaux est d'autant plus remarquable, que Salomon, fils de David, fit faire zoo boucliers d'un or très-pur qui ne servoient que lorsque ce/ prince alloit adorer dans le temple , et que 1'on remettoit ensuite dans le dépót (2.). (1) D'Heibelot, Libliotlièque oriënt, aux mots Cian et Soliman ben Daoud. (3) Los Rois, livre 5, chapitre jo, vs. 16 et chap. 1 , 7S. 28.  par de ses usages. Liv. F. Ck. I. 2i5 Nuhia j ce roi pacifique des Romains , successeut d'un roi exterminateur et guerrier, ne seroit peut-être que le Salomon de Rome, si 1'on examinoit les détails de sou histoire comparée a celle du monarque juif. Les calendes de mars voyoient aussi renouveller les saturnales sous le nom de Matronalia. Ce jour les dames romaines régaloient leurs esclaves et les servoient a table , de même que leurs maris avoient fait au solstice d'hiver; elles invoquoient aussi Junon Lucine qui présidoit aux accouchemens, paree que, disoit-on c'étoit le jour de la naissance de Romulus et d» Rémus (i). VIII. Tous les usages que nous venons de parccurir, soit au premier de mars, soit pendant les jours sahens, ne sont au fond que des usages funèbres et préparatoires au renouvellement de I'année ; aussi allons-nous voir qu'au jour de la pleine lune,' c'esta-dire le ij mars, les Romains faisoient la véritable fête du renouvellement de leur année; Anna Perenna éroit la déesse du jour; tout le peuple sortoit de Rome et se répandoit dans les prairies situées le long des bords du Tibre , et passoit la joumée a se divertir sur 1 herbe et sous des ramées que 1'on formoit avec des branches; on buro.it largemc-nt en demandanr a la déesse une année favorable suivië de beaucoup d'autres; les convives se faisoient réciproquement les mêmes souhaits; on se livroit*aii plaisir et même k la hcence; les Alles oublioient leur modestie en ce jour; en un mot cette fête ressembloit a notre carnaval et a nos jours gras oü le peuple se croit souvent autonsé a la débauche, a 1'intempérance et a la licencc dans les propos. (i) Ovid. Ta,r. lil.. 5. M,,r„l, c, ii- , ~ '  L'Antiquité dévoilée Le nom de la déesse Anna Perenna signifie visiblement I'année sans fin que I on se souhaitoit dans cette fête •, ainsi cette déesse n'est autre chose qu'un souhait personmfié. Malgré la simplicité de cette explication, les anciens ont eu recours a des fables, ils ont fait une légende de cette prétendue déesse. L'imagination des hemmes semble toujours répugner a ce qui est simple et vrai , il lui faut du merveilleux. Nous ne devons pourtant point négliger ces fables , paree qu'il y en a peu qui soient sorties du fond du sujet; malgré le penchant que l'homme a pour les fables, il en a beaucoup moins fait qu'il n'en a orné de routes faites , sans en prévoir les conséquences : peut-être a-t-on voulu dans 1'origine óter le ridicule des fables primitives qui, ainsi que les monstres, n'ont été dans leurs principes que des productions du hasard. On disoit que cette Anna Perenna étoit la sceut de Didon qui s'étoit retirée en Italië pour vivre auprès d'Enée, mais que persécu'tée par la jalouse Lavinie, elle s'étoit noyée en voulant se soustraire a sa fureur; le peuple s'étant mis en devoir de la chercher , on lui apprir que les dieux 1'avoient changée en nymphe. Cette histoire doit nous rappeller celle du mandarin chinois dont la fille fut pareillement noyée, et qui donna lieu a la fête des lanternes; elle semble nous prouver 1'exisrence d'une mythologie universelle qui ne varie que dans ses expressions, et qui part d'une source commune qui doit nécessairement remontet a la. plus haute antiquité. S'il est permis de hazarder mes conjectures, je dirai que je crois entrevoir dans ces fables, non une fille noyée, mais la terre submergée, et ensuite sauvée des eaux. C'est a 1'usage de représenter les anciennes révolutions de la terre par des personnes allégoriques, que j'attribue  paf ses usages. Liv. V. Ch. I. 2.i$ j'attribue ces auecdotes communes a I'histoire de presque tous les premiers personnages de Fanriquité mythologique; la plupart d'entr'eux ont été condamnés, dès leur naissance, a périr clans les eauij ils y ont été exposés, et ont été miraculeusement sauvés pour jouer ensuite un grand röle, et enfin ils sont disparus. 1/histoire de la nature et de la terre ayant j pour ainsi dire, pris un corps par ces représentations, est devenue une espèce de formule générale qui , chez tous les peuples , a servi a composer les légendes de leurs héros. C'est la connoissance de cette formule er des élémens qui la composent, qui doit nous expliquer cette monotomie qu'on appercoit dans les anecdotes rabuleuses de tous les peuples du monde; tous les dieux, les grands personnages, les héros et les législateurs se ressemblent par tant de cótés, que jusqu'ici 1'on a soupconné que quelque personnage réel er historique en avoit été le premier modèle; mais j'ai lieu de croire et même d'être convaincu que le premier modèle de toutes les fables a été I'histoire de la nature représentée sous des noms allégoriques, que 1'ignorance et les tems ont personnifié par toute la terre. On a encore prétendu que cette Anna Perenna étoit une vieille femme ou une vieille déesse qui , dans une intrigue amoureu.se, avoit supplanré Minerve, s'étoit mise en sa place, avoit surpris les embrassemens de Mars. Peut-être que cette vieille n'étoit dans 1'origine que 1'allégorie de I'année ancienne; peut-être encore que la fére cXAnna Peunna avoit été anciénnement celle de Minerve, qui par la s'est trouvée supplantée; ce qui confirme cette conjecture, c'est que quatre jours après on célébroit les fètes de Minerve dont nous parierons tout-aTheure. Cette Anna Perenna pouvoit encore être une Thémis , une Io ou J'onze II P  lt6 L'Antiquité dèvoilèe Isis, ou la lune qui renouvellé les mois dont Tannée est composée. Le 17 de mars, on célébroit les Libérales; c'étoit le jour oü 1'on donnoit la robe virile aux jeunes gens. La fête de Bacchus étoit unie a cette cérémonie; on honoroit ce dieu comme 1'instituteur de la religion , comme le législateur des nations et comme 1'inventeur des arts; on 1'invoquoit aussi comme 1'auteur de la fécondité, et 1'on promenoit alors 1'indolent Phallus autour des champs et dans les villes; lorsqu'il étoit dans la place publique, la dame la plus recommendable alloit le couronner (1). IX. Les Quinquatries, ou les fêtes de Minerve, commeneoient le 19, et duroient pendant cinq jours. Le premier, qui étoit celui de la naissance de la déesse, ne devoit être souillé par aucun combat, il n'éteit pas permis d'y répandre du sang; il n'en étoit point de même des autres jours qui se passoient en réjouissances , en spectacles et en combats de gladiateurs. C'étoit particulièrement la fête des jeunes hommes et des jeunes filles. Enfin le dernier jour, on purifioit Ie peuple au son des trompettes, on faisoit un grand sacrifice a la déesse , et on la prioit que son égide prorégeat toujours les généraux de Rome (z). Pour connoitre 1'esprit de cette solemnité chez les Romains, il faut la considérer un peu plus en détail chez les Grecs qui la célébroienr sous Ie nom de Panachénées. Les Athéniens attribuoient 1'origine de cette fète, les uns a Erichtonius, d'autres a Thésée; cette incertitude est la preuve de son antiquité; c'étoit une fête particulière aux Athéniens, a tous les peuples, (1) S. August, de Civitate Dei , lib. 7 , cap. 21. (2) Ovid. Fast. lib. 3, vers 809 et 848.  par ses usages. Liv. V. Ch. I. zij de 1'Attique et a leurs colonies, qui la célébroient en coramun depuis que Thésée avoir rassemblé les anciens habitans de cette contrée pour les faire demeurer en cité; en sorte que tous ces peuples se faisoient un point de religion de s'y rrouver et d'y assister vêtus de blanc. On distinguoit les grandes et les petites Panathénées;.les petites se célébroient tous les ans au mois Tkarge'lion , et les grandes se célébroient tous les cinq ans, c'est-a-dire, après quatre années révolues; elles commencoient d'abord par des courses de gens a pied qui renoient chacun un flambeau a la mam; celui qui atrivoit au but sans éreindre son flambeau étoit couronné; ensuite venoienr des courses a cheval. La première nuit étoit une veillée solemnelle dans laquella on couroit avec des torches; le second jour étoit destiné a des combats d'athletes sur les bords de la rivière d'Ilissus. Le rroisième jour, les musiciens se faisoient entendre pour faire preuve de leurs talens. Dans tous ces jeux , celui qui 1'emportoit sur les autres étoit couronné d'olivier, recevoit des pnx, et régaloit ses confrères. Ces exercices étoient suivis de danses pyrrhiques, c'est-a-dire, guerrières, que la jeunesse faisoir route armée. Les Romains adoptèrent tous ces exercices ,' mais ils y joignirent leurs barbares combats de gladiateurs, ce dernier peuple ne rendoir aucune raison de ces exercices et de ces combats; mais a Athènes on disoit que la danse Pyrrhique se faisoit en mémoire de celle que Minerve avoit dansé après avoir vaincu les Titans; d'oü 1'on voit qu'elle se faisoit en mémoire des anciennes révolutions de la nature exprimées , comme on a dit ailleurs , par la guerre des Titans contre les dieux. On retrouve le même esprit dans une P a  1X% L3 Antiquité dévoilée procession religieuse et guerrière que 1'on Faisoit dans ces jours, depuis la citadelle d'Athènes jusqu'au remple de Cérès Eleusine; tous ceux qui assistoient a cette procession tenoient des branches d'olivier a la main , et des vierges choisies portoient dans des corbeilles les choses saintes destinées aux mystères. Les étrangers établis a Athènes y assistoient avec un hoyau ou quelqu'autre insrrument propre a rravailler la terre: leurs femmes portoient des vases propres a puiser de 1'eau. On portoit ce jour-la en triomphe le voile de Minerve, sur lequel, comme on a déja dit ailleurs, étoit brodée toute I'histoire de la guerre des géans foudroyés par les Dieux. Les Athéniens y portoient encore les portraits de leurs grands hommes, ce qui étoit le plus grand des honneurs : en cela les Grecs sembloient avoir le mème esprit que les anciens Scandinaves qui, persuadés qu'a la fin des rems leurs dieux auroient encore de cruelles guerres a soutenir, vouloient exciter au courage, afin de former des coopérateurs vaillans aux dieux pour le tems de leurs combats futurs contre les ennemis formidables de la nature. Cependant le véritable esprit de ces combats s'étoit obscurci, il étoit devenu un mystère pour le peuple, et la législation avoit donné plus d'ordre et de régularité a des cérémonies tumultueuses dans 1'originei et faites pour représenter le désordre primirif de la nature. Je ne dois pas négliger de remarquer ici que dans Ia grande procession des Panathénées on trainoit sur la terre, par le jeu de quelques machines, un vaisseau auquel le voile de Minerve étoit attaché ; ce vaisseau paroit avoir été l'emblême du tems, d'autant plus qu'on voit toujours un vaisseau sur les médailles  par ses usages. Liv. V. Ch. L. izy de Saturne et de Janus. Le vaisseau est un emblême presque toujours joint aux êtres cycliques, telsqu'Isis, Osiris, le Soleil, &c. (i). Cet amas confus de fêtes solaires des'Romains que nous venons d'exaniiner, vient de ce qu'ayant eu deux années, 1'une martiale et 1'autre januale , ils conservèrent non-seulement les fêtes et les usages, sans en connoitre les motifs* mais aussi, en celebrant des fêres appartenantes a I'année solsticale, ils ont conservé celles de I'année martiale, et toutes ces fêtes cycliques occupoient chez eux quatre mois de I'année, tandis qu'elles n'auroient dü occuper qu'un seul jour, puis que toutes n'avoient qu'un objet commun. Mais les Romains n'étoient pas les seuls piongés dans ce cahos, tous les autres peuples anciens s'y trouvoient pareillement, et les rnodernes n'ont rien a leur reprocher la-dessus.x (1) On voit des médailles sur lesquelles Isis et Osiris sont représentés avee sept püotes, emblèmes des sept jours de la semaine. Les navires dédiés a Isis, coinine Ia déesse tuiélaire dc la navigation ; les Sueves JVloroient sous Ia forme d'un navire. Les Egyptiens célébroient une fèle du vaisseau aVIüs , que les Komains adoptèrent sous Ie nom de navigium Isidis. Les Manichéens honoroient Ie soleil et la lune sous la forme de deux navires. Joignons a ces remarques que la ville de Paris est appellée Louchotochia , Lucorocia; dans Ia langue Ilèbraique , ZiUkhotaim signifie des bateaux faits de planches. Lucolhoë étoit una déesse de ia nier. Isis étoit la déesse tuiélaire des anciens Parisiens ; leg armes de la ville de Paris ont encore un vaiss-au, son nom actuel vient visiblement de Porei Isis. Clovis , fondateur de L'égVise qui porte au» Jourd'hui, le nom de St. - jénevieve, lui donna une portion des biens des prêtres d'Isis ou du territoire aituè entre Paris et le vülage d'Issi, qui comprend aujourd'hui Vanvres, Grenelle et Vaugirard ; le reste fut donné par Childebert k 1'abbaye qui porte aujourd'hui Ie nom de S. Germain-des-Prez. On voyoit encore, en 1'an i5i4, 'a figure de Ia déesse Isis dans I'Eglise de cette abbaye; mais le Cardinal Brironnet Ia forisa , par ce que le peuple lui rendoit encore des hommages. Ain3* les cbanoi:ies de Sainte Gencvieve et les Bénédiciins jouissent des dépouilles de celte déesse Epyptienne. Voyez du Eieuil, antiquités d% Suis.  li» L'Antiquité dévoïlèe Pour dernière observation sur les Romains, nous dirons qu'ils ne prenoient point les augures ni a Ia fin du jour, ni a la fin du mois; les pontifes et les personnes instruites des anciens usages, estimoient qu'on ne les devoit point prendre non plus a la fin de I'année, paree que tous les déclins et les fins dej périodes étoient regardés comme funestes. Le déclin de I'année eommencoit après le mois d'aoüt, c'est-adire, après la moitié de Tannée. Ces idéés n'étoient point particulières aux Romains •, suivant Plutarque , lei Phrygiens jtunoient 1'hiver, dans 1'idée que les dieux dormoienr pendant cette saison. Le même auteut dit ailleuts que pendant les neuf premiers mois de I'année on chantoit a Apollon des hymnes appellés Pcean, mais dans les trois derniers mois on chantoit le dithyrambe ; les premières de ces poésies étoient sages, mesurées et raisonnables ; les demières étoient variées, fougueuses et bizarres, a cause du déclin des choses que 1'auteur appelle X embrasement et le renouvellement du monde. Voila , ajoute-t-il, pourquoi le culte de Bacchus ne parle que de renaissances et de résurrection, énigmes qui représentent les mutations de la nature (i). X. Les hommes des premiers tems, sans calculs et sans observations, n'ont jamais pu néanmoins se méprendre sur la succession des années et des saisons. Quoiqu'ils ne connussent pas avec précision la durée véritable de I'année, ils ne pouvoient se ttomper lorsqu'ils disoient qu'un tel homme avoit vu rrente hivers, ou que 1'on avoit vu trente moissons depuis un tel événement. Ce n'est que depuis qu'il y a eu des observateurs et des calculateurs, et cela n'est pas étonnantj (1) Plular. qurest. romi parag. 28.  par ses usages. Liv. V. Ch. I. 131 i'art d'observer et de calculer ayant été long-tems dans 1'enfance, ce n'est que pat le travail d'un grand nombre de siècles qu'on est parvenu a connoitre la grandeur véritable de I'année , et le rapport des périodes solaires avec les périodes lunaires. Ces derniers ont éré les premiers connus, paree qu'ils sont bien plus fréquens , et que 1'on peut faire 12 observations sur la lune, lorsqu'on n'en peut faire qu'une seule sur le soleil. C'est pourquoi chez rous les anciens peuples les actes publics étoient réglés par le cours de la lune; il a donc fallu bien du tems pour apprécier le cours du soleil, er ce n'esr que lorsqu'on a cru être arrivé a un certain dégré de précision, que 1'on a pu combiner ensemble le cours des deux astres, et donner des formules pour diriger la multitude, et pour régler les opérations de la soeiété. Ces formules que 1'on appelle cycles , ont été d'un grand secours aux nations; chacun , sans être astronome, a pu décider d'années en années les époques précises des phases solaires , lunaires, et des saisons. Ce sont cependant ces formules qui ont plongé dans le désordre, et qui ont infiniment retardé les progrès de Tart» Les thêmes qui ont été donnés pour les siècles a venir, ont fair négliget les observations chez la plupart des peuples; on a suivi aveuglement des formules que 1'on croyoit justes, et que 1'évènement a démontré fausses. Les actes civils et religieux indiqués pour la saison de 1'été ou de 1'automne se sont insensiblement trouvés dans 1'hiver ou dans le printems; les erreurs sont devenues si grossières, et la négligence des observations si grande, qu'après avoir fait diverses tentatives pour y remédier, il a fallu retourner aux observations, rechercher les formules, les corriger; et comme dans le iait il n'y a pas de formule ni de cycle parfait, il est P4  x3 x L'Antiquité dcvoilée arrivé que toutes les corrections n'ont fait qu'ajouter de nouvelles erreurs aux anciennes , ou que leur en substituer d'autres; peut-être se rrompa-t-on moins grossièrement, mais on fut toujours inexact. De plus, toutes les fois qu'il a été question de ces réformes pour lesquelles il ne falloit que des astronomes, les prêtres sont toujours intervenus, et ils les ont gêné par des régies et des usages de caprice, en leur -Kant des points mal pris. Dès les premiers tems 1'astronomie avoit fait partie de la science sacerdotale; nous en avons donné la raison. Une autre cause d'erreur, c'esr que les premiers peuples, ayant tous réglé leurs fêtes par les ■ lunes, ont voulu continuer de le faire, même tandis qu'ils se servoienr de I'année solaire: cette fantaisie a exigé de la part des astronomes des calculs infinis, et des formules recherchées, peine que 1'on auroit bien pu leur épargner. Un peuple éclairé ne doit régler ses actes que sur une seule année, er metrre de la simplieiré dans son astronomie civile , quoi que la nature n'en ait point mis dans la science, et quoique son harmonie se démenre quelquefois. XI. Du tems de Jules César, 4y ans avant JesusChrist, les formules dont les Romains se servoient depuis plusieurs siècles éioient si imparfaites, que 1'équinoxe du printems se trouva indiqué vers le solsrice d'hiver; tous les actes civils et religieux étoient rétrogradés de trois mois ; la moisson arrivoit en mai. Ce Romain devenu souverain ponrife, fit abandonner les . anciennes formules, et voulut qu'on adoput pour favenir le cycle de Méton; il tégla que le premier jour de sa première année julienne arriveroit au jour de la nouvelle lune d'après le solstice d'hiver, qui romba pour 1'ordinaire au huitième jour d'après ledit soïs^  ■parses usages. Liv. V. Ch. 1. 233 tice. Ainsi ce solstice fut alors fixé au 24 de décembre et 1'equinoxe vernal au 24 de mars. César fit cet arrangement pour concilier 1'ordre ordinaire des fêtes, et pour ne point déranger les usages; mais puisque ces usages étoient eux-mêmes mal placés, c'étoient eux que le législateur auroit dü transposer; il étoit tout simple en placant le premier jour de I'année solaire au premier de janvier, de placer le premier de janvier au jour même du soltice; on seroit par-la rentré dans 1'esprit de la dénomination de ce mois, qui annonce que le soleil r'ouyre alors sa carrière. Le premier jour d'avril, ( qui signifie de même ouvrir (1), paree que dans son origine il avoit été 1'ouverture de I'année vernale) auroit pareillement ouvert le printems dans un jour vrai et astronomique, et César auroit véritablement rétabli 1'ordre de I'année et du mois tel qu'il avoit dü se trouver dans le XP siècle avant notre ère, sous le règne des rois latins, (c'est-a-dire depuis 1'an 975 avant Jé6as-Christ) oü 1'équinoxe arrivoit le premier avril, et le solstice le premier de janvier. Ainsi en supprimant les anciennes erreurs, César agit encore sur de faux principes; il ne saisit point 1'esprit de 1'antiquite, et ne donna qu'une année mal raisonnée, en prescnvant une nouvelle formule, au lieu d'ordonner des observations , il prépara de' nouvelles erreurs pour 1'avenir. En effet on ne fut pas plutót dans le second siècle de notre ère, que Terreur de la nouvelle formule devint sensible; et dans le siècle du concile de Nicée tenu en 325, 1'équinoxe fixé par la formule au 24 de (2) En plooiden, Ba-prael ou Ha-priel signifie Dieu qui oufre, Ie Dieu poriicr. La raciue est paar el pier ouvrir, d'eü sont venus Xapeiro des ('.rees , et Ynperio des Latins. La construction du mot Jprilis est plus oriëntale que lauwe.  L'Antiquité dévoilée mars arrivoit réellement le ii ; il fallut donc encore réformer: Constantin et les pères du concile y firent travailler, mais ils n'eurenr point encore pour objet de ramener 1'équinoxe a son jour vrai, c'est-a-dire au premier d'avril, ni même de le ramener au poinr ou il étoit sous Jules César; on laissa 1'équinoxe au jour oü le cours naturel du soleil combine avec les méprises du calendrier Julien 1'avoient amené, 1'on raisonna d'après de nouveaux préjugés ou de nouvelles opiedons. II s'agissoit alors surtout de régler le tems de la célébration de la paque ; c'étoit une fète empruntée des Juifs qui la célébroient a la pleine lune du mois de nisan et un samedi, jour de sabbat, qui tomboit toujouts vets la fin de mats , ou dans les premiers jours d'avril; mais en voulant, comme les Hébreux, se régler sur la pleine lune, on ne vouloir pas célébrer le même jour qu'eux, on vouloit que ce füt un dimanche qui esr une fête mobile dans le mois lunaire, et on vouloit en même tems la déterminer par 1'équinoxe, a Fégard duquel les jours de la lune sont toujours mobiles. II fallut pour concilier toutes ces difficultés oü 1'on se jettoit de plein gré, imaginer des formules qui furent elles-mêmes trés embrouillées, et 1'on épuisa 1'industrie pour faire une formule qui, quand elle auroit été très-juste, auroit toujours eu le défaut de n'être utile que par la bisarrerie qui vouloit conciliet I'année solaire avec I'année lunaire, ce qui est exactement impossible, et avec les préjugés ou les opinions , ce qui est ridicule. Malgré le plus grand travail, on ne remédia nullement a la précession des équinoxes qui, dages en ages, s'écarta de plus en plus , du 11 de mars oü 1'équinoxe étoit du tems de cette seconde réforme du calen-  par ses usages. Liv. V. Ch. I. 2.3$ drier Julien; les siècles. de barbarie et d'ignorance intervinrent, et 1'on ne fut plus en état de remédier a tien : on ne 1'enrreprit enfin que lors qu'au seizièine siècle 1'équinoxe rétrogradé jusqu'au n de mars, fit appercevoir que si 1'on n'y mettoit otdre , la paque se célébreroit en hiver, puis en automne, &c. Ce fut le pape Grégoire XIII. qui entreprit la réforme du calendrier en 1/82, mais il n'y porta pas plus de connoissance que les réformateuis précédens; au lieu de ramener 1'équinoxe au premier avril, comme il 1'avoit été dans le onzième siècle avant notre ère, ou au 24 de mars, comme avoit fait Jules César, ou de potter la paque, qui est la fête de fouverture du printems, aux premiers jours d'avril comme les Juifs, il se fit un glorieux préjngé de ramener les choses au même état oü elles étoient lors du concile de Nicée, c'est-a-dire au 21 de mars, et il corrigea seulement 1'ancienne formule pour 1'y maintenir a petpétuité, c'esta-dire pour éterniser 1'abus , aussi la paque n'en fut pas moins une fête mobile qui continua de portel dans la pluparr des fêtes annuelles qui en dépendent, toutes les variarions déraisonnées qui deshonorent notre calendrier. 11 est encore celui d'un peuple barbare. C'est une suite de 1'ignorance de la rirologie qui est si peu connue, au moins depuis 4000 ans, que 1'on ne se doute point qu'il y ait eu une science de cette espèce fondée sur des principes simples, naturels et raisonnés. Ce qui a sans doute beaucoup servi a plonger dans 1'ignorance, ce sont toutes les différentes formules qu'on a dü imaginer dès les premiers tems pour maintenir les fètes dans 1'ordre établi; d'une part 1'imperfection de ces formules, et 1'espèce d'esprit machinal qu'eiles ont donné, ont fait peidre de vue le premier état des choses , ct oubliet totalement les an-  ï^G L'Antiquité dévoilée ciens principes sur lesquels ces formules avoient été établies. Dans les dernières réformarions, on auroit du s'en tenir aux vceux de plusieurs astronomes qui vouloient qu'a 1'avenir on ne se servït plus d'aucun cycle, et qu'on se réglat uniquejinent sur les observations astronomiques: ce projet étoit le plus sensé, il auroit épargné routes les erreurs dans lesquelles on peut encore tomber; il eüt détruit cet esprit méchanique qui djrige nos fêtes; et peu a peu il eüt fait retrouver les vrais principes de leur position; mais il eüt fallu pour cela que les astronomes eussent été , ainsi qu'il convenoit, les seuls juges de cette matière, er non des prêtres qui ng suivent que leurs préventions; en 'effet ce ne sont point les fêtes qui doivent régler le cours des astres, mais ce sont les astres qui doivent régler le cours des fêtes. Gelal-eddiiij roi tartare, réforma 1'époque de Yazdigerd, roi de Perse , a cause du vice des intercallations. qu'on étoit obligé d'y employer, II institua 1'époque Gelaléenne, dans laquelle le commencement de I'année est constamment le jour de 1'équinoxe du printems. On le suit en Perse depuis 1'an 1078 de notre ère chrétienne. On ne peut nier que cette réforme ne vaille beaucoup mieux que celle qu'a introduite notre calendrier Grégorien.  par ses usages. Liv. V. Ck. I. 237 chapitre; il Continuation du mime sujet; des fêtes solaires cke% les autres peuples anciens et rnodernes. i. J e craindrois de trop m'appesantir sur cette partie de raon ouvrage, si je faisois sur les fêtes grecques le même examen qui vient d'être fait sur les fêtes solaires des Romains; d'ailleurs chez les Grecs les détails seroient immenses et plus difficiles a traiter. L'ordre astronomique avoit été plus interverti chez eux que chez les Romains; leur année a été sujette a une infinité de variations et de désordres, ensorte que dans la multitude des solemnités et des fêtes qu'on leur connoit, il est impossible de dire laquelle étoit pour eux celle da renouvellement de i'année; il y a toute apparence qu'ils n'en avoient pas pour une seule : ils ont eu le commencement de leur année tantot vers le solstice d'hiver, tantót vers le solstice d'été. D'ailleurs la Grèce, originairemenr composée de plusieurs petites nations dont chacune avoit des usages particuliers , avoit, ainsi que Rome une multitude de fêtes solaires, qui n'étoient, selon toute apparence, que des doublés emplois les unes des autres, et qui devoient être aussi mal placées qu'ailleurs. Dans leur calendrier, je remarqué que les Athéniens, dans leur premier mois oi ils célébroient les grandes Panathénées, célébroient encore leurs Chronles. Dans le troisième ils célébroient les grands mystères d'Eleusis; dans le cinqiüème ils célébroient les Pyanepsles, les Thesmophories, les Apaturies ■ dans le huitième ils célébroient les Antls-  aj3 L'Antiquité dévoilée tkeries 3 les anciennes bacchanales , la mémoire dé iDeucalion, la fête des morts et les petites Eleusines > enfin dans le onzième ils célébroient les Thargelies ct les petites Panathénées. Ainsi dans tous ces mois Ton retrouve des caractères qui indiquent les usages de la fin et du tenouvellement du période annuel. Je quitte donc ce chaos dont nous avons su titer en différens endroits quelques traits de lumières, et je passé chez les Hébreux. II. Les Hébreux ont eu deux années; Tune ecclésiastique > qui eommencoit au mois de nisan ou de mars, dont Paque étoit la grande solemnité ; nous en avons déja suffisamment parlé. L'année civile eommencoit au mois tkisri, septième mois de l'année ecclésiastique , qui répond a septembre et octobte , et dans son principe a 1'équinoxe d'automne, comme la première répondoit a 1'équinoxe du printems. Le mois thisri étoit chargé de plusieurs fêtes célèbres. Le premier étoit consacré a la fête des trompettes •, le dix étoit le jour des expiations , et le quinze étoit la fête des tabernacles. La fête des trompettes ou du premier jour de l'année civile étoit fort recommandée aux Juifs par leur loi, mais on ne voit point que cette loi en ait donné le motif; on pourroit considérer certe fête comme étant tout a la fois une fête de déclin et de renouvellement de période. C'étoit une fête de déclin par tapport a l'année ecclésiastique, par ce que le mois thisri étoit le septième de cette année; c'étoit une fêre de renouvellement , par ce que ce mois étoit le premier de l'année civile. II sembleroit que ce seroit sous le premier aspecr qu on devroit la considérer, car 1'écriture ne dit point : Vous célébrerez le premier jour du premier mois de de l'année civile; mais elle dit : Au premier  par ses usages. Liv. V. Ch. LI. jour du septième mois vous célebrere^ par lé son des des trompettes un sabbat de commémoration, il sera saint (i). Ailleurs le premier jour du septième mois est appellé une assemblee sainte ; vous ne fere% en ce jour aucun travail3 par ce que eest le jour du grand bruit des trompettes (2). Mais de quel événement cette fête étoit-elle la commémoration ? C'est ce que 1'on ignore; cependant, a en juger par les sacrifices qu'on faisoit ce jour-la, les motifs de cette fête devoient être très-importan», puisque ces sacrifices étoient presque doublés. Seroit-ce pour la raison que les eaux du déluge laissèrent la terre a sec ce jour-la? C'est ce qu'il ne nous convient pas de hazarder, puisque 1'écrirure se tan la-dessus. II faut encore moins imaginer que ce grand bruit de trompettes ait eu quelques motifs apocalyptiques, puisque ces sortes de motifs sont ceux que 1'on doit le moins soupconner dans la législation mosaïque. On voit bien, dans Ezéchiel qui nous a peint les horreurs des derniers tems sous des couleurs guerrières, que ce Prophéte s'écrie : La fin vient 3 elle vie;. t cette fin sur les quatre coins du monde. Sonne^ de la trompette , et que tous se préparent au combat (3). On voir encore dans les expressions de ce prophéte qu il fait allusions aux usages des jubilés qui commencoient toujours le premier jour de l'année civile. Mais ce seroit encore trop hazarder de conclure de-la que la fin des tems et le jugernent dernier ayent été les objets de (1) Lèvitique, chap. XXIII, vs. 24, nombres XXIX, vi. 1, Dans le rexre, chernah signifie par un grand bruit. Ce mot peut encore aigoifier de grands pleurs comme une grande joie; jouvent 11 désïgnê tout jimplemeet une assemblee religieus». Pluche eroit que c'est d.-ii que vient le mot triomphe. (2) Genese VIII, vs. i3. (5) Ezéchiel, ehap. 7.  z^0 L'Antiquité dévoilée rinstitution de cette bray ante solemnité ; il vaut mieux penser que le prophéte se eonformoit en cet endroit aux idéés communes de ses compatriores qui regardoient et qui regardent encore réellement cette fête comme une instruction sur la fin des .tems et sur le renouvellement futur. En examinant cette solemnité sous ce point de vue , ce sera donc le motif que les Hébreux onr donné a cette fête que nous examinerons, car pour ceux de leur législateur il faut avouer qu'on les ignore. III. Les Juifs ont sur le premier jour de leur année civile diverses traditions qui indiquent que tantót ils ont regardé ce jour comme un jour de renouvellement et de joie. Ils prétendent que c'est ce jour-la qu'Abraham fut sur le point de sacrifier son fils Isaac, et que Josué est mort; que ce jour-la quatre femmes agées et sténles sont devenues fécondes, peut-être veulent-ils désigner par la Sara } Rebecca3 Rachel et Anne, mère de Samuel. Ils prétendent que c'est ce jour-la qu'Abraham, Isaacet Jacob sont venus au monde; enfin que c'est a pareil jour que le monde fut créé. Cette tradition est fondée chez eux sur ce que dans le texte original de la bible le premier \not de la Genèse Beresith, au commencement , étant anagrammé par art cabalisti que , donne a Bethirsi 3 ce qui signifie le premier de Thirsi ou du mois de septembre (1). Malgré la futilité de cette observation cette tradition est presque devenue un dogme religieux, et tous les Juifs comptent de ce mois les années de la création du monde et des cycles jubilaires et sabbatiques. D'après certe opinion, ce jour devroit être pour eux une fête d'allégresse; cependant on n'y remarqué pas de joie extraordinaire ,ony bénit (1) J. Leusden Pbilolog. licbra. p. 172. Basnage, liv. 6, chap. »C r parag, 9. et cbap. 29, parag. 2 et seq. Dieu  par ses usages. Liv: V. Ch. II. „ 241 Dieu d'avoir été conservé iusqu'a ce jour; on le prie 1 de se souvenir de son alliance ; 011 se souhaire récipro1 quement la bonne année ; on sert sur les tables du miel et d'autres douceurs , pour donner un bon augure a l'année; mais rout le reste est triste et funèbre : ; une des lectures que la rradirion a consacrée dans la ; synagogue est celle de I'histoire de la stéfilité et de la tristesse d'Anne mère de Samuel, et du cantique qu'elle fit alors. Tous les Juifs sont persuadés que ce jour-la Dieu exerce son jugernent sur tous les hommes, ce qui doit le rendre un jour de pénirence, et c'est leur : opinion que la trompette n'a pour objet que d'aver; tir les hommes de se tenir prêts er d'éloigner le dia\ ble qui pourroir les accuser au tribunal de Dieu. Dans cette idéé en plusieurs endroits un mois d'avance on sonne la rromperte soir et matin; en sorte que tout le dernier mois de l'année civile est un tems de pénitence, de puiification et de prières, qu'ils prolongent jusqu au dix du premier mois qu'ils appellent jour des pardons : ce qui fait une préparation de quarante jours (1). II esr vrai que cet usage n'est point général, i mais chez tous les Juifs la préparation accompagnée de jeunes , de macérations et d'aumónes dure un mois i et sept jours. Si au jour de 1'an on voit des Juifs vê, tus de blanc, d'autres sont enveloppés dans leurs draps morruaires; ainsi la tristesse et la joie se trouvent conj fondues; cependant c'est le lugubre qui dornine. La trompette est pour eux un instrument terrible: on la sonne lorsqu'on les excommunie, dans les tems de calamités; elle sonnera, disent-ils, lorsque le Messie paI roïtra. Tous ces usages et ces opinions sont si peu (1) Léon de Modéne, livre ï, chapitre 5. Bainage, liv. 5, chap. ia, parag. 7. Tome II Q  242 L'Antiquité dévoilée conformes a 1'esprir de la législation Mosaïque ,■ qu'il est aisé de voir qu'ils tiennent a cette législation primitive dont nous trouvons a chaque instant les débris chez tous les peuples du monde. La tromperte est partout le .signal de la terreur et 1'annonce de la destruction de 1'univers. IV. L'écriture est aussi réservée sur la fête des expiations ; néanmoins le motif en est un peu plus apparenr, puisque cette fête avoit pour objet d'expier le peuple d'Israél a la fin de chaque année. Mais pourquoi cette solemnité étoit - elle placée au 10 du premier mois de l'année, et non avant le premier jour du mois comme elle devroit 1'être naturellement ? c'est quhl y a tout lieu de croire que quoique la fête des trompettes fut regardée comme le premier jour de 1'an, cependant la fète des tabernacles qui se céiébroir le iy, étoit considérée comme la véritable fête du renouvellement; en effet d'après cette facon de 1'envisager tout devient régulier dans les motifs religieux de cette fète; la fête des trompettes et celle des expiations ne sont plus alors que des fêtes préparatoires : voila pourquoi elles étoient funèbres, et voila pourquoi ce n'étoit que le 1 y du mois que la joie paroissoit. La disposition des fêtes romaines pour le renouvellement de l'année martiale, étoit la même. Depuis le 1 février jusqu'au iy de mars tout étoit préparatoire, comme chez les Juifs, depuis le premier jour d'Elul jusqu'au xy de Thisri pour l'année automnale. On peut même remarquer comme un usage presque général, que' les nations ont mieux aimé placer les solemnités cycliques de renouvellemens aux pleines lunes quaux nouvelles, quoique 1'on datat de la nouvelle, nous en cherchetons ailleurs les raisons. La loi de Moyse ordonnoit aux Juifs d'affliger leurs  par ses usages, Liv. ■ V. Ch. II. 243 amesle 10 du premier mois 3 commencerdès ie 9 au soleil couchant. Tout homme, j:dit cette loi, qui ne sera point affligé ce jour - la périra clu milieu d''Israël (1). Cejouir étoit appellé,saint et propitiatoire , c'est-a-dire consacfé aux expiations; on le nommoit encore le sabbat du repos3 sans qu'on puisse deviner l'.origine de cette-dénomination particuliere, .puisque /tous les sabbats étoient des jours de repos. L'usage le.plus.solemnel.de ce jour étoit, comme .on 1'a •djtt.ailleurs, 1'entrée du grand prêtre dans le sanctuaire redoutable, c'est alors que Dieu se manifestoit dans le saint des saints, et de peur que son éclat ne fit mourir le pontife, il falloit que ce lieu fut obscurci par une épaisse fumée d'encens. Cette elfrayante cérémonie étoit précédée de sacrifices que le grand prêtre ofiroit d'abord pouri lui-meme, pour. sa familie et pour le peuple d'Israél: et faisant une confession pubhque de ses fautes et de celles du peuple, il les expioir par diverses cérémonies; et après avoir- thé. au sort pour deuk .boucs, 1'un étoit sacrifié a Dieu, et 1'autre chargé des iniquités de la nation étoit trainé au désert et précipité (2). Voila tout ce que 1'éeriture ordonne et dit sur la fète des expiations, elle s'étend beaucoup plus sur ses rites que sur ses motifs. Le surplus ne nous est connu :que par les traditions judaïques er par. les usages ave les Juifs ont conservés ou ajoutés. Ils parient de 1'en.trée du grand prêtre dans le saint des saints comme d'une cérémonie qui remplissoit tout Israël et le pon- (1) Lévir. clup. 16 , vs. 2 , j3 29 et chap. 25 ; vs. £9 , namb. ch. 29 , vs. 7. (2) Ce dernier bpuc s'appclloit Agazet, le boue liché; nons 1'appeilons bouc émissaire. II est bon de s-- iaopelier ici que le dieu Fauno ou Pan, honoré et craint par les Romains qui redoutoient son paslage, <*.roit représenti avec 'es pieds d'un boi;c. Q *  2 44 L'Antiquité dcvoilée tife ki-mèmé de terreur; toures les cérémonies de ce jour étoient capitales , et la moindre négligence attiroit les plus grandes calamités sur la nation. Dans cette idéé le grand prêtre se préparoit, dit-on , sept jours d'avance en répétant les paroles qu'il avoit a dire, et en se purifianr perpétuellement; la veille on lui faisoit une députation pour le prier qu'il ne changeat rien aux .rites ordonnés •, et les députés ie quittoient ensuite en pleurant sur le danger qu'il alloit couiïr. Oh empêchoit aussi qu'il ne mangeat trop dans ce jour préparatoire de peur qu'il ne s'cndormit la nuit, car il falloit qu'il veillat exactement; pour cet effet de jeunes prêtres ne le quittoient point de toute la nuit, ils jouoient de quelque instrument, ils le poussoient ou le faisoient marcher pour le renir éveillé jusqu'a 1'heure du sacrifice. Cependant 1'autel étoit préparé dès 1'heure de minuit ce jour-la, au. lieu que tout autre jour il ne 1'étoit qu'a 1'aurore. Dès qu'une senrinelle appercevoit que le ciel étoit illuminé jusqu'a Hébron, elle en donnoit le signal, alors on conduisoit legrand prêtre au lavoir oü il faisoit ses dernières purifications; puis il s'acquittoit des différens sacrihces ordonnés pour i'expiation de ses péchés et de ceux du peuple; il entroit ensuite dans le sanctuaire rempli de fumée d'encens ; ii aspergeoit sept fois 1'occident avec le sang d'une victime; il prioit pour Israël, il deniandoit une année favorable , il prononcoit a voix basse le nom de Géhovahj et pendant ce tems on faisoit un grand bruit pour que le peuple ne 1'entendit point; mais toutes ses prières étoient courtesj'il restoit peu dans ce lieu terrible , paree que le peuple inquiet en eüt été effrayé pour lui. Tout ce jour on observoit un jeune rigcureux; mais après la cérémonie le'grand prêtre faisoit un grand repas eu réjouissance du danger dont il ve-  par ses usages. Liv. F. Ch. II. 24y nok d echapper. La fête expirée, tout le peuple dans la persuasion que ses péchés étoient remis se livroit a la joie (1). Les Juifs ne pratiquent plus aujourd'hui toutes ces grandes cérémonies qui annoncoient bien les idéés funèbres qui en avoient été la source primitive; la fête des expiations est pour eux une suite de celle des trompettes; les jeunes et les pénitences de cette dernière se prolongenr jusqu'a celle dont on vient de parler qu'ils regardent comme le jour ou le jugernent de Dieu doit être prononcé. En certains lieux on se prépare dès la veille en se frappant trois fois la tête avec un coq en vie, en Aisziitiquii soit immolépour moi (2). Partout les Juifs vont visiter les tombeaux en ce jour et y faire des prières; ils se lavent et se purifient, ils se flagellent et se confessent; les ennemis se reconcilient, les voleurs restituent lorsqu'ils ont quelque crainte de Dieu. Le soir on s'habille de blanc ou de draps mortuaires, et 1'on va a la synagogue oü le plus grand nombre passé la nuit a veiiler et a prier. Les synagogues sont illuminées, chacun y tient sa lumière a la main. Le jour de la fête se passé encore en prières , en humiliations et en jeunes; et lorsque le cor sonne, le jeüne finir, tout change de face, chacun se félicite et s'embrasse, et 1'on bénit le créateur de i (r) Basnage, livre VI, chap. 16, Maïmoni.I. jom ha dppur. chap. lil et 2. Lévitique, chap. XVI, vs. i3. Léon de Modènc , livre III , |chapiire 6. :| {1) Les anciens Perses et les fluébrrs moderne! rèvcrent le coq , paree ijqu'il avertit du retour du solei'. Hvde , chap. I , p. 20. Le coq étoit lilionoré chez les Romains. Ov.de eu donne Ia raison , quod tepidum- r:''igiti provocac ore di-jtn. Fast. lib. I. Le coq ét >it un des emblêmes de i|Janus , et il Test encore de S. Pierre. Dans 1'F.dda , i! est dit que le Jcoq avertira les dicu.t de i'appiocbe des géans. Voyez Ed.la , 1'able XX , ?|«lans Ij note Q 5  1^6 L''Ahtiqaité dévo'dêe la lune;' D'oü 1'on voir que'ce-jour porre tets les ct*' racrères d'une fète cyclique: aussi est-ce de -ce jour-la que commencent les années jubilaires et sabbatiques. V. En paiiant des hydrophories j'ai déja décrit la fête des tabernaclés ; il ne me reste que peu de chose * a ajcuter. Cette fète'eommencoit le iy dn mois et durcir pendant sept jours. Indépendarnment- des ramées ' sous lesquelles les juifs étoient obligés de se tenir, ils avoient toujours a la main des branches d'arbres avec leur fruit. La nuit qui suivcit le premier jour éroit' une veillée solemnelle; on vei Iloit encore les autres' nuits , mais dans la vtte dé se réjouir-, ce qui a fait qüe Plütarque a comparé cette fête aux bacchanales. II paroit'que cet auteur regardé cette fête' comme une suite de celle des expiations et comme un tems de jeüne et de tristesse , suivi de licence et de dissolution (i). On a accusé Plütarque d'avoir calomnié les Juifs. Cette'aCcusation seroit fondéë si les Juifs n'avoient souvent viclé ou outré leurs loix , er's'ils n'y eussent jamais' joint des usages étrangers; ■ on vent toujours 'jager les1 Juifs d'après leur législation, la pratique-par la théorie, c'est le moven de toujours juger möl. Plütarque ne" cónnoissoir point leur loi, mais il pouvoit connoitre' leurs pratiques; d'ailleurs on ne peut lui faire un crime'd'avoir 'compafé aux bacchanales une fète qui tomboit dans la saison des vendanges, et il a dü juger que cette fête étoit Ja plus solemnelle des Juifs par. la quantité de victimes qu'on sacrinoir et par les divertissemens dont elle étoit accompagnée (i). La fête d'Ombes che~ les Egyptiens étcit a la fois une bacchanale et une fête des tabernacles ; les. tables étoient dressées dans les' ("») T!u:.ir. propos rle tsl>!r, lir. IV, naiag. 6'. (?) Juvena', sa;jre XV, ts. 4j-  par ses usages. Liv. V. Ch. II. Z47 temples et dans les nies sous des feuillages oü 1'on demeuroit pendant sept jours et sept nuits a chanter , a danser et a se battre. Les juifs j indépendamment des usages prescrits par leur loi, en ont ajoute d'autres ; c'est ce que nous avons déja prouvé en parlant de 1'effusion des eaux de Siloé', usage. commémoratif du , dcluge, qui n'étoit point d'institution mosaique , et qui étoit déplacé aux fêtes des tabernacles , puisque cette cérémonie expiatoire eür mieux convenu au jour des expiations. Nous ne répèterons point ici ce qui a été dit du cri d'Hosanna qui nous prouve que la fète des tabernacles étoit devenu. un mélange confus de réjouissances et de tristesse , par 1'oubli oü on étoit tombé de 1'esprit primitif qui avoit présidé a i'insfitus tion de toutes les fètes , et qui, malgré le soin des législateurs, percoir toijours quelque part. La partie lugubre de la fête avoit pour objet les malheurs pasiés et futurs du monde ; la partie gaie teile que les ramées 1 et 'les berceaux de verdure indiquoit le renouvellement de la nature; les festins, comme dans les sarurnales, représenroient le genre de vie des ancêtres et le règne" du dieu futur attendu par toutes les nations. La penteeóte qui arrivoit a la moitié de mai ne peut être regardée que comme une fète cyclique, elle* venoit sept fois sept jours après la paque. Les Juifs avoienr encore au 1$ de Kaslen une-fêre-» de verdure , semblable a celle des tabernacles -, ellen duroit huir jours , nous avons dit ailleurs qu'elle senommoit aussi la fite de la dédicace, paree qu'onla célébroit en mémoire du rétablissement du temple' par ■ Judas ■ Macchabée , et du feu sacré rallumé. La-saison de cette fète qui étoit vers le solstice d'hyver 4, et par conséquent vers le renouvellemenr de l'année naturelle, pourroit en faire soupconner les vrais mo- Q 4  248 L' Antiquité dévoilée tifs qui paroissoient plutót astronomiques qu'histori- ques. Au mois de mai, appellé par les Grecs Scirophorion , on célcbroit une fête appellée sciropkorie ou fète des pavillons, paree qua Atfiènes on portoit solemnellement des rentes ou pavillons sur les statues des dieux. Ün dit que cette fête avoit assez de rapport a celle des tabernacles chez les Juifs (1). Sparte avoit une fête des tentes di:e Episcenie. Nous avons parlé ailleurs de la fête de Delphes que 1'on célébroit rous les neuf ans en mémoire de la victoire d Apollon sur Python , dans laquelle on élevoit un berceau de verdure que 1'on détruisoit ensuite. La grande fête de Pyanepsie célèbrée chez les Grecs a la fin d'octobre en 1'honneur d'Apollon , étoit aussi une fête de verdure, ainsi que les Thargelies célèbrées six mois après en 1'honneur du mème dieu au mois d'avril. Je ne répète point ici ce qui a été déja dit des boccages que les Romains élevoient sur les bords du Tybre en 1'honneur d''Anna Perenna. Je dirai seulement que ces verdures et ces berceaux ont été originairement un usage cyclique et un sujet de réjouissances. C'est de-la qu'est venu 1'usage de planter le mai et de donner des fleurs et des bouquets aux anniversaires des naissances. Je ne ferai plus qu'une réflexion sur la fête des tabernacles des Juifs; elle étoit précédée de six semaines de préparation de même que celle d'Anna Perenna a Rome; il paroir de-la que les usages de l'année paschale des chrétiens et du tems de carême qui précède cette fête sont un mélange des usages de ces deux. anciens peuples, car les Juifs ne se préparoient point pour leur paque comme pour la fête des tabernacles: (t) D.'ction. rayihologqac  par ses usages. Liv. V. Ch. LI. 249 VI. Jettons maintenant Ia vue sur les fêtes solaires de quelques anciens peuples , et commencons par les Egyptiens. En Egypte , en Syrië et Phrygie, nous voyons que le déclin des saisons se célébroit par des usages lugubres et que le retour du soleil donnoit lieu a des réjouissances. Les Osiris , les Adonis, les Atys que 1'on pleuroit n'étoient que le soleil placé dans la moitié inferieure des douze signes du zodiaque, et c'éroit ce soleil renatssanr, ressuscité , rentré dans les signes supérieurs er se rapprochanr de 1'héraisphère septentrional, qui faisoir qu'on se livroit a la joie; en Egypte, en Phénicie, en Phrygie, les fétes de réjouissances étoient pour le printems, et les fêtes de tristesse pour 1'hyver (1). Voici 1'ordre des mois chez les Egyptiens , Tybz répondoit a Janvier, Melchir a Février, Phamenoth a Mars, Pharmuthi a Avril, Pachon a Mai, Paynï a Juin, Epiphi a Juillet, Missori a Aout, Thot a Septembre, Paophi a Octobre, Athyr a Novembre , et Choiac a décembre. Le 28 de Paophi, qui répond au 19 d'octobre, on célébroit en Egypte la fête des batons du soleil, paree qu'il commence a perdre sa force après 1'équinoxe d'automne. Le 17 d'Athyr, qui répond au 13 de novembre , on célébroit une fète qui duroit quatre jours, a 1'occasion des vents étésiens qui étoient cessés et du Nil q ui s'étoit retiré; on disoit alors qu'Osiris disparoissoit. Les prêtres passoient ce tems a pleurer j toutes leurs cérémonies étoient tristes et lugubres , ils exposoient alors le bceuf Apis, couvert d'un tapis noir 3 a la dévotion du peuple; on donnoit encore pour motiï de ces usages que le jour étoit alors plus court que la («) Macrob. Satnrnil. lil). I, cap. 21.  2ycj L'Antiquité dévoilée ■ nuit; que les atbres -peKloient leurs-feuilles es >que la terre étoit..nue-eE dópouillée.' La• nuit du 19 au.^otour Ie monde alloit en .cérémonie- a la mer, ppurjqut:du.-solsrice i dliyver, on- céièbroit la-fête-des couches d'Isis-et de' la naissance A'Hdrppcrat-e-, on. .ofiroit. des féves a ces deux divinités (1). Le lendemain-de 1'équinoxe du printems on -célébroit la fète d'Isis relevée de ses couches. A ia-nouvelle lune de Phamenotkou de Mars on célébroit 1'entrée d'Osiris. dans la lune, c'est-a-dirè cn se réjouissoit des- signes da-féeondité que. la terre com- ■ mencoir a donner. Chez les anciens Perses le nouvel am.s'appellohvle grand Neurun que Ton place-a 1'équinoxe du prinrems-,, cette-fête duroit six jqurs que 1'on passoit. en réjouissances. Le roi recevoit alors les présens et les hommages de rous les .ordres de 1'état; .if-distribuoit des graces et faisoit ouvrir les prisons. Le monarque- entr'autres cérémonies disoijj: Voici le nouveau jour-du nouveaumois ds la nouvelle année d'un nouveau tems ; il faut que tout ss renouvellé • .ensuite il bénissoit les grands, et distribuoit les présens, qu'il avoit recus. Cette fête étoit celle d Orysmane.-ou ïdu bon principe.- Le- 17 ■ du :premier mois les raages commencoienr a i'éeiter leur Zem^emma ou-ihturgie devant le- feu sacré. Le petk N'eums se cér lèbrcitca.Téquinoxe d'automnei il duroit aussi 6 jours: c'étoit da.fête-de Mithras; elie eommencoit au- 16 deMehiri qui est le nom da 1'ange qui présidera au .jugernent . dernier (2}. Plurar. Ja IsMe et Osiride: (2) Ilyde de relig. Pers.-.rjm , .cap. ■ XIX. Mématres- de 1'académie  par ses usages. Liv. V. Ch. II. , 2ji Quoique chez les Persans rnodernes, ainsi que chez lés Arabes et les Türcs , l'année soit lunaire depuis • Mahomet, les Persans ne laissent pas de célèbrer un nouvel an solaire, placé au tems oü le soleil entre dans le bélier, premier des signes du zodiaque; c'est un usage que le mahométisme n'a jamais pu déraciner. L'année des Bramines Indiens commence a la nouvelle lune d'avril, mais le jour du nouvel an est la fête du soleil, il est placé au 9 de janvier. Dans le royaume de Calicut , au mois de décembre les Bramines donnent une absolution générale au peuple. A la Chine on eélèbre par des visites les dix derniers jours du dernier mois de l'année et les vingt premiers du nouvel an : c'est un tems de vacance, toute affaire 1 cesse , et les tribunaux sont fermés. On commence l'année a la nouvelle lune , la plus proche dn quinzième dégré du verseau, ce qui répond au commencement de février, c'est alors que le printems arrivé pöur les Chinois •, aussi le signe du verseau s'appelle dans leur langue résurrection da printems. C'esr au nouvel an que 1'empereur fait un saerifice solenmei au souverain du ciel. Le- premier jour de1 l'année est sérieux pour les Chinois , ils ne recoivent personr.e chez eux de peur qu'on emporte leur bonheur, mais1 le' lendemain esr remarquable par le bruit1 que 1'on y fait, 1'air rercntit du son des cloches, des trompettes et de l'artiilerie. C'est le iye. jour après celui du mouvel an qu'on eélèbre la fameuse fête' des' lanternes , c'est-a-dire ala première lune (1). des inscripiions, tome XVI, p. 123. Bibtioth. oriënt. d'Herbelol , aux mots' Ormöz et Giamschid. (1) Du Habie, hist. de Ia Chine, tome 3, p: 942. Hist. génér.'dct' -voyages tome 4 , p- 162, 194, tome-5, p. 614.  2ji L' Antiquité dévoilée Au Japon l'année se renouvellé entre le solstice d'hiver et 1'équinoxe du printems; elle commence a la nouvelle lune qui suit le 5 de février ; ainsi ce jour varie comme celui de paque parmi nous. Le premier jour de 1'an est la fête la plus solemnelle des Japonois : on s'y fait des visites, des présens et des compiimens; cette solemnité dure pendant trois jours (1). A Siam 011 eélèbre les quinzepremiers jours de l'année •, pendant les trois premiers les tribunaux sont ferm és , et .1'on ne se donne pas même la peine de mener paitre les bestiaux. Les Siamois commencent leur année a la nouvelle lune la plus proche de 1'équinoxe du printems ; les trois derniers jours de l'année on rire des coups de canon dans le palais du roi pour en faire sortit le diable, afin qu'il n'empêche point l'année de commencer heureusement (2). Au Tonquin le nouvel an commence a Ia nouvelle lune la plus proche de la fin de janvier. II est solemnisé pendant douze jours, dont le premier , comme a la Chine, est consacré ala tristesse er a la retraire, les autres sont destinés a la joie , aux visites et aux plaisirs. Les affaires cessent, les débiteurs sont a 1'abri des poursuites, et les malfaiteurs eux-mêmes sont impunis (3). Chez les Gaulois c'étoit au mois de décembre qu'ils appelloient sacré, que les Druides alloient avec beaucoup de solemnité cueillir le guy de chêne; le prince des Druides vêtu en blanc , le détachoit avec une serpe d'or, les autres Druides le recevoient avec respect a (1) Kempfer , livre III, chap. 5. (2) Hist. des peuples rnodernes , to't'e 5 , p. 29S. Mém. da 1'acad. ^ei seiences, tome 7 , p. 769. T (5) Tavernier, voyages., torne Y.  par ses usages. Liv. F. Ck. II. iji cause des vertus merveilleuses et divines qu'en lui attribuoit, Au jour de 1'an on le distribuoit au peuple en étrennes comme une chose sacrée en criant d Guy lan neuf, pour annoncer la nouvelle année. Au solstice d'hiver routes les nations Celtiques célébroient le retour du soleil. Pline dit que les Druides cueilloient le guy au sixième jour de la lune de décembre (i). VII. Nous ne pousserons pas plus lom nos recherches ; les usages de tous les peuples du monde expliqués les uns par les autres , ramènent constamment les fètes solaires a 1'esprit primitif; chaque déclin d'année devoir rappeller aux hommes que le monde avoit été autrefois détruit et boulversé , qu'il devoit encore être détruit de nouveau , que cette fin seroit peut-être la même que celle du période qui alloit se terminér , ct qu'il falloit s'y préparer en appaisant la divinité. Ce plan étoir conforme aux idéés religieuses des hommes échappés aux malheurs de la terre; mais 1'abus qu'on en fit tant en bien qu'en mal 1'avoit enseveli chez tous les peuples sous un amas monstrueux de fables et de chimères; malgré les précautions des législateurs, malgré le secret des mystères cet esprit conservé par les usages se décéla toujours. C'est ainsi que les teligions rnodernes ont réveillé et pour ainsi dire ressuscité cet esprit primitif proscrit par la police des anciens; elles ont parlé a découvert du sort de 1'univers qu'on avojt pris tant de soin de cachet aux nations. Le christianisme en particulier nous en offre un exemple dans les lecons utiles qu'il nous donne annuellement en nous présentant le tableau de la fin des tems a la fin de chaque (1) Mém. de I'acad. des inscrip. tome XIX, p. 487. Pliae, liv»e XVI , diap. 44. Dictic-u. rnyrhol, »n mot Guy. Dlction, de UufHje bretonue Fgbinat.  z54 > L'Antiquité. dévoilés année; 1'avenr estun tems de tristesse qui nous, prépare a un tems de joie , en .mémoire de la naissance 'du Sauveur. Les. instructions sages que 1'église donne en ce tems et qui accompagnent la perspeetive funèbre de la fin du monde, rendenr ces peintures de 1'avenir moins dangereuses a nos sociétés rnodernes qu'elles ne 1'étoient pour les nations anciennes. Cependant il faut avouer qu'il est encore un grand nombre d'esprits, ou trop foibles, ou trop exaltés , pour qui ces tableaux devroient être voilés. Ils inspirent a quelques cerveaux plus d'idées noires er misantropiques que d'idées religieuses, et leur fanatisme les rend souvent nuisibles a eux mêmes et aux autres; c'est de-la. que sont venus les égaremens..si. communs dans plusieurs siècles de 1'église et inconnus des anciens. L'homme est tellement fait pour.suivre sa religion et pour 1'aimer qu'il. plie son humeur et son caracrère, a tout ce,qu'elle ordonne; il sera gai avec une religion triste; il lui subordonne son bonheur et sen rapporte a elle sur ce qui lnitéresse le plus. La religion est faite pour rendre les hommes heureux, elie le peut; . c'est a ses ministres.a ,sentir qnils sont responsables envers Dieu non-reulement du bonheur futur, mais encore dubonheur présent ,des peuples dont ils ont la confiance. Ils doivent songer que si. les anciens ,ont été trompés sur le.bonheur présent, il seroit aussi vicieux de trompet les rnodernes sur leur état actuel et sur leur état futur. Chacun de ces deux-états doit avoir ses justes bornes; ce seroit^un crime contre le ger.re humain que de troubler et inquiéter sans cause le bonheur dcnt il doit jouir sur la terre. VIII. Avant de terminér ce chapitre il faut encore dire quelque chose des fêtes des saisons. Les nations ont toutes célébré la fin et le renouvellement de l'année; mais l'année, ainsi que le jour et le mois, a des pha-  par ses usages.-Liv^ V; Ch. 11. 2 j j --sesJLe période anntvel sedivise naturèllement en quatre autres périodes que 1'on nomme saisons; voila 1'oriaine des fêtes des saisons: Chaque différente position de la terre a Tégard du soleil a'donné lieu a une instruction ?ur -les-vicissitudes'de la nature; d'ailleurs on a regardé le print-ems comme' la naissance etTehfance de l'année 3 1'été comme - sa jeunesse / 1'automne comme son age ■ nitir, 1'hiver-enfin comme sa viéillesso. Le printems et 1'été ont été regardés comme le jour de l'année, 1'automne et 1'hiver comme la nuit; c'est felativement a cetre dernière facon ;d'envisagef les choses que tant'de nations guidées par un-esprit funèbre, ont commencé leur an- ■née- ainsi que leur jour au déclin du soleil, c'est-a-dire vers 1'équinoxe'd'automne. Comme c'est avec les progrès des saisons que s'avancent les fruits de l'agriculmre, chaque commencement de saison deveniit pour les hommes un motif de prier et de louer la-divinité selon la position des cli- -mats , -et les offrandes suivirent la saison.'Au printems on ottroif les prennees , en ete on offroit des gerbes, en automne des fruits : eii hiver on prioit pour le succès des semences et 1'on demandoit le retour du soleil. Chez des hommes inquiets et troublés par la terreur, comme nous avons vu partour les anciens habitans de la terre, ces usages étoient accompagnés d'idées lugubres et de craintes. Plütarque nous dit qu'en Egypte a cha¬ que renouvellement de saison on pleuroit sur les fruits de' la terre. » On ensevelit Osiris, dit-il, quand dn » couvre la semence; quan,d ;eile germe, Osiris res " suscke » (i). Ce langage , ainsi que les exemples qw nous avons rapportés ailleurs , prouve que les fetes d'agriculrure-et des -saisons rappell-oient des idéés funè Cl) P u M 13 ' li; U st Osit:dt  XylS L'Antiquité dévSdée bres. La plupart de ces fètes avoient des motifs tristes que 1'on expliquoit par les fables et les allégories d'Osiris , d'Adonis, d'Atys , de Bacchus , de Cérès, de proserpine , Sec. Les opérations de la nature exprimées dans un langage figuré , étoient la source de ces fables ; le déclin d'une saison faisoit célébrer la mort d'Adonis , et le lendemain on célébroit son retour a la vie; c'est dans le même esprit qu'on célébroit la naissance de quelque dieu et 1'enfantement de quelque déesse comme Isis et Latone , &c. Les anciens ont eu une multitude de fêtes sorties de 1'usage de solemniser la fin et le retour des saisons; elles se sonr multiphées chez eux sous différentes formes et sous différens noms, par les variations arrivées dans leurs années , et surtout par 1'oubli oü ils sont tombés des motifs primitifs ; mais je laisserai k d'autres le soin de parcourir ce champ si vaste et d'examinet ces fêtes en détail. II suffit de rappeller ici que toutes ces solemnités avoient un ton lugubre dans quelqu'une de leuts parties; c'étoit 3 suivant Varron , en mémoire de ce que la terre avoit été frappée de stérilité que 1'on invoquoit dans ces fêtes Isis, Cybèle ou Cérès (i). Horace nous montre que le sacrifice qu'on faisoit a la terre , a Sylvain et aux Génies après la moisson , étoit fait pour rappeller la briéveté de la vie (2). Chez les Siciliens les fêtes d'agriculture et des saisons avoient pour cbjet de représenter la vie simple et primirive des anciens habitans de la terre. Enfin chez un peuple moderne que 1'antiquité de ses usages doit faire placer au rang des anciens, 1'empereur de la Chine sacrifie au tems vrai des deux solstices et des deux équi- O) *pud August, de Civitate Dei, lil). 7, cap. 20. (2) Memorem Lrevis nevi. Hontii Epi.t. lil). 2 , vs. 144. noxes;  fa par ses usages. Liv. V. Ch. II. 257 noxes •, ces fêtes sont précédées dans tout 1 empire de trois jours de jeüne pendant lesquels on ne mange ni viande , ni poisson ; les tnbunaux sont fermés , et I toutes les affaires sont suspendues (1). IX. C'est de ces anciens usages et de cet esprit lugubre qui les a fait naitre , que procèdent chez les 1 chrétiens grecs et éthiopiens les quatre carémes qu'ils obsetvent rigoureusement chaque apnée. II est vrai que. ces longs jeunes ne sont plus placés aux tems astronomiques , mais comme ils ont pour objet de se préparer aux quatre grandes solemnités annuelles, cela doit suf1 fire pour nous faire découvrir leur origine. Nos quatre-tems que quelques-uns regardent comme 1 un usage nouveau et particulier a 1'église romaine, ne ] sont qu'un usage renouvellé. Ces jours de jeüne, dans I 1'esprit de leur ir.stitution , devroient tombet exactement :j aux veilles des solstices et des équinoxes. Autrefois 1'église fixoit les quatre-tems a la première semaine de j mars, a la seconde de juin, a la troisième de sepI tembre et a la quatrième de décembre (2). Certe distribution est remarquable par la singularité du systéme; il semble qu'il eüt été plus naturel de suivre le systéme 1 astronomique : nous nous sommes plus approchés de la nature par les quatre-tems d'automne et d'hiver, 1 qui sont actuellement fixés prés de 1'éqiünoxe et prés ij du solstice : mais nous nous en écartons pour les I quatre-tems du printems er de 1'été; car au lieu de les | célébrer en mars et juin d'une manière invariable, ces 1 jeünes sont mobiles, et souvent placés vers le milieu I de février et de mai. Je ne devine point quelle peut (1) Du HaMe, hist. tle la Chine, tome 5, p. 7. Hist. gènêr. des Yoyage* tome 6 , p. 34 et 322. (2) Glossaire de Du Cange , au mot Jejimium. Tome II. R  i^g L'Antiquité dévoilée être la cause de cette bizarrerie qui seroit très-facile k corriger. Les quatre-tems placés en mai ne sont qu'un doublé emploi du jeüne qui précède la fête cyclique de la S. Jean d'été; les quatre-tems placés en février devroient se perdre dans le carême, qui n'est lui-même qu'un des quatre-tems , plus long que les autres a la vérité , paree qu'il prépare au retour du printems et k celui de l'année paschale ; ainsi les quatre-tems ne sont que des carêmes-, aussi les Ethiopiens et les Grecs en font quatre. Notre carême est précédé d'un tems que 1'on nomme carnaval; c'est une solemnité célébrée ï la manière dont les payens célébroient leurs bacchanales, et qui, comme elles , a eu dans son origine des motifs ttistes et lugubres , comme nous 1'avons fait voit en beaucoup d'endroits , et qui peu-a-peu s'est changée en licence et en dissolution. Quoique le peuple n'ait jamais entendu patlet ni d'Osiris , ni de Bacchus, ni d'Adonis, il ne laisse pas encore de faire les funérailles du mardi-gras. CHAPITRE III. Des fêtes lunaires ou du mois , ou des fêtes qui dépen, dent du cours de la lune. Des Néoménies, ou fêtes de la nouvelle lune , du sabbat} &c. I. Chez presque tous les anciens peuples le couts de la lune a d'abord servi a teglet 1'ordre des fêtes , et dans ce sens toutes les fêtes de l'année étoient lunaires. J'appelle ici fêtes lunaires les quatre solemnités du mois primitivement indiquées par les phases de la lune. L'année primitive a toujours été composée de douze mois, on avoit seulement soin d'en intercaler  par ses usages. Liv. V. Ch. III. 2 ;p ün treizième, tantót a la troisième, tantót a la cinquième année, afin de maintenir 1'ordre des mois et des fêtes dans les saisons auxquelles ils avoient rapport, et dcnt ils se seroient écartés sans cela , paree moyen on faisoit toujours ensorte que l'année recommencac avec une nouvelle et une pleine lune - il en étoit de même des saisons amant que la chose étoit praticable. L'année ecclesiastique et l'année civile des Hébreux étoient fixées par les nouvelles lunes; cependant il ralloit que 1'une commencat avec le prinrems; er 1'autre avec 1'automne. On voit de même dans Plütarque , les fètes d'Osiris, d'Isis et d'Horus , quoique fêtes annuelles et solaires, déterminées par les apparitions , les conjonctions et les oppositions de la lune. Les Chinois commencent leur année a la nouvelle lune la plus proche du quinzième degré du verseau ; dès les plus anciens tems c'étoit a la nouvelle lune la'plus proche du solstice d'hiver (2). Les Japonois commencent leur année a la nouvelle lune qui précéde ou snit le 5 de février. Avant Mahomet les années et les mois des Arabes étoient solaires , et les mois tomboient toujouts dans les mêmes saisons; depuis ce législateur, leuts années et leurs mois sont devenus lunaires , et parcourent toutes les saisons. Ils supposent la fuite de Mahomet, ou ce qu'ils nomment ÏHégire , arrivée le premier du mois de Moharam, quoiqu'elle soit arrivée le premier du mois Rabi. L'année actuelle des Mahométans est de 3 54 jours. Je ne parle point ici de tous les autres peuples. On voit que chez les anciens la lune est toujours entree dans le plan de leur année solaire ; il leur étoit sans doute diffiche de concilier les mouvemens de ces deux (1) Mém. Je l'acad. tome XVIII, page i85. R 2  i^o L'Antiquité dévoilée astres; aussi les peuples qui avoient des connoissances astronomiques étoient perpétuellement occupés a travailler pour maintenir 1'ordre solaire des fêtes lunaires; et les peuples qui n'eurent que peu ou point d'astronomie , comme les Grecs et les Romains pendant un certain tems , tombèrent dans la confusion que nous avons fait remarquer , et leurs fêtes furent dans le plus grand désordre. C'esr au peu d'expérience des Occidentaux anciens dans 1'astronomie qu'il faut attribuer la non - observation de la semaine , non que ces peuples ne 1'ayent eue criginairement, mais paree que vraisemblablement s'étant long-tems servis de ce cycle incomplet sans précaution , er leurs fêtes s'étant par conséquent a la fin écartées, et du cours de la lune et du cours du soleil, ils auront suppléé a ce défaut par quelques observations particulières et grossières , qui sans remédier a 1'ancienne confusion , ne firent pas moins perdie de vue Tanden usage. On peut remarquer que chez les anciens peuples astronomes qui ont conservé le mieux Tordre de la semaine , certe semaine, conservée comme un ancien usage , n'entroit plus pour rien dans leurs calculs. Les Chinois chez qui Ton a trouvé une senlaine dont les jours étoient, comme en Egypte , nomrnés d'après les sept planettes, n'en font presqu'aucun usage, mais il se servent du cycle de iy et de 60 jours. Les Japonois qui observent la semaine régulièrement, et qui ne donnent a leut mois que 28 jours, sont de très-pauvres astronomes. Peut-être estce le respect que les Juifs ont eu pour la semaine qui a rendu ce peuple si ignorant en astronomie , Timperfection de ce cycle répondoit a 1'ignorance des sociétés naissantes , dépourvues de toutes connoissances et de toute observation. Des auteurs ont prétendu que tous les anciens  par ses usages. Liv. V. Ch. LLI. %Gi peuples ont fait un usage régulier de la semaine; on a fait de gros ouvragës pour le prouver, cependant la chose est encore en problême; il y a lieu de croire que la plupart des anciens s'étoient déja fort écartés de cet antique usage, et que si depuis la captivité les Juifs en ont été rigides observateurs, il n'en avoit peut-être pas été de même ni sous la theocratie, ni sous les fois; leur penchant pour f'idolatrie leur fit souvent et long-tems négliger leurs jubilés, leurs paques et leurs sabbats. II est certain que les Juifs ayant enfin été dispersés, et le christianisme né dans leur contrée s'étant répandu dans tout 1'empire JAomain , la semaine dut insensiblement passer en usage, et 1'on commenca a s'en servir publiquement 1'an iyo de notre ère. On a lieu de croire que la semaine étoit beaucoup mieux observée en Oriënt, c'est-a-dire, chez les Chaldéens, les Assyriens, les Egyptiens, les Sabiens, les Arabes, les Indiens er les Perses; cependant on a des preuves pour et contre, ce qui indique que 1'usage a varié avec les tems; aujourd'hui nos voyageurs ont trouvé la semaine connue et plus ou moins observée chez tous les peuples d'Asie oü ils ont pénéfré. II. Nous ne considérons point ici les fêtes lunaires du mois sous 1'aspect vulgaire, mais sous 1'aspect primitif de la religion des premiers hommes, c'est-a-dire, comme des fêtes dans lesquelles a 1'occasion du renouvellemenr de la lune, de ses déclins et de ses phases, on s'entretenoit toujours d'idées funèbres er apocalyptiques , suivies de réjouissances et de jeux. Ainsi il nous importera peu que ces fêtes soient ou non espacées de sept jours en sept jours; nous examinerons 1'esprit de la fête sous tel quantième qu'elle se trouve, et par 1'esprit des usaees observés, nous jugerons de Pv 3  3.61 L''Antiquité dévoiléc combien ces fêtes s'écartoient, quant a leur position, du principè primitif que cet esprit lui-même nous fera découvrir. Le mois lunaire a indiqué quatre fêtes dont la première a rapport a la nouvelle lune, la seconde a son premier quartier, la troisième a son plein, etlaquatrième a son dernier quartier, ou a son déclin. Voila fesprit primitif qui avoit placé les fêtes de sept jours en sept jours, ordre dont on s'est plus ou moins écarté a proportion des conuoissances que les hommes ont acquïses en astronomie, ou du plus ou moins de respect qu'ils ont eu pour 1'usage. Mais 1'occasion de ces quatre fêtes étoit tellement réglée par les phases lunaires, qu'il y a des peuples qui, sans s'embarasser du cycle de sepr jours, n'en célèbrent pas moins les phases lunaires aux jours oü ces phases arrivent. Au Mexique, oü l'année étoit composée de 18 mois de 20 jours chacun, chaque mois étoit divisé en quatre parties ou semaines de cinq jours , dont le premier étoit une fète réglée (1). Voila un exempie qui nous monrre comment on s'est écarté de 1'esprit primirif, même en voulant le suivre. Les Siamois, au contraire, ont dans chaque mois quatre fêtes, aux quatre principales phases de la lune, celles de la nouvelle et de la pleine lune sont les plus soiemntlles. Ce sont, en effet, ks phases que ia nature disringue d'une facon plus marquée des autres, qui onr toujours été les sujets de la plas grande solemnité" chez les peuples anciens et rnodernes; la nouvelle lune a même obtenu le pas sur la pleine lune, et plusieurs n'ont fait aucune attention aux-quartiets; ceux qui n'ont solemnisé que les deux phases principales, n'ont eu par mois que (0 Hist. géuir. des-voyage», tornt XII, p. S5o,  par ses usages. Liv. V. Ch. III. 2.63 deux fêtes espacées, tantot de quatorze et tantot de 1 quinze jouts. Ceux qui ont célébté les trois premières phases, et qui ont négligé la dernière, les ont ordinairement célébrées de sept en sept jours; mais la i méthode a dü varier pour ceux qui, ayant obsetvé de sept en sept jours les trois premières phases, ont aussi voulu observer la quatrième au bout de sept autres jours ; en effet il devoit arriver de-la que la J quattième semaine devoit être tantêr de huit et tantót de six jours, c'est-a-dire , d'une semaine intercallée d'un ou de deux jours pour aiteindre la nouvelle lune suivante. Nous n'avons aucun vestige de ce der- I nier usage; mais il a été d'une nécessité si indispensable chez les peuples qui ont voulu se servir constamment de semaines de sept jouts sans s'écartet des phases lunaires, que, malgré le silence de I'histoire, il faut croire qu'ils ont eu recouis a ces intercalations bebdomadaires, soit tous les mois, soit au moins \ toutes les saisons. C'est sans doute la difficulté qu'il y avoit d'ajuster cette dernière semaine, qui a fait I que la plüpart des nations ont négligé la fête du dernier quartier, et que la plüpart d'entr'elles n'ont eu I aucune fête depuis la pleine lune jusqu'a la nouvelle. On peut temarquer dans nos calendriers que les trois premières phases de la lune sont presque toujours espacées de sept jours., et que la quatrième occupe . toujours huit ou neuf jouts. Selon Hyde, les anciens Perses ne faisoient point usage de la semaine ; ainsi que les Grecs, ils divisoient leurs mois en trois espaces ; cependant cet auteuf remarqué chez eux les I vestiges d'un autre usage que voici : chaque jour du mois portoit chez les Perses le nom d'un ange; mais ■ on remarqué qu'a certains jours le nom des dieux l étoit joint a celui de 1'ange; ces jours étoient le i, R 4,  i« Ia racine est SaclLr Z  1.7* L'Antiquité déyoilée lement et de déclin, avoient les feux que nous avons vu allumer aux veillées funèbres ; 1'on se servoit de ces feux pour se purifier et se regénérer avec la nouvelle lune; c'étoit la le motif original de ces cérémonies devenues folies ou cruelles par oubli ou par 1'abus des motifs. Le concile de Constantinople in trullo , Canon 6y , censure les chrétiens qui, allumant des feux a la nouvelle lune devant leurs maisons , sautoient et passoient par-dessus. Les Juifs avoient eu cet usage qu'ils avoient emprunté des nations Payennes , et dont 1'antiquité prouve assez funiversalité. V. La Néoménie étoit une des plus grandes fêtes des Hébreux; on le voit par le sacrifice que leur loi les obligeoit de faire ce jour-la; il étoit le même que celui de la paque , et par conséquent plus solemnel que celui des sabbats ordinaires. Le pseaume 80 présente la Néoménie comme une très-grande solemnité destinée a la joie , aux actions de grace en mémoire de la délivrance de 1'Egypte et des maux éprouvés dans le désert j et de 1'abondance que Dieu accorda a son peuple. La loi ordonne de sonner de la trompette aux premiers jours des mois, pour que Dieu se souvienne de son peuple; et tout ce que dit le roi prophéte annonce la gaieté et ne présente aucuns des usages lugubres que nous avons vu pratiquer aux autres peuples & la Néoménie. Les Juifs d'aujourd'hui se préparent a la nouvelle lune par le jeune, les femmes cessent tout travail paree que cette fête les regardé plus particulièrement que les hommes qui vaquenr a leurs occupations ordinaires ; ceux-ci vont cependant a la Synagogue oü 1'on chante les pseaumes 112 et 117 qui sont des cantiques de louanges en mémoire de la sortie d'Egypte. Ils donnent aux tems de la nouvelle lune la préférenca  par ses usages. Liv. V. Ch. LLI. 273 préférence pour célébrer leur mariages (1). La gaieté que Ton voit règner dans les Néoménies des anciens Hébreux, vient peut-être de la réforme que leur législateur a cru devoir mettre dans les usages antérieurs dont il eut soin de cacher les motifs, Cependant dans le jeune prépararoire des Juifs et dans les commémorations qu'ils font aux nouvelles lunes des maux dont leuts pères ont été affiigés , on peut encore retrouver des traces de cet esprit de tristesse qui s'est identifïé avec toutes les fêtes des nations. Les femmes Juives ne regardent la Néoménie comme leur fête que paree qu'Hécate avoit été chez leurs mères la patrone des femmes, comme chez les nations payennes. D'ailleurs la commémoration que les Juifs font du roi David en ce jour, pourroit être fondée sur les mêmes motifs qui faisoient que chez les Grecs , Apollon présidoit a cette fête. Dans la mythologie des Rabbins, le grand roi d'Israél tient lieu d'Apollon , ainsi que ce dieu , David étoit berger, jeune, blond, prophéte et musicien , et avoit triomphé d'un géant et de ses ennemis. Quoi qu'il en soit, je ne releverai point ici Terreur de ceux qui prétendent que les nations payennes ont iemprunré des Hébreux Tusage de célébrer la Néoménie-, 1 cet usage devoit être antérieur a la législation ce Moïse-; les Néoménies des Juifs avoient même un caractère qui décèle qu'elles étoient dérivées d'une législation qui n'avoit fait que changer et réformer celle qui étoit plus ancienne et plus universelle, et qui dépendoit d'une religion primitive que son ancienneté avoit fait méconnoitre même dans Tantiquité la plus reculée. (0 V. NomWi, chap. X, vs. ro. XXVIII , 'vs. n , et 19. Paralip, livre I, 23, vs. 3i ; et liv. II, 8, vs. i3. Livre des rois, 1, 20, vs. 24, IV, chap. 4, vs. 23. Cérém. relig. toraa I et II. L-on He Moóene, liv. III, chap, 2. Tome II. S  274 L'Antiquité dévoilée VI. La fête de la seconde phase de la lune , c'esta-dire de son premier quartier, devoit arriver, selon 1'ordre naturel, le 8 du mois, et commencer une nouvelle semaine-, celle-ci fmissant le i4c. jour, veille de la pleine lune, auroit, ainsi que la première,contenu un jour de fête suivi de six jours de travail. Cet órdre néanmoins a été interverti de diïférentes manières , comme nous allons le remarquer , suivant, que les peuples se sont plus ou moins écartés des régies primitives , soit paree qu'ils en ignoroient 1'esprit soit paree qu'ils 1'ont corrompu. (i). Romulus, suivant Macrobe , guerrier peuinstruit dans 1'astronomie, avoit réglé chez les R.omains que le mois commenceroit du jour oü 1'on appercevoit la nouvelle lune, mais comme elle ne se découvre poinr dès le premier jour, et comme divers accidens peuvenr mème empêcher de la voir de plusieurs jours, les mois étoient rantót plus longs, tantót plus cours , paree qu'on les eommencoit plusou moins tard; ainsi la Néoménie étoit pour ainsi dire , une fête mobile dans le mois , aussi bien que les Ides et les Nones qui en dépendoient. Tellea é-té sans doute chez les Romains , ainsi que chez bien "d'autres peuples avant eux , la cause du dérangement que nous voyons dans leurs autres fêtes lunaires ; en eftet cette facon d'observer le retour de la lune a été presque universelle; ceux qui vouloient observer 1'ordre septénaire et séparer leurs fêtes par six jours , ne voyoient plus tomber leurs solemnités aux jours des phases , mais un ou deux jours plus tard ; ce fut le cas des Hébreux et de presque tous les anciens peuples de 1'Orient; ceux qui voulurent remédier a cet inconvénient ne conservè- (1) Macrob. Saturn. l.'b. I, rap. i5.  par ses usages. Liv. V. Ch. III. i7j rent plus exactement leurs semaines, ce fut le cas de tous les anciens peuples de 1'Occident. Chez les Romains le jour des Nones qui dans son origine n'avoir pu être que le jour du premier quartier, et le premier jour de ia seconde semaine du mois, c'est-a-dire qui auroit du arriver le huitième jour du mois lunaire, arrivoit tantót le y et tantót le 7 du mois köleridahe , ensorte qu'ayant perdu de vue le plan du calcul primitif, on ne peut point mettre les Romains au nombre de ceux qui ont observé la semaine. Cependant si 1'on fait attention que la Néoménie kalendaire se célébroit chez les Romains plusieurs jours après la Néoménie lunaire ou véritable, les Nones étant placée* tan tót au y et tan tót au 7 du mois kalendaire , on doit entrevoir que 1'on a ordinairement cherché, par cette varia .ion et par cette abbréviation de la première semaine da mois , a les placer sous le 8 du mois lunaire , oü ces noms devoient naturellement tomber selon 1'esprit de leur institution. Mais il faut convenir que les Romains n'alièrent point jusqu'a soupconner que leurs ancétres eussent eü des vues de précaution dans ce calcul; les Nones se trouvant chez eux toujours antidatées, il arriva que leur seconde semaine fut av.gmentée d'autant que leur première étoit raccourcie ; ils n'en regardèrent pas moins les Nones comme le renouvellement d'un autre cycle, mais ce cycle, au lieu d'ètre de sept jours , étoit de huit, et comme par un autre abus ils y comprirent aussi le jout des Ides, ils 1'appelloient cycle de neuf jours, ou Nones ,c'est-a dire neuvaine. Au reste le jour des Nones étoit beaucoup moins solemnel que celui des Kalendes ou des Ides; ces deux jours étoient des féries et les Nones n'en étoient point-, on n'offroit ce jour-la aucun sacrifice aux dieux; c'étoit S 1  VAntiquité dévollée le jour oü les gens de la campagne venoient a la ville pour apprendre du roi pontife quelles seroient les féries du reste du mois, et ce qu'ils avoient a faire; ils se retiroient ensuite chez eux, et ne vendoient rien a Rome ce jour-la qui étoit réputé trés-funeste. On pourroit cependant mettre en probléme si ce jour étoit heureux ou malheureux pour les premiers Romains r, il semble dans Macrobe qu'originairement les Nones avoient été un jour de joie pour le peuple, mais par la suite ce jour présentoit un aspect assez triste, puisqu'on n'osoit ni se maner , ni tenir de marché , ni assembier le peuple; cependant ce jour-la chez les Womains des derniers tems n'étoit point réputé malheureux , c'étoit seulement le lendemain, c'est-a-dire le 6 ou le 8 du mois qui étoit réputé noir et abominable. R ne falloit y rien enrreprendre, pas mème des sacrifices on des funérailles, ni nommer les noms de Janus ou de Jupiter. Comme on avoit la même supersrition pour le lendemain des Kalendes et des Ides, il n'est pas facile de -rendre raison de ces bizarreries : cependant il paroit que ces idéés étoient provenues du dérangement du cycle hebdomadaire et de ses fêtes, puisqu'on ne pouvoit point dans un jour abominable nommer Janus, qui est le dieu de 1'ouverture des périodes -, c'est , suivant les apparences , que les jours réputés malheureux par la suite n'avoient été originairemenr que les derniers jours des cycles et des périodes, qui ayanr été ahérés, tronqués, allongés ou racourcis, en un mot bouleversés, le jour funèbre, au lieu de se trouver la veille de la fête cyclique, aura été porté au lendemain et quelquefois au jour de la fête même. Dès que les peuples n'ont plus connu 1'esprit de la disposition de leurs féries, ils n'ont pu que les déranger et les pervertir de plus en plus; ils agissoient tou-  par ses usages. Liv. V. Ch. III. zyy jours en aveugles, et ne rencontroient juste que par une espèce de hasard. C'étoit, par exemple , une opinion recue chez les Romains, que le septième jour étoit noir, funèbre er semblable au lendemain des Kalendes, des Nones et des Ides; ces jours n'arrivoient cependant tantöt que le 2, le 6 et le 14 du mois, et tantót que le 2 , le 8 et le 16. D'oü pouvoit venir cette opinion qui n'avoit aucun rapport a la disposition du calendrier romain ■ II faut sans doute que cette opinion eüt rapport a la disposition primitive des anciens calendriers dans lesquels. les cycles des mois lunaires avoient été exactement de sept jouts; en effet, alors la Néoménie avoit été le premier jour de la première semaine, et le septième en avoit été le dernier ; le huitième jour ensuite avoit de même été la férie de la seconde semaine, et le 14 du mois en avoit été le septième, disposition dans laquelle ce devoit être nécessairement le 7, le 14, le 21 et le 28 qui, comme fins des périodes avoient dü être les jours funèbres de la première et de la seconde semaine. Voila peut-être la véritable source de toutes les idéés tristes et apocalyptiques que presque toutes les nations se sont en tout tems formées du nombre sept. Le septième jour étoit celui qui mettoit fin au cycle de la semaine; on s'imagina que ce seroit aussi ce nombre de sepr multiplié par certains termes qui mettroit fin au monde. Ainsi le septième jour devint un jour religieux, mais triste, pendanr lequel on s'inquiétoit sur la semaine suivante comme on s'étoit inquiété sur le retour de la Néoménie , et comme nous avons vu qu'on s'inquiétoit sur le retour detous les périodes et même du période journalier. Une preuve que le septième jour avoit été dans les premiers tems un jour de fin de période, c'est que les hommes sont S 5  278 L'Antiquité dévoilée presqu'unanimement convenus de donner aux sept jours de la semaine les noms des astfes et des planettes; ils ont donné aux deux premiers jours le nom des deux plus grands luminaires des cieux. Le premier fut celui du soleil , et c'est sans doute la raison pourquoi la Néoménie étoit aussi consacrée a Apcllon. Le second eut le nom de la lune, et ie septième obtint celui de Saturne , qui est la plus sombre er la plus éloignée des planettes. Une nouvelle preuve encore , c'est que la fin de l'année solaire étoit aussi sous les auspices de Saturne, et 1'on avcit de la dernière semaine de l'année a laquelle il présidoit, c'est-a-dire des 7 jours des saturnales, la même idé? sinisrre que 1'on avoit du septième et dernier jour de chaque semaine qui lui étoit consacré. II ne faur pas croire que ce soient les qualités astrologiques de Saturne , qui toutes passoient pour facheuses j qui ont rendu le septième jour si haïssable aux Romains et si ïedoutable a tous les apocalyptiques, c'est au contraire paree que ce jour-la étoit lui-même ttiste et funèbre dans les premiers tems que la planette qu'on y fait présider par la suite est devenue odieuse; le jour avoit été odieux avant elle. L'on doit faire les mêmes raisonnemens sur les vices et les vertus des autres planettes qui n'ont été dans 1'origine que les vices et les vertus des jours. C'est paree qu'on faisoit la guerre le troisième jour que la planette qui présidoit a ce jour e,t devenue la planette de la guerre. C'est paree qu'on faisoit des échanges le quatrième jour, que Mercure est devenu le dieu des marchands , etc. Le peuple Romain , malgré le dérangement arrivé dans son calendrier , et les divers changemens que la législation y introduisit, avoit donc conservé une des opinions des premiers ages, ènsorte que , soit que le  par ses usages. Liv. V. Ch. III. zjy lendemain funeste des Nones arrivat le 6 ou le 9 , les superstitieux qui n'avoient pu oublier que le septième jour avoit été funeste et abominable , et qui le tenoient encore pour tel, devoient être deux jours sans rien faire, lorsque les Nones étoient indiquées pour le cinq. On appelloit a Rome ce jour ater} ïnominalis, 'mauspicatus ; aussi n'entreprenoit-on rien , et le culte des dieux demeuroit suspendu, repos qui par la suite donna lieu a la débauche, non dans la vue de célébrer une fète, mais pour se distraire des idéés lugubres que Ton croyoit y voir. Ceci peut étre appliqué aux saturnales , oü 1'on tenoit la même conduite relativement a la fin de l'année solaire que 1'on tenoit a la fin de chaque semaine; de-la ce contraste de dissolution dans des jours réputés malheureux et funestes. II résulte de 1'examen que nous venons de faire des Nones chez les Romains qu'elles auroienr dü roujours arriver le huit des mois, et être un jour de louange envers les dieux, paree qu'elles commencoient un nouveau période de jours; ce devoit être non le lendemain des Nones, mais la veille ou le septième jour qui devoit être sinistre, d'après 1'esprit primitif qui ne s'étoit point entièrement effacé de 1'esprit du peuple, malgré les changemens introduits dans le calendrier. VII. Les Grecs avoient sur le septième jour des idéés totalement opposées a celles des Romains. Apollon, dit Eschyle, a cholsi les sept jours. On prétendoit que ce dieu étoit né le 7 de 1 hargelion ; c'étoit ce jour la qu'on célébroit sa fête a Athènes, dans laquelle les jeunes gens chanroieut des hymnes en son honneur en portant des branches de laurier; c'étoit le seul jour dans l'année oü ce dieu se manifestoit aux hommes par des oracles. Le septième de chaque mois lui étoit consacré; d'oü 1'on voit que les Grecs resardoient le septième jour S 4  1S0 L'Antiquité dévoilée du mois comme un jour heureux et consacré a la joie (i). A Sparre on faisoit aussi des sacrifices a Apollon le premier et le septième de chaque mois. Malgré cette gaité des Athéniens aux Thargélies ou fètes de la naissance d'Apollon, rien dans 1'origine n'avoit été plus triste et plus révoltant que la manière dont leurs ancêrres les avoienr célèbrées. En effet la veille on expioit la ville en immolant un homme et une femme qu'on avoit nourris a ce dessein aux depens du public ; ces victimes parées et ornées portoient en leurs mains du fromage, le pain appelle ma^a, et des fïgues sèches. On les insultoit d'abord en leur jettant sept fois des oignons et des figues sauvages , et en leur donnant sept fois des soufilets; puis on les brüioit et on jettoit leurs cendres a la mer pour appaiser Neptune , comme si la ville étoit menacée de quelque grand danger; cé fut toujours la terreur qui fit faire ces affreux sacrifices. Cette horrible cérémonie se faisoit au son des flutes, les enfans portoient en 1'honneur du soleil et des heures des ramaux d'olivier entourés de laine, auxquels é'oient suspendus différens fruits et des légumes de toute espèce. La fête se terminoit par des jeux dont le vainqueur consacroit un tré-pied a Apollon (2). Quoiqu'il en soit, Hésiode parlant des jours heu- (1) AEsuhi'. Thebaid. v. So6. Fasoldi Hierologi'a decad. 3, (est. 9. JVIeursii Graecia fetiata lib. 3 Herodor. lib. 6. (2) J. Meursü Graecia feriata lib. VI. Fasoldi Hierologia. Decad. VII ,■ /est. 5. Les Pyanepsies se célébroient sept mois après les Thargélies , comme chez les jnifs la fète des tabernacles se célébroit sept mois après ce'le de paque. Les Pvanepsies étoient célèbrées en ]'honneur d'Apollon; on y cuis'oit des féves et dis légumes en mémoire «le Tkésée et de ses co npagnous, qui vécut raisérablement Ie jour qu'd se sauva de 1'isle de Crète. On attachoit aux portes des maisons un rameau d'olivier pour écJi'ter la familie. J. Meursii, etc. lib. F, et Fasoldi, etc. fest. 6.  par ses usages. Liv. V. Ch. III. 281 reux et malheureux, nier le 1 , le 7 et le 14 au nombre des premiers, il les appelle sacrés, (leron) titre qu'Homère a aussi donné au septième jour. II n'est pas difficile d'entrevoir oue c'est Tinstitution de la semaine qui a donné lieu a 1'opinion qu'Apollon présidoit au nombre sept. Mais pourquoi ce dieu ( qui devoit présider au renouvellement des semaines, puisqu'il avoit présidé a la Néoménie, er puisqu'il présidoit a 1'ouverture de l'année verbale et solsticiale, et puisqu'il présidoit a 1'ouverture du jour et de tous les périodes), pourquoi, dis-je, ce dieu présidoit-il chez les Grecs aux derniers jours des deux premières semaines du mois ? En effet ce n'est ni au 7 ni au 14, mais au 8 et au 15 qu elles commencent avec l'apparirion du premier quartier de la pleine lune. II y a eu certainement quelque altération dans la facon dont les anciens Grecs ont compté leurs semaines, qui leur a fait antidater d'un jour; chez tous les peuples anciens et rnodernes c'est encore Apollon ou le soleil qui préside au septième jour, il donne son nom, non pas au septième jour, mais au premier de la semaine, qui dans 1'ordre du mois n'arrive jamais que le 1 , le 8 et le iy. On pourroit donner une raison assez naturelle de cette erreur; c'est que les Grecs ne célèbrant leurs Néoménies que lorsque la nouvelle lune étoit visible , la célébroient un jour trop tard, ensorte qu'obligés de racourcir leur première semaine pour que la seconde et la troisième commencassent au jour du premier quartier et de la pleine lune, c'est-a-dire le 8 et le iy du vrai mois lunaire , il arriva pat-la que le jour du soleil ou le jour heureux se rrouva placé le 7 et le 14 de leur mois vulgaire, d'oü 1'on a imaginé ensuite qu'il présidoit au septième jour, ce qui est contradictoire avec routes les idéés des nations. Nous donnerens encore de cet ccart des Grecs une  iSl L'Antiquité dévo'dés raison plus ptofonde, qu'il esr nécessaire de connoitre a cause des erreurs de plusieurs autres peuples. C'est une chose connue que tous les anciens peuples ont commencé leur jour le soir pour le terminér a un autre soir i nous en avons vu la taison dans le caractère funèbre et mélancolique des premiers hommes; ils s'affligeoient au déclin du jour et s'entretenoient alors d'idées religieuses qui ont donné lieu a toutes les soiemnités cycliques et périodiques de com meneer le soir par des iarmes , et de terminér le lendemain par des réjouissances, ensorte que le jour ecclésiastique commencant le soir et se terminant le jour suivant, les jours civils ont été comptés de même; ainsi les uns et lès autres ont été moins un jour naturel qu'un composé de deux jours, dont la seconde partie du premier faisoit le commencement , et dont la première partie du second faisoit la fin. C'est par cette division des jours qu'on voit chez les Romains des fêtes qui n'occupoient plus que ia moitié d'un jour , et sur-tout celle du matin : cette portion de fête avoit dans son origine fait portion d'une fète completté qui avoit commencé la veille au soir, mais cette première partie avoit peut-être été anéantie paree qu'elle etoit funèbrr. Dans les premiers tems oü le caractère mélancolique et religieux des premiers hommes les dispesoit bien plus aux larmes et a la tristesse qu'aux plaisirs et a ia gaieté, et oü chaque fin de cycle ou de jour leur faisoit desirer qu'elle fut celle de leurs maux et de leur vie, dans de telles dispositions, dis-je, il paroit que la première partie de la fête d'un cycle quelconque , c'est-a-dire, la partie funèbre qui arrivoit la veille du véritable jour du cycle, devoit être la partie la plus remarquable de la solemnité; il falloit commencer par pleurer, et les hommes étoient alors très-disposés a  par ses usages. Liv. V. Ch. III. 28 3 le faire, en sorre que chez de tels hommes cette veille étant devenue la partie la plus solemnelle de la fête du cycle , aura insensiblemenr rérrogradé dhin jour, soit pour être tout: entière consacrée aux larmes tant que les hommes y ont été disposés, soit pour être toute entière consacrée a la joie, lorsque le caractère des hommes fut changé a 1'aide du tems qui calme les plus grands chagrins, ou a laiJe des législations plus intelligentes qui ont mieux aimé rendre les hommes moins religieux, mais plus tranquillcs, plus gais et plus heureux. Cette rétrcgradation des fêtes occasicnnée paree qu'elles ont été originairement composées de deux jours, esr visible, et nous en avons des exemples très-frappans. VIII. On disoit communément chez les Juifs que la Paque (qui est une solemnité dont le tems est déterminé par la pleine lune la plus proche de 1'équinoxe vernale, c'est-a-dire, par le 1 y du nouveau mois), arrivoit le 14. ie 14, disoit-on", est le jour de la Paque; la Paque se jera le quatorfierae jour; mais comme cetjte Paque ne eommencoit qu'après le soleil couché, c'est a-dire, la nuit du 14 au 1 y , elle n'appartenoit point a ce quaterzième jour, mais au quinzième, vu que la Ici erdonnoir de célébrer les fêtes d'un soir a un autre (1). II y avoir donc a 1'occasicn de cette fêre une facon de parler vulgaire, qui n'étoit pas selon 1'esprit de son institution, quoique la fête se célébrat suivant cet esprit, au moins chez les Juifs. Mais ce langage vulgaire a pu induire en erreur une infinité d'autres peuples qui ont parlé de même et q"ui ensuite ont agi en conséquence. Les Hébreux, après avoir dit que la Paque seroit au quatorzième (1) Lévitique, chap. vs. 5i.  284 L'Antiquité dévoilée jour, disoient eux-mêmes que le quinzième suivant étoit la fète solemnelle des azimes du Seigneur (i). Ce langage feroir présumer que cette fête étoit différente de la paque et occupoit un autre jour, cependant ellè étoit la même; c'étoit le quinze qu'on immoloit Fagneau et qu'on mangeoit le pain azime que 1'on devoit manger pendanr sept jours. C'est par 1'abus d'un semblable langage que chez les Grecs le 7 et le 8 du mois étoient devenus des jours sacrés au lieu du 8 et du 1 y. On doit présumer que dès avant la législation de Moyse, les Orientaux étoient déja tombés dans une etreur de calcul semblable a l'égard de la fête du renouvellement de la semaine, puisque dans la loi de ce prophéte, le sabbat, qui est la fète de la création du monde, et qui, a toutes sortes de titres, est une fête de naissance, de renouvellement et de joie, soit par rapport au monde, soit par rapport au tems et a Dieu même, s'est trouvé, par une espèce de contre- 0) Livitique, vs. 18. Esod. vs. 1S. II est bon d'observer ici que chez les Hébreux la fète des tabernacles, fixée au quinze de Thisri, paroit avoir eu lapport a 1'équinoxe d'automne , comme celle de paque a 1 equinoxe du printenis. Le langage de l'èciiture au sujet de Ia paque et de Ia fète des tabernacles a des différences qu'i! est a propos de remarquer. On se préparoit a Ia paque le dixième jour de Nisan , et 1'on se pivparoil a la fète des tabernacles le dixième de Thisri; la bible dit que !a paque comméncera le quatoize , et durera sept jours; nous avons vu que ce langage vu'gaire design* que la fète durera le quinze , le seize, le dix-sept , ledix-buit, le dix-neuf, levinat, le vingt-un ; mais au sujet de Ia fète des tabernacles , elle dit que cette fète sera le quinne, et durera pendant sepl jours. On peut ici demander si en cela la bible a aam Ie langage vulgaiie , et si la fète des tabernacles a occupë Ie seize, le dix-sept, le dix-huit , le dix-neuf, levingt, Ie vingt-un et le vingt-deux, oe qui n'est pas vraisemblable , quoique les Juifs aient dü Ia célébrer ainsi, s'ils ont pris a la lettre 1'ordonnance de la loi ; ou bien Moyse auroit-il pris une autre langage dans Ie lévitique que dans 1'exode? Quelque singulier que ce'a fut, il paroit que c'est pourrant la vérité. Voyez Lévitique, chapitre XXIII* vs. 34. .  par ses usages. Liv. V. Ch. LU. 4,8j sens, placé a la fin du cycle de la semaine, c'esra-dhe, au septième jour, au lieu d'être placé au premier des sept jours. Cette première rétrogradation du huirième jour au septième , occasionnée visiblement par Tanden usage de commencer la fête d'un cycle nouveau dès la veille de ce cycle, a conduit ensuite a un autre usage. Comme les Hébreux et ceux des Orientaux qui, comme eux, ont célébré une fête le septième jour de la semaine, en conservant d'ailleuts T ancien usage de commencer leurs fêtes pat le soir de leur veille, Tont commencé le soir du sixième jour, ce sixième jour est devenu lui-même pour certains peuples le jour même de la fête; voila pourquoi aujourd'hui les Arabes , les Turcs et les Persans ont leur jour religieux au sixième jour de la semaine. II est vrai que malgré ces méprises les fètes hebdomadaires de ces différens peuples n'en ont pas moins été espacées de sept en sept jours, et séparées les unes des autres par six jours non fëriés. Dans le fond, il importe peu, pour Tobservation de la semaine, de la commencer par un jour ou par un aurre, pourvu que le premier terme une fois donné soit exactement suivi; il importoit assurément très-peu a Moyse que le sabbat fut le jour d'Apollon, ou le jour de Saturne , ou celui de Vénus ; ce grand législateur étoit forr audessus de la terreur et de la superstition qui donnoit la préférence a un jour sur un autre; mais nous parions ici de Tordie hebdomadaire. Selon 1'esprit de la législation primitive, on ne peut nier que ce ne soit elle qui en ait donné le premier terme , et comme elle a laissé des traces de ces institutions qui ne sont point encore effacées; comme les sept jours de la semaine portent encore le nom des planetes; enfin comme '  iSé> L'Antiquité dévoilée ces noms sont encore placés dans leur ordre primitif, qui est un ordre naturel, c'est d'après ces anciens titres que nous disons ici que les fêtes hebdomadaires des Musulmans, placées au jour de Vénus ou au sixième jour, sont des fêtes déplacées, et qu'il y a un semblable dérangemenc chez les Juifs qui solemnisent la création au jour de Saturne ou au septième jour; ils sont en cela tombés dans la même méprise que les Grecs qui consacroient aussi ce jour a Apollon comme 1'auteur de la lumière, tandis que les Romains, au contraire, qui redoutoient le septième jour, avoient mieux conservé dans leur superstition 1'esprit des institutions et des tradirions primitives. II falloir qu'il y eut chaque semaine une fête qui revïnt de sept jours en sept jours; voila ce que presque toutes les nations ont connu ; mais étoit-ce le .premier ou le dernier de la semaine qu'il falloit célébrer ? C'est ce qui devint un problême dès qu'on eut oublié 1'esprit de la liturgie primitive; les nations auroient pu cependant se tirer de 1'incertitude par quelques réflexions trèe^simples. II n'est point douteux, par exeniple, que le jour le plus solemnel d'un période quelconque est celui de son renouvellemenr, soit paree qu'il rappelle la création du monde ou un commencement, soit paree que 1'homme ne peut se refuser a la joie lorsqu'il voit renaitre une année, un mois, un siècle, &c. dans lesquels il est porté a se promettre d'être heureux. Les Hottentots appellent leurs fètes changement pour le mieux. Ceux même qui sont malheureux espèrent que le période qu'ils vont commencer leur sera plus favorable. Ces sentimens qui sont aussi naturels qu'universels, auroient du décider en faveur du premier jour de la semaine, et ramener les hommes au point dont ils s'étoient peu-a-peu écartés : mais.  par ses usages. Liv. V. Ch. III. a87 dira-t-on, coramem retrouver le premier jour lorsqu'on 1'a perdu de vue j Ce sera i°. en le cherchant dans les noms astronomiques des jours de la semaine 3 la prééminence du jour consacré a un astre aussi frappant que le soleil sur celui de Saturne ou de Venus, ramène tout naturellement a la plus ancienne liturgie, et vraisemblabiement a la première depuis le renouvellement du monde. i°. Ce sera en cherchant dans les observations sur le cours des asrres des signaux communs propres a réunir tous les peuples de la terre pour louer Dieu au même jour et au même instant d'une voix unanime et universelle. Enfin ce sera en remarquant la position des principales solemnités. Je suppose que les Hébreux eussent desiré de s'instruire sur 1'ordre vérirable qu'ils devoient donner a leurs fêtes hebdomadaires, lorsqu'elles se dérangoient ce qui devoit souvent arriver pour eux; alors il leur eüt suffi de remarquer que la fête de Paque qui comprenoit sept jours, dont le premier étoit le plus solemuel, avoit dü dans son origine tomber dans une semaine exacre; que cette Paque arrivant le i;, et se terminant avec le 21 , la semaine précédente avoit du commencer le 8 du mois, et que ce jour avoit dü être férie; qu'au-dela en remontant encore de sept jours, on tomboit dans la première semaine du mois et de l'année ecclésiastique, et que le premier jour de cette année avoit été une férie qui avoit concouru avec la Néoménie , et qu'ainsi c'étoit la lune et ses phases qui devoient être le signal de toutes leurs solemnités , soit majeurcs, soit mineures. Maïs nous pailerons bientot de la solemnité hebdomadaire des Hébreux. IX. Revenons encore aux Grecs. Si le septième  2gg L'Antiquité dévoilèi jour étoit consacré a Apollon , le huitième jour du mois, c'est-a-dire, le premier de la seconde semaine, n'étoit point resté sans distinction. A Athènes, rous les huitièmes d'un mois 1'on faisoit mémoire de Thésée, soit a cause de son retour de Crète, soit paree qu'il avoit réuni et policé les Athéniens dispersés et sauvages. Ce jour-la on faisoit des festins en mémoire d'une ancienne disette •, on se faisoit des présens , et 1'on donnoit des aumönes aux pauvres. Le sacrifice de Thésée se nommoit Octodion} ou sacrifice du huitième jour (i). Comme cette commémoration de Thésée se confondoit avec le culte d'Apollon a la fête de Pyanepsie, qui tomboit au sept du mois , on pourroit soupconner que la fète du 8 et du 7 n'en avoient qu'une otiginairement ; 011 remarqué dans celle de Thésée assez de caractères d'une fête commémorative pour penser que dans le principe elle avoir été consacrée a Apollon uniquement. L'examen de la légende mythologique de Thésée donneroit peut-être la-dessus bien des éclaircissemens; mais ces détails nous conduiroient trop bïrï, nous remarquerons simplement que ces deux jours de solemnités hebdomadaires consacrés par les Grecs a la joie, étoient chez eux 1'effét de leur heureux caractère, qui leur ayant fait totalement suppfimer la tristesse du septième jour, aura donné son ton de gaieté au huitième. Puisqu'on savoit qu'Apollon présidoit au premier jour du mois, et que Mercure présidoit au quatrième, on devoit savoir que Saturne présidoit au septième, mais ce ^Saturne étoit une divinité trop lugubre pour les Grecs qui 1'exclurent, sans doute, du rang qu'il occupoit pout se livter a la gaieté qui leur étoit naturelle (1). (1) Fasoldi Hierolonia , decad. 7, Theséia. (a; Mc-ursii Girecii feriata , lib. l\. Thesew. 2\-.  par ses usages. Liv. V. Ch. LIL. 289 X. Le concert des peuples pour louer les dieux aux pleines lunes n'est pas moins univefsel que pour les nouvelles- lunes. Les Egyptiens, le jour de la pleine lune, sacrifioieht une truie ou un porc a la lune, ils en mangeoient ensuite; en tout autre tems, c'étoit un animal iranaonde que 1'on ne pouvoit même toucher sans se purilier aprèsk Les Errusques, a ia pleine lune, alloient saluer leurs rois et leur faisoient la cour; c'étoit un jour de louange envers Jupiter; on le remercioit de la perpétuité de lumière qu'il accordoit pendant la nuit comme pendant le jour; aussi 1'appelloit-on ce jour-la fiducia Jovis, et dans la langue étrusque ids, qui semble dériver d« phénicien ida, louer, coniesser , reconnoitre les grandeurs de Dieu , nom que les Romains ont conservé sans connoitre son origine et sa signiiication. En effet, les ides chez ces derniers tenoient lieu de la fète de la pleine lune, elles se célébroient tantót le 13 et tantót le iy du mois; si leur calendrier eüt été bien disposé, les ides ne se seroient jamais écartés du 15, puisque c'étoit la fête de la pleine lune qu'ils avoient recue des Errusques. Ce jour étoit réputé saint et consacré a Jupiter a qui on immoloit une brebis blanche; on ne se marioit point ce jour-la, et son lendemain étoit regardé comme noir et abominable. Plütarque (1) remarqué sur ces lendemains sinistres des kalendes, des nones et des ides, que la religion a voulu que Ion consacrar le premier jour des périodes aux dieux célestes, et les seconds aux dieux terrestres et infernaux, et que c'est paree que dans ces seconds jours on faisoit toujours mémoire des morts, et que les cérémonies étoient lugubres , que ces jours étoient réputés mal- (1) l'Iutar. quse«t. roni. parag. 24 et 25. Tome IL, T  i£jO L'Antiquité dévoitée heureux. Plütarque nous donne ici une bonne raison de 1'origine de ces jours sinistres; mais il nous fait voir que le paganisme avoit interverti 1'ordre primitif et universelle qui vouloit que 1'on s'affligeat toujours avant que de se réjouir. II ne paro'it pas que la pleine lune ait été une fête chez les Grecs, ni même un jour plus remarquable que les autres ; au moins 1'antiquité ne nous en dit rien. Mais le systéme astrologique qu'ils avoient sur les jours heureux et malheureux indique que la pleine lune avoit été originairement distinguée chez eux. Le 14". jour étoit, suivant Hésiode , un jour heureux sous les auspices de Bacchus, dans lequel on pouvoit ouvrir le tonneau pour mettre le vin en perce, et le goüter. II donne a ce même jour le nom de icron , sacré 3 qu'il avoit déja donné au septième; rnais comme ce quatorzième jour auroit dü tomber au 1 y, qui étoit le jour véritablement heureux, c'est une nouvelle preuve que le bonheur du septième devoit appartenir au huitième (1). Les Lacédémoniens regardoient la pleine lune , c'est-a-dire le 1 y, comme un jour heureux, puisque jamais ils n'osoient se mettie en campagne avant la pleine lune d'un mois; cet usage qui leur étoit particuliet et qui les exposoit aux railleries des autres Grecs, devoit être fondé sur des motifs qui ne leur étoient point aussi particuliers qu'on le pense. En effet, 1'on remarqué une sorte d'affectation chez bien des peuples anciens et rnodernes de solemniser le renouvellement des périodes, non aux nouvelles lunes, mais aux pleines lunes. Chez les Mages le quinzième jour portoit Ie nom (1) Mémoires ie 1'acadéraie des lusenpuous , tome IV, psge 5S Justin.  par ses usages. Liv. V. Ch. III. 2$)r de Dieu, ec le quatorzième ils mangeoient de 1'ail, dans la vue, disoient-ils, de chasser les démons et d'écarrer les mauvais esprits. C'étoit encore le quinzième jour que 1'on pouvoit se présenter devant le monarque (i). Nous voyons encore la pleine lune célébrée chez un grand nombre de peuples rnodernes. A la Chine et au Tsnquin 1'on fait ce jour la mémoire des ancêtres, et les Mandarins y font des instructions au peuple. Au Japon, ce jour est particulièrement consacré aux dieux , et la nuit se passé a prendre 1 air dans des bateaux. La pleine lune est aussi célébrée a Siarn; chez ces différens peuples la fêre tombe toujours au quinze du mois, c'est-a-dire au premier jour de la troisième semaine. Les Indiens, les Guèbres et les habitans de 1'Isle Célèbes ne sont pas moins exacts a célébrer cette fête. Les Caffres et les habitans du Cap de Bonne-Espérance observent a la pleine lune les mêmes cérémonies qu'a la nouvelle (2). L'année ecclésiastique des Hébreux eommencoit a la nouvelle lune de Nisan , c'est-a-dire a la mi-mars; cependant la grande solemnité du passage d'une année a 1'autre n'étoit célébrée que le quinze, c'est-a-dire k la pleine lune. L'année civile des Hébreux eommencoit a la nouvelle lune de Thisri ou a la mi-septembre • cependant la grande solemnité ne se célébroit que le quinze; cat toute la fête des expiations et celle des trompettes ne peuvent, comme on a vu, passer que pour des préparations a la fête des tabernacles. Chez les anciens Romains la cérémonie d'enfoncer le (1) Hyde de relig. Persarum, cap. XX. (2) Cérémonies religieuses , tome V. Ketupfer, liy. III, chap 3 iv. V, chap. l5. T z  2 j 2 U An tiqidté dévoilée clou sacré qui indiquoir les années se faisoit aux Ides de septembre, c'est-a-dire a la pleine lune; ainsi leur année étoit alors la même que l'année civile des Hébreux. II paroït par Plütarque que les Romains qui avoienr aussi des égards pour l'année solaire faisoient des mascarades et se livroient a des réjouissances dissolues aux fêtes de janvier. Enfin c'est a la pleine lune que 1'on eommencoit la célébration des jeux olympiques chez les Grecs. En un mot on donnoit souvent la préférence aux pleines lunes des périodes nouveaux sur les nouvelles lunes; ce que 1'on peut expliquer en disant que tous les premiers peuples faisant leurs veilles a la fin des périodes, ont pu transporter ces solemnités nocturnes aux pleines lunes oü la nuit est éclairée ; d'ailleurs la superstition peut encore avoir eu part a cet usage. Les éclipses du soleil ont lieu aux nouvelles lunes, et nous avons vu les terreurs dont ces phénomènes remplissoient la plupart des nations qui attendoient alors la fin du monde; c'est peut-être pour éviter qu'un événement si redouté ne tombat dans les solemnités annuelles , que 1'on en avoit remis la célébration aux pleines lunes. Les fêtes des Juifs paroissoienr réglées sur cet ancien systéme apocalyptique; malgré les soins de Moyse pour supprimer 1'esprit qui 1'avoit fait naitre, les Rabbins par tradition en sont restés dépositaires. Les Juifs sont tenus, comme on scait, de faire la lecture entière de la loi chaque année; cette lecture se termine a la fin de l'année civile , et par conséquent elle devroit recommencer au premier Nisan ; cependant ils ne recommencent cette lectute qu'après la fête des tabernacles qui commence le iy et fuut le 31. Les Rabbins disent que c'est afin de cacher au dïable le jour de 1'an ; afin  par ses usages. Liv. V. Ch. III. 293 qu'il n'ascuse point les bons au jugernent que Dieu tient en ce jour-la (1), Les fables des JuiFs prouvent leur antiquité autant que leur histoire. 'XI. Jusqu'ici les usages et mème les écarts desdifférentes nations nous ont fait reconnoitre et 1'usage des semaines, et 1'esprit qui i'a fait naitre; la nouvelle, la pleine lune et sa première quadrature, qui arrivent le 1 , le 8 et le 15 de chaque. mois , ont été des signaux universels qui ont déterminé a louer Dieu dans ces jours, et leur intervalle de sept en sept jours a déterminé les peuples a se servir de ce cycle. Lafacilité qu'il y a de compter ces deux premières semaines et a célébrer ces trois fètes hebdomadaires conformément au cours de la lune , est ce qui fait que nous avons retrouvé les tracc-s de ces fêtes chez presque tous les peuples du monde. II n'en est pas de même de la quatrième fête, soit par le défaut de monumens, soit pat la confusion dans laquelle toutes les fêtes étoient tombées chez les anciens. En effet 1'on ne voit pas que les Egyptiens , les Grecs et les E.omains aient eu quelques égards pour le jour de la dernière quadrature, qui arrivé tantót au 22 et tantót au 23 de la lune. Je présume bien que quelques idéés superstitieuses auront pu contribuer a ne point placer des fètes sous le décours de la lune, 1'on ne peut, comme on a vu, en douter ; mais comme ces idees ne peuvent être elles-mêmes qu'un écart de 1'institution primitive, je crois que malgré le silence de I'histoire, le 22°. jour avoit été solemnisé ainsi quele 1, le 8 et le iy., et que ce jout étoit pareillement la fête du renouvellement de la quatrième semaine du mois , semaine qui comprenoit le 22 , 23 , 24 , 2j , 26 , 27 , et le 28e jour qui (') Leu»den Philol. hebns. de Y. T. p. 5g. T 5  25>4 L'Antiquité dévoilée est le dernier du mois périodique, mais non du mois synodique que par la suite tous les peuples ont suivi et que 1'on suit partout aujourd'hui, si 1'on excepte les Japonois qui ont retenu 1'antique usage de compter le mois, et dont nous n'avons trouvé que des vesti°es dansles écrivains Grecs et'Romains. C'est sans doute la difhculté d'ajusrer cette dernière semaine avec le retour de la nouvelle lune suivante , qui a peu-a-peu dérangé la quatrième solemnité du mois. Re dernier quartier arrivant tantót le 22, le 23 et même le 24, il falloit souvent que les deux dernières semaines fussent inégales, si 1'on vouloit célébrer la Néoménie avec le retour de la nouvelle lune, ou bien intercaler la dernière semaine d'un ou de deux jours, comme on a intercalé des mois et des jours dans l'année. Mais lembarras de ces opérations est, suivant les apparences, ce qui a déterminé les premiers peuples a n'avcir aucun égard au cours synodique et a s'en tenir au cours périodique qui est divisible par sept: ensuite 1'inconvénient qui résultoit de voir la fète de la Néoménie s'écarter de mois en mois de la nouvelle lune, a fait embrasser deux autres partis; le premier qui a été le plus universel chez les peuples inteiligens, est den'avoir égard aux semaines que pour les trois premières pnases de la lune , qui s'y ajustent aisément; c'est de cette méthode que provenoit sans doute chez les Romains 1'usage des Kalendes, des Nones et des Ides qui fmissoient au iy, et de ne plus compter les jours du mois que relativement a leur distance de la nouvelle lune prochaine; ainsi au lieu de dire après les Ides de mars, qui arrivoient le iy de cemois, que le lendemain étoit le 16 , ils 1'appelloient le dix-sept avant les halendes d'avril; le jour suivant étoit le 16 , ensuite venoit le iy, &c. L'autre parti fut embrassé par les  ftr ses usages. Liv. V. Ch. LH. 19y Orientaux, beaucoup plus attachés a leurs anciens usages, il consista a célébrer constamment le retour des anciennes fêtes lunaires, de sept jours en sept jours, comme s'ils se servoient encore du mois périodique, et ils instituèrent une nouvelle Néoménie pour le premier jour du mois synodique auquel ils ont eu recours pour régler leur année. Cet usage sur-tout a éte particulier aux Juifs: ils célébroient tantot quatre et tantót cinq sabbats pat mois, indépendamment de la Néoménie; ainsi cette espèce de conciliation du mois périodique avec le mois synodique a servi encore a multiplier les fêres et a faire de doublés emplois du même motif. Les hommes ont été dans le même embarras, et sont tombés dans les mêmes abus pour la disposition du mois , de la semaine et des fétes quils devoient contenir , lorsqu'ils ont voulu concilier les mois avec les années et le soleil avec la lune : chaque réforme a toujours servi a multiplier les fètes: on a eu 1'année lunaire , ensuite l'année 1'uni-solaire , ensuite l'année solaire ; chacune de ces années auroit dii avoir une nouvelle disposition de fètes •> mais souvent 1'on n'en a point fait, et 1'on a continué de se servir de ia disposition précédente, qui alors se trouvoit fausse. Souvent on a fait une nouvelle disposition, mais en même tems on a conservé 1'ancienne, et tout alors est tombé dans la confusion. C'est-de-la que proviennent dans nos années solaires ce que nous appellons fêtes mobiles ; bizarrerie qui vienr du respect pour 1'usage qui a fair conserver des fètes annuelles lunaires avec les fêtes annuelles solaires que 1'on a voulu solernniser également. On remarqué la même bizarrerie chez les Juifs dans le doublé usage qu'ils ont fait du mois synodique et du mois périodique. Parmi nous il y a cette difference que T 4  L''Antiquité-dévoUee la religion semble s'être approprie le mois périodique dont elle solemnise les quatre fètes, mais sans égard aux phases, randis que le mois synodique abandonné au civil ou au profane n'a parmi nous aucune fête , en quoi nous sommes opposés a toutes les nations qui n'ont cessé de consacrer a la religion la nouvelle lune er souvent la pleine lune. Cet usage est comme approuvé chez nous par le vulgaire qui, sans en pouvoir donner de raison, regardé les premiers dimanches du mois comme les plus saints et les plus solemnels, sans savoir que c'étoit originairement la fète de la nouvelle lune. XII. Malgré tous les écarts des anciens peuples, il n en est aucun chez qui nous n'ayons vu des traces des fètes hebdomadaires; la méthode que nous avons prise est sans doute la meilleure pour faire voir qu'ils ont tous connu cet usage rceux qui ont voulu démontrer qu'ils 1'ont tous eu , se sont trompés , puisque c'est moins Tusage que nous avons trouvé établi chez ces peuples, que 1'esprit de l'usage, esprit qui prouve qu'ils 1'avoient originairement connu et pratiqué dans des tems plus anciens, mais oü 1'his.toire n'a pu pénétrer. Pour le prouver, ainsi qu'on a vsinenient tenté, 1'on a abuse de tout ce que les anciens ont dit, fait ou écrit a 1'occasion du nombre sept. Mais cos anecdotes ne font. rien connoitre: sinon fesprir superstitieux que 1'on avoit toujours conservé pour ce nombre sans en ' savoir la cause : elle n'croit autre que d'avoir servi dans les premiers ages des siècles et de 1'astronomie a régler 1'ordre des fêtes , et servi de cycle pour régler les tems." On voit bien par exempie, qu'en Egypte 0:1 avc,it beaucoup de respect pour le nombre-de sept; on pleuroit les morts et les rois pendanr 70 jours: les moindr?s jeunes des prêtres étoient de sept jours; la fète d'Ombe  par ses usages. Liv. V.Ch.III. 297 et de Tentire , qui ressembloit a celle des tabernacles des Juifs , duroit sept jours et sept nuits (1). Mais tout cela ne prouve en aucune facon que les Egyptiens fissent alors un usage constant de la semaine, leur expérience dans 1'astronomie dut les détacher de bonne heure de l'usage constant de ce cycle ; et il y a lieu de croire qu'ils 1'avoieht quitté depuis long-tems, puisque les Grecs qui leur devoient toutes leurs connoissances, n'en ont jamais fait eux-mémes aucun usage. On voit cependant une fète de sept jours fondée par Mysus en Achaïe •, on voit encore que les Grecs ont toujours estimé le septième jour et le nombre sept comme consacré a Apollon ou a Bacchus , er par conséquent comme heureux \ on voit que les Romains le croyoient sous les auspices du rriste Saturne et par conséquent leregardoient comme malheureux; la pompe funèbre des empereurs duroient sept jours. En un mot presque tous les peuples ont eu une multitude d'opinions, d'u-. sages et de superstitions réglées par le nombre sept; mais tout cela n'offre que des vestiges de 1'ancienusage, ainsi que des anciennes opinions. Ce n'est que chez les Orientaux et parüculiètement chez les Hébreux que l'usage du cycle.de sepi jours s'étoit conservé : ces derniers avoient surtout pour lui la plus haure vénéravion , et comme leur fete hebdomadaire nommée Sabbat est devenue fameose , c'est par 1'examen particulier de cette rete judaïque et de ses usages que nous terininerons ce que nous avons a dire des fêtes lunaires et de leur esprit primitif. Nous avons deja plusieurs fois parlé du sabbat dans le cours de cet ouvrage, mais ce n'a été qu'en passant: cependant cette fête hebdomadaire des Juifs merite un (1) Porphyr. de. abstinent, Diodor, Ub, I, Juvenal. satyr. XV.  25>8 I?Antiquité dévoilée examen particulier, il servira a confirmer les principes que nous avons taché d'établir jusqu'ici, er nous fera développer de plus en plus 1'esprit primitif qui a eté Tajne de toutes les institutions 'des premiers hommes. On regatde communément le sabbat des Juifs comme une fête qui est pour eux ce que le dimanche est pour les chrétiens; cependant rien n'est moins exact : pour nous en convaincre faisons abstraction de tous les motifs de la célébration des différens jours chez ces deux peuples, er ne les considérons que suivanr leur ordre naturel. Je dis suivant leur ordre naturel , car selon les dénominations communes qu'ils portent, ils en ont un que 1'on ne peut changer et qui ne Ta jamais été. Le jour du soleil ou d'Apollon, comme nous lavons déja dit, et le jour de Saturne , ont un rang aussi distinct que celui qui se trouve entre le soleil et la planette de Saturne. Les nations étant une fois conventies de régler les jours par sept et de leur donner les noms de planettes, ont du donner le nom du Soleil au premier jour, paree qu'il est le premier et le plus sensible des astres (i) , et paree que chez les nations payennes il étoit regardé comme le principe et la source de la lumière et de la vie. Le second jour étoit celui de la lune, paree qu'après le soleil c'esr Tastte qui frappe le plus les regards. les noms de Mars, de Mercure de Jupiter et de Vénus donné au troiSièmej au quatrième, au cinquième et au sixième jours ne sont point a la vérité dans Tordre astronomique , mais cela vient de ce que nous ne faisons encore que de connoitre 1'astronomie; et nous sommes ata ) paree qu ils n'allumoient point de feu et demeuroient dans une inaction totale. Strabon et Josephe remarquent que Pompée, profitanr du sabbat, se rendit maitre de Jérusalem, paree que c'étoit jour de jeune auquel les Juifs ne faisoient aucun travail (i). Cette foule de rémoignages semble prouver incontestablement que le sabbat des Juifs étoit un jour de trisresse. L'origine que Justin' donne au sabbat n'est pas fort éloignée de la vérité , car il est dit dans la deutéronome : »« Souviens-toi que tu as été esclave en » Egypte j que le Seigneur ton Dieu a déployé son » bras, qu'il t'en a rité par sa force, c'est pourquoi " il t'a ordonné d'observer le sabbat ». A ces autorités on pourroit joindre l'usage oü 1'eglise Romaine est encore de s'abstenir de viande le samedi, usage qui est trés-ancien , er qui étoit connu même des premiers chrétiens, quoiqu'il y ait eu des tems ou 1'église, de peur de judaïser, sans doute, a défendu le jeüne da samedi et a presque égalé ce jour au dimanche. Plütarque , dans son traité sur Isis et Osiris, dit que Typhon, père de Juda er de Jérusalem , ayant été vaincu, demeura fugitif pendant sept jours dans la Judée. Et Josephe , contre Appion , dit que bien des villes a l'exemple des Hébreux , jeünent le septième jour et allument des lampes. Dans le tems oü 1'on croycit aux sorciers 1'on pensoit que les malins esprits étoient plus nuisibles qu'a 1'ordinaire la nuit qui ss trouve entre le vendredi er le samedi : le samedi, comme on 0) Joseph contra Appion. lib. I, cap. 8. Sueton. in August. Marll!>- 'V. Epig. 4. Petroo. in fragment. Basnage , liv. IV. chap. '4, parag. 16. Juvenal. Satyra V, VI et XIV. Plutar. de superslim Justin, lib. XXXVI, cap. ». Strabo, lib. XVI.  504 L'Antiquité dévoilée sait, est le grand jour des sorciers qui vont au sabbat.' Toures ces fables ridicules ont eu , sans doute, une origine; elles contribuent encore a prouver que le sabbat étoit une fète lugubre (i). II est vrai que nous avons un passage de Plütarque oü cet auteur semble contredire lui-même ce qu'il a dit ailleurs, et infirmer les rémoignages que nous venons de rapporter. En effet dans ses propos de table livre IV. quest. y (2) , il conjecture que le dieu des Hébreuxhi'est autre chose que Bacchus dont les sectaires 1'appelloient aussi Sabasius , et se nommoient Sabéens 5 paree que dans leurs cérémonies on crioit Sabboi, et paree qu'au sabbat des Juifs ils s'invitoient les uns les autres pour se régaler, se réjouir et s'enivrer. II y a loin de 1'ivresse au jeüne, et comme ni 1'un ni 1'autre ne sont orcFonnés par la loi, il paroit que les Juifs sont sortis ce jour-la d'un juste milieu pour donnet dans des excès opposés. Mais avant d'expliquer la contradiction de Plütarque, voyons ce que les Juifs rnodernes pensent au sabbat et les usages qu'ils observent en ce jour. XV. Les Juifs rnodernes sont encore rigides observateurs du sabbat quant au repos; les Samaritains ne voyagent jamais sur mer, paree qu'il faudroit violer le sabbat; ils imitent en cela leurs ancêtres qui se sont souvent laissés égorger par leurs ennemis plutot que (1) Plut. in Iside et Osiride. Joseph contra App. lib. II , cap. g. Dèmonomanie de Bodin. (1) La fin de ce livre de ne Plütarque, qui eüt pu expliquer ce qu'i] y avoit d'obscar , n'est point parvenue jusqu'a nous. 11 est singulier et facheux que tout ce que les anciens auteurs payens out écrit sur les Juifs se soit perdu prélérablement a tant de choses inutiles qui nous ont été transmises. Le voyage de Pausanias au pavs des Hébreux est perdu en entier ; on le trouve cité par Eustathe et par Etienne de Bysance. La bible se suffit pas pour connoitre les Juifs.. de  par ses 'usages. Liv. V. Ch. III. joy de se défendre. Aujourd'hui les Juifs ne se font plus scrupule de voyager sur mer, mais dans les villes oü ils se trouvent ils suspendenr toute affaire et tout commerce a 1'exception de celui de vin, paree qu'ils disent avec le psalmiste, que cette liqueur rejouit le cceur de 1'homme. Ainsi ils regardent le sabbat comme un jour de délassement et deréjouissance, dans lequelil faut boire } manger et dormir, prétendant que ce jour-la Dieu leur donne une ame superflue pour mieux se livrer au plaisir. Er pour ne point donner un démenti a Plütarque qui regardé Bacchus comme le dieu du sabbat, ils boivent du vin largernenv ; en effet c'est une chose défendue que de jeüner le sabbat, il est mèmè méritoire d'y faire trois bons repas; en suivant cette méthode ils espèrent d'être exempts des douleurs du tems du Messie, de la guerre de Gog et de Magog, et du feu de la ge'henne. II semble que par leur conduite actuelle les Juifs ont voulu démentir tous ceux qui ont parlé de leurs jeünes sabbatiques. II n'en est pas de même des Samaritains; ceux-ci pendant toute la journee ne se permettent que des actes religieux; ils lisenr la lei, ils chantent des hymnes, vont a la synagogue , vivent très-sobrement et retirés, s'abstiennent du commerce de leurs femmes, en quoi ils sont très-opposés aux Juifs qui disent au contraire qu'en s'acquittant ce jour-la du devoir conjugal on fait un saint dans Israël. Les Samaritains reprochent a ceux-ci de faire du feu le jour du sabbat, ce qui en effet est contraire a. la loi de Moyse : cependant on voit dans les persécutions que les Juifs ont essuyées en Espagne qu'un des moyens les plus sürs pour les reconno'itre étoit de remarquer les cheminées qui ne fumoient point le samedi. Peut-être le reproche des Samarirains tombe-t-il sur la lampe sabbatique que les Juifs ont Tome II. V  izG V Antiquité dévoilée soin d'allumer dès que la nuit du sabbat commence, usage qui paroit venir d'une origine funèbre , puisque les rnodernes disent que c'est en mémoire du soleil éreint au moment du pêché d'Eve (i). Les Juifs , quoique fort relachés, au prix des Samaritains, sur 1'observation du sabbat, n'y joignent donc pas moins des usages tristes et lugubres. L'idée oü ils sont que de bien manger les exemptera des maux futurs, est une nouvelle preuve d'un esprit apocalyptique, attaché au dernier jour du période hebdomadaire , qui leur retrace la fin des tems. Cette perspective doit empêcher de trouver étrange que quelques Juirs aient avancé que le sabbat étoit un jour funèbre , que la planerte qui y présidoit n'y répandoit que de tristes influences, et que c'est pour cette raison que Moyse voulut qu'on le sanctifiat. Cn pourroit encore dire que cette fête a pu devenir un jour de débauche pour se distraire des idéés funestes qui Tavoiept fait insrituér : c'étoit en effet la le motif qui crnpêchoit les Romains de vaquer a aucune affaire le jour de Saturne , et c'étoit celui qui faisoit qu'ils passoient les sai -.rnales a se réjcnir. Mais dans les jours maiheureux les Romains ne poussoient pas la superstition aussi lo'n que les Juifs le jour du sabbat, ón pouvoit faire a Rome ce jour-la tout ce qu'il eüt été nuisible d'cmettre (i). Le jour du sabbat les Juifs font encore la commémoration des morts (3). C'est, selcneu::, èpareiljour que le roi David est mort, ce qui est une fable des Rabbins pour qui David est Apollon. Cependant leur (1) Basnage, hist. des Jnifs , livre II, chapitre 9 ct 12, liv. III, ehap. 14, liv. VI, chap. 14 ct i5. (2) Macrob. Salurn. lib. I, cap. XVI. (5) Basnage, üvre V, chapitre 2, parag. 17 ct liv. III , chap. ij , **arag. i5.  par ses usages. Liv. f. Ch. 111. 307 mythologie est mieux raisonnée que celle des Grecs qui placoient au contraire la naissance d'Apollon au septième jour. C'est, sans doute par un effer de cette mythologie rabbinique qu'anciennement on faisoit une commémoration de David peu après le solstice d'hiver, tems auquel tous les anciens peuples célébroient la naissance du soleil ou de Mithras. XVI, Nous avons vu que Saturne , comme divinité , présidoit au tems et surtout a la fin des périodes ; nous avons vu qu'il étoit regardé comme le Dieu du siècle futur, plus craint qu'aimé de ses adorateurs. C'est du fond de ces idéés que sont tirées celles qui précédent : on craignoit d'atrirer sa colère en manquant de célébrer sa fète; son jour étoit donc religieux et funèbre ; mais ' on cherchoit a égayer ces idéés par la débauche et la bonne chere. Moyse en supprimant les dogmes funèbres et apocalyptiques , s'est conduit plus sagement que les législateurs grecs ou romains; par-la les sabbats des Hébreux ne furent ni tristes, ni dissolus, mais graves er religieux. Cependant nous expliquerons les contradictions que nous présentent les usages des Juifs, en disant que malgré les soins du législateur , 1'esprit apocalyptique a toujours percé a 1'aide de la tradition rabbinique, et a fait qu'a la gaieté ou a la gravité prescrite par Moyse , les Juifs ont quel• quefois joint les idéés lugubres de leurs Rabbins, et i quelquefois la dissolution des autres peuples de la terre. i Par ce moyen Plütarque se trouve concilié avec lui1 même , avec les autres auteurs, et enfin avec les Juifs, et ces derniers auront fait de leurs sabbats des jours de bacchanales, de dissolution et de débauche. Les Juifs disent qu'r.u sabbat et a la nouvelle lune les portes de 1'enfer sent ouvertcs pour douner du re; lache et du tatraïchissement aux ames malheurevisos qui V x  3°8 L'Antiquité dévoilée soupirent toute la semaine après ce jour; le sabbat venant d'expirer, les portes de ce séjour se referment, et les tourmens recommencent. II est aisé de voir par-la que les Juifs regardent leur sabbat du même ceil que la nouvelle lune, c'est-a-dire comme un jour de renouvellement, ce qui est une erreur. D'un autre coté, puisque leur sabbat leur rappelle 1'autre vie, il parok qu'il doit avoir rapport aux suites de la fin des tems. Pour qu'il y ait quelqu'apparence de raison a cette opinion des Juifs , ils auroient dü dire que 1'enfer s'ouvroit a la fin du sabbat; car c'est-la le moment oü 1'on passé a la délivrance et a la joie qu'amène rout renouvellement de période. Le sabbat, comme les Juifs ne pouvoient 1'ignorer, étoit le dernier jour de la semaine et non le premier; ce jour peut cependant être considéré comme une fête qui est a la fois civile et religieuse; c'est le dernier jour de la semaine pour le peuple qui ayant travaillé six jours se repose et se réjouit le septième ; c'est le premier jour relativement a la religion , qui consacré a Dieu les prémices de toutes choses. Quoiqu'il en soit, les Juifs la veille du sabbat au soir , se souhaitent un bon sabbat, et lendemain a la clótnre du sabbat, ils se disent iéciproquement : Dieu vous donne une bonne semaine. Ce qui prouve que la semaine ne commence pour eux qu'a la nuit qui suit le sabbat (i). De retour chez eux, ils font une libation de vin en signe de joie , ils récitent le pseaume ny qui et un verset du livre d'Esther ( chapitre VIII. verset 16. ) qui dit qu'une nouvelle lumière s'est levée sur les Hébreux, que la joie , l'hon- (1) Basnage, histoire des Juif», livre III, chipitre X, parag. 10 et livre VI, chap. XIV, parag. 2, 9 et 16. Leen de Modéne, livre Itl, chap. I , parag. 26 et 2;.  par ses usages. Liv. V. Ch. III, $09 neur et ■ le plaisir sont retournés vers eux. Enfin le len demain ils chantent le pseaume 23 , La terre est au Seigneur, &c. C'est un pseaume de tiïomphe qui, chanté le jour du soleil, indique que c'étoit le premier jour de la semaine , tandis que le sabbat ou le jour de Saturne devoit être lugubre par sa nature. Pour nous convaincre encore plus de la réalité de cette conjecture, voyons si nous ne trouverons point quelques traces de cet esprit dans le pseaume 91 , qui porte le titre de sabbat. D'abord ce pseaume contemple 1'univers et loue Dieu de ses ouvrages , ensuite il finir par envisager la fin des tems qui menace les pécheurs et dont la perte est regardée comme prochaine. Le pseaume 90 paroït lié a celui qui précède , et les Juifs le récitent a la fin du sabbat; il annonce la confiance après le péril passé. Dans le pseaume 118 que les Juifs rnodernes lisent dans leur synagogue au jour du sabbat, on voit un juste qui demande a être sauvé, a n'être point confondu avec les impies, et dont le cceur est rempli du desir de voir finir la vie malheureuse qu'il rnène sur la terre , et d'être admis dans la fêlicité du Seigneur. Dans le pseaume 103 que les Juifs rnodernes récitent au soir qui commence le sabbat avant de se coucher, on voit une commémoration des anciennes révolutions du monde ; Dieu est invoqué dans ce pseaume comme créareur. On voit régner le même esprit dans le pseaume 92 , qui paroit destiné a être récité la veille du sabbat, et qui potte le titre assez singulier qu'il dok servir de cantique d David au jour qui précéde le sabbat , lorsque la terre fut affermie ou habitee. Le pseaume 37 a pour titre pour la commémoration du sabbat : c'est une prière lugubre et lamenrable et un humble aveu de ses fautes. En un mot toutes ces circonstances scmblent prou- V 3  3 i o L'Antiquité dévoiléc ver qüé le jour du sabbat a été dans son origine un jour funèbre dont Moyse n'a pu entièrement supprimer 1'esptif, le sabbat étoit, selon les apparences, antérieur a ce législateur; il en a été le réparateur et le réformateur et non 1'instituteur. On a plusieurs fois agité cette quesrion, ce qui est assez étonnant, puisque la bible fournit une multitude de preuves que les hommes avant Moyse avoient distingué le septième jour et s'en servoient comme d'une espèce de cycle qui régloit leurs démarches et même leurs usages. Nous voyons dès le tems dont parle la genese de grands égards pour le nombre de sepr jours. Noé entre dans 1'arche le septième jour avant le déluge; il attend sept jours pour envoyer une seconde et une troisiéme fois la colombe afin cle s'assurer si la terre est desséchée. Le même patriarche fait entrer dans 1'arche sept couples de chaque espèce d'animaux. La circoncisicn, qui n'est point une institution mosaïque, se faisoit au huitième jour, c'est-a-dire au renouvellement de la semaine. C'est dans le même esprit que la loi vouloit qu'on laissat les premier-nés des animaux sept jours avee la mère, et qu'on' ne les • offrit que le huitième. Jaccb se loua a Laban poer sept ans; l'Lgypte pleura ce patriarche pendant 70 jours; la cérémonie de ses funérailles du ra sept jours, enfin, ce qui est très-décirif, Moyse luimême parle du sabbat avant que la loi eut été donnée sur ie mont Sinaï, a 1'occasion de la manne qu'il veut que' 1'on recueille deux fois au sixième jour, paree qu'il ne devoit point en tomber le septième jour qui est le jour du sabbat (1). (1) Voyez la Geaèse , chapitre VII, vs. 2, 5, 4. 'o, 12; et chap. I, ts. 5, 10. Exon. chap. XVI et XXII, vs. Sc Basnage, livre VI, timp.: S, parag. 10. Aristote dit crue les Grecs ne donr.oient un nom  par ses usages. Liv. V. Ch. III. 511 Cette solemnité hebdomadaire est donc fort antérieure a Moyse, et son usage ne peut venir que des législations primitives; son objet avoit été de louer Dieu au retour de routes les phases de la lune, mais l'usage de pleurer a la fin des périodes avant que de se réjouir pour leur renouvellement, a dès les premier tems donné plus de célébrité a la partie funèbre qui est insensiblement devenue la partie essentielle de la fête; voila pourquoi le septième jour, comme fin de période, a été chez presque rous les peuples un jour beaucoup plus funèbre que de réjouissance. II ne faut donc plus être surpris que le nombre sept ait été si révéré de tous les apocalyptiques, et soit devenu le nombre fatal et chéri de tous les astrclogaes, sorciers et visionnaires. De la, comme on a vu, sont dérivées toutes les idéés sur les années ciimatériques; et tous les périodes multipliés par sept ont été regardés comme funestes aux hommes, aux empires, a 1'univers. Toutes ces folies ont eu pour base 1'idée lugubre attachée dans 1'origine au septième jour de la semaine , dans lequel on se rappelloit les malheurs passés du monde et ceux qu'on redoutoit encore pour lui; on éteignoit les feux, comme font encore les Juifs et les Cophtes : on allumoit les lampes sabbatiques, on prioit, on veilloit, on jeünoit dans 1'attente d'un juge exterminateur. Enfin on s'occupoitdu grand renouvellement qui consoloit les hommes de leurs maux présens par l'espérance d'une vie plus h leurs enfans que le septième jour après leur naissance, par ce que la plupart mouroient avant ce jour, et que par conséquent on ne pouvoit avant ce terme les compter au nombre (les vivans. Cette cérémonie se nommoit Ebdomée , et étoit accompagnée d'un festin. Voyez Aristot Uister, animal. lib. 7, cap. 12. J. Meursii Cracia feria la lib. III. V 4  511 L'Antiquité dévo'dée fortunée. Sr. Augustin appelle la vie future le Sabbat de i'éternlté. C'est avec plus de raison qu'il 1'appelle dans un autre endroit octave éternelle , paree que de son tems on avoit divisé la durée du monde en sept ages (i). XVII. II nous reste encore a parler des usages du période journalier , dans lesquels nous retrouverons visiblement les alternatives de rristesse et de joie que nous avons remarquées dans toutes les institutions anciennes. En effet, si nous examinons les prières périodiques et jcurnalieres que nous voyons établies chez tous les peuples de la terre , nous sentirons que les unes nous ramènent a la gaité et les autres nous rappellent des idéés tristes et lugubres. Toutes les fêres, comme on a vu, commencoient au coucher du soleil et s'annoncoient par un ton lugubre. L'uniformité de ces usages doit nous prouver de plus en plus qu'il fut un tems oüle coucher du soleil remplissoitles hommes de terreurs , et leur ftüsoit craindre d'être replongés dans les ténèbres et le monde dans la ruine; c'est une vérité sur laquelle nous reviendrons encore dans le livre suivant en parlant des efrets physiques du déluge ; les remarques que nous ferons serviront a nous expliquer 1'esprit de la plupart des usages religieux et journaliers des anciens et des rnodernes dans leurs liturgies sacrées. Les Payens, suivant Noël le Comte , sacrifioient aux dieux célestes le matin, aux dieux infernaux et aux Manes le soir. Les Romains, les Perses, les Sabiens , les Indiens saluoient le soleil levant. Les Bramines au lever de 1'aurore chantent un hymne en 1'hon- CO S. August. Confes. Kb, XIII, cap. 16,. Idem de CJvi'ate Del, ib, XXII j oap. 3o. I  par ses usages. Liv. V. Ch. LIL. 31 j neur d'un dieu qui vole dans les cieux, porté sur un char très-rapide; ce dieu combattit müle ans avec un crocodile , et le tua a 1'aide de (i) Vistnou. Qui estce qui ne voit pas dans ce dieu un Apollon vainqueur des exhalaisons pestiiérées de la terre après le déluge ? Ainsi dans cet usage des Bramines nous voyons sensiblemenr une commémoration des malheurs du monde; de plus ceci sert encore a nous expliquer les motifs de la vénération que tous les peuples ont eué pour 1'astre du jour , donc, comme nous avons vu , les chrétiens eux-mèmes ont eu de la peine a se défendre. On voit dans Job que c'est au point du jour que les justes attendront la visite et la consolation du seigneur ( 2). J_,e prophéte Isaïe dit que la désolation viendra le soir, et que les méohans ne verront plus le matin (3). L'esprit primitif des nations n'est point banni de la liturgie particulière de ï'église Romaine; on trouve de 1'allégresse et de la gaieté dans les prières consacrées au matin, et de la tristesse dans celles que 1'on récite le soir. Si cette observation se trouve quelquefois démentie, c'est que les heures oü 1'on récite aujourd'hui ces prières, ont été peu-a-peu déplacées, et que 1'on a insensiblernent oublié les intentions et les idéés primitives. Homère appelle le soleil levant la lumière sacrée du jour. Les Egyptiens saluoient les dieux dès le grand matin. Osiris , le plus grand de ces dieux, peut être regardé comme un soleil personnifié : ils avoient des offices réglés dans lesquels on célébroit sur-rour les victoires et les malheurs de ce dieu (4). Les Juifs doivent (1) Cérém. re'ig. torn» VI. (2) Job , chap. VII , vs. iS, (5) Isaïe, chap. VII, vs. 14. (4) Jablontki dérive le nom d'Osiris de deux mots Cophtes ou Egyptiens Orischiri, qui «ignifient celui qui fait le tems ou la cause du tems. JüiloKski Pancheen Egyptiorum , p. jji.  ?r4 L'Antiquité de'vollée faire la prière dès le moment que te soleil paroit sur 1'horison, eest, selon eux, 1'instant le plus favorable pour obtenir de Dieu ce qu'on lui demande ; les mauvais anges se taisent a cette heure-la ; ils pensent que les larmes du matin effacent les péchés ; ils bénissent Dieu d'avcir donné au coq 1'instinct pour distinguer la nuit du jour (i). Lactance dit que 1'occident et la nuit ont rapport du diable, a la mort, aux ténèbres, et que 1'orient et le jour ont rapport a Dieu, au ciel, a la vie érefrteüé (2). Dans la mythologie payenne Ia nuit est la plus ancienne des divinités; elle est fille du chaos, mère des dieux et des hommes , femme de 1'Érébe, ou de Ia noirceur, mère de I'Erher et du jour; elle est pareillement mère de 1'odieux destin, de la parque noire, du sommeil, des senges, de la mort ,' des craintes , de la douleur , de 1'envie, du travail, de la vieillesse , de la misère ; en un mot dans les idéés de la mythologie la nuit est regardée comme la source de tout ce qui est mauvais. Enfin chez tous les peuples la nuit a été un sujet d'effroi, et le retour du soleil un sujet d'allégresse. Le mot Francois jour ne pourroit-il point venir de jo-ur feu divin , divus ur ou Deus uranus , d"oü 1'on a pu faire diirnus ? Alors 1'expression de lumièrc sacree du jour dont Llomère s'est servi n'en sercit qu'une traduction fidéle. Quoiqu'il en soit, nous venons de voir que les usages du jour nous présentent, comme toutes les institutions andques , un mélange de chagrin et de plaisir occasionné par cette quiétude et cette espérance pour 1'avenir, que nous avons nommé esprit apocalyptique. C'est a (') Basnage , ]j>re VI, chap. 18. £•») Lactaut. iostit. drtiu. lib. II, eap. 10.  par ses usages. Liv. V. Ch. III. 31 $ cet esprit que j'ai attribué dans le cours de cet ouvrage une foule d'opinions vulgaires, d'usages civils et politiques , d'institutions religieuses, de facons de parler des anciens qui étoient souvent pour eux-mêmes des énigmes insolubles. Je n'ai point la présomption de croire que j'aie parfaiternent deviné, encore moins que j'aie tout expliqué \ j'ai souvent été ébloui par la multitude des objets que j'ai rencontrés dans une terre inconnue oü personne n'avoit encore abordé par la même route. Si je n'ai point également réussi dans mes recherches, j'espère qu'on pardonnera mon insuffisance, et que le lecteur me fera grace en faveur d'un rableau très-étendu que je lui ai présenté des usages et des opinions des hommes; tableau toujours intéressant pour le philosophe, qui tire son instruction également des erreurs et des vérités que I'histoire lui présente. Fin du Livre cinquieme.   L'ANTIQUITÉ DÉVOILÉE PAR SES USAGES. LIVRE SIXIÈME. Tableau des effets physiques et moraux du déluge. CHAPITRE PREMIER. Du déluge, ou de la révolution universelle qui a changé la face primitive de notre globe, et des effets physiques qu'elle a produits sur la terre. I. d\. pres avoir parcouru dans les livres qui précédent les usages de presque tous les peuples de la terre -, après avoir fair voir que leurs cérémonies, leurs fêtes, leuts mystères, ainsi que la plupart de leuts opinions, avoient pour base des idéés funèbres et lugubtes , il faut maintenant examiner le grand événement qui a fait naitre toutes ces idéés : nous devons le regarder comme la source féconde de toutes les institutions humaines , dont un grand nombre , quoique altérées , corrompues et diversement modifïées, se sont trans-  3 18 L'Antiquité dévolléc mises jusqu'a nous, et dont plusieurs, selon les apparences , passeront a la postérité la plus reculée. Ce terrible événement nest autre chose que le déluge ; nous avons vu sa mémoire conservée chez routes les nations du monde, et le naturaliste ttouve ses ravages écrits en caracrères lisibles et ineffacables sur toutes les parties de notre globe. Le nom que les anciens Orientaux donnoient a la catasttophe effrayante que nous nommons déluge, est Mabul ou Manlui: on comprendra mieux ce que ce mot signifie , lorsquou saura qu'il est dérivé de Nebe> vase ou vaisseau propre a verser de 1'eau ( i ). C'est de ce nom que les Orientaux ont employé a leur ordinaire dans un sens allégorique, que les Occidentaux ont formé celui deNephelaï qm signifie nuages ou nuées en grec , celui de nebula , et que nous nommons en francais un tems nébuléux. Chez les allemands le mot nebel signifie un brouillard. Au tems du déluge 1'atmosphère dut sans doute être chargée de nuages épais qui enveloppèrent la terre de ténèbres, qui avertirent les nations du sort qui les menacoit, et qui détruisirent ensuite les hommes consternés par les torrens de pluie dont leut séjour fut inondé. Telle est 1'idée que les tradidons hébrai'ques nous donnent en effet du déluge; elles nous présentent toutes les bouches ou catatactes du ciel ouvertes, et cette catastrophe précèdée de la rupture des réservoirs de 1'abyme qui contribua a grossir les eaux. C'est-la a-peu-près 1'idée que 1'on se forme du déluge; mais ce tableau, tout effrayant qu'il est, le devient encore bien plus lorsqu'on fait attention a une autre anecdote de I'histoire des Hébreux et (1) Dilui iam, ir.undatio , v.tsr, la^rna , nibeleie , pluvice, Nabal t earfcre, th-jluere.  par ses usages. Liv. VI. Ch. I. -1 et le déluge n'a-t-il été que la suite d'une révolution qui s'est fait semirdans tout le systéme de 1'univers ? Tous ces sentimens ont quelque chose de piau- (0 Gcnése, chap. 7, Ys. n , chap. 8. t*. aa.  3 io L'Antiquité dévoilée sibles; mais il y auroit de 1'imprudence a rien assurer positivement (i). Quoiqu'il en soit, les divers fiéaux dont Dieu promet a Noé que la terre sera délivrée par la suite, prouvent quau tems du déluge la nature fut dans un désordre total et dans une effervescence extraordinaire. Quel qu'en ait été la cause, on peut encore, sans se rromper, attribuer une partie considérable de ces désastres a la mer irritée et sortie de ses bornes ordinaires; les forces qui produisent actuellement ce balancement tempéré et toujours réglé des mers , par lequel elles sont tantot portées sur nos rivages et tantór repousséesj'ces mêmes forces , dis-je, augmentées ou dérangées, ont suffi pour submerger les continens ; la nature troublée a pu élever alors ses eaux a une hauteur beaucoup plus grande que celle que nous voyons dans les plus fortes marées. Ainsi toutes les mers ont pu en un instant être jettées sur nos continens , et détruire en un clin d'ceil les nations; elles ont pu ensuite être ramenées dans leurs bassins accoutumés pour être reportées de nouveau sulles terres a qui elles ont livré des assauts fréquens et téitérés. Par-la les eaux ont pu changer la surface géographique du globe terrestre , former de nouvelles vallées, déchirer des chaines de montagnes , creuser de nouveaux golfes, renverser les anciennes hauteurs, en élever de nouvelles, et couvrir Tanden monde de sable, de fange et d'autres substances que leur agitation extraordinaire les mettoit en état de charrier. Les tra- (1) Les tradition) dn regne d'Ogygés , sous lequel est arrivé Ie déluge de Béotie, portent qu'il y eut de son tems des changeinens confidéraliles dans la planète de Vénus; qu'elle changea de couleur, d» grandeur, de ligure et de cours. S. Augustin , de Civitate Vei, rapporle ces faits d'après Varron. D'autres ont attribue le déluge a 1'inc'inaison «urvenue aux polos de la terre , etc. ditions  par ses usages. Liv. VL. Ch. I. ii% ditions d'accord en cela avec tous les monumens naturels j^stifient ce que nous disons de ces révolutions (i). A ces phénomènes nous devons encore joindre les tremblemens de terre qui ont du faire sortir du sein de la terre des sources capables de grossir les eaux. Tous les continens ont été ébranlés par la mème secousse qui agitoit et soulevoit les Hots; les coaches de la terre furent tantót aftaissées et tantot éïeyées violemment suivant les mêmes drie-.tions qui arfaissoient et soulevoient les eaux de la mer, a la fin ces couches se sont brisées et ont donné passage aux eaux souter raines ; la croute de la terre , semblable a une voute antique, fut forcée d'écrouler sur elle-même, et produisit des montagnes dans quelques endroits, des vailées, des lacs, des mers en d'autres. L'homme ne vit alors que la mort de toutes parts; la terre se déroboit sous ses pieds : il invoquoit le ciel qu'il ne voyoit plus ; il erroit dans 1'obscurité sur les débris de sa demeurey et tous les élémens conjurés ne lui présentoient que le ttépas. Le feu vint encore joindre ses fureurs a toutes ces éttanges convulsions, il sort du sein de la terre, un bruit arfreux annonce ses elforts, il éclate au travers des montagnes et des plaines. Des volcans allumés en mille endroits vomissent a la fois de 1'eau, du feu * (1) Selon les C.iraibes , c'est le déluge qui a produit les mornes, les falaises, les escarpemens, les écueils que Ton voit daus leurs isles qui out été sèparées de la terre ferme. Ces notions d'un peup'e sauvage sont trés.remarquabies et pourroicut apprcndre a des peuples ptns instruiti que c'est pareilleineni le déluge qui a produit les sêparations visibïes de plusieurs parties du continent qu'ils liabitent. VoyezIesOein.es phy«iques de Lehmaun , prefaee du Ille. volume , at voyages de la Dorde, p- 6 et 7. Tome II. X  4 21 L' dntiquité dêvoilée des rivières embrasées et des torrens de lave qui consument ce que les eaux ont respecté. Les exhalaisons et les fumées sorties de ces fournaises infectent 1'air et detruisent les nations que les secousses et les ravages de la nature avoient épargnées jusques-la; ïeSk s'épaissit et ne devient plus qu un brouillard sulphureux; une noire fumée remplit tout l'atmosphère; le soleil n'existe plus sur la terre, tout contribue a lui dérober sa lumière secourable; une nuit vaste règne sur le monde ruiné, il n'est éclairé par intervalles que par les embrasemcns afrreux qui montrent a 1'homme égaré toutes les horreurs qui 1'entourent (i). II. II faüt de nouveaux malheurs a la terre pour lui rendre les rayons du soleil interceptés par ia fumée èt .par les'vapeurs malfaisantes qui l'environnent. II faut que l'atmosphère se putifie, cet effet est produit par les nuages qui töuchent a la terre; ils se résolvént en pluie, des torrens continuels tombent du ciel et sillonnent les nouveaux continens depuis leurs sommets jusqu'aux rivages de la mer_, ils s'ouvrent un passage au travers des débris et des cendres que les tremblemens de terre et les incendies ont amoncelés; ils rompent les digues de sable et de vase que la mer avoit formées; et lorsqu'ils ne trouvent plus d'issue, leurs eaux se rassemblent et forment de nouveaux lacs. Les anciens débris sonr par-la ensevelis sous de nouvelles ruines; les eaux lavent et dépouillent les sommets des rochers et des montagnes, qui depuis ce tems sont demenrés arides et incapables dèproduire; le limon, la fange et les eaux sont porrés dans les lieux les (i) Les tiadi'ions du déluge d'Orrysés font nienpon d'une nuit qut dura neuf mois. Pour p?n qae 1'on rnnsidère 1'Aicliipel, on vcrraqué les iales qui le composnit oiit i-téfoimées par des volcans, dont quelques-uns subsistent encore. Sclinus , cap. XVII.  par ses usages. Liv. VÏ. Ch. L. plus bas, dont ils font des marais; ceux-ci formeront au bout des siècles des plaines fcrtiles pour des races futures (i). Ainsi la chüte des eaux éclaircit peu-a-peu 1'atmosphère et fait disparoitre cette cbscurité quï couvroic 1'univers; l'espérance de recevoir la lumière peur déja rentrer dans le cccur des mortels; ils commencent a entrevoir les débris qui les environnent; mais bientón la nuit vient les replonger dans les ténèbres et dans le désespoir; ayant perdu 1'habirude des alternatives régulières du jour et de la nuit, cette nouvelle cbscurité a droit d'allarmer les hommes qui avoient presque oublié le soleil banni depuis si long tems de leur triste atmosphère ; peut-être 1'avoient-ils cru détruit Comme leur demeure; cependant le lendemain cet astre recommence sa carrière, et lance une lumière foible sur la terre convertie en solitude : le globe a repris son mouvement de rotation; c'est lui qui produit cette succession réglée du jour et de la nuk. Alors 1'homme connoit 1'étendue des maux que sa demeure a soufferts pendant 1'obscurité; qui pourroit entreprendre de peindre ses premières sensations a la vue du désordre qu'il voit régner par-tout ? oü prendre les couleurs propres a représenter les idéés de ceux qui eurent le triste bonheur de survivre au monde détruit; nos yeux, accoutumés a une nature tranquille et régulière, ne peuvent rien fournir qui approche de ce tableau, et notre imagination ne peut nous retraaer (1) Dans les languos oriëntale», Vhaëton signifie bouclé de fournaise; les larmes des Hé'iales , ses sosurs, Kïles dn solei' comme lui, sont sans doure , dans Ie stile allégeriqüe de ia fable , les pluies qji éicugnent les Hammes et qui rabatte»t 'es Tapeurs causées par !es euibi-ise«nens souterrains. Oi trouvera toutes les descriptions qne njus \er.ons ie faire dans Ovide. Metam. lib. II, fab, 2 et 4. X x  L'Antiquité dévoilée les pensées qui durent s'élever dans des ames accablées par i'inquiétude, la crainte et la douleiiri elle ne peut nous montrer que foiblement les traits de ces infortunés engourdis par la misère, exténués par le besoin et égarés par la terreur. Rendus stupides par 1'infortune, ils n'attendoient que leur anéantissement; a peine leur restoit-il des forces pour sentir tous leurs maux (i). Ce sont la les traits sous lesquels Ovide et Séneque nous peignent le rableau physique et moral du déluge: ils nous représentent les hommes assemblés aux sommets des montagnes, timides, éperdus, stupides et devenus insensibles a fotce de calamités. Cependant les vapeurs commencent a. se condenset par l'action insensible du soleil, et les nuages qui étoient descendus jusques sut Ia sutface de la terre, et qui se confondoient avec les eaux dont elle étoit (i) Rien n'est plui conforme ó ce qui Went d'être dit que la descriptien que fait Ovide du déluge de Deucajion. Metam. lib. I, fair. i, « 7. lib. II , fab. 1. Redditus orbis erat, tjuem postquam -vidit inanem , fis dfs'datas agere alta silentia terras Deucalion , etc. Metam. Lib. I, Fab. 7. tl est bon de remarquer que les expressions iïinanis et de desrdat* que le poëte emploie pour pcindre 1'état de la terre, sont fidèleinent tralniles du Tohu et Rohu du second verset du pteinier chapitre de la Genèse ; expressions dont Jéiéuaie s'est encore servi pour peindre Ia dé* solation future de la Judée, cha . IV , vs. aa. Dans la Cosmogonie cle Sanchoniaion , ce Rohu se trouve personuifié sous Ie nom de Raau f qne les Grecs ont traduit par nuit. On en a fait Ia mère des deux premiers hommes , que 1'auteur appelle premier né et la -vie ; généalogie mètaphysique et r'dicule , qui montre de plus en plus que les Cosmogonies er les Théogpnies de la plupart des peuples , ainsi que lenr chaos et leurs géans , ne sou. que des peintures a'tèrèes de Ia grande révolution dont' nous parions iet'. Kuseb. pr¶t. evan. lib. I, cap. 10. Seaec* qua>st. natur. lib. III.  par ses usages. Liv. VI. Ch. I. $tf couverte , s'élèvent insensiblement, et vont occuper la région de 1'air oü nous les voyons aujourd'hui suspendus. L'atmosphère débarrassée laisse appercevoir au löin la nouvelle disposition de la terre, dont les eaux prennent un cours suivanr la pente naturelle des nouveaux terreins , et vont se rendre dans les nouveaux bassins que le désordre leur a creusés en différens en-droits; la elles forment des marais, des lacs, des mers. S'il existe quelques portions de la première terre, on y découvre encore de nos jours les restes de ses anciennes productions; on y trouve des forêts renversées et enfouies, dont la résine ou le bitume devenus solides forment des mines de charbon de terre; on y voit dans les couches de limon durci qui les couvrent des empreintes de végétaux souvent parfaitemént reconnoissables; et dans d'autres nous rrouvons les restes de créatures animées qui furent alors enSevelies sous des couches immenses de boue, de fange , de sable , oü ils nous attestent la catastrophe rerrible qui a porté dans la terre ce qui étoit jadis a sa surface. III. La surface de la terre fut sans doute long-tems a se dessécher mème après 1'écoulement des eaux; de plus des continens échauffés par les feux sourerrains dürent long-tems exhaler en quelques endroits une quantité de vapeurs humides que la chaleur fit sortir des dépóts fangeux dont la terre étoit restée couverte; elles contribuèrent éhcore long-tems a former des brouilIards qui rendirent le séjour de 1'homme nébuleux et malsain; elles perpétuèrent les pluies, entretinrent 1'humidité sur la terre, et empêchèient le soleil de se niontrer a découverr sur 1'horison ; malgré la régularité des jours et des nuits, la lumière que donnoit cet astre dut cominuer a être foible et semblable a celle X 3  316 L'Antiquité dévoitée de nos plus tristes jours d'hiver; la nuit pareillement privée de la lumière douce de la lune et des étoiles, couvrit long-tems les yeux des mortels d'un voile sombre et impénétrable. Mais enfin ce nuage universel et ces sombres vapeurs commencèrent a se dissiper, les nuages se divisèrent, et ces épaisseurs solides donnèrent passage aux rayons de la lumière; alors le soleil se montra a la terre, elle en fat réchauffée; route la nature sembla respirer et renaitre. Quelle dut être la joie et la surprise de 1'homme, jusques-la condamné a une lumière triste et ténébreuse, a la vue de 1'astre brillant qu'il avoit long-tems cru totalement éteint pour lui ! A la faveur de la sérénité rendue au ciel, la nuit parvint enfin a jouir de cecre lumière douce et paisible que la lune nous réfléchit, et le brillant cortège des étoiles étincella dans le firmament. Les nuages ne furent pas plutót dissipés en tout ou en partie , que tous les êtres engourdis qui avoient survécu au désastre universel se sentirent ranimés. Les habitans des eaux, sans sortir de leur élément, avoient pourrant partagé le malheur général; une partie avoit été brisée par les tempetes, biulée par les feux souterrains, étouflée dans les bitumes et les vases, et ensevelie dans les sables et les fanges; senrant la chalc-ur douce du soleil et la tranquiilité rendue a leur élément, ils éprouvèrent les premiers les bienfaits de la nature renouvellée. Dans les eaux chargées des débris du monde les poissons trouvèrenr une subsistance facile, qui fut long-tems refasée aux premières générations de toutes les autres espèces d'animaux. Les habitans de fair ne tardèrent pas non plus a reparökre : lak devenu plus pur leur permit de chercher leur nourriture, et a la vue de 1'astre du jour ils  par ses usages. Liv. VI. Ch. I. ixj recommencèrent leurs chants. L'eau et 1'air repeuplèrent ainsi les premiers, 1'une offroit une subsistance abondante, et 1'autre un passage facile. II n'en étoit pas ainsi de la terre et des animaux attachés a ce séjour, alors couvert de sable , de fange et de boue. II falloit qu'elle se desséchat tout-a-fait pour que les animaux échappés se répandissent. Ils se tinrent d'abord sur des rochers et sur des sommets de montagnes stériles; ils furent réduits a se repa'irre de routes les substances terrestres, fiuviatiles et maritimes que les eaux avoient dispersées; ils vécurent de racines, de plantes desséchées, de poissons et d'animaux souvent corrompus; ils cherchèrent sur-tout les aspects oü la chaleur du soleil pouvoit, en les réchauffant, rétablir leurs forces abattues. La destruction de tout ce qui marche ou qui rampe sur la terre avoit été terrible; cependant beaucoup d'arbres et de plantes ont pu résister au mouvement des eaux ; les torrens et les rnarées avoient aisément balayé tout ce qui ne tenoit point au sol de la terre; il n'en resta sans doute que la petite quantité que différens hazards portèrent sur les sommets de quelques contrées élevées; aussi doit-on présumer que la terre fut bien plutór ornée de fotêts et de verdure que de créatures vivantes; car si, lors de la destruction, la plus grande partie de ces créatures fut ensevelie sous les ruines du monde, combien la misère des ten s qui survinrent dut-elle en moissonner parmi le petit nombre qui avoit pu se sauver. Le séjour de la terre, long-tems après que le calme eut été rendu a la nature, dut être le séjour de la maladie , de la conragion et du deuil. La terre se couvrit donc d'abotd de verdure et de forèts , et ces forèts se remplirent peu-a-peu d'animaux. Les hommes, les plus malheureux de tous les êtres X 4  328 L''Antiquitéiévoilét dans ces tristes révolutions, furent les derniers a sortir des antres et des retraites élevées oü ils s'étoient refugiés ; ce ne fut que trop tatd qu'ils purent descendte des rochers er des hauteurs qui leur avoient setvi d'azile. Lorsque la tetre fut devenue plus solide, le besoin les forca de suivre les traces des animaux, et de cherchet leut subsistance avec eux. La splendeur .du soleil pouvoit seule les tirer de 1'engourdissement de leur ame; cet astte y fit tenaitre quelques sensations de plaisir; il les guida oü leurs besoins les appelloient, il dessécha leur demeure-, quelle dut être leur inquiétude lorsqu'ils le virent caché par des nuages, ou la première fois qu'ils le virent se coucher ! quelle étoit leut joie a son retour, et leur tristesse périodique toutes les fois qu'ils le croyoient quitter 1'horison ! Sans le soleil, ces hommes infortunés eussent sans doute succomhé sous le poids de leuts chagrins, la tette n'eüt été pour eux qu'une source de larmes, et leur reconnoissance pour cet astre secourable dut augmenter a mesure que le rems leur fit connoitre les biens que sa chaleur er sa lumière leur procuroient. IV. Tel est le tableau le plus naturel et le plus vrai que 1'on puisse se forrner du déluge er de ses suites immédiates. Pour le composer je n'ai point été consulter ni 1'imagination, ni la poésie qui se sont si souvent exercées sur ce grand sujet, sans ordre , sans méthode et sans principes; j'ai profité simplement des détails les plus vraisemblables qui nous ont été transmis par des traditions historiques et allégoriques de tous les peuples divets; j'ai puisé les caractères essentiels et 1'ordre des différens évènemens qui ont accompagné ou suivi cette grande catastrophe, de 1'examen que nous avons fait dans les livres précédens des usages «t de 1'esptit des usages. De plus , autant qu'il m'a  par ses usages. Liv. VL. Ch. I. 319 été possible, j'ai confronté ces traditions avec les monumens physiques sur lesquels les révolutions de la nature sont encore gravées en caractères ineffacables. J'ai éclairci ces monumens par les traditions, et j'ai consulté la nature dans ses opérarions simples et ordinaires peur juger de ce qu'elle a pu faire dans des tems de crise et d'horreurs persuadé qu'elle étoit alors sujette aux mêmes loix. Je n'ai regardé la chüte, 1'éruption et le cours des eaux que comme un des derniers actes de la destruction qui arriva alors, quel qu'en ait été le premier agent physique que 1'homme chercheroit toujours vainement a connoitre. Les traditions, les allégories , les usages commémoratifs, les différentes cosmogonies que je n'ai pas négligé de consulter, présentent toutes également une terre détruite par le feu et par 1'eau. II semble que la diversité des traditions n'ait eu d'autres sources que la diversité des contrées que les peuples habitoient: les pays montueux et élevés ont plus souffert du feu , les régions moyennes et basses ont plus souffert des eaux; des nations ont été étoufrées dans les Hammes et les vapeurs d'un incendie, d'autres ont été submergées er ensevelies dans la fange. Cette diversité d'anecdotes semble faire entrevoir qu'il y a eu dans différentes contrées du monde des hommes qui ont survécu a ces divers accidens, ce qui est fort contraire a la tradition des Juifs adoptée par les Chrétiens, qui font descendre tous les habitans de la terre actuelle de celui qui fut sauvé du déluge dont Moyse a parlé. S'il y a quelque moyen de résoudre ce grand problême, cè ne sera qu'en exanainant les diverses ttaditions diluviennes, qui semblent dans plusieurs contrées porter avec elles des détails propres a la disposition physique de ces mêmes con-  )$0 Z' Antiquité dévo'dée trées; ce ne sera .qu'en examinant les traditions quj dbnnent sur les suites physiques et morales de ce grand événement les détails les plus conformes a la vraie nature des choses; ce sera en jetrant les yeux sur les différentes esptces d'hommes blancs, noirs, rouges, olivatres, &c. qui semblent ne pouvoir avoir eu Noé pour père commun; ce sera en considérant le texte, 1'esprit et le caractère des annales 'hébraïques dans lesquelles le plus souvent 1'expression toute- la terre n'est qu'emphatique, et ne désigne que route une couerée particulière relle que 1'Egypte, la Judee, la Syrië, &zc. Ce sera en faisant cette autre remarqué que 1'unité d'un seul Noë et d'une familie ne forme point un dogme si capital au christianisme même que 1'unité d'un Adam. C'est ce dernier seul qui est la source du pêché originel et la première pierre de l'édiiïce de la religion actuelle. D'un autre cóté il n'est point écrit dans les annales sacrées des Hébreux que toutes les hautes montagnes qui sont sous le ciel furent sans exesption couvertes par les eaux et surpassées de quinze. coadées; il est vrai que cela est ainsi énoncé, non en Francois ou en Anglois, ou dans une langue exacte perfect;onnée, mais en Hébreu, c'est-a-dire dans une langue peu correcte et fort éloignée de la précision , dans une langue remplie de 1'emphase si naurelle aux orientaux. La Chine s'appelle encore aujourd'hui Thienckia, nom qui signifie tout ce qui est sous le ciel; lorsque nous lirons dans I'histoire chinoise rendue en notre langue qu'en 1644 les Tartares envahirent toute la Chine, le texte oriental porte que l'année vingt et unieme du cycle soixante-sept les Tartares ont envahi et déaolé tout ce qui est sous le ciel: faut-il de-la condurg  par ses usages. Liv. VL. Ch. L. 331 que 'ces Tartares ont réellement envahi les quatre parties du monde. (1) ? De plus , quoiqu'il soit écrit, et quoiqu'il puisse êtte vrai que les eaux onr surpasié de hautes montagnes , le texte ne dit point, comme la tradition franchise , toutes les plus hautes montagnes; les haures montagnes dont parle le texte de la bible ne désignent point que la tetre entière eüt été en même tems couverte d'une couche qui ia stupasscit de quinze coudées dans toutes ses parties; dans quelques endroits les eaux ont pu en effet surmonter certains sommets par 1'effet d'un flux et d'un teflux violent: mais alors des lieux ttès-bas pouvoient être découverts lorsque des lieux très-hauts pouvoient être inondés. Dans d'autres endroits 1'élasticité des couches de la terre a pu plonger des portions de continens sous les eaux et les en faire sortir a diverses reprises, lorsque les forces élastiques ent eu assez de forces pour cela. Ailleurs les couches ayanr éré rompues, les continens ont été noyés en se précipirant sous les eaux avec leurs montagnes et leurs valiées.; leur ressort détruit par la violence de leur chüte ne leur a point permis de reprendre leur état naturel; les eaux voisines alors en déchargeant d'autres contrées y sonr accourues er ont formé des lacs, ou même de nouvelles mers dans ces tristes contrées, dans lesquelles on peut dire que Ie déluge dure encore. lüen n'est plus singulier que les sentimens étranges, extrémes et dénués de vraisemblance que 1'on a eu sut le déluge; les uns n'ont vu que des eaux qui se sont accumulées en peu de mois au point d'envelopper la terre entière d'une mer universelle dans laquelle on ne voyoit plus ni la moindre isle ni le plus peat ro- (!) Du Kalde, hist. de ia Chine, tome I, p. g5.  331 LAntiquité dévoilée cher, ni Ie moindre sommet de montagne. Un déluge universel concu de cette facon porte nécessairement avec lui 1'idée d'une destruction universelle pour, toutes les créatures; mais ceux qui 1'ont ainsi imaginé ne se Sont point embarrassés de chercher d'oü ils pouvoient faire venir un volume d'eau assez énorme pour submerger a la fin toutes les parties d'un.globe tel que celui de la terre, ils ne se sont pas plus occupés du aoïn de faire disparoïtre cette masse d'eau. D'autres ont presque nié le déluge , et ils 1'ont rélégué dans la seule Judée ou dans 1'Egypte: effrayés par le mot <£universd qu'on donne a cet événement, sans en •comptendre le sens, ils ont rejettê tous les monumens de la nature qui reclamenr dans toutes les contrées de la terre en faveur de 1'universalité d'une révolution physique, paree qu'ils ont vu que 1'universaËté d'une révolution par rapport a la rerre, entrainoit aussi 1'universalité de destruction par rapport a 1'homme; ce sont pourtant deux choses bien différentes: il a pu se fiire que la terre ait été bouleversée er ravagée dans toutes les parties de sa surface, sans que cela empêche qu'il n'y air eu en différens climats des hommes échappés au malheur général de leur demeure. Le déluge envisagé avec des yeux raisonnables et physiciens , a pu être un événement univeisel, sans qu'il en soit résulré une mer universelle ou une destruction générale de routes les créatures. Je ne décide pourtant point ce ptoblême, je ne le propose point non plus dans la vue de rendre cet événement redoutable; j'agitois contre les principes que j'ai posés dans mon ouvrage, dans lequel pn voit partout les impressions funestes et unanimes causées pat la destruction du monde, d'une manière qui a peut-être été méconnue des gens les plus persuadés de 1'universalité,  par ses usages. Liv. VI. Ch. L. 3 3 3 littérale et continue du déluge. Qu'il ne se soit sauvé qu'une seule familie en un seul endroit de 1'Arménie, ou qu'il s'en soit sauvé cent en cent différens endroits, il n'en est pas moins vrai que le genre humain a été détruit, et que ses testes ont été misérablemenr dispersés; que les hommes ont été les plus malheureux des êtres; que les premières générations ont été longtems misérables; et que toutes les nations présentes ne doivent leur origine qu'au très-petit nombre de ces inforrunées créatures qui onr échappé aux révolutions de notre globe. Mais d'un autre coté il n'est pas moins vrai aussi que cet événement, tout grand qu'il est par lui-même , a éré chargé chez divers peuples d'une foule d'incidens merveilleux inventés tour-a-tcur par la vanité et par 1'oubli de 1'antiquité. II faut donc nécessairemenr consulter la nature et la raison pour s'en former une idéé convenable et dégagée de fables. Quel qu'ait été le nombre de ceux qui ont survécu aux ravages de 1'eau et du feu , même parmi ceux-ci il n'a dü y avoir qu'un très-petit nombre qui a pu survivre a la misère , a la faim, aux maladies, aux exhalaisons dangereuses qui ont été les suites naturelles et néces^ saires de la révolution générale (1). V. On seroit sans doute curieux de connoitre pat quel hazard les hommes et les bêtes , quelqu'ait été : leur nombre, ont pu échapper a ce bouleversement et • se tirer de 1'horrible chaos des élémens irrités , déchaïnés er presque confondus : en effer rien n'a été plus difficile si cet événement a surpris subitem ent les nations; (1) OYide dit : Maxima pars undd rapimr, quibut ttnda pepercis lllos leaga. domr.nl inopi jejunia i'ictu. Metan?. Lib. I, Tab. 6.  3 $4 L'Antiquité dévollée mais rien n'est subit dans la nature: si les moindrea tempêtes sont annoncées plusieurs jours d'avance, la destruction du monde a dü être annoncée plusieurs années par des chaleurs , par des météores, en un mot pat une infinité de phénomènes. II paroit par les traditions hébraïques que la terre étoit déja une terre maudite et misérable six cents ans avant le déluge; que i o ans auparavant on prévit la tuine de la nature, et que 1'on dut se précautionner, soir en allant-habiter des contrées élevées pour se dérober aux inondations , soit des contrées maritimes pour être a ponée de s'ernbarquer (i). II paroit pat les ttaditions universelles et pat une multitude de détails que les montagnes furent surtout les asiles des hommes (2). C'est vers les fiauteurs qu'ils ont élevé les yeux, soit pour sy réfugier d'avance , soit pour y aller échouer; mais ce dernier moyen de se sauver a dü être le plus rare et la plus liazardeux. Si ce sont les mers qui ont d'abord inondé les continens par une marée déréglée, les vaisseaux ne pouvoient que se briser contre les hauteurs par le choc des flots tumultueux ; si ce sont les eaux de pluie au contraire , elles ont dü d'abord faire déborder les rivieres , remplir les valiées oü elles couloient et entrainer tout ce qui surnageoit, non sur les hauteurs d'oü les eaux descendcient, ce qui seroit contre nature, mais vers les pleines mers oü les vaisseaux et ceux qui les montoient ont dü périr de facon ou d'autre. Enfin sur cet élément il devoit y avoir mille chemins a la mort et a peine un ou deux a la vie. Je ne sais si je dois nommer heureux ou malheureux ceux qui furent jettés (1) Genè$e, rhap. V, v». 21, rt VT, vs. 5. (2) ïngressi simt nrdiui et ascenderunt rupes } um'versaB urbes derelictte sunt. Jérémie. ch. IV. vs. 29.  par ses usages. Liv. VI. Ch. I. jjj sur quelques rochers, mais on ne peut nier qu'il n'y air eu des hommes qui aient trouvé cette ressource, et que les hauteurs et les montagnes n'ayent été en général ls refuge des restes du genre humain. Le culte des montagnes dont nous avons parlé en plus d'un endroit, paroit un mouvement de la reconnoissance que les hommes conservèrent pour les endroits qui sauvèrent leurs ancétres. VI. Si I'histoire pouvoit pénétrer dans les premières annales du monde renouvellé , elle nous marquèróist avec plus de précision les contrées qui ont servi d'asile et de berceau aux premières sociétés; ce qu'on remarqué, c'est que toutes les anciennes nations ont été jalouses de leur origine particuliere; elles ne vouloient se rien devoir les unes aux autres , elles prétendirent toutes aux titres d'Autochtones , d'Aborigines 3 d'Iniigènes, d'Enfans de la terre, dont on s'est sans doute servi pour désigner les peuplades composées du perk nombre de ceux qui dans chaque contrée échappèrent aux calamirés du deluge, et que 1'on opposa aux nations établies par colonies, qui avoient formé des établissemens ailleurs que les endroits oü le déluge le* avoit d'abord rassemblées. Cependant on peut juger des prétentions que les nations ont i Tantiquité par la nature du continent et du sol qu'elles habitent. Le vaste continent de 1'Asie dans lequel il y a des régions fort éloignées de la mer , de grands déserts dénués de rivières et de fleuves, enfin des contrées fort élevées, a pu avoit plusieurs nations qui pouvoient être appellées Autochtones; mais il faut les chercher vers les sommers da Songari, d'oü les Chinois et les Tartarês descendent; dans les hautes montagnes du Thibet et de Cachemire* d'oü les Indiens sont venus; dans les hauteurs du mont Taurus et du Cauease, d'oü les Chaldéens, les Hé-  L' Antiquité dévollée breux, les Phrygiens doivent tirer leur origine. Le titre d'Autochtones ou d'originaires, n'a dü convenir qu'i un très-petit nombre de nations Européennes; 1'Europe est la plus petite des quatre parties du monde; elles est découpée par de grands fleuves , des golphes , des mers; cependant cette chaine de montagnes qui la traverse depuis 1'Espagne jusqu'en Russie a dü offrir différens asiles aux nations dans le tems de la révolution générale. Les pyrénées, les Alpes 3 1'Apennin et autres rameaux de ces montagnes ont pu avoir leurs Autochtones. L'Afrique, moins grande que 1'Asie, mais plus grande et plus aride que 1'Europe et formant un continent moins découpé, a dü avoir ses Autochtones dans le centte de son continent et aux sommets des montagnes d'Ethiopie et d'Abyssinie. Par la nature du sol de 1'Egypte et de 1'Ethiopie, il est aisé de juger lesquels des habitans de ces deux contrées avoient le plus de droit a la haute antiquité qu'ils revendiquoient également ; elle appartenoit sans doute a 1'Ethiopie, région hautè, et non a 1'Egypte, région base et marécageuse. On dok de même oter le titre d'Autochtones a tous les peuples j^ue I'histoire nous montre établis dans de grandes piaincs et sur les bords des grands fleuves, tels que l'Euphrate, 1'Indus, le Gange, 1'Hoangho, le Pó, etc, quoiqu'on y voie ces peuples établis dès les premiers tems connus de I'histoire , ces contrées fertiles aujourd'hui depuis qu'elles ont été habkées , n'ont dü être pendant une longue suite de siècles , que des bourbiers fangeux et des marais inhabitables. C'est le tems et le travail des hommes qui ont fait des séjours agréables de la basse Egypte, de la Béotie, de la Thessalie, de 1'Acadie , de 1'Asie mineure , de la Mésopotanne , des rives de 1 Indus et du Gange, et des provinces inférieures de la Chine. L'histoire justitie ce que nous avancons. Pler- cule  par sas usages. Liv. FI. Ch. I. j\j cule, suivant Diodore, dessécha la Thessalie en redressant le cours du Pénée , il fit la même chose pour la contrée qu'arrose le fieuve Achéloüs. Suivant Strabon 1'Araxe ne formoit qu'un grand lac en Arménie, que Jason déboucha en ouvrant des montagnes, ce qui fit que ce fieuve se déchargea dans la mer Caspienne. La Béotie fut inhabitable 190 ans après Ogygès. Dans Diodore les Ethiopiens assurent que les Egyptiens sont une de leuts colonies, fondés sur ce que le sol d'Egypte n'étoit primitivement qu'une mer; en effet I'histoire < d'Egypte nous représente Osiris redressant le cours du Nil , desséchant les campagnes , creusant des canaux et formant des digues pour rendre le pays habirable. Hérodote parle sur le même ton, et dit que toute la ! basse Egypte n'avoit éré qu'une mer ou un marais jusqu'a Ménès qui règnoit a Thèbes dans la haute ! Egypte, seule habirable de son tems. C'est de da que les Ioniens, pour se moquer des antiquités Egyptiennes, demandoient aux Egyptiens ou ils étoient lorsqu il n'y i avoit point d'Egypte ? Enfin il paroir que la Grèce Ifut totalement déserte, inculte et dépeuplée plus de trois siècles après le déluge de Deucalion. Eurotas , troisième roi de Sparte, trouva encore Ie plat pays de Laconie inondé et marécageux, et pour le dessécher il fit creuser le lit du fieuve qui porte son nom (t). L'Amérique a pu avoir égalemenr ses Autochtones, mais elle n'en a poinr eu une quantité aussi grande relativement a son étendue; quoique cette vaste partie du monde contienne les montagnes les plus élevées que 1 1'on connoisse, elles sont encore presque toutes des (ï)Diodor. lib. I, parag. I, cap. 5; lib. IIJ, cap. 2; lib. IV. He- rodot. lib. II. Strabo , lib. XI. Pau.saji .as, lib. III. cap. 1. Act» Krudit. j Lipsiens. anno 1691 t p. 100. lome IL y  5 3 S L'Antiquité dèvoilée volcans et des fournaises. D'ailleurs 1'Amérique est découpée et traversée par des fleuves dont le cours est si immense et dont les rameaux s'étendent si loin, que 1'on peut regarder les vastes pleines de 1'Amazone, de 1'Orénoque , du Paraguai er de la Louisiane comme des golphes a peine desséchés. Le Canada est si rempli de lacs, qu'une grande partie de cëtte contrée peut encore être regardée comme inondé par le déluge. De plus les habitans qu'on a trouvés en Amérique sont dans un état qui indique qu'il n'y a eu dans cette partie du monde que très-peu d'hommes qui aienr eu le bonheur d'échapper aux malheurs de la nature : cette contrée n'a point eu le tems de se repeupler autant que d'autres ; il faut encore des siècles pour y ramener la vie sociale er les arts qui en sont la suite. Les révolutions fréquentes auxquelles ce pays est sujet, semblentprouver que les suites du déluge y ont duré bien plus longtems qu'ailleurs, ont dü inquiéter et troubler les nations dans leur tendance a se perfectionner, et maintenir chez les peuples cette vie errante et sauvage qu'une nature plus calme a depuis long-tems fait disparo'ure de tout notre hémisphère. Au reste nous avons vu dans le cours de cet ouvrage que les nations policées de 1'Amérique , telles que celles des Péruviens et des Mexicains , ont long-tems conservé le souvenir des maux arrivés a leurs ancètres , et ont a cette occasion pratiqué des usages analogues a ceux de tous les autres peuples de la terre. C'étoit une tradition chez les Péruviens que leurs ancètres sauvés autrefois sur les montagnes y étoient long-tems demeurés , paree que des géans s'étoicnt emparés des plaincs. VII. Nous terminerons ce chapitre par quelques réllexions sur I'histoire : rien ne paroit sans doute plus digtie de notre étonnement que le silence gardé par la  par ses usages. Liv. VI. Ch. I. g** plupart des historiens sur le déluge, et que la stérilité des détails qu'ils nous ont transmis sur ce grand événement. La plupart de ces écrivains ont cependant eu pour cbjet 1'origine des sociétés qu'ils voyoienr établies de leur reins: plusieurs d'entr'eux ont voulu remontet jusqu'aux tems les plus reculés qu'il leur étoit possible; quelques-uns même ont osé remonter jusqu'a la première origine de toutes choses. Ont-ils donc pu ignorer réellement ce grand événement ? Ccmment, s'ils le connoissoient, ont-ils pu ne le raconter que comme un fait isolé \ sans suites 3 et detaché de tous ce qui étoit arrivé depuis ? Peut-on présumer que le déluge n'eüt fair aucune impression sur la facon de penser des premiers hommes ? Peut-on douter qu'une catastrophe si remarquable n'ait influé sur leur conduite, au point de devenir le mobile de tous les actes des premières sociétés ? N'est-ce pas dans cette source que les écrivains auroient dü chercher 1'explication des usages et des institutions qui subsistoienr de leur tems , et qui se sont perpétuées jusqu'a nous ? Le déluge étoit sans doute le premier fait d'oü il falloit panir, qu'il falloit détailier et approfondir, dont il falloit examiner les suites physiques a Tégard du monde, et les effets moraux a l'égard des hommes et des nations. ^ Ce silence et cette difTérence doivent nous paroitre d'autant plus surprenans dans les historiens, que nous devons connoitre, après 1'examen qui a été fait, combien les premiers qui ont entrepris l'histoife du monde ont dü avoir de fessources. Les fables, allégoriques dans lesquelles nous avons trouvé plus de détails et plus de véikés que dans I'histoire même, ne devoient point être aussi intelligibles de leur tems, qu'elles le sont devenues par la suite. Ne connoissoient-ils donc pas le langage poétique et religieux dont nous avons y z  540 VAntiquité dèvoilée retrouvé 1'esprit et le systéme ? Ne voyoient-ils qu'aveè les yeux du peuple cette multitude de fètes , de jeux, de cérémonies et d'usages dans lesquels nous avons découvert les impressions faites par le déluge sur le cceur des hommes, 1'esprit funèbre de toute 1'antiquité, 1'intérêt que les nations ont pris aux révolutions arrivées du tems de leurs ancètres ? La mémoire qu'elles en conservèrent long-tems, avoit, comme on a vu , attristé le genre humain, et 1'avoit plongé dans la plus sombre mélancolie comment donc est-il possible que les historiens n'aient fait nulle attention a ce caracrère lugubre que nous avons remarqué au sein même des solemnités; S'ils s'en sont appercus, comment n'ontils pas eu le desir d'en découvrir 1'origine ? La fable est plus instruite et plus instructive a eet égard que I'histoire , singularité bien frappante , mais qui n'en est pas moins réelie; II faut avouer que les plus anciens des historiens n'önt été nécessairement que des hommes rnodernes, relativement au déluge. Les villes dont le luxe et 1'oisiveté ont, suivant Platon, donné les premières la naissance aux écrivains , n'ont été baties que bien des siècles après cet événement terrible. Les premiers tems se sont passés dans les larmes, dans 1'ignorance. Des hommes forcés de s'occuper péniblement a trouver une subsistance précaire , ne songent guère a cultiver leur esprit, ou a recueillir des faits pour instruire et amuser une postérité sur laquelle ils ne peuvent compter. Les plus anciennes histoires connues nous peignent „ 1'idolatrie déja universellement règnante dans le monde; elles nous indiquent par-la que le style allégorique et les usages figurés étoient déja altérés et corrompus même chez les peuples policés •, dès-lors nous voyons ces fables et ces allégories chantées et non comprises;  par ses usages, Liv. VI. Ch. I. dès-lors nous voyons les suites de cette ignorance que 1'esprit qui présida a 1'institution des mystères , avoit déja répandue par-rout dans la vue de rendre les sociétés actives et laborieuses ; dès-lors nous vpyons de vastes empires déja fondés et établis dans des contrées basses de la terre , qui n'ont pu être habitables que les dernières. Tout nous indique donc un prodigieux intervalle entre le déluge et le tems des premiers historiens. D'ailleurs il n'étoit point de la gravité de I'histoire et : de la nature de son style, de recueillir toutes les anecdotes allégoriques et confuses dont toutes les légendes primitives étoient remplies •, si les historiens 1'ont fait quelquefois, tantót ils n'ont osé les représenter que : comme des traditions populaires , rantöt comme des objets isolés, uniquement respectables par l'usage qu'en faisoit la religion établie ; il eut été impie d'en nier 1'existence, il eut été dangereux d'expliquer aux peuples leur véritable sens. Joignez a cela que ces premiers historiens ignoroient de quelle importance il pouvoit être pour I'histoire, et sur-tout pour I'histoire morale dont ils n'avoient, suivant toute apparence , aucune idéé, de la puiser, non dans les annales, mais dans les usages consacrés de tous les différens peuples; ils n ont rapporté ces usages que comme des ornemens et des hors-d'ceuvre; si plusieurs onr tenté de les expliquer , ils s'en sont communément très-mal acquittés, faute d'une certaine étendue de connoissances que le items seul pouvoit donnet; plusieurs après avoir rap■ porté ces usages , se sont fait une religion de ne les |point expliquer. Hérodote, Diodore de Sicile, Pausanias, Plütarque, etc. sont templis de réticences volontaires lotsqu'il est question d'expliquer des usages religieux ; et 1'on ne peut douter que cette discrétïon dans Y 3  3_].i L'Antiquité dévoilée ies premiers écrivains n'ait eu origmairement le même principe et les mêmes vues que les législations politiques qui crurent devoir cachet aux hommes la science de 1'univers a cause des objets tristes dont elle étoit rempiie , et des empèchemens qu'elle apportoit aux progrès de la soeiété. Voila sans doute les principes, les raisons du silence des historiens sur le déluge , sur ses détails , sur ses suites physiques et morales. On peut les réduirc a quatre chefs, iy. la longueur de 1'intervalle qui s'?st écoule entre le déluge et les premiers historiens, %9. le style allégorique devenu fabuleux et ininttlligible , et hé a la religion ; 30. les connoissances incomplettes des historiens; 40. enfin les vues politiques qui ont fair érablir les mystères dont l'igncrance fut la suite. VIII. Ce dernier motif des vues de 1'ancienne police nous présente une réflexion a faire. Si nous avons découvert que d'anciens législateurs ont cru devoir cacher aux hommes les anccdotes de leur première histoire, et leur voiler 1'esprit funèbre de leur religion; si nous avons découvert qu'ils font fait par prudence et en vue de 1'utilité des peuples; a quoi sert, dira-:-or., de rappeller un souvenir oublié, et de présenter aux nations un tableau lugubre qui ne peut que les attrister, les dégoüter et les attendrir inutilement sut le sott de leurs ancètres; Ce sont les objections que je me suis faites a moi-même, et si elles ne m'eussent pas conduit a des rétlexions profondes, peut-êjre auroisje été retenu dès le premier pas; j'aurois sacrlfié sans peine au silence les études de toute ma vie. En cela j'aurois suivi les vues un-stérieuses des législations, car j'avoue que mon systéme seroit de cacher aux hommes des vérivés que je leur creitois dangereuses je souhaitetois a mes semblable? plus de bonheur que deJufnis  par ses usages. Liv. VI. Ch. I. 343 ères, si ces choses ne marchoient pas communément d'un pas égal. J'ai bien va en effet que le systéme de 1'ancienne police étoit sage et digne d'éloges, puisqa'il avoit peur cbjet de tirer les hommes d'une vie malheureuse et d'effacer de leur esprit une foule d'opinions extravagantes qui ne servoient qu'a nouirir leur mélancoliej leur indifférence pour le bonheur et leur ennui de la vie. Mais d'un autre coté j'ai aussi appercu que les tems étoient changés, et que le principe d'humanité qui avoit engagé les législateurs a jetter un voile utile sur une foule d'objets nuisibles, pouvoit aujourd'hui faire écarrer ce voile pour exposer aux regards des hommes revenus de leurs craintes les choses telles qu'elles ent été. Une révolution qui eüt été nuisible alors est utile aujourd'hui. En ePret par une suite d'une foule d'événemens arrivés sur la surface de notre globe depuis ces antiques législateurs, les hommes se sont de nouveau remplis .1'esprit d'une multitude d'opinions fausses et d'usages déraisonnables; a force d'avoir été ballotés par une infinité de systêmes de politique et de morale, par une foule de gouvernemens et de principes différens, ils n'ont pu suivre de chemin assuré. L'homme ne connoissoit plus rien, et ne se connoissoit pas lui-même, ses droits, ses espérances et ses craintes étoient des énigmes pour lui, et le genre humain étoit semblable a un foible .vaisseau poussé au gré des vents et des caprices de ses guides sur une mer immense, oü il est exposé a de fréquents naufrages ou du moins a des tourmentes continueiles. J'ai vu que presque par toute la terre I'histoire n'étoit qu'une fable, que les plus graves historiens n'étoient que des conteurs puériles, que leur science néioit qu'un délire pompeux et perpétuel- j'ai vu que tout ce qu'on regardoit la plupart du tems comme une successicn ccn- Y4  344 L'Antiquité dévoilée tinue et non intetrompue de faits et de vérités, n'étoit qu'une chaine continue d'erreurs, d'exttavagances et de mensonges politiques. J'ai vu que la science du bonheur des hommes qu'on appelloit auttefois politique j n'étoit plus sous ce nom respectable que 1'art de couvrir la terre de malheureux, pour servir les passions d'un petit nombre. J'ai vu que la plupart de ceux qui se trouvoient chargés du soin de rendre les hommes paisibles, rranquilles er heureux , n'en ccnnoissoient pas les moyens , ou par un effet de leur ignorance , de leurs préjugés et de leurs injustrces, refusoient d'y recourir, et n'étdient que les fardeaux du monde et les fléaux de leurs semblables. J'ai vu enfin , que par une multitude de révolutions morales er politiques, de changemens de loix , de principes d'opinions et de préjugés, le caractère naturel de rhomi-ne avoit été tellement altéré , qu'il étoit devenu méconnoissable , ridicule et indéfinissable. En un mot, 1'homme est devenu une énigme pour la philosophie , des moralistes dangereux font égaré d'ages en ages, tantot en le considérant comme un être naturellement méchant, féroce et corrompu , tantót en le regardant comme un animal stupide , dont la raison troublée ne méritoit plus d'être consultée ; leurs maximes pernicieuses , bizarres, er toujouts extrêmes, ont tantót avili cet être infortuné , et tantót 1'ont enivré et ravi follement au-dela de sa sphère. Dans le dérangement presqu'universel qui résulte de ces idéés insensées et dangereuses, on retrouve 1'homme presque au même état oü 1'ancienne police 1'avoit trouvé. Si la plus grande partie du genre humain n'est point retombée dans une vie sauvage , du moins il est retombé ou resté dans une barbarie réellej même au milieu des villes, et dans des craintes, des rristesses et des mélancolies habituelles qui le poutsuiveat jusqu'au sein des plaisirs. Enfin, on voit  par ses usages. Liv. VL. Ch. I. 34c 1'homme presqu'universelleraent malheureux , et privé de cette portion de bonheur, que la religion, le gouvernement et 1'industrie devroient lui procurer sur la terre, et dont une nature calme et un ciel serein lui permettent de jouir. C'est surtout a cette classe d'hommes qui gouverne les autres que j'ai voulu montrer 1'affréux tableau des malheurs du genre humain, j'ai cru par-la les intéresser en sa faveur , je me suis flatté que si 1'ambition n'a point étouffé en eux 1'humamté , ils sentiront quelques remords a redoubler les maux des hommes qui depuis tant de siècles n'ont presque pcinr cessé d'être malheureux. J'ai eu pour objet de consoler desinfortunés, de les rassurer sur leurs craintes vagues et démenties par 1'expérience, et de leur épargner de nouvelles terreurs et de nouvelles larmes. Qu'ils comparent la situation malheureuse de leurs pères avec celle dont la nature leur permet de jouir. Que les souverains des hommes renoncent au rriste avantage d'être aussi destructeurs que les élémens déchainés au tems du déluge. Que les législateurs apprennent aux citoyens a s'aimer, a se secourir, a se rendre mutuellement heureux dans la soeiété qui n'est avantageuse au genre humain qu'autant qu'elle adoucit ses peines. IX. Telles sont les réflexions qui m'ont déterminé a révéler aux hommes des vérités qu'une étude profonde et assidue de 1'antiquité m'a fait entrevoir. Si 1'ancienne police a cru pour le bien des nations devoir leur cacher 1'esprit de leurs institutions primitives, j'ai cru que c'étoit les servir aujourd'hui qüe de relever le voile que 1'antiquité avoit jetté sur les choses. II a fallu pour cela remonter aux principes afin que les législateurs et les peuples sortissent du labyrinthe oü jusqu'a present la plüpart des hommes ont erré. En cela j'ai  J4<» L'AntiquitS dévouée iuiyi les vues de plusieurs grands hommes de notre tems, qui ont senti combien il importoit au bonheur des peuples de remonter aux premiers principes des choses. Le goüt de la philosophie et le desir de faire des recherches sur la marche de 1'esprit humain, qui fait le caractère de notre tems, sont des fruits nécessaires de la renaissance des lettres , secondée par 1'inestimable invention de 1'imprimerie : celles-ci après un grand nombre de siècles de stupidiré et'd'igncrance, a exposé a tous les yeux les ouvrages de 1'antiquité; paria dans 1'espace de deux ou trois siècles la sphère de 1 esprit humain s'est aggrandie avec une rapidité singuliere, et par un effet naturel elle va roujours en croisant. Les premières lectures donntes a la curiosiré ont conduit a la réilexion, et ont fait naitre 1'esprit de critique et de controverse. On a longtems crkiqué et commentfc, et enfin on a commencé a penser d'après soimême. Plus 1'antiquité a été connue, plus on a eu occasion de voir les ténèbres dont elle étoit couverteen plusieurs de ses parties et les lacunes qui y sont demeurées. L'esprit de systéme a voulu suppléer a ces défauts: mais la multitude des systêmes , la plüpart asservis plus ou moins aux anciens préjugés, en ayant dégoüté, on a pris le goüt des sciences exactes qui ne permertent aucun écart a l'esprit, on a reconnu en elle quel étoit f effet de la sensation du vrai, et cette sensation a paru route nouvelle, paree que le vrai est rare par-tout ailleurs : elle a fait naitre un peuple de géomètres, d'astronomes, de physiciens et de phiiosophes qui ont enfin inventé 1'art de calcuier , d'analyser, et sur-tout 1'art important et nouveau de considérer et de comparer les êtres physiques et moraux. Dès-lors on a agi comme si 1'univers ne faisoit que naitre; chacun a regardé au:our de soi, :1 a levé les yeux vets le ciel, il a  par ses usages. Liv. VI. Ch. L. 547 fouillé la terre, enfin il s'esr interrogé et sondé luiméme. Plusieurs de ces savants onr travaillé dans leur cabinet, er se sont réchauffés du même esprit que des législateurs qui auroient a instruire, apolicer et a rendre heureux des hommes nouvellement sortis de la terre. Après avoir apprécié avec justesse l'utilité des sciences nouvelles, on a dcnné a chacune le rang quelle méritoit, relativement aux avantages qui en résultoient; les hommes ont enfin reconnu celles qu'il importoit le plus d'honorer et de chérir. On a remonte de nos jours aux grands principes des loix et de la législation , de grands hommes ont ptêché 1'agriculture, le commerce , 1'indusaie , la population, les savans renoncant aux jouets qui amusoient pour ainsi dire, 1'enfance de l'esprit humain renouvellé, se sont attachés a des objets plus dignes de Toccuper dans un age mur, et plus propre a perfectionner son sort. Toutes les branches de 1'administration ont été et sont encore examinées par des citoyens qui, dégoutés des études stériles et frivoles de leurs pères , ont osé porter leurs regards sur la politique et le gouvernement , et sur tout ce qui intéresse véritablement leur bien être en ce monde et en i'autre. L'esprit parvenu a sa maturité a voulu des alimens plus forts, et les écrits ont été fcrcés de prend"e une énergie et une vigueur inconnues autrefois. Tout a pris le ton de la philosophie , et ceux qui n'ont point été capables de suivre la marche des esprits de leur siècle, ont eu le déplaisir de voir qu'ils étoient des étrangers dans leur pays qui n'en parioient plus la langue, ou de vieux enfans dont les pas tardifs n'ont pu atteir.dre leurs contemporains. Quoi qu'en dise 1'envie , notre rems est celui des êtres pensans; il nous promet un avenir heureux. Car, ne  L'Antiquité dévo'dée nous y trompons pas, la lumière progressive frappe tor ou tard les yeux même de ceux qui se croient intéresses a 1'éteindre; la vérité entraine a la fin ceuxmemes qui lui opposent les obstacles les plus forrs. La politique vulgaire et bornée est souvent ébranlée par iimpulsion donnée a l'esprit des peuples; elle montre alors quelques lueurs de philosophie, elle quitte la rounne aveugle que 1'intérêt du moment et le préjuge lm rendent souvent chère, et quelquefois la nécessitQ la force de s'occuper du bien-être des nations , et de céder a la philosophie qu'elle hait ou qu'elle méprise. Teile a été et telle sera la marche de l'esprit humain depuis la renaissance des lettres; dès qu'il s'est vu éc airé il a pris la route du vrai; il ne lui a fallu pour cela que le tems nécessaire pour examiner les différens objets ; s'il a mis plusieurs siècles a cet examen , eest que la mulritude des objets dont il a été frappé tout-a-la fois étoit immense, c'est que sa vue éroit' encore foible er peu accoutumée a la lumière. Mais enfin le vrai est connu , ou du moins nous le voyons de lom ; nous sommes sur le chemin qui y mène ; nous marchons partout, le flambeau de 1'expérience a ia main; nous le portons même sur les replis de 1'ame humaine, et nous savons rirer des fruits de ses opinions i de ses erreurs er de ses folies. Notre tems est a quelques égards semblable a celui des premiers inventeurs de la police; les esprits sont, comme eux , occupés a chercher les moyens de rendre les hommes plus sociablss et plus heureux : il faut, pour y parvenu- , perfectionner la connoissance de I'histoire morale de 1'homme. Lamorale, comme la physique, ne peut être éclairée que par 1'expérience et les faits. •  par ses usages. Liv. VI.' Ch. II. 3 49 CHAPITRE II. Des effets moraux du déluge 3 ou du premier état des sociétés échappées aux malheurs de la terre. I_i'histoirï nous présente si peu de faits sur les tems qui ont immédiatement suivi ie deluge, que nous sommes forcés de recourir a la fable pour découvrir les idéés que les anciens s'étoient formées de ces premiers tems. II faut ensuite nécessaire-ment rentrer au fond de son propte cceur et se consulter soi même, pour juger de leurs idéés et pour les rectifier , eu puisant dans la nature des choses er des circonstances, ce qu'on a pu dire , faire ou penser dans ces premiers instans d'infortune et de misère. Commencons par consulter les Chinois , les plus anciens peuples de la terre dont nous ayons I'histoire. Cependanr ce n'est point dans I'histoire de ce peuple,mais dans ses fables qu'il faut chercher le déluge et ses suites; évènemens dont leurs annales historiques ne font aucune mention. Au-dela des tems dont la certitude est fondée sur la chronologie , la plüpart des historiens chinois onr placé d'immenses périodes qui renfermenr un intetvalle de tems de plus de cent millions d'années ; ces périodes appellés Ki sont au nombre de dix, et comprennent chacun les règnes de plusieurs rois ou dynasties : on les trouve remplis de fables , de merveilles , d'invenrions, de contradictions et de répétitions (1). (1) Lei détails, qui suivent sur les Chinois, sont tirés de 1'extrair. Aes historiens, chinois fait par des Hauterayes , et inscro i la Ca du Ui».  ?ƒ• VAntiquité dèvoilèe Le premier période nous montre trois families sous le nom déaugustes families du ciel, d'augustes families de la terre , et d'augustes families des hommes. C est cette troisième familie qui fit construire les premières villes ; ce fut alors qu'il commenca a y avoir de la disrinction entre le souverain et le sujet; ce fut alors que 1'on but et que 1'on mangea en paix , et que les sexes s'unirent. Sous le second période on nous présente les hommes cachés dans le fond des antres et des cavernes, ou perchés sur des arbres. Cet état fur de longue durée sans doute, puisqu'il est dit que ce fut vers la fin du septième période que les hommes cessèrent d'habiter les cavernes. Dans le huitième période les herbes er les feuillages servoient encore d'habillemens ; les serpens et les bêtes féroces étoient en grand nombre sur la rerre, les eaux n'étoient point encore renttées dans leur lit, et la misère étoit extréme. Tchine-fang apprit aux hommes a préparer des peaux , a en óter le poil avec des rouleaux de bois, et a s'en faire des vêtemens proptes a garantir des vents et des frimats , il leur enseigna encore a faire un tissu de leur cheveux en forme de parapluie, on lui obéissoit avec joie. Les rois de ce période alloient les cheveux épars et sans ornemens, ils gouvernoient en paix sans sceptre ni couronne. Remplis de bienfaisance, ils donnoient toujours et ne recevoient jamais tien; les peuples, sans les connoitte pour maitres, les portoient au fond de leurs cceurs. Le ciel et la terre étoit alots dans un ordre et une har- ™',mf <ïu ,,vre Ae VOrigine des loix , des arts , etc. Se Gnguet , Paris i758; de YHistoire des Hans, tome I; et qw est fépoque de la certitude chronologique  perses usagss. Liv. VI. Ch. II. 357 dans I'histoire chinoise. Le nom de ce prince est encore fameux par les bienfaits dont il combla ses sujets. II continua a aggrandir la terre aux dépeus des eaux qui, de son tems, baignoienr encore le pied des monra^nes, et rendoient les plaines inhabitables. Ces eaux, selon les auteurs chinois , s'étoient autrefois élevées jusqu'au ciel, et ils les regardent comme celles du chaos ou de la naissance du monde. Yao, aidé d'Hyn, homme fort intelligent, et d'un peuple nombreux etlaborieux, qui aima mieux travailler chez lui que d'aller courir le monde comme nos Européens , déttuisit les forèts, dessécha les vallées, forma des canaux, éleva des digues et des chemins, et fit par-tout des saignées pour débarrasser les eaux. Par tous ces travaux ce prince acquit un nom immortel. Enfin , au lieu de choisir son hls pour successeur, il prit un simple laboureur noramé Chun; son choix fut applaudi, et celui-ci répondit a ses vues , car on le compte parmi les grands bienfaiteurs de 1'empire chinois. II eur pour successeur Yu dont nous avons parié. Ainsi les talens furenr couronnés tour-a-tour. Yu monta sur le rróne 1'an 2207 avant notre ère, et fut la tige de la première dynastie dire Hia. II rendit la couronne héréditaire, er y établit le sacerdoce a perpétuité, décernant la peine de mort contre quiconque feroir la fonction de prêtre. Ce prince laissa des livres sur l'agriculture, 1'art hydraulique, le nivellement, &c. II. Tel est le tableau que les fables et les premières histoires de la Chine nous présentent sur le plus ancien état des hommes. On y voit de fréquentes contradicrions, un mélange singulier de misère et de félicité , de vertus et de férocité : cependant il est impossible de n'y pas reconnoitre souvent le ton de la nature et ' Z 3  3 j 8 ï.'Antiquité dévoilée de ia vérité. Nous verrons par la suite quel usare nusonnable on peur faire de ces divers points de vue et meme de ces conrradictions; on a banni ces détails de Ihistoire comme indignes d'y occuper une place, et Ion a cru que les premiers pas des hommes nctoient point assez iméressans pour en chercher les traces. La philosophie n'en porte point ce jugernent. liaton, dans ses ceuvres politiques, ne cesse d'insister sur les premiers tems, il les «garde comme la del de 1 histoire. Voyons donc ce qu'a dit sur ce sujet le plus sage de la nation la plus éclairée du monde (i). « L'état présent de la soeiété, dit ce philosophe, » la constitution des pays et des loix, tout cela pro» cède de la profondeur des tems et des révolutions » arnvées anciennement. C'est une tradition qu'il y a " eu autrefois de grandes mortalités causées par les » inondations er par d'autres calamités générales dont » peu d hommes se sont sauvés; eaux qtü furent alors " épargnés ont mené une vie pastorale sur les mon» tagnes : nous pouvons penser, ajoute-t-il, que ces " hommes conservèrent la connoissance de quelques » arts utiles et de quelques-uns des usages antérieurs, » mais ils oublièrent 1'avarice er les querelles qui en » sont les suites. On peut encore penser que les villes » ayant été totalement renversées par ces destructions, » la plüpart des inventions furent ensevelies avec elles » sous les eaux, et qu'il a fallu bien du tems pour » les retrouver, que ces tems ont été très-longs, ainsi » que'le prouve la nouveauté de nos connoissances ;■ » elles sont, pour ainsi dire, d'hier, et il n'a pas » fallu moins que des milliers d'années pour nous les (i) Pl»to de Iegibus, lib. I.  par ses usages. Liv. VL. Ch. II. 33-9 » rendre. Ces inondations altérèrent la fertilité de la » terre ; elles changèrent et corrompirent la nature et » 1'espèce des créatures, et ne laissèrent que peu de » choses pour la subsistance des hommes. Voila d'oü » dérive 1'état actuel du monde, voila oü il faut cher» cher 1'origine et les principes de nos sociétés , de » nos loix moraleS, civiles er politiques, et ce mélange » bizarre de biens et de maux, de vertus et de vices » que 1'on y voit. Pour remettre les choses dans 1'état » oü elles sont, il a fallu bien du rems, cela s'est * fait insensiblement; les hommes restèrent bien des » siècles sur les sommets les plus élevés; le ressen» timent du passé et la crainte ne leur permettoient » pas de descendre dans les plaines, er encore moins » de s'y établir rout-a-fair. L'espèce des hommes éroit » si rare qu'ils se félicitoient et s'embrassoient toutes " les fois qu'ils se rencontroient; mais cette satisfac» tion ne leur arrivoir pas souvent faute de hardiesse » et de moyens pour franchir les vallées, les marais » et les eaux qui les tenoient séparés. Les arts et les » artistes étoient perdus, et les hommes étoient en » trop petit nombre et trop occupés de leurs misères » et de leurs besoins pressaqs pour rechercher et pour " retrouver ces arts tout a la fois. Ce triste état' a >? duré pendant plusieurs générations, d'un autre coté, » ils eurent 1'avantage de ne plus connoitre ni les » combats, ni les guerres; la raison en est simple , » la terre n'étoit plus qu'une solitude; ses habitans » réduits concurent les uns pour les autres la plus >» rendre affection. Sans richesses, sans or, sans ar» gent, possesseurs de quelques bestiaux , de quelques » vases de terre, ils ne furent pourtant point pauvres: » jouissant du seul nécessaire, 1'ambition n'eut plus » lieu; 1'état oü les téduisit la nature devint la soutce Z4  3^2 L'Antiquité dévollée » de leurs mceurs justes et honnêtes, de leur so» briété, de leur modération, de leur caractère doux v et paisible. Les premiers hommes Furent très-do»? ciles, ils suivoient exactement les conseils de ceux " qui les instruisoienr, ils les obéissoient et les croyoient " en tout, tant étoit grande leur simplicité; peu sem" blables a quelques hommes d'aujourd'hui , ils ne » soupconnoient point que ceux qui les instruisoient » fussent capables de mensonge : mais ajoutant foi a » tout ce qu'on leur disoit de dieu et de 1'homme, » ils dirigeoient sur ces principes toutes les actior.s » de leur vie. Enfin s'ils eurent moins de science et » de commodités que ceux d'avant le déluge et que » ceux d'aujourd'hui, ils eurent sut eux las avanrages » de prariquer une morale plus pure, d'être plus amis » du bien et de la vertu, plus modérés, plus sages « et infiniment plus justes, nous en avons dit la » raison qui est tirée de leur état. Dans ce même état, » ajoute - t - il, plus loin , ils n'avoient cependant ni » législateurs, ni loix écrites, ils suivoient la coutume, » de générationengénération, on se-moduloit sur les » anciens; chaque» père, ou chaque ancien, étoit le » roi de sa familie, sa femme et ses 'enfans étoient " ses sujets; beaucoup de barbares en usent encore » de même, et les anciens habitans de la Sicile, au » rapport d'Homère , avoient ainsi vécu. Ces Siciliens " n'avoient point d'assemblées publiques pour juger » ou délibérer; retirée dans les cavernes ou sur les " montagnes, chaque familie formoit une soeiété par» ticulière, sans idéé de soeiété génétale. Cette forme " de gouvernement étoit en effet propre er naturelle a » des hommes que les révolutions de la nature viennent » de disperser et de réduire a un perit nombre; on ne " peut mieux faire alors que de suivre un ancien, ou  par ses usages. Liv. VL. Ch. LI. 361 » son père ou sa mère, comme fonr les petits des oi» seaux. Lbrsqu'ensuite plusieurs de ces families se sont » réunies pour former une cité j et s'aider au travail » de la terre ; cette première cité n'a été placée que » sur la pente ou au pied d'une montagne , pour avoir » un asyle prochain en cas d'accidenr , elle n'a été »» construite que de hayes, pour se mètrre a 1'abri, plus •» des bêtes fétoces que des hommes; 1'union entr'eux " étoit encore si parfaite ,( qu'ils n'avoient que l'usage » pour loix, point d'autre maitre que les plus anciens, » et ceux qui savoient comment on s'étoit autrefois » comporté , comment on avoit honoré la divinité, » comment on avoit ptatiqué la vertu. Ce n'est que » long-tems après que les hommes ont cessé de se gou» verner par les loix de leur propre raison, qu'ils en » onr recu des autres •, et que les loix anciennes et nou" velles ayant été rédigées et fixées, on a élu des chefs » pour les conserver et les maintenir ». Platon remonte ensuite sur les montagnes, c'est dela qu'il se plait a considérer le berceau et 1'asyle du genre humain; il rappelle diflérenres traditions d'après lesquelles il suit le genre humain dans rrois positions différentes et successives, i°. sur le sommet des plus hautes contrées, i°. au pied des montagnes, 30. dans les plaines. Rien ne lui paroir plus vraisemblable que ces traditions, rien de plus conforme a la nature. Nous avouerons aussi que rien n'est plus philosophique que la méthode de ce grand homme; il se fait un tableau préliminaire de ce que les hommes ont dü faire natutellement après les désasrres qu'ils avoient essuyés, il compare ce tableau idéal avec celui que présentent les traditions: ainsi il a trouvé 1'unique route du vrai, et il la montre a tous ceux qui voudront la suivre. Mais doit-on regarder la descente dés Phrygiens dans  j6i L'Antiquité dévo'dée les plaines comme un événement qui étoit arrivé peu ou long-tems après le déluge (i) ? C'est, suivant Platon, longrems après, car cette entreprise et la hardiesse de s'établir sur un cóteau peu élevé, proche d'une tv* vière, loin des montagnes et dans Ie voisinage de la mer, tout cela annonce un esprit de sécurité et un oubli total des anciennes inondations, qui ne peut être que le fruit des siècles accumulés. On peut s'en rapporter a Platon, il connoissoit l'esprit humain, il ne se trompoir pas lorsqu 'il disoit que pour faire I'histoire des gouvernemens et des loix des Egyptiens et des Crétois, il falloit rernonter au premier état oü toutes ces sociétés ont toutes originairement été. III. Avant de passer aux observations qu'exigent ces détails de Platon et les traditions chinoises pour les confronter, les jusrifier les uns par les aures , et suppléer a ce qui peut leur manquer, il nous reste encore a examiner quelques réflexions de Platon que nous ne pouvons point laisser en arrière, il est vrai que ces réflexions auront un peu le ton fabuleux et énigmatique ; mais une fable adoptée par Platon peut être plus utile et plus instructive que bien des histoires; ces énigmes méritent d'être méditées. Platon, dans le livte IV. des loix, paiiant des noms qui ont été donnés aux gouvernemens suivant leurs diverses natures, dit qu'au lieu de les nommer tantot Monarchie, tantót Aristocratie et Démocratie , en auroit dü les nommer tous Théocratie du nom de Dieu, patce qu'il est le vrai maitre et le seigneur des hom- (i) Strabon a aussi traité cette question. II dit que les peup'es' sont desccndus de leurs montagnes plus ou moins tard, en raison de leur courage, de leur sociabiüté, etc. lib. XIII. Varron dit qu'ils fureuc nn tems iaCni avant que d'oser descendie. Tarro de rt rusticd , lib. XIII. eap. 1.  pat ses usages. Liv. VI. Ch. LI. 363 mes. Ce propos qui nous paroit bien singulier dans la bouche d'un philosophe payen, en amène sur le champ 1111 autre qui n'est pas moins surprenant. Eh ! quel est donc ce dieu ? lui dit aussi-tót Clinias en 1'interrompaht, a cette demande précise notre philosophe répond par cette énigme ou cette fable. II dit que longtemps avant la construction des premières villes , Saturne avoit établi sur la terre une certaine forme de gouvernement sous lequel 1'homme avoit été très-heureux. Comme c'est de lage d'or dont il veut parler, ou du règne des dieux tant célébré par les anciennes fables , et comme il en parle ailleurs avec plus de dérails, voyons les idéés qu'il se formoit de ces tems heureux , voyons comment il les peignoit, et tachons de découvrir a quelle occasion il amène cette fable dans un traité de politique. IIest encore question dans cet ouvragede-1'origine des sociétés, des loix, des rois, &c. et Platon remonte encore a son grand principe, c'est-a-dire aux révolutions arrivées dans la nature. » Selon lui, pour avoir " des idéés nertes et prècises sur la royauté, sur son » origine et sa puissance , il faur remonter aux pre» miers principes de I'histoire de la fable. II est arrivé » autrefois de grands changemens dans le ciel et sur » la terre, et 1'état présent des choses en est une suire. » Vos traditions nous parient de bien des merveilles, » de changemens arrivés dans le cours du soleil, du » règne de Saturne et de mille autres faits épars dans » la mémoire des hommes; mais on ne parle point " du mal qui a produir ces révolutions, ni de celui " qui en a été la suite. II le faut dire cependant, ce " mal, le principe d'oü il faut partir pour traite.r de " la royauté et de l'origine des puissances, et ce mal, » dont on ne parle point, le vcici: c'est que par la  3t>4 L'Antiquité dévoilée » volónté de Dieu le monde est sujet a des change» mens réglés et a des révolutions périodiques qui le » détruisent pour le renouveller ». Notre philosophe exposé rour de suite le systéme cyclique dont nous avons retrouvé l'esprit dans tous les usages et les opinions des anciens, il tracé d'après ce systéme les différens états ou dégrés par lesquels tous les êtres physiques et moraux sonr forcés de passer, il dit que chaque période a son enfance, son adolescence, son age mür et sa vieillesse; son printems, son été, son automne et son hiver; son age d'or, son age d'argent, son age de fer et son age d'airain; que ïa vertu et la féüciré commencent chaque période; que le vice et toute sorte de maux le terminent, que tout cela cependant n'arrive point subitement, mais par dégrés sensibles. Séneque a dit pareillement qu'après les déluges qui détruisent le monde, la nature se rétablit, et que 1'homme se renouvellé et se corrompt périodiquement avec elle (i). Nous ne nous arrêterons point a relever ce qu'il y a de vicieux ou de faux dans ce systéme, remarquons* seulement que, selon l'esprit de tous les anciens, Tenfance du monde, le printems de la nature et de 1'age d'or ne font qu'une même chose; ce ne sent que des peintures plus ou moins exactes de Tanden état du monde après ses révolmions : faisons encore attention a ce principe constant *de Platon, qu'il y a une science de Tunivers , une science de la nature , une science secrette er rare sans laquelle il dit qu'on ne peut faire I'histoire ni des empires, ni des sociétés, ni de Thomme. IX. Voyons maintenant ce que Platon a pensé de particulier sur Tage d'or et sur le règne de Saturne, (i) Senec. quasst. natur. lib. III.  par ses usages. Liv. VI. Ch. II. jój sans la connoissance desquels on ne peut, selon lui, raisonner avec jusiice sur 1'origine des rois. II nest pas nécessaire sans doute de prévenir que ce philosophe va continuer de rendre ses idéés dans le langage allégorique et théologique qui étoit rendu de son tems; c'est de ce mélange que résulteront encore des embair ras, des obscurités , et même des contradictions dans ce qu'il va dire; mais il a pu avoir des raisons très-légitimes de donner cette tournure a ses expressions et a ses idéés. » Long-tems avant que l'homme eüt bati des » villes, il vécut sous un genre de gouvernement qui « lui rendit la vie si heureuse et si douce, que le sou-, » venir de cette félicité s'est perpétué de race en race et " s'est transmis jusqu'a nous. La nature fertile offroit « rout d'elle-même et en abondance. Voici comment " cela est arrivé : Saturne sachant que l'homme ne » pouvoit gouverner l'homme sans que 1'univers ne » se rempüt d'injustices par 1'effet de ses caprices et de » vanité, ne permit qu'aucun mortel eüt la puissance » sur les autres. Ce dieu prit 'alors a notre égard le » parti que nous prenons encore nous rpêmes a l'égard » de nos troupeaux : nous n'établissons pas un bceuf » ou un beller a la tête de nos bceufs et de nos béliers, » mais nous leur donnons pour conducteur un berger, » ou un être d'une espèce différente de la leut et d'une " natute supérieure. C'est ce que Saturne fit alors a 1'é» gard du genre humain qu'il aimoit, il chargeadu soin - de le gouverner et de le conduite , non des rois et » des princes, mais des esprits et des génies ( Daimo» nas) d'une nature divine et*bien plus excellente que » celle de l'homme. Ces génies travaillèrent avec au» tant de pouvoir que de facilité a notre bonheur; ils " firent jouir la terre de la paix la plus profonde; leur " règne fut celui des mceurs, de la justice, de la U- ' \  3 •» 6 L' Antiquité dévoilé: » bené , de la félicité. Les hommes , safis soins , sans * travail, couchoient nuds et a la belle étoile, s'amu» soient paisiblement, raisonnoient ensemble et même « avec les bêtes alors douées de raison, ils se laissoient » gouverner sans violence ni contrainte; ils obéissoient » gaiement a une autorité douce et cependant puis» santé, qui n'avoit qu a pariet pour persuader et se >> faire obéir. C'étoit Dieu même qui présidoit sur ces » génies , il étoit le prémier man re , le pasteur et le » conducteur des hommes Lorsque le monde ces- » sa d'être gouverné, les bêtes devenues féroces dévo» rèrent une partie des hommes, ceux-ci dépourvus de " de tout, et d'autant plus misérables, qu'ayant jus» qu'alors vécu sans travail, sans inquiétude et sans » prévoyance, ils se trouvèrent sans expérience et sans » art, piongés dans 1'indigence et la misère; ils devin» rent sauvages, errans de montagnes en montagnes, » afin de pourvoir a une subsistance difEcile. Occupés » de leurs pressans besoins pendant des siècles, le passé >» sortit de leur mémoire, ils ne songèrent qu'au pré•* sent, et leur misère sollicitant peu a peu leur indus» rie, des inventeurs parurent successivement et trou» vèrent le feu, le bied, le vin, et la reconnoissance » les divinisa (i) ». La première réflexion que ces images nous présentent c'est que lage d'or, le règne de Saturne, et le règne des dieux ne sont que la mêmes chose. Mais comment concilier tant de félicité avec tant de misère, cette beauté et cette horreur successivement appercues dans la nature ? commenr concevoir cet état brut et sauvage, et cependant vertueux et délicieux; que veut dire règne des dieux sur des hommes nuds et privés ^.1) P'aio de Lc»ibus , lib. IV. Idem in Critij c! in Politic.  par ses usages. Liv. VI. Ck. II. ?£7 de toute industrie et de tout art \ que signifie cette ancienne fable du langage et de la docilité des bêtes mêmes ? pourquoi d'ailleurs ces idéés sont-elles si universellement répandues par toute la terre malgré leur bisarrerie et leur singularité C'est ce que nous allons tacher d'expliquer, il n'y a que de 1'ordre a mettre dans ces traditions pour les rendre claires et naturelles. Recueillons pour cela nos idéés j si nous ne pouvons point adopter toutes celles de Platon, prenons au moins sa méthode et guidons-nous par ses principes, dont tout nous prouve la bonté. V. On doit considérer dans l'homme échappé du déluge, l'homme exrérieur et l'homme intérieur, c'esta-dire 1'homme physique et l'homme moral. Por.r bien juger de son état physique il suffir de nous représenter le triste état de la nature-, pour juger de son état moral , il faut nous mettre a sa place, nous supposer dans les mêmes circonstances oü il s'est vu , et dèslors on se trouvera éclairé par la voix de la nature même. Son état physique demande a être envisagé sous deux époques j la première suit immédiatemenr les révolutions arrivées a la terre, qui en sont 1'unique caüse; la seconde époque, beaucoup plus éloignée, est celle . oü son état physique n'a plus été 1'état immédiat de ces révolutions, mais une suite des dispositions dans lesquelles 1'impression du malheur mit son ame , de la tournure que prit son caractère, et des principe's de conduite qu'U se fit en conséquence. C'est paree que ces deux états sont peu distingués dans Jes traditions, qu'elles semblent nous présenter tant de contradiction; i (i) I/auteur du livre de YOrigine des loix , de, sciences et des art, na pu se .irer de ce chaos. I! a mieux aimé „i,r 1'exi.tanee de l'fa, d or. et d.re que le déluge de rendit pas les homme, meilleur, , ce qui paroit depourtu de vraisemblance. Lib. VI, cnp. 4.  j68 L'Antiquité dévollée et qu'il a été jusqu'a présent si difEcile d'en faire usage que I'histoire les a abandonnés a la fable. II est facile de nous peindre le premier état physique de l'homme échappé aux révolutions de la nature, on est tellement seconde par les traditions, que nous ne nous arrêterons pas beaucoup la-dessus. Sa pauvreté étoit extréme, sa misère infinie; sa vie fut sauvage et isolée, et d'autant plus malheureuse, que l'homme antérieur au déluge n'étoit rien moins que sauvage, avoit déja connu les avantages de la soeiété, et sentoit pleinement 1'horreur du vuide oü il étoit tombé. La raison nous indique que les mont3gnes durent être son premier domicile , toutes les traditions et les usages le prouvent, toutes les nations en ont conservé le souvenir , et plusieurs même, comme on a vu, ont conservé pour ces asyles de leurs pères une reconnoissance qui s_'estperpétuée jusqu'a nos jours, qui se manifeste par les pélerinages et par une sorte de culte que nous avons remarqué dans beaucoup de pays. La situation physique de l'homme sous la seconde époque ayant été une suite des impressions que fit sur lui 1'affreux spectacle de la désolation du monde, et sa conduite ayant dü être une conséquence de ces mêmes impressions, ce sont elles qu'il faut actuellement considérer , pour parvenir a la connoissance de la conduite qu'il a tenue, et des états par lesquels il a passé. II ne faut point être un profond philosophe pour avancer qu'une des suites des malheurs de la terre a été d'affecter l'homme d'une tristesse et d'une mélancolie profonde : qu'on se mette a sa place; qu'on se peigne tous les objets qu'il avoit sous les yeux; que 1'on jette ses regards sur 1'immensité du néant oü il s'est vu plongé ; et si 1'on a 1'organisation humaine , on  par seS usages. Liv. VI. Ch. II. j 69 on sentira du moins une légère partie de 1'amerturne qui dut alors empoisonner son ame. C'est-la pourtant une de ces dispositions des premiers hommes qiTaucune tiadition ne nous a représentée: elles nous parient encore bien moins des effets de cette tristesse profonde et universelle, ils ont dü êtte cependant aussi considérables qu'étendus. Rien de plus froid que les récits que I'histoire nous fait du déluge ; quelle fut la terreur des hommes a la vue d'une natute agonisante! quelle fut leur désolation en se voyant dans une solitude muette et universelle! quelle frayeur en se voyant livrés a des ténèbres épaisses , éclairées par intervalles par des feux plus aftreux qu'elles ! peut-on douter de la violence des secousses que ces calamités redoublées ont données a 1'ame humaine 2 Si les historiens n'y ont point eu d'égards, avouons que la plüpart d'entr'eux ont écrit, mais n'ont point pensé. Lotsque Fohi chez les Chinois se fit des sHjets en civilisant des peuples sauvages , I'histoire dit que ces anciens malheureux dormoient et ne s'éveilloient qu'en soupirant; que lorsqu'ils avoient faim ils cherchoient de quoi manger, et que lorsqu'ils étoient rassasiés ils jettoient les restes sans prévoyance. Ces tiaits sont d'aptès la nature , ils nous exptiment a quel point dans les ptemiets ages les hommes ont porté 1'ennui de la vie. Mais les traditions de la Chine ne sont pas les seules qui nous présentent les hommes sous cet aspect. Si les traditions Egyptiennes ou Grecques ne nous donnent point un semblable tableau , nous 1'avons retrouvé dans leurs usages, ils pleuroient en semant, ils pleuroient en moissonnant , et les larmes les préparoient toujours a leurs solemnités les plus riantes (1). (i)Dans 1'Edda des Scandinaves , il est dit que, pendant le combatdet dieuï avec les géans et la confusion qui regnoit alors dans 1'unhers , Tome II A a  379 L'Antiquité dévoilée Quelle a pu éne , disions-nous alors, la source de cette mélancolie universelle ? nous la trouverons ici , eest Timpiession générale des malheurs du monde inondé , brülé , bouleversé ; c'est d'elle qu'est résultee une tristesse habituelle qui aigrit, empoisonnaet changea Je caractère du genre humain au point de nous rendre croyable ce que Platon nous a dit du changement des espèces de créatures. Faut-il donc demander si des hommes privés de tout, absorbés par la douleur et par 1'effroi, dégoütés de 1'univers , ont été bien ardens a réparer le genre humain , a se multiplier, a perfectionner la soeiété ? Non , les sensations des plaisirs, les idéés de prévoyance étoient presque éteintes en eux; la nature n'invite point a peupler une terre malheureuse , la douleur ne permet point de songer a une postérité future. Mais , dira-t-on, 1'espèce humaine s'esr néanmoins perpétuée ; ce fait n'est point douteux; voici comment cela a pu arriver. Les derniers qui ont survécu au monde, quand ils ont vu de prés 1'horreur de leur solitude et la privation des secours que les hommes se donnent a leurs derniers instans , ont pu engager ceux qui étoient plus jeunes qu'eux a prévenir, en se donnant des enfans _, 1'abandon auquel tanr d'hommes avoient été livrés; il a pu se faire que d'abord unpetit nombre s ,'ulementa vaincu la répugnance que tous sentoient a donner 1'être a des malheureux, mais peu-a-peu chacun prévoyant le besoin qu'il pourroit avoir de secours, écoura la nature. En effet, quoique la nature fut pour ainsi dire rendue muette par les maux dont le genre humain se voyoit accablé , le les hommes souin'roient et gémi'ssoient h l'e,:trée de leurs cavernes , et disoient : .. O vous, habitans des möntagru-s , savvz-vous s'il subsistert W encore quelque chose ? « Edda, fab. XXXII.  par ses usages. Liv. VI. Ch. II. 371 penchant , invincible des deux sexes se fit au moins sentir a ceux qui étoient les moins malheureux dans ee désordre général Cependant, comme on a vu, on fut long-tems a se temt en garde contre le cri de cette nature ; ce ne fut qu'a la longue que 1'on se permit de 1'écouter. On crut d'abord que la divinité ne vouloit plus qu'il y eüt des hommes sur la terre; on crut lui plaire en se vouant au céhbat, et cette idéé est encore parmi nous jointe a celle de la perfection. Platon ptétend que sous le règne de Saturne les sexes ne s'unissoient pas pour procréer des enfans, et que cependant par les soins de ce dieu les hommes ne laissoient pas de se perpétuer. Les Rabbins attribuent la malédiction ~ des peuples de Canaan a la faute que fit Cham, leur père , en usant des droits de 1'hymen pendant le déluge. Quoiqu'il en soit, il paroit par toutes les anciennes histoires qu'avant les législations la procréation des enfans n'étoit qu'un effet du hasard, du caprice et de certaines rencontres ; que ce n'est qu'aux législateurs qu'on doit l'esprit de population qui répara les désastres du genre humain , en faisant regarder la paternité comme honorable, le célibat comme un vice, et la stétilité comme un opprobre. Je n'insiste sur cet effet naturel des impressions faites par les malheurs du monde, que paree quon s'est fait des idéés monstrueuses er exrravagantes sur 1'ancienne populanon : nos chronologistes, comme on leur a reproché , ont vraiment fait des hommes a coup de plume. Les premiers rems historiques nous présentent la surface de la terre couverte d'hommes , et partagée en des empires formidables; on en a conclu que les hommes êchappés au déluge n'avoienr eu rien de plus pressé que de songer a 1'ceuvre de la génération •, on n'a point consulté la marche de la nature ■, on a ignoré 1'inter- A a 1  371 L'Antiquité dévoilée valle immense qui séparoit le tems des révolutions et le tems de I'histoire. La tristesse et la frayeur des hommes ont dü retarder infiniment la réparation du genie humain, et la formation des nouvelles sociétés. VI. Ce seroit encore bien peu connoitre l'homme, ce seroit avoir une idéé bien fausse de la nature des tévolutions qui 1'ont tendu malheureux , que de croire que la terreur ne 1'air tendu malheuteux que duranf le tems de ces révolutions, et qu'échappé au pétil, il i'avoit aussi-tot oublié. Nous tremblons encore aujourd'hui des suites du déluge, et nos institutions a notre insu nous transmertent encore les craintes et les idéés apocalyptiques de nos premiers pères: la terreur'" se substitue de race en race, et 1'expérience des siècles ne peut que 1'affoiblir sans la faire totalement disparoitre, 1'enfant craindra a perpétuité ce qui a fait peur a ses ayeux. Cependant combien d'écrivains anciens et rnodernes ont eu de vues botnées ! Ils ont cru qne l'homme n'avoit presque point conservé la mémoire des évènemens terriblês qui avoient détruit son espèce et sa demeure ; ils se sont imaginé qu'un clin d'ceil avoit suffi pour remeitre le cal me et 1'harmonie dans la nature, er la sérénité dans son cceur. Ce n'est que par des dégrés insensibles que 1'ordre s'est remis sur Ia terre, et les coups de la nature ont long-tems retenn dans 1'ame des mortels. D'ailleurs tous les météores, les tonnèrres et les phénomènes extraordinaires, ainsi que les éclipses et les changemens dans le ciel furent long-tems des objets d'alarmes pour les nations qui ne connurent que par tradition les malheurs des hommes : lorsque leurs craintes s'arfólbnrénr, de nouvelles révolutions, de nouveaux volcans, de nouveaux tremblemens de terre, des inondations nouvelles, en un mot, les efforts perpétuels d'une nature toujours  par ses usages. Liv. VI. Ch. II. . 57) en action dürent sans cesse renouveller chez les hommes les craintes qui vouloient s'eftacer. Mille accidens moins généraux que le déluge , mais toujouts effrayans et destructeurs, ont du entretenir l'esprit des nations dans la crainte , et le replonger dans 1'abattement dont elles commencoient a sortk. Les hommes ainsi se sont maintenus dans le dégoüt de la vie , dans 1'espoit d'un avenir plus heureux, mais annoncé par des phénomènes redoutables qui les engagèrent a se livrer a différentes superstitions pour appaiser la divinité qu'ils jugèrent irritée contre leur espèce. Telle est, comme on a vu, la source de tous ces usages lugubres, cycliques et quelquefois sanguinaires que nous avons parcourus. Une crainte dégénérée en habitude , a fait attendre la fin du monde a la fin de chaque jour , de chaque semaine , de chaque mois , de chaque saison, de chaque année, de chaque lustre, de chaque siècle, et a la fin de chaque période imaginaire , qu'on a inventé par la suite. Rappellons-nous encore que les vues de 1'ancienne police ont été de cachet l'esprit primitif de tous ces usages funèbres, et alors nous verrons combien ces usages étoient anciens, combien ils se sont maintenus, et combien ils étoient enracinés, puisqu'ils ont été respectés par ceux mèmes qui vouloient en cachet l'esprit et les motifs. En effet, comment engaget des hommes qui s'attendent a la ruine du monde, qui n'osent descendre des montagnes, dont les pas peuvent tencontrer a peine des terreins secs et unis, a batir des villes, a cultiver des terres, a se multiplier, a perfectionner la soeiété (1). (i)SI 1'on rlouloit nue les craintes des hommes ne se soient long. «eins perpétuèes après le déluge, que 1'on considère que la première chose que foat ceux qui lout desceudus dans la plaine de Sennoar eet d» A a 5  374 L'Antiquité dévoilée Nous avons vu que cet état de tristesse et de découragement conduisit l'homme a la vie brutale et sauvage dans laquelle les premiers législateurs ont trouvé toutes les nations •, mais il ne faut pas s'imaginer que l'homme soit devenu sauvage tout d'abordj ainsi que la plüpart des traditions voudroientnous le faire croire, en croyant remonter aux premiers tems du monde, elles ne remontent en effet qu'aux premiers rems connus. La vie sauvage n'est que le second état physique qiü a été non 1'effet immédiat des révolutions, mais 1'effet des impressions faires long-tems après par ces révolutions. Ainsi nous sommes encore fort éloignés même de ce second état physique, oü I'histoire qui n'a pu pénétrer plus haur, a surpris l'homme vivant comme les brutes, et dans un état de stupidité et de barbarie. II faut connoitre les principes de conduite qu'il se fit avant que de tomber dans cet état, et nous ne pouvons parvenir a cette connoissance qu'en approfondissanr quels ont dü être ses idéés , ses opinions et son caractère dans les premiers tems de ses malheurs. Ce seroir bien peu connoitre 1'homme échappé aux calamités de la nature, et lui rendre bien peu de justice, que de dourer que dans ces tems déplorables, et dans les premiers ages qui les ont suivis, il n'ait été très-humain enyers ses semblables , et très-religieux envers Dieu, L'infottune tend le coeut sensible, et la crainte ramène a la soumission •, ainsi ses malheurs et ses craintes tinrent lieu de législateuts et de prédicateurs a l'homme ; ils tournèrent ses vues vers le ciel , vers ses semblables. batir une tour, pour se mettre a convert d'un nouveau déluge. Le» filles de Lóth, après l'e|nbra»eóient de Sodome , crurent que (out 1'univers éroit détruit. Genese , chap. XI; et Joseph. antiquit. jud. lib. I, cap. 3, 4 el n.  par ses usages. Liv. VI. Ch. IL. 17$ Cetre multitude d'institutions sévères et de pratiques austères, dont on trouve des vestiges dans I'histoire de presque tous les peuples anciens, na été, selon les apparences, qu'une suite de ces dispositions générales du genre humain. VII. Ce fut nécessairement dans ces premiers tems que s'établit fermement parmi les mortels réduits a un petit nombre, et pressés des mêmes besoins , 1'unité de principe, d'objet et d'action. Ce fut sous cette époque que les loix domestiques et paternelles furent les seules que 1'on connut. Les maux extrêmes du genre humain, et son extréme nécessité , ont donné lieu tout d'abord a des conventions simples et sages. L'homme ne se laissa pas d'abord guider par la coutume, il n eut pas besoin de consulter des philosbphes profonds , la raison et la nécessité lui apprirent tout ce qu'il avoit a faire. Sans doute que le spectacle des premières sociétés présenroit un coup d'ceil trèstouchant; aussi purs dans leurs mceurs que réguliers et simples dans leur conduite , tous les membres furent animés de commisération, d'amour mutuel.de bienfaisance , d'amitié , en un mot de toutes les vertus sodales j privés de rour superRu , et même souvent dii nécessaire , 1'égalité dut s'établit au milieu d'eux; il n'y eut point de domination, ni de distinction de propriété , tout fut en commun, et il régnoit une concorde parfaite entre le cceur des hommes. C'est sous ces traits que Séneque nous pekt lage d'or, « ce fut un » tems de justice , de charité et de religion ; ce fut le " tems oü les hommes apprirent a se soumettre aux » dieux , et suivirent purement la nature; ils vivoient » dans des cavernes, dans des troncs d'arbres et des » cabanes : les plus sages gouvenioient par le simplè Aa 4  i ?6 L'Antiquité dévo'dée » conseil, car commander étoit alors une charge et non »» une dignité ». Ainsi cet age dot si célèbte nest point un roman depoutvu de.vtaisemblance, ce fut sans doute k ce premier état des hommes que ce nom dut être donné; il subsista vers les premières époques du monde renouvellé, un tems ou 1'équité, 1'union, fégalité et la paix ont également régné sur les hommes. Si nous avons quelque chose a retrancher des récits de la- mythol 3gie , e nest que le tableau d'une natute riante . et foftunée qu'elle a cru devoir y joindre, puisque la terre n'oiLoit alors qu'une affreuse solirude; le genre humain ne fut jusre que sur les débris du monde. Si 1'on ne ttouve point de mystères établis chez les sauvages, comme chez les peuples policés , on n'y trouve^ point non plus I'histoire de 1'age d'or; c'est que lage d'ot n'a été que 1'état de misère oü les sauvages sont encore. Lage d'ot doit une grande partie de sa célébrité et des belles peintutes que 1'on en a faites aux mauvaises législations, et aux méchans gouvernemens qu'ont eu pat la suite des tems les nations policées de notie ancien hémisphète. L'esclavage que les grands Monarques établirent dans tout 1'orient, rappella et fit regretter 1'ancienne liberté dans laquelle les hommes avoient vécu. Comme 1'orienr fut policé et subjugué lorsque 1'occident fut encore long-tems sauvage , les tristes Asiatiques ont imaginé la fable que Saturne s'étoit retiré en Eürope ; on leplaca d'abord en Crète, puis en Italië ; et lorsque les maux de la ^soeiété avec ses biens eurent éré portés dans ces contrées, 011 dit que Saturne étoit relégué aux extrémités de 1'occident; dans ce sens, nous pouvons dire qu'il y est encore ; le régne de Saturne subsisté chez les sauvages de 1'Amérique.  par ses usages. Liv. VI. Ch. II. 577 II fallut plusieurs siècles a la nature pour se réparer et pour changer 1'affreux spectacle de sa ruine en celui que nous voyons aujourd'hui; c'est-la ce qui a retenu si long-tems le genre humain dans cet état sauvage qui nous paroit aujourd'hui surnaturel; mais la morale et le genre de vie de 1'age d'or , n'ont été propres qu'aux premiers tems qui suivirent la destruction du monde; ils n'ont pu subsister ensuite dans les sociétés aggrandies ourre mesure, paree qu'ils ne conviennent pas plus avec le luxe de la nature abondante et tranquille, qu'avec les passions er le luxe des nations paisibles et opulentes. A mesure que le séjour de l'homme s'est embelli et enrichi, a mesure que les families se sont multipliées et ont formé de plus grandes sociétés , le règne moral a du nécessairement céder au règne politique ; ce fut alors que le tien et le mien patutent dans le monde, non d'abord d'hommea homme, mais de familie a familie, de soeiété a soeiété ; la distinction de ptopriété devint indispensable, elle fait partie de cette mème harmonie qui a dü rentrer parmi les nations renouvellées, comme elle est insensiblement rentrée dans la narure remise des secousses qu'elle avoir éprouvées de la part des révolutions. Ainsi lage d'or est un état par lequel les hommes ont dü nécessairement passer : et cet age a été réellement un état de simplicité , de bonté,, de sainteté, en un mot une vie que nous trouvons surnarurelle et qui a mérité les justes éloges et les regrets de 1'antiquité quant au moral, mais très-peu quant au physique. C'est faute de distinguer ces deux choses que tant de spéculateuts se sont ttompés sur lage d'or, et nous en ont fait des peintutes chimériques. Ajoutons que lorsque des législations ent voulu dans d'autres tems ramener les usages de cet age primitif, le bien s'est changéen mal,  17^ L'Antiquité dévoilée et Fage d or s'est changé en un age de plomb. La suite- va confinnet ces réflexions , et prouvera qu'il n'y auroit peut-être jamais eu dage de fer si 1'on n'eut point wsé de cet age d'or, lorsqu'il n'en étoit plus tems. Tout est lié dans la nature; pour y rétablir lage d'or ïl faudroit que la terre für encore au même état ou elle étoit lorsque cet age subsistoit. VIII. Tels ont été les premiers, et nous pourrions &re les heureux effets des malheurs du monde sur le cceur humain 5 ils ont forcé les hommes a se réunir; dénués de tout, rendus pauvres par les désastres arrivés, et vivant dans 1'attente et dans la crainte de ceux dont ils se crurent menacés, la nécessité rassembla leurs tristes restes et les porta a se tenir inviolablement Wrös; II falloit metrre en ceuvre toutes ses facultés pour se secourir, se consoler ; l'homme sentitk besoin qu'il s de l'homme , et son ame prit une douceur que 1'adversité seule est capable de lui donner. Ces sentimens sont affoiblis parmi nous , mais les siècles des malheurs des hommes furent ceux de 1'humanité, de la cordialité , de la raison. Quoique I'histoire ne nous ait point transmis Ie détail des conventions que les hommes firent alors entre eux, elles sont aisées a connoitre, et quand on consulte la nature on les retrouve dans le fond de son cceur. Qui peut douter, par exemple, qu'une des premières suites de 1'impression que fit sut les hommes la vue de la ruïne du monde, n'ait été de bannir des sociétés cet esprit infernal et destructeur dont elles ont été animés par la suite? La violence , le meurtre,' la guerre, qui depuis lage d'or ont fait autant et plus de malheureux que le déluge lui-même , éroient des crtiaurés bien éloignées des premiers mortels. Instruits par la plus puissante des lecons, que Dieu  par ses usages. Liv. VI. Ch. II. 379 peut en un clin d'ceil exterminer le genre humain , ils stipulèrent sans doute entre eux de ne jamais répandre leur sang sur la terre : ce fut-la en effet le premier des préceptes de la loi de nature , les malheurs du monde dépeuplé durent y ramener les premiers hommes ; c'est une tradition précieuse que les Hébreux nous ont conservée. Les anciennes nations policées ont long-tems retenu certe horreur pour 1'effusion du sang-, elles vouloient qu'on expiat un meurtre nécessaire ou involontaire comme un meurtre criminel. Les peuples qui jusqu'a ce jour ont évité comme un crime de répandre le sang même des animaux, nous montrént des vestiges de cette antique humanité ; mais ce n'en est que Tombre , et ces mêmes peuples souvent barbares et cruels ï l'égard de leurs semblables , nous montrent bien qu'ils n'ont cherché qu'a éluder la première et la plus sacrée des loix. Cette horreur pour le sang s'est eneore conservée dans les ministres de 1'église chrérienne ; plut a Dieu que leurs passions n'eussent pas souvent démenti des principes si louables! L'homme des premiers tems se reconnoit par-tout a la douceur de ses mceurs, vous ne voyez en lui qu'union fraternelle , que bonté , que bienfaisance , que pitié, que simplicité , que soumission pour les pères et les vieillards, que crainte de 1'Etre suprème. Les traditions qui nous peignent les premières sociétés sous ces traits, sont vraies et fondées sur la nature d'un être malheureux; la terre malfieureuse fut le temple de la vertu , et le crime fut long-tems sans osër violer son sanctuaire. Ces heureuses dispositions du genre humain renaissant contribuérent a faire soutenir aux hommes le fardeau de leurs misères communes, il paroit qu'il auroit dü se trouver parmi eux des génies capables de retracer aux autres un plan pour réparer  3 8o L'Antiquité dévollée les maux ïnfinis que la nature humaine avoit essuyés; quelques-uns ce semble , auroient du sauver de 1'ancien monde quelques débris des sciences et des atts utiles ; cependant il n'y eut rien de tel, et quoique cela paroisse extraordinaire, il n est point difficile d'en trouver la raison. Dépourvus d'espérance , les premiers hommes ne songèrent plus a 1'avenir ; leur découragement étouffa toute ptévoyance; la crainte de Ia fin du monde ne les quitta jamais; ils cruient que les tems de la vengeance étoient arrivés; ils furent long-tems a se persuader que le monde.n'étoh plus susceptible d'établissemens solides. En un mot toutes leurs vues se tournèrent vers une vie future que la religion appelle encore Ie royaurne de Dieu. Ce som-la des dogmes donr l'esprit humain se nourrit dans toutes les révolutions de la nature et auxquelles les calamités les ramènent dans rous les tems , leur impressïon devoit être bien plus forte sur des hommes témoins ou instruits par leurs pères de Ia désolation des êtres. Le malheureux prend un plaisir fatal a se nourrir de sa douleur , il aime a s'en retracer les objets : ainsi les premiers hommes dans toutes leurs institutions se peignirent les maux qu'ils avoient soufferts et ceux qu'ils crurent a la fin devoir éteindre; cependant quelles qu'ayent été leurs précautions, une rradition sourde a transmis jusqu'a nous ces dogmes redoutables , et Souvent ils onr produit de funestes ravages dans les sociétés. Ces dogmes sacrés et respectables sans doute, ont souvent occasionné des révolutions fatales par la chaleur qu'ils ont portée dans des cercles malades ou foibles. Leur effet dans les premiets tems fut d'empêcher les hommes de se rallier, de songer a 1'avenir , de batit la soeiété sur des fondemens solides , de travailler pour la postérité : l'homme abusa de ces fausses  par ses usages. Liv. VI. Ch. II. 381 terreurs, er a force de crainte et de défianceil se rendidir inutile. Les législateurs , comme on a vu, dans 1'impossibilité de faire cesser ses craintes, sur lesquelles 1'expérience des siècles n'avoit encore pu le rassurer, lui en cachèrent les motifs, et lui firent des mystères de l'esprit qui avoit fait instituer ses usages-, par-la ils patTintent peu-a-peu a le ramener k la soeiété et a le faire travailler pour lui-même er pour sa postérité. Le calme fut long-tems rendu a la nature avant qu'il put se rétablir dans le cceur de l'homme. Long-tems les vertus de lage d'or furentperdues pour le monde, et rendues inutiles a une póstérité que 1'on n'osoit point se proïnettre. II auroit fallu pour un monde renaissant, que ces vertus eussent été animées par les principes de la sociabilité, malheureusement elles ne le furent que par le monde agonisant. Cet esprit, quelque sublime que soit la morale qu'il nous présente, est incapable de former des peuples policés et des nations industrieuses; pourquoi barir ou orner sa maison, si 1'on songe que 1'on doit la quitter ? Pourquoi semer ou planrer, si personne ne doit recueillir » Pourquoi travailler pout 1'avenir, si 1'on ne peut y compter. L'homme pénétré de ces idéés dirigera toute sa conduite sur des vues si courtes et si lugubres, il ne songera qu'au présent, il ne travaillera que pour lui seul, et sans souci pour le lendemain il vivra comme un sauvage. C'est ainsi qu'en usoient ces hommes échappés au déluge; tous justes qu'ils étoient, la terreur leur inspira des opinions fausses et déraisonnables qui les conduisirent peu-a-peu a une vie sauvage et barbare, dont la législation eut beaucoup de peine a les tirer. IX. Ce n'est donc point un état politique qu'il faut chercher dans 1'age d'or, ce fut un état tout relir™ix. Chaque faraill° '*ykü^***Hiées jugemens d'en-Hr'-,  382 L'Antiquité dévoilée vécut quelque tems sous la conduite des pères qui rassembloient leurs enfans : on cherchoit sa subsistance en commun, le reste du tems se passoit a s'entrerenir du sort de la tetre, a méditer ses malheurs, a s'occuper du destin qui 1'attendoit, a se consoler réciproquement de ses maux ptésens par 1'espétance d'un avenir plus heureux et plus durable. II seroit intéressant de pouvoir pénétrer dans toutes les méditations religieuses de ces premiers contemplatifs : agitèrent-ils la grande quesrion de 1'origine du bien et du mal; a qui attribuèrent-ils les affreux malheurs qui désoloient alors 1'univers 2 Le systéme des deux principes que 1'on voit établi dans l'antiquité la plus reculée auroit-il été le fruit de ces tristes méditations ? quelque faux qu'il soit, qui sait s'il n'a pas épargné a la terre un athéisme universel ? Quoiqu'il en soit, toutes les instructions des pères et des vieillards durent avoir pour objet les malheurs de la terre, les calamirés du genre humain et ses espérances futures; routes servirent a cultiver les vertus qui ■ conduisent a une vie plus heureuse' : on s'habitua a mépriser une terre devenue misérable et maudite ; on s'y regarda comme des voyageurs, des étrangers , des exilés. Le besoin des loix ne se fit point sentir a des hommes que la nécessité tenoit unis et qu'elle rendoit honnêtes , simples et désintéressés, ils vécurent sans 3, re dépendance que celle des enfans relarivement a leurs pères , sans autre roi que le Dieu qu'ils invoquoient, qu'ils désiroient, qu'ils attendoient. Chaque familie formoit une communauté religieuse qui s'occupoit uniquement de la vie fortunée qu'elle attendoit par la suite et que la religion peignoir comme prochaine. Les siècles inattendus qui suivirent , auroient dü détromper l'homme de ce qu'il y avoit de faux dans ses  par ses usages. Liv. VI. Ch. II. idees; mais l'espérance ne se rebute jamais , et des impressions aussi profondes ne purent s'effacer de longtems ; la crainte, la simplicité avoient fait adoprer ces principes dans les premiers tems, le préjugé et 1'habitude les perpétuèrent dans les ages suivans; on ne fk que s'entretenir de ses illusions , et les hommes remplis de leurs attentes, soit agréables, soit funestes , fureni! toujours prêts a espérer ou a trembler aux moindres changemens qu'ils virent dans le ciel et sur la tetre ; que dis-je ! ils crurent voir la fin du monde a chaque fin de période , et les nations adoptèrent un cyclisme qui ne fut que le fruit des inquiétudes des premie» hommes. Les premières sociétés ou families, quelque pauvrer qu'elles fussenr, se trouvèrent très-bien des mceurs que cette doctrine leur avoit suggérées : elles s'habituèrent a un genre de vie qui étoit 1'aliment de leurs vertus ^ d'ailleurs elles jouissoient de la liberté, personne nea avoir encore abusé; a quoi eüt servi une nouvelle police sinon a gêner inutilement ? qu'étoit il besoin d'une plus grande industrie , elle n'eüt fait que distraire riioname de ses idéés reiigieuses et funèbres, et lui créer dé nouveaux besoins ? On resta donc très-long-tems dans le premier état oü 1'on étoit tombé, on fut long-tems sans chercher une vie plus douce, et 1'on continua i regarder Dieu seul comme le monarque de la soeiété. Voila ce que 1'antiquité anommê 1'age d'orou le règne de Saturne. X. Voyons actuellement quelles furent les suites de ce g nre de vie et de cette facon de penser. Ce fut 1'oubli des arts et une négligence totale de 1'agriculture et' de rous les usages utiles. Tant que 1'on ne fut quen petit nombre, on en sentit peu la privation, ou da moins on put la suppottet; on s'habitua aux noum-  384 L'Antiquité dévoilée tures grossières et que la terte fournissoit d'elle-même; la pêche devint ensuite une tessource ainsi que la chasse, elles achevètent de faire perdre toute idéé de travail et d industrie. C'est cette brillante misère que tous les poëtes ont chantée; c est celle que quelques philosophes de nos jouts ont tegrettée comme le comble de la félicité. Dans les premiers tems on put donc vivte de la chait des animaux qui se réfugièrenr ainsi que les hommes , sur les hauteurs , et demeurèrent quelque tems avec eux. En effet les animaux sont aussi susceptibles 'que les hommes d'être effrayés des révolutions de la nature, et la crainte óte aux uns comme aux auttes leur méchanceté : c'est-la sans doute ce qui a donné lieu aux fables qui disent que dans lage d'ot les bêtes vivoient avec les hommes et ne leur faisoient aucun mal, et que les loups paissoient avec les agneaux , Sec. Mais comme ces animaux oublièrent plutót leurs misères, et peuplèrent plus promptement que l'homme, ils quittèrent avant lui leurs asiles pour se répandre dans les plaines, et rendus a leur voracité naturelle ils devinrent assez nombreux pour venir attaquet les hommes dans les endroits oü ils s'étoient retités; ceux-ci dépourvus des moyens de se défendre, furent réduits a errer de cavernes en cavernes, ou de monter sut les arbres, comme nous disent les traditions chinoises, pour y ttouvet la süreté. Au reste cela même peut éguiser 1'industrie de l'homme, et le besoin de se défendre dut le forcer assez promptement a s'armer et a devenit chasseur. Ainsi 1'age d'or a été une vie semblable a celle des sauvages que nous avons trouvés en Amérique, et peutêtre étoit-elle plus misérable que la leur ; ceux- ci trouvèrent au moins une terre couverte de fruits et de Verdure, des forèts remplies d'animaux, er leur industrie  par ses usages. Liv. FL Ch. II. 38; trie est parvenue a leut procurer des moyens pour subsister ; au lieu que les premiers hommes habitoient une terre détruite s désolée , couverte de boue , de marais et de sable, et qui ne leur' fournissoit qu'une subsistance précaire. Cependant il ne faut pas nous peindre les premiers hommes semblables a nos sauvages rnodernes du coté des mceurs, ils ressembloient plutót de ce coté-la a nos sauvages volontaires que nous appellons hermltes , moines , anachoretes ; ils étoient remplis de la crainte de Dieu 3 de dégoüt pour le monde et d'espérances pour 1'avenif; leurs mceurs étoient pures, leur esprit continüellement occupé des méditations sétieuses de la religion et de lacontemplation du royaume céleste. Le paralèlle seroit plus exact si les premiers hermites ou sauvages de lage d'or eussent gardé le célibar aussi scrupuleusement que les noties ; mais ils n'en ont point usé de même , comme nous 1'avons dit, et il est bon d'examiner ce qui seroit résulré de la propagation des anciens par ce qui seroit résulré de la propagation des nótres , s'ils n'eussent point fait vceu de célibat. En effet les villes entièfés de moines qui se formèrent dans la Thébaïde , si le mariage y eüt été admis, eussent a la fin formé des nations considérables; la difficulté des subsistances les eüt forcés d'occuper un plus grand terrein j des colonies de moines eussent été peupler d'autres déserts; ces colonies se fussent peu-apeu écattées du centre de la discipline qui auroit dégénéré , er tous les principes primitifs de leur institution monastique étant venus a s'altéfer, il en auroit résulté des peuples errans et sauvages. Qui sait même si les descendans de quelques-uns-uns des solitaires de la Thébaïde, dégoütés du célibat, ne peuplent pas aujourd'hui quelques déserts d'Affïque oü ils mangent de la chair humaine ? Tom: II. B b  3 86 L'Antiquité dévoilée La mème chose est arrivée aux families ou sociétés primitives ; elles dégénérèrent a mesure qu'elles se multiplièrent, plus elles s'écartèrent du centre commun, plus elles perdirent l'esprit primitif, et 1'on vit deux sortes d'hommes sur la terre; les premiers en petit nombre, furent ceux qui se maintinrenr le plus longtems dans leurs premiers domiciles , et qui y formèrent des sociétés plus lixes et plus considérables; les seconds furent ceux qui sortirent de ces sociétés et qui s'en écartèrent peu-a-peu et de tems a autre. C'est chez les premiers que 1'on vit renaitre les législations, les gouvernemens et les cultes religieux ; quant aux autres, elles formèrent ces nations vagabondes et sauvages qui se sont répandues sur presque toutes les parties de la terre, et que neus trouvons encore en beaucoup de contrées. XI. L'état de toutes ces nations est le second état physique dont nous avons parlé; il a été, cemme cn a dit, moins la suite immédiate des révolutions de la terre, que la suite des impressions de terreur et de dégout, que ces révolutions firent sur les hommes. Dès-lors ils perdirent totalement l'esprit de la soeiété , ils vécurent cn vagabonds, en pélerins, en voyageurs, et quelques- uns d'cntr'eux n'ont point encore pu se réunir parfaitement : religieux , simples dans 1'origine,ils devinrent peu-a-peu ignorans, féroces et sauvages; ils oublièrent leurs notions primitives de la divinité de leurs ancètres; leurs ames rorabèrent dans 1'inertie et dans i'indolence, ils furent sans prévoyance , sans arts, sans industrie; une raison peu cultivée les fit tomb:r dans une anarchie totale, et leur liberté ne fur que la triste faculté de pouvoir se dévorer et se détruire réciproquement comme des bétes féroces. Nous ne disons rien ici sur 1'origine des sauvages a  par ses usages. Liv. VI. Ch. II. 387 quoi les livres précédens n'ayent dü préparer. Nous y avons vu que leurs traditions et leurs usages étoient sortis des sources primitives et communes a tous les petspies de la terre, et fondés sur les préventions universelles de la plus haute antiquité. Nous avons même eu souvetit lieu de nous appercevoir que les principes des usages universels étoient inieux motivés chez les sauvages que chez les nations policées, a qui les législations ont fait perdre l'esprit de leurs institutions pour ramener les hommes a une vie meilleure , plus douce et moins inquiète. Cela doit nous prouver. i°. que la vie sauvage a précédé 1'état pclicé des plus anciennes nations connues •, 2.0. que les idéés cycliques et apocalyptiques des sauvages et les usages qui y ont rapport, n'ont point été apportés chez eux par aucune des nations que I'histoire nous fait connoitre , mais que ces notions leur sont prepres, et qu'elles ont été celles de toutes les petites sociétés qui échappèrent aux ravages du déluge. On appelle communément état de nature, 1'état erraitt et vagabond oü l'homme vécut long-tems : rien de plus comraun parmi nous , que de clire que les sauvages sont dans 1'état de nature, tout ce que nous avons vu nous prouve combien cette facon de parler est fausse, ou du moins demande a être expliquée: L'état de nature animal est un état sans réflexion, soumis au hazard et au caprice qui rapproche rhomme de la brute. L'état de nature convenable a un homme , est un état de raison et de réflexion, puisqu'il est de 1'essence de son ame de penser et de réfiéchir. C'est donc par cet état seil qu'il a pu commencer; l'homme n'est tombée dans la vie sauvage, qui n'est qu'un état de nature animal, que lorsqu'il a cesséde raisonner sur les.mceurs et sur les usages qu'il tenoit de ses ancètres, ou lorsqu'il a con- ■ tinué a les suivre sans en connoitre l'esprit. En eiTet, Eb 2  J88 L'Antiquité dévoilèe dès qu'il a cessé d'être guidé par la raison et la réflexion, il n'a plus mené qu'une vie d'habitude etpurement machinale : sa conduite n'a pu manquer de s'altérer et de se dépraver de plus en plus 5 tout usage dont l'esprit n'est point connu, conduit l'homme, sans qu'il s'en appercoive, dans les erreurs les plus opposées a la raison. Non-seulement tous les excès de la vie sauvage sont venus de cette ignorance, mais encore elle a été la source de tous ceux qui se sont introduits dans la religion, dans la politique et dans les mceurs. C'est une vérité que je prouverai dans un ouvrage dont celui-ci n'est pour ainsi dire que 1'introduction : j'y montrerai les suites pernicieuses que 1'ignorance des motifs de la religion primitive des hommes, a eu pour toutes les nations; on y verra que c'est de cette source empoisonnee, que sont sortis la superstition la plus aveugle, le despotisme le plus insupportable, et les mceurs les plus féroces. Que 1'on ne regardé point ceci comme un paradoxe, pour en convaincre, traccns ici une légere esquisse de la.suite des faits qui ont suivi la catastrophe du deluge , je ne ferai qu'en étendre le tableau dans 1'ouvrage qui suivra celui-ci et qui en sera le complément (1). XII. L'homme, quoiqu'échappé aux malheurs du monde, ne cessa point pour cela de craindre. La terreur dont il fut saisi lui fir regarder les grands coups dont il étoit frappé , comme les préludes de la ruine totale de 1'univers •, il s'y attendit de jour en jour et il s'y prépara en conséqnence, son esprit livre a la mélancolie se remplit cle chimères relatives a son état et a celui de la nature, sa morale fut la morale d'un monde agonisant, il crut qu'il devoit d'avance se détacher d'une (1) Ce sont les Recherches de l'origine du Despotisme Oriental , lome UI, de cette édition.  par ses usages. Liv^ VI. Ch. II. 3S9 terre fragile et misérable. Ces principes qui nous paroissent aujourd'hui si sublimes, étoienr alors naturels et fondés sur 1'expérience fatale que rhomme venoit de faire de la fragilité desademeure. Sa conduite devjntpar-la touta-fait religieuse; sa vie ne fut que ptovisoire, paree qu'il ne compta plus sur la durée des choses. Cette vie fut d'abord misérable, mais ensuite elle devint plus doucei elle futpauvre, mais long-tems innocente, c'est elle qui forma ce que Ton a désigné sous le nom de Vage d'or; état que le christianisme a voulu depuis rapporter sur la terre, en renouvellant les idéés de la fin du monde et du royaume céleste, que nous attendons au sortir de cette vallée de larmes. Les enfans de Thomme sauvé du déluge persévérèrent quelque tems dans cet état sumaturel, plusieurs gênérations se conduisirent par les mêmes principes : la première ferveur fait qu'on ne se défie point de Tavenir, et les préjugés empêchent de pré voir les différens abus qui peuvent naitre d'une vie indolente et paresseuse. Quelques families se séparent du gros de la soeiété et vont se perdre dans les déserrs ou elles forment, comme on a vu, des peuplades sauvages. Cependant plusieurs famillqs réunies continuent de vivre en soeiété, c'est d'elle que descendent les premières nations policées, ces families ne cessent point pour cela de vivre sous la discipline de Tage d'or; elles se maintiennent par les seules loix de la religion, elle ne reconnoissent d'autre roi que le dieu qu'elles adorent et qu'elles attendent sans cesse. Cette manière de vivre habitué insensiblement ces premières sociétés a un gouvernemenr mystique et saturnal, dont le plan n'est qu'une pieuse fiction, et dont on soutient Textérieur et la forme par un appareil de convention qu'on imagine, qu'on augmente et que Ton exagère peu a peu. Bb 3  3fo L''Antiquitédévoilée La multitude de-s pratiques, des usages et des suppositions auxquels on est obligé de recourir, confond d ages en ages les premières idéés des hommes; leur esprit segare; ils prennent a la lettre tous leurs rites et leur culte; il en résulte nécessairement une foule de préjugés religieux et politiques; une infinité d'usages bisarres et déraisonables; des abus et des fables sans nombre pour les expliquer. Toutes ces choses venant a fermenter dans l'esprit des hommes, changent avec le tems la nature de ce gouvernement théocratique, en font oublier ie nom, les principes et 1'origine, et précipitent enfin la religion, la police et I'histoire des premiers ages dans le cahos le plus obcur. Ce gouvernemenr mysrique et surnaturel qui succéda a lage d'or et qui fut une de ses suites, est le même qu'une mythologie universelle, qui a recueihi les foibles restes de ces premiers ages, a appellé h règne des dieux. Cette facon de s'exprimer ne désigne autre chose que le règne de Dieu, connu de quelques anciens peuples sous le nom de théocratie. XIII. Le tems qui a enveloppé de ses voiles les plus épais la théocratie primkive des nations payennes n'a point permis jusqu'ici a I'histoire d'en connoitre les annales et d'en mcntrer les monumens: le seul moven de connoitre ce gouvernement est de consulter la chose même. Qu'est-ce qu'une théocratie? C'est un gouvernement dans lequel la soeiété, non seuiement adore 1'Etre suprème cemme son Dieu, mais suppose encore qu'il est son roi immédiat et particulier : ensorte que toutes les loix dérivent de lui et s'exécutent en censéquenee de cette supposirion. C'est un gouvernement dans lequel moins le lien civil et politique est senrible et visible, plus on fair d'efrorts pour y suppléer par un extérieur er par un appareii de ccn-  par ses usages. Liv. FI.Ch.II. 3 91 «riffen. Ainsi V'Êtte suprème dans ce ^ gouvernement fut trairé comme un monarque, c'est-a-dire comme un homme: dèslors ils fut avili; la politique fut subordonnée a la religion, ce qui a corrompu et pcrverti 1'une et 1'autre. On donna une maison au dieu monarque, et cette mai son devint un temple; on y placa un trone qui devint un sanctuaire; on y placa par la suite unemblême, ou une image quelconque, et cette image attira les regards et les voeux des peuples et devint une idole. On dressa une table devant le dieu monarque, et cette table se convertit en autel. On couvroit cette table d'abord de pain, de, vin, de fruits, et ensuite on y immola des animaux, puis des hommes, des rois'des enfans des rois et des milhers de victimes humaines. En regardant Dieu comme un roi, on se crut obligé de le nourrir, et comme le préjugé le fit regarder comme un roi méchant et qui se plak a la destruction des hommes, on voulut le repaitre du sang des hommes, Enfin on donna a c? monarque des ministres et des officiers; de-la le sacerdoce. Dans un tel gouvernement il fallut supposer que toutes les loix que suivoit la soeiété émanoient du dieu monarque. Voila la source de routes les révélations vraies ou fausses. On fut cbhgé d'imaginer des moyens pour connoitre les intentions d'un roi qu'on ne pouvoit entendre; de-la les oracles, les divinations, les augures, les haruspices. Enfin on eut recours a mille suppositions et a mille conventions de cette nature fondées sur des principes illusoires, et dont 1'imposture ne profita que rrop souvent pour aveugler les hommes. Ee dieu monarque recut des tributs, des dixmes, des troupeaux, des terres, des chevaux, des armes; et traité en tout comme un monarque ordinaire il eut des femmes et des enfans. Chacun de ses usages fut Bb 4  391 L'Antiquité dévoilée ensuite le principe d'une foule d'erreurs plus ou moins ridicules ou criminelles, chaque partie du cérémonial fut la source de quelques abus:ces erreurs et ces abus consacrés par le tems ne cessèrent plus d'infecter les législations, les religions et les mceurs, er d'altérer le bon sens de toutes les nations de la terre. XIV. Si la théocratie par les abus qu'elle entraina ne servit qu'a avilir la divinité en la faisant descendre au rang d'un homme quelquefois cruel et méchant, si elle corrompit la religion primitive, elle contribua aussi h. dégrader l'homme et a le rendre esclave dans la soeiété. La grandeur excessive d'un dieu monarque exigeoit de ses sujets une soumission sans bornes; cette soumission fut d'abord route religieuse et légitime; mais elle se convertit bientöt en un esclavage politique et injuste. Le règne d'un dieu ne peut être que despotique et absolu par sa nature; il ne peut y avoir de conventions ou de traités entre la créature et 1'auteur de son être. Dieu, sous son gouvernement mystique, étoit un sultan invisible; ses officiers ou ses prêrres furent ses visirs, ils devinrent a la fin les seuls rnaitres de la soeiété. On pourroit donc donner au règne des dieux le nom de règne des prêtres ; en effet, c'est sous ce règne, que I'histoire ne nous a pas fait connoitre, que le sacerdoce a jetté les fondemens de cette énorme puissance dont on voit déja les effets dans les annales des plus anciens peuples , et dont 1'abus s'est fait sentir jusqu'a nous. Chargés du soin des biens du dieu monarque, les prêtres ont fini par s'identifier avec lui, et même, sous le christianisme, peu s'en est fallu que le vicaire d'un Dieu , qui a déclaré que son royaume n'étoit pas de ce monde, n'ait envahi en Europe la monarchie universelle , et n'ait asservi les souverains mème a ses loix. -  par ses usages. Liv: VI. Ch. II. 393 Les officiers, ou ministres de la théocratie primitive, abusèrent de mille manières d'un gouvernement illusoire, qui leur laissoit toute 1'autorité. Les peuples, dans presque tous les pays, devinrent les victimes de leur avarice, de leur ambition et de leur brutalité. Comme on avoir donné des femmes au dieu monarque , ses prêtres se chargèrent du sein de remplir pour lui le devoir conjugal, et de lui donnet lignée, les temples devinrent des lieux de prostitution; les prêtres corrompirent les mceurs des peuples qu'ils étoient faits pour conserver, et ils poussèrent 1'impudence jusqu'a faire passer les fruits de leur incontinence pour les enfans du dieu monarque. Ces enfans merveilleux formèrent une race nouvelle que 1'on nomma celle des demi-dieux; ils gouvernèrent les hommes en vertu de leur origine céleste, ils se rendirent recommandables par leurs services et par les inventions utiles qu'ils enseignèrent aux hommes. Plusieurs de ces héros divins devinrent les législateurs des peuples, insrituèrent des mvstères, et ramenèrent, comme ona vu, les hommes a la vie sociale, en leur cachant les dogmes tristes et funèbres qui jusques-la les avoient empêché de travailler a leur bonheur. Aux fêtes lamentables ils subsrituèrent des fêtes gaies et bruyantes; ils multiplièrent la vigne, et rendirent l'usage du vin plus commun, afin de potter la joie dans les ames engourdis. Les hommes jusqu'alors n'avoient été que chasseurs et pasteurs, ces demi-dieux les rendirent cultivateurs, ils les délassèrent par la musique, par la danse et par les jeux qu'ils insrituèrent. Les sociétés se mulriplièrent, elles furent ebligées de defricher et de dessécher leurs terreins que le tems avoit couverts d'immenses forèts, et dont une grande partie étoit encore inondée. Ainsi ces demi-dieux firent succéekr le travail a la  3^4 L'Antiquité dcvöikc contemplation et une vie active a cette indclence funeste dans laquelle les hommes avoient été piongés. II y eut alors du mouvement et du ressort dans les nations; le genre humain se réveiHa comme d'une profonde léthargie; il descendit des montagnes oü la crainte semblcit 1'avoir fixé, et sous la conduite de ses héros il alla chercher des contrées plus commodes, que ses soins rendirent fertiles; on batit des villes, et les sociétés aggrandies formèrent peu-a-peu de grands empires. Cependant 1'ambiticn de ces demi-dieux excita souvent des guerres entre eux; les nouveaux culres qu'ils apporrèrent firent souvent naitre des démélés entre eux et les prêtres qui ne se virent point sans chagrin dépouillés d'une autorité qu'ils exercoient eux-mêmes au nom des dieux sous la théocratie. Fatigués de ces querelles souvent sanglantes, les nations se donnèrent des rois, ou forcèrent leurs prêtres a leur en donner. Le choix romba communément sur un des enfans des dieux , er le sceptre devint héréditaire dans leur postérité. Ce fut alors qu'on vit paroirre 1''Andrarchle, ou le règne des rois, que nous voyons subsister de nos jours. XV. Si l'msritution des rois eüt été 1'ouvrage de la seule raison, elle eüt été aussi utile aux hommes qu'ils avoient pu s'en flatter; mais lorsqu'ils eurent recours a cette institution, leur esprit étoit encore si préoccupé des préjugés que les gouvernemens antététieurs avoient fait naitre, que le règne des rois dégénéra bientut en abus. Les sociétés accoutumées depuis des siècles a être gouvernées au nom de la divinité, ne crurent point se soumettre a un homme en se soumettant a un roi; elles ne pensoient pas même alors qu'une simpte raison humaine put suffire au maintien de 1?. soeiété. La théocratie avoit afFoibii  par ses usages. Liv. VI. Ch. II. 395 le ressort des esprits; elle avoit insensiblement conduit rhomme a méconnoitre ses droics, a mépriser sa raison, a se laisser guider aveuglément; il s' étoit accoutumé a ne plus penser et même a ne plus vouloit par lui-même. Le règne des demi-dieux ne fut qu'une théocratie prolongée; les demi-dieux commandèrent aux peuples au nom des dieux dont ils prètendoient descendre, et les rois qui succédèrent trouvèrent dans les esprits des peuples des préjugés dont ils abusèrent pour les asservir et pour les tenir irrévocablement enchainés. Le premier roi fht regardé comme une idole, et recut les mêmes hommages que les emblêmes du dieu monarque avoient recus sous la rhéocratie: ainsi les rois ne furent plus des hommes ordinaires, souvent ils renoncèrent aux sentimens de leur nature 3 et se crurent en droit de tyranniser impunément des sociétés qui n'osèrent pas plus s'opposer a leurs projets qu'a ceux de la divinité; les rois gouvernèrent comme les dieux, et les peuples engourdis se soumirent sans murmure a leurs volontés les plus bizarres. Telle fut 1'origine de ce gouvernement destructeur connu sous le nom de despotisme3 que 1'on voit établi dans presque toutes les parties du monde. II est cependant quelques pays heureux qui onr eu le bonheur de se soustraire a ses coups et de substituer la raison publique ou la loi a la volonté de l'homme. C'est sous cette monarchie que les sociétés ont été les plus heureuses; tel est le fruit de la raison perfectionnée des peuples revenus enfin des préjugés théocratiques qui aveugloient leurs pères dans 1'antiquité la plus reculée. En effet toutes les erreurs humaines, par une longue chaine, remontent a cet age primitif qui jusqu'ici étoit demeuré couvert de la nuit du tems. On ne  L''Antiquité dévo'rfée sauroit trop étudier eer age, puisque c'est lui qui renferme les principes et les causes de toutes les institutions et de toutes les opinions dont nous trouvons des tracés plus ou moins fortes, même dans les tems actuels. Nous y verrons la source féconde de presque toutes les idéés politiques et religieuses; nous y trouverrons 1'origine de la grandeur des rois et de 1'abaissement des peuples; nous y démtlerons la cause du pouvoit immense que le sacerdoce s'est acquis dans toutes les sociétés que cet ordre, toujours rival des rois, a souvent ébranlées, Nous y verrons le principe de ces terreurs qui en différens siècles ont allarmé les esprits des hommes toujours préöccupés des idéés de la destruction du monde; c'est de-la que nous verrons sortir ce fanatisme desrructeur, eer enthousiasme qui porte souvent les hommes aux plus grands excès contre eux-mêmes er cpntce leurs semblables , cet esprit de persécution et d'intolérance qui, sous le nom de zèle, fair que l'homme se croir en droit de tourmenter tous ceux qui n'adorent point avec lui le même monarque céleste , ou qui n'ont point de son essence et de son culte les mêmes idéés que lui. Tels sont les matériaux que nous fournissent les premiers ages du monde pour composer I'histoire de 1 homme en soeiété : c'est a l'homme échappé du déluge que commence cette chaine immense d'égaremens et d'erreurs qui s'est continuée jusqu'a nous. Cependant dans quelques climats les nations fatiguées de leurs maux et des législations déraisonnables que le préiugé leur avoit imposées, formèrent ou des répubhques ou des monarchies tempérées, randis que le reste de la terre continua a adorer ses fers. Ici I'histoire peut éclairer nos recherches; elle nous montre  par ses usages. liv. VI. Ch. II. 39des peuples ennemis de la tyrannie , sentir la dignité de leur être, s'occuper du bonheur commun, rérléchir et consulter la raison. II est vrai que souvent ils tombèrent dans de nouvelles fautes produites par 1'inexpérience d'une raison encore foible et, pour ainsi dire, au berceau, ou par un reste d'attachement a d'anciens préjugés dont les gouvernemens les plus sages ne son: point tout-a-fait exempts. Tous les progrès de la science législative ont été long-tems retardés par les premiers égaremens du genre humain et par 1'oubli oü 1'on est ensuite tombé de I'histoire de ces égaremens. Ce sera donc rendre un grand service aux législations présentes et futures que de leur présenter le tableau des vices des législations passées, afin d'instruire et de corriger l'homme par le spectacle de ses erreurs. Une vie qui n'est forjdée que sur le préjugé, la routine er l'usage, me paroit aussi répréhensible qu'une vie sauvage et animale, toutes deux conduisent également les sociétés au hazard, et les soumettent au caprice et a la déraison. Je tiens que tout usage dont on ne connoit point l'esprit, doit être aboli comme dangereux; tout usage utile dans son origine doit être aboli dès que son utilité cesse. Enfin je regardé comme un corrollaire de toutes les vérités qui ont été établies dans cet ouvrage, que lorsqu'un peuple sauvage vient a êtte civilisé, il ne faut jamais mettre fin a 1'acte, de la civilisation en lui donnant des loix fixes et irrévocables: il faut lui faire regarder la législation qu'on lui donne comme une civilisation continuée; elle doit lui apprendre a agir, non par routine ou par habitude, mais elle doit lui apprendre a raisonncr sur toutes ses actions et sur la loi elle-même. Tout gouvernement qui óte au peuple .la hberté de penser, de s'instruire et de raisonner, avóue qu'il ne Yeut eom-  5