O E U V R E S D E BOULLANGER. TOME TROISIÈME.   O E U Y R E S; D E BOULLANGER. Homo , quotl rationis est particeps, eonsequentiam cernit, causas rerum videt, earumquejïrogrcssus et quasi antecessiones non ignorat , simijitudines comparac, icbus praescntibus adjungit, atque annectit faturas. Ciciro de offic. Ub. 1. c, 4. TOME TROISIÉME. A AMSTERDAM^ 1 7 9 4-   L E T T R E DE L' AUTEUR A M. * * *. JPuis-je vöus demander , Monsieur, si les vains trophées que la superstition s'est dressés a 1'occasion de votre ouvrage ont pu altérer la sérénité de votre grande ame; Je ne le trouverois pas étonnant. Corame homme vous pouvez être sensible a la persécution, et comme philosophe vous pouvez plaindre la philosophie outragée et persécutée. Quoiquil en soit, je veux aujourd'hui vous distraire d'un objet que la grande proximité peut vous rendre trop touchant et trcp vif. C'est dans ce dessein que je vous invite a vous transporter avec moi dans 1'avenir, pour considérer de loin ce tems présent, et pour le voir de ce même ceil juste et tranquille que vous savez si bien porter sur le passé. Voyons ensemble la superstition lutter dans toute la succession des tems contre le génie et les connoissances , sans qu'elle ait cependant pu jamais en arrêter totalement la marche et les progrès. Voyons les apötres de Terreur et de la fable toujours honteusement laches , et ridiculement fiers et impudens , persécuter les grands hommes, sans pouvoir empêcher qu'une vénérarion constante nous en transmette les noms et les éloges. Voyons le livre de Y esprit paroitre au mois d'aout 17/8, proscrit par des arrêts , des mandemens et des critiques , tandis que plus de vingt éditions faites avant la fin de la mème année, dans toutes les grandes villes Tome III. A  2 Lettrede l'a u t e u r de 1'Europe, publient la réclamation et le suffrage de tout ce qu'il y a d'êtres pensans dans le monde phi- losophique. Voila de ces spectacles, que je vous invite a considérer. Vus de ce point reculé j ils sont consolans , paree qu'ils sont vus tout entiers, et qu'on en saisit mieux alors le dénouement, qui est toujours letriomphe de la philosophe et la récompense du mérite persécuté. Voyez donc, s'il le faut, votre tems comme une antiquité. Pour moi, en considérant de ce lointain les brigues , les cabales de Terreur , et tous les dirlérens róles que font la méchanceté et la haine en sa faveur , je remarque que sous votre époque, vous y faires le róle de grand homme : que tous ces cris, qui de prés paroitroient sans doute des rugissemens, ne sont que des cris de grenouilles qui se perdent dans la sphère d'un étroit horison ; que les traces de ces reptiles s effacent dans leur limon; je vois que votre nom seul et votre ouvrage s'élèvent et subsistent pour faire la méditation de tous ceux qui savent lire et penser, et qu'enfin les critiques tcmbent oubüées j paree qu' on n'a pu vous rien reprocher personnellement, et paree que dans votre vie vous n'avez fait que des actions grandes, nobles et généreuses ; présomption forte pour votre fa^on de penser, si on ne la connoissoit pas. Comment, hélas, toute cette fourmillière incapable de lire et de juger de votre ouvrage, et qui n'en paile que d'après la voix des arrêts et des mandemens, pourvoit-elle en imposer a la postérité 5 Quant a ceux qu'on auroit lieu de croire plus éclairés , et qui néanmoins crient avec les autres ; ce sont des ames foibles que le torrent entraine ; ce sont des esprits politiques que Tintérêt d'un nom, d'un titre ou d'un caractère sou-  A M. 3 léve contre leurs propres lumières. Ils veulen: conserver sur le reste des hommes une puissance que ditFérens hasards ont établie sur 1'imbécilliré et sur 1'ignorance. Ce sont, a la vérité, ces gens-la, ces apostats volontaires de la vérité et de la raison , qui seuls peuvent être a craindre, si ce n'est pour 1'avenir, au moins pour le présent : eux par qui se sont toujours laissés inspirer er conduire les gouvernemens foibles. Si vous êres persécuté , peut-être payez-vous comme dermer pour vos prédécesseurs : en ce cas il n'y auroit rien de flatteur a annoncer a ceux qui oseront encore continuer cette chaine d'écrivains nobles et hardis. Si vous aviez donc a vous affliger j Monsieur, ce seroit sur vos successeurs; ceux-la en effet pourront être bien plus maltraités que vous , a moins que le chapitre des accidens ne change le train des choses. J'ai cependant une grande conflance dans ce chapitre; le même hasard , par exemple , qui nous donne et nous óte si fréquemment tant de ministres mauvais ou médiocres, ne peut-il pas nous en donner un bon ? Mais j'ai bien plus de conflance dans 1'esprit général qui se monte de plus en plus sur le ton de la raison et de l humanité , j'ai bien plus de conflance sur le progrès des connoissances, ce Heuve immense qui grossit tous les jours et qu'aucune puissance ( si ce n'est un déluge) ne peut plus aujourd'hui se flatter d'arréter; quelle soif pour 1'instmction n'indique pas le prodigieux et rapide débit de votre ouvrage ! Enfin j'ai encore une grande conflance dans les sottises mémes de nos Hiérophantes j dans les querelles intestines de nos Galles et de nos Archigalles, dans 1'ambition indiscrère du phantöme hiérarcbique, et dans le mépris universe.1 ou il est tombé malgré tout 1'appareil de son crécüt. Voici comme je'me représente sa situation actuelle ; A z  4 Lettrede l'a u t e u r je veux vous la peindre pour vous distraire de la votre. Imaginez une de ces figures antiques autrefois élevées par ndolatrie et enclavées par le mauvais gout dans Ia facade de quelqu'édifice, que sa console et sa base sont détruites par le tems, et que la statue n'est plus retenue dans sa place que par une adhérence cachée, qui fait paroitre sa position merveilleuse, mais qui ne la rend pas plus solide. Tel est, Monsieur, l'état présent de 1'idole hiérarchique; tous les fondemens antiques sur lesquels elle étoit dressée sont déja tombés par le vice de leur construction primitive ; le colosse comme suspendu, est encore retenu par une adhérence latérale avec un édifice politique plus solide et plus entier ; mais enfin il na plus riéii sous ses pieds; et ce qu'il y a encore de plus facheux pour lui, c'est qu'une multitude de gens s'en sont appercus : déja il commence a ne plus paroitre qu'un hors-d'ceuvre, et le ridicule de cette situation ne peut continuer d'étre remarqué, sans qu'a la fin on ne sente rinutilité de eet ornement gothique, qui défigure et qui aluère depuis si long-tems 1'accord et 1'harmonie de tout édifice. II est bien inutile, en effet , jfe ne cesserai jamais de continuer a le démontrer après vous , par un grand nombre de faits, et sur-tout par 1'esprit d'une multitude de coutumes et d'usages : je montrerai qu'il y a eu un tems, trés-ancien a la vérité, ou la police avoit enfin reconnu qu'il est superflu, et même contraire au bonheur et a la stabilité des sociétés, de la gouverner par ces ressorts surnaturels qu'on appelle religion et révélation; que c'est a cette fin que cette police avoit jetté un voile impénétrable sur tous les degmes religieux, pour ne plus laisser d'action qu'a la morale et aux loix. Elle avoit senti que toute loi surnatureile énerve et afFoiblit les loix naturelles , sociales et civiles;  A M. 5 et que celles-ci n'ont jamais tant de force et tant de vigueur que lorsqu'elles régissent seules le genre humain. Ce tableau sera intéressant par lui même, et encore plus par ses suites , qui toutes n'ont pas été aussi heureuses qu'elles auroient du 1'être , faute de certairies précautions qu'on n'étoit pas encore tout-a-fait en état de prendre dans eet ancien age. C'est, par exemple, par une suite de ce grand projet que le culte extérieur, qui ne fut plus dès-lors interprété, est devenu dans tout le monde payen, bizarre , énigmatique , et la source de la mythologie. L'histoire de la religion est devenue un cahos, paree qu'il fut bien plus aisé a la police de supprimer les instructions , que les fêtes et que les spectacles religieux qui en étoient auparavant la matiére et 1'occasion; et ce cahos a la fin est devenu tel j que les gouvernemens eux-mêmes se perdirent dans leurs mystéres, qu'ils ne purent remédier aux abus, paree qu'ils en méconnurent les causes, et qu'ils oublièrent tont a fait les principes et 1'esprit de 1'ancienne police. Esclaves des usages les plus ridicules, les gouvernemens furent entrainés avec le peuple aveugle; et lorsque les abus et le tems ont fait naitre les systêmes religieux qui couvrent aujourd'hui la terre, ils furent forcés de s'y soumettre, ce qui a presque annihilé toute législarion sociale. II n'y a que la phiiosophie et la raison qui puissent aujourd'hui ramener la police a ses anciens principes, et la tirer de 1'esclavage ou elle est. Qu'il est étrange de voir la police persécuter ce qui la sauvera un jour, au lieu d'y chercher un constant abri , et de lui en orfrir un réciproquement ! N'appercevra- t-elle point que la raison, et la loi fondée sur la raison, cloivent être les uniques reines des mortels, et que lorsqu'une A 3  6 Lettredel'auteur religion établie commence a palir et a s'éteindre devant les lumières d'un siècle cclairé, ce n'est plus qu'i cette raison qu'il faut immédiatement reeourir, pour maintenir la société , et pour la sauver des malheurs de 1'anarchie ? C'est cette raison qu'il faut alors presque diviniser , au lieu de TarToiblir et de 1'humilier. II y a un peuple innombrable de jeunesse a demi insttuite, qui paree qu'elle ne croit plus comme ses pères que les loix aient éré dictées ou écrites par les dieux dans les ténèbreuses cavernes d'un mont Ida , s'imagine qu'il n'y a point de loix; voila' le monstre qui eftraye avec quelque sujet notre police ; mais elle accuse la raison de 1'avoir fait naïtre, lorsqu'elle n'en doit accuser qu'une religion insuffisante et fausse, qui a fondé 1'existence des devoirs naturels sur un mensonge , afin d'avoir par-la le droit de gouverner les hommes par 1'autorité et non par la nature, qu'elle dit criminelle pour qu'on la méconnoisse , ainsi que la raison, qu'elle a dégradée pour n'en avoir rien a craindre. Ce systême est afrreux sans doute, mais il sera dorénavant rejetté par cette jeunesse. Si elle n'a pas encore trouvé la bonne route, c'est beaucoup den avoir quitté une mauvaise et d'en être dégoütée; il faut lui aider a trouver le chemin qui lui convient, et elle est bien plus disposée a le prendre, que si elle suivoit encore stupidement sa première voie. A qui donner une telle commissicn, si ce n'est a ia philosophie? elle ne doit pas même attendre qu'on la lui donne; elle a fait du passé 1'objet de ses études, elle doit faire du futur 1'objet de ses prévoyances, porter ses vues au plus lom j et former un plan de philosophie polirique , pour régler les progrès de la phiiosophie même. Pourquoi les philosophes ne la cuki-  A M. 7 veroient-ils point dès a présent, comme une science d'état, puisqu'elle le sera tot ou tam ? Les élèves de la philosophie sont déja nombreux; un bien plus grand nombre est tout prêt de suivre ses étendards, et 1'anarchie religieuse, qui augmente tous les jours, lui montre un peuple de sujets qu'il lui sera facile de conquérir. Elle doit sans doute se hater de le faire. Si cette anarchie étoit de longue durée,, elle pourroit précipiter le genre humain dans un plus mauvais état que le premier. On a dit, VEuropc sauvage, YEurope payenne; on a dit, YEurope chréuenne, peut-être diroit-on encore pis; mais il faut qu'on dise enfin, YEurope raïsonnable. Ce plan de philosophie politique demanderoit, Monsieur, un philosophe comme vous pour directeur. Que je travaillerois avec plaisir sous votre puissant génie 1 Vous marchez a grands pas par la force de vos raisonnemens ; je tacherois de vous suivre de lom en montrant aux mortels étonnés des faits et en développant leur histoire ignorée. Qu'il seroit a souhaiter que les philosophes concertassent ainsi leurs démarches ! II y a un certain ordre a mettre dans les pas que fait la philosophie , pour qu'elle les fasse avec utilité et que toutes ces instructions se secondcnt les unes les autres. Nous avons quelques excellens livres qui n'ont d'autres défauts que d'avoir appris au monde des vérités anticipées sur le progrès naturel du commun des esprits, et sur 1'ordre des choses : peut-être est-ce le défaut de votre ouvrage, s'il en a; j3 le soupconnerois sur ce que vous présentez le tableau des erreurs de la métaphysique et de la morale , a des yeux qui en général ne sont point encore habitués a envisager le tableau des erreurs de 1'histoire. L'histoire est encore en enfance ; elle est restée dans A 4  S Lettrede l'a u t e u r le cahos d'ou on a eu le courage et 1'adresse de retirer tous les arts et toutes les autres sciences; et c'est ce- pendant dans l'histcire que sont deposés tous les titres de la société , et tous les monumens de ses égare- mens. Si vous remarquez, Monsieur, que le mépris et le ridicule oü le progrès des études a fait romber depuis un siècle toutes les lé-endes de nos églises et de nos saints, a été le premier coup qu'ait recu la religion , ou la superstiüon chrétienne j vous jugerez aiscment par-la de quelle importance il est de debrouiller de plus en plus les fairs généraux de 1'histoire du genre humain, et de conduire les hommes a reconnoitre d'eux-mêmes, par le simple développement des évènemens, tout ce qui leur a été jusqu'ici donnés par une succession continue et non inrerrcmpue d'erreurs humaines, d iaipostures sacsrdotales, et de sottises pcpuiaires. L'esprit résiste peu a la lumière des faits. Lorsqu'on a reconnu la fausseté de la plupart de nos légendes , on les a abandonnées sans bruit: Tillusicn tombe nécessairement, lorsqu'elle n'a plus l'incertitude et 1'ignorance pour point d'appui, ni la nuit du mystère pour lui servir de rehef La seule vue de la suire de tous les faits sera , je crois , de toutes les instructions la plus puissante , et c'est ensuite qu'il s--ra convenable et a propos de donner a 1 homme éronné de nouveaux principes de conduite , qu'on pourra parler de morale et de raison avec lui, et qu'il écoutera enfin avec pront pour lui même , et avec autant de reconncissance pour ses ma'itres , qu'il leur témoigne aujourd'hui d'indocilité et d'ingratitude. Je vous invite , Monsieur , a envisager eet avenir avec complaisance , et a ne pas douter du futur bonheur des sociérés; c'est une consolation digne du sage  A M. ***. 9 pe-rsécuté ; il seme un grain trés lent a produire, il n en a que la peme, les races futures en ont le fruit; mais puisqu'il est capable de lire dans 1'avenir, il ne peut jouir en quelque sorte, et oublier ce présent qu'on ne peut le plus souvent envisager sans chagiin. Voila bien des paroles et une bien longue lettre, pour eonsbler une ame forre qui se suffit a elle-même: mais je vous prie de me le pardonner ; on ne quitte pas aisement la plume quand en écrit a un philosophe tel que vous; la bienseance suffit a peine pour m'arrêter; je m'imagine être et causer avec vous , et tenter de vous suivre dans vos meditaiions profondes. Arrêtons cependant ces saillies de 1'esprit, pour faire place aux mouvemens du cceur; il doit vous exprimer combien je m'esume heureux d'avoir le bonheur de vous conno'nre, et de vous témoigner les sentimens de vénération avec lesquels .j'ai 1'honneur d'étre , et je serai route ma vie, MONSIEUR, Votre très-humble et trèsobéissant servitenr.   RECHERCHES SUR L'ORIGINE DU DESPOTISME. SECTION PREMIÈRE. Differens sentimens sur l'origine du despotisme. LeS monarques de 1'Orient nous sont représentés comme les arbitres souverains du sort des peuples qu'ils gouverncnt, et leurs sujets , comme des esclaves destinés dès leur naissance a porter le joug d'une humiliante et déplorable servitude. Si nous faisons passer devant nos yeux les histoires et les relations d'Asie, nous verrons avec étonnement que depuis une trèslongue suite de siècles, il n'y a point eu d'autres loix en ces ciimats, que la volonté des princes , et qu'ils ont toujours été regardés comme des dieux visibles j devant qui le reste de la terre anéantie devoit se prosterner en silence. De nos jours encore les voyageurs y sont souvent témoins des scènes tragiques et barbares que produit sans cesse cette constitution révoltante , qui fait qu'un seul est teut, et que le tout n'est rien. C'est dans ces tristes régions que 1'on voit 1'homme sans volonté , baiser ses chaïnes; sans fortune assurée et sans propriété, adorer son tyran; sans aucune con-  i1 Recherches sur Corigine poissance de 1'homme et de la raison , n'avoir d'autre vertu que la crainte ; et, ce qui est bien digne de notre surprise et de nos réfiexions , c'est la que les hommes portant la servitude jusqu'a 1'héroisme , sont insensibles sur leur propre existence, et bénissent avec une religieuse imbécilhté le caprice féroce qui souvent les pnve de la vie ; seul bien qu'ils devoient posséder > sans doute, mais qui selon la loi du prince, ne doit appartenir qua lui seul , pour en disposer comme il lui plait. Plus on a réfléchi sur les mits qui caractérisent les souverains et les peuples asiatiques , plus on a desiré de connoitre comment le genre humain , né libre , amoureux et jaloux a 1'excès de sa liberté naturelle , sur-tout dans les siècles primitifs, a pu totalement oublier ses droits , ses privilèges, et perdre ce bien précieux j qui fait tout le prix de son existence. Quels événemens ou quels motifs , en efFet , ont pu contraindre ou engager des êtres doués de raison a se rendre les instrumens muets et les objets insensibles des caprices d'un seul de leurs semblables ? Pourquoi dans un climat tel que 1'Asie, ou la religion a toujours eu tant de pouvoit sur les esprits , pourquoi , dis-je , le genre humain y a-t-il, par un concert unanime et continu , rejetté le don le plus beau , le plus grand et le plus cher qu'il air recu de la nature, et a-t-il renoncé a la dignité qu'il rient de son Créateur ? Cette étrange disposition des esprits asiatiques j et cette malheureuse situation de la plus belle partie du monde, ont extrêmement touché dans tous les tems les philosophes 5 les historiens et les voyageurs ; il en est pen qui n'ayent essayé d'en donner quelques raisons , et d'en cfiercher les sources , soit dans le fnoral, soit dans le physique de ces climats mais plus encore dans leur  du despotisme oriental. Seet. I. i$ seule imagination , dépourvue des connoissances necessaires pour la solution et le développement d'un problême aussi difficile qu intéressant. Quelques-uns ont pensé que pour parvenir aux causes primitives de cette dégradation du genre humain , il falloit remonter a des siècles sauvages , oü les hommes errans et timides se seroient soumis au plus fort, les uns de gré, les autres ensuite par la force. Ceux qui ont adopté ce sentiment, paroissent n'avoir point fait attention que c'est dans eet état de vie sauvage qu'une pareille révolution a dü le moins arriver, puisque c'est dans eet age que le prix de la liberté a du être le plus connu et le mieux senti •, elle étoit alors le seul bien du genre humain : comment auroit-il pu s'en dépouilIer ? Elle est encore 1'unique trésor de 1'Amérique; et pourroit-on nier que 1'amour que les Américains lui portent ne soit la raison pour laquelle les tonnerres européens qui les ont effrayés, ne les ont néanmoins jamais pu subjuguer l L'on n'a fait d'esclaves dans cette vaste contrée que des Mexicains et des Péruviens, qui n'étoient déja plus des hommes libres au rems des Cortès et des Pizarro. II est donc aussi contraire a la raison qu'a 1'expérience, de présumer que des nations sauvages ayerft pu , dans telle occasion et pour tel sujet que ce puisse être, se soumettre de plein gré a un seul. II est encore bien moins vraisemblable que ce genre de gouvernement ait pu s'établir chez de reis peuples par la force. Quelles sont les voies et les armes capables d'assujettir un homme qui est libre de fuir , qui est dans 1'usage d'errer d'un lieu dans un autre , et qui n'ayant que sa liberté a conserver 3 a tant de facilité pour le faire ? En vain tu poursuis les Scythes, disoit leur ambassadeur au plus grand con-  14 Recherches sur Vorïo'ine quérant du monde, je te défie de les attcindre 3 notre pauvreté sera toujonrs plus agile que tes armées. D'autres ont été chercher 1'origine du despotisme et son établissement chez les peuples raisonnables et civilisés, que quelques ambitieux trop heureux auront soumis par des moyens violens, mais continus et toujours soutenus par la terreur; ce qui aura fait naitre 1'esclavage , ou au moins en aura préparé le joug et 1'habitude. L'histoire sembleroit justifier ce systême ; mais si Ton retrouve quelques rapports entre les évènemens arrivés depuis que ce cruel gouvernement est né et a étendu ses limites , on ne peut néanmoins y voir qu'une fausse conjecture, si 1'on essaye de 1'appliquer au despotisme primitif. Le premier homme qui a tenté de soumettre ses semblables , a du , chez des peuples civilisés , comme chez des peuples sauvages , soulever les autres contre hu. Avant la conquête, il auroit fallu lever une armée, qui n'est qu'une suite de la conquête. Le gouvernement domestique des premiers hommes a encore été regardé par plusieurs politiques, comme le principe originel du despotisme. Un père , chef de sa familie, en est, disent-ils, devenu le roi et le despote a mesure que cette familie s'est étendue , et que ses branches multipliées autour du tróne , ont cbmmencé a former un grand peuple; mais quand il seroit aussi certain qu'il 1'est peu 3 que le pouvoir des pères dans les premiers ages ait été un pouvoir absolu sur leurs enfans, les enfans devenus a leur tour des chefs de families particulières, eussent eu, sans doute, le même droit qu'avoit eu leur père commun , de présider chacun dans leurs habitations. En admettant ainsi }e pouvoir paternel , comme la source de toutes les  du despotisme oriental. Sect. I. ij autorités primitives , loin d'en voir sortir ces grandes monarchies et ces grandes sociétés régies par une même volonté, on n'a du voir qu'une multitude de petits centres et de cercles isolés les uns des autres , gouvernés séparément sur le modèle, mais non sur la loi du cercle originel. II est vrai que leur source commune a dü produire entr'eux quelques liaisons et quelques rapports. Je soupconnerois volonners que c'est a cette liaison que quelques aristocraües, par la suite des tems, auront dü leur origine. Le pouvoir paternel, devenu cornposé ct comme dépeniant de la société par le progrès des families , a du necessairernent y donner lieu: mais je ne vois point la source du pouvoir arbitraire et sans hornes. Cömmeht d'ailleurs 1'autorité paternelle, qui reconnoit les loix de la nature , auroit-elle pü produire le despotisme qui n'en reconnoit point ? Plusieurs ont encore été chercher les causes secreties de ce gouvernement dans les dispositions naturelles que les peuples semblent avoir recu de leurs climats , qui les rendent pits ou moins propres a connoïtre le prix de leur existence , et plus ou moins vifs sur leurs intéréts. L'histcire nous montre 1'Europe roujours bravej toujours jalouse de sa liberté; elle nous fait voir au contraire 1'Asie plongée en tout tems dans 1'indolence et la servitude. II a paru naturel d'attribuer aux climats des rapports aussi constais et aussi suivis; 1'uniformité du caractère des diverses nations qui se sont succédées de siècle en siècle dans ces deux parties du monde, paroissant confirmer cette idéé , a fait aussi penser que le climat de 1'une produisoit des hommes libres , et que le climat de 1'autre ne pouvoir produire que des es claves. Quoique 1'expérience et une multitude de faits sem» blent de plus en plus autoriser et jusrifier ce sentiment.  jS Recherches sur l'origine il seroit peu raisonnable de regarder la nature du sol ou de la température de 1'Asie comme 1'unique cause de la servitude qui y règne et qui y a toujours règné : ce seroit tout accorder au physique, aux dépens d'une infinité de causes morales et pohriques, qui ont pu y concourir ; ce seroit attribuer a un seul ressort, que 1'on prétend connoitre, tous les effets d'une machine qui peut et doit avoit plusieurs autres mobiles qu'oh a peut-être négligé d'examiner. Tel que soit le pouvoir des climats sur les divers habitans de la terre , nous pouvons être certains, par exanrle., qu'il n'y a aucune action physique qui puisse éteindre dans l hcmme le sentiment naturel de ses plus chers intéréts, a moins que 1'éducation et les préjugés n'y coopèrent, en ne lui présentant dés 1'enfance que de faux principes sur son bonheur réel et sur ses vrais devoirs. Tout fait sentir au jeune Asiatique qu'il est esclave, et qu'il doit 1'être; tout apprend a 1'Européen qu'il est raisonnable , et 1'Américain voit qu'il est libre. Voila , sans doute, quel est le grand ressort qui seconde 1'action des climats et la véritable cause des diversités que nous voyons dans le genre de vie , dans Ia facon de penser et dans le gouvernement de toutes les nations. Echangeons leurs principes, et nous pouvons être siirs qu'indépendamment de toute la vertu et de toute 1'inBuence de leur climat, nous verrons la liberté dans 1'Asie, la raison dans rAmérique , et 1'esclavage dans 1'Europe. Les difficultés qu'on rencontreroit en faisant eet échange, seroient vraisemblablement en raison de la force du physique de chaque lieu ; il faudroit, suivant les climats , plus ou moins de tems, ou plus ou moins de peine; mais a la fin 1'éducation seroit certainement victorieuse. L'Asie peut nous fournir la preuve de ce que je viens d'avanccr  du despotisme oriental. Sect.ï. 17 d'avancer suriïnsuffisance de 1'action des climats, lorsque cette acrion n'est point combinée avec les préjugés des hommes. Cette partis du monde est trop vaste et trop étendue pour avoir par-tout le mêim ciel, la même zone et la' même température; oh ne voit néanmoins aucune modihcation dans les préjugés qui y regnent, et malgré toutes les variétés du sol, une cause secrette lui fait subir par-tout une même loi; le nord comme le midi, 1'orient comme I'occident de cette immense région , n'obéissenr qu'a des despötes, et ne reconnoissent d'autre loi que la volonté de leurs souvèrains. II doit donc nécessairement y avoir dans J'Asie des contréès oü le despotisme ne doit rien au climat ou il règne ; il y doit tout a 1'habituds et aux préjugés de ses esclaves. L'Amérique p'roduiroit aussi de semblables objectioris aux physiciens politiques : elle contenoit deux grands états despotiques, ehvironnés de nations libres et vagabondes. II en est de même de I'Afriqué, ou 1'on voit un mélange bizarre de peuples soumis a de grands et de petits despotes , et de batbares errans dans ses désertSi Je n'accumulerai point ici, contre ces prétendues influences du ciel et de la terre , une multitude d'autres réflexions, qu'une saine philosophie et le seatiment naturel sont capables de présenter a tous les hommes 5 il en résulteroit toujours que 1'état des nations et leurs divers gouvernernens dépendent essentiellement de leurs préjugés. Cessons donc de nous arrêter sur des sistêmes faux en eux-mêmés , oü dü moins ihcomplets ; abandonnons des recherches peu heureuses jusqu'ici , et n'ayons plus recours a des chimères physiques et politiques pour expliquer les erreurs humaines» car le despotisme en est une.- 1 ome III. B  i8 Recherches sur 1'origine - I SECTION II. Routes qu'il faut suivre pour parvenir aux véritables sources du despotisme. 3LiE despotisme est une erreur , et une suite des erreurs du genre humain : ainsi ce n'est point dans le physique de chaque lieu ni par le secours d'aucun systême philosophique, qu'il en faut chercher la source pour la montrer aux hommes , et pour les instruire. C'est a des faits qu'il faut recourir; c'est sur eux qu'il faut appuyer des preuves qui soient elles-mêmes des faits : ce sont les détails et les usages , ce sont toutes les coutumes de ce gouvernement qu'il faut étudier, rapprocher et concilier les unes avec les autres et avec la grande chaine des erreurs humaines, pour en connoirre 1'esprit , et pour parvenir ensuite aux vérirables poims de vue qu'ont eu primitivement ces usages et ces coutumes. C'est en suivant cette route, a 1'aide de toutes les connoissances que j'ai taché d'acquérir sur 1'histoire de la nature, que je crois être enfin parvenu a découvrir quelle est la vétitable origine du despotisme : il m'a semblé qu'il ne s'étoit point établi sur la terre, ni de gré, ni de force; mais qu'il n'avoit ,été dans son origine qu'une triste suite et une conséquence presque naturelle du genre de gouvernement que les hommes s etoient donné dans des siècles extrèmement reculés , lorsqu'ils prirent pour modèle le gouvernement de 1'universj régi par TEtre suprème; projet magnifique, mais fatal, qui a précipité toutes les nations dans 1'idolatrie et dans 1'esclavage, paree qu'une multitude de suppositions qu'il a fallu faire, ont ensuité  du despotisme oriëntaL Sect. II. jy été regardées comme des principes certains , et qu'alors les hommes perdant de vue ce qui devoit être le vrai mobile de leur conduite ici bas, ont été chercher des mobiles sur-naturels, qui n'étant point faits pour la terre, les ont trompés et les ont rendus malheureux. Avant de nous engager dans la carrière qui m'a conduit a cette découverte , il sera nécessaire de faire conno'itre qu'elles ont été les circonstances qui ont porté les sociétés a concevoir une idéé si haute et si sublime. Nous examinerons ensuite quel a été ce genre de gouvernement qüelles avoient choisi et établi ; nous le chercherons dans 1'histoire; nous étudierons ses coutumes et ses usages, et nous verrons découler de eet examen une multitude de connoissances inattendues, qui nous apprendront comment ce point de vue primitif si beau , et qui paroit si digne de créatures pensantes , s'est changé en un désert rempli d'horreurs et de misères ; nous découvrirons quels sont les maux qui sont sortis d'un plan qui n'avoit eu pour objet que le bonheur du genre humain, et nous appercevrons enfin comment les hommes ont été avilis et dégradés par les conséquences d'un principe qui les couvre de gloire. L'alliance étroite et funeste, que j'ai trouvée entre 1'idolatrie et le despotisme, augmentera 1'horreur que doit nous causer eet odieux gouvernement; mais elle nous obligera aussi d'en examiner 1'origine , paree qu'elle fait une partie essentielle de son histoire. Je ne rappellerai point les différens systêmes qu'ont imaginé les anciens et les modernes sur les sources de ce culte insensé de nos pères. Je marcherai vers Tidolatrie comme vers le despotisme, par une route qui n'a pas encore été frayée, et j'arriverai a leurs sources, B 2  20 Recherches sur l''origine sans m'embarrasser des hypothèses, des conjectures et des préventions de ceux qui m'ont précédé. Je ne pourrai point développer cas importantes anecdotes de 1'esprit humain, sans lui présenter le tableau de ses erreurs, perspective humiliante en ellemème er quelquefois dangéreuse par les suites. S'il y a cependant quelque danger a le faire ce ne peut être que dans la fa$on de s'y prendre ; ce seroit en ne lui présentant ce tableau que pour 1'avilir et le dégrader , que pour lui faire des reproches amers et infructueux, et pour lui oter le peu de conflance qui lui reste en sa raison, dont une morale mystique n'a que trop affoibli le ressort. II yauroit aussi du danger sans doute a n'instruire 1'homme de ses égaremens qu'en philosophe austère et ennemi du genre humain; ce seroit le porter au désespoir, et le réduire a la condition des bêtes. Ce n'est point la 1'objet de cette philosophie bienfaisante et éclairée qui fait la gloire de notre siècle , et dont je cherche a suivre 1'esprit: aussi éloignée de tous sentimens extrêmes qu'amie du vrai, elle sait 'prendre le milieu entre le faux sublime de la superstition , lorsqu'elle prétend porter 1'homme au-dessus de sa s,thère, et le stoïcisme atrabilaire et sauvage , qui quoiqu'ennemie du fanatisme en est un lui-même. II est aussi capable que lui d'égarer Thomme, paree qu'il ne lui donne que des lecons propres a méconnoitre sa nature, son état et ses devoirs ici-bas. La saine philosophie évite ces écueils ; elle sait ramener 1'homme a lui-même et le consoler de ses égaremens. Lorsqu'elle apprend aux habitans de notre planete qu'ils se sont trompés, ce n'est point pour leur persuader qu'ils n'ont point de raison ou qu'ils doivent la craindre, c'est pour leur faire remarquer qu'ils n'en ont point toujours fait un usage convenable. Cet avertissement  du despotisme oriental. Sect. II. n porte toujours avec lui son instruction; cat sur telle partie de leurs usages ou de leurs opihions qu'il puisse tomber , il suffit de rappeller avec douceur 1'esprit de 1'homme a la raison pour tót ou tard y ramener ses pas ; il n'est point d'erreurs qui ne lui soient nuisibles. Ce même avertissement procure ensuite une vraie consolation ; 1'instruction qu'il renferme en est une pour la raison , naturellement amie de la vérité , et pour laquelle elle a toujours un penchant invincible. II est encore un autre point de vue utile et consoIant, que la vraie philosophia ne négligé point de faire appercevoir aux hommes dans le tableau même de leurs erreurs; elle leur montre qu'il n'y a point de fausses opinions, point de préjugés, point de traditions ridicules ou d'usages corrompus , qui n'aient eu dans leur origine quelque excellente vérité pour base , et souvent même quelques principes qui font honneur a 1'humanité : d'oü il 'arrivé que 1'historique de ces erreurs en devient la meilleure preuve; alors le courage de 1'homme se relève , la confiance qu'il étoit prêt de ne plus avoir en sa raison , se ranime; il apprend que ce n'est ni 1'abus qu'il en a fait, ni son' orgueil, qui ont produit ses chütes; qu'elles viennent de ce qu'il a cessé' de faire usage de sa raison , et de ce qu'il ne 1'a point assez estimée; il reconnoit que s'il est tombé dans toutes scrtes de désordres , ce n'a point été paree que sa nature a dégénéré et s'est infectée d'une prétendue corruption, mais paree qu'il a trop respecté les institutions de ses pères, sans se défier du tems qui corrompt les meilleures choses; paree qu'il ne s'est point appercu des alrérations qui les ont insensïblement changées; paree qu'il a continué de les respecter aveuglément, en cessant do penser et de réHécliir par lui-même ; enfin paree qu'il s'est imagiué B 5  il Recherches sur F origine toujours suivre les loix et les usages de ses ancêtres,' lófsquil n'en suivcit plus que le specrre et le fantóme. C'est en mettant eet important point de vue dans tout son jour , qu'il ne peut y avoir aucun danger d'offrir aux hommes la peinture et 1'histoire de kurs erreurs; en les faisant ressouvenir de leur raison , on nf peut que les rendre rheillëurs et plus heureux. En dèrriiisant une foule de faux principes et de faux mobiles, qui tantót les élèvent trop , et tantót les rabaissent au-dessous d'eux-mêmes , on ne peut qu'écarter 1'incertitude de leur étar, et les ramener aux véritables connoissances de leurs intéréts et de leurs devoirs. Puisse le genre humain, que j'aime et que je respecte , paree que la nature m'y porre et que la raison me 1'ordonne, profiter un jour de toutes les instructions et des consolarions que mon ouvrage pourra lui fournir ! c'est a lui que je le consacre, bien plus qua mes concitoyens dont il est de mon devoir de ménager la foiblesse. S E C T I O N III. Les anciennes révolutions de la nature sont les sources innocentes de toutes les erreurs humaines. N ous sommes tous les jours les temoins de la facilité avec laquelle un homme, rendu a la rranquillité, perd le souvenir des maux qu'il a soufferts , et de 1'ardeur avec laquelle il s'occupe a réparer ses anciennes misères. Nous reinarquons même souvent qu'un rayon de joie et de contentement suffitpour suspendre nos peines, que nous sommes alors disposés  du despotisme oriënt ai. Sect. III. 25 è ne plus regarder que comme de mauvais songes. II en a été de même du genre humain ; après avoir été presque entièrement exterminé par les anciennes révolutions de la nature, il a tout oublié; et lorsque le repos lui fut rendu, il na songé qua réparer ses pertes. Les siècles ont vu des tems déplorables, ou 1'ordre de la nature troublé et renversé a précipité tous les êtres de notre globe dans des calamités sans nombre. Le monde a perdu sa lumière; la marche du soleil et des planètes s'est altérée; les continens que nous habitons ont été des scènes mouvantes, pu les incendies , les inondarions, les rremblemens et les ténèbres ont règné tour a tour , et sur lesquels les mers , les fleuves er les rivièrcs, tatuót débordés , tantót désséchés , ont produit mille fléaux successifs , qui ont désolé le genre humain. II a été des term ou 1'homme s'est regardé comme 1'objet de la haine ct de la vengeance de toute la nature irritéci toutes les sociétés ont été rompues; les hommes ont etc obligés d'errer a 1'aventure sur les ruines du monde, au gré de tous les fléaux qui sembloieut les poursuivre; ils étoient alors sans secours, sans subiistances, et sans consolation; retirés dans les montagnes, elles s'écrouloient sous leurs pieds j fugitifs dans les plaines, les eaux venoient les submerger ; cachés dans les antres et les cavernes, ils y étoient ensevelis tout vivans; enfin toujours errans, toujourj cherchans de nouveaux climats et de nouveaux asiles, partout ils étoient persécutés. Les monumens naturels qui restent par tout le monde de ces anciennes et effroyables catrastrophes, sont aujourd'hui , et depuis une infinité de siècles, meconnus de presque tous les habitans de la terre: ce B 4  44 Recherches sur l'origine n'est qu'un perit nombre de physiciens et de philoso^ phes , qui, depuis un siècle tout au plus, commencent a y lire 1'histoire ancienne de la nature et du genre humain (<). Mais tout ce qu'ils y voyent n'est encore cpnsidéré de la plupart que comme des objets plus amusans et plus frivoles qu'instructifs et intéressans. Les subhmes anecdote's de la nature gravées par toute la terre en caractères ineftacables et faits pour toutes Jes langues, ne sont regardées que commes des songes et des chimères, par le vulgaire prévenu, qui neveut ni Voir ni penset par lui-même. Si 1'on a méconnu les roonumens naturels de ces grands.évênemens, 1'on a encore plus méconnu les ukh immens historiques; 1'on a négligé de maintenir et de conserver les usages, les coutumes et les institutions civiles et religieuses que les anciens peuples avoient établies, pour perpétuer a jamais le souvenir des mal-, heurs clu monde, et pour-instrutre les races futures de son inconsïance et de sa fragilité. II est pourtant vrai qu'il y a peu de nations qui n'aient conservé a ce su^ jet quelques traditions confuses; "quelques-unes même ont des livres d'une trés-haute antiquicé , qui semblent nous apprendre tout ce qu'il est possible de savoir sur cette partie de 1'histoire du monde, et nous en désigner précisément le tems et la darée. Mais tout ce que ces traditions et ces prétendues histoires, que chaque peuple révère comme sacrées , nous ont transmis sur les révolutions de la terre, ne nous présente que des vestiges foibles , tronqués, mutilés et corrompus ; les causes , les progrès, les eftèts et les suites da ces évênemens n'y sont que des fables ; on n'y remar- fi) Voypz Telliamed. Vhistoïn nat. dn JBnffon , tome I. La pró, foce du tome 1ÏI des eeuvres de Lahmann , etc.  du despotisme oriental. Sect. III. *■$ que aucuns détails qui soient conformes aux mouvemens de la nature, et analogues a la multitude et a la variété des phénomènes et des accidens, qui ont été sans nombre dans le ciel et sur la terre. II n'y a pas un seul de ces livres, dans lesquels on prétend faire voir aux hommes 1'histoire de leur origine , qui ait ïnsisté sur cette fameuse époque, comme sur la cause et la source des loix , des coutumes, des gouvernemens et des religions. Ils gardent tous un profond silence sur les impressions que les malheurs du monde ontfaites sur les hommes aussi bien que sur les suites bonnes oumauvaises qu'onteu ces mèmes impressions. Le déluge universel qui submergea le genre humain, suivant les annales des Hébreux , y paroit avoir moins de suites que n'en avoit chez les Romains une inondation du ïibre; c'est un fait isolé 3 aussitót oublié que raconté , et qui ne tient plus a aucun des 'évênemens des siècles qui ont suivi; ce sont cependant les révolutions de la nature, qui après avoir détruit les' nations , ont ensuite été les vrais législateurs des sociétés renouvellées ; ce sont elles , qui , après avoir rendu les nations aussi religieuses qu'elles avoient été misérables, sont par la suite devenues la matière, 1'objet et la cause innocente de toutes les fables, de tous les romans de 1'antiquité , de toutes les erreurs politiques et religieuses qui ont séduit 1'esprit de 1'homme , et de. toutes les opinions qui ont produit ses malheurs et sa honte. Ce sera donc 1'homme échappé de la ruine du monde que nou» allons considérer et étudier; nous résoudrons par-la une infinité de problêmes qui concernent 1'homme actuel et le genre humain depuis les tems connus. Ce ne sera point un sauvage , un être métaphysique , ou cette créamre créée parfaite et qui s'est corrompue,  Recherches sur Vorigine chimère dont tant de docteurs et de savans se sont vainement occupés; ce sera un être réel que nous «aminerons dans un état réel : en le suivant pas a pas a mesure quil secartera de cette époque , il „e nous menera point a des conjectures solitaires , et qui ne tiendront a rien mais a une route immense , oü toutes les parties de la fable et de 1'histoire viendront aboutir, s eclaireront es unes par les autres, et se rangeant d'ellesmemes dansl ordre convenable, exposeiont a nos yeux la yentable chaine des annales du monde moial et pohtique. Je ne parle ici, et je ne parlerai dans cette ouvrage que des tems qui ont suivi ceux qui ont donné a IV ruvers la disposition qu'il a présentement, et que nous lui connoissons depuis un grand nombre de siècles A 1 egard des tems qui les ont précédés ils sont pour moi comme s ils n'eussent jamais été; bien qu'ils aient existé, ils ont ete si obscurs, même pour 1'antiquhé la plus reculee, que Ia plupart des peuples anciens se sont imaginé voir la création et la naissance de toutes choses dans les anecdotes déja corrompues de ce qui n'étoit que le renouvellement du monde; erreur grossière qui en a fait naure une infinité d'autres , comme nous le verrons dans le cours de eet ouvrage.  Du despotisme onental. Sect. IV. xy SECTION IV. Impressions que les malheurs du monde ont dü faire sur les hommes. IVLalgré 1'obscurité dans laquelle il paroit que nous devons nécessairement tomber en franchissant les bornes historiques, nous ne manquerons pourtant point de flambeaux et de guides sürs en cherchant au-dela , c esta-dire en fouillant dans les espaces ténébreux, que le plus grand nombre regarde comme imaginaires, oü nous trouverons des faits naturels et des institutions humaines. Pour éclaircir le vrai tombé dans les ténèbres , et pour y faire rentrer a leur tour toutes les chimères sacrées auxquelles 1'ignorance et 1'imposture ont donné 1 existence , il suffira de nous transporter un instant au milieu des anciens témoins des calamités du monde, d'examiner comment ils en éroient alors affectés, de remarquer les impressions naturelles que ces désastres devoient produire en eux , et les sentimens dont ils devoient être pénétrés ; nous appliquerons ensuite ces mémes sentimens et les suites naturelles de ces impressions a tous les usages de 1'antiquité, c'est-a-dire a la police et aux loix anciennes, a tous les cultes, a tous les gouvernemens, enfin a toute la conduite et a toutes les opinions du genre humain, dans tous les siècles que nous pouvons connoïtre. Tel va être le moyen avec lequel nous résoudrons facilement une multitude d'énigmes et de problèmes; leur solution offrira de souvelles sciences au monde et dévoilera a nos yeux Siuyris une antiqiiité toute nouvelle.  t.8 Recherches sufi l'origine Avant d'entrer dans eet examen 3 je dois prévenir que 1'on doit bien se garder d'imaginer que le genre humain, dans les tems oü nous voulons 1'étudier, et comme le surprendre, ait été différent du genre humain d'aujourd'hui; c est une erreur dont il faut se défaire. Six ou sept mille ans d'intervalle, que 1'on met communément entre les premiers hommes et ceux de notre age , ont fait supposer a un grand, nombre de Savans qu'il pouvoir et qu'il devoit y avoir entr'eux et nous des différences très-marquées. II est arrivé de la que dans les questions philosophiques qui les ont concernés, nous avons été portés a en augmenter les difficulcés en raison de 1'éloignement des tems , et que nous les avons réellement augmenrées, paree que nous nous sommes écartés de nous-mêmes, qui ressemblons a nos pèies , comme nos pères nous ressembloienr ; toute la différence qu'il dcii y avoir entr'eux et nous, ne consiste que dans quelques connoissances que nous avons acquises depuis eux ; a 1'égard de certains sentimens ou préjugés naturels, et de certaines idéés qui sont presque identifiées avec 1'esprit et Ie caractère de 1 homme , et qui' le saisissent malgré lui en de certaines occasions, nous devons être sürs que les anciens ont été les mêmes que nous; ils ont pensé, ils ont senti comme nous, et comme nos neveux penserónt et sentiront dans des milliers de siècles „ s'ils se trouvent dans des circonstances propres a faire naitre ou a réveiller ces idéés et ces sentimens. Actuellement prévenus de cette ressemblance, pour nous tracer une image des impressions qu'ont faites les malheurs du monde sur ceux qui en ont éte les témoms, il doit nous être égal de 'nous transporter au milieu deux, en nous replianr sur nous-mêrnes, ou de supposer que ces malheurs arrivent de nos jours a  du despotisme oriental. Sect. IV". tj et que nous sommes témoins de toutes les mêmes calamités qui ont autrefois ravagé 1'univers , et presqu© anéanti le genre humain. Que penserions-nous donc , si le soleil éteint cessoit de donner sa lumière ? si les forces exaltées de la nature, changeoient son harmonie en un nouveau cahos > si les mers inondoient les terres; si les terres se soulevoient contr'elles ? Que dirions-nous si des milliers de volcans s'embrasoient de toutes parts ? si le feu , le soufrre, le birume s'élancoient par torrens du sein des montagnes ? si la plupart des continens brisés s'enfonc,oient sous nos pieds ? Que penseroit enfin le genre humain d'aujourd'hui s'il se trouvoit au milieu de tant de désolations ? II ne faut pas beaucoup de philosophie et de métaphysique pour le deviner. II croiroit être a la fin du monde; il s'imagineroit être au jour de ia justice et de la vengeance ; il s'attendroit a chaque instant a voir le juge suprème venir demander compte a 1'univers , et prononcer ces redoutables arrêts que les méchans ont toujours craints et que les justes ont toujours attendus. Tels sont les sentimens dont on seroit alors saisi et occupé. Ces dogmes sacrés de la fin dn monde , du jugement dernier, du grand juge et de la vie future , se retraceroient avec force a notre esprit» et atTecteroient profondément et généralemenr tous les habitans et toutes les nations de la terre. Ces mêmes dogmes affecteront un jour nos neveux, s'ils se trouvent dans ces fatales circonstances : ce sont eux qui ont afFecté pareillement nos pères, quand ils ont vu cesser la primitive harmonie de 1'univers. On trouvera peut-être ces idéés ou simples ou trop composées pour les tems oü je viens de me transporter. On voudroit sans doute que je pénétrasse dans 1'esprit kumain pour y chercher eoroment ces idéés ont pu y  5» Recherches sur 1'origine nairre une première fois; c'est un travail que je laissö a d'autres; ils peuvent philosopher tout a leur aise sur les opinions de ces instans de terreur, qui ne sont pas ceux de la philosophie. II me suffit ici de savoir qua ce sont ces dogmes qui ont vivement agi sur 1'esprit et sur le coeur des hommes , dans toutes les situations extrêmes de la nature. Passons aux suites bonnes et mauvaises qu'ont eues ces impressions. SECTION V. Premiers effets des impressions des malheurs du monde sur la religion et sur le gouvernement des hommes. Il faudroit peu connoïtre les hommes pour douter que dans des tems aussi malheureux, et dans les premiers qui les ont suivis, ils n'ayent été très-religieux, et que ces calamités ne leur ayent alors tenu lieu de missionnaires sévères et de puissans législateurs, qui auront tourné toutes leurs vües du cöté du ciel , du cóté de la religion et du cóté de la morale. Cette multitude d'institurions austères et rigides dont on trouve de si beaux vestiges dans 1'histoire de tous les peuples fameux par leur antiquité, procédé vraisemblablement de cette source; il en doit être de même de leur police. C'est sans doute a la suite de ces tems déplorables qui avoient réduit 1'espèce humaine , renversé son séjour, et détruit sa subsistance, qu'ont dü être faits .ces régiemens admirables, que nous trouvons chez les anciens peuples , sur 1'agriculture, sur le travail et 1'industrie, sur la population, sur 1'éducation, et sur tout ce qui concerne récononüe civile et domestique.  du despotisme oriental. Sect. V. j t Ce fur sans doute alors que 1'unité de principe , d'objet et d'action , s'étant ranimée parmi les mortels réduits a un petit nombre et pressés des mêmes basoins, les premières loix domestiques deviurent la base ou pour mieux dire, les seules loix des sociétés ? ainsx que nous le prouvent toutes les anciennes législations. Comme la guerre forme des généraux et des soldats, comme les troubles et les agitations forment de grands orateurs, de même les maux extrêmes du genre humain , et la grandeur de sa misère et de ses nécessités, ont donné lieu aux loix les plus simples et les plus sages, et a toutes les législations primitives , qui ont eu principalement pour objet le vrai et le seul bien de rhumanité. Dans ces momens critiques , 1'homme devenu sage et raisonnable par ses malheurs, ne s'est point conduit par la coutume, comme il pouvoit faire aupaiavant, ou comme nous faisons aujourd'hui; il a été forcé de réfléchir er de penser par lui-même, et de pourvoir a son bonheur par les institutions les plus solides et les plus utiles. C'est k ces anciennes loix , fruits heureux des malheurs du monde , que les Chinois et les Egypriens ont dü le nom de sages , qui leur a été donné par toutes les nations anciennes et modernes. Nous ne devons point croire , cependant, qu'ils ayent été les seuls qui se soient alors present une police et des loix; c'est vraisemblablement paree qu'ils les ont plus long-tems conservées que les autres peuples, et qu'ils ont soutenu avec plus de respect et de soin 1'édifice de la législation primitive , ainsi que 1'histoire nous le confirme. Peut-être pourroit-on regarder le rare et singulier privilège des Chinois ei des Egypriens comme un indice que 1'un ou 1'autre de ces deux peuples a été la tige commune des nations , depuis le renouvellement  Recherches sur l'origine du monde. Une foule d'anecdotes historiques, dé similitudes et de convenances , y ont déja porté quelques écrivains plus hardis que les autres ; mais plusieurs motifs aussi forts et aussi solides que les leurs m'ont obligé de suspendre mon jugement. II est difficile , par exemple, de se persuader que, quelle grande qu'ait été autrefois la desrruction de 1'espèce humaine , il ne s'en soit échappé qu'une seule société, et en un seul lieii de la terre ces évênemens destructeurs , tels que nous devons raisonnablement les concevoir , sans avoir égard aux préjugés recus, onr dü épargner dans presque tous les climats quelques-uns de leurs anciens habitans, sur-tout dans les régions élevées, qui ont dü être les réfages et les berceaux des sociétés renouvellées , bien plutöt que les contrées basses de la Chine 3 de 1'Egypre et de l'Assyrie. Je pourrois réunir diverses preuves que les hommes ont demeuré long-tems dans les montagnes après ces évênemens, et que plusieurs.sociétés qui se sont rencontrées par la suite ne se devoient tien 1'une h 1'autre dans leur origine. Mais sans nous écarter de cette recherche , Ie titre & Autochtone ( mère d'ellemême) dont toutes les nations anciennes étoient si jalouses , suffit pour nous donner a penser , et je regarde encore comme une très-forte preuve de la multiplicité des temoins des révolutions arrivées a la terre, la diversité même des traditions sur le déluge , daiis chacune desquelles j'ai très-souvent remarqué des détails et des anecdotes qui ont un rapport évident au local et au physique des lièux qui les ont conservées. D'après cette remarque I'état de la Chine et de 1'Egypte pourroir nous faire soupconner que ces divers débris des nations primitiyes dispersés en différenres régions , n'ont point tous eu la même sagacité a pour- voir  du Despotisme oriental. Sect. V. 3$ voir a leurs besoins •, mais c'est ce qu'il me parok encore difficile d'admettre, n'y ayant point de peuple sur la terre, qui dans un dégré inférieur a la vériré aux Chinois et aux Egypriens, ne puisse nous montrer des restes de ces anciennes insritutions. Je n'en excepte pas même les sauvages de TAm^rique 3 ainsi qu'on le verra dans la suite de eet ouvrage. Comme les malheurs du monde avoient été communs et généraux, tous les peuples de la terre ont dü être vivement intéressés a y remédier; et quoique séparés, ils ont dü le faire par des moyens assez sernbiables , paree que les sentimens et les besoins devoient êrre aussi uniformes que les maux qui les avoient fait naïtre. Cette considération m'a paru très-propre a rendre raison des similitudes que 1'histoire nous fait remarquer entre des peuples rrès-diftérens et très-éloignés , auxquels saus cela il faudroit nécessairement accorder une commune origine , en franchissant beaucoup d'autres difficukés historiques er physiques. Si cependant les Egypriens et les Chinois ont eu par la conservation de leur législaticn primirive une distinction particuliere, cette exception ne doit point nous surprendre iei, si nous nous rappellons que l'amour qu'ils onr eu pour les loix de leurs ancêtres les avoit porrés dés la plus haute antiquné a fermer L'entrée de leurs états a tous les étrangers, et qüe leur situation a beaucoup favorisé la manutention de cette loi conservatrice de toutes les autres. Cette même remarque nous découyre en même tems les -eauses de la destruction de l'ancjenne législation , ou de sa^corruprion dans toutes les autres contrées qui n'ont point eu une loi de barrière scmblable, ou qui. n'ont pü , a cause de leur situation , la maintenir aussi long-tems, et résister aux eclonies, aux invasiens et Tome 'ÜÏ. C  £4 Recherches sur fcrïginc aux guerres , qui par la suite ent changé la face dé la terre et le sort des nations. J'ai tout lieu de croire que cette' loi contre le commerce du dehors a été prescue générale dans son origine. Les mots d'étrangers et d'ennemis ont été très-long-tems synonimes chez plusieurs peuples de 1'Asie et de 1'Europe. La barbare coutume de sacrifier les étrangers n'a guères pu provenir que de cette loi sévère, qui a èa être universelle, puisoue le cruel abus qu'on en a fait se trouve chez tous les peuples. Cette loi de barrière n'a point fait partie ce la première législation , puisqu'elle étoit contraire a son esprit général; nous verrons quel en a été 1'esprit et la cause. Quoiqu'il en soit , nous trouverons les traces des institutions du monde renouvellé, sur tel climat que nous jettions les yeux. Les Etrusques, les Phrygiens , les Hébreux et les Perses sur-tout , en avoient conservé des restes précieux. II n'est point de nation dans 1'Asie moderne qui ne puisse encore nous en montrer quelque vestige. Les Péruviens et les Mexicains , au tems oü on les a découverts et détruits , avoient des loix et des usages qui ne devoient avoir d'autre date cue celle de la législation primirive; et ce que ces Américains ont eu de particulier, c'est qu'ils étoient plus en état alors d'expliquer les vrais motifs de ces usages, que les Hébreux , les Grecs et les Romains, qui en avoient de semblables , et qui ne les ont interprété que par des fables et des mensonges : nous en verrons plusieurs exemples très-remarquables. Pour terminer cette section par une observation non moins singulière; je préviendrai que dans 1'étude qu'on pourra bien recommencer Un jour de toute 1 histcire ancienne, la véritable mesure de 1'aniiquité , de tous les peuples et de leurs loix civiles et religieuses ne  du despotisme oriental. Sect. V. 3 ƒ sera plus celle de leur chronologie, mais une mesure morale , qui sera toujours proportionnée aux restes plus ou moins nombreux et plus ou moins purs qu'on y rrouvera de la législation du monde renouvellé. Plus Ie tableau des nations s'est étendu et detaillé a mes yeux , et plus je me suis appercu qu'il ne faut plus juger de leur antiquité par leurs histoires , mais par leurs coutumes. J'ai vü que les coutumes appartenoient aux peuples, et que les histoires n'appartenoient qu'aux particuliers ignorans er menteurs qui les avoient fakes*. Le gouvernement chintiis , par exemple , en se conduisanr encore aujourd'hui avec eet esprit d'émulation et d'économie qui anima les tristes et malheureuses families autrefois échappées du bouleversement de la terre , nous présente par la ie veritable sceau de sa profonde antiquité. Ce ne sont point ses dynasties et ses prodigieuses annales, par lesquelles il en faudra dorénavant juger; ces prétendus titres ne conrienneut que des fables mythologiques. II en est de même de tous les autres peuples qui ont vanté leurs archives civiles et sacrées. SECTION VI. Principes des premières institutions religieuses , et erreurs qui sont sorties de l'abus qu'on en a jak. A,u, ^^^^ et que les débris du genre humain se furent assembles en diverses contrées pour former de nouvelles sociétés, et s'aider réeiproqtiement a supporter leurs maux et & pourvoir a leurs besoins, les hommes ayant devant les C 2  Recherches sur t'origine yeux le grand spectacle de 1'univers üétruit et rétabli, et dans le fond de leurs cceurs tous les dogmes sacrés qui étoient inséparablcs de ce spectacle , établirent une religion , dont les principaux motifs furent une reconnoissance infinie envers 1'être suprème qui les avoit sauvés , et le desir d'en instruire toutes. les races futures. Pour perpétuer la mémoire des révolutions arrivées, on institua des fétes commémoratives , capables par les détails qu'elles representoient , d'entretenir sans cesse les nations de la fragilité de leur séjour, et de les avertir, par le rableau des vicissitudes passées, de toutes les vicissitudes a venir. Les jugemens que Dieu avoit exercés sur la terre , y étoient représentés en même tems comme des lecons sur les jugemens qu'il ex;rceroit un jour, et le souvenir des incendies passés devint aussi le pressentiment des incendies futurs. C'est de-la que procédé ce dogme universel de i'attente de la fin du monde par ie ieu ; dogme connu et recu de la plus haute antiquité. Les Hébreux et les docteurs orientaux en faisoient remonter l'origine a Adam , a Seth , et aux premiers pattiarches; ce qui prcuve que dans les plus anciens tems connus il étoit déja arrivé des embrasemens qui avoient donné lieu a cette crainte. Ces commémorations ont encore fait naitre par la suite des rems tous les livres prophétiques et apocalyptiques qui ont si souvent troublé le repos des Lumains. Les Payens les conncissoient sous les ncras d'OracIes syhUüAs ou de Livres achéromlques , et les Hébreux sous le fitte de révélaticns faites a leurs ancéties d'avant et d'après le déluge (i). Tous ces peuples en (t)i.c*'Juif« ont en pIoiidMi rèvclations ou apöcalypses} attribuces h leurs premieis patriirclie».  du despotisme oriental. Sect. FT. 37 ignoroient la véritable origine, paree que ces livres a la fin s'étoient dénaturés et corrompus. Ils les consultoient néanmoins dans tous les écarts de la nature, c'est-a-dire dans toutes les calamités publiques. II est encore rrès-probable que c'est de ce même fonds que les Hébreux ont tiré leurs prophéties de Jérémie, d'Isaïe, d'Ezéchiel et d'autres; ils y appliquent sans cesse a leurs idéés une foule de détails apocalyptiques , qui n'appartiennent visiblement qu'aux révolutions générales de 1'univers, dom on enttetenoit primitivement les peuples aux jours de fêtes et d'assemblees , afin de contenir par la crainte ceux qui n'auroienr point été contenus par les loix et par la raison. La descente du grand juge dont on avoit regardé tous les météores et les phénomènes qui concourent a la ruine du monde comme les annonces et les suites, devint un dogme redoutable qui en impose a tous los hommes, et qui les remplit d'une terreur religieuse; certe idéé fut sans cesse rappellée et entretenue par les phénomèmes accidenrels que la nature la mieux réglee produisoit alors et produit encore tous les jours. Certe venue du grand juge annoncée par les météores, est le ciéncueroent de tous les usages obscures et extravagans que toutes les nations ont pratiqués, sans savoir pourquoi , a la vue des éclipses ct des cometes, et dans toutes les autres circonstances oü i'ordre naturel leur parcLsoit akcré ou ehangé ; comme elles avoient oublié quels étoient alors les vrais motifs de leurs allarmes, elles imagincient des fables pour en rendre raisojij et elles oiurèrent et conompirent des institutions sensées et tiès-reli^ïclisês en elles-mémes. Je ne connois que les Pémviens qui ne soient point tombés dans eet oubli; les éclipses C i  ^8 Recherches sur l''origine du soleil et de la lurre leur rappelloient encore le souvenir des anciennes ténèbres qui avoient autrefois couvert la terre après son embrasemenr; ils expliquoient paria leurs usages , et ils avoient raison. Le même peuple regardoit cependant les cometes comme les annonces de la mort ou de ia naissance des grands personnages, et il se trcmpoit en cela comme tous les autres. peuples qui ont éré lcng-tems dans la même idée. Les cometes n'avoient été regardés primitivement que comme les annonces de la ruine du monde et de la venue du grand juge; elles avoient eu rapport a un fait général, mais chacun par k suite n'y a plus été chercher qu'un fait particulier. A la suite de tous ces objets d'une crainte instructive dont la religion occupoit les hommes, elle leur offroit 1'aspect consolant et flatteur de la vie future et du règne des jusres dans un état de felicité, d'abondance et de gloire, qui ne devoit plus être exposé aux révolurions de la nature. C'étoit ordmairement par la que la religion terminoit ses fêtes, ses instructions et ses spectacles; car tous ces dogmes, pour être rendus plus sensibles, étoient représentés par des svmboles et par des cérémonies figurées. C'est de 1'abus de ces représcntations que sont sorties les fables des jardins a'Adonis et d'Edért, des champs élisées , du paradis terrestre 3 Sec. Les poötes et les commentateurs ne les ont placées en tant d'endroits divers, que paree que la plupart des anciens peuples avoient chacun des iieux charnpêtres et délicieux, oü tous les ans ils alloient assister aux représentations figurées et mystiques des dé hees de cette vie céleste qui doit succédet a celle du monde : c'est de-la que provient au Japon le péierinage de la province dlsje, que Ion fait chaque année peur obtenir la rémissioa de ses  du despotisme oriental. Sect. VI. 39 péchés, er pour mérirer le bonheus a venir •, c'étoit 1'objet des processions annuelles que faisoient les Athéjiiens au terriroire d'Eleusis; les chambs élisées n'ont point eu d'autre origine; les noms d'Isje, d'Eleusis et d'Efysee ne sont si visiblement analogues , que paree que la vie future étoit appellée les champs El-Isis, ou la terre de la divine Isis, nom que 1'on donnoit a la principale figure qui en étoit le symbole. L'objet de ces représentations parut avec le tems si grand et si relevé, que les prêtres abandonnant au peuple 1'extérieur de ces cérémonies , et le laissanc jnaitre d'en penser ce qu'il vouloit., crurent devoir ne le révéler qu'a un petit nombre de gens choisis^ c'est la ce qui donna lieu a tous les mystères de i'Anriquité, connus sous les noms d'Isis, de Cèrès, d'Osiris, d'Adonis, &c. oü 1'on ne pouvoit être admis qu'après de longues et d'austères préparations. Quoique les détails de ces mystères ayent été généralement assez peu connus, il nous en est cependant parvenu quelques anecdotes qui peuvent en faciliter 1'intelligence. En voici une des mystères d'Adonis, qui, pour plus d'une raison, mérite de trouver ici sa place. Je supposerai d'abord que le lecteur est au fait de 1'lüstoire d'Adonis. On sait que ce dieu phénicien mouroit et renaissoit tous les ans. J'ajouterai, pour plus a'éclaircissement, qu'il n'avoit été dans son origine que le symbole commémoratif du monde anciennement détruit et renouvtllé, et qu'il étoit en même tems une image instructive de sa desrruction et de son grand renouvellement futur. Dans une certaine nuit de la fète , oü la représentation d'Adonis étoit dans un tcmbeau, au milieu de 1'obscuriré et des lamentatiens j la luinière paroissoit tout-a-coup , c4  j,o Recherches sur l'origine un prêtre se möritroit avec un air de séréniré, et après avoir fait une onction sur la bouche des imtiés, sans doute a cause du secret qui leur étoit enjoint , il disoit a i'oreiile de chacun deux que le soleil étoit venu , et que la délivrance étoit arrivée. Cette grande nouvelle ramenoit 1'allégresse , et 1'on célébroit la résurrecüon d'Adonis par toutes sortes de réiouissances (i). L'extérieur de cette fête étoit connu et répandu non-seulement en Phénicie et en Egypte, mais aussi chez les Grecs et les Rómains; on ne voyoit dans les premiers jours que deuil et afriiction; on n'en'rendoit que les cris funèbres des pleureuses désolées, et 1'on ne rencontroit de tous cötés que des tombeaux et des cercueils. On peut juger par ce culre singulier, et sur-tout par 1'anecdote rapportëe ci-dessus, qu'un chrétien qui auroit vécu mille ans ou plus avant la vc-nue du Messie, et qui se seroit tróuvé a ces fêtes ou mystères -d'Adonis, eüt cru y voir la fin du carême. Le chrktianisme^, comme on voit , date de fort lcin. Mais revenons a nos anciennes institutions, dont route,? les folies anciennes et modernes n'ont été que les suites et les abus. Toute la marche du ciel et l'harmonie rendue au monde furent pendant long-tems des motifs d'une reconnoissance constante et sans bornes envers 1'Etre suprème ; cependant , comme si cette religion eüt prévu ce qui devoït arriver un jour, elle cherchoit dans cette harmonie même le sujet d'entretenir les hommes de leur iustabi'ité, de peur que 1'oubli du (i) Voyez Jul. Firmicius et ï* livrc anglois qui a pour titre P«r»hass Piigrimage'j lib. 13 cap. 17. p. 90.  du despotisme oricntal. Sect. VI. 41 passé et 1'habitude d'une félicité permanente n'éteignissent cette crainte naturelle du grand juge, qu'il étoit important de conserver. Elle faiscit donc des lecons -de tout; le déclin du jour et le coucher du soleil lui rappelloient les anciennes ténèbres, la fin de Tanden monde et la fin future du monde présenr. Le lever de l'aurore devint pour elle 1'image de landen et du futur renouvellement, aussi bien que du lever du grand juge en faveur des justes; c'est de la que toutes les anciennes fetes commencoient par la tristesse et finissoient par la joie : elles commencoient au coucher du soleil pour finir a 1'autre coucher (1). C'est enfin de-la que 1'homme idolatre courut ensuite consulter tous les jours l'aurore ou le soleil levant, et que généralement les peuples ent par toute la terre tcumé vers ce coté les portes de tous les temples, s'imaginant que le soleil et le grand juge viendroient du cóté de 1'oricnr. La fin et le commencement des périodes des astres et des planetes devinrent par le même esprit 1'occasion et le sujer de semblables lecons. Les quatre changemens de la lune de chaque mois , la variété des quatre saisons de chaque année étoient de trop vives images de i'iiistabiliré de 1'univers, pour ne pas les rcgardeT comme dtS sijjnaux instructifs. Tous les peuples eurent donc quatre fetes dans le mois, et quatre autres f'ctfS plus solcnineUes dans l'année, pendant lesqueiics, a lce..:ri .11 <•. cc:: iiuitafions lunaires er sclaiics, on ïappelbtt au* peuples assem- (1) 1,'usag* anelon et ,«.••: .-r un: . ']"•■'' PB U» naiioM , de compter par les nuita «t nou p*r lc< Uw u> '« 50n gme. Ie jour 6acié ou e>ïl.'iiiitïrjut raipmtlK* egewu tk« nous pat le soir.  4^ Recherches sur l'origine blés que tout avoit changé et que tout changeroit encore un jour. Les fètes qui avoient rapport au renouvellement des périodes astronomiques, étoient des fetes de réjouissances, et celles qui avoient rapport a leur décours et a leur déclin, n étoient que des fêtes de deuil et de pénitence. Comme le mois périodique de la lune est de pres de vingt-huit jours, on devine aisément que ce doit éne ici la raison pour laquelle les fètes lunaires ont été ejspacées de tout tems de sept en sept jours, et que ce doit être aussi de ce que ces anciennes solemnités étoient réglées par le nombre lunaire, quest sorti le respect qu'ont eu généralernent toutes les nations pour le nombre septenaire. La succession de nos fêtes n'a pas pu dépendre, en erTet, d'aucun autrs événement ni d'aucune autre raison, puisque les quatte solemnirés du mcis étant aux quatre phases lunaires ce que les quatre sobmnités annuelies sont aux quatre phases solaires, il faudroit ridiculement en conclure que les fêtes ont régie le cours des astres, tandis que le bon sens nous dit que ce sont les astres qui doivent régler les fêtes. Quoique les Hébreux prétendent que 1'ceuvre de la création, opérée en sept jours est le motif et 1'origine des fètes septenaires, nous voyons cependant au premier chapitre de leur genèse que le soleil et la lune ont été créés pour indiquer et régler les fètes et les jours d'assemblées. Comment expliquer fcecte contradicticn , i moins que d'ètre assez stupide pour imaginer que Dieu a bien voulu mettre dans ses ouvrages un rapport astrologique ? L usage qui fut établi dans les tems primitifs d'entretenir ainsi les hommes du renouvellement et de la ruine du monde, a la fin et au commencemqnt de  du despotisme oriental. Sect. VI. 4? toutes les phases et de tous les périodes astronomiques, fut la source innocente d'une infinité d'erreurs, lorsqu'une fois le souvenir du passé se fut affoibli, et lorsque le^ rnoüfs de ces instructions périodiques furent corrempus et méconnus. En voyant ces commémorations ramenées et toujours indiquées par le nombre sept > on pensa qu'il avoit quelque vertu secrete et quelque rapport mystérieux avec 1'origine , 1'existence et la durée da monde. Les uns imaginèrent qu'il avoit été créé; d'autres qu'il avoit été renouvd'é-, et plusieurs qu'il avoit été jugé en sept jours. Toutes ces difrérentes opinions se trouvent chez les Hébreux, comme on peut le voir dans la note ci-bas (1). (1) En général let H*fefen* ont appellé les sept jours de la scmaine los sept jours tip la création ; néaumoins ils out nomina le sepuème j*ur , pendant le qtiel ils cèléhroient rotte pretendue création , du nom sabbalh , qui est aussi le nom du premier mois de leur annéé.»ol«ire. Sa véiitable racine hébraïque ne sig.iifie pas repos, mais retour et renouvellement ; ainsi eetle fète de la création neponvoit être que la Fète dn renouveücvnent du monde. Les pseaumes 5- et 9.'. , qui etoiVnt consacrés aux souvenir du sai)bath , snffisent pour découvrir Terreur des Hébreux; le premier n'offre li n qu'un tableau de misères et d'affiictions; il ne fait entendre que des cris pitoyables qui ne conviennent ni a Davi'd, ni k la création , ni au sabbalh de la mamère qu ils lc coneevoient, mais au jour de la destrecion du monde, aux Osiris et aux Adonis symboliques du monde détruit et du soleil eteint. Le pseaume 92, dont le titre a parei ierneut rapport au rabbatb , ne nous offre qu'une peinture dn déiuge et du rérab issement de la teire. Lauteur du livre de JöSj dans cette magnifique desrription qu il donne au chapitre sixiéme des oïuvres de la création , y r^pnelle la défaite dea géans qui gémissent sous les eaux. On voit la même ambiguire dans la chapitre quatorzième du livre de la sagesse : C'esl cinsi, y est-i! dit, quau commencement da monde , ijuand vous Jites perir lel getint superbes, un. -vaisseau fut Vastte et te dépositaire de, esp-trances de de tunivers. On voit donc , par ces difie.ens passages , que le mond» créé et renouvelié y sont toujours confondus. D'après ces -vanótés , en «xpliqae aicément un autrt endroit du quatiiim» livre d'Esdras, ch*p.  44 Recherches sur l'origine Le souvenir du renouvellement de la face de 1'univers s'érant éteint ou considérablernent obscurci, Ia mémoire de 1'ancien monde s'éteignoit de même nécessairement, et 1'on ne pensa plus qua celui dont on avoir la jouissance. Lorsque par la suite des tems 1'on eut assez de loisir pour réHéchir sur son origine et pour raisonner sur son antiquité, les 'sentimens ne putent qu'ètre systématiques et très-partagés ; on lui donna donc plus ou mcins d'antiquité, a proportion du plus ou du moins d'idees qu'on avoit conservées du passé; cela produisoit cette étrange diversité que nous remarquons dans la chronologie des anciens peuples. Comme il est naturel de compter pour tien ce qu'on ne connoït pas , soit dans la nature, soit dans la vaste prorbndeur des tems , bientót on sauta par dessus les siècles inconnus; on osa fixer 1'instant précis de la première existence du monde, et 1'on xonfondit 1'ancienne époque de son rétablissement avec 1'époque encore plus sombre et plus inconnüe de sa création primitive. D'oü il arriva que lorsqu'cn voulut deviner les détails de ce premier de tous les évênemens, pour les metrre a la téte des annales du monde, que rimposture imagina, comme les hommes n'ont pu et ne pourront jamais se représenter les opérations surnaturelles d'un Dieu créateur et architecte de 1'uru- 7, vers .10 et 5t , qui a été jnsqu'a présent ine.iplirab'e. Après avoir annoncé que les horreurs de la /in du monde sont prochaines , Ie prophéte menace J,a pécheurs , et leur dit que le monde va rentrer dans le chaos des sept jours , -omme il est arrivé dons les anciens jugemens ■ singuliere opini.,,, , qui nous fait connoitre que les sept j, urs de la cr-ation ou ia renouvellement du monde ont encore été regardés comme les sept jours des anciens jugemens de Dien; aussi trouvr t-o» quelque part' dans l'éeriiure : Je vous ai hui sept fois le jour , trées de la erainte des jugemens de Dieu, et toutesotcupées du soin de remédier a leurs maux et de pourvoir a leur subsistance. II n'y eut vraisemblablement alors parmi elles d'autre autorité que- celle des pères qui rassembloient leurs enfans; il n'y eut d'autre loi que celle de la raison •, et les besoins communs qui étant, dans de pareilles circonstances, les mêmes que les besoins des particuliers, ne pouvoienc être méconnus ni négligés. Ce n'est point dans ces premiers momens qu'il faut chercher ces divers gouvernemens politiques qu'on a vu par la suite sur la terre; ils n'ont pu commencef D i  ji Recherches sur l''origine a y paroïtre que lorsque^ les families primitives s'étant de plus en plus rapprochées et multipliées , formèrent des sociétés nombreuses, auxquelles il fallut nécessairement un lien plus fort et plus frappant que dans les families, qui put maintenir 1'unité dont on connoissoit tout le prix , et entretenir eet esprir de religion, d'économie , d'industrie , et de paix , qui seul pouvoit réparer les maux infinis qu'avoit soufrerts la nature humaine. On fit alors des loix civiles économiques et domestiques, pour inspirer la frugalité , pour animer au travail , pour encourager lss inventeurs, et pour hater surtout les progrès de ragriculture. On régla la nature des devoirs et des secours qu'on se devoit réciproquement, afin de prévenir les querelles, ou d'accorder celles qui pourroient naitre ; on indiqua les tems du travail et du repos; on donna une forme authentique aux mariages ; on prescrivit surtout un plan invariable pour 1'éducation et pour les mceurs; on mit un ordre régulier dans le culte extérieur, qui devoit sans cesse rappeller 1'homme a la divinité : enfin on mit le sceau de 1'approbation publique a rous les usages et a tous les établissemens qui pouvoient interesser la société, et vraisemblablement on décerna des peines contre ceux qui manqueroient a ces engagemens généraux et solemnels. Ces divers régiemens furent dans les commencemens aussi simples que 1'esprit qui les dicta ; quoiqu'ils n'eussent point encore cette étendue qu'ont eue par la suite les codes et les législations de tous les peuples, ils n'en devoient être que plus sages, et tendoient plus direcrement au vrai bien du genre humain. II ne fallut point, pour en faire le projet, recourir a des philosophes sublimes ni a des politiques profonds ; la raison, la nécessité, et des besoins réels furent les seuls légis-  du despotisme oriental. Sect. VII. j 3 lateurs qui les dictèrent. Quand on ne fit qu'écrire ou graver sur le bois et sur la pierre ce qui avoit été fait jusqu'a ces tems heureux, oü la raison des particuliers n'étant point encore différente de la raison publique, avoit été la seule et 1'unique loi. Pour le maintien de ces instructions, qui devoient faire le bonheur général, comme elles avoient fait le bonheur particulier des families, lorsqu'elles n'étoient encore que des loix domestiques, on s'en rapporta, d'un consentement unanime , aux anciens réunis et aux chefs de ces mêmes families, qui tous devoient être les plus intéressés a veiller a la félicité et au repos d'une société qui les touchoit de si prés. Ce n'est point qu'ils fussent regardés dès-lors comme les rois et les maitres souverains des sociétés, mais c'est que leur expérience , leur sagesse, leur age et leur nom de pères, leur attiroit de tous un profond respect et une vénération naturelle. Ils furent donc choisis pour être les ministres et les surveillans de la société, et non les arbitres indépendans. L'homme savoit alors qu'il y avoit une loi, une raison publique , vis-a-vis de laquelle ceux mèmes qui en sont les ministres ne sont rien de plus dans 1'état que le dernier des citoyens. Connoissant donc ses priviléges a titre d'être raisonnable et libre, l'homme en se prescrivant des loix civiles , n'eut jamais l'intentk>n de se mettre dans les chaines de quelques-uns de ses semblables ; et quoiqu'il se captivat volontairement par les loix, pour se rendre dépendant de la société oü il trouvoit sa subsistance et son bonheur, ilne vouluten même tems reconnoitre au-dessus d'elle d'autre roi et d'autre monarque que Dieu seul; ce fut donc uniquement & lui qu'il soumit sa législation nouvelle, et qu'il se soumit lui-même. D 3  ƒ4 Recherches sur l'origine Mais avant d'enrrer dans 1'historique de certe singuliere anecdote de 1'histoire pclitique des premiers hommes , retournons un moment sur nos pas. Je n'ai point cru devoir donner le détail de toutes les lois domes-iques, économiqucs er civiles qui formèrent le premier code des hommes réunis en société; toute 1'antiqui'é nous en instruir; elle patle iei pour tnpi, er l'hisroire de tous les anciens peuples Egyptiens , Chinois, Indk ns, Perses, Crétois, Etrusques, &c. nous doit faire j user combien les premières sociétés furenr parfaites du cêté desmceurs, de la discipline et de la police. Nous pouvons même penser que ce que nous en savcns est encore infiniment au dessous de ce qui a é é. En erfet les premiers tems connus de 1'histoire de ces peuples, ne sont point réelkmcnt leurs premiers tems. Larlupart ae ces nations n'ont é;é fréquemées des autres que lorsque la loi qui leur inrerdisoit le commerce extérieur s'est négligée: cette loi dont la sévérité a dü être long-tems en vigueur, indique pour le tems même de son établissement une grande popiilation, qui avoit produit divers évênemens consiutrabies et des dissensions si opposées a 1'ancienne union qu'elles donnèrent lieu a cette loi qu'on fut forcé de faire, quoiqu'elle füt elle-même contraire a la législation primitive, si remplie d'humanité. Nous ne devons donc regarder ces anciens dérails qui sont parvenu-s jusqu'a nous sur Jes anciens gouvernemens, que comme des vestiges et des traces de ce qu'ils avoient été dans une autre antiquité que nous ne connoissons pas; mais ce qui est bien capable de nous la faire conno'itre et de parler en sa faveur, c'est que ce s< nr les seules traces qui en resrent qui excitenl encore notre admiration et notre surprise. Ce que les Grecs ont écrit de la police igyptienne  au despotisme oriental. Se'ct. VI. ff lorsqu'ils la connurent, passeroit presque pour une fablej aussi bien que 1'éducation des anciens Perses, si 1'état présent de la Chine riétoit une preuve visible et incontestable que de pareils gouvernemens ont existé. L'Egypte ne fut pas plutöt accessible aux nations voisines, qui depuis long-tems avoient déja tout-a-fait corrompu leur législation originelle, qu'elles s'enrichirent toutes de ce qui en restoit a ce peuple privilégié; par reconnoissance elles lui donnèrent d'une voix unanime le nom de Sage - nom qu'il méritoit sans doute, puisque ses plus cruels ennemis (i) ne purent lui réfuser. Ce qui doit être considéré dans ces premières démarches, du genre humain , c'est qu'elles étoient toutes dictées par la raison; ce fut elle alors qui devint la richesse er le trésor de 1'homme dépourvu de tout. Pour se tirer de Tabïme de misère ou il se voyoit plongé, il se servit de toutes ses facultés spirituelles, et rappellé a lui même par ses malheurs, il se comportaen créature raisonnable et intelligente; ce qui fit son bonheur et sa gloire. Voila quelle a été la conduite de l'homme dans ces premiers rems, et celle qu'il eüt toujours tenue par la suite, s'il n'eüt point perdu de vue son ancien mobile et son guide naturel, je veux dire ses vrais besoins et sa raison. Tout ce qui va suivre ne nous exposera plus que ses écarts et ses changemens; et, comme pour les rendre instructifs il nous importera d'en chercher toujours les principes , nous pouvons dès a présent en faire déja remarquer un. Quoique les premières loix écrites que firent les hommes ne fussent que le tableau de leur conduite primi- (i) Moyse fut instruit dans toute Ia sagosse Egyptienne. D 4  r6 Recherches sur F origine tive, et le précieux recueil de tous les moyens dont ils s'étoient servis jusqu'alors pour établir la société et pour se rendre heureux, ces mêmes loix donnèrent lieu au premier changement qui se fit dans 1'esprit humain. On commenca dès-lors a négliger 1'usage de la raison; ce fut ces loix que 1'on consulta pour agir; ce fut sur elles que 1'on se reposa , et la juste conflance qu'on avoit en elles n'exigeant plus de l'homme qu'il employat le ressort intérieur pour régler sa conduite et toutes ses démarches , comme par le passé > ce ressort s'affoibht peu-a-peu , et a la fin il en perdit presqu'entièremenr 1'usage. II esr vrai que ces loix étoient excellentes, et que l'homme ne pouvoir qu'être heureux et sage en les suivant a la lettre; mais quelles sont les loix qui ne dégénèrent point insensiblementsurtout quand le res peet excessif qu'on a pour elles ne permet point de les ronfronter de rems en tems avec la loi primitive, qui est gravée dans tous les cceurs d'une fagon bien plus inaltérable que sur la pierre, et que 1'on y trouve toujours quand on vent rentrer en soi-même ? Ces loix admirables se corrompiren: donc et se dénaturèrent, paree qu'on négligea de les conserver pures, et de les redresser quand elles commencèrent a s'écarter du bien public, de la raison, et du bon sens. Prévenus a présent de cette source de toutes les erreurs , il nous est facile de pressentir er de nous assurer d'avance d'un seul coup d'ceil quelle va êrre la marche du genre humain. Après s'être conduir selon les lumières de sa raison , il s'abandonnera avec un respect sans bornes a la conduite des loix; il cessera de penser par lui - même; ces loix s'ahéreront sans qu'il s'en appeicoive, et il ne se conduira plus que par les usages et par les coutumes : celles-ci devenaht  du despotisme onental. Sect. VII. 5/ obscures, on se remplira de préjugés , de fausses traditions, er d'opinions folies et superstitieuses, qui deviendront a la fin la base et la règle de la conduite générale de toutes les nations. Ce sont les dégrés par oü nous les verrons toutes successivement passer depuis le renouvellement des sociétés jusqu'aujourd'hui ; nous les verrons toujours s'oublier de plus en plus, et nous remarquerons qu'elles se rendront malheureuses a mesure qu'elles s'éloigneront de leur raison, et qu'elles parviendront a ce point funeste de ne la plus regarder comme le premier rlambeau qui doit éclairer les loix , les coutumes, les usages, les opinions, et la religion elle-même. Nous avons laissé l'homme sur le point de mettre le dernier sceau a sa législation , et prêt a en représenter le siége et 1'unité en se donnant Dieu pour souverain. Divers sentimens que la raison lui dictoit, plusieurs impressions religieuses dont il étoit vivement pénétré, et plus encore le crédit et le poids d'une cerraine superstition qui fut particuhère k ces premiers ages, concoururent a lui inspirer un choix et un dessein aussi extraordinaire. Ses besoins lui ayant fait connoitre de bonne heure qu'il n'étoit point un être qui put vivre isolé sur la terre, il s'éroit téuni a ses semblables, préférant, comme nous avons vu , les avanrages d'un engagement nécessaire et raisonnable i sa liberté naturelle. L'agrandissement de la société ayant ensuite demandé que le contrat tacite que chaque particulier , en s'y incorporant, avoit fait avec elle, eüt une forme plus solemnelle et qu'il devint authentique et irrefragable, afin que 1'ordre et 1'harmonie pussent y subsister et y régner comme auparavant, rhqmroe y consentit encore. Les premiers ressorts n'étoieru point changés par  S$ Recherches sur l'origine cette précaution nouvelle; elle n'avoit pour objet que de les foaifier en raison de la grandeur et de 1 'étendue du corps qu'ils avoient a faire mouvoir. On renouvella donc en faveur de la société le sacrifice déja coramencé de cette liberté et de cette égalité naturelle, dont nous avons tous le sentiment; on reconnut des supérieurs et des magistrats; on se soumit a une subordination civile et politique : bien plus , on chercha un souverain , paree qu'on reconnut dès-lors qu'une grande société sans chef et sans roi étoit un corps sans tête, et même un monstre, dent les membres mis en mouvement ne pouvoient produire rien de raisonné ni d'harmonique. Pour s'appercevoir de cette grande vérité, l'homme »enr besoin que de jetter un coup d'ceil sur la société qui s étoit déji formée. Nous ne pouvons nous empêcher, en voyant une assemblée, d'en chercher le premier et le chef: c'est un sentiment involontaire et vraiment naturel, qui est une suite de 1'attrait secret qu'ont pour nous la simplicité et 1'unité, qui sont les caractères de i'ordre et de la vérité : c'est une inspiration précieuse de notre raison , par laquelle , quel penchant que nous ayons vers 1'indépendance, nous savons nous soumettre pour notre bien-être et pour l'amour de I'ordre. Loin que le spectacle de celui qui préside sur une sociéré puisse par lui-même causer aucun déplaisir a ceux qui la composent, la raison ne peut la voir sans •un retour agréable er Hatteur, paree que c'est la société , et nous-rr.ême qui en faisons partie, que nous considérons dans ce chef, dans eet oracle permanent de la raison publique , dont il est le miroir, 1'image et 1'auguste représentarion. La première société qui fut réglée et policée par les loix , ne put sans doute , se contempler elle-même sans  du despotisme orientul. Sect. FIT. J9 s'admirer. L'iiée de se donner ufl KM , a donc été une des premières üées del hom.ne raisonnabL et sociable. Le spectacle de 1'univers vir.t encore secender la voix de la raison , l'homm« s'en occupoit alors sans cesse, et admiroit ce merveilleux concert. Comme 1'immutabilue du ciel et la réhciré de la terre d^pendoient de 1'accord perpétuel de tous les divers mouvemens des asrres, il les examinoit perpécuellement; tan tót il portoit ses veux vers le so'.eil i tantot U consideroit la lune et cette immense multitude d'étciles dont le firmament est p'euplé \ mais remarquant surtout 'eet asne unique et éclatant qui semble commander a toute 1'armée des deux, et s'en faire obéir , il crut voir 1'image d'un bon gouvernement, et y reconno'itre le modèle et le plan que devoit suivre la société sur la t?rre , pour se rendre heureuse et immuable , par un semblable concert. La rehgion enfin appuya tous ces motifs, déja trèspuissans par eux-mêmes : l'homme ne voyoit dans toute 1.'« nature qu'un soleil > il ne connoissoit dans tout 1'univers qu'un sei.1 Etre suprème, qu'un Dieu. II v.it donc par-la qu'il manquoir encore quelque chose a sa logislation ; que E 4  yi Recherches sur l''origine prendre entr elles un juste milieu, c 'est-a-dire, ne point jnépriser tout-a-fait les théocraties payennes , qui nous voilent des vérités et ne point donnet une conflance sans bornes a. la theocratie judaïque., qui contient mille fables semblables a celles des autres nations; elles sont a la vérité décorées d'un air historique, et paroissent quelquefois mieux liées et plus approchées de nous; néanmoins leur chronologie est aussi fausse que leurs faits; et il n'y a de véritable et de réel > qu'une ancienne vérité qu'elles nous cachent et qu'on n'y peut qu'entrevoir, comme dans toutes les annales payennes. En réfutant ainsi la preuve la plus directe et la plus historique qui semble se présenter en faveur du sujet que je traite , pour la ramener dans la classe de ces seuls pressentimens, que fait naitre le spectacle uniforme de la mythologie de tous les peuples , ce n'est point borner ici nos recherches, c'est apprécier a sa juste valeur ce fonds immense de traditipns hébraïques, dont on ne pourra tirer quelque profit un jour, qu'autant qu'on les étudiera sous le point de vue commun, évidemmcnt démoritré 1'auteur de Yhisloire du ciel, de queüe autre source pourroient provenir les patriarches et les héros des Hébreux, cjui ont avec ces dieux imaginaties une ressemblance et un rapport si frappans , que les Juifs et les Chrétiens n'ont jamais pu. les coiüester! Deux histoires ou deux fables semblables ne doivent-elles pas avoir uru commune origine? C'est la conséquence générale qu'en a tirée Pluche avec une pièvention singuliere, puisqu'il n'a point lui-méme profité de ce trait de ltimière. .> Le pagani.me, dit-il , n'est point soili du ju■• daisme , ni le judaïsme du paganisme ; iis doivent 1'un et 1'autre ce » qu'ils ont de commun a une commune et unique origine ». Si eet auteur eüt eu autant de génie qu'il paroit montrer de connoissanc» dans son ouvrage, 1'histoire du ciel eüt été un grand livre; mais en y voit regner une snpeistition aveugle et continue , et une petnesse •1'esprit qui peuvent faire douter qu'il ait tiré de sa tlte les excellent jnatériaux dont sa rnain s'est si mal Teryi.  du despotisme orïental. Sect. VIII. 75 qui peut seul les ramener a ce foyer général , oü le concours de toutes les fables forme une lumière vraiement historique; lumière qu'elles ne peuvent produire lorsqu'elles sont séparées, et pour ainsi dire , rendues divergentes par un esprit national et par les préjugés. Je n entreprendrai point ici ce grand travail, qui demande que 1'on fasse pour les Hébreux une histoire du ciel, ainsi que Pluche en a fait une pour les Egypriens ; mais il est encore un autre fonds non moins considérable, oü nous pouvons chercher et suivre les traces de Tanden gouvernement théocratique, ce sont les ouvrages religieux et politiques des nations , qui, malgré la corruption et le déguisement de leurs motifs primitifs , peuvent s'éclairer mutuellement les uns par les autres , et dissiper une grande partie des ténèbres qui ontobscurci 1'histoire des premiers ages du monde. Examinons auparavant quels ont dü être les usages et les coutumes de nos pères dans leur théocratie, et si nous trouvons ensuite ces mêmés usages , ou les abus qui ont pu en naitre chez toutes les nations, ce sera sans doute uné preuve qu'elles en ont toutes originairement connu les véritables sources. SECTION IX. Qnels ont été les usages théocratiques. On retrouve cheic toutes les nations 3 et ces usages 3 et les abus sortis de ces usages corrompus. * ILi'état théocratique ayant été adopté et regardé par les hommes comme un état civil et politique, un de leurs premiers soins fut de représenter au miüeu  Recherches sur l'origine deux Ia maison du dieu monarque, de choisir dans cette maison un lieu particulier pour sa résidence, et de le distinguer par un trone. C'étoit-la, sans doute, qu'ils devoient se réunir pour lui rendre leurs hommage*, pour recevoir ses ordres, et pour lui demander des graces , c'esr-a-dire, pour lui offrir leurs vceux et leurs prières. Ces instijtutions ne furent d'abord qu'un cérémonial allégorique ; mais avec le tems il fut pris a la lettre; tous les usages civils devinrent des usages religieux ■, rl fallut avoir recours a Dieu dans toutes les affaires putliques et particulières; la religion absorba la police , dont elle se rendit la souveraine, et a mesure qu'elle angmenta ses droits temporels, elle se corrompit ellemême, et changea de nature. La maison du Dieu monarque et son trone devinrent peu-a-peu son temple et son sanctuaire. L'homme , s'imaginant que 1'Etre suprème chérissoit ce lieu plus particulièrement qu'au«un autre, se persuada qu'il y habitoit réellement. Ses ïdées sur la divinité se rétrécirent de plus en plus. Aii lieu de regarder simplement les temples comme des lieux d'assemblees et de prières publiques , infiniment lespectables par cette seule et vraie destination, il y chercha le makte qu'il croyoit y résider, et ne pouvant Tappercevoir , il ne tarda pas a mettre une représentation et a Tadorer. L'Etre suprème étant considéré comme le roi de la société , le signe de l'autorité et le sceptre de 1'empire , ne dut point être mis entre les mains d'aucuns particuliers, il dut être déposé dans la maison et sur le siége du céleste monarque , c'est-a-dire , dans un temple , et dans le lieu le plus respectable de ce terilple, c'est-a-dire , dans le sanctuaire. Ie sceptre et les autres marqués de 1'autorité royale n'etoiuit dans le?  du despotisme oricntal. Sect. IX. j$ premiers tems que des batons et des rameaux, les temples que des cabanes , et le sanctuaire qu'une corbeille ou un cofrre ; c'est ce que toute 1'antiquité nous apprend. Dans les fêtes commémoratives de Tanden état du genre humain , que les Japonnois (x) observent encore, ils y représentent sur la scène tous ces signes rustiques de la primitive autorité •, ils nous expliquent par-la certaines solemnkés et certains mystères des Egyptiens et des Grecs, cu nous retrouvons ces mêmes emblêmes. Personne n'ignore 1'histoire de la verge d'Aaron; elle a la même origine; déposée dans le sancruaire et dans Tarche , elle n'avóit été primitivement que le sceptre du Dieu monarque; mais elle étoit devenue chez les Hébreux- le signe du suprème ministère de la familie de Lévi; paree que dans le gouvernement théocratique, les prétres en ayant été les officiers naturels et les ministres , en sont bientöt devenus les vrais souverainSj comme nous le verrons par la suite. L'lüstoire anÜenne nous conserve encore une autre anecdote , qui confirme ce que j'expose sur les usages et sur les progrès des abus qui leur ont succédé. Elle rapporte que les premiers temples que les hommes ont ensuite élevés a la place des cabanes et même des cavernes qui en avoient d'abord term lieu , n'ont été pendant long tems que de simples c-nclos, qui ne contenoient aucune de ces représentations de la divinité, dont ils furent templis dans les siècles suivans. Le code des loix civiles et religieuses ne dur point non plus être remis entre les mains d'un magisttat particulier; cn le déposa donc au sanctuaire, et ce fut a ce lieu sacré qa'ii fallut avoir recours pour -connoitre (i) Kempi'er.  7scoinmémorations hebraiques, avoient toutes en pour anciens mot ï is les misères tlu genre humaiu détruit et renouvellé} ainsi i on peut être sur que .'origine qüe je donne ici au code rnosaique n'est n'en moins qn'urt soupcon. Cette découverte donne Ia so'u tion de tolites les relations des voyaj*eurs , qui presquVii tous pays oat trouvé des mstitutions mosaiques. Ce n^est point que les loix d'un Moyse y .soient parveiiues ; c'est que lei ii-ages et les cautumes del Hébreux sont , en grande jiartïe , des commémorations t!e ces anciens malheurs du toonde, qui out été universels et généraux , et qui ont fait par-tout la même impressiön sur ]es hommes. (1) Pluche a recomiu queï'e éloit .a source des Muses et des Musées ; Hiais il a güssé sur Moysc avec assez de mauvaise foï. il eu est d-± mêitie de Ménés, de Miuos et Num* , dont on a fait des rois légisiatéurs, par ce que leur nom signifient lêgis'ations. Les hymnes d'Orphée , qu; chantoieut Pennemi du monde mis h la renverse , sont aussi provenues de-la. Ou a fait un graad poëte en penonnifiant lV'pt.heta caractèrïstïque de ce*s hymnes. Les cantiques d'Apollon , ce dieu victorïeux et £*raud mnsicien , les pseaumes du ioi David, ce grand charme et le seul conquerant qu'avent les Juifs , devoient Fan et l'autre avoir la même oiigine. Apollon sigui% le destructeur , le vainqueur de 1'eunemï; par ce qu'il combutut 'e seipent Python, mon. re enfant du déluge, et ses cantiques chanloient sa victoire. David, dont les vèritablefS raciiii s sont, utvaltïon^t Aveddacht peite et destructiou, siunifie Vexterminateur. Les pseaumes ne parient que de Ia fin du monde et de la venue du grand juge. Leur titre Ie plus souvent porte pour la Jin; expression a laquelle on n'a n'en compris jusqu'ici, aiHsï qu'a beaucoup d'autres obscuiité* de ces pseaunaes , qui s'êvanouironC néanmóïns aussitot qu'on n'y voudra plus voir , David, ou ie Messie , maïs un pers onna ge aliégoiique~\ commèmoratir' et instructif sur lo passé er sur le futur, tel que pQUYoit être VAdonis moit et ressusciié des anciens Phéniuens. Tome III, F  §1 Recherches sur l'origine Tout le plan de 1'histoire nationale des Hébreux marche presque toujours sur les sombres vestiges de 1'histoire naturelle du monde; c'est après des maux et des souffrancès infinies, que leur loi leur est donnée sur le morit Sina au milieu de toute la nature érnue. X,'Egvpte , cette terre d'angoisse ou ils avoient demeuré si long-tems, a été presque exterminée par le feu, par les eaux, par les ténèbres, par la peste, par la famine et par tous les fiéaux apocalyptiques, Ces Hébreux eux-mêmes avant d'entrer dans le chétif pays qu'ils appelloient leur terre promise, avoient pendant quatante aniiées souffèrt des misères si grandes, qu'elles renouvellèrent leur race, et que tous ceux qui avoient vu leur ancienne demeure n'habitèrent point dans la nouvelle : on les voit tous successivement détruits dans une terre aride et sauvage, par des embrasemens, par des goufrres , par des géans, par des dragons, par la fairn et par Ia soif; enfin on les voit errans sans cesse, et toujours criarts et gémissans, a 1'occasion de nouveaux fiéaux et de nouvelles calamirés. N'est-ce point-la le vrai tableau du triste et ancien èrat du genre humain , et du passage de Tanden monde au nouveau , dont il ne paroit que trop que les Hébreux se sont emparés pour se 1'approprier, er pour en faire les anecdotes particulières de leur merveilleuse histoire • Je ne suivrai pas plus loin cette intéressante carrière : je me contente de faire remarquer encore que 1'histoire de leurs misères, et de leur fameux passage dans la rerre promise, précède immédiatement chez eux celle de leurs tems théocratiques-, ainsi que les anciens malheurs du monde précédèrent les théccraties qui en furent les suites. Nous venons de voir jusqu'ici quelles ent été en  du despotisme oriental. Sect. IX. g$ partie les erreurs morales et hisroriques dont les sociétés théocratiques s'infectèrent pour avoir confié le dépör des loix et de l'autorité aux prêtres, comme officiers du sanctuaire et ministres du roi grand juge. II en est sorti d'aussi dép'lorables des tributs que 1'on crut devoir lui payer. II y a quelqu apparence que dans les premiers tems les sociétés n'eurent point d'autres charges ni d'autres tributs a payer a 1'Etre suprème que les premices des biens de la terre, que 1'on tenoic de sa main bienfaisarire , et que eet hommage étoit plutot un acte extérieur de reconnoissance qu'un rribut civil et réel, dont le souverain dispensateur n'a pas besoin. II n'en fut plus de même Iprsque d'un Etre universel chacun en eut fait son roi particulier; il lui fallut, comme nous avons dit, une maison, un trone, des officiers, des ministres et enfin des revenus pour les entretenir. Le peuple porta dene dans son temple la dixme de ses biens , de ses terres, et de ses troupeaux. Ü savoit qu'il tenoit tout de son divin roi : que 1'on juge de la ferveur avec laquelle chacun vint offrir tout ce qui pouvoit contribuer a 1'état et a la magnificence de son monarque : on en vint jusqu'a s'offrir soi-même , sa familie et ses enfans: on crut pouvoir, sans se déshonorer, se reconnoitre esclave de celui qui nous a fait libres , et 1'homme ne se rendit par-L\ que le sujet et 1'esclave de ses ministres hypocrites. Les prêtres dévorèrent seuls tous les dons, et partagèrent entr'eux les dixmes de 1 invisible souverain; le règne du ciel les rendit maitres du règne de la terre, et leur cupidité croissant en raison de la simplicité des peuples, ils ne cessèrent de tendre des pièges a la piété généreuse. Pour la forme et pour la décenee, les prêtres eurent Je soin cependant d'exposer les dons du peuple devant F 2  g4 Recherches sur f origine le sanctuaire, d'égorger devant le dieu monarque les animaux qui lui ctoienr offerts , den répandre le sang en sa présence, den rótir et d'en bniler une partie a son intention. Mais ce ridicule et barbare usage, qui d minuoit peu la porcion sacérdotale , ne servit qua en familiariser I'ordre avec le sang; les prétres devinrent d'impitoyables bouchers, et les temples se changèrent en lieux de carnage , ou le sang humain , en mille endroits de 1'univers, fut ensuite préféré a celui des animaux, et ruissela pendant un giand nombre de siècles. II n'est pas besoin sans doute de faire ici 1'application de ces usages a ceux du paganisme et du judaïsme, pour y reconnoitre 1'origiue de ces sacrifices perpétuellement offerts dans ies temples , avec une dépense et une profusion qui semble avoir du exterminer les trouneaux. Leur première intention avoit été de couvnr la table du roi théocratique; de-la les prétres de Bd persuadèrent au peuple que leur dieu mangeoit réelleïTtetrt les victimes qu'on lui offroit. Les Grecs et les Pvomains, dans les calamités publiqu.es, assembloient pareillement rous leurs dieux autour d'une table, qu'ils couvroient des viandes les plus exquises; ainsi eet usage, qui n'avoit été d'abord qu'un cérémonial nguré, pour soutenir dans tous les points 1'extérieur du gouvernement qu'on s'étoit donné, fut, comme on le voit, pris a la lettre , et la divinité étant trairée comme une créature morrelle , on la perdit a la fin de vue , et l'homme devint idolatre. Tomes les nations qui donnèrent dans cette absurdité, ( et elles y donnèrent toutes ) conservèrent néanmoins ie souvenir d'un tems primitif, ou les temples n'avpient point été ensanglantés, et ou 1'on ne présentoit a 1'Etre suprème que les prémices des biens et des fruics  du despotisme orlental. Sect. IX. de la terre-, preuve que les sacrifices sanglans n'éroient, corarae ie viens de le dire , qu'un de ces abus ridicules, qui s'étoienr intfodüits avec le tems. De tous les peuples du monde , il n'en est point non plus un seul qui ne nous ait montré l'affreux spectacle ó.zz victimes humaines; barbarie inconcjvable, qui n'aurcit jamais pu s mtreduire parmi les nations, si par les sacrifices des animaux elles ne s'étoient familiarisées avec cette idéé cruclle, que la diviniié aime le sang: il n'y eut plus qu'un pas a faire pour égorger les hommes, afin de lui offrir le sang le plus cher et le plus précieux qui soit sans doute a ses yeux. Cette atroce facon de penset" fait encore la base des mystères du christianisme. Quelle horreur! « Est-ce '» la, dit Piutarque , (i) adorer 1'Etre suprème? est» ce avoir de la divinire une idéé qui lui fasse beau» coup d'nonneur, que de la supposer altérée du sang » humain , avidé de carnage , et capable d'exiger et » d'agréer de tels sacrifices t» Les- Typhons et les géans, s'ils eussent triomphé du ciel , auroient-ils pu établir sur la terre des sacrifices plus abc*4inables ? Quelle leeön dans la bouche d'un de ces hommes qu'on appelle payens, pour tous ces docteurs du christianisme , qui prétendent que le sang de tous les hemmes n'aurcit point sufii pour appaiser leur dieu, et qu'il lui a fallu pour cela un sang divin ! N'est-ce pas renchérir, avec le plus étrangé fanatisme , sur la barbarie la plus grande ? Les dixmes, qui n'étoient que le tribut du a la royauté de 1'Etre suprème 3 ne servirent donc qu'a nourrir et a entretenir 1'orgueil du sacerdoce : elles devinrent son bien de droit divin (z); et comme sous un (1) Plut. de superstit. paf;. 169, 17r. (2) Les dixmes , dans la theocratie , appartenoient a Dieu , comtft F 3  8(5 Recherches sur F origine 'tel gouvernement, tout religieux et tout mystique, les Sfaütes secrettes , et jusqu'aux souillures légales, ( i } étoient des fautes civiles, les prêtres eurent intérêt d'en eiendre les cas a 1'infmi, paree que les amendes, les expiations, et les victimes qui en résultoienr, augmentöient les trésors et 1'abondance du grand juge, c'est-adire, de ses ministres. II est encore un autre article sur lequel je pourrois m'étendre; ce seroit sur le détail des meubles et des ustensiles qui furent destinés au monarque; mais ce singulier inventaire nous mèneroit trop loin ; il suffit d'ètre prévenus que ces chars , ces, boucliers (2), ces armes et même ces tronpeaux entiers de bceufs et de chevaux que toute 1'antiqiute consacroit 1. ses dieux, avoient été dans les anciennes théocraties, les équipages et les domaines du monarque invisible, er qu'ils servoient particuiièrement a certaines fêtes , pendant lesquelles on s'imaginoit que le dieu descendoit sur la terre. Passons actuellement a 1'une des plus funestes suites qu'eut le gouvernement rhéocratique. monarque; lorsqüe les juifs changèrent ce gouvernement mysttqce , et qu'ils élurent des rois, les rois recurent les dismes. Lu ie aes rois , chep. 7, vi, i5. . . _ fi) Les ordonnanoes légales de tous les anciens peuples pronennent en pVrtie de la simplicité de leur age. Comme il n'y avoit alors n; luxe ni magnificenre , on ne pouvoit exiger d'autre parure , pour se jrésknwr devant li Dieu monarque, qu'une grande propreté du corps; l.i plus petite souillure étoit une indécence que la loi punissoit ; et comme l'iinaginatipii voH beaucoup de souillures , la supeistition a toujours fait d'amples recherches sur cette matière, sur-tout dans les p iys coauds. (2) Rome avoit ses boucliers sacrés , qui sont connus de tout le monde; mais on n'a jamais fait assez d'attentjon aux bc-ocliers dor du temple de Jérusalem.  du despotisme oriental. Sect. X. 87 S E C T I O N X. Les théocraties produisent l'idolatrie. Il est si difficile a Thommè de se former 1'idée d'un être grand, puissant, immense et pour.ant invisible, tel qu'est Dieu , sans s'aider de quelques idéés et de quelques comparaisons humaines er sensïbles, qu'il fallut presque nécessairement dans les théocraties en venir a sa représentation. II étoic alors bien plus souvent question de 1'Etre suprème qu'il n'est aujourd'hui; indépendamment de son nom et de sa qualité de Dieu, il étoit roi encore •, tous les actes de police, tous ceux de la religion ne parloient que de lui: on rrouvoit ses ordres et ses arrêts par-tout: on suivoit ses loix, on payoit tribut, on voyoit ses officiers , son palais et presque sa place; elle fur donc bientöt remplie : les uns y mirent une pierre brute, les autres une pierre sculptée, ceux-ci 1'image du soleil, ceux-la celle de la lune •, plusieurs nations y exposèrent un beeuf, une chèvre , un chien , un chat; et les signes représentatits du divin monarque furent chargés de tous les attribius symboliques d'un dieu et d'un roi : ils furent décorés de tous les titres sublimes qui convenoient a celui dont ils étoient les emblêmes ■, ce fut devant eux qu'on adressa a 1'Etre suprème des louanges et des prières, qu'on exerca tous les actes de la police et de la religion, et qu'on remplit enfin tout ce cérémonial théocratique. Ön croir déja, sans doute, que c'est l'idolatrie; non , ce n'en est que la porte fatale. Je n'adopte point le sentiment afrreux que les hommes sont devenus idolatres de plein gré , de dessein préraé- F 4  gg Recherches sur l'origine d'-é, et qu'ils ont été capables d'en avoir formé un systênie raisonné , pour 1'exécuter ensuite. Ce sentiment, est aussi contraire a la philosophie qu'il seroit déshonorant pour 1'humanité. Encore moins doir-on s'arrêter aux opinions d'un Cumberland (i), et de quelques aurres, qui ont prétendu que Tidolatrie s étoit établie sur la terre en hainé de 1'Ëtrè suprème et des justes. Jamais les hommes n'ont haï la divinité, jamais dans leurs égaremens mêmes ils n'ont entièrement méconnu son existence et son ünïté : ce n'est pomt non plus par un saur rapide qu'ils ont pasïé de 1'adoration du créateur a 1'adoration de la crèature, ils sont devenus idolatres sans le savöir, et sans voulóir 1 être , comme ils sont ensuite devenus esclaves sans avoir jamais eu envie de se mettre dans l'esclavage. La religion primitïve de l'homme s'est corrompue; son arnour pour 1'unité s'est obscurci peu-k-peu 5 le progrès lent et sensible qua feit 1'ignorance, par 1'oubli du passé, par le trop grand appareil du culte extérieur, par les suppositions qu'il a fallu faire pour soutenir un gouvernement surnatiffel, et par la négligence des instructions innniment nécessaires; dans un culte et dans une police toute figufée', ces instructions étoient dégénérées , paree que I'ordre sacerdotal qui les devoit donner étoit dégénéré lui-même , qu'il étoit devenu presque aussi ignorant que le peuple, qu'il étoit plus avare que lui, et plus intéressé encore que le vulgaire a voir multiplier les tributs, les victimes, et les dons avec les emblêmès multipliés du dieu monarque; c'est ainsi que long-tems après j d'autres siècles d'ignorance et d'avarice ont vu multiplier les saints dans le christianisme. (1) Auteur angloii, eommcntateBr tles fiagmens de Sancliomaton.  du despotisme oriënt al. Sect. X. 8? Nous poüvons doflê très-légirirnement soupccnner que chaque natioii s'étant reudu son dieu monarque sensible , plus par simplicité que par des vues idoLitres, se conduisit encore quelque tems vis-a-vis. de ces emblêmes avec une circbnspection religieuse et intelligente : c'étoit moins Dieu qu'on avoit voulu représencer, que le monarque. C'est ainsi que dans nos tribunaux les magistrats ont toujours devant les yeux le portrait de leurs souverains, qui rappelle a chaque instant, par sa ressemblance et paf les ornemens de la royauté, le véritable souverain qu'on n'y voit pas, mais qu'on sait existet ailleuïs, dérrieuirer en tel palais, et dont on pourra s'approeher, si 1'ori se trouve obügé de recourir a sa jusiice; un tel tableau ne peut nous trompet; il n'est pour nous qu'un objet relatif et commémoratif. Telles furent, sans doute, les premières images de la divinité; si nos pères s'y rrompèrent cependant, et s'ils perdirent avec le tems leurs premières intentions de vue, c'est qu'il ne leur fut pas aussi factie de peindre la divinité qu'il nous Test de peindre un homme mortel. Quels rappörts pouvoient avoir, en eflet, avec le Dieu régnant -routes les difTérentes effigies qu'on en put faire ? Ce ne put être que d^s rapports imaginaires et de pure convention , (i) (i) Les hommes ètablireni reellement des rapports conventiomicts. Comme Pieo pónfvoit' & notie subsistancé, les ons c-hoisfrerit. ponr le représenteT , le u'oeuf qui laboure, ou la v»ch» qui noorrit. Comme THeu veille et (Itl'il volt sans cesse , qnelque»-rms choisirent lm chat , p,n ce que «es yeux brillënr, in.'me pemlant la tVqrilf plusieurs aotre» prirent un chien , par re' qu'il est la garde et le furveillant fidéle de la sür-té de la farnile; reu» qui', un peu plus ér'aiiés, ««vbienl encore qn'o« ne pouvoit reprisenter la divinité par aucune fignre, et qui voult.ient néanmoins avoir des objets simples pour s'élever vers elle e» eertains tems , choisirent ceitains trbres , certainj arbrisseaux , eer-  $o Reeherches sur l'origine par conséquent toujours propres a dégrader le Dieu ou le monarque, si-tot qu'on n'y joignoit plus une instruction et une explication. Par-la le culte et la police, de simples qu'ils devoient être, devinrent composés et allégoriques: par-la le prêtre vit accroitre la nécessité de son état et les besoins que Ton eut de son ministère. II se forma dès lors une science nouvelle et bizarre, qui fut particuliere au sacerdoce, et dont il augmenta les ditticultés pour se mettre en plus grande consideration. Plus il devoit être ouvert et sincère devant le peuple, plus il devint caché et mystériéuxj la religion devint un secret, et les prêtres s'imaginant la faire respecrer par une obscutité mystérieuse, 1'éteignirent tcut-a-fait; au lieu de dévoiler la divinité que les hommes cherchoient sincèrement, ils conservèrent pout eux seuls le sens et 1'interpréntion de tous les emblèmes, de toutes les allégories et de tous les usages symboliques qu'ils multiplièrent a 1'infini. C'est de la que sortirene des langues théologiques et barbares, des écritures sacrées et ces appareils hieroglyphiques qui furent toujours inaccessibles et incompréhensibles au vulgaire. Ennn, c'est depuis ces tems la que les prêtres regardèrent comme leur domaine et comme leur propriété le dépót de la religion des hommes, et qu'ils prétendirent tenir do drek Mines plantes utile; ou rnsme une pierre brute; enfin le plus grand nombre fit clioix du soleil ou de la lune; ceux alt qu'une divinité uniqne , et une providenco qui gouverne 1'univeis » et qui a sous elle difïerens ministres subaHernes , on donne a ceMe « divinité, qui est la même, cVfféren. noms, on lui rrod difTérc.K » honneurs, selen let loix et fes coutumes de chaque pays. »  <)i Recherches sur l'origine. L'unité des nations fut donc rompue. La religiölï générale étant éteinte, un fanatisme général prit sa place, et dans chaque contrée il eut son étendart particulier ; chacun regardant son dieu et son roi comme le seul véritable, crut posséder la vraie religion de ses pères; chaque nation crut être la seule religieuse, la seule chérie de 1'Etre suprème; et du souvenir de 1'ancienne vérité, il ne resta qu'une fatale impression qui porta chaque peuple a aspircr k la monarchie universelle, paree qu'elle éroit réellement due a 1'être suprème, que chaque peuple regardoit comme son monarque, sous des formes et des noms différens. Dans le langage des prêtres, le Dieu dont ils étoient les ministres fut 1'ennemi jaloux de tous les Dieux voisins ; bientót toutes les nations furent réputées étrangè'res •, on se sépara d'elles 3 on ferma ses fiontières, et les hommes devinrent enfin, par naissance, par état et par religion , ennemis déclarés les uns des autres. Telle est la source de toutes les calamités sanglantes qui ont depuis cette époque dévasté 1'uniyers sous le voile sacré de la religion. ; C'est une chose bien digne de notre attention que la simplicité de cette origine de 1'idolatrie, que la moindre instruction des prêtres eut pu détourner et prèyenir, s'ils eussent été bien intentionnés pour le eenre humain. II est vrai qu'ils éroient ignorans et idolatres eux-mêmes; mais pourquoi ceux qui prétendent ne 1'avoir jamais été, pourquoi ces sublimes prophêres des Hébreux qui savoient si bien les choses futures, n'en avertirent-ils pas les peuples voisins et les Israè'iites eux-mémes qui furent perpétuellement idolatres ; 'Au lieu de s'élancer perpétuellement dans 1'avenir, que ne portoient-ils un fiambeau plus utiïe  du despotisme orientai. Sect. X. y$ sur le passé, sans s'épuiser en injures ridicules contre les vaines divinhés des nations, qu'ils traitoient par-la eux-mêmes comme des étres réels ? Que ne les anéantissoient-ils par un mot d'mstruction ? Le dieu de ces prétendus inspirés, qu'ils font toujours paroitre dans une colère implacable , criant sans cesse a la vengeance, et menacant perpétuellemenr de punir les nations, et de bnser leurs idoles, pouvoit - il être le vrai dieu s'il lui étoit plus faeiie d'exterminer que d'instruire ? L'on voit encore dans cette origine de 1'idolatrie combien le germe funeste des guerres de religion et d'intolétance est ancien; c'est un reproche mal fondé que l'on a fait au christianisme d'en avcir le premier montré la fureur; il ne seroit pas difficile de prouver que presque toutes les guerres, soit du judaïsme, soit du paganisme, ont eu des motifs religieux. Juvenal nous en fait conno'itre 1'origine telle que je viens de la donner, lorsque parlant dans sa quinzième satyre des superstitions et des guerres civiles de deux peuples d'Egypte, il nous dit que ces peuples haissoient mortellement les dieux de leurs voisins, chacun étant persuadé qu'il n'y en avoit pas d'autre que le sien. In>iè furor vulgb quod numina 'vicinomm Odit uterque heus , cltm solos evedat habentes JEsse deos, quos ipse colic. Ce seroit actuellement un travail des plus curieux et des plus instructifs de fouiller dans 1'antiquité et dans la religion de tous les peuples, pour y examiner les tournures singulières et recherchées qu'il fallut prendre alors pour accorder avec les nouveaux préjugés qui se fonnèrent de toutes parts, les anciens  94. Recherches sur f origine dogmes du grand juge, du jugement dernier et de la vie future, dogmes puissans, qui, même en se corrompant, ne s'éteignirent jamais totalement. Pour accorder 1'invisibilité de 1'être suprème que la saine raison admettoit toujours avec son emblême visible , on relégua dans le sanctuaire ces idoles muettes et stupides; on rendit les abords de ce sanctuaire terribles et difficiies au vulgaire; on cacha jusqu'au nom du Dieu monarque; bientót le préjugé s'imagina qu'on ne pouvoit le prononcer sans mourir. Pour accorder un cérémonial avec 1'ancienne attente du grand juge a la fin des tems, qui étoit dégénérée en une attente réglée par tous les périodes astronomiques et astrologiques, on imagina des descentes invisibles du grand juge dans le sanctuaire a la fin des années et autres révolutions périodiques et sabbatiques: on fit sortir du, temple ses emblêmes, pour les pro^ mener une fois par an, ou une fois par siècle, afin de les montrer au peupie, tantot derrière des voiles, tantót dans une obscurité artificielle , et tantót envircnnés d'attributs cffrayans; et ces jours solemnels devinrent pour les uns des jours de trouble et d'effroij pour d'autres de consolations et de réjouissances, et pour tous des jours d'une extravagante superstition (i); (ij Au reuouvi'llement do chaque année civile , les Juifs se sont imaginés , et s'imaginent encore, que Ie grand juge exerre alors du haut du ciel un jugement sur tous les hommes; c'est par-Ja qu'ils cxpliquent toutes les ausiérilès qu'ils piatiquent alors. Cérémonies relig, tome 5. 11 y a une infiniti de pe ;pl»s qui ont Ia même chimère, et qui en «onsêqucnce ont des peïfittfjtes et iia ind.ulgerc»s périodiques, que leurs prêtres leui arlmir.istrea; de la pai t de la divinité. Les {aponoi$ ont dans l'aunéeun mois qu'ils appeljent le mois invisi&le de Varrivêê des dieux. Les Chriu'ens ent uu m is de 1'année qu'ils appellat A,at.l>  du despotisme oriental. Sect. X. pour accorder rimmarérialité de 1'Etre suprème avec la grossièreté du symbole dans lequel on prétendoic qu'il résidoit, ou qu'il venoit résider en certains tems , on invenra des métamorphoses, des métempsycoses , des incarnations er des alliances mysciques, aussi absurdes qu'impies, d'un dieu avec des matières grossières j avec des animaux , avec des hommes er des femmes: et pour s'élever a rout ce qu'il y avoit de surnaturel dans cette religion figurée , on fut ce qui esc la même cliose; c'est un tems de pénitence comme au Japon , dont I'ancien principe n'a été que de se préparer au jugement de la fin de J'annèe , a l'arrivée du grand juge et au renouvellement futur. Si les Chrétiens ont encore un caième dans le priiirems, c'est que les Houijiiis, dont ils ont pris en partie les co-times, comniencant leur aunée civile en mars , piariquoient leurs puiincauons et leurs expiations) daus tour le mois de février. A Xriehinapa'i , Ie dieu Bra • a descend une fois cliaque année dans Ia pabode: quelques théologicns du pays prétendent qu'il meurt et qu'il re.-.susclie cliaque aunée. Cérém. reli§ Recherches sur t'origine tantót un être indéfinissable, heureux et malheureux. Ils 1'attendent encore avec un Elie et un Enoch; qui ne sont, ainsi que lui, que des grands juges persomfiés. L'oracle de Delphes , comme on le voir dans Plutarque(i), étoit dépositaire d'une ancienne et secrette prophétie sur la future naissance d'un fils d'Apollon; qui amèneroit le règne de lajustice; et tout le paganisme Grec et Egyptien avoit une multitude d'oracles qu'il ne comprenoit pas, mais qui nous décelent de mème cette chimère universelle. C'étoit elle qui donnoit lieu a la folie vanité de tant de rois et de princes qui précendoient se faire passer pour hls de Jupiter. Les autres nations de la terre n'ont pas moins donné dans ces étranges visions: les Persans attendent AU a la fin des tems; les Chinois attendent un Phelo ; les Japonnois j un Pèy t'um et un Combadoxi ; les Siamois un Somnon a Codom ; les Indiens du Mogol, undieu sous la forme d'un cheval. Tous les Américains attendoient du cóté de 1'orienr, (q'u'on pourroit appelier le póle de 1'espérance de toutes les nations) des enfans du soleil; et les Méxicains en particulier atténdoient un de leurs anciens rois, qui devott les revenir voir par le cöré de l'aurore, après avoit fait son tour du monde. Enfin, il n'y a aucim peuple qui n'ait eu son expectative de cette espèce , k laquelle cn ne comprendroit riétt si mutuélrëmehi elles ne s'expliquoient les unes par les autres, et si par le concours des différentès ariecdofès' qui sont jöintes , elles ne dévciloient qu'elles ont eu toutes primitivement pour objet Tattente d'un grand juge, du jügbment dèrrrier et de la vie future a la fin des tems, dont les symboles ont été corrompus et personnifiés dans une très-haute antiquité et sous des noms difFérens en chaque climat. (i) Vie de Lysandre.  du despotisme oriental. Scct. X. 09 C est encore par une suite de la méprise qui fitconfondre les symboles allégoriques de 1'histoire de la nature avec les représentarions' du dieu monarque, que les histoires de tous les dieux , de tous les anciens rois et de tous les législateurs se ressemblent par une multitude de traits singuliers ; c'est que malgré la difference des noms ils ne sont tous que le dieu monarque, dont les légendes sont ornées des anecdotes de la nature, rendues selon le sens corrompu que l'on donna aux anciens monumens et aux commémorations devenues inintelligibles. Ces anecdotes ont été le rnoule commun oü toute 1'antiquité a fondu , pour ainsi dire , presque tous ses dieux, ses rois, ses législateurs, ses héros et ses grands hommes; aussi Macrobe les ramene-r-il tous au soleil, tandis que d'autres les ramenenr tous a Jupiter. Le savant Huet les voit tous dans Mo'ise, sans en excepter aucun, et plusieurs autres inrerprères les ont tous vu dans Abraham. On a trouvé Sc. turn e , Mercure 3 Bacchus 3 ezApolh;i3 dans Noé3 Cham, Jkcoh et Davii. Enfin toutes les divinités payennes ont été vues dans les patriarches hébreux , et tous ces patriarches se voyent de même dans ces divinités; cahos singulier, oü tous les savans se sont perdus3 mais qui n'a d'autre source que la variété des noms, suivant les langues et suivant les tnbuts de 1'unique et ancien symbole du roi théocrati' cue , qui, s'étant comme fécondé de lui-même , a rempli les annales de tous les peuples. Quand on considèrera 1'idclatrie sous ce point de vue, a peine sera-t-elle une idolatrie; 1'unité d'erreurs y décele a chaque pas 1'unité d'une vérité primitive, qui n'a été obscurcie que par la variété de ses noms et de ses titres. G 1  103 Recherches sur ï'origine SECTION XI. Abus politiques du gouvernemeut théocratique. Le déplorable état dans lequel se plongea la religiën primitive du genre humain , par les funestes suites de 1'appareil théocratique, nous peut faire juger de tous les désordres dont la pelice et l'administratiön civile durent être au la théocratie judaïque peut, cependant, nous en faire connoitre quelques traits. Elle nous exposé quelle fut 1'abominable conduite des prêtres Hébreux sur la fin de ce gouvernement. Ils ne rendoient plus alors aucune justice aux peuples; leur vie n'étoit qu'un brigandage; ils enlevoient et dévoroient en entier toutes les victimes qu'on venoit oifrir au dieu monarque, qui n'étoit plus qu'un prête-nom ; leur incontinence égalant leur gourmandise 3 ils dormoient, dit la bible , avec les femmes qui venoient veillër a 1'entrée du tabernacle. Cette derniêre anecdote, sur laquelle 1'écriture glisse si légèrement, et sans nous en faire connoirre les suites, est néanmoins dans 1'histoire du saceidoce , celle qui en (i) Les Turc» «ont clans 1'idée que leur sultan peut, sans pécher , faire moujir tous les jours jusqu'a quaiorze personnes ; j'ls croyent «me, lorsque leur tyran ordonne la mort d'un de ses sujets, il ne fait que suivre des iuspirations particulières de la providence aur.quelles «n ne peut résisrer taus crime. Yoyez I'JIistoire de 1'Empiie Ottora. da pri::ce Cantemir.  du despotisme oriental. Sect. XII. 107 eut le plus chez toutes les nations, et chez les Hébreux eux-mêmes, quoiqu'ils nous les aient cachées ou palliées pat d'autres Fables. Les prêtres en vinrent a ce comble d'impiété et d'insolence , de couvrir jusqu'a leurs débauches du manteau de la divinité. C'est d'eux que sortirent une nouvelle race de créatures, qui ne connurent d'autre père que Dieu , que le ciel, que le soleil , et que les dieux, et d'autres mères que les misérables victimes, ou que les coupables associees de 1'inconiinence sacerdotale. Toures les nations virent alors paroïtre les demi-dieux et les héros, dont la nais<;ance Ulustre et les exploits glorieux porrèrent les hommes a changer leur ancien gouvernement, et a passer du règne de ces dieux qu'ils n'avoient jamais pu von , sous celui de leurs prétendus enfans, qu'ils voyoient au milieu d'eux. Événement singulier, oü 1'inconrinence du saceidoce lui donnantdes maitres , fiat naitre la révolution qui nut fin au règne céleste , et fit commencer eet age des demi-dieux , que toute 1'histoire sérieuse a cru jusqu'a présent devoir retrancher des annales du monde. SECTION XII. Les théocraties produisent le despotisme. FatiguÉs du joug insupportable qu'imposoient les ministres du roi Théocratique, et tourmentés par les brigands que les désordres de la police avoient produits dans toutes les contrées, les hommes cherchtrent enfin a se mettre a 1'abri de tant d'ennemis en réfbrmant leur gouvernement; ils pensèrent qu'il n'y auroit pas ce meil'etir moyen que ce revenir a 1'unité en rernet-  io8 Recherches sur l'origine tant entre les mains d'un seul toute 1'autorité qu'avoient exercée jusqu'aLrs les families sacerdotales. Ce passage de la théocratie au gouvernement qui la suivit, a pü se faire chez les divers peuples du monde en divers tems, et les évênemens qui Tont amené 3 ont pu être différemment modifiés et circonstanciés. On pourroir peut-être soupconner que les anciennes théocraties ont dès lors pu donner lieu a la formation des républiques ; mais après la trisre expérience des maux qui étoient résuhés de Tadministration de plusieurs, il est vraisemblable qu'il n'y eut alors aucune société qui prit le parri républicain ; ainsi je ne présume point qu'on puisse jamais trouver dans cette révolution Tépoque de ce genre de gouvernement. Quoique les nations fussent dégoutées du ministère des prêtres de la théocratie , elles ne perdirent point, néanmo'ns, de vue cette ancienne chimère. Toujours religieusement aftectées pour elle , elles ne la quittèrent pas même en se donna'it un roi , et elles s'imaginèrent qu'elles ne faisoient en cela que réformer la multitude des organes du Dieu monarque, qu'elles continuèrent de regarder comme leur seul et véritable roi. Toutes les nations ne se donnèrent un maitre mortel, que dans Tidée d'en faire Torfclane, Timage et la représentation du monarque invisible , en qui elles firent encore résider le pouvoir suprème, comme elles avoient toujours fait jusqu'alors. Ceci se confirme sans peine par le ritte fastueux A'image de ld divinité, qu'ont soigneusement conservé les rois de la terre ; nous verrons dans peu ce qu'étoit ce titre dans son origine. Avec de telles préventions sur le gouvernement d'un seul, on peut juger combien les nations étoient encore éloignées du parti républicain ; aussi la haute antiquité nous apprend-elle qu'on n'y ccnnoissoit que le gouver-  du despotisme oriental. Sect. XII. 109 nement royal, et qu'on n'y avoit aucune idéé d'un état populaire. Tout 1'orient est encore aujourd'hui dans le même cas : on ne peut y comprendre ce que c'est que nos républiques d'Europe , on les regarde comme des sociétés monstrueuses. Préjugé qui n'a d'autres principes que les anciennes idéés théocratiques, qui ne se sont jamais erracées dans cette partie du monde. Nous pouvons estimer que dans certaines contrées, le grand prêtre de la théocratie aura pü lui-même en devenir le despote, en abaissant les ordres inférieurs qui dépendoient de lui. Ce soupcon pourroit être confirmé par ces divers états de 1'Asie ancienne et moderne oü le souverain civil est encore le souverain ecclésiastique. Néanmoins 1'Union de ces deux puissances a pu venir de toute autre cause \ comme , par exemple, du sentiment de cette vérité , qu'un roi étarft le premier de 1 etat, doit nécessairement être le premier prêtre , comme il est le premier général, le premier magistrat, en un mot le premier dans les différens ordres qui composent la société. Ainsi il a pu se faire que les nouveaux rois aient été déclarés aussi les chefs de la religion, quoiqu'ils ne fassent point de familie sacerdotale. Les hommes , toujours portés vers 1'unité et la simplicité, ont senti dans tous les tems combien plusieurs puissances étoient dangereuses dans un même gouvernement. Ceci ne doit pas nous empêcher de reconnoitre encore qu'il y eut différens états oü la révolution qui produisit 1'autorité civile d'un seul , laissa au sacerdoce toute ia police des choses sacrées, et le soin de tout ce qui concerncit la religion. L'ancienne histoire du Japon et de plusieurs autres peuples nous en ont couservé des exemples ; mais cette conduite fut pour ces  I; o Recherchés sur £ origine états une source de dissenticns et de disputes entre les deux puissances , qui toutes deux eurenr leurs titres pour prouver qu elles régnoient de drek divin. Ceux sur qui la plupart des peuples jettèrent les yeux alors pour se donner des maïtres visibles, faffrtt 1' 1 aisemblablement, comme nous Tavons insinué ci-dessus, ces demi-dieux et ces heros , enfans des anciens rois théocratiques , c'est-a-dire, des prêtres. Le concours des traditiens de la plus haute antiquiré , qui font toutes succéder leurs époques a celle des dieux , potte sur les tem-; mythologiques une lumière historique dont il est dificile de ne pas sentir ici toute la force. Les rayons de la divinité que les peuples s'imaginèrent reconnoitre dans ces hommes merveilleux, durent en effet les porter a avoir pour eux une profonde vénération. D'un autre cóté j pour soutenir 1'honneur de leur naissance ces demi-dieux cherchèrent sans doute a. se rendre utilcs: et comme leur naissance même nous dévoile quel étoit 1'afrreux désordre oü la police et la religion étoient tombées de leur tems , ils ne manquèreut point d'occasions d'acquérir de la gloire et de gagner l'afTection des hommes, en faisant la guerre aux tyrans , en exterminant les brigands, et en purgeant la terre de tous les monstres qui rinfectoient. La mythologie profane confirme singulièrement cette gradation d'évènemens ; c'est de ces demi-dieux et de ces héros dont elle a fait des destructeurs de voleurs et de géans , et des preux incomparables, qui, comme les paladins de nes antiquités gauloises , couroient le monde pour 1'amour du genre humain, afin de rétablir par-tout le ben erdre et la société; notre mythologie sacrée , malgré tous ces voiles mystérieux , ne nous a pas fait moins enrrevoir ces anciennes vérités. Plusieurs de ces héros er de ces juges de la théocratie  du despotisme oriental. Sect. XII. i r i judaïque, qui s eleypieht de tems en tems pour tirer leurs citoyens de la servitude oü leur mauvais gouvernement les faisoit tomber a chaque instant , ont été les enfans des femmes stériles qui devenoient miraculeusement enceintes , après avoir invoqué le Seigneur devant 1'arche , ou devant le sanctuaire. Tels furenr, entr'autres } un Samson , dont la mère (i), fut fécondée par les paroles d'un homme de Dieu , et un Samuè'l qui vint a la lumière, après les consolations que le grand prêtre" Heli (2) donna a la femme d'Elcana. On ne peut raconter avec plus de décence que fair la bible, des actions aussi indécentes ; mais il faudroit être aveugle pour n'y pas appercevoir toute 1'iniquite du mystète. L époque des rois que les annales payennes font succéder aux règnes des demi-dieux , et dont elles font souvent une troisième époque qu'elles distinguent de ia seconde , comme elles ont aussi distingué cette seconde de la première, c'est-a-dire, de celle des dieux, ne doit pas , je pense , être regardée comme tout-afait distincte et dissemblable sous les règnes des demidieux et des rois. Ce furent également des hommes, qui devinrent les représentans de la divinité ; au lieu que sous les règnes des Dieux , ces représentans n'avoient été que des pierres, des statues , et divers autres objets bruts ou inanimés, qui rappelloient 1'invisible monarque, dont les prêtres étoient les ministres. Pour expliquer la distinction que ces annales ont ce* pendant mise entre les deux dernières époques, on peut dire que de ces demi-dieux sorrirent diverses générations, qui régnèrent sur la terre avec le titre de race des dieux, (0 J'iges, chap. XIII. (2) I. liois chap. i.  in Recherches sur F'origine qu'elles avoient hérité de leur première origine, et que ces races divines s'étant éteintes avec le tems, furent remplacées par d'autres rois de race ordinaire. Quoiqu'il en soit, il paroït en général que ces deux époques se sont souvent confondues , qu'elles n'ont eu qu'une séparation fort indéterminée , er que les tems qui distinguent la mythologie d'avec 1'histoire , sont très-vagues et très-incertains. C'est 1'incertitude oü l'on a toujours été sur ces limites , qui a suivant les apparences , fait mettre au nombre des rois de la Chine, de 1'Egypte, de la Grèce , de 1'Italie , de tous les peuples enfin , et même des Juifs , une multitude de personnages dont 1'histoire fabuleuse ne parolt appartenir qu'a la mythologie des dieux et des demi-dieux. Le gouvernement du Dieu-monarque , et la revolution qui arriva dans 1'administration théocratique , se cachent donc chez tous les peuples dans une nuit profonde, et il ne nous reste que les Hébreux , enrichis des dépouilles de 1'Egypre , chez qui nous puissions retrouver quelques traces de cette mutation , des causes qui la produisirent, et des suites qu'elle eut pour tout le monde. Samuël étant devenu vieux (i) , ses deux enfans , nommés Joel, le dieu fort, et Abiah , le dieu père , commirent une infiniré d'excès, et gouvernèrent Israël d'une manière si tyrannique que les peuples s'étant émus, les anciens s'assemblèrent et députèrenr vers Samuël pour lui porter leurs plaintes amères , et pour lui demander au nom du peuple, un roi qui les gouvernat, qui les jugeat , et qui put marcher a la tête de leurs armées. Samuël crut alors devoir leur représenrer qu'ils se plongeroient par la dans une servitude plus cruelle. (1) IY- Rois, ebap. 7. La  du déspotïsme oriental. Seet. XII. 113 ö Le roi que vous demandez , dir-il , enlevera vos » enfans pour en faire ses officiers et ses eunuques. » II vous chargefa de pesans fardeaux. Vous serez obli» gés de labourer ses chanips, de faire ses moissons, » et de travaiiler a ses armes , a ses meubles et k " toutes ses superfluités. Ce roi prendra vos champs, » vos oliviers er vos vignes poür satisfairé sa cüpidité » et celle de ses ministres ; vos troupeaux seront les *> siens ; tout vötre bieh lui apparriendra , et vous» mêmes a 1'avenir ne sarez plus que ses esclaves »>, Tel fut a cette occasion le fameux discours de Samuël , sur lequel on a fait depuis de si fréquens commentaires la flatterié et la bassesse y ont trouvé un vaste champ pour feite leur cour aux tyfans ; la supersrition y a vu un sujet digne de ses réveries mystiques; mais personne n'a connu 1'esprit théocratique qui le dicra. Samuël, en le prononcanr, ne fit aucune attention a la diiTérence extréme qu'il y avoit entre le nouveau gouvernement que le peuple démandoit , et celui qu'il desiroir de quitter. Comme le premier , sous les ordres du dieu-mönarqüe 3 avoit été un règne sous lequel on avoit pensé qu'il n'y avoit point de milieu entre le dieu régnant et le peuple , que ce monarque étoit tout et que le sujet n'étoit rien , Samuël imbu de ces principes trompeurs paria au peuple sur le même ton y et appliqua a l'homme monarque que l'on démandoit, toutes les idéés que l'on avoit eues sur la puissance , et sur 1'autorité suprème du dic-u-monarque. Le peuple lui-même n'y fit aucune attention , et sans s'effrayer de 1'odietix rableau que Samuël venoit de lui faire du chef qu'il vouloit avoir, N'iniportc', * ecria-t-il s il nous faut un roi qui marche devant nóus3 et que nous puissions voir cómtatlre d la tête de nos armées. Tome ÏH, H  ïi4 Recherches sur 1'origine Pour démêler ici les motifs de cette étrange conduite de Samuël et de son peuple, et prévenir 1'idée qu'on seroit prêt d'avoir , qu'il y a eu des nations qui se sont volontairement et de propos délibéré soumises a 1'esclavage, il faut se rappeller ce que j'ai dit précédemmenr , que les hommes en rejettant le ministère des prêtres, n'abandonnèrent point pour cela le plan du gouvernement théocratique, dans lequel on représentoit le dieu-monarque par des symboles. Ce ne fut alors que le symbole que l'on changea ; au lieu de ces dirférentes figures muettes ou inanimées qu'on alloit consul ter , et dont I'ordre sacerdotal avoit abusé, en les faisanr parler selon ses intéréts , on voulut avoir un symbole actif et vivant, qui possédant par lui-même Torgane de la parole , fit ccnno'itre, par une voie plus courte et plus directe, les ordres du Dieu-monarque. La première électien des rois ne fut donc pcint une véritable éiection , ce ne fut qu'une réforme dans la théocratie, et dans 1'image de la divinité. Le premier homme dont on fit cette image n'y entra pour rien, ce ne fut point lui que i'on considéra •, 1'esprit et 1'imagination du peuple restèrent toujours fixés sur le monarque invisible et suprème, et les hommes obsédés de leurs anciens préjugés , ne songèrent point a faire un traité particulier , ou a proposer des conditions rëspectiyes a celui de leurs semblables qui devint, par cette révolution, le majtre des autres. Ils ne prévirent pcint alors qu'en prenant un mortel pour représentant de la divinité, sans le sonmettre a la raison publique , et aux loix communes de la société , c'étoit se donner un tyran v et ils ne réfléchirent point, que si ce morrel étoit 1'emblême d'un Dieu, il ne falloit point pour cela confcndre i'être suprème avec sa fragile représentation.  du despotisme oriental. Sect. XII. i r < Tant d'absurdes méprises , toujours causées par la supersrition et par 1'oubli de la raison, furent , comme on peut déja le prévoir, la source de mille maux. Dans les théocraties précédentes les narions s'étoient déja rendues idolatres , paree qu'elles traitèrent Dieu comme un homme ; nous allons bientót les voir devenir esclaves dans cette nouvelle théocratie, paree qu'elles traitèrent l'homme comme un Dieu. Les sociétés s'étant ainsi décidées a représenter au milieu d'elles leur dieu monarque par un mortel, la plupart ne mirent dans leur choix d'autre précaution que de choisir l'homme le plus beau et le plus grand. Saül surpassoit de la tête tout Israël (i) assernblé a Maspha. Les Scythes et les Indiens , disent aussi nes anciens auteurs, prenoient (z) pour roi celui dont la taille étoit la plus haute et la plus avantageuse. Ainsi en ont long-tems agi presque rous les peuples du monde; ils prenoient bien plus garde aux qnalités dn cerps qua celles de 1'esprit, paree qu'il ne s'agissoit uniquement dans ces premières élections que de voir la divinité sous une apparence qui répondit a 1'idée qu'on se formoit d'elle, et que , pour la conduite du gouvernement, c'étoit moins sur le représentant que sur le monarque que l'on comptoit toujours. Les rois, ces superbes images de la divinité, n'ont été dans leur vérr.able origine, rien de plus aux yeux et a 1'esprit des peuples , que ce qu'étoient avant eux ces pierres, ces idoles, ces boeufs et ces corfres qui avoient été regardés de même comme le siège et les symboles du dieu monarque. Le peuple hébreux ne se fut pas plutót donné un (01. R. 9. 10. (2) Biod. de Si'cile. Strabo». Q. Curce. H x  ix (, Recherches sur 1'origine roi ei uil négligea son arche mystérieuse, que l'on avoit toujours porté dans la théocratie a la tête d'Israël j comme le char er le siège du dieu monarque, tant de fois appellé le dieu des combats. La prise de cette arche par les Philistins, en avoit déja sans doute dégoüté les Israëlites qui 1'avoient crue invincible, et eet événement a dü fortement contribuer a leur faire désirer davantage d'avoir un symbole actif et vivant a la tête de leurs armées, puisqu'aussitót qu'ils en eurent un de cette espèce, 1'autre devint inutile et ne marcha plus jamais. II en fut vraisemblablement de même partout ailleurs, et tous les hommes s'imaginèrent avec une égale simplicité que le dieu monarque révéloit ses volontés a ces symboles vivans, comme il les avoit autrefois revélées aux symboles muets et insensibles de la théocratie précédente. Ils ne furent cependant pas assez imbécilles pour croire qu'un mortel ordinaire put avoir ce grand privilege; mais comme on avoit dès auparavant imaginé des moyens de donner cette vertu aux anciens symboles, on les pratiqua envers les rtouveaux; on employa les mêmes consécrations, et l'on oignit les rois paree qu'on oignoit autrefois les pierres. Par cette cérémonie tout devint égale entre eux, tout parut dans I'ordre; et le symbole humain devenant capable d'inspiration , se trouva de même changé dans 1'esprit des peuples. Saül ne fut pas plutot sacré , dit la bible , que 1'esprit de Dieu se saisit de lui et qu'il prophétisa. Toutes les cérémonies du sacre des rois sonr sorties de cette source absurde et idolatre. Cetre communication de Fesprir. d'en haut avec le monarque, est encoie aujourd'hui chez toutes les nations un des points essentiels de 1'inauguration a la royauté ■, elle change le sujet élu en un autre homme, ou plutöt elle fait qu'il ne se  du despotisme oriental, Sect. XII. uj eroit plus un homme. II nest pas, jusqu'aux sauvages (i) de ! Amérique dont les prêtres soufBent au nez des nouveaux chefs une fumée mystique avec un camouBet, en leur disant: Receve^ 1'esprit de courage. Par toutes ces extravagances accumulées les unes sur les autres , il est actuellement plus que démontré que dans le nouveau genre de gouvernement que les hommes adoptèrenr, ils por'rèrent toujours leurs anciennes chimères du règne du ciel qui avoient donné lieu aux théocraties précédenres. Séduits par la force de leur imagination, et corrompus par les préjugés qu'ils avoient recus de leurs ancêtres, les hommes continuèrent d'oublier qu'ils étoient sur la terre, qu'ils avoient une raison qui devoit être leur guide et leur premier conseU en tout; et s'abandonnanr sans réserve a une supersütion absurde et criminelle, ils se soumirent aveuglément a des tyrans, comme ils s'étoient déja soumis aux prêtres, et ils persistêrent dans cette folie idéé, que les unes et les autres ne gouvemoient le monde que par des inspirations et des révélations du ciel. La première élection des rois ne put guères se faire dans les sociétés théocratiques sans excircr et produire beaucoup de tumulte et de divisions entre les prêtres qui se virent alors comme détrènés, et le peuple qui se donna de nouveaux maitres. Le sacerdoce dut y voir la cause du dieu monarque intéressée; lelection d'un roi étoit vis-a-vis de lui, c'est-a-dire, vk-avis des prêtres , une rébellion et une -idolatrie. Que de raisons pour tourmenter le genre humain ! L'ordre sacerdotal fut donc le premier ennemi des empires naissans, er depuis ces tems jusqu'a nos jours l'on n'a cessé de voir les deux dignités suprêmes tou- (1) Le jiire Lafgtcau, H 3  ,. g Recherches sur Torigine jours oppcsées et toujours antipatiques, lutter Tune contre 1'autre, se dispurer la primauté, se donner alternativement des limites et des bornes idéales, sur lesquelles ces deux puissances ont alternativement empiété, selon qu'elles ont été plus ou moins secondées et favorisées par les peuples indécis, 1'une par la superstition et 1'aui-e par le progrès des connoissances. Ce sera sam, route un jour un ouvrage bien intéressant que 1'histoire que l'on pourra faire de la marche de ces deux puissances rivales, si l'on y fait remarquer avec soin leurs pertes et leurs succès réciproques j toujours proportionnés aux lumières graduelles des siècles, sur-tout dans nos climats, ou rpalgré 1'amas des images qu'y ont autrefois poussé les superstitions asiatiques, la bonté du sol les repousse peu-i peu, pour y reproduire la raison et la sérénité. Les anciens symboles de pierre et de métal, qu'un respect d'habitude laissa subsister, quoiqu'alors on eüt dü les supprimer , puisque les rois en tenoient lieu , restèrent sous la direction des prêtres, qui n'eurent plus d'autre occupation que celle de les faire valoir de leur mieux et d'attirer de leur cóté , par un culte religieux , les peuples qu'un culte politique attiroit puissamment vers un autre objet. Dans les commencemens de la royauté, la diversion dut être forte. L'aixhe d'alliance fut pendant dix années dans une grange, et comme abandonnée du peuple d'Israè'1, mais a la fin 1'ancienne vénération se ranima; les désordres des princes diminuèrent 1'arfection du trone, les hommes retournèrent aux autels et aux oracles-, ils rendirent au sacerdoce presque toute sa première autorité, les prêtres dominèrent sur les rois même; les symboles de pierre commandèrent aux symboles vivans, la consütution des états devint doublé  du despotisme oriental. Scct. XII. i r «ƒ et incertaine (i) •, la réforra? que les prêttes crurent avoir faite dans leurs anciens gouvernemens, ne servit qu'a joindre une théocratie civile a la théocratie sacrée, c'est-a-dire a rendre les hommes plus malheureux, en doublant leurs chaïnes, et en miïItipUant leurs tyrans avec leurs préjugés. Nous avons ci-devant exposé quelle avoit été la mauvaise administrarion des prêtres; il nous reste a diré un mot de la conduite que tinrent aptès eux les rois qui se virent a la tête des société0. L'homme devenu si grand, qu'il fut regardé comme le représentant de la divinité, et rëndü si puissant , qu'il pouvoit agir, vouloir , et commander aussi souvérainement qu'elle, succomba presqu'aussitot sous un fardeau qui n'est point fait pour lui. L'illusion de sa dignité lui fit méconnoitre ce qu'il y avoit en elle de réellement grand et de réellement vrai; les rayons de 1'être suprème dont son diadême fut omé , 1'ébloui- (1) Entre mi'le exemples qu'on en pourroit donner, le gouvernement des Juif.s a toujours été un gouvernement bisarre; sous let rois romme sous les jugej , ils règardoient souvent Dieu comme leur vérilab'e monarque; ils avoient une fonie de prophétes et d'inspiiés, qui venoient dicter aux rois les arréts de leur Dieu , et leur precCrire ar.ogaminent la conduite qu'ils devoient tenir tant en paix qu'eh rfarire^ On peur romarquer ce passage d'un prophéte qui annonce aux J»iifs qu'ils vont être assujetis a Sésac , roi d'Egyptc : » Alors, leur dit-il, vous ap» prendrez la différence qu'il y a enrre mon joüg et celui des rois da » la terre » ; Distaritiam servitutis meiv et servitutis regni terrarum. Cependant cette menace étoit faite sous les regnes dos rois de Juda , «t des princes de la maison de David. Paral. c. la. 11 doit aussi y avoit eu une politique, que nous ignorons , dans la conduite des piinces Hébreux, qui élevèreat presque tous des idoles. II y a apparence que leur vue étoit de partager la religion des peup'es , et de diminuer 1'autorité des prêtres. De-lè le srhisme , ou Ia «éparation des rois d'Israel , qui ne vou'urent point avoir d'alliance avec Jérusalem , oü le temple étoit le lieu le plus fort du saceidoce, el oü le^ prêtres étoient toujoutc assürés de 1'emporler sur la puissance «itis. H4  i io Recherches sur l'origine rent au point qu'il ne se vit plus lui-même. Abandonné de la raison publique,-qui elle-même ne voyoir plus en lui un mortel ordinaire, mais une idole vivante inspirée du ciel, le seul sentiment de sa dignité pouvoit lui dicter i'équité, la douceur er la modération : ce fut cette dignité qui le porta vers tous les vices comraires, Un tel homme eüt dü rentrer souvent en lui-meme; mais tout ce qui lenvironnoit l'en faisoit sortir sans cesse, ou l'en tenoit toujours éipigné, Comment en effet un mortel auroit - il pu se sentir et se reconnoitre ? II se vit décoré de tous les ritres dus a 1'êtte suprème ; ils avoient été portés avant lui par les Adonis, les Osiris3 et par les autres emblèmes de la divinité; tout le cérémonial dü au dieu monarque fut rempli devant l'homme monarqae; il fur adoré comme celui dont il devint a son tour le représentant; il fut de même regardé ccmrne infaillible. Tout 1'univers lui dut, il ne dut rien a 1'univers; ses ordres, ses volcntés, ses cruautés, ses férocités furent regardées comme des jugemens d'en haut auxquels il fallut humblement souscrire. Enfin eet embleme vivant de la divinité surpassa en tout raffreux tableau* qu'avoit fait Samuel de la conduite future des rois. Tel a été le gouvernement de tous les souverains de 1'Asie dans tous les tems que nous connoissons. Les anciens préjugés qui ont donné lieu au despotisme , y subsistent encore et ie perpétuent: les nations y semblent toujours dire comme les Israélites , et dans Je même esprit; n import e , nous voulons avoir des rois j c'est-a-dire, des symboles vivans, et des dieux que nous puissions entendre et que nous puissions voir a la tête de nos armées, Tous les maux que ce gouvernement a preduits sur la terre sont trop connus pour en faire ici un  du despotisme oriental. Sect. XII. tii long détail. Chaque lecteur instruit peut se les rappeller, et y reconnoitre une longue chaine d évênemens et d'erreurs, d'oü sont sortis tous les faux principes pat lesquels les hommes ont toujours été conduits et gouvernés. Pour avoir eu le ciel en vue, l'on s'est précipité dans des abimes profonds. Pour avoir perpétuellement compté sur une révélation chimérique, on a perdu 1'usage de la raison. La religion et le gouvernement sont devenus des monstres qui ont engendré 1'idolatrie et le despotisme , dont la fraternité est si étroite, qu'ils ne sont réellement qu'une seule et même chose. Voila les fruirs amers des sublimes idéés de la théocrarie; telles sont les misères saiis nombre que produiront a jamais les administrations civiles ou religieuses qui aftecteront encore' le règne du ciel sur la rerre (i). Pour achever de développer ces étranges découvertes 3 et pour constater ces grandes vérités qu'on n'avoit jusqu'ici pas méme soupconnées, jettons un coup d'ceil sur les empires, et considérons le cérémonial et les principaux usages des Souverains despotiques; nous y reconnoitrons tous les anciens usages et tous les principes des anciennes théocraties, ce sera mettre le sceau de 1'evidence a ces nouvelles annales du genre humain. (i) Qu ique les monarchijs prèsentes de 1'Earope soienr fort éloiguéea de Pesprit de cette aacienne chimère , si nous en remarquons cependant quelgues vues qui scmbleut tendre au despotisme , c'est par ce qu'eutra les corps politiques que chacune d'elles renferme il en est un puremenr théofraticirie encore, qui a déja èté, qui est et qui sera le fleau ou Ie «orrnpteur de res moaarcliies , si on Be liïi fait ub jour changer de nature et de principes.  Recherches sur l'origine SECTION XIII. Les usages thèocratiques se cons'ervent encore chc% tous les despotes civils. I-Jes Souverains orientaux nous rappellent Tanden grand juge, dont les peuples avoient fair leur monarque , par leur indivisibilité, ou par la coutume qu'ils ont presque tous de ne se montrer a leurs sujets que selon des heures, des jours et des périodes réglés. L'empereur du Mogol (i) se présente deux fois par jour a une fenêrre qui regarde T oriënt; cette apparition se fait le soir et le matin, les grands se rendent a ces heures sur la place du palais, oü ils restent prosternés tant que le prince est visible, et le peuple •qui accourt en foule pour regarder son monarque, est tellement accoutumé a cette visite régulière, que malgré le despotisme de son souverain il se souleveroit, suivant les voyageurs , s'il manquoit a eet usage solemncl. II en étoit de même au Japon (i), dans les tems oü les souverains pontifes de cette contrée jouissoient encore en entier de toute la puissance théocratique, dont 1 autorité remporelle fut depuis séparée. Ce grand pontife qu'on nomme Dairi} se dit fils du ciel, et te prétend descendu en ligne directe du sang des dieux qui onr autrefois régné au Japon, comme par-tout ailleurs. Dans les tems oü ce Dairi disposoit les deux ()) Hi'st. génér. des voyages, in-13 tomo 57. (3) Céiém. reüg. tome 6.  du despotisme oriental. Sect. XIII. 125 glaives, on rapporte qu'il étoit aussi obligé de se montrer tous les matins et de paroitre assis sur son trone devant les peuples assemblés: chacun alors lé considéroit avec soin, et l'on remarquoit ses gestes et ses moindres mouvemens, on pronostiquoit de-li si le jour seroit heureux ou malheureux; selon la saison et selon la circonstance des tems, ses mouvemens étoient aussi regardés comme les annonces de 1'abondance ou de la stérilité, de la paix ou de la guerre; on y voyoit même les signes de la peste, des embrasemens et des tremblemens de terre, et comme si ce pontife eüt été un autre Jupiter, on craignoit qu'en remuant ses sourcils il n'ébranlat Kunivers. Les voyageurs n'ont tien vu que de ridicule dans ces usages, mais je crois y reconnoitre les anciens peuples soumis a la théocratie , qui alloient devant 1'emblême du dieu monarque présenter leur hommage du soir et du matin; j'y vois les Egyptiens, les Grecs et les Romains qui saluoient les dieux a chaque aurore, j'y vois enfin les mages et tous les anciens adorateurs du feu saluer le soleil levant, et le consulter sur le sort de la journée et sur les évênemens futurs. Cette inquiétude avec laquelle les anciennes nations alloient consulter le lever du soleil, comme le reproche un prophéte aux Israëlites qui le pratiquoient aussi, étoit une suite des dogmes de la fin du monde et de 1'arrivée du grand juge, qui faisoient craindre aux uns que le soleil couché la veille ne se levat pas le matin, et qui faisoient desirer a d'autres que le merveilleux jour du grand juge parüt avec le soleil levant. Les habicans des isles Célèbes ne manquent point encore a cette antique coutume d'adorer lorsque 1'aur  124 Recherches sur l''origine rore parolt et lorsque le soleil se couche; si pendant leurs prières eet astre se couvre de nuages et de brouillards, c est pour eux un signe qu'il est irriré; ils rentrent avec tristesse dans leurs maisons pour y appaiser leurs idoles, et ils se tappellent le souvenir d'un tems ou le soleil ayant eu, disent-ils, une grande querelle avec la lune, il s'ensuivit mille désordres dans le ciel, sur la terre et dans la mer : nouvelle preuve que le culte du soleil dans les isles Célèbes et dans les autres contrées du monde est un des anciens abus sortis des usages établis en mémoire des révolutions de Ia nature. Chez les Hébreux qui s'adonnèrent si souvent a ï'idolatrie, chaque semaine éroit un période donr il falloit marquer la fin et le commencement par des ceremonies assez sembjables et assez analogues a celles des autres nations. Le feu s'éreignoit dans leurs maisons et se rallumoit de sept en sept jours, comme il s'éreignoit et se rallumoit a Rome en mars, c'est-a-dire au renouvellement des années civiles, et chez les Mexicains aux renouvellemens de semaines d'années. Tous les autres adorateurs du soleil pratiquoient de même ces extinetions pérkxliques du feu sacré qui n'étoit qu'un usage relatif a 1'attente de la fin du monde et a Textinction du soleil a la fin des périodes, ces différens usages témoignent que chez les adorateurs du feu eet élément n'avoit été primitivement que le symbole de Ia vie du monde. Chaque septième jour chez les Hébreux Fon ouvroit (i) Ia porre oriëntale du temple, et l'on chantoit ce jour-la : AttoUiteportas, et introibit rex ghrice (z) : (j) Ezechiel, 46. Xt f2> Ps. 20.  du despotisme oriental. Sect. XIII. uj preuve qu'ils attendoient aussi le grand juge de sept en sept jours du cóté de 1'orienf, et que ces paroles que les chrétiens appliquent aujourd'hui si ridiculement au Messie, n'avoient rapport, ainsi que 1'ouverrure de la porte, qu'a la chimère universelle de presque toutes les nations. Comme les Hébreux s'imaginoient apparemment que leur dieu venoit résider ce jour-li dans son sanctuaire plus particulièremenr que de coutume, le prince venoit alors sur le seuil de cette porte oriëntale, et la multitude a qui il étoit défendu d'eutrer, se tenoit au-dehors; on faisoit encore au retour de chaque pleine lune (i) cette même cérémonie dans laquelle il est inutile de faire reconnome celle du Mogol et du Japon. Les apparitions des despotes de 1'Erhiopie som moins fréquentes; ils ne sortent de leurs palais que quatre fois 1'année, et pour se montrer au vulgaire, ils se placent derrière un voile. C'est ainsi qu'il parok dans ses grands jours, et qu'il prononce ses arrêts ou ses oracles. Les Ethiopiens, comme rous les peuples du monde, n'ont pas toujours pris un homme pour représenter 1'Etre suprème. Plutarque nous parle d'un peuple de ces contrées qui conféroit la dignité royale a un chien, 1'honoroit comme un dieu , et lui donnoit des hommes pour officiers et pour ministres. Strabon nous apprend que les mêmes peuples ont eu des tems on iis n'avoient pour rois que des prêtres, tradition plus favorable i la haute antiquité de ceite nation qu'a sa sagesse, mais qui désigne parfaitement tous les difiérens progrès du règne théocratique. Le même auteur nous fait aussi connoitre quelles en ont été les suites, en disant (3) ExtchUl, 46. i.  \iS Recherches sur Corigine ailleurs que de son tems 1'Ethiopie étoit gouvernée par des rois, qu'on* adoroit comme des dieux, et qu* ne se montroient jamais, pour mieux entretenir la vénération de leurs sujets. Tous les anciens historiens nous ont transmis les mêmes détails au sujet des rois d'Assyrie, de Babylone, de Perse et de Médie; il y alloit de la vie de paroitre devant ces princes, il pensa en coüter cber a la belle Esther pour s'être présentée d'elle-mèine devant Assuérus, paree qu'on ne pouvoit voir son roi, comme on ne pouvoit voir son dieu, sans mourir. Ce n'étoit aussi qu'en certains tems que as anciens despotes se montroient, et qu'ils sortoient de leurs palais inaccessibles; il falloit alors se prosterner devant eux et les adorer (i)» C'étoit de même quatre fois 1'année, que les Apalacbites, habirans de la F loride et adorateurs du soleil, alloient en pélerinage sur le mont Olagmi, pour 1'adorer a son avènement aux quatre saisons; ce culte étoit encore fondé chez eux sur le souvenir des malheurs du monde; ils disoient (2) que le soleil ayant autrefois suspendu sa carrière, les eaux du grand lac Theomi s'étoient débordées, avoient couvert toutes les montagnes, excepté le mont Olagmi que le soleil épargna a cause de son temple qui y étoit placé, et que c'étoit en mémoite de eet événement, et pour se les rappeller , que leurs ancêtres s'y étoient refugiés, qu'ils venoient quatre fois 1'année en ce lieu pour y témoigner leur reconnoissance éternelle envers le soleil; ils donnoient ce jour-la la liberté a six oiseaux (3), usage allégo- (1) Le 'ecleur pourra consulfer 1'histoire grecque sur Ie cèiémouia! qui s'observoit a ia cour des monarqiw's Persans et Assytieus. (2) Cérém. relig. tome 7. (5) Quand nos rois de France entrent a Notre-Denie de P, ris , on y donne de même la liberté k des oiseaux qu'on y a apportès e.vpré» Wan» dej eaget.  dn despotisme oriental. Sect. XIII. xzy tique qui avoit rapport a 1'ancienne délivrance; la fète finissoit par des processions de rameaux, par des jeux, des festins et des danses; eest ainsi, suivant Lucien, qu'une fois 1'année, au temple de la déesse de Syrië, un homme montoir sur une tour élevée, cü il restoit pendant sept jours sans boire, sans mangeler sans dormir, en mémoire du salut trouvé sur les hauteurs, et des misères du genre humain après le déluge. Ces apparitions des rois, ces visites, ces pélerinages réglés chaque année par les quatre saisons, ont eu une origine commune, et ont é.é des usages suivis de presque tous les tems. Nous avons encore en Europe nos quatre-tems, accornpsgnés de jeünes et de processions; mais l'on knore qu'ils procèdent des bacchanales des quatre saisons, qui, dans La haute antiquité, n'étoient que des fètes de deuil et de tristesse, établies en mémoire de la fin de Tanden monde dont chaque saison rappelloit le souvenir. Le nom de bacchanaksj qui signifie lamentation (i), en est la preuve. Les quatre grandes fêtes annuelles de tous les peuples et les quatre carêmes de certaines sectes du christianisme ont une origine absurde que tout le monde connoit; mais ils en ont une inconnue qui remonte de même aux instkutions primkives de la terre renouvellée. Dans le royaume de Siam (i), ce n'est qu'une fois 1'année que TEmpereur soit de son serail, encore n'est-ce point pour se faire voir a ses peuples, mais pour les faire fuk; aussi-tot qu'il paroit, il faut s'é- (0 Uisfoire du o'el , tome I, (2) Cérém. relig. torn» §.  n8 Recherches sur l'origine loigner au plus vïte, ou se prosterner le visage contre terre, pour ne le point voir. Ce prince terrible tient donc lieu a ses peuples de ces anciens coftres mystérieux et de ces arches oü l'on prétendoit que résidoit la divinité. Dans les fêtes Grecques et Egyptiennes, d'Isis et de Cérès, dans les fêtes Gauloises , au tems de la moisson, et chez les Hébreux , ces coffres , ces chasses ou arches se portoient en procession et en triomphe en certaines occasions ; alors chez les uns il falloit fuif, se cacher , ou détourner les yeux, et chez les autres, on n'auroir pu les toucher sans être exterminé. Le monarque Siamois n'a donc été dans son origine que le coffre redoutable et le dieu symbolique de la théocratie; mais ce qui nous le va dévoiler touta-fait, c'est que les Siamois doivent ignorer le nom de leur prince; ce nom doit être un mystère pour eux, et si pat hazard ils le connoissent, il leur est défendu de le prononcer (i). Les voila donc enfin travestis en Siamois , ces redoutables Jehovah et P'ejovis (2) des Hébreux et des Romains, ces divinités cruelles, jalouses, vindicatives, auxquelles ces deux peuples, toujours dans la crainte quand ils y pensoient, offroient leurs victimes et leur encens , pour n'en point recevoir de mal; ils n'auroient de même osé prononcer ces noms divins qui, dans leur idéé, étoient capables de faire rentrer la nature entière dans le chaos. A Jérusalem comme a Siam, ce n'étoit qu'une fois par année que le palais du dieu monarque, c'est-a-dire (1) Céiém relig. torae Ë. (a) Cicaro de nat. Deor.  du despotisme oriental. Sect. XIII. tif le sanctuaire 3 étoit ouvert3 et que le renouvellement de 1'annee civile rendoit accessible le redoutable Jehovah. Dans ce jour fameux, qu'on appelloit le jour des expiations . et que le grand prêtre lui-même regardoit comme dangereux pour lui, les devots faisoient mille folies que 1'attente de la fin du monde est "seule capable d'expliquer; alors le pontife entroit dans le saint des saints, oü, tout tremblant de la peur d'en mourir, il prononcoit a voixbasse, pour que personne ne 1'entendit, le nom du dieu de la terreur, dont le peuple avoit fait son monarque. Le grand prêtre de Minerve Poliade n'entroit aussi dans son temple qu'une fois 1'année. Lucain nous fait voir a~peu-près le même usage et la même terreur dans une forêt sacrée des environs de Marseille. Nous observerons ici que cette affreuse maxime qui semble transfbrmer les rois en des démons dont il faut ignorer le nom , est suivie dans presque toute 1'Asie: on n'y voit jamais, comme en Europe, le nom des rois a la tête de leurs ordonnances et de leurs édits; on y lit seulement ces mots despotiques : ( i ) Un tommandement est sorti de la. bouche de celui d qui 1'univers doit obéir. Bizarre et ridicule orgueil, qui ne pouvant être que trésancien , puisqu'il doit son origine a la théocratie, est vraisemblablement la cause pour laquelle tous les auteurs Grecs ont si peu connu les noms des rois de 1'orienr. L'oracle de Delphes dans les plus anciens tems dont la Grèce fasse mention, ne faisoit parler Apollon qu'une fois 1'année seulement; c'étoit le jour auquel on célébroit la naissance du Dieu qui arrivoit au (i) Kempfer. Tome III. X  T j 0 Recherches sur F origine printems. Les Japonois s'imaginent de même qu'unè fois 1'année tcus les dieux descendent en terre d'une facon invisille, et qu'ils vont habiter pendant un mois dans le palais du grand ponrife, pour lmspirer et 1'instruire. Le voyage que toutes les divinités de 1'Asie faisoient aussi chaque année en Ethiopië, en mémoire de la guerte des Typhons et des Géans, est fameux dans 1'histoire de la religion. Le dennet mois de notre année se nomme encore le mois de fjtatntj c'est-a-dire, le mois de l'arrivée ■ et au renouvellement de la conrse solaire nous célébrons la naissance du Messie des Juifs et de 1'étoile de Jacob. Les Romains célébroient dans le même tems la fête de la naissance de 1'invisible Mytras (i). Les trois messes que Ton célèbre pendant la nuk de Noël, semblent avoir rapport aux trois autels sur lesquels ces derniers peuples sacrifioient la nuit des jeux séculaires au renouvellement de chaque siècle. L'universalité de ces usages, malgié la différence des motifs que chaque peuple et chaque religion ont allégués, est une preuve invincible que toutes ces manifestations de dieux , de rois et dorades , au commencernent ou a la fin des années, n'avoient autrefois en vue que les dogmes de la descente du grand juge, et du jugement dernier a la fin des périodes. Jugeons par-la de l'universalité d'erreurs dans laquelle toute la terre entière est ensevelie. (i) Le soleil.  du despotisme oriental. Sect. XIK r\ t SECTION XIV. Suite du mème sujet. T -LiE roi d'Arrakan ne se montre, suivant Gauthier Schouten , que tous les cinq ans, a la pleine lune du dernier mois de 1'année solaire; c'est en cepaysle seul tems oü il soit permis de le regarden Nous avons vu jusquici que les rois sont comme obligés de faire ces apparmons; ici c'est le peuple que le roi obli^e de se rendre a la capitale (r), de toutes les partjes du royaume, pour y connoitre son monarque 5 ensorte que l'on y voit alors accourir une foule innombrable; c'est ainsi que les Hébreux couroient a leur paque annuelle, qu'il falloit célébrer nécessaiwment i Jerusalem. La magnifïcence avec laquelle le roi d'Arrakan se montre k ses peuples, est sans égale; 1'appareil de cette pompe et de la marche du Prince surpasse tout ce qu'on pourroit en dire; néanmoins les voyageurs ne nous en ont point déraillé le plus insrrucrif, puisqu'ils ne nous ont point expliqué le sens de la disposition générale de la fète , et tous les objets symboliques et allégoriques qui y paroissent; il est vraisemblable qu'ils n'ont pu le découvrir, et que ce peupk lui-même 1'ignore peut-être tout le premier. C'est-la oü en sont tous les peuples de la terre sur leurs usages. Quoi qu'il en soit, ces grand jours se passent en spectacles , en jeux, endanses, en concerts; ce ne sont point des jours de terreur, comme chez les autres nations; ce sont des jours cTallégresse (1) Hifi. géaèr. d*i vov«ges, tome I, p, 42. I X  j 51 Recherches sur f origine et de plaisirsj comme aux satumales que les Romains célébroient au renouvellement de 1'année solaire (i), et de leur année (i) civile. Nous verrons ailleurs quelles sont les raisons póur lesquelles la même cérémonie est un objet de terreur chez les uns, et de rejouissance chez les autres. Les anciens ont aussi connu ces périodes ae cinq années. C'étoit alors que les Romains pratiquoient des expiatiens et des lustrations générales, qui firent donner le nom de lustre ou de lustralè a toutes les cinquièmes années; c'étoit encore dans ce rems qu'ils faisoient le dénombrement des citoyens : chaque particulier payoit ce jour-la une taxe modique, et l'on ne peut guères dourer , vü les autres usages de ces fêres , que cette taxe ne fut comme le demi-sicle que payoient chaque année les Juifs, sorre de rachat, par lequel on croyoit sauver sa tête de la justice divine, et des puissances infernales dont. on s'imaginoit être menaeé ala fin de tous les périodes. Les jeux Olympiques, si anciens parmi les Grecs, qu'ils n'en connoissoient point la véritable époque , 'se célébraient chez eux après la quatrième année révolue. Ce période étoit vraisemblablement dans son origine , une semaine sabbatique de quarante - neuf mois, ainsi que'Ta déja soupconné Noè'l-le-Comte dans sa mythologie. Les Grecs avoient encore les jeux Isthmiques, qui se célébroient tous les cinq ans ; les jeuxPythiens, tous les sept ans; et les jeux Néméens, tous les trois ans d'abord , et ensuite tous les cinq ans: il se faisoit dans ces circonstances un concours inombrable dansles villes consacrées a ces grands jours; on (i) En lU-cembre. (s) En. mm.  du despotisme oriental. Sect. XIV. 133 s'y préparoit par diverses cérémonies expiatoires , et toutes les hostilités cessoient , afin de se réunir,, et de célébrer en paix les grands exploits des dieux, les Titans terrassés, la défaite du serpent Python , et une infinité d'autres anecdotes allégoriques , qui étoient toutes des commémorations des anciens évênemens de la nature, lors de la desrruction et du rétablissement du monde. Ce seul point de vue est la clefde toutes les antiquités religieuses de la Grèce, sur lesquelles on a' déja fait tant de commentaires inutiles. Tous les trois ans les Hébreux pratiquoient ausü quelques usages, qui ne pouvoient procéder que de la même source; ils avoient des aumönes a faire , une dixme extraordinaire a payer, qu'ils devoient distribuer aux lévites, aux étrangers, aux pauvres et aux orphelins; et en considération de ces bonnes actions , ils prioient le Seigneur de bénir son peuple, et la terre qu'il lui avoit donnée (1). L'unanimké de tous les peuples pour célébrer la naissance et la fin des périodes par des usages qui ont rapport aux anciennes révolutions du monde , nous engage ici a dire aussi quelque chose des jubilés des Hébreux , pour les ramener a leur véritable origine, qui depuis tant de siècles est cachée, pour les Hébreux même, dans une profonde obscurité. Cette nouvelle preuve de leurs erreurs, nous ouvrira les yeux sur une multitude d'autres qui leur sont particulières, mais qui toutes intéressent infiniment le genre humain. La principale source des erreurs de cette nation, est l'onbli de la langue de ses pères. Presque toutes ses fables et ses méprises viennent de la mauvaise interprétation des noms , et des particularités de ses traditions (0 Deuteron, cliap. 6. I 5  134 Recherches sur l'origine primitives ; et ce qu'on aura peut-être peine a croire } c'est que tous les auteurs de ses livres sacrés ignoroient" la langue Hébraïque. Pour adoucir ce paradoxe, j'ajouterai que ces auteurs ignoroient 1'Hébreu , c'est-adire , landen Hebreu , comme les Francois modernes ignorent le Gaulois, dont pourtant leur langue est en partie dérivée ; ils se sont trompés de la même facon que nous nous tromperions aussi, si nous voulions expliquer les mots Gaul®is par les mots Francois qui ont avec eux quelque consonance. Une autre source de ces méprises de langage chez les Hébreux , vient de ce qu'ayant souvent été errans et transplantés des nations étrangères , ainsi qu'il paroit par leurs histoires, leur Hébreu primitif s'est alteré et corrompu , par le mélange de toutes sortes d'idiomes , d'oü il est arrivé par la suite qu'ils ont expliqué un mot Chaldéen par un mot Hébreu, unmot Hébreu par un mot Persan ou Egyptien, et enfin des mots Egyptiens par des mots Hébreux, Persans ou Chaldéens. Le nom de Schab at, par exemple , qui «ne doit fignifier que renouvellement, a produit dans leurs fètes et dans leurs usages , une multitude de fables grossières, paree qu'ils 1'ont interprété par repos , ce qui leur a fait perdre tout-a-fait de vue le sens de leurs traductions , et les intentions primitives de leurs loix er de leurs fètes, qui toutes portoient ce nom. Pour ne parler ici que des jubilés qu'ils célébroient tous les sept ans, comme cette solemnité s'appelloit aussi la fète du Schab at de la terre, ils s'imaginèrent lorsqu'ils eurent oublié la véritable signification de ce titre, en appercevoir le sens dans les usages de ces jubilés , et quand cette expression signifioir repos, paree que dans 1'année jubiliaire ils laissoient la terre sans culture, ne semoient point les champs-, ne tailloient  du despotisme oriental. Scct. XIV. i$$ point la vighëj ni les plants cToliviers , ne cueilloient aucuns fruits, et qu'ils ne faisoient enfin aucune moisson, aucune récolte ni aucune vendange, de ce que la terre pouvoit avoir ptoduit d'elle-même, il est vrai que de reis usages étoient trés-capables de les tromper , aussi-bien que 1'inacrion oü ils devoient être chaque septième jour 3 mais pour être excusables , ils n'en étoient pas moins dans Terreur , ainsi que leurs législateurs et leurs prêtres, qui par-la ont trompé tout le genre humain. Les interprêres qui ont tenté jusqu'ici d'expliquer une loi aussi étrange, qui par Tabandon de la culture des terres devoit entraïner de si mauvaises suites pour le bien commun , n'y ont presque tous vu qu'une énigme impénérrable Prideaux est forcé d'avouer que ces jubilés er ces semaines sabbatiques, n'éclaircissent aucuns passages de Técriture , et qu'on n'y peut voir qu'un joug pesant, qui attira aux lsraélites de sévères punitions, paree qu'ils négligèrent presque toujoars de Tobserver, malgré Texcès de sa superstition. Ce peuple ne se fia réellement jamais sur eet article aux promesses de son Dieu, qui lui avoit dit : Ne crainspoint de mourir de faim cette septième année } car je répandrai ma bénédiction sur la sixième, pour qu'elle te produise autant de fruits que trois autres. La peur de la famine Temporta , et sur ces belles promesses, et sur les menaces ; Israël laboura ses champs, et voulut toujours faire sa vendange ; par la suite cependant les grandes calamités dont il se vit frappé lui rappellèrent cette insigne désobéissance et la méfiance de ses pères, et il ne manqua pas d'attribuer tous ses malheurs au défaut de célébration de ces jubilés, comme les Romains attribuoient les désastres de leur république au défaut de célébration des jeux séculaires. I 4  l j (, Recherches sur 1'origine Si nous n'avions donc que les Hébreux pour nous éclair-cir sur leurs propres usages, nous espérerions en vain d'y parvenir. Ils ignoroienr quel étoit 1'objet parriculier de chaque fête , comme ils ignoroient 1'objet général de leur religion et de leur culte. En nous disant que le jubilé étoit une loi de Moyse, faire pour accorder le repos a la terre, ils nous montrent par cette réponse leur profonde ignorance , puisque l'on peut juger par leurs écritures mêmes que la distinction des septièmes années , et les usages qui y étoient attachés , étoient plus anciens que leur Moyse. Jacob qui se louoit chez Laban de sept ans en sept ans, afin d'épouser ses filles , suffit pour nous prouver que eet usage jubiliaire étoit répandu dans 1'Orienr plus de deux cent soixante ans avant leur législateur et avant les loix de son lévitique. Au défaut de ces Hébreux , dont on prétend si ridiculement faire les premiers docteurs du monde , les Américains, qu'on méprise tant , vont nous rendre raison de 1'institution du jubilé, eten particulier de eet abandon total qu'il falloit faire, pendant les jours sabbatiques, de toutes les choses de la terre. Les voyageurs er les historiens de l'Amérique s'accorient tous a nous apprendre que les Mexicains attendoient la fin du monde a chaque siècle ; leur siècle étoit composé de cinquante années , c'est-a-dire qu'il formoit une grande semaine sabbatique de semaines d'années; et leur année étoit composée de dix-huit mois vingt jours chacun, au bout desquels ils en ajoutoient cinq, pour compléter 1'année solaire. En conséquence de cette attente singulière ou ils étoient de la fin du monde, le dernier jour qui voyoit expirer le siècle, étoit un jour d'affiiction, de deuil et de pénitence; ils éteignoient le feu sacré dans leurs temples.  du despotisme oriental. Sect. XIV. 13 7 et le feu domestique dans leurs maisons; et après avoir cassé er brisé tous les meubles et tous les ustensiles du ménage, comme choses qui devenoient inutiles et superfiues, les uns passoient la nuit dans la prière et presque rous dans les aiarmes er dans la désolation, s'attendant a chaque heure a voir le dernier moment de la nature. Cette terreur augmentoit a mesure que la nuir s'avancoit: mais lespérance y succédoit ensuite, et croissoir a mesure que 1'obscurité commencoit a dijninuer, on montoit alors avec un empressement encore plein d'inquiétude sur les toits des maisons i on regardoit attentivement 1'Orienr; on étudioit les progrès les plus imperceptibles de l'aurore naissante; c'étoit a qui auroit de plus grands et de meilleurs yeux; et a peine les premiers rayons du jour annoncoient-ils le retour du soleil, qu'un cri universel rappelloit la joie et rallégresse; on couroit au temple rallumer le feu sacré; et par des hymnes et des cantiques, on remercioit la divinité d'avoir prcrogé la durée de 1'empire, et d'avoir accordé un nouveau siècle au monde. Je ne détaillerai point la fète qui étoit la suite de ce grand renouvellement ; ce que nous venons de voir suffit pour expliquer tous les usages des Hébreux dans leur jubilé; il ne faut pour cela que considérer la bisarre coutume qu'avoient les Mexicains de casser leurs meubles dans cette occasion, comme la suite et I'abus outré d'une institution 3 qui avoit eu pour objer dans son origine de faire un sacrifice a Dieu de toutes ses propriétés', de lui montrer avec quelle résignation on se dérachoit des choses d'ici bas, et avec quelle soumission on étoit prêt a souscrire a ce qu'il ordonneroit a la fin des périodes sur le destin de 1'univers. La découverte de ce grand point de vue nous fait expliquer toutes les folies de quelques nations au tems  t3§ Recherches sur 1'origine des éclipses, oü elles faisoient un bruit épouvantable avec des marmites, des chauderons, et d'autres ustensiles de ménage, qu'elles brisoient (i) de même, comme je 1'ai vu en certaines relations \ c'est que 1'obscurité soudaine des éclipses leur rappellanr le souvenir des anciennes ténèbres, elles croyoient en voir le retour, et qu'estimant la fin du monde très-prochaine, elles s'imaginoient n'avoir plus besoin de rien. En considérant ces usages sous le même aspect, il sera également facile d'expliquer littéralement toutes les coutumes sabbatiques des Israélites. Premièrement, le nom jubilé, qui signifie corne de bélierj c'est-a-dire trompette , étoit donné aux grands périodes des PIébreux, paree que pour en annoncer le commencement au peuple, sept prêtres sonnoient de la trompette , le dix du mois tirci , pour annoncer le jour des expiadons, oü il falloit affliger son ame; après quoi le grand prêtre entroit dans le sanctuaire pour y prononcer le rerrible mot de Jehovach.- Selon le sentiment des Juifs d'aujourd'hui, la trompette est un signe du jugement, et nos apocalyptiques n'ont jamais raanqué de mettre a la bouche des anges exterminateurs eet instrument fatal; ainsi le nom de la fète oftre déja (O ï-es Juifs ont encore fusaie aujourd'hui, deux jours au moins avant Paques , qui commence leui année sacrêe , de renouveller Mewra usteusil s; eet usage n'est cependant pas universel chez eux, comme 1'usage de rasser les meubles n'étoit point universel chez les anciens au tems des éc ïpses. L'esprit du ménage et d'économie est ce qui a introduit ces changemens ; Les nations se contentèrent alors de faire dn bruit avec leuis ustensiies ,.et les Hébreux a I'aques se contentenk presque tous aujourd'hui de les nettoyer et de les purifier. ïl en est a peu pris de mèiae chez nous ; nous ne déchirons point nos meubles au renouvellemeut de 1'année paschale , mais nous arons 1'usage de nous donner toujours quelques meubles ou quelques habita neufs ea c« tems.  du despotisme oriental. Sect. XIV. 139 Ie dénouement des terre urs dont le grand prêtre et le peuple étoient toujours frappés ce jour-la. Secondement, ce tems s'appelloit le sabath de la terre, c'est-a-dire renouvellement de la terre, paree que 1'idée de la fin du monde entraine toujours après elle 1'idée de son renouvellement, soit naturel, soit surnaturel; d'ailleurs le tems jubiliaire commencoit toujours avec 1'année civile; mais il n'est pas étonnant de voir ce tems porter le même nom que porton autrefois chez les Hébreux le premier mois de 1'année solaire, qu'on nommoit Schabat dans le même sens, et par la même raison que nous appellons ce mois janvier, d'un ancien mot latin qui signifie celui qui ouvre et qui renouvellé 1'année. Le mot hébreu potirroit être la matière d'une ample dissertation, mais elle seroit ici trop longue; il suffir de remarquer que les mots de jubilé ( 1) et de sabbath (2), donnés au même tems et au même usage, indiquent toujours que les renouvellemens étoient les annonces du jugement et du grand juge. Lors donc que les anciennes loix commémcratives, ou plutót celles qui en dérivèrent et qui en outrèrent les usages, comme ici les loix mexicaines et hébraïques, qui défendoient aux hommes de cultiver la terre la -septième année , et leur ordonnoient de ne vivre que de ce quelle" produiroit d'elle-même, et de ce que le hasard (3) leur feroit trouver chaque jour, c'étoit pour les avertir que le période de la fin du monde étoit prochain, et qu'il falloit bientót renoncer a tout. Comme c'est le tems , leur disoit-on , oü 1'Etre suprème doit votas juger, vous exercerez cette année la miséricorde, (1) Trompette. (2) RenouYellement. (5) LeTitirj. a5. ia.  i.jo - Recherches sur l'origine et vous remettrez les dettes de vos frères, pour que le grand juge vous remette les vótres : vous vous déracherez de tous les biens d'ici bas; vous abandonnerez toute propriété; vous rendrez la liberté a vos esclaves; tous les marchés, tous les contrats , toutes les acquisirions que vous aurez faits jusqu'a ce jour seront nulles, paree que c'est 1'année de la remise , (i) et de la dissolution de toutes choses; s'il plak cependant au seigneur de nous accorder un autre période , tout ce qui aura été fait dans 1'antéeédent sera censé (z) oublié, et comme non avenu; Vesclave vendu demeurera libre; ie bien acquis rctoumera a ses anciens maitres3 chaque homme a sa première familie ; et vous ne pourrc-z enfin jamais vendrz la tene a perpétuité paree que la terre est au Seigneur j qui peut nous l'óter quand il lui plaira , comme il l'a ótée autrefois a nos pères (3). Telle est la sjmpllcité avec laquelle les Mexicains auroient expliqué aux Hébreux jdes usages anciens auxquels ils ne comprennent plus rien , et que nos prétendus organes de 1'esprit saint n'ont pas mieux connu qu'eux. Leurs écritures sacrées, qui leur ont bouché les yeux, auroient pu, cependant, les leur dessiller quelquefois, si.dans cette multitude de mensonges et de vérités qu'elles contiennent, l'homme n'eut pas toujours été plus porté vers le faux que vers le vrai. Le quatrième livre d'Esdras, chap. 16 , confïrme (1) Nomb. 56. 4- (2) Celle coniuine a éré très-f."»ale a 1'histoire du monde. Nous xerrons par ia suite que ce précepte a été cause* de 1'oubli oü sont tombés tous les anciens périodes après cent ans, aprés mi.le ans, elc. II falloit de même que ton Ie passé fut censé oublié et non avenu j «t par un esprit re igieux on abolissoit, autant qu'il étoit possib'e» le souvenir de loutrs choses. (5) Levitic. 26. 23.  du despotisme oriental. Sect. XIV. 141 singulièrement rexplication que nous venons de tirer des Mexicains. Ce prophéte annoncant au monde que sa fin est prochaine, s'écrie: «Que celui-ci qui vend, »> fasse comme celui qui fuif, celui qui acquiert, comme » celui qui perd ; celui qui trafique, comme celui qui ►i est sans profit, celui qui se batit une maison, comme » s'il n'y devoit point habiter; celui qui sème, comme » s'il ne devoit point recueillir; celui qui fac_onne sa » vigne, comme s'il ne devoit point la vendanger , " enfin , que celui qui se marie, fasse comme s'il " ne devoit point avoir d'enfans ; le tout, dit eet en» thousiaste, paree que ceux qui travailleront, travail" leront en vain ". Cette application de tous les usages du jubilé, aux approches de la fin du monde, dénote, sans doute , que les Hébreux n'ont point toujours méconnu le véritable sens de ces usages. « La fin vient, dit aussi " Ezéchiel, chap. 7, elle vient cette fin sur les quatre " coins du monde, ce jour de carnage des hommes, » et non de la gloire des montagnes ; celui qui vend ne » rentrera point alors dans la possession de ce qu'il » vend Et pourquoi ? paree que ce sera le dernier de tous les périodes, comme on peut le juger par eet extravagant et sublime chapitre d'Ezéchiel. On doit trouver étonnant qu'avec de tels passages les Juifs et les Chétiens n'ayent jamais connu la véritable institution des jubilés; c'est, comme je 1'ai dit tout-a-l'heure, que la supersrition est toujours aveugle pour le vrai au reste on peut juger par cette ignorance, dont les premiers traits sont dans le Pentateuqne, que toutes les erreurs et les folies des Hébreux sont infiniment anciennes, puisque ce livre lui-même est d'une très-haute antiquité? Cette histoire des jubilés nous a écarté de nos des-  141 Recherches sur lsorigine potes; mais comme ces fêtes avoient rapport a la manifestatioii périodique de ce même grand juge, que tous les souverains orientaux ont toujours affecté de représenter, en rapprochant ainsi le tableau des usages civils, avec celui des usages religieux, on en verra mieux la suite continue et non interrompue de toutes les erreurs humaines. SECTION XV. Les usages thcocratiques se conservent che% tous les despotes ecclésiastiques. Xj E cérémonial et tous les usages que nous avons reconnus dans les cours des despotes de 1'Asie , se trouveront aussi chez les narions qui admettent a leur tête des souverains pontifes. Ces princes ecclésiastiques ont surpassé 1'orgueil des rois temporels, sur lesquels en tout lieu , ils ont toujours prétendu dominer , paree que leur état et leur caractère les approchent bien davantage de nos anciens rois théocrariques; indépendammenr de 1'invisibilité qu'ils affectent tous dans 1'Asie , ils prétendent encore a 1'immorralité. Le grand Lama, que la plus grande partie de 1'Orient appelle le prêtre universel , ne meurt jamais dans 1'esprit des peuples-, pour entretenir leur crédulité, il n'y a point de fourberies et de ruses que ses ministres ne mettent en usage pour le remplacer adroitement quand il vient a mourir } ainsi que pour rendre son aspect rare. et difficile. Si ces imposteurs placoient derrière un voile un bloc d» marbre, ce seroit de même un véritable roi théocratique i il dureroit plus que tous les Lamas du monde -, il leur serviroit autant >  du despotisme oriental. Sect.XIV. 143 feroit moins de mal, et leur épargneroit bien des mensonges. % L'immortalité est de même un des privilèges du grand Kutuktu ou Katucha des Calmoucks ( 1 ). Ce titre, aussi difficile a remplir pour lui, que tous les autres attributs de 1'Etre suprème , éternise en ces contrées 1'imposture des prêtres, qui pour perpéruer leur foible divinité, ou pluiót leur idole , persuadent au peuple que le grand pontife vieillit avec la lune , et se renouvellé avec elle. C'est par ce même moyen que l'on a éternisé les Adonis anciens et modernes , en les faisanr naitre et mourir tous les ans et en réglant leur naissance et leur résurrection par le cours du soleil, comme les renouvellemens du grand Katucha sont régies par le cours de la lune. Le suprème sacerdoce coüre bien d'avantage au Chimote' (2) grand prêtre de 1'Abyssinie. Le peuple apparemment trop instruit qu'il n'est qu'un homme, et qu'il en doit subir la loi finale et commune, n'accorde point 1'immorralité a son pontife, mais au seul sacerdoce , qui ne doit pas même vieillir, ni être sujet a l'infirmité ou a la caducité. Comme le grand prêtre elle sacerdoce sont cependant érroitement liés ensemble, il a paru nécessaire en ce pays de dérendre au Chitomé de vieillir, afin que le sacerdoce ne se ressentit point de sa vieillesse ; ce seroit dans 1'esprit de ces peuples un très-grand malheur , et le monde même périroit, si ce grand prêtre devenant caduc mouroit naturellement ; le sacerdoce en seroit avili, deshonoré et anéanti. Pour prévenir donc de si grand maux , lorsque le Chitomé est maladgj on 1'assomme ; s'il devient vieux, (1) Cérém. relig, tome 6. (2} Seint. d'Ethiopie par Je P. Lubar chap. I.  ï44 Recherches sur l'ofigiue on letouffe, er un pontife plein de vigueur, que l'on tient sans doute toujours prêt, succède i celui auquel on n'a pas laissé le tems d'être malade, et de déshonorer le sacerdoce, qu'on prétend étetniser par ce barbare usage. Je ne sais s'il se tient un conclave en cette contrée pour 1'élection des grands pontifes , et si l'on y voit autant de prétendans et de brigues , que dans le conclave Romain •, les voyageurs ne nous en ont rien dit; ce qu'il y a de certain, c'est que le Chitomé Abyssin est un Apis Egyptien; ce bceuf sacré, eet ancien roi théocratique de Memphis , ne pouvoit pas non plus mourir naturellement, sans qu'il tombat de très-grandes calamités sur 1'Egypte , par la raison , sans doute , qu'il auroit déshonoré 1'éternité du Dieu monarque, dont il étoit représentant; ori ne 1'ass.ommoit pas , il est vrai, si crueilement que le Chitomé dont nous parions , mais on le noyoit respectueusement dans le Nil, quand il approchoit de sa fin ; c'étoit une solemnité fort devote, après laquelle on lui cherchoit un successeur. Les Mexicains (i) avoient aussi une sorte d'Apisop d'Adonis vivant, dont le sort n'etcit pas moins crue'1; c'étoit un homme , qu'on renouveiloit tous les ans; on 1'adoroit pendant le cours de 1'année ; rien ne lui manquoit du cóté des honneurs et de la bonne chère; mais 1'année révolue on i'egorgeoit, après 1'avoir prévenu neuf jours d'avance, en lui disant, Seigneur,, vos plaisirs jinissent dans nos jours. La cruauté a toujours été la suite de 1'idolatrie 3 comme du despotisme ; ces deux monstres ont une commune origine. (0 Cérém. reiig. tome 7 L'Europe  du despotisme oriental. Sect.. XV. 145 L'Europe moderne , ainsi que 1'Abyssinie , ne reconrtoit point d'immortalité dans les souverains pontifes ; mais le sacerdoce s'y prétend infaillible , immórtel, divin et indèpendant de toutes les sociétés et de toutes lés puissances de la terre; comme il a perdu le souvenir de Ia primitive origine de toutes ces chimères théocratiques, il les fonde sur cette seconde époque , ou les terreurs paniques de la fin du monde et du règne dü ciel, les réveillèrent, ét remplirent les hommes d'un esprit de vertige, qui leur fit voir le grand juge dans Üri Juif pauvre et misérable, qu'ils déifièreftt, comme celui qui avoit fait, ou qui devoit faire bierttöt descendre le règne du ciel sul la terre. C'est depuis cette époque de confusion pour le genre humain, que le sacerdoce se croit immortel, qu'il prétend montrer une succession continue, et non interrompue de Princes spiritüels depuis dix-huit siècles, et qu'il se flatte qu'elle se continuera jusqu'a la consommation des tems. Je ne ferai point voir quelle est la fin a laquelle cette immortalité doit s'attendre ; mais ce que je sens bien , c'est que son principe se perd dans plusieurs siècles de ténèbres et d'ignorance; que les premiers papes sont aussi fabuleux que les premiers rois d Egypte et de la Chine ; et qrie cette prétendue immortalité du sacerdoce Romain ayant aussi commencé dans 1'obscurité s'évanouira nécessairement dans la lumière progressive dés siècles furufs. Comme le christianisme n'a fait que fenouvellef une ancienne chimère dontil a été lui-même la dupe, il a toujours travaillé a ramener sur la terre les anciennes théocraties, er il a renouvellé les maux er les erreurs , qui étoient les suites inévkables de leurs faux principes. C'est de ces'anciennes sources que sort ce dogme cruel de l'universalité future de la monarchie Tome III. K  14*» Recherches sur t''origine chrétienne •, c'est comme successeurs et représentans de ce faux grand juge, aujourd'hui adoré comme Adonis, et comme les Osiris , que des hommes ont osé sur la terre affecter 1'infaillibilité et 1'indépendance, et que le sacerdoce a toujours aspiré au despotisme, soit directement, soit indirectement, en corrompant les gouvermens dont la constitution en est le plus éloignée. L'histoire passée , et 1'histoire présente de 1'église , sont les preuves de ces tristes vérités, de 1'origine de nos maux, et de préjugés qui les produisent. Si nous avions le tems d'examiner le cérémonial religieux et politique de 1'élection et de la vie d'un pape, nous y trouverions pour nouvelles preuves tous les traits de Tanden roi théocratique, et une multitude d'usages , qui n'ont d'autres sources que les abus ridicules et idolatres, que la plus haute antiquité avoit déja fait des dogmes sacrés de la descente du grand juge, et de Tatrivée de la vie future. Je n'en voüdrois point d'autres preuves que ces indulgences et ces jubilés que les papes dispensent a leur avénement; comme si la première année de leur pontificat étoit de celle du renouvellement du monde , et nous ouvroit Tentrée de la vie future. C'est-la néanmoins Tintention de Touverture de la porte sainte; Ton chante alors : Ouvre^ les portes de la justice , les justes y entreront; voici le jour du Seigneur. On n'y verra un jour que la journée des foux et des idolatres.  du despotisme órlentaï. Seci. XVI. 147 SECTION XVI. Tous 'les despotes veulent commander a la nature même. d> e seroit peu de montrer chez les rois le céremonial théocratique , qui les veut élever au-dessus du reste du genre humain pour le trailer comme un vil troupeau d'esclaves ; il faut les voir commander a la nature même et jouer jusqu'au bout le röle de la divinité, dont on a voulu qu'ils fussent les emblèmes. L'histoire ancienne nous offre plusieurs exemples de princes, qui se croyant une ame plus qu'humaine , se sont portés a eet excès d'extravagance, de penser qu'ils pouvoient se faire obéir des élémens. Jusqu'ici l'on n'a appercu dans eet orgueil que les saillies particulières de la folie de ces Princes, et non une conduite autorisée et recue dans le plan des anciens gouvernemens; mais eh réunissant ces traits singuliers épars dans 1'antiquité avec ceux que l'histoire moderne et les voyageurs nous fourniront, nous serons a portée de juger si nos historiens moralistes ont vü dans ces anciennes folies tout ce qu'ils devoient y voir. Si nous voulions avoir recours aux annales des Hébreux , nous y trouverions nombre d'exemples de la superbe puissance des despotes de Ninive, de Perse, de Babyloiie et d'Egypte , qui se regardoient comme le principe de toutes les choses, et comme les maitres de toutes les terres, de toutes les mers , de tous les fleuves, enfin comme les dieux souverains de tous les dieux de 1'univers. Mais le fiel irréeonciliable des Hébreux contre tous ces princes formidables, dont ils éroient le jouet, K 1 -  i4g - Recherches sur t'origine comme la plume 1'est du vent, pourroient rendre ces reproches suspects, si Ion n'y joignoit les térnoignagës des autres nations. j Personne n'ignore aujourd'hui les anecdotes du fameux passage de Xerxès en Grèce, ni la lettre impérieuse que ce despote de la Perse écrivit au mont Athos , pour lui ordonner de laisser passer ses armées , en le menacant en cas de désobéissance de le faire jetter a & mer. Ce même insensé fit encore enchaïner 1'Hellesr pont, pour avoir causé le naufrage de ses flottes; et après lui avoir fait donner trois cent coups de fouet, comme a Lans de ses esclaves, il 1'apostropha et lui dit: C'est ainsi 3 malheureux élément, que ton maüre te punit (i). Le même auteur qui nous raconte ces folies presque incroyables., attribue au grand Cyrus une action de cette espèce. Un cheval consacré au soleil s'étant noye au passage d'un Beuve, ce conquérant le fit sur le champ couper par son armée en rrois cent soixante canaux, pour anéantir le cours de ses eaux sacrilèges. Un ancien roi d'Egypte (2) , que quelques-uns font iuccéder a. Sesostris, chatia.le Nil débordé , qui faisoit d'affreux ravages, en lancant contre lui un javelot. Au royaume de Siam (3) les rois commandoient aussi autrefois aux élémens , aux géuies.malfaisans, et aux démons , auxquelsilsdéfendoient de garer les biens de la terre; et comme -ftotre roi d'Egypte, ils ordonnoient aux rivièrc-s débordées de rentrer dans leur lit, de cesser leurs ravages. Ceux qui nous onr déciit l'Afrique (4) ont rapporté (1) Kerod. lir. I. (j) Diod. liv. I. Herod. (1) Cérém. riiig. tome 6. (4) Idem , tome 7.  du despotisme 'oriental. Séct. XVI. 149 des. anecdotes semblables des souverains de cette région; ils y sont presque tous des dieux du plein exercice. Les peuples de Totoka 3 ceux d'Agag, plusieurs autres voisins du Monomotapa , et ceux même de ce grand empire , s'adressent a leurs princes dans leurs besoins; ils y ont recours pour la pluie, poür larfaf» mine, pour la contagion , et leur demandent enfin mille autres secouis divins. Dans le royaume de Loango (1) , c'est le roi qui dispose du tems; 1'une des grandes fêtes du pays est celle oü on va lui demander la pluie et le beau tems pour toutes les saisons de 1'année. Le prince alors prend son are, tire une flêche en I'air, et tout le monde est content. Chez les Guiaches (z) c'est encore du Prince que l'on croit tenir les saisons favorables, et l'on y a recours dans toutes les nécessités; ce qui lui attire force présens, surtout quand le ciel est facheuS*. Chez les autres peuples Africains (j), oü la confiance dans les prêtres 1'emporte sur celle qu'on a ailleurs dans les rois , c'est a ces imposteurs que l'on va demander de 1'eau ou de la sécheresse , de 1'cmbre ou de la sérénité ; ils s'habillent'alors'd'une manière extravagante; ils se ehargent d'attributs et de figures sym-fcoliques, montent sur Un lieu élevé , frappent I'air et tirent leurs Hêches contre le ciel; comme ils ont 1'adresse en ce pays, comme partour ailleurs, d'attèndre 'pour faire leurs cérémonies, 1'approché des nuées quand on' demande de la pluie 3 afin de ne pas se compro:mettre , il arrivé, disent les voyageurs, qu'ils réussis- (r) Cêrrra. reltg. tome 7. (a) Rélat. fl'Ethionie du P. Labat, tome 2. (5) B.e'.at. da I'Sthiopie du P. Labat, lome 2. K 3  jfo Rechèrches sur l'origine sent presque roujours, et que le peuple crie au miracle; cependant ils ont 1'art de n'être pas pris en défaut même lorsqu'il ne pleut pas; eest, disent-ils, que les péchés du peuple ont détourné les nues, L'Amérique na pas moins conservé que 1'Asie et que l'Afrique ces vestiges remarquables des anciennes théocraties; elle nous les rnantre même sous un point de vue plus précis que toutes les nations dont nous venons de parler , car d'après tous les exemples que celles-ci nöus donnent, on pourroit peut-être croire encore que ces usages önt eu pour principe générai. 1'orgueil et la vanité des princes , au lieu que 1'Amérique nous apprend qu'ils appartenoient au fond et a la constitution du gouvernement des nations. Le nouveau monde va donc pour la seconde fois, dans eet ouvrage, instruire les habitans de 1'ancien. Un des traits les plus remarquables de l'histoire et du gouvernement des Mexicains, est sans contredit le serment solemnel que leur Empereur faisoit au jour de son sacre ou de son inauguration. II juroit et promettoit que tant qu'il règnefoit les pluies tomheroienr a propos sur la terre, que les rleuves et les rivières ne feroient point de ravages dans les campagnes par leurs inondations , que les biens de la terre seroient en abondance ., que 1'empire ne seroit point afh'igé dë stérilité , et que les hommes ne recevroient du ciel, ni du soleil, aucunes malignes influences. Pacte singulier, sans doute, sur lequel Juste-Lipse et les voyageurs n'ont fait que de vaihes plaisanteries, mais qui néanmoins noüs éclaircit tous les usages de nos anriquités orientales. Ce serment a dü, en effet, être usité dans les gouvernemens qui ont eu primitivement la théocratie pour base et pour principe. Ainsi ces anciens rois de 1'Asie dont pn a dit tant de mal, ne nous önt  du despotisme oriental, Sect. XVI. \ji monrré par leurs excès que les vices de 1'administration qu'on leur avoit remise en main. Ce fut un fardeau immense dont l'homme se trouva chargé , aussi-tot qu'a la place des symboles muets et imaginés , on 1'eut fait 1'image et 1'organe de la divinité; il fallut alors qu'il commandat comme elle au ciel et a la terre; qu'il fut le garant de toutes les calamités naturelles qu'il ne pouvoit produire ni empêcher, et la sourc»/ des biens quil ne pouvoit donner. Enfin les nations imbéciles dans leurs superstitions 1'obligèrent a se comporter comme le dieu et comme les idoles avec lesqueiles elles le confondirent; tandis qu'en le mettant a la tête de la société , elles n'auroient dü rien exiger de lui, sinon qu'il se comportat toujours en homme et qu'il n'oubliat jamais qu'il étoit, par sa nature et par sa foiblesse, égal a tous ceux,qui se soumettoient volontairement a lui , sous 1'abri commun des loix et de la religion. Paree que les hommes ont trop demandé a leurs souverains, ils n en ont rien obtenu ; le despotisme est devenu.une autorité sans bornes, paree qu'on en a exigé des choses sans bornes : 1'impossibilité oü il a été de procurer les biens surnaturels qu'on lui démandoit , n'a pu lui laisser d'autres moyens de manifester sa puissance que celui de faire des extravagauces et des maux extrêmes. Tout ce chapitre esr encore une preuve que le despotisme est une idolatrie toujours aussi absurde que criminelle. K4  j Recherches sur l'origine SECTION XVII. Vestiges cVusages théocratiques daus les cours de l'Europe. T out éloigné que soit notre heureux climat de ces usages monstrueux qui déshonorent et asservissent encore tous les autres peuples de la terre, il en consérve ' pourtant quelques légères empreinres. D'oü vient, par exemple , eet antique privilege qu'ont encore quelques ' princes de l'Europe de pouvoir , dit-on , guérir certaines maladies , par leur seuj attouchement , et sur quoi peut être fondée la superstition de ceux qui ont recours a ces médecins couronnés 1 Cela vient de cette coutume idolatre que nous venons de trouver chez tant ' de peuples , d'avoir recours a leurs rois dans toutes les calamités naturelles, comme aux souverains de la nature , et aux dispensateurs des biens et des maux qui partent de la seule main de la providence. Le roi de Perse a de même ce don mystérieux, et quelques empereurs romains , gatés par 1'exemple des despotes de 1'Orient, affectèrenr aussi la même vertu : ce n'est dona qu'un privilege asiatique , que 1'ancienne barbarie apu -amener dans norre continent , et que les lumières du siècle doivent anéantir comme un opprobre. Nos rois n'ont plus besoin de ce foible artifice pour être almés, adorés et respectés : comme ils ne peuvent faire que le bien possible , c'est leur manquer que d'en exiger ce qui surpasse leur pouvoir; et comme ils sont ordmairement remplis d'humanité , des prières aussi indiscrettes ne peuvent sans doute qu'affliger leur bon cceur. 11 est plusieurs autres usages d'étiquettss , qui pro^  du despotisme oriental. Sect. XVII. 155 cedent aussi, sans qu'on le sache , des erreurs primitives ; mais, il faut en convenir, ces usages sont devenus ou sont en eux-mêmes , sans conséquence, et on les suit par le seul respect pour la coutume 3 et saus qu'aucune superstition y ait part. Je n'ai point dessein de les rappeller ici ; ceux qui fréquentent les cours , et qui sont au fait dü. cérémonial qui environne les princes, pourront en reconrioitre diverses traces dans eet ouvrage. II n'est guères de souverain en Europe qui, sans le savoir, n'affecte encore ces apparitions orientales et périodiques; nos premiers rois de France les afFectoient dans leurs grands jours de Paques et de Noë'1: les grands couverts d'aujourd'hui, pèuvent encore partir de cette souree ; les palais de nos rois, ouverts en tout tems , ne ressemblent poinr a ces sérails impénétrablës de 1'Orient ; néanmoins leur entrée est encore plus libre en de certains tems que dans d'autres, 1'anniversaire de la fête du prince permet aux derniers du peuple de pénétrer dans tous les lieux qu'habitent son monarque. Dans ses voyages et sur ses routes tout doit encore s'ouvrir devant lui, et les grands he manquent point de lever alors les barrières, et d'ouvrir les avenues de leurs palais et de leurs chateaux. L'Asie nous montre de semblables usages et d'autres qui y sont tout-a-fait contraires , quoique les uns et les autres soient sortis de la même source. Tout est ouvert devant le grand Mogol quand il sort, et les grands doivent lui offrir un présent toutes les fois qu'il passé devant leurs maisons. Tout se ferme en Perse quelquefois , et tout se fermoit autrefois a la Chine quand le despote sortoit de chez lui. Les usages du Mogol et dé l'Europe sont, comme l'on voit beaucoup plus humains que ceux de la Perse et de la Chine; c'est cetta  i£4 Recherches sur l'origine différence et plusieurs autres que nous avons déja rencontréesdans Tanden cérémonial théocratique, que nous allons actuellement considérer pour en exphquer les bizarreries et les contrariétés. SECTION XVIII. Sources des variétés et des contrariétés qu'on appercoit dansles usages de différens gouvernemens despoüques. Pour. connoïtre les principes et la source des variétés que nous avons vues dans les différentes cours asiatiques, ïl est nécessaire de recourir aux dispositions primitives du genre humain , et d'envisager les différens points de vue sous lesquels le grand Juge a pu étre regardé des anciens peuples dans ses avenemens et dans son règne ■ il devoit être envisagé sous deux aspects principaux et epposés Tun a Tautre , c'est-a-dire, sous une face heureuse et sous une face malheureuse. Elle étoit heureuse , paree que eet événement étoit Tannonce da lègne de la paix et de la félicité dont on se faisoit de si belles peintures ; et elle étoit malheureuse„ paree que ce grand juge étoit en même tems Tannonce de la fin du monde et de ses suites terribles. Son attente étoit pour les justes une source de plaisirs et de consolation ; jnais pour les méchans , c'étoit un objet perpétuel de crainte et de terreur ; les premiers voyoient dans TEtre suprème un bon père et un bon roi; les seconds n'y •voyoient qu'un juge inexorable et qu'un impitoyable exterminateur. La divinité étant considérée sous ces deux aspects , ses symboles et ses images le furent de méme paree  du despotisme oriental. Sect. XVIII. 15$ qu'ils devoient servir a le représenter en tout , et a instruire les hommes de toutes les grandes vérités qui la concernoient. Lorsque par la suite des tems 1'homme eut abusé des premiers symboles muets et inanimés qui avoient servi a lui montrer le dieu monarque sous ces deux faces , et qu'il en eut fait une multitude de déités et de puissances particulières , le monde payen se trouva rerapli de deux ordres de divinités, dont les unes passèrent pour des amies du genre humain, et les autres pour les démons et des génies malfaisans , que l'on adora par crainte, mais dont on n'osa prononcer le nom ; ce fut-la la source de cette familie obscure des dieux inconnus que l'on trouve dans la mythologie de presque toutes les nations. Les mages et les Perses , qui ne donnèrent point avec le même excès dans le Polythéisme absurde des peuples d'occident, se jettèrent dans une autre erreur , par les spéculations qu'ils firenr sur les deux différens aspects de Tanden grand juge. Comme les théologiens de ces tems reculés , ainsi que ceux de nos jours, n'étoient capables que d'emr brouiller ce qu'ils ne pouvoient comprendre, et que le bien et le mal qu'ils'voyoient dans le physique et dans le moral de Tunivers , les embafassoit étrangement , ils firenr de la divinité considérée sous ses deux attributs primirifs, deux principes différens et ennemisl'undel'autre 3 qu'ils imaginèrent être toujours en guerre, et produire tour a tour le bien et le mal, I'ordre et ledésordre , qui semblent être la base de cette harmonie générale de Tu • nivers , qui auroit dü cependant ramener ces docteurs a des principes plus simples. Les dogmes de la religion s'étant ainsi altérés et corrompus par Tabus que Ton fit des symboles inanimés  ï-fè ' Recherches sur l'origine dont elle se servit, et par les médkations des théologiens, qui se remplirentT'imagination de phantömes hideux, et de puissances imaginaires •, les mêmes abus ét les mêmes erreurs passèrent nécessairement dans les gou'véfhemens civils et politiques , lorsque ce fut des hommes que l'on prit/pour représenrer le dieu monarque , et lorsqu'on les chargea de tous les attributs -, tnais les suites de ces abus y furent des malheurs bien plusréels et bien plus funestes; on ne peut considérer tin mortel comme le makte souverain du bien et du mal, sans lui mettre par la les armes et la foudre a la maïn, et sans donner la vie et 1'existence aux objets imaginaires et invisibles des terreurs supersritieuses ■, 'ainsi après avoir donné 1'ètre av.ix démons, on donna 1'être aux tyrans. ; II est vrai que ces symboles vivans furent également chargés des attributs d'équité , de bonté et d'amour , et que s'ils eurent a représenrer la divinité sous sort aspect le plus erfrayanr, ils devoient aussi la montrersous 1'aspect de sesvertus et de ses perfections} mais indépendamment de 1'impossibilité oü ils se trouVöient de remplir ce dernier rêle, nous devons avoir 'assez bonne opinion du bon sens des nations , même 'dans leurs erreurs, pour croire que le sentiment tacite qu'elles durent toujours avoir, de 1'imperfection de tous' ces divers symboles de la divinité, fit qu'elles 'fiifent' bien plus portées a trembler devant les idoles 'bru'tës et humaines-, qua avoir en elles cette parfake 'conflance que 1'amour suit de si prés. L'idolatrie er le despotisme eurent donc 1'un et 1'autre la crainte et la terreur pour principe et pour fondement. La conduite des princes .porta ensuite au plus haut dégré ces sentimens de frayeur et d'avilissement, dont les premiers 'germes 'étoient dans la constitution de 1'ètatet de la re-  du despotisme oriental. SeetrXVIII. \^ ligion. Maitres et souverains et! libres de léurs actions, comme Dieu même, si les rois portèrent comme les enfans de Samuël, les noms cX'Abiaeh et de Joel, c'esïr a-dire de Dieu père et de Dieu fort, et de redoutable^ s'ils virent et lèur trone et leur tête , et leurs titres décorés de rous les attriburs de 1'Etre suprème , leur orgueil et leur vanité se trouvèrent bien plus frappés de ceux qui représentoient une puissance invincjbleer une volonté immuable. En un mor leurs passions ex leur foiblesse leur faisant trouver beaucoup plus, de far cilité a contrefaire legrand juge sous son aspect le plus terrible parmi tous les mobiles qu'ils pouvoient choir sir pour se conduire eux-mêmes et pour conduire le genre humain, ils préférèrent la crainte a Tamour. Nous pouvons a présent entrevoir les causes des diversités, ou plutot des contrariétés que nous avons rencontrées dans le cérémonial des cours Asiatiques-, elles ont eu pour origine les attributs opposés de Tanden dieu monarque , que les princes étoient obligés de représenrer, mais entre lesquels ces princes n'ont poinr pu , et n'ont point voulu maintenir une juste balance. Voila pourquoi presque tous les despotes se sont tenus cachés, ont dérobé la connoissance de leur nom , n'ont paru que pour exciter la terreur, que pour répandre la frayeur; il a falhi presque par-tout fuir a leur aspect, "et fermer les portes comme a Tapproche de Tange ex,terminateur. Ces déplorables abus remontent a la plus haute arn tiquivè , et peut - être même aux. rems théociatiques. Les prêtres des Scythes , ces anciens peuples de la ■haute Asie, ne leur montroient leur dieu que sous la forme d'une lance ou d^'une épée; il en étoit a-peu-près ■de même du Jehovack des Hébreux: ce n'étoit, selon "leurs docteurs et ieurs prcphètes, qu'un monarque sé-  i ƒ$ Recherches sur l'origine vère, crael, impitoyable, jaloux et vindicatie, qu'ils décoroient de tous les titres , et de tout 1'appareil de la terreur; aussi le judaïsme n'étoit-il, et n'est-il encore , qu'une religion de servitude (i). Cet esprir de crainte et de despotisme que l'on découvre dans la théocratie des Hébreux , qui est la plus ancienne et la seule que noUs puissions distinctement connoïtre dans l'histoire de routes les nations , pourroit peut-être faire soupconner ici, que les théocraties et le despotisme qui en est sorti, ont pu être réellement établis dans le dessein de gouverner les sociétés par la terreur, et que les législateurs ont pu y être forcés par la dureté qu'ils auroient reconnue dans 1'esprit et dans le cceur des hommes; la théocratie des Hébreux, qui paroit avoir été établie sur ce principe , semble favoriser ces soupgons, et même les réaliser par un exemple frappant, lequel aux yeux d'une multitude de personnes, sera d'un poids et d'une considération infinie. II n'en doit pas être de même pour des yeux éclairés , qui se seront déja appercus du faux et du merveilleux dont les annales Hébraïques sont déngurées, Ou la théocratie des Hébreux n'a jamais existé telle que l'histoire nous la décrir, ou si elle a subsisté sur (i) Le tilre si fréquent que se donne le Dieu des Hébreux de Dien des combats m'a fait long-tems soupconner qu'il n'étoit que le Dieu du Scythes , c'est-A-dire, 1'inipitoyaUe Mars. Un Rapport et une tradition tuïière a prouré par la suite la véiué de cette conjecture. Histié de Milet, ancien historiën des antiquités phéniciennes , rapporte qu'après le déluge les prêtres, qui s'étoient réfugiés sur les monlafnes , rapportéren! au sénat le culte sacié du Dieu Enyalus. Or F.nyailius et Euys sont des noms grrcs de Mars et de Bellone. Deplus, Mars orcupc le troisième rang dans la généalogie des sept premiers patiiarohes. Cer Enos est visiblement le même que Mars; son Bom signifie eu hi'breu chose morteüe ; ainsi il est encoie le même qa'£»yalius , que les Grecs auront formé d'Enos et de Lylus, mot phénicieu , pour exprimer en uu seul mot le Dieu qui poite la mort.  du despotisme oriental. Sect. XVIII. ryj ce ton, ce n'a dü être que dans des tems très-postérieurs aux anciennes. Nous ne devons donc point nous y méprendre , ni nous imaginer, qu'elle ait été la seule , et encore moins la première de toutes les théocraties; elle n'en a été qu'une tardive et très-infidèle copie, peut-être même, vü les fables sans nombre dont elle est d'ailleurs remplie , n'est-elle qu'une mauvaisecollection de fausses traditions sur les anciens tems que 1'imposture a rapprochés , et que 1'ignorance a co; iorés des mêmes traits, et du même caractère qu'elle voyoit régner dans les despotismes voisins, lorsqu'elle s'est avisée de les écrire. II ne faut pour s'en convaincre qu'envisager avec un peu d'attention le plan et 1'esprit de cette théocratie, et l'histoire vraie ou fausse des évênemens antérieurs que la bible a rapportés; on voit alors que le gouvernement n'a été établi chez les Hébreux que pour les séparer de toutes les nations étrangères et idolatres. On remarque que les premiers commandemens théocranques données sur le mont Sina, défendent le culte des idoles des dieux, ce qui prouve que 1'ignorance et a profanation du nom de Dieu , étoient répandues sur la terre depuis un grand nombre de stócles ; et l'on appemoit dans les premiers livres de Moyse une multititude de noms et de fêtes qui ont rapport a la mythologie , et a 1'idolatrie. Jugeons actuellement par ces remarques, a quel point l'histoire du monde doit être renversée dans ces prétendus livres sacrés, puisqu'ils font la théocratie moins anaenne que 1'idolatrie , qui en étoit cependant, comme nous avons vu jusqu'ici , la funeste suite et li fiile ; nous ne devons donc point chercher dans cc-s livres le premier esprit théocratique, ni être étonnés que les Hébreux 1'aient méconnu , et qu'ils nous aient mon-  j £0 Recherches sur Torigine tré leur dieu monarque aussi terrible qu'étoient les des-, potes d'Assyrie, de Perse et de Babylone , dont. les gouvernemens n'étoient plus que des théocraties tyranniques, dont le Prince invincible avoit été personnifié. depuis trés-long-tems. Après avoir montré le néant de la baze historique sur lequel ce soupcon contre landen caractèredu genre humain auroit pu s'appuyer, je crois devoir encore faire appe ree voir combien ce soupcon seroit in juste eu lui-même, et injurieux pour les hommes en généralj si cette attrocité et cette dureté du cceur humain ont pu se voir et se voient réellement aujourd'hui dans. plusieurs contrées de la terre , ce n'est pas la qu'il faut aller pour se former une idéé du génie des peuples primitifs , et encore moins de celui des anciens témoins.. des malheurs du monde, qui sont les seuls que nous devions considérer ici-, devenus , par leurs souflrances et par leurs misères , religieux , modérés, indusrrieux et compatissans, jamais de pareils hommes n ont eu besoin d'être conduits avec un sceptre de fer ; il ne leur falloit qu'un gouvernement paternel , et ami du genre humain-, c'est celui-la qu'ils avoient pris sans doute, puisque le despotisme en bien des contrées, ose encore en portee le nom , puisque le souvenir des premiers tems a toujours été un souvenir cher a toute la terre -, puisque les vestiges qui nous restent dans l'histoire de la législation de ces premiers ages , en font encore le plus parfait éloge. Les hommes , a la vérité, furent imprudens et superstitieux , quand ils s'imaginèrent deTOir soumettre leurs institutions civiles au dieu monarque; mais cette fausse spéculation prouve elle, même combien leurs intentions étoient droites, combien leur dessein étoit pacifique , et leur caractère siinple et paisible; s'ils ont changé par la suite, c'est en  du despotisme oriental. Sect. XVIII , rj t P°rtant k Peine' 11011 de Jeur ™échanceté', mais de leur superstition; ee som les suites inévirables de ieur malheureux choix qui, en produisanr les tyrans, produisirent msensiblement laltération du cceur et de 1'espnt des nations , elles s'endurcirent a proportion de la durete des gouvernemens; elles se roidirent sous le poids des fardeaux quon leur fit porter; et elles devinrent \^^^^^ de leur _ C'est ainsi que les abus sortis des théocraties, et les ngueurs du despotisme, ont perverti le caractère primmf des hommes , ont presque changé leur nature, et quen un grand nombre de contrées, ils les ont forcés de repousser par autant d'excès, les excès dont ils etoienr écrasés. Les habirans anciens et modernes du continent de iAsie, qui nous ont fait voir tant de fois le spectacle des grandes révolutions dans la personne des despotes" sont néanmoins, et ont toujours été , par leur caractère et leur climat, des peuples doux etpaeifiqués; telle a toujours été la douceur, la bonne fci, et 1'exces de religion de ces trop malheureuses nations, qu'apres avoir été cent fois les dupes et les victimes des monstres adorés, quelïes auroient dü érouffer il ne leur est point encore venu dans 1'idée d'établir un gouvernement plus fixe et plus modéré, en mettant 1." trone le monarque et le peuple a 1'abri d'une commune loi, qui put les défendre et les soutenirréciproquemenr. r Quel affreux gouvernement que celui dont la cruauté eUa rigueur s éternisent par la douceur et par la soumission naturelle des nations | Combien seroit fausse pour ne tien dire de plus , une idéé qui voudroit nous porter a soupconner, qUe le despotisme auroit été le lome III. k  t6i Recherches sur l'origine fruit d'une législation raisonnée , accomodée au véritable caractère de l'homme, et faite pour le bien du genre humain ! Notre cceur la contrediroit elle seroit démentie par 1'expérience et par l'histoire S'il étoit cependant un pays au monde ou le despotisme semble encore se montrer sous quelques traits favorables . et propres a affbiblir 1'horreur quon doit avoir pour lui 5 ce seroit, sans doute , la Chine ce gouvernement paroh avoir eu un si grand succes , qu'il est difficile d'imaginer quaucun autre eut pu, ainsi que lui, maintenir 1'immortahté de eet Empire, qui passé pour le plus sage, comme il est le plus ancien de tous ceux qui subsistent sur la terre. Cette singuliere excepüon mérite bien que nous disions un mot de la Chine, et que nous y suivions 1 ennemi commun de 1'humamté , pour l'attaquer , s ü est possible-, sur son premier trone, et au centre même de sa gloire. SECTION XIX. Du despotime de la Chine. S1 les loix de la Chine avoient été faites par le despotisme , elles feroient sans doute son éloge ; mais dans eet empire , comme par-tout ailleurs , elles 1'ont précédé ; les souverains y onr été eux-mêmes 1'ouvrage de la société et des loix; la même cha'me d'évènemens que nous avons jusques-ici suivis chez tous les peuples du monde , a produit de méme en cette contrée le mélange de biens et de maux qui devoient être les suites nécessaires des premières institutions , et des premiers préjugés des hommes.  du despotisme oriental. Sect. XIX, Ce qui distingue seulement les Chinois de tous les autres peuples , et ce qui a contrebalancé quelquefois les maux que les préjugés originek ont fait naitre dans leur empire, c'est le respect sans bornes qu Üs ont eu dans tous les tems pour les institutions primitives de leurs ancêtres, et la vénération profonde qu'ils ont conservée pour les anciennes loix civiles et politiques, qui n'avoient point eu d'autre modèle que les loix économiques, domestiques et morales des premières families du monde renouvellé. Ce rare privilege des Chinois ne doit point cependant nous les faire regarder comme une espèce d'hommes particuliers ; s'ils ont été plus sages et plus heureux que rant d'autres peuples qui avoient possédé de même ces loix inestimables, et qui les ont perdues depuis si long-tems, c'est a la seule situation de leur empire qu'ils en ont 1'obligation; placés au bout de 1'univers, environnés d'un cóté de mers immenses , de 1'autre, de montagnes inaccessibles inconnues du reste de la terre, et qu'ils ne connoissoient point eux-mêmes, aucun événement extérieur n'a du, pendant une trèslongue succession de siècles, altérer 1'économie primitive de eet empire; les loix ont eu le tems d'y produire tout le bien qu'elles étoient capables de faire; la longue expérience de leur uriliré et de leur excellence, ayant gravé pour elles dans le cceur des peuples un respect écernel, est la seule cause par laquelle 1'esprit primitif du genre humain s'y est conservé, et fait encore aujourd'hui l'esprit national de eet empire extraordinaire. Sans ce hazard la constitution de la Chine auroit subi^ suivant les apparences le sort commun a toute la terre' paree qu'elle auroit aussi en elle-même le vice commun et le germe fatal de ce despotisme et de cette servitude , qui s'y sont nécessairement établis , et qui y  l 6a Recherches sur l'origine ont souvent produit , comme par-tout ailleurs , les grandes révolurions. Leurs fables et leurs idolatnes sont des monumens certains du règne des chimères, et des préjugés théocratiques; le cérémomal des empereurs, aussi bien que la conduite et la facoivde penser du peuple a leur égard, sont encore des preuves parlantes que les hommes y ont monré sur 1 ancien trone du dieu monarque , par les mêmes dégrés dont nous avons reeonnu les traces chez toutes les autres nations, et que les rois ri'y ont été de même placés et étabhs que pour représenrer sur la terre Ie souverain majtre du ciel, et temt dans leurs mams la balance du bien et du mal que Dieu seul étoit capable de dispenser a propos et avec justice. , Loin donc de nous aveugler sur le compte dece peuple fameux , nous devons au contraire nous appperceyoir, par tous ses usages , qu'il a également conservé les bonnes et les mauvaises empreintes de sa constitution ancienne. , ... L'empereur de la Chine se dit Hls du soleil; on ne lui parle qua genoux, et il a été des tems ou il ne se montroit jamais; il ne paroissoit qua une fenetre a de certains periodes, er Ion fermoit ses portes lorsquü sortoit de son palais ; il est déeoré, comme les Osms de 1'Egypte, de tous les titres et de tous les attributs de la divinité; il est le souverain de la religion, comme il lest de la police j enfin dans rous les tems il a joui d'une puissance et d'une autorité quinontéte restremtes par aucune loihumaine, quoique la Chme eut pü lui en donner de si bonnes. C'est ainsi que cette contrée nous offre le melange le plus bizarre de sagesse et de folie. Si nous voulions en parcounr les annales, tantót nous verrions des rois se faire un singulier honneur du titre de pasteurs et de  du despotisme oriental. Sect. XIX. ic>j nourriciers de leur peuple , qu'ils regardoient comme leurs enfans, et nous vetrions ces peuples heureux donner le nom de pères a ces bons rois (i)-'j tantót - nous verrions aussi ces rois devenir la honte et le fléau de 1'humanité, remplir leurs états d'horreur et de désespoir, et forcer les peuples a prendre un génie atroce pour exterminer des families entières de tyrans, ou rappeller d'autres barbares a leurs secours, afin de leur remettre leur liberté et leur vengeance. Dans ces cruelles vicissitudes , qui ont si souvent changé les maitres de eet empire, oü les défauts de sa constimtion luttoieht sans cesse contre ses vertüs, la force des loix naturelles donnoient toujours le ton au commencement des dynasties , et telle étoit leur excellence, que les nouveaux conquérans s'y soumettoient euxmêmes en les admirant 5 mais par la suite le vice caché se développoit, il se fortifioit insensiblement, eta la fin il causoit un nouvel embrasement. Ce ne seroit donc tout au plus que dans les premiers tems de chacune de ces dynasties , ou peut être encore lorsque le ciel auroit fait présent a eer empire de quelque prince extraordinaire par ses vertos personnelles, que nous poutrions y voir le modèle d'un parfait gouvernement: mais qu'on ne s'y méprennepoint, ce gouvernemenr n'étoit plus alors un despotisme. Lorsque quelques sages empereurs, dans 1'excès même de leur puissance, ont préféré au titre de terrible et de redoutable , celui de père et de nourricier, il paroit que si ces princes n'étoient point bornés et retenus par des loix , ils se croyoient néanmoins bornés er retenus par la raison et par les moeurs ; ensorte que le gouvernement de la Chine, despotique par sa (1) Mém. du V. Lecomtc, tome 3. £ 3  ! ég Recherches sur C origine nature , et théocratique dans son principe , cesïrk'. dire, peu fait pour la terre, se rapprochoit alors de rhomme et de 1'huraanité , et s'y proportionnoit, pour ainsi dire, par le bon sens , et la sagesse de ses respectables monarques. Dans ces glorieux insrans, oü ils étoient capables de donner ainsi des bornes a leur vaste puissance qui n'en avoit point, le despotisme des souverains étoit le monarchique dans son exercice , et c'est ce qui en faisoit alors le bonheur et la süreté. Qu'est-ce , en effet , qu'un despotisme qui tolere dans ses états des corps anciens de magistrats et de scavans, qui ont osé souvent et avec succès, sous les bons princes, faire des remontrances a leur despote , lui donner des lecons et 1'instruire, lui dire avec autant de vérité que de hardiesse , que 1'obligation oü il est de modérer sa puissance , et de ne point abuser de son pouvoir, 1'établit au lieu de le dérruire , et que la gêne salutaire qu'il doit donner lui-même a ses passions, ne le rend pas sur la terre de pire condition que le souverain Empereur du ciel, qui ne se permet que le bien? Un tel gouvernement, dans ces brillantes circonstances, n'étoit pas encore tout-a-fait une monarchie ; il n eroit pas non plus un despotisme , mais une de ces anciennes théocraties, que les faux principes n'avoient point encore corrompue ; c'étoit une .précieuse image des siècles primitifs, et de cetaged'or si fameux, oü la raison étoit encore la première et la seule loi du genre humain. Le père Le Comte ne s'est donc point trompé touta-fait , quand il a dit qua voir les anciennes loix de la Chine , il i sembleroit que Dieu lui-même en auroit été le législateur; qu'elles avoient été faites dans ces tems théocratiques oü Dieu avoit été en eftet regardé  du despotisme oriental. Sect. XIX. 167 comme le roi de la terre, et les habitans de la terre 3 comme les justes et les élus sur lesquels il alloit immédiatement règnér. Ainsi ces grands traits de l'histoire de la Chine ne nous ramènont point au despotisme; mais ils nous rappellent la haute et sublime spéculation des nations primitives qui voulurent se modeier sur le gouvernement du ciel, pour se rendre heureuses ici-bas: er en nous la rappellant , ils nous en font en même-tems connoitre tout le danger et toute 1'illusion , puisque, en conséquence de cette fatale supposition 3 toutes les nations s'abandonnèrent sans précaution au caprice d'un seul homme , croyant s'abandonner a la sage providence du souverain Empereur du ciel et de la terre. Ces anecdotes détachées, que nous admrrons dans l'histoire de la Chine, ne peuvent donc point contrebalancer le cri des nations et 1'expérience de tous les tems qui s'élève contre ce systême théocratique et contre toutes les administrations arbitraires qui en sont sorties. J'entends cette voix universelle apprendre aux Chinois eux-mêmes, qui n'ont pas toujours été aussi sages et aussi heureux qu'on se 1'imagine, que toutes les secousses qui ont ébranlé plusieurs fois leur empire, n'ont point eu d'autre source que le surnaturel des spéculations de leurs ancêtres; que ce sont elles qui ont donné naissance chez eux , comme par-tout ailleurs, a des Sardanapales , a des Nérons, er a des monstres qui, sous les noms de la divinité, et al'abri des préjugés théocratiques, se sont joués de la nature humaine, que ce sont les révolutions que ces anciennes chimères ont occasionnées , qui ont ruiné en cette contrée , comme dans toutes les autres , les vraies monumens de 1 histoite du monde, pour mettre en leur place des re- L 4  168 Recherches sur l'origine cueils de mensonges et des annales fabuleuses (i); que ce sont leurs anciennes suppositions et les abus du cé- (1) L'antiqüité nous parle de plusieurs princes qui ont eu la folie et la cruelle ambirion de aétruire les monumens de tous les regnes et dtf tous les tems qui les avoient précèdés , afin de passer dans 1'esprit de la postérité pour les premiers hommes et pour Ia source et 1'origine de toutes les sriciëtés. Ces monsties ont enviè aux révolutions de la nature leur triste pouvoir , et ils rerherrhoient vraisemb'ablement a la ^a contrefaire. Les nlt'es et les préjugés , qu'avoient les anciens sur les périodes astronomiques et astrologiqurs de la durée du monde , ont dü contribuer a la folie de ces princes; on s'imaginoit que, dans un période qui succédoit a un autre , le monde n'étoit plus le même ; et comme la re'igion avertissoit alors qu'il falloit se renouveller, comme elie nous en avertit enroie, on ciovoit qu'il falloit tout renouve'ler et tout changer jusqu'a sa mémoire ; alors, comme au jubilé des Hébreux, tout le passé étoit censé oublié et comme non avenu, on quiuoit 1'ancienne faron de compter les année,, et l'on en prenoit une nouvelle , qui faisoit négliger les siècles et les époques antérieurs. Vo?U sans doute quelle est 1'origine de c s époques et de ces diffèrentes ères chronologiques , qui ont tant brouil'é l'histoire dü monde, et dont peut-être il ne nous resie dans r.os histoires que la plus petite partie. Indëpendamment de ces préjugés et de leuis effets naturels t la fo'ie des conquérans a encore été de renouveller ces époques. Les rois pasteurs ont taché d'éteindre en Egypte le souvenir des ages passés ; jes Habyloniens et les Chinois ont eu de paretls extiavagaus , qui dans ]e même dessein ont fait brüler une multitude de üvres , dont ou dcvroit a jamais déplorer la perte. C'est sans doute aux suites de ces fié- nésies que nous devons les annales judaiques. Cette nation a te'lemen* méprisé toutes les autres, que nous pouvons penser qu'apië.s ses transniigraiións leurs prêtres ont reconitruit de leur mieux leurs annales , en tachant d'absorber toute 1'antiquité, et de ramener a eux seuls 1'origine de toutes les nations; ce qui découvre déja leur folie vanite, et ce qui ne peut manquer de les confondre un jour, c'est que, comme ils ont reconstruit ces annales avec plus de superstition que de génie , i s n'y ont employé en partie que les matériaux primiïifs , qu'ils ont déplacés et déguisés a la vérité, mais dont cependant il n'est pas impossible de reconnoitre la forme et la place primitive. Les annales des Hébreux , des Egyptiens , des Chinois , etc. présenten* a mes veux des batimens neufs construils par des architectes mal-adroits et fiompcurs, qui , en se servaut des matériaux d'un batiment plus ancien qu'ils ont dêmoli , n'en ont pas (ffacé les rrlhfs primiti's , d'ou il arrivé qu'on reïrouve souvent les piéces de 1'entablement uu premier éJjfice dans les fondemens du sccon-.  du despotisme oriental. Sect. XIX. 16c, rémonial figuré, qui les ont fait tomber dans 1'idolltne, soeur et eompagne inséparable du despotisme; enfin, que ce sont tous les faux principes de la théocratie en police comme en religion, qui ont produit toutes les différentes catastrophes qui y sont arrivées depuis le renouvellement du monde qui est la date de eet empire. D'après eet examen de la constitution de la Chine et de la connoissance du caractère de ces peuples passionnés pour les coutumes bonnes et mauvaises qu'ils ont reores de leurs ancêtres, nous pouvons jetter un coup daal sur 1'avenir, et prêvoir ce quipourra arriver un jour a ce fameux empire , de eet attachement plus machinal queraisonné. Comme il met obstacle au progres de 1'esprit humain, et que ce qui n'avance point dans le moral et dans le politique, comme dans le physique, recule réellement, il arrivera que les Chinois seront un jour les plus malheureux peuples du monde , ils seront les plus malheureux, lorsque ceux qui le sont aujourd'hui plus qu'eux se seront perfectionés par 1'nsage de la raison. Ce qui reste a la Chine de ses anciennes institutions s'éteindra nécessairement; ce reste seyanouira dans les révolutions futures, comme ce qu'elle n'en a déja plus s'est évanoui dans les révolutions passées; enfin , comme elle n'acquiert rien , elle perdra toujours, et les changemens qu'elle subira seront en mal, comme par-tout ailleurs ils seront en bien.  ito Recherches sur 1'origine SECTION XX. Conclusion sur le despotisme. Les sources et les causes du despotisme doiyent être actuellement aussi connues que les maux qu il a produits; quelle que noble qu'ait été son origine,ce gouvernement na jamais été qu un monstre dès sa naissance, et il ne sera jamais que le fléau du genre humain, qu il avilit, qu'il dégrade et qu'il deshonore. La théocratie avoit pris les hommes pour justes, le despotisme les a regardés comme méchans-, lunet 1'autre gouvernement, en supposant des principes extrêmes qui ne sont point faits pour la terre, ont produit a la fois la home et le malheur du monde :1 idolatrie est venue s'emparer du trone élevé au dieu monarque, et. une servitude sans bornes a pris la place de cette précicuse liberté qu'on vouloiï conserver par des moyens surnaturels. Ón avoit espéré faire descendre sur la terre la felicité du règne et de 1'état des justes dans le ciel, et 1 on s'est plongé dans les horreurs et le désespoir du règne des enfers. Au lieu de regarder les rois comme les représentans de la raison publique et 1'image abrégée de la société sur laquelle ils président, onavoulules regarder comme les représentans de la divinité , qui n'en peut avoir sur la terre sans être avilie , et sans que sa fausse image ne nous trompe par la multitude des préjugés qui naissent de cette superstition. II est donc enfin démontré que le despotisme est un genre de gouvernement aussi contraire a la religion  du despotisme oriental. Sect. XX. iji qu'au bon sens et a la droite raison 5 pour le définir en deux mots, le despotisme n'est qu'une théocratie payenne. x Je dis que le despotisme est une théocratie payenne, il suffiroit, sans doute , de dire que c'est une théocratie ; car peut - il y avoir sur la terre de théocratie qui ne soit payenne et idolatre ? L'idolatrie ne consiste pas simplement a regarder une statue , un animal ou un homme comme le représentant de Dieu; pour bien déiinir l'idolatrie , on devroit dire que c'est un culte ou une police qui suppose comme divin ce qui nest pas divin ; ainsi nomseulement c'est une idolatrie d'adorer une statue, un animal, ou un mortel comme un dieu ; mais c'est encore une idolatrie de s'imaginer que les paroles de eet homme et les oracles qu'on fait prononcer au marbre et au bronze, sont les paroles er les décrets de la divinité. C'est une idolatrie de préférer des spéculations, des idéés et des chymères mystiques et théocratiques a la raison et au bon sens. C'est une idolatrie de regarder toute législa- ' tion comme immédiatement émanée de Dieu mème, et dictée a ses ministres par le ciel. C'est une idolatrie de reconnoitre dans ces ministres rhéocratiques mi caractère divin er ineffable. C'est une idolatrie d'appliquer a la conduite des hommes ici-bas, les loix qui ne sont faites que pour les créatures célestes. Ces: une idolatrie de sacrifier la paix et la tranquillité , et la raison publique a tout ce qu'on appelloit, et ce qu'on appelle aruspice, augure, magie, devination, eracle , prophétie et révélation. C'est une idolatrie de confondre le ciel avec la terre, de ne vouloir pas dépendre de ia raison publique , de se méconnoitre, et de prétendre être plus qu'un homme. C'est une idolatrie de ren oneer au titre de citoyen du'monde, et de  I7l Recherches sur l'origine sujet de son Prince naturel , pour tyrannisef le genre humain au nom de la divinité , ou pour vivre en reclus , en méprisant ou en oublianr le reste de la terre. Enfin , puisqu'il faut en convenir, la théocratie , source de toutes les erreurs , le despotisme sacré et civil qui en est sorti, et tous les gouvernemens er administrations qui en sont dérivées, ou qui leur ressemblent, sont des idolatries aussi absurdes en elles-mêmes, qu'elles sont criminelles envers la divinité , et pernicieuses pour toutes les sociétés. SECTION XXL Comment le despotisme a pris fin en Forope. Les républiques lui succédent. Faux principes dc ce nouveau gouvernement. A. pres être parvenu a connoitfe toutes les circonstanees de la naissance, des progrès et du règne du despotisme, on voudra peut-être savoir de quelle manière il a pris fin chez plusieurs des peuples de la terre, et quels sont les peuples auxquels son joug ayant paru le plus insuponable, ont éfé les premiers a rompre leurs chaines pour se donner un autre gouvernement; on désirera sans doute encore d'apprendre quel est le genre du gouvernement que ces nations auront choisi; et comme personne n'igncre qu'il n'en a point paru . d'autre que le républicain et le monarchique, on me demandera au moins quelles ont été les vues de ceux qui les ont établis , et quel est le caractère de ces deux nouvelles législations 5 Comme ces questicns sont les suites presqu'inséparables de notre sujet, je vais tacher d'y répondre.  du despotisme oriental. Sect. XXI. i j, ; C'est ici que dans cette multitude de nations anciennes qui vivoient toutes. dans un égftl es cl a vage , nous verrons quelques hommes commencer a sentir les privileges de leur nature et la force de leurs climats. L'histoire du monde dont nous pouvons actuellement entrevoir les tems connus, nous apprend que c'est l'Europe qui, fatiguée du gouvernement tyrannique de ses anciens rois, renversa la première les trónes de la Grèce et de 1'Italie, et qui cherchant a rendre a la nature humaine 1'honneur et la liberté qu'on lui avoit ravie, établit par-tout le gouvernement républicain , comme le plus capable de rendre les hommes hbres et heureux : nouveaux moyens et nouvelles méprises dont il faut encore étudier les sources. Nous avons vu plus haut qu'après 1'extinction de la théocratie ecclésiastique , presque tous les peuples évitèrent le gouvernement de plusieurs par un principe religieux er par le préjugé que les hommes doivent être gouvernés sur la terre par une seule volonté, comme 1'univers entier 1'est par 1'Etre suprème. Les conséquences qu'on avoit tirées de ce grand principe, ayant necessairement produit les nlus ■ | , 1 a • ""'Ji «-"«*- que soctete, et les plus grands ravages par-toute la terre, les Européens s'en dégoütèrent les premiers, a la vérité' paree qu'ils furent de tous les hommes les plus sensibles a ces abus; néanmoins il ne faut pas nous imaginer que tous les anciens préjugés fussent éteints parmi eux, et qu'ils n'eurent pius de part au nouveau genre de gouvernement que les peuples se donnèrent dans cette révolution politique. Les anciennes spéculations théocratiques, se réveillèrent; et comme elles influèrent sur les nouveaux arrangemens que l'on prit, et sur les projets de liberté qu'on imagina de toutes parts , ces anciennes chimères furent encore la source de tous les  I74 Recherches sur l''origine vices et de tous les désordres des constitutions républi- caines de la Grèce et de 1'Italie. Le gouvernement d'un roi et sa nécessité tenoit encore dans 1'esprit des peuples de l'Europe tellement a leur religion, que ceux d'entt'eux qui concurent le plus de haine et d'horreur contre la royauté, crurent néanmoins devoir en conserver 1'ombre s'ils en anéantissoient la réalité. Les Athéniens et les Romains en reléguèrent le nom, sans aucun pouvoir dans le sacerdoce ; et les uns en créanr un roi des au gure s, et les autres un roi des sacrifices, s'imaginèrent satisfaire pat-la tous les préjugés religieus qu'ils avoienr encore sur la nécessité de la présence d'un roi dans la société; mars ce qui doit nous faire parfaitement démêler le véritable esprit théocratique, qui dictoit encore ces préjugés, c est que les Athéniens élevèrent en même tems une statue a Jupiter roi, pour faire connoirre qu'ils n'en vouloient point d'autre a 1'avenir. Les républicains ne firent donc que rétablir la theocratie primitive ; il en fut de même des autres préjugés dépendans du premier, qui s'efforcoient de ramener toujours au règne et a 1'état des habitans du ciel, le gouvernement et 1'état des hommes sur la terre : ils inspirèrent toutes les nouvelles loix que l'on fit alors pour érablir la liberré, 1'égalité et la felicité de chaque citoyen ; et comme ces préjugés avoient fait le malheur des anciennes théocraties , ils furent de même la source de toutes les discordes et des perpéruelles fermentations des républiques , qui n'ayant que des points de vue illusoires et des faux principes de conduite ne purent jamais parvenir a cette assiette fixe et tranquille qu'elles eherchoient. Comme on s'imagma que 1'égalité que mille causes physiques et morales ont toujours écartée .et écarteront toujours de la terre >  du despotisme oriental. Sect. XXI. paree qu'elle n'esr faite que pour le ciel, comme cn s'imagina, dis-je, que cette égalité étoit de 1 essence de la liberté, tous les membres d'une république se firent égaux et furent tous rois , ils furent tous législateurs. Pour maintenir ces glorieuses chimères, il n'est point d'état républicain qui n'ait eu recours a des moyens forcés , violens et surnaturels: le parrage des terres , 1'abolirion des dettes, la communauté des biens , le nombre et la valeur des voix législatives, une multitude de loix sur le luxe, sur la frugalité sur le commerce, etc. les occupèrent et les divisèrent sans cesse. Les républiques se disoient libres, elles cherchoient toujours la liberté; elles voulurent être tranquilles, elles ne le furent jamais 5 chacun s'y disoit egal, il n'y eut point d'égalité; enfin ces gouvernemens , pour avoir eu pour objet tous les avantages extrêmes des théocraties et du règne céleste, furent perpétuellement comme ces vaisseaux, qui cherchant des contrées imaginaires, s'exposent sur des mers orageuses, oü après avoir été long-tems tourmentés par d affreuses tempêtes, ils vont échouer sur des écueils ou se briser contre des rochers d'une terre déserte et sauvage. Le systême républicain cherchoit de mém» une contrée fabuleuse; il fuyoit le despotisme et partout le despotisme fut sa fin. Telle étoit la mauvaise constitution de ces gouvernemens qui vouloient affecter 1 égahte et la hberté que ce despotisme qu'ils haïssoient en étoit la ressource et le soutien dans les tems dtmciles. II fallut souvent que Rome pour se conseryer, oubhat qu'elle étoit république , er qu'elle se soumtt a des Decemvirs, a des Dictateurs , er a des Censeurs souverains. Je ne rappellerai point ici les autres principes théo-  ty.rj Recherches sur 1'origine cratiques sur 1'unité du règne du Dieu monarque, qui étant aussi passés dans les républiques, les rendirent conquérantes par principe de religion, et contre le bien-être de toutes les sociétés. Pour se bien convaincre que ce gouvernement n'est point fait pout la terre , ni proportionné au caractère de 1'homme, ni capable de faire ici bas rout son bonheur , il suffit de remarquer son inconstance er ses divisions perpétuelles , son peu de durée et les limites étroites des territoires dans lesquels il a toujours fallu qu'il se renfermat pour conserver sa constitution. Par cette demière précaution, qui lui étoit d'une nécessité indispensable, il y eut moins d'unité sur la terre, qu'il n'y en avoit jamais eu; 1'inégaliié et la jalousie des républiques entr'elles firent répandre autant et plus de sang que le despotisme le plus cruel : les petites sociétés furent dévorées par les grandes , et les grandes a leur tour se dévorèrent elles-mêmes. Ce qui est capable de nous intéresser cependant encore pour les anciennes républiques, et ce qui semble parler en leur faveur, ce sont les exemples étonnans de force , de vertü et de courage, qu'elles nous ont toutes donnés, et qui les immortaliseront sans doute. Pour ne point nous laisser séduire par ces trairs britlans, il ne faut quexaminer les causes de leurs vertus, comme nous venons d'examiner les causes de leurs vices. Comme les principes théocratiques que nous avons retrouvés dans ces républiques, étoient au-dessus des forces humaines , ils ont du élever l'homme audessus de lui-même; mais ils n'ont pu le faire que pour un tems, paree qu alors les hommes agissant par un excès de ferveur et de zèle, n'ont point été capables de se souteniï constamment dans un état qui n'est  du despotisme oriental. Sect. xxi. j7j n'est point leur véritable état sur la terre 5 les prodiges ici-bas n'y sont point de durée, paree qu'ils ne font point partie du cours ordinaire de la nature. II a donc fallu que le républicain s'éievat pendant un tems audessus de lui-même , paree que ie point de vue de son gouvernement étoit surnaturel : il a fallu qu'il fut vertueux pendant un tems, son gouvernement voulant se modèler sur celui du ciel, ou réside la vertu; mais a Ia fin il a fallu que l'homme ft devint homme, paree qu'il est fait pour 1'êtré. ■ C'est le même surnaturel que nous admirons dans ces anciennes républiques, et que nous semblons regretter, qui avoit été, suivant les apparences, la source du bonheur passager des théocraties primitives, dont tous les hommes ont fait lage dor et le règne de la justice; c'est ce même surnaturel encore , qui ayant par la suite animé notre pnmitive église , fait qu'aujourd'hui »n le rappelle si souvent avec enthousiasme. Quoique les objets spéculatifs de ces trois états puissent nous paroïtre différens, ils ont été neanmoins les mêmes pour le fonds, et tous les trois ont dü nécessairement produire des prodiges de vertu; mais le même surnaturel qui les animoit, et qui les échauffoit, est ce qui en a fait la courte durée , paree que tout ce qui est surnaturel n'est point fait pour la terre. Ceci doit nous faire remarquer combien la superstition ou la vanité chrétienne s'esr trompée , lorsqu'elle a appellé les verras héróiques des anciens, de fausses vertus et des vertus hwnai.zes • si elles ont éte fausses, . c'est par une raison toute contraire, c'est paree qu'elles étoient plus qu'humaines; et ce 'qui fait aujourd'hui le malheur du monde, c'est que la plrpart des vertus que prêehe le christianfsme, sont'de cette espèce. La vertu, ce mobile nécessaire du gouvernement ré'lome iii. M  I7g Recherches sur 1'origine publicain, est tellement un ressort disproportionné suf la terre;, que dans les républiques de la Grèce et de lltalie, elle étoit un défaut. Cette sublime vertu, qui fera la source de 1'égalité dans le ciel, améne sur la terre 1'égalité qu'on y veut évirer. Rome et Athènes nous en ont donné des preuves qui nous paroissent étranges et inconcevables, parcequ'on ne veut jamais prendre l'homme pour ce qu'il est. Les plus grands personnages, les citoyens les plus sages, tous ceux enfin qui avoient le plus obligé ces républiques, étoient bannis, ou se bannissoient eux mêmes; c'est qu'ils choquoient cette nature humaine qu'on méconnoissoit; c'est qu'ils se rendoient coupables aux yeux de 1'égalité publique, par leur trop de vertu. SECTION XXII. Du gouvernement monarchique. Les abus du despotisme, les dangers des républiques , et le faux de ces deux gouvernemens issus de la théocratie j nous apprendroient ce que nous devons penser du troisième, quand même la raison seule ne nous la dicteroit point; un gouvernement oü le trone du monarque a pour fondemens les lois de la société sur laquelle il règne, est le plus heureux de tous. Tous les principes d'un tel gouvernement sont pris dans la nature de l'homme et de la planette qu'il habite: il est fait pour la terre, comme une république et une théocratie sont faites pour le ciel, et comme le despotisme est fait pour les enfers. L'honneur ct la riison qui lui ont donné 1'être et qui le dirigent, sont Ijs vrais mobiles de l'homme; comme cette sublime  du despotisme oriental. Sect. XXII. t?9 Vertu dont les républiques ne nous ont montré que des des rayons passagers, est le mobile constant des habitans du ciel, et comme la crainte des états despotiques est 1 umque mobile des réprouvés. C'est ie gouvernement monarchique qui seul a troüvé es vrais moyen's de faire jouir les hommes de toute la liberté possible, et de tous les avantages dont on peut jouir sur la rerre; comme les autres anciens gouvernemens, il n'a point été en chercher de chimériques dont on nepeut constamment user, et dont on peut abuser sans cesse. Le gouvernement monarchique doit être rerardé comme le chef-d'ceuvre de la raison humaine, et comme ie port ou le genre humain battu de la tempéte en cherchant une felicité imaginaire, a dü se rendre, pour en trouver une qui fut faite pour lui; moins sublime i la vente que celle qu'il avoit en vue, mais plus SO«de^ plus réelle et plus vraie sur la terre. C'est-la qu'il a rrouvé des rois qui n'affectent plus Ia divinité qui ne peuvent oublier qu'ils sont des hommes; cest-la quil peut les aimer, les honorer, les respecter, sans les adorer et sans les craindre comme des • dieux ou des idoies; c'est-la que les rois reconnoissent des loix sociales et fondamentales qui rendent leurs tronesmébranlables, et les peuples heureux; c'esr-l\ enfin que les peuples obéissenr sans peine et sans rntrfmure a des loix qui leur ont enfin donné de sages monarques, et qui leur ont procuré tous les avantages honorables et raisonnables qui disringuent l'homme d'avec lesclave de 1 Asie , et les sauvages de 1'Amerique. Comme nos ancêtres, pleins de bon sens, et vivement pénétrés du sentiment seul de la dignité de leur nature, en se donnant des rois , n'ont point fait un choix extréme entre un dieu et un démon; comme ils ent M \  ,g0 Recherches sur l'origine pris un mortel semblable a eux , que la raison publiblique soutient par des loix fixes et constantes, qui l'obligent tout le premier, paree qu il est homme et le premier des hommes; ce gouvernement humain et mo-. déré n'exige • point de ses rois qu ils se comportent en dieu; il n'exige point des peuples une' austère vertu, dont peu sont capables, ni une soumission d'esclaves qui les révolteroit ou qui les dégraderoit. Les hommes y sont pris pour ce qu'ils sont; on les y laisse jouir du sentiment de leur état civil et naturel; on y entretient même dans chacun ce sentiment de la dignité de sa nature, que l'on appelle honneur; s'ils ont des passions, paree qu'ils sont hommes, et qu'ils doivent en avoit, 1'état sait les contenir er les tourner au pront du bien général. Constitution admirable, digne de tous nos respects et de tout notre amour ! Chaque société y doit voir et sentir une position d'autant plus constante et d'autant plus heureuse que cette position n'est point établie sut des principes faux, sur des moyens ou sur des motifs chimériques, ni sur des idéés superstitieuses et mystiques, mais sur la raison , sur la nature, et sur le caractère des choses d'ici-bas. Je n'entrerai point ici dans le détail des diversités qu'onr entre elles les monarebies présentes de l'Europe -r elles sont toutes du plus au moins fondées sur les vrais principes, mais telle croit jouir d'une constitution parfaite, qui n'a encore que les abus des anciennes; et telle 'autre se plaint, qui est peut-être plus heureuse qu'elle ne pènse , et plus proche de la perfectiom On ne doit point s'imaginer que nous ne puissions voir un jour des monarchies parfaites , auxquelles il ne manquera rien de ce qui est de «essence de ce gouvernement. Ces principes humains et naturels feront connoitre quelles en doivent être toutes les véritables  du despotisme oriental. Sect. XXII. 131 loix; et ces loix étant aussi humaines et naturelles que les principes qui les font decouvrir, on peut prévoir que le tems et le progrès de la raison y amèneront nécessairement. ii n en est pas de même des deux autres gouvernemens; la perfection d'une république ou d'une théocratie est une chimère, et la perfecrion d'un despotisme est une horreur, ou ce n'est plus un despotisme. Les monarchies présentes peuvent donc avoir encore quelques défauts , mais ce n'est point a moi a les revéler ici; je ne suis que ciroyen, et le bonheur dont mes loix er mon prince me font jouir exige que je ne sois rien de plus, c'est le progrès des connoissances qui, en agissant sur les rois et sur la raison publique, achèvera de les instruire sur tout ce qui peut manquer au vrai bien de la société : c'est a ce seul progrès, qui commande d'une facon invisible er victorieuse a tout ce qui pense daus la nature, qu'il est réservé d'être a 1'avenir le législareur de tous les hommes , et de porter insensiblement et sans errbrr des lumières nouvelles dans le monde politique, comme il en porte tous les jours dans le monde scavant. observations Surle livre de l'esprit des loix. «Te croirois avoir omis la plus intéressante de mes observations, si, après avoir suivi et examiné les sources et les progrès des différens gouvernemens qui subsistent et qui ont subsisté sur la terre, je ne finissois par faire remarquer et admirer la sagacité d'un grand homme, qm, sans aucune connoissance de 1'origine par* m 3  i8i Recherches sur 1'origine ticulière de ces gouvernemens, qu'il n'a sans douta point voulu chercher, a commencé oü je viens de finir, et a prescrit néanmoins a chacun d'eux son nfbbile et ses loix. Nous avons vu que les théocraties et les républiques avoient pris le ciel même pour modèle de leur administration. C'est la crainte , dit montesquieux, qui doit être le mobile du despotisme. Nous avons vu que le despotisme n'avoit jamais «herché qu'a représenrer le grand juge exterminateur, dans la théocratie corrompue. C'est ia crainte dir encore Montesquieu j qui doit être le mobile du despotisme. C'est l'honneur, dit enfin ce 1'égislateur de notre siècle, qui doit être le mobile de la monarchie. Nous avons, en erTer.,, reconnu que c'est le seul gouvernement raisonnable, fait pour la terre, qui laissant a l'homme le sentiment de son état et de son existence; doit être soutenu et conservé par rhonneur, qui nest autre chose que le sentiment que nous avons tous de la dignité de notre nature, Quoi qu'ayent donc pu dire la passion, 1'ignotance et la superstition contte les principes du sublime auteur de !'esprit des loix, ils sont aussi vrais que sa sagacité a été grande poür les dévïnef, mais tel ^est le privilege du génie, d'être seul capable de connoïtre le vrai d'un grand tour, lors même que ce tour lui est inconnu, et qu'il n'en voit encore qu'une partie. Que ne vit-il encore, eet homme unique entre tcus les hommes de nos jours et de tous les siècles passés, pour nous instruire, et en particulier pour rentrer dans eet ouvrage, comme dans un bien qu'il feroit rmeux valoir quemoi! Puisse-t-il, quelque infenne que soit cette esquisse, recevoir 1'hommage que j'ose en faire a sa mémoire {  E S S A I PHILOSOPHIQUE SUR LE GOUVERNEMENT. T J—i e gouvernement , signifie 1 art et la science de maintenir les hommes en société, et de les y rendse heureux: objet sublime, le plus utile er le plus intéressant qu'il y ait pour le genre humain. Nous ne parions point ici de ce que font ou de ce que devroient faire les puissances de la terre: instruites par les siècles passés, elles seront jugées par ceux qui nous suivront. Renfermons-nous donc dans 1'exposition historique des divers gouvernemens qui ont successivement paru, et des divers moyens qui ont été employés pour conduire les nations. Lon réduit communément a rrois genres tous les gouvernemens établis. i°. Le despotique, oü 1'autonté réside dans la volonté d'un seul. z°. Le républicain, qui se gouverne par le peuple ou par les premières classes du peuple; et 30. Le monarchique, ou la puissance d'un souverain unique tempérée par des courumes que la sagesse des monarques, et que le respect des peuples ont rendu sacrées et inviolables; paree qu'utiles aux uas et aux autres, ellles affermissent le trone, défendent le prince et protégent les sujets. A ces gouvernemens, nous devons joindre un quatrième: c'est le théocratique, que les écrivains politiques ont oublié de considérer. Sans doute qu'ils oat été embarrassés de donner tin rang sur la terre a un M 4  184 Esscii philosophique ! gouvernement oü des officiers er des minisrres commatv dent au nom d'une puissance et d'un être invisible. Peut-être cette administration leur a - t - elle paru trop particulière et trop surnaturelle pour la mettre au nombre des gouvernemens politiques. Si ces écrivains eussent cependant fïxé des regards plus réfiéchis su" les . emiers tableaux que présente 1'anriquité, et :nt combiné et rgpproché tous les fragmens qui i restent de son histoire, ils auroient reconnu que cette théocratie quoique surnaturelle, a été, ncnun des premiers gouvernemens que les hommes se sont donnés mais que ceux que nous venons de nornmer, en sont successivement sortis, en ont été les suites nécessaires; et qu'a commencer a ce terme , ils sont tous liés par une chaine d'événernens conrinus, qui embrassent presque toutes les grandes révolutions qui sont arrivées dans le monde politique et dans le mende moral, La théocratie que nous avons ici parriculièrement en vue n'est point, comme on pourroit d'abord le penser, la theocratie mosaïque , mais une autre plus ancienne et plus étendue, qui a été la source de quelque bien et de plus grands maux, et dont la théocratie des PIébreux n'a été dans son tems qu'un renouvellement et qu'une sage réforme qui les a séparés du genre humain, que les abus de la première avoienr rendu idolatre. II est vrai que cette théocratie primitive est presque ignorée, et que le souvenir s'en étoit même obscurci dans la mémoire des anciens peaples; mais 1'analyse que nous allons faire de l'histoire de l'homme en société, pourra la faire entrevoir, et mettre même tout-a-fait sur la voie de la découvrir ceux qui voudront par la suite étudier et considérer auentivement tous les objet s divers de 1'immense car-r  sur le Gouvernement. 1 % f rière que nous ne pouvons ici que légèrement parcourir. Si nous voulions chercher 1'origine des sociétés et des gouvernemens en méraphysiciens , nous irions trouver l'homme des terres australes. S'il nous convenoit de parler en théologiens sur notre érat primitif, nous ferions paroïtre l'homme dégénéré de sa première innocence ; mais pour nous conduire en simples historiens, nous considérerons l'homme échappé des malheurs du monde après les dernières révolutions de la nature. Voila la seule et 1'unique époque oü nous puissions remonter, et c'est la le seul homme que nous devions consulter sur 1'origine et les principes des sociétés qui se sont formées depuis ces évênemens destructeurs. Malgré 1'obscurité oü il paroït qu'on doit nécessairement tomber en franchissant les bornes des rems hisroriques, pour aller chercher au-dela, et dans des espaces ténébreux, des faits naturels et des institutions humaines, nous n'avons cependant point manqué de guides et de flambeaux. Nous nous sommes transportés au milieu des anciens témoins des calamités de 1'univers; nous avons examiné comment ils en étoient touchés , et quelles étoient les impressions que ces calamités faisoient sur leur esprit, sur leur cceur et sur leur caractère. Nous avons cherché a surprendre le genre humain dans 1'excès de sa misère, et pour létudier, nous nous sommes étudiés nous-mêmes, singulièrement prévenus que malgré la différence des siècles et des hommes il y a des sentimens communs et des idéés uniformes qui se réveillent tmiversellement par les crises de la nature et même par les seules rerreurs paniques dont certains siècles connus se sont quelquefois effrayés. Après 1'examen de cette conscience commune , nous  Essai philosophlque avons réfléchi sur les suites les plus naturels de cés impressions et sur leur action a 1'égard de la conduite des hommes; et nous servant de nos conséquences comme de principes, nous les avons rapprochés des usages de I'antiquiié; nous les avons comparés avec la police et les loix des premières nations, avec leur culte et leur gouvernement. Nous avons suivi d'age en age les diverses opinions et les coutumes des hommes tant que nous avons ctu y connoitre les suires ou au moins les vestiges des impressions primitives, et partout, en eftet, il nous a semblé appercevoir dans les annales du monde une chaïne continue quoiqu'ignorée, une unité singulière cachée sous mille formes et dans nos principes, la solution d'une mulritude d'énigmes et de problèmes obscurs qui concernent l'homme de tous les tems et ses divers gouvernemens dans tous les siècles. Nous épargnerons au lecteur 1'appareil de nos recherches; il n'aura que 1'analyse de notre rravail, et si nous ne nous sommes pas fait illusion, il apprendra quelle a été 1'origine et la nature de la théocratie primitive. Aux biens et aux maux qu'elle a produits, il reconnoitra lage d'or et le règne des dieux; il en verra naitre successivement la vie sauvage, la superstition et la servitude , l'idolatrie et le despotisme; il en remarquera la réformarion chez les Hébreux; les républiques et les monarchies paroitront ensuite dans le dessein de remédier aux abus des premières législations. Le lecteur pèsera 1'un et 1'autre de ces deux gouvernemens, et s'il a bien suivi la chaïne des évênemens , il jugera, ainsi que nous, que le dernier seul a été 1'effet de 1'exrinction totale des anciens préjugés, le fruit de la raison et du bon sens, et qu'il es.t 1'unique gouvernement qui se.it véiitablement fait pour l'homme et pour la terre.  sur le Gouvernement. i§7 II faudroit bien peu connoïtre le genre humain pour idouter [üe dans ces tems déplorables ot\ nous nous suj " ons avec lui, et dans les premiers ages qui les ent üivis, il nait été très-religieux, et que ses malheurs nc lui aier". alofs tenu lieu de sévères missionnaires ei de puissans législateurs qui auront tourné toutes ses vues du coré du ciel et du cóté de la morale. Cette iRluItitude d'institunons austères et rigides, dont on trouve de si beaux vestiges dans l'histoire de tous les peuples fameux par leur antiquité, n'a été sans doute qu'une suite générale de ces premières dispositions de 1'esprit humain. II en doit être de même de leur police. C'est sans doute a la suite de tous les évênemens malheureux qui ont autrefois ruiné i'espèce humaine, son séjour et sa subsistance, qu'ont du être faits tous ces régiemens admirables, que nous ne .trouvons que chez les peuples les plus anciens , sur i'agriculture, le travail, 1'industrie, la population, 1'éducation et surtout ce qui concerne 1'écouomie publique et domestique. Ce fut nécessairement sous cette époque que 1'unité de principes, d'objets et d'actions s'étant rétablie parmi les mortels réduits a un petit nornbre, et pressés des mêmes besoins; ce fut alors que ses loix domestiques devinrent la base des loix, ou, pour mieux dire, les seules loix des sociétés, ainsi que toutes les plus antiques législations nous le prouvenr. Comme la guerre forme. des généraux et des soldats, de même les maux extrèmes du genre humain et la grandeur de ses nécessités ont donné lieu en leur tems aux loix les plus sages et aux législations primitives, qui, dans les choses de police, ont eu souveraiuement pour objet le véritable et Is siul bien de 1'humrinité. L'homme alors ne s'est point laissé  l8S Essai phllosophique conduire par la coutume. II n'a pas été chercher des loix chez ses voisins, mais les a trouvées dans sa raison et dans ses besoins. Que le spectacle de ces premières sociétés devoit être touchant ! aussi pures dans leur morale que régulières dans leur discipline 3 animées d'une fervente eharité les unes envers les autres, mutueilement sensibles et étroitement unies, c'étoit alors que 1'égalité brilloit et que 1'équité régnoit sur la terre. Plus de tien, plus de mien j tout appartenoit a la société qui n'avoit qu'un cceur et qu'un esprir. Erat terra lak'ii uniuSj et sermonum eorumdem. Gen. n. i. Ce n'est donc point une fable dépourvue de toute réalité que la fable de 1'age d'or tant célébrée par nos pères. II a dü exister vers les premières époques du monde renouvellé un tems, un ancien tems, oü la fusüce, 1'égalité, 1'anion et la paix ont règné parmi les humains. S'il y a quelque chose a retrancher des ré-cits de la mythologie, ce n'est vraisemblablement que le riant tableau qu'elle nous a fait de 1'heureux étar de la nature. Elle devoit être alors bien moins belle qt\e le cceur de l'homme. La terre n'oftroit qtTun désert rempli d'horreurs et de misères, et le genre humain ne fut juste que sur les débris du monde. Cette situation de la nature, a qui il a fallu plusieurs siècles pour se réparer er pour changer 1'arTreux spectacle de sa mine en celui que nous lui voyons aujourd'hui, fut ce qui retint long-tems le genre humain dans un état presque surnarurel. La morale et le genre de vie de l age d'or n'ont pu régner ensuite au milieu des sociétés agrandies, paree qu'elles ne conviennent pas plus au luxe de la nature qu'au luxe de I'humanké qui n'en a été que la sui'e et 1'eftet, A  snr le Gouvernement i'gp mesure que le séjour de l'homme s'est embelli, a mesure que les sociétés se sont raultipliées et qu'elles ont formé des vilies et des états, Ie règne moral a dü néeessairement faire place au règne politique, et le tien et le mien ont dü néeessairement paroitre dans le monde, non d'abord d'homme a homme, mais de familie a familie, de société a société, paree qu'ils y sont devenus indispensables, et qu'ils font partie de cette même harmonie qui a dü rentrer parmi les nations renouvellees, comme elle est insensiblemcnï rentrée dans la nature après le premier chacs, Cct age d'or a donc été un état de sainte;é , u» état surnaturel, digne de notre envie, er qui a justement mérité tous les regrets de 1'anriquité. Cependant, lorsque les législations postérieures en ont voula adopter les usages et les principes sans discernement, le bien s'est néeessairement changé en mal, et 1'or en plomb. Peut-érre même n'y auroit-il eu jamais dagede fer, si l'on neut point usé de eet age d'or lorsqu'il iTea étoit plus tems; c'est ce dont on pourra juger par la suite de eet article. Tels ont été les premiers, et nous pouvons dire les heureux efréts des malheurs du monde. Ils onr forcé 1'homme a se réunir : dénué de tout, renda pauvre et misérable par les désastres arrivés, et vivant dans la cHinte et 1'attente de ceux dont il se crut long-tems encore menacé, la religion et la nécessitS en rassemblèrent les tristes restes, et les poitèrent a ê'tre mviolablement unis, afin de seconder les eftets de 1'acriviré et de 1'indus^rie. Ii fallut alors mettre en usage tous ces grands ressorts dont le cceur humain n'est constamment capable que dans Tadversité. Ils sont chez nous sans force et sans vigueur; mais dans ces tnstes siècles il n'en fur pas de méme, toutes les  i^fj Essal philosophique vertus s'exaltèrent, et l'on vit le règne et le triomphe de 1'humanité, paree que ce sent :: ;es instans. Nous nentrérons pcint dans le détail -ie tous les moyens qui furent mis alors en usage po^r réparer les maux du genre humain, et pour rétablir les sociétés. Quoique l'histoire ne nous les ait point transmis ils son: aisés a connoitr?, et quand on consulte la nature, elle nous les fait retrouver dans le fond de nos cceurs. Pourroit-on douter, par exemple, qu'une des premières suites des impressions que fit sur les hommes 1'aspect de la ruine du monde, n'ait été d'écarter du milieu des premières families, et même du milieu des premières nations, eet esprit destructeur dont elles n'ont cessé par la suite d'être animées les unes contre les autres 2 La violence, les meurtres, la guerre et leurs suites effroyables ont dü être, pendant bien des siècles, inconnus ou abhorrés des mortels. Insttuits par la plus puissante de toutes les lecons que la providence a des moyens d'exterminer le genre humain en un clin d'oeil, sans doute qu'ils stipulèrent entre eux, et au nom de leur postérité, qu'ils ne répandroient jamais de sang sur la terre. Ce fut la en etfet le premier précepte de la loi de nature, oü les malheurs du monde ramenèrent néeessairement les sociétés. Rcquïram aramam hominis de manu fratris ejus quicumque effuderit humanum sangiï$iem, &c. Gen. 9 j 5 et 6. Les peuples qui jusqu'aujourd'hui ont évité comme un crime de répandre ou de boire le sang des animaux, nous offrent un vestige de cette primitive humanité. Mais ce n'est qu'un ombre foible, et ces peuples, souvent barbares et crr.els a 1'égard de leurs semblables, nous montrent bien qu'ils n'ont cherché qu'^ éluder la première et la plus sacrée de toutes les loix.  sur le Gouvernement. Ce n'est point cependant encore dans ces premiers ïnomens qu'il faut chercher ces divers gouvernemens politiques qui ont ensuite paru sur la terre. L'état de ces premiers hommes fut un état tout religieux. Leurs families pénétrées de la crainte des jugemens d'en-haut, vécurent quelques tems sous la conduite des pères' qui rassembloient leurs enfans, et n'eurent point entre elles d'autres biens que leurs besoins, ni d'autre roi que le dieu qu'elles invoquoient. Ce ne fut qu'après s'être multipliées qu'il fallut un lien plus fort et plus frappant pour des sociétés nombreuses , que pour des families , afin d'y maintenir 1'unité dont on connoissoit tout le prixtf et pour entretenir eet esprit de religion, d'économie, d'industrie et de paix, qui seul pouvoit réparer les maux infinis qu'avoic soutiens la nature humaiae. On fit donc alors des loix; elles furent dans ces commencemens aussi simples que 1'esprit qui les inspira. Pour en faire le projet, il „e fallut point recourir a des philosophes sublimes, ni a des politiques profonds. Les besoins de l'homme les dictèrenr, et quand on rassembla toutes les parties , on ne fit sans doute qu'écrire ou graver sur la pierre ou sur le bois ce qui avoit été fait jusqu'a ces tems heureux oü la raison des particuliers n'ayant point été differente de la raison publique, avoit été la seule et 1 umque loi. Telle a été 1'origine des premiers codes ils ne changèrent rien aux ressorts primitifs de la conduite des sociétés. Cette précaution nouvelle n'avoit eu pour objet que de les fortifier en raison de la grandeur et de 1'étendue du corps qu'ils avoient a faire mouvoir, et l'homme s'y soumit sans peine; ses besoins lui ayant fait connoitre de bonne heure qu'il netoit pomt un être qui put vivre isolé sur la terre ü setoir dès le cprnrnencemem réuni a ses semblab'-s'  i£)i Essal philosophique en préférant les avantages d'un engagement nécessaire et raisonnable a sa liberté naturelle, et i'agrandissement de la société ayant ensuite exigé que le contrat tacite que chaque particulier avoit fait avec elle, en s'y incorporant, eüt une forme plus solemnelle et qu'il devint authentique , il y consentit donc encore. II se soumit aux loix écrites et a une subordination civile et politique; il reconnut dans ses anciens des supérieurs, des magistratSj des prêtres; bien plus, il chercha un souverain , paree qu'il connoissoit dès-lors qu'une grande société sans 'chef ou sans roi n'est qu'un corps sans tête, et même qu'un monstre, dont les mouvemens divers ne peuvent avoir entre eux rien de raisonnée ni d'harmonique. Pour s'appercevoir de cette grande vérité, l'homme n'eut besoin que de jetter un coup d'oeil sur cette société qui déja s'étoit formée. Nous ne pouvons en erf et, a i'aspect d'une assemblée, telle qu'elle soit, nous empêcher d'y chercher celui qui en est le chef ou le premier : c'est un sentiment involontaire et vraiment naturel, qui est une suite de 1'attrait secret qu'ont pour nous la simplicité et 1'unité , qui sont les caractères de I'ordre et de la vérité ; c'est une inspiratie*! précieuse de notre raison , par laquelle tel penchant que nous ayons tous vers 1'indépendance, nous savons nous soumerrre pour notre bien-être , et pour 1'amour de Tordre. Loin que le spectacle de celui qui préside sur une sociéré , soit capable de causer aucun déplaisir ï ceux qui la composent , la raison privée ne peut le voir sans un rerour agréable er Hatteur sur elle-même, paree que c'est cette société entière, et nous-mêmes qu. en faisons partie, que nous consi Sérons dans le chef, et dans eet organe de la raison publique don: il est le mi_ roir, 1'image et 1'auguste représentaiion. La première société  sur le Gouvernement. \^ société réglée et policce par les loix, n'a pu sans doute se contempler élle-même sans s'admirer. L'idée de se donner un roi, a donc été une des premières idéés de 1'homme sociable et raisonnable. Le spectacle de 1'univers seconda même la voix de la raison. L'homme alors inquiet levoit souvent les yeux vers le ciel, pour étudier les mouvemens des astres, ét leur accord , d'oü dépendoit la tranquillité de la terre et de ses habitans , et remarquant sur-rcut eet astre unique et éclatant, qui semble commander 1'armée des cieux , et en être obéi. II crut voir la-haut 1'image d'un bon gouvernement, et y reconnokre le modèle et le plan que devroit suivre la société sur la terre pour le rendre heureux et immuable par un sembiuble concert; la religion enfin appuya tous ces motifs. L'homme ne voyoit dans töute la nature qu'un soleil. II ne connoissoit dans 1'univers qu'un Etre suprème : il vit donc par-la qu'il manquoit quelque chose a sa législation, que sa société n'étoit püint parfaite, en un mot, qu'il lui falloit un roi qui fut le. père et le centre de cette grande familie, et le protecteur et 1'organe des loix. Ce furent la les avis , les conseils et les exemples que la raison, le spectacle de la nature, et la religion donnèrent unaniment a l*homme dès les premiers tems; mais il les éluda plutöt qu'il ne les suivit. Au lieu de se choisir un roi parmi ses semblables, avec lequel la société auroit fait le même contrat que chaque particulier avoit ci-devant fait avec elle , l'homme proclama le roi de 1'age d'or, c'est-a-dire 1'Etre suprème. II continua a le regarder comme son monarque; et le couronnant dans les formes , il ne voulut poin: qu'il y eüt sur la terre, comme dans le ciel , d'autre rnaitre, nj d'autre souverain; Tome lil. N  Tt)4 Essai ph'dosophiqne On ne s'est pas attendu sans doute a voir de si prés la chüte et 1'oubli des sentimens que nous nous sommes plu a mettre dans 1'esprit humain , au moment oü les sociétés sdngeoient a représenrer leur unité par un monarque. Si nous les avons fait ainsi penser, eest que ces premiers senrimens vrais et pleins de simplicité, sont dignes de ces ages primitifs , et que la conduite surnaturelle de ces sociétés semble nous indiquer qu'elles ont été surprises et trompées dans ce fatal moment. Peut-être quelques-uns soupconnerontils que 1'amour de 1'indépendance a été le mobile de cette marche, et que l'homme, en refusanr de se donner un roi visible pour en reconnoitre un qu'il ne pouvoit voir, a eu un. dessein tacite de n'en admettre aucun. Ce seroit rendre bien peu de justice a l'homme échappé des malheurs du monde, qui a été porté plus que rous les autres a faire le sacrifice de sa liberté et de toutes ses passions. S'il fit donc , en se donnant un roi 3 une si singuliere application des lecons qu'il recevoit de sa raison et de la nature entière, c'est qu'il n'avoit pas encore épuré sa religion comme sa police civile et domestique , et qu'il ne 1'avoit pas dégagée de la superstition , cette fille de la crainte et de la terreur j qui absorbe la raison , et qui prenant la place et la figure de la religion , 1'anéantit elle-même pour livrer 1'humanité a la fraude et a 1'imposture. L'homme alors en fut cruellement la dupe ; elle seule présida a 1'élection du dieu monarque, et ce fut la première époque et la source de tous les maux du genre humain. Comme nous avons dit ci-devant que les premières 'families n'eurent point d'autre roi que le Dieu qu'elles invoquoient, et comme c'est le même usage qui s étant consacré avec le tems porra les nations multipliées a metamorphoser ce culte religieux en un gou-  sur le Gouvernement. i}* vernement politique, il importe ici de faire connoirre quels ont été les préjugés que les premières families joignirent a leur culte, paree que ce sont ces mêmes préjugés qui pervertirent par la suite la religion et la police de leur postérité. Parmi les impressions qu'avoienr fait sur l'homme 1'ébranlement de la terre et les grands changemens arrivés dans la narure, il avoit été particulièrément affecté de la crainre de la fin du monde. II s'étoit imaginé que les jours de la justice et de la vengeance étoient arrivés; il s'étoir atrendu de voir dans peu ie juge suprème venir demander compte a 1'univers, et prononcer ces redoutables arrêts que les méchans ont toujours craint, et qui ont toujours fait 1'espérance et la consolation des justes. Enfin 1'homme, en voyant le monde ébranlé et presque détruit, n'avoit point douté que le règne du ciel ne fut très-prochain, et que la vie future , que la religion appelle par excellence le royaume de Dieu, ne fut prêre a paroitre. Ce sont la de ces dogmes qui saisissent 1'humanité dans toutes les révo* hitions de la nature, et qui ramènent au même point 1'homme de tous les tems. Ils sont sans doute sacrés, religieux et infiniment respectables en eux-mêmes; mais 1'hisroire de certains siècles nous a appris ï quels faux principes ils ont quelquefois conduit des hommes foibles, lorsque ces dogmes ne leur ont été présentés qu'a la suite des terreurs paniques er mensongères. Quoique les malheurs du monde dans les premiers tems n'aient eu que trop de réalité, ils conduisirent néanmoins l'homme aux abus des fausses terreurs , paree qu'il y a toujours autant de différeuce entre quelque changement dans le monde, et sa fin absolue dont Dieu seul sait le moment, qu'il y en a entre un simple renouvellement et une création route miracu- N 2  Essai philosopkique leuse. Nous conviendrons cependant que, dans ces afT' ciennes- époques oü 1'homme se porta k abuser de ces do°mes universels , il fut bien plus excusable que dans ces siècles postérieurs, oü la superstition n'eut d'autre source que de faux calculs et de faux oracles > que 1'état même de la nature contredisoit. Ce fut cette nature elle-même, et tout 1'univers aux abois, qui séduisirent les siècles primitifs. L'homme auroit-ii pu s'empêcher, a 1'aspect de tous les formidables phénomènes d'une dissolurion totale, de ne pas se frapper de ces dogmes religieux dont il ne voyoit pas, il est vrai, la fin précise , mais dont il croyoit évidemment reconnoitre tous les signes et toutes les approches ? Ses yeux et sa raison sembloient l'en avertir a chaque instant, et justifier ses terreurs. Ses maux et ses misères, qui étoient a leur combb , ne lui laissoient pas la force d'en douter ; les consoladons de la religion étoient seules son espcir. II s'y livra sans réserve ; il attendit avec résignation le jour fatal; il s'y prépara, et le désira même , tant étoit alors déplorable son état sut la terre. L'arrivée du grand juge et du royaume du ciel avoient donc été, dans ces tristes circonstances, les seuls points de vue que l'homme avoit considérés avec une sainte avidité : il s'en étoit entretenu perpétuellement pendant les fermentations de son séjour; et ces dogmes avoient fait sur lui de si profonde? impressions , que la nature , qui ne se rérablit sans doute que peu a-peu , 1*étoit tout-a-fait, lorsque l'homme attendoit encore pendant les premières générations. Ces dispositions de 1'esprit humain ne servirent qu'a perfectionner d'autant sa morale et firenr 1'héroisme et la sainteté de lage d'or. Chaque familie pénétrée de ces dogmes ne représentoit qu'une communauté  sur le Gouvernement. 197 reiigieuse, qui dirigeoit routes ses démarches sur le céleste avenir, et qui ne comptant plus sur la durée du monde , vivoit en attendant les évênemens sous les seuls liens de la religion. Les siècles inattendus , qui succédèrent a ceux qu'on avoit cru les derniers , auroient dü, ce semble , détromper l'homme de ce qu'il y avoit de faux dans ces principes ; mais 1'espérance se rebute-t-elle ? la bonne foi et la simplicité avoient établi ces principes dans les premiers ages : le préjugé et la coutume les perpétuèrent dans les suivans ; et ils animoient encore les sociétés agrandies et multipliées , lorsqu'elles commencèrent a donner une forme réglée a leur administration civile et politique. Préoccupées du ciel , elles oublièrent dans eet instant qu'elles étoient encore sur la terre; et au lieu de donner a leur état un lien fixe et naturel, elles persistèrent dans un gouvernement, qui n'étant que provisoire et surnaturel, ne pouvoit convenir aux sociérés politiques , ainsi qu'il avoit convenu aux sociétés mystiques et religieuses. Elles s'imaginèrent sans doute par cette subüme spéculation prévenir leur gloire et leur bonheur, jouir du ciel sur la terre, et anticiper sur le céleste avenir. Néanmo'.ns ce fut cette spéculation qui fut le germe de toutes leurs erreurs et de tous les maux ou le genre humain fut ensuite plongé. Le dieu monarque ne fut pas plutót élu, qu'on appliqua les principes du règne d'en-haut au règne d'ici-bas; et ces principes se trouvèrent faux, paree qu ils étoient deplacés. Ce gouvernement n'étoit qu'une fiction qu'il fallut nécessaire-meur soutenir par une multitude de suppositions et d'usages conventionnels; et ces suppositions ayanc été ensuite prises a lalettre, ii en résulta une foule de préjugés religieux et politiques, une infinité d'usages bizarres et dcraisonnables, N 3  If)g Essal philosophique et des fables sans nombre , qui p'récipitèrent a la fin dans le cahos le plus obscur, la religion, la police primitive , et l'histoire du genre humain. C'est ainsi que les premières nations , après avoir puisé dans leurs vrais besoins leurs loix domestiques et économiques, les soumirent toutes a un gouvernement idéal, que 1'histoite fait peu connoitre, mais que la mythologie , qui a recueilli les ombres des premiers rems, nous a rransmis sous le nom du règne des dieux , c'est-a-dire dans notre langage, le règne de Dieu , et en un seul mot, théocratie. Les historiens ayant méprisés, et presque toujours avec raison , les fables de 1'antiquité, la théocratie est un des ages du monde les plus suspects ■, et si nous n'avions ici d'autres autorités que celles de la mythologie , tout ce que nous pourrions dire sur eet antique gouvernement, paroitroit encore sans vraisemblance aux yeux du plus grand nombre. Peur-être aurions-nous les suffrages de quelques-uns de ceux donr le genie, soutenu de connoissances, est seul capable de saisir 1'ensemble de toutes les erreurs humaines, d'appercevoir la preuve d'un fait ignoré dans le crédit d'une erreur universelle, et de remonter ensuite de cette erreur aux vérités ou aux évênemens qui 1'ont fait naitre paria combinaison réfiéchie de tous les différens aspects de cette même erreur. Mais les bornes de notre carrière ne nous permettant pas d'employer les matèriaux que peut nous fournir la mythologie , nous n'entreprendrons point ici de réédifier les annales théocratiques, nous ferons seulement remarquer que si 1'universalité et si 1'unifcrmité d'une erreur sont capables de faire entrevoir aux- esprits les plus intelligens quelques principes de vérité, oü tant d'autres ne voient cependant que les efiëts du caprice et de 1'imag'mation des anciens  sur le Gouvernement. 199 poëtes, on ne doit pas totalement rejetter les tradirions qui cohcernent le règne des dieux, puisqu'elles sont unïverselles, et qu'on les retrouve chez toutes les nations qui leur font succéder les demi-dieux j et ensuite les rois, en distinguant ces trois règnes comme trois gouvernemens différens. Egyptiens, Chaldéens, Perses , Indiens, Chinois, Japonois, Grecs, Romains et jusqu'aux Américains même, tous ces peuples ont également conservé le souvenir ténébreux d'un tems oü les dieux sont descendus sur la terre pour rassembler les hommes , pour les gouverner et pour les rendre heureux, en leur donnant des loix, et en leur apprenant les arts utiles. Chez tous ces peuples les circonstances particulières de la descente de ces dieux font les misères et les calamités du monde. L'un est venu, disent les Indiens, pour soutenir la terre ébranlée ; celui-la pour la rerirer de dessous les eaux, un autre pour secourir le soleil, pour faire la guerre au dragon, et pour exterminer des monstres. Nous ne rappellerons pas les guerres , les vicroires des dieux Egyptiens et Grecs sur les Typhon, les Python , les Géans et les Titans. Toutes les grandes solemnités du paganisme en célébroienr la mémoire. Vers tel climat que l'on tourne les yeux, on y retrouve de même -cette constante et singulière tradition d'un age théocratique ; et l'on doit remarquer qu'indépendamment de 1'uniforrnité de ces préjugés , qui décrète un fait tel qu'il puisse être ce règne surnaturel est toujours désigné comme ayant été voisin des anciennes révolutions, puisqu'en tous lieux le règne des dieux y est orné er rempli d'anecdotes lirtérales et allégoriques de la ruine ou du rétablissement du monde. Voici, je crois, une des plus grandes autorités qu'on puisse trouver sur un sujet si obscur. N 4  10O Essai philosophiquc Si les hommes ont été heureux clans les premiers tems, ditPlaton, Ue. liv. des loix-,) s'ils ont été heureux et justes, c est qu'ils n'étoient point alcrs gouvernés comme nous sommes aujourd'hui, mais de la même manière que nous gouvernons nos troupeaux. Car, comme nous n'établissons pas des taureaux sur des taureaux, ni une chèvre sur des troupeaux de chèvres, mais que nous les mettons sous la conduite d'un homme qui en est le berger; de même Dieu, qui aime les hommes _, avoit mis nos ancêtres sous la conduite des esprits, et des anges. Ou je me trornpe, ou voila ce gouvernement surnaturel qui a donné lieu aux tradirions de lage d or . et du règne des dieux. Platon a été amené a cette tradition par une route assez semblable a celle que je suis. II dit ailleurs qu'après le déluge les hommes vécpretM sous trois états successifs ; le premier sur les montagnes, errans et isolés les uns des autres 5 le second, en families dans les vallées voisines, avec un peu moins de terreur que dans le pre mier etat 5 et le troisième en sociétés, réunis dans les phines,et vivant sous des loix. Au reste si ce gouvernement est devenu si généralement obscur et fabultux,on ne peut en accuser que lui-même. Quoique formé sous les auspices de la religion, ses principes surnaturels le conduisirént a tant d'excès et d'abus, qu'il se défigura insensiblement, et fut enfin méconnu. Peut- être cependant rhistóire qui la rejetté 1'a-t-elle admis en partie dans ses fasres sous le nom de règne saccrdotal. Ce règne n'a été dans son tems qu'une suite du premier, et l'on ne peut nier que cette administration n'ait été trouvée chez diverses nations fort historiques. Pour suppleer a ce grand vuide des annales du monde, par une autre voie que la mythologie, nous avons  sur le Gouvernement. tot rénechi sur Tétiquette et sur les usages qui ont dü être propres a ce genre de gouvernement; et après nous en .être fait un plan et un tableau , nous avons encore cherché a les comparer avec les usages politiques et religieux des nations. Tantót nous avons suivi I'ordre des siècles et tantót nous les avons retrogrades, afin d'éclaircir Tanden par le moderne, comme on éclaireit le moderne par Tanden : telle a été notre méthode pour trouver Tinconnu par le connu. On jugera de sa justesse ou de son exactitude par quelques exemples, et par le résulrat dont voici Tanalyse. Ce gouvernement surnaturel ayant obligé les nations a recourir a une multirude d'usages et de suppositions pour en soutenir Textérieur, un de leurs premiers soins fut de représentet au milieu d'elles la maison de leur monarque, de lui élever un trone, et de lui donner des officiers et des ministres. Considérée comme un palais civil, certe maison étoit sans doute de trop sur la terre; mais ensuite considérée comme un temple, elle ne put sulïire au culte public de toute une nation. D abord on voulut que cette nation fut seule et unique, paree que le dieu monarque étoit seul et unique , mais toutes les ditrérenres portions de la socié'é ne pouvant s'y rendre aussi souvent que le culte journalier qui est dü a la divinité Texige, les partjes les plus éloignées de la société tombèrent dans une anarchie politique et religieuse , ou se rendirent rébelles et coupables en multipliant le dieu monarque avec les maisons qu'elles voubrent aussi lui élever. Peu-a-peu les idéés qu'on devoit avoir de la divinité se rétrédrenr. Au-lieu de regarder ces temples comme des lieux d'assernbléë et de pnères publiques, infiniment respectables par cette desnnarion, les hemmes y cherchèrent le maitre qu'ils ne pouvoienty voir, et lui donnèrent a la fin une fi-  tol Essal philosophique gure et une forme sensibles. Le signe de 1'autonté et Ie sceptre de 1 empire ne furent point mis en des mains particulières : on les déposa dans cette maison, et sur le siège du céleste monarque, c'est-a-dire dans le sanctuaire. Le sceptre et les autres marqués de 1'aurorité royale n'onr été dans les premiers tems que des batons et des rameaux, les temples que des cabannes , et le sanctuaire qu'une corbeille et qu'un corfrer. C'est ce qui se retrouve dans toute 1'antiquité , mais par 1'efcus de ces usages, la religion absorba la police, et le règne du ciel lui donna le règne de la terre •, ce qui pervertit l'un et 1'autre. Le code des lois civiles et religieuses ne fut point mis non plus entre les mains du magistrat : on le déposa dans ce sanctuaire; et ce fut a ce lieu sacré qu'il fallut avoir recours pour conncitre ces loix et pour s'instruire de ses devoirs. La elles s'y ensevelirent; avec le tems Ie genre humain les oublia, peut-être méme les lui fit-on oublier dans ces fètes qui portoienr chez les anciens le nom de fètes de la législation, comme les paliiies et les thesmophories: les plus saintes vérités n'étoient plus communiquées que sous le secret a qnelques initiés, et l'on y fa'soit au peuple un mystère de ce qu'il y avoit de plus simple dans la police, er de ce qu'il y avoit de plus utile et de plus vrai dans la religion. La nature de la théocratie primitive exigeant néeessairement que le dépót des loix, gardé dans le sanctuaire parut émané de Dieu même, et qu'on fut obligé de croire qu'il avoit été le législateur des hommes comme il en étoit le monarque, le tems et 1'ignorance donnèrent lieu aux ministres du paganisme d'imaginer que des dieux et des déesses les avoient révélees aux anciens législateurs, tandis que les seuls besoins et la seule raison publique des premières sociétés en avoient  sur le Gouvernement. loj été les uniques et les véritables sources. Par ces affreux mensonges, ils ravirent a l'homme 1'honneur de ces loix si belles et si simples qu'il avoit faites primitivement; et ils arfoiblirent tellement les ressorts et la dignité de sa raison, en hii faisant faussemeat accroire qu'elle n'avoit point été capable de les dicter , qu'il la méprisa, et qu'il crut rendre hommage a la divinité, en ne se servant plus d'un don qu'il n'avoit recu que pour en faire un constant usage. Le dieu monarque de la société ne pouvant lui pariet ni lui commander d'une fagon directe, on se mit dans la nécessité d'imaginer des moyens pour connoitre ses ordres et ses volontés. Une absurde convention établit donc des signes dans le ciel et sur la terre , qu'il fallut regarder, et qu'on regarda en effet comme les interprètes du monarque. On inventa les oracles, et chaque nation eut les siens. On vit paroitre une foule de devins er d'aruspices. En police comme en religion, l'homme ne consulta plus la raison, mais il crut que sa conduite, ses entreprises, et toutes ses démarches devoient avoir pour guide un ordre ou un avis de son prince invisible; et comme la fraude et 1'imposture les dictèrent aux nations aveuglées , elles en furent toutes les dupes, les esclaves et les victimes. De semblables abus sortirent aussi des tributs qu'on crut devoir lui payer. Dans les premiers tems, oü la religion ni la police n'étoient pas encore corrompues par leur faux appareil, les sociétés n'eurent d'autres charges et d'autres tributs a porter a 1'être suprème, que les prémices des biens de la terre; encore n'étoit-ce qu'un hommage de reconnoissance, et non un tribut civil dont le souverain dispensateur de tout n'a pas besoin. II n en fur plus de même lorsque d'un être universel chaque nation en eüt fait son roi particulier. II fallut lui  i©4 Essai philosophique donner une maison, un tröne, des officiers, et enfin un revenu pour les entretenir. Le peuple porta donc chez lui la dime de ses biens, de ses terres et de ses troupeaux. II savoit qu'il tenoit tout de son divin roi •, que l'on juge de la ferveur avec laquelle chacun vint oftrir ce qui pouvoit eontribuer a 1'état et a la magnificence de son monarque. La piété généreuse ne connut point de bornes : on en vint jusqu'a s'offrir soi-même, sa familie et ses enfans. On crut pouvoir, sans se deshonorer, se reconnoitre esclave du souverain de toute Ia nature, et l'homme ne se rendit que le sujet et 1'esclave du souverain théocratique. A mesure que la simphcité religieuse seteignit, la superstion augmenta avec 1'ignorance; il fallut par gradation rencherir sur les anciennes offrandes, et en chercher de nouvelles. Après les fruits ou ofrrit les animaux; et lorsqu'on se fut familiarisé par ce dernier usage avec ce:te cruelle idéé que la divinité aime le sang, il n'y eut plus qu'un pas a faire pour égorger des hommes, afin de lui offrir le sang le plus cher er Ie plus précieux qui soit sans doute a ses yeux; le fanatisme antique n'ayant pu s'élever a un plus haut période, égorgea dcr.c des victimes humaines. II en présenta les membres palpitans a la divinité, comme une offrande qui lui étoit agréable. Bien plus, l'homme en mangea lui-méme, et apres avoir ci-devant éteint sa raison, il dompta enfin la nature pour participer aux festins des dieux. II n'est pas nécessaire de faite une longue application de ces usages a ceux de toutes les nations payennes et sauvages qui les ont pratiqués. Chez toutes, les racrifices sanglans n'ont eu primitivement pour objet que de couvrir la table du roi théocratique, comme nous couvrons la table de nes monarques. Les prêtres.  sur le Gouvernement. tof és Belus faisoient accroire au peuple que leur divinité mangeoit elle-même les viandes qu'on lui présentok sur ses autels; et les Grecs et les Romains ne manquoient jamais dans les tems de calamités, d'assembler» dans la place publique, leurs dieux et leurs déesses autour d'une table magnifiquement servie, pour en obtenir, par un festin extraordinaire, les graces qui n'avoient pu être accordées aux repas réglés du soir er du matin, c'est-a-dire, aux sacrifices journaliers et ordinaires. C'est ainsi qu'un usage originairement étabii pour soutenir dans tous ses points le cérémonial figuré d'un gouvernement surnaturel, fut pris a la lettre et que la divinité se trouvant en tout traitée comme une créature mortelle, fut avilie et perdüe de vue. L'anttopophagie qui a régné, et qui règne, encore dans une moitié du monde, ne peut avoir non plus une autre source que celle que nous avons fait entrevoir. Ce n'est pas la nature qui a conduit tant de narions 3 eet abominable excès; mais égatées et perdues par le surnaturel de ces principes, c'est pas a pas et par dégré qu'un culte insensé et cruel a perverti le cceur humain. 11 n'est devenu antrepophage qu'a IV xemple et sur le modèle d'une divinité qu'il a cru antropophage. Si 1'humanité se perdit, h. plus forte raison les mceurs furent-elles ansi altérées et rlétries. La corruption de l'homme théocratique donna des femmes au dieu monarque; et comme tout ce qu'il y avoit de meilleur lui étoit du, la virginité même fut obligée de leur faire son ofFrande. Dela les prostitutious religieuses de Babylone et de Paho?; dela ces honteux devoirs do paganisme qui contraignoient les filles a se livrera quelques divinités avant que de pouvoir entrer dans le ma-  . t0S Esscti philosophique riage, dela enfin tous ces enfans des dieux qui onï peuplé la mythologie et le ciel poétique. Nous ne suivrons pas plus loin 1'étiquetre et le cér rémonial de la cour du dieu monarque: chaque usage fut un abus, et chaque abus en produisit mille autres. Considéré comme un roi, on lui donna des chevaux, des chars, des boucliers, des armes, des terres, des troupeaux et un domaine qui devint avec le tems le patrimonie des dieux du paganisme. Considéré comme un homme, on le fit séducteur, colère, emporté, jaloux, vindicatif et barbare. Enfin on en fit 1'exemple et le modèle de toutes les iniquités dont nous trouvons les affreuses légendes dans la théogonie payenne. Le plus grand crime de la théocratie primitive, a sans doute été d'avoir précipité le genre humain dans l'idolatrie par le surnaturel de ses principes. II est si difficile a l'homme de concevoir un être aussi grand, aussi immense, et cependant invisible, tel que 1'Etre suprème, sans s'aider de quelques moyens sensibles, qu'il a fallu presque néeessairement que ce gouvernement en vint a sa représentation. II étoit alors bien plus souvent question de 1'Etre suprème, qu'il n'est aujourd'hui. Indépendamment de son nom et de sa qualité de dieu, il étoit roi encore : tous les actes de la police, comme tous les actes de la religion, ne parloient que de lui; on trouvoit ses arrêts par tout, on suivoit ses loix, on lui payoit tribut, on voyoit ses officiers, son palais et presque sa place; elle fut donc bientót remplie. Les uns y mirent unè pierre brute, les autres une pierre sculptée; ceux-ci 1'image du soleil, ceux-la de la lune; plusieurs nations y exposèrent un bceuf, une chèvre , ou un chat comme les Egyptiens. En Ethiopië , c'étoit un chien; et ces signes représentatifs du  sur le Gouvernement. ZOj monarque furent chargés de tous les attributs symbohques d'un dieu et d'un roi. Ils furent décorés de tous les ntres sublimes qui convenoient a celui dont on fit les emblèmes; et ce fut devant eux qu'on porta les pneres et les offrandes, qu'on exerca tous les actes de la police et de la religion , et que l'on remplit enfin tout le cérémonial théocratique. On croit déja sans doute que c'esr l'idolatrie; non , ce ne 1'est pas encore c en esr seulement la porte fatale. Nous rejettons ce sentiment affreux, que les hommes ont été naturellement idolatres, ou qu'ils le sont devenus de plein gré et de besoin prémedité. Jamais les hommes n'ont oublié la divinité; jamais dans leurs égaremens les plus grossiers, ils n'onr tout-a-fait méconnu son excellence et son unité; et nous oserions meaie penser en leur faveur qu'il y a moms eu une idolatrie réelle sur la terre , qu'une profonde et générale superstition. Ce n'est point non plus par un saut rapide que les hommes ont passé de 1'adoration du createur a 1 adoration de la créature; ils sont devenus idolatres sans le sarvóir, et sans vouloir 1'être, comme nous verrons ci-après qu'ils sont devenus esclaves sans avoir jamais eu 1'envie de se mettre dans 1'esclavage La religion primitive s'est corrompue, et 1'amour de lunite sest obscurcie par 1'idée du passé, et par les suppositions qu'il a fallu faire dans un gouvernement surnaturel, qui confondit toutes les idéés en confondant Ia police avec la religion. Nous devons penser que dans les premiers tems oü chaque nation se rendit son du* monarque sensible, qu'on se comporta encore vis-a-vis de ses emblèmes avec une eirconspection rehgieuse et intelligente. C'étoit moins Dieu qu'on avoit voulu représenrer que le monarque; et c'est ainsi que dans nos tnbunaux, nos magistrats ont toujours  40ê Essai philosophique devant eux 1'image de leur souverain, qui rappelle l chaque instant, par sa ressemblance et par les ornemens de la royauté, le véritable souverain quon n y voit pas, mais que Ion sait exister ailleurs. Ce tableaU qui ne peut nous trompet, nest pour nous qu'un objet relatif et commémoratif , et telle avoit été sans doute 1'intention primitive de tous les symboles représentatifs de la divinité. Si nos pères se trompèrent cependant , c'est qu'il ne leur fut pas aussi facile de peindre cette divinité , qu'a nous de peindre un mortel. Quel rapport en effet put-il y avoir entre Dieu régnant et toutes les différentes effigies que l'on en fit ? ce ne peut être qu'un rapport imaginaire et de pure convention , toujours prèt par conséquent a dégrader le dieu et le monarque , sitèt qu'on n'y joindrou plus une instruction convenable. On les donna sans doute ces instructions dans les premiers tems , mais par-la le culte et la police, de simples qu'ils étoient, devinrent composés et allégoriques. Par-la 1'omcier théocratique vit accroïtre le besoin et la nécessité que l'on eut de sou état •, et comme il devint ignorant lui-même, les conventions primitives se changèrent en mystères , et la religion dégénéra en une science merveilleuse et bizarre, dont le secret devint impénétrable d'age en age , et dont 1'objet se perdit a la fin dans un labyrinthe de grave» puénlités et d'importantes bagatelles. Si toutes les différentes sociétés eussent au moins pris pour signes de la divinité régnanre un seul et même symbole, 1'unité du culte, quoique dégénéré, auroit encore pu se conserver sur la terre 3 mais, amst que tout le monde sait , les uns prirent une chose, et les autres une autre. L'Etre suprème, sous mille formes différentes , fut adoré par-tout , sans n'étre plu» le même aux yeux de l'homme grossier : chaque nation  sur le Gouvernement. 2ö, pleinement 1'origine que nous devons a l'idolatrie et au despotisme ; c'est qu'il y a eu des tems ou un chien, un veau, ou un homme placé a la tête d'une société , n'ont été pour cette société qu'une seule et même chose , et oü l'on se portoit vers 1'un ou vers 1'autre de ces symboles, suivant que les circonstances le demandoient, sans que l'on crut pour cela rien innover dans le systême du gouvernement. C'est dans le même esprit que ces Hébreux rerournèrent si constamment aux idoles pendant leur théocratie. Toutes les fois qu'ils ne voyoient plus au milieu d'eux quelque juge inspiré ou quelqu'homme suscité de Dieu, il falloit alors retourner vers Malach ou vers Chamos, pour y chercher un aurre représentant, comme on avoit autrefois couru au veau d'or pendant la disparurion de Moyse. Présentement arrivé oü commence l'histoire connu: des tems connus, il nous sera plus facile d'en suivre le despotisme et de vérifier 1'origine par sa conduite et par ses usages. L'homme élevé a ce comble de grandeur et de gloire , d'être regardé sur la terre comme 1'organe du Dieu-monarque, et a eet excès de puissance de pouvoir agir , vouloir et commander souverainement en son nom , succomba presqu'aussi-tfo sous \ un fardeau qui n'est point fait pour l'homme. L'illusion de sa dignité lui fit méconnoïtre ce qu'il y avoit en elle de réellement grand et de réellement vrai , et les rayons de 1'être suprème dont son diadême fut orné 1'éblouirent a un point qu'il ne vit plus le genre humain , et qu'il ne se vit plus lui-même. Abandonné de  sur le Gouvernement. xi$ de la raison publique qui ne voulut plus voir en lui un mortel ordinaire , mais une idole vivaute' inspirée du ciel. II auroir fallu que le seul sentiment de sa dignité lui eüt dicté 1'équké , la modération, la douceur, et ce fut cette dignité même qui le porta vers rous les excès cóntraires. 11 auroit fallu qu'un tel homme renrrit souvent en lui- meme, mais tout ce qui 1'environnoit , l'en faisoit sortir , et l'en tenoit toujours éloigné. Eh! comment un mortel auroit-il pu se sentir et ge reconnoitre ? il se vit décoré de tous les ritres sublimes düs a la divinité } et qui avoient été ci-devaht porté's par les idoles et ses autres emblèmes. Tout le cérémonial dü au Dieu-mcnarqüe fut rempli devant 1'homme-monarque. Adoré cBfflnie celui dont il devint a son tour le représentant , il fut de même regardé comme infaillible et immuable ; tout 1'umvers lui dut il ne dut rien a 1'univers. Ses volontés devinrent les arrêts du ciel , ces férocüés furent regardées comme des jugemens d'en-haut. Enfin eer emblême vivant du Dieu-monarque surpassa en tout 1'affreux tableau qui en avoit été fait autrefois aux Hébreux. Tous les peuples souscrivirent comme Israël a. leurs droits cruels et a leurs priviléges insensés; ils en gémirent tous paria suite _, mais ce fut en oubliant de plus en plus la dignité de la nature humaine , et en humiiiant leur front dans la poussière , ou bien en se portant vers des actions laches et atroces, méconnoissanr également cette raison qui seule pouvoit être leur médiatrice. II ne faut pas être fort-versé dans 1'histoiro, pour reconnoitre ici le gouvernement de 1'Orienr depuis rous les tems connus. Sur seize eens despotes qui y ont' régné, a peme en peut-on trouver deux ou trois q*ui aient mérité le nom d'homme ; et ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que les antiques préjugés , qui ont Tome HL p  i2£ Essai philosophique donné naissance au despotisme , subsistent encore dans 1'esprit des Asiatiques, et le perpétuent dans la plus belle partie du monde dont ils n'ont fait qu'un désert malheureux. Nous abrégerons cette triste peinture; chaoue lecteur instruit en se rappellant les maux infinis que ce gouvernement a faits sur la terre, retrouvera toujours cette longue chaïne d'événemens et d'erreurs, et les suites funesteS de tous les faux principes des premières sociétés. C'est pour eux seuls que la religion et la police se sont insensiblement changées en fantömes monstrueus qui ont engendré l'idolatrie et le despotisme, dont la fraternité est si étroite , qu'ils ne sont qu'une seule et même chose. Voila quels ont été les fruits amersdes sublimes spéculations d'une théocratie chimérique, qui, pour anticiper sur le céleste avenir, a dédaigné de penser a la terre, dont elle croyoit la fin prochaine. Pour achever de constater ces grandes vérités , jettons un coup d'ceil sur le cérémonial et sur les principaux usages des souverains despotiques , qui humilient encore la plus grande partie des nations, en y faisant reconnoitre les usages et les principes de la théocratie primitive. Ce sera sans doute mettre le dernier sceau de 1'évidence a ces annales du genre humain. Cette partie de notre carrière seroit immense, si nous n'y mettions des bornes, ainsi que nous en avons mis a tout ce que nous avons parcouru. Historiens anciens et modemes, voyageurs, tous concourent a nous montrer les droits du dieu monarque dans la cour des despotes , et ce qu'il y a de remarquable, c'est que tous les éctivains n'ont écrit et n'ont vu qu'en aveugles les différens objets qu'ils ont taché de nous représenrer.  sur le Góuvernemèni. 227 Tu ne paroïtras jamais devant moi les mains vuides, disoit autrefois aux sociétés théocratiques le dieu monarque par la bouche dë ses officiers. (Exod. 73, ifjk Tel est sans doute le titre ignoré de ces despotes Asiatiques devant lesquels fcuctm homme ne peut se présenter sans apporter son omrande. Ce n est donc point dans 1'orgueil ni dans 1'avarice des souverains qu'il faut chercher 1'origine de eet usage önéreux, mais dans les préjugés primitifs qui ont changé une lecon de morale en une étiquette politiaue. C'est paree que toutes choses viennent ici bas de 1'Etre suprème, qu'un gouvernement religieux avoit exigé qu'on lui fit a chaque instant 1'hommage des hiens que l'on ne tenoit que de lui; il falloit même soffrir soi-même, car quel est l'homme qui ne soit du domaine de son créateur ? Tous les Hébreux, parexemple , se regardoient comme les esclaves nés de leur Suprème monarque; Tous ceux que j'ai tirés des misères d'Egypte, leur disoit-il, sont mes esclaves; ils sont a moi, c'est mon bien et mon héritage; er eet esclavage étóit si réel, qu'il falloit racheter les premiers nés des hommes, er payer un droit de rachat au ministère public. Ce précepte s'étendok aussi sur les animaux; l'homme et la béte devoient être assujettis a la même loi, paree qu'ils appartenoient également au monarque suprème. II en a été de même des autres loix théocratiques, moraiement vraies , er politiquement fausses. Leur mauvaise application en fit dès les premiers rems les principes fondamentaux de la future servitude des nations. Ces loix n'inspiroient que terreur , et ne parloient que de ehitimens, paree qu on ne pouvoit que par de continuels efforts maintenir hs sociétés dans la sphère surnaturelle oü l'on avoit porté leur police et leur gouvernement, Le monarque chez P z  21g Essai philosophique les Juifs endurcis et chez toutes les autres nations étoit moins regardé comme un père et comme un dieu de paix que comme un ange exterminateur. Le mobile de la théocratie avoit donc été la crainte, elle le fut aussi du despotisme. Le dieu des Scithes étoit représenté par une épée; le vrai Dieu chez les Hébreux étoit aussi obligé, a cause de leur caractère , de les menacer continuellement. Tremblez devant mon sanctuaire, leur écrivit-ilj quiconque approchera du lieu oü je réside, sera puni de mort; et ce langage, vrai quelquefois dans la bouche de la religion, fut ensuite ridiculement adopté des despotes Asiatiques, afin de contrefaire en tout la divinité. Chez les Perses et chez les Medes on ne pouvoit voir son roi comme on ne pouvoit voir son dieu sans mourir, et ce fut la le principe de cette invisibilité que les princes orientaux ont aifecté dans tous les tems. La superstition judaïque qui s'étoit imaginée qu'elle ne pouvoit prononcer le nom terrible de Jehovah , qui étoir le grand nom de son monarque, nous a transmis par-la une des étiquettes de cette théocratie primitive dont 1'esprit altéra quelquefois la théocratie judaïque, et qui s'est aussi conservé dans le gouvernement orienral. On y a roujours eu pour principe de cacher le . vrai nom du souverain. C'est un crime de lèze-majesté de le prononcer a Siam; et dans la Perse les ordonnances du prince ne commencent point par son nom, ainsi qu'en Europe, mais par ces mots ridicules et emphatiques : un commandement est sorti de celui auquel 1'univers doit obéir. ( Chard. torn. 6. chap. n). En conséquence de eer usage théocrarique, les princes orientaux ne sont connus de leurs sujets que par des surnoms. Jamais les tiistoriens Grecs n'ont^pu savoir autrefois les véritables noms des rois de Perse, qui se  sur le Gouvernement. ^ 119 eachèrent aux étrangers comme a leurs sujets sous des épithètes attachées a leur souveraine puissance. Hérodote nous dit, liv. y, que Darius signifie exterminateur, et nous pouvons l'en croire, c'est un vrai surnom de despote. Comme il n'y a qu'un Dieu dans 1'univers , et que c'est une vérité qui n'a jamais été totalement obscurcie, les premiers mortels qui le représentèrent, ne manquèrent point aussi de penser qu'il ne falloit qu'un souverain dans le monde. Le dogme de 1'unité de Dieu a donc aussi donné lieu au dogme despotique de 1'unité de puissance, c'est-a-dire au titre de monarque, que tous les despotes se sont arrogé, et qu'ils ont presque toujours cherché a réaliser, en étendant les bornes de leur empire, en détruisant autour d'eux ce qu'ils ne pouvoient posséder, et en méprisant ce que la foiblesse de leurs bras ne pouvoit atteindre. Sous ce point de vue, leurs vasres conquêtes ont été presque toutes des guerres de religion, et leur intolérance polirique n'a été dans son principe qu'une intolérance religieuse. Si nous portons nos yeux sur quelques-uns de ces états orientaux qui ont eu pour particuliere origine la séeularisation des grands prêtres des anciennes théocraties, qui, en quelques lieux, se sont rendus souverains héréditaires, nous y verrons ces images théocratiques afficher jusqu'a 1'éternité même du dieu monarque dont ils ont envahi le trone. C'est un dogme recu en certains lieux de 1'Asie, que le grand Lama des Tartares et que le Kulucha des Calmoucs ne meurent jamais, et qu'ils sont immuables et éternels comme 1'Etre suprème dont ils sont les organes. Ce dogme qui se soutient dans 1'Asie par 1'imposture^ depuis- une infinité de siècles , est aussi recu dans 1'Abyssinie; P 3  ijo Essai phüosophiqne mais il y est spirituellement plus mirigé, paree qu'on y a éludé 1'absucdité par la cruauté. On y empêche le Chitomé, ou prêtre universel, de mourir naturellement, S'il est malade, on 1'étouffe; s'il esr vieux, on 1'assomme, er en cela il est traité comme 1'Apis de rancieune TVLemphis, que l'on noyoit dévotement dans le Nil, lorsqu'il étoit caduc, de peur, sans doute, que par une mort naturelle il ne choquat 1'eternité du dieu monarque qu'il représentoit. Ces ahominables usages nous dévoilent quelle est 1'antiquité de leur origine. Contraires au bien-être des souverains , ils ne sont donc point de leur invention; si les despotes ont hérité des suprêmes avantages de la dréocratie, ils ont aussi été les esclaves et les victimes des ridicules et cruels préjugés dont elle avoit rempli 1'esprit des nations. Au royaume de Saba, dit Dicdore, on lapidoit les princes qui se montroient et qui sortoient de leur palais; c'est qu'ils manquoient a 1'étiquette de 1'invisibilité : nouvelle preuve de tout ce que nous venons de dire. Mais quel contraste ailonsnous présenter 2 ce sont tous les despotes commandant a la nature même. La, ils font fouttter les mers indociles , renversent les montagnes qui s'oppcsent a, leur passage; ici ils se disent les maitres de toutes les terres , de toutes les mers, de tous les fleuves, et se regardent comme les dieux souverains de tous les dieux de 1'univers. Tous les hisroriens moralistes qui ont remarqué ces traits de l'ancien despotisme, n'ont vu dans ces extravagances que les folies particulières de quelques princes insensés; mais pour nous, nous n'y devons voir qu'une conduite autorisée et recue dans le plan des anciens gouvernemens. Ces folies n'ont rien eu de personnel; mais elles ont été 1'ouvrage de ce vice universel qui avoit iufecté la pciice de routes les nations,  sur Ie Gouvernement. 231 L'Amérique qui n'a pas moins conservé que 1'Asie nne multitude de ces erreurs théocratiques , nous en présente ici une des plus remarquables dans le serment que les souverains du Mexique faisoient a leur couronnement et dans 1'engagement qu'ils contractoient lorsqu'ils montoient sur le trone. lis juroient et promettoient que pendant la durée de leur règne les pluies tomberoient a propos dans leur empire; que les fleuves ni les rivières ne se déborderoient point; .que les campagnes seroient fertiles, et que leurs sujers ne recevroient du ciel ni du soleil aucunes malignes influences. Quel a donc été 1'énorme fardeau dont 1 homme se trouva chargé aussi-tót qua la place des symboles brutes et inanimés de la première théocratie , on en eut fait 1'image de la divinité ! II fallut donc qu'il fut le garant de toutes les calamités naturelles qu'il ne pouvoit produire ni empêcher, et la source des biens qu'il ne pouvoit donner. Par-la les souverains se virent confondus avec ces vaines idoles qui avoient encore eu moins de pouvoir qu'eux; er les nations imbécilles les cbligèrent de mèmeasecomporter en dieux, lorsqu'elles n'auroient dü, en les mettant a la tête des sociétés, qu'exiger qu'ils se comportassent toujours en hommes, et qu'ils n'oubliassent jamais qu'ils étoient, par leur nature et par leur foiblesse, égaux a tous ceux qui se soumettoient aeux, sous 1'abri commun de 1'humanité, de la raison et des loix. Paree que ces anciens peuples ont trop demandé a leurs souverains, ils n'en ont rien obtenu; le despotisme est devenu une autorité sans bornes, et 1'impossibilité eü il a été de faire les biens extrêmes quon lui démandoit, n'a pu lui laisser d'autre moven de manifester son énorme puissance, que celui de faire des extravagances et des maux extrêmes. Tout Pi  x'zx Essai •pkilosophique ceci ne prouve - r - il pas encore que le despotisme n'est qu'une idolatrie aussi. stupide devant l'homme raisonnable , que criminelle devant l'homme religieux. LTAmérique pouvoit tenir eet usage de l'Afrique, oü tous les despotes sont encore des dieux de plein exercice. Au royaumes de Toloca, d'Agag, de Monomotapa, de Loango, &c. c'est a leurs souverains que les peuples ont recours pour obtenir de la pluie ou de la sécheresse. C'est eux que l'on prie pour éloigner la pesre, pour guérir les maladies, pour faire cesser la stérilité ou la famine; et dans toutes les saisons de Vannée j on les inveque contre le tonnère et les orages, et dans toutes les circonstances enfin oü l'on a besoin d'un secours surnaturel. L'Asie moderne n'accorde pas moins de pouvoir a quelques-uns de ses souverains; plusieurs prérendent encore rendre la santé aux malades. Les rois de Siam commandent aux élémens et aux génies mal-faisans, et ils leur defendent de gater les biens de la terre, et comme quelques anciens rois d'Egypre, ils ordonnent aux rivières déberdées de rentrer dans leur lit, et de cesser leurs ravages. Nous pouvons mettre aussi au rang des privileges insensés de la théocratie j rimitive I'abus que les souverains orientaux ont toujouts fait de cette foible moitié du genre humain, qu'ils enferment dans leurs serrails, moins pour servir a des plaisirs que la polygamie de leur pays semble leur permettre, que comme une étiquette d'une puissance plus qu'humaine, d'une grandeur surnarurelle en tout. En se rappellant ce que nous avons dit ci-devant des femmes que 1 incontinente théocratie avoit données au Dieu monarquej et des devoirs henteux auxquels elle avoit asservi sa virginité, on ne doutera pas que les symboles des  sur le Gouvernement. 235, dieux n'aient aussi hérité de ce tribut infame, puisque dans les Indes on marie encore solemnellement des idoles de pierre, et que dans 1'ancienne Lybie, comme le rapporre Hérodore au liv. 4, les pères qui marioient leurs filles, étoient obligés de les amener au prince la première nuit de leurs noces pour lui offrir le droit du seigneur. Ces deux anecdotes suffisent sans doute pour montrer 1'origine et la succession d'une étiquette que les despotes ont néeessairement du tenir d'une adminisrration qui avoit avant eux perverti la morale et abusé de la nature humaine. La source du desporisme ainsi connue, il nous reste, pour completter aussi 1'analyse de son histoire, d'esquisser quel a été son sort et sa destjnée envers les ministres théocratiques qui survécurent a la ruine de leur première puissance. La révolution qui placa les despotes sur le none du Dieu monarque j n'a pu se faire sans doure sans exciter et produire beaucoup de disputes entre les anciens et les nouveaux maitres. L'ordre théocratique düt-il voir tranquillement la cause du Dieu monarque intéressée ? 1'élection d'un roi pouvoit être une rébellïon regardée en même tems comme une rébellion et comme une idolatrie. Que de fortes raisons pour inquiéter les rois et pour tourmenter les peuples ! Cet ordre fut le premier ennemi des empires naissans er de la police humaine. II ne cessa de parlér au nom du monarque invisible, pour s'assujéttir lé monarque visible, et c'est depuis cette époque que Ton a souvent vu les deux dignités suprêmes se disputer la primauté, lutter l une contre 1'autre dans le plein et dans le vuide, et se donner alternativement des bornes et des limites idéales qu'elles ent alrernativement franchies , suivant qu'elles ent ' ére pius ou moins secondées des peuples indécis et flor-  *J4 Essai philosophique «ans entre k superstition et Ie progrès des connoissances. . Un reste de respect et d'habitude ayant Lissé subsister les^ anciens symboles de pierre et de métal qu'on auroit dü supprimer, paree que les symboles humains devoient en tenir lieu , ils restèrent sous la direction de lears anciens officiers, qui n eurent plus d'autre occupation que celle de les faire valoir de leur mieux, afin d'artirer de leur cóté, par un culte religieux, les peuples qu'un culte politique attiroit puissamment vers «n autre objet. La cliversion a dü être forte sans doure dès les commencements de la royauté; mais les désordres des. princes ayant bientót diminué 1'arrection qu'on devoit a leur tróne, les hommes retournèrent aux autels des dieux et aux oracles, et rendirent a I'ordre «héocratique presque toute sa première autorité. Ces mini-stres donnèrent bientót sur les despotes eux-mêmes: Ses symboles de pierre commandèrent aux symboles vivans; la consritution des états devint doublé et ambigue , et la réforme que les peuples avoient cru mettre dans leur premier gouvernement, ne servit qua placer une théocratie politique a cóté d'une théocratie rehgieuse, c'est-a-dire qu'a les rendre plus malheureux en doublanr leurs chaines avec leurs préjugés. La personne même des despotes ne se ressentit que trop du vice de leur origine. Si les nations se sont avisées quelquefois d'enchamer les statues de leurs dieux, elles en ont aussi usé de même envers les symboles humains; c'est ce que nous avens déja remarqué chez les peuples de Saba et d'Abissinie , oü les souverains étoient le jouet et la victime des préjugés qui leur avoient donné une existence funeste par ces faux titres ~^e plus, comme 1 origine des premiers despotes, et I'öngine de tous les simulacrcs des dieux étoient la même, les ministres théocratiques les regardèrent SÖfcvént comme des meubles du sanctuaire; et les con-  sur le Gouvernement. zxj sidérant sous les mêmes points de vue que ces idoles primitives qu'ils décoroient de leurs fantaisies , et qu'ils faisoient paroitre ou disparoitre a leur gré , ils se crurent de même en droit de changer sur le trone comme sur 1'autel, ces nouvelles images du dieu monarque, dont ils se croyoient eux seuls véritables ministres. Voila quel a été le titre dont se sont particulièrement servi contre les souverains de 1'ancienne Ethiopië, les ministres idolatres du temple de Méroé. » Quand il leur en " prenoit envie, dit Diodore de Sicile, liv. 3, ils écri" voient aux monarques que les dieux leur ordonnoient w de mourir, et qu'ils ne pouvoient 9ans crime déso" béir au jugement du ciel. Ils ajoutoient a eet ordre » plusieurs autres raisons qui surprenoient aisémept » des hommes simples, prévenus par 1'antiquité de la f coutume, et qui n'avoient pas le génie de résister a » ces commandemens injustes. Cet usage y subsisra « pendant une longue suite de siècles , et les princes r» se soumirent a toutes ces cruehes ordonnances sans v autre contrainte que leur propre superstition. Ce ne » fut que sous Ptolomée second, qu'un prince nommé » Ergamènes, inscruit dans la philosophie des Grecs, " ayant recu un ordre semblable, osa le premier se» couer le joug; il prit j continue notre auteur, une » résolution vraiment digne d'un roi; il assembla son " armée, et marcha contre le temple, détruisit 1'idole » avec ses ministres, et réforma le culte »». C est sans doute 1'expérience de ces tristes excès qui avoit porté dans la plus haute antiquité plusieurs peuples a reconnoitre dans leurs souverains les deux dignités suprêmes dont la division n'avoit pu produire que des effers funestes. On avoit vu en effet dès les premiers tems connus, le sacerdoce souvent uni a 1'empire, et des nations penser que le souverain d'un état en devoit étre le premier magisfrat, Cependant 1'union du dia-  2i6 Essal ph'rfosophique dème et de la thiare ne fut pas chez ces nations sans vice et sans iricónvénient j paree que chez plusieurs d entre elles, le trche n'étoit autre chose que 1'autel qui s'étoit sécularisé, et que chez toutes on cherchoit les titres de cette union dans des préventions théocratiques et mystiques, toutes opposées au bien-être des sociétés. Nous terminerons ici l'histoire du despotisme; nous avons vu son origine, ses usages et ses faux titres ; nous avons suivi les crimes et les malheurs'des despotes dont on ne peut accuser que le vice de 1'administration surnaturelle qui leur avoit été donnée. La théocratie, dans son premier age, avoit pris les hommes pour des justes ; le despotisme les a ensuite regardé comme des méchans. L'une avoit voulu afficher le ciel, 1'autre n'a représenté que les enfers; et ces deux gouvernemens, en supposant des principes extrêmes, qui ne sont point faits pour la terre, ont fait ensemble le malheur du genre humain, dont ils ont charagé le caractère et perveiri la raison. L'idolatrie est venue s'emparer du trone élevé au dieu monarque, elle en a fait son autel; le despotisme a envahi son autel, il en a fait son trone, et une servitude sans bornes a pris la place de cette' précieuse liberté qu'on a voulu affieher et conserver 'par des moyens surnaturels. Ce gouvernement n'est donc qu'une théocratie payenne_, puisqu'il en a tous les usages, tous les titres, et toute 1'absurdité. Arrivé au terme oü I'abus du pouvoir despotique_va faire paroitre en diverses conrrées le gouvernement républicain , c'est ici que dans cette multitude de nations anciennes, qui ont toutes été soumises a une puissance unique et absolue, on va reconnoitre dans quelquesunes certe action physique , qui concourt a forufier  sur le Gouvernement. 2.$J ©ü a affoiblir les préjugés qui commandent ordinairement aux nations de la terre, avec plus d'empire que leurs climats. Lorsque les abus de la première théocratie avoient produit 1'anarchie et Tesclavage, 1'anarchie avoit été le partage de 1'occident, dont tous les peuples devinrent errans et sauvages, et la servitude avoit été le sort des nations sauvages orientales. Les abus du despotisme ayam ensuite fait gémir l'hurnanké , et ces abus setant introduits dans 1'Europe par les législations et les colonies asiatiques , qui y repandirent une seconde fois leurs préjugés et leurs faux principes; cette partie du monde sentit encore la force de son climat: elle souf frit, il est vrai, pendant quel jue tems, mais a la fin 1'esprit de 1'occident renversa dans la Grèce er dans 1'Italie le siège des tyrans qui s'y étoient élevés de toutes parts: et pour rendre aux Européens 1'honneur et la la liberté qu'on leur avoit ravi, eet esprit établit pour tous le gouvernement républicain, le croyant le plus capable de rendre les hommes heureux et libres. On ne s'attend pas sans doute a voir renaitre dans cette révolution les préjugés antiques de la théocratie primitive, jamais les historiens Grecs ou Romains ne nous ont parlé de cathéchimère mystique , et ils sont d'acord ensemble pour nous montrer 1'origine des républiques , dans ja raison perfectionnéé des peuples, er dans les connoissances politiques des plus profonds législateurs. Nous craindrions donc d'avancer un paradoxe en disant le contraire, si nous n'étions soütenus et éclairés par le fil naturel de cette grande chatne des erreurs humaines que nous avons parcourues jusqu'ici avec succès j et qui va de même se prolonger dans les ages que l'on a cru les plus philosophes et les plus sages. Loin que les préjugés théocratiqnes fussent éteints  2 J 8 Èssai philosophique lorsque l'on chassa d'Athènes les Pisistrates et les Tarquins de Rome, ce fut alors qu'ils se réveillèrent plus que jamais; ils influèrent enGore sur ce plan de nouveaux gouvernemens; et comme ils dictèrent les projets de liberté qu'on imagina de toutes parts, ils furent aussi la source de tous les vices politiques dont les législations républicaines ont été affectées et troublées. Le premier acre du peuple d'Athènes après sa délivrance, fut d'élever une statue a Jupiter , et de lui donner le titre de Roi, ne voulant point, en avoir d'autre dans 1'avenir. Ce peuple ne fit donc autre chose alors que rétablir le règne du Dieu monarque, et la théocratie lui parut donc le vérirable et le seul moyen de faire revivre eet ancien age d'or , ou les sociétés heureuses et libres n'avoient eu d'autre souverain que le Dieu qu'elles invoquoienf. Le gouvernement d'un roi théocratique, et la nécessité de sa présence dans toute société, tenoit tellement alors, a la religion des peuples de l'Europe, que malgré 1'horreur qu'ils avoient concue pour les Rois , ils se crurent néanmoins obligés d'en conserver 1'ombre, lorsqu'ils en anéantissoient la réalité. Les Athéniens et les Romains en releguèrent le nom dans le sacerdoce; et les uns en créant un Roi des augures, et les autres un Roi des sacrifices, s'imaginèrent satisfaire par-la aux préjugés qui exigeoient que telles ou telles fonctions ne fussent faites que par des images théoerariques. II est vrai qu'ils eurent un grand soin de renfermer dans des bornes très-étroites le pouvoir de ces prêtres rois; on ne leur donna qu'un faux titre et quelques vaines distincrions; mais il arriva que le peuple ne reconnoissant pour maitre que des diêux invisibles ne forma qu'une société qui n'eut de 1'unité que sous une fausie spéculation , et que chacun en voulut êtte le  sur ie Gouvernement» 2^ maïtre et le centre; et comme ce centre fut par-tout " il ne se trouva nulle part. Nous dirons de plus que lorsque ces premiers r£pubhcains anéantirent Ies Rois, en conservant cependant la royauté, ils y furent encore portés par un reste de ce préjugé antique qui avoit engagé les primitives sociétés a vivre dans 1'attentedu Dieu monarque, donr la ruïne du monde leur avoit fait croire 1'arrivée imtante et prochaine. C'étoit cette fausse opinion tm avoit porté ces sociétés a ne se réunir que sous un *L vernement figure , et a ne se donner qu'une adininistration provisoire. Or on a tout lieu de croire que 1« repuolicams ont eu dans leurs tems quelques moi semblables, paree qu'on retrouve chez eux toutes les ombres de cette attente chimérique. L'Oracle deDelynes promettoitaux Grecs un roi futur, et les SybiU, des Komams leur avoient aussi annoncé pour 1W* un monarque qui les rendroit heureux, et qui étende leur domination par toute la terre. Ce n'a même ét* qua labri de eer^ oracle corrompu que Romemarcha toujours d un pas ferme et sur a 1'empire du monde ex que les Césars s'en emparèrent ensuite. Tous ces óracles religieux n'avoient point eu d'autres princines que lunite future du règne du Dieu monarque, qui avS ;ette dans toutes les sociétés certe ambition turbuW qui a tant de fois ravagé 1'umvers, et qui a porté tous les anciens eonquérans a se regarder comme des dW ou comme les enfans des dieux. Après la destruction des rois d'Israël et de Tuda Pr prés comme les autres républiques. Ils ne rétablirent jomt la royauté ni méme le nom de roi • mais ïhm donncrent la puissance et 1'autorité a I'ordre sacerdotal, et du reste ils vécurent dans I'espérance *e*  i^O Essai philosophique roient un jour un monarque qui leur assujettiroit tous les peuples de la terre; mais ce faux dogme fut ce qui causa leur ruine totale. Ils confondirent cette attente chimérique er charnelle avec 1'attente particuliere oü ils devoient être de notre Messie dont le dogme n avoit aucun rapport aux folies des nations. Au lieu de nespérer qu en eet homme de douleur et ce Dieu caché, qui avoit été promis a leurs pères , les Juifs ne cherchèrent qu'un prince , qu'un conquéranr, et qu'un grand Roi politique. Après avoir troublé 1'Asie pour trouver leur fantóme , bientót ils se dévorèrent les uns les autres; et les Romains indignés engloutirentenfin ces foibles rivaux de leur puissance et de leur ambition religieuse. Cette i frivole attente des nations , n'ayant été autre dans son principe que celle du Dieu monarque , dont la descente ne doit ariver qu'a la fin des tems, elle ne manqua pas de rappeller par la suite les autres dogmes qui en sont inséparables , et de ranimer toutes les antiques terreurs de la fin du monde : aussi vit-on dans ces mêmes circonstances oü la république Romaine alloit se changer en monarchie , les devins de la Toscane annoncer dès le tems de Sylla et de Marius , 1 approche de la révolution des siècles, et les faux oracles de 1'Asie semer parmi les narions ces alarmes et ces fausses terreurs qui ont agi si puissammerat sur les premiers siècles de notre ètre , et qui ont alors produit des ëffëts assez semblables a ceux des ages primitifs. Par cette courte exposition d'une des grandes énigmes de 1'hisroire du moven age, l'on peut juger qu'il s'en falloit beaucoup que les préjugés de Fancienne théocratie russent effacés de 1'esprit des anciens Européens. En proclamant donc un Dieu pour le roi de leur république naissanre, ils adoptèrent nécesairement tous les  sur le Gouvernement. 2.41 les abus et tous les usages qui devoient être la suite de ce premier acte ; et en le renouvellant, ils s efiorcèrent aussi de rarnener les sociétés a eet ancien age d'or et a ce règne surnaturel de justice , de liberté et de simplicité qui en avoir fait le bonheur. Ils ignoroient alors que eet état n'avoit été dans son tems que la suite des anciens malheurs du monde , et 1'effet d'une vertu momentanée et d'une situation extréme qui n'étant pas 1'état habituel du genre humain sur la terre, ne peut faire la base d'une constitution politique qu'on ne doit asseoir que sur un milieu fixe et invariable. Ce fut donc dans ces principes plus brillants que solides, qu'on alla puiser toutes les institutions qui devoient donner la liberté a chaque citoyen , et l'on fonda cette liberté sur 1'égalité de puissance , paree qu'on avoit encore oublié que les anciens n'avoient eu qu'une égalité de misères. Comme on s'imagina que cette égalité, que mille causes physiques et morales ont toujours écartée et écarreronr toujours de la terre; comme on s'imagina , dis-je, que cette égalité écc^t de 1'essence de la liberté, tous les membres d'une république se dirent égaux , ils furent tous rois , tous législateurs ou participans a la législation. Pour maintenir ces glorieuses et dangéreuses chimères, il n'y eüt point d'état républicain qui ne se vit forcé d'avoir recours a des moyens violens et surnaturels. Le mépris des richesses, la communauté des biens , le partage des terres , la suppression de 1'or et de 1'argent monnoyé, 1'abolition des dettes, les repas communs , 1'expulsion des étrangers, la prohibition du commerce, les formes de la police et de la discipline, le nombre et la valeur des voix législatives, enfin une multitude de loix contre le luxe et pour la frugalité publique, les occupèrent et les divisèrent sans cesse. OnédifiokauTome UI. Q  1.^.2 Essai pkilcsophiqu.6 jourd'hui ce qu'il falloit détruire peu après ■, les principes de la sociéré étoient toujours en contradiction avec ceux de 1'état, et les moyens qu'on employoit, étoient toujours faux , paree qu'on appliquoit a des nations nombreuses et formées, des loix , ou plutöt des usages qui ne pouvoient convenir qu'a un age mystique et qu'a des families religieuses. Les républiques se disoient libres, et la liberté fuyoit devant elles; elles vouloient être tranquilles, elles ne le furent jamais; chacun s'y prétendoit égal , etiln'y eut point d'égalité. Enfin ces gouvernemens, pour avoir eu pour point de vue tous les avantages extrêmes des théocraties de 1'age d'or , furent perpéruellement comme ces vaissoaux qui, cherchant des contrées imaginaires, s'exposent sur des mers orageuses, oü après avoir été long-tems tourmentés par d'affreuses tempêtes, vont échouer a la fin sur des écueils , et se briser contre les rochers d'une terre déserte et sauvage. Le systême républicain cherchoit de même une contrée fabuleuse ; il fuyoit le despotisme, et par-tout le despotisme fut sa fin. Telle étoit même la mauvaise constitution de ces gouvernemens jaloux de liberté et d'égalité , que ce despotisme qu'ils haïssoient, en étoit 1'asyle et le soutien. Dans les tems difficiles il a fallu bien souvent que Rome pour sa propre conservation, se soumit volontairement a.des dictateurs souverains. Ce remède violent, qui suspendoit 1'action de toute loi et de toute magistrature, furent la ressource de cette fameuse république dans toutes les circonstances malheureuses oü le vice de sa constitution la plongeoit. L'héroïsme des premiers terns le rendit d'abcrdsalutaire; mais sur la fin , cette dictature se fixa dans une familie; elle y devint héréditaire, et ne produisit plus que d'abominables tyrans.  sur le Gouvernement. zaz Le gouvernement républicain n'a donc été dans son origine qu'une théocratie renouvellée; et comme il en eut le même esprit, il en eut aussi tous les abus, et se termina de même par la servitude. L'un et 1'autre gouvernement eurent ce vice essentiel de ne point donner a la société un lien visible et un centre commun qui la rappellat vers 1'unité, qui la représenrat. Dans 1'aristocratie , ce centre commun n'étoit autre que les grands de la nation en qui résidoit 1'autorité. Mais un titre porté par mille têtes ne pouvant représenrer certe unité, le peuple indécis y fut toujours partagé en factions ou soumis a mille tyrans. La démocratie oü le peuple étoit souverain , fut un autre gouvernement pernicieux a la société, et il ne faut pas être hé dans 1'orient pour le trouver plus ridicule et plus monstrueux. Législateur , sujet et monarque a la fois, tantöt tout, et tantöt rien. Le peuple souverain ne fut jamais qu'un tyran soupgonneux et qu'un sujet indocile qui entretient dans la société des troubles et des dissentions perpétuelles qui la font a la fin succomber sous les ennemis du dedans, et sous ceux qu'on lui fait au-dehors. L'inconstance de ces diverses républiques et leur courte durée sufriroient seules indépendamment du vice de leur origine pour nous faire connoitre que ce gouvernement n'est point fait pour la terre, ni proporrionné au caractère de l'homme 3 ni capable de faire ici-has tout son bonheur possible. Les limites étroites des territoires entre lesquels il a fallu toujours que ces républiques se renfermassent pour conserver leur constitution, nous montrent aussi qu'elles sont incapables de rendre heureuses les grandes sociétés. Quand elles ont voulu vivre exactement suivant leurs principes et les maintenir sans altération , elles ont été obligées de se séparer du reste de la terre; et en effet,  244 Essai philosophique un désert convient autant autour d'une république, qu'autour d'un empire despotique, paree que tout ce qui a ses principes dans le surnaturel, doit vivre seul, et se séparer du monde. Mais par une suire de eet abus nécessaite, la multitude de ces districts républicains fit qu'il y eut moins d'unité qu'il n'y en avoit jamais eu parmi le genre humain. On vit alors une anarchie de. ville en ville co Time on en avoit vu autrefois de particulier a particulier. L'inégalité et la jalousie des républiques entre elles firent répandre autant et plus de sang que le despotisme le plus crue). Les petites sociétés furent détruites par les grandes, et les grandes a leur tour se détruisirent elles-mêmes. L'idolatrie de ces anciennes républiques offriroit encore un vaste champ, oü nous retrouverions facilement tous les détails et tous les usages de eet esprit théocratique qu'elles conservèrent. Nous ne nous y arrêterons pas cependant, mais nous ferons seulement remarquer que si elles consultèrent avec la dernière stupidité le vol des oiseaux et lespoulets sacrés, et si elles ne commencèrent jamais aucune entreprise , soit publique , soit particulière , soit en paix, soit en guerre, sans les avis de leurs devins et de leurs augures, c'est qu'elles ont toujours eu pour principe de ne rien faire sans les ordres de leur monarque théocratique. Ces républiques n'ont été idolatres que par-la, et 1'apostasie de la raison qui a fait le crime et la honte du paganisme , ne pouvoit manquer de se perpétuer par leur gouvernement surnaturel. Malgré 1'aspect désavantageux sous lequel les républiques viennent de se présenter a nos yeux , nous ne pouvons oublier ce que leur histoire a de beau et d'intéressant dans ces exemples étonnans de force, de vertu et de courage qu'elles ont toutes donnés, et  surle Gouvernement. 14j par lesquels elles se sont immortalisées. Ces exemples en erfet ravissent encore notre admiration et affectent tous les cceurs vertueux ; c'est-la le beaucotéde 1'ancienne Rome et d'Athènes. Exposons donc ici les causes de leurs vices. Les républiques ont eu leur age d'or, paree que tous les états surnaturels ont néeessairement dü commencer par-la. Les spéculations théocratiques ayant fait la base des spéculations républicaines , leurs premiers elfets ont dü élever l'homme au-dessus de luimême , lui donner une ame plus qu'humaine, et lui inspirer tous les sentimens qui seuls avoient été capables autrefois de sourenir le gouvernement primitif qu'on vouloit renouveller pour faire paroitre avec lui sur la terre', la vertu , 1'égalité et la liberté. II a fallu que le républicain s'élevat pendant un tems audessus de lui-mème, le point de vue de sa législation étant surnaturel; il a fallu qu'il füt vertueux pendant un tems, sa législation voulant faire rena'itre lage d'or qui avoit été le règne de la vertu; mais il a fallu ala fin que l'homme redevint homme, paree qu'il est fait pour 1'être. Les grands mobiles qui donnèrent alors tant d'éclat aux généreux efforts de i'humanité , furent aussi les causes de leur courte durée. La ferveur de lage d'or s'étoit renouvellée, mais elle fut encore passagère. L'héroïsme avoit reparu dans tout son lustre, mais ils s'éclipsoit de même paree que les prodiges ici-bas ne sont pas ordinaires, er que le surnaturel n'est point fait pour la terre. Quelques-uns ont dit que les vertus de ces anciens républicains n'avoient été que des vertus humaines et de fausses vertus ; pour nous, nous disons le contraire, si elles ont été fausses, c'est paree qu'elles Q 3  1^6 Jtssai philosophique ont été plus qu'humaines ; sans ce vice, elles auroient été plus constantes et plus vraies. L'état des sociétés ne doit point être en effet établi sur le sublime, paree qu'il n'est pas le point fixe, ni le caractère moyen de l'homme , qui souvent ne peut pratiquer la vertu qu'on lui prêche, er qui, plus souvent encore, en abuse lorsqu'il la pratique. Quand il a éteint sa raison , et lorsqu'il a dompté la nature , nous avons toujours vu jusqu'ici qu'il ne la fait, que pour s'élever au-dessus de 1'humanité, et c'est par les mêmes principes que les républiques se sonr perdues après avoir produit des vertus monstrueuses plutót que des vraies vertus, et s'être livrées a des excès contraires a leur bonheur et a la tranquillité du genre humain. La vertu, ce mobile si nécessaire du gouvernement républicain et de tout gouvernement , fondé sur des vues plus qu'humaines , est tellenient un ressort disproportionné dans le monde politique, que dans ces austères républiques de la Grèce et de l'Italie , souvent la plus sublime vertu y étoit punie, et presque toujours maltraité. Rome et Athènes nous en ont donné des preuves qui nous paroissent inconcevables , paree qu'on ne veut jamais prendre l'homme pour ce qu'il est. Le plus grand personnage , le meilleur citoyen , tous ceux enfin qui avoient le plus obligé leur patrie, étoient bannis ou se bannissoient d'eux-mêmes. C'est qu'ils choquoient cette nature humaine qu'on méconnoissoit, c'est qu'ils étoient coupables en vers 1'égalité publique par leur trop de vertu. Nous conclurons donc par le bien et le mal extréme dont les républiques anciennes ont été susceptibles, que leur gouvernement étoit vicieux en tout, paree que préoc-  sur le Gouvernement. 447 cupés des principes théocratiques , il ne pouvoit être que très-éloigné de eet état moyen, qui seul, peut sur la terre arrêter et fixer a leur véritable dégré la süreté , le repos, et le bonheur du genre humain. Les exces du despotisme , les dangers des républiques , et le faux de ces deux gouvernemens issus d'une théocratie chimérique, nous apprendront ce que nous devons penser du gouvernement monarchique, quand même la raison seule ne nous le dicteroit pas. Un état politique, ou le trone du monarque, qui représente 1'unité , a pour fondement les loix de la société sur laquelle il règne doit être le plus sage et le plus heureux de tous. Les principes d'un tel gouvernement sont pris dans la nature de l'homme et de la planette qu'il habite. II est fait pour la terre, comme une république et une véritable théocratie ne sont faites que pour le ciel, et comme le despotisme est fait pour les enfers. L'honneur et la raison qui lui ont donné 1'être , sont les vrais rnobilïs de l'homme. Ccunme cette sublime vertu , dont les républiques n'ont pu nous monrrer que des rayons passagers , sera le mobile constant des justes de 1'empire du ciel; comme la crainre des états despotiques sera 1'unique mobile des méchans daas le tartare; c'est le gouvernement monarchique qui seul a trouvé les vrais moyens de nous faire jouir de tout le bonheur possible, de toute la liberté possible, et de tous les avantages dont l'homme en société peut jouir sur la terre. II n'a point été , comme les anciennes législations, en chercher de chimériques , dont on ne peut constamment user , et dont on peut abuser sans cesse. Ce gouvernement doit donc être regardé comme le chef-d'ccuvre de la raison humaine, et comme le port oü le genre humain, battu de la tempête en chetchant Q4  Essai philosophique une félicité imaginaire , a dü enf.. se rendre pour en trouver une qui fut faite pour lui. Elle est sans doute moins sublime que celle qu'il avoit en vue; mais elle est plus solide , plus réelle et plus vraie sur la terre. C'est-la qu'il a trouvé des rois qui n'affichent plus de divinité, et qui ne peuvent boblier qu'ils sont des hommes. C'est-la qu'il peut les aimer et les respecter, sans les adorer comme de vaines idoles , et sans les craindre comme des dieux exterminateurs. C'est-la que les rois reconnoissent des loix sociables et fondamentales, qui rendent leur trone inébranlable par le concours de leurs sujets heureux , er que les peuples suivent sans peine et sans intrigue des loix antiques et respectables, qui leur ont donné de sages monarques, sous lesquels, depuis une longue succession de siècles, ils jouissent de tous les privileges et de tous les avantages modétés qui distinguent l'homme sociable de 1'esclave de 1'Asie , et du sauvage de 1'Amérique. L'origine de la monarchie ne vient en rien a cette chaine d'événemens et a ces vices communs qui ont hé jusqu'ici les uns aux autres tous les gouvernemens antérieurs ; et c'est ce qui fait particulièrement son bonheur et sa gloire. Comme les anciens préjugés qui faisoient encore par-tout les malheurs du monde, s'étoient éteints dans les glacés du Noïd, nos ancêtres, tous grossiers qu'ils étoient , n'apportèrent dans nos climats que le rroid , ce bon sens avec ce sentiment d «jnnetir qui s'est transmis jusqu'a nous pour èrre a jamais Lune de la monarchie. Cet honneur n'a eté, et ne doit être encore dans son principe , que le sentiment intélieur de la dignité de la nature humaine, que les gouvernemens théocratiques ont dédaigné et avih , que le despotique a détruit, que le républicain a rercé , mais que Ie monarchique a toujoursrespecté ,  sur le Gouvernement. 249 paree que son objet est de gouverner des hommes incapables de cette vive imagination, qui a toujours porté les peuples du Midi aux vices et aux vertus extrêmes. Nos ancêtres trouvèrent ainsi le vrai, qui n'existe que dans un juste milieu; et loin de reconnokre dans leurs chefs des dons surnaturels et une puissance plus qu'humaine , ils se contentèrenr, en les couronnanr, de les élever sur le pavois et de les perter sur leurs épaules , comme pour faire connoitre qu'ils seroient toujours soutenus par la raison publique, conduits par son esprit, et inspirés par ses loix. Bien plus, ils placèrent a cóté d'eux des hommes sages auxquels ils donnèrent la dignité de pairs, non pour les égaler aux rois, mais pour apprendre a ces rois , qu'étant hommes , ils sont égaux a des hommes. Leurs principes humains et modérés n'exigèrent donc point de leurs souverains qu'ils se comporrassent en dieux ; et ces souverains •n'exigèrent point non plus de ces peuples sensés , ni ce sublime dont les mortels sont peu capables, ni eet aviiissement qui les révolte ou qui les degrade. Le gouvernement monarchique prit la terre pour ce qu'elle est j et les hommes pour ce qu'ils sont; il les y laissa jouir des priviléges et des droits attachés a leur naissance , a leur état et a leur facuhé 3 il entretint dans chacun d'eux des sentimens d'honneur qui font 1'harmonie et la consistance de tout le corps politique; et ce qui fait enfin son parfait éloge, c'est qu'en soutenant ce noble orgueil de 1'humanité, il a su tourner a 1'avantage de la société les passions humaines, si funestes a toutes les autres législations qui ont moins cherché a les conduire qu'a les détruire ou a les exalter. Constitution admirable digne de tous nos respects et de tout notre amour ! Chaque corps, chaque société, chaque particulier même y dok avoir une position d'au-  2 J o Essai philosophique tant plus constante , et d'autant plus heureuse , que cette position n'est point établie sur de faux principes, ni fondèe sur des mobiles ou des motifs chimériques, mais sur la raison et sur le caractère des choses d'ici-bas. Ce qu'il y a même de plus estimable dans ce gouvernement, c'esc qu'il n'a point été la suite d'une législation particulière ni d'un systême médité , mais le fruit lent et tardif de la raison dégagée de ces préjugés antiques. II a été 1'ouvrage de la nature qui doit être a bon titre regardée comme la législatrice et comme la loi fondamenrale de eet heureux et sage gouvernement. C'est elle seule qui a donné une législation capable de suivre dans ses progtès le génie du genre humain , et d'élever 1'esprit de chaque gouvernement a mesure que 1'esprit de chaque nation s'éclaire et s'éleve: équilibre sans lequel les deux esprits cherchcient en vain leur repos et leur süreté. Nous n'entrerons point dans le détail des diversités qu'ont entr'clles les monarchies présentes de l'Europe, ni des évênemens qui depuis dix a douze siècles ont produit ces variations. Dans toutes , 1'esprit primitif est toujours le même; s'il a été quelquefois altéré ou changé , c'est paree que les anciennes préveutions des climats oü elles sont venues s'établir , ont cherché a les subjuguer dans ces ages d'ignorance et de superstirions qui prolongèrent peur un tems dans le sommeil le bon sens des nations européennes , et même la religion la plus sainte. Ce fut sous cette ténébreuse époque que ces mêmes préjugés théocratiques qui avoient inirectè les anciens gouvernemens, entreprirent de s'assujetnr aussi les monarchies nouvelles , et que sous mille formes différentes, ils en furent tantót les fiéaux et tantót les corrupteurs. Mais a quoi sert de rappeller un age dont nous détestons aujourd'hui la mémoire  surle Gouvernement. 2ji er dont nous méprisons les faux principes ? qu'il nous serve seulement a montrer que les monarchies n'ont pu être troublées que par des vices étrangers. Sorties du sein de la nature calmes et paisibles , elles n'ont eu de rapport avec les théocraties , filles des fausses terreurs , que par les maux qu'elles en ont recus, seules capables de remplir robjet de la science du gouvernement , qui est de maintenir les hommes en société et de faire le bonheur du monde. Les monarchies y réussiront toujours , en rappellant leur esprit primitif pour éloigner les faux systêmes , en s'appuyant sur une police immuable et sur des loix inaltérablesj afin d'y trouver leur süreté et celle de la société , et en placant entre la raison et 1'humanité , comme en une süre garde , les préjugés théocratiques, s'il y en a qui subsistent encore. Du reste, c'est le progrès des connoissances qui, en agissant sur les puissances et sur la raison publique , continuera de leur apprendre ce qu'il importe pour le vrai bien de la société. C'est a ce seul progrès, qui commande d'une facon invisible er victorieuse a tout ce qui pense dans la nature, qu'il est réservé d'être le législateur de tous les hommes, et de porter insensiblement et sans eftort des lumières nouvelles dans le monde politique j comme il en porte tous les jours dans le monde savant. Nous croirions avoir omis la plus intéressante de nos observations et avoir manqué a leur donner le dégré d'authencité dont elles peuvent être susceptibles, si, après avoir suivi et examiné 1'origine et les principes des divers gouvernemens, nous ne finissions pas par faire remarquer et admirer , qu'elle a été la sagacité d'un des grands hommes de nos jours ., qui sans avoir considéré 1'origine particulière de ces gouvernemens , qu'il auroit cependant encore mieux vu que nous,  lyi Essa'i philosophique a commencé par oü nous venons de finir, et a prescrit néanmoins a chacun d'eux son mobile convenable et ses loix. Nous avons vu que les républiques avoient pris pour modüe lage d'or de la théocratie , c'est-adire le ciel même : c'est la vertu , a dit Montesquieu, qui doit être le mobile du gouvernemenr républicain. Nous avons vu que le despotisme n'avoit cherché qu'a représenrer le monarque exterminateur de la théocrarie des nations : c'est la crainte , a dit encore Montesquieu, qui doit être le mobile du despotisme. C'est 1'honneur, a dit enfin ce législateur de notre age, qui doit être le mobile de la monarchie, et nous avons reconnu en effet que c'est ce gouvernement raisonnable, fait pour la terre, qui laissant a l'homme tout le ressentiment de son état et de son existence , doit être sourenu et conservé par 1'honneur , qui n'est autre chose que le sentiment que nous avons tous de la dignité de notre nature. Quoiqu'aient donc pu dire la passion et 1'ignorance contre les principes du sublime auteur de TEsprit des loix , ils sont aussi vrais que sa sagacite a été grande pour les découvrir et en suivre les effets sans en avoir cherché 1'origine. Mais tel est le privilége du génie, d'être seul capable de connoitre le vrai d'un grand tout , lors même que ce tout lui est inconnu , ou qu'il n'en considéré qu'une partie.  E S O P E FABULISTE.   E S O P E FABULISTE, Ou dissertation sur les incertitudes qui concernent les premiers écrivains de l'antiquité. §. I. Par m i cette multitude de problêmes que 1'étude de 1'antiquité ne cesse de présenter, een est un toujours surprenant et difficile a résoudre que de voir cette antiquité conserver avec soin , et même avec une sorte de religion , les plus belles productions de 1 esprit humain , sans pouvoir quelquefois nous instruire de ce qui concerne personnellement les grands hommes qui en ont été les auteurs, er sans pouvoir nous apprendre quelle a été leur naissance, leur age, leur fortune et même leur patrie. Y auroit-il eu un tems oü la gloire, ce mobile digne de l'homme , n'auroit point été une des vues des écrivains , et oü les nations se seroient contentées de jouir du fruit de leurs études et de leurs veilles, sans leur rendre le tribut de reconnoissance , que toute société policée doit a ceux qui 1'instruisent ou qui 1'immortalisent 2 non sans doute ; et c'est ce qui augmente la difEculté du problême. Demandons a la Grèce quel est le père da 1'Iliade, quel est Hoinère 2 Mille voix qui le réclameront nous feront assez connoitre la haute estime que l'on avoit pour ses ouvrages et pour sa personne. Prêtons cependant une oreille artentive et recueillons les tradirions, nous n'entendrons que des fables ridicdes, er des contrariétés bizarres. II en sera de même  ij6 Esopc Fabuliste. d'Esope , que la Grèce a regardé comme un de ses génies créateurs er comme 1'inventeur de 1'apologue, genre de morale par lequel son nom s'est éternisé , comme celui d'Homère par le poéme épique. L'un et 1'autre ne nous sont connus que par des détails si éloignés de la vraisemblance historique, qu'on a depuis long-tems soupconné que ces noms illustres sont fabuleux, et que cette antiquité qui nous paroit si reculée , n'a point elle-même connu les auteurs de ses ouvrages immortels. Comment allier néanmoins tant de ténébres avec les lumières du siècle qui a vu et qui a fait naitre de telles prcductions, et avec les lumières de ceux qui les ont admirées et qui les ont transmises a leur postérité ? Si je voulais rirer quelques conséquences hisroriques de cette obscurité même, je dirois par rapport aux ceuvres d'Homère que leur siècle, tel qu'il soit, a été suivi de plusieurs siècles d'ignorance qui n'ont conservé són livre que dans la poussière , et qui en ont fait oublier 1'auteur. Je diróis de eet auteur , tel qu'il soit, qu'il n'a pu appartenir qu'a un siècle sociable et très-éclairé, paree qu'il nous présente un génie sublime orné de connoissances très-étendues , et paree que le langage de la Grèce a dans 1'Iliade une beauté, une finesse et une perfection qui n'ont pu être que les suites d'un progrès infini dans le commerce, dans les arts , et dans les lettres. J'avancerois de plus que les Grecs ont dü avoir dans une anriquité, qu'ils ont eux-mêmes méconnue et oubliée, un siècle peut-être comparable a celui de Périclès ou d'Alexandre. Je n'aurois point , il est vrai, d'autre preuvre de cette conjecture que 1'Iliade sortie de la runt du tems , mais avec un tel ouvrage a la main, je m'écrierois, on ne devient point géant en un jour. Pour  Esope Fabuliste. Four ajusrer ces pressentimens avec 1'hisroire et la chronologie de la Grèce, je sacrifierois, s'il le falloit leurs premières annales et leurs marbres même a la jusresse de ces idéés. Si bien des peuples ont eu, a ce que Ion dit, la vanité d'allonger leurs chroniques et leurs annales, on ne peut soupconner les Grecs que de les avoir abrégées et racourcies, et l'on en remarquera mille preuves, si l'on compare leurs tradirions et leur mythologie avec les tradirions et les mytholo-ies des peuples de 1'Asie ou de 1'Egypte. Je recuJerois donc de plusieurs siècles la guerre de Tfoye que l'on place ordinairement au ccmmsncement du tréizième siècle avant notre ère,' et le siècle de cette exFédition ne seroit encore qu'un siècle d'ignorance et d'héroïsme Après quelque intervalle je ferois suivre plusieurs siècles d emulation , de génie et de sociabilité qui faconneroient le langage, qui le feroient monter a son plus haut terme de perfecrion, et qui feroient nairre mille ouvrages, et entre autres une Iliade. Ce bel age seroit suivi d évênemens divers qui changeant la face politici ue de la Grèce, y changeroient aussi pour un tems les loix , les mceurs et le gout. Cette friste époque auroir assez de durée pour disperser presque toutes les prodtictions de lage précédent et les faire négliger pendant plusieurs siècles. Enfin les sciences reparoitroient peu-a-peu , il se trouveroit des princes ou quelques genies heureusement nés qui retireroient de la poussière les débris des siècles passés et qui s'en serviroient pour ranimer 1'émulation et lui montrer de grands modèles. Cette heureuse révolution qui reviendroit la véritable époque du monde historique arriveroit vers le miheu du sixième siècle avant notre ère, er pour lui donner- un terme connu, je ne daterois l'histoire que de la prise de Babylone par Cyrus en j38. Ce prince Tome 111, |^  ajg Esope Eabuliste. a été, comme on sait, le contemporain de Solon et de Croesus, et la monarchie des Perses dont il est le fondateur, est la seule de toutes les monarchies anciennes dont nous connoissions le commencement et la fin. C'est ainsi que je disposerois et que j'allongerois la suite des tems pour y placer ; i °. un siècle aussi éclairé qu'a dü être celui d'Homère; 2°. les siècles qui avoient préparé ce siècle illustre , et 30. ceux qui Tont fait tomber presque en oubli jusqu'au tems de Cyrus, de Croesus et de Pisistrate. Le plus grand changement que cette facon de penser puisse apporter aux idéés recues ne peut concerner que la prise de Troye que je platerois quelques siècles plus haut qu'on ne la place vulgairement. L'époque de cette expédition est si peu décidée, et si isolée de l'histoire , que ce n'est point faire un changement, lorsque l'on suit d'ailleurs i'ordre des choses et la nature des évênemens les plus connus. Si Ton jette un coup d'ceil sur les marbres de Paros qui comprennent depuis le 4e. jusqu'au seizième siècle avant notre ère, et qui nous donnent 7; dates ou époques, on peut remarquer que de ces 7; époques 41 appartiennent aux 6e. , f. et 4". siècles , et sont toutes historiques ; et que des autres qui sont répan* dues sur les 10 siècles antérieurs, il y en a plus des trois quarts mythologiques j et que le reste se réduit a cinq ou six fairs obscurs; d'oü Ton doit néeessairement conclure que le 6e. siècle avant notre ère est le premier qui commence a être vraiment historique. On tirera la même conséquence si Ton fait une semblable observation sur le canon des auteurs Grecs qui ont fleuri dans ces mêmes siècles que comprennent les marbres. Sur 240 écrivains je remarque qu'il y en a 1-7 compris dans les 6e., f. et 4*. siècles, er que  Esope Fdbulhte. z^ les 64 autres , au hombrè dssquels est Homère que Ton place au io°., sent noyés dans des siècles précédens comme dans une vaste toet oü l'histoire ne peut leur assurer aucun point fixe et certam, li seroit ainsi très-raisoriuable de prendre une époque dans un siècle aussi memorable que le 6bt avant notre ère, oü il semble qu'il se soit fait une révoiution qui a porté et arrcté 1'esprit humain vers le vrai. C'est d ailleurs dans ce siècle que Rome devieht" historique par i'élection des consuls; Les beaux siècles qui ont produit 1'Iliade se trouvent donc en erfet fh'vêstis par des siècles de ténèbres, et tous ensemble ils nous présentent trois ages distincts etdifféièns , dontle premier, c'est a dire le plus ancien a pu être un age d'une ignorance raturelle qui aura été la suite des charigèmens physiques arrivés dans le monde ; le secojul a éré certainement un age de lumière er de eonnoissanccs aequises et perfectionnées ; le troisième un age dont 1'ignüraii'ce n'aura été que de rechute , et qui se terminant au 6e. siècle a été suivi d'un nouvel age de lumière qui s'est rhodélé sur celui d Homère, comme on a vu par la suire, et après de paieilles recbütes, d'autres ages se modéler sur ceux d'Auguste et de Périclès. Telles ont été les vicissitudes du génie des nations. Plus on lit les annales du monde , plus l'on y croit appercevoir que 1'esprit humain est comme assujetti.a des périodes régies , qu'il s'élève dans un tems pour tomber dans un autre, et qu'il ne t >mbe que pour se relever ensuite. II est extrêmement nécessaire de sz familiariser avec ce tableau de l'histoire , autrement la clair et 1'obscur dont il est diversifie n? presenteroie.it a. nos yeux que des cbjets confus et inintelligibles; et je crois qu'il importe a la société et a ses progrès R 2  i6o Esope Fabulistc. futurs que les parties les plus claires y soient séparées des parties ténébreuses, et que les unes et les autres y soient au moins esquissées de traits légers qui rendent sensibles les rapports et rharmonie du total. C'est par ce moyen seul que l'on peut établir a la fois 1'existence de la vérité et fexistence de la fable ; alors il en est du plan de l'histoire comme d'une géographie du globe, on y distingue des parties connues, et des parties inconnues, et quoiqu'on ne puisse pénétrer dans ces dernières, on sait au moins vers quelles régions elles sont situées et l'on est certain de leur existence. En présentant cette image des différens siècles de la Grsce, nous avons eu pour objet de rendre une raison générale des incertitudes ou l'on esr tombé dès les premiers tems au sujet de plusieurs écrivains de 1'antiquité» mais si l'on y trouve quelque chose de satisfaisant sur Homère placé au ioe. sièc e er tout enveloppé d'ignorance , il semble que rien de tout ce que nous avons dit ne pourra convenir a la personne d'Esope qui se trouve placé dans le 6e. aux tems de Crcesus et de Cyrus, c'est-a-dire vers cette année 538, que je regarde comme 1 epoque du monde historique, et ccmme rïnstant du renouvellement des sciences chez les Grecs. Pour répondre a cette difficulté , nous nous proposons dans cette dissertation de faire un examen particulier de la légende et de Ia personne de eet écrivain, et d'en suivre pied a pied les détails pour connoitre si eet auteur appartient vérirablement a la Grèce. S'il arrivé que eet examen nous conduise dans une région toute étrangère a cette partie de l'Europe, nous aurons lieu de le regarder lui-même comme étranger , et ce que nous venons de tracer sur les vicissitudes de la Grèce servira de préliminaires a ce que nous aurons aussi lieu de dire sur les vicissitudes des contrées cu  Esope Fabullste. i6t des siècles ou nous aurons été portés. Par-tout oü le fil de ce sujet pourra nous conduire, nous y trouverons sans doute des hommes et néeessairement les mêmes révolurions et le même spectacle. §. II. Les tradirions qui concernent le siècle d'Esope ne sauroient être moins précises ni plus contradictoires qu'elles le sont. En faisant rleurir ce fabuliste sous Croesus, roi de Lydie, elles le font encore contemporain d'un Licerus, roi de Babylone, qu'on ne connoit point ; d'un Nectanèbe , roi d'Egypte , qui a vécu prés de 180 ans après Crcesus, et de cette fameuse Rodope , courtisanne a laquelle on a attribué la construcrion d'une de ces antiques pyramides de Memphis, qui ont été baties au moins 1800 années avant le règne du roi de Lydie. De pareilles anacronismes semblent faire renrrer eet écrivain dans la classe des auteurs qui sont incertains pour le tems, et nous avertir déja de mettre ses ouvrages au nombre de ceux qui ont reparus lors du renouvellement des lettres. En considérant ensuite ses ouvrages mêmes , si l'on en examine 1'objet qui est la mcrale, la matière qui est 1'allégorie, et le style qui en est infiniment simple, et qu'a'u lieu d'y reconnoitre les graces et la fécondité du génie de la Grèce, l'on n'y remarque qiTun caracrère sententieux et qu'un tour d'esprit asiatique ; si 1 on n y trouve qu'une morale concise , séche et parabolique clans le goüt des orientaux qui se sont toujours plu a insrruire par des ligures et des similitudes : peut-être qu'alors on ira jusqu'a soupconner que eet auteur n'a pas même été Gtec, et que 1'époque de Crcesus oü on 1'a placé n'est que 1'époque oü cette ptoducrion étrangère a passé dans l'Europe , et qu Esope enfin (s'il y a eu un écrivain de ce nom parmi les Grecs ) n'en a été que 1'éditeur et le rraducteür. P- 3  2o> Esope Fabuliste. Ce sont-la des soupcons que l'on n'a jamais eu sur Homère, et qui ne peuvent se fbrrner contre lui. Malgré les ténèbres qui enveloppent sa personne et son nom , 1'objet, la matière et le style de 1'Iliade, tout y parle le langage de la Grèce , et tout y appartient aux Grecs. II n'en est pas de même d'Esope, et la nature de ses ouvrages paroit concourir d'autant a le montrer étranger , que les fables de sa légende en font tantót un Ethiopien et tantót un Phrygien. II ne sercit plus alcrs difficile de rendre une raison générale de toutes les fables qui Ie concernent, eiles auroient é:é h fruit de 1'incertitude des Grecs sur un auteur qui leur auroit été inconnu , et ce ne seroit que chez les Orientaux qu'il faudroit chercher a s instruire de la personne et du siècle de cc fabuliste. Suivons donc le chemin qui s'ouvre devant nous ; quelques savans qui nous y ont déja précédé justifieront cette tentative , et s'il est possible de pénétrer plus loin qu'eux , nous interrogerons, les Asiatiques , non-séulemerit sur les ouvrages d'Esope, mais aussi sur les fables de sa légende oü nous croyons remarquer le même caractère oriental, et cü nous avons appercu des anacronismés si grossiers , qu'il est difficile d'en accuser les Grecs, qui n'ont point cessé d'être éelairé; depuis Crcesus. C'est en présentant un autre fabuliste que les peuples de 1'Asie répondent a ceux de l'Europe qui leur présenten; le fabuliste des Grecs, et ce qu'il y a de singulier dans ce concours., c'est que les deux rivaux sont deux esclaves, c'est qu'ils sont également ccntrefairs et de la même manière, qu'ils sont aussi disgraciés de la nature du cóté du coips que ccrnblés du cóté de 1'esprit et du génie. De plus, c'est qu'ils ent a Ia mam, 1'un en grec, 1'autre en arabe, le même  Esope Fabuliste. 103 livre de fables morales, qu'ils y ont traité les mêmes sujets, qu'ils ont tenu les mêmes propos et couru apeu-près les mêmes avantures. Le nom de ce second ou de ce premier Esope est Lochman, surnommé par les Orientaux Alhakhim 3_ c'est-a-dire le sage par excellence, titre d'honneur que nous pourrons aussi rapprocher du nom de notre Esope; il ne faut pour cela qu'écrire Atsophos au lieu de Aisopos comme 1'écrivoient les Grecs, et son nom signirlera de même par la force de 1'alpha additif le tres-sage : il ne sera alors qu'un synonime de 1'épithète oriëntale, et sa racine sera Sophessage, comme celles d'Abia, grande force} et Abios tres-riche ou vieux sont Bia j force j et Bios, la vie ou le nécessaire. On ne peut sans doute qu'être indécis a 1'aspect de deux personnages si semblables par leurs figures et par leurs actions, qu'il faut néeessairement les confondre pour n'en faire qu'un seul être; mais quelle partie voudra se désister de ses prétentions, les sentimens des savans qui sont les juges en cette cause ayant été jusqu'ici partagés. A ne juger que par le caractère de 1'ouvrage réclamé par l'orienr et par 1'occident, on ne peut, ainsi que nous avons dir, pen-' cher qu'en faveur des orientaux, et c'est en erTet 1'opinion la plus sage et la plus suivie. Cependant si l'on vouloit tirer quelques inductions de la facon dom les Grecs ont écrit le nom d'Esope, Aisopos j et du sens qu'ils ont donné a ce nom de visage brüle', c'est-a-dire d'Ethiopien, en le dérivant de Aito , bruler, et de Ops, visage , comme s'il se fut originairenient écrit et prononcé Aitsophos ou Atsopos; il sera difficile de ne les pas soupconner d'avoir au moins eonnibué les premiers a faire de ce fabuliste tantót. R 4  *4 Esope Fabuliste. un noir Ethiopien et tantót un habitant de Ia Phrygie > paree que Phrugos et Phrugios en grec signifient également Brille et Phryglen. Cette étymologie ridicule et mauvaise en soi, ne peut au reste prouver que 1'ignorance des Grecs sur la personne et sur le nom de eet écrivain. Ce nom sans doute étoit oriental, et a juger par le son de Atsophos qui semble avoir fait inventer aux Grecs le portrait de leur Esope, je le ramenerois au nom de ha-Tsopheh qui désignoit dans 1 ancien oriënt un homme qui médlte et qui réfiéchit profondément sur ce qu'il voit. C'étoit un titre d'honneur que les Hébreux, par exemple, donnoient vulgairement aux sages, aux savans et même aux devins et aux prophêtes. Cette étymologie n'est point contraire a celle que nous venons de tirer du grec Sophos, paree que ce mot dérive lui-même de Tsophéhj ainsi que Sldon de Tsidon, et Sahaoth de Tsebaoth. Un sage étoit chez les anciens un homme qui voit et qui pense sur ce qu'il volt. On sait que les Grecs des premiers tems ont donné ce nom de Sophos a ceux que par ia suite ils ont appellé du nom de PhlloSopkos, c'est-a-dire aml de la sagesse; Pithagore est le premier, dit-on, qui ait adopté ce nom modeste oü tous les hommes devroient aspirer. Quoique les Orientaux aient fait de 1'Ethiopie, de la Nubie, er même de 1'Abissinie la patrie de notre second fabuliste, les Persans' en particulier le revendiquent comme un de leurs compatriotes, et prétendent q^ue Lochman est né dans leur ville deKasbin, qui dépendoir autrefois de 1'ancienne Médie. Leur titre nest sans doute qu'une tradition obscure, entretenue chez eux par la vanité et le desir d'avoir produit un grand homme. Nous n'oserions avancer que ce nom de Kasbin dont nous ignorions la signification Per-  Esope Fabuliste. 2.6f sannej ait donné lieu k la tradition. Nous dirons seulement qu en Hébreu ou en Phénicien Khasab signifie penser et réfiéchir (1), et nous ferons remarquer comme une singularité que les noms de Khoseb et de Khosbim qui dérivent de Khasab, sont ceux que 1'écriture a donnés aux ouvriers intelligens qui travailloient a ces fameuses broderies que Tantiquité appelloit opus Phrygionicum, un travail Phrygien. Nous pouvons encore placer ici comme a sa place une observation particulière sur ce Lycerus, roi de Babylone, auprès duquel Esope a fait une si brillante fortune, s'il en faut croire les tradirions de la Grèce. Nous pensons que ce nom, tout-a-fait inconnu aux historiens, pourroit être celui de Cyrus, qui sorti de la Perse et de la Médie, fut le conquérant de Babylone, le plus grand et le premier prince de 1'ancienne monarchie Persanne. Nous croyons que le demi-savant qui a fait passer les tradirions ou les fables des Orientaux chez les Grecs, ayant lu que le fabuliste étoit venu vers Cyrus ad Cyrum 3 et en langue oriëntale Lecores' s aura confondu la préposition avec le nom propre, ce qui aura produit le nom obscur de Lycerus. Si cette conjecture avoit quelque réalité, les Persans pourroient avoir quelque droit de revendiquer notre auteur et de le placer en Médie, mais les chronologies de 1'Asie vont s'opposei a eet arrangement. Lage de Lochman n'est pas plus certain que le lieu de sa naissance. II est aussi impossible d'accorder k ce sujet les Orientaux entre eux , qu'avec les Grecs. Plusieurs le font petit-fils ou arrière-petit-qls de Noé'; (1) Doü Khéilrjn, plu'iosophia. Eccl. 7. a6, c'e«t-a-dire 1'art iet penser.  x66 Esope Fabuliste. d'autres le font contemporain A'Heber3 et quelquesuns le disent petit-neveu & Abraham. II devoit être par conséquent très-proche parent de Jacob et de Joseph; c'est une illustre parente pour un Esope: aussi quelques Orientaux prérendent que Lochman jouissoit du don de prophétie par succession. Ce n'est pas tout : on 1'a fait neveu ou cousin de Job, d'autres lui ont donné tantöt Moyse , et tantót Jonas peur contemporain; enfin le plus grand nombre 1'a iixé au siècle de David et de Salomon ; mais ce qui confond toutes les idéés, ils ont aussi fait de Lochman le précepteur ó!Empedocle , qui a vécu plus de 550 ans après ces princes d'Israël, et ils placent de son tems et de celui de David un roi en Perse, qu'ils nomment Kai-Cosro"., c'est-a-dire le roi Ccsrou. Or, ce nom , qui désigne le soleil, semble n'être encore qu'un dialecte du nom de Cyrus qui signifie la même chose, et que les Grecs ont dit Kuros s et les Hébreux Cores'. Cette multiplité d'époques embrasse environ iyeo ans depuis Arphaxad jusqu'a David et Salomon, et prés de 2000 si l'on y ajoute les yoo années qu'il y a depuis ces princes jusqu'a 1'époque de Crcesus et de Cyrus. C'en est plus qu'il ne faut pour recennoïtre que 1'ignorance des Orientaux sur lage de Lochman égale celle des Grecs sur 1'age d'Esope, eest une autre sorte de simiiltude. Mais ce qui est étrange et ce qui caractérise bien le génie de 1'orient, c'est qu au lieu de convesiir de bonne fci de leurs incert'tudes, les historiens de cette région ont mieux aimé avancer que Lochman avoit vu tcurc-s ces époques et qu'il a vécu pendant tous ces siècles. Les Arabes lui donnent 5000 ans de vie, quelques-uns se cöntentent de ïooo ans, et les plus mo'dérés ne lui en accordent  Esope Fabuliste. 267 pas moins de 300. Voila peut-être l'histoire de toutes ces longues vies si communes dans 1'ancienne Asie. f La scène de la vie de Lochman n'est point dans la Grèce ni dans la Lydie, ni a Babylone, ni en Egypte, comme lont dit les Grecs de leur Esope; C'est dans le pays des Hébreux. Quoique Ethiopien ou Abissin, Lochman avoit 1'avantage d'être Juif d'origine et de religion, et c'est auprès de David et de Salomon qu'il fut amené par sa bonne fortune qui le tira de lesclavage pour en faire 1'ornement de la cour Israëlite. II avoit été berger pendant sa jeunesse et il avoit essuyé de la parr de ses compagnons d'esclavage les mêmes insultes que 1'Esope a, dit-on , recu de la part des siens. Sa figure hideuse et grotesque 1'avoit rendu 1'objet de leur mépris et de leurs railleries, C'est Lochman qui fut accusé d'avoir manga des figues, et qui par son adresse sut convaincre ses ennemis du mensonge. C'est Lochman qui par deux fois présenta des ragouts de langues a son mairre, qui lui avoit demandé tantöt ce qu'il y avoit de meilleur et tantöt ce. quïl y avoit de plus mauvais. C'est Lochman, enfin, qui par scn esprit surmonta tous les obstacles que lui avoit opposé la nature, et qui est devenu le favori et le conseil, non de Crcesus ou de Lycerus, -mais de David er de Salomon. Nous autions sans doute de Ia peine a en trouver des preuves dans la bible, mais ne désespérons de rien; peut-être jusqu'ici n'avons-nous manqué que de bons commentateurs. Quoiqu'il en soit, avouons que nous ne pouvons encore décider entre nos deux fabulistes quel est le véritable et le Jégitime auteur des apologues que nous avons. §. III. Bien n'est plus célèbre dans 1'orient que la  2<58 Esope Fabuliste. science et que la sagesse de Lochman, II savoit tout» devinoit tout, expliquoit tour, et le proverbe y dit encore : il ne faut pas prétendre enseigner quelque chose a Lochman. Telle est la raison du surnom de sage qu'on lui donne dans 1'Asie, comme nous le donnons a Salomon. Cette étonnante sagacité de Lochman nous rappelle qu'Esope étoit de même 1'oracle et la ressource de tous ceux qui avoient des difficultês a résoudre; mais elle semble aussi nous faire enrrevc-ir quelques rapports cachés entre les deux fabulistes et ce fameux roi d'lsraël. Les Orientaux disent par exemple de Lochman, qu'un ange lui ayant annoncé dans un songe, lorsqu'il n'étoit encore qu'esclave, que Dieu vouloit le faire monarque universeler son lieutenant sur la terre \ celui-ci ne lui demanda que la sagesse qui lui fut accordée a grande mesure pour récompense de sa modération et de son désintéressemenr. N'est-ce point le songe de Salomon ? Ils attribuent a ce fabuliste le livre de la sagesse que nous attribuons a ce prince, et disent qu'il a composé dix mille maximes, sentences et apologues, chacunes plus estimables que Ie monde entier; et le recueil qu'ils en conservent s'appelle Amthal j c'est-a-dire proverbes. Sur de si forts indices pouvons-nous douter que Lochman ne soit le même que Salomon, qui a demandé la sagesse, et qui 1'a obtenue dans un songe, qui a fait notre livre de la sagesseet qui a composé des proverbes, et comme le dit positivement 1'écriture ( R. 4. 32. ) 3000 paraholes et yooo poëmes ou cantiques. La similitude et 1'identité sont avérées sans doute, mais il suit de-la, si l'on raisonne juste et si l'on conserve quelque netteté dans ses idéés, que 1'esclave de Xanthus, qu'Esope, n'est lui-même qu'un Salomon.  Esope Fabuliste. 2^ En efTet, qu'on se rappelle que c'est aussi dans un Songe qu'Esope a vu la fortune qui lui délioit la langue et qui son réveil il s'est trouvé doué du talent de la parole qu'il n'avoit point auparavanr. Qu'on remarque ce que les Grecs ont raconté des prodigieuses nchesses de Crcesus, et qu'on le rapproche des immenses trésors et de la magnificence de Salomon qui a été le Crcesus d'Israël. Qu'on prenne garde encore a ce que 1'écriture rapporte sur les usages du tems de Salomon, que les rois de 1'orient s'envoyoient des enigmes par défis, qu'ils voyagoient même les uns chez les autres pour se proposer des quesdons diffi_ cues a resoudre; et qu'on se mette ensuite en mémoire les enigmes que les cours de Babylone et d'Egypte senvoyoient réciproquement du tems d'Esope, et les voyages que faisoit le fabuliste Grec pour en porter lui-même la solution. Toutes ces anecdotes ne présenteront elles pas le même tableau ? Lisons aussi ia légende d Esope, en faisant quelque attention aux diverses sentences qu'on lui a mises dans la bouche, et nous X remarquerons dans toutes le génie, et dans quelquesunesl expression même de plusieurs des proverbes de i Lcnture. Les historiettes qui ont cours en Asie au sujet de f^mon, quoiqu'elles ne soient point contenues dans la bible, nous rappelleront aussi quelques aut es anecdotes de l'histoire d'Esope. II n'est, par exemple question dans cette région que du fameux anneau par* la vertu duquel ce Prince commandoit aux génies, aux oiseaux, aux dives er anv 'i]&ma~L ™ j;. i ' — - uil cione que eet anneau lui fut un jour enlevé par une furie que ce Prince, alors privé de la plus essentielle partie de sa puissance, se vit dans le plus grand embarras, peut-etre même que ce sage Roi en auroit perdu la  *7Ö Esope Fabuliste. tête, mais que dans ces tristes circonstances il fut secouru et soutenu par Asaph qui lui aida a porter le poids du gouvernement. Cet Asaph, disent les Orientaux, étoit un homme infiniment sage, ministre et grand visir de Salomon , et s'il en faut croire nos interpiêtes, c est le même dont il est parlé dans l'histoire de David et dans les pseaumes, comme d'un poëte, d'un musicren et d'un prophéte. Ouvrons présentement la légende d'Esope, on y voit que les Samiens, effrayés de 1'enlèvement de leur anneau public par un aigle, sont ensuite tranquillisés par Esope ± qui leur rend raison de ce prodige, et qui prévient par sa sagesse les malheurs et les dangers dont cet enlèvement les avc.it menacés. Ces similitüdes sont assez grandes pour nous porter a remarquer encore que les noms d'Esope et d'Asaph ne sont pas nort plus fort étrangers 1'uu a 1'autre. Nous ne tarderons pas en effet a découvrir leur grande affinité, quoique l'on prétende que ce dernier a fait les pseaumes dont les titres portent scn nom. Les rapports de Lochman et de Salomon nous ayant conduit aux rapports d'Esope avec le grand Roi d'Israè'1, et ces doublés rapports se ccnfirmant mutuellement les uns par les autres , examinons le nom même de Lochman; peur-être même découvrira-t-il aussi quelques autres nouveautés dont nous po-irrons faire usage pour rillustration de l'histoire. Les Orientaux modernes qui ont donné a leur fabuliste le sumom de al-hakhim, le s ige, ne nous donnent point la signification particulière de son nom de Lochmanet il y a quelque apparërfce qu ils n'en connoissent aucune. Pour nous, nous croyons que ce nom même n'est qu'un dialecte différent et plus  Esope Fabuliste. j^j ancien de ce suraom d'Al-hakhim, et que Ia racine primidve de 1'un et de 1'autre descend du phénicien kHacam 3 un sage et kHocmah 3 la sagesse. Les Arabes modemes qui nomment la sagesse al-Hcchmak démontrent la justesse de notre conjecture, d'ailleurs ces deux noms phéniciens sont ceux que la bible tépète en cent endroits lorsqu'elle appel le Salomon un sage 3 et qu'elle parle de sa sagesse ■ il ne nous faudroit point d'autres preuves de 1'analogie de cs Prince avec notre fabuliste. Pour rendre aussi quelque raison de 1'introduction de la lertre L qui s'est incorporée a son nom, l'on peut dire qu'elle tient lieu d un article qui s'est joint et confondu avec la racine primirive, comme si les Orientaux disoicnt un jour Ltkhmah au lieu Al-Hekhmah , la sagesse; ou bien cueore que ce nom de Lochman n'est qu'un datif anrique a la facon des Hébreux > et que les peuples se sont habitués a le prononcer de la sorte, paree que ceux qui les instruisoient autrefois les renvoyoienc toujours au sage dont ils citoient les préceptes [ c'est encore 1'usage en oriënt de renvoyer proverbialement 1 interprétation de tout ce qui est difficile a Lochman, cest-a-dire aux sages et aux savans. • Cer;te eipÜcatipil ayant presque toutes les probabilités nécessaires, elle resserre d'une facon encore plus étroite les liens qui ont uni jusquici Salomon avec Lochman, et Lochman avec Esope. Ces trois sages n'en feront donc néeessairement qu'un , puisque leurs gestes et leurs ouvrages étant déja les mêmes, leurs noms ou leurs surnoms ne sont que des synönimes. Mais auquel faut-ii donner Texistence; et quel sera^ celui qui absorbera et qui concentrera dans lui seul cette singuliere et nouvelle trinité ? Avant de rien décider sur un sujet qui semble devenir gtave et serieux,  ijl Esope Fabuliste. de plaisant qu'il étoit, remarquons que nous avons passé le terme oü les savans se sont arrêtés qu'il n'étoit question pour eux que de prononcer entre deux parties Esope et les Grecs d'une part, Lochman et les orientaux de 1'autre. Ce qu'ils ont fait chacun selon leur goüt sans étendre leurs idéés et leurs soupcons plus loin. S'ils eussent été plus avant, ils eussent trouvé bien d'autres difhcultés. Les Hébreux que nous venons de rencontrer, sans les chercher cependant, vont a présent s'élever contre les Grecs et contre les Orientaux, et vont reclamer contre toutes les décisions qui ont été faites par nos savans. A les entendre, il n'y aura jamais eu d'Esope chez les Grecs, ni de Lochman chez les Orientaux, et Salomon sera le seul sage et le véritable auteur de tbutes les ceuvres de morale , dont on 1'a dépouillé pour en décorer a ses dépens deux êtres imaginaires. Les plus modérés nous diront qu'Esope n'est tout au plus qu'un pillard de leurs livres saints, qui a vécu 4yo ans après le roi d'Israël; que Lochman ne peut être qu'un plagiaire de la même espèce, etds nous présenteront en effet leurs tradirions et leurs écritures, par lesquelles il est constant que depuis prés de 1800 ans Salomon est en possession non- seulement chez eux, mais aussi chez une infinité d'autres peuples, de tous les ouvrages, dont les anciens Grecs et les Orientaux modernes prétendent iujustement le dépouiller. Comme il est impossible de constater la réputation que Salomon s'est acquise chez toutes les nations du monde, qui ont eu quelques connoissances des sciences et des lettres , rien ne peut faire paroitre plus singulière et plus étonnante la conduite des Orientaux, qui faisant d'ailleurs un cas infini de ce grand prince , dont ils racontent cent merveilles absurdes et bisarres , le pri- vent  Esope Fabuliste. z-x. vent néanmoins de ce qu'il y a de plus noble et de plus solide dans sa sagesse et dans sa gloire, pour en revêtir un être qui paroit n'avoir jamais eu d'existence. Ils lui ont öté, ainsi que nous venons de voir, le livre des proverbes et celui de la sagesse , pour le donner a un fabuliste idéal, et ils en ont usé de même a 1'égard du cantique des cantiques qu'ils n'attribuent pas a la vériré a Lochman mais a Joseph fils de Jacob; ce qui sans doute n'est pas moins étrange, ce patriarche ayant vécu 800 ans avant Salomon. Nous regardons ce cantique célèbre comme une épitalame mysque , composé par ce prince pour son mariage avec la fille d'un Pharaon roi d'Egypte-, et les Orientaux assurenr qu'il n'a été fait que par Joseph pour célébrer ses amours avec Zoléicab fille du Pharaon de son tems, et femme de Putiphar-, du reste ils en font le même usage que nous, et ils pensent qu'on ne doit pas s'y attacher a la lettre. Les vieillards le lisent pour échaui1fer en eux le pur amour , et il est défendu a la jeunesse aui n'a pas besoin d'être échauffée. Dans 1'embarras oü nous sommes de porter quelque jour dans un cahos qui s'obscurcit a mesure que l'on y pénètre, nous ne pouvons que profiter de cette apparition de Joseph pour apprécier aussi les titres qu'il peut avoir chez les Orientaux pour s'unir avec Lochman , et dépouiller avec lui un aussi grand roi que Salomon. Puisque ce patriarche devient partie dans ce procés, nous le mettrons en cause; peut-être la solution finale dépend-elle de lui seul. recherchons donc si ces imaginations orientales n'auroient point cru voir quelque rapport entre Salomon, Lochman et Joseph, et si ces rapports ne seroient point le principe de toutes ces méprises. Nous pouvons d'autant mieux forLome III. S  -74 Esope Fabuliste. mer ce söupcon que quelques-unes, ainsi que nous avons vu , ont fait de Lochman un très-proche patent dsAbraham et de Jacob père de Joseph. §. IV. Nous considerans d'abord Joseph et Salomon , et nous les mesurons 1'un avec 1'autre; s'il y a égalité entre ces deux Kébreux , la bonne géométrie nous dira que le troisième sera égal au premier, puisque ce troisième est déja égal au second, ainsi que nous 1'avons dé montré ; échaurfons notre génie pour mieux imirer les Orientaux et disons, Joseph est 'un des derniers hls de Jacob, il a été le fils de la vieillesse de son père, et son bien aimé par dessus tous ses frères. (Gen. 37, 3.) Salomon a de même été le plus jeune de la nombrcuse familie de David, il est appellé jeddidia, lè bien aimé, et c'est a lui que son père a soumis tous ses frères en lui donnant le sceptre et la couronne. Joseph aussi s'est trouyé le roi de ses frères et de son père même. (2 , R. 12 2; ). L'un et 1'autre ont recu le grand nom de sage. Le premier a été lè plus sage de .toute 1'Egypte, et le second le plus sage de tous les rois de la terre. Si Stomen aépousé la fille d'un Pharaon, une tradition immémoriale dit de Joseph qu'il a été 1'amant de Zoléicab fille d'un autre pharaon, er que c'est pour elle qu'il a composé ces poésies galarites et divines que l'on veut attribuer a Salomon. On a écrit de Salomon que c etoit un prince très-amoureux, et on en a dit autant de Joseph , les Hébreux convienrient que c'étoit un jeune taureau après qui ouroknt les jeunes filies et qui tourncit la tête aux femmes. . Tous les rabbins fent de Salomon un expert en 1'art magique, ils pensent la même chose de Joseph, et possèdent encore un de ses ouvrages sous le nom de  Esope Fabuliste. iy$ mircir de Joseph. Ils ont donné une coupe a Salomon pour deviner, Joseph en avoir une qui lui servoir au même usage, et la génèse en fait foi. C'est aussi avec 1'anneau de Pharaon que Joseph a gouverné toute 1'Egypte, et c'est avec un anneau que Salomon a gouverné la nature. Lorsque ce prince perdit cet anneau, ce fut le visir Asaph qui'soutint le crédit de sou makte, mais ce nom d''Asaph, ( congrégare, colligere, ) qui signifie ramasscf, recueillir ? est la racine même du nom de Joseph ,• qui signiMe celui qui ramasse et qui receuille; ainsi cet Asaph, ministre du roi d'Israël, n'est qu'un doublé emploi de Joseph, ministre d'un roi d'Egypte, dont il est ie sauveur. Nous croyons même entrevoir que les auteurs de la bible ont connu ce rapport au moins confasémcnt, car ils ont nommé Joseph un des fils de cet Asaph. Si. l'on. a dit de Salomon qu'il étoit iustruit de toutes les sciences, qu'il a connu tous les arts, et a écrit sur toutes les parties de la nature, on a dit aussi la même chose de Joseph, au moins dans 1'Egypte. C'esrluiqui en a été le légistateur, et qui a appris aux Egyptiens 1'agriculture , la géométrie , 1'astronomie, la magie, et toutes les sciences cü ce peuple a si fort excellé. Si les habitans de 1'Asie, depuis la Syrië jusqu'au Cachcrriii c: aux Indes, attribuent tout ce qu'ils trouvenr d'antiquité et de monumens dans leur pays au règrfe de Salomon et a la magniacence de ce prince; les Arabes et les Egyptiens mcdernes parient de Joseph sur le même ton; batimens pubiics, greniers, réservoirs, puirs, citerncs, canaux, pyramides même, c'est Joseph qui a tout fait, et le fiis de Jacob est le Salomon de l'Egypté'j comme le fils de David est le Joseph de 1'Asie. Ce sont - la des rapports surs et connus de tout le S x  ij6 Esope Fabuliste. monde, donnons-en d'autres plus savans ; c'est d'après" eux sur-tout qu'il nous sera facile de restituer a Joseph, comme au plus ancien, les ouvrages de morale qui doivent appartenir a 1'auteur de ce cantique des cantiques , que quelques-uns lui ont déja rendu. Parmi les ouvrages compris sous le nom de Salomon , il y en a deux par exemple oü 1'auteur prend le nom de Kohelet de Koheleth, ce que l'on a fort bien rendu par ecclésiaste et ecclésiastique qui signifient en grec celui ( qui assemble), et l'on a regardé ce titre comme une épithète ou un surnom du. fils de David. Mais la racine Kahal qui signifie assembier ainsi que le Kaleo (congregare) des Grecs qui en dérive, n'est qu'un synonime d''Asaph 3 racine du nom de Joseph qui signifie , aussi bien que Kohel 3 celui qui assemble congregator, collector , et ecclesiastes. Faisons voir le même phénomène dans le livre des proverbes. Onlit au ch. 30, v. 1. Ce sont ici les paroles d'AGUR fils de Jaqueh; ce ne sont point-la sans doute les noms de Salomon ni de David; aussi les interprètes ont-ils été fort embarrassés: ils éroient bien loin en eifet de soupconner que ce nom A'Agur n'étoit qu'un autre synonime de Kohel et de Joseph, et que Jaqueh n'étoit de son cóté que le nom de Jacob altéré par la tradition et par un dialecte assez semblable a celui qui fait traduire Jacobus par Jacques. Rien n'est plus vrai et plus positif; cependant Agur vient cYAgar, qui signifie ainsi que Kahal et qu'Asaph ( congregare ) rassembler et amasser. C'est de ce mot phénicien que descendent Ageiro chez les Grecs, Aggerrare 3 Aggregare et Congregare chez les Latins, ainsi que leurs dérivés grex, troupeau et agger, monceau. Des découvertes aussi heureuses qui rendent enfin a Joseph un bien qui lui est dérobé depuis tant de siè-  Esope Fabuliste. ij-r des moins a la vérité par la malice des hommes que par leur ignorance , ne peuvent que nous engager a pousser cet examen jusques sur un troisième nom propre qui se trouve dans le livre des proverbes. C'est au ch. 34 v. i. On lit paroles du roi Larnuel, et dans 1'Hébrcu Lemuel et Lemoel. Nous remarquerons d'abord que pour prendre le sens de ce chapitre, oü l'on voit que c'est une mère qui parle a son rils , la cons truction demande que l'on ne dise point paroles du roi Lamuel, mais paroles adressées ad regem Muil , au roi Muel ou Moei. Secondement que ce nom Moei étant aussi vuide de sens que celui de Lemoel, il ne peut tenir lieu que de Molc ou Melo , dont la racine comme Male (implere j congrégare ) emplir et combler, est aussi employée par Jérémie et Isaïe pour assembier et accumuler. Molé n'est encore qu'un nouveau synonime de Joseph, de Kahel et d'Agur; et Moei, Muel, et Lemoel, ne sont que des noms corrompus comme ceux de Lochman et de Jacqueh. C'est de cette racine Male', rempliret assembier que dérivent chez les Grecs Mala , beaucoup, Melon, troupeau, et chez les Latins Moles, un Mole ; et l'on remarquera que ces dérivés sont raisonnés entre eux et avec leur racine de la même facon que ceux A'Agur, Grex et Agger, que nous avons vu plus haut (i). (1) De Male et de ses dérivés hébreux Millé et Mille, qui désignent ètre coinblé , plénitude et abondance , viennent encore mille, million , milliarl , qui dèsignem chez nou.s de tiès-grands nombres , dont nous avons cependant fixé la va'eur et la proportion. Leur racine origmaire n'a servi nëamnoins qu'a exprimer la plénitude d'un grand nombre en, gènèrai; nous disons encore mi'ïe et mille gens, pour d:re beaucoup de geus, une giande foule , une grande assemblee. De ?a méme source vient le nom de malle, que nous donnons aux ceffres faits pour être remplis de hardes ou de ïnarchandises. S 3  2t8 Esope Fabuliste. Le livre de 1'ecclésiastique, qui quoiqu'incorporé aux autres ouvrages de Salomon, est aussi regardé comme un ouvrage de Jesus, fils de Sirack, pourroit encore par cela même donner matière a quelques autres observations. Pourquoi en effet un seul ouvrage est-il a la fois attribué a deux auteurs canoniques? il y a néeessairement la de dans du vrai et du faux qui indiquent une incertitude originelle. Mais quel est ce fils de Sirach? Plusieurs prétendent qu'il est le même que celui qu'cn appelle le fils de Sira , et dont on conserve aussi des proverbes en Kébreu. Huet qui adopt° cette opinion, croit de plus que 1'auteur de lecclésiastique est le même qu'un certain Joseph qu'il place en Egypte sous Ptolomée Physcon vers 1'an 140 avant notre être-, il y a donc une sorte de fatalité qui veut absolument qne le nom de Joseph soit substitué a celui de Salomon. Peut-être aussi ce nom de Sirach ou de Sira qui embarasse les interprétes, n estil qu'un diminutif du surnom d'Israèl que portoit Jacob et dont la racine est Sarah. II en seroit alors de ce nom d'Israël changé en Sirah, comme de celui Misael compagnon de Daniël qui change en Misach, et il ne seroit pas étonnant que le fils de ce Sirach fut un Joseph; il n'y auroit que la chronologie a réformer. Indépendamment de tous ces titres en faveur de Joseph, nous pcurrions, a 1'exemple des orienraux, qui ont attribué le livre de Hochmah, Ia sagesse, a Lochman j a cause sans doute de 1'analogie des sons, user d'un semblable moyen pour augmenrer les drens de Joseph, et montrer que le ritre du Sophia-Jesou ou Jesdu-Sopkia, Ia sagesse de Jcsus, que les Grecs clonnnent aussi au livre de Salomon appellé ailüeurs ecclésiastique, est aussi ressemblant a Jckousevh ou  Esope. Fabuliste. zj9 Joseph que Hocmah ressemble a Lochman. Nous nous servirions aussi de cette analogie pour rendre raison dc la méprise qui a attribué a un Jésus ce q'tii'dbit n'appartenir qu'a un Joseph, comme Huet le soupconne. Mais avons-nous besoin d'un pareil argument (i); Ayant heureusement terminé le parallele du fils de Jacob et du fils de David, nous aurions tort de nous arrêter dans une carrière qui s'ouvre d'elle-même. Après avoir reconnu d'abord que XEsope des Grecs n étoit que le Lochman des orientaux, après nous ètre ensuite appercu que ce Lochman n'étoit, que XAsaph et le Salomon des Hébreux, et qu'il en étoit aussi de même & Esope ; enfin, après avoir vu que cet Asaph et ce Salomon se confondent dans Joseph, il nous reste néeessairement a rechercher si ce merveilleux eerde ne pourroit point se fermer tout-a-fait par d'autres rapports inconnus et cachés entre Joseph lui-même et nos deux fabulistes. On ne peut, il est vrai, douter de leur intimité par les simtlitudes indirectes que nous avons remarquées jusqu'ici, mais il s'agit d'en avoir, s'il se peut, de plus direcres et de plus proches. Pour abt éger, nous nous dispenserons de ramener Lochman; comme il n'est séparé de Joseph que par Salomon qui leur a donné une main a chacun, et que les Orientaux placent le tombeau du fabuliste prés de Bethléem cü étoit ensevelie Kachel, mère de Joseph ( a B.ama, Gen. 35. 19. ) nous supposerons que l'on a 0) Les Talmudistes appellent /es proverbes et ïecclèsiast. Senaim .Sij.hri kllocmali, c'esi-a-dire les deux livres de Sagesse. Les premiers pères de l'égl.'se ont compris aussi sous le nom de Sagesse , Sophia, tous les ouvrages de Salomon, même son amourcux cantique. - On voit encore par-li pourquoi tous ces différens livres se trouvènt disputés et réclamés par tous ceux dont les noms ou surnoms avoisinent les noms ds sage et de sagêsté en différentes langue'*". S 4  280 Esope Fabuliste. senri leur affinité et même leur consanguiniré. C'est Esope qu'jl. .faut rappeller pour le mettre auprès dö fils de Jacob, c'est-a-dire qu'il faut comparer un Ethiopien noir et difforme, et un monstre qui faisoit peur aux enfans, avec un héros dont 1'écriture et la tradition célébrent a 1'envie la beauté et les graces. ( Hoe opus, hic labor est ). §. V. Le premier trait de ressemblance que j'appercois entre Esope et Joseph, c'est celui de leurs noms, dont la racine commune pourroir se chercher dans Asaph et Jasaph. Le nom grec de Aisophos est si voisin de Iesoph , et de ha-Joseph avec 1'article oriental , et le francois Esope si voisin de celui de Isouph que les Orienraux modernes donnent a Joseph , que l'on pourroit penser que ce ne sont-la qüe des dialectes du même nom, ou que , s'ils ne sont pas les mêmes , ils sont au moins si ressemblans que les anciens ont pu s'y tromper, et cela seul noas suffit. Je vois d'ailleurs qu'Esope et Joseph ont été esclaves, et esclaves toujours injustement enviés et accusés. Je reconnois dans 1'un et dans 1'autre une intelligence singuliere pour la conduite des affaires de leurs'mairres. Tout prospéroit dans la maison de Putiphar entre les mains de Joseph. Esope s'étoit rendu si utile et si nécessaire a Xanrhus , que ce maïtre qui lui prometroit toujours la liberté , la lui refusoit roujours , et qu'il ne la lui donna que lorsqu'il y fut forcé par les Samiens. Si Joseph a été prisonnier avec deux Officiers de Pharaon 1'un panetier 1'autre échansson , Esope a été mis en vente avec deux esclaves, 1'un grammairien et 1'autre musicien. Tous deux ont vu en songe leur grandeur future , et tous deux sont sortis d'esclavage a 1'occasion d'un prodige effrayant qu'ils ont expliqué.  Esope Fabuliste. 281 Tous deux enfin ont excellé dans 1 'interprétation des choses cachées. Esope a été le Joseph de Xanthus et des habitans de Samos, de Lycerus a Babylone, et de Nectanehe en Egypte, et Joseph a été 1'Esope de Pharaon aussi roi dEgypte. Si la femme de Xanthus, a 1'occasion dEsope, a fait un mauvais ménage et a voulu quitter son mari, ou que son esclave fut chassé paree qu'il étoit trop laid, la femme de Puriphar n'en a pas mieux agi : elle a fait chasser Joseph paree qu'il étoit trop beau et qu'il lui avoit plu. Ce doublé tableau ne se ressemble que par le contrasre , c'est qu'il est vraisemblablement 1'ouvrage des Grecs, et il faut avouer qu'ils se sont tirés de ce mauvais pas avec cet esprit qui leur étoit ordinaire. Mais voiei de quoi nous rappeller plus directement l'histoire de Joseph. Esope trop laid et trop hideux dans les tradirions grecques pour briller aux yeux d'une perire maitresse telle que la femme de Xanthus ou de Putiphar, devoit certainement étre a 1'abri du danger qu'avoit eouru le beau Joseph. Mais il essuya un autre malheur de la part d'un fils qu'il avoit adopté, et les suites de ce malheur furent les mêmes pour Esope comme pour le fils de Jacob. Le fils d'Esope eut 1'ingratitude de séduire la concubine de son père , et la noirceur de 1'accuser ensuite lui-même de malversation devant le roi Lycerus dont Esope étoit alors le ministre et le conseil. Les accusations furent si graves que le Prince indigné ordonna précipitament la inert de son favori, qui ne fut sauvé que par la bienveillance d'un officier qui le cacha dans un sépulchre; mais Ennus ( c'est le nom de ce fils ingrat ) mis en possession des biens et des charges de son père, se vit récompensé de son crime. Quelques tems se passèrent. Nectanebe roi  2§i Esope Fabuliste. d"Egypte proposa ensuite , comme il étoit alors d'usage, des problêmes et des énigmes au roi de Babylone. Tous les sages de Chaldée appelles les uns après les autres \ en cherchèrent en vain la solution. Lycerus alors sentil tout le tort qu'il seroit fait en ordonnant la mort d'Esope. II le regretta comme la colonne de son empire, et courant sur son tcmbeau il le pleura , a-peu-près comme un autre prince (i) a pleuré Daniël sur la fosse aux lions ( Dan. 6. zo. ) et il le revit avec les mêmes transports de joie lorsqu'il lui fut enfin rendu par f officier qui 1'avoit soustrait a sa cclère. Esope bientót justifié et rérabli dans ses biens et dans ses emplois, fut envoyé en Egypte pour satisfaire aux questions de Nectanebe et lui en proposer d'autres. II disputa avec le sage de cette fameuse cóntrée , même avec ceux d'Héliopolis , il les confondit tous par 1 etendue de ses conncissances, et combié'd'honneur de la part du roi d'Egypte et de toute sa cour qui le regardèrent comme un prodige de science e: de sagesse ; il revint a Babylone , oü Lycerus ne crut point trop faire que de lui élever une statue d'or. Esope toujours aussi modéré que sage revit alors son coupable fils avec plaisir, it 1'embrassa , il demanda sa grace au B.oi et lui pardonna lui-même. II faudroit être aveugle cu sans mémoire pour ne pas reconnoure dans ce récit presque toutes les aventures de Joseph. On y remarque , il est vrai, des contrastes encore si singuliers qu'il semble que ceux qui (1) L'éciiture apptïle ie pu'uce qui pleura Danie! , Darius le Mede , qui ne dnit étre qu'Astiajes ou Cyrus. Ce a:;i confirme notre soupd? r.u« de plus de S o ans. Ddleurs cette multiplicité de noms propres dans le texte meme des ouvrages attnbués a Salomon sembL ns et ", 5 n°mS Pr°Pres ^ P« unesingularu s n exemple sont tous synonnnes du nom de Joseph T VISlbIef™ cette incerritude existoit dS dans une très-haute et très-profonde SqS é me, entr eux leur commune victoire. Comme, pour juger en cette cause, il est essentiel de bien connöitre les Damp. „ • esse""el nécessiirP A„ 1 P ' °US esnm°'« qu'il est necessaire de les assujettir a cette formalité dWede presenter les titres de leur existence. Nous 2 erons ^ y , , _ ^ ^jJ^JJ de ces apologues pr0Verbes et autres ouvrages de moale qul , objer d ^ ^ - . Joseph comme Ie plus ancien, paroïtra le prem er,, Salomon quoique nis de roi, Ie suivra comme plus eune et plus moderne, et nous n'exigerons d« ous les eux que les pièces consignées dan/les écrt de leur nation: c'est leur monrrer sans doute h ^position la pllls favorable pour 1'examen de leurs Le nom de Joseph, k fe dériver le Ph:s régulier*-  Agg Esope Fabuliste. ment qu'il est possible, peut verilt £ Asaph qui signifie amasser et rassembler, et deplus óter et retirer (Congreg. Collig. et Auferre, Removere ). On peut aussi ' le dériver de Jasaph , ajouter et augmenter ( Addere). Suivant ces deux origines, le nom de Joseph signifiera littéralement celui qui ramasse et qui rassemble, celui qui ajoute et qui augmente , ou bien celui qui óte et qui reüre. Ce sont-la des sens fort opposés , et nous ne nous flattons point de deviner quel est le véritable. La Bible elle-même aussi indécise n'a cru mieux faire que d'adopter a la fois tous ces sens différens. C'étoit, en erfet; le seul moyen de ne pas manquer le véritable. Après une longue stérilité, Rachel ayant enfin donné un fils a Jacob , alors agé de prés de 100 ans , paree qu'il étoit presque d'usage chez les anciens Hébreux que tous les grands hommes fussent les enfans de la stérilité et de la vieillesse , ou de quelque phénomène miraculeux , Rachel, dis-je, comblée de joie et de consolation , sécria Elohvn Asaph, Dieu a Öte 1'opprobre qui me couvroit, et, elle nomma son fils Joseph en disant encore JosephJehovach , que le Seigneur ajoute un second fils a ce premier. Gen. 30. 13. La Bible comme l'on voit a adopté fort adroitement les deux sens X óter et & ajouter. Notre critique occidentale et moderne n'en trouvera peut-être pas 1'éthymologie ou la méthode meilleure ; mais celle de 1'Orient ne voit dans ce passage qu'un coup de maitre, qu'un coup de génie , et c'est même d'après elle que nos théologiens y reconnoissent ladiction du Saint-Esprit. II en sera a eet égard ce que l'on voudra, nous ajouterons seulement que si le nom de Joseph revient dans le sens historique a celui de oté de Dieu ou ajoute de Dieu , II a dans le sens grammatical une force active et non passive, et qu'd signifie plutöt  Esope Fabuliste. i§c> plutot Dieu otant ou Dieu ajoutant, ce qui est moins le nom d'un homme que celui de quelque divinité. Nous pouvons encore présumer de la que la primirive lecture du nom de Joseph aura été Jehoseph qui n'est que la conttadiction de Jehov ah-Joseph comme Eïiasaph , autre nom commun dans 1'écriture , n'est aussi que la contradiction de ELohim-Asaph, Notre conjecture pourroit n'avoir pas de réalité , cependant il paroir , par les propos que l'on a mis dans la bouche de Rachel , qu'on s'esr plu a considéter le nom de Joseph sous cet aspect composé. Nous trouvolis encore deux atirres mots rj"i,s'ils ne sont pas les racuies du nom de Joseph paroissent au moins avoir été les racines de son histoiie, c'est d'abord Khasaph qui signifie révéler et decouvrir; c'est en qtioi a excellé ce patriarche, et ce qui lui a fait faire une si haute fortune. Comme x;e mot signifie encore mettre a nud et dévnikr, il semble qu'il nous explique pourquoi Esope dont on a fait aussi un grand revelateur, a eu la témérité de decouvrir et de met;re a nud les fesses de sa maïtresse , a ce que dit ie bon Planude. Notre second terme est le nom d'Asaph, autrement écrit que le premier et que le second , cueiqu'il sigirifie de même que le précédent, un homme qui prédit l'avenir, et qui interyrctc les songes. Ancwn titre ne peut mieux convenir a Joseph , et suivant cette étymologie, son nom signifiera le Jehovah revelateur; c'est ce que ses frères ont rendu, en effer, par une autre expression, en 1'appellant Baalh -khalomoth, le Dieu ou le makre des songes. ( Gen, 37, 10) et les Egyptiens en lui donnant le nom de Tsophenath-paaneach , révélatf.ur et interprête des choses-' cachc'cs. Tout le destin de Joseph étoit donc écrit dans son nom. Mais ce qui fait voir combien les anciens Tome III. T  290 Esope Fabuliste. Hébreux qui ont composé son histoire, ont été exacts et attentifs a concilier et a marier ensemble les doublés et les triples sens , et les divers dialectes du mot Asaph, c est que tous les songes qu'on lui fait deviner ne parient que de froment et de gerbe, de pain 3 et de moisson , paree que amas, récolte et moisson dérivent d'amasser et recueillir, première signification de son nom. C'est que tantöt il se sert de ses songes pour deviner V'abondance et la vie, et tantöt fout -deviner la stérilité' , la famine et la mort; en quoi il est visible qu'on a encore eu 1'attention de ne pas oublier les deux autres sens de son nom qui signifie tantöt ajouter et augmenter, et tantöt oter , retirer et même finir et mourir; il devoit être néeessairement par la Yoracle de toute augmentation et de toute privation. C'est de plus encore paree qu''Asaph signifie amasser, qu'il recoit de Pharaon le pouvoir de ramasser ( Gen. 41, 47. ) tous les bleds d'Egypte dans les sept années d'abondance , et que dans les sept années de stérilité il se sert de ce bied pour ramasser (Gen. 42 , 47 , ) rout 1'argent des Egyptiens et 1'accumuler dans les trésors du Prince en rendant ses sujets pauvres et esclaves. La conduite n'est pas louable ; mais le blame doit en retomber sur son nom qui a encore donné lieu a la tradition qui lui attribue la consrruction des greniers paree qu'ils servent a amasserle bied. De ce que son nom signifie augmenter, tout augmente et tout fructifie dans la maison de Putiphar a cause de Joseph; (Gen. 39, 5.) et lorsqu'il est béni par son père, celui-ci lui dit, (Gen. 49 , 22) « mon fils est un fils augmentant et un aïbrefructifïant » de plus en plus, que le Dieu de mes pères ajoute » sur lui benediction sur bénédiction , et les bénédic» tions d'en-haut, et les bénédictions d'en bas , et les  Esope Fabuliste. *» bénédictions des mamelies , et les bénédictions des » entrailles fécondes. Que ces bénédictions comblées » sur sa tête 1'emportent sur les bénédictions accordées " a ses pères». Moyse de même neut pas moins d'égard au nom de Joseph, lorsqu'a rimitatioii de Jacob il voulut aussi bénir les tribus. Celle d'Ephraim et de Manassé sous le nom commun de Joseph (Deut. 33 , 13) leur père furent comblées plus que toutes les autres de bénédictions énergiques et multipliées a l'infini; il répéta les bénédictions de Jacob; il y en ajouta de nouvelles , et dit en finissant, telle seront les mul titudes ihnombrables d'Ephraim 3 et les millions de Manassé. On ne dit point que les autres tribus ayentété jalouses de tant de prédilections, mais il y a lieu de croire que les enfans de Joseph onr cependant voulu s'en prévaloir. Après le partage de Canaan , lorsque tous les enfans de Jacob étoient contens de leur sort, les enfans de Joseph seuls osèrènt se plaindre de n avoir pas assez , et demandèrent que leur partage fut augmenté ; (Jos. 17, 14.) c'est qu'ils n'avoient pas encore oublié la valeur du nom de leur père. Que dirons-nous aussi sur la beauté de Joseph ? pouvoit-il manquer d'être distingué du reste des hommes , par cet avantage extérieur comme il 1'étoit par sés talens pour deviner, amasser et augmenter\ Jés ipheh veut dire 11 est beau , (Gen. 39 , 6 ,) donc on a dü le peindre en disant Joseph-lpheh, Joseph le beau, cömme nous disons Phliïppe-le-bel, er c'est de-la que la tradition a dü aussi imaginer qu'il portoit sur son épaule un je ne sals quol _, brlllant comme une étoile, paree que le mot ïpheh écrit plus simplement ïphe signifie brillanr, resplendissant. Tels sont les titres produits par Joseph pour nous convaincre de son existence, et sur lesquels nous T x  2^2. Esope Fabuliste. opinons qu'il ne soit point admis a réclamer les ouvrages contestés, et qu'on raye même de dessous sort nom les faits, les dits , et les écrits que l'histoire et la tradition lui ont faussement attribués jusqu'a ces j ours de lumières. Nous les rejettons paree qu'ils ne nous présentent qu'une fable faire a plaisir , & qu'une légende composée selon les principes des premiers romanciers de 1'antiquké oriëntale , qui privés de génie et d'invention autant que de sincérité, ne se sonr servis que de leurs yeux pour chercher dans un nom tous les détails que les divers sens qu'on y donnoit ou qu'on y voyoit , pouvoit ofFrir a leur imagination sterile et dépravée. Si nous voulions prendre ici le langage d'un moderne, nous dirions que Joseph n'est tout au plus qu'un Horus laboureur ou qu'une Cérès masculinc, et qu'il n'a été dans son principe qu'un Dieu; c'est adire qu'un symbole de la moisson , dont les Eyptiens ont fait d'abord un legislateut agricole , et dont les Hébreux ont fait ensuite un patriarche chargé du soin de nourrir son père et sa familie. En 1'envisageanf encore du cóté des ouvrages de morale qui lui onr été attribués, nous pourrions aussi en faire un trismégiste, mais par-la nous lui donnerions peut être encore trop d'existence ; faisons cependant une remarque en faveur de son nom qui peut n'être. pas aussi fabuleux que sort histcire. C'est que les Egyptiens ont eu dans la dynastie de Thèbe un roi nommé Siphoas , er que ce nom r.'est pas tout-a-fait étranger a celui de Joseph ou a sa sa racine; que l'on a atrribué a ce Prince qui est bien plus ancien que notie Hébreu une sagesse et une prudence infinie ; qu'il a composé , dit-on , beaucoup de poésies et d'ouvrages de morale ; que ces ouvrages ont ére conservés bien des années en Egypte , que les Saints Pères même en ont connu qui traicoient de la sa-  Esope Fabuliste. 195 gesse et de la puissance (1) de Dieu, et qu'ils ont eu pour ces livres beaucoup de respect et de vénération ; que Siphoas avoit recu des Grecs le nom de Trismégiste et de Second Hennes , et que l'histoire le dit fils de Vuleain , er luj donne quatorze années de règne; ce qui ressemble en quelque chose a ce que l'on marqué de Joseph qu'il a commandé en Egypte pendant les quatorze années d'abondance er de famine, qu'il a fait djiirrens ouvrages de poésies, de morale , de magie et que son p£rè Jacob étoit boiteux. Mais ce second Hennes nous doit faire remonter jusqu'a Acothis ou premier Hermès, qui se vante d'avoir précedé le second de plus de mille ans : c'est en effet a lui que d'autres traditions attribuent 1'invention de la géométrie, de 1'arpentage, de 1'astronomie , de la médecine , de la musique , &c ; c'est lui qui le premier a étudié la nature des débordemens du Nil et du terroir de 1'Egypte , qui a troavé le moyen de prévoir par la mesure des eaux les années d'abondance et de stérilité, et de poutvoir a la police des grams et aux malheurs des disettes ; c'est lui d'ailleurs qui a fait le premier des corps de loix et de morale , nous pourrions ce semble y ramener enfin no ie Joseph ; mais ces Hermès ne sont-ils pas eux-mèmes des personnages trop apocnphes! Ils en ont trop fait pour avoir fait quelque chose, et nous les réjettóris eux et leurs semblables, par certe raison qu'ils ont possédé la science universelle ; il est tems de faire approcher Salomon. §. VIL Salomon , que les Orientaux modernes nomment Soliman , est appellé par les Hébreux Selomoh, qui peut se dire aussi Selmc , Selom et Salmo. Son (1) La Too nandre ; cet ouyrage commence par un songe oü Mercur» tleiuaude a Dieu Ia science ct ia aagesse. T 5  15>4 Esope Fabuliste. unique racine est Salam , pacifier et perfectionner} d'oü dérivent paix , pacifique , pacificateur , et fin, accomplissement, perfection , finir , accomplir , être parfait. C'est d'après ces divers sens tant actifs que passifs que 1'Esprit révélé a écrit. i°. Que Salomon a été un prince pacifique , qu'il n'a fait la guerre a personne, et que personne ne lui a fait la guerre, que son règne a été un age de paix et de repos , un véritable age d'or pendant lequel le peuple d'Israël a vécu paisiblement et joyeusement sous ses pampres et sous ses raisins. ( 3 Ro, 4. 2J. ) x°. Que Salomon eut un cceur parfait, qu'il fut un prince accompli en vertu, en science, en sagesse,et que 1'empire d'Israël fut de son tems au comble de sa splendeur et au plus haut période de sa puissance. ( 1 par. 19. 19 ). 30. Que Salomon a accompli tous les projets de David son père, qu il a consommé tous les trésors et tous les matériaux que celui-ei avoit amassés pour construire le temple du Seigneur, qu'il en a fait un temple parfait, qu'il 1'a seul commencè,perfectionné et fint, et qu'après 1'avoir conduit avec intelligence et sagesse a uue heureuse fin , il a offert des milliers d'hosties pacifiques. Enfin que ce même Salomon, ( Selamim ) a été comme un second fondateur de la ville de Salem oü il étoit né, qu'il 1'a aggrandie , embellie et perfectionnée, ( 3 R. 8. 63. ) Telle a été aussi dans son tems la vertu du nom de Salomon ; devons-nous nous étonner s'il est devenu dans l'histoire le plus heureux et le plus parfait , le plus magnifique et le plus grand roi du monde ? II a bien fallu que les évênemens se soient pliés sous la force et la puissance de ce graud nom. Ce prince étoir d'ailleurs prédestiné a batir le temple du Seigneur^. David son père avoit eu cette ambition , mais Dieu lui avoit dit: tu es un homme de sang , et ce sera ton  Esope Fabuliste. fis auquel je donnerai l'intelligence qui me batira une maison , ben banum ibenthe 3 filius intelligens étdificabit. ( 3. R 3. ) Expression heureuse , puisque ben veut dire uh fils, ban , intelligence 3 banum , intelligent , banah 3 batir et beneth 3 une maison. ( 12 par. 22. 10. ) Et certes une langue est divine qui se prête ainsi aux desseins et aux vues de la divinité. Salomon a recu le don de la sagesse , paree que Dieu lui ayant dit dans un songe, ,Selomoh Sal-mah3 Salomon postula quid 3 demande quelque chose, ( 3. R. 3. 5. ) Ce prince lui demanda la sagesse , qu'il obtint avec le don des sciences, attendu que sagesse et science 3 sage et savant 3 n'étoient qu'une seule et même chose chez les anciens. II ne 1'eut pas plutot ebtenue que sa renommée vole au bout du monde, une reine accourt des extrémités du midi pour lui proposer des énigmes, ou s'il en faut croire la tradicion, pour lui demander la même grace que la reine des Scythes a demandée a Alexandre; et elle s'en retourne émerveillée et satisfaite de l'universalité de ses talens. L'historiên Josephe donne a certe princesse avide de sagesse le nom de Nicaulis et le titre de reine d'Egypte et d'Ethiopie , mais on ne cennoït que Nitocris qui selon Hérodote air été reine de ces deux royaumes , et comme ce dernier nom désignoit en Egypte Minerve la déesse de ia sagesse, il est vraisemblabie que c'est le nom de Nitocris que Josephe a voulu dire , puisqu'il étoit très-naturel de placer une Minerve auprès du roi des Sages. Si les Hébreux de leur coté en ont fait une reine de Saba , peut-être est-ce paree que Sabb qui signifie Sage chez les Cophtes modernes avoit aussi cette signification chez les anciens. Les Orientaux font encore bcavcoup de récit d'un oiseau de cette princesse qui lui servoit T 4  296 Esope Fabuliste. de messager auprès du roi d'Israël. II est a croire que cet oiseau qu "ils disent être la Huppe , étoit quelque symbole de la Minerve Egyprienne, comme la Chouette étoit celui de la Grecque; ce que l'on sait de plus positif a cet égard, c'est qu'en Ethiopië et en Egypte la Huppe étoit le symbole des vents du midi, et que chez les Hébreux Ruach qui signiiioit le vent , désignoit aussi 1'esprit ,- 1'ame intelleetive , un génie aënen , et même un Ange. Foyex l'histoire du Ciel. Voulons-nous actuellement savoir avec quelque précision a quoi fur employé ce don de sagesse que recut Salomon. i°. Renversez les syllabes de Salam racine de son nom, et masal oui en proviendra, vous fera connoitre qu'il a composé des paraboles, des énigmes , et des allégories , c'est ce que ce verbe signifie. 2°. Prononcez Salem on Salam en un autre dialecte et dites T Selcm , vous verrez alors qu'il est 1'inventeur des T Salismans que nous disons Talismans , et qu'il a possédé la magie noire , paree que T Salomon signifie obscurité 3 ténil.rcs , phantóme 'et image- noire. \ ons saurez de plus pourquoi'ce prince a honoré et ad.M'é dés sur.ulacres et des idoles, c'est que T Selem signifie aussi Idole et Simulacre. On découvre par-la quelies out été les sources de la grandeur et de la science de ce prince , ainsi que les causes de la chüte de sa sugesse , cliike bizarre pour un Sage , et tous les. interprêtes en ont été étonnés; mais les principes cabahstiqu.es de ceux qui lui ont donné 1'existence ou qui ont au moins composé sa légende et sa vie, pouvoient-ils conduire leur héros a une fin meilleure et plus raisonnable ? Salomon ne sera donc encore pour nous qu'un être mythclogique dont Ie nom a fait la fortune. Ce nom est infiniment ancien dans les fables orientales; eUes,.  Esope Fabuliste. zyj admettent qu'avant Adam il y a eu une suite de soixante et douze monarques tous appelles Salomon, que toute la terre assujettie a leurs loix ne formoit qu'un seul empire , qu'ils avoient une puissance égale sur les fées, les génies , les dives et les élémens, comme sur les hommes , et qu'ils ont eté possesseurs et héritiers de race en race du bouclier merveilleux qui les rendoit invisibles , et auquel écoit attaché le bonheur de leur monarchie. II nous seroit très-facile de démontrer que le fils de David n'est qu'un de ces Salomons fabuleux qu'on a voulu rendre historique , et qu'attendu son nom de Pacifique son siècle ne doit être ramené qu'a ce chimérique age d'or des poëtes, et sa personne a celles des Janus , des Saturnes , &c. (i). Nous ne nous engagerons point cependant dans un paralelle qu'on peut regarder a présent comme un superflu. La seule smgularité qu'on ne peut se dispenser de présenter, c'esr que depuis ce fameux bouclier des Salomons primitifs on les voit toujours afiêctés aux rois pacifiques. Le hls de David en fit faire yoo dont il déposa une partie dans le temple , et le reste porté devant lui servcit a la pompe de ses matches. On remarque de même qu'au tems du Salomon de 1'ancienne Rome , c'est-a-dire du pacifique Numa , il tombe un bouclier sacré du Ciel qui doit être la sauve-garde et le Palladium de son royaume, qu'il en fait faire onze autres semblables , et qu'il les dépose avec le premier dans un temple; d'oü les Saliens par la suite les tirèrent et (i) Quelqu'un qui démontreroit que Janus, Hermés et Henoch tont les meines pouiroit cipliquer une fahle particuliere des Rabbins sur uit Salomon qui doit revenir comme Henoch k Ia fin des tems. Ce qui esc neja certdin c'est que les Sts. Pères ont confondu ce! Hermès avec Henoch, et que dans cet ouvrage les Heraiès se conlondeijt avec Salanlon , aussi bien qn'ayec Joseph.  15>8 Esope Fabuliste. les portèrent rous les ans en trioinphe en dansant et sautanr. On tirera de-la telle conséquence qu'on jugera a propos sur L'authenticitê suspecte des rois de Rome-, mais quels jugemens porterons-nous enfin des Hébreux, et de 1'accord que nous retrouvons entre ce qu on appelle 1'histoire de la bible , et ce qu on qualifie de conté et de fable rabbinique ? C'est que 1'un et 1'autre ont la même antiquité, et que l'on a eu tort de regarder les propos des Rabbins comme des inventions modernes. C est qu'il n'y a eu qu'une source commune pour ces histoires et pour ces fables , qu'elles doivent réciproquemenr se servir de supplément , et que le hazard qui, en les faisant connoïtre séparément, a fait avoir pour 1'une de la confiance et du respect, et qui a fait ridiculiser et réprouver 1'autre , auroir pu produire des efFets contraires, si le corps des Deuteroses judai'ques eüt été connu avant le recueil que Je tems a ccnsacré. Telle est en effet la tournure de 1'esprit humain que les premiers venus soient les mieux recus et les plus honorés. § VIII. Joseph er Salomon ayant mérité le même traitement qu'Esope et Lochman , ce n'est plus qua 1'anriquité en général que nous pouvons attribuer les dittérens ouvrages qu'ils ont tous injustement réclamés. La seule certitude oü nous ayons pu parvenir après avoir parcouru tanr de régions et tant de légendes, c'est que dès les premiers tems connus et dans une trèshaute antiquité les Orientaux et les Egyptiens ont eu des ouvrages de morale dont ils ignoroient dès-lors 1'origine et la source , et que ces ouvrages tantöt réunis en un corps, tantöt divisés et le plus souvent altérés et mutilés ont été attribués dage en age a tous ceux que diverses fables et diverses traditions ont fait regarder comme ayant été plus sages et plus instruits  Esope Fabuliste. 295 que les aurres hommes. Tout ceci nous représenté pour 1'Asie le même tableau que nous avons considéré chez les Grecs a 1'occasion d'homère. Imaginons donc pour ces vastes et antiques contrées , non une confusion des langues comme on le rapporte , mais une confusion véritable et réelle arrivée dans l'histoire. Représentons-nous des tems de luw mière et d'obscurité , et des ages de connoissance et d'ignorance qui se suivent alternativement; voyons les bibliothèques et les monumens pillés et dispersés par cent peuples barbares ; considérons ces barbares qui les déchirent et qui les brülent en partie, qui se civilisent ensuite eux-mêmes et qui s'efforcent de rassembler les tristes restes de 1'antiquité pour les étudier a leur tour en les regardant comme les ouvrages de leurs ancêtres; remarquons que toutes ces nouvelles nations se disputent ces fragmens informes et précieux , et qu'elles se les révendiquent les uns sur les autres en se fabriquant de faux titres. Imaginons enfin que cette confusion arrivé plusieurs fois , que l'histoire se change en mythologie et que la mythologie redevient histoire., que cette histoire redevient encore fable, et que la fable se corrompt elle-même, ce sera la la solution de toutes les énigmes qui se sont montrées dans cet ouvrage , et le vrai rableau de tous les siècles qui dans 1'Asie comme dans l'Europe ont précédé 1 epoque de Cyrus. Tous ces évênemens nous sont inconnus, il est vrai, jamais neus n'avons trouvé le détail de ces révolutions, mais les efFets sont trop sensibles pour que les causes puissent être révoquées en doute. Quoiqu'il soit incontestable que 1'Asie est la partie du monde c ü les sciences ont été le plus anciennement cultivées, et que ce soit dans 1'Orient oü 1'état de so-  '500 Esopé Fahüllste. 'ciété ait recommencé a paroïtre après ces révolutions «3e la nature qui avoient rendu le genre humain sauvage et vagabond sur la surface d'une terre malheureuse , on ne peut disconvenir que cette région ne soit cependant la moins historique qu'il y ait sur la terre. Exceptez-en le peu que vous en ont dit les Grecs lorsque leur situation politique les a unis avec les Perses et les Syriens 3 l'histoire de 1'Asie jusqu'a notre ère vulgaire nous est aussi inconnue que 1'est celle de 1'Amérique. Qu'on mette a part si l'on veut les Chinois qui ne ressemblent présqu'en rien a tous les peuples du monde. Ce n'est pas que nous n'ayons une infinité de témoignages que les diverses nations de 1'Asie n ont point négligé le soi'.i de leurs annales , mais par un malheur et par une fatalité singulière tout ce qu'elles ent écrit a eté déa'uit , er rien de vrai et d'original n'a pu 5e transmettre jusqu'a nous. Nous devons en aecusér sans doute les grandes révolutions oü les empires de 1'Asie ont toujours été exposés. Ils n'ont point connu les guerres de commerce et de politique , qui maintiennent 1'équilibre des nations et qui les conservent elles-mêmes , ils ne se sont fairs que des guerres d'animosité et d'ambition qui successivement leur ont été fatales a tous. Les invasions des barbares dépla^oient les vainqueurs les conquêtes des empires depla:oient ordinairement les vaincus , et dans 1'un et 1'autre cas une ou plusieurs nations disparoissoit de son domicile ordinaire , ce qui ne pouvoit qu'entra'iner la destruction ou la confusion de ses monumens et de ses annales. A cette raison nous pouvons et même nous devons encore en ajouter d'autres pour prévenir, 1'objection 'qu'ón peut nous fairé, en nous demandant pourquoi  Esope Fahulistei $df ces révolutions qui ont détruit les livres historiques de 1'Asie n'ont point détruit des livres de morale dont t antiquité paroit cependant si certains, qu'on ne peut leur refuser plusieurs miliers d'années avant 1'ère vulgaire. Nous répondi'ons d'abord que les Orientaux ont eu dans tous les tems un goüt particulier pour la morale, que cette morale a été la première religion des hommes, er que les livres qui en ont trairé étant tous les livres d'instructions et d'éducation, ont été plus répandus et plus multipliés que les autres, ce qui les a préservés d'une ruine totale. Nous ajoüterons que dans un pays oü les révolurions ont toujours renversé les législations, les gouvernemens, les religions, les monumens et les titres de société, la morale y a nécessairemenr été respectée des vainqueurs, et conservée par les vaiucus, paree qu'elle est une sorte de législation générale et constante qui s'est trouvée utile aux uns et aux autres, et sans laquelle ces peuples seroienc bientót rentrés dans cet état misérable et sauvage dom ils étoient les premiers sorris. C'est la nature de la morale enfin, qui combiné avec le caractère des Orientaux et leur genre de gouvernement, nous a conservé les livres qui en ont traité, et qui sont vraisemblablement ies anciens livres du monde. Quant aux livres historiques dont nous sommes privés, on peu£ aussi en donner une raison nouvelle prise dans le caractère des peuples; nous avons dit que les révolutions avaient pu les détrnire et les anéantir, ce qui suppose que les Asiatiques ont eu des histoirescependant cesr ce dont nous allons faire une question, paree que nous les soupconnons de n'avoir jamais connu le genre historique et que neus craignons rnême qu'ils en ayesit été incapables. Ce soupcon paroitra sans doute bien extraordinaire, mais ils le justihent au moins depuis  5 02 Esope Fabuliste. notre ère vulgaire, c'est-a-dire, depuis 18 siècles qu'ilsn'ont pu encore enrichir l'histoire d'aucun monument, ce qui peut faire desespérer de leur génie. A ne considérer d'abord que le caractère des Orientaux anciens et modernes, on y découvre les principaux motifs de notre méfiance. On ne trouve chez eux qu'une imagination sans goüt, qu'un esprit sans principes, sans règle et sans méthode; on y voit un amour singulier pout le merveilleux et une avetsion pour les idéés simples et nettes qui est telle que lorsque l'on croit les trouver, on ne découvre a leur examen que 1'arféctation de la simplicité ou qu'une aridité singulière. // y a chei les Juifs une grande rareté d'historiens, dit Basnage, et une affreuse sècheresse dans les mémoires de ceux qui ont écrit. C'est une remarque qu'on doit appliquer a tous les Orientaux. Ce sont-la autant d'écueils pour ceux qui écrivent l'histoire, et les Orientaux ont su si peu les éviter dans tous les tems , qu'ils n'ont excellé que dans les romans , et que leur genre purement historique se réduit a de simples chroniques et a des journaux. Leur esprit enfin se montre tellement incapable de ce qui exige de I'ordre et une suite' constante d'idées, qu'ayant travaillé dans tous les siècles sur la morale qui est leur genre favori, ils n'en ont encore aucun traité complet, suivi et raisonné. Leurs plus beaux ouvrages de morale ne sont que des recueils diffusde sentences, de maximes, de distiques; touty est sait* lie , ettputy estdécousu. Leur écriture adü de son cotéinfiniment contribuer a les écarter du vrai et a trompet' leur génie. L'écrirure sans voyelle n'étoit qu'une invention imparfaite, êt qu'un sceptre boiteux qui ne présentoit au peuple que des énigmes a deviner et qui destinoit a 1'oubli un livre dès sa naissance. Mais que dirons-nous de leur langage pauvre, stérile et privé de  Esope. Fabuliste. ^ Ia moitlé des expressions nécessaires h un peuple savant et policé 3 Ce qu'ils avoient de mots étant chargé de plusieurs sens, le plus souvent contradictoires, ne pouvoit qu'éloigner d'un écrivain et encore plus d'un lecteur, cette précision d'idées, cette simplicité d'images et cetre justesse de raisonnement qui doivent composer le tableau de 1'histoite. Si l'on pouvoit révoquer la haute antiquité des nations orientales , je ne me servirois point d'un autre argument que celui que je tirerois de la stérilité et du peu d'étendue de leur langue. Mais je ne le veux employer que pour faire valoir ' en flnissant, la supériorité du génie de 1'Occident sur le génie de 1'Asie. Rien en effet ne peut rnieiïx la démontrer que ce paralelle. Si le progrès du langage pouvoit étre la mesure de 1'antiquité des nations, les Grecs au tems de Cyrus, quoique dépourvus de titres, mais déja possesseurs d'un Homère, seroient sans contredü les plus anciens peuples du monde, et les Chaldéens dont Daniël a pris le langage, ne seroient lors de cette époque qu'un peuple nouveau, quoiqu'ils fussent infiniment anciens, er que leur langue ait été la langue dominante de toute 1'Asie pendant une multitude de siècles. Placez cependant ce Daniël auprès ó.'Homère examinez leurs stiles , pésez leur diction, confrontez leur logtque, mesurez 1'étendue de leur grammaire, comparez enfin tout ce qui constitue la langue de 1'un et de 1'autre, et vous verrez alors quelle est la distance immense qu'il y a entre les peuples que ces deux auteurs représentem. Le langage de la Chaldée ne pourra pas plus se comparer au langage de la Grèce que celui des Péruviens ou des Mexicains se peut comparer afec nos langues; et ce qui surprendra le plus dans ce paralelle d une langue nouvelle mais riche, et d'une langue ancieane mais pauvre, c'est qu'on découvnra  ij 64 Esope Fabuliste. dans le grec une multitude d expressions et de racines orienrales, c'est que leur fond est presque le même} et que ces deux langues ne sont devenues incommensurables que paree que la fille a surpassé sa mère eri génie et en capacité dans tout ce qui est du ressort de la raison et de 1'esprit. Si ce ne sont ces avantages qui ont fait produire aux Grecs un Thucidide, un Xénophon, comme on n'en peut douter, jugeons combien les Orientaux étoient encore éloignés du terme qui produit les bons écrivains. L'europe paro'it être dans la nature une contrée privilégiée, seule capable de porter les arts et les sciences a leur perfection. Les langues grecque, latine et francoise, par leur beauté , et plus encore par une sagesse et une retenue qui n'a fait qu'augmenter a mesure que l'on s'est éloigné des sourees et des écoles orientales, conriennent-elles seules tout ce que le genre humain peut avoir d'historique , et le transmettront vraisemblablement aux siècles les plus reculés. C'est a 1'Asie, il est vrai, que l'Europe doit sa première éducation; cette partie de la terre a eu le privilege d'être le berceau de nos connoissances , mais elle n'a jamais été qu'un berceau. Si c'est d'elle que sont sorris les premières lecons de morale et de discipline, c'est d'elle aussi qu'est sorti tout ce qui a corrompu ou arfoibli cet esprit de raison qui semble faire le caractère naturel de l'Europe, en 1'obsédant d'ailleurs par des fables et des préjugés qui n'appartiennent qu'a 1'enfance et qu'au berceau du monde. Europe , contrée favorisée des cieux , connoisses donc toute 1'étendue de votre supériorité, et ce qu'elle ex-ge encore de vous ? Continuez de renoncer a des fables étrangères , et dissipez des illusions qui ne sont point fatjes pour votre climat et qui en dégradent l excellence. Votre aestince est d'être la  Esope Fabuliste. j0r la partie pensante de toute 1'humanité. Un jour viendra que la raison seule et la nature enfin vous donneront des loix, et que vous les suivrez avec cette sagesse et cette dignité qui doivent caractériser dans vous 1 age mik du genre humain. Hatez donc 1'approche de eer age heureux par de nouveaux progrès dans les arts et dans les sciences, par une émulation constante dans la recherche de la vérité , par la perfection de toutes les vertus sociales, et ne regardez plus cette Asie que que comme une nourrice qui a donné a ses élèves les premiers élémens de la morale , en les amusant et les trompant d'un autre cóté par des rêveries et des contes d'enfans. Tome III. Y   DU BONHEUR. Lettre préliminaire du Traducteur Francois a M. * * *. A^ous ressouviendrez-vous, Monsieur, d'une conversation que nous avons eue sur le bonheur et sur la folie de la plupart des hommes qui le réduisent a. des idéés chimériques er imaginaires ? Les fausses idéés que l'on s'en fait ont en général leur source dans la dépravation du cceur : 1'esprit n'est séduit que paree que le cceur esr corrompu ? mais l'on recule lorsque l'on croit avancer, car il n'y a pas de gens moins heureux, que ceux qui sacrinent la vertu a 1'enyi de le devenir. J'eus. alors 1'honneur de vous parler d'une brochure angloise, oü sous prétexte d'expcser et de démontrer le systême des libertins sur le moyen de se rendre heureux, on tourne en ridicule leurs principes et leur conduite. Je vous en présente aujourd'hui la traduction. Les idéés que ce petit traité renferme , ne sont ni si bizarres ni si singuliéres, qu'elles ne quadrent souvent avec la conduite d'une certaine classe de gens qui se piquent d'avoir de 1'esprit aux dépens de Ia religion, paree qu'ils ne sauroient peut-être en avoir a d'autre prix. Ces hommes si bornés sont cependant ceux qui font le plus retentir les termes de vérités évidentes et sensibles. Ils affectent même de raisonner géométriquement, et de donner a leurs phrases tous les airs d'une démonstration. L'auteur da traité sur le bonheur emprunte le même tour pour les tourner en ridicule, et V i  »o8 Du Bonheur. faire voir les absurdités odieuses qui résulrent géométriquement de leurs principes. II établit des définitions j même avec assez d'art, pour qu'un esprir qui n'y seroit point attentif, ne soupconne rien des conséquences qu'il se propose d'en tirer. Ces définitions sont réellement celles qui servent de bases aux raisonnemens des libertins , par lesquelles seules on peut définir leurs actions, supposé que leurs actions aient eneffet aucuns principes et qu'on puisse les définir. L'absurdiré des conséquences démontre celle des premières définitions, et a moins que d'avoir renoncé a toute pudeur, on ne peut que les détester et rougir de n'en avoir pas reconnu toute l'ónfamie. L'auteur, qui est un homme d'esprit, membre de 1'université d'Oxford, et qui n'a de ressemblance avec le prétendu Krantzovius, qu'en ce que son nom commence par la même lettre , annonce son ouvrage comme une traduction de 1'Allemand, et en cela même il a fait régner 1'ironie jusques dans la page du titre. C'est pour lui une occasion de lancer dans le cours de ce traité quelques traits de satire conrr'e les Allemands, et c'est, suivant moi, une tache a cet ouvrage; car je pense qu'on devroit toujours s'abstenir des réflexions narionales. II n'y a presque pas de nations qui ne fiétrissent leurs voisins . de quelque épithète méprisante, et elles ont toutes également ton ou raison. L'idée de révêtir le personnage d'un esprit fort et d'en soutenir les sentimens, donne a 1'ironie qui règne dans cet ouvrage , un air sérieux qui en augmente le sel. Ce tour est extrêmement ingénieux. Plusieurs auteurs s'en sont servis avec succès. C'est ainsi que le docteur Swift a écrit une brochure sous le titre de raisons pour ne point abolir encore le christianisme , et depuis lui quelques personnes ont écrit dans le  Du Bonheur. 309 même gcür. J'ai actuellement devant moi deux ouvrages du parlement de ce genre. L'un esr une lettre a un membre, oü l'on propose un bill pour abroger de vieilles ordonnances appellées les dix ccmmandemens. Le second est un systême oü l'on propose des régiemens pour les esprits-forts, que les .Anglois appellent communément esprits-libres. Ces deux lettres méritent bien que je vous en donne un petit extrait. L'auteur de la première observe que c'esr n'avoir fait que la moitié de 1'ouvrage, si l'on n'a de liberté que pour penser et non pour agir. C'est sur ce principe qu'il demande de 1'autorité législative 1'abolition des dix commandemens 3 qui subsistent, dit-il , en défi de tous les droits er de tous les privilègés naturels et religieux d'un peuple protestant libre, et nonobstant les entreprises faites de tems a autre par des personnes judicieuses et bien intentionnees, pour parvenir a une entière réformation. II attaque chaque commandement en particulier : si on ne les abolit pas, il demande au moins qu'on les explique d'une manière convenable; er par quelques traits que je vous rapporterai, vous pourrez juger des autres. Sur ce commandement que l'on ne prendra point le nom de Dieu en vain , il établit pour régie d'après un fameux prélat de 1'église Anglicane, que l'on doit iïxer le sens des paroles de 1'écriture par les régies communes du langage dans des occasions semblables. Or, dit il, 1'expression de dire ou de faire quelque chose en vain , est si claire , qu'un homme qui a le sens commun , ne peut s'y méprendre. Elle signifie parement et toujours une chose dite et faite sans but, sans dessein, sans pront; ensorte que suivant cette explication, ce n'est point prendre ce nom en vain, que de s'en V 3  z i o Du Bonheur. servir pour supplatirer un rival , ruiner un ennemi, amuser un arrii soupconneux , etc. L'observation du sabath ou du dimanche n'est, suivant 1'auteur , que pour la canaille , pour des gens qui ont besoin de travailler six jours de la semaine , et de se reposer le septième. Ce commandement ne regarde poinr ceux qui sont dans le cas de n'avoir rien a faire toute 1'année, qu'a manger, boire, dormir et se divertir. Les préjugés sur la mar.ière d'observer ce jour , confirment cette explication : car on s'imagine qu'on doit aller a 1'église, et s'occuper a des exercices de dévotion : bien loin que ee füt un jour de repos , ce seroit un jour de fatigue et de travail pour un grand nombre de personnes de cohdition et de qualité. Ils trouvent plus de repos et de contentement a prendre le frais en été, et a se tenir pendant 1'hiver auprès du feu, qu'a étouffer ou s'enrhumer .a un sermon oü , suivant toutes les apparences , ils ne s'entendront dire que des choses désagréables et qui ne leur seront d'aucun profït. L'auteur soupconne que les commandemens , vous ne tuerez point, vous ne commettre-^ point adultere, et ceux qui suivent, pourroient être falsinés, en ce qu'on y auroit inséré la particule négative qui s'y trouve. Au reste , il fait voir que ces commandemens , dans le sens qu'on leur donne ordinairement, sont si peu raisonnables, qu'ils sont directemcnt contraires a la conduire du beau monde. Le commandement contre 1'homicide ne regarde point ceux qui sont en état de prouver trois quartiers de noblesse. Si un homme de condirion en tue un autre d'une manière honorable, il ne fait pas plus de mal qu'un bourgeois pacifique qui avale une huitre tout  Du Bonheur. 311 en vie. C'est 1'usage de tous les siècles et de tous les gens d'honneur , de passer leur épée au travers du corps d'un insolent coquin qui veut s'émanciper avec ses supérieurs, et qui manque a ce qui est du a leur rang et a leur fortune. II est juste encore, et 1'expérience le confirme , que les officiers jouissent a cet égard des mêmes privilèges que les gens de condirion : une cocarde er un uniforme valent bien quelques dégrés de noblesse. L'auteur voudroit même qu'on étendit le privilège, mais avec des restrictions, jusqu'aux officiers de la milice de la ville de Londres, qui sont des espèces de créatures amphibies, moitié militaires et moitié pacifiques; il leur permet de tuer hommes et bêtes, les jours de marche, de revue , et d'action. C'est sur ce principe qu'un de ces braves miliciens, en revenant des plaines aux environs de la ville, ( car c'est-la leur champ de bataille) tua il y a quelque tems avec beaucoup de raison, le cheval d'un brasseur qui lui barroit mal-honnètement le passage de la rue. En route autre occasion, 1'aureur veut qu'il leur soit défendu de faire peur a leur voisins , et d'attenter impunément a leur vie et a leur repos. Ce n'est également qu'aux personnes du bas étage a qui 1'adultète est défendu. II seroit ridicule que des artisans et des ouvriers se missent dans la tête de devenir petits-maïtres , et de contrefaire les gens de condition. D'ailleurs ce sont des affaires qui demandent une dépense , une application et un loisir que leur profession ne leur permet pas cl'y donner, et qui supposent un goiit et un esprit de galanterie qui ne se trouvent pas dans les hommes d'une basse naissance et qui n'ont point eu d'éducation. On auroit certainement tort de permettre a tout le monde de cfasser et de détruire le dbier qui est réservé pour le plaisir et V4  3 11 Du Bonheur. le divertissement des seigneurs; une juste prérogative n'est pas moins nécessaire dans le cas dont il s'agit. Ce commandement ne sauroit donc s'étendre aux.gens riches et de qualité , qui ont tant d'argenr qu'ils ne savent qu'en faire; et dont la trop grande abondance de sang et de richesse , exige eer expédient pour les réduire a un dégré honnête de sang-froid et de médiocrité. C'est un moyen par lequel la race de plusieurs families plébéyennes a été ennoblie; et si la libéralité se rrouve jointe a 1'amour , comme il arrivé d'ordinaire j c'est en même tems une source d'honneur et de profit pour la familie : c'est corriger les injustices du sang et de la fortune, et peut-être même les sentimens et les meeurs de la prochaine génération. C'est par-la qu'on a vu une race de pigmées , être suivie d'une race de géans, et des families oü il y avoit eu constammenr des sots depuis Guillaume le conquérant, ne produire dans la suite que des hommes d'esprit et de mérire. Aussi y a-t-ii des maris fort sensés qui y donnent les mains , afin de perfectionner le génie et d'augmenter la fortune de leur familie; et suivant les maximes les plus rigides de la loi et du sens commun. j'olenti non fit injuria. Le commandement de ne point dérober emporte par la force d:i mot même , la fimple et seule condamnation des petits larcins et des petites filouteries. C'est une manière laehe de voler, et l'on ne doit pas être surpris qu'elle ait été condamnée. C'est par la même raison que les personncs qui sont éclairées ont bien i faire l.i distinction des petits voleurs d'avec les . rands voleurs; les premiers sont chatiés et les derniers sont honorés et respectés, Ce commandement ne regarde donc point les manières ouvertes, franches et généreuses dont des hommes de génie et de pénétra-  Dn Bonheur. 313 tion se servent pour augtnenter leur fortune et soutenir leur rang dans le monde; il ne regarde point les hommes a talens, qui sont les grands soutiens de la société civile, et qui ont toujours été regardés comme ayant le droit de rectifier les méprises de la fortune, qui donne souvent a des sots , a des stupides et a des indolens, des choses superflues, dont ils ne connoissent pas 1'usage et qu'ils ne méritent pas. C'est en cela que consistent les mystères de la justice , des finances et du commerce : et I'abus de ce commandement ne seroit propre qu'a détruire tous les arts et toute industrie , et a avilir la gloire des plus illustres conquérans, cles politiques les plus consommés , et des plus habiles financiers. II. y a des raisons politiques et très-importantes pour permettre aux ministres publics de déroger au commandement qui ordonne de ne pcint porter de faux témoignage. Quelque criminel qu'il puisse paroitre a 1'égard des particuliers de s'éloigner de la vérité , c'est souvent d'un grand secours, et quelquefois d'une nécessité absclue, pour ceux qui occupent de grands postes. Le chevalïer Wotton, employé dans les négociations étrangères par la fameuse reine Elizabeth, a déclaré, il y a long-tems, que la principale affaire d'un ambassadeur étoit de mentir avec adresse, avec finesse et a bonne intention. Et en effet, voici la définition qu'il donne d'un ambassadeur. Legatus est virbonus, peregre mïssus, ad mentiendum reipuhlicce causa. C'esta-dire : Un ambassadeur est un honnête homme envoye' pour mentir dans les pays e'trangers afin de seryïr sa patrie. Et toutes les raisons qui peuvent justifier les ambassadeurs de mentir dans les pays étrangers, peuvent avec autant de justice justifier les ministres qui mentent sans aller si loin. En second lieu une  314 Du Bonheur. petire brêche a la vérité est d'un usage admirable pour terminer les procés ; on ne sait que trop par expérience, que leur longue durée ruine souvent celui qui les gagne; et elle n'enrichit pas celui qui les perd. Un faux témoignage appuyé de 1'autorité de quelque homme de foi , une fausse allégation soutenue par les talens d'un habile avocat, peuvent d'abord terminer le malheur des deux parties en mettant fin au procés; et c'est en quelque sens une action aussi charitable que celle de donner le coup de grace a un criminel expirant, dont on finit par-la toutes les peines et toutes les sonffrances. Enfin , si l'on éroit réellement obligé de s'en tenir toujours aux termes exacts de la vériré, la conversation tomberoit dans tous les cercles. Ceux qui y brillent le plus, se trouveroient insensiblement privés de la faculté et de la liberté de parler : ou bien ils deviendroient aussi insipides et aussi plats que de vieux almanachs. Quel mal y a-t-il a imaginer une histöire plaisante et ingénieuse, lorsqu'on n'a d'autre but que de diverrir et d'amuser la compagnie, et surtout devant les dames, dont la discrérion naturelle y a quelques exceptions prés, donne lieu de croire que celui de qui l'on se divertit n'en saura jamais rien ; Si ce qu'on dit n'est pas-vrai, ce n'est au pis aller qu'une fable •, et l'on sait que les inventeurs des fables tiennent un rang considérable parmi les sages et les philosophes de i'antiquité ; et l'on n'a jamais trouvé a redire de ce qu'ils ont fait parler des bêtes pour instruire et corriger des gens qui valoient beaucoup mieux qu'elles. Le commandement de ne point desirer la maison de de son procham , ni sa femme , ni sa servante , ni son ane, &c. est directerpent contraire a la nature qu'on doit consulter dans tous les cas , et a laquelle on doit  Du Bonheur,. 31 j obéir comme a la règle infaillible de notre conduite morale et religieuse. Si un homme n'a poinr de femme, et qu'il n'en puisse trouver aucune assez agréable pour en faire sa compagne pendant le cours entier de sa vie; ou si un homme se trouve déja lié a une femme accariatre , désagréable er méchante, qui a éteint jusqu'aux étincelles de 1'affection conjugale, et que son voisin ou son ami soit assez heureux que d'en avoir une jeune, aimable , appétissante, sensible, rendre et d'un bon naturel , ou même une servante gentille et propre , ( car il y a d'bonnêtes gens qui n'ont point de fierté ) rien n'est plus naturel que de desirer son sort et sa condition. C'est ainsi qu'une femme envie a sa voisine le bel Sne quel possède; qu'un gentilhommeenvie le braque de son voisin , et que rien en général n'est plus commun que d'entendre les gens fermer ces sortes de souhaits, je voudroïs bien avoir cette terre , cette maison , cette femme, &c. Un savant et profond Déiste a mis cette matière hors de doute dans un ouvrage qu'il vient de publier. » Le grand article fondamental » de la religion naturelle , est, dit-il, de suivre la na» rure; c'est-a-dire les inclinations , les penchans , les » desirs que 1'auteur de la nature a mis en nous , afin » de déterminer notre conduite; car surement il n'au» roit point mis en nous des inclinations, s'il n'avoit » eu dessein qu'il fut permis de les gratifier : rien n'é" tant plus incompatible avec sa sagesse et sa bonté , » que de nous donner des desirs pour les combattre » et les refrêner ". N'est-ce pas-la le commentaire que l'on auroit droit de faire en prenant pour règle la conduite de certaines personnes ? Exposer les principes par lesquels seuls ils pourroient la justifier , et le moyen ie plus propre pour la faire détester. C'est une ruse permise que de se dé/  3I'S Du Bonheur. clarer 1'avocat d'une si mauvaise cause , afin de la mieux trahir. La ruse est d'autant plus innocente, qu'elle tourne les libertins en ridicule , en quoi on les traite de la même manière qu'ils en usent a 1'égard de la vertu et de la religion. Qui peut braver leurs railleries, n'a rien a craindre de la force de leurs argumens : c'est donc leurs railleries qu'il faut s'attacher a combattre ; et c'est ce qu'on s'est proposé dans la brochure dont je viens de vous rendre compte , ainsi que dans celle dont il me reste a vous entretenir. L'auteur s'applaudit beaucoup des progrès de la liberté de penser en matières de religion , surtout parmi les personnes d'un rang distingué , qui ne voulant croire que ce qu'ils entendent, sonr dans le cas de ne presque rien croire du tout. Pour le'peuple, dir-il , comme il est élevé dès son enfance dans la superstition et'le travail , il est exttêmement difficile qu'il secoue le joug des préjugés : il conserve toujours quelque espèce de respect pour son pasteur, excepté peut être lorsqu'il est question des dimes. Quelquefois cependant on en voit qui s'émancipent; mais lorsqu'ils rentrent en eux-mêmes , ainsi qu'ils s'expriment, je ne sais quelles vieilles idéés de grand'rhère , sur un jugement futur et de's chatimens éternels, abattent toute leur gaieté et leur inspirent de la crainte et du repennr. L'exemple de la bonne compagnie oü l'on se moque, tous les jours de la vie , et du curé et de son prêne , pourra peut-être avec le tems leur faire concevoir qu'il n'y a que des misérables rustres , sans éducation et sans savoir vivre, qui puissent prétendre être plus habiles et plus senses que ceux dont ils ne sont souvent que les vassaux, les serviteurs , ou les fermiers. L'auteur fonde encore de plus grandes espérances sur l'exemple d'un grand nombre de jeunes abbés, dont la conduite donne lieu de  Du Bonheur. 2 ij penser qu'ils ne croyent rien de ce qu'ils enseignent, ou au moins, qu'ils n'osent et ne peuvent le défendre; car si un homme de quelque poids et de quelque crédit , dont ils peuvent espérer quelque avancement , s'avise d'atraquer leur doctrine, on voit la plupart d'entre eux observer un silence aussi modeste que judicieux. Le succès n'a cependant pas été jusqu'ici aussi grand qu'on auroit pu 1'espérer de la bonté de la cause , et du nombre , du poids er du zèle de ses partisans : mais cela ne provient que d'un défaut d'ordre. Nos gens agissant d'une manière oifensive , plus occupés a renverser et a détruire qu'a établir, se sont imaginés qu'ils n'avoient besoin que de force et de courage; mais c'est une grande erreur. L'attaque a ses régies, elle exige de 1'art et de la méthode. Le zèle peut l'eirtporter sur le jugement, et quoiqu'il n'y ait personne qui ne puisse être utile, il y en a qui nous ont fait beaucoup de préjudice pour avoir fait un faux usage de leurs talens. Cela nous a attiré des mépris de la part de ceux mêmes qui étoient le plus favorablement disposés a notre égard, ensorte que des officiers _, hommes d'ailleurs de mérite et d'honneur , nous ont tourné casaque , et se sont avisés de regarder Dieu, comme leur créateur, leur père, leur meilleur ami, d'en prendre les intéréts, et de les soutenir même en cas de besoin par un genre d'argument plus conforme a leur métier que compatible avec la liberté des débats : antagonistes brutaux et dangereux , qui pour sauver 1'ame d'un homme lui passent 1'épée au travers du corps. Pour remédier a ces inconvéniens , l'auteur voudroit que les esprits forts se réunissent tous en un seul corps ou en une communauté générale qui eüt ses loix et ses règlemens, et qui érigeat des accadémies oü l'on instruiroit les candidats et l'on prescriroit a chacun  3ïS Du Bonheur. des fonctions proportionnées a ses talens et a sa capa- cité. II y auroit dans ces académies divers dégrés a l'imitation de ceux qui sont en usage dans les universités, et qui répondroient a ceux de bachelier , de licentié et de docteur. Les noms par lesquels l'auteur juge a propos de caractériser les grades de ces nouvelles académies , sont ceux de Rieur, d'Epilogueur , et de Paralogicien ou de Sophisre. 11 veut que chacun s'acquitte de son devoir, et n'empiéte point sur ceux d'un grade plus élevé. II s übdivise la classe des rieurs, en simples rieurs , en railleurs, en moqueurs. Une éducation naturelle est capable par elle seule de qualifier un homme pour entrer dans cette première classe. L'auteur dit une éducation naturelle, par opposition a celle oü l'on employé le secours des pédans, dont tout le fruit est de jetter leurs pupiles dans des exercices préjudiciables aux yeux et a la santé , et qui ne servent qu'a leur embarrasser la tête , qu'a gêner leurs desirs, et a asservir leur esprit; au lieu que si ces jeunes élèves étoient abandonnés a eux-mêmes, leurs inclinations couleroient par leurs propres canaux, sous la direction de 1'infaillible lumière de la nature dont le penchant nous porte a rire, a railler, a se moquer. II n'est pas de même absolument nécessaire de leur apprendre a lire et a éctire; car il y a parmi ceux de cette classe des per•sonnes qui se distinguent sans savoir ni 1'un ni 1'autre. Chacun d'eux en particulier n'est pas d'une grande conséquence ; mais ce sont les soldats de 1'armée : le nombre en fait la force. Les railleurs pourront ajouter aux éclats de rire , quelques plaisanteries et quelques bons mots sur les prêtres et sur la" superstition; et les moqueurs pourront aller jusqu'a 1'insulte, pour vu toutefois qu'ils soient bien assurés d'avoir a faire a des gens pa-  Du Bcmhcur. j 7 2 cifïques , et dont les injures ne provoquent la bile que jusqu'a un certain dégré ; ils pourront même alors pousser leur pointe jusqu'a donner un cartel ; mais comme on 1'a observé, il faut que ce soit en toute süreté. Rien ne seroit plus sot que de s'exposer a sortir du monde , pour soutenir qu'il n'y en a point d'autre que celui • ei ; et ce seroit encore pis, si par hazard il y en avoit un autre. Car quoique nos esprits - forts nient fortement les démonstrations qu'on leur aliègue néanmoins ils n'ont jamais prétendu de pouvoir démontrer évidemment le contraire. Ceux qui auront envie de briller dans une plus haute sphère, pourront s'élever au grade des épilogueurs, mais quelque envie que l'auteur ait de leur épargner du travail et de 1'étude, il exige qu'ils liront, ou que ne sachant pas lire, ils se feront expliquer quelques livres propres a leur donner des lumières. II en indique plusieurs, et il en raconte des effets subits et admirables. Les épilogueurs pourront non-seulement rire, railler et se moquer f mais ils pourront encore embarrasser et embrouiller la conservation , er interrompre toutce qui aura I'air d'un raisonnement suivi. Ce n'est pas qu'il leur soit permis, au contraire il leur est expressément défendu d'y faire aucune réplique directe, comme n'étant point une chose du ressort de leur grade. II y a un autre moyen plus proporcionné a leurs forces , pour dérouter un ennemi et son argument. Tout 1'art et le secret consistent a fassommer de difficultés et de questions vives et brusques, sans jamais lui laisser le tems de répondre , et a les soutenir d'un air victorieux; et si par hazard il se trouve quatre ou cinq rieurs , qui a un certain signal convenu, appuyent ces questions d'un grand éclar de rire, le plus grand docteur se trouve a-quia, et si déconcerté qu'on 1'oblige pour le moins  ito Du Bonheur. de décamper, ensorte qu'on reste maitre du cliamp de baraille. Le plus haut rang et le plus grand honneur oü l'on puisse parvenir est le dégré de Paralogïcien , ou de Sophiste. Ce sont les chefs et les philosophes dü corps. C'est a eux seuls qu'est réservée la gloire d'étabjir, de défendre , de disputer et d'attaquer en forme; non dans la forme ordinaire , car ce seroir donner trop d'avantage aux ennemis que de se servir de leurs armes, mais dans une ferme propre et particuliere a euxmêmes. L'auteur donne un plan abrégé du systême qu'on doit établir. L'objet en doit être de procurer le bonheur et latranquillité du genre humain, en le délivrantdes imaginations ridicules et des vaines frayeurs de la religion. Si l'on peut en venir a bour, pourquoi chicaner sur les moyens ? C'est quelque chose de si incompréhensibleet de si terrible que 1'idée d'un Dieu qui gouverné le monde , qui est présent a toutes nos actions et qui les observe, qui nous a donné un corps de doctrine et de préceptes suivant lesquels il nous jugera pour nous accorder un bonheur sans fin, ou nous condamner a des peines éternelles, qu'elle ne sauroit qu'abalourdir l'esprir des créatures raisonnables , empoisonner tous leurs plaisirs , les distraire de 1'attention nécessaire aux affaires du monde , et les rendre scrupuleux et laches dans 1'exercice des moyens qui sont reconnus les plus propres pour y réussir. On objecre , a la vérité , que ce monde visible et I'ordre de la narure sont une preuve suffisante d'un créateur intelligent et tout-puissant, mais on répond que ce n'est point une preuve. Que sait-on si le monde ne s'est pas fair de lui-même , s'il n'a pas existé de toute étemiré , ou s'il n'est pas 1'ouvrage du hazard; opinions qui ont été adoptées et soutenues pat plusieurs  Du Bonheuf. iii plusieurs auteurs ingénieux , anciens et mödernes. D'ailleurs 1'idée de la création est directement conrraire a ce principe évident; ex nihilo > nihil jit. Le malheur des gens vertueux et le bonheur des scélérars excluent la providence de la direction des affaires de ce monde; et a cet égard 1'expérience est favorable a nos sentimens, car on auroit beaucoup de peine a produire l'exemple d'une personne qui seroit parvenue uniquementa cause de sa vertu et de sa religion , au lieu que rien n'est plus commun que de voir des personnes qui s'élèvenc paree qu'ils ont précisément renoncé a 1'una et 1'autre. Quant au systême de la religion révélée , comme il est mystérieux et incompréhensible, il ne sauroit nous regarder , suivant cette maxime; Qu* supra nos , nihil ad nos. Puisque nous sommes donc attachés a ce petit morceau de terre , qu'il est agréable et pourvu de toutes les nécessités et les commodités de la vie , la nature qui ne fait rien en vain , nous fait assez connoitre 1'usage que nous en devons faire. Elle nous a donné un desir ardent et invincible de nous conserver et de provigner notre espèce : c'est-la ce qui fait toute 1'occupation, le plaisir et le bonheur des autres créatures qui n'ont autre chose a faire qu'a vivre, manger, boire, provigner, et mourir. S'imaginer que nous ayons été destinés a quelque chose de plus, c'est pure conjecture. Après cette exposition qui, quelque affreuse qu'elle soit, 1'est encore plus dans 1'ouvrage que j'extrais, l'auteur propose le plan d'une nouvelle logique, digne du systême auquel elle doit fournir des preuvres. Lorsque dans un débat, 1'avantage paroit être de notre cóté, nos ennemis, dit-il, nous accusent d'abord de supposer ce qui est en question. Rien de plus injuste que ce reproche, car rien n'est plus propre a abréger les Terne III, X  ju Du Bonheur, preuves, et il est plus naturel de supposet ce qu'on veut prouver, que de supposer le contraire. On veut également proscrire de nos argumens, tout raisonnement circulaire, quoique ce soit certainement le chefd'ceuvre de 1'art. Le principe et la conséquence y viennent a 1'appui 1'un de 1'autre, en supposant d'abord le principe qu'on doit prouver, et prouvant ensuite le principe par la conséquence qui en est résultée. II est universellement reconnu que de toutes les opérations,les opérations circulaires sont les plus parfaites, ensorte qu'il esr inconcevable qu'on prétende bannip du raisonnement, ce qui sou tient le systême de 1'univers, ce qui conserve la vie des animaux et des végétables, et ce qui sert de fondement au crédit des états, surtout lorsqu'on a des expériences si fréquentes du bien que produit la simple circulation d'une chose d aussi peu de conséquence en elle - même , qu'un mensonge. L'injustice de nos ennemis va jusqu'a vouloir nous prescrire de fixer le sens de chaque terme, er dé ne les jamais varier dans la suite du raisonnement, C'est comme la nature des choses. Le sens des mots n'est point fixe par lui-même, et plus on peut le multiplier, plus on a d'avantages. Une proposition qui paroit d'abord n'avoir que rrois termes, se trouve paria en avoir quatre, paree qu'il y en a un qui se prend dans un doublé sens : et en voulant nous priver de cette prérogative, c'est nous priver du bénéfïce ou de la supériorité du nombre; car quatre est une majorité a 1'égard de trois, et l'on sait que les questions les plus imporrantes sont décidées dans les assemblees les plus augtistes par la seule majorité. L'auteur souhaiteroit que 1'autorité législative vint k 1'appui de sa nouvelle logique, en érigeant deux tribunaux, 1'un pour les négations er 1'autre pour les  Du Bonheur. 313 contradictions On auroit par la des jages communs, au lieu que tout le monde veut 1'être dans sa proprè cause. Par rapport au premier tnbuhal, il observe qu'on ne seroir plus obligé de suivre les régies de la logique vulgaire et que ce tribunal étant établi par ies loix» on empioyeroit seulement des preuves légales, comme dans toutes les cours civiles et ecclésiastiques, oü 1'usage est de prouver par sermenr. L'érection de ce tribunal est si bien imaginée, qu'elle seroit seule capable > dit l'auteur, de donner gain de cause au parti; car il ne manqueroit jamais de preuves pour nier tout ce que Ses adversaires pouroicnt avancer. On porteroit au tribunal des cohtradictiohs, routes celles que l'on poüroit recneillir dans les ouvrages des prélats et des fameux tbéologiens et autres personnages du premier ordre , soit ecclésiastiques ou laïques, sans qu'elles ayent été lensurées par la convöcadon ou 1'assemblée du clergé, ni par le parlement et les cours de justice. Leur silence donne lieu de croire que ces contradictions apparentes, he sont point dans le fond opposées aux senrimens en vogue et aux loix du pays. Elles 'resteroient la en dépót pour servir de preuves dans tous les débats oü il se présenteroit des cas semblables; et leur autorité dispenseroit de coiicilier suivant les régies de la logique pédantesque, les contradictions apparentes que l'on pourroit objecter. L'auteur ne donne point 1'usage de ces tribunaux k la religion seulement■, il 1'étend jusqu'a la politique; et l'on peut aisément concevoir que cette singuliere iraaginarion est de nature a fournir a la satire un vasre champ. C'est un détail trop étranger au sujet de cette lettre. J, ai 1'honneut d'être, &c. X i  $14 T>u Bonheur. PRÉFACE DU TRADUGTEUR ANGLOIS. On s'imaginera peut-être qu'il est inutile de publier un rraité de cette nature dans un pays oü l'on s'applique si particulièrement a 1'étude du bonheur, et oü l'on en connoit si bien tous les mystères. Mais comme ce traité renferme un abrégé passablement bon de ce qui se trouve épars a ce sujet dans un grand nombre de volumes, et que ceux qui n'auroient point le tems, on qui ne voudroient point se donner la peine de les lire, ne regretteront peut-être pas de sacrifier une demiheure a la lecrure de ce perir essai, j'ai cru, en le traduisant, rendre un service important a ma patrie. J'ai pris la liberté de faire quelques changemens, lorsqu'ils m'ont paru nécessaires. J'ai rejetté , en petit nombre, quelques observations que j'ai jugé superflues, particulièrement celles qui avoient le plus de rapport aux usages du pays de l'auteur; mais pour justifier ce qu'il pourroit y avoir d'irrégulier dans cette conduite, j'ai ajouté des notes sommaires dans la plnpart des endroirs oü j'ai fait quelque retranchemenr. J'ai omis entièrement, excepté dans un seul passage , les citations sans nombre que l'auteur avoit extraites des écrivains de tous les siècles et de tous les pays , pour confirmer chaque partie de son systême. Elles donnoient a son ouvrage un air de pédanterie qui auroit pu lui nuire tout autre part qu'en Allemagne, oü elles peuvent avoir un mérite qui est du goüt de la nation.  Du Bonheur. jj^ JTe souhairerois de n'avoir point donné lieu k une autre objecrion que l'on me fera peut-être sur la méthode de 1'ouvrage, qui se trouve disposé dans un ordre géométrique. J'avoue, a la vérité , que c'est une chose qui paroit trop affectée dans un sujet de cette nature; mais il étoit impossible de s'écarter de cet ordre, sans faire tort a la clarté, k la force de raisonnement et a la concision qui brillent dans ce traité d'une manière si remarquable. Je suis faché de ne pouvoir satisfaire la curiosité du lecteur sur le chapitre de l'auteur. La personne qui m'a communiqué ce traité en manuscrit, et qui conno'it la plupart des savans d'Allemagne, croit que le nom qu'annonce le titre, est un nom supposé, puisque les recherches les plus exactes n'ont pu lui faire découvrir aucun auteur de ce nom. L'on n'aura point de peine a deviner les raisons qui ont pu 1'engager a se cacher, si l'on considéré combien il est dangereux dans de certains pays de parler contre les opinions recues.  jifï 'Du Bonheur. PENSEES SUR LE BONHEUR. Mutemus cfyjpt:o& , D.anaumque iiisignig nobis Aptemus. \irgti,. Comme il n'y a rien qui air plus occupé le genre hurhain dans tous les siècles que la recherche du bonheur, ni sur quoi Ton ait été moins d'accord, je crois que ce n'est point abuser du tems de s'arrêtcr un peu a considérer cet important sujet. J'exposerai donc 'ici le résultat des öbservations que j'ai faites sur la nature humaine, et pour éviter les erreurs oü tant de grands hommes sont tombés avant moi, je procéderai par définitions , principes er axiomes , afin. d'éclaircir er de dissiper ia confusion qui a régné jusqu'a présent dans la discussion du sujet dont il s'agit. Définhion I. Le bonheur est 1'état actuel oü l'on est entièpemerkt satisfait et content du présent. Dépnition II. L'homme est un animal susceptible de plaisir et de douleur, sennmens qui ont leur origine dans les motions ou les mouvemens intérieurs du corps , et dans les impressions extérieures qu'il reccit des autres corps. II faut encore ajouter ici qu'il est capable de réfléchir sur les évênemens passés et futurs. Définition III. Le mouvement est 1'application successive d'un corps aux différentes parties de 1 espace-, et comme i! est contraire a ce principe d'inasfivité, ou  Du Bonheur. 327 cette inertie 3 vis inertix3 qui est dans la matière, il ne sauroit s'exécuter qu'avec difficulté. Définition IV. Penser est une opération de 1'esprit , par laquelle il s'eftorce de decouvrir quelque vérité. Définition V. La réputation est 1'opinion que les hommes témoignent par leurs paroles avoir de nos actions , et elle s'acquiert et se conserve par des actions qui supposent ou un dégré supérieur de connoissances, ou un zèle particulier pour le bonheur du genre humain. Définition VI. La curiosité est le desir qui nous excite a chercher les usages et les rapports, et les propriétés des choses, et elle est la base de toutes les connoiss3nces. Définition VII. La bienveillance est le desir de procurer aux autres tous les biens possibles, sans avoir égard a ses propres intéréts. Elle est générale ou particulière, suivant son objet. Principe I. Tout bonheur est égal, il n'y en a pas de plus grand 1'un que 1'autre. Principe II. L'homme est un être capable d'arriver a 1'état mentionné par la définition I, et par conséquent il est désigné pour cet état. Axiome I. L'homme est un être borné. Axiome II. Les objets de la connoissance sont infinis. Axiome III. Les biens possibles sont egalement infuus en nombre, Axiome IV. La nature indique par la constitution de chaque animal les choses auxcjue'les il est desnné. Axiome, V. L'homme est incapable de diriger les évênemens futurs, et de rien changer a ceux qui sont passés, x4  jiS Du Bonheur. Axiome VI. 11 vaut mieux s'exposer k un mal in« certain, que d'essuyer actuellement un mal certain. Proposition I. Le bonheur est incompatible avec un desir qu'on ne peur satisfaire; car tant que l'on est sous 1'influence de ce desir, on est en proie k une inquiétude qui nous empêche d'être content de notre état présent; or rien n'est plus directement opposé k 1'idée du bonheur donnée dans la définition I. Donc le b i heur est incompatible &c. Ce quil falloit dé'mohtref. Proposition II. La connoissance ou la science est incompatible avec le bonheur. Car, suivant la définition VI, le desir est la base de toutes les connoissances; et les objets de la connoissance, suivant faxiome II, étant infinis, le desir doit donc 1'être également. Or, par 1'axiome I, l'homme étant un être borné, c'est un desir qu'il ne peut satisfaire, et par conséquent il est, suivant la proposirion I, incompatible avec le bonheur. Donc la connoissance ou la science, &c. C. Q. F. D. Proposition III. Penser est une opération incompatible avec le bonheur : car, par la définition IV, cette opération suppose des efforts pour découvrir quelque vérité, et ces efforts sont toujours accompagnés d'un desir d'acquérir des connoissances : or, par la p.oposirion II, ce desir est incompatible avec le bonheur. Donc &c. C. Q. F. D. Scholic. De-la on peut insérer la raison pourquoi les personnes qui pensent le moins sont en général les meilieurs gens du monde, et ceux qui jouissent de la meilleure santé, au lieu que les personnes abandonnées a la méditation sont au contraire mélancoliques et maigres: car c'est ainsi que la nature punit ceux qui veulent braver ses desseins.  Du Bonheur. Proposition IV. La bienveillance ne peut rendre un homme heureux : car, par la définition VII, la bienveillance est le desir de procurer aux autres tous les biens possibles, mais, par 1'axiome III, les biens sont infinis en nombre; donc c est un desir qu on ne peut satisfaire, et qui, par conséquent, est, suivant la proposition I, incompatible avec le bonheur. Donc la bienveillance , &c. C. Q. F. D. Proposition V. La réputation ne peut rendre un homme heureux, car en comparant la définition V avec la proposition II et IV, on verra qu elle s'acquiert et se conserve par des actions qui détruisent le bonheur* Donc la réputation, &e. C. Q. F. D. Proposition VI. Le bonheur ne peut naitre des idéés de 1'avenir; car puisque l'homme, par 1'axiome V, ne peut diriger les évênemens futurs, si les idéés qu'on en peut avoir contribuoient au bonheur, ce ne seroit qu'autant que l'on connoitroit ces évênemens avec certitude. Or, par les axiomes I et II, l'homme est incapable de cette connoissance, et toute celle dont il est capable, est, par la proposition II, incompatible avec le bonheur. Donc le bonheur. &c. C. Q. F. D. Corollaire. II résulte de cette proposition qu'un homme ne doit point se proposer d'autre plan de conduite, que de jouir des plaisirs qui d'eux-mêmes s'orfriroient a lui dans le cours des vicissitudes de ce monde. Proposition VII. Le bonheur ne peut naitre des réflexions que l'on fait sur le passé; car, par 1'axiome V, 1'homme ne peut rien changer aux évênemens passés, et lorsqu'il vient a réiiéchir sur ceux qui peuvent lui être désagréables, il doit naturellement souhaiter de pouvoir les changer; or un tel souhait ou desir est, par la propo-  'j-jo Du Bonheur. mïon ï, incompatible avec le bonheur. Donc le bonheur &c C. Q. F. D. Corallaire. II résulte de cette dernière proposition, qu'un homme ne doit jamais examiner sa conduite passée. ■ - ■ Proposition VIII. Les sensations agréables peuvent contribuer au. bonheur j car elles absorbent si puissamment toutes les faculrés de 1'ame 1'orsqu'on en fouit a un certain dégré, qu'elles suspendent la faculté «fe penser, et qu'elles détruisent par conséquent ce qui, par la proposition III, pourroit seul en ce cas, s'opposer i 1'état décrit dans la définition I. Donc les sensations agréables &c. C. Q. F.. D. Coronaire I. II résulte de cette dernière proposition que les plaisirs du corps sont préférables a 1'esprit , suivant l'opinion d'Atistiope. Corollaire II. II en résulte encore que les plaisirs du corps ne sont point rnécessaires au bonheur de ceux qui ne sont point esclaves de la faculté de penser, €xcepté dans -le cas qu 'un desir qui ne seroit point sarisfait troublercit leur a anquiiiité; et que j>it conséquent .plus. un .homme est agé, a moins qu'il he soit tombé en enfance, plus il est excusable de rechercher les plaisirs les plus voluptueuxj. car quelque phiiosOphe et quelsque réguliere qu'aic. éeé.sji conduitej:les.iuBes,imiombrabje"s qui naissent hésessèiretaaent' dans.>;uH! Jong" cours :d années, lui deviendroieiwt.incQmmadeS".sanS cel.expediënt, et quelquefois se résoudroienr d'elles-mêmes'en doutes., en questions, ncgardoris, afnrmaribiis j-ecönclusians, &a, choses qui toures constituent 'lactueüement ia pensee, a aa '• h xrz sigtusck naji - -; ••<• Proposition IX. Un homme sage'.ne sera poin? amoureux; car 1'amouE' étant une bienTeijlance bomèe -i^un seul objet^.esb,:.suivant ia dóSnido» VII,- ie  Du Bonheur. jji 'desir de procurer a cet objet tous les biens possibles: or ce desir est incompatible avec le bonheur par la proposition IV. Donc un homme sage &c. C. Q. F. D. Scholie. Cette proposition paroitra peut - être choquante au premier aspect , mais je prie ceux a qui elle pourroir déplaire, de vouloir bien observer que je n'entends point confondre avec 1'amour une autre passion qui lui ressemble a quelques égards. Proposition X. Un homme sage peut se marier, car une femme contribue au bonheur en détruisant ce qui s'y opposeroit par la proposition précédente, et en procurant ce qui le produit quelquefois suivant la proposirion VIII. Donc un homme sage &c. C. Q. F. D. Scholie. Je recommande cette proposition a la considération des jeunes gens qui risquent imprudemment leur santé , et qui n'ont point les justes égards qu'ils devroient avoir pour ces nobles sources du plaisir, le nez, le palais, les dents, sans faire mention de quelque autre chose qui n'est pas moins èStimable. Proposition XI. Un homme sage ne doit faire de mouvement que le rnoins qu'il est possible : car, suivant Ja définition III, le mouvement ne s'exécure qu'avec •difficuité, et par conséquent donne- de la peine. Or la peine étant directemeht opposéeaux sensations agréables, doit prodt.ire un effet contraire, et, suivant la proposition VIII, Keffer que produisent les sensations agréables contribue au bonheur. Donc un homme sage &c. C, Q. F. D. Corollaire I. II résulte de cette dernière proposition qu'un homme sage ne doit parler qu'aussi peu qu'il est possible.  '5}t Du Bonheur. Corollaire II. II en résulte encore qu'un homme sage* ne doit rire que rarement. Scholie. La vériré de ces deux corollaires a été reeonnue de tout le monde, quoique les principes sur lesquels elle est fondée n'eussent point encore été découverts. Quant au parler, Pythagore, le premier homme qui ait jamais porté le nom de philosophe , en prescrivoit a ses disciples une abstinence totale pendant 1'espace de cinq. ans , espérant sans doute que dans le cours de ce tems ils en pourroient perdre entièrement 1'usage. C'étoit ce changement de créarures parlantes en créatures muettes, ainsi que le sont tous les autres animaux} que ce philosophe, suivant la maniète syrqbolique d'instruire le genre humain, appelloit Métempsycose. Quant au rire, tous les critiques, sans exceprion, ont blamé Homère d'avoir rendu ses dieux coupables de cet excès; tous ont regardé cet acte comme incompatible avec la nature d'un être heureux, tel qu'on suppose qu'un Dieu 1'est. L'ignorance grossière du siècle oü ce grand poëte vivoit, est la seule chose qui puisse lexcuser. Proposition XII. On doit préférer une petite peine a une grande. Car une petite peine vexe moins les sensations agréables qu'une grande peine : or les sensations agréables produisent le bonheur suivant la proposition VIII. Donc on doit préférer &c. C. Q. F. D. Proposition XIII. Un homme sage doit s'écarter lorsqu'il voit une poutre prête a lui tomber sur la tête, contre 1'opinion d'un grand philosophe, nommé Pyrrhon. Car quoique, pat la proposition IX, il doive se remuer le moins qu'il est possible, puisqu'il est néanmoins, suivant la définition II, susceptible de douleur par les impressions des corps extérieurs, et  Du Bonheur. jjj «Hie, par la proposition XII, une petite peine est préférable a une grande, il peut en ce cas prendre la peine de se mouvoir. Donc un homme sage &c. C. Q. F. D. Corollaire. II suit de cette proposition qu'un homme sage peut aller de tems en tems a 1 eglise, dans les pays ou Ton innige des punitions corporelles a ceux qui s'en absentent entièrement, pourvu toutefois qu'il ne déroge pas a la proposition VI. Proposition XIV. Un homme sage peut manger et boire nonobstant le mouvement que ces fonctious requièrent. Car ces actes sont accompagnés de sensations agréables, plus ou moins, suivant la diversité destempéramens : or ces sensations produisent le bonheur, suivant la proposition VIII. Donc un homme sage &c» C. Q. F. D. Cette proposition peut encore se démontrer en conséquence de la douzieme. Corollaire. Plus un homme prend de plaisir a boire et a manger, plus il est sage. Scholie. Les anciens Romains \paroissent avoir reconnu la vérité de cette proposition par 1'application qu'ils faisoient du mot de Sapio ; eta la sagesse, et aux sensations les plus exquises que le boire et le manger pouvoient procurer a l'homme; et lorsque les modernes disent qu'une personne a le goüt fin, ils entendent également qu'il a un esprit ou un palais délicat. Cette proposition n'eüt point été nécessaire, si quelques philosophes éminens, comme on peut le voir dans Diogène de Laë'rce, faute de s'être formés de justes notions du bonheur, n'avoient préféré de mourir de faim plutot que de se donner la peine de boire et de manger. Proposition XV. Un homme sage qui est content et k son aise, ne doit point, sous prétexte d'être mieux, chercher a changer son état : car, par le principe I,  3^4 Du Èonheur. il n'y a pas de bonheur plus grand 1'un que 1'autre j et, suivant la proposition VI, le bonheur ne peut naitre des idéés de 1'avenin Donc un homme sage j &c. C. Q. F. D. Corollaire. On peut juger par la combien est insensée 1'opinion de ces prétendus philosophes qui font consister le bonheur a faire des progrès continuels vers une perfection imaginaire, opinion qui a engagé les hommes a bouleverser le monde, et a troubler tout le genre humain, sous prétexte de parvenir au bonheur. Proposition XVI. L'homme est destiné par la nature a. se coucher, a s'appuyer et a s'asseoir : car, suivant le principe II, il a été fair pour étre heureux ; or, par la proposition II, le bonheur est détruit par le mouvement; par conséquent l homme n'a point été fait pour marcher, pour courir, ni pour stuiter , et comme, en conséquence de 1'axiome IV , tous les animaux qui ont été faits pour se tenir campés sur leurs jambes en ont plus de deux, il s'ensuit que l'homme n'a pas été fait pour se tenir debout. D ailleurs il n'y a point d'animai qui puisse changer de posture étant couché < appuyé, ou assis , plus ni autant que l'homme. Donc 1'homme est destiné, üc. C. Q. F. D. Corollaire I. II suit de cette proposition qu'un homme sage doit toujours se tenir dans une chambre oü il y a un lit. Corollaire II. II s'ensuit encore qu'un homme ne doit pas se tenir constamment couché, appuyé, oü assis dans la même posture. Scholie. Par la on peut connoitre la raison pourquoi tous les animaux en naissaut se tiennent sur leuts pieds , au lieu que marcher est un art pour les hommes, dont ils ne peuvent atteindre la perfectioft  Du Bonheur. q-a'avec beaucoup de difficulté et de quelques années -d'expériences. Proposition XVII. Un homme sage ne doit coasulter que son aisance dans toutes ses actions, sans s'embarfasser de la manière dont elles affectent les autres; car, suivanr le principe II, l'homme peut arriver au bonheur; par conséquent il doit y aspirer; or, suivant la proposition IV, il ne peut y parvenir par la bienveillance , c'est-a-dire en négligeanr son propre biea pour 1'amour de celui des autres. Donc un homme sage, &c. C. Q. F. D. C'est ce qu'on peut encore démontrer d'une second* manière; car on doit plutót, suivant 1'axiome IV, courir les risques d'un mal incertain quencourir actuellement un mal certain : or la peine étant contraire aux sensations agréables, est un mal , et un mal certain pour celui qui ne consulte pas son aisance, et, en conséquence de la proposition II, il .n'est poirrt obhgé de connoure ce qui peut faire de Ia peine aux autres, ensorte que ce mal est a son égari un mal incertain. Donc un homme sage, &c. C. Q. F. D, ^ Corollaire général. II résulte des°proposirions précédentes que ie bonheur consiste a se mettre 4 soa atse, puisque tous les plaisirs n'ont de prix qu'autant qu'ils conduisenr a cette fin , et par conséquent rfs y sont subordonnés. II s'ensuit qu'un homme sage négligera même les plaisirs sensuels , lorsquoa ne peur en jouir sans beaucoup de difficulté, et qupar conséquent il méprisera dans un cas semblable rous les moyens quipourroient les lui pröcurer afön fa.CêaÈ morale concilie d'une manière admirable la pauvrerfi aveclaluxure, ce qu'on avoit regardé jusqu'a présent comme nn secret qui n'étoit connu qu'a de certaines «onfrénes de cafards.  '5 j 6 Du Bonheur. J'ai prouvé la dernière proposition par deux différentes démonstrations, paree qu'elle m'a paru de la plus grande importance. Elle peur servir a décider tous les cas difficultueux qui pourroient embarasser et géner un galant homme dans la conduite qu'il doit observer 4 1'égard des autres. Elle seule rend tous les autres livres de morale inutiles, et débarrasse un homme de toutes les contraintes de la civilité, de toutes les afflictions qui naissent de la pitié et de la simpathie, et de tous les remords d'une conscience égarée; elle lui donne dans toutes les situations possibles une liberté sans restrainte, excepté dans les cas qui peuvent avoir relation avec la proposition XIII. Toutes les propositions en général ont des conséquences fort étendues, et a ne les envisager même que superficiellement, on en découvrira du premier coup d'ceil plusieurs également agréables et utiles. Elles offrent a l'homme un grand fond de consolation dans le cours de cette vie, et si on les suit avec cette sorte de diligence paresseusa qui fait la marqué caractéristique d'un véritable adepte 3 elles épargneront beaucoup de peines, auxquelles les autres hommes s'assujettissent. Je ne prétends pas néanmoins qu'elles puissenr résoudre tous les cas difficultueux qui peuvent se présenter sur le bonheur : par exemple, si un homme sage doit rester assis tranquillement, et laisser éteindre son feu, lorsqu'il fait froid, ou bien se donner la peine de se lever pour prendre une büche: s'il doit courir lorsqn'il estsurprispar la pluie, ou se laisser mouiller jusqu'aux os: s'il se donnera la peine d'appeller un domesrique, ou s'il omettrade boire un verre de vin : s'il se passera de déjeuner, ou s'il fera lui-même son thé ou son café •, et aussi de plusieurs autres questions curieu- . ses concernant une certaine affaire, comme on le veria en  Du Bonheur. 337 ciï comparant les propositions VIII et XI et dont je me dispenserai de faire mention, n'ayant pas encore pu surmonter une sotte modesrie qu'on ma inspirée dans mon enfance. La discussion de ces questions dépend d'un grand nombre de circonsrances , comme du choix de différentes sortes de plaisirs et de peines •, de leurs dégrés et du gout particulier de chaque individu: et si l'on considéré d'ailleurs que personne n'a encore entrepris de les résoudre par aucun systême qui ait été publié , j'ai lieu d'espérer qu'on ne regardera point ces omissions comme un défaut de grande conséquence. II y a dans le monde une certaine classe de personnes pour qui j'ai la plus profonde vénération, personnes universellement reconnues pour avoir le véritable goüt du bonheur, et pour être très-habiles dans les moyens propres a y parvenir. Je déclare que je serois très-faclié de différer de leurs sentimens dans le moindre point, a moins d'une nécessité absolue. Je parle de la classe illustre de ceux qui savent penser avec liberté , et qui s'appellent eux-mêmes esprits-libres. II paroïtra peutêtre au premier coup d'ceil , que la proposition III contredit leur maxime la plus essentklle •, mais de crainte que ceux qui ne connoissent qu'imparfaitement leurs écrits et leurs sentimens, ne tombent dans Terreur , je prendrai la peine de justifier mon systême contre une objecrion qui pourroit lui faire beaucoup de tort parmi les personnes juciicieuses; et j'en viendrai aisémcnr a bout , en examinant la signification du mot lïbre 3 lorsqu'il est joint comme dans ce cas ci, avec un aurre mot. Qu'est-ce que 1'ón entend , par exemple, par le mot d'dgent-Ubre, si ce n'est un être qui peut agir ou ne point agir, il ne mérite plus ce titre. Le titre d''esprits - libres impiique donc par la force du mot même, qu'on n'est pcint obligé de penserque penser Terne ÏTI, Y  33"* Du Bonheur. par conséquent n'est pas une chose nécessaire. Or ce qu'il n'est pas nécessaire de faire, peut parfaitement s'omettre i et si en cela je porte trop loin leur grand dogme , de penser avec liberté, en soutenant quon peut tout aussi bien s'en dispenser, c'est sur des preuves si fortes que je suis sur qu'ils conviendront eux-mêmes de la justesse de mon raisonnement. Au reste si je me suis écarté de leur sentiment en ce point, j'ai amplement réparé cette faute par une exacte conformité avec leurs opinions dans presque toutes les aurres parties de mon systême. Je 1'appelle mon systême, paree que je 1'ai rédigé dans une méthode nouvelle. J'avoue qu'il y en a une partie aussi ancienne que les Cyrénaiques, ou les disciples d'Aristippe de Cyrene, qui onr pensé d'après ce grand philosophe que l'homme est rié pour le plaisir, et que la vertu n'est louable qu'autant qu'elle y conduit. II y en a une partie qui est encore extraite des Epicuriens et de leurs successeurs 3 les philosophes du siècle. Le reste enfin , excepté ce qui est entièrement de moi, doit une partie de son luxe aux Quiétistes. Mais comme l'on ne sauroit parvenir a connoitre des vérités de cette conséquence sans quelque difficulté , ou au moins a les placer dans leur vrai jour, j'ai eu des peines infinies pour assurer 1'authenticité de certains passages douteux, éclaircir 1'obscurité des remarques de quelques savans ennques, humaniser pour ainsi dire les idéés sublimes de la métaphysique , et suivre la nature sans trop m'éloigner de la modesde d'une éducation remplie de préjugés : enfin j'ai si heureusement et si clairement expose le tout, qu'un homme ne peut manquer d'arriver au bonheur, a moins qu'il ne l'évite de propos deubere. La méthode que j'ai emplovée est la moins uicompauble avec la préeieuse tranquilité de ceux qui  Du Bonheur. xzp ont un goüt véritable pour la rtoble science du bonheur, s'il est permis de caractériser par le terme de science une chose dont Tidée exclut tout ce qui a I'air savanr. Je puis me flatter d'avoir saisi le goüt de tout vrai philosophe , par le petit nombre des propositions , par leur brièveté, et par une simplicité de raisonnement qui difFère aussi peu qu'il est possible de la proposition III. Si ce n'étoit 1'avantage infini que je puis moimême retirer de ce traité, je regrettois les heures pénibles que j'y ai sacrifiées , et que j'aurois beaucoup mieux employées a me tranquilliser dans mon fauteuil : mais je serai plus capable a 1'avenir de réparer par une indolence méritoire et savante, les travaux inutiles de ma vie passée; car tel est le malheur de l'homme , qu'il est forcé de penser pour découvrir qu'il ne doit point penser. O vous, les dignes compagnons de ma tranquillité, jouissez aussi des fruits de mon travail, puisqu'il ne m'en coüte aucune peine nouvelle, Apprenez de-la k vous étendre élégamment dans un fauteuil commode , sur un canapé moëlleux, ou sur un lit de duvet. Apprenez de-la a vous envelopper en hiver dans des robes fourrées; et en été, a vous allonger non-chalament sur des couches de roses et de violettes a 1'ombre des ormeaux. Et lorsque vous changerez de place, car l'homme, hélas ! doit quelquefois se remuer, ressouvenez-vous d'avoir des ressorts a votre carrosse et de longs batons a votre chaise; et ne permettez pas que votre repos soit troublé par les réflexions de ces mortels turbulens, qui ne connoissent point les douceurs de la tranquillité de la vie , et qui s'imaginent avec une absurdité ridicule que le bonheur, c'est-a-dire que les moyens d'être a son aise , doivent se rechercher dans la scène tumultueuse des sciences, de 1'héroïsme, et de 1'amour de la patrie, Y z  34® Du Bonheur. Scholie générale. Si quelqu'un trouve que ce systême du bonheur soit imparfait, je le prie de me faire voir comment on peut en établir un autre qui ait quelque solidité et quelque consistance , sans tomber dans des notions empruntées d'une religion que la sagesse profonde de ce siècle a jugé a propos de bannir ; notions qui par conséquent doivent mériter le même traitemenr.  TABLE DES ARTICLES Contenus dans ce volume. Lettre de l'auteur a m. *+*. page s Skction première. Différens sentimens sur 1'origine da despotisme. 11 6ect. II. Routes qu'il faut suivre pour parvenir aux véritables sources du- despotisme. 18 •Sect. III. Les anciennes révolutions de la nature sont les sources innocentes de toutes les erreurs humaines. zta Sect. IV. Impressions que les malheurs du monde ont dil faire sur les hommes. 27 Sect. V. Prertiiers effets des impressions des malheurs du monde sur la religion et sur le gouvernement des hommes. 3o Sect. VI. Principes des premières institutions religieuses, et erreurs qui sont sorties de I'abus qu'on ena fait. 35 Sect. VII. Principes des premières institutions civiles et politiques. Les hommes prennent le gouvernement théocratique. 5i Bect. VIII. Le souvenir des anciennes théocraties est absörbé par le tems ; les fables en conservent quelques vestiges. 68 Sect. IX. Quels ont été les usages théocratiques. On retrouve chez toutes les nations , et ces usages, et les abus sortis de ces usages corrompus. y3 Sect. X. Les théocraties produisent l'idolatrie.' 87 Sect. XI. Abus politiques du gouvernement théocratique. 100 Sect. XII. Les théocraties produisent le despotisme. 107  34i TABLE. Sect. XIII. Les usages théocratiques se conservent encora chez tous les despotes civils. 123 Sect. XIV. Suite du même sujet. J31 Sect. XV. Les usages théocratiques se conservent ches tous les despotes ecclésiastiques. ^ Sect, XVI. Tous les despotes veulent commander k la nature même. , 147 Sect. XVII. Vestiges dusages théocratiques dansles eours de l'Europe. , l52 Sect. XVIII. Sources des variétés et des contrariétée qu'on appercoit dnns les usages de différens gouvernemens despotiques. .,5^ Sect. XIX. Du despotisme de la Chine. i6z Sect. XX. Conclusion sur le despotisme. ij0 Sect. XXI.' Comment le despotisme a pris fin en Europe. Les républiques lui succèdeut. Faux principes de ce nouveau gouvernement. Sect. XX. Du gouvernement monarchique. 178 Observations sur 1'esprit des loix. 1Ql Essai philosophique sur le gouvernement. i83 Esope Fabuliste. 25