Bibliotheek Universiteit van Amsterdam UI ÓVZ7 9622  O E U V R E S D E BOUL LANGER. TOME CINQUIÈME.   ÖEU VRES D E BOULLANGER. Homo, quod rationij est particeps, consequentlam cerm't, causas rerum videt, earumque progressus et quasi antecessiones non ignorat, si'miiitudiaes comparat, rebus praesentibus adjungit, atque annectit futura».' Cicero de offic. lib. \, e. 4. TOME CINQUIÈME. A AMSTERDAM. ^ 7 9 4.   DE LA CRU AU TÉ RELIGIEUS E. INTRODUCTION. Je vais examiner dans eet essai les différentes espèceS de cruautés religieuses. Je comprends également sous ce nom , soit les opinions religieuses qui procèdent de la eruauté ou qui la font naitre, soit les actes de barbarie qu'impose la religion même , ou ceux dont ses zélateurs se font un devoir pour son service et par amour pour elle. La croyance en Dieu étant le fondement de toute religion , c est en général 1'idée qu'on se fait de 1'Etre suprème qui imprime un caractère au culte qu'on lui rend : si les hommes se figurent un Dieu tyrannique, capricieux , ou méchant, leur religion respirera 1'esclavage , 1'inconséquence, la eruauté. Mais s'ils regardent sincèrement la Divinité comme un être infiniment sage et bon , 1'on a droit den conclure qne leur religion sera pleine de r aison et de bienveillance et déterminera a suivre une conduite honnête. Les adorateurs d'un seul Dieu disent, sans doute , que eet ctre est doué d'une sagesse et d'une bonté infinies; mais s'ils lui atrribuent des actions de eruauté , s'ils s'imaginent qu'on peut lui plaire par des pratiques vaines et puériles ou par des actions barbares • s'ils pensent que Dieu luimême ait ordonné de telles choses , alors 1'idée qu'ils Tome V. A  2, De la eruauté ont réellement de la Divinité sera directement opposée a celle qu'ils en disent, et ce sera cette idéé qui constituera 1'essence de leur religion. Bien des gens sans s'en douter croyent a un Dieu cruel, et en conséquence ils sont cruels en fait de religion. lis en imposent la-dessus a eux- mêmes et aux autres. Mais qu'ils s'interrogent eux-mêmes de bonne foi et qu'ils se demandent'comment ils s'imaginent au fond de leur cceur que 1'Etre suprème traitera dans 1'autre monde la plus grande partie des hommes qu'il a créés et nommément les infidcles quoiqu'inévitablement tels : qu'ils se demandent comment eux-mêmes , s'ils en avoient le pouvoir , traiteroient en ce monde les gens qui ne s'accordent pas avec eux sur le culte ou sur les dogmes de la religion : ces questions mürement examinées et répondues avec candeur feront voir 1'opinion des hommes touchant la divinité , et leur religion dans un jour trésdifférent de celui sous lequel on les avoit d'abord envisagées. Quoique la plupart des hommes conviennent qu'il n'y a point d'opinions plus importantes par les conséquences que celles qui ont Dieu et la religion pour objet, cependant il n'y en a point qu'on prenne plus communément sur parole. On apprend le symbole et le catéchisme par routine ainsi que des vaudeviles et des chansons; 1'on ne raisonne pas plus sur les uns que sur les autres. Un grand nombre d'articles de foi sont embrassés avec chaleur , soutenus obstinément, courageusement défendus, non paree qu'on les trouve raisonnables, mais paree qu'on s'estaccoutuméde bonne heure ales respecter, ou paree qu'ils s'accordent soit avec le tempérament soit avec les intéréts qu'on peut avoir. Nous sommes disposés a penser que les opinions dont on nous a  Religieuse. j pénétrés dans notre enfance et que 1'habitude a fait en quelque facon croitre avec nous sont des résultats de nos propres raisonnemens quoique nous ne les ayons jamais examinées. II y en a quelques-unes qui sent si évidemment vraies qu'il importe peu de savoir si elles ont été découvertes par nous-mêmes ou simplement acquises; mais pour celles qui peuvent comporter le moindre doute, il est très-essentiel pour nous de ne les admettre qu'après le plus tnör examen; cela seul peut nous donner le droit de les regarder comme véritablement a nous. Après ce petit nombre d observations préliminaires nous allons partager notre sujet dans les trois chefs suivans. Nous examinerons : Premièrement les opinions que la plus grande partie du genre humain a recues et recoit encore sur la eruauté des dieux qu'il adore. Secondement les dévotions barbares dont la pratique est ordinaire. Troisïèmement les traitemens inhumains que les hommes se font réciproquemment éprouver a cause de la différence deleurs cultes et de leurs opinions en matière de religion SECTION PREMIÈRE Les hommes ionnent toujours aux dieux qu'ils adorent les passions qu'ils ont eux-mêmes. N ■ , , X ^ ous ne savons nen de clair ni de satisfaisant sur la création de 1'homme (i). Nous ignorons donc l'o- (0 Les re!aüons de tous les auteurs payens eoncernant 1'origine de A i  ^ De la cruaute pinion première qu'il eut de son créateur et quel fut au commencement 1'objet de son adoration. Si nos premiers pères ont admis 1'existence d'un être éternel, invisible , tout-puissant, d'une bonté infinie, créateur de 1'univers, il est vraisemblable que presque toute la postérité perdit bientöt et cette connoissance et tout sentiment raisonnable sur la divinité (1). Selon les anciens témoignages que nous avons de 1'histoire, les hommes dès les premiers ages du monde ont adoré les plus étranges dieux : rien de plus ridicule que leurs différentes opinions sur cette multitude de Divinités; elles sont si absurdes que si nous n'en avions pas des preuves incontestables , il nous seroit impossible de ctoire que l'homme doué d'abord de quelque intelligence , eüt pu se dépraver a ce point et tomber dans eet abime de déraison; ces notions furent également absurdes et changeantes, et cela devoit nécessairement arriver •, en effet si la vérité est de sa nature circonscrite et toujours la même , Terreur n'a pas plus de forme fixe que de limites. Mais les hommes en s'écartant de la vérité par différentes routes se sont généralement réunis en un point sur le compte de leurs Dieux ■, ils leur ont attribué les dispositions et les passions qu'ils éprouvoient eux-mê- 1'homme sont indubitablement des fablcs ; et le rècit qu'en fait le IrfM de la Genese , attribué a Moyse , est regardè par plusieurs savans comme une pure allegorie ; en effet il ressemble plus è une allégor.e qu'4 une histoire; au moins est-il trés-sur que ce rècit est étranglè, obscur et peu satisfaisant. (i) Suivant ce qu'on nous enseigne et 1'opinion communéraent reeue, tous les hommes descendent ffui seul homme et de sa femme; ma.s cette opinion paroit insoutenable par plusieurs raisons , et sur-tout par rimpossibilité de faire sortir des mémes parens les hommes blancs «t noirs. Mais qu'il y ait eu d'abord un ou plusieurs couples d'homn:es créès, ce'a ne fait rien a 'a question dont il s'agit.  Religieust. $ mes, et souvent leur ressemblance corporelle (i). Car qu'y a-t-il eu de plus commun dans la plupart des nations et des religions que de représenter les Dieux sous la fïgure humaine ? Parmi les Chrétiens même , et sur-tout parmi les moines d'Egypte, il y eut autrefois une secte qui professoit l'antropomorphisme; elle fondoit ce sentiment sur ce qu'il est dit que 1'homme fut créé d l'image de Dieu. L'opinion de ces Moines fut portee jusqu'a un tel dégré de fureur qu'ils auroient assassiné Théophile leur Evêque qui avoit écrit et prêché contre elle , s'il n'avoit eu 1'adresse de les calmer en leur disant : lorsque je vous vois je crois voir la face de Dieu (2). Tertullien et Epiphane, ces deux grands antagonistes des hérésies, ont été accusés de cette erreur. En effet qu'y a-t-il de plus commun parmi ceux qu'on appelle chrétiens que de voir le tout-puissant, ï'incompréhensible, 1'invisible créateur de 1'univers représenté sous la figure d'un foible mortel (3) ? II est évident que la plupart des hommes se prennent eux-mêmes pour modèles dans les idéés qu'ils se font des dieux et même d'un seul Dieu ; ils agrandis- (1) Les Lacédémoniens , Ie peuple le plus belliqueux de !a terre , représeRtoient toujours leurs dieux et même leurs déesses en habit de guerre. Pierre Kol'e , dans sa relation du Cap de Bonne - Espérance , nous dit que quel [ues-uns des Hottentots , les hommes les plus malpropres qui' existent , qui se baibouillent Ie corps avec de la suie incorporée dans de la graisse et ne se vètissent que de peaux de bètes , soutieniient que Dieu ressemble par sa couleur, sa figure et son habilJement aux plus beaux d'entr'eux. (2) Voyez Sozumène de la traduction franroise de Cousin , cha . II, page 472. (5) Les tableaux de Dieu le Pére, sous la figure d'un vieillaid , sont très-communs dans les pays catholiques Komains. L'auteur de eet essai a vu a Lyon un Dieu le Pére coêffé d'un chapeau a la mode, a troi* citéi, apparemmeut pour représeiiter la Tiiaité. A 3  £ De la eruauté sent seulement leurspropres dimensions; un Dieu nest pour eux qu'un homme colossal , ou, si Ton veut, rhomme est un Dieu pigmée. II est vraisemblable que sid'autres animaux, soit reptiles, soit insectes, étoient capables d'imaginer des dieux 3 ils leur donneroient aussi leur propre resseroblance ; ce seroient des dieux éléphans ou fourmis, des dieux brebis ou lion: Cette propension générale que les hommes ont de donner a leurs divinités les dispositions et les passions qui les dominent eux-mémes, nous rend très-bien ra* son de la eruauté qu'ils ont toujours attribuée a leurs dieux. Elle est en même tems une preuve très-forte de la eruauté naturelle du cosur humain. Les hommes sentent par leur propre expérience et par celle. des autres combien le pouvoir est étroitement üé avec la tyrannie et la eruauté. Ils ont la-dessus des exemples tirés de la conduite des maitres avec leurs serviteurs, des maris avec leurs femmes , des pères avec leurs enfans, des précepteurs avec leurs pupilles , des monarques absolus avec leurs esclaves ; et comme ils ont attribué a leurs dieux un pouvoir illimité, ils ne mettent aucunes bornes a leur tyrannie et a leur eruauté (i). (1) Dans 1'antiquité et dans les contrées payennes , la plupart des serviteurs étoient esclaves et traités avec une extréme barbarie. Le rlocteur Jortin, dans son excellent discours sur la religion chrétienne, obserre quele christianisme a proscrit un grand nombre d'usages atroces et sur-tout relativement aux traitemens des serviteurs. On auroit vraiment une grande qbligation au christianisme, s'il eüt aboli toutes les barbaries dont Ie docteur nous parle et spécialement celle-la. En Europe , ou les serviteurs ne sont pas escLves , oü ils servent de plein gré, et sont sous 1» protection des loix , il n'est pas au pouvoir des maitres de les traiter aussi cruellement qu'ils le voudroient; cependant il faut avouer que dans nos colonies en Amérique beaucoup de chrétiens traitent leurs esclaves avec nne barbarie iuconnue aux payens mèniei Le digne et savant auteur que j.e viens de citer donae, dans UHe note'  Religieust. 7 II est évident, par des exemples sans nombre , que la plus grande partie du genre humain, dans tous les tems, dans toutes les nations, dans toutes les religions, a tegardé cette eruauté comme un attribut de ses dieux. Les payens ont généralement supposé que les leurs les chatioient par les plus grandes calamités, comme> la famine ou la peste •, et cela communément pour 1'omission de quelque cérémonie vaine et ridicule , ou pour avoir méprisé quelque conté absurde de leurs devins ou de leurs prêtres. S'ils croyoient leurs dieux capables de s'irriter par des sujets aussi frivoles , ils pensoient aussi pouvoir les appaiser par des expiations du même genre. On n'employoit souvent pour cela que quelques chansons , quelques danses ou quelques jeux en leur honneur (i). Les Romains sur-tout, lorsqu'ils étoient affligés de quelque contagion, pour expier leurs péchés et appaiser les dieux , nommoient un dictateur dont les fonctions se bornoient a attacher un clou au temple de Jupiter ; il abdiquoit sa magistrature après cette belle cérémonie. un exemple de la manière dont Sénèque, qui étoit un payen , pla.de la cause des serviteurs. Son plaidoyer est si raisonnable et s. Uumain que je ne puis que le transerire ici. » Ils sont esclaves , mais .!s son t » aussi des hommes. I's sont esclaves, mais vos commensaux. Ils » sont esclaves, mais ce sont des amis ma heureux. Ils sont esclaves, „ mais ils sont vos confrères, si vous pensez que la fortune pou„ voit vous traiter tout comme eux , etc. «. Sénèque, ipitre 47 > ™ commenr ement. Nous devons cependant convenir qu'il y a bien peu de serviteurs assez fidèles, assez attachés, assez soigneux pour ètre justement regardés comme des amis malheureux. II n'en est pas moins cettam que leurs maitres doivent toujours se souvenir qu'ils sont de la msme espèce qu'eux , et par conséquent les t.aiter avec indulgence et humaniré. (0 Lclecteur verra sans doute que dans ces sortes d'expiations, aussi bien que dans d'autres pratiques religieuses , les payens ont ètè ïmitcs de bien prés par un grand nombre de chréüens. A 4  § De la eruauté Que des payens qui déifioient souvent leurs semblables et particulièrement leurs princes les plus odreux, attribuassent encore la eruauté a des dieux fauteurs de leurs vices aussi bien que de leurs vertus , il ne faut pas s'en étonner. Mais que les adorateurs dun Dieu infiriiment bon lui fassent la même injure, cela est aussi absurde qu'étonnant. Cependant il est notoire que les juifs 3 chrériens et les mahométans, qui tous prétendent croire un pareil Dieu , le représentent comme plus cruel encore que les dieux payens. L'opinion enseignée par les juifs, adoptée et propagée par les sages chrétiens , ést qu'un Dieu roiscricordieux et bienfaisant, rempli de patience, riche en bonté , plein d'une compassion tendre , prêt a pardonner lmiquité , les rransgressions, les péchés , ne laisse pas de voi.loir chatier cruellement les coupables , venge les iniquités des pères sur les enfans er sur les enfans des enfans, jusqu a la troisième et quatrième génération (i). L ancien testament nous fournit beaucoup d'autres exemples de la croyance oü étoient les juifs que Dieu punissoit Tinnocent pour les crimes du coupable. Un exemple inique, mais remarquable en ce genre peut suffire. On lit dans le livre des chroniques, chap. 21, que le roi David ordonna le dénombrement du peuple d'Israël. II est vraisemblable que ce fut par un motif de vanité; néanmoins ce ü'étoit pas un crime d'une profonde noirceur ni comparable pour 1'atrocitè a beaucoup d'autres qu'avoit commis eet homme selon le cceur de Dieu. Cependant Dieu en fut tellement irrité qu'il (1) Les chrétiens ont encore porté cette opinion beancoup plus loin gue la troisième et quairième génération. Ils ont étendu la vengeance divine deputs le premier homme jusqu'au dernier : pour Ie péchc ii'Ajiaet tQute sa posiiiité sq trouye puuie.  Reügieuse. 9 frappa Israël de la peste , et fit périr soixante dix mille hommes. Si le dénombrement étoit un crime, c'étoit celui de David et non celui du peuple : lui-même le sentit si bien que voici quelle fut sa prière a Dieu. " N'est-ce pas moi qui ai ordonné le dénombrement ? » C'est donc moi qui ai pêché, mais pour ce rroupeau » qu'a-t-il fait » ? II est évident que le peuple ne pouvoit pas plus empêchef son dénombrement que le peut un troupeau de mourons et qu il n'étoit pas plus coupable. Cependant après que Dieu eüt détruit par ce motif jusqu'a soixante-dix mille hommes, comme nous 1'avons dit j « il se répentit du mal qu il avoit fait et dit " k 1'Ange exterminateur : c'est assez , que ta main « s'arrête a présent >■>. Telle est 1'opinion de la eruauté avec laquelle les payens et les juifs s'imaginoient que leurs dieux les punissoient en ce monde; cependant les plus fortes punitions temporelles ne sont que des afflictions légcres en comparaison des tourmens étemels réservés aux pécheurs dans 1'autre monde par le Dieu de bonté , si Ton en croit ceux qui admettent le degme de la vie future : en effet, selon le plus grand nombre des chrétiens un malheur éternel doit être le partage non-seulement des scélérats atroces et opiniatres , mais aussi des pécheurs qui toutes circonstances pesées n'ont pu 's'empêcher de tomber dans quelques fautes suites nécessaires de leur fragilité. Les mêmes peines sont décernées pour 1'omission , même absolument involontaire, de certaines cérémonies qui ne peuvent assurément piuifler ni le cceur ni la conscience. C'est le cas des enfans qui meurent sans baptême. Tous les infidcles et les incrédules sont encore également menacés de la damnation éternelle ; ainsi la croyance du vrai Dieu ayant été pendant un grand nombre de siècles exclusivement accordée a un peuple  i© De la eruauté obscur, méprisable , méchant ( comme le dépeignent ses propres historiens et ses prophêtes ) vu que ce peuple habitoit une petite contrée qui n'avoit que peu de commerce avec ses voisins > il s'ensuit que faute d'avoir la connoissance du vrai Dieu tout le reste du genre humain a dü être éternellemenr malheureux. Nous sommes obligés de croire que les Aristides , les Phocion , les Timoléon , les Epaminondas, les Socrates, les Platon , en un mot que les hommes les plus excellens du paganisme ont été enveloppés dans cette cruelle sentence. Depuis la venue du Christ nous devons damner et tous ceux qui n'ont point cru en lui quoiqu'ils n'en ayent jamais entendu parler j et ceux aussi qui le reconnoissant pour Dieu n'ont point admis le même genre de culte ou de doctrine enseigné par quelque secte particuliere ; c'est ce qu'osent soutenir les catholiques Romains , et c'est au moins ce que présume un grand nombre de protestans : voila , si vous en croyez les mahemétans, la facon dont Dieu traitera tous les hommes qui n'auront point reconnu leur prophéte, et qui n'auront point regardc 1'Alcoran et sa doctrine comme émanés du ciel. » Vraiment, dit ce livre prétendu céleste , nous jet» terons dans le feu de 1'enfer ceux qui méconnoitront » les signes de notre foi. A mesure qu'ils seront bien » gtillés, nous leur donnerons des peaux nouvelles en » échange, afin qu'ils puissent gouter des tourmens plus » aigus : car Dieu est puissant et sage». Etailleuts: » ceux qui ne croiront pas seront enveloppés de vête» mens de feu. Une eau bouillante torabera sur leurs » têtes; leurs entrailles et leur peau seront déchirées » et ils seront continuellement battus avec des masses » de fer. Toutes les fois qu'ils s'efforceront de sortir » de 1'enfer pour se soustraire a la rigueur des tour-  Religieus e. 11 » mens, ils y seront entraïnés et leurs bourreaux leur » diront, savourez le tourment du feu». En un mot plusieurs chrétiens ont cru et enseigné que Dieu a condamné la plus grande partie du genre humain, des milüons de milhons de ses propres créatures a soufFrir dans un lieu ou toutes les facultés de 1'ame et du corps seront tourmentées continuellement et sans relache. » C'est la, ö pécheur ! que tu vivras dans une éternelle " prison de ténèbres extétieures, oü il n'y aura d'or» dre que la confusion et 1'horreur; ou 1'on n'entendra » que la voix des hurlemens et des blasphêmes, d'autre » bruit que le grincement des dents ; oü 1'on n'aura » d'autre société que celle du diable et de ses anges » qui tourmentés eux-mémes n'auront d'autre soula» gement que de te faire éprouver leur fureur. <5". » Mathieu, chap. 11, , vs. 42 et chap. 15, vs. $6, » &c. C'est la que la punition sera sans pitié, la mi» sère sans grace , la douleur sans consolation _> la » méchanceté sans mesure , le tourment sans repos. » Apocalipse chap. 14 vers. 10. 11. La colère de » Dieu péaétrera 1'ame et le corps comme la flamme » se saisit d'un bloc de souffre ou de poix. Daniël, » chap. 7 vers. 10. Dans cette flamme tu seras tou» jours brulé j sans jamais consumer , toujours mou» rant sans mourir, roujours rugissant dans les angoisses » de la mort sans jamais en être délivré ni sans pou» voir espérer la fin de tes peines : de sorte qu'aptès les » avoir endurées autant de milliers d'années qu'il y » a de brins d'herbes sur la terre, de sable dans la mer, » de cheveux sur la tête de tous les enfans d'Adam „ nés ou a naltre, tu ne seras pas plus prés de la fin „ de tes tourmens que tu n'étois le jour oü tu y fus „ précipité. Loin de finir j ils ne feront a chaque ins„ tant que commencer, car ce seroit quelque soulage-  12 De la eruauté „ ment que d'envisager une fin possible a ton malheur „ après tant de milliers d'années ; mais chaque fois 3J que ton esprit se rappellera ce mor, jamais, et il „ se le rappellera a tous les instans 5 ton cceur sera 3, déchiré par la rage , et par un affreux désespoir; cette „ idéé horrible aiguisela encore tes douleurs insupporta„ bles qui excedoientdéjatout pouvoir d'exprimeroud'i„ maginer. Ce sera un nouvel enfer au milieu de 1'enfer „ même „. (j). Avec quelle surprise ne doit-on pas lire un récit si choquant, si terrible , et qui par les idéés qu'il donne de la manière dont Dieu traitera ses créatures, semble s'être proposé de le transformer en un Démon ! Je ne peux pas quitter le sujet de Dieu , condamnant ainsi les hommes a des tourmens éternels et inouis, sans proposer une question a ceux qui sont assez malheureux pour admettre une doctrine aussi blasphématoire er aussi diabolique. Je la propose sur-tout a ceux qui sans la croire sont assez laches ou assez pervers pour 1'enseigner et la répandre. Je leur demanderai donc quelle peut être la fin légitime et avantageuse de toute punition ? N'est-ce pas en premier lieu de corriger les coupables ? ce qui certainement est très-fort a désirer: en second lieu , n'estce pas de détourner les hommes de commettre les crimes pour lesquels ils en voyent d'autres punis ? Enfin n'est-ce pas d'éloigner ou de retrancher de la société des (1) C'est ainsi que s'exprime un de nos docteurs dans une séi'ieuse et pathétique description du ciel el de tenfer crayonnèe par le S. Esprit selon les meillmirs interprétes, etc. qni se trouve dans le livre ïntrtulé : Tous les devoirs du chrétien , impriraé a Lpndres aux dépens de 1'höpital de Ghritt 1723, p. 12. i3. L'on observera que tous les renvois a 1'éeriture sont de mon auteur , lequel par conséquent en deineure le garant.  Religieust. 13 membres qui sont a craindre pour elle? Telles sont les notions invariables que les hommes doivent se former du bur que les chatimens doivent se proposer; or des chatimens éternels ne remplissent aucunes de ces vues légitimes; le coupable ne peut pas être corrigé ; il le seroir même inutilement, car corrigé ou non, il sera toujours tourmenté. Son exemple ne peut pas en détourner d'autres du crime; sa conduite ainsi que son destin sont irrévocablement déterminés. Enfin 1'on ne peut pas imaginer que parmi les damnés quelqu'un pnisse être dangereux pour la société. Est-il possible que les hommes puissent tomber dans une contradiction aussi manifeste que de représenter Dieu comme un Etre d'une bonté infinie, ou même de 1'équité la plus ordinaire, et croire en même tems ou enseigner qu'il punit ainsi ses créatures ? ne devroientils pas plutót le représenter comme un démon barbare, comme un Etre infiniment injuste et cruel ? II crée 1'homme par un acte de sa volonté pure, afin de cöndamner ensuite 1'ouvrage de ses mains a une éternelle misère ! Quelle est la cause de cette rigueur ? 11 est puni pour des choses qui n'ont aucunement dépendu de lui! Est - il un seul homme assez féroce pour youloir de sang-froid, pour quelque raison que ce fut, condamner a des tourmens éternels ses propres enfans, ou même un ennemi déclaré ï En est-il un assez impitoyable pour ne pas épargner a quelque être que ce fut des tourmens sans mesure> L'homme de bien ne voudroit-il pas au contraire répandre le bonheur aussi loin qu'il pourroit s'étendre; Tout son désir ne seroit-il pas de procurer la félicité a tous les êtres créés; Quoique ces notions indignes et absurdes sur la divinité soit originairement émanées d'une disposition barbare que bien des gens portent en eux mêmes et qui est inspirée a d'autres par  14 De la eruauté différens moyens , on leur enseigne ces opinions et elles s'impriment plus ou moins profondément dans leur ame selon que par tempérament ils sont plus ou moins disposés a la eruauté. Mais on devroit faire attention que loin de servir la religion en inculquant la doctrine des peines éternelles , Ton fournir des armes a lathéisme qui anéantit toute religion, et d'un autre cöté 1'on jette dans le désespoir un grand nombre d'ames honnêtes, simples et timorées, sans contenir les méchans intrépides et endurcis , dont des craintes éloignées ne peuvent, comme 1'expérience le prouve , réprimer les excès. SECTION II. Que les hommes devroient bienprendre garde aux idees qu'ils se font de la divinité. Je ne crois pas qu'on puisse raisonnablement nier que les hommes en général ne forment leur religion et ne règlent leur conduite sur les idéés qu'ils ont de la divinité : il est donc trés important pour eux d'examiner avec soin ces idéés et de se former une juste opinion des dieux qu'ils adorent. Le pieux auteur de tous les devoirs de l'homme a intitulé un de ses chapitres: Des maux occasionnés par les erreurs sur la divinité. En effet c'est la source des plus grands maux. Si Ton croit que Dieu soit partial, in juste , colère , vi-ndicatif, tyrannique er cruel , il faut bien , pour ressembler a son Dieu, ce qui est une ambition naturelle et raisonnable, s'efforcer de réunir ces mêmes qualités : il est bien vrai que , pour être méchans , les hommes n'ont pas besoin d'être excités par eet exemple, mais  Religieus e. i ^ i] ne 1'est pas moins que de telles opinions sont Un aiguillon de plus a la méchanceté naturelle. Prétendre que Dieu ait pu faire choix de quelques personnes ou même d'un peuple , de même que les hommes choisissent leurs favoris c'est attribuer a la divinité une partialité et une folie indignes de ses perfections. Si par hazard ces prétendus favoris se trouvoient les plus méchans et les plus vils des hommes, si 1'on prétendoit qu'en leur faveur Dieu a exterminé d'autres nations , ce ne seroit pas seulement lui attribuer de la partialité et de la folie, mais encore ce seroit 1'accuser d'injustice et de eruauté, ce seroit blasphémer. Quelle idéé doit-on se former de la divinité lorsqu'on voit un Roi injuste , ingrat, adultère, barbare , tyran et meurtrier (i) appellé l'homme selon le coeur ie Dieu ? II est vrai que si en beaucoup d'endroits d'un certain livre on substituoit le mot Prêtres au mot Dieu cela serviroit merveilleusement a éclaircir un grand nombre de passages obscurs et a leur donner un sens (i) Ce que 1'on dit ici est amplement prouvé par tout ce que 1'fcriture rapporte de David. Sans s'arrèter au doublé crime d'adultére ct de meurtres commis en Ia personne d'Urie et de lietsabée, si ènergiquement représenté parNathan dans la parabo!e de 1'agn.eau, on y trouve encore bien d'autres témoignages de barbarie. Quand il eut pris la rille de Rabbah , « il en fit sortir les habitans , il fit scier les uns » il mit les autres sous des herses de fer , en fit hacher d'autres, ou » les fit jetter dans des fours k brique. II traita ainsi toutes les villes « des enfans d'Ammon ., Les Rabbins , loin de chercher a atténuer la eruauté attribuée k David , ne font aucune difficulté d'assurer que 1'exécution des Ammonites fut accomplie avec la deraière barbarie : cependant après eet aveu üs s'efforcent de justifier David de cette rigueur qui, selon eux, étoit nécessaire pour frapper de teneur les nations voisines , afin qu'aucune ne méprisat 4 l'avenir les Israèlites , mait respectat plutót I* peuple que Ie Seigneur avoit choisi. Voyez mém. 3 fit „. Si les hommes pouvoient se tromper eux-mêmes et les autres jusquau point de croire que Dieu puisse quelquefois dispenser de ces régies et recommander des choses qui leur seroient contraires , ce seroit certainement ouvrir les portes aux crimes les plus atroces. Cela n'est-il pas en effet arrivé ? Des nations entières n'ont-elles pas prétendu et cru , sans doute , que Dieu leur avoit ordonné d'entreprendre les guerres les plus injustes , de tourmenter , d'assassiner jusqu'a leurs propres enfans, de détruire des nations 3 Des barbaries de toute espèce n'ont-elles pas été commises au saint nom du Seigneur? II n'est sans doute ni un livre, ni un homme, ni même un ange descendu du ciel qui méritent aucune créance s'ils enseignent que Dieu soit cruel ou commande aux hommes de 1'être. Tant que les hommes croiront que tous les actes d'injustice , de violence, de barbarie offensent la divinité et sont contraires a sa loi j on pourra se flatter qu'ils seront détournés He les commettre •, mais a quoi ne doit-on pas s'attendre lorsqu'ils seront dans 1'opinion contraire ? Que n'a-t-on pas a craindre sur-tout des souverains et des nations qui ne peuvent être contenus par les loix humaines ? C'est une excuse bien foible et bien fausse que de dire que nous ne connoissons point la profondeur des décrets de la divinité; il n'est pas moins téméraire d'assurer que 1'on puisse démontrer que Dieu commande de pareilles actions. La première de ces raisons ne prouve rien. Dieu dans ses décrets ne peut point avoir résolu des crimes : il répugne a toute idéé raisonnable de la divinité qu'elle puisse ordonner des actions méchantes et criminelles, et par conséquent la preuve de fait ne doit jamais être Tomé V*. 13  18 De la eruauté admise. II est impossible d'admettre comme révélation divine ce qui renverse la certitude de tous les principes qui doivent être supposés précédemment a toute révélation , car c'est détruire les seuls moyens par lesquels nous puissions juger de la vérité d'une révélation divine. Comment supposer que l'être infiniment sage, juste et bon put se plaire a établir les loix les plus nécessaires pour ses créatures telles que sont celles de la morale , et leur ordonner ensuite d'enfreindre ces mêmes loix en appuyant ses ordres par des miracles ? Supposons une nation méchante et dépravée (si jamais il y en a eu d'autres ) pouvons-nous imaginer que Dieu soit assez destitué de moyens de la punir pour être obligé de charger a eet effet une autre nation de devenir encore plus méchante et plus cruelle que la première ? Pouvons-nous croire qu'il ordonne de n'épargner ni les bo;ub, ni les anes, ni les troupeaux qui n'ont point peché , et de massacrer indistinctement les hommes, les femmès, les vieillards et les enfans a la mammelle ? La vérité est que , quand des enthousiastes , des fanatiques ou des hypocrites qui font hautement profession d'être dévots , ont cemmis ou sont prêts de commettre quelque action détestable , lorsqu'ils ont intérêt de la faire commettre a d'autres, ils se couvrent du nom de la divinité et prétendent qu'elle est ordonnée ou inspirée par elle ; par ce moyen ils ajoutent a la barbarie 1'impiété et le blasphême. Les régies naturelles _, les limires de la vérité sont la morale et le bon sens ; ce sont la les loix de Dieu qui ne sont point écrites sur des rables de pierre, ■mais qui sont profondément gravées dans les cceurs des hommes. Mais si ces loix sont une fois écartées ou enfreinres , alors Terreur , 1'enthousiasme et le fa-  Religieuss j ^ liatisme , semblables a un torrent, renversent la vérité et entrainent avec elle tout ce qu'il y a de plus sacré et de plus utile au genie humain. Quelles opinions extravagantes et monstrueuses ne peuvent pas être débitées comme des révélations divines ! quelles actions 3 quelqu'atroces qu elles soient , ne seront- pas sanctifiées sous le nom de devoirs religieux, et quand on les fera passer pour des commandemens de Dieu! C est assurément le comble de la fourberie et de 1'impudence dans quelques hommes d'oser dire que Dieu leur ordonne de violer les loix sacrées de la nature et de la société en commettant des actions atroces et barbare* ; c'est le dernier terme de la folie et du délire fanatique que de devenir fauteur d'une imposture aussi caractérisée. Prétendre que Dieu a fait des miracles pour autoriser des ordres qui détruisent ses loix éternelles et inviolables , c'est employer la fraude la plus indigne pour soutenir la fausseté la plus manifeste. S E C T I O N III. Des cruaute's religieuses que les hommes exercent sur eux-mêmes. A XXpres avoit en peu de mots exposé les opinions fatales que la plupart des hommes se font communémenr, soit des divinités, soit du Dieu qu'ils adorenr, nous allons passer au second point , et nous examinerons les usages barbares er les rites cruels qu'ils ont souvent pratiqués dans leurs cultes divers. Les pratiqués de ces cultes doivent naturellemenr se conformer aux idéés que les hommes se font de leurs divinités 5 d'ailleurs 1'expérience le prouve. En effet les B *  zo De la eruauté peuples s'étant généralement persuadés que leurs dieux, ou leur Dieu unique , étoient des êtres cruels , leur culte s'est presque toujours senti de ces notions dan- gereuses. Ces pieuses cruautés ont été exercées par les hommes tantót sur eux-mêmes, tantót sur des animaux, tantót sur les êtres de leur propre espèce. Tout le monde connoït les étonnantes barbaries que les Idolatres et les Payens, tant anciens que modernes, ont exercées sur eux-mêmes; le lecteur, pour peu qu'il soit instruit , ne peut manquer de s'en rappeller des exemples frappans, mais comme dans un autre ouvrage je me suis étendu sur ce sujet , je ne rapporterai ici que quelques traits , afin de passer a ceux que 1'on rencontre parmi les Chrétiens. II est vrai que les cruautés pratiquées par ces derniers ne paroissent pas au premier coup-d'ceil si révoltantes que celles des Payens; on ne voit pas les Chrétiens se précipirer, comme les Japonnois, tout vivans dans des abunes; on ne voit pas des généraux chrétiens se dévouer a une mort certaine en se jettant au milieu d'une armée ennemie ; on ne voit point parmi nous des hommes se briser contre des rochers ou cora-, me les Indien s se faire écraser sous les roues d'un chariot qui porte les Dieux; cependant en regardant la chose de prés nous trouverons les pratiqués des chrétiens a plusieurs égards plus pernicieuses que celles des Payens même et dérivées comme les leurs des notions atroces qu'ils se font de la divinité qu'ils honorent: en effet si ces Chrétiens ne s'imaginoient pas que leur Dieu est très-cruel , ils ne snpposeroienr pas qu'il peut approuver et encore moins commander les tourmens rigoureux qu'ils s'infligent a eux-mêmes. Indépendamment des austérités pratiquées par un  Religieuse. 11 grand nombre de Chrétiens qui se sont fait un mérite de vivre dans des déserts, parmi des rochers inaccessibles, dans des cavernes , de se refuser les besoins de la vie, de se laisser mourir de faim , &c. Combien ne voyons-nous pas de gens des deux sexes s'enfermer pour la vie dans des monastères ! II est vrai que quelques-uns y vivent dans 1'aisance j mais d'autres semblent s'être condamnés a une prison perpétuelle , et se trouvent entièrement privés des douceurs de la société. Ces pauvres reclus se soumettent a des austérités pénibles , a une mal-propreté brutale (i); ils ne portent point de linge , ils gardent leurs habillemens jusqu'a devenir des objets dégoütaus les uns pour les autres ; ils s'imposent des chatimens sévères , ils se donnent fréquemment la discipline ; on les voit dans de certains pays se flageller publiquement dans les mes; en un mot ils s'obligent par des sermens et des vceux a ne jamais travailler a leur bonheur. La vie monastique et le célibat forcé sont certainement très-préjudiciables a ceux qui les embrassent; ces institutions sont propres a causer des maladies dangereuses et a nuire également a 1'esprit et au corps: elles sont très-nuisibles a la société , pour qui elles rendent un grand nombre de ses membres totalernent inutiles, en mettant des obstacles a la population. Bien plus , c'est un outrage a 1'espèce humaine et a la na- (i) .S. Athanasc nous apir»nd dans Ia Ti'e de S. Antoine, 1'un dos premiers fomlateurs du mouachisme , que ce saint liomme portoit sur sa cnair un ciiice , ou une chemise de erin , par dessus 'aquelle il avoic un habit de peau, qu'i' porta toute sa vie. II ajoute que jamais i'l ne se lavoit méme les pieds ; a moins qu'en vovageant if ne vint •par hajard a les mouiller. Quelle religion qne celle qui fait un mérite de pareil'es indignités ! que les idéés doivent avoir de Dieu des hommes qui s'imaginent qu'il faut ètre mal-propre pour lui plaire ! B 3  li I>e la eruauté ture (x) ; et, ce qui est encore plus terrible , ces usages insensés sont souvent cause que des mères sont forcées de détruire leurs enfans, et que les moines se livrent a des crimes contre nature. Nous terminerons ces réflexions en rapportant quelques exemples frappans des cruautés exercées contre eux-mêmes par des Chrétiens épris de 1'idée de se rendre agréables a un Dieu dont la bonté est infinie. Cressy dans son histoire de 1'église nous dit que StEgv/in se chargea d'une chame de fer et fit dans eet équipage un pélérinage a Rome. Acepsemas qui , selon Théodoret, fut un homme au-dessus de tous les éloges , se tint pendant soixante ans dans une celluie sans voir personne et sans parler a qui que ce soit. Le même Théodoret rapporte qu'un moine, appelé Baradatus , imagina pour son habitation une espèce de cage, formée d'un treillage si peu serré qu'il püt demeurer exposé aux injures de 1'air , et si basse qu'il ne pouvoit pas s'y tenir de bout, de manière qu'il étoit obligé de rester toujours courbé. Un autre moine , nommé Thalalcus j qui étoit d'une taille fort grande, s'enferma dans une autre cage si étroite et si basse qu'il étoit forcé d'avoir continuellement la tête entre ses genoux; il avoit été dix ans dans cette posture lorsque Théodoret le vit. Le même auteur nous dit que S. Siméon Stylite , (i) On compte qu'en Piance les prétres , les moines et les re'igieuses montent a 5oo,ooo mille , tandis que le nombre des habilsns se monte k 24 millions. En y comptant six mülions d'adu'tères on jtrouvera que parmi ceux-ci un sixieme est voué au célibat. II y a tout ieu de croire qu'en Italië , en Espagne et en Portugal le nombre de ceux k qui le manage est interdit ,' eit tncore proportioimellement plu* grand ^u'en Trance.  Rcligieuse, z 3 trés-grand personnage , qui faisoic des miracles sans nombre, qui guérissoir les malades, qui procuroit des enfans aux femmes stëriles , et qui avoit converti des milliers de Payens au christianisme , s'étoit accoutumé a s'abstenir totalement de nourriture pendant quarante jours consécurifs, a 1'exemple d'Elie et de Jésus-Christ. Au tems oü Théodoret écrivoit, il y avoit déja vingthüit ans qu'il observoit ce jeune rigoureux chaque année; durant, les premiers jours il se tenoit deboutj ct lorsque faute de nourriture il ne pouvoit plus se sou, tenir sur ses jambes il s'asseyoit , et a la fin il étoit forcé de se coucher étant réduit a un épuisement total: il se tenoit sans cesse au haut d'une colonne j dont la circonférence étoit a peine de trois pieds, et après avoir passé bien des annccs dans cette posture semblable a une statue sur son piëdestal, il finit par monter sur une colonne de trente-six coudées, sur laquelis il vécut durant trente ans. Joignez a tous ces exemples ceux que le même Théodoret rapporte des solitaires et des moines d'Egypte et des pays voisins : les uns se nourrissoient de charcgnes, afin de n'éprouver aucun plaisir en mangeant: d'autres s'accoutumoient a passer toute la nuk en prières; d'autres marchoient pieds nus sur des épines, pour se rappeller les tourmens que Jésus-Christ avoit soufferts de la part des cloux qui lui avoient percé les pieds et les mains ; d'autres enfin passoient des nuits entières les bras étendus pour imiter la posture de JésusChrist. Enfin de nos jours encore 1'on rencontre dans les pays catholiques Romains un gtand nombre de couvens des deux sexes qui renferment de pieux frenêtiques , ingénieux a se tourmenter eux-incmes, et qui font a la divinité 1'outrage de penset qu'ils lui plaiscnt et qu'ils B 4  24 ' De la eruauté entrent dans ses vues en s'infligeant a eux-mêmes des jëünes, des macérations, des supplices rigoureux ; ce qui ne prouve rien, sinon que ces dévots extravagans se sont fait des idéés atroces de la divinité qu ils adorent, et que d'un autre cöté ils supposent remplie de bonté (i). SECTION IV. Cruauté des sacrïjices sanglans. Des sacrifices humains. N o u s venons de parler des cruautés que la piété religieuse a déterminé les hommes a exercer contre eux-mêmes , examinons maintenant celles qu'ils ont exercées sur d'autres créatures et sur les êttes de leur propre espèce. Les sacrifices sanglans ont fait de fort bonne heure et pendant très-long-tems partie du culte divin chez presque tous les peuples du monde; ils nous fournissent une preuve indubirable de la cruauté des hommes; en effet c'est visiblement a cette disposition facheuse que ces sactifices expiatoires ont du leur origine. II est vrai qu'en voyant 1'antiquité et 1'univetsalité de eet usage répandu chez presque toutes les nations , quelques personnes se sont imaginé que c'étoit une preuve (1) Les moines appellès Chartreux , ne mangent jamais ne viande et sont eondamnés k un süence perpétuel. Les moines de 1'abbaye de la Trape sont renonimés en France par leurs extravagantes austérites , quj vont au point, dit-on , qu'ils peuvent rarement les sou ten ir pendant deux ou trois ans. Les Capucins sont habillés d une étoffe grpssiire et se distinguent par leur mal-propreté. Mais les pauvres religieuses sur-tout , condamnées a une captivité prrpétuelle , paroissent etre de très-malbcureuses créatures quaud lafervearde Finwgination cesse de le* soutcnir.  Religieus e. 25 que ces sacrifices étoient d'institution cüvine ; cependant ceux qui sont de cette opinion devroient se souvenir que 1'idolatrie a été encore plus universellement recue que ces sacrifices , qu elle n'est pas moins ancienne qu'eux, et qu'aucun chrétien n'en conclura que 1'idolatrie ait pu être d'institution divine. Le fait est que les hommes étant cruels et superstitieux , et que leurs prêtres étant toujours prêts a tirer parti des vices, des foiblesses , des passions du genre humain, pour les faire tourner au profit du sacerdoce , il ne faut point chercher ailleurs que dans ces vices et dans la superstition, qui s'est montrée sous des formes trèsdiverses dans les différens pays, les causes auxquelles 1'on peut attribuerl'universalité de ces sacrifices. Comme les hommes sont communément vindicatifs , cruels > altérés de sang, ils ont imaginé que leurs dieux étoient dans les mêmes dispositions. II est difficile de décider si c'est 1'extravagance ou la cruauté qui 1'ont emporté dans 1'institution de ces pratiqués absurdes et barbares: en effet , quoi de plus insensé que d'imaginer qu'en égorgeant un tendre agneau on pouvoit expier les crimes d'un homme méchant ! N'est-ce pas une cruauté revoltante que de répandre ainsi du sang sans aucune nécessité ? On demandera, peut-être, quel mal ou quelle cruauté il pouvoit y avoir a tuer des animaux dans des sacrifices , puisqu'on en tue journellement dans tout 1'univets pour la nourriture des hommes ? Je réponds que si la chair des animaux est absolument nécessaire a la subsistance de 1'homme, il est autorisé a le tuer faure de pouvoir s'en passer -, mais cela ne peut point justifier 1'usage de les tuer pour des pratiqués superstitieuses, qui bien loin d'être nécessaires sont infiniment dangereuses : or il est évident que 1'usage de tuer des ani-  ±6 De la cruauté maux étoit une pratique superstitieuse; l'écriture sainte des chrétiens et la raison s'accordent a le prouver; tout ce qui est regardé comme un devoir rehgieux sans pouvoir opérer 1'efFet qu'on se propose, doit être traité de pratique superstitieuse, il est impossible, dit Saint Paul, que le sang des taureaux et des boucs ête les péchés. La raison est en cela conforme a ce que dit 1'apötre. II est a remarquer que quoique la religion des Juifs fit tant de cas des sacrifices sanglans, néanmoins plusieurs de leurs prophêtes se sont, ainsi que St. Paul, déclarés contre cette pratique cruelle et ridicule , et ont reconnu que Dieu ne 1'exigeoit nullement. Le Psalmiste dit a Dieu : « Vous n'avez point désiré le » sacrifice ni 1'ofïrande, vous n'avez point exigé d'ho" locaustes ». Voye^ pseaume 46 , vers, 6. Jérémie parlant au nom de Dieu dit aux Juifs : « Je n'ai » point parlé avec vos pères, et ne leur ai point donné » de commandemens touchant les holocaustes et les » sacrifices au jour oü je les ai fait sortir d'Egypte ». Voye-^ Jérémie, chap. VII3 vers. 11. ( 1 ). Isaïe fait dire a Dieu : " Qu'ai-je besoin de la multitude de » vos sacrifices » ? chap. I. vers. 11. Le même prophéte ayertit les Juifs qu'il vaudroit mieux cesser de faire le mal et d'appre"di.-e a faire le bien, de rechercherla droiture , etc. Ibid3 vers. 16 17. Les payens ont senti la même vérité par les seules lumières du bon sens. Cicéron dit que le Culte le plus agréable aux dieux est de les servir avec un cceur pur. Cultus autem Deorum est optimus y idemque castissimus , atque sanc- (1) II paroit difücile de concilier ces passages des pseaumes et des prophêtes avec Ie Iévitique dc Moyse , c'est-a-dire Dieu lui-mème paroït ton occupé des sacrifices du peuple d'XsiacI.  Religieuse. 17 tissimus, plenissimusque pietatïs j ut eos sanper pura , integra j incorrupta et merite et voce veneremur. De Natur. Deor. Lib. II. Perse s est expliqué de la même manière. Compositum jus , fasque animi , sanetosque recessus Mentis , et incoctum generoso pectus honesto : Hoac eedü , ut admoveam templis , et farre limbo. Satyr. Jï. vers. 7^. Mais continuons d'examiner 1'absurdité et la barbarie de ces pratiqués religieuses , et les conséquences fatales qui en sont découlées. II est évident que 1'usage de répandre le sang a grands flots dans les sacrifices a du contribuer a rendre les hommes cruels ou a fortifier en eux 'la disposition naturelle qu'ils ont a la cruauté; en effet n'étcit-ce pas les familiariser avec le sang ï Quel déluge ne devoit-on pas en répandre lorsqu'on immoloit a la fois vingt-deux mille bceufs et cent vingt mille brebis ! quel affreux carnage qu'un pareil sacrifice (i) 1 si de semblables spectacles étoient propres a disposer a la cruauté le peuple qui nen étoit que le témoin, quel effet ces sacrifices ne devoient-ils pas produire sur les prètres, qui faisoient les fonctions de bouchers, et qui jouoient le principal röle dans cette scène dégoutante de carnage et d'horreurs ! Quelque nécessaire qu'il soit d'avoir des hommes dont la profession soit de tuer des animaux pour notre nourriture, 1'expérience nous prouve constamment que ce métier est très-propre a les rendre bien plus cruels que d'autres (2). Notre législation s'en est appercue ., (1) Voyez liv. I. des rois , chap. 8. vers. 65. (2) Thomas Moru», clans son Utopie, livrs 2, dit que c'étoit h fonction des esclaves de tuer les animaux , qu'aucun citoyen 11e pou-  z8 De la cruauté car elle ne veut point que les bouchers soient admis a être juge en matière criminelle. Au reste , il n'est pas doute ux que bien des personnes s'en tiendroient au régime Pythagoricien si elles ne pouvoient se procurer de la chair qu'en tuant elles-mêmes des animaux. J'en appelle a tout lecteur sensible ; et je lui demande s'il n'a pas éprouvé un sentiment très-douloureux quand par hasard ses yeux se sont pottés sur un innocent agneau léchant la main de celui qui lui enfoncoit le couteau dans la gorge , ou même quand il a vu un bceuf succoraber sous des coups de massue, et montrer par ses mouvemens convulsifs qu'il luttoit contre la mort ? Si des exemples de ce genre sont si propres a affecter une ame sensible , a quel point n'eut-elle pas été touchée a la vue du carnage inutile dont nous avons parlé plus haut , qui n'avoit pour objet que des pratiqués superstitieuses ? Quelque révoltant que fut 1'usage de sacrifier des animaux , il n'est pas a beaucoup prés le plus cruel de ceux que les hommes ont pratiqué dans leurs cultes religieux; nous trouvons en effet que c'étoit une trèsancienne courume chez plusieurs nations, telles que les Cananéens ou Phéniciens , les Catthaginois , les Scythes, les Gaulois et même les Grecs et les Romains plus civilisés, de sacriner des êtres de leur espèce ; et même chez quelques peuples on immoloit aux Dieux ses propres enfans. Bochart et quelques autres auteurs assurent que les Cananéens tenoient cette coutume d'Abraham ; mais 1'évêque Cumberland croit que eet usage étoit anté- roit le faire, vu fjue les Utopiens crovoient ceMe profession propre a ètouffer la pitié. Quoique ces Utopiens soient un peuple imaginaire, ce pa .sage sert a fa:re connoilre !a facon de penser de 1'auteur.  Reügïeuse. 19 rieui au déluge , et se praüqupit par les peuples de Canaan long-tems avant qu Abrabam vint s'établir chez eux. En supposant la raison du cöté de 1'évêque, qui paroït appuyer très-bienson sentiment, pourquoi nimaginerions-nous pas quAbraham fut déterminé a immoler son fils en conséquence de la coutume étabhe dans le pays oü il vivoit, plutöt que de penser que ce fut Dieu qui 1'engagea a commettre une action, qu'humainement parlant 1'on dok regarder comme un crime abominable i En partant de cette supposition ne pourroit-on pas présumer que 1'Ange qui mit obstacle a cette action n'étoit autre chose qu'un sentiment de raison et d'humanité qui, s'élevant dans le cceur dAbraham J 1'empêcha de commettre une cruauté famihère aux Cananéens stupides et cruels parmi lesquels il vivoit ? Ne put-il pas, en réfléchissant a ce qu'il alloit faire , imaginer qu'il étoit impossible que Dieu put ordonner un crime aussi affreux que le meurtre de son fils (1) > Je n'insisterai point sur cette facon d'expliquer un passage, qui a fort embarrassé les théologiens , quand ils ont voulu concilier eet ordre de la divinité avec les opinions raisonnables que 1'on doir s'en former ;j'observerai seulementque les Egyptiens furent si opiniatrement (.) Se'on la Génèse Abraham étoit sur le point d'immoler son fils. Peut-étre le lectour ne sera-t-il pas fiché de comparer avec la condu.te a-Abraham celle d'un rol payen dans une circonstauce i-peu-pres pareille. Le Dieu tntélaire de Thèbes étant apparu k Sabbacon , 1 un des rois pasteurs de 1'Egypte , et lui ayant ordonné de mettre a mort tousles prêtres du pays , ce prince jugea que les dieux ne voulo.ent plus qu'il demeurJt syr le t.öne , puisqu'ils lui ordonnoient des act.ons contraires a lenrs vo'ontés ordinaires. Eu conséquence il se retira eu Ethiopië. Voyez üiodore de Mcile , lib. II. Cependant il n'est pas douteux que ce prince n'eüt agi d'une facon plus sensée s'il eüt regarié l'apparitioa de son Dieu comme uue rêverie ou une illusion , comme elle étoit efiestivement, et alors ii n'auroit pas abandonné son trène et son pays.  jo De la cruauté attachés a eet usage d'immoler des victimes humaines j que quand les Phéniciens, de qui ils le tenoientj furent chassés d'Egypte par Tethmosis oxxAmois, roi de Thèhes, qui défendir eet usage , ce prince fut obligé de céder a la coutume en substituant des hommes de cire a des hommes réels. César nous dit que les Gaulois étant très-superstitieux, ceux qui se sentoient attaqués de quelque maladie dangereuse, ou qui se voyoient exposés aux dangers de la guerre, offrpient des sacrifices humains, ou bien s'immoloient eux-mêmes au pied des autels, croyant que les dieux immortels ne pouvoient être appaisés que lorsqu'on leur sacrifioit la vie d'un homme pour celle d'un autre. Les Druides étoient chargés de ces sacrifices •, ils préparoiem pour eet effet de grandes figures d'osier dans lesquelles ils renfermoienr des hommes vivans; après quoi ils mettoient le feu a ces fïgures: les malheureuses victimes périssoient ainsi dans les Hammes. II est vrai que les Gaulois croyoient que les voleurs et les malfaiteurs étoient les victimes les plus agréables a leurs dieux, mais a leur défaut ils prenoient des hommes innocens (i). C'étoit 1'usage a Tyr dans les grandes calamités que les rois immolassenr leurs fils pour appaiser la colère des dieux. Les particuliers qui se piquoient de n'être pas moins dévots que leurs souverains, sacrifioient pareillement leurs enfans quand leur arrivoit quelque grand malheur ; lorsqu'ils n'avoient point d'enfans ils achetoient ceux des pauvres, afin de pas perdre les avantages d'une ceuvre si méritoire. (1) Voyez de Eello Gallieo , lib. VI. parag. iG. I's avoient toujours pour maxime que la vie d'un homme devoit ètre expiée par la vie d'un autre homme ; quod pro vitd hominis , nisi vitd hominis redditur , non posse Deorum imortalium numen. placari. Ibidem.  Rellgleuse. 31 Voici la méthode pratiquée dans ces sortes de sacrifices ; il y avoit une statue colossale de bronze représentant Saturne qui est le même dieu que le Moloch dont il est parlé dans 1'écriture. Cette statue étoit creuse les enfans destinés aux sacrifices y étoient enfermés après qu'elle avoit été rougie au feu ; d'oiï 1'on voit que ces victimes infortunées étoient consumées dans des tourmens affreux. Pour étouffer leurs cris, on faisoit un grand bruit de tambours et de trompettes; les mères se faisoient un devoir religieux et un point d'honneur d'assister a ces horribles spectacles sans verser des larmes ou sans pousser aucuns soupirs; elles auroient craint que leurs regrets ne rendissent le sacrifice moins agréable aux dieux et moins utile pour elle-mêmes. Les Carthaginois avoient appris cette coutume des Tyriens leurs ancêtres; quand il régnoit chez eux quelque maladie contagieuse, ils sacrifioient sans pitié un grand nombre d'enfans; sans égard pour des êtres infortunées dont lage tendre excite la compassion dans les ames les plus féroces , ces supersritieux abrutis cherchoient dans leurs crimes des remèdes contre leurs malheurs; ils devenoient barbares pour exciter la pitié des dieux. Diodore de Sicile nous dit que lorsqu'Agatocle assiégeoit Carthage les habitans de cette ville, se voyant réduits a 1'extrémité, imputètent leurs maux a la juste colère de Saturne, paree qu'au lieu d'immoler, suivant 1'usage , les enfans des personnes les plus distingués, on leur avoit frauduleusement substitué des enfans d'étrangers et d'esclaves. Pour réparer cette faute ils sacrifièrenr a leur dieu deux cent enfans des families les plus nobles et les plus qualifiées de Carthage; de plus , trois cent citoyens qui se sentirent eoupables de ce crime imaginaire firent a leur divinité le sacrifice de leur vie.  jt De la cruauté Les Méxicains semblent avoir surpassé toutes les autres nations dans 1'usage infernal de sactifier des victimes humaines. L'auteur de l'histoire civile et morale des Indes Occidentales 3 dit que ces peuples ne sacrifioient jamais que les prisonniers qu'ils faisoient a la guerre. Montézuma ne voulut point conquérir la province de Tlascala afin qu'elle püt fournir constamment aux sacrifices. Ceux qui aidoient a immoler les victimes étoient regardés comme des hommes sacrés, leurs fonctions étoient considérées, elles étoient héréditaires. Leur chef étoit un prélat, un évêque , ou un pape a qui seul étoit réservé le droit de porter le coup fatal. Les Méxicains avoient de plus un sacrifice particulier d'un esclave, que 1'on traitoit pendant une année de la facon la plus honorable ; il étoit superbement vêtu , on lui donnoit le nom de 1'idole du pays, on lui assignoit un logement dans le temple, on lui servoit les mets les plus exquis qui lui étoient présentés par les principaux d'entre les prêtres; il étoit gardé par les plus grands seigneurs, afin d'empêcher qu'il n echappat. Quand il passoit dans les rues il étoit suivi par des grands, le peuple sortoit des maisons pour le voir , et les femmes lui présentoient leurs enfans pour recevoir sa bénédiction. A la suire de ces honneurs, ou plutöt de cette farce cruelle, lorsque le tems de la fête étoit venu, on lui ouvroit 1'estomac, dont on arrachoit le cceur que 1'on offroit tout fumant au soleil et 1'on mangeoit son corps. Acosta nous dit que les Méxicains sacrifioient tous les ans a deux de leurs idoles deux mille cinq cents hommes engraissés avec soin, et que lorsque leurs prêtres les avertissoient de faire honneur a leurs dieux, on leur disoit que ces dieux avoient faim; ils en- voyoient  Religieus eï g j voyoiént des armées pour chercher des prisouniers destinés aux sacrifices dont ils mangeoient la chair ensuite. Le même auteur assure que Montézuma sav ciifioit communément vingt mille hommes par an, et que ce nombre alloit quelquefois jusqu'a cinquante mille. II paroït que les prêtres de ce peuple étoient si sanguinah.es et avoient un tel ascendant sur les princes, qu'ils leur persuadoient que leurs dieux étoient en colère et ne s'appaisejroient qu'en cas qu'on leur immolat quatre ou cinq mille hommes en un jour dans des' tems marqués ; ainsi pour les satisfaire il falloit a tort ou a raison , faire la guerre aux voisins pour se procurer un nombre suffïsant de victimes. Telles ont été les cruautés que la religion a fait exercer. Les hommes ont commis les plus grands Grimes pour expier leurs péchés , pour détourner la colère et se concilier la faveur de leurs dieux ; mais sans le penchant qu'ils ont naturellement a la cruauté et les impostures de leurs prêtres, les hommes n'auroient jamais imaginé que la divinité exigeard'eux d'autre sacrifice que celui de leurs passions déréglées. Un honnête payen a dit avec raison : si tu veux rendre les dieux propices , sois vertueux. Kis Deos propitiare ? bonus esto. Je terminerai ce sujet si révoltant des sacrifices humains par les vers que Racine met dans la bouche de Clytemnestre parlant a son époüx Agamsmnon a 1'occasion du sacrifice d'Iphigénie; les horribles cérémonies de ces odieux sacrifices y sont décrite» de la manière la plus forte. Un pr">rre , environné d'une foule cruelle > ' Postera sur ma fille une main criminelle , Déchirera son sein et , d'un regard curienjt , Dans son eoeur palpitant consuhera le» Dieux ! to rnt y. c  j4 De la cruauté SECTION V. Des traitemens cruels que les hommes se font éprouver les uns aux autres d cause de la difference de leurs opinions religieuses et de la diversité de leur culte. 2—iE troisième et le dernier point de vue sous lequel on se ptopose d'envisager la cruauté religieuse, a pour objet les traitemens inhumains que les hommes se font réciproquement éprouver a cause de leurs différens sentimens en rnatière de religion, etdes diverses foimes de leurs cultes. Toutes les religions qui n'avoient pas totalement la superstition pour base, ou qui n'étoient pas de pures inventions politiques, ou qui n'avoient pas pout objet de tromper le plus gtand nombre pour 1'avantage du plus petit ontdüseproposer le bien être du genre humain ; elles ont dü surtout avoir pour but de leur apprendre a réprimer quelques passions, d'en régler d autres, de rendre les hommes paisibles, humains, indulgens , bienfaisans , sensibles a la pitié; pour qu'une religion fut bonne , on auroit droit de s'attendre a lui voir produire ces fruits avantageux; une religion que 1'on nous donne comme instituée par la divinité même devroit sur-tout ne jamais perdre ces grands objets de vue. Cependant dans le fait toutes les religions ont produit des effers tout contraires; elles ont fait éclore des disputes, des jalousies, des animosités, , des guerres, des persécutions, des meurtres et des camages; et celle qui passé pour la meilleure de toutes est précisément celle qui a produit les plus grands désordres ; a en juger par seseffets , il sembleroit que la religion chrétienne, loin  Religieust. t> ^ eTapporter la paixsur laterre ,nest venuey appotierque le glaive et la destruction. » Un de nos théologiens reconnoït qu'il est aussi » surprenant qu'afHigeant de considérer le peu de bien. * que le christianisme a produit, qu and on le com» pare avec celui qu'il auroit pu faire dep uis son éta- » blissement dans le monde » (i). II dit ailleurs " a force d'abus et de perversité il est arrivé que le» vangile, bien loin de produire les bons eftets que » 1'on pouvoit en attendre , a praduit des maux sans » nombre au lieu d'éclairer les hommes, de » les rendre indulgens et bienfaisans , il n'a servi qu'4 » faire naitre des querelles , des erreurs, des opinions; » il a produit des haines invétérées inconnues avant » lui; il a causé des tumultes et des désordres que » 1'autoriré civile n'a pu souvent ni réprimer ni calmer». Nous ferons voir par la suite les causes de ces maux. Depuis le meurtre du juste Abeljusqu'a nous, 1'his-' toire nous montre la facon cruelle dont les hommes se sont traités réciproquement, en vue de la diversiré de leurs opinions religieuses et de leurs cultes j elle nous prouve que ces choses ont en tout tcms et en tous pays fait naitre des persécutions humaines. M. Chandler a observé, dans 1'excellente introduction qu'il a mise a la tête de Phistoirt de l'inquisition par Limborch, que Ton a tout lieu de conclufe d'un passage d'un livre de Judïtk que les anciens Jui^s ont été persécutés pour cause de religion. « Ce peuple, » dit Achior a Holopherne , est desceirdu des Chal» déens , et il habitoit ci-devant la Mésopotamie , " paree qu'il ne vouloit pas suivre les dieux de ses 0) Yorez le lirre intitulé : m. rcply , etc, par Ralpb Heackcoate , peg. 172 et 174- C Z  j£ De la cruauté » pères qui vivoient en Chaldée : car il quitta lesvoies » de ses ancêtres , er adora le Dieu du ciel, le Dieu #» qp'il connoissoit : ainsi il s'est détourné de la face » de ces dieux , et il se sauva dans la Mésoporamie , t. oü il séjourna long-tems ». Les Juifs furent encore cruellement persécutés par Antiochus Epiphane , qui, quoiqu'ilfür un prince trèsméchant, ne laissoit pas, cornme il arrivé très-souvent, d'avoir beaucoup de zèle pour sa religion: ceux d'entre les juifs qui ne vouloient pas renoncer au culte du vrai Dieu pour adorer ses idoles, furent par les ordres de ce tyran cruelleraenr battus, tourmentés , mis en croix ; il fit mourir les femmes qui contre ses ordres circoncisoient leurs enfans, il fit attacher ceux-ci au col de leurs pareus crucifiés. Les supplices qu'il fit endurer a Eléazar et aux ftères Machabées, paree qu'ils refusèrent de renoncer a leur religion et de sacrifieraux dieux des Grecs 3 sont des exemples affreuxdela cruauté religieuse de ce monarque pervers. Socrate , 1'un des hommes les plus sages et les plus vertueux qui ayent jamais existé , fut mis a mort par les Athéniens ses compatriotes, a cause de sa facon de penser sur la religion. Ce que Juvenal nous dit dans sa XV" satire prouve que les Egyptiens étoient souvent en querelle , en venoient même au coups, se massacroient les uns et les autres a 1'occasion de leurs différentes divinités. Lorsque la religion chrétienne fit son enttée dans le monde, les juifs et les payens lui déclarèrent laguerre, et se réunirent pour 1'étoufTer. Les juifs soumis euxmêmes a une nation étrangère , quoiqu'ils eussent la volonté de 1'extirper, n'en avoient pas le pouvoir; mais les romains persécutèrent les chrétiens pendant prés de ttois cent ans; ils usèrent souvent contre eux des  Religieust. cruautés inouies qui ne furent surpassées que par celles que les chrétiens ont depuis exercées les uns contre les autres. M. Chandler observe dans Xintroductïon que nous avons déja citée que les chrétiens dés le berceau de 1'église eurent des dissensions et des querelles, et qu'il s'en éleva même entre les chefs des Apotres. Saint Paul nous apprend lui-même qu'il avoit résisté en face a Céphas ou saint Pierre. Le même saint Paul reproche aux Corinthiens leur esprit de.parti, vu que chez eux. les uns se disoient adhérens de Paul, d'autres d'ApolIon, d'autres de Céphas, et d'autres de Jésus-Christ. V. Epitre aux Corinthiens chap. I. vers. n , iz.(i). En conséquence de ces querelles beaucoup de chréthiens en vinrent bien tót a s'mjurier, asedirfamer, et a se faire tout le mal dont ils furent capables : dés quils eurent du pouvoir, qu'ils virent un Empereur de leur religion a leur téte , dés que de riches évêchés et ae grands revenus furent devenus les objetsdeleur ambition et leurs contentions , avec quelle inhumanité ne se sont-ils pas traités les uns les auttes ! On ne voit alors que des emprisonnemens, des exiis', des combats, des meurtres , des persécutions; et pour lors ils levèrent le masqué et montrèrent a 1'univers 1'esprit qui les animoit. (i) II est évident que ces Corinlhiens regardoient Paul, ApaUn et Céphas comme des chefs de secte; mais ce qui est bien plus étrange, il sembleioit que qoelqnes-uiu d'entr'eux ont regardé pareillement Jésus' comme un cbei' de sectc. C i  $S De la cruauté SECTION VI. En quoi consistent quelques - unes des querelles reli" gieuses qui ont divisé les chrétiens ; et combien les matières en dispute ont eté inintellïgibles' pour les disputans, j\. V A N T d'entrer dans 1'examen de la manière dont un grand nombre de chrétiens se sont traités les uns les autres a 1'occasion de leurs querelles religieuses, il est a .propos de jetter un coup d'ccil sur les objets de leurs disputes et de montrer combien peu les questions disputées étoient entendnes par ceux qui se croyoient intéressés dans ces démêlés en effet les choses qui n'étoient point regardées ccmme des pomts essentiels ne méritoient pas qu'on y tak tant de chaleur; quant a celles que 1'on n'entendoit pas , il étoit , sans doute, inutile et ridicule den disputer (i). Une des première; disputes qui s'éleva parmi les chrétiens , fut pour savoir s'il falloit pratiquer la circoncision et quelques autres cérémonies Judaïques que 1'on vouloit incorporer dans la religion chrétienne. II paroit que ce fut la 1'occasion de la querelle qui divisa les apötres S. Piene et S. Paul, et qui sivbsista dans 1'église encore long-tems après eux. (i) Si les hommes ne disputoient que sur les matières qu'rs entenden t, il est certain que 'es disputes sur la re'igion *e nMoiroieot k bien peu de choses ; si 1'on Tenoit '» détruire tous 1' s livres qui traitent des matières ou qui renfermen! les disputes dont le» auteurs eu», mémes n'ont point cu d'idées claires , on deiruiroil un bien plus grand nombre de livres que ceux qui furent consomè* dans la bibliotèque. d'Alixjndiie, ou nianmoin» 1'on coiupioit jusqu'a 5oo,ooo volumes.  Religieust. 3 9 Dés les premiers tems du christianisme , et même du vivant de plusieurs d'entre les apótres , il y eut des disputes très-vives relativement a la personne du Christ. « Quelques-uns, dit Laurent Echard, nioient sa Di» vinité , le croyant simplement fils de Joseph et de m Marie, et le regardant comme un personnage émi» nent. D'autres enseignoient que comme Jésus n'étoit » qu'un homme , le Christ étoit descendu sur lui sous " la forme d'une colombe , et que ce fut alors que » Jésus-Christ fit connoitre le pere , inconnu jusque la; » et qua la fin le Christ, qui étoit impassible , quitta » Jésus et lui laissa souffrir la mort. Enfin il y en avoit » qui pensoient que son .royaume subséquent seroit » terrestre y qu'il règneroit dans la ville de Jérusalem, » oü les hommes jouiroient pendant mille ans de toutes » sortes de plaisirs charnels ». Voyez Echard's écclesiastic. history vol. II. pag. 391. Nous observerons en passant que cette docrine des Millenaires qui prouve que les Saints de ce tems n'étoient occupés- que de biens temporels , ainsi que beaucoup d'autres opinions également absurdes furent avancées et soutenues par S. Irénée » qui, selon M. Dodv/ell, " vivoit dans un tems si proche des apótres, qu'il pou" voit avoir recu d'eux sa doctrine, et la transmettre " d'une facon süre a la postétité» (1). Get Irénée ne (1) Le docteur Middelton dans ses recheiches Hbres, ( free inquiry ^ ^ag. 56 , 58 et 5r> , a recueilii les opinions raonstrueuses adoptèes er soutenues par les plus anciens pères , et sur-tout par Sf. Justin et StIrènée. « Eiitre auties absurditós , ce dernier soutmoit la doctrine de» » millènaires, dans ie sens le plus grossier, et cela sur 1'aulorité d'une » tradirion qu'il tenoit de tous les vieillards qui avoient conversé avec w St. Jean ; ceUK-ci avoient oui dira h eet apotre ae queftnotre Sau» veur lui-mème enseignoit sur ce point ». Voici un passage qu'il se reppelloir. « II triendra un tems ou il croitra des vignes qui auronc b eliapune dix mille seps, thaque sep aura dix mille branches, chaqu* C J  4® De la cruauté fut pas le seul qui soutint ce* opinions , elles furenf adoptées par les premiers peres, qui nous les ont transmises comme venant des apótres et de leurs successeurs immédiats. S. Irénée prétendoit pareillement que les saintes écritures avoient été entièrement détruites durant la captivité de Babylone, mais avoient été restaurées par Esdras, que Dieu avoit inspiré pour eet effet. Le docteur Middleton assure que ce sentimeut fut suivi par tous les principaux peres de 1'église des siecles suivans. Mais revenons a quelques-unes des opinions qui ont occasionné des querelles et des persécutions atroces parmi les chrétiens. Dés le tems de S. Polycarpe qui étoit disciple de S. Jean , il y eut une dispute très-vive renouvellée plusieurs fois depuis, et qui absorba pendant un grand nombre d'années 1'attention du monde chrétien : il s'agissoit de savoir si pour la célebration de la Paque 1'on se régleroit sur les Juifs qui suivoient la pleine lune, ou si on se régleroit sur la résurrection de Jesus - Christ , ou si on la célebreroit un dimanche. Par malheur dans le nouveau testament rien ne semble obliger les chrétiens a observer la paque ; cependant cette question ne laissa nas d'exciter entre » branche aura dix mille rameanx , et chaque rameau portera di'x mille » grappes coniposées de dix mille raisins , et chaque grappe pressée * fournira vingt-cinq mesures de vin ; et lorsqu'un des saints ira cueillir => du taisin sur une grappe, une autre grappe criera : Je suis meit» leurs , prenez-moi , et bénLsez le Seigneur. De mime un grain de .» froment fournira dix mille épis , e:c. qui fourniront chacun dix mille livres de farine la plus pure, et ainsi des autres semences et fiuils ... Le docteur Middleton nous apprend que St liénée cenfirmoit sa doctiine pqr Igfténioignage des prophêtes Isaïe , Ezéchiel, Daniël , et par J'apocalypse Saint Jean , et qu'il prétrmlcit que toutes ces choses n'ér toient point allégoriques, mais s'aconipl ruient a la letale daus la Jirusalem terrestre,  Religieus e. 41 eux de furieuses querelles , et fit même répandre beaucoup de sang. II y eut encore une autre question très-importante qui occasionna des disputes , des meurtres ^ et qui fit convoquer le troisième concile écuménique; il s'agissoit de savoir si la Vierge Marie devoit être mere de Dieu (1) Nestonus, Patriarche de Constantinople, voulut s'y opposer, disant que Marie étoit une femme, et concluant de la que Dieu n'avoit pu naitre d'elle ; car disoit-il, " Je ne puis appeller Dieu un enfant qui dans un cer» tain tems ni eu que deux ou trois mois ». A quoi Nestorius auroit pu ajouter qu'il étoit impossible que le Dieu suprème, le créateur de toutes choses, qui existe par lui-même , put avoir ni pere ni mere. Cependant ce prélat prétendoit que c'étoit blasphêmer que de dire que Dieu fut né d'une femme , que Dieu eut souffert, que Dieu füt mort. Sous le régne de 1'Empereur Héraclius et de Constance son petit-fils, il s'éleva une violente dispute pour savoir si Jésus-Christ avoj!t eu deux volontés, 1'une divine et 1'autre humaine. A la sollicitation de Paul, évêque de Constantinople , 011 persécuta avec fureur pour eet important arcicle ; mais Martin , évêque de Rome 5 assembla un concile composé de cent cinquante évêques j qui décida que quiconque refuseroit de reconnoïtre deux volontés, 1'une divine et 1'autre humaine, (1) On a donné depuis le titre de grande mère de Dieu a Sainte Anne mère de Ia Vierge. On sait les disputes qui se sont élevées dans J'ëglise au sujet de rimmaculèe conception de la Vierge. On ^sait aussi qu environ vers Tan 400 il fut question de savoir si la Vierge Marie ayant couru sans le secours d'un homme, avoit perdu sa virginité. Voyer Bower , hist. des papes , vol. J. On voit a Naples une iuscription «n 1'honneur de la vierge, oii elle est appellé Nata , Soror, conjux, eadem genitrixque tontmtis, Yoyez les voya^es de Keysler.  41 De la cruauté dans Ie même Jésus-Christ, devoit être anathématisé. Est-il rien au monde de plus ridicule que de voir cent cinquante gtaves prélats assemblés pour une pareille question (i) ? Dans le sixieme concile écuménique auquel assisterent deux cent quatre-vingt neuf évéques , les peres du Concile après avoir félicité 1'Empereur Constanrin le fils ainé de Constans, qui venoit de faire couper le nez a ses deux frères puinés, afin de les emnêcher de prendre part a 1'Empire , après 1'avoir comparé a un autre David suscité par Jésus-Christ, et avoir dit qu'il étoit selon le cczur de Dieu , pour n'avoir point joui du, repos jusqu'a ce qu'il les eüt assemblés afin de découvrir la vraie règle de la foi : après , dis-je , avoir ainsi complimenté eet indigne Empereur et avoir condamné 1'hérésie des Monothélites c'est-a-dire de ceux qui n'admettoient qu'une seule volonté en Jésus-Christ, ces prélats déclarerent qu'ils reconnoissoient deux volontés .naturelles et deux opérations, qui se trouvoient indivisiblement, incGnvertiblement, sans confusion et in- (1) Cette question nous fournit un exemp^e frappant du iargo.it métaphvsique des thêologiens. Les orthodoxe.* disoient , drux volontés annoncent deux personnes , par conséquent une seule volonté n'annonc^roit qu'une persoune ; mais dans la Trinité il n'y a qu une seule volonté , vu que le pèr« n'a pas une volonté différente de celle du fils , ni le fils du Saint Esprit. Ergo dans la Saiute Trinité il n'y auroit qu'une seu'e peisonne , ce qui seroit impie , absurde , blasphèinatoiie. Les orthodoxes ajoutoient que dans la Trinité le pèr« ■vouloit en tant quo Dieu ( quatenus Deus ) et non comme pére ; «ans ce]a comme il est une personne distinguée de celle du fils , sa vo onté seroit une volonté distinguée de celle du fils : d'oii ils concluoient que la volonté appai tenoit a la nature et non i la personïia itê ; et par conséquent que lorsque Ia nature étoit Ia mème il ne pouvoit y avoir qu'une volonté , quelque füt le nombre des perjonnes , et qu'au contralie lorsqu'il y avoit plus d'une nature i} devoit y avoir plus d'une volonté. Voyez Bower , hist. des papes, vol. III. page 109-  Rcligieuse. 43 séparables dans le même Jésus - Christ ? c'est -a -dire qu'ils reconnoissoient en lui 1'opération divine et 1'opérarion humaine. II eut été très-heureux s'il n'y avoit eu que des ecclésiastiques qui se fussent mêlés dans ces absurdes querelles, mais malheureusement pour la chrétienté les Empereurs s'y intéressèrent très-vivement, et tandis que les Sarrasins assailloient 1'empire de tous cètés et en arrachoient des Ptovinces les unes après les autres , les Empereurs aulieu d'assembler des armées pour les repousser , assembloient des Conciles et faisoient faire des canons , des décrets 3 des ordonnances au sujet des spéculations métaphysiques qui n'avoient aucun rapport avec la religion chrétienne. Cette dispute mémorable en fit éclore une autre; il s'agissoir de savoir si Jésus-Christ étoit seulement de deux natures et non pas en deux natures. Cette importante question partagea 1'an 504 la ville d'Antioche en deux factions: la populace des deux partis fut enivrée de rage et de folie par ses guides spirituels; on se battit sans avoir aucuns égards ni aux Hens de 1'amitié ni a ceux de la- parente ; cependant les orthodoxes , c'est-adire les plus entêtés et les plus forts 1'emporterent 9 et la riviere d'Oronte fut arrêtée dans son cours par le grand nombre de cadavres des Eutychiens qui furent égorgés sans pitié. La même année il s'éleva une terrible sédition a Constantinople au sujet d'une addition faite a une hymne appellée le Trisagion. Les expressions primitives dont on se servoit dans cette hymne étoient Dieu saint, Dieu puissant, Dieu immortel } aye\ pitié dc nous. Cette hymne étoit destinée a exprimer la croyance de la Trinité. Tous les troubles furent occasionnés paree qu'on y avoit ajouté ces mots qui a été crucifié pour  44 -De la cruauté nous. Après plusieurs combats qui se livrerent non seulement dans les rues, mais même dans les églises, la populace orthodoxe, soutenue par une armée de moines, remporta la victoire sur les Eutychiens , qui avoient pourtant les soldats et Ha cour de leur cót'é. Alors les orthodoxes donnerent des ordres pour massacrer, sans distinction de sexe ou de rang , tous ceux qui avoient assisté 1'Empereur dans la guerre qu'il avoit faite d la tres-sainte Trinité. En conséquence dans 1'espace de trois jours on égorgea dix mille Eutychiens, leurs maisons furent' pillées et brülées, ainsi qu'une grande partie de la capitale. Dans la querelle au sujet du culte des images , c'esta-dire lorsqu'il fut question de savoir si les chrétiens devoient être idolatres ou non, ceux qui soutenoient 1'afrirmative 1'emportèrent, vu que c'est ordinairement ceux qui ont.tort qui se bartent avec le plus de zèle et de frénésie. Cette dispute se termina donc par 1'é* tablissement de. 1'idolatrie , qui subsiste encore aujourd'hui dans 1 eglise Romaine, au grand scandale de la chrétïenté. ti On ne hniroit point si 1'on vouloit entrer dans le détail de toutes les conrestations qui se sont élevées au sujet de la gracedes ceuvres, de la justification , du libre arbitre etc. L'on a disputé pour savoir si 1'on devoit recevoir la communion debout ou a genoux ; si Ie pain sacramental devoit être; levé ou non levé; si le vin devoit être pur ou rhêlé avec de 1'eau : si le baptème devoit être administré aux enfans ou aux aduites; si pour purifier 1'ame il falloit plonger le corps dans 1'eau ou s'il suffisoit de jetter de 1'eau sur la face ou sur la tête. L'on se battit pour savoir laquelle de ces deux méthodes étoit la plus avantageuse au salut; si le surplis et quelques autres habillemens des prêtres  Religieus e. " ^ étoient décens, nécessaires etpieux, ou s'ils étoient indécens, impies , anti-chrétiens , abominables. En un mor ce seroit fatiguer la patience du lecteur que de rapporter une infinité de contestations également intelligibles et intéressantes , qui ont néanmoins occasionné des débats trés - violens et des persécutions afFreuses entre les chrétiens. Je me bornerai donc a parler de querelles qui se sont élevées au sujet du pêche' originel, sur 1'clection et la réprobation, sur la nature de 1'eucharistie, enfin sur la Trinité; je ucherai cependant d'être le plus concis qu'il me sera possible. L'on a beaucoup disputé pour savoir en quoi consistoit le pêché origine! , s'il falloit entendre a la lettre la manducarion du fruit défendu , ou s'il falloit entendre par la le commerce illicite entre les deux sexes» Quoique le genre humain eut été créé male et femelle et indubitablement avec ses passions naturelles, cependant on supposa qu'il lui étoit défendu de jouir. L'on a de plus imaginé des opinions diverses pour rendre cornpte de la facon dont le pêché d'Adarn s'est transmis a sa postériré , si ce fut par imputation ou par une sorte de contagion , de corruption, de transfusion , d'infèction j etc. II y eut de tout.tems des disputes interminables, et il y en aura toujours suivant les apparences au sujet de l'élection et de la réprobation ; on a allégué un grand nombre de passages pour et contre , et chacun a, comme de raison , prétendu qu'ils étoient clairs et décisifs en sa faveur •, mais comme men dessein n'est point d'entrer dans ces sortes de discussions, je me ccnter.terai d'exposer ici en peu de mots 1'état de la question qui a la réprobation peur objet. Dieu qui sait et prévcit tout, a créé tous les hemmes en conséquence d'un acte de sa volonté; il les a  De la cruauté forcés d'exister, quoique suivant 1'opinion de ceux qui soutiennent la réprobation , il süt ou prévit très-bien , et même eut ordonné que la plus grande partie des hommes seroit éternellement malheureuse. Tel est selon. eux le décret d'un Dieu infiniment juste , infiniment bon , infiniment miséricordieux. II est certain que si l'on vouloit soumettre cette question au tribunal de la raison, elle ne prêteroit gueres a la dispute 3 elle deviendroit plutot un objet d'horreur. Le lecteur intelligent pourra probablement pousser oü il voudra ses réflexions la dessus ; mais il ne peut les pousser trop loin, s'il se laisse uniquement guider par la vérité. Dans les disputes sur l'eucharistie il fut question de savoir si le pain et le vin , administrés a ceux qui les recoivent dignement et avec foi, les font participer au corps et au sang de Jésus-Christ; ou si les espèces ou élémens sont consubstanciés avec ce corps etce sang, ou enfin si , suivant la doctrine de 1'église Romaine qui est la plus nombreuse des sectes chrétiennes, le pain et Ie vin sont transubstanciés, c'est-a-dire changés dans le vrai corps et le vrai sang de Jésus-Christ, dans le corps et le sang de Dieu , du créateur de 1'univers (i); Le dogme de Ja Trinité, étant un des plus abstraits de la religion chrétienne et patconséquent celui qui est le moins intelligible, a c-xcité les plus grandes et les plus opiniatres disputes. II s'éleva deux antagonistes (i) tl y a eu de grandes contestations dans PégKse Roma-ne pour savoir si le pain et Ie vin iccus dans le saerenient d'i uchanstie se changeoient par la dtgestion en exctémenr comme les aurres alimcns ■, on donnale nom de Stercorarristes k ceux qui soutenoient 1'a FHi mal ive, mot qui vient de Stercus. Le Cardinal Hambert , dans sa répons'e a Niceias Fecroratus , ie traite de Stercoraniste pour avoir soutenu que rEucharistie lompoit le jeiine.  Religieuss. qui se querellèrenr sur cette matière; Fuh fut Alexandre évêque d'Alexandrie, et 1'autre fut un prêtre nommé Arius. L'évêque Alexandre, en parlant de la Trinité, avanca que le fils étoit coéternel et consubstantiel avec le pére et son égal en dignité. Arius lui opposa eet argument: si le père a engendré le fds , celui qui est engendré doit avoir eu un commencement de son existence, d'ou il suit qu'il y eut un tems ou le fils n'existoit pas. Arius en concluoit que le fils tenoit sa substance de choses non existantes. D'un autre coté Arius au dire de l'évêque Alexandre, prétendoit qu'il y avoit eu un tems oü il n'y avoit pas de fils de Dieu , et que celui qui n'existant pas auparavant ayoit existé par la suite , devoit être regardé sur le pied des hommes ordinaires, et par conséquent étoit d'une nature changeante et susceptible de vices ainsi que de vertus. Selon Arius la doctrine d'Alexandre étoit que Dieu a toujours été et que son fils a toujours éré 3 que le pére et le fils sont coéternels , que le fils coexisre avec Dieu sans être engendré, ayant été engendré de toute éterniré, c'est-a-dire , engendré, sans être engendré que Dieu n'étoit point avant son fils, pas mêrrie en idéé ou dans auc in point du tems , étant toujours Dieu et toujours fils. V. Chandler dans son introduction pages 22 et 23. Cette dispute également intelligihle de part et d'autre ' également édifiante et instruedve , fut 1'occasion des violences , des persécutions „ des massacres les plus atroces, et fit verser des Bots de sang. De notre tems on a vu encore bien des combats au sujet de la Trinité , mais les combattans, quoique très-acharnés les uns contre les autres, n'ayant point d'autres armes que leurs langues et leurs plumes, n'ont guète pu s"e faire' d autre mal que de s'injurier, de se calomnier , de s'outra^er réciproquement.  48 De la cruauté Le lecteur pourra facilement imaginer combien les clisputans pouvoient être éclairés sur les matières pour lesquelles ils s'entrégorgeoient les uns les autres. Cependant il est bon de faire voir combien leurs disputes étoient entendues par le peuple qui y prenoit un très-vif intérêt : il est pourtant a présumer que le vulgaire le plus grossier étoit pour 1'ordinaire autant au fait des questions que ses théologiens les plus profonds. Après que quelques évêques eurent pieusement condamné Dioscore, évêque d'Alexandrie, ils s'occupèrent du soin d'établir la foi, conformément au symbole de Nicée, aux opinions des pères, a la doctrine de Saint Athanase , de Saint Cyrille, de Saint Basile, de Saint Grégoire , de Saint Léon ; en conséquence il fut décidé que « Jésus-Chtist étoit vtai Dieu et vrai homme , » consubstanciel au père quant a sa divinité, et con» substanciel a nous quant a son humanité ; qu'il » falloit reconnoïtre qu'il étoit composé de deux na« tures sans mélange, qui ne pouvoient se convertir » 1'une dans 1'autre, et pourtant indivisibles et insé» parables; qu'il n'étoit point permis a personne » d'avancer , d'écfire , de penser, d'enseigner aucune » doctrine contraire, etc. » Cette décision fut suivie » des acclamations du peuple, qui cria que Dieu bénisse » Vempereur, que Dieu bénisse l'impératrice ! Nous » croyons ce que croit le pape Léon. Nous condam» nons et dainnoris ceux qui divisent ou qui confondent » les deux natures. Nous croyons comme Cyrille; que ■» le nom de Cyrille soit imrnortel. C'est ainsi que » croyent les Orthodoxes ; anathême d quiconque ne » croitpasde même-»'oyezl'introductio'ndeM. Chandler,page^. II suffïra de rapporter encore un exemple de cette nature  Religieuses 45? fiature que nous fournir le commencement de ce siècle; Une portión du clergé de quelques cantons de la Suisse ayarit dressé les articies d'un formulaire appellé le consensus, il s'éleva de grands débats et des troubles a son sujet. « II est constant, du 1'auteur que je cite, » que la plupart des fauteurs ainsi que des ennemis » de ce formulaire ne 1'avoient ni vu ni lu et que, " s'ils en eussent pris lecture j ils ne 1'auroient point " entendu ; cependant on en fut si allarrhé dans le » pays de Vaud que 1'eftroi n'eüt pas été plus grand » si 1'ennemi eüt été sur la frontière. Le peuple croyoit t> que ce consensus étoit un homme de la Suisse Allei> mande qui venoit pour déposer les prédicans du pays " de Vaud, et pour introduire une nouvelle docrrine. " Durant ce trouble on envoya quelques députés de » Berne a Lausanne pour rétablir la paix, et ceux-ci " ayant pris pour secrétaire un homme fort grand et » fort ma;gre, 011 prit celui-ci pour le consensus , et » il fut souvent en danger d'être assommé par la po» pulace des villages qui ne faisoient que le huer en » disanr, voïla le consensus ; c'est ce grand vilain-la " qui est le consensus. Les femmes pleuroient dans' " les rues , comme si elles eussent perau tous' leurs " biens et leur liberté. Dans la ville de Lausanne la >' consternation fut aussi grande que si tous les ha» bitans eussent été condamnés a la mort ». Voyez Vétat et les délices de la Suisse, tome IV, page $55 et suivantesi Quelque pitoyables ou riJicules que ces disputes doivent paroitre a tout lecteur seusé; quelque inintelligibles qu'elies paroisser.t a d'autres, eiles n'ont pas faissé, ainsi que bien d'autrès querelles tout aussi obscure? , de servir de prétextes a des efüauié'S arroceS Sepuis la fondaden du christianisme.- Pour peu qua-'  jo De la cruauté 1'on soit au fait de l'histoire ecclésiastique , l'on saura que les chefs de la dispute dans ces controverses insensées , et que les principaux acteurs des sanglantes tragédies qui se passèrent dans 1'église primitive au sujet des opinions religieuses et de la diversité des i fjrmes du culte , ont communément mérité le titre de Saints et de Peres de l'eglise. Si nous examinons impartialement et sans préjugé la conduite de la plupart de ces grauds Saints et de bien d'autres qui ont passé pour des lumières de 1'église , tandis qu'on auroit dü les regarder comme les brandons de la discorde; nous serons forcés de reconnoitre qu'ils étoient des hommes trés-pervers et très-méchans a tous égards, et sur-tout des persécutsurs très-virulens; leur prétendu zèle pour la religion, loin d'amortir en eux 1'orgueil, 1'avarice , i'ambition j 1'envie, la noirceur et la cruauté, ne faisoit qu'enflammer ces passions en eux et les faire éclater sans pudeur et sans retenue. II y a tout lieu de croire que ces grands hommes , ainsi que la plupart de leurs successeurs , ont plutot regardé la religion comme un moyen de satisfaire leur vanité et leur cupidité que de se procurer la sainteté. On nous dira peut-être que beaucoup de ces querebleurs ou de ces saints ont soufreit le martyre. Nous en conviendrons ; mais il paroït évident qu'ils manquoient de charité et de beaucoup d'autres vertus chrétiennes ; dans ce cas a quoi pouvoit-il leur servir de laisser brüler leur corps ? Le martyre seul ne prouve point qu'ils aient été des gens de bien ; il y a tout lieu d; croire que 1'orgueil et le desir de passer pour des Saints ou d'acquérir une haute réputation furent les motifs de leur conduite ; ou bien peut être espéroientils que leurs souftrances les aideroient a expier les crimes dont ils se sentoient coupables et leur vaudroient des  ■Religieus è. ƒ j récompenses. II peut encore se faire que la chaleur de leur tempéramment eut beaucoup de part a leur conduite ■, en effet beaucoup d'hommes trés - méchans sont devenus martyrs, même pour des bagatelles ou dans de mauvaises caüses. L atheïsme lui-même eut ses martyrs, et l'on rapporte de Philöxèrie que les menaces des tourmens les plus rigeureux ne purent jamais 1'engager a louer les mauvais vers d'un tyran. M. de la Loubere nous apprend que lorsque le prince Tartare quirègnoit a la Chihe en 16S7, voulur forcer les Chinois a se raser la tête a la facon des Tartares, un grand ncmbre de ces Chinois aima mieux mourir que de se confoimer a eet ordre. Les Bonzes de ce même pays s'enferment dans des chaises a porteurs remplies de cloux dont la pointe est tournee en dedans, et s'infligent beaucoup de tourmens semblables, uniquement pour excirér 1'admiration et la cbarité du vulgaire. Des Philosophes Indiens se sont brulés eux-mêmes pour acquérir de la réputation ; les femmes de 1'Indostan vont avec la plus grande gaïté se brüler vives sur le corps de leurs maris décédés, le tout paree qus c'est une coutume établie dans ces contrées. Joignez a cela que nous ne devons pas supposer que tous les Saints qui furent mis a mort sous les Empereurs Romains ayent éré a proprement parler des martyrs du Christianisme; on saic très-bien que plusieurs d'entre eux ont été punis pour des attentats contre le gouvernement , et que beaucoup d'autres le furent paree qu'ils avoient excité la populace a démolir les' temples des Payens ou a commettre d'autres désordres tïès-contraires au repos de la scciété.- D 1  De la cruauté SECTION VIL De plusieurs Saints très-orthodoxes et peres de Téglisé' qui ont été de yiolens persécuteurs. .A.PRES avoir rapporti quelques-uns des articles sur lesquels les chrétiens ont eu de violentes disputes; après avoir montré combien ces articles ont été étendus par les disputeurs et par ceux qui se sont crus intéressés dans ces querelles; après avoir fait voir quelle espèce d'hommes étoient les chefs les plus zèlés et les plus dévots qui les excitoient, nous allons continuer a mettre sous les yeux du lecteur quelques exemples des persécutions atroces et des cruautés révoltantes, qu un grand nombre de ceux qui s'appellent des chrétiens ont exercé les uns contre les autres a 1'occasion de leurs opinions diverses. Si l'on vouloit entrer dans le détail de ces infamies, on seroit obligé de rranscrire des volumes immenses de martyrologes, 1'histoire ecclésiastique toute entiere , les légendes, les vies des Peres et des Saints, ouvrages templis d'exemples de cruauté religieuse: on y trouveroit des traits qui feroient frémir les lecteurs en qui le fanatisme n'a point totalement éteint les sentimens d'humanité. On se bornera donc ici a rapporter en peu de mots quelques-uns de'ces actes de férocité. En effet, si l'on pouvoit admettre l hyperbole de Saint-Jean, l'on pourroit dire que le monde seroit trop petit pour eontenir les livres oü l'on raconteroit fidèlement tous les détails des cruautés exercées par ceux qui ont 1'impudence de se dire les disciples de Jésus-Christ.  Religieuse. ƒ 3 On a déja. fait observer que les querelles et les disputes ont commencé des les premiers instans du christianisme , et que les apótres eux-mêmes ne furent point d'accord entr'eux ; par la suite les chrétiens, a mesure qu'ils eurent plus de pouvoir et de liberté , fleem éclater plus hardiment leur cupidité , leur orgueil , leur ambition , leur férocité , et se permirent des violences qui font rougir la raison. Jusqu'au tems de Constantin , qui fut le premier Empereur chrétien , les chrétiens étant sous le gouvernement des payens furent obligés de s'en renir a se maudire , s'injurier, se déchirer et même avec raison les uns les autres ; mais a peine eurent - ils obtenu la permission de se persécuter d'une facon plus efficace, qu'ils profiterent de cette fatale libené pour s'excommunier , se bannir, s'emprisonner, se tourmemer et se mettre réciproquement a mort. Indépendamment des essains d'héréfiques qui s'élevèrent 3 qui soutinrent les opinions les plus absurdes j les plus monstrueuses, qui se rendirent coupables des crimes les plus contraires aux mceurs , 1'église fut encore divisée en deux partis principaux , distingués par les noras d'Ortodoxcs et d'Aricns; ceux - ci furent déclarés hérétiques par les premiers (i). Selon que ces deux cabales jouirent alternativement du pouvoir ou eurent les Empereurs de leur cóté, elles persécutèrent leurs adversaires avec toute la fureur et la rage que le fanatisme peut exciter. 11 est sur-tout bon de remarquer que les Orthodoxes furent bien éioignés ()) ton .i obse;"vè au sujet des uérétiquea et des sectair'es en genei ral que mnins i s differoien't enti'eu:: dans leurs opinions , p\nt ita avoient d'anripaLhle les uns pour los autres. CYsr apparemment par la même laison qui fait que qneïques hommes ont. une aversion plus maiquóe pour les ïingfs q^c pour tous les autres animaux. D 3  j4 De la cruauté de donner des exemples de douceur a leurs adversaires; quoiqu'ils se plaignissent très-amèrement de la cruauté des Ariens quand ceux-ciprenoient le dessus,et quoique Saint-Athanase assurat que la persécution étoit une invention diabolique , cependant les Orthodoxes ne mettoient aucunes bornes a leurs furies quand ils deve^ noient les plus forts, et même ce furent eux qui les pre^miers décernerent la peine de mort contre ceux qui différoient de leurs opinions religieuses; enfin les hommes les plus distingués des deux partis furent communément les persécuteurs les plus cruels. Saint Athanase , qui occupoit un rang très-distingué dans 1'église et qui se fit- remarquer par son zè.le ardent pour la foi Orthodoxe , ne se disringua pas moins par son esprit turbulent, persécuteur, et par ses actions cruelles. Ce prélat remuant fut déposé plusieurs fois pour ses crimes énormes et ses pratiqués sédirieuses; son rétablissement fut communément accompagné de tumultes et de massacres, excités par lui-même oupar ses adhérens. Plusieurs évêques et prêtres, qui s'étoient déclarés pour le parti orthodoxe, accusoient ce grand Saint auprès de 1'Empereur, d'être, par sa conduite emportée , 1'auteur de tous les troubles de 1'église; on lui imputoit d'avoir fait fustiger, raeÉtre dans les fers et même assassiner quelques-uns de ses adversaires, Ce sahk homme se rendit aussi coupable de calomnie : il fut accusé d'avoir suborné de faux témoins pour détruire ses ennemis, et entr'autres Eusebe de Nicomédie; eu effet il engagea une femme a dire que ce prélat lui avoit fait un enfant, fausseté qui fut déconverte au concile de Tyr. Ce grand docteur fut encore banni pour avoir vendu le bied que 1'empereur Consrantin avoit donné pour la subsistance des pauvres d'Alexandrie, dont il  Religieust. 5j éroit évêque. La conduite de eet homme nous prouve qu'il est très-possibb de montrer beaucoup de zèle, même pour la religion er hodoxe , de disputer avec beaucoup de subtilité sur les points les plus abstraits de la théologie, de se rendre fameux par un symbole, et d'être en même tems un scélérat décidé. Si Dieu defendit a David de bark le temple des Juifs j paree qu'il avoit versé le sang, a combien plus forte raison un persécuteur aussi sanguinaire que saint Athanase, étoit-il peu propre a édifier 1'église chrétienne ? Cependant ce saint abominable ne fut pas a beaucoup prés le seul qui exercat des persécutions sanguinaires. Saint Chrysostöme, ainsi nommé a cause de son éloquence extraordinaire , se fit remarquer par son humeur turbulente. Saint Cyrille , Dioscore et bien d'autres le secondèrent avec chaleur dans ses excès et dans ses entreprises détestables. Le premier (saint Jean Chrysostöme) fit éprouver de très-grandes violences aux évêques ses confrères; il les déposoit d'une facon purement arbitraire, il en substituoit d'autres en leur place contre le vccu des peuples; il alla jusqu'a insulter 1'Impératrice Eudoxie. II excita un soulèvement contre les Goths dans la ville de Constantinople ; l'on fut sur le point de faire mettte le feu au palais impérial et d'assassiner ÜEmpereur ; ce tumulte se termina par le massacre de tous les soldats Goths , dont on brüla 1'église avec un grand nombre de ceux qui s'y étoient rassemblés pour y chercher un asyile ; on les y enferma pour les empêcher d'échapper. Le second de ces saints, c'est-a-dire, saint Cyrille ■, évêque d'Alexandrie , ne fut ni moins cruel, ni moins tyran que le premier: il employa tout son pouvoir pour tcraser tcus ce,ix qu'il nommcit hérétiques, s'airo- D 4  5Iarceiiin , auteur payen ,  De la cfuaute' en rapporrant les combats sanglans qui se Iivroiejir a Rome., quand il s'agissoit de 1 'élection d'un évéque , s'appercevoit bien du but que se proposoient les candidats, lorsqu'il dit livre XXII3 chap. Vj » qu'il » n'éroit pas surprenant que des hommes qui ne cher" choient que des grandeurs humaines 3 combatissei t " avec autant de chaleur et d'animosité, pour obcenir » cette dignité, vu que quand ils 1'avoient obtenu , » ils étoient süts de s'enrichir par les ofliandes des » dames, de pouvoir se montrer avec éclat, de se » faire admirer par la magnificence de leurs équipages, » de leurs festins somptueux , et par un luxe et une " profusion qui surpassoient ceux des princes souve*> rains ». Gtotius n'a-t-il donc pas raison de dire que celui qui lit 1'histoire ecclésiastique , n'y trouve rien que les vices et les crimes des évèques > En effet comme cette histoire ne présente que les détails des disputes insensées sur des points ridictiles, inintelligibles et absurdes entre les chefs de 1'église , et des persécutions atroees qu'ils se faisoient réciproquement éprouver, on pourroit dire que la satyre la plus sanglante qui ait jamais été fake contre 1'église, c'est 1'histoire de 1'égiise, s e c t I o n VIII. De la puissance du clergé, et de la tyrannie de VévCqut d: Rome. Ce ne fut que lorsque 1'empire romain , qui renfermoit la plus grande partie du monde , fut presqu'entièremen: converti a la religion chréaenne , que  Religieust. $y 1'église qui avoit été long-tems militante parvint aux honneurs du triomphe; cependant le clergé, et en particulier l'évêque de Rome , n'arrivèrent point encore a ce degré de puissance dont ils ont joui par la suite. En effet, quoique peu de tems après 1'établissement du christianisme dans 1'empire, plusieurs empereurs accordassent au clergé un pouvoir trés-considérable, néanmoins celui-ci fut souvent ccntenu par la puissance souveraine, qui 1'empècha de faire tout le mal dont il étoit capable , et de donner un libre cours a son humeur cruelle et intolérante. Cependant peu après l'évêque de Rome parvint a se faire reconnoitre évêque universcl ou cccuménique; pour lors il se mit nonseulement au-dessus des Princes, des P.ois, des Empereurs, mais au-dessus de Dieu lui-même (i). Nonseulement il fit la loi aux souverains, mais même , il les déposa suivant son caprice , il s'en servit comme de marche-pieds (2); il leur imposa des chatimens ignomimeux, il les fit périrfj), lorsqu'ils refusèrent de plier sous ses volontés tyranniques. Bien plus, autant (1) Hostiensis assure que la dignité sacerdotale est 7644 f°ls a"' dessus de Ia dignité royale, vu que c'es.t la proposition de grandeur qui se trouve entre le soleil et la lune. (j) En n5q, le pape Alexandre III mit le picd sur la gorge de Prédéric Barberouase, en citanl en mime tems ces paioles du pseauiue super aspidem et basiliscum dnibulabis , etc. (5) Le pape Grégoire VII obli;.;ea l'empereur Henri IV durant un froid très-r'igoureux de rester peudaHt trois Jours exposé aux frunats et aux injurei de 1'aïr. dans la cour du ch.Ueau du Modénois, revètu d'un sac et pieds nuds , sans boire ni manger ; et en cette posture jl fut forcé d'implorer sa miséricorde ; ce ne fut qu'a ces couditious que ïe pape conseutit k 1'admettre dans Ie sein de 1'église. Clément IV conseilia Ia mort du jeune Conradin. Clément V fit empoisonner l'empereur Henri VI dans une hostie. En 1249 , Innocent VI. avoit juborni un assa. sin pour tuer Frédéiic. Durant ces débats il n'y eut pas moins de 78 baiailles livrées entre les partisaus du pape et lea. empeieurs leurs Wgitiincs souveiaiiis.  «5o De In cruauté qu'il dépendit de lui, il se mit au-dessus de Dieu luimèmev il détröna le tout-puissant en s'arrogeant un pouvoir sur les sciences des hommes, sur lesquelles il n'y a que Dieu seul qui ai: des droits. Ce despotisme insolemment usurpé par le pape neservit qu'a répandre des terreurs, des calamités,des cruautés religieuses, d'abord dans toute la chrétienté , et ensuite jusqu'aux extrémités de la terre; les indiens sauvages furent eux-mêmes forcés de boire dans la coupe de la persécution qui leur fut présentée par les chrétiens dévöts. Aussi-tót que quelques-uns des sujets d'un princs chrétien refuscient d'admettre les dogmes absurdes et anti-chrétiens, ou d'adopter les pratiqués ridicules et idolatres, impcsées par ce pontife despotique oupar ses ministre insolens , le prince recevoit 1'ordre de les forcer a la soumission; quand les peuples demeuroknt opiniatres , c'est-a-dire , quand ils persistoicnt a croire et a agir suivant leurs consciences, ces princes étoient obligés, sous peine d'ètre excommuniés et privés de leurs états, de se rendre les vils instrumsns d'un prêtre , de devenir les infames persécuteurs de leurs propres sujets, de venger 1'église par des banissemens , des suppiices, des assassinats, des croisades, &c. Ainsi les princes furent réduirs a la fkheuse altetnaüve darfoiblir leurs érats , en bannissant ou détruisant un grand nombre des plus utiles er peut-ètre des meilleurs de leurs sujets , et même d'agir souvent i rontre leur propre conscience, ou bien ils coururent le risque d'ètre ch;itics eux-mêmes par un ponr.ïe cruel 3 d'èttj'e privés de leurs couronnes, d'ètre a;sasainés-par qnelque sujet dévor et fanafique, d'êrre déttones par quelque prince étrangcr, animé par le pape s sa destrucüou,  Religieust: g( Lorsque des nations ou leurs chefs refusèrent dereconno'itre la suprématie ou la souveraineté de ce serv'ucur des serviteurs de Dieu , c'est-a-dire, de ce roi des rois ; lorsque des princes er des peuples furent assez impies pour refuser de se soumettre aux ordres de ce pontife arrogant, ou de regarder ses décrets comme des oracles divins, ils furent déclarés hérétiques, ils furent livrés a Satan, et leurs états furent adjugés a quelque prince plus soumis au pape, a cuü cdai-ci permit de s'en einparer par la force des armes. C'est ainsi que le Pape Sixre V. en usa a 1'égatd de la reine Elisabeth et de notre nation; il les déciara hérétiques , il les condamni aux flammes éternelles il excitx et scudoyva Philippe il roi d'Espagne pour qu'il entreprit la conquéte de ce royaume, et si le succè: eut répondu aux desirs du u ^-saint père, il eut joui de la souveraineté de notre isle en récompense de ses peines. Parmi les exemples sans nombre que l'on pourroit rapporter de la conduite tyrannique et cruelle des papes a 1'égard des souverains qui résistoient a leurs ordres quand ces ponvifes vouloient qu'ils tourmentassent et égorgeassent leurs propres sujets, nous choisirons 1'exemple de P»aymond comte de Toulouse et de son fils. Ce prince ayant été ptessé par le pape Innocent III de bannir les Albigeois de ses états , ou ils étoient en très-grand nombre, sur le refus que fit Ie comte de se priver d'une si grande quantité de sujets ou même de les tourmenter , le pape le fit excommunier et fit absondre tous ses sujets du serment de fidélité ; de plus il autorisa teut prince catholique de lui faire la guerre , de lui courir sus, et de s'eraparer de ses terres. Pour rendre ces dispositious plus efficaces, on leva une armée de croisés , c'est-a-dire, d'une es-  4t De ld cruauté pèce de janissaires de 1'église , pour marcher contrei Raymond. S. Dominique se mit a la tête de ces dé-» vots brigancls. Le comte effrayé de la sentence pontificale et de l'arrivée des crpisés , promit de se soumettre et tenta de se réconcilier avec 1'église •, mais le Pape ne voulut y consentir qu'a condition que le comte seroit mené a la porte de la cathédrale dAgde , que la il jureroit d'obéir aux ordres de la sainte église romaine: après quoi le légat du pape lui ayant passé une étole au col le traina dans 1'église , et après 1'avoir rudement fustigé lui donna 1'absolution ; cependant le comte avoit été si maltraité et son corps étoit devenu si enflé , qu'il ne put point sortir par la même porte par oü il étoit entré ; il fut obligé de prendre une autre foute pour aller subir le même traitement a Castres. Nonobstant cette réconciliation du comte de Toulouse , 1'armée des' croisés attaqua par-tout les hérétiques , s'empara de leurs villes , les remplit de carnage et d'horreurs, et brüla le plus grand nombre des prisonniers. En 1209 , Béziers s'étant rendu , tous les nabitans furent passés au fil de 1'épée, et la ville fut réduite en cendres; a la prise de cette place, les Croisés sachant qu'il y avoit un grand nombre de catholiques parmi les hérétiques, furent incertains de ce qu'ils devoient faire. Mais Arnaud , un saint abbé de 1'ordre de Citeaux, leur dit de tuer tout le monde vu que Dieu sauroit bien démêler les siens. Sur 1'ordre de ce moine , les soldats égorgèrent tout le monde sans distinction. Plusieurs villes du même pays subirent le même sort-, il y eut des milliers d'liommes qui futent pendus, brülés, enterrés tout vivans. Dans une ville des environs de Toulouse on en pendit cinquante, et quatre cent furent consumés par le feu. On jetta dans un  Religieust g$ pms que Pon remplit ensuite de pierres , uné dame d'une illustre maison , sceur du gouverneur de Lavaur. A Castres de Termes , l'on jetta Raymont de Termes en prison , et l'on brula dans un grand feu sa femme, sa sccur et sa rille, ainsi que plusieurs autres dames a. qui l'on ne put faire embrasser la religion catholique. Après la mort du comte de Toulouse, son fils eut ' le courage de résister a la tyrannie du pape, il se remit en possession des états de son père , et les défendit avec beaucoup de valeur; mais le pontife romaia ayant fait prendre les armes au roi de France, celuici contraignit le comte de se soumettre et de subir une punition aussi rigoureuse que son père. Sur quoi StBernard s'écria : « que c'étoit un saint spectacle de " voir un aussi grand personnage , qui avoit pu si » long-tems résister a tant de nations puissantes, con» duit dépouillé de ses vêtemens, et pieds nuds a 1'au» tel » ! Quoique ces princes osassent résister au pape et désobéir a ses ordres, ce pontife insolent trouvoit dans presque tous les autres souverains catholiques des esclaves et des bourreaux, prèts a servir ses caprices et son odieuse tyrannie. Les rois de France et d'Espagnr» n'ont point rougi de se prèfer un grand nombre de fois a ses fureurs et se sont disringués par le zèle imbéci 11e avec lequel ils ont , par complaisance pour un ptètre hautain , et pour un clergé ambitieux, banni, persécuté, massacré une multitude de sujets utiles et yertueux. Notre reine Marie , princesse en qui la superstitiën avoit totalement étouffé les sentimen; de compassion et d'humanité si naturels a son s;xe, fit égorger avec h de:nière barbarie une £oAs de ses sujets. Ceux qui  £^ De la cruauté voudront s'instruire en détail des cruautés exercées sousf le règne de cette princesse sanguinaire , les trouveront dans Fox et dans d'autres écrivains, oü ils liront des choses qui leur feront horreur. Cette reine nous prouve les eftets terribles que la dévotion peut ptoduire , lorsqu'elle se trouve combinée avec un tempérament crueU Les rois de France ne 1'ont cédé a personne dans 1'obéissance qu'ils ont eue pour les ordres du très-saint père. On sait les guerres civiles que 1'intolétance des catholiques romains fit éclore dans ce royaume; on se rappelle en frémissant 1'hotrible massacre que CharlesIX fit faire dans sa capitale , de prés de cent nulle de ses sujets , dont il avoit attiré plusieurs a sa courSous prétexte de se réconcilier avec eux. Ce roi superstitieux neut il pas 1'mfamie de tremper ses propres inains dans le sang des hérétiques, sur lesquels il tiroit des fenêtres de son palais 3 Le pontife des Romains tenoncant a toute pudeur, ne rendit-il pas des actions de graces solemnelles au Dieu des miséncordes pour le massacre odieux commis par les ordres du fils ame de 1'église, qui venoit d'immoler tant de victimes a la fétocité sacerdotale ? Cependant les rois ne trouvent grace aux yeux de ce pontife hautain , que quand ils se rendent ses esclaves - er ses bourreaux. Nous voyons presque dans le même tems Henri III assassiné par un moine; eet assassinat préconisé comme une action louable , 1'assassm regardé comme un martyr par le pape. L'histoire de France nous montre pendant environ un demi siècle ee royaume inendé du sang des Protestans , sur lesquels des princes aveugles exercoient les vengeances du très-saint père , et la cruauté reiigieuse dans toute son atrocité. Jusqu'au règne d'Henri IV , il pint dans les guerres de religion plusieurs millions d'hommes, et enfin  Religieust. fin ce monarque justement chéri des Francois , succomba lui-même sous les coups d'un fanatique, armé par des Jésuites qui prêchèrent de tout tems la cruauté, la persécution et le massacre des rois. Dans des tems postérieurs Louis XIV se montra le digne fils de 1'église; après avoir désolé toute 1'Europe par ses conquêtes , taillé son royaume par ses folies entreprises et ses profusions , bravé le ciel et scandalisé la' terre par ses débauches et ses adultères , il crut tout expier en persécutant, en bannissant, en faisant tourmentet des milliers de Protestans. On prétend que sa férocité religieuse forca huit cent mille ames de s'expatrier pour échapper aux prisons 3 aux galères, aux massacres que ce monarque très-chrétien destinoit aux plus conscientieux de ses sujets. Tels ont été en France les effets de la cruauté envenimée par la religion (i). II paroit cependant que les rois catholiques d'Espagne 1'ont emporté sur tous les autres par l'obéissance servile qu'ils ont eue pour le pape et par la cruauté dans laquelle ils ont surpassé tous les autres princes chrétiens. En effet les Espagnols ont depuis long-tems mérité d'ètre regardés comme la nation la plus dévote et la plus religieuse de 1'Europe , suivant le sens qu'on attaché vulgairement a ces mots dans la chrétienté : pour parler plus exactement, cette nation , autrefois généreuse et libre , est devenue la plus abjecte , la plus stupide , la plus ignorante > la plus superstitieuse , et (i) Je tien? de personnet très-dignes de foi qu« sous le ministère pacifique du Cardinal de Fleuri , qui passoit pour un homme' trè et lorsqu'il se réveilloit, il crioit en se frottant les yeux au gibet 3 au gibet! Telles étoient les procédures judiciaires des substituts Cl) Voyez histoire des Provinccs-Unies par Le Clerc , tome I, pag. 14. En 1'a.i i562 J. Téraode, avocat protestant, fut décapité k Toulouse en France , par arrèt du parlement , quoiqu'on ne le tronvat point coupable ; et voici ce qu'on lui dit : - M. Téroude , Ia cour » ne vous tiouve aucunement coupable , cependant bien informée de » 1'intérieur de votre conscience , et sachant trèi-bien que vous auriez été très-charmé que ceux de votre malheureuse et réprouvée religion » eussent remporté la vietoire, elle rous condamne i avoir la tête tran. „ chée et tous vos biens sans exception confisqués ... Voyez 1'histoire ecclésiastique des ég'ises réformées du royaume de France, tome III Jiv. 10 , pag. 35 et 54. " ' Il paroit que le parlement de Toulouse actuel n'a point dégénéré de l'injustice , du lanatisme et de la férocité de ses prédécesseurs. Ce tribunal, vraiment digne de la ville ou 1'inquisition fut établie pour la première fois, condamna , comme toute 1'Europe le sait, sans aucunes preuves juiidiques , le malheureux Jean Cala,, protestant, a ètre rompu yif, pour avoir été vaguement accusé d'avoir ètranglé son fils. Le conseil d état de Frauce a depuis cassè eet infame arrèt et rèhabdité la mémoire de Calas ? mais ses juges exécrables et voués 4 l'ir.dignation publique onc eu 1'effronteHe d'empècher que 1'arrèt du tous ul ne sortit son exécution. C'est aux soins , aux bienfaits et aux • ollicitations de nilustre Voltaire que la familie de Calas a été redevab.'c de Ij justice q„i lui a été rendue. A'ote de ïéditeur. E x  (jg De la cruauté du duc d'Albe ; quant a lui il agissoit d'une facon, plus sommaire, plus arbitraire et plus cruelle. II envoyoit sans forrae de procés les accusés au supplice, et suivant son caprice il les faisoit ou pendre ou décapiter ou brüler; il en faisoit attacher quelques-uns a la queue d'un cheval 3 les mains liées derrière le dos, pour les faire conduire au lieu de 1'exécution ; d'autres furent écartelés. En un mor ce scélérat se vantoit d'avoir fait périr dix-huit mille hommes par la main du bourreau. Parmi ceux-ci se trouvent les noras célèbres des comtes d'Egmont et de Hoorn 3 du baron de Batembourg et de beaucoup de personnes d'une très-illustre naissance. Le crime unique de ces deux premiers étoit d'avoir paru pencher en faveur de la tolétance quoiqu'ils fussent cathoüques eux-mêmes. Ce monstre n'épargnoit pas même les femmes; il fit périr sur 1'échaffaud une dame de qualité agée de 84 ans. V. Le Clerc , histoire des Provinces-unies 3 pages 15, 173 38 , &c. C'est ainsi que le Saint Père fut obéi et setvi pat les plus zèlés et les plus dévots de ses enfans ou de ses bourreaux-, telles sont leslctuautés pieusement exercées par les chrétiens les uns contre les autres. Cependant les loix les plus sanguinaires, les persécutions les plus atroces pour des opinions, les guerres civiles les plus cruelles, n'ont pu contenter la rage insatiable de quelques zélateurs , qui ne semblent respirer qu'au milieu des flots de sang. Les prêtres furent toujours les instigateurs des scènes les plus horribles que le christianisme a fait jouer sur la terre. Ces hommes divins nous apprennent eux-mêmes que dans le fameux Massacre d'Irlande, il y eut cent cinquante-quatre mille protestans d'égorgés par les catholiques; on n'épargna ni les femmes, ni les vieillards , ni les enfans; et leur  Religieuse. mort fut souvent accompagnée de circonstances sicruelles, que la plume tombe des mains quand on veut les rapporter. V. Ruskworth's, collections> vol. V.page3 35;. Quoique le massacre de la Sr. Barthelemy , appellé communément le massacre de Paris , n'ait pas couté, peut-être, la vie a autant de monde que celui d'Irlande, il fut pourtant accompagné de circonstances qui doivent le rendre plus odieux que tous les autres (1). Ce massacre ne fut pas dü a un soulèvement subit de la populace , il fut prémédité de sang-froid; concerté dans le conseil d'un roi, assisté de sa mère , du duc d'Anjou, qui depuis règna sous le nom d'Henri III, du cardinal de Lorraine , du duc de Guise et du comte de Retz. Charles IX n'avoit alors que 11 ans , et son frère le duc d'Anjou étoit plus jeune que lui; cependant l'on voit qu'a eet age leur ame étoit déja mure a la cruauté religieuse : l'on employa les plus indignes artifices et les plus infames trahisons pour attirer a Paris le roi et la reine de Navarre j le prince de Condé, 1'amiral de Coligny et les chefs des protestaus. En conséquence on proposa un mariage entre la sceur du roi et le prince de Navarre; on paria d'une prétendue expédition dans le pays Espagole, dans laquelle 1'Amiral devoit commander en chef et avoir sous lui tous les officiers protestans. Cette expédition n'eut pas lieu , mais le mariage fut accompli; et l'on profita de cette solemnité pour inonder Paris de sang; celui de la plus haute noblesse coula dans toutes les rues. Péréfixe, (1) Ce massacre abomi'nable , ains! que Ia rérocation de 1'édit de Nantes par Louis XIV, onr été depuis quelques années justifiès par un prêtre exécralale , nommé 1'abbé de Caveyrac , qui par-li a mérité Ia faveur de plusieurs membres iilustres du clergé de France. Jfc>*» du, traducteur. ■ E 3  70 De la cruauté dans la vie de Henri le Grand, tout évêque qu'il étoit, parle de cette joumée qu'il appelle action exécrable ! qui n avoit -jamais eu et qui n'aura } s'il plan d Dieu, jamais de pareille. Mais quoiqu'un prélat catholique condamne cette horrible action , le Pape , comme on 1'a dit, n'en jugea pas de même; il fit publiquement 1'éloge de eet outrage fait a 1'humanité en présence des cardinaux de la sainte église Romaine. Le roi de France lui ayant fait part de ce grand événement, le très-saint Père lui en fit ses remercimens, 1'en félicita, 1'exhorta de continuer a extirper 1'herésie,- ce qui prouve que sa sainteté n'étoit point encore contente du nombre des victimes que l'on venoit d'immoler a sa fureur. Peutêtre aussi le Pape vouloit-il faire entendre par la qu'il étoit a propos d'établir en France le sacré tribunal de 1'inquisition , qui de toutes les inventions imaginées par la cruauté sacerdotale , fut toujours la plus efftcace pour tourmenter les consciences des hommes. Nous allons donc parler de ce merveilleux instrument de la cruauté religieuse. SECTION IX. De 1'inquisition et de ses cruautés. Jusqu'au commencement du treizième siècle les princes temporels furent seuls en droit de faire des loix et des édits pour la suppression des hérésies et contre les hérétiques ; 1'exécution de ces loix étoit confiée aux magistrats civils et aux évêques; mais environ vers 1'an i zoo, long-tems avant les massacres dont nous venons de parler, le pape Innocent III s'étant appercu qu'il y avoit un grand nombre d'hérétiques en France, sur-  Religieuse. 71 tout a Toulouse et aux environs , et que la plus terrible des hérésies , celle qui résistoit a [autorité des papes , étoit sur le point de se répandre , il vit clairement la source de maux si dangereux pour lui. Les princes séculiers, soit par une sage politique , soit par humanité j négligeoient souvent de punir les hérétiques, de peur de dépeupler et d'affoiblir leurs états' en bannissant ou en détruisant de bons et d'utiles sujets; les magistrats civils n'étoient pas toujouts disposés a se servir de leur pouvoir pour tourmenter et opprimer des chrétiens leurs semblables , des évêques même craignirent quelquefois dalier trop loin dans les chatimens des hérétiques et den faire un carnage , qui auroit diminué leurs troupeaux s'ils eussent voulu totalement extirper les hérésies. En un mot ce Pape voyant que l'on ne travailloit qu'avec tiédeur a l'ceuvre du Seigneur, ( c'est ainsi que 1'impie appelloit les persécutions) tint conseil avec 1'abbé de Cïteaux et avec un moine espagnol appellé Dominique, qui est devenu un Saint depuis, pour savoir ce qu'il falloit faire afin de prévenir le danger qu'il craignoit. Ce triumvirat décida qu'il falloit oter des mains des laïques le droit de persécuter •, 1'arracher a tous ceux qui s'étoient conduits avec tant de tiédeur , pour le donner a des ecclésiastiques qui par leur zèle se montreroient dignes de la confiance de 1'église et d'un emploi si saint. En conséquence on établit des inquisiteurs; Dominique , 1'un des monstres les plus sanguinaires qui aient jamais existé, en fut déclaré le chef, et 1'ordre de moines qu'il avoit institué s'est depuis fidèlement acquitté des fonctions odieuses imaginées par son pieux fondateur. Peu de tems après 1'établissement de ces inquisiteuts on leur forma uh tribunal sous le nom d'Inqui- E 4  yt De la cruauté sition; par ce moyen la persécution fut réduite en systême. On éleva des édifices dans lesquels on raénagea des appartemens somptueux pour les inquisiteurs , et l'on prépara des prisons affreuses et des cachots terribles pour les malheureux qui tomberoient entre leurs mams; on n'oublia pas des bourreaux et des hommes destinés a leur donner la torture •, enfin il y eut des hommes pieux qui, sous le nom de Familiers du Saint Office, se firent un honneur de devenir les archers et les satellites des inquisiteurs , qui s'engagèrent par serment a les défendre au péril même de leur vie. Non contens de cette noble fonction, ceux - ci se rendirent encore les espions et les délateurs de leurs saints maïtres, et quelque infame que ce métier puisse paroïtre en toute autre circonstance , il devint honorable quand il fut exercé en faveur de la religion ; les plus grands seigneurs, des princes mêmes briguèrent eet emploi sublime, et s'en glorifièrent dans les pays oü eet infame tribunal est établi. Quoique dans ces pays tous les bons catholiques soient obligés d'informer 1'inquisition de tous les crimes dont elle prend connoissance, cependant ce devoit est enjoint plus stricternent encore aux Familiers. C'est ainsi que ce monstre a plus d'yeux (\vl Argus pour veiller aux intéréts des prêtres, et pour s'opposer aux opinions contraires a celles d'oü viennent les trésors du clergé; celui-ci par la , comme Bryarée, a cent btas pour se défendre et pour faire une guerre offensive a ses ennemis. Outre cette troupe de gens et eet appareil de choses nécessaires pour conduire a bien 1'ceuvre infame et sanguinaire de la persécution ; pour assurer encore plus 1'église contre les attaques des hérétiques, ce saint tribunal jouit du pouvoir le plus illimité. Par-tout oü il est établi, les rois et les princes mêmes sont soumis a  Religieuse. 7J sa jurisdictionet ont quelquefois éprouvé des chatimens de sa part. La rapacité , 1'injustice et la cruauté de ce tribunal ecclésiastique sont aussi illimités que son pouvoir. Lorsqu'un accusé est conduit a 1'inquisition on commence a le dépouiller de tout et même de ces habits; on s'informe ensuite exactement de ses biens tant meubles qu'immeubles, et pour 1'engager a ne rien céler, on lui promet solemnellement que tout lui sera rendu lorsqu'il sortira de la maison en cas qu'il se trouve innocent; cependant il est rare qu'on lui tienne parole, sur-tout s'il est opulent ; il est aussi difficile pour un homme bien riche de sortir de 1'inquisition que pour un cable de passer par le trou d'une aiguille. Si l'on ne tire pas de plein gré les aveux dont les inquisiteurs ont besoin , ils employent les menaces et ensuite les tortures •, quand on leur a découvert ce qu'on possède , les inquisiteurs communément font vendre sur-le-champ les biens du prisonnier a 1'encan, paree que , suivant la remarque de M. Dellon, ces scélerats sont d'avance très-résolus a ne rien restituer. Ce tribunal est si injuste que souvent des personnes demeurent plusieurs mois dans ses prisons sans qu'on leur apprenne le crime dont elles sont accusées ; au lieu de les instruire, le tribunal leur demande a ellesmêmes si elles savent la cause de leut détention; comme souvent les prisonniers 1'ignorent , et par conséquent ne peuvent la dire , on les avertit de tacher de se rappeller les crimes dont connoit le tribunal du saint office , et dont ils peuvent s'être rendus coupables et on les conjute par les entrailles de la miséricorde de Jésus-Christ, ( c'est la formalité ) den faire unè confession pleine et enticre 3 vu que c'est-la le seul moyen de recouvrer leur liberté et leur vie. Si par toutes ces  74 De la cruauté voies l'on ne peut déterminer le prisonnier a confesser ou a s'accuser lui-même, l'on a recours aux menaces et aux tortures pour 1'y forcer; quand elles ont été employées sans succès , comme il arrivé quelquefois, on lui laisse' entrevoir une partie de ce dont il est accusé dans 1'espérance de tirer quelque chose de plus; mais jamais on ne lui fait connoitre ses accusateurs, qui ne lui sont point confrontés; pat-la il est souvent arrivé que des personnes parfaitement innocentes de ce dont elles avoient été accusées, ont subi les chatimens les plus cruels et lesplusinjusteset même ont été misesa mort. Une nouvelle preuve de 1'iniquité de eet odieux tribunal , c'est que l'on y recoir le témoignage et les délations des personnes infames, et même de celles qui ent été convaincues de parjure. En un mot telle est 1'indignité et la barbarie de 1'inquisition , que non-seulement les maris sont admis comme témoins contre leurs femmes dans le cas d'hérésie, mais encore sont forcés de se rendre leurs délateurs; par la même raison les femmes sont admises a déposer contre leurs maris , les parents contre leurs enfans , les enfans contre leurs parens ; et même pour y inviter les enfans on leur promet souvent une portion des biens de leurs parens en cas que ceux-ci soient convaineus. C'est ainsi que ce tribunal infernal encourage le parricide, et soudoye les enfans pour les déterminer a faire expirer leurs parens dans des tourmens affreux. D'oü l'on voit clairement que les crimes les plus atroces, quand on les commer pour le bien de 1'église, changent de nature, sont sanctifiés et deviennent des actions légitimes et méritoires. Les cruautés exercées par ce tribunal , que l'on a 1'impiété de nommer saint sont aussi surprenantes que terribles. II y en a , sans doute , un grand nombre que l'on a soigneusement dérobées a la corinoissance  Religieuse. j$ du public ; mais il faudroit des volu mes" pour décrire ceux que Ton connoit, si l'on vouloit en donner des dérails ; cependant on a beaucoup écrit la-dessus; quelques ouvrages ont été publiés par ceux mümes qui avoient eu le bonheur de se tirer des mains de c;es tigres altérés de sang; on ne se propose donc ici que de donner une idéé de la scélératesse et de la barbarie; de 1'inquisition, en faveur des personnes qui n'auroieni: pas été a portée de consulter les ouvrages qui traitent de cette matière, tels que 1'histoire de 1'inquisition par Limhorch , de laquelle nous avons tiré la plupart des faits qui sont ici rapportés Lorsqu'un accusé est arrèté par ordre de 1'inquisition, on le jette dans un cachot obscur, oü il demeure quelquefois pendant des années entières, et pour 1'ordinaire tout seul ; on ne lui fournit aucun livre , pas même de dévotion , ni rien de ce qui pourroit contribuer a adoucir ses peines ; au contraire on s'étudie a les aggraver par tous les moyens imaginables. Un silence profond règne dans cette région de la douleur •, si un prisonnier récite ses prières a haute voix , ou a la témérité de se plaindre, un geolier lui ordonne de se taire, et en cas de récidiveilest battu sans miséticorde. Un prisonnier incommodé d'une toux , eut ordre de ne point tousser : comme il répondit qu'il ne pouvoit faire autrement, il fut tellement battu qu'il expira sous les coups. Quoiqu'une pareille prison accompagnée de circonstances si désolantes soit déja un chatiment très-rigoureux, suffise quelquefois pour faire tourner la cervellë aux malheureux qui 1'éprouvent, en fasse périr d'autres , en détermine quelques-uns a se donner la mort (i) , . (i) M. Delion , qui a écrit une relation de ïinqinsuion de Goa , hous dit que durant son séjour dans les prisont de Tinquisition il  yé De la cruauté cependant tout cf/la n'est encore qu'une très-petite partie des souftrances qu'endurent ceux qui tombent entre les mains des inquisiteurs. Ces monstres infligent les tourmens les plus inouis aux* malheureuses victimes de leur rage: 1'objet de ces tourmens est de forcer les prisonniers a s'accuser eux-mêmes ou d'autres , et souvent ils s'accusent eux-mêmes et les autres a faux. Dans le tems que 1'Inquisition étoit établie en Flandre , des femmes accusées de sorcellerie et d'avoir commerce avec le Diable, nierent le fait a 1'interrogatoire: mais ayant été mises a la torture} elles confesserent tout ce dont on les accusoit et dirent entre autres choses que le diable les avoit connu charnellement : elles se rétractèrent ensuite lorsqu'on les conduisoit au lieu de 1'exécution , et l'on pouvoit les en croire , disant que c'étoit la rigueur des tourmens qui leur avoit arraché eet aveu , ce qui ne les empêcha point d'ètre brülées vives. Les inquisiteurs n'omettent rien pour effrayer les prétendus criminels qu'ils ont entre les mains} et se font un devoir d'aggraver toutes leurs peines. L'endroit ou l'on donne la torture est communément une chambre obscure et souterraine , tendue de noir, et éclaitée par des chandelles. Le bourreau, vêtu de noir , semblable a un démon , paroit devant le prisonnier et lui montre les instrumens de la torture. Les accusés, soit hommes, soit femmes ou filles, sans égard pour la pudeur , sont dépouillés tout nuds , après quoi on les couvre d'un habillement fort mince qui prend exactement le corps , ou bien on ne leur donne qu'un callecon de toile pour couvrir leur nudité. riensa devenir fou , et que souvent il fut tenté de je donner Ia mort.  Religieuse. 77 Les tortures que l'on emploie :sont de diifêrentes espèces; il y en a un très-grand nombre , et elles peuvent passer pour vraiement infemales. L'une de ces tortures consiste a lier les mains de 1'accusé derrière le dos •, on lui attaché des poids ênormes aux pieds , après quoi on 1'éleve a 1'aide d'une poulie a laquelle on fait toucher sa tête; on le tient suspendu pendant quelque tems de cette manière, afin de distendre tous ses membres et ses jointures ; pour lors on le laisse retomber tout d'un coup de manière cependant que ses pieds ne touchent point la terre •, par ceore secousse subite ses bras et ses jambes se trouvent disloqués: on réitere la méme chose deux ou trois fois, et suivant le rapport de Piazza , qui avoit été lui - même 1'un des juges de 1'inquisition, on fustige cruellement ces malheureux pendant qu'ils sont ainsi suspendus. Voici une autre méthode dont 1'inquisition se sert pout donnet la question. On place un réchaud rempli de charbons ardens sous la plante des pieds du malheureux que l'on applique a la torture; on les a préalablement frottés de lard afin que la chaleur devienne plus cuisante. Mais pour ne point ttop nous arrêter sur un sujet si révoltant, nous nous contenterons de rapporter encore un seul exemple de la cruauté sacerdotale des infames suppot's de 1'inquisition. II ont une auge de bois creusé, assez ample pour contenit un homme couché dans toute sa longueur ; au fond de cette auge est une barre de ter fixée en travers , sur laquelle on pose le prisonnier couché sur son dos , de manière que ses pieds soient beaucoup plus élevés que sa tête. Quand il est dans cette posture , ses cuisses et ses bras sont liés avec de petites ficelles que l'on peut serrer par des tourniquets et que l'on fait entrer jusqu'aux os au point de les faire disparoitre. Cependant ce n'est  78 De la cruauté la que le commencei nent des tourmens qu'on fait subir a 1'accusé; on lui rc.et sur la bouche et sur les narines une étoffe mince , tst pour lors on fait tombet de haut un petit filet d'eau sut la bouche du malheureux , ce qui fait enfoncer le morceau d'étofFe jusqu'au fond de sa gorge , ensorte qu'il lui est impossible de respirer, par-la il semble entrer en agonie : lorsqu'on a retiré le morceau d'étoffe, ce que l'on fait pour qu'il puisse répondre a J.'interrogatoke , il est ordinairement rempli de sang, et ceux qui ont souffert ce genre de supplice disent qu'il leur sembloit qu'on leur faisoit sortir les boyaux par la bouche. La répétition de ces tortures semble être une mort multipliée, ou suivant 1'expression de Shakespear, c'est mourïrplusieurs fois avant la. mort. Telles sont les inventions infemales imaginées par les prêtres du Dieu des miséricordes ! en effet 1'enfer, a 1'exception de sa durée, pourroit - il être pire que la sainte inquisition? Les démons les plus petvers peuventils être plus cruels ou plus inhumains que ces inquisiteurs religieux ? Pour continuer d'inspirer contre ces hommes exécrables 1'indignation qu'ils méritent, je rapporterai quelques exemples des supplices qu'il ont fait souffrir a des personnes assez malheureuses pour tomber entre leurs mains. M. William Lithgow , Ecossois , voyageant pour sarisfaire sa curiositê, eut le malheur d'ètre déféré a eet infame tribunal. Après avoir souffert des tourmens innouis, il fut condamné a être brulé vif comme hérétique, mais les inquisiteurs , peu contens de le condamner a une mort si douloureuse , voulurent encore lui faire éprouver onze tortures; en voici une qu'il rapporte lui-même. On commenca par le dépouiller nud, en le fit mettre a genoux tandis que ses bras étoient  Religieuse. je, tenus en 1'air; on lui ouvrit la bouche avec des outils de fer, et on lui fit avaler de 1'eau jusqu'a ce qu'elle découlat de sa bouche ; alors on lui passa une cotde au col, et on le fit rouler sept fois la longueut de la chambre , ce qui pensa 1'étrangler. Pour lors on lui attacha une corde mince autour des deux gros doigts des pieds 3 on le suspendit la tête en bas, et puis on coupa la corde qu'il avoit autour du col; on le laissa dans eet état jusqu'a ce qu'il eut dégorgé toute 1'eau qu'il avoit bue, après quoi il demeura long-temsa terre comme mort; ce fut alors que par un bonheur imprévu il fut délivré de prison et revint en Angleterre. Une dame trés - pieuse accusée d'hérésie fut mise a 1'inquisition de Séville avec ses deux filles vierges, et une niece marree; On employa différentes tortures pour les engager a s'avouer coupables , pour découvrir les personnes de leur secte , et sur-tout pour quelles s'accusassenr réciproquemenr ; mais ce fut vainement. L'inquisiteur les trouvant obstinées, fit venir devant lui une des filles, sous prétexte de conférer avec elle en particulier ; il lui dit qu'il prenoit beaucoup de part a ses peines et feignit de vouloir la consoler; après 1'avoir ainsi séduite, lui avoir fait croire qu'il prenoit un intérêt très-sincère aux malheurs de sa familie , lui avoir fait espérer qu'il lui rendroit de bons offices pour recouvrer la liberté, ce traitre 1'exhorta d'avouer ce qui la regardoit elle-même et a découvrir toutce qu'ellesavoit sur sa mère , ses sceurs , sa tante et quelques autres personnes qui n'avoient point été arrêtées , promettant avec serment que si elle vouloit lui parler avec franchise , il trouveroit le moyen de faire cesser leurs infortunes et de les remettre en liberté. Ces caresses tirèrent de cette fille des aveux que les tourmens n'avoient pu lui arracher ; séduite par les promesses et les scr-  g0 De la cruauté mens réitérées de ^inquisiteur, elle lui découvrir tout ce qu'il vouloit savoir. Alors eet infame pat jute , une fois parvenu a ses fins, fit appliquer cette infortunée a la question la plus cruelle ,. elle chargea pour lors et sa mère et ses sceurs , qui furent pareillement appliquées a la question , et toutes furent brülées vives sur le même bucher. Quelqu'hornble que soit 1'exemple qui vient d'ètre rapporte , celui qui suit ne lui cede en rien, et même il paroïrra plus cruel a de certains égards. Une femme de qualité nommée Dohorquia , épouse d'Higuera en Espagne , quoique grosse de six mcis , fut arrêtée par 1'inquisition , uniquement paree que sa soeur, qui avoit été pareillement arrêtée et qui fut ensuite brülée, avoit déclaré dans la torture qu'elle 1'avoit entretenue de sa facon de penser. La dame Bohorquia accoucha dans sa prison; au bout de quinze jours elle fut resserrée très-étroitement et traitée avec la même dureté que les autres prisonniers •, la seule consolation qu'elle avoit étoit due a une jeune fille qu'on lui avoit donnée pour compagne et qui fut par la suite brulée pour sa rehcion •, mais cette consolation fut bientot changée dans la plus cruelle des afflictions , car cette malheureuse compagne fut arrachée d'auprès d'elle pour subir la torture, et on ne la lui ramena qu'ayant tous les membres disloqués, spectacle affreux, très-propre a faire sentir a la dame le traitement qu'elle devoit attendre pour ellemème. A peine la jeune fille eut-elle commencé a se retablir, que l'on vint prendre madame Bohorquia pour lui faire subir les mêmes tortures. Après avoir souffert des tourmens qui pensèrent lui coüter la vie, elle fut remise toute expirante dans sa prison oü elle mourut en effet au bout de huk jours. Pour combler la mesure de la perversité des inquisiteurs, il se trouva par  Rèügiiust. la suite que cette dame étoit parfaitement innocente de fee dont on 1'accusoit; et les inquisiteurs, qui 1'avoient cruellement assassinée , la déclarèrent eux-mêmes telle. On a deja. ci-devant observé que tous ceux ou celles a qui 1'inquisition fait donner ia torture sont > sans distinction de sexe , dépouillés tout nuds , au mépris des régies de la pudeur. Quelles rérlexions ne fait pas naitre une conduite si étrange! quel mélange abominable de barbarie et de lubricité ! quelle doit être la situatiou d'une femme honnéte , quand elle se voit exposée aux regards avides de ces monstres sacrés , qui sans égards pour la foiblesse de son sexe , pour ses charmes , pour ses pleurs , asSouvissent sur elle leur tyrannie et leur rage ! Non j les peuples les plus sauvages rte floüs fournissent point d'exemples d'une pareille barbarie exercée sur un sexe enchanteur. Cependant c'est ainsi que les femmes ont été trairées au sein des nations qui se disent chrétiennes et policées! C'est ainsi qué des princes et des peuples dévóts permettent que l'on toutmente souvent l'innocence et la piété ! Des scélérats coupables de ces cruelles infamies , que l'on devroit exterminer de dessus la sörface de la terre, oü ils sont un scandale pour la religion en général et pour le christianisme en particulier , jouissent non seulement de la vie , mais encore sont comblés d'honneurs , de richesses et de pouvoir, Tom: r> %  Si De la cruauté SECTION X. De l'exécution de ceux que 1'inquisition a condamnés. Pour terminer le tableau que l'on vient de tracet d'un tribunal qui semble avoir transporté 1'enfer suE notre globe, il paroit nécessaire de décrire en peu de mots la facon dont on fait mourir les prétendus criminels que les inquisiteurs jugent dignes de la mort. Lorsque 1'inquisition a indiqué un auto da fe, c'esta-dire , un acte de foi, (c'est ainsi que l'on nomme les jours oü l'on exécute les malheureux accusés) cejour est un jour de triomphe pour 1'église er de réjouissances pour le peuple d'Espagne et de Portugal. Les inquisiteurs se montrent alors dans toute leur insolence ou leur gloire , et se présentent a la vénération d'une populace qui applaudit a leuts forfaits. Des rois et des reines accompagnés de toutes leurs cours ont souvest assisré a eet horrible spectacle , et ont été les rémoins des tourmens que l'on fait subir en public a ces malheureuses victimes du clergé. Un inquisiteur Espagnol lui-même appelle cette solemnité un spectacle horrible et qui fait trembler. Les juges, un grand nombre de noblës, d'ofliciers militaires, de pieux devóts , d'ecclésiastiques et de moines marchent en procession pour accompagner les infortunés qui doivent être immolés a la cruauté religieuse. La facon dont on les exécute est d'une cruauté qui révolte, et qui prouve jusqu'a quel point le fanatisme et la superstition sont capables d'étouffer dans des peuples entiers les sentimens de la nature. Les femmes elles-  Religieuse. ftiêmes vont prendte part a ce spectacle ; loin d'en être attendries elles se font un mérite de contempler les tourmens affreux de ceux que la religion proscrit. Que dis - je ? elles se croiroient coupables si elles ne donnoient des signes d'approbation et de plaisir. Voici les détails que l'on tient de deux ténvoins oculaires. Les malheureux qui ont été condamnés a êrre briilés vifs , sont placés sur un banc ou sur une estrade de douze pieds de haut et attachés a des poteaux qui soutiennent 1'estrade. Deux Jésuites montent a une échelle pour s'approcher des Juifs ou des Hérétiques afin de les engager a se réconcilier avec lasainte églisePiomaine. Si après une exhortation réitérée ils refusent de le faire, les Jésuites leur disent que- le diable est prêt a s'emparer de leurs ames pour les emporter en enfer. Après eet avertissement charitable le peuple demande a grands cris qu'on les brüle , en disant que l'on fasse le poil a ces chiens. (i) Cela s'exécute en leur poussant dans le visage des balais enflammésj, ce que l'on continue jusqu'a ce que les balais soient réduits en charbons. Cette ■cérémonie est accompagnée d'acclamations que 1'cn n'entend dans aucune autre occasion •, en effet il n'y a point de spectacle qui paroisse plus amusant a un Espagnol ou un Portugais. Alcrs on met le feu aux fagots dont le bucher est composé ; mais comme on a soin que la flamme ne monte pas plus haut que les genoux , les malheureux sont plutot grillés que brulés , et souvent l'on fait durer leurs tourmens pendant deux heures entieres. Je trouve dans 1'auteur de qui j'emprunte ces dé- (ij L'on voit par-U que les prêtres sont parvenus a dèpraver reüemrnc les coeurs des dévots catholiques , qu'un homme qui ne pense pas bonmi *ux ne leur paroit être qu'un chien. C'est ainsi que les prêtres iuspirent la charité a etui qu'ili instruitent! F x  84 De la cruauté tails, que durant une de ces exécutions le feu roi de Portugal accompagné de ses frères étoit a une fenètre si proche du bikker de 1'un de ces malheureux qu'il fut a portèe d'entendre la harangue pathétique que celui-ci lui adressoit, tandis qu'on le brüloit a petit feu; quoiqu'il demandat pout toute grace qu'on lui donnat un plus grand nombre de fagots afin de terminer ses tourmens, il ne put obtenir cette grace de sa majestë. Un témoin oculaire de cette scène dit que pour lors son dos et sa parrie postérieure étoient déja enriérement consumés, et que tandis qu'il parloit encore son estomac s'ouvrit tout d'un coup. Telle est la dureté de ces canibales chrétiens. Dans un de ces actes de foi que l'on célébroit en Espagne , la Reine , qui étoit la fille du roi de France, se trouva présente, lorsqu'on alloit brüler une fille Juive d'une trés-grande beauté et qui avoit apeinedixsept ans. Cette pauvre infortunée s'ackessant a la reine la conjura d'ètre exemptée d'un si. cruel supplice. « Grande Reine ! lui dit-elle j votre présence n'appor» tera-r-elle point quciqu'adoucissetnent a ma peine ï » considérez ma jeunesse ; faites attention que je suis » condamnée pour une religion que j'ai sucée avec le w lak de ma mère ». La Reine détoutna les yeux en pleurant, et fit connoitre qu'elle se sentoit vivement touchée du sort infortunée , mais qu'elle n'osoit intercéder pour elle, ni dire un mot en sa faveur. On dit que Philippe [II ayant appercu un Juif condamné par l'inquisiaon j qui marchoit en chantant a son supplice , ne put s'empêcher de dire qu'il falloit que ce malheureux fut bien peisuadé de sa religion. Les inquisiteurs scandalisés de ce propos lui en demandèrent une réparatien solemnelle ; on fit tirer une palette de sang au toilet se sang fut brulé par la main du bourreau.  Religieuse-, 8 ƒ Tels sont les effets de la cruauté religieuse ; cas c'est-la vrai ment le nom que Ton doft donner a ces crimes commis sous le prétexte de servir la religion. Mais il faut être ou bien stupide ou bien endurci dans ses préjugés pour ne pas s'appercevoir que c'est uniquement les intéréts du clergé que ces forfaits ontpourobjet. En effet nous devons rester ccnvaincus que le zèle prétendu pour la religion, qui se montre par despersécutions et des violences , n'est fbndé que sur des. vues temporellesne se propose jamais que de satisfaire 1'orgueil, 1'avarice , 1'ambition; ne peut partir, que d'un caractère cruel et corrompu. Des misérables sans religion et sans mccurs 3 et privés des sentimens les plus communs de la probité, ont inventé et répandu un grand nombre de contes fabuleux et de dogmes absurdes , propres a faire prendre a un petit nombre d'hommes pervers de 1'ascendant sur le reste du genre humain. A 1'aide de ces inventions ils tirent l'argent des peuples, ils s'enrichissent euxmêmes , ils se font craindre et respecter. C'est pour conserver ces avantages usurpés qu'ils parviennent a briser les liens les plus sacrés dé 1'humanire , et a rendre les rois, les magistrats et les peuples également imbécillesj les complices e; les ministres de leurs bombies, cruautés. S E C T I O N XI. Des persécutions excitées par les prêtres protestant. Xje s persécutions et les cruautés religieuses qu ont été rapporties jusqn'ici comme exercées par les. chrétiens, soat empruntées des Catholiques Romains ft F 3  86 De la eruauté et se sont pratiquées dans 1'église depuis Ie tems oü Ie pape et son clergé ont obtenu un pouvoir sans bornes dans la chrétienté. Si nous n'avions pas un si grand nombre de preuves convaincantes de la barbarie exercée par des prêtres de Jésus-Christ, comment auroit-on pu s'imaginer que ceux qui s'étoient si fort élevés contre la persécution et qui se donnoient pour les prédicateurs d'un évangile de paix, dans le tems oü ils étoient eux-mêmes persécutés deviendroient un jour des monstres de cruauté et les plus violens des persécuteurs 3 Cependant la chose est souvent arrivée et elle arrivera toujours. II est évident que les plus distingués parmi les premiers réformateurs sont devenus persécuteurs en théorie et dans la pratique toutes les fois qu'ds ont eu le pouvoir en main ; pour lorsils ont enseigné de vive voix et par écrit que la persécution étoit une chose louable et nécessaire; par-la ils ont contredit tout ce qu'ils avoient antérieurement dit en faveur de la tolérance dans un tems oü ils étoient euxmêmes les victimes de la persécution : on leur doir la justice de convenir qu'ils ont très-fidèlement pratique les maximes violentes qu'ils ont enseignées. Luther, Mélancton, Zwingle , Bucer, Beze, Farel, et sur-tout Calvin , se sont montrés de très-ardens persécuteurs. Ce dernier s'est distingué par un infame traité, quil écrivit en faveur de la persécution, et encore plus par les persécutions qu'il suscita contre plusieurs hommes de mérité. Castillion ou Castalion , homme éminent par son scavoir et ses mceurs, fut injurié et persécuté par lui uniquement paree qu'il n'étoit point de son avis sur la prédestination , le libre arbitre, 1'élection, le cantiqae des cantiques, et Ia descente de Jésus-Christ aux enfers. Ce fut encore par ks soins de Calvin, que Servet fut emprisonné et  Religieuse. $7 brülé comme hérérique (i). Le pauvre Servet fut traité dans la ville protestante de Genève , de la même manière qu'il eut pu 1'èrre dans i'mquisition romaine; on lui confisqua tous ses biens et une somme considérable dargent 5 on 1'enferma dan. un cachot ou il fut en proie a la vermine, et l'on finit oar le faire penr sur un bücher. Pour faire connoitre 1'esprit qui animoit Calvm , je vais rapporter les plaintes que Castahon faisoit contre Kii au sujet des traitemens qu'il avoit essuyés, de sa. part. II dit en parlant a Calvin : « Dans un libellc „ écrit en francois, vous m'appellez un blasphéma» teur, un calomniateur, un méchant, un chien » aboyant, un ignorant, une béte, un impudent, un » imposteur, un corrupteur impur de 1'écriture sainte, » un homme qui se moque de Dieu , un contempteur » de toute religion, un insolent, un chien impur, » un impie, un libertin , un esprit dépravé , un vaga« bond , un fripon, Sec ». Nous ne devons point être surpris qu'un homme d'un caractère aussi emporté que Calvin ', ait pu enseigner que Dieu prédestinoit un grand nombre de ses créatures a la damnation éternelle. Une paveiile opï* nion me paro'it devoir naturellement découlcr de la (,) Ouelques i«.r. avant le jugement .le Servet, Calvin écrivo.r S un •mi qu'il espéroit que sa senteuce noit ai» moins i la mort (MftM fora capitalem). Thêodttre de Beze écrivit un traité pour prouver Ia 'é^itimité dt punir les hérétiques. Pief™ Dumpulin , fcraeux theo.or;.en protestant et pasteur de 1'église réfor.née de Paus , pubha en' l6<8 u* Le intimi* ****** de VAr,niü~, dans' lequel .1 *>..« les rjmontrans des hérétiques , des sec.ai.es , de* uovateur^, des mostras, des scélérats, des blasphéniatèurs, des fnsöle'ns, etc. ^ue quiconque ne croit pas en Jèsus-CiiiKt n'est point enfant ( e p «t par conséquent n'a aucuu droit a la possession des Waas tcnipoie.a , quand même il posséderoit d'ailleurs toutes.les rertus aoc.aje*. \o-jea Brandt, hist. de ia réform. F 4 *£  De la cruauté méchanceté du caractère de eer homme; il y a tout lieu de soupconner qu'en général les opinions des hommes, dépendent bien plus qu'on ne pensede leurs dispositions naturelles. Cette cruelle persécution que Calvin fit éprouver a Castahon fut approuvé par Mélanchton , parBucer, par Farel. Le premier écrivoit dans une lettre a Bullinger que le sénat de Genère avoit trés-bien fait de mettre a mort 1'hérétique , et qu'il étoit surpris qu'il y ent des gens qui blamassent une pareiilesévérité. Le. second dk charirablemenr et pieusement dans un sermon public qu'on auroït du lui arracher les boyaux et les déckireren pièces. Farel le troisième dit avec autant de charité chrétienne qu'// eut mérité de mourir dix mille morts, 11 n'est pas douteux que Calvin ne fut un homme de grands talens, très-savant , très-zélé, très-utila a la réformation j mais il ne se faisoit aucun scrupule d'accuser , de diftamer 3 de calomnier ses confrères ;,. de les traiter de prévaricateurs et d'hypocrites ■ d'aller jusqu'i prendre Dieu a témoiu de faussetés évidentes, de persécuter ses ennemis jusqu'a la mort. C'est au lecreur a donner a ce suhlime Réformateur les qualifications qu'une pareille conduite semble rnériter; au moins est-il certain que sa facon d'agir, ainsi que celle des théologiens dont nous venons de parler, confirme le jugement que nous avons ci-devant porté dessaints et des pères de 1'église chrétknne ; je veux dire qu'il y a des hommes qui ont beaucoup de religion dans la tête et qui n'orr point de vertu dans le cceur. Cet esprit atroce et persécuteur qui animoirces merveilleux réformareurs s'est assez généralemenr emparé des églises réformés. Jl seroit difficile et róêrtje impossible de nommer une seule église ou secte parmi  Religieuse, $f les protestans , qui ayanc eu le pouvoir en main n'aic point persécuté La Suisse j la Hollande et notre propre pays nous fournissent une infinité d'exemples de persécutions protestantes. Les églises de Bale, de Berne, de Zurich, de Schaffouse., dans les lettres qu'elles écrivirent aux magistrats de Genève, applaudirent au traitement odieux qu'ils avoient fait a Servet, et se rendirent coupables elles-mêmes de semblables cruautés, Valentin Gentilis, natif de Cozance en Italië , eut le malheur de tomber dans quelques opinions erronées sur la trinité; il prétendoit que le père seul étoit dieu par lui-même, qu'il étoit in créé , essenüateur, ou celui qui donne 1'essence a tous les étres , mais quele fils étoit essentie, ou dérivoit san essence du père, et par conséquent qu'il n'étoit pas dieu par lui-méme, quoique pourtant il le reconnut pour vrai Dieu. II raisonnoit a-peu-près de la même manière sur le compte dn saint-Esprit; il faisoit des trois personnes, trois esprits éternels distingués par une subordination graduelle, en réservant la monarchie au père qu'il appelloit le seul dieu. Ce théologien forcé de se sauver de son pays a cause de sa religion virit se refugier a Genève , comme dans un lieu d'asile , mais se ttouva bien trompé; il fut obligé d'abjurer ses opinions j condamné a une rude pénitence; cn le conduisit dans les rues en chemise, les pieds et la tête nuds , une torche au poing, et on lui enjoignit de ne point sortir de la ville sans permission expresse. Nonobstantces défenses il ttouva le moyen de s'évader, et se retira dans le canton de Berne, oü il fut encore bien plus maltraité, car il y fut arrêté , emprisonné , décapité (i). (i) M. Keysler dit dam ies voyages <]ue la faron da pcnser des  fc De la cruauté L'on pourroit encore citer un grand nombre d'exemples de persécutions exercées par toutes les églises protestantes dont on vient de parler. On publia a Zurich un édit très-sévère contre les anabaptistes , ou contre tous ceux qui se feroient baptiser de nouveau ; plusieurs de ces hérétiques furent punis de mort; run d'entr'eux fut condamné a être noyé d'une facon très-burlesque par Zwingle qui dit en quatre mots qui itcrum mergït, mergatur ■ que celui qui se rebaptise soit noyé. L'esprit d'intolérance et de persécution a long-temsrègné en Hollande parmi les rérormés , et s'est fait sentir avec furenr dans ce pays. Les animosités éelatèrent d'abord enne les Luthériens et les Calvinistes , qui, selon la remarque de Chandler dés 1'enfance de la réformation s'anathématisoient les uns les autres, a cause de la diversité de leurs opinions au sujet de 1'eucharistie , et qui regardoient la douceur et la tolérance comme des choses iarolérables. Par la suite ce zèle se porta contre les anabaptistes dont plusieurs furent mis a Tarnende , emprisonnés , bannis. Enfin il s'éleva une quereile furieuse entre les gomaristes ou Oenevois est maintenant bien changée , relativemcnt a la persécution ; if «ssure qu'on n'y parle qu'a\ec horreur du supph'ce de Scivet, et que les eccl.'siastiques eux-mAmes desiieroient que cette aventure fut misa en oubü, Tome I, p. 170. Cependant i'axemple du célebre Jean-Jaeques Rousseau, qui par «es «crits s'est illustré lui-même ainsi que sa patrie , prouve que le levain do 3a persécution est bien loin d'ètre étouffé dans le coeur des Genevois. Ce philosophe a essuyé depuis des persécutions tiès-viscs de la part .du clergé de la prmcirauté de Neufcnatel, qui ne s'est point oublié dans cette occasion. On aait que ce clergé li ès-iu6olent a , nonobstant 7a protection du roi de Prusse son souverain , perséculë M. Petitpierre , pasteur réformé, pour avoir osé soutenir que Dieu étoit trop bon pour permettre que les peiues de 1'enfer f ussent éterueüea; mais le c'ergè pour ses intéréts dans c« monde s'obstiue a élie éternellemeas «lamné dans 1'autre. Ifote de ïiditeur  Religieuse. ff vrais calvinistes et les arminiens ; elle occasionna uneviolente persécution, dont les derniers rurenr les vict times ; ceux-ci furent par la suite appellés remontrans. Jacob Arminius, 1'un des professeurs de théologie 3e 1'université de Leyde, disputant sur la doctrine de la prédesrination , s'avisa de s'écarter de 1'opinion de Calvin a ce sujet; il trouva dans Gamarus son collegue un puissanr adversaire. Celui-ci soutenoit que par un décret éternel, Dieu avoit décide ceux d'entre les hommes qui seroient sauvés ou damnés. Comme ce dernier sentiment étoit celui de la plus grande partie du clergé des provinces-unies, il s'efforca de décrier Arminius et sa doctrine ; on refusa tous le.'» accommodemens, on excita les magistrats , en leur montrant la nécessité d'extirper 1'arminianisme et de détruire les arminiens , que Ton traitoit de pesre, de diables, de mamelukes. On disoit hautement dans les chaires qu'il falloit tout entreprendre , qu'il falloit en user comme Elie avec les prêtres de Baal; lorsque le tems de 1'élection des nouveaux magistrats fut arrivé, les prédicans demandoient a Dieu des hommes dont le zèle aflat jusqu'a répandre le sang. En un mot le magisttat se conformant a 1'humeur massacrante de ses guides spirituels, de ses doux pasteurs , persécuta cruellement les pauvres remontrans ; plusieurs de leurs ministres furent chassés du pays si subitement qu'on ne leur laissa pas même le. tems de régler leurs affaires , ou de se pourvoir d'argent pour vivre dans le lieu de leur bannissemenr. Beaucoup d'autres personnes furent obligées de s'expatrier ; le savant Grotius fut condamné a une prison perpétuelle , dont il se tira par 1'adresse de sa femme ; le grand pensionnaire Barnevelt, pour avoir favorisé le parti des remontrans , eut la tête tranchée.  '91 De la cruauté Personne n'ignore avec quelle furie 1'esprit persé* cuteur exerca ses ravages en Angleterre immédiatement après la réformation , et eet esprit sy est depuis ranimé trés - vivement a plusieurs reprises.. Sous le règne de Henri VIII , ce prince fournit a la persécution uns épee a deux tranchans qui blessoit également les protestans et les catholiques. Edouard VI n'étant qu'un enfant fut gouverné par son conseil er sur tout parCranmer, qui engagea ce Prince a faife périr plusieurs personnes pour leurs opinions religieuses, mais il ne s'y prêta qu'avec tant de répugnance, que se trouvanr, jpour ainsi dire , contraint par eet archevéque de signer un arrèt qui condamnoit Jcanne Eocher a être biulée vive pour quelques opmions fanatiqnes au sujet du Christ, Edouard ne put s'empêcher de verser des larmes, et dit que s'il faisoit un pêché ce seroit 1'archevêque qui en répondroit devant Dieu. Comme Cranmer devint martyr sous le règne suivant, nous avons tout lieu de croire que plusieurs de ceux qui ont souffert le martyre ne manquoient pas de la voiouté , mais de la puissance nécessaite pour faire d'autres martyrs. La reine Elizabeth, quoiqu'a bien des égards elle fut très-grande princesse , avoit dans son caractère beaucoup de la hauteur et de la sévénte de son père , et quoique sous le règne de sa sceur Marie elle eut vu et même eut éprouvé les efFets cruels de la persécution au point qu'elle eut assez de peine a sauver sa propre vie, elle ne laissa pas de persécuter non-seulement ses propres sujetsmais encore des étrangers , qui étoient vernis se léfugier dans ses états pour échapper aux cruautés qui s'exercoient dans leurs pays; ils furent sans doute bien étonnés de trouver en Angleterre les méines trakemens ; en effet quelques - uns dentr'eux furent fouettés , emprisonnés , bannis, et  Religieuse. ff d'autres furent mis a mort 3 entr'autres deux dont 1'uti avoit une femme er neuf enfans: ce malheureux demandoit pour toute grace , qu'on lui permit de sortir du 'royaume avec sa familie , mais ce fut vainement; tous deux anabaptistes furent bttilés vifs a Smithfield. Quoique le roi Jacques I eut été élevé dans le presbytérianisme, et rendït graces a Dieu , lorsqu'il étoit en Ecosse , d'ètre a la tête d'une èglise la plus pure qui fut au monde ; cependant quant il parvint a la couronne d'Angleterre il persécuta les membres de son ancienne église, ainsi que tous ceux qui n'adoptoient pas les opinions des épiscopaux d'Angleterre. Quelques évêques avoient trouvé le secret de flatter sa vanité; en reconnoissance il leur lrchoit la bride contre ses sujets, dont plusieurs furent traités par eux avec la barbarie familière aux ministres du Seigneur. Son fils et son successeur Chailes I marcha sur les traces de son père. Laud , prélat hautain , turbulent et sans pitié ne vouloit que personne eüt 1'audace de s'opposer a 1'introduction des rites et des cérémonies de 1'eglise romaine dont il étoit fort épris ; en conséquence il traita d'une facon trés cruelle plusieurs théologiens et genrils-hommes protestans qui ne vouloient pas se conformer a ses caprices ; mais ce prêtre fougueux fit tant par ses excès qu'il eut la tête tranchée , après avoir été la cause du renversement total de 1'église et de 1'état. Quand ceux qui avoient été si récemment persécutés furent parvenus a leurs fins , ils se com'portèrent avec autant de douceur, d'indulgence et de charité chrétienne que toutes les autres sectes quand ils ont eu le pouvoir en main; ils persécutèrent tous ceux qui ne pensoient pas comme eux; mais leur règne finit par le rétablissement de^Charles II Ce ptince n'avoit lui-niême que peu ou psint de re-  c>4 De la cruauté ligion; eela n'empêcha pas qu'il ne permït a ses évêquel de tourmenter et d'opprimer ses sujets de la facon la plus revoltante. Au lieu de consoler son peuple consterné d'un incendie qui avoit consumé la plus grande parrie de la capitale, et d'une peste qui avoit emporté des milliers d'hommes, il aggravales maux de ses peuples par des confiscations , des amendes et par les persécutions qu'il fit éprouver a un grand nombre de personnes distinguées par leur mérite et leur savoir. II est bon de remarquer que les mêmes personnes qui pour leur religion furent bannies de la nouvelle-Angleterre , oü elles revinrent toutes puissantes et en possession du pouvoir , persécutèrent dans ce pays et poursuivirent jusqu'a la mort les pauvres quakers ou trcmbleurs, qui de touies les sectes du christianisme sont la plus douce, la plus innocente, la plus semblable aux premiers chrétiens. Le roi jacques II en continuant a persécuter suivit 1'exemple de son frère, et agit en cela conformément a son caractère cruel er aux principes sanguinaires de sa religion. Cependant peu apfès son avènement a la couronne, il publia une déclaration en faveur de la liberté de conscience ; mais par cette démarche il ne se proposoit que d'introduire la profession publique de la religion romaine, qu'il vouloit a toutes forces érablir dans ses royaumes ; s'il eut pu réussir, que pouvoit-on attendre d'un prince naturellement féroce , gouverné par un Jésuite, esclave du pape, énivré de dévotion, de fanatisme ou de zèle i Notre pays , bientöt devenu la proie des oiseaux de proie, des prêttes et des moines , n'auroit été qu'une scène de carnage et d'horreurs. Mais une heureuse révolution détourna ces maux de nous , et sauva la nation de la destruction dont elle étoit menacée.  Religieuse. f $ Durant le règne de Guillaume III qui n'étoit nul-lement dévot , mais qui semblable a Guillaume I, prince d'Orange , favorisoit les gens de mérite de quelque religion qu'ils russent j et qui d'ailleurs avoit été placé sur le rrone de la grande Breragne, par le consentement et les secours de toutes les sectes protestantes qui sont parmi nous; durant ce règne, dis-je # toute persécution fut assoupie jusqu'a ce que vers la fin du règne suivant, un prêtre fanatique (i) ayant semé la discorde, la persécution protestante commenca a se ranimer et montrer ses griffes; mais la mort de la reine Anne mit fin aux projets sinistres du parti qui gouvernoit alors, et la persécution fut ensévelie dans le même tombeau qu'elle. Puisse-t-elle n'en jamais sortir, et ne plus venir troubler eet heureux pays! Nous voyons donc que les catholiques romains n'ont point été les seuls qui ont persécuté} mais la persécution cette déesse infernale a été adorée, fomentée et obéie par toutes les sectes des chrétiens dès quelles ont eu le pouvoir d'exécutet ses volontés et ses caprices. Cependant il faut convenir qu'elle a pour toujours fixé sa demeure, et établi son tröne dans 1'église romaine ; la elle règne avec un sceptre de fer, elle est environnée de la terreur , elle tranche sans obstacle avec son glaive meurtrier. (i) L« docttur SacbeTer«lljj  f)6 De la Cruauté SECTION XII» Recherches sur les causes de la cruauté et de l'esprit persécuteur que Ton remarque sur-tout dansles prêtres de 1'église Romaine. Si nous cortsidérohs les cruautés énormes exercées par les prêtres de 1'église Romaine, même sans que rien parut les y engager , et souvent sur des personnes pieuses, innocenres et vertueuses , dont tout le crime étoit de vouloir honorer Dieu selon leurs consciences, nous demeurerons convaincus que personne dans lei nations civilisees n'a poussé aussi loin la férocité } et n'a joué un róle aussi barbare que le clergé du pape. L'on ne peut doucer que dans 1'espèce humaine il ne se trouve des individus donr les uns sont naturellement durs et cruels tandis que d'autres sont tendres et compatissans ; cependant on ne peut pas supposet que la plupart de ceux qui se destinent au service des autels ne soient tous choisis que parmi les hommes de la première espèce, et qu'il ne s'en trouve que trèspeu qui aient des sentimens d'humanité. II faut néanmoins convenir que si les prêtres romains eussent tous été choisis parmi les êtres les plus cruels, ils ne pourroient point agir autrement qu'ils ne font. Puis donc que la férocité par laquelle ces hommes se distinguent de tous les autres, ne peut être attribuée a quelque qualité naturellement inhérente en eu* ou qui leur soit particulière ,'il faut en chercher la cause ailleurs. Quoique 1'éducation que recoivent les ecclésiastiques de 1'église Romaine ne diffère pas d une facon bien marquée de celle des autres personnes dg leur  Religieus" e. 97 leur religion qui étudient les letrres , cependant nous trouvons dans Téducation des membres de ce clergé, des circonstances plus ou moins éloignées qui semblent de nature a leur inspirer les dispositions barbares dont nous parions. L'on a sur-tout grand soin d'enseigner la logique et 1'art de disputer aux jeunes-gens destinés aux fonctions ecclésiastiques; on leur remplit la tête de questions rnétaphysiques, de sübtilités, de théologie scholastique; on leur fait étudier les pères de 1'église; on leur fait lire des légendes et des vies de saints. La logique a sans doute de 1'utilité , mais par la facon dont on 1'applique dans les études du clergé , au lieu de mettre les hommes a portée de découvrit et de défendre la vérité , elle n'apprend qu'a 1'obscurcir et a rendre Terreur et Timposture spécieuses et probables. En un mot la logique que Ton enseigne aux jeunes ecclésiastiques ne semble être que Tart de jetter de la poudre aux yeux des autres; mais cette poudre revient souvent contre eux - mêmes et les aveugle pour la vie* La métaphysique n'est propre qu'a leur remplir Tesprit de mots vuides de sens, d'idées vagues s de notions fausses , d'opinions arbitraires. La scholastique n'est qu'un tissu de questions inutiles , ridicuies et souvent indécentes. Les ouvrages des pères j pour lesquels on leur inspire la vénération la plus profonde , les infectent pour Tordinaire d'opinions erronnées , leur inspirent un esprit de parti, des idéés superstitieuses, des maximes dangereuses , en un mot excitent en eux des animosités, de la virulence , de wntolérance, dont ces grands persolinages ont été eux-mêmes animés contre ceux qu'ils traitoient d'hérétiques. Enfin les légendes et les vies des saints les confirment dans toutes les idéés fausses ou dangereuses qu'ils ont püisées dans les pères" * ..Tome F G  j)8 De la cruauté leur remplissent le cerveau de miraclesf et de falts met* veilleux, les accoutument a croire les romans les plus incroyables , les mensonges les plus évidens 3 leur font prendre le fanatisme le plus dangereux pour la religion la plus pure y et les écarts de 1'extravagance pour de la vraie dévotion (i). Ajoutez a tout cela que ceux qui sont chargés de 1'instruction des jeunes gens destinés a 1'état ecclésiastique, étant des prêtres eux-mêmes , n'épargnent rien pour inspirer a leurs élèves 1'idée qu'ils sont infiniment supérieurs aux laïques; et que ceux - ci doivent avoir pour eux le respect le plus profond ; ils leur inculquent de plus que 1'hérésie esr le plus grand des crimes , que rien n'est plus nécessaire et plus légitime que d'extirper les hérétiques ■, que l'on doit regarder les incrédules comme les hommes les plus dangereux dtriis un état; que l'on doit employer les moyens les plus cruels et les plus sanguinaires pour les réprimer ; que toutes les voies dont on se sert pour y parvenir sont justes er très-agréables a la divinité ; que ie clergé est destiné par état a s'acquitter de la fonciion la plus sublime de combattre les ennemis de 1'église. Ainsi chargés de connoissances inutiles , remplis de (i) L'on a dèjé rapportè dans eet es.sai différens exemples qui prouvent 1'orgueil, 1'humeur turbulente , 1'esprit cruel et persecuteur par lesquels un grand nombre de pères de l'égl.'se s'est distingué ; e-ependaat pour rendre ce tableau plus complet , nous joindrons encore uw aupplèment a eet essai , dans lequel nous parierons des maximes dangereuses , des opinions erronnées , des idéés bizarres , des superstitions , de la crédulité, des interprétations ridicules des èeritures qne l'on tronve dans les ouvrages de ces gtauds hommes; nous y joindrons en peu de mots les questions indécantea et ridicules que l'on agite dans la theologie acholastique; nous pailerons encoie d'une foule d'extravagances qu* les bons catholique», ainsi que quelques autns chrètians, out regaidi «om»» des eiïtts d« la plus sublime dévotion.  Religieuse. fi) %èlé et dé frénésie pour des opinions fausses, pour des cérémonies absurdes, bouffis d'orgueil et de yanité empoisonnés des principes pernicieux, les jeunes siastiques sortent des séminaires oü ils ont été éd s'ils entrent ensuite dans quelqu'ordre monastique , ils y mènent une vie récluse qui les rend sombres et rriélancoliques , qui aigrit leur caractère , qni les pc ree a la cruauté. En erfet que peut-on attendre de personnes séquestrées du monde, qui n'ont aucunè occupation raisonnable > qui sont privées de tout amusement et des plaisirs même les plus innocens ? Mais soit qu'ils embrassent la vie monastique, soit qu'ils entrent dans le clergé séculier , les ecclésiastiques romains sont obligés de garder le célibat; c'est aux médecins et aux naturalisres, a examiner les effets physiques que 1'observation exacte de cette loi peut produire sur le tempérament ; ils décideront si elle n'est pas propre a rendre quelques hommes chagrins et cruels : au moins est-il certain que le célibat ies isole , il anéantit pour eux les liens si doux du mariage, de la paternité , de la parenté, qui sont sans doute , propres a nourir dans les hommes la bienfaisancé , la sensibilité , la pitié. Gomme un grand nombre de moines et de prétres de 1'église romaine sont forcés de s'mcerdire toute conversation avec le sexe, tandis qu'elle est permise aux prêtres des autres pays , et que sagement réglée elle tend a polir , adoucir , humaniser les hommes, cette eircons- (0 Indèpendamment de cette vanité que I pn inspire aux jeunes genst destinés a 1'église , les personnes qui étudient les lettres , sout dè]H dispo.sèes par elles-mèmes' a mèpriser la partie ignorante du genre humain.' Dans le tems oü le peu de savoir qui existoit dans le monde é:o:t exclusi-' venient possèdè par les prêtres , ceux-ci étoient trés-fiérs', et cela fournfc a'U clergé Romain la facilitè de tromp'er et de tyianniser les pauvies laïques.- G i  r finis^sent par se changer en cruauté quand elles vont a Texcès. II n'est point de passions qui prouvent mieux cette vérité que 1'orgueil et 1'ambition ; or il n'y a personne au monde qui soit plus sujet a ces deux passions que le clergé de 1'église romaine. L'on peut encore ajouter a cela qu'une troupe nombreuse de brigands, est plus effrontée et plus cruelle, que celle qui n'est composée que d'un petit nombre de fripons; il en de même des prêtres romains dont 1'audace et la méchanceté sont augmentées par leur nombre. Enfin il est bon d'observer que les prêtres et les moines sont tirés pour la plupart de la lie du peuple. L'on a vu des papes mêr mes sortir de la fange pour monter sur le ttöne pontifical, d'oü ils ont insolemment donné des loix aux potentats de 1'Europe (i). Quoique 1'orgueil et 1 ambition excitent souvent les hommes a la cruauté , cependant sans pouvoir ils. ne peuvent 1'exercer impunément au gré de leurs désirs.. Malheureusement pour la chrétienté, comme on Ta fait observer ailleurs, les prêtres. de 1'église romaine ont joui d'un grand pouvoir , et c'est-la ce qui les a mis a portée de remplir Tunivers de leurs persécutions , de leurs cruautés. D'ailleurs les souverains aveuglés par la dévoiion , ou par une fausse politique leur ont toujours (1) Grégoire VU étoit d'une naissance trés-obscure. Ce fut lui qui eut Ie, dèmèlés les plus sanglans avec 1'Empereur, qu'il forra , comme on e vu , de veuz'r implorer sa rlémence. Te fut ce même pape qui se», til qu'il étoit de 1'inté.èt de 1'église que les prêtres ne fnssent point mariès. Alexandre V, dans sou eufauce , avoit été mendiant. Pie V étoit fils d'un bouvier. SixLe V »voil gardé les pourcenux. Presque tous les moiues sont tirés de la plus vile popularte , et n'ont jamais leru una éducatinn bonnèie; d'ailleurs , i s vivent dans des cóuvena u regnent den cabales, des ]uirt»s, des jalousies, des animosités peu propres» leuï io. mei u» bon caractère. G 5  'loz De la cruauté' prêté mam-forte, et se sont cru en conscience obligés d'immoler les victimes désignées par leur fureur. Dans presque tous les tems les princes et les magistrats n'ont été pour ainsi dire , que ies ministres des vengeances et des passions des papes et du clergé. Les édits les plus sanguinaires ont été toujours ceux qui ont eu pour objet de mettre a couvert les intéréts du sacerdoce. Depuis la fondation du christianisme , nous voyons en tout pays les rois presque uniquement occupés a tirer 1'epée sur 1'ordre de leurs prêtres, et travailler contre leurs intéréts les plus chers pour maintenir des hommes oisifs et turbulens dans la possession des droits qu'ils ont visiblement usurpés sur leurs concitoyens : en un mot nous voyons les princes s'avilir au point de se rendre les satellites et les bourreaux de quelques spéculateurs ignorans et présomptueux, qui sont parvenus a faire regarder leurs huiles décisions comme nécessaires au bien-être des nations, et comme des oracles du ciel. C'est ainsi que le clergé romain, qui fait profession d'abhorrer le sang, a trouvé le secret d'exterminer ses ennemis , et de remplir la terre de carnage en écartant de lui 1'apparence de cruauté. Les chefs des nations ont pris sur eux 1'odieux fardeau de la persécution ; ils se sont chargés de la haine qui auroit du retomber sur les prêtres odieux dont ils n'étoient que les instrumens .aveugles, et dont souvent üs sont les premières victimes. Quelques disposés que quelques hommes puissent être a la cruauté par leur méchant naturel , il en est beaucoup qui n'osent lui donner un libre cours par la crainte de Dieu et encore plus par celle des hommes \ mais lorsqu'ils peuvent ëXercer leurs fureurs par ies mains des autres, lorsqu'ils sont au-dessus de la crainte des hommes, lorscu'ils son: encouragés par leur nombre,  Religieuse. i«3par 1'impunité , par 1'aveuglèment des peuples, par les usages recus par les loix , c'est alors que sans rougir ils se permettent les plus grands excès; c'est alors qu'ils ont le front de prétendre que Dieu exige que Bon troubl® les consciences, que l'on tourmente les hommes , que l'on porte par-tout lefer et lefeu. II n'y a point de forfaits que l'on ne soit en droit d'attendre d'un ordre d'hornmes dont le cceur est ainsi dépravé. II semble que toutes ces circonstances attentivement pesées , suffisent pour nous rendre raison de la conduite du clergé romain : ces réflexions peuvent nous découvrir les vraies raisons qui font qu'il surpasse en cruauté les laïques et les personnes qui ont recu une éducation honnête. D'ailleurs les plus grands imposteurs doivent être les plus défians , et les plus défians sont toujours les plus cruels. G4  ?»4 -De la cruauté SUPPLÉMENT A l'Essai sur la Cruauté Rclmeuse. c V>omme dans lessai précédent l'on a déja fait sentir les conséquences facheuses qui résultent de la vénératipn qu'ont ies chrétiens , et sur-tout les catholiques romains que l'on destine a 1'église , pour les ouvrages des pères ; comme on a dit que la théologie schojastique dans laquelle on exerce les jeunes ecclésiastiques est remplie de questions futiles, odieuses et même indécentes; comme on a montré que la lecture des légendes romanesques , et des vies des saints disposoit a une crédulité ridicule et faisoit ajouter foi a des contes dépourvus de vraisemblance et de bon sens , et faisoit regarder 1'enthousiasme et la superstition comme la dévotion la plus parfaite; je me crois obligé de prouver mes assertions par des exemples. Je commencerai donc par rapporter les opinions erronéos , les cérémonies superstitieuses 3 les faux miracles que l'on trouve dans les ouvrages de plusieurs des premiers pères de 1'église; j'y joindrai le recit de quelques miracles racontés par les plus anciens historiens ecclésiastiques , et je parlerai de la vie de quelques saints illustres.  Rrf'igieuse: toj; SECTION PREMIÈRE. Des opinions erronnées et des cérémonies superstit'ieuses que l'on trouve dans les pères de 1'église. Barbëyrac , dans son traité de la morale des pères de 1'église , a fait voir clairement que plusieurs de ces docteurs, en déclamant contre le mariage, et*en faisant des éloges outrés du célibat, ont jetté les fondemens de la vie monastique , et ont fait naitre 1'idée de ces vceux contre nature, par lesquels une multitude d'hommes et de femmes s'obligent a transgresser 1'ordre formel de la divinité qui commande aux êtres de 1'espèce humaine de croitre et de multiplier. Le même auteur observe que les religieuses sont souvent qualihées par les pères cXépouse de Jésus-Christ ; % remarque que Saint Jéröme donne souvent le titre de madame a Eustochie, qui étoit religieuse, comme parlant a 1'épouse de Jésus-Christ, tandis qu'il donne a sa mère le titre de belle-mère de Dieu. Le même écrivain observe que c'est le jargon inintelligible dont Saint Cyrille se sert pour exalter le sacrement de 1'Euchatistie, qui a produit par dégré la doctrine monstrueuse de la transubsrantiation. II rapporte la maxime abominable de Saint Augustin que les justes ou les croyans ont droit d tout j et que les mécréans n'ont droit d rien. Ce principe paroit être le fondement sui lequel 1'église romaine a depuis élevé ses prétentions illimités sur 1'autorité temporelle. Les paroles de ce Saint sont si remarquables , tant a 1'égard du droit des fidèles , que relativement au pouvoir qu'il atrribue aux princes sur les biens de leurs  1015 De la cruauté sujets , que je ne puis me dispenser de les rapporter ici. Ce grand Saint écrivant aux donatistes leur dit • ht quamvis res quceque terrena non rectè a quoauam possden possit, nisi vel jure div.ino , quo cunctljuszorumsunt, vel jure humano J quod in potestate rcum est terrce , ideoque res vestras fdlso appclletis J quas nee jusu possidetis , et secundum leges regum terrenorum amittere jussi estis ■ frustraque dicaüs, nos eis congregandis laboravimus, chm scriptum legatis labores. impiorum justi edent 3 etc. Le chevalier Isaac Newton, dans le quatorzième chapitre de ses remarques sur les prophéties de Daniël a recueilh dans les ouvrages des pères un grand nombre de dogmes erronés, de cérémonies snpérstitieiises , de faux miracles débités par ces saints persónhages II cite sur-tout pour exemples les deux S„ Grégolfé dë Nyssft et de Nazianze, S. Cyprien, S. Jeróme, S. Basile, ^ Chrysostöme, S. Athanase. «Les pa,ens , dit " ^ewton • trouvoient du plaisir et de .amusement " dans les fètes de leurs dieux, et netoient nullement » disposés a s'en priver ; en conséquence Grégoire , ±> pour faciliter leur conversion , löstitUa des fêtes an» nuelles en 1'honneur des saints et des martyrs ; ainsi *! les fêtes des chrétiens furent inventées pour rem» placer celles des payens. A la fête de Noël 1'cn " imagma de porter des guirlandes de lierre, de se ré« jouir et de faire bonne chère , pour que cette fere » tint lieu de saturnales et de bacchanales L'amu- « sement que fournissoient ces solemnités augmenta » le nombre des chrétiens et les fit décroitre en vernis. » S. Athanase qui mourut en 375 , écrivit un dis» cours sur les religions des 40 martyrs dAntioche ; » et lorsque les ossemens de S. Jean-Baptiste , qui » faisoient tant de miracles, furent transférés en Egypte,  Religieuse. i©7 » S. Athanase les cacha dans le mur d'une église, afin, » disoit-il, qu'ils procuiassent des avantages aux géné» rations futures ». S. Chrysostöme, dans une de ses homélies, exhorte les fidèles au culte des saints. « Peut-être, leur dit-il, » vous sentez-vous exhaussés d'un grand amour pour „ ces martyrs ; dans ce cas rombons a genoux de» vant leurs reliques , embrassons leurs cercueils , .» car les tombeaux des martyrs ont un très-grand pouw voir ". En un mot eet illustre atóteac prouve clairement que la plupart des dogmes et des cérémonies idolatres enseignés et pratiqués par 1 'église romaine, ont été inventés et recommandés par les pères de 1'église. II remarque de plus "que ces saints ont eu 1'adresse de répandre la crovance aux prétendr.s miracles opérés par les reliques des martvrs et des saints (i). II fait en particulier mention de celui qui s-'öpéra dans Antioche, lorsque 1'oracle d'Apoiion fut rédüit au siience, aussi-töt que le corps de S. Bab; las martyr , fut enterré pres du temple oü 1'en consultoit ce Dieu. L'empereur Julien le pressant de samiaire a ses questions, ne put en tirer autre u.ose , sinön qu'il ne pouvoit répondre a cause des ossemétis du martyr Babylas, qui étoit enterré dans le vöisinagè. S. Chrysostöme qui rapporre ce dernier miracle, dit que Julien donna des ordres pour qu'on ötat les os (»') Quelques admirateurs dos Pères il étoit permis de se servir de toutes les fraudes qui pouvoient contribuer a vaincre son adversaire. On peut dire que 1'exempie de ce grand Saint est fidèlemcnt suivi par la plupart des théologiens ; ils semblent avoir très-soigneusemenr banni la bonne foi de leurs disputes , dans lesquelles on ne trouve pour 1'órdinaire que des subülités, des sophismes et des pièges que ces querelleurs se tendent réciproquement. II paroit encore qu'un grand nombre d'entt'eux se sont proposé Saint Jéröme pour modèle dans les invectives, les injures, les calomnies dont ils ont soin de se charger les uns les autres. En effet rien de plus atroce , de plus scandaleux , de plus opposé a la chariré chrétienne que la facon dont ce père traite le pauvre Rufin qui avoit le malheur de n'être pas de son avis; il lui prodigue les noms de serpent 3 de vipère, de démon s etc; il le dévoue a satan. II faut convenir que de semblables modèles ne sont pas propres a inspirer ni la politesse, ni la modération , ni la chaiiré aux jeunes théologiens qui puiseront des principes dans les ouvrages de ces docteurs. Au reste Saint Jéröme se rend justice a lui-même; il ne rougit point d'avouer et de vouloir justifier son earactèfe j il disoit une chose et s'en dédisoit ensuite; il argumentoit pour et contre suivant le's occasions et selon que la chose lui paroissoit utile; il prétend autoriser sa conduite par I'exemple de Saint Paul et de Jésus-Christ lui-même , qu'il représente comme se servant de toutes les armes qui se préseiitqient a sa main j sans avoir aucun égard pour . la siiicérité et la  Religieuse. r 11 ■vérité, auxquelles il ne croit pis que l'on soit astreint dans la dispuie. Le savant Mosheim, quoique partisan très-zèlé du christianisme , a raison de craindre « que ceux qui iroient puiser des lumières dans les ouvrages des plus grands et des plus saints docteurs du quatrième siècle , ne les trouvassent tous sans exception disposés a tromper et a mentir, toutes les fois qu'ils croyoient que 1'intérét de la religion 1'exigeoit Cet auteur pouvoit avoir assuremenr les mêmes craintes pour les docteurs des autres siècles; il auroit pu dire avec notre savant Middleton : « Si ces pètes plus récens déterminés par 1'intéfêt ou par un faux zèle ont pu répandre des mensonges avérés, ou si avec tout leur savoir ils ont pu être d'une crédulité assez honteuse pour croire euxmêmes les contes absurdes qu'ils attestent nous aurons des raisons pour soupconner que les mêmes prcjugés ontinflué plus fortement sur les pères plus anciens, qui aux mêmes intéréts joignent encore moins de savoir, moins de jugement et plus de crédulité ». Voyez les ceuvres du docteur Middleton. Tome IV, pages 113, iz8 , 130. Quoiqu'il en soit, on ne finiroit pas si l'on vouloit copier tous les miracles et les contes absurdes et ridicules rapportés gravement par Eusèbe, Théodoret, Sozomène, Evagrius et les autres historiens ecclésiastiques les plus accrédités. lis nous prouvent ou la fourbsrie ou la crédulité de ceux qui racontent de pareilles fables. Au reste ces récits merveilleux se sont perpétués dans 1'église romaine : pour s'en convaincre l'on n'a qu'a lire entre autres les conférences de Cassten , ouyrage rempli de prodiges et de miracles qui obligerjt d'admirer la force du fanatisme et 1'etonnante stupidité des moines , c'est-a-dire, des plus parfaits chré-  112 De la cruauté tiens. On retrouve le même esprit dans la vie de Saint Francois, fondareur d'un ordre nombreux, écrite par Saint Bonaventure, qui Ta remplie de contes propres a faire rougir tous ceux en qui 1 enthousiasme n'a pas complettement éteint les lumières du bon sens. Enfin nous trouvons le même fanatisme, la même crédulité, la même fourberie dans un grand nombre d'ouvrages publiés par les Jésuites qui depuis deux siècles ne semblent venus que pour plonger ou retenir les catholiques dans 1'ignorance et la barbarie dont nos ancêtreS se sont heureusement tirés. Telles sont les lectures dont on orne 1'esprit des jeunes gens destinés a servir 1'église romaine sous les ordres du pape il ne faut point être surpris après cela si a 1'exemple des grands Saints qu'on leur propose pour modèles ils se font un mérite d'ètre fourbes, de mauvaise foi., intolérans et cruels, ou s'ils croyent atteindre la perfection la plus sublime a force de fanatisme, d'extravagances et de crédulité. Voyons maintenant si les opinions qu'ils puisent dans les pères de 1'église sont propres a les rendre plus sensés et plus vertueux. S E C T I O N II. Exemples des opinions bi^arres des pères de 1'église, Saint Justin, martyr, dans la vue de justifier le christianisme du scandalë de la croix , observe trèsjudicieusement que rien ne se fait dans le monde sans la croix ; il cite pour exemple les mats des vaisseaux, la forme des charmes , les coignées ét beaucoup d'autres autils des ouvriers : il ajoute que ce qui distingue 1'homme  Religieuse. 11, 1'homme d'une facon marquée des bêtes , c'est que quand il est debout il a la faculté d'érendre les bras et de former avec son corps la figure d'une croix"; il observe qu'il porte au milieu du visage un nez formant une croix, au travers de laquelle il est forcé de respirer; il en conclut que le crucifiement de JésusChrist a été prédit par ces mots du prophéte Jérémie, le soufle de nos narines, l'oint de l'Eternel a été pris dans leurs fosses. Ce même père regatdoit le mariage comme une chose Impure par sa nature. Nous voyons, dit-il} quelques personnes qui renoncent a 1'usage illégitime de se maner , par lequel nous satisfaisons le desir de la chair. dans un autre endroit il prétend que le Christ a voulu naitre d'une vierge dans la vue d'abolir l'acte de la génération qui est l'effet d'un desir vicieux et illicite ; le seul desir ckarnel auquel le Sauveur n'ait pas succombé. Saint Irénée prétend que le serment est toujours une chose criminelle ; en cela il s'accorde avec Saint Justin, martyr, comme il fait aussi sur 1'article du mariage j qu'il assure n'avoir été petmis par 1'évangile qu'en faveur de la dureté du coeur. Ce Saint établit pour une règle générale que toutes les fois que 1'écritute sainte rapporte une action sans la condamner, nous ne devons point la blamer ou y trouver a redire, quelque odieuse qu'elle paroisse ., mais qu'alors nous devons la regarder comme un type , ou une figure. C'est d'aptès ce principe qu'il justifie les incestes des filles de Loth et de Thamar; car , dit-il, nous ne devons pas prétendre être plus sages que Dieu. Rien de plus ridicule et de plus fastidieux que les argumens dont il se sert pour justifiet les Israé'lites d'avoir volé les Egvptiens il se fonde sur-rout sur le passage étrange Tom F. H  ii4 De la cruauté qui se trouve au chapitre XVI, vers. 9 de St. Luc ou Jésus-Christ dit: Fakes-vous des amis dans le cief avec les richesses iniques , afin qu'ils vous recoivent dans les tabernacles éternels. « Cat , dit Saint Irénée, tout ce que nous acquérons, quoiqu'injustement, étant payens j si après notre conversion nous 1'employons au service du Seigneur nous sommes paria justifiés ». Conformément a cette doctrine nous voyons qu'en 1497 le pape donna ordre a Jean Giglis évêque de Worcester « qu'il permit que l'on retïnt les biens des autres de quelque manière que l'on s'en fut emparé , pourvu que l'on en donnat une certaine portion aux commissaires du pape ou a leurs substituts ». Voyez Warton's Anglia Sacra. Au reste le clergé de 1'église romaine semble avoir universellement adopté cette maxime; les prêtres et les moines ne font aucune difficulté de reconcilier a Dieu les voleurs et ceux qui se sont enrichis par les rapines les plus criantes pourvu qu'ils donnent une portion des biens qu'ils ont injustement acquis a 1'église ou aux hópitaux. II paroit que c'est a cette belle doctrine qu'ont été dues anciennement les fondations de la plupart des couvens et monastères, faites par des seigneurs puissans et des princes qui en mourant donnoient au clergé et aux moines une portion plus ou moins considérable de ce qu'ils avoient arraché aux hommes. Voici comment saint Clément d'Alexandrie interprète 1'aventure d'Abimelech qui de sa fenêtre appercut Isaac badinant avec Rebecca. Abimelech, dit- il, ce roi curieux represente la sagesse , qui est au-dessus de celle du monde. Rebecca représente la patience • or la sagesse considéra attentivement le mystere du badinage. O badinage divin ! s'écrie-t-il. C'est le mime que celui qu'Héradite attribué a Jupiter3 etc. II dit  Religieuse. j . encore qu'Abimelech est Jésus-Christ notre roi, qui du haut des cieux consldère nos jeux c'est-a-dire nos actions de graces, nos louanges 3 nos transport) d'allégresse 3 etc. Si on lui. demande quelle est la fenêtre au travets de laquelle le Sauveur a regardé il nous dira que eest la chair par laquelle il s'est manifesté. Ce père prescrit très-rigoureusement le jeune et 1'abstinence des alimens, dont il assure que nous ne devrions nous servir que pour conserver la vie et nullement en vue de satisfaire nos appétis. D'oü Ton voit que ces Saints, ainsi que les moines leurs disciples, font consister en grande partie la religion dans des actions contraires a ce que Dieu prescrit a notre nature. Dieu commande au genre humain de croitre et de multiplier, mais ces grands Saints nous apprennent que le manage* est impur et illégitime ; le créateur voulut attacher des desirs a notre nature et nous a donné les moyens de les satisfaire 3 néanmoins en les satisfaisant, même avec modération, il paroït que nous commettons un crime affreux. Continuons pourtant a examiner les opinions de S. Clément d'Alexandrie. Nous ne devons pas , selon lui,' nous livrer a la bonne chère paree qu'il y a un certain diable très-gourmand qui préside a la table , et c'est un des plus méchans démons. II met au nombre des excès de manger du pain blanc, dont 1'usage lui paroïi efféminé, et qui change un aliment nécessaire en une volupté scandaleuse. II ne permet pas aux jeunes gens de boire du vin , et condamne tous ceux qui eu font venir des pays étrangers. II proscrit la musique rant vocale qu'instrumentale , a moins que l'on ne voulut chanter des hymnes accompagnés de la harpe ou du luth. II en veut sur-tout a la flute , qu'il dit être H i  ll£ Ds la cruauté plus convenable aux bêtes qu aux hommes et cela pout une raison très-singulière , c est, dit-il, paree que les biches en aiment le son , et paree que c'étoit 1'usage de iouer de la Hute pendant que les étalons couvroient les jumens. II blame la mode de porter des guirlandes, et entre auttes bonnes raisons il prétend que c'est insulter Jésus-Christ et se moquet de sa passion, durant laquelle il portoit une couronne d'épines. II croit que les Chrétiens sont obligés d'imiter ce que Jacob fit par nécessité lorsqu'il se servit d'une pierre comme d'un oreilleï , action, qui selon S. Clément, fut si méritoire quelle rendit ce patriarche digne d'avoir une vision céleste. II ne veut pas que l'on porte d'autre couleur que le blanc , la seule qui convienne a la candeur que doit avoir un Chrérien , et dans laquelle Dieu, selon lui , s'est tom>urs montré. Quelles idéés grossières et ridicules un tel homme devoit-il avoir de la divinité ! S. Clément déclame contre les miroirs , il prétend que c'est une idolatrie de s'en servir, vu que Moyse a défendu de se faire des images. II regarde 1'usage de se faire raser la barbe comme un crime détestable, paree que la barbe sert a distinguer les deux sexes , joint a ce que tous les cheveux de notre tête sont comptés , et par conséquent les poils de la barbe le sont ainsi que tous les autres poils du corps. II regarde les faux cheveux comme une impiété abominable; il n'eüt pas fait grace aux perruques s'il y en avoit eu de son tems •, il prétend que de porter de faux cheveux c'est en irnposer aux hommes et faire outiage a Dieu, vu que c'est 1'accuser de ne nous avoir pas donné des cheveux assez beaux ; il ajoute que lorsqu'un prêtre donne la bénédiction a une femme qui porte de faux cheveux, en lui imposant la main sur la tête, ce nest point fille qu'il béntt paree que sa tête n'est point  Religieuse. ny elle. II attribué 1'apathie des Stoïciens a son vrai Cnostique ou parfait Chrétien, qu'il représente comme exempt de toute passion, comme insensible également au plaisir et a la douleur; il prétend que Jésus-Christ, étoit ainsi, aussi bien que ses apótres , après sa résurrection. Jésus-Christ, dit-il, n'avoit besoin ni de boire ni de manger pour nourrir son corps, et quand il le faisoit, c'étoit uniquement pour ne point passer pour un esprit. S. Cyprien étoit de la même opinion que S. Clément sur 1'importante matière de la chevelure. II assure qu'une femme qui colore ses cheveux gate et corrompt 1'ouvrage de Dieu , et se tend par la plus coupable qu'une adultère ; il ajoute que c'est donner un démenti a Dieu qui a dit que l'on ne pouvoit rendre blanc un cheveu noir. Après avoir observé qu'il est dit dans 1'Apocalypse que les cheveux du Sauveur étoient blancs comme de la neige et comme de la laine , voici comme il parle aux femmes » Quoi i dit-il, vous avez en hor»» reur ces cheveux blancs qui vous font ressembler » au Sauveur ? Ne craignez-vous donc pas que votre » créateur ne vous reconnoisse point au jour de la ré» surrection ? Ne craignez-vous pas qu'avec le visage « sévère d'un censeur il ne vous dise: Ce n'esr pas» la mon ouvrage, ce n'est pas-la mon image ? Vous » avez pollué votre peau avec un fard trompeur •, vous » avez teint vos cheveux avec des couleurs adultères; » vous avez détruit votre face par la fraude , votre » figure est corrompue, votte port est totalement al» téré. Vous ne verrez poinr Dieu puisque vous n'a» vez point les yeux que Dieu vous a faits , mais ceux " que le démon a gatés. S. Cyprien prétend que les fidèles doivent obéir invplicitement aux ordres des évêques 3 choisis avec les  11 $ De ia cruauté formalités ordinaires , comme le seul moyen de préVenir les hérésies; il dit que quiconque leur désobéit, desobeit a Dieu lui-même, a moins que quelqu'un ne fut assez témèraire , assez insensé , assez sacrilége pour lmaginer qu un évêque puisse être établi sans 1'approbanon de Dieu , tandis que Dieu a dit lui-même qu'un passereau ne tombe point a rerre sans sa permission. -üans un autre endroit il fait dépendre le salut du peuple de la validité de 1'élection de son évêque, quil fait dépendre des mceurs de eet évêque. Dans ce cas les peuples ne sont - ils pas souvent en gtand danger ? Tertullien condamne le métier de la guerte , tous les arts , tous les offices , toutes les professions , le commerce de toutes les choses dont les Payens pouvoient faire un usage idolatre. II est encore bon d'observer que ce même Tertullien suppose formellement que Dieu est corporel. Qui-est-ce , dit-il, qui niera que Dieu ne soit un corps, quoique Dieu soit un esprit? quis autem negabit deum esse corpus 3 etsi deus spiritus .... Origene a insinué la même chose. Asómatos, selon lui, signifie quelque chose de plus subtil que les corps grossiers. Beausobre dans son histoire du Manichéisme , fait voir que les premiers pères de 1'église avoient des opinions qui passeroient aujourd'hui pour très-erronées sur la nature de la divinité, et suivoient en cela les sentimens de la secte philosophique dans laquelle chacun deux avoit été élevé. Les uns en faisoient un feu intelligent ■ d'autres lui donnoient une figure et un corps; d'autres , et sur-tout les Platoniciens , en faisoient un être incorporel, dont tout étoit érnané , qui pénétroit tout, et dans lequel tout étoit fbfcé de rentrer. I-actance regasde tout commerce comme un effet de  Religieust. 115 1'avarice, et comme peu convenable a la satisfaction, a la tranquillité , au mépris du monde qui doit régner dans le cceur d'un bon Chrétien. II blame de même ceux qui placent leur argèht a intérêt, quelque foible qu'il soit, ce qu'il regarde comme une espèce de vol. S. Chrysostöme est de son sentiment sur le commerce, il s'appuye d'un passage des pseaumes oü David dit qu'il na point connu la marchandise. Lactance prétend encore qu'il n'est jamais permis d oter la vie a un homme , soit judiciairement, soit a la guerre , soit a son corps défendanr. Saint-Bazile est aussi de eet avis; il croit que tout homme qui en tue un autre, quelque juste raison qu'iL air de le faire, se rend coupable d'un meuttre ; que tout laïque qui se défend contre un voleur, doit être excommunié , et qu'un prêtre doit être déposé •, car, ditil , suivant les paroles du Sauveur , celui qui se sert de l'épée périra par l'épée. Quoiqu'il soit trés-évident que ces docteurs ont été beaucoup trop loin , il est pourtant certain que l'on fait en général trop peu de cas de la vie des hommes ; les guerres si destructives et si peu nécessaires , les duels et les combats, sont sans doute des actions abominables ; il paroït même qu'il y a de la cruauté a leur órer la vie pour des vols: 1'humanité ne sembleroit-elle pas exiger qu'il n'y eut que 1'assassinat, et un petit nombre d'autres crimes atroces, que l'on punit de mort ? Un pareil chatiment réservé a de tels forfaits seulement , ne seroit-il pas très-propre a inspirer bien plus d'horrenr pour eux? S. Bazile pousse la patience chrétienne jusqu'a dire qu'il n'est point permis de plaider pour défendre ses droits. II se fonde sur un passage de 1'écriture oü il est dit : si quelqu'un plaide contre vous pour avoir votre habit, donnez-lui encore votre mantean. 11 pros- H4  De lu cruauté crit de plus 1'usage du serment dans toute occasion. D'oü Ton voit que les principes des Quakers ou Trembleurs sont plus anciens qu on ne pense ; cependant les hommes qui montrent la plus grande vénération pour les pères , méprisent les Quakers > paree qu'ils ont les mêmes sentimens que les pères! Tertullien , que nous avons déja cité, fait le procés a tous ceux qui acceptent des emplois publics, surtout dans les tribunaux ; il les regarde comme incompatibles avec la profession du christianisme qui ne permet point de prendre part a la condamnation ou au chatiment d'aucun criminel, et cela paree que dans Torigine Thabillement des juges, la Prétexte, le Latklave, les Faisceaux , dcc. étoient en usage chez les idolatres. II fait de tous les magistrats les collégues des démons, qui sont, selon lui, les magistrats de ce monde. Quoique les pères fussent assez généralement de Tavis de Tertullien jusqu'au règne de Constantin , ils ne tardèrent pas a changer de style, et ils employèrent toute leur éloquence pour prouver que ce prince , étant Chrétien , devoit être le souverain légitime de Tunivers. ^ S. Chrysostöme fait de grands éloges de la prudence £ Abraham et de la force qu'il eut de vaincre sa propre jalousie au point d'exposer la vertu de Sarah. II exalte beaucoup la déférence et la complaisance de celleci pour son mari en eonsentant a un adultère pour lui sauver la vie. » Vous voyez, dit ce père, la propo» sition qu'il hazarda de lui faire et de quelle manière » elle Taccepta. Elle ne refuse point, elle ne marqué » point de répugnance , elle se prête a son role admi- " rablement dans cette comédie Comment assez « la louer pour avoir consenti , après une si longue » continence et dans un age si avancé, de livrei son  Religieuse. in » corps a des barbares afin de sauver son mari » ? Cependant 1'age avancé de Sarah , qui pouvoir avpir alors soixanre-cinq ans, devroit plutöt diminuer qu'augmenter le mérire de son action; vu que parmi ces barbares il pouvoir y en avoir probablemenr de jeunes. On peur lui appliquer ce qu'un de nos pcëtes a dit plaisamment de Suzanne , dont la chasteté fut attaquée par des vieillards. Elle neut pas montrée tent d'humeur s'ils eussent éte' plus aimables. S E C T I O N III. Bes interpre'tations absurdes que les plus anciens pères de 1'église ont données de técriture. JE me suis étendu plus que je ne comprois d'abord dans la section précédente , ainsi je vais tacher d'ètre plus concis dans le présent anicle ; je me bornerai a rapporter deux exemples de la facon dont deux des pères les plus distingués par leur savoir ont interprété L'ér crirure. S. Justin j martyr, nous apprend a plusieurs reprises que le talent d'interpréter les écritures saintes lui avoit été accordé par une grace spéciale de la divinité: voyons quelle preuve il nous fournira de cette faveur divine. » Ecourez, dir-il, comreent Jésus-Christ, apres n avoir été crucifié, accomplit le symbole de 1'arbre du :> paradis terrestre, et tout ce qui devoit ensuite arriv ver aux justes. Car Moyse fut envoyé avec une verge » pour délivrer son peuple , avec cette verge il parta» gea la mer, il fit sortir de 1'eau du rocher, et avec » un morceau de bois il rendit douces les eaux qui  H2. De la cruauté » étoient amères. Ce fut encore avec des batons que» Jacob parvint a faire que les brebis de son oncle La" ban produisirent des agneaux qui lui appartinrent a " lui-même &c. » II continue sur le même ton a faite des allusions et il trouve la croix de Jésus-Christ dans tous les endroits de Tanden testament oü il s agit de morceaux de bois ; en suivant le même plan dans un autre endroit oü. il décrit le combat des Israëlites avec Amalec, il dit » que lorsque Jésus fils de Nun con» duisit le peuple a Tennemi 3 Moyse fut en prières, » ayant ses bras éténdus en forme de croix, que tant » qu'il demeuroit dans cette posture , Amalec avoit du » dessous , mais que lorsqu'il cessoit son peuple avoit » le désavantage ; car les Israëlites ne remportèrent pas » la victoire paree que Moyse prioit, mais paree que » tandis que le nom de Jésus étoit a la tête des trou» pes, Moyse représentoit la figure de la croix ». Origene parlant des oifrandes de paix dit que Ia graisse est Tame de Jésus Christ , qui est Tégiise de ses amis pour lesquels il a sourfert la mort. II est donc probable , selon lui , que quand on nous défend de manger de la graisse on veut nous dire la même chose que lorsque le Sauveur disoit que nous ne devons point offenser le moindre de ceux qui croient en lui. Selon le même docteur le croupion, étant a Textrémité du corps, est une figure de la perfection et de la persévérance dans les bonnes ccuvres. L'estomac , qui appartenoit aux prêtres, désigne un cceur rempli de sagesse , d'intelligence et de science divine , ou plutöt rempli de Dieu lui-même. Le prophéte Jérëmie prédisant la captivité de Babyione et ses suites , dit au nom du Seigneur : " Je ferai venir un grand nombre > de chasseurs, et ils les chasseront de toutes les mon■■' tagnes, de toutes les collines, et des creux des ro-  Religieuss i i $ » chers ». Par ces rochers ürigene entend les prophêtes , les apótres , et les saints anges. Pourquoi ? paree que Jésus-Christ est appellé le roe, et par conséquent tous ceux qui 1'imitent sont des roes. Mais lorsque Dieu dit a Moyse : » je te placerai dans la fente du rocher » et tu me verras par derrière, mais tu ne verras pas " ma face ». Que croyez-vous qu'Origène entende par cette fente 2 C'est la venue de Jésus-Christ a 1'aide de laquelle nous voyons les parties postérieures de la divinité. Voila la manière dont ce grand Docteur interprête 1'ancien testament : on pourroit rapporter un grand nombre d'explications semblables qu'il donne du nouveau Testament, mais 1'exemple suivant suffira pour en donner une idée. Lorsque le Sauveur opéra le miracle des cinq pains, il fit asseoir le peuple sur 1'herbe. Devineroit-on qu'Origène dise qu'il le fit paree qu'Isaïe avoit dit que toute chair nest que de 1'herbe ? Ce n'est pas tout encore ; en faisant asseoir le peuple sur 1'herbe, le Sauveur voulut indiquer que nous devons soumetrre la chair, et subjuguer sa propre sagesse, afin de participer au pain qu'il a béni. Le peuple fut rangé ou par centaines , paree que cent est un nombre sacré et consacré a Dieu a cause de son unité : ou par cinquantaines, paree que cinquante est le symbole de la remission , suivant le mystère du jubilé qui se célébroit tous les cinquante ans; ou enfin a cause de la Pentecóte. Les douze corbeilles étoient les douze siéges sur lesquelles les douze Apótres devoient s'asseoir pour juger les douze Tribus d'Israël (1). II est bon d'observer qu'Origène a été durement (1) Voyez B»rbeyrac, Traité de la morale des Pères, chap. VII parag. 14 et suiv.  ti 4 De la cruauté censuré par plusieurs des Peres de 1'église pour ces interprérations absurdes de 1'Ecriture $ mais il faut remarquer en même tems que ceux quj 1'ont le plus blamé, tels que S. Jéröme } S. Chrysostöme, S. Augustin, S. . Hilaire , S. Ambroise et S. Grégoire , sont souvent tombés dans les mêmes absurdités qu'ils reprochent a ce docteur. Cependant si Origène a souvent allégorisé des passages de 1'Ecriture qui devoient être pris dans un sens litréral, il est certain qu'il en a pris beaucoup d'autres a la lettre qui auroient du s'entendre allégoriquemenr. C'est ainsi que prenant a la lettre le passage de S. Luc oü il est dit de ne point songer a la vie, ni de ce que l'on mangera , ni de ce dont on se vêtita , Eusèbe nous apprend qu'Origène n'avoit qu'un seul habit j alloit toujours nuds pieds, et ne songeoit jamais au lendemain. Bien plus, ce pauvre homme prit a la lettre le passage qui se trouve dans le chapitre XIX. vers. i z. de S. Mathieu oü Jésus-Christ dit : il y a des Eunuques qui se sont faits eux-mêmes Eunuques pour le royaume des cieux ; en conséquence il se priva de sa virilité. Si a toutes ces intetprétations ridicules des Ecrirures que nous donnent les Peres de 1'Eglise, aux faux miracles qu'ils rapportent , aux opinions extravagantes qu ils débitent, nous joignons encore qu'ils ont presque toujours enseigné ou pratiqué la persécution toutes les tois qu'ils en onteu le pouvoir et que les intéréts de leur parti 1'exigeoient nous., sentirons pourquoi les prêtres de 1'église Romaine se font un devoir de persécuter. Nous avons fait voir ci-devant jusqu'oü les Athanases , les Cyriles, les Chrysostomes onr porté l'esprit d'inrolérance, la cruauté religieuse, la sédition. Dans certaines occasions S. Augustin s'est montré humain et pacifique,  Religieus e. 11$ il disoit aux Manichéens, » que ceux-la sévissent contre » vous qui ignorent avec quelle difficulté Ton parvient » a guérir 1'ceil intérieur de 1'homme au point de pou» voir envisager son soleil ». Mais depuis , ce grand Saint a bien changé de ton ; il prit 1'esprit des évêques ses confrères et se déclara comme eux pour la violence et la persécution ; en conséquence, Barbeyrac le qualifie de patriarcke des chrétiens persécuteurs, vü qu'il fut le premier qui fit 1'apologie de la persécution , et qu'il est 1'auteur de tous les sophismes dont les théologiens se sont servis depuis pour défendre une conduite et des sentimens si contraires aux lumières du bon sens, a 1'équité naturelle 3 a la charité chrétienne , a la bonne politique 3 a 1'esprit évangélique. Ainsi c'est avec raison que Barbeyrac dit des Saints Petes, d Dieu ne plaise que nous prenions de tels docteurs pour nos maf. tres et nos guides en matière de morale. II est aisé de sentir les effets que doit produire 1'étude des ouvrages de ces hommes révérés sur les ecclésiastiques de la communion Romaine et sur d'autres qui ont le même respect pour leurs décisions. Ne soyons point êtonnés que ces pères soient regardés comme des oracles par les adhérens du pape, c'est a eux que sont dus la plupart des dogmes ridicules , des opinions abominables et des cérémonies superstitieuses dont la religion Romaine est remplie : l'on a donc lieu d'ètre surpris de voir des théologiens protestans montrer pour eux la déférence , cette facon de penser peut a la longue faire adopter aux protestans les mêmes illusions, les mêmes doctrines pernicieuses lorsqu'elles seront inculquées par des hommes stupides ou fripons. En conséquence nous voyons que les protestans qui ont voulu que l'on eut la plus aveugle soumission pour leur autorité, ont été généralement parlant  De la cruauté les plus portés a la superstirion , a des dogmes inintelhgibles, a la persécution. II est encore facile de voir combien ces pères si vantés sont propres a étoufFer dans ceux qui les étudient le goüt de la vrai science, que la plupart de ces Samts ont fortement décriée. Les théologiens toujours aiumes du desir de dominer, n'ont en effet rien de mieux a faire que de déroumer les esprits des hommes des objets importans, dont 1'intérêt du clergé veut les occuper uniquemenr. Leur empire seroit bientöt détruit si les laïques venoient a s'éclairer. En conséquence nous voyons les plus grandes lumières de 1'église s elever avec force contre les sciences mondaines ; S. Jéröme dans son commentaire sur 1'épitre de S. Paul, montre un souyerain mépris pour la géométrie , 1'arithmétique, la musique; il veut qu'on s'en tienne d la scicncc de la piété. S. Augustin dit pareillement que les bons chrétiens doivent mépriser 1'astronomie et la géométrie , paree que ces sciences ne contribuent point au salut et ne servent qu'a jetter dans l'erreur. Ces deux sciences ont encore le malheur de déplaire a S. Ambroise , elles n'apprennenr selon lui qu'a s'égarer. S. Grégoire , pape, s'est sur-tout signalé par un zèle vraiment barbare contre les ouvrages des anciens, qu'il a détruit peut-être, plus encore que le Calife Musuiman qui fit bruler les livres de la fameuse bibliothèque d'Alexandrie. Enfin le clergé Eomain , imbu des idéés de ces pères , a suivi leurs traces , et par-tout ou il en eut le pouvoir il éteignit toutes les sciences, les arts et 1'industrie , comme on peut sur tout s'en convaincre en voyant la situation de l Lspagne et du Pottugal.  Religieuse. ii-r S E C T I O N IV. Questions odieuses } ridicules et indécentes qui ont été agitées. De la théologie scholastique. Saint Thomas d'Aquin, communément nommé le docteur angélique , 1'aigle de la théologie, parmi une infinité de questions impertinentes a proposé les suivantes. Pourquoi Jésus-Christ ne s'étoit pas fait hermaphrodite ? Pourquoi le Sauveur n'avoit pas pris le sexe feminin ? Si les Saints ressusciteroïent avec leurs intestins ? Si Jésus-Christ est ressuscité avec la vésicule du fiel ? S'il y auroit des excrémens en Paradis ? Albert le Grand , qui fut le maitre de Saint Thomas dAquin , emploie dans ses ceuvres vingt-quatre chapitres a discuter les questions suivantes qui ont jadis grandement occupé les théologiens scholastiques. Si 1'ange Gabriel est apparu a la Vierge Marie sous la forme d'un pigeon , d'un homme, ou d'une femme ? Si eet ange se montra sous la forme d'un jeune homme ou d'un vieillard 3 Comment il étoit vêtu; Si son habillement étoit blanc ou de deux couleuts •, si son linge étoit blanc ou sale 2 En quel moment il s'est montré j Si c'étoit le maan , a midi, ou le soir ? Quelle étoit la couleur des cheveux de la Vierge Marie ? Si Marie étoit versée dans les arts libéraux ou méchaniques ? Si elle avoit des connoissances dans la grammaire, la réthorique 3 la logique, la musique , 1'asttonomie ? Sec. Sec. Sec. S. Antonin , autre théologien scholastique du premier ordre, se propose les questions suivantes : Si la mère de Dieu étant un homme auroit pu devenir le  128 De la cruauté père naturel de Jésus-Christ ? Si Marie étant enceinte et assise, Jésus-Christ étoit assis comme elle? S'il étoit couché lorsqu'elle même étoit couchée ? L'on peut joindre a ces questions un grand nombre d'autres qui ont occupé les théologiens scholastiques; elles ne le cèdent point a celles qui ont été rapportées, en impertinence et en indécence, au point que nous nous croyons obligés de les rapporter en latin. Les yoici : Utrunt semen Christi potuerit generare ? Utrum Verbum po tuit hypostaticè uniri natura irrationali ,puta equi 3 asini 3 Sec. ? Utrum potuit uniri hypostaticè naturx diabolica, naturn humance damnatct peccato , Sec. ? In quo casu veras essent het propositionnes, Deus est equus , asinus , diabolus, damnatus , peccatum? Utrum Christus resurgendo resumpsit prceputium , si porró resumpsit y quo pacto , quove modo servatur in terris ? (i). Telles sont les questions impudentes qui ont longtems occupé les théologiens ? (1) Le lecteur observera que Sainte Brigitte , au sixième livre de ses rëvèlations ou rèveiies , dit que la Vierge Marie lui a dit que peu de temsavant son assomption elle avoit confié le prêpuce de son Hls a S. Jean. On dit que cette prècienso relique est actuellement gardée dans 1'église de S. Jean de Latran a Rome, oü tous les ans , durant la se~ maine de Paques , on 1'expose a la vénération des Jidéles. Cependant le cardinal Tolet assura que ce prèpuee fut jadis volé de cette église et fnt transporté a Calcata en Italië, oü il bt de grands miracles. Plusieurs tilles d'Allemagne prétendent néanmoins le posseder, et le pape Inno* cent IU n'osa pas décider Cette importante question. Voyez le He-, discours du docteur Stillingflcat. Jettons  Religieuse. 129 Jettons maintenant un coup d'ceil sur les pieuses extravagances et les notions fanatiques dont les personnages les plus dévots de 1'église Romaine ont rempli leurs ouvrages; je n'en rapporterai que quelques exemplas choisis , tirés du livre des maximes des saints, dont le célcbre Fénélon, archevêque de Cambray,est 1'auteur. " La pure té de 1'amour divin , selon S. Francois de » Sales , consiste a ne rien vouloir pour soi-même, a » ne chercher que le bon plaisir de Dieu , au point de » préférer , si c'étoit son plaisir, les tourmens éternels » a la gloire ». Le même Saint dit que s'il savoit que sa propre damnation plüt un peu plus a Dieu que son salut, il quitteroit son salut pour courir a la damnation II dit encore ailleurs : « Je n'ai pres- » qu'aucuns desirs, mais si j'avois a renakre Jevoudrois » n'en avoir point du tout. Si Dieu venoit a moi, » j'irois aussi a lui, s'il ne vouloit point venit a moi, » je me tiendrois tranquille et je n'irois point a lui«. Fénélon nous apprend que les ouvrages des Saints les plus estimés des denkers siècles sont remplis de semblables expressions , qui toutes se réduisent a dire que l'on ne doit plus avoit de desirs intéressés, pas même pour le mérite, la perfection, ni pour le salut étemel-, il ajoute qu'il n'y a point d'équivoques la-dessus, et que c'est le langage des pères , des docteurs de 1'école et de tous les saints. Une ame désintércssée , dit S. Francois de Sales , n'ai me point les vertus paree qu'elles sont belles et pures, ni paree qu'elles sont aimables , ni paree qu'elles ornent et rendent aimables ceux qui les pratiquent, ni paree qu'elles sont méritoires et rendent 1'homme digne des récompenses étemelles , mais uniquement paree qu'elles sont la volonté de Dieu. Le mariage spkkuel, dit Fénélon , unit immédiateTeme F. I  ï^o De la cruauté ment Tépouse avec 1'époux , essence avec essence 3 srbstance avec substance , c'est-a-dire , la volonté a la volonté , a 1'aide de eet amour pur dont il est question. Alors Dieu et 1'ame ne font qu'un même esprit, de même que dans le mariage 1'époux et 1 epouse ne font qu'une même chair. Des Soliloques de S. Augustin , sont templis d'un pareil langage enthousiaste et inintelligible que le fanatisme prend pour de la dévotion et qui n'est réellement qu'un galimathias extravagant. St. Antoine Hermite avoit coutume de dire que pour que la prkre fut parfaite il falloit que celui qui prie ne s'entendü pas luimême. Que dirons-nous des dévorions niystiques d'une sainte Thérese, qui s'est rendue fameuse par sa ferveur, ses visions et ses extases, ses amours avec Jésus-Christ: II est vrai que cette sainte nous apprend elle-même la vrai cause de sa düvotion. Elle nous dit que ceux qui 1'environnoient craignoient souvent qu'elle ne fut folie , tant étoit grande sa mélancolie et ses vapeurs qui 1'empêchoient souvent de prendre aucun repos, soit la nuit, soit le 'jour. L'on peut en dire autant de la fameuse sainte Catherine de Sienne 3. ët de sainte Marie Magdeleine de Pazzi, qui toutes deux ont prétendu avoir eu 1'avantage d'épouser Jésus-Christ. Au reste il est aisé de sentir de quelle nature étoit le mal qui tourmentoir ces malheureuses créatures. L'état de vapeurs et de mélancolie oü ces saintes se trouvoient fréq'uemment étoit un- eftet trés-naturel de leurs austérités, de leurs jeünes, de la retraite oü elles vivoient enfermées dans leurs couvens * il n'en faut pas davamage pour rendre parfaitement insensées de pauvres filles'que la nature avoit sansdoute pourvues d'un tempéramment ardent et d'une eer-  Religieuse. 131 veile très-foible , empoisonnée par des instructions fanatiques er des exemples qui leur faisoient prendre 1'enthousiasme le plus insensé pour la vraie piété. Quoiqu'il en soit, il feul avouer que quand les hommes sont imbus des maximes d'une religion fanatique et veulent la professer, ils ne peuvent se dispenser de devenir des fanatiques et des fous, er que la lecture des vies des saints révérés par une religion absurde, cruelle et persécutante, est tres propre a corrompre et 1'esprit et le cceur de ceux qui s'en nonrrissent. Tels sont les effets que doivent produire sur les ecclésiastiques et les moines de 1'église romaine, les légendes, la lecture de 1'histoire ecclésiastique , la théologie scholastique et les ouvrages des pères.  t j t De la cruauté RÉFLEXIONS Sur les persécutions religieuses et sur les moyens de les prévenir. SECTION PREMIÈRE. De l'absurdité et de l'injustice de la persécution. On peut voit par tout ce qui a été dit précédemment de la cruauté religieuse , que sur-tout les ecclésiastiques ©nt été coïitinuellement les boutefeux du christianisme, et ont allumé parmi les chrétiens les büchers de la persécution ; 1'histoire et 1'expérience journalière confirment surfisamment cette vérité \ un grand nombre qui prétendoient se dévouer entièrement au service de la religion , «nt fait de ce qu'ils appellent la maison du seigneur une caverne de voleurs et de meurtriers; ils ont pillé et détruit les peuples ; ils ont ravagé des villes opulentes , ils ont changé des pays fertiles en de vastes déserts. II est vrai que les souverains et les magistrats , contre toutes les régies du bon sens , de la saine politique, de 1'humanité, de la religion même , se sont laissés persuader , ou même ce qui est plus honteux , se sont ttouvés forcés de leur prêter des secours pour opprimer , tourmenter et détruire leurs propres sujets , des citoyens, des chrétiens. N'est-il pas bien éttange que les princes et cë'tfx qui exercent leut autorité, ne voyent pas que  Religieuse. J35 .dans 1'ceuvre mferna, de la persécution , ils ne sont que les vils instrumens des prétres avides et sans piftèi Quels motifs ont induit les gens d'église a jouer un role si fameux 3 Par quels moyens sont-ils devenus assez nombreux pour prendre un si grand ascendant dans le monde chrétien 3 Qu'est-ce qui les a mis en état depersécuter et de tyranniser d'une facon si cruelle 3 C est ce que nous avons suffisamment développé ci-devanti cependant nous allons encore analyser ces causes d'une facon' plus particuliere, dans 1'espérance que eet examen pourra conduire a la decouverte des remedes que 1 on pourroit opposer a un mal aussi terrible que la persécution pour cause de religion. Avant d'aller plus loin , il est bon de remarquer que comme le clergé catholique romain s'est sur tout distingué par ses persécutions atroces et anti-chretiennes, c'est lui que nous aurons principalement en vue dans les choses que nous dirons par la suite. Quant aux motifs qui excitent les prêtres a la persécution , il est très-nécessaire de distinguer les motifs ficüfs et prétendus de ceux qui sont réels: leurs motifs prétendus sonr un grand amour pour le bien-ètre du genre humain , qui les porte a contraindre tous ceux qu'ils ne peuvent persuader d'entrer dans le giren de 1'église , et de les forcer de croire et de penser uniformement sur la religion , et de la pratiquer de la même manière; projet bien sensé ( sans doute) , et dont il est très-facile de se promettre 1'exécmion! Les prétres prér tendent par la rendre las hommes agréables a Dieu et les conduire au salut éternel. II est difficile de décider ei ce projet ou ce systêmeest plus absurde et plus insensé , que tyrannique et méchant. En erTet est-il rien de plus extravagant que d'imaginer qu'il soit possible d'amener tous les hommes- I 3  1^4 Dt~ la cruauté. a la même facon de penser sur des points absfrairs , métaphysiques , ininteliigibles, tels que sont la plupart des dogmes de !a religion , ou telle qu'on s'est ëftprcé de la rendre? En supposant la chose possible, la violence_ seroit-elle donc un moyen d'y parvfeinr ? ] ,a force et la compulsion ne sont-elles donc pas propres a faire naitre 1'aversion plutot que la confiante 2 La violcnce peut bien faire et fait souvent des hypocritesl mais at-elle jamais onerë d.s c mvcrsións sincères ? L'hypocrisie et la mauvaise foi peuvent elles être agréables au Die.; de la vérité ? D'un autre cote , en tourmenrant les corps des hommes , en leur faisant éprouver; des supplices, peuton se fla.ter de .changer les sentimeus de leurs ames ? Voyons combien ces moyehs sont admirablement adaptés a leur fin. Si un homme doure d'un arriele de foi j réglise a jugé a propos detablir j son esprit serat-il piiis éclairé quand on jettera son corps dans un cachot ? Si ce premier moyen ne réussit pas , on n'aura qua le mertre a la torture, et pour remédier au défa. t de son entendement ne sera-r-on pas'bien avancé en lui disloquant les membres ? Ne sera-ce pas une méthode sure de.le convaincre, que de lui distendre tous ies muscles et les nerfs, et de lui faire éprouver des douleurs recherchées ? Si malgré tout cela il continue a ne pas croire ce que vous voulez, par compassion pour son ame, faires-Iui soüïfxir la mort la plus cruelle , par la vous emp.êcrierez que jamais il ne puisse se convertir ; d'ailleurs suivant' les idéés des in venteuts de ces beaux systêmes, des persécuteuts , des assassins religieux eux - mêmes , vous les précipiterez pour toujours dans des malheurs éternels. ' Si ces prétendus moyens de convaincre 1'esprit en tourméntant le corps et de propagér la religion en dé-  Religieuse. *3 S truisant les hommes , sont d'une extravagance et d'une absurdïté iémontrées' , ils ne sont pas moins tyran'niques et abominables. / Les hommes ont des priviléges et des droits inherens a leur nature , que l'on ne peut leur oter sans leur arracher la vie. Deux de ces principaux droits sont de penset a leur manière en maticre de religion et de suivre leur conscieme. S'il se trouve des gens qui pensent que d'autres se trompent ou sont dans lerreur la dessus, c'est montrer de la charité que de tacher par ses conseÜs et ses raisons de les remettre dans le bon chemm. Mais toutes les tentatives que 1 on peut faire pour violet ces priviléges sont absurdes , paree qu'elles sont impossrbies ■, elles sont tyranmques, paree qu elles sont injustes: ni le souverain ni le clerge ne peuvent avoir ie droit de persécuter C'est une oppression très-odieuse que d'emprisonner un homme a cause de. sa croyance religieuse , ou pour parler exactement , personne n'a le droit den user de cette manière; le condamner a 1'amende ou confisquer ses biens pour ce sujet, c'est un vol; le mettre a mort paree qu'il ne veut point agir contre . sa conscience , c'est commettre un assassinat. Est-il rien de plus abominable que cette conduite j Cela posé , l'on voit qu'il est très-difficile de décider si la persécution pour cause de religion est plus hisensée que criminelle. ^ II n'y a qu'une impudence eifrénée qui puisse justifier une conduite si criminelle, et la couvrir du prétexte de 1'amour du genre humain , et de ptociirer aux hommes le blen-être, et dans ce monde et dans 1'autre. Cette fourbetie est si palpable , qu'elle n'est faire pour en imposer qu'a des hommes aveuglés par t'ignorance «t la superstition. II est évident que ces motifs ne I 4  13 6 De la cruauté peuvent être réels; voyons donc quels peuvent être les motifs véritables. Un tempéramment cruel et sombre , aigri et envenimé par les passions les plus nuisibles , telles que la méchanceté , 1'envie , 1'avarice , 1'orgneil j 1'ambition , le desir de dominer et de tyranniser les autres , auxquels on peut encore joindre les déjires de 1'enthousiasme et du fanatisme , voila les vrais motifs qui excitent a persécuter , et quand ils sont combinés avec un grand fond d'hypecrisie > ils rendent complet le portrait d'un persécuteur. II est évident que les plus violens persécuteurs ont été sauvent les hypocrites les plus consommés, plusieurs d'entr'eux n'avoient aucune religion. Nous en avons des preuves dans un grand nombre de membres du clergé romain : des papes, des cardinaux , des inquisiteurs et des princes, ont visiblement persécuté pour une religion qu'ils ne croyoienr pas. Tour le monde sait le mot de Léon X au cardinal Bembo. Combien nous est profitable cette fable de Jésus - Ckrist! disoit ce Prince des persécuteurs et ce vicairedu Christ; cependant de son tems l'on voyoit par-tout fumer les büchers des hérétiques. SECTION II. Des sources de rinsolence et du pouvoir des prétres de 1'église Romaine. Après avoir fait voir que les gens d'église ont toujours été les promoteurs er les trompettes de la persécution parmi les chrétiens; après avoir fait connohre les motifs  Religieuse. 137 résls qui les ont animés ; nous allons examiner les moyens par lesquels les ecclésiastiques sont devenus si nombreux , et ont pris un si terrible ascendarit dans la chtétienté. Pour considérer la chose dans son vrai poinr de vue, il faut faire attention quê les chrétiens admettent. d'une fac;on bien plus décidée que ne faisoient les Juifs le dogme de 1'immortalité de Tame-, er celui, des peines et des récompenses de la vie future. Les payens sur tout n'avoient la-dessus que des notions traditionnelles et des idéés vagues, qui les laissoient dans une sorte d'incertitude sur ces dogmes obscurs. Mais lorsque 1'évangile eut promulgué le dogme de Timmortalité de Tame , et quand une grande partie du genre humam fut parvenue a croire fermement que Ton pouvoit être pour toujours heureux ou malheureux au sortir de la vie présente; cette notion , comme de raison , produisit de grandes inquiétudes dans tous ceux qui Tadoptèrent; pour lors les ignorans s'adressèrent a ceux qu'ils crurent plus instruits qu'eux-mêmes , et leur demandèrent ce qu'il falloit faire pour être sauvés. Cela auroit pu fournir a ceux qui se voyoient consultés une belle occasion de leur dire que ce monde n'étoit qu'un passage , un séjour d'épreuves; que les hommes parviendroient a être heureux dans Tautre monde s'ils pratiquoient la justice , la tempérance , la charité , s'ils vivoient en paix les uns avec les autres , s'ils cultivoient leur esprit par la réflexion , s'ils adoroient Dieu en esprit et en vérité, mais qu'ils se rendroient éternellement malheureux s'ils vivoient dans le crime, le désordre et la crapule. II est vrai que Ton dit quelque chose de semblable aux hommes , er qu'on leur recommande la pratique de ces devoirs; mais au lieu de s'attacher uniquement a cette religion naturelle , raisonnable, bienfaisante,  13 § De la cruauté des fourbes et des pervers après avoir gagné la confiance des peuples, invencèrent des fables absurdes et improbables , imaginerent des dogmes incompréhensibles, qu'ils ordonnèrent de croire sous peine de la damnation éternelle. Plus ces dogmes furent incroyables et incompréhensibles, plus on attacha de mérite a les croire: les mé mes imposteurs y joignirent encore une multitude de rites , de pratiqués , de cérémonies , d'inventions dont ils prévirent très-bien qu'ils pourroient tirer un grand profit. La plupart de ces dogmes obscurs, de ces cérémonies , de, ces fraudes datent des tems d'ignorance et de superstition. Ce fut alp :s qu'on enseigna aux hommes des doctrines erliayantes propres a les sournettre sans ró:.erve a l!autoriié de leurs prêtres. Ce fut alors qu'on leur paria du purgütoirc ,;rnais on leur apprit en même tems que l'on pouvoit s'en racheter, et qu'en faisant des largesses a 1'église j eèlle ci pouvoit faire cessec les tourmens que la divinité faisoit éprouver aux araes des parens et amis, ét s'en déiivrer sci-meme. Ce tut alors qu'on persuada aux hommes qu'il faÜoit s~ confcsser de ses péchés a un hoaune pecheur , qui pretendit avoir recu du ciel la facuhé de les remettre en vertu du pouvoir des clejs domié a 1'église par Jcsus-Christ, qui s'est engagé a confltmer toutes ses sentences lorsqu'il promira ses apótres que tout ce qu'ils auroient lie ou délie. sur la terre, sera l'té ou dciié dans les cieux. Enfin , pour combier la mesure de i'insolence , de 1'effronrerie , de 1'impiété sacerdotale, ainsi que celie de 1'extravagance , de 1'irnbécillité , de la ciédulité des laïques, le clergé imagina une absurdiié religieuse qui surpassa toutes celles du paganisme; il persuada a des hommes raisonnables que les prêtres avoient le pouvoir de faire Ie tout-puissant, de créer ie créateur de 1'uni-  Religieuse'. j ^ vers , de Favalèr eux-mêmes , er de le donner a manger aux autres: et pour que les prêtres parussent être de la plus grande utilité pour le genre humain , et par la prendre un grand ascendant sur lui, ces mêmes prêtres enssignèrent qu'a moins que la bonne intention du prêtre ne fut jointe a ce repas céleste , il ne pouvoit procurer aucun avantage a ceux qui y participoient (i). Ces opinions, crues malheureusement par le vulgaire , subordonnèrent entièrement les laïques au clergé dans tout ce qui concernoit le salut éternel (2). Cette soumission des laïques pour les prêtres ne pouvoir manquer de rendre ceux-ci très-orgueilleux et très-insolens. Ne soyons donc point surpris du propos qu'un jésuite Espagnol tint au duc de Lerme. C'est vous, lui dit-il, qui me deve7L du respect ,puisque j'ai tous les jours votre Dieu dans mes mains , et votre reine a mts pieds. Un évêque qui sans doute a le droit d'ètre plus insolent qu'un prêtre du commun, fit savoir a une Impératrice qu'il n'iroit pas la voir a (1^ Si que'qu'un doutoit que I'ég'ise de Rome enseigne réellcment cette doctrine de la nécessiré de i'intcution du prêtre pour que le saciement de 1'Eücharistie sortisse son, effet, il n'aura qu'a consulter 1'histoire du concile de Trente , par Dupin, tome I, page l56 , ou l'on voit que eet artirle de foi fut établi aux eoneiles de Florence et de Treute. Cependant quelques catholiques Francois ainsi que Dupin luianème' ne sont pas de eet avis. (1) On fait croire aux Moscovites que , lorsqu'i's menrent , pour être admis dans le ciel , il est bon qu'ils premient un certiiïcat signé ou sce'lé par le patriarche ou l'évêque; en conséquence, lorsque l'on enrerre un mort, on lui met entre les mains un passeport pour le ciel. dans b-quel on atteste qu'il a vécu er qu'il est mort en bon chrétien de la religion grecque, qu'il s'est confessé, qu'il a été absout et a reen le sacrement de l Epicbatistie ; qu'il a rendu a Dieu et a ses Saints Ie culre qui leur étoit du. Voyez la religion ancienne et moderne des Moseovitcs , p. i3g. Les Jésuites et beaucoup d'autres moines de 1'église Romaine sont dans 1'usage d'expédier de semb'aldes passeport* a ceux qui veuleut liieu les aeheter.  De la cruauté moins qu'elle ne promit de se prosrerner devant.lut pour recevok sa bénédiccion, de se tenir debout pendant qu'il seroit assis , jusqu'a ce qu'il lui eut donne la permission de s'asseoir elle-même. Voyez les remarques du docteur J'ortin sur l'histoire eccksiastique 3 v. I. pag. 134. Nous trouvons encore que des prêtres ont osédire qu'un évêque est un Dieu sur terre, qu'il est un roi bien au-dessus des rois tempoiels, auxquels il a le'droit de commander. Nous voyons un pape assurer « qu'il esr lui-même juge de tous les hommes et qu il ne peut-être jugé par personne; que les grands monarques ne sont que ses esclaves, randis quil est le roi des rois , le monarque du monde , le seul seigneuret gouverneur des choses temporelies et spinruelles > qu'il est établi souverain de tous les royaumes et de ..„„..„, \Z „,r,™c • mip soa nouvoir est au-dessus de tout pouvoir , qu'il falloit indispensablement hu-etre soumis pour pouvoir etresauve». voyez i>uw<.-^des papes 3 vol. I. pag. i.;. Alain de la Roche , moine dominicain, ne se hut pas difficulté 'de dire que le pouvoir d un pretre surpasse celui de Dieu lui-même-, il se for.de sur ce que Dieu employa une semaine entière a la création du monde et a son arrangement, tandis qu'un prêtre a chaque fois qu'il dit la messe a 1'aide de deux ou trois paroles peut produire non une créature , mais 1 etre suprème et inciéé qui est 1'origine de toutes choses. Voyez son traité de dignitate et exeellenüis saccrdotum.  Religieuse. 14! SECTION III. De la crédulité. Les gens d'esprit sont souvent dupes des préjugés du vulgaire. l(^uoiQU£ le dogme de la Transubstantiation dont inous venons de parler ainsi que plusieurs autres articles de foi de la même trempe , air pris naissance , dans des tems d'ignorance et de ténèbres (i), cependant le monde en s'éclairant n'a pas renoncé a ses anciennes folies, et cette doctrine est encore recue par un tres-grand nombre d'hommes et même de personnes ;savanres et raisonnables sur toute autre marière qui ne xessent d'ètre les dupes de leurs honteux préjugés; ce qui nous prouve combien peu l'on doit compter sur les hommes en matière d'opinions religieuses. L'église Romahe , outre le privilège de faire son !Dieu, se vante aussi de faire des miracles; mais le ;plus grand des miracles qu'elle ait jamais opéré est : celui d'ètre parvenue a faire croire aux hommes une absurdité aussi palpable et aussi grossière que le dogme :de la Jransubstantiation. Cependant essayons si l'on i ne pourroit pas rendre raison de ce phénomène surprei nant sans recourir au miracle. (i) Pasrase Rabbert , abbè d* Corbie en France , au commencement rlu neuvième siècle, fut le premier qui soutint le dogme de la transubstaniiation. Mais ce ne fut que vers le milieu de 1'oniïèma aiècle que celte doctrine fut confirmée par 1'autorité du pape, qui dé-, cida que ceux qui refusoient de 1'admettra étoient des hérétiques k briiler. Cette opinion fut vivement eombattue par BeTenger, archidiacra d'Angers ; depui» elle est uuanimanc adoptie par to»» le» catholiquei Aomains.  l»% De la cruauté. Rien n'agit si fortement sur 1'esprit des hommes que 1'éducation,, le fanatisme , le préjugé. La crainte de faire de mauvaises affaires en ce monde et d'ètre damné dans 1'autre, empéche souvent d'examiner ce qu'on dit de croire, et même de douter des prétendues vérités que 1'église enseigne. En effet si des personnes, je ne dis pas éclairées, mais même douées du bon sens le plus ordinaire osoient réfléchir a cette doctrine ainsi qu'a beaucoup d'autres impostures sacerdotales, elles ne manqueroïent pas d'en démèler la fausseté. Mais les gens qui ont les yeux les plus percans consentent souvent a fermer les yeux et a les laisser couvrir d'un bandeau, ils cessent de voir et ne distinguent pas plus les objets que s'ils étoient aveugles-nés. De plus ce seroit bien peu connoitre la nature humaine que d'imaginer que les personnes les plus éclairées soient exemptes de foiblesses; celles-ci ne se montrent jamais d'une facon plus raarquée que dans la cruauté religieuse , pour laquelle les hommes du plus grand génie ne sont souvent que des insensés et des stupides. Que de preuves étonnantes de science, de sagesse, de jugement, ne trouvons-nous pas dans un grand nombre de Payens ? Cependant beaucoup d'entre eux étoient aussi esclaves de la superstition que le peuple imbécilic , et adoroient comme lui le bois et la pierre; ils croyoient, comme lui, les fables les plus ridicules; ils se soumettoient, comme lui aux rites et aux cérémonies les plus extravagantes de la religion. - Combien parmi les modernes d'hommes habiles distingués par leurs connoissances et leur savoir, ont-ils écrit et sonné le tocsin de la persécution , pour forcer les nations a croire des doctrines opposées au bon sens ? Quel scandale ne résulte-t-il pas pour le christianisme qui leur faisoit ainsi renoncer aux lumières de  Religieuse. ^ ïa nature , de la raison j de 1'humanité ! Nous avons fait voir que ce furent communément de très-grands Saints qui furent les plus grands incendiaires \ ce furent cela devoit s'exécuter modérément , sinon on les régloit arbitrio boni viri. Les corvees officieuses ne passoient point aux héritiers du patron , mais seulement celles qu'on appelloit fabfiles; et a 1'égard de celles-ci lorsqu'il en étoit du plusieurs et que 1'affranchi laissoit plusieurs héritiers, 1'obligation se divisoit entr'eux. Telles sont les principales régies que l'on observoit chez les Romains pour les corvees dues par les affranchis a leurs pattons, ou entre d'autres particuliers. A 1'égard des charges publiques appellées tantót munuspublicum , tantót onus et aussi obsequia 3 c'est-adire devoirs , par oü l'on désignoit tous les travaux publics , c'étoient aussi des espèces de corvees, et qui étoient dues par tous les sujets. On les distinguoit en charges personnelles , patrimoniales et mixtes. On appelloit corvees ou charges personnelles, celles qui ne consistoient qu'en travail de corps ; patrimoniales ou réclles , celles oü le possesseur du fonds étoit taxé a fournir tant de chariots , ou autres choses, suivant la valeur de son héritage. Le droit de gite, par exemple, étoit une corvee reelle; les pauvres qui ne possédoient point de fonds, n'étoient pas sujets a ces corvees réelies. On ne connoisspit alois d'autres corvees réelies 3 que celles qui étoient établies par une taxe publique ; il n'y en avoit point encore d'établies par le titre de concessïok de 1'héritage : enfin les mixtes étoient des travaux de corps auxquels chacun. étoit taxé a proportion de ses fonds. Personne n'étoit exempt des corvées ou charges publiques patrimoniales, c'est-a-dire réelies, ni les forains, ni les vétérans, ni les ecclésiastiques , même les  Corvees. i jcj évêques •, aucune dignité ni autre qualité n'en exemptoit 5 les philosophes, les femmes, les mineurs , tous étoient sujets aux corvees réelies, c'est-a-dire dues a cause des fonds. On ne pouvoit s'en exempter que quand c'étoient des ouvrages du corps , que 1'age ou 1'infirmité ne permettoient pas de faire. L'origine des corvees en France vient des loix romaines, que les Francs trouvèrenr établies dans les Gaules, lorsqu'ils en firent la conquête. Les rois de la première et de la seconde race puisèrent la plupart de leurs ordonnances dans ces loix, et elles continuèrent d'ètre le droit principal de plusieurs provinces , qu'on appella de-la pays de droit écrit. II y eut même plusieurs dispositions adoptées dans nos coutumes , qui avoient aussi été empruntées du droit Romain. I II ne faut donc pas s'étonner si les corvées usitées en France , même dans le pays courumier, sont une imitation du droit Romain. Les seigneurs qui, dans les commencemens de la monarchie , ne tenoient leurs seigneuries qu'a titre d'offices et de bénéfices a vie ou a tems, vers la fin de la seconde race et au commencemenr de la rroisième , se rendirenr propriéraires de leurs seigneuries; ils usurpèrent la puissance publique et tous les droirs qui en dépendoienr. Ils rrairèrenr leurs sujers comme des esclaves ; ou s'ils les arfranchirenr , ce ne fur qu'a des conditions onéreuses et sous la réserve de certaines corvées. lis s'arrribuèrent ainsi les devoirs dont les affranchis éroient tenus envers leurs patrom; ils appliquèrent de même a leur profit particulier les charges dont leuts sujets étoient tenus envers 1'état, et par ce moyen ils s'atttibuèrent toutes les corvées publiques et particulières : aussi rrouve-r011 dans le droir Romain toutes les mêmes corvées qui  i Co Corvee. sont présentement en usage parmi nous , soit en pays de droit écrit, soit en pays coutumier. On distingue parmi nous , comme chez les Romains, deux sortes de corvées ; savoir, publiques et particulières. Les corvées publiques sont celles qui sont dues pour le service de 1'étar, ou pour 1'intérêt commun d'une province , d'une ville ou d'une eommunauté d'habitans; le prince est le seul qui puisse les ordonner quand il le juge a propos. Les corvées particulières sont celles qui sont dues a quelques seigneurs en vertu de la loi du pays, ou de quelque titre particulier cu d'une possession qui tient lieu de titre. La plupart des corvées particulières ont été acquises comme on la dit, par usurpation : mais depuis que les coutumes ont été rédigées par écrit, on a eu 1'attention de n'admettre aucunes de ces servitudes, si elles ne paroissent fondées sur une cause et un titre légitime. Les capitulaires de nos rois , et les ordonnances d'Orléans et de Blois , défendent de les exiger, si elles ne sont fondées en titre. Tous les auteurs, tant des pays de droit écrit, que des pays coutumiers, conviennent unanimement que la possession sans titre ne suffit pas pour les établir. En pays de droit écrit, les corvées peuvent êtte sti- pulées par le bail a hef et sont réputées un droit sei- gneürial; elles sont reportées dans les terriërs, comme étant des droits de la seigneurie, et néanmoins elles n'y entrent pas dans l'estimation des rentes seigneuriales. On peut les acquérir du jour de la contradiction , lorsque les sujets les ont servis depuis pendant trente ou quarante ans sans réclamer. 1 . En  Corvét. 161 En Auvergne , les corvees de justice qui sont a merci et a volonté , sont seigneuriales , mais non celle> qui sont de convention. En pays coutuinier, on ne les considère point comme un droit ordinaire des seigneuries et justices , mais comrrie un droit exorbitant et peu favorable, qui ne recoit point d'extension et doit être renfermé dans ses justes bornes. Le droit commun veut qu'on ne puisse les exiger sans titre : il y a néanmoins quelques coutumes qui semblent se contenter de la possession ; telles que Bassigny, qui admet titre ou haute possession; de même en Nivernois. On tient aussi en Artois que vingt ans" de possession suftisent. Lacoutumede Paris, art. 17, requiert titre valable, aveu et dénombrement ancien. Le titre , pour être valable , doit être consenti par tous ceux contre lesquels on prétend s'en servir. II faut aussi que eet acte ait une cause légitime , er qu'il ait toutné au profit des corvéables , tel qu'un arfranchissement ou une concession de communes, bois, patures. Un aveu seul, quelqu'ancien qu'il fut, ne formeroit pas seul un titre, étant a 1'égard des corvéables, res inter alios acta ; il faut qu'il y en ait au moins deux conformes , passés en différens tems , et qu'ils aient été suivis d'une possession publique et non interrompue, et qu'il y ait preuve par écrit que les corvées ont été servies a titre de corvées, et non autrement. Toutes ces preuves ne seroient même admissibles que pour des corvées établies avant la réformation de la coutume ; car 1'art. 186 portant : nulle servitude sans titre , cela doit présentement s'appliquer aux eoff vées qui sont de véritables servitudes. Tome V. L  i6z Corvee. On ne connoit plus parmi nous ces corvees appellées fabr'dcs. Chez les Romains , on pouvoit stipuler que 1'afFranchi qui avoit quelque talent particulier , comme de peindre, ou d'exercer la médecine ou autre art libéra'1, seroit tenud'en travailler pour son patron; mais en France ou les corvées sont odieuses , on les restreint aux travaux serviles de la campagne : c'est pourquoi par arrêt rendu en la rournelle civile le 31 aout 1735, on jugea qu'un notaire n'étoit point tenu , pendant les jours de corvée de recevoir a ce titre tous les acres du seigneur, quoique I'aveu portat que chaque habitant * devoit trois jours de corvée de son metier, comme le laboureur de sa charue, 8cc. On tient communément en pays de droit écrit, que toutes corvées y sont imprescriptibles , si ce n'est du jour de la contradiction. La raison est que dans ces pays elles sont seigneuriales; mais j pour leur donner ce privilége d'ètre imprescriptibles , il faut qu'elles tiennent lieu de eens , aurrement la prescription est toujours favorable de la part des corvéables. En pays coutumicr , les corvées a volonté ne se prescrivent que du jour de la contradiction, paree que ce sont des droits de pure faculté , qui ne perdenr point par le non usage , a moins que le seigneur n'eüt été cent ans sans s'en être servi. Four ce qui est des autres corvées , soit réelies ou personnelles , elles se prescrivent par trente ou quarante ans, de même que toutes actions et droits personnels ou réels,Les servitudes sont odieuses, la liberté, au contraire , est toujours favorable. Les corvéables sont obligés de se fournir des outils et instrumens nécessaires a la corvée qu'ils doivent; ils sont aussi obligés de se nourir a .leurs dépens pendant le tems même de la corvee : tel est 1'usage le plus gé-  Corvée: 165 iiéial du pays coutumier , a moins que le titre on la coutume du lieu ne soit contraire, telles que les coutumes d'Auvergne et de la Marche , et quelques autres voisines des pays de droit écrit. Si le titre paroit charger le seigneur il doit être interprété favofa'blement pour les habitans , qüi sont déja assez grévés de travailler graruitement, pour qu'il soit juste de la part du Seigneur de les nourir, pour peu que la coutume ou le titre y incline. A 1'égard des chevaux, bceufs et autres bètes de labour ou de sommis que le corvéable fbumit, c'esr au seigneur a les nourir pendant la corvée. Les corvées né doivent être acquittées en général que dans les limites de la seigneurie ou jUsn^e a laquelle elles sont dues ; il y en a cependant quelques-unes , telles que la dohade ou vinade que le corvéable doit •faire même hors les limites, mais toujours de manière qu'elle se puisse faire sans découcher. Cela dépend au surplus des tenues de la coutume, des titres et de la possession. Quand les corvées sont dues avec charroi et bestiaux si les corvéables n'en ont pas , ils sont obligés de les faire avec une béte de somme, s'ils en ont une; ou s'ils n'en ont pas non plus, de faire ce qu'il peuvent avec leurs bras. Toutes les corvées , solt de fief ou de justice , réelies ou personnelles , ne sont point dues qu'elles ne soient demandées; elles ne tömbent point cn arrérages que du jour de la demande depuis lequel rems 011 les évalue en argent : hors ce cas, il n'est pas permis au seigneur de les exiger en argent. II y a seulement une exception pour le frrmier du domaine, a 1'égard duquel 011 évalue les charrois aio' ' Sols, et chaque manoeuvre ou corvée de bras, a "5 sols.- L *  x 64 Corvée. Quoique les corvées d merci ou d volonté aiinoiicent un droit indéfïni de la part du Seigneur , il ne lui est pas permis cependant d'en abuser pour en vexer ses sujers; non-seulement il ne peut en demander que pour son usage , mais elles doivent être réglées modérément, arbitrio boni virl. Si ia coutume n'en dérermine pas ie nombre , on les fixe ordinairement a douze par an. En Pologne les paysans travaillent cinq jours de la semaine pour leur seigneur , et le dimanche et le lundi pour eux. Le droit du seigneur, par rapport aux corvées, est un usage personnel , de sorte qu'il ne peur le céder a un autre. Pour ce qui esr des exemptions qui peuvent avoit lieu en faveur de certaines personnes , les ecclésiastiques et les nobles sont exempts des corvées pcrscnnelles dont le ministère est vil et abject, mais quand aux corvees réelies y personne n'en est exempt , paree que c est le fonds qui doit: ainsi les ecclésiastiques et les nobles y sont sujets comme les autres •, ils doivent rournir un homme a leur place, ou payer 1'esrimation de la corvée en argent. II 11e nous reste plus qu'a donner dans les subdivisions suivantes , une notion sommaire des diftérentes sortes de corvées. Corvée: d'animaux 3 est celle oü le sujet est tenu de fournir son bceuf, cheval ou ane, soit pour labourer les terres du seigneur , ou pour voiturer quelque chose pour lui. Le corvéable est quelquefois tenu de mener lui-mème ses bêtes , et de les faire travailler: cela dépend du titre. Corvées artlficielles 3 en latin artificiales s\u fabnles, sont celles qui consistent a faire quelqu'ceuvre servile pour k seigneur, comme de faucher ou faner ses foins,  Corvée. i6j ïabourer ses terres ou ses vignes , scier ses blecls et autres ouvrages semblables. Corvées d bras 3 sont celles oü le corvéable n'est tenu de fournir que ses bras, c'est-a-dire, le travail de ses mains , a la dirférence de celles oü le corvéable doit fournir quelque béte de somme 5 ou une charrette ou autre ustensile. Corvée de charroi , est celie qui consisre a fournir quelques voitures , et a charroyer quelque chose pour le seigneur. Corvées de convention, sont celles qui sont fondées sur une convention expresse ou tacite , faite entre le seigneur et le corvéable : elle est expresse , quand on rapporte le titre originaire ; tacite , lorsqu'il y a un grand nombre de reconnoissances conformes les unes aux autres j antétieures a la conformation des coutumes, et soutenues d'une possession constante et non interrompue , qui font présumer un titre constitutif consenti par les habitans, soit en acceptant les clauses d'un affranchisseinent, soit en acceptant des communes, ou pour quelqu'autre cause légitime. Corvées de corps sont celles oü le corvéable est obligé de travailler de son corps et de ses bras a quelqu'ceuvre servile, comme de faner , labcurer , scier _, vendanger , &c. Toutes corvées en général sont de leur nature des corvées de corps j il y en a néanmoins oü le corvéable n'est pas censé travailler de corps , telles que les corvées obséquiales, oü il est seulement obligé d'accompagner son seigneur , ou lorsqu'il est seulement tenu de lui fournir quelques bêtes de somme ou voitures pour faire des charrois. Corvées fabnles j du latin fabr'ucs .j sont ies mêmes que les corvées artificielles ou d'ceuvre servile. Corvées de fief'_, sont celles qui ont été réserré^s L 5  l6S Corvee, pour le seigneur , par le bail a eens ou autre concessiorj par lui faite aux habitans , a la diftérence des corvées de justice qui sont imposées en conséquence de la puissance pubhque que le seigneur a comme haut jusricier. Corvées d'hommes ou de femmes , sont celles qui sont dues par tête de chaque habitant, et non par feu et par ménage, ni a proportion des fonds. Corvées de justice j ou dues au seigneur d cause de la justice ; il y en a en Languedoc, en Bourbonnois. Ci-devant corvées. de fief. Corvées d merci ou d volonté sont celles que le seigneur peut exiger quand bon lui semble , et pendant tout le tems qu'il en a besoin , sans que le tems ni le nombre en soit limité. La jurisprudence des arrêts les réduit néanmoins a douze par an. Corvees mixtes , sont celles qui sont en partie réelies, et en partie personnelles •, il y en a peu qui soient véritablement mixtes: car elles sont naturellemenr ou réelies , c'est-a-dire , dues a cause des fonds ; ou personnelles , c'est-a-dire, dues par les habitans, comme habitant: cependant on distingue deux sortes de mixtes; savoir , les réelies mixtes , telle que les corvées d bras, dues par les détenteurs des fonds qui en peuvent être chargés; et les mixtes personnelles , qui sont dues par chaque habitant, comme habitant mais par charrois et par chevaux •, ce qui a toujours rapport au plus ou moins de fonds qu'il fait valoir. Corvées obséquiales , sont celles qui consistent en certains devoirs de dcference envers le seigneur, telles oue celles qui étoient dues au patron chez les llornains , et qui consistoient a adesse patrono 3 comaari patronum. ' Corvees efficieuses ou 'qj&cfltks 3 en latin officiales j  Corvée. i (,y sont- la même chose que les corvées obséquialcs ; elles sont opposées a celles qu'on appelle fabrdes. Corvees particulières , voyez ci-après Corvées publiques. Corvées personnelles. Toutes corvées sont dues par des personnes ; mais on entend sous ce nom celles qui sont dues principalement par la personne_, c'est-adire, par 1'habitant , comme habitant, et indépendamment des fonds, soit qu'il en possede ou qu'il n'en possede pas. Voyez ci-devant corvées mixtes , et ci-après corvées réelies. Corvées publiques , sont celles qui sont dues pout quelques travaux publics, comme pour construire ou réparer des ponts, chaussées , chemins , &c. a la différence des corvées qui sont dues au seigneur pour son utilité particulière. Plus bas Corvee y ponts et chaussées. Corvées réelies y sont celles que le sujet doit a cause de quelque fond qu'il possede en la seigneurie. Ci-dev. corvées mixtes et personnelles. Corvées seigneuriales y sont celles qui sont stipulées dans les terriërs ou reconnoissances , comme un droit du hef, ou comme un droit de justice, a la dirlerence de celles qui peuvent être imposées par convention sur des fonds. Corvées tadlablières , sont celles qui prqcèdent de la taille réelle , et que l'on re-garde elles-mêmes comme une taille. Ces sortes de corvées ont lieu dans les coutumes de Bourbonnois et de la Marche. En Bourbonnois celles qui procèdent de la taiile perspnneile , et sur le chef franc ou cerf, le corvéable doit quatre charrois par an -y ou s'il n'a point de charrctte et de bceufs, il doit quatre corvées a bras; au lieu que les corvées qui procèdent de la taille reelle et a cause des L 4  i68 Corvée. Kéritages , et que l'on appelle taillablïercs sont réglées a trois charrois par an •, ou a défaut de charrois , a trois corvées d bras. Corvées d terriër, sont les corvées seigneuriales qui sont établies par le bail a fief , et relatives dans le terriër. Corvées d volonté, voyez ci-devant corvées a merci. Corvées , ( ponts et chaussées ). La corvée est un ouvrage public , que Ton fait faire aux communautés, aux particuliers, desquels on demande dans les saisons mortes quelques journées de leut tems sans salaiie. Üne telle condition est dure sans doute pour chacun de ces particuliers; elle indique par conséquent toute 1'importance dont il est de les bien conduire, pour tirer des jours précieux , qu'on leur demande sans salaire le plus d'utilité que l'on peut , afin de ne point perdre a la fois et le tems du particulier, et le fruit que 1'état en doit retirer. On peut donc établir sur cette seule considéranon, que la perfectum de la conduite des corvées doit consister a faire le plus d'ouvrage possible , dans le tftoins de tems possible; d'oü ij s'en suit qu'il faut de toutes les voies choisir la plus prompte et la plus expéditive, comme celle qui doit être la meilleure. On n'a déja que trop éprouvé en plusieurs provmces , qu'une corvée languissante étoit un fardeau immense sur les particuliers, et une servitude dans 1 état, qui, sans produire le fruit que l'on avoit en vue , fatiguoit sans cesse les peuples , et gênoit pendant un grand nombre d'années la liberté civile des citoyens. II suffit pour en être plus convaincu , de joindre a un peu d'expérience, quelques sentimens de commisération pour les peuples. II ne s'agit donc que de chercher quelle est la méthode qui répond le mieux a ces principes .  Corvee. i fof premièrement pour la disrribtmon et la conduite des travaux , et ensuite pour la police avec laquelle on doit régir les rravailleurs. De la conduite et dïstribution des travaux. Toutes. les actions des hommes ont un mobile ; 1'argent et 1'intérêt sont ceux qui les conduisent aux travaux, mais ce sont des mobiles dont les corvées sont privées •, il a fallu y en substituer d'autres pour tenir lieu de ceuxla. Ceux qui ent été reconnus devoit êrre employés , sont les taches que l'on donne et qu'il faut indispensablement donner aux corvoyenrs; on a vu que c'éroit 1'unique moyen de les intéresser au progrès de 1'ouvrage , er de les engager a travailler d'eux-mêmes avec diligence, pour se décharger promptement du fardeau qui leur étoit imposé. Ces taches font ordinairement naitre une teile émulation , au milieu d'un attelier si ingrat pour celui qui y travaille, qu'il y a eu des corvées si bien cönduites , que leur progrès 1'emportoit même sur celui des travaux a prix d'argent. On peut distribuèr ces taches de différentes manières, et c'est le chöix que l'on en doit faire qu'on aura ici particulièrement en vue ; paree que l'on doit encore se servir de ce moyen avec quelque réserve; la distribution de tout un ouvrage public en plusieurs ouvrages particuliets, pouvarit quelquefois se faire de telle sorre, qu'au lieu d'y fröuvet lavanrage que l'on y cherche, Touvrage public languit et dégénéré , paree qu'il change trop de nature. Un esprit d'équité qu'on ne sanroit trop louer, joint a 1'habitude que l'on a de voir les tailles et les imposirions annuelles , réparties sur les communautés et réglées pour chaque particulier, est ce qui a fait sans doute regarder les travaux publiés comme une autn% sorte de tailles, que l'on pouvoit diviser de même ei  '%-jq ■ Corvee. amant de proportions qu'il y avoit d'hommes dans le* communautés , sur lesquelles le tout étoit imposé. Kien ne paroït en effet plus naturel, plus simple et en même tems plus juste que cette idéé ; cependant elle ne répond point du tout, dans 1'exécution, au principe de faire le plus d'ouvrage possible dans le moins de tems possible, et de plus elle entrame des inconvéniens de toute espèce. II suffiroit, pour s'en convaincre, de considérer 1'état de la route de Tours au Chateau-du-Loir ; cette route a été commencée il y a quinze a dix-huit ans, par conséquent long-tems avant 1'arrivée de {'intendant et de M. Bayeux dans cette généralité; elle a été divisée en plusieurs milliers de taches j qui ont été réparties sur tous les particuliers : néanmeins ce n'est encore aujourd'hui qu'avec mille peines qu'on en peut atteindre la fin. On a dü penser vraisemblablement , dans le commencement de cette route, que par une voie si simple et si équitable en apparence, chaque particulier pouvant aisément remplir en trois ou qnatre ans au plus la niche qui lui étoit donnée, la comrnunication de ces deux villes devoit être libre et ouverte dans ce même terme; puis donc que 1'exécution a si peu répondu au projet, il est bon d'examiner de prés ce genre de travail, pour voir s'il n'y a pas quelque vice caché dans la méthode qui le conduit. II semble, au premier coup d'ccil , que le défaut le plus considérable , et celui duquel tous les autres sont dérivés, est d'avoir totalement fait changer de nature a un ouvrage public , en le décomposant a 1'infini , pour n'en faire qu'une multitude sans nombre d'ouvrages particuliers; d'avoir par-la trop divisé 1'mtérét commun et rendu la conduite de ces travaux d'une difficulté éfcpnnante et même insupportahle..  Corvée. lyi . Un seul ouvrage, quoique considérable par le nom: bre des rravailleurs, comme sont ordinanement tous les travaux pubhes, ne demande pas beaucoup de personnes pour être bien conduit; une seule tére, le nombre des bras n'y fait rien; mars il raut qu'avec 1'unité d'esprit, il y ait aussi 1'unké d'action : ce qui ne se rencontre point dans tout ouvrage public, ' que l'on a déchiré en mille parties ditfé.entes, oü 1'intérêt particulier ne tient plus a 1'intérêt général, et oü il faut par conséquent un bien plus grand nombre de têtes pout pouvoir les conduire rous ensemble, avec quelque succes, et pour les réunk , malgré Je vice de la méthode qui les désunit. Puisque la distribution de la taille avoit conduit a ]a distribution de toute une route en tache particuliere, on auroit dü sentir que , comme il falloit plusieurs collecteurs par communauté pour lever une imposirion d; nt, il auroit fallu au moins un conducteur sur chacune pour tenir les redes, les états de certe corvee (ar fee et pour ttacer et conduite toutes les portious, d'ouvrage assignées a chaque particulier. On aura pu faire sans doute cette réflexion simple, mais 1'éccnomk? sur le nombre des employés ne permettapt pas, dans un état oü il se fait une grande quantité de ces sortes jl'pUvfages, de multiplier autant qu'jl seroit nécessaire, sur-rout dans cette methode, les ingénieurs , les inspecteurs, les conducteurs j &c. il est arrivé que J on n'a jamais pu embrasser et suivre tous ces ouvrages particuliers , pour les conduire chacun a leur perfection. Quand on supposeroir que tous les particuliers ont été de concert dés le commencement, pour se rendre sur toute 1'étendue de la route, chacun sur sa partie, un inspecteur et quelques conducteurs onwis si;flï le  tjl Ccrvée. premier lundi pour marquer a un chacun son lieu : pour lui tracer sa portion, pour veiller pendant la semaine a ce qu'elle fut hien faite, et enfin pour recevoir toutes ces portions, les unes après les autres le samedi, et en donner a chacun le recu et la décharge ? Qui ne voit qu'il y a de 1'impossibilité a conduire ainsi chaque particulier, lorsque l'on a entrepris de la sorte une route, divisée dans toute son étendue ? Ces inconvéniens, inévitables dès la première semaine, ont dü nécessairement entrainer le désordre de la seconde ; de saisons en saisons et d'années en années, il n'a plus fait que croitre et augmenter, jusqu'au point oü il est aujourd'hui. De 1'impossibilité de les conduire, on est tombé ensuite dans 1'impossibilité de les contraindre; le nombre des réfractaires ayant bientöt excédé tous moyens de les punir. J'ai tous les jours , dit 1'auteur de eet article, des pteuves de cette situation étrange pour un ouvrage public , oü depuis environ dix mois de travail je n'ai jamais trouvé plus de ttois corvoyeurs ensemble, plus de dix ou douze sur toute 1'étendue de la route, et oü le plus souvent je n'ai trouvé personne. Je n'ai pas été long-tems sans m'appercevoir que le principe d'une telle désertion ne pouvoit êrte que dans la division contre nature d'une action publique en une infinité d'actions particulières, qui n'étoient unies ni par le lieu, ni par 1'intérêt commun ; chaque particulier, sur cette route ne pense qu'a lui, il choisit a sa volonté le jour de son travail, il croit qu'il en est comme de la taille que chacun paye séparément et le plus tard qu'il peut, il ne s'embarasse de celle des autres, que pour ne pas commencer le premier; et comme chacun fait le même raisonnement, personne ne commence. Je peux dire que je n'ai point encore été sur cette  Corvée. route avec un but ou un objet déterminé, soit d'y troiver telles communautés , soit de me rendre sur rel ou tel attellier, pour y tracer 1'ouvrage. Dans le printems dernier, par exemple, oü je n'ai point laissé passer de semaine sans y aller, je ne me suis jamais mis en marche qu'a l'aventure, et paree qu'il étoit du devoir de mon état d'y aller; situation oü je ne me suis jamais trouvé dans mes autres rravaux, pour lesqueis je ne montois jamais a cheval, sans en avoir auparavant un sujet médité, et sans avoir un objet fixe et un but réfléchi qui m'y appelloit. Ce n'est point faute d'ordonnances néanmoins, et faute de régiemens de la part de 1'autorité publique, si ces travaux se trouvent dans une telle situation; ils n'ont même été peut-être que trop multipliés; les bureaux qui en sont oecupés, et qui entrent dans les plus petits détails de cette partie, en sont surchargés et même rebutés depuis long-tems : mais malgré la sagesse de ces régiemens et quelque soit leur nombre, ce n est pas la quantité des loix et les écrirures qui conviennent pour le progrès des travaux, mais plutöt des loix vivantes a la tête des travailleurs; et pour cela il me paroit qu'il faut donc les réunir, afin qu'ils soient tous a portée de voir la main qui les conduit, et afin qu'ils sentent plus vivement 1'impression de 1'ame qui les fait mouvoir. L'inrention des ordonnances est, dans le fond, que tous les particuliers ayent a se rendre, au recu desdits ordres, ou au jour indiqué, sur les attelliers, pour y remplir chacun leur objet; mais c'est en cela même que consiste ce vice qui corrompt toute 1'harmonie des travaux, puisque, s'ils n'y vont pas, on ne pourra les punir d'une facon convenable. La voie de la prison , qui seroit la meilleure, ne peut,  tj4 Corvee. être admise, par ce qu'il y a trop de réfractalres, ét que, chaque particulier ne répondant que pour S2 tr„ehe, il faudroit autant de cavaliers de maréchaussee, qu'il y a de réfractaires. La voie des garnisons est toujours insuffisante , quoiqu'elle ait été employee uni infinité de fois •, elle se termine par douze ou quinze francs de frais; que l'on réparrit avec la plus grande précision sur toute la communauté rébelle, ensorte que chaque particulier en est ordinairemenr quitte pour trois, six , neuf, douze ou quinze sols; or, quel est celui qui n'aime pas mieux payer une amende si modique pour six semaines ou deux mois de désobéissance, que de donner cinq a six jours de son tems , pour nnir entièrement sa tache' Aussi sont-ils devenus 'générdement insensibles a cette punition, si c'en est une, et aux ordonnances réglées des saisons. On n'a jamais plus d'ouvriers sur les travaux après les garnisons, jamais plus de monde sur les routes dans la huitaine ou quinzaine, après 1'indication du jour de la corvée qu'auparavant; on ne reconnoit la saison dit travail, que par deux ou trois corvoyeurs qu'on rencontre par fois, et par les plaintes qui se renouvellent dans les campagnes, sur les embarras qu'entrainent les corvées et les chefnins. II n'est pas mème jusqu'a la facon dont travaillerit le peu de corvoyeurs qui se rendent chacun sur leur partie, qui ne découvre les défauts de cette méthode; 1'un fait son trou d'un cóté, un autre va faire sa petite butte ailleurs , ce qui rend tout Ie corps de 1'ouvrage d'une difficulté monstrueuse; c'est sur-tout un coup d'ccil des plus singuliers, de voir au long de la roure , auprès de tous les ponceaux et aqneducs qüi ont demandé des remblais, cette mulritude de petites ' eases séparées du isolées les unes des autres, que chsqus  Corvée. xyy torvoyeur a été faire depuis le tems que l'on travaille sur cette route, dans les champs et dans les prairies, pour en rirer la toise ou la demi-toise de remblai dont il étoit tenu par le róle général. Une méthode aussi -singuliere de travailler ne frappe-t-elle pas tout inspecteur un peu versé dans la connoissance des travaux publics , pour lesquels on doit réunir tous les 'bras , er non les diviser ? On ne désunit pas de même les moyens de la défense d'un état; on n'assigne point a chaque particulier un coin de la fronrière a garder oii un enneraj a terrasser: mais on assemble en un corrs ceux qui sont destinés a ce service, leur union les rend plus forrs; on exerce sur un grand corps une discipline que l'on ne peur exercer sur des particuliers dispersés; une seule ame fait remuer cent mille bras. II en doit être ainsi des ouvrages publics qui inréressent tout 1'état, ou au moins une province. Un seul homme peut présider un seul ouvrage oü il y aura cinq eens ouvriers réunis , mais il ne pourra suflire pour cinq eens ouvrages épars, oü sur chacun il n'y aura qu'un seul homme. II ne convient donc pas de diviser eet ouvrage; et la méthode de partager une route entière entre des particuliers , comme une taille, ne peut convenir , tout au plus , qu'a 1'entrerien des routes , quand elles sont faites, mais jamais quand on les construir. Enfin , pour juger de toutes les longueurs qü entratnent les corvées tarifées , il n'y a qu a regarder la plupart des ponceaux de cette route: ils ont été construits, a ce qu'on dit, il y a plus de douze ou treize ans : néanmoins malgré roures les ordonnances données en chaque saison , malgré les ailées, les venues des ingénieurs et inspecteurs des garnisons, les rerablais qui ont été répartis toise a toise, ne sont point encore  jjö Corvee, faits sur plusieurs> les culées en sont isolées presqu efi entier , le public n'a pu jusqu'a présent passer dessus d'une facon commode, et il pourra arriver , si cette ïoute est encore quelques saisons a finir, qu'il y aura plusieurs de ces ouvrages auxquels il faudra des réparations, sur des parties qui n'auront cependant jamais servi; chose d'autant plus surprenante, que ces remblais, 1'un portant 1'autre, ne demandoienr pas chacun plus de dix a douze jours de corvées avee une trentaine de voitures au plus, et un nombre proportionné de pionuiers. _ Peut-on s'empêcher de représenter ici en passant I'embarrassante situation d'un inspecteur que l'on croit vulgairement être 1'agent et le mobile de semblables ouvrages : n'est-ce point un poste dangereux pour lui qu'une besogne dont la conduite ne peut que le déshonorer aux yeux de ses supérieurs et du public, qui, prevenus en faveur d'une méthode qu'ils croient la meilleure er la plus juste, n'en doivent icjetter le mauvais succes que sur la négligence ou sur i'incapacke de ceux a qui 1'inspection en est confiée. Non-seulement les corvées tarlfées sont d'une difficulté insurmontable , dans 1'exécution , mais elles sont encore injustes dans le fond. i°. Soient supposés dix particuliers avant égalité de biens , et par conséquent égalité de taille, et conséquemment égalité de tache ; ont-ils aussi tous les dix égalité de force dans les bras ? C'est sans doute ce qui ne se rencontrera guère : ainsi quoique sur les travaux publics ces manouviiers ne puissenr être tenus de travailler suivant leur force il doit aniver et il arrivé tons les jours, qu'en réglant 'les taches suivant 1'esprit de la taille, on commet une injustice, qui fait faire a 1'un plus du doublé ou du triple, au moins plus de la moitié ou du tiers qu'a un autre.  Corvees. 177 autre. i°. Si l'on admet pour un moment que les forces de tous ces particuliers soient au même dégré, ou que la différence en soit légere, le terrein qui leur est distribué par égale porrion esr-il lui-même d'une nature assez uniforme, pour ne présentet sous volume égal, qu'une égale résistance a tous ? Cette homogénéité de la terre ne se rencontrant nulle part 3 il riait donc de-la encore cette injustice dans les répartitions que l'on vouloit éviter avec tant de soins. II est a présumer qu'on a bien pu dans le commencement de cette route avoir quelques égards a la différente nature des contrées; mais ce qu'il y a de certain , c'est qu'il ne reste plus nul vestige qu'on ait eu primitivement cette attention : bien plus _, quand on 1'auroir cue , comme c'est une chose que l'on ne peut estimer toise a toise, mais par grandes parties 3 il ne doit toujours s'ensuivre que la disproportion entre toutes les taches; injustice oü l'on ne tombe encore que paree que l'on a choisi une méthode qui paroissoit être juste. Enfin j si l'on joint a tant de défauts essentiels , 1'impossibilité qu'il y a encore d'employer une telle méthode dans des pays montueux et hors des plaines, c'est un autre sujet de la désaprouver, et d'en prendre un autre dont 1'application puisse être générale par sa simplicité. II est facile de comprendre que les taches d'hommes a hommes ne peuvent être appliquées aux descentes et aux rampes des grandes vallées, oü il y a en même tems des remblais considérables a élever, et des déblais profonds a faire dans des terreins inconnus, et au travers de bancs de toute nature qui se découvrent a mesure que l'on approfondit. Ce sontla des ttavaux qui, encore moins que tous les autres, ne doivent jamais être divisés en une multitude d'ouvrages particuliers On présentera pour exemple la route Terne F. M  178 Corvées. de Vendome , qu'il esc question d'entreprendre dans quelque tems. II y a sur cette route deux parties beaucoup plus difficiles que les autres a, traiter par quantité de déblais, de remblais, de roches et de bancs de pierre qu'il faudra démolir suivant des pentes réglées, et nécessairement avec les forces réunies de plusieurs communautés ; 1'un de ces endroits est cette grande vallée auprès de Villedóme, qu'il faut descendre et remonter, 1'autre est la mohtagne de Chateau-Renault. Ces deux parties , par oü il conviendra de commencer, paree qu'elles seront les plus difficiles, demanderont la plus grande assiduité de la part des inspecteurs, er le concours d'un grand nombre'de travailleurs et de voitures, afm que ces grands morceaux d'ouvrages puissent être terminés dans deux ou trois saisons au plus, sans quoi il est presqu'évident qu'ils ne le seront point en trente années, si on divise la masse des déblais et deS remblais en autant de portions qu'il y aura de particuliers : puis donc que la corvée, sur le ton de taille est défecrueuse en elle-même par-tout, et ne convient point particulièrement aux endroits les plus considérables des ouvrages publics, il convient présentement de chercher une règle générale qui soit constante et uniforme, pour tous les lieux et pour toutes les natures d'ouvrages. On ne proposera ici que ce qui a paru répondre au principe de faire le plus d'ouvrage possible dans le moins de tems possible , et l'on n'avancera rien qui n'ait été exécuté sur de très-grands travaux avec le plus grand succèsj et a la satisfaction des supérieurs; cependant comme il peut arriver que la situation et 1'économie des provinces soient différentes , et que le génie et le caractère des unes ne répondent pas toujours au génie et au caracttre des autres, l'on soumet d'avance tout ce que l'on exposera aux lumières et aux connoissances des supérieurs.  Corvees. 179 L'acte de la corvee n'étant pas un acte libre, c'est 1 dans notre gouvernement une des choses dont il pa| rok par conséquent que la conduite et les règlemens doivent être simples et la police militaire. Un acte de | cette nature ne supporte point non plus une justice I minutieuse, comme tous les autres actes qui ont diI rectement pour objet la liberté civile et la süreté des citóyens. La conduite en doit être d'autant plus simple , 1 que l'on ne peut proposer pour y veiller qu'un très| petit nombre de personnes, et la police en doit être I d'autant plus concise, qu'il faut que ces ouvrages soient | exécutés dans le moins de tems possible , pour n'en point tenir le fardeau sur les peuples pendant un grand j nombre d'années. La véritable occupation d'un inspecteur chargé d'un t travail public , est de résider sur son ouvrage , d'y être 1 plus souvent le piquet d'une main pour tracer , et ;| 1'autre main libre pour poster les travailleurs et les conduire, sans qu'ils se nuisent les uns aux auttes, que i d'avoir une plume entre les doigts pour tenir bureau au ij milieu d'un ouvrage qui ne demande que des yeux et f de 1'action. Suivant ces principes il ne me paroit pas convenabie 1 d'enrreprendre en entier et a-la-fois la construction de toute t une route ; les travailleurs y seroient trop dispersés , I chaque partie ne pourroit être qu'imparfaitement faite: 1'inspecteur , obligé de les aller chercher les uns après 1 les autres, passeroit tout son tems en transport de sa J personne et en courses, ce qui multiplieroit extrêmeI ment les instans perdus pour lui et pour les travailjj leurs qui ne font rien en son absence, ou qui ne font i rien de bien. II devient donc indispensable de n'entre• prendre roure une route que parties a parties, en comi.j mencant toujours par celles qui sont les plus difficiles M *  i%o Corvées. et les plus urgentes , et en réunissant a cette fin les forces de toutes les communautés chargées de la construction. On ne doit former qu'un ou deux atteliers au plus , sur chacun desquels un inspecteur doit faire sa résidence. Les communautés y seront appellées par detachement de chacune d'elles , qui se relèveront toute de semaines en semaines ; ces détachemens travailleront en corps , mais a chacun d'eux il sera assigné une tache particulière , qui sera déterminée suivant la quantité des jours qu'on leur demandera , sur la force du détachement, dont les hommes robustes compenseront les foibles , et enfin sur la nature du terrein. On évitera avec grand soin tout ce qui peut multiplier les détails et attirer les longueurs •, les ordonnances adressées aux communautés, une seule fois chaque saison , indiqueront tout sirnplement le jour, le lieu , la force du détachement, et la nature des outils et des voitures. Sur ces ordres, les détachemens s'étant rendu au commencement d'une semaine sur 1'attelier indiqué , on distribuera d'abord a chaque détachement une longueur de fossés proportionnée a ses forces, et on les postera de suite les uns au bout des autres. On suivra cette manoeuvre jusqu'a ce que les fossés soient faits, sur toute la partie que l'on aura cru pouvoir entreprendre dans une saison ou dans une campagne. On. fouillera ensuite 1'e.ncaissement de même , et lorsqu'il sera ouvert et dreSsé sur ladite longueur, on en usera de la même sorte pour 1'empierrement, en donnant chaque semaine pour tache a chaque détachement une longueur suffisante d'encaissemenr a remplir, qui sera proportionné a la facilité ou a la difficulté du tirage et de la voiture de la pierre. Cet empierrement se fera  Corvées. 11 i a 1'ordinaire, couche a couche. Les taches hebdoma;daires seront marquées les unes au bout des autres. iLe cailloutis ou jard sera amené et répandu ensuite, :et les bermes seront ajustées et réglées aussi suivant la i même méthode. Si 1'ouvrage public consiste en déblais et en remblais dans une grande et profonde vallée , on place les détaehemens sur les cotés qu'il faut trancher ; on les dispose sur une ou plusieurs lignes ; on fait mar;cher les tombereaux par colonnes , ou de telle autre facon que la disposition du lieu le permet; et comme ; dans ce genre de travail il ne se voiture de terre qu'aul tant que l'on en fouille par jour, et qu'il seroit dirificile d'apprécier ce que les pionniers peuvent fouiller [pour une quantité quelconque de voitures, eu égard ;a la distance du transport ; c'est par la quantité de 'voyages que chaque voiturier peut faire chaque jour, :que l'on régie le travail du journalier. Un piqueur [ placé sur le lieu de la décharge, donne a cette fin une contre-marque a chaque voiturier pour chaque voyage; et comme chacun d'eux cherche a finir promptement la quantité qui lui est presente pour le jour et pour la semaine, chaque voiturier devient un piqueur qui pressele manouvrier,et chaque manouvrier en est un aussi vis-a-vis de tous les voituriers. C'est a 1'intelligence de 1'inspecteur a propordonner au juste chaque jour ( paree que 1'emplacement varie chaque jour ou au moins chaque semaine ) la quantité de pionniers au nombre des voitures , et le nombre des voitures a la quantité de pionniers, de facon qu'il n'y ait point trop de voitures pour les uns, et trop peu de manouvriers pour les autres , sans quoi il arriveroit qu'il y auroir, ou une certaine quantité de voitures , ou une certaine quantité de manouvriers qui M ;  181 Corvées. perdroient leur tems , ce qu'il est de conséquence de prévoir et d'éviter dans les corvées.' C'est dans de tels ouvrages que les talens d'un inspecteur se font connoitre s'il en a, ou qu'il est a portee d'en acquérir et de se perfectionner dans 1'art de conduire de grands atteliers. Enfin , de semblables travaux , par le nombre de travailleurs, par la belle discipline que l'on y peut mettre, par le progtès surprenant qu'ils font chaque semaine et chaque saison, mentent le nom d'ouvrages publics. J'ai toujours évité, dit 1'auteur de eet arricle, dans les travaux oü je me suis trouvé, composés de quatre a cinq eens travailleurs, et d'un nombre proportionné de voitures, de faire mention dans les ordonnances dont ia dispention m'étoit confiée , de toutes les différentës parties dont 1'ouvrage d'une grande route est composé , ainsi qu'on le pratique depuis long-tems sur la route de Tours au Chateau-du-Loir : on y donne siccesfivement des ordonnances pour les fossés, pour les débiais, pour les remblais , pour le titage de la pierre, pour sa voiture , et enfin , pour le tirage et 1'cmploi du jard. Ou je me trompe , ou quand on multiplie ainsi aux yeux des peuples que l'on fait travailler sans salaire , tous les dirférens objets de la corvée, on doir encore par-la la leur rendre plus a charge et plus insuportable. Er comment ne leur seroitclie pas a charge, puisque pour ceux mêmes qui les conduiseat, ces détails ne peuvent être que pénibles et laborieux ? Ces otdormnances mènent nécessairement a un détail infini; elles deviennent une pépiniète immense d'états, de roles et de bien d'auttes ordonnances qui en résultent. Autant d'ordonr.ances, autant ensuite de diverses branchés de réfraetaires qui püllulleiit de jour en jour. Une ordonnuneé pour cent toises de  Corvées. i S j pierre n'en produit que quatre-vingt, une ordonnance pour deux cent toises.de fossés, n'en produit que cent soixante ; autant il en arrivé pour les déblais et pour les remblais : on est ensuite obligé de recourir a des supplémens et a de nouvelles impositions qu'il faut encore faire et répartir sur le général: et tout ceci est inévitable , non-seulement paree qu'il y a autant de petites fraudes qu'il y a de particuliers et de différens objets dans leurs taches, mais encore paree que cette méthode ne pouvant manquer dentrainer des longueurs, et demandant un nombre d'années considérable pour une entière exécution, il y a sans cesse des absens dans les communautés , il y arrivé un grand nombre de morts, er il se fait de nouveaux privilégiés et des insolvabïes. De 1'expérience de tant d'inconvéniens , il en resulte , ce me semble , que les ordonnances pour les corvées doivent se borner a demander des jours, et que 1'emploi de ces jours doit êrre laissé a la direction des inspecteurs qui conduisent les ouvrages pour qu'ils les appliquent suivant le tems et le lieu qui vanent suivant le progrès des travaux. Si les détachemens sont au nombre de cinquante , il ne faut le premier jour de la semaine qu'une demi-matinée au plus , pour leur donner a chacun une tache convenable. Les appels se font par brigade le soir et le ffiatin ; on commence a cinq heures le matin , on finit a sept heures le soir; 1'heure des repas et du repos est réglée comme sur les ouvrages a prix d argent. Dans rout ce qui peut intervenir chaque jour et a chaque instant, 1'inspecteur ne doit viser qu'au grand dans le détail, et éviter toutes les languissantes minuties. Sa principale attention est, comme j'ai dit, de mettre et de maintenir l'harmonie dans tous les mouvemens de ces bras réunis.. . M 4  184 Corvées. Les différens conducteurs dont il se sert peuvent euxmêmes y devenir très-intelligens; ces ouvrages seuls sont capables d'en former dexcellens pour la conduite dés travaux de moindre importance. II n'en est pas de même des corvées tarïfées 3 les conducteurs qu'on y trouve n'ont pas même 1'idée d'un ouvrage public ; ils ne font que marchet du matin au soir , ils courent quatre lieues pour enregistrer une demi-toise de pierre qui sera peutétre volée le lendemain , comme il arrivé souvent, et ils font ensuite deux ou trois autres lieues , pour trois ou quatre toises de fossés ou quelques quarts de rembiais •, ils sont devenus excellens piétons et grands marcheurs, mais ils seroient incapables, quoiqu'ils soient employés depuis bien du tems, de conduire un attelier de vingt hommes réunis, et de leur tracer de 1'ouvrage. La simplicité de 1'autre méthode n'a pas besoin d'ètre plus développée , quant a présent, pour être concue ; passons a la manière d'administrer la police sur les courvoyeurs de ces grands atteliers, pour les contraindre quand ils refusent de venir sur les travaux, pour les maintenir dans le bon ordre quand ils y som, et pour punir les querelleurs, les déserteurs, &c. C'est une question qui a souvent été discutée , si cetre police devoit être exercée par les inspecteurs, ou si 1'autorité publique devoit toujours s'en réserve* le soin. Pour définir et limitet Tétendue de leur ressort, il paroit que c'est la nature même de la chose sur laquelle réside la portion d'autorité qui leur est confiée, qui en doit déterminer et régler 1'étendne •, ainsi on 'n'a qu'a appliquer ce principe a la police particulière que les corvées demandent, pour savoir jusqu'a quel point 1'aütonté publique doit en prendre elle-même le détail, et oü elle peut ensuite s'en rapporter aux inspecteurs qu'elle n'a choisi qu'a cette fin.  Corvées. iSj Les travailleurs dont on se sert dans les travaux publics , sont ou volontaires ou forcés; s'ils sont volontaires , comme dans les travaux a prix d'argent , le soin de leur conduite semble devoir appartenir a ceux qui president directement sur 1'ouvrage ces travailleurs sont venus de gré se ranger sous leut police et sous leurs ordres , et ceux qui les commandent, connoissent seuls parfaitement la nature et la conséquence des dé» sordres qui peuvent y arriver. S'ils sont forcés, comme dans les corvées, alors il est ttès-sensible que 1'autorité publique, qui veille sur le peuple , oü les rravaiileurs forcés sont pris , doit entrer nécessairement pour cette partie qui intéresse tout Tétat, dans le détail du service des corvées. C'est paree que ces travailleurs sont peuples , qu'il ne doit y avoir que les intendances et les subdélégations qui puissent décider du choix des paroisses , en régler la quantité , étendre ou modérer la durée de l'ouvrage, et en donner le premier signal 5 il n'y a que dans ces bureaux oü l'on soit parfaitement instruit de la bonté ou de la misère du tems , des facultés des communautés , et des vues générales de l'état. Mais lorsque ces peuples sont ensuite devenus travailleurs par le choix de la puissance publique, ils deviennent, en même tems et par cette même raison , soumis a 1'autorité particuliere qui préside sur le travail ; il conviendra donc que pendant tout le tems qui aura été désigné , il soit directement alors sous la police des ingénieurs et des inspecteurs j sur qui roule paniculièrement le détail de l'ouvrage , qui doivent faire 1'emploi convenable suivant le tems et suivant le lieu , de tous les bras qu'on ne leur donne que paree que leur talent et leur état est d'en reeier 1'usage et tous les mouvemens Par la nature de la chose même, il paroitroit ainsi  i Só Corvée. décidé que les corvoyeurs, comme peuple, seront appelés et rappelés des rravaux par le canal direcr de 1'autorité supérieure , et qu'en qualité de travailleurs ils seront ensuite sous la police des ingénieurs et inspecteurs : que ce doivent être ces demiers qui donneront a chacun sa part, sa tache et sa portion de la facon que la disposition et la nature de l'ouvrage indiqueront êtte nécessaire, pour le bien commun de l'ouvrage et de 1'ouvrier •, que ce seront eux qui feront venir les absens, qui puniront les réfracraires } les paresseux , les querelleurs , &c. et qui exerceront une police réglée et journalière sur tous ceux qui leur auront été confiés comme travailleurs. Eux seuls, en effet, peuvent con noitre la nature et la conséquence des délits; eux seuls résident sur l'ouvrage oü les travailleurs sont rassemblés ; eux seuls peuvent donc rendre a tous la justice convenable et nécessaire. Bien entendu néanmoins que ces inspecteurs seront indispensablement tenus vis a-vis de 1'autorité publique , ( qui ne peut perdre de vue les travailleurs paree qu'ils sont peuple ) a lui rendre un compte fidéle et fréquent de tout ce qui se passé parmi les travailleurs , ainsi que du progrès de l'ouvrage. Ce qui m'a presque toujours porté a regarder ces maximes comme les meilleures , ce n'est pas uniquement paree qu'elles sont tirées de la nature des choses, c'est aussi paree que j'en ai toujours vu 1'applicaticn heureuse, et que je n'ai reeonnu que des inconvéniens fort a charge aux peuples , et très-contraires aux ouvrages j quand on s'est écarté de ce genre de police. Comment en effet les bureaux d'une intendance, ou un subdélégué dans son cabinet, peuvent-ils pourvoir au bon ordre des travaux dont ils sont toujours éloignés ? Les délits qui s'y commettent sont des délits de chaque jour, qu'il faut punir chaque jour; ce sont des  Corvée. 187 délits de chaque instant qu'il faut réprimer a chaque instant 1'impunité d'une seule journée fait en peu de tems d'un ouvrage public une solitude , ainsi qu'il est arrivé sur la route de Tours au Chateau-du-Loir , a cause de la police composée et nécessairement languissante qui y a toujours été exercée : on y punit a la vérité , mais c'est par crise et par accès; il n'y a point une police joumalière ; et elle ne peut y être , paree qu'il faut recourir, suivant la position des élections, a des autorités dispersées. Les subdélégués ou autres personnes sur qui 1'autorité supérieure se décharge de ce soin , trouvent souvent dans bonté de leur cceur, des raisons et des moyens d'éluder ou de suspendre les actes d'une police qui ne doit jamais être interrompue. On pense même qu'une policë est rigoureuse, lorsqu'elle n'est cependant qu'exacte; elle ne devient véritablement rigoureuse , que par faute d'exactitude dans son exercice journalier. Quand on a une fois imprimé 1'esprit de subordination et de discipline, lorsqu'on a réglé dés le commencement la régie des travaux publics, comme sont les convois militaires er les pionniers dans les armées , les grands exemples de sévérité n'ont presque plus lieu, paree qu'il ne se trouve que peu ou point de réfractaires. J'ai bien plus souvent fait mettre sur mes travaux des corvoyeurs en prison paree qu'ils étoient venus tard, ou qu'ils s'étoient retirés le soir avant 1'heure, que paree qu'ils n'étoient point venus du tout. C est un des plus grands avantages de la méthode que je propose et qui lui est unique , d'ètre ainsi peu sujette aux réfractaires, paree que le brigadier de chaque détachement apportant au commencement de la semaine le róle de sa brigade arrêté par le syndic, il ne peut s'absenter un seul homme qui ne soit en arrivant dénoncé par tous les autres ; ce qui ne peut jamais arriver dans  i8S Corvée. la corvée divisée 3 paree que chacun travail! ant séparément 1'un de 1'autre j et ayant des taches distinctes, 1'intérêt commun en esr óté , et qu'il importe peu a chaque cotvoyeur en particulier que les autres travaillent ou ne travaillent pas: On peut juger par cela seul combien il est essentiel de ne jamais déchirer les rravaux publics. II n'est pas étonnant au reste , que des bureaux aient rarement réussi quand ils ont été chargés du détail de cette police ; le service des travaux publics demande une expérience particuliere , que les personnes qui coraposent ces bureaux n'ont point été a portée d'acquérir, paree qu'elles n'ont jamais vu de prés le détail et la nature de ces ouvrages. II faut pour les conduire un art qui leur est propre, auquel il est difficile que 1'esprit et le génie même puissent suppléer, puisqu'il ne s'acquiert que sur le lieu, par la pratique et par 1'expérience. J'ai eu par devers moi plusieurs exemples des singuliers écarts oü l'on a donné dans ces bureaux, quand on y a voulu j la plume a la main et le cceur plein de sentimens équitables 3 régler les punitions et les frais de garnison que l'on avoit envoyé dans les paroisses. On y demande , par exemple , qu'en répartissant sur tous les réfractaires ces frais qui moment ordinairement a douze , quinze , ou dix-huit francs , on ait égard aux divers espaces de tems que les particuliers auront été sans travailler, au plus ou moins d'exactitude avec laquelle ils y seront revenus, en conséquence des ordres dont le chevalier aura été le porteur, enfin, sur la quantité de la tache qu'ils redoivent chacun, et sur la nature qui consiste ou en déblais , ou en remblais, ou en fossés , ou en tirage , ou en voitures des pierres, et qui quelquefois est composée de plusieurs de ces  Corvee. 189 objets ensemble. Ces calculs se font avec la plus grande précision , et l'on m'a renvoyé un jour une de ces répartitions a calculer de nouveau , paree qu'il y avoit erreur de quelques sous sur un ou deux particuliers. Une telle précision est sans doute fort belle: mais qui ne peut juger cependant que de tels ptoblêmes sont beaucoup plus composés qu'ils ne sont importans; et que quoiqu'ils soient proposés par esprit de détail et d'équité 3 on s'attache trop néanmoins a cette justice minutieuse dont j'ai parlé , que ne supportent point les grands travaux , a des scrupules qui choquent la nature même de la corvée , et a des objets si multipliés , qu'ils font perdre de vue le grand et véritable objet de la police générale , qui est 1'accélération des travaux dont la décharge du peuple dépend ? Leur bien en ce qui regarde les corvées qu'on leur fait faire, consiste , autant que mes lumières peuvent s'étendre , a. faire ensorte que le roi soit toujours respecté, que 1'autorité publique représentée par 1'intendant et dans ses ordres, ne soit jamais compromise •, que ses plus petites ordonnances aient toujours une exécution ponctuelle, et que le corvoyeur obéisse enfin sans délai 3 et se rende sur 1'attelier a 1'heure et au jour indiqués. De telles attentions, dans des bureaux, sont les seuls soins et les seules vues que l'on doit y avoir , paree qu'ils visent directement a la décharge des peuples par la prompte exécution des travaux qu'on leur impose. Comme on n'a point encore vue en cette généralité une telle police en vigueur , on pourra peut-être penser d'avance qu'un service aussi exact et aussi militaire doit extrêmement troubler la tranquilité des paroisses et la liberté des particuliers, et qu'il est indispensable dans la conduite des corvées _> de n'user au contraire que d'une police qui puisse se prêter au tems,  l9o Corvee. en fermant plus ou moins les yeux sur les abus qui s'y passent. Le peuple est si misérable , dit-on : je conviens a la vérité de sa misère ; mais je ne conviens point que pour cette raison la police puisse jamais fléchir , et qu'elle doive être dans des tems plus ou moins exacte que dans d'autres , elle ne peut être sujette a aucune souplesse , sans détruire pour jamais. Ainsi ce ne doit point être quant a 1'exactitude et a la précision du service , qu'il faut modérer la corvée ; c'est seulement quant a sa dutée. Dans les tems ordinaires le travail peut durer deux mois dans le printems, et autant dans 1'automne : si le tems est devenu plus dur, on peut alors ne faire que six semaines ou qu'un mois de corvée en chaque saison , et ne travailler même que quinze jours s'il le faut; mais pour la discipline elle doit être la même , aussi suivie pour quinze jours que pour quatre mois de travail, paree que l'on doit tirer proportionnellement autant de fruit de la corvée la plus courte que de la corvée la plus longue. Enfin, il vaut mieux passer une campagne ou deux sans travailler, si les calamités le demandent, que de faire dégénérer le service.  D É L U G E. Le déluge est un débordement ou une inondation très-considérable, qui couvre la terfe en tout ou en partie. L'histoire sacrée et profane parle de plusieurs déluges. Celui qui arriva en Grèce du tems de Deucalion, appellé d'duvium deucalioneum , est fort renommé. « Ce déluge inonda la Thessalie. Deucalion, qui en échappa, batit un temple a Jupiter Phryxius, c'esta-dire , a Jupiter, par le secours duquel il s'étoit sauvé du déluge. Ce monument duroit au tems de Pisistrate, qui en le réparant et le consacrant a Jupiter Olympien , en fit un des beaux édifices de la Grèce. II subsistoit encore sous ce titre au tems d'Adrien , qui fit beaucoup travailler. Deucalion établit aussi des fêres en 1'honneur de ceux qui avoient péri dans 1'inondation; elles se céléhroient encore au tems de Sylla , au premier du mois anthistérion , et se nommoienr udophria. » Voila les monumens qui établissent la certitude de eet événement : du reste on en a fixé Tépoque a 1'an 1529 avant J. C. trois avant la sortie des Israëlites de 1'Egypte. Cest le sentiment du P. Pétau. Rat. temp. part. 1, liv. I. chap.vïj. Le déluge d'Ogygès est arrivé, selon plusieurs savans, environ 300 ans avant celui de Deucalion , 1020 avant la première olympiade, et 1796 avant J. C. C'est en particulier le sentiment du même auteur. Rat. temp. part. 13 liv.I, ch. iv, part. II, liv. II, ch. v. « Mais il faut convenir avec les Grecs eux-mêmes, que rien n'est plus incertain que 1'époque de ce déluge. Elle étoit si peu fixée et si peu connue,  ï9i Déluge. qu'ils appelloient ogygz'en tout ce qui étoit obscur et incertain. Ce déluge dévasta 1'Attique , quelques auteurs y ajoutent la Béotie , contrée basse et marécageuse , qui fut prés de deux cent ans a redevenir habitable, s'il en faut croire les traditions ». On rencontre souvent dans les anciens auteurs Grecs ces deux déluges , désignés par les noms de cataclysmus prior, et cataclysmusposterior. u Les historiens parient encore des déluges de Prométhée , de Xisuthrus , d'un autre très-fameux qui se fit dans 1'isle de Samothrace , et qui fut causé par le dégorgement subit du Pont-Euxin qui rompit le Bosphote; déluge dont les époques sont peuconnues, et qui pourroient n etre que le même j dont la mémoire s'est différemment altérée chez les différens peuples qui y ont été exposés. Dans nos siècles modernes nous avons eu les inondations des Pays-Bas , qui ensevelirent route cette partie appeüée aujourd'hui le golfe Dossart, dans laHollande , entre Groningue et Smbden , et en 1421, toute cette étendue qui se trouve entre le Brabant et la Hollaride. « Ainsi on peut juger que ces contrées ont éfê encore plus malheureuses que ne furent autrefjis la Thessalie, 1'Attique et la Boétie dans leurs déluges , qui ne furent que passagers sur ces contrées, au lieu que dans ces tristes provinces de la Hollande le déluge dure encore ". Mais le déluge le plus mémorable dont 1'histoire parle , et dont la mémoire restera tant que le monde subsistera, est celui qu'on norarae par excellence le-. déluge, ou le déluge universel ou le déluge deNoé-.ce fut une inondation générale que Dieu permit pourpunir la corrupiion des hommes, en détruisant tout ce qui avoit vie sur la face de la terre , excepté Noésa familie ,  Déluge. 19 j mille , les poissons et tout ce qui fut renfermé dans 1'arche avec Noé. Cet événement mémorable dans 1'histoire du monde est une des plus grandes époques de la chronologie. Moyse nous en donnel'histoiredans la Genèse c. vjet vij. Les meilleurs chronologistes le fixent a 1'an de la création 1656, 2293 ans avant LC. Depuis ce déluge 3 on distingue le tems d'avant et d'aprés le déluge. Ce déluge, qu'on eut dü se contenter de crcire, a fait et fait encore le plus grand sajet des recherches et des réflexions des naturalistes, des crkiques, Sec. Les points principalen-sent contestés peuvent être réduks a trois i.° son étendue , c'est-a-dire , s'il a été géneral ou partiel; z.e sa cause ; 3.° ses euets. i°. L'immense quantité d'eau qu'il a fallu pour former un déluge universel, a fait soupconner a plusieurs auteurs qu'il n'étoit que partiel. Selon eux un déluge universel étoit inutile, eu égard a sa fin , qui étoit d'extirpet la race des méchans, le monde alors étoit nouveau, et les hommes en très-petk nombre; 1'écriture-sainte ne comptant que huit générations depuis Adam, il n'y avoit qu'une partie de la terre habitée; le pays qu'arrose 1'Euphrate , et qu'on suppose avoir été i'habitation des hommes avant le déluge , étoit suffisant, pour les contenir : or, disent-ils, la Providence qui agit toujours avec sagesse et de la manière la plus simple , n'a jamais disproportionné les moyens a la fin, au point que pour submerger une petite partie de la terre elle 1'ait inondée toute eritière, Ils ajoutent que dans le langage de 1'Ecriture , la terre entière ne signifie autre chose que tous ses hahitans; et sur ses principes , ils avancent que le débordement du Tibre et de 1'Euphrate, avec une pluk considéTome F. N  ie/4 Déluge. rable, pent avoir donné lieu a tous les phénomènes et les details de 1'histoire du déluge. Mais le déluge a été universel. Dieu déclara a Noé, (Gen.vj, xvij3 ) qu'il avoit résoiu de détruire par un déluge d eau tout ce qui respiroit sous le ciel et avoit vie sur la terre. Telle fut sa menace. Voyons son exécution. Les eaux ainsi que 1'atteste Moyse , couvrirent toute la terre ; ensevelirent les montagnes, et sur-rout passèrent les plus hautes d'entr'elles de quinze "coudées : tout périt j oisiaux , hommes, et générale-ment tout ce qui avoit vie , excepté Noé, les poissons et les personnes qui étoient avec lui dans 1'arche. ( Gen. vij, xix.) Un déluge peut-il être plus clairement exprimé > Si le déluge neut été que partiel 3 il eut été inutile de mettre cent ans a batir 1'arche et d'y rehfermet des animaux de toute espèce pour en re peupler la terre : il leur eüt été facile de se sauver des endroits de la terre qui étoient inondés, dans ceux qui ne 1'éroienr point-, tous les oiseaux au moins n'auroient pu être détruits, comme Moyse dit qu'ils le furent, tant qu'ils auroient eu des ailes pour gagner les lieux oü le déluge ne seroit point parvenu,, Si les eaux n'eussent inondé que -les pays arrosés par le Tibre et par 1'Euphrate , jamais elles n'auroient pu surpasser de quinze coudées les plus hautes montagnes; elles ne se seroient point elevées a cecte hauteur; mais suivant les loix de ia pesanteur, elles auroient cté obligées de se répandre suf toutes les autres parties de la terre , a moins que par un mkracle elles n'eussent éré arrêtées; et dans ce cas, Moyse n'auroit pas manqué derapporrer ce miracle , comme il a tapporté celui des eaux de la mer Rouge et du Jourdain qui furent suspendues comme une muraille pour laisser passer les Israélites. (Ex. xiv , xxij. Jos. üj, xvj. )  Déluge. ï95 « A ces autorités tirées des expressions positives , de la Genese, toutes extrêmement digues de notre foi j nous en ajouterons encore quelques-unes , quoique nous pensions bien qu'elles ne sont pas nécessaires au véritable fidéle : mais tout le monde n'a pas le bonheur de 1'étre. Nous tirerons ces autorités de nos connoissances historiques et physiques ; et si elles ne convainquent pas avec la méme évidence que celles puisées dans 1'écriture sainte , on doit être assez éclairé pour sentir 1'extrême supériorité de celles-ci, surtout ce que notre propre fond peut nous fournir ». " On peut alléguer, en faveur de 1'universalité du déluge mosai'que, les traditions presque universelles qui en ont été conservées chez tous les peuples des quatre parties du monde , quoique les nations aient donné a leurs déluges des dates et des époques aussi dilférentes entr'elles qu'elles le sont toutes avec la date du déluge de Noé. Ces difrérences n'ont point empèché un grand nombre d'historiens chrétiens de faire peu de cas de la chronologie de? tems fabulëux et heroïques de la Grèce et de l'Egypte , et de ramener tous ces faits particuliers a 1'époque et a 1'évènement unique que nous a transmis ['historiën des Ffébreux ». " Si ce systême dérange beaucoup les.idéés des chronologistes de bonne-foi, ncanmöins on doit reconnoirre combien il est fondé en raison, puisqu'il n'y a pas un de ces déluges quoique donnés comme particuliers par les anciens, oü l'on ne connoisse au premier coup d'ceil les anecdotes et les détails qui sont propres a la Génèse. On y voit la même cause de ce terrible chatiment , une familie unique sauvée , une arche, des animaux , et cette colombe que Noé envoya a la découverte , messager qui n'est autre chose que la chaloupe ou le radeau dont parient quelques autres tradi- N i  i96 Déluge. tions profanes. Enfin on y reconnoit jusqu'au sacrice qui fut offert par Noé au Dieu qui 1'avoit sauvé. Sous ce point de vue , tous ces déluges particuliers rentrent donc dans le récitet dans 1'époque de celui de la Génèse. Deucalion 3 dans la familie duquel on trouve un Japet, Promethée , Xisutrus, tous ces personnages se réduisent au seul Noé;, et ce sont la les témoignages qui ont paru les plus convaincans de 1'universalité de notre déluge. Aussi cette preuve at-elle été deja trés souvent ernployée par les défenseurs des traditions judaïques ; mais d'un autre cöté, un systême qui renverse toutes les antiquités et les chronologies des peuples, est-il resté sans replique 1 Non , sans doute, il a trouvé un grand nombre d'opposans. Quoique ce soit un des lieux communs des preuves du déluge, 'il n'a été adopté d'aucuns chronologistes, et chacun d'eux n'en a pas moins assigné des époques diverses et distinctes a chacun de ces déluges , et il ne faut pas se hater de les condamner. Ce systême, si favorable a 1'universalisé du déluge par 1'analogie frappante et singuliere des détails des auteurs profane* avec ceux de 1'auteur sacré, est extrêmement défavorable d'ailleurs ; et loin d'en conclure que le déluge mosaïque a été universel, et na laissé qu'une seule familie de tout le genre humain , on pourroit, au contraire , juger par les anecdotes particulières et propres aux contrées ou ces traditions dispersées se sont couservées , qu'il est évident qu'en toutes, il est resté quelques-uns des anciens témoins et des anciens habitans , qui, après en être échappés, ont transmis a leu'postérité ce qui étoit atrivé en leur pays a telle et telle rivière j a telle et te'le montagne , et a telle ou telle nier : car Noé reclus et enfermé dans une arche, errant au gré des ventssur les sommets de \'Armenië, pouvoit-il être instruit de ce  Déluge. 197 qui se passoit aux quatre coins du monde ? Les Thessaliens, par exemple, disoient qu au tems du déluge , le fleuve Pénée enrlé considérablement par les pluies , avoit franchi les bornes de son lit et de sa vallée , avoit séparé le mont Ossa du mont Olympe , qui lui étoit auparavant uni et continu , et que c'étoit par cette fracture que les eaux s'étoient écoulées dans la mer. Hérodote qui, bien des siècles après •, alla verifier la tradition sur les lieux, jugea , par 1'aspect des coteaux et par la position des escarpemens, que rien n'étoit plus vraisemblable et mieux fondé ». " On avoit de même conservé en Béotie la mémoire des effets du déluge sur cette contrée. Le fleuve Colpias s'étoit prodigieusement accru •, son lit et sa vallée étant comblés , il avoit rornpu les sommets qui le contenoient a 1'endroit du mont Ptous , et ses eaux s'étoient écoulées par cette nouvelle is6iie. Le curieux wheler qui, dans son voyage de Grèce eut occasion d'examiner le terrein, vérifia la tradition historique sur les monumens naturels qui en sont restés, et il convient que le fait est certainement arrivé de la sorte, » Le dégorgement du Pont-Euxin dans 1'Archipel et dans la Méditerranée , avoit aussi iaissé chez ies Grecs et chez les peuples de 1'Asie mmeiue, une infinité de circonstances propres aux seuls lieux ou il avoit causé des ravages; et le fameux M. de L ourneforr a de même reconnu tous les lieux er les endroits oü réffptt des eaux du Pont-Euxin dcoordé s'étoit alternativement porté d'une rive a 1'autre, dans route la longueur du détroit de Constantinople. Le détail qu'il en donne et la description qu'il fait des prodigieux escarpemens que cette subite et violente irruption y a produit autrefois, en tranchant la ma'sse et le solide de ce continent , est un des morceaux des N 3  ir)8 Déluge. plus intéressans de son voyage , et des plus instructifs pour los physiciens et autres historiens de la natute. On ne rapportera pas d'autres ëxemptés que ceux-la ( quoiqu'il y en ait un plus grand nombre, soit en Europe, soit en Asiej soit en Amérique même), de ces détails propres et particuliers aux contrées oü les traditions d'un déluge sont restés, et qui, prouvant, ce semble d'une manière évidente, qu'en chacune de ces contrées il y a eu des témoins qui y ont survécu , seroient par conséquent trcs-contraires au texte formel de la Génèse sur 1'universaliré du déluge. Mais tous ces déluges nationaux sont, dit-on, toujours de la même date que celui des Hébreux. Quelques favorables que soient les observations qui précédent aux chronologistes , qui n'ont point voülu confondre tous les déluges nationaux avec le nórre ; la preuve qui haït de 1'arialogie qu'ils ont d'ailleurs avec lui est si forte , qu'elle doit nous engager a les réunir ; et elle est si convenable et si conforme au texte qui parle de 1'universalité, que tout bon chréïieh doit tentet" de résoudre les objections qui s'y opposent; ce qui n'est pas aussi difficile que l'on pense peur-êrre-, du moins relativement aux observations particulières, aux peuples et aux contrées. Les traditions qui nous parient des effets du déluge sur la Thessaüe, la Béotie et sur les contrées de la Thrace et de 1'Asie mineure , sont appuyées de raonumens naturels si auchentiques, que l'on ne peut douter, après les observations des vóyageurs qui les ont examinés en historiens et en physiciens, que les effets de ces déluges n'aient été tels que les traditions du pays le portent. Or , ces effets, c'est-a-dire ces furieuses et épouvantables dégradatjons qui se remarquent dans ces contrées sur ies montagnes et les continens qui ont autrëföis été tranches par les déborde-  Déluge. 199 mens extraordinaires du Pénée, du Colpias et du Pont-Euxin, sont-ils unique; sur la terre et propres seulement a ces contrées? N'est-ce, par exemple, que dans le détroit de Constantinople que se refnarquent ces cötes roides, escarpées et déchkées , toujours et constamment oppósées a ia chüte des eaux des contrées supérieures , et placées dans les angles alternatifs et correspondans que forme ce détroit 3 Et n'est-ce enfin que dans ce seul détroit que l'on trouve ces angles alternatifs, et qui se correspondent avec une si paffake régularité ? La physique est instruite aujourd'hui du contfaire. Cecte admkable disposition des détroits des vailces et des montagnes , est propre a tous les lieux de la terre sans aucune exception. C'est méme un probkme des plus intéressans et des plus nouveaux que les observateurs de ce siècle se soient proposés , et dont ils cherchenc encore la solurion. Or , ne se présente -1 - eiie pas ici d'ejle - même l Ces positions et ces escarpemens régulièrement distnbués, les uns a 1'égard des autres, clans le cours de toutes les vallées de la terre, sont semblables en tout aux dispositions qui se voient dans le détroit de Constantinople et dans les vallées du Pénée et du Colpias. Elles ont donc la méme origine; eiles sont donc les monumens du même fait j mais ces monumens sont universels; il est donc constant que le tak a été universel , c'est-a-dk§ il est donc vrai , ainsi que le dit la Génèse, que réruprion des sources ei la chute des pluies ayant été générales, les torrens et les inondations qui en ont etc les suites , ent parcouru la surface entièie de la terre, ce qu'il nous tallok prouver. A cette solution se présentent dei x objections: i°. les physiciens ne conviennent point encore que ces angks alternatifs ec tous ces escarpemens qui se vuient dans ■ ,N4  20© Déluge. nos vallées soient les effets du déluge-, ils les regardent, au contraire , comme les monumens du séjour des mers, et non comme ceux d'une inondation passagère. 2°. Toute favorable que cette solution paroisse, on sent encote néanmoins qu'il faut toujours qu'il soit resté des tcmoins en diftérentes contrées de la terre, puisque les anecdotes physiques qui font la base de notre solution , ont été conservées en plusieurs contrées particulières. Le deluge , a la vérité , aura été universel , mais on ne pourra point dire de même que la destrucüon de 1'espèce humaine ait été universelle. Nous répondrons a la première objection au troisième article sur les effets du déluge, et nous tacherons de ïépondre ici a la seconde. Les rerribles effets du déluge ont été connus de Noé et de sa familie dans les lieux de 1'Asie oü il a demeuré ; ceci ne peut se contester. Quoiqu'enfermé dans 1'Arche, Noé, dès le commencement des pluies, voyoit autour de lui tout ce qui se passoit ; il vit des pluies tomber du ciel , les gouffres de la terre s'ouvrir et vormt les eaux souterraines; il vit les rivièas s'enfler, sortir de leur lit, remplir les vallées, tantót se répandre par-dessus les sommets collatéraux qui dirigeoient leurs cours, et tantot rompre ces mêmes sommets dans les endroits les plus foibles, et se frayer de nouvelles routes au travers des continens pour aller se précipiter dans les mers. Le mont Ararat ne porte sans doute ce nom, qui signifie, en longue oriëntale , malédiction du tremblement, que paree que la familie de Noé , qui put terre aux environs de cette montagne d'Arménie , y reconnur les affreux vestiges et les effroyables dégradations que 1'éruption des eaux, que la chute des torrens j et que les tremblemens de la rerre . inaudite par le Seigneur, y ayoienr causés et laissés. Or , il en  Déluge. 201 a pu être de même pour les autres lieux de la terre, oü des détails particuliers sur le déluge se sont conservés. C'est de cette même familie de Noé que nous les tenons; a mesure que les descendans de ce patriarche se sont successivement répandus sur tous les continens, ils y ont reconnu par-tout les mêmes empreintes qu'avoit laissées le déluge en Arménie, et ils ont dü juger, par la nature des dégradations , de la nature des causes destructives. ïelle est donc la sourc3 de ces détails particuliers et propres aux contrées qui nous les donnent ; ce sont les monumens eux mêmes qui les ont transmis et qui les ttansmettront a jamais. Mais , dira-t-on encore, les dates ne sont point les mêmes. Et qu'importe, si c'est toujours le méme fait 3 Les Hebreux, de qui nous tenons 1!histoire d'un déluge universel, sont-ils entr'eux plus d'accord sur les époques 3 N'y a-t-il pas dans celle qu'ils nous donnent de prodigieuses dirférences , et convenons-nous moins qu'il n'y a cependant dans leurs difFérens systèmes qu'un seul et même déluge ? Croyons-donc qu'il en est de même a 1'égard de 1 histoire profane , qu'elle ne nous présente que le même fait, malgré la dhTérence des dates; et quant aux circonstances particulières, que ce sont les seuls monumens qui les ont suggérées aux nouveaux habitans de la terre , et non , comme on le voudroit conclure, la présence des difrerens témoins qui auront survécu ; ce qui seroit extrêtnement contraire a notre foi. Les chronologistes, a la vérité, n adopceroienr peut-être jamais ce sentiment : mais dès qu'ils conviennent du fait, c'est une raison toute naturelle de s'en tenir, pour 1'époque, au parti des théologiens qui rrouvent ici les physiciens d'accord avec eux. Au reste, s'il y a encore dans cette solution queique difficulrc physique ou historique, c'est aux siècles, au  tol Déluge. tems et au progrës de nos connoissances a nous le* résoudre. » On a tegardé encore comme une preuve physique de l'universahté du déluge et des grands changemens qu il a opérés sur tome la face du monde , cette mulcitude étonnante de corps marins qui se trouvent répandus tant sur la surface de la terre que dans lmtérieur méme de tous les continens , sans que 1'éloignement des mers, 1 etendae des régions, la hauteur des montagnes, ou la profondeur des fouilles, aient encore pu fake connoltre quelque exception dans cette' sürprenante singularité. Ce sont-la sans contredit des monumens encore certains d'une révolmion universelle, telle qu'elle soit; et si on en excepte quelques naturalistes modernes , tcus les savans et tous les hommes mêmes, sont d'accord entr'eux, pour les regarder comme les medailles du déluge, et comme les reliques du monde ancien qu'il a détruit. » Cette preuve est txès-forte 5 aussi a-t-elle été souvent employée. Cependant on lui a opposé 1'antiquké des pyramides d'Egypte ; ces monumens tementent presqua la naissance du monde : cependant on decouvre déja des coquilles décomposées dans ia fotmation des pierres dont on s'est setvi pour les construire. Or , quelle suite énorme de siècles cette fotmation ne suppose-t-elle pas? Et cemment exphquer ce phénomène sans admettre 1'éternké du monde ï Expliquera-t-on la présence des corps marins dans les pierres des pyramides par une cause, et la présence des mêmes corps dans nos pierres, par une autre cause ? cela seroit ridicule : mais, d'un autre cöté > dans les questions oü la foi est mélée, quel besöiri de tout expliquet, D'ailleurs on doit noter ici que si la preuve que nous avons ètée des escarpemens que l'on voit ré^uhèrement dis-  mm Déluge. 10 j posés dans Eóiïtes les vallées du monde, étoit reconnue pour bonne et solide, cette seconde preuve, tirée des corps marins ensevelis dans nos conrinens , ne pourroit cependant cóncourir avec elle comme preuve du rnême fait. Car si ce sont les eaux et les torrens du déluge qui, en descendant du sommet et du milieu des continens vers les mers, ont creusé en serpentant sur la surface de la terre, tous ces profonds sillons que les hommes ont appellés des vallées; et si ce sont eux qui, en fouillanr ainsi le solide de nos continens et en les retranchant •, ont produit les escarpemens de nos cóteaux , de nos cótes et de nos montagnes, dans tous les lieux dont la résistance et 1 exposjtion les ont obligés , malgré eux, a changer de direction ; ce ne peut-etre, par conséquent, ces mêmes torrens qui y aient apportés les corps marins, puisque ces corps marins se trouvent dans ce qui nous reste de la masse des anciens terreins tranchés. Le tremblement de terre qui a brisé le mont Ararat, et qui i'a rendu dun aspect hideux et effroyable, n'est pas 1 agent qui a pu mettre des fossiles dans les débris entiers qui en restent j ce n'est pas non plus 1'acte qui a séparé TEurope de l'Asie au détroit du Pont-Euxin, qui a mis dans les bans dont i'extrêmiré et la coupe se découvrent dans les escarpemens et les arrachemens des terreins qui sont rfesrês de part et d'autre les corps marins que contient l'intérieur du pays. Ceci, je crois, n'a pas besoin de plus longue explication pour être juge naturel et raisonnable ; il n'en résulte rien de défavorable au déluge , puisqu'une seule de ces deux preuves suffit pour montrer physiquement les tracés de son universalité. II sensuit seulement qu'un de ces deux monumens de 1'histoire de la terre appartient a quelqu'autre cause fort diflércnte du déluge , et  io4 Déluge. qui n'a point de rapport a 1'époque que nous lui assignons ». II. Le déluge reconnu universel, les philosophes ne savent oü trouver 1'eau qui 1'a produit ; « tantót ils n'ont employé que les eaux du globe , et tantót des eaux auxdiaires qu'ils ont été chercher dans la vaste étendue des cieux, dans l'atmosphere , dans Ja queue d'une cornète ". Moyse en établit deux causes •, les sources du grand abyme furent lachées, et les cataractes du ciel furent ouvertes : « ces expressions ne semblent nous indiquer que 1'éruption des eaux souterraines et la chüre des pluies ; mais nos physiciens ont donné bien plus de carrière a leur imagination ». Burnet , aans son livre Tellurius theoria sacra, prouve qu'il s'en faut de beaucoup que routes les eaux de 1'océan eussenr sufH pour submerger la terre et surpasser de quinze coudées le sommet des plus hautes montagnes; suivant son ealculil n'auroit pas fallu moins que de huir océans. En supposant que la mer eut été entièrement mise a sec , et que toutes les nuées de 1'atmosplière se fussent dissoutes en pluie, il manqueroit encore la plus grande partie des eaux du déluge. Pour résoudre cette diflicuhé » plusieurs excellens naturalisres , tels que Stenun , Bumet , Y/ocdvart, Scheuchzer, &c. adoptent ie systême de Descartes sur la formation de la rerre : ce philosophe prétend que la terre, dans son origine , étoit parfaitement ronde et égale j sans montagnes et sans vallées : ii en ctabht la formation sur des principes de mécbanique , et suppose que dans son premier état c'étoit un tourbillon fluïde et épais rempli de diverses marières hétérogènes qui , après avoir pris consistance insensiblement et par dégrés, ont formé , suivant -les loix de la pesan-  Déluge. io f teur, des couches ou lits concentriques et composé ainsi a la longue le solide de la terre. Burnet pousse cerce théorie plus loin ; il prétend que la terre primirive n'étoit qu'une croiite orbicuhire qui recouvroit 1'abyme , ou la roer, qui s'étant fendue et brisée en morceaux dans le sein des eaux , noya tous ceux qui Thabitoient. Le même auteur ajoute que par cette révolürion le globe de la terre non-seulement fut ébtanlé et s'ouvrit en mille endroits , mais que la viol.-nce de la secousse changea sa situation , ensorre que la terre qui j auparavant éroit piacce directement sous le zodiaque, lui est ensuite devenue oblique; d'eü est née la dilférence des saisons auxquelles la terre , selon lui et selon les idéés de bien d'autres , n'étoit point sujette avant le déluge. Mais comment accorder routes les parties de ce systême , et cette égalité prétendu de la surface de la rerre, avec le texte de 1'écriture que l'on vient de citer; il est expressement parlé des montagnes comme d'un point qui sertadéterminer lahauteur des eaux; et avec eet autre passage ( Gen. vüj, xxij ) oü Dieu promettant de ne plus envoyer de déluge et de rétablir toutes choses dans leur ancien état, dit oue le tems des semences er la moisson , le froid et le chaud, 1'été et 1'hiver 3 le jour et la nuit, ne cesseront de s'entresuivre. « Circonstances qui ne se concilient point avec les idéés de Burnet, et qui en nous apprenaht que 1'ancien monde étoit sujet aux mêmes vicissitudes que le nouveau , nous fait d« plus connohre une des anecdotes du déluge a laquelle on a fait peu d'attention; c'est cette interruprion du cours réglé de la nature, et sur-tout du jour et de la nuit, qui indique qu'il y eut alors un grand dérange* meiTt dans le cours annuel du globe j dans sa roration journalière, dans la lnmière ou dans le soleil même.  is>6 Déluge. La mémoire de cette altération du soleil au tems du déluge s'étoit conservée aussi chez les Egyptiens et chez les Grecs. On peut voir dans 1'histoire du ciel de Pluche, que le nom de Deucalion ne signifie autre chose q\\ ajj'odiissement du soled». D'autres auteurs supposant dans 1'abyme ou la mer, une' quantité d'eau suffisante , ne sont cccupés que du moyen de 1 en faire sortit; en conséquence quelquesuns ont recours a un changement du centre de la terre qui, entrainant 1'eau après lui, l'a fait sordr de ses réservoirs, et a inondé successivement plusieurs parties de la terre. Le savant Wiston , dans sa nouvelle théorie de la tem , donne une hypothese extrêrnement ingénieuse et tout-a-fait nouvelle; il juge par beaucoup de circonstances singulières qu'une comète descendant sur le plan de Técliptique vers son périhelie , passa directement au-dessus de la terre le premier jour du déluge. Les suites qui en résulrèrent furent premièrement que cette comète lorsquelle se trouva au-dessous de la lune , pecasionna une marée d'une étendue et d'une force prodigieuse dans toutes les petites mers, qui suivant soir hypothese faisoient partie de la terre avant le déluge ( car il croit qu'il n'y avoit point alors de grand océan ); que cette marée fut excitée jusques dans 1'abyme qui étoit sous la première croute de la terre ; qu'elle grossit a nvsure que la comète s'approcha de la terre, et que la plus grande hauteur de cette marée fut lorsque la comète se trouva le moins éloigné de la terre. II prétend que la force de cette marée rit prendre a 1'abyme une figure éliptique beaucoup plus large que la sphérique qu'elle avoit auparavant ; que cette première croute de la terre qui recouvroit 1'abyme , forcée de se prêter a cette figure , ne Ie put a cause de sa solidité  Déluge. É0? * de 1'ensemble de ses parties ; d'oü il prétend qu'elle fut nécessitée de se gpafler et enfin de se briser par 1'effort des marées et de 1'attraction dont on vient de parler : qu'alois 1'eau sortant des abymes oü elle se trouvoit renfermée, fut la grande cause du déluge; ce qui réponda ce que dit Moyse, que les sources du grand abyme furent rompues. De plus, il fait voir que cette même comète s'approchant du soleil, se trouva si serrée dans son passage par le globe de la terre , qu'elle 1'enveloppa pendant un tems considérable dans son atmosphère er dans sa queue, obligeant une quantité prodigieuse de vapeurs de s'étendre et de se condenser sur sa surface ; que la chaleur du soleil en ayant raréfié ensuite une grande partie elles s'elevèrent dans 1'atmosphère et retombèrent en pluie violente; ce qu'il prétend étre la même chose que ce que Moyse veut faire entendre par ces mots, les cataractes, du ciel furent ouvertes , et sur-tout par la pluie de quarante jours : car quand ;i la pluie qui tomba ensuite , dont la durée forme avec la première un espace de cent cinquante jours„ Whiston 1'attribue a ce que la terre s'est trouvée une seconde fois enveloppé dans 1'atmosphère de la comète , lorsque cette dernière est venue a s'éloigner du soleil. Enfin pour dissiper eet immense volume d'eau, il suppose qu'il s'éleva un grand vent qui en dessécha une partie, et forca le reste de s'écouler dans les abymes par les mémes ouvertures qu'elles en' étoient sorties , et qu'une bonne partie resta dans le sein du grand océan qui venoit d'ètre formé , dans les autres petites mers , er dans les lacs dont la surface des continens est couverte et entrecoupée aujourd'htii. Cette curieuse théorie ne fut d'abord proposée que comme une hypothèse, c'est-a-dire, que 1'auteur ne  loS Déluge. supposa cette comète que dans la vue d'expliquer clairementet philosophiquement les phénomènes du déluge , sans vouloir assuser qu'il est eiTectivement patu dans ce tems une comète si prés de la terre. Ces seuls mot.fs firent recevoirfavorablement cette hypothese. Mais 1'auteur ayant depuis approfondi la matière , il prétendit prouver qu'il y avoit eu en effet dans ce tems une comète qui avoit passé très-près de la terre , et que c'étoit cette même comète qui avoit paru en 1680 ; en sorte qu'il ne se contenta plus de la regarder comme une hypothese il donna un traité particulier intitulé la cause du déluge démontrée. « Si on doit faire quelque fond sur cette décision hardie , nous croyons que ce devrc.it moins être sur 1'autorité de Whiston et de ses calculs, que sur 1'effroi de tous les tems connus , et sur cette terreur universelle que 1'apparition de ces astres extraoidmaires a toujours causée chez toutes les nations de la terre, sans que la diversité des climats, des mceurs , des religions, des usagés et des coutumes y ayent: mis quelqu'exception. On n'a point encore assez rerlechi sur cette terreur et sur son origine , et l'on n a point comme on auroit da faire , sondé sur cette matière intéressante les anciennes traditions, et les allégones sous lesquelles 1 ecriture et le style figuré des premiers peuples rendoient les grands événemens de la nature ». » On peut juger par les seuls systêmes de Brunet et de Whisten j qui ont été adoptcs en tout ou en partie par beaucoup d'autres physiciens après eux , combien cette question des causes physiques du deluge est embarrassante, On pourroit cependant soupconnec que ces savans se sont rendus a eux-mëmes ce problême plus difficile qu'il n'est peut-être en eftet, en «tenant avec trop d'érendue ce que dit la Genese des qnmïe coudées d'élévation dont les eaux du  Déluge. 209 déluge surpassèrent les plus hautes montagnes. Sur cette expression ils ont presque tous imaginé , que la terre avoit du par conséquent être environnée en entier d'un orbe d'eau, qui s'étoit élevé a pareille hauteur au-dessus du niveau ordinaire des mers; volume énorme qui les oblige tantót de rompre notre globe en morceaux, pour le faire écrouler sous les eaux , tantót de le dissoudre et de le rendre fluide, er presque toujours d'aller emprunter au reste de 1'univers, les eaux nécessaires pour remplir les vastes espaces qui s'étendent jusqu'au sommet de nos montagnes. Mais pour se conformer au texte de la Génèse, est-il nécessaire de se jetter dans ces embarras , et de rendre si composés les actes qui se passèrent alors dans la nature? La plupart de ces auteurs ayant concu qu'il y eut alors des marées excessives , ne pouvoient-ils pas s'en tenir a ce moyen simple et puissant, qui rend si vraisemblable la souplesse qu'on a lieu de soupconner dans les continens de la terre ? Souplesse dont 1'auteur d'une mappemonde nouvelle vient d'expliquer les phénomènes et les effets dans les grandes révolutions ». » Si cette flaxibilité des couches continues de la terre, est une des principales causes conspirantes au mouvement périodique dont nos mers sont régulièrement agitées dans leurs bassins , il est donc très-possible que le ressort de la voüte terrestre fortement agitée au tems du déluge, ait permis aux mers entières de se porter sur les continens, et aux continens de se porter vers le centre de la terre en se submergeant sous les eaux avec une alternative de mouvement toute semblable a celui de nos marées journaliéres; mais avec une telle accélératiou , que tantót 1'hémisphère maritime étoir a sec quand 1'hémisphère rerresrre étoit submergé , et que tantót celui-ci reprenoit son état naturel en repoussant Tome V. O  2io Déluge. les eaux dans leurs bassins ordinaires. La surface du globe est assez également divisée en continens et en mers , pour que les eaux de ces mers ayent seules sufh a couvrir une moirié du globe, dans les tems oü 1'agitation du corps entier de la terre lui faisoit abandonner 1'autre. Le physicien ne doit concevoir rien d'impossible dans une telle opération, et le théologien rien de contraire au texte de la Genèse; il n'aura point fallu d'autres eaux que celles de notre globe , et aucun homme n'aura pu échapper a ces marées universelles ". » La troisième question sur le déluge roule sur ses effers , et les savans sont extrêmement partagés la-dessus : ils se sont tous accordés pendant long-tems a regarder la dispersion des corps marins comme un des effets de ce grand événement ; mais la diffïculté est d'expliquer eet effet d'une manière conforme a la disposition et a la situation des bains, des couches et des contrées oü on les trouve; et c'est en quoi les naruralistes ne s'accordent guère ». Ceux qui suivent le systéme de Descartes 3 comme Stenen , &c. prétendent que ces restes d'animaux de la terre et des eaux , ces branches d'arbres, ces feuilles , &c. que l'on rrouve dans les lits et couches des carrières , sont une preuve de la Huidité de la terre dans son origine : mais alors ils sont obligés d'admettre une seconde formation des couches beaucoup postérieure a la première , n'y ayant lors de la première ni plantes , ni animaux : c'est ce qui fait soutenir a Stenon qu'il s'est fait dans différens tems de secondes formations , par des inondations , des tremblemens de terre , des volcans extraordinaires , &c. Eurnêt , Woodvard , Scheuchzer 5 &c. aiment mieux attribuer au déluge une seconde formation générale sans cependant exclure  Déluge. 111 les formarions particulières de Srenon. Mais la grande objection qui s'élève contre le systême de la rluidité , ce sont les montagnes; car , si le globe de la terre eut été entièrement liquide, comment de pareilles inégalités se seroient elles formées ? « Comment le mont Ararat auroit-il montré a Noé son pic et ses effroyables dégradations , telles dès ces premiers tems que Tournefort les a vues au commencement de ce siècle, c'est-a-dire , inspirant 1'hotreur et 1 effroi» ? Scheuchzer est du sentiment de ceux qui prétendent qu'après le déluge, Dieu, pour faire renrrer les eaux dans leurs réservoir sourerrains , brisa er óta de sa main toute-puissante un grand nombre de couches qui auparavant étoient placées horisontalement, et les entassa sur la surface de la terre ; raison , dit-il, pout laquelle toutes les couches qui se trouvent dans les montagnes, quoique concentriques , ne sont jamais horisontales. Woodvard regarde ces différentes couches comme les sédimens du déluge ; et il tire un grand nombre de conséquences des poissons, des coquillages et des autres débris qui expliquent assez clairement selon lui les effets du déluge. Premièrement que les corps- marins et les dépouilles de poissons d'eau douce, ont été entrainés hors des mers et des fleuves par le déluge universel, et qu'ensnite les eavix venant a s'écouler les ont laissés sur la terre. Secondement que pendant quel'inondation couvroit le globe de la terre , tous les solides , tels que les pierres , les métaux, les minéraux, ont été entièrement dissous, a 1'exception cependant des fossiles marins; que ces corpuscules se sonr rrouvés ensuite confondus avec les coquillages et les végétarions marines er terrestres, et ont formé des masses communes. Troisiémement que toutes ces masses qui nageoient dans les eaux pêle mêle , ont été ensuite pré- O x  .zit Déluge. cipitées au fond; et suivant les loix de la pésanteur, les plus lourdes ont occupé les premières places, et ainsi des autres successivement : que ces matières ayant de cette manière pris consistance, ont formé les différentes couches de pierre , de terre, de charbon &c. Quatrièmement que ces couches étoient originairement toutes paralleles , égales et régulières 3 et rendoient la surface de la terre parfaitement sphérique , que toutes les eaux étoient au-dessus , et formoient une sphère fiuide qui enveloppoit tout le globe de la terre. Cinquièmement, que quelque tems après par lerfort d'un agent renfermé dans le sein de la' terre , ces couches furent brisées dans toures les parties du globe , et changèrent de situation ; que dans certains endroits elles furent elevées , et que dans d'autres, elles s'enfoncèrent; et de-la les montagnes , les vallées, les grottes, tkc. le lit de la mer, les isles , &c. en un mot , tout le globe terrestre arrangé par cette rupture et ce déplacement de couches, selon la forme que nous lui voyons présenremenr. Sixièmement, que par cette rupture des couches j 1'enfoncement de quelques parties , et 1'élévation d'autres qui se firent vers la fin du déluge , la masse des eaux tomba dans les parties de la tetre qui se trouvèrent les plus basses , dans les lacs et autres cavités, dans klit de 1'océan, et remplit 1'abyme par les ouvertures quiy communiquent, jusqu'au poinr qu'elle fut en équilibre avec 1'océan. « On peut juger par eet extrait, que 1'auteur a recours pour expliquer les effets du déluge a un second cahos : son systême est extrèmement composé ; et .si en quelques circonstances il pa* roit s'accorder avec certaines dispositions de la nature, il s'en éloigne en une infinité d'autres : d'ailleurs , le fond de cette théorie roule sur un principe si peu vraisemblable , sur cette dissolution universelle. de globe ,  ■Déluge. *. 15 dont il est forcé d'excepter les plus fragiles coquillages , qu'il faudrok être bien prévenu pour s'y arrêter ». « Mais tous ces systèmes sur 1'origine des fossiles deviendront inutiles , et seront abandonnés en entier , si le sentiment qui n'attribue leur position et leur origine qu a un long et ancien séjour de toutes nos contrées , -présentement habitées sous les mers, continue a faire aurant de partisans qu'il en fait aujourd'hui. La multitude d'observations que nous devons, de notre siècle et de nos jours, a des personnes éclairées , et dont plusieurs ne sont nullement suspectes de nouveauté sur le fait de la religion, nous ont amené a cette idéé , que toutes les découvertes confirment de jour en jour ; et vraisemblablement c'est oü les physiciens et les théologiens mêmes vont s'en tenir :' car, on a cru pouvoir akément allier cette érrange mutation arrivée dans la nature, avec les suites et les effets du déluge selon 1'histoire-sainre. « M. D. Li P. est un des premiers qui ait avancé qu'avant le déluge notre globe avoit une mer extérieure, des continens, des montagnes, des rivières, &c. et que ce qui occasionna lë déluge fut que les cavernes souterraines et leurs pilliers ' ayant été brisées pard'horribles tremblemens de terre, elles furent sinon en entier , du moins pour la plus grande partie, ensevelies sous les mers que nous voyons aujourd'hui; et qu'enfin cette terre oü nous habitons étoit le fond de la mer qui existoit avant le déluge; et que plusieurs isles ayant été englouties , il s'en est formé d'autres dans les endroits oü elles sont présentement. Par un tel systême qui remplit les idéés et les vues de l'écriture-sainte, les grandes difficultés dont sont remplis les autres systèmes s'évanouissent; tout ce que O i  214 Déluge. nous y voyons s'explique naturellement. On n'esr plus surpris qu il ss trouve dans les différentes couches de la terre, dans les montagnes et a des profondeurs surprenantes, des amas immenses de coquillages, de bois , de poissons et d'autres animaux, et végétaux terrestres et marins : ils sont encore dans la position naturelle ou ils étoient lorsque leur élément les a a'oandonnés, et dans les heux oü les fractures et les ruptures arrivées dans cette grande catastrophe leur ont permis de tomber et de s'ensevelir. ( Trans.philos. n°. 266 ). « Pluche n'a pas été le seul a embrasser un systême aussi chrétien , et qui' lui a paru d'autant plus vraisemblable , que nous ne trouvous sur nos continens aucuns débris des habitatious et des travaux des premiers hommes, ni aucuns vestiges sensibles du séjour de 1'espèce humaine; ce quidevroit êtrea ce qui lui semble fort comi^an, si la destruction universelle des premiers hommes étoit arrivée sur les mêmes terreins que nous habitons; objecrion puissante que l'on fait a tous les autres systèmes, mais a laquelledls peuvent néanmoinsen opposer une autre qui n'a pas moins de force pour détruire toutes les idéés des modernes « Pluche et les autres qui ont imaginé que 1'ancienne terre, oü il ne devoit point y avoir de fossiles marins, a été précipitée sous les eaux , et que les lits des anciennes mers ont pris leur place, sont forcés de convenir que les régions du Tibre et de 1'Euphrate n ont point été comprises dans cette terrible submersion , et qu'elles seules en ont été exceptées parmi toutes celles de Fancien monde. Le nom de ces rleuves et des contrées circonvoisines , leur fertilité incroyable, la séréniré du ciel, la tradition de tous les peuples, et en particulier de 1'histoire sainte , tout les a mis dans la nécessité] de souscrire a cette vérité , et de dire , volei  Déluge. 215 encore le berceau du genre humain j ( Speet, de la Nat. torn. VIII, page 93. Si on examine a présent comment cetre exception a pu se faire et ce qui a dü s'en* suivre, on ne trouvera rien que de tres-contraire a 1'époque 011 le nouveau systême fixe la sortie de nos continens hors des mers. Si les pays qu'arrosent leTibre et 1'Euphrate n'ont point été effacés de dessus la terre, et n'ont point changé comme on est obligé d'enconvenir, c'est sans doute paree qu'il n'y eut point d'affaissement dans les sommets d'oü ces fleuves descendent , dans ceux qui les dirigent a 1'orient et a 1'occident, en y conduisant les ruisseaux et les grandes rivieres qui les forment, ni aucune élévation au lit de cette partie de nos mers ou ils se déchargent; d'oü il doit suivre que toute cette étendue de tetre bornée par la mer Caspienne , la mer Noire, la mer Méditerranée et le golfe Persique , n'a dü recevoir aussi aucune altération dans son ancien niveau et dans ses pentes, et dans la nature de ses terreins; pnisque les revers de tous les sommets qui regardent les grandes vallées du Tibre et de 1'Euphrate, n'ayant point baissé ni changé, il est constant que les revers de ces mêmes sommets qui regardent 1'Arménie, la Perse, 1'Asie mineure} la Syrië, 1'Arabie , &c. n'ont point dü baisser non plus , et qu'ainsi toutes ces vastes contrées situées a 1'entour et au dehors du bassin de 1'Euphrate et des rivieres qui le form&ntj n'ont souffert a'ucun affaissement, et ont été nécessairement exceptées de la loi générale en faveur de la proximité du berceau du genre humain : elles font donc partie de eet illustre échantillon qui nous reste de 1'ancien monde, et c'est donc la qu'on pourroit aller pour juger de la différence qui doit se tvouver entr'eux , et voir enfin si elles ne contiennent point de fossilles marins comme tour le O 4  216 Déluge. reste de la nouvelle terte que nous habitons ; c'est un voyage que les naturalistes et les voyageurs nous épargneronr ; nous savons que toutes ces contrées sont remplies comme les notres de productions marines qui sont étrangères a leur état présent. Pline même connoissoit les boucardes fossilles qu'on trouvoit dans la Babylonie : que devient donc le systême sur 1'époque de la sortie des continens hors des mers; N'est-il point visible que ces observations 'le détruisent, et que ses partisans n'en sont pas plus avancés, puisqu'il n'y a point de difTérence entre le nouveau et i'ancien monde , chose absolument nécessaire pour la validité de leur sentiment ? Au reste, ces réflexions ne sont point contraires au fond de leurs observations. Si Pluche et un grand nombre d'autres ont reconnu que nos continens après un long séjour sous les eaux , ou les couches et leurs bancs coquilleux s'étoient construits et accumulés, en sont autrefois sortis pour devenir 1'habitation des hommes; c'est une chose dont on peut convenir, quoiqu'on ne convienne point de 1'époque ». « Quant aux preuves historiques et physiques du déluge et de son universalité . il nous restera toujours celles de l'uniformiré des traditions de leur généralité , et celles que l'on peut tirèr des grands escarpemens et des angles alternatifs de nos vallées, qui au défautdes corps marins nous peuvent donner des preuves , nouvelleS a la vérité , mais aussi fortes néanmoins que toutes celles qu'on avoit jusqu'a ce jour : on en pourra juger par les observations suivantes «. ■ « Bourguer, et plusieurs autres observateurs depuis lui, ayant remarqué que toutes les chaïnes des montagnes forment des angles alternatifs et qui se correspondent ; et cette disposirion des montagnes n'étant que le résulrat et 1'efFet consequent de ja direction si-  Déluge. tiy nueuse de nos vallées, on en a conclu que ces vallées étoient les anciens lits des courans de mers qui ont couvert nos continens , et qui y nourrissoien et produisoient les êtres marins donr nous tröuvons les dépouilles. Mais si, le fond des mers s'étant autrefois élevé au-dessus des eaux qui les couvroient, les anciennes pentes et les directions anciennes des courans ont été altérées er changées, comme il a dü arriver nécessairement dans un tel acte ; pourquoi donc aujourd'hui , dans un état de la nature tout dirférent et tout opposé a 1'ancien , puisque ce qui étoit bas est devenu elevé , et que ce qui étoit élevé est devenubas, pourquoi veut-on que les eaux de nos fleuves et de nos rivieres suivent les mêmes routes que suivoient les anciens courans ? Ne doivent-elles pas au contraire couler depuis ce tems da sur des pentes toutes différentes et toutes nouvelles; et n'est-il pas plus raisonnable et en même tems tout naturel de penser que si les anciennes mers et leurs courans ont laissé sur leur lit quelques empreintes de leur cours , ces empreintes telles qu'elles soient ne doivent plus avoir de rapport a la disposition présente des choses, et a la forme nouvelle des contmens. Ce raisonnement doit former quelque doute sur le systême dominant de 1'origine des angles alternatifs. Les sinuosités de nos vallées qui les ferment , ont dans tout le cours et dans leurs ramifkations, rrop de rapport avec la position de nos sommets et 1'ensemble de nos continens, pour ne pas soupconner qu'elles sont un erfet tout naturel et dépendant de leur skuarion présente au-dessus des mers , et non les traces et les vertiges des courans des mers de 1'ancien monde. Nos continens depuis leur appantion étant plus élevés dans leur centre qu'auprès des mers qui les baignent, il a été nécessaire que les eaux  li S Déluge. des pluies et des sources se sillonassent, dès les premiers tems , une multitude de routes pour se rendre, malgré toutes les inégalités , aux lieux les plus bas oü les mers les engloutissent toutes. II a été nécessaire que lors de la violente éruption des sources et des grandes pluies du déluge , les torrens qui en résultèrent fouillassent et élargissent ces sillons au point oü nous les voyons aujourd'hui. Enfin, la forme de nos vallées , leurs replis tortueux, les grands escarpemens de leurs cótes et de leurs cóteaux, sont tellement les effets et les suites du cours des eaux sur nos continens , et de leurs chute des sommets de chaque contrée vers les mers, qu'il n'est pas un seul de ces escarpemens qui n'ait pour aspect' constant et invanable le continent supérieur j d'oü la vallée et les eaux qui y passent descendent ; ensorte que s'il arrivoit encore de nos jours des pluies et des débordemens assez violens pour remplir les vallées a comble , comme au tems du déluge, les torrens qui en résulteroient viendroient encore flapper les mêmes rives escarpées qu'ils ont frappées etdéchirées autrcfois. II suit de tout ceci une multitude de conséquences, dont le détail trop long ne seroit point ici placé, c'est aux observateurs de nos jours a réfiéchir sur ce systême , qui n'a peut-être contre lui que sa simplicité : s'ils 1'adorJtent , quelle preuve physique n'en résulte-t-il pas en faveur de Tuniversalité du déluge , puisque ces escarpemens alternatifs de nos vallées se voient dans toutes les contrées er les régions de la terre ? et quel poids ne donne-t-ii point a ces différentes traditions de quelques peuples d'Europe etd'Asie sur les effets du déluge dans leurs contrées ? Tout se lie par ce moyen : la physique et 1'histoire profane se c.mfirment mutuellement, et celles-ci ensemble se coneilient merveilleusement avec 1'histoire sacrée ».  Déluge. zi9 II reste une dernière difficulté sur le déluge; c'est qu'on a peine a comprendre comment, après eet événement, de telle facon qu'il soit arrivé, les animaux passèrent dans les diverses parties du monde, mais sur-tout en Amérique ; car pour les trois autres, comme elles ne forment qu'un même continent, les animaux domestiques ont pu y passer facilement en suivant ceux qui les ont peuplées, et les animaux sauvages, en y pénétrant eux-mêmes par succession de tems. La difficulté est plus grande par rapport a 1'Amérique pour cette dernière espèce d'animaux , a meins qu'on ne la suppose jointe a notre continent par quelque isthme encore inconnu aux hommes, les animaux de la première espèce y ayant pu être transportés dans des vaisseaux : mais quelle apparence qu'on allat se charger de propos délibéré de peupler un pays d'animaux féroces, tels que le lion , le loup j le tigre, &c. a moins encore qu'on ne suppose une nouvelle création d'animaux dans ces contrées ; mais sur quoi seroit-elle fondée ? II vaut donc mieux supposer, ou que 1'Amérique est jointe a notre continent, ce qui est très-vraisemblable, ou qu'elle n'en est séparée en quelques endroits que par des bras assez étroits , pour que les animaux qu'on y trouve y aient pu passer : ces deux suppositions n'ont rien que de très-vraisemblable. Terminons eer article par ces réflexions de Pluche , imprimées a la fin du troisième volume du Spectacle de la Nature. « Quelques savans, dit-il, ont entrepris de mesurer la profondeur du bassin de la mer, pour s'assurer s'il y avoir dans la nature assez d'eau pour couvrir les montagnes; et prenant leur physique pour la règle de leur foi, ils déeident que Dieu n'a point fait une chose, paree qu'ils ne concoivent point comment Dieu 1'a faite : mais 1'homme qui sait arpenter ses terres  i zo Déluge. et mesure un tonneau d'huile ou de vin , n'a point recu de jauge pour mesurer la capacité de 1'atmosphère , ni de sonde pour sentir les profondeurs de 1'abyme : a quoi bon calculer les eaux de la mer dont on ne connoït pas 1'étendue ? Que peut-on conclure contre 1'histoire du déluge , de 1'insuflisance des eaux de la mer , s'il y en a une masse peut-être plus abondanre dispersée dans le ciel ? Et a quoi sert-il enfin , d'attaquer la possibilité du déluge par des raisonnemens, tandis que le fait est démontrée par une foule de monumens ? » Le même auteur, dans le premier volume de 1'histoire du ciel , a ramassê une infinité de monumens historiques du déluge, que les peuples de 1'Orient avoient conservés avec une singuliere er religieuse attention , et particulièrement les Egyptiens. Comme le déluge changea toute la face de la terre , » Les enfans de Noé j dit-il, en conservèrent le souvenir parmi leurs descendans qui , a 1'exemple de leurs pères , faisoient toujours 1'ouverture de leurs fêtes ou de leurs prières publiques par des regrets et des lamentations sur ce qu'ils avoient petdus ; " c'est-a-dire sur les avantages de la nature dont les hommes avoient été privés par le déluge , c'esr ce qu'il prouve ainsi plus en détail. >• Les Egyptiens et la plupart des Orientaux , quels que soient des uns ou des autres ceux a qui on doit attribuer cette invention , avoient une allégorie ou une peinture des suites du déluge , qui devint célèbre et qu'on trouve par-tout; elle représentoit le monstre aqnatique tué et Osiris ressuscité ; mais il sortoit de la terre des figures hideuses qui entreprenoient de le détröner ; c'étoient des géans monstrueux , dont 1'un avoit plusieurs bras, 1 autre arrachoit les plus grands chênes , un autre tenoit dans ses mains un quartier de rnontagne et le laiv-  Déluge. 11 ï :coit contre le ciel : on les distinguoit tous pat des entreprises singuhères et par des noms eftfayans. Les plus xonnus de tous étoient Briareus , Othus , Ephialtes, SEncelade , Mimas, Porphyrion et Rouach ou Raxhus. : Osiris reprenoit le dessus , et Horus son fils bien aimé , après avoir été rudement maltraité par Raechus, se délivroit heureusement de ses poursuites , en se pré;sentant a sa rencontre avec les griffes et la gueule d'un lion. » » Or pour montrer que ce tableau est historique , :et que tous les personnages qui le composent sont aui tant de symboles ou de caractères significatifs qui exI priment les désordres qui ont suivi le déluge, les peii nes des premiers hommes , et en particulier 1'état malI heureux du labourage en Egypte , il suffira de traduire i ici les noms particuliers qu'on donne a chacun de ces Igéans. Briareus, dérivé de beri 3 serenitas, et de ha. rous j subversa 3 signifie la pene de la sèrénité ; Othus de onittcth , tempestatum vices , la succession ou la diversité des saisons ; Ephialtes , de evi ou éphi, nubes j et de althah , caligo , c'est-a-dire, nubes caligmis ou nubes horrlda, les grands amas de nuées auparavant inconnues ; en-cela-de , en-celed, fons temporaneus , torrens; le ravage des grandes eaux débordées ; Porphyrion , de phour , fringere 3 et en doublant , frustulatim defringere , les tremblemens de terre ou la fracture des terres qui crevasse les plaines et renverse les montagnes ; Mimas > de maim les grandes pluies; Rh^cus , de mach , le vent. Comment se pourroit-il faire, dit avec raison notre auteur, que tous ces noms conspirassent par hasard a exprimer tous les méréores qui ont suivi le déluge, si ce n'avoit été la 1'intention et le premier sens de cette allegorie ? La figure d'Ho-  zii Déluge. rus en étoit une -suite. ( Histoire du Ciel 3 tome I. pages 107 et 108. » Ces observations singuliètes sont, pour ainsi-dire , démontrées avec la dernière évidence dans le reste de l'ouvrage, et presque toutes les fables de 1'antiquité y concourent a nous apprendre que les suites du déluge influèrent beaucoup sur la religion des nouveaux habitans de la terre , et firent sur eux toute 1'impression qu'un événement aussi terrible et qu'un tel exemple de ia vengeance divine devoit nécessairement opérer.  G U È B R E S. -LeS Guèbres peuple errant er répandu dans plusieurs des contrées de la Perse et des Indes. C'est le triste reste de 1'ancienne monarchie persane que les Califes arabes armés pour la religion ont détruite dans Je seprième siècle , pour faire régner le dieu de Mahomer a la place du dieu de Zoroasrre. Cette sanglante mission forca le plus grand nombre des Perses a renoncer a la religion de leurs pères : les autres prirent ia fuire er se dispersèrent en différens lieux de PAsie ou sans patrie et sans roi, méprisés et haïs des autres nations, et invinciblement attachés a leurs usages , ils ont jusqu'a présent conservé la loi de Zoroastre , la doctrine des mages et le culte du feu , comme pour servir de monument a 1'une des plus anciennes religions du monde. Quoiqu'il y ait beaucoup de superstition et encore plus d'ignorance parmi les Guèbres , les voyageurs sont d accord pour nous en donner une idéé qui nous intéresse a leur sorr. Pauvres et simples dans leurs habits, doux et humbles dans leurs manières , tolérans, chanrables et laborieux, ils n'ont point de mendians parmi eux , mais ils sont tous artisans, ouvriers et grands agriculteurs. II semble même qu'un des dogmes de leur ancienne religion air été que 1'homme est sur la terre pour la cultiver et pour 1'embellir , ainsi que pour la peupler. Car ils estiment que 1'agriculrure est nonseulement une professipn belle et innocente , mais noble dans la société et méritoire devant Dieu. C'est le prier, disent-ils , que de labourer ; et leut ctéance met au nombre des actions vertueuses de planter un arbre,  zi\ Guèbres. de défricher un champ , et d'engendrer des enfans. Par une suite de ces principes, si antiques qu'ils sont presque oubliés par-tout ailleurs, ils ne mangent point le bceuf, paree qu'il sert au labourage , ni la vache qui leur donne du lait; ils épargnent de même le coq animal domestique , qui les avertit du lever du soleil; et ils estiment particulièrement le chien qui veille aux troupeaux , et qui garde la maison. Ils se font aussi un religieux devoir de tuer les insectes et tous les animaux malfaisans ; et c'est par 1'exercice de ce dernier précepte , qu'ils croient expier leurs péchés ; pénitence singuliere , mais utile. Avec une morale pratique de cette rare espèce , les Guèbres ne sont nulle part des hótes incommodes; on recoanoir par-tout leurs habitations au coup-d'ceil, tandis que leur ancienne patrie, dont 1'histoire nous a vanté la fertilité , n'est plus qu'un désert et qu'une terre inculte sous la loi de Mahomet, qui joint la contemplation au despotisme. Ils sont prévenans envers les étrangers de quelque nation qu'ils soient ; ils ne parient point devant eux de leur religion , mais ils ne condamnent personne ; leur maxime étant de bien vivre avec tout le monde et de n'offenser qui que ce soit. Ils haïssent en géneral tous les conquérans; ils méprisent et détestent singulièrement Alexandre comme un des plus grands ennemis qu'ait eu le genre humain. Quoiqu'ils aient lieu de haïr particulièrement les mahométans, ils se sont toujours reposés sur la providence du soin de punir ces cruels usurpateurs, et ils se consolent par une très-ancienne tradition dont ils entretiennent leurs enfans , que leur religion reprendra un jour le dessus , et qu'elle sera professte de tous les peuples du monde: a eet arricle de leur croyance , ils joignent aussi cette attente vague et indéterminée qu'on re trouve chez tant d'autres  Guèbres, 11$ d'autres peuples , de personnages illustres et fameus qui doivenr venir a la fin des tems, pour rendre les hommes heureux et les prépater au grand renouvellement. Une discipline sévère et des mceurs sages règnent dans 1'intérieur de leurs maisons •, ils n'épousenr que des femmes de leur religion et de leur nation; ils ne souffrent point la bigamie ni le divorce , mais en cas de stérilité , il leur est permis de prendre une seconde femme au bout de neuf années, en gardant cependant la première. Par-tout oü ils sont tolérés , ils recoivent le joug du prince , et vivent entr'eux sous la conduite de leurs anciens qui leur servent de magistrats. Ils ont aussi des prêtres qui se disent issus des anciens mages, et qui dépendent d'un souverain pontife, que les Guèbres appellent destour , destourant , la règle des régies , ou la loix des loix. Ces prêtres n'ont aucun habit particulier, et leur ignorance les distingue a peine du peuple. Ce sont eux qui ent le soin du feu sacré , qui imposent les pénitences, qui donnent des absclutions et qui pour de 1'argent distribuent chaque mois dans les maisons le feu sacré et 1'urine de vache qui sert aux purifications. Ils prétendent posséder encore les livres que Zoroastre a recus du Ciel; mais ils ne peuvent plus les lire, ils n'en ont que des commentaires qui sont euxmêmes très-anciéns. Ces livres eontiennent des révélations sur ce qui doit arriver jusqu'a la fin des tems, des rraités d'astrologie et de divination. Du reste, leurs traditions sur leurs prophêtes et sur tout ce qui concerne l origine de leur culte, ne forment qu'un tissu mal assorti de fables merveilleuses et de gtaves puérilités. II en est a eet égard de la religion des Guèbres «omme de toutes les autres religions d'Asie; la morale Tome F. f  2i6 Guèbresl en est toujouts bonne , mais l'historique , ou pour mieux dire le roman 3 n'en vaut jamais rien. Ces histoires, il est vrai , devroient être fort indifférentes pour le culte en général 5 mais le mal est que les hommes n'ont fait que trop consister 1'essentiel de la religion dans un nom. Si les nations asiatiques vouloient cependant s'entendre entr'elles et oublier ces noms divers de Confucius , de Brahma , de Zoroastre et de Mahomet, il arriveroit qu'elles n'auroient presque toutes qu'une même créance , et qu'elles seroient par-la d'autant plus proches de la véritable. Plusieurs savans ont cru reconnoitre dans les fables que les Gutbres débitent de Zoroastre , quelques traits de ressemblance avec Cham, Abraham et Moïse ; on pourroit ajouter aussi avec Osiris j Minos et Romuius: mais il y a bien plus d'apparence que leurs fables sont tirées d'une formule générale que les anciens s'étoient faite pour écrire 1'histoire de leurs grands hommes, en abusant des sombres vestiges de 1'histoire ancienne de la nature. Plus l'on remonte dans 1'antiquité, et plus l'on remarque que l'historique et 1'appareil des premières religions ont été puisés dans de pareilles sources. Toutes les fêtes des Mages étoient appelées des mémoriauS ( Selden , de dus Syris ) et a en juger aujourd'hui par les usages de leurs descendans, on ne peut guères douter que leur culte n'ait efrectivement été un reste des anciennes commémorations de la ruine et du renouvellement du monde qui a dü être un des prmcipaux objets de la morale et de la religion sous la loi de nature. Nous savons que sous la loi écrite et sous la loi de grace , les fêtes ont successivement eu pour motifs la célébration des événemens qui ont donné et produit ces loix: nous pouvons donc penser que sous la  Guèbres. ixy 1oi de nature qui les a précédées , les fêtes ont du avoir et ont eu pout objet, les grands événemens de 1'histoire de la natute , entre lesquels il n'y en a pas eu sans doute de plus grands et de plus mémorables que les révolutions qui ont déttuit le genre humain et changé la face de la terre. C'est aptès avoir profondément étudié les différens ages du monde sous ces points de vue , que nous osons hasarder de dire que telle a été 1'origine de la religion des Guèbres et des anciens mages. Si nous les considérons dans leurs dogmes sur l'agriculture, sur la population et dans leur discipline domestique , tout nous y retracera les premiers besoins et les vrais devoirs de rhomme, qui n'onr jamais été si bien connus qu'après la ruine du genre humaid deveriu sage par ses malheurs. Si nous les envisageons dans les terreurs qu'ds ont des éclipses, des comètes, et de tous les écarts de la natute , et dans leurs traditions apocalyptiques , nous y reconnoitrons les tristes restes de 1'espèce humaine long-tems épouvantée et effravée par le seul souvenir des phéncmènes de leurs anciens désastres. Si nous analysons leur dogme des deux principes er leurs fables sur les anciens combars de la lumière contre les ténèbres , et que nous en rapprochions tant d'autres traditions analogues répandues chez divers peuples ; nous y reverrons aussi ce méme fait que quelques-uns ont appelé cakos , débrou'dlement , et d'autres création et renouveüement. En érudiant leur culrê dn feu , et leurs pressenrimens sur les incendies furures, nous n'y trouverons que le ressentiment des incendies passées, et que des usages qui en devoient perpétuer le souvenir: enfin , si nous les suivons dans ces fêtes qu'ils célébrent pour le soleil et pour tous les élément', tout nous y retraceta de même des institutions rela- P z  21g Guèbres. lives a eet ancien objet qui a été perdu, oublié , eor> rompu par les Guèbres , par les Perses eux-mêmes, et par tous les autres peuples du monde qui n'ont présentement que des tracés plus ou moins sombres de ces religieuses commémorations , qui dans un certain age ont été génerales par toute la terre. C'est une grande question de savoir si les Guèbres d'aujourd'hui sont idolatres , et si le feu sacré est 1'objet de leur adoration présente. Les Turcs , les Persans et les Indiens les regardent comme tels; mais, selon les voyageurs Européens, les Guèbres prétendent n'honorer le feu qü'en mémoire de leur législateur qui se sauva miraculeusement du milieu des Hammes, et pour se distinguer des idolatres de 1'Inde, ils se ceignent tous d'un cordon de laine ou de poil de chameau. Ils assurent reconnoitre un Dieu suprème , créateur et conservateur de la lumière; ils lui donnent sept ministres j, et ces ministres eux-mêmes en ont d'autres qu'ils invoquent aussi comme génies intercesseurs : 1'Étre suprème est supérieur aux principes et aux causes; mais il est vrai que leur théologie ou leur superstition attribué tant de pouvoir a ces principes subalternes , qu'ils n'en laissent guère au souverain ou qu'il en fait peu d'usage; ils admettent aussi des intelligences qui. resident dans les astres et gouvernent les hommes, et des anges ou créatures inférieures qui gouvernent les corps animés; et chaque atbre, comme chaque homme, a son patron et son gardien. Ils ont persisté dans le dogme du bon et du mauvais principe : cette antique hérésie, et peut-étre la première de toutes, n'a été vraisemblablement qu'une suite de 1'impression que fit sur les hommes le spectacle affreux des premiers raisonnemens qu'on a cru religieusement devoir faire pour ne point en accuser un Dieu créateur  - Guèbres. lij et conservateur. Les anciens théologiens s'embrouilloient autrefois fort aisément dans les choses qu'ils ne pouvoient comprendre; et l'on peut juger combien cette question doit être épineuse pour de pauvres gens, tels que les Guèbres , puisque tant et de si grands génies onr essayé en vain de la résoudre avec toutes les lumières de la raison. Au reste les Guèbres n'ont aucune idole et aucune image, et ils sont vraisemblablement les seuls peuples de la terre qui n'en ont jamais eu : tout 1'appareil de leur religion consiste a entretenir le feu sacré, a respecter en général eet élément 3 a n'y mettre rien de sale ni qui puisse faire de la fumée, et a ne point 1'infecter même avec leur haleine en voulant le soufflerj c'est devant le feu qu'ils prient dans leurs maisons , qu'ils fonr les actes et les sermens, et nul d'entr'eux n'oseroit se parjurer quand il a pris a témoin eet élément terrible et vengeur : par une suite de ce respect, ils entretiennent en tout tems le feu de leur foyer; ils n'éteignent pas même leurs lampes, et ne se servent jamais d'eau dans les incendies qu'ils s'eftorcent d'étouffer avec de la terre. Ils ont aussi diverses cérémonies légales pour les hommes et pour les femmes , une espèce de baptême a leur naissance, et une sorte de confession a leur mort; ils prient cinq fois le jour en se tournant vers le soleil, lorsqu'ils sont hors de chez eux; ils ont des jeünes réglés, quatre fêtes par mois, et sur-tout beaucoup de vénération pour le vendredi, et pour le premier et le 20 de chaque lune; dans leurs jours de dévotion ils ont emr'eux des repas communs oü l'on partage également ce que chacun y apportë suivant ses facultés. Ils ont horreur de 1'attouchement des cadavres, n'entetrent point leurs morts ni ne les brülent; ils se con- P 5  2ZO Guèbres. tenrent de les déposer a 1'air dans des enceintes rrra-rtes, en mettant auprès deux diverses ustensiles de ménage. L'air et la sécheresse du pays permettent sans doute eet usage qui seroit dangereux et désagréable pour les vivans dans tout autre climat; mais il en est sorti chez les Guèbres cette superstition singuliere , d'aller observer de quelle facon les oiseaux du ciel viennent attaquer ces corps; si le corbeau prend l'ceil droit , c'est un signe de salut, et l'on se réjouit; s'il prend l'ceil gauche, c'est une marqué de réprobation, et l'on pleure sur le sort du dcfunt : cette espèce de cruauté envers les morts se trouve réparée par un autre dogme :terid 1'humanité des Gul-bres jusques dans 1'autre : rétendent q;te le mauvais principe et 1'enfer avec leur empire , et que les réprouvés, , uffrances, retrouverom a la fin un Dieu clén r.t et miséricoidieux, dont la contemplation fera leurs déiices. Malgré 1'ignorance des Guèbres 3 il semble qu'ils ayent vöulu prendre un milieu entre le paradis extravagant de Mahomet et Ie redoutable enfer du christianisme. Des peuples qui ont un culte si simple et des dogmes si pacifiques , n'auroient point du sans doute être 1'objet de la baine et du mépris des Mahométans •, mais non-seulement ceux-ci les détestent, ils les ent encore accusés dans tous les tems d'idolatrie, d'impiéré, d'athéisme et des crimes les plus infames. Toutes les religions persécutées et obligées de tenir leurs assemblees secrettes , ont essuyé de la part des autres sectes des calomnies et des injures de ce genre. Les payens ont accusé les premiers chrétiens de manger des enfans et de se mêler sans disrinction dage et de sexe; quelques-uns de nos hérétiques a leur tour en out essuyé un pareil traitement; et c'est de méme le venin ca-  Guèbres. 23* lomnieux que répandent les disputes de religion, qui a donné aux restes des anciens Perses le nom de Guèbres, qui, dans la bouche des Persans modernes, désigne en général un payen , un injïdèle, un homme adonné au crime contre nature. Quelques-uns les ont aussi nommés Parsis, Pharsis et Farsis, comme descendans des Perses, et d'autres Magious, paree qu'ils descendent des anciens Mages; mais leur nom le plus connu et le plus usité est 1'infame nom de Guebre. Ce qu'il y a de singulier dans ce nom_, c'est qu'il est d'usage chez plusieurs nations d'Europe et d'Asie, et que sous diftérentes formes et en diiïérens dialectes, il est partout 1'expression d'une injure grossière. Le changement du b en u donne gaur, autre nom des Guèbres; une inflexion légère dans les voyelles donne giaour chez les Turcs qui onr fréquemment ce mot a la bouche, et qui le prodiguent particulièrement en faveur des juifs, des chrétiens, des infidèles et de tous ceux qu'ils veulent outrager et insulter: le changement du g en k, donne kebre> qui est aussi d'usage; et celui du b en en pk , produit kaphre et kafre, nom que plusieurs peuples d'Afrique ont recu des Arabes leurs voisins, paree qu'ils ne suivent point la loi de Mahomet. L'inverse et la méthathèse des radicaux de ce nom de gebr, qui dans 1'hébreu sont gabar, gibor, giber et geber ont porté dans 1'Europe, par le canal des Phéniciens ou Arabes espagnols, les. expressions populaires de bogriy borgi, bourgarie et bougerie, qui conservent encore 1'idée du crime abominable dont les Guèbres sont accusés par les Persans modernes; nos ayeux n'ont pas manqué de même d'en décorer les hérétiques du P 4  2 j 2 Guèbres. douzième siècle , et nos étymologistes ont savamment dérivé ces mots de bulgares, a bulgaris. Les racines primitives de ces noms divers ne porrent cependant point avec elles le mauvais sens que le préjugé leur attribué; gabar, dans 1'hébreu, signifie être fort, être puissant, être valeureux , dommer : gibor et giber, y sont des épithetes qui indiquent la force j le courage , la puissance et \'empire. Geber désigne le maitre , le dominateur, et geberth, la maitresse ■ d'oü nos ancêtres ont formé berger et bergereth. Les Chaldéens dérivent aussi de cette source gubenn, en latin gubernatores , en francois gouverneurs. Les orientaux anciens et modernes en ont tirè Gabriel, Kébrail, Kabir, Giaberet Giafar3 noms illustres d'archanges et de grands hommes. Les dérivés de gibor, de bogri et de borgi, désignent encore chez les Flamans, un bel homme , un homme puissant et de taille avantageuse; et nous exprimerons le contraire par le diminutif rabougri : ce qui prouve que nos anciens ont connu le sens naturel et véritable de ces dénominations. Si cependant elles sont devenues injurieuses pour la plupart , c'est par une illusion dont il faut ici chercher la source dans les légendes des premiers ages du monde ; elles nous disent qu'il y eut autrefois des hommes qui ont rendu leur nom célèbre par leur puissance et leur grandeur; que ces hommes couvrirent la terre de leurs crimes et de leurs forfaits , et qu ils furent a la fin exterminés par le feu du ciel : cette race superbe est la même que celle des géans , que les Arabes nomment encore giabat, et au plurier giabaroum potentes; et que les anciens ont appellé gibor et gibborïm, ainsi qu'on le voit en plusieurs endroits de la  Guèbres. 13? Bible. Nous devons donc présumer que c'est sous eet aspect particulier que le nom gibor avec ses dialectës gebri, bogri, borgi , et leurs dérivés, sont devenus , chez tant de peuples différens, des termes insultans ; et que c'est de-la qu'est sortie 1'application presque générale qu'on en a fait a tous ceux que la justice ou le fanatisme calomnieux ont accusé de ce même crime qui a fait tomber le feu du ciel sur la tête des puissans mais abominables gibborim.  LANGUE HÉBRAIQUE. C v> est la langue dans laquelle sont écrits les livres saints que nous oat transmis les Hebreux qui lont autrefois parlé. C'est, sans contredit, la plus ancienne des langues connues; s'il faut s'en rapporter aux juifs, elle est la première du monde. Comme langue savante ei comme langue sacrée, elle est, depuis bien des siècles , le sujet et la matière d'une infinité de questions intéressantes, qui n'ont pas été discutées de sang-froid sur-tout par les Rabbins , et qui , pour la plupart, ne sont pas encore éclaircies , peut-étre a cause du tems qui couvre tout, peur-être encore paree que cette langue n'a pas é:é aussi cultivée qu'elle auroit dii lette des vrais savans. Son origine, ses révolutions , son génie, ses propriétés , sa grammaire, sa prononciarion, enfin , les caractères de son écriture, et la ponctuaticn qui lui sert de voyelles, sont 1'objet des principaux problêmes qui la concernent; s'ils sont résolus pour les Juifs qui se noient avec délices dans un océan de minuties et de fables, ils ne le sont pas encore pour fhomme qui respecte la religion et le bon-sens, et qui ne prend pas le merveilleux pour la vérité. Nous présenterons donc ici ces différens objets; et sans nous fiatter du succès, nous parierons en historiens et en littérateurs; i°. de 1'écriture de la langue hébraique \ i°. de sa ponctuation ; 30. de 1. origine de la langue et de ses révolutions chez les Hébreux ; 40. de ses révolutions chez les différens peuples oü elle paroit avoir été porrée par les Phéniciens, et j°. de son génie, de son caractère, de sa grammaire et de ses propriétés. I. L'alphabet hébreux est composé de vingt-deux  Langue Ilélraique. 235 lettres , toutes réputées consonnes, sans excepter même Yaleph , le hé, le vau , et le jod , que nous nommons voyelles , mais qui chez les Hébreux n'ont aucun son fixe ni aucune valeur sur la ponctuation , qui seule contient les véritables voyelles de cette langue, comme nous le verrons au deuxième article. On trouvera les noms et les figures des catactères hébreux , ainsi que leur valeur alphabétique er numérique dans nes planches des caractères; ( 1'Encyclopédie ) on y a joint les caractères samaritains qui leur dispurent 1'antériorité. Ces deux caractères ont été la matière de grandes discussions entre' les Samaritains et les Juifs; le pentateuque qui s'est transmis jusqu'a nous , par ces deux écritures , ayant porté chacun de ces peuples a regarder son caractère comme le caractère primitif, et considérer en même tems son texte comme le texte original. Ils se sont fort échanffés de part et d'autre a ce sujet , ainsi que leurs partisans, et ils ont plutót donné des fables ou des systèmes , que des preuves ; paree que telle est la fatalité des choses qu'on croit toucher a la religion, de ne pouvoir presque jamais être traitées a 1'amiable et de sens froid. Les uns ont comidéré le caractère hébreu comme une nouveauré que les Juifs ont rapportée de Babylone au retour de la captivité; et les autres ont regardé le caractère samaritain comme le caractère barbare des colonies assyriennes qui repeuplèrent le royaume des dix tribus dispersées , sept cent ans environ avant J. C. Quelques-uns plus raisonnables ont cherché a les mettre d'accord en leur disant que leurs pères avoient eu de tout tems deux caractères, 1'un profane et 1'autre sacré; que le samaritain avoit été le profane ou le vulgaire, et que celui qu'on nomme hébreu, avoit été le caractère sacré ou sacerdotal. Ce sentiment favcrable a 1'antiquité des  156 Langue Hébraique. deux alphabets, qui contiennent le même nombre dt» lettres, et qui semblent par-la avoir en effet appartenu au même peuple , donne la place d'honneur a celui du texte hebreu ; mais il s est trouvé des Juifs qur Tont rejetté, paree qu'ils ne veulent point de concurrens dans leurs antiquités , et qu'ils n'y a d'ailleurs aucun monument qui puisse contaster le doublé usage de ces deux caractères chez les anciens Israëlites. Enfin , les savans qui sont entrés dans cette discussion , après avoir long-tems fiorté d'opinions en opinions, semblent être décidés aujourd'hui, quelques-uns a regarder encore le caractère hébreu comme ayant été inventé par Esdras 5 le plus grand nombre , comme un caractère chaldéen , auquel les Juifs se sont habitués dans leur captivité ; et ptesque tous sont d'accord avec les plus éclairés des Rabbins , a donner 1'antiquité et la primauté au caractère samaritain. Cette grande question auroir été plutót décidée, si dans les premiers tems oü l'on en a fait un problême, les intéressés eussent pris la voie de 1'observation et non de la dispute. II falloit d'abord comparer 1'un avec 1'autre , pour voir en quoi ils différent, en quoi ils se ressemblent, et quel est celui dans lequel on reconnoit le mieux 1'antique. II falloit ensuite rapprocher des deux alphabets les lettres grecques, nommces lettres phéniciennes par les Grecs eux-mêmes, paree qu'elles étoient originaires de la Phénicie. Comme cette contrée diffère peu de la Palestine, il étoit assez naturel d'examiner les caractères d'écritures qui en sortis, pour remarquer s'il n'y auroit point entr'eux et les caractères hébreux et samaritains des rapports communs qui pussent donner quelque lumière sur 1'anriquité des deux deruiers; c'est ce que nous allons faire ici. Le simple coup-d'ceil fait appercevoir une différence  Langue He'braiqui. 237 Sensible entre les deux caractères orientaux; 1'hebreu net, distinct, régulier et presque toujours quarré, est commode et courant dans 1'écriture ; le samaritain plus bizarre et beaucoup plus composé, présente des figures ; qui ressemblent a des hiéroglyphes , et même a queliques-unes de ces lettres symboliques qui sont encore ;en usage aux confins de 1'Asie. II est difficile et long ia former , et tient ordinairement beaucoup plus de |place; nous pouvons ensuite remarquer que plusieurs 1 caractères hébreuxcomme aleph, beth , %ain , heth , , theth , lamcd , mem , nun, resch et schut, ne sont 1 que des abréviations des caractères samaritains qui leur1 correspondent, et que l'on a rendus plus courans et plus commodes , d'oü nous pouvons déja conclure que \ le caractère samaritain est le plus ancien : sa rusticité : fait son titre de noblesse. La comparaison,des lettres grecques avec des samaritaines ne leur est pas moins avantageuse. Si l'on en rapproche les majuscules alpha, gamma , delta , epsilon , reta , heta , lambda , pi, ro et sigma , on les reconnoitra aisément dans les lettres correspondantes aleph, gimel, daleth , hè, \ain , heth, lamed , phé, resch et schin , avec cette différence cependant que dans le grec elles sont pour la plupart tournées en sens contraire , suivant 1'usage des Occidentaux, qui ont écrit de gauchea droite , ce que les Qrientaux avoient figuré de droite a gauche. De cette dernière observation il résulte que le caractère que nous nommons samaritain étoit d'usage dans la Phénicie dès .les premiers tems historiqües et même auparavant, puisque 1'arrivée des Phéniciens et de leur alphabet chez les Grecs se cache pour nous dans la nuit des tems mythologiques. Nos obse;vations ne seront pas moins favorables 4  ajS Langue Hébraique. 1'antiqv/ité des caractères hébreux. Si l'on cofnpare les minuscules des Grecs avec eux , on rèconnoitra de même qu'elles en ont pour la plupart été tirées „ comme les majuscules 1'ont été du samaritain , et l'on remarquera qu'elles sont aussi représentées en sens contraire. Par cette doublé analogie des lettres grecques avec les deux alphabets orientaux, nous devons donc juger i°. que de tout ce qui a été tant de fois débité sur la nouveauté du caractère hébreu , sur Esdras , qu'on en a fait 1'inventeur, et sur Babylone, d'oü l'on dit que les captifs 1'ont apporté, ne sont que des fables qui démontrent le peu de connoissance qu'ont eue les Juifs de leur histoire littéraire , puisqu'ils ont ignoré 1'antiquité de leurs caractères , qui avoient été communiqués aux Européens plus de mille ans avant ce retour de Babylone ; 2°. que les deux caractères nommés aujourd'hui hebreu et samaritain , ont originairement appartenu au même peuple, et particulièrement aux anciens habitans de la Phénicie ou Palestine, et que le samaritain cependant doit avoir quelque antériorité sur 1'hébreu , puisqu'il a visiblemenr servi a sa construction , et qu'il a produit les majuscules grecques; étant vraisemblabie que les écritures ont consisté en grandes lettres, et que les petites n'ont été inventées et adoptées que lorsque eet art est devenu plus commun et d'un usage plus fréquent. Au tableau de comparaison que nous venons de faire de ces trois caractères, il n'est pas non plus inutile de joindre-le coup d'cril des lettres latines ; quoiqu'elles soient sensées apportées en Italië par les Grecs, elles ont aussi des preuves singulières d'une relation directe avec les Orientaux. On ne nommera ici que C, Z_, P , q et r j qui n'ont point tiré leur figure de la Grèce, et qui ne peuvent être autres que le caph, le lamed,  Langue Hébraique. 2^ hpké&ml, le qopk , et le resch de i'alphaber hébreu vus et dessmés en sens contraire : ce qui présente un nouveau monument de 1'antiquité des lettres hébraïquès Comme nous ne pouvons fixer les tems oü les navil gateurs de la Phénicie ont anpotté leurs caractères'et leur écnture aux différens peuples de la Méditerranée il nous est encore plus impossible de désigner la source' doü les Phérticiens et les IsraéÜtes les avoient euxmêmes tirés ; ce n'a pu être sans doute que des Egyptiens ou des Chaidéens, deux des plus anciens peuples connus, dont les colonies se sont répandues de bonn» heure dans la Palestine. Mais en vain désirerions-nous savoir quelque chose de plus précis sur 1'origine de ces caractères et sur 1'invenreur; le tems oü les Egyptiens et les Chaidéens ont abandonné leurs symboles pnmitifs et leurs hiéroglyphes , pour transmertre 1'historie par 1 écnture, n'a point de date dans aucune des annales du monde : nous n'oserions même assurer que ces caractères hébreux et samaritains aient été les premiers caractères des sons. La lettre quarrée des Hébreux est trop simple pour avoir été la première inventée • et celle des Samaritains n'est peut-être point assez coinposee ; d ailleurs ni 1'une ni 1'autre ne semblent être prises dans la nature ; et 1'argument le plus fort contre elles, eest qu'il est plus que vraisemblable que les premières lettres alphabétiques ont eu la figure d'animaux , ou de parties d'animaux , de plantes'et d'autres «orps naturels dont on avoit déja fait un si grand usage dans lage des symboles ou des hiéroglyphes Ce que Ion peut penser de plus raisonnable sur nos deux alphabets , eest qu'étant dépourvus de voyelles ils paroissent avoir été un des premiers dégrés par oü il a tallu que passat 1'esprit humain pour amener 1'écriture a sa perfection. Quant au primitif inyenteur lais  i^e Langue Hébralque. , sons les rabbiras le voir tantöt dans Adam , tantot dans Moyse , tantöt dans Esdras ; laissons aux mytbologistes le soin de le célébrer dans Thoth, paree que ohtoh signifie des lettres ; et ne rougissons point d'avouer notie ignorance sur une anecdote aussi ténébreuse qu'intéressante pour 1'histoire du genre humain. Passons aux questions qui concernent la ponctuation, qui dans 1'écriture hébraique tient lieu de voyelles dont elle est privée. II. Quoique les Hébreux aient dans leur alphabet ces quatres lettre aleph he , vau , et jod3 c'est-a-dire, a , e, u, ou o et i , que nous nommons voyelles , elles ne sont regardées dans 1'hébreu que comme des consonnes muettes, paree qu'elles n'ont aucun son fixe et propre, et qu'elles ne recoivent leur valeur que des différens points qui se posent dessus ou dessous , et devant ou après elles : par exemple , a vaut o , a vaut i , a vaut e 3 a vaut u , Sec. plus ordinairement ces points et plusieurs autres petits signes conventionnels se posent sous les vraies consonnes , valent seuls autant que nos cinq voyelles , et tiennent presque toujours lieu de I'aleph , du hé, du vaud et du jod, qui sont peu souvent employés dans les livres sacrés. Poulr écrire lacac , on écrit l c c ; pour paderes , jardins, p rds; marar, être amer, mf.t\ pour pharaq , briser, p h rq ; pour garah , batailler, grh , Sec. Tel est 1'article par lequel les Hébreux suppléent au défaut des lettres fixes que les autres nations se sont données pour désigner les voyelles; et il faut avouer que leurs signes sont plus riches et plus féconds que nos cinq caractèies, en ce qu'ils indiquent avec beaucoup plus d* variété les longues et les brèves , et même les différentes modifications des sons que nous sommes obligés d'indiquer par des accens, a 1'imitation des Grecs qui eu  Langue He'braique. 441 en avoient encore un bien plus grand nombre que nous qui n'en avons pas assez. II arrivé cependanr, et il est arrivé quelques inconvéniens aux Orientaux, den'avoir exprimé leurs voyelles que par des signes aussi déliés, quelquefois rrop vagues et plus souvent encore sousenrendus. Les voyelles onr extrêmement varié dans les sons , elles ont changé dans les mots, elles ont été omises , elles ont été ajoutées et déplacées a 1'égard des consonnes qui forment la racine des mots : c'est ce qui fait la plupart des expressions occidentales qui sont en grand nombre sorties de l'orient, sont et ont été presque toujours méconnoissables. Nous ne disons plus paredes , marar, pharac etgarak , mais paradis, amer} pkrie , ou phrac et guerroyer. Ces changemens de voyelles sont une des clefs des étymologies , ainsi que la connoissance des diftérentes finales que les nations d'Etirope ont ajoutées a chaque mot oriental, suivant leur dialecte et leur gout particulier. Indépendamment des signes que l'on nomme dans 1'hébreu points-voyelles, il y a encore une multitude d'accens proprement dits , qui servent a donner de Femphase et de Fharmonie a la prononciation , a régler le ton et la cadence , et a distinguer les parties du discours, comme nos points et nos virgules. L'écriture hébraïque n'est donc privée d'aucun des moyens nécessaires pous exprimer correcrement le langage , et pour fixer la valeur des signes par une multitude de nuances qui donnent une variété convenable aux figures et aux expressions qui pourroient tromper l'ceil er 1'oreille : mais cette écnture a-t-elle toujours eu eet avantage ? c'est ce que l'on a mis en problême. Vers le milieu du seiziéme siècle, Elie Lévite, juif allemand , fut le premier qui agita cette intéressante et singulière question ; on n'avoit point avant lui soupconné qu« Tome F. Q  Langue He'braique. les points-voyelles que l'on trouvoit dans plusieurs exemplaires des livres saints , puissenr être d'une aurre main que de la main des auteurs qui avoient originairement écrit et composé le texte ; et l'on n'avoit pas même songé a séparer Tinvention et l origine de ces points , de 1'invention et de 1'origine des lettres et de l'écriture. Ce Juif , homme d'ailleurs fort lettré pour un juif et pour son tems , entreprit le premier de réformer a eet égard les idéés recues ; il osa recuser 1'antiquité des points-voyelles , et en attribuer 1'invention et le premier usage aux Massorettes, docteurs de Tibériade , qui fleurissoient au cinquiéme siècle de notre ère. Sa narion se révolta contre lui ; elle le regarda comme un blasphémateur , et les savans comme un fou. Au commencement du dix-septième siècle, Louis Capelle, professeur a Saumur, prit sa défense, et soutint la nouvelle opinion avec vigueur -T plusieurs se rangèrent de son parti : mais en adoptant' le systême de la nouveauté de la poncruation , ils se divisèrent tous sur les inventeurs et sur la date de 1'invention-, les uns en firei-r honneur aux Massorettes, d'autres a deux illustres rabbins du onziéme siècle, et la multitude crut au moins devoir remonter jusqu'i Esdras et a la grande synagogue. Ces nouveaux critiques eurent dans Cl. Buxtorf un puissant adversairey qui fut secondé d'un grand nombre de savans de 1'une' et 1'autre religion ; mais quoique le nouveau systême parur a plusieurs iutéresser 1 inrégiité des livres sacrés, il ne fut cependant point prosent, et l'on peut dire qu'il forme aujourd'hui le sentiment le plus général. Pour éclaircir une telle question autant qu'il est' possible de le faire, il esr a propos de connome quels ont/ été les principaux moyens que les deux parris ont eiTlployés : ils nous exposeront 1'état des choses -y et  Langue He'braique. £^ j focus faisant connoitre quelles sont les causes de 1'inI certitude oü l'on est toinbé k ce sujet, peut-être nous met: tront-ils a portée de juger le fond même de la question. Le Pantateuque sahiaritain , qui de tous les textes | porte le plus le sceau de 1'antiquiré, n'a point de ponctuation; les paraphrastes Chaidéens qui ont cominencé ! a écrire un siècle ou deux avant Jésus-Christ ne s'en j sont point servls non plus. Les livres sacrés que les | Juifs lisent encore dans leurs synügogucs; et ceux dont se servent les cabalistes , ne sont point ponctués : enfin dans le commerce ordinaire des lettres, les points M ne sont d'aucun usage. Tels ont été les movens de Louis Capelle et de ses partisans , et ils n'ont point j manqué de s'autoriser aussi du süence général de 1'antiquité juive et chrétienne sur 1'existence de la poncj tuation. Contre des moyens si forrs et si positifs on a opposé 1'impossibilité morale qu'il y auroit eu a transmetrre pendant des milliers d'années un corps d'hisroite raisonnée et suivie avec le seul secours des consonnes; et la traduction de la bible que nous possédons a été regardée comme la preuve la plus forte et la plus expressive que 1'antiquité juive n'avoit point i été privée des moyens nécessaires et des signes indiss pensables pour en perpétuer le sens et 1'intelligence. On a dit que le secours des voyelles nécessaiies a toute I langue et a toute écriture, avoit été encore bien plus | nécessaire a la langue des Hébreux qu'a toute autre , paree que la plupart des mots ayant souvent plus I d'une valeur, Tabsenee des voyelles en auroir aügmenté i 1'incertitude pour chaque phrase en raison de la combinaison des sens dont un groupe de consonnes est susceptible avec toutes voyelles arbitrafres. Cette dernière considération est réellement effrayante pour qui' s-ait la fécondité de la combinaison de quatre ou cinc| Q i  Langue Hébraique. Tnes avec quatre ou cinq autres; aussi les défenseurl Lr »«i cerei, in dïversas formas miuabias Leusden 'niL keb. dis, 14) qu'un morceau de sable batcu P« le vent, qni d'age en age auroit perdu sa forn P imitive. En vain, leurs adversaires appelioien alr secours une tradition orale pour en conserver L ens de bouche en bouche, et pour en perpetue Wl gence dage en age. On leur disoit que eet« adSon orale n'étoit quune fable, et n avoit ,arn eTi qua transmettre des fables. En vain oseroient-ls prétendre que les inventeurs modernes des point-voyelles Soient été inspirés du Saint-Esprit pour rrouver « fixer le vérirable sens du rexte sacré et pour ne sen écarter jamais. Ce nouveau miracle prouvoit aux autres 1'impossibilité de la chose, paree que la traduction des livres saints ne doit pas être une merveille superieure a celle de leur composition pnmitive. A ces raisons générales on en a joint de particuheres et en -rand nombre ; on a fait remarquer que les paraphrastes Chaidéens , qui n ont point employé de ponctuauon dans leurs commentaires ou targum , se sont servis très-fréquemment de ces consonnes muettes, aleph , vau etjod, peu usitées dans le texte sacré, ou elles n'ont point de valeur par elles-mêmes, mais qui sont si essentielles dans les ouvrages des paraphrastes, qu on les y aopelle mams lectionis , paree qu'elles y fixent le son et la valeur des mots, comme dans les livres des autres langues. Les juifs et les rabbins font aussi de ces caractères le même usage dans leurs lettres et leurs autres écrits, paree qu'ils évitent de cette facon la longueur et 1'embarras d'une ponctuauon pleine de minuiies.  Langue He'braique. *4J Pour répondre a 1 'objection tirée du silence de 1'antiquité, on a présenté les ouvrages même des Massorettes qui ont fait des notes cririques et grammaticales sur les livres sacrés, et en particulier sur les endroits dont ils ont cru la ponctuation akérée ou changée. On a trouvé de pareilles autorités dans quelques livres de docteurs fameux et de cabalistes, connus pour être encore plus anciens que la Massore : c'est ce qui est exposé et démontré avec le plus grand détail dans le livre de Cl. Buxtorf, de antiq. punct. cap. j, part. ƒ, et dans le Philoh. heb. de Leusden. Quant au silence que la foule des auteurs et des écrivains du moyen age a gardé a eet égard , il ne pourroit être étonnant , qu'autant que 1'admirable invention des point-voyeiles seroit une chose aussi récente qu'on voudroit le prétendre. Mais si son origine sort de la nuit des tems les plus reculés, comme il est très-vraisemblable, leur silence alors ne doit pas nous surprendre; ces auteurs auront vu les points-voyelles; ils s'en seront servis comme les Massorettes, mais sans parler de 1'jnventicn ni de 1'inventeur ; paree qu'on ne paile pas ordinairemènt de ce qui est d'usage et que c est même la la raison qui nous fait ignorer aujourd'hui une multitude d'autres détails qui ont été vulgaires et très-ccnununs dans 1'antiquité. On a cependant plusieurs indices que les anciennes verslons de la bible qui portent les noms des Septantes, et des S. Jéröme , ont été faites sur des textes ponctués \ leurs variations entr'eiles et entre toutes les autres versions qui ont été faites depuis , ne sont souvent provenues que d'une ponctuation quelquefois -différente entre ies textes dont ils ce sont sfrvis ; d'ailleurs comme ces variations ne sont point considérables, qu'elles n'influent que sur quelques mots, et que les ïécits , les faits et I ensemble Q 3  Lcwgue Hébraique. total du corps historique, esc toujours le même dans routes les yersions connucs; cette uniformité est une des plus fortes preuves qu'on puisse donnet, que rous les traducteurs et tous les ages ont eu un secours commun et un même guide pour déchiffrer les consonnes hébraïques. S'il se pouvoit trouvet des Juifs qui n'eussent point appris leur langue dans la bible, et qui ne connussent point la ppnctuation , il faudroit pour avoir une idéé des diificukés que présente 1'interprétatiop de celles qui ne le sont pas, exiger d'eux qu'ils en donnassent une nouvelle traduction, on verrok alors quelle est 1'impossibilité de la chose, ou quelles fables ils nous fercient s'ils étoient encore en état d'en faire. A tous ces argumens si l'on vouloit en ajouter un nouveau , peut-être pourroit-on encore faire parler l'écriture des Grecs en faveur de 1'antiquité de la ponctüatioh hébraïque et de ses accens , comme neus 1'avons fait ci-devant parler en faveut des caractères. Quoique les Grecs aient eu 1'art d'ajouter aux alphabets de Phénkie les voyelles fixes et détern'inées dans leur son, leurs "oyelk-s sont encore cependant tellement chargées d'accrns, qu'il sembleroit qu'ils n'ont pas osé se defaire entièrement de la ponctuation primitive. Ces accens sont dans leur écriture aussi essentiels, que les points le sont chez les Hébreux ; et sans eux il y auroit un grand nombre de mots dont le sens seroit variable et incertain. Cette facon d'écrire moyenne entre celle des Hébreux et la nocre , nous indique sans doute un des dégrés de la progression de eet art ; mais quoiqu'il en soit, on ne peut s'empêcher d'y reconnöitre 1'antique usage de ces points-voyelles , et de cette multitude d'acums que nous trouvons chez les Hébreux, Si le sekkme siècle a dpuc vu na'kre>  Langue Hébraique. 247 «ne opinion contraire , peut-être n'y en a-t-il pas d'autre cause que la publicité des textes originaux rendus communs par rimprimerie encore moderne > comme elle multiplia les bibles hébraïques, qui ne pouvoient être que très-rares auparavant, plus d'yeux en furent frappés et plus de gens en raisonneren! ; le monde en vit alors le spectacle nouveau de 1'ancien art d'écrire, et le silence des siècles fut nécessairement rompu par des opinions et des systèmes, dont la contrariété seule devroit suffire pour indiquer toute 1'antiquité de 1'objet oü i'imaginaticn a voulu, ainsi que les yeux, appercevoir une nouveauté. La discussion des point-voyelles seroit ici terminée toute en leur faveur, si les adversaires de son antiquité n'avoient encore a nous opposer deux puissantes autorités. Le Pentateuque samaritain n'a point de ponctuation, et les bibles hébraïques que lisent les rabbins dans leurs synagogues pour instruire leur peuple, n'en ont point non plus; et c'est une regie chez eux que les livres ponctués ne doivent jamais seivir a eet usage. Nous répondrons a ces objections; i°. que le Pentateuque samaritain n'a jamais été assez connu ni assez mulriplié, pour que l'on puisse savoir ou non, si tous les exemplaires qui en ont existé ont tous été généralement dénués de ponctuation. Mais il suit de . ce que ceux que nous avons en sont privés, que nous n'y pouvons connoitre que par leur analogie avec 1'hébieu, et en s'aidant aussi des trois lettres matres lectionis. 20. Que les rabbins qui lisent des bibles non ponctués n'ont nulle peine a le faire, paree qu'ils ont tous appris a lire et a parler leur langue dans des bibles qui ont tout ï'appareil grammatical, et qui servent a rintêlligeuce de celles qui ne 1'ont pas. D'ailleurs qui ne suit que ces rabbins , toujours livrés ï 1'illu- Q 4  *4* Langue Hébraique. sion , ne se servent de bible sans voyelles pour instruire leur troupeau, que pour y trouver, a ce qu'ils disent, les sources du Saint-Esprit plus riches et plus abondances en instructions, paree qu'il n'y a pas en effet un mot dans les bibles de cette espèce, qui ne puisse avoir une infinité de valeurs pour une imagination échauffée, qui veut se repaitre de chimères, et qui veut en entretenir les autres. C'est par cette même raison que les cabalistes font aussi si peu de cas de la ponctuation ; elle les gêneroit, et ils ne veulent point être gênés dans leurs excravagances; ils veulencen couce liberté supposerles voyelles, analyser les lettres, décomposer les mots et renverser les syllabes •, comme si les livres sacrés n'étoient pour eux qu'un répertoire d'anagrammes et de Iogogryphes. L'abus que ces prétendus sages ont fait de la bible dans tous les tems, et les rèveries inconcevables ou les rabbins , le texte k la main se piongent dans leurs synagogues , semblent ici nous avertic tacitement de 1'origine des livres non ponctués, et nous indiquer leur source et leur principe dans les déréglemens de 1'imagination ; les bibles muettes ne pourroient - elles point être les filles du mystère , puisqu'elles ont été pour les Juifs 1'occasion de tant de fables mystérieuses ? Ce soupcon qui mérite d'êrre approfondi, si l'on veut connoitre les causes qui ont répandu dans le monde des livres ponctués et non ponctués, et les suites qu'elles ont eu, nous conduit au véritable point de vue sous lequel on doit nécessairement considérer 1'usage et 1'origine même des points-voyelles; ce que nous allons dire fera la plus essenrielle partie de leur histoite; et comme cette partie renferme une des plus jntéressames anecdotes de 1'histoire du monde , on prévient qu'il ne faut pas cor.fondre les tems avec les  Langue Hébraique. 249 tems, ni les auteurs sacrés avec les sages d'Egypte ou de Chaldée. Nous allons parler d'un age qui a sans doute été de beaucoup antérieur au premier ecrivain des Hébreux. Plus l'on réfléchit sur les opérations de ceux qui les premiers ont essayé de représenter les sons par des caractères, et moins l'on peut concevoir qu'ils aient précisément oublié de donner des signes aux voyelles qui sont les mères de tous les sons possibles, et sans lesquelles on ne peut rien articuler. L'écriture est le tableau du langage ; c'est-la 1'objet et 1'essence de cette mestimable invention ■, br , comme il n'y a point et qu'il ne peut y avoir de langage sans voyelles, ceux qui ont inventé l'écriture , pour être utiles au genre humain, en peignant la parole , n'ont donc pu 1'imaginer indépendamment de ce qui en fait la partie essentielle, et de ce qui en est naturellement inaliénable. Leusden et quelques autres adversaires de 1'antiquité des points TOyeiies , ont avancé , en' discutant cette même question, que les consonnes étoient comme la matière des mots, et que les voyelles en étoient comme la forme : iis n'ont fait en cela qu'un raisonnement faux , et d'ailleurs inutile; ce sont les voyelles qui doivent être regatdees comme la matière aussi simple; qu'essentielle de tous ies sons, de tous les mots , et de toutes les langues; et ce sont les consonnes qui leur donnent la forme en les modifiant en mille er mille maniètes, et en nous les faisanc articuler avec une variété et une fécondité inrinie. Mais de facon ou d'autre, il faut nécessairement dahj l'écriture , comme dans le langage , le concours de cette matière et de cette forme, pour faire sur nos örganes 1'impression distincte que ni ia forme ni la matière ne peuvent prodyire séparément, Nous devous donc encore en  Zfo Langue Hébraique. conclure qu'il est de toute impossibilité que Tinven,tion des signes des consonnes ait pu être naturellement séparée de 1'invention des signes des voyelles, ou des points voyelles , qui sont la même chose. Pourquoi donc nous est-il parvenu des livres sans aucune ponctuation ? C'est ici qu'il faut en demander la raison primitive a ces sages de la haute antiquité, qui ont eu pour principe que la science n'étoit point faite pour le vulgaire, et que les avenues en devoient être hrmées au peuple, aux profanes et aux étrangers. On ne peut ignorer que le goüt du mystère a éce celui des savans des premiers ages •, c'étoit lui qui avoit déja en partie présidé a 1'invention des hiéroglyphes sacres qui ont devancé l'écriture , et c'est lui qui a tenu les nations, pendant une multitude de siècles dans des ténèbres qu'on ne peut pénétter , et dans une ignorance prcfonde et universelle, dont deux mille ans , d'un travail assez continu , n'ont point encore réparé toutes les suites funestes, Nous ne cherchons point ici quels ont été les principes d'un tel systême; il suffit de savoir qu'il a existé, et d'en voir les tristes suites , pour y découvrir 1'esprit qui a du présider a la primitive invention des caractères des sons, et qui en a fait deux classes séparées , quoiqu'elles n'eussent jamais dü. 1 etre. Cette précieuse et inestimable découverte n'a point été dès son origine Jivrée et communiquée aux hommes dans son entier; des consonnes ont été montrées au vulgaire, mais les signes des voyelles ont été mis en réserve comme une clef et un secret qui ne pouvoit être confié qu'aux seuls gardiens de 1'arbre de la science. Par une suite de 1'ancienne polnique , 1 in* vention nouvelle ne fut pour le peuple qu'un nouveau genre d'hiéroglyphe plus simple et plus abrégé, a la vérité, que les précédensj mais dont il fallut  Langue Hébraique. aji toujours qu'il allat de même chercher le sens etl'intelligence dans la bouche des sages, et chez les administrateurs de 1'instruction publique. Heureux sans doute ont été les peuples auxquels cette instruction a été donné saine et entière ! heureuses ont été les sociétés oü les organes de la science n'ont point, par un abus rrop conséquent de leur funeste politique, regardé comme leur patrimoine et leur domaine le dépot qui ne leur étoit que commis et confié ! mais quand elles auroient eu toutes ce rare bonheur , en est-il une seule qui ait été a 1'abri des guerres destructives et des révolutions qui renversent tout, et princrpalement les arts ? Les nations ont donc été détrmres , les sages ont été dispersés,souvent ils onc péri et leurs mysères avec eux. Après ces évènemens il n'est plus resté que les monumens énigmatiques de la science primitive, deyenus mystérieux et intclligibles par la perre ou la rareté de la cief des voyelles. Peut-èïrc !e peuple Juif est-il le seul qui , par un bie.ifait particulier de la providence , au heureusement conservé cette clef de ses annajes par le secoru's de quelqaes livres ponctués qui auront échappé aux diverses desoiations de leur patrie; mais quant a la flupart des autres nations, il p'est que trop vraisemblabïe qu'il a été pour elles un tems fatal oü elles ont perdu tout moyen de relever 1'edifice de leur histoire. II fallut ensuite recourir a la tradition ', il failur évertuer 1'imagination pour déchiffrer des fragmens d'annales toutes écrites en consonnes; et la privarion de-5 exemplaires ponctués, presque tous péris avec ceux qui les avoient si mystérieusement gardes , donna nécessairement lieu a une science nouvelle, qui fit respecter les écrittires non ponctuées 3 et qui en répandit le goiit depravé chez divers peuples : ce fut de deyiner ce qu'on ne pouvoit plus lire ; et  iji Langue Hébraique. comme 1'appareil de l'écriture et des livres des anciens sages avoit quelque chose de merveilleux , ainsi que tout ce qu'on ne peut comprendre, on s'en forma une ttès-haute idéé ; on n'y chercha que des choses sublimes , et ce qui n'y avoit jamais été sans doute, comme la médecine universelle , le grand oeuvre, ses secrets, la magie et toutes ces sciences occultes que tant d'esprits et de têtes creuses ont si long-tems cherchées dans certains chapitres de la bible, qui ne contiennent que des hymnes ou des généalogies ou des dimensions de batiment. II en fut aussi de même qüant a 1'histoire générale des peuples et aux histoires particulières des grands hommes. Les nations qui dans des tems plus anciens avoient déja abusé des symboles priraitifs et des premiers hiéroglyphes, pour fermer des êtres imaginaires qui s'étoient confondus avec des êtres réels abusèrent de même de l'écriture sans consonnes , et s'en servirent pour composer ou amphfier les légendes de tous les fantómes populaires. Tout mot qui pouvoit avoir quelque rapport de figure a un nom connu, fut censé lui appartenir, et renfermer une anecdote essentielle sur le personnage qui 1 avoit porte; mais comme il n'y a pas de mots écrits en simples consonnes qui ne puissent óffrir plusieurs valeurs , ainsi que nous 1'avons déja dit, 1'embarras du choix fit qu'on les adopta toutes , et que l'on fit de chacune un trnit particulier de son histoire. Cet abus est une des sources des plus vraies et des plus fécondes de la fable ; et voila pourquoi les noms d'Orphée, de Mercure , d'Isis, &c., font allusion chacun a cinq ou six racines orientales qui ont toute la singulière propriété de nous retracer une anecdote de leurs légendes ; ce que nous disons de ces trois noms , on peut le dire de tons les noms fameux dans les mythologi.es des nations.  Langm Hébraique. 15$ De-la sont provenus ces variétés si fréquentes entre nos étymologistes qui n'ont jamais pu s'accorder, paree que chacun d'eux s'est arfectionné a la racine qu'il a saisie ; de-la 1'incertitude oü ils nous ont laissés, paree qu'ils ont tous eia raison en particulier, et qu'il aparunéanmoins impossible de les concilier ensemble. II n'étoit cependant rien de plus facile; et puique les Vossius, les Bocharts , les Huets, les Lecierc, avoient tous eu des suffiages en particulier, au lieu de se critiquer les uns les autres , ils devoient se donner la main, etconcourir a nous découvrir une des principales sources de la mythologie , et a nous dévoiler par-la un des secrets de i'antiquité. Nous nommons ceci un secret, paree qu'il en a été réellement un dans 1'art de composer et d'écrire dans les tems oü le défaut d'invention et de génie, autant que la corruption des monumens historiques, obligeoit les auteurs a tirer les anecdotes de leur roman des noms même de leurs personnages. Ce secret, a la vérité , ne couvre qu'une absurdiré ; mais il importe au monde de la connoitre; et pout nous former a eet égard une juste idéé du travail des anciens en ce genre , et nous apprendre les moyens de le décomposer , il ne faut que contempler un cabalisre méditant sur une bible non ponctuée , s'il trouve un mot qui le frappe , il 1'envisage sous toutes les formes, il le tourne et le retourne , il l'anagrammarise, et par le secours des voyelles arbitraires, il en épuise tous les sens possibles, avec lesquels il construit quelque fable ou'quelque mystérieuse absurdité; oupour mieux dire, il ne fait qu'un pur logogryphe , dont la clef se trouve dans le mot dont il s'est échauffé 1'imagination , quoique ce mot n'ait souvent par-lui même aucun rapport a ses illusions. Nos logogriphes modernes sont sans doute une bianche de cette antique ca-  2 ƒ4 Langue Hébraique. bale, et eet art puérile fait encore PamusétHém des petits esprits. Telle a été enfin la véritable opératiorï des fabulistes et des romanciers del'andquké, qui ont été en certains ages les seuls écrivains et les seuls historiens de presque toutes les nations. Ils abusèrent de même des écritures mystérieuses que les malheurs des' tems avoient dispersées par le monde, et qui se trouvoient séparés des voyelles qui en avoient été la clef primitive. Ces siècles de mensonge ne finirent en particulier chez les Grecs, que vers les tems ou les voyelles vulgakes, ayant été heureusement inventées , 1'abus des mots devint nécessairemenr plus difficile et plus rare; on se dégoüta infailliblemenc de lafable; les livres se transmirent sons altération; peu-a-peu 1'Europe vit naitre chez elle 1'age de 1'hiscoire, et elle n'a eessé de recueillir le fruit de sa précieuse invention, par 1'empire de la science qu'elle a toujours possédé depuis cette époque. Quant aux nations de 1'Asie qui n'ont jamais voulu adopter les lettres voyelles de la Grèce, comme la Grèce avoit adopté leurs consonnes, elles ont presque toujours conservé un invincible pen* chant pour le mystère er pour la fable; elles onr eu dans rous les ages un grand nombre d'écrivains cabaIistiques, qui en ont imposé par de graves püèrilités et par d'importantes bagatelles ; et quoiqu'il y ait eu. des tems oü les ouvrages des Européens les ont éclaircs a leur tour, et leur ont servi de modcle pour composer d'excellentes choses en différens genres, ils ont affecté toujours dans leur diction des mérathèses ou anagrammes ridicules , des allusions er des jeux de mots; et la plupart de leurs livres nous présenrentle mélange le plus bisarre de ces pensées hautes et sublimesqui ne leur manquent pas, avec un style affeeté et puérile. Cette histoire des points voyelles nous offre sans doute  Langue Hébraique. je ƒ la pius forte pteuve que Ton puisse doilner de leur indispensable nécessité. Nous avons vu dans quelles erreurs sont tombées les nations qui les ont perdus par accident , ou négligés par ignorance et par mauvais goür. Jettons actut-1 lement nos yeux sur eet heureux coin du monde oü cette même écriture, qui n'étoit pour une infinité de peuples qu'une écriture de mensonge et de délire , éroit pour le peuple juif et sous la main de 1'Esprit-saint, l'écriture de la sagesse et de la véricé. On ne peut douter que Moïse élevé dans les arts et les sciences de 1'Egypte, ne se soit particulièrement servi de l'écriture ponctuée (1) pour faire conno'itre ses loix , et qu'il n'en ait remis a 1'ordre sacerdotal qu'il insritua des exemplaires soigneusement écrits en consonnes et en points voyelles , pour perpétuer par leur moyen le sens et 1'intelligence d'une loi dont il avoit si fort et si souvent recommandé 1'exercice le plus exact et la pratique la plus sévère. Ce sage législateur ne pouvoir ignorer le danger des lettres sans voyelles; il ne pouvoit pas non plus ignorer les fables qui en étoient déja issues de son tems : il n'a donc pu inanouer a une précaution que l'écriture de son siècle exigeoit nécessairement, et de laquelle dépendoit le succès de la législation. II y auroit même lieu de croire qu'il en ré* pandit aussi des exemplaires parmi le peuple , puisqu'il en a ordonné a tous la lecture et la méditation assidue; mais il est dirficile a eet égard de penser que 4es copies en aient été fort fréquentes, attendu que sans (0 c omme ïe lair.^age de n'a eté qu'un djalecte assez sein-* blaljle aux langues de Phénicie et de Palestina, on conjectute que l'éciïture a du óire aussi la même. Oei est d'autant plus vi«isemb]«ble qj.e les Hebreu* écrivene de Jioite a g*uchor mam qu'ëcriyoicnt les E-fjrp'iens, s?'on Héroxtott.  2jé Langue Hébraique. Ie secours de 1'impression on n'a pu j dans ces premie» ages et chez un peuple qui fournissoit 600 mille combarrans, multiplier les livres eh raison des hommes j nous ne devons sans doute voir dans ce précepte que 1'ordre de fréquenter assiduement les instructions publiques et journalières, oü les prêtres faisoient la lecture et 1'explication de cette loi. On nous répondra sans doute que chaque Israëli te étoit obligé dans sa Jeunesse de la transcrire , et que les enfans des rois n'étoient pas eux-mêmes exempts de ce devoir. Mais si cette remarque nous fait connoitre la véritable étendue du précepte de Moïse il y a toute apparence qu'il en a été de 1'observance de ce précepte comme a 1'égard de tant d'autres , que les Hébreux n'ont poinr pratiqués , et qu'ils ont négligés ou oubliés presqu'aussitót après le premier commandement qui leur en avoit été fait; on sait que leur iniïdélité sur tous les points de leur loi a été presque aussi continue qu'inconcevable. Conduits par Dieu même dans le désert , ils y négligent la circoncision pendant quarante ans, et toute la généiation de eet age mérite d'y être extermmée. Sont-ils établis en Canaan , ils y eourent sans cesse de Moloch a Baal, er de Baal a Astaroth. Qui pourroit le croire ? les descendans même de Moïse se font prêtres d'idoles. Sous les rois , leur frénésie n'a point a peine de relache •, dix tribus abandonnent Moïse pour les veaux de Béthei; et si Juda rentre quelquefois en lui-même , ses idolatries 1'enveloppent aussi dans la ruine d'Isracl. Pendant dix siècles enfin ce peuple idolatre et stupide fut presque semblable en tout aux nations incirconcises \ excepté qu'il avoit le bonheur de posséder un livre précieux qu'il négligea toujours , et une loi sainte qu'il oubüa au point que ce fut une merveille sous Josias de trouver un livre de Moïse s et  Langue Hébraique1 x$j èt que sous Esdras il fallut renouveller la fête des ta~ bernacles, qui navoit point été céiébrée depuis Josué. La conduite des Juifs dans tous les tems qui ont précédé le retour de Babylone, est donc un monument constant de la rareté oü ont dü être les ouvrages de son premier iégislareur. Délaissés dans 1'arche et dans le sanctuaire a la garde des enfans d'Aaron ceux-ci qui ne participèrent que trop souvent eux- mêmes aux désordres de leur nation , prirent sans doute aussi 1'esprit mystérieux des ministres idolatres } peut-être qu'en ne laissant paroïtie que des exemplaires sans voyelles pour se rendre les maitres et les arbitres de la loi des peuples , contribuèrent - ils a la faire méconnoirre et oublier; peut-être ne s'en servoient-ils dés lors que pour la recherche des choses occultes , comme leurs descendans le font encore , et ne les firent-ils servir de même qu'a des études absurdes et puériles, indignes de la majesté et de la gravité de leurs livres. Ce soupcon ne se justifie que trop quand on se rappelle toutes les antiques fables dont la cabale s'autorise sous les noms de Salomon et des prophêtes et il doit nous faire entrevoir quelle fut la raison pour laquelle Ezéchias fit brüler les ouvrages du plus savant des fois : eest que les esprits faux et superstitieux abusoient sans doute dès-lors de ses hautes et sublimes recherches sur la nature, comme ils abusent encore de son nom et des écrits des prophêtes qui 1'ont suivi ou précédé. Au reste, que ce soit 1'idolatrie d'Isracl qui ait occasionné la rareté des livres de Moïse , ou que leur rareté ait occasionné cette idolatrie , il faut encore ici convenir que la nature même de l'écriture a pu occasionner 1'une et 1'autre. Jamais cette amique facon de peindre la parole en abrégé, n'a été faite dans son origine pour être commune et vulgaire parmi le peuple : l'écriture Tome F, R  ie% Langue Hébraique. sans consonnes est une énigme pour lui •, et celle même qui porte des points voyelles peut être si facilement altérée dans sa ponctuation et dans toutes ses minuties grammaticales, qu il a dü y avoir un grand nombre de raisons essentielles pour 1 oter de la main de la multitude et de la main de l'étranger. Un esprit inquiet et surpris pourra nous dire : Se peut il faire que Dieu ayant donné une loi a son peuple, et lui en ayant si sévèrement recommandé 1'observarion, ait pu permettre que l'écriture en fut obscure et la lecture diflicile ? Comment ce peuple pouvoic-il la mé* diter et la pratiquer \ Nous pourrions répondre qu'il a dépendu de ceux qui ont été les organes de la science et les canaux publics de 1'instruction , de prévenir les égaremens des peuples en remplissant eux-mêmes leurs devoirs selon la raison et selon la vérité : mais il en est sans doute une cause plus haute qu'il ne nous appartient pas de pénétrer. Ce n'est pas a nous, aveugles mortels, a questionner la providence: que ne lui demandons-nous aussi pourquoi elle s'est plu a ne parler aux Juifs qu'en paraboles , pourquoi elle leur a donné des yeux afin qu'ils ne vissent point , et des oreilles afin qu'ils n'entendissent point , et pourquoi de toutes les nations de 1'antiquité elle a chcisi particulièrement celle dont la tête étoit la plus grossière? C'est ici qu'il faut se taire , orgueiileuse raison; celui qui a permis 1'égarement de sa nation favorite, est le même qui a puni 1'égarement du premier homme, et personne n'y peut connoitre que sa sagesse éternelle. Si les crimes et les erreurs des Hébreux , semblables aux crimes et aux erreurs des autres nations , nous indiquent qu'ils ont pendant plusieurs ages négligé les livres de Moyse , et abusé de 1'ancienne écriture pour se repajtre de chimères et se livier aux mêmes folies  Langue Hébraiqne. zf rieurs a ces révolutions, et la multitude de fables par lesquelles on a cherché a y suppleer, sera en cas de  Langue Hébraique. z6f besoin une preuve de nos conjectures : mais ne sontelles que des conjectures. II est donc très-peu vraisemblable que 1'origine de la langue hébraique puisse remonter au-dela du renouvelleinent du monde : tout au plus est-elle une des premières qui ait été formée et fixée lorsque des nations en corps ont commencé a reparokre, er qu'elles ont pu s'occuper d'autres objets que de leurs besoins, Nous disons tout au plus , paree que malgré la simplicité de la langue hébraique elle est quelquefois trop riche en synonymes dont grand nombre de verbes et plusieurs substantifs ont une singulière quantité ; ce qui suppose une aisance d'esprit et une abondance dont le génie des premières families n'a pu êrre susceptible pendant long-tems , et ce qui décèle des richesses acquises ailleurs après 1'agrandissement des sociétés. Pour nous prouver toute 1'antériorité de leur langage , les Juifs nous montrent les noms des premiers hommes, dont 1'interprétation convenable ne peut se trouver que chez eux : toute fondée que soit cette remarque , quoiqu'il y ait plusieurs de ces noms qui tiennentplus au chaldéen qu'a 1'hébreu, il n'y a qu'une aveugle prévention qui puisse s'en faire un titre, et l'on n'y voit autre chose j sinon que ce sont des auteurs Hébreux et Chaidéens qui nous ont transmis le sens primitif de ces noms propres en les traduisant en leur langue. S'ils eussent été Grecs, iis eussent donné des noms grecs, et des noms larins, s'ils eussent été latins; paree qu'il a été aussi ordinaire que naturel a tous les anciens peuples de rendre le sens des noms traditionnels en leur langue. Ils y étoient forcés,parce que ces noms faisoient souvent une partie de 1'histoire, et qu'il fa! lok traduke les uns en traduisant 1'autre, afin de  266 Langue Hébraique. rendre mutuellenaent intelfigibles, er paree que Ie renouvellemenr des arrs er des sciences exigeoit nécessairemenr le renouvellement des noms. La mythologie qui n'a que trop connu eer ancien usage de traduire les noms pour expliquer 1'histoire, nous monrre souvent 1'a'ous qu'elle en a [ait, en les dérivant de sources étrangère- , et en personnihant quelquefois des êtres naturels er métaphysiques : ses méprises en ce genre sont, comme on sait, une des sources de la fable. Mais nous devons a eet égard rendre la justice qui est due aux écrivains divinement inspirés : c'est par eux que la foi nous apprend que le premier homme a été appellé terre ou terrestre . et la première femme la vie. La raison concourt même a nous dire que 1'homme est terre et que la femme donne la vie ; mais ni 1'une ni 1'autre ne nous ont jamais fait' connoitre quels sonr les premiers mors par lesquels onr été désignés la terre er la vie. II esr de plus fort incertain quel nom de peuple la langue hébraique a pu porter dans son origine. Ce n'a point été le nom des Hébreux qui, malgré 1'antiquité de leur familie, n'ont été qu'un peuple nouveau visa-vis des Chaidéens d'oü Abraham est sorti , er visa-vis des Cananéens er Egyptiens, oü ce patriarche et ses enfans ont si long-tems voyagé en simples particuliers Si la langue de la bible est celle d'Abraham, elle ne peut être que la langue même de 1'ancienne Clialdée : si elle ne 1'est point, elle ne doit être qu'une langue nouvelle ou étrangère. Entre ces deux alternatives, il est un milieu sans doute auquel nous devons nous .arcêter. Abraham, Chaldéen de familie et de naissance, jn'ayant pu patier autremenr que chaldéen, il est plus c yae vraisemblable que sa postérité a dü conserver son Ja ofcage pendant quelques générations , et qu'ensuite  Langue Hébraique. xG-j leur commerce et leurs liaisons avec les Cananéens , les Arabes et les Egyptiens 1'ayant peu-a-peu changé, il en est résulté un nouveau dialecte propre et particulier aux Israëlites : d'oü nous devons présumer que la langue hébraique , telle que nous 1'avons dans la bible , ne doit pas remonter plus d'un siècle avant les écrits de Moyse : le chaldéen dAbraham en a été le principe ; il est ensuite fondu avec le cananéen , qui n'en étoit lui-même qu'une ancienne branche. La langue de la basse Egypte , qui devoit peu dirférer de celle de Canaan, a contribué de son coté a 1'altérer ou a 1'enrichir, ainsi que la langue arabe , comme on le voit particulièrement dans le livre de Job. Pour trouver dans 1'histoire quelques traces de cette filiation de la langue hébraique, et des révolutions qu'a subi le chaldéen primitif chez les différens peuples, il faut remarquer dans l'écriture qu'Abraham ne se sert point d'interprète chez les Cananéens ni chez les Egyptiens, paree qu'alors leurs dialectes diliéroient peu sans doute du chaldéen de ce patriarche. Ekeser et Jacob qui habitèrent chez les mêmes peuples , et qui firent chacun un voyage en Chaldée, n'avoient point non plus oublié leur langue originaire, puisqu'ils conversèrent au premier abord avec les pasteurs de cette contrée et avec toute la familie d'Abraham; mais Jacob néanmoins s'étoit déja familiarisé avec la langue de Canaan , puisqu'en se séparant de Laban, il eut soin de donner un nom d'un autre dialecte au monument auquel Laban donna un nom chaldéen. .11 y avoit alors cent quatre-vingt ans qu'Abraham avoit quitté sa terre natale. Ainsi le dialecte hébraique avoit déja pu se former. Ce seul exemple peut nous faire jugcr de la différence que le tems continua de mertre dans le langage de ce peuple naissant. Dans ce même inter-  l68 Langue Hébraique. valle les langues cananéenne et égyptienne faisoient aussi des progiès chacune de leur córé; et il fallut que Joseph en Egypte se servit d'interprète pour parler a ses frères. Ces différences n'ont cependant jamais été assez grandes pour rendre toutes ces langues méconnoissables entr'elles, quoique le chaldéen d'Abraham ait dü souffrir de grands changemens dans 1'intervalle de plus de quatorze cents ans qui s'est écoulé depuis ce patriarche jusqu'a Daniël. II différoit moins alors de la langue de Moyse, que 1'italien , le francois et 1'espagnol ne différent entr'eux , quoiqu'ils soient moins éloignés des siècles de la latinité qui les a tous formés. Sur quoi nous devons observer qu'il ne faut jamais dans 1'écriture prendre le nom de langue a la rigueur; lorsqu'en parlant des Chaidéens, des Cananéens, des Egyptiens, des Amalécites, des Ammonires, etc. elle nous dit quelquefois que rel ou tel peuple parloit un langage inconnu , cela ne peut signifier qu'un autre accent , et qu'une autre prononciation ; et il faut avouer que tous ces divers modes ont du être extrémement variés , puisqu'on rencontre en plusieurs endroits de l'écriture des preuves que les Hébreux se sont servis d'interprètes vis-a-vis de tous ces peuples, quoique le fond de leur langue fut le même, comme nous en pouvons juger par les livres et les vestiges qui en sont restés, oü toutes ces langues s'expliquent les unes par les autres. II nous manque sans doute, pour ap~ précier leurs différences , les oreilles des peuples qui les ont parlées. II falloit être Athénien pour reconnoitre au langage que Démosthène étoit écranger dans Athènes; il faudroit de méme être Hébreu oü Chaldéen , pour saisir toutes les différences de prononciations qui diversifioient si considérabiement rotis ces anciens  Langue Hébraique. 269 dialectes, quoiqu'aussi d'une même source. Au reste, nous ne devons point être étonnés de remarquer dans toures ces contrées de 1'Asie le langage d'Abraham ; il étoit sorü d'un pays et d'un peuple qui dans presque tous les tems a étendu sur elle sa puissance et son empire , tantöt par les armes et toujours par les sciences. L'Euphrate a successivement été le siège des Chaidéens, des Assyriens, des Babyloniéns et des Perses; et ces énormes puissances n'ayant jamais cessé de donner le ron a cette partie occidentale de 1'Asie, il a bien fallu que la langue dominante fut celle du peuple dominant. "Gest ainsi qu'on a vu en Europe, et en différens tems , le grec et le Farin devenir des langues générales: et eet empire des langues qui est la suite des nations, en es: en méme tems le monument le plus constant et le plus durable. Celui de tous ces dialectes chaidéens avec lequel la langue d'Abraham et de Jacob a contracté cependant le plus d'affinitéj a été sans contredit le dialecte cananéen ou phénicien. Les colonies de ces peuples commercans chez les nations riveraines de la Méditerranée et de 1'Océan, ont laissé par-tout une multitude de vestiges qui nous prouvent que la langue d'Abraham s'étoit intimément incorporée avec celie de Phénicie, pour former la langue de Moyse , que l'écriture, pour cette raison sans doute , appelle quelquefois la langue Canaan. Les auteurs qui ont traité de 1'une , ont cru aussi devoir traiter de 1'autre; et c'est a leur exemple , que pour ne point laisser incomplet ce qui concerne la langue hébraique , nous parierons de la langue de Phénicie et de ses révolutions chez les différens peuples oü elle a été portée , après que nous aurons suivi chez les Hébreux les révolutions de la langue de Moyse.  270 Langue Hébraique. La langue des Israëlites se trouvant fïxée par les ouvrages de Moyse, n'a plus été sujette a aucune variation, comme on le voit'par les ouvrages des prophêtes qui lui ont succédé d'age en age jusqu'a la captivité de Babylone. On pourroit donc regarder les dix siècles qui renferment eet espace de tems comme la mesure certaine de la durée de la langue hébraique. Après ce long règne , elle fut, dit-on, oublié des Hébreux, qui dans les soixanre-dix ans de leur captivité, s'habituèrent tellement au dialecte chaldéen qui se parloir alors a Babylone, qu'a leur retour en Judée ils n'eurent plus d'autre langue vulgaire. Un oubli aussi prompt nous paroit cependant si extraordinaire , qu'il y a lieu d'ètre étonné qu'on ait jusqu'ici recu sans méfiance ce que les traditions judaïques nous ont transmis pour nous rendre raison de la révolution qui s'est faire autrefois dans la langue de leurs pères. Quoiqu'il soit fort certain qu'au tems d'Esdras et de Daniël les LIébreux ne parloient et 11'écrivoient plus qu'en chaldéen, d'un autre cöté, il est si peu vraisemblable que tout un peuple ait oublié sa langue en soixante et dix ans, qu'une ttadition aussi suspecte , tant du cöté du vrai que du cöté de la nature, auroit du faire soupconner qu'ils 1'avoient déja oubliée et négligée long-tems avant cette époque. Si notre sentiment est nouveau , il n'en est peut-être pas moins raisonnable, et nous pouvons le fortirïer de quelques observations. Nous remarquerons donc que cette captivité n'emmena point tous les Hébreux, qu'd en resta beaucoup en Judée , et que de tous ceux qui furent enlevés, il en revint plusieuis qui vécurenr encore assez de tems pour voir le second temple qui fut long a construire , et pour pleurer sur les ruines du premier. Nous ajouterons que cette captivité a laquelle on donne soi-  Langue Hébraique. xji Xante et dix ans , paree qu'elle commenca pour quelques-uns au premier siège de Jérusalem, en 506 avant Jésus-Christ, et qu'elle finit en 436 , ne dura néanmoins pour le plus grand nombre que cinquante-trois ans, a compter de f 8(5, époque de la ruine totale du temple, après le troisième et dernier siège. Or dans un intervalle aussi court, une nation entière n'a pu oubli&r sa langue , ni s'habituer a une langue étrangère, a moins qu'elle n'y fut déja disposée par un usage plus ancien et par un oubli antérieur de sa langue naturelle. D'ailleurs la durée que l'on accorde communément a la langue htbraïque, est une durée excessive, sur-tout pour une langue oriëntale, qui plus que toutes les autres sont susceptibles d'altératiön. II n'en faur point chercher d'autre preuve que dans ce chaldéen même auquel on dit que les juifs se sont habitués dans leur captivité. II diffèroit dès-lors du chaldéen d Abraham ■ il s'étoit perfectionné et enrichi par des finales plus sonores, et par des expressions empruntées non-seulement des Perses, des Medes et autres nations voisines , mais aussi des nations les plus éloignées , témoin le sumphoneiah 3 du 'dj , chap. de Daniël , V. 5 , 10, ij, mot grec qui dès le tems de Cyrus avoit déja pénétré a Babylone. Les Hébreux euxmêmes ne s'y furent pas plutót familiarisés qu'ils continuèrent a le corrompre de leur cóté. Le chaldéen d'Onkelos n'est plus le chaldéen d'Esdras; et celui des Paraphrastes , qui ont continué ses commentaires, en diifère infiniment. S'il falloit donc juger des révolutions qu'a dü essuyer le premier langage des Juifs, par celles oü celui qui passé pour avoir été leur second, a été exposé , a peine pourrions - nous donner quatre ou cinq siècles d'intégrité et de durée a la langue de Moyse.  Ay2 Langue Hébraique. ■ II est vrai que, la bible a ia main, on essayera de nous prouver, par les prophêtes de tous les ages, antérieurs a la captivité, que 1'hébreu de Moyse n'a pas cessé d'ètre vulgaire jusqu'a eet événement. Mais, pat le même raisonnement, ne tentera-t-on' pas aussi de nous prouver que le latin a toujours été vulgaire, en nous montrant tous les ouvrages qui ont été successivement écrits en cette langue, depuis une longue suite de siècles > II faudroit être sans doute bien prévenu, ou, pour mieux dire, bien aveuglé, pour hasarder un tel paradoxe. Une langue peut être celle des savans, sans être celle du peuple; er ce n'est que lorsqu'elle n'appartient plus a ce dernier qu'elle arrivé a 1'immutabilité, ce caractère essentiel des langues mortes , oü les langues vivantes ne peuvent jamais parvenir. La véritable induction que nous devons donc tirer de cette longue succession d'ouvrages , tous écrits dans le dialecte de Moyse, c'est qu'après lui il a été le dialecte particulier des prophêtes, et que, de vulgaire qu'il avoit été dans les premiers tems, il n'a plus été qu'une langue savante, et peut-être même qu'une langue sacrée qui ne s'est plus altèrée, par ce qu'elle s'est consetvée dans le sanctuaire , oü elle a été hors des atteintes de la multitude, qui, comme le dit l'écriture, s'habituoit facilement aux dialectes et aux usages des nations étrangères qu'elle fréquentoit. Le génie de la langue hébraique est tellement le même dans tous^ les écrits des prophêtes, quoique composés en des ages fort distans les uns des autres, que si le caractère particulier de chaque écrivain ne se faisoit connoitre dans chaque livre, on penseroit que tous ces ouvtages n'ont été que d'un seul tems et d'une seule plume; ut ferè quis putare posset omnes Mos libros eodem tempora esss  Langue Hébraique. 273 esse conscriptos. (Voyez la nore entière (1). La construction, 1'appareil des mots , la syntaxe, le caractère de la langue enfin sont si semblables et si monotones par-tout, qu'un esprit inquiet et soupconneux en pourroit tirer des conséquences aussi contraires a 1'antiquité et a 1'intégrité de ces livres précieux, que notre observation leur est au contraire favorable. L'immutabilité de leur style et de leur diction , dont celle de Moyse a toujours été le modèle, s'est comrnuniquée aux faits et a la mémoire des faits •, et c'étoit le seul moyen de les transmettre jusqu'a nous, malgré 1'inconstance et les égaremens d'une nation capriciense et volage. Tous les sages de 1'antiquité, qui ont, aussi bien que le sacerdoce hébreu , connu les avantage* des langues mortes, n'ont point manqué de se servir de même dans leurs annales d'une langue particulière et sacrée; c'étoit un usage général que la religion , d'accord en cela avec (1) Plurimum etiam ad perfectionem linguae hebrseae facit ejujdem constantia ia omnibus libris veteris Testamenti ; miratus scepusime fui quod tanta sit linguse hebrajae convenientia in omnibus libris veteris Testamenti , com sciamus libros illos a diversis viris qui scepè proprium stylum expresseruut , diversis tempoiibus , et diversis viris in. locis esse conscriptos. Scribatur liber a diversis viris in eadem civitate habitaritlbns, videbimus ferè majorem differentiam in illo libro, vel respectu slyli , vel copulationis litterarum , vel respectu aliarum circumstantiarum , quam in tons Bibliis. Verüm si liber sit scriptus , verbi causa, a Teutonio et Friso , ve! si intercedat inter sciiptores differentia mille annorum, quant» in multis libris veteris Testamenti respectu scriptionis intercessit, hen! quanta esset differentia linguae. Qui unam scripturam intelligit , vix alteram intelligeret; imó eric tanta dift'erentia , ut vix ui'as eas linguas, ob differentiam temporis et loei ita discrepantes , regulis grammatica! et sintaxeos comprehendera possit. Verüm in veten' Testamento tanta est constantia, tanta convenientia in copulatione litterarum et constiuctione vocum , ut feiè quis putare posset omnes illos libros eodem tempore , iisdem in locis, a diversis tarnen authoribus esse conscriptos. Lensden. Philologus he3esb. dissrrtatio 17. Tome V. S  *74 Langue Hébraique. la politique , avoit établi chez tous les anciens peuples, Le génie de 1'antiquité concourt donc avec la fortune des langues a justifier nos réfiexions. II n'est point d'ailleurs difficile de juger que la langue de Moyse avoit dü se corrompre parmi son peuple; nous avons vu ci-devant combien il avoit négligé ses livres, son écriture et sa loi. La même conduite lui fit aussi négliger son langage; 1'oubli de 1'un étoit une suite nécessaire de 1'autre. Pour nous peindre les Hébreux pendant les dix siècles presque continus de leurs désordres et de leur idolatrie, nous pouvons sans doute nous représenter les Guèbres aujourd'hui répandus dans 1'Inde avec les livres de Zoroastre qu'ils conservent encore, sans les pouvoir lire et sans les entendre; ils n'y ccnnoissent que du blanc et du noir : et telle a dü être, pendant 1'idolatrie d'Israêi, la posirion du commun des Juifs, vis-a-vis des livres de leur législateur. Si leur conduite présente nous fait connoitre a quel point ils les considèrent et les respectent aujourd'hui, leur conduite primitive doit nous montrer quel a été pour ce religieux dépot 1'excès de leur indifférence. Jamais livres n'out couru de plus grands risques de se perdre et de devenir ininteiligibles; et il n'en est point cependant sur qui la providence ait plus veillé; c'est sans doute un miracle qu'un exemplaire en ait été trouvé par le saint roi Josias, qui s'en servit pour retirer pendant un tems le peuple de ses désordres : mais si un Achab, une Jézabel, ou une Athalie les eüt trouvés, qui doute que ces livres précieux n'eussent eu , chez les Hébreux même, le sort qu'ont eu chez les Romains les livres de Numa, que le hazard retrouva et que la politique brula, pour ne point changer la religion, c'est-a-dire la persécution établie! Ce fut vraisemblableroent par le seul canal des sa-  Langue Hébraique. 27 y vans, des prêtres, er particulièrement des voyans ou prophêtes qui se succédèrent les uns les autres, que la langue et les ouvtages de Moyse se sont conservés •, eeux-ci seuls en ont fait leur étude, ils y puisoient la loi et la science; et selon qu'ils étoient bien ou mal intentionnés, ils égaroient les peuples, ou les retiroient de leurs égaremens. Le langage du législateur devint pour eux un langage sacré, qui seul eut le privilège d'ètre employé dans les hymnes et sur-tout dans les livres prophétiques, qui après avoir été interprêtés au peuple , ou lus en langue vulgaire , étoient ensuite déposés au sanctuaire, pour être un monument ina' tétable vis-a-vis des nations futures que ces diverses prophéties devoient un jour intéresser. On nous demandera dans quel tems la langue de MoiVe a cessé detre en usage parmi les Hébreux; c'est ce qu'il n'est pas facile de déterminer : ce n'est pas en un seul tems, mais en plusieurs qu'une langue s'alrère et se corrompt. Nous pouvons conjecturc-r cependant, que ce fut en grande partie sous les juges, et dans ces cinq ou six siècles oü la notion juive neut rien de fixe dans son gouvernemenr et dans sa religion, et qu'elle suivoir en tout ses caprices. Nous fixons notre conjecture a ces tems, paree que sous les rois nous remarquons dans les noms propres un génie et une tournure toute différente des anciens noms sonoresj emphatiques, et presque tous camposés : ils n'ont plus ce caractère antique, et cette simplicité des noms propres de tous les ages antérieurs. Quoique notre remarque soit délicate, 011 doit en sentir la justesse, paree que chez les anciens les noms propres n'ayam point été héréditaires, ont dü toujours appartenir aux dialectes vulgaires, et que la langue sacrée ou hisronque u'a pu les chauger en rraduisant les faits. Nous S 2  i-jG Langue Hébraique. pouvons donc de leur dissimilitude chez les Hébreux en rirer cetre conclusion, que le génie de leur langue avoir changé et changeoit d'age en age, par la fréquentation des diverses nations dont ils ont toujours été ou les alliés ou les esclaves. C'est de même par le caractère de la plupart de leurs noms propres, dans les derniers siècles qui ont précédé J. C. que l'on juge aussi que les Hébreux se sont ensuite familiarisés avec le grec, paree que leurs noms dans les Machabées et dans 1'historien Josephe sont souvent tirés de cette langue. II est vrai que ces deux ouvrages sonr écrits en grec; mais quand ils le seroient en hébreu, leurs auteurs n'en auroient pu changer les noms; et dans 1'un ou 1'autre texte, ils nous serviroient de même a juger des liaisons qu'avoient eöritracté les Hébreux avec les conqüérans de 1'Asie. Mais qu'elle a été la langue d'Israël après celle de son législateur, et avant le chaldéen d'Esdras et de Daniël? ce ne pourroit être au reste qu'un dialecte particulier de celui de Moïse corrompu par des dialectes étrangers. Les dix tribus en avoient un qui différoit déja; comme on le voit par le Pentateuque samaritain, qui n'est plus le pur hébreu de la Bible; et nous savons par Esdras, que les Juifs presque confondus avec les peuples voisins, avoient adopté leurs différens idiomes, et parloienr les uns la langue d'Azot, et d'autres celle de Moad_, d'Ammon, &c. Cela seul peut nous suffire avec ce que nous avons dit ci-desus, pour entrevoir toutes les variations et les révolutions de la langue hébraïque vulgaire pendant dix siècles, er jusqu'au tems oü nous trouvons les Juifs tout-afait familiarisés et habitués au chaldéen : dès lors il ne pouvoit y avoir que bien du tems qu'ils avoient perdu 1'usage de la langue dc leurs ancêtres: car par les  Langue Hébraique. zjj efforts qu'ils firent du tems d'Esdras pour rétablir leur culte et leurs usagesjilest a croire qu'ils eussent aussi tenté de rétablir leur langage , s'il n'eut été suspendu que par le court espace de leur captivité. S'ils ont donc sur ce changement des traditions contraires a nos observations , mettons-les au nombre de tant d'autres ahecdotes sans date et sans époque, qu'ils ont inventées, et dont ils veulent bien se satisfaire. La langue de Babylone devemie celle de Judée , fut aussi sujette a de semblables révolutions; les Juifs la parlèrent jusqu'a leur dernière destruction par les Romains; mais ce fut en 1'akérant de génératicn en génération , par un bizarre mélange de syrien, d'arabe et de gtec. Dispersés ensuite par les nations, ils n'ont plus eu d'autre langue vulgaire que celle des diff érens peuples chez lesquels il se sont habitués; aujourd'hui ils parient francois en France , et allemand au-dela du Rfin, La langue de Moyse est leur langue savante ; ils 1'apprennent comme nous apprenons le grec et le latin, moins pour la parler que pour s'instruire de leur loi : beaucoup de Juifs même ne la savent point; mais ils ne manquent pas d'en apprendre par cceur les passages qui leur servent de prières journalières , paree que , selon leurs préjugés c'est la seule langue dans laquelle il convient de parler a la Divinité. D'ailleurs, si quelques-uns parient 1'hébreu comme nous essayons de parler le grec et le latin j c'est avec une grande diversité dans la prononciation; chaque nation de Juifs a la sienne : enfin , il y a un grand nombre d'expressions dont ils ont eux-mêmes perdu le sens, aussi bien que les autres peuples. Telles sont en particulier presque rous les noms de pierres , d'arbres j de plantes , d'animaux , d'instrumens et de meubles , dont 1'inrelligence n'a pu être rransjnise par la tradition , et dont S j •  278 Langue Mébraiqué. les savans, d'après la captivité 3 n'ont pu donner une intetprétation certaine; nouvelle preuve que cette langue étoit dès-lors hors d'usage et depuis plusieurs siècles. IV. Nous avons quitté dans Tarnde précédent la langue d'Abraham, pour en suivre les révolutions chez les Hébreux , sous le nom de langue de Moyse ; et nous avons- promis de la reprendre dans le nouvel article , pour la suivre sous le nom des Cananéens ou Phéniciens , qui 1'ont répandue en différentes contrées de 1'Occident. Ce n'est pas que la langue de ce patriarche ait été de son tems la langue de Phénicie; mais nous avons dit que sa familie , qui vécut dans cette contrée et qui s'y établit a la fin, incorpora tellement sa langue originaire avec celle de ces peuples maritimes, que c'esr essentiellemenr de ce mélange que s'est formée la langue de Moyse, que l'écriture, pour cette raison, appelle aussi quelquefois langue de Canaan. Que les Phéniciens , auxquels les Grecs ont avoué devoir leur écriture et leurs premiers arts , ayent été les mêmes peuples que l'écriture appelle Cananéens, il n'en faudroit point d'autre térnoignage que ce nom même qu'elle leur donne , puisqu'il signifie dans la langue de la bible des marchands 3 er que nous savons par 1'hisroire, que les Phéniciens ont été les plus grands commercans et les plus fameux navigateurs de la haute antiqülré •, l'écriture nous le fait encore reconnoitre d'une manière aussi certaine que par leur nom, en assignant pour demeure a ces Cananéens toutes les cótes de la Palestine, et entr'autres les villes de Sidon et de Tyr j centre du commerce des Phéniciens. Nous pourrions même ajouter que les deux noms de peuples n'ont point été diftérens dans leur origine , et qu'ils n'ont 1'uo.et 1'autre quüBé seule et même racine : mais nous  Langue Hébraique. 279 laisserons de cóté cette discussion étymologique , pour suivre notre principal objet (1). Quoique la vraie splendeur des Phéniciens remonte au-dela des tems historiques de la Grèce er de 1'Iralie, et qu'il ne soit resté d'eux ni monumens ni annales , on sait cependant qu'il n'y a point eu de peuples en occident qui aient porté en plus d'endroits leur commerce et leur industrie. Nous ne le savons , il est vrai, que par les obscures traditions de la Grèce ; mais les . modernes les ont éclairées par la langue de la bible, avec laquelle on peut suivre ces anciens peuples comme a la piste chez toutes les nations Africaines et Européennes , oü ils ont avec leur commerce porté leurs fables , leurs divinités et leur langage; preuve incontestable sans doute; que la langue d'Abraham s'éroit intimement fondue avec celle des Phéniciens, pour en former , comme nous avons dit, le dialecte de Moyse. Ces peuples qui furent en partie exte'rrainés et dispersés par Josué , avoient , des les premiers tems , commercé avec 1'Europe grossière et presque sauvage, comme nous commercons aujourd'hui avec 1'Amérique *, ils avoient établi de même des comptoirs et des colonies, qui en civilisèrent les habitans par leur commerce , qui en adoucirent les mceurs en s'alliant avec eux, et (1) Les Phéniciens se disoient issus de Cna ; selon 1'usage de 1'antiquitc , ils devoient donc être appeliés les »nf*ns de Cna , comme on disoit lei enfans d' Bcber, pour designer les Hébreux. En prononcant ce nom de peuple a la faron de ia bible , nous dirions , Benei-Ceni ou Benei-Cini. 11 y a appaienco que le dernier a été d'usage, sur-toul chez les étrangers, qui changeant encore leb en ph , comme il leur arrivoit sourent , et contractant les lettres i cause de 1'abscnce des voyelles , on fait d'un seul mot PhénicUi, d'ou Phosnix , Poenus , Punicus et Phénicien. Quant au nom de Cna , il n'est autre que la racine contractée de Canaan , et signifie mare/tand: aussi èloit-il regardé comme un surnom de Meicure, d;eu du commerce. S 4  2§ó Langue Hébraique. qui leur dofinèrent peu-a-peu le goüt des arts , én les amusant de leurs cérémonies et de leurs fables; premiers pas par ou les hommes prennent le gom de la société , de la religion et de la science. Avec les lettres phéniciennes, qui ne sont autres , comme nous avons vu , que ces mêmes lettres qu'adopta aussi la postérité dAbraham, ces peuples portèrent leur langage en diverses contrées occidentales; ét du mélange qui s'en fit avec les langues nationales de ces contrées, il y a lieu de penser qu'il s'en forma en Afrique le carthaginois, et en Europe le grec j le latin, le cehique , &c. Le carthaginois , en particulier, comme étant la plus moderne de leurs colonies , sembloit au tems de S. Augustin n'être encore qu'un dialecte de la langue de Moyse : aussi Bochart, sans autre interprète que la Bible a-t-il traduit fort heureusement un fragment carthaginois , que Plaute nous a conservé. La langue grecque nous offre aussi, mais non dans la même mesure, un grand nombre de' racincs phéniciennes qu'on retrouve dans la Bible , et qui chez les Grecs paroissent visiblement avoir été ajoutées a un fond primitif de langue nationale. II en est de même du latin, et quoiqu'on n'ait pas fait encore de recherche particuliere a ce sujet, paree qu'on est prévenu que cette langue doit beaucoup aux Grecs , elle contient néanmoins, et a bien plus que le grec lui-même 3 une abondance singuliere de mots phéniciens qui se sont latinisés. Nous ne parions point de 1'étrusque et de quelques anciennes langues, qui ne nous ■ sont connues que par quelques mots oü l'on appercoit cependant de semblables vestiges : mais nous n'oublierons point d'indiquer le cehique comme une de ces langues avec lesquelles  Langue Hébraique. 281 ie phénicien s'est allié. On n ignore point que le breton en particulier n'en est encore aujourd'hui qu'un dialecte, mais nous renvoyons au dictionnaire de cette province, qui depuis peu d'années a été donné au public , et au dictionnaire cehique dont on lui a déja présenté un volume, et dont la suite est attendue avec impatience. Nous pourrions aussi nommer a la suite de ces langues mortes , plusieurs de nos langues vivantes, qui toutes 3 du plus ou moins , contiennent non-seulement des mots phéniciens grécisés et latinisés , que nous tenons de ces deux derniers peuples , mais aussi un bien plus grand nombre d'autres qu'ils n'ont point eu , et que nos pères n'ont pu acquérir que par le canal direct des commercans de Phénicie, auxquels le bassin de la Méditerrannée et le passage de 1'Océan ont ouvert 1'entrée de toutes les nations maritimes de 1'Europe. C'est ainsi que 1'Amérique a son tour oftrira a ses peuples futurs des' langues nouvelles qu'auront produit les divers mélanges de leurs langues sauvages avec celles de nos colonies Européennes. Ce seroit un ouvrage aussi cuiieux qu'utile , qi:e les étymologies fancoises uniquement tirées de la bible. On ose dire que la récolte en seroit très-abondante, et que ce pourroit être l'ouvrage le plus intéressant qui auroit jamais été fait sur les langues, par le soin que l'on auroit de faire la généalogie des mots , quand ils auroient successivement passé dans 1'usage de plusieurs peuples , et de montrer leur déguisement quand ils ont été séparément adoprés de diverses nations. Ce qu'on propose pour le francois, se peut également proposer pour plusieurs autres langues de 1'Europe, oü il est peu de nations qui ne soit dans le cas de pouvoir entreprendre un tel ouvrage avec succès : peut - être  182 Langue Hébraique, qu'a la fin, ces différentes recherches mettroient a porree de faire le dictionnaire raisonné des langues de 1'Europe anciennes er modernes. Le phénicien seroir presque la base de ce grand édifice , paree qu'il y a peu de contrées oü le commerce ne l'ait autrefois porté, et que depuis ces tems , les nations Européennes se sont si fort mélangées, ainsi que leurs langues propres ou acquises , que les différences qui se trouvent entr'elles aujourd'hui, ne sont qu'apparentes et non réelies. Au reste, l'entreprise de ces recherches particulières ou générales , ne pourroit point se conduire par les mêmes principes dont nous nous servons pour chercher nos étymologies dans le grec et le latin, qui, en passant dans nos langues, se sont si peu corrompues, que l'on peut presque toujours les chercher et les trouyer par des voies régulières. II n'en est pas de même du phénicien; toutes les nations de 1'Europe en ont étrangement abusé , paree que les langues orientales leur ont toujours été fort étrangères, et que l'écriture en étoit singulière et difficile a lire. On peut se rappeller ce que nous avons dit du travail des cabalistes et des anciens mythologistes , qui onr anagrammatisé les lettres, altéré les syllabes poury chercher des sens mystérieux ; les anciens Européens ont fait la même chose , non dans le même dessein , mais par ignorance, et paree que la nature d'une écriture abrégée et renversée porte naturellement a ces méprises ceux qui n'y sont point familiarisés. lis ont souvent lu de droite a gauche ce qu'il falloit lire de gauche a droite, et paria ils ont renversé les mots et presque toujours les syllabes. C'est ainsi que de cathenoth, vêtemens, 1'inverse thounecath a donné tunica ; que luag, avaler, a donné gula, gueule , hemer, vin, inerum. Taraph%  Langue Hébraique, prêndre, s'est changé en raphta , d'oü raptus chez les Larins , et attraper chez les Francois. De geber, le maltre, et de geberet, la maitresse , nos pères ont fait berger et bergerette. Notre adjectif blanc vient de laban et leban , qui signifie la même chose dans le phénicien; leban a donné belan , et par contradiction blan. De laban les Latins on fait albon , d'oü albus et albanus; et par le changement du b en p , fort commun chez les anciens', on a dit aussi alphan , d'oü Xalphos des Grecs. Avec une multitude d'expressions semblables, toutes analysées et décomposées, un dictionnaire raisonné pourroit offrir encore le dénouement d'une infinité de jeux de mots , et même d'usages anciens et modernes , fondée sur cette ancienne langue , et dont nous ne connoissons plus le sel et la valeur, quoiqu'ils se soient transmis jusqu'a nous. Si 3 a 1'exemple des anciens , notre cérémonial exige une triple salutation ; si ces anciens, plus superstitieux que nous, jettoient trois cris sur la tombe des morts, en leur disant un triple adieu , s'ils appelloient trois fois Ffécate aux déclins de la lune; s'ds faisoient des sacrifices expiatoires sur trois aurels, a la fin des grandes périodes; et s'ils avoient enfin une multitude d'autres usages de ce genre , c'est que l'expression de la paix et du salut qu'on invoquoit, ou que 1 on se souhaitoit dans ces circonstances, étoit presque le même mot qui désignoit le nombre trois dans les langues phéniciennes et carthaginoises; le nceud de ces usages énygmatiques se trouve dans ces deux mots schalom et schalos. Par une illusion du même genre, nous disons aussi, tout ce qui reluit nest pas or , or signifie reluire; et ce proverbe avoit beaucoup plus de se! chez les Orientaux 3 qui se plaisoient infiniment dans ces sorres dc jeux de mots.  284 Langue Hébraique. Si notre jeunesse nomme sabot le volubile buxum de Virgile, on en voit la raison dans la bible, ou sabav signifie tourner. Si nos vaniers appellent osier Ie bois flexible qu'ils emploient, c'est qu'osene signifie liant, et ce qui sert d lier. Si les nourrices en disant a leurs enfans, payc chopine} les habituent a frapper dans la main , et après les marchés faits si le peuple prononce le même mot , fait la même action et va au cabaret, c'est que chopen signifie la paume de la mam , et que chez les Phéniciens , on disoit frapper un traité, pour dire faire un traité. Ceci nous apprend que le nom vulgaire de la mesure du vin, qui seboit parmi le peuple après un accord , ne vient que de 1'action qui 1'a précédée. Telles seroient les connoissances que 1'étude de la langue phénicienne oftriroit tantöt a la grammaire et tantöt a 1'histoire. Ces éxemples pris entre mille de 1'un et de 1'autre genre , engageront peut-être un jour quelques savans a la titer de son obscurité; elle est la première dês langues sa-, van tes, et d'ailleurs elle n'est autre chose que celle de la bible dont il n'est point de page qui n'offre quelques phénomènes de cette espèce. C'est ce qui nous a engagé a proposer un ouvrage qui contribueroit infiniment a développer le génie de langue hébraique et des peuples qui 1'ont parlée, et qui nous feroit connoitre la singulière propriété qu'elle a de pouvoir se dégüiser en cent facons par des inversions peu connues dans nos langues europénnes, mais qui proviennenr dans celles de 1'Asie , de 1'absence des voyelles, et de la facon d'écrire de gauche a droite , qui n'a point été naturellea tous les peuples. V. II nous reste a patier plus particulièrement du génie de la langue hébraique et de son caractère. C'est une langue pauvre et riche de sens; sarichesse a été la  Langue Hébraique. 285 suite de sa pauvreté , paree qu'il a fallu nécessairement charger une méme expression de diverses valeurs,pour supléer a la disette des mots et des signes. Elle est a la fois très-simple et très-composée; trés-simple, paree qu'elle ne fait qu'un cercle étroit autour d'un petit nombre de mots; et très-composée , paree que les figures, les métaphores , les comparaisons , les illusions y sont trésmultipliées , et qu'il y a peu d'expressions oü l'on n'ait besoin de quelques réflexions, pourjuger s'il faut les prendre au sens naturel ou au sens figuré. Cette langue est expressive et énergique dans les hymnes et les autres ouvrages oü le cceur et 1'imagination parient et dominent. Mais il en est de cette énergie comme de 1'expression d'un étranger, qui parle un langue qui ne lui est pas encore assez familière,pour qu'elle se prête a routes ses idéés; ce qui 1'oblige , pour se faire entendie} a des efforts de génie qui mettent dans sa bouche une force qui n'est pas naturelle a ceux qui la parient d'habitude. II n'y a point de langue pauvre et même sauvage, qui ne soit vive , touchante, et souvent plus sublime qu'une langue riche qui fournit a toutes les idéés et a toutes les situations. Cette dernière a la vérité a Tavantage de la nettété , de la justesse privée de ce nerf surnaturel et de ce feu dont les langues pauvres et les langues primitives ont été animées. Une langue telle que la francoise, par exemple , qui fuit les figures et les illusions, qui ne souffre rien que de naturel, qui ne trouve de beauté que dans le simple, n'est que le langage de 1'homme réduit a la raison. La langue hébraique au contraire est la vraie langue de la poésie , de la prophétie et de la révélation; un feu céleste Tamme et la transporte : qu'elle ardeurdans ses cantiques! . qu'elles sublimes images dans les visions d'Isaïes! que de pathétique et de touchant dans les larmes de Jérémie !  2.86 Langue Hébraique. on y trouve des beautés et des modêles en tout genre. Rien de plus capable que ce langage pour élever une urne poétiaue, et nous ne . craignons point d'assurer que la bible, en un grand nombre d'endroits , est supérieure aux Homère et aux Virgile, et peut inspirer encore plus qu'eux ce génie rare et particulier qui convient a ceux qui se livrent a la poésie. On y trouve moins a la vérité , de ce que nous appellons methode, et de cette liaison d'i Jées oü se pla'it le flegme de 1'occident : mais en faut-il pour sentir ? R est singulier, et cependant fort vrai, que tout ce qui compose les agrémens et les ornemens du langage, et tout ce qui a formé 1'éloquence , n est dü qu'a la pauvreté des langues primitives; Pört n'a fait que copier 1'ancienne nature , et n'a jamais surpassé ce qu'elle a produit dans les tems les plus arides. De-la sont venus toutes ces figures de rhétorique ,' ces Beurs et ces brillantes allégories ou 1'imagination déploie toute sa fécondité. Mais il en est souvent aujourd'hui de toutes ces beautés comme des fleurs transportées d'un climat dans un autre ; nous ne les goürons plus comme autrefois, paree qu'elles sont déplacées dans nos langues qui n'en ont pas un besoin réel, et qu'elles ne sont plus pour nous dans le vrai; nous en sentons le jeu, et nous yoyons 1'artiflce que les anciens ne voyoient pas. Pout nous, c'est le langage de l'art; pour eux c'étoit celui de la nature. La vivacité du génie oriental a fort contribué aussi a donner eet éclat poétique a toutes les parties de la bible qui en ont été susceptibles, comme les hymnes et les prophéties. Dans ces ouvrages} les pensées triomp'henr toujours de la stérilité de la langue , et clies out mis a contribution le ciel, la terre et toute la nature , pour pëndre les idéés oü, ce langage se re-  Langue Hébraique. 287 fusoit. Mais il n'en est pas de même du simple récitatif et du style des annales. Les faits , la clané et la précision nécessaires ont gêné 1'imagination sans 1'échauffer ; aussi la diction est-elle roujours sèche, aride, concise er cependant pleine dê répéritions monotones ; le seul ornement dont-il paroït au'on a cherché a 1'embellir, ce sont des consonnances recherchées , des paronomasies , des métathèses er des allusions dans les mots qui présentent les faits avec un appareil qui ne nous paroitroit aujourd'hui qu'affectation, s'il falloit juger des anciens selon notre facon de penser, et de leur style par le nötre. Caïn va-t-il errer dans la terre de Nod, après le meurtre d'Abel, 1'aureur pour exprimer fugitif, prend le dérivé de uadad, vagari, pour faire allusion au nom de la contrée oü il va. Abraham, part-il pour aller a Gerare, ville d'Abimelech, comme le nom de cette ville sonne avec les dérivés de gur et ger, voyager et voyageur, l'écriture s'en sert par préférence a tout autre terme, paree que peregrinatus est in Gerard présente par un doublé as peet peregrinatus est inperegrinatione. Nabal refuse-r-il a David la subsistance , on voit i la suite que chez Nabal étoit la folie, que l'écriture exprime alors par nebalah. Ces sortes d'allusions si ftéquentes dans la bible tiennent a ce goüt que l'on y remarque aussi de donner toujours 1'étymologie des noms propres : chacune de ces étimologies présente de même un jeu de mots qui sonnoit sans doute agréablement aux oreilles des anciens peuples; elles ne sont point toujours régulièrement tirées; il a paru aux savans qu'elles étoient plus souvent des approximations et des allusions, que des étymologies vraiment grammaticales. On trouve dans  iSS Langue Hébraique. la bible plusieurs allusions différentes a 1'occasion d'un même nom propre. Nous nous bornerons a un exemple déja connu. Le nom de Moyse , en hébreu, Moschéh , que le vulgaire interprête retiré des eaux, ne signifie point a la lettre retiré, et encore moins retiré des eaux, mais retirant ou celui qui retiré. Si cependant la fille de Pharaon lui a donné ce nom en le sauvant du Nil, c'est qu'elle ne savoit pas lhébreu correctement, ou qu'elle s'est servi d'un dialecte différent, ou qu'elle n'a cherché qu'une allusion générale au verbe maschah, retirer. Mais il est une autre allusion a laquelle le nom de Moschéh convient davantage; c'est dans ces endroits si fréquens, oü il est dit, Moyse qui vous a ou qui nous a retirés d'Egypte. Ici 1'allusion est vraiment grammaticale et réguliere, puisqu'elle peut présenter littéralement, le retireur qui nous a retirés de l'Egypte. C'est un genre de pléonasme historique fort commun dans l'écriture, et duquel il faut bien distinguer les pléonasmes de réthorique, qui y sont encore plus communs; sans quoi on courroit risque de personnifier des verbes et autres expressions du discours , ainsi qu'ii est arrivé dans la mythologie des peuples qui ont abusé des langues de 1'Orient. Cette fréquence d'allusions recherchées dans une langue oü les connoissances étoient d'ailleurs si naturelies, a cause du fréquent retour des mêmes expressions , a de quoi nous étonner sans doute; mais il est vraisemblable que la stérilité des mots, qui obligeoit de les ramener souvent, est ce qui a donné lieu par la suite a les rechercher avec empressement. Ce qui n'étoit d'abord que 1'effet de la nécessité , a été regardé comme un agrément; et 1'oreille qui s'habitue a tout, y a trouvé une grace et une harmonie dont il a fallu orner une multitude d'endroits qui -pouvoient s'en passer. Au reste, de tous  Langue Hébraique. 2.89 tous les agrémens de la diction, c'est a celui-la particulièrement que tous les anciens peuples se sont plu , paree qu'il est presque naturel aux premiers efforts de 1'esprit humain , et que 1'abondance n'ayant point été un des caractères de leur langue primitive, ils n'ont point cru devoir user du peu qu'ils avoient avec cette sobriété et cette délicatesse moderne , enfans du luxe des langues. Nous en voyons même encore tous les jours des exemples parmi le peuple, qui est a 1'égard du monde poli ce que 'les premiers ages du monde renouvellé sont pour les nötres. On le voit chez toutes les nations qui se torment , ou qui ne sont pas encore livrées a 1'étude. On ne trouve plus dans Cicéron ces jeux sur les noms et sut les mots si fréquens dans Plaute; et chez nous les progrès de 1'esprit et du génie ont supprimé ces concetti qui ont fait les agrémens de notre première littérature. Nous remarquerons seulement que nous avons conservé la time, qui n'eit qu'une de ces anciennes connoissances si familières aux premiers peuples, dont nos pères 1'ont sans doute héritée. Quoique son origine se perde pour nous dans les siècles ténébreux , nous pouvons soupconner que cette rime ne peut être qu'un présent oriental, puisque ce nom même de rime, qui n'a de racine dans aucune langue d'Europe, peur signifier dans celles de 1'orient, Xélévaüon de la voix , ou un son élevé. Nous ne sommes point entrés dans ce détail pour faire des reproches aux écrivains hébreux qui n'ont point été les inventeurs de leur langue , ou qui ont été obligés de.se servir de celle qui étoit en usage de leur tems et dans leur nation. Ils n'ont fait que se conformer au génie er au caractère de la langue recue , et la tournure de 1'esprit national dont Dieu a bien voulu emprunrer e goüt et le langage. Toutes les nations orientales out lome V. T  joo Langue Hébraique. eu , comme les Hébreux , ce style familier en allusions, et ceux d'entr'eux qui ont voulu écrire en langues Européennes, n'ont pas manqué de se dévoiler par-la; tels sont entr'autres ceux qui ontcomposé les sybilles, vraies ou fausses dont nous avons quelques fragmens. 11 ne faut que ce passage apocalyptique pour y reconnoitre le pays de leurs auteurs. Et erit Sai7ios arena , erit De/os ignota , et Roma vicus. Nous ne devons donc trouver rien d'extraordinaire ni de particulier dans le style des livres saints : il faut toujours avoir égard aux tems et aux peuples: la seule différence que nous devions mettre entre les auteuts sacrés et les auteurs orientaux , c'est que comme pour le fond des choses ils ont été inspirés, ils n'ont jamais sacrifié la vérité aux allusions et aux autres agrémens de la diction , en quoi ils auroient dü être pris pour modèle des autres écrivains de leur narion , qui n'ont souvent usé du caractète et du goüt de leur langue , que pour inventer des fables. Nous pouvons même dire en faveur des auteurs sacrés qui se sont ordinairement conformés a ce genre de style , que l'on juge par une multitude d'endroits , qu'ils ont eu la sage discrétion d'éviter très-souvent certaines allusions qui devoienr naturellement se présenter a leurs yeux , et leur offrir des expressions quelquefois très-relatives aux différens objets qu'ils avoient a traiter. Entr'autres exemples de cette prudente retenue , dont il y a mille traces dans les saintes écritures , on peut citer le ttoisième chapitre de la Genèse , qui contient 1'histoire de la triste chü'e de nos premiers pères ; ce récit est de la plus belle simplicité dans le texte comme dans les traduetions, et sans aucune affectation dans le choix des  Langue Hébraique. Zc,i I mots. Mais quiconque possede 1'hébreu appercoit aisé- ment quelle a dü être l'attention de 1'auteur pour éear- ter sévèrement toutes les expressions 'analogues au nom i d'Eve , et au sujet historique de ce chapitre , quoii qu'elles se présentent d'elles-mêmes et qu'elles soient comme autant de coups de pinceau singulièrement pro| pres au tableau dè la source de toutes nos misères. J Nous en rapporterons quelques-unes , pour faire conI noïtre l'attention particulière des auteurs sacrés 3 et leur sagesse z éviter le monotone , et a chasser des mots 1 qui auroient paru mystérieux a un peuple qui ne cher- choit que ttop le mystère. Havag, Eve, la vie , et de plus , existence et souf: france ; hevah , la béte, et chez les Phéniciens evi , I un serpent; havah , montrer , iudiquer; ev , arbrisseau I et son fruit; havah , le bien et le mal , la misère et i la richesse ; ev j eveh , et avah, desir, passion ardente, . concupiscence , amour ; avah , commettre le mal, se j pervertir ; malice , vice , iniquité ; hava, se cacher ; s hevion , cachette ; le crime et sa peine , le pêché et la douleut; eveion , misère et misérable, pauvre et pauI vreté ; evah, haine, inimitié. Telles sont en partie les • i expressions que la sagesse des auteurs sacrés a évitées; ce qu'ils n'ont pu faire sans doute sans quelque atl tention , pour n'employer que des synonymes indirfé- rens , dont le sens égal en valeur a rendu l'histörique, en épargnant aux oreilles et a 1'esprit le monotone et le singulier. Ceux des rabbins qui ont été les premiers i auteurs des contes judaïques, n'eussent jamais été ca- pables d'une semblable discrétion ; et cherchant Eve et I son histoire dans les mots même oü la finale varie se| Ion la licence qu'ils se donnent, ils auroient vu enJ core , aval, trompeur , séducteur ; avel, séduction ; aven , mensonge ; avac , s'enorgueillir ; havar, rougir; T 2  2?2 Langue Hébraique. hevis , pudeur, home, confusion; aval, pleurer, gémir ; hevel, douleur , accouchement douloureux avedah , servante; avad, travailler , labourer; avad , périr , mourir ; avaq , poussière ; haval, rentrer au néant, &c. Que ce soit la pauvreté du langage qui ait réduit les écrivains orientaux^ ces consonnances , comme nous venons de le dire , ainsi que le peu de variété qui se trouve trés-souvent entre des mots qui désignent des choses très-contraires , il est certain qu ils avoient peu d'autres moyens d'orner et d'embelhr leur diction. L'hébreu manque de ces mots composés qui ont si fort enrichi les anciennes langues de 1'Europe : il a fallu qu'il tirat tout d'un certain nombre de racines qui n'ont ordinairement que trois lettres , et d'un nombre très-borné de dérivés qui varienr peu leur son. Les substantifs n'ont que le plurier et le singulier , et sont d'ailleurs indéclinables ; ils sont masculins et féminins, et jamais neutres. Pour distinguer les cas , on se sert d'articles ou de lettres préfixes , dont 1'usage varie et dont i'application esr fort in certaine. Les verbes manquent des modes les plus nécessaires , er n'ont que le passé er le futur. On ne peut pas y dire j'aime, mais je suis aimant: de-la vient peut-être qu'ils usent souvent du futur en sa place. Pour exprimer les autres tems, on est obligé de se servir de diverses autres tournures, ou de lettres préfixes qui caractérisent aussi les personnes. Le prétérit , donr la rroisième personne est toujours la racine ou le thème du verbe, comme 1'infinitif chez les Latins , serr encore d'imparfair, de plusque-parfair, de prérérit antérieur , et de conditionnel passé : ainsipacad, il a visité , marqué aussi ilvisitoüy il avoit visité, il eut visité, il auroit visité j d'oü il suit nécessairernent une monotonie dans le style , et  Langue Hébraique. 293 quelquefois de 1'incertirude pour le sens. Enfin, presque toujours privée d'adjectif , sans copulatif et sans dégré de comparaison , ce nest que par des circonlocutions particulières, et par des répétitions qui ne peuvent point toujours avoir de 1'élégance, que cette langue écrit mauvais mauvais pour très-mauvais puits puits pour plusieurs puits £ homme d'iniquité pour homme inique , terre de saïnteté, pour terre sainte j er montagnes de Dieu 3 cèdres de Dieu 3 pour trèshautes montagnes et trés-grands cèdres. C'est ainsi que 1'emphase et 1'hyperbole sont aussi sorties d'une véritable inanition. Au milieu de cette disette, 1'hébreu a cependant la singularité d'avoir sept conjugaisons pour chaque verbe 5 trois sont actives, trois passives er une réciproque: aimer 3 aimer beaucoup ou point du tout, faire aimer } sont les trois actives : être aïmé, être aime beaucoup ou point du tout ; être fait aimésont les trois passives ; et la septième, c'est s'aimer soi-même ou se croire aimé. On doit remarquer que la seconde conjugaison est propre pour la négative comme pour 1'affirmative. D'ailleurs , cette richesse de conjugaisons n'empêche point que la même ne soit quelquefois indifféremment employee en actif ou passif: c'étoit sans doute une licence permise ; er la grammaire hébraique avoit certainement les siennes, puisqu'ii y a peu de regies parmi celles qu'on remarque dans la bible , oü il ne soit pas besoin de mettre quelques exceptions pour suivre le sens des auteurs sacrés. D'un autre cöté , cette langue a 1'avantage d'avoir une construction oü les mots suivent 1'ordre des idéés, elle n'a point connu ces phrases renversées des Grecs et des Latins , qui ont souvent préféré 1 harmonie des sons a la clarté d'un style simple et direct. Elle doit eet avantage a la cause même de ses autres défauts; T 3  if)4 Langue Hébraique. c'est-a-dire, a sa pauvreté, a la variété des sens de chaque mot, et au peu d'étendue de sa grammaire. Paria elle a en effet évité une source féconde de contre» sens, qui étoient fort a craindre pour elle , et qui eussent été inévitables si l'on eut eu a débrouiller encore un labyrinthe de construction. Cette nécessité de se faire entendre par 1'ordre des. mots , comme par les mots mêmes, a contribué a répandre sur toute la bible, cette uniformité de génie et de caractère de style dont nous avcns parlé plus haut. Renfermés dans d'étroites barrières , les auteurs sacrés ont écrit sjjr le même ton , quoique nés en diftérens ages, et quoiqu'on leur remarque un esprit plus ou moins sublime. Les autres langues plus libres et plus fécondes, nous montrent une extréme diversiré entre leurs auteurs contemporains ; mais chez les Fiébreux , le dernier .de tous , au bout de dix siècles 3 a été obligé d'écrire comme le premier. Nous ne doutons point que cette langue n'ait eu son harmonie dans la prononciation •, chaque langue s'en est fait une: mais nous ne nous hasarderons point d'en juger , les siècles nous en ont rendu incapables. D'ailleurs , c'est une chcse qui dépend trop de 1'opinion pour en porfer son jugement , même a 1'égard des langues vivantes. Ce qu'il y a de plus certain sur la prononciation de la langue hébraique , c'est que l'écriture en est ornée d'une multitude d'accens fort anciens , qui reglenr la marche et la cadence des mots, et qui en modifient les sons. Ceux des Juifs qui en font usage , chantent leur langue plutót qu'ils ne la parient, et ils la psalmodient dans leur synagogue d'une facon qui ne prévient point pour son harmonie ; mais il en est sans doute de leur musique comme de leurs contorsions ; ce sont des inventions mcdetr.es qui rem-  Langue Hébraique. ianmoins presqu'aucun usage du dacule 5 dont le caractère est la légèreté. Ce que nous -venons de dire sur la poésie moderne des Juifs, nous avertic que nous n'avons rien dit de 1'ancienne poésie de leurs pères. Nous ne pouvons douter qu'une langue aussi poétique n'ait été pourvue de eet art qui se trouve même chez les sauvages. On soupconne , avec beaucoup de raison , que les cantiques de Moyse et de David, et même qu'une partie du livre de Job , contiennent une véritable versification: quelques-uns ont cruy trouver une cadence réglée et même la rime; mais la-dessus nous avons moins des découvertes que des illusions. Cette poésie et ses regies ne nous sont point connues ; l'on ignore tout-a-tait si elle se régloit par la quantité ou par le nombre des syllabes , et les Juifs mêmes ont totalement perdu les principes de leurs anciens poëtes. C'est pour y sup- (i) Iambe , sjionUée , bacohitjue , crétois , niolcss?. T4  ■LCjG Langue Hébraique. pléer qu'ils se sont fait un nouvel art poétique, avec lequel ils ont quelquefois wetafié en langue sainte , en adoptant la quantité des Grecs et des Latins , a laquelle ils n'ont pas oublié d'ajouter la rime , fille de ces allusions si fréquentes dans leur prose. Gétoit un agrément qui leur étoit trop naturel pour qu'ils aient pu s'en passer : ils la nomment charu-^ , c'est-a-dire, colliers de perles ; et il résulte de cette alliance de la rime avec la quantité., que leur poésie ressemble a celles de nos anciens hymnes , qui ont de même adopté 1'une et 1'autre. Comme il nous est arrivé plusieurs fois dans eet article, de parler de la pluralité des sens dont sont susceptibles la pluparr des mots de la langue he'braique , soit pat eux-mèmes , soit par 1'incertitude oü l'on est quelque-fois de leur racine ; nous croyons devoir ajouter ici quelques remarques a ce sujet,- pour que qui que ce soit ne s'induise en erreur , d'après ce que nous avons dit en littérateur et en simple grammairien. On ne doit pas s'imaginer a 1'aspect de ces dirEcultés , ou que la bible n'a jamais été bien traduite, ou qu'elle pourroit être métamorphosée en toute autre chose. Nous représenterons d'abord qu'il n'en est pas des anciens traducteurs comme d'un traducteur moderne , auquel on demanderoit une version de la bible sans lui permettre d'autres secours que ceux d'une grammaire et d'un dictionnaire Hébreu ; car , en supposant qus eet homme n'eüt jamais vu ni lu la bible, il est très-certain qu'il n'en viendroit jamais a bout , possédat-il ■ -rre langue avec autant de perfection qu'il pourroit der le grec ou le latin. Mais il n'en a pas été de les premiers traducteurs Hébreux de nation : infance dans la lecture de leurs livres saints, ei successeurs d'une suite non-interrompue de  Langue Hébraique. tyj prêtres et de savans , possesseurs enfin de la tradition et des connoissances de leurs pères , ils ont eu des secours particuliers qui leur ont tenu lieu de ceux que nous tirons de cette multitude d'auteurs Grecs ou Latins que nous consnltons , et que nous comparons lorsque nous voulons traduire un auteur de 1'une ou de 1'autre langue ; secours littéraire dont tout traducteur de la bible seroit aujourd'hui privé, paree que c'est le seul livre de son langage , et que ce langage n'existe plus nulle part. Aussi n'est-il plus question , depuis bien des siècles*, de traduire la bible 5 et les différentes éditions que nous en avons ne sont-elles que des révisions d'après les plus anciennes versions comparées et corrigées d'après les textes les plus anciens et les plus corrects. Les difricultés, dont nous avons parlé, ne peuvent donc inquiéter personne _> puisqu'il n'est plus question de traduire les sainres écritures, et que nous devons avoir une pleine et entière confiance aux premiers traducteurs , en ne jugeant pas de leur travail par le travail laborieux ou les modernes s'épuiseroient en vain, si, sans 1'appui de la tradition et des traductions anciennes , ils vouloient s'efforcer d'en troüver le sens avec le seul aide de leur grammaire et de leur dictionnaire. Mais est-il bien sur que de tous les sens possibles que l'on pourroit donner aux expressions, les auteurs des premières versions et leurs prédécesseurs dans la science et dans la tradition aient pu conserver le seul et véritable sens du texte au travers de ces siècles nombreux d'idolarrie et d'ignorance , oü le peuple Hébreu a passé comme tant d'autres peuples de la terre ; Nous pouvons assurer en général, que la bible a été bien  z$1> Langue Hébraique. traduite, et nous pouvons en juger le livrei la main ; paree que si ceux qui nous 1'ont fait passer, n'eussent pas eu une véritable et profonde connoissance de cette langue , nous n'y verrions point eet ensemble et cette connexité entre tous les évèneinens : nous n'aurions que des faits décousus sans liaison et sans rapport, que des sentences isolés sans suite et sans harmonie entr'elles; ou, pour mieux dire , nous n'atuions rien, puisqu'on ne pourroit donner un nom aux fantömes imparfaits et sans nombre, que des demi-eonnoissances et 1'imagination y pourroient voir. II est vrai qu'il y a quelques expressions dans la bible, qui ont été un sujet de dispute er de critique; mais ces expressions ne font pas le corps entier du livre. Le latin et le grec, quoique plus modernes et plus connus , ne sont pas a i'abri des épines littéraires; c'est le sort des langues mortes : voila pourquoi il est arrivé et il arrivé encore, que les versions de la bible se chatient , et s'épurent par une sage critique qui étudie les sens, pese les mots, les combine et les compare peut être avec plus de sagacité qu'on n'étoit en état de le faire dans quelques-uns des siècles précédens. Mais, nous le répétons , ces expressions ne sont pas fe livre; et quoiqu'on puisse nommer en général un grand nombre de corrections faites depuis le concile de '1 rente , la vulgate qu'il a approuvée n'en est pas moins une bible fidele, authentique et canonique ; paree que la foi ne dépend pas sans doute des progrès de la grammaire , et que les réviseurs modernes n'ont pu s'écarter des rraductions primitives qu'ils ont toujours eues devant les yeux, pour être leurs guicies et la base de leur travail. La bible, telle que nous 1'avons , est donc tout ce qu'elle doit être et tout ce qu'elle peut-être s  Langue Hébraique. 299 elle n'a jamais été autre qu'elle n'est présentement, et ne sera jamais rien de plus. Emanée de 1'Esprir saint, il faut qu'elle soit immuable comme lui, pour être a jamais, et comme par le passé , le premier monument de la religion, et le livte sacré de 1'instruction des nations. Si une multitude de cabalistes, de tètes creuses et superstitieuses, ont cependant été dans cette opinion que le texte sacré nous cache des sciences profondes, des vérités sublimes , ou une mprale mystique enveloppée sous une apparence historique, er qu'il y faut chercher toute autre chose que ce que le simple vulgaire y voit , ce nest qu'une folie et qu'un abus dont il faut en partie chercher les ressources dans le génie de ces langues primitives; et 1'antiquité même de ces traditions insensées prouve en effet , qu'on ne sauroit remonter trop haut pour en trouver T origine. La variété des sens que présente a une imagination échauffée 1'ccriture ancienne et le langage qu'elle exprimoit, ont dü produire , comme nous avons dit, ces sciences absurdes er frivoks qui ont conduit 1'homme a la fable et a la mythologie , en réalisant et personnifiant les sens doublés, triples et quadruples de chaque mot. En se familiarisant par-la avec 1'illusion et Terreur, Ton s'est insensiblement mis dans le goüt de parodier les faits par des figures et des allégories , comme on avoit parodie les mots , en abusant de leur valeur , et en les dégukant par des métharèses et des anagrammes. Le premier pas a conduit au second , et 1'histoire a de même été regardée comme une énigme sciencifique et comme te voile de la sagesse et de la morale. Telle a été sans doute Torigine de tous les songes mystiques et cabalistiques des chimères , qui depuis une multitude de siècles, ont eu un règne presque continu. II est a la  3 oo Langue Hébraique. vérité presque éteint; mais on connoh ericore des esprits foibles qui en respectent la mémoire. Nous n'avons point ici eu en vue de blamer généralement tous ceux qui ont cherché des doublés sens dans les livres saints. Les évangélistes et les saints docteurs de la primitive église , qui ont donné quelquefois eux-mêmes une doublé interprétation nous montrent que ce-n'a pas toujours été un abus. Mais ce qui étoit sans doute le don particulier de ces premiers ages du christianisme , et ce qui étoit 1'effet d'une lumiète surnaturelle dans les apótres et leurs successeurs , n'appartient pas a tous les hommes : pour trouver le doublé sens d'un livre inspiré , il faut être inspiré soi-même; et dans un siècle aussi religieux qu éclairé; on doit porter assez de respect a 1'inspiration, pour ne point 1'affecter lorsqu'on n'en a point une mission particulière. A quoi d'ailleurs pourroit servir de chercher de nouveaux sens dans les livres de la bible > Depuis tant de milliers d'années qu'ils sont répandus par tout le monde , ils sont connus sans doute, ou ne le seront jamais : il est donc tems de renoncer a un travail dont on doit reconnoitre 1'inutilité et redouter tous les dangers. Puisque la religion a tiré de ces livres tout le fruit qu'elle devoit en attendre; puisque les cabalistes et les mystiques s'y sont épuisés pat leur illusion , et s'en sont a la fin dégoütés ; il convient aujoutd'hui d'étudier ces monumens respectables de 1'antiquité , en littérateurs , en philosophes même, en historiens de 1'esprit humain. Cest, en terminant notre article , a quoi nous invitons fortement tous les savans. Ces livres et cette langue , quoique consacrés par la religion, n'ont été que trop abandonnés aux rêveries et aux faux mystères des petits génies : c'est a la solide philosophie a les  Langue Hébraique. 301 révendiquer a son tour , pour en faire 1'objet de ses veilles , pour étudier dans la langue hébraique la plus ancienne des langues savantes , et pour en titer , en faveur de la raison et du progrès de 1'esprit humain., des connoissances qui correspondent dignement a celles qu'y ont puisées dans tous les tems la morale et la religion.  ÉCONOMIE POLITIQUE. L economie politique , est Tart er la science de maintenir les hommes en société } et de les y rendre heureux, objet sublime , le plus utile et le plus intéressant qu'il y ait pour le genre humain. Nous ne parierons point ici de ce que font ou de ce que devroient faire les puissances de la terre : instruites par les siècles passés , elles seront jugées par ceux qui nous suivronr. Renfermons-nous donc dans 1'expositiou historique des divers gouvernemens qui ont successivement paru , et des divers moyens qui orit été employés pour conduire les narions. L'on réduit communément a trois genres tous les gouvernemens établis ; i°. le despotique, ou 1'autorité réside dans la volonté d'un seul; 2°. le républicain , qui se gouverne par le peuple , ou par les premières classes du peuple; et 30. le monarchique, ou la puissance d'un souverain, unique er tempérée par des loix et par des coutumes que la sagesse des monarques et que le respect des peuples ont rendu sacrées et inviolables, paree qu'uules aux uns et aux autres, elles affermissent le tróne, défendent le prince et protégent les sujets. A ces trois gouvernemens, nous en devons joindre un quatrième , c'est le théocratique , que les écrivains politiques ont oublié de considérer. Sans doute qu'ils ont été embarrassés de donner un rang sur la terre a un gouvernement ou des officiers et des ministres commandent au nom d'une puissanee et d'un être invisible : peur-êrre cette administration leur a-t-elle paru. trop surnattuelle , pour la mettre au nombre des gouver-  Economie politique. t joj nemens politiques. Si ces écrivains eussent cependant fixé des regards plus réfléchis' sur les premiers tableaux que présente 1'antiquité , et s'ils eussent combiné et rapproché tous les fragmens qui nous restent de son histoire , ils auroient reconnu que cette théoctatie, quoique surnaturelle , a été non-seulement un des premiers gouvernemens que les hommes se sont donnés, mais que ceux que nous venons de nommer en sont successivement sortis , en ont été les suites nécessaires; et qu'a commencer a ce tetme, ils sont tous liés par une chaine d'événemens connus , qui elnbrassent presque toutes les grandes révolutions qui sont arrivées dans le monde politique et dans le monde moral. La théocratie que nous avons ici particulièrement en vue, n'est point , comme on pourroit d'abord le penser, la théocratie mosaïque; mais une autre plus ancienne et plus étendue, qui a été la source de quelques biens et de plus grands maux , et dont la théocratie des Hébreux n'a été dans son tems qu'un renouvellement et qu'une sage réforme qui les a séparés du genre humain , que les abus de la première avoient rendu idolatre. II est vrai que cette théocratie primitive est presque ignoréé, et que le souvenir s'en étoit même obscurci dans la mémoire des anciens peuples, mais 1'analyse que nous allons faire de 1'histoire de 1'homme en société , pourra la faire entrevoir, et mettre même sur la voie de la découvrir tout-a-fait ceux qui voudront par la suite étudier et considérer attentivement tous les objets divers de 1'immense carrière que nous ne pouvons ici que légèrement parcourir. Si nous voulions chercher 1'origine des sociétés et des gouvernemens en méthaphysiciens, nous irions trouver 1'homme des terres australes. S'il nous convetioit de parler en théologiens sur notre état primitif,  204 Economie politique. nous ferions paroïtre 1'horame dégénéré de sa première innocente-, mais pour nous conduire en simples historiens , nous considererons 1'homme échappé des malheurs du monde, après les dernières révolutions de la nature. Voila la seule er 1'unique époque oü nous puissions remonter ; et c'est-la le seul homme que nous devions consulter sur 1'origine et les principes des sociétés qui se sont formées depuis ces évènemens destructeurs. Malgré 1'obscurité oü il paroït que l'on doive nécessairement tombei en franchissant les bornes des tems hisroriques , pour aller chercher au-dela er dans les espaces rénébreux , des fairs naturels et des institutions humaines nous n'avons point cependant manqué de guides et de flambeaux. Nous nous sommes transportés au milieu des anciens témoins des calamirés de 1'univers. Nous avons examiné commenr ils en éroient touchés, et quelles étoient les impressions que ces calamités faisoient sur leur esprit, sur leur cceur et sur leur caractère. Nous avons cherché a surprendre le genre humain dans 1'excès de sa misère ; et pour 1'étudier, nous nous sommes étudiés nous-mêmes singulièrement prévenus que malgré la différence des siècles et des hommes, il y a des sentimens communs et des idéés uniformes , qui se réveillent universellement par les cris de la nature, et même par les seules terreurs paniques , dont certains siècles, connus se sont quelquefois etfrayés. Après 1'examen de certe conscience commune, nous avons rérléchi sur les suites les plus naturelles de ces impressions, et sur leur action a 1'égard de la conduite des hommes ; et nous servant de nos couséquences comme de principes , nous les avcns rapprochés des usages de 1'antiquité, nous les avons comparés avec la police et les loix des premières no tions, avec leur culte et leur gouvernement; nous avons t isuiv  Economie politique. je;1 suivi d'age en age les diverses opinions et les coutumes des hommes, tant que nous avons cru y connoitre les suites ou au moins les vestiges des impressions primitives, et par-rout en effet il nous a sembié appercevoir dans les annales du monde une chaine continue, quoiqu'ignorée, une unitésingulière cachée sous mille formes •, et dans nos principes, la solution d'une multitude d'énigmes et de problêmes obscurs qui concernent 1'homme de tous les tems, et ses divers gouvernemens dans tous les siècles. Nous épargnerons au lecteut Tappareil de nos recherches ; il n'aura que 1'analyse de notre travail, et si nous ne nous sommes pas fait une illusion, il apprendra quelle a été 1'origine et la nature de la théocratie primitive. Aux biens et aux maux qu'elle a produits, il reconnoitra 1'age d'or et le règne des dieux, il en verra naitre successivement la vie sauvage , la superstition et la servitude, lidolauïe et le despotisme; il en remarquera la réformation chez les Hébreux; les républiques et les monarchies paroirront ensuite dans le dessein de remédier aux abus des premières législations. Le lecteur pèsera 1'un et 1'autre de ces deux gouvernemens; et s'il a bien suivi la chaine des évènemens, il jugera , ainsi que nous , que le dernier seul a été 1'effet de 1'extinction totale des anciens préjugés, le fruit de la raison et du bon sens, et qu'il est 1'unique gouvernement qui soit véiitablement fait pour 1'homme et pour la terre. II faudroit bien peu connoitre le genre humain, pour douter que dans ces tems déplorables oü nous nous supposons avec lui, et dans les premiers ages qui les ont suivis, il n'ait été très-religieux, et que ses malheurs ne lui aient alors tenu lieu de sévères missionnaires et de puissans législateurs, qui auront tourné Tome V. V  joé Economie politique. toutes ses vues du cóté du ciel et du cöté de la morale, Cette multitude d'institutions austères et rigides dont on trouve de si beaux vestiges dans l'nistoire de tous les peuples fameux par leur antiquité n'a été sans doute qu'une suite générale de ces premières disposirions de 1'esprit humain. II en doir être de même de leur police. C'est sans doute a la suite de tous les évènemens malheureux qui ont autrefois ruiné 1'espèce humaine, son séjour et sa subsistance, qu'ont dü être faits tous ces règlemens admirables que nous ne retrouvons que chez les peuples les plus anciens 3 sur 1'agriculture, sur le travail, sur 1'industrie, sur la population, sur 1'éducation, et sur tout ce qui concerne Xéconomie publique et domestique. Ce fut nécessaitement sous cette époque que 1'unité de principe , d'objet et d'action s'étant rétablie parmi les mortels réduits a petits nombres et pressés des mêmes besoins, ce fut alors que les loix domestiques devinrent la base des loix > ou pour mieux dire , les seules loix des sociétés, ainsi que toutes les plus antiques législations nous le prouvent. Comme la guerre forme des généraux et des soldars, de même les maux extrêmes du genre humain et la grandeur de ses nécessités ont donné lieu en leur tems aux loix les plus simples et les plus sages , et aux législations primitives, qui, dans les choses de police, ont eu souverainement pour objet le véritable et le seul bien de 1'humanité. L'homme alors ne s'est point laissé conduire par la coutume; il n'a pas été chercher des loix chez ses voisins; mais il les a trouvées dans sa raison et dans ses besoins. Que le spectacle de ces premières sociétés devoit être touchant! Aussi pures dans leur morale, que régulières  Economie po^aque 307 dans leur discipline, animées d'une fervente charité les unes envers les aurres, mutuellement sensibles er étroitement unies, c'étoit alors que I'égalité brilloit, et que 1'équité régnoit sut la terre. Plus de tien, plus de mien : tout appartenoit a la société, qui n'avoit qu'un cceur et qu'un esprit. Erat terra labll unius, et sermonum eorumdem. Gen. X1, 1. Ce n'est donc point une fable dépourvue de toute réalité , que la fable de lage d'or, tant célébrée par nos pères. II a dü exisrer vers les premières époques du monde.renouvellé , un tems, un ancien tems,oü la jusrice, I'égalité, i'union et la paix ont règné parmi les humains. S'il y a quelque chose a retrancher des récits de la mythologie, ce n'est vraiserr.blablement que le riant tableau qu'elle nous a fait de 1'hcareux état de la nature; elle devoit être alors bien moins belle que le cceur de 1'homme., La terre n'offroit qu'un désert rempli d'horreur et de misère, ct le genre humain ne fut juste que sur les debris du monde. Cette situation de la nature , a qui il fallut plusieurs siècles pour se réparer, et pour changer 1'affreux spectacle de sa ruine , en celui que nous lui vovons aujourd'hui, fut ce qui retint long-tems le genre humain dans eet état presque surnaturel. La morale et le genre de vie de lage d'or n'ont pu règner ensuite au milieu des sociétés aggrandies, paree qu'il ne conviennenr pas plus" au luxe de la nature qu'au luxe de 1'humanité , qui n'en a été que la suite et 1'efFer. A mesure que le séjour de 1'homme s'est embelli, a mesure que les sociétés se sont multipliées , er qu'ellesont formé des villes et des états, le règne moral a dü nécessairement faire place au règne politique et ïe tien et le mien ont dü paroïtre dans le monde, non d'a- V x  j0§ Economie politique. bord d'homme a homme, mais de familie a familie, et de société a société, paree qu'ils y sont devenus indispensables , et qu'ils font partie de cette même harmonie qui a du rentrer parmi les nations renouyellées, comme elle est insensiblement rentrée dans la nature apres le dernier chaos. Cet age d'or a donc été un état de sainteté , un état surnaturel digne de notre envie, et qui a justement mérité tous les regrets de 1'antiquité : cependant lorsque les législations postérieures en ont voulu adopter les usages et les principes sans discernement, le bien s'est nécessairement changé en mal > et l'or en plomb. Peut-être même n'y auroitil jamais eu dage de fer, si 1'ón n'etir point usé de cet age d'or lorsqu'il n'en étoit plus tems; c'est ce dont on pourra juger par la suire de cet article. Tels ont éié les premiers, et nous pouvons dire les heureux eftéts des malheurs du monde. Ils ont forcé 1'homme aseréunir ; dénué de tout, rendu pauvre et miséiable par les désastres arrivés , et viyant dans la crainte et 1'attente de ceux dont il se crut long-tems encore menacé, la religion et la nécessité en rasscmblèrent les tristes restes, et les portèreni a être inviolablement unis , afin de seconder les etfets de 1'activité et de 1'industrie : il fallut alors mettre en usage tous ces grands ressorts dont le cceur humain n'est constammenr capable que dans 1'adversité : ils sont chez nous sans force et sans vigueur; mais dans ces rristes siècles il n'en fut pas de méme , toutés les vertus s'exaltèrent; l'on vit le règne et le triomphe de 1'humanité , paree que ce sont-la ses instans. Nous n'entrerons point dans le détail de tous les moyens qui furent mis alors en usage pour réparer les maux du genre humain, et pour rétablir les sociétés, quoique 1'histoire ne nous les ait point transmis , ils  Economie politique. 309 Sünt aisés a connoitre 5 et quand on consulte la nature , elle nous les fait retrouver dans le fond de nos cceurs. Pourroit-on douter , par exemple , qu'une des premières suites des impressions que fit sur les hommes 1'aspect de la ruine du monde, n'ait été d'écarter du milieu des premières families , et même du milieu , des premières nations, cet esprit destructeur dont elles n'ont cessé par la suite d'ètre aiiimées les unes contte les autres ? La violence , le meurtre, la guerre, et leurs suites etfroyables, ont dü être pendant bien des siècles inconnus ou abhorrés des moffels. Instruits par la plus puissante de toutes les lecons, que la providence a des moyens d'exrerminer le genre humain en un clind'ceil , sans doute qu'ils stipulèrent entr'eux , et au nom de leur posrérité , qu'ils ne répandroient jamais de sang sur la terre : ce fut-la en effet le premier précepte de la loi de nature oü les malheurs du monde ramenèrent nécessairement les sociétés : rcquiram anima» hominis de manu fratris ejus quicumque ejfudent humanum sanguinem , etc. Gen. ix ,5,6. Les peuples qui jusqu'aujourd'hui ont évité comme un crime de répandre ou de boire le sang des animaux, nous offrent un vestige de cette primitive humanité ; mais ce n'en est qu'une ombre foible i et ces peuples souvent barbares et cruels a 1'égard de leurs semblables , nous montrent bien qu'ils n'ont cherché qu'a éluder la première et la plus sacrée de routes les loix. Ce n'est point cependant encore dans ces premiers momens qu'il faut chercher ces divers gouvernemens politiques qui ont ensuite paru sur la terre. L'état de ces premiers hommes fut un état tout religieus •, leurs families pénfréës de la crainte des jugemens d'en-haut, vécurent quelque tems sous la conduite des pères qui rassembfbient leurs enfans , et n'eufênt point eutr'elles V 1  31 o Economie politique. d'autre lien que leurs besoins , ni d'autre roi que le Dieu qu'elles invoquoienr. Ce ne fut qu'après s'être inuhipliées qu'il fallut un lièn plus fort et plus frappant pour des sociétés nombreuses que pour des families, afin d'y maintenir 1'unité dont on connojssoit tout le pnx, et pour entretenir cet esprit de religion, déconomie , d'mdustrie et de paix , qui seul pouvoit réparer les rnaux infinis qu'avoit souffert la nature humaine ; ort fit donc alors des loix : elles furent dans ces commencemens aussi simples que 1'esprit qui les inspira: pour en faire le projet, il ne fallut point recourir a des philosophes sublimes , ni a des politiques profonds •, les hesoins de 1'homme les dictèrent; et quand on en rassembla toutes les parties , on ne fit sans doute qu'écrire ou graver sur la pierre ou sur le bois ce qui avoit été fait jusqu'a ce tems heureux oü la raison des particuliers n'ayant pciat été différente de la raison publique, avoit été la seule et 1'unique loi •, telle a été 1'origine des premiers codes •, ils ne changèrent rien aux ressorts primitifs de la conduite des sociétés. Cette précaution nouvelle n'avoit eu pour objet que de les ïorcifier , en raison de la grandeur et de 1'étendue du corps qu'ils avoient a faire mouvoir, et 1'homme s'y soumit sans peine; ses besoins lui ayant fait connoitre de bonne heiu'e qu'il n'étoit point un être qui püt vivre isolé sur la terre, il s'étoit dès le commencement' réuni a ses semblables , en préférant les avantages d'un engagement nécessaire et raisonnable a sa liber té nattirciie ; et 1'agrandissement de la société ayant ensuite exigé que le conttat tacite. que chaque particulier avoit fait avec elle en s'y incorporant, eüt une forme plus solemnelle, et qu'il dev'int authentique , il y consentit donc encore ; il se soumie aux loix écrites, et a une subordination ciyile et politique ; il ïeconnut  Economie politique. 311 dans ses anciens des supérieurs , des magistrats 3 des prêtres : bien plus il chercha un souverain , paree qu'il connoissoit dès - lors qu'une grande société sans chef ou sans roi n'est qu'un corps sans- tête , et même qu'un monstre dont les moüvemens divers ne peuvent avoir entre eux rien de raisonné ni d'harmonique. Pour s'appercevoir de cette grande vérité, rbomme n'eat besoin que de jetrer un coup d'ceil sur cette société, qui s'étoit déja formée : nous ne pouvons en effet, a 1'aspect d'une assemblee quelle qu'elle soit, nous empêchef d'y chercher celui qui en est le chef ou le premier ; c'est un sentiment involontaire et vraiment naturel, qui est une suite de 1'attrait secret qu'cmt pour nous la simplicité et 1'unité, qui sont le caractère de 1'ordre et de la vérité 5 c'est une inspiration précieuse de notre faisofi j par laquelle , tel psnehant que nous avons tous vers rindépendance, nous savons nous soumettre pour norre bien être et pour 1'amour de 1'ordre. Loinque le spectacle de cel .ii qui préside sur urïe société soit capable de causer aucun déplaisir a ceux qui la composent, la raison privée ne peut le voir sans un retour agtéable et flatteut sur êlle-même, par ce qüe t'est cette société entière, et nous-mêmes qui en faisons partie , que nous considérons- dans ce chef et dans cet organe de la raison publique , dont il est le miroir, 1'image et 1'auguste représentatfon. La première société téglée et policée par les loix , n'a pu sans doute se contempler elle- même saus s'adnurev. L'idée de se donner un foi & donc ,é:é une des premières idéés de 1'homme sociable et raisounable. Le specracle de 1'univers seconda même lx vors de la raison. L'homme alors encore inquier fevoit souvent les jeux vers le ciel, pout erudiet le mouvement des as • V 4  5ri Economie politique. tres et leur accord, d'oü dépendoit la tranquillité de la terre et de ses habitans 5 et remarquant sur-tout cet astre unique et éclattant qui semble commander a 1'armée des cieux et en être obéi, il crux voir la-haut 1'image d un bon gouvernement et y reconnoïtre le modèle et le plan que devoit suivre la société sur la terre , pour le rendre heureux et immuable par un semblable concert. La religion enfin appuya tous ces motifs. L'homme ne voyoit dans toute la nature qu'un soleil, il ne connoissoit dans 1'univers qu'un être suprème; il vit donc par-la qu'il manquoit quelque chose a sa législation, que sa société n'étoit point parfaite, en un mot qu'il lui falloit un roi, qui furie père et le cenrre de cette grande familie, et le protecteur er 1'organe des loix. Ce furent-la les avis, les conseils er les exemples que la raison, le spectacle de la nature et la religion donnèrent unammement a 1'homme, dès les premiers tems; mais il les éluda plutót qu'ij ne les suivit. Au lieu de se choisir un roi parmi ses semblables, avec lequel la société auroit fait le même contrat que chaque particulier avoit ci-devant fait avec elle, 1'homme proclama le roi de lage d'or, c'est-a-dire 1'être suprème : il continu* a le regarder comme son monarque; et le couronnant dans les formes, il ne voulut pas qu'il y eüt sur la terre, comme dans le ciel, d'autre ma'itre ni d'autre souverain. On ne s'est point atrendu sans doure a voir de si prés la chüre et 1'oubli des sentimens que nous nous sommes plu a mettre dans 1'esprit humain, au moment oü les sociétés songeoient a représenter leur unité par un monarque. Si nous les avons fait ainsi penser, c'est que ces premiers sentimens vrais et pleins de simpliciré sont dignes de ces ages primkifs, et que la  Economie politique. tij conduite surnaturelle de ces sociétés semble nous indiquer qu'elles ont été surprises er trompées dans ce fatal moment. Peut-être quelques-uns soupconnerontils que 1'amour de 1'indépendance a été le mobile de cette démarche, et que l'homme en refusant de se donner un roi visible , pour en reconnoitre un qu'il ne pouvoir voir, a eu le dessein tacite de n'en admettre aucun. Ce seroit rendre bien peu de justice a l'homme en général, et en particulier a l'homme échappé des malheurs du monde, qui a été porté plus que tous les autres a faire le sacrifice de sa liberté et de toutes ses passions. S'il fit donc, en se donnant un roi, une si singuliere application des lecons qu'il tecevoit de sa raison et de la nature entière , c'est qu'il n'avoit pas encore épuré sa religion comme la police civile et domestique, et qu'il ne 1'avoit pas dégagée de la superstition, cette fille de la craiute et de la terreur, qui absorbe la raison , et qui, prenant la place et la figure de la religion, 1'anéantit elle-même, pour livrec 1'humanité a la fraude et a 1'impostur? : l'homme alors en fut cruellement Ia dupe; elle seule présida a 1'élection du Dieu monarque , et ce fut-la la première époque et Ia source de tous les maux du genre humain. Comme nous avons dit ci-devant que les premières families n'eurent point d'autre roi que le dieu qu'elles invoquoient, et comme c'est ce même usage qui, s'étant consacré avec le tems , porta les nations fnultiphés a metamorphoser ce culte religieux en un gouvernement politique , il imporre ici de faire connoitre quels ont été les préjugés que les premières families joignirent a leur culte , paree que ce sont ces mêmes préjugés qui pervertirent par la suite la religion et la police de leur postérité.  j 14 Économie politique. Parmi les impressions qu"avoient fait sur l'hdmm« rébranlement de la terre et les grands changemens arrivés dans la nature , il avoit été particulièrement affecté de la ctainte de la fin du monde-, il s'étoit imaginé que les jours de la justice et de la vengeance étoient arrivés; il s'étoit attendu de voir dans peu le juge suprème venir demander compte a 1'univers, et prononcer ces redoutables arrêts que les mécbans ont toujours craints, et qui ont toujours fait 1'espérance et la consolation des justes. Enfin l'homme, en voyant le monde ébranlé et presque détruit, n'avoit point douté que le regne du ciel ne fiat très-prochain , et que la vie future, que la religion appelle par excellence le royaume de Dieu, ne fut prét a paroitre. Ce sont-la. de ces dogmes qui saisissent 1'humanité dans toutes les révolutions de la nature, et qui ramènent au même point l'homme de tous les tems. Ils sont sans doute sacrés, religieux et infiniment respeefables en eux-mêmes ; mais 1'histoire de certains siècles nous a appris a quels faux principes ils ont quelquefois conduit les hommes foibles, lorsque ces dogmes ne leur ont été présentés qu'a la suite des terreurs paniques et mensongères. Quoique les malheurs du monde, dans les premiers tems, n'aient eu que trop de réalité, ils conduisirent néanmoins 1'homme aux abus des fausses terreurs, par ce qu'il y a toujours autant de différence entre quelque changement dans le monde et sa fin absolae, dont Dieu seul sait les momens, qu'il y en a entre un simple renouvellement et une création toute miraculeuse : neus conviendrons cependant que dans ces anciennes époques, oü l'homme se porta a abuser de ces dogmes universels, qu'il fut bien plus excusable que dans ces siècles postérieurs., oü la superstition n'eut d'autre source que de faux calculs et de faux oracles que 1'état même de la  Economie politique. $ i j nature contredisoir. Ce fur cerre nature elle-mème et tout 1'univers aux abois qui séduisirent les siècles primitifs. L'homme auroit-il pu s'empêcher a 1'aspect de tous les formidables phénomènes d'une dissolution totale de ne pas se frapper de ces dogmes religieux dont il ne voyoit pas, il est vrai, la fin précise, mais dont il croyok évidemment reconnoïtre toutes les figures et toutes les approches ? Ses yeux et sa raison sembloient 1'en avertir a chaque instant et justifier ses terreurs; ses maux et ses misères, qui étoient a leur comble, ne lui raksoient pas la force d'en douter; les consolations de la religion étoient son seul espoir; il s'y livra saus réserve, il attendit avec résignarion le jour fatal, il s'y prépara, le desira même, tant étoit alors déplorable son état sur la terre ! L'arrivée du grand juge et du royaume du ciel avoit donc été dans ces tristes circonstances les seuls points de vue que l'homme avoit considérés avec une sainte avidké; il s'en étoit entretenu perpétuellement pendant les fermentations de son séjour; et ces dogmes avoient fait sur lui de si profondes impressions, que la nature, qui ne se rétablit sans doute que peu a peu, 1'étoit tout-a-fait, lorsque l'homme attendok encore. Pendant les premières générations, ces dispositions de 1'esprit humain ne servirent qu'a perfectionner d'autant sa morale, et firent 1'héroïsme et la sainteté de 1'agcd'or. Chaque familie, pénétrée de ces dog-mes, ne représentoit qu'une communauté religieuse, qui dkigeok toutes ses démarches vers le céleste avenir, et qui, ne comptant plus sur la durée du monde, vivok en attendant les évènemens sous les seuls Hens de la religion. Les siècles inattendus, qui succédèrem a ceux qu'on avoit cru les derniers , auroient dü, ce semble, détromper l'homme de ce qu'il y avoit de iaux dans  3 i 6 Economie politique. ses principes. Mais Fospérancé se rebure-t-elle ? La bonne foi et la simplioité avoient établi ces principes dans les premiers ages; le préjugé et la coutume les perpétuèrent dans les suivarrs, et ils animoient encore les sociétés agrandies et multipliées, lorsqu'elles commencèrent a donner une forme réglée a leur administration civile et politique. Préoccupées du ciel, elles oublièrent dans cet instant qu'elles étoient encore sur la terre; et au lieu de donner a leur état un lien fixe et naturel, elles persisteren! dans un gouvernement qui , n étant que provisoir? et surnaturel, ne pouvoit convenir aux sociétés politiques , ainsi qu'il avoit convenu aux sociétés mystiques et religieuses. Elles s'imaginèrent sans doute, par cette sublime spéculation, prévenir leut gloire et leur bpnheur, jouir du ciel sur la terre , et anticiper sur le céleste avenir. Néanrr.oins ce fut cette spéculation qui fut le germe de toutes leurs erreurs et de tous les maux ou le genre humain fut ensuite plongé. Le dieu monarque ne fut pas plutót élu, qu'on appliqua les principes du rcgne d'en-haut au tegne d'ici bas; et ces principes se trouvèrent faux, paree qu'ils éroient déplacés. Ce gouvernement n'étoit qu'une fiction qu'il fallut nécessairement soutenir par une multitude de suppositions et d'usages conventionnels; et ces suppusirions ayant été ensuite prises a la lettre, il en résulta une foule de préjugés religieux et politiques, une infinité d'usages bizarres et déraisonnables, et des fables sans nombre qui précipitèrent ar la fin dans le cahos le plus obscur la religion, la police primitive er 1'histoire du genre humain. C'est ainsi que les premières nations, après avoir puisé dans le bon sens et dans leurs vrais besoins leurs loix domestiques et économiques, les soumirent toutes a un gouvernement idéal, que 1'histoire connoit peu, mais que la mythologie, qm a recueilli  Economie politique. 3 r 7 les ombres des premiers tems, nous a transmis sous le nom .de regne des dieux, c'est-a-dire , dans notre langage, le regne de Dieu, en un mot, théocratie. Les historiens ayant méprisé, et presque toujours avec raison, les fables de 1'antiquité, la théocratie primitive est un des ages du monde les plus suspects ; et si nous n'avions ici d'autres autorités que celle de la mythologie , tout ce que nous pourrions dire sur cet antique gouvernement, paroïtroit encore sans vraisemblance aux yeux du plus grand nombre; peut-être aurions-nous les sürfrages de quelques-uns de ceux dont le génie soutenu de connoissances , est seul capable de saisir 1'ensemble de toutes les erreurs humaines; d'appercevoir la preuve d'un fait ignoré dans le crédit d'une erreur universelle., et de remonter ensuite de cette erreur, aux vérités ou aux évènemens qui 1'ont fait naitre, par la combinaison réfiéchie de tous les différens aspects de cette même erreur: mais les bornes de notre carrière ne nous perinettant poinr d'employer les matériaux qüe peut nous fournir la myrhologie, nous n'entreprendrons point ici de réédifier les annales théocratiques. Nous ferons seulement remarquer que si 1'universalité et si 1'uniformité d'une erreur sont capables de faire entrevoir aux esprits les plus intelligens quelques principes de vérité , oü tant d'autres ne voient cependant que les effets du caprice et de 1'imagination des anciens poè'tes , on ne doit pas totalement rejetter les conditions qui concernent le règne des dieux, puisqu'elles sont universelles, et qu'on les retrouve chez toutes les nations, qui leur font succéder les demi-dieux , et ensuite les rois, en distinguant ces règnes comme trois gouvernemens différens. Egyptiens, Chaidéens , Perses, Indiens, Chinois, Japcnnois , Grecs, Romains, et jusqu'aux Américains  $ 18 Economie politique. mêmes, tous ces peuples ont également conservé le souvenir tehébreux d'un tems oü les dieux sont descendus sur la terre pour rassembler les hommes, pour les gouverner , et pour les rendre heureux, en leur donnant des loix , en leur apprenant les arts utiles. Chez tous ces peuples , les circonstances particulières de la descente de ces dieux sont les misères et les calamités du monde. L'un est venu , disent les Indiens , pour soutenir la terre ébranlée , et celui-la, pour la recirer de dessous les eaux; un autre pour secourir le soleil, pour faire la guerre au dragon , et pour exterminer des monstres. -Nous ne rappellerons pas les guerres et les victoires des dieux Grecs et Egyptiens sur les Typhons , Pythons, les Géans et les Tytans. Toutes les grandes solemnités du paganisme en célébroient la mémoire. Vers tel climat que l'on toarne les yeux , on y retrouve de même certe constante et singuliète tradition d'un age théocratique; et l'on doit remarquer qu'indépendamment de l'uiformité de ces préjugés qui décele un fait quel qu'il puisse être, ce règnesur-naturel y est toujours désigné comme ayant été voisin des anciennes révolutions , puisqu'en tous lieux le règne des dieux y est orné et rempli des anecdotes littérairs ou allégoriques de la mine ou du rétablissement du monde. Voici, je crois , une des plus grandes autorités qu'on puisse trouver sur un sujet si obscur. « Si ies hommes ont été heureux dans les premiers tems, die Platon , IV livrz des loix , s'ils ont été heureux et justes, c'est qu'ils n'étoient point alors gouvernés comme nous le sommes aujourd'hui, mais de la méme manière que nous gouvemons nos troupeaux : car comme nous n'établissons pas un taureau sur des taureauxj, ni i.ne chevre sur un troupeau dechevres , mais que nous les mettons sous la conduite d'un homme  Economie politique. qui en est le berger; de même Dieu qui aime les hommes , avoit mis nos ancêrres sous la conduite des esprits et des anges ». Ou je me trompe, ou voila ce gouvernement surnaturel qui a donné lieu aux traditions de 1'age d'or et du règne des dieux. Platon a été amené a cette tradition par une route assez semblable a celle que je suis. II dit ailleurs , qu'après le déluge , les hommes vécurent sous trois états successifs : le premier , sur les montagnes errans et isolés les uns des autres : le deuxième , en families dans les vallées voisines, avec un peu moins de terreur que dans le premier état : et le troisième , en sociétés réunies dans les plaines , et vivant sous des loix. Au reste, si ce gouvernement est devenu si généraleinent obscur et fabuleux, on ne peut en accuser que lui-même. Quoique formé sous les auspices de la religion, ses principes surnaturels le conduisirent a tant d'excès et a tant d'abus, qu'il se défigura insensiblement , et fut enfin méconnu. Peut-être cependant 1'histoire qui Ta rejetté, Ta-t-elle admis en partie dans ses fastes, sous le nom de règne sacerdotal. Ce règne n'a été dans son tems qu'une des suites du premier , et Ton ne peut nier que cette administration n'ait été retrouvée chez diverses nations fort historiques. Pour suppléer a ce g and vuide des annales du monda par ane autre voie que la mythologie, nous avons réliéchi sur Tétiquette et sut les usages qui ont du étte propres a ce genre de gouvernement •, et après nous en être fait un plan et un tableau, nous avons encore cherché a les comparer avec les usages politiques et religieux des nations. Tantöt nous avons suivi 1'ordre des siècles j et tantöt nous les avons rétrogradés , afin d'éclaircir le moderne par Tanden. Telle a été noue  3 zo Economie politique. méthode pour trouver le connu par 1'inconnu ; on jugera de sa justesse ou de son inexacritude par quelques exemples, et par le résultat dont voici 1'analyse. Le gouvernement surnaturel ayant obligé les nations a recourir a une multitude d'usages et de suppositions pour en soutenir 1'extïrieur , un de leurs premiers soins fut de représenter au milieu d'elles la maison de leur monarque , de lui élever un tróne, et de lui donner des officiers et des ministres. Considérée comme un palais civd , cette maison étoit sans doute de trop sur la terre; mais ensuite considérée comme un temple, elle ne put suffire au culte public de toute une nation. D'abord on voulut que cette maison für seule et unique, paree que le dieu monarque étoit le seul et unique; mais toutes les différentes portions de la société ne pouvant s'y rendre aussi souvent que le culte journalier qui est du a la divinité Texige, les parties les plus écartées de la société tombèrent dans une anarchie religieuse et politique, ou se rendirent rebelles et coupables, en multipliant le dieu monarque avec .les maisons qu'elles voulurent aussi lui élever. Peu-apeu les idéés qu'on devoit avoir de la divinité se rettécirent; au lieu de regarder ce temple comme des lieux d'assemblées et de prières publiques, infiniment respectables par cette destination , les hommes y cherchèrent le maïtre qu'ils ne pouvoient y voir, et luidonnèrent a la fin une figure et une forme sensible. Le signe de 1'autorité et le sceptre de 1'empire ne furent point mis entre des mains particulières ; on les déposa dans cette maison et sur le siège du céleste monarque •, c'est-a-dire dans un temple et dans le lieu le plus respecrable de ce temple, c'est-a-dire dans le sanctuaire. Le sceptre et les auttes marqués de 1'autorité royale n'ont été dans les premiers tems que des batons et des rame aux,  Économie polïtiquèi jzt meaux, les temples que des cabanes, et le sanctuairè qu'une corbeille et qu'un coffret. C'est ce qui se trouve dans toute ï'ahüqühé ; mais par 1'abas de ces usages , la religion absorba la police ; et le règne du ciel lui donna le règne de la terre, ce qui pervertit 1'un et 1'autre. Le code des loix civiles et religieuses ne fut point mis non plus entre les mains du magistrat, on le déposa dans le sanctuairè ; ce fut a ce lieu sacré qu'il fallut avoir recours pour connoitre ces loix et pour s'instruire de ses devoirs. La elles s'y ensevelirent avec le tems, le genre humain les oublia , peut-êtré même les lui fit-on oublier. Dans ces fêtes qui portoient chez les nations le ftórri de fêtes de la législation , comme les palelies et thësmophories , les plus saintes vérités n'y étoient plus communiqüées que sous le secret a quelques initiés, et l'on y faisoit aux peuples tin mysrère de ce qu'il y avoit de plus simple dans la police, et de ce qu'il y avoit de plus utile et de plus vrai dans la religion. La nature de la théocratie primitive exigeant nécessairement que le dépot des loix gardé dans le sanctuairè parut érfiané de Dieu même, er qu'on fut obligé de Croire qu'il avoit été le législateur des hommes comme il en étöit le monarque ; le tems et 1'ignorance donnèrent lieu aux rriihisttes du paganisme d'imaginer qué des dieux et des déesses les avoient réveles aux anciens législateurs , tandis que les seuls( besoins et la seulé raison publique des premières sociétés en avoient été les uniques et les véritables sources. Par ces affreux mensonges, ils ravirent a l'homme 1'honneur de ces loix si belles et si simples qu'il avoit fait primitivement, et ils affoiblirent tellement les ressorts et la dignité de sa raison, en lui faisant faussement accroire qu'elle n'al ome F. X  jli Economie politique. voit point été capable de les dicter, qu'il k mépris* et qu'il ctuf rendre hommage a la divinité en ne se servant pltfs d'un don qu'il n'avoit recu d'elle que pour en faire un constant usage. Le dieu monarque de la société ne pouvant lui parler ni lui commander d'une facon directe, on se mit dans la nécessité d'imaginer des moyens pour connoitre ses ordres et ses volontés. Une absurde convention établit donc des signes dans le ciel et sur la terre qu'il fallut regarder , et qu'on regarda en effet comme les interprêtes du monarque : on inventa les oracles , et chaque nation tut les siens. On vit paroitre une foule d'augures, de devins et d'aruspice ; en police, comme en religion, l'homme ne cousulta plus la raison, mais crut que sa conduite, ses entrepris's et toutes ses démarches devoient avoir pour guide un ordie ou un avis de son prince invisible; et comme la fraude ou l imposture les dictèrent aux nations aveuglées, elles en furent toutes les dupes, les esclaves , les victimes. De semblables abu:; sortirent aussi des tributs qu'on Crut devoir lui payer. Dans les premiers tems oü la religion ni la police n'étoient point encore corrompues par leur faux apparéil, les sociétés n'eurent d'autres charges et d'autres tributs a porter a 1'Etre suprème que les fruits et les prémices des biens de la terre; encore n'étoir-ce qu'un hommage de reconnoissance , er non un tribut civÜ dont le souverain dispensateur de tout n'a pas besoin. II n'en fut plus de même lorsque d'un être universel chaque nation en eut fait son roi particulier : il faliut lui donner une maison , un tróne , des officiers, et enfin des revenus pour les entretenir. Le peuple porta donc chez lui la dixme de ses biens 3 de ses terres et de ses troupeaux •, il savoir qu'il tenoit tout de son divin roi, que l'on juge de la ferveur avec laquelle cha-  Economie poutiqüei *un vint ofFrir ce qui pouvoit contribuer a l'éclat et a la magnificence de son monarque. La piéré généreuse ne connut point de bornes, on en vint jusqu'a s'offrir soimême , sa familie et ses enfans ; on crut pouvoir sans se deshonorer , se reconnoitre esclave du souverain de toute la nature , et l'homme ne se rendit que le sujet et 1'esclave des officiers théocratiques. A mesure que la simplicité religieuse s'éteignit, et quë la superstition augmenta avec 1'ignorance , il fallut par gradation renchérir sur les anciennes offrandes et en chercher de nouvelles: après les fruits, on offrir les animaux; et lorsqu'on se fut familiarisé par cedernier usage avec cette cruelle idéé que la divinité aime le sang , il n'y eut plus qu'un pas a faire pour égorger des hommes, afin de lui ofhir le sang le plus cher et le plus précieux qui soit sans doute a ses yeux. Le fanatisme antique n'ayant pu s'élever au plus haut période , égorgea donc des victimes humaines; il en présenta les membres palpitans a la divinité comme une oftrande qui lui étoit agréable; bien plus l'homme en mangea lui-même ; et après avoir éteint sa raison , dompta enfin la nature pour pauiciper aux festins des dieux. II n'est pas nécessaire de faire une longue application de ces usages a ceux de toutes les nations payerines et sauvages qui les ont pratiqués. Chez toutes, les sacn* fices sanglans n'ont eu prirmtivernent pour objet que de couvrir la table du roi théocratique , comme nous couvrons la table de nos mortarques. Les prêtres de Bélus faisoient accroire aux' peuples d'Assyrie que leurs divinités mangeoient elles-mêmes les viandes qu'on lux présentoit sur ses autels; et les Grecs et les Romains ne manquoient jamais dans les tems de calamités d'assernbler dans la place publique leurs dieux et leurs %  324 Economie politique. déesses autour d'une table magnifiquement servle J pour en obtenir par un festin extraordinaire , lesgraces qui n'avoient pu être accordées aux repas réglés du Soir et du maan , c'est-a-dire aux sacrifices journaliers et ordinaires ; c'est ainsi qu'un usage originairement établi, pour soutenir dans tous ses points le cérémonial figuré d un gouvernement surnaturel , fut pris a la lettre, et que la divinité , se trouvant en tout traitée comme une créature mortelle , fut avilie et perdue de. vue. L'antropophagie qui a règné et qui règne encore dans une moitié du monde , ne peut avoir non plus une autre source que celle que nous avons fait enrrevcir : ce n'est pas la nature qui a conduit tant de nations a cet abominable excès; mais égaré , perdu par le surnaturel de ses principes , c'est pas a pas et par dégrés qu'un culte insensé et cruel a perverti le cceur humain. II n'est devenu anrropophage qu'a 1'exemple et sur le modèle d'une divinité qu'il a cru anrropophage. Si 1'humanité se perdit, a plus forte raison les mceurs furent-elles aussi ahérées et flétries. La corruption de 1'homme théocratique donna des femmes au dieu monarque ; et comme tout ce qu'il y avoit de bon et de meilleur lui étoit dü, la virginité même fut obligée de lui faire son offrande. De-la les prostitutions religieuses de Babylone et de Paphos; de-la ces honteux devoits du paganisme qui contraignoient les filles a se livrer a quelque divinité 3 avant que de pouvoir entrer dans le mariage ; de-la enfin , tous ces enfans des dieux qui ont peuplé la mythologie et le ciel poétique. Nous ne suivrons pas plus loin 1'étiquette et le cérémonial de la cour du dieu monarque , chaque usage «rut un abus, et chaque abus e» produisit mille autres.  Economie politique. 315 Considéré comme un roi, on lui donna des chevaux, des chars, des boucliers, des armes 3 des meubles, des terres, des troupeaux, et un domaine qui devint avec le tems, le patrimoine des dieux du paganisme; considéré comme un homme , on le fit séducteuf , colère , emporté, jaloux , vindicatif et barbare-, enfin on le fit 1'exemple et le modèle de toutes les iniquités , dont nous trouvons les affreusés légendes dans la theogonie payenne. Le plus grand de tous les crimes de la théocratie primitive a sans doute été d'avoir précipité le genre humain dans 1'idolatrie par le surnaturel de ses principes. II est si difficile a l'homme de concevoir un être aussi grand , aussi immense 3 et cependant invisible tel que fêtre suprème, sans s'aider de quelques moyens sensibles, qu'il a fallu presque nécessairement que ce gouvernement en vint a sa représentation. II etoit alors bien plus souvent question de 1'etre suprème qu'il n'est aujourd'hui : indépendamment de son nom et de sa qualité de dieu, il étoit roi encore. Tous les actes de la police , comme tous les actes de la religion , ne parloient que de lui ; on trouvoit ses ordres et ses arrêts par-tout; on suivoit ses loix ; on lui payoit tribut; on voyoit ses officiers , son palais, et presque sa place ; elle fut donc bientót rernplie. Les uns y mirent une pierre brute., les autres une pierre sculptée; ceux-ci 1'image du soleil, ceux-la de la lune ; plusieurs nations y exposèrent un bceuf, une chèvre ou un chat, comme les Fgyptiens : en Ethiopië , c'étoit un chien; et ces sit nes représentatifs du monarque furent chargés de tous les attriburs symboliqn.es d un dieu et d'un roi , ils furent décorés de tous les titres sublimes qui convenoient a celui dont on les fit les emblêmes; et ce fut devant eux qu'on potta les X 3  jit? Économie politique. prières et les offrandes, qu'on exerca tous les actes de la police et de la religion , et que l'on remplit enfin tout le cérémonial théocratique. On ctoit déja sans doute que c'est-la 1'idolatrie; non, ce ne 1'est pas encore , c'en est seulement la porte fatale. Nous rejetons ce sentiment affreux que les hommes ont été naturellement idolatres, ou qu'ils le sont devenus de plein gré et de dessein prémédité : jamais les hommes n'ont oublié la divinité j jamais dans leurs égaremens les plus grossiers ils n'onr tout-a-fait méconnu son excellence et son unité , et nous oserions même penser en leur faveur qu'il y a moins eu une idolatrie réelle sur la terre qu'une prdfonde er générale superstition ; ce n'est point non plus par un saut rapide que les hommes ont passé de 1'adoration du créateur a 1'adoration de la créature; ils sont devenus idolatres sans le savoir et sans vouloir 1'ètre , comme nous verrons ci-après , qu'ils sont devenus esclaves sans jamais avoir eu 1'envie de se mettre dans 1'esclavage. T,a religion primitive s'est corrompue , et 1'amour de 1'unité s'est obscurci par J'oubli du passé et par les suppositions qu'il a fallu faire dans un gouvernement surna-r turel qui confondir toutes les idéés en confondant la police avec la religion, nous devons penser que dans les premiers tems oü chaque nation se rendit son dieu monarque sensible , qu'on se comporta encore vis-avis de ses emblêmes avec une circonspection religieuse et intelligente; c'étoit moins Dieu qu'on avoit voulu représenter que le monarque , et c'est ainsi que dans nos tribunaux , nos magistrats ont toujours devant eux 1'image de leur souverain, qui rappelle a chaque instant par sa ressemblance et par les orneroens de la royauté le véritable souverain qu'on n'y voit pas , mais ^iie l'on sait exjster ailleurs, Ce tableau qui ne peilt  Economie politique. 34T~«ous tromper, n'est pour nous qu'un objet relatif et commémoratif, et telle avoit été sans doute 1'intennon primitive de tous les symboles représentatifs de la divinité : si nos pères s'y trompèrent cependant , c'est qu'il ne leur fut pas aussi facile de peindre cette divinité qu'a nous de peindre un mortel. Quel rapport en effet put-il y avoir entre le dieu régnant et toutes les différentes effigies que l'on en fit ï Ce ne put être qu'un rapport imaginaire et de pure convention , toujours prêt par conséquent a dégtader le dieu et le monarque , shot qu'on n'y joindtoit plus une instruction convenable ; on les donna sans doute ( ces instructions ) dans les premiers tems , mais par-la le culte et la police , de simples qu'ils étoient, devinrent composés et allégoriques; par-la 1'officiet théocratique vit accroitre le besoin et la nécessité que l'on eut de son état; et comme il devint ignorant lui-même, lescönventions primitives se changent en mystères, et la religion dégénéra en une science merveilleuse et bisarre, dont le secret devint impénetrable dage en age , et dont 1'objet se perdit a la fin dans un labyrinthe de graves puérilités et d'importantes bagatelles. Si toutes les différentes sociétés eussent au moins pris pour signe de la div'ri é règnante un seul et même symbole } Tuniré du culte , quoique dégénéré , auroit encore pu se conserver sur ia terre ; mais ainsi que rour le monde le sait , les uns prirent une chose, et les autres une autre; 1'Etre suprème, sous mille formes différentes , fut adoré par-tout sans n'être plus le même aux yeux de l'homme grossier. Chaque nation s'habirua a cönsidérer le symbole qu'elle avoit choisi comme le plus véritabïe et le plus saint. L'unité fut donc tompue : la religion générale étant éteinte ou méconnue , une superstition générale en prit X 4  5 2.S Economie politique, la place, et dans chaque contrée elle eut son étendart particulier, chacun regardant son dieu et son roi comme le seul et le véritable , détesta le dieu et le roi de ses voisins. Bientöt toutes les autres nations furent réputées étrangères 3 on se sépara d'elles , on ferma les frontières , et les hommes devinrent ainsi par naissance, par état et par religion, ennemis déclarés les uns des autres. Indé furor vulgb , quodnumina vicinorum Odit uterque heus , cum solos credat habendos. Esse deos , tjuos ipse colit;. Juvénal, Sat. i5. Tel étoit 1'état déplorable oü les abus funestes de la théocratie primitive avoient déja précipiré la religion de tout le genre humain , lorsque Dieu pour conserver chez les hommes le souvenir de son unité , se choisit enfin un peuple particulier, et donna aux hébreux un législateur sage et instruir pour réformer la theocratie payenne des nations. Pour y parvenir , ce grand homme p'eut qua la dépouiller de tout ce que 1'imposture ei 1'ignorance y avoient introduit : Moyse détruisit donc tous les emblêmes idolatres quon avoit élevés au dieu monarque , et il supprima les augures 3 les devins et tous les faux interpréres de la divinité, défendit expressèment a son peuple de jamais la représenter pat, aucune figure de fonte ou de pierre , ni par aucune image de peinture ou de ciselure; ce fut cette dernière loi qui distingua essentiellement les Hébreux de rous les peuples du monde. Tant qu'ils 1'observèrent, ils furent vraiment sages et religieux ; et toutes les fois qu'ils la transgressèrent , ils se mirent au niveau de toutes les autres nations; mais telle étoit encore dans ces anciens tems, la force des préjugés et 1'excés de la  Economie politique. 329 grossièreté des hommes , que ce précepte j qui nous Semble aujourd'hui si simple et si conforme a la raison , fut pour les Hébreux d'une observance pénible et difhcile; de-la leurs fréquentes rechütes dans 1'idolatrie 3 et ces perpétuels retours vers les images des nations , qu'on n'a pu exphquer jusqu'ici que par une dureté de cceur et un entêtement inconcevable, dont on doit actuellement retrouver la source et les motifs dans les anciens préjugés et dans les usages de la théocratie primitive. Après avoir parcouru la partie religieuse de cet antique gouvernement jusqu'a 1'idolatrie qu'il a produit et jusqu'a sa réforme chez les hébreux , jetons aussi quelques regards sur sa partie civile et politique j dont le vice s'est déja fait entrevoir. Quelque grand et quelque sublime qu'ait paru dans son tems un gouvernement qui prenoit le ciel pour modèle et pour objet, un édifice politique construit ici bas sur une spéculation, a du nécessairement s'écrouler et produire de très-grands maux ; entre cette foule de fausses opinions, dont cetre théocratie remplit 1'esprit humain , il s'en éleva deux fortes opposées 1'une a 1'autre, et toutes deux cependant également contraires au bonheut des sociétés. Ié tableau qu'on se fit de la félicité du règne céleste, fit naitre sur la terre de fausses idéés sur la liberté , sur l'égalité et sur 1'independance •, d'un autre cöté , 1'aspect du dieu monarque si grand et si immense, réduisir l'homme presque au néant, et le porta a se mépriser lui-même et a s'avilir \olontairement par ces deux extiémes: 1'esprit d'humanité et de raison qui devoit faire ce hen des sociétés, se perdit nécessairement dans une nioirié du monde, on voulut être plus qa'on ne pouvoit et qu'on ne devoit être sur ia terre; et dans 1'autre,  aj© Economie politique. on se dégrada au-dessous de son état naturel; enfin, on ne vit plus l'homme , mais on vit insensiblement pa-» rome le sauvage et 1'esclave. Le point de vue du genre humain avoit été cependant de se rendre heureux par la theocratie , et nous ne pouvons douter qu'il n'y ait réussi au moins pendant un tems. Le règne des dieux a été célébré par les poëres ainsi que 1'age d'or, comme un règne de félicitê et de liberté. Chacun étoit libre dans Israël, dit aussi l'écriture en parlant des commencemens de la théocratie mosaïque; chacun faisoit ce qu'il lui plaisoit, alloic oü il vouloit , et vivoit alors dans lindépendance: unus quis que j quod sibi rectum videbatut, hoe faciebat, xvijj 6. Ces heureux tems, ou l'on doit appercevoir néanmoins le germe des abus fururs, n'ont pu exister que dans les abords de cet age mvstique, lorsque l'homme étoit encore dans la ferveur de sa morale et dans l'héroïsme de sa théocratie •, et sa félicité aussibién que sa justice, ont dü être passagères, paree que la ferveur et 1'héroïsme , qui seuls pouvoient soutenit le surnaturel de ce gouvernement, sent des vernis mome-ntanées et des saillies religieuses qui n'ont jamais de durée sur la terre. La véritable et la solide theocratie n'est réservée que pour le ciel., c'est-la que 1 homme un jour sera sans passion comme la divinité : maïs il n'en est pas de méme ici-bas d'une théocratie terrestre oü le peuple ne peut qu'abuser de sa liberté sous uri gouvernement provisoire et sans consistance , et oü ceux qui commandent ne peuvent qu'abuset du pouvoir iUimité d'un dieu monarque qu'il n'est que trop facile de faire parler. II est donc ainsi très-vraisemblable, que c'est par ces deux excès que la police théocrati'que s'est autrefois perdue : par i'un 3 tout l anden occidenr,  Economie politique, 331 a changé sa liberté en brigandage et en une vie vaga~ bonde; et par 1'autre, tout 1'orient s'est vu opprimé par des tyrans. L'état sauvage des premiers Européens connus, et de tous les peuples de 1'Amérique, présente des ombres er des vestiges encore si conformes a quelques uns des traits de lage d'or, qu'on ne doit point être surpris si nous avons été portés a chercher 1'origine de cet état d'une grande partie du genre humain dans les suites du malheur du monde , et dans 1'abus de ces préjugés théocratiques qui ont répandu tant d'erreurs par toute la terre. En efTet, plus nous avons approfondi les différentes traditions et les usages des peuples sauvages, plus nous y avons trouvé d'objets issus des sources primirives de la table et des coutumes relatives aux préventions universelles de la haute antiquité; nous nous sommes même appercus quelquefois que ces vestiges étoient plus purs et mieux morivés chez les Américains et autres peuples barbares ou sauvages comme eux, que chez toutes les autres nations de notre hémisphère. Ce seroit entrer dans un trop vaste détail, que de parler de ces usages; nous dirons seulement que la vie sauvage n'a été essentiellement qu'une suite de 1'impression qu'avoit fait autrefois sur une partie des hommes , le spectacle des malheurs du monde , qui les en dégoüta et leuren inspira le mépris. Ayant appris alors quelle en étoit 1'inconstance et la rragihté , la partie la plus religieuse des premières sociétés crut devoir prendre pour base de sa conduite ici-bas, que ce monde n'est qu'un passage, d'oü il arriva que les sociétés en généial, ne s'étant point donné un lien visible , ni un chef sensible pour leur gouvernement dans ce monde, elles ne se réunirent jamais parfaitement, et que des families s'en séparèrent de bonne heure, et renoncèrent tout-a-  3 j t Economie politique. fait a 1'esprit de la police humaine , pour vivre en pélerins , et pour ne penser qu'a un avenir qu'elles désiroient et qu'elles s'attendoient a voir bientór paroirre. D'abord ces premières générations solicaires furent aussi religieuses qu'elles étoient misérables; ayant toujours les yeux levés vers le ciel , et ne cherchant a pourvoir qu'a leur plus pressant besoin, elles n'abusèrent point sans doute de leur oisiveté ni de leur liberté. Mais a mesure qu'en se multipliant elles s'éloigncrenr des premiers rems et du gros de la société, elles ne formèrent plus alors que des peuplades etrantes et des nations mélancoliques, qui peu-a-peu se sécularisèrent en peuples sauvages et barbares. Tel a été le triste abus d'un dogme très-saint en lui-même. Le monde n'est qu'un passage , il est vrai , et c'est une vérité des plus utiles a la société , paree que ce passage conduit a une vie plus excellente que chacun doit chercher a mériter en remplissant ici bas ses devoirs; cependant une des plus grandes fautes de la police primitive , est de n'avoir pas mis de sages bornes a ses erfets. Ils ont été infiniment pernicieux au biemètre des sociétés , routes les fois que des événemens du dos terreurs générales ont fait subitement oublier a l'homme qu'il est dans ce monde paree que Dieu 1'y a placé, et qu'il n'y est placé que pour s'acquitter envers la société et envers lui-même de tous les devoirs oü sa naissance et le nom d'homme 1'engagent. En contemplant une vérité , on n'a jamais dü faire abstraction de la société. Le dogme le plus saint n'est vrai que relativement a rout le genre humr.in ; la vie n'est qu'un pélerinage , mais un pélerin n'est qu'un fainéant, et l'homme n'est pas fait pour 1'être ; tant qu'il est sur la terre, il y a un centre unique et commun auqrel il doit être invisiblement attaché , et dont il ne peut  Economie politique. 3 3 j s'écarter sans être déserteur , et un déserteur très-criminel que la police humaine a droit de réclamer. C'est ainsi qu'auroit dü agir et penset la police primitive , mais 1'esprit théocratique qui la conduisoit pouvoit-il être capable de précaution a cet égard ï il voulut s'élever et se précipita. II voulut anticiper sur le règne des justes, et n'engendra que des barbares et des sauvages , et 1'humanité se perdit enfin paree qu'on ne voulut plus être homme sur la rerre. C'est ici sans doute qu'on peut s'appercevoir qu'il en est des erreurs humaines dans leur marche , comme des planères dans leurs cours; elles ont de même un orbite immense a. parcourir , elles y sont vues sous diverses phases et sous différens aspects , et cependant elles sont toujours les mêmes et reviennenr constamment au point d'oü elles sont patties pour recommencer une nouvelle révolution. Le gouvernement provisoire qui conduisit a la vie sauvage et vagabonde ceux qui se séparèrent des premières sociétés, produisit un effet tout contraire sur ceux qui y restèrent; il les réduisit au plus dor esclavage. Comme les sociétés n'avoient été dans leur origine que des families plutöt soumises a une discipline religieuse , qu'a une police civile , et que 1'excès de leur religion qui les avoit portés a se donner Dieu pour monarque , avoit exigé avec le mépris du monde le renoncement total de soi-même , et le sacrifice de sa liberté , de sa raison , et de toute propriété; il arriva nécessairement que ces families s'étant agrandies et multipliées dans ces principes, leur servitude religieuse se trouva changée en une servitude civile et politique; et qu'au lieu d'ètre le sujet du Dieu-monarque , l'homme ne fut plus que 1'esclave des officiers qui commandèrent en son nom.  '334 Economie politique. Les corbeilles, les coffies et les sy«mboles, par les* quels on représentoit le souverain n'étoient rien , mais les ministres qu'on lui donna furent des hommes , et non des êtres célestes incapables d'abuser d'une administtation qui leur donnoit tout pouvoir. Comme il n'y a point de traité ni de convention a faire avec un Dieu, Ia théocratie oü il étoit censé présider a donc été par sa nature un gouvernement despotique, dont 1'être suprème étoit le sultan invisible , et dont les ministres théocratiques ont été les visirs , c'est-a-dire les despotes ïéels de tous les vices politiques de la théocratie. Voila. quel a été 1'état le plus faral aux hommes , et celui qui a préparé les voies au despotisme oriental. Sans doure que dans les premiers rems les ministres visibles ont été dignes par leur modération et par leur vertu de leur maitre invisible, par le bien qu'ils- auront d'abord fait aux hommes , ceux-ci se seront accoutumés a reconnoitre en eux le pouvoir divin , par la sagesse de leurs premiers ordres et par 1'utilité de leurs premiers conseils, on se sera habirué a leur obéir , et l'on se sera soumis sans peine a leurs oracles: peu-a-peu une confiance extréme aura produit une créduliré extréme par laquelle l'homme 3 prévenu que c'étoir Dieu qui parloir , que c'éroir un souverain immuable qui vouloit, qui commandoit et qui menacoit , aura cru ne devoir point résister aux organes du ciel, lors même qu'ils ne faisoient plus que du mal. Arrivé par cette gradation au point de déraison de méconnoitre la dignité de la nature humaine , l'homme dans sa misère n'a plus osé lever les yeux vers le ciel, et encore moins sur les tyrans qui le faisoient parler, fanatique en tout, il adora son esclavage , er crur enfin devoir honorer son Dieu er son monarque par son néanr et par son indignité. Ces malheureux préjugés sont encore la base  Économie politique. jjy «Je tous les sentimens et de toutes les dispositions des Orientaux envers leuts despores. Ils s'imaginent que ceux-ci ont de droit divin le pouvoir de faire le bien et le mal, et qu'ils ne doivent trouver rien d'impossible dans 1'exécution de leur volonté. Si ces peuples souffrent s ils sont malheureux par les caprices féroces d'un barbare , ils adorent les vues d'une providence impénétrable , ils reconnoissent les droits et les titres de la tyrannie dans la force er dans la violence, et ne cherchent la solution des procédés illégitimes et cruels, dont ils sont les victimes, que dans des interprétations dévotes et mystiques , ignorant que ces procédés n'ont point d'autres sources que 1'oubli de la raison 3 et les abus d'un gouvernement surnatutel qui s'est éternisé dans ces climats, quoique sous un autre appareil. Les théocraties étant ainsi devenues despodques ï 1'abri des préjugés dom elles aveuglèrent les nations, couvnrent la terre de tyrans; leurs ministres, pendant bien des siècles,' furent les vrais er les seuls souverains du monde, et rien ne leur résistant , ils disposèrent des biens, de 1'honneur et de la vie des hommes , comme ils avoient déja disposé de leur raison et de leur esprit. Les tems qui nous ont dérobé 1'histoire de cet ancien gouvernement , paree qu'il n'a été qu'un age d'ignorance profonde et de mensonge, ent a'la vérité jeté un voile épais sur les excès de ses officiers: mais la théocratie judaïque , quoique réformée dans sa religion , n'ayant pas été exempte des abus politiques , peut nous servir a en dévoiler une partie; 1'éeriture nous exposé elle-mème quelle a été 1'abominable conduite des enfans d'Héli et de Samuel, et nous apprend quels ont été les crimes qui ont mis fin a cette théocratie particulière oü régnoit le vrai Dieu. Ces indigncs descendans d'Aaron et de Lévi ne rendoient plus la  3 36 Economie politique. justice aux peuples, 1'argent rachetoit auprès deux ies coupables , on ne pouvoit les aborder sans présens, leurs passions seules étoient et leur loi et leur guide, leur vie n'étoit qu'un brigandage , ils enlevoient de force et dévoroient les victimes qu'on destinoit au Dieu-monarque , qui n'étoit plus qu'un préte-nom, et leur incontinence égalant leur avarice et leur voracité , ils dormoient, dit la bible , avec les femmes qui veilloient a 1'entrée du rabernacle. /. Ut. Reg. cap. ij. L'écriture passé modestemem sur cette dernière anecdote , que 1'esprit de vérité n'a pu cependant cacher. Mais si les ministres du vrai Dieu se sont livrés a un tel excès, les minisrres théocratiques des anciennes nations 1'avoient en cela emporté sur ceux des Kébreux, par 1'imposture avec laquelle ils pallièrent leurs désordres. Ils en vinrent par-tout a ce comble d'impiété et d'insolence de couvrir jusqu'a leurs débauches du manteau de la divinité. C'est d eux que sortit un nouvel ordre de créatures, qui , dans 1'esprit des peuples imbécilles , fut regardé comme une race particuliere et divine. Toutes les nations virent alors paroitre les demi-dieux et les héros dont la naissance illustre et les exploits porrèrent enfin ies hommes a ahérer leur premier gouvernement", et a passer du règne de ces dieux qu'ils n'avoient jamais pu voir , sous celui de leurs prétendus entans qu'ils voyoient au milieu d'eux; c'est ainsi que 1'incontinente théocratie ccmmenca a se donner des mahres : et que ce gouvernement fut conduit a sa ruine par le crime et 1'abus du pouvoir. L'age des demi-dieux a été un age aussi réel que celui des dieux , mais presqu'aussi obscur, il a été nécessairement rejetré de 1'histoire, qui ne reconnoit que les faits et les tems transmis par des annales consranteS et continues. A en juger seulement par les ombres de cette  Economie politique. cette mythologie universelle qu'on retrouve chez tous les peuples , il paroit que le règne des demi-dieux n'a point été aussi suivi ni aussi long que 1'avoit été le règne des dieux, et que le fut ensuite le règne des rois; et que les nations n'ont point toujours été assez heureuses pour avoir de ces hommes extraordinaires. Comme ces enfans théocratiques ne pouvoient point naitre tous avec des vettus héroïques qui répondissent a ce préjugé de leur naissance , le plus grand nombre s'en perdoit sans doute dans la foule, et ce n'étoit que de tems en tems que le génie , la naissance et le courage réciproquemenr secondés , donnoient a 1'univers languissant des protecteurs et des mahres utiles. A en juger par les traditions mythologiques, ces enfans illustres firent la guerre aux tyrans, exterminèrent les brigands, purgèrent la terre des monstres qui 1'infestoienr, et furent des preux incomparables qui, comme les paladins de nos antiquités gauloises, couroient le monde pour 1'amour du genre humain, afin d'y rétablir partout le bon ordre , la police et la süreté. Jamais mission sans doute n'a été plus belle et plus utile, surtout dans ces tems oü la théocratie primitive n'avoit produit dans le monde que ces maux extrêmes, 1'anarchie et la servitude. La naissance de ces demi-dieux et leurs exploits eoncourent ainsi a nous montrer quel étoit de leur tems 1'affreux désordre de la police et de la religion-parmi le genre humain : chaque fois qu'il s'élevoit un héros, le sort des sociétés paroissoit se réaliser et se fixer vers 1'unité ; mais aussi-töt que ces personnages illustres n'étoient plus , les sociétés retournoient vers leur première théocratie , et retomboient dans de nouvelles misères jusqu'a ce qu'un nouveau libérateur vint encore les en retirer. Tome V. Y  3} 8 Economie politique. , Instruites cependant par leurs fréquentes rechutes, et par les biens qu'elles avoient éprouvés toutes les fois qu'elles avoient eu un chef visible dans la personne de quelque demi-dieu , les sociétés commencèrent enfin a ouvrir les yeux sur le vice essentiel d'un gouvernement qui n'avoit jamais pu avoir de consistance et de solidité , paree que rien de constant ni de réel n'y avoit représenté l'unité , ni réuni les hommes vers un centre sensible et commun. Le règne des demi-dieux commenca donc a humaniser les préjugés primitifs, et c'est cet état moyen qui conduisit les nations a desirer les règnes des rois, elles se dégoutèrent insensiblement du joug des ministres théocratiques qui n'avoient cessé d'abuser du pouvoir des dieux qu'on leur avoit mis en main , et lorsque 1'indignation publique fut montée a son comble, elles se soulevèrent contr'eux , et placèrent enfin un mortel sur le tröne du dieu-monarque, qui jusqu'alors n'avoit tté représenté que par des symboles muets et stupides. Le passage de la théocratie a la royauté se cache , ainsi que tous les faits précédens, dans la nuit la plus sombre ; mais nous avons encore les Hébreux dont nous pouvons examiner la conduite particulière dans une révolution semblable , pour en faire ensuite 1'application a ce qui s'étoit fait antérieurement chez toutes les autres nations, dont les usages et les préjugés nous tiendront lieu d'annales et de monumens. Nous avons déja remarqué une des causes de la ruine de la rhéocratie judaïque dans les désordres de ses ministres , nous devons y en ajouter une seconde, c'est le malheur arrivé dans le même tems a 1'arche d'alliance, qui fut prise par les Philistins. Un gouvernement sans police et sans maitre ne peut subsister sans doute ; or tel étoit dans ces derniers instans le  Economie politique, 339. gouvernement des Hébreux, 1'arche d'alliance représentoit le siége de leur suprème souverain , en paix comme en guefre. Elle étoit son organe et son bras, elle marchoit a la tête des armées comme le char du dieu des combats, on la suivoit comme un général invincible, et jamais a sa suite on n'avoit douté de la victoire» II n'en fut plus de même après sa défaite et sa prise ; quoiqu'elle fut rendue a son peuple, la confiance d'Israël s'étoit arfoiblie, et les désordres des ministtes ayant encore aliéné 1'esprit des peuples, ils se soulevèrent er contraignirent Samuel de leur donner un roi qui put marcheralatête de leurs armées, et leur rendre la justice. A cette demande du peuple, on sait quelle fut alors la réponse de Samuel, et le tableau effrayant qu'il fit au peuple de 1'énorme pouvoir er des droits de la souveraine puissance. La flatterie et la bassesse y ont trouvé un vaste champ pour faire leur cour aux tyrans; la superstition y a vu des objets dignes de ses rêveries mysriques , mais aucun n'a peut-être reconnu 1'esprit théocratique qui le dicta dans le dessein d'effrayer les peuples et les détourner de leur projet. Comme le gouvernement qui avoit été un règne oü il n'y avoit point eu de milieu entre le dieu monarque et le peuple, oü le monarque étoit tout, et oü le sujet n'étoit rien , ces dogmes religieux , changés avec le tems en préjugés politiques, firenr qu'on appliqua a l'homme monarque toutes les idéés qu'on avoit eues de la puissance et de 1'autorité suprème du dieu monarque. D'ailleurs, comme le peuple cherchoit moins achanger la théocratie qu'a se dérober aux Vexations des ministres théoctatiques qui avoient abusé des oracles et des emblêmes muets de la divinité, il fit peu d'attention a 1'odieux tableau qui n'étoit fait qu$ Y 2  240 * Economie politique. pour 1'efFrayer , et content d'avoir a 1'avenir un em- blême vivant de la divinité , il s'écria : n'importe, il nous faut un roi qui marche devant nous, qui com- mande nos armées, et qui nous protégé contre tous nos ennemis. Cette étrange conduite sembleroit ici nous montrer qu'il y auroit eu des nations qui se seroient volontairement soumises a 1'esclavage par des actes authentiques, si ce détail ne nous prouvoit évidemment que dans cet instant les nations encore animées de toutes les préventions religieuses qu'elles avoient toujours eues pour la théocratie 3 furent de nouveau aveuglées et trompées par ses faux principes. Quoique dégoüté du ministère sacerdotal, l'homme , en demandant un roi , neut aucun dessein d'abroger son ancien gouvernement ; il crut en cela ne faire qu'une réfcrme dans 1'image et dans 1'organe du dieu monarque , qui fut toujours tegardé comme 1'unique et véritable maitre, ainsi que le prouve le règne des rois hébreux, qui ne fut qu'un règne précaire, oü les prophêtes élevoient ceux que Dieu leur désignoit, et comme le confirme sans peine ce titre auguste qu'onr conservé les rois de la terre, 'd'image de la divinité. La première élection des souverains n'a donc point été une véritable élection, ni le gouvernement d'un seul, un nouveau gouvernement. Les principes primi'tifs ne firent cue se renouveller sous un autre aspect, et les nations n'ont cru voir dans cette révolution qu'un changement et qu'une réforme dans 1'image •théocratique de la divinité. Le premier homme dont on fit cette image n'y entra pour rien, ce ne fut pas lui que l'on considéta directement; cn en agit d'abord envers lui comme on en avoit agi otiginairement avec les premiers symboles de fonte ou de métal , qui  Economie politique. 341 n'avoient été que des signes relarifs , et 1'esprit et 1'imagination des peuples réstèrent toujours fïxés sur le monarque invisible et suprème ; maïs ce nouvel appareil ayant porté les hommes a faire une nouvelle application de leurs faux principes, et de leurs anciens préjugés , les conduisit a de riouveaux abus et au despotisme absolu. Le premier age de la théocratie avoic rendu la terre idolatre , paree qu'on y traita Dieu comme un homme; le second la rendit esclave, paree qu'on y traita l'homme comme un dieu. La même imhéeillité qui avoit donné autrefois une maison , une table, et des femmes a la divinité , en donna les attributs, les rayons, et le foudre a un simple mortel: contraste bizarre, et conduite toujours déplorable, qui firent la honte et le malheur de ces sociéLés, qui continuèrent toujours a chercher les principes de hrpolice humaine , ailleurs que dans la nature et dans la raison. La seule précaution dont les hommes s'avisèrent, lorsqu'ils commencèrent a représenter leur dieu monarque par un de leurs semblables , fut de chercher 1'homme le plus beau et le plus grand , c'est ce que l'on voit par 1'histoire de toutes les anciennes nations elles prenoient bien plus garde a la taille et aux qualités du corps, qu'a celles de 1'esprit, paree qu'il ne s'agissoit uniquement dans ces prhnitives élections , que de représenter la divinité sous une apparence qui répondit a 1'idée qu'on se formoit d'elle, et qu'a 1'égard de la conduite du gouvernement, ce n'étoit point sur 1'esprit du représentant, mais sur 1'esprit de 1'inspiration du dieu monarque que l'on comptoit toujours ces nations s'imaginèrent qu'il se révèleroit a ces nouveaux symboles, ainsi qu'elles pensoient qu'il s'étoit révélé aux anciens. Elles ne furent cependant Y 3  342 Economie politique. pas assez stupides pour croire qu'un mortel ordinaire put avoir par lui-même le grand privilège d'ètre en relation avec la divinité, mais comme elles avoient ci-devant inventé des usages pout faire descendre sur les symboles de pierre ou de métal une vertu particulière et surnaturelle, elles crurent aussi devoir les pratiquer vis-a-vis des symboles humains, et ce ne fut qu'après ces formaiités que tout leur paroissant égal et dans 1'ordre, elles ne virent plus dans le nouveau représentant qu'un mortel changé, et qu'un homme extraordinaire donton exigea des oracles, et qui devint 1'objet de 1'adoration publique. Si nous voulions donc fouiller dans les titres de ces superbes despotes de 1'Asie , qui ont si souvent fait gémir la nature humaine, nous ne pourrions en trouver que de honteux et déshonorans pour eux. Nous verrions dans les monumens de 1'ancienne Ethiopië , que ces souverains qui, selon Strabon , ne se montroient a leurs peuples que derrière un voile, avoient eu pour prédécesseurs des chiens auxquels on avoit donné des hommes pour officiers et pour ministres ; ces chiens pendant de longs ages avoient été les rois théocratiques de cette contrée, c'est-a-dire les représentans du dieu monarque, et c'étoit dans leurs cris, leurs allures, et leurs divers mouvemens qu'on chercrioit les ordres et les volontés de la suprème puissance dont on les avoit fait le symbole et 1'image provisoire. Telle a sans doute été la source de ce culte absurde que 1'Egypte a rendu a certains animaux , il n'a pu être qu'une suite de cet antique et stupide gouvernement, 1'idolatrie d'Israë'1 dans le déserr semble nous en donner une preuve évidente. Comme ce peuple ne voyoit point revenir son conducteur , qui faisoit une longue retraite sur le mont Sinaï, il le crut  Economie politique. 343 perdu tout-a-fait; et courant vers Aaron , il lui dit: fakes-naus un veau qui marche devant nous , car nous ne savons ce qu'est devenu ce Moyse qui nous a tiré d'Egypte ; raisonnemenr bisarre , dont le véritable esprit n'a point encore été connu, mais qui justitie j ce semble, pleinement 1'origine que nous donnons a 1'idolatrie et au despotisme-, c'est qu'il y a eu des tems oü un chien, un veau, un homme, placés a la tête d'une société , n'ont été pour cette société qu'une seule et mêma chose, et oü l'on se portoit vers 1'un ou vers 1'autre symbole, suivant que les circonstances le demandoient, sans que l'on crüt pour cela rien innover dans le systême du gouvernement. C'est dans le même esprit que ces Hébreux retournèrent si constamment aux idoles pendant leur rhéocrarie, roures les fois qu'ils ne voyoienr plus aux milieu d'eux quelque juge inspiré ou quelque homme susciré de DieuII falloit alors retoutner vers Moloch ou vers Chamos pour y chercher un autre représentant, comme on avoit autrefois couru au veau d'or pendant la disparition de Moyse. Présentement arrivés oü commence 1'histoire des tems connus il nous sera plus facile de suivre le despotisme et d'en vérifier 1'origine par sa conduite et par ses usages. L'homme élevé a ce comble de grandeur et de gloire d'ètre regardé sur la terre comme 1'organe du dieu monarque, et a cet excès de puissance de pouvoir agir, vouloir et commander souverainement en son nom , succomba presque aussi-töt sous un fardeau qui n'est point fait pour l'homme. L'illusion de sa digniré lui fit méconnoirre ce qu'il y avoir en elle de réellement grand et de réellement vrai; et les rayons de 1'Etre suprème dont son diadème fut orné 1'éblouirent a un point qu'il ne vit plus le genre Y 4  344 Economie politique. humain et qu'il ne se vit plus lui-même. Abandonné de la raison publique qui ne voulut plus voir en lui un mortel ordinaire, mais une idole vivante inspirée du ciel, il auroit fallu que le seul sentiment de sa dignhé lui eut dicté 1'équité , la modération, la douceur , et ce fut cette dignité même qui le porta vers tons les excès contraires. II auroit fallu qu'un tel homme rentrat souvent en lui-même ; mais tout ce qui 1'environnoit 1'en faisoit sortie et 1'en tenoit toujours éloigné. Eh ! comment un mortel auroir^É pu se sentir et se reconnoitre » il se vit décoré de tous les titres sublimes dus a la divinité , et qui avoient été ci-devarït portés par les idoles et ses autres emblêmes. Tout le cérémonial dü au dieu monarque, fut rempli devant l'homme monarque , comme celui dont il devint a son tour le représentant , il fut de même regardé comme infailhble et immuable ; rout 1'univers lui dut, il ne dut rien a Funivers. Ses volontés devinrent les arrêts du ciel , ses férocités furent regardées comme des jugemens d'en-haut, enfin cet emblême vivant du dieu monarque surpassa en tout l'affreux tableau qui en avoit été fait autrefois aux Hébreux ; tous les peuples souscrivirent comme Israël a leurs droits cruels et a leurs priviléges insensés. Ils en gémirent par la suite , mais ce fut en oubliant de plus en plus la dignité de la nature humaine , et en humiliant leur front dans la poussière, ou bien en se portant vers ues actions laches et atroces, méconnoissant également cette raison, qui seule pouvoit être leur médiatrice. II ne faut pas être fort versé dans 1'histoire pour reconnolrre ici le gouvernement de fbrieft: depuis tous les tems connus. Sur cent despotes qui y ont règné , a peine-en peut-on trouver deux ou trois qui aient mérité le nom d'hornme, et ce qu'il y a de plus ex-  Economie politique. i^y traordinaire, c'est que les antk*u9s préjugés qui ont donné naissance au despotisme, subsistent encore dans 1'esprit des Asiatiques, et le perpétuent dans la plus belle partie du monde , dont ils n'ont fait qu'un désert malheureux. Nous abrégerons cette triste peinture; chaque lecteur instruit en se rappellant les maux mfinis que ce gouvernement a faits sur la terre , retrouvera toujours cette longue chaine d'évènemens et d'erreurs , et les suites funestes de tous les faux principes des premières sociétés : c'est par eux que la religion et la police se sont insensiblement changés en phantomes monstrueux qui ont engendré 1'idolatrie et le despotisme, dont ia fraternité est si étroite qu'ils ne sont qu'une seule et même chose. Voila quels ont été les fruits amers des subhmes spéculations d'une théocratie chimérique , qui, pour anticiper sur le céleste avenir, a dédaigné de penser a la terre, dont elle croyoit la fin prochaine. Pour achever de constater ces grandes vérités, jetons un coup d'ceil sur le cérémonial et sur les principaux usages des souverains despotiques qui humilient encore la plus grande partie des nations; en y faisant reconnoitre les usages et les principes de la théocratie primitive , ce sera sans doute mettre le dernier sceau de 1'évidence a ces annales du genre humain: cette partie de notre carrière seroit immense si nous n'y mettions des bornes, ainsi que nous en avons mis a tout ce que nous avons déja parcouru. Historiens anciens et modernes, voyageurs, tous concourent a nous menner les droits du dieu monarque dans la cour des despotes •, et ce qu'il y a de remarquable , c'est que tous ces écrivains n'ont écrit ou n'ont vu quen aveugles les différens objets qu'ils ont taché de nous représenter.  Economie politique. Tu ne paroitras jamais devant moi les mains vuides (exode xxiij, ij J disoit autrefois aux sociétés théocratiques , le dieu monarque par la bouche de ses officiers. Tel est sans doute le titre ignoré de ces despotes asiatiques devant lesquels aucun homme ne peut se présenter sans appörter son offrande. Ce n'est donc point dans 1'orgueil ni dans 1'avarice des souverains, qu'il faut chercher 1'origine de cet usage onéreux, mais dans les préjugés primitifs qui ont changé une lecon de morale en une étiquette politique. C'est paree que toutes choses viennent ici-bas de 1'Etre suprème, qu'un gouvernement religieux avoit exigé qu'on fit a chaque instant l'hommage des biens que l'on ne tenoit que de lui; il falloit même s'offrir soi-même : car quel est l'homme qui ne soit du domaine de son créateur ? Tous les Hébreux, par exemple , se regardoient comme les esclaves nés de leur suprème monarque : tous ceux que j'ai tiré des misères de 1'Egypte , leur disoit-il , sont mes esclaves •, ils sont a moi; c'est mon bien et mon héritage : et cet esclavage étoit si réel , qu il falloit racheter les premiers nés des hommes, et payer un droir de rachat au ministère public. Ce précepte setendoit aussi sur les animaux; l'homme et la béte devoient êtte assujettis a la même loi, paree qu'ils appartenoienr également au monarque suprème. II en a été de même des autres loix théocraiiques, moralement vraies, et politiquement fausses; leur mauvaise application en fit dès les premiers tems les prin ■ cipes fondamentaux de la future servitude des nations. Ces loix n'inspuoient que Terreur, et ne parloient que de chatimens , paree qu'on ne pouvoit que par de continuels efforts , maintenir les sociétés dans la sphère surnarurelle oü l'on avoit porté leur police et leur gouvernement. Le monarque s chez les Juifs endurcis  Economie politique. 347 et chez toutes les autres nations, étoit moins regardé comme un père et comme un dieu de paix, que comme un ange exterminateur. Le mobile de la théocratie avoit donc été la crainte , elle le fut aussi du despotisme : le dieu des Scythes étoit représenté par une épée. Le vrai dieu chez les Hébreux , étoit aussi obligé, a cause de leur caractère, de les menacer perpétuellement : tremblez devant mon sanctuairè, leur dit-il, quiconque approchera du lieu oü je réside, sera puni de mort; et ce langage vrai quelquefois dans la bouche de la religion, fut ensuite ridiculement adopté des despotes asiatiques, afin de contrefaire en tout la divinité. Chez les Perses et chez les Mèdes, on ne pouvoit voir son roi comme on ne pouvoit voir son dieu sans mourir: et ce fut-la le principe de cette invisibilité que les princes orientaux ont affecté dans tous les tems. La superstition judaïque qui s'étoit imaginé qu'elle ne pouvoit pronon eer le pom terrible de Jehovah , qui étoit le grand nom de son monarque, nous a transmis par-la une des étiquettes de cette théocratie primitive , et qui s'est aussi conservée dans le gouvernement oriental. On y a toujours eu pour principe de cacher le vrai nom du souverain , c'est un crime de lèze-majesté de le prononcer a Siam 5 et dans la Perse, les ordonnances du prince ne commencent point par son nom ainsi qu'en Europe, mais par ces mots ridicules et emphatiques un commandement est sorti de celui auquel 1'univers doit obéir, Chard. Tome VI. ch. xj. En conséquence de cet usage théocratique , les princes orientaux ne sonr connus de leurs sujets que par des surnoms; jamais les historiens grecs n'ont pu savoir autrefois les véritables noms des rois de Perse qui se cachoient aux érrangers comme a leurs sujets  348 Economie politique. sous des épithèthes attachées a leur souveraine puissance. Hérodote nous dit , livre V, que Darius signifïoit exterminateur , et nous pouvons Ten croire , c'esr un surnom de despote. Comme il n'y a qu'un Dieu dans 1'univers, et que c'est une vérité qui n'a jamais été totalement obscurcie j les premiers morrels qui le présentèrent, ne manquèrent point aussi de penser qu'il ne falloit qu'un souverain dans le monde •, le dogme de 1'unité de Dieu a donc aussi dortné lieu au dogme desporique de 1'unité de puissance, c'est-a-dire , au titre de monarque universel , que tous les despotes se sont arrogé , et qu'ils ont presque toujours cherché a réaliser en étendant les bornes de leur empire , en détruisant autour d'eux ce qu'ils ne pouvoient posséder, et en méprisant ce que la foiblesse de leurs bras ne pouvoit atteindre ; sous ce point de vue , leurs vastes conquêtes ont été presque toutes des guerres de religion, et leur intolérance politique n'a été dans son principe qu'une intolérance religieuse. Si nous portons nos yeux sur quelques-uns de ces états orientaux qui ont eu pour particuliere origine la sécularisarion des grands prêtres des anciennes théocraties, qui en quelques lieux se sont rendus souverains héréditaires, nous y verrons ces images théocratiques affecter jusqu'a 1'éternité même du Dieu-monarque dont ils ont envahi le trêne. C'est un dogme recu en, certains lieux de 1'Asie , que le grand Lama des Tartares , et que le Kutucha des Calmoucs , ne meurent jamais , et qu'ils sont immuables et éternels, comme 1'ètre suprème dont ils sont les organes. Ce dogme qui se soutient dans 1'Asie par I'imposture depuis une infinité de siècles, est aussi recm dans 1'Abissinie, mais il y est spirituellement plus mitigé y paree  •Economie politique. -3-49 qu'on y a éludé Tabsufdité par la cruauté ; on y empêche le chitomé ou prêtre universel , de mourir naturellement; s'il est malade on 1'étouffe; s'il est vieux on 1'assomme •, et en cela il est traité comme 1'Apis de 1'ancienne Memphis que l'on noyoit dévotement dans le Nil lorsqu'il étoit caduc , de peur sans doute que par une mort naturelle , il ne choquat 1'éternité du Dieu monarque qu'il représentoit. Ces abominables usages nous dévoilent quelle est 1'antiquité de leur origine: contraires au bien être des souverains , ils ne sont donc point de leur invention. Si les despotes ont hérité des suprêmes avanrages de-la théocratie, ils ont aussi été les esclaves et les victimes des ridicules et cruels préjugés dont elle avoit rempli 1'esprit des nations. Au royaume de Saba , dit Diodore, on lapidoit les princes qui se montroient et qui sortoient de leurs palais, c'est qu'ils manquoient a 1'étiquette de 1'invisibilité, nouvelle preuve de ce que nous venons de dire. Mais quel contraste allons-nous présenter ? ce sont tous les despotes commandans a la nature même; la ils font fouetter les mers indociles , et renversent les montagnes qui s'opposent a leur passage. Ici ils se disent les maitres de toutes les terres, de toutes les mers, et de tous les fleuves , et se regardent comme les dieux souverains de tous les dieux de 1'uuivers. Tous les historiens moralistes qui ont remarqué ces traits de 1'ancien despotisme , n'ont vu dans ces extravagances que des folies particulières de quelques princes insensés, mais pour nous , nous n'y devons voir qu'une conduite autorisée et recue dans le plan des anciens gouvernement. Ces folies n'ont rien eu de personnel, mais elles ont été 1 ouvrage de ce vice universel qui avoit infecté la police de toutes les nations. L'Amérique qui n'a pas moins consetvé que 1'Asie  j Economie potaiquCi une multitude de ces erreurs théocratiques, nous en présente ici une des plus remarquables dans le serment que les souverains du Mexique faisoient a leur couronnement, et dans 1'engagement qu'ils contractoient lorsqu'ils montoient sur le trone. Ils jurcient et promettoient que pendant la durée de leur règne, les pluies tomberoient a propos dans leur empire ; que les fleuves et les rivières ne se déborderoient point; que les campagnes setoient fettiles , et que leurs sujets ne recevroient du ciel et du soleil aucune maligne influence. Quel a donc été 1'énorme fardeau dont l'homme se trouva chargé aussi-tót qu'a la place des symboles brutes et inanimés de la première rhéocraue, on en eut fait 1'image de la Divinité ? II fallut donc qu'il fut le garant de toutes les calamités naturelles qu'il ne pouvoit produire ni empêcher, et la source des biens qu'il ne pouvoit donner : par-la les souverains se virent confondus avec ces vaines idoles qui avoient encore eu moins de pouvoir qu'eux , et les nations imbéciles les obligèrent de même a se comporter en dieux , lorsqu'elles n'auroient dü 3 en les mettant a la tête des sociétés , qu'exiger qu'ils se comportassent toujours en hommes , et qu'ils n'oubliassent jamais qu'ils étoient par leur nature et par leurs foiblesses égaux a tous ceux qui se soumettoient a eux sous 1'abti commun de 1'humanité , de la raison et des loix. Paree que ces anciens peuples ont trop demandé a. leurs souverains , ils n'en ont rien obtenu : le despotisme est devenu une autorité sans bornes , paree qu'on a exigé des choses sans bornes , et 1'impossibilité oü il a été de faire les biens extrêmes qu'on lui demandoit , n'a pu lui laisser d'autre moyen de manifester son énorme puissance, que celui de faire des extravagances et des maux extrêmes. Tout ceci ne prouve-  Economie politique. jji t-il pas encore que le despotisme nest qu une idolatrie aussi stupide devant l'homme raisonnable , que devant l'homme religieux ? L'Amérique pouvoit tenir cet usage de 1'Afrique oü tous les despotes sont encore des dieux de plein exercice , ou des royaumes Totoca, d'Agag, Monomotapa , de Loango, &c. C'est a leurs souverains que les peuples ont tecours pour obtenir de la pluie ou de la sécheresse; c'est eux que l'on prie pour éloigner la peste , pour guérir les maladies, pour faire cesser la stérilité ou la famine; on les invoque contre le tonnerre et les ©rages , et dans toutes les circonstances enfin oü l'on a besoin d'un secours surnaturel. L'Asie moderne n'accorde pas moins de pouvoir a quelques-uns de ses souverains ; plusieurs prétendent encore rendre la santé aux malades ; les rois de Siam commandent aux élémens et aux génies malfaisans ; ils leur défendenr de gater les biens de la terre ; er comme quelques anciens rois d'Egypte , ils ordonnent aux rivières débordées de rentrer dans leurs lits , et de cesser leurs ravages. Nous pouvons mettre aussi au rang des priviléges insensés de la théocratie primitive, 1'abus que les souverains orientaux ont toujours fait de cette foible moitié du genre humain qu'ils enferment dans leurs serrails, moins pour servir a des plaisirs que la polygamie de leur pays semble leur permettre , que comme une étiquette d'une puissance plus qu'humaine , et d'une grandeur surnatutelle en tout. En se rappellant ce que nous avons dit ci-devant des femmes que Tincontinente théocratie avoit donné au dieu-monarque , et des devoirs honteux auxquels elle avoit asservi la virginité , on ne doutera pas que les symboles des dieux n'aient aussi hérité de ce tribut infame, puisque dans les Indes on y marie encore solemnellement des idoles  3 ja. Economie politique. de pierre , et que dans 1'ancienne Lybie , au liv. L, au rapport d'Rérodote , les pères qui marioient leurs filles étoient obligés de les amener au prince la première nuit de leur noce pour lui oflrir le droit du seigneur. Ces deux anecdotes suffisent sans doute pour montrer Forigine et la succession d'une étiquette que les despotes ont nécessairement dü tenir d'une administration qui avoit avanr eux perverti la morale, et abusé de la nature humaine. La source du despotisme ainsi connue, il nous reste, pour completter aussi 1'analyse de son histoire , de dire quel a été son sort , et sa destinée vis-a-vis des ministres théocratiques qui survécurent a la ruine de leur première puissance. La révolution qui plat^a les despotes sur le tröne du dieu-monarque, n'a pu se faire sans doute , sans exciter et produire beaucoup de disputes entre les anciens et les nouveaux maitres: 1'ordre théocratique dut y voir la cause du dieu-monarque intéressée. L'élection d'un roi pouvoit être regardée comme une idolatrie. Que de fortes'raisons pour inquiéter les rois , et pour tourmenter les peuples ! cet ordre fut le premier ennemi des empires naissans , et de la police humaine. II ne cessa de parler au nom du monarque invisible pour s'assujettir le monarque visible 3 et c'est depuis cette époque , que l'on a souvent vu les deux dignités suprèmes se disputer la primauté, lutter 1'une contre 1'autre dans le plein et dans le vuide , et se donner alternativemeut des bornes et des limites idéales , qu'elles ont alternativement franchies, suivant qu'elles ont été plus ou moins secondées des peuples indécis et llottans entre la superstition et le progrès des connoissances. Un reste de respect et d'habitude ayant laissé subsister les anciens symboles de pierre et de métal qu'on auroit  Économie politique. 3 j < auroit ou supprimer , puisque les symboles humainS devoient en tenir lieu , ils restèrent sous la elirection de leurs anciens officiers , qui n'eurent plus d'autre occupation que celle de les faire valoir de leur mieux , afin d'artirer de leur cöté par un culte religieux , les peuples qu'un culte politique et nouveau attircir puissamment vers un autre objet. La diversion a dü être forte sans doute dès les commencemens de la royautë; mais les désordres des princes ayant bientöt diminué i'aiïection qu'on devoit a leur none , les hommes retournèrenr aux autels des dieux et aux autres oracles , et rendirent a 1'ordre théocratique presque toute sa première autorité. Ces ministres dominèrent bientót sur les despotes eux-mêmes: les symboles de pierre commandèrent aux symboles vivans ; la consrirution des états devint doublé et ambigue , et la réforme que les peuples avoient cru mettre dans leur premier gouvernement ne servit qu'a placer une théocratie politique a cöté d'une théocratie religieuse , c'est-a-dire qu'a les rendre plus malheureux en doublanr leurs chaines avec leurs préjugés. La personne même des despotes ne se ressentit que trop du vice de leur origine ; si les nations se sont avisées quelquefois d'enchainer les sratues de leurs dieux., elles en ont aussi usé de même vis-a-vis des symboles humains , c'est ce que nous avons déja remarqué chez les peuples de Saba et de VA byssinie, oü les souverains étoient le jouet et la victime des préjugés qui leur avoient donné une existence funeste par ses faux titres. De plus, comme 1'origine des premiers despotes et 1'origine de. tous les simulacres des dieux étoient la même, les ministres théocratiques les regardèrent souvent comme des meubles du sanctuairè , et les constdérant sous le même point de vue que ces idoles priTome V. Z  5 ƒ4 Economie peluique. mitives qu'ils décoroient a leur fantaisie, et qu'ils faisoient paroitre ou disparoitre a leur gré , ils se crurent de même en droit de changer sur le tröne comme sur 1'autel ces nouvelles images du dieu-monarque; dont ils se croyoient eux seuls les véricables ministres. Voila quel a été le titre dont se sont particulièrement servis contre les souverains de 1'ancienne Ethiopië les ministres idolatres du temple de Moroë'. « Qumd il leur prenoit envie, dit Diodore de Sicile, liv. III j ils écrivoient aux monarques que les dieux leur ordonnoient de mourir , et qu'ils ne pouvoient, sans crime, désobéir a un jugementdu ciel. Ils ajoutoient a cet ordre plusieurs aurres raisons qui surprenoient aisément des hommes simples, prévenus par 1'antiquité de la coutume, et qui n'avoient point le génie de résister a ces commandemens injustes. Cet usage y subsista pendant une longue suite de siècles, et les princes se soumirent a toutes ces cruelles ordonnances , sans autre contrainte que leur propre superstition. Ce ne fut que sous Ptolomée II, qu'un prince nommé Ergamenes, instruit dans la philosophie des Grecs, ayant recu un ordre semblable , osa ls premier secouer le joug; il prit, continue notre auteur, une résolution vraiment digne d'un roi; il assembla son armée , et marcha contre le remple, détruisit 1'idole avec ses ministres, et réformaleur culte». C'est sans doute 1'expérience de ces tristes excès qui avoit porté dans la plus haute antiquité plusieurs peuples a reconnoitre dans leurs souverains les deux dignités suprêmes , dont la division n avoit'pu produire que des effets funestes. On avoit vu en effet dès les premiers tems connus le sacerdoce souvent uni a 1'empire, et des nations penser que le souverain d'un état en devoit être le premier magistrat; cependant l'union  Economie politique. d'un diadême et de 1'autel ne fut pas chez les nations sans vice et sans inconvénient , parceque chez plusieurs d'entr'elles le tröne n'étoit autre chose que 1'autel même , qui s'étoit sécularisé , et qüe chez toutes on cherchoit les titres de cette union dans des préventions théocratiques et mystiques, toutes opposées au bienêtre des sociétés. Nous terminerons ici 1'histoire du despotisme; nous avons vu son origine , son usage et ses faux titres, nous avons suivi les crimes et les malheurs des despores^dorij: on ne peut accuser que le vice de radministration surnaturelle qui leur avoit été donnée. La théocratie dans son premier age avoit pris les hommes pour des justes , le despotisme ensuite les a regardés comme des méchans; 1'une avoit voulu afEcher le ciel, 1'autre n'a représenté que les enfers; et ces deux gouvernemens en supposanr des principes extrêmes qui ne sont point faits pour la terre , ont fait ensemble le malheur du genre humain , dont ils ont" changé le caractère et perverti la raison. L'idolatrie est venue s'emparer du tröne élevé au dieu monarque, elle en a fait son autel; le despotisme a envahi son autel , il en a fait son tröne; et une servitude sans bornes a pris la place de cetre précieuse liberté qu'on avoit voulü affïcher et conserver par des moyens surnaturels. Ce gouvernement n'est donc qu'une théocratie payeune, puisqu'il en a tous les usages, tous les titres et toute 1'absurdité. Arrivé au terme oü l'abus du pouvoir despotique va faire 'paro'itre en diverses contrées le gouvernement tépublicain , c'est ici que dans cette multitude de nations anciennes , qui ont toutes été soumises a une puissance unique et absolue , on va reconnoitre dans quelqueswnes , cette action physique qui concourt a fortirier oU 2 z  £ f g Economie politique. a affoiblir les préjugés qui commandent ordinairement; aux nations de la terre avec plus d'empire que leurs climats. Lorsque les abus de la première théocratie avoient produir .'anarchie er 1'esclavage •, 1'anarchie avoit été le le partage de 1'occident dont tous les peuples devinrent errans et sauvages, et la servitude avoient été le sort des nations orientales. Les abus du despotisme ayant ensuite fait gémir 1'humanité , et ces abus s'érant introduits dans 1'Europe par les législations et les colonies asiatiques qui y répandirent une fois leurs préjugés et leurs faux principes, cette partie du monde sentit encore la force de son climat : elle sourfrit, il est vrai, pendant quelque tems, mais a la fin, 1'esprit de 1'occident renversa dans la Grèce et dans 1'Italie le siége des mans qu' s'y étoient élevés de toutes parts ; et pour rendre aux Européens 1'honneur et la liberté qu'on leur ayoit ravie , cet esprit a établi par-tout le gouvernement républicain, le croyant le plus capable de rendre les hommes heureux et libres. On ne s'artend pas sans doute h. voir renaitredans cette révolution les préjugés antiques de la théocratie primitive; jamais les historiens grecs ou romains ne nous ont parlé de cette chimère mystique, et ils sont d'accord ensemble pour nous montrer 1'origine des républiques dans la raison perfectionnée des peuples , et dans les connoissances politiques des plus profonds législateurs : nous craindrions donc d'avancer un paradoxe ' en disant le contraire , si nous n'étions soutenus et éclairés par le fil naturel de cette grande chaine des erreurs hnmaines que nous avons parcourue jusqu'ici avec succès,et qui va de même se prolonger dans les ages que l'on a cru les plus philosophes et les plus sages. Loin que les préjugés théocratiques fussent éteints.  Economie politique, 3 losrqu'on chassa d'Athènes les Pisistrates et les Tarquins de Pvome , ce fut alors qu'ils se réveillèrent plus que jamais, ils influèrenr encore sur le plan des nouveaux gouvernemens; et comme ils dictèrent les projets de liberté qu'on imagina de toute part, ils furent aussi la source de tous les vices politiques dont les législations républicaines ont étéaffectées ettroublées. Le premier acte du peuple d'Athènes après sa déli■vrance fut d'élever une statue a Jupiter er de lui donner le titre de roi, ne voulant point en avoir d'autres a 1'avenir ; ce peuple ne fit donc autre chose alors que rétablir le règne du dieu monarque, et la théocratie lui parut donc le véritable et le seul moyen de faire revivrè cet ancien age d'or, oü les sociétés heureuses et libres n'avoient eu d'autre souverain que le dieu qu'elles invoquoient. Le gouvernement d'un roi théocratique , et la néeessité de sa présence dans toute société tenoit tellement alors a la religion des peuples de l"Eürope , que malgré 1'horreur qu'ils avoient concue pour les rois, ils se crurent néanmoins obligés d'en conserver 1'orabre lorsqu'ils en anéantissoient la réalité. Les Athéniens et les Romains en reléguèrenr le nom dans le sacerdoce, et les uns en créant un roi des augures , et les autres un roi des sacrifices, s'imaginèrent satisfaire par la aux préjugés qui exigeoient que telles ou telles fonctions ne fussenr faites que par des images théocratiques. II est vrai qu'ils eurent un grand soin de ïenfermer dans des bornes très-étroites le pouvoir de ces prêtres rois ; on ne leur donna qu'un faux titre et quelques vaines distinctions ; mais il arriva que le peuple ne reconnoissant pour ma'ïtres que des dieux invisibles , ne forma qu'une société qui n'eut de 1'unité que soii «ne fausse spéculatiön, et que chacun en voulut être  2_fg Economie politique. maitre et le centre ; et comme ce centre fut par-tout j il ne se trouva nulle part. Nous dirons de plus que , lorsque ces premiers ré> publicains anéantirent les rois, en conservant cependant la toyauté , ils y furent encore portés par un reste de ce préjugé antique, qui avoit engagé les primitives sociétés a vivre dans 1'attenre du règne du dieu monarque , dont la ruine du monde leur avoit fait croire 1'arrivée instante et prochaine; c'étoit cette fausse opinion qui avoit porté ces sociétés a ne se réunir que sous un gouvernement'figuré, et a ne se donner qu'une admmisrration provisoire. Or, on a tout lieu de croire que les répubiicains ont eu quelque motif semblable, paree qu'on retrouve chez eux toutes les ombres de cette attente chimérique. L'oracle de Delphes promettoit aux Grecs un roi futur, et les sibylles des Romains leur avoient aussi annoncé pour 1'avenir un monarque qui les rendroit heureux , er qui étendroit leur domination par toute la terre. Ce n'a méme été qu'a 1'abri de cet oracle corrompu que Rome matcha toujours d'un pas ferme et sur a 1'empire du monde , et que les Césars s'en emparèrent ensuite. Tous ces oracles religieux n'avoient point eu d'autres principes que 1'unité future du règne du dieu monarque qui avoit jeté dans toutes les sociétés cette ambition turbulente qui a tant de fois ravagé 1'univers j et qui a perté tous les anciens conquérans a se regarder comme des dieux, ou comme les enfans des dieux. Après la destructicn des rois d'Israël et de Juda, et le retour de la captivité, les Hébreux en agirent a peu-près comme les autres républiques 3 ils ne rétablirent point la royauté , ni même le nom de roi, mais ils en donnèrent la puissance et 1'autorité a 1'ordre sacerdotal , et du reste ils vécurent dans 1'espé-  Economie politique. $ rance qu'ils auroient un jour un monarque qui leur assujettiroit tous les peuples de la terre; mais ce faux dogme fut ce qui causa leur ruine totale. Ils confondirent cetre attente chiménque et charnelle avec 1'attente particuliere oü ils devoient être de notre divin messie , dont le dogme n'avoit aucun rapport aux folies des nations. Au lieu de n'espérer qu'en cet homme de douleur , et ce dieu caché qui avoit été promis a leurs p;res, les Juifs ne cherchèrent qu'un prince, qu'un conquérant er qu'un grand roi poliüque. Après avoir troublé toute 1'Asie pour trouver leur fantóme , bientör ils se dévorèrent les uns les autres , et les Romains indignés engloutirent enfin ces foibles rivaux de leur puissance et de leur ambition religieuse. Cette frivole attente des nations n'ayant été autre dans son principe que celle du dieu monarque j dont la descente ne doit arriver qu'a la fin des tems, elle ne manqua pas de rappeller par la suite les autres dogmes qui en sont inséparables , et de ranimer toutés les antiques terreurs de la fin du monde : aussi vit-on dans ces mêmes circonstances, oü la république romaine alloit se changeren monarchie , les devins de la Toscane annoncer dès les tems de Sylla et de Marius 1'approche de larévolution des siècles; er les faux oracles de 1'Asie , semer parmi les narions ces alarmes et ces fausses terreurs qui ont agi si puissamment sur les premiers siècles de notre ère, et qui ont alors produit des effets assez semblabies a ceux des ages primitifs. Pnt cette courte exposirion d'une des grandes énigmes de 1'histoire du moyen age., l'on peur juger qu'il s'en fallpit de beaucoup que les préjugés de 1'ancienne théocratie fussent effacés de l'esprit des Européens. En proclamant donc un dieu pour le roi de leur république naissante, ils adoptèrent nécessairement tous ies abus Z 4  360 Economie politique. er tous les usages qui devoient être la suite de ce premier acte, et en le renouvellant, ils s'efforcèrent aussi de ramener les sociétés a cet ancien age d'or, et a ce règnt surnaturel de justice, de liberté et de simplicité qui en avoit fait le bonheur. Ils ignoroient alors que cet état n'avoit été dans son tems que la suite des anciens malheurs da monde, et 1'erfet d'une vertu momentanée, et d'une situation extréme qui, n'étant point 1'état habitüel du genre humain sur la terre ne peut faire la base d'une constitution politique, qu'on ne doit asseoir que sur un milieu fixe et invanabie. Ce fut donc dans ces principes, plus brillans que solides, qu'on alla puiser toutes les institurions qui devoient donner la liberté a chaque citoyen, et l'on ionda cette liberté sur I'égalité de puissance, par ce qu'on avoit encore oublié que les anciens n'avoient eu qu'une égalité de misère. Comme on s'imagma que cette égalité, que mille causes physiques et morales ont toujours écartée et écarteront toujours de la terre; comme on s'imagina, dis-je, que cette égalité étoit Fessèncé de la liberté, lous les membres d'une république se dirent égayrx, ils furent tous rois, ils furent tous législateurs ou participans a la législarion. Pour maintenir ces glorieuses et dangereuses chimères, il n'y eut pas d'état répubiicain qui ne se vit forcé de recourir a des moyens violens et surnaturels. Le mépris des richesses , la communautê des biens, le partage des terres, la suppression de 1'or et de 1'argent monnoyé, 1'abolition des dettes, les repas communs, 1'expulsion des étrangers, la pfohibition du-commerce, les formes de la police et la valeur des voix législatives; enfin la multitude des loix contre le luxe, et pour la frugalité publique les occupèrtnt et les dlvjsèrent sans cessc. On édifioit aujourd'hui ce qu'il falloit dérruire après; les principes de la société  Economie politique, 361' étoient toujours en contradiction avec son état, et les moyens qu'on employoir étoient toujours faux , paree qu'on appiiquoir, i des nations noinbteuses et formées, des loix ou plutöt des usages qui ne pouvoient convenir qu'a un age mystique et qu'a des families religieuses. Les répubKques se disoient libres, et la liberté fuyoit devant elles; elles ne le furent jamais; chacun s'y prétmdoit égal, et il n'y eut point d'ègalité: enfin ces gouvernemens, pour avoir eu pour point de vue tous les avanrages extrêmes des théocraries er de 1'age d'or, furent perpétueliemerit comme ces vaisseaux qui 3 cherchant des contrées imaginaires, s'exposent sur des mers örageUses , oü, après avoir été long-tèms tourmentés par d'affreuses tempêtes, ils vqnt échouer a la fin sur d^s écueils, et se briset contre les rochers d'une terre déserte et sauvage. Le systême républicain cherchoit de même une conriée fabuleuse, il fuyoit le despotisme, et par-tout le despotisme fut sa fin; telle étoit la mauvaise coustitution de ces gouvernemens jaloux de liberté et d'ègalité , que ce despotisme qu'ils haïsscient en étoit 1'asyle et le soutien dans les tems difficiles il a fallu bien souvent que Pvome, pour sa propre conservation, se soumit volontairème'nt a des dictateurs souverains. Ce remèdé violent, qui suspendoit 1'action de route loi et de toute magiscrature, fut la ressource de cette fameuse république , dans toutes les circonstances malheureuses, oü le vice de sa constitution la plongeoit. L'heroïsme des premiers tems le rendit d'abord salutaire, mais, sur la fin, cette dictature se fixa dans une familie ; elle y devint héréditaire, et ne produisir plus que d'abominables tyians. Le gouvernement républicain n'a donc été dans son ©ri-ir.e ciu'üne théocratie renouvellée: et comme il en  Economie politique. eut le même esprit, il en eut aussi tous les abus, et se rermina de même par la servitude. L'un et 1'autre gouvernement eurent ce vice essentiel de n'avoir point donné a la société un lien visible et un centre commun qui la rappellat vers 1'uniré, qui la représentat dans I aristocratie. Ce centre commun n'étoit autre que les grands de la nation en qui résidoit 1'autorité; mais un titre porté par mille têtes, ne pouvant représenter cette unité, le peuple indécis y fut toujours partagé en factioos, ou soumis a mille tyrans. La démocratie dont le peuple étoit souverain fut un autre gouvernement aussi pernicieux a la société , et il ne faut pas être né dans 1'orient pour le trouver ridicule er monstrueux. Législateur , sujet et monarque a-la-fois , tantót tout, et tantót rien, le peuple souverain ne fut jamais qu'un tyran soupconneux, et qu'un sujet indocile, qui entretint dans la société des troubles er des dissenrions perpétuelles , qui la firent a la fin succomber sous les ennemis du dedans et sous ceux qu'on lui avoit fait au dehors. L'inconstance de ces diverses république» et leur courte durée sufnroient seules, indcpeadamment du vice de leur origine, pour nous faire connoitre que ce gouvernement n'est point fait pour la terre , ni proportionné au caractère de 1'homme, ni capable de faire ici-bas tout son bonhpur possible. Les limites étroites des territoires entre lesquelles il a toujours fallu que ces républiques se renfermassent pour conserver leurs constitutions, nous montrent aussi qu'elles sont incapables de rendre heureuses les grandes sociétés. Quand elles ont voulu vivre? exactement suivant leurs principes , et les maintenir sans altération, elles ont été obligées de se séparer du reste de la terre; et en effet, un désert convient autant autour d'une république qu'autour d'un empire despo-*  Economie politique. 26$ tiqne, paree que tout ce qui a ses principes dans 1e surnaturel , doit vivre seul et se séparer du monde ; mais par une suite de cet abus nécessaire , la multitude de ces districts républicains fit quil v eut moins d'unité qu'il n'y en avoit jamais eu parmi le genre humain. On vit alors une anarchie de ville en ville, comme on en avoit vu une autrefois de particulier a particulier. L'inégalité et la jalousie des républiques entre elles firent répandre aurant et plus de sang que le despotisme le plus cruel; les petites sociétés furent détruites par les grandes, et les grandes a leur tour se détruisirent elles-mèmes. L'idolatrie de ces anciennes républiques offriroit encore un vaste champ oü nous retrouverions facilement tous les détails et tous les usages de cet esprit théocratique qu'elles conservèrenti Nous ne nous y arrêrerons pas cependanr , mais nous ferons seulemenr remarquer, que si elles consultèrent avec la dernière srupidité le vol des ciseaux et les poulers sacrés, er si elles ne commencèrenr jamais aucune enrreprise, soit publique, soit particulière, soit en paix, soit en guerre, sans les avis de leurs devins er de leurs augureSj c'est qu'elles ont toujours eu pour principe de ne rien faire sans les ordres de leur monarque théocratique. Ces républiques n'ont été idolatres que par-la, et 1'apostasie de la raison qui a fait le crime et la honte du paganisme , ne pouvoit manquer de se perpétuer par leur gouvernement surnaturel. Malgré 1'aspect désavantageux sous lequel les républiques viennent de se présenter a nos yeux, nous ne pouvons oublier ce que leur histoire a de beau et d'intéressant dans ces exemples étonnans de force, de vertu et de courage qu elles ont toutes donnés , et par lesquels elles se sont immortalisées; ces exemples, e»  4 Economie politique. «fret, ravissent encore notre admiration, et affectent tons les cceurs vettueüx, c'est-la le beau coté de i'ancienne Rome et d'Athènes. Exposons donc ici les causes de leurs vertus , puisque nous avons exposé les causes de leur vice. Les républiques ont eu leur age d'or , paree que rous les états surnaturels ont nécessairement du commencer par-la. Les spéculations théocratiques ayant fait la base des spéculations républicaines , leurs premiers effets ont dü élevet l'homme au-dessus de lui-même, lui donner une ame plus qu'humaine, et lui inspirer tous les sentimens qui seuls avoient été capablès autrefois de soutenir le gouvernement primitif qu'on vouloit renouveller pour faire reparoirre avec lui sur la tene la verru, I'égalité et la liberté. II a donc fallu que le répubücain s'cievat pendant un tems au-dessus de lui-même , le point de vue de sa législation étant surnaturel, il a fallu qu'il fut vertueux pendant un tems, sa législation voulant faire renaitre 1'age d'or qui avoit été le règne de la vertu , mais il a fallu a la fin que l'homme redevint homme, paree qu'il est fait pour 1'étre. Les grands mobiles qui donnèrent alors rant d'éclat aux généreux effbrts de 1'humanité , furent aussi les causes de leur cotute durée. La ferveur de 1'age d'or s'étoit renouvellée , mais elle fut encore passagère, 1'héroïsme avoit reparu dans tout son lustre, mais il s'éclipsa de même, paree que les prodiges ici-bas ne sont point ordinaiies, et que le surnaturel n'est point fait pour la terre. Quelques-uns ont dit que les vertus de ces anciens repubiicains n'avoient été que des vertus humaines et de fausses vertus , pour nous , nous disons le contraire : si elles ont été fausses, c'est paree qu'elles ont été plus qu'humaines ; sans ce vice elles auroient é:é plus coiistantes et plus vraies.  Economie politique. jg^. L'état des sociétés ne doit point Être en effet établi Sür le sublime, paree qu'il n'est pas le point fixe ni le caracrère moyen de l'homme , qui souvent ne peut pratiquer la vertu qu'on lui prêche, et qui plus souvent encore en abuse lorsqu'il la pratique, quand ila éteint sa raison , et lorsqu'il a dompté la nature. Neus avons toujours vu jusqu'ici qu'il ne 1'a fait que pour s'élever au-dessus de 1'humanité , et c'est par les memes principes que les républiques se sont perdues , après! avoir produit des vertus monstrueuses plutor que de vraies vertus, et s'être li vrees a des excès contraires & leur bonheur et a la rranquilité du genre humain. Le sublime , ce mobile si nécessaire du gouveme* ment républicain et de tout gouvernement fondé sur des vues plus qu'humaines , est teliement un ressort disproportionné dans le monde politique , que dans ces austères républiques de la Grèce et de ritalie , souvent la plus sublime vertu y étoit punie , et presque toujouts maltraitée: Rome et Athènes nous en ont donné des preuves qui nous paroissent inconcevables , paree qu'on ne veur jamais prendre l'homme pour ce qu'il est. Le plus grand personnage, les meilleurs citoyens, tous ceux enfin qui avoient le plus obligé leur patrie, étoient bannis ou se bannissoient d'eux-même.*; c'est qu'ils choquoient cette nature humaine qu'on méconnoissoit ; c'est qu'ils étoient coupables envers I'égalité publique par leur trop de vertu. Nous concluerons donc par le bien et le mal extréme dont hs républiques anciennes ont été susceptibles , que leur gouvernement étoit vicieux en tout, paree que préoccupé de principes théocratiques, il ne pouvoit être que très-éloigné de cet état moyen , qui seul peut sur la terre arrêter et fixer a leur véritable dégré la süreré, le repos et le bonheur du genre humain.  3 66 Economie politique. Les excès du despotisme, les dangers des républiques,1 et le faux de ces deux gouvernemens , issus d'une théocratie chimérique, nous apprendront ce que nous devons penser du gouvernement monarchique, quand même la raison seule ne nous le dicteroit pas. Un érat politique oü le tróne du monarque qui représenté 1'unité a pour fondement les loix de la société sur laquelle il règne , doit être le plus sage et le plus heureux de tous. Les ptincipes d'un tel gouvernement sont pris dans la nature de l'homme et de la planete qu'il jhabite, il est fait pour la terre comme une république et une véritable théocratie ne sont faites que pour le ciel, et comme le despotisme est fait pour les enfers. L'honneur et la raison qui lui ont donné I être, sont les vrais mobiles de l'homme , comme cette sublime vertu j dont les républiques n'onr pu nous montrer que des rayons passagers , sera le mobile constant des justes de 1'empyrée , et comme la crainte des états despotiques sera 1'unique mobile des méchans au tartare. C'est le gouvernement monarchique qui seul a trouvé les vrais moyens de nous faire jouir de tout le bonheur possible , de toute la liberté possible , et de tous les avantages dont l'homme en société peut jouir sur la terre. II n'a point été , comme les anciennes législations, en chercher de chimériques dont on ne peut constapiment user, et dont on peut abuser sans cessej Ce gouvernement doit donc être regardé comme le chef-d'ceuvre de la raison humaine, et comme le port cü le genre humain, battu de la tempête en cherchant une félicité imaginaire, a dü enfin se rendre pour eri trouver une qui füt faite pour lui. Elle est sans doute moins sublime que celle qu'il avoit en vue, mais elle est plus solide , plus réelle et plus vraie sur la terre. C'est la qu'il a trouvé des rois qui nafficl/nt plusla  Économie politique. ^&j divinité, qui ne peuvent oublier qu'ils sont des hommes : eest-la qu'il peut les aimer et les respecter, sans les adorer comme de vaines idoles , et sans les craindre comme des dieux exterminateurs: c'est-la que les rois reconnoissent des loix sociales et fondamentales qui rendent leurs trönes inébranlabiès et leurs sujets heureux , et que les peuples suivent sans peines et sans intrigues des loix antiques et respectables que leur ont donné de sages monarques sous lesquels depuis une longue succession de siècles ils jouissent de tous les ptiviiéges et de tous les avantages modérés qui distinguent 1'horame sociable de 1'esclave de 1'Asie et du sauvage de lAmérique. L'origine de la monarchie ne tient en rien a cette chaine d'évènemens et a ces vices comrhuns qui ont lié jusqu'ici les uns aux autres rous les gouvernemens antérieurs , et eest ce qui fait particulièrement son bonheur et sa gloire. Comme les anciens préjugés , qui i-aisoient encore partout le malheur du monde , s'étoient éteints dans les glacés du Nord , nos ancêtres , tout grossiers qu'ils étoient, n'appottèrent dans nos climats que le froid bon sens , avec ce sentiment d'honneur qui s'est transmis jusqu'a nous, pour être a jamais 1'ame de la monarchie. Cet honneur n'a été et ne doit être encore dans son principe que le sentiment intérieur de la dignité de la nature humaine, que les gouvernemens théocratiques ont dédaigné et avili , qUe le despotique a détruit, mais que le monarchique a toujours respecté , paree que son objet est de gouverner des hommes incapables de cette vive imagination qui a toujours porté les peuples du midi aux vices et aux vertus extrêmes. Nos ancêtres rrouvèrent ainsi le vrai qui n'existe que dans un juste milieu • et loin de reconnoitre dans leurs chefs des dons sumaturels et une  ^(58 Economie politique. puissance plus qu'humaine , ils se conrentoient, en les couronnant, de les élever sur le pavoi et de les porter sur leurs épaules , comme pour faire connoitre qu'ils seroient toujours soutenus par la raison publique, conduits par son esprit, et inspirés par ses loix. Bien plus : ils placèrent a cöté d'eux des hommes sages, auxquels il donnèrent la dignité de pairs , non pour les égaler aux rois, mais pour apprendre a ces rois qu'étant hommes , ils sont égaux a des hommes. Leurs principes humains er modérés n'exigèrent donc point de leurs souverains qu'ils se comportassent en dieux , et ces souverains n'exigèrent point non plus de ces peuples sensés ni ce sublime dont les mortels sent peu capables , ni cet avilissement qui les révolte ou qui les dégrade. Le gouvernement monarchique prit la terre pour ce qu'elle est et les hommes pour ce qu'ils sctat, il les y laissa jouir des droits et des priviléges attachés a. leur naissance , a leur état et a leur faculté ; il entretint dans chacun d'eux , des sentimens d'honneur, qui font 1'harmonie et la contenance de tout le corps politique , et ce qui fait enfin son plus parfair éloge, c'est qu'en soutenant ce noble orgueU de 1'humanité , il a su tournet a 1'avantage de la société les passions humaines , si funestes a toutes les autres législations qui ont moins cherché a les conduire qu'a les détruire ou a les exalter : constitution admirable , digne de rous nos respeers et de rout notre amour! Chaque corps , chaque société , chaque particulier même y doit voir une posirion d'autant plus constante et d'autant plus heureuse , que cette position n'est point établie sur de faux principe-, ni fondée sur des mobiles ou des motifs chimériques , mais sur la raison et sur le caractère des choses d'ici-bas. Ce qu'il y a même de plus estimable dans ce gouvernement, c'est qu'il n'a  Economie politique. 369 point été une suite d'une législation particuliere ni d'un systême médité , mais le fruit lent et tardif de 'la raison dégagée de ces préjugés antiques. II a été l'ouvrage de la nature , qui doit être a bon titre regaraée comme la législatrice et comme la loi fondamentale de eer heureux et sage gouvernement : c'est elle seule qui a donné une législation cipable de suivre dans ses progrès le génie du genre humain , et d'elever 1'esprit de chaque gouvernement a mesure que 1'esprit de chaque nation s'éclaire et s'élève : équilibre sans lequel ces deux esprits cherchoient en vain leur repos et leur süreté. Nous n'entrerons point dans le détail des diverskés qu'ont entr'elles les monarchies présentes de 1'Europe, ni des évènemens qui depuis dix a douze siècles ont produit ces variations. Dans tout, 1'esprit primitif est toujours le. même : s'il a été quelquefois altéré ou changé , c'est paree que les antiques préventions des climats oü elles sont vennes s'établir, ont cherché a les subjuguer dans ces ages d'ignorance et de superstitions qui plongèrent pour un tems dans le semmeii le bon sens des nations européennes , et même la religion la plus sainte. Ce fut sous cette ténébreuse époque que ces mêmes préjugés théocratiques , qui avoient infecté les anciens gouvernemens , entreprirent de s'assujettir aussi les monarchies nouvelles, et que sous mille formes différentes ils en furent tantöt les liéaux et tantot les corrupteurs. Mais a quoi sert de ïappeler uri age dont nous détesrons aujourd'hui la mémoire, et dont. nous méprisons les faux principes ? qu'il nous serve seulement a montrer que les monarchies n'ont pu être troublées que par des vices étrangers sortis du sein de la nature calme et paisibie. Elles n'ont eu de rapport Tome F. Aa  $75 Economie politique. avec les théocraries j filles de fausses terreurs, que par les maux qu'elles en ont recus. Seules capables de remplir 1'objet de la science du gouvernement, qui est de maintenir les hommes en société et de faire le bonheur du monde , les monarchies y réussiront toujours en rappellast leur esprit primirif pour éloignerles faux systêfnes ; en s'appuyant sur une police immuable et sur des loix inaltérables, afin d'y trouver leur suteté et celle de la société, et en placant entre la raison et 1'humanité 3 comme en une bonne et süre garde , les préjugés théocratiques , s'il y en a qui subsistent encore Du reste, c'est le prögrès des connoissances qui j en agissant sur les puissances et sur la raison publique, comtinuera de leur apprendre ce qu'il importe pour le vrai bien de la société : c'est a ce seul progrès, qui commande d'une facon invisible et victorieuse' a tout ce qui pense dans la nature , qu'il est réservé d'ètre le législateur de tous les hommes , et de porter insensiblement et sans effort des lumiètes nouvelles dans le monde politique, comme il en est porté tous les jours dans le monde savant. Nous croirions avoir omis la plus intéressante de nos observations , et avoir manqué a leur donner le dégté d'authenticité dont elles peuvent être susceptibles, si après avoir suivi et examinê 1'origine et les principes des divers gouvernemens, nous ne finissions point par faire remarquer et admirer quelle a été la sagacité d'un des grands hommes de nos jours, qui sans avoir considéré 1'origine particulière de ces gouvernemens, qu'il auroit cependant encore mieux vue que nous, a commencé par oü nous venons de finir , et a prescrit néanmoius a chacun d'eux son mobile convenable et ses loix. Nous avons vu que les républiques avoient pris pour modèle 1'age d'or de la théocratie, c'est-a-  Economie politique. 371 dire le ciel même; c'est la vertu , dit Montesquieu , qui doit être le mobile du gouvernement républicain. Nous avons vu que le despotisme n'avoit cherché qu'a représenter le monarque exterminateur de la théocratie des nations, c'est la crainte, a dit encore Montesquieu, qui doit être le mobile du despotisme. C'est \'konncur, a dit enfin ce législateur de notre age, qui doit être le mobile de la monarchie; et nous avons reconnu en effet que c'est ce gouvernement raisonnable fait pour la terre, qui laissant a l'homme tout le sentiment de son état et de son existence, doit être soutenu et conservé par 1'honueur, qui n'est autre chose que le sentiment que nous avons tous de la dignité de notre nature. Quoi qu'aient donc pu dire la passion et i'ignorance contre les principes du sublime auteur de 1'esprit des loix , ils sont aussi vrais que sa sagacité a été grande pour les découvrir et en suivre les effets sans en avoir cherché 1'origine. Tel est le privilége du genie , d'ètre seul capable de connoitre le vrai d'un grand tout, lors même que ce tout lui est inconnu , ou qu'il n'en con» sidère qu'une partie. Aa z  TABLE DES ARTICLES Conrenus dans ce volume. De la cruauté religieuse. SECTIOX PRÉMIÈRE. Les hommes donnent toujours nux dieux qu'ds adorent les passions qu'ils ont euxmêmes. _ 3 Sect. ji. Q„e les liommes devroient bien prendre garde aux id.'es qu'ils se font de la divinité. ^ Sect. iii. D< s cruautés religieuses que les hommes exercent sur eux mêmes. ^ Sect. IV. Cruauté des sacrifices sanglans. Des sacrifices / huinains. 24 Sect. V. Ecs irai^mens cruels que les hommes se font éprouver lés uns aux autres a cause de la ditTérence de leurs opinions religieuses et de la diversilé de leur culte. - Sect VI. En quoi consistent quelques-unes des querelles religieuses q ,i ont divisé les chrétiens ; et con£ bien les matières en dispute ont été inintellielbles pour les disputans. 53 Sect, VII. De plusieurs Saints trés-orthodoxes et fèm ce i église qui ont été de violens persécuteurs. 52 Sect, viii. De la puissance du clergé ; et de la tyrannie de 1 évêque tye Rome. 53 Sect. IX. De l inquisition et de ses cruautés. ?0  TABLE. 373 Sïct. X. De 1'exécution de ceux que 1'inquisition a condamnés. page 82 Sect. XI. Des persécutions exécutées par les prêtres protestans. 85 Sect. XII. Recherches sur les causes de la cruauté et de 1'esprit persécuteur que l'on remarque sur-tout dans les prêtres de 1'égüse Romaine. Supplément a la cruauté religieuse. 104 SECTION PREMIÈRE. Des opinions erronées et des cérémonies superstitieuses que Ion trouve dans les pères de i'église. . .166 Sect. II. Exemples des opinions bizarres des pères de I'église. na Sect. III. Des interprétations absüxdes que les plus anciens pères de I'église ont données de l'écriture. iai Sect. IV. Questions odieuses , ridicules et in iécentes qui ont été agitees : De la théologie Scholastique. 127 R fl.'.xions sur les persécutions religieuses et sur les moyens de les prévenir. SECTION PREMIÈRE. De 1'absurdité et de l'injustioe de Ja persécution. 1 - 2 Sect. II. Des sources de i'insolence et du pouvoir des prêtres de I'église Eomaine. iSS Sect. III. De la crédulité. Les gens d'esp;itsont souvent dupes des préjugés du vulgaire. 141 Sect. IV. Des moyens employés par le clergé pour e*citer les princes a la persécution.. 1^9 Sect. V. Des remèdes que l'on peut opposer a la persécution. i5i  374 TABLE. Articles extraits de F Encyclopédie. CORVÉES. page ,55 DÉLUGE. 39t GUÈBRES. 223 LANGUE HÉBRAIQUE. 254 ECONOMIE POLITIQUE. Soa Fin du cinquième volume.