OEU YRES d e BOULLANGER. TOME SIXIÈME.   OEU VRES D E BOULLANGER. Homo , quod rationis est patticeps , consequentiam cernit, causas rerum videt, earumque progressus et quasi anteressiones non ignorat , similitudines eompaxat, refeuaprsesentibus adjungit, atque annectit futuras. Ciciro de offic. lib. i. c. 4. TOME SIXIÈME. » 7 9 4. A AMSTERDAM.  ■  HISTOIRE D'ALEXANDRE LE GRAND. L I V R E PREMIER. T A-1 A monarchie des Perses a été établie par Cyrus sur les ruines de 1'Assyrie. Presqu'aussitöt après son établissement, on pouvoit déja voir les causes de son affoiblissement futur, et de sa dernière chüte. Elle avoit été formée par la réunion de deux peuples bien différens d'inclinations et de mceurs; les Perses étoit sobres, laborieux, modestes; et les Medes ne respiroient que le faste , le luxe et la mollesse. L'exemple de la frugalité et de la simplicité de Cyrus , avec la nécessité de vivre continuellement sous les armes pour faire tant de conquêtes , et pour se maintenir contre tant d'ennemis , suspendirent pendant quelque tems la contagion de ces vices ; mais après que tout fut dompté et soumis, le penchant naturel des Medes pour la magnificence et les délices, affoiblirent bientöt la tempérance des Perses 3 et devint en peu de tems le goüt dominant des deux nations. La vertu des Perses ne succomba point par des déclins imperceptibles , long-tems prévus et souvent combattus ; a peine Cyrus fut-il dispatu , que 1'on vit paroitre comme une autre nation, et des rois d'un caractère dirFérent; on n'entendoit plus parler de cette éducation forte et sévère de la jeunesse Persanne , de ces écoles pi;b!iques de sobriété , de patience et d'ému- A5  g Histoire lation pour lavertu, de ces exercices laborieux et guerriers , il n'en resta point la moindre tracé ; Cyrus qui avoit été si bien élevé, ne prit pas assez de soin pour donner une éducation semblable a la sienne a Cambyse son hls, successeur d'un si vaste empire. Darius , fils d'Hystaspe , qui d'une vie privée fut élevé sur le tróne, apporta de meilleures dispositions a. la souveraine puissance , et fit quelques efforts pour réparer les désordres; mais la corruption étoit déja trop uniyerselle , 1'abondance avoit introduit trop de dércrleraens dans les mceurs •, Darius n'avoit pas luimêtrie conservé assez de forces pour être capable de retfesstt tout-a-fait les autres} tout dégénéra sous ses successeurs, et le luxe des Perses neut plus de mesure. Mais encore que cespeuples devenus puissans eussent beaucoup perdn de leur ancknne vertUj en s'abandonriïnt sax plaisirs, ils avoient toujours conservé quelque chose de grand et de noble. Que peuc-on admirer davantage que 1'horreur qu'ils avoient pour le mensohge, qui passa toujours parmi eu.i pour un vice honteux ! après le mensonge , ce qu'ils trouvoient deplus lache étoit de vivre d'emprunt, une telle vie leur paroissoit honteuse , fainéante, servile , et d'autant plus méprisable, qu'elle pottoit a mentir : 1'ingratitude étoit regardée commc un vice indigne d'une belle ame •, la générosité leur étoit naturelle ; ils traitoient honnêtement les rois qu'ils avoient vaincus, et pour peu que les enfans Je ces prinees fussent capables de s'accommoder avec les vaiitqucurs , ils les laissoient commander dans leurs étao avectoutes les marqués de leur ancienne grancUur; ks Perses étoient honnêtes , civils envers les étrangeo ; les gensdc merite étoient connus parmi eux et ils népaigpiOMM rien pour se les attirer.  d''Alexandre te Grand. Liv. I. II est vrai qu'ils ne sont pas arrivés a la connoissance parfaite de cette sagesse qui apprend a bien gouverner; leur grand empire fut toujours régi avec quelque confusion •, ils ne surent jamais trouver ce bel art d'unir routes les parties d'un grand ésat, et d'en faire un tout parfait, aussi n'étoient-ils presque jamais sans quelques révoltes considérables; ils n'étoient cependant point sans politique. Les regies de la jusrice étoient connues parmi eux ; ils ont eu de grands rois qui les faisoient observer avec une exactitude admirable ; les crimes étoient sévèrement punis ils avoient grand nombre de belles loix , venues presque routes de Cyrus et de Darius Histaspe , ils avoient des maximes de gouvernement , des conseils réglés pour les maintenir , et une grande subordination dans tous les emplois. Les ministres devoient être instruits des anciennes maximes de la monarchie; le registre que 1'on tenoit des choses passées servoit de règle a la postérité; on y marquoit les services quechacun avoit rendus , de peur qu'a la honte du prince et au grand malheur de 1'Etat, ils ne demeurassent sans récompense. Un des premiers soins du prince étoit de faire fleurir 1'agriculture , et les satrapes ou gouverneurs dont le pays étoit le mieux cultivé , avoient la plus grande part aux graces ; coinme il y avoit des charges établies pour la conduite des armes , il y en avoit aussi pour veiller aux travaux domestiques ; c'étoient deux charges semblables dontl'une prenoit soin de garder 1'Etat, 1'autre de le cultiver et de le nourrir. Après ceux qui avoient remporté des avantages a la guerre , les plus honorés étoient ceux qui avoient élevé beaucoup d'enfans; le respect que 1'on inspiroit aux Perses dès leur enfance pour 1'autorité royale, alloit A 4  ê ■ tiïstoïre jusqua Texcès, puisqu'ils y mêloientderadorarioh; êt ils paroissoienc plutot des esclaves que des sujets soumis par raison a un empire légitime; c'étoit 1'esprit des orientaux, et peut-être que le naturel vif et violent de ces peuples , demandoit ce gouvernement ferme ec absoluj La manière dont on élevoit les enfans des rois est admirée par Platon, et proposée aux Grecs comme le modèle d'une édueation parfaite ; dès lage de sept ans on les tiroit des mains des eunuques pour les faire monter a cheval, et les exercer aux fatigues de la chasse ; a 1'age de quatorze ans, lorsque 1'esprit commence a se former j on mettoit auprès d'eux quatre -hommes des plus vertueux et des plus sages de 1'Etat; le premier leur apprenoit le culte des dieux; le second les accoutumoit a dire la vérité et a rendre la justice; le t-roisième leur apprenoit a ne se pas laisser vaincre par la volupté , afin d'être toujours libres et vraiment rois , maitres d'eux-mêmes et de leurs desirs; le quatriune fortilïoit leur courage contre la crainte qui en eüt fair des esclaves, et leur eüt óté la confiance si nécessaire dans le commandement. Les jeunes seigneurs étoient élevés avec les enfans du roi; on prenoit un soin particulier qu'ils ne vissent ni n'entendissent rien de malhonnête; on rendoit compte au roi de leur conduite , qui ordonnoit en conséquence les punitions ou les récompenses. La jeunesse qui les voyoit apprenoit de bonne-heure, avec lavertu, la scienced'obéiretde commander. Avec une si belle institurion quenedevoiton point espérer des rois de Perse et de leur noblesse , si 1'on eüt eu autant de soin de les bien conduire dans les progrès de leur age qu'on en avoit de les bien instruire dans leurenfance? Mais les mceurs corrompues 4e la nation , les entramoient bientót dans les plaisirs j  d' Alexandré le Grand. Livt I. 9 eontre lesquels nulle éducation ne peut tenir, il faut pourtant confesser que malgré cette mollesseils ne man-* quoient point de valeur; les Perses s'en sont toujours piqués et ils en ont donné d'illustres marqués. L'art militaire avoit chez eux la préférence qu'il méritoit comme celui a 1'abri duquel toüs les autres peuvent s'exercer en repos. Mais jamais ils n en connurent le fond , ni surent ce que peuvent dans une armée la sévérité, la discipline , 1'arrangement des troupes , 1'ordre des marches et des campemens, et enfin une certaine conduite qui fait remuer ce grand corps sans confusion et a propos-, ils croyoient avoit tout fait quand ils avoient ramassé sans choix un peuple immense , qui alloit au combat assez résolument, mais sans ordre, et qui se trouvoit embarrassé d'une mulritude infinie de personnes inutiles que le roi et les grands trainoient après eux seulement pour le plaisir$ car leur mollesse étoit si grande , qu'ils vouloient trouver dans 1'armée la méme magnificence et les ïnèmes délices que dans les lieux oü la cour faisoit sa demeure ordinaire, de sorte que les rois marchoient accompagnés de leurs femmes, de leurs concubines, de leurs esclaves et de tout ce qui servoita leur plaisir \ 4a vaisselle d'or et d'argenr, les meubles précieux suivoient dans une abondance prodigieuse , et enfin tout 1'attirail que demande une telle vie. Une armee compo^ sée de cette sorte, et déja embarrassée de la multitude excessive de ses soldats, étoit surchargée par le nonr bre infini de ceux qui ne combattoient point; dans cette confusion on ne pouvoit se mouvoir de concert; les ordres ne venoient jamais a tems, et dans une action tout alloit comme a 1'avanture, sans que personne fut en état de pourvoir a ce désordre ; joint encore qu'il falloit hater les opérations, passer rapidement  ic Histoire dans un pays; car ce corps immense et avide nonseulement du nécessaire, mais encore de ce qui servoit au plaisir, consumoit tout en peu de tems , et 1'on a peine a cömpendre d'oü il pouvoit tirer sa subsistance. Cependant avec ce grand appareil les Perses éronnoient les peuples qui ne savoient pas mieux faire la guerre qu'eux; ceux même qui la savoient, se trouvèrent ou afFoiblis par leurs propres divisions , ou accablés par la multitude de leurs ennemis , et eest paria que 1'Egypte toute superbe qu'elle étoit de ses antiquités, de ses sages institutions et des conquêtes de son Sésostris , devint sujette des Perses ; il ne leur fut pas mal-aisé de dompter 1'Asie mineure , ni même les coionies grecques que la mollesse de 1'Asie avoit corrompues ■■, mais quand ils vinrent a la Grèce même , ils trouvèrent ce qu'ils n'avoient jamais vu : une milice réglée , des chefs entendus, des soldats accoutumés a vivre de peu, des corps endurcis au travail, que la lutte et les autres exercices de ce pays rendoient adroits; des armées médiocres a la vérité, mais semblables a ces corps vigoureux ou tout est plein d'esprit, ou il semble que tout soit nerf, au reste si bien commandées et si souples aux ordres de leur généraux, qu'on eut cru que les soldats n'avoient tous qu'une même amej tant on voyoit d'harmonie dans leurs mouvemens. Mais ce que la Grèce avoit de plus grand étoit une politique ferme et prévoyante, qui savoit abandonner, hasarder et défendre ce qu'il falloit j et ce qui est plus grand encore, un courage que 1'amour de la liberté er celui de sa patrie rendoient invincible. Les Grecs, naturellement pleins d'esprit et de politesse, avoient été cultivés de bonne-heure par des rois, et des coionies venues d'Egypte, qui s'étant établies  d'Akxandre le Grand. Liv. I. il dès les premiers tems en divers endroits du pays, avoient repandu partout 1'excellente police des Egyptiens ; c'est de la qu'ils avoient appris les exercices du corps, la lutte, la course a pied j a cheval et sur des chariors, et les autres exercices qu'ils mirent dans leur perfection par les glorieuses couronnes des jeux olympiques; mais ce que les Egyptiens leur avoient appris de meilleur, étoit de se rendre dociles et a se laisser former par les loix pour le bien public. Ce n'étoient pas des particuliers qui ne songent qu'a leurs affaires er ne sentent les maux de 1'Etat qu'autant qu'ils en souffrent eux-mêmes, ou q ue le repos de leur familie en est troublé ; les Grecs étoient instruits ase regarder et a regarder leur familie comme parcie d un plus grand corps qui étoit le corps de 1'état; les pères nourrissoient leurs enfans dans eet esprit , et les enfans apprenoient dès le berceau a regarder la patrie comme une mère commune a qui ils appartenoient plus encore qu'a leurs parens, le mot de civilité ne signifioit pas seulement chez eux la déférence mutuelle qui rend les hommes sociables, 1'homme civil étoit encore un bon citoyen , qui se regarde toujours comme membre de 1'Etat, qui se laisse conduire par les loix et conspire avec elles au bien public, sans rienentreprendre sur personne. Les anciens rois que la Grèce avoit eu en divers tems, Minos „ Cécrops, Thésée , Codrus, Thémenes , Chresphonte, Euristhènes , Patrocle et les autres semblables, avoient répandu eet esprit dans toute la nation ; ils furent tous populaires , non point en flattant le peuple , mais en procurant son bien et en faisant regner la loi. Que dirai-je de la rigidité des jugemens? quel plas grave tribunal y eüt-il jamais que celui de 1'Aréopage,  i 2, Hlstolre si révéré dans coute la Grèce, que 1'on disoit quê les dieux mêmes y avoient comparu ! les Romains yallè-> rent puiser leur loix ■, dès les premiers tems il a été célèbre , et Cécrops 1'avoit apparemment établi a Athènes, sur le modèle des tribunaux de 1'Egypte; aucune compagnie n'a conservé si long-tems la réputation de son ancienne sévérité, et 1'éloquence pompeuse en a toujours été bannie. Les Grecs ainsi policés peu-a-peu , se crurent capables de se gouverner eux-mèmes 3 et la plupart des villes se formèrent en républiques •, de sages législateurs qui s'élevoient en chaque pays , un Thalès j un Pythagore, un Piwacus, un Lycurgue, un Solon . un Philolas, et tant d'auues que l'histoire marqué , empêchèrent que la liberté ne dégénérar en licence ; des loix simplement écrites et en petit nombre, tenoient les peuples dans le devoir, et les faisoient concourir au bien de la patrie; l'idée de liberté qu'une telle conduite inspiroit étoit admirable, car la liberté que se fTguroient les Grecs , étoir une liberté soumise a la loi, c'est-a-dire a la raison même reconnue par tout le peuple. Ils ne vouloient pas que les hommes eussent de pouvoir parmi eux ; les magistrats redoutes durant le tems de leur ministère redevenoient des particuliers qui ne gardoient d'autorité qu'autant que leur en donnoit leur expérience: la loi étoit regardée comme la maitresse, c étoit elle qui établissoit les magistrats, qui en régloit le pouvoir, et qui enfin chatioit leur mauvaise administration. La Grèce étoit charmée de cette sorre de gouvernement , et préféroit les inconvéniens de la liberté , a ceux de la suggestion légitime , quoiqu'en effet beaucoup moindres. Mais comme chaque police a son avantage , ceux que la Grèce tiroit de la sienne , étoient que  d'Alexandre le Grand. Liv. I. ij les citoyens s'affectionnoient d'autant plus a leur pays, qu'ils le gouvernoient en commun, et que chaque particulier pouvoit parvenir aux premiers honneurs. Ce que fit la philosophie pour conserver 1'état de la Grèce n'est pas croyable : plus ces peuples étoient libres, plus il étoit nécessaire d'y établir par de bonnes maximes, les regies des mceurs et celles de la société; Pythagore , Thalès , Socrate , Anaxagore , Architas , Platon , Xénophon , Aristote , et une infinité d'autres , remplirent la Grèce des plus beaux préceptes. II y eut des extravagans qui prirent le nom de philosophes, mais ceux qui étoient suivis, étoient ceux qui enseignoient a sacrifier 1'intérêt particulier et même la vie a 1'intérêt général et au salut de 1'état: et c'étoit la maxime la plus commune des philosophes qu'il falloit ou se retirer des affaires ou n'y regarder que 1'intérêt public. Les poè'tes mêmes qui étoient dans les mains de tout le peuple, instruisoient encore plus qu'ils ne divertissoient. Alexandre regardoit Homère comme un maitre qui lui apprenoit a bien régner; ce grand poëte n'apprenoit pas moins a bien obéir et a être bon citoyen ; lui et tant d'autres poëtes dont les ouvrages ne sont pas moins graves qu'ils sont agréables, ne célèbrent que les arts utiles a la vie humaine , ne respirent que le bien public , la patrie , la société et cette admirable civilité que nous avons expliqué. Quand la Grèce ainsi élevée regardoit les Asiatiques, avec leur délicatesse , avec leur parure et leur beauté efféminée, elle n'avoit que du mépris pour eux ; mais leur forme de gouvernement qui n'avoit pour regie que la volonté du prince , maitresse de routes les loix et même des plus sacrées, lui inspiroit de 1'horreur} et  14 Hïstoire 1'objet le plus odieux qu'eut toute la Grèce , étoient les Perses qu'elle a toujours désignés par le norn de barbares. Cette haine étoit venue aux Grecs , dès les premiers tems, et leur étoit devenue comme naturelle; une des choses qui faisoient aimer les poésies d'Homère, eest qu'il chantoit par la guerre de Troye j les avantages de la Grèce sur 1'Asie •, du cóté de TAsie étoit Vénus, c'est-a-dire les plaisirs } les fols amours et la mollesse; du cöté de la Grèce étoit Junon , c'est-a-dire la gravité , avec 1'amour conjugal; Mercure avec 1'éloquence, Jupiter et la sagesse politique ; du cöté de 1'Asie étoit Mars , impérueux et brutal, c'est-a-dire la guerre faite avec fureur •, la Grèce avoit Pallas , c'est-a-dire Tart militaire et la valeur conduite par 1'esprit. La Grèce depuis ce tems-la a toujours cru que 1'intelligence et le vrai courage étoient son partage naturel; elle ne pouvoit souffrir que lAsie songeat a la subjuguer 3 et en subissant ce joug, elle eüt cru assujettir la vertu a la Tolupté , 1'esprit au corps , et le véritable courage a une force insensce qui-consistoit seulement dans la multitude. La Grèce étoit ;pleine de ces sentimens quand elle fur attaquée par Darius, fils d'Histaspe , et par Xercès , avec des armées dont la grandeur paroit fabuleuse, tant -elle est énorme ; aussi-tót chacun se prépare a défendre sa liberté. Quoique toutes les villes de la Grèce fussent autant de républiques séparées, 1'intérêt commun les réunit , et il s'agissoit entr'elles a qui feroit le plus pour le bien public. Contre de telles armées et une telle conduite , la Perse se trouva foible ; elle éprouva ce que peut la discipline contte la confusion , et ce que peut la valeur 5 conduite avec art 3 contre une  d' Alexandre le Grand. Liv. I. xt impétuosité aveugle. Miltiade , athénien , défit cette armée nombreuse dans la plaine de Marathon , avec dix mille hommes. Pour venger ï'afTront de la Perse , Xercès , fils de Darius , et son successeur j attaqua les Grecs avec r,100,000 ou 1,700,000 combattans , avec une armée navale de douze cent vaisseaux. Léonidas, Lacédémonien, avec une poignée de soldats , leur en rua 20,000 au passage des Thermopyles; il périt a la vérité , mais sur ses propres trophées j content d'avoir immolé a sa patrie un nombre infini de barbares , et d'avoir laissé a ses compatriotes 1'exemple d'une hardiesse inouie. II ne couta rien aux Athéniens d'abandonner leur ville au pillage et a 1'incendie, après qu'ils eurent mis en süreté leurs vieillards , leurs femmes et leurs enfans, ils mirent sur des vaisseaux tout ce qui étoit capable de porter les armes , et, sous la conduite de Thémistocle , ils gagnèrent la bataille navale de Salamine. Le prince persan repassa 1'Hélespont avec frayeur, et une année après , son armée de terre que Mardomus commandoit, fut taillée en pièces auprès de Platée , par Pausanias , Lacédémonien , et par Aristide, Athénien. Le même jour les Grecs Ioniens, sous les ordres de Léothichides , gagnèrent la bataille de Mycale oü ils tuèrent trente mille Persans. II ne restoit a la Perse 3 tant de fois vaincue, que de mettre la division parmi les Grecs „ et 1'état même oü ils se trouvoient par leurs victoires , rendoit cette entreprise facile. Comme la crainte de 1'ennemi les tenoit unis , la victoire et la confiance rompit 1'union • accoutumés a battre et a vaincre, quand ils n'eurent plus nen a craindre des armées de Perse, ils se tournèrent les uns contre les autres.  j 6 Histoire Parmi toutes les républiques dont la Grèce étoit composée , Athènes et Lacédémone étoient sans comparaison les principales: on ne peut avoir plus d'esprit qu'on en avoit a Athènes, ni plus de force qu'on en avoit a Lacédémone ; Athènes vouloit le plaisir, la vie de Lacédémone étoit dure et laborieuse : 1'une et 1'autre aimoient la gloire et la liberté ; maie a Athènes la liberté tendoit naturellement a la licence; contrainte par des loix sévères a Lacédémone, plus elle étoit réprimée en dedans , plus elle cherchoit a s'étendre en dominant au dehors. Athènes vouloit aussi dominer \ mais par un aurre motif , 1'intérêt se mêloit a la gloire : commodément située pour le commerce, ses citoyens excelloient dans 1'art de naviger , et la mer oü elle régnoit 1'avoit enrichie. Pour demeurer seule maitresse de tout le commerce, il n'y avoit rien qu'elle ne voulüt assujétir, et ses richesses qui lui inspiroient ce desir lui fournissoient les moyens de le satisfaire. Au contraire j a Lacédémone l'argent y étoit méprisé ; comme toutes les loix tendoient a en faire une république guerriêre , moins elle étoit intéressée, plus elle étoit ambitieuze ; par sa vie réglée, elle étoit ferme dans ses maximes et dans ses desseins : Athènes qroit plus vive et le peuple y étoit trop maitre; la philosophie et les loix faisoient a la vérité de beaux effets dans des naturels si exquis , mais la raison route seule n'étoit pas capable de les retenir. Un sage Athénien qui connoissoit admirablement le caractère de son pays, nous apprend que la ciainte étoit nécessaire a ces esprits trop vifs et trop libres , et qu'il n'y eut plus moyen de les gouverner quand la victoire de Salamine les eut rassurés contre les Perses ; alors deux choses les perdirent j la gloire de leurs grandes actionset la sécurité oü ils étoient; les magistrats n'étoient plus écoutés, et comme la Perse étoit  d''Alexandre le Grand. Liv. I. iy étoit affligée par une excessive sujéüon , Athènes ressentoit les maux d'une liberté excessive. Ces deux grandes républiques si contraires dans leurs mceurs et dans leur conduite , s'embarrassoient Tune et 1'autre dans le dessein qu'elles avoient d'assujettir toute la Grèce, de sorte qu'elles étoient toujours ennemies , plus encore par la contrariété de leurs intéréts que par 1'incompatibiiité de leur humeur. Les villes grecques ne vouloient la domination ni de Tune ni de 1'autre •, elles trouvoient 1'empire de ces deux républiques trop facheux : celui de Lacédémone étoit dur, on remarquoir dans son peuple je ne sais quoi de farouche; un gouvernement trop rigide et une vie trop laborieuse y rendoient les esprits trop fiers , trop austères er trop impérieux j joint a cela qu'il falloit se résoudre a n'être jamais en repos sous lempire d'une ville qui étant formée pour la guerre , ne pouvoit se conserver qu'en la conrinuant sans relache ; ainsi les Lacédémoniens vouloient commander, et tout le monde craignoit qu'ils ne commandassenr. Les Athéniens étoient naturellement plus doux et plus agréables; il n'y avoit rien de plus délicieux que leur ville, ,oü les jeux er les fêtes étoient perpétuels, oü 1'esprir , oü la liberté , oü les passions donnoient tous les jours de nouveaux spectacles ; mais leur conduite inégale déplaisoit a leurs alliés , et étoit encore plus insupportable a leurs sujets \ il falloit essuyer les bizarreries d'un peuple flatté , c'est-a-dire quelque chose de plus dangereux que celles d'un prince gaté par la flatterie. Ces deux républiques ne permettoient point a la Grèce de demeurer en paix : de-la vint la guerre du Péloponèse , commencée par Périclès , Athénien , durant laquelle Théramène , Thrasibule , Alcibiade se rendirenc Tornt VI. B  18 Histoife célébres a Athènes; Brasidas et Myndare , Lacédémoniens , y moururent pour leur patrie. Cette guerre dura 27 ans, et finit a 1'avantage de Lacédémone , dont 1'amiral Lysandre prit Athènes et y changea le gouvernement. Les Perses avoienr bientöt appercu ces jalousies , ainsi tout le secret de leur pohtique étoit de les entretenir et de fomenter ces divisions: c'est ce que firent avec succès Artaxercès Longuemain, successeur de Xercès I, Xercès II, Sogdien et Darius Nothus. Lacédémone qui étoit la plus ambitieuse , fut la première a les faire entrer dans les querelles de la Grèce; ils y entrèrent dans le dessein de se rendre maïtres de toute la nation , et soigneux d'afFoiblir les Grecs les uns après les autres, ils n'attendoient que le moment de les accabler tous ensemble. Déja les villes grecques ne regardoient dans leurs guerres que le roi de Perse qu'elles appelloient le grand roi ou le roi par excellence , comme si elles se fussent déja comptées pour sujettes 5 mais il n'étoit pas possible que 1'ancien esprit de la Grèce ne se réveillat a la veille de tombei" dans la servitude et entre les mains des barbares. Lacédémone devenue puissante par le moyen des Perses tourna ensuite ses armes contre eux , et entreprit la première de s'opposer a ce grand roi et de ruiner son empire. II arriva dans ces tems-la que Cyrus le jeune, frère dArtaxercès Memnon, se révolta contre lui, après avoir gagné les Satrapes par des agrémens infinis : il obtint du secours des Lacédémoniens , il traversa 1'Asie mineure et présenta la bataille a son frère a Cunaxa dans le cceur de son royaume ; il le blessa de sa propre main, et presque vainqueur il fut fué a. cause de sa témérité : son armée fur mise en déroute , et les dix mille Grecs qui servoient dans ses troupes furent les seuls qui ne purent être rompus  d'Ahxandtz lè Grand. Liv.ï. tp dans le désastre universel de son armée ; quoiqu'ils fussent sans protecteurs au milieu des Perses et aux environs de Babylone , éloigné de cinq ou six cent lieues de leur pays, le Perse victorieux ne put les obliger a poser volontairement les armes ni les y forcer; ils concurent le hardi dessein de traverser en corps d'armée tout son empire et en vinrent a bout. Quatre ans après les Lacédémoniens attaquèrent encore 1'empire des Perses; Agésilas leur roi, avec une petite armée, mais nourrie dans la discipline que nous avons vue, les fir trembler dans 1'Asie mmeure, et ses conquêtes ne furenr arrêtées que par les divisions de la Grèce qui le rappelèrent en son pays. Epaminondas qui se signaloit alors autant par son équité et par sa modération que par ses victoires , rendit les Thébains, ses compatriotes , victorieux; et la puissance de Lacédémone fut abbatue aux journées de Leuctres et de Mantinée. Philippe , qui régnoit alors en Macédoine , également habile et vaillant, reconnut les avantages que lui donnoit contre les villes et les républiques de la Grèce, toutes divisées entr'elles , un royaume, petit a la vérité, mais uni et oü la puissance royale étoit absolue. II vit que la Grèce nourrissoir dans son sein une milice invincible , et que ses seules divisions pouvoient la soumettre a un ennemi trop foible pour résister a ses forces réunies; il entreprit donc de ne faire qu'un corps des états de la Grèce ; il trouva de grandes oppositions, Ochus et Arsès , rois de Perse , lui suscitèrent de grandes difficultés : dans Athènes, 1'éloquence de Démosthène , puissant défenseur de la liberté , lui causa. plus de peine que plusieurs combats ; néanmoins il commencoit a réussir, moitié par force et moitié par adresse , quand le ciel lui donna Alexandre. B 2  io Histoire L I V R E II. O N nemend point ptononcer le nom de eet illustre guerrier, sans que 1'esprit n'entre en admiration , et que toujours il ne soit frappé d'un nouvel étonnement au récit de 1'étendu et de la rapidité de ses conqr.êtes. Son caractère exige presque toujours plus que notre estime, et quelquefois ses actions méritent plus que le blame. II se souilla des plus grands vices, quoique rempli des plus belles qualités. Esprit supérieur, petit quelquefois jusqu'a la superstition ; naturellement doux er humain, il insulre son propre père, il tue lui-même un de ses amis; sobre et tempérant par caractère , il se livra quelquefois aux plus grands excès; au reste, né pour êrre un général accompK. On lui trouvera une singulière confiance dans la fortune; personne , il est vrai, n'abusa moins que lui de ses faveurs; il ne vouloit se présenter a 1'ennemi qu'a face découverte, et il auroit eu honte de le surprendre, ce qu'il appelloit dérober la victoire : ses conquêtes en ont été plus glorieuses et le triomphe en étoit plus réel. Jamais conquérant n'usa mieux de sa prospérité, excepté au siège de Thèbes. Vainqueur aimable, bien loin d'aggraver sur les peuples le joug du sceptre, il ne fit par-rout qu'en adoucir les rigueurs naturelles; ce caractère domina toujours en lui. II n'a pas plutót défait Darius , et ne se voit pas plutót maitre de 1'empire des Perses, que la Grèce recueille les premiers fruits de ses victoires. Les diftérens peuples qu'il assujettit ne s'appercutent du changement  d' Alexandre le Grand. Liv. II. n «i empire que par la douceur du sien; la familie de Darius s'en loua dans sa captivité, Darius lui-même fit hautement 1'éloge de son ennemi: téraoignage précieux qui vaut seul tous les triomphes. II falloit 1'arrêter dans ses largesses. En partant pour 1'Asie, il donne tout son bien a ses amis, et ne se réserve que 1'espérance. Après ses victoires, il donne aux rois vaincus ou soumis des royaumes plus grands que ceux qu'ils avoient avant leur défaite. Tout ce qui 1'approche ressent les effets de sa libéralité et de sa magnificence ; il donnoit moins en roi qu'en maïtre du monde; non content de payer généreusement ceux qui le servoient, il étendoit plus loin sa reconnoissance 5 il conservoit aux enfans de ceux qui étoient morts a son service, la paye de leurs pères pendant leur bas age. Payant ainsi aux descendans les belles actions de leurs ancêtres , il en conservoit la mémoire a la postérité, et les proposoit en exemple. Comme tout a paru extraordinaire dans ce prince, les écrivains anciens ont recu avec facilité toutes les fables et les présages que 1'on débitoit sur sa naissance. Alexandre naquit a Pella, capitale de la Macédoine, de Philippe et d'Olympias, le jour même que le temple d'Ephèse fut brülé. Philippe étoit alors absent de son royaume , et le jour qu'il apprit qu'il lui étoit né un fils, il recut deux autres nouvelles aussi agréables; 1'une , qu'il avoit été couronné aux jeux olympiques; et 1'autre j que Parmenion, 1'un de ses généraux, avoit remporré une grande victoire sur les Illyriens. Ce prince, eftrayé d'un si rare bonheur_, que les payens croyoient souvent annoncer quclque catastrophe, s'écria : Grand Jupiter! pour tant de biens , envoie-moi au plutot quelque légère disgrace ! B 3  22 Histoire Dès qu'il fut en age de recevoir des lecons , on commenca a 1'accoutumer a une vie sobre , dure 3 simple, éloignée de tout luxe et de toute délicatesse, ce qui est un excellent apprentissage pour le métier de la guerre; on lui donna aussi plusieurs manres, mais Philippe s'appercut bientöt qu'ils ne répondoient pas aux rares disposkions de son fils, er connoissanr tout le prix du trésor qu'il avoit dans la personne d'Aristote, le plus célèbre et le plus illustre des philosophes de son tems, il lui confia son fils. On dit que quelques jours après la naissance de son fils, il lüi avoit écrit une lettre pour lui marquer que dès-lors il le choisissoit pour être un jour précepteur de son fils. Je vous apprends, lui dit-il , que j'ai un fils; je rends graces aux dieux, non pas tant de me 1'avoir donné , que de me 1'avoir donné du tems d'Aristote. J'ai licu de me promettre que vous en ferez un successeur digne de nous, er un roi digne de la Macédoine. Alexandre, quoique jeune, reconnut aussi bientöt son mérite •, il lui donna son estime et son amitié , et lui disoit qu'il lui avoit plus d'obligation qu'a son père : 1'un ne lui ayant donné que la vie, et ayant recu de 1'autre la bonne vie. Pendant six années qu'il écouta ses lecons, il apprit les belleslectres , la logique , la morale , la physique , et ses progrès répondirenr aux soins et a 1'habileté du maitre. II concut une grande ardeur pour la philosophie , et en embrassa toutes les parties, mais avec la discrétion qui convenoit a son rang. Aristcte 1'exerca aussi dans les sciences que 1'on appelle méthaphysiques, qui peuvent être fort utiles a un prince, s'il s'y applique avec mesure, et qui lui apprennent ce que c'est que 1'esprit de- 1'homme , combien il est distingué de la raatlire , cemrce ii vojt les cheses spirituelies j comment  d'Alexandre le Grand. liv. II. 23 il sent 1'impression de celles qui 1'environnent et beaucoup d'autres questions pareilles. On juge bien qu'il ne lui laissa point ignorer ni les mathematiques , si proptes a donner a 1'esprit de la justesse et de 1'exactitude , ni les merveilles de la nature. Mais la plus grande occupation d'Alexandre fur la morale, qui est, a proprement parler,- la science des rois , paree qu'elle est la connoissance des hommes et de tous leurs devoirs ; il en fit une étude sérieuse et profonde, et la regarda dès-lors comme le fondement de la prudence et d'une sage politique. Combien croit-on qu'une telle éducation peut contribuer a mettre un prince en état de se bien conduite lui-même, et de bien gouverner ses peuples ? Son makte Aristote qui étoit si habile rhéteur, ne manqua pas d'enseigner la rhétorique a ce prince; il lui dédia 1'excellent livre qu'il composa sur ce sujet, dans 1'exode duquel Aristote lui fait sentir de quel secours est pour un prince le talent de la parole, qui le fait règner sur les esprits par ses discours, comme il le doit faire par sa sagesse et par son autorité. II ne nous reste rien qu'on puisse dire être certainement d'Alexandre, si ce n'est certains dits et quelques répliques spirituelles d'un tour admirable, qui nous laissent une impression égale de la grandeur de son ame et de la vivacité de son esprit. Son estime pour Homère nous fait voir non-seulement avec quelle ardeur et avec quel succes il s'appliquoit aux belles-lettres, mais 1'usage sensé qu'il en faisoit, et le fruit solide qu'il se proposoit d'en tirer. Ce n'étoit pas simplement curiosité ou délassement de travail, ou délicatesse de goüt pour la poésie qui le portoit a lire ce poëte; c'étoit pour y puiser des sentimens digne d'un grand roi et d'un grand conquéranti B 4  24 Histoire le courage, 1'intrépidité, la magnanimité, la tempérance., !a prudence, Tart de bien combattre et de bien gouverner. Ainsi, entre tous les vers d'Homère , il donnoir la préférence a celui qui représente Agamemnon comme un bon roi et un courageux guerrier. Quand après la bataille d'Arbelles , ont eut trouvé parmi les dépouilles de Darius j une cassette d'or enrichie de pierredes, oü étoient renfermés les parfums exquis dont usoit le prince vaincu, notre héros, tout couvert de poussière et peu curieux d'essences et de parfums des.ina cette riche cassette a mettre en dépot les livres d'Homère, qu'il regardoit comme la production de 1'esprit humain la plus parfaite et la plus précieuse qui eüt jamais été ; il admiroit sur-tout 1'Iliade, qu'il appelloit la meilleure provision d'un homme de guerre; il eut toujours avec lui 1'édition de la cassette, et il la mettoit toutes les nuits avec son épée sous son chevet. Alexandre étoit si avide de la gloire des belles-lettres et des sciences , qu'il sut mauvais gré a Aristote d'avoir publié en son absence certains livres de métaphysique qu'il auroit voulu posséder seul. En quoi dirTérerai-je, lui demanda t-il, des autres hommes , si les hauies sciences dont tu m'as instruit deviennent communes 5 ne sais-tu pas que j'aimerais beaucoup mieux être au-dessus des hommes par la science des choses sublimes et excellentes, que par la puissance ï II écrivir ce:re lettre chagrine au milieu de sa gloire et de son ambition , lorsqu'il étoit occupé a poursuivre Darius. Quel homme ! il vouloit être grand , il vouloit être le premier par-rout ; et qui pourroit penser après cela que ce fü' la fortune seule qui le rendit si puissant, et que le mérite n'y ait pas eu la meilJeure part;  d'Alexandre le Grand. Liv. II. z ƒ II eut aussi du goüt pour tous les arts, mais comme il convient a un prince, c'est-a-dire , pour en connoitre tout le prix et toute 1'utilité; la peinture, la sculpture, 1'architecture, fleurirent sous son règne, paree qu'elles trouvèrent en lui un juge habile et en même tems un rémunérateur libéral, qui savoit en tout genre discerner et récompenser le mérite. II aimoit sur-tout la musique et y excelloit même peut-être plus qu'il ne convenoit a son rang-, Philippe, son père, 1'ayanr enrendu un jour chanter dans un repas, lui dit: Mon fils, n'as-tu pas honte de chanter si bien ? Et un jour, un musicien sur lequel il prétendoit 1'emporter, lui dit: Seigneur, aux dieux ne plaise que vous eussiez le malheur de savoir eet art mieux que moi ? II n'y eut pas jusques a la médecine dont il ne voulüt s'instruire; il ne s'en tint pas a la théorie, mais étudia même la pratique; ilsecourut plusieurs de ses amis dans leurs maladies, leur ordonnant les remèdes et les régimes dont ils avoient besoin. L'utHité qu'Alexandre retira de ce goüt pour les belleslettres et les beaux arts, fut infinie. II aimoit a converser avec les gens de lettres, a s'instruire et a lire , trois sources de bonheur pour un prince, capables de lui faire éviter mille écueils, trois moyens sürs d'apprendre a règner par lui-même. La conversation des gens d'esprit 1'instruit en 1'amusant , et lui apprend mille choses curieuses et utiles sans qu'il lui en coüte aucunepeine. Leslecons que lui donnent d'habiles maitres sur les sciences les plus relevées lui forment merveilleusement 1'esprit et lui apprennent les régies d'un sage gouvernement. Enfin , la lecture sur-tout celle de l'histoire, met le comble a tout le reste, et est a son égard ur makre de toutes les saisons et de toutes les heures ,  20 Histoire * qui sans se rendre jamais incommode, lui dit des vérités que nul autre n'oseroit lui dire. Alexandre dut tous ces avantages a 1'excellente éducation qu'il recut dAristote •, elle eut néanmoins quelque chose de trop vaste; on lui fit tout connoitre dans la nature, excepté lui seulement. Son ambition alla ensuite aussi loin que ses connoissances; après avoir voulu tout savoir , il voulut tour conquérir. Dans tous ceux que la fortune destine aux grandes choses , on remarque toujours quelques qualités extraordinaires. Dès la première jeunesse dAlëxandre, on vir en lui un cceur renipli d'une ardeur insatiable de gloire , mais non pas pour toutes sortes de gloire. Jamais il ne voulut combattre aux jeux olympiques , paree qu'il vouloit avoir des rois pour antagonistes ; il appréhendoit que son père , qui étoit alors victorieux de ses ennemis , ne lui laissat rien a faire. A la nouvelle des batailles gagnées et d'autres avantages qu'on venoit lui annoncer, il disoit a ses amis, mon pcreprendra rout; il ne me laissera rien de beau, d'éclatant et de mémorable que je puisse faire avec vous ! Cest eet amour pour la gloire qui le portoit alors a se distinguer dans ses études pat les exercices de corps et d'esprit, et qui par la suite lui fera soutenir avec tant de coutage, tant de travaux et tant de fatigues. Un jour des ambassadeurs de Perse étant arrivés a la cour pendant 1'absence de Philippe, Alexandre les regut avec tant d'honnêteté et de politesse , et fit si bien les honneurs de la table, qu'ils en furent charmés > mais ce qui les surprit plus que tout le reste, fut 1 esprit et le jugement qu'il fit paroitre dans divers entretiens qu'il eut avec eux. II ne leur proposa rien de puérile ni qui ressentu son age, comme auroit été  d'Alexandre le Grand. Liv. II. 27 de savoir ce que c'étoit que ces jardins suspendus en 1'air , qui étoient si vantés; les richesses et le superbe appareil de la cour du roi de Persej qui faisoient 1'admiration de tout le monde; ce platane d'or dont on parloit tant, et cette vigne d'or dont les grappes étoient faites d'émeraudes, d'escarboucles, de rubis et d'autres pierres précieuses , sous laquelle on dit que le roi de Perse donnoit souvent ses audiences aux ambassadeurs. II leur fit des questions toutes difFérentes. Quel chemin il falloit prendre pour aller dans la haute Asie ? quelle étoit la distance des lieux ? en quoi consistoient les forces et la puissance des Perses ? quelle place le roi prenoit dans une bataille ? comment il se conduisoit a 1'égard de ses ennemis, et comment il gouvernoit ses peuples ? Ces ambassadeurs ne se lassoient point de 1'admirer, et sentant dès- lors ce qu'il pouvoit devenir un jour, ils marquèrent en un mot la différence qu'ils mettoient entte Alexandre et Artaxercès , en se disant les uns aux auues: Ce jeune prince est grand ; le nötre est riche. C'esr être réduit a bien peu de choses que de l etre uniquement a ses richesses sans avoir d'autres mérites. Alexandre dès sa jeunesse étoit d'un caractère vif, ferme, arrêté a son sentiment, qui ne cédoit jamais a la force, mais qu'on ramenoit aisément au devoir par la raison. Pour manier de tels esprits il faut beaucoup de dextérité; aussi Philippej malgré sa doublé autorité de père et de roi, croyoir devoir employer a son égard la persuasion , plutöt que la contrainte, et cherchoit plutót a se faire aimer qu'a se faire craindre. Une occasion fortuite lui donna lieu encore de concevoir une grande idéé d'Alexandre; on avoit amené de Thessalie a Philippe un cheval de bataille, grand , fier, ardent, plein de feu, il se nommoit Bucéphale:  28 ^ Histoire on vouloit le vendre 13 talens ( 39,000 livres ). Le roi avec ses courtisans, descendit dans la plaine pour le faire essayer ; personne ne put le monter , tant il étoit ombrageux ; il se cabroit dès que quelqu'un vouloit monter dessus. Philippe faché qu'on lui présentat un cheval si farouche et si indomptable , commanda qu'on le remmenir. Alexandre étoit présent. Quel cheval ils perdent-la, dit-il, faute de hardiesse et d'adresse ? Philippe traita d'abord ce discours de folie et de témérité de jeune homme , mais comme il insistoit avec force, véritablement affligé qu'on renvoyat ce cheval, son père lui permit d'en faire 1'essai. Le jeune prince alors plein de joie et de confiance s'approche du cheval , prend les rênes er lui tourne la rête au soleil ayant remarqué sans doute que ce qui 1'effarouchoit et l'efFrayoit étoit son ombre qu'il voyoit tcmber devant lui et se remuer a mesure qu'il s'agitoit. II commenc.a par le caresser doucement de la voix et de la main , puis, voyant son ardeur calmée , et prenant adroitement son tems, il laisse tomber son manteau a terre, et s'élan^ant légèrement il saute dessus, lui lache d'abord la bride sans le frapper ni le tourmenter; quand il vit que sa férocité étoit adoucie et qu'il n'étoit plus si furieux ni si menacant , et qu'il ne demandcit qu'a aller, il lui baissa la main et le poussa a toute bride en lui parlant d'une voix rude et lui appuyant ses talons. Philippe cependant, au milieu de toute sa cour, trembloit de crainte et gatdoit un profond silence; mais quand le prince, après avoir fourni sa carrière , revint tout fier et plein de joie d'avoir réduit ce cheval qui avoit paru indomptable, tous les courtisans a 1'envi lui applaudirent et le félicitèrent •, et 1'on assure que Philippe versa des larmes de joie, que 1'embrassant après être descendu de cheval 3 il lui dit: Mon fils, cherche  d'Alexandre le Grand. Liv. II. 29 un autre royaume., la Macédoine nest pas assez grande pour toi! Les premières annees d'Alexandre jettent un éclat qui promet tout ce qu'il a fait de grand dans la suite. A lage deseize ans, Philippe le laissa régent du royaume avec un souverain pouvoir. II y donna des preuves de son courage, il dompta des peuples rébelles, qui avoient regardé 1'absence du roi comme un tems fort propre pour se révolter, et il prit leur ville d'assaut. Philippe fut rempli de joie de ces heureuses nouvelles, mais craignant qu'attiré par cette amorce dangereuse, il ne se li vrat inconsidérément a son ardeur et a son courage, il 1'appella auprès de lui pour devenir lui-même son maïtre et le former au métier de la guerre. II avoit pour lui une extréme tendresse, jusques-la qu'il entendoit avec plaisir les Macédoniens 1'appeller simplement leur général, tandis qu'ils appelloient son fil* leur roi. Deux ans après il lui donna le commandement de 1'aile gauche a la bataille de Chéronée. Le combat fut rude et opiniatre. Alexandre, animé d'un beau feu 3 plein d'envie et d'ardeur de se signaler sous les yeux de son père, montra dans cette journée toute la capacité .d'un vieux général et le courage déterminé d'un jeune officier, ce fut lui qui enfonca, après une vigoureuse et longue résistance, les troupes Thébaines de la discipline d'Epaminondas. On peut dire que c'est cette bataille de Chéronée qui mir la Grèce sous le joug. La Macédoine alors avec 3 o, 000 soldats vint a bout de ce que les Perses avec des millions d'hommes avoient tenté inutilement a Marathon, a Salamines et a Platée. Philippe., dans les premières années de son regne, avoit repoussé, divisé, désarmé ses ennemis. Dans les suivantes, il avoit  $ó Histoirc soumis par artifice et par force les plus puissans peuples de la Grèce, et s'en étoit rendu 1'arbitre. Maintenant il se prépara a venger les injures que les Grecs avoient recues des barbares, et nemédita rien moins, soutenu d'un fils d'une si grande espérance, que de renverser leur empire. Le piincipal fruit qu'il tira de sa vicroire, et c'étoit le but qu'il se proposoit depuis ïong-rems, ce fut de se faire déclarer, dans 1'assemblée des Grecs, généralissime contre les Perses-, avec cette qualiré, il se prépara a aller attaquer ce puissant royaume , mais sa ruïne étoit réservée a Alexandre. Autant le dehors étoit heureux et brillant pour Philippe3 autant 1'inténeur de sa maison étoit, pour lui, triste et affligeant. La division et le trouble y régnoient. Olympias, mère d'Alexandre j naturellement jalouse, colère, vindicative, y excitoit continuellement des disputes et des querelles, et rendoit la vie désagréable a Philippe; d'ailleurs, mari peu fidéle luimème 3 on prétend qu'il éprouva 1'infidélité qu'il avoit méritée; donc, soit sujet de plainte, soit légèreté et inconstance de sa part, il en vint jusqu'a la répudier. Tl épousa ensuite Cléopatre , nièce d'Attalus, elle étoit jeune, elle étoir belle : il ne put résister a ses attraits. Au milieu des réjouissances des noces et de la' chaleur du vin, Attalus s'avisa de dire que les Macédoniens devoient demander auxDieux quelle donnat un légitime successeur a leur roi. A ces mots , Alexandre naturellement colère, irrité d'une parole si offensante : Quoi! misérable, lui dit-il, me prendstu donc pour un batard ? En même tems il lui jetta sa coupe a la tête; Attalus en fit de même, la querelle s'échauffe : Philippe, qui étoit a une autre table, irrité de ce que 1'on troubloit ainsi la fête, oubliant qu'il étoit boiteux, courut 1'épée nue droit a son fils,  d'Alexandre le Grand. Liv. II. $ r mais heureusement il tomba et les conviés eurent le loisir de se jetter entre deux. Le plus difficile fut d'obtenir d'Alexandre qu'il ne s'obstinat pas a se perdre. Outré de tant d'injures atroces, il exhala son ressentiment par cette amère raillerie : Est-ce la,, dir-il, Macédoniens, ce chef qui vous conduira d'Europe en Asie, lui qui ne peut passer d'une table a 1'autre sans s'exposer a se rompre le col ? Après cette insulte il sortit, et ayant pris sa mère Olyrapias, il la mena en Epire, et lui de son cöté se retira en Illyrie. Quelques tems après arriva a la cour Demarate de Corinthe, qui étoit lié avec Philippe par les liens de 1'hospitalité, et qui étoit très-libre et très-familier avec lui. Après les premières civilités, Philippe lui demanda si les Grecs étoient en bonne intelligence entr'eux. Vous sied-il bien, Seigneur, lui dit Demarate, de vous inquiéter du repos de la Grèce, tandis que vous avez rempli de désordre et de trouble votre familie ? Le prince sentant jusqu'au vif ce reproche revint a lui, il reconnut sa faute, et rappella Alexandre en lui envoyant ce même Demarate pour lui persuader de revenir. Après cela plein du grand projet qu'il méditoit dans sa tête, il se hatoit d'en faire les préparatifs, lorsqu'au milieu des noces de sa nlle Cléopatre, il fut assassiné par un jeune homme de distinction, nommé Pausanias, a qui il n'avoit pas rendu jusiice. Ainsi périt ce prince la ving-quatrième année de son règne et la quatante-septième de sa vie ; on ne le connou point par des idéés communes et ordinaires. Ses qualités telles qu'elles fussent étoient toujours au dernier dégré ; ce fut un roi vigilant, actif, qui étoit a lui-même son sur-intendant, son ministre, son général : prince élo-  2 2 Histoire quent, magnifique, capitaine a la manière des héros ., guerrier infatiguable , prodigue dans ses largesses , polirique consommé, flaneur séduisant, fourbe comme il n'y en eut jamais j ambitieux sans mesure, débauché sans pudeur, c'est-la le portrait de Philippe. Alexandre, agé de 19 ans , succéda a ses royaumés et a ses desseins. ]1 trouva les Macédoniens , nonseulement aguéris 3 mais encore rriomphans, et devenus par tam de succes autant supérieurs aux autres Grecs , en valeur et en discipline, que les autres Grecs étoient au-dessus des Perses et de leurs semblables. On répandit qu'Olympias, de concert avec Alexandre , n'étoit pas innocente du meurtre de Philippe; il est cependant certain qu'il fit rechercher et punir trèssévèrement les complices de 1'assassinat, et qu'il fut très-irrité contre sa mère, qui s'étoir cruellement vengée de Cléopatre pendant son absence. La nouvelle du meurtre de Philippe s'étant répandue, les Athéniens , sur-tout, en témoignèrent une joie immodérée. Démosthènes ne garda pas mieux les bienséances. On le vit dresser des autels a 1'assassin, engager le sénat a célébrer cette heureuse nouvelle par des sacrifices et des réjouissances publiques;désigner Alexandre par lesurnom d'enfant et d'imbécile, qui trop heureux , disoit-il, de se tenir renfermé dans Pella, n'oseroit jamais sortir de la Macédoine. Bajoas tua dans la même année, Arsés, roi de Perse, et fit régner a sa place Darius, fils d'Arsame , surnommé Codoman; il mérite par sa valeur qu'on le range a 1'opinion la plus vraisemblable, qui le fait sortir de la familie royale. Ainsi , deux rois courageux commencèrent ensemble leur règne; Darius, fils d'Arsame; et Alexandre, fils de Philippe. lis se regardoient d'un ceil jaloux „  tt Alexandre le Grand. Liv. II. 5}jaloux, et sembloient nés pour disputer 1'empire du monde; mais Alexandre voulut s'affermir avant que de rien entreprendre sur son rival. II se trouvoit environné d'extrêmes dangers de rous cótés; les nations barbares a qui Philippe avoit toujours fait la guerre, et qu'il avoit mal assujéties, crurent devoir profiter de la conjoncture d'un nouveau règne, et d'un prince encore jeune, pour se remettre dans leur liberté; il n'avoit pas moins a craindre du cöté de la Gièce. Dans une conjoncture si délicate , lesMacédoniens lui ccnreillèrent d'abandonner la Grèce, , et de ne pas s'opiniatrer a la retenir par la force , de faire revenir par la douceur les barbares qui avoient pris les armes , et de fiatter , pour ainsi dire, ces commencemens de révolte et de nouveauté en usant de ménagement , de complaisance et d'insinuarions. Ces avis déplurent a Alexandre , il rejetta ces conseils timides, et prit au contraire le parti de tirer sa süreté de son audace et de sa magnanimité. II leur fit voir que si dans ces commencemens il mollissoit dans la moindre chose, tout le monde lui tomberoit sur les bras. Cette prudente réfiexion ébranla les esprits; et il acheva de les déterminer en leur promettant une exemprion générale da toutes sortes d impots et de charges, pourvu qu'ils voulussent ssulement prendre les armes; il leur dit qu'il partageroit avec eux le danger , et s'acquit tellement par-la leur estime et leur aftection, qu'ils furent aussitót templis d'espérance, et crurent avoir retrouvé Philippe dans la personne de son fils. II se hata donc d'arrêter les mouvemens des barbares révoltés, et mena en diligence son armée sur les! bords du Danube, qu'il traversa en une seule nuit. II défit dans fan grand cornbat le roi des Triballes, et mit en fuite les Getes qui n'osèrent 1'attendre; il réduisit en^ To'me VI. C  j4 tiistoire suite les autres, les uns par la terreur de son nom, les autres par la force de ses armes. N'ayant plus aucunes ressources , ils lui envoyèrent des députés au nom des Getes, des Celtes et de Syrmus, roi des Triballes, pour lui demander la pak. II remonta ensuite vers les sources du Danube, y soumit les peuples qu'il trouva sur la route, et entra dans la Macédoine par l'Illyrie. Pendant qu'Alexandre étoit ainsi occupé au loin parmi les barbares , sur un faux bruit de sa mort, toutes les villes de la Grèce animécs par Demosthènes, se révoltèrent. Les Thébains sur-tont le crurent d'autant plus volontiers, qu'ils le souhaitoient avec ardeur; ils fondirent sur la citadelle, et mirent en pièces les officiers et les soldats de la garnison. Alexandre arriva en Macédoine sur ces entrefaites, et il jugea le mal trop important pour différer d'y apporter le remède. Sans interrompre sa marche, il s'a?anca a grandes journées vers la Grèce etpassa lesThermopyles. Ce fut la qu'il dit : Demosthènes, dans ses harangues , m'a appellé enfant , pendant que j'ai été en IIlyrie et ckez les Triballes ; il m'a appellé jeune homme , quand j'étois en Thessalie ; il faut donc lui montrer au pied des murs d'Athènes , que je suis présentement homme fait. Cette résolution étant venr.e a la connoissance des Athéniens, ceux qui étoient les plus ardens furent les premiers a se calmer; inrimidés par la promptitude et Ia colère du jeune héros, ils résolurent dans une assemblee de lui envoyer des députés. Alexandre intéressé k ménager les Grecs qui pouvoient le traverser dans ses projets sur 1'Asie ; espérant même en tirer de grands secours, recut leurs envoyés avec une bonté particuliére, et leur promit d'oublier le passé , pourvu qu'on lui livrat Demosthènes et plusieurs auues orateurs.  £'Alexandre le Grand. Llv. IT. ïi avoit principalement les yeux sur les Thébains ■> il voulut leur donnet le tems du repentir, et attendit quelques jours qu'ils vinssent aussi se rendre; il leur demanda seulement qu'on lui livrat Phcenix et Prothente , les deux principaux auteurs de la révolte, et fit publier a son de trompe une amnistie et une süreté enrière , pour tous ceux qui reviendroient a lui. Les Thébains comme pour lui insulrer , demandèrent a leur tour qu'on leur livrat Antipater et Philotas, et firent de même publier a son de trompe que ceux qui voudroient contribuer a la liberté de la Grèce, vinssent se joindre a eux : ils venoient presque toutes les r.uits escarmoucher les Macédoniens campés assez prés de leur citadelle. Alexandre ne pouvant vaincre leur opiniatreté et leur audace, vit bien qu'il falloit en venir aux exttêmités. II leur présenta donc la bataille que les Thébains acceptèrent; ils y combattirent ave» une ardeur et un courage bien au-déla de leurs fotces, mais enfin ils furent si violemment repoussés dans leurs; rnurs, qu'ils n'eurent pas le tems ou la présence d'esprit de fermer les portes, 1'ennemi s'y jetta en mêmetems qu'eux , et y fit un carnage horrible, sans respecter les vieillards, les femmes er les enfans. La ville fut ra9ée et détruite de fond en comble, excepté la seule maison du poé'te Pindare, celle de ses parens, celles des prêtresses et prêtres, et de quelques autres particuliers qui s'étoient opposés a la révolte. Après que ce prince eut ainsi satisfait sa vengeance,' il fit tout son possible potir eftacer les irnpressions désavantageuses, que cette cruelle expédition avoit fait na'itre , alléguant pour excuse les maux que les Thébains faisoient souffrir depuis long-tems a la Grèce. Néanmoins le souvenir du malheur des Thébains" lui causa souvent de cuisans rep?ntirs , etressentantl'im- C 2.  j"5 Histcire portance de sa faute , il nelui arriva jamais rien de pa* reil dans ses autres victoires, et dans la suite il regarda plasieurs malheurs qui lui arrivèrent comme une punitioh de la divinité protectfice deThébes: aussi par la suite n'y eut-il aucun Thébain de ceux qui s'échappèrent a cette défaite , qui n'obtïnt de lui sur lé champ tella grace qu'il lui demandat. Ne pourroit-on pas a présent oublier cette vengeance dont il a témoigné tant de regrets, exercée d'ailleurs sur une ville qui se 1'étoit attirée pa/ son audace et son insolence ï  £ Alexandre le Grand, Liv. III. $y livre iii. Il incGqua ensuite les érats généraux a Corinthe ; il y traira les députés avec toute sorte de douceur, et dema nda le commandement en chef contre les Perses, comme on 1'avoit accordé a son père. Jamais assemblees , diettes , ou états n'ont fourni une matière de délibération plus grande , et plus interessante, c'èst 1'occident qui délibère sur la mine de 1'orient, et sur les moyens d'exécuter une vengeance qui nétoit que suspendue depuis plus d'un siècle, et qui va donner lieu a des événemens dont le récir étonne ec paroit presqu'incroyable , et a des ravólutions qui vonr changer la face du monde. Pour farmer un tel dessein , il falloit un princehardl, entreprenant, aguerri, qui eüt de grandes vacs, qui se fut déja fait un grand nom par ses explpits, qui süc joindre a la présence d'esprit et a la ferrneté dame , un courage une intrépiditè , et plus que tout cela encore , une prudence con sommee; qnalités qui tont le vrai caractère du héros : ii falloit sur-tout un prince qui réunit sous son autorité tous les états de la Grèce, dopt aucuu séparément n'étoit capable d'une ««reprise si hardie, et qui avoit bespin pour agir de concert, d'ètre soumis a un seul chef, qui rmt en mouvement toutes les parties de ce grand corps, en les faisaut toutes concourir a un même but et a une même fin. Or Alexandre étoit ce prince, il ne lui fut pas dirncile da raïlmner dans lesprit de ces peuples la haine ancienne. contre les Perses, leurs ennemis perpêtuelset irréconeiljaSleSj dont ils avoient juré plus d'une fois la perte x C }  3? Histoire et qu'ils étoient bien résolus de détruire si jamais 1'occasion s'en présentoit. Haine a laquelle les dissensions domestiques avoient bien pu donner comme une treve mais qu'elles n'avoient point éteinte. La glorieuse retraite des dix mille , la terreur qu'Agésilas avoit répandue dans 1'Asie avec une poignée de soldats , faisoit voir ce qu'on devoit attendre d'une armée composée de 1'élire des rroupes de la Grèce et de la Macédoine, commandée par des généraux et des officiers que Philippe avoit formés , et pour tout dire , qui avoit Alexandre pour chef. On n'hésita donc point dans la diette et d'un commun accord il fut nomraé généralissime contre les Perses. Les gouverneurs des provinces, les officiers, et plusieurs philosophes se rendirent auprès de lui pour le féliciter sur son élection; il se flattoit que Diogène de Sinople y viendroit comme les autres : mais ce philosophe ne sortit point de chez lui. Alexandre néanmoins envieux de le voir, y alla avec toute sa cour. Diogène voyant cette foule de gens, attacha sa vue sur Alexandre. Le prince étonné de voir un philosophe si célèbre réduit a une entière indigence, après 1'avoir saluétrès-civilement, lui demanda s'il n'avoit pas besoin de quelque chose. Oui, dit Diogène , c'est que tu t'ótes un peu de mon soleil. Cette réponse excita le mépris ei 1'indignation des courtisans ; mais le roi frappé d'une telle grandeur d'ame, si je n'ctois Alexandre, dit-i!, je voudrois être Diogène ! Alexandre sentoit qu'il étoit né pour tout avoir, voila sa desrinée, et ce en quoi il met tout sonbonheur. Mais s il ne pouvoit parvenir a ce bur , il sent aussi que pour être heureux , il faudroit s'étudier a se passer de tour. En un mot, tout oa rien, c'est Alevandre ou Diogène»  d'Alexandre le Grand. Liv. III. 3 9 Avant de partir pour 1'Asie, il vouhu consulter les dieux sur cette guerre; il alia donc a Dclphes, mais il arriva par hazard que c'étoit pendant les jours appelles malheureuxjdurantlesquels ils ne donnoient point dorades. La prêtresse refusa donc delui répondre; mais Alexandre la prenant brusquement par le bras , la conduisoit malgré elle dans le temple , ensorte que la prêtresse s'écria } ó rtfofi fils, on ne peut te résisrer. II saisit cette parole qui lui tint lieu d'oracle, et prit le chemin de la Macédoine. Quand Alexandre fut arrivé , il tint cönseil avec les principaux officiers de son armée et les grands de sa cour, au sujet de son expédition et sur les mesures qu'il convenoit de prendre. Les avis ne furent partagés que sur un article. Antipater et Parménion croyoient qu'avant que de s'engager dans une entrepiise qui ne pouvoit manquer d'être de longue haleine, il devoit choisir une épouse , et s'assurer un successeur-, mais vit et bouillant comme il étoit, il ne put goüter eer avis , et crut qu'après avoir été nommé généralissime des Grecs, et avoir recu de son père des troupes invincibles, il lui seroit honteux de perdre le tems a célébrer des noces et aen attendre le fruit. Le départ fut donc résolu ; il orTiit aux dieux de magnifiques sacnfices, fit célébrer des jeux et des fêtes, qui durèrent neuf jours. Ce fut alors qu'il eut cétte célcbre vision dans laqueile on 1'exhortoit de passer prompteraent en Asie, ilensera> parlé dans la suite. II prit encore d'autres précautions; il enunena dans son armée tous les princes dont il pouvoit apprêhendet quelque chose , confia la régence de leurs états a des personnes dont il étoit sür , et se les attacha encore par de grandes libéralités qu'il leur fit. II laissa pour gouverner la Macédoine, Antipater, qu'il regardoit comma C 4  4» Histoirc son ami, avec 12000 hommes de pied et presqu'autant de cavalerie, pour la défendre contre les ennemis du dehors et du dedans. II examina même jusqu'aux affaires domestiques de ses amis ; il donna a 1'un une terre , a 1'autre un village; a celui la le revenu d'un bourg, a celui-ci les droits d'un port. Tous ses amis étonnés d'une largesse si extraordinaire, et qui paroissoir contraire a toutes les régies de la prudence, lui dirent : eh "Seigneur, quegarderez-vous donc pour vous-même ? l'espéranee, réporjdk Alexandre. Eh bien , reprit Perdiccas , la même espérance doit nous suffire, et' il refusa généreusement le don que le roi lui avoit assigné* Quelques autres suivirent son exemple, et désormais remplis de courage et de confiance, ils regardèrent, toutes les richeses de lAsie , comme un butin qui leur étoit acqui:;. C'est une connoissance bien importante pour un prince, que celle du coeur de 1'homme , et le secret de s'en rendre maïtre. Or Alexandre savoit que ce secret consiste a intéresser tout lemonde a sa grandeur , a ne faire sentir aux autres sa puissance que par des bienfaits ; alors tous les intéréts sont ïéunis dans celui du prince; c'est son bien propre, c'est son bonheur que 1'on aime cn lui, et on lui est autant defois attaché , èt par des liShs aussi étroits qu'il y a dechoses qu'on aime et que 1'cn recoit de lui. Toute la suite de cette histoire montrera que jamais personae ne pratiqua mieux cette maxime quAlsxaudre, qui croyoit n'être roi que pour faire du bien, et dont lalibéralité -•■"vraiment royale, n'étoit ni saüsfaite ni épuisée par les plus grandes largesses. Après avoir ainsi tout réglé et pris routes les précautiens nécessaires, il partit pour 1'Asie au commencement du printems. II comptoit si fort sur 1'heu-.  d'Alexandre le Grand. Liv. IÏL 41 reux succès de ses armes , et sur les fiches dépouilles qu'il trouveroit en Asie , qu'il n'avoit fait aucun fonds pour une si grande expédition , persuadé que la guerre , quani on la fait heureusement, fournit aux besoins de la guerre; sa caisse militaire n'ètoit que de deux eens talents ( 600,000 liv.) il n'avoit de vivres que pour un mois; son armée n'étoit que de 30,000 hommes de pied, et de quatre ou cinq mille chevaux , mais tous ses soldats étoient braves , aguerris, disciplines; ils avoient déja fait bien des campagnes sous Philippe et dans le besoin ils auroient pu commander. La plupart des officiers n'avoient guères moins de soixante ans, et quand ils étoient assemblés et rangés a la tète des troupes, on croyoit voir un senat respec table. Parménion commandoit 1'infanterie j Philotas son fils, avoit sous lui dix-huit eens chevaux Macédoniens, Calias, fils d'Harpalus , autant de chevaux de Thessalie; le reste de ia cavalerie tirée des difiérens peuples de la Grèce, avoit un commandant particulier. Les Thraces et les Pceoniens qui prenoient toujours les devantSj avoient pour chef Cassandre. Alexandre prit sa marche le long du lac Cersine, vers Amphipolis , passa le Strimon vers son embouchure , puis i'Hèbre , et arriva enfin a Seste après zo jours de marche. II donna ordre a Parménion de passer sa cavalerie et une partie de son infanterie de Seste a Abïde. Pour lui, il passa 1'Hélespont au port des Achéens, conduisant lui-même sa barquej et quand il fut au milieu du détroit, il sacrifia un taureau a Neptune, aux Néteides, et fit les eftusions dans la met avec une coupe d'or. Lorsqu'il approcha de terre, on dit qu'après avoir lancé un javelot contre elle comme pour en prendre possession , il descendit le premier en Asie#  4* Histoïrz et que sautanr tout armé et plein de joie hors du navire, il dressa des autels sur le rivage et offtit aux dieux des victimes , les remerciant de ce qu'ils lui avoient procuré une de-xente favorable; er il leur 'demanda qu'ils ne lui fissent remporter que des victoires honorables , et lorsau'il les auroit méritées par le courage et par la bravoure. II marcha droit a Lampsaque , qu'il avoit résolu de punir de sa révolte. II vit venir a lui Anaximène qui étoit de cette ville, célèbre historiën fort connu de Philippe son père, et pour qui lui-même avoit une extréme considération, 1'ayanteu pour maïtre. Se doutant qu'il venoit le trouver pour lui demander la grace de^ ses concitoyens , qu'il avoir fermement résolu de chatier sévèrement, il le prévint et lui jura en termes formels qu'il ne lui accorderoit point sa demande. Ce que j'ai a vous demander, Seigneur, lui dit Anaximène, c'est qu'il vous plaise de detruire Lampsaque. Par eet ingénieux détour, il sauva sa patrie. De cette ville il alla a Ilion, pour y voir les illustres monumens de ces' anciens guerriers qui avoient combattu sous les drapeaux d'Agamemnon, il y rendit de grands honneurs a la mémoire d'Achille, et fit célébrer des jeux au tour de son tombeau. II admira et porta envie au bonheur que ce héros avoit eu de trouver pendant sa vie un ami fidéle , et après sa mort un poëte illustre pour célébrer ses exploits. On lui demanda s'ii ne seroit point curieux de voir la lyre de Paris, je men soucie très-peu , répondit-il, mais je verrois avec grand plaisir celle d'Achille , sur laquelle il chantoit les grandes actions ec la gloire c!es héros. Tandis qu'il se faisoit une religion d'honorer ceux qu'il regardoit comme ses protecteurs er ses modèles,  d'Alexandre le Grand. Liv. III. 4*5 Darius faisoit filer ses troupes vers la Troade , il avoit 100,000 hommes de pied, 10,000 chevaux sous la conduite de Memnon de Rhodes, le plus grand capitaine de 1'Asie; il avoit conseillé aux Généraux qui lui étoient associés, de ne point risquer un combat, mais de ruiner le plat pays > de détruire tous les vivres et les fourages de Phügie et de Mysie, afin d'afTamer 1'ennemi, de le forcer a retourner sur ses pas, et d'alIer eux-mêmes porter la guetre dans la Macédoine. Memnon étoit le plus habile des généraux de Darius , er la plus sure espérance de la victoire. On ne sait ce qu'on devoit plus estimer en lui, ou sa proronde sagesse dans le conseil, ou son courage et sa grande capacité dans la conduite des armées , ou son attachement et son zèle pour les intéréts de son maitre. Le conseil qu'il donnoit dans la conjecture présente , étoit excellent par rapport a un ennemi vit' et impétueux, qui étoit sans vivres, sans magasins , sans retraite , qui entroit dans un pays inconnu et ennemi , que les retardemens seuls pouvoient affoiblir et ruiner , et qui enfin n'avoit d'autres ressources er d'autres espérances, que dans le prompt succes d'une bataille : Arsire , satrape de Phrygie , s'y opposa , et protesta qu'il ne souffriroit point que 1'on désolat ainsi les terres de son gouvernement. Le mauvais avis de ce satrape , prevalut sur les sages conseils de 1 etranger ; et les Perses, a leur grand dommage, le soupconnèrent de vouloir tirer la guerre en longueur , pour se rendre par la necessaire. II se campèrent auprès de Zelie , dans les plaines arrosées par le Granique, pour en iisputer le passage. Alexandre , instruit de tous leurs mouvemens par les avis d'Amyntas qu'il avoit envoyé a la découverte avec quatre compagnies d'élite , partit d'Ilion, vint joindrs 4  -44 Histoïra son armée qui étoit campée a Arisbe, traversa Percote, le fleuve Praxie , Hermote, Colone; il marchoit en ordre de bataille ; son infanterie rangée sur deux ligncs, la cavalerie sur les ailes , le bagage qui n'étoit pas considérable venoit derrière. On arriva dans eet ordre sur les bords du Granique. La cavalerie Persanne qui étoit fort nombreuse, bordoit tout 1'autre rivage, et faisoir un grand front pour occuper le passage dans toute sa largeur. L'infanterie, composée principalement des Grecs qui étoient a la solde de Darius , étoit derrière, placée dans un lieu qui alloit en montant. Tel grand que füt le courage des capitaines d'Alexandre , Parménion et plusieurs autres lui conseiïlèrent de camper dans eet endroit, et d'attendre le lendemain en ordre de bataille pour laisser aux rroupes le tems de se reposer ; que des Ic grand matin et mém» avant le jour , on passercit la rivière, paree qu'aïors les ennemis scroient moins en état de Ten empêcher; ils lui remontrèrent que la rivière étoit proronde et les bords escarpés, ensorte qu'il seroit aisé a la cavalerie Persanne de les défaire avant qu'ils fussent formés, qu'avec la pene que 1'on feroit si cette entreprise réussissoit mal, ii risquoit beaucoiip pour 1'avenir , paree que la réputation des armes dépend des ccmmcncsmens. Ces raisons ne firent point d'impression sur 1'esprit d'Alexandre, il répondit qu'il rougiroit de honte, si après avoir passé dans 1'Hélespont, il sWrêroit devant un ruisseau; c'esiairrsi que par mépris il appellok le Granique. Les deux armées demeurèrent quelque tems a se considérer, comme si elles eussent redoute 1'évènement; enfin Alexandre s'étant fait amener son cheval , ordonna aux seigneurs de sa cour de le suivre , et de se eomporter en gens de coeur. li commandoit la droite ,  ÈAlexanitt le Grand. Liv, III. 45 «t Parménion Ia gauche. II fit d'abord entrsr dans la rivière un gros 'detachement, puis il fit avancer 1'aile gauche. Pour lui menant 1'aile drcite, il se jetta dans le fleuve suivi du reste de ses troupes , au son des trompettes et des acclamations de toute 1'armée. Les Perses voyant approcher le premier detachement,' coïTimencèrent a tirer dessus , er descendirent ensuite vers la rivière oü la pente étoit la plus facile pour en défendre 1'abord. Les chevaux s'entrechoquèrent rudement, les uns tachant de prendre terre , les autres "s'efforcant de les en empécher ; les Macédoniens beaucoup inférieurs en nombre pour la cavalerie, étoient dans une situation fort désavantageuse. Ils étoient assailiis par les traits dont on les accabloit d'en-haut, la cavalerie Persanne s'étoit ramassée en eet endroit. Memnon y combattoit avec ses fils, les Macédoniens perdirent leurs premiers rangs et plioient déja. Alexandre cependant après avoir surmonté la rapidité de la rivière, touchoit déja de 1'autre cöté , oü il trouva bien des óbstacles ; un rivage droit et escarpé ,' glissant, tout couvert d'hommes et de chevaux , le repoussant ea différens endroits. II gagna enfin le champ de bataille, se mit a la tête de ses soldats, et les ranima par sa présence. II se jette dans le plus épais de la cavalerie ennemie, oü combattoient les généraux. L'ardeur avec laqueile il frappe lui fait rompre le fer de sa lance ; il en demande' une , il ne s'en trouve pas, et il est obligé de se défendre avec sa seule hampe ; Demarate de Corinthe lui donne la sienne 3 il vole a 1'instant sur Tiridate, gendre de Darius, et le perce d'un seul coup. Comme il étcit remarqnable par dessus tous les Macédoniens , par son activité et le panache qui ombrageoit son casque , aux deux cötés duquel s'élevoit «ornine deux ailes d'une grandeur merveilleüse et d'une  4 blier qu'il donr.eroit iooo ralens ( 30,000,000) a quiconque tueroit Alexandre. Philippe, Acarnanien de nation, 1'avoit toujours servi des son bas age; il 1'aimoit tendrement, nonseulement comme son roi, mais comme son nourisson. S'élevant par aftection pour son maitre au-dessus de toures les considérations d'une prudence humaine , il offrit de lui donner un remède qui ne seroit pas fort violent, et qui ne laisseroit pas de faire un prompt effet. II demandoit trois jours pour le préparer. A cette offre , chacun trembla, excepté celui qui y étoit le plus intéressé, que le délai seul de trois jours affiigeoit dans 1'impatience oü il étoit de parokre a la tête de ses armées. Pendant ces trois jours d'intervalle , A lexandre recut une lettre de Parménion , qui étoit en Capadoce, par laquelle il lui mandoit de se défier du médecin Philippe , que Darius avoit corrompu en lui promettant mille talens et sa sceur en manage. Cette lettre le jetta dans une grande perplexité , ayant tout le tems de peser en lui-même les raisons de craindre ou despéter qui s'ofrroient a son esprit. La confiance en un médecin dont il avoit éprouvé dès son enfance le tendre et fidéle attachement, 1'emporta bientót, et dissipa tous ses doutes. II referma la lettre, et la mit sous son chevet sans la communiquer a personne. Le jour venu, Philippe apporta son remède; Alexandre tirant Ia lettre de dessous son chevet , Ia donne d'une main a Philippe , et de 1'autre il prend la coupe , et les yeux attachés sur lui , il 1'avale sans hésiter er sans témoigner le moindre soupcon et la moindre inquiétude. Au contraire , par un visage gai et ouverr, il marquoit a sen médecin Familie dont il Fhonoroir  d'Alexandre le Grand. Liv. IFl ijet la confiance qu'il avoit en lui. Philippe, en iisant la lettre, avoit témoigné plus d'indignation que de surprise, et la jettant sur le lit du roi : Seigneur, lui dit-il, d'un ton ferme et assuré, votre guérison me justinera bientót du patricide dont on m'accuse ; la seule grace que je vous demande, est que vous mettiez votre esprit en repos, et que vous laissiez opéter le remède , sans songer a ces avis que vous ont donné des serviteurs pleins de zèle, a la vé'rité, mais d'un zèle peu discret et tout-a-fait hors de saison. Ces paroles rassurèrent non-seulement le roi, mais lui remplirent 1'ame de joie et d'espérance; et prenant Philippe par la main: soyez vous-même en repos, lui dit-il, carje vous crois doublement inquiet sur ma guérison et sur votre jusrifïcafion. La politique toujours timide et défiante , tachera peut - être de trouver de 1'imprudence dans cette action ; mais 1'héroïsme y reconnoitra toujours sa marqué. Cependant la médecine travailla de telle sorte, que les accidens qui s'ensuivirent, fortifièrent 1'accusation de Parménion. Le roi perdit la parole,! et tomba dans de si grandes syncopes , qu'il n'avoit presque plus ni pouls ni sentiment. Philippe n'oublia rien de ce qui étoit de son art pour le secourir, et quand il le vit revenu a lui, il se mit a 1'entretenir de choses agréables, lui parlant tantót de sa mère et de ses sceurs; tantöt de cette grande victoire qui s'avancpit a grands pa« pour couronner ses premiers rriomphes. Enfin la médecine ayant fait scn effet, et répandu dans toutes ses veines une vertu salutaire et vivifiante, 1'esprit fut le premier a reprendre sa vigueur, et le corps ensuire beaucoup plutót qu'on ne 1'avoit espéré. Trois jours après il s® fit Yoir a son armée, qui ne pouvoit se lasser de  64 Kistoire le conrempler j et qui avoit peine k croire ce qu'ellé voyoit, tant la grandeur du danger 1'avoit consternée et abbatue. II n'y eut point de caresses quelle ne fit au médecin. Alexandre étoit 1'espérance recouvrée, er Philippe la divinité qui 1'avoir rendue. Outre la vénération que les Macédoniens avoient naturellement pour leurs rois, il nest pas imaginable combien ils avoient pour celui-ci d'admiration, et combien étoit grande 1'affection qu'ils lui portoient -r ils étoient persuadés qu'il n'entreprenoit rien sans une assistance particulière des dieux , et comme le succès répondoit toujours a ses desseins, son audace tournoit a sa gloire, et sembloit avoir jene sais quoi de divin. Son age qui paroissoit incapable de si hautes entreprises , et qui cependant venoit a bout de tout, ajoutoit a ses actions un nouveau prix et un noüvel éclat. D'ailleurs certains avantages dont on ne fait pas toujours grand cas, mais qui ont un mervcilleux pouvoir pour gagner le caeur des gens de guerre j relevoient beaucoup son mérite; se plaire aux exercices du corps, y montrer de 1'adresse et y exceller; être vêtu comme les autres , savoir se familianser sans rien perdre de sa dignité; partager avec les plus laborieux et le plus braves les fatigues et le danger, qualités qui , soit qu'il les dut a la nature ou qu'elles fussent le fruit de ses réflexions, le faisoient également aimer et respecter de ses soldats. Pendant que tout ceci se passoit, Darius s'étoit mis en marche, plein de confiahce dans la multitude immense de ses troupes , et jugeant uniquement des deux armées par le nombre. Lorsqu'il fut arrivé dans les plaines de la haute Syrië, il assembla son conseil pour examiner ce qu'il étoit a propos de faire. Un Macédonien, nommé Amyntas , qui avoit embrassé le  d'Alexandre le Grand. Liv. IV. 6j le parti de Darius, et qui connoissoit parfaitement le caractère d'Alexandre, voyant Darius préparé a passet les détroits qui sont a 1'orient de la Cilicie, pour niarcher vers ce prince , le conjura d'attendre plutöt dans le lieu ou il étoit pour combattre avec avantage, dans ces vastes et spatieuses campagnes, un ennemi qui lui étoit si inférieur en nombre. Darius lui ayant répondu que s'il prenoit ce parti, il craignoit que les ennemis ne se hatassent de prendre la fuite. Ah ! Seigneur , lui repartit Amyntas, si c'est cela que vous appréhendez, rassurez-vous sur ma parole , il viendra bientót a votre rencontre, et il marche déjr. C'étoit ce qui pouvoit arriver de ylas fatal pour Alexandre, mais le ciel qui lui avoit destiné 1'empite de 1'Asie , tourna a son avantage ce qui devoit faire sa perte ou sa confusion. Les plaines ou Darius étoit campé, lui permettoient d'étendre librement sa cavalerie , et de se prévaloir de 1'avantage du nombre; mais séduit par la présomption, il va s'égarer dans des défilés, ou sa cavalerie et ses troupes innombrables devenues inutiles, ne feront plus que 1'embarrasser. II va chercher 1'ennemi qu'il devoit attendre, et court visiblement a sa perte; mais les satrapes accoutumés a le flatter et a lui applaudir en tout, le félicitoient par avance sur la victoite qu'il alloit remporter, comme si elle eüt été assurée et immanquable. II avoit dans ses troupes un Athénien , nommé Caridèmej homme fort habile dans le métier de la guerre, et qui haïssoit personnellement Alexandre , paree que c'étoit lui qui 1'avoit fait exiler d'Athènes. Darius lui demanda s'il le trouvoit assez puissant pour passer sur le ventre a son ennemi. Caridèmej nourri et élevé dans le sein de la liberté, oubliant qu'il étoic Tomé VI. E  U ïltsfoife \ dans un pays de servitude, oü il étoit dangereux dé fièdhér linclmation du prince, lui dit que son armée cuuverte dor, étoit incapable de résister a un ennemi qui, couvert d'armes, et avec un air qui seul portoit la terreur, ne s'amusoit point a cette vaine parade , et a une armee dont tous les soldats comme les officiers étoient si bien drëssés et si attentift aux moindres signes de leurs chefs, qu'on les voyoit tout-a-ccup faire ies évolutions et les mouvemens de 1'art militaire; et afin, ajouta t-il, que vous ne eroyez point que eest 1 or et 1'argent qui les mènent, cette discipline n'a subsiste jusqu'ici qu a 1'aide de la pauvreté; ont-ils rairn > toute nournture leur est bonne; sont-ils fatigués > ils couchent sur la terre, et jamais le jour ne les trouve inactifs; il lui conseilla de se servir de tout eet or qui demeuro.t mutile, et d'en acheter de bonnes troupes dans la (jrrece même. Darius étoit par luimême d'un caractère doux et traitable; mais quel naturel la fortune ne corrompt-elle point! 11 y a peu de rois assez fermes et assez courageux pour resistera leurpropre puissance, pour rejetter la flattene de tant de gens qui excitent toutes leurs passions, et pour faire cas d'un homme qui les aime assez pour les contredire et leur déplaire en leur représentant la vente. Darius ne pouvant la soufTrir, le fit trainer au supPl.ee. Candeme ne rabattant rien pour cela de sa L berte accoutumée, lui cria : j'ai un vengeur tout prêt dans celui-la même contre lequel je vous ai donné conseil; il vous punira bientöt du mépris que vous en taxtes; pour vous, en qui la souveraine puissance f C f " ,S1 PromPc changement, vous apprendrez a Ja posténre que quand les hommes s'abandonnent une fois a la fortune , elle étoude en eux tomes  £'Alexandre le Grand. Lly. IV. 67 les bonnes semences de la nature, Darius se repentic bientöt d'avoir fait mourir un rel homme , et reconnut, mais trop tard , la vériré de tout ce qu'il lui avoit dit. Pour bien entendre ici la marche de Darius et d'Alexandre, et pour mieux fixer la situaüon du lieu oü se donna la bataille , il faut savoir que la Cilicie est. environnée au midi par la mer Méditerranée, au septentrion, au levant et au couchant, pat une chaïne de montagnes assez semblables a une anse qui s'appuie de part et d'autre, sur les cötes de la mer. Ces montagnes laissent trois portes , défilés , ou pas. Le premier défilé se rencontre d'abord en descendant du mont Taurus, pour aller a la ville de Tarse. C'est par celle-la qu'Alexandre, quittant la Capadoce ,■ est en:ré en Cilicie. Le second est le pas de Syrië, par lequel on sort de la Cilicie pour entrer en Syrië. Le \troisième est le pas Amanique , ainsi appellé' du mont Arhanus, par lequel la Cilicie communiqué avec l As-, Syrië ; il est situé au nord du pas de Syrië. Alexandre se rétablissant de jour en jour , envoya Parménion se saisir du pas de Syrië, afin d'avoir un débouché sur pour ses troupes ; pour lui étant parti de Tarse, il arriva le lendemain a Anchiale, puis a Soles , oü il fit célébrer des jeux et des sacrifices en 1'honneur des dieux, pour les remercier du rétablissement de sa santé ; après s'ar être acquitté, il retourna a, Tarse ; après avoir chargé Philotas , fils de Parménion , de mener la cavalerie dans la plaine d'Alée vers le 1'euve pyrame, il alia avec son infanterie et sa compagnie de gardes a cheval a Magarse, de-la il canna JV';alles , puis Castaballe ; il avoit appris que Dariu; étoit campé a Soques, lieu de la S)rie , k üteux jouxnées de la Cilicie. II'tint cons: 1 de guerre E z  éS Histoire pour délibérer si Ion devoit aller plus loin , ou, atrendre quelques troupes qui devoient bientöt arriver. Parménion, qui pensoit qu'on ne pouvoit trouver un lieu plus favorable pour le combat, lui dit que dans ces défilés ou 1'ennemi ne pouvoit s'étendre, on combattroit avec égalité ; qu'il falloit éviter toute plaine , oü Ton pourroit être environne et vaincu par sa propte lassitude et par le nombre, et non par la valeur de 1'ennemi; un conseil si salutaire fut suivi, mais comme 1'ardeur des troupes étoit extréme , il décampa pour s'approcher davantage des Perses; il laissa ses malades a Issus, dont Parménion s'étoit rendu maitre , avant que de s'emparer du pas de Syrië, er campa prés de la ville de Myriandre, proche du défilé oü le mauvais tems le contraignit de s'arrêter. L I V R E V. T J r y avoit dans 1 armée d'Alexandre, un seigneur persan nommé Sisines, qui servcit avec les alliés. Nabarzanes, un des grands de 1'armée de Darius , lui avoit souvenr écrit qu'il devoit faire quelqu'action d'éclat en faveur de son roi, qui 1'honoreroit selon sa naissance et son mérite ; il fut souvent sar le point de remetrre ces lettres a Alexandte, ponr lui prouver sa fidélité ; néanmoins voyant les affaires prêtes a être presque décidées par un combat, il résolut d'attendre encore quelque tems-, mais cette politiqne causa sa perte , car les lettres qu'il recevoit étoient auparavant interceptées et rendues a Alexandre , qui après les avoir lues er recachetées, les lui faisoit rendre , pour éprouver son attachement. Plusieurs jours s'étant écoulés sans qu'il  d'Alexandre le Grand. Liv. F. en parlat au roi, on ne douta point qu'il ne méditat quelque trahison ; les Crétois se jettèrent sur lui, et s'en déhïent, sans doute suivant 1'ordre d'Alexandre. Cependant Darius étoit canapé a Soques ; les commandans Grecs qui étoient a sa solde } et qui faisoient la pr.ncipale force de son armée lui conseillèrent encore d'y artendre 1'ennemi ; du moins s'il rejertoit ce conseil , ils étoient d avis qu'il ne prit avec lui que i'élite de son armée , et qu'il ne nut pas toutes ses forces au hazard d'étre abbatues d'un seul coup, et en une seule journée. La plupart de ses courtisans qui avoient découvert 1'envie que leur prince avoit d'aller au-devant d'Alexandre, entroient aussi dans ses vues; ils traitèrent donc les Grecs de nation infidèle, et venale, lui disant que le plus sür étoit de les faire environner et de les passec au til de 1'épée, comme des traitres. Cette proposition fit horreur a. Darius, qui étoit naturellement doux et plein d'humanité; il leur répondit qu'il ne trouveroit plus personne qui voulut donnet son avis, s'il étoit dangereux de le faire , et que nuile nation desormais ne se fieroit a sa parole ; il fit remercier les Grecs de leur zcle et de leur bonne volonté , et voulut bien leur rendre compte des raisons qui le portoient a ne pas suivre le parti qu'ils lui avoient proposé. Les courtisans avoient persuadé \ Darius que les longs délais d' Alexandre, ( dont ils avoient ignoré la maladie ), étoient une preuve de la frayeur que 1'approchede ses troupes lui avoit inspirée: ils lui disoientque leur bonne fortune 1'avoit conduit dans des détroits et des défilés dont il ne lui seroit pas possible de se tirer si on 1'attaquoit promptement; qu'il falloit profiter du moment favorable, paree qu'il étoif a craindre que E 5  7» Jïistoïrë les enöemis se hatassent de prendre la fuire, er quAlexandre ne lui échappat, Darius envoya donc son argenr et autres choses précieuses dans-Damas, ville de Syrië, avec une legére escorte, , et se mit ensuite en marche , menant avec lui selon la coutume de la nation, son épouse , sa mère j et le perit prince son fils : il passa par le pas Amanique, dans la même nuit oü Alexandre arrivoit au pas de Syrië. Quand il eut un peu avancé dans la Cilicie, en allant d'Orient en Occident, il se rabbatit vers Issus , ne sachantpas qu'il s'éloignoit d'Alexandre; cn lui avoit fait croire que ce prince fuyoit devantlui; et qu'il se retiroit en désordre , et il n'en douta plus lorsqu'il trouva dans Issus les malades et les blessés qu'Alexandre y avoit laissés pour n'être point embarassé en allant au-devant de Darius : il ne songea donc plus qua le pour.suivre après avoir fait mourir les Macédoniens qui étoient restés a Issus ; eicepté quelques-uns qu'il fit promener dans son camp pour leur faire monrre de la muhitude , et qu'il relicha ensuite après leur avoir fait couper les mains; ils portèrent a Alexandre toutes ces nouvelles qu'il eut peine a croire, tant elles lui paroissoient incroyabïes. ' Cependant Darius ne demeuta pas toujours dans Terreur, il apprit oü étoit Alexandre, et qu'il n'avoit aucune envie de se retirer de devant lui ; il resolut de retourner sur ses pas, mais il n'étoit plus tems; le roi de Macédoine informé de ses démarches , revinr sur ses pas , marcha a sa rencontre et se carapa sur son passage^; pour n'être point forcé au combat malgré lui, il fortifia son camp de fossés et de palissades, témoignant une joie incroyable de voir son desir accompli, qui étoit de combattre dans ces défilés oü les dieux  ü"Alexandre le Grand. Liv. V. 71 sembloient avoir amené Darius pour le livrer entre ses mains. Néanmoins comme cela est assez ordinaire aux grands capitaines, Alexandre se voyant sur le point de tout hazarder 3 sentit quelque émonon : plus jusques alors les succès lui avoient été favorables , plus il craignoit quelque revers de fortune, touchani presque au moment qui devoit décider de son sort j d'un autre coté j il s'animoit par la vue de la récompense plus grande que le péril, et s'il étoit incertain de la victoire, du moins il se Hattoit de mourir gloneusement et en Alexandre. II renfermoit tous ces sentimens dans son cceur sachant bien qu'aux approches d'une bataille , le général ne doit jamais laisser paroitre sur son visage ni émotion , ni tristesse , et que 1'armée ne doit voir que de la fermeté et de la résolution dans celui qui la commande. II fit prendre de la nourriture a ses soldats , et leur ayant ordonné de se tenir prêts pour minuit, il offrit des sacrifices aux dieux. L'heure étant venue, il donna le signal; les troupes prêtes a marcher et a combattre, eurent ordre de doubler le pas, et elles arrivcrent aupoinr du jour dans les postes qu'elles devoienr occuper. On sur par les coureurs que Darius n'étoit plus qu'a une lieue et demie j ainsi il rangea son armée en bataille. Darius apprit aussi 1'arrivée d'Alexandre. Les paysans effrayés avoient été la lui annoncer; certe nouvelle causa un grand trouble et une grande confusion dans son armée ; les soldats qui ne se croyoient point si prés de 1'ennemi, se voyant presque surpris, coururent avec précipitation eten désordre prendre leurs armes et leurs rangs. Le lieu oü se donna la bataille étoit prés de la ville d'Issus, ferméau nord par des montagnes, et au midi par la mer. La plaine qui étoit entre deux, étoit di-f E 4  fi Histoire Visie en deux portions a-peu prés égales , par Ia rivière de Pinare. Les montagnes formoient un enfoncernent, donr 1'extrémité venant a se recourber,.embrassoit une parrie de la plaine. Alexandre rangea ainsi son armée : a la gauche du cóté de la mer, étoit la Phalange d'Amyntas et de Ptolomée; au centre, celle de Meleagre et de Perdiccas; a Ia droite , celle de Caenus , avec les Argiraspides commandés par Nicanor ; céroir-la la fameuse Phalange Macédonienne , composée de six corps séparés ; chacun avoit, comme on voit, en tête un habile officier; mais Alexandre en étoit toujours le premier capitaine. La cavalerie Macédonienne et Thessalienne fut placée a la droite ; celle du Peloponèse a la gauche, avec celle des alliés. Alexandre se mit a Ia tête de 1'aile droite; Parménion commandoit la gauche , et avoit sous lui Cratère qui commandoit toute l'infanterie de cette aile. Parménion avoit ordre de s'étendre le plus prés de la mer qu'il le pouvoit, pour n etre point attaqué en fianc , ni enveloppé par les barbares. Au contraire, il avoit ordonné aux généraux de 1'aile droite de se tenir assez tloignés des montagnes, pour êrre hors de la portée des traits de ceux qui s'en seroient saisis ; il couvrit la cavalerie de son aile droite, des coureurs de Protomaque et des Pceoniens , et son infanterie des archers d'Antiochus; il réserva les Agriens , commandés par Attale, et quelques troupes nouvellement arrivées de Grèce, pour opposer a celles que Darius posoit déja sur les montagnes. Pour 1'armée de Darius, voici quelle étoit sa disposition. Dès qu'il eut avis qu'Alexandre marchoit a lui en bataille , il fit passer la rivière de Pinare a 30,000 chevaux et a 20,000 hommes de traits, afin  dtAhxandtc le Grand. Liv. V. 75 de pouvoir, sans être insulré , ranger ses troupes endeca. II placa ses troupes Grecques au centre; c'é >it, sans contredit , la deur et la force de son armée •, elles formoient un seul corps de 30,000 hemmes. II couvrit leurs rlancs a droite et a gauche de deux corps de 30,000 Cardaques , le lieu tien pouvant pas tenir davantage de front. Ils étoient tous pesamment armés. Le reste de 1'infanterie, distingüé par nation, étoit placé derrière la première ligne : on ne sait point combien ces hgnes avoient de profondeur; elle devoit être extraordinaire dans un terrein tel que ce défilé , sur-rout si 1 on considère le grand nombre de troupes Persannes. Sur la montagne qui étoit a gauche du cöté de la droite d'Alexandre , Darius placa 20,000 hommes , disposés de telle racon , qu'a la faveur des sinuosités de la montagne , les uns étoient derrièie 1'aile d'Alexandre les autres 1'avoient en tére. Darius, après avoir rangé son armée , fit repasse* la rivière a sa cavalerie , en envoya la plus grande partie vers la mer, contre Parménion, paree que c'étoit le lieu oü elle pourroit le mieux combattre , et jetta le reste sur la gauche du cóé de la montagne; mais comme il vit qu'elle alloit être inutile de ce cóté-la. , a cause que le lieu étoit trop étroit, il en fit repasser encore une grande partie sur la droite. Pour lui il se placa au centre de son armée , selon la coutume des rois de Perse. Alexandre voyant presque toute la cavalerie ennemie contre son aile gauche , oü il n'y avoit que celle de Peloponèse et quelques aihés, y envoya en diligence la cavalerie Thessalienne, et la fit passer derrière ses bataillons , pour n'être point appercue des barbares. A la même aile, il placa devant ^infanterie les archers de Crète et les Thraces de Sitake. Les troupes étran-  74 Hlstoire gères qu'Alexandre tenok a sa solde , furent piacées derrière routes les autres. S'appercevant encore que son aile droite n'avoit pas assez de front, qu'il pourroit être pris en flanc et enveloppé de son coté, il tira du centre de son armée deux corps d'infanterie qu'il y envoya avec ordre de passer par derrière pour cacher ce mouvement; il renforca aussi cette aile des troupes qu'il avoit opposées aux barbares de la montagne ; car comme ïl vit qu'ils ne descendoient pas, il les fit attaquer par les Agriens et quelques archers, et les chassa vers le sommet, de sorte qu'il se contenra de laisser la 300 chevaux pour les contenir , et envoya le reste , comme jaj dit, pour fortifïer son aile droite , qu'il étendk, par ce moyen , au-dela de celle des Perses. Les deux armées ainsi rangées en bataille, Alexandre jnarchoit lentcment pour laisser reprendre haleine a ses troupes, de sorte que 1'on crut que 1'on ne se batteroit que fort tard; car Darius contenoit les siennes au-dela de la rivière pour ne point perdre 1'avantage de son roste; et il fit même palissader les endroits de la rivière qui n'étoient pas assez escarpés, ce qui fit croire aux Macédoniens qu'il craignoirdéja d'être battu. Quand hs armées furent en présence , Alexandre passant a cheval le long des rangs, appeïlok par leur nom les pnncipaux officiers tant des Macédoniens que des énangós, et exhortoit les troupes a bien faire. Leur parlant a chacun suivantle génie et rhumeurde la nation , il ; apfe&ok a ses Macédoniens leurs trophées, leurs victoires, Unt de villes et de provinces déja soumises ; il animoit ies autres Grecs par le souvenir de tous les maux que ees irréconciliables ennemis leur avoient fair sourhir • et les exhorta a joindre d'autres lauriers a ceux de Marathon, des Thermopilss, de Salamine, et de Piatée, « a tant d'autres qui leur avoient acqjtis une gloira  d'Alexandre le Grand. Liv. V. 7$ immortelle. Aux Illyriens, aux Triraces , peuples accoutumés a vivre de rapines , il leur montroit 1'armée ennemie toute éclatante d'or et de pourpre, et moins chargée d'armes que de butin •, il s'éleva aussi-töt un cri général de 1'armée qui demandoit le combat. Alexandre s'étoit avancé d'abord au petit pas, pour ne point rompre ses rangs ni le front de sa Phalange, et faisoir alte de tems en tems, mais quand il fut a porté du ttait, il ordonna a toute sa droite de se jetter dans la rivière avec impétuosité pour étonner les barbares , pour en venir plutót aux mains, et avoir moins de traits a essuyer; ce qui lui réussir. Le choc fut des plus rudes ils forcèrent les barbares de combattre de prés, en les chargeant 1'épée a la main, et alors il se fit un sanglant combat, car on se bartoit corps a corps, et 1'on ss portoit la pointe contre le visage les uns des autres. Alexandre, faisant le devoir de soldar et de capitaine , ne cherchoit rien tant que la gloire de combattre lui-même Darius, qui, monté sur un char élevé, paroissoit a la vue de tous, puissant objet pour animer er les siens a le défendre , et 1'ennemi a 1'attaquer. La mêlée devenoit de plus en plus furieuse et' meurtrière; il se fit de part et d'autres des prodiges de valeur. Oxathrés, frère de Darius , voyant un grand nombie de seigneurs Persans déja morts , et qu'Alexandre pressoit vivement ce prince, se jetta devant son charrior, avec la cavalerie qu'il commandoit, et se distingua paimi tous les autres; les chevaux attelés au char de Darius étant tous percés de coups , commencèrent a se cabrer et a secouer le joug avec tant de violence , qu'ils alloient renverser le prince; et le roi appréhendant de tomber vif en la puissance des ennemis , se jetta a bas et monta sur un autre char. Ses troupes qui 1'avoienc vu descendre si précipitamment, crurent qu'il prenoit  7^ Histoirc la fuite; el les jettèrent aussr-tót leurs armes, et sesauvèrent comme elles purenr. Alexandre fut blessé dans ce choc a la cuisse, mais peu dangereusemenr. Pendant qu'une partie de 1'infanterie Macédonienne , qui étoit a droite, poussoit ainsi son avantage contre les Perses, le reste qui avoit encore a combattre contre les Grecs , trouvaplus de résistance; ceux-ci remarquant que cette infanterie netoit plus couverte par la droite, qui poursuivoit 1'ennemi, vinrent 1'attaquer en Hanc • le combat fut sanglant, et la victoire demeura longtems douteuse. Les Grecs tachoient de repousser les Macédoniens dans Ia rivière, pour réparer le désordre de leur gauche. Les Macédoniens faisoient aussi tous leurseftbrts pourconserverl'avantage qu Alexandre venoit de remporter , et pour maintenir 1'honneur de la Phalange Macédonienne, estimée jusqu'alors invincible; d y avoit dailleurs une jalousie perpétuelle entre ces deux nations Grecque et Macédonienne , qui animoit extraordinairement leur courage , et qui rendoit de part et d'autre la résistance opiniatre. Ptolémée, hls de Lagus, fut blessé ; Seleucus y périt du cóté d'Alexandre, avec 120 autres des plus signalés. Cependant 1'aile droite victorieuse sous la conduite du prince, après avoir défait tout ce qui étoit devant elle , se replia sur sa gauche contre les Grecs; ils les chargèrent en flanc, tandis que la Phalange 1'artaquoit de front et ils les mirent en déroute. Dès le commencement du combat, la cavalerie Persanne postée sur le bord de la mer, vis-a-vis Parménion, sans atrendre qu'on la vïnt attaqueravoit passé la rivière, et s'étoit jetée sur celle de Thessalie qui lui étoit opposée, dont elle enfonca plusieurs escadions; le reste , pour éviter 1'impétuosité de ce premier choc , et engager 1'ennemi a se rcmpre , fit mine de ss  d'Alexandre le Grand. Liv. V. 77 tetirer avec une frayeur apparente , comme s'il eüt été épouvanté du nombre supérieur des ennemis. Les Perses pleins d'audace et de confiance , marchant la plupart sans ordre et sans précaurion comme a Une victoire certaine -, ne songèrent qu'a les poursuivre; alors les Tbessaliens les voyant en désordre , firent tout-acoup volce-face, et recommencèrent le combat avec une nouvelle ardeur. Les Perses de leur cöté se défendirent avec courage, jusqu'a ce qu'ils virent' Darius en fuite, et les Grecs taillés en pièces par la Phalange. La défaite de la cavalerie Persanne acheva la déronte de 1'armée. Les chevaux Persans eurent beaucoup a souffrir dans leur fuite, a cause de la pésanteur des armes des cavaliers, outre que se retirant en désordre et venant se présenter en foule au passage des défilés, ils s'écrasoient les uns les autres, et étoient plus incommodés par leurs gens que par 1'ennemi. Néanmoins la cavalerie Thessalienne les poursuivoit vivement, de sorte qu'ils ne furent pas moins maltraités que 1'infanterie, et qu'il n'en resta pas moins sur la place. Pour Darius , comme nous 1'avons déja dit, aussi-töt qu'il avoit vu son aile gauche rompue , il s'étoit aussi enfui sur son char ; mais lorsqu'il fut parvenu a des* lieux rabjteux et difficiles, il monta a cheval, quittant son are , son bouclier et son manteau royal. Alexandre ne songea a le poursuivre qu'après qu'il eut vu la Phalange victorieuse des Grëcs , et la cavalerie Persanne mise en fuite, ce qui donna beaucoup d'avance au prince fugitif. Huit mille des Grecs de Darius, conduits par leurs offiriers qui étoient fort braves, se retirèrent vers Tripoli de Syrië , et y ayant trouvé les navires qui les avoienc amenés de Lesbos , ilsenéquipèrent ce qui leur en falloit  7$ Histolre et brülèrent le reste, afin qu'on ne pilt point les poursuivre. On a vu que les barbares , après avoir montré assez de courage dans les premières attaques, lachèrent honteusement le pied et ne songèrenr qua se sauver; ils prirent des routes ditférentes : les uns suivirent le chemin qui menoit droit en Perse ; les autres gagnèrent lesbois et les montagnes écartées; uupetitnombreretourna dans le camp. L'ennemi vainqueur s'en étoit déja rendu mairre; la mère de Darius, nommée Sysigambis son épouse , qui étoit aussi sa sceur , y étoient restées avec un fils du roi, deux filles et quelques dames de Perse ; car les autres avoient été menées a Damas avec une partie de 1'argent de Darius , et tout ce qui ne servoir qu'au luxe et a la magnificence de sa cour. II ne se trouva dans son camp que 3000 ralents ( 9,000,000) le reste tomba ensuite entre les mains de Parménion a la prise de Damas. -Alexandre, las de poursuivre Darius, voyant que la nuit approchoit et qu'il ne le pouvoit atteindre , retourna au camp des enncmis , que ses gens venoient de piller. Telle fut Tissue de cette mémorable bataille, que Ton nomma d'Issus, qui se donna la quatrième année du regne d'Alexandre. Les Perses, soit dans le combat, soit dans leur fuite y perdirent un grand nombre de leurs troupes, tant de pied que de cheval ; du cóté d'Alexandre la perte fut trés-médiocre. Le soir même il fit aux grands de sa cour et aux principanx officiers un festin , cu sa blessure , qu^ n'avoit qu'effleurer la peau, ne Tempêcha pas d'assister. Mais ils ne furent pas plutót a table qu'ils enrendirent dans la tente prochaine un grand bruit, mêlé des gemis-  a*'Jlexandre le Grand. Liv. V. Sèmens, qui surprirent route la compagnie; de sorte que ceux qui étoient de garde devant la rente du roi, coururent aux armes , appréhendant quelqu'émeute* Ce tumulte venoit de la mère de Darius et des autres dames caprives , qui, croyant ce prince morr, lê pleuroienr a la facon des barbares, avec des cris et des hurbmens épouvantables. Un eselave qui avoit vii lè manteau du roi entre les mains d'un soldat; jugeant qu'il le lui avoit pris après 1'avoir tué, leuravöitporté cette fausse nouvelle. Alexandre informé du sujet qui leur avoit causé cette fausse alarme, fut vivement touché 3 et 1'on assure qu'il ne putretenirses larmes, en considérant 1'inforrune de Datius et le bon naturel de ces princesses, uniquement attentives et sensibles a son malheur. II dit aussi-tót a Mithrène , qui scavoit le Persan , de les aller ccnrcler-, mais faisant réflexion que c'étoit lui qui lui avoit livre la ville de Sardes, il appréhendit que sa présence ne leur fit de la peine. II en chargea Leonate, et lui dit de les assurer que celui qu'elles pleuroient comme mer: étoit plein de vie. Leonate , suivi de quelques gardes, vint au pavillon des princesses , et leur fit dire qu'il venoit de la part du roi. Ceux qui étoient a 1'entrée, voyant des hommes atmés, crurent que c'étoit fait de leurs ma'itresses, et coururent dans la tente, criant que leur dernière heure étoit venue. Ces ptincesses ne scachant a quoi se résoudre, ne faisoient point de réponses, mais attendoient en silence 1'ordre du vainqueur. Enfin Leonate après avoir long-tems attendu 3 et voyant que personne ne paroi^scit, bissa les autres a 1'entrée, et entra seul dans la rente. Elles furent enccre plus eürayées , voyant qu'il étoit entré sans que personne 1'eat introduit. Elles se jetrèrent dene a ses pieds 3 ex le prièrent qu'avant qu'on les fit mourir, il kur fut  go Hlstoire permis d'ensevelir le corps de Darius a la manière de leur pays, er qu'après avoir rendu ce dernier devoir a leur roi, elles mourroient contentes. Leonate leur répondit que Darius étoit vivant, et que loin qu'on leur voulüt faire du dé plaisir , elles seroient traitées en reines , avec tout 1'éclat de leur première fortune. Alors Sysigambis reprenant courage, souftrit que Leonate 1'aidat a se rel ever. Le lendemain , Alexandre après avoir visité les blessés , fit rendre aux morts les derniers honneurs en présence de toute l'atmée rangée en bataille , et dans son plus superbe appareil. II en usa de même a 1'égard des plus qualifiés d entre les Perses, et permit a la mère de Darius de faire aussi ensevelir ceux qu'il lui plairoit suivant les usages et les cérémonies de son pays. Cette sage princesse n'usa de cette permission qu'a 1'égard de quelques-uns de ses plus proches •, et ce fut encore avec une réserve et une modestie quelle croyoit convenir a son état présent. Le roi témoigna sa joie et sa reconnoissance a toute 1'armée , et sut-tout aux principaux officiers , dont il fit valoir lui-même les belles actions, tant celles donr il avoit été témoin , que celles qu'on lui avoit rapportées ; et il fit des largesses a tous suivant leur rang et leur mérite. LIVRE  d' Alexandre le Grand. Liv. V. Sr LIVRE VI. A.Pres qu'Alexandre se fat acquittéde tous ces devoirs, véritablement dignes d'un grand roi, il envoya avertir les reines qu'il alloit les visiter; et ayant fait retirer toute sa suite , il entra seul dans leur tente avec Ephestion , un de ses intimes amis. Comme ils avoient été élevés ensemble , le roi lui faisoit part de tous ses fecrets; personne ne lui parloit si librement que lui •, mais il usoit de cette liberté avec tant de discrétion , qu'il paroissoit le faire moins par inclination et par goüt, que pour obéir au roi qui le vouloit ainsi. Ils étoient de même age, mais Ephestion avoit sur lui 1'avantage de la taille 5 de sorte que les reines le prirent pour le roi, et lui rendirent leurs respects. Quelques esclaves les avertirentde leur méprise; Sysigambis aussitöt se jetta a ses pieds , et s'excusa sur ce quelle. ne 1'avoit jamais vu. Alexandre la relevant, lui dit : ma mère vous ne vous êtes point trompée , car celui-la est aussi Alexandre. Belle parole ! qui fait beaucoup d'honneur a celui qui la profère et a celui qui en est 1'objet; si Alexandre eüt toujours pensé et agi de la sorte , il auroit véritablement mérité le sur-nom de grand; la fortune alors ne s'étoit pomt encore emparé de son esprit , il en porta les commencemens avec modération; mais a la fin elle devint plus forte que lui, et il ne put lui résister. Sysigambis , pénétrée de toutes ces marqués de bontés, ne put s'empêcher de lui en témoigner sa reconnoissance : Grand prince, lui dit-elle, quelies Jome VI. F  8i Hisioire actions de graces puk-je vous rendre qui répondent k votre générosité ! vous m'appellez votre mère , et vous m'honorez encore du nom de reine , tandis que je confesse moi-même que je suis votre captive; je sais ce que j'ai été et ce que je suis, je comprends toute 1'étendue de ma gloire passée ; mais je me sens en état, par votre bonté, de soutenir tout le poids de ma fortune présente. Vous savez , je le vois bien, qu'il est de 1'intérêt de votre gloire que pouvant tout sur nous, vous ne nous fassiez sentir ce pouvoir que par votre clémence, et non par de mauvais traitemens. Alexandre , après les avoir encore consoiées et rassurées, prit le fils de Darius entre ses bras. Ce petk enfant 1'embrassa sans parokre étonné; ensorte qu'Alexandre, touché de son assurance, se tourna vers Ephestion , et lui dit : que je souhaiterois que Darius eut quelque chose de ce bon naturel! Dans ces premières années , Alexandre se gouverna de telle sorte, qu'il surpassa en grandeur d'ame rous les héros qui avoient été avant lui , et se montra supérieur a une passion qui dompte et entraine les plus forts; les efrèts surpassèrent les promesses qu'il fit aux princesses : elles furent servies avec rant de respect , qu'a leur captivité prés , elles ne pouvoient s'appercevok de leur infortune; elles éprouvèrent une humanité, une générosité et une politesse a laquelie elles n'auroient jamais osé s'attendre. II ne leur rerrancha rien des honneurs qu'on avoit accoummé de leur rendre, ni de 1'état de leur maison, et leur assigna des pensions plus fortes que celles dont elles jouissoient dans leur plus belle fortune. Elevées dans une école de sagesse et de modestie , elles furent encore plus sensibles a la circonspectiou qu'Alexandre fit garder en  d'Alexandre le Grand. I■>■ . VI. 85 leur présencei Jamais elles n'entendirent une parole capable de blesser la bienséanee ; elles n'eurenr jamais le moindre sujet de crainte. On assure néanmoins que lépouse de Darius et les princesses, leurs rilles, éroient les plus belles personnes de 1'Asie; comme Darius étoit le plus beau de tous les princes, et de la taille la plus grande et la plus majestueuse. II paroit qu'après cette visite , qui étoit une visite de devoir et de cérémonie 3 Alexandre, pour ne point exposer sa foiblesse , s'imposa la loi de ne plus voir les princesses royales. C'est lui-même qui nous apprend cette mémorable eirconstance de sa vie , dans une lettre qu'il écrivit a Parménion , pour lui ordonner de faire punk de mort, comme des bêtes féroces capables de dashonorer le genre humain, des Macédoniens qui avoient fait viobnce a quelques femmes de soldats étrangers. Dans cette lettre on lisoit ces propres paroles : car pour moi on ne rrouvera pas que j'ai seulement vu ni voulu voir la femme de Darius, ni même que 1'on pariat de sa beauté devant moi. Ce n'est pas qu'il eüt un cceur insensible, puisqu'il disoit que les persiennes étoit le mal des yeux, et qu'a 1'amour comme au sommeil, il reconnoissoit qu'il étoit mortel; mais il trouva qu'il étoit plus grand de se vaincre soimême, que de vaincre ses ennemis. Dans ces tems glorieux pour lui , moins par la prospérité de ses armes, que paree que sa verru conservoit tout son éclat, telle étoit sa conduite domestique : son premier soin , après s'être levé , étoit de sacrifier aux dieux ; dans le cours de la journée, il terminoit les diftérends qui arrivoient parmi ses troupes, et régloit dans son conseil les provinces conquises. II s'occupoit souvent a lire ou a composer quelqu'écrit. Ses plaisirs étoient la chasse, ou quelques jeux milt- F 2  &4 Eistoirt taires. S'il étoit en marche et que rien ne le pressat, il s'exercoit a lancer le javelot, ou a monter sur un char lorsqu'il couroit le plus rapidement, et a en descendre de même. Son diné étoit fort court, mais il étoit long-tems a souper, moins pour le plaisir de boire et de manger, que pour celui de la conversation, proposant toujours quelque quesrion qui aboutissoit a quelque chose d'utile ; il ne faisoit néanmoins ces longs repas que lorsqu'il se trouvoit dans un grand loisir; car jamais ni le vin ni le sommeil, ni le plaisir, ne retardèrent un moment ses affaires, et ne lui firent perdre la moindre occasion favorable, comme cela est arrivé \ tant d'autres capitaines. La passion pour la gloire 1'emportoit en lui sur toute chose; sa vie même est une preuve de cette vérité car ayant été des plus courres, elle est pourtant pleine de grandes et de généreuses actions. II vouloit que pendant le repas on retranchat la comrainre du cérémonial, et que chacun jou'it d'une entière liberté comme entre amis. II n'y avoit personne dont la société fut si douce et si agréable, car il ne manquoit d'aucunes des graces qui peuvent rendre un commerce charmant; plein d'attention pour servir aux autres ce qu'il y avoit de plus exquis et de plus rare, souvent il ne retenoit rien pour lui-même. Son plus grand défaut étoit de se vanter d'une manière si importune, qu'il en devenoit insupportable; non-seulement il aimoit a paiier de ses exploits, mais il se livra aveuglément aux flaneurs qui les rnettoierrt en vers, er faisoient de lui rout ce qu'ils vouloient par ce moyen. Après avoir con'sacré trois autels sur la rivière 6% Pinare, comme autant de monumens dé sa victoire; il prit le chemin dé la Syrië. II avoit envoyé Parménion a Damas, oü étoit le  et'Alexandre le Grand. Liv. VI. 85 rréspr de Darius. Le gouverneur de la place, trahissant son maitre, de qui il n'espéroit plus rien, avoir écrit a Alexandre qu'il étoit prêr de lui remettre entre les mains tout 1'argent et tous les meubles de Darius. Voulant couvrir sa ttahison, il feignit de ne se pas tenir assuré dans la place, fit charger, dès le point du jour, sur des porte-faits, tout ce qu'il y avoit de plus précieux dans la ville, er se mit en fuite avec toutes ces richesses, en apparence pour les sauver; mais en eftet, pour les livrer aux ennemis comme il en étoit convenu. A la première vue des Macédoniens, qui n'étoient pas loin de la, ceux qui les conduisoient les jettèrent et se mirent a fuir aussi-bien que les soldats qui les escortoient, et le gouverneur même qui parut plus efTrayé que tous les autres. On voyoit des richesses immense» éparses ca et la dans la campagne ; tout Tor et 1'argent destiné pour le paiement d'une si grande armée, les superbes équipages de tant de grands seigneurs et de tant de dames, les vases d'or, les freins d'or, les tentes magnifiques, les chars abandonnés de leurs conducteurs ; en un mot toot ee que la longue prospérité et 1'épargne de tant de rois avoient amassé depuis plusieurs siècles, étoit abandonné au vainqueur. Mais ce qu'il y avoit de plus touchant dans ce désastre, étoit de voir les femmes des satrapes et des grands seigneurs de Perse, dont la plupart tra'ïnoient leurs enfans par la main. De ce nombre étoient trois jeunes princesses, fille d'Ochus, qui avoit règné avant Darius ; la veuve du même Ochus, la fille d'Oxathrés, frère de Darius; la femme d'Artabazc, le plus grand seigneur de la cour, et son fils Ilionée. On y prit encore la femme et le fils de Pharnabaze , grand amiral; trois filles de Mentor , la femme et le fils de Memnon , ce gtand capitaine; et a peine v eut-il une maison illustre danï F 5  Histoire toute la Perse qui neut part a cette calaiuité. On trouva aussi a Damas les ambassadeurs des villes Greeques , sur-tout de Lacédémone, que Darius avoit cru mettre dans un asyle assuré, en les confiaht a la bonne foi d'un traïtre. Alexandre les renvoya sans leur faire aucun mal. Outre 1'argent mónnoyé et 1'argent mis en ceuvre, qui montoient a des sommes immenses , il y fut pris jusqu'a 30,000 persennes et 7000 bêtes de charge. Parménion, dans une lettre qu'il écrivit a Alexandre, marqué qu'il avoit trouvé a Damas 329 concubines de Darius qui savoient toutes la musique en perfection , et une grande multitude d'officiers chargés de différens soins qui regardoient la table et les repas, pour faire des couronnes de fleurs, pour préparer des parfums et des essences, apprêter les viandes et les mets, travailler a la patisserie, gouverner les celliers et dépenses ; le nombre de ces sortes d'officiers montoit a 492 , digne cortège d'un prince qui coürt a sa perte. La cavalerie Thessalienne fut celle qui profita b plus de ce burin ; comme elle s'étoit extrêmement disringuée dans le combat, Alexandre fut bieh-aise de lui donner cette occasion de s'enrichir. Le reste de 1'armée y amassa aussi de grands biens; mais quand ils eurent goüté pour la première fois de eet or, de 1'argent, des femraes et du luxe des Perses, ils devinrent plus arderts et plus avides pour le burin que pour les victoires. Alexandre y fut vaincu a sa manière; il tnéprisa a la vérité les 3 29 concubines qui lui furent presentées, mais il s'attacha a Barsine, veuve du général Memnon. Comme elle étoit fort belle, très-savanre dans les lettres greques, qu'elle avoit les moeurs douces et polies , et d'ailleurs étant du sang royal par son père Arrabaze, Parménion lui dit qu'il ne devoit pas laisser perdre 1'occasion d'avoir les bonnes graees d'une dame si ac-  d'Alexandre le Grand. Liv. VI. 87 coraplie; elle lui donna un fils qu'il nomma Hercules, et néanmoins elle n'eut point le nom de reine. Après la mort d'Alexandre les Macédoniens demandèrent Hercules pour leur roi, mais Cassandre le fit assassiner •, il étoit alors agé de 17 ans. Pendant que Parménion prenoit possession de Damas et de la Ccelesyrie 3 Alexandre parcouroit les cötes de la mer pour s'assurer des ports, et chasser la Hotte de Darius; 1'éclat de sa dernière victoire avoit répandu la terreur de tous cótés -, les plus grandes villes venoient a sa rencontre le reconnoitre pour leur maitre. L'isle d'Arade , célèbre par son antiquité et par la multitude de ses habitans, engagea Straton son roi, a lui porter une couronne d!or, et lui remettre Maraton et Mariamme, villes fortes et opulentes , avec plusieurs autres qui dépendoient de son royaume. Ce prince s'étoit ligué avec les ennemis d'Alexandre, mais le succès de la bataille Issus arrêta ses projets. Darius qui s'étoit vu quelques jours auparavant a la tête d'une si nombreuse et si florissante armée, qui s'étoit trouvé a la bataille élevé sur un char, plutót en appareil de triomphe qu'en équipage de guerre , fuyoir a travers des campagnes couvertes auparavanr du nombre infini de ses troupes , et qui n'avoient plus que la face d'un désert et d'une vaste solitude •, ce malheureux prince courut avec peu de suite, car tous les siens n'avoient pas pris la même route , et la plupart de ceux qui 1'accompagnoient n'avoient pu le suivre, paree qu'il changeoit souvent de chevaux. Enfin, il arriva a Soques ou il ramassa les débris de son armée, qui ne montoient qu'a quatre mille hemmes, tant Perses qu etrangers. De-la il gagna Tapsaque, sur 1'Euphrate, qu'il passa en eet endroit; ne se croyant point encore F 4  SS Histoire vamen, il écrivir a Alexandre en termes pleins de hauteur et de fierté ; ce prince étoit campé a Maraton quand il recut cette lettre de Darius. II y prenoit le titre de roi, sans le donner a Alexandre; il lui reprochoit qu il le venoit attaquer sans qu'il lui eüt jamais fait aucun tort; il est vrai, discit-il, que quelqu'un de mes dieux en courroux contre moi, a fait succomber mes armes, mais il ne m'a pas détröné; et malgré ma défaite , je puis vou: dj£e que c'est encore un roi qui vous redemande sa mère, son épouse et ses enfans. Est-ce de 1'argent que vous voulez ? Je vous en offre autant qu'il en faut pour enrichir la Macédoine; quant a 1'empire , nous vuiderons ce différend dans une action générale : mais si vous êtes encore capable de recevoir des avis, je vous conseille de vous contemer du royaume de vos ancêtrej, sans envahir celui d'autrui; au reste, si vous voulez encore être mon ami et mon fidéle allié, donnez-moi votre foi, je vous promets la mienne. Cette arrogance si mal placée, choqua extrêmement Alexandre. II se flattoit d'avoir vaincu Darius sans injustice , puisqu'il ne faisoit que venger en partie les maux que ses prédécesseurs avoient fait souffrir a la Grèce depuis 1'établissemenr de la monarchie. C'est dans cette idéé qu'il lui répondir. Lc Roi Alzxandn d Darius. Après les ravages et les hostiiités que vos ancêtres ent exercés sur nos frères , il vous sied mal de me vouloir faire passer pour celui qui commence la guerre. Les Grecs ont vécu trop long-tems dans 1'oppression, il est juste de les en affranchir, et c'est dans ce dessein qu'ils m'ont élu pour leur chef: mais sans re mouter au siècle de Darius et de Xercès, pour vous  d'Alexandre le Grand. Liv. VI. 89 montrer les causes de la guerre, pouvez-vous dissimuler les secours que les Perses ont donnés aux ennemis de vnonpère? n'ont-ils pas fait tout leur possible pour lui enlever la Thrace \ qui ne sait que Philippe a'a été assassiné que par ceux que les vötres ont subornésï vous-même tout récemment n'avez-vous pas promis 1,000 talens ( 30,000,000. ) a 1'assassin qui vous raporteroit ma tête ? vous avez sollicité les Grecs a prendre les armes contre moi, tous cependant ont refusé 1'argent que"vous leur orTriez, excepté les Lacédémoniens. Parmi ceux qui m'étoient attachés , vous en avez séduit une partie; ils combattent sous vos enseignes •, ils conduisent vos troupes; ils font la force de votre armée, et les seuls qui me rassent de la peine. Ce sont la des attentats qui vous sont personnels. Doutez-vous a présent que vous ne soyez 1'aggresseur ? les dieux aussi témoins de la justice de ma cause et vengeurs des inj ures, ont protégé mes armes; depuis que je suis entré en Asie , j'ai vaincu vos généraux plusieurs fois; je vous ai vaincu vous-même il y a peu de jours. J'ai dans mes troupes plusieurs Perses qui se félicirent d'avoir changé de maitre ; quoique victorieux, ils me trouvent encore des senrimens; ils me servent moins en qualité de captifs qu'a titre de zèlés volontaires, etj'aisureux autant d'attention que sur mes Macédoniens. Depuis la journée d'Issus, j'ai sur vous le mêmedroit, et je vous conseille d'imiter leur conduite en venant reconnoïtre votre maitre : au reste quoique je ne dusse tien vous accorder de tout ce que vous me demandez , paree qua vous ne fakes point la guerre par des voiesd'honneur, néanmoins si vcus venez vous présenter a moi comme suppliant, je vous rendrai sans rancon votre mère, votre épouse et vos enfans. Si vous n'avez pas asses de confiance pour vous metae entre mes mains, je  9° tiistoln vous donnerai ma foi que vous ponvez venir en w ance; vous avez éprouvé que je scai vaincre Vou egai et non-seulement a un roi de Macédoine ™is au monarque de toute TAste , a qui Ze 1' re, votre couronne et tous vos bien» apparSnnem ■ tout autre style rnoffense : « si vous n'en jugez p s' ~donc d'en venir ^Js: c! ° ' , VOl,S P0UV6Z tónir POUI «train que je ne roice de vous avouer vaincu. bien ld ^ S'atTd0i; PaS k tr°UVer tant de *****; bien, résolu cependant de défendre sa couronné jusqu a fermere extrémité, il passa 1'Euphrate, et o do -ees plus fortes et pius nombreuses que celle que Ion avoit déja faites. Alexandre passant dans Ia Phénicie, recut Ia ville <*e Liblos dans son obéissance; tout se rendoit a son reTSsid1"15 " f fiCpl,US deplai5il' fc" rent les Sidoniens. Ces peuples pleins de haine pour le «om Persan, „e balancèrent point a secouer fc "oug aux approches d'Alexandre; Straten, leur roi, fit om «n Possible pom les en empêcher , maisinntilem „t 1 , citoyens 1 obligèrent a aller mettre sa couronne au^ P*ds da roi de Macédoine. Cette demarche, si elle fik venue de lui-même, ne lui auroit point fait detort; mais des que le roi eüt pris possession de la ville, on nnorma des resistances de Straton, et de son attache- ment aux Perses. II lui envoya ordre aussi-rót de 'se demertrede la pourpre , et permit a Ephestion de mettre en sa place celui des Sydoniens qu'il jue.eroit digne dune si haute fortune. Ce favori étoit logé chezdeux jetmes hommes des P!u; distingués de la ville ; con-  (tAlexandre le Grand. Liv. VI. ?t noissant leurs mérites , il leur offrit la couronne. Mais ils la refusèrent, disant que par les loix de 1'Etat, nul ne pouvoit monter sur le tróne qu'il ne fut du sang royal. Ephestion étonné de cette grandeur dame, et les •voyant refuser ce que rant d'autres cherchent par le fer et par le feu : è cceurs véritablement grands, leur dit-il, continuez de penser ainsi, vous qui les premiers avez compris qu'il est plus glorieux de refuser un royaume que de le posséder! mais au moins donnezmoi quelqu'un de la race royale, qui se souvienne, quand il sera roi, que vous lui avez mis la couronne sur la tête. Ce plein pouvoir de dispossr du sceptre leurattira bien des adulateurs; chacun venoit leur relever sa'naissance, sa fortune, ses belles actions, sa valeur, sa sagesse , ses services passés et sa reconnoissance a venir ; tous les grands étoient leurs amis, tous étoient rélês pour Alexandre. II y avoit un certain Abdolonime , dcscendu quoique de loin de la tige royale; mais il étoit si pauvre , qu'il étoit contrahit pour vivre de cultiver par un travan1 journalier nn jardin hors de de la ville. Sa probité 1'avoit réduit a cette pauvreté, Uniquement occupé de son travail il ne faisoit point attention au btuit de la guerre qui avoit ébtanlé toute TAsie: ce fut néanmoins sur lui que les deux firères jettèrent les yeux ; ilsle proposèrent comme le seul qne le sang et la vertu appelloient sur le tróne; Ephestion y consentit. Ils allèrent donc le chetxher avec les habits royaux , et ils le trouvèrent dans son jardin den: il arrachcit les mauvaises herbes. Ils le saluèrent roi, ct 1'un deux , penant la parole, lui dit : II s'agit de changef ces haillons avec 1'habit que je vous apporte; quittez eet extérieur vil et bas, dans lequel vous avez vieilfi , et prenez un carnt de roi; mais  3X Histoirc portez et conservé? sur le tróne, cette vertu qui vois en a rendu digne , et lorsque vous y serez monté, devenu le souverain arbitre de la vie et de la mort de vos citoyens , gardez-vous d'oublier 1'étatpour lequel vous avez été choisi. II sembloit a Abdolonime que c'étoit un songe , et ne comprenant riena tous ces discours , ü leur demandoit s'ils n'avoient pas home de semoquer aina de lui et de venir 1'insulter; mais comme il rardoit trop a leur gré, ils lui ótent ses vieux habits et lm jettent sur les épaules une robe de pourpre, briljante de 1'or dont elle étoit enrichie , et après lui avoir juré qu'ils ne se moquoient point de lui, ils le conduisirent au palais au travers du tumulte que 1'envie et la jalousie excircient. Alexandre le fit venir, er après 1 avoir considéré , il lui dit: Ton air ne dément point ce que Ton dit de ton origine; mais je voudrois bien savoir avec quelle patience tu as supporté ta misère i ilaise aux dieux, répondit Abdolonime , que je puisse supporter cette couronne avec autant de force I ces bras ont fourni z mes desirs, et tandis que je iTavoisrien , rien ne m'a manqué. Ces paroles pleine de sens augmentèrent 1'estime qu'Alexandre avoit concue pour lui, de sorte qu'il lui fit donner tous les meubles précieux de Straton , plusieurs aucres choses du butin pris sulles Perses , et de plus, ii joignit a son Etat une des contrées voisines. La Syrië et la Phénicie étoient déja au pouvoir des Macédoniens, excepté la seule ville de Tyr. Ce n'étoic pas sans raison que ceite ville sappelloit la reine de la mer, qui lui apportoiten efFet le tribut de tous les peuples de la terre; elle se vantoit d'avoir la première inveaté la navigation et enseigné aux hommes 1'art d'affronter les vagues et les tempêtes avec un frêle vaisseau. L'heüreuse situation de Tyr, h commodité et 1'éren-  d'Alexandre Ie Grand. Liv. VI. 93 due de ses ports, le caractère de ses habirans 3 industrieux, laborieux , patiens, pleins d'bonnêteré pour les étrangers, y attiroient les marchands de toutes les parties du monde : de sorte qu'on pouvoit la regarder non pas comme une ville qui appartïnt a un peuple particulier , mais comme la ville commune de tous les peuples et le centre de leur commerce. Quand Alexandre en approcha des députés lui apportèrent une couronne d'or d'une extréme grandeur , de riclies présens et des rafrakhissemens pour son armée : le heros les recut avec affabilité et leur dit qu'il vouloit aller luimême sacrifier a Hercules , son protecteur. Les députés le lui refusèrent , et lui protestéren: que 1'entrée de leur ville ne seroit ouverte a aueun des Grecs ni des Macédoniens ; qu'au reste Hercules avoit un ancien temple sur le bori de la mer dans lequel il pourroit également offrir ces sacrifices. Le conquérant, après tant de victoires 3 avoit le cceur trop haut pour souffrir un pareil affront il résolut de les forcer par un siége-, ils se disposèrent de leur cóté a se bien défendre. Le printems approchoit; Tvr, étoit alors dans une isle de la mer, a un quart de lieue environ du continent; elle avoit une forte muraille d'une hauteut extraordinaire, et les flots de la mer en baignoient le pied; toute la Hotte de Darius, 011 servoit Azelmique roi de Tyr , sous Autophradate , ne pouvait manquer de venir au secours , et ils étoient sürs que les Carthaginois, colonie de Tyr, qui avoient alors une armée navale, n'abandonneroient pas leurs fondateurs : c'est ce qui les rendoit si fiers. Déterminés a ne se point rendre, ils rangent les machines sur les remparts et sur les tours, arment la jeunesse , dressent des atteliers pour employer les ouvriers qui étoient en grand nornbre dedans la ville; de sorte que tout retentksok du bruit et des prépara-  94 ihsto'ife rifs de la guerre. Ils faisoient aussi forger des mains da fer pour jetter sur les ouvrages des ennemis et les enlever , des crampons et autres semblables instrumens inventés pour la défense des villes. Alexandre avoit des raisons essentielles de se rendre maitre de Tyr; il senroit bien qu'il ne pourroit attaquer aisément 1'Egypte tandis que les Perses seroient maitres de la mer, ni poursuivre en süreté Darius, s'il laissoit derrière lui dans un pays ennemi ou suspect, une ville de cette importance; il craignoit alors aussi qu'il ne s'élevat quelques mouvemens dans la Grèce, et que les ennemis , qui avoient déja repris quelques villes maritimes de 1'Asie mineure, et grossi leur armée navale , ne fissent une descente en son pays tandis qu'il seroit a poursuivre Darius dans les plaines de Babylone. Ces craintes étoient d'autant mieux fondées que les Lacédémoniens étoient ouvertement déclarés contre lui, et que lesAthéniens volages, demeuroient dans son parti, moins par affection que par crainre ; mais s'il venoit a bout de soumettre Tyr, route la Phénicie érant en son pouvoir, il ötercit aux Perses la moitié de leur armée navale qui étoit composée de la flotte de cette province, et réduiroit bientöt 1'isle de Chypre et 1'Egypte quine pourroient lui résister dès qu'il seroit devënu maitre de la mer. D' un autre coté il semble qu'Alexandre , selon les régies de la guerre, devoir, après la bataille d'Issus, poursuivre vivement Darius , sans lui donner lieu de revenir de sa frayeur et sans lui laisser le tems de mettre sur pied une nouvelle armée; le succès de cette entrcprise qui paroissoit immanquable , devoit seul le rendre formidable et supérieur a tous ses ennemis ; ajoutez que s'il venoit a manquer cette place, comme ccla paroissoit assez vraisembhble, il décrioit luj-même ses armes,  d'Alexandre le Grand. Liv. VI. 95 perdóit le fruit de ses victoires et apprenoit a ses ennemis qu'on pouvoit le vaincre; mais Dieu qui vouloit par son ministère punir 1'orgueil de Tyr , comme on le voir dans les prophéties , lui öta toutes ces pensees et le détermina au siége de cette place malgré toutes les difiicultés qui s'opposoit a un dessein si hazardeux, et malgré toutes les raisons qui devoient le porter a sunivre un parti contraire. livre vil Il étoit impossible de donner 1'assaut, a moins que de faire une chaussée qui allat du continent a Fisle, et cette entreprise avoit des difiicultés qui paroissoient insurmontables. Le petit bras de mer qui séparoit 1'isle de la terre ferme, étoit exposé au vent du couchant, lequel y excitoit de fréquentes tempêtes, entra'moit en un moment tous les ouvrages, et ruinoit tous les travaux. D'ailleurs la ville etoit battue des flots de tous cótés; on ne pouvoit y planter des échelles ni y dresser des batteries que bien loin sur des nayires , et le grand talut du mur empêchoit qu'on ne put y aborder, eurre que les machines que 1'on eüt pu mettre sur les galères n'eussent point fait grand eitet, a cause de 1'agitation des vagues. Rien ne fut capable de rebuter ni de vaincre la fermeté du courage d'Alexandre, qui étoit résolu d'emporter cette place a quelque prix que ce fut ; mais comme le peu qu'il avoit de vaisseaux étoit éloigné , et que le siége d'une si forte ville pouvoit trainer en longueur et reculer pour long-tems ses autres entreprises , il crut devoir encore tenter des voies d'accommodement. ii envoya dcnc des hérauts pour  *>6 Históire convier les habitans a la paix; les Tyriens les tuèrent tous contre les droits des gens , et les jettèrent du haut des murs dans la mer. Alexandre outré d'un si sanglant affront ne délibéra plus j et donna toute son application a construire une chaussée. II trouva dans les ruines de la vieille Tyr , qui étoit sur le centinent, des pierres et des décombres qui lui servirent a faire ses jettées ; le mont Liban qui n'étoit pas éloigné, lui fournissoit le bois pour la charpente et le pilotage. En peu de tems elle étoit déja poussée assez avant, par la multitude et 1'ardeur des ouvriers qu'il y eraploya. 11 avoit appelé pour eet effet les peuples du voisinage, et entre autres il avoit écrit a Jaddus , grand sactificateur des Juifs, et lui avoit demandé un commerce libre pour son armée . et les mêmes assistancts qu'il donnoit a Darius ; 1'assurant qu'il ne se repentiroit point de hii avoir donné la préférence. Jaddus lui répondit que les Juifs avoient juré aux rois de Perse de ne jamais perver les armes contre eux , et qu'ils ne pouvoient y röariqifer. Alexandre irrité lui manda qu'aussi-tot qu'il auroit détruit Tyr, il marcheroit a lui avec toute son armée, pour lui apprendre a. qui il devoit garder le serment. Sannabalat, prince des Moabites , ne fut point si fidéle que Jaddus , dont il étoit ennemi déclaré. II abandonna Darius , et mena huit mille hommes a Alexandre, de qui il obrint la permission de batir prés de Samarie un templa comme a Jérusalem, afin , disoit-il , de diviser par ce moven les forces des Juifs et d'empêcher cette nation de se révolter toute entière. Les Macédoniens , cependant, travaillcien: avec un zèle infatigable a se ftayer un chernin solide au milieu de la mer, animés par la présence du prince qui donnoit ordre a tout , et qui habile dans 1'art de ma\ 1 nier  d'Alexandre le Grand. Liv. VII. 97 nier et de gagner les soldats , excitoit les uns par des louanges, les autres par de légères réprimandes, qull assaisonnoit d'un air de bonté 3 et qu il accompagnoit de promesses. On avanca assez vïte d'abord , paree qu'il n'étoit pas difficile d'enfoncer les pieux dans la vase, qui servoit aux pierres de mortier et de ciment, et que 1'endroit ou 1'on travailloit étoit encore hors de portée de la ville. A mesure que 1'on s'éloignoir du rivage la difficulté augmenroit , paree que la mer se trouvoit plus profonde et que les ouvriers commencoient a être incommodés des traits qu'on leur lancoit du haut des murs. Lés ennemis maitres de la mer s'avatïcant sur des chaloupes, et rasant la digue de part et d'autre , empêchoient qu'on ne püt la continuer commodément. Ajoutant 1'insulte a leurs attaques, ils crioient aux Macédoniens que c'étoit un beau spectacle de voir ces conqutrans , si renommés par tout le monde , porter des fardeaux sur leurs dos comme des bêtes de charge. Ils leur demandoient, d'un ton tailleur 3 si Alexandre se croyoit plus grand que Neptune ? Ces traits piquans ne faisoient qu'enhammer 1'ardeur du soldat. La ehaussée commencoit a s'applanir sur une largeur assez étendue, et s'avancoit considérablement vers la ville. Les assiégés virent avec une surprise remplie de frayeur la grandeur du travail dont la mer leur avoit dérobé la connoissance ; ils vinrent avec des esquifs reconnoitre la digue qui n'étoit point encore bien liée , ces esquifs étoient remplis de frondeurs, d'archers et de gens qui lancoient des javelots et même du feu , et environnant la tête du travail , ils tiroient de tous cótés sur les travaileurs. Plusieurs y furent blessés sans se pouvoir garantit des coups , paree que les ennemis maniant leurs esquifs avec beaucoup de déxtérite 3 s'avancoient , faisoient Terne VI. G  <)S Histoire leur décharge ét se retiroient aussi-tór. On étoit obligé cl'abandonner le travail. Alexandre, pour y remédier, fit tendre des peaux et des voiles qui, comme des rideaux, couvroient les soldats a droite et a gauche; il éleva a la tête de la digue deux tours de bois qui en défendoienr 1'approche. Les Tyriens firent une descente sur le rivage hors de la vue du camp , oü ils mirent a terre quelques soldats qui taillèrent en pièces ceux qui portoient la pierre; et sur le- mont Liban des paysans arabes trouvant des Macédoniens écartés, en tuèrenr plus de trente, et n'en firent guères moins de prisonniers. II n'y eut point d'inventions , de stratagêmes dont les assiégés ne s'avisassent pour ruiner les travaux des ennemis. Ils prirent un vaisseau de charge, et 1'ayant rempli de sarments et d'autres matières sèches et légères vers la proue, ils y mêlèrent du soufre , de la poix, et autres choses qui prennent aisément feu, et élevèrent au milieu du monceau, deux mats , a chacun desquels ils attachèrent deux antennes oü pendoient des chaudrons pleins d'huile et d'autres matières semblables. Ils chargèrenr ensuite le derrière du navire , de pierres, desable, pour faire lever la proue. Quand ils eurent trouvé un vent propre , ils le trainèrent avec plusieurs galères; quand ils furent prés des tours, ils mirent le feu au brülot et le poussèrenr vers la pointe de la digue, s'étant auparavant sauvés a la nage. La fiamme prit aux tours avec grande violence, aussi-bien qu'a d'autres ouvrages qui les soutenoient. Les antennes agitées de cötés et d'autres augmentoient 1'embrasement, en jettant de 1'huile dans le feu ; et de peur que les Macédoniens n'accourussent pour 1'éteindre , les galères Tyriennes tiroient continuellement vers les tours des traits enflammés et des torches ardentes , de sorte qu'on ne  d'Alexandre le Grand. Liv. VI. 99 pouvoit en approcher. Plusieurs des Macédoniens pêrirent misérablement sur la digue, percés de traits ou briilés par le feu. Les uns quittant leurs armes se précipitoient dans la mer; mais comme ils nageoient, les Tyriens qui cherchoient a les prendre vifs plutöt que de les tuer , leur estropioient les mains a coups de pierres ou de gros batons, et les enlevoient après les avoir mis hors de défense. Les habitans sonanten mêmetems de la ville avec des bateaux, arrachoient les pieux qui entretenoient la digue , et brülèrent aussi le reste des machines. Alexandre voyant ses desseins presqu'entièrement renversés, ne se laissa pas décourager, ni abattre par ces contre-tems et par toutes ces perres. On travailla avec une nouvelle ardeur a réparer les ruines de la chaussée, et il fit construire et placer de ncuvelles machines avec une promptitude incroyable qui étonna les ennemis. II se trouvoit par-tout, et conduisoit les différens travaux. Sa présence les avancoit encore plus que ne faisoient tant de mains ; lpüvrage approchoit beaucoup de sa fin et touchoit presque aux murs de la ville, lorsqu'il s'éleva rour - a - coup un vent impétueux qui poussa les vagues avec rant de violence, que tout ce qui faisoit liaison se lacha, et le tlot passant a travers les pierres, rompit la digue par le milieu. Le reste des terres dont elle étoit couverte, fondit comme dans un abyme , et les Macédoniens se trouvèrent aussi avancés que le premier jour de leurs travaux. Tout autre qu'Alexandre eüt alors renoncé a 1'entreprise, mais un maitre supérieur qui avoit prédit et juré la ruine de Tyr, et dont ce prince ne faisoit qu'exécuter les ordres sans le connoitre, le retint a ce siége; ct dissipant ses inquiétudes et ses craintes, le remplit de courage et de confiance, et inspira le même sent» G z  !ïoo Histoire ment a. toute I'armée; comme si les soldats n'eussent, fait que d'arrivet devant la ville, oubliant toutes les fatigues qu ils avoient déja essuyées , ils se mirent a recommencer une nouvelle digue, et travaillèrent sans relache pour la faire plus forte et plus large , afin que les tours qu on éleveroit fussent a 1 abri de 1'insuite. Alexandre senroit bien qu il ne pouvoit, ni achever sa digue, ni prendre le ville, tant que les assiégés seroienr maitres de la mer; il songea donc a rassembler a Sydon le peu de galères qui lui étoient restées. Dans le même tems, comme si la fortune eüt été d'accord avec ses projets, les rois dArade et de Byblos, apprenant que leurs villes étoient au pouvoir d'Alexandre, quittèrent I'armée navale des Perses, vinrent le trouver avec leur flotte et celle des Sydoniens, qui faisoient en tout 8© voiles. II y arriva aussi presqu'en mêmetems 10 galères de Rhodes, 5 de Soles et de Malles, 10 de L ycie, et une de Macédoine a to rames. Les rois de Cypre voyant les affaires de Darius en mauvais êtat et Alexandre maitre de la Phénicie, vinrent se joindre a lui avec plus de 120 galères. Ayant laissé la conduite des travaux a Cratere et a Perdiccas , il prit avec lui quelques compagnies d'élire et son régiment des gardes, et alla faire une course chez les Arabes qui habitent 1'Anti-Liban. Les égards qu'il eut dans cette expédition pour un de ses anciens maitres qui voulut absolument le suivre, 1'exposèrent a. de grands dangers; il se rencontra une montagne qu'il fallut passer; Alexandre descendit de cheval et montoit a pied; ses troupes 1'avoient devancé considérablement; il se faisoit déja tard , et néanmoins il ne voulut point courir pour rejoindre ses soldats , afin de ne point abandonner Lysimaque qui étoit pesant et ne marchoit qu avec peine. II se trouva donc éloigné  d'Alexandre le Grand. Liv. VIL io\ de sa petite armée, avec très-peu de gens autour de lui, lorsque la nuk le surprk; ils la passèrent presque toute entière au milieu des déserts, et dans un froid des plus cuisants. L'ennemi n'étoit pas éloigné , ec auroit pu aisément 1'accabler par le nombre; mais son bonheur ordinaire et son courage le tirèrent de ce péril. Ses gens mouroient de froid •, il appercut des feux que l'ennemi avoit allumé sur les montagnes; se confiant a la légereté de son corps, et accoutumé qu'il étoit k soutenir toujours par ses travaux les Macédoniens dans toutes leurs peines^et a les tirer de tous les périls, il courut a ceux qui avoient allumé le feu le plus prochain, tue deux Arabes qui y étoient en faction , et prenant un tison allumé , il 1'apporta k ses gens qui allumèrent un grand feu. Les barbares en furent si efFrayés, que les uns prirent la fuite, et les autres étant venus sur lui en désordre , furent repoussés et taillés en pièces. Le jour étant venu, il rejoignit ses troupes , avanca dans le pays, et se rendit maitre de tous les lieux forts, ou par force ou par composition , et revint le onzième jour a Sidon , ou il trouva 4000 Grecs nouvellement arrivés de Teloponèse. De retour a Tyr , il trouva I'armée navale prête ; il fit monter dessus une partie de ses troupes pour livrer un combat, et fit voile vers Tyr rangé en bataille. II eonduisok 1'aile droite qui étoit vers la pleine mer , suivi des rois de Cypre et de Phénicie; Cratere commandoit la gauche.. Les Tyriens avoient résolu de ne point refuser la bataille , mais lorsqu'ils virent paroitre la Hotte en superbe appareil, ils retirèrent toutes leurs galères dans leur port pour en défendre 1'entrée. Le prince ne voyant plus paroitre personne , s'avan$a plus prés de la ville, et comme il vit qu'il ne pouvoit forcer le port qui étoit du cöté de Sydon, paree que 1'entrée G i  'ioi Histcirc en étoit trop étroite et défendue par un grand nombre de galères , il se contenta d'en couler a fond trois qui étoient dehors, et vint après mouiller 1'ancre avec sa flotte assez prés de la digue, le long du rivage oü il trouva un abri. Pendant tous ces mouvemens la nouvelle digue avancoit beaucoup; les travailleurs jettoient des arbres enriers dans la mer avec toutes leurs branches , er les chargeoient après de grosses pierres , sur lesquelles ils mettoient d'autres arbres qu'ils couvroienr d'une terre grasse qui leur servoit de mortier; puis la dessus en rassant encore des lits de pierres et des lits d'arbres, ils faisoiens un tout assez bien lié ensemble. Les assiégés faisoient des efforts extraordinaires , et mettoient rour en usage pour empêcher le travail; ce qui leur servoit le plus étoient leurs plongeurs qui nageanr enrre deux eaux, venoient sans être appercus jusqu'a la digue, et avec des crocs ils tiroient a eux les arbres par les branches qui sortoient en dehors. Après les avoir ainsi arrachés, ce qui étoit dessus tomboit dans la mer. Ce manége qu'ils réitéroient assez souvent, retarda un peu 1'ouvrage •, mais enfin la patience ayant surmonté tous les cbstacles, la digue fut achevée et conduite a sa perfection sur un assez belle largeur jusqu'aux pieds des murs. En même tems Alexandre envoya la flotte de Cypre commandée par Andromaque, se poster devant le port qui regarde Sydon , et celle de Phénicie vis-a-vis celui qui étoit du coté de TEgypte, vers 1'endroit oü sa ten te étoit dressée , et il se mit en état d'attaquer la ville de tous cötés. Le mur qui étoit au bout de la digue , étoit d'une hauteur extraordinaire et large a proporrion, tout bati de grandes pierres; dessus ils avoient encore élevé des rours. L'approche n'étoit gueres plus facile aux autres endroits., paree  d'Alexandre le Grand. liv. VII. 105 ju'ils avoient embarassé le bas du mur d'une grande uiantité de pierres pour en défendre 1'abord aux vais;aux. II fallut donc les tirer , ce qu'on ne put faire p'a grande peine , paree qu'on ne travailloit pas de pied ferme dans les vaisseaux; d'ailleurs les Tyriens venoient avec des galères couvertes, couper les cables ies ancres des navires. Alexandre fut contrahit de les couvrir avec plusieurs vaissaux a trente rames, qu'il fit mettre de travers pour servir de rempart aux ancres contre 1'abord des galères Tyriennes. Ils ne laissoient pas de les venir encore couper subtilement par le moyen de leurs plongeurs, ce qui obligea a la fin de les attacher avec des chaines de fers. Après on tira ces pierres avec des cables , et les ayant enlevées avec des machines, on les jettoit au fond de la mer. Le pied du talud du revêtement étant ainsi nétoyé , il fut aisé d'en approcher les navires. Les Tyriens furent donc investis de tous cótés, et 011 les attaqua par terre et par mer. Alexandre ayant fait joindre deux \ deux plusieurs galères , les avoit fait couvrir d'un plancher, sur lequel il placa des soldats. Elles voguoient ainsi a force de rames vers la ville, et tiroient a couvert contre ceux qui paroissoient sur les murailles, Le roi les fit avancer vers le minuit pour donner par-tout un assaut général. Les Tyriens voyant ces grands préparatifs étoient presque désespérés , et ne scavoient plus quelle défense opposer , lorsque le ciel s'étant couvert de nuage, il s'éleva une affreuse tempête. Les vaissaux sont agités si rudement, que les cables qui les tiennent attachés se brisent, les planchers fondent avec un fracas épouvantable , et entrainent avec eux les hommes. II n étoit pas possible dans une si furieuse tempête, de gouverner les ealères liées ainsi 1'une avec 1'autre; le soldat em- G4  104 Histolre barassoit le matelot, et comme il arrivé dans ces sortes d'accidens, tel commandoit qui devoit obéir, la crainte et le trouble causant un désordre général. i a mer céda enfin aux efforts opiniatres des rameurs qui sembloient lui arracher de vive force leurs vaisseaux , et les ramenèrent enfin sur le bord, mais Ia plupart fracassés. On auroit peiue a croire les peines , les fatigues et les traverses qui arrivèrent de part et d'autre dans ce siége, si elles n étoient attestées par rous les historiens dont plusieurs en avoienr été spectateurs en qualité d officiers. Le nombre des soldats d'Alexandre lui donnoit ia facilité de les relayer, mais les Tyriens étoient seuls, car les Carthaginois sur lesquels ils avoient compté ne purent leurapporter aucun secours 3 étant eux-mêmes vivement attaqués par Agathocle, tyran de Syracus \ tout le secours qu'ils donnèrent a Tyr, fut d'emmener les veillards , les femmes et les enfans, avec les autres bouches jnutiles. Les Tyriens cherchoient ainsi a écarter de devant leurs yêux, tout ce qui pouvoit les attendrir ou affoiblir leur courage ; ainsi que d'un autre ccté ils cherchoient a retenir par force leurs dieux, afin de ne pas perdre leur protection Un particulier crur voir en songe Apollon qui se préparoit a sortir de la ville; il raconta sa vision a plusieurs personnes. L'alarme se mit de tous cötés, et 1'on convint de prendre de süres précautions pour 1'empêcher de passer dans le camp d'Alexandre. Les Tyriens attachèrent sa siarue sar un pied-d'estal, avec de grands clouds, et 1'appelèrent par dérision Alexandriste. Ils lièrent ensuite le pied-d'estal a une colonne du temple d'Hercules qu'ils ne croyoient pas devoir les abandonner,puisqu'ilétoitoriginairedupays, au-lieu qu'Apollon étoit a leur égard une divinité étrangére. Qui croiroit  d'Alexandre le Grand. Liv. VIT. 105 qu'un peuple si sage en tout ce qui regardoit les arts et les sciences, püt devenir aussi insensé en matière de religion } Quelques - uns avoient même proposé de renouveller un usage que 1'on avoit aboli depuis plusieurs siecles, d'immoler un jeune enfant pour appaiser sa colère; mais les anciens s'y opposèrent, disant que ce n'étoit pas par le sang des hommes qu'il falloit appaiser la colère des dieux. Ayant donc ainsi retenu par force un dieu qui ne vouloit pas rester de bonne amitié , ils résolurent d'attaquer la flotte de Cypre qui .étoit a 1'ancre de Sydon. Ils prirent le tems que les matelots étoient écartés ca et la , et qu'Alexandre étoit retiré dans sa tente sur le bord de la mer; ils sortirent sur le midi avec treize galères remplies de soldats choisis , et vinrent fondre sur les vaissaux ; ils en trouvèrent une partie vuide, et 1'autre que 1'on avoit remplie a la hate -, ils en coulèrent quelques-uns a fond , et en firent échouer plusieurs sur le rivage. La perte auroit été plus considérable, si Alexandre ne fut accoum avec 1'autre flotte; ils ne 1'attendirent pas, et se rerirèrenr dans leur port avec perte cependant de quelques-uns de leurs vaissaux. Les machines et les batteries ayant été mises en mouvement, la ville étoit vivement battue de toutes parts, et non moins vivemei.t défendue. Les assiégés, instruits et animés par le danger pressant et 1'extrême nécessité , inventoient tous les jours denouveauxmoyens de se défendre et de repousser l'ennemi. Ils rendoient inutiles les rraits que les ballistes lancoient contre eux, par des roues mobiles qui les brisoient ou rompoient leur force. Ils amortissoient la violence des pierres en leur opposant des espèces de voiles et de rideaux d'une matière molasse et qui cédoit aisément. Pour incom-  ioG Hïstoire moder les navires qui approchoient de leurs murailles , ils attachoient des corbeaux, des grappins , des faulx, des mains de fers , a des solives ou a des pourres ; puis, ayan: bandé leurs machines qui étoient des espèces d'arbalêtres, ils ajustoient dessus , au lieu de fléches, ces pièces de bois qu'ils décochoient avec violence contre les ennemis. Elles écrasoient les uns par leur poids , et les crocs ou les faulx pendantes dont elles étoient garnies j déchiroient les autres et endommageoient même les vaissaux. Ils avoient aussi des boucliers d'airain qu'ils tiroient tout rouge du feu les remplissoient de sable embrasé qu'ils jettoient de dessus la muraille sur les assiégeans. Les Macédoniens ne craignoieirt rien tant que cette dernière invention , car dès que le sable ardent avoir arteint la chair par le défaut de la cuirasse, il pénétroit jusqu'aux os , et s'y attachoit si fortement qu'on ne pouvoit le tirer. Dès que les soldats le senroient, ils jettoient-la leurs armes , et déchiranr leurs habits, ils demeuroient sans défense, exposés aux coups des ennemis. Ce fut alors qu'Alexandre rebuté d'une si longue résistance , délibéra sérieusement s'il ne devoit point lever le siége et passer en Egypte •, car après avoir parcouru toute 1'Asie avec une rapidité incroyable, il se yoyoit malheureusemenr arrêté et perdoit autour d'une ville seule 1'occasion d'exécuter tant d'autres projets de plus grande importance : d'un autre coté , il considéroit que ce seroit une grande brèche a sa réputation , qui lui avoit setvi plus que ses armes, de laisser Tyr derrière lui comme une marqué que 1'on pouvoit lui résister. II résolut donc de faire un dernier effort, avec un plus grand nombre de vaisseaux qu'il chargea de la fleur de ses troupes. II se donna un combat naval ou les Tyriens, après s'être battus en geus de coeur, furent enfin obligés  £ Alexandre le Grand. Liv. VIL 107 'de se retirer vers la ville. Le roi les suivit, sans pouvoir néanmoins entrer dans le port, a cause des traits qu on lui tiroit du haut des murs; mais il prit et coula a fond un grand nombre de leurs vaisseaux. Alexandre donna deux jours * ses troupes pour se reposer, et le troisième il fit avancer sa flotte et dresser ces machines pour un assaut général. L'attaque et la défense furent encore plus vives qu'elles ne 1'avoient été jusqu'alors \ le courage croissoit a proportion du danger. Animés de part et d'autre par les motifs les plus puissans , ils se battoient comme des lions. Les béhers ayant abbatu quelques pans de muraille , les Argiraspides montèrent courageusement sur la brèche , ayant a leur tête Admete , un des plus braves officiers de I'armée. II fut tué d'un coup de pertuisanne , pendant qu'il encourageoir les siens. La présence du prince et encore plus son exemple animoient les troupes •, il monta lui-même sur une de ces tours de bois qui étoit fort élevée, et s'exposa au plus grand péril oü son courage leut jamais porté; car étant d'abord reconnu aux marqués royales et a la richesse de ses armes , il servoit de but a tous les traits des ennemis. II tua a coup de javelot plusieuts de ceux qui défendoient la muraille; il renversoit du cóté de la ville ou du coté de la mer, les uns a coup d'épée , les autres avec son bouclier , paree que la tour d'oü il combattoit touchoit presqu'au mur. II passa bientót par le moyen des planches que 1'on y jeta qui servirent de pont; suivi de sa noblesse , il se rendit maitre de deux tours et de la courtine qui étoit entre deux. L'armée navale avoit forcé le port, et quelques compagnies de Macédoniens s'étoient saisis des tours qu'ils trouvèrent abandonnées. Les Tyriens voyant les ennemis maitres de leur rempart, se retirèrent vers la place  ioS^ Histoire d'Agenor, oü ils firent ferme contenance. Mais A lexandre survenant avec son régiment des gardesj en tua une partie et dissipa 1'autre. La ville étant prise de tous cótés, les Macédoniens coururent par tout satisfaisant leur ressentiment , et irrités de la longue opiniatreté des assiégés. Les Tyriens se voyant accablés de toutes parts, les uns s'enfuirent au temple implorant le secours des dieux ; les autres s'enfermérent dans leurs maisons et prévinrent le vainqueur par une morr volontaire. D'autres enfin se jettèrent sur l'ennemi, résolus de vendre chèrement leur vie. Quelques-uns éroient montés sur les toits, et jettoient des pierres et tout ce qui leur romboit sous la main , sur ceux qni avancoienr dans la ville. Pour arrêter ces désordres , Alexandre fit publier que 1'on feroit main basse sur quiconque auroit les armes a la main. Très-peu vinrent se soumettre , il n'y eut guères que les filles et les enfans qui se réfugièrent dans les temples. Ceux que 1'on prit furent vendus comme esclaves au nombre de rrois mille; deux milles furent pendus sur le rivage de la mer. Les Sydoniens en mémoire de raffiniré qui étoit entre les Tyriens et eux , en sauvèrent environ i ƒ mille qu'ils transportèrent a Sydon. On peut juger combien les Tyriens perdirent de monde dans la dernière action et dans tout le siége, puisqu'il fut trouvé jusqu'a 6 mille soldats tués sur les seuls remparts de la ville. La ville de Tyr fut prise après sept mois de siége, vers la fin de juillet; c'est ainsi que s'accomplirenr les menaces que Dieu avoit prononcées contre Tyr par la bouche de ses propnètes. Cette fameuse ville se glorifioit d'être la mère des plus célèbres coionies; de porter dans son sein des marchands qui, par leur crédit, leur opulence et leur splendeur , égaloient les princes et les grands de la terre; d'avoir un  d'Alexandre le Grand. Liv. VIII. 105» i roi que 1'on pouv- c justement appeler le dieu de la mer; i de remonter par son antiquké jusqu'aux tems les plus reculés; d'avoir acquis par une longue suite de siécles une espèce d'i ternké, et d'être en droit de s'en prometire une ég; ■ v°nr 1'avenir. Elle se reléva neanmoins de sa chüte par la protectiond'Abdol v , roi de Sydon, et vingt années après, il s'en fal'- iit [ i W elk neut déja recouvré sa première splend-j; t. Alexandre , "'• de la ville , sacrifia a Hercules ; il conduisit la cc, «mie avec toutes ses troupes sous les armes j et la Ho. ; en fit autant de son cöté ; il célébra ensuite des fêtes èt des jeu::. A 1'égard de la statue d'Apollon dont il a été parlé , il lui fit öter ses cha'ines, et ord >mia que désormais ce dieu seroit honoré sous le nom de Philakxander, c'est-a-dire, ami d'Alexandre. LIVRE VIII. Pendant qu'Alexandre étoit occupée au siége de Tyr, il avoit recu une seconde lettre de Darius. II lui offroit tout le pays depuis la mer d'Yonie jusqu'a 1'Euphrate, et dix mille talens (300,000,000) pour la tencon des princesses captives, avec sa fille Statira en mariage. II lui donnoit enfin le titre de roi, mais il le faisoit souvenir de ne point abuser de la faveur de la fortune. « Prenez garde, lui disoit-il , il souhaitoit aussi passer pour avoir un dieu pour pèreParmi rous les oracles que la crédulité superstitieuse des payens consultoit alors, celui de Jupiter Ammon occupoit la première place. Ce fut lui qu'Alexandre voulut consulter, et faire ensorte qu'il le déclarat son fils. On 1'avertit pour le détourner de ce dessein, que ce temple étoit dans la Lybie; que la chaleur y étoit presque insupportable; que les eaux y étoient extrêmement rares; qu'il falloit traverser des déserts affreux ; que le vent du midi, très-ordinaire dans cette saison de 1'automne , y enlevoit des rourbiilons de poussière et de sable ; que 50,000 hommes de I'armée. de Cambyse étoient pétis pour avoir eu la témérité d entreprendre ce voyage. Ces remontrances furent vames; enflé par ses victoires, il avoit commencé a prendre ce caractère de roideur et d'inflexibilité qui ne sait que commander; qui ne peur soufirir d'avis et encore moins de résistance; qui ne connoït ni obstacle ni danger> qui fait consister le beau dans ce qui est impossible ; en un mot qui le met en état de forcer non-seulement les lieux, mais les saisons et 1'ordre entier de la natureEffers ordinaires d'une longue suite de prospémes qui renversent les plus forts, et fait enfin oubher que Ion est homme.  Bistoir-e II avoit quatre-vingt lieues a faire, dans lesque'Ies il trouva tous les obstacles que 1'on lui avoit annoncés.. Lui et ses soldats seroient infailliblement morts de soif, et auroient été ensevelis ou aveuglés par les sables sans une assistance particuliere du ciel. Après bien des peines, il arriva enfin le dixièmejour de marche au temple d'Ammon, situé au milieu de ces déserts ; il est cependant environné dun bois si tourfu, qua peine le soleil peut-il ypefcer; il y a aussi plusieurs fontaines qui arrosent ce bois et y conservent la verdure. II nya pas de doute que quelqu'un ne mnnqua pas. dinstruire les prêtres sur la vie, les conquêies et 1 ambition d'Alexandre , qui cherchoit a passer pour fils de Jupiter. Dès qu'il parut au temple, on lui en permit 1'enrrée, même avec ses habits royaux contre 1'usage ordinaire. Tandis qu avec un grand appareil il faisoit les cérémonies accoutumées, des femmes et des filles entonnoient des cantiques, mais d'une voix peu harmonieuse. Après que les sacrifices furent finis, Ie plus ancien des prêtres s'avanca, et lui dit: mon fik; eest Jupiter qui park par ma bouche, et vous donne ce nom dans la vérité. Je le recois , répondit Alexandre, et je nhésite point a k croire ; mak' je voudrok savoir si mon père m'a destiné a 1'empire de 1'umvers ? Oui, dit k prêtre , vous devez règner sur routes les ftanons. Enfin il lui demanda, sans y faire attention, si tous les meurrrkrs de son père Philippe avoient étc punis ? Vorre père, reprit le prêtre , est immorrel et inaccessible a la malice des hommes ; mais soyez rrariquille sur les assassins de Philippe; aller, triomphez par-tout comme un héros invihcible , jusqu'a ce que vous soyiez monté au rang des dieux. Quand cela fut achevéj Alexandre fit de magnifiques présens au dieu,  d'Alexandre le Grand. Liv. IX. 115 et n'oublia pas les prêtres qui 1 avoient si bien servi. Orné du titre superbe de fils de Jupiter, il revint de son voyage comme en triomphe. Depuis ce tems dans toutes ses lettres, ses ordres et ses déerersil prenoit toujours cette qualité : Alexandre roi , fils de Jupiter Ammon. Sur quoi sa mère Olimpias lui fit en peu de mots une réponse bien spirituelle, en lui mandant quil cessat de la brouiller avec Junon. Alexandre se sentant un cceur fort élevé au-dessus de celui des autres hommes, cherchoit ainsi son origine dans les cieux; mais néanmoins il ne se flattoit point de cette prétendue naissance divine comme s'il en eüt été intérieurement persuadé 5 il vouloit s en servir pour assujétir plus aisément ses ennemis } qui seroient plus disposés k se soumettre s'ils pouvoient être convaincus de sa divinité. On voit bien qu'il n'ignoroit pas que rien de mortel ne pouvoit être divin, soit par naissance ou par adopticn ; car dans ce même voyage, comme il s'entretenoit avec quelques savans sur ressence de la divinité , le philosophe Psammon lui dit, que tout ce qui excelloit et qui dominoit dans quelqu'espèce que ce fat , étoit toujours divin. Alexandre reconnut l'erreur de ce qu'il avancditj et lui dit par une parole plus phnfsophique et plus vraie, que Dieu étoit le père commun de tous les hommes, mais qu'il avouoit et reconnoissoit particulièrement pour ses enfans les plus gens de bien. Un jour qu'il 'fit un grand tonnerre dont tout le ■ monde fut étonné et eftiayé ; le sophiste Anaxarque qm étoit présent, lui dit: et toi, fils de Jupiter , en pourrois-tu bien faire autant? Alexandre ne fit que nre de cette demande et lui répondit : je ne veux point faire peur a mes amis, comme tu voudtois que je nsse. Ce que nous venons de dire, fait bien voir qu'Alexandre  ri4 Histoire ne s'en faisoit point acctoire a lui-même sur sa prétendue divinité. Alexandre, de retour, visita sa nouvelle ville qui commencoit déja a s'élever; il pourvut aux moyens de la peupler en y invitant, sous de favorables condmons, les habitans de plusieurs autres endrcjiis 5 il j attira entr'autres un grand nombre de Juifs, en'leur accordant de grands privileges; car non-seulement il leur laissa le libre exercice de leur religion et de leurs loix; mais il les mit dans les mêmes droits que les Macédoniens qu'il y établit. De-la il s'en alla passer le reste de 1'hyver a Memphis; -1 y régla les affaires de 1 Egypte; il ne confia qu a des Macédoniens le gouvernement des troupes; il parragea le pays en déparremens, dans chacun desquels il établit un lieutenant de roi' qui ne recevoit ses ordres que de lui-mème , ne croyant pas qu'il fut k propos de confier le gouvernement général de routes les troupes a une seule personne, dans un pays si grand et si peuplé ; quant au gouvernement civil, il le mit entre les mains d'un égvpuen nommé Doloaspe; car voulant que 1'Egypte contmuat d'être gouvernée selon ses anciennes coutumes et les loix recues, il crut qu'un égyptien naturel qui connoitroit les usages, seroit plus prof re a eet emploi qu'un étranger quel qu'il fut. Au commencement du printems il renrra dans 1'Asie pour chercher Darius. En passant par laPalestine, il apprit une nouvelle qui lui causa beaucoup de chagrin. Avant que d'enrrer en Egypte, il avoit laissé le gouvernement de la Syrië et de la Palestine a Andromaque pour qui il avoit une extréme considération; ce gouverneur étant venu a Samatie régler quelques affaires les Samaritains se mutinèrent, et dans la sédition mirent le feu a la maison oü il étoit et 1'y brülèrent. Cette  (F'Alexandre le Grand. Liv. IV. u$ cruauté aussi injurieuse que barbare, irrita extrêmement Alexandre contreux; il précipita sa marche, et alla droit a Samarie, fit mourir tous les auteurs de la sédition , et rendit cette ville dépendante de Jérusalem. II fit ensuite un voyage a Tyr, oü il fit de nouvelles fêtes et des jeux pendant plusieurs jours, en 1'honneur d'Hercules. II y donna ses derniers ordres pour régler tout-a-fait le pays quil laissoit derrière lui et il s'avanca vers de nouvelles conquêtes. A peine éfói>-il parti , qu'on vint 1'avertir que Tépouse de Darius venoit de mourir; il retourna sur ses pas, et alla au pavillon de Sysigambis , il la trouva baignée de larmes, et couchée par terre au milieu des jeunes princesses éplorées comme elle: Alexandre tacha de les consoler avec tant de bonté , que 1'onvoyoit bien qu'il étoit pénérré d'une vive.et sincère douleur , comme perdant une grande occasion de faire paroitre son humanité et sa clémence. II fit a la reine des funérailles magnifiques oü rien ne fut épargné. > Un des esclaves qui avoit été fait prisonnier avec les princesses, s'échappa , et en alla porter la nouvelle a Darius. A cette nouvelle ce princepénétré de douleur, se frappa la tête, versa un torrent de larmes, et Se plaignant d'Alexandre , ö vainqueur inhumain ! que t'ai-je fait pour en agir avec tant de cruauté a mon égard? peux-tu me teprocher d'avoir trempé mes mains dans le sang de tes proches, pour te venger ainsi sur mon épouse ? c'est sans raison que tu m'as déclaré la guerre > mais quand je t'eu aurois donné sujet, étoit-ce sur des femmes qu'il falloit décharger ton couroux? Et vous, princesse infortunée ., aviez-vous mérité que les deïtins vous missent dans les fers d'un étranger, et encore moins d'être privée des obseques dues a votre rang ? Seigneur , lui repartit 1'esclave, vous devez être tran-  u6 Histoitc quille sur ce sujet, 'et vous n'avez aucune raison d'accuser le destin des Perses. Pendant que Statira a vécu , ni elle, ni la reine votre mère, ni le jeune prince , ni les princesses n'ont manqué d aucune des douceurs dont elles jouissoient dans leur plus grande fortune, excepté de voir la lumière de vos yeux i 1'on n'a rien épargné pour la magnifioence de ses funérailles, elle a même été honorée des larmes de ses ennemis} car Alexandre est aussi généreux dans la victoire que terrible dans les combats. Ces paroles, loin de consoler Darius , remplirent son ame de nouveaux troubles et d etranges soupcons. II emmena 1'esclave dans le lieu le plus retiré de sa ten te , et lui dit, si tu nes pas devenu Macédonien comme la fortune des Perses 3 et si tu reconnois encore Darius pour ton maitre et ton roi3 je te commande , par le respect que tu dois au grand dieu qui nous éclaire , et par cette main que ton roi re présente , de me dire si en pleurant la mort de Statira je ne pleure pas le moindre de ses maux ; si elle et /noi n'avons pas sourfert de plus grands ou trages pendant .sa vie, et s'il n eut pas mieux valu pour notre hortneur que nous fussions tombés entre les mains d'un ennemi plus cruel que ne me paroit ce.jeune vainqueur. L'esclavej sans le laisser achever , se jettant a ses pieds , le conjura de ne point faire ce tort a la vertu d'Alexandre \ de ne pas deshonorer ainsi sa femme et sa sceur après sa morr, et de ne pas se priver lui-même de la plus grande consolation qu'il pouvoit avoir dans ses malheurs, qui étoit de penser qu'il avoit été vaincu par un prince fort au-dessus de la nature humaine; qu'il devoit plutot admirer Alexandre de ce qu'il avoit donné aux femmes de Perse, de plus grandes preiwes de sa continence, qu'il n'en avoit donné aux Perses même de sa valeur. Et avec des sermens et des exécra-  d'Jlexandre le Grand. Liv. IX. tions les plus horribles , il lui confirme tout ce qu'il vient de déposer, et lui fait le détail de la sagesse, de la tempérance et de la magnanimité d'Alexandre. Alors Darius rentranr dans la salie oü étoient ses amis, et levant ses mains au ciel, fit aux dieux cette prière. Dieux qui présidez a la naissance des hommes et qui disposez des rois et des empires, faites qu'après que j'aurai rétabli la fortune des Perses , je la transroette a mes descendans dans le même état que je l'ai recue , afin que vainqueur de mes ennemis, je puisse reconnoitre les graces dont Alexandre m'a prévenu dans mon malheur envers les personnes du monde qui me sont les plus chères i ou si enfin le tems ordonné par les destinées est venu , oü il faut nécessairement que par la colère des dieux , ou par la vicissitude ordinaire des choses humaines , eet empJre des Perses finisse ; faites, grands dieux qu'il n'y ait que le seul Alexandre assis sur le tróne de Cyrus! Ce ne fut point assez a Darius de s'être expliqué si généreusement au milieu de sa cour, il envoya dix de ses principaux seigneurs a Alexandre , pour lui témoigner sa reconnoissance et lui faire de nouvelles propositions. Seigneur, lui dir le plus agé , si le roi notre maitre nous ordonne de venir pour Ia troisième fois vous demander la paix , ce n'est par aucune marqué de foiblesse ou de crainte il n'est vaincu que par votre humanité, votre justice et votre modération. II ne reconnüt d'autre malheur pour sa mère, ses filles «t le prince, que d'être privés de sa présence; il sait qus vous les regardez comme vos enfans, que vous leur donnez les noms de reines et de princesses, qu'elles vivent au milieu des honneurs et de 1'abondance; a la générosité, vous joignez une tendresse que 1'on nepou-  128 Histoire voit ni espérer ni croire; et tel que nous avons laissé Darius répandant des larmes sur le sort de son épouse, nous vous trouvons le cceur pénétré de douleur sur la mort d'une ennemie. Vous auriez déja même passé 1'Euphrate , si la cérémonie de ses obsêques ne vous avoit retardé. Faut-il s'étonner s'il recherche 1'alliance d'un si grand cceur ? L'univers ne sera surpris que d'entendre le bruit des atmes diviser deux princes qui sont faits pour s'aimer. Darius n'a d'autre ambition, et quelque chère que puisse être votre amitié , il n'épargnera rien pour 1'acquérir. Autrefois en vous proposant d'épouser sa fille, il vous ofFroir pour dot tout ce qui est entre 1'Hélespont et le rleuve Halys; a présent il vous donne jusqu'a 1'Euphrate , avec son fils Ochus en ótage; il vous demande seulement sa raè e et les deux princesses , et pour ces rrois têtes, il vous rendra 30,000 ralents d'or. Ce que nous avons vu de votre sagesse, nous natte que vous ne rejetterez point des propositions si avantageuses. Vous le savez , 1'ambition qui séduit les hommes devient bientöt elle-même le sujet de leur ruïne. Regardez combien de provinces sont déja derrière vous, et pensez a la quantité et a 1'étendue de celles que vous desirez : n'est-ce pas un fardeau dont 1'humanité ne peut soutenir le poids ? Voyez les vaisseaux remplis de trop de richesses, il en faut sacrifier une parrie , ou se résoudre a périr. Si Darius eüt été moins puissant, je ne crois pas qu'il eüt tenté votre jalousie, jamais vous n'auriez pensé a lui déclarer la guerre. Quelque favorable que soit votre fortune qui vous a prodigué tant de succès, comment conserverez-vous tam de conquêtes? La main saisit plus aisément uneproie, qu'elie ne peut la retenir. Au reste si vous  ct'Alexandre le Grand. Liv. IX. i vous aspirez moins a la gloire des conquêtes qu'a celle de signaler votre générosité , le décés de la reine vous en a retranché la plus belle occasion. Ce discours avoit été prononcé en présence des premiers capiraines d'Alexandre; il leur demanda après que les ambassadeurs se furent retirés , ce qu'ils lui conseilloient de faire. La force de ces motifs et 1'incertitude oü ils étoient sur ses dispositions j les retinrent tous quelques moments dans le silence. Parménion le premier voulut persuader au prince qu'il ne pouvoit rien demander davantage f puisque jamais roi des Grecs n'avoit possédé un si vaste empire , ni de si grandes richpsses; et il lui conseilla sur-tout de prendre les trente mille talents, pour la rancon des trcis captives. Vous me ptêtez votre cceur, répondit Alexandre, et vous voudriez me faire penser comme voos agiriez vousmême ; mais ce-t or qui vous éblouit tant ^ n'a rien qui me charme; il convient a Alexandre d'agir en roi et non en marchand. Je n'ai rien a vendre, et si j'avois quelque chose a céder pour de 1'argenr, ce ne seroir jamais les espérances de la fortunè. Si vous voulez que 1'on relache les captives qui pourroient nous embarasser , il me sera beaucoup plus glorieux de le faire sansrancon, qu'au prix de 30^000 talents d'or que 1'onm'orTre. II fit entrer les.ambassadeurs, et leur paria sur le même ton. Dites a Darius que les remercimens sont superflus entre gens qui se font la guerre, er que si j'aiuséde bonté et de clémence envers les siens, ca été pour mciraême et non pour lui; pour suivre mon inclination , et non pour lui plaire. Je ne sais ce que c'est qued'insulrer aux misétables, je ne m'attache ni aux prisonniers ni aux femmes, je n'en veux qu'a ceux qui ent les armes a la rnain. Si c'étoit de bonne foi qu'il me demandk la paix, je délibéietois sur ce que j'aurcs a faire; Tomé FI. 1  mo Mistoire mais puisqu'il ne cesse par lettres et parargent, de solliciter mes soldats a me trahir et mes amis a me tuer, je suis résolu de le poursuivre a toute outrance, non plus comme un ennemi , mais comme un empoiscnneur et un assassin. Pense-t-il m'aveugler par les conditions qu'il me propose; Si je les acceptois j ce seroit le reconnoitre jusqu'a présent pour mon vainqueur. II m'offre de me donner tout ce qui est en-deca de 1'Euphrate ! Et aqui toutes ces provinces appartiennent-elles?' Si eest i lui, qu'il vienne m'en chasser; mais si je les ai conquises, comment peut-il m'en faire un don? II m'offre sa fille en mariage ! Croit-il donc me faire un grand honneur en me préférant a celui de ses sujets auquel il 1'avoit destinée ? Aliez, et annoncez a Darius que le monde ne peut souffrir, ni deux soléils, ni deux maitres ; qu'airtsi, il choisisse, ou de se rendre aujourd'hui, ou de combattte demain, et qu'il ne se promette pas un meilleur succes que par le passé. Les ambassadeurs s'en retournèrent avöc cette réponse , et déclarèrent a Darius qu'il falloit se déterminer a une bataille. II avoit déja assemblé pour eek une armée plus nombreuse que celle d'Issus , certe multitude montoit a 800,000 fantassins, 200,000 chevaux ou même au-dela , avec 200 chariots armés de faulx. II étoit campé prés de Ninive , et ses troupes couvroient toutes les plaines de la Mésoporamie. Ayant eu avis que l'ennemi marchoit a grandes journées, il fit avancer Satropate, colonel de cavalerie , avec i,cco chevaux d'élite , et en donna 6,000 a Mazée pour empêcher qu'Alexandre, qui avoit déja passé 1'Euphrare lx Tapsaqüe, ne traversat aussi le Tygre, et pour faire 1cdegatpartout ot'i il devoit passer: mais il arriva trop tard» De tous les fleuves d'Orient, le Tygre est le plus rapide i tl traine avec lui de grosses pierres , de sorte qu*  d* Alexandre le Grand. Liv. IX. 13? c'est son extréme vitesse qui i'a fait appelier Tygre, qui veut dite.ftêche en langue Persanne. Alexandre envoya sonder le gué du fleuve oü les chevaux en avoient jusqu'au poitrail; ayant disposé 1'infanterie en forme de croissant et mis ia cavalerie sur les ailes, ils vinrent jusqu'au fil de 1'eau sans beaucoup de peine, portant leurs armes sur leur téte. Le roi passa a pied avec 1'infanterie , et fut le premier qui parut a 1'autre bord oü il monrroit de la main le gué aux soldats ne pouvant leur faire enterrdre sa voix. Ils ne pouvoient se soutcnir qu'a grande peine , tant a cause des pierres qui les faisoient glisser, que de l'impéruoské du courant qui les entrainoit. Ceux qui portoient leurs hardes avec leurs armes avoient encore plus de peine, paree.que ne pouvant se conduire , ils étoient emportés dans des gouffres, qu'ils n'évitoient qu'en abandonnant leurs fardeaux. Les monceaux de hardes flottans ca et la , en faisoient tomber plusieurs; et comme chacun tachoit de reprendre ce qui lui appartenoit, ils se causoient plus d'embatras les uns aux autres que ne leur en causoit le fleuve. Le roi avoit beau crier que 1'on sauvat seulement les armes et qu'il reudroit tout le reste , on n'entendit ni son conseil ni ses ordres, tant le bruit des hommes et des eaux étoit grand. Enfin, ils passèrenr tous, et 1'on ne trouva a dire qu'un peu de bagage, II est certain que cette armée pouvoit être taillée en pièces, s'il y eüteu quelqu'un qui eüt osé vaincre , c'est-a-dire , qui eüt ögé faire la moindre résistance a leur passage; mais Mazée, qui auroit pu les défaire aisément s'il füt survenu lorsqu'ils passoient le fleuve avec assez de désordre , arriva Erop tard, et trouva Alexandre a la tête des Macédoniens rangés en bataille. Un pareil bonheur avoit .toujours accompagné ce Prince juscmes-la , lorsqaal traversa le Granique a h Ik  j, j Mistolre TU de tant de milUers d'hommes de pied et de cheval qui 1'attendoient sur le rivage; et lorsque dans les rochers de la Cilicie il~ trouva ouverts et sans défense des défilés oü un petit nombre de troupes pouvoient 1'arrêter tout court. C'est ce qui rend moins condamnable eet excès de hardiesse qui étoit son caractère particulier , et qui lui faisoit affionter aveuglement les plus grandsdangers , puisqu'étant toujours heureux , il neut jamais lieu de sóupconner qu'il eüt été téméraire. II dressa son camp prés du fleuve. Le lendemain on vint lui annoncer comme une plaisanterie capable de le divertir, que les valers de son armée > par manière de jeu et d'essai , s'étoient partagés en deux troupes, er qu'a la tête de chacune ils avoient mis un chef , nommant 1'un Alexandre et 1'autre Darius -/qu'ils avoient commencé a se battre avec des mottes de terre , puis a coup de poings , et qu'enfin échauffés par 1'envie de vaincre , ils s'étoient tellement acharnés les uns contre les autres a coup de pierres et de batons, qu'on ne pouvoit les séparer. Ce combat parut trop tumultueus a Alexandre pour représenter la fortune de deux rois , il ordonna que les deux chefs de cette troupe combattissent 1'un contre 1'autre, et arma lui - même celui qui représentoit Alexandre. Toute I'armée fut spectatrice de cette action qu'elle regardoit comme un présage de ce qui devoit arriver. Après que les combattans se furent chargés long-teras et avec beaucoup de violence, celui qui représentoit le prince de Macédoine demeura vainqueur. Le roi le récompensa > et lui donna ■ douze villages. Mais eet augure favorable s évanouit des le lendemam dans le cceur des Macédoniens. Environ sur les neuf ou dix heures du soir, le ciel étant clair et serain , U lune perdit premièrement sa lumiere, et parut toüfa  d'Alexandre le Grand. Liv. IX. 133 souillée de sang. Ce phénomène, qui anivoit sur le point de donner une grande bataille dont Eévèneraent donnoitdéja assez d'inquiétudes,les remplit de frayeur; ils murmuroient contre Alexandre qui vouloit les entrainer au bour de la terre. Le Prince que rien ne pouvoit étonner, fit appelier dans sa rente les officiets de I'armée, et commanda aux Egyptiens qui étoient les plus versés dans la science des astfes de dire ce qu'ils en pensoient. Ils scavoient bien quelle étoit la cause naturelle des éclipses de lune : mais sans entrer dans des démonsrrations de physique, il se contemèrent de dire que le soleil étoit pour les Grecs , et la lune pour les Perses; et qu'elle ne s'éclipsoit jamais sans les menacer de quelque grande calamité dont ils rapportoient plusieurs exemples, qu'ils donnoienr pour certainset indubitable?. La superstition a une force merveilleuse pour remuer les esprits de la multitude •, quelqu'emportée er inconstante qu'elle scit, si elle a une fois 1'esprit frappé d'une vaine image de religion , elle cbéira mieux a ses devins qu'a ses chefs. La réponse des Egyptiens étant divulguée parmi les troupes, releva leurs espérances et leur courage; le roi pour profiter de cette ardeur , décampa après minuir. II avoit a sa droite le Tigre > et a sa gauche les montagnes appelées Gordiennes •, au point du jour il détacha Menidas avec de la cavalerie pour aller a la découverte ; eet officier appercut des troupes et croyant que c'étoit Darius, il n'osa avancer davantage, et rapporta que i'armée ennemie paroissoir. Alexandre aussi-têt se mit en bataille et se prépara au combat; mais il se trouva que n'étoit qu'un détachement de mille chevaux que Mazée conduisoit a la découverte-; il envoya contre lui quelques escadrons de Péoniens, sous la conduite d'Ariston ; eet officier Les mit eniuite, perca a la gerce Atrcp.-te, colonel de cavalerie, et lui I 3  *3 4 Wisioihe ebupa ia tête. II 1'apporta aux pieds d'Alexandre; comme ce i-nnce étoit a table , il lui dit: Seigneur , ces sortes d'exploits sont orJinairement récompensés d'une co-ime d'or; il est vrai, répondit ie Prince, en riant, mais les autres ia donnent vöi& , er moi je la présente pleine de vin. II eut aussi des nouvelles c?rtaines que Darius n'erort.plus qua sept ou huir lieues. Maxte mis en fuite se retira sur une haureur, d'oü il découvroit le camp des Macédoniens | il 1 abimdonna le lendemain et se retira vers le gros de I'armée. Alexandre s'èmpara de ce posté qmlui étou plus avanla^eux que la pleine, dans le dessein d'examiner la contenance des ennemis j maïs U s'étoit élevé des montagnes voisines un brouillard si épais, qu'il ne laissoit .cntrevbir qu'un gros, sans qu'on put discerner les bataiilons , ni 1'ordre dans lequel ils étoient rangés. Cette multitude avoit inondé route la pleine et le bruis confus des hommes er des chevaux étourdissoit ceux meme qui en étoient bien éloignés. Alexandre agité de divers pensées , ne laissoit néanmoins paroitre ancun embarras sur son visage ; les soldats qui examinent attenrivement les chefs dans ces occasions, le voyant ferme et assuré , ne doutoient pok? de la victoire. Le lendemain ie brouillard s'erant dissipé , on vit adécouvert I'armée de Darius; les Macédoniens les premiers poussèrent ces cris effroyables qui avoient coutume de préceder le combat , et les Perses leur répondirent avec la même violence. Alexandre séjourna quatre jours au lieu oü il étoit pour laisser reposer son armée, et ferma son camp de fossés et de palissades, car il vbulort y laisser tout le bagage et les gens inutiles , résolu de mener I'armée contre l'ennemi sans autre équipage que leurs armes. II partit donc sur les neuf heures du soit pour combaure au point du jcur Darius, qui  d'Alexandre le Grand. Liv. IX. ijf sur ces nouvelles avoit rangé son armée en ordre de bataille, car les ennemis n'étoknt éloignés.quede deux ou trois lieues. Quand il fut arrivé non loin des ennemis , il fa alte , et ayant assemblé ses officiers généraux 3 tant Macédoniens qu'étrangers, il mit en délibérarion s'il donneroit sur 1'heure la bataille , ou sil camperoit dans ce-t endrok. Ce dernier avis fut smvi, paree qu on jugea nécessaire de reconnoitre le champ de bataille et rordonnance des ennemis. L'armée campa dans le même ordre oü elle étoit rangée. Alexandre prit son infanterie légère avec les compagnies royales, et fit le tour de la pleine oü se devoit donner le combat. II revint dans sa tente. Les plus agés des amis du roi et entr'autres Parménion voyant la pleine qui est entre le mont Niphates et les montagnes Gordiennes, toute éclairée par, ks feux des barbares, et entendant en même-tems un mélange confus de de voix inarticulés , un tumulte horrible et un bruit capable d'inspirer la terreur, partir du camp comme le miiglssement des flots de la mer.étonnes de cette multitude innombrabk d'hommes, ik commencèren: a parler ensemble et convinrent que c'étoit un affaire trés-grande et très-difficile que d'attaquer cette formidable armée en.plein jour, et qu'il étoit impossibk de Ia repousser et de la vaincre , ils allèrent donc trouver Alexandre pour lui conseiller une surprise de nuk, plutot qu'une bataille ouverte. Parménion ponoit 'la parole : une mukkvide , lui dit-il, composée de tant de nations dkïérentes par leurs langages et leurs mmurs, sera aisément défaite dans les ténèbres jde la nuk, et dans un profond sonsmeil. Mais si noüs f attaquons en plein jour , lersqu'ils se seront prépares a nous recevoir , les visages affreux des Scythes et des Bactrkns,.le-rs. barbes hérjssés, leurs longs cheveux 1 4  15 •'* Histoife épars, ces lourdes masses et ces corps d'une grandeur énorme pourront étonner les Macédoniens ; tous ces objets, quoique frivoles en eux-mêmesj feront peutêtre plus d'impression sur i esprit des soldats j que de vrais sujets de crainte. D'ailleurs notre petit nombre sera facilement enveloppé par tant de légions; car cette vaste campagne nous óte tous les avantages que nous donnoient les rochers d'Issus et les montagnes de la Cilicie. Tous les autres officiers appuyèrent son avis, et Polispereon soutenoit que la fortune dependoit de ce conseil: Et moi , reprit Alexaiidre , j'aime mieux me repentir des événemens d'un mauvais succes , que de rougir de ma bonne fortune , je ne dérobe point la victoire. Allez donc vous tranqiulliser pour vous préparer au combat. Ces paroles étcnnèrenr tous ces vieux ctuaers; honteux de penser moins uoblement que leur jeune roi p ils recurenr aVeC admirarion ses ordr'es et se retirlrretït. | Cette réponse étoit fiére , maïs en même tems elle marquoit. de la prudence. Alexandre ne vouloit pas donner a Darius, s'il eut été vaincu pendant la nuit, un prétexte de reprëndre courage et de tenter une autrefais la fortune d'un combat £ en imputant sa défaite aux ténébres etala confusion , comme il avoit imputé la première aux montagnes et aux détroits de la Cilicie. II scavoit que Darius ni seroit jamais réduit faute darmes et d'hommes, a renoncer a la 'gueire , et qu'il ,ne s'avoueroit vaincu , que lorsqu'il: auroit abbatu sa p'-ésomption et ruinéses espérances, en gagnant contre Sui une éclatante bataille a la face du soleil. D'ailleurs , c eüt été aussi beaucoup hazarder que d'attaquer de nuit une armée nombreuse et dans un pays inconnu. Darius qui craignoit une surprise, paree qu'il n'avoit pas retranché son camp , demeura toute la nuit avec son  d'Alexandre le Grand. Liv. IX. 137 armée sous les armes , ce qui lui nuisit le plus dans le combat. Après que Parménion et les autres se furent rerirés , Alexandre qui dans les grandes crises des affaires, avoit toejours eoutume de consulter les dieux par des victimes et les prières des prêtres et des devins , se voyanr prêt a donner un combat qui alloit décider de Tempise, voulut se rendre les dieux favorables. II fit venir Aristandre en qui il avoit une confiance entière , s'enferma avec lui pour faire quelques sacrifices secrets et immoler des victimes. Le prêtre en habir de cérémonie , portant des vervaines a la main , et la tête voilés , prononcoit le premier les p«iètfes que le roi d-voir adressera Jupiter, a Minerve et a la victoire. Après eet acte de religion , il alla se mettre au lit. Repassant en lui-même , non sans quelqu emorion , les suites du combat qui alloit se donner; il ne put reposer d'abord ; mais le corps étant enfin accablé comme par les inquiétudes de 1'esprit, il dermit d'un profond semmeil le reste dela nuit, et contre sa eoutume il resta dans son lit, sans s'éveiller , bien audela de son heure ordinaire. Au point du jour on vit paroitre Farmée des Perses; les officiers se rendireut tous a sa tente pour recevoir ses ordres 5 il furent extrêmement surpris de n'entendre aucun mouvement dans une circonstance aussi urgente, et quidevcitdécider de leur sorr. Parménion voyant qu'il n'y avoit point de tems a perdré , commanda lui-même aux soldats de preridte de la noutriture: comme le prince ne remucit pas , et qu'aucun de ses gardes n'osoit entief dans sa tente, il y entra lui-même , et 1'appelant plusieurs fois en vain , il ne le réveilla qu'en le poussanr. Seigneur, lui dir-il, comment se peut-il que vous doruiiez si tranquillement ? il semble. que vous avez déja  i j S Jiistoïn vaincu, et que vous n etes point sur 1 'heure de donnet la plus grande bataille dont on ait peut-être entendu jamais parler. Eh ! comment ne serions-nous pas tranquilles, répondit Alexandre, puisque l'ennemi nous óte la peine de courir 5a et la après lui, et qu'il va se livrer lui-même entre nos mains? II se leva aussi-töt, et a la prière de ses amis, il se revêtit d'une armure complette. C'étoit un sayon de Sicile, qui se mettoit avec une ceinture, et par dessus une doublé cuirasse de lm piquée, qu'il avoit gagné a la bataille d'Issus. Son casque étoit de fer, mais aussi brillant que 1'argenr le plus pur. Le hausse-col étoit aussi de fer tout semé de pierredes. II avoit une épée très-légère et d'une trempe excellente , que le roi des Citiens lui avoit donnée, et qu'il portoit toujours dans les combats; car il préféroit cette sorte d'armes a routes les autres. II portoit une eotte qui s'attachoit avec une agraffe d'un travail exquis ex d'une magnificence au-dessus de son armure; c'étoit un présent que la ville de Rhodes lui avoit fait, pour donner une marqué publique de 1 estime qu'elle avoit pour lui. II s'en servoit les jours de eömbat.  d'Alexandre le Grand. Liv. X. 159 LIVRE X. ■ A.lexandre parut en eet état a la tére de ses troupes, jamais il ne parat si tranquille et si gai; sa résolution :et eet air d'assurance étoit pour les troupes comme un sfir garant de la vic<-oire. Les deux armées étoient bien différentes pour le 1 nombre et encore plus pour le courage. Celle de Da1 rius étoit composée pour le moins de 8 a 900,000 ! hommes ; celle d'Alexandre de 40,000 hommes de pied, et de 7 ou 8,000 chevaux. L'ordre de bataille étoit a-peu-près le même de part et d'autre ; les troupes furent rangées sur deux lignes, la cavalerie sur les ailes et 1'infanterie au milieu , sous la conduite particuliere , 1'une et 1'autre , des chefs de chacune des différentes nations qui les composoient , et commandees en général par les premiers généraux d'Alexandre. Le front de la bataille des Perses étoit couvert de deux eens charriots armés de faulx , et de quinze éléphans. Darius , se placa au centre de la première ligne : outre ses gardes , qui étoient 1'élite de ses troupes, il s'étoit fortifié encore de 1'infanterie grecque qu'il avoit rangée prés de lui, la jugeant seule capable de tenir tête a la phalange macédonienne. Comme son armée avoit beaucoup plus d'étendue que celle des ennemis, son dessein étoit de les envelopper et de les attaquer en même tems de front et par les nancs. Alexandre avoit pourvu a eet inconvénient, en ordonnant aux chefs de la seconde ligne de mettre leurs troupes en potence pour couvrir leurs ailes , en cas que l'ennemi vin: les prendre en flans; il avoit placé  14® Históire devant sa première ligne la plus grande partie des ateliers , des frondeurs, des gens de traits, pour sop1 poser aux charriots armés de faulx et pour épcuvanter les chevaux en lancant sur eux une gtéle de fléches , de traits et de pierres. Ceux qui conduisoient les ailes, avoient ordre de les étendre le plus qu'ils pouvoient sans trop aftaiblir le corps de bataille. Parménion commandoit la gauche comme il avoit accoutumé , et Alexandre la droite. Le signal étant denné , I'armée se mit en marche et s'approchoit insensiblement de Darius , lorsqu'on lui vint dire que Darius avoit fait répandre un grand nombre de chausses-trappes du cóté que la cavalerie macédonienne devoir donner, et qua 1'endroit oü ces piéges étoient tendus , il avoit fait mettre de cerraines marqués afin que ses gens pussent les reconnoitre. Alexandre prcfita de eet avis et fit tirer sur la droite pour éviter ces embüches. Pendant ce tems-la, il couroit dans chaque rang, animant les officiers et les soldats. Nous avons, leur dit-il , assez parcouru de provinces et de hazards pöur chercher le moment d'un combat décisif qui nous donne pour toujours la victoire. La fortune vient nous 1'offrir., c'est le seul péril qui nous reste a essuyer; ce quelle a fait pour nous au passage du Granique, a Issus , a Tyr et dans 1'Egypte, nous permet-il de douter qu'elle ne soit tout a nous. Ce qu'elle nous a donné de provinces , n'est qu'un gage de eet empire, dont elle va nous mettre en possessioi-i. Considerez ceux qui se préparent a vous le dispurer, ce sont ces mêmes fuyards que vous avez déja vaincus et terrassés; depuis trois jours qu'ils sont prés de nous, ils n'ont ose faire un pas en avant, ils ont brülé leurs villes et désolé leurs propres campagnes , paree qu'ils ne les regardent plus .comme leurs bisns, mais comme celui de leurs enne-  d'Alexandre le Gfand. Liv. X. 14,1 mis. Leur marche et leur figure, tout nous paton terrible ; mais a peine les connoissons - nous de nom , preuve qu'ils ne sont guères redoutables -, car la vettu est toujours renommée dans les pays les plus reculés, et dans quel co-in de la terre , ne parle-t-on point de la valeur des Macédoniens ! Ces barbares n'ont point de réputation a ménager; mais nous en avons une et notre gloire a conserver , biens que vous cstimez flus précieux que la vie. Je vous vois résolus a ne la pas épargner; moi tout te premier vous en donnerai 1'exemple a la tére de ces drapeaux , je recevrai les premiers coups; ce ne sera pas pour ma gloire seule, c'est pour 1'honneur de 1'empire macédonien , c'est pour vous er.richir. Marchez donc a l'ennemi , ayez les yeux sur moi , faites tout ce que vous me verrez faire. Ces paroles remplirent les troupes d'ardeur; elles lui crièrent avec une allégrcsse exrréme de les mener au combar. II fit hater la marche pour atteindre plutót l'ennemi. Darius animoit pareillement les siens, élevé sur un char qui le découvroit tout entier a son armée. II avoit a ses cótés la noblesse et la fleur de sa cavalerie et de son infanterie; il se moquoit du petit nombre des ennemis , et les montrant avec son sceptre, il prétendoit que leurs ailes excessivernent étendues dégarnissoient le corps de bataille , et n'auroient jamais la force de résister au premier choc; il disoit de plus a ses troupes , chassées de toutes les provinces que 1'Hélespont baigne d'un cóté , et que 1'Océan embrasse de 1'autre; ce n'est plus la gloire qui fait 1'objet de nos armes , c'est la vie , c'est la liberté , c'est le plus prédeux de tous les biens. Voici le jour qui doit afrermir ou renverser pour toujours le plus grand empire qui fut jamais. Si nous avons été malheureux jusqu'ici, ce n'est pas feute de courags ; ce ne fut qu'avec ia moindre  f4l Histolu partie de nos forces que nous combattimés au Granique; le champ de bataille nous étoit contraire dans la Cilicie , et si nous en eussions profité , la Syrië pouvoit encore nous servir de retraite, et nous serions encore les maitres des plus puissans boulevarts de ce royaume , 1'Euphrate et le Tigre. Aujourd hui il faut vaincre ou mourir •, car si nous sommes défaits , je ne veis plus qu'il nous reste d'asyle et de ressource. La longueur de la guerre a consumé nos vivres; les villes n'ont plus d'habitans, les campagnes de laboureuts , tout est rénni dans ce camp. Vos femmes et vos enfans qui se trament après vous , sont autant de dépouilles dont l'ennemi triomphera , si nous ne les sauvons par la victoire. Pour moi , j'ai rempli tous les devoirs que m'imposoit le tróne ; les troupes que j'ai levées sont si nombreuses, qua peine les campagnes peuvent-elles les contenir; je les ai fournies d'armes et de chevaux ; j'ai donné 1'ordre pour que les convois ne leur manquassent point •, je les ai conduites au lieu que j'ai cru le plus favorable pour la bataille; le reste dépend de vous , de votte valeur et du mépris que vous ferez d'un ennemi qui met toute sa force dans sa répurarion , frêle avantage , lorsqu'on en vient aux mains. Considérez seulement leur arrangement incapable de résister a nos forces et a nos charriots; la victoire est a nous , et les vaincus ne peuvent échapper. L'Euphrate et le Tigre , tout ce qui leur étoit auparavant favorable, leur est contraire; mais quand les Macédoniens seroienr aussi redoutables que 1'on veut dire } que vous importe aujourd'hui; ils sont répandus de cótés et d'autres , pour contenir les provinces qu'ils ont usurpées. L'armée d'Alexandre composée a présent de troupes auxiliaires, a tout au plus hérité des armes et do nom macédonien. Alexandre ^  u-  176 tïistob'e suivez mon conseil, il ne tend au contraire qu'a 1* conservation de votre personne et de votre empire. Vous voyez avec qu'elle constance les dieux comhattent pour nos ennemis, et comme la fortune ne se lasse point de persécuter les Perses; le seul remède est de recommencer la guerre sous de nouveaux auspices. Ne seroit-il pas a propos de remettre, pour un tems, les rênes du gouvernement entre les mains d'un autre qui portat 1$ nom d'un roi, jusqu'a ce qu'il ait chassé les Gree$ hors de 1'Asie ï Alors le victorieux vous rendroit ce sacré dépot, et vous remonteriez sur le tróne, Personne nest plus en état de rempür cette place que Pessus. Darius pénétra facilement dans les desseins d'ui? homme dont 1'ambition s'étoit déja manifestée. Malheureux , lui dit-il, crois-tu donc pouvoir présentement te déclarer impunément; et portant la maina son cinjmetere , il alloit le frapper d'un coup mortel, si quejques-uns des complices, feignant d'être affligés 3 m s'étoient jettés a ses pieds pour lui demander grace. Une menace aussi éclatante n'eflraya pas Nabarzarne, il consulte avec Eessus quel autre moyen ils devoient prendre pour exécuter leur projet •, ils cpnyjnrent de s'ernparer au plutót de la personne du Prince j de résisrer eux-mêmes a Alexandre, résolus de le lui livrer peur faire leur paix s'ils étoient vaincus , ou de règner en sa place s'ils remportoient la victoire. Ils dissimulèrent la perfidie de leurs pensées , et fejgnirent même pour un tems, d'être fort affligés de ia proposition qui avoit été faite au roi. Artabase , lui-mém? , y fottrompé, er entreprit d'appaiser Darius sur l'iiidiscrétion et la témétité de deux officiers qui avoient cru lujproposcr un avis salutaire ; il lui dit, que dans une circonstance aussi difiicile, il valoit mieux leur pardonner que les  d'Alexandre le Grand. Liv. XII. 177 les punir , en risquant par-la d'aliéner les Bactriens et les Sogdiens qu'ils commandoienr. Le Prince y consentit, sans être moins convaincu de leur trahison; et ayant sans cesse devant les yeux 1'image de tous les malheurs qui devoienr fondre sur lui, et la plus tragique de toutes les fins, il se retira dans sa tente et défendit qu'on laissat entrer personne. C'étoit 1'état oü les conjurés souhaitoient le voir; ils proficèrent de son absence pour cabaler contre sa personne; ils remontrèrent aux ofliciers qu'Alexandre étoit prèt a paroitre, et que Darius n'étoit point en état de les secourir, ils en séduisirenr un grand nombre, mais les Perses qui n'avoient rien de plus sacté que la majesté de leur roi, se recrièrent sur la simple propositnn d'une infidelité. Les Grecs attachés a Darius montrèrent la même résistance. Cette oppostion de sentiment ruif le troubie dans I'armée • les troupes comniencèrent a se diviser, et Bessus et Nabarzane se déguisoient si habilement qu'ils ne paroissoient en aucune manière être les auteurs du désordre. Ils publioient seulement que la retraite de Darius en étoit la cause. Artabase faisoit toutes les fonctions de général; il visitoit les tentes des Perses et les exhortoit, tan tol en général et tantót en particulier, et lorsqu'il futassuré de leur attachement sincère , il en vint rendre compre au roi: il le trouva dans le dernier abbarrement, livre au désespoir , ennuyé de la vie et déterminé a prt~ venir sa derni&e heure; il eut bien de la peine a lui faire prendre de la nourriture, et une fermeté et une constance digne de son diadême ; il reparut enfin dans le camp. Les Perses aussi-rót poussè rent de grands cris de joie, et s'empressèrent a 1'envie d'adoter cette ombre qui lui restoit encore de la majesté royale. Bessus et Nabarzane furent des pismiers- a lui reridre leurs hom» Tornt VI. M  178 Histoire mages ; ils accoururent et se prosternèrent la face contre terre •, ils l'assurè'-ent de leur innocence , en répandanr des larmes, er ils lui jurèrenr un attachement inaltérable. Darius trop simple et trop généreux, en fut attendri, il rendit son amitié a ces perfides, après avoir mêlé ses pleurs avec lss leurs. Cette bonté loin d'amollir leur cceur , ne fit que les confirmer dans leur malheureuse résolution; tandis que Darius bannissant ses inquiérudes domestiques et se croyant a 1'abri de leur parr, ne pensoit plus qu'a éviter les mains d'Alexandre j comme du seul ennemi qu'il eüt a craindre. II se mit en marche pour la Bactriane. Patron, chef des Grecs , qui connoissoit mieux le cceur des traitres, et se méfioit de leurs intrigues, ordonna aux siens d'être toujours sous les armes , prêt a accourir au premier signal •, il suivoit le char de Darius , et épioit le moment favorable de lui parler. Le Prince avant tourné les yeux de son cöté, vit bien qu'il vouloit 1'entretenir; il le fit appeller, er lui demanda ce qu'il avoit a lui dire. Patrcn le pria de faire retirer tout le monde, et lui paria ainsi. Seigneur, de yo,ooo Grecs que nous étions, nous ne sommes plus qu'un très-perit nombre, mais ce retranchement fatal n'a point affoibli norre courage et notre aftection; nous espérons que le cicl rendra vorre sort meilleur; mais quand les destins voudroient vous continuer leur rigueur, vous nous rrouverez toujours tels que nous étions dans les plus heureux jours de votre règne. Quelque retraite que vous vouliez choisir , elle sera notte patrie, rien ne pourra nous déracher de vorre service. La Grèce ne nous est plus de rien, les richesses de la Bactriane ne nous tentent point, vous ètes toute notre espérance ; je vous suppliedoncet je vous conjure, au nom de tous mes frères, par cette  £ Alexandre ie Grand. Liv. XII. \f$ fidélité que vous avez éprouvée tant de fois , de faire dresser votre tente dans notre quartier, et de nous confier votre personne. Je ne puis, Seigneur, m'expliquer d'avantage, mais il vous doit suffire qu'un étranger et un Grec vous avertisse que vous n'êtes pas en süreté sous la garde de vos propres sujets. Le Prince feignir de ne point comprendre ce qu'il vouloit dire , il lui dit de s'expliquer plus clairement. Grand roi, répondit Patron, puisque vous m'ordonnez de vous parler sans déguisement, je vais le faire au péril de ma vie; Bessus et Nabarzane ont conspiré contre vous , votre couronne et votre vie ne tiennent plus a rien, peut-être que ce jour sera le dernier de Darius ou des parricides. Je n'ai jamais douté de votre attachement dit le roi, mais je ne peux me résoudre a me séparer de ceux que les dieux m'ont donné pour sujets; j'aime mieux être trompé que de soupconner trop légèrement dans une matière aussi odieuse ; je suis déterminé a souffrir de mes soldats tout ce que le son me réserve entre leurs mains , et je ne puis mourir que trop tard s'ils m'estiment indigne de vivre. Patron désespérant du salut de ce malheureux Prince, se retira vers ses troupes, résolu néanmoins de tout o;er pour le défendre. Bessus avoit été témoin de loin de toute la conversation, et quoiqu'il n'eut rien entendu de leur entrerien, les gestes animés da roi et de Patron, et les reproches de sa conscience , lui firent soupconner qu'il étoit le sujet de leur conversation. II fut pret a se jettet sur 1'un et 1'autre ; mais la crainte d'encourir la haine d'Alexandre s'A ne lui livroit pas Darius vivanr, l'ar> rêta , et lui sug;éra de recourir a la calomnie contre son délateur, en 1'accusant du même-crime , dont lui seul Mi  18o Histoire étoit coupable. Seigneur, dit-il au Prince, nous ne cesserons de rendre grace aux dieux de vous avoir fait démèler si adroitement les embuches de ce traltre ; ébloui paria fortune d'Alexandre, dont d vouloitgagner les faveurs en lui portant votte tête, il ne faut pas s'étonner qu'un mercenaire qui exposé sa vie pour de 1'argent , fasse un trafic de celle d'autrui, ni qu'un homme sans aveu, qui na rien a perdre, un banni de toute la terre, un ennemi des Perses et des Grecs se livre a qui lui donnera davantage. Darius 1'écoutok avec tranquilliré, comme s'il eüt ajouté foi a ses paroles, quoiqu'il ne douta pas que 1'avis des Grecs ne fut vrai. II avoit 30,000 hommes dont la foi lui étoit suspecte, et qu'il connoissoit capables de toutes sortes de crimes; Patron n'en avoit que 4,000 et auxquels il ne pouvoit confier la garde de sa personne , sans attaquer la fidélité de-s Perses, et autoriset le parricide. De quelque coté qu'il se tournat, la mort ou la captivité étoient certaines. II ne vouloit éviter que le reproche d'avoir manqué aux régies de la prudence. II répondit a Bessus ■: la j.ustice d'Alexandre ne m'est pas moins connue que sa valeur; ceux-la se trompcnt qui attendent de lui la réccmpense de leur perridie, il bait le coupable autant que le crime, et les traures n'aüront pomt de vengeurs plus inexorab'ies de leurs infideiités. Déja la nuit approchoit quand les Per.ses allèrent che-rcher des vivres dans les villagcs prochains, tandis que les Bactriens, par ordre de Bessus , demeuroient sous les armes. Le roi fit appelier Artabaze et lui dit ce qu'il avoir appris de Patron ; eet officier sage et fidéle fit tous ses efforts pour 1'engager a passer dans le camp des Grecs, assurant que les Perses le suivroknt dès qu'ils le sau-  d'Alexandre le Grand. liv. XII. iSr roient en danger; mais le trouble oü il étoit 1'avoit mis hors d'ótat de suivie ce bon conseil ; il dit ledernier adieu a son cher Artabaze , qui étoit toute sa consolation dans cette extrêmité ; il 1'cmbrasse avec tendresse, et verse un tortent de larmes , et Ton fut obligé de lui ouvrir les bras pour 1'en retirer. II se eouvrit le visage pour ne le point voir sorrir, et réduit au désespoir , il demeura étendu par terre. Ses gardesj effrayés de le voir en eet état, quoiqu'obligés par leur serment a le défendre au prix de leur vie , pritent tous h fuite- II ne restoit auprès de lui que quelques esclaves qui ne savoient oü se réfugier ; il voulut les obliger a suivre les autres; va r'en, dir-il a 1'un deux, sauve-toi avec tes compagnons, c'est assez de m'avoit été fidèles jusqu'a la tin ; pour moi j'attends ici 1'arrêt de ma destinée ; peut-ètre seras-tu surpris, que je n'abrège pas par le fer des momens aussi cruels, mais j'aime mieux laisser ce crime a une autre main qua la mienne. Quelques amis sincètes accoururenr auprès du roi , er déchirant leurs habits, ils déplorèrent par des gémissemens amers le sort de leur prince. Ces clameurs répandues dans le quartier des Perses y portèrent 1'alarme et le désordre; ils n'osoient prendre les armes de peur de s'artirer les Bactriens sur les bras, et ils avoient honte de demeurer oisifs et de mériter le sanglant reproche d'avoir aban^ donné lachement leur maitre. Les émissaires de Bessus et de Nabarzane, trompés par de faux bruits, altèrent leur dire que Darius s'étoit tué lui-même ; les deux perfides, suivis de leurs satellites, coururent au quartier du roi, Dès qu'ils entrèrent dans sa tente on leur dit qu'il n'en étoit rien ; mais eux poussant leur pointe et s'avancant jusqu'a lui , s'en saisirc-nt, et le firent charger de cha'ines: Le monarque de 1'Asie qu'on avoit. M 3  i8i .Histoire vu un peu auparavant assis sur un char superbe3 servi et adoré de ses peuples comme un dieu , fut opprimé par ses propres sujets, et devint 1'esclave de ses esclaves. Après 1'avoir dépouillé de sa pourpre, ils le jettèrent dans un chaniot de bagage , et comme s'ils eussent voulu faire honneur a sa qualité de roi, ils le lièrent avec des chaines d'or ; de peur qu'il ne föt reconnu on couvrir la voiture de quelques mauvaises peaux; ils le firent conduire par des gens quL ne le connoissoient pas , comme un prisonnier ordinaire. Les meubles et 1'argent du prince furent pillés comme un burin pris sur 1'ennemi , et les traitres chargés de dépouilles décampèrent du lieu oü cette scène si terrible venoit de se passer. Artabase et ceux qu'il commandoit avec les Grecs prirent la route des Parthes, pour se dérober a la fureur des parricides. Les Perses séduits par les promesses de Bessus, et n'ayant point d'autre chef a qui ils puissent obéir, se donnèrent a lui. Cependant Alexandre , a qui cerre révolution étoit inconnue, se hatoit d'atteindre Darius. II xencontra dans la Médie y,ooo hommes de pied et 1,000 chevaux , que Platon 1'Athénien lui amenoit; avec ce nouveau secours il rentra dans la province de Paréracène , et en confia 1'administration a Oxathtès, fils d'Abuli es, satrape de Suse. En quinze jours de marche , il arriva en trois journées a Ecbatane , oü on lui dit que Darius ne voyant point arriver les Scythes et les Cadusiens, en étoit sorti cinq jours auparavant, et s'enfuyoit avec ses troupes vers la Bactriane. II conrinua sa route vers Ecbatane poui prendre possession de cette ville célèbre •, 1'ayant rrouvé exrrêmement fortifiee, il ordonna a Parménion d'y faire transporter tout 1'argent qui lui restoit des tiésors de Perse,  d'Alexandre k Grand. Liv. XII. 185 que 1'on mit sous la garde d'Harpalus, avec 6ooo Macédoniens des plus fidèles. II s'enquit encore du .lieu ou éroit Darius; tout ce qu'il put découvrir, fut que ce prince avoit dit avant son départ, que s'il étoit poursuivi , il se rerireroit dans le pays des Parthes ou des Hyrcaniens , et iroit se renfermer dans Bactre. Pour 1'atteindre quelque part oü il fut, Alexandre envoya Parménion en Hyrcanie , par la contrée des Cadusiens, avec les Thraces et les étrangers; il commanda au régiment royal d'artendre Clitus qui étoit demeuré malade a Sase, pour aller du cöté des Parthes, et prenant avec lui la phalange Mécédonienne , il se mit aussi sur les traces de Darius. L'aideur avec laquelle il marcha nuit et jour a passé pour un prodige incroyable de diligence , car en onze jours il arriva a Rhaguèz par des chemins secs et arides, que les Perses avoient ravagés, pour couper les vivres a ceux qui viendroient après eux. Pour faire reposer ses troupes, il demeura cinq jours a Rhaguèz. Cette ville n'étoit qua une journée desportes Caspienne;. Lorsqu'Alexandre les eüt passé, il prit la route des Parthes, et détacha Ccenus pour aller chercher des vivres, ce qui ne lui étoit plus difficile dans un pays fertile et abondaut. A peine 1'eütil envoyé , que Bagistane, seigneur Babylonien , vint lui annoncer que Bessus et Nabarzane s'étoient saisis de la personne de Darius, qu'ils le faisoient trainer dan; un chartior et lui avoient fait prendre les devans pour être plus sürs de sa personne ; que toute I'armée ennemie obéissoit aux traittes, a la réserve d Artabaze et des Grecs qui, ne pouvant approuver une si noire perhdie , et n'étant pas assez forts pour 1'empêcher , avoient quitté le grand chemin, et s'étoient retirés M 4  m B'isfoire vers les montagnes. A <*tte nouvelle il appellé ses Ifëutenans et leur dit : il ne nous reste plus a faire. que le plus grand coup et le plus facjle qui se soit encore présemé ; Darius n est pas loin cl dei, délaissé ou peut-être assassiné des siens; c'est dans sa personne que consiste le fruit de nos victoires, mais il ne sera que le prix de notre diligence. Tous lui dirent qu'ils étoient prêts de le suivre , et qu'il ne leur éparghat ni peine ni péril. Sans artendre le retour de Cccnus , il part avec ses meilleurs soldats, laissant a Cratère le reste de ses troupes pour les amener a plus perites journées. Après avoir irarché pendant trois jours sans s'arrêter même la nuit , et franchi des dilficultés quj paroissoient insurmontnbles , il arriva dans Tara, qui étoit le bourg proche lequel Bessus s'étoit saisi de la personne de Darius. II trouva Mélon , interpréte de Darius, qui y étoit resté malade avec quelques autres transfuges, de qui il apprit tout ce qui s'étoit passé; cela 1'anima d'une nouvelle ardeur, mais ses gens ayant besoin de repos 3 il en prit seulement six mille et trois cent dragons, et se remit en marche. II renoontra Ortillus et Mitracènes qui avoient abandonné Bessus qu'ils dérestoient, et lui dirent qu'il n'étoit qu'a deux lieues et demie, et qu'ils le conduiroient par le chemin le plus courr. Alexandre j ravi de leur arrivée , et les prenant pour guides, continua sa route , et au bout d'une lieue et demie, Antibelus, un des hls de Mazée, ancien gouverneur de Syrië > se vint rendre a lui, et lui confirma que Bessus n'étoit pas éloigné ; que ne croyant pas l'ennemi si proche, il marchoir en Hyrcanie sans ordre, ses troupes dispersées de cóté et d'autre. Alexandre les eut bientót atteinr, porta 1'épouvante du premier clroc, et quoique la pattie ne rut pas égale,  d'Alexandre le Grand. Liv, XIJ. le nom senl d'Alexandre les étonna tellement qu'ils furent presque tous taillés en pièces. Bessus étoit assez ptès de cette action pour en ètre informé aussitöt •, mais aussi lache qu'il avoit 1'ame cruelle, perfide et ambitieuse, il va avec ses complices trouver Darius. Ils voulurent le faire descendre du charriot et le forcer de monter a cheval j pour fuir avec plus de diligence-, Darius leur résista et souffrit avec courage toutes leurs insultes et leurs mauvais traitemens, il leur dit, que les .dieux étoient prêts de le venger, et leur déclaré qu'il aime mieux tomber entre les mains d'Alexandie, son ennemi déclaré, que de .suivre des sujets qui ont conspiré pour lui enlever la couronne er la vie. Ces baibares outrés de fureur lui lancèrent leurs dards et leurs fléches, et 1'ayant couvert de blessures, ils le laissem pour mort, tuent deux esclaves ' qui 1'accompagnoient, percent les chevaux de son chariior. Après un parricide si détestable, ils se séparèrent pour laisser en divers lieux des vestiges de leur fuite et tromper par ce moyen l'ennemi , s'il vouloit les suivre, et 1'obliger du moins a diviser ses forces. Bessus put le chemin de la Bactriane, et Nabarzane celui de 1'Hvrcanie , suivis tous deux de peu de gens a cheval. Les barbares destitués de chefs se dispersèrent ca et la, selon que la peur ou 1'espérance les guidoir. Les chevaux qui conduisoient Darius , aussi maltraités que leur prince, s'écartèrent du grand chemin, et vinrent expirer prés d'une fontaine écartée. Alexandre le faisoit chercher de tous cótés; enfin un soldat Macédonien, nommé Polistrate, y arriva par hasard pour prendre de 1'eau, reconnut Datius , le corps percé de javelors, couché dans son charriot et prit a remdre le  rS6 Histoire dernier soupir. Ce prince- 1'ayant entendu parler la langue Persanne , lui dit que dans 1'état déplorable de sa fortune , il avoit au moins la consolation de parler a une personne qui 1'entendoit , et que ses dernières paroles ne seroient point perdues. Qu'il le chargeoit de dire a Alexandre , que sans 1'avoir obligé jamais, il mourojr san redevable ; qu'il lui rendoit mille graces des bonrés qu'il avoit eues pour sa mère, pour son épbuse et pour ses enfans , ne s'étant pas contenté de leur laisser la vie, mais leur ayant laissé tout 1'éclat de leur premiète grandeur , randis que des parens et des amis lui arrachoient la couronne et la vie. Qu'il prioit les dieux de rendre ses armes victorieuses, et de le faire monarque de 1'univers; qu'il ne croyoit pas avoir besoin de lui demander qu'il vengear 1 exécrable parricide commis sur sa personne, paree que c'étoit la cause commune des rois. Epuisé par la fatigue, la chaleur et Ia douleur de ses plaies, il lui demanda un peu d'eau. Polistrate lui en apporta dans son cas ]ue; il fut touché de la manière obligeante avec laquelle le Macédonien lui donna ce foible secours : voila, lui dit-il, le comble de mes malheurs, généreux soldat, vous m'obligez, et je ne pms Ie reconnoitre; mais Alexandre ren donnera la récompense, er lui-même la recevra des dieux pour sa douceur et son humanité envers ce qui m'étoit le plus cher; puis prenant la main de Polistrate, touche-lui pour moi dans la main , lui dit-il, comme je touche dans la tienne, et pcr.e lui de ma part ce seul gage de ma reconnoissance. En finissant ces mets, il expira. Alexandre informé de ce funeste sort, y courut aussitöt, et voyant le corps de Davius, il pleura amèrement, et par les marqués de la douleur la plus sensiblc, fit Voir combien il étoit touché de 1'mfcrtune de  d'Alexandre le Grand. Liv. XII. 187 ce prince. II lui rendit cette justice, qu'il ne méritok pas une fin aussi triste et aussi indigne de sa gloire et de la bonté de son cceur. II détacha d'abord sa cotte darmes, et en couvrit le corps , et ayant fait embaumer et orner son cercueil avec une magnificence royale , il 1'envoya a la reine Sysigambis, pour lui faire des funérailles a la facon des rois de Perse, et le mettre au tombeau de ses ancêtres. Ainsi mourut Darius, 330 ans avant Jésus-Christ, après avoir vécu prés de ;o ans, et en avoir règné 6. Prince d'un caractère doux et pacifique, dont le règne, si on excepte la mort de Caridème, avoit été sans violence et sans cruauté, soit par inclination naturelle, ou paree que la guene continuelle qu'il eut a essuyer avec Alexandre depuis son avènement a la couronne, ne lui permit pas d'en user autrement; vaillant, quoique dans son règne il n'en donne pas de grandes marqués ; néanmoins il n'avoit été fait roi des Perses, que paree qu'étant particulier , il avoit deja montré des preuves d'un grand courage; il étoit généreux, aimé de ses peuples ; il ne manquoit ni d'esprit ni de.vigueur pour exécuter ses desseins ; mais si on le compare avec Alexandre, son esprit avec ce génie percant, sublime ; sa valeur avec la hauteur et la fermeté de ce courage invincible , qui se sentoit animé par les obstacles; avec cette ardeur immense d'accroitre tous les jours son nom , qui lui faisoit sentir au fond de son cceur, que tout lui devoit céder, comme a un homme que sa destinée rendoit supérieur aux autres ; on jugera aisément auquel des deux appartenok la victoire.  iSS Histoirc LIVRE XIII. I-JA mort de ce prince arnena aux pieds du vainqueur plus:eurs de ses ennemis , mais ne termina pas la guerre. II poursuivit Bessus, qui s'étoit retiré dans la Bactriane , et avoit pris la qualité de roi et le nom d'Artaxercès •, mais voyant qu'il n'y avoit pas moyen de 1'atteindre , il retourna dans le pays des Parthes , et comme il avoit résolu de faire quelque séjour a Hecatompvle , il commanda qu'on y amenat des vivres de tous cótés. Pendant ce séjour , il se répandir un bruit dans I'armée j que le roi , content de ses conquêtes , se préparoit a retourner en Macédoine ; dans ce moment même les soldats, comme si 1'on eüt don-, nê le signal du départ, coururent comme des insensés dans leurs tentes , se mettent a plier leur bagage , se harent de charger les chariots , et remplissem tout le camp de tumulte. Ce qui avoit occasionné ce bruit, c'est qu'il avoit licencié quelques troupes grecques , après les avoir richement récompensées ; de sorte que les Macédoniens crurent la guerre finie pour eux comme pour les aurres. Le bruit en vint bientót aux oreittes d'Alexandre; effrayé de ce désordre , il fit venir les officiers dans sa tente , et les larmes aux yeux , il se plaignit de ce qu'au milieu d'une carrière si glorieuse , il se vovoit rout-a-conp arrêté , et contraint de s'en retourner dans son pays plutót en vaincu qu'en victorieux: les officiers le consolent et le rassurent; ils lui représentent que ce mouvement subit n'est qu'une saillie et une fougue passagère , qui n'auroit point de suite dès qu'il  d'Alexandre le Grand. liv. XIII. 189 ss seroit montré a ses soldats et leur auroit parlé avec bonté et avec douceur. Alexandre leur dit d'aller préparer les esprits des soldats a 1'entendre, et quand ils furent assemblés, il leur paria, en ces rermes : Je ne m'éronne point, soldats, si après les grandes choses que vous avez faites jusqu'ici, vous êtes rassasiés de gloire et ne cherchez plus que le repos; je ne ferai point le dénombrenient des provinces que vous avez domptées; vous avez acquis plus de provinces que les autres n'ont pris de villes. Si je croyois nos conquêtes bien assurées parmi des peuples vaincus si promptement, je ne le dissimuie point , je me haterois d'aller revoir nies dieux domestiques, ma mère , mes sceurs er tous mes xujets , et jouif dans le sein de ma patrie de la gloire que j'ai acquise avec vous. Mais cette gloire s'évanouira bientöt, si nous n'y mettons le dernier sceaüi pensez-vous que tant de peuples accoutumés a une autre dominariou , et qui n'ont avec nous nulle conform i ré , ni de rekgion ni de mceurs, ni de langage, ayant été aussi-rót terrassés qu'attaqués; pensez-vous, dis-je , qu'ils neus soient long-tems fidèles; ces armes que nous renons encore les tiennenr en respect; mais a peine aurons-nous fait un pas en arrière, qu'ils secoueront le joug , et se montreront a découvert nos ennemis. De plus , n'avons-nous pas encore plusieurs peuples a subjuguer • laisserons-nous donc notre victoire imparfoire ? laissérons-nous le crime et 1'artentat de Bessus impunis! N'étes-vous présentement les maïtres de 1'empire de Darius , que pour 1'abandonnet ainsi dans les mains meurtrières de ce monstre, qui, après 1'avoir chargé de chaines, comme un captif, 1'a enfin assassiné pour nous ravir la f loire de le sauver 1 Ne le verrai je donc jamais attaché a un infame giber, payer a rous les ruis et a tous les peuples de la terre,  190 Histoire la juste peine de son exécrable parricide ! Je ne sais si je me trompe , mais il me semble que je lis sur vos visages 1'arrêt de sa mort, er que la colère qui étincelle dans vos yeux , m'annonce que vous rremperez bientór vos mains dans le sang de ce traitte. Les soldats ne laissèrent point achever Alexandre, er battant des mains , ils s'écrièrent tous a 1'envi qu'il les menat oü il lui plairoit; c'étoit-la 1'effet ordinaire des discours de ce prince dans quelque découragement qu'ils fussent •, une seule parole sortie de sa bouche, les ranimoit sur-le-champ , et leur inspiroit cette gaité, cette ardeur martiale , qui parcissoit toujours sur son visage. Le roi profitant de cette heureuse disposition, traverse le pays des Parthes , et arrivé en trois jours sur la frontière de 1'Hyrcanie , dans le dessein de réduire le reste des troupes étrangères encore attachées au parti de Darius, et de soumettre les Pagriens qui étoient sous les armes. Comme 1'on pouvoit aller chez eux et en sortir par nois chemins différens, Alexandre divisa son armée pour occuper ces passages; il envoya Cratère avec les archers , quelques chevaux et le régiment d'Amyntas par le cóté des Tapures , Erigius par la plaine , et il se réserva d'aller avec le reste des troupes par les sentiers apres et difficiles des montagnes. Après les avoir traversées , il campa dans une plaine sur le bord d'une rivière , oü ses troupes devoient le joindre. Le quatrième jour qu'il y étoit, il y recut une lettre de NabaTzane , qui , après avoir fait son "apologie sur le meurtre de Darius, lui demandoit sa parole royale, afin qu'il püt venir en süreté le reconnoitre pour son maitre, et qu'il n'appréhendoir point de se confier a lui , dès qu'il lui auroit donné sa parole. Alexandre ne la lui refusa pas, er se remit en marche. Quoiqu'il ne découvrit aucun ennemi, il preuoit néan-  et Alexandre le Grand. Liv. XILI. 191 moins ses précautions , détachant a la tête et sur les ailes de la marche des coureurs, de peur de surprise, étanr au milieu d'une nation belliqv.euse. Fhradapherre, gouverneur des Parthes , et quelques autres grands de Perse , vinrent au-devant de lui et se soumirent. II les recut avec des témoignages de bienveillance, et arriva peu après a Zaciracarta , capitale de 1'Hyrcanie. Cratere et Erygius 1'y joignirent après avoir soumis les con•trées voisines ; le bruit de leurs exploits intimida ceux qui auparavant avoient montré le plus de résolution; plusieurs se presenrèrent devant Alexandre, qui les recut humainement, leur conserva les places et les priviléges dont ils jouissoient, les louant de la fidélité et de 1'attachement qu'ils avcient toujours marqués pour la personne de Darius. Autophradate, gouverneur des Tapures , marcha sur leurs traces, et ressentit les mêmes bontés du prince , qui lui laissa scn gouvernement. Ce fut dans cetre ville que Nabarzane vint le tróuver, et entr'autres présens qu'il lui fit , il lui amena Bagoas , qui depuis eut grand crédit sur 1'esprit de ce prince, comme il 1'avoit eu sur 1'esprit de Darius. ' Une clémence si généreuse , fit cspérer aux Grecs du parti de Darius qu'ils ne seroienr pas traités plus sévèrement; ils envoyèrent demander a Alexandre de les recevoir dans son armée pour combattre sous ses drapeaux. Je n'ai pomr de condition a mettre, répondit le roi aux députés , avec des hommes qui ont porté les armes contre leurs frères , avec les barbares , malgré 'le décret solemnel qui en avoit été porté par le corps de toute la nation. Qu'ils viennent se soumettre a ma justice , et je verrai comment je dois en user avec eux. Ils demandètent une sauve-garde, et il leur donna Andronicus. '1'andis^ua'ils se réunissoient de tous cotés , pour se présenter a lui, il marcha contre  xji Histoire les Mardes, qu'il soumit , ainsi que les Arriens , les Drangiens et les Aracosiens , et plusieurs autres nations ou ses armées victorieuses passoient avec plus de iapidité que ne feroit un voyageur. Souvent il poursuivoit l'ennemi des jours et des nuits entières sans donner presque aucun repos a ses troupes ; par cetre rapidité prodigieuse , il surprenoir des peuples qui le croyoient encore bien loin , et il les surprenoit avant qu'ils eussent eu seulement le tems de se mettre en défense. .C'étoit 1'idée qu'avoit donné de lui le prophéte Daniël, plusieurs siécles auparavant, en le représentant sous 1'image d'une panthère , d'un léopard qui s'élancoit avec une si grande vitesse , que ses pieds sembloient ne point toucher la terre. A son retour il trouva i,yco Grecs^ parmi lesquels étoient les ambassadeurs que Lacédémone avoit envoyé a Darius, pour entretenir i'alliance qu'elle avoit faire avec ce prince contre le roi de Macédoine. D'abord il ordonna qu'on !es mit en prison , comme infracteurs d'une loi commune a toute la Grèce ; mais la crainte d'irriter les républiques auxquelles ils appartenoient, le détermina a les relacher; il renvoya dans leur pays ceux qui s'étoient enrolés dans la milice des Perses, avant qu'il eüt été déclaré généralissime des Grecs, et rerint ceux qui avoient pris le parti depuis le passage de 1'Hélespont. II recut alors les couriers d'Anripater qui lui apprenoienr la défaite et la mort d'Agis, roi de Lacédémone, tué dans un grand combat prés de Mégalopohs; jamais cette fiére naüon n'avoit voulu reconnoitre Alexandre pour chef de teute la Grèce 3 et 1'avoit traversé en routes les occasions oü elle pouvoit lui nuire , tant en. Grèce qu'en Perse: mais cette vicroire ruinant la puissance des Lacédémcniens et celle de leurs alliés , ils envoyèrent  d'Alexandre le Grand. Liv. XIII. 19 3 L envoyèrent des ambassadeurs a Alexandre pour se ranijger, ainsi que les autres , sous sa domination; il les. i recut sans leur faire aucun reproche , et pardonna a tous, excepté aux chefs de la révolte qu'il fit punir, : et aux Mégalopolitains, qui avoient soutenu un siége :|'contre Antipater ; il les condamna a payer 360,000 1 livres aux Achéens et aux Etoliens. On rapporte , au sujet de cette défaite des LacédéI moniens, une parole d'Alexandre qui ne lui fait pas d'honneur et qui semble marquer en lui une jalousie dont I le cceur d'un héros ne doit jamais être capable ; malgré J ce qu'on lui rapporte de la bravoure et de la constance 5 avec laquelle on avoit combattu de part et d'autre , reI gardant la gloire des auttes comme une diminution de la sienne, et ne faisant nul cas d'une victoire oü il n'avoit 'point présidé , il disoit que cette bataille étoit le combat I des souris. Ce fut dans Zadracarta qu'il recut', dit-on, la visite de t Tabestris , reine des Amazones. Cette princesse ayant : entendu parler des prodiges de valeur qui rendoient le jeune héros formidable a rout 1'univers, prit 300 amazones , sortit de ses états, et fit une marche de vingtcinq jours 'pour satisfaire sa curiosiré. Quand elle fut proche de la ville , elle le fit avertir qu'une reine brülant du désir de le connoïtre, étoit arrivée et n'étoit pas loin de la. Alexandre lui fit dire qu'il seroit charmé de la voir. Elle commanda a son train de s'arrèter, et entra dans la ville avec ses 300 femmes seulement. Dès qu'elle eüt appercu le roi, elle descendit de cheval, et tenant deux lances a la main pour lui servir de contenance , elle s'avanca vers ce prince; elle le regardoit sans s'étonner, et le considérant attentivement, elle paroissoit ne pas trouver que sa taille répondïr a sa renommée : car la narion des Scythes, dont elle étoit, aime fort un air maTome rt N  194 Histoire jestueux , et n'estime capable de grandes choses que cèut que la nature a favorisé des avantages du corps ; mais I 'humanité d'Alexandre ayant gagné son amitié: Seigneur, lui dit-elle, je ne dissimulerai point que 1'envie d'avoiS de votre postérité estlesujetqui m'amèüe'j si la nature me donne une fille, je la garderai et la ferai élever suivant nos mceurs et nos usages ; et si c'est un fils, je le remettrai entre vos mains; car je ne me crois pas auSip de donner des h éritiers a vorre empire. Alexandre garda la princesse treize jours; n'oubliant rien de ce qui pouvoit lui procurer du plaisir par les sacrifices et les jeux magnifiqües qu'il fit célébrer : il auroit souhaité pouvoir 1'engager a le suivre dans son expédition ; mais elle s'en excusa sur ce que son royaume avoit besoin de sa présence , et retourna dans ses états. Cette histoire paroit entièrement fabuleuse. Eft parcourant la ptovince d'Hircanie , Alexandre ren contra Artabaze , ce fidéle officier de Darius , qui venoit au - devant de lui avec sa familie et quelques soldats fugitifs pour implorer sa clémence. A son abord , le roi lui prit la main, le combla de caresses, se souvenant de 1'amitié 'et de la liaison qu'il avoit eu avec Philippe son père ; et lui témoigna beaucoup d'estirae pour le zèle et 1'attachement qu'il avoit témoigné a Darius. Ce vieillard respectable agé de 9; ans, touché d'un accueil si favorable, lui dit : puissent les dieux conserver eternellement votre empire et vous combler de bonheur! dans 1'exrrême vieillesse oü je suis , je ne redoute la mort, que paree qu'elle va bientöt me mettre dans 1'impuissance de reconnoitre vos bienfaits; mais j'ai neuf fils pleins de courage et de sentiments, je prie les dieux de ne leur donner de vie, qu'autant qu'ils seront utiles a votre service! Le jeune prince fut plein d'attentioh pour ce vieillard j et la crainte de le fati-  d'Alexandre le Grand. Liv. XIII. 195 guét enmarchant a pied comme lui, 1'obligea de prendre un cheval } afin qu Artabase eüc la liberté d'en faire de même. Ce fut prés de la que les barbares ayant rencontré ceux qui conduisoient Bucéphale , cheval d'Alexandre, le prirent et 1'emmenèrent {la perte de ce cheval, qui avoit k la vérité des qualités extraordinaires , fur plus sensible a Alexandre qu'elle ne 1'auroit dü être. II fit publier par-tout les plus terribles menaces si on ne lui rendoit son cheval. Les barbares effrayés, le ramenèrent aussitöt ; il les traita, contte leur attente , avec beaucoup de douceur, et leur paya une grosse rancon pour son cheval. De 1'Hyrcanie il rentra dans la Parthiène , c'est-la oü on le vit se livrer tout entier a ses passions, changeant en orgueil et en débauche, la modération et la continence qui 1'avoient rendu si estimable ; jusqu'alors les principes de son éducaticn 1'avoient plutöt fait admirer, que proposer pour modèle invincible aux dangers et aux fatigues de la guerre , il ne le fut point a la douceur du plaisir : dès qu'il eut un peu de relache, il s'abandonna aux voluptés, et celui que les armes des Perses n'avoient pu vaincre , fut vaincu par leurs vices. Ce n'étoit plus que jeux , que parties de plaisirs , que femmes, que festins désordonnés oü 1'on passoit les jours et les nuits dans les excès du vin; ne se contenranr pas des joueurs d'instrumens et des musiciens qu'il avoit fait venir de Grèce , il faisoit chanter les femmes captives qu'il avoit a sa suite. Parmi eiles, il en appercut une un jour, qui par une modeste honte, accompagnée de dignité , témoignoit plus de répugnance a se laisser produire en public, elle étoit d'une grande beauté k laquelle sa modestie ajoutoit de nouvelles graces, car èlle tenoit les yeux baissés et faisoit ce qu'elle pouvoit N x  \C)Ci "Histoire pour se caclier le visage. Alexandre se douta bien qu'elle n'étoit pas d'une naissance commune, et alla lui-même lui demander qui elle étoit. Seigneur, lui dit-elle, je suis petite rille d'Ochus, un des prédécesseurs de Darius ; j'avois épousé Histarpe , parent de ce prince, et 1'un de ses généraux; mais la ruine de notre empire m'a mise au rang de vos esclaves. Alexandre 3 touché de son état, lui rendit sa liberté , la rétablit dans ses biens et fit chercher son mari pour la lui rendre \ le lendemain il ordonna a Ephestion de lui amener tous les prisonniers au palais, oü ayant reconnu la qualité de chacun en particulier, il sépara les personnes de condition, dont il s'en trouva de la première distinction, parmi lesquelles étoit Oxathres, frère de Darius, aussi connu par son mérite personnel, que Darius 1'étoit par ses malheurs; il en fit un de ses amis; il y avoit aussi un grand seigneur Persan , nommé Oxidate, que Darius avoit condamné a mort; Alexandre le fit viceroi de Médie. Quoiqu'Alexandre commendtt a dégénérer de sa première vertu, il conserva roujours cependant ce fond de bonté et d'humanité qui lui étoit naturel, et le faisoit comparir aux maux des personnes , même de la plus basse condition. Un jour un pauvre Macédonien conduisoit au trésor un muler chargé d'or; le mulet étoit si las, qu'il ne pouvoit plus ni marcher ni se soutenir; le muierier prit la charge et la porta un long espace de chemin avec beaucoup de peine. Le roi ie voyant accablé sous le poids, et prêt a jetter le fardeau a terre pour se soulager : ne te lasse point encore, mon ami, lui dit-il, tache de fournir le reste du chemin, et de porter cette charge dans la tente, car je te la donne. De fels sentimens d'une bonté généreuse et compatissante, font plus d'hon-  d'Alexandre le Grand. Liv. XIII. 197 neuraun prince, que toutes les victoires et toutes les conquêtes : mais une prospériré trop éclatante et trop suivie, qui est un poids au-dessus de la force hunaine, Ten dépouilla, et lui fit oublier qu'il étoit homme. Mais ce qui indisposa le plus les Macédoniens contre Alexandre , fut le changement qu'il introduisit dans leurs habillemens , et quelques-unes de leurs coutumes. II est entièrement inexcusable, s'il le fit par sentiment de molesse et de volupté j mais s'il a eu en cela des vues polifiques, on peut trouver quelques raisons pour que sa conduite ne soit pas tout-a-fait blamable, on le verra par la suite. II ne prit pas dans leur entier les usages des Mèdes J qui lui parurent trop étranges; mais tenant un milieu , il fit un mélange de la mode persienne avec la médoise , et composant un vêtement moins fastueux que celui des Mèdes, et aussi plus noble et plus majestueux que celui des Perses, il ne la mit d'abord que quand il vouloit parler aux Perses, qui le saluoient et lui rendoient leurs respects comme a leur prince naturel , c'est-a-dire, en se prosternant devant lui; il le mettoit encore devant ses amis parriculiers dans sa maison , mais ensuite il parut avec eethabit devant tout le monde, et voulut que ses amis, ses capitaines , les grands de sa cour s'habillassent a la Persienne , malgré la répugnance qu'ils témoignoient a quitter leurs habillemens. Dès que les vieux soldats, qui avoient servi autrefois sous Philippe , viient Alexandre abandonner la simplicité de leurs habillemens, et contraindre ses officiers a en faire de même, ils murmurèrent de cette conduite qui conduisoit au faste des Perses, et teiadoit a introduire la corruptie n dans 1'ame des Macédoniens. Quoi , disoient-ils , n'aurions-nous pas été plus heuieux de n'avoir jamais connu les Perses, que de les avoir yaincus, pour en prendre les manié* N j  81 Histoire res i tout le fruit de notre longue absence et de nos longs travaux, sera-ce donc de retourner en Grèce avec des mceurs er des habits qu'on y déteste ? II est honteux pour nous d'avoir un roi qui nous dédaigne, qui se flétrit lui-même, qui veur se confondre avec ceux qu'il a vaincus, er qui prefère la robe d'un Satrape i celle d un prince victorieux. Alexandre informé de routes ces plaimes, ne crut pas devoir y répondre par la voie d'une autorité absolue, qui n'allègue d'autre raison que sa volonté, et qui prérend que les autres s'y conforment; il tacha de les appaiser par la douceur, en retranchant une partie de ce qui les scandalisoit le plus , gagnant les autres par 1'abondance de ses largesses , et leur disant qu'un vainqueur n'est pas déshonoré en se parant des dépouilles de son ennemi. Mais les Macédoniens appréhendoient trop pour leur liberté qu'ils croyoient menacée, pour s'appaiser touta-coup. Alexandre crut que le remède le plus sür étoit de les occuper; il fit savoir que Bessus assembloit les Scyrhes dans la Bactriane, pour se mettre a leur tête, et qu'il falloit au plutót marcher contre lui. Comme son armée étoit si chargée de butin et d'attirail inutile, qu'elle pouvoit a peine se remuer , il fit charger son bagage et celui de ses soldats , a la réserve du plus n ïcessaire, sur des charriots , et les fit porter au milieu de la plaine ; tous étoient dans 1'attente de ce qu'il alloit faire. Après que 1'on eut dételé les chevaux , il mit le feu lui-même a son bagage , et commanda qu'on en fit autant a tous les autres. Ce devoit êtte pour eux un dur saorince de brüler ces riches dépouilles , qui étoient le prix de leur sang , qu'ils avoient pour la plupart tirées des flammes. Mais i'exemple du roi étouffoit toutes leurs plaintes, et ils ,paroissoient moins sensibles a la perte de leur bien qu'a celle de leur disci-  d'Alexandre k Grand. Liv. XIII. 199 pline Une courte harangue du prince appaisa rous les regrets qu'ils pouvoient témoigner , et se trouvant désonnais plus libres pour leurs fonctions, ils prirent le chemin de la Bactriane. II rencontra Satibarzane, satrape de 1'Ariane, qui venoit lui faire ses soumissions et celles de sa province. Alexandre le re§ut avec bonté et le confirma dans sa place , et envoya Anaxippe , 1'un de ses amis particuliers, avec un dérachement de quarante chevaux et de quelques compagnies d'archers, pour empêcher que ses troupes ne fissent quelques dégats sur les terres des Arriens. Mais a peine fut-il audela de cette province, qu'on vint lui dire, que Satibarzane s'étoit révolté, qu'il avoit fait mourir Anaxippe et les troupes qu'il conduisoit , et que les Arriens s'étoient mis sous les armes dans leur vilie capitale. Outré de cette lache et noire perfidie, il prir avec lui 1'élite de ses troupes, laissant le reste a Cratère , et marcha conrre Satibarzane avec raut d'activité, qu'en deux jours il fit prés de 40 lieues. Satibarzane surpris de le voir arriver avant qu'il le crut seulement instruit de sa révolte , prit la fuite , et se sauva vers Bessus avec deux mille chevaux; les autres barbares se retirèrent dans les montagnes. Alexandre les poursujvit vivement} mais comme ils étoient retranchés sur des rochers couverts de bois et de brossailles , il y fit metrre le feu , qui a la faveur d'un vent violent s'étendit par tous ces bois , et en fit déloger les barbares. II tailla les uns en pièces et fit mettre les autres aux fers; il revint ensuite trouver Cratère , qui assiégeoit la ville d'Artacaona , oü s'étoient retirés grand nombre d Arriens. La ville étoit sur le point d'être prise , mais Cratère voulant réserver a Alexandre la gloire de sa réductjon , différoit la dernière action ; Alexandre aussi-tot fit approcher ses machines, et les barbares dé- N4  i»o Histoire concertés par sa seule présence , lui demandèrent grace du haut de leur mur; le prince leur pardonna, et appella leur ville Alexandrie. II entra dela dans le pays des Dranges., sa venue intimida Barzaentes qui en étoit gouverneur : aussi coupable du sang de Darius que Bessus lui-même , il craignit la justice d'Alexandre qui ne pardonnoit a aucun de ses parricides, et se réfugia vers les bords du fleuve de 1'Inde ; mais ces peuples, en qui il croyoit trouver de la protection, ayant horreur d'en donner au meurtrier de son prince, le renvoyèrent au roi qui le fit mourir. Tandis qu'il voyoit ainsi prospérer ses armes contre les ennemis qui osoient se montrer a découvert, il se tramoir, dans sa cour, une ligue puissante de plusieurs de ses officiers qui avoient conspiré contre sa personne. Demétrius, capitaine de ses gardes, étoit a la tête de neuf conjurés; Dymnus, qui étoit peu considéré a la cour, y entra par quelque mécontement particulier et en fit part a Nicomaque , pour qui une extréme tendresse ne lui permettoit pas d'avoir rien de secret; et de peur qu'il ne le découvrit , il le mena dans un temple pour lui faire jurer de n'en parler jamais a personne. Nicomaque fur révolté d'un si noir forfait, et lui dit , que sa conscience 1'obligeoit a le décéler; que les dieux ne consacrent poinr un serment dont 1'irréligion , 1'injustice , la fraude et la barbarie forment les seuls liens, et que sa vie y étoit intéressée malgré son innocence. Dymnus effrayé, voulut en vain le ramener par ses caresses, et ce ne fur que par les plus terribles menaces qu'il 1'obligea a lui promettre le secret. Dès que Nicomaque 1'eüt quitté, il lencontra son frère Cébalius , lui dit ce qu'il venoit d'apprendre, et le pria d'aller au palais en informer  d'Alexandre le Grand. Liv. XIII. 201 'Alexandre , tandis qu'il alloit se retirer chez lui, oü il se tiendroit toujours en la compagnie de quelques personnes pour n'être point suspect a Dymnus. Cébalinus y alla sur le champ , et se tint dans le vestibule, paree qu'il ne lui étoit pas permis d'entrer plus avant, attendant qu'il sortit quelque seigneur de chez le roi, qui püt le faire introduire. De tous les courtisans qui passèrent, il n'en vit aucun a qui il püt se confier, que Philotas, fils de Parménion, qui sortit le dernier : il 1'aborda avec émotion et le pria instamment de donner avis au roi que 1'on alloit attenter a ses jours , que le tems pressoit , et que dans trois jours ce criminel dessein devoit être mis a exécution. Philotas ayant loué sa fidélité , rentre de ce pas chez le roi, avec qui il s'entretint long-tems de toute autre chose sans lui dire un mot de ce qu'il venoit d'apprendre. Cébalinus qui 1'avoit attendu, 1'ayant vu sortir, lui demanda s'il avoit fait ce dont il 1'avoit prié ; .il lui répond qu'il n'en a pas trouvé le moment, et passa outre. Le lendemain , ce jeune homme se presente encore a lui comme il entroit au palais, et le conjure de se souvenir de ce dont il lui avoit parlé la veille: Philotas lui en donne sa parole, et cependant il n'en fit rien. Cébalinus alors commenca a se défier de lui , et craignant que, si la chose venoit a se decouvrir par une autre voie, on ne lui fit un crime de son silence, il s'adressa a Metron, officier de la garde-robe, a qui il découvrit le complot. Ce jeune officier en alla aussi-tót avertir le roi qui étoit au bain , et qui fit entrer Cébalinus. Dès que ce jeune homme 1'appercut, il s'écria : C'est a présent , seigneur, que je vous vois hors de danger et que je bénis les dieux qui vous ont sauvé  2©2 Histoire de la main des méchans. Alexandre 1'interrogea suf le détail de la conjuration, et apprenant que Dymnus pouvoit tout lui dé.couvrir, il envoya ses gardes pour 1'arrêrer. Pendant qu'ils y alloient, il s'informa de Cébalinus depuis quand il étoit instruit de Ja conjuration ; comme il lui répondit qu'il y avoit trois. jours, le roi crut que ce retardement annoncoit quelque part au crime, et commanda qu'on lui mit les fers aux pieds. Cébalinus lui protesta que du moment qu'il en avoit eu connoissance il avoit cherché tous les moyens possibles pour 1'en avertir; qu'il en avoit deux ibis parié a Philotas. Philotas ! reprit Alexandre, ce que vous dites est -il bien vrai ? Seigneur, reprit Cébalinus , qu'on le lui demande , il ne pourra le nier. Le prince leva les mains au ciel, et se pjajgjp.it avec larmes de 1'ingratitude d'une personne qu'il avoit tant aimée. Cependant les gardes étant arrivés au logis de Dymnus , et demandant a lui parler de la part du roi , il vit bien de quoi il s'agissoit , et se passa son épée au travers du corps ; les gardes néanmoins 1'emportèrent au palais. Lorsque le roi le vit en eet état, il lui dit : Que t'ai-je donc fair, Dymnus, pour juger Philotas plus digne que moi du royaume de Macédoine ? Mais il avoit déja perdu la parole, et poussaiit un profond soupir - il tourna la tête d un autre cpté, et expira. Le roi ht ensuite venir Philotas , et lui parlant seul a seul et sans rémcin : Faut-il, lui dit-il, que je sache par un autre ce que vous devriez être le premier a m'apprendre ? On vous a prié de m'instruiie d'un attenrat formé sur ma vie, et vous ne m'en avez rien djt. Cébalinus mérite la mort s'il a célé pendant deux jours ce qu'il devoit révéler aussitöt i mais il se décharge sur vous de ce crime, et  d'Alexandre le Grand. Liv. XIII. i«f soutient que dès qu'il 1'a connu , il vous a prié de m'en averr.ii:. Plus vous avez de parr a mon amitié , plus votre silence seroit criminel , et j'avoue que la chose est plus croyable de Cébalinus que de Philotas ; ne déguisez rien a un juge qui vous est favorable. Philotas, sans faire paroirre aucun trouble , 1'avoua ingénuemenr. II est vrai , dit-il, que Cébalinus jri'a rapporté quelques discours tenus entre son frère et Dymnus ; mais le commerce et 1'amitié passionnés que tout le monde connoit entre ces deux jeunes hommes m'ont empéché d'y ajouter foi : j'ai erainr de m'exposer a la risée d'une compagnie judicieuse en les rapportan t pour sérieux ; mais la mort de Dymnus , qui s'est sans doute senti coupable , me fait voir que j ai eu grand tort de garder le silence. A 1'mstant il se jette aux pieds du roi > embrasse ses genoux er le suprhe d'avoir plus d'égard a sa vie passée qua la faute quil vient de commettre : il le prie de Ia regarder comme une imprudence, plutot que comme un crime. II nest pas aisé de dire si Alexaidre le crut ou feignit de le croire. J'aime mieux, lui dit-il, penset que vous avez méprisé I'avis, que de vous soupconner capabLe de me 1'avoir voulu céler, er il lui donna sa main en signe de réconciliation. Philotas étoit vaillant de sa personne , infatigable dansles travaux, et après Alexandre, il n'y avoit point dans I'armée de personne qui fut si liberale. II avoit cependant beaucoup d'envieux et d'emremis a la cour, et il étoit difficile que cela ne fik autrement, puisqu'entre tous les courtisans il étoit un de ceux qui avoient le plus de familiarité et de credit auprès .du roi. Au lieu de tempérer er d'amortir 1'éelat d une faveur si brillante par un air de douceur .et de bonté,  i04 Histoire et par une sage nfodération, il ne faisoit au contraire quirriter 1'envie par 1'arfecration dun fasre insensé , qui dominoit géné:alement dans ses vêtemens , dans son train, dans ses équipages, dans sa table, et encore plus dans ses manières pleines de hauteur et de fierté qui le faisoient haïr de tout le monde. Parménion , son père, choqué de eet air fastueux , lui écrivit un jour: Mon fils, fais-toi plus petit. II lui donnoit souvent de pateils conseils , qui marquoient un homme qui connoissoit parfaitement la cour; mais une trop grande prospérité le rendoit fier et aveugle, et il ne croyoit pas qu'une faveur si bien établie püt changer : il éprouva bien le contraire. Alexandre avoit d anciens sujets de plaintes contre lui. II se donnoit la liberté de pafier peu respectueusement du prince et fièrement de lui-même; ses discours étoient rappor:és a Alexandre qui avoit toujours dissimulé sans avoir jamais laissé échapper contre lui aucune plainte; il ne s'en étoit pas même ouvert a Ephestion, pour qui il n'avoit rien de secret; mais 1'accusation récente fit revivre tous les anciens mécontentemens. Aussi-töt après rentretien qu'il avoit eu avec Philotas , il tint conseil avec ses principaux confidens : il y fit paroitre Nicomaque, qui déclara tout ce qu'il savoit de la conjuration, dans les mêmes termes que son frère Cébalinus. Cratère, jaloux de la grandeur de Philotas, crut que c'étoit-la une belle occasion de supplanter son rival; cachant donc sa haine sous une apparence de zèle, il fit sentir au roi combien il avoit a craindre de la part de Philotas, paree que le pardon ne change point un cceur qui a pu concevoir un parricide si détestable., et de celle de Parménion , son père, qui ne pourra, disoit-il , soutenir cette pensée qu'il doit au roi la vie de son fils; car, ajouta-t-il,  d''Alexandre le Grand. Liv. XLLL. zoj il est des bienfaits qui degenriem a charge et dont on ne cherche qua abohr la mémoire quoiqu'il en doive coüter. Comment Philotas, colonel de la cavalerie , a qui le roi confie ses plus secrètes pensées, qu'il honore de son amitié et qu'ii a toujours consulté ; comment Philotas feint-il de n'avoir pu vous parler , si ce n'est qu'il est complice de eet attentat qu'il a voulu cacher en trompant Cébalinus er 1'empêchant de s'adresser a un autre ! Quand il s'agit du salut du prince tout n'est-il pas important , tout ne devient-il pas prouvé, jusqu'aux plus légers soupcons ? Peut-il donc entrer dans 1'esprit d'un favori une telle indolence sur un avis de cette importance, tandis que Je moindre soldat en eut été aussi-tor faire une prompte découverte i Je ne doure point, seigneur, que votre bonté ne combatte votre justice; mais nous vous conjurons, seigneur, de garantir cette tête qui nous est si chère, des embuches d'un rébeile, et quand vous aurez détruit ces ennemis domestiques , ceux du dehors n'auront rien qui nous effrayent. Sur ce discours, il n'y eut personne qui n'accusat Philotas d'avoir trerapé dans la conjurarion, et 1'on conclut qu'il falloit 1'arïêter et le mettre a la question pour connoitre les complices. Alexandre , en congédiant ses amis, leur recommanda le secrer, et pour qu'on ne se doutat de rien , il fit publier le départ pour le lendemain , et convia même Philotas a souper j ou il eut le courage de lui témoigner les mêmes marqués d'amitié qu'auparavant. Au eommencement de la nuit, Ephestion, Cratère , Ccenus, Erigius, et plusieurs autres seigneurs , se rendirent chez Alexandre; Léonate et Per-', dicas firent prendre les armes a ceux qui montoient la garde cette nuit; on détacha sur les avenues de la ville des parties pour que personne ne put porter a  4© il dormoit d'un profond sommeil: s'étant réveille en sursaut comme on lui mettoit les fers aux mains, il s'écria : Ah ! seigneur, la rage de mes ennemis a prévalu sur votre bonté. Après quoi on 1'amena au palais, sans qu'il dit un mot. Les Macédoniens ayant eu ordre de s'y rendre en armes, il s'en rrouva dès le point du jour prés de six mille, sans compter une foule de peuple : les gardes cachoient cependant Philotas dans leur bataillon , de crainte qu'il ne fut appercu des soldats avant qu'Alexandre leur eüt parlé. On exposa d'abord le cadavte de Dymnus; la plupart en furent étonnés, ignorant ce qu'il avoit fait ni par quelle avanture il étoit mort. Alexandre parut ensuite, la douleur peinte sur le visage , et toute sa cour de méme. II resta quelque tems les yeux baissés et comme interdir; enfin , comme s'il eüt repris ses sens, il leur adressa ainsi la parole : Peu s'ert est fallu , soldats , que je ne vous aie été ravi par la rrahison d'un petit nombre de scélérats; mais mé voici encore plein de vie j par la inisericorde et la providence des dieux, et je proteste que rien ne m'anime davantage a Ia poursuite des parricides , que la vue de cette assemblee dont 1'intérêr m'est plus cher que ma propre conservation; car je ne souhaite de vivre que pour vous , et le plus doux fruit de ma vie, pour ne pas dire 1'unique , est la satisfaction que j'aurois de pouvoir reconnoïtre les services de ranr de braves gens a qui je dois tour. A ces mots il fut interrompa par les  (F'Alexandre le Gfand. Liv. XIII. ioy gêmissemens des soldats , qui ne purent retenir leurs larmes. Eh I que sera-ce donc poursuivit-il, quand je vous aurai nommé les auteurs d'un si hotrible attentat! je ne puis parler sans frémir : ceux que j'avois le plus comblé de mes bienfaits, a qui j'avois le plus témoigné d'amitié, en qui j'avois mis toute ma confiance , qui étoient les dépositaires de tous les secrets les plus inrimes , Parménion et Philotas. A ces noms tous les soldats se regardèrent 1'un 1'autre-, leurs murmures et leur indigUaiion étoient tels qu'ils peuvent 1'être dans une muhirude de gens de guerre animés de colère. On fit venir Nicomaque , Metron, Cébalinus, qui déposèrent tout ce qu'ils savoient; pas Un ne chargea Parménion ni Philotas d'avoir eu part a la conjuration L'assemblée dans un trouble et un saisissement qu'il est plus facile de concevoir que d'exprimer, cessa tout-acoup de s'emporter et garda un triste et motne silence. Alexandre étonné d'une si prompte révolution , reprit la parole et leur dit : Que pensez-vous, soldats, de celui qui apprenant ces affreuses circonstances, les a recélées dans son cceur perfide sans me les faire connoitre ? vous voyez cependanr qu'elles n'étoient que ttop vraies ; Dymnus a craint les supplices et s'est tué pour les éviter Cébalinus s'est offert aux tortures pour les prouver ; Métron n'a point difFéré de décharger son cceur et de me montrer son zèle , il est accouru, il m'a tout découvert; Philotas seul ne s'en est pas effrayé : o le 'grand courage ! il verrok assassiner son roi, qu'ainsi que de cette conjuration il n'en seroit point ému: son orgueil que vous connoissez, 1'a porté au detnier des crimes, paree quê son père est en Médie , paree qu'il est le plus puissant de tous mes lieutenans : il a élevé trop haut ses vues ambitieuses; il me voir sans enfans et pour cela il me méprise.'Mais  io8 Histoire tu ne sais donc pas, perfide Philotas, que toute cette assemblee me tient lieu d'enfans, de parens et d'alliés ? oui, tant que je vous aurai pour soldats , je penserai être père. II répéta ensuite quelques paroles désagréables et satyriques de Philotas ; il cita quelques lettres équivoques écrites par son père Parménion» le mariage d'une de ses sceurs avec Attalus , son ennemi déclaré; sa correspondance avec quelques-uns de ses ennemis. Ce n'est plus, continua-t-il, par des paroles , qu'il marqué conrre ma gloire, sa jalousie etsahaine; c'est par le fer qu'il a aiguisé contre moi. Echappé rant de fois aux dangers que j'avois lieu de redouter au milieu des ennemis, je suis tombé dans ceux que je ne devois point craindre. Vous me priez tous les jours d'avoir soin de ma personne •, mais n'est-il pas en vous de faire de moi ce que vous me demandez sans cesse ? Je me jette donc entre vos bras et a 1'abri de vos armes ; je ne veux point vivre si vous ne le voulez ; mais si vous le voulez, c'est a vous de me défendre. II fit ensuite paroitre Philotas, les mains liées derrière le dos, et la tête couverte d'un mauvais voile : tout hors de lui-même, il n'osoit ni lever les yeux ni ouvrir la bouche ; puis, les larmes lui coulant des yeux en abondance , il s'évanouit entre les bras de ceux qui le renoient; comme on lui essuyoit les larmes dont il avoit le visage baigné, le cceur et la voix lui revenant peu a-peu , il sembloit vouloir parler : quelques zélateurs outrés 1'accabloient d'injures et vouloient le lapider; Alexandre les en empêcha, et lui ayant dit que les Macédoniens setoient ses juges , il se retira et le laissa parler ainsi: S'il est aisé a un innocent de trouver des paroles pour se justifier, il est difxicile de défendre sa causesans sortir des bornes de la modération. Fondé sur tous les témoignagss de 1'innocence, et cependant chargé du plus  a"'Alexandre le Grand. Liv. XIII. 109 plus atroce de tous les crimes, comment repousser la calomnie et ne laisser échapper aucune parole d'aigreur? II faut cependant que je me justifie, sans manquer au respect que je dois a mes juges; car il ne sera pas dit que Philotas a contribué lui-même a sa perte. II ne lui fut pas difEcile de se jusrifier; aucun des témoins n'avoit déposé contre lui ni comme auteur, ni comme complice de la conjuration. Dymnus ne 1'avoit nommé a aucun des conjurés, et s'il y eüt eu part et qu'il en eüt été lechef, comme on le prétendoit, il n'auroit pas manqué de le nommer a la tête de tous les autres, pour les engager plus sürement dans son complot. Si Philotas s'étoit senti coupable , voyant Cébalinus si empressé a parler au roi , etoit-il vraisemblable qu'il fut demeuré tranquille j sans songer £ se défaire de Celibanus , ou a hater 1'exécution de son projet ? II mit ces preuves et beaucoup d'autres dans rour leur jour , et n'oublia pas les raisons qui lui avoient fait mépriser 1'avis comme imaginaire er sans fondement. Le seul crime, dit-il, que 1'onpuisse m'imputer, est de n'en avoir pas informé Alexandre; mais, Seigneur, 1 quelque part que vous soyiez (car on a cru qu'il 1'é: couroir caché derrière un rideau ) si j'ai failli en ne vous : communiquant point 1'avis que j'ai re$u , je vous ai 1 confessé ma faute; vous m'avez donné votre main royale pour gage , et vous m'avez même fait 1'honneur 1 de m'admettre a votre table : si vous m'avez cru, je ■ suis innocent ; si vous m'avez pardonné, je ne suis j plus coupable. Quel nouveau crime ai-je commis depuis hier au soir ? Le profond sommeil oü vos garde* . m'ont trouvé 3 n'étoit que 1'etTet du calme de ma cons; cience. Etoit-ce la 1'état d'un homme qui se sent coupable du plus horrible des crimes? Ma conscience et Tomé VI. O  2 [ 9 Histoire votre parole, Seigneur, me procuroient cettetranquib litté •, ne soufrrez pas que 1'envie de mes ennemis 1'emporte sur votre bonté, sur votre clémence ersurvorrs jusrice. Néanmoins , contte son attente, le résultat de 1'assemblée fut qu'il seroit mis a la question ; vainement pour dernière ressource, il reclama son innocence, la jusrice des dieux et le droit des gens ; e'étoit ses ennemis les plus déclarés qui y présidoient : il n'y eut sorte da tortures qu'on ne lui fit souffrir ; il montra long-tems beaucoup de fermeté et de constance ; les tourmens ne pouvoient lui arracher aucune parole , pas un soupir, il insultoit même a ses bourreaux. Les premiers de la noblesse , et particulièrement ceux qui appartenoient de plus prés au patiënt, ayant appris qu'on lui donnoir la quesrion, craignant la loi des Macédoniens, qui ordonnoit que les parens des criminels de léze majesté mourussent avec eux, se crurent déja destinés a la mort •, les uns se tuèrent d'eux-mêmes les autres s'enfuirent du cóté des montagnes , jusqu'a ce que le roi informé de ce désordre fit publier qu'il faisoit grace aux parens des coupables. Cependant Philotas, chargé de plaies, fut enfin vaincu par la douleur; il demanda du relache, et fit sa déclaration ; mais on ne sait si poursedélivrer des tourmens , il n'inventa pas des mensonges ou confessa la vérité • il fit une longue histoire oü il s'avoua coupable et chargea même Parménion , son père. Satisfaits de eet aveu, ils en informèrent le roi, qui le firent lire le lendemain en pleine assemblée , oü 1'on porta Philotas, qui fut lapidé pat tout le peuple j avec les autres parricides qu'iLavoit décélés.  d'Alexandre le Grand. Liv. XIV. ± j r LIVRE XIV. y~jE qu'Alexandre auroit cru devoir mépriser autre-» fois com-.ne de vaines et paniques terreurs , il les regarda pour lors comme de vrais sujets de crainte, digiles de toutes ses précautions. Amyntas qui lui avoit rendu de grands services quand il fallut pénétrer dans la Perse , lui devint suspect 5 sa mère Olympias lui avoit souvent écrit contre lui; il étoit ami de Philotas, et Polémon, le plus jeune de ses frères, avoit pris la fuire tandis que Philotas étoit dans les tourmens. II assembla le conseil de la nation , fit comparoitre Amyntas et Cymnias son frère , et fut lui-même leur dénonciateur. Amyntas répondit avec beaucoup de douceur sur tous les chefs d'accusation: quant a son union avec Philotas , voici ce qu'il dit : On nous reproche son amitié , mais bien loin de la désavouer, nous reconnoissons 1'avoir recherchée avec empressement et en avoir riré de grands fruits : trouvez-vous étrange, grand roi 3 qu'on air fait la cour a celui qui possédoit toute la faveur, au fils de Parménion, votre bras droir ou plutöt un second vous-même? Si c'étoit un mal, permettez que je le dise, c'est vous-même qui nous endressiezle piége; vous 1'avez rendu si puissant, que nous avions tout sujet de désirer son amitié et de redouter sa haine, c'est de sa mam que nous vouï avons été Éprésentés et que nous eümes 1'honneur d'entrer dans vorre bienveillance, nous avons rous juré entre vos mains en la forme que vous nous avez vous-même dicrée, que nous serions amis de vos amis et ennemis de vos ennemis : liés par un serment si solemnel, pouvions nous nous déclarer con- O i  z 11 Histoire tre un homme que vous faisiez 1'arbitre de nos foïtunes ? Amyntas fut interrompu, dans son apologie, pat 1'arrivée de ceux qu'on avoit envoyés après son frère Polemon, et qui le ramenoient chargé de chaines. Sa présence indigna toute 1'assemblée, qui le condamnoit sur sa fuite et vouloit le lapider; mais ce jeune homme, que la seule crainte avoir fait fuir sans aucun autre motif, leur dit avec assurance et fermeté : Je n' ai point de prières a faire pour moi, pourvu que ma conduire ne nuise point a mes frères; si je ne puis la justifier er que vous la regardiez comme une faute, elle ne peut être que personnelle. En même tems il donnoit les marqués de la plus viye douleur , non du danger oü il étoit, mais de celui oü son imprudence avoit jetté ses frères. Les Macédoniens en furent touchés, et Alexandre étoit déja résolu a lui donner sa grace, lorsque , comme si 1'indignation eüt subitement passé dans le cceur d'Amyntas, il regarda son frère d'un ceil courroucé, et lui dit : Malheureux! ces larmes sont superflues •, c'est lorsque tu trahissois tes frères, en suivant ceux qui abandonnoient leur prince, que tu devois fondre en pleurs. A ces mots, les soldats ne purent arrêter ni retenir leurs acclamations •, tous, d'une voix, ils demandèrent a Alexandre qu'il pardonnat a ces cceurs généreux. Alexandre les renvoya tous trois absous, et leur dit : Echappés du péril que vous avez eouru, oubliez-le totalement et ne vous söuvenez que de la grace que je vous accorde; revenez a moi avec aurant de sincérité que je vous rends mon amitié; 1'avenir vous en servira de preuve; car si je n'avois éclairci des soupcons aussi essentiels, je vous aurois paru dissimulé, et mes réserves vous eussent toujours été suspectes. Poutyous, Amyntas, pardonnez a votre frère,  d'Alexandte le Grand. Liv. XIK 213 et je reconnoitrai par-la qu'il ne vous reste aucune amerrume contre moi. 11 n'en fut pas de même d'Alexandre Lyncestes ; depuis trois ans il étoit dans les fers, chargé par plusieurs témoins d'avoir artcnté sur les jours du roi, et convaincu d'avoir trempé avec Pausanias dans le meurtre de Philippe : mais ayant été le premier a saluer Alexandre roi, on avoit plurót différé son supplice que pardonné son crime; cependant le danger qu'Alexandre venoit de courir lui rapella le souvenir du passé. On le fit venir dans 1'assemblée, et on lui ordonna de plaider lui-même sa cause, suivanr la eoutume; mais ni le tems qu'il avoit eu pour se préparer , ni 1'éloquence que donnenr ordinairement les horreurs de la mort ou le témoignage d'un cceur innocent, ne lui inspirèrent aucune défense plausible et raisonnable : les rroupes, indignées de la foiblesse de ses réponses et de ses contradicrions , le percèrenr de javelots et 1'accablèrent de pierres. La condamnation de Philotas , qui avoit déposé contre son père, entraïna, comme un mal nécessaire , la perte de Parménion, soit que le roi le jugeat efTecrivement coupable, soit qu'il crut avoir tout a craindre de sa part après la mort de son fils, 1'ayant mis a la tête d'une armée en Médie, et lui ayant confié la garde du trésor oü étoient alors 54,000,000. II envoya chercher par ses gardes Polydamas avec ses enfans ; la frayeur de ce seigneur ne fut pas peu considérable; il parut devant le roi saisi de crainte, car il étoit aussi ami de Philotas et de Parménion. Le roi lui dit : Quoique 1'attentat de Parménion soit contre toute la nation en général, il ne regarde personne plus parnculièrement que vous et moi; vous, que ce perfide enveloppoit dans sa destinée comme un ami sin- O 3  t14 Histoire cète et fidéle, qu'on auroit nécessahement soupconné d'être entré dans sa confidence; moi, qu'il veut arracher a ses sujets et a la vie : c'est donc sur vous que j'ai jetté les yeux pour en tirer vengeance, j'espère que vous ne me trahirez pas. Faites toute la diligence possible pour prévenir route autre nouvelle : je retiens, pendant ce tems-la , vos deux fils en ótage. II lui donna plusieurs lettres pour Cléandre, lieutenant de roi dans la province, et pour les prineipaux officiers ; deux pour Parménion, Tune d'Alexandre , 1'autre scellée du cachet de Philotas, afin qu'il n'entrat d'abord dans aucun soupcon. Polydamas , délivré de la frayeur dont son cceur avoit été saisi par la crainte d'une accusation injuste, assura le roi qu'il rendoit graces aux dieux d'avoir fait naitre 1'occasion de lui marquer toute 1'étendue de son zcie et de son attachement. Chargé de louanges et de présens , il se déguisa en arabe , pour se conformer a deux gardes de cette nation qu'on lui donna : il pressa rellement sa marche, qu'en onze jours il arriva prés d'Ecbatane, malgré les déserts et les montagnes qu'il falloit traverser. II se rendir chez Cléandre, distribua ses lettres chez tous les officiers et convint d'aller avec eux chez Parménion après son lever; ils le trouvèrent qui se promenoit dans son jardin : du plus loin que Polydamas 1'appercut, il courut 1'embrasser , faisant éclatter sa joie sur son visage : les compliniens faits de part et d autre et mêlés de beaucoup de caresses, il lui donna la lettre qu'Alexandre lui écrivoit; en 1'ouvrant il lui demanda ce que faisoit le roi; il répondit qu'il 1'apprendroit par sa lettre ; et Parménion 1'ayant lue, lui dit : Le roi se prépare a marcher conrre les Arcosiens; quel admirable prince qui ne se donne pas de repos! il seroit pourtaut bien tems qu'il songeat a  d'Alexandre le Grand. Liv. XIV. 21 c se ménager , après avoir acquis rant de gloire. II prit ensuite la lettre de son fils Philotas , et a en juget par son visage , il la lisoit avec plaisir; dans ce moment Cléandre lui plonge son poignard dans le flanc, luiporrean autre coup a la gorge, et les autres lui donnèrent aussi plusieurs coups , même après qu'il fut expiré. Ses domestiques apprenant ce meurtre dont ils ignoroienr la cause, coururent au camp , et publiant une si sanglante nouvelle , les troupes se soulevèrent et accoururenr au logis de Parménion, menacant de renverser les murs du jardin , et de saerifier aux manes de leur général tout ce qu'ils y trouveront, si on ne leur livroit Polydamas avec tous ses complices. Cléandre fit entrer les principaux chefs, et leur fit la lecture des lettres qu'Alexandre écrivoit aux soldats pour les instruire de la conspiration que Philotas et son père avoient formée centre lui , et 1'espoir d'en tirer vengeance. L'étonnement prit la place de 1'émotion , et difficilement putent-ils croire ce que le prince écrivoir de sa main; quelques-uns se retirèrent indignés contre Parménion , et les autres demandèrent qu'il leur fut du moins permis de lui donner la sépulture. Cléandre le refusa long-tems, croyant faire sa cour au roi; mais comme ils commencoient a s'emporter, il voulut oter tout sujet de rébellion , et leur permit d'ensevelir le corps , après en avoir coupé la tête, qu'il envoya a Alexandre. Ainsi finit le célèbre Parménion. II étoit prudent et sage dans le conseil , homme de tête et d'exécution , aimé des grands et encore plus des gens de guerre qui avoient en lui une entière confiance quand il tenoit la place d'Alexandre, rant ils comptoient sur son ha~ O 4  216 Histoire bileré. C'est-la aussi ce qui lui a inspiré le crime, ou qui Ten a fait soupconner. Dans les premiers jours de ces exécutions, les soldats persuadés qu'elles avoient été faites suivant les régies et sur des preuves bien constatées , s'applaudissoient d'y avoir eu part; mais les remords ne tardèrent point a se faire sentir ; dès qu'ils ne virent plus les objets de leur haine, elle se convertit en regrets ; le mérite et la dignité ^e Philotas, mort a la fleur de son age; le meurtre de son père les touchoient sensiblement; 1'image de ces fins tragiques leur repassant dans 1'esprit , leur faisoit dire qu'on les avoit trompés et leur inspiroit des discours séditieux. Alexandre s'en appercut bientót et trouva le moven de découvrir les principaux mécontens; il feignit d'envoyer quelques-uns de ses amis en Macédoine , pour y porter les nouvelles de ses heureux succès , et il exhorta ses troupes a profiter d'une occasion qui ne sa présenroit pas souvent pour écrire a leur familie; plusieurs donnèrent dans le piége et mandèrent en Grèce tous leurs sujets de mécontentement, la dirFérence d'Alexandre roi de Macédoine et d'Alexandre roi d'Asie. Lorsque les députés furent sur le point de partir, il leur demanda les lettres qu'ils avoient recues , et connut par ce moyen ceux qui se plaignoient de lui, et dont il devoit se méfier, de peur qu'ils n entrainassent les autres dans leurs murmures; il en fit un corps séparé qu'il mit sous la conduite de Léonidas, résolu de les exposer aux plus grands périls dans les premiers combats qu'il donneroit. Cette séparation ignominieuse devoit, selon toute apparence , susciter une révolte ; mais la fortune qui tournoit tout au gté de son héros, convertit ces premiers sentimens de haine en point  d'Alexandre le Grand. Liv. XIV. ny d'honneur; car pour en effacer la honte , aucun corps dans I'armée ne remplit son devoir dans 1'acrion avec un plus grand courage , er ne rémoigna plus de soumission er plus de fidélité. Pour éviter les murmures et éteindre tout méconrentement, il se remit en marche et continua la poursuite de Bessus : il entra dans le pays des Anaspes , surnommés bienfaiteurs ; il mérirèrent ce nom pour avoir logé et secouru de vivres I'armée de Cyrus, que lafamine er les rigueurs du froid avoient presque ruinée; ils lui avoient fourni les convois nécessaires dans un besoin aussi pressant, et Cyrus les ayant recus sous sa domination, les exempta de toutes sortes d'impöts , et leur envoya par la suite des gratifications considérables; ils en usérent de même avec Alexandre , qui ne fut pas moins reconnoissant que le fondateur de la monarchie persanne. II n'y étoit que depuis cinq jours , qu'on lui annonca que Satibarzanes étoit revenu dans le pays des Arriens, et y avoit rallumé le feu de la rébellion ; il y envoya 66oo hommes sous Erygius : les ennemis en vinrent aux mains avec un achamement incroyable, et quoique la fureur des armes tembar presque toute sulles Arriens , ils ne voulurent jamais se rendre ni prendre la fuite que quand ils virenc Satibarzanes percé d'un coup de javelot et étendu par terre de la main d'Erygius. Alexandre qui n'avoit pas cru que sa présence fut nécessaire dans cette expédition particulière, étoit resté dans le pays des Evergetes, oü il passa 60 jours a les policer et a leur apprendre les arts et les sciences ; il leur laissa Amenide , ancien secrétaire de Darius , pour gouverneur, et alla subjuguer les Aracosiens qu'il laissa sous la conduite de Menon , avec un corps de troupes  ü8 Histoire de 4000 hommes et de 600 chevaux. Ce rerranchement de forces lui devint facile par l'arrivée de celles qu'avoit commandées Parménion , qui comprenoient 7000 hommes. Les apparences devoient néanmoins le faire craindre de se rrop arfoiblir en entrant dans une province donr les habitans vivoient en sauvages, er passoient pour barbares dans 1'esprit des barbares mêmes; c'étoient les Parpamisiens, situés au pied de ces grandes montagnes qui commencent aux sources de Tlnde er s'étendent jusqu'au Gange : 1'esprit et les mceurs des Parpamisiens portoient le caractère de leur climat pour lequel le ciel sembloir n'avoir que des rigueurs. On étoit au plus fort de 1'hiver , quand Alexandre entra dans leurs solitudes; la neige y étoit si extraordinairemenr froide, que plusieurs en moururenr dans le chemin •, quelques-uns y eurenr les pieds gelés ; d'autres y perdirenr lss yeux; ceux que la lassitude obligeoit de se reposer quelques momens , étoient aussitöt saisis de froid et se sentoient les membres rellement engourdis qu'ils ne pouvoient se relever et périssoient ou dans la glacé ou dans la neige; il y en avoit si haut, que Ton ne distinguoit les cabanes des barbares que par la fumée qui en sortoit, lorsqu'ils pouvoient y arriver ; les Parpamisiens qui n'avoient jamais vu d'étrangers en armes, étoienr saisis de frayeur er abandonnoient tout pour sauver leur vie. Alexandre cependanr marchoir a pied aurour de ses troupes, k la tête, a la queue, au milieu de son armée; il relevoit ceux qu'il trouvoit couchésj soutenoit les autres dans leur défa'dlance; présent a tout., il se donnoit des peines et des soins incroyables. Enfin on arriva dans un pays plus cultivé , oü , rrouvant des vivres , il y laissa quelque tems ses troupes  d'Alexandre le Grand. Liv. XIV. 219 pour les récompenser des peines qu'elles avoient souffertes. II traversa ensuite le mont Caucase en dix-sept jours ; la fertilité des campagnes oü 1'on entra, qui donnoient de tout en abondance , fit qu'Alexandre y séjourna pour laisser passer les rigueurs de la saison , et dans eet intervalle , il y batit une ville pour tous les soldats et les esclaves inutiles , qui fur appellée Alexandrie. Ce séjour dans une province limitrophe de la Bactriane , annoncoit a Bessus, que bientöt il seroit investi dans Bactre , lieu de son refuge. 11 assem bla ses complices pour les encourager , et voulut que ce füt a table que 1'on délibérat sur les précautions qu'il falloit prendre. Lorsque toutes ces têtes furent échauffées par le vin, il mit 1'afTaire en délibération ; il commenca par blamer Darius d'être venu se mettre au-devant d'Alexandre en Cilicie, et soutint que s'il 1'avoit attiré dans des pays difficiles er escarpés, il seroit encore sur le trone de Perse; que pour lui, il étoit résolu de passer dans la Sogdiane, et d'opposer le fleuve Oxus a son ennemi , cemme une forte barrière , pendant qu d lui viendroit de puissans secours des nations voismes ; qu'au premier jour il auroit dans son armée les Corasmiens 3 les Dahes , les Saques , les Indiens , les Scythes qui habitoient sur le bord de 1'Yaxarte, dont le plus petit passoit de la tête le plus grand des Macédoniens. Tous les convives applaudirent a ce discours , et remplirent leurs coupes en signe d'allégresse ; il n'y eut que Gobares , Méde de nation, dont la prudence faisoir dire qu'il étoit versé dans la magie, qui osa remontrer le péril d'une plus grande résistance. Prenez garde , dit-il a Bessus , ceux qui ne ptennent conséil que d'eux-mêmes, ont comme une taie sur les yeux  li© Histoire qui les empèehe de voir clair; la crainte trouble les uns, 1'ambition ofFusque les autres , et la plupart sont aveuglés par eet amour naturel que nous avons rous pour nos senrimens. Vous avez en tête un ennemi que rien ne rebute; croyez qu'il n'est pas loin de vous et qu'il aura plutót fait avancer son armée que vous n'aurez retiré cette table. Si la crainte vous donne des pieds pout vous sauver , 1'espérance lui donnera des ailes pour vous arteindre , et alors quelle sera votre destinée ? Soumettez-vous au gré d'une fortune qu'il semble tenir enchainée, et votre sort n'en pourra devenir que meilleur. Bessus , naturellement colère et devenu furieux par Je vin > s'emporta violemment contre Méde , et courut a lui; il 1'auroit mis en pièces avec son cimetère, si les conviés ne 1'avoient arrêté. Ce trait de violence retomba rotalement sur lui : les Bactriens détestant un homme aussi emporté, intimidés d'ailleurs par la proximité d'Alexandre , abandonnèrent son parti au nombre de 7 a 8000 hommes et se retirèrent chez eux. Gobarès se rendit auprès d'Alexandre. Bessus , ainsi abandonné, se retira dans la Sqgdiane avec quelques troupes étrangères. Peu après son départ, Alexandre parut sur les conhns de la Bactriane , et y entra moins en ennemi qu'en prince triomphant qui y est recu par les hommages de ses sujets. II laissa dans Bactre et dans Aorne , les deux plus grandes villes de la province, une garnison , et nomma Artabase gouverneur dê toute la contrée. L'impatience oü il étoit d'atteindre Bessus , ne lui permit pas de s'arrêter long-tems; il s'avanca a grandes journies vers 1'Oxus , et s'engagea malheureusement dans c;-::te partie de la Bactriane oü 1'on ne trouve pas une iontaine ni un ruisseau dans i'espace de 10 lieues; ce  £ Alexandre le Crand. Liv. XIV. 221 ne sont que sables brülants par les ardeurs du soleil, qui ne sont praticables que pendant la nuit. Les soldats pressés par une soif brülanre, ramassoient 1'eau bourbeuse dans les moindres trous , et la buvoient ayec tant d'avidfté que plusieurs en moururent. Quelques Macédoniens cependant ayant ramassé dans leur casque de 1'eau qui étoit plus potable , la portoient a leurs enfans, lorsqu'ils rencontrèrent Alexandre, qui, quoiqu'il rémoignat une grande constance, étoit cependant demi-mort par la chaleur exrrême et une soif ardentë 5 ils coururent aussi-tèt lui en présenter: Alexandre leur demanda a qui ils portoient cétte eau; ils répondirent nous la portons a nos enfans , mais ne vous inquiétez pas , Seigneur, pourvu que vous viviez, nous en aurons d'autres si nous perdons ceux-ci. A cés mots Alexandre, qui avoit pris cette eau, regardant autour de lui, voit tous les cavaliers qui, la tête penchée et les yeux avidemment attachés sur cette boisson, la dévoroienr par leurs regards ; il la rend a ceux qui la lui avoient présentée, en les remerciant et sans en boire une goute : il n'y en a pas assez pour toute ma troupe, dit-il, et si je buvois seul, les aurres en seroient encore plus altérés et mourroienr de langueur et de défaillance. Ces cavaliers touchés d'uné magnanimité et d'une tempérance si admirable, lui crièrent de les mener partout oü il voudroit, qu'ils n'étoient plus las, qu'ils n'avoient plus soif, et qu'ils ne se croyoient pas des homrnes mortels pendant qu'ils avoient un tel roi. L'aridité de ces vastes campagnes n'étoit que ig premier et le plus léger obstacle qui se rencontra dans la poursuite de Bessus. Ce traïtre , avec le petit nombre de troupes qui lui étoient demeurées fidelUs , avoit passé le fleuve" Oxus, brölé ensüire rous les bareaux  jlh Histoire dont il s'étoit servi, dans la vue d'en rendre le passage impraticable a Alexandre , et s'étoit retiré a Nautaque , ville de la Sogdiane pour y pouvoir lever une armée. Alexandre étant arrivé au fleuve , y fit dresser son camp er allumer des feux sur les lieux élevés, afin que ceux qui s'étoient égarés dans ces campagnes se ralliassent a ces signaux ; il envoya au-devant d'eux des muiets chargés d'eau; il fur le dernier a prendre de la nourrirure, et ne se reposa point qu'il n'eüt vu arriver le reste de ses troupes. Le lendemain il chercha long-rems le moyen de passer 1'Oxus. II ne restoit pas la moindre chaloupe ; le pays d'ailleurs sans arbres et sans forêts , ne présentoit aucune facilité pour en construire; le fleuve, bien loin d'être guéable , avoit plus d'un tiers de lieue de longeur ; il n'y a dans 1'Asie que 1'Inde et le Gange qui le surpassenr. Après avoir long-tems examiné de quelle manière il pourroit le passer, il imagina de faire coudre en forme d'outres 3 routes les peaux qui servoienr de renres a ses soldats, et de les remplir de padie et d'autres matières séches et légères, sur lesquelles les soldats étant couchés ils traversèrent le fleuve ; ceux qui passoient les premiers se mettoient en bataille , pendant que les autres suivoient; il fit passer de cette sorre toute son armée en six jours. Jusqu'a ce moment, Bessus et les siens s'étoient crus dans uneparfaitesüretc; mais dès qu'ils scurent Alexandre si prés 3 ils craignirent pour leur salur, ne virent plus d'espérance pour eux qu'en trahissant celui qu'ils avoient suivis jusqu'alors comme leur chef, er en 1'abandonnanr, non pour son crime, mais pour sa mauvaise fortune. Spiramène et Dataphernes, deux de ses principaux complices , dépêchèrentsecrètemenr un couriervers Alexandre pour lui dire que s'il envoyoit quelqu'un de ses chefs  d'Alexandre Le Grand. Liv. X1F. 22$ 1; avec des troupes, ils s'engagoient de lui remectre Bessus, ji qu'ils le tenoient en leur puissance. Le roi fit partir a 1'instant Ptolemée , fils deLagus, I avec trois détachemens de cavalerie et trois milles hommes armés a la légere; ce qui demandoit dix journées de 1 chemin , Ptolemée le fit en quatre, et s'arrêta en un 1 lieu ou les troupes de Bessus avoit campé la veille. Sur j quelques rapporrs qui lui furent fairs , que ceux dont il avoit parole s'étoient repentis de leurs avances, et J avoienr pris la fuite pour ne point exécuter leur proJ messe, il s'avanca avec sa cavalerie jusqu'a un bourg I ou étoit Bessus, et fit scavoir que si on ne le lui liI vroit, il passeroit tout au fil de 1'epée; mais que s'ils vouI loient le seconder, il ne leur seroit fait aucun tort : I les habitans lui ouvrirent leurs portes sans hésiter, et I se déclarèrent aussi-tot contre 1'usurpateur , le chargérent I de chaines , lui arrachèrent la thiare dont il étoit cou1 ronné , et mirent en pièces la robe de Darius qu'il 1 portoit; ils le conduisirent ensuite chez les Macédoniens. Ptolemée le fit monter sur un cheval er le conduisit a Alexandre; afin de lui faire essuyer plus d'insultes , Ptolemée s'arrêta dans le grand chemin oü le prince devoit passer avec ses troupes. Alexandre le voyant, lui dit : Quelle rage de rigre s'est emparé de ton cceur pour avoir osé charger de chaines, puis égorgerton roi et ton bienfaiteur ? Qu'est devenu ce diadême , la récompense de ron parricide ? Rerire-roi de devanr moi , I monstre de perfidie et de cruauté. II n'en dit pas davantage, et ayant fait venir Oxathres, frère de Darius, il lui remit Bessus entre les mains, pour lui faire essuyer 1'ignominie qu'il méritoit , différanr néanmoins son supplice dans la vue de le faire juger dans 1'assemblée générale des Perses. Tandis que Ptolemée avoit été occupé a se rendre  214 Histoire maitre de Bessus, Alexandre se couvrit d'une tache } une des plus grandes de sa vie. Ce prince arriva a une petite ville oü habitoient les Branchides; c'étoient les descendans d'une familie de Milet, que Xercès, a son retour de la Grèce , avoit fait passer dans la haute Asie et avoit richement établis et récompensés, paree qu'ils lui avoient délivré les rrésors du temple d'Apollon Dydiméen. L'arrivé d'un roi de leur nation parut leur causer une joie sensible; ils sortirent au-devant de lui pour 1'assurer de leur pleine et entière soumission. Alexandre fit venir les Milésiens de son armée, lesquels conservoient encore contre les Branchides , une haine héréditaire , a cause de la perfidie de leurs ancêtres-, il laissa a leur choix , ou de venger 1'injure qu'ils en avoient recue , ou de leur pardonner en considération de leur commune origine. Etant parragés de sentimens entr'eux , ils ne purent s'accorder les uns avec les autres. Alexandre prit sur lui la décision : le lendemain il ordonna a sa phalange d'environner la place , er dès qu'on en auroir donné le signale, de saccager cette ville comme un repaire de rraitres et de les faire tous passer au fit de 1'épée. Tous les citoyens furent donc orgés dans les rues et dans leurs maisons , sans qu'on eüt égard a leurs cris et a leurs larmes , et sans qu'on fit aucune distinction de sexe ni d'age •, on arracha même les fondemens des murs pour n'y laisser aucun vestige de cette ville. Si Alexandre en eüt agi ainsi envers les auteurs mêmes du crime , c'eüt été une juste vengeance •, mais quelle injustice de punir sur les des cendans une impiété commise il y avoit plus de 150 ans! Cette action peignit Alexandre dans 1'esprit des peuples voisins comme un prince cruel et barbare. Quelques-uns da ses soldats s'étant écartés pour aller au  d'Alexandre le Grand. Liv. XIV. ±tf au fourage, tombèrent entre les mains d'une troupe de paysans qui fondirenr sur eux , taillèrent les uns en pièces, firent les autres prisonniers er n'en laissèrent sauver que très-peu pour en porter la nouvelle au roi; ils se retirèrenr ensuite au nombre de 30,000 sur les montagnes. Le roi alla en personne les assiéger, et étant des premiers a 1'attaque , il fut blessé d'une fléche a 1'os de la jambe et le fer demeura dans la plaie. Les Macédoniens également affligés et alarmés 1'emporrèrent aussi-tót, mais non pas si sécrètement qu'ils en pussent dérober la connoissance aux barbares, qui du haut de la montagne voyoient tout ce qui se passoit en bas. Ils envoyèrenr donc le lendemain des ambassadeurs au roi, qui les fit entrer sur le champ , et ótant son bandage er 1'appareil de sa plaie, leur fir voir sa jambe sans leur témoigner la grandeur de son mal; ils 1'assurèrent qu'ayant appris sa blessure, ils n'en avoient pas recu moins de déplaisir que les Macédoniens , et que s'ils eussent pu découvrir celui qui avoir fait le coup , ils le lui auroient remis entre les mains : qu'il n'appartenoir qu'a des impies de faire la guerre aux dieux; qu'au reste , vaincus par son incomparable valeur ils se rendoienr a lui, eux et tous les peuples qui les suivoient. Le roi leur ayant donné sa foi et retiré ses prisonniers , les recut en son obéis* sance. Sa blessure devint un sujet de dispute dans son armée. Quand il fallut se mettre en marche comme il ne voulut pas attendresa guérison pour décamper,il se fit mettre sur un brancard. La cavalerie er 1'infanterie se disputèrenr 1'honneur de le porter; les premiers soutenoient que le droit de porter Alexandre leur étoit dü , paree qu'il combattoit avec eux ; et les autres qui étoient obligés de porter leurs compagnons blessés > Tomé VI. • P  42é Histoire se plaignoient de ce que 1'on vouloit leut ravir cec honneur, lorsqu'il s'agissoit de porter leur roi. Pour contenter les deux partis, Alexandre leur dit qu'ils le porteroient alternativement, et dans quatre jours il arriva a Maracande sur le bord du fleuve Polymete. Cette ville avoit un circuit fort considérabie, fortifié de murailles er soutenu d'une forte citadelle ; cependant les Macédoniens s'en rendirent les maitres , brülèrent et ravagèrenr rout le pays d'alenrour. II lui arriva alors un ambassadeur de Scythes Abiens, qui habitoient au-dela du fleuve lïaxarre. Ces peuples étoient estimés pour les plus justes et les plus modérés d'entte les hommes; leur amour pour la pauvreté avoit banni 1'ambition parmi eux et établi Pcgalité dans le peu qu'ils possédoient \ ils n'avoienr d'autres loix que celles de la raison et de l'équité , et jamais ils ne faisoient la guerre que pour se défendre. Depuis Cyrus Jls étoient toujours demeurés libres et indépendans ; ils vinrent faire le sacrifice de leur liberté au roi de Macédoine , craignant tout d'un prince qui ne vouloit excepter personne. Alexandre leur fit un bon accueil , sous prétexte d'une alliance plus solemnelle , il envoya avec eux quelques-uns de ses officiers pour conno'itre le caractère du pays et de la narion 3 si le nombre des hommes y étoit grand , quelles étoient leurs richesses comment ils faisoient la guerre et convenir avec eux qu'ils ne passeroient point 1'Iaxarte. Corrfme il ne s'en rapportoit point encore a leur fidélité, il avoit choisi un lieu propre a batir sur ce fleuve pour y élever une ville capable de les tenir en bride •, mais ce dessein tut retardé par la révolte des Sogdiens, suivie bientót de celle de laBactriane. Alexandre manda Spitamene qui lui avoit livré Pessus, le croyant propre a remettre ets peuples dans l'cbéissance; mais  {?'Alexandre le Grand. Liv. XIV. j c'étoit lui qui avoit le plus contribué a ce soulèvement I Le roi étrangement surpris de cette perfidie songea k 1 en tirer vengeance d'une manière éclatante; il marcha I avec une partie de 6on armée vers Gasa, une des 7 I villes principales, oü les rebelles s'étoient assemblés , 1 tandis que Cratère alla mettre le siége devant Cyropolis , I la plus considérable et la plus fortifiée des places en1 nemies. Alexandre environna Gasa d'archers et de fron1 deurs, et fit appliquer les échelles contre les murs; I les Macédoniens gagnèrent le haut des remparts j pasI sèrent au fil de 1'épée tous ceux qui étoient en état de I porter \e§ armes , épargnèrent seulement les femmes et les enfans, et s'emparerent du butin. Le même jour il envoya aux Mémacéniens yo cavaliers pour les exhorter a avoir recours a sa clémence ; ils les recurent fort bien d'abord et ils les égorgèrenr ensuite. Ne les voyant pas revenu, il s'avanca vers la ville pour la punk de sa perhdie; mais comme ce n'étoit point une place k prendre d'insulte, il y laissa des troupes pour en former le blocus. Le lendemain une troisième ville des révokés fut prise etréduite tncendres. II envoya pendant ce tems la cavalerie vers quelques autres places , avec ordre de de les envelopper subitement, avant qu'elles eussent connoissance de ce qui se passoit ailleurs , afin que n'ayant point pris la fuite on n'eüt point la peine de les poursuivre; mais quelque diligence qu'elle püt faire, elle trouva les rébelles qui fuyoient en foule avertis. par la fumée des villes, er qui cherchoient a se sauver, ! désespérant d'avoir une meilleure destinée qu'elles ; 1 l'ennemi ne les ménaga pas non plus et les tailla en i pièces. ; Alexandre courut ensuite au secours de Cratère } qui t rröuvoit devant Cyropolis une vigoureuse résistance I tam du cóté des fortincations de la place que par la P z  41g Histoire multitude des rebelles qui s'y étoient rentés. Alexandre désiroir épargner cerre ville a cause de Cyrus son fondateur ; car entre les rois qui avoient régné autrefois sur ces peuples , il n'y en avoit point qu'il admirat davantage que ce prince , ainsi que la reine Sémiramis , comme ayanr surpassé rous les autres en courage et en actions héroïques. II fit donc cesser les attaques et offrit aux assiégés des conditions très-agréables, qu'une opiniatreté leur fit rejetter, mème avec haureur et insolence ; ayant pris la ville d'assaut, il 1'abandcnna au pillage et la rasa jusqu'aux fondemens. De-la il passa a 1'autre ville qu'il avoir fair investir j jamais place ne se défendit mieux •, Alexandre y perdit ses meilleurs soldats et lui-même fut en très-grand danger de sa personne , car il recut a la tête un coup de pierre dont il tomba évanoui, et ayant perdu entiètement connoissance , toute I'armée le pleura comme mort; mais ce prince que nul danger, nul contre-tems ne pouvoient abbatre , pressa encore plus vivement le siége , sans attendre que sa blessure fut guérie, la colère fournissant une nouvelle Hamme a son ardeur naturelle. Les habitans se défendoient avec un courage insurmontable; c'étoient moins des hommes qui combattoient que des lion s acharnés et furieux. Cratère et plusieurs autres officiers y furent dangereusement blessés. Enfin les mines ayant renversé un pan de muraille considérable, il entra dans la place qui fut mise a feu et a sang erruinée de fond en comblej de 18,000 citoyens, a peine en resta-t-il la moitié qui se sauvèrent dans la citadelle; mais le second jour ils furent obligés de se rendre faute d'eau et de vivres. La detnière des places séditieuses ne put tenir long-tems, elle fut prise et rasée comme Cyropolis et les autres. Après cela, Alexandre envoya Menedeme avec huit eens chevaux et 3000 fantassins a Maracande , d'cü Spi-  d'Alexandre le Cran.it- Liv. XV. 2.2-9 taraene avoit chassé la garnison macédonienne et s'y étoit enfermé. LIVRE XV. -A-lexandre revint camper sur les bords de 1'Iaxarte, oü il ferma de murs toute 1'espace que son armée avoit oecupée , et y batit une ville qu'il nomma Alexandrie. II y fit travailler avec tant de diligence qu'en moins de 20 jours les remparts furent élevés; aussi y eür-il une grande émulation entre les soldats a qui auroit le premier fourni sa tache , car chacun avoit la sienne ; et pour peupler cette nouvelle ville, il rachera rout ce qu'il put trouver de prisonniers , y établit plusieurs Macédoniens qui n'étoient plus en état de servir., et y admit aussi plusieurs gens du pays qui s'ofTrirenr pour 1'habirer. Les Scythes voyant que cette ville batie surle fleuve étoit un joug qu'on leur irnpcsoit, envoyèrent de nombreuses troupes pour la démolir er chasser bien loin de-li celles des Macédoniens. Alexandre qui n'avoit pas eu dessein d'attaquer les Scythes, voyant qu'ils faisoient 1 des courses a sa vue avec beaucoup d'insolence , se trouva fort embarrassé ; il n'étoit pas encore rétabli de sa dernière blessure, er il venoit d'apprendre que le corps de troupes qu'il avoit envoyé contre Maracande avoit été taillé en pièces presqu'entièrement; tant d'obstacles réunis auroient rebuté tout autre ; les Sogdiens révoltés, les Scythes qui le venoient harceler sans cesse , 1'état oü il setrouvoit ne pouvant soutenir des mouvemens un peu violens. II défendit d'abord, sous peine de mort, a ceux qui lui avoient appris la dé route de Maracande, d'en rien publier. Les Scythes s'étoient avancés en corps d'ar-  '2jo Histoire mée sur les bords de 1'Iaxarte, et 1'arrnée d'Alexandre paroissoit ne pas vouloir tenter le passage du fleuve devant cette armée qui en défendoit les bords. Le roi passé la nuit dans de grandes inquiétudes , mais son courage le rendoit supérieur a rout. On lui avoit annoncé des auspices malheureux, il fit venir le prêtre, et lui demanda d'un ton qui le saisit de frayeur, quelle avoit été sa hardiesse d'offrir , sans son ordre des sacrifïces et d en publier le succes; qu'il ne recevoit point des oracles que la crainte avoit dictés. Le minisrre répondit qu'il avoit appréhendé pour la foiblesse de sa sanré , et que connoissant toutjleprix desa vieilavoit cherché lesmoyens d éloigner toute occasion qui eüt pu la mettre en danger. Alexandre l'obligea de lui en trouver de plus favoxables. Au poinr du jour il se revêtit de sa cuirasse et se montra a ses soldats qui ne 1'avoient point vu depuis long-tems; ils avoient tant de vénération pour lui, que sa présence seule dissipa d'abord route leur crainte, de sorte qu'ils versoienr des larmes de joie , et venoient tous lui rendre leurs respects; et le presser de leur faire combattre l'ennemi, contre lequel ils avoient auparavant refusé d'aller ; ils travaillèrent avec tant d'activité aux radeaux, qu'en rrois jours il y en eur 12,000 de faits on prépara aussi grand nombre de peaux pour le même usage. Comme rout étoit prêt pour le passage , il arriva des ambassadeurs Scythes , le roi les fit entrer dans sa tente et les pria de s'asseoir; ils furent long-rems a le regarder sans rien dire, surpris apparemmenr eux qui jugeoienr des hommes a la taille, de ne pas trouver que la sienne répondit a sa grande renommée. Le plus ancien lui porta la parole er lui dit: Si les dieux t'avoienr donné un corps proporrionné a  d'Alexandre k Grand. Liv. XV. 231 ton ambiricn , tout 1'univers seroit trop petit pour toi; quand d'une main tu toucherois 1'orient et de 1'autre 1'occident, tu voudrois encore suivrelesoleil et connoitre les abimescü il se cache; ton cceur te porte oü tu nesaurois atteindre; de 1'Europe tu passes en Asie , et de 1'Asis tu veux iepasser en Europe; quand tu auras subjugué tout le genre humain tu feras la guerre aux rivières , aux forèts et aux bétes sauvages ; ne sais-tu pas que les grands arbres sont long-tems a croitre, er qu'il ne faut qu'un jour pour les arracher; que le lion sert quelquefois de pature aux plus petits oiseaux \ que le fer, malgré sa dureté, se consume par la rouille ; qu'enfin il n'est rien de si fort que les choses les plus foibles ne puissent détruire. Qu'avons-nous a démèler avec roi 3 jamais nous n'avons mis le pied dans ton pays. Nest-il pas permis a ceux qui vivent dans les bois , d'ignorer qui tu es , d'oü tu viens \ nous ne voülons commander ni obéir a personne. Tute trompes, si tu pensest'enrichir denos dépouilles ; le ciel ne nous a donné pour toutes richesses qu'un joug de bceuf, un soc de charrue , une flèche et une coupe; c'est de quoi nous nous servons avec nos amis et nos ennemis ; a ceux-la nous leur donnons du bied , provenu du travail de nos bceufs et avec eux nous ofFrons du vin aux dieux ; mais pour nos ennemis nous les combattons de loin a coup de flèches et de prés avec le javelot. C'est avec quoi nous avons dompté autrefois les peuples les pius belliqueux, vaincu les rois de Syrië , ceux de Medes et des Perses, er que nous avons poussé nos conquêtes jusques dans 1'Egypte. Tu te vantes d'êrre venu dans nos contrées pour exterminér les voleurs , et tu es toi-même le plus grand Toleur de la terre ; tu as piilé>t saccagé les nations qu« P 4  ftji Histoire tu as vaincues ; tu as pris la Lydie , envahi la Syrië , la Perse, la Bactriane ; tu songes a pénétrer jusqu'aux Indes; et tu viens ici pour nous enlever nos troupeaux ; Tour ce que ru as ne te sert qu'a te faire désirer ce que ru n'as pas. Ne vois-tu pas combien il y a que les Bactriens t'arrêtent ? pendant que tu domptes ceux-ci, les Sogdiens se révoltent, et la victoire n'est pour toi qu'une semence de guerre ; passé seuhment 1'Iaxarre, et tu verras 1'étendue de nos plaines; inutilement voudras-tu suivre les Scythes , je te défie de les atteindre ; norre pauvreté sera roujours plus agile que ron armée chargée des dépouilles de rant de nations , er lorsque tu nous croiras bien loin, tu nous verras tout-a-coup tomber sur ron camp , car c'est avec la même vitesse que nous fuyons et que nous poursuivons nos ennemis dans nos vastes solitudes , que nous préférons encore a vos grandes villes er a vos fertiles campagnes. Crois-moi, la fortune est glissante , tiens-la bien de peur qu'elle ne t'échappe, encore auras-tu bien de la peine a la retenir si elle veur s'enfuirdu moins donnelui un frein de peur qu'elle ne jt'emporte. Nous disons parmi nous qu'elle n'a point de pieds, qu'elle n'a que des mains et des ailes ; mais qu'elle ne peut souffrir que 1'on touche a ses ailes quand elle tend les mains. Si tu es un dieu , ru dois faire du bien aux morrels er ne pas leur ravir ce qu'ils ont; si tu n'es qu'un homme , songe toujours a ce que tu es , car il y a de la folie a ne s'appliquerqu'aux choses qui nous font oublier nous-mêmes. "Ceux que tu laisseras en paix seront tes amis, paree qu'ils seront tes égaux ; mais ne t'imagine pas que ceux que tu auras vaincus puissenr r'aimer , il n'y a jamais d'amitié entre le maitre et 1'esclave, une paix forcée est bientöt cuivie de laguerre. Si tu veux faire alliance avec nous, tu peux compter  d'Alexandre le Grand. Liv. XV. 2.3? sur notre fidélité, mais tu n'exigeras jamais de nous aucun sermenr; nous laissons aux Grecs toutes ces formalités et ces précamions de signer leur contrat et d'appeler les dieux a témoins de leurs promesses; nous ne nous croyons religieux qu'autant que nous avons de bonne foi; qui n'a pas honte de manquer de parole aux hommes, ne crainr point de tromper les dieux. Considère au reste que nous veillerons pour toi a la garde de 1'Europe et de 1'Asie ; nous nous érendons jusqu'a la Thrace , et la Thrace confine , a ce qu'on dit, a la Macédoine; il ne s'en faut que de la largeur de 1'Iaxarte que nous ne rouchions a la Bactriane ; ainsi nous sommes tes voisins des deux cotés; choisis lequel tu aimes mieux de nous avoir pour amis ou pour ennemis. Le roi lui répondit en deux mots , qu'il useroit de sa forrune et de leur conseil; de sa fortune en continuant d'y avoir confiance , et de leur conseil en n'enrreprenant rien rémérairemenr. Quand il les eür renvoyés , U fit aussi-tot mettre son armée sur les radeaux qui étoient tous prêts ; il placa sur le devanr ceux qui portoient des bouchers , et les fit mettre a genoux pour être moins exposés aux flèches; derrière eux étoient ceux qui jettoient les traits et les pierres, couverts par les fiancs de soldats armés de toutes pièces; ceux qui étoient derrière eux tenoient leurs bouchers sur la tête , et forreoient une espèce de tottue qui couvroir les matelots. Un arrangement a-peu-près sc-mblable étoit ordonné dans les radeaux qui portoient les gens de cheval; ils laissoient nager les chevaux les tenant seulement pa: la bride; les soldats qui passoient couchés sur des curres étoient assurés contre les radeaux. Le trajet coüta beaucoup de peine , tout étoit capable de les rebuter, le trouble et la confusion inévitables dans une telie entreprise , la rapicüté d'un fieuve violent  2 j'4 Histoire dont une armée nombreuse défendoit les bords; Alexandre qui le premier avoit quitté le rivage, et qui couroit les mêmes dangers, les leur faisoit oublier pour euxmèmes et ne leur laissoit de crainte que pour lui. Les Scythee les voyant venir, descendirent sur les bords du ileuve; quand ils furent a portee du trair 3 il lancèrent une telle quantité de fléches, que presque rous les Macédoniens en avoient plusieurs attachées a leurs boucliers: ils répondirent de méme, mais comme ils n'avoient pas lepied assuré , leur décharge ne fit aucun effet. Dès que les radeaux touchèrent le rivage , ceux qui portoient les boucliers se levèrent rous ensemble er choquèrent l'ennemi piqués baissées ; les archers et les frondeurs firent de pied ferme une vigoureuse décharge qui fit teculer l'ennemi. Les Macédoniens s'avaneèrent aussi-tót pour laisser a la cavalerie qui abordoit le terrein nécessaire. Les barbares voyant cette cavalerie, sautèrent de cheval avec une tégèrefê incroyable, et s'encourageant les uns les autres, i'attaquèrent vivement sans lui donner le tems de se mettre en ordre; ils se divisèrent par pelotons, en renversèrenr une grande partie. Alexandre en fit avancer d'autres qu'il mena lui-même a la charge; il ne pouvoit faire enrendre sa voix qui étoit fort foible, mais son exemple parloit. Ce ne fur qu'un cri d'allégresse et de victoire de la patt de la rroupe qu'il conduisoi'. Ils se jettèrent avec fureur sur les barbares , a qui il fut hnpössible de soutenir un si rude choc. Quelque foible que fut le roi , il les poussa vivement pendant un assez long tems, et son ardeur 1'engagea dans un désert aride , oü il n'y avoit point d'eau. Ses soldats furent obligés de se désahérer dans une mauvaise citerne dont 1'eau avoir été corrompue par les ardeurs du soleil; presque tous s'en trouvèrent mal , er Alexandre en fut consï-  d'Alexandre le Grand. Liv. XV. 13 j dérablemenr incommodé; les forces lui manquant, il fur contrahit de s'arrêter après avoir recommandé qu on les poursuivit tant que le jour dureroit. 11 se retira dans son camp pour se reposer et pour y attendre ses troupes; elles ne revinrent au camp que sur le minuit, après avoir tué grand nombre d ennemis et fait encore plus de prisonniers , avec un burin de 1800 chevaux qu'ils chassoient devant eux. Alexandre renvoya aux Scythes tous leurs prisonniers sans rancon, pour leur montrer que ce n'étoit point par animosité , mais par desir de gloire qu'il avoit pris les armes contre un peuple si vaillant. Le bruit de cette victoire, et encore plus la clémence du roi a 1'égard des vaincus , releva extrêmement sa réputatiom On avoit toujours cru que les Scythes étoient invincibles •, après leur défaite , on avoua qu'il n'y avoit point de nation qui ne düt céder aux Macédoniens. Les Saces, nation puissante, envoyèrenr une ambassade a Alexandre, pour se soumetrre et lui demander son amitié. Les Scythes , eux-mêmes, lui firerir faire des excuses par des ambassadeurs , tejettani la faute de ce qui étoit arrivé sur quelques particuliers, et témoignant qu'ils étoient prèts de faire tout ce quil plairoit au prince. Alexandre leur répondit 3 que ne souhaitant pas les trouver coupables, il vouloit bien les croire innocens, qu'il cesseroit de les poursuivre et leur pardónnoit sincèrement. Délivré si heureusemenr de certe importante guerre, il tourna ses pertsées du coré de Maracande oü le traitre Spitamène s'étoit renfermé, et vint lui-même pour le punir; quelque prompte et cachée que fut sa marche, ■Spitamène en fut averti , et se sauva dans la Bactriane , abandónnant ses complices. Le roi le poursuivit , mais ne i'ayant pu atteindre, il rentra dans  i3(S Histoire la Sogdiane, marcha vers Maracande, qu'il fit saccager, amsi que le pays d 'alentour , er fit mourir ceux des habitans de qui il avoit tout lieu d'appréhender une nouvelle révolte. Parmi ces malheureuses victimes de sa sureté , il y eut trente jeunes hommes des plus grands seigneurs du pays, tous de bonne mine, lesquels ayant su qu on les menoit au supplice pat 1'ordre d'Alexandre, se mirent a danser et a chanter avec effusion de cceur, comme si on leur eüt annoncé la plus agréable de toutes les nouvelles. Le roi étonné de les voir aller a ia mort si gaiement, se les fit. amener, et leur demanda d ou venoit ce transport de joie, voyant la mort devant leurs yeux; ils lui répondirent : si tout autre que vous nous faisoit mourir , nous nous en atnigenons; mais rendus a nos ancêtres par l'ordonnance d un si grand roi, vainqueur de toutes les nations , nous nous félicitons d'une mort si glorieuse, que les plus vaillans hommes ambirionneroient. Admirant ,a grandeur de leur courage, il leur demanda s'ils vouloient qu il leur donnar la vie , a condition de n'être plus ses ennemis : Seigneur, lui dirent-ils, nous navons jamais eté tels a votre égards, mais étant attaqués nous nous sommes défendus. Quel gage , leur dit Alexandre, pouvez-vous me donner de votre foi? point d'autres, répondirent ces jeunes seigneurs, que cette même vie dont votre bonté nous fera grace, etque nous serons toujours prêts de vous rendre quand vous nous la redemanderez, et ils lui tinrent parole. Quatre dentr'eux, qu'il mit au nombre de ses gardes, le disputèrent aux Macédoniens en zèle et en fidélité. Le roi ayant laissé un petit corps de troupes dans la Sogdiane, passa a Bactres. Bessus y étoit toujours dansles fers., en attendant le supplice que ses crimes avoient mérité ; il le fit venir, lui reprocha encore la mort,  ■d'Alexandre le Grand. Liv. XV. 237 de Darius er 1'envoya ensuite a Ecbatane, le nez er les oreilles coupés, poury être jugéet puni selon 1'arrêc qui en seroit porté par le conseil des Medes et des Perses, auquel Oxatres, frère de Darius, présida par ordre d'Alexandre : on 1'attacha a deux arbres pliés avec violence , qui le mirent en pièces lorsque 1'on vint a les; relacher. La protection marquée que la fortune accórdoit aux armes d'Alexandre, lui soumettoit tous les peuples de gré ou de force dès qu'il paroissoit ; mais a peine étoit-il disparu, que 1'amour de 1'indèpendance séduisoit les esprits et lui enlevoit la plupart de ceux qui 1'avoient reconnu pour leur maitre. Tout lui paroissoit assujetti quand il passa le fleuve Oxus pour venir a Bactres. A peine étoit-il arrivé dans cette ville, qu'il apprit que la révolte étoit déclarée dans la haute Sogdiane , et qu'on en avoit chassé les gouverneurs qu'il y avoit laissés. Heureusement il arriva sur ces entrefaites des recrues considérables, tant de la Grèce que de la Macédoine, qui montoient a 16,000 hommes. Avec un renfort si considérable , il marcha vers les villes rébelles et fit mourir ceux qui avoienr suscité 1'esprit de discorde, et en peu de jours il arriva sur les bords du fleuve Oxus qu'il passa, et étant allé a la ville de Marginiane , il choisit aux envitons des lieux favorables pour y batir quelques places fortes , afin de tenir en respect ces peuples nouvellemant conquis. Tout le plat pays pacifï* le reconnut pour maitre. II n'y eut plus qu'une seule montagne isolée , sur laquelle Arimaze, Sogdien, s'étoit retiré avec 3 o,ooo hommes et des munitions pour deux ans; c'est ce qu'on nommoit le 'rocher d'Oxus. II avoit quatre lieues de circonférence et trois quarts de lieues de hauteur. Le soruraet étoit fertile et'assez grand pour pouvoir nourtir  23 8 Histoire 500 hommes. Ce rocher étoir escarpé de tous cötés, et n'avoit qu'un sentier taillé dans le roe, par oü on pouvoit y monter; au milieu du penchant il y avoit une caverne donr 1'entrée étoit fort étroite et obscure, mais qui s'élargissoit insensiblemenr et conduisoit a différentes grottes cü il .y avoit plusieurs fontaines donr les eaux ramassées formoient une assez grande rivière. Alexandre ayant reconnu la place, hésira s'il devoit passer outre; mais comme son caractère étoir de chercher en rour le merveilleux et de tenter 1'impossible, il résolurde vaincre la nature même qui sembloit avoir fortifié ce roe contre la puissance des hommes. Avant que de faire aucun acte d'hostilitéj il envoya Cophés, un des fils d'Artabaze j vers les barbares, pour leur ordonnerde se rendre. Arimaze, plein de confiance en sa siruation, rejetta cette proposition avec hauteuret demanda a Cophés si Alexandre savoit veler. Cette réponse insolente outra Ai-xandre; il fit choisir dans sa troupe trois cents jeunes gens des plus légers et des plus dispos j qui avoient demeuré et fréquenté dans les montagnes. Quand on les lui eut amenés, c'est avec vous valeureuse jeunesse , leur dir-il, que j'ai forcé les places que 1'on avoit cru impénétrables; que j'ai franchi les montagnes toujours couvertes de neiges, traversé les rivières et franchi les défilés; témoin de votre valeur, c'est vous que j'ai choisis pour venger 1'affront que 1'on nous fait. Ce roe que vous voyez n'a qu'une avenue praticable que les barbares défendent sans songer au reste; ils n'ont mis de vedettes et de sentinelles que du cêté qui regarde notre camp , mais si vous cherchez bien , il n'est pas que vous ne puissiez trouver quelques senüers pour parvenir au sommet du rocher; la nature n'a rien fait de si inaccessibie oü la valeur ne pmsse atteindre, et ce n'est que pour avoir entrepis  d' Alexandre le Grand. Liv. XV. 23 9 «e que personne jamais n'avoit osé, que nous sommes maitres de 1'Asie. Gagnez donc ce sommet, et quand vous vous en serez saisi 3 élevez des drapaux blancs pour signal, et je ne manquerai pas de vous êter l'ennemi d'entre les bras et de 1'attirer a inoi en faisant diversion. Celui qui montera le premier aura 10,000 écus de récompense, le second en aura 9,000 , ainsi des autres jusqu'au dixième •, mais je suis sür que ce na sera pas tant l'intérét qui vous y portera que l'honneur et le desir de me piaire. Plems d'ardeur et s'imaginant déja d'être au sommet, ces jeunes gens partent sur les dix heures du soir, après avoir fait provison de cordes, de coinSj de crampons et de vivres pour deux jours. Alexandre fit le tour de la montagne avec eux, et les quitta dans 1'endroit qui paroissoit le moins difficile , priant les dieux de les conduite heureusemenr. Ils commencèient a monter n'ayant que leurs épées et leurs javelines; ils marchèrent quelque tems a pied parmi des ronces et des broussaiiles. Quand il fallut grimper, les uns s'accrochoient aux pierres qui avancoient et se soulevoient elles-mêmes; les autres enfoncoient leurs crampons dans la neige qui étoit gelée, pour se soutenir dans les endroits glissans; d'autres enfin plantant leurs coins avec force en faisoient des échelles pour s'aider a monter. Ils passèrenr ainsi la nuit et le jour suivant suspendus a ces rochers, avec mille pcines er mille dangers, ayant a lutter en même tems contre la neige contre le froid et contre le vent. Néanmoins le plus fort restoit a faire , et il leur sembloit que le roe croissoit toujours en hauteur a mèsure qu'ils s'avancoient. Ils virent plusieurs de leurs compagnons, a qui 1'appui ou la force manquoient, tomber dans des précipices, et ils voyoient par leur malheut cc- cm'ils avoient a craindre.  2 4° Histoire Ils arrivèrent enfin sur le sommet du roe, mais tous horriblement fatigués, er quelques-uns mêmes ne pouvoient plus s'aider d'une partie de leurs membres. La nuit et le sommeil les prirent en même tems, et se couchant de cötés et d'autres dans les endroits qui étoient sans neiges, ils dormirent jusqu'au jour. Le lendemain ils se réveillèrent de ce profond sommeil, et s'etant réunis tous ensemble, il s'en trouva a dire trente-deux qui avoient péri en montant. Ils cherchèrent de tous cötés l'ennemi, car quoiqu'ils fussent au sommet du roe , ils ne 1'avoient point appercu et ils ignoroient de quel cöté un si grand nombre de barbares pouvoit être; ils appercurenr une grande fumée au-dessous d'eux ; ils conclurent que c'étoit-la le lieu de leur retraite , et ils élevèrent aussi-töt les signaux dont on étoit convenu. Alexandre également touché du désif d'emporter cette place et du danger visible oü ces hommes étoient exposés , fut tout le jour sut le pied a regarder ce rocher , et ne se retira pour se reposer que lorsque la nuit fut entière. Le lendemain, dés le grand matin, il fut le premier qui appercur le signal; néanmoins il doutoit encote si ses yeux ne le trompoient point, a cause de la fausse clarté que faisoit 1'aurore au point du jour ; mais la lumière venant a croitre le mit hors dedoute; ayant donc fait appelier Cophés, il 1'envoya pour la seconde fois exhorter Arimaze a se soumettre, er s'il s'opiniatroit , il avoit ordre de lui faire voir ceux qu'il avoit sur sa tête. Cophés y étant donc allé , fit tout ce qu'il put pour resoudre Arimaze a capituler, usant de promesses et de menaces. Arimaze lui répondit en termes plus fiers et plus insolents qu'auparavant et lui commanda de se retirer. Cophés le prenant par la mam, le pria de sortir  d'Alexandre le Grand. Liv. XV. 14 r sortir un moment de la caverne oü il étoit , et lui montra les Macédoniens logés sur sa tête, et d'un ton railleur, vous voyez , lui dit-il, que les soldats d'Alexandre ont des ailes; après il se retira. Ptndant ce tems-la Alexandre faisoit sonner de la trompette pat tout son camp , et I'armée faisoit rerentir tous les lieux voisius des signes avant coureurs de la victoire. Ces cris éclatans et 1'aspect de l'ennemi au-dessus de leut tête, jetta un tel trouble et une telle allarme oarmi les barbares, que sans prendre garde au petit nombre de ceux qui étoient ,montés, ils se crurent perdus at investis de teute part. On rappella donc Cophés, on envoya avec lui 30 des principaux pour remettre la place a condition d'avoir la vie sauve. Quoiou'Alexandre ne fut pas encore leur maitre, irrité de la fierté d'Arirnaze, il refusa de les recevoir a composition. Une confiance aveugle dans son bonheur qui ne s'étoit j.amais démenti, lui ótoit toute vue de danger. Arimaze de son cóté aveuglé par la crainte , et n'envisageanr point de ressource , descendit avec ses parens et sa principale noblesse dans le camp d'Alexandre. Ce prince qui n'étoit pas maitre de sa colère, oubliant ce que 1'humanité et la bonne-foi demandoient dans cette occasion , les fit tous battre de verges, puis attacher en croix au pied même du rocher. La multitude qui s'étoit rendue fut donnée avec tout le butin aux habitans des nouvelles villes bities en ces quartiers et Artabaze eut encore le gouvernement du roe et du pays des environs. Cette action d'inhumanité souleva une partie des provinces vcisines; quelques-uns de ceux qui s'étoient échappés leur ayant appris a quoi on étoit exposé sous un prince qui,n'étoit pas maitre de sa colère, en qui en ne pou»oit prendre aucune confiance; qui rendoit T&me VL Q  i42 Histoire esclaves ou faisoit mourir ceux mêmes qui venoient se jetter a ses pieds; elles refusèrenr hautement de lui obéir, Alexandre voyant que le feu de la rébellion gagnoir de toute parr, divisa son armee en trois corps , pour en arrêter les progrès. II en donna une partie a Ephestion , 1'autre a Ccenus et se réserva la troisième. lis marchèrent chacuns en différens endroits, et la fortune partagcant également leurs armes, ils remirenr les séditieux dans 1'obéissance. Le roi donna les villes de ceux qu'il contraignit par la force a celles qui éroient revenues d'elles-mêmes. Une nouvelle troupe de mutins ravageoit le plat pays du nord de cette province avec Soo chevaux Massagetes. Attinas qui y commandoit se mit en campagne pour leur donner la chasse et les disperser; il tomba lui-même dans une embuscade qu'ils lui dressèrent, et il y périt avec toute sa troupe. Le bruit de cette défaite vint a la connoissance de Cratère qui y accourut avec sa cavaletie. Les Massagetes s'étant déja retirés, il déchargea sa colère sur les Dahes, en fit passer mille au hl de 1'épée et mit fin a tous les inouvemens de la province. Le roi qui avoit été contre les Sogdiens , les dompta encore et retourna a Maracande , oü il recur une nouvelle ambassade du roi des Scyrhes Le sujer de leur voyage étoit de lui offrir des présents et la fille de leur roi en mariage et de lui dire que s'il ne 1'estimoit pas digne de eet honneur, il permit du moins aux principaux de sa cour de faire des alliances avec les grands seigneurs du pays; ils 1'assurèrenr même que leur roi yiendroit en personne le saluer. Alexandre le remercia de leurs offres, er leur répondit que ses projets nq lui permgttoiew point encore de se maner. II ne. séjourna a Maracande que pour y attendre Ephestion et. Artabaze 5 .er de-la il passa dans la Ba-  d'Alexandre le Grand, Liv. XV. 243 zarie , oü il courut un trés - grand danger dans une chasse au lion; eet animal qui étoit d'une grandeur monstrueuse vint droit a 'lui et sembloit devoir le dévorer, il le tua d'un seul coup ; on le félicita également sur son 'bonheur et sur son adresse; néanmoins les Macédoniens alarmés du péril qu'il y avoit couru, ordonnèrent que conformément aux coutumes de leur pays, le roi n'iroit plus a la chasse a pied, sans être accompagné de quelques grands de sa cour qui nedevoient jamais le quitter; ils le prièrent de se menager pour eux , et lui remontrèrent que le plaisir et la gloire de uier une bete fé-roce ne devoit pas être acheté si cher. De-la il retourna encore a Maracande, oü Artabaze 1'ayant prié de le décharger de son gouvernement de la Sogdiane , a cause de son grand age , il en pourvut Clitus; c'étoit un vieil officier de Philippe , qui s'étoit sigriale en beaucoup de rencontres. Ce fut lui qui, a la bataille dn Granique, comme Alexandre combattoit latêtè nue, son casque étant brisé, et que Rosacés avoit déja le bras levé pour le frapper par derrière, couvrit le roi de son bouclier , et a'bbatit la main du barbare. Sa sceur Kellanice avoit été la nourrice d'Alexandre 3 qui 1'aimoit avec une 'aussi grande tendresse que si elle eüt été sa mère; i'1 'lui devoit les premiers soins de sa naissance , et a son frère la conservation de sa vie. Comme pour toutes cès raisons il considéroit fort Clitus ,'il lui conria une province des plus importantes de son empire. Comme les affaires demandoient qu'il partit dès le 'lendemain, Iè röi le convia le scir a un grand festin qu'il donnoit a cause de la fète de Castor et Pollux. La circonstance fit tomber la conversaticn sur ces deux héros, ét des courtisans 'adulateufs avanccrent que quelques grsihaès quefussem les act'iörts 'q'ui leui avoient Q i  144 Histoire mérité les honneurs divins, elles ne méritoient jamais d'être comparées a celles d'Alexandre, comme eux fils de Jupiter. Cette flatterie fut appuyée de quelques chansons dans le même goüt. C'étoit fiatter Alexandre dans 1'endroit le plus sensible. Les fumées du vin jointes a cette passion qu'il avoit pour les louanges, le porta a célébrer ses propres exploits sans garder aucune mesure , jusqu'a se rendre insupportable a ceux mêmes qui savoient qu'il disoit la vérité , les plus agés néanmoins se turent, jusqu'a. ce qu'ayant commencé a rabaisser les actions guerrières de Philippe son père, il se vanra que la fameuse bataille de Chéronée étoit son ouvrage, et que la gloire de cene grande journée lui avoir été ravie par la malignité et l'envie de son père; que dans une sédition, Philippe afroibli d'une blessure , s'étoit couché pat terre et n'avoit point trouvé de meilleur expédienr pour se sauver que de faire le raorr; qu'alors il 1'avoit couvert de son bouclier et tué de sa main ceux qui vouloient approcher de lui; qu'enfin il s'étoit injustement glorifié d'une victoire sur les Illyriens a laquelle il n'assista jamais. La jeunesse étoit charmée d'entendre ce discours, mais les anciens officiers qui avoient long-tems porté les armes sous Philippe , en étoient virement blessés. Clitus qui étoit échauffé par le vin et qui d'ailleurs étoit naturellement emporté , se tournant vers ceux qui étoient auprès de lui a table , leur rapporta quelques vers d'Euripide , de relle sorte que le roi pouvoit plutót ou'ir le son de sa voix que les paroles. Le sensde ces vers étoit que les Grecs avoient eu grand tort d'ordonner qu'aux -inscriptions des trophées on mettroit seulemént le nom des rois , paree que c'étoit dérober a de vaillants hommes, la gloire qu'ils avoient acquise au prix  d'Alexandre le Grand. Liv. XV. 14 f is leur sang. Le roi s'appercut bien qu'il lui étoit échappé quelque chose de désobligeant et demanda ce qu'il avoit dit; mais comme personne ne voulut répondre, Clitus haussant la voix peu-a-peu se mit a raconter les actions er les guerres de Philippe, les préférant a rour ce qui se faisoit alors, ce qui excita une grande dispute entre les jeunes et les vieux. Quelque peine que senutintérieurementleroi, il dissimula d'abord en se faisanr violence , et parur écouter patiemment tour ce que disöit Clitus a spn désavantage •, il sembloit même qu'il auroit encore retenu sa colère , si Clitus en fut demeuré-la ; mais celui-ci porranr toujours 1'insolence plus lom , comme s'il eür pris a tache d'irriter le roi er de lui insulter, en vinr jusqu'a prendre la défense de Parménion , et jusqu'a soutenir que la ruine de Thèbes n'étoit rien en comparaison de la victoire de Philippe sur les Athéniens, er que les vieux capitaines Macédoniens valoient beaucoup mieux que ceux qui, ayant eu la honte de se laisser battre, avoient néanmoins la témérité de les décrier. Alexandre lui ayant dit sur cela qu'il plaidoit sa propre cause , en appellant lacheté un malheur; Clitus se léve 4 et les yeux bouffis de vin er de colère : c'est pouftarit cette main, dit-il, en étendant le bras , qui vous sauva la vie a la bataille du Granique , lorsque tout fils de Jupiter que vous êtes, vous tourniez le dos a 1'épée de Spitridate ; c'est par le sang et les blessures de ces Macédoniens taxés de lacheté que vous êtes devenu si grand. Alexandre outré de cette insolence , lui répondit *• ah! scélérat, en tenant tous les jours de tels discours contre moi, et excitant les Macédoniens a. la révolte , penses-tu que tu auras long-tems le plaisir de t'en réjouirï Ah yraiment, repliqua Clitus, la fin tragiquede Parménion nous apprend quelle récompénse eux et moi devons attendre Q 5  Xifi Histoire de nos services. Ce dernier reproche piqua jusqu'au vif Alexandre , il se retinc cependant encore et ordonna a Clitus de sortir; comme il n'obéissoit $as., ses amis voulurent 1'entrainer de force; mais sa bile s'échauffant de plus en plus, il a raison, dit-il, de ne vouloir poinr souffrir a sa table des hommes qui ne savent que dire la vérité ; je me félicite de lui avoir appris plus de vérités que son prétendu père Am mon n'osa lui en dire; il fera bien de passer sa vie avec des barbares et des esclaves , qui adoreront volontiers sa ceinture persienne et sa robe blanche. Le roi ne fut plus maitre de sa colère , il prend une pomme et la jette a la tête de Clitus; il se lèveet cherche son épée, mais! Aristophane , un de ses gardes du corps, 1'avoit prévenu : Lysimaque , Léonate et les autres environnèrent Alexandre , et le conjurèrent de s'appaiser; il s'écria : c'est donc ainsi que mes plus intimes se saisissent de moi, comme on a fait a Darius , et se démêlant de leur main il appellé ses gardes et ordonne au trompette de sonner l'alarme , ce qui écoit le signe d'une grande émeute •, le trompette ditféra et refusa d'obéir; Alexandre lui donna un souffiet qui le fit par ■ la suite estimer de tout le monde , car sa désobéissance fut cause que le camp ne. s'étoit pas soulevé. Clitus néanmoins continuoit toujours ; ses amis le poussèrent a grande peine hors de la salie , mais il y rentra incontinent par une autre porte , en chantant avec une audace sans pareille des vers injurieux au prince. Alexandre aussi-tót se jette sur un de ses gardes , et lui ayant arraché sa javeline , il en perce Clitus qui se trouvé prés de lui , et le voyant ïenversé par rerre : va r'en, dit-il, maintenant trouver Philippe , Parménion et Attalus. La colère du roi étant comme éteinte tout-a-coup  d'Alexandre U Grand. Liv. XV. ttf «lans le sang de Clitus, il conrtut son crime dansroute son érendue et dans toute sa nokceur ; vit nages dar s son sang un homme qui avoit abusé de sa patience, mais qui jusques-la avoit été un fidéle serviteur , qu'il avoit jugé digne de sa confiance , qui lui avoit sauvé la vie. L'horreur de ce crime étoit peinte sur tous les visages, chacun craignoit pour soi après un tel événement, et ceux qui étoient les mieux en grace ne pouvoient plus répondre de leur vie; tous ees-objetsse pïésentèrenr en même tems * 1'esprit d'Akxandre. Pendans qu'il avoit les yeux fixés sur le corps de Clitus, il songeoit en lui-même comment il pourroit soutenir ia vue de sa nourricg Hellanice, et lui présenter sa main souik lée du sang de son frère; il se voyoit alois b terreur de ses amis, comme , il 1'étoit de ses ennemis; ne pouvanï sotttenk ces tr's:es réfiexions, il se jetta sur le corps de son ami , en arraeha la javeline , el s'en alloit percer si ces- gardes qui aecouïurent a lui ne 1'eussent dé»sarmé. Ü ks pria de ne pas le laisser survivre a une action pi criminelle ; ils le conduisirent a- saehambte, oü il s'enferma et passa toute la nuit et ie jour su ivant a fondre en larmes sans prendre aucune nourriture. Après • qu'il eut épuisé toutes ses forces en gémissemens, il de-' meura sans. voix- étertdu par tetre, peussant seulement de tems en, tems de profonds soupirs. Ses amis eraigna-nr ks suites de ce désespoir, entrèrent par force dans sa chambre ; ils s empressent de le' console*; il ne répond a personne. Arisrandre lui rappelle un songe oü il avok vu Clitus en robe noire, et- lui ayant fait entend*} que tout ce qui venoit d'arriver avoit éié réglé de route éternité par le destin, et avok été par conséquent inévitable , il parut un peu soulagé. Calkthènes et Anaxarque , deux autres philosophes,. vinrent ensuite. Le premier- l'aborda doucement, et cssayadeie Q4  248 Histoire rendre maitre de sa douleur en s'insinuant peu-a-pea dans san esprit, et en tachant de le rappeller a luimême par des réflexions solides et tirées du fond de la philosophie, évitant avec art tout ce qui pouvoit renouveller son afthcrion et aigrir une plaie toute saignante qui demandoit d'être rraitée avec une extréme délicatesse ; mais la douleur d'Alexandre étoit trop forte pour être guérie par des remèdes aussi doux. Anaxarque le comprit et ne garda pas rant de mesures, amateur en tout des voies et des idéés singulières, il prend le ron d'un philosophe décisif et absolu, et regardant le prince : quoi donc, dit-il, est-ce la eet Alexandre sur qui toute la terre a les yeux ouvertï ? et le voila étendü par terre fondant en larmes comme un vil esclave: ignorer-ri donc qu'il est la loi suprème de tous ses sujets , qu'il n'a vaincu que pour être seigneur et maitré, et nullement pout se soumettre a une vaine opinion ? Ne savez-vous pas que Jupiter a la Justice et Thémis aux deux córés de son tróne , pour faire entendre aux mortels que toutes les actions du prince sont justes et équitables ? II n'y eut que ce discours insensé qui püt appaiser Alexandre dans un moment oü sa raison n'agissoit point en lui. Anaxarque s'insinua fort depuis dans ses bonnes graces, er par 1'artifice de sesdiseours, rendit insupportable a Alexandre la conversation de Cahsthènes , qui déja commencoit a lui déplaire a cause de 1'austérité de ses discours et de ses manières. Quoiqu'il s'étoit résolu a se laisser mourir, il consentit a prendre de la nourriture. Pour détoumer de son esprit 1'image de son crime et pour faire cesser tous ses remords , les Macédoniens déclarèrent, par un décret solemnel, que Clitus avoit été tué avec justice a cause de sa témérité, er 1'auroient même privé de la sépulture si Alexandre ne s'y fut opposé.  d'Alexandre le Grand. Liv. XV. *49 On compare quelquefois au foudre la colère quand elle se trouve unie avec la puissance \ en effet, quel ravage alors ne cause-r-elle point ! que sera-ce donc si on y joint encore 1'ivresse 1 quel malheur pour ce prince de n'avoir pu vaincre ces deux défauts ! quoi de plus funeste , quoi de plus meurtrier que 1'emportement de la colère ! quoi de plus indigne d'un roi quê 1'excès du vin , si bas en lui-même et si horrible dans ses suites ! On vient d'en voir un des plus funsstes exemples. On a honte pour Alexandre quand on voit ce grand prince rémpli d'ailleurs de tant de belles qualités , de cette grandeur d'ame, de cette générosité sans pareille, animé par le vin devenir le meurtrier d'un ancien ami, teméraire et indiscret a la vérité , mais ami. Mais que dire de la consolarion que lui apporte Anaxarque ? quelle peste pont Alexandre déja enivré de sa grandeur, que cette ame lache, que ce docteur de mensonge, assez fécond en ressources pour lui faire entendre que sa volonté et sa puissance sont la seul règle du bien et du mal!  zj-a Histoire LIVRE XVI. .A-lixandre voulut resrer encore dix jours aMara-i cande pour reprendre ses esprirs et rassurer sa contenance. Dans eer intervalle il y rec;ut la visite de ;Jharasmane , roi des Scythes voisins de la Colchide et du Pont-Euxin; il venoit lui oftrir ses services pour la conquête des nadans voisines, prornettant d'enrretenir son armée de rotu ce qui seroir nécessaire. Alexandre le remercia et lui dit què-se trouvant prés des Indes * il vouloit auparavant les réunir sous son empire; qu'ensuite il iroit en ces contrées en retournant dans la Marcédoine ; qu'au reste il le prioir de ne point oublier sa parole; il le congédia ensuite et lui donna Artabaze pour le conduirs une partie du chemm. Comme lniver approchoit, il envoya Ephestion dans la Eaeniane pour faire les provisions nécessaires pour cette saison gildonna a Amynthas le gouvernement de la Sogdiane qui avoir été destiné a Clitus. Deux mille révoltés de la Bactriane s'étoient retirés dans le Xenippe , contrée fronrière de la Scythie, ferrile en rout, ou ils vivoient de brjgandages et forcoient les habitans de se mettre de leur parui. Alexandre y alla, et sur le bruit da sa marche les séditieux furent chassés pat ceux-mème qu'ils croyoient avoit séduits. Ils trouvèrent dans leur retraite 1'occasion d'attaquer Alexandre, mais espéranr avoir plus d'avantagé quand ils nel'auroienc point en tête , ils aimèrent mieuxattaquer Amyntas : ils le chargèrenr avec fureur , tinrent long-tems la victoire indécise , jusqu'a ce qu'ayant perdu plus de la moitié de leur monde , le reste prit la fuite , ils se reti-  d'Alexandre le Grand. Liv. XVI. z$i rèrent auprès de Spiramene «qui étoir dans le pays des Dahes. Le prince vainqueur accorda la grace aux captifs, quoiqu'ils se fussent déja révoltés plusieurs fok, et leur ayant fait prêter serment de fidélité , il vint avec toutes ses troupes dans une conttée particuliere de la Bactriane, appellée la Naurf. * Sysimetre en avoit conservé le gouvernement depuis que Darius le lui avoit confié ; 1'envie qu'il avoit de le transmettre a ses deux fils, lui avoit fair prendre routes les précautions poswbles pour n'en être point depossédé: il s'étoit retiré avec deux mille hommes sur une roche escarpée , appellée Chorknne. Les habitans avoient pratiqué une gallerie souterrains pour se sauver s'ils y étoient forcés. Au-devant de cette place , étoit un fleure extrêmement rapide, qui tenoit lieu de fossé, ec au-devant du fleuve étoient plusieurs éminences dont 1'approche étoit défendue par plusieurs ouvrages. Alexandre demanda a Oxiartes, seigneur Bacrien, si Sysimetre éroit un homme de cceur et de tête; il lui répondir' que c'étoit un homme très-timide et très-lache ; cette roche sera donc aisée a prendre, reprit Alexandre , puisque celui qui y commande est un homme sans courage. II fit aussi-tot batne sans relache les forts qui couvroient les éminences. Le service contrnuel des archers er des frcndeurs empéchoit lennemi de paroitre. Le bélier eut bien-uir fait des brêches. , oü on donna l'assaut j ou chassa les assiégés et 1'on dermeura les maïtres de toutes les éminences. La destructie» de eet obstacle ne fit que eonduire a un autre. Alexandre appetcut le torrent qu'il n'étoit pas possible de passer ni a la nage , ni sur des peaux a cause desa rapidité. II \ntreprrt d'y faire un pont avec des pierres et des arbres, et le moyen lui réussk. La promptitude  t$i Histoire avec laquelle 1'ouvrage fut achevé intimiJa les barbares. Leur contenance montrant qu'ils n'étoient pas éloignés de capituler, le roi leur envoya Oxiartes pour les ërigager a se rendre, et pour les obliger de le faire au plutót, il fit avancer ses machines et ses archers qui firent des décharges continuelies. Sysimetre sentant sa foiblesse et se voyant si vivement poussé par Alexandre , étoit prêt de souscrire aux condnions qu'on lui offroit, sans les oppositions de sa mère, qui regardoit la mort moins odieuse que la servitude et 1'assujettissement; mais enfin il rappella Oxiartes qui s'en retournoit et lui promit de se rendre , le priant seulement de ne point témoigner au roi 1'emportement de sa mère, afin que rien ne put empêcher d'avoir égard a ses soumissions. Peu après il le suivit avec elle et ses enfans, sans artendre aucun gage de la parole qui lui avoit été donnée qu'il ne lui feroit aucun mal. Le roi lui fit dire de ne pas descendre, qu'il se rransporreroit sur la montagne. II y alla après avoir sacrifié a Minerve et a la Victoire, et touché de la sincérité de sa soumission -, il lui rendit son gouvernement, avec promesse d'en étendre les limites s'il lui demeutoit fidéle ; il prit ses deux jeunes fils pourl'accompagner dans ses voyages. Cer acte de clémence ne fléchit pas le reste des Nauriens , ils gagnèrenr le haut de la montagne et se sauvèrent ensuite dans l'inrérieur de leur province. Alexandre les poursuivit avec sa cavalerie 1'espace de 10 lieues par des chemins apres erdifficiles qui épuisèrent les hommes et les chevaux; comme il changeoit souvent de cheval-, il laissa derrière lui tous les autres ; les cinquanre jeunes gens qui 1'accompagnoient ne purent le suivre; il n'y eut que le seul Phili ppe , frère de Lisimaque, qui n'abandenna jamais ses cötés. Quand ils furent arrivés ort les barbares avoient  £ Alexandre le Grand. Liv. XVI. ij$ leur retraite , ils combattirent avec un grand courage. Philippe couvrit souvent Alexandre de son bouclier, et lui épargna bien des blessures ; mais enfin 3 les barbares éronnés de cette valeur presque divine, prirent la fuite; et s'étant dispetsés, ris nosèrent plus paroitre. La joie que leur défaite causa a Alexandre, fut beaucoup altérée par la mort de Philippe. Ce jeune homme avoit donné des marqués a Alexandre de la plus haute valeur; couvert de blessures , son courage lui avoit, pour ainsi dire, tenu lieu de vie, tant qu'il combattit; mais aussi-töt que les ennemis se furent dispersés, ses sens se refroidirenr, il neut plus la force de se soutenir; s'appuyanr sur un arbre, il laissa torober ses armes, et peu après il expira dans les bras d'Alexandre. II perdit encore un de ses braves officiers, c'éroit Erygius, qui mourut dans le camp. II fir faire a 1'un er a 1'autre des funérailles avec un grand appareil. Leur défaire ne lui laissoit plus aucun ennemi que Spitamène; il se prépara donc a marcher contre les Dahes, chez lesquels il s'étoit retiré; mais son bonheur ordinaire lui en épargna la peine. Spitamène étoit idolatre de sa femme; comme il couroit depuis long-tems de cóté et d'autre., elle s'ennuyoit de cette vie errante er malheureuse, qui 1'exposoit chaque jour k de nouveaux dangers; elle employoit tous ses charmes pour 1'arrêter et 1'engager a' se rendre au vainqueur de la terre, dont il avoit déja éprouvé la clémence, er qu'après tout, s'il diftèroir plus long-tems, il ne devoit pas croire qu'il püt lui échapper; elle ne négligea aucune ruse de son sexe pour le déterminer, mais Spitamène se figura qu'elle vouloit le traliir et que mettant sa confiance dans des graces et dans une beauté qui charmeroient le jeune prince, elle brüloit d'envie de paroitre devant lui; il se transporta de  2 ƒ4 Histoire colère, et alloit la frapper de son épée, si ses frères ne lui eussent arrêté le bras ; il la ehassa avec menace de la tuer si elle paroissoit jamais en sa présence. Son ancien amour fit bientót sentir a Spitamène les regrers de cette séparation; il la rappélla, lui rendit son affection et la conjura de ne plus parler de cette brouillerie passagère; il i'exhorta a partager avec lui le sort qu'il plairoit aux dieux de lui donner; qu'au reste, il mourroit plutöt que de se rendre. Elle s'excusa du conseil qu'elle lui avoit donné sur un dé'faut d'expérience et sur sa timidité, appanages naturels de son sexe, mais qu'elle n'avoit jamais cherché ni qu'elle ne chercheroit jamais a lui déplaire. Spiramene séduit par ces belles paroles, voulut célébrer pub'liquement le jour de leur réconciliation_, et fit préparer un grand repas oü il prit tant de vin qu'on fut obligé de le porter dans son lit; sa femme le voyant enseveli dans un profond sommeil, lui coupa la tére et la mit entre les mains d'une esclave a qui elle ordonna de venir avec elle. Lorsqu'elle fut arrivée a la tente d'Alexandre, ie prince la fir entrer et voyant ses habits pleins de sang, il crut qu'elle venoit lui demander sa protection contre les outrages de son mari , et il lui demanda quel service il pouvoit lui rendre ; elle le pria de lui permettre de faire entrer 1'esclave qu'elle avoit amenée er que 1'on n'avoit pas voulu laisser entrer; dès qu'elle fut devanr Alexandre, elle lui présenta la tête défigurée de Spitamène : 1'horreur de ce crime saisit Alexandre et dissïpa la haine qu'il portoit a un ennemi perfide; il fit chasser aussi-tór du camp ces deux ames meurrrières", Voila la difference qü'il y a'd'un homme dans le libre üsage de sa raison^ qui siiit les ncbles sentimens de  d'Alexandre le Grand. Liv. XVI. z$f son cceur, er dun aurre dans le moment de ses débauches. Alexandre pris de vin s'abandonne aux fougues de son tempérament, me Clitus son ami, le frère de ceile qu'il aimoit comme sa mère, celui a qui il devoit la vie. Alexandre en érat d'écouter ce que dicte la rarson au fond de son cceur, chasse et abhorre les meurtriers de son plus cruel ennemi. Les Danes ayant rrouvé le corps de Spitamène sans tête, se saisirent de Datapheme, un des complices de Eessus, et le livrèrent a Alexandre a qui ils se soumirenr. Le parti des révoltés éranr emièrement soumis par la mort de 'leur chef j il donna roure son attention a ses conquètes. La plupart des gouverneurs qu'il avoit mis dans les provinces ayant abusé tyranniquement de leur puissance, il en fit punir plusieurs de mort, et les peuples soulagés virent couler avec plaisir le sang de ceux qui s'étoient engraissés de leurs dépouilles par leurs rapines et leurs incuisions. II déposéda Arsane , gouverneur des Drances, et mit a sa place Stasanor; il envoya Arsace en Médie pour tenir la place d'Oxidares, qu'il se fit amener sous bonne garde, ainsi que Phraare , gouverneur des Tapures, auquelil substitua Phradapherne, a qui il confia encore 1'Hyrcanie et les Mardes; le gouvernemenr de Babylone vacant par la mort de Mazée, fut donné a Déditamenes. Les affaires étant ainsi disposées dans un arrangement qui paroissoit durable, il rappella ses troupes qui étoient en quartier d'hiver, pour les mener dans la province de Gabaza, s-ituée entre les Massagetes et les Gëtes; c'étoit moins ponr les soumettre de force que pour s'en faire recönnqitre, car ils ne donnoient aucune marqué d'opposition. Le troisième jour de  2 5$ Histoire marche, comme il étoit au milieu des foréts et des montagnes, il eut a essuyer un des plus grands orages dont on eut jamais oüi parler; il se rorma sur sa tête un tonnère épouvenrable, quoiqu'on fur encore en hiver; les éclairs qui se succédoient de moment en moment, éblouissoient les yeux et abbatroienr le courage des soldats. II tonnoit presque sans cesse, er ils voyoienr a chaque insrant la foudre romber devant eux ; ils n'osoienr marcherni s'arrêter; il vint ensuite Une grosse pluie mêlée de grèle , qui ressembloit a un rorrenr. La force du froid fort grand dans ce pays-la geloit 1'eau de la pluie dès quelle touchoit la terre. Alexandre perdit plus de mille hommes dans cette tempête; lui seul invincible a tant de maux, et insensible a des rigueurs qui abbattoient les plus courageux, eouroit par-tout autour des soldats, les consoloit, les aidoit et les encourageok en leur montrant la fumée qui sortoit de quelques cabanes voisines; il fit couper des arbres entiers, auxquels on mit le feu, pour réchaurfer la plupart des soldats qui n'avoient plus de sentiment; ce ne fut que par ce moyen qu'il les sauva. Ayant appercu un soldar Perse presque mort de froid, il se léve d'auprès du feu ©ü il étoit sur scn siége royal, le débarrassa lui-même de ses armes, le mit a sa place et le couvrit de son manteau. Le soldat ayant repris connoissance fur extrêmemenr surpris de se voir dans le siége er dans la chaise du roi; il se leva rout eftrayé pour lui en faire ses excuses; mais le roi lui dit : mon ami, ne crains rien, considère seulement combien la condition sous les Macédoniens est plus heureuse que sous les Perses; chez eux c'eüt été un crime digne de mort de s'asseoir dans la place de son roi, avec nous c'est ton salut. Le lendemain il fit publier qu'on rendroir tout ce qui  d'Alexandre le Grand. Liv. XFI. 257 qui avoit été perdu dans ce désastre. Sysimetre arriva peu de jours après avec quanrité de bêtès de charge» deux mille chameaux er des rroupeaux considérables, qui rétablirenr , en peu de rems, ses soldats; d'autres Satrapes lui avoienr aussi apporré des rafraichissemens. II leur donna a rous des marqués de la plus vive reconnoissance. II prir ensuite des vivres pour six jours, er passa dans le pays des Saques qu'il permir a ses rroupes de fourager, pour réparer leurs peines. II envoya pour présenr 30,000 moutons a Sysimerre. II vint de-la dans une province oü régnoir Cohorranes, qui se soumir aussi-tóc a 1'obéissance du roi qui lui remit ses états, et lui demanda seulement que de trois rils qu'il avoir il permir a deux de le suivre er de 1'accompagner a la guerre. Cohorranes, reconnoissanr de ses bontés, le pria de vouloit bien accepter le rroisième. Bientöt après Oxiartes vint au-devant de lui et 1'invita de prendre son logement dans son chateau. II avoit préparé un repas superbe pour lui et les principaux de sa cour j avec tous les plaisirs qui pouvoient contribuer 'a son amusement. Alexandre 1'accepta, et son cceur y fur surpris par des liens auxquels il ne s'artendoit pas. Inseusible jusqu'alors a rous les charmes des dames de Perse, il ne le fur pas ici aux artraits de Roxane, fille d'Oxiarres, qui joignoir a une rare beauté un enjouement plein de grace et d'esprit. Elle charma les yeux et le cceur du prince, qui résolur aussi-töt d'en faire son épouse. II n'apporra de délai a la célébration de ses noces que le tems qui fut nécessaire pour les préparatifs> il voulut que cette fête répondir a rout 1'éclat de sa gloire. On consrruisit exprès un batiment quarré dt prés de 400 roises de face, rapissé er orné d'or er dargent et de tout ce que la- Perse lome VI. R  ijS Histoire avoit de plus superbe; les repas, les concerts, les spectacles , les divertissemens furent donnés avec la plus grande magnificence. Les présens que le roi et la reine recurent en cette occasion des princes étrangers et des grands seigneurs ' tant en couronnes qu'en bijoux et meubles précieux , mcntèrent a 10,500 talens ou 31,500,000 livres. Ce fut principalement dans certe fête qu'il fit paroitre le faste de sa vanité; seul aveugle au ridicule «qu il se donnoit, il n'avoit pas honte de paroitre habillé comme Jupiter Am mon; quelquefois il se-promenoir dans la ville sur son char avec les habits de Diane, son are et son carquois; d'autrefois il emprunroit les attributs de Mercure ou d'Hercules comme la massue ou la peau du lion, et presque toujours il étoit revêtu de sa grande robe de Perse, qui paroissoit encore plus flétrissante par Ie nom Macédonien, par les ome-mens et le luxe qu'il y ajoutoit; mais afin que le reproehe de porter de la pourpre ne tombat pas sur lui seul, il écrivit aux Phéniciens et aux Iconiens de lui en envoyer pour tous les officiers de sa cour. Ce manage dépiut extrêmement aux Macédoniens, qui ne pouvoient voir sans peine qu'il eüt pris pour son beau-père un de ses esclaves. Alexandre cherchoit a déguiser ï leurs yïux la passion dont son cceur étoit rempli; il leur disoit qu'il étoit de leur intérêr de s'unir avec les Perses par des liens qui rendroienr leur bonne intelligence plus ferme en confondant leurs intéréts, ne laissant plus de différence entre les vaincus et les vainqueurs; qu'U n'étoit point deshonoré par ce mariage, puisqu'Achille , dont il descendoit, avoir épousé Briseis, sa captive. Ses amis applaudissoienr de bouche, mais ils n'osoient montrer ce qu'ils cachoient au fond de leur cceur; car depuis la more  ft Alexandre le Grand. Lh.XF'I. 159 de Clitus , ils n'osoient plus se servir du langage de la liberté. Comme il avoit résolu d'aller aux Indes et de-la sur TOcéan, il commanda, pour ne rien laisser derrière lui qui traversat ses desseins, que 1'on choisit dans toutes les provinces 30,000 jeunes gens, les distribua a rous les gouverneurs de 1'Empire, auxquels il ordonna de leur faire apprendre 1'art militaire a Ia manière des IVIacédoniens, afin qu'ils servïssent d'ótage jusqu'a ce qu'ils füssent en état de servir en qualité de soldats. Haustanes et Catenes, complices de Bessus, qui s'étoient rendus a lui, s'échappèrent; il envoya Cratère après eux , qui se rendit maitre de Haustanes , et vit périr Catenes dans le combat. Polispercon réduisit aussi sous le joug une contrée nommée Bubacene, de sorte que tout étant paisible, et soupiranr depuis longrems après la conquéte des Indes, il fir rous les prépa» ratifs nécessaires. Ce pays étoit alors le plus riche de 1'univers, nonseulement en or, mais en perles et en pierredes, dont les habitans se paroient avec plus de luxe que de grace. On publioit que les boucliers des soldats étoient d'or er d'yvoire. Maitre de toutes les richesses de la Perse, et ne voulant lui céder en rien, il fit garnir les boucliers de ses soldats de lames d'argent, fit mettre des freins dorés a leurs chevaux , enrichit d'or er d'argent leur cuirasse, et se prépara a marcher avec 120,000 hommes. Tout étant prêt pour le départ, il crut qu'il étoir tems de feite éclore le dessein qu'il avoit formé depuis long-tems de se faire rendre les honneurs divins; il ne songea plus qu'a mettre ce projet en exécurïon; il vouloit que non-seulement on 1'appellat, mais qu'on R 2  a'6« . Histoire le crüt fils de Jupiter; d'autant plus blamable en cel» qu'il vouloir faire croire aux autres ce donc lui-même, très-certainemenr, n'éroir pas persuadé; il vouloir que les Macédoniens se prosrernassenr en rerre pour 1'adorer a la facon que les Perses adoroienr leurs princes. Dans une si folie prérention, il ne manquoir pas de flatteurs; un Agis d'Argos, un Cléon de Sicile, poë'res insipides er ames vénales, avec quelques autres de leur sorre, composoienc des vers oü ils placoienr Alexandre dans dans le ciel , er publioienr par-rout qu'Hercules , Bacchus, Castor et Pollux céderoient la place a ce nouveau dieu. Alexandre oublianr cerre supériorité de génie qui ne le mettoit pas moini au-dessus du reste des Macédoniens, que son tróne même , applaudissoit a ces discours. II ordonna donc une fêre ec fic un festin avec une pompe très-grande , oü il convia les plus grands seigneurs de sa Cour , tanr Macédoniens que Grecs er les plus qualifiés d'entre les Perses; il se init a table avec eux, er après y être demeuré quelque rems, il feignit de se rerirer, er se cacha , dit-on , derrière une tapisserie pour érre rémoin de rour ce qui se passeroir. Alors Cléon prit la parole , et s'étendit forr sur les louanges du roi; il fit un long dénombremenr des obligations quon lui avoir , qu'ils pouvoienr , disoit-il, reconnoitre er payer a peu de frais avec deux grains d'eneens seulement , en le reconnoissanr pour dieu, puisqu'aussi-bien ils le croyoienr tel; il cita 1'exemple des Perses , et ajouta que si les autres faisoient difficulté de rendre cette justice au mérite d'Alexandre, il étoit résolu de commencer er de 1'adorer dès qu'il entreroir dans la salie , mais qu'il falloit cependant que tous en fissent de même et principalemenr ceux qui faisoient professipn de sagesse , qui devoient donner  d'Alexandre le Grand. Liv. XVI. xti ; aux autres 1'exemple de la vénérarion qui éroit due a ' un si grand roi. On voyoir bien que ces demières paroles s'adressoienr a Calisthènes, dont la franchise et la liberré déplaisoient a Alexandre, comme si lui seul eüt empêché les Macédoniens de lui rendre les honneurs divins ; c'éroir un parenr d'Arisrore qui 1'avoit donné a Alexandre, son élève , pour 1'accompagner dans la guerre de Perse sa sagesse et sa gravité le faisoient regarder comme la personne la plus propre a lui donner des conseils capables de 1'empêcher de tomber dans les excès oü son naturel bouillanr er sa jeunesse le porroienr ; mais ce philosophe n'avoir poinr les manières douces et insinuantes de la Cour; il ne connoissoit point de milieu ni un certain tempérament entre une lache complaisance et une roideur inHexible, effer naturel d'un esprir vain er particulier qui veut toujours que son senrimenr 1'emporre : que deviendroit un monde composé de reis hommes ? Aristote avoit inutilement tenté d'adoucir son humeur 3 et prévoyant les suites que pouvoit avoir cette liberté brusque; il lui rappelloit souvent ce vers d'Homère: La liberté , mon fils , abrégera tes jours. Ce philosophe dans 1'occasion donr il s'agit, voyant que personne ne vouloit répliquer , er que chacun avoit les yeux sur lui j rinr ce discours oü il n'y a cependanr rien d'outré ni qui ressente la dureté de son caractère : Si le roi eut été présent au discours que tu viens de faire , nous ne serions pas obligés de te répondre; il t'auroit interdic lui-même.et n'auroirpas souffert que tu le pottasses a ptendre des coutumes barbares , en rendant odieux sa personne er sa gloire par une si indigne flarrerie; mais puisqu'il esr absent je re répondrai pour lui , que les fruits précoces ne sonr  l6i Histoire pas de durée, et que pensant lui donner les honneurs divjns , tu es le premier a les lui ravir ; il faur du tems pour que tout le monde le regarde sincèrement comme un dieu , et c'est un tribut que les grands hommes ne recoivent que de la postérité. J'estime Alexandre digne de tous les honneurs qu'un morrel peut recevoir; mais il y a de la différence entre le culte des dieux et celui des hommes; le premier comprend les temples, les vceux et les sacrifïces; le second se borne a de simples louanges et a des hommages de respect; nous saluons ceux-ci et tenons a la gloire de leur rendre soumission , obéissance , fidélité ; mais nous adorons les autres , nous leur consacrons des fêtes et chantons a leur gloire des hymnes et des cantiques. Le culte même des dieux est différent a proportion de leur dignité ; les hommages que 1'on rend a Castor et a Pollux, ne sont pas semblables a ceux que 1'on rend a Hercules et a Jupiter. II ne faut donc pas en confondant tout, ni rabaisser les dieux a la condition des mortels , ni élever un morrel a la condition des dieux. Alexandre entreroit dans une juste indignation, si 1'on rendoit a un autre les hommages qui ne sont düs qu'a sa personne sacrée; devons-nous moins craindre celle des dieux , si nous communiquons leurs honneurs a des mortels ? Notre prince est fort au-dessus des autres , je le sais, c'est le plus grand des rois et le plus glorieux des conquérans ; mais c'est un homme et non un dieu. Pour avoir ce titre , il faut qu'il ait dépouillé ce qu'il a de mortel , et nous avons bien intérêt de souhaiter que cela n'arrive que le plus tard qu'il se pourra. Les Grecs n'ont adoré Hercule qu'japrès sa mort et lorsque 1'oracle 1'a commandé. On nous cite 1'exemple des Perses, mais depuis quand les vaincus font-ils la loi aux vainqueurs ? A-r-on cublic  d'Alexandre le Grand. Liv. XVI. 16 5 qu'Alexandre a passé i'Hélespon,t pour assujettir 1'Asie a la Grèce , et non la Grèce a 1'Asie i On écoutoit Caïisthène vclontiers comme le protecteur de la liberté publique, et tous les Macédoniens ne patutent pas seulement de son avis , mais ils se déclarèrent hautement, principalement les vieillards , qui ne pouvoient soüftif ces nouveautés aussi ind.gnes que barbares. Le roi qui avoit tout enrendu , voyant cette division , fit dire a Agis et a Cléon , que sans msisrer davantage , il se contentoit qua son retour, les Perses se proternassent selon leur eoutume. Bientót après il rentra fcignant d'avoir été occupé a quelque affaire importante. Dès quil parut , les Perses ladorèrent et Pclispercon qui se trouva auprès de ui, voyant que 1'un d'eu:; a force de s'inelmer , touchoit du menton contre terre , U ?të en se moquant % de frapper encore plus fort. Alexandre vivement piqué de cette raillerie , le jetta par terre si rudement, qu il romba sur le visage, et i\ lui du en lmsulrant: pourquo, fais-tu donc la même chose que tu blames dans les autres > II le fit mettre en prison , mais il lui pardonna clans la suite; il n'en fut pas de même de Caïisthène. Après la cérémonie de 1'adoration , il pnt une grande coupe et la donna pleine aux convives > qui après avoir bu alloicnt embrasser le prince. Quand le rang de Caïisthène fut venu , il prit ia coupe pendant qu'Alexandre parioit a Ephestion , er après avoir bu, il s'approcha du prince pour 1'embrasser ; mfl£ d detourna la tere et lui refu?a eep marqué damme. Caïisthène dit tout haut en se reriranr,;il faut bien se consoler de la perte d'un baiser.' -Alexandre s offensa plus/de cette réponse que de ce qu'il avoir dit pendant son absence , et.il.ne chercha quun prétexte pour sen veneer indirectement., d'autanr plus. indisposé contre U 4  264 Histoire lui , qu'Ephestion lui avoit dit que Caïisthène lui avoit donné sa parole qu'il 1'adoreroit , en se prosrernanr. On lui rapporta ensuire que ce philosophe s'enfloir de cette action , comme s'il avoir détruir la tyrannie; qu'il se faisoit suivre de roure la jeunesse, qui lui confioir rous les sujets de plainte qu'elle pouvoit avoir contre Alexandre. LIVRE XVII. -L'occasion de satisfaire sa vengeance ne tarda pas a se présenter. Hermolaus, undes pages qui nequirroient jamais la personne du roi, 1'accompagnant a la chasse appercut un sanglier qui venoit a lui, il lui lan^a son javelot et le couchapat terre. Alexandre piqué d'avoir éré prévenu , s'abandonna a sa vivaciréer le fir rudement punir. Hermolaus s'en plaignir a plusieurs de ses amis qui résolurenr dele vengerdecetaffronrerdepoignarder Alexandre, la première nuir qu'ils se rrouveroienr de garde. Un mois s'écoula avanr que leur rour fur venu; ce délai donna lieu au repentir d'un des conjurés ; il eut horreur de son crime , er vinr découvrir a Alexandre le nom des complices , sans faire cependant menrion de Caïisthène mais d'autres gens plus ofïïcieux vinrenr lui dire que dans les discours dont Caïisthène cntretenoit la jeunesse, il leur disoir qu'ils devoient songer qu'ils étoient des hommes faits ; qu'un jour Hermolaus se plaignant de lui a Caïisthène, lui demanda comment il pourroit devenir le plus célèbre d'entre les hommes; que ce philosophe lui répondit: en tuant celui qui esr le plus célèbre ; et que pour exciter quelquefois Hermolaus , il lui discir de ne point reclouter 1'éclat et  £ Alexandre le Grand. liv. XVII. 16$ rappareil qui environnoit Alexandre , puisqu'il n'auroit affaire qui un homme donr la nature n'étoitpas meilleure que la sienne. Alexandre fir arrêrer aussi-tör rous les complices er avec eux Calisrhène. Le lendemain on assembla le conseil de la narion oü 1'on fir paroitre les conjurés a 1'exception du philosophe; Alexandre les inrerrogea rous mais ces jeunes gens saisis de crainre , ne purenr iui répondre. II n'y eur qu'Hermolaus qui lui dir : j'ai artenré a ta vie, je ne m'en repens point, paree que tu nous as rraitré en esclaves er non en gens bbres. Sopolis son père, voyanr sa hardiesse, lui mit la main sur la bouche er vouloit 1'empêcher de parler, lui donnanr tous les noms que sa colère lui suggéroit pout lui remontrer 1'atrocité de son parricide. Le roi 1'arrêta et dit a Hermolaus : apprends nous un peu ce que r'a enseigné Caïisthène. Je le veux bien , lui dit ce jeune homme, qui lui fit un discours plein de hardiesse er d'invecüves. Les assistans étoient outrés de son insolence, son père tira son épée et alloit le tuer si Alexandre ne 1'eüt empêché et ne i'eüt prié de prendre patience , et il ordonna a Hermolaus de continuer. Dérerminé a la morr, il reprocha a Alexandre de rraiter les Macédoniens comme un mairre barbare feroit des esclaves , sans épargner ni leur honneur ni leur vie. Montre-nous > lui dit-il, Artalus et Philothas ; montre-nous , Parménion „ Leincestes et 1'infortuné Clitus. C'est-la , Macédoniens , toutes vos espérances; vous périssez malheureusement, si vous ne voulez pas vivre en esclaves, er pour route récompense du sang que vous avez versé , vous n'emporrerez dans vorre parrie que des blessures, tandis que le tyr?.n élevé sur des monceaux d'or et d'argenr, se fera adorer er verra fléchir le genou du Perse qu'il a vaincu et dont il n'a  i66 Histoire pas honte d'adopter les mceurs et les coutumes. Tu dédaignes Philippe pour ton père ; tu abhorres la discipline de tes ancêtres; ne sois donc pas éronné que des hommes hbres ne veuillent plus souftrir ton orgueil et tes dédains. Nous voulions t'óter de devant nos yeux en t'arrachant la vie ; mais puisque nous ne le pouvons plus, fais- nous mourir au plutot , et nous aurcns le même avantage. II demanda que Ton fit parler Caïisthène et que tous ses proches fussent exempts du supplice cü la eoutume des Macédoniens les eaveloppoit. Le prince pour se justifier de tous les reproches d'Hermolaus, répondit a 1'assemblée : Dois-je m'étonner que ce réméraire m'accuse de cruauté , puisqu'il a bien le front de me taxer d'avarice ? Je ne vous demande point de prendre ma défense; mais jettez les yeux sur les corps des Macédoniens et vous verrez la différence de leur ancien état a celui d'aprésenr. Combien n'avoienr autrefois que leurs armes et couchent aujourd'hui dans des lits d'argent , dont la table n'est servie qu'en vaisselle d'or , qui trainent des troupes d'esclaves après eux et que leurs richesses embarassent! elle fair dire, cette abondance, que j'introduis les mceurs des barbares dans une nation qui en avoit horreur. II me reproche que je donne des honneurs aux Perses que j'aivaincus. N'est-ce pas un témoignage de modération , puisque je ne leur fais sentir mon empire que par ma douceur? Sui-je venu dans 1'Asie pour en détruire les narions et pour rendre déserte cette moitié de 1'univers ? n'est-ce pas plutót pour y faire hénir mes victoires et mériter leur affection par ma douceur ? c'esr ce qui fait le plus ferme appui de vos conquétes; ils s'unissent présentement avec vous , épargnenr votre sang en versant une partie du leur pour détruire vos ennemis. Si nous trouvons chez eux des coutumes dignes d'être imi-  d'Alexandre le Grand. Liv. XVII. 167 rees, devons-nous rougir de les prendre 3 non certes. Peur-on régir un si grand empire sans leur commumquer quelques-uns de nos usages > De même pouvons-nous nous dispenser d'adopter quelques-uns de leurs > Adoucissons leur servitude par la douceur de nos loix. Adoptons leurs courumes pour en faire des amis et non des esclaves. Admirez-vous Hermolaus, lUuroit voulu que je m'opposasse a Jupiter, lorsqu'il m a appellé son fils. Suis-je maitre de la parole des dieux > puis-je captiver leurs oracles ? II m'a honote de ce nom , je 1'ai recu pour donner du poids a vos armes; plüt aux dieux que les Indiens en russent convaincus! bientót vous les verriez soumis, venir vous reconnoitre pour leurs maïtres. Pensez-vous encore que 1'amour du luxe est ce qui m'a poussé a enrichir vos armes > eut-il mieux valu faire de eet or et de eet argent les instrumens du plaisir et de la debauche , que les instrumens de vos victoires ? L on scsura que lor et 1'argent ne sont pas capables de nous séduire, et que nous n'avons un cceur sensible qu'a la gloire de dompter 1'univers. C'est cette gloire, parricide , que tu voulois enlever aux Macédoniens en m'ótant la vie , et les laissant sans ressources exposés a mille pertes au milieu des barbares et des nations vaincues. Ne crains rien pour tes proches, il y a long-tems que j'ai aboli la sanglante eoutume d'envelopper 1'innocent avec Ie coupable. Toi tu périras seul avec ton Caïisthène , que tu aurois voulu que je fisse paroitre ici, pour me répéter en face et au milieu de cette assemblée , les injures que tu m'as déja dites j je 1'eus fait s'il eut mérité d'y entrer; mais un Olynthien ne doit pas joui: du privilege des seuls Macédoniens. A peine eut-il fini, que le peuple alloit se jsttet sut les coupables et sur leurs parens que leurs loix enveloppoienr  i68 Bisioïrt dans leur condamnation. Alexandre les arrèra er fit merrre les coupables en qucsdon ; dans la rigueur des rourmens , aucun ne déposa contre Caïisthène , qui fut cependant aussi exécuté avec eux. Des histcriens, témoins de sa destinée, déposent qu'il avoit inspiré a Hermolaus de poignarder Alexandre , et 1'on ne voir pas qu'il airproresté de son innocence. Alors il n'auroir recu que le supplice d'un parricide. Mais le plus grand nombre ne douta point qu'il n'eüt éré sacrifié a 1'aversion qu'Alexandre avoit pour lui, a cause de la sévériré de son caractère. C'étoit d'ailleurs un homme vraiment philosophique par la rigidité de son esprit et 1'étendue de ses connoissances j et sur-rour par une haine déclaié de route dissimulation er de toute flatterie ; il se trouvoit rarement a la table du roi, quoiqu'il y fut fréquent ment invité et qu'on obtenoit de lui d'y venir. Son air triste er taciturne , étoit une improbation ouverte de tout ce qui s'y disoit, et parmi tant d'hommes qui environnoient Alexandre , il étoit le seul qui eüt le courage de lui dire la vérité. Ainsi rien n'a tant deshonoré la mémoire d'Alexandre que la morr injuste de ce philosophe ; il n'esr poinr de plus grande rache dans sa vie; il met par-la tous les gens de bien hors d'état de lui représenter rous les véritables intérêrs de sa gloire^ Depuis ce moment, on n'entendit plus dans les conseils aucune parole libre. Ceux-mêmes qui avoient le plus de zèle peur le bien public et pout sa personne, se crurent dispensés de le détromper. La flatterie seule désormais écoutée , prit sur lui un ascendant qui acheva de le corrompre et le punit justement d'avoir sacrifié le plus homme de bien qu'il eüt a sa suite, a la folie ambition de se faire adorer. Pöur ne point laisser aux soldats le tems de murmurer ,il marcha vers les Indes. En dix jours de marche,  d'Alexandre le Grand. Liv. XVII. il sortit de la Bactriane, rraversa le mont Caucase , et vint dans la ville d'Alexandrie , qu'il avoir fair batir. En enrranr dans ce pays , il cassa le gouverneur qui opprimoir les citoyens, répara le rorr qu'il leur avoit fair er mir Nicanor en sa place. De-la , il vinr a Nice on il fir de grands sacrifices a Minerve , déesse de la guerre et de la sagesse. Se confianr en sa protection } il avance jusqu'au fleuve Cophes er envoye des héraulrs devant lui pou* sommer les peuples de venir le reconnoitre avant qu'il ait mis le pied dans leurs érars , avec une armée relle qu'ils n'en avoienr point encore vue. L'esprit de paix er d'équité qui régnoir dans ces provinces , n'y faisoit eftetivement presque jamais enteodre le bruir des armes. Intimidés par le récir des forces er de la résolution d'Alexandre, la pluparr de ces princes vinrent se soumettre au vainqueur de 1'Asie et te reconno'irre pout leur souverain. Le roi les recut fort humainement, leur commanda de 1'accompagner er de lui servir de guides. Comme il ne venoit plus d'Indiens faire leur soumission , Alexandre envoya Ephesrion er Perdiccas avec une parrie de ses rroupes, pour réduire ceux qui ïefuseroient d'obéir. II leur ordonna aussi d'aller jusqu'a 1'Inde er de préparer des bareaux pour faire passer son armée. Comme il falloit traverser plusieurs rivières ils firenr consrruire ces bareaux de rell» sorte, qu'on pouvoit les démonter et en charger les pièces sur des chariors. II envoya Cratère d'un autre cóté avec la Phalange, et prit avec lui la cavalerie et les soldats, armés a la légère. Les Aspiens les Myréens er les Arrasaciens , petits rois des environs du fleuve Chouspe, osèrent venir k la renconrre d'Alexandre. Ce prince les ayanr appergu au-dela du fleuve, il le passa avec *a cavalerie er huit cents hommes de 1'infanterie Ma-  ïja Histoire cédonknne. La promptkude avec laquelle il courok a eux , effaya ks barbares er les lit retirer dans une de leur ville située au milieu des montagnes. Le roi les y poursuivit et les trouva rangés en bataille au pied de leurs murs : on en vint aux mains et ils furent obligés de reculer et de rentrer dans leur place; elle étoit envkonnée d'une doublé enceinte , dont la première fut bientót forcée.' Tandis qu'Alexandte examinok de quel cöté il forceroit la seconde j il recut un coup de flèche qui le blessa légèrement; Prolemée et Léonate eurent le même sort. Animé par la perte de son sang il appliqua toutes ses machines a ce dernier rempart, fit saper d'un cöté pendant que de 1'autre, par le moyen des echelles et des tours , on forca le rerranchement; les asssiégés désespérèrent de tenir davantage, ils sortirent en foule er gagnèrent les montagnes -y un détachcment des Macédoniens les poursuivit et les tailla en pièces ; ceux qu'on fit prisonniers furent passés au lil de 1'épée et la place réduite en un monceau de ruines. Cratère , de son cöté} s'étant rnis en marche, Astes roi de la Peucelaotide, voulut faire résistance et s'enferma dans sa capitak; il s'y défendit pendant trente jours avec une ardeur infatigable et il y perdit enfin son royaume et sa vie. Cratère subjugua ensuite les peuples voisins , et tandis qu'il y étoit occupé. Alexandre marcha vers Nysé et vint camper devanr une forêt qui en déroboir la vue. II s'éleva pendant la nuit un vent si froid, qu'ils n'en avoient point encore senti de pareil; mais heureusen-.enr le remède étoit sous leurs mains: ils abbatirent grand nombre d'arbres er y mirenr le feu , ce qui soulagea I'armée , mais la fit découvrir de la ville, car le vent violent portant au loin la Hamme et les étincelks, mit le feu a quelques monumens anciens de bois de cèdres qui servoient de tombeaux. Les habitans  £ Alexandre. le Grand. Liv. XFIT. iji aussi-tot firent une vigoureuse sortie pour repousser l'ennemi qui les fit bientöt rentrer dans leur ville. Cette mauvaise réussite mit la division dans la ville; les uns étoient d'avis de se rendre, les autres de renirbon; les déserteurs en informèrent Alexandre, qui se contenta de les bloquer. Les assiégés ennuyés de se voir resserrés; convinrent unanimemenrde se rendre et envoyèrent quelques députés pour obtenir une honnêre composition. Les députés ayant abordé le prince j furent surpris en voyant la sirriplické de son armure er le peu d'appareil et de cérémonie qui étoit autour de lüi; mais leur éronnement augmenta quand il eüt fait apporter un carreau et qu'il y fit asseoir a coté de lui Aclephis , le plus agé d'entr'eux. Ce vieillard admirant cette civilité, lui demanda ce qu'il vouloit qu'ils fissent pour devenir ses arms. Je veux , lui répondit Alexandre , qu'ils t'élilisent pour leur prince er qu'ils m'envoyent en ötage cent de leurs plus gens de bien. Seigneur, lui dit Aclephis, je les gouvernerois bien mieux s'ils vous donnoient les plus méchans , et a votre retour, vous trouveriez cette ville sans trouble et sans faction. Alexandre sourit et lui accorda sa demande. Cette générosité flatroir Alexandre, qui devenoit le bienfaiteur des descendans de Bacchus et d'une ville dont la tradition portoit qu'il avoit jeté les fondemens. Dans peu de jours il se rendit maitre d'une coutrée nommée Dédale , d'un autre nomrnée Acadère et de la ville d'Andraca. La frayeur avoitdispersé les habitans deceslieuxdans les montagnes, ce qui 1'obligea de changer de rilanière de combattre, et de disposer ses troupes en divers lieux , de sorte que tous les ennemis furent défaits a-la-fois; rien ne résista, et ceux qui eurenr la hardiesse d'attendre les Macédoniens, furent tous taillés en pièces. Ptolomée prit plusieurs petites villes d'emblée ; Alexandre emporta k-s  i Histoire grandes, et après avoir rejoinr roures ses troupes, il passa la rivière d'Evaspla pour descendre les Guriens er les Assaceniens , dont Assacène étoit prince er gouverneur. Au bruit de son arrivée, ils mirenr le feu a leur capirale, nommée Arigée , er se sauvèrenr dans les monragnes voisines ; Alexandre les y poursuivir er les joignir avant qu'ils fussent arrivés dans leur rerraite. Les Indiens tournèrenr tête et en vinrent aux atmes. Ptolomée, fils de Lagus, ayant appercu le général Assacene, s'avanca pour le combartre er en recur au milieu du corps un coup de javeline; mais la bonté de sa cuirasse empêcha qu'il ne fur blessé: il attaqua aussi-tor le barbare , le perca de sa javeline er le dépouilla de ses armes. Après 1'avoir culbuté a terre , une partie des Aspiens irrités de voir enlever son corps , s'assembla autour de lui, le défendit avec courage er se fir inutileme.it tailler en pièces ; le reste prit la fuite et se dispersa dans des lieux escarpés. Alexandre n'ayant pu profiter de leurs richesses que la flamme avoir consumées, ne voulut pas en laisser perdre la source qui venoir pour la plus grande partie de la fertilité de leurs campagnes-, il ordonna a Cratère de rebatir leurs villes, er laissa pour la peupler, les soldars que la fatigue et leur blessures empêchoienr de suivre. Cependant les barbares se réunirenr er s'excitant a la vengeance, osèrent venir présenter la bataille a Alexandre ^ le prince les sachant animés de fureur et de désespoir, réunit toutes ses troupes et accepta le combat qu'ils lui offroienr. Le combat fur des plus sanglans •, malgré 1'avantage que leur donnoit le champ de bataille d'ou ils commandoient 1'eanemi, ils furent défaits et périrent au nombre de 40,000. La bonré de leurs parurages avoir rendu leurs troupeaux si gras er en si grande abondance , qu'on y rrouva 20,000 bceufs , donr Alexandre fit conduire une partie en Macédoine pour en donner 1'espèce.  d'Alexandre le Grand. Liv. XVII. 2.73 1'espèce. Assacene ayant été tué comme on 1'a vu , sa mère Cléophes prit les rênes de ses états, continua la guerre et donna ses otdres avec beaucoup de sagesse. Dès qu'elle eüt appris qu'Alexandre avoit passé la rivière de Guréej elle rassembla 30,000 hommes , en envoya 7000 pour 1'arrêter et se renferma dans Mazaga-, 1'arr et la nature avoient également contribué aux fortifications de cette place. A 1'Orient, elle étoit défendue par un torrent rapide et impraticable, dont les rives étoient très-escarpées. A 1'Occident et au- Midi, étoient de hautes montagnes qui la mettoient a 1'abri. Dans les vallons, étoient des cavernes que les eaux avoient creusées; les endroirs oü elles laissoient un passage , étoient coupés par des fossés; les murailles d@ la ville avoient une lieue et demie de tour , le bas en étoit de pierres, et le haut d'une terre préparée, soutenue par des chaines de pierres de distance en distance. Alexandre ayant passé le fleuve Gurée avec quelques troupes, appercut les 7000 hommes de Cléophes; il feignit d'être intimidé et recüla jusques sur les montagnes pour les y attirer et les éloigner d'avantage de la ville. La il les attaqua, les chargea avec fureur, les mit en fuite et les poursuivit jusqu'aux portes de Mazaga. Alexandre n'ayant pu y entrer , fut obligé d'en entreprendre le siége et de combler a force de pierres et de bois, les gouffres qui en faisoient les avenues. La mulritude er 1'ardeur des soldats abrégèrent 1'ouvrage , er le neuvième jour on dressa les tours et les machines au pied des 11411':. Pendant qu'Alexandre examinoit les forrifications , il recut une flèche qui lui perca le gras de la jambe; il arracha aussi-tót le fer, et sans bander la plaie, i! monta a cheval et continua de visiter les rravaux; mais comme il avoit la jambe pendante et que le sang , fïgé autour de sa plaie, en augmenroit la douleur : Voila, dit-il Tome VI. S  1174 Histoire a ses amis , un véritable sang qui soit de ma plaie , et non point cette liqueur divine, qui, selon Hömère, coule des plaies des bienheureux iramortels ; néanmoins il ne quitta point les travailleurs , et après avoir loué leur diligence , il fit tirer ses traits pour nétoyer le rempart. Rien n'effrayoit davantage les barbares que ces tours d'uns hauteut démesurée qui sembloient se mouvoir d'elles-mêmes. Ils croyoient qu'elles étoient conduites par les dieux, et que ces béliers qui abbatoient les murs, et ces javelots lancés par des machines qui étoient nouvelles pour eux , ne pouvoienr être 1'efTet d'une force humaine. Néanmoins une brêche considérable ayant été faite, ils chargèrent si violemment les Macédoniens qui montoient, qu'Alexandre fut obligé de sonnet la retraite. Les jours suivans se passèrent en différentes attaques de part et d'autre sans aucun avantage décisif; mais ayant perdu un de leurs meilleurs officiers , Alexandre leur parut un ennemi invincible; ils se retirèrent dans la citadelle, ou ils obtinrent une honnête capitulation , a condition que les troupes auxiliaires dont il avoit admiré le courage , pvendroienr parti dans ses ■troupes. Après que les articles eurent été arrêtés, la reine Cléophes vint au-devant de lui avec toutes les dames de sa cour , qui lui apportoient du vin en sacrifice dans des coupes d'or. Dès qu'elle fut devant Alexandre , elle se jetta a ses pieds et le pria de lui conserver les marqués de son ancienne dignité. Alexandre touché de ses malheurs, et encore plus de sa beauté, la releva et la rétablit dans ses états; elle en eut un fils a qui elle donna le nom de son père , et qui régna dans la ville de Mazaga. S'il en faut croire quelques voyageurs, il y a encore aujourd'hui dans une province de ce pays nommé Balascir , des rois qui se vantent de ürer leur origine d'Alexandre.  d'Alexandre le Grand. Liv. XFÏL. 17ƒ Autant cette capitulation étoit avantagetise a la reine li et aux habitans de Mazaga, autant les troupes auxiliaires j avoient-elles sujet de s'en plaindre •, devenues la seule victime des uns et des autres , elles demandèrent a Alexandre de camper en particulier, le piince le leur acj corda, On vint lui dire pendant la nuit qu'elles avoient I formé le dessein de se sauver, il les fit aussi-tót investir, et les faisant charger, il les fit toutes passer au fil de 1'épée. De-la il envoya polispercon vers les villes d'Ore et de E-asira, croyant que la crainte de son courroux ou la douceur dont il avoit usé envers ceux de Mazaga, les obligeroient de se soumettre; son espérance fut trompée, 1'une et 1'autre ferma ses portes et il fut contraint d'y aller en personne. Ore ne tint pas long-tems contre lui, et les Basiriens ayant appris sa ruine, Se refugièrent au milieu de la nuit sur un rocher que 1'on nommoit Aorne , et qu'Hercule autrefois , dit-ori , n'avoit pu forcer. Ce roe s'élève en forme de bure, et étant fort large pat en bas, il va en se rétrécissant jusqu'au haut, et se termine en pointe. Le fleuve Indus, dont la source n'est pas éloignée de eet endroit, a des lives droites et élevées; et de 1'autre coté, il y a de grandes fondrières qu'il falloit se résoudre de remplir , si 1'on vouloir prendre la place. II se trouvoit heureusemeht tout pres de-la une foret, le rei en fir abbatre des arbres et en jetta luimème le premier. A cette vue, toute I'armée poussa un cri d'allégresse et tout le monde rravailloit avec une ardeur incroyable; 1'ouvrage fur acheve en sepr jours , et 1'on songea au moyen de gagner le sommet du roe. On ne fut point d'avis que le roi s'y hasardat lui-même, le péril paroissant trop évident-, mais tout ce qui étoit obstacle , résisranee ou opposition , avoit pour lui des at'traiti insurmontables. A uenae la tromperte eut-eile S x  ij6 Histoire sonnée , que ce prince, qui n'étoit pas maitre de son Cöurage, ordonnaa ses gardes de le suivre et fut le premier a grimper sur la roche: pour lors elle ne parut plus ihaccessible , er tout le monde 1'y suivit. Jamais péril ne fut si grand , mais ils étoient tous déterminés a vaincre ou a périr. Plusieurs romboient«des rochers dans la rivière, qui les rngloutissoit dans ses gouftres; les barbares rouloient de gtosses pierres sur ceux qui étoient le plus avancés, qui sans cela avoient encore bien de la peine a se sourenir sur un penchant si roide. Carus et Alexandre, deux des plus braves officiers de I'armée, étoient cependant aux mains avec les barbares, mais ils recevoient plus de blessures qu'ils ne pouvoienr en donner. Le dernier fut tué en donnant des preuves d'une valeur digne du nom qu'il portoit. Carus se jetta aussitöt sur les barbares pour le venger, en sacrifia plusieurs aux manes de son ami, et tomba enfin sur son corps sans torce et sans vie. Le tpi vivement afBigé de la perte de tant de braves soldats, fit sonner la retraite. Cependant, quoiqu'il eut perdu presque route espérance de prendre la place par force, et qu'il eüt résolu d'en lever le siège, il fit mine de vouloir encore le continuer ; il fit investir le roe, fit avancer les rours et les autres machines , et leur livroit quelquefois de petits combats. Les Indiens, comme pour lui insulter, se mirent a faire grande chère pendant deux jours et deux nuits, faisant retentir le roe er tout le voisinage du bruit de leurs trompettes et de leurs cymbales; mais le troisièrne jour tout Ie bruit cessa , et 1'cn fut étonné de voir le roe éclairé par-tout de flambeaux. Le roi apprit que les Indiens le voyant persévérer dans le siège, avoient pris la fuite et avoient allumé ces Hambeaux pour se conduire plus aisément dans ces précipices pendant 1'obscuriré de la nuit. Toute 1'armee jetta aussi-tót, par son ordre, de  d'Alexandre le Grand. Liv. XVII. 277 grands cris, qui remplirent les fuyards d'une telle épouvante, que plusieurs croyant voir lennemi, se précipitèrent du rfaut des rochers et périrent misérablement. Alexandre devenu maitre du roe par un bonheur inouï et qui tenoit du prodige , en rendit graces aux dieux et leur ofFric des sacrifices. II rentra ensuite dans la province d'Assacène et marcha vers Embolime, mais il trouva sur sa route un nouvel ennemi nommé Erice ou Aphrice, qui vint avec 20,000 hommes et quinze éiéphans lui disputer 1'entrée de sa province, Alexandre laissa le gros de son armée a Ccenus er prir seulement ses archers et ses frondeurs ; il fondit sur ces Indiens avec une telle impétuosité , qu-e du premier choc ils lachèrent henteusement le pied. Effrayés de cette déroute, ils proposèrent a leur chef de se rendre a Alexandre, dont il avoit a craindre le ressentiment et la vengeance , s'il', persévéroit a lui résister. Eryce s'y opposa de toute sa force et protesta qu'il renonceroit plutot a la vie. qu'a sa liberté. Ses sujets ne voulant pas être tes victimes de son obstination , 1'attaquèrent personnellement et lui coupèrent la tête qu'ils portcrent au roi de Ma-, cédoine. Cette action déplut a Alexandre, qui les recut trés-mal, mais il se contenta de les laisser sans récompense pour ne point autotiser un exemple si dangereux. Taxile, prince sage et prudent, possédoit entre 1'Inde ' et 1'Hydaspe un royaume très-grandlt des plus fertiles, Alexandre ne devoir pas tarder a entrer'dans ses prats', c'est pourquoi il alla le rrouver , et 1'ayant salué , il lui dit : Grand prince, est-il nécessaire de nous faire réciproquement ia guerre et de répandre le sang" de nos sujets, si tu n'es point venu pour nous enlever les choses nécessaires a la vie ? car il n'v a que ces  27 8 Histoire seuls motifs qui puissent forcer les hommes a prendre les armes et a se défendre jusqu'a 1'exrrémiré. Si je suis plus riche et plus avantagé que toi , je consens de te faire part de mes richesses; er si je le suis moins que toi, je ne refuse pas ce qu'il te plaira de me donner. Le roi,.gagné par cette franchise, lui dit. en 1'ernbrassant : pense-tu donc, Taxile, que par ces discours et grandes marqués d'amitié nous nous séparerons sans coinbats ? non sans doute , je prétends disputer contre toi , mais ce sera en bienfaits; il ne sera pas dit que Taxile a vaincu Alexandre en générosité. Après avoir recu de lui de 1'or, des pierredes et des éléphans, il se piqua.de lui faire de plus grandsdonsj er un soir a rable, en lui présentanr la. coupe,, il lui dit: je bois a toi, et je te donne mille talens ( 30,000,000 )..Cette liberalité offensa exrrêmemenr ses amis, mais elle fir un trés-bon eflet sur la plupart.desbarbares donr elle lui. gagna les cccurs. Tour plia désormais sur sa route jusqu'au fleuve de l inde , oü il arriva en seize jours de marche. II. trouva qu'Ephesrion y avoir préparé les ponts et les bateaux qui étoient nécessaires pour faire passer I'armée. Les ratigues d'un long trajet, les rigueurs de la saison er par-dessus tout la joie d'être parvenu oü les plus fameux conquérans de la Grèce et de 1'Asie n'avoient jamais pu pénérrer, le firent séjourner un mois dans les. plaines occidenrales du fleuve, oü 1'on céiébra différentes sortes de jeux et de sacrifices en i'honneur des grandes divinités de la guerre , pour demander la conrinuatión de leurs secours; er. par les entrailles des vicrimes on reconnur que tout annoncoit des succès favorables. Sur ces a-surances Aiexandre passa le fleuve a la tête de ses soldats. A peine fut-il mis en marr dae, qu'il appercur un corps de rroupes qui venoit. a  d'Alexandre le Grand'. Liv. XVII. 279 ! sa rencontre , er des éléphans qui, mêlés parmi- les I batailions, paroissoient de loin comme des tours 5 ne : sachant qui c'étoit , il commanda a sa phalange de : s* renir prêre , fir filer sa cavalerie sur les ailes pour 1 se préparer au combat. Taxile , dans les états de qui. i ii étoit, étoit mort depuis peu , et c'étoit Omphis ,. : son fils, qui venoir au-devant d'Alexandre pour lui. i remettre ses états entre ses mains , ou pour recevoir 1 de lui le diadême qu'il n'avoit pas voulu prenire sans sa permifsion. Le prince Indien vir bien aux mouve• des Macédoniens, qu'cn le prenoit pour un ennemi ; il devanca ses rroupes et courut a toute bride vers Alexandre; ce prince, quoiqu'il ne connüt ru sa personne ni ses dispositions, en fit de même. Leur entrevue ne se passa qu'en simples civilités muettes, car comme ils ne s'entendoient ni 1'un ni 1'autre, ils furent obligés d'attendre les interprétes , et alors Omphis lui dit : Je suis venu , seigneur, avec mon armée vous remettre toute ma puissance ; j'abandonne volontiers ma personne et mon royaume a un prince qui ne sait combattre que pour la gloire , et qui ne craint rien rant que le reproche de perfidie; en même rems il le pria d'acceprer ƒ6 éléphanr, plusieurs bétes d'une grandeur monstrueuse. Le roi, gsgné par la franchise de 1'Indien , le laissa en possession des états de son père, lui permir de prendre le diadême et le nom de Taxile^ affecté a tous ceux qui succédoient a la couronne. Taxile le retint trois jours dans les plaisirs et les grands repas, lui fit présent d'une coupe d'or, en donna d'autres aux principaux seigneurs de sa cour , er ourre cela 80 talens d'argenr monnoyé. Alexandre admiranr le caracrère bienfaisanr er généreux de ce prince, pour le surpasser en tout, lui renvoya tout S 4  z8o Histoire ses dons et y ajoura i,ooo talens, ( 30,000,000 ) beaucoup de vaisselle d'or er dargent pour le service de sa table, plusieurs robes a ia persienne, tien te chevaux enharnachés, comme ceux qu'il monteur, Cette libéralité oftensa encore les courtisans d'Alexandre, et Méléagre, un peu pris de vin, lui dit a soupé qu'il se réjouissoit avec lui de ce qu'il avoit enfin trouvé aux Indes un homme digne de mille talens. Le souvenir qu'eut alors Alexandre du chagnn qu'il avoit eu d'avoir puni lui-méme 1'indiscréiion de Clitus , le retint en cette occasion toute semblable; il se contenta de lui dire : Méléagre, les envieux sont eux-mêmes leurs propres bourreaux. Le sang des Taxiles n'étoit pas seulement illustre par le rröhe qu'ils occupoient depuis bien des siècles; les Erachmanes étoient de la méme familie, et avoient chez les Indiens des privileges encore plus grands que les Mages en Perse. La vie de ces philosophes étoit des plus extraordinaire; presque toujours. nuds, ils n'habitoient jamais sous des roirs ; ils enseignoient rimmorfaliré de 1'ame et plusieurs choses fort relevées pour des gens qui demeuroienr parmi des peuples sans sciences et sans lettres. Comme Alexandre marchoit a la rête de son armée, il rencontra quelques-uns qui s'entretenoient ensemble dans une prairie; un d'enx , autorisé par son grand age et son air vénérable, appercevant Alexandre , frappa pendant quelque tems la terre de son pied, donnant a enrendre qu'il ne le faisoit pas sans dessein. Le roi lui demanda ce qu'il vouloit faire enrendre par ce geste ; il lui répondit: Songe, prince, qu'aucun ne posséciera pas plus de terre que 1'étendue de son corps ne pourra en occuper; tu voudrois, par tes conquêres, te soustraire a la loi qui cesserre les mortels, mais enfin tu mourras et ton em-  £ Alexandre le Grand. Liv. XFII. 1*8 i pke ne s'étendra pas au-dela des bornes étroites de ton tombeau. Alexandre convint qu il avoit raison, mais emporté par le torrent de sa gloire , il faisoit le contraire ce qu'il approuro.it. Un autre le reprir encore un jour sur cette passion de coürir le monde ; il y avoit par-terre un cuir de bceuf fort sec, et mettant le pied sur 1'une des extrêmités, il fit soulever toutes les autres; il fit ainsi le tour du cuir et la même chose arrivoir de rour cöté •, enfin s'étant mis au milieu , il tint le cuir en état et également abaissé par-tout, pour faire voir au conquérant qu'il devoit résider au centre de ses états et ne pas s'en éloigner par de si grands voyages. Alexandre envieux d'apprendre le détail de leurs mceurs et de leurs courumes, manda quelques-uns de leurs principaux dpcteurs, mais aucuns ne voulurent venir. Le prince ne jugeant pas qu'il fut de la justice de les forcer a venir, ni de sa dignité d'aller les trouver , il leur envoya le philosophe Onesicrite, disciple de Diogène le Cynique. II en trouva quinze, non loin de la ville, dans un endroit oü ils se retiroient pendant le jour, pour converser et réfiéchir plus librement; la plupart non vêtus et tous dans des attitudes dirfèrentes, exposés aux iniures de 1'air, comme ils 1'étoient! pendant toute 1'année quelques rudes que fussent les saisons. II s'adressa a Calanus, 1'un des plus anciens , et lui dit qu'A4exarwlre 1'avoir envoyé pour s'instruire de leurs usages et de leur doctrine. Ce Brachmane, a la vue de sa coeffure, de sa longue robe et de ses souliers , se mit a rire, et lui dit : Dans les premiers ages du monde, la terre naturellement fertile donnoit de tout en abondance , le bied étoit aussi commun que la poussière 1'est aujourd'hui; il y avoit des fontaines d'eau pure, de lait, de nüel ,  Histoire d'huile, de vin; mais les hommes engraissés de ce? biens abusèrent de eer heureux écar, et passèrent de linnocence a roures sortes de crimes. Jupiter irrite de la dépravation de leur ccsur, recira- ses faveurs er les condamna a passer leur vie dans le peine et le travailIls smstruisirent dans la misère, et a mesure que la vertu renaissoir, les dieux commeneèrenr a renvoyer 1'abondance : mais a présent il paroit que le vice qui semble prendre le dessus, va faire disparoitre cette fehcité et va pbnger l"homme dans ses anciens malheurs. Au reste, ajouta-t-il, j'admire ron maitre, et je le trouve d'autant plus digne de louanges, qu'il esr le seul guerrier que nous ayons vu avoir de 1'amour pour les sciences. Heureux le prince donr la sagesse fait le modele et la loi de ses peuples ! il est rare qu'ils ne deviennenr aussi sages que lui, son exemple les enrraine.. ; /Près cet entretien, Onesicrite s'adressa a Mandane; c'étoit le plus ancien et comme le supérieur dé la troupe:. il témoigna beaucoup d'estime pour Alexandre, mais il ne comprenoit pas quelle raison avoit pu porter Alexandre a faire un si long et si pénible voyage, ni ce qu'il venoit chercher dans un pays si éloigné. ; Onesicrite les pressa 1'un et 1'autre de quitter la tie dure qu'ils menoient et de venir se joindre a la suite d'Alexandre , en qui ils trouveroienr un protecteur généreux er bienfaisant , qui les combleroit de toutes sorres de biens er d'honneurs. Alors mandane prenant un ton fier et de philosophe : tout ce qu'il m'orTre ne me touche point, dir-il; va dire a ton maitre que je n'ai pas besom de lui ; je suis content de mon a'ntre er de ces feuilles qui me servent de lit; les herbes du voisinage me surfisent pour ma nourriture, er les dvières «nr assez d'eau pour érancher, ma -  d''Alexandre le Grand. liv. XVII. 283 soif; je suis sans besoin , sans desir et sans crainte; il peur, s'il veut, nvórer la vie, mais il ne détruira point mon ame; dégagée du poids er des liens de son corps, elle rerournera vers celui qui 1'y avoit renfermée, et qui la. vengera des outrages qu'elle aura recus.. Calanus se montra plus traitable, et mahré les défenses er les reproches de son supérieur , il se rendir a la cour d'Alexandre , qui le recut avec de grandes. démonstrations de joie ; mais ayant une extréme envie de voir Mandane , il se rendit auprès de ce Brachmane, le saiua gracieusement, le loua sur sa maiuère de penser et le pria de lui expliquer sa doctrine. Je le ferai volontiets, lui dit Mandane , car la sagesse de Dieu aime a se communiquer. II lui dit qu'il n'adoroit qu'un Dieu , qu'il croyoit a 1'immortaliré et a la transmigration des ames ; il finit par lui représenter tous les dangers oü il s exposoit avec les siens, par sa vaste ambition, qui le portoit a envahir 1'univers. Renonce, lui dit-il, a tes vains projets, renferme tes desks dans Les botnes étroites du simple nécessaire,. demeure parmi nous j et renonce pour jamais a ce malheureux penchant qui te porte a désoler la nature et 1'humanité.. Sage docteur des Brachmanes , lui dit Alexandre , je te reconnois véritablement inspiré du ciel; je sens la. vériré de tour ce que tu m'as dit; si j'étois mairre de suivre les impressions que res discours onr fait sur mon cceur , tu me verreis bientót au nombre de res néophites; mais je ne suis pas Kbre de disposer de ma personne; les troupes qui. me suivent reclameroient leur chef et m'obligeroienr de les reconduire en Macédoine. Puisque je ne puis me donner a toi, accepte au moins en témoignage de mon estime ces présens que je t'offre;. mais il les refusa constamment, se plaignit de ce qu'iL lui avoit enlevé Calane, lui. étala la douceur de la vie  2 §4 Histoire qu'il menoit j et conclur ainsi : Peux-tu donc blamer les Brachmanes de n'avoit pas voulu quitter leur retraite et la simplicité, pour prendre votre somptuosité ? bien loin de les y forcér 3 demeure toi-même avec nous; jette ces habits qui t'ernbarrassent; renonce a ta manière de vivre et rends roi docile a nos enseignemens. Alexandre persisra a lui remontrer que la chose lui étoit impoisible , et prit ensuite congé de lui. LIVRE XVIII. T -L/orsque Taxile vint faire ses soumissions au prince de Macédoine, il étoit en guerre avec deux rois ses voisins, Abizare et Porus, qui régnoient au-dela de 1 Hydaspe. Le premier imita son exemple, et envoya peu de jours aprés des ambassadeurs pour le reconnoitre pour son souverain. Alexandre s'attendoit que Porus, étonné du bruit de sa renommée, ne manqueroic pas de se soumertre; mats ne le voyant faire aucune démarche pour cela, il lui envoya un officier de sa courlui déclarer qu'il eüt a lui payer le tribüt et a venir au-devant de lui a 1'entrée de son royaume. Porus répondir froidement qu'il 1'iroit recevoir sur sa frontière, mais que ce seroit les armes a la main. II n'en falloit point tant pour animer le her vainqueur de 1'Asie. II donna la conduite de ses éléphans a Taxile et s'avanca'jusqu'au bord de 1'Hydaspe. Porus étoit déja a 1'autte bord avec 50,000 hommes de pied, 3000 chevaux, plus de 1000 chariots armés er 130 éléphants qui faisoienr la principale force des armées indiennes. Que ne pouvoit-on point attendre d'une aussi belle  d'Alexandre le Grand. Liv. XVIII. 28 ƒ armée, si elle n'eüt point eu a combattre celui que le ciel protégeoit! Porus lui-même paroissöit invincible a tout aütre ennemi j sous une taille gigantesque il renfermoit un courage encore plus grand; sage, prudenr er accourumé aux exercices militaires, il en savoit routes les regies et la pratique; jaloux d'une couronne qu'il avoit recue de ses ayeux, il 1'estimoit plus que la vie, et tout 1'univers ligué contre-lui n'étoit point capable d intimider son cceur. Ii s'étonnoit même qu'un autre osat 1'attaquer. On lui proposa de s'allier avec les peuples voisins du Gange 3 il le refusa et protesta qu'il renoncoit a la qualité de roi, si ses sujets ne pouvoient le défendre. On lui représente qu'Alexandre a vaincu les armées de Darius; mais il n'a pas vaincu sa personne, replique-r-il. Enfin il ne veut pas sacrifier aux divinités du fleuve , pour leur demander de refuser le passage aux Macédoniens, paree qu'il estime indigne de faire des impréeations contre un ennemi qui se montre a découvert. Monté sur un éléphant bien plus grand que les autres, il se porta au centre de ses bataillons en face d'Alexandre 3 et placa des détachemens dans les endroits oü le fleuve paroissoir moins difficile a passer. Les Macédoniens n'avoient pas seulement a craindre un tel ennemi, mais le fleuve qu'il leur falloit traverser offroit un péril trés redourable ; il étoit large de 400 roises et tellement profond par-tout, qu'il paroissöit comme une mer et n'étoit guéable nu 11e part; sa largeur ne lui óroit rien de son impétuosité , car il rouloit avec autant de violence qu'il eüt pu faire dans un lit fort étroit et fort resserré; les flots bruyans er écumeux qui se rompoienr en plusieurs endroits, montroient qu'il étoit plein de pierres er de rochers. Ie rivage couvert d'hommes , de chevaux et d'éléphans 3  a86 Histoire orTroir un spectacle terrible , mais qui n'étonnoit pas des courages qui étoient a toute épreuve et qu'une suite non-interrompue de prospérité remplissoit d'assurance; mais ils ne croyoienr pas avec leurs foibles barques pouvoir surmonter la rapidité de 1'eau ni aborder surement. Cette insurmontable barrière rint plusieurs jours les Macédoniens en présence ; la circonstance du tems rendoit la difiiculté plus grande , on étoit pour lors vers le solstice d'été, saison extrêmement pluvieuse dans ce pays , oü les rivières grossissent considérablemenr. II sembloit qu'il n'y avoit pas d'autre moyen que d'attendre que les eaux fussenr diminuées, c'étoit-la 1'idée commune , er Alexandre pour y entretenir les soldats et l'ennemi , faisoit enlever des fourages dans les contrées voisines et les faisoit apporter dans son camp ; mais cette lenteur ne convenanr point a la vivacité de son caractère il faisoit examiner le long du Heuve oü 1'on pourroit tenter le passage a 1'insu de l'ennemi. Ce fleuve étoit rempli de perites isles , oü les Indiens et les Macédoniens passoient a la nage avec leurs armes sur leur rête , et y faisoient tous les jouts de légères escatmouches a la vue des deux rois qui étoient bienaises d'essayer et d'apprécier par ces perits combats, ce qu'ils devoient espérer de 1'acrion générale. II y avoir dans I'armée d'Alexandre deux jeunes officiers , Ege-simaqre et Nicanor, également pleins de hardiesse et a qui le bonheur constant de leur patrie faisoit mépriser tous les périls ; ils prirent avec eux les plus déterminés de la jeunesse , et n'ayant que leurs javelors pour toutes armes, ils passèrent a la nage dans une isle oü étoient les ennemis, et la, sans avoir presque rien pour eux que leur audace , ils en tuèrent un grand nombre. Après un coup si hazardeux, ils pouvoient se retirer gloneusement, si la rémérité , quand elle esr  d'Alexandre le Grand. Liv. XVlII. 1S7 heureuse , pouvoit garder qucdque mesure; mais comme ils atrendoienr avec mépris er une sorte d'insulte ceux qui venoient au secours de leurs compagnons, ils furenr enveloppés d'une troupe qui avoit passé a la nage dans 1'isle , sans qu'ils s'en appercussent; ils furent accablés de trairs er périrent sans avoir pu se sauver. Cet avantage cnfla merveilleusement le cceur de Porus. Pour lui órer rour soupcon que 1'on cherchoit ailleurs un aurre passage, Alexandre faisoir avancer vers le rivage sa cavalerie er jetter des cris comme s'il eüt eu envie de passer , tout étant pret pour cet efFer. Porus aussi tot accouroir sur le rivage er se préparoit a le recevoir; mais Alexandre demeuroir en bataille sur le rivage ; cela étant arrivé plusieurs fois, Porus voyant que ce n'étoit qu'un vain bruir er des menaces vaines, ne s ébranla plus pour tous ces mouvemens. Alexandre découvrit enfin , assez loin du camp , une ïsle remplie de grands arbres et assez spacieuse pour ït cacher un nombre de rroupes considérables , qui n'auroient plus que la moitié du rrajer a faire a découverr, si l'ennemi les appercevoit; ce lieu lui psrur propre a 1'exécurion de son dessein ; mais pour en óter roure connoissance aux ennemis et leur faire prendre le change , il laissa une grande partie de son armee devant Porus , sous les ordres de Cratère , qui devoit , pendant plusieurs nuits , faire sonner 'de la trompette pour donner 1'alaime aux Indiens duranr le jour. Cratère devoir être sous les armes a la tére de la cavalerie prête a se jetter dans le fleuve , ce qu'il ne devoit faire que quand Porus seroir décampé, soit pour se retirer, soit pour venir a la rencontre des Macédoniens qui auroient passé. II avoit mis Meleagre et Gorgeas entre 1'isJe et Son camp , avec la cavalerie  288 Histoire er quelqu'infanterie éttangère, et leur avoit commandé de passer lorsqu'ils le verroient attaché au combat; mais pour tromper plus sürement l'ennemi 3 Alexandre fit environner sa rente de ses gardes du corps, rangés avec tout 1'appareil qui environne un grand roi. II fit prendre la robe royale a Attale qui lui ressembloit par son age et avoit sa taille et sa démarche. II se rendir ensuite avec sa phalange et 1'élite de son armée vis-a-vis de 1'isle. II y fut surpris par un furieux orage , qui sembloir devoir retarder 1'exécution de son dessein , mais qui y devint favorable par un effet du rare bonheur de ce prince , en faveur duquel les obsracles même se changeoient en moyens et en secours. Cet orage fut suivi d une pluie trés-violente avec des vents impétueux , des éclairs et des tonnères , de sorte que 1'on ne pouvoit ni s'entendre , ni se voir. Tout autre qu'Alexandre auroit renoncé ou au moins différé 1'entreprise; mais le péril méme 1'animoit, er sachant que le bruit et le tumulte couvroient son passage, il donna le signal et monta la première barque; toutes les autres le suivirent et elles abordcrent heureusement, a 1'exception d'une seule. qui fut entrainée par les flots. Comme il n'avoit point été appercu des Indiens de 1'isle , il passa aussi-tót a 1'autre rive, oü les barques ne pouvant toucher , il fallut qu'Alexandre et les siens se jettassent dans 1'eau pour se mettre a terre. Ce fut alors qu'il s'écria : O Athéniens , a quels périls fauril donc désormais s'exposer , si je ne suis pas digne de vos louanges! II cherchoit en effet en couranr ainsi d'une extrémité du monde jusqu'a 1'aurre, moins les royaumes er les richesses, qu'une gloire er une renommée érernelle. Dès qu il fur dans la plaine , il rangea sa perite armée en bataille; elle étoit composée de 6000 hommes de pied et de jo®o chevaux. II fit avancer d'abord sur une  d'Alexandre le Grand. Liv. XFII1. il9 une ligne ses soldats pésamment annés; derrière eux , i 1'a'ile droite qui touchoit le bord dn fleuve, un régiment de cavalerie; au centre une partie de 1'infanterie, et a gauche la célèbre phalange avec le reste de 1'infanterie. II se mit a la tête de presque toute la cavalerie, er ordonnant a 1'infanterie de le suivre leplus promptement qu'elle pourroit, il prit les devants. Son espcrance étoit de sufrïre seul pour vaincre Porus s'il venoit a lui, ou du moins d'être assez fort pour lui résister en atrendant l'arrh ée de son infanterie, ou si- les Indiens alarmés de son passage prenoient la fuite, d'être plus a portée de les poursuivre. Porus averti par les vedettes dispersées le long du fleuve du mouvement qu'ils avoient appercu, ne put croire que ce fussent les Macédoniens, croyant voir Alexandre devant, car Attale et Cratère exécutoient ponctuellement les ordres dont ils avoient été chargés. Persuadé que ce pouvoit être un prince nommé Ariaspe, qui venoit a son secours, il détacha Hages , un de ses fils , avec deux mille hommes et cent vingt charriots pour le recevoir ou pour repousser les ennemis si c'étoit eux, ne croyant pas qu'ils fussent eu grand nombre. Le jeune prince étant parti rencontra Alexandre qui marchoit a grand pas ; il ne balanca pas et le chargea aussi-tót ; il combattit avec un grand courage , mais il y pent néanmoins avec la plus grande partie de ses troupes, tous les charriots furent pris; ces équipages n'avoient point fait grand dommage dans le combat; le terrein ayant été amolli parl'orage, ses charriots pesans demeuroienr enfoncés dans la fange et les chevaux pouvoient a peine se soutenir. Ceux qui prirent la fuite, vinrent annoncer a TJorus qu'Alexandre avoit passé le fleuve et qu'il n'étoit pas loin. Le prince frappé de cette nouvelle, ne sut i quoi se résoudre. Tornt FI. T  2^© Histoire II voyoit a 1'autre rive Cratère qui se préparoit a passer le fleuve et qui trouveroir 1'abord sans défense , s'il ne quirtoit le poste oü il étoit. Enfin Alexandre lui paroissant plus redourable que tous les Macédoniens ensemble , il résolut d'aller a sa rencontre et laissa seulement quelques éléphants , soutenus de quelques troupes pour amuser ceux qui étoient a 1'autre bord et partit avec 30,000 hommes de pied et 200 éléphants. Quand il fut arrivé en un lieu ferme oü les chevaux et les charriots pouvoient tourner aisémenr, il rangea son armée en bataille pour y attendre l'ennemi; il mit en tête et sur une ligne les éléphants; dans leurs intervalles, il avoit placé de 1'infanterie pour couvrir leur droite' er leur gauche; il crut que ce rempart couvriroit son infanterie qu'il mit derrière, que la cavalerie ennemie n'oseroit s'engager dans les inrervalles a cause de la frayeur que des chevaux onr des éléphants, et 1'infaurerie' encore moins voyant celles des ennemis derrière les éléphants, et courant risque d'être écrasée par ces animaux; aux ' deux ailes il placa la cavalerie devant laquelle étoient rangés les charriots; c'étoit-la la plus grande ressource des Indiens. Chacun d'eux portoit 6 hommes , deux a droite et deux a gauche; les-deux autres qui conduisoient ne laissoient pas de combattre j, lorsque 1'on en venoit aux mains , ayant quantité de dards qu'ils lancoient contre 1 ennemi. Les Indiens s'animoienr au combar par le son des rymbales, n'ayant pas 1'usage des trompetres. Au centre de I'armée étoit un drapeau sur lequel étoit 1'image d'Hercules; il servoit a faciliter le ralliement; on ne pouvoit 1'abandonner sans se couvrir de deshonneur, et si l'ennemi s'en rendoit maitre, il falloit le lui arracher ou mourir. . Alexandre appercevant de loin Porus monté sur le plus''haut de ses éléphants 3 admira sa haute taille, et  £ Alexandre le Grand. Liv. XFIII. i9t ffessaillant de joie : voiia, s'écria-t-il, enfin un ennemi digne de moi. II fir halte pour attendre son infanterie qui fit diligence et arriva peu après; pour lui donner le loisir de reprendre haleine et ne la pas mener contre l'ennemi encore route fatiguée de la marche, il fir faire divers mouvemens a sa cavalerie, qui gagnèrent du tems. Après avoir examiné, 1'ordre et la disposition des Indiens , il ne voulut pas attaquer d'abord le corps de bataille ennemi, mais étant plus fort en cavalerie, il appella Canus, et lui d-it : Je vais avec les soldats de Ptolomée, de Perdiccas et d'Ephestion attaquer cette cavalerie de 1'aile gauche , je la chargerai de front; quand je 1'aurai engagée a quitter son poste er a s'avancer, alors vous 1'attaquerez en flanc pour aciiever de la rampre; Demetrius vous accompagnera. Antigène, Seleucus et Fauron qui commandoient la phalange, eurent ordre de ne faire aucun mouvement avant que la cavalerie ennemie ne fut en désordre er qu'Alexandre neut commencé 1'attaque de 1'infanterie; alors monré sur Bucéphale , il s'avance vers la cavalerie ennemie ; quand il fut a portée du trait, il fit faire de fronr une décharge de mille archers a cheval er attaqua par les flancs; les charriots que 1'on avoit lachés, furenr recus de facon qu'ils furent rcnversés avee leurs conducteurs. Les Indiens réunirent et serrèrent leurs escadrons, et s'avancèrenr contre Alexandre; peu après la première charge et lorsqu'ils étoient fort engagés au combat, Ccenus profita de 1'inrervalle qui s'étoit fórme a leur droite, et, comme il lui étoit orionné , il les attaqua en flanc et par derrière. Les Indiens furent obligés de faire face de tous cotés pour se défendre contre ces trois corps de rroupes. Alexandre les voyant ébranlés par les mouvemens qu'ils avoient été obligés de faire, poussa vigoureusement ceux qui lui étoient opposés, T i  zyi Histoire culbuta les hommes et les chevaux qui ne purent résister a une attaque si brusque et si violente ; ils furent rompus et repoussés. Porus voyant ce désordre , donna ordre a ceux qui condüisoient les éléphants de les mener sur la cavalerie Macédonienne pour en faire emporter les chevaux par 1'anripathie naturelle et 1'horreur qu'ils en ont. Les désordres qu'ils auroient causésauroient peur-êtfe arrache la victoire a Alexandre, si la phalange Macédonienne s'ébranlant rout-a-coup, ne les eüt aussi-tot attaqués. Ce fut le tems le plus_ sanglant du combat. L'infanterie Macédonienne se méloit dans les intervalles des éléphants, et percoit a coups de piqués les éléphants et les conducteurs mêmes. La cavalerie ennemie au contraire ne pouvoit tenir devant. ces animaux qui fómpoienr les escadrons, sans que rien püt arrêter leur fureur. La cavalerie ennemie voyant la Macédonienne arrêtée par les éléphants revint a la charge. Alexandre qui la redoutoit moins que ces animaux , suppléa par son courage et celui des siens a 1'ordre qui avoir été troublé ; ce fut une mèlée sanglanre rendue plus terrible par les cris confus de peuples qui ne s'entendent pas. Bucéphale pereé de coups tomba sous Alexandre et le renyersa par terre ; ses gardes aus'si-tot le tirèrent du péril. Le second hls de Porus recut un coup morrel. La fureur qui transporte les chevaux leur donne de La force, ils deviennent plus . dangcreux et plus meurtriers que les hommes, écrasenr les Indiens qu'ils renversent et les obligent de reculer pour la seconde fois. Les éléphants dont on avoit mé les conducteurs , s'écartèrent par tout le champ de bataille ; plus forrs er plus emportés que les chevaux, ils causèrent de plus grands ravages; la plupart percés de coups et hérissés de fléches, ne disringuant plus amis er ennemis , renversoient rout ce qu'ils recontroient de-  d'Alexandre le Grand. Liv. XVIII. i?J vant eux; quelquefois les Macédoniens les voyant venir, ouvroient letiri bataillons et les laissoient passer, ou 's'ils n'avoient point le tems de faire ce mouvement, ils leur présentoient une haie de piqués pour les obliger de retourner en arrière. Alexandre se voyant presque maitre de la victoire , fit signe a sa phalange de faire un dernier ëffort; elle se jetta de tout son poids et piqués baissées contre 1'infanterie ennemie J déja prise en flanc-par la cavalerie , elle ne put résister davanfage : de plus Cratère , suivant 1'c-rdre qu'il en avoit recu du prince j avant passé le fleuve avec ses troupes qui s'impatientoient de n'avoir point de part i la victoire, arriva lorsque les ennemis étoient prêts de se déroucer ; il chargea les Indiens en queue , et leur portam les demiers coups ils prirenr la fuite. Porus , après avoir fajr dans le combat 1'ofTice de soldar er de géneral er témoigné un courage le plus intrépide , voyanr sa cavalerie défiiire er la plupart de son infanterie , demeura néanmoins sur le champ de bataille tant qu'il resta sur pied un bataillon. Couvert de 9 blessures qu'il ne sentoit pas , il étoit aussi plein de force que s'il n'en avoit recu aucune. Enfin , comme il avoit le bras droit nu jusqu'a 1'épaule , il fut blessé d'une fléche qui lui óta la force et le mouvement : ne pouvant attaquer ni se défendre, iifrémitde désespoir er se fit mettre sur un éléphant et' retirer du combat. Alexandre qui avoit admiré sa valeur , appréhendoit plus que lui-même pour sa vie ; il ne voulut pas qu'on le poursuivit, ne douranr pas que ce prince ne se fit toet plutót que de se rendre. II envoya seulement après lui Taxile pour 1'exhorter a se soumertre au vainqueur. Celui-ci 1'ayant atteint , approcha le plus prés qu'il ■ put sans courir risque d'être blessé , et lui cria qu'il avoit a lui parler de la part d'Alexandre. Porus s'étaat T i  *94 Hlsto'tK rerourné er reconnoissanr Taxile son ennemi : Quoi, s'ecria-r-il, n'est ce pas Taxile que j'entends, ce tra'itre a sa partie et a son royaume ? et faisant un dernier eftorc, il se saisit d'une lance et Ten auroit percé si 1'mdien n'eüt éviré le coup. Alexandre ne perdit poinr pour cela 1'envie de sauver un si grand roi, il loua cette actic-n et lui envoya d'autres officiers pour 1'engager a se rendre, parmi lesquels étoit ^un de ses anciens amis, nommé Meroe, qui 1'exhorta vivement a venir trouver un vainqueur digne de lui; il y ccnsentir, non sans peine, et se mit en marche. Quand il fut proche d'Alexandre, ce prinee le considéra er admira sa taille et sa bonne mine, car il ne paro-issoir point abbatu de sa disgrace, mais il s'approchoit avec une démarche assurée, comme un brave er vaillanr guerrier que son courage a défendre ses états doit faire esrimer du ïmm P«nce qui 1'a vaincu, Quelle esr donc cette divinité malheureuse pour roi , qui t'a pu inspirer de renrer la fortune d'un combat, après avoir entendu parler de mes armes invincibles et de ma clémence envers ceux qui se soumettent ? Puisque tu veux que je te le dise , répondit Porus, je te 1'avouerai avec la même franchise que ru me le demandes; je ne croyois pas qu'jl y eüt dans le monde un plus vaillant homme que moi, car je connoissojs mes forces et je n'avois pas encore éprouvé les tiennes ; mais le succès de cette batailje m'apprend que je zen dois céder la gloire; au reste 3 quoique je me confesse vaincu, quand il s'agira de valeur , je prétends le disputer contre tout autre que roi. AJexandre étonné de cette constance intrépide, qu!il n'avoit pas encore trouvée dans aucun desprinces qu'il avoit vaincus, lui demanda comment Ü vouloit être traité ? en roi, lui dit Porus. Mais, ïfpartit Alexandre, ne demandez-vous «en davantage \  d'Alexandre le Grand. Liv. XFLLL. non, dit Porus, tout est compris dans ce seul mor. Alexandre touché de ranr de grandeur dame, donr il sembloit que le malheur de ce prince relevoit encore 1'éclat; ordonna que 1'on prit grand soin de sa personne , et lorsqu'il fut guéri il ne se contenta pas de lui laisser son royaume , il 1'aggrandir encore de plusieurs grandes provinces. On ne sair ici lequel on doit le plus admirer ou du vainqueur ou du vaincu. On peur juger par le nombre des morts avec quel zèle les Indiens se portèrent au combat; tous leurs chariors v furent brisés, ils y perdirenr z©3ooo hommes de pied/ 3000 chevaux. Les deux fils de Porus y périrenr avec Spitace , un des premiers gouverneurs du royaume; presque tous les officiers Indiens demeurèrent sur le champ de bataille } oü 1'on prit les éléphants qui n'avoient point été tués. La perte d'Alexandre ne fut pas a beaucoup prés si considérable. Cette victoire signalèe le flatta plus que toutes celles qu'il avoit remportées jusqu'alors, il técompensa généreusemenr ceux qui s'y étoient distingués , et rendit avec pompe les derniers devoirs a ceux qui étoient morts dans la bataille ; et pour en érerniser la mémoire , il barir une ville aux environs qu'il nomma Nicée , e'esr-a-dire victoire , et une autre qu'il appella Bucéph&le, en 1'honneur de Bucéphale , son cheval, qui fur tui dans le combat. Pour célébrer encore cette illustre journée , il ordonna des jeux publics de course er de lurre dans la plaine oü il avoir passé 1'Hydaspe 5 il y fit des sacrifices d'actioris de graces, L'abondance de la province 1'engagea a y séjourner trente jours, après lesquels ayant encouragé ses soldats, ilparcourut les contrées voisines, comme un vainqueur a qui tout devoit obéir. Trenresepr villes fortifiées , dont la moindre avoir plus de j.ooo habiuns, lui envoyèrenc faire leurs hommages;  Histoire plus de 10,000 bourgades vinrent au-devant de lui, et des unes et des autres il en augmenta le royaume da Porus, qu'il regardoit comme un ami sage et fidel, et qui de son cöté lui fut attaché jusqu'a la mort. Résolu de pousser ses conqdêrés jusqu'aux provinces les plus orienrales, Alexandre pour engager ses soldars a le suivre et a le servir avee la même ardeur, leur faisoit énfeÏÏdre que toutes les forces des Indes étant abbatues pat !a victoire remportée sur Porus, le reste n'étoit plus que la récompense de leurs peines er une abondame nioiS',on ; qu'ils alloient entrer dans ces fameuses contrées oü les richesses olit leurs sources ; que les trésors de ia Perse ne paroitroient plus rien en comparaison de 1'ur ; do ljyoire er des pierres précieuses qu'il leur seroit aisé de découvrir et dónt ils pourroient un jour rempur la Grèce. Les troupes aussi avides de burin que de gloire, s'ofrrirent de plein gré a le suivre; les ordres furent donnés pour se remettre en marche. Quelques jours auparavant il recut de nouveaux ambassadeurs, d'Abisare qui s'eroit artiré sa colère, ayant donné du secours a Porus , malgré le traité qu'il avoit fait de lui-même; ils venoient lassurer de sa soumission et lui remettre son sceptre entre ses mains: mais le fier vainqueur ne se contenva pas d'une démarche oü ie prince ne venoir pas en personne; il leur répondit qu'il prétendoit qu'Abizare lui-même apportat sa couronne , que s'il ne se rendoit auprès de lui il iroitle trouver lui-même avec tous ses Macédoniens. II recut' alors un courier qui lui apprit que les Assacéniens s'étoient révoltés et avoient tué leur gouverneur. II y renvoya Philippe et Tyriaspe qui firent rentrer les rebelles dans leur devoir et punirënt les auteurs de la révolte. Reconnu pour souverajn dans tout Ie pays qui est  £Alexandre le Grand. Liv. XVIII. 297 au-dela de i'Hydaspe , il s'avanca vers 1'Acésine , autre fleuve encore plus rapide, qui avoit ordinairemenr prés de deux lieues de largeur ; il le passa avec de grande difficultés, ayant perdu plusieurs de ses soldats dont les bateaux furent brisés cuntre les rochers qui se trouvèrent. Cette région ressembloit peu a celles qu'ils venoient de quitter; ce n'étoieht presque que des déscres et des forêts d'une hauteur prodigieu.*e; I'air'y étoit d'ailleurs assez doux , mais la terre y étoit infectée d'une quantité prodigieuse de serpents, dont la blessure étoit mortelle; pendant Ie jour on s'en défendoit aisément, mais la nuit ils se glissoient par-tout; plusieurs Macédoniens en furent piqués et en moururent, après avoir souffert les douleurs les plus aigues. Cherchant quelques moyens de s'en garantir , ils suspendirent leur lit a des arbres, et étoient encore continuellement obligés d'être sur leur garde , jusqu'a ce que les Indiens leur eussent iniiqués certaines racines qui guérissoient la blessure de ces animaux. Le prince qui règnoit dans ce pays se nommoit Porus, neveu de celui dont nous avons vu le coutage, ma;s son ennemi déclaré. Lorsqu'Alexandre se préparoit a passer I'Hydaspe pour attaquer son oncle , il lui avoir envoyé des amb:>s;adeurs pour lui faire offre desecours et même de son royaume, plutót par haine pour son parent, que par déférence pour le roi de Macédoine; mais quand il sut que ce prince étoit entté dans ses états, il prit la fuite avec une partie de ses troupes et se retira au-dela du Gange , chez les Gangarides. Alexandre irrité de sa méfiance et de sa perficüe fit ravager son royaume par Cratère, Ccenus et Ephestion , et le remir encore a Porus son fidéle allié , avec plusieurs villes de cette contrée qui vivoienc enrepubli-  298 Histoire ques. Pendant qu'ils étoient occtipés a les réduire, le roi alla potter la terreur au-dela de 1'Hydraote, oü la plupart des peuples vinrent se rendre d'eux-mêmes; d'autres firent de la résistance et furent réduits de force: ils s'attendoient alors a toutes sortes de mauvais traite^ mens pour avoir 6'sé lui résister; mais voyant ensuite qu'Alexandre les remertoit dans tous leurs droits et les tiaitoit avec douceur, ils répandoient par tout que les dieux étoient venus sur la terre. Néanmoins les Cathéens ligués avec les Oxidraques et les Malliens et plusieurs autres républiques trés - belliqueuses, s'assemblèrent a Sangala pour s'opposer a ses progrès; ces nations étoient véritablemenr guerrièrès et courageuses. Porus et Abisare avoient été en guerre contre elles j ils les avoient attaqué avec des forces redoutables et avoient été contrahits de se retirer avec perte. Alexandre ne s'en effraya pas et conduisit ses troupes contre elles ; le second jour de marche il arriva prés de la ville de Pimbroma , capitale de la ville des Andraistes qui vinrent. au-devant de lui le reconnoitre pour leur souverain, et quatre jours après il se trouva a'la vuedes confedérés; ils s'étoient logés sur une colline qui défendoient les avenues de la ville et s'y étoient fait un tr'ple rempart de chariots qui retranchoient leur poste. Alexandre examina la disposition des lieux > s'arrêta dans l'endroit Ie plus avantageux et aussitöt leur livra la bataille. II fit avancer les archers a cheval vers leur aile gauche qui paroissoit plus foible; on déchargea une grèle de traits, presque sans effet. Les ligués montèrent sur leurs chariots qui leur donnoient un nouvel avantage, pour tirer plus efficacement sur les Macédoniens. Alexandre voyant que sa cavalerie n'étoit pas propre a cet assaut, descendlt de cheval et fit avancer 1'infanterie; elle attaqua 1'ennenü avec une telle impé-  d'Alexandre le Grand. Liv. XVIII. i<)<) tuosité qu'ils forcèrent les retranchemens de chariots , dont les Indiens étoient descendus ; ils revinrenr a la charge , er malgré route leur résisrance ils furenr repoussés jnsques sous leurs murailles. Alexandre forma ensuite le siege de cette ville , mais comme cette placa étoit trop éteniue pour qu'il pur 1'investir avec ses rroupes , il 1'environna d'une doublé rranchée, comme deux 1 paralleles qui ötoknt aux Indiens routmoyende s'échapper. II fit ensuite avancer ses machines et ses travailleurs; dès les premiers jours qu'on sappa les murailles, les assiégés désespéranr de leur salur, résolurent de se sauver pendant la nuit du cöté d'un lac bourbeux oü 1'on prenoir moins de précaurion. Alexandre averti par quelques deserteurs y placa Ptoléraée avec une grande partie de sa cavalerie, avec ordre d'avertir par les rrompettes du moment oü les ennemis tenreroient de s'échapper. Les Indiens étant donc sortis en foule, croyant se sauver, futent arrêtés paria cavalerie er le reste de I'armée qui accourur aussi-töt. On fondit sur eux comme sut des victimes destinées a la morr, et tant de ce carnage que des autres attaques qui avoient précédé , les Indiens perdirent plus de 100,000 hommes; du cöré d'Alexandre il n'y eut que 100 hommes de morts et environ 1000 de blessés, parmi lesquels étoit Lisimaque, capitainedes gardes. Quelques Indiens échappés a la fureur des ennemis portèrent 1'épouvante dans les villes voisines , publiant qu'il étoit venu dans leur pays une armée d'immortels et d'invincibles. Les hérauts qu'Alexandre y envoya en rrouvèrenr la plus grande partie disposée a faire ce que 1'on demandoit d'eux. Le vainqueur les laissa vivre en paix , suivant leurs anciens usages de se gouverner , et ii établit Porus régent de ces provinces. Plusieurs cependant ne voulurent point entendre aucune capkula*  j oo Histoire tidh et s'assïtüblè'rent sur les montagnes; Alexandre les y poursuivit long-tems avec chaleur ; mais quand il eut fait environ 500 prisonniers , il abaudonna les autres que leur petit nombre rendoit incapables de lui nuireet se ceritehta de détruire leur ville jusqu'aux fondemens. LIVRE XIX. C^v 2 t exeraple de sévérité intimida les autres villes e: lui fcayale chemin vers i'Hyphase. Le premier royaume qu'il ren contra sur sa route fut celui d'un prince nommé Sophite. Ce prince gouvernoit son royaume par des loix dont la sagesse étoit célébrée au loin. La beauté passoit chez ses peuples pour un mérite du premier ordre; les hommes s'y peignoient la barbre, le visage et les cheveux , sans toutefois que le soin excessif de leur parure leur amóllir le cceur et leur courage. Dans leurs alliances ils ne recherchoient ni la f: mille ni les richesses , la beauté étoit le seul avantage qu'ils désiroient; ils avoient le barbare usage d'exposer les enfans qui avoient quelques dirTormités ou quelque foiblesse dans leurs membres ; la laideur du visage suffisoir même pour faire subir ce cruel arrêt. Dès qu'il eüt appris 1'approche des Macédoniens, Sophite s'enferma dans sa capitale oü il fit aussi retirer les gens de la campagne. Alexandre ne voyant personne , ni dans les champs , ni sur les murailles de la ville, il appréhendoit quelqu'embuscade. II fit néanmoins commencer le siège, mais presqu'aussi-töt les porres s'ouvrirent; 1'ón vit sortir le roi suivi de ses deux fils; .il traversa le camp suivi.d'un nombreux cortégeer  d'Alexandre le Grand. Liv, XIX. 501 entra dans la tente d'Alexandre. II surpassoit par sa taille et sa beauté le reste de ses sujets. II pottoit une robe de pourpre , rayée d'or, qui descendoit jusqu'a terre, avec des mules d'or couverres de pierreries; il avoir des bracelers de perles aux bras et aux poignets , et pour pendants d'oreiiles deux diamans d'un prix inestimable; il tenoit a sa mam un sceptre d'or , garni de bérylles, dont il fit présent a Alexandre , en se donnaut lui-même avec ses enfans et son peuple et faisanr mille veeux pour sa personne et 1'accroissement de sou empire. Peu après Ephestion rejoignir Alexandre avec son armée qu'il ramenoir triomphante des victoires qu'elle avoit remportées sur dlfférens peuples: le prince le récompensa magnifiquemenr et continua sa marche, il entra dans les états de Phlégelas. Son approche consterna d'abord les habitans qui voulurent abandonner leur pays, mais leur roi les encouragea 'et les determina 9 cuitiver leurs tetres avec la. même confiance, perruadé qu'en se soumertant au héros, leur sort ne changeroit point et qu'ils recueille-j roient en paix les fruirs de leurs terres. II vint le trouver sur sa frontière, lui cfnit de riches présens er i'assura de son obéissance. Alexandre ne ttoubla point sa possession ni le repos de son peuple, et séjourna deux, jours dans le palais de ce prince. Alexandre toujours résolu de faire fa guerre y tant. qu'il trouveroit des peuples a vaincre et de nouvelles terres a conquérir, se prépara a passer 1'Hyphase } la plus orienrale des rivières qui se jerrenr dans le fleuve Indus. II demanda a Phlégelas quelle éroir la nature du pays dans lequel il alloit entrer. Seigneur 3 lui répondir 1'Indien, 1'Hyphase qui rermine mon royaume esr une rivière large d'une demi-lieue, pro-  j 02 Histoire fonde er néanmoins très-rapide. Après onze joiunées de déserts vous trouverez le Gange, le plus rapide des fleuves des Indes, qui sert de rempart aux Gangarides, Phrasiens et autres nations puissantes et belliqueuses; ils s'attendent a vous recevoir et ont préparé 20,000 chevaux , 200,000 hommes de pied forfifiés de 2000 chariots de guerre et de 4000 éléphants. Ce rédt parut incrdyabïe a Alexandre, mais Porus 1 en assura; rel étoit néanmoins ce caractère indomptable ; on le vit trésaillir de joie en apprenant qu'il avoir des ennemis si redoutables a combattre. II ne doutoit pas que la promesse de Jupiter Ammon , de lui donner 1'empire de 1'univers , ne dut avoir son accomplissement; le passé lui répondit de 1'avenir, et cette soif ardente qu'il avoit pour la gloire , le rempüssoit d'un nouveau zèle, mais il n'en étoit pas ainsi de ses soldtn. Dès que ses nouveaux projets furent répandus dans I'armée , ce fut une consternation et un murmure général. Les Macédoniens qui après avoir traversé prés de rooo lieues de pays et veilli sous les armes , tournoienr sans cesse leurs yeux et leuts desirs vers la doüce patrie, se plaignirenr hautement qu'Alexandre entassoit rous les jours guerre sur guerre et dangets sur dangers 5 les uns déploroient leurs misères en des rermes qui excitoient' la compassion d'aurres plus séditieux crioient tout haut qu'ils n'iroient pas plus loin. Alexandre ayanr appris ce tumulte et scu qu'il se faisoit de secrerres assemblées dans son camp , se flattant de conjurer un orage que le premier mouvement avoit formé, fit assembier ses troupes auxquelles il paria de la sorte. Je n'ignore pas, soldats, que les Indiens ont publié beaucoup de choses , a dessein de nous efTrayer, mais  d'Alexandre le Grand. Liv. XIX. 393 ces discours et ces artifices ne sont pas nouveaux pour vous : c'est ainsi que les Perses nous paiioient des défilés de la Cilicie , des vastes campagnes de la Mésopotamie, des fleuves du Tigre er de 1'Euphrare , qu'ils nous représentoient comme autant de barrières insurmonrables ; votre courage les a néanmoins surmontées;vous repentezvous de m'avoir suivi jusqu'ici t si vos glorieux travaux vous ont acqui» un nombre innni de provinces ; si vous avez étendu vos conquétes au-dela de llaxarte et du Caucase; si vous voyez coiiler les fleuves des Indes au milieu de votre empire , pourquoi redoutezvous de passer 1'Hyphase et de planter vos frophées sulles bords du Gange , comme vous 1'avez fait sur ceux de rinde. Quoi! seroit-ce ce grand nombre d'éléphants si manifestement exagéré ,' qui vous effrayeroit de la sorte ? mais n'avez-vous pas éprouvé qu'ils sont plus pernicieux a leurs maitres qu aux ennemis > On cherche a vous intimider par 1'idéé terrible de leurs armées innombrables. Le sonr-éllé's plus que celle de Darius ? II y a long-tems que nous ne serions plus en Asie , s'il n'avoit fallu que des ' chimères pour nous vaincre; c'étoit quand nous 'passions 1'Hélespont qu'rl falloit prendre garde au petit nombre de nos troupes, nous avons cependant vaincu ; maintenant les Scythes font partie de notre armée, les Bactriens, les Sogdiens , les Dahes sont avec nous et combat tent pour votre gloire. Ce n'est pas néanmoins que j« compte sur ces barbares, je ne me repose que sur vous; je n'envisageque vos bras victorieux et votre courage sëul est pour moi un sür garant du succès de mes entreprises. Tandis que je vous aurai a mes cotés , je n'aurai pas besoin de compter ni mes soldats , 01 mes ennemis , pourvu que je vous voye ceae confiance et cette allégresre que  j 04 Histoire vous m'avez toujours montrées jusqu'ici. Au reste , ne pensez pas que vos farigues doivenr encore durer long tems, nous touclions au terme de notre carrière; après que nous aurons passé le Gange le plus deux des fleuves de 1'Inde , nous trouverons les bornes du continent, et quelques journées de chemin nous conduiront a 1'endroic oü le soleil se léve. Qu'il sera glorieux pour vous d'avoir donné a 1'empire de Ma-, cédoine les mêmes bornes que le Créareur a mis a son propre ouvrage ! Reculer sur les deruiers pas d'une ri belle course , c'est le combie de 1'opprobre ; c'esr ruk devant des ennemis imaginaires, ; c'est s'avouer lache ou vaincu; presque parvenus a uri but oü ja fortune er la vicroke nous appelfcnr, c'est une action dont 1'immortalité seule.peut être la récompense ; et quand bien mème il y auroit du danger, vous scavez que la mort petd ses horreurs dans le sein de ia gloire. Ne brisez donc point dans mes mains une palme que vous y avez mise j qui vous appartknt autant qu'a moi , dont la gloire nous est commune et dont vous partagere-z. le fruit. Je vous conj ure pour vous mêmes et pourTintérèr de vorre propre gloire de ne point abando'nnèr , je ne dis pas votre maitre et votre roi, mais votre noutrisson et le compagnon de vos armes. Jusqu'ici j'ai usé de mon pouvoir , aujourd'hui je ne vous commande pas, je vous prie , je vous conjure ; donnez enfin a mes prières ce que j'aime mieux recevoir de 1'amirie que vous avez. pour moi, que de 1'aurorité que j'ai sur vous. Ici., Alexandre s'arrêta pour enrendre la réponse donr il se flatroit, mais personne dans I'armée ne donna le moindre signe d'appfobation; ils éroient immobiks , tenant la tête baissée contre terre. Déconcerté lui-même par cette inaction générale : Je park donc a des sourds, continua-t-il j dont je m'erTorce en vain de relever le courage  i'Alexandre le Grand. Liv. XIX. 50ƒ courage abbaru; oü sonr ces anciens cris rémoins ordinaires de votre valeur ? oü esr ce visage gai des Macédoniens ? personne ne m'écoure et ne daigne me répondre. Ah ! je suis abandonnê , je suis rrahi , on me livre a mes ennemis ; mais düssai-je être seul, je passerai outre. Laissez-moi, si vous voulez , a la merci des bêres sauvages er des rivières; donnez-moi en proie a ces nations dont les seuls noms vous font peur, je rrouverai qui suivra Alexandre que vous avez lachemenr abandonnê. Les Scythes , les Bactriens ne me seronr pas si infidèles que vous , er de mes ennemis qu'ils étoient, ils deviendront mes amis et mes soldats. Allez donc en votre pays , allez et vantez-vous, laches déserteurs , d'avoir abandonnê votre roi ; je rrouverai ici ou la vicroire donr vous désespérez , ou une glorieuse morr qui désormais sera 1'unique objer de rous mes vceux. Quelque vif er quelque rouchanr que fur le discours d'Alexandre, il ne pur rirer une parole de la bouche du soldat; gardanr rous un long er morne silence, ils artendoient que leurs commandans et leuts principaux officiers lui remontrassent qu'ils ne manquoient point d'aftëction 3 mais qu'étant tous percés de coups et épuisés de farigues , ils ne pouvoient plus servirAucun n'osoit prendre sur lui de parler en leur faveur , craignanr d'être la victime des aurres comme il étoit arrivé a Clitus et Calisthènes. Soldats et officiets, ils demeuroienr tous interdits, losrqu'il s'excira tout-a-coup un m urmure qui croissant peu-a-peu éclata en des gémissemens et en des pleurs si extraordinaires, que le roi ayant changé sa colère en compassion, ne put rerenir ses larmes. Ca?nus alors s'enhardir , et s'apprecha du tróne, témoignant qu'il vouloit parler ; et quand les soldats virent qu'il öroit son casque, cat Tome KI. V  jo6 Histoire c'étoir la eoutume de 1 oter quand on parloit au roi , ravis de son courage, ils le prièrent de plaider la cause de I'armée : voici comme il s'expliqua: Non, Seigneur, nous ne sommes point changés a votre égard; aux dieux ne plaise qu'un pareil malheur nous arrivé, nous avons et nous aurons roujours le même attachement et la même fidélité ; toujours aussi zélés pour vorre gloire, nous sommes rous prêts a marcher oü vous nous commanderez , a vous suivre et a combattre contre tel ennemi quil vous plaira; mais s'il est permis a vos soldats de vous exposer leur sentiment avec sincérité et sans déguisement, ils vous supplient de vouloir bien écouter leurs plaintes respectives, qu'une dernière extrémité arrache de leurs bouches. La grandeur de vos exploits, Seigneur, n'a pas moins convaincu vos soldats que vos ennemis; nous avons fair rour ce que des hommes mortels pouvoient faire ; nous avons rraversé les rerres er les mers , nous voici bienrör au bour du monde er vous vous préparez encore a passer dans un aurre et a découvrir de nouvelles Indes, méconnues même aux Indiens ; vous voulez chercher des nations que la nature semble avoir dérobéës aux conquérans; cas pensees , je 1'avoue , sonr dignes de vorre courage , mais elles passenr le notre et nos forces encore plus. Regaidez ces visages défairs; ces corps rout couverts de plaies et de cicatrices , font-ils croire que nous ayons manqué de courage ? nos javelots sont émoussés, nos armes usées et nos cuirasses mises en morceaux par les coups qu'ils ont recus. Vous scavez combien nous étions a notre départ. vous voyez ce qui vous reste. Eh ! que nous reste-t-il a nous mêmes des dépouilles des Perses ? y a-t-il beaucoup d'ofrlciers dans I'armée qui aient ccn-  d'Alexandre le Grand. Liv. XIX. 307 servé quelques esclaves ? nous avons tout dompté » nous avons tout conquis et nous manquons de tout. Vous êtes témoin , Seigneur, que ce n'est pas le luxe qui nous a réduit a cet excès de misère, que c'est la guerre seule par ses fatigues er ses rravaux. Laissez vous donc roucher , Seigneur, par ce perir nombre de sujets sincères et fidèles qui vous reste ; ils sont encore sensibles aux douceurs de la patrie , ils ne soupirent qu'après leur retour pour jouir en paix du fruir de leurs rravaux er de vos victoires ; pardonnez-leur ce desir qui esr naturel a tous les hommes, il vous sera glorieux , seigneur , d'avoir mis a vorre fortune des bornes que votre rnodération seule pouvoit lui imposer, er de vous être laissé vaincre vous même , après avoir vaincu tous vos ennemis. II n'eut pas si-töt achevé de parler qu'on entendit de toutes parts des cris er des voix confuses mêlées de pleurs , qui appelloient le roi, leur seigneur er leur père , et qui le prioient d'avoir égard a leur état. Tous les autres officiers, a qui le rang et lage donnoient le plus d'aucorité, lui firent la même suppiication. II en coüte beaucoup a un prince quand il faut céder. Alexandre ne se rendit pas encore; il ne pouvoit se résoudre a chatier ses gens , encore moins a les approuver. II descendir de son rribunal sans rien répondre er s'enferma dans sa rente pendant deux jours, sans parler a personne, non pas même a ses amis les plus familiers , pour voir s'il ne se feroit pas quelque changement dans I'armée, espéranr que certe idéé de retour seroit dissipee au moins dans la plupart, et que la honte feroit revenir les autres; mais voyant les soldats obstinés dans leur résolution, il fit enfin annoncer le retour aux soldats. Ils recurenr cette nouvelle avec une joie et des accla- V 2  ■joS Histoire mations incroyables; non contens de se féliciter les uns les autres, il se rendirenr a la rente du roi, pour lui donner mille bénédicrions et le remercier de s'être laissé vaincre par ses soldats, lui qui étoit invincible a 1'égard de tous les aurres. Nul rriomphe n'approche de ces acclamations et de ces applaudissemens qui partent du cceut et qui en sont une vive et sincère erFusion. Jamais Alexandre ne parur plus grand et plus glorieux que dans cette journée ; il voulut bien, en faveur de ses sujets, sacrifier quelque chose de sa gloire er de sa grandeur. Alexandre n'avoit employé que rrois ou quatre mois, tour au plus a la conquère du pays entre 1'Inde er 1'Hyphase. Comme dans ses eourses er ses voyages il n'éroir point enrré dans les provinces méridionales qui tenoienr de 1'empire des Perses, sa résolution fut pour retourner a Babylone , de descendre sur 1'Hyphase et sur 1'Inde, de conquérir les narions qu'il rencontreroit sur son passage, de voir la mer Océane, et de s'en retourner ensuite par terre pour regagner la capitale de son empire. Avant que de partir, il fit dresser douze autels pour servir de rrophées et d'actions de graces de ses victoires. Ces rémoignages de reconnoissance envcrs les dieux, furenr accompagnés de traits d'une vanité poussée jusqu'a 1'excès; jaloux de laisser de lui aux siècles futurs 1'idée d'un homme extraordinaire , les autels qu'il dressa en leur honneur étoient hautes de 7; pieds, er semblables a ces rours donr on se servoit dans les sieges. Voulant encore faire croire que rout ce qui étoit dans son armée étoit proportionné a ces autels, et que les Macédoniens avoient été au-dessus des autres mortels, il fir faire des armes que 1'on pouvoit a peine remuer, des écuries d'une grandeur prodigieuse, oü 1'on avoit mis des mangeciras extrêmemenr hautes, et des mords  d'Alexandre te Grand. Liv. XIX. joj de chevaux d'une grosseur énorme. II fir tracer les alignemens d'un camp rrois fois plus érendu qu'a 1'ordinaire , er rour aurour , une tranchée large de 40 pieds , sur 10 de profondeur; de la terre qui en avoir été rirée, il en fir faire le retranchemenr; enfin, il ordonna aux soldats de se construire deux lirs de prés de huir pieds de long, er rous les aurres meubles d'usage journalier a proportion. Quelque folie er quelqu'extravagante que fut cette imposture , elle lui réussit néanmoins parmi les Indiens orientaux , qui ne 1'avoient jamais vu. Trois siècles après Alexandre, ces peuples passoient tous les ans le Gange et venoient faire des sacrifices sur ces autels. Alexandte repassa 1'Hydraore er laissa a Porus rout ce qu'il avoit conquis jusqu'a 1'Hyphase; il reconcilia aussi ce prince avec Taxile et affermir la paix entr'eux par une alliance qui éroit a tous deux également avanrageuse. De-la il alla camper sur les bords de 1'Acesine; il s'arrêta dans une ville qu'il avoit donné ordre a Ephestion de batir , et qui avoit été considérablement endommagée par les pluies continuelles et les inondations qui ravageoient ce pays depuis deux mois ? il en répara les dommages er lui donna pour habitans ceux de son armée que l age er les blessures empêchoient de le suivre. La il se souvint qu'Abizare n'étoit point venu en peisonne lui faire hommage de son royaume , quoiqu'il 1'eüt menacé d'aller lui-même a la tête de ses troupes pour 1'y contraindre. II lui envoya de nouWeaux ordres très-sévères, mais ce prince s'étant trouvé malade, pria son frère Arsaces, prince d'une contrée voisine, de lui aller présenter ses excuses et de lui cffrir ce qu'il y avoir de plus précieux dans son royaume avec trente êléphans. Le roi se contenta de V J  j i o Histoire cerre soumission et le laissa en possession de sa couronne , a condition de lui envoyer le tribut tous les ans. Le pays oü il étoit abondoit en bois propres a la marine, et dans peu de tems il eut deux mille bateaux ou galères , dont il y en avoit 80 a trente rames. Tandis que 1'on travailloit a ces prépararifs., Ccenus mourut de maladie; toute I'armée le regretta , Alexandre en versa des larmes, et néanmoins il ne put s'empêcher de dire que s'il avoir cru être si prés de sa fin, il n'auroir pas fait un si long discours pour retourner en Macédoine. Lorsque tout fut prêt pour s'embarquer, il divisa sa flotte en trente escadrès, noramant un chef pour chacune, sous le commandement de Néarque, qu'il fit grand amiral. Pour récréer ses troupes, il fir célébrer quelques jours avant le déparr des jeux solemnels de musique, des coursss a pied er a cheval. Au jour marqué , les rroupes se rendirenr sur les bords deTAcesine er monrèrenr dès 1'aurore sur leurs vaisseaux; suivant Ia disttibution qui en avoit été faite. Alexandre s'étant avancé au milieu de sa florte, prit une coupe d'or, fit des libations a cette rivière, a I'Hydaspe et a 1'Inde, sacrifia d'abord a Jupiter Am mon, a Hercules et aux autres divinités, et distribua ensuite des victimes a tous les chefs pour en faire de même. On ne peut observer plus d'ordre que 1'on en garda dans cette navigation; chaque officier avoit son escadre séparée d'une autre par quelque distance, et quelque habileté qu'eussent les rameurs , il ne leur étoit pas permis de devancer leur rang. Le batimënr royal , commando par Onesicrite, avoit trente rangs de rames. Ce barimcnr étoit couvert de lames d'or, les autres  d'Alexandre le Grand. Liv. XIX. ju suivoienr sous deux ailes j ce qui se pouvoit aisément dans une rivière qui n'a jamais moins d'une lieue de largeur. Ephestion et Cratère marchoienr a 1'un er l'aurre bord avec une partie de la cavalerie et des archers avec les éléphans ; les bagages suivoienr les grandes routes. On campa le ttoisième jour dans les endroits qu'Ephestion et Cratère avoient trouvé convenables. Deux jours après on reprit la navigation , la notre arriva le cinquième jour au confluent de I'Hydaspe et de 1'Acesine; elle y souffrir beaucoup, paree que ces rivières se réunissenr avec rant de violence qu'il se fait des tourmentes comme en pleine mer. Alexandre n'ayant pas enrrepris certe navigation uniquement pour son plaisir, mais dans le dessein d'assujétir en même tems les peuples qu'il rrouveroit sur sou passage er de faire des deseëhtes le long du fleuve ; ayant appris qu'il é'oit dans la province des Sèbes, peuples républicains, qui se disoient descendus de I'armée d'Hercules et qui en conservoient encore quelques coutumes; il voulut les reconnoitre par lui-même et les ranger sous son empire. Les Sèbes instruits du bonheur de ses armes, ne voulurënt pas attendre qu'il déployat ses forces contretixj ils vinrent au-devant cle lui se soumettre er le piier d'accepter ce que le pays avoir de plus rare et de plus préciéux. ïl les traira selon leur démarche et il leur laissa la liberré dont ils avoient joui jusqu'aiors. II continua ensuite sa route , knpatient d'enrrer dans le pays des Malliens er des Oxidraques, peuples les plus belliqueux de ces contrées: il commenca pat leur oter röüre ressource étrangère , et attaquant les nations voisines, qui n'étoient pas venues comme les Sèbes au-devant de lui, il trouva 40,000 de ces barbares rangés en bataille sur le bord d'une rivière pour V4  31 x Histoire lui en défendre les passages. II Ia traversa devant eux; les mir en fuire et les poursuivir jusques dans leur ville principale; elle fur prise d'assaur. Ceux qui ne furenr poinr passés au fil de 1'épée , furenr vendus comme esclaves. De-la il vinr a. une autre ville oü il donna différens assaurs, oü il perdir bien du monde sans se pouvoir rendre mairre des remparts ; mais quand les habitans virent que cependant il s'opiniatroit au siège, et que tous les jours ils perdoient du monde, ils désespérèrent de leur salur, mirenr le feu a leurs maisons et s'y précipirèrent avec leurs femmes er leurs enfans. Alexandre s'en érant appercu, entra aussi-tót dans la ville; on vit alors un nouveau genre de combat » ceux qui n'avoient pris les armes que pour défendre leur ville et leur vie, étoient les premiers a la brüler er a se donner la morr, er les Macédoniens qui n'en vouloient qu'a leur liberté, ne furent occupés qua leur conserver la vie, en les arrachanr du milieu des flammes. La ciradelle n'étant point endommagée, il j mit garnison. Vainqueur de ces nations, il continua a descendre sur I'Hydaspe et 1'Acesine réunis ensemble. Quand il fur arrivé a 1'endroit ou 1'Hydraore se réunit a ces deux rivières , 1'on tomba dans un couranr si rapide que 1'habileté des rameurs eut bien de la peine a arracher les vaisseaux a la fureur des eaux ; deux des plus grands furent submergés avec tout 1'équipage qu'ils portoient. Celui oü étoit Alexandre ne fut pas moins tourmenté que les autres ; les vagues le frappoient par le flanc avec tant de violence, qu'il se déshabilla pour se sauver a la nage; ses amis étoient prêts a le suivre, plusieurs même se Jettèrent pout le recevoir et lui prêter leur secours, mais la force des rameurs le fit échappei  d'Alexandre le Grand. Liv. XX. 313 a ce danger, donr il ne fur pas plutör délivré, qu'il fit élever des aurels aux divinités des trois fleuves et leur oftrir des vicrimes. LIVRE XX. I L entta enfin dans le pays des Malliens , qui regardoienr comme une barrière insutmontable 1'aridité de leurs campagnes. Sans s'en embarrasser, Alexandre mit pied a terre , er rrouva a cinq lieues de la une petite rivière oü il fit faire aux soldats leurs provisions d'eau dans des ourres; avec cette munition il marcha le resre ciu jour er durant toute la nuit, et arriva a une de leurs villes. II rrouva beaucoup d'habitans hors de leurs murailles , ils se croyoient en süreté, il les surprit , en dispersa une partie; les autres s'étoient renfermés dans la place, il la fir investir par sa cavalerie , son infanterie n'ayant pu le suivre dans la prompritude de sa marche. Lorsqu'elle fut arrivée , il détacha Perdiccas pour assiéger une autre ville de la même province, avec ordre de 1'invesrir seulemenr et de la tenir bloquée jusqu'a ce que lui même s'y fur rendu. II pressa vivement celle devant laquelle il étoit, elle ne tint pas long-tems et il s'en empara ainsi que de la citadelle , dont il fit passer la garnison au fil de 1'tpée. II alia ensuite joindre Perdiccas, cccupé a la poursnire des Malliens qui avoient abandonnê une ville. Commuant ses conquètes, ou plutot ses courses, il passa 1'Hydraore er arriva dans une ville de Brachmanes; oü plusieurs Malliens s'étoient retirés, déterminés a tous les évènemens de la guerre •, ils se défendirenr long-tems er avec courage; ils soutiment  3 14 Histoire plusieurs assauts, mais ils furent forcés; la citadelle oü ils s étoient retités , eut le même sort. L'exemple d'Alexandre qui entra le premier par la brèche, remplit les Macédoniens d'émulation, ils le suivirenr en foule. Les Indiens préférant la mort a la servirude, se défendirenr avec un rel acharnemenr que 1'on fit peu de prisonniers. II rencontra ensuite la plus grande ville des Malliens, que plusieurs avoienr choisis pour asyle en cette occasion. Les Oxidraques, leurs ennemis, se réconcilièrent avec eux pour se défendre mutuellement. Quoiqu'ils fus«enr plus de ro,ooo en érar de porter les armes, ils ne crurent pas devoir artendre le héros qui les artaquoit; ils traversèrent le fleuve Flydraore et se postèrent a 1'autre rive pour lui en disputer le passage avec plus d'avantage. Alexandre qui tenoit toujours la fortune enchainée, les poursuivir avec ardeur et entra dans le fleuve , avant que son infanterie fut arrivée; il le passa au-travers d'une grèle de trairs et attaqua les Indiens avec autant de confiance que s'il eüt été a la tête de toute son armée. Ils se défendirent une partie du jour avec route la force qu'inspire 1'amour de la vie er de la liberté, jusqu'au moment oü ils virent paroitre Is reste de I'armée Macédonienne ; alors ils prircnt la fuite er se sauvèrent dans une ville fortifiée. La fin du jour et 1'épuisement de ses gens de pied empêchèrenr de les poursuivre, mais le lendemain il forma le siége de la ville et 1'emporta dans peu de jours; il suivit les habitans qui s'étoient retirés dans la ciradelle ; il partagea ses troupes pour en saper 1'enceinre de différens cotés. Quelque grande que fut 1'activité des travailleurs , elle ne parut auprès du prince qu'une lenteur véritablé. ïl ordonna que 1'on insuhat un cöté de cette citadelle-, il vit un soldat qui lui semb.'a ne point porter un échelle assez promptement, il la  d'Alexandre le Grand. Liv. XX. . 31/ lui arracha des mains, la dressa lui-même contre la muraille er fur le premier qui parur dessus ; la renant son bouclier , il s'en sert pour se couvrir du coré de la place er devient le but Laissez nous ces moindres exploits et ces petits combats er réservez vorre personne pour des occasions dignes d'elle. Alexandre fur sensiblemenr touché de ces effusions de leur cceur, il les embrassa rous avec une tendresse extraordinaire , et les ayant fait asseoir, il leur dit : Je vous rends mille graces, amis sincères er fidèles , non-seulement de ce qu'aujourd'hui vous préférez mon salut au vótre , mais de toutes les marqués de zèle et d'arTection que vous m'avez données depuis le ccmmencement de cette guerre. Si quelque chose est capable de me faire desirer une longue vie, c'est le plaisir de jouir plus long-rems d'amis aussi précieux que vous„ Sourïiez néanmoins qu'en cela je vous déclaré U'diversité de nos sentimens. Vous desirez de me possé- der  d'Alexandre te Grand. Liv. XX. jir tier long-rems er toujours même, s'il se pouvoir, tt moi ce n'est pas sur 1'age, mais sur la gloire que je mesure ma durée. Je pouvois bomer mon ambition dans 1'enceinre de la Macédoine, er contenr du royaume de mes pêres , atrendre au milieu des délices er dans le sein de 1'oisiveré une heureuse vieillesse, quoiqu'on ne puisse pas appeller heureux le regne d'un prince lache er fainéanr, donr la molesse, le plaisir et la A(jh bauche précipitent les desrinées. Si 1'on comptoit mes jours par le nombre de mes vicroires , il est vrai qre j aurois beaucoup vécu ; mais pensez-vous qu'après avoir réuni sous un seul empire et 1'Europe et 1'Asie, je doiye m'arrêter a la fleur de mon age dans une si belle carrière , er cesser de travailler pour la gloire a. laquelle je me suis entièremenr voué? Sachez que cette gloire annoblir tour, qu'elle donne une vraie er solide grandeur a ce qui paro'ir le plus petit; je ne m'épargnerai jamais pour y arteindre je rendrai illustres les endroits méconnus; j'ouvrirai au genre humain des lieux que la nature lui avoit cachés, et quelque part que je combatte, je croirai être sur le théatre du, monde et a la vue de toute la terre. Que m'importe de périr dans ces royaumes éloignés, pourvu que j'y meure vainqueur. Ce noble sang que j'ai recu des Héraclides ne coule que pour la gloire et méprise le nombre des années. Si j'ai fait de grandes choses, le pays oü je suis me reproche qu'une femme en ait encore fait de plus grandes que moi. Je parle de Sémiramis ; que de peuples soumis a son obéissance! que de villes blties, de superbes et glorieux travaux achevés ! Quel'e honte pour moi de n'avoir pas encore égalé sa gloire J mais je la surpasserai bientöt , si vous secondez mon ardeur; défendez-moi seulemenr des sourdrs roenées et des rrahisons domestiques, qui font périr la plupart Terne VI. X  2ii Histoire «hs princes-, je prends le resre sur mol, et vous réponds de tous les événemens de la guerre. Un tel discours fait connoitre a fond le caractère d'Alexandre; il pensoit que sa destination étoit de ne vivre que pour la gloire, et qu'il ne pouvoit en acquérir que par des conquètes sans mesure, sans bornes et presque toujours sans justice. Avide de gloire, avide d'une grande réputation, il trouvoit étrange que ses officiers n'enrrassenr point dans ses vues et neus* sent point, comme lui, un cceur capable d'une aussi vasre ambirion. II séjourna dans cet endroir, jusqu'au parfait rétablissement de sa santé, et en réjouissance, il donna une fète aux officiers de son armée, ou furenr invirés les ambassadeurs des Malliens er des Oxidraques. Les ordres furenr donnés ensuite pour la conrinuation de la navigation; Crarere conduisoit un détachemenr le long du fleuve. Au sortir du pays des Malliens, on entra chez les Sabraques. Cette nation nombreuse et puissante parmi les Indiens , ayanr appris qu'un prince illustre venoit a eux avec une armée formidabïej avoir levé 60,000 hommes de pied, 6,©00 chevaux et f,ooo chariots de guerre , pour défendre leurs frontières. Comme ce pays étoit rempli de villages sur les bords du fleuve, ceux qui les habitoientj ayanr apperc;u la flotte nombreuse d'Alexandre, furent surpris par les habillemens er les manières des Macédoniens qui leur éroienr rour-a-fait méconnus. Les armes brilloienr au loin par les éclars du soleil, ils crurenr que c'éroir I'armée des dieux ou bien un aurre Bacchus , si célèbre dans ces contrées. Effrayés encore par le$ cris des soldats, le bruir des rames er les voix confuses des marelots qui s'animoient les uns les autres , ils coururenr vers leur armée, disant aux soldats qu'ils  £'Alexandre le Grand. Liv. XX. jij iroient insensés de vouloir combattre contre des dieux, d'attaquer une Hotte innombrable ehargée d'invincibles guerriers. Leur frayeur s'étant communiquée a tous les chefs , ils envoyèrenr faire leurs soumissions. Le voi recur leurs hommages sans leur laire aucun rorr, er séjourna quatre jours chez eux. II entra ensuite chez les Arabiens, chez les Sodres er les Mazanes, qui n'eurent pas plus de résolution que les Sabraqucs. Le prince s'y arrêra quelques jours, er y jetta les fondemens d'une ville qu'il . appella Alexandre. II descendir de-la dans le pays des Musciens; leur I roi vinr a sa rencontre avec de riches présens , espéranr I de gagner le héros er de conselver son royaume. Sa démarche lui réussir; mais, après le déparr des Mai cédoniens, il s'avisa de secouer le joug. Alexandre en1 voya un de ses généraux contre lui qui le chargea de i chaines, 1'amena au roi qui le condamna a mourir. II débarqua ensuite a la rive oriëntale de 1'Indus, et marcha vers les Presres qui habitoient entre ce fleuve i er I'Hydaspe. Leur roi Oxicanus se renferma dans une de ses villes , avec une forte garnison , er il y fut forcé le rroisième jour du siège. II se réfugia dans la i eiradelle d'oü il envoya vers Alexandre pour traiter da la capitulation j mais avant que les députés eussent pu i lui parler, denx tours tombèrent tout-a-coup d'elles:: mêmes, er offrirent un large passage aux Macédoniens 3 qui se jerrèrenr aussi-rór dans la citadelle, oü Oxicanus i er les siens furent rués les armes a la main. Samus, prince voisin de 1'océan, s'étant approché1 de la flotte da conquéranr, dépura vers lui des a-mbas3 sadeurs pour lui remettre ses états. Ses sujets firenr de ila résisrance, s'y opposèrenr er ne voulurenr pas reil eonnoïtre un prince étranger. Alexandre fur obli^é de X z  ., . Histoire venir lui-méme les réduire. Après que plusieurs place* pfu considérables se furenr soumises, il en rrouva une plus forrifiée , que les Indiens avoient choisit pour azile. Lorsqu'il eut examiné de quelle manière il pourroit s'en rendre maitre , il ne vit pas d'aune moyen que de pratiquer un chemin sous rerre qui aboutit dans la place \ afin d'y faire fiks les troupes. Cette galerie avant été conduite jusqu'au milieu de la place, les Indiens furenr si effrayés de voir sortir de la terre des hommes tout armés j qu'ils n torent pas Ia force de se défendre. L'armée marcha ensuire vers la capirale du roi Samus. Cerre ville qui se nommoir Harmalarie ferma ses portes. Alexandre détacha cinq cents hommes pour les provoquer au combat et les attirer hors de leurs murailles. Ils sortirent en effet au nombre de trois mille. Lei Macédoniens les recurent foiblement, et comme étonnés ils firenr leur rerraire peu a peu, et les arurétent vers un ambuscade oü Alexandre ctoit lui-même; ils combattirenr avec vigv.eur. Les Indiens abandonnèrenr le champ de barailie, oü ils laissèrent six cents morts er mille prisonniers er prirenr la fuite vers leurs murailles. Cet avantage heureux eut des suires bien funestes : les Indiens avoient empoisonné leurs javelots , leurs fièches et leurs épées, ensorte que les moindres blessures étoient mortelles. Ptolemée fut celui qui donna le plus d'inquiétude a Alexandre , ayant été blessé a 1'épaule. Le roi, qui 1'aimoit et qui 1'estimoit infiniment, ne voulut point le quitter; et comme il étoit fatigué du combat et qu'il avoit besoin de repos, il fir apporrer son lit auprès du malade, pour ne le point abandonner. C'étoit en efter un des plus vaillans hommes de I'armée j Alexandre le reconnoissoit pour son  d'Alexandre le Grand. Liv. XX. 31 f parent, comme rils naturel de Philippe. Egalement propre pour la paix comme pour la guerre, d'un abord facile, éloigné du luxe er du fasre, que 1'opulence et la prospérité avoicnr fair prendre a la plopart des seigneurs Macédoniens; enfin aussi chéri des soldats qu'il 1'éroit du roi. On dit que le roi, s'étant réveille d'un profond sommeil, assura avoir vu en songe un dragon qui lui présentoit une herbe qu'il tenoit dans sa gueule, comme un remède assuré contre le venin qui empoisonnoit les bbssures. II dépeignit la couleur et la hgure de cette plante , assuranr qu'il la reconnoïrroit, si on pouvoii lui en monrrer. On lui en apporta de différentes sortes, et avant reconnu celle qu'il cherchoit, il la mir lui-même sur la plaie, et Ptolemée fut guéri en peu de jours, ce qui causa une joie universelle dans I'armée. Ayant appris que c'étoient les Brachmanes qui avoient donné le noir conseil d'empoisonner les armes et qui animoient les Indiens contre les Macédoniens, il eri fit mourir plusieurs. Parmi ceux qu'on lui amena, il s'en rrouva dix qu'on lui dit être des plus eélebres; il le-ir proposa a tous des questions qui paroissoient mdissolubles, en leur disant qu'il n'y auroit point de grace pour ceux qui répondtoient mal. II commanda au plus vieux d'être lui-même le juge, et il demanda au premier lesquels étoient en plus grand nombre 011 des vivans ou des morts ï Ce sont les vivans, dit le Brachmane, pat ce que les morts ne sont plus. II ordonna au second de lui dire si la terre nourrissoitplus d'animaux que la mer; il répondit que c'étoit la terre , par ce que la mer en faisoir partie. Au troisième, il demanda quel éroir 1'animal le plus petit; il dit que c'éroir celui que 1'homme ne connoissoir pas encore. X 3  j2é Histoire Au quatrième, pour quelle raiso» il avoit porté le peuple a la révolte; il répliqua afin qu'il vécut avec gloire, ou qu'il mourut avec honneur. Au cinquième il demanda lequel avoit été le premier du jour ou de la nuir; il répondir que la nuit lui éroit postérieure d'un seul jour; er comme le roi parcissok étonné de cette réponse , le JJrachmane ajoura qu'a des problémes cmbarassés il rallok des solutions pareilks. II dit au sixièrae de lui marquer par quel moyen un homme pouvoit se fake aimer ; il répondir si avec la plus grande puissance , il ne sair pas se faire craindre. S'adressanr au septième , il lui demanda comment on pouvoit devenk dieu; c'est, dit le philosophe, en faisanr ce qui est impossible a 1'homme. II demanda au huir^me , laquelle étoit la plus forte de la vie ou de la mon; il répondir que c'étoit la vie, puisqu'elie supportoit tant de maux. Enfin il demanda au neuvième jusqu'oü il éroir bon a 1'homme de vivre ; jusqu'a ce qu'il soit bkn persuadé, dir le Brachmaue, que la mort est préférable a la vie. Alors Alexandre portant la parole au juge , lui ordonna de prononcer; il dir qu'ils avoient tous plus mal répondu les uns que les autres. Tu dois donc mourir h premier, lui dir fe prince , roi qui portes un si beau jugetnent ; nullement , Seigneur , répliqua le juge, puisque vous avez dit que celui qui auroit répondu le plus mal seroir celui qui mourroir le premier. Ces subrilkés firent plaisir a Alexandre, qui pardonna aux JJrachmanes er les congédia. Le roi continuant toujours sa navigarion , arriva vers la fin du mok de Juiller dans la province de Patale. Ainsi le tems qui se passa depuis le départ de  d'Alexandre le Grand. Liv. XX. 317 la flotte jusqu'a Patale , étoit de neuf mois. L'Indus se sépare ici en deux branches, qui forment une isle semblable au Delta du Nil, mais beaucoup plus grande. Moeris, roi de cette conrrée , étoit venu quelques jours auparavant mettre sa couronne entre les mains d'Alexandre , et avoit ensuite pris le devant, comme pour se préparer a le recevoir. Mais quand le héros arriva a Patale , il rrouva que Mceris er ses sujets avoient pris la fuite et abanionné leur ville. II mit après eux quelques troupes qui les poursuivirenr dans les montagnes ; elles en prirenr quelques-uns qu'elles envoyèrent aux autres pour les engager a revenir et les assurer qu'il ne leur seroit fait aucun mal. Plusieurs s'y determinèrent et le prince en usa bien a leur égard. Comme certe province avoit des vivtes en abondance et que les troupeaux y étoient fort communs, il y arréra ses troupes vingr-rrois jours ; les campagnes nianquoienr d'eau cependant, c'est poutquoi il fit creuser par ses soldats un grand nombre de puits pour la commodité des habitans et des laboureurs. II batit a Patale une citadelle, un port et un arsenal peur les na* vires , et s'embarqua ensuite sur le bras oriental du fleuve pour aller jusqu'a 1'Océan. On prit des guides, mais le peu de soin que 1'on eut a les veiller leut laissa la facilité de s'échapper. Enfin on en chercha d'aurres qui sussenr le rrajer jusqu'a 1'Océan, 1'on n'en pur rrouver; mais ce ne fur pas un morif capable d'arrèter Alexandre : impatient de voir les extrémités de la terre et jaloux de pouvoir dire qu'il y avoir porté ses conquetes, il en voulut courir les risques, ne faisant nulle attention au danger oü il s'exposoit avec tant de braves gens sur un fleuve aussi célèbre pat ses écueils que par sa grandeur. On avoir déja fait 20 Lieues, quand ses pilotes lui dirent qu ils commen^oieru X.4  3^ Histoire asemu l'airde la mer, et qu'il leur semblcit que l'öcéan n'étoit pas loin. A certe nouvelle , tressaillant de joie, il encourage les matelots a ïamer de toutes leurs forces , et représente aux soldats qu'ils étoient enfin parvenus a cette fin tant desirée de leurs travaux ; qu'on ne pouvoit plus rien ajouter a leur gloire ; que sans plus combattre ni même répandre de sang , ils étoient les maitres de 1'univers; que leurs éxploiu ailoient aussi lom que la nature et que bientót ils verroient des choses qui n'éroient connues que des dieux immortels. Lorsqu'ils furent arrivés dans un endroit ou le tleuve avoir dix lieues de largeur , il s'éleva un vent impétueux qui tourmenra fortement les vaisseaux et les obligea de se mettre a 1 abri derrière une isle. Cer orace qu'ils avoienr essuyé , n'éroit aurre chose que flux de la mer Océanne , qui étoit violent en cet endroit. Lts vagues remontoient bien avant dans le fleuve et le grossissoient prodigieusement; mystère absolument méconnu des Grecs, qui n'avoient jamais eu de communicatien avec les peuples voisins de 1'Océan. Jugeant de cette grande mer par celle de la Méditérannée qui seule leur étoit connue , ils furenr fort étonnés lorsqu'ils la virent s'enfler et inonder les campagnes. Mais rien n'égala leur trouble , lorsque sur le soir la mer se rerirant , comme elle é'oit venuc , ils virent leurs vaisseaux restés a sec j les uns tombés sur la proue , les autres couchés sur le cóté et la plupart endommagés comme après- une tempête. Très-peu osèrent s'avancer en plaine campagne , craignant de voir re venir les eaux avec la même impétuosité et d'être ensevelis sous le s flots; ceux qui en avoient la hardiesse revenoient saisis de frayeur , disant que la mer avoit laissé les poissons sur le sable, qu'ils y avoient vu des monstres et que tout annoncoit la colère des dieux, qui vouloienr  d''Alexandre le Grand. Liv. XX. 329 ks punk de leur témérité. Alexandre n'étoit pas moins inquier que les siens , mais comme rien ne pouvoit abbarre son courage , il passa toute la nuit a donner ses orckes, fit radouber ks galères er envoya des hommes a cheval vers 1'embouchure du fleuve pour avertir du retour de la marée. II commanda qu'on se tint prèr pour ce moment. D'abord elle vint fort doucement er ne fit que soulever les navires , mais bientöt s'accroissant avec bien plus de force , elle remit en pleine eau certe flotte désolée qui retentit de cris de joie. Alexandre profita du moment et descendit 20 lieues , et accompagné. seulement de quelques galères, il arriva a 1'isle de Cilloutis et enfin a une autre qui étoit en pleine mer. II eontempla avec des yeux avides cette vaste étendue de mer , et crut que ce spectacle nouveau , digue d'un grand conquéranr comme bi, le dédommageoit avantageusement de toutes les farigues qu'il avoit essuyées pour y parvenir. II offrit de grand* sacrifices et en particulier a Neptune. II jetta dans la mer les taureaux qu'il avoit immolés, grand ncrobre de coupes d'or , et pria les dieux qu'après lui nul homme mortel ne passa* ks bornes de son expédition. II remonra ensuite le fleuve , et ayant rejoint sa flotte il revinr a Parak , oü il trouva qu'Ephestion avoit mis la dernière main aux ouvrages dont il 1'avoit chargé. 11 se fit un plaisir de raconter a ses soldats tout ce qui lui étoit arrivé de bien ou de mal ; mais inquier et embarassé sur le flux et le reflux qui avoit mis un si grand désordre dans sa flotte , il voulut savoir si la roer produisoit le même eftër dans le bras du Delra , donr 1'embouchure est éleignée de 1'autre d'environ 90 lieues. II fit donc encore ce trajet et descendk jusqu'a la mer, oü il trouva les mêmes phénomènes. II y vit une ville dont le port lui parut plus commode que ce-  ijo Histoire lui de Patale , mais comme il n'y avoit point d'eau douce , il chargea Léonale de faire creuser autant de puits qu'il seroit nécessaire. On dit qu'il jetta les fondemens d'une ville que 1'on nomraa Potane. LIVRE XXI. I-JE retour a Patale , Alexandre fit tout préparer pour e.ivoyer sa florte sur 1'Océan. II nomma pour amiral Néarque qui , de rous les officiers } fur le seul qui osa se charger de cette commission qui étoit extrêmement dangereuse , paree qu'il s'agissoir de faire voile sur une mer absolument inconnue. Le roi lui sut bon gré de 1'avoir voulu accepter , et après lui avoir montré sa reconnoissance d'une manière rour-a-fair obligeante , il le chargea de reconnoirre les cótes mantimes, depuis 1'Indus jusqu'aufond du golphe persique, et de venir ensuite le trouver a Babylone en remonranr 1'Euphrare. Aptès qu'Alexandre eut donné ses ordres , il fit prendre a son armée , par rerre , le chemin qui conduisoit a Babylone. Néarque ne partit pas de 1'Indus aussi-tot qu'Alexandre. L'été ou 1'on étoit n'est pas dans ce pays le tems propre de la navigation, il attendit donc la fin de septembre , er il parrir encore rrop tót, aussi Fur- il traversé des vents quelques jours après son déparr et ebligé de se mettre a 1'abri duranr 24 jours. Alexandre ayant quitté Patale , se trouva au bout de neuf jouts chez les Arabites , qui lui avoienr déja fait leurs soumissions , excepré quelques bourgades plus éioignées, dont les habitans se sauveren; dans les dé-  d'Alexandre le Grand. Liv. XXL 331 serts. On trouva dans ces contrées une ville nommée Hyala , dont le gouvernemenr étoit presque semblable a celui de Lacédémone 5 il y avoir deux rois sur le même rrone , qui ne jouissoienr d'un pouvoir souverain qu'en rems de guerre , er un sénar qui décidoir de tout pendanr la paix. Après s'èrre fait reconnoitre de cette ville, il passa le fleuve Arabon et entra dans la province des Orites. Un courage a toute épreuve et 1'amour de la liberté liguèrenr ces peuples avec ceux de la Gédrosie , pour censerver une indépendance que jamais personne n'avoir pu leur örer; car quelque grande qu'eüt été la valeur de Cyrus et de Sémiramis , 1'un et 1'autre, ils perdirent beaucoup de troupes. Leur rélistance n'intimida pas le roi de Macédoine ; animé par la résolurion qu'ils monrroienr a se défendre , et pat 1'ancienne défaite de ses deux émules, il atraqua er défir tous les partis des Orites qü'il renconrra sur sa route, et ruinanr le pays, il s'avancs vers la capitale , nommée Rhambacis, oü ils se préparoient a lui livrer bataille ; mais sa venue et le récit de ses expéditions les saisirent tellement, que comme s'ils eussenr été frappés d'une rerreur panique , ils patent tous la fuite. Alexandre déterminé a n'y pas laisser le moindre germe de révolte, partagea son armée en rrois corps, donr il donna 1'un a Prolemee, 1'aurre a Léonare er il conduisit le treisième. On poursuivit les fuyards dc tous cótés et 1'on n'épargna rien de ce qui faisoir résistance. Le burin fut immense, les soldats phéniciens y recueillirenr, sur-rour, une prodigieuse quanrué de myrrhe , de nard er d'aurres aromates. Après avoir ainsi désolé la province des Orires , Alexandre enrra dans celle des Jériophages qui habitoient sur les cotes de 1'Océan. Les vastes et stériles  33* Histoire déserts que ecs peuples habitoient, les rendoient comme sauvages et leur abrutissoient 1'esprit. L'ardeur qui entrainoit Alexandre , 1'engagea dans ces contrées plus loin qu'il n'avoit pensé , et il ne s'en repenrit que lorsqu'il ne fut plus tems de revenir sur ses pas. Les provisions que 1'on avoit fakes ayant été consumées en peu de jours , les troupes se trouvèrent manquer de tout ; ne pouvant supporter la nourrirure des Jétiophages, elles furent contraintes d'avoir recours aux racines des palmiers , le seul arbre qui fut dans le pays, Cette ressource étant épuisée , il fallut manger les bêtes de sommes , puis les chevaux de service, et quand il n'y eut plus de quoi porter les bagages, on fut contraint de brüler ces nches dépouilles, pour les^uelles ils avoient couru jusqu'aux exrrémités de la terre. Le roi faisoit tous ses efTorts pour sortir au plutot de cette terre infortunée , mais il n'étoit pas possible d'avancer autant qu'il le souhaitoit. La famine faisoit périr les uns et affoiblissoit tellemenr les autres , qu'ils n'étoient point en état de se mettre en marche. La peste, suite ordinaire de la famine 5 mit le ccmble a la misère des soldats et en fit périr un grand nombre. Après avoir ainsi langui et soufferr pendant soixante jours de marche , il se trouva dans la basse Gédrosie, a qui il n'imposa pas d'autre loi que celle de lui apporter des vivres et des rafraichissemens. II y fit quelque séjour er y rétabiit son armée. II y recut des dromadaires er des chameaux , chargés de munitions qu'il avoir mandé de la Parthienne, de la Drangiane et de I'Ariane , provinces qu'il avoit soumises avant la Bactriane ; mais ces secours ne fournirent qu'a une partie de ses besoins. La disette d'eau n'étoit pas moindre qu'avoit été celle des vivres. II se trouvoit dans une province aride, remplie de sables, ou ses troupes épui™  £'Alexandre le Grand. Liv. XXI. 333 sées ne pouvoient creuser des puits qu'avec peine. Néanmoins il en fit faire plusieurs avec des citernes, tanr pour eux que pour kt flotte qui cótoyoit le pajs des Jetiopfkges, et qui n'avoit pas moins soufTert qi e I'armée de terre. Ce qu'il espéroir devoir mertre fin a ses maux , devint pour lui un nouvel embavras. Les soldats extrêmement fatigués ou échauffés buvoienr avec indiserétion et se jettoient dans les citernes pour se rafraichir er éteindre 1'ardeur qui les brüloit j beaucoup en furent malades et plusieurs en uioururent. Alexandre fut obligé d'en éloigner le camp de 12 ou 15 lieues. Les gouverneurs des Indes lui ayanr cnvoyé par son ordre quantite de chevaux , il remonta sa cavalerie , remit en equipages ceux qui en avoient besoin et leur donna a tous, bientót après , des armes aussi belles que les premières, ce qui ne lui fut pas difhcile ss trouvant proche de la Perse qui étoit paisible et dans une gtande abondance. La Gédrosie ou Alexandre étoit alors touchoir immédiatement a la Carmanie, dont Alexandre avoit été reconnu souverain dans le voyage qu'il fit a Palagarde. II y avoit laissé Aspate pour gouverneur. II avoit fait quelques mouvemens pour se revolter , pendant que I'armée étoit dans les Indes; mais sachant Alexandre de retour , il étoit venu au - devant de lui dans la province des Orites. Le prince ne lui fit pas connoitre qu'il éroir insrruir de sa conduite , mais il ne rarda pas long tems a s'en défaire. En entrant dans la Carmanie, oü il n'y avoit plus d'ememis a craindre ni i combattre, tous les gouverneurs des provinces vinrenr le félicirer sur sa grandeur er 1'heureux succès de ses expéditions. Parmi eux fut Stanor, Satrape des Ariens et des Atrangiens; Pharismane , fils de Phratapherne, gouverneur des Parthes  354 Jfistolte er des Hyreaniens; Héracon, Cléandre, celui qui avoit assassiné Parménion, et Sitasce. Après avoir recu les eomplimens de rous ces seigneurs , il recur les plaintes des peuples; car autant Alexandre éroir jaloux de soumerrre routes les nations a son empire, autant étoit-il inexorable contre tous les officiers qui en avoient mal usé envers celles qu'il avoit assujetties de force ou qui s'étoient rendues d'elles-mêmes. II neut que trop sujet d'exercer cette juste sévérité. La plupart des gouverneurs et des officiers 1'ayanr vu embarqué dans son expédition des Indes, pensèrenr qu'il ne reviendroit ja-1 mais; il n'y eut donc pas de cruauté, de rapine er de violence , que 1'espoir de i'irapunité ne leur fit exercer; iis fouillèrent dans les tombe aux et pillèrent les temples. Vivement irrité de toures ces vexations, Alexandre fir mourir rous ceux qui furenr convaincus de quelques crimes; de ce nombre furenr Cléandre, Sirasce et Héracon , dont les excès avoient été sans bornes , er il fit subir le même sort a 600 soldats, qui avoient été les instrumens de leurs forfairs. II usa roujours dans la suire de la même sévériré envers rous les officiers qvi avoienr malversé; par-la il fir aimer son gouvernement dans roures les provinces conquises. II croyoit qu'un prince devoir ces exemples eclatants de sévérité x sa gloire, pour ne point paroitre complice des injusrices que 1'on commet sous son nom; ü la ccnsolarion des peuples, a qui il prête une vengeance qu'ils ne ne doivent jamais exercer eux-mêmes; enfin a la sécuriré de ses états, a qui une conduire si équitable épargne bien des dangers er souvent de dangereuses révoltes. Après tant de victoires et un retour si favorable , Alexandre n'avoit plus rien a desirer pour sa gloire que  £ Alexandre le Grand. Liv. XXI. 335 les honneurs du criomphe, er dans ce point de vue il prir Bacchus pour son modèle, croyanr trouver 1'immortalité sur ses rraces. II ordonna une grande fêre , semblable a celle qu'on disoit avoir été célébrée par ce dieu au retour de ses conquêres. II rit joncher de fieurs et de guirlandes les chemins par oü il devoit passer 3 et commanda a rous les habitans du lieu oi 1'on étoir d'avoir, devant leurs maisons, des tonneaux défoncés pleins de vin, des pots , des coupes , des viandss préparées, et de contribuer tous a la joie de la cérémonie. Pendant les sepr jours qu'elle dura, ce fur une dissolution perpétuelle et scandaleuse. Une pattie des troupes marchoienr a la rére du cortèse , buvant a chaque pas er dansanr d'une manière extravagante au son des flütes, des tambours et de toutes sortes d'instrumens de musique, qui formoient moins un concert qu'une véritable cacaphonie. Venoient ensuite les seigneurs de la cour et les amis du roi, la plüparr masqués, sur des charriots dressés en forme d'amphithéatre, oü éroienr des rables abondammenr er délicatement servies; ces chars étoient ornés de riches tapis de pourpre ou de broderie et couverts de branches d'arr bres , qu'on renouvelloit fréquemment pour entretenir la fraicheur. Celui du roi marchoit au milieu er surpassoir tous les autres par sa magnificence er sa grandeur; on en avoir joinr deux ensemble, er ils éroient trainés par huir chevaux de fronr; rour le corrége étoit fermé par le reste des troupes, portant des couronnes de fleurs noyées de vin et graissées de viandes. La campagne rerentissoit du bruir des insrrumens er des hurlemens des Bacchanres, qui, les cheveux épars er comme forcenées , couroient de rous córés er s'abandoimoient a toute sorre de licence.  3 3 6 Histoire Les Macédoniens furent heureux d'être au milieu d'un peuple dont ils s'étoient attiré 1'amitié , car s'ils eussent été parmi dès esprits aliénés, iooo hommes bien armés seroient venus a bout de ces vainqueurs du monde, ensevelis dans le vin et dans la débauche. Après que cette fête fut finie, Alexandre commenca a être inquier au sujet de sa flotte dont il n'avoit pas recu de nouvelle depuis long-tems; il dépêcha des couriers sur la cóte maritime pour s'en informer. Néarque, en cótoyant toujours le bord de la mer , éroir entré dans le golphe Persique et étoit alors dans 1'isle d'Armusia, aujourd'hui d'Ürmuz. Quelques soldats qu'il avoit mis a terre appercurenr 1'un des couriers d'Alexandre; et surpris de trouver dans cette contrée un homme habillé a la grecque, ils s'en approchèrenr er s'éranr reconnus, ils apprirenr qu'Alexandre avec son armée n'étoit qu'a cinq journées de chemin; ils coururent 1'annoncer a la florre qui retentit de cris de joie. Le gouverneur du pays instruit de cette rencontre , voulant faire sa cour au roi, lui en porta les premières nouvelles •, Alexandre les recut avec grand plaisir; mais ne \o,ant revenir personne au rems que le sarrape lui avoir marqué, il ne douta plus de la perte de sa flotte, et le fit mettre dans les fers comme un imposteur. II envoya sur sa route d'autres couriers a diverses reprises, er personne ne revenoit pour le consoler. Néarque cependanr partit aussi-ror qu'il eur appris du soldat oü étoit le roi. II avoir laissé sa flotte en un lieu de süreté et avoit pris avec lui cinq ou six aurres officiers. Comme il marchoir le long du fleuve, il rencontra quelques hommes a cheval qui le cöroyoient aussi et paroissoienr inquietó. II leur demanda oü éroit Alexandre,  d'Alexandre le Grand. Liv. XXI. $37 Alexandre, sans qu'ils le reconnussent, tant les fatigues et 1'air de la mer les avoient changés. Quand ils se furent éloignés, Archias, un des officiers qui accompagnoient 1'amiral pensa que ces cavaliers pouvoient les chercher eux-mêmes. Ils retournèrent donc vers eux, et leur ayant demandé le sujet de leur voyage, ils dirent qu'ils cherchoient a découvrir Néarque , que 1'on disoit être dans ces quartiers. C'est moi-même, leur dit 1'amiral. Bénis soient les dieux qui vous oiit amenés pour nous servir de conducteurs! Ils se mirent tous dans un bateau , et quelques-uns , se üvra'nt au premier mouvement de leur joie, coururent vers le rti lui annoncer que Néarque et Archias arrivoient, mais qu'ils n'avoient point vu la Hotte. Ces paroles redoublèrent son inquiétude; il s'imagina qu'elle avoit été entièrement détruite , et que par un bonheut particulier , ces deux chefs s'étoient échappés du naufrage. II étoit dans ces agitations d'esprit, lorsqu'on lui annonca 1'amiral; sa vue le confirma encore dans ses per.sées : son visage have et mal - propre , ses cheveux épars , son habit déchiré, le lui rendoient méconnoissable. II alla au-devant de lui, et lui serran't la main avec tendresse , je rends graces aux dieux, lui dit-il, de ce qu'ils vous ont conservé-, mais dites-moi comment et sur quelle cöte ma flotte a fair naufrage. Seigneur, répondir Néarque , ni vos soldars ni vos vaisseaux ne sont pas perdus-, je les ai laissés au port du Heuve Anamis. Alexandre ne put reténir ses larmes de joie, et il avoua cue cette heureuse nouvelle lui causoit plus de joie que la conquête de toute 1'Asie. II écouta avec un plaisir singulier le récit qu'il lui fit de son voyage et des découvertes qu'il avoit faites. Pour remercier les dieux de la protection qu'il prétendoit en avoir recue, on immola des victimes a Jupiter-Sauveur, a Neptune, *• Tomé VI. Y  3 38 Histoire Hercules, a Apollon , qui détourne les mauvaises destinées, et a tous les dieux de la mer. On célébra des jeux de lutte ou de musique, oü Alexandre fit occupèr sa place par son amiral. Après ce tnomphe, le roi lui dit : vous n'avez que trop essuyé de périls, il n'esr pas juste de vous expeser davamage; je vais nommer un chef qui conduira ma flotte a Babylone, et vous ne quitterez point ma cour. Seigneur, reprit aussi-tót Néarque, quand, par devoir et par état, je ne serois pas obligé de me soumettre a vos ordres, mon cceur ambitionneroit toujours la gloire de vous obéir. Je vous conjure plutöt de me laisser le soin de vorre flotte, jusqu'a ce qne je 1'aie remise dans la Perse; je 1'ai sauvée de tous les périls d'une longue et pénible navigation; a présent qu'il n'y a plus de danger, ne m'enlevez pas l'honneur et la satisfaction de la remetrre dans le dender port. II obtint ce qu'il dernandoit et retourna vers 1'Océan oü il óffrit encore des sacrifices, encouragea les rroupes er continua sa route par le golphe Persique. Bien loin de remplirle cceur d'Alexandre, cette prospérité ne servoit qu'a lui faire enfarirer de nouveaux projets et a allumer de plus en plus cette ardente passion qu'il avoit de conquérir rout 1'univers. S'entretenant un jour avec Anaxarque sur la géographie er 1'astronomie, ce philosophe lui patlant de la pluralifé des mondes , il s'écria , dans un rransport de douleur et d'ambition, que je suis malheureux, moi qui n'en ai pas encore soumis un tout entier! Le plaisir que lui avoit fait la relation de Néarque, lui donna du goüt pour la navigation et les voyages de mer. II ne se proposoit pas moins, en partantdu golphe Persique, que de faire letour de 1'Arabie et de TAfrique, et de rentrer dans la Méditetranée par le détroit de Gil-  ■ d'Alexandre le Grand. Liv. XXI. 339 braltar, alors appellée les colonnes d'Hercules, voyate qu'on avoit plusieurs fois entrepris et qui avoit été une föis exécuté par ordre de Néchao, roi d'Egvpte. II pensoit , après avoir abaissé 1'orgueil de Carthage , k entrer en Espagne , que Ion appelloit Ibérie; a passer les Pyrennees, entrer dans les Gaules, franchir les Alpe-s et revenir au travers de Flralie , d'oü il n eüt plus eu qu'un petit trajet pour entrer en Macédoine, par le royaume d'Epire. II envoya ordre a cet efrër aux vicerois de Mesopotamie et de Syrië, de faire construire en plusieurs endroits sur 1'Euphrate et sur-tout k Tapsaoue , le nombre d* vaisseaux nécessaire pour certeentreprise. II fit couper sur le mont Liban descèdresqui devoient servir a leur consrruction. Mais ce dessein ain ;i que bien d'autres échoua par sa mort prémarurée. Alexandre ayant dessein d'aller a Babylone se mit en chemin et entra dans la province de Perse. La première chose qu'il fir en y entrant fut de donner une pièce d'or a toutes les femmes de la province, comme les rois du pays 1'avoient prariqué de tout tems, lorsqu'ils revenoient de quelques voyages. Comme cette distriburion montoit a une somme considérable , on assure qu'elle empêcha plusieurs rois de Perse de renrrer dans cette province. Ce fut pour cette raison qu'Ochus s'en bannit pendant tout son règne; mars pour le maitre des Indes il ne craignit point de répandre de 1'or. Son plus grand soin étoit de faire accompagner son armée par 1'abondance. II avoit mandé a Abulistes, un de ses satrapes, de lui envoyet des vivres incessamment, mais ce gouverneur ne fit aucune provision et se contenta de lui apporter 3,000 talents ( 9,000,000 de livres). Lorsqu'Alexandre les vit, il entra dans un# grande colère , les fit répandre devanr ses chevaux , et comme ils n'en mangeoient poinr , a quoi me serr don« Y 1  j 40 Histoire lui dit-il, cette provision que tu m'as faite? En même tems il le fit mettre en prison. En s'approchant de ses anciennes conquêtes, i 1 lui revenoit des p'aintes sur 1'avarice et I'in justice de ses satrapes ; il les punit tous rigoureusement. II recut aussi des lettres de Porus et de Taxile, qui lui mandoient que le roi Abisare étoit mort, que Philippe, un de ses vice-rois avoit été assassiné , et qu'ils avoient eux-mêmes puni les meurtriets. Alexandre leur écrivit qu'il laissoit le fils d'Abisare en possession du royaume de sespères, et qu'il avoit nommé Eudcemon a la place de Philippe. Dans les nouvelles qu'il recut de la Macédoine _> il apprit qu'Olympias, sa mère, s'étoit liguée contre Antipater, et que ne croyant pas qu'il revint jamais, elle avoit parragé le royaume er avoit pris pour elle 1'Epire. Cette cabale ne 1'efrraya pas , il dit seulement que sa mère avoit été sage de choisir 1'Epire et non la Macédoine, paree que les Macédoniens n'auroient jamais pu souftrir de se voir gouverner par une femme. En continuant son chemin il passa a Pasagardes» ville de la Perse; Orsines gouvernoit ce pays; c'étoit le plus grand seigneur de toutes ces contrées, il descendoit de Cyrus; outre les richesses de sesancêtres, il avoit lui-même amassé de grands trésors, étant depuis long-tems maitre d'une étendue considérable de pays. Phraare que le roi avoit établi gouverneur de la Perse, avant son expédirion des Indes , étant venu a mourir lorsqu'il y étoit engagé, Orsines voyant que faute de gouverneur rout alloit tornber dans le désordre er dans la confusion, se chargea volontairement des affaires, les remit en bon érat et les conserva jusqu'a 1'atrivée d'Alexandre. II alla au-devanr de lui avea toutes sortes de présenrs , tant pour lui que pour les  d'Alexandre le Grand. Liv. XXI. 341 priricipaüx officiers , c'étoit de grands chevaux dressés a la guerre, des chariots enrichis d'or et d'argeut, des meubles précieux , des pierredes, des vases d'or d'un grand poids, des robes de pourpre et 4,000 talents ( iz,ooo,ooo de livres). II pria le roi de choisir ce qui lui faisoit plaisir et disiribua le reste aux principaux officia-s. Cette généreuse magnificence lui couta cher , car dans la dispensatibn de ses largesses, il omit Bagoas, favori du roi, Ce ne fut point par oubli, mais par mépris. Quelqu'un 1'avertit cependant de 1'affection que le roi lui portoit, il répondit qu'il honoroit les amis du roi, mais non pas un infame eunuque. Cette parole ayant éte rapportée a Bagoas, il employa tout son crédit a la ruifie de ce prince , issu du plus nobie' 'sang de t'órienr, et de qui la vie étoit sans reproche. II suborna les gens même de sa suite , leur donnant des instructions pour se rendre dénonciateurs quand il seroit tems. Lorsqu'il étoit seul avec le roi, il lui rernplissoir 1'esprit des plus noires impostures, jettant comme par hksard et sans dessein , des mots couverts contre ce seigneur, et il dissimuloit avec grand soin le sujet de son mécontentemenr. Le roi néanmoins suspendoir encore son jugement, mais on s'appercevoit cependant du réfroidissement de son amitié pour Orsines , qui ne savoit rien de ce qui se tramoit contre lui , tant Bagoas se conduisoit secrettement. Alexandre va nous montrer quel mal peut faire un ami vicieux , auquel un prince est assez malheureux pour donner sa confiance. L'heure enfin arriva ou la calotnnie devoit opprimer 1'innocence, er la vertu succomber a 1'iniquiré. Bagoas, après avoir bien pris toute ses mesures , fit enfin éclore son dessein. Alexandre ayant été visiter le rombeau de Cyrus pour honorer les cendres de cet illustre conquérant, le fit ouvrir et  Histoire n'y trouva qu'un bouclier pourri par l'humidité , deux arcs a la facon des Scythes avec un cimeterre , au hen qu'il croyoit y trouver 1'or , 1'argent , les pierredes qu'il y avoir laissés a sa première visite. Surpris et artrisre de 1'outrage fair a la mémoire d'un prince si illustre , il mit une couronne d'or sur son urne et la couvrir de son manteau royal. Bagoas profirant de cette occasion pour perdre celui dont il avoit juré la mort, dir au \ rmce, faut-il s'étonner Seigneur , si les tombeaux des rois sont vuides, puisque les maisons des satrapes regorgent de 1'or qu'ils en ont thé ? Je n'avois jamais vu ce rombeau mais j'ai oiii dire a Darius qu'il renfermoitdes richesses immenses , et personne ne le sait mieux que vous. De la sont venus ces profusions d'Orsines, afin qu'en donnant ce qu'il ne pouvoit gatder sans sa perdre , il se ménageat par ce moven vos bonnes graces. Alexaiuke ttouva 1'action trop criminelle pour en charger un homme dont rout le monde lui disoit du bien, 11 apphqua a la question les mages qui étoienr chargés de veiller a la garde du sépulchre et il n'en put titer aucun in Jice. Bagoas profirant de leur silence , fit déposer ses témnins subornés. Ils choisirent un moment favorable er vinrent se déclarer contre lui ; ils le chargèrent de plusieurs faits odieux, et entr'aurres du sacrilége commis envers les manes de Cyrus. Pour lors lachoss ne parut plus doureuse, ni avoir besoin de plus grands éclaircissemens, de sorte que cet infortuné prince se vit dans les fers avant qu'il se douut seulement qu'on 1'ent accur.é : il fur mis a mort sans avoir été entendu ni cOnfronté avec ses accusateurs, Après ce qu'on avoit vu en Carmanie , on pouvoit bien puévoir que 1'affection d'Alexandre pour Bagoas ne produiroit pas d'autre fruit. Dans cette fameuse fêre qui se donna, il lui avoit permis de faire les frais d'un  d'Alexandre le Grand. Liv. XXI. 3 4* théatre pour les danses er da musique, oü le crédit et la flatterie lui firent remporter k prix. Fier de sa victoire, il traversa 1'assemblée et alla s'asseoir auprès du roi. Quelques Macédoniens aiulatèurs se mirent aussitót a battre des mains et a jetter de grands cris pónrexciter le roi a 1'embrasser. Alexandre eur la foiblesse de le faire • il le prit entre srs bras et le baisa en présence de tout le monde. Comment pouvoit-il donc résister aux intrigues d'un favori si cher ï A peine Orsines fur-rl expiré que 1'on reconnur son innocence. On découvrit que l auréur de ce vol sacrilége étoit un riche Macédonien de la ville de Pelia, lieu de la naissance d'Alexandre; il se ncmmoit Polymachus. Alexandre le fir moüfir en croix , sans néanmoins punk celui qui étoit coupable du sang d'Orsines. Polymachus ne s'étoit pas contente de ravir ks trésors qui étoient renfermés dans k tombeau , il avoit brisé plusieurs pièces mdifférerires i son avarice , ou qu'il n'avoir pu empor- ' rer , comme les couvertures , le lit et le tróne. Le prince chargea Aristobule de réparer rous ces dommages et prit ensuite la route de Suze. Cararie , ce brachmane qui avoit suivi Alexandre, soufTrit beaucoup dans ce dernier trajet • plus qu'octogénai'ré j il avoit passé toute sa vie dans une santé parfaite; mais se voyant travaillé d'une colique, il résolut de terminer sa carrière, suivant la eoutume de son pays y ne voulant pas que la parfaite santé dont il avoit toujours joui füt akérée de longues douleurs, et craignant aussi de romber entre les mains des médecins et d'être tourmenté par la multitude de leurs remèdes, il pria le roi de per.mettre qu'on ékvat un bücher er qu'on y mit le feu quand il seroit dessus. Le roi 5 imagina d'abord qu'il seroit aisé dele détourner d'un si horrible dessein, mais voyant que, quoi qu'il püt lui dire, il delf 4  344 Histoire meuroit ferme et inflexibïe dans sa résolution , il fut obligé de lui accorder ce qu'il dëmandoir er chargea Prolemée d'en faire les prépararifs. Le jour de cette cruelle cérémonie étant venu , le roi voulut honorer la mort de cet Indien qu'il respectoit, et conduisit lui-même la pompe funèbre; il fit ranger toute I'armée en bataille dans une grande plaine, er fit orner le bikher de quantité d'omemens d'or et d'argent pour pater Ia vicrime er 1'appareil de son sacrifice. Catane vêtu d'une robe superbe et enrichie de pierredes que le roi lui avoit envoyées, et la tête couverte d une couronne de fleur , se mit en marche sur un cheval richement caparaconné ; mais comme il ne pouvoit en supporter le mouvement, il monta dans une litière. Quand il fur au pied du bucher, il fit faire sur lui les mêmes efFusions et fit observer toutes les cérémonies qui éroient en usage parmi les siens; il se coupa une toupe de cheveux , comme on coupoit les crins des victimes ; prit congé de ses amis et de plusieurs Macédoniens , en leur disant: depuis que j'ai perdu la santé et que j'ai vu le grand Alexandre , la vie n'a plus rien qui me touche ; graces aux dieux , ils m'ont préserve jusqu'a ce jour de la douleur et de la mauvaise ccnseience , les seuls maux qui puiszent véritablement affliger 1'homme; mais puisqu'après tantd'années, lesmaladies commencent a assiéger mon corps et a ruiner la demeure de mon ame , c'est une marqué que le ciel ne veut pas qu'elle y habite davantage, quoique j'ai toujours pris soin de la conserver pure et exempte de toute sorte de vree. Je suis convaincu néanmoins que par la contagion du corps elle a contracté beaucoup de tache , er c est pour la purifier que je vais la faire passer par le feu ; je brüleraj ainsi les liens quil'onrempêché derevoir sa patrie et de s'envoler vers le ciel, Au reste j mes amis,  d'Alexandre le Grand. Liv. XXI. 345" je vous exhorte , vous autres , a vous réjouir et a faire bonne chère. Quelques-uns disent que s'adressanr a Alexandre , il lui dir que dans peu ils se reverroient a Babylone, lui prédisant sa mort prochaine. Après avoir prohoncé ces paroles, il monta gaiement sur le bücher er se couchalui même , se couvrir le visage et ordonna qu'on y mir le feu. Quand la flamme vint a le saisir , il ne fit pasle moindre mouvement, mais avec une constance qui éronna toute I'armée , il demeura dans la même skuation oü il 'sétoit mis et acheva son sacrifice. On jugea diftèremment de cette action, les uns la condamnèrent comme une extravagance d'r.n homme furieux etinsensé ; les autres crurent que ce qu'il en avoit fair n'avoit été que par vaine gloire , pour se donner en spectacle et acquérir la réputation d'une constance inouie; d'autres enfin louèrent cette grandeur de courage qui 1'avoit fait triompher des dóütèürsèr de la morr. Alexandre fut de ce nombre •, quoiquil n'eut pu demeüret jusqu'a la fin de cette trisre cérémonie , ïlne pouvoit se lasser d'admirer la fermeté de Catane , et il honöra ses cendres d'une sepulture magnifique. Pour obéir aux dernières paroles duBrachmane, il donna a souper le soir a grand nombre de ses officiers , er proposa une couronne de prix pour celui qui boiroir d'avanrage. Promacus fut ceiui qui remporta le prix , pour avoir bu 1S ou 20 pintes de vin ; mais sa victoire lui coma chet, n'ayant survécu que trois jours a son intempérance. De tous les autres convives il y en eut quaranre-un qui moururent de cette débauche , ayant été surpris d'un froid violent qui les saisit dans leur ivresse , les uns a table, les autres un peu après. Alexandreavorrcontracté depuis peu cette malbeureuse  54<5 Histoire inclination; il ne lui restoit plus d'ennemis a vaincre, il s'abandonna donc a la débauche et. a la volupté. Ses repas furenr amant d'excés oü 1'on ne garda plus de bornes dans le boire er dans le manger; de-la on se livroit a toute sorte d'intempérance. Alexandre étant arrivé a Persépolis vit les tristes restes de 1'incendie; il fut au désespoir de la folie qu'il avoit fait d'y mettre le feu ; de - la il s'avanga vers Suze. Néarque, pour exécuter sesordres , avoit commencé a remonter 1'Euphrate, mais sur 1'avis qu'il eur qu'Alexandre alloit a Suze , il descendit jusqu'a 1'embouchure du Pasirigre et remonta ce fleuve jusqua un pont ou Alexandre devoit passer; I'armée de terre et I'armée de mer s'y rejoignirenr. Alexandre offrit des sacrifices en actions de graces pour son heureux retour, et 1'on fit de grandes réjouissances. Néarque fur comblé d'honneur pour avoir si bien conduit Ia flotte , et pour 1'avoir ramenée jusques-la en bon état au travers d'une infinité de dangers.  d'Alexandre le Grand. Liv. XXII. $47 t I V R E X X I I. -Alexandre trouva a Suze toutes les princesses qu'il y avoir laissées, er il épolisa Statira, fille ainée de Darius , quoiqu'il eut déja pris Roxane dans la Bactriane; mais c'étoit la eoutume des rois de Perse d'avoir plusieurs femmes et même grand nombre de concubines; er afin qu'en rendant ces alliances communes on trouvit son manage moins étrang* , il donna la plus jeune des files de Darius a son cher Ephestion , et il engagea les plus grands seigneurs de sa cour et ses principaux favoris a contracter de pareil'.es alliances. Ils choisirenr donc pour èpouses dans les plus nobles families de Perse environ quatre vingt filles. Cratère eut Amestris; niece de Darius ; Perdiccas, la fille d'Atropate, et Ptolemée celle de Spitamène. II vouloit par ces alliances cimenter si bien 1'union de deux nations, qu'elles n'en deviendtoient qu'une sous son empire. Les noces en furent célébïées a la facon des Perses , avec une fète et des réjouissances qui durèrent plusieurs jours; il y invita rous les Macédoniens qui avoient déja pris des épouses dans ses nouvelles provinces , er leur fit présent a chacun d'une coupe d'or pour faire les libations corijugales. On assure qu'il se trouva a ce festin jusqu'a 9000 conviés. Non content de cette largesse, il voulut acquiterles dettes de ses soldats; mais comme il vit que plusieurs ne vouloienr,pas les déclarer, craignant que ce ne fijt un arrifice pour connoitre ceux qui faisoient le plus de déper.se, il établit dans son camp des bureaux ou 1'on payoit sans prendre le nom de son créancier et de son  J4§ Histoire débiteur. Cerre libéralité sans exemple causa un extréme et sensible plaisir a I'armée ; on dit qu'elle montoit a prés de trente millions. Mais la faveur qu'il fit de n'obliger personne a dire son nom fut encore plus agréable , il rit néanmoins des reproches aux soldats de c: qu'ils sembloient douter de la foi du prince, et leur dit qu'un roi ne devoit jamais*manquer de parole a ses sujets, ni ses sujets soupconner qu'un roi füt capable de cette honteuse prévarication. Antigène , un de ses officiers , se présenta aux bureaux comme endetté et recut une somme considérable qu'il dit avoir été obligé d'emprunter ; cette scmme fut payée comme les autres, mais peu de tems après on reconuut la fourberie. Alexandre indigné chassa Anrigène de sa cour; cet officier fut bien-tót au désespoir de la bassesse qu'il avoit commise, et le roi craignant que son chagrin ne le portat a se donner la mort, Ie remit en grace, car c'étoit d'ailleurs un brave officier , le consola et voulut même qu'il retint 1'argent qu il avoit recu. Les fêtes occasionnerent un long séjour a Suze. On a vu qu'Alexandre, avant que d'entrer dans les Indes, avoit fait cboisir dans route la Perse 30,000 jeunes gens; il avoit érabli sur eux des gouverneurs et des maitres qui les dressèrent aux exercices militaires et leur enseignèrent tont ce qui concernoit 1'art de la guerre ; ils étoient forts, grands et bienfaits; il les avoit fait proprement habiller et armer a la Macédonienne. On les amena a Suze; ils campèrent devant la ville, et s'étant mis en bataille , ils passèrent en revue et firent 1'exercice devanr Alexandre. Le prince en fut si satisfait , qu'il les combla de graces et de bienfairs; mais ce qui anima leur reconnoissance, fut ce qui exeita i'envie et la jalousie des Macédoniens.  d'Alexandre le Graad. Liv. XXII. ^49 Alexandre voyant qu'ils étoient ennüyés et las de guerre , et qu'il 'etar arrivoit souvent aux assemblées de s'e.rnporter en plainres et en murmures, voulut se servir de ces nouvelles troupes pour les opposer aux anciennes et réprimer leur licence. Les Macédoniens voyant que cette jeunesse avoit gagné tout 1 estime d'Alexandre , qu'il sembloitla préférer a la fameuse phalange ; qu'il lui donnoir des char°es dans I'armée ; que lui-même prenoit tous les jours quelque chose de leurs manières; qu'il auroit souhaité voir tous les Grecs parler et vivre comme les Perses; enfin quil renvoyoit a la Hotte comme gens inutiles tous les Macédoniens invalides; ils s'en plaignirerrt hautement et dans des termes amers. Alexandre irrité de leurs discours, reprit sévèrement les principaux, et pour les mortifier davantage, il donna encore de nouveaux emplois aux Perses, établissant les uns pour ses gardes, les autres pour ses hérauhs, les huissiers et les exécuteurs de ses ordres. La vue de ce nouveau coi» tége les aigrit encore davantage, et lorsqu'on étoit sur le point d'éclarer de part et d'autre , Alexandre assembla tous les Perses d'un cóté, et se mettant a leur tête, il fit mettre tous les Macédoniens de 1'autre , et leur dit: choisissez-vous a présent un chef qui nous attaque j si je suis vaincu , je consens de devenir votre sujer. Quelques Macédoniens plus modérés représentèrént a leurs frères qu'ils s'exposoientaux derniers périls et qu'ils devoient connoitre combien il étoit dangereux de s'opposet aux volontés d'un prince qui ne vouloit ni rivaux ni contradicteurs. Ces sages remontrances appaisèrent tellem?nt les esprits , que les plus ernportés étant revenus a eux-mêmes, touchés de repentir , allèrent tous ensemble, sans annes et en simples tuniques , devant la porce du paLüs, ne s'exprimant que par des .gémisse-  j j® Histoire mens et par des cris, se livranr eux-mêmes a la justice d'Alexandre j et le conjurant de les punir comme des ingrats. Le roi , quoique déja attendri, ne voulur pas paroitre ; mais Voyant qu'ils ne se reburoient pas et qu'ils avoient déja passé deux jours et deux nuits devant sa porte , 1'appellant leur seigneur et leur roi, il sortit enfin , leur paria avec douceur et les remit dans ses bonnes graces. Avanr que de commencer la guerre des Indes , Alexandre avoit confié a Harpalus fa garde du trésor de Babylone. Cer officier abusa ètrangement de son pouvoir et de la confiance du roi; se Hattant que le prince engagé dans les Indes n'en reviendroit jamais, il usa de ces derniers comme d'un bien qui lui eüt été propre. II fit venir des femmes de Grèce , les traita avec une magnificence qui n'apparrenoit qu'a un souveram, et "se plongea dans toute sorte de luxe , de dissipation et de débauches. Quand il scut qu'Alexandre revenoit triomphant et qu'il chatioit sévèrement toures les malversations , il songea a s'en mettre a couvert, et pour cet effet ramassa 15 millions et 6oco hommes de guerre , se sauva dans 1'Attique et aborda a Athènes. Aussi-tót que les orateurs eurent appris le sujer de son voyage, ils lui offrirenr leurs services pour exhorter les républiques a le soutenir, er la générosité avec laquelle il payoit leurs harangues lui atrira beaucoup de panégyristês. Leurs déclamations néanmoins 'nopérantrien sur les esprits 3 que le nom seul d'Alexandre retenoir dans le devoir, Harpalus entreprit de corrompre celui qui étoit 1'ameet le mobile des assemblées d. Athènes , c'est-a-direl'illustre Phoöicn; mais sa probité sévèrequi lui avoit donné ce grand crédit parmi ces citoyens , le rendu inaccessible aux profusions du corrupteur. Harpalus lui envoya dcnc 700 talents; ( 2,100,000 h-  d'Alexandre le Grand. Liv. XXII. jjr vres ) mais ii les lui tenvoya trés-durement, et lui déclara qu'il alloit prendre contre lui des mesures trèsvialentes sil ne cessoit de semer la discorde dans la ville. Quoique 1'orateut Demosthènes neut jamais été bien intentionné pour Alexandre , il n'étoit point cependant favorable a Harpalus; il conseilloit aux Athéniens de le renvover et de se donner bien de garde de sejetter dans une guerre pour un sujet très-injuste et Sans aucune nécessité. Harpalus faisant quelques jours après 1'inventaire de ses biens, Déniosthènes qui étoit présent prenoit plaisir a considérer une coupe d'or , et admiroit la facon et la beauté de 1'ouvrage. Harpalus qui avoit une merveilleuse sagacité pour décoüvrir a la mine et a cèrtains coups d'oeil le foible d'un homme épris de 1'amour de 1'or, la prit et le pria de la soupeser er de juger dupoids dë i'or. Démosthènes 1'ayanr prise , fut sürpris du poids qui étoit considérable er demanda combien elle pesoit; Harpalus lui dit en souriant , elle peut bien valoit 20 talents, ( 20,000 liv. ) et le soir même il lui envoya 20 talents avec la coupe. Démosthènes ne la rejetra point , et vaincu par ce présent , il passa tout-a-coup dans le parti d'Harpalus, et dès le lendemain rhatin , le col bien enveloppé de laine et de bandelettes, 'il se rendit a 1'assemblée. Le peuple , a l'ordinaire , lui ordonna de se lever et de parler; mais il fit signe qu'il avoir une extinctiön de voix. Quelques plaisans dirent tout haut la-dessus, que leur orareur avoit éré surpris la nuit, non d'une esquinanciè, mais d'une argirancie, pour faire enrendre que c'étoit 1'or d'Harpalus qui lui avoit éteint la voix. Le peuple ayant ensuite été informé du présent qu'il avoit recu, entra dans une grande colère conrre  jjj, Histoire lui er refusa d'écourer sa justification. Harpalus fut chassé de la ville, et pour découvrir ceux qui avoient recu de 1'argent , on fir une visite juridique dans toutes les maisons , excepté dans celle de Cariclés, marié depuis peu , qui fut seule exempte de cerre recherche , par respect pour la nouvelle épouse. Cette attention et cette honnêteté font honneur a la politesse athénienne. Démosthènes fur envoyé en exil ; Harpalus se réfugia en Crète, ou il périr par la trahison d'un de ses alT1'S' , i 'tt Alexandre ayanr appris la fuite et 1'infidélité d Harpalus , avoit eu beaucoup de peine a le croire,. et il avoit tant de confiance en cet officier , qu'il fir merrre en prison les deux premiers qui lui en portèrent la nouvelle, comme cnvieux et calomniateurs; mais ensuite n'ayanr plus lieu d'en douter et recevant des nouvelles assurées qu'il cherchoir a soulever le peuple d'Athènes , il avoit pris la résolution de faire un voyage a Athènes pour le punir avec les Athéniens ; maïs de nouvelles dépêches lui apprenant ses raauvais succès et la fidélité d'Athènes , il tourna ses vues ailleurs et eut encore la curiosiré d'aller voir 1'Océan. II descendit de Suze par le fieuve Eulée er reconnur différentes isles. Ayanr rencontré un pirate qui commettoit des désordres sur ces cótes, il lui demanda quel droir il croyoir avoir pour miester ainsi les rners. Le pirate lui répondit avec hardiesse , le même que toi de désoler 1'univers •, mais paree que je le fais avec un petit batiment en m'appelle brigand; et paree que tu le fais avec une «rande flotte , on te donne le nom de conquérant. Cette réponse n'irita point Alexandre qui ne lui fit point de mal. Après avoir rasé la cote du Golphe Persique , Hisqu'a 1'embouchure du Tigre, il remonta par ce ' fleuve  d'Alexandre le Grand. Liv. XXII. 5; 3 fleuve vers I'armée, qui campoit sur ses bords , prés de la ville d'Opis, sous les ordfes d'Epeston. Ayant ramené une partie de sa flotte dans le même trajet , il fit la revue générale de ses troupes , et déclara qu'il permettoit a ceux qui étoient hors d'état de servir , de se retirer dans leur patrie , déclarant que son intention étoit de leur accorder leur congé , de leur faire du bien et de les renvoyer honorablement et suremeiat chez eux. II pensoit par-la gagner l amitié des Macédoniens et se les attacher de plus en plus, mais tout le contraire arriva \ ils retombèrenr de nouveau dans leurs murmures et leurs plaintes séditieuses, il s'imaginèrent qu'il vouloit établir le siège de son empire dans 1'Asie , et se passer des Macédoniens 3 qu'il n'avoit plus que du mépris pour eux et qu'il les congédioit pour faire place aux troupes persannes , dont il étoit si jaloux. II n'en fallut point davantage pour les mettre en fureur; sans garder aucune mesure ni aucune discipline , et sans vouloir écoiyer les remonrrances de leurs officiers, ils abordenr le roi avec insoience , ce qu ds n'avoient jamais fait, et demandent avec des cris séditieux, qu'il allat faire la guerre avec son père Ammon , et qu'il les licentiat rous. Le roi sans s'éronner et delibérer, saute a bas de son tribunal, saisit luimême trois de ceux qu'il avoit entendu le plus disrinctement, et les fit conduire sur 1'heure au supplice avec dix aurres qu'il désigna. On peut dire que cet acte de vigueur et d'autorité donr ils furenr frappés comme d'un coup defoudre, les attéra et les accablaj ils étoient tout hors d'eux mêmes, n'osant presque se regarder. Un tremblement et un saisissement, qui leur glacoit le cceur , ne leut laissoit 1'usage ni de la réflexicn ni de la parole. Quand il les vit réduits dans eer état, il remonta sur son tribunal; la , d'un visage Tomé VI. Z  554 Histoire sévère et d'un ton de voix menacant, il leur uappella tous les bienfaits qu'ils avoient recus de son père et toutes les marqués de bonté et d'amitié qu'il leur avoit aussi données lui - même. Si je me détermine a vous parler encore, leur dit-il, ce n'est pas pour vous erapêcher de retourner en Grèce ; je déclaré hautement que je ne redens personne. C'est pour vous remettre devant les yeux les obligations que vous m'avez, vous convaincre de la plus criante ingratitude et vous confondre. En quel état de pauvreté, d'indigence et de misère, vous trouva Philippe mon père 3 lorsqu'il monta sur le tróne! Vous n'aviez que des cabanes pour habitations, de simples peaux vous servoient de vêtemens, tout votre bien consistoit en quelques troupeaux de brebis, que les plus riches étoient encore obligés de mener paitre eux-mêmes dans les déserts et les montag.ies. Ce peu que vous possédiez, étoit souvent enlevé par vos voisins, n'ayant ni le courage ni 1'adresse de vous défendre. Vous étiez alternativement les esclaves et le jouet des Triballiens , des llliiiens , des Thraces, des Thessaliens et des Grecs. Mais quel heureux changement ne produisirent peint parmi vous sa sagesse et sa valeur ! II vous inspira cette noble audace qui vous a fait secouer le joug de la servitude 3 vous a mis en possession de leurs terres, de leurs villes et de leurs richesses; les a forcés de vous payer le tribut comme a leur souverain , et pour tour dire , vous a mis en état de conquérir 1'univers. J'héritai de son sceptte. Profitant des dispositions oü il vous avoit laissés, je ne me contentai pas de ce qu'il vous avoit acquis , j'ambitionnai de vous soumettre le monde entier. Sous moi, vous passates 1'Hélespont, vous défires deux fois les Perses, vous triomphates dans 1'Egypte , vous mites en fuite les armés innombrables de Darius j vous tra-  d'Alexandre le Grand. Liv. XXII. 3 j ƒ versates 1'Asie , vous vïtes les rois venir d'eux-mèmes vous faire hommage de leurs couronnes. Jamais avec moi vous n'avez été vaincus. Que de risques et de dangers m'ont coüté tant de batailles ! qui s'est plus exposé, qui peut montrer plus de blessures ? C'est par moi, j'ose le dire, que vous avez remporté tant de victoires, et néanmoins elles Sont en votre nom, c'est vous qui en recueillez les fruits; c'est a vous qu'appartient i'ot, les perles , les pierreries, tous les trésors de la Perse et des Indes; c'est peur vous qu'on les garde er qu'on les défend ; comparez - les avec ce qui étoit dans le rrésor de mon père , vous scavez qu'il né m'avoir laissé que 60 ralenrs ( 180,000 livress;) Eh ! combien ea ai-je employé davanrage pour célébrer vos mariages er pour 1'acquis de vos dettes ? Ce sont-la de mes bienfaits; c'est-la votre reconnoissance. Vous me demandez votre congé , je vous le donne ; allez liches, allez ingrats , vous vanrer dans la Grèce d'avoir abandonnê celui qui a vaincu ranr de nations, qui a remporté des victoires plus éclatantes que celles des héros; qui ne s'est vu arrêrer sur la fin de sa carrière, que paree que vous manquates de cceur; qui a parcouru 1'Océan et subjugué les provinces oü les plus grands princes avoient échoué. AJlez laches, allez perfides , publier dans votre patrie que vous avez abandonnê votre roi patmi des peuples qui lui obéiront mieux que vous. Allez demander aux hommes qu'ils vous louenr, aux dieux qu'ils vous en récompensenr; allez, partez dès aujourd'hui. Après avoir ainsi parlé , ilrenrra brusquemenr dans sa tente, cassa son ancienne garde et en nomina une autre, tirée route entière des troupes Persan nes, et se tint ïenfermé duranr quelques jours sans vouloir écourer personne que les Perses a qui il témoigna route" sorre d'amitié ; Z z  3 j£ Histoire il les appellcit ses amis , ses patents, ses alliés , et il les embrassa tous. Quand on auroit prononcé un arrêt de mort contre chacun des macédoniens, ils n'auroient pas été plus consternés qu'ils le furent a cette arfligeante nouvelle, que le roi avoir confié la garde de sa personne aux Perses. Ils ne purenr plus contenir leur douleur, er ce ne fut que cris er que gémissemens et plaintes. Ils accourent rous ensemble a la rente du roi, jettent leurs armes par-rerre er se reconnoissanr coupables , ils avouenr leur faure avec larmes er soupirs, marquanr que la perre de leur vie leur seroir moins sensibles que la perre de leur honneur, er protestant qu'ils ne sorriroienr poinr de-la qu'Alexandre ne les eüt punis ou ne leur eüt pardonné. On auroit dit, voyant ainsi toute cetre armée consternée et désolée par la perte des bonnes graces de son général, quec'eüt été une familie affiigée d'avoir attristé un bon père , ranr leur doubur étoir amère et profonde. Alexandre ne put résister plus long-tems a des témoignages si touchans dun repentir sincère ; il se mon tra a eux , et les voyant rous fondre en larmes, il ne pur rerenir les siennes , er après quelques légers reproches rempérés par un air de bonté et de tendresse , il dit d'un tonforrhaur, pour se faire enrendre, qu'il leur rendoir son amirié; c'étoit leur rendre la vie er leurs cris de joie le témoignèrenr assez. On fir de grandes réjouissances pour certe réconciliarion. Alexandre immola des vicrimes extraordinaires, pour demander au ciel d'aftermir ces rémoignages d'amirié. Quand il leur eüt fait connoïtre la droiture de ses vues, il licentia dix a douze mille hommes, que leur age, leurs • blessures ou d'autres innrmités metcoient hors d'état de supporter plus long-tems les fatigues du service ; mais  £ Alexandre le Grand. Lh.XXII. 357 en les congédiant, il ne leur donna pas seulement ce qui leur étoit dü de leur paye ordinaire, il leur disrribua 11,000 talens ( 36 millions) de gratificatiën et ordonna qu'ils fussent défrayés de tout sur la route. Pour leur donner encore une nouvelle marqué de son affection , il nomina Cratère , un de ses principaux confidens, pour les reconduireen Grèce , et créa Polispercon pourlui succéderen cas de mort. U écrivit a Antipater, vice-roi de Macédoine 3 qu'il vouloit que C9S illustres vétérans eussent des honneurs partic.uliers; que toutes les fois que 1'on y célébreroit des jeux ou aurres specracles publics , ils y parussent couronnés et eussent les premières places , et qu'après leur mort leurs enfans jouiroientde leur paye; mais il voulut qu'ils laissassent en Perse ceux qu'ils y avoient eus des femmes qu'ils avoient pris dans l'Asie , de peur que ces enfans d'un second li' ne fussent une occasion de division er de discorde dans leur familie. 11 y avoir prés de dix mille de ces enfans, et le roi leur promit de veilier a leur éducaüon et de les faire instruire d:mc la pratique des exercices mihraires. Combien de telles faveurs et de teïs honneurs accordés aux anciens soldats et aux vétérans, étoient-ils capables o uher la profession militaire ! Un prince ne peut pas cnvichir chaque scldat, mais il peut 1'animer et le consoler par des marqués de distinctions, qui inspirent plus d'ardeur pour les armes, plus de constance pour le service , plus 'de noblesse dans les seutimens et dans les motifs. II y avoit alots dans la Macédoine deux puissames factions, celle d'Olympias qui s'étoit emparée de 1'Epire et celle de sa sceur Cléopaire , qui s'étoit fait déclarer reine de Macédoine, selon routes apparences, sous les auspices d'Antipater. Les chefs des deux parris faisoient souvent a Alexandre des phüntes mutuelles. Olympas Z 3  3j8 Histoire accusok Antipater d'aspirer a la couronne , et lui de «cm cöté se plaignoit de 1'humeur aigre er imrairable d'Olympias, etavoir souvent écrit qu elle ne se conduisoit pas dans roure la bienséance de sa djgnité; mais ce prince, sansyrèpondre, les laissa leng-tems invecriver 1'un contre 1'autre , les blamant et les approuvant tour a-tour. Un jour il lui échappa de dire qu'Olympias lui faisoit payer bien cher neuf mois d'habiration qu'elle lui avoit donnés dans son sein. II croyoit cependant qu'il lui seroit plus aisé ds vaincre une femme qui se mertoit a la tête des troupes , que de réduire Amtipater , reconnu pour grand capitaine depuk la défaite des Lacédémoniens; car il étoit convaincu que Cléopatre n'avoir que le nom de reine et qu Antipater exercok toute ï'autorké. Quelqueswns de ses amis voulant faire son apologie devanr !s roi, il leur répondit, il vous paroir blanc au-dehors, mais si vous le pouviez regarder en dedans, il vous parokroir rour de pourpre. Convaincu de ses projets ambitieux , il lui écrivit de venir le rejóindre dans l'Asie , et de céder a Cratère le gouvernement de la Macédoine! Cette révocarion qui devoir 1'indisposer contre Alexandre , fir naitre dans la suite des soupcons sur son ressentiment, quoiqu'il eüt 1'artifice de pro Ion ger si bien son départ qu'il ne sortit jamais du royaume. Alexandre ayant quitté Opis, entra dans la province de Sitacène, qu'il traversa en quatre jours , il en passa ensuite sept a Samba. Le troisième campement fut dans une contrée qui étoit peuplée par une colonie de Boeotkns, que Xercès avoit amené de sa grande expédition. Quoiqu'il y eut déja plus de 144 ans depuis leur transmigration; 1'amour de la patrie leur en avoit fait conserver presque tous ks usages et ils en parloiem habituelkment , excepté quand la nécessité les obiigeoii d'avoir affaire avec les naturels du pays.  d'Alexandre le Grand. Liv. XXII. 3/9 De-Ik il vint dans les plaines de la Bagisthane , abondante en parurages, et tellement propres pour la nourriture des chevaux, qu'il y en trouva prés de. 6,000 ; On les nommoit Nyséens. Atropares, gouverneur, vint au-devant lui au-dela des frontières, et lui amena cent femmes habillées er armées en amazones. Onignore quelle éroir leur parrie er leur origine. Mais Alexandre sarisfair d'avoir vu ces illusrres guerrières , ne voulur pas qu'elles fissent un long séjour dans 1'armée, da peur qu'elles n'y fussenr exposées a quelques insulres. Après avoir passé un rnois aux environs de Bagesta, il enrra en Médie er vint a Ecbarane, oü il fir encore un long séjour. Absolumenr livré aux plaisirs, il n'y fur occupé que de jeux, de fêtes er de divertissemens. On lui avoir amené de Grèce 3000 comédiens , machinistes er aurres ouvriers, donr le ralent et les fonctions étoient d'arranger er d'ordonner les spectacles du rhéatre. On passoit a des repas que 1'on pouvoir plutot nommer des excès de débauches, d'oü 1'on ne sortoir jamais que dans une pleine ivresse. Ce fut le tombeau de plusieurs Macédoniens, enrr'aurres d'Ephestion. Ce favori d'Alexandre étanr dans 1'ardeur d'une fièvre violenre 3 causée par un de ces soupers meurtriers , il profira d'un moment oü son médecin éroir allé au rhéarre pour boire er manger , ainsi que s'il n'eur poinr été malade ; la fièvre redoubla, causa en lui d'affreux ravages , er son inrempérance lui causa la morr. C'éroir 1'ami Ie plus intime du roi, le confident de rous ses secrets, et pour le dire en un mor, un aurre lui-même. Crarère seul sembloir le lui dispurer, un mor qui échappa un jour au prince , monrra la différence qu'il mettoit entre ces deux amis; Crarère , Z 4  3 60 Histoire dit-il, aime le roi, mais Ephestion aime Alexandre. II fur vérirablemenr regrerté de rout le monde, et surtour d'Alexandre, qui se livra d'une manière peu convenable a la majesré royale, a une douleur excessive. II étoit au spectacle quand on lui annonca sa mort.; il accourur aussi-töt, voulut voir le cadavre, 1'embrassa, lui paria avec tendresse , 1'inonda de ses larmes, y passa rrois jours sans prendre aucune nourriture, et on eur bien de la peine a le lui arraoher. II ne parut trouver de consolation que dans les honneurs exrraordinaires qu'il fir rendre a son ami; il voulur que tour le rsonde portat le deuil; il défendit toutes sortes de jeux et de divertissemens; il se rasa la tête, voulut que ses principaux officiers en fissenr de même , er qu'on coupar les crains des chevaux ; qu'on abbatit les créneaux de toutes les villes et chateaux des environs. II fit mettre en croix le médecin qui avoit abandonnê Ephestion pour aller au rhéatre. II envoya aussi en même rems consulter Jupirer Ammon, pour savoir quels honneurs il falloit rendre a la mémoire de son ami. On voir par ia qu'Alexandre étoir aus?i extréme dans ses regrets, qu il 1'étoit dans ses desirs. Pour éloigner les rrisres idéés que la morr de son favori lui merroit eontinuellement devanr les yeux, Alexandre fit marcher son armée contre les Cosséens, narion belliqueuse des monragnes de Médie , qui s'éroir révoltée ; il les passa rous au fil de 1'épée , et appella eer affreux carnage le sacrifice de la consécration d'Ephestion. Cette expédition dura quarante jours. II revint ensuite a Ectabane, oü il consacra trente millions pour les funérailles et la pompe funèbte de son ami, qu'il vouloit faire a Babylone.  d'Alexandre le Grand. Liv. XXII. j Alexandre en fut si irrité , qu'il le poussa rudement contre la muraille. Une autrefois qu'il tépondpk aux accusations dont on chargeoit son père Antipater , le roi lui dit avec beaucoup d'aigreur : crois-tu donc que si ton père neut commis aucune in» justice , je verrok mes sujets entrcprendre un si leng vovage , pour me présenter des requêtes vaines et frivoles 2 Mais , Seigneur, reprit Cassandre, c'est une preuve de la fausseté de leurs accusarions -, car plus ils viennent de loin , plus ils ont éloigné les preuves, et tavi a .'innocent le moyen de se justifier. A ces mots, Alexandre se mit a rite : voila , dit-il, de ce> sophismes d'Aristote , pour prouver ie pour er le contrei néanmoins, dit-il d'un ron sévère, je ne laisserai point impunie la moindre injustice : cette menaoe inspira une telle frayeur a Cassandre , et ia lui imprima si fcrtement dans 1'ame , que quelques années après, étant maitre de Macédoine et de la Grèce , ayant appercu une statue d'Alexandre, il fut si saisi , qu'il frissonna , et qu'un ttembknient se ïépanüt dans tout son corps. A force de 1'entendre répéter, A.kxandre s'abandonna a milk supersticions -, chaque événement annnncoit, Aa 3  374 Histoire selon ses idéés, quelque carastrophe. Le palais étoit plein de gens qui sacrifioient, d'autres qui faisoient des expiaticns et des puriflcations; d'autres enfin qui se vantoient de pénétrer 1'avenir, afin de ie calraer. C'étoit sans doute un spectacle bien digne d'attention , de voir un prince la terreur de 1'univers , livré lui- même aux dernières frayeurs sur les menaces vagues er incertaines de la mort, après qu'on 1'a vu tant de fois la mépriser sur les champs de bataille, lorsqu'il la voyoit pour ainsi dire elle même , mille fois plus terrible er plus certaine. On ne voit plus alors ce même Alexandre ni ce génie éiévé au-dessus du commun des autres, il semble, au contraire, que le ciel cherche a le rabaissrr et a le mettre au-dessous des autres , pour le punk de s'êtie voulu égakr a la divinité 5 il 1? livre a une ridicule superstition, que ks hommes de boii esprit et de bon sens méprisent le plus, er oü , en efkr, il y a p lus de peritesse , de bassesse et de fciblesse. Son occupation laplus ordinaire et sa ressource dans sa nok mélancolie , étoient principakrnent la débauche et les excès de la tabla , qui le tencient plusieurs jours dans 1'ivresse et dans le sommeil. Ce n'étoit plus alors ce même prince qui, quelques années auparavant, avoit fait abattre une grande colonne de bronze, oü éroir écrit le détail de ce que les Perses dcvckur fournir au luxe de leur roi; la mulrkude et la diversité des mets lui paroissoient alors peu convenables a des gens de guerre et capables seulement d'amollk leur force er leur courage. Un ancien nous a conservé 1'emploi de quelquesunes de ses journées, d'oü 1'on peur juger de toutes les autres ; le 28 de septembre de 1'année précédente , il hut teilement chez Eumée, qu'a peine pur-ii  d'Alexandre le Grand. Liv. XXIII. 37; se lever un moment pour donner des ordres qui pressoienr. Le 30 seprembre , il soupa chez Perdiccas , s'y enyvra er dormit le jour suivanr. ' Le 8 octobre , il prit encore tam de vin qu'il passa le 9 rour entier dans son lit. Le 17 octobre, Bagoas lui donna a manger er le lendemain il demeura plongé dans le sommeil. Avec une telle vie , falloit-il a ce prince que le ciel für rempli de signes er de phénomènes , pour lui annoncer une mort proehaine ! tous ses repas étoient autant de coups meunriers qu'il se donnoit a M-même. Après un repas qu'il donna a ses officiers er qui dura pendanr deux jours j comme il prenoit le bain pour se coucher, Medius de Thessalie vint le prier a souper, 1'assuranr qu'il rrouveroir chez lui bien du plaisir er grande chère ; il y alla er s'y livra entièrément a la dissoludon. Après avoir tenu table pendant toute la nuit avec vingt conviés, il fit raison a chacun en particulier d'une santé ; après cela il se fit encore apporter la coupe d'ilercules, qui tenoit six bouteilles 5 il but cette fameuse razade, et aussi-tót il se sentit dévoré d'un feu violent qui lui brfiloit les entrailles; il fit un cri comme s'il eut été percfe d'un dard , et on 1'emporta de la salie sans connoissance. Vcila donc , s'écrie Sénèque , en marquant les funesres effets du vin , ce héros invincible a tdutes les fatigues des v&yages, a tous les dangers des sièges er des combats , aux plus violens excès de la chaleur et du froid, le voila vaincu par son intempérance, er rerrassé par cette fatale coupe d'Hercules. Une violente fièvre le saisit, et ses douleurs étoient si aigües, qu'il demanda pour rout remède, qu'on lui donnar un poignard. A a 4  Histoire Le lendemain 13 mai, ses douleurs n'étoienr pkis si violenres, mais il eut une grande fièvre; le soir il voulut se baigner, et après avoir offert les sacrifices accoutumés, il soupa et eut la fièvre toute la nuit. Le jour suivant 14 mai, il coucha dans la chambre de bain, oü il se fit raconter par Néarque le détail desa navigation et tout ce qu'il avoit vu dam 1'Océan. Le 15 mai il 1'entretint encore , sa fièvre augmenta considérablemepr, er il passa une forr mauvaise nuir. Le i(S la fièvre devinr beaucoup plus violente, il se fit transporter dans un appartement situé auprès d'un étang , oü il s enfretint avec ses capitaines sur les charges vacantes, et leur dit quil ne falloit les donner qu'a des officiers d'une valeur reconnue. Quoiqu'il fur plus malade le lendemain , 17, il se fit porter au lieu oü 1'on offroit le sacrifice , et il voulut que ses principaux officiers fissent la garde dans la cour , er les chefs subalternes hors du palais. Le 19 il se fit encore transporrer prés de 1'étang, il donnir peu ; ses capitaines étant entrés dans sa chambre, ie trouvèrent sans parole, Le 10 se passa de même, et aucun des officiers ne pouvant entrer, ils menacèrent les gardes d'enfoncer les porres si on ne leur ouvroir. Lorsqu'ils le virent prêt a expirer, ce ne fut qu'un en effroyable qui se répandir a 1'insrant dans i'armée; les soldars aussi-tót y accou1 inent rous en humes, et jamais enfans bien nés ne donnèrent de plus grandes marqués de doukur et de désespoir a la vue de leur père mouranr. II se fit un peu lever la tête , regarda tous ses soldats passer devant son lit, leur donna sa main a baiser , et leur dir adieu par le signe d'un homme mourant. Le 21 , quelques officiers passèrenr la nuit dans le temple de Serapis a cffrir des sacrifices; er ils deman-  d'Alexandre le G rand. Liv. XXIII. 377 dèrent aux dieux s'ils devoient 1'y apporter, mais le prêtre répondit que cela n'étoit pas a propos. Le 12., le prince se sentant mourir, tira 1'anneau de son doigt, le donna a Perdiccas, et lui recommanda de faire rransporrer son corps au temple de Jupiter Ammon. Comme il n'avoir point d'enfans qui püt hériter de sa couronne , les grands de sa cour lui demandèrent a qui il laissoit 1'empire : au plus digne, dit-il; mais je prévois que ce différend me prépare d'étranges jeux funèbres. Perdiccas lui demanda quand il vouloit qu'on lui rendït les honneurs divins; lors, dit-il, que vous serez heureux , et il expira a la suite de ces paroles, le 11 mai versie scir, après avoir régné un peu plus de 11 ans et demie , la seconde année de la CXIVe olympiade, 323 avant J. C. Pendant la maladie d'Alexandre on ne soupconna point de poison , une preuve du contraire fut 1'état du corps mort, car les principaux officiers étoient entrés en de grandes dissentions 5 le corps fut laissé sans aucun soin rt sans aucune précaution, et il demeura cependant quelques jours sans se corrompre , ce qui est trésextraerdinaire dans un pays aussi chaud que la Babylonie. On crut néanmoins depuis, qu'il avoir été empcisonné , et que ce fut par le ministère des fils d'Antipater. On prérend que Cassandre avoir apporté le poison de La Grèce , er que Jolas, grand échanson , le mit dans la coupe d'Alexandre , et qu'il choisit habilement le tems de la débauche dont il a été parlé, afin que la quantité 'prodigieuse de vin qu'il avoit bu, cachat mieux la véritable cause de sa morr. On se rappeloit qu'Alexandre avoir jeté un grand cri dès qu'il eut avalé la coupe, et les circonstances oü se trouvoit alors Antipater, autorisoient cessoupcons; il devoir être persun ie qu'on ne 1'avoit mandé, que pour le punir des malversations qu'il  3 7 8 Histoire avoit commies pendant sa vice-royauté , et il n'étoit pas hors de vraisemblance qu'il eüt fait commettre a ses enfans un crime qui lui sauvoir la vie en 1 orant a son maitre: ce qu'il y a de sur, c'est que jamais il ne put se laver de cette tache, et que tant qu'jl vccur, les Macédoniens le detestèrent cemme le trairrè qui avoit empoisonné Alexandre. Dès que le bruit de sa mort se fut répandu , tout le palais retentit de cris et de gémissemens •, victorieux , vaincus , rous le pleurèrent également •, la douieur que causoit sa mort rappelant toutes ses bonnes qualirés , faisoit oublier ses défauts; les Perses 1'appelloient le plus juste et le plus doux maitre qui Leur eüt jamais commandé, et les Macédoniens le meilleur et le plus vaillant prince de la terre, murmurant les uns les autres conrre les dieux , de ce que par envie ils 1'avoient ravi aux hommes a la fleur de scn age et de sa fortune. Sa mort ne paroissoit pas possible aux baibares, apils 1 avoir vu tant de fois mépriscr et repousser leurs coups ils ne le regardoient point seulement comme invincible, ils le croyoient aussi immörtel. Les Macédoniens 1'ayant vivemenr empreinr dans leur irhaginarion , croyoient le voir encore avec ce feu qui brillek encore dans ses regards, avec eer air assuré et inrrépidè les mener au combar, assiéger les villes, monter sur lesmursetdisrnbuer des récompenses a ceux qui se disringUoient; ils se teprocliöient alors de lui avoir refusé les honneurs divins, et se confèssoient irigrats et impies de 1'avcir frustré d'un nom qu'il mérköit a si juste titré. Après lui avoir rendu ces hommages de regrets et de larmes , ils tournèfent toutes leurs pensées et leurs réflexions vers eux-mêmes et sur le triste état oü la perte d'Alexandre les laissoit; ils se considéroient éleignés de la Macédaine, sans »hef, au-dela de 1'Euphrate et  a™ Alexandre le Grand. Liv. XXIII. 379 au milieu des peuples qu'ils avoient vaiucus ; ie roi éroir mort sans laisser de successeur, un affreux avenir se présenrcit alors a leurs yeux, et ne leur montroit que division, que guerre civile et qu'une fatale nécessité de verser leur sang et de r'ouvrir ler.rs vieilles plaies, non pour conquérir un empire comme l'Asie, mais pour lui donner un roi et pour placer sur le trone, peu:-être un vil offkicr ou quelque scélérat. Un si grand deuil ne demeura pas renfermé dans les murs de Babylone , il se repanJit dans toutes les provinces, et la nouvelle en vint bien-töt a la reine Sysigambis ; elle avoit déja auprès d'eile une de ses petites fil'. s , encore eplorée de Ia mort d'Ephestion , son époux. Cette jeune princesje, dans cette calamité pubiique , sentoit renouveler ses douleuts parnculières, mais Sysigambis pleuroit elle seule toutes les misères de sa maison, et cette nouvelle afflicdon lui rappellant routes les auttes } on eut dit que Darius ne venoit que de mourir, et que cette mère infortuné faisoir, tout a la fois, les funérailles de deux fils; elle pleuroit également et les morts et les vivants : qui aura sein, clisoit-elle, de mes filles ? oü trouverons- nous un autre Alexandre ? il lui sembloit qu'elles étoient devenues une seconde fois captives, qu'elles venoient encore de perdre leur royaume , avec cette diflérence que la mort.d'Alexandre les laissoit alors sans espérancsss et sans ressources. Cette princesse qui avoir supporté avec patience ia mort de son père, celle de son mari, de 00 de ses frères massacrés en un jour par Ochus, et pour rour dire en un mor celle de Darius son fils er la ruine de sa maison , n'eur pas assez de force pour supporter la perte d'Alexandre , elle le pleura comme le plus cher de ses enfans, et crut ne pouvoir reconnoicre ses bon-  380 Histoire tés qu'en mourant de douleur ; elle ne voulut plus prendre de nournture , et la morr seule finit sa douleur er ses peines. Si 1'on mesure la reconnoissance sur les bienfaits, qu'ils étoient donc grands ces bienfaits d'Alexandre, pour exiger de Sysigambis un pareil retour et un si grand sacrifice 1 Après la mort d'Alexandre, il arriva de grands désordres parmi les Macédoniens pour la succe«ion du tróne. Au bout de 7 jours de confusion et de dispute, on convint qu'Aridée, frère batard d'Alexandre , seroit déclaré roi, er que si Roxane qui étoit grosse de huit mois accouchoitd'un fils, il seroit joint a Aridée et mis sur le tróne avec lui; que Perdiccas seroit chargé de la personne de 1'un et de 1'autre , car Aridée étoit un Lnbécile qui avoit autant besoin d'un tuteur qu'un enfant en bas age ; mais ces conventions ne durèrent pas long-tems. Perdiccas, Ptolemée, Antigone, Seleucus, Lysimaque , Antipater et son fils Cassandre, en un mot tous ces capitaines qui avoient été nourris dans la guerre sous un si grand conquérant, songèrent a se rendre mairres de 1'empire par les armes; iis immolèrent a leur ambition toute la familie d'Alexandre, son frère, sa mère, ses femmes, ses enfans et jusqu'a ses sceurs. L'on ne vit que des batailles sangiantes, de fausses paix, des traités rompus et d'effroyables révolutions , oü après s'être exrerminés les uns les aurres, il n'y eur qu'Antigone , Seleucus er Prolëmèe qui purenr laisser a leurs descendans les érats qu'ils avoient envahis ; savo-ir, la Macédoine , la Syrië er 1'Egypte. Les provinces au-deli de 1'Euphrate fermèrent un empire considérable, sous le nom des Parthes et les Indiens retournèrent a leurs anciens maitres. La seule mort dAJexanire fut cause de toutes ces  d'Alexandre le Grand. Liv. XXIII. 381 révolutions, car il faut le dire a sa gloire, que si jamais homme a eté capable de soutenir un si vaste empire, queique nouvellement conquis, c'a été sans doute Alexandre, puisquil n'avoit pas moins d'esprit que de courage; il ne faut donc point imputer a ses fautes , quoiqu'ü en ait fait de très-grandes , la chüte de sa familie, mais a la seule mortaiité, a moins qua 1'on ne veuiiie dire qu'un homme de son humeur et que son ambition engageoit toujours a entreprendre, n'eüt jamais trouvé le loisir d'étabiir les choses. Si Alexandre a été si au-dessus des hommes par sa fortune , il sembloit aussi qu'un air denlpire et d'autorité , naturellement peint sur son visage , montroit l'ascendant qu'il devoit avoir sur eux. Cette qualité qui n'est point un ouvrage de 1'art, est un présent de la nature, et elle procure une assurance intime et secrete qui répand sur la personne un caractère d'autoriré a laquelle on cede sans savoir comment, si-non qu'on le fait comme un inferieur a son supérieur naturel. Cette élévation née avec nous, est un air qui nous distingue et qui semble nous destiner aux grandes choses; c'est par cette qualité que nous usurpons les déftrences des autres hommes, c'est elle qui d'ordinaire nous met plus au-dessus d'eux cue la naissance et la dignité', une personne qui a cette qualité , fait plus d'un seul regard et d'une parole que les autres ne font avec 1'étalage de leur éloquence; ses raisons, lorsqu'elle parle, concilient moins les esprits qu'elles ne les subjuguent, elles partent d'une ameforte et hardie, qui semble plutót donner des ordres que des preuves pour persuadet j on cede moins a la conviction, qre Ton ne piiè sous un ascendant qui est le maitre; 1'espric subit le joug sans exarainer comment, et la volonté  jSi Histoire la plus fiére s'ylaisse comme attachet parun lien aussi serré qu'il est secret. Ce je ne sais quoi qui se remarque dans les yeux et dans le visage , ne dépend point de la fortune et se peut trouver dans tous les états de la vie , dans d'un et dans 1 autre se-xe; c'est néanmoins pour 1'ordinaire dans les personnes de haute naissance j que se voir ce je nesais quoi de grand et de noble , qui leur attire du respect et qui les fait reconnoïtre dans la foule , er ce caractère que Dieu a imprimé particulièrement sur le front des rois, distinguoit Alexandre au milieu de sa cour, par une représenration et un port noble, agréable et augusre. Au milieu de toute son armée, vous 1'auriez reconnu par le feu er la vivacité de ses yeux , qui annoncoient limpétuosité de son courage, par une intrépidké inanimée qui inspiroit du courage et de 1'assurance aux soldats, et par une fierté majestueuse. A le voir dans ses conquètes, vous diriez qu'il étoir né maitre de 1'univers et que dans ses expéditions il alloit moins combarre les ennemis que se faire reconnoïrre de ses peuples. II n'avoir point cependant 1'avantage de la grandeur du corps ; de-la vint la méprise de Sysigambis et 1'étonuemenr de 1'amazone, qui regardant 1'avantage de la taille comme une qualité nécessaire aux héros, et ayant dans leur esprit estimé la grandeur de son corps sur celle de sa renommee , s'attendoient peut-étre a rrouver un géant. Ce prince avoir aussi 1'habitude d'incliner la rête sur 1'épaule; a l'égard de sa complexion elle éroit forte et robuste , ayant été dressé , dès son enfance , a résisrer a toutes sortés de fatigues et aux rravaux de la plus longue haleine. II étoit blanc et d'une blaneheur relevée par un peu d'incarnat qui éelatoit panicul-ièrement sur son esromac  d'Alexandre Ie Crand. Liv. XXIII. 5§j et sur sou visage. On dit que de sa Douche et de, tout son corps il en sorroit une odeur agréable qui parfumoit tous ses habits , ce qui venoit peurêtre de 1'excelieuce de son tempéramment qui étoit très-chaud et plein de feu. Lisipe , parmi les statuaires et sculpteurs , fut celui qui a le mieux représenté ce prince, et Apelle , un des plus illusttes peinrres de 1'antiquité, le peignit en Jupiter armé de la foudre. LIVRE XXI V. T 1jon doit d'abord reconnoitre dans Alexandre un naturel heureux, cuhivé et perfectionné par une excellente éducation 5 il avoit de la grandeur d'ame , de la de la noblesse, de la générosité; il aimoit a donner, a répandre et a faire plaisir, er il se fachoit véritablement contre ceux qui ne vouloient pas en prohter. Comme si dans sa première jeunesse il eüt senti a quoi il étoit destiné , il vouloit primer en tout et 1'emporter sur tous les autres j toujours vifet roujours plein de feu , ses paroles étoient comme des étincelles qui présageoient les entreprises rapides de ce foudre de guerre, et les exercices qu'il aimoir dès son enfancej découvroient ses inclinarions martiales. II semble encore que ses desrins ayenr voulu donner a connoitre la grandeur future de ce prince par les songes d'Olympias er par bien d'autres présages. Ses latmes jalouses de la gloire de son père , et le jugement de Philippe qui le croyoir digne d'un plus grand royaume que le sien , parurent appuyer 1'avertissement des dieux, ainsi que les inclinations relevées qu'il montra  3 S4 Histpiri dans son enfance; car certaineraent i'afrection, le pén"* chanr, 1'attrait pour relle chose que ce soir, esc comme 1'horoscope de ce que Ton deviendra un jjur; si le penchanr rend aux grandes choses , c'esr un présage d'héioïsme en quelque genre ; si le penchanr va aux perirs objets , c'esr un pronosric presque sür qu'il n'y aura jamais de noblesse ni de grandeur dans 1'ame, ou bien il faudra des soms iniïnis er d'excellenrs maicres pour redresser cetre malheureuse penre. Je ne sais si jamais prince eut 1'esprit plus cultivé qu'Alexandre : éloquence, poësies , belles lettres, arts de toutes sortes, les sciences les plus abstraites er les plus sublimes , rour lui devinr famiher. II n'y a personne a qui la passion qu'il avoit pour Homère ne soit connue, er qui ne sache qu'en faveur de Pindare, les maisons de ses descendans furenr conservées dans la ruine et dans la désolation de Thèbes. C'esr avec un plaisir extréme que 1'on voit ce prince , encore jeune , rendre un si illusrre rémoignage a son mairre, en déclarant qu'il lui étoit plus redevable qu'a son père même. Pour parler ainsi , il faur connoitre tout le prix d'une bonne éducation ; on en vit bien-töt les eftets. Peut-on trop admirer la solidité d'esprit de ce jeune prince, dans la conversation qu'il eut avec les ambassadeurs de Perse ; sa prudence prématurée, lorsqu'en qualiré de régenr, pendant 1'absence de son père, il contint er pacifia la Maoédoine; son courage er sa bravoure a la baraiile de Chéronnte , oü il se distingua d'une manière si marquée ! On le voir avec peine manquer de respecra son père, er lui insulter par une raillerie outrageante; il est vtai que 1'arTronr que Philippe faisoit a Olympias, sa mère, en la répudianr, le transporta hors de lui-même; mak nul prétexte, nulle injuscice, nulle violence , ne peu- ve nf  é'Alexandre le Grand. Liv. XXIF. $8; vent excaser un tel emportement a Tégard d'un père et d'un roi : il fit paroitre plus de modération dans lasuite, Jorsqu'a 1'occasion des discours de ses soldats mutins, il dit que rien n'étoit plus royal que d'entendre dire rranquillement du mal de soi en faisant du bien. Les commencemens de son règne sonr peut-être ce qu'il y a de plus glorieux dans toute sa vie. Qu'a lage de io ans il é dans les hens du manage ; cependant son camp deyint pour ces prin-  e''Alexandre le Grand. Liv. XXI'V. 5 91» eesses un asyle sacré ou plutot un temple oü leur pudeur fut mise en süreté , comme sous la garde de la vertu même, et oü elle fut respecrée a un point que Darius apprenant la manière dont elles avoient été trairées, ne put s'empêcher de lever les mains vers le ciel er de faire des vceux pour un vainqueur si généreux, si sage er si maitre de ses passrcns \ il ptia les dieux j que s'ils avoient enfin résolu de faire fimr 1'empire des Perses , il n'y eur poinr d'aurre qu'Alexandre assis sur le tróne de Cyrus ; et ensuite, lorsqu'expirant percé des rrairs de ses perfides sujers , il lui envoya des marqués touchantes de son affection et de sa reconnoissance; il mourur dans 1'espérance que les dieux le récompenseroient de 1'humanité er de la générosité dont il avoit usé envers ce qu'il avoit de plus cher au monde. Ce témoignage rendu par un ennemi mourant , esr plus estirnable que les monumens élevés a la gloire des aurres conquérans , il vaut seul tous les triomphes. Depuis le siége de Tyr , la vertu d'Alexandre ne conserva plus tout son lustre ; la fortune qui l'accompagnoit toujours l'éblouk enfin , et dans ce caractère, jusqu'alors plein de noblesse , 1'on vit tout-a-coup les vices les plus grossiers et les passions les plus dangeréuses ; c'est c? qui a fait desirer a un moderne qu'Alexandre eüt eu assez de modération pour se bomer lui-même et arrêter ses conquêtes , puisqu'elles cornmencoient a lui pervertir le cceur. Voici comment il s'exprime. Que manque-r-il jusqu'ici a la gloire d'Alexandre ï la vertu guerrière a paru dans rour son éclat , la bonté, la clémence, la modération, la sagesse y ont mis le comble et y ont ajouté un lustre qui en releve infinimenr le prix. Supposons que dans cet état , Alexandre pour mettre en süreté sa gloire et ses victoires B b 4  39 * Histoire s'arrête tout court ; qu'il mette lui-même un frein ï son ambition, et que de ia même main dont il a terrasse" Darius , il le rétabhsse sur le tróne-, qu'il rende 1 Asie mineure habitée presque route entière par des Grecs , libre et indépendante de la Perse 3 qu'il se déclaré le protecteur de toutes les villes et de tous les erars de la Grèce , pour leur assurer leur liberté et les laisser vivre selon leurs loix ; qu'il rentte ensuite dans la Macédoine, et que de-la content des bornes léginmes de son empire , il mette toute sa gloire et toute sa joie a le rendre heureux , a y procurer 1'abondance, a y faire fleurir les loix et la justice, a y mettre la vertu en honneur , a se faire armer de ses sujets; qu'enfin devenu par la terreur de ses armes, et encore plus par la renommée de ses vertus , 1'admiration de rout 1'univers, il se voye en quelque sorte 1 aroitre de tous les peuples, et exerce sur les cceurs un empire bien plus stabie et bien plus honorable que celui qui n'est fondé que sur la crainte; en supposant tout cela , y auroit-il jamais eu un prince plus grand, plus glorieux, plus respectable qu'Alexandre? Certes, on n'en peut discoiïvenir, c'est-ia le portrait d'un héros parfait ; mais y en a-t-il eu , y en aura-r il , y en peUt-il avoir ? On ne peut exiger de personne, pas même des héros , une teile peifection, puisqu'eile est impéssible et incompatible avec la foiblesse humaine. Si Alexandre Feut possédée, certe vertu si élevée auroit excité notre adnnratkm et rien de plus; nous aurions été surpris et fiappés d'étonnement, comme a la vue d'une haute montagne , mais nul neut osé entreprendre d'y monter. Alexandre sans vices eüt été un prince inimitable ; j'aime donc mic-ux le voir avec quelques défauts, ses grandes qualités et ses vertus ne paroissent plus alors inaccessi'bles. Un jeune  d'Alexandre le Grand. Liv. XXIV. $93 coeur qui plein d'ardeur pour la gloire, dcsire et travadle pour acquérir les vertus qui y font monter, ne désespere plus de les atteindre , quoiqu'il ait quelques-unes des foiblesses qui n'ont pas empêché Alexandre d'y arriver ; et quand il les aura acquises , la même émulation qui lui a fair desirer de les atteindre, Ie portera alors a le surpasser et de plus a avoir moins de vice-s que lui , puisque ce sont des tnches a sa gloire ; car je n ai point prétendu eifacer la honte dont Alexandre s'est couvert par plusieurs défauts très-considérahles. On le voit plein quelquefois d'une vaine présompt;on pour lui-méme , d'un mépris dédaigneux pour les autres et même pour son père , d'une soif ardenre de Ia louange et de la flatterie, qui 1'a fait tomber dans bien des faures , paree qu'elle étoit conuue de ses courtisans , qui s'en servoienr a leur avantage et a sa honre; car dans Ie palais des princes combien de gens oisifs et vicieux , combien d'ambiticux sans mérite , cherchent les penchans du prince, afin de les servir et de s'avancer eux-mêmes aux dépens de la vertu 1 Qu'Alexandre eüt donc dü être circonspect pour leur cacher son foible , qu'il eüt dü être sur ses gardes pour tromper 1'oisiveté dangereuse des premiers, et ia vigilance intéressée des seconds! car il n'y a point de différence entre laisser appercevoir sa passion er prêter des armes certaines contre soi. Que peut-on dire de cette folie pensee de se croire fils de Jupiter, de se faire attribuer la divinité , d'exiger d'un peuple libre et vainqueur, des hommages servües et de honteux prosternemens 1 Néanmoins, dit saint Evremond , je lui pardonne en quelque sorte, si dans un pays oü c'étoit une eoutume recue , que la plupart des dieux avoient leur familie en rerre ; oü Hercule  '394 Histoire étoit cru fils de Jupiter , pour avoir rué un lion er as~ sommé quelques brigands; je lui pardonne, dit-il, si appuyé de 1'opinion de Philippe, qui pensoir que Philippe avoir en commerce avec un dieu ; si rrornpé par les oracles er se senranr si fort au-dessus des hommes, il a quelquefois méprisé sa naissance, er cherché son origine dans les cieux. II n'est poinr d'homme qui n'ait un désir intime dans son cceur d'être dans un état plus parfait et d'être heureux; les héros, plus que tous autres, ressentent sans doure davanrage les aiguillons de ces desirs narurels, c'esr ce qui forme leur ambition, qui est regardée parmi nous comme un grand vice , et qui chez les payens étoit considérée comme une grande vertu. Comme ils ont un cceur plus grand , leurs desirs le sont aussi; la gloire er lés plaisirs des autres hommes ne les touchent poinr, er s'ils ne p. uvoientles surpasser, ils croiroient être en droit d'accuser ainsi leur destinée : Si je dois me borner aux plaijïrs (Firn instant, Falioit-il pour si pen me tirer du nêantï Et si j'attend* en vain une gloire immortelle, Pourquoi m'avoir donné un cosur qui n'aime qu'elle? Alexandre flétrit sa gloire par 1'excès de ses emportemens, et il démentit plusieurs fois le caractère du héros , paree que quelquefois il n'est plus maitre de ses passions. Les principaux écueils de l'hércisme , sont la colère sans frein et les charmes de la volupté; c'est-la que la réputation du héros vient cemmunément échouer : en ener les hommes extraordinaire? sent rarement modérés dans leurs passions quand ils en ont, et d'ailleurs ils sont plus susceptibles que les autres de celles dont je pasle. II est bien a craindre que le feu de leur courage ne  d'Alexandre le Grand. Liv. XXIV. 395 se change quelquefois en un feu de colère , et que leur amour extréme pour la gloire , ne se porte avec la même vivacité a quelqu'objet indigne d'eux. Dans quel décri er dans quel malheur une colère eftrénée ne jette-t-elle point Alexandre ! maïttisé par cette passion , il devient la terreur de ses confidents , qui n'osent plus lui rien représenter sur ses propres intéréts; par le second écueil, Alexandre en adoptant les délices des Perses , en épousant Barsine et Roxane, ses prisonnières, a sacrifié sa gloire a 1'amour. II eur cependant dü se soumettre, a quelque prix que ce fut, les affections de son cceur, puisqvi'il prérendoir a 1'héroïsme; mais il en coüre quelquefois moins a cerrains hommes de s'enrichir de mille verras , que de se corriger d'un seul vice , er ils sont quelquefois si malheureux, que ce vice esr souvent celui qui convienr le moins a leur état; il affoiblirl'éclar de leurs grandes qualités et empêche qu'ils ne soient des hommes parfaits , mais c'est trop leur demander. Ce défaut entre en quelque sorte dans la complexion des héros guerriers; je ne connois que Cyrus avanr Alexandre , a qui on ne puissé rien reprocher de ce ccté ; et depuis il n'y a que Charles XII, roi de Suède, qui ait eu un cceur de fer a I'égard des femmes, non-seulemenr de peur d'en être gouverné, mais pour donner 1'exemple a ses soldats qu'il vouloit contenir dans la discipline la plus rigoureuse; peut-être encore pour la gloire d'être le seul de tous les rois qui dompta un penchanr si difficile a snrmonter, et ait vécu sans foiblesse ; il 1'emporra sur Alexandre de ce cóté-la, et il a encore 1'avantage incontestable d'avoir été plus sobre que lui a I'égard du vin ; 1'on dit que jamais cette liqueur n'avoit surpris sa raison, qu'il la quitta même, ainsi que la bierre, et qu'il se réduisit a 1'eau pure, pour ne point trop aiiumer son tempéramment plein de feu»  3 9 6 Histoire On a honte pour Alexandre de le voir adonné dans ses dernières années a ce vice honteux; de rous les défaurs il n'en est pas de si indigne, je ne dis pas d'un prince, mais d'un honnête homme, que 1'ivresse; le nom seul en fait horreur et ne se peut supporter. Quel houteux plaisir que de passer les jours et les nuits a boire, de continuer des débauches pendant des semaines entiéres, de se piquer de vaincre tous les autres en inrempérance , er de risquer sa Vie pour une telle vicroi ! Certainement la mort de Clitus n'a point terni la gioire d'Alexandre d'une tache si grande que cette intern érance ; il étoit difHcile, et pour ainsi dire impossibie a. un caractère plein de feu et de vivacité comme le sien , de n'être point transporré par le discours d'un rérnéraire/ qui 1'irrite er 1'outrage ; mais onnelui pardonne point lorsque le vin lui montant a la tête , il prend a tache de décrier son père , d'avilir sa gloire et de se préférér a lui sans pudeur er sans ménagemenr. On esr ensuite obligé dele transporter chez lui sans connoissance , avili jusqu'au rang des bcresbrutes, puisqu'il n'a plusl'usagë de la raison , qui seule faisoit voir la préénunence et l'excellenee de sa nature. Heureusemenr pour sa gloire, a travers ces excès, on voir encore brjller de rems en rems des marqués de bonté, de douceur et de modération , effet de son heureux caractère, qui n'étoit pas entièrcment étouffé par le vin. Alexandre a porté une de ses vertus a un excès oü elle devient un défaut aussi dangétaux que le vice opposé , je veux parler de son courage; son enthousiasme de valeur transporte ceux qui lisent son histoire, comme il 1'a transporré lui-même. L intrépidité est une force extraordinaire de 1'amëqui i élève au-dessus des iroubles s des désordres, des émotions que la vue des grands périls pourroit excïter  £ Alexandre le Grand. Liv. XXIV. 397 en elle , er c'est par certe ferce que les héros se mairriennent en un état paisible et conservenr 1'usage libre de leur raison dans les accidenrs les plus surprenans er les plus ternbles. , Quoiqnil conserva son sang froid au milieu des désordres les plus grands , ses yeux allumés lancoient des rrairs les plus redoutables erqui faisoienr plus d'effèt que ceux qui panoient de ses mains; sonceil brille, il étincelle , il jette un feu presque divin , qui jette la surprise et 1'épouvante dans les cceurs les plus intrépides ; il ose des choses qui demanderoient non un homme , mais un dieu. II prouve la vérité de la définirion qu'Homère donne de la valeur , que c'est une inspiration divine, que c'est un feu qui s'empare de 1'homme et qui agit en lui. La valeur des autres conquérans demande notre esrime , er celle d'Alexandre enlève norre admirarion. Elle a un brillant qui frappe, mais 011 n'y rrouve poinr de süreté ; son courage qui souvenrne connoissoir point de régie, dégénucit en une témérité impétueuse, ce caracrère ne convienc qu'a un aventurier qui est sans suite, qui ne répond que desa vie, et qui , par cette raison, peut être employé pour un coup de main. II n'en est pas ainsi du pruice, il est responsabie de sa vie a toute I'armée et a tout son royaume; hors quelques occasions fort rares , ori il est obligé de payer de sa personne et de partager le danger avec les troupes pour les sauver, il doit se souvenir qu'il y a une extréme différence entre un général et un simple soldat. Lavéritable grandeur ne pense point a seproduire, elle n'est point occupée du soin de sa réputation , mais du salut de Tat-mée; elle secarte également, et d'une sagesse timide, qui prévoit et craint tous les inconvéniens, et d'une ardeur aveugle , qui cherche et affronte gratui-  39$ Histoire tement les périls; en un mor, pour former un général accompli, il faur que la prudence rempère et regie ce que la valeur a de force, er que ia valeur, a son tour, anime er réchauffe ce que la prudence a de froid et de lent. Quand on lit 1'histoire d'Alexandre, qu'on le suir dans les siéges er dans ses combats , on esr dans des alarmes continuelles pour lui et pour son armée, et 1'on croit a tout moment qu'il va périr; ici , c'esr un fleuve rapide qui esr prêr de 1'entrainer et de 1'engloutir ; la, c'est un roe escarpé oü il grimpe, er oü il voir aurour de lui dessoldars, ou percés par les trairs des ennemis , ou renversés par des pierres énormes dans des précipices. On tremble quand on voir dans une bataille la hache prête a lui fendre la téte , et encore plus , quand on le voit seul dans une place , exposé a tous les traits des ennemis : il connoissoit le caractère de sa fortune, il comproit sur des miracles ; mais rien n'esr plus déraisonnable , car les miracles ne sonr pas roujours sürs , er les dieux se lassenr er fin de conduire er de conserver les téméraires qui abusent de leur secours. Alexan ire, ainsi que bien d'autres guerriers, se sont fait honneur de leurs blessures. Timothée , grand capitaine , n'en jugeoit pas ainsi; on le louoit d'une blessure qu'il avoit recue dans une bataille , et pour lui, il s'en excusoit comme une faute de jeune homme , et comme d'une témérité condamnable.On a remarqué ala louange d'Annibal, que dans différens combats qu'il donna, il ne fut point blessé. Je ne ciois point que César 1'art jamais été. Les Macédoniens se sont beaucoup plaints d'Alexandre , et la plupart des historiens 1'cnr aussi blamé d'avoir introduit dans sa nation les habillemens et les costumes des Perses. Les plus sensés historiens ne condamnent cependant point entièrement cette conduite ,  d'Alexandre le Grand. Liv. XXIV. 399 qui fut si odieuse aux Macédoniens ; les conquêtes d'Alexandre étoient si grandes, qu'il ne pouvoit les retenir de force avec un si petit nombte de Macédoniens, ni les attacher inséparablement au royaume de ses pères. II ne lui restoit, pour les retenir dans son empire, que de traiter les nations qurl avoit vaincues , avec la même douceur que ses sujets naturels; de ne rienchanger ni altérer dans leurs loix, dans leurs costumes, ni dans leurs privileges ; et enfin , de ne les pas contraindre a se faire Macédoniens, mais plutót de se faire Persan lui-même, afin que les peuples ne connussent d'aütre changement que dans la personne de leur rei: c'est ce qu'Alexandre fit, c'est ce qui lui attita la vénération de tous les Perses erexcita les murmures des Macédoniens; néanmoins cela leur est pardonnable ; de vieux soldats , toujours victorieux, ont peine a voir ceux qu'ils ont vaincus et terrassés devenir leurs égaux, et être aussibien qu'eux affermis dans les bonnes graces du prince. Mais on ne peur excuser dans la pluparr des écrivains leur peu de discernemenr d'avoir entièrement condamné cetre conduite d'Alexandre ; s'il n'eüt point pris ce parti, et qu'il eut toujours conservé son air de vainqueur et de maitre , combien de tems eüt-il fallu pour que les esprits des vaincus et des victorieux puissent s'accoutumer et s'accorder ensemble ? II a bien mieux réussi dans le parti qu'il a pris , ayanr par-devers lui un caractère généreux et ce fronr majestueux, capable de civiliser les plus sauvages. En peu d'années , ce vaste empire fut aussi assuré qu'après un long règne; et si ce grand prince eüt eu un fils digne de lui, il n'y a point de doute que sa familie eüt été solidement établie sur le tróne des rois de Perse. Alexandre er la pluparr des héros n'onr poiiar du tout laissé de pottérité, ou n'en ont point laissé qui héritat  400 Histoire de leur heroïsme ; mais si ce bonheur leur a tnanqué , la gloire d'avoir tant de fameux imitateurs lés en dédommage assez: il semble que le ciel les eüt moins formé pour faire des succesaeurs de leur sang et de leur mérire, que pour être des modèles communs a tous les héros a venir. Les hommes extraordinaires sont en effet comme des livres de conduite qu'il faut lire , méditer et repasser sans cesse, afin d'apprendre par quels mo>ens on peut parvenir a 1'héroïsme qui a été leur tenue. C'est une qualité de héros, que d'avoir de la sympathie avec les héros. La valeur d'Achille fut le noble aiguillon qui piqua le jeune héros de la Macédoine : les hauts faits du premier excitoient dans le cceur de celui-ci une impatience vive et jalouse d'en avancer la renommée, Alexandre en vint jusqu'a verser des larmes au récitdes grandes actions d'Achille, mais ce n'étoit pas Achiile dans le tombeau qu'il pleuroit, c'étoit sur lui-même , qui n'avoit point commencé encore la glorieuse carrière du vainqueur des Troyens. Les héros se succèdent a la gloire par Témulation, et a 1'immortalité par la gloire. Après ia célèbre bataille de Marathon , oü dix mille Grecs mirent en déroute I'armée innombrable des Perses, comme on célébroit par-rout la valeur et la conduite de Miltiade qui 1'avoit gagnée, on voyoit Thémistocle , jeune alors , mais qui se rendit si illustre dans la suite dans Athènes sa patrie; on le voyoir, dis-je, souvent renfermé en lui-méme , tout pensif; il passoit les nuits entières sans fermer lceil; ü ne se trouvoit plus aux fts ins publics comme il avoit eoutume, et lorsque ses amis étonnés de ce changement, lui en demandoient la raison, il leur répondit que les trophées de Miltiade ne lui laissoient point de repos. Ils furent pour lui comme une espèce d'aiguillon qui k piquoit et 1'animoit sans ces&e. Alexandre  d'Alexandre le Grand. Liv. XXIV. 401 Alexandre fur ensuite pour César ce qu'Achille avoit -été pour Alexandre. Les prodigieux exploits du Macédonien inspirèrent au Romain la généreuse envie de demeurer son riv&l. On le vit pousser des gémissemens et des soupirs en regardant en Espagne une statue d'Alexandre, pour n'avoir encore tien fait dans un age oü ce conquérant s'étoit rendu maitre de 1'univers; mais cette ambition étoit mieux placée dans Alexandre, né toi, que dans César, né particulier. Pour sortir de cette tgalité , il a eommis mille injustices dans 1'empire Romain ; il n'y a pas un seul citoven a qui il n'ait fait la plus grande de toutes les injustices , puisqu'il lui a ravi Ia liberté, le plus précieux de rous les biens. César, dit Plutarque, paroit né pour la ruine des hommes, et Alexandre pour leur bonheur. Pompée, dans un de ses rriomphes, parut revêtu de la casaque de ce prince; Auguste pardonna a ceux d'Alexandrie en consideration de leur fondateur. Notre siècle nous a fourni des héros que la gloire d'Alexandre a templis d'émulation. On demandoit a Charles XII, encore jeune, ce qu'il pensoit d'Alexandre. Je pense , dit le jeune prince, que je voudrois luiressembler. Mais, lui dit-on , il n'a vécu que 42 ans. Ah ! reprit-il, n'est-ce pas assez quand on a conquis des royaumes ? La Perse a aussi dans Thamas Kouli-Kan , un héros qui se piqué de marcher sur les pas d'Alexandre. Je ne parie point des aurres princes qui, pour ressembler en quelques choses a Alexandre, pïenoient jusqu'a ses mabières, des meubies, des armes et des troupes semblabies ; mais tous en général croyoient 1'imiter, s'ils pouvoient faire comme lui des conquêtes sans bornes et sans mesures. Néanmoins ce n'est pasTome KI. C c  40 x Histoire la 1'endrok le plus' esrimable d'Alexandre, ils auroient plutot dü orner leur: cceur des vertus qui le faisoient aimer de ses soldats et de ses amis, qui le rendoient sensible a leurs peines; de cette droituredans la guerre qui le fit admirer des peuples vaincus; de cette noblesse de sentimens, de sa générosité et de sa grandeur d'ame. Alexandre de ce cöté est un excellent modèle qui n'a pas encore tté imité, pas même de César, quoique cependant cé Romain air été jugé digne de lui ètre comparé , comme celui qui avoit avec lui le plus de conformité. En effer leurs principaux traits sont parfaitement semblables ; même ambition, même passion pour la guerre, même ardeur a pousser leur dessein , même confiance dans leur fortune; ils donnèrenr 1'un er 1'autre jusqu'a la profusion ; mais la libéraliré de César éroir intéressée; c'éroit plutót des corruptions que des largesses pour se eagner 1'appui er les suffrages de ses citoyens. Alexandre donnoir pour faire du bien , par la pure grandeur de son ame; c'étoit 1'effer d'une nature bienfaisante qui , comme celle des dieux , ne chcrche que le plaisir et la gloire de donner. Quand il passa en Asie , il disrribua ses domaines , se dépouilla de toute chose et ne se réserva que 1'eSpérance; lorsqu'il n'avoir plus be-soin de personne, il paya les dertes de toute I'armée ; les peintres, les sculpteurs, les musiciens, les poëtes , les philosophes eurent part a sa magnificence et se ressentirent de sa grandeur. César amassoit de grandes richesses , er les gardoit en réserve pour cöuronncr la valeur urile a ses projets; Alexandre s'en servoit pour récompenser les grandes acticns faites plusieurs siècles avant lui, et il étendoit sa reconnoissance sur la postériré de ses soldars. Cette même noblesse , certe même grandeur passoie-nt  £ Alexandre le Grand. Liv. XXIV. 40$ dans ses discours les plus familiers. Parménion lui conseilloit d'acceprer les ofïres de Darius, er lui dir qu'il les accepteroir s'il éroir Alexandre : et moi aussi , reprit Alexandre avec feu, si j'érois Parménion. Ses amis vouloient qu'il n'atraquar Darius que la nuk : je ne dérobe point la vicroke , leur repliqua-r-il. Parménion lui marquoir son étonnemenr de ce qu'il dormoir d'un sommeil si profond et si paisible le jour d'une grande bataille; eh! lui répondit Alexandre, ne trouve-ru pas que c'est déja avoir vaincu que d'avoir anêté la fuite de notre ennemi er de 1'avoir dérerminé i Dans cette simplické on trouvé un sublime dopt rien n'approche; Alexandre y paroit autant Alexandre que dans de plus grandes acrións ; ks mets que 1'on a conservé de César ne représentent rien de si grand , er 1'on rrouve dans la vie d'Alexandre plus d'acres de générosité de bonté et d'humanité , plus de marqués d'un bon cceur, je ne dis pas que dans César , mais que dans i'hktok» d'une longue suite des rois. Quoiqu'il y ait quelqu'espece de folie 2. raisonner sur des choses purement imaginaires , néanmoins, seloa toute la vraisemblance , si Alexandre se fik trouvé a la place de César , il n'auroir employé ses bonnes et admirables qualités qu'a sa ruine ; on peut crok» que son humeur altière et ennemie det précautious leut mal conservé dans les persécurions de Sylia; dk5ciJs« menr eür-il pu, comme fit César, chercher sa süreté dans un éloignement volontaire : comme il domiok par un pur mouvement de générosité , ses iargessef dans une république lui eussenr éré psrnickuses , et ses présents hots de saison 1'auroient rendu justemenc suspect au Sénat; peut-êtra n'eur-il pu s'assujetrk a des loix qui eussent gêné une ame aussi irnpérktise Cc z  404 Uïstohe' que la sienne , et tentant quelque chose a contte-rems, il auroit eu le malheureux destin des Manlius , cies Gracques et de Catilina. Mais si Alexandre eüt péri dans la répubbque , César dont ie courage et la précaution alloient d'ordinaire ensemble, ne se fut jamais mis dans 1'esprit ce vaste, dessein de la conquète de l'Asie. II est a croire que Cesar dont la conduite si fine et si cachée, qu'il entra dans toutes les conspirations sans être accusé qn une seule fois et jamais convaincu ; Lui qui dans les divisions qu'il fit na'itre dans les Gaules, secouroit les uns pour les autres et les assujettit tous a la fin ; il est a croire, dis-je, que ce même César, suivant son génie, s'il eüt été roi de Macédoine , auroit soumis ses voisins et divisé les républiques de la Grèce, pour les assujétir pleinement. Mais avoir quitté la Macédoine sans espérance de retour, avoir laissé des voisins mal aöectionnés, la Grèce quasi soumise , mais peu affermie; avoir été chercher avec peu de troupes et de munitions un grand roi de Perse dans le cceur de ses etats, c'est ce qui passé 1'imagination et quelque chose de plus , que si les républiques de Gênes, de Luques ou de Raguse entreprenoient la conquète de la France. Si César avoit déclaré la -guerre au grand roi , c'eüt été sur les frontières, et il ne se füt pas tenu malheureux de borner ses états par le Granique , si 1'ambition 1'avoit poussé plus avant. Pensez-vous qu'ils eussent refusé les oftres de Darius, lui qui ofTrit toujours la paix a Pompée , et qu'il ne se füt pas contenté de la fille du roi j avee cinq ou six provinces qu'Alexandre refusa avec tant de hauteur; Enfin, si mes conjectures sont raisonnables , il n'auroit pas cherché dans les plaines le roi de Perse suivi d'un million d'hommes; quelque brave et quelque ferme qu'il füt,  d'Alexandre le Grand. Liv. XXIF. 405 je ne scais s'il auroit dormi profondément la nuit qui précéda la bataille d'Arbelles, je crois du 'moins qu'il eüt été du sentimaftt de Parménion, et nous n'aurions de lui aucunes des réponses d'Alexandre. II est vrai que ce desir de gioire iramodéré , qui ne laissa point de repos a Alexandre, le rendit quel- • quefcis si insupportable aux Macédoniens , qu'ils furent tous préts de 1'abandonner 5 nsais c'est-la particulièremenr que parut cette grandeur de courage qui ne s'éronnoit de rien: allez lkhes , leur dit-il, allez ingrats , dire en votre pays que vous avez abandonnê votre roi parmi des peuples qui lui obéiront mieux que vous. On a remarqué que le grand prince de Condé, un des imirareurs d'Alexandre, n'admiroit rien rant que cette noble fierré avec laquelle il parloit a ses soldats mutinés. Alexandre , dit ce prince , abandonnê des siens parmi des barbares mal assujétis, se sentoit si dijne de commander , qu'il ne croyoit pas qu'on püt refuser de lui obéir, être en Europe, être en Asie parmi les Grecs ou les Perses, tout lui étoit indifférent, il pensoit trouver des sujets oü il trcuvoit des hommes. Les moyens qu'Alexandre et César prirent pour s'aggrandir, mettent entr'eux une trés-grande diftérence. Dans le procédé d'Alexandre , on ne trouve que noblesse , que franchise et que vérité ; et dans celui de César, on découvre souvent la bassesse , la fraude et la case, il fair honteusement la cour au peuple , il propose des loix trés-séditieuses pour gagner sa faveur:,, il se fait des eréatures des plus mécbants de tous les hommes; il fait un trafic honreux de mariage pour parvenir 3 ses fins. Nous avons dit qu'Alexandre a sacrihe sa gloire a Vamour; mais pour César, il a sacrifie 1'amour , non k la gloire, mais a ses intéréts. C c 3  46 Histoire La polirique de César étoit des plus prorondes er det plus rafinées, il poursuivoit en méme-tems le consulat et le tnomphe; mais comme il ne pouvoit obtenir le premier tant qu'il seroit dehors a la rête des troupes, ll abandonnê les honneurs du rriomphe, entre dans Rome et bngue le consular, préférant le plus sür et le plus utile au plus éclatanr. Pompée et Crassus étoienr enneSjUS, il les réconcihe, er par cette réconciliation, il attire a lui toute leur puissance: aussi, cette rache qui patojssoit au-dehors pleine d'humanité , le mit en étar de renverser la république : il dérait ses ennemis avec les ftrmes de ses ciroyens , et il gagne ses citoyens avec 1'argent de ses ennemis. Tout cela est une merveille en fait de polirique, et Alexandre n'a rien en ce genre qu'on puisse lui comparer, mais ce désavanrage lui esr honorable. Quels ressorts en effet la politique ne fait-elle pas jouer, er quels moyens n'emploie-r-elle poinr pour parvenir a ses fins ? La finesse , la ruse, la fraude , le mensonge, la perfidie , le parjure ; sont-ce la les armes de la vertu ? La politique n'est digne de louange, que quand elle est employée par la justice et a de bonnes fins. Alexandre ne donnoit au monde pour raison, que ses volontés, il suivoit par-rour son ambirion et son humeur. César se laissoit conduire a son intérêt ou a sa raison. On n'a guère vu en une personne ranr d'égahté dans la vie , tant de modération dans la fortune , rant de clémence dans les injures. Ces impétuosités qui coutcrent la vie a Clitus, ces soupgons mal éclaircis qui causèrem la perre de Philotas er de Parménion; rous ces mouvemens éroienr inconnus a César ; les grandes, les pentes choses le trouvoienr dans son assiette , saus qu'il parut s'tleverpour celle-la, ni s'abaisser pour ceile-ci. Alexandre n'étoit propremenr dans son naturel qu'aux  d'Alexandre le Grand. Liv. XXIV, 4°7 extraordinaire*; s'il falloit courir, il vouloit que ce fut contre des rois-, s'il aimoit la chasse, cétoit celle des lions ; il avoit peine a faire un présent qui ne fut digne de lui, jamais si résolu , jamais si gai, que dans 1 abbatement de ses troupes-, jamais si constant, si assure, que dans leur désespoir: en un mot, il commencoit a se posséder pleinement oü les hommes ordmaires , soit par crainte, soit Par quelqu'autre foiblesse, onr eoutume de ne se plus posséder -, mais son ame rrop élevee , s ajustoit mal au train commun de la vie. Les plaisirs ou Alexandre , dans le repos , se laissa aller quelquefois jusqu'a 1'excès, furent inditlérens a César; ce nest pas que dans les actions et dans les travaux , Alexandre ne fut scbre et peu délicat; mais le tems du repos et de la tranquillité lui étoit fade, s'il ne 1'éveilloit pourainsi dire par quelque chose de piquant. On ne trouve poinr dans César de ces amiués queut Alexandre; les commerces de César étoient des liaisons pour ses affaires ou un procédé assez otligeanr mais beaucoup moins passionnépour ses amis. Après la gloire la plus grande passion d'Alexandre étoit 1'amitie; ',\ n'en faut pas d'aütre témoignage que le sien propre , lorsqu'il s'écria auprès d'un rombeau d'Achille, ó prince que je te trouve heureux d'avoir eu un ami fidéle pendant ta vie et un poè'te comme Homere après ra mort 1 II fut capable d'une amitié rendre , ouverre , eft'ecüve , sans dédain , sans faste dans une si haute fortune, laquelle ordinaïrement se renferme en ellemême, met sa grandeur ï abaisser tout ce qui lenvironne , et s'accommode mieux d'amis serviles que d'amis libres et sineères. Alexandre chérissoit ses officiers et ses soldats, se communiquoit famihairement a sa table , a ses exercices, a ses entretiens, s'mteressoit Cc 4  4°S Histoire véritablement et de cceur a leurs différentes sirnations, s'inquiétoit sur leurs maladies, se réjouissoir de leurs guérisons et prenoit part a tout ce qui leur arrivoit; on en a vu des exemples dans Ephestion , dans Cratère, dans Ptolemée et dans beaucoup d'aurres. La véritable grandeur, dir La Bruyère, est douce, bienfaisante, populaire Plus on Ja connoit plus on 1'admire ; elle se courbe par bonté vers ses inférieurs, et revi-nt sans efforts a son naturel; elle se glisse quelquefois , se relache de ses avantages, toujours en pouvoir de les reprendre et de les faire valoir; elle rit, joue et badine, mais avec dignité 5 son caractère noble et facile inspwé le respect et la confiance et fait que les princes nous paroissent grands et trèsgrands, sans nous faire sentir que nous sommes petits. Un prince qui a un vrai mérite , ne perd rien en s'abaissant et se familiarisanr de la sorte. Tout homme d'une grande taille , ne erarat point de se mettre de niveau avec les aurres • il est bien sur qu'il les passera de la tête; il n'y a qu'une petiresse réelle qui ait intérêt de ne se point trouver dans la foule. Alexandre étoit aimé , paree qu'on sentoit qu'il aimoit le premier. Cette convicrion remplissoit les rroupes d'ardeur pour lui plaire, de clocibté et de promptirude pour 1'exécution de ses ordres les plus difficiles , de constance dans les situations les plus rebutantes, et d'un déplaisir sensible et profond de 1'avoir méconrenté en quelque chose. A I'égard de la religion, Alexandre avoir des opinions assez saines sur la divinité , et telles qu'on pouvoi: les avoir dans le tems d'idolatrie; c'étoit le fruit qu'il avoit tiré de son commerce avec les plus grands philosophes. II commencoit toujours la jeutnée par un  d'Alexandre le Grand. Liv. XXIV. 409 sacrifice, et on ne le vit jamais manquer de rendre graces aux dieux des succes qu'ils lui avoient accordés. Sur la fin de sa carrière , il fut dévot jusqu'a la superstition , se laissant posséder par les devins et par les oracles. Quant a César, il passa dans une autre extrémité; il n'attcndit rien d'aucune divinité en cette vie , et se mit peu en peine de ce qui devoit lui arriver dans 1'autre; il faisoit néanmoins des sacrifices dans les grandes occasions et purifioit ses troupes, mais il donhou cela plus a la eoutume qu'a la divinité' qu'il n'eut jamais soin de remercier. S'ils furent differents de ce cóté, ils ne le furent pcint du cóté de 1'ambition. Après avoir 1'un et 1'autre fondé un empire des plus érendus , ils formèrent des desseins encore plus vastes ', la terre n'a jamais porté deux ambirieux si étonnanrs, mais la mort qui se rit des desseins des hommes , vint renverser ces grands projets. La mort de 1'un et de l'aurre fut a peu prés scmblable par les signes qui la préeedèrent, et par les avertissements qu'ils en enrenr. Alexandre est aveni pat les Chaldéens de ne pas entrer dans Babylone , ii méprise cet avis; il y entre et en sort, i! se mqque encore de leur prédiction •, les devies Tassurent qu'il est encore inenaeé et que Baby lone lui sera funeste , il y rentre et y meurt. César est averti de méme par un devin de se métier des Ides cle Mars, le jour cles Lies venu 3 César se moque du devin : vciia les Lies venus , lui dit-il; oui , répliqua le devin , mais tiles ne sont pas encore pasjécs : il fut tué le méme jour. Mais si leur morr est scmblable par les proiiges qui 1 nnnoncèrcnt, ells  410 Histoire fut bien différente , par le genre et par ce qui 1'aceompagna. Alexandre meurt dans son lit, et il meurt regretté et pleuré par les Perses comme par les Macédoniens ; au lieu que César esr poignardé en plein Sénar par ceux qu'il honoroit le plus de sa bienveillance; ses meurtriefs sont regardés ausdtot comme des libérateurs, on leur décerne de grands honneurs et on leur donne les gouvernernens les plus considérables. Alexandre s'attira 1'amour et 1'admiration de ses ennemis mêmes par ses actions , et César s'attira 1'envie er la haine de ses concitoyens par les siennes; comme il s'étoit fait tyran , il eut le sort des tyrans et mourut de la mort qui leur est ordinaire. II s'est montré , dit Plutarque , indigne d'être roi par les maux qu'il a faits, er Alexandre digne d'être dieu par les biens qu'il procuroir aux hommes. II reste une considération a faire sur Alexandre , qui est que tous ses capitaines qui n'éroienr que des hommes médioctes comparés a lui pendant sa vie , parurent après sa mort d'illusrres guerriers et de fameux capitaines. II mourut agé de 3Z ans , au mrlieu des plus vastes desseins qn'ün homme 'eut jamais concu, et avec les plus justes espérances d'un heureux succès, sans avoir eu le loisrr d'établir soudement ses affaires> laissanr un frère imbécile, des enfans en bas age incapables de soutenir un si grand poids. Ce qu'il y avoit de plus f ineste pour sa maison er pour son empire, esr qu'il laissoit des capita':res a qui il n'avoit appris a respirer que 1'ambition et la. guerre ; il prévic a quels excès ils se porteroient quand il ne seroit plus, de peur >d'en être dédit, il n'osa nommer ni son successeur ni le tureur de ses enfans ■, il prédit seulemenr que ses amis i il \: réroknt se: funérailks avec des batailles sanglantes,  d'Alexandre le Grand. Liv. XXIV. 411 et il expira dans la fleur de son age , plein de rristes images de la confusion qui devoit suivre sa mort. En eftet la Macédoine,, son ancien royaume , renu par ses ancérres depuis ranr de siècles, fur, comme j'ai déja dir, envahie de rous córés , comme une succession var canre, er aprés avoir éré long-tems la proie du plus forr, elle passa enfin dans une autre familie. Ainsi ce grand Conquéranr, le plus renommé er le plus illustre qui fut jamais , a été le dernier des rois de sa race. S'il fur demeuré paisible dans la Macédoine , dit Eossuöt, la grandeur de son empire n'auroir poinr tenté ses capitaines, et il eüt pu laisser a ses enfans le royaume de ses pères; mais paree qu'il avoit été rrop puissant, il fut cause de ia perte de tous les siens, et vüilk le fruit glorieux de tant de conquêres.  TABLE SOMMAIRE. Scmmaire du premier livre. Page 5. OrtiGï>'b rle raffoiblissement de 1'empire des Perses ; leurs moeurs d^génèrent ; leur milice : iis soumettent leurs voisins; les Grecs seuls leur résistent; caractère de ceux-ci, leur haine invétérée contre les Perses; ils les repoussent dans les batailles de Marathon, des Thermopyles , de Salamine et de Mycale-. Nouvelle politique des Persps h I'égard des Grecs; ils cherclient a les désnnir. Caractère d'Athènes , caractère de Lacédémone. I,es Përsés fomentent les divisions de ces deux républiques. Les Lacédémoniens donnent du secours a Gyrus le jeune , révolté contre A»tasercès Mem non , son [ri re ; glorieuse retraite des dix mille. Expéüition d'Agésilas dans l'Asie mineürè ; il y est arrèté par les troubles de la Grèce. Lpaminondas , Thébain, abbat ia puissance des Lacédémoniens aux journées de Lenctres et de Mantinée. Philippe, roi de Macédoine, travaille avec succes a réunir en wn seul état toutes les républiques de la Grèce. Sommaire du deuxieme, livre. P. 20. Naissance d'Alexandre. Philippe choisit Aristote pour son précepteur. Son éducation : il étudie toutes sortes de sciences ; son estime pour Homère. II est avide dc la gloire des belles lettres; il a du goüt pour tous les arts , sur-tout la musique ; s'ap]ilic[ue même a la médecine. Sa soif pour la gloire; ses larmes jalonses du succes de son père. II donne audience aux ambaissadeurs dc Perse; il s'en fait. admirer. Son cara tére ferme et opiniatre ; il sc rendoit a la raison ct non a la force ; il dompte Bueép'iale; ce que lui dil Philippe en 1 «m, trassant, li est régeat de Macédoine a 16 ans ; il sou-  Tal/lc sommaire. 4*3 •niet des révoltés; il commandè k 18 ans dans Ia bataille de Cliéronée. Philippe répudie Olympias ; son démêlé - avec Ah-xandre ; ils se réconcilient. Philippe est assassiné. Alexandre lui succède a 20 ans. Le roi de Perse est aussi assassiné. Darius lui succède. Etat critiqne de la Macédcine ; Alexandre rejette les conseils timides , et ne consulte que la uiagnanimité. II gagne 1'affection des Macédoniens; défait les Tribaliiens dans une grande , bataille. ïunm bruit de sa mort , les Grecs se révoltent; il marche, vers Athènes qui se soumet, ii la traite avec douceur. Insolence des Thébains ; leur détaile et leur ruine. Alexandre se repent d'avoir usé de ia dernière rigueur a leur égard. Sommaire du ttoisième livre. P. 3j. Les états-généraux se tiennent A Carinthe. Alexandre y est élu ^énéralissime des Grecs contre les Perses. ÏI Visite Diogène ; il va consulter 1'oracie de Delphes. Ses amis lui conseillent de se mariefr avant que de- par. tir pour l'Asie; il ne le veut pas. Ses précautions et ses préparatifs. II di-tri'me tout son bien a ses amis ; il j.art. II aborde en Asie ; va voirle tombeau d'Achiiles. Mem-ion , iieutenant-général de Darius , donne.un bon conseil aux Perses , qu'ils ne veulent pas suivre, lis attendent Alexandre au Heuve de Granique ; il le passé sous leurs veux et les met en déroute. Réduction de Zelie, de Zardes , d'Ephèse et de plusieurs provinces; siège et prise de Milet en face de i'armée navale des Perses. Sommaire du cjualrième livre. P. 52., Siège et prise d'Halicarnasse. Alexandre rétablit Ada, reine de Carie; elle lui envoie des présens qu'il refuse ; il permet a ses soldats mariés d'aller passer 1 hiver chez eux, Pendant cette saison il scuinet diverses conlrées qu'il traite avec douceur. Conspiration contre sa personne. Reddition de Célenes. II coupe le nceud GoojUeo. Entieprises de Memnon sur les isicr Greccjues  4i4 Table sommaire. de I*Archipel; il menrt devant Mitiiène, Aogé de <;« général. Darius prend In conduite de sei armées. La Paphlagonie , la Galatie , la Capadoce , le Pont, se souinettent a Alexandre ; il passé ie Pas de Cilicie , abandonnê par les Perses ;(il adiuira son bonlieur: il se Laigne dans le Cydne , et torn i e dangereusement maiade : soa impatience: inquiétudes des Macédoniens: il se fie i son médecin , «ccusédele vouloir empoisonner : il guérii: joie des troupes. Darius s'avance avec une armée formidablc. Parole d'Amyntas : discours ct conseil de Carideme: Darius le fait mourir. Plan de la Cilicie. Alexandre ticnt oönseii de guerre et s'*vance vers Soques oü étoit cainpé Daiiu3„ Sommaire dn cirifitième livre. P. 63. Darius décampe da Soques et s'engage dans Ia Cilicie, lorsqu'Alexandre en sortoit; il arrivé a Issus, oü il trouve des malades qu'Alexandre j avoit laissrs; il les fait mutiler. Alexandre instruit de ses démarches retourne sur ses pas ; Darius ne peut le croire ; en étant assuré , il reeonnoit que le terrain ne lui est pas favorable; il veut sortir de Cilicie , et ne Ie peut. Bataille d'Issus ; fuite de Darius ; défaite des Perses. La familie de Darius devient prisonnière ; Alexandre envoie un de ses officiers pour Ia coasaler. Sommaire du sixième, livre. P. 81. ALEXATs'Dr.E va visiter les princesses captives ; méI prise de Sysigambis , mère de Darius ; belle réponse d'Alexandre ; ses égards a leur égard ; il ne voulut les voir qu'une fois. Sa sagesse , sa conduite domestiqwe ; il aimoit a se vanter. Parménion se rend maitre de Damas et des trésors de Darius. Alexandre s'attache h Barsine. Sotimission de 1'isle d'Arade. Situation de Darius; il envoie a Alexandre une lettre pleine de fierté ; ce prince y répond de même ; see  Table sommaire. progrès dans la Phénicie ; Sidon se soumet. Histoire d'Abdolonime. Alexandre entreprfnd le siége de Tyr. Sommaire du s-epeiè/nè livre. P. 95. DiFFicuLTÉs du siége de Tyr ; il fait construira une digue ; les assiégés et puis une tempête la détrn sent; on en construu une autre. II assemble uwe floii. • Incursion dans 1'Anti-Liban. Action de courage d'Alexandre. Suite du siége de Tyr; combat naval; h.rieuse tempête; assant ; invention des assiégés. Al