DISCOURS SUR LES MIRACLES D E JÉSUS-CHRIST. TRADUITS de L'ANGLOIS D E ¥OOLSTON. Nojirum eji tantas componere lites. V * Ê * V Dixhuitiême Siècle.   AVERTISSEMENT. M • Thomas Woolston auteur de eet ouvrage naquit a Northampton en 1669. II fit fes études dans 1'Univerfité de Cam- bridge, oü jufqu'en 1721. i] fut raembre du Collége de Sidney. II publia en 1705. un ouvrage fous le titre de ïanciennt Apologie pour la vérité de la religion Chré- tienne contre les Juifs £P les Gentils renou- vellée, qui le fit connoitre avantageufement dans la République des Lettres. En 1720. il fit imprimer une differtation latine fous le titre de Diffhrtatio de Pontii Pilati ad Ti- berium Epijlold circa res Jefu Chrifii gejlas. in 8°. oü il fait voir que cette lettre eft une pièce fuppofée. La même année il donna encore une brochure fous le titre de Orige* 2  AVERTISSEMENT. nis Adamantii Renati epiftola ad Doftores Whitbeimn , Waterlandium , Wlnftonium, aliosque litteratos hajus fcecitli disputatores, circa fidem verè orthodoxam £f fcripturarum interpretationem: ouvrage dans lequel il fe déclare pour 1'interprétation allégorique des Ecritures. II publia encore plufieurs autres brochures ; mais 1'ouvrage qui lui donna le plus de célébrité fut celui qui a pour titre Moderateur entre un Incrèdule & un Apoftat auquel il fait fouvent allufion dans celui-ci. Ce Modèrateur, ainfi que les deux fuppléments que M. WooisTONy joignit fut fait a 1'occafion de la querclle du célèbre M. Collins & des Théologiens lur les fondements du Chrifiianisme, & il penfa déja expofer M. Woolston a des  AVERTISSEMENT. perfécutions qui ayant aigri fon efpritfirent naïtre les fix difcours fur les miracles de Jéfus Chrifi avec les deux défenfes de ces mêmes difcours. On e'crivit beaucoup contre 1'Auteur qui fut condamné a une année de prifon & a payer une amende de cent livres fterlings, qu'il ne put point payer. Ses difcours fur les miracles le brouillèrent avec le célèbre Whifton, fon ami, qui étoit, comme lui, dans le cas d'avoir befoin d'indulgence & qui avoit été très-vivement perfécuté , ce qui ne 1'empêcha point de chaffer M. Woolston de fa préfence. Le fameux Do&eur Samuel Clark plus indulgent que Whifton follicita 1'élargiffement de Woolston, non qu'il adoptat fes fentiments, maïs comme avocat de la  AVERTISSEMENT. Iibertc de penfer qu'il avoit défendue toute fa vie. Le Dr. Clark mourut fans avoir pu réulfir; quant a Woolston il refufa de fortir de prifon a la condition qu'on vouloit lui irapofer de donner caution qu'il n'écriroit plus rien de choquant j il ne put jamais fe réfoudre a renoncer au droit d'écrire avec liberté. II mourut le 27. de Janvier 1732-3. avec beaucoup de fermeté, en difant cejl iet un combat que tous les hommes font fore és de fubir, & que je fuMs non feulement avec patience, mais encore de bon cceur. Après quoi il fe ferma les yeux & Ia bouche de fes propres mains, & rendit 1'efprit. Voyez le fupplément au diclionaire de Bayle par M. De Chauffepié. Article Woolfton.  vii A MONSEIGNEUR L'EVÊQUE DE LONDRES. MONSEIGNEUR, Je fi'ai eu d'autre vue, en vous dédiant ce difcours, que celle de le foumettre au jugementdeVoTRE Grandeur ; j'ofe efpérer d'apprendre bientöt fi vous 1'avez approuvé, ou non. Si vous 1'approuviez entièrement, je vous demande en grace de ne me point prodiguer vos louanges, de crainte qu'elles ne m'en orgueillifient trop. Dans le Modêrateur il m'eft échappé quelques termes, qui, faute d'une jufte interprétation , ontoffenfé Votre Grandeur & m'ont fufcité bien des affaires. Mais comme je me fuis expliqué plus clairement ici, oü je me fuis entièrement attaché a fuivre les Pères, je me fiatte que j'aurai . * 4  viii recouvré vos bonnes graces, & que, comme vous aimez fincèrement la vérité, vous voudrez bien abandonner toutes vues d'intérêt & renoncer a vos préjugés, pour vous rendre a la force de mes raifons. Je ne prétends pas examiner ici fi la perfécudon que j'ai foufferte de votre part, a caufe de mon Modérateur, étoit jufte ou non. J'ai agité cette queftion dans plufieurs lettres, que j'ai pris la liberté de vous écrire, & fur lesquelles vous avez jugé a propos de garder un profond filence. Perfonne ne fait mieux que vous les raifons que vous avez eues de n'y pas répondre: mais, pour ma propre juftification, vous voudrez bien me permettre de dire que, lorsque vous m'avez accufé d'incrédulité, vous vous êtes trompé groffièrement. L'injure que j'ai foufferte dans ma réputation & dans mes biens, a été fi grande que le moins que je devois attendre de Votre Grandeur étoit une réparation d'honneur, finon un dédommagement jufte & raifonnable. Je ne dirai rien contre 1'expediënt qui  ix a été propofé de perfécuter les incrédules, a caufe de leurs écrits: perfonne n'eft plus éloigné que moi de leur reffembler; les arguments pour & contre eet expédient, ont été fjavamment & pleinement difcutés par les autres. J'aurois été affés difpofé a me ranger avec Votre Grandeur du cöté de ceux qui infiftoient pour la perfécution, fi ce n'eft qu'un homme qui feroit dans ces fentiments fembleroit fe défier de la caufe du Chriftianifme, ou fe fentiroit intérieurement incapable de la défendre; fans quoi il laifferoit avec confiance a Dieu même & aux armes tot ou tard victorieufes de la raifon, la défenfe d'une fi bonne caufe, & n'appelleroit pas a fon fecours 1'autorité du Magiftrat. Le méchant Auteur du fyfiême des Prophéties entendiies a la lettre (i) , & dont Votre Grandeur aura fans doute entendu parler, auroit été affés malin pour infinuer qu'il n'y a que des Prêtres fans foi qui prêchent la perfécution, dans la crainte de Cl) m. c O L L INS.  x fe voir troublés dans la poffelïion des richeffes dont ils jouhTent dans 1'Eglife: mais depuis que vous-même Mgr. venez de publier un traité très-rigoureux en faveur du Chriftianifme fur la queftion dont il s'agit entre nous, je ferois bien fiché d'avoir un tel foupcon fur vous. Le goüt que vous montrez pour la perfécution eft alfürément 1'effet d'un zéle très-pur pour la gloire de Dieu. Je confens de bon cceur *a le regarder comme tel, fok qu'il foit felon la fcience ou non. Vous êtes très-zêlé contre le Papisme & 1'incrédulité. Qui eft-ce qui pourroit vous refufer les louanges que vous méritez a eet égard, & révoquer en doute la pureté du zêle d'un Evêque & d'un Clergé Proteftant, lorsqu'ils perfécutent les ennemis de leur Eglife? Sur-tout quand on confidère la fixité de ces principes contre tout ce qui eft intérêt mondain malgré tous les changements qui font arrivés depuis la réforme; & quand on voit 1'horreur qu'ils ont pour tout ce qui eft extorfion fur Je peuple, tant dans  xr la vilie que dans les environs, rehtivemenc aux droits qui leur font dus a caufe de leurs fonctions; un tel défintéreffement & un femblable attachement a leur profeflion, font, fi je ne me trompe, une preuve fenfible de leur intégrité. Je pourrois rapporter plufieurs exemples pour prouver combien le zêle de V. G. s'eft diftingue, & combien ila réuffi; cela paroit ent(re'autres chofes, par le fuccès avec lequel vous avez chaffé des environs de 1'Eglife de faint Paul, votre Cathédrale, une certaine fefte de Péripatéticiens qui commencoient a s'y établir. U ne manqueroit a la gloire de votre Epifcopat, que d'avoir pu également réuffe a debaraifer des incrédules 1'Eglife de Jéfus - Chrift. Quel malheur en effet, que les impies ne puiffent être terraffés par vos menaces & par la crainte que vous tachez de leur infpirer! armes qui, fi elles étoient jointes a de bons raifonnements que quelques perfonnes exigent, tansmettroient a la poftérité la réputation que vous méritez d'un  rix illuftre défenfeur du Chriftianifme, avec autant de juftice que celle qui vous eft düe par la perfécution que vous avez fagement excitée contre le Modérateur, comme contre un incrédule, qui vous en rend ici fes très-humbles aélions de graces & qui fe déclare 1'admirateur de votre zêle de votre fageiTe & de votre conduite. THOMAS WOOLSTON". a Londres ce 17. Avrü 1727.  PREMIER Discours Sur Les Miracles D E JÉSUS-CHRIST. S i jamais il s'eft élevé ou renouvejlé une difpute utile & avantageufe a 1'Eglife , c'eft celle qu'on a vu naitre depuis peu fur la qualité de Meffie du divin Jéfus , a 1'occafion du difcours des fondement s &c. ii y a tout lieu d'éfpérer que cette difpute finira par nous procurer une démonftration parfaite tirée des Prophéties, qui eft la feule voie de prouver que Jéfus eft le Meffie, legrand Prophete attendu par les Juifs, & qui leur étoit promis par l'ancien Teftament. Quoiqu'il femble que cette preuve tirée des Prophéties foit aujourd'hui en bute a plulieurs difficultés, & que quelques-uns de ceux qui ont écrit contre le livre des fondements fe feiltant preffés par ces difficukés, prétendent qu'il faut recourir aux miracles de Jéfus pour prouver fa miffion ; eependant nous  14 DISCOURS Sur fommes forcés de nous en tenir aux Prophëtes jufqu'a ce que nous ayons abfolument & clairement établi cette miffion par les miracles, comme j'efpère le faire dans eet ouvrage. La maniere dont je voudrois qu on prouvat que Jefus étoit le meffie feroit de faire une application allégoriquè de la Loi & des Prophëtes a ce quileregarde. C'eft la première & la véritable route que les Pères ont fuivie & qui avoit été fuivie avant eux par les anciens Juifs dans leur facon d'entendre comment le meffie devoit accomplir la Loi & les Prophëtes II eft vrai que cette route n'eft pas du goüt de nos Ëccléfiaftiques qui écrivent aujourd'hui fur cette difpute, ils refufent abfoIument de la fuivre a préfent. Le chemin qu'ils veulent prendre eft d'interpréter & d'appliquer littéralement quelques prophéties de l'ancien Teftament a Jéfus-Chnft; mais ils font bien éloignés de réuffir par cette voie. Les Auteurs des fondements, & du Syftême les incommodent ternblement par les difficultés qu'ils oppofent a ce«e manière d etablir leur preuve : jufques-la, que ne pouvant s'empêcher de' reconnoïtre les difficultés qui s'y rencontrent, ils Lichent un peu le pied pour recounr aux miracles de notre fauveur com-  Les MIRACLES. 15 me a leur feul & unique refuge. J'écris ce difcours pour leur faire voir qu'il n'y a point d'azile pour eux dans les miracles de Jéfus-Chrift. Je ne 1'ccris point pour favorifer 1'incrédulité, qui ne trouva jamais place dans mon cceur; mais je 1'écris feulement pour 1'honneur de notre divin Jéfus, & pour remettre notre Clergé dans' 1'ancienne & vraie méthode d'interpréter les Prophëtes, a laquelle il a malheureufement renoncé , & néanmoins qui , felon le témoignage des Pères, doit un jour fervir a ramener les Juifs & les Gentils a la foi. L'opinion oü je fuis qu'il ne fout point recourir aux miracles de Jefus- Chrift pour établir fa miffion, & 1'autorité des Péres m'ont fait avancer dans le moderateur (1) que les miracles de Jéfus , de la maniére dont on les entend aujourd'hui, ne font aucunement propres a démontrer la qualité du Meflië. Dans un autre endroit (2) je dis que je crois fur de bonnes autorités que quelques-uns des miracles de Jéfus, tels qu'ils font rapportés par les Evangélijles, n'ont jamais été opérés ; mais qu'ils font feulement racontés comme des Propbéties £f des CO pas- 44. 00 pag. 53-  ió DISCOURS Sur Paraboles de ce qu'il doit un jour exécuter d une Japon myftêrieufe fi? infiniment plus miracukufe. Ces expreffions ont choqué quelques-uns des membres du Clergé, & m'ont même attiré leur indignation & leur haine. Mais je ne vois aucunes raifons qui doivent m'engager a me départir de ce fentiment ni meme a le modifier & encore moins a me rétra&er. C'eft au contraire pour foutenir mon opinion que j'écris ce traité fur les miracles de Jéfus-Chrift, oü je n'ai en vue que la défenfe & la gloire du Chriftianifme. Je vais me renfermer dans les trois chefs qui fuivent. i°. Je vais montrer que les miracles conliftants a guérir des maladies corportlles qui ont rendu Jéfus-Chrift célèbre , ne conviennent point au meffie & même ne font pas une preuve fuffifante pour avoir pu 1'autorifer a fonder une religion. 2°. Qae 1'hiftoire littérale de la plupart des miracles de Jéfus-Chrift tels qu'ils font rapportés par les Evangéliftes, renferment des chofes abfurdes, improbables & incroyables; que par-conféquent ils n'ont jamais été opércs ni en tout ni en partie de h manière dont on Ie croit aujoud'hui : mais qu'ils font feulement rapportés comme des récits prophétiques & paraboliques de  Les MIRACLES. 17 le ee qui dok être un jour opéré par lui j'üne manière myftérieufe & plus mira;uleufe. 3 '. ^ J'examinerai ce que Jéfus entend orsqu'il en appelle a fes miracles pour >rouyer fon autorité divine; & je monrerai qu'il n'a pu propsement & abfoluïent en appelier a ceux qu'il a opérés lors dans la chair, mais aux miracles mysiques qu'il devoit opérer en efprit, dont :eux qu'il a faits dans la chair ne font que es figures & les ombres. Lorsque je traiterai ces trois chefs, je ie me renfermerai pas feulement dans les iornes de la raifon, mais encore je m'apmyerai de 1'autorité des Pères, ces faints, es Véritables & ces éclairés prédicateurs le l'Evangile dans les premiers fiècles de 'Eglife, qui ont re^u notre religion des ïains des Apötres , ou de la main des ommes apoftoliques , dont la plupart nt fouffert la perfécution & la mort pour 1 doctrine qu'ils enfeignoient, qui font econnus pour avoir été doués de graces xtraordinaires & divines du faint efprit £ que par-conféquent on ne peut fouponner d'avoir corrompu le Chrïfrianifme, avoir enfeigné une fauffe doarine fur :s miracles de notre fauveur, & de s'êA  i6 DISCOURS Sur Pardboles de ce qu'il doit un jour exécuter dune fagon myftérieufe infiniment plus miraculeufe. Ces expreffions ont choqué queiques-uns des membres du Clergé & m ont même attiré leur indignation & leur name. Mais je ne vois aucimes raifons qui doivent m engager a me départir de ce fentiment m meme a k modifier & encore moins a me ré traceer. C'eft au contraire pour ioutenir mon opinion que j'écris ce traite/ur les miracles de Jéfus-Chrift, oü J/ Unu eZVUr ^ue ]a défenfe & lagloire du Chnftianifme. Je vais me renfermer dans les trois chefs qui fuivent. i°. Je vais montrer que les miracles coniiftants a guénr des maladies corpordlesqui ont rendu Jéfus-Chrift célèbre, ne conviennent point au meffie & même ne font pas une preuve fuffifante pour avoir pu J autonfer a fonder une religion 2°. Que 1'hiftoire littérale de'la plupart des miracles de Jéfus-Chrift tels qu'ils font rapportés par les Evangéliftes, renferment des chofes abfurdes, improbables & fneroyables; que par-conféquent ils n'ont jamais ete opérés ni en tout ni en partie de te maniere dont on le croit aujoud'hui • mais qu'ils font feulement rapportés comme des récits prophétiques¶boliques de  Les MIRACLES. 17 de ee qui doit être un jour opéré par lui d'une manière myftérieufe & plus miraculeufe. 3°. J'examinerai ce que Jéfus entend lorsqu'il en appelle a fes miracles pour prouver fon autorité divine; & je montrerai qu'il n'a pu propsement & abfolument en appelier a ceux qu'il a opérés alors dans la chair, mais aux miracles mystiques qu'il devoit opérer en efprit, dont ceux qu'il a faits dans la chair ne font que les figures & les ombres. Lorsque je traiterai ces trois chefs, je ne me renfermerai pas feulement dans les bornes _ de la raifon, mais encore je m'appuyerai _ de 1'autorité des Péres, ces faints, ces véritables & ces éclairés prédicateurs de 1'Evangile dans les premiers fiècles de 1'Eglife, qui ont rega notre religion des mains des Apötres , ou de la main des hommes apoftoliques , dont la plupart ont fouffert la perfécution & Ia mort pour la doctrine qu'ils enfeignoient, qui font reconnus pour avoir été doués de graces extraordinaires & divines du faint efprit & que par-conféquent on ne peut foupconner d'avoir corrompu le Chrifrianifme, d avoir enfeigné une fauffe doctrine fur les miracles de notre fauveur, & de s'êA  '« DISCOURS SM tonté & ie j«c Tf,ff„j; entiere a leur au- je crois fans hé£ter tout « "f0^0 5 unanimement & n ,l q? Saffirent ■i "Jtpuunc, cemme je me fm's rPn du leun ouvrages très-farniJi^^e mé Cê d en comprendre Je W c- J , atte te; rnajs lorsqu'il regne entre e£ „ne 22' mome & un accord8parfait dXfeJïï" ils lont pour moi & ;i. j !tmime,ns> pour, tou? les ZkL^Zf^ que je crois que Fon doit raonce? a tous les préjugés, & fe ranger deïei av fans aucune contradictionf ou bierTil feut rejetter toute efpèee d'autorite ce qui ce me femble, entraïne aprés foi de • fecheufes conféquences. J'ai cru qu'il étoxt i propros d'établir,  Les MIRACLES. i> comras je viens de faire, 1'autorité des ÜPè* fes, afin d'aller au devant du préjugé qui pourroit s'élever contre le difcours prefl-nt fur les miracles de Jéfus-Chrift. II fe trouvera, fans doute, des pcrfonnes que la lecturê des trois points que je vais traiter t furprendra , & qui pourront les regarder comme s'ils avoient pour objet de faire triompher les incrédules, ce qui eft fort éloigné de ma penfée. Je prie donc mes lecteurs de lire de fang froid & avec patience. Ils trouveront que la doctrine que j'avance fur les miracles de Jéfus n'eft que la vérité pure & claire, telle qu'on renfeignoit dans les premiers fiècles de 1'Eglife; s'il m'arrivoit d'être feul frappé de la force & de la vérité de ce que j'avance, j'efpère qu'on ne me fera point un crime d'avoir voulu faire revivre une doctrine que perfonne ne peut nier avoir été celle des premiers fiècles , foit qu'on 1'approuve out qu'on la défapprouve. Si je fuis dans Terreur, j'y fuis avec les Pères avec lesqucls je fuis uni par une même foi. Si quelqu'un fe_ trouve choqué de ce que je dis fur les miracles de Jéfus, il peut tourner fon resfentiment contre les Pères, a 1'opinion expreffe & implicite desquels m'étant atta* ché, je ne faurois encourir aucun blame, A 2  DISCOURS Sur fiecle & fon ignorance m'ayent forcé 1% re, cette efpèce de préfacl, par Lueïe j ai voulu prévemr les rumeurs que feS? rois exciter. Je vais donc coVinceTa traiter en particulier chacun des artkïs que je me fuis propofés. q V. Je vais montrer que les miracles de la guenfon de toutes lortes de maladies corporales qiu ont été attribués a Jéfus ne font nullement ceux qui conviennent au f fr ' & qU i5 ne fonc PM ™e preuve fuffifante pour 1'autorifer a fonder une reügion dans le monde. Pour y parvenïr exannnons d'abord quelle étoit ïopinion des Peres fur les écrits des Evangeftftes poné "^Ëucn3 * ^rus-C^ftgeft rap-' portee. Eucherius dit que les Ecritures du nouveau auffi bien que del'ancientZ/ent ne dcnvent s entendre que dans un Jets aluL'. nque (3j. Son opinion n'eft point diffé rente de celle qui étoit commuróment re. cue dans les premiers fiècles de l'Egliie amfi quon peut Je prouver par plufieurs paffages femblables des autres Pére?' Com Odmonet m Mud aüerill Z f nJ"™ e^e , P R O E F A ï, AD ï^iZ^&Sg*** IN  Les MIRACLES. 21 me ils n'exceptent pas les écrits des Evange'liftes, ils jugent par-conféquent de même fhiftoire des miracles de Jéfus-Chrift, qui, auffi bien que les autres parties de fa vie, doit être prife dans un fens allégorique fi Ton veut en comprendre le fens véritable. Par - conféquent fhiftoire littérale des miracles ne prouve rien. Ecoutons leur opinion fur les aêtions & fur les miracles de Jéfus. Origène dit que tout ceque Jéfus a fait dans la chair, riétoit que le Type £f le fymbole de ce qu'il devoit faire en efprit, (4) & ce qui tient de plus prés a la queftion préfente, que les différentes maladies corporelles qu'il avoit guéries , n'ètoient autre chofe que la figure des infirmitês de l'ame, qui doivent être guéries par lui. (5) Saint Hilaire penfe comme Origène; il n'y a qu'a voir fes expresfions (6), & fon commentaire fur S. Ma ■ CtQ Si quidem fymhola quadam erant qiae tune gerebait ' tur tor urn , qua Jefu virtute femper perficiuniur. In M a t t h. C a p. XV. C5) Omnis Unguor & omnis infirmhas quam fanavit falvator tune in populo 'referuntur ad infirmitates fpiritaales animarum. In Hattb. C a p. XVII. (6) Chrijli gefta aliud portendu.it. In M at th. C ap. XII. Erangslicis geftis eft interior fenfus. C a p. X V. Hac, Heet in prxfer.s gefta fuut, quid tarnen in futurum fiqnificent contuendum eft. C a p. X. Peraguttt formant futuri gefta, pmfentia. C a p. XXI. A 3  22 DISCOURS Sur thieu Saint Auguftin (7) & S. Jcan de Lerulalem (8) difen.t que les osuvres de Jéfus renferment d'autres myftères. Les au'tres Pères s'accordent avec eux : ils difent tous que les miracles qui ont été opérés par Jéfus , n'étoient autre chofe que 1'ombre des ocuvres myftiques & plus puiffantesqu'il doit un jour exécuter: c'eft ce que je pourrois. prouver par un plus grand nombre de paffages s'il en étoit befoin. Mais il efi conftant par les citations précédentes qui renferment le fentirnent de plufieurs Pères., que nos Théologiens modernes ont tort de donner trop d'étendue a la preuve qji'jjs veulent tirer de 1'autorité divine de Jéfus & de fa qualité de meffie , par les osuvres qu'il a accomplies dans la chair, & que cette preuve ne peut fe tirer que des cérémonies myftiques dont celles qui ont été accomplies dans la chair ne font que l'emblême & la figure. Mais pour fuivre plus particulièrement mon objet, voyons avec quelle indifférence, pour ne pas dire avec que] mépris, 1 .s Pères ont parlé des miracles de Jéfus', & fur-tout de fon pouvoir de guérir les mala- (7) £'«*.. h ftSf faïïa funt aljcujas fignificantia erant. A v g. .ser m. 77. GO Omiu 'J"o falem dit que les guérifons opérées par Jéfus'-Chrift fur les avcugles &c. étoicnt 'a lv vérité grandes & admirables ; mais qu'a moins quil ne fit toiw les jours dans fon E glife des- ceuvres atiffl grandes, nous n'aurions point fujet! de les admirer. (u). S. (9) Si enim temporalis erai ah eo utilitas, nihil erande praflitit us, qui ab eo cv.ral'. func; Lu. 5. Cap. 12 S ec t. 6. Go) Con-t'ka Celsum, Lu. 2. Cu) Cacum caravil, magnum quidem ejf, quod fêcit mft quotnlie fir.i , quod oltm fnHum, M»h qtiidcm mtspum eflc cejjs.yn. HCKMil.. 30. tH M a R c. 6." A-4-  24 DISCOURS Sur Auguftin dit non feulement, que ft nous examinons par les lumiéres de laraifon humaine les miracles de Jéfus, nous trouvcrons qui narienfait de grand, tf que, eu é d a fa toute pmjfance &> a fa bonté infinie* cequ il avoit fait étoit fort peu de chofe (i2 V mais encore ij nous apprend qui ks mi/al cles operes par Jefus auroient pu être imputes au pouvoir de l'art magique (iq) C'eft fur ce principe que Moyfe & Jéfus même ont dit que de faux Prophëtes & de faux i ni Sr .feroient des miracles. L'Antechnft fuivant S. Paul en doit faire qui féduiront le genre-humain. Les Pères affürent & Je le crois auffi, que L'Antechrift imitera & qu il egalera mëme Jéfus dans les miracles qu'il a faits (14). Comment pourrons-nous donc diftinguer, par le moyen des miracles , les faux d'avec les vrais Prophëtes ? le vrai Chrift d'avec 1'Antechrift? Nos Théologiens trouveront cette diftinaion bien difficile a faire, fi ceque % rer\Tndk de rAntechrifi eft veritable. D Ailleurs 1'hiftoire nous fournit C.12) Si humano captti &> ingenio eonriderem,,* %t"%em;«oïJit ?***, ainli 1 atheïsme & 1'incrédulite ? Que „ notre indignation éclate contre lui • il „ n y a ni cenfure ni punition affés févère „ contre la profanation & le blafphéme „ renferme dans cette propofition." C eft donc pour calmer les efprits&pour arreter les effets de la haine de ces daLereux accufateurs que je dois procéder avec plus de precaution & me fortifier de Ia raiion ik de 1'autorité; fans quoi je pourrois reffentir le poids de 1'indignation de ceux des Théologiens qui s'obftinent a croire aveuglement fhiftoire littérale des miracles de Jefus-Chrift. m Ayant donc de commencer 1'examen particulier daucun de fes miracles, je vais rapporter deux ou trois aflertions préliminaires des Pères a leur occafion. Origène dit que dans la partie hiftorique des Ecritures il Je trouve quelques traits inférés comme hiJtoires, qui ne font jamais arrivées £f qu'il  Les MIRACLES. 35- 71 étoit pas poffible qu'elles arrivaffent; qu'il s'y trouve des chofes qui peuvent avoir été fakes & d''autre's qui riontpu fe faire, (21) II applique ce principe aux Evangiles auffi bien qu'a Tanden Teftament, & il en rapporte plufieurs exemples. St. Hilaire dit qu'il y a plufieurs traits d'hiftoire dans le nou~ vcau Teftament qui, fi on les prenoit h la lettre, fcroient contrair es au bon fens & k toute raifon & qui par-conféquent ont befoin d'être expliqués par des allégories. (22) St. Auguftin dit qu'il y a des myftères cachés dans les ozuvres ö* dans les miracles de notre fauveur , que fi nous les lifions fans précau~ tion & les interprétions a la lettre, nous fe' rions en danger de tomber dans l'erreur. (23) Les autres Pères font tous du méme fentiment comme on peut le prouver par un (2.1) Hiftoria feriptiirainlerdiim in.terferit quidam vel m'uiüs gefta, vel qua omuinö 'geri non poft'unt, interdum qua pofunt geri, nee tarnen gefta funt. De Princip. L i e. 4. (22) Multa funt, qua non fmunt nos ftmpliei fenfu dieta Evangeliea fufc'ipere. Interpofitis enim nonnullis rebus qua ex natura humani fenfüs fibi contraria funt; rath' nem quarere eceleftis intelligenties, adinonemur. in Ma tt. l 1 iï. XX. Sec t. 2. .C23) Evangeliea facramenta in Chrifti faCtis ftgnata omnibus non patent, & ea nonnulli minus düigenter interpretando ajferunt plerümque pro falute perniciem , & pro cognitione veritatis errorem, &e, be Qu^sr. Djvbrï» q u JS, s t. 84. B 2  35 DISCOURS Sur grand nombre de leurs écrits. Mais comme mon deffein eft d'abréger, je crois que les trois temoignages que je viens de rapporter feront fuffifants pour appaifer la colere & detruire les préjugés de nos adverlaires, contre les propofitions dont il eft ici queftion ; je vais donc les examiner, c'eft a-dire je vais démontrer que fhiftoire de la plupart des miracles de Jéfus, prife a la lettre, eft totalement abfurde, improbable oc incroyable. Je commence par le miracle des marchands chaffés du Temple rapporté par les quatre Evangéliftes. (24) J'ai lu dans quelque auteur moderne dont le nom m'eft échappé que ce miracle lui paroit le plus furprenant de tous ceux qui ont été opérés par Jéfus-Chrift, & s'il eil vrai a la lettre, il faut avouer que c'eft en effet le plus étrange. Jéfus dut paroïtre alors plus qu'un homme ordinaire. II s'étoit vraifemblablement armé d'un air impofant & redoutable pour 1'opérer. En effet il eft bien difficile de comprendre comment un homme feul d'un extérieur qui ne devoit être que fort abject. & peu impofant (car nous ne lifons pas qu'il ait rien changé a fa figure humai- (24) Voïez; S. Mattii. Cap. 31. St. MARC. Cliap. II. St. Luc. 19. St. Jean. II.  Les MIRACLES. 3? ne) un fouet a la main, ait pu exécuter une telle entreprife contre une troupe de gens qui n'étoient point fes difciples & qui n'avoient aucun refpe£l pour lui. Mais en fuppofant que par un effet de fa toute-puisfance il ait infpiré une terreur panique a tout ce peuple, pourquoi s'étoit-il fi fort enflammé de. zêle a caufe de la profanation d'un temple qu'il étoit venu renverfir? Mais je ne prétends pas m'élever feul contre le fens littéral de cette hiftoire: écoutons ce qu'en difent les Pères. Origène dit que tout cela n'eft qu'une parabole: (25) les^?xplications allégoriques qu'il nous en donne font fréquentes; ce ne font que des explications myftiques de cliacune de fes parties a diverfes reprifes. Par le temple il entend 1'Eglife; par les marchands qui étoient dans le temple , il entend les prédicateurs qüi font trafic de 1'Evangile, & dont 1'Efprit de Jéfus-Chrift délivrera un jour fon Eglife. II eft fi éloigné de croire aucune partie de la lettre de cette hiftoire , qu'il a compofé un très-long argument contre elle (26) dont la fubftan- f25) ORIGF. N. Co II MP. NT. IN MATTH. 21. (26) 1'orro cui cl ra eji nccuratior hiqnlfitio cunftdcrdhft, en ft'xta d'gnitaim prajjtntis v'tta crat, ei Jefus rem talem auderet faccre, exinidere vidéltce't mèrcatorum mul- B 3  38 DISCOURS Sur ee eft que fi Jéfus eüt entrepris une paKille chofe, le peuple lui auroit réfifté & 1 auroit maltraité: s'il feüt exécutée, les marchands du temple 1'auroient traduit deyant les Magiftrats, & 1'auroient fait condamner a réparer les dommages qu'il auroit caufes a leurs effets: ils 1'auroient accufé avec juftice de fedition, de troubler la tranquilite pubhque & d'agir contre 1'autorité des loix. Je laiffe a chacun a décider fi 1 argument d'Origène eft fondé fur Ia raifon ou non. • St. Hilaire eft du même fentiment qu'Ongene. II dit que cette hiftoire eft feulernent une figure prophétique de ce qui doit arnver un jour dans 1'Eglife de Jéfus- mafet tgtis viriBus />/7- „Mii. '„' c aao>tus non incla* tantum ^R^^t^VA^ W*** ***** Mant, MXS^SX^tM^^  Les MIRACLES. 3 Chrift (27). II nous avertit qu'il (28) faut approfondir le plus myftérieux de cette hiftoire. II nous donne a entendre fur-tout que par les fièges de ceux qui vendoient les pigeons (29) il faut entendre les chaires des prédicateurs, qui font profeffion de vendre les dons du S. Efprit, qui eft figuré par le pigeon. Quant a la lettre de ce récit, il eft certain qu'il ne fe tenoit point de marché dans le temple de Jérufalem ; & fi quelques autres hiftoriens que les Evangéliftes 1'eulfent rapporté, je ne crois pas qu'il y eüt quelqu'un affés fimple pour croife qu'on vendït des boeufs , des moutons & des boucs dans ce temple (30). S. Ambroife fe déclare pour 1'explication myftique de cette hiftoire, dont il rejette le fens littéral; car, dit-il, (31) quel„ le raifon pouvoit avoir Jéfus de ren- (27) Praftguratio futurorum diüis prafentibus continetin: in Matth. XXI. . (28) Admonemur altiits verborum vinules tn ijtmfmoat fio-nijtcationibus contuendas. Ib i d. ' ;• ' f20) In cathedm eft facerdotü fedes; & eorum qut jpf ritus fancti donum vmale habent cathedras everiet. Ijiid. (30) Non habebant judai quod vendere pol]ent, neqae erat quod emere quis pof et. Irid. 0?O Cathedm anrem Vendcntium cohimbas car evMent ( fecundiim litteram non intcltigo. Adnmnet typo ceBorum 'de templo huinfmodi mercatorum, in Eccleftu Z)« conjortium cos habere non pofe , qui fancii fpmtiis graziam nundlnentur. m Loc. Luc^t.. B 4  40 DISCOURS Sur „ verfer les bancs de ceux qui vendoient „ des pigeons? Tout ce récit, ne peut „ figmfier autre chofe, fi non que Jéfus „ chaiiera un jour de fon Eglife les Pré„ tres qui font commerce de fon Evan- " gl,e A St. Jérörae fuivant la méthode qu'il fait en d'autres occafions, nous donne une expofition littérale de ce miracle, amant que le fujet en eft fufceptible; puis il fe reprend lui-mème en difant qu'il fe trouve quelque abfiirdité (32) dans la lettre; mais que felon le fens myftique qu'il renferme Jéfus entrera dans fon temple' qui eft 1'Eglife , qu'il en chaffera les Evêques , les Prêcres, les Diacres qui font un commerce fordide de leurs prédications. Dans un au tre endroit il défigne quel fera le fouet myftique dont Jéfus-Chrift fe fervira a eet effet. (33). S. Auguftin fedéclare auffi contre fhiftoire de ce miracleprïs a la lettre; oü étoit, dit-fl, (34) le grand pêché de vendre dans le Csa) Juxta fimplkem intelligentiajn-quod penltüs atfur. gttrn, Caterum fecundum myfticos inUlleSus Jefus ineredU tvrumplum pat ris & ejicit omnes Epifcopos 'Presbvteros & Biaconos. in Loc. Matth. ' f33) Faeiet dotranus flcgcllum de fcriptfirarum textuum UflüWlUS, in Zaciiar. Cap. XIV. (34) Non magnum peccatum, fi hoe vendehant in teniüo Quod ememur ui ofcrretUr in hmp'.o. m Loc. JoÖaK.  Les MIRACLES. 41 temple des chofes qui étoient a fon ufage, & qui s'y ojfroient en facrifice ? nous devons donc examiner le myflère renfermé dans cette hiftoire figurative & rechercher ce qui eft entendu par les Bosufs, les Moutons & les Pigeons , qui font ceux qui en font les marchands dans 1'Eglife de Jéfus-Chrift. II avance (35) pofitivement que les Eccléfiastiques qui n'ont en vue que leur intérêt mondain, qui tirent un profit temporel de 1'Evangile, font figurés dans cette hiftoire: & quant a 1'expreffion de faire du temple une caverne de voleurs il dit que cela ne regarde que le Clergé a venir, qui devoit faire une telle caverne de 1'Eglife de Jéfus-Chrift. (36) S. Théophilaóte enfin eft du même fentiment que les Péres que je viens de citer. II eft allégorifte comme eux (37) par rapport a ce miracle. II dit que ceux qui (35} Qui funt taméo qui boyes vendunt? ut in figura quJ.rr.mus mijlerium facli, qui funt qui ovcs ycndunt & columbr.s ? ipfi funt qui fua quarunt in Ecckfia, non qua Jefu Chrifti. Ibid. (36) Vos enim feciflis domum meam domum negotiationis, & fpeluhcam ktronum , fignifieat fuiuros in Ecckfia. LlB. 2. EVANG. QUjEST. 4.8. IN JOHANN. CAP. 2. B 5  +2 DISCOURS Sur vendoient les pigeons font les Prêtres qui vendent les dons du S. Efprit; qu'il viendra un tems oü Jéfus-Chrift renverfera leurs bancs & les chaffera de fon Eglife. Dans un autre endroit' il fait voir ce qu'on doit entendre par les boeufs & les moutons; c'eft-a-dire qu'il explique le fens littéral de 1'Ecriture: or, fi ce fens littéral ne s'accorde ni avec le fens commun ni avec la raifon , nous devons convenir qu'il faut avoir recours au fens myftique ; d'autant plus que pour les récits qui n'ont ni fens ni raifon , nous n'avons d'autre nom a leur donner que celui de contes ou de fables. ( Confidérons donc avec quelle unanimité les Pères s'accordent fur le fens littéral & adoptent le fens myftique de ce miracle. On dit de 1'Eglife , que dans fon premier age elle étoit infpirée & conduite par le S. Efprit. II falloit qu'elle le fut en effet; car certainement on n'auroit pas écrit ainfi fi les reyenus attachés au facerdoce euffent été établis & fi les queftions fur ces revenus euffent été déja agitées. Si les Péres euffent vécü dans notre fiècle & euffent écrit comme ils ont fait, nous nous ferions imaginé qu'ils s'étoient laiffés faifir de T esprit fanatique des trembleurs; ou bien ils n'auroient jamais donné de cette hiftoire  Les MIRACLES. 4S une explication fi favorable a, ceux qui font les ennemis déclarés des biens immenfes attachés a 1'Ordre facerdotal. II n'eft pas ici queftion de décider quand & comment le pouvoir de Jéfus fefera fentir dans fon Eglife , pour en chaffer les marchands eccléfiaftiques; mais en quelque tems que cela s'exécute ce fera alors un miracle qui fera plus grand & plus éclatant que celui qui n'en eft que Temblême & la figure : ce ne fera pas feulement alors la preuve du pouvoir & de la préfence de Jéfus-Chrift dans fon Eglife ; mais ce fera encore une démonftration parfaite qu'il eft le vrai Meffie; par ce que les Prophêties prononcées par les Péres & celles qui font annoncées dans Tanden Teftament feront accomplies & feront intelligibles pour tous les hommes. Mais cela n'a rien de com-mun avec ce que je me fuis propofé d'examiner. On objeétera peut-être contre Texplication que je donne de ce miracle qu'a la réferve de quelques arguments contre le fens littéral de cette hiftoire, auxquels il n'y a rien a répliquer, cette explication eft une rêverie chimérique & ridicule des Pères ; .quih ont falfifié le Chriftianifme par  44 DISCOURS Sur leur jargon $» leur enthoufiafme (38) & que nul de nos Théologiens Proteftants n'a fuivi 1 expofition des Pères que je viens de rapporter. Mais quoique cette explication ne foit pas du goüt des Théologiens de ce ïiecle, elle n'en eft pas moins vraie ni fohde pour cela. Je veux bien encore citer le fentiment d'un des plus grands hommes de ces derniers fiècles, je veux dire Erafme qui , en prenant toutes les précautions poffibles pour ne pas offenfer le Clergé, fe trouve du même fentiment que les Péres; fans cela il n'auroit pas dit que ce miracle de Jéfus-Chrift fignifioit quelque chofe de plus; attendu que Jéfus ne devoit pas montrer tant de zêle contre la profanatioh du temple des Juifs qui alloit bientot être détruit; mais qu'il f 'alloit entendre que Jéfus feroit un jour éclater fa haine&fon reffentiment contre la cupidite des Eccléfiaftiques, dont fuivant cette figure il devoit délivrer un jour fin Eglife (39). C38) V. Chandi.er Vindication, &c. Pao. ias C3S0 Hoe faSto Ion ge aliud figmficabat Jefus, nc'c enim Mum tantopere commovebat templum Mud mercimoniis borum ovium Mrcorum ê? co/umbarum profanatum; red oflendere volun arantiam & quzfum fore capkalempjem hertcf,*, quanuemplum, cufat religro mox era r.bohnda, ngurabat. ~ Tn nulkm hominum genus acrius faviit Jefus fed hos lpf* fib,feryarh ejkkndos, cum vUMtur.m Loc. Matth. xxr.  Les MIRACLES. 45 Avant de terminer ce que j'ai a dire fur ce miracle, il eft bon d'avertir que files Pères ont eu raifon de penfer comme ils ont fait, il faut que nos Traduéteurs Latins & Anglois de ce palfage dè S. Mathieu fe foient trompés dans un point capital: au lieu de dire, Jéfus jetta dehors ceux qui vendoient & achetoient, il doit y avoir : ceux qui vendoient ö3 prêchoient: par ce que le mot grec ctyafxfav fignifie plutöt prêcher qu.'acheter, & c'eft en ce fens qu'il faut 1'entendre felon les Pères. 11 faut encore que je faffe obferver que nos Commentateurs font un peu embarrafles, de favoir qui étoient & quelle profeifion exercoient ces changeurs d'ar gent; le mot grec KaM-vfasm fignifie (40) ceux qui avoient 1'induftrie de changer une efpece de mauvaife monnoye de cuivre dont la marqué étoit des boeufs & des moutons , contre de la bonne monnoye. Or il eft affés difficile de concevoir comment ce mot pourroit s'appliquer a aucun des marchands qui étoient dans 1'ancien temple; mais il convient a merveille a nos changeurs eccléliaftiques , lesquels , comme difent les efprits forts, ont le front de vendre leurs C4°) , VC3E Sü}CERU>J IN K«Vi^(f ï{.  46 'DISCOURS Sur fables a un prix affés haut; & fi le mot grec Tp«w£« que 1'on traduit par tables fignifie des chaires (41) de Prédicateurs: eft-ce ma faute a moi? Pour revenir donc au miracle de Jéfus, par lequel il chaffa du temple les vendeurs & les acheteurs, je demande a nos Théologiens fi cette hiftoire dans fon fens littéral n'eft pas abfurde & incroyable, & fi on peut la regarder autrement que comme un récit prophétique & parabolique de ce que' doit faire un jour le Sauveur d'une manière myitérieufe & infiniment plus furprenante. Je paffe donc au fecond miracle, je veux dire celui par lequel Jéfus chaffa ïes Démons du corps d'un poffédé ou des deux ppffédés, en permettant a ces Démons d'entrer dans un troupeau de pourceaux, qui fur le champ allérent fe précipiter dans la mer & s'y noyer (42). Nous conviendrons qu'éxorcifer' ou chaffer les Démons du corps des poffédés, en mettant a part la nature d'une telle poffeffion auffi bien que la nature & C4O Tpart^a. apud driftophanem eft Pulpittim. Vide scapulam. t c42^,^°y- MATTH- VIII. 30. et SüIV. MARC. V. I3. Luc. VIII. 32. et Suiv.  Les MIRACLES. 47 le pouvoir des Démons, eft non feulement un aêle de bienfaifance , mais encore un trés-grand miracle; toute-fois ce miracle n'eft pas auffi éclatant qu'on voudroit (43) nous le perfuader , & n'a rien de plus extraordinaire qu'une infinité d'autres opérés par de faux Prophëtes ou par des gens qui exerfoient parmi les Juifs le métier d'Exorciftes. Par conféquent le pouvoir d'opérér un tel miracle ne pouvoit pas être une preuve de 1'autorité divine de Jéfus-Chrift, & quand il n'y auroit pas d'autre objeélion a faire contre ce miracle elle fuffiroit pour détruire fargument qu'on en veut tirer en faveur de la puiflance divine de Jéfus - Chrift ; mais il fe trouve plufieurs circonftances dans cette hiftoire qui nous déterminent a la rcvoquer en doute. Comment étoit-il poffible par exemple que ces poffédés demeuralfent dans un cimetière ou parmi les tombeaux ? Oü étoit 1'humanité du peuple de ne pa's fe mcttre plus en peine d'eux foit par compaffion , foit en vue de la füreté des au- (43) Voyez & ce lUjet une notc tres fenfee de Mi: Rol'sseau dans ses Lettres icrites de la montagne Lettre 3. pac. 14B. 149. Tom. 1. // cite ce miracle comme un de. ceux qu'il n'eft pas pojfiblc de prendre au pied de la Lettre fans renoncer au bon fens.  48 DISCOURS Sur tres , puisqu'il n'y avoit pas de chatnes qui puffent: les arrèter ? II étoit néceffaire pour la füreté publique & en même tems jufte de s en défaire plutöt que de fóuffnr que leurs voifins & les paffants demeuraffent expofés au danger qui étoit a craindre de leur part. Croira donc qui voudra la première partie de cette hiftoire. Mais ce qui n'eft pas moins incroyable, ceft qu'il püt y avoir dans ce paysla un troupeau de cochons. Si tout autre hiftorien que les Evangéliftes eüt rappor te ce fait, perfonne n'y auroit aiouté ioi. II etoit défendu aux Juifs de manger de la chair de porc: qu'auroient-ils donc pu faire de ce troupeau de pourceaux qui ne font utiles que lorsqu'iJs font tués , eux qui ne nnngeoient ni cochons de lait n^lard, ni boudins? On dira, peut-être, qu'on les gardoit pour 1'ufage des étrangers; mais cela ne pouvoit être encore Depuis qu'Antiochus eut fouillé le temple' en y faifant facrifier un cochon, les Juifs (44) avoient défendu fous peine d'anathême que qui que ce foit gardat des cochons dans le pays. On dira, peut-être aufïi, C44) Vid. Spencer, de Lecïb. Hebr.ccos. Ritualir. iMG. 117.  Les MIRACLES. 49 auffi, que ceux qui les gardoient n'étoient pas Juifs, qu'ils étoient des gentik-.de leur voifi'nage, auxquek il étoit permis d'avoir des cochons & d'en manger. Suppofons la chofe pour un moment , quoiqu'elle foit improbable; mais a moins d'avoir une raifon plus folide que celle qu'on nous donne jufqu'a préfent, il n'y a pas moyen de croire que Jéfus-Chrift eüt pu permettre aux Démons d'entrer dans. un troupeau de cochons & d'en caufer la destruétion. Oü étoit donc la bonté & la juftice d'une telle aftion ? C'eft a nos Théologiens a nous 1'apprendre: on prétend communément, & je le crois fans peine , que la vie de Jéfus fut entièrement innocente , que fes miracles n'ont eu d'autre but que 1'avantage & le bonheur du genre-humain, & qu'il n'a jamais fait de tort a perfonne. Mais pourroit-on le dire avec juftice, fi cette hiftoire étoit vraie a la lettre ? Les propriétaires des cochons dürent fouffrir une perte confidérable, & nous ne voyons pas dans 1'Ecriture ce qui a pu leur attirer un pareil traitement de la part du Sauveur, ni qu'il les ait jamais dédommagés. Ils le prièrent de le retirer de leur territoire vraifemblablement a caufe de la perte qu'il leur C  5o DISCOURS Sur avoit caufée, & pour empêcher qu'il ne leur en caufat quelqu'autre: ce qui fut en vente une manière de fe venger beau coup plus généreufe qu'on n'eü? dü 1'at- 5re^dlgei:X a °n aV°k ^ Je ne fais pas ce que penfent nos Theologicus fur la feconde partie de cette hiitoire, ni pourquoi Jéfus en fut quitte a fi bon marche; mais fi quelque exorcifte de notre nation fe füt avifé de nos jours de chalTer des Démons du corps d'un poslede pour les faire entrcr dans celui d'un troupeau de moutons, le peuple n'auroit pas manque de crier au forcier, & il eft hu que les loix & les juges 1'en auroient puin tres-feverement. J'efpére que pcrfonne ne fe trouvera choque des raifons que je propofe contre Je lens littéral de eet étrange miracle Te naurois jamais ofé Ie faire avec a'utant de libcrte, fi je ne m'y fuffe trouvé encourage par Texemple & 1'autorité d'Ongene & de plufieurs autres Pères qui dilent^ que nous devons expliqüer les abJurdites de la lettre autant quil eft poffible, afin de tourner les efprits des hommes vers Jon fens myftique ts raifonable. Ecoutons donc ce que difent 'les Pères de ce miracle. Nous avons perdu les Gommen-  Les MIRACLES. 5i Lires d'Origène fur cette partie de 1'Evangile de faint Mathieu & de Sc. Luc; fans cela nous verrions indubkablement qu'il n'ajoutoit pas plus de foi a la lettre de cette hiftoire qua cette autre fable de 1'Evangile oü il eft dit que le Diable avoit transporté le Sauveur fur la cime d'une montagne, & que de la il lui avoit montré tous les royaumes du monde (45). Comme ce Père eft d'une fagacité merveilleufe, pour 1'intelligence du fens myftique des Ecritures, il n'auroit pas manqué de nous donner des cclairciffements curieux du myftère renfermé dans cette allegorie; mais nous trouvons dans les autres Pères de quoi fuppléer a eet égard a ce qui nous manque d'Origène. S. Hilaire ralfemblant toutes les circonftances de ce miracle dit que c'étoit une figure &f une parabole qui nous a éti^ transmifc pour notre méditation fur ce qui fera opzrè un jour par notre Sauveur (46). Selon lui & les autres Pères, le polfédé fignifie le genre-humain. Si on fuppofe qu'ils étoient deux, ils défignent les Juifs (45) ohicen. LlB. 4. df. princip. f4()) liane habeant caufam , ut effet in rebus geremUs fuiari plena medilatin. in Loc. Matth. in live lyptca ratio /errata eft. Ibid. C 2  52 DISCOURS Sur & les Gentils (47) qui a ]a venue du Saai veux étoient pofiedés du Démon en ce qu ils gemiffoient fous les chaïnes diabohques du pêché, & qu'ils étoient aban_ donnés au culte (a*^,»,) des fauffes divimtes que nous_ traduifons par Démons. Ces_ poflcdes étoient fi furieus qu'il n'v avoit (48) point de chahies capables de les arreter a caufe de la haihe invétérée qu ils portoient a 1'Eglife, & qile les chaïnes de la raifon ne pouvoient les emnécher de maltraiter les Chrétiens II eft dn qu ils étoient (49) „uds, paree qu'ils étoient deftitues du vêtement de 1'efprit de la grace ; qu'ils fe retiroient dans les tombeaux, (50) apparemment paree qu'ils croupiffoient en effet dans la mort du né- TT r, aCnme-inApros 9ue h mort de Jéfus-Chrift eut déhvré les Gentils de la poffeffion de ces efprits diaboliques & qu il les eut mis dans la voye Je Ja 'raT ion, ce qui s'eft fait par le moyen de leur :M. hét ^:%zvttis«»* & C43) Humanum genus ad adremum do'minl vexabati. F ASrS ^nennnn natur, fua & pon perfidorum, uifi quxdam defvn 7r■ ■' quibus Dei ye.bum ma Uiuu. m f'Mchra th  Les MIRACLES. 53 jconverfion a la foi , pour lors, c'eft - adire quelques fiècles après, ces mauvais lefprits femblables a de mauvais démons font en trés dans un (51) troupeau de cochons. Si cela fignifie qu'ils fe font mis en poffefiion des Hérétiques , gens d'un tempérament fougueux & d'une vie déréglée , il eft queftion de favoir quels hérétiques font ^défignés dans eet endroit, ou ii 1'on doit entendre par eux tous les Chrétiens en général, c'eft ce que je laisfe a décidcr a nos Théologiens. En général ou pourroit croire que ce font les défenfeurs du fens littéral des Ecritures, vu que la lettre des Ecritures eft appellée allégoriquement (52) la nuurriture des pourceaux. Je ne me fuis point engagé a rapporter 1'explication myftique de toutes les parties de cette parabole, car je 1'appelle ainfi, ni a dire ce qui eft entendu par la mer dans laquelle les Pourceaux font engloutis; mais je laiffe a nos Théologiens a méditer un peu fur 1'expofition myftique . (5 O Videntes T)izmones -xmn fibi jam locum in gentibuj ' der'elinqui, ut paliatur habitare fe in hiereticis deprecan\iv.r. Uil ar. in Loc. Mattii. , (52) Littera ejl palea, & frequenter cvenit, ut homi'nes hujus Ucr.li myjlica nefcientes, fimplici fcripiurarum ■ isïüonc pafcuntur. Hieronym. in Isa. XL C 3  54 DISCOURS S u r do cctt° partic qui leur eft échue en partkge. Qu'ils examinent fi cette explication n'eft pas d'une néceffité abfolue, pour rendre cette hiftoire vraifernblable. J'ai donc expofé 1'opinion des Pères fur ce miracle qu'ils regardent comme entièrement allégorique; fi nos Théologiens perfiftent abfolument a foutenir la lettre de cette hiftoire, c'eft a eux a nous lever toutes les difficultés qu'elle entraine après elle. II eft für que la guérifon d'hommes furieux ou polfédés du démon, eft une oeuvre tres-grande foit qu'elle foit miraculeufe ou non ; mais de faire entrer les Démons dans un troupeau de pourceaux, c'eft ce qui ne pouvoit s'exécuter que par une permiffion expreffe du Sauveur. Cétoit faire une injuftice énorme a ceux a qui üs appartenoient, & cela n'étok lcment conforme a la bonté de Jéfus-Chrut. Je ne vois donc aucun moyen de réfou ::e cette difficulté qu'en regardant cette hiftoire comme un embleme, & comme une figure , ainfi qu'ont fait les Pères. Si I on eüt attribué a Mahomet cetté hiftoire miraculeufe, j'ofe affurer que nos Théologiens n'auroient pas manqué d'en tirer un argument invincible pour terras-  Les MIRACLES. 55 •i fcr Ie Mahométifme ; ils n'auroient pas i manqué de dire que Mahomet étoit un 1 forcier, unmagicien, un homme qui avoit commerce avec les Démons , & tous les i| Mufulmans auroicnt eu bien de la peine •a a écrire quelque chofe de folide pour jusi itifier un tel miracle. Lorsque le Sauveur fut trafné comme un 'M criminel devant Pilate, pour y être inter>;] rogé & recevoir fa condamnation, Pilate demanda aux Juifs quel mal avoit fait eet ■1 homme? Si les deux hiftoires qui viennent d'être rapportées eulfent été vraies a la lettre, il n'y auroit eu nul befoin de chercher des faux témoins. Les Marchands du temple n'étoient-ils pas la pour affirmer fans injuftice qu'il avoit été 1'auteur d'une fédition telle qu'il ne s'en étoit pas encore élevée de pareille dans un jour de marché : que la perte de leurs marchandifes leur avoit caufé un très-grand pré'jj judice, & que foit que ce fut lui ou ceux l de fa trouppe qui les euffent volés pendant le tumulte, il étoit vrai qu'une partie de leur marchandife avoit été pillée, & le rette fort endommagé : que toute cette perte n'étoit arrivée que par 1'audace d'un brigand qui n'avoit refpeclé ni les loix ni fautorité. Si la conviction C 4 3 dant le tumulte, il étoit vrai qu'une partie de leur marchandife avoit été pillée, & le rette fort endommagé : que toute cette perte n'étoit arrivée que par 1'au- J  56 DISCOURS Soit ' S« 1 ™ £• £ «toepour aux Uunons de fe fanlr de leur tronn^n --rent de'pofe qu'il .voitT^X tiiottesj maïs que comme il leur avoit fair ctS "fis da'ablÊ eü faifant P^ leu cSre nn'il n'aV°.le1?.^ raifons de faSe dl n 3V0It f31C J un & ÏW qu a i aide des JJemons. ^ véeï pLi6 2?^ accufati°ns bien prouvees, iuate eut demandé aux Tuifs au en Sf £ inor &/'iIS ^ ^ cond?am! de I L r ' Ce JuSement n'auroit rien eu s attacnent a la lettre de 'Ecrirm^ rm> n ait jamais intenté cvnl ' ^cr'tu.re> 1u on Tefns- ;j i ?ate accufation contre UM di ra™r V P' deux aftions „e Juf  Les MIRACLES. 5^ ont jamais été imputées a crime, pour me croire autorifé a traiter de fables ces deux hiftoires miraculeufes, quand elles n'auroient pas d'ailleurs d'autres cara&ères de fauffeté. Je les regarde donc 1'une & 1'autre comme des récits prophétiques & paraboliques de ce que Jéfus doit opérer un jour d'une manière myftérieufe plus furprenante & plus conforme a fa bonté infinie. Je paffe au troifième miracle opéré par Jéfus; c'eft celui de fa Transfiguration (53) fur la montagne. Comme cette hiftoire eft obfcure & un des paffages les plus ablurdes qui foient dans 1'Eva'ngile, je doute qu il puiffe fe trouver deux hommes raifonnables qui n'en portent le même jugement. Affurer qu'il n'y a abfolument rien de vrai dans toute cette hiftoire, c'eft ce qui ne nous eft point permis a nous autres Chrétiens, vu que St. Pierre dit (54) qu'il a été témoin oculaire de la Majefté de Jéfus, qu il a vu fa gloire fur la montagne, & qu'il a entendu la voix qui eft fortie de la nuë. Mais les inerédules qui font toujours prets a fournir des arguments contre la probabilité & la vérité de la plupart.des faits rapportés dans 1'Evangile ne feront pas fi cir- QrO Vin. Mattii. XVII. Marc. IX. Luc. IX. (k±~) 2 Petr. I. 16, 17, iS- ' C 5  53 DISCOURS Sur confpecb & fi foumis. Nous devons donc faire enforte de répondre a leurs objections d une manière raifonnabJe & fatisfaifante & non par des fers & des buchers qu'on peut appelier Ja feule logique des perfécutcurs; nous devons, dis-je, n'employer contre eux que les feules armes de la raifon, paree que des perfonnes converties par force n'ont qu'une foi hipocrite & firn ulée. Mais je ne fuis mallieureufement que trop bien fondé a croire que les mécréants pourroient aifément nous renverfer par des objeóiions folides & par des difficultés fans réplique fur la lettre de cette hiftoire. St. Auguftin Jui-même (55) avoue qu'on en auroit pu faire autant par Tart magique Nous avous vu de nos jours des charlatans qui contrefaifoient leur voix avec tant d'adrcffe, & qui lui donnoient un tel fon qu'elle paroiifoit venir de très-loin, quoiqu'ils fuffent a cöté de ceux qui les écoutoient: d'autres favent fe déguifer de manière k furprendre leurs fpe<5ïateurs & cela fans miracles. Mais qu'entendent nos Théologiens par Ja Transfiguration ? Nous Jiions que la face de Jéfus devint bril- (55} Po funt infidcles ifiam roccm delatam de O/o fier eon/echiras humanus c? Weitas airiofitates ad megicas 'artes referre. In Serm. 43. §1. b  Les MIRACLES. 59 lante comme le foleil & fes vêtemens blancs comme la neige: cela fuffit-il pour déttioatrer que cette transfiguration fut miraculeufe? Les Philofbphes diront que la réflexion du foleil change les apparences des couleurs & que la couleur blanche eft celle de toutes qui réfléchit le plus de rayons. Les Sceptiques feront asfés témëfaires pour dire que fi le vifage de Jéfus - Chrift a paru brillant pendant que foleil donnoit deffus il n'y avoit rien de merveilleux en cela. Le mot grec original eft fmoiMo/xpaêo & il fignifie également métamorphofé, transformé, ou fi Ton veut transfiguré. Or pour favoir ce que nous devons entendre par le terme métamorphofè, c'eft ce que doit nous apprendre non feulement la fignification naturelle de ce mot, mais encore 1'ufage qu'en fai-foient les anciens. Suivant ce principe il ne fignifie pas moins que le changement ou la transformation d'une perfonne dans une forme, «ne figure, une effence, ou une taille abfolumerit différentes des Hennes. Mais ce n'eft pas ainfi que nous entendons que le Sauveur ait été changé. Nos Théologiens ne voudroient pas qu'on le regardat comme un jongleur. Si moi on tout autre difions que fur la Montagne Jéfus s'eft métamorphofè en veau, en lion,  Öb DISCOURS Sur en ours, en daim, en boue, en hydre, en perre, en arbre, ou en telle créature animee ou manimée qu'on voudra, je fuis bien iur qu il s'éleveroit un cri général qui nous accuferoit de blafphêmer. Te fuis donc très-für que nos Théologiens ne voudroient pas qu'on prétendït que Jéfus a ete ainfi transfiguré. La fimplicité de leur foi ne permettroit pas que fon crut autre chofe finon que fon vifage eft devenu refplendiffant comme le foleil & que Ja couleur de fes vêtements parüt changée II eft queftion de favoir fi cela rend toute la force du mot métamorphofé, mais c'eft ce dont je me mets très-peu en peinepour terrmner avec nos Théologiens. Je leuraccorderai que le changement du vifage & de la couleur des habits du Sauveur étoit une vraie transfiguration proprement dite, & qu'elle a été un miracle auffi ree] qüaucun de ceux qu'il ait jamais opéré; mais ils me permettront de leur demander a mon tour qu'elle étoit le motif & h fin de ce miracle? Etoit-ce dans la vue feule de faire un miracle? Selon S. Aaemr tin (56) cela feroit abfurde, pnis qu'il dit qu'il eft raifonnable de croire que tous rS5u?-nYc''/!'C /"■",' mirac.ala fi™?"* mhacula faciebat, ■■ l- 'Uc.f!a faciebat, nu ra elf ent yidentibut, vera etlent inteRigentibus, in Serm. p3. SÉct. 3 *"*  Les MIRACLES. 61 les miracles de Jéfus ont eu chacun leur but particulier; que fans cela celui qui étoit la fageffe & la puiffance divine ne les auroit jamais faits. Qiiel étoit donc le but de ce miracle? L'évangéliffce n'en dit rien; & nos Théologiens avec toute la fécondité & la fubtilité de leurS raifonnements ne peuvent nous en inftruire. Mais que vcnoient faire Moyfe & Elie avec Jéfus fur la montagne ? Ont-ils paru en perfonne ou n'étoit-ce que leurs fantömes & leurs fpeófcres ? II eft dit qu'ils s'entretenoient avec Jéfus: de quoi pouvoientils s'entretenir ? Les trois plus grands Prophëtes de 1'univcrs ne dürent felon les apparences 's'affembler que pour conférer enfemble fur un fujet trës-fublime, très-utile & très-édifiant. II eft donc bien étrange que les Apötres qui entendirent toute leur converfation ne 1'ayent pas rapportée & transmife a la poftérité pour notre inftruction & pour notre édification. Saint Luc, fuivant notre traduélion angloife femble dire qu'ils s'entretenoient fur la mort de Jéfus qui devoit s'accornplir a Jérufalem. Mais ce ne peut être le fens des paroles de S. Luc (57) qui, interprétées ainfi Cs?) Ei dkebam excefum ejus, qttem completurus erat 1:1 ■Jcrujcikm. Cap. 9. Verset 31. Vulg \t. Voyés i e GREC , et la note de le clerc Sl'r Cli PASSAGE. » ejl de meme femtment que Woolston.  62 DISCOURS Sur feroient un vrai contre-fens. Elles ne prefentent point ce fens, fur quoi je m'en rapporte a nos eririques verfés dans Ja langue grecque. Nous devons donc chercher une conftruftion plus convenable alaphraferapportie dans faint Luc, ou nous ferons en danger de refter dans les ténèbres, au fujet de Ta converfation entre Moyfe, Elie & Jéfus-Chrift. Au refte pourquoi ce miracle ne put-il s'opérer dans Ia plaine auffi bien que fur la montagne, fur laquelle Jéfus & fes trois Apötres montèrent tout expres? Des incrédules diroient que c'étoit pour profiter des nuages qui fouvent s'arrêtent fur la cime des montagnes & qui mettent a portée de faire des tours. Pourquoi ce miracle ne fe fit-il pas aux yeux de la multitude, auffi bien qu'en préfence des trois Apötres? Plus un miracle a de témoins, plus il s'éleve de voix en fa faveur, & plus il mérite d etre cru. II ne pouvoit y avoir trop de temoins de celui-ci auffi bien que de tous les autres , s'il eft vrai qu'il y en ait eu un feul qui ait été opéré. N'auroit-il pas été nécelfaire que les incrédules dont il devoit y avoir un grand nombre alors parmi les Juifs , euffent vu & entendu ce miracle auffi bien que les Apötres? Qui font ccux qui devoient être témoins des miracles de Jé-  Les MIRACLES. 63 fus-Chrifr. préférablement a tous les autres, fi ce n'eft ceux qui avoient le plus befoin d'étre convaincus ? Devoient-ils croire la vérité de ce miracle fur la parole des Apötres qui étoient juges & parties dans cette caufe? Nos Théologiens répondront fans doute affirmativement ; mais encore une fois les incrédules & les efprits forts fe feroient élevés contre eux & auroient dit que leurs miracles n'étoient que des tours d'adreffe & des fraudes pieufes. Voila pourtant des difficultés & des queftions alfés épineufes fur le miracle de la Transfiguration' du fens littéral duquel notre Clergé fe montre fi grand admirateur; c'eft a lui de les réfoudre; je crois pourtant qu'il fe paffera bien du tems avant qu'il puiffe en donner des folutions fatisfaifantes. En attendant écoutons ce que difent les Pères de ce récit merveilleux de la transfiguration de Jéfus. Ils conviennent unanimement que tout cela n'eft qu'un emblême (58) & une image (59) prophé- C58) Rcgni Caltjjif honor prttfigtiratur. S. Hilar. in Loc. M a t t h. —i In iransfiguratione fmura rcgni prameditatio ö> gloria tkmonflrata ejl. St. Hieronym. in Loc. Matt. (59) 'AmyiAuTuiïtn Trxpciiïiihr, ra? BatrUuxt;. A n a st as. in Tra n s f i g. D om. iTrohty/jun rijs J'o|^; ixtutKst. Curisosi. in Loc. Matt.  DISCOURS Sur tique & allégorique d'une transfiguration ruture mfimment plus glorieufe. Quelque circonftance de cette hiftoire quils examment ils ne nous expliquent point de quoi il fut queflion fur le mont Ihabor ; mais ils nous expliquent ce qui eft myftiquement fignifie par chacune des parties de ce récit, la facon dont on doit 1 entendre & Ia manière dont elle doit s'accomphr un jour. Cela pofé; par les (60) iix jours ils entendent fix ages du monde, apres lesquels une transfiguration reelle & myftérieufe fe fera a nos yeux intellectuels. Par Moyfe & Elie (61) qui s'entretiennent avec Jefus, ils entendent la Loi & les Prophëtes qui, a Ja faveur d'une interprétation allegonque, rendent témoignage a Jéfus comme^ a celui qui devoit les accomplir. Par Ja (62) montagne oü doit fe faire cette trans- Cc;°) Sex milUam fciUcet annorum temporibus evolutis. St. Hilar. in Loc. Watt. Sic poft fex cztates dominus 'a per/edis famiilts confpictctur. Dyonys. Alex. Apud Da- WESCEN. IN ürat. DE TraNSFIG. CöO Et Mo]'es & Elias apparuerunt in gloria, cum 7éfa eolloquentes m quo oftenditur Legem & Prophetas, cum BvangenU confonare & in eddem glorié fpiritualis intelligentue refulgere. Oricen. in Epist. ad Rom. Cap. i _ C62J) Montem afcendit ut te doceat, ne queeras cum nifi Hom " .lJrofhetaru"i montibus. Origen. in Cantic.  Les MIRACLES. °5 transfiguration, ils entendent le fens fublime & allégorique de la Loi & des Prophëtes. Par la Transfiguration elle-même ils entendent que le Sauveur fe chargera de pafier a travers de toutes les formes & de toutes les figures qui font défignées fous la loi, comme celles d'un agneau, d'un lion, d'un ferpent, d'un veau , d'un rocher, d'une pierre & d'une infinité d'autres a travers lesquelles il doit paffer, & fous lesquelles nous le diftinguons trés-clairement. Par la nuè' (63) noire qui jette aujourd'huy tant d'pbfcurité fur cette vifion, ils entendent la lettre de fancien Teftament. Par le vêtement de Jéfus devenu (64) blanc ils entendent les paroles de 1'Ecriture qui brilleront alors d'une clarté éblouiffante. Par la voix qui fort de- la nuée ils entendent avec S. Pierre la parole de Prophérie qui retentira dans les oreilles de notre entendement. Enfin ils nous apprennent que fi nous voulons participer a cette glorieufe vifion, nous devons nous élever non par un mouvement local mais en efprit fur la cime de la montagne du fens myftérieux, au fublime de la Loi & des Prophëtes, & (63) Per nubem tetram Intelüge opncltatem legïs. Da- m a s c e n. in O r a t. de transficur. (64) Veflimenta candida Jefu funt fermones £p fcriptp Eyangeliorum, Origen. in Loc, Matt. D  66 DISCOURS Sur Qlie fi nOUS COnrinnnn<: h ^rrrnrvir rlnno 1^», plaines & dans les vallées (05) de la lettre,, ainfi que la multitude qui étoit demeuréeau'i pied de la montagne, nous ne verrons jamais Jéfus dans fes vêtements éclatans de: lumières, ni la manière dont il s'eft trans-formé & nous ne comprendrons rien a fon entretien avec Moyfe & Elie; enfin nous; n'entendrons jamais 1'harmonie auffi parfaite: avec laquelle la Loi & les Prophëtes s'accordent fur tout ce qui les regarde. C'eft fur ce ton que les Pères expliquent fort au long chaque partie de cette Transfiguration de Jéfus-Chrift. Je pourrois rapporter un très-grand nombre de paffages tirés de leurs ouvrages fur cette matière; mais par le peu que j'en ai rapporté, il eft aifé de faire voir qu'ils n'ont regardé fhiftoire de la Transfiguration que comme un emblême & une parabole. Ils avoient d'autant plus de raifon qu'il n'y a que 1'explication qu'ils en donnent qui puiffe réfoudre les difficultés qui s'élevent contre la lettre, . (ö5) Si quis lintram fcquitar, & dcorfum eft tolrs, hie non poteft yidere Jefum in veile candida; qui autem Jequitur fermonem Dei, & ad Montaua id eft , excelfa legis confccndit, ifti Jefus commutatur >— quamdiu liiteram fequimnr occidentem , Mofes & Klias cum Jefu non loquun***s fi" fpi-tuxiHi? i-mus, ff.it.m Mofes ö "li'las vcmunt, id eft Le.v £? Prophet'a collaqUuntur cum EvangellQ* JOHAN. UlEROSOHM, H O M> 32.  Les MIRACLES. 67 comme on peut aifément le voir quand on voudra fe donner la peine de les examiner avec attention & de les comparer les unes avec les autres. Par exemple 1'explication qu'ils nous donnent, nous fera naturdlement decouvrir la vraie raifon pour laquelle Moyfe & Elie ont paru fur la montagne avec Jéfus-Chrift & nous apprendra le fujet de leur entretien; il ne rouloit pas fur la mort qu'il devoit fouffrir a Jérufalem ainfi que notre traduction angloife 1'avance mal a propos, mais fur les Prophêties de fan ■ cien Teftament en particulier, comme S£. Luc le dit, & fur la manière dont ces Prophêties devoient s'accomplir dans la Jérufalem nouvelle. Je ne fais fi quelque autre que moi voudra entendre cette hiftoire a ma manière & je m'en mets peu en peine. Je ne me crois pas obligé d'entendre comme lesn autres ni de voir par leurs yeux: ce que j'ai avancé fuffit pour montrer en quel fens les Pères entendoient cette hiftoire: fi 1'opinion dans laquelle ils s'accordent tous, que Ia Transfiguration de Jéfus n'eft qu'une figure & la repréfentation d'une transfiguration future & plus glorieufe, (c'eft ainfi qu'ils s'expriment ,) fi dis-je leur opinion déplait a quelqu'un, c'eft a lui a nous donner la foD 2  68 DISCOURS Sur lution de toutes les difficultés & de toutes les objections que nous avons faites contre le fens littéral de cette hiftoire. Quant a moi, je croirai toujours qu'a la prendre a la lettre elle eft abfurde, improbable & incroyable; & qu'elle n'eft qu'un récit figuré & prophétique de ce qui fera un jour opéré par Jéfus d'une manière myftérieufe & beaucoup plus furprenante. Voila ceque j'avois a dire contre ces trois miracles de Jéfus-Chrift. Je crois avoir folidement prouvé qu'interprétés dans le fens littéral ils ne renferment que des abfurdités, & que par-confequent ils n'ont aucune force pour prouver fon autorité & fa miffion divine. Cette vérité qui m'eft démontree fera confirmée & mife dans tout fop jour par 1'cxamen que j'ai delfein de faire des autres miracles de Jéfus; car je ferois bien fiché qu'on me crüt au bout de ma_ carrière. C'eft pour des raifons particulières que je pubüe ces remarques fur les trois premiers. Quand Mellieurs du Clergé les auront méditées, j'en examinerai d'autres dont ils ne défendent pas avec moins de zèle ni avec plus de raifon le fens littéral. Je prendrai pour objet de mes méditations le premier miracle de Jéfus, celui par  Les MIRACLES. 69 lequel il changea 1'eau en vin aux noces de Cana en Galilée. J'ai trop de gravité pour jetter fur le fens littéral de cette hiftoire tout le ridicule dont il eft fufceptible; j'appréhenderois d'ailleurs de pouffer a bout la patience de notre Clergé. Quant a préfent je ferois bien fiché d'etre affés impie & asies profane pour croire avec nos Théologiens ce qui eft contenu & renfermé dans la lettre de cette hiftoire. Si Apollonius de Thianes, & non Jéfus, eüt été 1'auteur d'un tel miracle nous en aurions fouvent fait de fanglants reproches a fa mémoire. II eft dit de eet Apollonius qu'a fon moindre fignal il fe préfentoit miraculeufement & tout d'un coup une table couverte des mets les plus variés, les plus exquis & les plus délicats pour fe régaler avec fes convives. Nos Théologiens peuvent bien dire avec affurance qu'un tel miracle ne lui fait point d'honneur, d'autant plus qu'il ne tendoit qu'a fatisfaire fa gourmandife. Mais fi Apollonius eüt fait ce que Jéfus paffe pour avoir fait a cette noce, on auroit cru parler trés-modérément en difant qu'il n'avoit eu en vue que d'enivrer fes amis, fans quoi il n'auroit point pris la peine de changer tant d'Eau en vin, fur-tout après les avoir déja fait affés raifonnablement boire. Si donc D 3  70 •DISCOURS Sur ïes Pères ne nous aident k trouver Ié fens myftique de cette hiftoire, il n'y a pas une feule des objeclions que je viens d'alléguer, qu'on ne puiffe propofer contre ce miracle pris a la lettre. J'examinerai encore le miracle par lequel Jéfus a nourri plufieurs milliers d'hommes dans le défert avec un peu de pain & quelques poiffons. Ce miracle, a le prendre dans fon fens littéral, eft un vrai conté de bonne femme. Je ne révoque nullement cn doute le pouvoir qu'avoit Jéfus d'aggrandir ou de multiplier les pains, & d'en rendre le goüt meilleur fi c'étoit fa volonté; mais que plufieurs milliers d'hommes , de femmes & d'enfants 1'ayent fuivi dans le déf-rt , & qu'ils y foient demeurés trois jours & trois nuits fans boire ni manger, cela parok une fable deftituée de toute efpèce de vraifemblance. Une difficulté qui eft affés naturelle feroit de favoir fi le défert étoit loin ou prés de 1'habitation de cette multitude. J'ai peine a concevoir a quoi Jéfus pouvoit s'amufer pendant tout le tems qu'elle eut Ia patience de demeurer avec lui fans nourriture; mais ce qui me furprend, c'eft qu'il ne s'eft point trouvé Ja d'autre pourvoyeurs que le petit garjon qui portoit les pains & les poiifons. Une chofe curieufe feroit de favoir quel étoit  Les MIRACLES. fon metier, s'il étoit boulanger on poiffonier ou traiteur & d'examiner pourquoi ce petit gareon s'amufoit la & oublioit les affaires du maitre a qui il appartcnoit. Nous examinerons ailleurs comment il a été poffible qu'étant le feul marchand de vivres, quelqu'un preffé de la faim ne lui eüt pas déja enlevé ce qu'il portoit , ou comment il ne s'eft pas trouvé qirlques marchands de provifions a la fuite du camp. En un mot pour raffafier plufieurs milliers de pcrfonnes avec quelques pains & quelques poiffons, il falloit qu'il y eüt du prettige ou quelqu'enchantement contraires aux loix des Juifs, auffi bien qu'a celles des autres nations; fans cela il eft évident que ce peuple après avoir fuivi Jéfus pendant un jour entier n'auroit jamais confenti a refter avec lui un fecond jour & encore moins un troifième. Les enfans, & furtout les femmes n'auroient pas manqué de regagner leurs maifons dés le premier jour. Ce n'eft donc qu'avec le fecours des Pères qu'il y a moyen d'entendre ce miracle. Ils nous apprendront que les cinq pains d'orge défignent les cinq livres de Moyfe. Si c'eft aux fept pains qu'il faille donner le fens myftique, ils diront que c'eft le S. Efprit fous les fept formes; D 4  72 DISCOURS Sür enfin quand bien même ils ne feroient pas une parabole de cette hiftoire, nos docteurs diront tout ce qu'ils voudront, ce miracle ne pourra jamais faire honneur a JéfusChrift. J'examinerai également le miracle par lequel Jéfus a guéri le paralytique en faveur duquel on abattit le toït de la maifon pour le defcendre dans la chambre oü étoit le Sauveur, paree que ceux qui le portoient ne pürent approcher de la porte, ni percer la foule qui environnoit cette maifon. Ce récit pris a la lettre, eft abfolument hors de toute vraifemblance, & quand il feroit vrai qu'il fe füt trouvé des hommes capables de faire une pareille entreprife, il n'y a pas moyen de croire qu'ils euffent été affés téméraires pour 1'exécuter. Par quelle raifon le peuple étoit-il en telle foule a cette porte? II falloit qu'il eüt bien peu d'humanité & de pitié pour ne vouloir point laifler paffer ce paralytique. V Mais par quel étrange moyen ceux qui le portoient avec fon lit pürent - ils parvenir au toit de la maifon, tandis qu'ils n'avoient pas même pu approcher de la porte ni des cötés? Ce qui me plait de cette hiftoire c'eft que le bon homme a qui appartenoit la maifon ait fouffert tranquillement qu'on abattit fon toit, pendant qu'il nes'agiffoit  Les MIRACLES, 73 que d'avoir un peu de patience en attendant que la multitude fe fut diflipée: ce qui n'eft pas moins étrange c'eft que Jéfus qui avoit chaffé du temple plufieurs milliers d'hommes, & qui les avoit fait fuir devant lui; qui avoit pu en attirer autant a fa fuite dans le défert, n'ait pas fait faire place par force ou par perfuafion, afin de laiffer approcher ce pauvre homme qu'il vouloit guérir, ou qu'il ait fouffert qu'on ait pris une peine auffi inutile que celle qu'on prit en cette occafion ? Penfons la-deffus ce que nous pourrons jufqu'a ce que nous ayons prouvé par les Pères que cette hiftoire n'eft encore qu'une parabole. J'examinerai auffi le miracle par lequel Jéfus a guéri 1'aveugle & pour lequel il fit un onguent avec de la falive & de la boue. Cet onguent, foit qu'il fut fpécifiqueou non, diminue bien la grandeur du miracle. S'il étoit propre a la guérifon du mal que devient le miracle; fi au contraire il n'étoit d'aucun effet, il étoit ridicule de 1'employer. On ne peut donc encore regarder cette hiftoire que comme une figure, ce qui eft auffi 1'opinion des Pères. J'examinerai diverfes réfurrections de morts qui ont été opérées par Jéfus ; & fans révoquer en doute s'il rappelloit eifecD 5  74- DIS C OUR S Sur tïvement les morts k la vie, je ferai voir par les circonftances de ces hiftoires que ces réfurre&ions ne font qu'allégoriques & ne fauroient prouver que Jéfus fut le Mesfie, & qu'il fut revêtu d'une autorité divine. Par exemple lorsqu'il reffufcita la fille de Jaïre, auroit-il chaffé le peuple hors de la maifon ? N'eft ce pas au contraire ce peuple qui auroit dü être un témoin nécesfaire pour rendre ce'miracle autentique? J'examinerai encore le miracle par lequel Jéfus maudit le figuier, pour n'avoir point eu de fruit dans une faifon oü il n'en devoit point porter. Un tel miracle pris a la lettre, ne feroit-il pas un trait d'extravagance s'il ne renfermoit pas un fens mvltique? 3 J'examinerai encore le voyage des Mages venant de 1'Orient, avec des préfents d'or, d'encens & de Myrrhe , qu'il auroit été ridicule & fans raifon d'offrir a un enfant, s'il étoit vrai a la lettre. Si avec leur or, qui ne pouvoit être en grande quantité, ils euffent apporté chacun une douzaine de pains de fucre, du favon & de la chandelle , cela auroit pu être de quelque utilité pour 1'enfant & pour fa pauvre mère qui étoient fur la paille; & ils auroient agi en gens fenfés & charitables. Je demande a  Les MIRACLES. 75 .quoi pouvoit iervir cette étoile , qui, comme un feu follet, les conduifit jusqu'au lieu oü étoit 1'enfant? Dieu n'auroit-il pas pu les guider dans eet important voyage par fon impulfion, ou par un fonge, comme il fit pour ordonner leur retour ? FalJoit-il qu'il déplacat une étoile, & qu'il 1'écartat de fa route ordinaire pour un tel fujet? Je voudrois favoir encore quelle relation il pouvoit y avoir entre ces fages & cette étoile, & par quels moyens ils fe communiquérent leurs intentions les uns aux autres ? Mais les Pères nous parleront dans la fuite de 1'extravagance de ce récit pris a la lettre, & nous développeront le myflère qu'il renferme. J'examinerai auffi la conception miraculeufe de la Vierge Marie, & la Réfurrection de Jéfus. Je crois fermement que Jéfus eft né d'une vierge pure, & qu'il eft reffufcité des morts ; mais , paree qu'il m'eft arrivé de parler affés brièvement de ces deux miracles dans mon modérateur , j'ai déplu a nos Théologiens. Ainfi je difcuterai de nouveau ces deux principaux articles de notre foi, & je leur parlerai franchement, fur-tout de la réfurreclion de Jéfus-Chrift, qui prife a la lettre, préfente des chofes fi. abfurdes & des con-  76 DISCOURS Sur tradiclions fi frappantes, qua moins que les Peres ne nous donnent des Evan°ales une intelhgence plus parfaite &plusclaire, que celle que nous avons euejufqu'a prefent, il faut abfolument renoncer a la foi. Je vais donc entreprendre fexatnen de ces divers objets (66) & de quelques autres faits de fhiftoire miraculeufe de Jéfus-Chrift, & je ferai voir qu'aucun d'eux, pns a la lettre, ne prouve fon autorité divme : qu'au contraire ils font remplis d'abfurdités & d'impoiïibilités, & qu'ils n'ont aucun caraétère qui puiffe les faire croire; que fa vie dans la chair n'a été que rerablême & (67) la figure de fa vie myftérieufe & fpirituelle , & de fes opérations intérieures fur le genre-humain. Après avoir terminé ce fecond article je me propofe d'examiner les miracles de Jéfus de la manière dont on les a entendus a la lettre , ou fuivant les idéés que nous en donnent les Théologiens, & de faire voir que leurs notions comparées avec les miracles de Jéfus-Chrift, détruifent fon au- (66) Ma qukm plurima his fimitia in Evangeliis invewet, quicunquf attentius legerit. Om gen. de Princi P. L t b. IV. C67) Qua enarratin erit evmgelii fenRbilis, «ij! accom. modetur ad intetttgibile & fpirituale ? nulia fanè. Origen. in PR.-efat. ad Johann. Evangel.  Les MIRACLES. 77 torité & renverfent le ChrifHanifme. Un examen de cette nature donnera lieu a des obfervations curieufes, & affés piquantes, & je ferai fort trompé fi je ne fuis pas devancé dans cette entreprife par quelquesuns de ceux qu'on appelle des Efprits forts; mais fi j'exécute feul le projet que j'ai concu j'aurai des égards particuliers pour ceux qui ont écrit contre le livre des fondements fans oublier M. Chandler qui a écrit un ejfai fur les miracles, fur lequel je ferai le plus de remarques, ne fut - ce que pour témoigner combien je refpeóte le jugement de Msr. 1'Archevêque de Cantorbery & pour faire voir que je foufcris aux louanges outrées que fa Grandeur a données a 1'un de ces Auteurs. Ilaétabli, dit notre Archevêque, (68) les notions d'un miracle fur un fondement folide & certain, & les plus remarquables de ces notions font que les miracles (69) doivent être des chofes probables, £f ne doivent point porter avec eux un caratlére romanesque ou fabuleux vü que cela empêcheroit les hommes d'y ajouter foi. Voila certainement une notion bien parfaite d'un miracle divin; je ne doute pas, qu'a- (68) Voyez la Lettre Manuscrite de L'Archevêque Wake A Mr. Candler. (£9) Voyez Chandler's Vindication, Pag. SS.  78 DISCOURS Sur vee de telles notions, notre Archevêque & _ M. Chandler ne s'imaginent juftitier 1'hiftoire des miracles du Sauveur, & les mettre a couvert du foupjon très-fondé des gens raiionnables qui les regardent comme des fables & des romans. Mais foit qu'ils y réuffiffent, ou non, cela n'empêchera pas que dans quelques difcours que je publierai par la fuite, je ne continue de prouver que nos Théologiens en défendant le fens littéral des miracles de Jéfus-Chrift fe font trompés , & fe font laiffés entrainer au fanatifme le plus extravagant qui puifle s'emparer de 1'efprit humain. Je dis qu'ils fe font trompés, paree que ni les Pères, ni les Apötres, ni Jéfus lui même n'ont jamais voulu dire que les miracles tels qu'ils font rapportés dans les Evangiles, duifent être pris a la lettre, mais dans un fens (70) myftique & parabolique. Cela me conduit a mon troifième article qui eft de faire voir ce que Jéfus entend lorsqu'il en appelle a fes oeuvres & a fes miracles comme aux témoins & aux preuves de fa miifion divine; & je prouverai qu'il ne pouvoit pas naturellement établir C70) Oojmmis nnftcr ca qua faciebat corporaliter, etiam rpiritualiter yolebat hiteïïtgi. &c. August. S e r m. 08. ïect. 3.  Les MIRACLES. 79 fa- miffion fur les oeuvres accomplies par lui , dans la chair, mais fur celles qu'il doit acI complir myftiquement en efprit dont les premières n'ont été que 1'ombre & la fij gure. Mais je ne puis raifonnablement entrei prendre de traiter ce fujet fans m'être ac| quitté de ce que j'ai promis dans le prefent ] difcours ; & fi mes leéïeurs veulent bien I s'en rapporter a moi jufqu'a ce tems, je 1 m'engage a leur prouver qu'il ne peut y I avoir d'abfurdité plus grande que de s'imaI giner que Jéfus en ait réellement appellé 1 aux miracles qu'on fuppofe opérés par lui I dans la chair, comme a des preuves éviI dentes de fa miffion & de fon autorité dij vine. I Nonobftant toutes ces raifons nos ThéoJ logiens peuvent , s'ils veulent, perfifter » dans leur admiration & continuer a céléi brer dans Jéfus-Chrift le pouvoir qu'il a eu f de guérir des maladies corporelles & d'opérer d'autres prodiges, en les prenant fuiI vant la lettre de fhiftoire Evangélique: I pour moi je m'en tiens au Jéfus & au Mesj fie fpirituel, qui guérit les plus dangereui fes (71) maladies de 1'Ame, qui fait des ceu- C?1) Qtws in corporihus morbos fanavit, hi in animabut j txiflunt, & fupernam ejus opem requirunt, Johann. Ne} f ot. Hieros. Ci.  80 DISCOURS Sur vres myftérieufes & beaucoup plus furprenantes , dont celles qui font rapportées dans les Evangiles ne font que Ja figure. Cette opinion qui eft celle de Ja primitive Eglife eft en même tems la plus conforme a celle des Pères. II s'agit maintenant d'examiner fi Jêfus eft aujourd'huy un tel Meffie fpirituel pour fon Eglife, ou fi 1'Eglife n'eft pas aéluellement dans un befoin preffant de ce Meffie, c'eft une queftion dont je laiffe 1'examen a nos Théologiens. J'ajouterai ce que je penfe (& ce que j'aurai occafion de prouver dans la fuite) que Dieu a permis a deffein & qu'il a même donné pouvoir a de faux auffi bien qu'a de vrais Prophëtes, a des hommes pervers, tels qu'Apollonius de Thianes, Vespafien, & tant d'autres, auffi bien qua fes faints, de guérir des maladies & de fairé des chofes merveilleufes & puiffantes, pareilles a celles qui font rapportées de Jéfus ; non feulement pour nous diffuader de la diftinction que nous prétendons faire entre les vrais & les faux miracles , qui ne font que 1'objet de nos fens corporels; mais encore pour élever nos penfées a la contemplation des ceuvres fpirituelles, myftérieufes & vraiment miraculeufes de Jéfus-Chrift, qui doivent être 1'objet de notre entendement, nous  Les MIRACLES. gi nous annoncer d'une manière éclatante la puifiance, la fageffe & la bonté de Dieu, & prouver invinciblement 1'autorité & la miffion divines de Jéfus-Chrift pour la converfion des Juifs & des Incrédules. II ne me refte plus qu'a conclure comme un vrai modérateur par une courte exhortation aux Incrédules & aux Apoftats qui font les parties belligérantes, & entre lesquels fe paffe la difpute dont j'ai parlé au commencement de ce difcours. i°. Je commence par les Apoftats. J'entends par la ceux qui ont écrit & contre le livre des Fondements , & contre celui du Syftême. II eft queftion de voir fi ces graves perfonnages qui fe donnent pour des Théologiens Orthodoxes, quoi qu'il ne le trouve entre eux qu'obfcurité & contradiction, confentiront a prendre le nom d'Apo- Jlats, ce dont je doute fort. C'eft néanmoins la dénomination qui paroït leur convenir le mieux, vu qu'ils abandonnenc la doctrine de la primitive Eglife fur les Miracles & fur les Prophêties. Je ne pouvois donc me dispenfer de leur donner ce nom injurieux qui néanmoins eft encore plutöt un accompliffement qu'un reproche. Abftraétion faite du titre d'Jpofiats que ■ vousregarderez comme un éloge ou comme  82 DISCOURS Sur uneinjure, vous reconnoitrez, Meffieurs, que je fuis de votre avis quant a la vérité du Chriftianisme ; fi vous voulez aecepter les f'cours que je vous offre de prouver par les Prophêties, & par le moyen duSyftême allégorique que j'ai propofé dans mon modérateur, que Jéfus eft le vrai Meffie, vous me trouverez un de vos plus zelés partifans. Je ne doute nullement qu'avec ce Syftéme allégorique nous ne triomphions des Incrédules. Mais fi perfiftant a vous attacher au fens littéral des Ecritures vous refufez le fecours que je vous préfente, vous pouvez continuer & attendre 1'événement qui ne fe terminera qu'a votre honte ou a votre deshonneur. _ Vous ne pouvez nier que les deux principaux Chefs, 1'Auteur des Fondements & celui du Syfiênie avec leur puiflante armée d'autorités & de raifons , ne vous ayent trés-mal traités avec vos foibles Prophêties littérales_, & qu'ils ne vous ayent réduits a deux doigts de votre perte; & que fi vous ne fongez a faire une rétraite honorable, ou a former une ligue avec les allégories vos ennemis remporteront fur vous une vicloire complette. Je ne prévois que trop que dans 1'embarras_ extreme oü vous jette Iadéfenfe du fens littéral, vous aimerez encore mieux  Les MIRACLES. 83 avoir recours aux miracles de Jéfus-Chrift que d'adopter le fentiment des Allégoriftes. Mais j'ai déja prouvé dans ce difcours le peu de fecours que vous avez a attendre de ces miracles, de la manière dont vous les entendez. Permettez moi de vous le répéter. J'ai compofé ce difcours, non pour favorifer les Incrédules, vos ennemis , mais pour vous rappeller a 1'ancienne & véritable fajon d'interpréter les faints oracles, qui felon le fentiment des Pères, doit feule opérer Un jour la converfion des Juifs & des Gentils. II eft vrai que je doute fort que vous approuviez ce difcours fur les miracles de Jéfus ; mais avant de vous laiffer prévenir contre ce qu'il contient, je vous fupplie de lire Saint Théophile d'Antioche , Origène, S. Hilaire, Saint Auguftin, S. Ambroife, S. Jéröme, S. Chrifoftöme, S. Jean de Jerufalem, S. Théophilaéte & tant d'autres anciens Pères qui ont commenté les Evangiles. Vous verrez quelle force & quelle autorité ils donnent a ce difcours fur les miracles & combien j'y trouve de fecours pour ce qui me reffce encore a dire. Au refte je m'attends bien a voir quelques-uns de vos membres frémir de'rage a la leóture de ce difcours; mais je me conE 2  si- discours Sur fole dans 1'Sdëe que fi votre colére excite encore une nouvelle perfécution contre moi, il ne vous fera pas poffible de féparer ma doctrine & ma caufe de celle des Pères. Or je vous prie de corifidérer quelle honte ce fera pour des Théologiens Proteftants de 1'Eglife d'Angleterre, qui font profeïïion d'être favants , de fe déclarer contre les Pères & contre une doctrine recue dans la primitive Eglife. Je fuppofe toute fois que vous cefferez de me perfecuter & que vous aurez affés d'équité pour ne plus chercher a me rendre odicux au public en me faifant paffer pour un profane, un blafphémateur & un incrédule. Si ce difcours vous choque en tout ou en partie, employez pour le combattre la voye de 1'impreffion; & agiffez , au moins en cela, comme d'honnêtes gens & comme des favants qui cherchent la vérité de bonne foi. Traitez moi par écrit auffi durement qu'il vous plaira, je ne m'en plaindrai nullement. Je ne fouhaite rien tant que d'être vivement attaqué par écrit: j'efpère que cette voie me fournira une occafion , après laquelle je foupire depuis longtems, de mettre votre ignorance dans tout fon jour. Ne vous y trompez pas, Meffieurs, fhiftoire de la vie de Jéfus-Chrift eft une repréfen-  Les MIRACLES. S'5 tation allégorique de fa vie fpiricuelle dans farae de fhomme, & fes miracles ne font, que les figures de fes opérations myftérieufes. Les quatre Evangiles ne coiuiennent point en tout ou en partie une hiftoire littêrale; mais feulement un Syftême myftique de Philofophie & de Théologie. Si vous ne pouvez abfolument adopter mon opinion, faites enforte avant de laiffa* agir votre haine contre moi de juftifier fhiftoire littêrale des trois miracles que j'ai examinés dans ce difcours, les vendeurs & les acheteurs chaffés du temple, le pofféde délivré & la Transfiguration fur la montagne. Si vous pouvez défendre ces hiftoires contre les Pères & contre mes objeétions, j'avouerai que je mérite toutes les punitions réfervées a un impie, a un incrédule, a un blafphémateur. Mais en attendant j'oferai affürer que fhiftoire littêrale de la vie de Jéfus-Chrift & de fes miracles, eft un roman abfurde, incroyable & plein de contradictions; que les paraphrafes des modernes forment une objeétion très-forte contre la clarté des faints Evangiles & contre les dons du S. Efprit , qu'elles rendent fusfpects en donnant lieu de croire qu'ils n'ont pas fufïi pour produire un code religieux fenfé & intelligible, & qu'après un fi long E 3  86* DISCOURS Sur efpace de tems, on ait befoin du fecours de ces paraphrafes pour avoir 1'intelligence de ce livre. En un mot que ces mêmes paraphrafes n'ont fervi qu'a obfcurcir & a embrouiller la fimplicité naturelle de la vie de Jéfus-Chrift. C'eft fur quoi je laifferai nos Apoftats faire leurs réfiexions. 2°. Je paffe maintenant aux Incrédules en général, & fur-tout aux deux fameux écrivains du parti, 1'Auteur des Fondement s & celui du Syftême. J'aurois bien pu , Meffieurs, vous donner le titre ff Efprit s forts^ paree que ce nom convient affés a 1'efpèce de Philofophie que vous profeffez qui admet le libre ufage de la raifon dans les queftions divines & fpéculatives de la Théologie. Par ce titre je vous aurois diftingués _des apoftats vos adverfaires; mais comme j'ai des raifons pour ménager mes anciens amis, nos Seigneurs du Clergé, il ne feroit pas jufte que je vous rangeaffe dans une claffe plus honorable que celle dans laquelle je les ai placés eux-mêmes. Je me flatte que vous ne vous trouverez pas offenfés du titre d''Incrédules que je vous donne; puisque^non feulement vos écrits femblent tendre h 1'incrédulité, mais encore paree que lorsqu'il fe rencontre des endroits foibles dans vos principes, vous favez a mer-  Les MIRACLES. 87 veille en rejetter la faute fur vos adverfaires, les défenfeurs du Chriftianifme, qui par leurs abfurdités, leurs faux raifonnements & leurs interprétations forcées & ridicules des Ecritures ont caufé votre défertion de la foi en Jéfus-Chrift. Je remercie 1'Auteur du Syftême^ du préfent qu'il m'a fait de fon livre que j'ai recu & lu avec plaifir. Au lieu d'un exemplaire, il devoit m'en envoyer une douzaine pour me mettre a portée de fatisfaire la curiofité de mes amis, & de plufieurs perfonnes qui defirent fort de lire ce livre. Je ne concois pas quelle eft la raifon qui lui fait envier aux Libraires le profit qu ils pourroient faire par la vente publique de eet ouvrage, & qui lui fait prendre le parti de le diftribuer gratis. Ne feroit-ce pas pour attirer fur les Prêtres la haine qu'on porte ordinairement aux perfécuteurs; comme s'il avoit a craindre qu'ils vouluffent empêcher le débit d'un ouvrage auffi utile & auffi Philofophique. Si c'eft la fa raifon, je fouhaite que ces hommes fuperftitieux & intolérants faffent attention a 1'affronc que cette précaution leur fait, & qu'ils prennent le parti de 1'inviter publiquement a publier fon livre avec promeffe de ne lui faire aueun mal, afin qu'une telle conduite les juE 4  83 DISCOURS Sur ftifie du reproche que femble leur faire fespece de myftère que 1'Auteur eft forcé de mettre dans ia diftribution de fon ouvrage J alplus d'une fois défefpéré, Meffieurs, de voir jamais fortir de votre p]uine un livre de cette nature. Je craignois que Ia perfécution qui s'eft élevée contre Je Modsrateur ne vous eüt intcrdit ]a voye de l'impreffion, & que par-conféquent notre ïntereflante difpute n'en fut demeurée la • mais 1'appantion fubite de 1'Auteur du Syfiême a ranimé mon courage. Avancez donc, M. M, dans la carrière que Y Auteur des Fondements a fi heureufement ou» verte. Si fon vous refufe la liberté de } impreffion & le débit public de vos li. yr?s, cela ne vous empêchera pas d'en gratifier les favants & les curieux, quand même yous feriez réduits a la nécefiitê de les diftnbuer de la manière clandeftine dont vous vous êtes fervis jusqu'a prêfent. Ce n'eft pas au refte dans la vue de faciliter les progrès de 1'incrédulitë que je vous encourage ainfi: vous avez trop d'efprit & de bon fens pour me croire dans des principes contraires a la foi. Le Chriftianifme rebftera toujours a vos attaques; foppofi. tion que vous éprouverez de la part de J Eglife de Jéfus-Chrift fera qu'elle n'en de.  Les MIRACLES. 8£ meurera que plus inébrantable fur le rocher de la fageffe; & quoiqu'il n'y ait que trop d'apparence que vous allez renverfer vos ennemis, les partifans du lens littéral, & remporter fur eux une viétoire complette, il va néanmoins s'élever contre vous d'autres défenfeurs de la foi, appellés Allégoriftes, qui ne paroitront que pour vous confondre, & achever de difilper vos cohortes irapies. Quand a vos adverfaires, les feólateurs du fens littéral, auxquels je donne le nom d'Apoftats, il paroït qu'ils fongent a faire retraite fans bruit 6c a vous abandonner le champ de bataille. L'Evêque de Litchfield leur principal chef eft affés embarraffé a trouver de nouvelles forces pour foutenir fes douze Prophêties littérales: il fait que s'il tourne davantage fes armes contre vous, ce fera attaquer en même tems les Pères qui ont interprété allégoriquement ces mêmes Prophêties , comme je 1'ai déja dit dans mes fupplémens au Modérateur. S'il s'avife de méprifer les Pères, ils fe tiendront ainfi que moi hors d'atteinte de fes coups & nous lui parierons fur un ton auquel les perfonnes de fon ordre ne font point accoutumês. L'Auteur du Syftême nous promet un difcours fur les miracles rapportés dans les E 5  5>o DISCOURS Sur Ecritures ; je fouhaiterois qu'il nous tint parole, & que ce difcours fftt déja public. II amvera peut-être que celui que je publie aujourd hm empêchera le fien de paroïtre; mais comme je ne doute pas que fes idée's oc les remarques fur les miracles ne méritent une attention particulière, je ferai dans la plus grande impatience jusqu'a ceque je les ave vues, quoique d'ailleurs j'aye peme a croire qu'elles puilfent apporter aucun obftacle a Ventreprife que j'ai commencée, & que j'efpère, Dieu aidant, achever pour la plus grande gloire de notre Divin Jéfus, & du Meffie fpirituel a qui foit gloire fpmtuelle, & louanges éternelles. Amen. Fin du i. Discours.  SECOND DISCOURS Sur Les MIRACLES A D R E S S É A Mgr. L'Evêqtje de Litchfield Audendum eft, ut illuftrata veritas pateat „ multiqite ab errore Hberentur. Lactantius. MONSEIGNEUR, X>A réputation que vous avez acquife par le livre fameux que vous avez écrit pour la défenfe du Chriftianifme, m'a engagé a vous dédier ce difcours. Non feulement vous avez recu des applaudifiements de toutes parts, par la voye de la preffe, mais encore vous avez recu des compliments & des remerciments fans nombre de la part de tout le Clergé. Quoique 1'Auteur du Syftème den Prophêties littérales ait eu le malheur d'écrire contre vous, la chofe n'en tournera pas moins a votre honneur; vu que vous vous ferez trouvé digne de toute fon attention & de fes égards. Je  92 DISCOURS Sur fuis du fentiment des Pères fur les richesfes attachées au facerdoce, & je crois avec eux qu'elles ne peuvent que nuire a la Rehgion. Cependant lors que je fais attention aux avantages que lui ont procuré les honneurs & les grandes richeffes attachées a 1 Epilcopat dans la conjon&ure des difputes qui règnent aujourd'hui, j'ai prefque change d'opmion. II eft für que c'eft le pofte, confidérable que vous occupez dans ] Eglife qui a fait la réputation de votre ouvrage, & que fi ce n'eüt été que celui d un pauvre Prétre, on feut a peine regarde; ce qu'il y a defür, c'eft que ni 1'Auteur du Syftême, ni moi, ne 1'aurions point tant refpeclé. C'eft ^ par cette raifon que je fouhaiterois qu'un plus grand nombre de perfonnes de votre ordre vouluffent bien entrer en hce, afin que 1'on connüt dans le monde tout le mérite de nos Evêques, & de quel avantage les grandes richeffes font pour la défenfe du Chriftianifme , qui fe trouveroit dans un danger éminent, fi des perfonnes de leur capacité n'étoient libéralement payés du foin de ledéfendre, dans Ja jufte prévention oü fon eft, qu'il eft bien mal foutenu par des. gens fans fortu»e , dont naturellement les lumières doi-  Lés MIRACLES. 93 vent être fort bornées, & dont le favoir & • la capacité ne peuvent être que très-fuperficiels. On s'étoit flatté que le grand Evêque de Londres , en vertu de la nouvelle place qu'il occupe dans 1'Eglife, vous auroit fecondé dans la difpute préfente: on ne peut douter que fes écrits ne fuffent proportionnés a lbn rang & a fes grands revenus. A 1'égard de fon zêle il fa déja fignalé d'une manière éclatante contre le modèrateur. II ne dédaignera pas, fans doute, de nous donner un jour quelque preuve plus remarquable de fon favoir fur cefujet, auffitöt que fes grandes affaires le lui permettront; alors je n'aurai qu'a me bien tenir, & a m'attendre qu'il me payera lui-même de toutes les objections que j'ai faites contre la Réfurreétion de notre Seigneur JéfusChrift, quoiqu'il eüt bien voulu que leMagiftrat civil s'en füt chargé pour lui. Mais foit que 1'Evêque de Londres vous feconde , ou non , il eft tems, Monfeigneur, qu'il paroiffe un fecond volume de votre part en réponfe a 1'Auteur du Syftume. Je m'attends que vous leferez publier inceffament pour faire ceffer tous les bruits qui fe répandent fur votre filence. Que diroit le public, fi ce Philiftin fe retirok  94 DISCOURS Sur après avoir frappé le dernier coup ? On diroit qu'il a remporté la vidtoire fur vous, & qu'il a réfuté le Chriftianifme d'un manière, que le favant Evéque de Litchfield en eft refté convaincu ; au point d'y renoncer lui-même, s'il n'étoit retenu par les richeffes temporelies qu'il en retire. Prenez bien garde , Monfeigneur, au deshonneur que de telles idéés du public vous feroient : reprenez courage contre ces adyerfaires. Je vous regarde comme un gladiateur trop brave, pour qu'une légère bleffure Vous faffe quitter 1'arêne. II eft vrai que 1'Auteur du Syfkême vous a frappé dans un endroit qu'il a trouvé découvert , & qu'il femble vous avoir un peu étourdi mais c'eft un combattant généreux, qui vous donne le tems de recouvrer vos forces ordinaires. Retournez donc fur lui avec courage, Monfeigneur, & foiez lïïr qu'a cette nouvelle charge vous lui porterez un tel coup , que vous percerez fon cosur infidèle. Lorsque V. G. rentrera dans la lice contre lui, elle ne commencera pas, fans doute, par lui interdire la liberté de fe défendre. L'ardeur de votre zêle pour 1'Eglife, Saroit, dans la dédicace de votre livre au .oy, vous donner une malheureufe pente  Les MIRACLES. 95 vers la perfécution contre vos adverfaires, qui a penfé obfcurcir toute la gloire de votre travail. Un grand Philofophe comme vous, devoit compter pour fa défenfe, fur la bonté de fa caufe & fur la force de fes raifons. Le fecours de 1'Epée civile eft non feulement une tache a féclat de vos grandes lumières, mais encore un deshonneur a la vérité de la Religion. Je ne fais comment Vojre Grandeur. Tentend ; mais la perfécution que vous avez fufcitée contre le Modérateur, vous a plus deshonoré au jugement des autres, qu'au mien même. Plufieurs fe font imaginés que ce font quelques légères remarques fur votre livre qui m'ont attiré la perfécution que j'ai foufferte, & qu'il auroit été de votre honneur de ne me favoir pas fufcitée. Pour moi j'ai deffein de vous juftifier de cette perfécution autant qu'il me fera posfible, & de faire tous mes efforts, pour qu on impute plutót a votre négligence qua votre méchanceté de ne m'avoir pas mis a couvert de 1'orage. Je n'ofe me fiatter abfolument que Ie difcours préfent vous foit agréable, & qu'il foit tout-a-fait de votre goöt délicat fur Ia Iheologie. Vous n'êtes fenfible qu'a la  96 DISCOURS Sur nourriture qui fe tire du fens fimple & üo téral des miracles de Jéfus-Chrift. Si malgré cela, la dédicace que je vous fais de ce difcours flatte uu peu votre gloire, & fi elle m'attire de votre part quelque bienfait encore ; ce fera, en vérité, plus que je n'en attends; toute la récompenfe que je defire eft un peu de liberté: & que vous daigniez recevoir avec bienveillance les hommages que. je rends a vos ouvrages, m accordur la permilTion de publier combien j'admire votre efprit , votre fcience & votre orthodoxie. THOMAS WOOLSTON. a Londres ce 13. Septembre. 1727. S E-  S E C O N D Discours Sur Les Miracles d e NOTRE SAUVEUR- J e pubiie ici un fecond difcours fur les miracles de notre Sauveur, non feulement pour remplir mes engagements vis-a-vis du public, mais encore pour répondre a 1 accueil fcvorable qu'il a fait au premier. Si Meffieurs du Clergé ou même quelques perfonnes du monde s'étoient trouves otfenfés, ils n'auroient pas manqué de publier les remarques qu'ils auroient eu a y oppofer , & même de le réfuter ablolument s'ils 1'euifent pu ; ce qui m'auroit peut-être diffuadé de me donner davantage la peine d'écrire fur cette matière. J'ai déclaré nettement dans mon premier' difcours que fi notre Clergé pouvoit réfuter les arguments que j'ai avancés contre le fens littéral en faveur du fens fpirituel des miracles de notre Sauveur, non feulement j'abandonnerois mon projet; mais encore je me reconnoitrois moi-même pour un impie, pour un blasphémateur & pour un  98 DISCOURS Sur homme qui mérite les chatiments les plus ngoureux. Puis donc qu'ils gardent le filenee dans une conjonaure oü il eft de leur honneur & de leur intérêt de parler , ils ne trouveront pas mauvais que je continue. Ils ont eu tout le tems ncceffaire pour répondre, s'ils s'étoient fentis en état de le faire avec fuccès: que puis-je donc penfer de leur filence? rien, fi non que ma caufe eft inattaquable & qu'il n'y a rien a répliquer de folide aux argurhents & aux autorités dont je 1'ai appuyée ; & que quoiqu'ils ne fe rendcnt pas a 1 ur évidence, ils n'ont rien néanmoins a dire pour en détruirc la force. Je pourfuis donc 1'entreprife que j'ai commencée d'écrire contre fhiftoire littêrale des miracles de.notre Sauveur, & contre 1'ufage qu'on en fait pour prouver fa Miffion divine , ou pour faire voir qu'il étoit le vrai Meffie. Je déclare encore une fois que ce n'eft pas dans la vue de favorifer les incrédules ou de leur prêter des armes, que j'ai fait cette entreprife; mais pour 1'honneur de Jéfus, & pour rappeller le Clergé a 1'ancienne & vraie méthode de prouver qu'il étoit le vrai Mesfie: le tout par une interprétation allégorique de la Loi & des Prophëtes ; c'efi:  Les MIRACLES. 99 pourquoi je reprends les trois points que je me fuis propofé de traiter. Savoir, i°. Que les miracles confiftants a guérir Jes maladies corporelles qui ont été attribués a Jéfus-Chrift, ne font point ceux qui conviennent au Meffie, & qu'ils ne font rien moins qu'une preuve de fon autorité pour fonder une religion. 2°. Que la plupart des miracles de Jéfus-Chrift tels qu'ils font rapportés littéralement par les Evangéliftes renferment des chofes abfurdes , improbables & incroyables; que par-conféquent ils n'ont jamais été opérés ni en tout ni en partie de la manière dont on les croit aujourd'hui; mais qu'ils font feulement des récits prophétiques de ce qui doit être un jour opéré par lui , d'une manière myftérieufe & beaucoup plus furprenante. 3°. J'examinerai ce que Jéfus entend lorsqu'il en appelle a fes miracles, comme aux témoins & aux preuves de fon autorité divine , & je démontrerai qu'il n'a pas pu proprement & abfolument appeller a ceux qu'il a opérés dans la chair ; mais feulement aux miracles myftiques qu'il devoit opérer en efprit; dont ceux qu'il a faits dans la chaire, ne font que la figure. J'ai déja dit tout ce que j'ai F 2  ioo DISCOURS Sur cru pouvoir-être dit fur le premier de ces points, & quoiqu'il me fut très-facile de multiplier les preuves, les autorités que j'ai citées étant fuffifantes, j'en refterai la. Je dirai feulement par forme d'introduction a ce difcours que fi e'eüt été 1'intention de Jéfus - Chrift qu'on eüt tiré un jour , du pouvoir miraculeux qu'il avoit de guérir les maladies, un argument raifonnable pour prouver qu'il étoit revêtu de 1'autorité divine & qu'il étoit le vrai Meffie; les maladies qu'il a guéries auroient été décrites avec tant de foin, & la voye par laquelle il a opéré ces guérifons auroit été détaillée avec tant d'exaclitude, que nous faurions aujourd'hui avec certitude qu'elle étoit furnaturelle, & qu'elle n'a pu être exécutée ni par 1'art ni par la nature. Or c'eft une précaution que n'ont pas prife les Evangéliftes dans les récits qu'ils nous ont killes des miracles de Jéfus-Chrift. Par exemple, il eft fouvent rapporté que Jéfus a guéri des boiteux ; mais on n'apprend ni la nature , ni 1'efpèce, ni le dégré de ces infirmités qu'il a guéries. Nous.n'avons rien qui nous allure que 1'adreffe d'un Chirurgicn, ou la nature feule n'en ayent pu faire tout autant, fans le fecours de Jéfus-Chrift. Si les Evangéliftes nous euffent rapporté fhiftoire de quelque homme auquel il eüt man-  Les MIRACLES. ior que une jambe, & même toutes les deux, , (car rien ne nous empêche de croire qu'il ait pu fe trouver alors auffi bien qu'aujourd'hui, de femblables objets de la puilfance & de la eompaffion de Jefus-Chrift), fi, dis-je, ils' nous euffent rapporté de quelle manière Jéfus avoit ordonné a la nature de déployer fes forces pour 1'entière réparation de ces défauts, g'auroient été la de vrais miracles auxquels 1'incrédulité ni le fcepticisme n'auroient eu rien a oppofer, & desquels ni les Pères, ni moi n'aurions pu faire des allégories & des paraboles. Mais nous ne voyons point de tels miracles opérés par notre Seigneur, ni rien qui en approche: bien loin de la, les plus éclatants & les plus utiles de ceux qu'il a opérés font en bute a bien des objections; paree qu'ils font rapportés d'une manière fi oblcure & fi équivoque, qu'a les prendre a la lettre, on peut les réduire a rien, & rejetter tout ce qu'ils contiennent de miraculeux. Cela me conI duit naturellement a reprendre mon fecond chef, & a démontrer que fhiftoire littêrale des miracles de Jéfus , telle qu'elle eft rapportée par les Evangéliftes, renferrae des chofes abfurdes, incroyables, & a conclure qu'ils n'ont jamais été opérés F 3  102 DISCOURS Sur m' cn tout ni en partie; mais qu'ils font rapportés comme des récits paraboliques des grandes chofes que Jéfus doit un jour opérer d'une manière myftérieufe & infiniment plus furprenante. C'eft dans cette vue, que dans mon difcours précédent j'ai fait 1'examen de trois miracles du Sauveur , celui des vendeurs chaffés du temple, celui de la dêlivrance des pnjfédés dont les démons furent envoyés dans un troupeau de cochons, & enfin celui de la Transfiguration fur la montagne. Je laiffe a juger fi 1'explication que j'ai donnée de ces miracles eft folide & s'ils méritent 1'admiration des hommes. Je vais préfentement faire 1'examen de trois autres miracles, qui font la guérifon de la femme hémorrhoïlfe, qui avoit langui pendant douze ans; celle de la femme courbée fous un efprit de foibleffe depuis dixhuit ans; & f hiftoire de la Samaritaine a qui Jéfus dit quelle avoit eu cinq maris, & qu'elle vivoit aótnellement en adultère avec un autre homme: trois faits que fon prend pour trés-miraculeux, dont les deux premiers font regardés comme la preuve de fa puiffance infinie , & le troifième comme une preuve de fon omnifcience, quoiqu'ils ne renferment aucuns de ces caractères comme je le démontrerai dans la fuite de ce difcours. J'iinagine que li les Incrédu-  Les MIRACLES. 103 les euffent ofé dire ce qu'ils penfoient de ces trois miracles, ils auroient fait de bonnes plailanteries k ce fujet. Le Clergé doit donc me favoir gré de prévenir ces Incrédules, & de lui en éviter la peine, pour m'en charger a fhonneur du divin Jéfus, & afin d'expliquer les allégories renfermées dans ces prétendus miracles. J'avois fait efpérer a mes lecleurs dans mon premier difcours que j'examinerois dans celui-ci qudques-uns des miracles que je leur avois annoncés; favoir celui de 1'eau changée en vin aux noces de Cana en Galilée ; fhiftoire des cinq pains & des deux poiffons avec lefquels Jéfus raffafia plufieurs milliers d'hommes dans le défert; la guérifon du paralytique en faveur duquel on abattit le toit d'une maifon pour le descendredans la chambre oü étoit Jefus. C'étoit en effet mon deffein alors d'examiner ces miracles, mais après y avoir plus mürement réfiéchi, leur fens littéral m'a para préter un peu trop au ridicule, & j'ai des raifons pour ménager un peu le Clergé quant a prefent. Quelqu'un me reprochera, peut-être, de le craindre & de manquer de courage; mais puisque je le trouvc dans une difpofition raifbnnable par rapport a. la tolérance 6c a Ja liberté depenfer&d'éF 4  104 DISCOURS Sur crire, je fuis bien aife de 1'entretenir dans ces bons fentimens & de nepasl'irritermal-, a-propos. Je regarde Ie Clergé comme un jeune cheval jndompté que je cherche k monter, & qui pourroit bien au grand préjudice de mes leéleurs, me lacher des ruades & me défarconner avant que je puffe arriver au bout de ma carrière. Mon desfein eft donc de le traiter avec douceur & de le flatter de la main jufqu'a ce qu'il foit plus accoutumé au mords & a la felle. C'eft par égard pour lui que j'éviterai de parler des miracles les plus propres a être tournés en ridicule, & que je choifirai pour le préfent les trois que je viens de défigner comme ceux qui de tous les miracles rapportés dans 1'Evangile peuvent fe traiter de la manière la moins offenfante pour le Clergé. Je commence par le miracle par lequel Jéfus a guéri la femme (i) affligée d'une perte de fang qui avoit duré douze ans. Pour faire plaifir a nos Théologiens, je veux bien leur paffer de la lettre de cette hiftoire autant qu'ils peuvent en fouhaiter. Les Pères eux-mêmes qui font toujours dispofés a tourner toute la vie de Jéfus-Chrift en allegorie, ne nient pas qu'une femme ait pu être guérie d'une perte de fang de la manière rapportée par les Evangeliftes. CO Voy. Matt. Ch. 9. Luc. Ch. 8. Marc. Ch. 5,  Les MIRACLES. 105 S Auguftin le dit (2). J'ai trop de refpcd pour ce faint pour contredire fon autorite; cependant les Incrédules pourroient bien examiner de prés ce miracle & même de manière a le réduire a peu de chofe, ou a rien, s'il leur étoit poffible. Si je 1'ai fait pour eux, ce n'eft pas pour favonfer leur caufe ; mais pour prévenir le mauvais effet que produiroit leur examen & pour tourner f efprit des hommes vers le fens myftique de ce miracle. Comme nous avons une relation détaillée de ce fait miraculeux , la raifon doit nous apprendre qu'en regardant la lettre de fhiftoire des miracles de JefusChrift de la manière dont nos Théologiens la regardent, celui-ci doit être un des plus grands qu'il ait opérés, fans quoi il n'auroit pas été rapporté féparément; il auroit été compris dans le nombre de toutes les maladies qui ont été guéries par le diym Sauveur. Or quel moyen avons-nous d'en connoitre la grandeur? Nous n'avons que les deux fuivants. 1°. De confidérer la nature du mal, 1 etat pitoyable de la malade & fa guérifon. 20. De confidérer la manière dont cette guérifon a été opérée. O) Fatïum quidem eft, & , itct ut narratur, imflttUM. in Serm. 78. Sect. 7. F 5  io6 DISCOURS Sur Si 1'un ou 1'autre de ces deux examens ou tous deux enfemble ne nous prouvent la certitude de ce miracle, les Incrédules conclueront qu'il n'y en avoit aucun. i°. Ojiand a la nature de cette maladie nous n'avons que peu d'éclairciffement ladeffus & nous ne favons guères qu'elle en étoit 1'efpéce & le dégré. Saint Mathieu dit que la femme étoit fujette a faigner atpoHQvvoi. Saint Mare & Saint Luc difent d'elle qu'elle avoit un flux de fang S— fluxum 'fanguinis patiebatur, quia in fuorum peccatorum fanguine vcrfabatur; quia fanguinum rapina £? occifwns putriebatur, in üominic. xxiv. G 2  iiö DISCOURS Sur pareront de 1'Eglife; cela pofé nous devons croire qu'ils entendent 1'effiifion du lang Chrétien qui eft fouvent caufée par les guerres ou par les perfécutions. Les douze années pendant lefquelles cette femme a langui de fon infirmité défignent douze Siècles pendant lefquels 1'Eglife doit languir dans ion impureté. Je m'en rapporté a S. Irénée (12) auquel je renyoye mes leéteurs. Suivant cette application cette femme qui eft la figure de 1'Eglife fera la même que la femme dans le défert, qui, comme dit Saint Jean (13) y a été foutenue pendant douze cents foixante jours ou années, par laquelle plufieurs Proteltants auffi bien que les Pères, entendent 1'Eglife univerfelle. II ne m'appartient pas de chercher ni de déterminer quand ont pu commencer ou quand doivent finir ces douze cents foixante jours ou années dans le défert. Mais comme il eft dit de la femme de 1'Evangile qu'après douze ans de maladie elle avoit été guérie par notre Sauveur, c'eft auffi fopinion des Pères que 1'Eglife univerfelle, après avoir langui douze Siècles dans fon état d'abandon, fera purifiée & fanctifiée par les dons de 1'efprit de Jé- C12) Ad versus tLERESES hm. i. Cap. 3Os) Apocalisp. Cap. 12. vs. 6.  Les MIRACLES. 117 fus-Chrift ; qu'elle entrera alors dans un état plus faint, plus tranquilie & plus heureux, dégagée de la perte de fang fous laquelle elle aura langui par les guerres &les perfécutions pendant tant de Siècles. Je ne m'engage pas a rapporter ici tous les paffages des Pères a ce fujetj mais je puis bien avancer que fi après 1'écoulement de 1260. jours ou années, 1'Eglife n'eft pas parfaitement guérie de la perte myftique de fon fang, de fes playes & de fes infirmités, auffi bien que 1'hémorro'iffe; que fi 1'état préfent d'impureté & de corruption fous lequel elle languit, n'eft pas changé dans un état de fanté , de fainteté & de paix, plufieurs bons Proteftants, auffi bien que les Pères de 1'Eglife fe trouveront bien déeus & que la plupart des Prophêties de Tanden Teftament, & celles du nouveau fur lefquelles on a tant fait de fond perdront abfolument toute efpéce d'autorité. Quant a ceux qui font défignés par les Médecins de 1'hemorroïffe, auxquels lefoin de la guérifon de la perte de fang myftique & des autres infïrmités de 1'Eglife ont été confiés, qui peuvent-ils être finon nos prétendus Miniftres de 1'Evangile? Ce n'eft pas feulement par les Pères que les Miniftres de 1'Evangile font appellés métaphoriG 3  H8 DISCOURS Sur qucment (14) Mêdecim Sphituels; nws encore nos Théologeins & nos Prédicateurs ie fervent avec plaifir de cette métaphore Cv (e regardent en effet comme des mede* cins tres-habiles & très-capables d'être charges du_ foin des maladies de 1'Eglife, a laquelle ils font bien éloignés de prefc'rir - & d'apport .r des remèdes convenables, quoiqu'ils foient très-convaincus qu'elle en a un befoin très-preffant. Je doute néanmoins quils trouvaffent bon qu'on crüt que c'eft eux qui font défignés par les médecins de pemorroïffe. II eft pourtant vrai qu'Eufébe (15) de Gaule dit expreffément que nos Ineo ogiens, ces prétendus Philofophes, lont défignés par ces médecins. Le vénérable Béde (16) en traitant le même fujet, eit du meme fentiment. II eft dit de la femme'de 1'Evangile qu'elle (17) avoit été extraordinairement tourmentee par les différens remèdes de fes Medecms, & que bien loin d'y avoir trouvé ^%u'\"Udk°S h!tcmS* Mo* Theofogos, in Loc. Q17J Vid. Marc. Cap. 5. vs. 26,  Les MIRACLES. du foulagement, elle avoit toujours été en empirant, par 1'ignorance on la malice de fes Médecins qui avoient été fes bourreaux (18). C'eft ainfi que 1'Eglife eft languissante depuis fi longtems par la malice & par 1'ignorance de fes Médecins fpirituels, nos Seigneurs du Clergé, aux foins defquels elle fe trouve abandonnée. L'Eglife depuis un tems confidérable va toujours en empirant pour fa Morale & fes Principes, comme chacun eft en état d'en juger, en comparant 1'état oü elle fe trouvoit dans les premiers fiècles a celui oü elle fe trouve fous ces charlatans eccléfiaftiques, qui, par la multitude de leurs remèdes n'ont fait que tourmenter la pauvre affligée. En effet la ' multitude de nos Théologiens empyriques avec leurs différens fyftêmes de gouverne' ment de 1'Eglife & de Théologie , qui font autant de recettes & d'ordonnances différentes, & par leur fréquentes diyifions n'ont fait qu'augmenter les playes & irriter les maux de f Eglife. Si la perte de fang de la femme de 1'Evangile eft, ainfi que le difent les Peres, la figure du fang répandu dans 1'Eglife, par les guerres & par les per-, (i3) Medici ;;ioLfli,.'»! potius qua.ni fanitatem agrotanti p:\cbcnrcs. EriiRAM. Syri. Pag. 65. G 4.  120 DISCOURS Sur fécutions , nos Médecins Théologiques font bien éloignés de prefcrire un reméde efficace a fes maux: ce font eux, au contraire, qui, au lieu d'ordonner des remèdes doux & balfamiques employent le fer & le feu & font répandre du fang par les guerres & les perfécutions. L'Hémorroïffe avoit dépenfé inutilement tout fon bien en Médecins & en remèdes. De même 1'Eglife a dépenfé continuellement des tréfors immenfes en Médecins eccléfiafüques & en remèdes fpirituels, dont tout 1'effet a été d'augmenter & d'irriter fes maux. Voila bientöt douze fiècles que le Clergé qui conftitue notre ^ faculté de Médecine fpirituelle tire de 1'Eglife, qui eft fa malade, des fommes immenfes en revenus & en honoraires, tandis qu'autrefois il veilloit gratuitement a fa fanté. Mais, a moins qu'il ne plaife a Dieu d'y apporter un reméde nécelfaire & efficace, il y a tout lieu de croire qu'elle languira encore longtems dans fétat facheux oü nos Prêtres ont la méchanceté de 1'entretenir. II femble que la femme de 1'Evangile rfauroit pas dü dépenfer comme elle a fait, tout fon bien en Médecins; qu'après_ avoir reconnu leur incapacité a Ja guérir; ejle auroit dü ceffer de Jeur payer  Les MIRACLES. i2r des honoraires & des vifites, & conferver le refte de fon bien: de même 1'Eglife, après s'être alfurée de 1'incapacité de fes Médecins fpirituels pour la guérifon de fes maux, auroit dft celfer de leur prodiguer fes grands biens, & les employer a de meilleurs ufages; par cette conduite , elle auroit été moins expofée aux bleffures du pêché & de Terreur. En effet il eft fur que fi ces Médecins barbares & altérés de fang n'euffent pas été fi richement payés pour veiller a fa fanté, elle n'auroit pas été expofée aux pertes immenfes de fang qu'elle a faites par les perfécutions qu'ils ont excitées dans fon fein ; & je ne prévois que trop qu'elle ne fera délivrée de la malignité de leurs remèdes que lorfquelle fera miraculeufement guéne par la vertu & par la grace de Jéfus-Chrift dans le tems fixé pour cette guérifon. Voiïa tout ce que j'avois a dire pour 1'interprétation myftique de la guérifon de 1'hémorroïffe. C'eft de cette manière qu'on peut allégorifer chaque partie de cette hiftoire. Je ne fais pas fi Meffieurs du Clergé agréeront cette explication parabolique; ils ont la liberté de n'en croire , avec les Athees & les Incrédules, que ce qu'il leur G 5  122' .DISCOURS Sur plaira; mais j'efpère qu'ils me permettront a mon tour d'en croire avec les Pères de rEghfe tout ce que je voudrai. Au reffce foit qu'ils approuvent ou non mes explications aSIégonques , ils ne pourront s'empecher d avouer que fi, après 1'expiration ?f.s 12- jlge? déterminés par ]a fageffe de IJieu, 1 Eghfe fe trouve purifiée de fes erreurs & de fes corruptions, dont 1'impurete de la femme de 1'Evangile eft la fiaure, fi Ia guerre & la perfécution, figurees par Ia perte de fang viennent a ceffer, fi tous les Chrétiens viennent fe réunir dans une même doctrine & q i'ils vivent enfemble dans Ia tranquillité & dans la paix ; fi I Eglife fe met a marcher a la fuite de Téfus-Chrift qui (19) eft la figure du tems a vemr ; fi par une foi vive elle touche les bords de fa (20) robe, qui fignifie les paroles des Prophêties , pour lesquelles les Chrétiens ont toujours montré un fi grand empreffement jufqu'a ce jour; fi pour la guérifon parfaite de toutes les maladies de 1'Eghfe les dons du S. Efprit fe font fentir a elle , comme Ia vertu de TéfusChnft s'eft fait fentir a Ia femme hémor- Vsa*9? p0j?eriorrl f*M "«nT»™ tempora. Oric. in '. 2,) 'féfmenta Jefu funt firmma & fcripta Èva»gè, Jiorun. Okigen. in Matth, Cap. i~. 1  Les MIRACLES. 123 rhoïffe; fi, dis-je, toutes ces chofes s'exécutent, ils ne pourront s'empécher de reconnoïtre que l'hiftoire de cette femme n'a été qu'un emblême & une figure d'un miracle a venir, & vraiment digne de la puiffance de Dieu, qui fera pour lors non feulement la preuve inconteftable de la puiffance & de la préfence de Jéfus-Chrift dans fon Eglife; mais encore la démonftration parfaite qu'il a été le vrai Meffie, d'autantplus que la plus grande partie des Prophêties de l'ancien Teftament recevront alors un accompliffement qu'il n'y a pas moyen de leur fuppofer quant a préfent. _ Lors donc que 1'Eglife aura recu mystiquement une telle guérifon de fon hémorragie , il n'y aura pas a douter que l'hiftoire de 1'hémorrho'ilfe n'en ait été la figure & 1'embléme; mais en attendant, fi 1'on regarde cette hiftoire comme une parabole, il ne fe trouvera que trés-peu ou point_ de miracle dans cette guérifon; ou bien il faudroit que nous euffions une certitude beaucoup plus grande que celle que nous avons de la maladie de la femme hémorrhoïffe, & de la facon dont elle a éte guérie par notre Sauveur; vü qu'un fait fans preuves n'eft pas croyable. Je paffe donc au fecond miracle que jo me fuis propofé d'examiner; favoir la gué-^  124 DISCOURS Sur lur une (21) autre femme qui avo;t „n efprit d'infirmité fous lequel elle £fc j£ meuree eourbée pendant dix - huit ans & qui etoit hée dans les chaïnes de Satan Ce miracle panera fans doute parmi nos Theologiens pour un des plus éclatants qu ait ete opere, fans quoi il n'auroit pas été deent en particulier; mais il auroit éé compris indifféremment dans le nombre de toutes les autres infirmités qui ont été J£ nes par Jéfus-Chrift. En faveur du Tns htteral de cette hiftoire & pour ne po-" que Jefus- Chrift peut bien avoir impofé les mains a cette pauvre femme accablée de langueur , rongée de vapeurs & dont 1 imagination dérèglée lui faifoit croire quelle etoit fous la puiffance du démon ■ que par des paroles pleines de bonté & de confolation, il ait pu la guérir bi fran de fa folie. Mais qu'eft-ce que ÜVnifie tout cela? Oü eft le iniracle? fitm tefpr0dige eüt ete attribué a quelqu'impofteur ou herefiarque ou a quelque Exorcifte Papï fte, combien nos Théologiens ne s'en feroient-ils pas mocqués? Ils n'auroient pas C^O Vid. Lyc. Cap. 13.  Les MIRACLES. 125 manqué de nous dire qu'il n'y avojt rien en cela de furnaturel ou d'extraordinaire; qu'en otant de cette hiftoire toute la part que le Diable y a, le refte ne feroit que ce qui fe paffe communément dans une femme accablce de melancholie & de vapeurs, qui fe trouveroit confolée & ranimée par les difcours fenfés d'un homme diftingué par fa probité & par fa fageffe: & qu'en remettant dans la même hiftoire toute la part que le Diable eft fuppofé y avoir, le tout enfemble ne feroit fondé que fur le dérangement d'efprit d'une femme imbécille, & fur la fourberie d'un prétendu faifeur de miracles qui cherche a faire valoir fon métier & la grandeur de fon pouvoir. Or je foutiens qu'il n'y a rien dans tout cela , que les Incrédules, les Juifs & les Mahométans ne puiffent dire avec autant de raifon de ce miracle de Jéfus-Chrift. On raconte du Pape d'aujourd'hui qu'a fon dernier voyage de Bénévent il avoit chaffé le Diable du corps d'une jeune fille. II n'eft ni impoffible ni improbable que le Pape ait pu par fes difcours ranimer le courage & remettre dans fon état naturel 1'efprit d'une jeune femme abatue & troublée par des vapeurs, & qui auroit eu une coniiance aveugle dans la fainteté & 1'efficacité des prières du S. Père. Enforte que  Ï26 DISCOURS Sur II une telie femme s'étoit imaginé, ou plutot fi les partifans du Pape avoient fait croire qu'elle avoit été poffédée & qu'elle en fut délivrée, on eüt pu avec affés de vraifemblance faire paffer eet événement pour un miracle. Les Incrédules feront donc en droit de faire les mêmes obiections fur le miracle en queftion, & de le reduire a rien. Que faut-il donc que nous iauions nous qui fommes Chrétiens ? il faut que nous abandonnions le prétendu miracle, ou que nous trouvions le moyen de le démontrer invinciblement, par la nous fommes dans 1'obligation d'expliquer quelle étoit Ia maladie de cette femme & de prouver que fa guérifon ne pouvoit s'operer par des voyes ordinaires; fans quoi 11 vaat mieux tout abandonner. Or, comment parviendrons nous a la connoiffance de la maladie de cette femme, fi ce n'eft d'après les paroles originales des Evangéliftes? St. Luc dit d'elle mtvfta (Zt>üca afcmas, quelle avoit un efprit ae foibleffe: cela veut dire qu'elle étoit foible d'efprit & imbécille ; & fi elle étoit vwKUTtliffot, toute courbée, il n'y a rien de plus que ce qu'on doit attendre d'une femme abattue, mélancholique, & perfuadée que fon mal eft fans reméde. C'eft en cela donc que confiftoit toute la maladie  Les MIRACLES. 127 de cette femme: fi elle eüt été plus confidérable, nous devons croire que S. Luc, qui étoit Médecin fe feroit exprirné tout autrement qu'il n'a fait, ou bien il faudroit fuppofer qu'il rl'étoit qu'un ignorant dans fa profeffion; de manière que fi le Diable n'avoit aucune part a cette affaire, toute la maladie n'avoit rien qui ne put être guéri par une exhortation pleine'de douceur & de confolation faite a propos par un homme fage. Que nos Théologiens faffent tout ce qu'il leur plaira; c'eft la tout ce qu'ils peuvent tirer d'un miracle tel que celui dont il eft ici queftion. II eft dit de cette femme qu'elle avoit langui pendant 18. ans fous fon mal, mais elle auroit pu languir encore pendant plus longtems dans fa mélancholie & dans fon abattement fans qu'elle eüt été poür cela plus difficile a guérir. C'eft dömmage que 1'Evangélifte ne nous ait pas ihftruit de 1'age qu'elle avoit lorsqu'elle commenca a reffentir les premières attaques de f -n mal; nous en aurions tiré des eoaje&ufes plus certaines fur la nature de la tealadie & de la guérifon. Si nous pouvions fioupconner par les termes de 1'EdritUfe ou par quelque tradition équivalente, qtte cette femme avoit a-peu-pres 50. ans lorsqu'elle avoit commencé a \ devenir languiffante <&  tsS DISCOURS Sun lorsque le Diable avoit commencé a s'emparer d'elle, c'eft la qu'il y auroit de quoi faire un grand miracle, c'eft la que nos Théologiens auroient avancé , fans que perfonne eüt ofé les contT%dire que d'une vieille femme Jéfus - Chrift en avoit fait une jeune perfonne, aprés lui avoir rendu toute fa beauté , fa vigueur & toute la fanté d'une fille de quinze ans; cela auroit été un vrai miracle. Nos Théologiens adopteroient affés une femblable explication du miracle en queftion, s'ils ne craignoient de fe brouiller avec les vieilles dévotes qui font leurs meilleures pratiques. Celles-ci s'imagineroient qu'une telle interprétation feroit un farcafme lancé contre elles pour leur reprocher qu'elles ont le Diable au corps, & que c'eft lui qui eft caufe de leur-décrépitude, de leur méchante humeur & de leur dos courbé. Nos Prêtres fentent trop combien il y auroit a perdre pour eux de fe brouiller avec les vieilles. Ainfi a parler raifonnablement il n'y avoit rien de plus que ce que je viens de dire fur la maladie & la guérifon de cette femme; & fi 1'on óte la part que le Diable a dans cette hiftoire, il ne s'y trouvera rien de furprenant. En fuppofant que  Les MIRACLES. 129 que Jéfus eüt exorcifé le Diable de cette femme & qu'il 1'en eüt débaraffé, cela ne prouveroit pas encore fon autorité divine & fa puiffance , puisque plufieurs Exorciftes parmi les Juifs en pouvoient faire tout autant, & qu'il n'en manqueroit point parmi les Papiffces mêmes, fi nos Proteftants étoient affés dupes pour les croire. D'ailleurs je ne penfe pas que les Evangéliftes aient prétendu que le fens littéral de ce miracle düt exciter une grande admiration en faveur de Jéfus-Chrift ou bien S. Luc nous auroit décrit la maladie de cette femme d'une manière fi exacte & fi précife que 1'infufhfance du pouvoir de 1'art & de la nature réunis pour opérer cette guérifon, auroit été démontrée pour nous & que les Incrédules n'auroient pu douter raifonnablement qu'elle n'eüt été operée miraculeufement. Je ne vois pas même que les Pères fe foient fort embarralfés de la lettre de cette hiftoire : ce qui eft une preuve qu'il n'y avoit pas grande attention a y faire. Toute leur curiofité s'eft bornée a examiner le myftère qui eft renfermé dans ce récit, ce qui fera 1'objet de 1'examen qui fuit. Comme les Pères ont dit de 1'hémorrhoïffe qu'elle étoit la figure de 1'Eglife, ils ont dit encore que cette femme avec . H  i3o DISCOURS Sur fon efprit d'infirmité étoit pareillement la figure (22) de 1'Eglife; qu'indépendamment de ce qu'elle étoit poifédée d'un efprit de foibleffe elle étoit encore fi (23) courbée vers la terre qu'elle ne pouvoit fe redreffer: que pareillement 1'Eglife eft touta-fait courbée vers la terre lorsqu'elle tourne toute fon attention a 1'interprétation littêrale de 1'Ecriture , & qu'il ne lui eft pas poffible de fe redreffer d'ellemême tant qu'elle ne peut élever fes penfées a la contemplation du fens célefte, fublime & fpirituel qu'elle renferme. C'eft par cette explication que nous connoiffons la véritable fignification de la maladie de cette femme qui confiftoit dans un efprit de foibleffe, & qui ne vient pas proprement d'une maladie corporelle; mais qui explique expreffément la foibleffe fous laquelle 1'Eglife gémit encore aujourd'hui relativement a 1'intelligence des Prophêties. De même que cette femme a été lan- (22) In muliere infirma eft figura ecclcfia. Theop. An.tiocii. in Loc. Luc.e. ■—■ Unife inléfligitur Ma muiier in typo ecclefia in duniiuo fanata & sreSta, quam curvaverat infirwitas, alligante /arana. St. August, de Tri.kit. Lm. 4. Sect. 7. In typo ecclefia 'faminant Jalrat. St. Amuros. in Loc. Luc. (23) Tetum genas hamanum tanquant i/la muiier curra- tum ejl ad terram Diabolus & y/ugcli e/'us animus ho- minum curvaveruut ad terras, id ejl, ut pronte in ea qus terrena fupema non quarertnt. August, in Serm. .592. Qin occidentcm fequuntur litteram terrena fdpiunt. Uierony. in Lib. Amos, Cap. I.  Les MIRACLES. 131 guiffante fous fon efprit de foibleffe pendant 1'efpace de 18. ans, de même auffi il y a plus de dix-huit fiècles que 1'Elprit d'infirmité s'eft emparé de 1'Eglife; & elle eft aujourd'hui fi courbée vers la terre de la lettre qu'il ne faut pas moins que la main & la toute - puiffance de JéfusChrift , qui a redreffé la femme de 1'Evangile , pour redreffer auffi 1'Eglife & 1'élever a la contemplation divine, fublime & myftique de la Loi & des Prophëtes. St. Auguftih (24) prétend que les 18. années qu'a duré la maladie de cette femme, ont un rapport de tems avec les trois années du figuier fans fruit. II eft vrai que je ne comprends pas ce calcul myftique. Mais il eft' certain fuivant 1'opinion de tous les Pères que ces deux nombres, auffi bien que les douze années de la femme hémorrhoïffe fe termineront de la même manière , & que, par-conféquent, lorsque 1'Eglife, figurée par la femme, fera guérie de fa perte de fang, elle fera en même tems délivrée de fon efprit de foibleffe fur 1'intelligence des Prophêties j (24) Qiild Ma muiier oBodeclm anrios habens in inprmitaie. Sex diebus Deus perfecit opera fua. Ter J'eni decem & 0B0 fuciunt. Ouod ergo fignificavit triennium in arbare, koe ojtodeeim anni in Ma muliere. in Serm. iio. H %  i32 DISCOURS Sur c'eft - a - dire qu'au bout d'un ccrtain tems elle entrera dans un état bienheureux de paix & de vifion. C'eft la la doctrine unanime des P. P. comme en fera convaincu quiconque voudra les approfondir; & leur doctrine eft une confirmation de 1'explication myftique que je donne préfentement de l'hiftoire miraculeufe dont je fais 1'examen. St. Luc dit que cette femme ne pouvoit fe redreffer d'elle-même m to itavlt(verfet XI) qui malgré notre verfion angloife auroit dü être traduit: ju/qua ceque tout fut accompli, ou jufqu'a la fin des tems , auquel 1'Apötre (25} & les P. P. conviennent que 1'Eglife doit être guérie de fa foibleffe, & qu'elle doit être douée de 1'intelligence du fens des Prophêties. De même que la femme a été guérie par Jéfus au jour du Sabath ; de même auffi 1'Eglife fuivant une infinité de paffages des Pères, trop nombreux pour être rap-' portés fera guérie de fa foibleffe fpirituelïe fur 1'intelligence des Prophêties au grand jour (26) du Sabath myftique qui com- (25) Première aux Corinth. Cap. 13. vs. 9. 10. £26) Ut Deus fex dies in tantis rebus fabricandis labo ravk; ita & religio ejus & verkas in hts, fex millibus aunorum laboret iieeejfe ejl malitia dominante & prcsvaknte. ■Et rv.rfus quoniam perfébtis operibus requievit die fcptimo , eumdcmque benedixit; neeejfe ejl , ut in fine fexti millefimi  Les MIRACLES. 133 mencera, felon 1'explication des Pères, a Pexpiration de ces dix-huit fiècles de foibleffe. II eft encore rapporté fi. 14. que le chef de la fynagogue fut ému d'indignation de ce que Jéfus-Chrift avoit opéré dans un jour de Sabath la guérifon de cette femme, ce qui, ftdon moi, ne peut être vrai a la lettre ; & quoique je fois trés - difpofé , pour ne point irriter nos Théologiens k prendre cette hiftoire a la lettre dans plufieurs de fes circonftances, autant qu'il eft poffible de le faire fans violer trop ouvertement les régies du bon fens & de la logique , je ne puis cependant m'empêcher de m'élever contre le fens littéral de ce paffage. Origène nous avertit que 1'Eglife rapportoit quelquefois comme certains des faits qui n'étoient néanmoins jamais arrivés : je crois que ce qui eft dit ici du chef de la fynagogue , eft du nombre de ces faits. II n'eft pas croyable que le coeur de 1'homme foit fufceptible d'un fentiment fi nnni malitia onmis aboleatur è terra £? regnet per annos mille fuftitia; fuqne tranquillitas S? requies a labgribus, quos mandus jamdia perpejfus eft. Lactant. Divin. 1nstitut. Lm.' 7. Cap. 14. .—1 Dies feptimus etiam nos ipfi erimits quaw'o (Chrifli') benedictione & fanBificatione fuerimus pleni & refeiti; ibi vacantes vidcbimus, quoniam iph ejl Deus. Aücust. de Ci'vit. Lij». 22. Cap. 30. H 3  134 DISCOURS Sur inhumain; tous les travaux néceffaircs, tous les fervices d'amitié & de charité rendus aux hommes & aux bêtes étoient permis par la Loi, & pratiqués par les Juifs les jours de Sabath auffi bien que les autres jours. La guérifon de cette femme quoiqu'opérée un jour de Sabath étoit tellement un acte de charité & de compaffion de la part de Jéfus, que je ne crois pas qu'il eut été poffible de trouver un feul homme quelque méchant qu'il fut, qui n'eüt été plutot difpofé a rendre gloire a Dieu qui avoit donné un tel pouvoir a un homme , qu'a trouver du crime dans une aétion 11 évidemment bonne. II y a donc quelque myItère renfermé dans cette partie du récit. Oj-iel fera donc ce chef de la fynagogue qui fera ému d'indignation lorsqu'on entreprendra de délivrer 1'Eglife de 1'efprit de foibleffe ou elle eft par rapport a 1'intelligence des Prophêties ? Origène (27) nous apprend que 1'interprétation fimple & naturelle des noms & des conditions des perfonnes, font d'un ufage merveilleux pour parvenir au fens myftique qu'ils renfer- (27) Contemnenda non ejl accurrata circa nomina diliger.tia ei qui voluerit probc intettigcre facras litteras. ïn Jouan. Evang. Tom. 8.  Les MIRACLES. 135 ment. Suivant ce principe, le chef de la Synagogue fignifie les chefs des différentes congrégations des Chrétiens. En effet qui pourroit-ce être que nos Seigneurs du Clergé? Si ce que je dis n'eft pas fuffilant pour leur appliquer ce nom & cette qualité nous n'avons qu'a écouter Théophane le Ceraméen , qui dit que le chef de la Synagogue repréfente tous les Protres (28) qui s'oppoferont a la guérifon miraculeule de 1'Eglife ; mais quel feroit lemotif de leur indignation contre ceux qui entreprennent de delivrer 1'Eglife de fon efprit d'infirmité, & de la mettre dans le vrai fens des Prophêties ? c'eft dit (29) St. Auguftin par ce qu'ils font eux - mêmes courbés vers la lettre , & que 1'infirmité dans laquelle ils tiennent 1'Eglife enchaïnée, eft un reproche contre eux, & une preuve de leur Apoftafie, & de leur ignorance fur la manière d'entendre les Prophêties ; & que' la guérifon de 1'Eglife feroit d'une dangereufe conféquence pour' leur honneur & pour leur intérêt. Qui eft-ce qui peut douter que nos Prètres qui font (28) Jam Archi-fynagogus adümbrat omnes Sacerdotes, &c. in Hom. XII. (29) Calumniabaniur autem erigcnti, qui, nifi cuiyiï in Sïrm. 392. H 4  i3<5 DISCOURS Sur repréfentés par Ie chef de Ia Synagogue & qui ont leurs raifons pour que 1'Eglife demeure courbée vers le fens abjeft de la lettre des Ecritures, ne s'oppofent de toutes leurs forces a une guérifon par laquelle elle pourroit fe redreffer & s'élever a Ia contemplation du fens myftique, fublime & divin des faintes Ecritures? Une telle guérifon qui délivreroit 1'Eglife de 1'état courbé dans lequel ils 1'entretiennent leur feroit un tort irréparable & entraïneroit avec elle leur honte & la perte totale des grands biens qu'ils en tirent. Ils n'épargneront donc rien pour s'oppofer a ce grand" ouvrage de Jéfus-Chrift qui malgré eux, recevra fon accompliffement, felon Ie témoignage de toute 1'antiquité, au grand jour du Sabath évangélique. On fuppofe dans cette hiftoire que notre Sauveur fit un reproche au chef de Ia Synagogue fur 1'indignation qu'il avoit marquée contre Ia guérifon que Jéfus-Chrift venoit d'opérer un jour de Sabbat en lui difant (f. 15) „ hypocrites y a-t-il quel„ qu un de vous qui ne délie fon bceuf ou „ fon ane le jour du Sabbat & qui ne le „ tire de 1'étable pour le mener boire? ne „ falloit-il pas délivrer de fes liens un jour „ de Sabbat cette filie d'Abraham que Sa-  Les MIRACLES. 137 „ tan avoit tenue ainfi liée durant dix-huit „ ans." Cet argument pris a la lettre devoit couvrir de confufion ce chef de la Synagogue & les autres ennemis de Jéfus qui auroient voulu lui faire un crime d'un travail qui annoncoit tant de bonté & de mïféicorde, paree qu'il avoit été fait un jour de Sabbat, tandis qu'ils faifoient eux-memes dans ce jour des chofes d'une utilité infiniment moindre. Que dire (30) donc aujourd'hui a nos Prêtres dont le chef de la Synagogue eft la figure, lorsqu'ils s'oppofent a la guérifon de 1'Eglife, finon qu'ils font des hypocrites, c'eft-a-dire des critiques fuperficiels des Ecritures qui ne veulent pas entendre que la Loi eft toute fpirituelle; qu'au grand jour du Sabbath tous les hommes feront délivrés de 1'efclavage & de la fervitude oü ils les tiennent enchaïnés par leurs mauvais principes & par leur fauffe doctrine? Que les hommes femblables au boeuf & a 1'ane feront conduits un jour aux eaux falutaires de la fageffe , & que ce grand jour du Sabbath fera un jour de liberté parfaite , de tranquilité , f36) Sed nefciebat Archi-fynagogus vel hoe vel Mud milto excellenties facramentum , quod fabbato curando domhuis intimabat, quia fciliut poft fex hujus feculi atates ptrpettt* vHa immortalis erat gaudia datuïus. Venerab» Bed. in Luc. H 5  138 DISCOURS Sur de fcience & de lurnière ; qu'aJors nous jouirons de Ja vue de Dieu, & que ™u connoitrons les voies de Ja Providence comme Jes anciens Juifs & ]es Péres le dél clarent fi precifement & que ceux qui ^ tendent 1'ignorer feront couverts de eonfufion Iorsque 1'Eglife fera délivrée del'efprit Pro^S?qm lLUCaChe Je--fensPdres IJ eft encore dit (vcrfet 16) que cette femme etoit dans les chaines de Satan & qu il la tenoit courbée vers Ia terre U n'v pas moyen de croire un mot de la lettre dl eette hiftoire & le fens myftique aadlt SSfek 5-pastropfac5ektrouv • Mes leéteurs doivent être curieux de voir comment je m'en tirerai: ccmment en effet concevoir que Satan retient 1'Eglife dans les chames ëc la tient courbée verfla terre? & r£S ne me-tirent de ce ^uvais pas & cela d mie maniere.claire & intelligible e ferai bien force de rabattre de la grande veneration que j'ai pour eux; mais ils me fei ont entendre clairement quel eft Je Sa? an qui a ainfi enchainé 1'Eglife pendant lefpace de tant de fiècles, de^ême que la femme de 1'Evangile eft fupp0fée myft ? 33ufe t irJT été' fanS Ce,a^ eüt valu fe taire fur ce miracle parobolique. Les ecnts des Evangéliftes font plein.'  Les MIRACLES. d'hiftoires de Satan, de Belzébuth, de Démons, d'Efprits impurs &c. on y trouve plus de ces fortes d'hiftoires que dans tous les écrits qui les ont précédés; de forte que, s'il falloit les croire a la lettre, il fembleroit que ce n'a été que pendant le féjour de Jéfus-Chrift fur la terre que TEnfer fe foit déchamé, & qu'il a commencé a infefter le genre - humain; & qu'au moment oü la Judée alloit être détruite, & 1'Evangile répandu fur la terre les Diables auroient commencé a paroitre dans le monde comme s'ils étoient venus tout exprés pour accompagner les Juifs dans leur disperfion, ou les Apötres dans leur miffion, & que depuis ce tems-la ils y foient demeurés pour être les féduêteurs, les tentateurs & les bourreaux des nations Chrétiennes. Arnobe (31) dit qu'avant Jefus-Chrift les Diables étoient inconnus dans le monde. II veut dire apparemment qu'a peine en parloit-on. On ne connoiffoit point leur nature avant que Jéfus-Chrift nous en eüt inftruit. Je crois qu'on peut donner au fentiment d'Arnobe Tune ou 1'autre des deux explications fuivantes. Savoir que non feulement on avoit trés - peu parlé du C3O Anti Chrijlum incogniti & a fok fckntc drtetli. in Lis. II. Advers. Gentes. •  140 DISCOURS Sur Diable^ mais encore qu'un connoiiToit peu quelle etoit fa nature, avant que les paraboles & les miracles de jéfus - Chrift bien exphques felon leur fens 'fpirituel & myftique nous'en euffent inftruits; enforte que fi après quelques fiècles on s'eft écarté de la doctrine onginale & véritable fur les Diables , fi d'une hiftoire qui n'eft que myftique & cabahftique on en a fait une hiftoire littêrale, & fi fon s'eft formé des idéés ndicules d'efpnts malins, de fpeftres & de phantomes, cela ne me détournera pas du chemin de la vérité. A 1'égard du lieu oü eft fcitue 1 Enfer , les fentimens des Théologiens des fiècles paffés, auffi bien que ceux d aujourd'hui, font très-partagés. Te ne marrêterai point a les rapporter tous, encore moins a les réfuter. Mais il fe trouve fur ce fujet une explication ancienne cabahftique & raifoimable que je tiens des Pères. C'eft que 1'Eglife de Jéfus-Chrift corrompue & dégénérée en une vraie Babylone, fera appëllée Enfer, a caufe qu'elle fera dans un érat de ténèbres, comme le terme a«Tw le fignifie. C'eft pour cela qu' Ongene (32) dit que quiconque fera C32) Confequcns dtttem eft ei, qui cognofcit qua fit Hitrnfalem,n diyiftfne vera hcreditJh JUionL lrae!ft& telligatfermouem de Qehama. tti Maji, Cai>. 23.  Les MIRACLES. i4i capable de fe former une idee de Pétat oü, fe trouvera 1'Eglife un jour lorsqu'elle aura merité le titre de nouvelle Jèrufalem a caufe de la paix & de la lumière dont elle jouira, comprendra aifément ce que c'eft que YEnfer & tout ce qui s'eft dit a fon fujet. Or, comme les Pères avoient une notion cabaliftique de 1'Enfer, que nos Modernes ont perdue, ils avoient auffi une notion pareille du Démon & de fes Anges. J'avoue que je ferois fort en peine de trouver une explication myftique de Satan, par rapport a 1'autorité du miracle que j'cxarriine préfentemcnt; mais par 1'explication qu'ils donnent des autres circonftances on ne peut entendre dans 1'affaire dont il s'agit que les maximes cruelles & les emportements dérèglés par lesquels nos Prêtres s'oppofent a toute liberté en matière de religion, & n'ont d'autre objet que de tenir Teglife & les peuples chrétiens enchaïnés & courbés fous leurs opinions, & fous les pratiques de leur culte. C'eft-la 1'état déplorable d'efclavage fous lequel 1'Eglife figurée par la femme a toujours été détenue, tantöt par une fecte & tantöt par une autre. Je pourrois prouver par une multitude de paffages des Pères, que c'eft-la la vraie notion qu'on a eue de Satan dans 1'E-  142 DISCOURS Sur glife primitive. Origène (33) en rapportant les noms des Rois qui doivent être les ennemis de 1'Eglife de Jéfus-Chrift, & dont il eft fait mention dans les écrits des Prophëtes, nous dit que ces Rois n'ont jamais exifté & n'exifteront jamais: ces noms ne fignifient qu autant de différens péchés qui regneront fur le genre-humain. C'eft fur le meme fujet qu'il dit (34) queles vices de 1 homme font des Diables; Satan lui-meme felon la fignification de fon nom qui veut dire oppofé ne fignifie autre chofe fuivant (35) lui & les anciens Juifs, qu'une oppofition a la volonté de Dieu Je pourrois fort bien rapporter d'autres palfages des Pères fur le même fujet; mais comme je veux m'en épargner la peine quant a préfent, je renvoye mes lecteurs a mon difcours précédent dans lequel ils verront 1'opinion des Pères fur les Dia- , GÖ E?° P'"° I"011 "omina hae fcriprura divina non pro Ufiorta narrayerit fed pro caufil tfuHs ' Z Z mint ram regunt quant vitiorum nomina, qua reenant in honumbus, referuntur. m Numer. Cap 31 r'S"ar" »' (34) Qutd ergo miram yidelur, fi per fing'ula eenera t>ee catorum finguh damones afcribuntLr.mM. fofv c^T C3d j Sed m alio quodam libello, qui avellatnr t/n mm duodeeim Patriareharum , tWm q?entlfenttT yemmus, quod per fingulos peccantes, finguli %tZ7nt2  Les MIRACLES. 143 bles qui furent chaffés des pofiedés & envoyés dans un troupeau de pourceaux; & . ils jugeront fi leur opinion fur Satan étoit différente de celle que j'ai rapportée ici. Rien n'eft plus aifé a prouver que par Satan par le Dragon & par le Diable mentiones dans 1'Apocalypfe on n'a point défigne autre cliofe qu'une ardeur diabolique & fanatique qui fe trouve dans certains hommes pour la perfécution ; & fi fon doit croire que tout ce que S. Jean dit de Satan eft cabahftique & allégorique, il n'y a pas moyen d'entendre autrement tout ce que les autres Apötres & Evangéliftes ont dit de lui, ou bien la méthode ufitee dans les premiers fiècles de fEglife pour 1'interprétation des Ecritures par Ia ïigmfication naturelle des noms doit étre abfolument rejettée. Comme donc Ia femme de 1'Evangile eft fuppofée O. 16) avoir été tenue courbée dans les chaïnes de Satan pendant 1'efpace de dix-huit années, de même auffi la fureur & 1'efprit perfécuteur qui fe trouvent dans certains hommes, & qui, comme je 1 ai dit eft cé Satan myftique, 1'ennemi de la liberte, tiendra 1'Eglife courbée fousJes chaïnes jusqu'a la dix-huitiéme centune; mais elle fera miraculeufement délivree de eet efclavage fpirituel & remife  144 DISCOURS Sur dans une (36) parfaite Iiberté dans le grand jour du Sabbat tant defiré; il faut ici remarquer encore avec S. Auguftin (37) que dans le tems même que 1'Eglife fera déliyree de fon efclavage, alors Satan fera lui-meme (38) enchaïné pour (39) mille ans, ce qm fignifie felon faint Ephrême de Syrië, (40) pour Vèternhè: de quelle manière notre Satan & notre dragon myftique feront-ils enchaïnés? On ne peut pas croire que ce foit avec des chaïnes de ter, mais avec les chaïnes de la raifon mnculis rationis & des arguments invincibles de la Iiberté chrétienne; chaïnes qui empécheront Satan notre ennemi d'en impofcr plus longtems a 1'Eglife & de Ia latiguer davantage par fes perfécutions. Je ne puis m'empêcher de donner ici de grandes louanges a 1'Auteur des Fondemens & a celui du Syjlême, vu que leur amour 'Quamiiu vera pax veniat & fabbatismus, & Pentem deccdarum numerus _ ecclefta non plenum ree plat libertatem. Hieronym. in Zachar. cap. i. (37) _ lila muiier curvata intelligitur figurare ecclefiam quam m Jexta mundi atate a captivitate diaboli leTus liberabit. in Ou«st. 21. Dialog. 65. Qu/est. ' CSfJ angelum habentem clavem & catcnam ad li, gandum draconem — in fexto annorum millenario hac res agitur. de Civit. dei. ub. 20. cap. 7. (39) Apocalyps, cap. XX. vs. 2. (40) Propter infinitatem annorum mille ennos dixit. in Perm. de P^nitenti  Les MIRACLES. 145 arnour pour le genre-humain paroït être le feul objet de leurs travaux. Leurs argumens invincibles font des ctiames fi bien forgées qu'elles fe trouveront alfés fortes pour arrêter Satan & fesAnges, c'eft-adire notre Clergé & pour 1'empêcher de continuer plus longtems les perfécutions qu'il a fulcitées contre les vrais Philofophes Chrétiens en voulant les priver de la Iiberté de produire leurs fentimens en matière de rehgion. Quant a moi tout 1'avantage que je cherche a recueillir du travail que j'ai entrepris, eft feulement de pouvoir a 1'aide des Pères démasquer dans le Clergé ce zèle (41) pour la perfécution fi contraire a 1'efprit de Jéfus-Chrift, & qui a caufe de fon oppofition a la Iiberté eft appellée Satan, qui par fes calomnies eft appellée Diable, qui par fa fureur eft appellée le Dragon. Oui je dévoilerai le motif de cette ardeur cruelle du Clergé aux yeux du genre-humain, & je lui apprendrai les moyens de la découvrir de lui-même & de ne s'y plus laiffer furprendre. Notre Sauveur n'auroit jamais appellé (41) Diaboli formam affumimus .—< leonis pcrfonam induimus & 'draconit — quando crudelei iS caltidi fumus. Origen. in Luc. Hom. 8. I  14-6 DISCOURS Sur Pierre du nom de (42) Satan felon Origène , s'il eüt entendu par Satan autre chofe que 1'iiomme oppofé a Ja volonté de Dieu. VoiJa tout ce que j'avois a dire fur Je 1 miracle par lequel Jéfus a délivré la femme accablée fous un efprit d'infirmité, & courbée fous les chaïnes de Satan. J'ai démontré qu'en fuivant la.lettre , il n'y avoit pas même de miracle; qu'une partie de cette hiftbke n'eft ni probable ni croyable; mais que 1'accomphlTement myftique de cette parabole fera un jour non feulement une demonftration du pouvoir & de la préfencc^de Jéfus-Chrift dans fon Eglife ; mais qu'elle fera encore la preuve inconteftable que Jéfus eft le vrai Melïié: d'autant plus qu'alors la plupart des Prophêties de fan- • cien Teftömént (qui font en trop grand nombre pour que je puiffe les rapporter ici) recevront leur accomplilfement. Je paffe donc au troifième miracle de Jéfus lorsqu'il dit la bonne avanture a la Samaritame, qui avoit eu cinq maris & qui vivoit alors dans fadultère. Nos Théologiens regardent ce trait de la vie de JéfusChrift comme un des plus miraculeux, en ce qu'il prouve fon omnifciencefans laquelle C42) MARC. CAP. 0. VS. 33.  Les MIRACLES. H7 il n'auroit pas lü jusqu'au fond du cccur de cette femme, & ne lui auroit point dit de telles particularités de fa vie. Mon deffein étoit d'abord de rapportcr cette hiftoire tout au long, & je Taurois fait, fi je n'avois fait réiléxion a fon extréme longueur, &.fi je n'avois craint fur-tout de m'atLirer les railleries & les farcasmes de quelques lecleurs toujours prets a faifir le ridicule & les abfurdités qui fe trouvent dans la lettre des S. S. Ecritures. Je crois que cette hiftoire prife a la lettre eft abfolument faufle; il y a cependant quelques Pcres qui en parient comme s'ils croyoient qu'elle füt véritablement arrivée, quoiqu'ils ayent donné d'ailleurs des explications myftiques & allégoriques, non feulement de cette hiftoire entiére, mais encore de chacune de fes Parties. Quant a moi la vénération que j'ai pour ces grandes lumières de 1'Eglife m'empêche de" les contredire, & j'efpere que nos Seigneurs du Clergé m'en fauront quelque gré. Malgré cela je ne puis dilfimuler que cette hiftoire interprétée felon fon fens littéral me paroït tout-a-fait invraifemblable pour ne rien dire de plus: & je defirerois ardemment pour 1'honneur de Jéfus que les Pères ne 1'eulfent regardée que comme une allégorie & une parabole. 1 2  148 DISCOURS Sur Je Mus furpris qu'aucun Juif ou Incrédule n'ait encore tourné cette hiftoire en ridicule en réfutant notre religioa Si leurs langues n'euffent pas ete enchaïnées par Satan, ou 1'ennemi dont j'ai parlé cy-devant, je crois qu'ils en euffent fait de plaifants commentaires. En effet fi fon eüt rapporté une fable femblable' de tout autre impofteur, nos Théologiens n'auroient pas manqué d'en faire fentir toutes les abfurdités & de donner carrière a leur efprit fur un tel fujet; car ces Meffieurs voyent trèsbien une paille dans fceil de leur frère & ne s'appercoivent pas d'une poutre qui eft dans le leur. Mon deffein n'eft pas au refte de faire fur cette hiftoire toutes les remarques critiques dont elle eft fufceptible, ni de donner lieu aux Incrédules de fe moquer du refpect fuperftitieux que nos Doóteurs ont pour la lettre de cette hiftoire; je me bornerai feulement a faire deux obfl-rvations fur deux ufages principaux auxquels le Clergé fait appliquer très-férieufement ce récit miraculeux. Le premier eft de s'en fervir pour prouver que les Samaritains auffi bien que les Juifs étoient dans 1'attente d'un Mefiie. Le Second eft de prouver qu'il n'y avoit  Les MIRACLES. 149 rien de caché pour Jéfus, fans quoi il n'auroit point lü dans le coeur de la Samaritaine & il ne lui auroit pas dit qu'elle avoit eu cinq maris, & qu'elle vivoit actuellement en adultère. C'eft fur ces deux points que M. M. du Clergé infiftentparticulièrement, & auxquels je vais répondre. Premièrement c'eft d'aprés cette hiftoire que M. L'Evêque de Litchiield affüre avec beaucoup de juftice que les Samaritains étoient dans fattente d'un Meffie (43). Mais pourquoi M. 1'Evêque & tous les autres Docteurs qui font tant d'efforts pour prouver que Jéfus étoit le Meffie, ne tirent-ils pas leurs preuves de ce qu'il a dit la bonne avanture a cette femme Samaritaine : & fi ce fut pour elle une preuve inconteftable que Jéfus étoit le vrai Meffie, pourquoi M. M. du Clergé n'infiftent-ils pas fur cette preuve, aujourd'hui que la grande queftion. de la miffion Divine de Jéfus - Chrift eft entamée. C'eft ce me femble paree qu'ils fentent bien que ce feroit s'expofer aux traits malins des Incrédules. Si cependant la peine que Jéfus a prife de dire la bonne avanture a cette femme, n'a pas été une preuve évidente (43) Voyez sa Péfïnsè du Christianisme p. 8. I 3  ijo DISCOURS Sur qu'il étoit le Meffie, c'eft bien nnl a propos que S. Jean nous a rapporté un tel conté de bonne femme, a la créduüté de laquelle Jéfus en a impofé, en lui faifant croire qu'il étoit le Meffie; & chacun jugera fi ce n'étoit point fort mal a lui de tromper ainfi une patere femme. Examinons quelle étoit la différence des fentimens des Juifs & des Samaritains fur 1'attente du Meffie. Quelques - uns des anciens Juifs du nombre desquels font les -Apötres 1'attendoient comme un Prince tempore], & comme un grand guerrier qui devoit conquérir toute k terre. D'autres Juifs, auffi bien que les Pères (44) 1'attendoient comme un Prophéte grand en ceuvres, qui comme Moy-. fe devoit délivrêr fon peuple de la fervitude d'une nouvelle Egypte. Pour les Samaritains ils 1'attendoient apparemment comme un très-habile devin, &' comme un fiimeux difeur de bonne avanture; fans quoi il n'y auroit pas eu de bon fens dans {440 Domorthts mier Jmievs notWmum efl —, «doS fiMes qui primusfuit falvator Ifraelis etiam hl omhivka & openbus fuis fuerit typ,:s & fiirura uithui redêmptoris. (.HRivrux. Mbykr de Gen. Christi, pao. 145. Jutiai vet er cs e.vp. ctabant fimikmagyptiacx liberationem , ut fci/kee Pharaón ö omnls ejus exercltus qui per 430. annos poptilum Dei eaptmmumit, hi Bfari rubro fubmerfus eff; flc etiam Romaui qui eodem annorum numero Judaos pofeffuri ultione domtm ddcanlur. Hieronym. in Joel cap. '5 '  Les MIRACLES. 151 ce que difoit la Samaritaine aux hommes de la ville (fi. 19): venez voir un homme étrange qui ma dit tout ce que j'ai fait; que j'ai eu cinq Maris que je vis d&uellement en adultère; un tel homme nefl - il pas le Chrifl? Ojie vouloit-elle donc dire par la finon que le Meffie devoit courir le monde pour y dire la bonne avanture & pour apprendre a chacun ce qu'il avoit fait? Et Jéfus pour entretenir cette femme dans 1'idée qu'elle avoit prife de lui & du Mesfie, lui dit: c'eft moi qui vous parle qui le fuis. Je ne fcais pas li nos Théologiens approuvent fort la conduite tenue par Jéfus dans cette hiftóirê; mais je fcai bien qu'ils n'approuvcfont dans gërfonrie le métier de difeur de bonne avanture; ils n'ont pas trouvé mauvais qu'on ait puni & chasfé comme des fripons des Bohémiens dont c'étoit 1'unique talent ; dans ft de'rrii ;r fiècle ils ont pourfuivi la punhion (4'?) de quelques hommes qui faifoiènï proL^ion de 1'Aftrologie judiciaire; & s'ils fiföienr. l'hiftoire de Tibère' ils verruent que ibus fon règne un difeur de bonne aVahtUre fut conclamné a mort. Nous ne fayons pas fi jéfus fut jamais aceu'fe d'avoir fait cc - • (4.5) Voy. ia vie.'öe jWiUiIvm :Liliy. I 4  152 DISCOURS Sur métier ou de s'en être fervi pour tromoer LPeUc!lefl ft'?"*^?n'en dSS nen, & fi Ja chole eft arrivée ils ont eu la prudence de s'en taire. Je fuis bi4 furpris que les Bohémiens qui courcSnt S trefois le Pays ne fe fondent pas fin ce'te hiftoire, poür infinuer qu'ils font e vra s difciples de Jéfus-Chrift] puisqu'iis fa\™ dire la bonne avanture, que laprols fion gu ils en faifoient n'étoit que celL que Jefus-Chrift exerca dans cette occafion.9 aue le SlUPTarïainS n'avoient Pascompris avanture 6 dUt ét? ™ difeur de b^ avanture, comment feroit-il entré dans la tete de cette femme que Jéfus étoit JeMe ? avanture? Qu eft-ce que nos Théologiens peuvent oppofer a cela? II faut Smcnt qu ils tombent d'accord que Téfus avoit donné a cette femme une preuveévi dente qu'il étoit le Meffie en lui dSknt fa bonne avanture, ou que cette femme fit bien infenfée & bien crédule pour tirer une auffi fauffeconclufion: fi elle n'eut pas été une proftituée bien effrontée & bfen endurcie elle eüt été fe cacher en roLisfant au heu d'alier diyulguer elje-rn/mëlon texte Ie fuppofe ; en un mot il falioit que  Les MIRACLES. 153 ces mêmes hommes fuffent dépourvus de bon fens pour être fords de leurs maifons dans Ie delfein de voir un difeur de bonne avanture, fur la parole d'une vile courtifane. Mais les hommes de Sichar eurent euxmêmes le plaifir de fe faire dire leur bonne avanture par Jéfus, & d'en tirer la même conclufion qu'il étoit le Meffie; fans quoi il n'y auroit pas eu de fens a ce qu'ils difent a la Samaritaine, (verfet 42.) een ejl pas maintenant fur ta parole que nous croyons qu'il eft le Chriji, mais Jur ce que nous avons entendu nous-mêmes. Qjie pouvoient - ils en effet avoir entendu finon leur bonne avanture, comme la Samaritaine avoit entendu la fienne auparavant; & fi Jéfus, comme je ne doute pas, ayant 1'art de deviner & de répondre jufte a leurs queftions, leur a dit tout, ce qu'ils avoient fait, je fuppofe qu'il aura eu la précaution de ne pas dire tout haut a chacun d'eux fes débauches & fes adultères ; cela auroit excité parmi eux des querelles domeftiques & des haines entre les voifins: mais s'il leur a enfeigné oü étoient les bêtes perdues, s'il leur a aidé a retrouver ce qu'on leur avoit volé, il a fait a merveille & la faute n'étoit que pour eux, fi fans autre preuve ils ont I 5  154 DISCOURS Sur cru qu'il étoit Je Meffie. Que les Théologiens jugent en conicience fi le commentaire que je fais ici fur cette partie de cette hiftoire relativement a 1'idée que les Samaritains avoient du Meffie, eft jufte & naturel. Nos Théologiens fe fervent de cette hiftoire pour prouver que Jéfus poffédoit la connoiffance de (415) toutes chofes, & qu'il favoit ce qui fe paffoit dans les r'eplis du coeur humain; mais je demande fur quoi fe fonde cette preuve ? Eft-ce paree qu'il a dit a la Samaritaine qu'elle avoit eu cinq Maris ? Je ne vois pas quelle en eft la conféquence. Campbell qui exercoit 1'Aftrologie judiciair-e dans le quartier de Moorficlds a dcoouvert par fon art des chofes bien plus furprenantes; fon ne conclueroit pas pour cela qu'il poffédat la connoiffance de tout ce qui fe paffoit de fon tems: & 1'on auroit traité de fripponerie & d'impofture dans Campbell cout ce quia été fait par Jéfus dans fhiftoire de Ia Samaritaine. Si les Incrédules en ufoient ainfi 011 n'auroit certamement pas a fe plaindre d'eux. S'ils difoient qu'il n'étoit pas impoffible que Jéfus eüt trouvé.le moven de'favoir quelques circonftances de la vie de cette femme, (46) Vov. le Dücteur Hammond in Loc.  Les MIRACLES. 155 avant de lui dire fa bonne avanture, nous ferions bien fondés a dire que c'eft une; fuggeftion impie, vu que c'eft une adreffe ordinaire des difeurs de bonne avanture de tacher d'acquerir toutes les lumières qu'ils peuvent, avant de prononcer leurs oracles, afin de rendre leurs réponfes équivoques & obfcures pour les fots & les dupes qui s'adreffent a eux: il y a cependant une circonftance dans cette hiftoire qui ne fait point honneur a Jéfus-Chrift & qui fuffit pour faire foupjonner qu'il y avoit de la fourberie dans fa conduite & qu'il avoit fait tomber cette femme dans le piège avant de lui dire fa bonne avanture; en lui difant (47) : femme, allez appeller votre Mary ; car' fur la réponfe qu'elle lui fit qu'elle n'avoit pas de Mari, Jéfus s'étoit déja mis a portee, d'apprendre d'elle qu'elle en avoit eu cinq, & qu'elle vivoit aóluellement en adultère; après quoi, excitant dans cette femme malheureufe des fentimens d'admiration pour fon talent de deviner ou de prophétifer, il profita des idéés qu'il avoit fait naïtre en elle, par les chofes qu'il lui' avoit dites , pour lui déclarer qu'il étoit le Meffie, aveu qu'il n'avoit ofé faire en (47) Percontando dc yiro , occafioncm cepit occulte, ;-crclandi. Cyiul. in Loc.  155 DISCOURS Sur d'autres occafions, & devant des perfonnes plus éclairées que cette femme. Ce fut ainfi qu'il paffa dans fon efprit & dans celui des habitans de Sichar pour le Meffie; puisque ceux-ci elirent 1'imbécillité de le reconnoitre en cette qualité fur une preuve très-equivoque, & comme tel le recurent très-bien chez eux pendant deux jours. Je fuis charmé qu'il ne foit pas dit dans 1'Évangile qu'il ait tiré de 1'argent de ces bonnes gens, pour avoir exercé fon métier de devin parmi eux; fans cela nos Doéteurs nauroient pas manqué de fonder fur un tel exemple, un droit en faveur d'exiger des décimes, des falaires & des penfions pour les payer de leurs divinations. ,11 eft tems de ceffer 1'examen du fens littéral de cette hiftoire qui eft vraiment ridicule. ^ I] fuffit de larepréfenter telle qu'elle eft, a ceux qui font capables d'examiner les chofes & qui ne fe laiffent pas fubjuguer par les préjugés de 1'éducation & de 1'habitude. Je n'ai pu me difpenfer de parler comme j'ai fait contre le fens littéral qu'elle renferme, pour difpofer les hommes a recevoir Tmterprétation myftique & allégorique qui en eft le véritable objet. Quoique les Péres (contre 1'autorité desquels je n'oferois m'élever malgré ia tenta-  Les MIRACLES. 157 tion que j'en ai) admettent toute cette hiftoire comme véritable, en foupconnant (48) feulement qu'il peut y avoir quelques fauffes circonftances; ils la regardent néanmoins dans fon tout comme une (49) allegorie & comme une figure, & ils ont fait tous leurs efforts pour en expliquer le fens myftique. II femble que S. Auguftin ait craint que quelques Chrétiens des fiècles a venir ne s'attachaflent trop comme font nos Théologiens, a la lettre de cette hiftoire. II commencé par ces mots 1'explication qu'il nous en donné (50). „ II y a des myftè„ res dans toutes les aótions & dans tou„ tes les paroles de notre Seigneur, fur„ tout dans l'hiftoire de la Samaritaine; de „ manière que quiconque les interprétera „ fans une atten tion & une précaution tou„ te particulière (ce qui veut dire felon la C48) Fortajfè veritm non erat, Judaos cum Samaritanis commercinm non habere — ac ne Mud quidem verum, neque hauftorium habes, & puteus altus eft —• fortajfè etiam neque Mud quod Jacob ex puteo bibent, & filii eins, & pecora efus. Origen- in Loc. (49) Pitna myfleriis & gravida Sacramenlis. August, in Joiian. cap. 4. Cs°) Evangeliea Sacramenta in domini noftri Jefu Chrift diSiis faclisque fignata non omnibus patent, & ca ontwilt minus diligenter, minusque fobriè interpretando, af ferunt pleriimque pro falute perniciem, £? pro coanitiont verttatis errorem inter qua Mud eft Sacramentum quod fcriptum eft de bdc. Scmantana- &c. in Qu/est. 63. de 8> Qüjsst.  158 DISCOURS Sur 5, lettre) fera en danger d'enfeigner une „ Doctrine pleine d'erreur." Si nos commentateurs modernes avoient le moindre refpeót pour S. Auguftin, ils fe donneroicnt bien de garde d'interpréter les Ecritures dans leur fens littéral comme ils le font aveuglément. S. Cyrille qui eft de tous les Pères celui qui s'eft le moins écarté du fens littéral reconnoit (51) qLie cette hiftoire_ renferme une parabole & une figure. Je vais entrer dans le détail de ces myftères.' Par la Samaritaine il faut entendre une Eghfe (52) hérétique & adultère, dont 1 etat (53) corrompu deplait a Jéfus-Chrift, gul. la rencontre vers fixieme heure, c'efta-dire, vers le fixième (54) age du monde: de manière que fuivant les Pères Jéfus doit bientöt anïver & rencontrer cette Eglife Samaritaine, il la convertira, c'eft-a-riire la guenra de fa perte de fang, & il ]a déhyrera de fon efprit d'infirmité. En quel endroit Jéfus a-t-il trouvé Ia • fól) «j £» TV*» Vet}.!, Vpt, xctl ft amyi/jUTt( v!Te,},lK. Mq. in LOC. joiian. 'JtVtntihL" typ'l"'^chat Ec'W«, 3«* ventnra ! , "\ ? — Ecck,a non fufiijicata, fed iulWi. tand*. August, in Loc. |ohan. JuJ"J>- ; ty) 7"r° fat per quinque viros, quinque libros Mo/is nonnulti accipiunt ~— Sed quinque viri inteJliguntur quinque corporis feufus. Et quia naturales funt ipf jeufus, qui atatem primam regunt, reiti dicuntur nutrit,, m qusst. 64 de 83. qu.«st.  Les MIRACLES. 161 par-cönféquent, elle eft aétuellement en adukère (59) avec 1'Ante-Chrift, ou le Démon, comme difent les Pères^ au lieu de vivre avec 1'efprit de Jéfus-Chrift & de la Loi, qui devoit être fon véritable-Epoux* & celui feul a qui elle a du s'attacher, & garder inviolablement toute fa foi. Or, non feulement la Samaritaine, mais encore les hommes de Sichar, ont'reconnu que Jéfus étoit le Meffie, tant paree qu'il leur a dit, que par ce qu'il avoit dit a cette femme: de même auffi les défenfeurs du fens littéral des Ecritures qui font figurés par les Sicbarites, doivent, fuivant Origène & Théophane être fortement perfuadés que Jéfus eft le Chrift & le vrai Meffie, en convaincre les autres; dés qu'ils auront été inftruits par 1'efprit de la Loi & des Pro-phètes. Enfin il eft dit que lesDifcipies de Jéfus furent trés - furpris de le trouver parlant a cette femme. Qu'eft-ce que cela fignifieroit s'il falloit le prendre a la lettre? Ëtoient-ils furpris que Jéfus n'eüt pas dédaigné de parler a cette femme , Ou com- (59) Et nunc quem habes non ejl vir tdus; quia non ell in te Qecclefia ) fpiritus qui intelligat Deunt, cum qro le■ gittmum potes habere conjugiüm ; Jed error dlaboli potius • tlomtnatur, qui te adulterina ebntaminatione corrumplu ven. Beda in loc. K  i6z DISCOURS Sur me fi les femmes n'euffent pas mérité des foins de la part du Sauveur ? Étoient - ils donc furpris que Jéfus qui étoit la pudeur même , eüt ofé refter téte a téte avec une femme ? Étoient - ils étonnés de le voir s'entretenir avec une femme de mauvaife vie? Craignoient- ils qu'il ne fe laiffat tenter par elle? II n'y avoit en effet que 1'un de ces motifs qui duffent exciter leur furprife. Or tout homme raifonnable jugera combien cette furprife eft abfurde fi on la prend a la lettre. Mais le fens myftique de ce paffage eft, que les vrais difciples du Meffie, a qui les vrais myftères du Royaume du Ciel feront un jour dé voilés, feront ravis de furprife & d'admiration, lorfqu'ils feront témoins de la fageffe & de la puiffance de Dieu dans 1'accompliffement des Ecritures, & lors qu'ils entendront les discours fpirituels de Jéfus avec fon Eglife, & tout ce qu'elle auroit dü faire conformément aux Prophêties. * C'eft de cette manière myftique & parabolique , qu'il faut entendre chaque circonftance de l'hiftoire de la Samaritaine. Saint Auguftin (60) dit qu'elle renferme de (60) Magna quidem alla funt facramenta, fed angustum tempus eft, ut emnia perfraclentui: m serm. 91. SECT. 2.  Les MIRACLES. i<53 grands myftéres, & qu'elle demande une etude pemble & longue pour la bien concevoir. Je trouve en effet qu'il a grande raifon. On feroit un gros volume de tout ce que les Pères ont dit a ce fujet. Le petit_ nombre de paffages que j'ai rapportés doit cependant fuffire pour convaincre de 1 abfurdité renfermée dans le fens littéral du recit de ce prétendu miracle,dont il refulteroit que Jéfus a dit la bonne avanture a une femme de mauvaife vie, chofe qui devenoit très-poffible, puifqu'il s'étoit fait adroitement inftruire des principales circonftances de fa vie. Nous devons donc pour 1'honneur de Jéfus regarder cette hiftoire comme une figure & une parabole de ce que Jéfus doit faire unjourmyftérieufement & d'une manière beaucoup plus digne d'excker Ia furprife & 1'admiration. _ Voila ce que j'avois a dire fur les trois miracles que je m'étois propofé de difcuter dans ce fecond difcours; mais avant de détermmer ce que Jéfus veut dire lorfqu'il en appelle a fes miracles comme aux preuves de fon autorité & de fa miffion divine, il faut encore examiner quelques-uns de fes iprétendus miracLs; & je ne veux lui en Jaiffer aucun auquel fuivant la lettre il en puiffe raifonnablement appeller. La conK 2  164 DISCOURS Sur féquence fera que ce font les opcrations myftérieufes de notre Sauveur qui doivent nous prouver & nous convaincre qu'il étoit le vrai Meffie; fans cela nous ferions forcés de renoncer fans balancer a Jéfus-Chrift & a fa religion, comme étant Touvrage de la fraude & de 1'impofture. Je ne puis point dire encore quels feront les miracles que je compte examiner dans le difcours fuivant. Je fcai qu'il n'y a que trop de traits hiftoriques & miraculeux dans la vie de Jéfus-Chrift, qui a les prendre a la lettre feront fujets a etre révoqués en doute: tel eft par exemple l'hiftoire de Jéfus monté fur un ane & entrant en triomphc dans Jérufalem. II eft vrai que dans mon Modêrateur j'ai déja jetté fur cette hiftoire quelques traits qui ont déplu a plufieurs perfonnes : cependant j'aurois bien pu m'excufer ou me juftifier a 1'aide des Pères & m'autorifer de leur exemple pour rire avec eux du ridicule de ce conté abfurde; j'ai eu néanrnoins le chagrin de me voir perfécuté pour avoir cité un paffage de S. Jéröme fur cette hiftoire; mais il s'en trouve un bien pire dans S. Jean de Jérufalem, ou il dit que s'il étoit vrai que ie peuple eüt jetté des habits & des branches d'arbres fur le chemin de Jéfus, cela auroit  Les MIRACLES. 165 moins para 1'effet de fon refpect que d'une malice noire pour faire tomber 1'ane & celui qui le montoit. Ne feroit - ce pas raifonner comme ce S. Père de dire qu'on pourroit fort douter fi les hozanna ou cris de joie du peuple devant Jéfus étoient plus refpeSueux , que les huées que feroit la canaille de Londres, fi fon Evéque pour montrer fa douceur & fon humilité s'avifoit de monter fur un ane, & de traverfer la jville avec fes habits pontificaux. Mais il fe préfente ici une queftion d'une toute autre conféquence a décider; il s'agit de favoir quel étoit 1'animal que Jéfus a monté dans cette occaiion. S. Matthieu femble vouloir dire qu'il montoit fur 1'anelfe & fur fon poulain tout a la fois. S. Mare & S. Luc difent qu'il monta fur le poulain quï n'avoit encore jamais été monté. L'Evêque de Londres dit qu'il monta fur une aneffe qui avoit déja été montée & que fon poulain la fuivoit en bondiffant: S. Cy rille & S. Chrifoftöme difent qu'il monta furie poulain & que la bourrique fuivoit en trotant. S. Jean l'Evangélifte dit qu'il monta fur une mule, & il employé.un mot qui fignifie un animal qui approche de 1'ane, ou qui participe des deux efpèces. Les cabaliftes. Juifs difent que leur Meffie fera monK 3  i66 DISCOURS Sur té fur un ane grand & vigoureux qui doit Je porter, lui, & tous les vrais Ifraélites Ci qu alors les miniftres de 1'Antechrift monteront un ane ordinaire. Voila comme les plus grands dofteurs de ce monde ne s accordent pomt dans leurs fentimens Je fuis bien embarraffé a qui décerner le pnx de 1 orthodoxie. Cependant ie pencherois vers 1'opinion des cabaliftes Je veux pourtant apporter dans la décifion de ce procés toute Ja gravité & toute la fcience dont je fuis capable, & pour obliger le DofteurSherlock, fij'en trouve J'occafion, j v ferai entrer la digreffion du Shilo attachantjon poulain a la vigne 6? fon drum a la meilleure de toutes les vignes. L'accomplisfement de cette Prophétie fembJe avoir échappe a la fagacité du Doyen de (öi) Chicheiter. Je veux donc examiner attentivement cette Prophétie ne füt-ce que pour m'attirer quelques louanges de la part des maitres du temple. vJn -VeiI,X ?lfl examiner quelque jour 1 hiftoire de Jéfus dans le défert, ou il resta pendant quarante jours avec le Diable aux tentations duquel il demeura expofé' Ce trait d'hiftoire a Ie prendre a la lettre,' ^JTOAS?^ " DISSERTATI°N SUR LA BÉNÉDICTION  Les MIRACLES. 167 comme nos Théologiens, eft unefable trèsfcandaleufe. Les Juifs du tems de notre Seigneur lui reprochoient que c'étoit par Belzebuth qu'il chaffoit les Démons du corps des pofTédés; les fucceffeurs de ces mémes Juifs ont avancé très-hardiment que Jéfus avoit appris la magie a 1'école du Démon. L'hiftoire préfente ne juftifie pas trop un tel foupcon. Nos Théologiens qui font mieux inftruits que les autres ne parient que d'une infinité de maux que le Diable a eu la permiffion de faire fur la terre depuis ce tems. Dieu veuille que ce ne foit pas la fuite d'un traité fait alors entre Jéfus & lui. Nous aurions aujourd'huy la confolation de n'avoir rien a foupconner de pareil, fi les Evangéliftes euffent jugé a propos de nous apprende le fujet de leurs entrevues & la matière de leurs converfations. Dans les contes fabuleux que nous lifons de la vie des faints on rapporté a la louangede Saint Dunftan qu'il prit un jour de Diable par le nez dansun inftant oü il avoit la témérité de tenter ce faint homme; fi Jéfus eüt de même pris le Diable par le collet, s'il Teut précipité dans fon gouffre, s'il 1'y eüt bien enchaïné, & qu'il eüt ferme fiir lui les portes de Tenfer; je m'en rapporté a tout ce qu'il y a de gens* fenfés K 4 '  168 DISCOURS Sur & de bons Chrétiens, & je leur demande fi une aftion auffi héroïque ne leur eüt pas été agréable ? Depuis que j'ai Ju la converfation de Luther avec le Diable, il n'a plus été en mon pouvoir de conferver la moindre eftime pour fon Proteftantifme. De même fi les Pères ne donnent a cette hiftoire un tour cabaliftique & allégorique, je ne puis que juger trés - défavorablement du Chriftianifme. Je devrois examiner encore l'hiftoire miraculeufe de 1'Ange qui apparut aux bergers en leur difant: je vous annonce trésgrande joye S'il y a dans toute cette hiftoire prife a la lettre & dans celle de 1'étoile qui s'eft montrée aux Mages la moindre vérité, il faut qu'il y ait bien de la mépr'ife dans Ja manière dont Tune & 1'autre font racontées. S. Mathieu & S. Luc font tous deux dans Terreur. L'un dit que ce fut 1'étoile qui s'eft montrée pendant la fruit aux bergers, c& que 1'Ange fut envoyé aux fages d'Orient, 1'autre n'eft pas de ce fentiment. Je n'avance point ceci fans raifon & fans en avoir de bons garants. Que faire donc de ces deux hiftoires pour niettre a couvert 1'honneur, l'autorité & Tinfpiration de ces deux Evangéliftes? Je n'en fcaisrien, il faut atten-  Les MIRACLES. 169 dre que les Pères m'ayent enfeigné la facon de fe tirer de ce mauvais pas ou de cette métamorphofé; 1'étoile a été changée en Ange & les Pafteurs en fages. Comment faire pour tirer un myftère de ces deux récits! Je compte encore examiner quelque jour les différentes hiftoires des corps des faints qui a la réfurrection du Sauveur font fortis de leurs tombeaux & fe font fait voir a plufieurs; en effet ces hiftoires font rappor r tées trop imparfaitement pour qu'on puifle y ajouter la moindre foi. Si les Evangéliftes euffent prétendu qu'un homme fenfé put croire de tels récits, ijs auroient du rapporter qui étoient ces faints, & quel en étoit le nombre; ils auroient dü nous dire fi ce fut aux Juifs convertis qu'ils fe font montrés; fi c'étoit quelques - uns des anciens Patriarches ou Prophètes, 011 quelques-uns des difciples de Jéfus-Chrift qui fe fuffent laiffé mourir pendant le cours du miniftère de leur maïtre, malgré le pouvoir qu'il avoit de guérir les maladies; fi parmi ces corps faints il y avoit des femmes; s'ils fe montrerent tout nuds tels que Jéfus quand il fe fit voir ainfi a la Magde^ jaine, le tout fans bleffcr la modeftie, a moins que nous ne fuppofions qu'il eüt voK 5  170 DISCOURS Sur lé les habits d'un jardinier ainfi que fa figure, ce qui avoic été caufe qu'elle 1'avoit méconnu & cru voir un jardinier. Les Evangéliftes devoimt encore nous apprendre ce que font devenus ces corps faints, s'üs font retournés dans leurs tombeaux, ou s'ils font montés tout droit au ciel. Faute de nous avoir inftritk fur ces circonftances & par d'autres raifons plus décifives encore, nous ne pouvons regarder ce qu'ils ont dit de ces diverfes réfurreclions que comme desfables abfolument defcituées de vraifemblance: ainfi, fi les Pères ne me fourniffent pas quelque explication myftique qui réponde d'une facon fatisfaifante a chacune de ces quefiions, je ne pourrai m'empêcher de dire que cette hiftoire eft une impofture groffière. Ce fera donc ces fortes de récits hiftoriques & miraculeux de 1'Evangile que j'examinerai dans 1'occafion: en effet je ne prétends pas quitter eet ouvrage que je n'aye démontré d'une manière inconteftable que les écrits évangéliques ne contiennent que fombre & Ia figure des myftères divins; & que les Interprètes du fens littéral qu'Origène (62) appelle des gens d'une capaciti (oV) Ut lex unibrdm continet futurorum bonorum, qua declarantur ah ea lege ; fic etiam Evangelium quod vel il quibusque vulgaribus intelUgi exiflimatur, urnbram docet tiiyfteriorum Chrijli, in pr^fat. ad Johan. F.vancel.  Les MIRACLES. i?r vulgaire font dans une erreur trés - groffière, s'iis s'imaginent entendre les quatre Evangéliftes, ou qu'ils n'y entendent rien de ce qu'ils devroient y entendre. Je pourrois bien ici, en ma qualité de Moderateur conclurece difcours par un compliment aux Incrédules & aux Apoftats qui font les combattants dans la querelle qui iublilte aujourd'hui; mais il ne me refte pas afTes de tems pour m'écendre autant qu il le faudroit dans les exhortations que je voudrois adreffer a chacun d'eux Tout ce que je puis faire c'eft de les prier de continuer la difpute commencée avec zèle & ayec vigueur, dans 1'efpérance que j'ai qu elle fe terminera a la gloire du divin Jéfus pour le bien de fon Eglife & pour le bonheur du genre-humain. Les bons eflets de cette difpute fe font déja fait fentir par la guérifon prefque totale d'une dangereufe maladie qu'on appelle Bigoterie ; maladie qui jufqu'a ce jour avoit infe&ée la fociete civile, & qui avoit caufé plus de calaimtés que la guerre & la pefte réunies. Continuez donc , Meffieurs, jufqu'a ce que la guérifon foit parfaite. Vous ne pouvez manquer d'obtenir les éloges & les récompenfes dues a vos différents travaux. J apprends que la haute & Ja moyenne no.blelfe font pénétrées de 1'utiJité de cette  17 DISCOURS Sur controverfe. H y a tout lieu d'efpérer que 1'autorité légiflative ne manquera pas de faire des remerciments a 1'Auteur des Fondements & a celui du Syfiême des Prophêties pour les mouvements qu'ils fe donnent dans cette affaire, & qu'elle n'oubliera pas de rendre a nos Eyêques & a tout le Clergé la juftice qui leur eft due. Je n'ajoute rien de plus fur cette matière, vu que je me trouve obligé de joindre a ce difcours un petit pofifcriptum en forme d'Epitre a M, Ray, Auteur d'un difcours qu'il appelle Jujlification des miracles de Jéfus-Chrift. „ Je commencois, M. a entrer fous la „ preffe, lorfque vous en fortiez;fans cette circonftance je vous aurois donné des „ marqués plus étendues de ma confidéra„ tion par une autre voye ; mais après y „ avoir bien réflechi, j'ai cru ne pouvoir „ faire une réponfe plus convenabie a vo„ tre difcours que par celui-ci même que „ je préfénté au public. Vous y trouve„ rez matière a un travail plus étendu fi „ vous n'etes pas déja trop fatigué de ce„ lui que vous venez de faire. Et pour „ vous mettre a portée d'écrire plus per„ tinemment contre ce difcours -ci qiie „ vous n'avez fait contre le premier, je 55 me crois obligé de vous donner quel-  Les MIRACLES. 173 „ ques avis. Si donc c'eft votre deffein „ d'écrire d'une manière convenable & „ utile, vous devez prouver ces deux af„ fertions. ,, 1. Que les Pères n'ont point regardé „ les miracles de Jéfus comme des emblê„ mes öc comme des figures. „ 2. Que les miracles de Jéfus-Chrift „ ne font pas fufceptibles d'une explica„ tion myftique & d'un accomplilfement „ plus merveilleux. „ Vous n'avez pas dit un mot fur aucun „ de ces deux points ; par conféquent, „ ce que vous avez écrit contre moi ne „ prouve rien du tout. Par exemple fur „ le miracle par lequel Jefus a chaffé les „ vendeurs du temple, vous auriez du „ prouver que les Pères ne regardent „ point ce miracle comme 1'embléme & „ la figure de la puiffance formidable dont „ Jéfus fe fervira pour chaffer un jour „ de fon Eglife les Evéques, les Prêtres „ & les Diacres qui font'un commerce „ fordide & infame de 1'Evangile. Vous ,, auriez du encore prouver que ce mi-„ racle ne doit jamais s'accomplir; c'ett •„ précifément ce que vous n'avez pas fait „ fait. Si donc vous vous trouvez ten,3 té d'écrire contre le préfent difcours,  174 DISCOURS Sur „ & en particulier contre 1'explication „ que j'ai donnée de la guérifon de la „ femme hémorroiiTe, vous devez vous „ efforcer de prouver que les Pères „ n'ont jamais regardé cette hiftoire com„ me emblématique, & qu'elle n'eft ab„ folument point fufceptible d'un accom„ phffement myftique ; fans cela vous „ ferez auffi bien de vous tenir en paix. „ Après tout il n'y a qu'a laiffer a vos „ lefteurs a juger fi vos raifonnements „ fur les miracles de Jéfus , font de ia „ même force que les miens. Ils recon„ nottront bientót que vous paffez par„ deffus les objections que j'ai faites „ contre la lettre de ces miracles, & „ que vous les évitez comme fi vous „ en fentiez comme bien d'autres ia dif„ ficulté. „ Quant a 1'accufation que vous m'in„ tentez faulfement en quelques endroits „ de votre difcours, d'avoir falfifié les 3» PaJFaSes des Pères,]-. me promets quel„ que jour de démafquer votre ignoran„ ce & votre malice. Mais je veux laif- • „ fer auparavant a M. 1'Evêque de Lon„ dres le tems de recoimoïtre publique„ ment votre difcours comme une pi^ce *, autentique & folide,ce qu'il peut fai-  Les MIRACLES. 175 »» re en changeant votre mauvais man„ teau contre une bonne robe de Curé, „ après laquelle on voit bien que vous „ courez. En effet les compliments que „ vous faites a ce Prélat découvrent af„ fes vos vues, & la raifon pour laquel»» le .V0L1s avez été fi réfervé fur le point „ qui regarde la Iiberté. Mais quel be„ foin aviez vous de publier dans le „ monde, que vous me regardiez com„ me un homme qui ne croit pas aux „ S. S. Ecritures? Vous n'auriez jamais „ ete capable par vous-même de faire une „ telle découverte fi la fage perfécution „ que notre Evèque a excitée contre moi, „ comme contre un Incrédule, ne vous „ eüt fourni cette idée. Pourquoi n'a„ vez-vous pas enveloppé les Pères dans „ la même accufation d'incrédulité? Un „ homme auffi clair-voyant que vous fur „ les fentimens intérieurs des autres, ne „ manqu-ra pas fans doute de conclure de „ mon difcours préfentque je fuis unathée „ décidé, mais que pourrois-je faire pour ma juftification ? „ Si vous écrivez encore je vous prie „ de vous hater, fans cependant précipiter „ rien ,_car fi vous ne vous preffez je vous „ avertis que vous ferez prévenu par un  Ï76 DISCOURS Sur „ nouveau difcours que j'efpère publier in„ ceffament, pour fauver 1'honneur de no„ tre divin Sauveur, a qui foit gloire dans tous les fiècles des fiècles. Amen. T. Wo o l s t o n. Fin du 2. Discours, TROI-  TROISIEME DISCOURS Sur Les MIRACLES d E JESUS-CHRIST. Adressé X L'Evêque de S. David. Litteratos gravijfimofomnofiertere convincam. S. HlERONYM. MONSEIGNEUR, DAns le Sermon que vous avez prononcé devant la Société pour la réforme, vous avez jugé a propos de qualifier les Difcours que j'ai publiés fur les Miracles de Jéfus-Chrift, d'une facon qui me déplaït. Je ne puis néanmoins me difpenfer de vous remereL-r de ce que vous avez bien voulu en faire mention; je fouhakois ardemment que quelque perfonage diftingué dans le Clergé, me fit eet honneur^ L  i78 DISCOURS Sur mais je ne me flattois pas de le recevoir d'un auffi grand Prélat que vous. Quelques membres du bas Clergé, pour lesquels j'ai un profond mépris, paree qu'ils font ignorants & méchants, m'avoient déja repréfenté dans la converfation, comme un impie, un blafphémateur & un Incrédule, ce qui m'a fait du tort; mais je n'aurois jamais attendu d'aucun d'eux, & encore moins de Votre Grandeur, qu'on eüt ofé me donner ces dénomminations odieufes dans des livres imprimés, & qu'on n'eüt pas craint d'avantage mon resfentiment. Vous me fuppofez un but que je ne me fuis point propofé, & cela feul me prouve que vous n'avez pas lü mes discours , & que vous vous êtes fié au rapport qui vous en a été fait par quelque Prêtre fanatique. Je me regarde donc comme un vrai Chrétien, uni dans la même foi avec les Pères; & je me flatte d'avoir compofé quelques traités, pour la défenfe du Chriftianisme, qui égalent & qui peut-être mê-  Les MIRACLES. l?9 me furpafient tout ce qu'on a écrit de nos jours fur cette importante matière. J'ai eu foin dans mon premier Difcours d'obvier a toutes les infinuations que des Prêtres ignorants & mal intentionés auroient pu faire a mon préjudice; j'ai protefté de la facon la plus folemnelle de la droiture de mes intentions; elles n'ont jamais été de favorifer 1'incrédulitè, mais de tracer aux hommes le vrai chemin pours'asfürer que Jéfus eft le vrai Meffie, c'eft-adire la voie des Prophêties. Toutes les proteftations que j'ai pü faire fur la droiture de mon cosur, ne font d'aucun poids auprés de Meffieurs du Clergé; je n'en fuis point furpris; vu que dans leur morale, dans leurs Sermons & dans leurs fignatures de profeffions de foi, ils font accoutumés a fe jouer & de Dieu & des hommes. ^ Je ne m'amuferai donc plus a protefter férieufement de la pureté de ma foi; j'attendrai^qu'il vous plaife de publier 1'apologie de 1'injurieufe & calomnieufeaccufadon que vous avez intentée contre moi, afin L 2  180 DISCOURS Sur de pouvoir connoitre jusqu'oü va votre adreffe & votre fagacité a découvrir des impiétés & des blafphêmes dans les écrits. Si votre injufte accufation n'eft bientöt fuivie & foutenue de quelques differtation plus raifonnable, je pourfuivrai la jufte réparation de 1'injure que vous avez faite a ma réputation, par votre fermon calomnieux. J'en appelle a la pieufe fociété pour la réforme; elle jugera fi ce que je demande n'eft pas équitable. Préfentement que j'ai en vous un adverfaire tel que je le fouhaite, & de la défaite duquel je dois recueillir le plus d'honneur, je ne lacherai pas aifément prife. Je vous pourfuivrai par écrit, & je vous obligerai d'entrer en lice contre moi. Mais, Monfeigneur , combattons a armes égales; n'ayez point recours a des fecours étrangers. Si vous n'êtes armé que de 1'épée ipirituelle je ne crains pas vos coups. J'avois congu une haute idéé de votre fcience, & j'en aurois redouté le pouvoir fi vous n'aviez vous-même montré dans  Les MIRACLES. i8£ votre fcrmon plus de foibleffe & d'ignorance que n'auroit pü faire un pauvre Curé de village, quand vous avez témérairement avancé que les Commentateurs Grecs s'étoient bien plus attachés au fens. littéral des Saintes Ecritures, que je n'ai dit. Ignorez-vous donc que Saint Théophile d'Antioche, Origène & bien d'autres ont été de grands allégoriftes, quoiqu'ils fuffent de 1'Eglife Grecque, & des Commentateurs auxquels il y en a peu d'autres qu'on puilfe comparer? Montrez-vous donc promptement dans le champ de 1'imprefflon; que fait-on? .peut-étre pourrez-vous m'empêcher. de continuer mes difcours; mais pour ne point vous charger d'un travail trop long & trop pénible, prenez feulement deux ou trois des miracles que j'ai traités pour en faire 1'objet de votre examen; je recevrai avec plaifir ce que vous publierez, & peut-être qu'il me paroïtra fufhTant: choififfez donc ceux qu'il vous plaira; je vous prie feulement de ne.point toucher a celui que Jéfus ' "L 3  Ï82 DISCOURS Sur a opéré en chafiant les vendeurs du temple: je crains que vous ne puifiïez point vous en tirer avec honneur. De tous les miracles que j'ai examinés: il n'en eft point que j'aye traité d'une facon plus plaifante & plus gaye que les deux dont il s'agit dans le discours préfent que j'ai 1'honneur de vous dédier. Si vous lejugez a propos, Monfeigneur, rendez courts & faciles les objets de ja tache que vous vous impoferez: fi vous réulTiifez a juftifier la lettre de l'hiftoire de ces deux miracles, je vous rendrai les armes & je vous abandonnerai tous les autres. Au refte je vous remercie , Monfeigneur, de la grace que vous m'avez fake en daignant faire attention a mes difcours fur les miracles; & je fouhaite que vous en fafliez un ufage qui vous foit avantageux. J'ai 1'honneur d'être &c. THOMAS WOOLSTON. li Londres le 26. Fevrier 1728.  TROIS IEME Discours Sur Les Miracles D E NOTRE SAUVEUR. JL/Accueil favorable que 1'on a fait a. mes deux premiers difcours, m'a encouragé a en publier un troifième. Je ne m'arrêterai point a faire un préambule; je vais entrer en matière, en priant feulement mes lecteurs de fe rapeller les trois points généraux que j'ai entrepris de traiter dès lecom: mencement de eet ouvrage. Quoique j'aie dit tout ce que j'ai cru fuffifant fur le premier de ces points, j'ai néanmoins plufieurs chofes a yajouter, qui font fondées fur la raifon & fur 1'autorité; mais comme je crois que le moment n'eft pas favorable, je réferve ce que j'ai encore a dire fur cette matière pour une meilleure occafion, & je reprends le fecond de mes deux points généraux, qui confifle a montrer que fhiftoire littêrale de la plupart des miracles de Jéfus-Chrift , de la maniére dont elle eft rapportée par les Evangéliftes, eftremplie de chofes abfurdes, imL 4  184 DISCOURS Sur probables & incroyables; que par-conféquent ils n ont jamais été opérés ni en tout ni en parae, de la manière dont on le croit de^nos jours: mais que cette hiftoire ne peut etre qu'une Parabole de ce qui doit etre opere un jour par lui d'une manière myftérieufe, beaucoup plus furprenante. C eft donc pour parvenir au but que je rne fuis propofe dans ce fecond point qüe Tar Vemn de fix miracles de Jefus-Chrift. C'eft a mes lefteurs a juger ft j ai reuifi ou non dans 1'entreprife que j avois faite, de démontrer que ces mirac es a les confidérer a la lettre, font remplis de chofes abfurdes, improbables & incroyables. Je vais examiner le miracle que fit Jéfus lor quil maudit (i) un figuier, paree qu'il n y trouvoit pas de fruit, dans un tems oü il ne devoit pas y en trouver. Sur le firnple expofe de ce miracle, on fe fent dispof e a prendre pour un trait de foli > d'ex travagance, pour ne pas dire même de mé- eftSS :°n' a6Hon de Jéfus fff elt elle qu il ne s'en trouvera pas une femohble dans la vie d aucun homme rai' lonnable. Les Péres comme Origène , S. MPJM MATTH1EÜ XXI' k 10. MARC. CiWP.  Les MIRACLES. 185 Auguftin, S. Jean de Jérufalem, ont écrit contre le fens littéral de cette hiftoire des chofes auffi vives qu'auroient pu en dire les Incrédules les plus clairvoyants. S. Auguftin (2) dit clairement que fi on pouvoit foupconner que Jéfus ait été capable de faire une telle action, il en eüt fait une très-déraifonnable. J'efpère donc que leur exemple me fervira d'excufe, fi j'employe dans la difcuffion de cette hiftoire un ftile moins grave qu'a mon ordinaire, & fi j'expofe au grand jour toute I'abfurdité de ce prodige, auffi bien que la crédulité ridicule de nos Docteurs modernes qui y ajoütent foi. Jefus avoit faim & ne trouvant pas de quoi fatisfaire fur le champ fon befoin de manger, il maudit le figuier. Pour quoi cette. impatience & cette mauvaife humeur? Qjiand il plaït a nos Prédicateurs, ils favent nous peindre Jéfus fi patiënt & fi réfigné dans fes peines, dans fes foufirances & dans les contre-tems qu'il rencontre! fi c'étoit vraiment fon caraétère, falloit-il qu'il s'emportat fi fort, paree qu'il n'avoit pas trouvé quelques figues pour appaifer fa faim ? Maudire ce figuier par cette raifon (2} Hoe faBum, nifi figuratum, fltiltum inyenitut. in. Serm. 77. I< 5  ï85 DIS COURS Sur étoit un acte de violence, & d'emoorternent auffi déraifonnable, que feroit celui d'un homme qui jetteroit fes meubles par la fenétre paree qu'il n'auroit pas trouvé fon dïner prêt au moment qu'il en auroit befoin ou a 1'heure qu'il auroit coutume de le manger. Mais, dira quelqu'un, il avoit faim, & il n'a pü réfifter a un premier mouvement de violence. Fort bien; en ce cas il devoit pourvoir a fon diner pour le tems apeu-près qu'il prévoyoit qu'il auroit befoin de manger. Oü étoit alors Judas fon intendant & fon mattre d'hotel, avec fon fac dargent & fes provifions de vivres? II falloit qu'il y eüt bien peu d'oeconomie dans 1'intendant & dans le maitre pour que celui-ci eüt fondé un déjeüner fur un figuier qu'il voyoit de loin. Quoi! paree qu'il fe voyoit privé d'un repas de figues fur lequel il avoit compté, falloit-il qu'il fe vengeat fur un arbre qui n'étoit pas la caufe (3) de fon défaut de prévoyance ? étoit - ce paree qu'il étoit obligé de fouffrir Ia faim plus longtems qu'il n'avoit coutume? C'eft ce que je ne fc-aurois croire: je ferois même faché f3) Nulki ept liirni mlpa, quia tigmuu fine feuCu non iabebat culpm. August, in Sekm. 80.  Les MIRACLES. ig? que ce fut pour cette raifon. Les Anges ne pouvoient-ils point lui apporter a manger, s'il fe trouvoit dans un lieu oü il ne pouvoit en avoir? D'ailleurs ne pouvoit-il pas créer du pain pour lui & pour toute fa fuite, de même qu'il avoit multiplié les cinq pains, pour des milliers de perfonnes qui 1'avoient fuivi dans le défert ? Quelle raifon avoit - il donc de s'emporter fi fort pour n'avoir pas trouvé de quoi manger? Puisqu'il ne tenoit qu'a lui de pourvoir fur le champ a la nourriture des autres, il auroit bien pü pourvoir a la fienne, au lieu d'être fi prompt & de fe laiffer emporter a une telle violence. Ce qu'il y a de plus facheux dans cette circonftance , c'eft que ce n'étoit pas la faifon des figues. Jéfus devoit le favoir avant que de s'approcher de 1'arbre: s'il eüt eu (4) de la raifon, il ne fe feroit pas attendu d'y trouver du fruit; s'il eüt eu quelqu'égard a fa réputation, il auroit eu la prudence de ne pas montrer fa mauvaife humeur, pour n'y en avoir pas trouvé. C'étoit au tems de Paque (5) que Jéfus al- (4) Quant poma; nefciebat tempus nondum eSTe ? Quod eulior arboris fciebat, Creator arboris nefciebat f August. in Serm. 8q. (5} Hoe ideó probamus, quia paffionis Domini dies pre* pinquabat, £f fcimut quo tempors pajfus fit. Ibjb.  188' DISCOURS Sur hit pour cueillir ces figues: un payfan de la province de Kent s'aviferoit - il dans le tems de Paque d'aller chercher des pommes fur les arbres de fon jardin? Si, faute d y en trouver il étoit affés fot pour fe mettre en colère contre fes arbres, & pour les couper,qu'eft-ce que fes voifins diroient de lui ? Le moins qu'ils pourroient lui faire, feroit de lui rire au nez & de le regarder comme un infenfé. Si une hiftoire femblable étoit mife dans la Gazette un tel homme deviendroit 1'objet de la rifée pub|!9ue- Je ne congois pas comment une aèhon fi extravagante de Jéfus, ne le perdit pas de réputation danslepays, & ne lm attira pas quelque raillerie de la part des Scribes & des Pharifiens; moi même je ne puis hre cette hiftoire de fang froid; & un de mes grands étonnements, c'eft que le peuple n'éclate pas de rire devant nos Pretres, & ne démonte leur gravité lorsqu ils lui racontent ce miracle en chaire, & quand ils le lui propofent comme un ob'jet d admiration. De plus je voudrois favoir a qui appartenoit ce figuier; de quel droit Jéfus y eh,]CLl^rl des fig«es, fuppofé que c'eüt ete la laifon d'y en trouver; enfin par quelle autorite il maudit ce pauvre arbre paree qu il n avoit pas alors dé fruit ? On ne peut  Les MIRACLES. 189 pas dire que ce figuier appartïnt a Jéfus en propriété, il ne poffedoit en propre ou a ferme, ni jardin, ni terre, ni pré, puis. qu'il eft dit de lui, qiiïl n'avoitpas même ■oü repofer fa tête. Tant que fon miniftère dura il erra 5a & la comme un mandiant, ou comme un Prédicateur ambulant. Avant que de commencer fon miniftère, il n'avoit point eu d'autre métier, que celui de compagnon charpentier (6). II eft donc évident qu'il ne poffedoit en propre ni maifon, ni terre, ni figuier; encore moins celui qu'il avoit appergu de loin & chemin faifant: quel droit auroit-il donc eu d'y cueillir des figues, quand même il y en eüt trouvé ? Nous devons fuppofer qu'il en avoit demandé la permiifion au propriétaire; fans cela les Incrédules lui jeprocheroient d'avoir voulu voler & de favoir fait quand il en trouvoit 1'occafion. S'il n'avoit aucun droit fur le fruit de eet arbre, il en avoit encore moins de le maudire pour favoir trouvé fans fruit: oü étoient fon honneur, fa probité, fa ju- (6) Je fuis bien furpris que 1'Eglife Romaine parmi tant de Reliques qu'elle expofe a la vénération de fes fefiateurs , ne donne point une place diftingiiée a quelque lö■livx' ou a quelque autre ouvrage de la facon du Chrift.  190 DISCOURS Sur ftice (7) & fa bonté en cette occafion? Si les Evangéliftes s'étoient propofé de nous faire croire que Jéfus n'avoit jamais feit de mal a perfonne, ils devoient nous dire quelque chofe de fatisfaifant fur cette circonftance de fa vie; a ce défaut les Incrédules qui trouvent ici de quoimordre fe croiront en droit d'avoir une très-mauvaife opimon de Jéfus, dont ils ne manqueront pas d exagérer la faute. II eft impofiible aujourd'hui de favoir fi Jelus a re?u quelque réprimande de la part au propnétaire de 1'arbre; celui qui Ie nieroit ne feroit pas mieux fondé que celui qui 1'aifureroit. Mais fi, de nos jours & dans notre pays , quelqu'un s'avifoit par depit ou par malice de faire périr un arbre qiu ne lui appartiendroit pas , il feroit bienheureux s'il échappoit a une correcfion. Que répondront nos Théologiens a tout ce que je viens de dire contre le fens littéral de cette hiftoire? Ils diront qu'en mau■diflant ce figuier Jefus a fait une action miraculeufe, c'eft-a-dire, au-deifus des forces de lart & de Ia nature; que foit qu au tems oü nous fommes elle nous pa- Loc?ulcuW" Cft J'"fti r'CCBia- jo,ian- ïüerosol. m  Les MIRACLES. I9r roiffe jufte ou injufte, raifonnable, ou déraifonnable, il n'en eft pas moins un miracle pour lequel il faut adorer Jéfus-Chrift. Je yeux bien leur accorder que cette acliori étoit en effet furnaturelk öc miraculeufe; mais ils conviendront avec moi, que fi Jéfus, comme dit (8) Saint Augu'tin, aulieu de maudire & de détruire eet arhre eüt, d'un figuier fee & mort, fait un figuier vivant, qui eüt fur le champ fleuri &_donné des fruits mürs, dans un tems qui n'eüt pas été la faifon des figues, ils auroient trouvé ce miracle beaucoup plus utile; qu'une telle preuve de fon pouvoir en auroit été en. même tems une de fa bonté ; en un mot qu'on n'auroit pas pü faire contre ce miracle aucune des objeclions auxquelles celui que nous examinons préfentement eft expofé. En effet un exemple fi frappant de fa puiffance infinie auroit évidemment démontré le maïtre de la création & de la production des fruits de la terre ; un ufage femblable de fon (8) Si mhacuhim fuerat tanthmmodo commendandum & non aiiqutd propheticè figurandum, multö ckm-nt.,. Do-minus s jua mfericerdia dignius fecerat, fi quam aridxm inyenent, vmdem redderet, peut languentes fanavit. Tune yen) è contrario, quafi udyerjus regulatn dementia fit* Mventt arborem virentem, prater tempus fru&us nondum nabentem , non tarnen fruitum agricola. negantem, & ariéam fectt. in Serm. 89. Sect. 3.  192 DISCOURS Sun pouvoir eut été une preuve fenfible de fes foms paternels & de fa providence uivmc yiu s etenaent lur tous Jes befoins & les néceffités de la vie, de même qu'un avertiffement de la confiance abfolue que nous devons avoir en lui dans tous les inftans de notre exiftence. Enfin, comme le dit S. Auguftin, il en auroit été de ce miracle comme de ceux qu'il faifoit pour la guérifon des malades , en rendant la fanté & la force a ceux qui étoient accablés d'infirmités; & il auroit fallu conclure nécelfairement des uns par les autres, qu'ils étoient tous 1'ouvrage d'un Dieu bienfaifant. Mais celui du figuier maudi fi injuftement affoiblit reelat & 1'autorité de tous les autres miracles de Jéfus, & nous fait douter s'il n'y avoit pas quelque venin caché & quelque mauvais deffein dans les preuves qu'il prétendoit donner de fa toute-puifiance. Ce fait reffemble fi fort a ceux qu'on attribué aux forciers, qui, fuivant les contes quon fait d'eux, fur le moindre mouvement d'envie, de haine & de venseance, jettent un fort fur les beftiaux deMeurs voifins, & les font mourir en langueur qu'il eft difficile de décider laquelle de ces actions eft la plus maligne. Si c'étoit Ma- homec  Les MIRACLES. 193 ..hornet & non pas Jéfus-Chrift qui fütl'Auteur de ce miracle, nos Théologiens auroient bientöt découvert Tartifice&le'pouvoir du Démon auquel il n'auroit fervi que d'inftrument pour exécuter fes extravagances & fes folies^ & ils nous auroient démontré que Mahomet n'étoit qu'un forcier, & que tous les Mahométans fans exception font des infenfés & des imbccilles de croire en lui. Nous fommes tous infiniment convaincus que Jéfus-Chrift qui eft la bonté même n'a dü refpirer que la douceur & la bienveillance; mais croire qu'il foit forti de fa bouche un foufle empefté qui, femblable a un vent de bife, ait détruit un arbre innocent qui ne lui appartenoit pas ; c'eft ce que nul homme fur la terre ne pourra lui pasfer. Plufieurs de nos Théologiens ont publié de favantes differtations fur les miracles, & ils nous ont donné des régies infaillibles pour diftinguer les faux d'avec les vrais -y mais je ne trouve pas qu'aucun d'eux ait pris la peine de nous faire voir 1'accord qu'il y a entre les miracles de Jéfus & les régies qu'ils nous ont données. M. Chandier, qui, au jugement de M. fArcho M  194 DISCOURS Sun vêque de Cantorbery (9), a Je pIus pa feitement etabh la notion d'un miracle* parmi les régies qu'il nous donne pour difcerner la nature & 1'autorité de celui qui les a opérés, dit (IO) qu'il feut que les chofes qu on pretend avoir été fakes foient telles, qu elles pui/Jent convenir a la perfection de Dieit, g» ne puiffent avoir été opérées que par l efficace de fa puiffance. II dit ailleurs, il faut qiCelles foient telles, qu'elles puijjent manifefier le caractère d'unDieu rempk de bonté £? de douceur. II ajoute dans un autre endroit encore: il femble que rien n ejtplus raifonnable que de croire que toutes les Jou que le premier g> le meilleur de tous les etres a la bonté d'envoyer un homme extraordinaire pour manifefter fa volonté, il doit rendre les preuves de fa miffion fi évidentes, & leur donner un caraStère de bonté li parfait que 1'on puijfe y découvrir fans peine non feulement la puiffance de celui qui l'envoye, mais encore fon amour pour le genre-hvmain, & fon pendant d lui faire du bien. J approuve fort ces notions fur les mincles, mais comme on ne fcauroit douter m/c'hIno-L:* lettre de l'akc»^q^ a PAC.I8iVlND'C"'I0'V °F TO« ClIR'»'UN REH0I05.  Les MIRACLES. 195 que M. Chandler ainfi que Monfeigneur 1'Archevéque, n'ayent eu préfent a 1'efprit en écrivant ce qui précède le miracle de la malédióïion du figuier, & quelques autres, comme les vendeurs chaffés du temple, les troupeaux de cochons noyés dans la mer, 1'eau changée en vin aux noces de Cana en faveur de gens qui avoient déja bien bü, (car il faut croire que d'habiles Théologiens ont toujours de la préfence d'efprit) je crois devoir m'attendre a voir eet Auteur ou Monfeigneur 1'Archevêque donner inceffament au public quelque diifertation pour faire cadrer ces miracles avec les régies qu'ils nous ont données. Ce n'eft pas encore tout; les Incrédules pourront bien douter qu'il fe foit fait un miracle dans cette occafion. Ils pourront demander fi cette deffication du figuier n'étoit pas plutöt 1'effet de quelque artifice humainquede la puiffance divine, ou,pour me fervir des paroles de M. Chandler (11) fi elle ne reffemble pas a de certains tours que favent faire les charlatans & les impofteurs? S. Mathieu dit que le figuier fe fécha fur le champ ce qui marqué un tems indéterminé, & peut furt bien s'en- fir) Ibid. M 2  196 DISCOURS Sur teridre d'un jour, d'une femaine auffi bien que de 1'inftant méme auquel il prononca ces paroles: que nul fruit ne croijfe jamais fur toi. Saint Mare dit que les Apótres en paffant le matin, virent le figuier fee jufque dans fes racines. Ce devoit être au moins le lendemain matin (12) du jour que la malédiction avoit été prononcée, deforte qu'a ce compte il y auroit eu a peuprès vingt quatre heures que 1'arbre s'étoit féché; & s'il eft dit quil étoit fee jufque dans les racines, cela ne vcut pas dire que le tronc de eet arbre eüt péri. On peut entendre par la que les feuilles de 1'arbre, & chacune de fes parties avoient fair Hétri. Or tout cela pouvoit arriver fans miracle. Les Juifs & les Incrédules pour- • ront dire que Jéfus dans la vue d'en impofer a fes difciples , & a ceux qui le fuivoient, avoit pris fon tems pour venir furtivement faire périr les racines de eet arbre ou y faire quelques incifions peu fenfibles aux yeux; ce qui avoit pu fietrir fes feuilles dans 1'efpace d'une nuit ou d'un jour. A Dieu ne plaife que j'aye une telle penfée de Jéfus - Chrift; cependant perfonne ne doute qu'un fourbe ou un C12) fh!0l! ftptaxi viderint txeruife ficum. Thlo- PHUACT. IN-LOC. MARC!. .  Les MIRACLES. 19? impofteur n'eüt été fort capable d'un pareil tour. Je fuis fi éioigné de croire qu'il y ait eu une femblable fourberie dans ce prétendu miracle de Jéfus - Chrift , que je fuis au contraire trés-convaincu que ce miracle ne s'eft jamais opéré. J'en trouve une preuve évidente, non feulement dans le textc de l'hiftoire même, mais encore dans les S. S. Pères. S. Ambroife en parlant de la parabole du figuier rapportée dans faint Luc (13) veut faire entendre que ce que Saint Matthieu & Saint Mare racontent du figuier maudi, n'eft qu'une (14) partie de la même parabole. S. Jean de Jérufalem (15) dit d'une manière trés - expreffe que les trois Evangéliftes ne parient que d'un feul & même figuier, & que par-conféquent ce qu'ils en ont dit n'a été qu'une feule & même parabole; & que cequi eft rapporté dans S. Matthieu & S. Mare n'étoit (13) Cap. 13. Verset Ci. et Suiv. O 4) Quid fibi ruls quod in Erangelio fito Domhuis fici tarabolam frequenter inducit: habes enim alibi, quod juf tl Vomini viridhas omrits hujujt ligni frofidentis aruerie. m Loc. Luc. C 15 ) p'ideamus tib't alibi fcriptum de ifia ficu; in Evatlgetio fecundum Luoam legimus, &c. in Loc. Marci Ho» jull. 12. M 3  198 DISCOURS Sur. pas plus arrivé que ce qui en eft dit dans la parabole dont parle S. Luc. Nous avons 1'obligation a ces S. S. Pères de nous avoir ainfi difpenfé de donner une foi aveugle & ridicule a cette hiftoire, qui nous auroit plongé dans un embarras étrange, vü les abfurdités fans nombre qu'elle renferme. Je demande fi en croyant comme eux que ce qui eft rapporté par les Evangéliftes. fur ce figuier n'eft qu'une feule & même parabole; il ne feroit pas plus raifonnable de regarder ce qu'ils difent de la femme hémorroïffe, des poffédés délivrés du Démon , comme faifant de même partie de Ia même hiftoire , ou de la même parabole; & s'il y auroit une néceffité abfolue de les croire, par la feule raifon que ces hiftoires font rapportées par les Evangéliftes ? En effet Origène nous prévient qu'il y a des chofes rapportées par ces faints hommes comme des faits arrivés, encore qu'il n'en foit rien. Nous favons que notre Sauveur a toujours parlé en paraboles & d'un ftile prophétique: or ce fut toujours 1'ufage .des Prophëtes de parler des chofes futures comme fi elles étoient arrivées. Voila pourquoi il eft impoffible d'entendre les Prophêties avant  Les MIRACLES. 199 qu'elles ayent été accomplies; ce fera pour lorfqu'on découvrira la raifon pourquoi le tems palfé y eft employé pour le tems futur. Mais ce qui me paroit une démonftration complette qu'il n'y a rien de vrai dans la lettre de cette' hiftoire, c'effc que Jéfus dit enfuite a fes difciples, quï femblent étonnés de voir le figuier fécher tout d'un coup, que s'ils avoient la foi , (16) il feroient, non feulement ce qu'il a fait au figuier; mais encore que s'ils difoient a une montagne retire toi d'ici, é? vas te jetter dans la mer, auflitöt elle le feroit. ■ Or c'eft ce qu'ils n'ont jamais exécuté a la lettre: donc Jéfus n'a jamais maudit le figuier, a le prendre a la lettre; ou bien il faudroit fuppofer que fes difciples n'ont jamais eu de foi, ou que les promeffes que leur faifoit Jéfus, de leur donner un pouvoir qu'il ne leur a pas donné, étoient des paroles vaines & oifeufes: ce qui feroit abfurde. Pour reconnoitre les dangereufes conféquences que de telles fuppofitions auroient pour la religion, il n'y a qu'a écouter 1'ancienne objection contre (17) Pafchafe C16) Voy. Matthieu Cap. 21. Verset 21. O 7) Qtianquam igitur juxtèi litteram hac fabta non ligcntur al/ /Jpoftolis, ftcut quidam Paganorum calumniati M 4  2oo DISCOURS Sur Raabert; je n'ai pas envie de ]a faire revivre; je dirai feulement aujourd'hui ouc s'il etoit vrai que Jefus eüt maudit le figuier Jl eut fallu ne'cdfairement que fes difciples en euffent fait autant, & qu'ils euffent de plus déraciné des montagnes pour les preeiprter dans la Mer: & que fi nous fiuvons le fens littéral dans une partie, il faut encore Ie fuivre dans 1'autre Quand on a recours au fens myftique il n y a nul meonvénient d'admettre 1'hiftoire dans toute fon étendue ; fans quoi il faudroit dire avec S. Auguftin (18 ) que Jefus a prononcé en cette occafion des naroles óc des promefies vaines & dépourvues de lens. • S. Auguftin qui ne croit pas plus que moi au fens littéral de cette hiftoire dit que toutes les paroles de Jéfus font plèines defigures & qu'elles renferment un fens Jpirituel. L'action de maudire Ie fieuier en fourmt une telle preuve (i9) qH'| n>y viyiiis txtorqucant. i7iL J /e tcrJ'fdeanc, tmo ab  Les MIRACLES. 2oï a point d'hommes raifonnables qui ne foient obligés de s'y rendre; il s'eft pourtant trompé ; car, quoique de fon tems il ne fe foit trouvé perfonne d'affés déraifónnable pour penfer que cette prétendue action de JéfusChrift n'eüt pas un fens myftique, s'il eüt vécu de nos jours , il auroit trouvé des Théologiens qui, malgré toutes les abfurdités que j'ai rapportées, malgré la néceffité oü elles nous jettent d'avoir recours a 1'allégorie, perfiftent encore a s'attacher a la lettre feule, quelqu'incroyable qu'elle foit, ou quelque impoflibilité qu'il y ait de la défendre raifonnablement. II faut dire encore pour rendre juftice a S. Auguftin , qu'il auroit rencontré quelques Doóteurs qui ont été forcés de recourir a 1'allégorie pour expliquer ce miracle; tels que le Docteur Hammond & Witby, qui difent que la malédiction que Jéfus a lancée contre ce figuier étoit la figure de la réprobation de 1'Eglife des Juifs & de la deftruction de leur état qui alloit en déclinant, & qui penchoit vers fa ruine, de même que ce figuier s'étoit fiétri. Mais pourquoi ces Commentateurs n'expliquent-ils pas allégoriquement les autres miracles de Jéfus? C'eft qu'ils s'imaginent qu'on peut en défendre le fens littéral, fans avoir recours q M 5  202 DISCOURS Sur 1'allégorie. Mais pourquoi allégorifent-ils tes & ks difficultés qu'il préfente interprete a Ja lettre, font veritablement'infolu- rlun» J°-r que cette raifon-]a fut lolide il faudroit que les Evangéliftes euffent fait une diftincïion entre Fs Zje & quils nous euffent défignés ceux qu'1 faut entendre a la lettre, cl ceux qu'il faut entenare d une facon myftique. Or puif. quils nont pas pris cette précaution, il faut que nous expliquions allégoriquement tous les miracles fans exception, ou que nous n en interprétions aucunsde cette manière Mais comment eft-il venu dans 1'efpnt de ces allégoriftes modernes de donner au miracle dont il s'agit 1'interprétation allégorique qu ils lui donnent? Ont-ils puife cette idéé dans le texte ou chez Je Peres? II ya toute apparence qu'ils 1'ont empruntce des Peres. Pourquoi donc ne citent-ils pas leurs garants ? Car ni les uns mies autres ne les ont cités: c'eft qu'ils ont voulu, en gens habiles, fe donner la gloire d en etre les inventeurs. D'ailleurs sils avoient cité Jes Pères fur ce miracle, les Peres les auroient forcés de fuivre leur manière d'allégorifer les autres miracles de Jefus, ce qui n'eut pas fait leur compte  Les MIRACLES. 203 pour une infinité de bonnes raifons. II n'y a donc pas lieu de favoir gré a ces Commentateurs de f explication allégorique qu'ils nous ont donnée de ce miracle. II faut ou qu'ils 1'abandonnent ou qu'ils 1'admettent pour tous les autres; c'eft ce qu'ils ne feront jamais, ils fentent bien que cela blelTeroit leur honneur & nuiroit a leurs intéréts. Ils n'ont donc qu'a revenir au fens littéral de ce miracle, & aulieu de lui chercher un fens myftique, ils n'ont qu'a dire avec Viélor d'Antioche, Auteur apoftolique du cinquième fiècle (20) „ que „ lorfque nous lifons Ce paffage de 1'Ecri„ ture fur le figuier qui a été maudit par „ Jéfus nous ne devons pas avoir la curio,, fité ■ d'examiner fi fa conduite en cette „ occafion a été équitable & fage, ou non ; „ que nous n'avons d'autre parti a pren„ dre que de méditer & admirer ce mira„ cle, auffi bien que celui par lequel Jé„ fus fit noyer un troupeau de'cochons, „ quoi qu'ils paroiffent 1'un & 1'autre con„ traires a 1'équité naturelle. II n'y a point „ a balancer, il faut que nos Théologiens (20 3 Porrd quandó in hunc locum incidimus, ncmo cw riofè inquhat, aut anxiè difiputet jujiène an f ccüs faBv.rn fit ; fed miraculum editum contempletur & admirecur. Nam de fubmerfis porcis quoque nonnulli hanc quaflionem moverant faStamquc juftitits colore dejiitutum pradicare, yeriti non funt.^ln Loc. Marci.  204 DISCOURS Snit racies de Jefus, ou qu'ils s'en tiennent a ce fenument de Victor. D'un autre cö e s'ils eri^ repos notre fiécle 1* laiffent fiftï/UpP°rant.donrcque «osDofteurs per- être es defenfeurs du fens littéral, je paffe a 1 examen du fentiment des Pères, pour voir fi nous tirerons d'eux 1'explication de esTro^nf ?#Uier- CeP^dantcesPé! res paroiiTent netre pas bien d'accord fur ce iujet, m fur ce qui eft figuré par ce fif !;,°11' P°ur P* Plus proprement, maini/l firand' dlfent 9^ Je genre-humain eft figure par ce figuier. D'autres comme Saint Hilaire (22f difent que S I Eglife & fétat des Juifs dont il eft fembleme. Ongene (23) & p3ufieurs difent que c'eft 1'Eglife de Jéfus-ClS. nfao^Sf. ati0r fia> 'Vtemnam naturam Jefignetl Loc/Lr jf':' SynèS°S  212 DISCOURS Suk commune, que g'a été vers le tems de la Pd* que des Juifs que Jéfus mnt au figuier. Si 1'on n'eft pas content de ma folution je dirai avec Heinfius (33) qu'il faut laiffer ce noeud a délier a Elie, lequel fuivant les anciens Juifs doit amaffer les fruits d'un figuier myftique, & les préfenter (34) au goüt intelleétuel du genre-humain. Je vais toutefois prouver que ma folution n'eft pas fans fondement. Jéfus ne trouvant que des feuilles fur eet arbre, dit, dans St. Matthieu, KdfTics ytvtireti tts tav ctiuva, que dorenavant aucun fruit ne croijfe fur toi: paffage qui, auffi bien que celui de St. Mare qui y répond, eft felon moi, mal traduit. II auroit dü 1 etre ainfi : Jusqud préfent dans la faifon, aucun fruit n'a cru fur toi. Dans quel tems Jéfus eft - il venu a ce figuier ? c'a été le matin. Quel jour? C'eft ce que la lettre ne nous apprend pas. Mais a en juger par 1'étendue des trois années myftiques, foit que nous regardions ce figuier comme 1'emblême du genre-humain, ou de 1'Eglife, ce doit étre le matin du grand jour du Sabath, lorsque 1'Eglifeinfru&ueufe (33) M quem Qocütn) thtelUgeadum, ut oporlct, expectandum efe advetitum Elite , 'ut nmmunquam lóqauntur veteres detocis obfcurifllmix in Exercit Sac. Lie. 2. C.u>. 6. (34) Fruclus dulces omne genus de arbure vttet comeden- \ durn prabebit £!i«f. Apuö Buxtorf. Sïnag, Pag. ni.  Les MIRACLES. 213 & remplie d'erreurs fe flétrira & fe féchera tout d'un coup, a 1'approche de la lumière de Jéfus-Chrift. Dans cette matinée, les difciples, comme dit (35) Origène, verront fa défolation avec les yeux de l'efprit, cjf ils feront remplis d' admiration. Ce fera pour lors qu'ils feront eux-mêmes fous JéfusChrift, ce qui a été fait au figuier de 1'Eglife: ils ■ enleveront les montagnes de la puiffance de 1'Ante-Chrift, qui fe font toujours elevées contre Jéfus; eelt ainfi que les Pères 1'expliquent. Qu'eft - ce qu'on veut nous défigner par les moyens de rendre le figuier fertile, rapportés dans St. Luc? St. Grégoire les explique en ces termes: il faut le laiffer encore cette année, je le découvrirai, j'y mettrai du fumier, afin qu'il porte du fruit. Cela veut dire qu'il faut fouiller (36) dans la lettre des Ecritures; apporter du fumier au pied (37) de ce figuier de 1'Eglife, c'eft lui remettre devant les yeux fes péchés & fes erreurs du tems paffe; ce qui la rendra capable de porter de bóns fruits. (35) Oculis fpirttaUbtts ridcrunt mifterium fici ftccata. in Matt. Tract. 16. Caö) Efodientes litteram Icgis. Cyril. Glapiiyr. Lib. i. Qi7) Mittitttr ergo cophinus Jiercoris ad radkan arboris , quando pravitath J'ua confeient a tangitur memoria cogitanouit. üregor. Mag. in Homil. 31. N 3  £14 DISCOURS Sur C'eft ainfi qu'il faut alle'gorifer le refie de la parabole du figuier felon les S S Pères St. Grégoire (38) le Grand & Saint Auguitin difent que, comme cette hiftoire du figuier, avec celle de la femme courbée fous un efprit d mfirmité font rapportées enfemble par Saint Luc, elles font les figures du meme myilere ; que les dix-huit ans de la maladie de cette femme, & les trois annees d mfrucluofité du figuier, ont un rapport myfterieux de tems; que ces deux etats figmfient la même chofe, favoir : que la guérifon qui a redreffée cette femme le jour du Sabath, & 1'année fixée pour rendre ce figuier fruêtueux doivent fe confommer le meme jour. Je fupplie le lecteur de confidérer combien les Pères font d'acrabole maniére d'interpréter cette pa- Avant que d'abandonner le figuier ie ne puis m empêcher d'adorer la Providence divme qui a permis que tout le merveilleux de ce pretendu miracle ne fQt fondé que iur ce quun arbre eft devenu fee. Sile roeit de ce miracle eüt été fenfé & bien iuivi, & que 1'on y eüt vü un arbre flétri mort> <3U1 tout d'un coup fe feroit rani-  Les MIRACLES. 215 mé, & qui fur le champ eüt produit des feuilles & des fruits, une telle oeuvre eüt été fi évidemment miraculeufe & furnaturelle, & en même tems fi agréable a nos Doéïeurs modernes, & fi conforme aux notions extravagantes qu'ils fe font faites de ce miracle; qu'elle auroit a jamais attaché 1'efprit des hommes au fens littéral, au point qu'il eüt été impoffble de 1'élever a la contemplation des myftères; & nos Théologiens nous auroient fi fouvent entretenus de 1'exeellence & de la grandeur de ce miracle qu'ils en feroient devenus infupportables; mais comme les Evangéliftes ont entièrement fupprimé tout ce qui pouvoit donner 1'idée du rétablisfement de eet arbre, en un état fruétifiant; comme cette hiftoire eft exoofée a toutes les difficultés que j'ai rapportées, nous fommes abfolument forcés d'avoir recours a 1'allégorie, pour y trouver du bon fens & de la vérité. Ce que j'ai dit fur ce miracle du figuier defféché, fuffit, ce me femble, pour démontrer que cette hiftoire eft abftirde a la prendre a la lettre; mais que foperation myftique dont elle eft 1'embleme fera pleine de merveille & digne admiration. Te paffe maintenant au huitième miraN 4  DISCOURS Sur de de Jéfus, qui eft la guérifon (39) d un homme malade depuis trente huk ans & qui étoit a f entree d'une Pifcine, qui avoit cinq portiques remplis d'une multitude de malades, d'aveugles, deboiteux, & de gens dont les membres étoient defféchés & qui tous attendoient la defcente del'Ange qui venoit en une certaine (40) faifon troubler 1'eau de la pifcine, & lui donnoit une vertu propre a guérir le premier qui pouvoit s'y jetter quelque füt la nature de fon mal. Cette hiftoire eft monflrueufe, elle n'eft qu'un amas d'abfurdités & de chofes incroyables, que nos Docfeurs & leurs difciples des derniers fiècles ont admifes aveuglement, pendant qu'ils fe font amufés a diiputer fur des riens, & fe font arrêtés a des bagatelles qui ne font de nulle confé- quence pour 1'Eglife. Quant au prétendu miracle de Jéfus, il faudroit que nous euffions une defcription exacte de la maladie de eet homme, pour GsO Jean Chap. 5, vs. 5. et Suiv. (40) Cette circo/iftattce, ö> que ce n'étoit mie le bremier %[ n r7cTelS """^ *"P"* Ums *°ur fai" Zu, 7,Z ï ' ? 1u'eeJul I"1 f'y ettoit le premier étoit PrZ , "r"" ?alade' & U moins *gne*une guéri. ri te "7e "f' F0" ? efl diiï,cih ds tonner fur ces vont dl ;'°feS d°nt '" les cauf£S ni les circonjijnces ne vAsET 4 1 CmmeS' LS CLERC IN J0HAN- Cap- 5-  Les MIRACLES. 217 juger fi fa guérifon a été vraiment miracuJeufe. Tout ce qu'on peut raifonnablement conjeéturer de f état de eet homme, c'eft qu'il y avoit plus de lacheté & de pareffe dans fon fait, que de vraie maladie; que Jéfus lui en avoit fait le reproche, & lui avoit dit d'emporter fon lit, de s'en aller, & de ne pas refter ainfi. a faire le malade parmi les autres infirmes qui étoient vraiment des objets de compaffion: ou que fi eet homme ne feignoit pas une maladie, il n'étoit tout au plus que malade imaginaire, auquel cas Jéfus lui auroit ranimé le courage par quelque difcours confolant, de manière qu'ayant guéri fon imagination dérangée,. il 1'avoit vraiment guéri & lui avoit ordonné de s'en aller. Voila toute 1'étendue qu'on peut raifonnablement donner a la maladie de eet homme, & au miracle de fa guérifon; je vais le démontrer. Quant a 1'autre partie de cette hiftoire, je veux dire la vertu curative qui réfidoic dans 1'eau de la pifcine lorsque 1'Ange étoit defcendu pour la troubler, non feulement il n'y a rien dans tout ce qui nous refte de 1'antiquité qui en faffe (41) men tion; mais (41) Voyez Ia Note de Leclerc fur eet endroit, & remarquez qu'il fe fert d'une mauvaife raifon pour ddtruire la preuve qu'on tirc avec affés de fondement contre la vérité de ce fait, du fik-nee de Jofeph 6c des Rabbins, N 5  *i8 DISCOURS Sur elle eft abfolument contraire au bon fens & a la raifon, comme nous le verrons dans la iuite. Saint Jean étoit le difciple bien -aimé de Jelus, & nous devons croire qu'il aimoit Ion maitre, fans quoi il auroit été pire que lesPayens, qui, du moins, aiment ceux qui leur montrent de l'affeftion; mais cette iable ainfi qUe plufieurs autres qui lui font paracuheres, telle que celle de Jéfus difant la bonne - avanture a la Samaritaine, celle de la guérifon de 1'aveugle né avec de la fahve & de la boue, celle de J'eau changee en vin , pour des gens qui n avoient déja que trop bü, celle du Lazare reffufcite &c. font de nature a nous faire croire qu'il a cherché a noircir fon maitre & a le rendre ridicule, ou a éprouyer jufqu a quel point il étoit poftible d'en ïmpofer a la crédulité des gens qui captivent aveuglément leur entendement fous lobenTance de la foi: fans cela il n'auroit jamau rapporté des contes ridicules, que les Pretres , qui doivent être la partie la plus mftruite & k plus fage du genre-humam, auroient rejettés avec indignation & avec mépris, s'ils n'étoient pas fi richement payes pour les faire croire au peuple Saint Jean a écrit longtems aprés les autres Evangéliftes: quel devoit être fon  Les MIRACLES. ai9 principa] foin? celui de recueillir quelques traits confidérables & remarquables de la vie de fon maïtre, honorables a fa mémoire, qui auroient été omis par les autres& de confirmer fur le refte la vérité de leurs récits. Bien loin d'avoir pris ce parti il a rapporté des faits dont les autres Evangehites n'ont point parlé, & qui non feulement font peu d'honneur a Jéfus-Chrift mus encore qui détruifent la réputation de faifeur de miracles, que les autres hiftoriens de fa vie s'étoient efforcés de lui donner. En lifant ce que ceux-ci ont ecrit, on eft tout difpofé a croire que Jelus guériffoit toutes fortes de maladies quelque incurables qu'elles fulfent a Part ou a la nature; que partout oü il arrivoit, tous les malades & les mutilés a 1'exception de ceux qui n'avoient po'int de foi, recevoient leur parfaite guérifon de fa mam: mais l'hiftoire que nous examinons fournit une efpèce de démonftration que Jéfus n'étoit ni un faifeur de miracles m un guériffeur de malades, comme on 1'a cru communément; qu'il s'en faut bien qu'il ait opéré le grand nombre de guérifons qu'on lui attribué, & qu'il en ait méme opéré de confidérables. _ L'idée la plus favorable qu'un lecteur judicieux puilfe prendre de Jéfus dans  220 DISCOURS Sur lfjtlnfe,n'e{l 9U>il a été m bon orate r qu ü avoit un cceur compatiifian & qui etoit capable de parler au peuple avec eioquence; qu'il f£foit d etre un habile cabalifte; fcience ani™. conftituoit k philofophie a ïa Ide de" ie talent de s expnmer avec facilité le regardoient comme divin, & .Winden? quil devoit avoir auffi celui deS gS Jes malades ; que dans cette perfuafi?n s avoient exigé de lui el fi Epé nence & qu'il s>y exercat; & nJ com. ,n,e 11 avoit , réuffi a guérk 1'imagLtion de quebues-uns, üs en" avoient faft grand brmt & avoient attribué ces fuccès £ 1 efficace du pouvoir divin dont il étoTt revctu , & que depuis ce tems-Ja les Apótres pour ahmenter la créduiité & ferreur du f!ü& aVOient ch^h< * rendrefamémoirc celebre par une infinité d'hiftoires er travagantes & de miracles ino^SfiS tous ceux qui font ufage de leurlaifon.P re aue T ^ 3 J'USer> Par ï™oi■I ai fui le fens httéral de 1'Evangile eft vraie mLeie dê ïJe rrePrends d°nc Ie prëtendu mht & J? &P°»rcn faire fa- robtv%Tmmer chacunc de fes pa«ies>  Les MIRACLES. 221 i°. Que ce récit de la pifcine, confidéré indépendamment de la guérifon qui y fut opérée par Jéfus, n'eft fondé fur aucune hiftoire, & ne peut étre en tout ni en partie 1'objet de la foi d'un homme raifonnable. Saint Jean eft le feul qui rapporté ce fait, óc quoique fon témoignage put être d'un plus grand poids en ce qui regarde les paroles & les aófions de Jéfus, dont il étoit le difciple bien-aimé; cependant en tout ce qui eft étranger a la vie de Jéfus-Chrift, & qui n'y a pas un rapport immédiat, il ne doit pas être préférable a celui d'un hiftorien ordinaire : & lorsqu'il lui plait d'en impofer a fes lecfèurs , & de leur raconter des fables dont toutes les circonftances font abfolument dépourvues de vraifemblance, il eft für qu'on peut fort bien révoquer en doute fon autorité, & examiner par les régies de la critique fi ce qu'il dit mérite d'être cru ou rejetté. S'il y avoit quelque chofe de vrai dans le fait en queftion, il ne feroit pas poffibleque quelque autre Hiftorien Juif n'eüt fait mention d'un exemple auffi rare & auffi furprenant du foin & de 1'affection particuliere de eet Ange pour les malades de Jérufalem. Or c'eft ce qui ne fe trouve rapporté nulle part; fan? cela nos Commentateurs n'auroient pas manqué  s22 DISCOURS Sur de nous y renvoyer, comme a une preuve ïnconteftable de la vérité de ce miracle de PEvangile. Jofeph qui a écrit expres 1'hiItoire de la nation juive , qui n'a omis aucune des circonftances qui pouvoient faire honneur a fa patrie, qui a publié avec tout 1 eclat pofïible toutes les marqués de foin & de diftinction que Dieu a données a fa nation, qui nous donne les converfarions qu ont eu les Anges avec les Patriarches & les Prophëtes; qui a rapporté des traditions non ecntes lors qu'il a cru qu'elles méritoient d'être transmifes a la poftérité Jofeph, dis-je, ne fait nulle men tion de ce miracle continuel. Comment auroit - il pU lui arnver, a lui & aux autres Ecrivains Juifs d oubher fhiftoire de cette pifcine de Bethfaïda? II y auroit autant de vraifemblance ou plutöt d'abfurdité a fuppofer qu un Phyficien qui feroit exprès l'hiftoire naturelle de la Province de Sommerfet omettroit de parler des Eaux Médécinales de Bath, qu'il y en auroit a foutenir que Jofeph eüt omis l'hiftoire de cette pifcine merveiheufe qui, fi elle eüt exifté, auroit ete une preuve fenfible & démonflrative du ioin particulier que Dieu prenoit d-- fon * peuple choifi, auquel il envoyoit ainfi un Ange pour le foulagement' de fes malades. Le temoignage de Saint Jean feroit-il feul fuf-  Les MIRACLES. 223 fifant pour nous faire croire une telle fable? On dira peut - être qu'il fe trouve des évènemens prodigieux, tant phyfiques que moraux auxquels on ajoute foi quoiqu'ils n'ayent été rapportés que par un feul auteur, & qu'ainfi 1'on ne peut refufer a Saint Jean la même foi qu'a tout autre hiftorien. J'en conviens; & quoiqu'il ne fut presque pas poffible qu'un fait fi remarquable, s'il eüt été bien vrai, eut été omis par les Ecrivains contemporains ; néanmoins le témoignage de Saint Jean aura plus de poids que celui d'un autre pourvü que les chofes qu'il rapportera foient croyables & bien circonftanciées; mais lorsqu'elles font rapportées d'une manière obfcure & imparfaite? avec des circonftances ridicules & invraifemblables, il faut abfolument les rejetter. 2°. Je demande en fecond lieu quelle étoit la raifon pour laquelle 1'Ange defcendoit dans cette pifcine? Etoit-ce pour fe laver & fe baigner lui-même, ou étoit-ce feulement pour donner a 1'eau une vertu curative en faveur d'un feul malade? La première de ces deux queftions eft fondée fur ce que quelques anciennes leg ons du verfet quatrieme (42) difent que 1'Ange (42) Joan. vs. 4. Vid. Milu. Noy. Test. in Loc.  224 DISCOURS i> uit étoit lavé, iXwëo, ce qui fuppofe quelque impureté corporelle, ou une chaleur contiactée dans le Ciel , dont il avoit befoin de fe purifier , ou de rafraichir dans ces Eaux. II eft inutile de prouver combien cela feroit abfurde. II ne pouvoit y avoir que le feul deffein de donner a ces eaux une vertu qui la rendït propre a la guérifon de quelque malade, qui ait pu exciter la compaffion de 1'Ange & f engager a y defcendre. A Dieu ne plaife que je veuille examiner philofophiquement comment il étoit poffible que la préfence corporelle d'un Ange donnat une telle vertu a ces eaux. Nos Théologiens diront que c'étoit un effet miraculeux de la Providence: j'y confens; mai§ il me femble qu'on pourroit demander pourquoi il n'y avoit qu'une feule perfonne a la fois qui püt être guérie, & pourquoi ces pauvres malades n'y trouvoient pas tous leur guérifon en même tems ? J'aurois bien une excellente réponfe a faire a ces lCet mme infirmc n'a "en de furna- On ignore quelle étoit la maladie de eet homme, qui eft défignée fous le nom d'inhnmte qui convient en général a toutes lortes de maladies. Comment donc pournons nous dire qu'il ait été guéri miraculcuiement fans avoir de certitude que fa mé* nfon ait eté au-defllis du pouvoir de Part  240 DISCOURS Sur ee quil n'y a pas moyen d'affirmer? tout ce que nous favons de plus facheux de h maladie de eet homme, c'eft qu'il y avoit longtems qu'il étoit affligé; cependant f Evêque de Lichtheid & nos autres Doéleurs avancent dans leurs difcours fleuris que ces maladies chroniques ne fe pouvoient guérir fans miracle: fur quel fondement 1'avancent-ils ? on leur fourniroit aifément un . grand nombre d'exemples d'infirmités qui, apres avoir duré trés - longtems ont enfin difparu d'elles-mêmes, & fur-tout en vieilïuTant. ; Si ces guérifons ne fe préfentent pas a la mémoire de ces Meffieurs, je puis leur en citer un trés-grand nombre. Or, qui eft-ce qui fait fi ce n'étoit pas Ja le cas de eet infirme, dont Jéfus voyant la maladie fur fon déclin , fe hazarda de lui ordonner de s'en aller & d'emporter fon lit? II eft vrai que les Pères nomment paralyfie^la maladie de eet homme: il eft vrai que c'eft une maladie qui va plutöt en augmentant, qu'en diminuant par la duree, & qu'au bout de trente huit ans elle devoit être bien facheufe & ne pouvoit etre guérie que par un grand miracle. Mais pourquoi nomment-ils cette infirmi- té  Les MIRACLES. 241 té Paralyfie? Ils ne font fondés fur aucune autorité du texte, & a fon défaut je ne puis pas plus foufcrire a leur opinion que nos Docteurs du fens littéral n'y foufcrivent en d'autres occafions. En un mot ils n'auroient jamais donné le nom de Paralyfie a 1'infirmité de eet homme, fi ce n'eüt été pour y adapter une explication myftique. Mais je ne fuis pas plus obligé de convenir que ce füt une parahp®'i ,que de fuppofer que ce füt une débilité de jambes; vü que ce feroit vouloir faire honneur d'un miracle a Jéfus , fans raifon & même contre 1'autorité du texte. Si Jéfus avoit guéri toute la multitude de malades qu'il trouva a la pifcine, fans m'informer de leur nombre, j'aurois cru fans peine qu'il auroit fait un trésgrand miracle; paree que dans une fi grande foule de malades , il devoit probablement y en avoir dont la guérifon étoit audeffus des forces de la nature *& de Part: mais comme de tous ces malades il n'en a guéri qu'un feul, cette circonfiance donne lieu d'examiner s'il étoit plus ou moins malade que les autres. Nos Théologiens fuppoferoient volontiers en faveur du miracle que eet homme ■étoit le plus malade , mais les Incrédules P  DISCOURS Sur alTüreront le contraire. Ils diront que eet homme pouvoit être un frippon qui contrefaifoit le malade, & que Jéfus lui avoit fait la honte de découvrir fon impofture; ou bien ils prétendront que eet homme avoit le cerveau troublé ; que fa maladie étoit plutót dans fon imagination , que réelle; & que Jéfus par des difcours convenables avoit guéri 1'imagination dérangée de ce pauvre homme ; qu'après lui avoir perfuadé qu'il etoit guéri, il 1'avoit obligé de s'en aller; enfin ils foutiendront qu'il n'a pas guéri eet homme en vertu d'aucun pouvoir furnaturel , vü qu'il en auroit fait pareillement ufage pour la guérifon des autres. Voila tout ce que j'avois a dire contre la lettre de ce miracle. Si quelqu'un eft choqué de ce que j'ai dit, il a la même Iiberté que moi; car il eft jufte d'écrire pour la défenfe de la lettre , comme j'ai fait contre elle. Je paffe a 1'examen des opinions & des explications que les Pères nous ont laiffées de eet étrange récit. Les Pères fur 1'autorité desquels j'ai avancé tout ce que je viens d'écrire contre la lettre de cette hiftoire , fe renferment fi univerfellement dans fon explica-  Les MIRACLES. 243 tioh myftique , qu'on feroit très-fondé a clouter qu'aucun d'eux ait jamais rien cru de lajettre. Saint Jean Chrifoftöme qui s'eft attaché a 1'interprétation littêrale des Ecritures plus qu'aucun autre, s'écarte de la lettre pour ce paffage & s'écrie avec raifon : (49) quelle hiftoire! £? quelle manière étrange de guérir des maladies! mais quel eft le myftère quelle renferme ei? auquel nous devons nous appliquer? il n'eft pas poffible que la chofe fe foit paffee de la manière peu raifonnable dont elle eft rapportèe : il doit y avoir quelque chofe de figuré pour l'avenirs ou bien cette hiftoire eft ft incroyable par elle'même qu'elle feroit un 'fujet de fcandale pour plufieurs. Saint Chryfoftöme avoit certainement grande raifon, & je fuis bien étonné que les Incrédules n'ayent pas exercé leurs railleries contre cette hiftoire. II ne peut y avoir eu que le défaut de Iiberté qui les en ait empêché. Saint Auguftin (50) fur le même fujet, (49) Qpis bic curationis modus ? quid hoe nobis mrjfe- rium fighificatur ? non «a-A«s nee uxn , , h.cc, feil fatum nobis, tanquam imagine Si jigura qttadam deferibuntur, ne tcs nimium incredibitis £? inexpectata, accedente ftdei yirttite, multitudiuis animos offenderet. in Loc- Johan. C5°) Aqua Uitbaat _ credas hoe angeliea virtute fieri folere, non tarnen pne fignificante aliquo Sacrament» % iw Loc. Johan. P 2  244 DISCOURS Sur dit: y a-t-il un homme qui puiffe croire que ces eaux de Bethfaïde ayent eu coutume d'être trouhlèes de cette manière; d moins de fuppofer qu'il y ait un myftère un fens'fpirituel cachê fous ce récit ? Je pourrois bien dire a Saint Auguftin, qu'il y a pourtant des hommes qui croyent ou du moins qui feignent de croire la lettre d'un tel conté, & que ces hommes font nos Doébeurs dont il fe moqueroit bien s'il vivoit de nos jours. Je paffe maintenant aux profonds myftères contenus dans la lettre de ce récit, & je vais parler, comme dit St. Auguftin (51), felon que Dieu m'én donnera la force & la capacité. Notre verfion dit qu'a Jérufalem il y avoit une pifcine prés d'un marché oü 1'on vendoit des brébis. Je ne fais oü nos Traducleurs ont trouvé ce marché dont il n'eft pas queftion dans le texte grec, quoiqu'il en foit, les Pères entendent par cette pifcine (xcAuju&iGpflt), le Baptême (52) ou le lavoir de la régénération deftiné aux 0>O Cu jus rei & cujus figrii profundum miflerium , quantum dominus donare dignatur luquar ut potero. Ieid. (52; Pifcina illa baptismum defignat. Theophil. in Loc. Qtutnam igitur hac defcriptio ? futurum erat baptifma plenum maxima poteftatis £? eraiia purguturum peccattt. CllRYSOST. m LOC  Les MIRACLES. hs ouaiües de Jéfus-Chrift défignées par le mot itpQAi-^ ce qui rend plus exactement ces deux mots. Bethfaïde eft le nom myftique de 1'Eglife, qui fuivant fa vraie fignification , eft la maifon des gr aces. S'il eft dit qu'elle eft dans Jérufalem on ne doit pas 1'entehdre de 1'ancienne, mais de la nouvelle dont il eft parlé dans 1'Apocalypfe, a 1'entrée de laquelle le troupeau de Jéfus - Chrift doit être baptifé par les eaux de 1'efprit dans le réfervoir myftique. II eft dit de la pifcine qu'elle avoit cinq portiques par lesquelles les Pères entendent (53) les cinq livres de Moyfe qui font autant de veftibules pour entrer dans la maifon de la fageffe & de la grace de Jéfus-Chrift. A ces cinq entrées, (les cinq livres de Moyfe) eft couchée une multitude d'infirmes, d'aveugles, de boiteux & de«gens dont les membres étoient defféchés: par la font défignés les ignorants, les hérétiques, ceux qui ne font pas fermes dans leur foi & dans leurs principes. Voila les noms myftiques que les Pères leur donnent fouvent. Et quelle eft la caufe de leurs maladies ? c'eft felon St. Auguftin C53) Por quinque porticus, quinque libros Mops intelligo. liiEOPiui. Antioch. in Loc. Ouinqus porticus funt quinque hbtt Mo/is. August, in Loc P 3  24ö DISCOURS Sur (54) paree qu'ils s'arrêtent a. la lettre de Ia foi, qui les entrame dans une infinité d'erreurs, figurées par ces différentes maladies qui ne peuvent être guéries qu'apiès la defcente del'Efprit, qui, femblable a 1'Ange, doit les inftruire & leur enfeigner les myftères contenus dans la Loi. Parmi ce grand nombre de malades, il y avoit un homme qui avoit une infirmité:... Qui eft eet homme malade ? C'eft, difent (55) St. Cyrille &l (56) St. Auguftin, le genre humain en général. Quelle eft cette infirmité? Les Pères difent que c''étoit une (57) ■paralyfie, a caufe de fon inftabilité & de fon peu de fermeté dans la foi & dans les bons principes; ce qui eft précifément la maladie du genre humain en ce jour. Saint Jean 1'appelle une foiblejje (aS-£v«<*/): or ce (~,\) Mops quinque libros fcripftt, fed in quinque porticibus pifcinam cingentibus languidi jacebant, & curari non poterant. Vide quomodó manet Uitent , conrincens eum non palvans iniqttüm. I/lis enisn quinque porticibus, in figttra quinque librorum prodebantur potius quant fanabantur '.: trht't. Ergo quicunque amatis litieram fine Gratia, in phrticibus raniaitcbitis, agri eritis, facentes, non cnuyale-. ('eentes, de I tiert! enim pmfumitis. in Psalm. 70. (55) Efifgara pupuli in uithuis temporibus fanandi. in ï,OC. Johan. • f56) Languidas ille, de quo in Evangelio legimus quia jacebat, typum geucris humani habcre videbatur. in Serm2"4. Append. (57} Puralyticum qui ju.vta natatoriam jacebat. Ir;enel's , Lil. 2. Cap. 22.  Les MIRACLES. 247 nom étant un terme vague qui convient a toutes fortes de maladies, nous ne pouvons déterminer que c'en füt une plutöt qu'une autre. Mais a parler raifonnablement & fuivant les régies de 1'interprétation, 1'infirmité de la femme malade depuis dix-huit ans , (c'eft - a - dire une foibleffe d'efprit pour 1'intelligence des Prophêties) eft la figure de 1'infirmité dont le genre - humain doit être guéri dans la perfeétion des tems. Cet homme eft demeuré couché a 1'entrée de la pifcine pendant trente huit ans ; le genre-humain eft demeuré dans la foibleffe d'efprit, pour 1'intelligence des Prophêties, pendant trente (58) huit fiècles, en comptant deux mille ans qu'il a été fous la Loi, & dix huit cents ons-fous 1'Evangile. St. Auguftin (59) a une facon plus ingénieufe & plus myftérieufe de calculer ces trente huit-ans; elle feroit fort de mon gout; mais mes lecteurs ne la comprendroient peut-être pas fi aifément que moi, a moins qu'ils ne fuflént au fait des nom- (58) Tempus & annus funt centum anni. Ticiionii in Keg. go. G>93 Q'.iot! autem iriginta & oïïo arinos in languoribus fojitus érat, de Ulo fuadraginta numero, quem fuprh divimut duo minus habens; & qua funt ifia auo, nili duo prtccpta , dUeclio Bei & proximi, ifia auo m quibus rota ■ Aw & Prophete, fi non habuerit .ar.euidus & paralyticus jacet. m Psalm. P 4  248 DISCOURS Sur bres myftérieux. Comment le genre-lm mam fera-1 - il guéri de finfirmité qui lui ote 1 mtelhgence des Ecritures? C'eft lorsqu'il fera inftruit par 1'efprit de vérité qui doit venir quand les trente huit années my. Jterieujes feront accomplies, pour le fiire lever, lui faire emporter fon lit & marcher, c'eft-a-dire pour élever fes penfées a a contemplation des myftères divins de Ia loi, pour emporter fon lit de la lettre fur lequel il aura été couché jufqu'a eet h^ureux inftant, & pour marcher au fens ?ublnne. C'eft alors qu'il marchera droit & ferme dans Ia foi, & qu'il ne chancellera plus comme un paralytique. En quel tems jeius s eft-il approché de eet homme infir™e • £f {fn un J'0ur de fête des Juifs. Saint Chryfoftome & Théophilaéte difent que c etoit a la fête de la Pentecöte, qui comme dit St. Cyrille (<5o) en cette occahon marqué la perfeclion des tems, le tems du Sabath Evangélique de 1'avénement fpintuel de Jéfus-Chrift, qui doit être un tems de fete & de réjouilfance, a caufe de I mtelhgence des divins myftères; un tems ou 1'on aura des vifions & des apparitions J^iSt6* ""tem f':h f'""" hebdomadum fanSta PenU-  Les MIRACLES. 249 en fonge, & par-conléquent le tems auquel les anciens Juifs & les Pères difent que le genre-humain fera fauvé, 011 guéri de 1'infirmité qui lui cache lc fens des Prophêties. Ce fera encore la vraie faifon oü 1'Ange defcendra & troublera les eaux. Par 1'Ange il faut entendre (61) 1'efprit de Dieu; par les eaux, les peuples (62) de toutes les nations. Mais comment eft - ce que 1'efprit de vérité defcendra? Comme 1'Ange pour troubler les eaux, c'eft - a - dire pour jetter les peuples dans le trouble. N'y auroit - il pas ici quelque méprife de la part de 1'oracle? Si Melfieurs du Clergé vouloient facrifier leur intérêt a la vérité, fi ceux qui devroient prêcher la tolérance & 1'amour du prochain confentoient a retenir la violence de leurs emportements, il eft fur qu'il y auroit de la méprife; mais malheureufement I'oracle n'eft que trop véritable. Enfin les Juifs furent indignés de la guérifon de eet homme, & lui dirent: c'eft aujourd'huy jour du Sabatb, il ne t'efi pas permis d'emporter ton lit; ce qui, a la lettre, ne pouvoit être vrai. Les Juifs n'obfer- (6i~) Turbabat Angelus diBus eft domhuis magni confilii Angelus. August, in Serm. 125. S e c t. 3. (62) Turbavit aquam , id eft turbevit populum, E j u sBem in Psalm 102. P 5  250 DISCOURS Sur vpiem pas te Sabath avec tant de rigueur- % \?T$ t\f°tS> nl a^ fiedel dit St Cyrilie (63) pour croire que p'eüt ete moler le Sabath que de lever fon lit pour l emporter. J r Mais, fuivant fon fens myftique il n eft que trop a craindre que ceci ne fe trouve venfié & que Meffieurs du Clergé qui font mténeurement Juifs, ne faiTent eclater toute leur indignation contre 1'homme qui ie leve littéralement de deflus fa couche un jour de Sabath , & qu'ils ne fe recnent .contre un travail oppofé a leur foi vu qu 1] doit les couvrir de honte & nuirè a leurs interets temporels. C'eft ainfi que cette hiftoire & chacune de tes parties doivent être (& font) expliquees nvyiWment par Jes Pères, puisque le fens littéral n'a m fens ni raifon Voici Ie huitieme des miracles'de Téfus que j ai examinés felon ma méthode: c'eft aA mes Iefteurs a décider fi j'ai rempli la tache que je m'étois propofée, qui étoit de demontrer que ces miracles, en tout & en parties, ne lont pleins que de chofes abfurdes miprobables, incroyables, fi on les prend a la lettre; mais quils font des ré"  Les MIRACLES. 251 cits figurés & allégoriques de ce que Jéfus doit un jour opérer myftiquement & d'une manière beaucoup plus merveilleufe. Quand j'aurai publié encore un autre difcours fur queiques miracles de JéfusChrift:, je me propofe d'examiner quelques hiftoires de réfurrections de morts, telles que celles du Lazare, de la fille de Jaïre & du hls de la veuve de Naïm qui font regardées comme les plus grands miracles de Jéfus-Chrift. Malgré leur prétendue grandeur j'efpère les attaquer de facon a diminuer un peu la foi qu'y ajoutent les perfonnes fenfées & fufceptibles de réflexions: j'efpère du moins prouver qu'ils ne font pas capables de fervir de fondement a 1'édifee qu'on veut fonder fur ces miracles. Et fi quelque jour Monfeigneur 1'Evêque de Londres m'en donne la permiffion, je me flatte de donner plus de force aux objections que j'ai déja faites contre la réfurrection de Jéfus-Chrift lui-même. Ce fera pour lors que nous verrons ce que deviendra 1'argument tiré des miracles de eet Homme Dieu pour prouver fon autorité & fa misfion divines. Outre ce grand nombre de Prodiges qu'on lui attribué fauffement, mon inten» tion eft, fi le tems me le permet, d'exami-  452 DISCOURS Sur ner quelques traits hiftoriques de fa vie & de démontrer qu'ils ne font pas moins' abiurdes & mvraifemblables que fes miracles. Qu'eft-ce qui m'empêcheroit de faire auffi en paffant 1'examen de fes Paraboles & de prouver combien elles font abfurdes' a les entendre de Ja manière dont elles font exphquées par nos fameux Commentateurs Jelus etoit certamement très-verfé dans la fcience de la cabale, des paraboles & des enigmes; mais a en juger par les commentaires & les paraphrafes de nos modernes on le prendroit pour le plus ignorant de tops ceux qui ont donné dans ces fortes de Iciences. Pour finftruaion du genre-humain, ie fuis encore obligé d'examiner quelques-unes des abfurdites de la doctrine & des paraboles de jefus-Chrift; paree qu'un des motits de la perfécution fufcitée contre moi a ete que j'ai avancé, qu'il n'y a pas eu de' Phi ofophes & même de perfonnes raifonnables parmi. les gentils qui n'euftent pu etre des Legifhteurs beaucoup plus parfaits que Jefus-Chnft; ce que j'ai dit felon 1'idée que les modernes & les Evangéliftes même nous donnent de lui. J'entreprends un grand travail, mais fi Dieu me conferve la vie & la fan té, j'efpè-  Les MIRACLES. 255 re continuer. Si ce que j'ai fait jufqu'a préfent n'eft pas du goüt du Clergé, le vrai moyen de m'empêcher d'achever eft de combattre ce que j'ai déja publié. S'il vouloit effayer fes forces, peut-être qu'il parviendroit a foutenir le fens littéral des miracles que j'ai déja difcutés, avec tant de force que j'en demeurerois terraffé, & que je n'oferois plus ouvrir la bouche ni avoir la ^ hardieife de 1'importuner fur cette matière. II eft peu de fujet de déclamation plus commun parmi nos Seigneurs du Clergé que celui de l'accord parfait qui fe trouve entre le Chriftianifme & la raifon. Par le Chriftianifme on doit entendre l'hiftoire de la vie & de la doétrine de Jéfus; car autrement 1'oppofition du mot raifon, a la religion, feroit ridicule. Mais fi je continue ce travail comme je 1'ai commencé, je démontrerai que le Chriftianifme, de la manière dont il eft communément entendu, eft l'hiftoire la plus abfurde & la plus déraifonnable qui ait jamais été faite; que la plupart des fyftêmes modernes de Théologie font fans fondement & fans raifon ; que Je Mahométifme, foit dit fans offenfer perfonne, eft infiniment plus raifonnable que la rehgion chrétienne, telle qu'on la préfente de nos jours.  254 DISCOURS Sur Si ce que j'avance bleflbit nos Théologiens la voie de l'impreflion eft ouverte pour eux, auffi bien que pour moi; ils peuvent, s'il leur plaït, me marquer leur reffentiment par cette voie. Graces a Dieu & aux lumieres de notre gouvernement, nous jouiffons de la Iiberté de la prelfe & cette Iiberté nous conduira infailhblement a la fource de la fageffe & de la vérité dont la tyrannie eft le plus terrible ennemi. J'ofe bien avancer que toutes les perfonnes raifonnables qui s'apphquent a 1'étude des fciences & a la recherche de la vérité defirent que cette précieufe Iiberté nous foit toujours continuée, malgré les argumens de 1'Evêque de Saint David & du Doóteur Roger. U eft vrai que s'ils obtenoient la fuppreffion de cette Iiberté, nos Doéteurs pourroient a leur aife clabauder & par écrit & dans la chaire fiir la perfe&ion du Christiamfine & fur fon accord merveilleux avec la raifon; & fi leurs adverfaires étoient obhgés de difparoitre, ils feroient bien retentir aux oreilles de leurs auditeurs qu'ils ont clairement & viétorieufement répondu aux objections les plus fortes de leurs ennemis. I* _ L'impreflion a fait éclore dans ces derniers tems des arguments fi convaincans en  Les MIRACLES. 255 faveur de Ia Iiberté qui doit régner dans les difputes, & les défenfeurs de cette Iiberté font fi fort emporté fur leurs adverfaires, au jugement des gens raifonnables & non prévenus, que je rn'étonne qu'il fe trouve encore quelqu'un qui ofe fe déclarer pour Ia perfécution. Si j'étois Evêque, ou Docteur en Théologie , je croirois déshonorer mon favoir & mon rang fi j'avois recours a_ 1'autorité civile pour protéger ma religion. Je me croirois indigne des grands biens qui me feroient accordés pour Ia prédication & la propagation de 1'Evangile, fi je me fentois incapable de fournir une réponfe fatisfaifante a quiconque me demanderoit compte de ma foi; ou bien fi j'avois 1'efprit afies bas pour croire que c'eft le devoir du Magiftrat civil de bannir fhéréfie & 1'incrédulité; je me croirois du moins autant obligé de convaincre, que celui-ci de punir. Si 1'Evêque de Londres eüt pris ce parti avec moi; s'il eüt publié une réplique qui eüt confondu mes prétendues erreurs, au lieu d'employer tous fes efforts a me perfécuter fur ce prétexte, je lui aurois pardonné le tort que fa réplique auroit pu me faire, & je ne ferois pas for-, ce de lui demander en juftice la réparation des mj ures que j'ai fouffertes.  256 DISCOURS Sur Le Criftianifine eft fondé fur le rocher de la fageffe, & ce qui eft encore plus a fon avantage, c'eft qu'il a pour lui un Dieu tout - puiffant, & dont la fcience eft fans bornes; qui eft maïtre d'ouvrir les yeux de 1'entendement de 1'homme, pour lui faire difcerner la vérité & 1'amener vers elle, malgré tous les efforts de fes ennemis quels qu'ils foient, Juifs ou.Turcs; ou méme Chrétiens apoftats. Mais la perfécution décèle de la foibleffe & de 1'impuiffance en Dieu, pour la défenfe de fa propre caufe, vü que les Prêtres s'efforcent de faire prendre les armes aux hommes pour aller a fon fecours. Si aprés tant d'ouvrages publiés de nos jours par les incrédules contre notre fainte religion , la défenfe d'une fi bonne caufe étoit ötée des mains d'un Dieu toutpuilfant, pour être confiée aux Magiftrats civils; fi M M. du Clergé au lieu d'avoir recours a la raifon & a la vérité recouroient a la force & au glaive; que diroient les fpeétateurs & ceux qui peuvent avoir des fentimens favorables pour le Chriftianifme? Le moins qu'ils pourroient dire feroit que les Incrédules ont remporté la vióloire fur les Miniftres de Jéfus-Chrift, & qu'ils les ont battus avec leurs propres armes, c'eft- a-dire  Lés MIRACLES. S57 è-dire avec leurs propres raifonnemens & leurs argumens. Les deux principaux partifans de la perfécution , a leur honte & au deshonneur du Chriftianifme, font le Doéfeur Roger & 1'Evêque de Saint David. La principale raifon du premier pour décrier la Iiberté dans les difputes, c'eft qu'il prétend qu'elle eft pernicieufe au repos public, & détourne 1'efprit du peuple de la religion établie ; mais cette conféquence n'eft pas jufte, ou bien il faudroit prouver que 1'auteur des Fondemens & celui du Syftême, ont eu envie de foulever les peuples contre le Gouvernement & d'anéantir le Clergé. Tout le mal que veulent faire ces auteurs, ou, pour mieux dire, tout le bien qu'ils ont en vue , c'eft d'exercer 1'efprit de M M. du Clergé par les doutes & les objections qu'ils leur propofent; & fi la paflion n'eüt pas emporté nos Eccléfiaftiques, jusqu'a vouloir faire perfécuter ces deux auteurs, la paix du public n'auroit jamais été troublée. Quant a. moi, quoique j'aie pour moi un parti très-confidérable, je veux dire tous les Pères de 1'Eglife, & tous les Chrétiens des premiers fiècles; de même que nous étions autrefois des fujets paifibles, fous  258 DISCOURS Sur 1'obéiffance des Emperéurs Romains, nous fommes encore aujourd'hui trés - éloignés de fonger a nous écarter de fobéiffance que nous devons a 1'autorité civile du gouvernement de notre nation. Nous prenons feulement la Iiberté de réveiller Mesfieurs du Clergé de leur létargie, de leur ftupidité & de leur ignorance. J'efpère donc que le gouvernement civil aura égard a la charité & a la droiture de nos intentions, & qu'il nous garantira des infultes que nos bons fentiments pourroient nous attirer de la part du Clergé. L'Evêque de Saint David dit (64) qu'il eft _ abfurde d'avancer que la Iiberté dont joutt une nation doive aller jufqu'a laiffer impunis des Incrédules & leur permettre d'infultêr ou de traiter avec mépris les vérités que cette nation reconnoit pour importantes & facrées, & qu'elle profeffe publiquement. Par ces Incrédules déclarés il entend apparemment les Pères de 1'Eglife & moi; & par les termes d'infultêr & de traiter avec mépris les vérités les plus importantes & les plus facrées il entend la manière dont les Sermon Prononcé Devant la Socihte Poua la IIeeorme ücc. Pag. 12. *  Les MIRACLES. a^ S S. Pères, & moi, avons traité M M. du Clergé a caufe de leur attachement a la lettre des Ecritures, dont ils fe font rendus les défenfeurs. C'ell pour cette raifon qu'il vouloit auffi animer toute la Congrégation de la Réforme a me perfécuter, °& fi elle n'eüt pas été plus fage, & n'eüt pas eu des fentimens plus modérés, plus charitables & plus chrétiens que fon prédicateur, j'étois un homme perdu. Pourquoi ce Prélat blameroit-il ma manière d'écrire ? Ne fait-il pas que les Pères de 1'Eglife étoient dans 1'ufage de tourner en ridicule les Prêtres des Gentils, a caufe des impertinentes fuperftitions dont ils amufoient les peuples? Ignore-t-il que nos Réformateurs ont attaqué le Papisme par tous les cötés? Ne nous rappellons - nous pas encore un tems oü un fermon eüt été infipide, s'il n'eüt été affaifonné de bons mots & de plaifanteries contre le Papisme? Pourquoi donc ce Prélat voudroit-il condamner une manière d'écrire qui a été fi utilement emplovée dans les premiers fiècles de 1'Eglife, "& dans les commencements de la Réforme? Y a -1 - il des gens qui prêtent plus a la raillerie que les Incrédules? II faut que Ie pauvre Evêque ait 1'efprit auffi borné & auffi étroit (0 2  26o DISCOURS Sur qu'il 1'a , pour n'avoir pas pu leur en décocher quelques traits. Suivant ce Prélat la Religion Chrétienne eft en état de fouffnr 1 examen d'une raifon calme & tranquille; & il ne peut la garantir contre un trait de raillene! cela n'eft-il pas abfurde? Mais je laifle ces deux partifans de la perfécution a la difcrétion de plumes plus acerées que la mienne. Ce que j'ai dit en faveur de la Iiberté n'eft pas par crainte d aucun danger pour moi; ce n'eft que pour l amour de la vérité, & pour 1'honneur du Chriftianifme, qui, fans cette Iiberté, ne peut être ni préfenté ni défendu, ni fmcérement embralfé. Je fouhaite donc que la difpute qui fubfifte entre les Incrédules & les Apoftats fe continue par 1'mdulgence du Gouvernement; jusqua ce que Ja vérité fe montre & qu elle brille a travers les brouillards épais de Perreur & de 1'ignorance, de même que la lumiere du foleil s'éléve pour disliper les ténèbres de la nuk. Pour moi je continuerai avec 1'aide de Dieu & i'interviendrai dans cette controverfe Si 1'intérèt temporel de M M. du Clergé ne les arrêtoit pas plus que leur raifon ils adopteroient mes feminiens, & ils ne  Les MIRACLES. 26*1 pourroient me refufer la juftice de publier hautement que tout ce que j'ai fait n'a pour objet que 1'honneur de Jéfus, notre Meffie fpirituel, a qui foit gloire & hommage dans tous les fiècles des fiècles. Amen. Fin du Troisieme Discours.