VERZAMELING E. J. POTGIETER   01 1128 316* UB AMSTERDAM  FABLES D E y. DE Ld FONT Al UK     FABLES CHOISIES, MISES EN VERS PA R J. DE LA FONTAINK TOME PREMIER. A LEIDEN, Che* LU2AC & van DA MME,   JFERTISSEMENT T> E L'ÉDITEUR. Je me garderai bien de me vanter des peines, des foins, & des dépenfes immenfes aufquelles vient de m'expofer cette Edition. * Ce détail toujouts ennuyeux pour le Public, ne donne aucune forte de mérite a un ouvrage; & j'effrayerois ceux qui, féduits comme moi par le goüt des Arts & par 1'amour des Lettres, peuvent former des entreprifes glorieufes a la Nation. Je me contenterai de faire connoïtre les Artifr.es fameux, dont les produftions & les talens ont formé cette Edition. Du refte, le mérite & 1'exécution de eet Ouvrage apprendront de mes travaux tout ce qu'il eft néceflaire d'en fcavoir, & tout ce que je fuis jaloux qu'on en fgache. M. Oudry, Peintre du Roi, «Sc Profefleur de 1'Academie Royale de Peinture, a compofé, dans le cours de pluficurs annécs, la fuite des deiTeins qui accompagnent cette Edition. Ils font le fruit des études qu'il faifoit de la nature dans la bonne faifon des talens, dont il nous fait tous les jours admirer les pro- * Elle eft divifée en quatre volumes, contenant chacun trofs Livres des Fables & les Eftampes qui y répondent. Eües font au nombre de 276, & le premier volume en contient 71.  VHJ AVER TI S S E M E NT. duclions. Infatigable dans le travail, toujours occupe de fon art, ü cherchoit dans ce temps un champ propre a exercer fes idees. Maïs les bornes d'un tableau, & Ia pratique lente de la peinture, ne fuffifoient pas au feu de fon génie, & n'en rempliiToient pas afTez rapidernent 1'aftivité; il falloit k fes talens de plus amples fujets d'exécution. Les Fables de la Fontaine vinrent fatisfaire k cette efpece de befoin. Elles fourmrent a fon imagination de quoi fe contenter dans ce vafte champ de payfages & d'animaux; genre de travail oh 1'on fait jufqu'a quel point il excelle. C'eft alors qu'il étudia ces Fables, «Srqu'il fcutfi bien s'appropner dans fes delTeins, les idéés du Poete, que 1'on diroit en quelque facon, que la même Mufe s'eft lervie du crayon de M. Oudry, pour nous les tracer d une maniere auffi poëtique qu'ingénieufe & naturelle. Auffi peut-on a jufte titre 1'appeller lui-même, le La Fontaine de la Peinture ; puifque perfonne n'a mieux f^ü faire agir & parler les animaux qu'il 1'a fait dans fes tableaux, & particuliérement dans les deffeins que nous annonyons. Ils étoient fes récréations : il les compofoit pour fon propre plaifir, & dans ces momcns de choix & de fantaifie,ou un Artifte laifit vivcment les idéés de fon fujet, & donnc un libre eiTor a fon génie* C'étoit ainfi qu'il fe formoit, fans y penfer, le répertoire & le recucil des compofitions qui, dans la fuite, font devenues les originaux de la plupart des tableaux, que le Public a admiré au Sallon de Peinture de 1'Académie, & qui fe trouvent répandus chez le Roi & dans les cabinets des Curieux. Telle eft 1'hiftoire des deffeins qui viennent fe réunir aujourd'hui pour embellir cette Edition, pour inté- ïcf-  A VE RTISSEMENT. ix refter les -Arts, & pour donner en quelque forte un nouveau reliëf aux Fables de La Fontaine. En effet, la Peinture a fon ftile & fes exprefïïons, fouvent plus énergiques , & quelquefois plus promptes a fe gliffer dans 1'ame, que celles de 1'éloquence & de la poëfie. C'eft, fans doute, ce qui a introduit 1'ufage ancien, & trop fréquent de nos jours, d'orner fouvent fans néceffité la plupart des livres de gravuresbonnes ou mauvaifes. Mais li des eftampes faites avec foin, adaptées aux fujets, font capables d'en rendre 1'expreffion, & d'augmenter 1'agrément & 1'utilité d'un ouvrage; j'ofe affurer que eet ornement ne fut jamais plus heureufement ni mieux employé qu'aux Fables de La Fontaine. La morale y quitte fon auftéritó, pour amufcr les hommes par des lecons, qui ne femblcnt deftinées qu'a des enfans. Badine, enjouée, clle y tient par-tout le crayon a la main, pour tracer des tableaux agréables & féduifans, a 1'aide dcfquels la raifon fe trouve furprife par les plaifirs de 1'imagination. La Fontaine avoit fenti la nécèffité d'accompagner fes Fables de deffeins : & 1'on ne voit aucune des Editions publiées par fes foins, qui ne foit parée de petites gravures analogues a chaque fujet. Mais il leur manquoit les talens & le pinceau de M. Oudry, iéul capable d'exprimer le cara&cre des animaux, & de donner a leurs paffions ces couleurs & ces nuances qu'cxigeoit la fiction. De quelque mérite cependant que foient ces deffeins, ils cuffent été ignorés du Public, fans le fecours de la gravure. Raffemblés dans un cabinet, ils euffent fait tout au plus les délices d'un jaloux curieux, fans augmenter la richeffe des Lettres ni celle  X AFERTISSEMENt. des Arts. Cette colleétion, la plus curicufe & laplus confidcrablc qui foit connuc d'aucuns Peintres, fe fut difllpée & détruite, comme tant d'autres monumensdu mêfne genre, qu'Athenes & 1'ancienne Grccc réclament encóre, & dont il ne nous reftc que des defcriptions dans leurs Hiflorierts. M. Cochin * de 1'Académie Royale de Peinture, & Garde des Defleins du Roi, a biën voulu prévenir cct accident. Ses talens fiipérieurs pour la gravure & pour le deflein font 11 connus des Amateurs & des Curicux, que je craindrois d'en affoiblir 1'élogc, en m'arrétant a les faire remar<]uer. C'eft lui qui s'èft chargé de graver & de faire graver fous fes yeux ces deffeins. Pour en vcnir a bout, il a fallu qu'il en fit de nouveaux d'après les originaux de M. Oudry, dans lefquels on put difcerner diftinctcment cette précifion de contours, a laquelle les Peintres ne s'affujetiflent jamais dans la chaleur de leurs compofitions , & qui eft cependant indifpenfable k la pcrfcclion des gravures. 11 ne falloit pas moins que fon fecours, pour donner a eclks-ci le degré de pcrfcüion qu'ellcs ont atteint, non féulement par la maniere dont les originaux font rendus, mais encorc par la correclion ajoutée aux flgures qu'ils contiennent. Cette partie étoit négligée, & M. Oudry reconnoït lui-mêmc le nouveau mérite qu'elle a acquis, en paflant par les habiles mains de fon illuftre Confrère. En examinant la fuite d'eftampes que je préfente au Public, les connoifTeurs jugeront de ce que peut produire le concours de deux babiles Gens, incapables de cette baffè jaloufie qui fuit les talens mé- * Cenfenr Royal, & Secrétaire perpétuel de 1'Académie Royalt de Peinture.  AVERTISSEMENT. xj diocres, & qui, dans leurs travaux confondus, ne {"entend point d'autre forte de rivalitc, que cette émulation qui tend a la perfeftion d'un ouvrage. L'Imprcffion de ces Fables n'a pas re§u de moindres attentions & de moindres fecours, non feulement de la part des gens du métier les plus expérimentés, mais encore des Amateurs les plus diflingués par leurs connoiffances. Je les nommerois , fi leur mérite, leur goüt pour les Arts, ne les rendoient auffi remarquables que le rang & les places diftinguées qu'ils occupent. Ce que je viens d'cn dire, eft le feul tribut de reconnoiflance que je hafarderai ici; fcachant bicn que leur modeftie ne me permet de prendre, dans les éloges qui leur font dus, que ce qui peut intéreffer le Public pour eet ouvrage. L'on y verra quelque chofe de neuf, quant h la gravure en bois. Cet art ancien, trop négligé, & a i'aide duquel les premiers Maitres de la Peinture n'ont pas dédaigné de nous tranfnietre leurs deffeins & leurs compofitions, femble ne fervir depuis long-temps qu'a défigurér les plus belles cditions, & a y introduire un eertain goüt gothique,qui tient de la barbaric des premiers ficcles. Pour s'en fauver on eft obligé de recourir a la taille douce, & de lui faire remplacer, par des fecours étrangers a la Typographie, les ornemens de la gravure en bois, qui lui font véritablcmcnt analogucs &; néceffaires, & dont 1'cffet & les procédés font tout-a-fait différens. Mais , fans parlcr de 1'embaras & des différens inconvéniens de cct expédient; cet affortiment fingulier n'eft-il pas une forte de bigarrure , qu'on peut critiquer avec jufte raifon ? Chacue Art n'a-t-il pas fes beautés & fes perfettions, fans  xij A VE R TISSEMENT. qu'il foit néceffaire pour les faire valoir, de les confondre les uns avec les autres ? L'on a donc cru devoir effayer de faire produire a la gravure en bois tout ce qu'elle étoit capable de faire. Dans cette intention, l'on a choifi les fujets qui pouvoient être le plus heurenfemcnt rendus. C'eft M. Bachclier * trcshabilc Peintre en fleurs, qui en a fait les deffeins; & c'eft M. M. Le Sueur & Papilion qui en ont exécuté la gravure, d'une maniere a venger leur art du difcrédit dans lequel il tomboit. Voila comment la partie Typographique de cet Ouvrage a été totalement Féparée de celle des eftampes, afin que 1'unc & 1'autre confervaffent, a part & entr'elles, cette uniforinicë & cette bonne harmonie, qu'on doit toujours rechercher dans les ouvrages de goüt, & dans les ouvrages précieux. Pour imprimer celui-ci, tout compofé de fujets fouvent très-courts & féparés par des eftampes, il a fallu néccffairement multiplier les faux titres de chaque Fable, pour éviter le dcfaut & le défagrémcnt d'ouvrir par-tout ce livre entrc deux feuilles blanches. C'eft ce qu'auroient indifpcnfablement occafionné les revers de deux planchcs placécs vis-a-vis de leur Fable, & adoffécs 1'une contre 1'autre. L'on s'eft fervi d'autant plus volontiers de 1'expédient de ces faux titres, qu'il n'eft point inufité , & qu'on ne pouvoit mieux faire pour fauver une difformité, que l'on blame dans quclques éditions remarquables. II n anquoit a la tête de cet ouvrage, une vie de # De TAnidémie Royale de Peinture & Seulpture, & Directeur, quant aux deffeins, de la Manufafture Royale (fe porcelaiïif de Vincennes,  A VE R T I S S E M E N T. xnj La Fontaine. Je me fuis hazardé de la compofer d'après tout ce que j'ai pü recueillir de fa mémoire, tant parmi les Auteurs fes contemporains, que d'après ceux qui méritent de la confiance, & qui pouvoient être inftruits de plufieurs faits particuliers, * Je fens bien qu'il y a peut-être quelqüe éfpece de témérité, d'avoir entrepris cet ouvrage, après les divers elfais qu'en ont déja formé quelques Ecrivains de mérite. Mais je yoyois a regret qu'on n'avoit raffemblé qu'une petite partie de ce qui regarde cet Homme célebrc, & le plus digne d'être connu. Le zèle m'a donc emporté, & c'eft le motif d'indulgence que je reclame auprès. des cenfeurs trop rigides qui voudroient blamer cette entreprife. Je m'y fuis particuliérement attaché a la vérité, & k dépeindre La Fontaine tel qu'il ctoit, & qu'il s'ignoroit'hii-même. Du refte, fans rechercher une vaine élégance de ftyle, je me 'fuis contenté de lier lès faits fuivant leur fuite & leurs rapports; eftimant que je ne pouvois trop mettre de fimplicité dans la vie d'un Homme-qui fut la fimplicité même. . * Telles font parmi les fonrces que j'ai confultóes, 1'Hiftoire de 1'Académie par M. Peliflbn. Continuation de la même Hiftoiïe par M. 1'Abbé d'Olivet. Les Hommes Illuftrus du P.Niceron. Ceux de M. Perrauït. Vie de La Fontaine par Lokman, en Anglois, ïmprimée a Londres, in-S°. en M. "DCC. Xl.lV. (Euvres de S. Evremont. Mélanges de Littérature par Vigneul Marvile. Mémoires fur la Vie de J. Racine." (Euvres diverfes de La Fontaine, k la Haye 1729. Lettres de Mad. de Sevigné. Mémoires de Littérature par lc P. Defmolets. Vie de La Fontaine par M. Freron. Diftionnaire de Morery. Hiftoire du Siècle de Louis XIV. par M. de Voltaire. Diftionnaire critique hiftorique pour fervir de continuation a Bayle. Commentaires & remarques fur Boileau par Broffette. Bibliotheque de Cour. Hiftoire Littéraire d» Regne de Louis XIV. par M. 1'Abbé Lambert, &c.  xrv APERT IS S EM ENT. Pour rendre cette Edition la plus complette & la plus parfaite qu'il fut poffible, j'ai confulté fcrupuleufement prefque toutes les Editions qui ont été faites des Fables, & particuliérement celles de i66"8, 1678, & 1694, revües par La Fontaine lui-même, ou imprimées de fon vivant. Elles m'ont fcrvi a corriger le texte, alteré par des mots & des vers retranchés ou ajoutés mal-a-propos, & défiguré par une ponctuation vicieufe, qui affoiblit ou qui détruit le fens de cet Auteur dans la plupart des Editions qui ont été faites jufqu'a préfent. Au furplus, je n'ai pas cru pouvoir me permettre de rien fupprimer des chofes que La Fontaine a jointes a fes Fables, quelques fu« perflues qu'elles puiffent paroitre dans cette Edition. Tout ce qui nous refte de la plume de cet excellent Ecrivain doit être regardé comme un fruit précieux, bon jufqu'a 1'écorce.  A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN Monseigneur, S'il y a quelque chofe d'ingènieux dans la Répubïique des Lettres, on peut dire que c'eft la maniere dont Efope a dêbitè fa morale. II feroit véritablement a foubaiter que iautres mams que les miennes y euffent ajoüté les omemens de la poëjïe ; puifque le plus fage des anciens a jugé qiiils ny étoient pas inutiles. J'ofe, MONSEIGNEUR, vous en pré/enter quelques effais. Cejl un entretien convenable a vos premières années. Vous êtes en un dge ou Vamufement &f les jeux font permis aux Primes; mais en même tems vous devez donner quelques-unes de vos penfées h des réflexions férieufes. Tout cela fe rencontre aux fables que nous devons k Efope.  xvj D E D I C A C E. L'apparence en eflpuêrile, je le confeffe, mais ces puórilités fervent cCenveloppe a des vérités importantes. Je ne doute point, MONSEIGNEUR, que vous ne regardiezfavorablement des inventions fi utiles, & tout enfemble fi agréables : car que peut-on foubaiter davantage que ces deux points ? Ce font eux qui ont introduit les fciences parmi les hommes. Efope a trouvé un art fingulier de les joindre ïun avec ïautre. La leclure de fon ouvrage répand infenfiblement dans une ame les fémences de la vertu, lui apprend a fe connoüre, fans qu'elle sappergoïve de cette étude , tandis qu'elle croit faire toute autre chofe. Cefl une adreffe dont s'cfl fervi trésbeureufement celui fur lequel Sa Majefïé a jetté les yeux pour vous donner des mflruEt'.ons. II fait enfurte que vous apprenez fans peine, ou, pour mieux parler ,■ avec plaifir, tout ce qu'il efi nécejfaire quun Prince fpacbe. Nous efpérons beaucoup de cette conduite; mais, a dire la vérité, il y a des chofes} dont nous efpérons infiaiment d'avantage. Ce font, MONSEIGNEUR, les qualités que notre invincible Monarque vous a données avec la  DEDICACE. xvij naïffance; cefl l'exemple que tous les jours il vous donnc* Quand vous le voyez former de fi grands dejjèins; quani vous le confiderez qui re garde fans s'étonner ïagitatïon de FEurope, & les machines quelle remue pur le détourner \ de fon entreprife; quand il pénétre dès fa première démarche jufques dans le cceur d'une Province , ou l'on trouve a chaque pas des barrières infiirmontables, & qu'il en fubjugue une autre en buit jours, pendant la faifon la plus f miemie de la guerre, lorfque le repos &f les plaifirs regncnt dans les cours des autres Princes; quand non content de dompter les hommes, il veut triompher auffi des èlémens; & quand, au retour de cette expédition, ou il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouvemer fespeuples comme un Augufle; avouez le vrai, MONSEIGNEUR, vous foupirez pour la gloire aufjibien que lui, malgré ïimpuijfance de vos années: vous attendez avec impatience le tems ou vous pourrez vous déclarer fon fival dans Famour de cette divine maïtreffe. Vous ne l'attendez pas, MONSEIGNEUR, vous le prévenez ; je n'en veux pour témoignage que ces nobles  xviij DEDICACE. inquiétudes, cette vivacitê , cette ardeur, ces marqués d'efprit, de courage de grandeur d'ame, que mus faites par ottre a, ious les momens. Certainement c'efi une joie bien fenfible a notre Monarque ; mais c'efi un fpeclacle bien agrèdble pour l'univers, que de wir aïnfi croitre une jeune plante, qui couvrira un jour de fon ombre tant de peuplcs de nations. Je devrois m'ètendre fur ce fujet; mais comme k deffeïn que fai de vous divertir, efi plus proportionné a mes forces que celui de vous louer, je me bate de venir aux fables, & najoüterai aux véritjs que je vous ai dites, que celle-ci: c'efi MO NS EIC NEUR , que je fuis avec un zéle refpeftueux, a'otre très-humble & très-obcifiant, & très-fidéte fcrvitcur, DE LA FONTAINE.  P R É F A C E L'indulgence que l'on a eue pour quelques-unes de mes fables, me donne lieu d'efpérer la même grace pour ce recueil. Ce n'eft pas qu'un des maitres de notre éloquence n'ait defapprouvé le deflein de les mettre en vers. 11 a erft que leur principal ornement eft de n'en avoir aucun : que d'ailleurs la contrainte de la poëfie, jointe a la févérité de notre langue, m'embarrafleroient en beaucoup d'endroits, & banniroient de la plupart de ces récits la briéveté, qu'on peut fort bien appeller 1'ame du conté, puifque fans elle il faut néceffairement qu'il languifle. Cette opinion ne fcauroit partir. que dun homme d'excellent goüf: je demanderois feulement qu'il en relachat quelque peu ,& qu'il crüc que lesGraces Lacédémoniennes ne font pas tellement ennemies des Mufes Francoifes que l'on ne puifie fouvent les faire marcherde compagnie. Après tout je n'ai entrepris la chofe que fur 1 exemple, je ne vcux pas dire des anciens, qui ne tire point a confequence pour moi, mais fur celui desmodernes. C'eft de touttems, & chez tous les peuples qui font profeffion de poëfie , que le Parnaflb a jugé ceci de fon appanage. Apeineles fables qu'on attribue a Efope, virent le jour, que Socrate trouva a propos de les habiller des livrées des Mufes. Ce que Platen en rapporte eft fi agreable, que je ne puis in'encpêcher d'en faire lin des ornemens de cette préface. 11 dit que Socrate étant condamné au dernier fupplice, l'on remit fexécution de 1'arrêt a caufe de certaines fètes. Cébès 1'alla voir !e jour de fa mort. Socrate lui dit, que les Dieux 1'avoient averti plufieurs fois pendant fon fommeil, qu'il devoit s'appliquer a la mufque avant qu'il mourüt. 11 n'avoit pas entendu d'abord ce que ce fonge fignifioit: car comme la mufique ne rend pas 1 homme meilleur, a quoi bon s'y attacher? II Edkrit qu ily eüt du rnyftére la-deflbus; d'autant plus que les Dieux ne fe laffoient point de lui envoycr la même infpiration. EJle lui étoit cocore ye*** 2  xx P R E F A C E. nuc une de ces fctes. Si bien qu'en fongeant aux chofes que le ciel pouvoit exiger de lui, il s'étoit avifé que la mufique & la poëfie ont tant de rapport, que poffible étoit-ce de la dernieïë dont il s'agiffoit. II n'y a point de bonne poëfie fans harmonie, mais il n'y en a point non plus fans riftions; & Socrate ne fcavoit que dire la vérité. Enfin il avoit trouvé un tempérament. C'étoit de choifir des fables qui continflent quelque chofe de véritablc, telles que font celles d'Efope. II employa donc a les mettre en vers les derniers momens de fa vie. Socrate n'eft pas le feul qui ait confideré comme fceurs la poëfie & nes fables. Phédre a témoigné qu'il ëtoit de ce fentiment; & par 1'excellence de fon ouvrage, nous pouvons jager de celui du Prince des philofophes. Après Phédre, Aviénus a traité lc même fujet. Enfin les modernes les ont fuivis. Nous enavons des exemples non feulemcnt chez les étrangers, mais chez nous. II eft vrai que lorfque nos gens y ont travaillé, la languc étoit fi différente de ce qu'elle eft, qu'on ne les doit confidérer que comme étrangers. Cela ne m'a point détourné de mon entreprife: au contraire je me fuis flaté de l'efpérance que fi je ne courois dans cette carrière avec fucccs, on me donneroit au moins la gloire de 1'avoir ouverte. II arrivera poffible que mon travail fera naitre a d'autres perfonnes 1'envie de porter la chofe plus loin. Tant s'en faut que cetr matiere foit épuiféc, qu'il refte encoreplus de fables a mettre en vers, cue je n'en ai mis. J'ai choifi véritablement les meilleures, c'eft a-dire celles qui m'ont femblé telles. Mais outre que je puis m'être trompé dans mon choix, il ne fera pas bien dirncile de donner un autrc tour a celies-14 même que j'ai choifiesj & fi cc tour eft moins long, il fera fans doute plus approuvé. Quoi qu'il en arrivé, on m'aura toujours obligatir l; foit que ma téraérité ait été heureufe, & que jene me fois point troj écarté du chemin qu'il falloit tenir, foit que j'aie feukment excité les autres a mieux faire. Je penft avoir jufiifié fuffifamment mon defiein : quant a i'exccutio.;, le public en fera juge. On ne troüvera pas ici 1'élégance ni l'extréme briéveté qui rendent Phédre recommer>.  P R Ê F A C E. xxj dable; ce font qualités au-defius de ma portee. Comme il m'étoit impoffible de 1'imiter en cela, j'ai cru qu'il falloit en ré* compenfe égayer 1'ouvrage plus qu'il n'a fait. Non que je le blame d'en être demeuré dans ces termes : la langue latinc n'en demandoit pas davantage; & li l'on y veut prendre garde, on reconnoitra dans cet auteur le vrai caraftére & le vrai génie do Térence. La fimplicité eft magnifique chez ces grands hommes : moi qui n'ai pas les perfeétions du langage comme ils les ont eues, je ne la puis élever a un fi haut point. II a donc fallu fe récompenfer d'ailleurs: c'eft ce que j'ai fait avec d'autant plus de hardiefie, que Quintilien dit qu'on ne fgauroit trop égayer les narrations. II ne s'agit pas ici d'en apporter une raifon : c'eft afiez que Quintilien Fait dit. J'ai pourtant confidéré que ces fables étant fcues de tout le monde, je ne ferois rien fi je ne les rendois nouvelles par quelques traits qui en relevaffent Ie goüt: c'eft ce qu'on demande aujourd'hui; on veut de la nouveauté & de la gaieté. Je n'appelle pas gaieté. ce qui excitc lerire; mais un certain charme, un air agréable qu'on peut donner a toutes fortes de fujets, même les plus férieux. Mais ce n'eft pas tant par la forme que j'ai donnée a cet ouvrage qu'on en dok mefurer le prix, que par fon utilité & fa matiere. Car qu'y a-t-il de recommendable dans les productions de 1'efprit, qui ne fe rencontre dans 1'apologue ? C'eft quelque chofe de fi divin, que plufieurs perfonnages de 1'antiquité ont attribué la plus grande partie de ces fables a Socrate, choififfant pour leur fervir de pere, celui des mortels qui avoit le plus de communication avec les Dieux. Je ne fcais comme ils n'ont point fait defcendre du ciel ces mêmes fables, & comme ils ne leur ont point aflïgné un Dieu qui en eüt la direction, ainfi qu'a la poëfie & a 1'éloquencc. Ce que je dis n'eft pas tout-a-fait fans fondement; puifque, s'il m'eft permis de mêler cc que nous avons de plus facré parmi les erreurs du paganifme, nous voyonfibie la vérité a parlé aux hommes par paraboles; & la parabole M-elle autre chofe que 1'apologue? c'eft-a-dire,un exemplc fabuleux,& qui s'infinue avec d'autant plus defacilité & d'eftet, qu'il eft plus coramun & plus familiei. Qui ne nous **• 3  xxij P R É F A C E. propoferoit a imiter que les maitres de la fageffe, nous fourniroiü un fujet d'cxcufe: il n'y en a point, quand des abeilles & des fourmis font capables de cela même qu'on nous demande. C'efl: pour ces raifons que Platon ayant banni Homere de fa république, y a donné a Efope une place très-honorable. II fouhaite que les enfaus fucent ces fables avec le lalt: il recommando aux nourrices de les leur apprendre : car on ne fcauroit s'accoutumer de trop bonne heure a la fageffe & a Ia vertu. Plutöt que d'être réduits a corriger nos habitudes, il faut travailler a les rcndre bonnes, pendant qu'elles font encore indifférentes au bien ou au mal. Or quelle méthode y peut contribuer plus utilement que ces fables ? Dites a un enfant que Craflus allant contre les Parthes, s'engagea dans leur pays, fans confidérer comment il en fortiroit; que cela Ie fit périr lui & fon armee , quelque efFort qu'il fit pour fe retirer. Dites au même enfant que le renard & lebouc defcendirent au fond d'un puits pour y éteindre leur foif; que le renard en fortit, s'étant fervi des épaules & des cornes de fon camaradc comme d'une échelle : au contraire le bouc y demeura, pour n'avoir pas eu tant de prévoyance; & par conféquent qu'il faut confidérer en toute chofe la fin. Je demande lcqucl de ces deux exemples fera le plus d'impreffion fur cet enfant, ne s'arrêtera t-il pas au dernier , comme plus conforme & moins difproportionné que 1'autre a Ia petiteffe de fon efprit? II ne faut pas m'alléguer que les penfées de 1'enfance font d'elles - mêmes alfez enfantines, fans y joindre encore de nouvelles badineries. Ces badineries ne font telles qu'en apparence; car dans le fond, elles portent un fens très-folide. Et comme par la défmition du point, de la ligne, de la furface, & par d'autres principes trés-familiers, nous parvenons a des connoilfances qui mcfurent enfin le ciel & la terre; de même auffi, par les raifonnemens & les conféquences que l'on peut tirer de ces fables, on fe forme le jugemenÉfcc les mceurs, on fe rend capables des grandes chofes. Elles ne font pas feulement morales, elles donnent encore d'autres connoiffanccs. Les propriétés des animaux, & leurs  P RÉ FA C E. xxnj divers cara&éres y font exprimés; par conféquent les nótres auffi, puifque nous fomraes Fabrégé de ce qu'il y a de bon & de mauvais dans les créatures inaifonnables. Quand Promethée voulut former rhomme, il prit la qualité dominante de chaque béte. De ces piéces fi dift'érentes il compofa notre efpece ; il fit cet ouvrage qu'on appelle le petit monde. Ainfi ces fables font un tableau, oü chacun de nous fe trouve dépeint. Ce qu'elles nous repréfentent confirme les peribnnes d'age avancé dans les connoiflances que 1'ufage leur a données, & apprend aux enfans ce qu'il faut qu'ils fcachent. Comme ces derniers font nouveaux venus dans le monde, ils n'en connoiflent pas encore les habitans; ils ne fe connoiflent pas eux-mêmes. On ne les doit laiffer dans cette ignorance' que le moins qu'on peut: il leur faut apprendre ce que c'efl; qu'un lion, un renard, ainfi du refte ; & pourquoi l'on compare quelquefois un homme a ce renard , ou a ce lion. C'efl: a quoi les fables travaillent: les premières notions de ces chofes proviennent d'elles. J'ai déja paffé la longueur ordinaire des préfaces; cependant je n'ai pas encore rendu raifon de la conduite de mon ouvrage. L'apologue eft compofé de deux parties, dont on peut appelier 1'une le corps, 1'autre 1'ame. Le corps efl. la fable; 1'ame efl: la moralité. Ariftote n'admet la fable que dans les animaux; il en exclut les hommes & les plantes. Cette régie efl: moins de néceffité que de bienféance; puifque ni Efope, ni Phédre, ni aucun des fabuliftes ne 1'a gardée: tout au contraire de la moralité dont aucun ne fe difpenfe. Que s'il ïn'eft. arrivé de le faire, ce n'a été que dans les endroits oü elle n'a pü entrer avec grace, & oü il efl: aifé au lefteur de la fuppléer. On ne confidére en Francs que ce qui plait: c'efl la grande régie, pour ainfi dire la Jeule. Je n'ai donc pas cru que ce füt un crime de pafler par - deffus les anciennes coutumes, lorfque je ne pouvois les mettre en ufage fans leur faire tort. Du temps d'Efope, la fable étoit contée fimplement, la tnoralité féparée, & toujours enfuite. Phédre elt venu qui ne s'eft. pas affujetti a cet ordre: il embellit la narration, &  xxïv P R É F A C E. tranfportc quelquefois la moralité de la fin au coinmencenienti' Quand il feroit néceffaire de lui trouver place, je ne manquea cc précepte, que pour en obferver un qui n'eft pas moins important: c'eft Horace qui nous le donne. Cet auteur ne veut pas qu'un écrivain s'opiniatre contre 1'incapacité de fon efprit, ni contre celle de fa matiere. Jamais, a ce qu'il prétend, un homme qui veut réuffir, n'en vient. jufques- la; il abandonne les chofes dont il voit bien qu'il ne fcauroit rien faire de bon, Et qua Defperat tra&ata 7iitefcere pojje, relinquit. C'eft ce que j'ai fait a 1'égard de quelques moralités, du fuccès defquelles je n'ai pas bien efpéré. II ne refte plus qu'a parler de la vie d'Efope. Je ne vois prefque perfonne qui ne tienne pour fabuleufe celle que Planude nous a laiffée. On s'imagine que cet auteur a voulu donner a fon héros un caraétére & des aventures qui répondiflent a fes fables. Cela m'a paru d'abord fpécieux; mais j'ai trouvé a la fin peu de certitude en cette critique. Elle eft en partie fondée fur ce qui fe paffe entre Xantus & Efope : on y trouve trop de niaiferies; & qui eft le fage, aqui de pareilles chofes n'arrivent point ? Toute la vie de Socrate n'a pas été féricufe. Ce qui me confirme en mon fentiment, c'eft que le caraétére que Planude donne a Efope, eft femblable a celui que Plutarque lui a donné dans fon banquet des fept fages, c'eft-a-dire, d'un homme fubtil, & qui ne laifle rien paffcr. On me dira que le banquet des fept fages eft auffi une invention. II eft aifé de douter de tout: quant a moi, je ne vois pas bien pourquoi Plutarque auroit voulu hnpofer a Ia poftélité dans ce traité - Ia , lui qui fait profelfion d'être véritable par tout ailleurs, & de conferver a chacun fon caraétére. Quand cela feroit, je ne fcaurois que mentir fur la foi d'autrui: me croira-t-on moins que fi je m'arrête a la mienne? car ce que jepuis, efl: de compoferun tiflu de mes conjectu. les, lequel j'intitulerai, Vie d'Efope. Quelque vraïfemblable C'eft de vous renfermer aux trous de quelque mur. Les Oifillons, ias de 1'entcndre, Se mirent a jafer auffi confufémcnt, Que faifoientles Troyens, quand la pauvre Caiïandre Ouvroit la bouche feulcment. II en prit aux uns comme aux autres. Maint Oifillon fe vit efclave retenu. Nous n'écoutons d'inftincts que ceux qui font les nótres, Et ne croyons le mal que quand il eft venu.  s6 FABLES FABLE IX. Le Rat de ville et le Rat des champs. A utrefois le Rat de ville Invita le Rat des champs, D'une facon fort civile, A des reliëfs d'ortolans. Sur un rapis Et les brodeufes, Les joyaux, les robes de prix. Dans le troifiéme lot, les fermes, le ménagei Les troupeaux & le paturage, Valets & bêtes de labeur. Ces lots faits, on jugea que le fort pourroit faire , Que peut-être pas une fceur N'auroit ce qui lui pourroit plaire. Ainfi, chacune prit fon inclination, Le tout a 1'eflimation. Ce fut dans la ville d'Athenes, Que cette rencontre arriva. Petits & grands, tout approuva Le partage & le choix. Efope feul trouva Qu'après bien du temps & des peines, Les gens avoient pris juftement Le contre-pied du teftament. Si le défunt vivoit, difoit-il , que 1'Attique Auroit de reproches de lui! Comment! Ce peuple qui fe piqué D'étre le plus fubtil des peuples d'aujourd'hui, A fi mal entendu la volonté fuprême D'un teftateur! Ayant ainfi parlé, II fait le partage lui-même, Et donne a chaque fceur un lot contre fon gré, Rien qui püt être convenable, Partant rien aux iceurs d'agréable:  C H O I S I E S. Liv. tl 79 A la Coquette 1'attirail Qui fuit les perfonnes buveufes: La Biberonne eut le bêtail: La Ménagere eut les coëffeufes. Tel fut 1'avis du Phrygien, Alléguant qu'il n'étoit moyen Plus fur, pour obliger ces filles A fe défaire de leur bien : Qu'elles fe mariroient dans les bonnes families, Quand on leur verroit de 1'argent: Pairoient leur mere tout comptant; Ne pofféderoient plus les effets de leur pere, Ce que difoit le teftament. Le peuple s'étonna comme il fe pouvoit faire Qu'un homme feul eut plus de fens, Qu'une multitude de gens. Fin du fecond Livre.