du Maréchal de Richelieu. 103 de 500 livres d'argent. Le parlement que le duc d'Orléans avoit ménagé d'abord , quand il en avoit- eu befoin pour recouvrer fes droits, a. qui il avoit rendu celui de faire des remontrances, mais qu'il traita très-cavaliérement, quand il fut Une fois le maitre, regut des lettres d'exil k Pontoife. En huit mois, on vit paroïtre trente-trois édits, déclarations, arrêts du confeil , pour fixer la taxe de 1'or & de 1'argent, borner 1'argenterie, la bijouterie , augmenter le numéraire , donner les. moyens de partager les aftions, prefcrire la manière'"de les couper , de les tranfmettre , de tenir regiftre, d'ouvrir & fermer les comptes en banque , &c. Tout cela ne put remédier au défaftre univerfel. La défolation qui régnoit dans la capitale , pénétra bientöt dans les provinces; & d'autres fléaux fe joignirent encore a ces malheurs. La pefte venoit de ravager Marfeille; un incendie avoit dévoré la moitié de la ville de Rennes. Tant d'événemens défaftreux devoient nécelfairement entrainer la ruine d'une partie du royaume. La France avoit regu un tel échec , que, malgré les reffouces immenfes qu'elle renferme dans fon fein , elle fut long - tems a voir fermer fes plaies. L'auteur de tant de maux, celui que le peuple defiroit rendre vicVime de fes fauffes opérations, Law, protégé par ,1e régent, eut le bonheur de s'évadér , & de fortir du royaump1(. . • Le duc de Richelieu, riche en fonds de terres fubftituées, avoit très-peu participé au malheur public; rien n'avoit pu arrêter le cours de fes galanteries. Après le départ de mademoifelle de Valois, ducheffe de Modène, mademoifelle de G iv  io6 Vie prlvée de la trop fenfible marquife de Duras. Elle jugea bien que fon amant ne Paimoit pas feule, & que les fermens qu'il lui prodiguoit tous les jours , n'étoient pas auffi fincères qu'il le prétendoit. Elle connoiffoit madame de Villeroi; fa jaloufie lui prêtoit tantöt des charmes qui devoient entrainer Richelieu , & tantöt lui enlevoit jufqu'au plus petit moyen de plaire; mais fes réflexions fe terminoient toujours par la détefter. Elle fe perfuada que des faveurs accordées a fon amant le fixeroient auprès d'elle. Elle étoit jolie, & toute femme, avec de 1'amour-propre, s'embellit encore a fes yeux. Son miroir 1'affura qu'elle ne pouvoit pas avoir de rivale; Richelieu, en la connoiffant mieux , ne pourroit pas s'empêcher de rendre juftice a des beautés parfaites, & elle réfolut de ne rien épargner pour le captiver. La ducheffe * * *, qui s'étoit appercue de Pattachement de la jeune marquife, avoit tenté de la fouftraire au.péril qu'elle-même n'avoit pas fu éviter. Elle lui avoit repréfenté Richelieu vol age, inconftant, & ne s'occupant qu'a féduire indifféremment toutes les femmes. Par malheur fes confeils arrivoient trop tard; 1'amour avoit fait dans fon cceur des impreffions trop profondes, & ces fages avis ne fervirent qu'a le déchirer & non a le guérir. La ducheffe *** s'appergut que fes remontrances étoient inutiles, & elle jugea d'après fa propre expérience que la défaite de la marquife n'étoit pas éloignée. Elle fentit que tout ce qu'elle feroit , pour 1'empêcher, feroit infuffifant; & elle s'accoutuma peu a peu a voir une nouvelle rivale dans fon amie. La marquife de Duras réfolue de fe donner ii  du Maréchal de Richelieu. ioy Richelieu pour 1'attacher par la reconnoiffance d'un fi grand bienfait, ne put s'empêcher de communiquer k la ducheffe de ** le projet qu'elle avoit concu. La ducheffe devint fa confidente: car malgré les obftacles qu'elle s'efforcoit de mettre a fes amours, elle ne ceffoit de la confulter. On peut bien s'imaginer qu'elle s'oppofa de tout fon pouvoir a cette réfolution qu'elle traita de folie. Elle dit k la marquife que le moyen qu'elle vouloit employer étoit au contraire très-propre a lui faire perdre plus vite fon amant; qu'une fois fatisfait, il n'auroit plus rien qui 1'attirat prés d'elle; qu'il falloit le laiffer defirer long-tems; afin que 1'attrait de la nouveauté le rendït plus amoureux & plus empreffé; enfin elle fit fi bien que la marquife promit de combattre fon penchant tk de reculer 1'inflant qu'elle avoit projetté d'abord d'accélérer. Mais elle avoit affaire k un homme trop ha- " bile dans l'art de féduire, pour ne pas tirer un grand parti du plus petit avantage qu'on lui donnoit. II ne pouvoit plus douter qu'il fut aimé : cette certitude confirmoit en lui celle de fa victoire; il favoit bien qu'il ne lui manquoit qu'une occafion pour être heureux, & le fort le fervoit toujours fi bien qu'il ne la crut point éloignée. Effectivement le feu prit un foir a la cheminée de la cuifine, & quoique peu confidérable , il n'en effraya pas moins toutes les femmes qui habitoient le chateau. La marquife de Duras fut celle qui témoigna le plus de peur; Richelieu s'empreffa de la raffurer ; fon affiduité étoit fi naturelle, dans cette circonftance, qu'elle n'étonna  108 V"u prlvée perfonne. II étoit arrivé après foupé. Accoutumé a. mettre a profit tous les événemens, il vit bien que celui-ci le meneroit a fon but. La marquife de Duras fe trouvant légérement indifpofée de 1'effroi qu'elle avoit eu, fe retira de bonne heure dans fon appartement. Elle avoit Phabitude d'en exclure le duc qu'elle redoutoit : mais dans ce moment, il venoit de lui témoigner tant d'intérêt, qu'elle ne put lui en refufer 1'entrée. II y auroit eu de la cruauté ; & la marquife n'avoit pas la force d'en avoir envers un homme qui s'étoit fi vivement empreffé de la raffurer. II refta donc prés d'elle, 6c lui témoigna tant d'amour, que la marquife , entrainée par le fien, oublia les excellens confeils de la iucheffe * * *. Sa raifon s'égara ; fon cceur parloit pour fon amant, qui n'étoit pas homme k laiffer échapper une fi belle occafion. II la faiïit très-habilement, & vouloit même paffer la jiuit avec la marquife ; mais elle n'y confentit pas, refufant de mettre fa femme-de-chambre dans le fecret. Cette femme couchoit dans un cabinet voifin de Panti-chambre ; & elle pouvoit entendre entrer & fortir. Le duc , qui avoit projetté de ne pas coucher dans fon appartement, piqué du refus, fe fervit de fon paffe-par-tout, pour entrer dans celui de la ducheffe***, qu'il affura de toute fa tendreffe a fon tour, ignorant ce qui venoit de fe paffer. Celle-ci recut des hommages qui ne lui étoient point defhnés. La marquife de Duras, qui avoit été timide le fóir, n'en fut que plus paffionnée le lendemain. Les inftans qu'elle avoit paffes, lui paroiffoient devoir être les avant-coureurs de mille  du Maréchal de Richelieu. 109 autres femblables ; & elle comptoit être dédommagée de ceux que la briéveté du tems lui avoit interdits : mais fon amant, qui avoit partagé fes bonnes graces, ne fe trouvoit pas difpofé k feconder de fx favorables difpofitions. Bien convaincu que pour ce moment le repos étoit ce qui lui convenoit le mieux, il fe garda bien de répondre aux agaceries de la jeune marquife. Elle , de fon cöté, s'imagina qu'il étoit fiché de ce qu'elle lui avoit refufé de refter plus longtems ; 8c elle chercha les moyens de 1'appaifer, tandis qu'il s'éloignoit d'elle, 8c qu'il évitoit d'entrer dans aucune explication. Rendue dans fon appartement, elle s'attendoit qu'il alloit venir lui porter fes plaintes; les momens lui parurent d'une longueur mortelle : k chaque minute, la montre étoit confultée ; Sc que Paiguille tournoit lentement a fon gré I mais elle ne marqua pas 1'inftant du bonheur. Richelieu réparoit dans les bras de Morphée les fatigues de la veille ; il étoit loin de penfer a 1'inquiétude Sc au tourment qu'il caufoit. La marquife impatiente, fuiieufe, laffe d'attendre, crut trouver dans fon lit le fommeil que fon amant goütoit fi tranquillement; mais il tuit loin d'elle, Sc elle revit le jour fans pouvoir fermer les yeux. Enfin la lafïitude , 1'accablement lui procurèrent quelques heures de repos troublé par des rêves effrayans. Richelieu, en recouvrant de nouvelles forces, avoit repris plus d'amour ; il vint trouver la marquife qui fe promettoit bien de lui faire éprouver les effets de fon mécontentement, mais qui, heureufe de le voir, fentit^ le reproche expirer fur  I IO Vit privét fes lèvres, & toute fa colère s'évanouit. Elle n'ofa même lui demander pourquoi il n'étoit pas venu la veille : ce fut après bien des détours qu'elle paria de fa femme-de-chambre. Le duc ne manqua pas de fe plaindre, & de dire que quand on aimoit véritablement, on trouvoit les moyens de le prouver. Alors elle le pria elle-même d'indiquer ces moyens , avouant que la bonne volonté ne lui manquoit pas, mais qu'elle ne pouvoit pas trouver de raifons plaufibles, pour éloigner fa femme-de-chambre. Richelieu, fertile en expédiens, 1'affura que rien n'étoit fi facile; qu'elle n'avoit qu'a dire que depuis quelque tems cette femme étoit fomnambule ; qu'elle parloit haut, fe levoit fouvent; & que la nuit dernière encore, elle 1'avoit empêché de dormir. La marquife de Duras ne put s'empêcher de fire de cette belle invention, & promit d'en tirer parti. Effeftivement, elle fe plaignit a fa femmede-chambre même d'un défaut que celle-ci n'avoit pas, & qui 1'étonna fort. La pauvre fille s'excufa auprès de fa maitreffe; & lui dit qu'elle ne s'étoit jamais appercue de cette maladie. La marquife, qui vit fon chagrin, eut befoin de 1'affurer que cette incommodité ne lui nuifoit pas dans fon efprit ; qu'elle étoit contente de fon fervice ; mais qu'il falloit feulement qu'elle couchat loin de fa chambre. Madame de Duras paroiffoit fatiguée; & loin d'attribuer a Richelieu 1'infomnie qui avoit altéré fes traits, la femme-de-chambre fut déclarée la caufe de tout le mal. Elle fit k fa guife un récit de tout ce que cette femme avoit fait la nuit, 6c de la peur horrible qu'elle-même avoit  du Maréchal de Richelieu. 111 éprouvée. Tout le monde lui confeilla d'éloigner cette dangereufe fomnambule ; & la ducheffe de*** fut la première k défigner une chambre écartée , oü elle pourroit faire k fon gré tout le bruit qu'elle voudroit. La pauvre femme-dechambre étoit inconfolable; elle proteftoit qu'elle ne fe fouvenoit de rien, & craignit de perdre une place qui étoit très-bonne. La marquife, contente de fes fervices, lui fit plufieurs préfens, pour la raffurer. Nos deux amans , débarraffés ainfi de leur argus, s'arrangèrent de facon k profiter de fon abfence. La nuit fut prodigieufement différente pour la marquife, de celle qui 1'avoit précédée. Le jour lui avoit femblé un fiècle k paroïtre ; & cette fois-ci, elle fut étonnée de le voir arriver fi-töt. Le duc de Richelieu, heureux avec madame de Duras , étoit bien certain de 1'être auffi avec la ducheffe de Villeroi. Tout étoit convenu entre elle & lui : Pabfence de M. de Villeroi devoit être 1'inftant de leur réunion. La Foffe, valet de confiance du duc, arriva a Mantes avec un billet de madame de Villeroi, qui lui annoncoit pour le fur-lendemain ce moment fortuné. Le rendez-vous étoit pour onze heures du foir; il devoit trouver la petite porte du jardin ou verte, & de-la être introduit par un efcalier dérobé dans 1'appartement de la ducheffe. II falloit concilier cette nouvelle aventure avec fon intrigue avec madame de Duras. Richelieu, qui n'étoit jamais arrêté par les obftacles, crut d'abord que le prétexte d'une maladie pourroit lui fervir.; mais il ne voulut pas l'employer, perfuadé que les deux  lil Vie privie femmes qui s'intéreffoient k lui, fe difputeroient le 'plaifir de lui prodiguer leurs foins, comme cela lui étoit arrivé, lors de fa liaifon avec la malheureufe princeffe de * * *. Le duc avoit appris en même-tems que le marquis de Dangeau étoit tombé dangereufement malade; & comme plulieurs académiciens lui avoient promis la première place vacante k 1'Académie francoife, il crut" devoir faire part de cette nouvelle a la duchelTe * * * & k la marquife de Duras , pour pouvoir retourner librement a Paris. Le nom qu'il portoit, lui ouvroit fans doute la porte de 1'Académie , comme petit-neveu du fondateur ; mais il n'impofoit pas aux académiciens la néceflité de le nommer. Les faillies d'un efprit naturel le faifoient déja citer; il étoit grandfeigneur; il ambitionnoit le fauteuil: 1'Académie 1'avoit déligné pour être un de fes membres. S'il n'avoit alors que vingt-quatre ans , les trenteneuf diftributeurs de la gloire littéraire avoient fans doute devant les yeux cette maxime de Corneille: Aux ames bien nées, La valeur n'attend pas le nombre des années. Richelieu parut impatient de s'alTeoir au milieu de ces quarante immortels, & ce defir de gloire fut un nouveau mérite auprès de fes maitreffes. Elles 1'engagèrent a ne pas négliger de s'afTurer complétement de la bonne volonté des académiciens , dans le cas oü le marquis de Dangeau viendroit k mourir. La marquife de Duras furtout fentit la valeur du facrifice qu'elle faifoit en permettant  du Maréchal de Richelieu. 117 Villeroi Sc fa coufine. Le refpedt qu'on avoit pour ces dames fit retirer les autres perfonnes, Sc l'abbeffe avoit demandé la permifïion de s'abfenter pour donner quelques ordres. Le deffervant crut devoir fe retirer auffi fous un prétexte quelconque, & laiffa les quatre amans en liberté. Le premier moment paffé, il fut convenu , crainte de furprife , qu'un couple veilleroit a la porte, tandis que 1'autre cauferoit particuliérement; Sc alternativement ils fe rendirent le même fervice. Le plaifir de tromper tant de furveillans ne fut pas 1'attrait le moins piquant de cette aventure. L'abbeffe avoit fait préparer une collation pour les jeunes abbés. Leurs maitreffes la partagèrent, Sc la joie fut générale. Un mot, un gefte, un regard, tout leur rappelloit ce qui venoit de fe paffer. Les abbés firent affaut d'efprit, & fixèrent ï'attention de l'abbeffe, qui, fans avoir la fraicheur de la jeunefTe, confervoit encore un cceur tendre. Le duc de Richelieu fur - tout lui parut fait pour diriger un couvent avec prudence. Elle auroit defiré qu'il put remplir la place de fon oncle prétendu. La nuit avertit les amans qu'il falloit fe féparer; Sc les deux abbés ne quitterent pas le couvent fans emporter les regrets de ces dames, ainfi que de la bonne abbeffe qui avoit, difoit - elle , paffé une délicieufe foirée. Elle les engagea a revenir; ils profitèrent encore une fois de la permifïion : mais ils n'ofèrent continuer ce röle , de crainte que le curé de Joire ne découvrit enfin qu'ils n'étoient pas fes neveux.  nb* Vie privit CHAPITRE X. Rêception du duc au Parlement, en qualitè de pair. Suite de fes amours. Orgie fake d Calais. -L a moindre action du duc de Richelieu avoit bientöt de la célébrité. Ce qui ne fixoit 1'attention de perfonne dans un autre, attiroit tous les regards , quand il étoit queftion de lui. II fut recu pair au parlement pour fon duché de Richelieu, le 6 mars 1721 ; & ce fut un jour .de fête pour les femmes Sc pour une partie du peuple. Recu une feconde fois en 1723 pour le duché de Fronfac, il eut également parmi les fpectateurs une foule de femmes qui avoient eu part a fes hommages , ou qui afpiroient a les recevoir. Madame de Flamarens venoit de fubir le fort des autres , fans pofféder davantage l'art de le rendre fidéle. Elle avoit fixé un rendez-vous pour le jour de fa rêception, croyant être la première a recevoir les vceux du nouveau pair. Madame de Duras, mademoifelle le Gendre, madame de Villeroi qui avoient plus de liberté, Sc mademoifelle de Charolois eurent la même prétention. Madame de Flamarens avoit une belle - mère devote, qui, malgré fa dévotion Sc fa vieilleffe, jprenoit grand plaifir k entendre le duc de Richelieu. Elle lui trouvoit de 1'efprit, de la vivacité; Sc il fe conduifoit devant elle de manière a  du Maréchal de Richelieu. 129 a dimlniter la réputation qu'il avoit d'être libertin. II étoit trop adroit, pour ne pas faifir le foible de cette femme, toutes les fois qu'il la rencontroit chez madame de Flamarens : auffi en étoit-il toujours trés-bien recu, Sc pouvoit-il voir librement fa maitreffe. Un jour qu'il étoit venu prendre du thé chez elle, fe trouvant libre, Sc loin des importuns, il crut devoir mieux employer fon tems qu'a déjeuner. Madame de Flamarens, très-difpofée a recevoir la moindre preuve de fon amour, s'abandonna fans réferve k celles qu'il voulut lui en donner. Elles furent multipliées; Sc le duc, qui avoit eu d'autres femmes a convaincre de fa tendreffe, fe trouva très-fatigué. II fe difpofoit a fortir pour aller prendre un reftaurant, quand la bonne belle-mère arïiva. Son premier foin fut de retenir 1'amant, qui fe plaignit de fa fanté. II lui dit que, depuis plufieurs jours, il étoit incommodé; qu'il avoit fait diète, & qu'il fe fentoit un peu foible. Cette bonne dame avoit coutume de faire mettre chez fa femme-de-chambre un petit pot au feu, pour manger de meilleur potage : elle offrit un bon bouillon au duc pour le reftaurer. En vain voulut - il s'oppofer a fa bonne volonté, elle exigea qu'il Pacceptat, & prétendit même le lui donner de fa main. Elle fortit auffi-tot, en lui ordonnant de 1'attendre, Sc nos amans rirent beaucoup de ce qu'une dévote mettoit tant d'ardeur a réparer les fbrces d'un homme qui venoit de les perdre avec fa belle-fille. Ils admirèrent le pouvoir de la dévotion qui faifoit de fi belles chofes. La dévote revint; le bouillon fut pris; Sc le Tome ƒ. I  t 130 Vit prlvtt duc de Richelieu, après 1'avoir bien remerciée, 1'aflura que jamais bouillon n'avoit été acceptc dans un moment plus favorable. Vers ce tems-la il étoit brouillé avec madame de Villeroi, qui avoit été convaincue de fes infidélités. L'amour - propre & la colère plus fort;» que l'amour , avoient occafionné cette rupture. Elle haïfToit trop 1'infidèle, pour que cette haine put durer long-tems. Deux mois s'écoulèrent k peine, qu'elle fut défolée de 1'avoir fi mal traité. Elle lui fit parler, chercha toutes les occafions de le revoir, fe préfentoit dans toutes les maifons ou il avoit coutume d'aller, & fut trop heureufe qu'il la reprit, elle qui croyoit devoir lui faire acheter fon pardon. Madame la duchefle de Modène, qui ne ceffoit de s'occuper du duc de Richelieu, qui s'en entretenoit avec tous ceux k qui elle croyoit pouvoir en parler fans fe compromettre, voulut abfolument revoir 1'amant qui étoit toujours préfent k fa penfée. Elle venoit d'avoir une maladie affez dangereufe; & quand elle fut rétablie, elle dit a fon mari que dans le moment du danger , elle avoit fait vceu d'aller a Notre - Dame de Lorette : elle lui demanda la permifïion de 1'accomplir. Le prince y confent; mais il fe difpofe k Paccompagner. Cette complaifance de M. de Modène contrarioit les projets de la princeffe, qui avoit écrit a Richelieu de fe trouver k Lorette. Auffi-töt nouveau meffage au duc .de n'y pas venir, & aifurance de la part de la princefle de faire le voyage de Paris. Effeöivement, elle redouble de foins auprès de fon époux; elle lui fait entendre. que les péleri-  du Maréchal de Richelieu. 13 i nages Jjfi ont été favorables., & que, fi elle continuoit de voyager, fa. fanté deviendroit encore meilleure. Elle lui propofe en conféquence de lui procurer le plaifir d'aller embraffer fon père; &c le prince qui étoit guéri de fa jaloude , fe rendit aux prières de fa femme. Elle s'embarque avec lui a Ancone ; puis ils pafTent quelques jours a Venife, pour prendre enfuite le chemin de la France. Arrivés a Boulogne, ils y trouvèrent Chavigny , envoyé de Gênes , qui , par ordre de la j cour, attendoit Law. II rendit fes devoirs. aux voyageurs; & dans la converfatiort la princeffe eut Pimprudence de lui dire qu'elle venoit en France. Chavigny, empreffé a faire fa cour au régent, lui manda cette nouvelle : mais le prince dépêche aufïl-töt un courier qui perfuadé au duc de Modène k ne pas paffer outre. La princeffe , au défefpoir, elTaya de détourner fon mari de fuivre 1'avis qu'on lui donnoit; tout fut inutile ; il fallut retourner k Modène, & perdre a moitié chemin 1'efpérance de voir Richelieu. Le regent 1'avoit fait venir, en lui prefcrivant de refter a Paris; il lui permit feulement d'écrire k fa fille.. Le duc, qui n'étoit point affez amoureux pour être chagrin de ce contre-tems, fe fit un mérite auprès du régent de fon obéiflance. II vit bien que ce prince avoit encore un levain d'animofité contre lui, & qu'il étoit toujours jaloux de le voir préféré. II étoit d'ailleurs dédommagé de toutes parts de la perte d'une bonne fortune, & plus occupé a fe remettre de fes fatigues qu'a y ajouter.-.. .- .; ~; 3 r La marquife d'Anceny qu'il vit chez madame I ij  ijjj J/le privêe la maréchale de Villars, ranima des deiirs qui commencoient a s'éteindre. II avoit craché le lang pendant quelques jours; mais un peu de repos Sc de régime lui rendirent la fanté. Toutes fes maitreffes témoignèrent de 1'inquiétude de eet accident, & 1'engagèrent a fe ménager. Mademoifelle de Charolois fut la première a refufer un rendez-vous qu'il demandoit encore. Madame de Villars, qui recevoit rarement Richelieu, toujours entraïné par de nouveaux projets, fut trèscontente de le voir un peu plus affidu a lui faire la cour : elle foupconna bien que ce retour avoit un motif; Sc elle ne fut pas long-tems k connoitre que la marquife d'Anceny en étoit 1'objet. Madame d'Anceny avoit dit par-tout qu'il feroit 1'homme le moins redoutable pour elle ; qu'elle le connoifToït trop pour n'être pas en garde contre fes fédudtions, Sc qu'elle le défioit de la faire fuccomber. Cette fanfaronnade, qui parvint aux oreilles de Richelieu, lui fit rechercher cette femme fi füre de fes forces ; Sc fa vue 1'avoit encore affermi dans fes projets. Cependant la marquife, qui fe croyoit fi certaine de Phumilier, commencoit déja a tendre les bras, pour recevoir fes fers. II avoit pris un ton tellement perfuafif, qu'il lui vint dans 1'efprit qu'elle pouvoit être la femme deftinée k le fixer. Elle balanca long-tems , pour le croire ; mais enfin, 1'amour-propre Sc la confiance dans fa beauté furent la caufe de fa perte. Tout lui dit qu'il étoit bien flatteur pour elle d'être la première a faire connoitre la confiance a un homme qui jufqu'iei n'avoit airaé que le cbange-  du Markhal de Richelieu. 133 ment. Elle ne réfléchiiToit pas que vingt autres avant elle s'étoient bercées de ce chimérique efpoir. La marquife avoit befoin de 1'expérience, pour être perfüadée que ce qu'elle vouloit tenter étoit au-delTus de tout efFort humain ; & elle n'acquit que trop tot cette trifte 6c fatale certitude. Sous fes yeux même, il avoit été obligé de renouer en paffant avec la maréchale de Villars, qui lui avoit juré de refter toujours fon amie, fa confidente, mais qui vouloit auffi jouer quelquefois le röle principal. Elle avoit une fociété très-étendue. Richelieu trouvoit chez elle de quoi fatisfaire fes caprices; & elle ne croyoit pas trop exiger de lui faire payer un droit de tolérance, a chaque nouvelle liaifon qu'il. formoit.. Le duc qui étoit très-lié avec le marquis de la Fare , n'avoit pu voir l'amour que la jeune princefle de Conti avoit pour lui, fans defirer de le partager. II avoit été témoin d'une fcène de jaloufie furvemie entre les deux amans, oü la princefle montra un efprit & une fenfibiiité qui 1'enchantèrent. II épia 1'inftant oü ils auroient encore quelque querelle, & entre amans elles ne font pas rares. II plaignit la princefle des chagrins qu'elle éprouvoit, 1'afliira qu'elle méritoit de trouver un homme qui lui facrifiat toutes les autres femmes, & fur-tout il s'étudia a rendre la Fare bien coupable. La princefle étoit dans un de ces momens oü 1'on eft difpofé k recevoir favorablement toutes les mauvaifes impreffions qu'on peut nous donner: elle étoit perfuadée qu'elle n'aimoit plus la Fare, qui lui étoit infidèle ; & Richelieu lui montroit la vengeance I iü  ij 4 I5< />«Vét: comme une chofe indifpenfable. La Fare fut quelques jours fans venir faire fa paix : le dépit augmenta, & 1'éloquence du duc fit le refle. La princeffe étonnée fuivit une impulfion qu'elle prit pour de l'amour. Elle avoit befoin que 1'ivrefle de fes fens lui ötat tout autre fouvenir; mais malheureufement celui de la Fare venoit fouvent troubler fa tranquillité. Elle avoit des remords qu'elle ne pouvoit éloigner, & malgré elle, ils 1'afliégeoient fans eefle. Enfin la Fare parut , repentant, amoureux, & toujours aimable. II n'avoit jamais ceffé de 1'être a fes yeux; la jaloufie lui avoit feulement öté fes attraits pour quelques momens. Le cceur étoit a lui ; ce coeur avoit été égaré par des defirs qu'un homme adroit avoit fait naitre ; mais il fe fentoit entrainé plus yivement que jamais vers le premier objet qu'il avoit choifi. La Fare fut donc écouté avec d'autant plus d'indulgence qu'il répandoit des pleurs. La princefle en fut attendrie, & y joignit les flens : un pardon réciproque fut donné & recu dans.toutes les régies. Cependant la princefle avoit été foible avec Richelieu ; il avoit une lettre d'elle ; il pouvoit ctre indifcret, & elle vouloit avoir la gloire de pardonner a un coupable, fans éprouver 1'humiliation de le paroitre elle-même. Elle écrivit au duc, qui fe trouva d'abord embarrafle du meffage, paree qu'il avoit un rendez-vous pour la même heure avec mademoifelle de Charolois; mais comme il ne manquoit jamais de raifons pour s'excufer, il fe rendit k 1'invitation de la princefle de Conti. II s'attendoit a la voir partager les tranfports, tk fut très-étonné de la fcène qui  du Markhal de Richelieu. 13 5- fe paffa. La princeffe fe fervit de détours pour ne point humilier fon amour-propre, & finit par lui avouer qu'elle étoit réconciliée avec la Fare. Elle lui dit qu'une première imprefïion s'effacok difficilement, & que la vue & le répentir de fon amant avoient ranimé en elle des ferrtimens qu'elle croyoit éteints ; qu'elle étoit perfuadée qu'il étoit affez généreux pour ne plus troubler une liaifon qui faifoit fon bonheur, &: fur-tout pour enfevelir a jamais dans le filence la foibleffe qu'elle avoit eue ; què fa tranquillité dépendoit de ik difcrétion, & qu'elle ne rougiffoit pas de defcendre a la prière, pour qu'il lui rendit les feules preuves qui pouvoient 1'attefter; qu'il auroit dans ion cceur le premier rang après la Fare ; qu'il feroit fon ami, & que 1'amitié la plus tendre lui tiendroit lieu de l'amour. Richelieu n'aimoit point a être prévenu en rupture. Piqué de cette déclaration, qui annongoit une préférence marquée pour la Fare , il demanda a la princeffe une nouvelle preuve de fes bontés pour lui , avant de lui accorder ce qu'elle demandoit; elle fut inexorable, fans cependant irriter 1'homme qu'elle redoutoit. Toute femme a facilement le don des larmes , elle s'en fervit pour 1'attendrir. Le duc, perfuadé que fes efforts feroient inutiles, ou qu'ils ne lui procureroient que des momens peu agréables, voulut paroïtre généreux: il rendit a la princeffe la lettre & le billet qu'elle exigeoit, & promit de refpecter fon amour. II en avoit eu affez de k princeffe, pour fatisfaire fa vanité; elle avoit été infidelle, tout en adorant la Fare; & ce triomphe étoit affez beau fans en exiger davantage. I iv  136 Vie privée Une autre princeffe lui tendoit les bras; il courut lui porter un hommage qui ne fut pas partagé. Son régiment étoit alors en garnifon a Calais, & il fut obligé d'y aller paffer quelques mois. Ce ne fut point fans occafionner bien des regrets qu'il quitta la capitale. Chacun s'empreffa de le recevoir , comme un jeune feigneur dont on parloit déja beaucoup. Les beautés de la province fe difputèrent fon cceur , & il y en eüt ün grand nombre qui ne purent éviter d'être victimes de leur empreffement k lui plaire. Le duc avoit dans fon régiment un officier, nommé Laboularderie, qu'il aimoit beaucoup; c'étoit un libertin fort gai , excellent convive , fachant, comme le duc, réunir tous les goüts; il étoit joh garcon, & fon colonel 1'avoit admis dans une mtimité qui devint fufpefte. Cet homme , fier de 1'amitié de fon colonel, fe permettoit tous les excès. Le duc traitoit fouvent fes officiers ; & la nuit du mardi-gras au mercredi des cendres fut remarquable par une longue débauche. Vers cinq heures du matin, en paffant fur Ia place d'armes, au milieu de laquelle il y a un obélifque furmonté d'un crucifix , il leur prit fantaifie^ de danfer une ronde autour. Laboularderie, a qui 1'on pouvoit reprocher, comme a Céfar, d'être Ie mari de bien des femmes , & la femme de plus d'un mari, propofa une orgie publique , de 1'efpèce la plus étrange; propofition qui manifeftoit leur déréglement & 1'état ou Ie vin les avoit mis. Elle fut acceptée, & la fête fcandaleufe, qu'on nous dit avoir été commune en Grèce, fut renouvellée. Tous les acfeurs chan-  du Markhal de Richelieu. 13 7 toient cette ronde connue d'un opéra de Quisault: Une chaine fi belle Devroit être éternelle. Le bruit qu'ils firent attira quelques particuliers de la ville qui crièrent k 1'impiété : la troupe fe difïipa; mais le procureur du roi, nommé Longeville , inftruit au jour de ce qui s'étoit paffé la nuit , fe préparoit a faire une information. Les témoins alloient être entendus; il regardoit cette affaire comme excellente pour lui procurer de 1'argent, & il inftrumentoit avec un courage qui fit croire qu'elle iroit loin. C'étoit 1'homme le plus rapace, que 1'intérêt feul conduifoit, & non le defir du bien public. Richelieu & fes camarades réparoient par le fommeil les fatigues précédentes; ils ignoroient ce qui fe tramoit contr'eux : & dans le fait, cette aventure pouvoit leur faire le plus grand tort , & fur-tout nuire beaucoup au duc. Le pauvre chevalier de la Barre n'en fit pas tant, & eut la tête tranchée k Abbeville. Ce fera fans doute un éternel reproche pour les juges qui le condamnèrent, &c pour le clergé qui fbllicita fa perte. Heureufement qu'un habitant, homme honnête qui fut diflinguer du crime 1'étourderie &c 1'ivreffe, père de M. de la Place, auteur eftimable qui vit encore aujourd'hui, doyen des gens de lettres, & qui avoit eu occafion de connoitre M. de Richelieu, fe hata d'aller chez ce Longeville, pour le prier de fufpendre toute procédure. II lui repréfenta que peut-être on avoit  138 Vu privéc exagéré les faits ; que s'ils étoient vrais, il étoit prudent de les enfevelir dans le filence; que c'étoit 1'effet des têtes échauffées par le vin : qu'il falloit au contraire répandre dans la ville que le bruit étoit faux ; que des jeunes gens peuvent danfer fans crime , Sc que la préfence d'un crucifix n'interdit point une joie honnête. Longeville, qui ne trouvoit point fon compte a 1'arrangement propofé, fe récria beaucoup fur 1'horrible indécence , prétendit que la religion étoit offenfée, Sc que ces meffieurs devoient être décrétés, d'après fon information, pour faire un grand exemple. M. de la Place, voyant qu'il ne pouvoit rien obtenir, fe reffouvint que Longeville devoit a fon oncle toute la finance de fa charge. II fut le trouver ; Sc comme il en étoit fort aimé, il ne lui fut pas difHcile de Pengager a le feconder , en exigeant le payement des fommes échues. Longeville , qui n'avoit point de quoi remplir fes engagemens , menacé de voir tout vendre chez lui, fut obligé de promettre d'arrêter toutes pourfuites. On exigea qu'il déchirat la procédure qui avoit été commencée, 6c le procés-verbal fut jetté au feu. Le duc de Richelieu fut inftruit de ce trait d'amitié de M. de la Place, 6c en a été reconnoiffant toute fa vie. II voulut beaucoup de bien a fon fils, Sc le fervit dans toutes les occafions. II lui donna entr'autres une preuve de fa bienveillance particuliere après le fuccès de Venife fauvée. M. de la Place avoit une tragédie qui fut recue unanimement : c'étoit Adèh de Ponthieu. Deux ans après fa rêception, les comédiens, qui  du Maréchal de Richelieu. 139/ attendoient une pièce de Voltaire, refufèrent de jouer celle-ci, dont c'étoit le tour. Le maréchal de Richelieu 1'apprit; & toujours guidé par la reconnoiffance, il mena avec lui M. de la Place a 1'aiTemblée des comédiens. » J'entends, leur ditil, que, dans huit jours , la tragédie de monlieur foit jouée. Je fais que M. le duc de Villars, M. d'Argental & autres, & nommément notre ami le Kain préfent, veulent qu'on négligé tous les autres ouvrages, pour jouer exclulivement ceux de Voltaire. Perfonne ne leur rend plus de juftice, & n'aime plus Pauteur que moi; mais je n'entends pas qu'il y ait de préférence exclin five ". L'ordre donné, il fallut obéir. Les comédiens, tout en marquant leur mécontentement, apprirent leur röle; la tragédie fut jouée , & fon fuccès les défola. Elle n'a jamais été reprife. Les auteurs avoient alors une loge au-defTus de celle des premiers gentilshommes. M. de la Place fit ces quatre vers , qu'il laiffa tomber fur la tête du maréchal pour le remercier : Ton oncle conquit la Rochèle , Combla les arts de bienfaits éclatans ; Digne héritier de fes rares talens , Tu ptis Minorque... & fis jouer Adèle!  140 Vu privèe CHAPITRE XI. Retour du duc de Richelieu a Paris. Mort du cardinal Dubois, & du régent. jCjE duc de Richelieu quitta Calais avec grand plaifir, Sc montra autant d'impatience de revenir a Paris qu'on en avoit de Py revoir. Mademoifelle de Charolois fur-tout trouvoit qu'aucun amant ne pouvoit lui être comparé. Elle s'étoit mife quelquefois dans le cas de prononcer fur la différence; & fon cceur Sc Pexpérience étoient pour le duc. Accoutumée k fes infidélités, elle étoit heureufe en ne fixant fes regards ni fur le paffé ni fur Pavenir. Madame de Villeroi étoit aux eaux de Bourbonne, Sc c'étoit une femme de moins k tromper. Quelque tems après , madame de Duras devint groffe, & elle s'emprefTa d'en faire les honneurs a fon amant. Le bon Duras, qui aimoit plus Bacchus que fa femme, quoiqu'il fut trèslibertin, s'étoit éloigné depuis plufieurs mois du lit nuptial; il fallut 1'y rappeller pour que cette groflelTe ne lui parut point extraordinaire , & madame de Duras employa, pour 1'y ramener , ces careffes & ces complaifances dont les femmes favent fi bien fe fervir quand elles trompent le mieux. M. de Duras regarda 1'enfant qui furvint comme le fruit des tendres avances de fa femme, & ce ne fut que par la fuite qu'il congut quelque foupcon. II eft vrai que madame de Duras  du Maréchal de. Richelieu, 14: ne fe gêna pas trop : tout le monde trouvoit qwe fon enfant reffembloit au duc de Richelieu; & quand fes amis lui en témoignoient quelque étonnement, elle leur répondoit que rien n'étoit fi naturel, puifqu'il étoit fon fils. C'eft le maréchal de Duras, dernier mort. Tout le monde connoit cette anecdote. M. de Richelieu, qui le regardoit réellement comme fon fils, follicita pour lui, auprès de Louis XV, la place de premier gentilhomme de la chambre. Le roi, qui étoit prévenu défavorablement au fujet de M. de Duras , refufa d'abord fon confentement; mais il fe rendit enfuite aux inftances de fon favori. II lui écrivit cependant affez durement, en lui mandant qu'il accordoit cette grace a fon protégé : » Je veux bien, lui marque-t-il, donner la » charge au petit Duras, pour lequel vous ne » ceffez de me parler & de m'écrire ; puifque » vous le defirêz fi fort, j'y confens, mais dites» lui de ma part qu'il fe conduife mieux a 1'a» venir, fi non je le chaffe ". M. de Duras n'eut pas plutöt cette charge, qu'il contraria dans tout M. de Richelieu; ce qui lui fit dire plufieurs fois, étant auffi contrecarré par fon fils , dans quelques années de fervice, qu'il n'avoit été malheureux que par fes enfans. Le manage de Louis XV avoit été arrêté avec 1'infante d'Efpagne, & il fut décidé qu'elle viendroit en France jufqu'a 1'époque oü il pourroit être célébré. Le roi étoit alors loin d'avoir les mémes goüts qu'il a depuis témoignés ; car il pleura quand on lui annonca la nouvelle de fon mariage; & il n'en fut confolé qu'après avoir été bien affuré qu'il ne coucheroit de long-tems  142. ytt privk avec fa femme. Le 2 mars 1722, 1'infante arriva : le roi alla au-devant d'elle jufqu'au Bourg la Reine.; il 1'embraffa , & ne lui dit pas un mot. II revint a Paris, pour la recevoir au Louvre, & refta encore muet : ce qui fit dire a la jeune princeffe que. le roi étoit beau, mais qu'il ne parloit. pas. plus que fa poupée. Cette même princeffe, k la honte du gouvernement, fut renvoyée trois ans après en Efpagne, & mariée enfuite au fils du roi de Portugal. Ce jour même, mademoifelle de Charolois , qui fe laffoit des rendez-vous qu'elle donnoit k 1'hötel de Gondé,' voulut aller a la petite maifon du duc. de Richelieu, dont elle avoit entendu parler. Deux de fes femmes étoient con■ fidentes de' fes amours, & elle leur fit écrire au duc le billet ci-joint. » La déeffe ne parle pas;.mais les nymphes, » fes fayorites ,. donnent avis au demi-dieu de » ne point fuivre. demain le prince boffu au par» lement ., „ Le duc , qui ne perdoit aucune occafion d'aller fiéger au palais, facrifia poürtant celle-ci aux defirs de la princeffe, &c la recut dans fon réduit myftérieux , oii 1'on tacha de le dédommager des facrifices qu'il avoit faits. Accoutumé a plufieurs rendez-vous, il en avoit un pour le foir chez une femme que defiroit avoir le cardinal Dubois. Malgré tout le crédit du premier mi» niflre , elle donnoit la préférence k Richelieu, & le cardinal ignoröit encore quel étoit le rival qui retardoit fa victoire. Richelieu., fe . conduifit avec mademoifelle de Charolois aufli prudem.ment qu'il avoit coutu.rrv  du Maréchal de Richelieu. 143 de le faire en pareille occafion. II fut enfuite k facadémie oü le cardinal Dubois étoit recu. Fonieneile déshonora fon éloquence, en faifant 1'éloge du nouvel académicien; il le compare ballentent aux plus grands miniftres; öc on ne peut lire fans indignation le difcours qu'il prononca dans cette occafion. Faut-il que le génie proftitue 1'éloge a des gens corrompus, paree qu'ils font en place? Dubois, le plus méprifable des hommes, a trouvé des panégyriftes parmi les philofophes. Le duc quitta 1'académie, pour fe rendre chez la femme qui 1'attendoit. Dubois vint 1'y troubler. Madame de * * * avoit fait défendre fa porte; mais le cardinal, qui avoit des foupcons, 8c fe mettoit au-deffus de tout, dit, en jurant , qu'il vouloit lui parler , qu'il avoit des affaires importantes k lui communiquer, 8c qu'il entreroit. Les gens de madame de * * *, qui connoiffoient le caraöère de ce membre du facré collége, qui d'ailleurs avoient été témoins des égards que leur maïtreffe avoit pour lui, 8c redoutoient un premier miniffre, lui laiffèrent le paffage libre. Que vit-il, en entrant dans la chambre de madame de * * * ? Deux amans qui, fe croyant feuls, ne mettoient aucune réferve dans leur tête-a-tête. L'étonnement du cardinal ne peut être comparé qu'a celui de Richelieu 8c de la dame. On avoit fait quelque légère promeffe au prélat pour le jour qu'il feroit recu de 1'académie; 8c il voyoit un autre occuper la place qu'il ambitionnoit. Sa colère ne peut fe dépeindre : accoutumé a pronon- cer des mots énergiques, il s'écria : » F ! ma- » dame, ce n'étoit pas la peine d'être fi bégueule » avec moi, 6c d'afficher tant de vertu , pour  *44 Vie privée » faire k catin avec ce diable d'homme, qu'on » trouve toujours par-tout. II n'y a rien a faire » avec lui; mais je vous réponds que je ne fe»> rai plus votre dupe , &c vous la danierez la » première fois Richelieu voulut appaifer le cardinal, qui ne garda aucune mefure avec lui. Les mots les plus. communs & les plus orduriers furent prodigués a madame de *** & a fon amant. Le duc crut a la fin devoir' prendre le même ton; & la querelle alloit devenir férieufe, fi madame de ***, qiii craignoit la vengeance du miniftre , ne lui eüt promis de le traiter plus favorablement. Richelieu , qui vit auffi qu'une pareille difpute ne lui donneroit qu'un ridicule, mit du fien pour appaifer fon éminence ; & la paix fut faite, après qu'elle eüt toutefois exhalé fa bile, en jurant de nouveau tout a fon aife. Le duc , qui mettoit peu d'importance a la poffefïion de madame de *** , propofa au cardinal de le laiffer feul avec elle; mais il étoit encore un peu trop aigri, pour profiter de cette offre obligeante. » Je n'ai pas befoin de vous, » lui dit-il, pour avoir un fête-a-tête. Tout ce » que je vous demande, c'eft de n'être pas tou» jours a la pifte des plus jolies femmes ; laif» fez-m'en donc une au moins ". » Mon cher » confrère , reprit Richelieu, en riant, donnez» moi votre lifte, & je vous promets de la ref■» pefter Dubois trouva k réponfe plaifante, & prit un peu de bonne humeur. II aimoit affez Richelieu , qui, tout en ayant fes maitreffes, & celles du régent, avoit le talent de n'être pas très- mal  du Maréchal de Richelieu. 145 Tfial avec eux. Le duc fe mit enfuite a complimenter le cardinal fur fon difcours académique; le prélat lui répondit : » J'ai bien d'autres chofes » a faire que de m'amufer a ces gens-la. Ma ha»> rangue n'eft pas plus de moi que la votre n'é> » toit de vous ". La-deffus il fortit, en ajoutant: » Mon cher confrère, puifque confrère il y a, » fouvenez-voits bien que je vous aime mieux a » 1'Académie qti'ici ". Le duc de Richelieu eut encore quelques rencontres affez plaifantes avec le cardinal Dubois; & peut-être fut-il heureux pour lui que cette éminence hatat le terme de fes jours par la multitude de fes déportemens. Sa vie privée eft une fuite continuelle de débauches, d'irreligion & de coquineries : il ne croyoit ni a Dieu, ni a aucune forte de vertu. II fe permettoit tout pour parvenir a fes fins. Rien au monde n'étoit facré pour lui. II fema 1'or du tréfor public, 6c arma la France contre TEfpagne , pour avoir le chapeau de cardinal, qu'il étoit indigne de porter. II fit oublier au régent que c'étoit 1'oncle du roi qu'il combattoit; 6c qui avoit coüté tant de fang & d'argent k la France, pour être placé fur le tröne d'Efpagne. Une penfion de prés d'un million, qu'il recevoit des Anglois , lui fit préférer 1'alliance de ce peuple a celle des Efpagnols, qui étoit naturelle , & qu'il n'avoit aucun motif raifonnable de rompre. Généreux par oftentation, avare par caractère , il épuifa le tréfor royal, & laiffa k fa mort onze eens mille livres, fans compter une année de fon revenu, qui montoit k plus de dix-fept eens mille francs. Son móbilier étoit immenfe; il avoit fait faire une vaifTorns I. K  146 Vu privèe felle d'or ; & tandis qu'il ^vivoit dans cette exceffive opulence, il donnoit k peine de quoi vivre a fa femme, qui lui furvécut plus de vingt ans. Tout le monde fait qu'il étoit marié, tk que ne voulant laiffer aucunes traces de fon mariage, al avoit engagé 1'intendant de la province k les détruire. Celui-ci , pour faire fa cour au miniftre , &c en obtenir des graces , fut chez le curé qui avoit marié le cardinal; tk ayant mêlé dans fon vin une liqueur fomnifère, fe faifit des clefs du pafteur, & arracha des regiftres de mariage la feuille qui conftatoit celui de Dubois. Son entrée au confeil révolta tous les honnêtes gens , ik en fit déferter les grands. Comme archevêque, comme cardinal , comme premier miniftre, on lui fit beaucoup de fervices folemnels; mais cependant perfonne , après fa mort, n'ofa hafarder une oraifon funèbre. II avoit été craint & méprifé. II mourut le 10 aoüt 1723 , tk fut puni par ou il avoit pêché. II fallut lui faire une amputation toujours dangereufe , bien plus encore pendant la chaleur, & fur un homme de foixante & fix ans. La gangrène , malgré tous les foins, fe manifefta bientöC On lui propofa de 1'adminiftrer : des juremens effroyables furent fa réponfe. Mais ce qu'il y a d'affez fingulier, c'eft que ce fut le régent qui le détermina k recevoir fes facremens. La partie amputée étoit encore dans un vafe , fur une commode, oü le prêtre, fier de perter le viatique a une éminence, le pofa fans réflexion : fpeftacle révoltant & bizarre, qu'il étoit réfervé a un prince de 1'églife de donner a la cour de France dans fes derniers momens I  du Maréchal de Richelieu. 147 Le régent, k la mort de Dubois, s'occupa des affaires, renoncant finon au libertinage, du moins aux éclats les plus fcandaleux. Ce prince etc it aimable , mais malheureufement trop foible & , plongé dans 1'excès de la crapule par ion indigne miniftre. II étoit patiënt , affable & complaifant : il écoutoit avec un air de bonté qui charmoit, & faifoit fupporter fans peine juiqu'au refus. Quelle différence k eet égard, de lui au cardinal, qui étoit arrogant & dur ! C'eft un reproche de plus qu'on doit faire k ce dernier , d'avoir perdu un prince que les parifiens ne pouvoient s'empêcher d'aimer, malgré les défaftres de la banque. Ce qu'il fit pendant les quatre mois qu'il furvécut k fon miférable favori, prouve qu'il auroit pu retirer le royaume de 1'abyme, s'il n'eüt pas recu d'aufïi mauvais confeils. II mourut d'apoplexie entre les bras de la ducheffe de Phalaris, une de fes maitreffes, le 2 novembre de la même année, trop tot fans doute pour la France dont il avoit promis de réparer les malheurs. II y a cependant grande apparence que fes déteftables habitudes , en altérant fes organes , 1'avoient rendu incapable d'application. II s'étoit fait adorer au commencement de fa régence : il a encouragé & protégé les arts; il étoit bon & peu vindicatif. S'il a montré quelque reffentiment, c'eft contre les princes légitimés, & 1'on fait que 1'un d'eux , le duc du Maine, avoit fait jouer mille refforts , conjointement avec madame de Maintenon & le père le Tellier, pour lui öter la régence. II étoit appellé par le peuple, Philippe-k-Débonnaire. Ces bruits autre- K ij .  ■148 f it privèc fois fi répandus, qu'il avoit fait empoifonner M. & madame la ducheffe de Bourgogne & leurs fils, étoient éteints; le foupcon reftoit feulement encore dans 1'efprit de quelques anciens ferviteurs de Louis XIV. Dans le fait, on a un but, quand on commet un crime; quel auroit pu être le but du duc d'Orléans, en fe fouillant de celui dont on 1'accufoit ? de régner. Mais le duc d'Anjou, depuis Louis XV, qui furvécut feul, n'étoit-il point un obftacle a fes projets? Pourquoi ne pas s'en défaire ? Je veux bien admettre que pendant la vie de fon oncle, il n'ait pu 1'empoifonner. II avoit pourtant, felon le bruit public, irouvé le moyen de fe débarraffer de trois princes : il pouvoit donc bien faire mourir un enfant foible &c débile qui lui arrachoit la couronne. Et quand il fut régent, n'a-t-il pas été le maitre de terminer tous fes crimes ? Rappeller que Louis XV a régné, c'eft détruire cette abominable accufation. On peut lui reprocher fon goüt exceffif pour les plaifirs les plus fcandaleux, fon éloignement pour le travail, fa facilité a fuivre de pernicieux •confeils : défauts effentiels qui , en caufant le bouleverfement des finances, des crifes dans 1'églife & la magiftrature, ont rendu plufieurs années de fa régence orageufes. Cependant, au milieu même de fes débauches, ce prince étoit trèsréfervé avec les compagnons de fes orgies. Dans ces momens oü la confiance s'épanche & quelquefois s'échappe, ni fes amis ni fes maitreffes n'ont pu tirer de lui rien d'important fur les affaires de 1'état. Sans doute on ne pourra jamais lui pardonner  du Markhal de Richelieu. 149 d'avoir donné une confiance aufii entière au fcélérat Dubois. En vain 1'excuferoit-on, en difant que eet homme 1'avoit élevé; il le connoiflbit d'autant mieux pour avoir débauché fa jeuneffe, pour lui avoir applani le chemin du vice : il le jugeoit lui-même comme le public 1'a jugé depuis. II avoit été long-tems tourmenté avant de le faire confeiller d'état; Sc en lui accordaiit cette grace, il lui dit : L'abbé, un peu de droiture 8c de probité, je t'en prie! Ce n'étoit donc pas par ignorance de fes mauvaifes qualités que le régent le nommoit aux premières places : il eft d'autant plus coupable d'avoir mis le deftin de la France dans les mains d'un homme qu'il méprifoit. Qu'il 1'eüt choifi pour être 1'agent de fes plaifirs fecrets; qu'il 1'eüt exchüivement chargé de cette honteufe occupation; elle étoit digne de lui, 8c ne pouvoit influer que fur quelques femmes auxquelles les gens honnêtes ne s'intérefToient pas : mais en faire un archevêque, un cardinal, un premier miniftre ! c'étoit en même-tems fe jouer de la religion, 8c compromettre le bonheur des Frangois, qui lui étoit confié. Ce choix eft une tache ineffagable. II ne pouvoit pas douter qu'un homme aux yeux de qui la probité étoit une vraie chimère, 8c qui facrifioit tout a fes intéréts particuliers, ne feroit retenu par aucun frein. K iij  15 O Vie privée CHAPITRE XIL M. le duc ejl premier minijlre. Richelieu fait fa cour a madame de Prie, maitreffe de ce prince. II lui communiqué un mémoire relatif au mariage de Louis XV, quand il fut quejlion de lui faire époufer la fille du roi de Pologne, au détriment de Cinfante. ï-< E peuple , qui efpère toujours ctre heureux, & qui 1'eft fi rarement, crut qu'un changement dans le minifrère alloit améliorer fon fort : il vit avec plaifir M. le duc, fuccéder au régent, qui furvécut peu a fon infame miniftre. A peine ce prince étoit - il expiré, qu'il courut folliciter fa place. L'évêque de Fréjus, depuis cardinal de Fleury, qui ambitionnoit fecrétement le gouvernement de i'état, ne crut point avoir encore affez de crédit pour le difputer a un prince du fang; & il le fervit même auprès du jeune monarque. Si M. le duc d'Orléans avoit été gouverné par un vil intriguant, M. le duc le fut par une femme galante qui voulut régner a fa place. La marquife de Prie , femme de l'ambaffadeur de France, k Turin, Paffervit au point de régir la France au gré de fon caprice. L'animofité qui régnoit entre les maifons d'Orléans & de. Condé , éclata de plus en plus; les créatures du régent furent déplacées , & on réfolut même le renvoi de 1'infante, fous le prétexte qu'elle étoit trop jeune pour époufer le roi.  du Maréchal de Richelieu. 15! Le duc de Richelieu, qui, jufqu'alors, n'avoit envifagé que les intéréts de fon plaifir dans les intrigues qu'il formoit, crut devoir commencer a les faire fervir a fon avancement. II s'empreffa de déployer auprès de madame de Prie, ces talens & ces graces qui 1'avoient fi bien fervi auprès des femmes. Celle-ci, qui s'étoit attachée a M. le duc, plus par ambition que par amour, écouta favorablement un jeune homme qui avoit de la célébrité. II fut initié dans les myftères du gouvernement, tk inftruit un des premiers_ du pro jet de marier Louis XV a la fille du roi de Pologne. Richelieu connoiffoit le cara&ère léger de madame de Prie , tk il s'étoit laiffé gagrter de primauté en infidélité, pour qu'elle n'eüt point de reproches k lui faire. II avoit fu faire valoir fa réfignation , & étoit refté fon confident & fon ami. La marquife lui dévoiloit les fecrets les plus intéreffans, &c le projet qu'elle avoit formé de donner au roi une femme qui n'eüt d'autre appui, que celui de M. le duc & le fien. II avoit été queftion de choifir mademoifelle de Vermandois, fceur de ce prince; mais le mépris qu'elle témoigna pour cette favorite, qui alla la voir au couvent a Tours, tk qui avoit pris un nom fuppofé, lui öta tout efpoir. Le duc de Richelieu, convaincu enfin de la néceffité de s'occuper utilement, donnoit beaucoup plus de tems au travail. Cela ne Pempêcha pas de faire fa cour k madame de Gontaut, tk de parvenir k lui plaire. Cette dame étoit réfléchie tk fenfible; & fi Richelieu eüt été fufceptible d'un attachement férieux, elle en auroit eu fans K iv  du Maréchal de Richelieu. 163 pas, & le prince Eugène fur-tout, 1'objet de leur jaloufie , leur donnoit encore plus d'ombrage de? puis qu'il paroiffoit être mieux que jamais avec l'empereur, pour avoir contribué au traité avec 1'Efpagne. L'empereur le regardoit comme fon propre ouvrage, tk étoit entêté des mariages des archiducheffes avec les infans. Dans de pareilles conjon&ures, l'ambaffadeur de France avoit befoin d'adreffe & de fermeté; il jouoit un röle très-fubalterne. La cour de Vienne entiérement portée pour celui d'Efpagne, avoit defTein de mettre le duc de Riperda publiquement en poffeffion des chapelles, prétendant que quand 1'un des deux y feroit une fois, ce feroit a 1'autre d'attendre, puifque le premier ne pourroit être dépoffédé fans affront. Dans toutes les circonftances elle cherchoit a humilier le duc de Richelieu, qui recut ordre de fa cour de différer fon entrée. Richelieu repréfente vivement qu'il doit la faire, & tenir tête au duc de Riperda, quoi qu'il puifTe arriver. II mande en même-tems que ce dernier retournera premier miniftre en Efpagne. II obfervoit k M. de Morville , chargé des affaires étrangères, qu'il-étoit néceffaire de prendre le ton haut , pour détruire 1'idée oü 1'on étoit de notre foibleffe , tk de la timidité de notre gouvernement; affurant que fi 1'on prend le parti qu'il propofe , on en impofera a cette cour, qu'on lui fera faire ce qu'on voudra, & qu'on pourra lui propofer d'être notre médiatrice avec 1'Efpagne , ce qui paffoit encore pour incroyable. II ajoute que l'empereur redoute la guerre, qu'il a un grand defir d'établir fes filles, L ij  j64 Vit privèt & que la crainte qu'il aura de la France , peut feule faire fon union avec elle. D'après ce fyftême , malgré 1'a vis du miniftère francois qui vouloit encore temporifer, 1'ambalTadeur prend avec les miniitres de l'empereur le ton qu'il croit néceffaire, & bientöt il en recoit les aiTurances du defir qu'a leur maitre de bien vivre avec le roi. Cependant M. de Morville rejette tout projet de réconciliation avec 1'Efpagne, de concert avec l'empereur, ne voulant pas d'autre médiateur que le roi d'Angleterre dont on efpère beaucoup. II prétend que l'empereur ne la veut point de bonne foi, qu'il a un intérêt direct a 1'empêcher, & qu'il n'a d'autre deffein que de femer des défiances entre le roi de France & celui d'Angleterre. Néanmoins le duc recoit la permifïion de faire fon entrée. Riperda, qui avoit par-tout des créatures, & qui partageoit la haine que fa cour avoit contre la France, crut pouvoir prendre des airs de hauleur avec un jeune homme qui débutoit dans la carrière diplomatique. II s'étoit arrogé la préféance , & crut la conferver. Mais Richelieu , qui, dans fon intérieur, le traitoit de faquin, ne parut pas long-tems fupporter le ton qu'il prenoit. II eut le foin d'éviter toute affaire de cour a cour; mais en même-tems il imagina qu'il hu étoit très-permis de s'en faire une d'ambaffadeur a ambaffadeur. L'occafion ne tarda pas a fe préfenter. Un jour, le duc de Riperda voulut le dévancer pour entrer chez l'empereur ; il étoit encore fur 1'efcalier : Richelieu plus alerte paffe avant lui , & lui donne un coup de coude fi vigoureux qu'il le fait rétrograder, &: tomber fur 1'efcalier. II  du Maréchal dt Richelieu. 171 Ce changement dans fa manière de vïvre, fes trop grandes occupations caufèrent du dérangement dans fa fanté. Ce fut a Vienne qu'il s'appercut pour la première fois que les digeftions fe troubloient; 6c au milieu de fes inquiétudes, il retrouva, par un événement affez extraordinaire, ce Damis, eet homme univerfel qu'il avoit tant regretté en France. Sa joie diffipa fes craintes : mais elle ne fut pas compléte, eet homme lui ayant dit qu'il avoit fait vceu de renoncer a la pierre philolbphale. II fallut s'en tenir a la médecine, & après lui avoir ordonné quelques remèdes infructueux, il lui confeilla 1'ulage du thé, qui lui fit grand bien, 6c qu'il continua toute fa vie. II étudia avec lui la médecine, 6c s'appliqua a recueillir la recette d'une multitude de remèdes qui, a en juger par 1'étiquette, font tous très-merveilleux. Cependant 1'état magnifique que tenoit l'ambaffadeur 1'avoit nécefïité a faire beaucoup de dettes; il recevoit peu d'argent de France , 6c fut réduit a une grande détreffe. Ne trouvant pas de facilité a obtenir crédit des allemands, il fut obligé de faire mettre fecrétement des bijoux & des diamans en gage. Voyant qu'on ne lui donnoit pas tout 1'argent qu'on lui avoit promis , & qu'il étoit contrarié dans fes opinions, il menaca de demander fon rappel. D'ailleurs l'empereur ne 1'invitoit d'aucune fête particuliere, fi ce n'étoit des chapelles oir il étoit accablé d'offices, & fa fituation étoit très-pénible 5c très-embarraffante. II fe plaignit beaucoup a M. de Morville 5c a 1'évéque de Fréjus, dont il regut la lettre fuivante :  *72' Vie privce Rambouillet, ce 4 ma! 1716. » J'ai recu, monfieur, a deux jours prés 1'un » de 1'autre, les deux lettres du 10 & du 17, » dont vous m'avez honoré. II eft vrai qu'on avoit » cru voir dans vos dépêches une envie affez mar»> quée de quitter Vienne ; 8c que vous ne dou» tiez pas même d'en recevoir 1'ordre. M. de » Saint - Saphorin étoit dans la même opinion ; » & il y avoit beaucoup de vraifemblance que »> cela feroit, il y a deux mois. On ne vous en » a fu aucun mauvais gré; & il eft trés-naturel » que dans toutes les circonftances oü vous vous » trouvez, vous ne foyez pas faché de revenir. » Vous pouvez être aifuré, monfieur, que cela » n'a fait aucune mauvaife impreifion; 8c que fi » votre rappel ne faifoit pas un mauvais effet » dans les circonftances préfentes, le mépris que » fait l'empereur de toute bienféance, en ne laif» fant ici qu'un réfident, feroit une raifon fuffi» fante pour y penfer. » Quoique nous ne connoilïions par parfaite» ment M. de Saint - Saphorin, on ne laiffe pas » que de favoir que, fi vous êtes intimément lié » avec lui, vous y mettez beaucoup du votre;& » il n'y a certainement qu'a vous louer fur toute » votre conduite. Vous parlez en perfecfion du » caradtère de la cour oü vous êtes; & on s'en ■» fie a vous fur la manière de traiter avec elle. » Les grandes promelTes du duc de Riperda peu» vent lui avoir donné envie de la guerre; mais M l'empereur croit de refte par entêtement, qu'il » 1'a trompé , & que le roi d'Efpagne manque » lui-même d'argent, pour payer fes troupes 8c  du Maréchal de Richelieu. 173 w fa maifon. Auffi tous ces meffieurs les miniftres » ont-ils fort bailfé leur ton, tk proteftent qu'ils » ne veulent point de guerre. Ils n'ont plus recours » qu'aux plus groffiers artifices, pour tacher de » nous défunir d'avec 1'Angleterre; a quoi ils ne » réuffiront pas. » Rien n'eft plus jufte, monfieur, que votre » inquiétude fur le défaut de payement; tk M. » de Morville prefle toujours pour vous envoyer » de 1'argent. II faut efpérer qu'il circulera plus » qu'il ne fait depuis quelque tems; tk que le » roi fera bientöt en état de vous payer. Vous » avez trés-grande raifon de cacher 1'extrêmité » oü vous avez été réduit; & je vous garderai » fur cela un fecret inviolable. » II ne me paroit pas qu'on vous cache rien, » ni qu'on vous privé de toute la confiance que » vous méritez par tant d'endroits : nous fommes » dans une mauvaife crife, tk. il faut bien qu'a » la fin tout fe développe; car 1'Europe eft dans » un mouvement trop violent pour pouvoir » durer. » Je vous fupplie, monfieur, d'être perfuadé » du refpeft tk du parfait attachement avec lequel » je fuis votre, tkc. A. H. évéque de Fréjus. On voit que cette lettre ne lui annoncoit pas de fecours très-prochains; & fon embarras augmentoit tous les jours. D'ailleurs il apprenoit qu'on attendoit en France la réconciliation avec 1'Efpagne , de la médiation du pape & de 1'Angleterrë; & il étoit très-contrarié qu'on ne crut pas, com-  174 Vie privée me il 1'annongoit conrinuellement, qu'elle ne pouvoit être que 1'ouvrage de l'empereur. . Son intendant, chargé de lui procurer de 1'argent a quelque prix que ce füt, lui envoya foixante mille francs qui foutinrent un peu fon courage. La ducheffe de * *, cette bonne amie, auffi. fuiceptible d'un véritable attachement que d'amour , devenue veuve tk maitreffe de fa fortune, lui fit auffi tenir quatre lettres de change devii.gtcinq mille Uvres chacune, qui le mirent en état d'attendre 1'argent que M. de Morville promettoit toujours & n'envoyoit jamais. Les chofes changèrent bientöt de face; M. de Richelieu redoublant encore d'adtivité, foutenant par-tout la dignité de fon cara£tère , vit enfin jour a. entamer la négociation. Les comtes Sinzendorf tk de Starenberg parurent s'ouvrir a lui; mais le prince Eugène lui paria avec chaleur contre la France, & crut Fintimider par fes hauteurs; il lui marqua en même-tems toute fon animofité contre le roi d'Angleterre. Le duc, qui n'étoit point accoutumé a voir prendre un ton fi haut , prit fur lui de fe modérer, tk confervant fon fang froid dans cette converfation , il en tira tout Favantage. II entrevit a travers toutes les menaces du prince Eugène, la peur, qu'il avoit de la guerre; il étoit échauffé par' le vice-chancelier , qui, dans des vues perfonnelles, voidoit embrouiller les affaires. Cependant Richelieu fut avec adreffe calmer le prince, tk ne tarda pas a être bien avec lui. II s'appercut que les autres miniftres le trompoient continuellement, tk ce fut dans une courfe de traineaux qu'il apprit, au moment qu'il s'y  du Markhal de Richelieu. 175 attendoit le moins, tous les fecrets de la cour de Vienne. L'empereur qui, comme on 1'a déja dit, ne fembloit penfer au duc que pour des ades de religion, & 1'oublioit pour les divertiffemens, 1'invita enfin a une magnifique partie de traineaux. Richelieu crut devoir y paroitre avec fa magnificence ordinaire, & fut chargé de conduire la princeffe de Liechtenften. Cette dame étoit fort jolie, & très-liée avec tous les miniftres. Après les complimens d'ufage, elle lui dit dans la courfe : » M. » l'ambaffadeur, le zèle que vous mettez pour » votre cour, vous fait honneur, & vous me per» mettrez, par Pintérêt que vous m'infpirez, de » vous donner quelque avis ". On peut croire que cette marqué de confiance fut recue du duc avec reconnoiffance: il la fupplia d'entrer dans de plus grands détails, & il fut que le parti de la modération n'étoit pas celui qu'il falloit prendre; que 1'augmentation des troupes de l'empereur n'étoit point un figne de guerre, mais un moyen dont on vouloit fe fervir pour intimider la France, & qu'il étoit de fa politique d'armer également, pour faire voir qu'elle 11e redoutoit pas la guerre qu'on fembloit lui annoncer; que 1'on avoit la plus mauvaife idéé de ' notre gouvernement , & que fa foibleffe feide autorifoit l'empereur a parler fi haut; enfin que 1'on s'y prenoit mal en France en choififfant pour médiateur entre elle & 1'Efpagne, le pape eft le roi d'Angleterre , paree que l'empereur feul pouvoit opérer la réconciliation qu'on defiroit. Le duc de Richelieu vit avec un plaifir difficile a exprimer que les fecrets qu'on lui dévoiloit, s'accordoient parfaitement avec ia fagon de  iyó V~ïe prlvit voir. Certain qu'elle étoit jufte , & qu'il falloit prendre le moyen qu'il avoit déja indiqué pour terminer cette grande affaire, il redoubla d'inftances auprès des miniftres francois , & répondit a ceux de l'empereur qui le menacoient de la guerre, que la France étoit prête a. la foutenir, & qu'elle étoit feulement entrée en négociation pour éviter 1'effufion du fang ; mais que ni 1'argent, ni les hommes ne lui manquoient. Enfin il fut affez heureux pour faire adopter fes idees en France; &c on rendit juftice a fa pénétration & a fa poïitique. Ses ennemis toutefois, jaloux de fes fuccès en amour , plus jaloux encore de 1'emploi important dont il étoit chargé , avoient fait courir tous les bruits les plus défavantageux fur fon compte. A les en croire, il avoit vendu le fecret de 1'état; mais la prévoyance du duc &c fes fuccès leur impofèrent filence. On finit par être étonné qu'un homme auffi diffipé , auffi jeune, put réunir autant de qualités néceffaires a un ambalfadeur. La princeffe de Liechtenften , qui lui avoit marqué tant d'intérêts, méritoit bien que M. de Richelieu la yit avec les yeux de la reconnoiffance. Les fiens étoient prévenus en faveur du duc dont elle avoit déja admiré 1'efprit & i'amabilité. Celui-ci ne tenoit point k la comtcffe de Badiani par des liens très-forts ; il crut pouvoir en former d'autres avec la princeffe. Cette liaifon fit diverfion aux affaires dont le duc étoit accablé, & le myftère qui la couvroit, en rendoit les plaifirs plus piquans. II ne pouvoit aller chez la princeffe que la nuit pour he pas la com- promcttre,  du Maréchal de Richelieu. ijj jDrcmettre, & donner des foupgons au miniftère de Vienne. II avoit coutume d'aller la voir fans fuite, fimplement vctu, & k pied. II entroit dans fon palais par une porte dérobée qu'un fignal convenu faifoit ouvrir, Un foir qu'il fortoit comme k fon ordinaire , avec eet appareil myltérieux, il rencontre prés de la maiibn de madame de Liechtenften trois de fes gens a-peu-près ivres , qui ne le reconnurent pas. Ils virent un homme qui prenoit garde de n'être pas obfervé , & ils voulurent 1'intriguer, Le fignal du jour étoit de frapper trois fois dans la main. Le duc avoit déja commencé quand ils 1'abordèrent : il paffe alors de 1'autre cöté de la rue; ces gens en fïrent de même. II retoume fur fes pas, ils 1'imitèrent. Enfin le duc impatienté , fachant qu'il avoit affaire k trois de fes valets-de-pied, donne un coup de canne k celui qui étoit plus prés de lui, en lui difant de s'éloigner. Celui-ci qui ne crut pas que ce put être fon maitre , devint furieux, tk cria qu'on Infultoit la livrée de M. l'ambaffadeur de France. Les autres vinrent a fon fecours, des paffans accoururent, on voulut arrêter le duc : ïi n'eut que le tems de fe nommer , car il auroit été fort maltraité. A peine reconnu, la fcène devint encore défagréable pour lui; fes gens fe )ettèrent k fes genoux pour lui demander pardon; les mots de grandeur, d'excellence, de monfeigneur , furent prodigués; tk le duc qui vouloit garder 1'incognito étoit auffi faché d'être nommé que d'avoir été infulté. Le peuple s'affembloit; il fut obligé de fe retirer , tk eut encore plus de peine k fe dérober aux excufes qu'aux premiers emportemens. La princeffe fut prévenue Totne I, M  du Markhal de Richelieu. tja toujours victime de cette nouveauté. Mais. rien n'obligeoit le cardinal de Fleury k faire jouer au roi cette miférable comédie dont tous les gens fenfés virent le dénouement. Enfuite il fit déclarer k Louis XV qu'il fupprimoit les fon&ions de premier miniftre; & comme fi le jeune prince eüt voulu adminiftrer lui-même fon royaume , il lui fit écrire au cardinal de Noailles que ne préfumant point affez de fes forces , il demandoit qu'il fut adreffé k Dieu des prières publiques pour en obtenir les graces dont il avoit befoin pour bien gouverner fes états. L'encens fuma dans tous les temples; & le peuple, toujours porté k croire le bien qu'on lui dit de fes rois, témoigna fa joie d'apprendre que fon fouverain alloit tout voir par lui-même, & travailler a le rendre heureux. Pendant ce tems, le modefte évêque de Fréjus, qui avoit eu foin d'écarter tous fes rivaux, & de faire donner des places importantes k fes créatures, qui avoit éloigné fon pupile de toutes les affaires, & 1'avoit accoutumé a fuir le travail, s'emparoit par degré de 1'autorité. II favoit bien que fon maitre, élevé comme fi le tröne lui eüt été étranger, ignorant tout, ne pouvoit faire un pas fans le confulter. II régnoit k fa place , fans avoir encore 1'apparence du pouvoir. Bientöt il ne fut plus poffible de fe méprendre a fa conduite : il voulut être prince de 1'églife; & fans avoir le titre de premier miniftre , il en exerca 1'autorité dans toute fon étendue. Ce doux prélat , tout en marchant k pas de tortue , n'avoit jamais quitté de vue le but qu'il vouloit atteindre; il y parvint k 1'age de 73 ans, & conferva M ij  i8i Vie privie » qui puifle maintenir la bonne intelligence, éfaw blie par la iignature des préliminaires entre le.s » deux cours. Je crois d'abord pouvoir vous don» ner parole, monfieur, au nom du roi, qu'il » vous accordera le cordon bleu au mois de jan» vier prochain; mais en attendant que S. M. fe » foit expliquée la-delTus, je vous demande, s'il » vous plaït, le fecret que j'ai recommandé pa» reillement a. votre plénipotentiaire , 1'abbé de » Saint-Remy. II feroit naturel auili de vous » nommer plénipotentiaire au congrès; mais je » vous prie de faire les trois réflexions fuivantes, » & de les pefer férieufement. » i°. J'aurai 1'honneur de vous confier que le » roi me nommera fon premier plénipotentiaire, « Wrce qu'il croit que ma préfence pourra y être » ch quelqu'utilité; & je ne fais li en ce cas, » vous vous accommoderiez d'être nommé en » fecond, & fi MM. les ducs vos confrères le » trouveroient bon de leur cöté. » 2°. II eft impoflible que le congrès ne foit »> trés-long & trés - difficile. Cette longueur & » toutes les vétilles des négociations inféparables » d'une affemblée de tant de nations différentes, » la plupart très-parelTeufes, pourroient bien vous » ennuyer, & n'être pas de votre goüt. Je ne ferai » point expofé a eet ennui, fi le roi me fait 1'hon» neur de me nommer, paree que je n'affifterai » k ce congrès que de tems en tems, & quand les » affaires demanderont -ma préfence. » 3°. Vous favez fans doute que les anglois ne » vous croient pas fort dans leurs intéréts , & » vous regardent comme très-fufpedt fur ce qui » les regarde; il y auroit peut - être quelqu'in-  du Markhal de Richelieu! 183 » convénient a vous expofer a des tracafferies qui » feroient les fuites néceffaires de cette préven» tion, & il feroit plus dirEcile dans ce cas de » les amener a des conciliations, dont on aura » immanquablement befoin pour parvenir a une » pacification folide. » Vous aurez la bonté, monfieur, de réfléchir » fur ces trois raifons & de vous déterminer. Je » vous fupplie feulement que ce foit bientöt : car » nous ne pouvons pas différer de nommer des » plénipotentiaires. S'il ne vous convient pas d'ê» tre du nombre, le roi pourroit pourtant vous » nommer, Sc vous, de votre cöté, vous le fup» plieriez de trouver bon que vous n'acceptaffiez » pas eet honneur par les bonnes raifons que vous » allégueriez. II n'y auroit que le roi qui le fau» roit, & ce refiis ne vous feroit peut-être pas » moins d'honneur que la nomination même. » J'ai aflüré 1'abbé de Saint -Remy, que je » n'oublierois rien pour vous mettre en état de » fortir de Vienne avec honneur, & qu'il n'avoit » qu'a m'en fuggérer les moyens. » A 1'égard d'un fucceffeur, comme l'empereur w a été trois ans fans défigner, & fans avoir ici » un ambalfadeur, on pourra fe difpenier d'en » nommer un pour Vienne , & je penfe qu'il » fuffira d'y envoyer un miniftre plénipoten» tiaire; le choix n'en fera pas aile, & nous » allons y travailler inceffamment. » Vous ne vous êtes pas trompé fur les dif» pofitions de la cour oü vous êtes; & vous êtes » bien juftihe par tout ce qui eft arrivé. _ » M. le marquis de Grimaldi me porta, il y a >» dix ou douze jours, la lettre dont vous m'avez M iy  ï&4 Vie prlvic » honcré, du 14 avril; & vous pouvez alTurer » M. Ion oncle que je tacherai de lui marquer, » en la perfonne de M. fon neveu, toute l'eftime » & la confidération que j'ai pour un prélat auffi éi diftingué. Je vous fupplie de vouloir bien auffi n, témoigner a M. le prince Eugène (1) que je >» n'oublie point les obligations que je lui ai; & ?> qu'indépendamment de la manière pleine de bonté & de politeffe avec laquelle il en ufa ï> avec moi a Fréjus, je fais profeffion d'honorer » en lui la probité dont je fais encore plus de cas « cpie de toutes les autres grandes qualités. » Perfonne au monde, monfieur, ne vous hoy> nore,& ne vousefl plus inviolablement attaché w que moi} Le cardinal de Fleury **. Le duc de Richelieu fut très-fatisfaft d'apprendre qu'il alloit être fait chevalier des ordres, quoiqu'il n'eüt pas 1'Sge prefcrit par les ftatuts. Cette faveur lui en devenoit d'autant plus précieufe. H ne fe fit point nommer pour le congrès, & borna tous fes defirs a revoir Paris oii de nouveaux plaifirs 1'attendoient. II étoit encore incertain s'il accepteroit PambafFade d'Efpagne; & ce fut a Paris que la faveur du roi lui fit abandonner cette carrière. D'après les nouvelles qu'il recevoit continuellement, il jugea bien que Louis XV feroit un prince foible, & que le plus adroit le gouverneroit. II forma dès ce moment le plan d'avoir une part confidérable dans fes bonnes graces; (1) U avoit contribué a lui faire avoir la nomination de :':i«pereur poiir le chapeau de cardinal,  du Maréchal de Richelieu, 185 & 1'on verra qu'il eut l'art de les obtenir, & celui de les conferver. La nomination du roi pour le cordon bleu arriva a la fin de janvier 1728. Comme il lui étoit permis de le porter, avant d'être recu, 1'information d'ufage fe fit k Vienne devant le cardinal Kollonits, le 24 février. Les témoins furent le prince Eugène, le comte de Sinzerdorf, chancelier de l'empereur, & le père Tournemain, jéiuite, fon confeffeur. Richelieu n'avoit pas encore alors trente-deux ans; & tout le monde fait qu'il en faut trente-cinq, pour être recu dans 1'ordre du Saint-Efprit: il le fut a Verfailles, le 1". janvier 172.9. Enfin, le moment du départ du duc de Richelieu arriva : la princeiTe de Liechtenften ne le quitta pas fans verfer des larmes, & la comtelTe de Badiani le vit partir avec peine. Cette dernière liaifon avoit jetté du froid entre lui & le prince Eugène, qui n'avoit pas vu fans jaloufie un rival comme Richelieu lui faire de fréquentes vifites. Ils fe quittèrent affez froidement; & ce ne fut que quelque tems après que leur amitié acquit plus de foree par 1'abfence.  1 §6 Vie privée CHAPITRE XV. Mort de la ducheffe de * * *. Richelieu fe marie a une fille du prince de Guife , dont il devient amoureux. II lui eft fidele fix mois. II aime enfuite madame de la Martelière , femme d'un financier. Autre amour avec une demoifelle Juliey fille fingulière, maitreffe de ce même financier. J—i e duc, arrivé a Paris, fut très-bien recu du roi & des miniftres. Ce monarque avoit été prévenu en fa faveur par le cardinal, & commenca a le traiter avec une bienveillance plus particulière. L'amour lui préparoit aufli une délicieufe rêception. Ses maitreffes flattées de la gloire dont il venoit de fe couvrir, volèrent au-devant de lui, & il n'eut que 1'embarras du choix. II retrouva la ducheffe de * * bien changée, & huit mois après il eut la douleur de la perdre : une obftruftion au foie, lui enleva fa meilleure amie ; fa femme-de-chambre fut chargée de lui remettre fon portrait, & la dernière lettre qu'elle lui avoit écrite quelques jours avant de mourir. Richelieu donna des larmes a 1'amitié; mais entrainé par l'amour, fes regrets furent bientöt calmés. II avoit été forcé de renouer avec mademoifelle de Charolois, plutöt par 1'afliduité de fes pourfuites que par goüt. Madame de Duras s'empreffa aufli de lui faire reprendre fes fers; mais ces amours furent de peu de durée. Madame de Gontaut qui, comme la duchefle de * *, avoit  du Maréchal dc Richelieu, 187 fu allier l'amour avec Pindulgence, eut ün règne jjlus long. Le duc s'étoit lié auffi avec madame de Tencin, fceur du cardinal de ce nom, qui, de religieufe, étoit devenue femme a la mode, fe mêlant également de littérature & d'affaires d'état. Cette conquête ne lui fut pas difficile a faire : d'autres lui avoient frayé la route; mais elle plut k Richelieu par fon efprit, & elle lui fut utile par fes intrigues. II eut avec elle un chiffre particulier, pour s'écrire tout ce qui fe paffoit a la cour, fans courir le rifque d'être découvert. L'académie des fciences s'emprefla de le recevoir académicien honoraire en 173 1. A peine recu, il fut forcé de mettre une interruption a fes plaifirs. Les incommodités dont il fe croyoit délivré reparurent; la féchereffe des entrailles, le dérangement des digeftions le firent retomber dans un dépériflèment qui commencoit a menacer fes jours. On lui fit prendre le lait, qui ne paffa point; il fut encore plus mal. L'allarme fe répandit parmï les femmes; il partit avec M. Hunaud, jeune médecin plein de mérite, pour aller en Hollande confulter le fameux Boerhaave. Son avis fut auffi de lui faire prendre le lait, mais d'en faciliter le paffage en le coupant avec les eaux de Spa. En fix femaines de tems, le malade recouvra entiéremeot la fanté. De retour a. la cour, Richelieu reprit le même train de vie : mais peu de tems après l'amour lui fit fubir, pour la feconde fois, le joug de 1'hymen. II avoit vu mademoifelle de Guife chez fon père, qui demeuroit dans le Temple. Le voifinage, puifque le duc avoit fon hotel a la place royale, multiplia les Yifites. La jeune princefle étoit grande,  i88 Vu privêe avoit de beaux yeux, le haut du vifage charmant\ mais une grande bouche mal meublée. Son port, fon air étoit doux 6c majefhieux; elle plut a Richelieu , qui d'ailleurs étoit enchanté de s'allier a une maifon qui tenoit le fceptre de 1'empire. Si la nailTance de mademoifelle de Guife étoit illuftre, fa fortune étoit bien médiocre. Elle avoit un frère héritier des fubfHtutions, 6c il ne reftoit qu'un nom aux filles; Richelieu s'en contenta : tourmenté du delir de lailfer des héritiers, il crut ne pouvoir pas faire un meilleur choix. II eut pour fa femme toutes les attentions & les prévenances imaginables. Jamais mari ne montra plus d'attachement pendant les fix premiers mois de fon mariage; mais ce fut-la le terme de la fidélité. Ayant eu occafion de voir la belle la Martelière, femme d'un financier, les fermens prononcés en face de 1'églife furent oubliés comme les autres. Quelqu'eftime qu'il eut pour mademoifelle de Guife, il fentit que la conftance que lui impofoit 1'hymen , étoit un fardeau trop lourd pour lui. Cependant il prit avec elle des ménagemens auxquels il n'avoit pas coutume de s'affujettir , 6c elle fut affez heureufe pour n'avoir jamais que des foupcons de fes infidélités. Son mari lui montroit tant d'égards 6c de foins, que fes doutes fe difïipoient fouvent: 1'on fait que des événemens qui nous auroient fait beaucoup de peine, quand la connoiffance n'en vient pas jufqu'a nous, font comme s'ils n'étoient point arrivés. Madame de Richelieu conferva toujours avec fon mari un ton de dignité qui lui impofoit; il fe crut obligé, en eonféquence, de couvrir fes nouvelles intrigues  du Maréchal de Richelleü; 189 d'un voile fi épais, qu'elle n'en put jamais avoir la certitude. II concilioitainli fes devoirs de mari avec l'amour qui 1'appelloit chez madame de la Martelière. Cette femme d'une beauté rare recevoit les vceux de gens de tous états. L'épée, la robe, la finance étoit a fes pieds. Jufqu'alors elle jettoit un regard fatisfait, mais indifférent fur fes adorateurs : Richelieu fe mit fur les rangs, & ce regard ne tarda pas k s'attendrir. L'amour porta 1'empreinte du bonheur fur une figure déja célefle; tous les rivaux de Richelieu en concurent une douce efpérance; elle fe réalifa pour lui feul. Le bon la Martelière fe prit auffi de paffion pour le duc qui répondit de fon mieux aux tra'nfports de fon amitié. Plein de confiance dans tous les avantages qu'il fe fuppofoit, il lui difoit en confidence qu'il étoit certain de la fidélité de fa femme; qu'elle étoit folie de lui, & qu'il voyoit avec tranquillité tous les gens qui s'emprefToient de lui faire leur cour. Sa fécurité, a 1'égard de Richelieu, étoit fondée fur ce qu'il le croyoit amoureux de la ducheffe fa femme, qui paffoit dans le monde pour le gouverner. Cependant fon prétendu ami avancoit rapidement dans les bonnes graces de madame de la Martelière, & tous les jours fembloient annoncer fon bonheur. II arriva enfin, & ce fut au mari a qui Richelieu dut de le voir devancer. La Martelière avoit eu un petit démêlé avec fa femme ; elle n'avoit point paru au diner, & fe difant incommodée, elle donna ordre de ne laiffer entrer perfonne pour elle. Le duc étoit k la commédje Francoife, ou vint auffi la Martelière.  I CfO Vie privée Ce financier étoit glorieux de fe montrer en public avec un duc qui Pappelioit fon ami : il courut a fa loge, & lui conta ce qui s'étoit paffé entre fa femme & lui. Richelieu raffura que ces querelles-la fervoient de véhicule a l'amour par Ie raccommodement qui s'en fuivoit. La Martelière dit qu'il étoit au fait de cela, tk montra de nouveau au duc combien il étoit confiant fur la vertu de fa femme. II pouffa plus loin la confidence : il avoua qu'il avoit une petite maitreffe chez qui il devoit fouper le foir, & qu'il avoit le talent d'arranger fa petite intrigue, de facon que la femme tk la maitreffe étoient fort contentes, chacune de fon cöté. Dans eet excès d'épanchement, il propofa au duc de venir avec lui; mais Richelieu qui calculoit que cette abfence de la Martelière pouvoit lui être favorable, refufa de 1'accompagner. Hé bien, ajouta-t-il ] allez donc tenir un moment compagnie a madame de la Martelière : mais, motus I èc fur-tout donnezmoi raifon, fi elle vous parle de notre démêlé. L'heureux confident promit 1'un & 1'autre, tk courut rue St. Louis au marais , oix demeuroit madame de la Martelière. La porte lui fut refufée ; mais il infifta, tk affurant qu'il avoit a parler a madame de la Martelière de la part de fon mari, il fut annoncé. Elle parut furprife, mais eet étonnement ne diminua pas le plaifir qu'elle eut de le voir. A 1'intrigue prés du financier, il lui fit part de la rencontre qu'il avoit faite, de ce qui avoit été dit a la comédie, & madame de la Martelière lui montra le reffentiment qu'elle avoit contre fon mari. Loin d'être de fon parti, comme il 1'avoit promis, on doit croire que Ri-  du Markhal de Richelieü'. 191 chelieu lui donna tous les torts. Un époux qui en a d'auffi graves, Sc qui fournit d'auffi belles occafions de 1'en punir, ne peut guère échapper a la commune deftinée. Quand 1'amant fait plaire, c'eft lui feul qui a raifon. Madame de la Martelière en fut perfuadée comme tant d'autres a fa place ; & Richelieu enivré d'amour-propre Sc même d'amour, ne fit que fortifier dans le cceur de la belle financière une fi douce convittion par la multitude de fes bons procédés. A chaque doute qu'elle montroit fur fa fidélité, c'étoit une de ces affurances qui ne femblent jamais équivoques. Hors d'état a la fin de répondre k tant de queftions, il fallut fe féparer, Sc remettre k une autre fois la fuite d'un fi vif entretien. La Martelière demande en rentranr des nouvelles de fa femme. On lui dit que fe fentant plus fatiguée que le matin, elle s'efl fait mettre au lit de bonne heure , Sc qu'elle repofe. Le lendemain, il fongea a fe raccommoder : mais il trouva fa femme fi diftraite de 1'événement de la veille, qu'elle ne voulut recevoir ni fes careffes, ni fes excufes. Richelieu qui ne manqua pas d'arriver, redevint encore fon confident, Sc fut le médiateur de la réconciliation. Le financier lui promit qu'elle feroit 1'époque d'une groffeffe qu'il defiroit depuis long-tems, Sc le duc 1'affura qu'il y avoit le doublé k parier contre un. Ce n'étoit pas affez pour lui, d'avoir eu la femme du traitant, il vouloit encore fubjuguer fa maitreffe. Loin de montrer aucun empreffement pour la voir, il s'étoit fait prier plufieurs fois d'aller chez elle, quand fon amant le lui avoit propofé. Enfin il s'y rendit, en apparence pour  laz Vit prlvét ne pas déplaire a la Martelière, quoiqu'il format déja fon plan depuis plufieurs jours. Cette fille étoit jolie; c'étoit une blonde de dix-fept ans, dans toute fa fraïcheur. Elle avoit été élevée au couvent par les foins du financier qui la voyoit croitre & embellir avec délices. Une tante, qui n'é toit pas moins prévoyante, étoit fon mentor; 6c la petite Julie, timide, & trop jeune encore pour avoir des volontés, n'en avoit pas d'autres que celles de cette tante. Le duc qui la trouva fort de fon goüt, fit toutes ces obfervations, &c fe promit bien d'en profiter. 11 accabla la tante de politeffes, parut faire peu d'attention a 1'intéreffante Julie, fe contentant de lui jetter quelques regards a la dérobée, quand elle fixoit les yeux fur lui. II mettoit en ufage pour plaire ces dons 'précieux que la nature lui avoit prodigués ; mais il en ufoit fans affeëtation. Le financier, qui aimoit autant les faveurs de Bacchus que celles de l'amour , après avoir amplement fatisfait ce premier goüt, s'attendrit peu a peu, & faifant admirer fa divinité a fon bon ami de cour, affura que fon plus grand plaifir feroit d'avoir un gage de ia tendreffe , & qu'il le defiroit autant que d'avoir un enfant de madame de la Martelière. Celui-ci lui promit qu'avec le tems fes defirs feroient fa'.isfait. & qu'il croyoit pouvoir répondre de leur fécondité pour 1'avenir. Richelieu que le financier prioit prefque toujours de fes petites parties, étoit très-avancé, fans le favoir, dans les bonnes graces de la tante. Cette femme , qui n'étoit pas encore fur le retour, croyoit ne devoir pas, renoncer k plaire, & ne négligeoit rien pour rncriter un d. fes regards, Prévenances,  du Maréchal de Richelieu. . 193 Prévenances, fouris, foupirs, tout fut employé , & le duc prit long-tems pour de iimples politeffes ce qui étoit 1'effet d'une violente paÜion. Occupé a gagner le cceur de la fimple Julie, il ne prenoit pas garde aux agaceries de la tante : mais cette conquête qui lui avoit paru d'abord affez facile, lui préfenta des dirficultés auxquelles il ne s'attendoit pas. Julie avoit recu une éducation très-foignée; elle étoit naturellement fage, & les principes qu'on lui avoit inculqués, étoient gravés profondément dans fon cceur. Elle trouvoit Richelieu aimable, charmant, bien préférable au financier a qui elle prodiguoit fes faveurs; mais elle croyoit faire une faute, en les partageant avec un autre. Ce genre de vertu étoit fingulier : mais ïl étoit réel, puifqu'elle combattoit un penchant qui la dominoit. Elle aimoit le duc de Richelieu èc s'imaginant faire mal en cédant a fon amour , elle ne lui permettoit pas la plus petite liberté. Elle croyoit de bonne foi qu'il étoit permis a. une femme de faire le choix d'un homme, & qu'elle n'en pouvoit avoir plufieurs fans fe déshonorer. Ce principe entroit dans 1'éducation qu'on lui avoit donnée, & fa tante lui avoit continuellement prêché cette morale, fachant qu'elle étoit deftinée k la Martelière. Ainfi Julie avoit cru pouvoir avouer fans crime fon amour au duc, & il n'en fut pas pour cela plus avancé. Jamais femme n'avoit fait une réfiftance aufïi foutenue. Dans le libertinage , il trouvoit de la vertu; k chaque inftant, fon étonnement redoubloit. Enfin, il fut fur le point d'abandonner cette fille indéfiniffable qui 1'aimoit tous les jours davantage, fans être moins cruelle. Elle Tome I. N  194 ' Vit prlvk pleuroit quelquefois avec lui de ce que le hafard ne lui avoit pas donné la place de la Martelière, & elle lui juroit qu'il auroit été le feul homme capable de lui plaire. Mais elle s'étoit engagée avec le financier; fa promeffe d'être fidelle 1'enchainoit, &c fa religion lui défendoit d'être foible: il faut convenir que cette Julie a été &c fera fans doute la feule femme de ce genre. Richelieu, qui fe promettoit tous les jours de ne plus revoir cette romanefque beauté, n'avoit pas la force d'exécuter fa réfolution. Sa femme, après lui avoir donné un fils, étoit allee paffer quelques jours a Arcueil : ce petit voyage lui permit de redoubler fes affiduités auprès de Julie. La tante le vit plus fréquemment, & fon amour, auquel le duc faifoit peu d'attention, ne lui permit plus de garder le filence. Un jour que la nièce étoit fortie fèule pour aller a la meffe, elle profita de fon abfence pour avouer fon amour. Le duc, étourdi de la déclaration , ne fut d'abord comment lui répondre; mais réfléchiffant qu'il pouvoit profiter de 1'aventure, il mit fes faveurs a prix. II dit a la tante qu'il étoit fenfible a fes bontés, mais qu'elle devoit favoir par elle-même qu'on n'étoit pas le maitre de fon cceur; que ce penchant involontaire qui la forgoit de 1'aimer , lui impofoit la loi d'adorer fa nièce, & qu'il ne dépendoit que d'elle que tout le monde fut conlent, 11 Faffura que l'amour qu'il avoit pour Julie, ne 1'empêcheroit pas de répondre au fien; mais il lui demandoit qu'elle lui procurat auparavant la facilité de convertir fa nièce. On imagine que cette propofition ne plut point a la tante. Elle pleura , pria : tout fut imitile ; le duc perfifta  du Maréclial de Richelieu. k demander 1'afïiftance de la tante pour triompher de Julie. Que ne peut l'amour, quand il eft extréme? L'amoureufe femme, voyant qu'elle ne pouvoit rien obtenir pour elle fans céder le pas a fon élève, promit tout ce que Richelieu demandoit. II fut décidé que dès le foir même, le duc fe cacheroit dans la chambre de Julie, §£ qu'il failïroit enfuite le moment oii elle feroit endormie. Le foir arrivé, tout fembla favorifer fes vceux. La Martelière avoit un rhume , & ne pouvoit fortir. Le duc alla paffer une partie de la foirée avec lui, 6c prétexta des affaires pour fe rendre chez Julie avant fouper, comme il en étoit convenu avec la tante. Son arrivée fit briller la joie dans les yeux de ces deux femmes; car la nièce témoignoit toujours a Richelieu 1'amitié qu'elle avoit pour lui , fans vouloir lui en donner les dernières preuves. Le fouper fut accepté, 6c notre héros redoubla d'empreffemens 6c de petits foins. A 1'heure du départ, il fortit; m^is la tante ofHcieufe le fit entrer, fans être vu , par un cabinet, dans la chambre de fa nièce. II s'étoit caché dans une garde-robe ; craignant encore d'être découvert, il fe mit fous le lit. Julie arrivé; fon coucher étoit préparé : elle entre dans des détails de toilette qui impatientent 1'amant, 6c dans d'autres qui irritent encore fes defirs. Elle étoit affife vis-a-vis le lit : aucun de fes mouvemens n'étoit perdu pour 1'obfervateur. E-ifin, elle ié couche, 6c 1'amant qui n'eut pas la patience d'attendre qu'elle fut endormie, fè précipite dans fes bras : la furprhe fit jetter un cri a Julie; en vain le duc fe nomme, rien ne put calmer fes craintes N ij  196 Vu privéc ni fon agitation : les cris redoublèrent, & la tante, qui appréhendoit que la fervante ne les entendit, parut dans la chambre. Julie fe fauve aulTi-töt de fon cöté, en fuppliant qu'on la garantït de ces dangereufes pourfuites. Pendant ce tems, Richelieu , ftupéfait, croyoit rêver, & cherchoit a expliquer des fentimens fi oppofés. Pour la bonne tante, elle raffuroit fa nièce, en lui difant qu'un duc & pair de France lui faifoit bien de Phonneur, & qu'il y en avoit bien d'autres a fa place qui fe croiroient trop heureufes : mais la petite, tout en pleurant, & en difant qu'elle 1'aimoit, proteftoit qu'elle ne vouloit rien faire de ce qui lui fembloit mal. La tante , qui 1'avoit élevée ainfi, n'ayant rien a lui oppofer, prit le parti de difparoitre. Le duc fut obligé de combattre encore long-tems, pour vaincre cette confcience timorée. Ce qui étoit défendu lui fembloit très-au-deiTus de ce qu'elle croyoit permis : mais quelqu'habile que fut Richelieu, & quoiqu'il vint a bout de fe faire adorer de plus en plus, il ne parvint pas a déraciner tous fes fcrupules. Julie, s'étant endormie a la fin, il lui en prit a lui-même fur la parole qu'il avoit donnée a la tante, & il trouva qu'il auroit encore des reffources pour 1'acquitter. II fe léve doucement, fort de la chambre avec précaution , & • entre dans celle de cette bonne tante- qui s'éveille au bruit qu'il fait. Elle croit rêver k fon tour quand il fe nomme, & vient bientöt k penfer que 1'inftant eft affez mal choifi: mais elle ne connoiflbit pas celui k qui elle avoit affaire; il la retira d'erreur en une minute, & jamais homme de qualité ne paya fi promptement fes dettes.  da Maréchal de Richelieu. 157 Cette liailbn dura quelque tems, & Julie marquoit tous les jours plus d'amour k Richelieu. II n'en étoit pas de même pour la Martelière. II fallut toute 1'éloquence du duc de la tante , pour la perfuader de recevoir fes vifites, comme auparavanr. Elle vouloit lui avouer qu'elle en aimoit un autre ; & d'après la crainte qu'on lui témoigna, elle propofa de fe rendre au couvent. C'étoit tous les jours de nouvelles prières pour Pengager a recevoir la Martelière. Cette fille livrée a la mélancolie, avoit hefoin de la préfence de Richelieu, pour difliper fes chagrins. Madame de la Martelière ignoroit Pexiftence de cette Julie, & jouiffoit tranquillement du bonheur d'être aimée du duc. Ses rendez-vous étoient fi bien ménagés qu'on ne foupconnoit pas fon intrigue avec lui. Cependant elle renfermoit dans fon fein un gage de fa tendreffe, & la Martelière, inftruit de 1'état de fa femme, & perfuadé que c'étoit fon ouvrage, fut le premier a s'en glorifier. Un autre bonheur 1'attendoit chez Julie. Un mal-aife général qu'elle ne pouvoit expliquer devint aufïi la certitude d'une groffeffe. Le financier ne put retenir fa joie; le duc en fut le dépofitaire , & lui répondit : Vous voye{ qu'avec le tems , mon. ami, tout vient a. bien.  198 Vie privét C H A P I T R E XVI. Slègt de Phlllsbourg. Duel du duc dt Richelieu avec le prince de Llxen , parent de fa femme. Celui-ci efl tui. Le duc eft fait brigadier des armées du roi, II revient a Paris. Coüches de madame dt la Martelière & de Julie. Celle-ci meurt. IVÏalgr é 1'amour du cardinal de Fleury pour la paix, la mort du roi de Pologne Fréderic-Auguiïe, ranimant les eipérances de Stanillas, beaupère de Louis XV, ce monarque crut ne pas devoir abandon ner fes intéréts; il voulut lui rendre le tröne qui lui avoit été arraché , & malgré 1'oppofition de l'empereur & de la Ruffie, qui s'étoient déclarés pour le fils de Fréderic-Augufte , il publia qu'il ne fouffriroit pas qu'un autre que fon beau-père fut nommé roi de Pologne. Pendant qu'on laiffoit croire qu'une efcadre fortie de Brefr pour Ia mer Baltique portoit le monarque, Staniflas déguifé, fuivi d'un feul homme, arrivé en Pologne, réunit tous les fuffrages a 1'exception de celui d'un magnat qui fort de 1'affemblée, & fe retire avec fes troupes a quelque diflance du champ de 1'élection. On fupplia le nouveau roi de fe mettre a la tête de fes fujets pour punir le traitre : mais Staniflas n'avoit pas l'aftivité néceffaire que commandoit la circonflance. II donna le tems au parti contraire de fe fortifier : les Ruffes vinrent a fon fecours. On convoque a Pra-  'du Maréchal dt Richelieu. 199 gue une alTemblée, 6c 1'életteur de Saxe eft élit fous le nom d'Augufte II. Staniflas n'ayant que le vain nom de roi , réfugié a Dantzic avec une partie de la noblefTe polonoife, eft attaqué par le général Lafci a la tête des Mofcovites. Les Francois arrivent a fon fecours au moment que le comte de Munich, qui avoit pris le commandement de Parmée, s'empare de plufieurs ouvrages confidérables, 6c les empêche d'entrer dans la ville. Le cardinal de Fleury que nous avons peint comme un homme incapable de prendre un grand parti, donne encore dans cette circonftance une preuve de fa pufillanimité. Au-lieu d'envoyer au fecours de Staniflas une armée capable de foutenir fon élection , voulant mênager 1'Angleterre qu'il craignoit d'allarmer par de grands préparatifs de guerre, il fe contente de faire équiper une foible efcadre chargée de 1500 hommes de tranfport. Bientöt Staniflas fut forcé de fuif de Dantzic. Sa tête étant mife a prix, il fort déguifé , 6c , après mille périls, il eft trop heureux d'arriver en Pruffe; mais cette fuite lui fait perdre pour jamais une couronne a laquelle il avoit été deux fois appellé. Louis XV voulut venger 1'affront fait a fon beau-père. L'éloignement des Ruffes ne permit pas de les attaquer : mais on réfolut de faire tomber tout le poids de la guerre fur l'empereur qui s'étoit lié avec la Czarine pour empêcher l'élecfion 6c le couronnement de Staniflas. Le maréchal de Bennek paffe en Allemagne , s'empare du fort de Keil, 6c met le fiège devant Philisbourg. Le comte de Saxe y fit fon apprentiffage en qualité N iv  200 Vu privée Ai maréchal de camp. Le duc de Richelieu a la tête de fon régiment s'y diftingua , &; eut la permiffion d'aller voir le prince Eugène qui commandoit 1'armée de l'empereur. Ce dernier avoit oublié que le duc lui avoit enlevé le cceur de la comtelTe de Badiani, Sc le recut avec tous les témoignages de 1'amitié. Richelieu, de retour dans fa tente, en vrai chevalier frangois, envoie cent bouteilles de vin de Champagne au général ennemi, qui lui donne en échange vingt bouteilles de vin de Tokai. Le fiège s'avancoit; & malgré les fatigues Sc les dangers, la joie régnoit dans le camp. Cinq princes frangois donnoient alternativement a fouper aux premiers officiers de 1'armée. Le prince de Lixen, parent de la ducheffe de Richelieu, Sc ami depuis long-tems du duc, étoit de toutes fes parties. Ils avoient joué fous la régence avec M. de Firmarcon & autres compagnons de déhauche, une fcène qui avoit penfé être funefte a un chanoine de 1'Auxerrois, qui avoit fait des vers fur leur conduite. L'ufage alors étoit d'aller au cabaret; les princes en montroient 1'exemple , & ils y avoient fait des orgies qui avoient mérité la cenfure du bon chanoine. Une fatyre attaquoit la liberté de leurs mceurs; la vengeance fut réfolue. Firmargon s'habille en commiffaire , le prince de Conti en exempt, le prince de Lixen en confeiTeur, Richelieu & autres en gardes; Sc cette troupe , déguifée, fait ouvrir de la part du roi la porte du pauvre abbé , dont on trouble Ie fommeil. On le mène a 1'Etoile fur le chemin de Neuilly; il étoit en chemife : la on lui dit qu'il va mourir, qu'il faut fe confelfer: Lixen  du Markhal de Richelieu. joi 1'abfout. On lui bande les yeux, on 1'attache a un arbre, & on lui tire deux coups de piftolet aux oreilles. L'abbé fe crut mort, les acteurs difparoifTent. Ce malheureux palTe le refte de la nuit dans eet état; des laitières de Neuilly 1'appergoivent au jour, le délivrent, & le ramènent chez lui a demi-mort. Dans ces parties , le prince de Lixen avoit confervé 1'habitude de boire un peu , tk il n'aimoit pas alors qu'on le plaifantat. II foupoit prefque toujours avec fon parent Richelieu, chez les princes qui tenoient table pendant le fiège; c'étoit le tour du prince de Conti, & tous deux s'y trouvoient. La joie fut générale : on rappella 1'anecdote du chanoine; chacun enfuite paria de fes maitreffes, &c 1'on plaifanta beaucoup le prince de Lixen fur une intrigue qu'on lui foupconnoit: le duc de Richelieu fur-tout s'amufa long-tems a fes dépens. Le prince prit mal la plaifanterie, 1'aigreur s'en mêla. Richelieu avoit commandé le foir même un détachement; il n'avoit été libre qu'au moment du fouper oii il étoit arrivé chez le prince de Conti, il avoit fué, & avoit encore quelques traces de fueur au front. Le prince de Lixen, dont 1'humeur augmentoit, lui dit de s'elTuyer, en ajoutant qu'il étoit étonnant qu'il ne fut pas entiérement décraffé, après 1'avoir été en entrant dans fa familie. Richelieu furieux fe modéra, tk jura tout bas qu'il fe décrafferoit encore mieux , mais que ce feroit dans fon fang. Le foupé fini, il joint Lixen , tk lui donne un rendez-vous a la queue de la tranchée. II étoit minuit, ils fe battirent, tk le prince fut tué fur la place.  202 Vie privée MM. de Duras 8c de la Vallière, qui feuls s'étoient appergus de leur évaiion , coururent pour les féparer s mais il n'étoit plus tems; le prince expiroit. On crut que fon frère , le prince de Pont, qui s'exhaloit en tranfports de colère , alloit le venger : il fe contenta d'enlever le corps du malheureux Lixen. La princeiTe fa femme parut inconfolable, 8c jura une haine éternelle au duc de Richelieu ; elle époufa cependant , quelque tems après, le comte de Mirepoix qu'elle aimoit; mais fon antipathie fut toujours la même contre le meurfrier de fon premier époux. Elle fut pouffée au point que deux ans après, étant k un bal k Monaco, elle fe trouva mal pour avoir entendu prononcer fon nom. Elle imagina qu'il arrivoit , 8c chacun y fut trompé en voyant un des gens du duc qui fembloit 1'annoncer , mais qui venoit voir feulement un de ceux du prince qui étoit fon ami. Le duc de Richelieu voyant pluiieurs années s'écouler fans que cette haine diminuat, ne put s'empêcher de dire : Je ne concois pas pourquoi elle men veut tant d'avoir tuê fon premier mari ; fans cela , elle n'auroit point époufe M. de Mirepoix dont elle étoit folie , d moins que le mariage ne l'ait guérie de fon amour. Je lui ai rendu fervice, elle dok m'avoir obligation. Enfin le tems , qui fait tant de changemens, fit une révolution dans le cceur de madame de Mirepoix, 8c elle oublia entiérement les torts de M. de Richelieu. Tout le monde fait quelle fut la fuite du fiège de Philisbourg : le maréchal de Berwick y fut tué d'un coup de canon, 8c le marquis d'Asfeld , 8c le duc de Noailles recueillirent les fruits de-s  du Maréchal dc Richelieu. 203 favantes difpofitions du héros. La ville capitula le 18 juillet. Le refte de la campagne n'ofFre rien d'important, Sc R.chelieu fe rendit aux empreffemens de fa femme qui , en perdant un parent, ne put blamer la vengeance qu'en avoit tirée fon mari. Après avoir donné fes premiers momens a 1'eftime Se a 1'amitié, il vola recevoir les carelTes de l'amour. Madame de la Martelière, qui avoit frémi de fes dangers , le vit paroitre comme un nouveau préfent que le ciel lui faifoit: elle étoit fur le point d'accoucher, & fon mari fembloit encore plus glorieux de fa prétendue paternité. Cependant fa joie étoit troublée, il prit le duc a part, Se lui avfia fes chagrins. Julie étoit dans un état qui 1'inquiétoit; depuis le départ du duc, fa fanté avoit été mauvaife. Elle avoit refufé a la Martelière les mêmes droits dont il jouilToit; elle ne lui parloit que de vertu, que de fageffe & de 1'envie qu'elle avoit d'aller au couvent. Le financier 1'avoit accablée de préfens , lui avoit procuré toutes les commodités de la vie , Se rien ne la fatisfaifoit. On appercevoit chaque jour en elle un dépériiTement qui augmentoit, Sc qui lui donnoit les plus grandes allarmes. II avoit peur que fa couche ne fut point heureufe , & qu'elle n'eüt même pas la force d'en fupporter les douleurs. Richelieu s'emprefla d'aller rendre le calme k Pintéreffante Julie. Son état ne lui parut point exagéré; fa maigreur étoit confidérable , Sc les rofes qui paroient fes joues, avoient perdu leur éclat. L'afpect du duc les fit renaitre un inftant; mais malgré tous fes efforts il ne put rendre k  204 Vit privét cette fille cette fraicheur qu'elle n'avoit plus. Une mélancolie fombre altéroit les principes de fa vie ; elle accoucha heureufement : mais fuccombant bientöt au marafme qui la minoit, elle mourut en difant au duc, qui la vint voir la veille de fa mort : Si jt vous avois connu avant M. dt la Marttlièrt, ah, M. It duc , qut j'aurois été heureuft ! Cet événement troubla pendant quelques jours les plaifirs du duc de Richelieu ; mais entrainé par un tourbillon continuel, il oublia bientöt cette fille que tout homme fenfible n'auroit pu oublier fi facilement. Madame de la Martelière venoit d'accoucher d'un fils, qui fut depuis aidede-camp du duc , quand il commanda 1'armée d'Hanovre. Cette naiffance confola le mari de la perte de Julie, & fit grand plaifir a 1'amant. L'afpedt d'une jolie femme ne manquant jamais de 1'engager a tenter fa conquête , il ne refta fidéle a cette financière qu'autant qu'il ne trouva point 1'occafion de ceffer de 1'être : mais il demeura fon ami, & la voyoit encore en 1746 , époque de fa mort.  du Maréchal dt Richclitu'. 205 C H A P I T R E XVII. Voltaire lui prêtt 40000 livrts. II ejl fait Maréchal dt camp. II ft bat avtc M. dt Peuterieder, & It tut. II efl bkffé griévement. On le nommt commandant cn Langutdoc. Mort dt madamt la ducheffe de Richelieu. uo iqu'avide de plaifir, Richelieu lui préféroit fouvent la gloire. Le printems le rappelle a 1'armée, & par-tout il donne des preuves de courage & de fagacité. II confervoit dans le plus grand danger un fang-froid rare, & fe trouvoit avec autant de plaifir a une bataille , qu'a un rendez-vous de jolies femmes. Le luxe qu'il étaloit fans ceffe, & qu'il aimoit, le forga plus d'une fois de recourir a des emprunts. Voltaire avec lequel il étoit lié , qu'il voyoit fouvent chez madame Duchatelet, qu'il recevoit chez lui, & qui étoit admis dans fa petite maifon avec fes maitreffes, étoit inflruit de 1'état de détreffe oii fe trouvoit fouvent M. de Richelieu. II vint un jour le trouver, & lui dit qu'il lui donnoit la préférence pour placer chez lui en viager 40000 liv. qii'il avoit ; que fa fanté étant foible, il prévoyoit bien qu'il en hériteroit bientöt, & qu'il aimoit mieux que ce fut lui qu'un autre qui en profitat. Richelieu que le befoin d'argent preffoit, n'héfite pas a. prendre celui du poëte , en lui répondant qu'il ne defire pas fa mort 3 mais qu'il fent bien qu'il  ao6 Vit privéz ne peut aller loin lui-même, ( fa fanté alors fe dérangeoit) & que ce feront fes héritiers qui le payeronr. On fait que Voltaire eft mort a 84 ans, &c 1'autre a 92 ; & la rente viagère fut payées 45 ans au bon ami Voltaire qui ne devoit pas vivre, & qui en prêtant fon argent vouloit en faire profiter le duc. M. de Peuterieder, allemand diftingué, avoit quitté Vienne pour paffer quelques années a Paris. Sa fortune , qui étoit confidérable , le mettoit a même de fatisfaire tous fes goüts, & de voir la fociété la mieux choifie. II avoit entendu parler chez M. le prince de Conti de la beauté de madame de la Martelière : fon premier foin fut de chercher k la connoitre; il fut admis chez elle, & en devint éperduement amoureux : foins, cadeaux, fêtes, tout fut employé pour lui plaire. Richelieu, qui n'avoit pas été très-content de lui dans fon ambaffade de Vienne, le vit de mauvais ceil; il n'étoit pas jaloux : mais 1'allemand donnoit des preuves fi publiques de fa paffion, que cette conduite lui déplut. Madame de la Martelière de fon cöté étoit excédée des déclarations multipliées de M. de Peuterieder, & il fut décidé entre les amans que la financière feroit refufer fa porte a eet importun. L'allemand effuie affez patiemment les premiers refus ; mais enfin il eft inftruit que M. de Richelieu avoit des droits fur cette belle, & il foupconne que eet ordre tyrannique vient de lui. II fe préfente de nouveau chez madame de la Martelière, & éprouve encore le même défagrément. Ne pouvant croire qu'elle eft abfente , & voulant s'en aff.irer, il quitte fa voiture au coin de la rue, & revient  du Maréchal de Richelieu, 2.0J a pied fe cacher dans une allée en face de la maifon d'oii il étoit banni. La jaloulle lui donne la patience d'attendre ; enfin il voit arriver M. de Richelieu pour qui la porte eft ouverte fans difficulté. La fureur s'empare de lui : il veut punir. fon rival quand il fortira; mais plufieurs heures s'écoulent fans le voir paroïtre. La lallitude, 1'ennui le font retirer ; fa vengeance n'eft que fufpendue: il projette d'en tirer une terrible, & de faire expirer le duc a la porte de fon ingrate maitreffe. Le lendemain matin, en allant faire une vifite dans le fauxbourg St. Germain, le carroffe du duc de Richelieu & le fien fe croifent fur le pont royal. Peuterieder n'eft pas le maitre de fon premier mouvement ; il fait figne a Richelieu d'arrêter : ils fe parient ; leur explication devient vive, & 1'ordre fut donné aux cochers d'aller derrière les Invalides. Le combat ne fut pas long: animés tous deux de la même fureur, ils firent coup pour coup. Peuterieder expire fur la place en prononcant le nom de la Martelière , & Richelieu eut la poitrine percée de part en part. II fut long-tems a être parfaitement guéri de cette bleffure qui s'eft ouverte une fois. Plus le duc s'appercut de la décadence de fa fanté, plus il s'adonna a la connoiffance de la médecine dont 1'étonnant Damis lui avoit donné les premiers élémens. Après avoir renoncé a 1'envie de faire de 1'or, il chercha la compofition de mille remèdes qui devoient lui conferver la vie. Chacun lui enfeignoit un fecret merveilleux ; on lui donna celui de 1'or potable, a qui le public attribua fa longue vieilleffe. Cette étude ne lui fut point infrucf ueufe: il apprit a connoitre fon rem-  20b' Vie privée pérament, & fut toujours fon premier médecin; il avoit même la prétention de Pêtre pour les autres , Sc il entroit rarement dans la chambre d'un malade fans lui tater le poulx. Fait maréchal de camp un an avant la paix de 1739, il obtint encore dans la même année le commandement du Languedoc. Ses courfes amoureufes ne 1'empêchoient pas d'en faire de plus utiles, Sc d'aller fouvent a Verfailles Sc a Rambouillet, oü Louis XV prenoit grand plaifir a le voir. Admis dans fon intimité , il cherchoit tous les moyens d'obtenir fa confiance; regardant le roi comme un grand enfant qui alloit fe tormer, Sc qui devoit bientöt ceffer de voir la reine avec les yeux de l'amour. D'ailleurs cette princeffe , douée de qualités refpeéfables, n'avoit pas celles qui étoient les plus propres a fixer un homme tel que Louis XV. Elle poffédoit plutot des vertus clauflrales , que les vertus d'une époufe, d'une reine. Dévote a 1'excès, entourée de prêtres qui ambitionnoient le plaifir de la gouverner, elle crut accélérer 1'époque de fon falut, en fe privant des plaifirs que 1'hymen lui permettoit ; certains jours étoient marqués pour cette abftinence: mais ceux qui la confeilloient, Sc ellemême fur-tout, auroient bien dü fentir que cette conduite, d'abord improuvée par fon époux , finiroit par lui enlever entiérement fon cceur. L'époque n'étoit pas éloignée oü le monarque, rebuté, alloit délaifïer tout-a-fait la couche nuptiale. Les courtifans 1'attendoient avec impatience: Richelieu la voyoit s'approcher a grands pas, Sc le cardinal de Fleury lui-même n'étoit pas faché de voir entiérement détruire le peu de crédit de cette  du Maréchal de Richelieu. 2.09 cette princeffe. II n'étoit pas conlidérable ; mais on craignoit encore 1'influence que pouvoit lui donner fur 1'efprit du Roi la nombreufe familie dont elle avoit entouré le tröne. Fleury étoit jaloux de fon pouvoir ; le fuccès couronnoit fon adminiftration ; & a quelques fautes prés, qui décéloient 1'homme timide, elle avoit été heureufe. Les finances étoient en bon état, Sc le roi donnoit la loi a fes ennemis. II eft vrai que ce prince jourffoit de fa gloire, fans rien faire pour la mériter. Plus propre a la chaffe, qu'il aimoit avec fureur, qu'aux affaires dont Fleury l'avoit toujours éloigné, il fe repofoit fur 1'éminence des foins du gouvernement. Le cardinal en vouloit tenir les rènes jufqu'a la mort; & il veilloit fans ceffe pour écarter ceux qui avoient la prétention de les faifir. Le peuple, qui juge fouvent fans voir Sc fans connoitre, fe perfuada que le roi avoit été perverti par les courtifans qui 1'entouroient : ils en auroient été très-capables ; je ne prétends pas les difculper; maisil eftfacile de prouver que Louis XV avoit dans fon cceur le germe des vices qu'il a manifeftés. D'abord on a dü le voir k dix-fept ans montrer une difïimulation honteufe en exilant M. le duc ; il lui fit beaucoup d'accueil ce jour-la. Depuis il a tenu la même conduite envers la plupart des miniftres Sc des courtifans qu'il difgracioit. A 1'égard de fon goüt pour les femmes, il lui étoit venu de la nature ; il n'avoit pas eu befoin d'inftigateurs pour le faire naitre. On a répété tant de fois que fans des confeils pernicieux, le roi feroit refté fidéle a la reine, qu'il Tome I. O  210 Vit privét eft effentiel de faire fentir combien cette idee de conftance étoit chimérique. Le roi s'étoit marié dans un age oii fon tempérament étoit a. peine développé. II avoit été obfervé de très-près ; la reine étoit la première femme qu'il connüt. Elle étoit jeune , quoiqu'elle le fut moins que lui, & les plaifirs de 1'hymen lui parurent préférables a tout, paree qu'il n'avoit pu faire de comparaiion. Les enfans qu'il eut de la reine, 1'attachèrent encore davantage a elle : & peut-être ce charme auroit-il duré plus long-tems, fi Pauftère dévotion de la princeiTe ne 1'eüt rompu. Nous croyons cependant que le tems feul auroit fait eet ouvrage, paree que la variété des plaifirs n'eft que trop naturelle a tous les hommes. Le roi auroit vu les foibles agrémens de fa femme difparoitre ; & étant a. même d'admirer des beautés de toute efpèce, il devoit naturellement delirer de fuppléer a ce qu'elle lui refufoit. Mais la reine gouvernée par un confeffeur qui entendoit peu les intéréts de fa pénitente, hata elle-même le moment oü elle devoit perdre l'amour de fon époux. Le tempérament du roi s'étoit fortifié par 1'habitude de la chaffe & du cheval, & le ramenoit plus fréquemment dans les bras d'une époufe qui fuftifoit encore k fes deiirs. Certainement la reine mieux confeillée auroit mis a profit la difpofition du roi pour mériter fa confiance , & le fixer le plus longtems qu'il lui auroit été poflible. Mais au contraire , ce fut alors qu'elle fixa des jours d'abftinence. Quand malheureufement le roi paffoit dans fon appartement, 1'un de ces jours myftérieux,  du Maréchal de Richelieu. ut un prétexte controuvé Pobligeoit de retourner dans le fien. Les premières fois il fe plaignit peu de ce contre-tems : mais a la fin 1'humeur s'en mêla; & pour 1'augmenter encore, les refus de la princefle fe multiplièrent. Un fimple particulier n'auroit pu tenir long-tems a une fi ridicule déVotion. Que devoit - il en arriver } ce «rai arriva a Louis XV, qui ne tarda pas a laiffer fa pieufe époufe dans les jeünes & les oraifons, & a prendïe une maitreffe qui ne fut pas fcrupuleufe, Un foir, le roi qui avoit déja promis de ne plus retourner chez la reine, oublie fes fermens, & vole chez elle. Ce jour étoit encore mal choifi, & on lui refufe 1'entrée de fa chambre, fous le prétexte qu'elle venoit de prendre médecine. Le roi infifte, & la dévote princeiTe perfévère dans fes refus. Outré de dépit, il jure de n'en plus efluyer, & dit k le Bel, fon premier valet-dechambre : Allez me chercher une femme quelconque , & vous me 1'amenerez. Le Bel, fort étourdi de 1'ordre qu'il recevoit, héfite, regarde fon maitre, fans parler ni agir. Un fecond commandernent plus impératif que le premier, Poblige de fortir. Mais fon embarras redouble, & ne fachant que faire , il va chez le cardinal de Fleury, qui étoit couché. II demande a lui parler de la part du roi. Introduit auprès de cette éminence , il lui fait part de ce qui venoit de fe pafler , & lui demande lbn avis. Le cardinal, auffi embarraffé lui-même que le valet-dechambre, lui dit de faire ce que fa prudence lui fuggéreroit. Le Bel retourne chez le roi, & Paffirre qu'il n'a pu trouver aucune femme. O ij  2I2 Flc privéc Cette réponie ne fatisfit pas le jeune monarque , qui, décidé a rompre avec fa femme, lui répondit qu'il étoit bien mal - adroit, que rien n'étoit fi facile. Allez, continua -1 - il, dans les galeries; frappez oü vous verrez de la lumière, & elites de ma part a la femme que vous trouverez , que je defire lui parler. Le Bel voyant que fa volonté étoit conftante , & qu'un plus long refus pourroit le perdre, (dans la fuite il ne fut pas fi difficile) fortit avec la réfolution d'obéir. II parcourut la galerie de la chapelle , oü rencontrant une femme-de-chambre de la princeiTe de Rohan , qu'il connoiffoit, & qui pafToit pour fage, il crut qu'un amufement fans conféquence , tel que celui que le hafard lui oftroit, pourroit remplir les vues & celles de fon maitre. C'étoit une blonde fort jolie ; il la conduifit dans fon appartement fous prétexte de lui parler, & enfuite dans celui du roi, a qui il répondit de Phonnêteté de la jeune perfonne. Une fomme d'argent qui lui fit faire par la fuite nn bon mariage, fut le dédommagement du facrifice. . Cette anecdote , dictee par le Bel hu-meme, dement tout ce qu'on a écrit k ce fujet. Le lendemain, il fut rendre compte de fa conduite au cardinal, qui, voyant que la Providence avoit abandonné le roi a lui-même, fut le premier k fe foumettre k fes décrets. II demanda a le Bel fi S. M. n'avoit pas fait plus d'attention a une femme qu'a une autre, & fur fon rapport, que madame de Mailly avoit fixé plufieurs^ fois fes regards, le choix de cette dame fut arrêté. Elle convenoit au cardinal , qui redoutoit 1'afcendant  du Markhal de RichdieU. 213 d'une jolie femme; elle n'étoit ni trés-jeune, ni belle : on la connoiffoit pour ne point aimer 1'intrigue, & le cardinal le chargea de travailler a fubftituer cette comtelTe a la femme-dechambre. L'occafion n'en fut pas éloignée. Après une nouvelle demande du roi , a qui il avoit fait entendre que la femme-de-chambre ne pouvoit pas lui convenir , le Bel fut dire a madame de Mailly que S. M. avoit quelque chofe d'important a lui communiquer. La comteffe veut faire une toilette qui auroit tenu beaucoup de tems; le Bel, qui calculoit 1'impatience de fon maitre, & qui étoit certain qu'un négligé étoit 1'habillement le plus convenable a la circonftance, Faffura que le roi lui avoit prefcrit de 1'amener telle qu'elle étoit. Madame de Mailly ne pouvant imaginer la raifon d'un menage fi extraordinaire, fuivit le Bel qui Pintroduifit fecrétement chez le monarque. Elle s'excufa fur fa toilette, en alléguant les ordres de S. M., & fon empreffement a les remplir. Le roi, fans 1'écouter, lui déclara promptement fon amour ; & fans attendre fa réponfe , lui en donna des preuves. Madame de Mailly furprife, aimant déja le roi, fit une foible défenfe, & fe trouva fa conquête, avant d'avoir eu le tems de réfléchir fur la démarche qu'elle faifoit. Voila au julie 1'origine de cette intrigue ; &C fans nous arrêter plus long-tems fur les amours de ce prince, nous croyons avoir affez fait voir qu'il n'a pas eu befoin de confeil pour s'y livrer. Nous fommes loin de dire qu'il ne lui en a pas été donné de mauvais'; fa foibleffe le mit a mêm« O iij  1T4 Vit privie d en fuivre de toute nature ; mais quand aprè* avoir aimé long - tems madame de Pompadour , il la vit mourir fans regrets, Sc que regardant a travers les fenêtres de fon appartement fon convoi qu'il trouva très-beau, il dit froidement en tirant fa montre : 11 arrivera a dix heures a Paris : cette dureté d'ame lui étoit-elle fuggérée ? Quand ce même le Bel , dont nous venons de parler , fon confident, 1'ame de fes plaifirs, mourut a. Compiègne , a la fuite d'une révolution qu'un emportement de fa part occafionna , a - t - il recu le confeil de ne témoigner aucun chagrin de la perte d'un ancien ferviteur , Sc de demander tranquillement oü il feroit enterré > Eft-ce encore un confeil qui 1'a porté a voir fans émotion la mort du marquis de Chauvelin avec lequel il jouoit tous les jours depuis nombre d'années. II avoit foupé avec lui chez madame du Barry. En fortant de table on fe met a jouer , & Chauvelin tombe mort a cöté du roi. Chacun eft etfrayé, on s'emprefTe de le fecourir; S. M. feule eft tranquille, & fe contente de dire : Vous voyez bien qu'il eft mort. Ce gros cochon-la mangeoit trop ; il y a long-tems que je lui ai prédit ce qui lui arrivé. Mille autres traits viennent a 1'appui de ceuxci, qui fuffifent pour établir la vérité de ce que nous avons avancé. Le duc de Richelieu, en obtenant le commandement du Languedoc , qu'il devoit a 1'amitié qu'avoit pour lui le cardinal de Fleury, fut au comble de fes vceux. Depuis long-tems, il ambitionnoit cette faveur qui le mettoit a portée  du Maréchal de Richelieu. 2.15 de dominer. C'étoit dès fon enfance fon goüt favori, &L il fe rendit a Montpellier avec le projet de s'y ériger en petit fouverain. Sa fortune étoit dérangée, & d'accord avec fa femme qui étoit grolTe , il réfolut de mettre plus d'économie dans fa dépenfe. Ils décidèrent de n'avoir qu'une maifon, & de Pétablir pendant trois ans a Montpellier , oü il en coüte moins pour vivre. II fut auffi arrêté qu'ils loueroient leur hotel de Paris, & le bail en fut paffé au comte de Caftro-Piagno, ambaffadeur de Naples, qui, par parenthèfe , trouvant les appartemens erapeftés par le mufc, n'imagina pas d'autre moyen que d'y faire parquer des moutons pour en öter 1'odeur. Nous avons oublié de dire que le duc 1'aimoit paffionnément : il faifoit doubler fes culottes de peau d'Efpagne; & dans la nouveauté, 1'odeur en étoit fi forte, qu'un jour fe trouvant a la comédie, les gens qui occupoient les deux loges voifines de la fienne furent obligés de fortir, tant ils en étoient incommodés ! Quelque tems après, il lui arriva une autre aventure. II avoit été a Verfailles. faire une vifite k la ducheffe de Tallard, & après y être refté une heure , il fut chez le roi. Le cardinal de Rohan vint dans la même foirée voir auffi cette ducheffe , & le hafard fit qu'on lui préfenta le même fauteuil qu'avoit occupé Richelieu ; en* fuite il alla faire fa cour a la reine, qui, comme dévote, n'aimoit pas les odeurs. Le fauteuil en étoit tellement empreint que les habits du cardinal s'en reffentoient. La reine s'écria : Ah, M. le cardinal, eft-il poffible d'être mufqué a ce point > je ne reconnois point-lcl un prélat; quand vous O iv  116 Vu privée feriez un fecond M. de Richelieu, vous n'auriez pas plus d'odeur. Le cardinal ftupéfait, bien fur de ne pas mériter ce reproche, s'excufa, & protefta qu'il ne fe fervoit pas de parfums. En approchant plus prés de la reine, il la perfuada encore davantage qu'il ne difoit pas la vérité, & elle fe retira en 1'affurant qu'elle étoit fcandalifée de le fentir auffi ambré. Le prélat pétrifié crut que c'étoit un prétexte pour 1'éloigner, & ne pouvoit deviner la caufe de fa difgrace. Cependant d'autres perfonnes lui ayant fait le même reproche , & s'étant afliiré lui-même qu'il étoit fondé, il chercha la fource de ce phénomène. II fut quelques jours a découvrir 1'a venture du fauteuil , & courut auffi-töt chez la reine déclamer contre le duc de Richelieu qui 1'avoit expofé a un pareil défagrément. La reine, qui n'aimoit pas le duc, haulTa les épaules; elle le regardoit comme un libertin dont la conduite & les mceurs ne fympatifoient point avec elle. Cependant cette princeffe fi auftère aimoit les comédies très-gaies; & il eft paffé en ufage a la cour, quand une pièce eft un peu libre, de dire : Cejl du répertoire de la feue reine. Le duc de Richelieu arrivé en Languedoc fe fit rendre tous les honneurs dus a fa place. Fidéle obfervateur des ufages & de 1'étiquette, il ne voulut déroger a rien, & confulta les regiftres les plus anciens fur le rang qu'il devoit tenir. II fe fit quelques querelles avec 1'archevêque de Narbonne & le parlement; mais adroit négociateur, il eut le talent de les terminer toutes a fon avantage. II trouva le Languedoc déchiré par les troubles  du Maréchal dc Richelieu. 217 que 1'intolérante conduite du clergé envers les proteftans avoit fait naïtre. On enlevoit leurs enfans, qui, placés dans des couvens ou des colléges , étoient élevés dans la religion catholique. Les évêques prétendoient les convertir avec des lettres de cachet & des potences : Saint-Florentin & 1'intendant de la province étoient les miniftres de leur aveugle fureur. On oublioit que le défefpoir étoit capable de caufer une révolution, & que Louis XIV, malgré fes talens militaires & la victoire de Villars > avoit été obligé de compofer avec eux. Richelieu, témoin der la fermentation qui régnoit, tacha de la calmer; mais ne pouvant encore donner le tems néceffaire a cette grande affaire , il employa la douceur, & crut qu'un palliatif empêcheroit la rapidité du mal. II étoit auflï chargé de gagner les états pour en obtenir une plus forte contribution , & fon efprit liant & perfuafif lui fuggéra les moyens de fatisfaire bientöt les delirs de la cour. La ducheffe fa femme accoucha d'une fille, qui fut madame d'Egmont : mais les fuites de cette couche n'étant point heureufes, madame de Richelieu dont la poitrine étoit déja affectée, croyant que l'air de Montpellier lui étoit contraire, defira revenir a Paris. Son hotel étoit loué, elle alla demeurer au Temple dans la maifon de fon père ; mais la maladie qui avoit voyagé avec elle , augmenta fi promptement qu'elle ne tarda pas k devenir mortelle. Tous les foins furent inutiles. Le duc , qui ne s'étoit pas piqué de conftance, témoigna par fes craintes öc fon afïïduité, combien il lui étoit cepen-  ïl 8 Vie privie dant attaché. La nuit qu'elle mourut (i), a peine étoit il couché qu'on vint 1'avertir que la ducheffe étoit plus mal : il vole chez elle. Dès 1'inftant qu|elle 1'appercut, elle ranima fes forces pour lui dire: Ah! feu veux beaucoup d ceux qui vous ont fait venir ; je voulois vous éviter le chagrin de me voir mourir : mais puifque vous voila , embraffe7-moi pour la dernière fois. Richelieu n'étant plus a lui fe jette fur elle ; fa femme le preffe encore dans fes bras , & meurt. II refte long-tems dans eet état, ne croyant pas que la ducheffe n'étoit plus, & on eut beaucoup de peine a détacher les mains de cette intéreffante femme qui les tenoit toujours ferrées contre fon époux. Le duc, certain de fon malheur, part a 1'inftant pour Richelieu oü le marquis de Crevecceur 1'accompagne. II y refte un mois k déplorer la perte qu'il vient de faire. On a dit que mademoifelle de Guife n'avoit apporté en dot que fa naiffance ; mais par un événement qui prouve que tout réuffiffoit k Richelieu , le prince de Guife fon frère, qui fervoit en Italië, s'amufant pendant qu'on 1'accommodoit, prit un piftolet qui étoit fur la cheminée, & demandant fi ce n'étoit pas ainfi qu'on fe tuoit , met le canon dans fa bouche , lache la détente, & tombe mort. On n'a jamais pu favoir quelle étoit la caufe de cette aöion ; il n'avoit aucune mauvaife affaire : il avoit trois millions de bien, & nulle raifon ne pouvoit le déterminer a fe tuer; il étoit jeune, aimé des (0 Dans le mois d'aoüt 1740,  du Maréchal dt Richelieu. 219 femmes : fon exiftence étoit fort heureufe. II étoit feulement fujet a des diftrattions, & M. de Richelieu fut toujours perfuadé qu'une dernière avoit augmenté la fortune de fes enfans. Quoi qu'il en foit, eet événement mit plus de foixante mille livres de rente dans cette familie. Heureufement pour le valet-de-chambre de M. de Guife , que cette fcène fe palfa en préfence de pluiieurs officiers du régiment de ce prince , qui étoient dans fon appartement. CHAPITRE XVIII. Le duc dt Richelitu, dt rttour a. Vtrfaillts, ft confolt avec la princejfe dt Rohan. 11 tfl confidtnt dts amours du roi avec madame dt la Tourrztllt, depuis ducheffe dt Chattauroux. Antcdotts k ct fujet. O N fait qu'il n'eft point de douleur éternelle: c'étoit a Richelieu a 1'éprouver plus vite qifun autre; le fouvenir de fa femme ne lui occalionnoit plus qu'une fenfation tranquille, & fon cceur, toujours prompt a s'enflammer, vola au-devant des fers de la princeffe de Rohan. Son mari étoit vieux, & demeuroit prefque toujours a Verfailles; le duc la vit fouvent, & les occafions de lui faire fa cour devenant plus multipliées , il parvint a fixer fon attention. S'il n'avoit plus la fraicheur de la jeuneife, il confervoit une amabilité peu commune , qui lui donnoit beaucoup d'avantages fur les jeuoes gens. II réuniftbit d'ail-  ia.O Vie prlvce leurs une longue pratique a la théorie de Part de féduire; &c la jeune princeffe , qui n'avoit encore aucune erreur k fe reprocher, ne fut pas long-tems fans en compter une. Elle demeuroit dans la galerie des princes; une femme-de-chambre devint la confidente de cette intrigue ; Richelieu paiToit par un petit efcalier noir, & étoit introduit chez madame de Rohan. La princeffe étoit grande , brune , & réuniffoit un efprit cultivé k la beauté la plus régulière. Sans être fiére de tant d'avantages, elle imagina cependant qu'ils fuffifoient pour mériter un hommage plus particulier; elle ne tarda pas a connoitre qu'elle s'étoit trompée. Les commencemens de cette intrigue furent heureux; rien ne troubla Pillufion ou étoit la princeffe : mais bientöt des jaloux lui firent connoitre les allarmes. Ils avoient inftruit le cardinal de Rohan des fréquentes vifites de Richelieu ; cette éminence ne 1'aimoit pas depuis 1'aventure du fauteuil. Des efpions furent payés , & leur rapport lui donna la certitude de l'amour de fa belle-fceur pour le duc. • Ce fecret n'en fut bientöt plus un pour M. de Rohan , qui ne put croire a Pinfidélité de fa femme; cependant on lui donnoit tant d'avis fur fa conduite , qu'il réfolut enfin de Pexaminer. La mine fut heureufement éventée par les amans , & leurs actions plus circonfpetfes ne donnèrent aucun éclairciffement au mari. Celui-ci eut recours k un moyen fort ordinaire, celui de prétexter des affaires qui devoient le retenir quelques jours k Verfailles; il engage la princeffe k refter a Paris; elle demeuroit, pendant les pe-  du Markhal de Richelieu'. ilt tlts vóyages qu'elle y faifoit, a 1'hötel Soubife. Son premier foin fut de prévenir Richelieu de Pabfence de fon mari, & de lui donner un rendez-vous pour le foir même. Le duc s'y rend : mais a peine eft-il dans les bras de la princeffe , que la femme-de-chambre effrayée accourt dire que le prince eft arrivé , & qu'il vient dans 1'appartement de madame. Richelieu n'a que le tems de prendre fes habits & de fe fauver chez la femme-de-chambre; les dangers qu'il court ne 1'empêchent pas de la trouver jolie; & comme il étoit dans un coftume a defirer un lit, il fe met fans facon dans celui de cette fille. Le prince de Rohan, k qui Pon avoit pofitivement affuré que le duc de Richelieu étoit venu le voir pendant fon abfence , cherche par-tout s'il le découvrira; il faifit différens prétextes pour faire une perquifition exacfe dans 1'appartement de fa femme : il lui dit qu'il eft entré un homme fufpett qui eft caché quelque part. Perfuadé que Ie duc n'eft pas dans eet appartement, il va dans la chambre oü étoit Richelieu qui employoit tous les moyens propres k déterminer la femme-dechambre a coucher avec lui. Le duc entend venir quelqu'un, & n'a que le tems de fe mettre entre la muraille & le lit; mais le hafard le fert mal, le lit roule un peu, & il tombe fur le carreau. C'étoit 1'hyver , il faifoit très-froid, & fon habillement n'étoit pas propre a Pen garantir. Heureufement pour lui que le prince n'arriva •qu'après cette chüte ; mais s'il n'eft pas découvert, il eft condamné k refter long-tems dans cette froide & pénible pofition. Le prince interroge la femme-de-chambre , lui  lil Vu privée demande s'il n'eft pas vrai que le duc de Richelieu foit venu ce foir chez fa femme. Cette fille nie qu'il s'y foit préfenté, & tache de détruire les foupcons de fon maitre. II croit que 1'argent fera davantage , & lui offre cinquante louis fi elle veut lui dire la vérité , ou au moins Pavertir quand M. de Richelieu viendra myftérieufement chez la princeffe. Le duc qui entend que la femme-de-chambre balbutie, & paroit incertaine de la manière dont elle répondra , a peur qu'elle ne découvre fa retraite & ne le faffe furprendre dans le trifte état oii il eft. Cependant fa tranquillité renait bientöt : cette fille eft incorruptible, & paroiffant toujours étonnée aux demandes du mari, elle le confirme dans 1'opinion qu'elle ne fait rien, ou que fa femme eft innocente. II lui paroit plus doux de fe livrer a ce dernier fentitnent, & il convient qu'il y a bien des gens qui s'amufent a troubler la tranquillité des ménages. Le tems qu'il mit a interroger la femme-dechambre & k faire ce beau raifonnement étoit trouvé bien long par notre amant qui geloit de froid, & qui n'ofoit faire aucun mouvement pour ne pas compromettre la princeffe. Enfin , le prince lui laiffe en fortant la liberté de rentrer dans le lit, & il implore la complaifance de la femmede-chambre. Cent louis font le prix de fa dif. rétion & de fa bonne volonté. Ce petit événement rendit le duc & la princeffe plus circonfpefts; le jour leur parut fuffifant pour fe donner des preuves de leur tendreffe, & ils choifirent fi bien leur moment que le mari ne put jamais rien découvrjr, Au contraire, il  du Marichal de RicheütUï. 223 crut que la calomnie avoit attaqué la réputation d'une époufe refpeöable , & il ne put fe pardonner de s'être lailfé infecter de fon poifon. Le duc de Richelieu étoit a portee de donner d'autant plus de tems a cette intrigue, qu'il quittoit rarement la cour. Elle devenoit plus agréable; le roi, qui n'avoit pour la reine que les égards que la bienféance exigeoit, s'étoit fait une fociété qui rendoit fon intérieur plus gai Sc moins gênant : Pétiquette étoit reléguée a la porte, Sc le fujet marchoit de pair avec le fouverain. Madame de Mailly étoit encore la déeffe de ce lieu de volupté, Sc chacun s'empreffcit de plaire a la favorite. Louis XV paroiffoit Paimer exclufivement, Sc fe livroit avec elle a tous les excès. Le vin de Champagne arrofoit fouvent la couche royale , & S. M. étoit par fois prife encore plus de vin que d'amour. Madame de Mailly crut la fixer davantage en partageant tous fes goüts ; mais les gens qui connoiffent le cours de la nature, & Richelieu fur-tout, qui faifoit une étude particuliere du caracfère du roi, virent bien que 1'age de cette maitreffe , fon peu de beauté, Sc plus encore l'amour du changement inné dans tous les êtres, rendroient fes efforts infructueux. On fait que fa fceur , madame de Vintimille, lui fuccéda, & qu'elle mourut a la fuite d'une couche. Madame de Mailly n'en fut pas plus heureufe; le fang des de Nefle qui couloit dans fes veines avoit un attrait particulier pour le monarque. Elle eut encore le chagrin de voir une de fes fceurs, la marquife de la Tournelle, depuis ducheffe de Chateauroux, hériter du droit de plaire a fon amant.  224 Vie privée Bannie de la cour, madame de Mailly, livrée aux remords & au repentir, doit fans doute être encore plus comparée a Magdeleine pénitente que la ducheffe de la Valiere. Celle-ci courut dans un couvent porter a Dieu un cceur dont fon amant ne vouloit plus. La folitude, les exercices de piété lui rendirent le calme dont elle avoit befoin. Perfonne ne lui parloit de fes erreurs; elle les pleuroit fans fubir 1'humiliation de fe les entendre reprocher; fes fautes étoient enfevelies avec elle , & la honte n'approchoit pas les murs de fon cloitre. Madame de. Mailly, au contraire , trouva affez d'énergie dans fon ame pour refter dans le monde , oü Pceil du mépris s'attachoit continuellement fur elle. Cette femme, qui auroit été moins humiliée dans un couvent, préféra faire une pénitence publique, comme le fcandale 1'avoit été. On lui reprochoit hautement d'être la caufe de 1'inconduite du roi ; elle avoit été fa première maitreffe connue. En vain crut-elle que 1'aumöne & la prière lui feroient obtenir fon pardon : le peuple qu'elle fecouroit dans fa mifère lui prodiguoit les noms les plus odieux. Elle offrit a Dieu toutes fes peines, eut le courage de les fupporter , & alloit avec le même zèle porter des fecours chez des malheureux oü quelquefois des humiliations 1'attendoient. Eile n'étoit pas riche,, & fon revenu étoit en partie prodigué k des ingrats qui 1'outrageoient. Le tems put k peine détruire la mauvaife opinion qu'on avoit d'elle. Elle mourut fans pouvoir effacer l'impreffion de fa foibleffe , malgré les jeünes, 1'aumöne & la prière. Elle fut enterrée dans le cimetière des innocens, & k fon convoi,  du Maréchal dt Richelieu. 225. eonvoi, le plus fimple qu'il fut poffible de faire, on entendit ce même peuple qu'elle avoit fecouru lui prodiguer encore des noms groiïïers Sc infultans. La marquife de la Tournelle, que la mort de madame de Vintimille mit fur les rangs, fut celle des trois fceurs que le roi parut le plus aimer. Elle étoit grande, bien faite, réuniffant la douceur a la nobleffe. Elle avoit encore deux autres fceurs, 1'une, femme du marquis de Flavacourt, & 1'autre, mademoifelle de Montcavrel, devenue ducheffe de Lauraguais. Madame de la Tournelle étoit veuve, & on n'avoit eu pendant fon mariage aucun reproche a lui faire, li ce n'eft un goüt trop vif pour Ie duc d'Agénois, (le dernier duc d'Aiguillon mort.) Elle étoit alors trèsliée avec fa fceur, Ia marquife de Flavacourt, a qui fon mari, qui n'étoit pas plaifant, dit depuis qu'il la tueroit fi elle s'avifoit d'être auffi. p. que fes fceurs. Le duc d'Agénois , ami du duc de Richelieu fon parent, lui fit part de fes amours , Sc bientöt il en réfulta une liaifon étroite entr'eux ; madame de Flavacourt étoit de leur partie. M. le prince de Conti Sc un M. Duménil (1) cherchèrent long-tems a s'initier dans ces myltères. Ils vinrent un foir chez M. de Richelieu au moment oü ces dames Sc les deux coufins montoient en voiture pour aller fouper dans une petite maifon. Le prince Sc ion compagnon infiftent beaucoup pour les accompagner; mais le refus fut fi formel de la pa t des dames, (1) Mort Iieutenant-géneral, Sc bien lervi a la c»ur par mnclame de Chateauroux, Tornt J, P  22Ó Vu privcc qu'ils ne purent avoir place dans la voiture qui étoit très-grande. Ils feignent de fe retirer, montent tous deux derrière le carroffe, & ces dames font fort étonnées a leur arrivée de voir les congédiés leur préfenter la main; il fallut bien les recevoir. Le cocher de M. de Richelieu, qui s'appelloit la Jeunejfe, dit au prince qu'on payoit des gands la première fois qu'on montoit derrière une voiture. Celui-ci cherche fa bourfe, &c voyant qu'elle eft oubliée, lui répond qu'il n'a pas d'argent. Qui diable en aura donc, reprit 1'autre fans fe déconcerter, li ce n'eft les princes ? Le lendemain il eut un doublé louis. Cette liaifon du duc de Richelieu avec Madame de la Tournelle fit croire qu'elle étoit fa maitreffe , quoiqu'il n'eüt que 1'emploi de confident. On fe perfuada auffi que, bientöt après, il avoit fait le facrifice de fon amour pour fe faire encore mieux accueillir du fouverain k qui il cédoit fa maitreffe; tout le monde le croit, & on 1'a écrit : nous en étions perfuadés nous-mêmes ; mais il a fallu céder k Pévidence , a des manufcrits, & a des lettres qui atteftent le contraire. Et comme nous nous fommes impofé la loi de dire la vérité, nous fommes obligés de démentir tout ce qu'on a écrit jufqu'a préfent. II nous importe fort peu que Richelieu ait été le complaiïant du roi ou ne 1'ait point été; nous difons ce qui eft, &c nous nous faifons un devoir d'être fidèles hifloriens. Bien des faits confignés dans la vie privée de Louis XV, dans les anecdotes de Perfe, font faux, Nous fommes plus k même que perfonne de parler de cette maitreffe du roi qui mérite d'être connue, puifque nous avons lu fa  du Maréchal de Richelieu. 227 correfpondance avec M. de Richelieu qu'elle appelloit fon cher oncle, & que nous en poffédons plus de vingt lettres fort intéreffantes. Tout le monde fait que la ducheffe de Mazarin, tante des demoifelles de Nefle, les combloit d'amitiés , & fur-tout avoit grand foin de madame de Flavacourt & de madame de la Tournelle. Mais ce qu'on ignore, c'eft qu'a fa mort la reine envoya chercher ces deux dernières, pour les confoler de la perte qu'elles venoient de faire. Elle les recut avec la plus grande bonté, pleura avec elles, & les affura que li la ducheffe de Mazarin leur avoit tenu lieu de mère , fon intention étoit de la remplacer. L'offlcier de la chambre qui les avoit annoncées, témoin un inftant de ce fpeftacle , en fut ému lui - même , & a raconté è plufieurs perfonnes cette fcène attendriffante. Cette vertueufe reine ne s'attendoit pas que tant de bontés feroient mal reconnues, & que madame de la Tournelle, qu'elle traitoit avec tant de diftinftion, fuccéderoit un mois après a fes fceurs pour lui öter a jamais le cceur de fon époux. Cette dame avoit été admife quelquefois dans les petits voyages de Choify. Le roi, occupé de madame de Vintimille, avoit fait peu d'attention a, elle, & ne prit pas garde qu'elle étoit celle de ces fceurs qui méritoit le plus fon hommage. D ailleurs , il la vit rarement, & il n'eut pas le tems d'en être épris. II Pappergut chez la reine ; & n'étant plus dans les liens de madame de Vintimille qui venoit de mourir , il crut que rien, n'étoit plus propre a le confoler que fa fceur. Jl eut le tems d'obferver que fi la beauté, la na- p ij  VU privée bleffe méritoient une couronne, madame de la Tournelle étoit digne de la porter. Son cher le Bel fut encore 1'agent qu'il choifit pour propofer a cette divinité un rendez-vous avec Sa Majefté, & bientöt elle logea dans le chateau de Verfailles fans que perfonne eu eüt le moindre foupcon. Le duc de Richelieu a écrit d'une manière fi franche comment il a trouvé madame de la Tournelle a la cour, que nous ne pouvons pas douter de fon récit. Un homme attaché a M. de Chalmofel, père de M. de Talaru , dont 1'appartement étoit au-deffous de celui qu'occupoit alors madame de la Tournelle , témoin des petites courfes nofturnes que le roi faifoit chez elle avant qu'elle fut déclarée , fe rapporte entiérement avec le duc dans le rapport qu'il en fait. Nous allons copier la lettre du duc , que nous croyons être adreffée a madame de Mauconfeil & a fon amie madame de Luxembourg. » Vous croyez, mefdames, ainfi que le pu>> blic, qui juge fouvent très-mal paree qu'il le » fait fans voir ni connoitre les perfonnes dont » il parle, que c'eft moi qui ai procuré madame » de Chateauroux au roi. Vous êtes dans 1'er»> reur, comme tout le monde. Je ne me ferois » pas un grand fcrupule d'avoir été utile a mon mai» tre dans fes amours; on donne un joli tableau, » un beau vafe, un bijou quelconque, & je ne » vois pas qu'on doive rougir de mettre a même » un fouverain de jouir de tout ce qu'il y a » de plus aimable au monde , d'une femme. Si •» le roi m'eüt commandé de vous parler en fa  Ril Markhal dt Richelieu. >> faveur, je n'aurois pas balancé a m'acquitter » de cette commiflion, & 9'auroit été a vous » d'accepter ou de refufer. On doit fes foins en » tout genre au maitre qui nous donne des or» dres, & on peut bien lui donner une femme » comme autre chofe. Je ne vois d'exclufion que » pour la fienne. Ce n'eft donc pas par fcru» pule que je n'ai point été le premier agent de » la liaifon du roi avec madame de Chateau» roux: c'eft que Foccafion ne s'eft pas rencon» trée. Vous voyez que je ne cherche pas a. me » juftifier. Je vous dirai plus , que je n'ai pro» curé aucune femme au roi : il a toujours eu » des goüts que je ne prévoyois pas ; mais je » conviens que j'ai mis toute 1'adreffe poffible k » me mettre bien avec la favorite. Madame de » Pompadour , c'eft de Meufe & Binet qui ont » terminé cette intrigue déja ébauchée dans la » forêt de Senars , Se perfonne n'ignore que le » Bel a été la première caufe de la fortune éton» nante de madame du Barry. J'avoue qu'aucune » femme ne m'a infpiré un attachement aufli réel » que madame de Chateauroux, que j'ai pleuré » fa mort, que j'ai perdu une amie, une femme » qui contribuoit a me mettre de mieux en mieux » dans 1'efprit du roi, qui m'inftruifoit de tout, » & qui profitoit de la plus légère circonftance » pour m'être utile. Je dois ajouter, pour 1'hon» neur de fa mémoire, que le roi fit lui-même » une grande perte; &c je ne crains pas de dire » que le royaume la partagea , le roi ne pou» vant choilir une maitreffe qui méritat mieux » fa confiance. » Mademoifelle de Charolois, qui n'avoit pu P iij  2.3° Vie privée m me fïxer étant jeune , eut encore moins Part » de me retenir pres d'elle quand 1'age lui eut » enlevé les moyens de plaire. Trop vindicative » pour oublier mes torts, elle s'étudia a me » mettre mal avec madame de Mailly qui gou» vernoit alors Ie roi conjointement avec ma» dame de Vintimille. J'avois prévu que le roi » n'auroit qu'un goüt palTager pour elles ; fon » inconftance fe manifeftoit déja, & j'avois trop » la connoifTance du cceur humain pour croire » qu'il refferoit en un auffi beau chemin, J'étois » de toutes fes parties de plaifir ; mais made» moifelle de Charolois, qui voyoit de mauvais »> ceil mon intimité , voulant me deffervir, perw fuada a madame de Mailly & k fa fceur que *> j'étois 1'homme le plus dangereux pour elles ; f q.UG je ne manquerois pas de profiter d'un mo» ment^ oü le roi me témoigneroit le plus de » bonté pour lui parler d'une autre femme; enfin » que j'étois un libertin qui m'efforcerois d'en» gager le roi a former de nouvelles intrigues. » II m'étoit échappé de dire quelquefois devant » elles qu'il étoit impoffible a un homme d'être »> conftant, & que Ie meilleur moyen qu'eüt k m employer une femme qui vouloit garder fon » amant, étoit de lui pardonner fes infidélités. » Ces difcours , ceux de mademoifelle de Cha»> rolois produifirent k la fin leur effet; & je » fus reconnu comme Pennemi déclaré de la » conftance du roi. Ce fut alfez pour chercher » tous les moyens de me nuire. Ce n'étoit point » aifé , fa majefté me combloit de bontés. Les » careffes redoublèrent a mon égard pour m'óter » tout foupgon , & les coups me furent portés  du Maréchal de Richelieu. 231 » dans le filence. Le roi, qui recoit affez faci» lement, comme vous le favez, une impreffion » défavorable, crut que je m'étois permis quel» ques propos contre fes amours ; 6c je fus » étonné de lui entendre dire , un jour que je » foupois avec lui : Duc de Richelieu ,y'e fais de » bonne part que vous ave% des réparations impor» tantes d faire d votre chdteau de Richelieu , & » je vous engage en ami d'y aller paffer quelque » tems paur les faire diriger fous vos yeux. » J'eus affez de préfence d'efprit pour ne pas » me déconcerter, & pour remercier fa majeffé » de 1'intérêt qu'elle daignoit me témoigner. J'é» tois intérieurement furieux du tour qu'on me w jouoit. Je compris parfaitement le fens des pa» roles du roi , 8c dès le foir même je donnaï » des ordres pour partir le lendemain. J'eus grand » foin de publier que ma fanté exigeoit que je » priffe un peu de repos, oc d'éloigner tout ce .» qui pouvoit avoir Papparence d'un exil. A la .» cour cependant on s'y trompa peu. Je priai » madame de Rohan , avec laquelle j'étois en » relation , de m'écrire ce qui fe pafferoit. » Arrivé a Richelieu , je fis venir un archi» tecte, quoique le chateau fut en très-bon état, .» Sc je fis faire quelques légères réparations. » J'invitai les gentilshommes voifins a qui je me » plaignis de ma fanté, 6c du befoin que j'avois » de la foigner loin des veilles de la cour ; 6c » je donnai de fi bonnes raifons de mon arri» vée, qu'on ne foupcorina pas qu'elle étoit con,» trainte. On m'engagea de demeurer cinq ou » fix mois a Richelieu pour me refaire ; 6c >► comme j'ignorois le terme de mon retour, je P iv  Vie privée » Paf»s être de 1'avis de ceux qui me confeil»> loient de mcner pendant quelque tems une vie » plus tranquille. » Cependant ma retraite , qui pouvoit être » longue, m'ennuyoit en perfpeftive, & j'afpi» rois au moment qui devoit la faire ceffer. Les » premières lettres ranimèrent mon efpérance. On » m'écrivit que le roi parloit fouvent de moi, » & paroiffoit étonné de ma longue abfence ; » il y avoit déja plus de quinze jours que i'év tois a Richelieu. Enfin le duc d'Eftiffac me »> manda que je pouvois revenir fans crainte; que * *e .r01 avoit dit que probablement je le bou» dois, & qu'il ne falloit pas fi long-tems pour don» ner des ordres a un architede. II ajoutoit: on » voit bien que le maitre ne peut fe paffer de » vous; & je prévois que les intrigues de cour, » quoique communes , ne vous feront jamais » grand mal dans fon efprit. J'étois enchanté que »> mes ennemis euffent le deffous; j'ignorois en» core qui m'avoit porté le coup, & je ne fus « pas faché de me faire defirer. Je reftai quel»> ques jours, & enfuite j'annongai mon départ. •» J'eus grand foin de paroïtre chagrin de cette »> prétendue contrariété, & de ne pas refter affez » long-tems pour rétablir ma fanté, tant je crai» gnois qu'on ne fe doutSt de mon petit exil. » On me plaignit, puifque je paroiffois vouloir » etre plaint, & on envia le fort d'un grand » dont la fociété étoit fi néceffaire au roi qu'il » ne pouvoit s'en éloigner fans être forcé de 0 fe rendre promptement aux defirs de 1'amitié. >> J'arrivai a Verfailles triomphant, & point » du tout humilié. Le roi fe mit a rire en m'ap-  du Maréchal dc Richelieu, 233 » percevant , & me dit : Votre chateau exigeoit » donc bien des réparations que vous y êtes » refté fi long-tems ? Apparemment que ï'air de » Richelieu vous eft bon : j'avois envie de vous » écrire d'y refter quelques mois encore. Sa ma- » jefté s'amufoit; elle avoit appris tout ce que » j'avois fait pour dérouter les ibupcons des Tou- » rangeaux fur mon féjour a Richelieu. Le foir » j'affiftai a fon coucher. Elle vint a moi, & » me conduifit dans une embrafure de croifée : » Trouvez-vous demain, me dit-elle tout bas, » avant dix heures dü foir dans la cour de mar- » bre. Mettez une mauvaife perruque & une re- » dingotte de cocher pour n'être pas connu. A » dix heures précifes , vous verrez fortir une » chaife k porteur; vous entendrez touffer , & » vous fuivrez cette chaife fans mot dire. Le » roi me quitte alors , & me laiffe fort occupé » k réfléchir fur 1'ordre lingulier que je venois » de recevoir. » Je fis chercher ce dont j'avois befoin pour » mon déguifement, & je me rendis a 1'heure » prefcrite dans la cour de marbre. J'avois dé- » fendu a mes gens de me fuivre, & comme il » n'étoit pas très-nouveau chez moi de me voir » fortir déguifé, on crut que c'étoit une femme » de plus que j'allois joindre a ma lifte. Le ciel » paroiffoit déchainé contre moi; il faifoit une » pluie horrible, tin vent froid cjui me geloit, & » je peftai plus d'une fois contre le röle que je » jouois. » Enfin , 1'heure defirée fe fit entendre ; la » chaife parut, on touffa, & je fuivis filencieu- » fement, comme on me l'avoit prefcrit, cette  Ij 4 Vu privce » chaife myftérieufe. La courfe, quoicrtie petïtéj » fut affez longue pour me faire bien mouiller. g Les porteurs s'arrêtèrent a un petit efcalier, &c » je vis fortir le roi enveloppé dans un manw teau, qui me fit figne de ne rien faire pa» roitre. Nous montames dans 1'appartement de w M.de Vauréal, alors ambaffadeur en Efpagne, » qui étoit au-deffus de celui de Chalmofel, père » de M. de Talaru. Le roi ouvrit la porte qu'il » referma fur moi; je ne vis perfonne dans 1'anti» chambre; après 1'avoir traverfée, le roi me » dit de 1'attendre, & continua fon chemin dans » 1'appartement fuivant. Je reftai la une heure a » me morfondre d'ennui & d'impatience. Je mau» dis 1'emploi de confident. Je me repréfentois » le roi entre les bras d'une jolie femme; & moi » je me regardois mouillé, crotté , & faifant » 1'office d'un ferviteur fubalterne. Je me trou» vois humilié, & toutefois je cherchois k de» viner quelle étoit la femme qui étoit caufe du » fot röle que je jouois. Je me perdois dans mes » réflexions, quand le roi fortit fans être recon» duit. II n'avoit pas pris garde k moi en en» trant ; plus tranquille apparemment a fa for» tie, il fïxa fa vue fur mon accoutrement. La » pluie ne fervoit pas a le rehauffer 3 il fit un » éclat de rire qu'il chercha a modérer en difant: » La bonne figure ! je donne au diable d le recon» noüre. Je le fuivis peu content de cette excla» mation; j'accompagnai la chaife jufqu'oü je » 1'avois prife, & alors un nouveau figne m'anrï nonga de me retirer. » Rendu chez moi, je me fis peur a moi» même, & celui de mes gens qui me fuivoit  du Maréchal dé Richelieu. 23^ » ordinairement dans mes courfes amoureufes , » ayant vouhi dire un mot fur 1'état oü j'étois, » fut fi mal recu , qu'il vit bien que celle - cï » n'avoit point été heureufe. J'étois furieux de » n'être inffruit de rien après la démarche qu'on » m'avoit fait faire , & je croyois bien avoir » acheté le droit d'être admis a une .entière conm fidence. Ma maavaife humeur retomba fur tout » ce qui m'environnoit; je n'allai point fouper » oü j'étois attendu; & contre mon ordinaire, » je me couchai de très-bonne heure. » Le lendemain je fus tenté de retourner a. » Paris. Cependant preffé par la cijriofité qui me » portoit a découvrir la femme qui recevoit les » nouveaux hommages du roi, j'allai a fon lever. » Je fixai les yeux iur lui, les fiens fe détour» noient de moi, & je ne favois qu'imaginer de » 1'étude qu'il paroiffoit faire de ne pas me re» garder. II chaffoit ce jour-la, j'avois décidé de » le fuivre a la chaffe, öc de laiür toutes les » occafions de me trouver feul avec lui. Elles fe » préfentèrent fouvent , & le roi s'amufa tou» jours k garder le filence. Enfin, il me dit : » Savez-vous que vous êtes a merveille en co» cher, je veux vous procurer encore le plaifir » du déguifement ce foir k la même heure. Je »> ne favois fi je devois me réjouir ou m'afHiger .» d'être une feconde fois acteur de cette mafca» rade. » L'heure arrivée, même fignal que la veille, » même filence de ma part. Le roi me prefcri» vit encore de 1'attendre, & eet ordre m'affli» gea d'autant plus que j'étois perfuadé qu'il fal» loit faire une auffi trifte féance que le foir pré-  X3Ö V~ie privie » cedent. Je fus agréablement trompé. A peïne » un quart-d'heure fut-il écoulé, que le roi parut me dit en riant : II eft jufte de vous payer » <-f vos peines, & de vous faire connoitre la » divinité qui fe cache a tous les regards; foyez » difcret, & fuivez-moi. J'obéis avec grand em» preflement, & le premier objet que j'appercus » fut madame de la Tournelle affife auprès du » feu, qui fe leva au moment oü nous entra» mes. Elle rougit, & mit la main devant fes » yeux. Ne craignez pas un de vos amis, lui » dit le roi, vous favez que nous pouvons comp» ter fur lui. D'ailleurs le fecret ne lui pefera » pas long-tems : il fera fürement de mon avis , » que mon bonheur foit bientöt public. J'alTurai » fa majefté qu'elle ne pouvoit mieux faire, & » que j'étois trop heureux de 1'alTurer, ainfi que » madame de la Tournelle, de mon refpeft & » de mon entière réfignation a leurs volontés. » Le roi, qui^ me parut fort épris, protefta a fa » nouvelle maitreffe qu'elle étoit la première fem» me qui lui eüt fait connoitre un véritable atta» chement , & j'admirai 1'effet du hafard qui » renfermoit dans une même familie les plaifirs » & les amours du monarque. II celfa de 1'être » pour moi dans ce moment : il eut des élans » d'amitié qui m'enivrèrent, & ce fut peut-être » un des jours de ma vie oü 1'intervalle entre » le maitre & le fujet fut le plus rapproché. » Madame de la Tournelle me témoigna le » plaifir que lui faifoit la confiance dont m'ho- ,» noroit fa majefté , & promit de me traiter » comme elle 1'ordonnoit, c'eft-a-dire, en ami. » Le roi 1'en pria de nouveau, & jura que rien  du Maréchal de Richelieu, 2.37 » ne troubleroit une amitié commencée fous de » fi heureux aufpices. J'étois au comble de la » joie, & bien dédommagé des chagrins de la » veille. Le choix du roi étoit un bonheur de » plus; il tomboit fur une femme dont je con» noifibis 1'attachement pour moi , & qui pou» voit tout faire en ma faveur. Cette idéé, & » les bontés dont j'étois comblé, rendirent ma » jouiffance compléte. » Quelle différence d'être avec fon roi dans » ces inftans oii toute fa dignité difparoit, oii » il n'eft plus qu'un homme aimable, oü il de» vient notre égal, & de fe trouver enfuite en » public auprès de lui, n'ofant 1'interroger, » cherchant a fixer un de fes regards, & a mé» riter qu'il vous adreffe une parole! Quelques » jours après cette foirée , fi agréable par la » confiance dont je fus honoré, la nouvelle liai» fon du roi ne fut plus un myftère , & toute » la cour fut étonnée, comme je 1'avois été moi» même, de voir madame de la Tournelle, fur » laquelle on n'avoit eu aucun foupcon, fuc» céder a fes deux fceurs ".  2.38 Vie privée CHAPITRE XIX. Guerre de iy4z. Le duc de Richelieu eft employé en Flandres, enfuite fur le Rhin. II fe diftingue d la bataille d'Etdnghen, dite du Mein; il eft fait premier gentilhomme de la chambre du roi , & lieutenant-général. -A la mort de l'empereur Charles VI, qui ne laiffoit qu'une fille pour lui fuccéder, on voulut ïaifir cette occafion d'humilier la maifon d'Autriche. Le comte de Belle-Me, petit-fils du célèbre & malheureux Fouquet, né avec de 1'intrigue & des talens , fit adopter un plan pour mettre la couronne impériale fur la tête de Pélefteur de Bavière. II part, en qualité d'ambaffadeur extraordinaire & plénipotentiaire du roi a la diète de Francfort; il eft nommé bientöt maréchal de France & commandant de 1'armée : 1'élefteur fut élu , & fon éleftion fe fit de la manière la plus tranquille & la plus folemnelle. On ne peut fe diflimuler que le cardinal de Fleury ait commis dans cette circonftance une faute énorme qui caufa tous les malheurs de cette guerre. II avoit 1'efprit trop retréci & trop porté a la lézine, pour juger qu'en épargnant les hommes &c 1'argent il donneroit le tems a fon ennemi de fe reconnoitre, & que cette guerre qui ne devoit être, pour ainfi dire, qu'un coup de main, fi Pon mettoit fur pied une armée con-  du Maréchal dt Rkhtlitu. 13^ fidérable , deviendroit longue & défaftreufe en n'oppofant pas des forces fuffifantes. II s'amufa a dilputer fur le nombre des troupes , fur k dépenfe, Sc pendant ce tems la reine de Hongrie, qui chanceloit déja fur fon tröne, trouva les moyens de s'y affurer. Son courage, fa fermeté , fa conftance , fes malheurs intéreffèrent tous fes fujets qui devinrent autant de héros pour la défendre. L'électeur de Bavière, devenu empereur fous le nom de Charles VII, fut d'abord ébloui de quelques fuccès: mais au-lieu de fuivre 1'avis du maréchal de Belle-Me, qui lui confeilloit d'aller droit a Vienne oü la terreur étoit déja répandue , il voulut entrer en Bohème. Quelques villes qui furent prifes firent d'abord bien augurer de la campagne : perfonne n'ignore quelle en fut la fuite. Des maladies, des défaites diminuèrent 1'armée , dont une partie, renfermée dans les murs de Prague, Sc 1'autre campée Sc retranchée prés de la ville, éprouva bientöt les horreurs de la famine. La reine de Hongrie avoit fait affiéger cette ville, Sc ce fiège fut fans doute un des plus mémorables par la bravoure & 1'acharnement des deux partis. Ce qu'il y eut de plus remarquable encore fut la retraite de M. de Belle-Me, qu'on a comparée a celle de dix mille, Sc qui lui fera un éternel honneur. II part de Prague la nuit du 16 au 17 décembre, marche jour Sc nuit par le plus grand froid, dont plus de huit eens hommes meurent victimes, Sc fe rend a Egra fans éprouver aucun échec. Si cette atfion tant célébrée fit 1'éloge du général , elle n'en fut pas moins le réfultat du mal-  14© Vie privée heur public ; la France perdit des milliers d'hommes , & dépenfa des fommes confidérables fort inutilement. L'éphémère empereur Charles VII vit ravager fon éleftorat , fut obligé de fuir de Munich pour fe réfugier a Augsbourg, oü, pouriüivi de nouveau, il ne trouva d'afyle qu'a Francfort. Dans ce même tems, 1'Angleterre avoit déclaré la guerre a 1'Efpagne avec laquelle le cabinet de Verfailles avoit • contracté une nouvelle alliance par le mariage de Madame première avec dom Philippe , infant d'Efpagne. Les Anglois , fans déclaration , attaquoient les vailTeaux frangois , & 1'on fut bientöt contraint de repouffer la force par la force. Le duc de Richelieu, confident du roi, chéri de la favorite, paffoit a la cour des jours heureux. Les plaifirs le fuivoient par-tout: Madame de Tencin, la préfidente Portail, madame de Mauconfeil fe difputoient le bonheur de lui plaire. Cette dernière avoit toute la confiance du comte d'Argenfon, miniftre de la guerre; & , comme nous 1'avons déja dit , Richelieu s'étoit habitué a faire fervir l'amour k fon avancement. Cette dame lui devenoit très-utile ; ce fut le premier but de fa liaifon avec elle. Par la fuite 1'amitié en refferra les nceuds, & elle eft morte peu d'années avant le maréchal, fans que le tems ait porté atteinte k eet attachement. II étoit 1'ame des confeils de madame de la Tournelle; elle ne faifoit rien fans le confulter, & ce fut entr'eux qu'il fut décidé d'eng,.ger le roi k fe mettre k la tête de fes armées. Madame de la Tournelle avoit de Fénergie; elle avoit d'abord cédé  du Maréchal de Richelieu. 241 cédé au roi par ambition, 1'amour étoit venu par degré. Elle defiroit que fon amant fe fit un nom; Sc s'il n'avoit point un royaume a conquérir comme Charles VII, elle ambitionnoit qu'il fut cité comme un grand roi. Jamais reffemblance de caradfère ne fut plus parfaite qu'entre elle Sc Agnès Sorel : toutes deux recurent les hommages de princes foibles qui n'aimoient que les plaifirs , qui, piongés dans la volupté, n'avoient pas le courage d'être hommes. Charles VII, content de pofféder Agnès, voyoit fans chagrin les Anglois réduire fes états a quelques villes; Sc Louis XV, s'abandonnant de même tout entier k l'amour, regardoit fans s'émouvoir les malheurs de fon royaume qui étoient le fruit de fa foibleffe. La première eut le tems de terminer fon ouyrage 1 la feconde mourut trop tot pour la gloire de fon amant, k qui pourtant elle fit donner le titre de bien-aimé, titre hélas I que le prince s'empreffa peu de mériter. Malgré 1'attrait que la cour devoit avoir pour Richelieu, la guerre n'eft pas plutöt déclarée qu'il demande du fervice. II eft employé dans 1'armée commandée en Flandres par le maréchal de Noailles: elle ét,oit d'obfervation , Sc la campagne fe paffe fans événemens. Richelieu, de retour a Paris , livré a de nouveaux plaifirs, s'arrache des bras de fes diverfes maitreffes pour folliciter d'être employé d'une manière plus conforme a fon aftivité ; il lui faut des dangers, de la gloire , & il ne veut compter pour campagnes que celles pil il a expofé fa vie. La campagne de 1743 remplit fes vues. II n'a pas le bonheur d'être le témoin d'une vittoire ; Tome ƒ. Q  242. Vie privèe mais il a celui d'échapper a des dangers multipliés, & d'être cité par fon courage Sc fa préfence d'efprit. Le maréchal de Noailles, qui avoit I'ambition de commander des armées, qui montroit quelquefois la fcience de général, mais point les qualités , au-lieu d'entrer dans le miniftère, oü fa fageffe Sc fon économie auroient pu le rendre utile a 1'état, s'avancoit vers le Rhin avec quarante mille hommes. II marche vers le Mein oü il trouve 1'armée angloife , hanovrienne Sc heifoife, campée fur la droite, entre Dettinghen & Afchaffenbourg. Sa pofition étoit très-mauvaife, Sc elle pouvoit être affamée 8c foudroyée par 1'armée francoife : il en forme le pro jet; il Lorde le Mein d'artillerie , 8c met douze mille hommes fur le pafTage de Dettinghen. Le roi d'Angleterre qui venoit d'arriver ne trouvoit d'autre moyen d'échapper que de faire décamper pendant la nuit fon armée dans le plus grand filence. Le comte de Noailles en avertit fon père, qui donna des ordres pour envelopper les troupes angloifes dans le défilé oü elles doivent paffer. La faute impardonnable qu'il commit fut de fe retirer fans obferver lui-même fi fes ordres étoient bien fuivis. II fe contente de dire au duc de Grammont, colonel des gardes-francoifes, qui commandoit dans ce pofte, de ne rien précipiter, d'attendre le moment favorable , 8c le quitte fous prétexte d'obferver un gué: on affure qu'il alla dans une chapelle fe mettre en füreté. Quoi qu'il en foit, fon absence fit tout le malheur de la journée. Le duc de Grammont, emporté par un courage mal entendu, attaque les Anglois dans une plaine oii ils pouvoient fe dé-  du Markhal de Richelieu. 243 ployer. Par fa pofition Fartillerie frangoife, placée le long du Mein, devint inutile, ne pouvant tirer que fur les Francois. Un fimple detachement combat une armée entière. Malgré la plus grande valeur, on fut obligé de céder, & le régiment des gardes fur-tout, qui l£cha pied, mit le comble a 1'épouvante. La maifon du roi, plufieurs régimens fe battirent en défefpérés; la plupart des officiers, abandonnés de leurs foldats , aimèrent mieux fe faire tuer que de fuir. La perte fut confidérable; prefque toutes les premières maifons de France furent en deuil: ce fut la que le duc de Rochechouart, dont Richelieu eut la charge de premier gentilhomme, fut tué d'un coup de bifcayen dans la tête. Le maréchal de Noailles vint affez tot pour ordonner la retraite qui fe faifoit confufément fans lui; le duc de Richelieu , qui avoit eu un cheval tué fous lui, & un de fes gens k fes cötés, ne ceffoit de combattre k la tête &i régiment de Rohan, jadis fon régiment, & de celui de Piémont. II avoit perdu beaucoup de monde; dans fon ancien régiment feul, il y eut quatre eens hommes de tués, & quarante-deux officiers ; il fit 1'arrière-garde, 8c paffa le Mein le dernier fans avoir recu la plus légère bleffure. Malgré leur vicfoire , les Anglois ne crurent pas devoir garder le champ de bataille; ils gagnèrent Hanovre; Se le duc de Richelieu fut nommé pour faire enlever les morts 8c les bleffés : ils étoient en grand nombre de part 8c d'autre; 8c ce qui affligea le plus le duc fut de voir une multitude de gens de fon efpèce étendus fans ménagement avec le dernier des foldats. Parmi les Q ij  Z44 Vit privtt malheureux conduits aux höpitaux, 11 s'en frouva deux dont le fang-froid mérite d'être cité. Tous deux amis, 1'un avoit eu les deux jambes fracaffées d'un boulet de canon, & 1'autre les deux yeux crevés par une balie qui s'étoit glilTée horifontalement fans blelTer le crane. Ils fe confoloient 1'un 1'autre : 1'eflropié avoit déchiré fa chemife pour étancher fon fang & fecourir fon ami 1'aveugle. L'écuyer du duc les entendit dans ce irifte état plaiïanter enfemble ; 1'un avoit une petite bouteille d'eau-de-vie & en donnoit a 1'autre. Dans ce moment , on crut que 1'ennemi reparoiffoit, ce qui caufa une alerte. L'effropié dit alors a fon camarade : Ils viendront s'ils veulent, je m'en moque ; k moins qu'ils ne viennent me chercher , je n'irai point au-devant d'eux. Son compagnon lui répondit: Ils arriveront par-devant, par-derrière , cela m'eft égal : je n'auraï point le chagrin de les voir. Le duc de Richelieu , inftruit de cette particularité , fit traiter le mieux pofïible ces deux braves foldats, dont 1'un mourut le lendemain, & 1'autre refta aveugle. Cette fanglante bataille porta la défolation dans toute la France. Tout le blame retomba fur le maréchal de Noailles, qui pouvoit difficilement fe laver de cette faute. Madame de la Tournelle , qui venoit d'être nommée ducheffe de Chateauroux , fort attachée au maréchal, marqua tout fon défefpoir a fon cher oncle Richelieu , & ce fut 1'époque oii elle fit de nouvelles tentatives auprès du roi pour le preffer de commander fes troupes. II étoit infouciant: dans le moment d'une nouvelle défaftreufe, il témoignoit un peu de fenïibilité j mais bientöt 1'habitude des plaifirs en  'du Maréchal de Richelieu. '245 effacoit jufqu'a la tracé ; il avoit befoirt d'être excité , d'être entrainé vers la gloire; 6c le ciel avoit mis dans madame de Chateauroux le charme heureux qui devoit en faire un roi. Richelieu ne vint point a Paris paffer fon quartier d'hyver : il refta a Strasbourg, d'oii il étoit en correfpondance avec Louis XV. Celui-ci faifoit un journal de ce qui fe paffoit de plus intérefTant a la cour , 8c il 1'envoyoit a fon- favori, comme s'il eüt été écrit par un tiers. II lui donne le détail du mariage de M. le duc d'Orléans de la- manière la plus plaifante 8c la plus poliffonne; il lui parle de la cérémonie de la chemife donnée aux mariés, 8c rit beaucoup du gros ventre de 1'époux peu favorable a. 1'entière confommation de la fête. Dans une autre lettre, il lui parle des femmes qui font bien ou mal avec lui, 6c finit par lui marquer que la mort du duc de Rochechouart fait intriguer beaucoup pour avoir fa charge de premier gentilhomme de la chambre ; il ajoute que bien des gens l'ont demandée pour M. de Richelieu , entre autres la princeffe, (c'eft ainfi qu'il nomme madame de Chateauroux ) 6c qu'at la cour on la lui donne déja ; 8c moi auffi , continue-t-il ^ vous pouvez le lui dire de ma part. Enfin le duc de Richelieu recoit de madame de Chateauroux la lettre tant defirée que le roi va commander en perfonne ; elle lui donne les détails de la fuite qui doit accompagner fa majefté , 8c s'applaudit du peu de fafte qu'il met dans fa marche ; elle lui mande qu'il fera bien,. affez grand a la tête d'une armée vittorieufe , fans y joindre un vain apparat. Elle lui fait. part  246 yie prlvk en même-tems qu'il fera nommé aide-de-camp du roi &c lieutenant-général. Jamais nouvelles plus heureufes ne fe multiplièrent plus rapidement; ,& le duc, mefurant le tems a fon impatience, comptoit les momens qui devoient le mettre a même d'acquérir une nouvelle gloire fous les yeux de fon maitre. Cela ne 1'empêchoit pas de penfer a l'amour & d'écrire exaftement a toutes fes maitreffes. II avoit déja én vue madame de la Popelinière, femme d'un très-riche fermier-général, dont il fe propofoit de faire la conquête. Elle étoit jeune, jolie, bien élevée, remplie de talens, & il attendoit la fin de la campagne pour courir avec elle des hafards moins dangereux. Au milieu de ces diverfes occupations, il trouvoit encore le tems de s'inftruire de tout ce qui fe palToit d'intérelTant a Paris & a Verfailles; il veilloit de loin aux prérogatives qu'il croyoit dues a fa charge & k fa qualité de pair : on peut en juger par les lettres ci-après du comte de Noailles, datées du 1, 2 & 3 janvier 1744. » II eft trop joli, mon cher oncle, de pou» voir écrire fans être décacheté (1) pour ne pas ♦> profiter de cette occafion pour m'entretenir li» brement avec vous. Je vous demande la per» miflion de bannir toute éloquence , cela n'é» tant pas pratiquable quand on veut être nar- (1) On voit comme on ufoit fpuvent a Ia pofte de eet odieux moyen d'apprendre les fecrets des families. Cela fervoit a faire trouver des coupables, ou a amufer le roi. Le ïoli paffe-tems !  du Maréchal dt Richelieu, 247 » rateuf fidéle des faits; je commencerai par Par» ticle des carreaux, puifque vous defirez d'en » favoir le détail. » Le jour du mariage (1), M. le duc de Gef» vres demanda au roi s'il ne vouloit pas que » nous euflïons des carreaux. S. M. répondit : » Comme au mariage de madame. M. le duc de » Gefvres en conféquence avertit fix titrés, 6c les » propofa au duc de Grammont; mais ledit duc » refufa fous prétexte que c'étoit une impolkeffe » pour les femmes de condkion: Pon affure même » que madame la ducheffe de Grammont dit » tout puDliquement qu'elle ne comprenoit pas » comment Pon vouloit prendre des carreaux dès » que le roi les avoit défendus depuis 1'aven» ture de M. le duc de Luines. Ce propos n'a » pas réufli parmi nos confrères,. &c moins en» core la démarche du duc de Grammont qui » vint le lendemain en bas fans carreau. Ceux » qui en avoient étoient ks maréchaux de Noad» les 6c de Duras, les ducs de Luxembourg 5c » de Takrd , le prince de Soubife 6c le comte » de Noailles, qui donna la moitié du fien au ■ » duc de Biron. Cela fe paffa fort convenable-> ment. Voila k rektion exade de Paffaire des ». carreaux. Paffons a celle du gouvernement de » Saumur, » Notre cher cardinal m'avertit de Pagonie de » M. d'Anbigné, 6c nous convinmes enfemble » que le gouvernement du Saumurois, étant prés (1) Celui du duc d'Otléaas dernier mort dont on a défa parle. Q iv  2-4& V'te privé» » de Richelieu, & valant vlngt-clnq a" {rente » mille livres, vous convenoit. Je partis fur-le» champ & allai parler a la princeiTe (i). Je ne » lui demandai rien pour vous comme vous le » croyez bien ; j'aurois cru faire infulte a fon » amitié pour vous: mais je 1'avertis fimplement » que le gouvernement alloit être vacant, 5c » qu'il pourroit convenir a votre excellence ; 5c » que je croyois que c'étoit lui en dire afiez. Je » fus recu k merveille: je promis d'avertir quand » il vaqueroit; Sc ce qui vous paroïtra plaifant, » c'eft que la fin de la converfation fut de me » remercier de ma tendre amitié pour vous. Voila »> le détail de ma négociation qui fut rompue le » lendemain par la mort du petit Rochechouart (z). » Je vous dirai cependant, mon cher oncle, que » fi M. d'Aubigné meurt, il faut tacher d'avoir » ce gouvernement ; il ne vous manque qu'un » gouvernement de province, celui-la en eft une » efpèce. Vous rendrez votre lieutenance-générale » du Languedoc , Sc cela empêchera que votre » charge ne vous coüte auffi confidérablement » Sc vous vaille fi peu. Ainfi fongez-y , vous » pouvez le demander comme pour faire votre j> cour plus affiduement: ce ne fera pas une grace .5» a 1'infpection. Le commandement du Langue» doe n'eft bon qu'a donner de la confidération; *> Sc quand on en a par foi-même, celle d'em» prunt me paroit fuperflue 8c inutile. Parions a » prélênt de la charge 8c des propos. (i) Madame de Chateauroux. (z) Le roi lui avoit donné d'abord la charge de fon père tue a la bataille du Mein.  du Maréchal de KichelleiC 2.49 » Ceux qui ne vous aiment pas ont répondu, » que la charge étoit promife a M. de Luxem» bourg : le public non intéreffé vous 1'a donnée » tout d'une voix, comme ami du roi & de la » princeiTe. Le retardement de la publication a » étonné tout le monde .- mais j'ai été auffi con» tent de ce qui Poccaiïonnoit que de la charge; » la grace n'y ayant pas été épargnée , vous » devez être content; j'ai été bien-aife que mon » père la demandat pour vous au roi. Je favois » très-bien que vous n'aviez pas befoin de fon » fecours : mais j'ai voulu que le maitre & les » fujets viffent cette démarche authentique com» me une preuve de fon amitié pour vous. Com» me on a travaillé, & qu'on travaille encore k » déranger notre union, il faut la renouveller » & la relferrer de plus en plus. » II eft néceffaire que vous fachiez que MM. » Bachelier, le Bel, & en général tous les gens » du roi ont été enchantés de vous voir premier » gentilhomme de la chambre. » Vous ne ferez pas faché auffi de favoir que » notre maitre porta votre fanté a fouper le jour » qu'on mangea votre mouton de Ganges, (qui, »> par parenthèfe, s'eft trouvé fort bon.) J'ai » donné la moitié du mien a mon père; je vous » en fais mille remerciemens conjointement avec » lui. Je vous envoie deux dindons que je charge » de ma reconnoiffance. >> Je compte mettre Fleury fuiffe a 1'apparte» ment de mon père, ce qui n'eft pas une mau» vaife place. » Les feules nouvelles de la cour confiftent en » la prochaine nomination de M. le prince de  ÏJO Vie privêt » Conti pour aller commander en Italië; vous *i faurez par d'autres tout le détail de eet arran» gement ; ainfi je ne m'y arrêterai pas. Vous » favez fans doute auffi 1'aventirre du cocher de w madame de Modène (i) qui a fouetté le bacha, » lequel a ripofté audit cocher deux légers coups » de plat d'épée. Madame de Modène, au-lieu » de faire des excufes au duc de Boutteville , » s'eft plainte au roi , & vouloit une punition » exemplaire de ce que le bacha ne s'étoit pas » laiffé fouetter affez patiemment par le cocher » de la princeffe; tout cela me paroit appaifé. tf Le bacha a parlé au roi. » Meufe qui vous aime , quoi qu'on puiffe » vous dire, a été trés - mal d'une dyffenterie » avec la fièvre; les dames y ont envoyé deux » fois par jour, peut-être pour favoir s'il étoit » mort; mais cela a eu du moins toute appa» rence de politeffe : quand ledit marquis de »> Meufe a vu le roi, il en a été très-bien recu , (i) On ne s'eft point arrêté a parler de nouveau de ma'ëame de Modène , 'dont il eft ici queftion. Les aventures qui fuivent le voyage d'Italie fait par le duc n'offrent rien d'intéreffant. Quelque tems après la mort de fon père , madame de Modène vint a Paris, & fon premier foin fut de voir fon amant. Ce bonheur fut de peu de durée, il fallut retourner a Modène. Elle fit d'autres voyages, mais Ie tems n'avoit pas refpeflé les traits de la princefle ; ce n'étoit plus la belle duchefle de Valois; un air mafculin, un embonpoint confidérable Ia rendoient plus fufceptible d'amitié que d'amour. Richelieu , qui ne lui avoit point été fidéle dans fon printems , ne la vit plus que par bienféance ; il la confultoit dans les occafions oü il avoit befoin d'elle : mais il ne paroit pas qu'il ait confervé pour elle une amitié bien fincère.  du Maréchal de Richelieu'. 251 $> ce qui me fait croire que véritablement il eft. » aimé du maitre. <, 9 Le roi a obtenu de mon père un baton » d'exempt pour Lujacques, & fa majefté lui a » donné a cette occafion toutes fortes de marh ques de bontés, ce qui me fait plaifir, y ayant » vraiment une fuite de plufieurs années dans » 1'amitié du roi pour ce jeune homme. » Pour ce qui regarde les affaires plus férieu» fes , vous favez que je ne puis voir qu'avec » u'he lunette d'approche; voici a-peu-prés le M tableau que je m'en fuis fait. » Le maitre a envie du bien, a plus d'efpnt » & de connoiffance -d'affaires que fes miniftres; n mais il eft élevé a avoir en eux une confiance » fans bornes, & c'eft un préjugé "bien difficile » a détruire. Le maitre, au furplus, eft en tous » points comme vous 1'avez laiffé. » Les ambaffadeurs Florido & Montico pref» fent pour la déclaration du général dltalie; » c'eft une affaire preffée, mais rien ne finit, ni » ne fe décide. Cependant ce fera ce foir, felon »> les apparences, & je vous 1'écrirai dans mon » journal de demain ". Du 2 janvier 1744. » Comme je Pavois prévu , mon tres - cher » oncle, M. le prince de Conti vient d'être dé» claré général de 1'armée du roi en Italië. Von » ne nomme point encore les lieutenans-généraux » de confiance qui vont fous lui. Selon les ap» parences, M. le maréchal de Maillebois ne va » point. Je ne fais fi ce qu'on dit eft vrai : mais  15 2 Vie privce » on allure que le bailli de Givri fera premïef » lieutenant - général de cette armée. Je defire n que tout aille bien. M. le prince de Conti a » de Pintelligence, de 1'efprit, du courage & de w la volonté ; ainfi il peut & doit bien faire, » & je vous allure que je ne fuis pas fans efpé» rance de réuffite; MM. Campo & Montico font » enchantés. » L'on parle de MM. de Givri, du Kailla & » Lautrec pour aller fervir dans fon armée. M. » de Maillebois fils eft maréchal - des - logis de » 1'armée. L'on parle auffi de Chevert pour ma» jor - général. C'eft tout ce que je. fais de eet » arrangement ; dans quelques jours cela fera » moins myftérieux , felon toutes les appa» rences Du 3 janvier. » Le roi va ce foir a 1'opéra avec mefdames » de Talard, de Chateauroux , de Lauraguais, » de Flavacourt & de Luxembourg; il m'y mène » avec M. de Boufflers & Meufe. Nous fommes » les trois feuls outre les charges. » Sa majefté va a Marly le 14; vous croyez » bien que vous aurez une lifte d'abord qu'elle » fera faite. » Notre chère éminence fe conduit toujours » a merveille; elle eft trés-unie avec mon père, » ce qui ne plait pas a tout le monde : mais je » crois cependant qu'ils feront bien de perfévérer » 1'un & 1'autre ; ils y gagneront. » M. de Chavigni eft ici, il m'y paroit affez » brillant, foit dit entre vous bc moi.  du Maréchal de Richelieu. 155 »> Le tems de 1'opéra me preffe , auffi bien v que le voyage de Choify. M. Debiet veut avoir » ma lettre aujourd'hui; ainfi je finis mon petit » volume en fuppliant mon trés - cher oncle de » le brüler, & d'être fur qu'il n'y a perfonne 9 qui lui foit plus tendrement attaché que moi Fin du premier Volume '.   P I E C E S JUSTIFICATIVES.  LETTRES  LETTRES DE MADAME D'AVERNE, Maitreffe du regent, d M. de Richelieu. T E fuis au défefpoir : je fens que c'eft tout de bon que je vous aime ; j'ai cru badiner avec l'amour , & je m'étois imaginée qu'il ne pouvoit faire impreffion qu'une fois. Mais pour être toujours dans cette idee, ce n'étoit pas a vous qu'il falloit m'adrefTer. Vous m'avez paru hier une fois plus aimable qu'a votre ordinaire. Pourquoi fautil que, dans une figure faite expres pour charmer, il y ait un cceur li infenfible &C fi volage ? En vérité c'eft un piège que vous tendez ; mais puifque j'ai été affez fotte pour m'y laiffer prendre, je vous demande en grace de ne pas me donner lieu de m'en repentir. Mon mari n'eft point venu ce foir chez moi ; j'ai peur que ce ne foit pour demain ; cependant je n'en fuis pas füre. S'il eft vrai que vous n'avez rien de mieux k faire que de venir le foir chez moi, j'enverrai mon laquais k minuit a votre petite maifon vous dire le oui ou le non. Je ne puis vous exprimer combien je fouhaite de vous voir. Je fens cependant que je fuis trop heureufe de n'être pas la maitreffe que ce foit auffi fouvent que je le voudrois ; vous me feriez tourner la tête. II ne faut pas que je m'accoutume au plaifir de vous voir fouvent : je ne pourrois plus m'en paffer. Adieu ! je vous embraffe mille fois de toute mon ame. Tome I. R  2-58 Lettres de madame d'Aveme Je fuis bien fachée, mon petit roi, de ne vous avoir point vu bier au foir ; c'eft ma faute d'avoir mal pris mes mefures pour vous le faire favoir. Mon mari ne vint point chez moi, & refta a table jufqu'a une heure &c demie, s'enivra fi largement qu'il s'en trouva mal ; ce qui m'obligea a ne fortir de chez lui qu'a deux heures. II n'étoit plus tems de vous trouver chez la maréchale ; ainfi je n'y fus point. Ce qui m'en déplaït le plus, c'eft que je crains qu'il n'y vienne ce foir ; mais comme je ne veux pas en être la dupe, j'enverrai ce foir a votre petite maifon vous le faire iavoir. Aimez moi comme je vous aime, & je ferai la plus heureufe perfonne du monde. Je ne fais fi M. d'Orléans a befoin d'un peu de jaloufie pour réveiller fon amour, mais ce qui eft certain , c'eft que les gens qui m'ont vouhi nuire m'ont plutöt fervie. Je ne lui avois d'abord parlé qu'en général : mais M. le Blanc m'a confeille de vous nommer ; je 1'ai fait hier, & 1'ai pris fort haut, en lui demandant en grace de me faire examiner , & que cela lui ferviroit a deux chofes : la première, h lui prouver que j'étois de bonne foi ; la feconde, a lui faire connoitre les gens a qui il avoit affaire. Enfin, je crois 1'avoir perfuadé ; cependant il faut toujours fe méfier. A I'égard de ma fanté, elle eft toujours la même ; je prends de vos bols depuis hier : elles ne m'ont encore rien fait ; je fuis au défefpoir, après tout ce que j'ai fouffert, de refter groffe. Dites a votré chirurgien qu'il n'a qu'a imaginer tout ce qu'il voudia , mais qu'a quelque prix que  d M. de Richelieu. 259 ce foit, je veux en être débarraffée. Je ne me fuis point fervie de vos fecrets. Je vois que mon affaire va échouer. M. de la Vrilliere y trouve des difficultés infinies a caufe du parlement, & vous favez que 1'homme k qui j'ai affaire n'eft pas faché d'en trouver. Madame de Sarfac ne pariera point, paree que je lui ai dit que j'en avois parlé moi-même a M. d'Orléans. Adieu , mon cher roi ! je m'ennuie extrêmement de ne vous point voir, & cela augmente de beaucoup ma méchante humeur. Mandez-moi fi vous avez appris quelque chofe de nouveau du projet coquet de madame de Nefle. Vous avez grand tort d'imaginer que je n'ai point d'inquiétude de votre fanté ; vous favez trop bien que je n'ai rien de plus cher au monde. Je fuis bien fachée de n'avoir pas eu le plaifir de vous voir aujourd'hui. Si je vous ai envoyé demander a fouper, c'eft la faute de votre ambaffadeur qui m'en avoit propofé un de votre part. Je ne fais plus quand je vous verrai; vous n'êtes point en état de veiller; Sc je fuis obligée de tenir compagnie k un malade depuis cinq heures jufqu'a dix. Si vous en avez autant d'envie que moi , vous trouverez bientöt un expédient. Je vous prie de m'envoyer Voltaire demain a trois heures ; j'ai quelque chofe k lui dire. Je vous demande en grace d'ordonner a votre chirurgien de faire faire la machine que vous favez. Je fuis inconfolable d'être dans 1'état 011 je fuis ; je hafarderai volontiers ma vie pour m'en tirer; je me flatte que vous 1'obligerez d'y réuffir. J'attends de vos nouvelles avec toute 1'impatience R ij  160 Lettres de madame d'Averne imaginable; j'efpère que vous me manderez que vous vous portez mieux. J'ai été eet après-midi chez le cardinal Dubois qui m'a parlé de vous, Sc qui m'a dit que M. le Blanc devoit m'en parler demain de fa part; il m'a juré qu'il n'en croyoit rien, Sc qu'il ne m'en avertiffoit que de peur que les gens qui me jouoient ce tour ne me fiffent donner dans quelque panneau, Je lui ai touché quelque chofe de madame de Nefle : il m'a paru qu'il n'en favoit rien , ou du moins il en fait bien le femblant. II m'a dit qu'il croyoit que M. d'Orléans ne favoit rien de ces mauvais difcours, mais qu'il me cOnTeilloit de lui en parler, ce que je n'ai pas manqué de faire avant fouper. II m'a répondu que les Rohans n'étoient pas affez fots pour former un projet fl miférable, & qu'en tout cas ils en feroient la dupe ; & qu'a 1'égard de moi perfonne n'avoit été affez hardi pour lui tenir aucun propos , mais que le premier qui lui en tiendroit, il lui répondroit qu'il n'avoit qu'a lui prouver ce qu'il lui difoit. II a fait exprès tomber la converfation ce foir fur madame de Nefle, Sc a dit devant madame de Tilly qu'elle avoit plus de trehte-cinq ans, & qu'elle étoit extrêmement changée & effacée ; qu'il étoit vrai qu'il en avoit eu envie il y a douze ans, mais qu'a préfent il fe remercioit de ce qu'elle 1'avoit refufé. 11 a affecté enfuite de me faire beaucoup d'amitiés plus qu'a fördinaire. Voila tout ce que je fais. Je vous manderai tous les foirs tout ce que j'apprendrai de nouveau ; mais fur-tout prenez garde de perdre une de mes lettres , brülez-les a mefure tjue  'd M. de Richelieu. 2Ó1 vous les recevez. Adieu, mon cher roi I je vous embraüe mille fois de tout mon cceur, & vous prie de m'aimer amant que je vous aime; je crois que c'eft trop pour vous. Dites a M. de Voltaire que j'ai parlé de fon affaire au cardinal qui la trouve bonne &c faifkble ; mais qu'il n'eft pas pofïible de la commeneer avant le mois de juillet , & qu'il ne faut point la propofer a M. d'Orléans' que le vifa ne Ibit achevé, & qu'il faut qu'il fe tranquillife. Je ne fais fi c'eft a vous ou a moi a fe plaindre : mais ce qui eft certain , c'eft que j'ai envoyé mon laquais dans Péglife des nouvelles catholiques depuis onze hemes jufqu'a deux qu'on 1'a fait fortir pour la fermer :. je veux croire que j'ai mal entendu , du moins je le fouhaite. II m'a paru au ballet que vous tachiez de vous raccommoder avec mademoifelle de Charolois , Sl que vous entreteniez toujours connoiffance avec la marquife de Villeroi : le moins qu'un joli homme en puiffe avoir, c'eft cinq ou fix. Vous en reviendrez quelque jour, &C vous connoïtrez que tout cela ne vaut pas le plaifir d'être aimé très-tendrement d'une feule. Encore fi vous donniez la préférence a celle qui vous aime le mieux, j'aurois un avantage bien décidé fur toutes les autres. Comme je m'ennuie extrêmement d'être li long-tems fans vous voir, & que j'aime, malgré moi, votre chien de vifage, je vous demande en grace de m'envoyer votre. portrait ; il ne fe peut pas qu'a la quantité que vous en avez donnée il ne vous en foit revenu quelques-uns : ainfï je compte que vous me 1'enverrez avec la ra- R üj  z6z Lettres de madame d'Avernt ponfe de celle-ci. Je me flatte d'avoir le plaifir de vous voir mardi ; fi ce pouvoit être chez notre mercure , je 1'aimerois mieux, fi non , ce fera chez madame de Girval ou chez moi. Si vous penfez comme moi, le tems vous paroitra bien long. Je ne puis vous exprimer a quel point je me fis violence hier pour ne point aller chez la maréchale : je favois que vous y étiez ; j'ai envoyé exprès le prince de Léon pour favoir ce que vous y faifiez, & pour avoir le plaifir de parler de vous. Je ne faurois vous dire a quel point vous më tourneriez la tête fi vous le vouliez. Si vous n'avez point recu de mes nouvelles hier, ce n'eft furement point par oubli ; j'ai eu tant d'ennuyeufes affaires toute la journée, qu'il ne m'a pas été poffible de trouver un moment pour vous écrire. Je compte que vous m'enverrez après-demain matin 1'homme que vous m'avez arrêté; je me flatte que vous ne doutez pas de ï'empreffement que j'ai de l'avoir; puifque je vous verrai le même jour. Je vous rencontrai hier comme vous alliez chez madame de Gusbriant : je ne fais fi vous me reconnütes. II me prit envie d'arrêter ; j'aurois fait une belle fottife : M. d'Orléans étoit derrière : il étoit monté fans que je m'en fuffe appergue ; il ne me paria point de vous : mais je ne crois pas qu'il vous ait reconnu. Ma fanté eft toujours auffi mauvaife, & quoiqu'en dife votre chirurgien, il n'eft pas poffible que rien ne me revienne fi je n'étois pas groffe. S'il a de 1'opiat de fait, envoyez-m'en aujourd'hui & mandez-moi la fagon de le prendre.  d M. dt Richelieu.. 263 J'AI été très-charmée quand j'ai vu une lettre de vous : mais en recompenfe j'ai été très-piquée quand je 1'ai lue, & que j'ai vu que vous ne m'écriviez que pour vous moquer de moi; je ne fache pas l'avoir mérité. Mais enfin , puifque vous ne pouvez pas vaincre votre averfion pour moi, je vous prie, quand vous n'aurez a m'écrire que des lettres pleines de fottifes , de vouloir bien ne pas vous en donner la peine. II me femble que, fans aimer les gens , au peut lair écrire d'une autre manière.. Pour moi, je ne prendraï point modèle fur vous, & vous me trouverez toujours la même a votre égard. Vous aviez envie apparemment que l'on fut que vous m'écriviez, car vos armes étoient a 1'enveloppe. Du Pin, ce 16 juillet 1715. J'avois bien raifon de croire que vous cherchiez une occafion de rupture, puifqu'après avoir fait tout ce que vous exigiez de moi, & avoir été affez fotte pour vous demander a vous voir, vous perfiftez toujours a ne plus vivre avec moi. Apparemment tout le goüt que vous aviez pour moi cohfiftoit dans le plaifir de faire le régent cocu. Cette circonflance n'y étoit plus; tous mes charmes ont ceffé de ce moment. Vous avez raifon ; une telle facon de penfer n'eft digne que d'une tête auffi extravagante que la votre, & je me flatte que la médiocrité de la perte que je fais me confolera promptement. Je vous fuis obligée de 1'afturance que vous me donnez d'être toujours de mes amis ; je ferai fort aife d'être des vötres, s'entend de loin, car je vous jure que je R iv  2.6*4 Lettres de madame d'Averne n'ai pas plus d'empreffement de vous voir que vous n'en avez. Puifque vous n'avez nulle intention de faire ufage du" portrait de M. le régent, vous feriez auffi bien de me le renvoyer. Aprés tout , cela m'eft égal ; rien de vous ne me touche ni ne me furprendra, depuis que j'ai démêlé votre facon de penfer & ce que vous valez. Je fouhaite que celles qui vivront avec vous vous connoiffent auffi bien que moi. L E mauvais prétexte que vous prenez ce foir pour ne me pas voir eft fi peu vraifemblable, que vous trouverez bon que je n'y donne pas. Comment pouvez-vous croire que je voie M. Dallincourt, après tout ce que je vous ai dit , & fur-tout un jour que je vous attendois ? Comme vous avez foupé chez madame la maréchale d'Efïrées , & qu'elle a envoyé chez moi après deux heures, vous avez pu fa voir-que j'avois du monde a fouper, & des ivrognes qui ont bu jufqu'a une heure. La dernière fois que je vous ai vu, je vous ai dit que peut-être je ne pourrois vous enyoyer chercher qu'a une heure; ainfi fi vous aviez eu envie de me voir, vous auriez pu attendre jufqu'i la demie ; mais tout ce verbiage eft inutile, c'eft feulement pour vous prouver que je ne fuis pas la dupe de ce que vous me mandez, & non pour me juftifier. II n'en eft plus queftion, a. la facon dont vous penfez pour moi. A. 1'égard de vos procédés , je les crains peu, puifque vous ne m'aimez plus. Vous m'avez fait Ie plus grand mal que vous me puiffiez faire, & tout le refte m'eft indifférent. Je ne vous demande pas votre amitié : je ne fuis pas en état  a M. de Richelieu. 265 de vous accorder la mienne ; & malgré le goüt que j'ai pour tromper, je vous avoue de bonne foi que vous n'aurez jamais de plus grande enr nemie que moi dans le monde. Heureufement pour vous, je ne puis vous faire ni bien ni mal. Adieu, monfieur ! vous n'entendrez jamais de votre vie parler de moi. J'ai feulement une grace a vous demander : fi je ne fuis pas débarraffée de 1'état oü je fuis, comme j'ai lieu de le craindre , malgré tous les remèdes que j'ai faits, je vous prie de permettre a. votre chirurgien de me voir encore une fois quand je le lui manderai ; je ne vous crois pas affez indigne pour me le refufer en étant la caufe. Si j'étois en état de pouvoir marcher & d'aller dans ma garderobe , je vous renverrois votre portrait; mais ce fera pour la première fois que Voltaire viendra chez moi. IL faut être né bien infolent pour vouloir me faire croire que je fuis heureufe dans la trifte fituation oü je fuis d'être obligée de faire toute la journée ce qui m'ennuie, ne jamais voir ce que j'aime. C'eft ajouter 1'infulte a 1'indifFérence que de faire femblant de croire que je fuis dédommagée de tous mes chagrins par le plaifir d'être lorgnée par deux hommes dont le premier n'eft qu'une vieiile habitude; & pour le fecond, je n'aurois jamais daigné m'en appercevoir, fans 1'avis que vous m'en avez donné. Je ne fais fi ma raiïon auroit été alfez forte pour m'obliger de vous oublier : mais je compte plus fur votre indifférence & votre légéreté; c'eft charité que de ne me pas tromper ; je ne fuis pas affez  266 Lettres de madame d'Averne, &c. heureufe pour être au point de vous en remercier, mais je me flatte que ce fera pour dans quelque tems. Je vous prie de m'envoyer votre chirurgien demain famedi & trois heures fans faute.  LETTRES DE LA DUCHESSE DE *** A M. DE RICHELIEU. Avril, 1715.' O N fera demain k huit heures chez Ia maréchale * * , mais ce fera pour vous gronder. SI je n'étois pas hier a Marly, j'ai eu mes efpions; leur rapport bien fidéle me prouve que votre défefpoir n'a pas été bien grand ne ne pas m'y voir. Vous n'avez pas quitté madame * *; heureufement que fon mari s'eft, dit-on, avifé d'être un peu jaloux; il a troublé fouvent un tête-atête que vous defiriez. Je 1'aimerois prefque, ce bon mari, de m'avoir fervi fans le favoir. Mon cher & trop aimable duc, vous êtes bien léger! les fer mens ne vous coütent rien ; je crois que vous avez déja un protocole pour toutes les femmes, & vous vous en fervez k merveille ; malgré cela, j'ai encore la foibleffe de vous croire : mais prenez garde a vous, car je fuis femme k renoncer au plaifir de vous plaire , pour m'en tenir a 1'amitié. Oui, fongez que fi vous n'êtes pas plus fage, la raifon pourra bien me rendre a moi-même, malgré que mon cceur foit toujours pour vous. Adieu! je fens^ que , même dans ce petit moment de colère, je fuis  268 Lettres de la ducheffe de** * encore toute k vous. A demain , foyez exact, & je n'aurai pas la force de vous gronder. Paris, 1716. Je ne fais pourquoi, mon cher duc , vous vous conduifez auffi mal avec une amie dont vous ne devez pas vous plaindre. Vous employez toute la féduction dont vous êtes capable pour reprendre fur moi des droits dont vous avez fi fouvent abufé ; & quand vous voyez que j'ai affez de fermeté pour réfiffer a vos attaques , vous vous oubliez au point d'employer 1'aigreur, 1'ironie amère, & même les injures contre une femme qui n'a jamais fait de vceux que pour votre bonheur. Je ne m'oublierai pas comme vous : mon cceur me retracera fans ceffe ce que je dois a mon ami; & quand il s'égare, je crois que 1'indulgence &c la douceur doivent 1'en avertir. Vous n'écoutez , cher duc , que la vivacité de votre imagination; elle vous porte k delirer une femme qui vous réfifte, & dont tout le mérite confifte peut-être, a vos yeux, dans le refus qu'elle fait de vous céder. Je fais que ma première foibleffe vous donne fans doute quelque droit de plus fur moi ; mais croyez qu'il n'eff pas affez fort pour me déterminer a perdre entiérement ma tranquillité. Vous ignorez toutes mes fouffrances, mes inquiétudes, quand j'ai commencé a m'appercevoir qu'il étoit impoffible de vous rendre fidéle. Je vous aimois trop pour vous abandonner : mais en même-tems j'avois affez de raifon pour ne pas fentir qu'il falloit faire un fa-  d M. de Richelieu. 269 criflce; ie fis celui de l'amour, pour m'en tenir a 1'amitié ; 1'efFort fut violent, mais j'y accoutumai mes fens. Je fuis, je le crois, la première femme a mon age, pouvant prétendre encore a plaire, qui ait comba'tu le penchant le plus tendre ; qui, fans 1'avoir peut-être furmonté, ait fu lui impofer filence , pour devenir la confidente de 1'amant que j'idolatrois. II a fallu m'accoutumer a lui entendre raconter des aventures qui malgré moi déchiroient mon cceur; je m'étudiois a lui cacher le tourment que j'éprouvois pour ne pas 1'éloigner de moi. Sa préfence étoit ma vie : c'étoit une néceffité de le voir, comme on a befoin de l'air pour refpirer; je ne pouvois plus prétendre a fa confiance : mais j'ai fait mon bonheur de fon amitié. Je fais que la mienne doit être indulgente, & je me permets a peine la plus légère repréfentation; je vole au-devant de ce qui peut lui plaire. Si j'ai renoncé k des plaifirs qu'il prodigue indiftinttement, il ne peut pas m'accufer de vouloir les goüter avec un autre : lui feul pouvoit me les faire connoitre : mon amitié eft fi pure qu'elle lui conferve même la fidélité de l'amour. / Ah ! mon ami ! que vous faut-il? me rendre tout-a-fait malheureufe, en paffant dans vos bras quand le caprice vous y conduit ! Non ; j'aurai le courage de vous réfifter. Si vous voyez quelquefois mes fens parler pour vous, croyez que j'ai encore affez de force pour leur impofer filence: mais alors ne devenez pas un tyYan ; plaignez-moi plutót, admirez ma réfolution , & ne me forcez pas de renoncer k vous voir; ah ! jamais cher duc , foyez railonnable. II ne  270 Lettres de la ducheffe de*** fuffit pas d'être le plus aimable des hommes : il faut être jufte envers fes amis. Paris, 1716. Vous croyez donc vous être bien vengé, en étant venu me raconter avec exaltation votre aventure indecente avec madame Michelin , & cette autre femme que vous trompez en mêmetems ! En vérité ! mon cher duc , malgré toute mon indulgence pour vous , je fuis tentée de vous gronder. Vous croyez m'avoir bien punie par le tableau de vos plaifirs : je ne puis les envier ; je n'en trouve point, quand le cceur n'eft pas de la partie. Je fuis honteufe pour vous que vous mettiez votre gloire k tenir une conduite auffi irréguliere. Un galant homme peut-il faire fon bonheur de préparer des tourmens a des êtres foibles qui 1'aiment de bonne foi ? Vous ctes très-jeune, mon ami, & je crains que vous ne preniez 1'habitude de tout rapporter k vous. Un homme qui voit toutes les femmes comme des objets deftinés k fes plaifirs, qu'il prend ou 'abandonné k volonté , qui ne forme de liaifons qu'autant qu'elles peuvent contribuer a fon avancement ou 1'amufer , devient le fléau de la fociété , &C n'eft pas fufceptible d'apprécier la véritable amitié. Je ferois bien fachée qu'un jour vous ne connuffiez pas le prix de la mienne; elle fera toujours prête k fe facrifier pour vous : mais en même-tems elle ne vous cachera pas la vérité. Vous voila donc bien glorieux de faire deux victimes dans la même matfon i Je ne connois  d M. de Richelieu, 2.71 poïnt 1'amie de madame Michelin; je ne puis vous en parler : mais pour cette dernière, je ne puis m'empêcher de vous dire que vous lui préparez des peines infinies; le peu de tems que j'ai eu occafion de la voir m'a fuffi pour la juger. C'eft une femme tendre a qui vous avez fait perdre la raifon; qui, égarée par l'amour, lui facrifié fes principes de vertu 6c de religion. Déchirée par le remord, elle le fent évanouir auprès de vous : la vanité la confole quelquefois de tout ce qu'elle a perdu; elle eft honorée d'avoir un duc dans fes fers : mais quand 1'illufion difparoitra, quand elle verra qu'elle a tout fait pour un hómme qui 1'abandonne, fans lui tenir le plus petit compte de fes facrifices , le repentir fera d'autant plus fort que, n'étant diftraite par rien, fa faute lui paroitra dans toute fon étendue. Elle fera effrayée du précipice dans lequel elle fera tombée, 6c la crainte du ciel, des reproches des hommes, le chagrin de fe voir trahie, tout empoifonnera fes jours, ou les abrégera, & ce fera votre ouvrage. Je m'intéreffe malgré moi a cette femme : elle a pour vous les mêmes fentimens que j'avois, 6c puifqu'enfin je ne puis être affez heureufepour être la femme faite pour vous fixer, au moins que ce foit elle; je crois que vous ne pouvez pas mieux choifir. Candeur, honnêteté, fenfibilité , tout fe trouve en elle; rendez-la heureufe, 6c faites moi voir que vous rendez juflice aux meilleures qualités. J' a 1 recu votre lettre avec grand plaifir, mon cher duc, 6c je m'attendois a vous yoir a Man-  271 Lettres Üe la ducheffe de** * tes , comme vous me 1'aviez promis; maïs il me paroit que quelques nouvelles occupations vous ont retenu a Paris. Cela m'a été fenfible , mais enfirï il faut prendre fon parti; & puifque vous avez pu me faire réfigner a tout ce que vous defiriez, il faut bien s'accoutumer a 1'idée de vous favoir infidèle plutöt que de ne pas vous voir du tout. Madame de Brancas m'a dit que vous étiez dans de grandes affaires; je fouhaite qu'elles foient plus heureufes que celles qui occupent maintenant tout le monde. Je ne fais ce que tout cela deviendra : mais il me femble que M. le régent perd un peu dans 1'opinion générale. Pour moi, je penfé qu'il eft jufte de donner quelque tems a fes plaifirs ; mais que dans le pofte oii il eft, il en faut donner encore plus aux affaires. En vérité ! je ne peux lui pardonner fon Dubois : prefque tout ce qu'il a prés de lui eft bien mal compofé. A propos, on parle d'une aventure chez une femme entre Dubois & vous; on dit qu'il eft faché de vous voir fi heureux en amour. Soyez circonfpect : vous connoiflez fon crédit; il y a affez d'autres femmes , fans vous amufer a lui enlever les fiennes. II y a bien de la fanfaronnerie, mon cher, dans tout ce que vous faites ! vous aimez mieux le bruit que la réalité du bonheur. Envoyez-moi votre homme au plutöt, fi vous ne venez pas , & fur-tout n'oubliez pas de me donner de vos nouvelles. II faut efpérer, mon ami , que maintenant que vous êtes académiën, je lirai mieux vos lettres : car jufqu'a préfent c'eft mon cceur qui en a prefque deviné le contenu; la dernière étoit indéchiffrable, Etiez-voiK.  a M. de Richelieu: 2.73 Etiez-vous de la dernière partie de M. le régent ? on dit qu'elle peut aller de pair avec toutes les autres pour 1'indécence tk 1'oubli de foi-même. Je n'aime pas vous voir la, quoique je fache qu'il faut que vous faffiez votre cour. A Paris, ce 22 mai 1725. J'ai recu votre lettre, mon cher duc, tk je concois bien Pembarras ou vous vous trouvez dans un pays oii vous êtes étranger. II me paroit, cependant peu croyable que l'on vous y prenne pour un efpion. Votre qualité de pair devrohv ne pas vous expofer a ce foupcon; on n'auroit certainement pas choifi un homme de votre efpèce pour jouer ce röle j il ne convient qu'a un homme du peuple. Tranquillifez-vous ; on rendra tót ou tard juftice a votre mérite. J'ai diné hier chez Févêque de Fréjus , qui vous veut tout le bien poflible. C'eft le plus honnête ou le plus ambitieux des hommes. II ne me paroit pas defirer la place de premier miniftre ; cependant il en a toute la prépondérance. Le roi lui eft fidélement affervi plus que jamais, & il ne dépendra qu'a lui de gouverner a la place du maitre. Je lui ai parlé de vous, tk certainement beaucoup; c'eft ainfi qu'on parle.de ce qu'on aime , & il eft de mon avis pour vous exhorter a la patience. II m'a promis de parler k M. de Morville pour vous faire avoir 1'argent qui vous manque ; car il eft 1'ame des affaires. On dit que vous le prodiguez : mais j'ai föutenu k 1'évêque qu'un ambaffadeur extraordinaire devoit paroïtre avec éclat, tk. il en eft convenu. Temt, I. S  174 Lettres de la ducheffe de *** Le roi paroit toujours amoureux de la reine; je defire qu'il ne s'appercoive jamais qu'elle eft plus agée que lui : mais je fuis de votre avis, & je crois qu'il eft comme un écolier qui penfe ne jamais fe raffafier de confitures, & qui finit par ne plus les aimer. Entre nous, quel pitoyable mariage ! Je ne vois que femmes qui parient de vous ; !a maréchale de Villars eft k leur tête. Depuis que vous êtes revêtu du titre d'ambaffadeur, on paroit renchérir encore fur 1'attachement qu'on a pour vous : je n'en avois pas befoin pour vous aimer Sc pour être toute k vous. Paris, feptembre 1715." SI vous êtes fort ennuyé k Vienne, nous fommes ici dans des craintes continuelles, mon cher duc. Madame de Prie fe fait aimer moins que jamais ; On 1'accufe hautement de tout facrifier pour avoir de 1'argent, & d'accaparer les grains avec le prévöt des marchands & fon coufin d'Ombreval. On eft déja bien las de ce dernier a la police, ou il étoit 1'humble ferviteur de fa coufine; & le peuple vient de le témoigner d'une manière plus forte en s'affemblant a 1'hötel-deville. On ne fait pas ce qui feroit arrivé , furtout au dernier, fi on ne 1'eüt facrifié au public; de mauvais lieutenant de police, il fera peutêtre plus mauvais intendant : il a Pintendance de Tours. Notre controleur - général Dodun a bien manqué perdre auffi fa place ; & Pon parloit beaucoup de M. Dangervüliers pour le remplacer.  d M. de Richelieu. 275 Quoi que vous difiez de madame de Prie, je vous affure qu'elle fera caufe de la perte de M. le duc; il n'a point affez de talent pour remédier aux fautes qu'on lui fait commettre, ni affez de difcernement pour voir la fuite des opérations qu'on lui propofe. L'impót du cinquantième, qui n'a pas réufïi , ne lui fait pas honneur, & it n'eft pas mieux traité ici qu'a Vienne. On dit que c'eft le maréchal de Mercy 8c un fieur Jacquemin qui y font manceuvrer contre lui. L'évêque de Fréjus détefte madame de Prie, 8c on voit bien qu'il communiqué fes fentimens k fon élève : car le roi 1'a trés - mal recue il y a quelques jours. On m'affure qu'il fe trame quelque chofe contre l'évêque; mais a moins que M. le duc ne fe hate de lui porter le dernier coup , je parierois bien que M. de Fréjus 1'emportera. M. le duc eft confiaivt : il compte trop fur fon rang de prince du fang 6c fa qualité de premier miniftre; il croit qu'il eft au-deflus de tout, qu'il ne doit rien craindre ; il agit en conféquencc L'évêque, au contraire, certain de 1'amitié de fort pupile, chemine a pas de tortue vers le but qu'il veut atteindre : mais il marche a pas fttrs. II fait remarquer toutes les fautes de fon rival; il en parle fans affectation : mais c'eft toujours pour lui trouver des torts. II ne paroit rien defirer, il eft humble; mais foyez fur qu'il vife a la place de M. le duc, 8c qu'il le terraffera au moment ou celui-ci ne s'y attendra pas. II s'eft fait adroitement des amis de tous les mécontens qu'a faits la diminution des penfions; 8c je crois que les coups qu'on veut lui porter retomberont fur ceux qui les lui préparent, S ij  276 Lettres de la duche£'e de * * * Vous ne m'avez pas encore répondu fur mon rêve dont je vous demande 1'explication. Je ne puis vous blamer de ne plus vouloir écrire fur votre négociation : mais je crois que vous devez n'être pas li pareffeux envers 1'amitié. Paris. Vous avez parfaitement raifon de voidoir faire votre entrée le plutöt poffible, & je penfe comme vous qu'il ne faut rien épargner pour la rendre brillante. Si on a de nous une fi mauvaife opinion, il n'eft pas mal d'impofer un peu par la magnificence ; le peuple s'y laifTe prendre , & nous-mêmes aufli. J'ai vu votre intendant, qui m'a dit n'avoir aucuns fonds k pouvoir vous envoyer; mais il doit emprunter, & faire ce que vous defirez d'ici k deux mois. M. de Morville eft enchanté de votre conduite envers le duc de Riperda que je ne puis aimer puif qu'il vous contrarie. Je fuis bien-aife qu'il ne foit pas auffi vif que vous. Je ne doute pas que vous ne vous tiriez parfaitement d'une affaire perfonnelle : mais je préfère que vous acquériez moins de gloire & être plus tranquille : j'aime beaucoup l'humeur pacifique de 1'Efpagnol. J'ai recu une feconde lettre de vous qui probablement n'étoit pas pour moi. Un héros de roman n'é/riroit pas mieux; les expreflions font brülantes; & je ne me fais pas 1'honneur de Papplication. Jugez ou vous en êtes , li vous vous êtes trompé d'adreffe. Que de reproches vous allez effuyer! mon ami, je vous plains d'être auffi étourdi. Si 1'épïtre eft pour moi, je la dois faits  li M. de Richelieu. 277 doute k un bon moment, & je dois être fachée de n'en póuvoir pas porter la réponfe moimême. - Ce que vous me mandez de vos progrès auprès de la comteffe de Badiani ne doit pas m'effrayer r il m'en a bien coüté pour voir de fang-froid votre inconftance; mais je vous aimois trop pour ne pas fermer les yeux ; en les ouvrant, je vous perdois; il a bien fallu ne pas voir clair. Mais quand j'aurois confervé des droits affurés fur votre fidélité, je trouverois la caufe trop belle pour en blamer les effets. Oui, fi la comteffe peut vous procurer les moyens d'avancer votre négociation , je vous dirois : Allez lui plaire, votre gloire y eft intéreffée ; mon amour en gémira, mais il doit fe taire. Voila. comme je vous aime; malheureufement je n'ai pas le mérite du facrifke. La reine eft groffe, & c'eft une joie univerfelle; le roi en paroit tout glorieux , & redouble d'égards &c de foins pour elle. II y a des graces d'état : caf réellement cette groffeffe ne lui fied pas; elle a cependant recu 1'injonction de ne plus; fe mêler du gouvernement, & perfonne n'ignore que c'eft 1'ouvrage de l'évêque. Cela prouve quel afcendant il a fur 1'efprit de fon pupile, & quel fera fon pouvoir k 1'avenir. Si l'on parle mal de M. le duc k Vienne, il n'eft pas mieux traité k Paris, & je parierois bien comme vous qu'il ne peut tenir k ce qui fe trame contre lui. La haine publique m'effrayeroit moins fi j'étois a fa place que les intrigues de la cour. Le roi eft un prince foible, & en 1'obfervant bien, c'eft un enfant qui n'annonce aucun caractère. Je lui Crois le defir de bien faire : mais comme il S iij  1J% Lettres de la ducheffe de*** ne fait rien, qu'il n'eft au fait de rien, il flotte continuellement dans 1'incertitude, & a befoin d'un bras pour le foutenir. II a fouvent de bonnes vues ; mais il n'a pas affez 1'habitude des affaires pour avoir une volonté : fon ignorance le mettra toujours dans la dépendance, tk s'il donne un avis, le moindre raifonnement contre 1'empêchera de foutenir fon opinion. II prend plus que jamais ie goüt de Ia chaffe, tk bien des gens prétendent que c'eft ce qu'il fera le mieux : brülez ma lettre pour eet article. Je me fuis trouvée chez madame d'Egmont avec ^mademoifelle de Charolois qui a parlé beaucoup de vous, & cela n'a pas été en bien. Elle paroit prendre plaifir a rapporter un fait que vos ennemis veulent faire croire, que vous avez conhe le fecret de Pétat k plufieurs femmes a Vienne. Je ne fais quelle raifon elle a de fe plaindre de vous : mais ce qu'il y a de certain, c'eft qu'elle 3ie vous ménageoit pas. Ennuyée & laffée de lui «ntendre lancer tant d'épigrammes contre vous, je ne pus m'empêcher de lui dire que fon récit étoit peu charitable; qu'il y avoit tout a croire «jue vous étiez trop prudent pour commettre une faute fi grave, & que d'ailleurs li vous aviez pu vous oublier au point de la faire, perfonne ne devoit avoir plus d'indulgence qu'elle, puifqu'elle •avoit donné précédemment tant de preuves d'attachement pour vous. Tout le monde prit mon partitk on convint que fa conduite paffée tk 'fon difcours étoient une contradicrion. * Je vous écris un volume : mais je m'oublie faci"lement en caufant avec vous. Je penferai férieuferhent a ce que vous me demandez; je n'en ai  a M. de Richelieu. I79 pas befoin pour m'occuper fréquemment de mon cher ambaffadeur. Verfailles, ce 15 juin 1716. Ce que je vous avois prédit depuis long-tems, mon cher duc, vient d'arriver; l'évêque de Fréjus triomphe enfin, & M. le duc eft exilé a Chantilly. Le public en général paroit en être enchanté : mais la manière dont cela s'eft fait n'eft pas du goüt de tous les honnêtes gens. M. de Fleury avoit depuis long-tems difpofé fon plan; il accufoit M. le duc d'être la caufe de toutes les calamités du royaume, & il affura le roi qu'étant 1'objet de 1'indignation de toute la France , fa majefté ne pouvoit faire un acte de juftice qui plüt davantage a fes peuples que d'exiler un miniftre prévaricateur. Le roi, accoutumé a écouter fon précepteur comme un oracle, s'eft laiffé conduire dans cette occafion; il a préféré fon inftituteur a un prince de fon fang , & a paru très-content de le difgracier. Mais ce qu'on n'aime pas, c'eft la diflimulation qu'il a fait paroïtre. Le jour même de 1'exil de M. le duc, & ceux qui 1'ont précédé,le roi lui a donné mille preuves de bonté; le miniftre ne s'étoit point encore vu ft bien dans-fes bonnes graces; il lui dit même en partant pour Rambouillet: Je vous attends cefoirt & il favoit qu'il avoit figné la difgrace. Une partie de la cour en a été confondue. Si diffimulé a fon age 1 cela annónceroit un caractère un peu dangereux; mais je crois que c'eft une impulfion qui lui a été donnée; & en cela il n'eft S iv  ZËO Lettres de la ducheffe de &c; guère poffible tl'approuver l'évêque : je uofe 'dire encore tout ce que^ j'en penfe. C'eft accoutumer un prince a des détours bien bas. En général le nouveau miniftre s'annonce par vouloir fe venger de toutes les créatures de M. le duc; on dit qu'il n'eft pas content de 1'avoir perdu, qu'il veut le pourfuivje encore fur tous ceux qu'il a mis en place. On ajoute que c'eft un homme timide, fait a de petits moyens, qui va fe laiffer conduire par un confeffeur & des valets; Je fouhaite que tout cela n'ait pas*iieu. Ayez grand foin de redoubler d'égards^.de foins envers lui; car il fera le.mobile de tout. La reine perd tous les jours de fon crédit; & madame de Mortemart m'a affuré que fon mari voyoit dans toutes les menées de l'évêque qu'il vouloit lui öter toute efpèce de confidération dans les affaires. Peut-être n'en aura~t-elle pas beaucoup dans fon intérieur; car fes aftions y baiffent un peu : ainli que lui reftera-t-il donc ? Nous voila donc encore aux prêtres pour toute reffources. Je fuis bien-aife que vous parveniez enfin k vous faire entendre. On parle ici d'un voyage que le comte de Sinzerdorf fait a Munich pour porter des fubfides k I'élecfeur. On vous fait auffi bon gré d'avoir découvert le camp que l'on vouloit faire en Siléfie. En général, vous n'avez que quelques ennemis qui ne rendent pas juftice a tout ce que vous avez fait. On affure que mademoifelle de Charolois cherche a plaire au roi, & qu'en attendant elle n'eft pas infenfible aux foins du comte de Clermont,  i8i LETTRES -tfiv: . : - - / , : ito sl M ab DE MLLE. DE CHAROLOIS AM. DERICHÈLIEU. T Je ne parlerai- point de M. D., mais au moins ne changez pöint d'avis par la reconnoiffance que vous imaginez lui devoir. Quoique mes parens foient capables de tout, je ne fuis pas perfuadée qu'ils 1'aient fi fortement preffé de vous exiler; &, comme vou$ dites fort bien, on ne peut pas trop compter fur ces difcours. Vous pouvez être fur que je ne vous parlerai de vous marier qu'a la dernière extrêmité. Je fouffrirai fort doucement ce qu'on voudra faire, puifque vous me le cönfeillez, & que vous m'affurez que cela nè diminuera point 1'amitié que vous avez pour moi. Je compte r'avoir une converfation avec M. DL pendant leur abfence, Vous ferez fort bien d'être bien avec lui; mais conduifez-vous de facon qu'oii ne puiffe pas vous foupconner dans le monde d'un attachement 'bien fincère pour fes intéréts. C'eft la chofe du mónde qui me feroit le plus de chagriri de Pentendre dire, & je ne crois pas non plusqué ce foit le tems a préfent. Vous verrez peut-être bientöt que je n'ai pas tort. Je n'ai pas prétendu voris donner de méfiance de M. de Mèlün; peut-êtfè feroit-il trompé le premier, en lui promëttant ce qu'on ne lui tiendroit pas. J'ai fait encore une réflexion : c'eft qu'ils veulent'péüt-être le gagriër  282 Lettres de mademoifelle de Charolois par 1'efpérance d'une chofe qu'on croit qu'il deïire, imaginant qu'ils fauront la vérité par lui des chofes dont ils font toujours en peine. J'ai appris que M. Dalègre eft efpion de monfieur, & auprès de M. le prince de Conti, & apparemment des. autres: ainfi quand 1'occafion s'en présente je vous en avertis, en cas que vous 1'ignoriez. Je vous prie de ne point dire de mal de mesparens; n'aigriflbns point les chofes plus qu'elles ne font, puifque vous me confeillez d'être douce. Pour la permiffion deleshaïr, & de leleur témoigner , fi :jamais vous en trouvez une occafion bien füre , je vous la donne, & vous allure qu'il n'y a-que 1'averfion qu'ils ont pour vous qui puiffe joindre ma colère au mépris que j'ai déja pour eux. Je vous fupplie de bruler ma lettre bien promptement. Puisque votre crachement de fang a recommencé, vous voyez que le foin que j'ai de votre fanté n'eft pas mal-a-propos. La mienne ne va pas trop bien. J'ai fenti du mal toute la nuit & je ne me fuis endormie qu'a qnq heures &C ytemie. J'af prié qu'on me donnit ce foir de quoï me faire dqrmir, Puifque vous êtes faigné demain , je ne compte pas vous voir le foir. II faut que vous ayez plus de foin de vous que je n'en ai de moi; car je crois votre mal plus férieux que Je mien. Adieu .' j'efpere que vous ne m'oublierez pas pendant quelques jours d'abfence, & qu'au contraire vous en aurez plus de plaifir a me voir. Je ne réponds pas a Pennui que vous dites que j'ai.... Oh pour le coup ! le reproche eft plaifant ; qui de nous deux fait plus. de pas vers  d M. de Rlchelieü. 28 J •1'autre ? Si l'on pouvoit nous voir, on ne jugeroit pas que c'eft moi qui m'enniiie auprès de vous: & je ne crois pas même que vous le peniiez. Vous me ferez plaifir de remplir vos lettres d'autres chofes que de cela. J'ai vu hier M. le Régent; il m'a dit' mille douceurs; fa parente lui parut fort aimable : j'aurois été tentée de 1'écouter un inftant, fi je vous euffe moins aimé. Je ne fais quel moyen employer pour vous voir : je n'ofe plus fortir a pied, comme je le faifois; il faut dire adieu a. nos rendez-vous des .Cordeliers. Je me fouviendrai toute la vie de 1'é.tat oü j'étois quand nous allames chez le commiffaire. Si j'avois été reconnue , qu'aurois-je pu dire ? II eft bien cruel d'être contrarié par la bien-r I'éance & par fes parens, quand on brüle de fe ;voir. Je vous promets de ne plus avoir d'emportement & de vous croire , fi vous trouvez promptement un moyen für de nous voir ; li non , nous ferions forcés de faire quelqu'étoilr,derie dans le jardin: mais nous pouyons être découverts. Vous étiez bien amoureux la dernière ibis ; vous m'aviez fürement été fidéle pendant quelque tems : car les preuves de votre amour ortt été plus répétées qu'a 1'ordinaire : ah ! foyez toujours de même, tk vous ferez je plus adorabk des hommes. . Envoyez-moi promptement Lafoffe ; c'Èft un homme unique pour remettre unè lettre. 'Wn smsë ■ 5& nou 3ijd " ' vrA-fs';ib , ïnohsq nt> Vous avez bien raifon de croire que 'la nouV veile que vous me mandez neme furprendra pasj  2.84 Lettres de mademoifelle de Charolois mais j'avoue qu'elle ne me plait nullement; ]é voudrois n'avoir pas cette nouvelle preuve du don de prédire que je me crois. II ne tiendra qu'a vous de më rendre fon arrivée très-indifférente affurément; mais j'ai fouvent ouï dire que la crainte étoit inféparable de l'amour , & quoique j'aie lieu de croire que vous ne vous en êtes jamais foucié , c'eft cependant un comrnerce que j'ai lieu de craindre qui ne recommence de toute facon. II m'eft difficile d'avoir la patience a laquelle vous m'exhortez; mais il vous fera bien aifé de me la faire venir, fi effectivement j'ai toft d'avoir de 1'inquiétude, & qu'elle arrivé a Paris, comme cela peut être, ayant affaire a un homme auffi changeant. Mais je vous fais fi bon gré d'avoir eu 1'attention de me mander cette nouvelle , & de me confoler du chagrin qu'elle me donne, par 1'affurance de votre amour & de la conduite que vous aurez avec elle, que vous me trou* verez très-difpofée k prendre confiance en vous, poürvu que vous le vouliez. Je compte que vous viendrez demain a minuit & demie a'tfx Cordeiiers, & furement vous n'avez pas tant d'impatience que moi. Adieu! J'ai été charmée du portrait. Mandëz-moi fi le domeftique de eet animal ne m'a pas reconnue. Le gouverneur envoya auffi demander au laquais qui étoit avéc- nous , qui nous étions : il dit qu'il n'en favoit rien. Jufqu'ici on Pignore chez nous, attais j'ai bien peür'qu'on ne le fache. Si les gens qui vous entretiennent quelquefors de moi votrs en parient, dites-leur bien que non, & que même Cela eft impoffible; c'eft affurément une extravagance,fi jamais il y en a eu une au monde; tovrt  d M. de. RlcheliaL 185 ce qui me fiche , c'eft qu'elle n'ait pas été plus longue. C'est une galanterie que je vous ai faïte dont vous devez m'être obligé; car je le favois. II eft vrai que connoiffant la facilité de votre efprit a imaginer des chofes qui me déplaifent, j'avois jugé que vous entretiendriez fouvent ma fceur, Sc que cela me choqueroit plus que d'être vis-a-vis. II fait trop clair pour que je vous voie , fans favoir fi le tems s'obfcurcira; mais ce ne fera fürement pas ce foir pour vous faire plaifir : je fuis décidée. Je vous ai entendu louer déja beaucoup , Sc votre harangue auffi. Vous , au milieu de la cour, Sc moi a la campagne , il n'eft pas vraifemblable que je vous apprenne les gentilleffes qui fe font, a la ville; mais puifque vous êtes fi ignorant, en voici encore une : c'eft le devoir des frangois qu'on apprendroit aux enfans même devant les commandemens de Dieu, fi ce tems-ci devoit durer longtems. Un roi a conferver, Un état a fauver, Un régent h brüler, Un miniftre a écarteler , Un prince a noyer, Un fyftême a renverfer , - La fripponnerie a opprimer, Le courage & la vertu a relever. J e vals a 1'opéra, ainfi je ne puis vous voir; mais je dirai que je me trouve mal, Sc je ferai  286 Lettres de mademoifelle de Charolois en forte de vous voir pendant qu'on foupera. Soyez dans le quartier : je vous enverrai le carroffe vous chercher tout le plutöt que je pourrai, peut-être a huit heures 8c demie, peut-être auffi plus tard : mais je vous déclare. que je fuis laffe de vos facons, 6c que fi je ne vous vois point ce foir avant que vous alliez chez madame de Modène, je ferai dans une très-grande colère, 8c que j'enverrai vos iettres a. M. d'Orléans pour qu'il les lui donne ; dites oü on pour ra vous trouver quand je vous enverrai chercher. Si vous voulez, vous pouvez aller chez ma fceur. Je vous redis encore que je ferai trés - fachée fi vous manquez a me voir , fous quelque prétexte ou vérité que ce puiffe être , 8c que je prendrai cela pour un aveu que vous avez fait tout ce que je foupeonne, 8c que votre projet eft de ne me jamais voir. Je ne vous ai point caché eet hyver que M. de Gontaut avoit pris le portrait que j'avois donné a madame de Meufe. Comme il a été quelques jours fans qu'il avouat 1'avoir pris, il peut 1'avoir fait copier, ou en avoir eu un d'ailleurs : mais vous ne devriez pas vous en prendre a moi, ayant fu tout cela dans le tems. Ce qui eft de für, c'eft que je n'en ai nulle connoiffance. Pen fuis fachée fi cela vous deplaït; mais quand même vous m'aimeriez autant que vous le dites, ayant le cceur, que vous importe qui ait le portrait ? A dire le vrai, c'eft une délicateffe qui s'accorde mal avec votre conduite. De plus, comme il y a fix mois que je ne Pai vu, il ne doit pas vous donner d'ombrage. Je vous permets de manquer au refpecf que vous me devez, mais point a ma vertu,  li M. de Richelieu. 187 & c'eft y manquer beaucoup de me foupconner ft légérement, moi qui n'ai jamais aimé que vous , & qui n'aurois rien a me reprocher fi je ne vous avois jamais vu. A 1'égard de ma méchante humeur , vous n'en auriez rien fu , ft je ne vous; avois trouvé dans 1'inftant même. Je ne fus pas maitreffe d'un premier mouvement, & je ne vous vis pas le foir de peur de vous parler. Je fais que dans le tems que vous aviez envie de me plaire , vous n'aviez que faire de legon; ainfi vous me difpenferez de vous en faire une que vous n'auriez jamais affez de mémoire pour retenir, & quï ne me fatisferoit point, apprife par cceur & dictee par d'autres que par l'amour qui eft le feul maitre que l'on puiffe prendre pour de telles inftruftions. Je remets a me juftifier de ma méchante humeur & de mon injufte foupcon a la première fois que je vous verrai, & ce fera avec autant de douceur & d'honnêteté qu'il y en a dans votre lettre. Je vous affure, en attendant, que vous ne ferez jamais affez heureux pour que j'en ufe avec vous comme avec ma mère; & quoi que vous puifliez faire, il me fera impoflible d'avoir les mêmes fentimens pour vous que ceux que j'ai pour elle.  i88 Lettres de la marquife de Villeroi LETTRES DE LA MARQUISE DE VILLEROI A M. DE RICHELIEU. Ce mercredi au foir. J e ne pourrai pas aller demain chez M. de Sully comme nous en étions convenus , paree que je fuis obligée d'aller diner chez mon père qui a la goutte très-fort. J'en arrivé dans le moment , & j'y ai paffé toute la journée a. m'ennuyer comme un chien ; j'en uferai de même encore demain , & j'efpère qu'après-demain vous m'en dédommagerez. Je n'ai jamais eu tant de plaifir qu'hier, & j'avoue que je vous aime plus que jamais. J'attends vendredi avec grande impatience; je me flatte que je n'en aurai pas moins, & qui durera plus long-tems. Adieu, mon cher duc! aimez-moi un peu, & je ferai trop heureufe. J'ai été affurément bien aife ce matin'quand mon laquais m'a apporté votre lettre ; car il y avoit bien long-tems que je n'avois eu de vos nouvelles , & elles me font plus chères que je ne puis vous le dire. J'ai une inquiétude mortelle que vous ne m'aimiez pas autant que je le fouhaite, & que vous n'ayez changé pour moi pendant mon abfence. II y a tant de femmes a Paris beaucoup plus belles que moi & bien plus aimables, que  d M. de Richelieu, 289 que je tremble que vous ne m'ayez point été fidéle : mais je fuis bien fure qu'il n'y en a point qui vous aime jamais autant que je le fais. Ce qui me le perfuadé encore davantage , c'eft le tems infini que vous avez été fans m'écrire, tk il me femble que votre lettre d'aujourd'hui eft moins tendre qu'a votre ordinaire. Vous m'avez gatée dans les commencemens, c'eft votre faute. Pardonnez-moi ces petits reproches tk mes foupcons , que je fouhaite de tout mon cceur que vous ne méritiez point; &: foyez bien perfuadé que c'eft 1'excès de mon amour pour vous qui en eft caufe. II ne tiendra qu'a vous, mon cher duc, de les détruire en me donnant votre parole que vous ne m'avez point oubliée. Je m'ennuie k mourir, premiérement de ne vous point voir & d'être toute la journée avec mon mari; j'efpère qu'a la fin de la femaine je pourrai retourner a Paris. J'ai fouffert hier la nuit prodigieufement d'une colique; je crus mourir: mais par bonheur pour moi, je n'ai point fait de fauffe couche, & je n'étois point groffe : c'étoient les eaux qui m'avoient caufé ce retardement. Je me porte fort bien aujourd'hui. Je fuis charmée que vous foyez un peu content de votre couteau : j'efpère que vous le garderez pour l'amour de moi tk du chiffre qui eft au bas; je voudrois qu'il fut plus beau. Adieu! j'ai peur que mes lettres ne vous ennuient. Pour moi je ne me laffe point de vous renouveller les affurances de ma tendreffe. Si vous vouliez m'écrire , vous le pourriez; il y a la pofte qui paffe k Effone, tk de-la on m'envoie mes lettres : mais faites-les adreffer au dernier par Saint-Louis, afin que cela foit plus fur. Torne I. T  2 9 o Lettres de la marquife de Villeroi Je fus hier au défefpoir de ne pouvoir aller fouper chez M. de Saint - Germain oü je crois que vous étiez : mais mon père, a qui je le dis, me confeilla de n'y point aller; il me dit que li par hafard vous y étiez, que ce feroit de quoi me faire des affaires férieufes avec M. le M. de V. qui devoit venir fouper ici, & qui étoit très-en colère de ce qu'il vous avoit vu 1'autre jour un moment dans la même maifon. Plaignez-moi un peu d'être obligée, pour avoir la paix avec ma familie , de facrifier le feul plaifir que j'ai au monde, qui eft de vous voir. Vous me faites tourner la tête, car je ne penfe nuit & jour qu'a vous. Je fuis la plus malheureufe perfonne qu'il y ait au monde; tout me réufïit de travers. Hier j'efpérois que vous feriez au cours & que je vous y verrois; je ne vous y trouvai point, & je m'y ennuyai a mourir. Mon mari eft revenu hier pour "jufqu'a vendredi. Le clair de lune nous empêche de nous voir, & je me meurs d'impatience de vous embraffer. Je fais demain femblant de faire mes paques; je pafferai la journée dans mon couvent. Mon père me vient de dire qu'il ne foupoit point chez lui, voyez fi vous voulez m'en donner, ou finon il faut abfolument que j'aille paffer quelques heures avec vous dans votre petite maifon. Envoyez-moi votre carroffe chez M. le Grand fur les fept heures avec Lafoffe, & j'irai vous trouver. Adieu! je me fais un grand plaifir de vous embraffer aujourd'hui. Ce lundi, a deux heures. Je ne comprends pas ce qui vous eft arrivé; & pourquoi votre carroffe n'eft pas venu a 1'hötel  d M. de Richelieu. 291 de la R. comme nous en étions convenus. Je 1'ai attendu jufqu'a prés d'une heure au grand chagrin de toute la compagnie, qui vouloit fe coucher, & j'ai été obligée de me faire ramener par le comte de Louvois. Je ne me fuis jamais fentie fi impatientée que ce foir, ni tant d'envie de jurer. Je m'étois fait un plaifir infini de paffer au moins deux heures avez vous, &c je vois mes projets. renverfés. Je meurs de peur que ce ne foit par la fottife de mon laquais; car il me vient de dire qu'il n'avoit plus trouvé votre carrofTe chez vous. Je lui avois pourtant dit de s'y trouver a dix heures & demie, comme vous m'aviez dit. Mandez-moi ce qui en eft, 4 Lettres de la marquife de Villeroi de ne pas fortir encore demain. Je fuis bien fachée de ne vous pas tenir dans mes bras ce foir, c'étoit un vrai jour pour cela; mon mari va au bal, & moi j'ai paffé la foirée toute feule. Si mon laquais n'avoit pas été malade, je vous 1'aurois propofé : mais je ne fais comment faire tant qu'il le fera; j'avoue que cela me met au défefpoir , & qu'il eft impoffible d'exprimer ce que je fouffre de ne vous point voir. Vous êtes trop aimable de vous en appercevoir un peu, &c votre lettre d'hier m'a fait un plaifir inftni. Je mérite en vérité que vous ayez pour moi ces fentimens-la; car il eft impoffible d'avoir une paffion plus forte que celle que j'ai pour vous," & il ne tiendra pas a moi qu'elle ne dure long-tems. Lündi au foir. IL y a plufieurs jours que je n'ai entendu parler de vous, & Lafoffe dit toujours k mon laquais qu'il n'eft pas jour chez vous; c'eft apparemment un prétexte dont vous vous fervez pour ne me faire rien dire, ou bien vous dormez tard pour réparer les fatigues que vous avez a 1'hötel de Condé. Je ne doute point que vous n'y ayez été avant-hier, car je trouvai votre berline de nuit qui alloit vous rechercher avec un homme dedans. Je comptois que ce feroit mon jour ce foir , mais fans doute que vous avez quelque chofe de mieux a faire, & j'attendrai que vous me propofiez vous-même de venir me voir , puifque quand cela vient de moi vous ne 1'acceptez pas.  p, M. de Richelieu. *95. Ce jeudi au foir. Vous ne devez point vous en prendre aux influences des aftres ni au peu de bonheur que vous avez ce mois-ci; cela n'eft bon que pour la plaifanterie : mais vous ne devez attribuer mon changement pour vous qu'a votre conduite qui m'y a déterminée, non pas fans peine affurément. Vous n'avez point a craindre avec mot les tracafferies que vous avez effuyées de mademoifelle Charolois. Je ne ferai point autant de bruit qu'elle, je n'en fuis pas capable ; mais vous pouvez compter auffi que je ne vous pardonnerai jamais de m'avoir trompée comme vous avez fait, & que je n'aurai pour vous, tant que je vivrai, qu'un trés-grand mépris. Vous faites fort bien de ne vous pas donner la peine de vous juftifier fur madame de Guesbriant, cela feroit inutile , & j'en ai appris beaucoup plus que je n'en voudrois favoir. Je ne puis douter non plus que vous n'ayez eu eet été la petite le Gendre; & pour madame de Flamarin , il n'a pas tenu a vous que vous ne 1'euffiez auffi. Voyez, après cela, le cas que je dois faire de 1'amitié d'un homme qui couchoit avec moi, qui favoit que je Eaimois paffionnément, & qui me trompoit toute la journée ! Je vous affure que je me trouve bien heureufe de n'être plus expofée a pareilles^ chofes ! J'aurois peut-être été affez fotte, malgré tout ce que je fais, pour me raccommoder avec vous fi vous aviez voulu quitter madame de Guesbriant; mais, Dieu merci! vous ne me 1'avez pas feulement propofé ; & je comprends bien, malgré la grande amitié que vous dites avoir pour moi, T iv  19 6 Lettres de la marquife de Villeroi que je ne mérite pas que l'on me facrifié une aufti grande beauté qu'elle. Je fouhaite que cela dure mais je ne le crois pas : comme apparemment fon portrait vous fera plus de plaifir a regarder que le mien, je vous prie de me le renvoyer demain par mon laquais , afin que je n'entende plus parler de vous. Lettres de madame de Villeroi, après fon raccommodement. Vous êtes trop aimable d'avoir un peu d'impatience de me voir; je n'en ai pas moins affurément de vous embraffer : mais il m'eft impoffible d'aller demain dans votre petite maifon : car je fuis engagée avec madame de Villequier , a qui je n'oferois manquer, pour aller a ténèbres au temple; & il me feroit impoffible de m'en debarraffer après, paree que fürement elle viendra fouper ici; mais pour famedi je le pourrai aifement. Mon père va a Maifons pour deux ou trois jours , & je refterai feule a Paris. Je compte vous voir tous les jours pendant ce tems - la : mais je voudrois vous appercevoir demain quelque part ou a ténèbres ou au cours. Je me fais une joie de fouper famedi avec vous , que je ne puis vous exprimer. Vous la comprendrez aifément, car vous penferez a celle que j'ai ordinairement quand je vous vois. Adieu l je vous aime plus que jamais. De Villeroi, ce vendredi. Il faut que ma deftinée foit bien bizarre pour que, toutes les fois que j'ai efpéré de vous re- 4*  d Af. de Richelieu. 2.97 voir , il fe foit trouvé toujours quelques obftacles. Je fuis dans ce cas-la aujourd'hui. Je comptois partir hier : mais quelque chofe me prit qui m'obhgea de me mettre au lit ou je refterai neuf jours, ne fachant ce que cela deviendra. En vérité ! je fuis bien k plaindre d'être contrainte par ma fanté de refter k la campagne vis-a-vis du mari que j'ai, & d'avoir dans le cceur la paffion du monde la plus violente. Je ne peux plus vivre ii je ne recois de vos nouvelles. II faut abfolument que vous m'écriviez : c'eft la feule chofe qui puiffe adoucir mon chagrin; je ne fais plus quand je vous reverrai. Si ma fanté me le permet , je compte pourtant partir de demain en huk, mais je n'ofe plus faire de projets pour m'en retourner k Paris, car ils me réufliffent trop mal. Je fuis trop malheureufe pour faire jamais ma volonté. Je ne me la trouverai cependant pas, fi vous ne m'avez pas oubliée, & fi vous m'aimez encore un peu malgré la longue abfence que j'ai faite. Adieu, mon cher duc! pour moi, rien n'eft capable de me faire jamais changer pour vous, & je vous adore. De Paris, ce vendredi au foir. J'ai recu aujourd'hui votre lettre, mon cher duc. Vous êtes en vérité trop aimable de penfer un peu k moi & d'être fiché de m'avoir quittJe; je puis vous affurer auffi que depuis que vous êtesparti, je n'ai pas ceffé un moment d'être occupée de vous , & que notre féparation me fait une peine que je ne puis vous exprimer. II me feroit impoffible de trouver des termes affez  3198 Lettres de la marquife de Villeroi forts pour vous repréfenter la douleur que j'ert ai auffi vivement que je la reffens; mais je vous renvoie a votre cceur 8c vous prie de faire réflexion a la tendreffe que vous me connoiffez pour vous : après cela vous la comprendrez aifément. Je compte toujours partir mercredi; & mon voyage fera encore plus court que je ne le croyois, paree que celui de Beaumont eft rompu , mon père ayant toujours la goutte. Mon mari eft parti ce matin pour fon régiment; il me fit hier fes adieux auxquels je ne répondis point; je les ai trouvés fi différens de ceux que vous m'aviez faits que je ne jugeai pas k propos d'y répondre comme j'avois fait aux vötres. M. de M. a trouvé avec bien de la peine ce peintre. Votre portrait n'eit pas encore commencé, & il m'a dit que celui fur lequel il devoit le copier ne vous reffembloit point. Je 1'ai prié de lui faire dire de n'y point travailler; j'aime bien mieux attendre que celui de Gober foit fini pour en avoir un qui vous reffemble. Après cela, fi vous voulez qu'il y travaille, faites-lui donner vos ordres, mais pour moi je ne veux point de celui-la. L'abbé de St. Pierre a été chaffé de 1'académie a caufe de fon livre , 8c on croit qu'il ira a. la baftille. II y a eu un incendie épouvantable dans Paris ; le feu prit avant-hier au petit pont qui eft tout brülé, 8c on difoit eet après-midi que le feu n'étoit pas encore éteint. Cela a fait un fpettacle, k la vérité fort trifte , mais tout le monde 1'a été voir. Je ne fais point d'autres nouvelles. Adieu, mon cher duc ! aimez-moi toujours, 8c foyez bien perfuadé qu'il eft impoffible d'aimer plus que je vous aime, Mandez-moi fouvent de  d M. de Richelieu. 199 vos nouvelles: car c'eft pour moi une grande coniblation que de favoir comment vous vous portez quand je ne peux pas vous voir. Adieu encore une fois. De Bourbon, ce a8 mai. Je ne comprends pas pourquoi je n'ai pas regu de vos nouvelles depuis la lettre que vous m'écrivites d'Orléans ; je vous fis réponfe dans le moment, 6c 1'adreffai a Bergerac. Je n'ai pas ofé vous écrire depuis, a caufe de ce que vous m'aviez mandé ; mais pour vous qui n'aviez pas, k ce qu'il me paroit , les mêmes raifons, je n'imagine pas qui eft-ce qui a pu vous en empêcher : m'auriez-vous oubliée ? Ah ! que je ferois malheureufe, mon cher duc , fi cela étoit : car je vous aime comme une folie. Vous ne pouvez pas non plus douter du plaifir que m'auroient fait vos lettres. II me femble que je vous ai donné affez de preuves de mon amour pour que vous n'en doutiez pas. Jugez par-la de lat douleur oii je fuis depuis que je fuis ici : en vérité ! elle ne fe peut exprimer. Etre féparée de vous fix femaines, ne point entendre parler de vous , vous aimer de tout fon cceur 6c n'être point füre d'être aimée ! car enfin, fi vous vous fouciiez un peu de moi, vous m'auriez donné de vos nouvelles, 6c vous auriez eu envie d'apprendre des miennes ; affurément il n'y a pas une plus cruelle fituation au monde que la mienne. J'ai écrit a mon confeil pour en favoir : il m'a mandé que vous ne lui aviez pas donné un figne de vie. J'ai fait écrire mon laquais a St. Louis, qui lui a mandé la même chofe ; il faut affurément que vous ayez la-bas  300 Lettres de la marquife de Villeroi des occupations bien agréables, puifqu'elles ne vous laiffent pas un moment pour écrire a. vos amis, ou bien que vous foyez d'une grande indifférence. Vous êtes bien heureux ! Pour moi, qui malheur eufement ne-fuis pas maitreffe de penfer comme cela fur ce qui vous regarde, je fouffre ce qui ne fe peut dire ; pourvu que ce ne foit pas pour un ingrat ! mais j'en meurs de peur ; donnezmoi au nom de Dieu quelques raifons de votre filence qui me paroiffent au moins vraifemblables, & j'ai tant d'envie de vous trouver fidéle que cela me tranquillifera. Ne me laiffez pas encore long-tems fans m'écrire : car ce feroit de quoi rachever de me défefpérer , & vous me donnez déja affez de chagrin. Mes remèdes font fort avancés ; je n'én ai plus que pour douze jours au plus : mais je ne fais pas précifément le jour que je partirai. Si vous vous fouciiez encore de le favoir , je vous le manderois ; & fi vous vous reffouvenez de la promeffe que vous m'avez faite de venir kV... & que par pitié pour moi vous vouliez bien exécuter ce projet, mandez-le-moi , afin que je vous avertiffe des mefures qu'il faudra prendre. Mais non, je crois que j'ai tort de vous accufer d'indifférence pour moi , & que vous n'avez pu faire autrement ; que ce n'eft point manque d'amitié , & que vous êtes bien fur de la mienne. II me femble que je vous vois entre mes bras me jurer avec les careffes les plus tendreS que vous m'aimerez toujours. Je ne puis croire qu'après m'en avoir aflurée dans les momens les plus doux que vous me trompiez. Que je voudrois y être, mon cher duc, bc que je vous embrafferois de bon cceur!  4 M. de Richelieu. 301 II me femble que j'ai encore cent mille chofes a vous dire , tk je fuis outrée de douleur d'être obligée de finir ma lettre. Adieu, mon cher amant! De Bourbon, ce 7 juin. Que je fuis aife d'avoir recu de vos nouvelles. J'avoue que rien au monde ne m'a fait tant de plaifir que votre lettre , & je fuis charmée de voir que vous ne m'avez point oubliée. Je vous demande pardon de vous avoir foupconné d'infidélité : je vois avec grand plaifir que je me fuis trompée, & que ce n'eft pas votre faute fi je n'ai pas eu de vos nouvelles plutöt. Vous devez me paffer ces vivacités-la en faveur de 1'excès de mon amour, & avoir pitié d'une perfonne k qui vous avez tourné la tête tk qui penfe continuellement k vous. J'ai lu depuis hier cent fois votre lettre, & vous m'occupez toute la journée; pouvez-vous douter de la fincérité de ce que je vous mandois, tk de la durée de mes fentimens pour vous ? Ah ! ne me faites point ce tort-la, & foyez perfuadé qu'on n'a jamais aimé comme je vous aime ; mettez-moi k telle épreuye que vous voudrez , tk demandez-moi ce qu'il vous plaira, fi vous ne connoiffez pas encore la tendreffe de mon cceur pour vous. Je comptois partir demain, tk j'avois même envoyé mes chevaux ; mais quelque chofe m'a pris ft peu, que fi cela ne continue pas, comme il y a apparence, c'eft une marqué de groffeffe, paree que j'ai été déja comme cela 1'autre mois, & que ce n'eft prefque rien. Mais malgré 1'étourderie dont vous m'accufez, j'ai pourtant été affez raifonnable pour prendre le parti de refter ici quelques jours encore, afin  30Z Lettres de la marquife de Villeroi que ma familie n'eüt rien k me reprocher en cas que je me bleffaffe. Vous favez mieux qu'un auire qu'elle n'eft pas facile, & d'ailleurs pour moi c'auroit été m'expofer beaucoup que de me mettre en chemin dans cette fituation-la. 11 faut mieux avoir patience encore cinq ou fix jours. Le plus fort eft fait, & fans 1'impatience que j'ai de vous revoir, ce retardement-la de mon voyage ne me coüteroit pas tant. Vous ne devez pas douler affurément de 1'envie que j'ai de fortir de ce pays-ci, puifque vous n'y êtes point, & que ce n'eft pas pour mon plaifir que j'y refte : mais en cas que je fois groffe, je veux avoir grand foin de mon enfant; je crois que vous vous doutez de qui il eft , & c'eft affurément ce qui me le rendra cher ; je ne peux m'y méprendre, quoique devant que de partir pour Calais, il me fallüt fouffrir un adieu. Je fis fi mal mon devoir qu'il ne peut pas être de ce jour-la, & j'ai quelque foupcon du dernier foupé que nous fimes a Neuilly. Je n'ai jamais eu tant de plaifir en ma vie, & je regrette bien ces momens-la. Que je voudrois y être & jurer entre vos bras .' Bonet vous fait les complimens ; il s'ennuie bien de ne pas voir Louifon. Je voudrois bien qu'ils fuffent joints préfentement enfemble, & au moment que je vous écris je voudrois bien faire autre chofe avec vous. Je vous ai fait faire un couteau ou j'ai fait mettre le chiffre de Louifon & de Bonet; je n'ofe pas vous 1'envoyer, paree que c'eft le courier de Lyon, & je vous le porterai. Ecrivez-moi , puifque c'eft toute ma confolation a préfent, & que je recêvrai encore plufieurs de vos lettres ici fi vous voulez, Mandez-moi que vous  a M. dt Richelieu. 303 vous portez bien, & que vous m'aimez toujours; c'eft tout ce que je vous demande. Pour moi , ie vous écrirai réguliérement tous les ordinaires. Heureufe fi mes lettres vous font autant de plaifir que les vötres m'en font ! Adieu, mon cher duc! je vous trouve le plus aimable de tous les hommes. De Bourbon, ce mardi 14. Je part enfin cette nuit, & efpère vous voir mardi ou mercredi. Je crois qu'il eft plus raifonnable que j'attende a Paris a. avoir ce plaifir, paree qu'il fait jour de bonne heure k préfent, & que quelques domeftiques pourroient fe promener dans un parterre oü il faut abfolument paffer pour venir dans ma chambre ; & quelque impatience que j'aie de vous embraffer, je crois qu'il vaut mieux ne rien rifquer. D'ailleurs je craindrois que ce voyage ne vous fatiguat, & votre fanté m'eft plus chère que je ne puis vous dire. Ne croyez pas que ce foit par intérêt que je penfe comme cela, mais pour l'amour de vous perfonnellement que j'aime a la folie. Aimez-moi un peu de votre cöté , & je ferai trop heureufe. Vous le devez en vérité par reconnoiffance; car on n'a jamais aimé de fi bonne foi & fi tendrement que je vous aime. Je ne fais ce que je ferois fi vous me quittiez jamais ; je crois que j'en mourrois de douleur s mais j'efpère que vous me ferez fidéle. Adieu, mon cher duc ! que j'ai d'envie d'être entre vos bras, & de vous y jurer un amour éternel. Ma fanté eft affez bonne, & ma groffelfe fubfifte.  304 Lettres de madame de Guesbriant LETTRES DE MADAME DE GUESBRIANT A M. DE RICHELIEU. J E pafferois ma vie k vous gronder, fi j'étois plus difficile k vivre. Vous me mandez mercredi que vous comptez me voir aujourd'hui ; j'envoie, felon 1'ordinaire, vous dire ce matin que j'y confens. St. Jean ne vous trouve point chez vous , & vous fortez fans donner 1'ordre qu'on vous porte ma lettre. Vous êtes bien peu attentif k faire des chofes qui puiffent plaire ; cela ne ó'accorde guère avec une amitié auffi tendre que celle que vous dites avoir pour moi. S'il eft vrai que nos fentimens foient femblables, certainement nos fagons de penfer font différentes. Je fuis née toute auffi volontaire que vous ; cependant je donne la préférence aux lieux ou je crois vous trouver k mille autres chofes que je voudrois faire. Vous m'affujettiriez même k des foins continuels pour vous, fi je voyois que vous y fuffiez fenfible , fans en exiger de femblables de vous, paree que je ne fuis attachée qu'au feul plaifir de connoitre que vous m'aimez. Puis-je le croire, lorfque vous ne montrez nulle envie de vivre avec moi ? II y a un fiècle que je ne vous ai vu. Je ne vous fais nul gré d'avoir foupé jeudi avec vous, paree que je ne dois ce plaifir-la qu'au hafard. Bon  d M. de Richelieu. 305 Bon foir ] je finis de vous écrire paree que je n'ai que des reproches k vous faire. Je ne fais pourquoi je vous aime ; vous ne paroiffez pas le mériter; & je fens que je donnerois ma vie pour rendre la votre heureufe. J'irai demain avec madame de Nefle chez madame de Ventadour. Je fouperai chez elle, vous y viendrez fi vous n'avez rien de mieux a faire. Je mourois d'envie de vous voir aujourd'hui; je vous 1'ai mandé trop tard ; vous étiez forti : ma difcrétion en eft caufe ; j'avois donné 1'ordre hier au foir qu'on ne vous portat ma lettre qu'au cas qu'on ne jouat point aujourd'hui au PalaisRoyal Timon le Mifantrope ; St. Jean a pris 1'affiche de demain pour celle d'aujourd'hui. Ce qui m'a fait le plus enrager, c'eft de n'ayoir pu imaginer de moyens de vous le faire dire chez madame de Rioms oii je vous ai vu entrer. J'ai été diner chez mes parens ; je leur ai paru auffi extraordinaire que mon frère que j'y ai trouvé. Je n'ai pas dit un mot k propos ; je les ai quittés tout le plutöt que j'ai pu , pour me^ défaire des perfécutions de mon beau-père qui prétendoit que je devois avoir affez de confiance en lui pour lui dire ce qui m'occupoit. Puifque je n'ai plus 1'efpérance de vous vöir , j'ai réfolu de donner k vous écrire le tems que j'aurois defiré paffer avec vous ; je vais vous rendre la converfation d'un homme obligeant qui m'eft venu voir ce matin. II a commencé par condamner le public fur fa curiofité & le malheur de ceux qui 1'excitoient. Après des difcours inutiles k vous rendre, il m'a affuré qu'il s'intéreffoit trop a ce qui me regarTom L V  306 Lettres de madame de Guesbriant doit pour ne pas m'apprendre ce que l'on difoit de moi; qu'il me plaignoit infiniment; qu'il ne comptoit pas que cela fut fuffifant pour merker ma confiance ; qu'il ne me la demandoit pas; mais que comme mon ami, il vouloit m'avertir que vous m'aviez aimée bien peu de tems, puifqu'il favoit a n'en pouvoir douter que vous fouhaitiez extrêmement de vous raccommoder avec la marquife de Villeroi ; que vous lui aviez demandé grace, & offert de ne plus me voir , &c qu'il ne dépendoit que d'elle que j'en fuffe inftruite ; qu'il le favoit fi pofitivement que je pouvois prendre des mefures telles quelles me conviendroient fur cela. J'ai répondu que les feules mefures que j'avois a prendre étoient de prier mes amis de m'épargner k 1'avenir le chagrin de favoir les difcours du public, même ceux oii je ne prenois nul intérêt ; que je n'étois point née curieufe, & que ma conduite ne devoit ni intéreffer ni bleffer le public; que fi je changeois de facon de penfer, & que je devinffe méchante ou imprudente, qu'il me feroit le plus grand plaifir du monde , ainfi que tout mes amis, de m'en avertir ; mais que fur ce qui vous regardoit, je defirois extrêmement de n'en entendre plus parler ; que je vous connoiffois trés - peu, mais que je ne pouvois croire que fous une figure auffi aimable & avec autant d'efprit, vous puiffiez cacher un cara&ere abominable ; que la plupart des hommes devroient être honteux de parler contre vous , paree qu'on pouvoit les fouptjonner d'être auffi foibles que les femmes, qui ne parient les unes des autres que par envie. Je vous rends compte d'une converfation qui  a NL de Richelieu. 307 m'a occupée toute la journée malgré moi; ne croyez pas cependant que je vous faffe le tort de croire que vous ayez parlé de moi. Je vous aime trop pour vous foupconner fur les chofes qui intéreffent 1'honneur, & cette même tendreffe fait que je m'allarme aifément fur le partage de votre cceur. Je vous aime uniquement , 6c fi vous ne m'affurez que vous m'aimez de même, vous ferez le malheur de ma vie. Je viens de fouper avec une femme de vos amies que vous verrez demain a la comédie , fi elle finit de bonne heure ; faites en forte que je puiffe vous voir un moment chez fa belle-fille. J'ai grande envie de vous voir jeudi, comme \e vous 1'ai pfomis. M'affurez-vous qu'il n'y a rien a craindre pour moi d'aller k votre maifon ? Elle eft connue de tout le monde. Mademoifelle de Charolois vous a fait fuivre fi long-tems ! je la crois très-capable encore de le faire. Jufqu'a ce qu'elle vous ait oublié , elle ne fera point fans curiofité fur ce que vous faites; je la crains 6c fes amis au-dela de toute expreffion. J'ai été aujourd'hui un moment k 1'opéra, je 1'ai vu caufer long-tems avec M. de Melun ; j'en ai quelque inquiétude : on m'a dit qu'on travailloit k vous raccommoder enfemble. Dites-moi naturellement fi cela eft vrai. Ne me trompez fur rien ; je mérite votre confiance. Ne me cachez pas ce qui pourroit m'allarmer ; je ne m'en fervirai jamais pour vous tourmenter J'ai réfolu de vous croire; j'aurois trop k fouffrir, fi je voulois m'en rapporter au public. Je vous aime paffionnément ; c'eft fur mes fentimens que j'ai établi ma confiance. V ij  308 Lettres ck madame de Guesbriant J'ai refté au bal très-long-tems, paree que je vous y croyois ; vous êtes une vilaine créature de vous en être allé fans me rien dire. Je me meurs d'ennui & de lafïitude. Convenez que vous êtes bien étourdi ! Vous m'avez dit de jolies chofes au bal; je dois me favoir bon gré d'avoir eu tant d'envie d'y aller ; j'y ai été deux heures, fans que vous ayez voulu me voir ; j'ai paffé cent fois devant vous : il vous étoit fi facile de me reconnoïtre, que j'ai ceffé de croire que c'étoit vous. J'ai pris, je crois, mal-a-propos de 1'inquiétude de votre entretien avez madame de Charlu ; j'ai eu tort de vous le dire : vous m'avez répondu une fottife tout haut, accompagnée de eet air léger qui me choque a mourir. Croyez-vous que j'aie lieu d'être bien contente de vous ce foir ? J'irai demain a la comédie Italienne. Si vous voulez que je vous aille voir mardi, vous m'enverrez votre carroffe a 1'ordinaire, a fix heures & demie auprès de chez moi. Mercredi, je dois aller au ballet chez le roi avec madame de Nefle & fa belle-fille ; nous fouperons chez madame de Nefle, Bon foir, je vous aime a la folie; je meurs d'envie de vous voir, j'ai mille chofes k vous dire, fur lefquelles il faut que je raifonne avec vous abfolument. Soyez perfuadé que la crainte que j'ai de vous perdre n'eft mêlée d'aucun foupcon qui puiffe vous offenfer. Quand je connoitrai mieux votre cceur, je ferai plus tranquille. Perfuadez-moi que vous m'aimez, & je ne vous donnerai pas la peine de vous juftifier des mauvais difcours du public  a M. de Richelieu. 3°9 J e vous ai cherché hier a 1'opéra; mais M. de Melun m'a dit que vous étiez occupé k des chofes qui vous faifoient plus de plaifir. Selon vous, on doit partager fes faveurs ; vous me 1'avez dit, & je crois que celui qui donne le précepte ne doit pas manquer de le fuivre. C'eft toujours dans le moment oii je vous aime le plus que vous prenez plaifir a me donner du chagrin. II viendra peut-être un tems oii je ferai plus tranquille, M. le duc d'Orléans eft arrivé au fpeaacle fort pris de vin , & on n'a pas trouvé cela trés-a fa place dans un régent de France. Le duc de Noailles 1'accompagnoit, & tout premier^ miniftre qu'il eft, il étoit a-peu-près dans le même état que fon maitre. Cela a donné lieu k des chanfons qui courent déja Paris , & que je n'ai pu avoir. On dit qu'il en eft défolé, &; qu'il a bien promis de ne plus retomber dans cette faute. Je fuis fachée que le régent fe donne ainfi en public : c'eft un bon & honnête homme; il tui faut fi peu de vin pour 1'enivrer, qu'il devroit être plus en garde contre lui. II promet toujours: mais il ne fe corrige pas. Je connois quelqu'un qui en amour fait de même que lui. N'eft-il pas auffi de votre connoiffance ? Dites-lui que quand on a juré a une femme de 1'adorer toute fa vie, ce n'eft pas trop de lui refter fidéle quelques mois. Adieu , mon cher duc ! tout incorngible que vous.êtes, je ne crois pas pouvoir ceffer de vous aimer. Vous attendez fort tranquillement de mes nouvelles; je n'ai point entendu parler de vous de nulle facon du monde ; depuis que je vous ai V üj  310 Lettres de madame de Guesbriant quitté, vous n'avez point été chez la Lepie.... & chez la belle-fille, comme vous me 1'aviez dit; j'ai eu le feul plaifir de vous voir vendredi a l'opéra. Votre conduite y fut très-bonne; il y eut infiniment de gens qui eurent les yeux fur vous &£ fur moi. Ce qui me fait fouhaiter davantage que le public ne parle plus de nous, c'eft 1'envie extréme que j'ai de vivre avec vous. Je crois qu'a la longue c'eft le plaifir le plus réel lorfque l'on s'aime de bonne foi. Je dois fouper mardi chez votre petite prude avec la mignonne; nous devons voir chez moi auparavant une partie de ce qui doit aller ce foir. Ne faites rien fur les fept heures du foir que vous ne veuilliez pas que je fache, &c mandezmoi vos noms de baptême, pour que je puiffe, quand je le voudrai, être inftruite de votre conduite : cela va bien vous gcner , fi elle n'eft pas en tout telle que je le fouhaite; vous favez de quelle facon je penfe pour vous. Je vous aime paffionnément, mais avec autant de difcrétion que je ne vous montrerai 1'envie que j'ai de vous voir qu'autant que vous paroitrez le fouhaiter. Je vous avois écrit hier au foir; je vous envoie la lettre, pour vous prouver que je fouhaite autant que vous d'avoir de vos nouvelles. Je puis vous aller voir aujourd'hui ou mercredi. Si vous ne vous fouciez pas du ballet, choififfez lequel de ces deux jours vous convient le mieux. La belle-fille ne fera point chez elle aujourd'hui; fans cela je vous propoferois d'y aller.  d M. de Richelieu. 31Ö Je m'en vaïs chez ma baigneufe; j'y recevrai votre réponfe. Vous m'enverrez au coin de la rue-neuve St. Auguftin votre carroffe; vous me manderez 1'heure; je crois que fix heures eft la bonne. Je ferai tranfportée de joie de vous voir; j'en meurs d'impatience* Je ne me fuis pas fouvenue hier au foir ert vous quittant que vous alliez mercredi k Rambouillet; mandez-moi fi vous êtes refolu d'y alIer , 6c le tems que vous y refterez. Vous m'avez' dit que je vous verrois demain chez la bellefille je lui ai confeille pour fa fanté de refter chez' elle. Madame de Nefle nous a propofé de fouper chez elle mercredi; fi vous n'allez point a Rambouillet , vous y verrai-je ? Si vous mgez qu'il foit imprudent de nous y voir enfemble deux fois de fuite, vous n'y viendrez point. Quelqu'envie que j'aie de vous voir , je ne veux rien faire de ridicule. Un homme que vous n'aimez pas doit fouper jeudi chez la belle-fille. J'ai mge que vous ne choifiriez pas ce jour-la pour y refter 1 fouper : c'eft pour cela que je vous avois propofé hier de vous aller voir jeudi. M de Villequier aura pu croire hier au loir que j'étois, comme ce confeiUer, éblouie de fes «aces ; je le regardai pour voir s'il m'bbfervoit. Je trouvai fouvent fes yeux fur moi, fa curiofite fut mal fatisfaite. Votre conduite 6c la mienne furent fort fimples. M. de Soubife doit nous donner k fouper , lorfque de Nefle fera k la campagne; je crains que vous ne vous y trouviez enfemble ; je m'imagine que fi vous etiez ici, vous en feriez prié. Bon foir ! je vous aime plus V ïv  3 12 Lettres de madame de Guesbriant qu'on n'a jamais aimé. Je n'ai jamais connu de fentimens auffi tendres que ceux que j'ai pour vous. Je vous demande en grace de vouloir bien lire cette lettre, quelque peine que cela vous faffe de voir encore quelque chofe qui vient de moi. Je ne vous écris point pour me plaindre de vous; car je fais par moi-même que l'on n'eft pas maitre d'aimer ou de haïr: fi j'avois quelque reproche a vous faire, ce feroit de ce que vous m'avez trompée, voyant que j'étois de bonne foi , & que je vous croyois de même. Mais ce qui me touche encore plus, fi cela fe peut, que votre procédé, c'eft d'imaginer que je puiffe tenir quelque mauvais difcours fur mademoifelle de Charolois ; j'en fuis incapable. Mais quand je ferois affez méchante pour lui vouloir faire du tort, vous devez trop me connoitre pour croire que je puiffe dire qtielque chofe que je fais qui vous feroit de la peine ; je vous affure que vous n'avez rien a appréhender la-deffus. Si vous ne pouvez pas m'aimer comme je Ie voudrois, du moins ne me haïffez pas, &i ayez un peu d'amité pour une malheureufe qui ne 1'eft que paree que vous le voulez. Adieu , monfieur i Je ne puis m'empccher de vous dire , quoique j'aie peur de vous déplaire en vous Ie difant, que je ne cefferai jamais de yous adörer. Mais mon amour ne vous fera pas incommode 2 car je vous affure que voila la dernière fois que je vous en parlerai. J'efpère que vous connoitrez avec le tems que perfonne ne vous aime autant que moi. Je vous demande en  d Af. dt Richelieu. 31? orace de ne pas faire aucun mauvais ufage de mes lettres. Je n'en fuis pas fort en peine, car ie vous écris encore. Quoique vous n'ayez pas agi de trop bonne foi avec moi, je me fie encore k vous, & fuis perfuadée que vous ne ferez rien qui puiffe me faire de la peine; ce ne lera pas par rapport a moi, mais pour l'amour de vous. La première chofe que j'ai entendu dire ce foir, après vous avoir quitté, c'eft votre mariage avec mademoifelle d'Albret. J'en fuis fi perfuadée, que je fouhaiterois de tout mon cceur ne vous point aimer. Vous m'avez fait un menfonge qui me prouve que vous n'avez nulle confiance en moi. L'un & 1'autre m'affligent fenfiblement ; je ne faurois vous le cacher : je fuis outree de ce que vous vous mariez. Si c'eft une chole a laquelle vous foyez réfolu, j'aime mieux 1'apprendre par vous que par le public. Je ne vous aime point médiocrement. L'attention que j'ai, lorfque je fuis avec vous, a démêler vos fentimens pour moi, votre caraftère, votre facon de penfer, temt cela m'occupe fi entiérement quil eft impoffible que vous connoifliez toute ma tendreffe ! Tous mes foins feront de vous le prouver par des attentions que je croirai de votre goüt. Si cette facon de penfer vous plait, j'efpère que nous nous aimerons long-tems ; & quoique je fache que le tems détruit tout , je n'imagine pas que je puiffe jamais vous aimer avec moins de^paffion. Votre vilain mariage va peut-être m'empecher de dormir ; je voudrois de bon cceur qu'il füt au diable , ou qu'il retournat a cette divimté dont on dit que nous faifons tous partie.  314 Lettres de madame de Guesbriant C'eft bien dommage que je ne me fois pas crue de force fuffifante pour difputer contre vous; vous aviez commencé une converfation qui auroit pris du tems plus qu'il ne nous en reftoit , & qui nous auroit peut-être empêché de fouper. Songez aux meubles qui manquent chez vous, fur-tout un canapé fort bas, & profond, avec un dolïier. Vous m'avez dit que je vous verrois demain chez la belle-fille; fi la comédie ou le bal vous ïentent, que cela ne vous empêche pas d'y aller; dites-moi feulement ce que vous ferez. Vous ferez ce que vous voudrez fur le fouper de madame de Nefle. Si vous croyez que cela renouvelle des difcours que je voudrois qui fuffent finïs , n'y foyez. point. Si vous jugez que cela ne prouve rien & ne puiffe faire une nouvelte pour lë lendemain, venez-y, eft foyez perfuadé de tout le plaifir que j'aurai de vous y voir. Je dois juger, par la lettre que vous m'avez écrire aujourd'hui, que vous n'exigez pas dans mes fentimens beaucoup de délicateffe. Pour moi, je fouhaite d'être aimée de vous tout différemment. Un amour qui ne s'offenfe pas des chofes qui attaquent fes droits doit être foible. Je ne vous foupgonne pas d'avoir envie de madame de Charlu... mais fi cela étoit, ne croyez pas que cela me fut indifférent. Je le trouverois très-mauvais. Vous pouvez avoir des torts que je craindrois plus que ceux-la, je vous 1'avoue; mais en général, lorfque l'on aime paflionnément, il eft impoffible de ne pas fentir vivement tout ce qui bleffe 1'amitié. Si je m'allarme aifément, vous pouvez me  a Af. de Richelieu. 315 raffurer de même. Une marqué d'amitié, la plus petite attention de vous , que ''aime de toute mon ame, me fera tout oublier. Vous me repondez de votre cceur , je n'ai plus rien a fouhaiter que les occafions de vous voir. Ce lera jeudi, puifque cela vous convient. Si vous chaneez de fentimens vous me le ferez favoir, Sc fi je n'ai point de vos nouvelles je compterai lur votre carroffe a fix heures Sc demie auprès de chez moi. II n'y a point demain de ballet chez le roi, j'irai a Romulus. J'ai toujours eu du monde chez moi depuis 1'inftant qu'on eft entré dans ma chambre : cela m'a empêché de vous écrire. Je voudrois favoir de vos nouvelles : mais je doute que j'en puriie apprendre aujourd'hui; vous ferez forti, 6c votre valet-de-chambre ne fera plus chez vous. Madame de Nefle eft malade. Sa cohque la prife hier au foir: j'en fuis outrée; peut-etre que fans cela je vous aurois vu chez elle aujourdhui. Ce qui me fait toujours craindre que vous ne m'aimiez point autant que vous le dites, c'eft que j'ai fu, en cent occafions, que vous ne penlez pas comme moi. Vous êtes furpns que lorlque ie manque de vous voir par votre faute, j en puiffe être blelfée, 8c vous n'imaginez pas qu en apprenant par le monde que vous êtes malade, j'en puiffe être inquiette, & que c'eft une attention qui doit me plaire que de m'écnre unmot en arrivant qui m'affure def^état oü vous etes, 8c que, fi je ne puis vous voir, ce n'eft par aucune raifon qui puiffe m'être défagreable. Je ne fuis point difficile k vivre , vous le lavez:  316 Lettres de madame de Guesbriant, &cl mais c'eft clouter totalement de mon cceur que de croire que je ne fois pas fenfible aux attentions qu'infpire une amitié fincère. Je penfois encore hier foir, en vous cherchant au bal, que fi je n'en prenois pas toute la peine, je ne vous y verrois point. Vous faviez bien m'y trouver , lorfque je ne vous y cherchois pas. Aimez-moi comme je vous aime, ou ne m'aimez point du tout; celui qui aime davantage a trop a fouffrir, j'ai craint que ce ne fut la mon fort auffi-töt que je vous aimai. Si je me fuis trompée fur vos fentimens , il vous fera bien aifé de vous corriger. Vous m'affurez que vous y êtes difpofé : je m'en flatte, paree que je vous aime tous les jours davantage , & que je ne veux pas faire mon tourment de la feule chofe que je defire fi paffionnément. Je commence a douter de ce qui eft dans vos tablettes , & j'en fuis dans une affliction inconcevable. Si vous vous portez bien & que vous vouliez me voir, mandez - moi oü vous voulez que ce foit, & fi vous m'enverrez votre carroffe dans la cour des cuifines. Réponfe de M. de Richelieu. Je vous confeille, madame, de refter dans cette cour pour y charmer les marmitons pour qui vous êtes faite. Adieu ! ma chère enfant.  'V7 T A B L E DES MATIÈRES Contenues dans ce preaaier volume. CHAPITRE PREMIER. Naiffance du maréchal de Richelieu. Son mariage. Sa préfentation d la cour de Louis XIV. Ses galanterus. Sa prifon. Ses premières campagnes. page i CHAPITRE II. Mort du père du maréchal. Richelieu amant de la ducheffe de** : il fe fait aimer de la princeffe de ***, qui meurt empoifonnée. II furprend fa femme avec fon écuyer. De quelle manure il fe conduit. Mort de cette première ducheffe de Richelieu. 18 CHAPITRE III. Mort de Louis XIV. Digreffion fur fon règne ; fur madame de Maintenon, & fur 1'homme au mafque de fer. 33 CHAPITRE IV. Le duc d'Orléans eft déclaré régent du royaume. Amours de Richelieu avec mefdames Daverne, de Guesbriant , de Mouchi , de Sabran, de Nefle , &c... 53 CHAPITRE V. Apperqu de l'intérisur de la cour du régent, 66  $1% T A B L E CHAPITRE VI. Suite des amours du duc de Richelieu. Conjuration de Celïamare, ambajfadeur d'Efpagne. Troifième emprifonnement du duc d la Baftille. CHAPITRE VII. Mort de madame de Maintenon, de la ducheffe de Berry. Difgrace d'Albéroni. ^ CHAPITRE Vilt Syftême de Law. Amours de Richelieu avec les ducheffes de Villeroi & de Duras. Sa rêception d 1'Académie frangoife. 10I CHAPITRE IX. Voyage du duc de Richelieu d Modène, oii il rend vifite a la princeffe fous l'habit d'un marchand de livres. Aventure du couvent, ou il va voir la ducheffe de Villeroi, déguifê en abbé. nj CHAPITRE X. Rêception du duc au Parlement, en qualitê de pair. Suite de fes amours. Orgie fake d Calais. ug CHAPITRE XI. Retour du duc de Richelieu d Paris. Mort du cardinal Dubois, & du régent. Ii+0 CHAPITRE XII. M. le duc eft premier miniftre. Richelieu fait fa cour d madame de Prie, maitreffe de ce prince. II lui communiqué un mémoire relatif au mariage de Louis XV, quand il fut queftion de lui faire époufer la fille de Staniflas, a-devant roi de Pologne, au détriment de üinfante. 150  des Matières; 319 CHAPITRE XIII. Le duc de Richelieu ejl envoyé ambaffadeur extraordinaire d Vienne. II y paffe pour un efpion. II a une querelle avec le duc de Riperda , ambaffadeur d'Efpagne. 159 CHAPITRE XIV. Entree publique de Richelieu d Vienne. Aventure des, traineaux avec la princeffe de Liechtenflein. Suite de cette aventure. Il fait avoir le chapeau de cardinal d l'évêque de Fréjus, qui devient premier miniftre après la difgrace de M. le duc. Richelieu eft fait chevalier de V ordre du Saint-Efprit avant Vage. II termine fa négociation, & revient d Paris. 167 CHAPITRE XV. Mort de la ducheffe de * * *. Richelieu fe marie a une fille du prince de Guife , dont il devient amoureux. II lui efi fidéle fix mois. II aime enfuite madame de la Martelière , femme d'un financier. Autre amour avec une demoifelle Julie, fille fingulière, maitreffe de ce même financier. 186 CHAPITRE XVI. Siège de Philisbourg. Duel du duc de Richelieu avec le prince de Lixen, parent de fa femme, Celui-ci efi tué. Le duc efi fait brigadier des armées du roi. II revient d Paris. Coaches de madame de la Martelière & de Julie. Cette dernière meurt. 198 CHAPITRE XVII. Voltaire lui prête 40,000 livres. II efi fait Maréchal de camp. II fe bat avec M. de Peuterieder , & le tue. 11 efi bleffê griévement. II efi nommé commandant en Languedoc. Mort de madame la ducheffe de Richelieu, 19$  320 Table des Matières. CHAPITRE XVIII. Le duc de Richelieu, de retour d Verfailles, fe confole avec la princeffe de Rohan. II ejl confident des amours du roi avec madame de la Tournelle, depuis ducheffe de Chateauroux. Anecdotes d ce fujet. 219 CHAPITRE XIX. Guerre de ij/p.. Le duc de Richelieu eft employé en Flandres, enfuite fur le Rhin. II fe diftingue d la bataille d'Ettinghen, dite du Mein; il eft fait premier gentilhomme de la chambre du roi , & Heutenant-général. 238 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Lettres de madame d'Averne , maitreffe du régent, d ï\ de Richelieu. 257 Lettres,: la ducheffe de*** d M. de Richelieu. 267 Lettres de mademoifelle de Charolois d M. de Richelieu. 281 Lettres de la marquife de Villeroi d M. de Richelieu. Lettres de madame de Guesbriant d M. de Richelieu. 304 Fin de la table des matières du premier volume.   *     V I E P R I V É E DU MARÉCHAL DE RICHELIEU. TOME PREMIER.   V I E PRIVÉE' DU MARÉCHAL DE RICHELIEU, CONTENANT SES AMOURS ET INTRÏGUES, Et tout ce qui a rapport aux divers Roles qua jouês eet Hornme célèbre pendant plus de quaire-vingts ans. TOME PREMIER. A PARIS, Et fc troiivt A MA EST RICHT, Chez J. P. Roux & Compagnie, ImprimcursLibraires, affociés. 179 ï.   P R È F A C E. Le maréchal de Richelieu a vécu fi long-tems, & a mérité une réputation ü extraordinaire dans plufieurs genres , que le public lira fans doute avec plaifir, des faits particuliers qui le concernent. On a publié des mémoires , qui font plutöt 1'hiftoire de la fin du règne de Louis XIV, de la régence & du règne de Louis XV, que celle de ce Neftor de la galanterie. On a mis fon nora a la tête de 1'ouvrage, pour lui donner de la célébrité. II y eft peint comme un négociateur habile, un brave militaire; & les différentes époques de fa vie fe trouvant liées néceffairement avec les événemens de ces deux règnes, on trouve dans plufieurs volumes plutót le récit de ce qui a été fait depuis un fiècle, que la vie privée du maréchal. Ces mémoires, quelquefois intéreffans, & qui feroient plus vrais, ü Pauteur n'eüt pas fait parler Richelieu comme il penfe Tornt I. a  i) P R É F A C E. lui-même, peuvent jetter quelque lumière fur 1'hiftoire du tems, mais font peu connoitre 1'homme. Dans 1'ouvrage que nous publions, c'eft le héros en déshabillé que 1'on préfente au public. Le tems n'eft plus oü la vérité n'ofoit lever le voile impénétrable qui couvroit les actions des gens en place : fon flambeau pénètre a préfent par - tout j & malheur k ceux dont il ne peut éclairer que les vices ! Richelieu eut tous ceux de fon fièclej mais on ne peut lui refufer de l'efprit, de la valeur & des graces. En manquant a fa parole, en oubliant les fervices qu'on lui rendoit, il trouvoit encore Part d'enchainer prés de lui les gens qui avoient a s'en plaindre. II faifoit rarement du bien; & il favoit fi adroitement faifir le foible des hommes, qu'il leur faifoit faire Pimpoffible. II avoit par-tout des amis, fouvent fans en mériter aucun. L'amour le traita encore plus favorablement : toutes les femmes fe difputoient fon cceur ; les pleurs qu'il devoit leur  P R É F A C E. üj faire répandre, ne les empêchoient pas de voler au - devant de 1'infidèle : elles étoient encore heureufes de partager entr'elles La portion d'amour qu'il daignoit leur accorder» Jamais homme n'a mieux pofledé le talent de les fubjuguer; a peine deux ou trois ont-elles pu échapper a fes pourfuites, & ne pas augmenter le nombre de celles qu'il mettoit au nombre de fes conquêtes. Les aimant toutes, il prétendoit leur devoir un égal hommage ; il ne rougiffoit pas de defcendre de la princefTe a la femme qui vit du produit de fes charmes, perfuadé que la beauté n'a pas de rang, & qu'on doit 1'adorer par - tout. Enfin , Richelieu toujours infidèle trouvoit fouvent des cceurs conftans, qui lui pardonnoient encore leurs peines. On Pa vu dans un age trés - avancé être galant fans paroitre ridicule. Le fouvenir de ce qu'il avoit été, fembloit embellir fa vieilleffe ; il (e croyoit toujours jeune, & Pétoit encore malgré les rides qui fillonnoient fon vifage. Ce qui auroit a ij  iv P r É f a c e. déplu dans un autre vieillard, avoit un certain charme en lui, & Pon eft tout étonné de voir des femmes amoureufes d'un héros fexagénaire. Cet homme vraiment extraordinaire a confié a M. de * * * les manufcrits, les anecdotes, & le recueil de lettres que nous offrons au public. » Vous verrez, » lui écrivoit-il, toutes mes folies; bien » des gens en parleront, mais vous feul » ferez inftruit de la vérité. Vous pour» rez, après ma mort, leur faire voir le »» jour : j'ai vécu trop long - tems pour » craindre d'offenfer les femmes dont il * eft queftion; celles qui exiftent encore, » fuivront de prés leur ancien amant au » tombeau; c'eft la le terme des gran» deurs , de Pamour & de Pambition. » Qu'importe alors qu'on nous reproche j* quelques foibleffes qui ont rendu nos » jours plus heureux! Le néant oü nous » fommes, venge alTez ceux qui les bla« ment ou les envient M. de *** eft mort quelque tems avant le maréchal. Ses héritiers ont recueilli  P R É F A C E. V beaucoup de lettres éparfes & fans fuite j mais n'ayant pas ce qu'il falloit pour y mettre un prix, ils les laiffèrent pafler en des mains étrangères. Sans doute, on en auroit été privé fans un hafard qui les fit découvrir. J'étois chez une femme agée , recherchée par fes rares connoifTances. Quand la converfation fut épuifée fur la révolution , on paria des mémoires de Richelieu , qui dévoiloient la tyrannie des miniftres, & qui, ea détruifant une partie de Ja réputation de Louis XIV, prouvoient la néceffité d'un changement général dans 1'ordre des chofes. On s'étonna feulement qu'un homme comme Richelieu , qui devoit aimer le defpotifme, qui en avoit fait lui - même des aéres multipliés, put écrire avec tant de patriotifme & de prolixité contre fes funeftes effets ; il parut bien changé de ce qu'il avoit été. Ces réflexions s'étendirent de plus en plus i & 1'on convint que fi tout ce qui en avoit été raconté, étoit vrai, c'étoifc a iij  v) P R É F A C E. réellement Phomme unique. Un officier vanta fes talens militaires j un autre fa magnificence, fon adreffe , fon efpnt ; une femme ne pouvoit parler que de fa galanterie : mais une dévote interrompit tous ces éloges, pour lui reprocher d'avoir perverti notre bon roi Louis XV. »> II 1'a perdu , dit - elle en colère ! Ce » prince né vertueux aimoit la reine, ne » trouvoit rien d'auffi beau qu'elle, & » ce Richelieu que vous prönez tant, » lui a procuré des maïtreffes, lui en » a donné le goüt, & 1'a éloigné de fa » digne moitié, qui a eu continuellement » le chagrin de voir fon mari pafler dans » les bras d'une multitude de femmes. » Ne me parlez donc plus de votre ma» réchal$ c'eft un vilain homme qui ne » peut s'être tiré d'afFaire dans 1'autre mon» de, fans le don d'une grace miraculeufe » qu'il n'a jamais mérité On rit beaucoup de cette fainte colère , & on n'en conclut pas moins que le maréchal avoit obtenu une célébrité peu commune. On cita fon ambalfade de Vienne,  P R É F A C E. Vlj Fontenoi, Gênes, Mahon. Notre dévote fe déride un peu, en s'écriant : Ceft donc bien dommage qu'il ait égaré un ü grand nombre de femmes l Allons, madame, reprend la maitreffe de la maifon, foyez plus indulgente; le chevalier du fexe ne doit pas être dégradé par lui. Pour moi, j'admire M. de Richelieu comme général d'armée, négociateur , courtifan adroit; mais , malgré la févérité de vos réflexions, ce qui me paroit le plus curieux a connoitre de lui, c'eft le détail fidéle de toutes fes aventures galantes; je penfe bien qu'elles font en grand nombre. Je ne puis croire cependant qu'elles foient auffi multipliées qu'on le dit. Sans doute il y a de 1'exagération : la vie d'un homme ne fuffit pas pour tant d'exploits galans. A quinze ans, il fut plaire a la ducheffe de Bourgogne ; c'eft débuter par le tröne, & il n'efl pas polfible de commencer plus glorieufement. Madame, interrompit un homme qui n'avoit point encore parlé, je puis prou-  Vilj P R É F A C E. ver qu'il n'y a eu entre madame la ducheffe de Bourgogne & M. de Richelieu aucune liaifon qui la déshonore. Cette princeffe étoit gaie , vouloit fe diftraire de 1'ennui d'une cour gouvernée par madame de Maintenon; elle trouva dans JVL de Richelieu , alors duc de Fronfac, un enfant aimable, vif, ne doutant de rien, dont les réparties 1'amufèrenr. II alloit fouvent lui faire fa cour , paree qu'un jeune homme aime les endroits oü. il paffe agréablement fon tems, & 1'appartement de madame la ducheffe de Bourgogne étoit le rendez-vous des plaiiirs. Bientót il s'y familiarifa j il parut plaifant a une princeffe accoutumée a de continuels refpeéts, de voir un enfant fe mettre a fon aife, & elle n'apper5ut aucun mal dans cette légéreté. La calomnie qui ne refpecle pas plus le tróne que le fimple toït du, berger, jie tarda point a empoifonner des jeux d'enfans. On accufa la princeffe d'aimer Mn jeune homme qui n'avoit pas quinze ans j comme s'il étoit probable qu'une  P R É F A C E. IX femme de vingt-fix ans prit pour amant un enfant de quinze, foible & indifcret, qui Pexpofoit a perdre fa réputation! Je fais que cette calomnie s'eft propagée jufqu'a nos jours, que 1'auteur des mémoires du maréchal a fait entendre que le fait étoit vrai; mais j'ai en main des lettres originales de M. de Richelieu, qui démentent ces bruits populaires. J'en polfède auffi qui font voir clairement que eet homme, qui a paffe la plus grande partie de fa vie dans des intrigues de femmes, qui a vécu continuellement avec les maitreffes de Louis XV, qui s'eft foutenu a la cour, malgré les miniftres qui le craignoient, malgré les favorites qui voulurent le perdre dans plufieurs occafions, que l'on a regardé toujours comme le premier agent des plaifirs du roi, & que madame (en parlant de la dévote) vient de peindre comme tel, ne lui a réellement procuré aucune maitrefle, Tout Ie monde parut furpris de ce qu'il avan§oit; il offrit d'en donner des preuves le lendemain : il tint fa parole, &  Ü P R É F A C E. nous fümes bientót convaincus de la fauffeté de 1'accufation. Mon premier foin fut de me lier avec eet homme; il cachoit fous une phyfionomie févère des inclinations obligeantes. Quelques mois étoient a peine écoulés que j'avois parcouru le recueil qui lui étoit venu de la fucceflion de M * * * ; 1'intérêt que j'y trouvai, me fit dévorer cette le&ure. Je le priai de me permettre de mettre tous ces papiers en ordre, & d'alTocier un ami a ce travail. J'obtins ce que je defirois, & après quelques débats, il ajouta la permiffion de publier cette vie privée. II nous impofa la loi de ne pas nous faire connoïtre, ne voulant pas , dit-il, fe faire des ennemis, ni a nous non plus. Nous ne laiflbns en blanc que les noms des femmes que nous n'avons pu découvrir i ils font en petit nombre. Nous donnerons pour pièces juftificatives, des lettres du feu roi, de madame de Chateauroux , du cardinal de Fleury, de madame de Pompadour, de M. d'Ar-  P R É F A C E. X) genfon, &c., qui ajoutent un degré d'intérêt de plus a ce recueil. II fuffira d'y jetter les yeux pour fe convaincre de leur authenticité Nous confervons les originaux, dont la plupart font de la propre main de ces importans perfonnages. Nous nous fommes contentés de lier les faits & de corriger la trop grande incorreétion des écrivains : le maréchal luimême, avec de 1'efprit, mettoit trés-mal Tortographe. On a cru auffi devoir réunir a fa vie privée un extrait très-refferré de fa vie politique, pour mettre le lecteur k même de le connoitre plus parfaitement. Si nous le peignons quelquefois méchant, vindicatif, facrifiant tout a fes plaifirs, intéreffé , généreux par oftenration, l'extrait de fon ambaflade de Vienne, de fes campagnes , de fes négociations, feront apprécier 1'homme de mérite , qui a fait de grandes chofes , & qui auroit pu en faire davantage, s'il eüt été moins avide de fatisfaire tous fes penchans. Notre intention eft de tracer le tableau de fes foibleffes, de fes vices, mais en  Xtj P R É F A C E. même-tems de défendre fa mémoire, avec la même fermeté, de tout ce qui lui a été fauflement attribué. Le maréchal de Richelieu eft un de ces hommes rares dont on a exagéré les défauts & les vertus. Nous parierons des uns, fans taire les autres : le bien que nous en dirons , ne pourra être fufpecl: , puifque nous publierons le mal avec la même franchife. Sa vie eft abfolument extraordinaire; & quoiqu'il en ait paffé ]a moitié a perdre fa fanté & 1'autre a la recouvrer, il eft inconcevable qu'il ait pu fournir une carrière auffi longue. On le verra a quatre-vingt-fix ans échapper aux foins prévoyans de fa dernière femme, comme un écolier qui fuit les regards d'un père furveillant , pour fe rendre chez une femme galante, dont il vouloit avoir les faveurs. Ce goüt des femmes, & Ia puifTance de s'y livrer ne fe font éteints dans lui qu'un an avant fa mort j encore conferva-t-il du plaifir a voir une jolie femme , & il le manifeftoit par un ton de  P R É F A C E. XÜJ galanterie qui lui étoit particulier. On auroit dit que la nature fe ranimoit en lui a 1'afpecl de la beauté, par 1'habitude qu'il avoit contraftée de 1'admirer de prés dés fes plus jeunes années. Tout le monde fait qu'il s'eft marié fous trois règnes. Sa première femme étoit jeune, il 1'étoit aufli; il n'a jamais habité avec elle , paree qu'on ne 1'avoit pas confulté pour la lui donner, & qu'il avoit autant de maitrelfes qu'il en vouloit choifir. Devenu amoureux de mademoifelle de Guife, il forme de nouveaux noeuds : Pamour, 1'eftime qu'il avoit pour elle , devoient le fixer a jamais. Trois mois font a peine écoulés , qu'il vole aux pieds d'une autre beauté. Enfin , il époufe madame de Rothe, qu'il alloit voir depuis long - tems aux Tuileries. II étoit d'un age alfez mür pour croire que la fougue des paffions ne 1'entraineroit plus -y a quatre-vingt-quatre ans , on peut efpérer qu'un dernier hymen doit terminer toutes ces courfes amoureufes : mais fon deftin 1'emporta; la maréchale fubit  Xiv P R É F A C E. le fort des autres. II étoit écrit qu'il ne devoit être fidéle k aucune de fes compagnes. Si nous nous fommes permis quelques réflexions fur la fin du fiècle oü il eft né, de ce fiècle ü vanté de Louis XIV, c'eft pour contredire fon opinion. Perfonne ne fut plus que lui panifan de ce monarque. II avoit confervé les impreffions qu'il avoit recues étant fort jeune, en parouTant a fa cour, & il n'en parloit qu'avec admiration. II convenoit que la fin de ce règne avoit été défaftreufe j mais il en trouvoit la caufe dans 1'incapacité des miniftres : & comme Voltaire , qui 1'avoit confulté pour compofer fon fiècle de Louis XIV, il voyoit encore dans ces tems orageux, de 1'énergie dans un fouverain gouverné par une vieille dévote , un confeffeur & des prêtres. Richelieu, habitué a commander , aimant le defpotifme, paree qu'il participoit a ce pouvoir odieux, devoit néceffairement être le partifan d'un fiècle oü  P R É F A C E. XV' ce monftre a régné avec tant d'empire. Les grands qui favent que le roi le plus. difpofé a s'inftruire des affaires , ne peut pas tout voir par lui-même, veulent que fon autorité foit fans bornes, paree qu'ils font certains d'en envahir une portion. Sous un roi foible, ils 1'ont toute. Ceux qui ont connu le maréchal , favent k quel point il vouloit être obéi. Si nous nous trouvons en contradiction avec 1'opinion publique , c'eft qu'alors nous aurons des preuves fufïïfantes pour attefter la faulfeté des faits que nous réfuterons. MM. de Saint - Simon , de Bouillon , de Maurepas ont laiffé des mémoires qui ne font pas toujours exa&s. Ils n'aimoient pas Richelieu , & il eft rare qu'on fafle 1'éloge de ce qu'on hait. Leur témoignage doit donc être fufpeft. II eft naturel de croire de préférence des vieillards impartiaux , contemporains du maréchal, les lettres , les manufcrits que nous polfédons j paree que dans le tems oü ils ont été écrits, perfonne n'avoit intérêt a déguifer la vérité. C'eft  XVJ P R É F A C E. d'après eux que nous garantifïbns Ia certitude des faits que nous foumettons au le&eur, & qu'il pourra juger que le maréchal de Richelieu a pafle la moitié de fa vie a fe faire une réputation, & 1'autre a la détruire. VÉRITABLE  VÉRITABLE VIE PRIVÉE DU MARÉCHAL DE RICHELIEU. CHAPITRE PREMIER. Naijfance du maréchal de Richelieu. Son mariage. Sa préfentation a la cour de Louis XIV. Ses galanteries. Sa prifon. Ses premières campagnes. Louis-Fran^ois-Armand du Plessis, Buc de Richelieu, eft né le 13 mars 1696. Sa mère, attaquée d'un gros rhume, & fatiguée d'une toux violente, accoucha de lui k fept mois. Elle fe nommoit mademoifelle d'Affigné , d'une ancienne familie de Bretagne ; & c'eft de cette feule femme que fon père eut des enfants (1). II fut recu comme un préfent du ciel; mais en même - tems la foiblefle de fa conftitution fit craindre de n'en pas jouir long-tems. On défefpéra de pouvoir 1'élever : il fut mis dans (1) Deux filles, 1'une abbeffe du Tréfor, 1'autre mariée a M. du Chatelet, gouverneur de Vincennes , & un fils , le maréchal de Richelieu. Tornt I. A  Vie privée du coton. Ce n'eft point une expreflïon; c'eft un fait réel. Chaque jour paroiflbit devoir être celui de fa mort, & fon père s'accoutuma d'avance au chagrin de le perdre. II n'aimoit pas les médecins, il auroit defiré qu'ils euffent pu lui rendre fa première vigueur dont il avoit fort abufé; & ne retrouvant plus fes anciennes forces, malgré les fecours de la médecine , il la regardoit comme infru£hieufe & inutile. On lui confeilla de 1'éloigner du berceau de fon fils, & il fuivit avidement ce confeil. Le jeune duc de Fronfac fut abandonné aux foins de la nature : & 1'on peut juger par 1'époque de fa mort, s'il a eu lieu de fe repentir de eet abandon. Le petit duc prit de jour en jour de nouvelles forces, & éloigna les appréhenfions que le terme de fa naiffance & la mauvaife fanté de (a mere avoient fait naitre. Cependant une convulfion qui lui prit un jour, le mit prefque au tombeau. L'allarme fut répandue dans toute la maifon : il étoit abandonné ; une évacuation inattendue le fauva. Une femme-de-chambre que la curiofité avoit fait approcher de 1'enfant s'en appercut; il commenca a donner quelques légers fignes de vie (i) ; elle appella : on revint au petit duc qui avoit été laifle comme mort, & bientöt il fut mieux portant que jamais. Depuis cette époque, il n'a point été malade. Cette crife fit (i) On dit que cette femme-de-chambre étoit fort jolie," & on a beaucoup plaifanté depuis le maréchal fur eet événement : il fembloit être 1'augure du pouvoir de la beauté fur lui, & il re 1'a pas démenti. II n'eft pas étonnant qu'il ait pafie toute fa vie a lui en rendre des aétions de grace.  du Maréchal de Richelieu. 3 une révolution avantageufe dans fa conftitution; il devint beaucoup plus fort, & en quelques mois, fa fanté s'affermit au point de n'être plus altérée. II falloit bien qu'un homme qui a tant fait parler de lui, eüt quelque chofe de fingulier dès fon berceau. II fut baptifé en 1699, & tenu fur les fonds de baptême par le roi 6c madame la ducheffe de Bourgogne. Madame de Maintenon qui avoit des obligations au duc de Richelieu, & qui étant madame Scarron, alloit fouvent chez lui, ce qui fit même un peu parler contre elle dans le tems, étoit bien-aife de fervir le fils de fon ancien protecleur. Son baptême fe fit avec éclat : Penfant annoncoit déja de 1'efprit, & étoit de la plus jolie figure. Son éducation fut aflez négligée : fon pere, peu inftruit , qui s'étoit toujours livré a fes plaifirs, qui étoit vieux, ne put veiller a fon inftruftion, Elle fut confiée fans furveillance aux foins d'un gouverneur qui n'avoit pas les qualités néceffaires pour le bien élever. D'ailleurs, 1'enfant étoit volontaire, & aimoit mieux joyer que d'étudier : en quoi il fut fecondé par fon gouverneur , qui , voulant conferver fa place, vantoit toujours les progrès de fon élève, quoiqu'il en fit très-peu. On lui donna des maïtres dans tous les genres : il n'en profita pas mieux; ce ne fut qu'a la Baftille qu'il fentit la néceffité de s'inftruire, & qu'il prit un peu de goüt pour Pétude. Le gouverneur, pour fe mettre bien avec le jeune duc de Fronfac, ne contrarioit pas fes petites fantaifies, Sc 1'accoutuma dès 1'enfance a faire fes volontés. Cette habitude s'enracina ü A ij  4 Vie prïvtt bien que par Ia fuite il fallut que tout lui obéit. Cet homme avoit du penchant pour le jeu, & ne pouvant fatisfaire fa paffion auffi fouvent qu'il le defiroit, il faifoit jouer fon élève avec lui, & lui communiqua fon goüt. Le vin lui étoit agréable, le jeune duc s'y accoutuma; le troifième défaut vint de lui-même , & il n'eut pas befoin d'inftituteur pour le contraöer. Son père s'étoit remarié, & avoit époufé en troifièmes noces, la veuve du marquisde Noailles, qui étoit Rouillé en fon nom , fille d'un confeiller d'état fort riche. Elle avoit eu de fon premier mariage, une fille unique , qu'elle projetta de faire époufer a fon beau-flls, le duc de Fronfac. Elle prit fur lui 1'autorité d'une mère; & comme elle étoit fort avare, qu'elle économifoit le plus qu'elle pouvoit fur fes plaifirs , elle s'en fit peu aimer. Cependant le jeune duc, chez qui la politique fembloit innée, ne lui témoigna aucun mécontentement, & eut 1'art, malgré les torts qu'il eut envers elle & envers fa fille, de lui faire faire par la fuite une donation en fa faveur. Cette dame gouvernoit feule la maifon de fon père, & cherchoit a. éteindre les dettes dont elle étoit furchargée. Son économie étoit appuyée fur des principes juftes ; mais en même-temps, elle fatisfaifoit fon goüt qui la portoit quelquefois a la plus fordide avarice : ce qui étoit loin de plaire k un jeune homme qui aimoit déja la dépenfe , qui avoit hérité de fon père des penchans qu'il a fatisfaits avec tant de plaifir, & qui afpiroit a jouir de tous les avantages que fa naiflance lui promettoir.  cLu Maréchal de Richelieu. ^ La duchefle de Richelieu , empreflee de faire époufer a fa fille 1'héritier de ce nom, le maria avant 1'age d'habiter avec fa femme. II fut préfenté a. la cour , k quatorze ans 6c quelques jours, en 1710. Louis XIV, alors entiérement fubjugué par madame de Maintenon, re9ut avec une bonté particuliere le duc dë Fronfac que cette favorite appelloit fon élève; c'étoit un titre auprès du monarque, qui d'ailleurs aimoit le nom de Richelieu k qui il croyoit devoir beaucoup. Sa maraine, madame la duchefle de Bourgogne , Paccueillit de même : les dames du palais de cette princeffe étoient la plupart Noailles par elles ou par leurs maris, & elles fe crurent obligées de faire valoir leur nouvel allié. II étoit d'une figure charmante; fes yeux pétilloient d'efprit; & trois ou quatre réponfes hardies le mirent k la mode dans un moment. II étoit vif, entreprenant, ne doutant de rien ; cette hardieffe qui déceloit déja fon caraftère , ne paffa dans ces premiers inftans que pour de 1'enfantillage. Le petit duc, ainfi gaté, recherché de toutes les femmes , devint bientöt célèbre. On n'avoit vu d'abord qu'un enfant; mais eet enfant ne tarda pas k fe conduire de manière k faire voir qu'il n'en étoit plus un. La nature qui fe préparoit k en faire un homme extraordinaire, prit plaifir k le traiter favorablement. II fut libertin a 1'age oü 1'on fe connoit k peine. L'amour fut s'allier avec le jeu : 1'un ne nuifit point k 1'autre; il perdit des fommes affez confxdérables. Malgré les reproches de fon pere, ceux de fa belle-mere, & les avis de madame de Maintenon , il fe Hvra fans rcferve a fes premiers A iij  6 Vie privée penchans, & n'écouta que fes fens qui lui parloient déja fort impérieufement. On crut qu'en le faifant habiter avec fa femme, il deviendroit plus fage, & qu'en lui laiffant la facilité de fatisfaire chez lui des defirs qui s'annoncoient avec tant de fougue, on en modéreroit 1'impétuofité; mais le duc altier, ennuyé de la morale de fon père, piqué contre fa belle-mère qui 1'avoit marié fans le confulter , fe promit bien d'être auffi réfervé avec fa femme, qu'il 1'étoit peu avec d'autres. II tint parole, malgré les menaces &C les fédu&ions : il fe conduifit honnêtement avec elle; mais il fe refufa toujours aux voeux de toute fa familie. II aimoit de préférence la duchefle * * *. (C'eft ainfi qu'il la défigne ; nous n'avons jamais pu en favoir davantage.) Mais eet amour, quoique vif, ne Pempêcha pas de chercher la poffeflion de femmes qui lui plaifoient moins. H def•cendit dans tous les états : il fuffifoit de porter le nom de femme, pour mériter fon hommage. Habitué a trouver des beautés affez faciles, il s'imagina que les bontcs dont 1'honoroit madame la duchefle de Bourgogne , étoient une preuve de fon amour. II fe conduifit avec cette princeffe auffi légérement qu'il le faifoit ailleurs, &. voyant que tout lui réuffiffoit, il fit de nouvelles extravagances. II auroit du fe perdre; mais la duchefle de Bourgogne qui étoit bonne & qui le trouvoit ajmable, le regarda comme un enfant étourdi dont il falloit excufer les inconféquences. Elle s'en amufoit, & c'eft peut - être un tort dans cette princeffe, qui donna lieu k la calomnie de s'arrner contre elle. Le marcchal entre dans des  du Maréchal de Richelieu. 7 détails particuliers , relativement a cette princeffe , Sc a fes amours avec la duchefle * * *, dans un manufcrit qu'il a laiffé , Sc que nous placons dans notre troifième volume. C'eft la raifon qui nous détermine a. paffer légérement fur ces premières années de fa vie. Nous ne voulons point anticiper fur le récit qu'il a pris foin d'en faire lui - même d'une manière trèspiquante. Cependant le bruit couroit k la cour que madame la duchefle de Bourgogne aimoit le petit duc de Fronfac, & il avoit même frappé les oreilles de Louis XIV; quelques aventures, innocentes dans le fond, avoient été caufe que la réputation de cette princeffe étoit compromife. Le duc de Richelieu , allarmé des fuites que pouvoit avoir un bruit qui expofoit fon rils au reffentiment du roi, courut avec fa femme chez fa prote&rice, madame de Maintenon. Ce confeil délibéra fur la conduite qu'il falloit tenir dans une circonftance auffi embarraffante. Madame de Maintenon, qui connoiflbit depuis long-tems de quelle facon il falloit s'y prendre avec le roi , propofa de lui parler des défordres de fon élève; de le fupplier au nom de fa familie de vouloir bien punir en père un jeune homme qui fe croyoit tout permis. Elle favoit que la punition feroit moins rigoureufe, fl le fouverain étoit prévenu, Sc fi elle étoit demandée comme grace, que s'il féviflbit de lui-même. Ce pro jet fut adopté avec reconnoiflance : la duchefle de Richelieu faifit avec plaifir cette occafion de punir dans fon gendre, les mépris qu'il témoignoit pour fa fille ; Sc le vieux duc, libertin A iv  8 Vie privéc réformé , devenu dévot, faure de moyens de péchef, jaloux des plaifirs de fon fils auxqnels il ne pouvoit plus fe livrer , fatisfït le reffenti-' ment qui 1'animoit depuis long-tems contre lui. II avoit auffi des ménagemens a prendre pour lui - même. Ses affaires étoient en mauvais état; il follicitoit des graces pécuniaires du roi, a qui il écrivoit dans toutes les occafions, quand fes attaques de goutte 1'empêchoient d'aller lui faire la cour. Le roi 1'aimoit affez pour lui répondre; fon ftyle même étoit afFe&ueux : on en peut juger par cette lettre. » Mon coufin, l'affliöion n'a pu m'empêcher » de recevoir agréablement la lettre que vous » m'avez écrite fur la mort de ma fille la dau» phine (i). Je vous en remercie, avec affurance » que les fentimens que j'ai pour vous réponw dent bien k cette marqué de 1'affeöion que » vous avez pour moi, qui, fur ce, prie Dien » de vous avoir , mon coufin , en fa fainte & » digne garde. A Verfailles ,1e 15 mai 1690 , » LOUIS ". Le duc de Richelieu trembloit de perdre le peu de faveur dont il jouiffoit, & fur-tout que la conduite de fon fils ne lui nuifit dans Pefprit du maitre: il en avoit déja obtenu quelques fe-. cours , & dans ce moment-la, il en avoit befoin plus que jamais pour arranger fes affaires. Ma- (1) C'étoit la princeffe de Eavière , femme da grand dï'Jphip.  du Maréchal de Richelieu. > humble fervante, » Maintenon ". (i) On craignoit quelque foulevement parmi les proteftans qui avoient feint de fe convertir, pour éviter Ie fort d-e leurs frères.  IQ Vu privée Le duc & la duchefle de Richelieu profitèrent avec empreflement de 1'entremife de madame de Maintenon, pour faire enfermer leurs fils. Nous venons d'établir qu'ils y avoient intérêt; ils crurent aufli qu'éloigné de toutes les liaifons qui Penchainoient , il reviendroit plus facilement a une femme qu'il abandonnoit, & on conje&ura que le raccommodement fe feroit en prifon. Madame de Maintenon , chargée du meflage auprès du roi, n'eut pas de peine a obtenir 1'ordre que Pon demandoit; & comme la Baftille étoit le chef-lieu de punition du fouverain , ce fut ce chateau qui fut deftiné a recevoir le jeime duc de Fronfac. II étoit loin de prévoir 1'orage qui fe formoit contre lui. II étoit auprès des femmes qui en raffoloient, & s'il caufoit quelque chagrin a. la duchefle *** par fes infidélités, il n'en étoit pas moins aimé. Ses jours n'étoient qu'une fucceflion de plaifirs, & il ne s'attendoit pas que la Baftille alloit les faire évanouir. II y fut conduit en 1711; & quoique quelques heures de féjour dans cette prifon duflent le convaincre de fon malheur , il parut encore douter de 1'ordre qui 1'arrachoit a fes amufemens. II crut d'abord qu'on vouloit lui faire peur; il s'interrogeoit fur fon crime , & fe trouvoit innocent. Cependant la nuit qui furvint Paflura qu'il n'y avoit plus d'efpoir de recouvrer fa liberté. II fut inconfolable, & paffa les premiers jours a tenter de féduire fes geoliers. II defiroit feulement qu'une ou deux lettres puflent informer fes tendres amies de fa détention ; il prévoyoit leurs inquiétudes, & vouloit les calmer, en leur indiquant touiefois les moyens de folli-  du Maréchal de Richelieu. 11 citer fon élargiffement. Mais voyant crue tous les efforts étoient inutiles , il embrafla le parti que la néceffité lui indiquoit, celui de prendre ion mal en patience. Les premiers jours, il fut traité en criminel d'état, détenu dans fa chambre fans communiquer avec perfonne , & fans pouvoir jouir de la promenade qu'on accorde aux prifonniers; il fe crut perdu. A fon age, gaté & adoré d'un grand nombre de femmes, il étoit naturel que la différence de fon fort préfent 1'effrayat, quand il fe rappelloit le pafTé. Enfin les ordres devinrent moins rigoureux; il put fe promener : on lui donna pour confolateur un honnête eccléliaflique, qui voulut bien partager fa prifon, & il recut 1'abbé de St. Remi, dont il auroit dans tout autre tems évité la compagnie , comme un dieu bienfaifant qui venoit adoucir les horreurs de fa folitude. L'étude devint un moyen néceffaire pour chaffer 1'ennui; le duc qui n'étoit diftrait par aucun objet, y prit goüt : il travailla avec 1'abbé de St. Remi, k une traduöion de Virgile ; enfin il acquit des connoifTances qui lui devinrent trèsutiles par la fuite. Cependant le paffage fubit de la cour dans un lieu auffi terrible , avoit fait chez lui une révolution dont il penfa être la vi&ime. Après une fièvre de quelques jours, la petite vérole fe manifefta d'une maniere fi violente, qu'on défefpéra de fa vie : fa bonne conftitution Sc le confèil d'un médecin fuivis k propos , le fauvèrent. On avoit tenté précédemment le raccommodement avec fa femme: mais le petit duc qui avoit  il Viz privéc déja annoncé fon caraftère altier dans pUifieurs occafions, ne fe démentit pas dans celle-ci. II re£ut fa femme très-honnêtement; & quoiqu'il fut dévoré de defirs, qu'une longue continence aiguillonnoit encore, il fut leur mettre un frein ; & fa femme le quitta fans- retirer autre chofe de la démarche qu'on lui avoit fait faire, que de la honte &c du dépit. On en lira les détails dans le manufcrit dont nous avons parlé. On pouvoit juger, par cette conduite foutenue d'un enfant de feize ans, de ce qu'il proniettoit d'être a. l'avenir. Sa femme étoit jeune, affez jolie; il étoit avide de plaifir, il en étoit privé depuis long-tems, & il aima mieux foutenir un combat très-pénible avec fes fens, que de manquer a 1'engagement qu'il avoit contrafté avec lui-même, de n'être jamais complettement le mart de fa femme. D'ailleurs il fe vengeoit d'elle , de fes parens; & cette idee lui donna de nouvelles forces pour réfifter a la féduftion. On vit bien qu'il falloit céder k un jeune homme que rien ne pouvoit dompter. II auroit été trop cruel de le priver continuellement de fa liberté; il fut réfolu de 1'éloigner de Paris & de Penvoyer k Parmée. II fervit en qualité de moufquetaire; & heureux en tout, (la fuite des événemens le juftifiera ), il débuta par cette fameufe campagne de 1711 , la plus glorieufe de celles qui euflent été faites depuis long-tems, oü le maréchal de Villars, par le gain de la bataille de Denain , fauva entièrement la France. Cette mémorable année fut bien cruelle k la i familie royale. II étoit tems qu'une viftoire aufli fignalée raffurat les Francois , qui pleuroient en-  du Maréchal de Richelieu. 13 core la mort d'un prince chéri, du duc de Bourgogne , devenu dauphin par la mort de fon pere. Le peuple qui 1'idolatroit, favoit qu'il n'avoit pas la facon de penfer defpotique de fon grandpère; il n'ignoroit pas qu'il avoit ofé dire devant lui, que les wis étoient faits pour les peuples, & non pas les peuples pour les rois : il attendoit tout d'un prince qui faifoit hautement la critique du gouvernement, & avoit le courage de profefler une auffi grande, une auffi fainte vérité , a la cour d'un maitre abfolu. La France entière étoit en deuil. Ce prince fi regretté , joignoit a un efprit vif, pénétrant, élevé , une continuelle application a fes devoirs; & ne s'occupoit que du foin de faire fleurir un royaume déchiré de routes parts. II réfléchiffoit fans ceffe fur les moyens de rendre le peuple heuteux; il convenoit que fon bonheur procure au fouverain qui le fait, une jouiffance bien au-deffus de la grandeur : il avoit fous les yeux 1'exemple d'un roi qui gémiffoit au fein du luxe & du fafte. Plein d'éloignement pour des guerres oü 1'ambition, 1'avarice, la haine font plus confultées que la juftice & la raifon , il avoit réfolu de ramener Pabondance par une paix conftante & bien cimentée. Dévot fans foibleffe , il favoit concilier les devoirs de la religion avec ceux que lui impofoit fa couronne. Enfin, les Francois fatigués du fceptre de fer de Louis XIV, s'exagéroient encore les belles qualités de fon fucceffeur; & jamais larmes plus fincères ni plus abondantes n'ont coulé fur le tombeau d'aucun prince. Ces larmes avoient déja commencé a fe répandre , quelques jours auparavant. La dauphine,  i4 Vie privée enlevée k la France, au milieu de convulfions horribles qui firent foupconner qu'elle étoit empoifonnée , entraïna avec elle fon époux dans la tombe. Graces, bonté , bienfaifance , tout fut détruit en un inftant : le duc de Bretagne, leur fils, moiffonné en même-tems, mit le comble a la défolation publique. Les apprêts funèbres deftinés a conduire k Saint-Denis le père, la mère & 1'enfant, formoient le fpe&acle le plus attendrifTant; & le peuple qui ne pouvoit retenir fes cris, défolé d'en être le témoin, avoit la douleur plus grande encore de voir anéantir toutes fes efpérances. II n 2 reftoit plus k 1'amour des Francois qu'un enfant (1) foible, débile , & fur lequel on paroiflbit ne pas compter. La nouvelle des fuccès de Villars releva le courage dü peuple confterné, & diffipa fes chagrins : le moment préfent, s'il peut Pocctiper, lui fait bientöt oublier fes peines ou fes plaifirs. Le duc de Fronfac, témoin d'une vi&oire fi complette, prit un goüt particulier pour 1'état qu'il embraffoit. Recommandé au maréchal qui le fit fon aide-de-camp, il fut a. même de le voir opérer de prés. Ce général qui lui trouvoit de 1'efprit & des difpofitions, prenoit plaifir a caufer quelquefois avec lui, & il lui donna des lecons qu'il n'a jamais oubliées. Quelque préiomption qu'eüt Villars, qui ne donnoit point de batailles fans fe croire fur de la viftoire, il eut foin de lui faire obferver qu'un général, quoique certain de vaincre , devoit toujours faire toutes fes (1) Louis XV.  du Maréchal de Richelieu. i j difpofifions comme s'il devoit être vaincu. Le dlic de Fronfac , qui n'avoit pas cefle d'être étourdi, mais qui étoit plus difpofé a profiter de ce qu'il voyoit, étudia avec fruit l'art de la guerre, fous un fi grand maitre. II paroiflbit avoir oublié Paris & la cour ; cepenclant il entretenoit une correfpondance fuivie, avec la duchefle * * * qui lui étoit extrêmement attachée. II fuivit le maréchal de Villars dans toute fes entreprifes miliraires, porta fes ordres aux fièges de Marchiennes, de Douai, du Quefnoi, villes dont la prife fuivit la viöoire de Denain. II fut bleffé k la tête, d'un éclat de pierre, a celui de Fribourg, & fut choifl par Villars, pour aller porter au roi la nouvelle de la reddition des forts. II convient lui-même qu'il trembla, en approchant ce monarque qu'il voyoit pour la première fois depuis fa fortie de la Baftille. II fut intimidé d'abord, mais fe raflurant bientöt, il lui fit le récit des opérations de la campagne , avec tant de netteté & de préfence d'efprit, que Louis XIV, étonné de fon intelligence & des connoiffances qu'il avoit acquifes en fi peu de tems, lui prédit que s'il continuoit , il étoit deftiné a de grandes chofes. Son retour k Paris fut ie fignal de fes nouveaux plaifirs : il vola chez fon amie , la duchefle * * * ; mais la voyant décidée k ne plus lui accorder que de 1'amitié, il devint amoureux de la femme d'un marchand de meubles , qui étoit dévote, qu'il fit mourir de chagrin & de remords de lui avoir cédé, & plus encore de jaloufie de lui voir continuellement de nouvelles  l6 Vit privée maitrefles. Le nombre en étoit confidérable, & il jouiflbit bien mieux quand le public étoit du fecret. II y a quelques femmes qui ont été ménagées, & pour lefquelles il a eu de la difcrétion ; mais prefque toutes ont été connues. II avoit foin de faire pafler une partie de la nuit a fa voiture dans la rue de la femme qu'il avoit, afin que fes armes & fa livrée puffent indiquer qu'il étoit en bonne fortune : quelquefois, depuis, il fe fervit de ce même moyen , pour tromper fes camarades qui ne pouvoient concevoir comment il fuffifoit a. tant d'intrigues , èc qui voulant 1'imiter, fuccomboient fous un fardeau qu'ils ne pouvoient fupporter. Plufieurs moururent, & lui feul étonnoit de plus en plus ceux qui menoient la même vie. II ufoit ainfi d'adrefle, Sc toujours avec fuccès, foit en amour, foit dans fes autres négociations. II quittoit fes amis en leur difant qu'il alloit au rendez-vous chez la dame qu'il défignoit. II donnoit ordre k fon cocher de fortir le foir k 1'heure indiquée, un de fes gens derrière la voiture , comme s'il eut été dedans ; elle attendoit quelques heures prés de la porte de la dame, Sc rentroit enfuite a 1'hötel. Cette comédie recommencoit le lendemain pour une autre belle ; Sc le duc pendant ce temps étoit renfermé chez lui, invifible pour tout le monde, fe faifant donner tous les reftaurans néceflaires pour réparer fes forces perdues dans les yifites précédentes, & reprenoit, dans le repas, la vigueur qui lui étoit néceflaire pour de nouveaux combats. II ne paroiflbit en public que quand il étoit entiérement rétabli de fes fatigues ; Sc difoit  du Maréchal de Richelieu. ij difoit alors en confidence a fes camarades, qu'il n'avoit jamais eu tant de plaifir que dans la nouvelle aventure qui venoit de 1'enlever quelques jours k leur amitié : &C leur étonnement redoubloit de le voir, après tant d'exploits divers, aulfi frais & difpos qu'il le paroifïbit. On peut juger par-la combi en il étoit avide de la réputation d'homme k bonnes fortunes : rien ne lui coütoit pour Pobtenir. On eft furpris, cependant, de le voir employer ces petites rufes : il n'en avoit pas befoin pour mériter ce titre qu'il defiroit tant. II eft difficile d'apprécier le nombre de femmes qu'il a fubjuguées ; &c quand on réduiroit k moitié celles qu'il a affichées, il feroit encore bien fuffifant pour le rendre a jamais mémorable dans les annales de la galanterie. Tornt I. B  tÈ Vu privée CHAPITRE II. Mort. du père de Richelieu. Amant de la ducheffe de** : il fe fait aimer de la princeffe de * * *, qui meurt empoifonnee. II furprend fa femme avec fon ècuyer. De quelle manière il fe conduit. Mort de cette première ducheffe de Richelieu. 0> E fut au milieu de ces plaifirs qu'il perdit fon père,le 10 mai 1715. II convient lui-même que cette perte ne 1'affligea pas beaucoup ; & qu'il ne fallut pas de grands efforts pour arrêter le cours de fes larmes. Dans le fait, il perdoit un père qui le contrarioit continuellement. II en avoit été d'abord tendrement aimé; mais eniüite il trouva en lui un vieillard morofe qui s'oppofoit a tous fes goüts ; qui le reprenoit d'un ton dur, & s'étonnoit qu'un jeune homme préférat la fociété des gens de fon age a la lïenne. Une perte de mille louis 1'avoit irrité au point de lui refufer 1'argent qui lui étoit le plus néceffaire ; ils ne pouvoient plus refter enfemble quelque tems fans fe parler avec aigreur: le père voyoit avec jaloufie les progrès de fon fils; & le petit duc regardoit fon père comme 1'auteur de fa détention a la Baftille, & des privations qui Paffligeoient plus fenfiblement tous les jours. II trouva les affaires de la fuccefïion très-embrouillées. Elle étoit chargée de dettes : il fut obligé d'y renoncer , pour s'en tonir a une fubf-  du Maréchal de Richelieu. 19 titutlon confidérable ; les duchés de Richelieu, Fronfac , les terres de la Ferté-Bernard, Coze, Lonac & autres devinrent fon partage : & ce qui fit honneur au jeune héritier, c'eft qu'il paya entiérement les créanciers de fon père, qui n'avoient pu trouver dans la fuccefïion, de quoï être liquides. Nanti de la fubftitution , il pouvoit, comme tant d'autres Pont fait & le font encore, fe difpenfer d'acquitter les fommes dues par fon père : mais le nouveau duc de Richelieu crut qu'il étoit de fon honneur de ne point ufer d'un droit inique, pour fruftrer des fournifTeurs, des marchands, de ce qui leur étoit dü, & pour dépouiller de vieux ferviteurs des legs que leur avoit fait leur maitre. II étoit perfüadé qu'un grand feigneur devoit quelque chofe a la mémoire de fon père; & malgré fon amour pour 1'argent, il airna mieux s'en priver en partie , que d'avoir des reproches auffi honteux a fe faire. Son père avoit été 1'héritier d'un bien confidérable. Le premier duc de Richelieu a qui il avoit fuccédé, avoit recueilli une grande portion de Pimmenfe fuccefïion du cardinal fon oncle. II en avoit abufé , & avoit été fórcé de vendre beaucoup de biens libres. Son fils, père du maréchal , n'eut pas une conduite plus régulière ; il avoit eu la charge de général des galères, en 1643 , du vivant de fon père, & il 1'a vendit en 1661, au marquis de Créqui, depuis maréchal de France. II ne fe contenta pas d'öter cette charge de fa familie : il fe défit encore de terres qui n'étoient point fubftituées ; & il eft certain que fans la prévoyance du cardinal qui fufcfti- B ij  2 O Vit privêe tua les deux duchés S>c d'autres terres, 1'héritage du jeune duc auroit été au-deffous du médiocre. Son vieux père , qui avoit dépenfé de groffes fommes d'argent fans fe faire honneur, qui avoit eu le goüt des femmes , en vivant avec elles prefque toujours d'une manière peu conforme a fon rang, ayant vu failir tous fes biens, avoit été réduit a une penfion alimentaire que lui faifoit la direftion , & avoit confiné, pendant des années, fon ennui &c fon inutilité dans fon magnifique chateau de Richelieu. De retour a Paris, il contraöa de nouvelles dettes; & on a vu qu'il eut recours au crédit de madame de Maintenon, pour obtenir des fecours de Louis XIV. On ne concoit pas quel motif pouvoit déterminer ce monarque a lui témoigner tant de bontés. Ce n'étoit fürement pas fes fervices militaires. Le duc de Richelieu n'eft cité dans aucune époque de ce fiècle fertile en grands événemens ; aucune a&ion d'éclat ne 1'a illuftré; a peine lait-on s'il a fait quelques campagnes en qualité de colonel. Certainement il falloit qu'un homme qui jouiflbit de fa fortune , fut bien nul pour ne faire parler de lui en aucune fa$on, fous un roi qui étoit continuellement en guerre. Cependant on le voit chevalier de fes ordres; il obtint des graces, même avant le crédit de madame de Maintenon. Sans doute que Louis XIV ne regardoit en lui que le nom qu'il portoit; & récompenfoit ainfi les fervices du grand oncle dans le neveu qui lui en rendoit fi peu. Le nouveau duc de Richelieu voulut efFacer cette tache, 6c fe conduifit de manière a illuftrer  du Maréchal de Richelieu. 21 encore le nom que le cardinal a rendu fi fameux. On le verra brave en combat fingulier, intrépide en préfence des ennemis, s'arracher k 1'amour pour voler a la gloire, & mettre autant de légéreté k affronter le plus grand danger, qu'a féduire une jolie femme. II expofoit gaiement une vie que tout embelliflbit; & les regrets que pouvoit faire naitre tout ce qu'il avoit k perdre, n'étoient point capables de troubler fa fécurité. Bientöt ennuyé des foins qu'il donnoit aux détails de la fuccefïion de fon père, 1'amour qui avoit été négligé quelque tems, reprit plus que jamais fur lui fon empire. II répara donc le tems perdu par de nouvelles conquêtes ; & la princeffe de * * * fut une des femmes qu'il parut alors le plus aimer. On a déja dit que fon amour n'étoit point exclufif. On le verra ne pas négliger la duchefle * * *. II citoit Pépoque oü il n'avoit que deux maitreffes a la fois, comme un moment de fagefle; car fon étude continuelle étoit de chercher de nouvelles viöimes. Quand une femme lui faifoit une longue réfiftance, il ne s'amufoit pas k perdre fon tems auprès d'elle; il lui donnoit quelques heures par femaine, & pendant eet intervalle, il en trouvoit de plus faciles qui lui fourniffoient les moyens d'attendre patiemment le jour de fon triomphe. Le portrait qu'il fait de la princeffe de *** ne peut laifler de doute fur fa beauté. Elle adoroit fon mari, qui, bizarre & capricieux, 1'avoit époufée par complaifance , & avoit promis k la maitreffe qu'il avoit alors, de traiter fa femme en homme qui lui étoit étranger. Cepen- B iij  xz Vie privée dant elle lui parut fi aimable pendant les deux premiers mois, qu'il ne put s'empêcher de lui accorder tous les droits que 1'hymen lui donnoit. Bientót après , la maitrefFe reprit 1'empire , & éloigna fans retour le mari de la couche nuptiale. Sa femme qui 1'aimoit véritablement, n'ofa fe plaindre; crut qu'en fe rendant aimable , elle réchaufFeroit les ardeurs d'un époux qui ceffoit de lui donner des preuves de fa tendreffe: mais tout fut inutile ; fa douceur, fes complaifances n'eurent point afTez de charmes pour ramener un ïnfidèle. Ses larmes coulèrent en fecret pendant deux ans; fon mari qui coniervoit tous les dehors , paroifToit fe conduire trcs-bien avec elle ; il venoit tous les matins favoir de fes nouvelles , Pembrafföit toutes les fois qu'il la voyoit, furtout en préfence de témoins; il s'expofoit même aux railleries, pafFoit pour un céladon , tandis que fa tendre moitié n'avoit que 1'apparence du bonheur. Cette apparence devoit a la fin ne pas fuffire a une charmante femme de vingt ans, qui avoit le coeur tendre, & qui PofFroit infruftueufement a un époux qui n'en connoifFoit pas le prix. Le duc de Richelieu la vit chez la duchefFe de il n'avoit pas befoin de trouver une beauté auffi régulière pour en être épris. II étoit trèsféduifant; il rencontroit un coeur novice , entier a fes devoirs : tout étoit piquant pour lui dans cette conquête; & prefque toujours vainqueur, il Pentreprit avec la certitude du fuccès. La princefle de * * * étoit dans ce moment dangereux pour la vertu, oü Pame émue par les objets qui la frappent, n'a pu encore rencontrer celui que  du Maréchal de Richelieu. 2,3 la nature a difpofé pour fon bonheur; on éprouve le defir d'être heureux, fans trouver ni difcerner même le bien que 1'on fouhaite; il nous féduit dans les autres , 6c 1'on fent un vuide en foi qui rend nos plaifirs monotones 6c faftidieux: il manque 1'être deftiné pour les animer. Richelieu étoit celui que recherchoit le cceur de la princeffe de *** ; elle rougit en le voyant : fes graces, le ton dont il parloit d'amour, la fenfibilité qu'il affe&oit , fans 1'éprouver pourtant, mais elle 1'ignoroit, tout lui fit comparer la conduite de fon mari avec celle du duc, 6c malheureufement pour 1'époux , la comparaifon ne fut point en fa faveur. L'homme qui nous plait, s'embellit encore a. nos yeux. La princeffe de *** retrouva fon cceur ; le néant qu'elle éprouvoit difparut; un charme fe répandit fur tous les objets qui frappèrent fes regards, 6c ce fut 1'ouvrage de Richelieu; un inftant lui fuffit. II parut, 6c tout changea pour la princeffe. II s'appercut de 1'impreffion qu'il faifoit fur elle : habile a profiter de fes avantages , il redoubla de foins, parut plus tendre. L'amant qui eft maitre de lui a bien plus de moyens qu'un autre d'approcher rapidement du but; il met tout k profit. Richelieu q.ii n'ctoit jamais fort amoureux, ufa de toutes les reffources qu'un homme k bonne fortune emploie avec tant de fuccès; il fut qu'il étoit aimé, avant que la princeffe de *** fe füt appercue qu'elle aimoit. Cependant la réflexion la rendit k elle-même; elle fe reprocha d'avoir montré tant de foibleffe, 6c réfolut de combattre un penchant dont elle fe croyoit encore maitreffe, Loin de fon amant, B iv  Vu privée tout lui parut poflible ; elle fut perfuadee qu'elle triompheroit d'un amour qui commencoit a 1'allarmer. Connoiffant que la fuite étoit le moyen le plus fur de réfifter , elle propofa k fon mari d'aller paffer quelque tems dans une terre éloignée. Celui-ci, retenu a Paris par une paffion qui le maitrifoit, s'oppofa fortement aux defirs de fa femme, la plaifanta fur une retraite auflï fubite, & lui montra tant d'éloignement pour le pélerinage, ( c'eft ainfi qu'il appelloit ce voyage), qu'après avoir infifté quelque tems, elle fut obligée de n'en plus parler. Voyant que ce projet ne lui réuffiffoit pas, elle ceffa d'aller chez la duchefle * * * : celle-ci qui ignoroit les combats que fe livroit fon amie, vint la trouver, & finit par la rendre au mortel heureux qu'elle fuyoit avec tant de foin. Le plaifir qu'elle eut de le voir, lui parut encore plus vif; elle connut davantage le danger auquel elle s'expofoit, & après avoir fait de nouvelles tentatives auprès de fon mari qui ne furent pas, plus heureufes : » Puifque le » ciel le veut, dit-elle, il en fera ce qu'il pourra; » j'ai fait ce que j'ai pu. Celui qui retourne trop » fouvent au combat doit néceffairement fuc» comber". La prédicïion ne tarda pas k s'accomplir. Richelieu nous rend compte de la manière plaifante dont il triompha. La princeffe *** tout enticre a 1'amour, fe livra avec ivreffe au feritiment qu'elle éprouvoit, & prit autant de tendreffe que le duc en perdoit par la poffeffion. Son bonheur ne fut pas plus affuré que celui des autres; bientöt elle eut lieu de voir que les fermens qui lui avoient été fait n'étoient bon que pour le moment.  • du Markhal de RichdleU'. 25 Par un caprice aflez bizarre & pourtant trèscommun , le prince de * * * qui avoit fi longtems négligé fa femme, ayant été féparé de fa maitrefie qui lui avoit impofé la loi tyrannique d'abandonner fon époufe, revint auprès de celle-ci avec Pempreflement de Pamant le plus tendre. II 1'avoit fui, tant qu'elle lui avoit montré beaucoup d'empreflement; & quand 1'amour qu'elle avoit pour le duc de Richelieu 1'eüt rendue trèsindifférente pour lui, il en parut plus amoureux. La princeffe de *** crut d'abord que ce n'étoit qu'une galanterie d'un inftant; mais bientöt effrayée des afliduités de fon mari, elle voulut éviter une réconciliation qui, a fes yeux , la rendoit infidelle. Son amant alors étoit tout pour elle; le mari qu'elle avoit tant aimé avoit perdu les charmes qui 1'embelliffoient, le tems de la i'édu&ion étoit paffé , & Pon fait qu'il ne peut revenir. Le prince de *** furpris de ne plus trouver la même femme, crut qu'elle étoit juftement irritée de fa conduite : il favoit qu'une femme piquée, ou en colère, aime encore : il efpéra que la fienne feroit bientöt touchée de fon repentir, & reverroit fon retour comme une faveur que le ciel lui accordoit. II fe trompa, il en fut au défefpoir : voyant qu'il ne pouvoit pas réiuTir par Jui-même, il s'adreffa aux amis de fa femme , a Richelieu même dont il ne foupconnoit pas les droits : 1'amour lui fit tout tenter; mais fes efforts devenant inutiles, il foupconna qu'il y avoit plus que de 1'animofité dans la conduite de fa femme. II devint jaloux; la jaloufie eft furveillante: il connut enfin qu'il avoit un rival. 11 y eut une  l6 Vit privéi icène fanglante entre lui eft Richelieu; tous deux furent bleffés, & la princeffe de *** s'empoifonna de défefpoir quelque tems après. Ces événemens funeftes ne ralentirent pas fes courfes amoureufes: les objets lugubres ne s'arrêtoient pas long-tems devant fes yeux. La ducheffe du ***, toujours bonné , toujours prête a le recevoir, fut fa confolatrice: il paffa quelques mois affez tranquille auprès d'elle : mais une autre belle 1'appella bientöt a de nouveaux plaifirs. Ce fut dans ce tems qu'il perdit fa femme, mademoifelle de Noailles. II Peftimoit pour fes qualités morales; elle étoit douce , bonne & vivoit tranquille , fans contrarier en rien les inclinations de fon mari. Elle avoit tenté pendant deux ans de le ramener k elle ; mais 1'éloignement qu'il fit paroitre pour remplir les devoirs que 1'hymen lui prefcrivoit, la rendit plus réfervée. Elle efpéra qu'en lui témoignant moins d'empreffement, il en auroit davantage; mais Richelieu n'étoit point un homme ordinaire ; il aimoit toutes les femmes : il avoit juré d'excepter la fienne; & habitué k décider en fouverain, rien ne put lui faire violer la loi qu'il s'étoit impofée. Madame de Richelieu, humiliée des démarches inutiles qu'elle avoit faites , voulut fe détacher de lui. Son cceur qui avoit aimé, rebuté de n'être pas payé de retour, étoit difpofé k fe donner. La vengeance Sc le befoin d'aimer que 1'age Sc le mépris du mari augmentoient tous les jours, la portèrent k chercher un confolateur; le hafard le placa prés d'elle. Son mari avoit un écuyer jeune, aimable, qui n'avoit pas les graces féduifantes de fon mai-  du Maréchal de Richelieu. iy tre, mais qui paroiffoit aimer de bonne foi. Inftruit depuis long-tems de 1'abandon du duc, il cherchoit tous les moyens de fe mettre bien avec fa femme; il alloit tous les jours prendre fes ordres ; fes yeux lui parloient, fi fa bouche étoit muette , & la ducheffe de Richelieu prit peu a peu plaifir a y lire qu'elle étoit aimée. Ce langage expreffif & filencieux dura long-tems; 1'écuyer, craignant de fe perdre , n'ofoit rompre tout-a-fait le filence. La ducheffe timide redoutoit de fon cöté de montrer trop d'attachement : elle fentit cependant qu'il falloit encourager un homme qui n'étoit pas de fa claffe; &c pour entamer la négociation, elle lui fit confidence des chagrins que les intrigues multipliées de fon mari lui occafionnoient. L'écuyer la plaignit, & paroiffoit ne pas concevoir comment M. le duc de Richelieu pouvoit abandonner une époufe auffi belle. L'intérêt qu'il témoignoit parut faire plaifir, il devint plus hardi: il ofa rifquer un aveu qui pouvoit lui faire perdre fa place, mais qui finit au contraire par la rendre plus affurée que jamais. D'un autre cöté, la ducheffe qui étoit preffée d'aimer , crut devoir faire quelques pas pour encourager l'écuyer a faire les autres : il étoit gentilhomme, cela lui fufHfoit ; & elle fe perïuada qu'il n'y avoit pas befoin d'illuftration pour fe livrer aux plaifirs de 1'amour. L'écuyer fut heureux, & jouit long-tems de fon bonheur, fans qu'aucun foupcon vïnt le troubler. La ducheffe trouva qu'un homme d'un rang ordinaire, bien conftitué , & tout a elle, valoit mieux qu'un pair de France qui 1'abandonnoit. Cet homme étoit fous fa main : c'étoit le fervi-  Vu prive'e teur de fon mari & le fien; un figne Ie rapprochoit ou 1'éloignoit d'elle : rien de fi commode qu'une intrigue formée dans fa propre mail'on. Le duc de Richelieu étoit trop occupé pour prendre garde a. la liaifon que fa femme venoit de former; il la crut feulement guérie du defir de lui faire des avances infruöueufes; & il difoit même dans la fociété qu'il étoit étonnant que madame de Richelieu eut le courage de lui refter fidelle. II parloit de cette conftance en badinant, mais avec la bonne foi d'un homme qui y croit. II engagoit fes amis k venir confoler la délaiffée ; & dans le fond de fon ame, il n'étoit pas fiché qu'une femme qui portoit fon nom xi'eüt point d'intrigues: il ne fut pas long-tems k jouir de cette illufion, Un de fes gens, toujours bien recu quand il venoit lui faire quelque rapport, enhardi un foir par fon maitre qui lui difoit qu'il donneroit cent louis pour que fa femme le fit c..., lui répondit: Monfeigneur, vous ave[ ce plaifir-la gratis, vous riave^pas bejbin de le payer fi cher. Pour obéir aux ordres du duc qui le for^oit de s'expliquer, il entra dans les détails de Pintrigue de fa femme avec l'écuyer. II lui fit voir clairement que fon récit étoit très-exaft, & qu'il étoit inftruit des plus petites circonftances ; il ajouta qu'il n'étoit pas bien fur que MM. de Firma^on , Rohan, Biflï 1'euffent précédé, mais que pour l'écuyer , il expofoit fa tête, fi fon rapport n'étoit pas vrai. Le duc de Richelieu fe mit k rire, & convint que rien n'étoit fi naturel; il étoit feulement piqué du choix. II auroit voulu que fa femme eut  du Maréchal de Richelieu. 19 pris un amant de fa forte ? mais un écuyer, un homme k gages, qui ne devoit commander qu'a des palfreniers 6c k des chevaux , occuper la place d'un duc, cela lui parut humiliant. II auroit préféré que fa femme eut eu affaire a toute la cour plutöt qu'a eet homme-la. II mettoit peu d'importance k toutes ces chofes: mais il exigeoit qu'une femme titrée ne s'avilït pas avec un de fes ferviteurs. Cependant il prit le parti d'en plaifanter avec fes amis ; & il ne parloit jamais de eet écuyer, fans le nommer le mari de ma femme ; il dit même , en le remerciant quelque temps après la mort de madame de Richelieu : Je devrois le payer doublé , & lui faire une penfion, car il étoit mon repréfmtant. Un jour il rentre chez lui, contre fon ordinaire, a fix heures du foir; & plus extraordinairement encore, il defcend chez fa femme a. qui il vouloit parler relativement a un procés. C'étoit 1'été, il faifoit très-chaud; les gens de la ducheffe avoient quitté Panti-chambre pour aller prendre Paira laporte: netrouvant perfonnepour 1'annoncer, ayant traverfé la chambre k coucher, il ouvre la porte d'un cabinet, & il voit fa femme & l'écuyer qui caufoient très-particulièrement fur une chaife longue. Le bruit qu'il fit ne fut pas affez grand pour les déranger; il les confidère un inftant; puis il referme très-doucement la porte fur lui. II retourne dans Panti-chambre; les gens étoient toujours abfens : il y fit grand bruit, & rentra dans la chambre k coucher, toujours en criant : II ny a donc perfonne ici pour mannoncer? Enfin, il approcha de la porte du cabinet, pour  3 O Vie privêe fe faire mieux entendre de ceux qui étoient dedans ; & qtiand il imagina avoir donné afféz de tems aux afteurs pour tempérer 1'aöion qu'entrainoit une converfation auffi animée , il crut pouvoir paroitre fans danger. La ducheffe étoit fur cette même chaife longue, l'écuyer debout prés la fenêtre : » Mon Dieu, dit-il en entrant, » madame! je vous confeille de chaffer tous vos » gens; pas un de ces coquins n'eft dans votre » anti-chambre; on eft obligé d'entrer, fans être » annoncé; on peut vous gêner, prendre un mo» ment qui ne foit pas le votre ; madame, je n vous confeille en ami de punir une pareille » négligence ". L'écuyer voulut fortir : le duc 1'en empêcha, en Paffurant que comme ami de la maifon, il n'étoit jamais de trop. II paria a la ducheffe, qui n'étoit pas a fon aife, du procés qui 1'occupoit; & en fortant, engagea l'écuyer qui n'étoit pas très-raffuré, a prendre très-exaöement les ordres de madame.» Elle aime, ajouta-t-il, » la folitude, & vous me ferez plaifir, tant que » cela ne la genera pas, de venir la partager » avec elle ". Les amans virent bien qu'ils étoient découverts, & fe tinrent davantage fur leurs gardes : mais voyant le duc auffi diffipé, auffi honnête envers eux, ils continuèrent de s'aimer, de fe le dire, & de fe le prouver, comme ils avoient fait auparavant. La ducheffe mourut un an après , & ce fut pour l'écuyer feul que cette perte devint fenffble. C'étoit ce même homme qui, en 1732, lors du fecond mariage du duc de Richelieu avec mademoifelle de Guife, fe trouvant dans 1'CEil-de-  du Markhal de Richelieu. [ 3 1 boeuf k Verfailles, vit beaucoup de feigneurs complimenter fon ancien maïtre fur 1'alliance qu'il contraftoit. C'étoit le premier jour oii elle étoit publique; il crut devoir joindre fon compliment a ceux qu'il recevoit; mais le duc qui mettoit plus d'importance a ce mariage, paree qu'il étoit amoureux de mademoifelle de Guife , le recut fort mal : » Quoi, monfieur ! vous favez déja » que je me marie? vous êtes bien alerte; je » recois votre compliment, mais de loin , je » vous en prie , de loin ; » & il lui tourna le dos. La mort de madame de Richelieu ne mit aucun intervalle dans les aventures de fon mari; il n'avoit pas befoin d'être veuf, pour en trouver. La ducheffe de Bern, dont tout le monde connoit la vie déréglée, avoit augmenté le nombre de fes conquêtes : mais tous deux inconftans, tous deux ne refpirant que la diffipation , ils fe prenoient pendant quelques jours, & fe quittoient a 1'afpeft d'une nouvelle jouiffance. Cependant la ducheffe de Berri voyoit avec peine dans Richelieu les vices qu'elle poffédoit au fuprême degré; elle ne permettoit pas qu'un autre qu'elle put varier auffi fouvent fes amours : elle fut quelque tems fon ennemie, fur-tout quand elle le vit s'attacher k mademoifelle de Valois & a. mademoifelle de Charollois ; mais quand elle fut toute entière au comte de Rioms , elle oublia les reproches qu'elle avoit a faire a Richelieu, & 1'admit dans 1'intimité de fes plaifirs ou plutöt de fes débauches. Louis XIV venoit de payer le tribut k la nature ; & le peuple ayoit témoigné k fa mort la  3* Vit privét joie qu'il éprouvoit d'être délivré d'un roi qui , pendant un long règne, 1'avoit compté pour fi peu. La mifère publique étoit au comble; & 1'avenir, tel que fut le fucceffeur, ne pouvoit promettre un mal auffi affreux que le préfent. Le cercueil de ce fouverain qui avoit voulu donner des loix k 1'Europe , avoit été infulté ; on fe crut tout permis. Le duc de Richelieu ne put voir fans indignation cette joie groffière k laquelle le peuple fe livroit. II regardoit Louis XIV comme le plus grand roi qui eut encore régné fur la France. II ne voyoit que fes conquêtes, & un jeune guerrier avide de gloire devoit adorer un roi conquérant. Comme notre opinion diffère de la fiennne, nous nous fommes permis quelques réflexions fur ce monarque ft exalté par les uns, &c fi déprimé par les autres. Chapitre  du Maréchal de Richelieu. 33 CHAPITRE III. Mort de Louis XIV. Digrefjlon fur fon règne ; fur madame de Maintenon 7 & l'homme au majque de fer* O N ne peut nier que la trop grande prodigalité d'un roi ne faffe le mal général. Si elle lui mérite des louanges des courtifans qui en profitent, d'artiftes qui font employés, & d'écrivains qui font penfionnés, le peuple paie bien cher ces vains éloges démentis par la poftérité. Tandis que le luxe qui environne le fouverain éblouit les yeux de ceux qui 1'admirent oir qui peuvent y avoir part, il coüte des larmes a des millions de malheureux qui font furchargés d'impöts. Un roi qui compte trop fur les reffources de fon royautne, qui, loin de fixer fa dépenfe fur fes revenus, fait , qu'avec un édit, il va arbitrairement fubvenir a fes caprices, eft un mauvais dépofitaire ; c'eft le bien de fes fujets qu'il diftipe; c'eft le fruit de leurs travaux qu'il leur enlève: & il eft difficile de mettre au rang des bons fouverains celui qui a tout facrifié k fon ambition ; tel fut Louis XIV. On ne peut nier cependant que le commencement de fon règne, (je le fixe k 1'époque oü il a ceffé d'être fous la tutelle de Mazarin ) n'ait été très-glorieux. On lui a fait un crime de fes conquêtes: le fuccès fembloit pourtant juftifier fes premières guerres Les finances étoient en Tomé I. C  34 'Vï* privée bon état, bien adminiftrées par Colbert; le roi étoit adoré de fes fujets , craint de fes voifins ; 1'abondance régnoit dans le royaume, le peuple étoit heureux ; &c c'eft le plus grand éloge qu'on puiffe faire d'un roi. S'il n'eüt pas été baflement adulé, s'il n'eüt pas pris plaifir a 1'être, il fe feroit fans doute fait une idéé plus jufte de la véritable gloire. Peut-être eüt-il été plus heureux pour la France que le fort fecondat moins fes premières entreprifes. Quelques défaites 1'auroient fait réfléchir davantage fur le danger des guerres qu'il entreprenoit. Mais jufqu'alors ce n'étoit que conquêtes; le peuple étoit ivre de plaifir en voyant un Tc-Deum fuccéder a 1'autre : il croyoit que fon roi ne pouvoit voler qu'a de nouvelles victoires, 6c il voyoit les apprêts d'une campagne comme les avant-coureurs des plus brillans fuccès. Si Louis XIV, après la paix d'Aix-la-Chapelle, fe fut feulement adonné a faire fleurir le commerce & les arts, que des guerres continuelles lui ont fait enfuite trop négliger, il auroit perfectionné mille branches d'induftrie qui devoient rendre fon royaume le plus floriffant : il auroit encouragé davantage 1'agriculture; fa tête qui avoit befoin d'être occupée, fe feroit dirigée vers des objets plus utiles que la guerre, que les gens fages ne regarderont jamais que comme un fléau : mais fon caraöère impérieux qui vouloit que tout pïiat fous lui, en fit un roi bien funefte a la France. Louvois, ce miniftre aufïi dur que fon maïtre étoit vain, qui feul fe réjouit de la mort de Turenne, paree qu'il avoit fervi 1'état fans voti-  du Maréchal dt Richelieu. 3 j loir fervir le miniftre, jaloux des gfands capitaines qui n'avoient pas la baffefle de ramper fous lui; Louvois dont la mémoire ne fauroit être affez odieufe, malgré quelques grandes qualités, voulant occuper le roi, &c 1'empêcher d'entrer avec lui dans trop de détails, favorifa le penchant qui le portoit a faire des conquêtes. II facrifia des milliers d'hommes, pour devenir toujours plus néceffaire. Les grands qui ambitionnoient des grades, qui afpiroient a. commander, fervirent les intéréts particuliers du miniflre ; & le peuple toujours victime fut facrifié. II vit encore des victoires ; mais elles lui coütèrent davantage, fon fang coula plus abondamment: il s'appercjut enfin qu'il étoit chaque jour plus impofé pour fubvenir aux dépenfes qui s'accroiffoient d'année en année. A peine 1'état put-il jouir d'un moment de paix après celle de Nimègue. Bientöt Alger fut bombardé, Strasbourg pris ; la guerre, déja fi difpendieufe par elle-même, devint plus ruineufe encore fous un roi qui aimoit le fafte, par le nombre des troupes & tout 1'attirail militaire. Sous Louis XIII, les plus fortes armées étoient de 30 a 40 mille hommes; Louis XIV, toujours plein d'oftentation , voulut montrer k PEurope 1'appareil de fa puiffance. II mit en campagne des armées de cent mille hommes qu'il faifoit accompagner du doublé des provifions nécefTaires. II forga par ce moyen les nations belligérantes k 1'imiter, & Part de la guerre devint autant celui de fe ruiner que de fe détruire. Dans un moment oü fes états n'avoient befoin que de repos, il voulut avoir la gloire de G ij  3 6 Vie privée protéger un roi & de le rétabllr fur le tröne. Le roi Jacques refugié en France, banni de fon royaume par fon gendre , le prince d'Orange, qui s'en étoit emparé, fut le prétexte d'une guerre que la France ne devoit point entreprendre, & qui lui coüta une quantité prodigieufe d'hommes & d'argent. Les lauriers de Steinkerque & de Nerwinde furent flétris par les larmes des Francois; tant de victoires fi vantées ne fervirent qu'a augmenter les maux de 1'état, & ne rendirent point la couronne au malheureux Jacques , qui, après avoir été battu en Irlande, vint mourir k St. Germain. Que refla-t-il de cette guerre oii les Luxembourg, les Créqui, les Catinat, les Boufflers acquirent de la gloire. Rien qui put même fatiffaire Porgueil du vainqueur, li ce n'eft le fouvenir de quelques avantages cruellement payés par la vie d'un million d'hommes, & par la ruine des finances. On périfToit de mifère, & on faifoit des réjouifTances pour des victoires qui n'avoient aucun but d'utilité pour la nation. Après la paix de RifVik que Louis XIV vi£torieux fut obligé de faire, comme s'il eut été vaincu, le parti le plus fage qu'il eut a prendre, étoit de chercher k guérir les plaies fumantes encore qu'il venoit de faire k fon royaume. Une longue paix, de Péconomie dans les finances fuffifoient pour réparer tant de calamités. II ne falloit que vouloir fincérement être pacificateur, après avoir été conquérant; 1'effort n'eüt point été fublime : mais Louis XIV né avec le goüt de la domin; tion, que nourriffoit la baffefTe de fes flatteurs, fe crut toujours inyincible, & en état de donner des  du Maréchal de Richelieu, 37 loix a toute 1'Europe : manie dont il devoit cependant commencer k être un peu guéri. Au-lieu de laifler refpirer fon royaume, il y porte plus que jamais la difcorde & PefFroi; il fe croit fait pour maitrifer jufques aux confciences, & il fe couvre d'une tache ineffacable, en fignant la funefte révocation de 1'édit de Nantes. Pendant qu'il chafTe barbarement de fes états des fujets fidèles, ou qu'il fait couler le fang de ceux qui ne profefToient point la même religion que lui, la mort de Charles fecond, roi d'Efpagne, vint réveiller fes paflions favorites. Ce prince avoit nommé pour fon fucceffeur le duc d'Anjou; & 1'amour^propre de Louis eft flatté de difpofer de tant d'états en faveur de fon petit-fils. II n'envifagea point les malheurs qui devoient en réfulter : le duc d'Anjou fut roi, Mais peut'On fe rappeller fans frémir ce qu'il en a coüté a, la France pour le maintenir fur le tröne d'Efpagne ? Le prince d'Orange, roi d'Angleterre, fous le nom de Guillaume III, toujours ennemi de Louis XIV, ligue contre lui, en faveur de 1'empereur, la Hollande & 1'Angleterre. L'altier monarque parut les méprifer : quelques avantages commencerent d'abord a fatisfaire fon orgueil : mais gouverné par une femme timide, & par des miniftres qui fuivoient toutes les impulfions qu'elle leur donnoit, il crut faire plus par des traités que par fes armes* II fe piqua de la folie générolité de rendre les troupes hollandoifes qui avoient été défarmées par Puiiégur dans les places efpagnoles des Pays-bas, & par fes négociations, il donna le tems k fes ennemis de s'unir & de s'armer contre lui. Au-lieu d'éviter une guerre q«i C iij  Vit privet ne pouvoit pas être de longue durée, fa foibleffe en occafionna une qui mit la France a deux doigts de fa perte. Ou il devoit renoncer au tröne d'Efpagne pour fon petit-fils, ou il falloit mettre a profit 1'étonnement de fes ennemis qui ne croyoient pas k des fuccès auffi inattendus, & retenir prifonnières ces garnifons hollandoifes, pour forcer toutes les puiffances défarmées & non encore reünies k reconnoïtre, par des traités formels, le duc d'Anjou héritier légitime de tous les états que poffédoit le feu roi d'Efpagne. Mais il falloit de la fermeté, & Louis XIV qui vouloit accorder fa confeience avec fon ambition , mit le comble a tous les maux dont gémiifoit déja fon royaume. Les batailles ou pïutöt les déroutes de Hochftet, de Ramillies, de Turin, de Malplaquet mirent la France dans un état plus déplorable qu'elle ne Pavoit été depuis plufieurs fiècles; & fi Marlboroug eut continué de commander les Anglois, peutêtre Villars n'eüt point été vainqueur k Denain. On fait que fans le gain de cette bataille la France étoit perdue, & que le prince Eugène auroit pénétré jufqu'a Paris. Le duc de Vendöme, appellé en Efpagne par les grands, quand tout eft défefpéré, commande 1'armée de Philippe , que fon grand-pere ne pouvoit plus fecourir, &c en quatre mois affermit k jamais la couronne fur fa tête. Ce fut k des événemens inattendus que Louis XIV dut la confervation de fon empire , & le plaifir 1 de voir régner fon petit-fils. II foutint pour ce fantöme de gloire, une guerre qui dura onze ans, & qui épuifa entiérement fes états. Quel avantage pouvoit-il réfulter de tant de fang répandu  du Maréchal de Richelieu. 39 & d'argent dépenfé ? Une alliance plus intime avec 1'Efpagne: mais qui ne fait pas que 1'intérêt détruit ces paftes de familie fi vantés? Le régent, conduit par ce malheureux abbé Dubois, n'a-t-il pas , peu d'années après , fait prendre les armes a la France contre ce même Philippe V. dont 1'élévation lui avoit tant coüté ? On a peine a concevoir comment 1'état qui avoit déja efTuyé des coups terribles , put fupporter ce dernier choc. II eft vrai qu'il s'en eft reffenti long-tems , 8c que fes dettes accumulées encore par Louis XV ont caufé ce déficit énorme qui a néceflité une régénération nouvelle. Ceux qui n'ont vu que les heureux événemens du fiècle de Louis XIV, écrivirent en 1'honneur de ce roi ; rien n'étoit fi jufte alors. Ces éloges font reftés : mais les cris plaintifs des malheureux témoins des défaftres de la fin de fon règne, ne doivent-ils pas être écoutés? Ce font eux qui doivent faire juger Louis XIV. On ne le verra plus que comme un ambitieux qui a tout facrifié pour acquérir de la célébrité. S'il a fait de grandes chofes , elles ont été cruellement achetées par la ruine univerfelle. II ne manquoit plus a un roi defpote que d'être dévot; il le devint , 8c tout fut perdu. Madame de Maintenon dont on a fait tant d'éloges, qui a été regardée comme la femme la plus refpeftable , que Rome a prefque canonifée , fut le malheureux inftrument dont le ciel fe fervit pour livrer Louis XIV entre les mains des prêtres. Cette femme ü célèbre a plus fait de mal a la France que toutes les autres maitreffes de ce roi, & que celles de fon fuccefTeur. C iv  4 O Vie privée II eft tems d'arracher le bandeau que le cagotifme & les intrigues d'une familie puiffante ont jetté fur cette femme dont on a continuellement vanté la piété 8c les vertus. Auffi ambitieufe que fon amant, elle fut avec adreffe s'approcher du tröne; 6c après 1'avoir long - tems rnefuré des yeux , s'y affeoir enfin en affiijettifTant le monarque. Tout le monde fait que mademoifelle d'Aubigné, fille d'un très-bon gentilhomme, fe trouva trop heureufe d'époufer Scarron, poëte burlefque, malgré fes incurables infirmités. Elle avoit, avant ce mariage , abjuré le calvinifme qui étoit la religion de fes ancêtres. Après la mort de fon mari, elle follkita la penfion dont il jouiflbit; fon efprit lui procura des protecleurs : après bien des rebuts , elle obtint enfin une penfion modique; & quelques années après, elle fut choifie pour veiller fur la fanté du duc du Maine , dont la naiffance étoit encore un myftère. Dès-lors elle eut occafion de voir fouvent le roi qui aimoit beaucoup ce fils , 6c on la vit mettre en oeuvre toutes les reffources d'un efprit cultivé. Louis XIV d'abord la trouva peu de fon goüt; il voyoit en elle de la pruderie : mais par degré il prit plaifir a Pentendre. Fatigué des caprices 6c du caractère altier de madame de Montefpan, il trouvoit dans la veuve Scarron , de la complaifance , de la douceur, 6c fur-tout de Ia piété, Ses fcrupulcs en avoient befoin. II voulut récompenfer tant de yertu, & les foins qu'elle prenoit de fon fils : il la fit, en 1680 , dame d'atours de madame la Dauphine. II lui avoit acheté la terre de Maintenon. Elle eut alors affez de crédit pour fe mettre  du Maréchal de Richelieu. 41 fur un pied d'égalité avec madame de Montefpan qui avoit été fa prote&rice; 8c elle fe conduifit fi adroitement qu'elle s'empara entiérement de 1'efprit du roi. La reine même , irritée de Parrogance de madame de Montefpan, trouvant dans madame de Maintenon un caraftère plus doux , préféra d'avoir pour rivale une femme tranquille , Sc la fervit auprès de fon époux. Cette favorite d'un nouveau genre , épiant toutes les occafions de s'avancer , obferva que le roi éprouvoit. avec fes maitrefTes des alternatives de tendrefTe 8c de repentir. Quand le prince venoit chez elle, elle fembloit ne chercher que les moyens d'augmenter fes remords; elle compatifToit a fes foibleffes fans les approuver; Sc lui parloit avec tout 1'intérêt de 1'amour 8c 1'auftérité de la vertu. Elle 1'accoutuma ainfi. a. s'entendre dire des vérités févères , qui s'accordoient avec la difpofition d'efprit oü fe trouvoit ce foible monarque. Quand elle vit qu'il prenoit de 1'attachement pour elle, elle entreprit de le fubjuguer ; 8c fe perfuada que c'étoit le moyen de tourner fes pafïlons au profit du ciel. Agée de trois ans de plus que le monarque, elle avoit trop d'efprit pour ne pas fentir que des charmes furrannés étoient infuffifans pour le fixer; elle avoit fous les yeux fa rivale, qui fans être au printems de fon age, brilloit encore de tout 1'éclat de la beauté. Tout concourut a lui faire prendre une route oppofée a celle qui avoit été prife par les femmes qui 1'avoient prccédée. Elle conferva dans fon maintien une extréme réferve. Sa taille étoit avantageufe; 8c elle s'étudia k lui donner un air impofant. Elle s'habilloit fimple-  4* Vu privéc ment : mais cette fimplicité même étoit élégante; fa converfation étoit variée, légère , ou folide, felon les circonftances. Elle avoit profondément gravé dans fon cceur qu'il ne fuffifoit pas de plaire au roi, qu'il falloit le captiver. Ennemie de madame de Montefpan , a qui elle devoit beaucoup , cette confidération ne 1'empêcha pas de travailler pieufement k fupplanter celle qui étoit le plus grand obftacle k fes vues, & elle ne balanca pas a fe fervir de la dévotion comme de ï'arme la plus füre pour la terraffer. Eloignée un inftant par la duchefTe de Fontange, elle fut fervie a fouhait par les événemens, &c délivrée de cette nouvelle rivale qui mourut k vingt ans. Le roi, qui avoit été témoin de fes derniers momens, déchiré par le fpeftacle de fa maitrefTe, défigurée par les paleurs de la mort, ne put foutenir la joie indécente de madame de Montefpan , qui en avoit été jaloufe : elle lui devint odieufe. Madame de Maintenon, au contraire , toujours adroite, pleura avec le monarque, le confola, & acquit de plus en plus des droits fur fon coeur. Elle fut mettre k profit la plus petite circonftance pour 1'enchaïner. Elle avoit entendu les murmures du peuple contre le luxe de madame de Montefpan ; elle oppofa la décence a 1'inconlidération de fa rivale. Dans le tems de fon mariage avec Scarron, & avant d'être chargée de 1'éducation du duc du Maine , il avoit couru des bruits défavantageux fur fa réputation ; elle voulut qu'une modeftie foutenue en atteftat Ia fauffeté. Dévorée d'ambition , mais remplie ^'adreffe, elle gouverna fans paroitre diriger au-  du Maréchal de Richelieu. 43 cune opération. Enfin elle réuffit tellement a s'emparer de 1'efprit de Louis XIV, qu'elle le détermina k 1'époufer ïecrètement en 1685; année défaftreufe, par la révocation de 1'édit de Nantes. Ce fut alors que tous les dévots ou ceux quï avoient 1'apparence de 1'être, furent préférés pour les charges & les places les plus importantes. Les amis de la favorite obtinrent des graces de préférence a ceux qui le méritoient le mieux; mais toutes ces aftions furent couvertes du voile de la religion. Madame de Maintenon entoura peu k peu le roi de gens qui lui étoient dévoués, jufqu'a Fagon qu'elle fit premier médecin , afin d'être plus füre d'avoir un homme a elle qui put tous les jours parler de fon mérite au fouverain. Elle fe fit donner 1'appartement de la reine; n'ayant pu faire avouer fon mariage, elle voulut que eet exces de faveur put le manifefter. Elle profita encore de 1'opération de la fiftule que le roi fut obligé de fubir, pour augmenter les fcrupules de ce prince , dont la confeience étoit devenue timorée. Son éducation, fuivant l'odieufe coutume des cours, avoit été négligée; il avoit de plus fucé le lait de la fuperftition ; fon ambition, fes defirs toujours renaiflans avoient éloigné de lui pendant long-tems 1'idée de 1'enfer & de fes gouffres : mais ce tableau revint a fon efprit k mefure que fes paflïons diminuèrent. Madame de Maintenon, pour affermir fon autorité , entretint foigneufement ces impreffions, en lui montrant le maitre des rois irrité par fes défordres, & la nécefiité de défarmer fa juftice. Les jéfuites, les prêtres , toujours avides de gouverner , la fecondèrent, On fit emrevoir au trop  44 Vie privce foible monarque qu'il gagneroit le ciel en chaffant de fon royaume des fujets féparés de la communion des fidèles, Sc qu'un roi très-chrétien ne devoit pas fouffrir de proteftans dans fes états. Madame de Maintenon feconda également dans eet affreux projet Louvois , qui y accoutumé a tout rapporter a lui, avide de guerre, altéré fous le poids d'une trève de vingt ans qui ne faifoit que d'être fignée, crut que le roi feroit forcé de fe fervir de fes troupes pour 1'expulfion de ces hérétiques , Sc qu'étant le principal exécuteur de fes ordres, il feroit de plus en plus en crédit. En vain madame de Maintenon dit-eïïe dans une de fes lettres que Louvois Sc le père de la Chaife proteftèrent au roi qu'il n'en coüteroit pas une goutte de fang, & le déterminèrent ainfi a figner eet ordre. Elle avoit trop d'efprit pour ne pas favoir que la révocation d'un édit qui détruifoit 1'état de plus de foixante mille families de proteftans , ne pouvoit être exécutée fans exciter la rage Sc le défefpoir. Elle ne pouvoit ignorer qu'elle alloit donner le fpedtacle efFrayant de tout un peuple errant Sc fugitif; que ricb.es , pauvres, vieillards, tous innocens confondus fans diftinction, tendant les bras vers une patrie qui les chafToit de fon fein , les uns jettés. dans des cachots, d'autres enchainés è la rame, ou trainés fur des échafauds pour unique caufe de religion, alloient bientöt 1'accufer de leur défaftre ? Pouvoit-elle fe diflimuler qu'elle alloit faire paffer une partie de nos manufadtures dans le pays étranger, Sc le gratifier de tous les arts Sc de  du Markhal de Richelieu. 45 toutes les manufactures qu'elle arrachoit au nótre ? Les guerres précédentes, fatales a la France, malgré de grandes victoires, 1'avoient appauvrie ; madame de Maintenon avoit-elle affez peu de difcernement pour ne pas fentir qu'elle perdoit le royaume, en chaffant des citoyens , la plupart riches, qui contribuoient aux charges de 1'état, & qui foulageoient les catholiques, en diminuant la portion qu'ils avoient k payer ? Nous voulons cependant croire, pour 1'honneur de madame de Maintenon, qu'elle n'appercut pas toute la fuite des maux qu'elle préparoit a la France; mais le mal en a-t-il moins été fait ? Doit-on la mettre au-deffus des autres favorites, quand on ne peut fe diffimuler qu'elle a fait plus qu'elles le malheur général ? Madame de la Vallière ne fut jamais qu'aimer le roi; honteufe d'être maitreffe, honteufe d'être mère & duchefle, elle n'eut point 1'ambition de gouverner; fon ame tendre dirigeoit feulement toutes fes penfées vers 1'amour , & n'étant plus aimée d'un grand roi , elle crut ne devoir donner qu'a Dieu feul un cceur qu'il avoit poffédé. Les autres liaifons du roi ceffèrent a-peu-près quand fes defirs furent fatisfaits. Madame de Montefpan feule avoit eu 1'art de le fixer plus longtems par fa beauté, & plus encore par le nombre d'enfans provenus de ce doublé adultère. Fiére de donner le jour k des princes, & d'obtenir les hommages d'un fouverain qui paroiffoit alors donner la loi k toute 1'Europe, elle témoigna une hauteur infultante k tout ce qui 1'apprcchoit; die étaloit un luxe bien fupérieur a celui de la  4Ó Vu privée reine; & cependant fous le règne de cette femme impérieufe, Louis XIV, qui n'étoit enchainé que par les plaifirs, & dont 1'ame n'étoit point encore rétrécie par la fuperftition, fit de très-grandes chofes. C'eft que la maïtrefïe n'avoit aucun pouvoir dans le conlèil ; elle dominoit fon amant tête a tête, ou dans des momens de repréfentation oü fa vanité étoit fatisfaite; mais elle n'influoit pas dans les affaires eflentielles. Madame de Montefpan vouloit afficher au-dehors un plus grand pouvoir qu'elle n'avoit ; madame de Maintenon au contraire commandoit dans Pintérieur, fans vouloir paroitre jouir d'aucune autorité. On a reproché aux maitrefïes de Louis XV de s'être initiées dans le gouvernement, d'avoir fait exiler des miniftres pour en créer d'autres a leur gré, de nommer les généraux, de favorifer leurs créatures Sc leurs parens : qu'ont-elles fait de plus que madame de Maintenon? La forme changea, voila tout. Ces^ maitreffes parurent ce qu'elles étoient; madame de Maintenon jouit d'un plus grand pouvoir qu'elles, mais d'une manière plus adroite Sc plus déguifée. Elle accoutuma le roi k préférer la piété aux talens, ce qui lui fit faire fouvent de très-mauvais choix. Chamillard, homme honnête, mais abiblument incapable, fut nommé par elle. Tout en convenant que Catinat favoit fon métier, elle contribua k fa retraite, paree que, difoit-elle, il ne connoiffoit pas Dieu. Elle convient elle-même dans fes lettres que le roi n'aimoit pas confier fes affaires a. des gens fans dévotion: mais qui Pavoit rendu dévot ? Elle difpofa fi bien les chofes qu'elle Phabitua  du Maréchal de Richelieu. a travailler chez elle avec fes miniflres. Elle lifoit ou travailloit dans un coin du fallon; mais elle étoit inftruite dès la veille de la matière qu'on devoit traiter. Elle avoit foin de faire préfenter 1'afFaire d'une manière obfcure, afin que le roi, qui avoit coutume de demander fon avis, n'oubliat pas de la confulter ; & voila comme elle devint 1'ame de fes confeils, fans paroïtre avoir la prétention d'y influer. On fait qu'en confervant Papparence de 1'humilité , elle exigeoit qu'on lui rendit tous les honneurs. Elle forca M. le Dauphin k la traiter refpecfueufement; tout fléchiflbit devant elle ; il falloit lui plaire fi on vouloit approcher du fouverain. Madame la duchefTe de Bourgogne ellemême fut obligée defe foumettre k fes volontés, & de Paccabler d'amitié pour obtenir des graces de fon grand-papa. Enfin Louis XIV, qui jufqu'alors avoit montré tant d'énergie, qui avoit fouventdifcerné le mérite, devint pufillanime & foible, du moment qu'il fut aflervi par madame de Maintenon qui Pentoura de prêtres; il perdit une partie de fa renommée. Dévot, il ne parut plus rien. 11 n'aimoit pas le frère de fa favorite, d'Aubigné, qui étoit connu pour un homme très-médiocre, fans difcrétion, fans retenue, content pourvu qu'il fit rire , foit de lui , foit de fa foeur, dont il racontoit des aventures qui ne devoient pas lui plaire. Cependant madame de Maintenon eut aflez de crédit pour lui faire donner un grand gouvernement & le cordon bleu. II eft vrai qu'elle ne voulut point fe prêter a le faire maréchal de France; mais pour 1'en confoler, elle lui faifoit obtenir continuellement des  4* Vie prlvée graces pécunialres; ce qui faifoit dire afTez plailamment a d'Aubigné qu'il avoit eu fon baton de maréchal en argent comptant. Elle maria fa nièce en 1698, au comte d'Ayen, fils du duc de Noailles. Cette familie, toujours a 1'afFut de ce qui pouvoit la fervir «auprès du maitre , & augmenter fon crédit, s'emprefTa de s'allier a la femme qui régnoit ; &c le roi, dont les finances étoient très-dérangées , donna huit cents mille livres a la jeune comtelfe d'Ayen, en faveur de ce mariage. Ce fut aufli madame de Maintenon, qui, fort attachée k fon élève, le duc du Maine, & voulant humilier le grand dauphin qui ne Paimoit pas, détermina le roi k donner un rang aux onfans de fes fils légitimés, & par conféquent, k perpétuer dans leurs families les apanages & les diftincf ions, qui étoient une charge de plus' pour 1'état. II eft donc bien prouvé que madame de Maintenon fut une des principales caufes de tous les malheurs qui ont afHigé la France k cette époque. Nous fommes perfuadés qu'elle ne vouloit pas faire le mal; mais le mal n'en eft pas moins réfulté de fes confeils. On eft faché de la voir encore donner lieu au reproche d'ingratitude envers fon bienfaiteur. Qu'on la fuive au lit de mort de Louis XIV, on la verra fe retirer a SaintGyr, quand il fut dans un état défefpéré. Elle groffit la foule de ces courtifans qui abandonnoient leur maitre ; elle imita le duc du Maine, ce fils légitimé, pour qui fon père avoit tout fait; le Tellier, ce confeffeur ambitieux, qui avoit gouverné le Roi avec elle, Au-lieu d'aller a Saint- Cyr,  du Maréchal de Richelieu. 49 Cyr, dans ia nouvelle cour, prier Dieu pour ce trop foible monarque, d'aller lever les bras au ciel pour fon falut , elle devoit fans doute les employer k lui donner elle-même tous les foins dont elle étoit capable. Elle manquoit a fon devoir comme époufe , comme amie, comme obligée. La religion même lui prefcrivoit de lui donner toutes les confolations fpirituelles , & de foutenir fon courage. Quand les forces de ce prince fe ranimoient, il auroit reconnu fon amie, dont le regard attendri lui eut fait voir qu'il tenoit encore a quelque chofe ; il n'auroit pas frémi de 1'abandon général oü il étoit; les horreurs de la mort feroient devenues moins cruelles ; & la main d'une époufe, d'une compagne qui ne devoit jamais s'attendre a 1'être, auroit fermé fes yeux. Caix qlii ont écrit qu'elle n'avoit pu foutenir ce fpe&acle déchirant, n'ont pas voulu dévoiler le motif de fa retraite. II falloit cabakr, pour öter les droits de la régence au duc d'Orléans; elle avoit fait faire au roi un teflament en faveur du duc du Maine ; & ce prince, conjointement avec le Tellier , avoit abandonné le lit de fon père mourant, pour aller a Paris tacher d'en afiürer 1'exécution. Madame de Maintenon plus libre a St. Cyr , appuyoit leur démarche; elle favoit bien qu'elle n'auroit plus d'autorité, fi le duc d'Orléans recouvroit la fienne. Voila qu'elle fut cette femme a qui les prêtres qu'elle a fi bien fervis, ont fait une grande réputation : ils la dépeignirent comme une fainte qui avoit opéré la converfion du roi; fes lettres & fon établifTement de St. Cyr , concoururent a Tornt I. D  50 Fit pnvit faire parler d'elle; les poëtes, les panégyriftes, tout a publié fes vertus, bonnes pour un cloitre, mais qui, mal dirigées, devinrent funeftes a la France. II faut donc brifer 1'autel que des adulaieurs & des cagots lui ont dreffé , & ne plus voir en elle qu'une devote faite pour gouverner un couvent , fi 1'on a afTez d'indulgence pour faire grace aux manéges de fon ambition. La mort de Louis XIV caufoit Pallégreffe publique. Si Richelieu fut révolté de voir le peuple fe réjouir de n'être plus gouverné par un defpote fuperftitieux, c'eft qu'il n'a pas voulu confidérer fa profonde mifère; & il étoit difficile qu'il fut plus malheureux. Richelieu, tout partifan qu'il a été de ce roi, n'a pu le juftifier de s'être laiffé conduire par un confeffeur & une dévote. Qu'auloit-il pu dire, fi on 1'eüt interrogé fur la fin de ce règne; fur les malheurs dont il avoit été le iémoin, & qui ont mis le royaume a deux doigts de fa perte ? Sur ce myftère d'iniquité, fur 1'hiftoire de cette malheureufe viétime du pouvoir arbitraire, de 1'homme au mafque de fer, dont il a été le dernier confident? Auroit-il pu nier que c'étoit un frère de Louis XIV ? Et comment auroit-il fait pour excufer ce fouverain de 1'avoir fait languir jufqu'a fa mort dans une prifon } Ce feul trait flétrit, felon nous, la mémoire de ce roi fi vanté. On fait que mademoifelle de Valois, tourmentée par le duc de Richelieu qui étoit fon amant, pour favoir quel étoit 1'homme au mafque de fer, apprit de fon père, en cédant a. fes inftances, ce fecret defiré. Elle n'eut rien de plus emprefie que de le communiquer k fon ami, avec promefie  du Markhal de Richelieu. 5 1 de n'en pas parler. Ce ne fut que plus de cinquante ans après que le maréchal de Richelieu écrivit fur eet homme fi malheureufement célcbre, & fur lequel on n'avoit point encore porté un jugement certain. On a trouvé dans fes papiers une hiftoire commencée, écrite par lui, oü il dit que ce prince étoit un frère de Louis XIV i mais il n'entre dans aucuns détails; Sc foit ctairifc' d'être compromis, foit fouvenir de la parole qu'il avoit donnée d'être difcret, Phiftoire n'a point été continuée : de facon qu'on ignore fi c'eft le frère jumeau de Louis XIV, ou fon frère adultérin. II eft difücile de croire que , s'il fut né du même lit que Louis XIV, quelques heures feulement plus tard, comme 1'affure 1'auteur des mémoires de Richelieu , fa mère ait pu avoir un intérêt plus preffant de Péloigner que le premier né; elle n'avoit pas eu le tems d'aimer 1'un plutöt que 1'autre, & les difFérends qui pouvoient naïtre entre les deux frères au fujet de la couronne, ne devoient guère 1'occiiper dans ce moment. II paroïtroit plus naturel de penfer que la femme de Louis XIII, qui étoit galante, quoique dévote, fe trouvant groffe dans un moment oii fon mari n'habitoit point avec elle , prit grand foin de cacher ce fruit de fes amours; qu'une maladie feinte déroba 1'inftant de la couche; que quelques confidens bien payés entourèrent la princeffe; & que 1'enfant fut remis entre les mains d'un homme qui en prit foin. Le hafard voulut que eet enfant reffemblat parfaitement a fon frère. Quand il devient plus grand, une indifcrétion de D ij  52 Vu privée fon gouverneur lui apprend fa naiflance : fa tête s'échauffe, il veut fe faire reconnoitre, on craint les fuites de cette découverte , & on le fait enfermer. Mais que cette verfion foit la vraie ou la précédente, il n'en eft pas moins certain que eet införtuné eft un frère de Louis XIV; 1'aflertion du maréchal de Richelieu le certifie, & les égards, les refpefts qu'on eut pour lui, en font une nouvelle preuve. Que peut-on maintenant penfer de ce roi, qui a laifTé languir fi long-tems ce malheureux frère ? Conduit par fa mère &c par Mazarin , il eft excufable de 1'avoir éloigné dans les commencemens d'un règne orageux : mais quand il eut établi fon autorité fur des fondemens inébranlables; quand fes fujets enivrés de fes victoires croyoient qu'il n'étoit pas poflible de trouver un auffi grand roi, qu'avoit-il a craindre? Ne devoit-il pas entrer dans fon cceur, d'aflurer a fon frère un état? S'il fut retenu par refpect pour la mémoire de fa mère, ne pouvoit-il pas trouver d'autres moyens d'obliger ce prince , qui n'étoit coupable que d'être né, a taire fa naiflance, & a vivre en province fous un nom étranger? D'ailleurs, rien n'atteftoit de qui il tenoit le jour, 1'indifcrétion d'un gouverneur n'étoit point une preuve; & quand même il auroit pu en trouver, Louis XIV étoit trop bien affermi fur le tröne pour craindre d'en defcendre. Rien ne peut donc le juftifier d'avoir fait enfermer fi inhumainement fon frère. Le priver du bien le plus précieux a 1'homme, de fa liberté , le trainer des ifles d'Hières a la Baftille, le faire gémir plus de quarante ans dans  du Maréchal de Richelieu, 53 des prifons, le fbrcer de por ter habituellement 1111 mafque pour cacher fes traits, ordonner de le tuer s'il fe découvroit, c'eft un acte de tyrannie afTez femblable a celui que fe permettent les defpotes de 1'Afie. CHAPITRE IV. JLe duc d'Orléans eji dêclaré régent du royaume. Amours de Richelieu avec mefdames Daverne , de Guesbriant , de Mouchi. , dt Sabran, de NeJIe , &c,.. « Ij e duc de Richelieu, bientöt rendu k fes plaii-ïrs, fe mit peu en peine des troubles qui pouvoient réfulter des dernières volontés du roi. On fait que le monarque, tout vieilli qu'il étoit dans le defpotifme,.ne fe flatta pas en expirant que fes ordres feroient refpeftés : il n'avoit pas oublié qu'on avoit caffé lg teftament de fon père; dl prévit que le fien ne feroit pas a 1'abri du même fort, & en fit 1'obfervation k ceux qui le lui avoient arraché. En efFet le duc d'Orléans , dont on avoit pris plaifir a reftreindre les droits, fut les recouvrer tous par fa fermeté 6c fa vigiIance. II gagna les uns, intimida les autres, & fut proclamé régent du royaume malgré fes difpofitions de fon oncle. Richelieu fuivit auPalaisroyal la foule des courtifans- qui s'emprelToient de groflir la nouvelle cour. Les mceurs, qui fuivent toujours 1'impulfion que leur donne le four verain, changèrent hientót fous. un prince qui D iij  54 Vu privic affichoit la conduite la plus dépravée. Sous le feu roi, on couvroit fes intrigues d'un voile myftérieux; les mceurs n'étoient pas plus pures, mais on cachoit avec foin les liaifons que 1'on formoit. L'apparence de 1'honnêteté funifoit a un fouverain qui connoiflbit plus que tout autre les foiblefTes humaines; mais il falloit 1'avoir : finon il voyoit de mauvais ceil le fujet, tel grand qu'il fut, qui ne prenoit pas ces ménagemens. Le régent au contraire déchira le voile que fon oncle avoit fait prendre; il fe crut tout permis, & fon exemple fut bientöt généralement firivi. On pariera peu de fes débauches, elles font trop connues. Le Luxembourg, habité par fa fille, la ducheffe de Berry, étoit un des temples oü il facrifioit a fa lubricité. Elle avoit été, ainfi que lés fceurs, 1'objet des defirs du régent; mais leur goüt multiplié les portoit toujours vers de nouveaux objets. Ils fe retrouvoient cependant avec plaifir, & étoient très-indulgens pour leurs infidélités mutuelles. Depuis fon mariage, la ducheffe de Berry avoit été peu circonfpeéte; dans fon veuvage , elle ne connut plus de frein. C'étoit un compofé de tous les vices. Dangereufe , paree qu'on ne pouvoit avoir plus d'art ni plus d'efprit, elle favoit merveilleufement tromper. Dans fes amours, elle fuppléa a Padreffe par 1'effronterie. Dans le nombre de fes amans, elle aima, du vivant de ion mari, uh/nommé la Haïe, homme de cheval, qu'elle fit écuyer du duc de Berry. Elle voulut fe faire enlever par lui, & lui propofa de fuir en Hollande. Celui-ci effrayé & défefpéré de cette propofition, s'en ouvrit a M. le  du Maréchal de Richelieu, tu le fois ici". Le duc de Richelieu voulut s'excufer.» En tout cas, reprit le maréchal, fi tu nai» mes pas ma femme , c'ejl donc elle qui t'aime ; » car elle me parle continuellement de toi ; mais n de la modération, s'il vous plait, monfieur " ! La ducheffe *** étoit 1'amie bien fincère du duc de Richelieu; elle étoit bonne. Dépofitaire des pro jets & des nouvelles intrigues de fon ami, elle avoit foin de ne pas le contrarier dans le premier moment. Si elle trouvoit lieu k quelques repréfentations , elles étoient faites avec un ménagement 6c une douceur qui ne pouvoient bief-  du Maréchal de Richelieu. 75 fer 1'amant qu'elle adoroit toujours. Son amour fe déguifoit fous le nom de 1'amitié; Ion cceur étoit déchiré par les confidences qu'il lui faifoit: mais elle exigeoit qu'il les lui fit; elle aimoit encore mieux fe condamner a fouffrir fans fe plaindre, le tourment de la jaloufie , que de fe priver du bonheur de voir Richelieu. Quelquefois 1'amour le ramenoit vers elle, & ces inflans , quoique très-rapides , la dédommageoient des facrifices qu'elle faifoit. Ils devoient être récompenfés; auffi Richelieu , foit en qualité d'amant, foit comme ami, paffoit peu de jours fans venir goüter auprès d'elle les douceurs de 1'amitié. Tantöt elle fe livroit fans réferve au fentiment qu'elle éprouvoit, tantöt elle devenoit confolatrice, &c elle goütoit encore le plaifir d'être utile a fon amant. La princeffe de Soubife eut moins d'indulgencé pour lui : ayant cédé aux pourfuites du duc de Richelieu , elle exigea le facrifice entier de fes maitreffes; entrainé par fa paffion , & le defir de la fubjuguer, il promit tout, multiplia les fermens, les proteftations, & brüla en fa préfence les lettres des femmes qu'il juroit d'abandonner. Dans de telles circonftances il étoit éloquent, plein de feu, & avoit le talent de la perfuafion: elle entra dans un cceur qui y étoit difpofé. La princeffe crut que fa jeuneffe & fa beauté pourroient enfin le captiver. D'abord, 1'apparence répondit a fes defirs, enfuite le foupcon vint troubler fa tranquillité ; & bientöt la certitude du malheur qu'elle redoutoit, ne lui permit plus aucun doute. II s'étoit contraint dans les premiers momens  76 Vie privéi de cette nouvelle conquête. Le naturel fe réforme difficilement : Richelieu préféroit le plaifir de céder a fes penchans au tourment de les combattre, & la princeffe de Soubife fit des efforts inutiles pour le retenir dans fes chaines. Ses reproches, fes pleurs arrêtèrent un inftant la fuite de 1'infidèle , mais ne purent 1'empêcher. II lui falloit de 1'indulgence jufqu'a 1'excès : un amour qui exigeoit Pexclufion n'étoit pas ce qui pouvoit lui convenir. Madame de Soubife eut beau paroïtre défolée; toutes les reffources qu'elle employa furent fans effet. Le duc, habitué a les braver, lui donna le regret d'avoir tenté ce qui n'avoit réufïi k perfonne, & ne lui réuffit pas plus qu'aux autres. II fe crut autorifé k fuivre avec elle la marche ordinaire que la facilité des femmes lui tracoit, & a revenir , au gré de fon caprice , lui préfenter de nouveaux hommages; mais cette fois il fut trompé dans fon efpoir. Madame de Soubife avoit autant de fïerté que d'amour ; & celle-ci lui fournit a la fin des armes pour furmonter un penchant qui la contrarioit. Alors le duc redoubla d'efforts pour en triompher: un refus lui paroiffoit une offenfe; il trouvoit une ennemie digne de lui; toutes les rufes furent employées pour la réduire; il tira tout le parti imaginable de fes graces , de fon efprit; il emprunta le langage de la paflion, eut recours même au défefpöir : mais la princeffe, forte par le fouvenir de fa première foibleffe, trouva dans fa faute un plus grand moyen de réfiftance. Sa défaite 1'avoit aguerrie au danger, & elle rendit infructueufes les nouvelles attaques du féducteur. Son cosur, qui n'étoit pas toujours d'accord  du Markhal de Richelieu'. 77 avec fa raifon , 1'entraïnoit quelquefois vers lui ; mais le dépit d'avoir été délaiffée, ranimoit fon courage. Cette dame eut la gloire d'être, a cette époque-la , la feule femme qui n'eüt point a fe reprocher une feconde foiblelfe. On concoit a peine comment le düc de Richelieu put réfifter a la vie qu'il menoit. Le nombre des maitreffes qu'il eut depuis 1715 jufqu'en 1725 qu'il fut nommé ambaffadeur extraordinaire k Vienne, eft prodigieux. Les princeffes, les femmes les plus qualifiées de la cour ie fuccédoient les unes aux autres : les bourgeoifes, les filles même entroient fouvent en concurrence; & on eft étonné continuellement de le voir furvivre k tant d'occupations. On a déja dit qu'il avoit 1'art de ménager fa fanté, en même-tems qu'il fembloit s'étudier k féduire quelques nouvelles beautés : mais, malgré le repos qu'il prenoit, il n'en eft pas moins vrai qu'il en faifoit encore affez pour iuccomber, ii la nature 1'eüt moins bien fervi. Le goüt des femmes n'excluoit point en lui celui que le fexe a tant de droits de blamer; & mademoifelle de Charolois, qui avoit un fuiffe jeune & très-beau, lui reprocha plus d'une fois d'y avoir fait un peu trop d'attention. Né fous un règne oü 1'on croyoit encore k 1'aftrologie, il eut la foibleffe d'ajouter foi aux prédiótions faites d'après 1'influence des aftres. On lui avoit prédit qu'il mourroit au mois de mars. Si dans la jeuneffe , ou 1'on croit voir de fi loin le terme de fa deftrucfion, il fit peu d'attention a eet oracle prétendu , il s'en reffouvint affez dans Page mür & dans fa vieilleffe , pour redou-  7 8 Vie privét ter ce mois oii fa fin lui étoit annoncée. Quand il étoit écoulé, il comptoit être certain de parler 1'année entière ; & fi en 1788 il avoit eu affez de tête pour faire le même calcul , il auroit vu fans crainte le mois d'aoüt, qui fut celui de fa mort. Tous les charlatans qui fe vantoient de prédire, étoient confultés par lui & fes compagnons. II n'en fallut pas davantage pour que le peuple les accufat de forcellerie. Ses ennemis firent même courir a Paris , pendant qu'il étoit a Vienne , le bruit qu'il avoit renouvellé les anciens myftères d'Hécate, & qu'avec d'autres feigneurs allemands il avoit facrifié un homme a. la Lune. Cette atroce calomnie fe répandit ; on la trouve conlïgnée dans des manufcrits du tems , quoique dépourvue de fondement. Cela prouve feulement combien il eft facile de, faire croire le mal , ou quelle foi on doit ajouter k certaines chroniques. Le duc de Richelieu étoit lié fur-tout avec un certain Damis, qui fe difoit 1'homme univerfel, & qui allioit Paftrologie k la médecine. Le duc , qui avoit déja craché le fang, & qui paroiffoit ne pouvoir pas vivre long-tems, le confulta fur fa fanté. Mais ce qui lui rendit encore cét homme plus précieux, ce fut la découverte qu'il prétendit avoir faite de la pierre philofophale. Le jeune duc fe donna tout k lui; il aimoit 1'argent; ce goüt ne s'eft jamais perdu chez lui, & il efpéra pouvoir fafisfaire toutes fes fantaifies avec le merveilleux fecret. 11 fit plufieurs expériences. Et effeclivement eet homme , qui probablement efcamotoit fort bien, fit trouver de 1'or dans le fond du creufet.  du Maréchal de Richelieiï. 79 Le duc ne put contenir fa joie; quoique riche, il trouvoit une mine inépuifable oü il pourroit fouiller toutes les fois que fes befoins fans cefTe renaiffans Pexigeroient. Déja la perfpeftive d'une fortune immenfe éblouiffoit fes yeux : fes projets n'avoient pas plus de bornes que fes richeffes a venir. II fe croyoit certain de ne plus former de vceux fans les voir accomplis, quand tout-a-coup ce Damis difparut, & anéantit par fa fuite toutes ces flatteufes efpérances. Ce qu'il y a de certain , c'eft que le duc de Richelieu fut toujours perfuadé que eet homme avoit le talent de faire de 1'or; & il fondoit fa croyance fur le délintéreffement de ce fouffleur. Jamais il ne luï avoit demandé d'argent; & il lui avoit laiffé chaque fois 1'or qu'il avoit fait devant lui. Le lingot qui étoit réfulté de la dernière opération pefoit 722 livres 10 fous. Le duc fit d'inutiles recherches pour retrouver eet homme unique. Perfuadé k la fin qu'elles étoient infrudïueufes , il fe confola de la perte d'une fi belle fortune par de nouvelles faveurs de 1'amour. Madame du Défant remplaca fon cher Damis; mais les biens qu'elle lui procura n'étant pas auffi réels que ceux qu'on lui avoit promis, elle ne put long-tems 1'en dédommager. II s'étoit auffi réconcilié avec mademoifelle de Charolois k qui il n'étoit pas plus fidéle qu'auparavant, quoiqu'il mit plus de foin k la tromper. Mademoifelle de Valois étoit encore plus prévenue en fa faveur; elle aimoit pour la première fois, & jugeoit le cceur du duc par le fien. II 1'avoit fi bien faconnée afon goüt, qu'elle n'ajoutoit point de foi au mal qu'elle entendoit  So Vit privtt dire de lui. C'étoit, felon elle, de la méchanceté; & Richelieu, qui prenoit l'air & le ton qu'il vouloit, 1'en perfuadoit, quand il la trouvoit feule. Cette princefle vivoit dans une fociété beaucoup moins nombreufe que les autres femmes; & comme demoifelle, étoit moins expofée au récit d'aventures galantes , fi fréquentes a la cour de fon père. L'amour la rendit crédule ; heureufe d'être trompée, toutes fes idéés fe portoient a. faifir les occafions de donner quelques rendez-vous a. fon amant. Contrainte dans fes plailirs, elle en goütoit mieux les charmes, &C ne s'arrachoit de fes bras qu'avec 1'efpérance de s'y retrouver bientöt. Le duc, qui prévoyoit bien que cette intrigue pouvoit lui être funefte, adroit dans la manière de difpofer les événemens , avoit lié une connoiflance intime avec une femme-de-chambre de la princefle. Elle avoit toute la confiance de madame la duchefle d'Orléans; & étoit même chargée du foin de veil Ier fur la conduite de fa fille. Sa chambre , voifine de celle de la princeffe , lui donnoit tous les moyens de remplir fes devoirs; un efcalier dérobé y conduifoit, &c devenoit le paffage le plus commode pour aller dans 1'appartement de la jeune princeffe , fans être vu de perfonne. Plufieurs fois , les amans s'étoient expofés a être furpris, Sc il fut réfolu entr'eux que Richelieu féduiroit eet argus. L'entreprife étoit affez difficile de toute manière. Cette femme-de-chambre, laide, devote, fur le retour, nc pré^ntoit aucun coté favorable a la tendreffe; mais le héros intrépide s'arme de courage , Sc 1'attaque fut réfolue.  du Maréchal de Richelieu. Si II prit le langage féducteur de la galanterie ; fes regards prévinrent la déclaration qu'il fit a mademoifelle Aimée : c'eft le nom de cette fille furannée. Elle le recut d'abord très-mal, & s'offenfa même de fon amour, qu'elle regarda comme une plaifanrerie, Richelieu ne s'effraya pas de ces premières difgraces; & loin de s'en allarmer, redoubla d'efforfs pour perfuader la cruelle Aimée. Peu k peu elle parvint a s'accoutumer k 1'entendre; jamais rien de fi aimable ne s'étoit offert k fes yeux; & jamais homme auffi bien tourné ne s'étoit avifé de la trouver belle. Mademoifelle Aimée étoit femme , & par conféquent avoit de 1'amour-propre ; eet amour-propre étoit flatté, & entendoit pour la première fois des propos auffi doux : fon cceur s'attendrit; elle ne tarda point k montrer de la foibleffe. La religion combattoit cependant encore, & retarda fa défaite. Le ciel irrité frappa fa vue : elle crut voir les chatimens réfervés pour la faute qu'elle étoit fur le point de com mettre, & qui, toutefois commencoit k lui paroïtre bien excufable. La préfence de Richelieu acheva de lever tous les fcrupules. Le tableau terrible difparut tout-a-fait : elle ne vit plus que le bonheur. Le hafard avoit fervi le duc : il étoit feul avec elle; & trop habile pour ne pas profiter de la difp at fition oü il la voyoit, il ne lui donna pas le tems de réfléchir. Ce fut alors que le ciel s'ouvrit réellement pour la devote, qui ignoroit que cette agréable aventure ne lui arrivoit que par occafion; & que 1'amour que fa maïtrefTe avoit pour ce mortel féduifant en étoit la feule caufe. Elle jouit quelques jours d'une fi charmante erreur. Tome I. F  8i Vk privk Le duc de Richelieu convint quelque tems après avec un de fes compagnons de débauche, M. de Firmarcon , que le premier pas lui avoit coüté a faire, mais qu'une fois franchi, la laideur de cette fille &c fon age avoient difparu, & qu'il avoit rrouvé avec elle des dédommagemens. Pour aller k fon vrai but, il étoit néceffaire qu'il fe procurat des titres qui pufTent conftater cette fingulière conquête. Sa main le fervant auffi bien que fa tête , il écrivit k mademoifelle Aimée une lettre remplie d'alTurances d'un attachement éternel. Celle-ci, glorieufe de ce nouveau témoignage de tendrefle, ne manqua pas d'y rcpondre ; c'étoit tout ce que demandoit le duc. Muni de ces armes , il la fupplia de lui accorder de pafler une nuit avec elle. Elle avoit été foible , & s'en étoit bien trouvée ; le fouvenir du pafle rendit la permiffion plus facile k obtenir. Mademoifelle de Valois étoit prévenue ; c'étoit précifément oü on avoit voulu conduire mademoifelle Aimée, pour mieux s'aflurer d'elle. Trois êtres attendoient impatiemment Pheure du rendez-vous, pour jouer chacun fon röle dans la comédie qui fe préparoit. La femme-de-chambre feule étoit de bonne foi; &c loin de prévoir le piège qu'on lui tendoit, elle avoit donné au duc la clef du petit efcalier qui conduifoit dans fa chambre , & comptoit les inftans qui alloient la réunir k 1'objet de fes timides vceux. Une heure fonne, c'étoit le moment indiqué : Richelieu paroit, & la dévote éprouve déja 1'influence du bonheur; un éclair eft moins prompt; mademoifelle Aimée eft étonnée de voir ion amant  du Maréchal de Richelieu. 83 dans fes bras. Elle lui redemandoit avec inquiétade les deux lettres fi exprelfives qu'elle avoit écrites. II fembloit en faire le lacrifxce avec peine. Dans ce moment parut mademoifelle de Valois. On peut juger de 1'efFet que produifit fa préfence fur la pauvre femme-de-chambre. Richelieu , feignant auffi la plus grande furprife, laifTa tomber exprès les lettres qu'il tenoit: mademoifelle de Valois s'en faifit, & affectant de la colère, dit k mademoifelle Aimée, qu'elle ne pouvoit en croire fes yeux; qu'elle n'étoit point étonnée fi elle ne venoit pas lorfqu'on la fonnoit, même k plufieurs reprifes; qu'un femblable tête-a-tête étoit bien capable de lui faire oublier fon devoir; que fa bonté 1'avoit conduite dans fa chambre; qu'elle 1'avoit crue malade , & qu'elle étoit indignée de la trouver avec un homme. Elle ajouta tout ce qu'elle crut nécefTaire pour bien faire peur k cette fille, & finit par la menacer de tout découvrir a fa mère. Les lettres qu'elle tenoit étoient des preuves convainquantes de fa foibleffe. La pauvre Aimée fondoit en larmes, &c faifant un efrort pour recouvrer la parole qu'elle avoit perdue , la fupplia de ne pas la perdre. Richelieu parut furieux de la réfolution de la princeffe; & fe levant, la prit brufquement dans fes bras. Non , vous ne la perdre^ pas, lui dit-il; fi cette refpeclable fille efi coupable , vous le ferei aujfi. II la porte dans une chambre voifine, & la , les deux amans fe livrent k leur mutuelle tendreffe. Leurs plaifirs devinrent d'autant plus piquans qu'ils venoient d'une eaufe originale : mais il fallut les fufpendre, pour F ij  §4 Vie prive'c contirmer le röle dont mademoifelle de Valo's s'étoit chargée. Elle reparut éplorée, en accufant mademoifelle Aimée du malheur qui venoit de lui arriver. Cette fille ne fachant comment cette fcène alloit fe terminer, avoit plus de frayeur que jamais. Le duc demandoit mille pardons a mademoifelle de Valois de fa térnérité, en s'excufant fur la néceflité d'agir ainfi, pour fauver la femme-de-chambre. II déclara a la princefle que fon amour étoit encore plus grand que fes regrets, 8c qu'il ne dépendoit que d'elle de vivre heureufe. II 1'affura en même-tems qu'il connoifloit affez la bonne Aimée pour être certain de fa difcrétion, 8c qu'elle ferviroit fidélement leur tendreffe. La princeffe pouffa un foupir , 8c fit femblant de pardonner. » II faut bien que je vous aime a préfent, dit— » elle ! c'eft votre faute, mademoifelle, en s'a» dreffant a fa femme-de-chambre ! j'attends que » vous la réparerez par un filence éternel. Un » mot vous perdra, vous favez que j'ai des lettres » de vous". Le duc s'approcha de la bonne, fit valoir ce au'il avoit fait pour elle, 8c lui promit une part dans fa tendreffe. Mademoifelle Aimée, trop heureufe d'en être quitte a fi bon compte, promit tout ce qu'on voulut: 8c le premier ufage que les amans firent de fa bonne volonté fut de pafler enfemble la nuit que la dévote avoit efpéré de paffer elle-même auffi heureufemenr. Ce moyen de fe voir étoit très-commode pour mademoifelle de Valois; il ne pouvoit compromettre fa réputation ; fon amant n'étoit point expofé. S'il étoit par hafard découvert, tout le  du Maréchal de Richelieu. 85 blame de 1'aventure retomboit fur mademoifelle Aimée. Les deux amans profijèrent long-tems de cette commode facilité. II eft vrai que quelquefois mademoifelle Aimée faifoit payer le paffage, & Richelieu, en vrai chevalier francois, fe préparoit par une légère attaque a un combat plus digne de lui. Le régent qui le rencontroit toujours fur fes pas , quoique peu jaloux , témoignoit par fois fon mécontentement. Sa colère fe difTipoit facilement , paree que le jeune duc étoit un charmant convive. II fe plaignoit de lui, & 1'admettoit dans fa familiarité. Ils jouèrent un jour a la paulme enfemble , & le régent fe donna un coup de raquette dans Pceil. Comme fa vue étoit très-foible, le jeu fut interrompu, &c il s'écria en le quittant : Je ne fuis jamais heureux avec ce diable d'homme-la. L'abbé Dubois fe plaignoit auffi de lui. II trouvoit fur fon chemin le duc de Richelieu qui lui enlevoit fes maitreffes , ou qui 1'empêchoit de réuffir, quand il avoit jetté les yeux fur une femme. II fe cachoit de lui, & témoignoit fon humeur contre un concurrent auffi favorifé, & dont la réputation étoit fi redoutable. Cependant mademoifelle de Valois étoit devenue 1'objet des pourfuites de fon père. Elle eut foin d'abord de cacher fa peine a fon amant : mais a la fin les perfécutions du duc d'Orléans étant devenues trop vives, elle dépofa dans fon fein fes chagrins &c fes allarmes. II fut réfolu que le duc viendroit rarement au Palais-Royal, &c que les amans fe verroient feulement le foir fous la fauve-garde de mademoifelle Aimée. Malgré ces précaufions, F iij  86 Vie privée le regent ne put douter que le duc de Richelieu ne fut aimé de fa fille , & il s'étonna moins de la réfiftance qu'il éprouvoit, Richelieu ne s'en tint pas la. Dans une fête a Auteuil, il eut 1'audace de tui enlever la Souris, fille très-jolie, avec daquelle ce prince vivoit publiquement. Le duc d'Orléans ne témoigna aucun defir de fe venger de cette impudence; mais il ne fut pas faché de trouver peu de tems après une occafien de punir fon rival. La conjuration du prince de Celïamare , ambafiadeur d'Efpagne, dans laquelle on prétendit qu'il avoit trempé , lui en fournit le mcyen. Albcroni, eet homme qui a fait une fortune fi confidérable en Efpagne, qui de fimple curc , devint cardinal, & premier miniftre, plus puiffant que le roi Philippe V, prince indolent, rempli de vapeurs , qui n'avoit ni la force de tenir les renes du gouvernement, ni 1'efprit de les faire mouvoir ; Albéroni, ennemi dcclaré de la France, & qui vouloit y faire une révolution, en ötant la régence du duc d'Orléans , avoit fu gagner tous les mécontens pour les faire entrer dans le parti de 1'Efpagne. PrefTé par les Anglois qui attaquoient ce royaume, & avoient déja battu Ia flotte qui portoit du fecours a 1'armée de Sicile, fe voyant menacé par la France, il écrivit a Pambaffadeur de mettre le feu aux mines. Le prince de Celïamare étoit perfuadé que la haine qu'on portoit au régent, & que 1'amour de la nouveauté qui entraine toujours les Francois, réuniroient une foule de mécontens. II agit en conféquence; & peut-être auroit-il réufïï a faire enlever ce prince qui alloit fans fuite a Saint-  du Maréchal dc Richelieu. S7 Cloud iouper avec fes maitreffes & fes favoris, fi fon fecretaire n'eüt été trop indifcret. Ce fecretaire foupoit chez une femme célèbre par fon libertinage, (la Fillon) & pour s'excufer de s'être fait attendre , il dit qu'il avoit eu beaucoup de dépêches a expédier pour 1'Efpagne, a caufe du départ de 1'abbé Porto-Carréro, neveu du cardinal de ce nom, qui s'en alloit avec Montéléon, fils de l'ambaffadeur d'Efpagne, en Angleterre. La Fillon, qui avoit des relations avec le régent , criit que eet avis pourroit lui être utile , & courut lui en faire part. Le duc d'Orléans avoit déja des foupcons fur la conduite de l'ambaffadeur : il expédia un courier avec ordre de fouiller les voyageurs. Cependant, l'ambaffadeur averti a tems, eut celui de cacher les papiers les plus dangereux ; il réclama même ceux qui avoient été faifis : mais loin d'être écouté, il fut configné fous bonne garde dans fon hotel, de-la transféré a Blois , oü il demeura jufqu'a ce que le duc de Saint-Aignan , ambaffadeur en Efpagne, fut revenu en France. Celui de fes complices pour qui l'ambaffadeur craignit le plus, étoit un certain abbé Brigaut , colporteur des papiers du parti. En vain il lui avoit envoyé cent louis & fon meilleur cheval pour fe fauver ; il fut pris entre Nemours & Montargis. L'allarme fut répandue dans Paris. Ceux qui avoient participé a ce complot appréhendoient que leurs noms ne fuffent mis fur la lifte des conjurés ; la Baftille fe rempliffoit, la ducheffe du Maine qui affecfoit une grande férénité etc te F iv  o 8' Vie privcc intérieurement dévorée d'inquiétude. Sceaux avoit été le rendez-vous d'une partie des conjurés; &c quoiqu'ils n'euffent été chez la duchefle que le foir, & bien déguifés, ils pouvoient avoir été reconnus. Ses craintes n'étoient pas fans fondemens. Elle fut arrêtée k Sceaux, & fon mari a Paris , le 29 décembre 1718; elle fut conduite a la citadelle de Dijon; & le prince mené dans le chateau de Dourlens. Leurs fils, le prince de Dombe & le comte d'Eu, furent relegués k la ville d'Eu; mademoifelle du Maine, leur fceur, au couvent de la Vifitation k Chaillot; & le cardinal de PoJignac, en fon abbaye en Flandres : ce qui prouve qu'en reléguant les chefs aufli loin , on comptoit moins fur leur. aveu que fur celui des fubalternes. La duchefle de * * avoit été inflruite une des premières de 1'ordre donné contre l'ambaffadeur d'Efpagne. Son amitié pour le duc de Richelieu ne lui permit pas de tarder un inftant, pour 1'avertir de ce qui fe paflbit. Elle favoit qu'il ctoit capable d'entreprendre les chofes les plus extraordinaircs; & confidente de fon animofité contre le régent, elle craignit avec raifon qu'il n'eüt confpiré contre lui. Richelieu qui n'avoit point été un des premiers confpirateurs, qui s'étoit feulement laiffé entraïner par Albéroni qui connoiflbit fon efprit aftif, ne crut point qu'il y eüt affez de preuves contre lui pour le faire arrêter. D'ailleurs difparoitre , c'étoit s'avouer décidément coupable, & il préféra de ctourir les rifques de perdre fa liberté, k la certitude d'être regardé comme complice en  du Maréchal de Richelieu, 89 iüyant. II at'tendit donc 1'événement qui ne tarda pas a fe déclarer contre lui. Un ordre du roi lui fit revoir les cachots de la Baftille pour la troifième fois. L'abbé Dubois, chargé de faire mettre eet ordre a exécution, fut très-fatisfait d'avoir une occafion de fe vtnger d'un homme qui étoit plus heureux que lui en amour. II y mit 1'appareil le plus humiliant pour le duc. Des archers , un lieutenant de la prévöté le conduifirent dans une des prifons les plus malfaines de la Baftille, & on répandit le bruit qu'il ne tarderoit pas a avoir la tête tranchée. Le régent jouit d'abord luimême du plaifir de fe défaire d'un rival aufli dangereux : mais comme fon cceur n'étoit pas fait pour conferver long-tems la haine, il reprit peu k peu des fentimens plus doux. Mademoifelle de Valois, qui avoit été inftruite par quelques mots échappés k fa mère , de ce qui fe tramoit contre fon amant, lui avoit auffi envoyé un exprès pour le prévenir; elle eut le chagrin de voir fa démarche inutile , & d'apprendre la détention de Richelieu. Son défefpoir fut égal k fon amour, fur-tout quand elle fut que fon père avoit fait intercepter une lettre d'Albéroni au duc, lettre remife entre les mains du cardinal Dubois, qui étoit fon ennemi. Richelieu avoit été en marché, pour acheter le régiment du roi de M. de Nangis ; mais les arrangemens n'ayant pu fe faire , il étoit refté k la tête du fien, qui portoit fon nom, & dont il étoit adoré. Ce régiment étoit en garnifon a Bayonne, qui devenoit la place la plus importante pour Albéroni. Le duc avoit pour ami in-  yO Vit privét time, & cette intimité s'étendoit loin, car on a déja dit qu'en lui un goüt n'excluoit pas 1'autre; il avoit, dis-je, pour ami, le colonel de 1'autre régiment, qui fe nommoit du Saillant. II ne dépendoit que d'eux de faire ouvrir aux Efpagnols cette place frontière du royaume; & c'étoit 1'objet des defirs d'Albéroni , qui 1'avoit écrit en conféquence a Richelieu. Cette lettre fatale qui devoit faire naitre de grands foupgons , fi elle n'étoit pas une preuve fuffifante , reftoit entre les mains de 1'inexorable abbé Dubois. Les commiffaires chargés de 1'inftruction du procés étoient le garde-des-fceaux , d'Argenfon, le Blanc, fecretaire d'état, & Dubois. Madame de Staal, qui partageoit la difgrace de madame la ducheffe du Maine, renfermée dans le même chateau que le duc de Richelieu, les comparoit affez plaifamment, quand ils entroient a la Baftille , aux trois juges des enfers, Eaque, Minos & Rhadamanle. Heureufement que les papiers faifis avec 1'abbé Porto-Carréro inculpoient peu les conjurés ; ils compromettoient davantage l'ambafTadeur d'Efpagne, qui avoit abiüe de fon miniftère. Le duc du Maine lui-même, qu'on defiroit trouver coupable , ne put être convaincu d'aucune démarche contre le régent, quoique fans doute il eüt, avec la ducheffe fon époufe, defiré fa chüte. Le régent, prince adonné a fes plaifirs, peu méchant par lui-même, étoit pouffé a la févérité par fes agens : mais fon caractère le portoit a 1'indulgence; & il le prouva dans cette affaire, oü un autre prince a fa place, jouiffant de 1'autorité fouveraine, auroit certainement fait couler  du Maréchal de Richelieu. 91 plus de fang. Excepté en Bretagne, ou quelque tems après trois ou quatre accufés furent punis de mort, tous les conjurés recouvrèrent leur liberté. On peut feulement a cette époque reprocher k ce prince d'avoir armé la France contre PEfpagne , par la haine perfonnelle qu'il avoit pour Albéroni, & d'avoir trop écouté Dubois, tout dévoué aux Anglois, dont il recevoit une penfion de quarante mille livres fterlings, évaluée neuf eens mille francs. L'amour, qui avoit toujours traité fi favorablement le duc de Richelieu, veilla fur fes jours. La jaloufie, ce fentiment fi naturel aux femmes, avoit rendu ennemies mademoifelle de Charolois &C fa coufine, mademoifelle de Valois. Elles n'avoient pu ignorer qu'elles étoient rivales; & les farcafmes , les épigrammes , les libelles même avoient fignalé leur animofité. En vain avoit-on cherché a les réconcilier; leur cceur ulcéré n'avoit pu fe rapprocher. Le danger de leur amant opère ce prodige en un inftant. C'eft k qui des deux fera le premier pas pour fe réunir. Leur' intérêt eft commun; elles ont le même but, & elles font perfuadées que leurs efforts raffemblés auront un fuccès plus certain. L'afpect du péril de Richelieu les perte ainfi a faire tous les facrifices de 1'amour-propre ; il fuffit qu'il vive, & chacune d'elles eft prête k le céder k fa rivale. Mademoifelle de Valois n'ignoroit pas que quand Richelieu avoit été mis k la Baftille pour fon duel avec le comte de Nocé, mademoifelle de Charolois avoit trouvé les moyens d'y pénétrer, pour lui porter des confolations; & elle avoit befoin d'unguide,pour arriver elle-même dans ce féjour  «)i Vu privéc affreux. Sa coufine connoiffoit fon pouvoir fur Pefprit de fon père ; le befoin mutuel qu'elles avoient 1'une de 1'autre, les fit agir de concert. L'argent avoit corrompu les gardiens de Richelieu en 1716; il n'avoit point perdu de fa valeur en 1718 ; il fit ouvrir les portes de la Baftille aux deux coufines, qui s'y rendoient déguifées. Un nommé de Launay, qui en étoit alors gouverneur , ne fut point inacceflible aux prières de mademoifelle de Valois, accompagnées de beaucoup de billets de banque, qu'elle tenoit de la libéralité du régent. Ce père les prodiguoit k fa fille; &C cette princefle ne les épargnoit pas pour aflbuvir la cupidité de de Launay, & obtenir la facilité d'embrafler le malheureux objet de fa tendreffe. La première entrevue du duc & des deux coufines fe paffa en témoignages d'amitié réciproque. II les ferroit toutes deux dans fes bras : aucune ne recut de préférence marquée; & 1'amour, qui avoit brifé les verroux de la prifon, fe contenta de légères careffes, pour ne porter aucun ombrage. Les princeffes étoient munies de tout. ce qui pouvoit adoucir le fort du prifonnier, dont le logement étoit fort humide. II fut décidé que mademoifelle de Valois ne cefferoit de demander la délivrance du duc, & qu'elle fe ferviroit de tout fon pouvoir fur le cceur de fon père, pour la rendre prochaine. II fallut bientöt fe quitter, & eet inftant parut cruel k Richelieu ; il retomboit dans une folitude profonde; & il fouffroit d'avance impatiemment 1'abandon ou il alloit fe trouver. Mademoifelle de Valois, qui avoit d'abord été  du Maréchal de Richelieu', 93 obligée de fe fervir de Mademoifelle de Charolois, pour aller voir fon amant, fut trés - empreffée de profiter du moyen de le confoler feule. La préfence de fa coufine avoit retenu les éffufions d'un cceur aulïi tendre. Depuis plus d'un mois d'abfence, que de chofes k fe dire! L'intérefTé de Launay, qui exagéroit k la princeffe les dangers qu'il couroit par fon indulgence, fentoit diminuer le péril a Pafpeft des billets de banque qui lui étoient préfentés ; & fes craintes s'évanouiffoient k proportion du nombre qu'il en recevoit. Ce cachot obfcur, humide, mal-propre & malfain qui renfermoit Richelieu, devint par la préfence de mademoifelle de Valois, un fanétuaire délicieux. Toutes les incommodités difparurent, & 1'amour en fit un boudoir. Jamais fermens auffi tendres n'y avoient été entendus. Ce n'étoit plus les larmes du défefpoir; 1'amour heureux & fatisfait en fit répandre de plus douces. Richelieu étoit le premier qui eüt opéré une métamorphofe auffi compléte; fon bonheur le füivoit par-tout: 1'afyle odieux des fouffrances & du repentir devint pour lui le temple de la volupté. Les deux amans, étrangers k tout ce qui les environnoit, au monde entier, trouvèrent dans cette fortereffe 1'oubli de tous leurs maux. Mademoifelle de Charolois avoit de fon cöté rendu une vifite particulière au prifonnier, & avoit répandu dans fa chambre a - peu - prés le même enchantement. Mais le gouverneur , qui permit quelquefois qu'elles ufaftent de fa complaifance, ne fouffroit pas pour fa propre füreté qu'elles en abufaffent; &c les vifites ne furent pas  94 Vu privet auffi fréquentes que les amans Paurolent defiré. Les deux princeffes s'étoierit promis de les faire enfemble; cependant, comme on le voit, elles éludoient leur promefTe. Elles fe rencontrèrent un feul jour; mademoifelle de Valois étoit arrivée la première , 8c croyoit profiter d'un moment auffi favorable : mais fa coufine qui furvint avec la même efpérance, rompit le tête-a-tête. Toutes deux, le dépit dans le cceur, ne fe firent aucuns reproches, 8c s'excufèrent fur des événemens inattendus, de ne s'être pas prévenues. La paix régnoit ainfi entre les deux princeffes, paree que le danger de leur amant les allarmoit toutes deux. II venoit pourtant d'être transféré dans une chambre plus commode, 8c il obtint même la permiffion de prendre l'air fur les tours de la Baftille pendant une heure , a caufe de 1'altération de fa fanté. La nouvelle en fut bientöt repandue parmi les connoiffances du duc, 8c chacun s'empreffa de fe promener dans la rue SaintAntoine pour le voir. Les femmes fur-tout dont le cceur plus fenfible s'intéreffe facilement aux malheureux qui font aimables, coururent contempler de loin un homme fi célèbre. Ses maitreffes délaiffées, outragées même par lui, oubliant dans fon danger les reproches qu'elles avoient a lui faire, furent les premières a fe rendre a. cette étonnante promenade. Elle confiftoit a faire aller la voiture depuis le bas des tours jufqu a la porte Saint-Antoine , 8c a retourner alors fur fes pas pour recommencer a parcourir le même efpace, jufqu'a la retraite du duc. Elles le faluoient : il ne manquoit pas de répondre a leur politeffe ; ils fe faifoient des geiles, 8c ce langage muet  du Maréchal de Richelieu: 95 dédommageoit un peu le prifonnier du chagrin de ne pouvoir, pas mieux fe faire entendre. Ils parvinrent par degrés a les rendre expreffifs; un tel gefte vouloit dire telle chofe; le chapeau en 1'air, par exemple, exprimoit je vous aime; & la réponfe de la dame étoit de lever la main hors de la voiture. La main portée fous le cou, dé- notoit le danger, &c. &c De cette facon, les amants pouvoient s'entendre malgré 1'éloignement. La ducheffe de ***, la tendre & conftante amie du duc, n'avoit pas manqué de profïter de cette occafion de le revoir. Sa crainte étoit extréme, fur-tout d'après le bruit répandu qu'il étoit menacé de perdre la vie. Elle auroit donné la fienne, pour 1'arracher au malheur qui le menacoit, & elle ne vivoit plus depuis fa fatale détention. Les princeffes, qui pouvoient de tems en tems s'approcher de plus prés du prifonnier, alloient rarement lui rendre vifite avec les autres dans la rue, quand il étoit fur les tours; elles n'ofoient fe compromettre, & fe déguifoient chaque fois qu'elles n'étoient pas maitreffes de réfifter au defir de le voir. Le nombre des curieux, des amis du duc & des femmes étoit quelquefois fi grand, que les voitures obftruoient le paffage de la porte Saint-Antoine , & y occafionnoient la foule. Ce fait nous a été affuré par un vieillard témoin de cette fcène, qui n'a jamais eu lieu que pour un feul homme. Le duc avoit vu quelques mois s'écouler fans appercevoir de plus prés le terme de fa délivrance. L'efpoir, ce bien confolateur, commen-  y 6 Vie privée coit a s'éloigner de lui. En vain les vifites des princeffes écartoient-elles pour un moment 1'ennui qui le confumoit; elles n'étoient point affez fréquentes pour bannir entiérement fon chagrin. Mademoifelle de Valois avoit employé auprès de fon père tous les moyens poffibles de le fléchir; il avoit été inexorable. La princeffe, auprès de qui il redoubloit de foins, témoïgna de fon cöté plus de fierté. Le régent qui vouloit parvenir a fes fins a quelque prix que ce fut, compofa avec fa fille, & lui promit la liberté de fon amant , en lui faifant entrevoir la condition qu'il y mettoit. Les femmes d'ailleurs 1'attaquoient de tous cötés pour avoir la grace du duc, & il avoit trop de foibleffe pour leur réfilter. Mademoifelle de Valois balanca fur le parti qu'elle devoit prendre : la füreté de fon amant 1'emporta. Elle trouva le moyen de lui écrire- pour lui annoncer fa prochaine fortie : elle avoit été défolée de fa trifteffe & de fes noirs preffentimens dans leur dernière entrevue. La lettre étoit concue en ces termes : ... » Tranquillifez - vous , je vous fupplie; votre » tête eft trop vive, il faut la calmer. Je ne crois » pas que vous foyez long-tems fans fortir de » 1'abominable lieu oü languit ce que j'ai de plus » précieux au monde. Je viens de parler a qui » vous favez bien pour votre liberté; il y met » un prix qui me coüte beaucoup, il faut que » je fois une viftime immolée k votre délivrance. » Plaignez-moi, & fur-tout ne ceffez jamais d'ai» mer votre plus tendre amie ", Le  du Maréchal di Richelieu. t)j Le régent fut exact k tenir fa promeffe; 11 fit ouvrir au duc les portes du chateau redoutable mais comme fa préfence k Paris lui déplaifoit encore, il lui fit fignifier un ordre d'aller k Charenton. Dix jours après, une feconde lettre de cachet le transféra k Saint-Germain-en-Laye, oii il refta trois mois. Mademoifelle de Valois, dont le mariage venoit d'être déclaré avec le duc de Modène, ne voulut point confentir a eet hymen , fi le duc de Richelieu n'étoit pas entiérement libre; & elle eut, pour calmer les regrets que lui cauloit fon départ, la confolation d'être encore utile k ce qu'elle aimoit. Les deux amans ne fe féparèrent pas, fans jouir du bonheur de pafler enfemble quelques inftans Ils fe promirent de s'écrire ; & la future ducheffe" de Modène exigea que fon amant la vïnt voir dans fa principauté. Malheureufement le duc de Modène fut indruk quelque tems après fon mariage de 1'amour qu'elle confervoit pour Richelieu , & rendit, comme nous le dirons après leur entrevue plus difficile. 5 Tome ï. C  n8 Vit privét chapitre vii. Mort de madame de Maintenon, de la ducheffe de Berry, Difgrace d'Albéroni. OjE fut dans cette ahnée T719, que madame de Maintenon mourut, le 15 avril, a St. Cyr, dans un age trés-avancé. II n'efl pas étonnant qu'une femme livrée au gouvernement d'une maifon religieuiè qui lui devoit fa fondation, y trouvat des éloges. Son grand age , fa religion qui avoit été funefle quand elle avoit tenu les rênes de 1'état, lui avoient attiré le refpect & la vénération. Cette religion fe bornoit alors a des exercices de piété qui n'influoient fur perfonne; fon ambition ne pouvant plus s'étendre au loin, fe concentroit dans un cloitre oü la dévotion fait le feul mérite. Elle mourut fort aimée & tranquille , perfuadée qu'elle avoit contribué au falut de Louis XIV, en lui faifant chafïer les hérétiques de fon royaume; qu'elle avoit fervi fa religion en banniffant de la France des gens qui ne participoient point a la communion des fidèles : & voila comme 1'aftion la plus odieufe contribua a calmer les troubles qui devoient a ce moment fatal s'élever dans la confcience du roi & dans celle de fa favorite. Madame la ducheffe de Berry, qui lui furvécut de quelques mois , mourut au milieu de fes débauches, le 10 juillet. Elle avoit été très-jolie , quoique petite & un peu grafie; mais la miüti-  du Markhal de Richelieu. 99 tude & Ia variété de fes plaifirs altérèrent bientöt fes traits. Le duc d'Orléans, qui n'avoit que trop participé aux déréglemens de fa fille, fe montra après fa mort plus févère envers les confidens de fes plaifirs qu'il ne 1'avoit été jufqu'alors. II exila la dame d'honneur de cette princeffe, & forca le comte de Riom de partir pour la guerre d'Efpagne, après 1'avoir dépouillé de fon gouvernement de Meudon, & lui avoir öté fes charges. Cette princeffe ne fut regrettée de perfonne ; elle ne coüta pas une larme, même a fes amans. Capricieufe , méchante par caractère, emportée par une paffion déréglée, elle ne fe fit aucun ami. Le peuple regarda fa mort comme une vengeance du ciel; & les épigrammes les plus fanglantes furent prodiguées k fa mémoere. On fait que quand on lui repréfentoit que Ia vie qu'elle menoit faifoit tort a fa fanté, elle avoit coutume de répondre : Courte & bonne : elle fut fervie a fouhait, & moiffonnée a la fleur de fon age. C'étoit alors le règne des aventuriers. En Efpagne, des fils de cocher & de jardinier étoient cardinaux; en France, des hommes nés dans des boutiques d'apothicaire & d'orfévre, Pun archevêque, depuis cardinal, 1'autre contröleur-général , Dubois & La-w. Outre ces deux rapports de naiflance & de fortune, ces derniers en eurent encore un non moins remarquable dans deux adfes religieux faits pour être mis en parallèle : favoir, le facre de Dubois, nommé k 1'archevêché de Cambray, & 1'abjuration de Law. On jugea que ces deux cérémonies ne rendroient pas 1'un plus digne évêque que 1'autre bon catholique. Gij  ico Vie privée Un d'eux ne tarda pas a être facrifié a la haine que lui portoient 1'Angleterre, la France & 1'Empire, Albéroni, dont le projet contre le régent avoit échoué, qui ne pouvoit plus flatter la reine d'Efpagne de Pefpoir prochain de régner en France comme elle le defiroit, vit bientöt fes fervices oubliés , quand on le crut moins néceffaire: 1'ingratitude des grands eft plus ou moins retardée , felon leur intérêt. La reine, dont il étoit le ferviteur le plus fidéle, le rendit vidfime de confidérations politiques. 11 reeut, au moment oü il ne devoit pas s'y attendre , 1'ordre de fortir d'Efpagne, dans deux jours, fans voir le roi & la reine, ni fans leur écrire. Cet homme étoit doué des vrais talens du miniftère, qui fembloient fi étrangers a fa naiflance & a fon éducation. 11 montra pendant le court efpace de fon adminiftration, ce qu'on pouvoit attendre de 1'Efpagne bien gouvernée ; il avoit voulu fervir fon maitre, comme le cardinal de Richelieu avoit fervi le fien: mais le tems, les lieux & le maitre même étoient bien différens. Richelieu mourut tenant le timon de 1'état que la mort feule lui fit quitter. Albéroni, k qui la reine ne fit pas rendre ce qu'elle devoit a fon dévouement, plutöt facrifié que banni, fut viefime des circonftances, & non d'aucune faute de conduite. 11 traverfa la France, après avoir quitté 1'Efpagne, accompagné d'un officier que le régent avoit chargé de veiller fur fa perfonne. Gênes lui refufa un afyle; Rome le rejetta de fon fein; il fe cacha quelque tems dans les états de 1'empereur, d'oü le pape le tira enfin pour lui donner la légation de la Romagne: exemple frappant de la vicifïitude des chofes humnines!  du Maréchal de Richelieu. i0l CHAPITRE VIII. Syjlême de Law. Amours de Richelieu avec les duchefes de Villeroi & de Duras. Sa réception a l'Académie francoife. Jean L a¥, écoffois, chafle de fon pays, refugié en Italië, enfuite en France, parvint, a force d'intrigues, a faire adopter un projet de banque générale qui avoit été propofé & refufé dans les états d'oü il fortoit, & qui fut réalifé en France, le 5 mars 1716. La nouveauté , le difcrédit des billets d'état repréfentatifs & cautions des dettes de Louis XIV, tout mit en faveur cette nouvelle création. Les billets perdoient foixante-dix-huit & demi, pendant que les acfions de la banque gagnoient quinze pour cent. On recevoit les premiers au tréfor royal fur le pied de leur perte, & on les payoit en aftions fur le pied du gain de celles-ci. Ainfi 1'état les retiroit k peu de fraix , & s'enrichiffoit en fe libérant; mais les particuliers fe ruinoient, en fe dépouillant de plus de deux tiers de leur bien. C'étoit une véritable banqueroute. C'eft dans ce tems qu'eft né 1'agiot, ce monftre nourri des fueurs du peuple & du fruit de fes travaux, monftre qui a fait tant de mal au royaume, & qu'on a vu de nos jours engloutir bien des fortunes , pour établir celle de quelques individus plus adroits , plus frippons, ou initiés dans les opérations iinancières des miniftres, G iij  102 Vit privct La frénéfie s'empara de tous les efprits, a la vue des fortunes aufii énormes que rapides , qui fe firent k cette époque. Tel qui avoit commencé avec un billet d'état, a force de trocs contre de 1'argent, des actions , & d'autres effets , fe trouvoit des millions au bout de quelques femaines. II n'y avoit plus dans Paris ni commerce, ni fociété. L'artifan, le marchand, le magiftrat, 1'homme de lettres ne s'occupoient que du prix des aöions; la nouvelle du jour étoit leur gain ou leur perte ; on s'interrogeoit la-deffus avant de fe parler. Des maux produits par le fyftême, les plus grands furent un luxe effréné, qui gagna toutes les conditions, la défertion des campagnes , & Ie rehaulTement exceffif du prix des ouvrages & des denrées. Les villes engloutirent les villages. Les fêtes fomptueufes de Louis XIV avoient infpiré le goüt de la magnificence; mais il ne s'étoit guère étendu qu'a la cour : 1'exemple des nouveaux enrichis, leur facilité k prodiguer 1'or > k batir des palais , engagea, par un attrait romanefque, les habitans des campagnes k venir tenter le même hafard. L'illufion ne tarda pas k fe diffiper. Le n mai 1720 , parut un édit qui réduifit les actions k moitié. Cette opération funefte étoit néceffaire, paree que Lav avoit mis fur la place infiniment plus de papier que tout 1'argent réuni a la banque n'en pouvoit payer. La défolation fut générale; on fe fouleva contre 1'auteur. Le régent promit fon renvoi; mais le lendemain il fut remis en place. Devenu Pexécration ;du royaume, ce ne fut plus que malheurs & coups d'autorité. On défendit k tout particulier d'avoir chez foi plus  104 Vie privée Charolois crut au moins refter quelque tems fans concurrente. II parut ct'abord moins emporté par fes paffions. Le nouveau féjour qu'il venoit de faire k la Baftille avoit tempéré la fougue de fes defirs. Rentré dans les bonnes graces du régent, il s'étoit promis de ceffer de mettre fa gloire k lui enlever fes maitreffes. Richelieu parut enfin im homme nouveau. Mais on commande difficilement a la nature: fes premières inclinations reprirent peu k peu de nouvelles forces, 1'afpect des jolies femmes produifit le même effet fur fon cceur; & il fe perfuada de plus en plus que c'étoit une folie de borner le nombre de fes conquêres.. _ La ducheffe **, toujours indulgente, toujours aimant Richelieu avec fes défauts, ne ceffa pas d'être fon amie, & Ia dépofitaire de fes fecrets. Elle avoit pris Ie parti d'habiter fouvent fa campagne , & Richelieu voloit a Mantes fe confoïer avec elle des chagrins qu'il avoit, & goüter des plaifirs, qui, quoique fufpendus par d'autres liaifons, n'en étoient pas moins piquans pour eux chaque fois qu'ils s'y livroient. D'ailleurs, la ducheffe*** raffembloit bonne compagnie, fur-tout en femmes, & fon amant trouvoit 1'occafion de faire de nouveaux choix. Elle aimoit encore mieux le yoir ainfi occupé chez elle que de ne pas le voir du tout. II v rencontra la jeune marquife de Duras (i); elle étoit belle , vive , enjouee , & fort amoureufe de fon mari. Ce triomphe parut k Riche- (0 Mère du Maréchal de Duras, dernier mort en 178?.  du Markhal de Richelieu. 105 lieu digne de lui; & quoiqu'il fut fur le point d'être heureux avec la duchefTe de Villeroi, il crut qu'une victoire n'en devoit pas exclure une autre. C'étoit depuis long-tems fon fyftême, & il s'en trouvoit fort bien. II alloit fréquemment chez la duchefle de *** oii la marquife vint paffer un mois. II y déploya tous fes talens dans 1'art de féduire, & la jeune Duras, que fon mari négligeoit beaucoup , s'accoutuma a recevoir les ibins d'un adorateur aufli aimable qu'aflidu. Elle fe perfuada n'avoir que de 1'amitié pour lui; 1'amitié eft innocente , & permet de fe livrer a des épanchemens qui ne paroiflent pas dangereux .- mais bientöt on s'appercoit qu'on a pris un fentiment pour 1'autre, & on n'eft plus le maitre de réprimer celui qu'on ne vouloit point avoir. La marquife de Duras ne connut qu'elle avoit de 1'amour que par la jaloufie qu'elle éprouva. Richelieu étoit trop prudent pour que 1'efpérance d'un fuccès lui fit rien négliger : il alloit fouvent k Paris preffer la conclufion de fon autre roman avec madame de Villeroi; on ignoroit la caufe des petites courfes qu'il faifoit k lacapitale; on leplaifantoit feulement fans pouvoir foupconner le motif de fonabfence; mais madame d'Egmont, qui vint pafler quelque tems chez la duchefle ***, découvrit ce qui les occafionnoit. Elle affura avoir vu plufleurs fois le duc k 1'Opéra avec madame de Villeroi. Elle certifia qu'elle 1'avoit rencontré avec elle chez madame de Villars, chez fon beaupère le maréchal de Villeroi: malgré leurs efforts pour cacher leur intelligence, elle en avoit affez vu pour n'en plus douter. Chaque mot enfoncoit le poignard dans le cceur  du Maréchal de Richelieu. 113 permettant a Richelieu de s'abfenter : mais en même-tems elle ne put fe défendre d'un léger mouvement d'amour-propre, en réfléchiffant que c'étoit pour en faire un académicien. La jeuneffe du candidat augmentoit la valeur du titre ; &c elle crut déja partager les applaudiffemens qu'il devoit recevoir. Elle ne prévoyoit pas qu'en lui accordant la liberté , elle alloit fe donner une rivale de plus. Richelieu, débarraffé des entraves qui 1'arrêtoient , vole a Paris cueillir dans une doublé carrière de nouveaux lauriers. Libre par le depart de fon mari, la ducheffe de Villeroi s'abandonne a tous les tranfports. Plus fes defirs avoient été contrariés, plus ils avoient acquis de véhémence; &l le duc, malgré 1'art dont il ufoit au befoin, put a peine fuffire a tout 1'amour qu'on lui montra. Cependant il fut prouver a la ducheffe qu'il n'abandonnoit le champ de bataille qu'après qu'on lui rendoit complétement les armes. Toujours aimable après la vidtoire , il fe fit adorer du vaincu. La ducheffe crut tous les jours 1'aimer davantage; elle le voyoit oii il n'étoit pas ; elle auroit defiré. pouvoir parler de lui a tous les êtres qu'elle rencontroit; rien n'approchoit a fes yeux d'un tel amant : Richelieu étoit fon héros, fon dieu; & elle fit mille extravagances qui devoient tot ou tard compromettre fa réputation. Mademoifelle de Charolois, qui étoit. toujours fur les rangs, avoit écrit au duc qu'elle efpéroit le voir a un bal qu'on donnoit a 1'hötel de Condé. II y parut, 6c cette princeffe qui avoit fouvent Tomé I. H  114 Vit privtt des reproches a lui faire, les oublia pour admirer fa tournure &c fes graces. L'abfence de la lune fit indiquer un rendez-vous pour le lendemain au lbir, oh le duc fe conduifit, de manière que mademoifelle de Charolois n'en conferva qu'un fouvenir enchanteur. Le marquis de Dangeau mourut, & le duc de Richelieu fut unanimement nommé pour occuper fa place. Auffi-töt plufieurs beaux-efprits furent chargés du foin de compofer fon difcours de réception. Fontenelle, qui ne négligeoit aucune occafion de faire fa cour aux grands, prit la plume pour le duc; Deftouches, Campiftron 1'imitèrent, & il n'eut que 1'embarras du choix. II corrigea lui-même ce qu'il trouva de défecfueux dans ces ouvrages ; & guidé par un tact que la nature lui avoit donné, il fut moins éloquent que ces auteurs, mais plus concis; ne s'attachant qu'aux chofes, il ne dit que ce qu'il falloit précifément. Son difcours devint fon ouvrage, & lui fit honneur. On ne trouve cependant, dans les matériaux qu'il a laiffés, que quelques idéés, peu de logique, & point d'orthographe. Dans ce difcours, il faifit avidemment 1'occafion de louer Louis XIV. Quelques phrafes mettront a même de voir qu'il le regardoit comme le plus grand roi. On confervera 1'ortographe de 1'académicien. » II manquoit, dit-il, a la gloire de 1'acadé» mie, & a la perfeclion des heureux deffeins » de M. le cardinal de Richelieu, que le plus » grand roi du monde les honorat de fa protec» tion. II étoit bien jufte qu'un prince, fous le » reignt duquel les arts St les belles-lettres ont  du Maréchal de Richelieu. 11 5 » eu tant d'éclat, fut le chef d'un corps qui dok » 6c mérite d'en être juge. Louis-le-Grand vou» loit 1'être par-tout, 6c faire triompher Pefprit » 6c le goujl dans le feint de fon royaume, com» me il a fait long-tems triompher fes armes au» dehors. II avoit allumé le jlambau de la guerre, » 6c répandu la terreur chez fes ennemis; mais » en même-tems il voüloit que fes conquêtes » ne dérangaffent pas 1'ordre Sc la tranquillité II ajoute encore, en parlant toujours du même prince : » Je dirai feulement que je 1'ai vu » réunir la fierté la plus redoutable a fes enne^» mis, la bonté d'un père de familie. Sa court a » été 1'afyle des princes malheureux. Jamais roi » n'eft monté fur le tröne avec une majefté plüs » grande, ni n'en a rendus Yacce^ plus facile , » prêt a toutes les heures du jour a écouter le » moindre de fes fujets , & prêt a lui rendre » juflice, charmé qu'elle lui put être favorable; » pront a répandre fes bienfaits, il favoit les ac» compagner de graces qui en redoubloient le » pris. Refpefté de fes fujets, redouté de fes en» nemis, adoré de fes domeftiques, il eft mort » avec un courage héroïque 6c créiien, regretté de » tout fon royaume, & admiré de 1'Europe an» tiere ". Que diroit-on de plus d'un fouverain qui auroit fait continuellement le bonheur de fon peuple} Richelieu penfoit ce qu'il difoit; Louis XIV étoit pour lui le premier des rois; & c'eft fans doute mettre en contradiction fes principes & fa conduite que de placer dans fa bouche la critique de ce règne. Toutes les femmes qui s'intérelfoient a lui, 6c H ij  116 Vie privée le nombre en étoit grand, voulurent affifter a fa réception académique. Son difcours, qu'on affura être de lui, fut a leurs yeux une nouvelle preuve de fon efprit. Tout eft beau dans ce qu'on aime. Fort inclines a. 1'admiration, ces dames favourèrent les éloges prodigués au récipiendaire, qui leur parut une connoiilance plus digne encore d'être cultivée. Quelquefois trop de mérite devient k charge ; le duc de Richelieu en fit le foir même 1'expéirience. Couvert des lauriers littéraires, 1'amour lui deftinoit encore une triple couronne. II recut trois billets indicatifs d'autant de rendez-vous donnés par mademoifelle de Charolois , mefdames de Duras & de Villeroi. D'autres lettres, fans en ïndiquer pofitivement, annoncoient le defir qu'on avoit de le voir. Richelieu fe décida bientöt k ne faire aucune malheureufe. II en avoit les moyens prefque a commandement, & favoit adroitement les ménager. Avec d'aufti belles qualités, il crut pouvoir, fans danger, accepter les trois rendezvous qu'on lui donnoit. La ducheffe de Villeroi, comme la plus nouvelle maitreffe, fut réfervée pour la dernière ; c'étoit avoir la pomme. II trouva feulement qu'il étoit prudent de déranger 1'heure des rendez-vous, pour les fixer k fa guife. Mademoifelle de Charolois fut la première a le complimenter de fes fuccès. Sa tête étoit exaltée; elle eut befoin que Pacadémicien températ 1'effervefcence de fes fentimens. Richelieu, toujours prêt k obliger les belles , porta le calme dans cette ame agitée. II courut dans la même journée recevoir les félicitations de la marquife de Duras; &. finit par ré-  du Maréchal de Richelieu. 117 pondre très-éloquemment aux complimens de madame de Villeroi. Après tous ces travaux académiques, il paffa quelques jours dans 1'intérieur de ion hotel, a prendre du repos. Cependant il envoyoit fa voiture fe promener dans Paris, & s'arrêter aux portes qu'il délignoit, pour faire croire qu'il étoit toujours occupé, & ne fe repofoit jamais. CHAPITRE IX. Voyage du duc de Richelieu a Modène. Aventuredu convent, oü il va voir la ducheffe de Villeroi, déguifé en abbé. ï l avoit recu plufieurs Iettres de madame la ducheffe de Modène , toutes remplies d'amour , & de fermens de ne jamais 1'oublier. Elle lui faifoit part, en même-tems, que fon mari étoit inftruit de leur ancienne tendreffe, & qu'il falloit avoir la plus grande circonfpection.. Elle 1'engageoit pourtant a. venir la voir, mais k emprun, ter quelques déguifemens. Richelieu, qui aimoit k vaincre les difficultés , &C pour qui toute efpèce d'obftacle étoit toujours un nouvel aiguillon, forma aivffi-töt le projet d'aller k Modène. II part fans fuite, prend un nom fuppofé, & arrivé en Italië. L'homme qui 1'accompagnoit, s'étoit muni de brochures & de livres fur les affaires du tems. II defcend a Modène dans une auberge, fous le nom de Gafparini, & fe fait paffer pour un colporteur, ainfi que la Foffe, fon confident, H iij  118 Vk privce qui avoit métamorphofé fon nom en celui de Romano. Le premier jour, ils parcourent feulement la ville, & font accroire dans 1'auberge qu'ils font des marchands qui gagnent leur vie a brocanter. Ils ne tardent point k fe rendre au palais de la princeffe, qui étoit inftruite de 1'arrivée du duc. II devoit fe trouver fur fon paffa ge, quand elle iroit k la meffe. Romano & Gafparini étalent leurs livres; des curieux s'empreffent de les entourer, & Romano trouve fon profit dans le déguifement. Gafparini épioit 1'inftant oü la princeffe fortiroit : elle paroït; il met en vue fa marchandife, & a foin d'éloigner les importuns qui pourroient empêcher la princeffe de 1'appercevoir. Elle s'arrête un inftant auprès de ces prétendus marchands, regarde leurs livres, & continue fon chemin pour aller k la chapelle. Richelieu crut qu'il n'avoit pas été reconnu; il avoit cependant préfenté des livres k la princeffe, il lui avoit parlé, & étoit défolé qu'elle n'eüt pas fait plus d'attention a lui. Cette comédie ne lui plaifoit qu'autant qu'elle devoit lui procurer un tête-a-tête. II avoit fait ce voyage pour donner, difoit-il, un héritier au duc de Modène, dont 1'époufe n'étoit point encore groffe. II efpéra qu'il feroit plus heureux au retour de la princeffe , & il continua de débiter fa marchandife, que Romano vit vendre avec grand plaifir. Madame de Modène revint aux marchands , examina avec plus d'attention leurs livres, fixa les yeux fur le duc, paria k Romano, lui demanda de quel pays il venoit, s'il étoit bien fourni  du Markhal dc Richelieu. 119 en livres; & s'adreffant enfuite k Richelieu, lui dit de lui procurer un livre qu'elle nomma. Richelieu 1'affura qu'il étoit a fon auberge, &c que dans un moment elle 1'auroit. La princeffe parut fatisfaite, & donna ordre de laiffer entrer dans une heure ce colporteur dans fon appartement. t . , . Le duc, enchanté du rendez-vous qui lui étoit donné, quitte promptement fa boutique ambulante, & va a fon auberge attendre 1'inftant du bonheur. II y avoit huit mois qu'il n'avoit vu madame de Modène , & fa poffeffion devenoit prefque une nouveauté pour lui. D'ailleurs, le plaifir de tromper un prince jaloux étoit déja une jouiffance fort agréable. II fe rend au palais de la princeffe , eft introduit, & fe trouve feul avec une femme qui 1'adore. Rien ne peut dépeindre la joie qu'elle eut de le voir, & de le lui témoigner. Elle lui fut un gré infini du röle qu'il jouoit pour elle, & le dédommagea amplement des petits défagrémens qu'il lui avoit fait effuyer. Elle trouva fon cher duc plus enchanteur encore fous le nom de Gafparini. Son déguifement ne lui étoit point avantageux; mais ilannongoit de 1'amour, & cette idéé lui donnoit bien des charmes. Quoique très-animée, cette première entrevue fut troublée par la crainte d'être furpris. La prudence, cette vertu fi peu écoutée des amans, avertit ceux-ci qu'un long entretien pouvoit être fufpect. La princeffe n'avoit point ofé défendre 1'entrée du cabinet oii elle étoit, de peur d'éveiller le foupcon. II fallut fe féparer avec promeffe de fe revoir promptement, Le prince devoit aller a H iv  ï lO Vie privcc la chaffe deux jours après : ce jour fut choiii pour fe livrer avec plus de fécurité a de nouveaux tranfports. II arriva , quoique lentement, au gré de leur impatience : le duc de Modène part , pour aller faire kt guerre a de timides animaux, & Richelieu vient occuper fa place auprès de fa femme. II étoit cenfé lui porter de nouveaux livres ; & madame de Modène, devenue plus hardie par 1'éioignement de fon mari, avoit ordonné de la laiffer feule. La ducheffe avoit fait préparer Ia veille un cabinet délicieux, deftiné, difoit-elle , k la lecture. Des emblêmes allégoriques , que Richelieu &.elle feule pouvoient expliquer, leur rappelloient ces premiers plaifirs , dont le fouvenir eft toujours enchanteur, qu'ils avoient goütés a Paris. Une treffe de cheveux , qu'elle avoit alors dérobée , k fon amant , étoit fur un petit autel iurmonté d'une couronne, oii 1'on voyoit deux cceurs enlacés. Elle lui montra ce tréfor, lui dit qu'il avoit été depuis fon mariage fon unique confolation; qu'elle n'étoit pas un feul jour fans le vifiter , fans le couvrir de baifers, & fouvent fans 1'arrofer de fes larmes. Elle fe jette enfuite dans les bras du duc, qui s'empreffe de lui faire oublier fon chagrin & fes malheurs. Plufieurs rendez-vous fe fuccédèrent, & ne furent point troublés par des importuns. Nos amans, hbres & fans crainte , tachèrent de réparer le tems qu'ils avoient perdu. La princeffe defiroit avoir une image vivante de fon amant; elle étoit impatiente de pofféder un gage de fa tendreffe, & vouloit qu'il ne fe féparat pas d'elle fans  du Maréchal de Richelieu. ïxi qu'il fut renfermé dans fon fein. Quel plaifir elle fe promettoit de foigner elle-même & d'élever un rejetton de 1'homme qu'elle préféroit a tout! Le duc de Modène retourna a la chaffe. Ce jour-la, la ferveur des deux amans fut plus grande encore, & le temps avoit fui avec plus de rapidité. Richelieu devoit partir inceffamment : la ducheffe ne pouvoit fe décider a le quitter; elle avoit toujours quelque chofe de plus a lui dire, & 1'heure s'étoit écoulée fans qu'ils y fiffent attention. On entend du bruit; mais ce ne fut que quand il eüt augmenté qu'ils y prirent garde; c'étoit le duc de Modène qui revenoit de la chaffe plutöt que de coutume; elle avoit été heureufe , & il venoit en faire part a fa femme. Les amans fortirent promptement de leur diftradfion, & s'apprêtèrent a faire tête a 1'orage. Richelieu , qui avoit de la préfence d'efprit, raffura la princeffe , en la fuppliant de n'être point effrayée, & de fe fier a lui. Le prince entre dans le cabinet; & Richelieu, qui 1'avoit entendu venir , tenoit fous le bras les livres qu'il avoit apportés. II affura la princeffe , en la faluant, qu'il lui procureroit le lendemain ceux qu'elle lui faifoit 1'honneur de lui demander. Le duc de Modène regarde attentivement ce colporteur qui fe préparoit a. fortir; lui dit de refter, & 1'interroge fur fon commerce. Richelieu répond hardiment; il parle un mauvais irancois, mêlé d'italien ; & interrogé de nouveau fur le lieu de fa naiflance, il fe dit Piémontois. Après plufieurs queftions, le prince lui demande s'il a été a Paris} Le marchand répond que oui,  Vu privêt & que c'eft dans cette ville qu'il a fait un meilleur comrnerce; que les fatyres contre le fyftème deLaw, 8c les brochures qui traitoient des amours de 1'abbé Dubois, ainfi que de la manière dont il avoit été facré archevêque de Cambray, ayant regu, le même jour la prêtrife, le diaconat, le fous-diaconat, les quatre mineurs , la tonfure , ce qui avoit fait dire au célébrant impatienté, ne faudra-r-il pas que je regoive aufli le baptême ? k quoi quelques plaifans répondirent que c'étoit au moins le jour de fa première communion : que toutes ces brochures auroient fait fa fortune, fi le nouvel archevêque n'eüt donné des ordres très-précis de mettre k Bicêtre ceux qui les colporteroient; que lui avoit été menacé d'être arrêté, 6c étoit venu en Italië continuer fon petit comrnerce. Et la-deffus, il fupplia fon alteffe de lui accorder fa protection. La ducheffe de Modène n'étoit pas tout-a-fait tranquille; cependant 1'aflurance avec laquelle parloit fon amant, 8c le ton de vérité qu'il empruntoit pour débiter fes menfonges, calmèrent bientöt fes inquiétudes. Le duc, fon époux, qui prit plaifir a écouter ce prétendu colporteur, 1'interrogea encore fur différens objets , & lui demanda s'il avoit vendu de fes brochures a beaucoup de feigneurs ennemis de la régence 8c de Parchevêque qui en étoit 1'ame. Le duc de Richelieu, très-au fait des intrigues de cette cour, amufa le prince par le récit qu'il lui en fit, 8c les anecdotes qu'il raconta. Dans la converfation qui s'animoit, le prince lui demanda s'il avoit eu occafion de vendre de fes livres au duc de Richelieu. Celui-ci 1'alTura que c'étoit une de fes  du Maréchal de Richelieu. 123 meilleures pratiques, qu'il ne paroiffoit rien de nouveau fans qu'il le lui portat, & qu'il avoit caufé plus d'une fois avec lui, comme il avoit 1'honneur de le faire avec fon alteffe. Le duc de Modène parut très-charmé que ce colporteur connüt un homme qui lui étoit fufpeét, & dont il avoit tant entendu parler. Je fuis bien faché, lui dit-il, de ne 1'avoir pas vu durant le féjour que j'ai fait a Paris ; j'ai cependant foupé avec lui, mais il étoit loin de moi , & je n'y fis pas alors attention. Avez-vous entendu parler de fes aventures ? Sont - elles auffi vraies & auffi multipliées qu'on le dit? Monfeigneur, reprit Richelieu, j'ai entendu dire par-tout qu'il avoit eu les premières femmes de la cour; qu'il avoit été adoré de différentes princeffes; & qu'il avoit un talent tout particulier pour féduire les femmes. On ne parloit que de fes bonnes fortunes, tout le tems que j'ai demeuré k Paris, & des tours qu'il jouoit aux mans & aux mères. II eft donc bien iéduifant & bien adroit, repliqua le prince ! — Au point, monfeigneur, que s'il avoit gagé de venir dans votre palais a votre infïï pour y tenter quelques aventures extraordinaires, je ferois de la moitié du pari. —» Oh ! pour cela, ce feroit un peu fort, & je lui défie bien, malgré toute fon adreffe, de me jouer un pareil tour. Le colporteur fe retira, après avoir regu ordre du prince de lui apporter différens livres, en même tems qu'il remettroit ceux de la princeffe. Richelieu jouit intérieurement de la fcène qui venoit de fe paffer, & ne put s'empêcher de bénir rinfluence de fon étoile, qui le mettoit a même  114 Vie privée de poffédêr une princefle charmante, & de tromper li plaifamment fon mari. II fe rendit aux ordres du prince, & eut encore avec lui une converfation a-peu-près pareille. On peut fe figurer combien les amans, qui fe réunirent quelques jours après, s'amufèrent de tout ce qui s'étoit paffé. Ils fe firent de nouveaux fermens de s'aimer, & décidèrent qu'enfin il falloit fe féparer. La princefle ne s'arracha pas de fes bras, fans répandre des pleurs ; elle lui dit qu'elle employeroit tous les moyens de faire un voyage en France, & que cette efpérance foutiendroit fon courage. Richelieu , que de nouveaux triomphes atten* doient k Paris, quitta Modène avec plaifir; il commencoit k être las du röle qu'il jouoit : c'étoit la complaifance qui en avoit prolongé la durée. II avoit écrit aux femmes qui s'intéreflbient a lui, qu'il étoit obligé de faire un voyage k Richelieu; & il avoit envoyé de Modène toutes fes lettres a un homme qui les faifoit partir pour cette ville, d'oü elles revenoient k Paris. Avec cette précaution, il avoit éloigné le foupcon de fon voyage, & faifoit partager a toutes fes maitreffes 1'ennui oü il fe difoit plongé. II fut regu comme un amant adoré; la joie qu'occafionnoit fon retour étincella dans tous les yeux, &c il fallut toute fon adreffe pour fuffire a ï'empreffement qu'on eut de célébrer fon arrivée. II avoit écrit k la ducheffe de Villeroi; & cette lettre étoit tombée entre les mains de fon beaupère , qu'on difoit amoureux de fa belle-fille. U s'étoit déja appercu de 1'amour qu'elle avoit pour le duc, tk. il chercha tous les moyens de s'en  du Markhal de Richelieu. 125 alfurer davantage. Ils ne furent pas difficiles k trouver. Une femme qui aime éperduement, & qui a été long-tems fans voir fon amant, eft naturellement imprudente. La jeune ducheffe le fut; & le maréchal de Villeroi, qui furprit de nuit Richelieu qui s'évadoit de chez elle, crut devoir par honneur, quoiqu'on publiat que ce fut par jaloufie, faire ceffer ce défordre. II fit affembler la familie; & du confentement de tous les parens, il fut décidé que la trop foible ducheffe iroit fe repofer au couvent. Elle eut a peine le tems d'en inftruire fon amant, & partit fans le voir, accablée d'un contre-tems fi facheux. Richelieu , touché d'abord de fa difgrace , fe confola bientöt avec madame de Duras & mademoifelle de Charolois. II étoit occupé auffi a faire fa cour k mademoifelle le Gendre ; & eet agréable paffe-tems fit diverfion au léger chagrin qu'il put avoir de la retraite de madame de Villeroi. Deux mois s'écoulèrent fans qu'elle put fe procurer le plaifir de revoir fon amant. Elle attendoit impatiemment une occafion favorable : elle avoit trouvé feulement celle d'écrire; &c Richelieu, quel'abfence rendoit toujours amoureux, fentit naitre les defirs de furmonter les obftacles qui Péloignoient d'elle. II eft facile k un amant de s'introduire chez une femme qui eft d'accord avec lui. II ne tarda pas k en donner la preuve. La ducheffe de Villeroi avoit dans fon couvent une coufine qui avoit des liaifons avec le prince de * * * , & qui y étoit de même enfermée pour avoir les fens trop prompts ou le cceur trop fenfible. Elle étoit dans les mêmes difpofitions  iz6 Vie privéc que fa parente; toutes deux brülolent du defir de revoir ceux qu'elles aimoient. Elles profitèrent d'une fête que 1'on célébroit dans le couvent. Les religieufes devolent être plus occupées, & les penfionnaires avoir plus de liberté : elles avertirent leurs amans de fe déguifer en abbés, & de venir le jour qu'elles croyoient fi favorable. On gagna, a force d'argent, un delTervant chez qui ils defcendirent, & qui les préfenta a 1'abbeiTe, comme des neveux du curé de Joire, qui étoit fupérieur du couvent. Ce titre leur procura une réception diftinguée; Pabbefle même les traita avec amitié, d'autant plus que leur bonne mine prévenoit en leur faveur. On n'avoit pu avoir ce jour-la de prédicateur , & on les pria de faire un petit fermon. Leur embarras devint trés-grand: ils dirent qu'ils n'avoient pas les pouvoirs; mais l'abbefie infifta, en difant que ce "feroit un exercice de piété fait dans le grand parloir, & qu'il n'y avoit aucun obftacle a ce qu'un d'eux portat la parole. Elle les alTura en même-tems que 1'auditoire feroit peu nombreux. En vain Richelieu objecta-t-il qu'il n'avoit point de difcours préparé : on lui fit perfonnellement tant d'inftances qu'il fallut céder. II demanda de 1'indulgence, &c dit que puifqu'on 1'exigeoit, il alloit prêcher d'abondance. II parloit facilement & avec graces: fa figure embellit fon difcours; les bonnes religieufes furent très-contentes de lui: elles furent même ctonnées qu'il prêchat fi bien en in-promptu; & Richelieu fut lui-même étonné de n'avoir pas déraifonné davantage. Le fermon fini, ils entrèrent dans une falie baffe oii étoient la ducheffe de  ï 5 X Vie privée doute k gloire; mais madame de Matignon, qui lui luccéda quelque tems après, fut la preuve qu'elle n'avoit pas fur lui un pouvoir exclufif. Madame de Gontaut aimoit fon amant pour luimême , pour fon avancement : elle chercha a nourrir encore le goüt qu'il paroiffoit reprendre pour 1'étude. Elle lui fit envifager qu'il pourroit un jour entrer dans le miniftère, & le defir de gouverner redoubla fon aftivité. Quand il fut queftion du mariage du roi, elle lui communiqua un mémoire qui lui avoit été remis pour empêcher le choix de la princeffe de Pologne , & Richelieu s'en fit honneur auprès de madame de Prie. On va en rapporter un extrait. » II y a lieu de s'étonner, que parmi tant de » propofitions faites pour le mariage du roi, celle » de la fille du comte de Leczinski ait pu entrer » en quelque confidération. » Outre la difproportion énorme de toutes cho» fes, qui fe trouve entre un auffi grand prince » &c une fille fans état, fans naiflance que celle » de la plus ordinaire nobleffe dj Pologne, d'un » age peu convenable, & d'avantages perfonnels » médiocres, une infinité d'autres raifons impor» tantes, relatives a 1'intérêt de 1'état, a la fitua» tion préfente des affaires, & a des vues dignes » d'attention, s'unilTant a la gloire du feu roi, &C » de celle de la nation, femblent affez détruire » un projet qui y feroit fi fort contraire ; & ce » ne pourroit être que 1'effet d'une fatalité bien t> étrange, fi les chofes fe trouvoient réduites k » un point qu'on püt regarder comme fortable » pour un roi de France, un parti que fon grand  du Maréchal de Richelieu. 153 » chambellan a négligé, dont le prince de Bade, » frère de madame d'Orléans , a rompu 1'engage» ment pris , & qu'un iïmple gentilhomme de » fon royaume fe vante hautement d'avoir re» fufé. » Mais quelques puiffantes que foient ces rai» fons, il y en a une plus forte , & qui mérite » une attention particulière. » On ne fonge pas affez qu'en contractant cette » alliance, on prend un fardeau plus pefant qu'on » ne penfe ; puifqu'on fe charge de gens qu'on » ne fauroit contenter, & dont il eft impoflible » que, quelque chofe qu'on faffe, on ne faffe » bientöt des mécontens. » Quelques conditions que, par de juftes égards » pour le roi de Pologne détröné, & qui n'a plus » qu'un vain titre, & pour 1'intérêt de la France, » on puiffe leur prefcrire a préfent, & qu'ils ne » manqueroient pas de fubir, pour venir a leur » but, ce feroit fe flatter de croire pouvoir don» ner des bornes k des idéés & k des prétentions » qui n'en fauroient être fufceptibles, & de pou» voir fatisfaire des defirs immodérés, auxquels » on ne fera pourtant vraifemblablement ni en » état, ni en volonté de fe prêter. » II eft donc évident que , de quelque facon que » la chofe tourne, on s'expofe k un péril émi» nent, & k des embarras certains; car, que le » mariage réuflifle k 1'égard du roi, ou qu'il ne » réuflifle point, il en réfulte toujours 1'un ou w 1'autre de ces inconvéniens. » S'il ne réuflit pas, comme cela peut arriver, » quel fujet de reproche, de la part du prince, » comme de la part de la natÏQnl & de quelles  IJ4 Vie privée » couleurs cette *affaire ne feroit pas fufcep~ » tible ? » Si au contraire le mariage tourne k bien, & » que la perfonne choifie vienne, par la fupério» rité de fon age , a prendre de 1'afcendant fur » 1'efprit du jeune prince, ne feroit-il pas k crain» dre que, par le mécontentement inévitable de » fes parens, ce même afcendant ne fe tournat » contre fes bienfaiteurs; fans compter que dès a » préfent, ce feroit mal juftifier envers 1'Efpagne »> & envers 1'Europe entière la démarche éclatante » du renvoi de 1'infante, fi elle ne fe trouvoit » foutenue que par un choix li peu digne de Pat» tente du roi catholique & de tous ceux qui con» noiffent la fageffe & la prévoyance du gouver» nement; lequel au contraire fe trouveroit com» blé de gloire, fi ce qu'il a fait pour le bien de » la France , fe trouvoit fuivi de telles mefures m que les mécontens même fuffent contraints de » les approuver ? » Pour eet effet, on propofe deux princeffes » d'une maifon illuftre, qui joignant 1'une & 1'au» tre aux avantages de la naiflance &c du plus » beau fang de 1'Europe toutes les qualités per» fonnelles, foit pour 1'age, pour la beauté, pour » Péducation , les mceurs & les fentiments , pré» fentent un objet plus digne du choix du roi de » France, & de 1'attention du gouvernement. Ces >» princeffes font : » La princeffe Chriftine-'Wilhelmine, fille du » duc régnant de Saxe-Lizenafs, & d'une prin» ceffe de Weiffenfels, née le 3 feptembre 1711. » Et la princeffe Louife-Dorothée, fille du duc »> régnant de Saxe-Meinungen, & d'une fille de  du Markhal de Richelieu. 155 » Fréderic-Guillaume, éledteur de Brandebourg, » nee en 1710. » Ün ne fauroit fe méprendre au choix de 1'une » 6c de 1'autre de ces princeffes; mais par la rai» fon de 1'age, celui qui les propole inclineroit » plus pour la dernière, 6c 1'on ne voit point » que dans la fituation oü 1'on fe trouve , on » puiffe mieux fortir , ni avec plus d'éclat, d'un » embarras grand en lui-même, mais qu'il eft » inutile de faire connoitre aux yeux du pu» blic. » L'unique obftacle qui pourroit fe rencontrer, » feroit celui de la religion : mais outre que eet » obftacle feroit beaucoup moins fort ici qu'il ne » 1'auroit été a legard d'une princeffe de la reli» gion prétendue réformée, ou dans .'affaire d'An» gleterre, de Danemark 6c de Pruffe , dans la >> circonftance critique des affaires de la religion, » celle-ci ne feroit pas fujette aux mêmes clifH» cultés; cette princeffe fe trouvant ablolument » ifolée, & fortie d'une maifon k laquelle le faint » fiège a de grandes obligations, dont les chefs » font déja catholiques, 6c dont il a éprouvé la » fincérité, 6c Putilité de la converfion. II y au» roit même un expediënt certain pour prévenir j> cette difficulté. Cet expédient feroit de faire » preffentir la chofe k Rome par les miniftres »> de la cour de Pologne, pour la propofer en» fuite ici de concert avec le pape; ce qui » ne fauroit que fermer la bouche aux op» pofans. » II n'y a point de doute qu'indépendamment » de la crainte que la cour de Rome peut avoir » d'un autre mariage proteftant, ce ne (era pas  i 5 6 Vu privée » un petit objet pour elle , que celui de la con* » verfion d'une princeiTe de Saxe, par les vues » qu'elle a fur cette maifon, qui 1'emporteront » certainement fur toute autre confidération. On m pourroit même fe fervir par la fuite utilement » du crédit de la cour de Pologne a Rome, » pour opérer le raccommodement néceffaire avec » 1'Efpagne, pour lequel il ne paroit y avoir que » cette voie, celle de 1'Angleterre étant venue a » manquer. » Si 1'ouverture ci-deffus eft agréée , on in» diquera plus en détail les moyens & la route » qu'il faudra prendre pour la faire réuffir; mais » fi contre toute attente, 1'afFaire fe trouvoit trop » avancée & que ce fut un parti pris, il ne fe» rok alors plus queftion de raifons , il ne s'a» giroit que d'expédiens. » Dans 1'un ou dans 1'autre cas , on ne de»> mande que feize ou dix-huit jours, qui eft le » tems néceffaire pour 1'envoi & le retour d'un » courier , foit pour conftater la nouvelle pro» pofition, foit pour donner au moins quelque » forme convenable k la première, & pour en » régler les conditions, que les engagemens oü » 1'on eft avec le roi de Pologne, & Pintérêt » même du gouvernement femblent exiger égale» ment; car quel reproche n'auroit-on pas a fe » faire, fi, faute d'une petite fufpenfion dans une » affaire fi importante , on tomboit dans quelque » inconvénient ? Comment juftifieroit-on envers » le public équitable, envers le roi d'Efpagne, » fi juftement jaloux de 1'honneur de fon fang & » de fa nation , & peut-être k 1'égard du roi » même, les facrifices de propofitions fi conve-  du Maréchal de Richelieu. 157 »> nables, foutenues par de fi fortes railbns, & » dont 1'évidence eft telle qu'on ofe avancer que » ce feroit fe préparer matière de reproche in» faillible & de blame, que d'avoir pu le né» gliger". Madame de Gontaut avoit fait envifager au duc de Richelieu que., s'il contribuoit au mariage du roi, la future reine lui auroit une éternelle reconnoiifance. Le duc en étoit perfuadé luimême , &c redoubla d'attivité pour faire préférer une princeiTe de Saxe : mais Paris Duvernai, qui avoit beaucoup d'empire fur 1'efprit de M. le duc & de madame de Prie , rendit fes tentatives inutiles. On fit entendre k madame de Prie qu'elle auroit le plus grand afcendant fur la reine; qu'elle la gouverneroit : cette princeffe ne pouvant ignorer tout ce qu'elle auroit fait, pour la mettre fur un tröne qu'elle ' n'auroit du jamais occuper. Ce raifonnement féduilit la favorite ; & la fille d'un roi détröné , plus agée que Louis XV, fans reffources, fans états, n'apportant que des prétentions chimériques, fut préférée aux plus grandes princeffes. Le crédit de la maïtreffe de M. le duc fut affez grand , pour couvrir de honte la nation frangoife par le renvoi de la jeune infante d'Efpagne , dont le mariage étoit arrêté avec le roi. On manquoit, fans raifons, au petit-fils de Louis XIV, k Philippe V, oncle du roi, pour faire un choix qui étonna 1'Europe entière. Voila un grand exemple du pouvoir fans bornes des miniflres qui facrifient tout a lenrs intéréts , k leur ambition, & fouvent aux caprices de leurs maitreffes ! Les rois font obligés de leur confier une portion de  i 5 ^ Vu privét leur puiiTance; & c'eft cette copfiance-la même qui devient ou bienfaifante ou défaftreufe, feloa qu'elle eft bien ou mal placée. Si un bon roi , fi ua roi ferme & inftruit gouvernoit par luimême , il ne pourroit être jamais affez puiffant; car 1'autorité dont il feroit revêtu , ferviroit k faire punir fans diftincrion les hommes coupables dans tous les genres & toutes les claffes. La volonté d'un feul a des effets plus prompts que. celle de plufieurs hommes réunis : le chatiment fuivroit de prés le crime; & les récompenfes fe décerneroient avec difcernement. Mais malheureufement les rois font prefque toujours dans la néceffité de laiffer prendre a des mains ayides les rênes de leur empire , qu'on fe garde bien de leur apprendre a tenir eux-mêmes ; & la cupidité , 1'infolence & la tyrannie règnent fous leur nom. C'eft eet hydre deftructeur, dont il a fallu enfin couper les têtes toujours renaiffantes; & on ne peut trop applaudir au décret qui établit la refponfabilité des miniftres , fi toutefois des confidérations particulières , des intrigues multipliées n'empêchent pas fon exécution. Le mariage du roi fe fit avec éclat; & la jeune reine fut étonnée de celui qui fe répandoit autour d'elle. Jamais rien de fi impofant n'avoit frappé fes yeux. Elle s'affrt, en tremblant, fur le tröne qui lui étoit deftiné : elle doutoit encore de fon bonheur. Timide & fimple , elle regardoit tout ce qu'elle voyoit comme un fonge dont elle ne pouvoit croire la réalité. Ce mariage, fruit d'une plate intrigue, blamable alors, devint , par une fuite d'événemens, très-utile a la France, en lui affurant 1'acquifition des duchés de  du Maréchal de Richelieu. ijq Lorraine & de Bar, dont le père de la reine eut d'abord 1'ufufruit. II faut convenir qu'une autre alliance avec les plus grands monarques de 1'Europe n'auroit jamais procuré d'avantages auffi folides au royaume. Mais ni M. le duc, ni madame de Prie ne voyoient li loin. Ils ne confultoient tout uniment que leurs paffions , & ne fongeoient qu'aux moyens de fatisfaire long-tems leur avidité. CHAPITRE XIII. Le duc de Richelieu ejl envoyé ambaffadeur extraordinaire d Vienne. II y paffe pour un efplon. II a une querelle avec le duc de Rlperda , ambaffadeur d'Efpagne. -L a cour du régent avoit été fi corrompue qu'on fut fort embarraffé dans le choix des perfonnes qui devoient compofer la maifon de la reine. On defiroit placer prés d'elle des femmes dont la réputation fut intacte ; mais on fut bientöt obligé de renoncer au projet. II fallut fe réfigner, & n'être pas fi difficile. On prit celles qui avoient le moins fait parler d'elles ; & prefque toutes pouvoient fe reprocher d'avoir un peu trop écouté le duc de Richelieu. II ne pouvoit faire un pas a la cour, fans rencontrer une nouvelle ou une ancienne maitreffe : il fut s'en faire autant de proteftrices ou d'appuis. L'attachement qu'il témoignoit a madame de Prie ne Pempêchoit pas de voir affiduement 1'é-  160 Vit privét vêque de Fféjus. II connoifloit 1'afcendant qu'il avoit fur 1'efprit du jeune monarque; 6c il ne falloit pas avoir fa pénétration , pour juger que ce prélat le gouverneroit tot ou tard. Fléury alloit lentement a fes fins ; mais il étoit prefque fur d'y parvenir. Dévoré d'ambition, mais politique habile , il favoit la cacher fous 1'extérieur le plus modefte : attendant une occafion favorable , 8c dans le fond de 1'ame , n'étant par fiche des fautes que commettoit M. le duc qui fe laiffoit gouverner 8c tromper honteufement par une intrigante. L'évêque prévoyoit que les rênes du gouvernement qui fe trouvoient entre les mains de cette femme abhorrée 8c méprifée, pafferoient bientöt dans les fiennes. Prefque feul il s'étoit oppofé au renvoi de 1'infante, 8c fe préparoit a empêcher que la princeffe Polonoife ne dominat fon élève. II connoiffoit les courtifans ; 6c ne doutoit pas du foin qu'on auroit a 1'inftruire des obftacles qu'il avoit mis a fon élévation. II vit qtfil étoit tems de fe fervir de tout fon pouvoir fur 1'efprit du roi pour diminuer 1'imprefüon que devoit y faire naturellement la première femme dont il obtenoit la poffeffion; 8c fon fuccès fut fi complet, que la reine, dans le tems même oü le roi lui étoit fort attaché , oü il demandoit a ceux qui lui parloient d'autres femmes, s'il y en avoit une plus belle que a fienne, que cette princeffe, dis-je, n'eüt jamais d'influence dans le confeil. Le roi 8c la reine d'Efpagne, furieux de 1'affront qui leur étoit fait par le renvoi de la princeffe , ne donnèrent a 1'abbé de Livry , miniftre de France en Portugal, chargé de leur appren- dre  du Maréchal de Richelieu. 161 dre cette trifte nouvelle , que le terhs néceffaire pour fortir de leurs états; & le peuple partagea leur reffentiment au point qu'il infultoit tous les Francois qu'il rencontroit. La reine iur-tout donnoit des marqués publiques de fa colère, Sc excita le roi a envoyer des ordres au duc de Riperda , fon miniftre, a Vienne , de conclure promptement fon traité avec 1'empereur. II étoit néceffaire dans cette crife politique , que le roi eüt a Vienne un miniftre actif pour veiller k fes intéréts; 5c le duc de Richelieu fut nommé pour remplir cette place importante. Ses adieux aux dames qui s'intéreffoient a lui, furent tendres Sc nombreux, Sc il partit avec 1'ambition de fe faire honneur dans cette ambaffade. II avoit fu fe mettre bien avec tous les miniftres , iur-tout avec M. le duc. Cet attachement ne nuifoit point a celui qu'il marquoit a 1'évê que de Fréjus. II voyoit que 1'un ou 1'autre devoit un jour 1'emporter; mais dans le moment il crut que M. le duc triompheroit. Richelieu, jufqu'ici occupé de plaifirs , va prouver qu'il étoit fait pour être employé utilement ; il va paffer plufieurs années dans une étude longue Sc pénible, pour apprendre l'art de furpréndre le fecret des cours ; il va prouver qu'étant devenu fort jeune un politique habile Sc heureux, il auroit pu acquérir une g' ande réputation dans cette carrière ; Sc d'autres époques de fa vie montrent qu'il étoit capable de fe diftinguer k la tête des armées. Nous laiffons aux hiftoriehs k pénétrer dans tous les détails du gouvernement ; notre but eft de rapporter feulement les principaux traits de fa négociation. Tomé I. L  i6l Vit privét Le nouvel ambaffadeur ne vouliit paroïtre a Vienne qu'avec 1'appareil le plus irrrpofant : perfuadé que de riches équipages, une maifon nombreufe , & fuperbement habillée , doivent annoncer le repréfentant du plus grand roi de 1'Europe. Perfonne encore n'avoit étalé tant de luxe, & il fatisfit, pour la première fois, ce penchant qu'il a toujours confervé pour la magnifïcence. ïl avoit emmené un grand nombre de gentilshommes, de pages , d'écuyers , d'heiducs, de coureurs , de valets-de-pied ; le fervice de fa chambre étoit très-nombreux; enfin il ne négligea rien pour éblouir par fon oftentation. Malgré eet éclat dont s'environnoit le duc de Richelieu, il paffa d'abord pour un efpion de la cour de France, & il fut très-mal recu. On lui dit même qu'il étoit trop jeune pour être nommé ambaiTadeur ; (il n'avoit alors que vingt - neuf ans). II fit part a 1'évêque de Fréjus des défagrémens qu'il effuyoit : celui-ci lui répondit de patienter & fur-tout d'être prudent. L'empereur Charles VI, plein de fïerté, & de hauteur, étoit affervi k 1'étiquette la plus fcrupuleufe. Ce prince étoit dévot, tk Richelieu fut obligé de le paroïtre. Excédé de la longueur des offices, il témoigna plus d'une fois fon ennui aux femmes k qui il écrivoit, tk fur-tout k la ducheffe **, avec qui il eut une correfpondance affez fuivie. II écrivoit de même au marquis de Silly , qui le mettoit au fait de tout ce qui fe paffoit a la cour de France. Les miniftres de l'empereur avoient été fachés de voir arriver le jeune duc, craignant un miniftre caractérifé de la part du roi; ils ne s'aimoient  'du Maréchal de Richelieu. 165 prit enfuite fon rang. Croyant que ce démêlé auroit des fuites, il fe rendit le foir a 1'hötel de Riperda, qui fit dire qu'il étoit forti. Le lendemain matin, Richelieu envoya favoir des nouvelles de fa fanté : le valet-de-pied revint fans réponfe. Enfin il rencontre eet ambaffadeur a qui il témoigne fon étonnement de ne pas lui avoir fait donner de fes nouvelles, après avoir envoyé chez lui, & s'y être préfenté lui-même : l'ambaffadeur balbutia quelques mots , &c le quitta promptement ; ce qui fit hauffer les épaules au duc de Richelieu, a qui il ne s'avifa plus de contefter fon rang. Quelque tems après , il fut rappellé. Richelieu avoit cherché tous les moyens de fe lier avec le prince Eugène, qui lui témoigna beaucoup d'amitié : mais elle ne confiftoit qu'en des dehors vains & frivoles, elle n'étoit rien moins que communicative , &c l'ambaffadeur ne put en tirer ie parti qu'il efpéroit. II appella l'amour a fon fecours. II 1'avoit déja fait fervir a fon avancement ; il crut qu'il pourroit encore ne pas lui être inutile. La comteffe de Badiani recevoit les vceux du prince Eugène, dont elle avoit toute la confiance; Richelieu fe rappellant qu'il avoit eu fouvent 1'art de plaire, effaya d'en faire ufage pour gagner la bienveillance d'une femme fi effentielle. Entiérement adonné aux affaires , il mettoit a la réuffite de celle qui lui étoit confiée la plus grande importance. II fe flattoit d'avoir pénétré fans fecours dans les fecrets du gouvernement de i'empire; & curieux de s'en affurer, il ne crut pas pouvoir mieux faire que de travailler a ob- L iij  i66 Vie privée tenir la confiance intime de la comtelTe de Badisni. Le bonheur qui s'étoit déclaré pour lui en France , ne 1'abandonna point en Allemagne. II avoit pour rival le prince Eugène, homme célèbre par des viöoires remportées fur Louis XIV Sc fur les Turcs, mais a qui 1'age ne permettoit pas d'être toujours auffi fur de fes fuccès en amour. Richelieu parut devant madame de Badiani avec tous les avantages de la 'jeuneiTe Sc des graces; & la comtelTe , pleine de difcernement, ne put s'empêcher de lui donner fecrétement une préférence très-raifonnée. Adroit Sc infinuant, il partagea bientöt fes faveurs avec le prince , Sc fit connoitre a la comtelTe, tout le mérite qu'il poffédoit. Etonnée d'un amour auffi vif, Sc dont elle avoit des preuves auffi multipliées qu'elle le defiroit , elle jugea définitivement que l'ambaffadeur favoit au moins autant l'art d'aimer que le diplome, Sc concut pour lui une eftime tout-a-fait particuliere. La confiance fuivit 1'eftime. Tous les fecrets du prince Eugène étoient épanchés dans le fein du nouvel amant qui prévenoit par ce moven les opérations contraires aux intéréts dont il étoit chargé. Ce fut ainfi que notre habile ambaffadeur apprit que l'empereur vouloit différer de donner le jour pour fon entree, &c qu'il fut que le duc de Riperda, qui avoit annoncé fon départ , ne vouloit plus partir. Alors on le vit redoubler d'activité, &t parler plus haut qu'il n'avoit encore fait : mais Ie prince Eugène Sc M. de Sinzerdorf 1'affurent qu'on ne fera rien faire de force a l'empereur.  'du Maréchal de Richelieu. 167 CHAPITRE XIV. Eraree publique de Richelieu a Vienne. Aventure des traineaux avec la princeffe de Liechtenjlen. Suite de cette aventure. II fait avoir le chapeau de cardinal a l'évêque de Fréjus. II eft fait chevalier de rordre du Saint - Efprit avant Vage. II termine fa négociation, & revient d Paris. Enfin, après mille tracafferies nouvelles 5c des peines infinies, fon entree publique eft fixée au 7 novembre , 8c fon audience publique de l'empereur au lendemain. Ce fut dans cette occafion que le duc de Richelieu déploya toute la magnificence par laquelle il aimoit a fe faire remarquer. Jamais ambaffadeur n'avoit paru avec un tel cortège. En fatisfaifant fon goüt, il croyoit qu'il étoit néceffaire d'impofer a la cour de Vienne. II avoit foixante 6c neuf carroffes a fix chevaux, 6c fix autres également k fix chevaux de la plus grande richeffe. Le carroffe de corps de l'ambaffadeur étoit garni au-dedans 8c au-dehors de velours cramoifi tout couvert d'une broderie d'or en reliëf avec des franges d'or; les quatre paneaux étoient garnis des armes de l'ambaffadeur brodées en reliëf avec des cartouches; fon chiffre brodé de même rempliffoit les petits paneaux des cötés; le grand paneau de derrière étoit chargé d'une broderie en reliëf, ainfi que Pimpériale dont le velours étoit couvert de gros branchages de broderie d'or, auffi en reliëf, qui, fe réuniffant L iv  16b> Vit privée dans le milieu, formoient une efpèce de fleurs; les chevaux étoient bais-bruns, les harnois de velours cramoifi, couverts de plaques d'argent doré tk de points d'Efpagne d'or, tk les aigrettes de plumes cramoifies mêlées d'ornemens d'or. Le fecond de velours bleu de Ia même richeffe avec les attributs de la paix ; les chevaux gris pomelés, les harnois brodés en or, de même que le velours du carroffe, les plumes bleues tk ornernens en or. Le troifième carroffe de velours verd brodé d'or & franges de même, 1'impériale furchargée d'ornemens de bronze doré, les chevaux ifabelles, harnois pareils en broderie, & plumes vertes garnies en or. Le quatrième carroffe étoit en velours jonquille, tout couvert de broderie d'argent avec des franges d'argent; fur 1'impériale des figures de la prudence, du fecret, &c.fix chevaux noirs d'Italie, les harnois pareils au velours du dedans, couverts de plaques & de broderies d argent, avec des plumes jonquilles mêlées d'ornemens d'argent. Les deux autres carroffes étoient, 1'un de velours gris de lin brodé en or, harnois & plumes pareils, & 1'autre de velours rofe brodé en argent, chevaux alezans brülés, harnois rofe avec plaques tk broderies d'argent, plumes & aigrettes afforties. La fuite étoit auffi brillante : fix coureurs habillés de velours rouge, 'entiérement galonnés d'argent , le reffe de leur ajuftement en étoffe d'argent & franges. Cinquante valets-de-pied, vêtus en drap écar-  du Maréchal de Richelieu. i6«r late, grande livrée de galon de foie pourpre &C argent, chapeaux brodés, garnis de plumes blanches, & épée d'argent. Douze heiducs tenant en main des maffes d'ar- £ent' t . Douze pages tous k cheval, vetus d'habits de velours rouge brodés en argent. Le refte a proportion. Gouverneur des pages, (bus-gouverneur, écuyer, fous-écuyers, fuiffes, vingt-quatre palfreniers , tant a cheval que tenant des chevaux de main Ce pompaix appareil partit du fauxbourg appellé le Lauffrafs, tSc paffa par la porte d'Italie, pour fe rendre dans la rue Saint-Jean, oü étoit le palais de l'ambaffadeur. Une circonftance plus extraordinaire diftingua pour jamais cette entrée de celle de tous les autres miniftres. Les chevaux de la voiture du duc, ceux de celle de fa fuite, qu'on tenoit en main , furent ferrés en argent; le fer d'argent étoit féparé en deux, & ne tenoit qu'a un clou trèspetit, de facon que dans la route tous les chevaux fe trouvèrent déferrés, & le peuple put fe partager leurs dépouilles. Le lendemain l'ambaffadeur eut fon audience publique de l'empereur, de 1'impératrice régnante, & de 1'impératrice Amélie; le même faffe y régna. Le duc parut ce jour-la dans 1'habillement frangois, tel que celui des pairs, quand ils vont au parlement, & introduifit le même ufage dans toutes les affiffances publiques. II y eut dans fon palais des tables nombreures, de plus de cinq eens couverts; les gentilshommes du nonce, de Parchevêque de Vienne y furent invités; tous les officiers des grandes maifons y eurent place; &  •tjo Vu privic pour donner plus de liberté au peuple qui' accourut en foule prendre part a cette fête oii iout lui fut prodigué , Pambaffadeur fit ouvrir tous fes appartemens , &c ne rentra que dans la nuit. Ce même jour fut encore remarquable par le départ précipité du duc de Riperda. Quand Richelieu apprit Pexil de M. le duc & de madame de Prie, cette nouvelle Paffligea fans Pétonner. II avoit été témoin a fon arrivée a Vienne de la haine qu'on lui portoit; c'étoit tous les jours une hiffoire nouvelle, ou des chanfons contre lui, & il ne doutoit pas qu'il ne fut facrifié. D'ailleurs il avoit été inftruit par la ducheffe de * * des démarches de Pévêque de Fréjus, qui, certain de fon crédit, profita des plaintes qui s'accumuloient contre le premier miniftre & fa favorite pour occuper fa place. Le duc recut ordre du roi, par M. de Morville, de ne fe fervir que de Pentremife du pape & du roi d'Angleterre, dans la perfuafion que l'empereur ne voudroit jamais le raccommodement. Le duc de Richelieu, qui étoit perfuadé du contraire, qui avoit toujours penfé qu'en prenant une contenance impofante il finiroit par être médiateur, avoit a combattre & les idees du confeil de Verfailles &c les projets de la cour de Vienne. Son train de vie étoit changé. Ce n'étoit plus celui d'un homme qui ne penlbit, qui ne rêvoit qu'au plaifir; douze, quinze heures de travail par jour ne 1'intimidoient pas; il prenoit fur fes nuits même des momens pour écrire, & fon fommeil qui n'étoit autrefois troublé que par l'amour, étoit maintenant fufpendu pour des affaires plus férieufes.  i78 Vie privée le lendemaln de ce contre - tems, & le rendezvous fut fixé pour le jour même , oü l'amour dédommagea les deux amans de Pévénement de la veille. Le duc de Richelieu étoit ainfi confolé des difgraces qu'il effuyoit dans fa négociation; fa conftance fut pourtant couronnée, & le traité fut figné au gré de la France. Ce fera aux hiftoriens k entrer dans tous les détails de cette affaire : nous nous contenterons de dire qu'elle fut terminée par les foins , le tact jufte & 1'efprit infinuant de Richelieu. II ne s'étoit point borné k négocier : il avoit auffi coopéré beaucoup k faire avoir le chapeau de cardinal a 1'évêque de Fréjus. Cet évêque , en paroiffant ne fe mêler de rien , avoit fait figner au roi 1'exil de M. le duc; & ce fut dans cette occafion que le monarque marqua, pour la première fois, cette diffimulation qui ne fait jamais d'honneur k un roi, & dont fon prédéceffeur avoit donné 1'exemple en difgraciant Fouquet. Louis XV témoigna beaucoup d'amitié k M. le duc, le jour oü il figna 1'ordre de fa retraite k Chantilly; celui-ci ne le recut même qu'au moment oü il alloit partir pour Rambouillet. On eft faché de voir le cardinal de Fleury accoutumer fon pupile k ces détours indignes du chef d'une grande nation. Sans doute M. le duc méritoit fon renvoi; toute la France fe plaignoit de lui, fur-tout de fon aveuglement pour madame de Prie qui difpofoit de tout. II avoit fait comme tous les miniftres qui , en entrant en place , détruifent les opérations bonnes ou mauvaifes de ceux auxquels ils fuccèdent; il leur faut des projets qui foient leur ouvrage , & le peuple eft  180 Vie privie une préfence d'efprit rare jufqu'a la fin de fa carrière, dont le terme fut très-reculé. Fleury n'eut aucune de ces qualités brillantes qui font le grand miniftre, & cependant la France fut heureufe fous fon adminiftration. Le royaume prit bientöt une autre face. Epuifé par le fyftême de Law, le cardinal jugea qu'il avoit en lui-même affez de reffources pour réparer fes pertes. Semblable a un médecin habile qui connoit le tempérament foible de fon malade, & qui n'ofant lui donner aucun remède aftif, 1'abandonne au foin de la nature qui le guérit, le cardinal qui n'aimoit pas la guerre, qui n'avoit pas les qualités pour la faire, qui vouloit être tranquille, acheloit la paix a quelque prix que ce fut, & cette paix fit fleurir le comrnerce, & ramena 1'abondance dans les campagnes. C'eft en ne faifant rien que Fleury fit beaucoup ; il étoit pufillanime, & n'ofoit rien entreprendre : mais très-économe ,■ il regarda 1'état comme une grande maifon qu'il régiffoit, C'eft par le repos que la France répara fes pertes, le génie n'influa point fur fon bonheur. Fleury étoit incapable de rien voir en grand; mais fon adminiftration prouve qu'il fuffit d'être honnête homme, & d'établir la tranquillité dans le royaume, pour le rendre floriffant; qu'un état comme la France n'exige pas qu'un miniftre ait des idéés vaftes & fublimes : qu'il fuffit qu'il ne mette pas fes reffources entre les mains des frippons Se a la merci des intrigans. Le miniftère du cardinal de Fleury , qui, comme il eft facile de le voir par fes opérations, n'étoit pas un grand homme, fait le procés de tous fes fucceffeurs. Le duc de Richelieu vit avec grand plaifir la  du Maréchal de Richelieu. ï8i fin de fa négociation; fa fanté fe délabroit, Sc il n'afpiroit qu'a revenir en France. II avoit cependant été qvfeftion de le nommer ambaffadeur en Elpagne, Sc il n'y avoit que cette ambaffade qui put le tenter; mais il defiroit, avant de fe décider, paffer quelque tems a Paris. Las des affaires, il écrivoit fans ceife k fes maitreffes Si au marquis de Silly, fon ami, qu'il n'avoit d'autre ambition que d'obtenir un bon gouvernement oü il püt être le maitre, ou une charge importante k la cour. Sa préfence étoit encore néceffaire a Vienne, Sc il s'attendoit d'être nommé premier plénipotentiaire au congrès ; mais le cardinal de Fleury s'étoit réfervé cette place. On va voir par la lettre fuivante qu'il étoit bien certain de fon autorité, Sc en même-tems qu'il rendoit juflice au duc de Richelieu, A Rambouillet, ce 26 juin 172 j. » Je réponds, Monfieur, a la lettre dont vous v m'avez honoré du 14, qui nous a paffé la » fignature de M. de Bournonville au nom du » roi d'Efpagne, Sc par conféquent la conclufion » de la grande affaire dont vous étiez chargé. Je » comprends votre impatience de fortir d'un lieu » contraire k votre fanté, k vos intéréts domef» tiques, Sc oü il ne vous refte rien de confidé» rable k négocier; Sc dès que vous demandez » votre congé avec tant d'inftance, le roi eft trop » fatisfait de vos fervices pour vous le refufer. » II n'eft plus queftion que de vous donner des » marqués publiques de cette fatisfaclion que vous » avez fi bien méritée, & de choifir quelqu'uu M iij