VIE PRIVÉE DU MARÉCHAL DE RICHELIEU. TOME SECOND.   VIEPRIVEE DU MARÉCHAL DE RICHELIEU, CONTENANT SES AMOURS ET INTRIGUES, Et tout ce qui a rapport aux divers Roles qua joués eet Hofnme cêlèbre pendant plus de quatre-vingts ans. TOME SECOND, , njar^asB»»-a— A PARIS, Et ft trouvt A MA ESTRICHT, Chez J. P. Roux Sc Compagnie, ImprimeursLibraires, aflbeiés. i 7 9 i.   VÉRÏTABLE VIE PRIVÉE DU MARÉCHAL DE RICHELIEU. CHAPITRE PREMIER. Louis XV paffe en Flandres. Prife de Courtrai; maladie du roi a Met{; difgrace de madame de Chateauroux ; conduite du duc de Richelieu a cent tpoque; mort de madame de Chateauroux > le duc de Richelieu, a fon retour des états de Languedoc, paffe une nuk avec le roi , pour déplorer cette perte. L e roi, guidé par les heureufes infpirations de madame de Chateauroux , arriva a Lille le 12 mai 1744. H avoit huit aides-de-camp» tous pris dans fon intimité. Richelieu avoit été défigné le premier, & fe promettoit bien de faire voir a fon fouverain qu'il étoit auffi favorifé de Mars que de Vernis. La prife de Courtrai & d'Ypres fut accélérée par la préfence du roi qui augmenta la valeur des troupes : & fans doute cette première campagne de Fkndres auroit été très-glorieufe, fi 1'on n'eüt appris que le prince Charles Tome II, A  2 Vu privée avoit paffé le Rhiri , & que des détachemens de fon arrnée ofoient faire des courfes jufqu'en Alface. Pendant le fiège de Courtrai, madame de Chateauroux , qui devoit joindre fon amant k Lille, en recevoit continuellement des lettres. EÏÏe attendoit celle qui devoit lui annoncer fon départ; & pendant ce tems, elle étoit allée k Plaifance dans une maifon k M. de Ërunbi. Le roi remettoit fes dépêches a fon confident le duc de Richelieu, qui envoyoit un de les gens les porter a fon amie. Bientöt le roi quitte la Flandre , & paffe en Aïfacfe avec le maréchal de Noailles, qui commandoit la majeure partie de 1'armée. Le maréchal de Saxe refte en Flandres, oü, après avoir affis fon camp prés de Courtrai , il fut mairite* nir les ennemis, & fit une campagne défenfive , oui eft regardée par les militaires, comme un des meilleurs titres k leur admiration. Madame de Chateauroux, qui avoit été créée fur - intendante de la maifon de la future dauphine , part avec fa fceur la Ducheffe de Lauraguais, pour être témoin des fuccès du roi. Elle brule de jouir de fon ouvrage , & de recevoir un rayon de la gloire dont va fe coüvrir fon amant; déja elle entendoit les éloges dont retentiffoit la capitale. Jamais voyage ne fut entrepris avec plus de joie, & jamais voyage ne caufa plus dë chagrins plus amers. Elle arrivé a Metz avec le roi , le 4 aoüt; quatre jours après, les latigues de la campagne, & un léger coup de löleil, caufent au prince un violent mal de tête, avec ün mouvement de lièvre. L'allarme fe réj.and auffi-töt : t©ut ce qui entoure le roi, ie  du Maréchal de Richelieu. j croït plus mal qu'il n'eft en effet; l'imagination exaltée augmente le danger , & le malade tui* même, qui voit fur tous les vifages les fignes de l'efTroi, eft agité en raifon de la crainte qu'on lui communiqué. Le duc de Richelieu feul l'affura que fa maladie n'étoit pas dangereulè. que la diette & quelques légers purgatifs , en évacuant 1'humeur, lui rendroient la fanté; mais fon éloquence échoua; le roi s'allarmoit de plus en plus , &c fon inquiétude donnoit au mal de la réalité. Madame de Chateauroux & madame de Lauraguais ne quittoient pas le lit du monarque; le duc de Richelieu, en qualité de premier gentilhomme, refufoit 1'entrée de la chambre a tous ceux qui n'étoient pas du fervice intérieur. L'évêque de Soiffons fe préfenta fans pouvoir pénétrer jufqu'au roi , & le duc de Chartres lui - même effuya un refus. Cette conduite, qui n'étoit pas trop politique, & que pouvoit faire excufer feulement le defir de ne point efFrayer le roi, redoubla les inquiétudes & les allarmes de toute la France. On frémiffoit de favoir Louis XV abandonné aux foins de^ deux femmes qu'on accufoit publiquement d'être la caufe de l'état óü il étoit; on étoit fcandalifé de voir le duc de Richelieu qu'ón regardoit comme un homme fans mceurs, fans reli» gion , & comme 1'auteur des défordres du trop foible monarque , gouverner defpotiquement fa fanté & fa confcience. On cria au fcandale; les prêtres fur-tout cabalèrent par-toüt, & répandirent le bruit que le roi alloit mourir fans facremens. Les ennemis de la favorite & de Riche- A ij  .-, Vit privet lieu fe joignlrent k ces clameurs, & 11 f fut bientÓt plus poffible de les eloigner du fat du W Uétat du roi fut exagéré-, on lui eonfeilfe de tecevoir fes facremens- on favoit bien qu'il ne pouvoit faire eet aae de religion, fans eloigner madame de Chateauroux , & c'eto.t tout ce que demandoit la cabale qui Uil etoit oppofee. Richelieu feul repréfente au roi qu'il n'eft point en danS r. U combat fa réfolution & 1'afFoiblit : maïs bientöt de nouvelles tentatives déterminent le prince a fe faire adminiftrer. Richelieui fait inutilement de nouveaux eftorts, fa majefte lui repond • Qutvouki-vous? chacun U dcfire; die fout bien • h vous recommande madame de Chateauroux Cette dame avoit été infultée dans Metz; il falloit la fouftraire k la fureur du peuple , qui ne vovoit en elle qu'une femme qui empechoit le roi de bien vivre avec la reine, & qm caufoit la mort d'un prihce adoré. L'a&on, dont elle avoit été caufe, tournoit feulement au pront de fon amant; on le regardoit comme viftime de fon amour pour fes fujets quM avoit voulu defendre ert perfonne ; &c le Francois, toujours extréme dans Moge ou k fatyre, nut, pour une feuledémarche qui lui avoit ete fuggeree,LouisXV au rang des plus grands rois. O bon peuple! combien on te trompe! & combien font coupables le chef & fes agens , quand üs ne /°ccupenlj-pg detonbonheur, puifqu'il lm faut fi peu de chofe pour fe faire tant aimer! La reine qui arrivoit k Metz, ainfi que monfögneur le dauphin, accéléra le depart de madame de Chateauroux, qm ne put quitter fon  du Maréchal de Richelieu. 5 amant fans croire temt perdu. Ces apprêts reli» gieux, fa fuite, le défefpoir qu'elle voyoit peint fur tous les vifages , redoublerent fes cralntes ; elle s'exagéra, comme les autres, le danger du roi. En vain fon ami Richelieu 1'affuroit que tout le monde déraifonnoit; rien ne put la calmer , & elle écrivit la lettre ci-jointe, a M, de Vernage <, premier médecin ; » Je n'ai d'efpérance qu'en vous, monfieur ; t* la tête a tourné a tous les gens qui environ-* » nent le roi. Je vous demande en grace , qu'il » n'en Ibit pas autant de vous. L'on vous a ap» pellé a toute extrêmité ; ainfi, fi le malheur » arrivé, cela ne peut pas rouler fur vous. Je » vous dois déja la vie; fi je vous devois la fien» ne, ce feroit vous la devoir deux fois; quelle » reconnoiffance n'aurois-je pas ? Et affurément » celle^ci me feroit cent fois plus fenfible que » 1'autre. Comptez, monfieur, fur Pamitié la plus » tendre; la duchefle de Chateauroux", Comme un feul inftant change la face des chofes! Madame de Chateauroux , qui peu de tems avant, commandoit prefqu'en fouveraine dans le palais du roi, ne peut pas trouver une fimple voiture, pour fe dérober aux infultes qu'on lui prodigue. On lui refufe un carroffe a la petite écurie ; Sc les gens qui donnent des ordres, étoient k fes pieds , il n'y a qu'un inftant, Perfonne ne veut plus avoir 1'air de communiquer avec elle; des prétextes multipliés colorent par^tout des re* fus humilians. Richelieu n'avoit qu'une chaife k offrir, Sc il falloit une feconde place pour raa*  6 Vit privét dame de Lauraguais. Enfin, le maréchal de Bellille termina eet embarras , en lui prêtant un carroffe. Le duc de Richelieu qui, dans cette circonftance, fe montra peut-être feul véritablement fon ami, auroit defiré pouvoir 1'accompagner; mais retenu indifpenfablement auprès du roi, il la confie a deux de fes gens , a qui il ordonne de prendre une route de traverfe , pour ne pas rencontrer la reine, qui venoit auprès de fon époux. On recommande aux gens de ne point la nommer , ainfi que fa fceur; & elles ont la douleur d'entendre dans la route toutes les imprécations qu'on fait contre elles. Arrivées a difFérentes poftes, on leur refufe des chevaux, paree que M. d'Argenfon avoit fait donner des ordres de les conferver tous pour la reine. Les gens du duc de Richelieu, difent que c'eft une fceur de leur maitre qui va au-devant de la reine; la livrée qu'ils portent les fait croire; & enfin les deux fugitives arrivent a Paris , dévorées d'inquiétudes, mais délivrées de la crainte d'être a chaque pas infultées. Pendant ce tems , le roi fe réconcilioit avec le ciel. Le jour oii il devoit être adminiftré, le duc de Richelieu re$ut une lettre anonyme, par laquelle on 1'avertifToit de quitter Metz. On lui repréfentöit qu'il étoit dangereux pour lui de refter plus long-tems dans une ville oü il ne devoit pas être vu de bon ceil , & oü les bonnes gens croyoient qu'il s'étoit oppofé au falut du roi. Cet avertiffement fit peu d'effet fur lui; il fe rendit chez le roi. Le comte d'Argenfon, qui avoit été du voyage, Louis XV ayant mené avec lui fes  du Marcchal de Richelieu. 7 miniftres, 1'appercut & vint a lui. II le conduifit dans la chambre de le Bel, & 1'engagea, pour fa füreté, k retourner a Paris : il lui donna a-peuprès les mêmes raifons qui avoient déja été dé~ duites dans la lettre anonyme, & fur-tout, infifta fur fon intimité avec Madame de Chateauroux. Le duc, qui fe méfioit de lui, 1'aflura qu'il étoit très-fenfible k cette marqué d'amitié; qu'il favoit 1'apprécier ; mais qu'il ne quitteroit pas 1'appartement du roi; que c'étoit fon devoir, & qu'il montreroit k fes enhemis qu'il étoit fait pour le remplir, quelques rifques qu'il èüt a courir. En vain, M. d'Argenfon ajouta-t-il qu'il 1'averiiffoit en ami, qu'il avoit entendu dire que M, clc Soiflbns, qui devoit adminiftrer le roi, avoit projetté de s'adrefTer perfonnellement k lui, pour lui reprocher publiquement, d'être la caufe du défordre de ce prince; en vain voulut-il donner plus de poids a fon difcours , en embrafTant le duc, & en le fuppliant, prefque les larmes aux yeux, de quitterun féjour oii il avoit des rifques a courir : Richelieu , ferme dans fa réiblution , & auffi habile politique que lui, le pria k ion tour, pour toute réponfe, de 1'accompagner dans la chambre du roi. II fentoit bien qu'il étoit perdu , ü le roi revenoit de fa maladie, dont les fuites ne lui paroiffoient point a. craindré : on n'auroit pas manqué de lui dire qu'il 1'avoit abandonné; & cette apparente ingratitude auroit détruit a jamais 1'attachement du fouverain. Si, au contraire , contre fon attente, la maladie devenoit mortelle, il ne rifquoit pas plus eu reftant , qu'en s'éloignant 3 il avoit de plus manqué aux devoirs de fa charge. A ïv  g Vit privét Le duc de Richelieu compare la chambre du roi au parterre de 1'opéra, quand il eft plein. 11 eut peine k traverfer ce flux & reflux. II va au lit du roi, lui tate le poulx devant tout le monde, (on a dit qu'il fe mêloit de médecine) & aflure fa majefté que la fièvre n'eft pas forte. II foutient, comme avant, qu'il n'y a pas de danser éminent. Le roi lui paria long-tems; tout le monde avoit les yeux fur lui. L'évêque de Soiffons arrivé avec le clergé; Richelieu ne s'éloigne pas , & regarde fixement l'évêque, qui, dans fon exhortation, n'ofa pas lui adreffer un feu) mot. Le duc de Richelieu a écrit & a répété vingt fois, que la maladie de Louis XV a Metz, n'a jamais annoncé le moindre danger. II étoit convaincu que c'étoit la cabale des prêtres , qui , ayant voulu éloigner madame de Chateauroux qu'elle redoutoit, avoit profité de cette occafion pour porter la terreur dans 1'efprit d'un prince foible. II foutient que la maladie étoit très-fimple; que c'étoit une forte courbature, jointe a un léger coup de foleil, qui avoit mis 1'humeur en mouvement. II aflure que la diette & des boiffons rafraichillantes & délayantes, auroient opéré la guérifon. II dit qu'il a taté trop fouvent le poulx au roi, pour ne pas juger de la qualité de la flèvre, & que jamais elle n'a été violente. II convient qu'il y a eu plus ou moins d'agitation, & il 1'attribue aux impreflions que receyoitleroi. On n'avoit pu lui annoncer qu'il falloit fe féparer d'une femme qu'il aimoit, & qu'il étoit néceffairede recevoir fes facremens, fans qu'il épronvat une forte émotion. L'inquiétude qu'on lui témoignoit, faifoit naïtre la flenne; & il répète  du Maréchal de Richelieu. 9 que fi le roi n'eüt point été entouré de gens qui lui eufl'ent fait peur, & qui euffent eu intérêt a fa prétendue converfion , les chofes n'auroient point été poufTées fi loin. II regardoit tout ce qui fut fait alors comme une véritable comédie, dont le dénouement étoit la perte de la favorite. On fait que cette époque a jamais mémorable pour un roi qui auroit pu apprécier le bonheur d'être aimé, fut le fignal d'un deuil public. Femmes, enfans, vieillards, tout couroit aux temples demander a Dieu la confervation des jours d'un monarque chéri; les faints, les faintes, tout ce qui pouvoit avoir quelque crédit auprès de la dir. vinité fut aflailli de prières continuelles; 1'encens fuma , les cierges brülèrent , & les voütes des cglifes retentirent de chants plaintifs. 011 interrogeoit chaque courier avec un mouvement de crainte 6c d'efpoir ; un roi qui auroit plus fait pour le bonheur de fes fujets , n'auroit pu en recevoir de plus tendres preuves d'amour. Enfin , tout change : la joie, 1'ivreffe règnent dans toute la France, Louis efl convalefcent, & va connoitre combien il eft doux d'être fi cher k fon peuple. Cependant ce prince, 1'idole de la France, qui n'auroit dü voir dans Parrivée du dauphin, que 1'élan de 1'amour filial, interprêta bien différemment fes motifs : il crut que ce prince, conduit par Pambition de règner, n'étoit venu a Metz, que pour s'afTurer de la mort de fon pere , & pofer a 1'inftant même la couronne fur fa tête. II le renvoya peu de jours après; & fon gouverneur , le duc de Chatillion fut exilé, ainfi que fa femme , pour avoir amené fans orcLe fon pupile. Depuis ce tems, il a été moins attaché è  10 Vit privtz M. le dauphin , & ne 1'a plus regardé que comme un fucceffeur dont il aimoit peu la préfence. On eft faché de voir Louis XV, qu'on nous peint toujours comme un bon prince, avoir des ientimens fi peu naturels. 11 éloigna même longtems le dauphin de la connoiffance des affaires : eomme fi un prince , en arrivant au tröne, devoit être étranger a 1'état qu'il doit gouverner ! C'eft fans doute en France, le plus grand vice de 1'éducation des fouverains; ou leurs gouverneurs les ont inftruits de manière a conferver toujours la plus grande autorité, & les ont élevés, pour ainfi dire, a la dépendance; ou leur pere, jaloux de tenir feul les rênes du gouvernement, n'a jamais voulu leur permettre d'en approcher (i). Ils montent furie tröne, quelquefoisavec 1'amour du bien, mais fans rien favoir,fans expérience. lis font obligés de confulter des gens qui ont ïntérêt de les tromper. Incapables de difcerner la vérité, ils ne peuvent la connoitre; & fignent un acte qu'ils croient de bienfaifance , quand il eft 1'ouvrage de la tyrannie. Chaque miniftre , dans fa partie, règne a la place du maïtre. Comme celui - ci n'eft véritablement au fait de rien ,^ il eft obligé de tout voir par leurs yeux, & de s'en rapporter k leurs décifions. C'eft un aveugle qui a befoin d'un conducteur : tant mieux, fi le conducteur le mène bien ! mais, malheureufement, les miniftres occupés de l'aggrandifïement de leur maifon & de leur fortune, ont trop fouvent négligé le bien public. Ils n'ont vu le peuple que (i) Tel a été Louis XIV.  du Marichal de Richelieu, comme une bete de fomme qu'ils pouvoient charger k mefure que les befoins augmentoient. Le peu de ftabilité de leur place , fur-tout pendant le règne de Louis XV, ne leur permettoit que de penfer a eux; une penfion de quarante mille liyres étoit le prix de la retraite d'un miniftre déprédateur & frippon; on envioit les places, ne dut-on qu'y paffer, paree que la récompenfe étoit affurée. Le talent Sc 1'ignorance, le mérite ou Pintrigue, la vertu Sc le vice, tout y avoit également part. Enfin , de déprédation en déprédation , la maffe des dettes de 1'état eft parvenue k fon comble, Sc le mal devint fans remède. En vain, avec des emprunts ouverts ou déguifés, crüt-on y remédier : ce fut un léger palliatif qui diminua, pendant quelque tems , la crife , pour la rendre plus forte enfuite; le peuple porta en triomphe le miniftre, paree qu'il n'avoit pas mis d'impot; Sc il ne vit pasqu'unemprunt, en augmen-» tant_ la dette nationale , nécefiite, tot ou tard , eet impöt. C'eft un malade qui eft foulagé avec de 1'opium, Sc qui a befoin d'en multiplier la dofe, pour en fentir les effets. II ne faut pas être grand financier , pour favoir qu'en augmentant la dépenfe, il faut tacher de mettre la recette au niveau; Sc le gouvernement ne favoit faire cette opération, qu'en chargeant davantage le peuple. Le moment vint oü il ne put fupporter le poids plus long-tems; & il faut efpérer qu'après avoir connu 1'aviliffement oü il a été plongé, qu'après avoir rompu des fers ignominieux, il aura affez de courage pour ne jamais 's'expofer k les reprendre. Nous nous élevons contre Péducation donnée  I2 Kit privit au prince, paree que nous croyons qu'elle eft en grande partie la caufe des maux de 1'etat. Un fouverain accoutumé au travail, n'eft point epouvanté des détails dans lefquels il eft obhge d'entrer ; il s'accoutume a tout voir , & fur-tout k voir jufte. Un miniftre peut le tromper quelque tems; mais bientot il eft k même d'en juger^ & la punition qui fuit 1'abus de confiance, empeche le fucceffeur d'imiter celui qu'il remplace. Un roi n'a que deux chofes k apprendre; k récompenler, & k punir; 1'uri eft un aiguillon pour la vertu, & 1'autre un frein pour le vice. On aura beau répéter qu'un fouverain eft bon : k quoi me fert la bonté fi je fuis malheureux ; s'il abandonne fon autorité k des gens qui en abufent, qui lous fon nom me piongent dans un cachot; qui detruifent ma fortune; qui dilapident les revenus nationaux, & en font quittes pour faire rendre un nouvel arrêt du confeil qui me condamne k payer ce que je ne doispas? Quiconque auroit le courage de rapprocher tous les édits , arrets , déclarations qu'a fignées Louis XV, verroit qu en peu de tems, il créoit & détruifoit le meme obfet Que de fois n'a-t-il pas mis en vente lesotfices municipaux , & que de fois n'ont-ils pas ete fupprimés! Sa vie entière paroitroit une contrad^aion continuelle; & on feroit étonne de voir une nation affez crédule pour ajouter foi aux promefles de fon fouverain, quand il a de]a manqué plus de vingt fois k fa parole. Un roi qm auroit pu juger par lui-même de toutes ces fcandaleufes variations, n'auroit pas tarde a lentir nu'on lui faifoit jouer un röle indigne de fon rang; il auroit été imbu de ce prir.cipe inne dans tous  du Marichal de Richelieu. ij ïes cceurs honnêtes, qu'on ne doit pas manquer k fa parole fans raifon indifpenfable, Sc fur-tout que celle d'un roi doit être facrée ; il auroit fu que les engagemens qu'il contraétoit étoient une dette d'honneur , & qu'en ne Pacquittant pas, c'étoit un vol qu'il faifbit k fes fujets. Que dire d'un fouverain qui décrie lui-même les papiers que fes loix autorifent, qui dit a fes confidens : Ne prene{ pas d'efèts fur le roi, ils ne valent rien; Sc qui fpécule fur ceux qui rapportent le plus ? On ne peut répondre autre chofe, finon que Pinfouciance, & 1'habitude d'entendre répéter que le bien de fes fujets lui appartient, lui font regarder comme un jeu & leur fortune & leur bonheur. Peuple ! élève mieux tes princes, ils feront dignes de te commander, Sc ils fentiront qu'il •eft beau Sc glorieux de faire exécuter tes loix. Tout le monde fait qu'après fon rétablhTement, le roi voulut terminer la campagne par le fiège de Fribourg. La ville fe rendit après un mois de tranchée ouverte, & le roi ordonna la démolition des fortifications, comme il avoit fait k Courtrai. Pendant ces opérations, madame de Chateauroux, rendue k Pefpérance par le retour de la fanté de fon augufte amant, écrivoit au duc de Richelieu de 1'inftruire de tout ce qui fe paffoit, fi le roi s'occupoit encore d'elle : tantöt elle fe flattoit du bonheur de recouvrer fa tendrefie, Sc tantöt fe croyoit entiérement oubliée. Richelieu, fidéle k Pamitié, cherchoit k lire dans les yeux du roi s'il penfoit encore a 1'infortunée duchefie ; il craignoit de 1'interroger ; enfin il ofe un jour lui dire qu'elle lui avoit écrit. Sa majefté lui répond qu'il alloit au même  Ï4 Vit f rivet ïnftant lui parler d'elle , & lui témoigne tous fel regrets de 1'avoir perdue ; mais il eft retenu par le refpect. humain, & il ne peut prendre encore fur lui de manquer fi promptement au ferment public qu'il vient de prononcer. II fe contente de marquer fön mécontentement a ceux qui ont exigé ce facrifice, & fe promet intérieurement de réparer fes torts. Richelieu follicite 1'ambaffade d'Efpagne qui lui avoit été promife ; il s'agifToit d'aller chercher 1'infante que le dauphin devoit époufer. Mais par un caprice fingulier, le roi qui n'ayoit jamais ceffé de le traiter en ami, parut oublier fon favori. Celui-ci eut afTez d'amour-propre pour ne point réitérer fa demande, &: ne fut pas nommé. II s'en plaint dans une de fes lettres k madame de Chateauroux qui lui répond, qu'il faut bien que le maitre fafTe toujours quelque chofe d'extraordinaire. Après avoir examiné 1'état de fes troupes, & avoir donné quelques ordres pour les quartiers d'hyver, le roi crut devoir fe rendre a 1'amour de fon peuple. Les parifiens fur-tout attendoient avec impatience le retour d'un prince qui leur avoit tant coüté de larmes; chaque ville par oii il paffa fit éclater fon allégreffe : toutes youloient furpafTei- les autres en magnificence ; mais Paris, avec plus de moyens, fe fignala davantage. On a fuffifamment traité ce fujet, ce qui nous difpenfe de nous y arrêter; il fuffira d'ajouter qu'un roi ne devroit jamais Oublier de pareils mömens : cent vi&oires ne valent pas ce concours univerfel d'hommages & de tendrefTe. Le duc de Richelieu avoit quitté le roi après  du Markhal de Richelieu. j j la prife de Fribovtrg, & s'étoit rendu en Lahguedoc , oü la tenue des états appelloit fa préf'ence. A fon départ , il crut voir dans ce prince moins d'emprefTement k rappeller fa favorite, &. il défefpéra dë la reconciliation. II 1'écrivit même a madame de Chateauroux, qui le gronde fort de voir tout en noir : elle efpère plus que lui; cependant elle eft décidée de ne pas retourner k Verfailles que le roi ne lui envoie un miniftre , & ne puniffe ceux qui l'ont fait traiter auffi rigoureufement. Dans une autre lettre , elle paroit vouloir pardonner, & ne defirer que de revoir fon amant. II n'avoit fait encore aucune démarche qui annoncat fon retour. Son empreffement ne parut pas très-vif; on pouvoit même croire que madame de Chateauroux étoit en partie oubliée, a moins qu'il ne fut encore arrêté par la bienféance; ce qui toutes fois ne le retint guère, deux ans après, dans le choix qu'il fit de madame d'Etioles. Richelieu étoit abfent, & ne pouvoit pas fervir fon amie auprès du monarque. Leurs lettres peignent 1'incertitude, & on voit même dans celles de Richelieu qu'il ne compte plus fur la tendreffe du roi pour madame de Chateauroux. Cependant vers la fin de novembre, il y eut des pour-parlers entr'elle & le fouverain, & fon rappel fembla décidé. Ce fut alors que la crainte de fes ennemis fe réveilla; ils fe crurent perdus, & felon toute apparence, ils empêcherent la favorite de jouir de fon triomphe. Puifqu'il étoit dit que le roi devoit avoir une maitreffe, ce fut un grand malheur pour 1'ctat. Madame de Chateauroux avoit de 1'énergie, de la grandeur dans 1'ame ;  -6 Va privk elle avoit déja coriduit fon amant vers la gloïre, elle commen9oit a prendre affez de fermeté pour lui dire la vérité, & il y a tout lieu de croire qu'il auroit mérité plus long-tems le titre de bien-aimé, qui lui fut prodigué dans le moment d'ivreffe oü la France étoit plongée après fa maladie. Quand on compare madame de Chateauroux a madame de Pompadour , les regrets de fa mort deviennent encore bien plus vifs; Louis XV étoit né pour être gouverné, & il ne pouvoit Pêtre mieux que par une femme qui avoit le courage de lui montrer fes devoirs. On voit que le duc de Richelieu qui étoit a Montpelier ne put influer fur le retour de madame de Chateauroux. II eft encore faux d'avancer, comme on 1'a écrit, que M. d'Argenfon lui ayant annoncé fon rappel, lui demanda de la part du roi la lifte de tous ceux dont elle exigeoit la punition, & qu'elle le mit en tête; què ce miniftre voyant qu'il n'y avoit aucune réconciliation a efpérer, la fit empoifonner. Les lettres qu'on trouvera a la fin de ce volume donneront la preuve de ce que nous avan9ons: il n'y a rien de plus controuvé que tout ce qu'on a imprimé a ce fujet. Madame de Chateauroux ne haïflbit pas M. d'Argenfon, & celui-ci qui pouvoit être faux a. fon égard, auroit été le plus fcélérat de tous les hommes, s'il eüt contribué a fa mort: il auroit fallu qu'il joignit au crime la plus profonde hypocrifie. Nous allons le prouver par une de fes lettres au duc de Richelieu. Ce dernier a été toute fa vie perfuadé que madame de Chateauroux a été empoifonnée. Mais il n'a rien laiffé qui pvüffe faire foupconner les auteurs du poifon. Madame  du Markhal de Richelieu. ij Madame de Mauconfeil a feulement dit a lirt homme digne de foi, qu'elle tenoit de M. de Richelieu , que madame de Chateauroux étoit morte victime de la cabale des Prêtres. Quoiqu'il en foit, 1'inftant oü fa réconciliation avec le roi fut annoncée, devint celui d'une affreufe maladie. Dés le fecond jour, elle parut mortelle; Le prince qui avoit montré peu d'empreffement a lui rendre fes bonnes graces, fentit alors fon amour fe réveiller; le danger ranima fa tendreffe, & 1'idée défolante qu'il alloit être privé d'une amie fi tendre, le rendit plus amoureüx que jamais. C'eft une fuite de la privation que d'irriter nos defirs. Un homme délaifTé par une femme qu'il auroit quitté lui-même * fent alors un retour de tendreffe qu'il ne peut définir. Le roi défefpéré, envoyoit toutes les heures favoir des nouvelles de fa maitreffe , & prefqué toujours elles étoient déchirantes. M. de Richelien défolé d'être retenu k Montpellier, dépêchoit courier fur courier pour s'informer de 1'état de fon amie. En écrivant a M. d'Argenfon fur les affaires de la province, fon premier foin fut de lui parler de madame de Chateauroux, Sc voici la réponfe du miniftrei A Verfailles, ce i décembre 1744. » Je ne puis vous entretenir , d'autre chofë , » Monfieur , que de 1'ihquiétude oü nous met t> madame de Chateauroux. Vous en aurez des » nouvelles plus fraiches que les miemies, paree » que je ferai demain k Paris, & que je fuis »> obligé de vous écrire ce foir pour ne pas man- Terne II, B  i8 Pit priyéc » quer votre courier. Je fouhaite qu'elles foient » plus fatisfaifantès que les miennes, & que la » nuit oii nous allons entrer n'augmente pas les » accidens qui font a craindre. L'embarras de la » lête qui fubfifte, eft le plus terrible. Cependant » elle répond jufte a toutes les queftions qu'on lui w fait. Vernage même afTure que dans cette maladieM ci, qui eft afTez commune dans Paris, la plu» part de ceux qui en reviennent ont eu des » fymptomes de ce genre beaucoup plus forts , » que madame de Chateauroux n'en a eu juf» qu'ici ; qu'on ne devoit pas même regarder •» 1'affaire comme défefpérée, fi 1'on voyoit ce » même accident augmenter. Les évacuations du » ventre avoient bien été ces jours pafTés, &c »> il eft facheux qu'elles ayent été aujourd'hui « moins abondantes. Cet accident cependant n'eft » pas décifif, & outre qu'après de grandes évaw cuations , il n'eft pas étonnant qu'elles dimi» nuent, vous pouvez vous fouvenir que nous » avons éprouvé les mêmes variations dans la » maladie du roi, & il y a fans doute des moyens » qu'on employera pour rendre la liberté du » ventre. » Voil'a donc quel eft dans ce moment-ci le » fujet de nos allarmes & des efpérances; mais » au milieu d'une pareille fituation, vous pouvez » juger de celle du maitre, &c de ceux qui lui » font véritablement attachés. Je ne puis vous w exprimer a quel point je partage fa douleur » pour lui, pour elle & pour tous ceux qui pen» fent comme nous. Je fuis indigné de la joie in» terne &c mafquée des vilaines gens que je vois » fans cefte autour de lui avec un dehors com-  du Maréchal de Richelieu, f> pofë, qui jouiffent de la peine de leur pauvre » maitre, & qui defireroient bien la voir por» tée au dernier période. Dieu veuille que fa » fanté n'y fuccombe pas! II a un vifage qui fait » trembler, & il paffe malgré cela une partie de »> la journée dans la repréfentation. Je ne finirois » pas de vous entretenir de ce trifte fujet dont » vous n'entendrez que trop parler pour yotre » propre repos. I » Je ne puis vous rien mander fur M, dé Ia » Deveze (i ). Le roi m'a dit que, vous lui avicz » écrit, mais il n'a été queftion.de rien de piusr; » je fens vos raifons pour lui, & je fuis réelle» ment touché de fa peine. Je n'ai pu \ encore en » parler au roi a mon travail, qui-, comme vous w pouvez juger, eft fort interrompu dans ce mo» ment-ci. » Pour ce qui eft de 1'archevêque de Touloufe, » je fais mention de fon neyeu chaque fois que » le roi donne un régiment, &c je.ne demande f> pasmieux,.je vousjure, que de lui procurer » la fatisfaction qu'il defire. » II n'a point été queftion de demander cle » régiment de dragons a la Bretagne, i °. paree >> que réellement nous aurions plutöt befoin d'in» fanterie que. de dragons ; 2°. paree que .Ie » controleer-général qui eft 1'ame de ces états , » n'eft pas , comme vous ie. favez bien , fa~ » vorable i ces fortes, d'établiffemens qu'il ré» garde cornme auffi onéreux aux provinces que » des fecours d'argent qu'il aime mieux y & je ~ • ! \ | —■ (i) Intendant du Langue^oc. b ij •  3,0 Vlc privk 'M ne vols pas la de commandant pour mettre en ?) train une pareille affaire k laquelle tous leS j> états fe feroient oppofés; ainfi je ferois refté » feul de mon avis, &C 1'opération auróit éte *> fans fuccès. Au furplus, vous pouvez dire aux »> Languedociens pour leur confolation, que les » Bretons n'y gagneront rien , & qu'on reprenn dra fur eux bien au-dela de ce qu'on leur éparm gnera de ce coté (i). » Je n'imagin- pas trop que faire de votre petit » confeiller, & je ne penfe pas comment qüelV ques années de' palais peuvent fuppléer k une » campagne de'Moufquetaire, pour pouvoit dew venir ' d'embïée capitaine de cavalerie. Je ne » fais qué confeiller k un jeune homme détermmé » k prendre üri'aufïï bon parti. Voyezfi de verar » vous fervir d'aide-de-camp au commencement » d'une campagne,'ce ne feroit pas un moyen » pour pouvoit dan's le courant de cette même » campagne , arrivèr a fon but. Dans le Vrai, » quelqu'honnête homme qui le détourneroit de » cette idéé, lui rendroit a mon avis, le meil» leur fervice. . _ ' , » Je ne croyois pas quand j'ai commence, re„ pondre k tous les articles de votre lettre. Malst heureufement ce n'eft pas trop y répondre; ■ »"Ce n'eft que vous les rappeller. Je voiidrois i bien avoir dans quelques jours k me réjomr V avec vous fur des objets plus effentiels. Vous ■» connoiffez mon 'amitié & mon attachemem t !iiM fO La belle confolation de favotr wie autre province vêxée, paree qu'on 1'eft foi - même ! L'exeellent remed* trouvé par MM.: let miniflres!  du Marichal de Richelieu. 11 » pour vous.. Je vous jure que je ne les fens ja» mais plus vivement que lorfque j'imagine qu'ils » peuvent être de quelque utilité ou de quelque » confolation, 6c que j'aurai toute ma vie dans » vous la même confiance, vous regardant comme » un ami fincère, Sc fur lequel je puis compter, » Je fuis défefpéré que vous ne foyez pas ici dans » une paralle circonftance, Quelle différence d'un » pareil événement a ceux que votre abfence deyoif » produire, 6c qui avoient fi bien commencé " l Les allarmes continuelles du roi 6c de ceux qui étoient attachés a madame de Chateauroux ne tardèrent point a fe changer en une affreufe certitude : elle mourut le 8 dans des convulfions qui augmentèrent le foupc^n du poifon» Un homme attaché au duc de Richelieu; qui ne quittoit pas. la rue du bac oü elle demeuroit, lui annonca cette trifte nouvelle qui lui fut confirjnée pas fes amis, Sa défolation fut extreme; il perdoit 1'ap» pui le plus fur qu'il eüt a la cour , & s'il étoit fufceptible d'amitié, une amie dont il devoit éternellement regretter la perte. Le roi montra la plus grande affliction. A k mort d'nne perfonne qui nous a été chère , on fe rappelle toutes fes bonnes qualités, &c la douleur qu'on éprouve les multiplie k nos yeux. Ce prince fentit qu'il perdoit plus qu'une maitreffe , d'autant qu'il avoit fous les yeux des lettres quï lui peignoient la franchife, 6c le defir qu'elle avoit de le voir régner glorieufement. On ne peut fe diffimuler qu'il fut plus amoureux après 1'avoir perdue, qu'avant fa réconciliation; car enfin Uft homme qui eut beaucoup aimé, en cédant aux B üj  fz Vit-privit bienféances, auroit trouvé les moyens de voir ert fecret une femme k qui il devoit des réparations, pour la manière inuirieufe dont elle avoit été traitée. S'il eüt craint encore de la voir, rien neJ pouvoit 1'empêcher de lui écrire, & il eft certain qu'il ne 1'a pas fait, comme il eft facile des'en convaincre par les lettres de madame de Chateauroux. Ceux qui ont connu Pamour feront perfuadés que celui du roi n'étoit pas trés-grand; la privation feule 1'irrita , & fit naitre fes regrets. Le duc de Richelieu donna des marqués publiques de fa triftefle pendant les trois femaincs qu'il refta k Montpellier après la mort de la favorite. II vit très-peu de monde; & fans doute, 1'intérêt k part, il donna des larmes k 1'amitié. II avoit deffein de profiter de la nouvelle faveur de madame de Chateauroux pour faire revivre la charge de connétable; il étoit lieutenant-général, & il croyoit que fi elle n'étoit pas créée de nouveau pour lui, il pourroit y prétendre par la fuite; il avoit donné un mémoire oii il prétend prouver qu'on peut rétablir cette place fans inconvénient; en voici quelques fragmens : i » Dans un pays monarchique, dans lequel furtout le fouverain eft tel qu'en France , aucune charge n'a de valeur & de force, que celle que le roi veut bien lui donner; & il n'y en a eu aucune qui n'ait infiniment- varié dans fon prix & dans fes fonftions depuis fon établifTement. Celle de connétable, qui eft devenue fi confidérable par la fuite, n'étoit dans fon origine que le maitre de 1'étable, c'eft - a - dire de 1'écurie , comes Jiabuli. Les maréchaux étoient un peu audeffus des valets de 1'écurie, & étoient examinés  du Maréchal dc Richelieu. 23 fur les connoiffances qu'ils devoient avoir des chevaux, fur-tout de ceux qui étoient chargés de former le peu de troupes qui appartenoient au roi. On ne connoiffoit dans ces temps que la cavalerie ; peu a peu les maréchaux la conduiiirent & firent les fonttions des maréchaux de France d'aujourd'hui. Le connétable fut toujours leur fupérieur. Cette charge fut importante felon les circonftances , & felon la capacité de ceux qui la poffédèrent dans ces temps de barbarie oü la France étoit déchirée par les guerres civiles. Le connétable Anne de Montmorency, celui de tous les connétables qui a le plus étendu les prérogatives de fa charge, & a qui tout le monde écrivoit : monfeigneur , donnoit lui-même cette qualification au duc de Guife qui ne'lui rendoit que M. le Maréchal, en finiffartt votre bon' ami.' Le connétable , malgré fa dignité , n'étoit pas' moins exilé; Montmorency, connétable, amiral & grand-maitre le fut k Ecouen, fans pouvoir faire réfiftance k 1'autorité , dans un tems même oü 1'on étoit dans Fhabitude malheureufe de s'y fouftraire. Mais les partis qui étoient les plus enclins a 1'infubordination, avoient töujours, befcin d'un chef; & on lit dans 1'hiftoire qu'il y eut toujours k la tête des révoltés un prince du fang, chef des grands feigneurs, & des villes qui pre*, noient ce parti. Je crois qu'il ne feroit pas difficile de perfuader qu'a préfent le prince du fang le plus accrédité, ne feroit pas révolter un bataillon, ni même la confrérie la plus mutine contre 1'intendant; & mille fois moins un connétable avec tous fes maréchaux, ainfi que le gouverneur de la province qui efl celui qui y auroit le plus 8 iv  lij / 'ie privee de crédit. On ne fauroit donc craindre les fuites dangereufes dé 1'élévation d'un connétable. Les miniftres feuls peuvent craindre ck être bleffés de 1'éclat d'une telle charge &c du mérite de celui qui la pofféderoit ". » Les Fran$ois, qui ont dans leur cceur 1'amour pour les armes, & la vénération naturelle pour ceux qui y ont acquis de la gloire , & qui fe laiffent éblouir volontiers par les honneurs extérieurs , fe laifferoient entrainer plus volontiers aux refpects pour un connétable, que pour un miniftre , tel qu'il fut. C'eit ce qui engagea le cardinal de Richelieu k faire fupprimer cette charge, Óc le cardinal Mazarin k ïbutenir cette fupprelïion. M. de Louvois eut le même intérêt d'empêcher fon établiffement. Malgré cela , Louis XIV 1'offrit k M, de Turenne, s'il vouloit fe convertir; &, en dernier lieu, 1'auroit donnée k M. de Ven-, döme, s'il ne fut pas mort. On pourroit donner des preuves de ce fait : Magnani, fon fecretaire, vit encore, & en fait toutes les circonftances ". » II y auroit encore plus de raifon aujourd'hui de rétablir cette charge, pour mettre un degré d'émulation parmi la nobleffe & les feigneurs , toutes les autres charges étant tombées dans un grand avil'ffement. La plus grande oppofition que 1'on trouve a fon rétabliffement, fera fans doute de la part de la robe, paree que le connétable paffe devant le chancelier, & que le corps de la robe (qui doit infailliblement, avant cent ans , détruire la nobleffe), eff uni d'une telle fa^on, qu'il fe foutient dans la plus grande intelligence, éc qu'il défendra, de tout fon pouvoir, une éminente prérogative qui donne k fon chef le droit  du Maréchal de Richelieu. ij de paffer devant toutes les dignités & offices que peut pofféder un gentilhömme ". » Le droit le plus important d'un connétable eft de commander fans ordre dans les citadelles: mais on pourroit le retrancher, fi on le jugeoit trop dangereux ; 8c le refte fe borneroit a un éclat qui ne pourroit être a craindre. II ne donne la main a perfonne chez lui, 8c recoit le Monfeigneur de tout ce qui eft au fervice, fi grand qu'il foit, même des maréchaux de France ". On voit, par 1'abrégé de ce mémoire écrit de la main du duc, combien il étoit avide d'honneurs; malheureufement pour lui, fa protecirice n'étoit plus, 6c les miniftres ne furent point de fon avis. Après la conquête de Mahon, il fit encore quelques efforts pour le rétabliffement de la charge de connétable; mais le monarque, qui 1'aimoit, n'avoit pas une volonté affez déterminée, pour remplir fes vues; 8c il trouva encore dans les miniftres des obftacles invincibles, augmentés par la maitrefie régnante , madame de Pompadour. Richelieu, retenu a Montpellier pendant quelques jours, arrivé a Verfailles, la veille de Noël. II va faire fa cour au roi, 6c en eft reen comme un favori, dans le fein duquel il defire épancher fes chagrins. II lui dit de 1'attendre dans fon appartement, après la raeffe de minuit. Le duc , exaft k exécuter les ordres de fon maitre, fe rend chez hu k 1'heure prefcrite. II fe rappelle que peu d'années auparavjnt il lui avoit donné un rendez-vous bien différent, 8c le plaifir qu'il avoit eu a voir que madame de Chateauroux étoit 1'objet chéri du roi; ce fou-  2 6 Vu privcc venir lui arrache quelques larmes, en lui retracant tout ce qu'il a perdu. Louis XV , après le vain cérémonial de fon coucher, paffe dans un cabinet avec Richelieu ; & la, dépofant fa royauté, il trouve du plaifir a montrer toute fa foibleffe. II ne parle que de madame de Chateauroux, de fon amour, de fa maladie, de fes derniers moments; &c le maitre & le fujet répandent enfemble des larmes fur les cendres d'une amie. Le roi fe fait des reproches d'avoir tardé fi long-tems a la rapprocher de lui; il avoue qu'il ne croyoit pas 1'aimer autant, &Z qu'il n'eft véritablement inftruit de fon amour, que par le vuide affreux que fa privation lui fait éprouver. Quand 1'efprit eft exalté, il ne tarit pas fur les louanges de 1'objet que l'on regrette ; madame de Chateauroux n'eut plus a leurs yeux que des perfeftions; la nuit entière fe paffa a les vanter. Le duc affura le roi qu'il étoit aimé pour luimême; que perfonne ne lui étoit plus attaché que madame de Chateauroux ; qu'elle préféroit la gloire du maitre a fon bien perfonnel, & qu'elle étoit morte vicfime de eet excès d'amour. II lui fit part auffi de tous les tourmens qu'elle avoit éprouvés, lorfque fa majeffé fe rendit a 1'amour des Parifiens. Si prés de fon amant, fans ofer paroitre a fes yeux, elle étoit déchirée de defirs & de regrets. Emportée par fa paffion, elle n'écoute plus la prudence, oubliant qu'elle peut être reconnue &z facrifiée par une populace injufte, qui, fans connoitre la bonté de fonxceur, lui faifoit un crime impardonnable de plaire a fon fouverain, elle prend 1'habillement le plus fimple, & accomp'agnée d'une femme-de-chambre ,  du Maréchal de Richelieu. 2.7 elle vole dans les lieux ou elle efpère rencontrer fon amant : trop heureufe de s'affurer par ellemême que fa fanté eft rétablie, &l qu'il eft 1'idole de fon peuple. Le roi n'eft point étonné , en apprenant ces marqués d'attachement; il n'en peut plus douter; il fe reffouvient de tout ce que lui a dit fa favorite, des torts qu'il eut avec elle, quand elle lui parloit d'affaires : Je lui marquols de l'impatience, s'écria-t-il, quand je lui devois des remerciemens. II ouvre en même-tems une petite caffette, & jettant des lettres fur une table: Voye{, dit-il, comme elle m'almolt, elle me difoit la vé~ rité. Tous ces .précieux reftes furent parcourus, & il eft fans doute facheux que ces lettres aient été brülées. Le maréchal en avoit confié la copie d'une feule qu'on fe fait un clevoir de donner au public. Sire, • » Le point d'élévation ou votre majefté a daigné me placer , doit, dans tous les tems , me faire des envieux & des ennemis. Si 1'ambition avoit pu guider mes pas pour y monter, certainement 1'amour n'eut pas tardé a me faire faire tous les autres. Vous ne feriez pas roi que vous mériteriez d'être aimé pour vous même : jugez. ce que doivent être mes fentimens, quand vous faites réjaillir fur moi un peu del'éclat dont vous brillez. Vous m'avez permis plufieurs fois de vous dire la vérité, & je me fens plus de courage en 1'écrivant ".  xg Vie privci » Commencoos par vos miniftres fur lefquelsr vous me faifiez 1'honneur de m'interroger hier. Je refpette votre choix ; il ne peut être que bien fait. Je n'en accufe aucun ; mais un roi doit être le premier furveillant de 1'autorité qu'il confie. Sire, méfiez-vous fur-tout de votre bonté; elle vous porte a juger les autres par vous-même. Mais ne peut-il par arriver que Pintérêt perfonnel de ceux-ci ne les empêchent fouyent de ré-, pondre a vos vues ? Vos intentions bicnfaifantes peuvent n'être pas toujours remplies ! Si votre peuple avoit a fe plaindre, faites en forte que fa voix puiffe approcher de vous. Si par hafard il étoit opprimé par les agens de votre autorité, ayez le courage de vouloir ce que votre cceur vous infpire, 6c vous ferez toujours le bien. Ah ! fire, quelle plus douce pofition pour un roi que celle de n'être entouré que d'heureux "! » Quand j'ai ofé propofer a votre majefté de commander fon armée, j'ai été loin de 1'engager a expofer fes jours; ils font k 1'état, 6c un bon pére doit fe conferver pour fes enfans. Mais votre préfence, fire, infpirera vos troupes, leur donxiera de la confiance, 6c les fera vaincre ; die vaudra une autre armée, 8c le meilleur général. M. Orry m'a affuré que 1'argent ne manqueroit pas, qu'il y avoit dans les coffres de votre majefté , ou qu'il y feroit rentrer celui qui étoit nécelfaire pour la campagne prochaine ; & j'ofe vous prédire qu'elle ne fera pas défaftreufe , comme celle-ci, fi vous vous déterminez k 1'entreprendre. Les projets d'économie de votre majefté pour fon départ, ne peuvent qu'être approuvés de la France entière, 6c fi elle n'avoit pas déja ható  du Maréchal de Richelieu. 19 les cceurs de fes fujets, je fuis certaine que cette démarche les lui affureroit". » Pardonnez, fire, a ma franchife; vous ne pouvez me faire un crime d'aimer votre gloire. Pourquoi redouter que la vérité puiffe vous déplaire ? Quand on 1'exige, on ne la craint pas* Si je ceffois de m'intérefter k votre grandeur, je n'aurois plus d'amour. Mais je crois pouvoir vous affurer que, tant que j'exifterai, il m'infpirera toujours les fentimens lés plus tendres &c les plus refpettueux ". Le roi avoua au duc de Richelieu, que la franchife de madame de Chateauroux ne lui avoit pas toujours été agréable, & il fe reprocha de nouveau fes torts envers elle. Le duc profita de Ce moment d'effufion, pour lui demander s'il en ■ troit dans fes projets de faire une nouvelle cam■ pagne; & il vit avec plaifir que , du fond de fa tombe, la favorite avoit encore quelqu'influence fur fon amant. Le roi lui parut décidé k retourner en Flandres, & a mener avec lui M. le dauphin , qui devoit- s'arracher des bras d'une époufe nouvelle , pour être témoin du fpeftacle impofant d'une viftoire, & contempler en même-tems tous les malheurs affreux dont elle eft caufe. Le duc fut confirmé dans fon grade d'aide-de-camp du roi; & le jour les furprit enfemble, fans qu'ils fe fuffent appercus de la longueur du tems qui venoit de s'écouler. Le roi le quitta avec peine; il croyoit avoir toujours quelque chofe de nouveau k lui dire de fa maitreffe; & Richelieu , ' emporté par 1'amitié , s'imaginoit aufïi n'en point avoir auez parlé,  3° Vu privce CHAPITRE II. Amours du duc de, Richelieu avec madame de la Popelinière; hataille de Fontenoi; le duc de retour a Paris, loue une maifon pres celle du financier; il fait faire une cheminée tournante par ou il entre dans la 'chambre de fa femme ; il fait mettre une fille a. Vhópltal, pour lui avoir préfèri fon valet-de-chambre. Ï_j E duc de Richelieu qui avoit connu chez madame de la Martelière, M. de la Popelinière, financier extrêmement riche, lui fit beaucoup d'accueil, paree qu'il favoit qu'il avoit époufé une femme charmante. M. de la Popelinière 1'avoit prife dans un état fort obfeur, & avoit cru que la fortune lui tiendroit lieu de ce qui lui manquoit pour plaire. II fe perfuada que la reconnoiffance fe joindroit a Pamour qu'il fe flattoit d'infpirer encore; il oublioit que le cceur fe donne fans réflexions & fans calculs. Sa maifon étoit le rendez-vous des grands & des gens a talens de Paris. Le luxe le plus recherché y étoit étalé, &c des fêtes continuelles atteftoient la magnifïcence du traitant. La Popelinière n'étoit plus jeune, étoit aflèz brufque, & s'imaginoit quelquefois pouvoir fe difpenfer d'égards pour fa femme, paree qu'il lui prodiguoit beaucoup de richeffes. Elle étoit entourée defeigneurs,, qui tous ambitionnoient fa conquête. Le maréchal de Saxe, le marquis de Meufe, & Richelieu fur-tout, afpiroient au bonheur de lui plaire.  du Maréchal de Richelieu. 3 1 Si le dernier n'avoit plus cette première jeuneffe qui porte avec elle la féduftion, il poffédoit 1'habitude de vaincre , & connoiffoit tous les rafinemens de 1'art de féduire ; il étoit aufli dangereux a quarante-neuf ans qu'il 1'avoit été atrente, Sc madame de la Popelinière ne tarda point a s'appercevoir que, s'il n'étoit pas le plus jeune des afpirans, il étoit le plus aimable. Son mari , enivré de la petite vanité de recevoir chez lui des gens de la cour, ne s'appercevoit pas que fa femme étoit 1'attrait qui les ameJioit dans fa maifon. II croyoit ne devoir leur vifite qu'a lui-même, & a la bonté de fa table. II vivoit dans la plus grande fécurité , tandis que le duc de Richelieu lui avoit fermé k jamais le cceur de fon époufe. Cette femme , qui avoit déja recu les premières preuves de la tendreffe de fon amant, ne voyoit que lui, Sc ne refpiroit que pour lui. Le duc, de fon cöté, adoré d'une très-jolie femme , fentit que la douleur avoit un terme, Sc ne penfa que foiblement k fon intéreffante ducheffe; il étoit tout rempli de fa paffion, qu'il cherchoit k fatisfaire de toutes les manières. II ne fe contenta pas des momens du jour qu'il lui confacroit ; il voulut que fes myflères fuffent célébrés pendant des nuits entières. Le portier du financier fut féduit ; quand tout le monde étoit couché , le duc frappoit doucement a fa fenêtre, Sc il étoit introduit furtivement dans 1'appartement. Une femme-de-chambre officieufe, mademoifelle Dufour , étoit admife dans le fecret; après avoir préparé le tröne de la volupté, elle s'échappoit adroitement, pour laiffer aux deux nmans le plaifir de s'y livrer.  j i Pit privét Le duc fe faifoit accompagner dans fes cour fes notturnes par un valet-de-chambre, nommé Stéphano , qui avoit une trés - jolie figure. II lui donna la commiffion de féduire la femme - dechambre; 6c celui-ci, pour plaire a fon maitre , eut bientöt le cceur &c la perfonne de la Dufour; mais il donnoit la préférence a mademoifelle Aimée maitreffe de M. de Panche, tréforier de 1'extraordinaire des guerres. Cette doublé intrigue produifit des événemens funeftes aux amans, comme nous le dirons par la fuite. Le duc jouit pendant quelques mois très-tranquillement des faveurs d'une femme charmante, qui n'avoit pas vingt-quatre ans; fon valet-dechambre 1'attendoit dans fa voiture, qui alloit fe placer fous 1'arcade Colbert; la Popelinière demeurant rue de Richelieu , 1'amant fortoit a pied, & alloit rejoindre fon carrofTe. Un jour qu'on lui avoit dit que, probablement, le mari avoit quelque foupcon de fon intrigue, & qu'il le faifoit fuivre, il vit un homme endormi fur unbanc, rue de Colbert; & au-lieu de monter dans fon carrofTe, 1'imagination frappée que c'étoit un efpion, il courut fur lui, le piftolet a la main , pour le tuer. Le valet-de-chambre voulut le retenir; mais redoutant la colère de fon maitre, il lui repréfente en tremblant , que le bruit que fera le coup pourra éveiller les voifins. Le duc, fans 1'écouter , frappe 1'homme, du canon \ fi brufquement, que cé malheureux, éveillé , & voyant le danger qu'il court, fe met a crier. Alors le valet-de-chambre faifit la main du duc, le traine malgré lui vers fa voiture, &c donne le tems a eet homme, fans doute trés - innocent, qui  du Maréchal dc Richelieu. 33 qui alloit être tué, de s'échapper promptemem\ Richelieu fit jouer un autre röle k ce valetde-chambre. II étoit devenu jaloux de fa maitrefie > & voulut s'aflurer s'il n'avoit point un rival éga* lement heureux. Les nuits qu'il ne pafibit pas chez elle , il envoyoit eet homme, qui avoiï ördre d'examiner tous ceux qui entroient chez la Popelinière. II fe mettoit dans un de ces tonheaux qui fert a contenir l'eau des chevaux de fiacre; il payoit un homme pour le vuider, & lui permettre de s'y retirer. II avoit deux piftoIets, pour fe défendre en cas de befoin, &£ il rendoit le lendemain compte au duc de fes obfervations. Elles ne furent poiiit défavorables a madame de la Popelinière, & la tranquillité ne tarda point a renaitre dans 1'efprit de fon amant. II fut cependant décidé entr'eux qu'ils mettroient encore plus de circonfpe&ion dans 1'emploi des moyens de fe trouver enfemble» Les fêtes qu'occafionna le mariage de M. le dauphin avec Pinfante d'Efpagne, leur fournirent plufieurs occafions de fe voir : & Richelieu, au milieu de ces réjouiffances, confioit k fa maitreffe le chagrin qu'il épröuvoit de ce qu'on 1'avoit privé de 1'honneur d'aller chercher la princelfe. II avoit été nómmé a cette ambafiade , &c il voyoit de très-mauvais ceil, qu'un autre en eüt été chargé. Il ne poitvoit expliquer la cónduite du roi, qui le. traitoit toujours parfaitement bien, & qui lui avoit donné ce défagrément. L'humeur qu'il épröuvoit de cette efpèce de difgrace, ne nuifoit pas k fon amour ; il paroiffoit être tout entier k madame de la Popelinière. Cependant, il trouvoit le tems de Continuef une Tome II, C  34 ^u Pri^e liaifon paruGulièreavecmefdamesPortaiL& Mauconfeih II s'inftruifoit par cette dernière de ceque faifoit M. d'Argenfon, qu'elle gouvernoit, &il favoit le moment favorable de faire de nouvelles demandes. Ce futent fans doute quelques foupcons du miniftre qui aliénèrent 1'amitié qui paroiffoit règner entr'eux ; ce qu'il y a de certain, c'eft que M. d'Argenfon, fans fe déclarer ouvertement fon ennemi, le deffervoit dans beaucoup d'occafions. , Ces diverfes intrigues ne 1'empecherent pas de s'immifcer dans 1'intimité de quatre amans, qm avoient publiquement levé le voile qm couyroit leur liaifon. Madame de Boufflers aimoit M. de Luxembourg, & madame de Luxembourg trouvoit M. de Boufflers préférable a fon man. Cet accord fut d'abord un myftère ; mais les epoux 1'ayant pénétré, & fe trouvant hés par les memes torts, crurent devoir banmr les reproches, & faire tourner cet événement au profit de 1'amitié. Les nceuds en furent plus refferres ; & la contrainte tyrannique fut banme entr'eux. L'arnvée de M. de Luxembourg ou de M. de Boufflers faifoit difparoitre le mari, qui alloit confoler la femme de 1'abfent. Quand ils fe trouvoient a lopéra, ou dans une autre maifon, M. de Boufflers offroit fa voiture a madame de Luxembourg, dont le mari reconduifoit madame de Boufflers. Ils avoient loué chacun une petite maifon, rue Cadet, aux Porcherons; 1'une étoit en face de 1 autre , & chaque mari favoit oü étoit fa femme , par la préfence ou 1'abfence de la voiture de fon amant. , . Richelieu, dans le même tems, acneta une mai-  du Maréchal dé Richelieu^ 3 j 1 föft j rue de Clichi, qu'il appella depuis fon paVillon, 8c qui avoit appartenu a M. de la Boiflière * tréforier de Langtiedoc. Cette maifon étoit voifine d'une autre que M. de la Popelinière avoit aufti dans le même quartier, & ce voifinage en avoit déterminé 1'acquifitiom Ce fut la oii, pouf rappeller le tems de la régence, il renouvelk ces orgiesj fi chères au duc d'Orléans. Voltaire étoit fouvent de ces parties ; & il les célébroit, en chantant des plaifirs auxquels il participoit. M. de la Popelinière alloit fouvent a fa maifon de Clichi oii il y avoit un très-beau jardih; & fa femme profitoit du voifinage pour recevoir a la dérobée quelques carefles de fon amant, qui n'alloit prefque plus chez le mari, dont la jalöüfie étoit fort augmentée. Le portier même avoit été mis dehors, paree que le financier crut s'apperCevoir qu'il étoit d'intelligence avec fa femme, 8c celui qui lui fuccédoit avoit été incorruptiblei Mi de la Popelinière qui n'étoit pas certain d'être trahi» viVoit toujours trés - honnêtemerit aVéC toadame de la Popelinière qui crut devoir être plus circonfpetteé Richelieu, plus amöureux par les obftacles qujü tencontroit, chercha les moyens de tromper a fori aife, un mari qui étoit toujours fur fes gardes. H imagina être fur de fon fait, s'il pouvoit louer une des fflaifons qui touchoient a celle du traitant, rue de Richelieu; mais le hafard ne fervit point alors fon impatience. II crut pouvoir s'ert Confoler avec madame de Boufflers qu'il fut rendre infidelle a M* de Luxembourg. Cependant l'ancien amant eonfervoit toujours fes droits j & Gij  3 6 Vu privée la marquife put prononcer fur le mérite des deux. N'ofant apparemment donner une préférence trop marquée, elle décida en femme prudente qu'il falloit les garder long - tems pour porter un jugement plus certain. Le duc qui aimoit a faire parler de lui, peu content d'avoir triomphé dans un ménage, voulut que le fecond lui procurat une nouvelle victoire; madame de Luxembourg eft attaquée; fa réfiftance eft vaine, en moins d'un mois, elle eft fubjuguée. Mais Richelieu fatisfait d'avoir été préféré a 1'amant ne veut pas qu'il lbit congédié ; celui-ci refte donc toujours attaché au char de madame de Luxembourg , & n'eft pas moins heureux puifqu'il ignore fon infidélité. Richelieu fe contenta de rendre les deux amies coupables dans le même jour, & de jouir des propos de leurs amans qui s'applaudiffoient de leur fidélité. Cette intrigue dura peu. Le duc appellé a de nouveaux plaifirs, ne troubla plus ce quatuor amoureux, qui bientöt cefTa d'avoir lieu, par la mort de madame de Luxembourg; mais un art après, le trépas de M. de Boufflers donna une entière liberté aux deux amans, qui crurent ne pouvoir mieux faire que de s'époufer. Le roi qui aimoit la paix, penfa que la mort de Charles VII, cet empereur éphémère dont 1'élection lui avoit fait prendre les armes, lui permettroit de les dépofer. Mais les Anglois alliés de la reine de Hongrie qui avoient fait des dépenfes énormes pour elle, défefpérant d'en être rembourfés, voulurent s'en dédommager en détruifant la marine Fran?oife & Efpagnole. Louis n'eut d'autre parti k prendre que de faire des arme-  du Maréchal de Richelieu. 37 mens plus confidérables encore; Sc malgré les pertes accafionnées par les dernières campagnes, 1'armée de Flandres oü il devoit fe rendre, étoit la plus brillante Sc la plus nombreufe qu'on eüt vue depuis long-tems. On fe borna 'a faire une guerre défenfrve en Allemagne. Le maréchal de Saxe, chargé de commander en Flandres, après avoir trompé par plulieurs marches Sc contre-marches, 1'armée combinée des alliés, alla former le fiège de Tournai. Ce fut alors qu'ils réfolurent de livrer bataille pour fecourir cette ville. Le roi, fuivi de M. le dauphin qui s'arrachoit des bras d'une époufe chérie, arriva au moment oü tout annoncc-it une aftion prochaine. II avoit avec lui les mëmes aides-de-camp, Sc Richelieu fut charmé que la campagne lui annon$at les occalions de fe diftinguer. Le 11 mai, les ennemis s'avancèrent en ordre de bataille, Sc a fix heures du matin la bataille comme^a. La droite des Francois s'étendoit vers le village d'Antoin , la gauche vers le bois de Barri, Sc le centre étoit a Fontenoi. Nous n'entrerons pas dans le détail de cette bataille célèbre, fur laquelle tant d'auteurs ont écrit; il nous fuffira de dire que le duc de Cumberland qui commandoit les Anglois Sc les Hollandois, par une manoeuvre admirable, forma une colonne épaiffe, & aufli inébranlable par fa conftance que par le courage de ceux qui la compofoient. Si nous nous permettions quelques réflexions fur la manière dont elle fut attaquée, nous ferions tentés de croire que le maréchal de Saxe dont nous fommes bien éloignés de vouloir diminuer C iij  3 8 Vit privée la gloire , afFolbli par les douleurs de la maladie dont il étoit atteint, ne conferva pas toute la préfence d'efprit dont il étoit capable. Qu'oppofa-t-il a cette colonne formidable, compofée de plus de trente mille hommes, qui avoit un grand nombre de coups k tirer, qui fe foutenoit elle-même par la nature du terrein? Quelques régimens qui firent des prodiges de valeur, mais qui furent facrifiés, D'autres troupes fraiches leur fuccédoient &c éprouvoient bientöt le même fort. L'allarme devint générale; cette maffe énorme avancoit toujours , 6c Fon crut la bataille perdue. II étoit déja queiHon de faire retirer le roi 6c M. le dauphin ; ces deux princes eurent le courage de réfifter k ce confeil timide, qui s'il eut été fuivi , auroit entrainé la déroute générale. Richelieu qui avoit eu le bonheur d'échapper k tous les dangers qu'il avoit bravés, vient raffurer les efprits intimidés; il affura que Fontenoi tenoit encore , & que fi 1'on plagoit k un endroit qu'il défigna, quelques pièces de canon , cette colonne jufques-la invincible, feroit bientöt entamée: alors la maifon du roi 6c les autres troupes fe feroient aifément paf fage. Le confeil eft fuivi, Sc les alliés qui fe regardoient déja comme vainqueurs, dont les cris d'allégreffe avoient été entendus de Tournai, 6c auxquels les afliégés avoient répondu, voyent en un inftant changer leurs lauriers en cyprès, Le feu de 1'artillerie eft fi vif & fi meurtrier, que cette colonne laiffe appercevoir un défaut; la maifon du roi, Richelieu en tête, s'y précipita; les gens d'armes, les carabiniers élargiffent les rangs, 6z la déroute eft complette, Rien ne réfifte k la fu-  du Maréchal de Richelieu, 39 reur des Francois, qui devient d'autant plus grande , qu'ils avoient trouvé jufqu'alors une réfiftance qui avoit femblé infurmontable. Ceux qui échappoient au fer du fantaffin , étoient écrafés par la cavalerie; la plaine étoit couverte de morts , & ce fuccès inattendu fut 1'affaire de quelques inftans, Le roi montra ce champ de bataille enfanglanté a M. le dauphin, en lui difant de confidérer ce que coütoit une viftoire. Tout en entier au fentiment, il frappe fur 1'épaule du duc de Richelieu , &c lui promet de ne jamais féparer fes fervices de la journée de Fontenoi. Plus de vingt mille hommes furent tués de part & d'autre. Tournai fe rendit dix jours après ce combat, ÖC le roi y donna une audience publique. Richelieu revint k Paris jouir de fa gloire,^ On n'ignoroit pas qu'on devoit en partie le fuccès de la bataille a fon confeil falutaire, & il partagea les éloges qui furent juftement prodigués au maréchal de Saxe, II devoit être. auffi couronné par 1'amour; mais les obftacles multipliés qu'oppofoit la jaloufie de M. de la Popelinière, arrêtoient le cours de fes fuccès. Heureufement qu'une des maifons voifines de celle du financier fe trouva vacante : il la fait louer fous un nom fuppofé, &Z y met pour conciërge une femme Gérard dont le fils étoit efpion de police, En examinant la difpofition de cette maifon, on trouva que le mur d'une des chambres répondoit k celui du cabinet de madame de la Popelinière. II fut refohi de faire percer la cheminée, pour pouvoir entrer chez la femme , fans paroitre dans la maifon du mari. Un nommé Defnoyer, fcélérat .de profeffion pro» C iv  40 Vie prevee pre k tout genre d'intrigues, fut chargé de cette opération. II choifit deux macc-ns , k qui il promet une bonne récompenfe, & les charge de faire ce travail pendant une nuit, en eaufant le moins de bruit poffible. Defnoyer leur bande les yeux, les met dans une voiture qui leur fit faire beaucoup de chemin, & qui termina la courfe dans la rue de Richelieu. Rendus dans la chambre ou ils devoient opérer, on leur öta leur bandeau, & ils fe mirent a 1'ouvrage. L'appat du gain, cinquante louis qui les attendoient, donnèrent une doublé a&ivité aux ouvriers. L'ouVerture fut faite fans bruit, & on pofa la plaque de la cheminée fur des gonds, de manière qu'en la tournant d'un cöté ou de 1'autre, il fe faifoit vtne ouverture afTez grande pour paffer. On arrangea tout de facon qu'il ne refta aucune tracé de cette opération dans le cabinet de madame de la Popelinière, & quand tout fut terminé, les macons reconduits avec les mêmes précautions qui avoient été prifes pour leur entree , ne furent point oü ils avoient travaillé. Dès la nuit fuivante, le duc, fans caufer d'ombrage, fe trouva dans les bras de fa maitrefle qui n'eut qu'è, s'applaudir de cette charmante inventiom Son valet-de-chambre couchoit dans 1'appartement oü étoit 1'ouverture faite k la cheminée , & mademoifelle Dufour le venoit trouver par le même moyen dont avoit proöté fon maitre. II avoit toujours ordre de tenir en haleine eette femme-de-chambre ; mais elle s'apperfut bientöt qu'elle n'étoit pas aimée, &que Stéphano, digne de fon maitre, lui préféroit une autre femme. Mademoifelle Dufour porta fes plaintes a fa  du Maréchal de Richelieu. 41 maitrefie, qui les comirwniqua a Richelieu. Celui-ci voulut découvrir la caufe du peu d'empreffement de Stéphano; il ne fut pas long-tems fans être inftruit qu'il aimoit une demoifelle Aimée. Elle logeoit rue Saint-Louis au marais, & il ne s'étonna plus des courfes fréquentes qu'y faifoit fon homme. Empreffé de connoitre cette fille, il trouva que fon valet-de-chambre avoit le goüt très-bon. C'étoit une jeune blonde de vingt ans, vive & fraiche. Le duc qui aimoit la beauté partout oü il la rencontroit, crut que mademoifelle Aimée feroit ravie de recevoir les hommages d'un homme comme lui, & qu'elle feroit une énorme différence d'un pair de France a un valet; mais 1'amour qui fe rit de toutes les vaines diftinctions des hommes, en ordonna tout autrement. La fille qui préféroit déja Stéphano k un financier , lui fit bien aifément encore le facrifice d'une Excellence. Monfeigneur fut remercié, & le modefte Stéphano plus heureux que jamais. Richelieu, calmant fon premier tranfport, s'imagina que la perfévérance lui rameneroit une fille égarée par la paffion; mais convaincu que fes foins étoient inutiles, il concut 1'odieux projet de la perdre. II va trouver M. Berryer, lieutenant de police , miniftre fubalterne , toujours déyoué aux grands, & lui demande un ordre du roi pour faire arrêter cette fille. II veut en mêmetemps punir fon valet-de-chambre d'être plus favorifé que lui, & recommande au lieutenant de police de le faire mettre au Fort-l'Evêque. II fut réfolu entr'eux qu'on feroit arrêter les deux amans enfemble, & qu'il falloit pour cela leur faciliter les moyens de fe voir.  41 Fit privét Le duc feint d'aller k Verfailles; il emmène un autre valet-de-chambre, & dit a Stéphano qu'il n'aura pas befoin de lui de trois ou quatre jours. Cetui-ci enchanté de cette nouvelle, court aufïitöt en faire part k fa maïtreffe qui difpofe fi bien fes moments , qu'elle lui promet k fouper & a coucher pour le foir. C'étoit oii les attendoient les fuppöts de la police. A peine étoient-ils a table qu'on frappe; il faut ouvrir : un exempt de police, des gardes leur ordonnent de les fuivre de la part du roi, & laiffent a peine a Stéphano Ie tems de remettre fon habit qu'il avoit öté. 11 fe réclame de M. le duc de Richelieu , dit qu'il eft fon valet-de-chambre, demande qu'on le conduife a 1'hötel; mais la feule réponfe eft de le trainer dans un fiacre qui s'arrêta au grand Chatelet pour y dépofer la malheureufe Aimée : Stéphano fe voit écrouer au Fort-l'Evêque. Dans le premier moment, il ne fait a quoi attribuer fon malheur ; il n'a rien fait pour fe I'attirer : mais réfléchiftant que fon maitre eft altier & vindicatif, il ne peut plus douter qu'il ne foit viftime de fa vengeance. La rage dans le cceur, il n'ofe encore s'en plaindre ouvertement; il veut le quitter & s'engager : mais les recruteurs fachant qu'il eft attaché a Richelieu, n'oferont pas lui donner d'engagemens. Enfin après cinq ou fix jours, il voit arriver Defnoyer dans la prifon, qui lui dit qu'on le cherche par-tout, &c que le duc en eft fort inquiet. C'eft k fa recommandation, ajoute-t-il, qu'il doit fa liberté. D'oii venez-vous donc, lui demande Richelieu en le voyant ? Monfeigneur , vous le favez; je ne me plains pas pour moi : mais il eft affreux f  du Markhal de Richelieu, 4$ répond Stéphano, de faire enfermer une fille qui ne vous a fait aucun mal; faites-la fortir de prifon, je vous en fupplie. Le duc furieux le chaffe , & ajoute que s'il entend parler de lui, il le fera conduire dans fon pays (en Italië) pieds & mains liés. Le malheureux fe cache quinze jours chez Defnoyer, fans ofer paroitre. Pendant ce tems, le duc fait tranfférer fa maitrefTe k 1'höpital, malgré le pardon qu'elle lui demande par écrit. Elle n'avoit pu faire parvenir fes plaintes k M. de Panche. Stéphano 1'inftruifit de fa fituation par une lettre anonyme; mais ce tréforier qui gardoit des ménagemens avec fa femme, &c qui redoutoit encore plus le crédit du duc, n'ofa faire aucune démarche en faveur de cette infortunée qui fut vicfime du pouvoir. Elle paffa dix-huit mois k 1'höpital, 6c n'en fortit que paree que Richelieu qui alla en embaflade k Drefde, Poublia. Elle n'avoit plus rien, fes meubles avoient été vendus, & fon refus de confoler les defirs d'un ^rand, lui valut la mifère. Stéphano fut oblige de demander pardon pour rentrer chez fon maitre, dont il fut long-tems k oublier 1'indigne traitemenr. II reprit fes fonttions auprès de lui, en le futvan* chez madame de la Popelinière, &c il crut politiquement devoir fe raccommoder avec mademoifelle Dufour. Mais elle ne tarda pas k voir que la perte de fa rivale, ne lui donnoit pas plus de droits fur le cceur de fon amant. Des reproches , elle paffa k la haine ; & ce fut une des raifons qui perdit madame de la Popelinière , comme nous allons le raconter. Dans les premiers tems de la liaifon du duc  44 Vit privée avec madame de la Popelinière , on xrut qu'i! lui faifoit la cour par procuration, &c qu'il deftinoit cette financière au roi pour le confoler de madame de Chateauroux. Richelieu, difoit-on , avoit öté cette ducheffe des bras du duc d'Agenois pour la mettre dans ceux de fa majefté. Le public en étoit perfuadé, & on fit beaucoup d'épigrammes a ce fujet, que les bons amis de cour du duc eurent grand foin de répandre. Dans une de ces pièces de vers, il étoit peint fous 1'emblême d'un papillon qui, voltigeant de fleurs en fleurs, avoit été pris par un oifeleur. Cet homme , pour le punir de fa légéreté, lui coupe les ailes. L'Amour en rejette un cri, 8c vole demander aufli-töt vengeance a Jupiter : ce dieu fourit de la colère de 1'Amour , Sc pour calmer fes plaintes lui promet de réparer le mal ; il lui donne les ailes de Mercure pour les porter a fon favori. On vit cependant que Richelieu n'avoit réellement travaillé que pour lui; 8c dans le fait, il jouiffoit paifiblement de fa victoire. Le mari étoit .aufli fort tranquille; on ne parloit prefque plus de cette intrigue; la cheminée tournante déroboit les amans k tous les foupcons. Un foir , ils furent prés de leur perte. La Popelinière étoit dans le cabinet de fa femme , 8c Richelieu frappe a la cheminée : c'étoit le fignal pour ouvrir. Madame de la Popelinière effrayée, affefta de 1'humeur pour ne pas faire voir fa crainte, 8c le coup ayant redoublé, fe plaignit des voifins qui faifoient quelquefois le foir atfez de bruit pour 1'incommoder. Auffi-töt avec une apparente colère , elle prend la pincette , & en difant qu'elle  dit Markhal dé Ékchditu. 4J leur rendra le change, elle frappe deux coups ; c'étoit le fignal du danger, & Richelieu averti du contre-tems obferve le plus profond fdence. Le mari, a qui la jaloufie même la plus attive, n'auroit pu faire deviner le myftère de la cheminée, crut de bonne foi ce que fa femme lui difoit, & fe retira. Les amans ne tardèrent pas k fe dédommager de leur frayeur. Le duc étoit très-lié avec MM. de Beaufremont, de Bouillon & de Gontault. Son Defnoyer leur procuroit en commun hommes, femmes felon leurs defirs, & gagnoit beaucoup d'argent a ce honteux commerce. II avoit de plus leur confiance, (un pareil homme eft toujours chéri des grands,) & il en abufoit pour tyrannifer tous ceux qui étoient chez eux. On prétend que le nis de la femme Gérard , conciërge de la maifon que Richelieu venoit de louer, voyant avec peine que Defnoyer gardoit même 1'argent qui n'étoit pas pour lui, voulut s'en faire donner aufli. On a dit qu'il étoit efpion de police; il avoit été inftruit des fcènes fcandaleufes qui s'étoient paffées entre Richelieu & fes amis; on 1'accufa de leur avoir écrit a chacun en particulier, que s'ils ne dépofoient pas vingt-cinq louis k tel arbre qu'il défigna dans les Champs-Elifées, il les dénonceroit au public. Perfuadés que la police n'étoit capable de leur en impofer, les amis fe coramuniquèrent leurs lettres, & décidèrent qu'il'falloit mettre de 1'argent au pied de 1'arbre défigné, mais avoir en même - tems des efpions déguifés, pour arrêter 1'homme. Le projet fut exécuté : mais ï'auteur des lettres ne parut pas; il avoit probablement réfléchi qu'il feroit épié, &c il ne crut  40 Vit ptlvlt pas devoir compromettre fa liberté. Defnoyer \ que fon röle infame admettoit dans 1'intimité de ces meliieurs , fut bientöt inftruit de la lettre circulaire. II n'aimoit pas le fils de la femme Gérard; il fit tomber les foupcons fur lui, & Richelieu qui pardonnoit peu, égaré par fon confident * fut trouver M. de Marville pour faire mettre Gérard a Bicêtre. La bonne femme fa mère, implora la miféricorde de fon maitre pour un fils dont le crime n'étoit pas prouvé; mais ces prières furent inutiles; Gérard refia enfermé, & le fut fi long-tems, qu'il mourut dans fa prifcn. Les nouvelles maitreffes que faifoit Richelieu, n'étoient point un obftacle k ce qu'il continuat de voir les anciennes. II y en avoit même plufieurs pour qui il confervoit une tendre amitié. Madame de la Martelière étoit du nombre. II la voyoit fouvent malgré une maladie de langueur qui me* na$oit fes jours j elle s'amufoit de la gaieté de fon ancien amant, & du récit de fes aventures. Mais dans 1'hyver, cette maladie fit tant de progrès qu'elle ne laiffa plus d'efpérance , & le duc eut la douleur de la perdre au moment oü la tenue des états 1'appelloit k Montpellier,  du Maréchal de Richdieü. j^j CHAPITRE III. Richelieu connoit d Montpellier une damt Capon^ femme d?un conful. IL regoit des ordres pour ptr* fécuter les Protejlans ; fage conduite quil deint envers eux ; mcmoirt qu il envoyt au Roi en leur faveur. I_» E duc, rendu en Languedoc , ne pénfa plus a la perte qu'il venoit de faire. II fut affez occupé des ordres qu'il recevoit de traiter les proteftans avec la dernière févérité. M. de Saint-Florentin, fans talens, fans mérite, accoutumé k commander en fouverain dans la partie du gouvernement qui lui étoit confiée, donnoit des or« dres , au nom de fon maitre, de punir du dernier fupplice les miniftres qui feroient arrêtés. Déja ces ordres avoient été exécutés , & loio qu'ils eufTent ramené le calme , la fermentafion des efprits annongoit des événemens très-funeftes. Les filles d'une dame Clairet, qui avoient été enlevées pour être mifes dans un convent, oh Pon devoit les inftruire de la religion catholïque , fe trouvant très-incommodées du régime de vie qu'on leur faifoit obferver, & de Pair, qui ne leur convenoit pas , ne purent obtenir du miniftre Saint-Florentin , d'être transférées dans un autre couvent. Cet homme pouffoit la bêtife & le defpotifme fi loin, qu'il croyoit ne devoir jamais déroger aux ordres qu'il donnoit. La mère de ces infortunées qui toraboient dans le maraP  48 Vit privée me, eut recours au crédit du commandant, qui parvint a les faire changer de lieu. Malgré les rigueurs qu'on exercoit contre eux, les proteftans fe dévouant au martyre, s'affembloient dans les endroits oü ils fe croyoient le plus en fureté, pour affifter aux exercices de leur re'igion. Plufieurs furent arrêtés; & fuivant les inftructions de la cour, les miniftres & les plus mutins devoient être condamnés a être pendus* Ils étoient dans les prifons de Nifmes; le duc de Richelieu s'y tranfporta, &C affectant la plus vive colère, & 1'emprefTement le plus grand a févir contre ces malheureux , il les interroge lui-même; il voit plus d'égaremens & de fanatifme, que de crime, & il engage les femmes les plus diftinguées de la ville a lui demander leur grace. D'abord il femble inexorable ; les prifonniers qu'on avoit fait venir fe jettent a fes pieds, & promettent de fe conformer a la loi qui leur défendoit toute efpece d'affemblée. Richelieu leur fait donner une parole authentique, qu'ils rentreront dans leur devoir , & paroiffant céder aux inftances des dames , il leur accorde leur pardon & la liberté. Saint-Florintin jetta feu & flamme; & fi le duc n'eüt pas joui de la faveur particulière du roi, fans doute, cet acte d'humanité 1'auroit perdu. Richelieu, au milieu de fes occupations, avoit diftingué une dame Capon , femme du conful, qui étoit très-jolie. Le mari, honoré de la vifite du commandant , ferma les yeux fur les motifs qui 1'occafionnoient. Bientöt cette dame, féduite par 1'ambition & 1'amour, n'oppofa plus de réfiftance; & perfonne dans la ville n'ignora qu'elle étoit 1'objet  du Maréchal de Richelieu, 49 1'objet favorifé des foupirs du commandant. On prétend qu'une fille fut le fruit de leurs amours. Mais qu'elle appartienne au père ou a Richelieu, cette fille, en grandifiant, fuccéda a fa mère. Le duc la maria aun nommé Roufie, commis k Bordeaux , & vécut publiquement avec elle. Madame Roufle fut la dernière maitreffe déclarée qu'il eut * il lui fit, en la mariant, un cOntrat de cent mille livres, pavable k fa mort. Un cure fanatique, qui vouloit abfolument 1'ex* pulfion des proteftans, défefpéré de la douceur qu'employoit le duc de Richelieu, crut trouver un moyen de les perdre, en les accufant de Pavoir afiafliné. II fe donna k cet effet plufieurs coups de couteau, qu'il eut grand foin de ne pas rendre dangereux ; & il publia qli'en revenant de chez un de fes confrères, il avoit été attaqué par une troupe de proteftans, qui prirent heureufement la fuite au bruit de quelques chevaux qu'ils entendirent fur la route. Les évêques crièrent au fcandale Sc k la vengeance. Prefque tous defiroient Pextinétion de la religion réformée, k quelque prix que ce fut; & ces miniftres des autels, faits pour annoncer un Dieu de paix, étoient les premiers a confeiller Peffufion du fang, & k défhonorer le maitre fuprême, en le repréfentant aufli cruel qu'eux. La plainte de ce curé fit arrêter beaucoup de malheureux , qui, tranquilles chez eux, n'avoient même pas congu 1'idée de ce crime. On infiruifit lem* procés avec la plus grande chaleur ; 1'envie de les trouver coupables perfuadoit qu'ils Pétoient , & fi le dernier fupplice n'eüt pas flétrï Pinnocent, il auroit fans doute gémi long-tems Tome II, J)  jO Vit privée dans les prifons. Heureufement que ce fcélérat de prêtre eut 1'indifcrétion de fe vanter k un ami de ce complot odieux , qu'il regardoit comme tme bonne action ; tant le fanatifme dans tout genre eft a craindre ! Celui-ci en fut indigné, & ne put s'empêcher de parler de cette affaire a un tiers. Le bruit s'en répandit; on interrogea de nouveau ie curé ; fes dépofitions ne furent pas exadtes. On examina plus attentivement la nature des coups : tout parut fufpect; il fut queftion de le décréter lui-même. Les évêques allarmès, qui ne participoient que trop au fanatifme de la province, firent difparoitre le curé, & impofèrent filence a la juftice. Les accufés, dont f'innocence étoit prouvée par cette fuite , eurent encore beaucoup de peine a obtenir leur liberté. La conduite pacifique du commandant, qui s'inquiétoit fort peu de la croyance de chacun, avoit coloré 1'effervefcence qui régnoit dans les efprits ; mais Pintolérance du clergé la fit renaitre. Chaque jour, il fe paffoit de nouvelles fcènes. M. de Bernage, nouvel intendant de la province, voulant faire fa cour au petit SaintFlorentin, qui, du fein de 1'opulence & du luxe, s'amufoit k tyrannifer les confciences, avoit fait emprifonner plufieurs proteftans foupgonnés d'avoir fait venir une quantité confidérable de livres a l'ufage de la religion prétendue - réformée. On avoit trouvé cette caiffe fur la plage de Cette ; un patron qui s'en étoit chargé, 1'avoit fait jetter a la mer, quand il s'étoit vu pourfuivi par la chaloupe des fermes. Tous ces acles d'iniquité irritoient de plus en  du Maréchal de RichelleUi, Jfc plus les efprits, & le duc de Richelieu jugea qu'on alloit fans doute renouveller bientöt les dragonades;, fcènes a jamais déshonorantes pour la France, oii 1'on vit le Francois égorger fon frère, paree qu'il différoit dans fon culte. II avoit déja parlé aux évêques , aux mlnif* tres. II réfolut de donner un nouveau mémoire au roi, qui produifit enfin 1'effet qu'il attendoiti Nous croyons devoir le conferver comme une preuve authentique de la modération & de 1'humanité du duc de Richelieu, dans cette Circonf-» tanCe* Nous defirerions pouvoir lui rendre toujours un même hommage. Ce mémoire que nous allons tranferire, eft aflez intéreflant pour mén-* ter 1'attention du lecteur, » L'éloignement du Languedoc, fa forme d'adminiftration , la fingularité du génie de fes ha** bitans, & la fituation plus fingulière encore des Cevènes & contrées adjacentes, ont été apparem* ment mal repréfentées; & c'eft la feule chofe k qüoi 1'on puiffe raifonnablement attribuer le peu de foin que 1'on a pris de prévfenir les malheurs dont cette province eft menacée. Elle en a éprotivé dans les tems les plus reculés pour différentes caufes de religion, dont la vivaeité des Languedociens leur a fouvenj fait embrafler les erreurs aveC promptitude, & foutenir avec le plus grand acharnement "-. » Le feu roi révoqua 1'édit dé Nantés qui avöif établi légalement la fe£le des calviniftes; & par cette révocation déclara ne vouloir plus fouffrii? dans fon royaume que des catholiques. On tróuvd fcontre ce que 1'öri avóit préfumé) qu'il för'tóit du royaume une trop grande qltantité de citoyens, Dij  jj, Vit privèe dont on crut qü'une grande parfie étoit entrainée par complaifance, & ne feroit pas fachée d'avoir quelque prétexte pour être arrêtée, &c que dans un cas fi extraordinaire , on pouvoit fe fervir d'expédiens qui pouvoient le paroitre autant (i). L'on fit une ordonnance par laquelle tous les calviniftes (que l'on commenca a ne vouloir plus appeller que nouveaux convertis) qui fortiroient du royaume, & qui feroient arrêtés fur la frontière, feroient condamnés aux galères, & leurs femmes rafées &c enfermées pour leur vie ". » On voit donc que s'ils reftoient, ils étoient obligés de renoncer k leur croyance , a pouvoir fe marier, a avoir des enfans légitimes, & que s'ils vouloient s'échapper, ils couroient le rifque d'aller aux galères. Ce remede violent, qui pouvoit être convenable dans un moment de crife pour lequel on vouloit s'en fervir , a toujours fubfifté; 1'ordonnance qui le prefcrit, n'ayant pas été révoquée ". » Les grandes profpérités de la guerre de 1688, & 1'abattement des calviniftes dans le moment, ne leur permit pas de fe reconnoitre &c de donner aucune inquiétude. La paix fe fit en 1697, ce qui les empêcha de pouvoir faire aucun mouvement ". » La guerre de 1700 ne fut pas fi heureufe; ils commencèrent trois ans après a faire paroitre 1'envie qu'ils avoient de profefiër plus librement leur religion. On n'entrera pas dans le détail fi (1) C'eft un courtifan qui parle a un roi , fucceffeur de celui qui a fait le mal, & qui croit le réparer par une lot plu$ eruelle encore.  du Maréchal de Richclku. 53 connu de tout ce qui fe paffa ; 011 rappeliera feulement que le roi fut obligé d'affoiblir fes armées pour en former une en Languedoc. M. Ie maréchal de Villars gagna une fameufe bataille dans la plaine de Nages oü il tua quinze mille Languedociens calviniftes ; malgré cela , le roi crut nécefTaire de ne pas continuer cette guerre, & aima mieux la terminer par un traité qui auroit pu paroitre indécent, fi la néceffité ne Peut juftifié ". » Les proteftans humiliés, abattus, ne furent point détruits. 11 y en a encore aujourd'hui cent foixante mille dans un pays fort peu étendu, & de difficile accès ". Depuis Pépoque dont on vient de parler, ils n'avoient rien fait qui dut donner une inquiétude férieufe; une partie du peuple faifoit des affemblées, la nuit, dans les bois & fur des rochers, pour prier Dieu , felon leur religion; mais ces affemblées que l'on n'a jamais pu empêcher, étoient peu nombreufes &c pas extrêmement fréquentes dans les commencemens; peu de mariages s'y faifoient devant leurs miniftres, & prefque point de baptêmes; tous leurs enfans étoient baptifés a 1'églife. Un grand nombre fe foumettoit a de certaines épreuves qu'on leur prefcrivoit pour pouvoir juger de leur apparente catholicité , après quoi on les marioit devant des prêtres ". » II y a une grande conteftation qui a été traïtée pendant les derniers états, pour favoir fi la rigueur de ces épreuves a été augmentée infeniïblement par les évêques, & fi les enfans, que les curés ne baptiferoient plus que comme-ba"tards,  54 Vu prive'e avoient éloigné les calviniftes de 1'églife, & les avoient provoqué a s'écarter de leur devoir; ou fi la tolérance qu'on a été obligé d'avoir, faute de moyen de févir pendant la dernière guerre , a mis les proteftans dans 1'habitude de s'affembler en auffi grand nombre qu'ils ont fait depuis, & k fe mettre en état d'être redoutés, fans ofer les renfermer dans les loix du royaume, jufqu'a ce que l'on eut des forces confidérables ". » Je ne traiterai point cette queftion qui eft étrangère a 1'objet de ce mémoire, & je prieraï feulement votre majefté de fe rappeller que depuis le temps qu'elle m'a confié le commandement du Languedoc, je n'ai cefTé de lui faire des repréfentations fur la néceftité de prévenir des maux que je croyois confidérables pour 1'avenir ". » II y a environ huit ans que mes repréfeniations furent très-vives, & votre majefté ne peut avoir oublié les inftances réitérées dont je 1'ai importunée a ce fujet, n'ayant pas cefTé de folliciter fes miniftres de former un fyftême réfléchi pour lui propofer; fyftême fans lequel je penfois que l'on ne travailleroit jamais efficacement k guérir le mal, & prévenir ce qui eft arrivé & ce que l'on doit craindre ". » II faut convenir que le fyftême pourroit rencontrer de grands obftacles par la difficulté d'accorder la délicatefle des évêques avec ce que la politique des loix civiles auroit pu defirer fur le mariage des proteftans. Ces difEcultés n'ont point été levées; le tems s'eft écoulé, les afiemblées fe font multipliées, le zèle de la religion a été jufqu'au fanatifme, & peut-être tout le monde eft-il devenu coupable ? II eft aifé de fentir que dans  , du Maréchal de Richelieu. 55 une fituation pareille , un nouveau fyftême , fi modéré qu'il put êfre, ne réufiiroit pas fans de grandes forces pour 1'apprécier ; mais que ces mêmes forces, fans annoncer en même-tems rien de nouveau qui put appaifer les efprits, ne feroient que des martyrs 8c des vittimes ". » On a éprouvé il y a deux ans que des afres de rigueur détachés 8c fans principes , n'avoient fait qu'aigrir confidérablement le mal. On prit deux miniftres dont un fut» pendu, 8c l'on fit, felon les anciens ordres , quelques punitions fur les lieux de 1'afTemblée : cela produifit un complot de maflacrer par repréfailles quarante curés; le jour fut pris, 8c un hafard feul fit qu'il n'y en eut que trois, un des principaux meurtriers n'a pu être pris, 8c eft encore impunément dans le pays ". » Cet événement caufa une jufte terreur a tous les prêtres, qui quittèrent leurs campagnes pour fe réfugier dans les villes fous la prote&ion des catholiques, laiflant ceux de la campagne fans fecours. Des évêques eurent befoin d'efcorte pour arriver aux états derniers ". » Tel étoit 1'état du Languedoc, quand j'arrivai. Quelques mouvemens de troupes que je fis, quelques menaces appaiferent ce premier feu. Je parlai a ceux que je croyois capables d'entendre raifon , 8c de la faire entendre aux autres. Quelques punitions bien ménagées en impoferent; mais il ne me fut pas pofiible d'aller plus loin par le peu de forces qui étoient alors en Languedoc, en proportion des coupables. A mon retour k Paris, au mois de janvier dernier, je repréfentaj plus vivement que jamais la grandeur du mal. Je don- D iv  5 6 yie privêe jnai a votre majefté des mémoires particuliers, & dans une afTemblée de tous les miniftres , chez M. le chancelier, on parut fentir la néceffité d'un nouveau fyftême bien réfléchi, &c le danger de réduire tant de gens au défefpoir par les raifons cjui viennent d'être dites; mais le concours des évêques étoit nécenaire k ce fyftême, a caufe des mariages qui eft Partiele le plus effentiel ". » On convint dans cette affemblée d'écrire k quelques-uns pour avoir leur avis; & comme on venoit d'éprouver, que des aftes de rigueur détachés fans principes & fans être uniformes &c fuivis de tous points, feroient inutiles, & pourroient être dangereux jufqu'au moment oü l'on pourroit agir avec raifon & force, on convint de refter dans Pinattion. Rien n'étoit plus raifonnable, mais le fyftême n'eft point venu, & Pinaction eft reftée (i). L'impunité k augmenté 1'audace; les affemblées les plus nombreufes fe font faites impunément; les mariages , les baptêmes (i) On peut voir combien il étoit difficile de faire faire le bien, quand lei miniftres étoient abfolument les maitres. Le commandant d'une province, favori du roi, eft dix ans a obtenir quelques modérations dans le traitement des proteftans. 11 s'adreffoit direclement au roi qui étoit a même de juger de la juftice de fa demande, mais qui, toujours foible & pareffeux, cloignoit de lui la connoiffance des affaires pour s'en rapporter a fes miniftres , qui ne faifoient jamais que leurs volontés. Cela prouve combien il eft effentiel qu'un fouverain foit en état d'agir par lui-même. Cependant le mat augmentoit; Sc. fans la modération de Richelieu, le Languedoc auroit été en feu. Quand un homme , dans fa fituation , ne pouvoit rien, que pouvoit donc un particulier ifolé ? Pauvre peuple, que tu as été long-tems viflime ! Sc que, dans ton ivreffe, tu as prodigué a tes rois des furcoms qa'ils ne méritoient pas.  du Maréchal de Richelieu. 57 & Pexercice de la religion proteftante font prefque publics ". » Cette accumulation de défordres a juftement allarmé votre confeil qui n'avoit jamais perdu de vue , a ce qu'il paroit, de former un nouveau plan général de conduite, & de le foutenir d'un grand nombre de troupes. M. d'Argenfon demanda a quoi l'on étoit déterminé ; ce qui donna occafion a un nouveau confeil, le 16 juillet, chez M. le chancelier, oü M. 1'archevêque de Narbonne afïifta. J'infiftai fur les mêmes chofes : tout le monde en convint; mais on hxa feulement le nombre de troupes que l'on enverroit, a trente deux bataillons, & a trois régimens de dragons, remettant le plan de conduite & le choix des principes fur lefquels agiroient ces troupes, a de plus grandes réflexions ". » Vos miniftres peuvent feuls juger de 1'effet que cette marche confidérable de troupes peut faire par rapport aux affaires étrangères. Mais tout le monde peut fentir également combien il importe k votre gloire & au bien de votre fervice, qu'elle ne fe faffe pas infruttueufement. On court ce rifque-la, fire, & même de plus grands ; fi ces troupes arrivent, fans plan de conduite, ni objet déterminé. Le moins qui pourroit en arriver feroit le bouleverfement de la province, qui tire fon plus grand avantage du commerce & des manufactures dont prefque tous les ouvriers font proteftans. C'eft ce qui arrivera cependant fi les arrangemens font mal pris, ou que l'on n'en prenne pas du tout : mais il eft facile, je crois, avec un peu de tems & de prudence de ramener les chofes dans 1'état oü elles doivent être; c'eft donc du  ^8 Vit privêt choix des moyens Sc de la détermination d'en prendre fans différer , que dépend le fuccès de cette affaire , fur laquelle on peut avancer que 1'Europe a les yeux ". » II eft queftion de ramener a 1'obéiffance un peuple qui ne s'en eft écarté que fur le point de religion, 8c pour en fuivre le zèle fanatique". » C'eft donc les efprits qu'il faut attaquer, & la force n'y peut rien ; il faut leur préfenter des loix nouvelles qui ne choquent pas précifément celles qu'ils ont, qui ne foient point en oppofition avec 1'humanité & la raifon, 8c qui puiffent les renfermer dans le devoir , fans les révolter ". » II paroit difficile de continuer a condamner les proteftans aux galères quand ils voudront s'en aller, ou de les retenir pour vouloir les faire penfer par force ce que les préjugés de leur religion condamnent". » Si le roi déclaroit qu'il ne veut que des catholiques dans fon royaume, comme cela eft trèsjufte, 8c qu'il laiffat la liberté de s'en aller a ceux qui ne voudroient pas 1'être, je crois qu'il n'y en auroit pas beaucoup qui s'en allaffent. Ils font plus attachés a leur vilain pays oü ils ne mangent que des chataignes, qu'aucun habitant des pays les plus fertiles ne peuvent 1'être au leur. Si d ailleurs on fe bornoit a empêcher tout culte extérieur, toute affemblée , & qu'on leur donnat quelque facilité pour fe marier, il eft fur que tous les gens confidérables feroient trés - contens, & perfuaderoient les autres par leurs difcours & leurs exemples ". » La perfuafion Sc la douceur ont feules du  du Maréchal de Richelieu. jc) crédit fur les efprits; la violence les révolte , 8c ne les foumet pas. La force k Pappui de la raifon réuffira ; 1'un fans 1'autre échouera ". » Le peuple eft mené par ceux qui ont le plus d'efprit, 8c ceux-ci fauront le mieux connoitre , 8c accommoder ce qui peut convenir k leur religion , 8c k leur intérêt. Ceux qui ont a perdre feront les plus aifés a gagner. Si on leur fourmt des moyens poffibles de perfuader les autres, ils les conduiront oü l'on veut; mais ils fe joindront aux autres, fi on leur refufe tout". » Si le peuple feul continuoit les affemblées, 8c que les gens confidérables fuffent foumis de bonne foi, il y auroit peu de chofe a craindre en tems de paix fur-tout; mais fl tous les proteftans font également révoltés, le défefpoir général eft fort a craindre ". » II faut donc fe perfuader que fi 1'envoi des troupes n'eft accompagné, ou précédé d'un nouveau plan de conduite qui renferme les objets contenus dans ce mémoire, les troupes feront un fpe&acle dangereux k expofer, 8c feront un effet qui peut 1'être encore davantage; de même que fi elles viennent appuyer un fyftême bien choifi, il y a tout lieu d'efpérer qu'avec un peu de patience 8c de modération, le calme fe rétablira , les efprits s'appaiferont, 8c tout le pays fera réduit au point que l'on peut defirer". Nous ne nous permettrons aucune réflexion fur ce mémoire qui fait voir que le feul moyen employé par le confeil pour foutenir fa tyrannie décorée du nom d'autorité du roi, étoit la force. On fe fervoit de lettres-de-cachet pour les particuliers ifolés, 8c des troupes pour les malheu-  60 Vit privée reux réunis, qui ofoient fe plaindre. II n'y avoiï pas befoin pour tout cela de longs raifonnemens. CHAPITRE IV. M. de la Poptlinièrt découvre le myflirt de la cheminée tournante ; il fe fépare de fa femme. Richelieu ejl nommé pour commander le débarquement qui devoit fe faire en Angleterre. Mort de madame la dauphine. Le duc ejl nommé ambaffadeur extraordinaire d Drefde, pour le fecond mariage de M. le dauphin. Pendant que Richelieu s'occupoit de la pacification du Languedoc, & des moyens de 1'obtenir, la jaloufie préparoit k Paris bien des chagrins k madame de la Popelinière. Elle avoit eu Pimprudence de renvoyer mademoifelle Dufour fa confidente, & cette fille médita de s'en venger. Elle étoit abandonnée de Stéphano, qui auroit pu empêcher fon indifcrétion. Livrée a elle-même r elle prit la colère pour guide, & fut trouver le financier. Bientöt le méchanifme de la cheminée eft expliqué : il confiftoit dans un petit reflbrt qui faifoit tournër la plaque fur un gond, cömme une porte, &c qui, par ce moyen, procuroit une communication avec 1'appartement voifin. La Popelinière crut avidemment le rapport de cette fille, & voulant éloigner fa femme, il la conduifit a la comédie francoife, & lè, prétextant la néceffité de faire une vilite , il retourne chez lui oii la Dufour Pattendoit. Elle va dans le cabinet de toi-  du Maréchal de Richelieu. 61 lette de fa maitreffe , & comme elle étoit inftruite du lecret mieux que perfonne , elle prouve au mari la vérité de ce qu'elle avoit avancé. Le traitant, convaincu de 1'intrigue qu'il n'avoit fait que foupconner, laiffe exhaler tous les reproches que la rage lui infpire contre une femme pour qui il avoit tout fait. Une clef qu'il appergoit a un fecretaire lui procure la facilité de faire de nouvelles recherches; & des lettres du duc de Richelieu ajoutent a la convittion de la trahifon de fa femme. II donne un louis a la Dufour qui s'attendoit a être mieux payée ; mais ce fut-la tout le falaire de ia délation. 11 ne va pas chercher madame de la Popelinière, comme il 1'avoit promis ; il fait défendre fa porte, &C donne ordre de congédier toutes les perfonnes invitées a fouper le foir. Son deffein eft d'être feul avec fa femme pour lui reprocher, a fon aife, fon infame conduite & fon ingratitude. Madame de la Popelinière, 1'ame encore tendrement affectée d'une repréfentation du Cid, rentre tranquillement fans prévoir ce qui la menace. Son mari furieux lui rappelle 1'état obfcur d'oü il 1'a tirée, & lui dit, en lui montrant les lettres du duc de Richelieu : voila la récompenfe de tous mes foins! Interdite, elle ne peut nier 1'évidence. Elle veut, & ne peut s'excufer; & finit par être entiérement confondue , quand elle apprend que fon mari a connoifTance de la cheminée tournante. Celui-ci la maltraité alors de toute manière, & n'eft dérangé de cette douce occupation, que par une difcufiion affez vive qu'il entend k fa porte. C'étoit le maréchal de Saxe qui venoit fouper , & que le refus d'entrer que lui faifoit le  6 2 Vit privée portier, ne pouvoit arrêter. La Popelinière recon* noit fa voix, &, par égard pour lui, defcend auffi-töt. II s'excufe fur des affaires de la dernière importance qui 1'empêchent de recevoir les per» fonnes qui lui faifoient 1'honneur de venir ordinairement chez lui, & fur-tout M. le maréchal. En lui parlant, il étoit très-animé. Le maréchal voulut favoir la caufe de tant d'agitation, & le financier ne put s'empêcher de lui confier les fujets de plaintes qu'il avoit contre fa femme. Le maréchal de Saxe 1'interrompit, en lui difant : » Mon ami, tu appelles de grandes affaires d'avoir appris que tu es cocu. Crois-moi, ne fais pas de bruit; cela ne fervira de rien; il y a d'aufïi honnêtes gens que toi qui le font, & qui ne di* fent mot. Le duc de Richelieu couche avec ta femme! J'aurois mieux aimé que ce fut moi. On parle d'une cheminée ouverte : fais-la boucher; &c encore une fois , n'ébruite pas une affaire qui n'aura pas de fuite, fi tu n'y mets pas trop d'importance par tes plaintes. C'eft mon avis. Adieu. Fais öter , le plutöt poffible, ta fotte configne, & donne tes foupers comme a 1'ordinaire, finon tous les honnêtes gens te fuiront & te firïleront". Le refpett que la Popelinière avoit pour le maréchal, 1'empêcha de répondre ; mais il n'en fut pas plus fage ; il fit tant de bruit qu'il fut obligé de fe féparer de fa femme qu'il chaffa de chez lui avec une très-modique penfion. Le duc de Richelieu, qui apprit tout ce tapage a Montpellier, fut obligé d'y joindre douze eens livres par mois, pour la faire exifter honnêtement, &c elle alla demeurer rue de Ventadour. Ce fut a cette époque qu'on voulut réalifer ce  du Maréchal dé Richclhu. 63 projet fi fouvent concu 8c jamais exécuté, de faire une defcente en Angleterre. On prit le prétexte de vouloir rétablir lur le tröne le petis-fils de Jacques II. Le duc de Richelieu avoit été nommé pour commander; mais les préparatifs de cette campagne furent fi infuffifans , qu'il ne fut pas pofiible de rien entreprendre. II refla a Boulogne dans 1'inaction; les Anglois tenoient la mer, &c on n'étoit point en force pour les attaquer. Le Prétendant, privé de fecours, fut battu en Ecoffe; il revint a Paris; & a la honte de la nation frangoife, lors de la paix, il fut arrêté en fortant de 1'opéra, pour plaire aux Anglois qui avoient exigé fon renvoi a Rome, ou fon frère le duc d'York avoit regu le chapeau de cardinal- L'on étoit en deuil d'une jeune princefTe qui n'avoit fait que paroitre auprès du tröne; madame la dauphine, enlevée a la fuite d'une couche, mit toute la France dans la confternation : on exagéroit fes bonnes qualités qu'on n'avoit pas eu le tems de connoitre. Le prince, fon époux , étoit inconfolable , il n'en avoit eu qu'une fille. A peine cette intéreflante époufe étoit-elle defcendue dans la tombe , qu'il fut réfolu de le décider k former de nouveaux nceuds. On jetta les yeux fur une princefië de Saxe, fille d'Augufte, roi de Pologne. La politique avoit fait changer les intéréts, &C la reine devoit avoir pour bru la fille d'un roi qui avoit exclu fon père du tröne. Cette foible confidération. n'arrêta pas le miniftère ; il fut arrêté de faire la demande de cette princefTe par un ambafTadeur extraordinaire. Nous avons dit que Richelieu ayoit été def-  64 Vii privit tiné a 1'ambaflade d'Efpagne : le roi crut le dédommager en lui accordant celle de Saxe; il étoit alors a Montpellier. Sa majefté lui recommanda le fecret; car on ne vouloit annoncer le mariage qu'au moment oü il feroit déclaré. Le duc envoya une note au roi de tout ce qu'il devoit faire; le roi 1'appoftilla lui-même en marge. Elle étoit congue &c figurée ainfi : Heft néceffaire, pour L'on ne peut le favoir que le roi foit fervi com- encore, vu qua. Varfome il le defire , que le vie on ne peut-favoir rien duc de Richelieu fache de rien. le tems de fon départ. II eft impofTible que Point de carroffes; cela les ouvriers qu'il eft obli- montrera plus d'emprejfegé de faire travailler , ment, gardent le fecret, & que 1'acquifition des carroffes puiffent fe faire fecrétement. Le duc de Richelieu ■ "En deuil jufquau jour fera-t-il en deuil, en ar- de Vaudience au moins; rivant a Drefde ? ' car je ne fais s'il le peutt ou doit le quitter. Les bons marchés fe On lui en donnera it font avec de 1'argent compte inceffamment. comptant, &C les ouvriers avancent a mefure qu'ils en ont. Le duc de Richelieu, qui n'en a pas beaucoup , fupplie le roi de lui en faire donner. Cependant  du Markhal de RiehelieU. 65 Cependant le duc de Richelieu vint k Paris faire les préparatifs qui lui étoient nécefTaires, & confoler en même-tems madame de la Popelinière qui gémiffoit triftement de fon abfehce. Le plaifir de le revoir lui fit oublier tout ce qu'elle perdoit poür lui, fa répütation & fa fortune; heureufe d'être aimée, elle préféra fa médiocrité a 1'éclat dont elle avoit brille» Elle ignoroit toutes les infidélités de fon amant; & ce ne fut que quelque tems après qu'elle crut devoir fe confo* Ier & même fe venger de fon inconftance, avec Un abbé qui lui tenoit plus fidéle compagnie. Richelieu ne 1'ignora pas; mais il fut indulgent poltr elle, comme il vouloit qu'on le fut pour lui, II pouffa ces bons procédés jufqu'a lui faire payer exadtement la même penfion jufqu'a fa mort qui fut affez prochaine , caufée par un cancef au fein. Le nouvel ambaffadeur partit pour Drefde au mois de décembre 1746. Accoutumé a la magnificence, il eut grand foin d'emmener une fuite confidérable; douze gentilshommes dont un étoit le comte de Lalli depuis décapité, 84 pages, douzë heyducs, 6 coureurs, 50 valets de pieds, &d 11 avoit auïïi fait venir toute fon argenterië dê Montpellier ; mais le roi de Pologne voulut le loger , & le nourrir; en tout il avoit le plus grand état. On lui dónna des fêtes brillantes pen* dant un mois qu'il refta a Drefde; & ce qui lê3 lui rendit plus agréables encore, ce fut le tefldre fentiment qu'il eut le bonheur d'infpirer a la prin* ceffe de Moufinka, dame du palais de la reine, Ri* chelieu ne pouvoit hulle part refter oifif; il aVOll plus de cinquante afts t mais la princefTe ne pfit Tomé //, È  66 Vu privée pas garde aux années, 8c ne vit que 1'homme aimable. La connoiflance particulière qu'elle eut de fon mérite, la confirma dans fon opinion, 8c le Frangois fupplanta chez elle tous les Polonois. Cette intrigue ne fut pas même un myftère; la dame effrayée chaque jour davantage de voir arïiver 1'inftant de la féparation, fe dédommageoit de la privation future, en ne quittant prefquepas Richelieu. Le duc aimoit 1'éclat; il obtint de donner un repas ou il invita tous les grands, & oü il déploya une magnificence extraordinaire. II avoit vaincu les Polonois en amour : il 1'emporta de même fur eux par la recherche 8c par la pro- fufipQ. Le peuple curieux, comme il 1'eft dans tous les pays, accourüt voir cette fête. Une partie avoit pénétré dans la falie, 8c après qu'on fut forti de table prit quelques figures de fucre. Richelieu s'en appergut, 8c leur dit de tout prendre; des décorations immenfes de deflert furent emportées; 8c dans le nombre des fpettateurs, il y en eut qui s'approprièrent jufqu'a des affiettes d'argent, 8c des couverts. On courut en avertir 1'ambafTadeur, qui toujours faftueux , ordonna de laifTer cette partie d'argenterie expofée a 1'avidité du public; tout fut pris. Tel étoit Richelieu, quand il vouloit impofer par de 1'oftentation ; 8c ce même homme fi prodigue refufa de payer a fes valetsde-chambre 1'habit de gala, qu'il leur avoit commandé de faire faire pour la fête : il eut la mefquinerie de répondre k leurs plaintes multipliées que les cadeaux qu'ils recevroient de la cour, devoient les dédommager.  du Markhal de Richelieu, (Jy Plus de deux eens mille livres de porcelaine fut ie préfent que lui fit le rol de Pologne, glorieux du mariage de fa fille. Cependant le duc étoit en Correfpondance avec Louis XV, qui lui écrivit au fujet de fon ambaflade Une lettre aflez plaifante que l'on trouvera avec d'autres k la fin de Ce volume. De retouf a Paris, & toujours accUeilli de toutes les femmes, il fe difpofa a faire la campagne prochaine. Le roi qu'il avoit déja accompagrté devoit paroitre une troifième fois k la tête de fes troupes, & le duc de Richelieu préféroit k tout la gloire de fervir fous fes yeux. II s'étoit trouvé a la bataille de RauCoux; il ambitionnoit le plai« fir d'être le témoin de nouveato cömbats» CHAPITRE V> Richelieu fe trouvé a la bataille de Lawfeld; il ejt demandé par les Génois pour remplacer le duc de Boufflers, Campagne de Gênes. Amours du. duc avec Pelinetta Brignolet, belle-faur du dogth L A réputation du maréchal de Saxe augmentée par le gain de plufieurs batailles, faifoit auguret de nouveaux fuccès pour cette campagne; la ba* taille de Lawfeld, moins fanglante & moirts difc putée que celle de Fontenoi & de Raucoux, donna ün libre champ pour faire le fiège de Berg-öp"Zoöm. Le roi apprit que le duc de Boufflers avoit délivré Gênes du joug des Autrichiens , & qu'il ctoit mort de la petite-vérole, le jour même qti« E ij  68 Vie privie les etlnemis fe retiroient de la ville. 'Les Génois demandèrent le duc de Richelieu pour le remplacer. Tout le monde fait qu'en 1746 les Autrichiens s'étoient rendus maïtfes de Gênes, & qu'ils traitoient les habitans comme des efclaves. L'excès de 1'injuftice produifit bientöt 1'indépendance : un bas-officier frappe un citoyen attelé a un canon ; le peuple indigné fe raffemble; le mot de liberté vole de bouehe en bouche, il exalte les têtes, on s'arme & on brife les chaines péfantes qu'on n'ofoit foulever quelques jours auparavant. La République, qui refpiroit a peine, Stqui voyoit les ennemis prêts k rentrer dans fes murs, implore le fecours de la France. Le duc de Boufflers avoit jufqu'alors empêché les Allemands de faire de nouveaux progrès fur les terres de la république. Le roi, k peine informé de fa mort, annonce a fon favori que fon choix s'accordant avec la demande des Génois, il faut qu'ils fe rende a 1'inftant même a leurs preffans defirs. Le duc, fuivi de meffieurs d'Agénois, de Cruffol, de Chauvelin, part pöur Nice oii étoit 1'infant dom Philippe k la tête des Efpagnols, & le maréchal de Belle-iHe, qui commandoit les Franqóis. II s'embarque a Monaco avec les officiers qui 1'accompagnoient, un valet-de-chambre & deux de fes gens , & fans attendre fes équipages, pafTe par un tems très-dangereux prefqu'au milieu de la flotte Angloife. II recut plufieurs bordées de canon, & ce fut en bravant tous les dangefs qu'il arriva a Gênes. On ne 1'attendoit pas fi«töt: on vint reconnoitre le batiment, ck bien-  du Maréchal de Richelieu. 69 tót le bruit le répandit que c'étoit le duc de Richelieu qui arrivoit, On s'empreffa de lui rendre tous les honneurs ; le Sénat lui envoya fur le champ un député nommé M. de Galdo , pour le complimenter & le conduire au palais Doria qu'on lui avoit deftiné pour fon logement Les Génois avoient formé des compagnies des gentilshommes 6c de cadets qui montèrent alternativement la garde d'honneur chez le général Francc-is. II alla faire la revue des troupes qui étoient k Saint-Pierre d'Arêne, & qui lui marquèrent un grand* emprefTement de fervir fous fes ordres, Enfuite il fe rendit au Sénat qui vint au-devant de lui pour le complimenter , 6c auquel il adreffa le difcours fuivant. » Séréniflime prince & très-excellens Seigneurs, les intéréts les plus grands, & les traités les plus auguftes uniffent le roi mon maitre avec vous. S'il n'étoit pas déja votre allié, vos malheurs & votre courage héroïque 1'auroient déterminé a le devenir ", » II ne ceffera jamais de vous fecourir 6c de faire voir k 1'Europe que votre caufe eft la fienne. II m'envoie pour vous en renouveller les affurances les plus fortes, & foutenir avec vous cette liberté que vous avez fi bien défendue ". » Jamais fes ordres ne m'ont été plus chers que ceux qui me rendent votre compatriote, & qui vont me faire partager vos dangers 6c votre gloire. Je n'aurai pour écarter vos ennemis qu'a litivre le chemin que vous avez tracé ; vos défenfeurs n'ont qu'a vous imiter ". w Vos confeils feront mes 'guides; mon envie E üj  70 Vu privét de vous plaire & d'imiter la grandeur de votre courage, juftifiera, s'il eft poffible, le choix du roi mon maitre que vous avez defiré; & cette préyention honorable & flatteufe pour moi, doit yous être garant d'un attachement fait pour anipier mon zèle, & m'engager k chercher les occafions de vous prouver 1'étendue de ma reconnoiffance ". >> Mon prédéceffeur a regretté de perdre la vie avant de recueillir les fruits de fa valeur, Sc d'être témoin de votre délivrance. Je chercherai la gloire de moiirir fur vos frontières , en combattant pour votre liberté, & je ferai content de mon fort, pourvu que je puifle jouir un moment du plaifir de vous voir viftorieux 8c libres ", Le nouveau général ne tarde pas k donner des preuves de fon activité. II monte tous les jours k cheval pour aller obferver les ennemis, & difpofe fi bien fes troupes, que les Autrichiens ne peuvent faire aucune incurfion fur les terres de ïa république, malgré tous leurs, efforts pour y pénétrer. Chaque jour on voit fe renouveller des chocs & des affaires particulières ; Richelieu fe trouve par-tout, & femble fe multiplier. II apprend qu'ils s'étoient emparés d'un village nommé Campofredo; il y vole : le pofte étoit avantageiix ; les ennemis font une longue réfiftance : mais enfin il fallut céder k I'impétuofité des Franeois, Le village eft évacué, &c une bonne garnifon en affure a jamais la tranquillité ". Les courfes ^ontinuelles du duc ne 1'empêchèrent pas de penfer k fes plaifirs. Tous fes équi-^ pages étoient arrivés a Gênes par différentes felouques , &c fuivant fa couturne & fon peuchant,  du Maréchal de Richelieu. yi il crut devoir y tenir le plus grand état. Il donna des bals & des fêtes pendant tout Phyver. Perfonne n'ignore qu'en Italië les femmes font dans 1'ufage de prendre un figisbé : c'eft un homme qui leur donne le bras, les conduit au bal, k 1'églife , & qui devient très-fouvent leur amant. Richelieu fut nommé pour être celui de Pelinetta Brignolet, belle-fceur du doge. C'étoit une grande brune, bien faite & très-jolie ; elle étoit gaie , aimoit le plaifir, & jamais conquête ne parut au duc plus facile k faire ; il fut bien trompé dans fes calculs. Elle avoit une autre fceur nommée Annetta Brignolet , qui ne fut pas fi cruelle quand elle vint a-Paris, comme nous le dirons par la fuite. Les Brignolet étoient trois frères, 1'un doge, 1'autre fénateur, mari de Pelinetta; & le troifième marquis, époux d'Annetta. Le duc, a qui on avoit fait les honneurs d'une des plus belles femmes de Gênes, crut devoir y répondre en tachant de faire quelques progrès fur fon cceur. Toutes les galanteries d'ufage furent employées; chaque jour un valet-de-chambre portoit k Pelinetta un bouquet magnifique, le ruban a la mode, &c. Le duc ne fortoit pas fans aller prendre fes ordres. Quand fes occupations militaires ne le forcoient pas de s'éloigner d'elle, il la conduifoit par-tout , & comme elle étoit un peu dévote, il afliftoit avec elle a une quantité d'oftices qui lui rappelloient fon ambaffade de Vienne. Quelques mois fe pafTèrent fans que Pelinetta parut écouter fes galans difccurs'; enfin 1'habitude d être avec le duc la rendit plus confiante. II crut que fon bonheur approchoit, &l la quittoit cha* E iv  7* Vu privét que jour avec 1'efpérance d'être plus heureux le lendemain. Son air libre & enjoué fembloit 1'encourager. II croyoit toujours voir un terme qui reculoit toujours devant lui, & contre fon ordinaire , ü embraflbit continuellement une ombre pour la réalité. Devenu jaloux, il s'imagina que tant de réfiftance ne pouvoit être occafionnée que par un choix particulier, & foupconna que le marqujs de Monti, colonel du régiment royal Italien , étoit la caufe des refus qu'il effuyoit, II avoit remarqué que cet officier paroiflbit très-bien avec Pelinetta, &: il donna ordre d'obferver fa conduite, Les efpions furent fur le champ mis en campagne. Chaque foir, on apportoit au duc la note dg ce qu'avoit fait fon Italienne pendant la journée, &c il ne fe trouvoit aucune preuve de fon intimité avec le colonel Monti. Un mois d'obfervaiions les plus exacfes donna au duc la conviöion de 1'honnêteté de Pelinetta, II vit que fi elle étoit fage pour lui, elle n'étoit pas plus facile pour un autre ; ce fut au moins une confolation. Mais en y réfléchiffant, il fe reprocha d'avoir montré trop d'empreffement, & fur-tout d'avoir trop fait appercevoir le but de fes foins. Très-léger'avec^elle, il lui avoit parlé en plaifantant des devoirs d'une femme envers fon mari ; il fentit qu'il avoit eu tort de ne pas les faire oublier, fans en parler, La facilité qu'il avoit cru voir dans Pelinetta, 1'avoit perdu ; il avoit été trop für de vaincre, &c il avoit manqué la vidtoire, Perfuadé qu'il auroit dü attaquer le cceur de eette femme, au-lieu de lui préfenter d'abord llmage de la volupté, image qui 1'avoit effrayée  du Maréchal de Richelieu, yj fur les fuites d'une liaifon qu'elle regardoit comme criminelle, il abjura fon erreur, & réfolut aulïitót de changer de batteries. Cependant, pour avoir la force d'attendre le moment favorable qu'il efpéroit encore faire naïtre auprès de Pelinetta, il prit une jolie danfeufe de 1'Opéra , qui le confoloit de tems en tems des rigueurs de fa belle. II en étoit d'autant plus piqué, que fes amis étoient plus heureux que lui, Son parent, le duc d'Agénois, colonel du régiment de Brie , ne perdoit pas .fon tems auprès de madame Spinola qui en étoit folie; & le marquis de Chauvelin étoit fort aimé de madame Doria. Ces dames étoient les amies de Pelinetta , & Richelieu voyoit avec peine qu'il étoit le feul qui eut 4 fe plaindre des rigueurs d'une inhumaine; ce qui étoit neuf pour lui dans tous les pays qu'il avoit parcouru. Ayant donc changé tout le plan de fon attaque, aulieu de paroitre brillant & léger, & de fembler mettre peu d'importance k la vertu d'une femme, il s'efforea d'étaler de beaux fentimens, de répéter que 1'eftime que faifoit naitre une femme , augmentoit 1'amour qu'elle infpiroit; qu'une conquête facile n'avoit aucun prix aux yeux d'un homme qui réfléchiffoit , & que les combats d'une ame fenfible faifoient tout le charme d'une paflion véritable. Plus de ces airs avantageux tant reprochés aux Francois ; plus de certitude de^ plaire. En peu de jours ce ne fut plus le même homme. Pelinetta fit une neuvaine dont elle ne voulut pas dire le motif. Richelieu devint dévot comme elle, & ne quitta point 1'églife. Elle lui avoit reproché de ne faire aucun afte  74 Vli privée extérieur de religion ; 1'amour le fait profterner aux pieds d'un directeur, & bientöt, (toujours fous les yeux de fa maitrelTe ) il pouffa 1'édification auffi lóin qu'elle pouvoit aller. Ses amis ne purent croire k un tel prodige ; ils en rirent beaucoup, & le duc fe mit peu en peine de leur perfifflage. II bruloit d'atteindre k fon but ; tous les moyens d'y parvenir lui fembloient excellens. Bientöt il eut lieu de s'applaudir de fon changement de conduite \ Pelinetta 1'écouta plus favorablement. II la voyoit feule plus fouvent ; elle commengoit a écouter férieufement fes plaintes; quelques foupirs annongoient que fon cceur devenoit fenfible, & il fut perfuadé qu'elle n'étoit plus retenue que par la crainte de n'être pas toujours aimée. Enfin il regut un billet qui lui fixoit un rendez-vous pour le foir dans une maifon voifine du palais Doria. II devoit s'arrêter a une petite porte ; une femme devoit 1'introduire ; ce rendezvous avoit toute la forme de ceux que l'on voit dans les jromans. Le duc, en bon chevalier, fe rendit k 1'heure prefcrite au lieu indiqué. D'après une converfation qu'il avoit eue avec Pelinetta, il ne peut douter qtie ce ne foit elle qui veut garder 1'anonyme, & fon imagination lui repréfente d'avance un bonheur qu'il avoit acheté par tant de facrifices. II étoit dit dans le billet qu'il ne s'étonnat pas fi on ne lui répondoit point, mais qu'on fe faifoit une loi du filence & de Pobfcurité. Ce myftère le confirma encore davantage dans fon opinion ; c'eft fürement fa chère Italienne, que la honte empêche de fe livrer k toute fa tendreffe.  du Markhal de Richelieu.. yj On eft, ainlï que lui, exact au rendez-vous. Une efpèce de duègne lui dit de fe laiffer conduire , le fait traverfer deux appartemens fans lumière, & Pengage a s'affeoir dans 1'obfcurité fur un canapé ou il eft attendu. Un mouvement lui fait fentir qu'il n'eft pas feul : il alonge le bras &: trouve une femme ; fon cceur s'émeut, & femble lui dire que c'eft Pelinetta. Une légère réfiftance ne retarde pas beaucoup fon bonheur qui s'accroit encore par tous les preftiges de 11magination : auffi fut-il complet, & 1'inconftant Richelieu fe furprenoit k fe féliciter lui-même des obftacles & des éternels délais qu'on lui avoit fait effuyer. Perfuadé cependant que Yincognito n'étoit plus de faifon, il fupplia inftamment cette beauté invifible de fe montrer k fes yeux : on lui répond par un lilence opiniatre, mais on le dédommage par de nouveaux tranfport; enfin la même femme, qui 1'avoit amené, fe fit entendre, & annonca qu'il étoit 1'heure de fe retirer. II ne pouyoit s'arracher k tant d'enchantemens ; il fallut Jui promettre un autre tête-a-tête; & la confidente 1'indiqua pour le fur-lendemain. Avec cette affurance, il fuivit la femme qui le fit fortir de la même manière qu'il étöit entré. Richelieu rendu chez lui, ne put s'empêcher de rire^ de cette fingulière aventure. II admira le caprice de ces femmes qui, tout en aimant le plaifir & en s'y livrant, croyoient fe donner un reliëf de vertu, en changeant la forme de leur défaite. II convint en même-tems que le ton myftérieux qui avoit accompagné ce rendez-vous en avoit augmenté le charme, & il fut d'avis de laiffer k la belle Génoife la douce fatisfac-  j6 Vu privée tïon de pêcher dans 1'ombre, puilque c'étoit fon goüt. Le lendemain il alla chez Pelinetta, en fut très-bien recu, & crut lire dans fes regards qu'elle étoit fort fatisfaite de la dernière foirée. Elle avoit beaucoup de monde chez elle : il trouva cependant le moyen de lui prendre la main, qu'elle lui permit de baifer avec toute la grace imaginable ; il reconnut ces contours heureux qu'il avoit admirés dans la nuit, &c tout 1'alTura que fon invifible étoit Pelinetta. Elle dit dans la converfation qu'elle avoit une charmante partie pour le lendemain, & le duc appliqua ce peu de mots a fon rendez-vovis. II lui répondit tout bas qu'il efpéroit qu'elle ne feroit pas feule heureufe. Quelques mots placés dans la converfation, & auxquels Pelinetta répondit, perfuadèrent le duc qu'il étoit fufiïfamment entendu. Le moment défigné arriva, 8c ramena les mêmes fcènes que le premier jour; le duc & fon invifible fe livrèrent aux mêmes tranfports : mais quelques mots que prononca malgré elle 1'inconnue détruifirent une partie de 1'illufion ; une voix rauque & forte fe fit entendre : quelle différence avec la voix douce & harmonieufe de Pelinetta ! II obferve avec plus d'attention : le tact fe perfecf ionne au défaut des yeux; la crainte d'être trompé óte déja a. 1'invifible la moitié de fes charmes, II ne lui trouve plus les mêmes perfecfions : le bandeau de 1'amour eft tombé , & dans 1'obfcurité même, fa chüte permet de voir miile défauts, Cependant le duc ne fait rien paroitre ; il s'efforce' d'être toujours amoureux ; mais il épie le moment d'éclaircir fes doutes lorf-  du Markhal dc Richelieu. yy que le hafard le favorife : il appergoit une lumière k travers 1'ouverture que laiffe une porte; comme 1'éclair, il s'échappe, paffe dans un autre appartement, & reparoit un fïambeau a la main. Que voit-il? une femme étendue fur un canapé , dont rien n'annonce la fraicheur. Ses mains s'efforcoient de couvrir fon vifage ; il n'en reconnoit pas moins la femme d'un noble qu'il voyoit fouvent chez madame Doria, & qui fe nommoit madame de Valgo. Cette femme avoit pour tout mérite un peu d'embonpoint qu'elle confervoit depuis fort long-tems ; car fes charmes avoient plus de cinquante ans de date, &c fon vifage rouge & dartreux annongoit 1'ardeur de fon fang. Elle n'avoit pu voir le général frangois fans en être éprife ; pour éviter toutes les formalités des déclarations, elle avoit emprunté la maifon d'une de fes amies, qui étoit abfente , pour y recevoir tranquillement le duc de Richelieu. Elle le connoiffoit affez de réputaticn pour prévoir que le myftère, qu'elle empruntoit, lui donneroit un plus vif defir de mettre cette aventure k fin, &: qu'en s'y prenant ainfi, elle ne courroit pas rifque d'être refufée ; ce qui lui arrivoit de tems en tems. L'erreur du duc, qui croyoit pofféder fa chère Pelinetta, loin de caufer du chagrin k madame de Valgo, lui avoit paru d'autant plus heureufe qu'elle redoubloit fes tranfports. II lui importoit peu qu'une autre fut 1'objet du culte, quand elle recevoit les facrifices. La furprife de Richelieu ne peut fe dépeindre, Jamais femme, telle que celle-ci, n'avoit eu part k fes hommages ; &C il ne pouvoit fe rappeller  - 7 8 Vu prlvie l'excès de fes carefTes, fans être furieuX de la méprife. En vain madame de Valgo s'excufa fur 1'amour qu'il lui avoit infpiré; en vain elle protefta qu'elle n'avoit jamais aimé avec autant de paifion; en vain, lui repréfenta-t-elle Ce qu'elle avoit dü fouffrir, en apprenant qu'il avoit le cceur pris: Richelieu fut inébranlable, & s'éloigna du fatal canapé, oü il avoit été fi cruellement trompé. II dit a madame de Valgo qu'elle favoit fon fécret, qu'il étoit amoureux, &, par conféquent, point le maitre de difpofer d'un cceur que Pelinetta avoit feule ; en un mot, qu'il étoit défolé de ne plus pouvoir répondre k toutes les bontés qu'elle lui prodiguoit. Ne pouvant rien obtenir, & regrettant le röle d'invifible, cette noble matrone finit par demander le fecret que le duc promit de garder encore plus pour lui que pour elle. Guéri de fon erreur qui lui avoit fait croire k un bonheur imaginaire, Richelieu redoubla de foins pour en obtenir un réel; mais il étoit dit que fes efforts devöient être infructueux, & que le vainqueur de tant de belles verroit fes myrthes flétris a Gênes. Pelinetta ayant montré un moment de fbibleffe qu'il n'avoit pas fu mettre k pro* fit, éloigna toutes les occafions d'être feule avec lui. Elle 1'accabloit d'amitiés, quand les circonftances lui permettoient de le voir fans danger ; mais ferme dans fa réfolution , elle ne voulut point hafarder d'en perdre le fruit. Le duc, hors de lui, voyant fes efpérances s'évanouir de jour en jour, réfolut de fon cöté de la fuir pendant quelque tems, & de fe livrer encore plus k fes guerrières occupations,  du Maréchal de Richelieu. 79 Ses difpofitions favantes empêchoient les Autriehiens de rien tenter de coniidérable. Les gorges des montagnes, par oü ils pouvoient paflér , étoient couvertes d'hommes & d'artillerie; tous les poftes pouvoient mutuellement fe lècourir & attendre qu'un renfort plus coniidérable put éloigner les ennemis; enfin les Génois, fans être délivrés du fléau de la guerre, goütoient déja les douceurs de la paix. Pendant cette etpèce de tranquillité, Richelieu, defirant qu'une aöion d'éclat vint encore augmenter fa gloire , entreprit de furprendre la ville de Savonne appartenante au roi de Sardaigne, allié des ennemis de la République. II avoit obfervé que par terre 1'attaque feroit très-difficile; &t ne voulant s'en rapporter qu'a lui-même, il monte une felouque, &c voit que le cöté de la mer lui proluettoit un fuccès plus décidé. II congoit aufii-tót le projet d'y faire une defcente pendant la nuit; tandis qu'une portion de fes troupes ira par terre faire le fiège de la place. U falloit arriver dans 1'obfcurité; on attend que la lune ne puiffe découvrir aux ennemis les vaiffeaux qui doivent débarquer les troupes. La nuit arrivé : Richelieu s'embarque avec les régimens qu'il a défignés, & fait voile vers la ville. MM. d'Agénois , de Cruflbl, de Chauvelin , ont ordre de marcher le plus fecrétement dans les montagnes, de dérober leur route avec foin , & d'attaquer Savonne par terre a une heure indiquée. Cette faufTe attaque doit furprendre les ennemis, & les obliger a dégarnir les poftes du cóté de la mer, pour fe porter k 1'endroit oü le péril eft le plus évident : Richelieu, pendant ce  80 Vu privée tems, profitera de cette erreur , & möntera k 1'affaut fans trouver grande réfiftance. Ce plan devoit certainement réufïir; & fans la contrariété des vents, Savonne étoit prife. A peine le duc étoit embarqué, que la mer s'agite, fa pe-' tite flotte fe difperfe, & c'eft avec des peines incroyables qu'il la réunit. Mais le jour qui furvient, décèle fes projets ; la fentinelle, ayant appercu des voiles ennemies, répand 1'allarme, & la garnifon fe multiplie fur les ramparts, A 1'heure prefcrite, MM. d'Agénois óc de Cniffol avoient fait leur attaque, qui, quoique meur* trière, avoit eu du fuccès. Comme Richelieu 1'avoit prévu, prefque toutes les forces s'étoient portées de ce cöté, de fagon que les Frangois, qui n'étoient pas fecondés par une autre attaque, ne firent pas de grands progrès. Leur général, dont la petite flotte effuyoit tout le feu ennemi, vit bien que 1'opération étoit manquée : il retrograda, & fit fa defcente hors de la portée du canon; il envoya enfuite un aide-de-camp porter 1'ordre au duc d'Agénois de fe retirer, ce qu'il fit fans perte. Enfin , après avoir pris tous les poftes avancés des ennemis, il rentra dans Gênes avec des prifonniers, des munitions & de 1'artillerie. Toute la ville lui fut gré de ce coup de main qui n'eut point 1'iffue qu'il attendoit, uniquement par la faute des élémens, mais qui prouvoit 1'activité & les talens du général. Son retour n'en fut pas moins un véritable triomphe, d'autant plus qu'en même tems un parti autrichien avoit été battu par M. de Monti. Pelinetta renchérit encore fur les éloges qui lui furent prodigués; jamais maitreffe ne parut plus tendre.  du Maréchal dé Richeliett, 8$ tendre. Richelieu avoit eu un homme tué prés de lui ^ & la follicitude de 1'Italienne témoignoit 1'intérêt qu'elle prenoit k fa perfonne. Les jours d'un frère ne lui auroient pas été plus chers. C'étoit beaucoup pour 1'amitié, mais pas affez pour 1'amour. CHAPITRE VI. Richelieu ejl fait maréchal de France, II reviene i Paris; il recoit le roi & madame de Pompadour a Gennevilliers. Mort de madame de la Popelinière, XjE duc toujours amoureux, mais défefpérant de plaire, voulut tenter un dernier effort auprès de fa chère Italienne; il lui donna a la campagne Ia fête la plus brillante. II avoit fait orner une grotte dans laquelle des cafcades naturelles répandoient une agréable fraicheur, & produifoient un doux murmure plus féduifant encore. Rien ne pouvoit relfembler davantage a un palais enchanté. Les vins les plus exquis furent prodigués : il étoit convenu avec les dames de tenter tous les moyens d'en faire boire, plus que de couttime, k Pelinetta ; il efpéroit qu'elle en deviendroit plus tendre : mais ce projet tourna contre lui-même; en excitant a boire, il but beaucoup, ck il s'ën trouva le premier vittime. Un bal fuccéda au plus fomptueux feftin; & quoique le duc ne fut pas très-ferme fur fes jambes , il danfa continuellement avec fon Italienne, Tomé II, f  V'u privée qui .s'amuföit beaucoup de 1'état oii il étoit- Un befoirt la fit paffer dans un cabinet particulier; & Richelieu , auffi étourdi de la danfe que du vin, trouve encore affez de force pour la fuivre, Effrayée d'être furprife , elle conjure le duc de fe retirer 5 mais lui, hors d'état de 1'écouter , ï'entraine dans fa chüte fur une bergère, & la, malgré fa réfiftance, veut fe dédommager de toutes fes peines. Pelinetta redouble de courage, 8c parvient a éloigner le duc dont les forces diminuent de plus en plus, Elle s'arrache de la bergère , 8c y abandonne le téméraire, qui, accablé de fatigue 8c de vin, ne tarde point a s'y endormir. Cette circonftance dans laquelle les intentions de ce dernier étoient peu déguifées, fut fürement une de celles oii la belle Génoife eut 1e moins befoin de toute fa vertu. Les gens de Richelieu, inquiets de le voir longtems abfens, le cherchent par-tout; un de fes valets-de-chambre le trouva dans 1'état ou le fommeil 1'avoit furpris. II reparut bientöt; & Pelinetta fut affez généreufe pour lui pardonner, 6c oublier tout ce qui s'étoit paffé. Le duc, en racontant le lendemain cette aventure a fon valet-de-chambre de confiance , étoit encore plus faché de s'être endormi, que d'avoir manqué fon coup; il ne pouvoit fe pardonner de s'être enivré, d'autarit plus qu'il attribuoit a cet accident fon peu de fuccès. Peu de jours après cette fête, les Autrichiens firent divers mouvemens qui forcèrent le général a monter continuellement a cheval. II y eut un choc coniidérable, ou il donna 1'exemple de la bravoure; 1'ennemi fut repouffé, 6c vit que touü  du Maréchal de Richelleüi -Sj -fes efforts feroient inutiles. Richelieu s'étoit rédüit k une guerre défenfive S il y déploya autant de prudence que d'activiték Enfin , après feize mois de féjour a Gênes j il apprend que la paix eft faite j& qu'il eftnommé maréchal de France(i748). La République, qu'il a fi bien fervi, croit lui de^ voir aufïi des marqués de fa reconnoiffance; hetireufe & libre, elle veut qu'un monument attefte k 1'avenir qu'elle doit tout k Richelieu. Le fénat tend ün décret qui ordonne qu'on lui érigera üné ftatue qui fera placée dans le grand fallon du palais. Le même décret le déclare noble Génois * lui & fes defcendans, avec faculté de porter les armes de la République , &c 1'inferit dans fon li> Je compte trop fur vos bontés, monfieur, pour n'avoir pas été afluré d'avance que vous voudriez hien prendre part a la grace que le roi k faite a mon neveu (i), Je ne m'y attendois en aucune fagon, &c S. M. y a ajouté des timoi* gnages de fa bonté, dont je ne puis affez lui mar* quer ma reconnoiffance, Mon attachement pour vous, monfieur, eft fans réferve &£ tel que vous Je méritez (i) ", Le hon Fleury ne donnoit tant d'éloges a Rïchelieu, que paree qu'il avoit fait augmenter le don gratuit & la capitation. Le miniftère qui avoit' toujours befoin d'argent, cherchoit fans cefie k augmenter la maffe des revenus; & le duc; 1'avoit parfaitement fecondé dans fes vues , en obtenant de très-groffes contributions du Languedoc, II avoit eu l'art de beaucoup obtenir fans faire trop crier. Un pareil homme devoit être pré-? cieux au gouvernement. Richelieu quitte Montpellier pour fe rendre k la cour, oü il eft très-bien recu du monarque. Sa conduite a Gênes lui méritoit par-tout des U-. ' • ——— fi) Le duc de Fleury dernier mort, fait premier gentilhomme de la chambre, qui, quoiqu'en dife le cardinal , dut fon élévation a fon crédit. (i) Cette lettre prouve a quel point le cardinal étoit infe£té du levain molinifte. Son confeffeur le dirigeoit pour le fpirituel, & il donnoit a fon valet-de-chambre une grande influence dans les affaires.  du Maréchal dc Richelieu, f 7 éloges ; 6c madame de Pompadour , qui tenoit alors entre fes mains les deftins de la France, ne put fe refufer k lui donner des témoignages publiés de fon amitié. Nous n'avons point encore parlé de cette cclèbre maitrefie de Louis XV , paree que nous avons cru devoir fuivre Richelieu dans fes diverfes opérations, & que jufqu'alors madame de Pompadour n'y avoit point influé, Le fayóri avoit fuivi la marche ordinaire qu'il s'étoit tracé, en allant mettre aux pieds de la. nouvelle favorite fon hommage 6c fa foumiflion ; mais fouvent éloigné de la cour, il n'avoit pu encore être initié dans les myftères qui 1'occupoient; 6c fon retour fut 1'époque de fa liaifon avec elle, Tout le monde fait que mademoifelle Poiffon, d'une très-obfcure origine, réparant ce malheur 9 fi cela en eft un, par une très-jolie figure , & une taille agréable, fut élevée par fa mère, pour augmenter le nombre de ces nymphes peu eruelles, qui font batir des hotels k Paris , du produit de leurs charmes. Une bonne femme, amie de la mère PoifTon, lui avoit prédit que fa fille feroit reine; 6c frappée de cette idéé de grandeur future, elle avoit fait les plus grands efforts pour donner a fon enfant des maitres dans tous les, genres. La petite PoifTon , douée d'une intelligence 6c d'une facilité rares, fit des progrès incroyables, & bientöt il ne fut plus queftion que de fes talens 6c de fa beauté. Le normand d'Etioles, financier riche, ën devint amoureux, & 1'époufa. II jouit peu de fon honheur. Madame d'Etioles qui devoit ctrë fatiffaites des avantages que fa beauté lui proeuroit, F iv  88 Vu prlvie fe perfuada qu'elle pouvoit afpirer a tout , 8c qu'elle n'avoit fait encore que le premier pas vers la fortune. Elle fe reffouvint de 1'horofcope de 1'amie de fa mère : en conféquence toute fon ambition fut de devenir maitrefie du roi. EUe avoit une rivale k craindre dans madame Thiroux ,^ femme d'un maitre des requêtes, qui étoit douée d'une grande beauté, mais qui ne fit aucune démarche pour captiver le fouverain; elle cherchoit le plaifir; elle aimoit k prendre & k quitter un amant; 8c elle craignoit, fi le roi 1'honoroit de fon choix, de ne pouvoir plus agir avec la même liberté, Elle ne vouloit de lui, que comme d'un amant ordinaire, redoutant la gêne d'une maitrefie en. titre, Le roi, qui 1'avoit vue plufieurs fois, n'étoit pas fans penchant pour elle. Mais madame d'Etioles, qui étoit difpofée a tout facrifier pour aller k fon but, parvint alors k fixer ïes regards du maitre. Elle fe trouvoit continuellement k fes chafies; pour avoir la facilité de s'y rendre plus fréquentment, elle avoit pris pour amant M. de Brige, écuyer du roi. Le prétexte de cette liaifon fut d'apprendre k monter k cheval : le paifible financier payoit un peu cher les lecons. On alloit fe promener dans la forêt de Senars , & toujours on fe trouvoit au rendez-vous du roi. Cette promenade devint fi fréquente, que S. M, fe détournoit de la chaffe, pour rejoindre madame d'Etioles , en difant aux courtifans qui 1'entouroient; Allons voir la maitreffe de de Brige. A la fin, ce* qu'il avoit commencé de faire par curiofité, devint un plaifir, II rendit juftice aux charmes de madame d'Etioles, & ne rougit point de fupplan-  du Maréchal de Richelieu. 89 ter fon écuyer. Le marquis de Meufe fe mêla de cette intrigue; & de Brige, qui s'appercut de la paffion de fon maitre, en adroit courtifan, ceffa d'avoir aucune intimité avec la financière. Elle étoit parente de Binet, premier valet-de-chambre de M. le dauphin; ce fut lui qui procura au monarque les moyens de terminer cette aventure. On fait que le mari jetta feu & flamme, & qu'un ordre tyrannique 1'éloigna de la cour. II avoit cru pouvoir revendiquer fa femme; mais on lui prouva qu'un roi étoit le maitre de toute efpèce de propriété. Madame d'Etioles démêla bientöt le caraöère foible de fon royal amant; elle avoit de 1'efprit, & ne tarda point a le maitrifer. Elle influa fur tous les départemens ; la guerre, les finances , la marine, tout fut h. fes ordres; mais comme elle n'avoit pas d'élévation dans 1'arfle, tout fe paffa fous fon règne en petites intrigues , & prefque toujours le courtifan le plus bas, fut le plus en faveur. Richelieu, qui vit croïtre le pouvoir de la favorite , s'empreffa plus que jamais d'être a fes ordres; foins, prévenances, fade adulation, il eraploya tout pour lui plaire. II étoit exercé depuis long-tems dans 1'art de captiver les femmes, & madame d'Etioles, devenue marquife de Pompadour, le mit au nombre de fes plus zélés partifans. Elle jetta même dans la fuite les yeux fur fon fils, le duc de Fronfac, pour en faire 1'époux de.fa fiHe, fa chère & bien aimée Alexandrine, qui étoit a Paris au couvent de PAffomption. Perfonne n'ignore que la marquife lui ayant parlé de ce mariage, le duc qui, quoique rempant prés  Vit privët d'elle , étoit naturellement très-haut, lui répondit qu'elle lui faifoit beaucoup d'honneur, mais que fon fils ayant celui d'appartenir a 1'Empereur, il croyoit devoir lui faire part de cette alliance. La marquife comprit bien que cette réponfe étoit un refus, & ne le pardonna jamais au maréchal. On ne peut concevoir qu'un homme, qui ne balance pas a fe faire le complaifant le plus affervi de la maitrefie du roi, ait pu rejetter une alliance qui auroit accumulé fur lui toutes les graces de la cour, Ce mariage lui auroit ouvert 1'entrée du miniftère s'il 1'eut defiré, auroit jetté dans fa maifon une immenfe fortune, & lui auroit procuré un crédit fans bornes. Si c'eft orgueil, comment peut-il s'allier avec le röle aviliffant qu'il jouoit ? II n'avoit qu'a regarder la jeune Alexandrine comme la fille d'un financier qui avoit un bien coniidérable , & malgré les ïlluftrations de fa familie (il lui étoit très-facile de fe rappeller qu'elle n'étoit pas fort ancienne), il auroit pu confentir a une alliance que contractent tous les jours de plus grands feigneurs que lui, en époufant des filles d'hommes nés dans la lie du peuple, qui ont eu le fecret d'amalfer des fommes énormes, fouvent par les moyens les plus honteux. Mais enfin ils font riches; & les princes, les comtes, les ducs, & toute cette nobleffe qui croit être d'une efpece particulière, ne font plus rien fans argent. Dans mille occafions, ils s'en font montrés eux-mêmes très-convaincus. Quel que foit le motif qui ait déterminé Richelieu , on ne peut fe diffimuler qu'il ne marqué point une ame baffe. C'eft peut-être de 1'orgueil déplacé; mais c'eft de 1'orgueil. 11 eut lieu fans  du Maréchal de Richelieu. 91 doute de fe repentir d'un refus prématuré : car cette belle Alexandrine, 1'objet des complaifances d'une mère aveugle, fut enlevée peu de tems après k fon amour. La marquife fut inconfolable de cette perte, qui détruifoit tous les projets de grandeur qu'elle avoit formés pour cette fille cbérie. Le duc venoit d'obtenir la lieutenance des chaffes de Gennevilliers, 6c avoit acheté la maifon d'un particulier pour en faire fon rendez-vous. Entre les mains d'un homme riche & puiffant, les habitations les plus fimples deviennent bientöt le féjour du luxe. Trois allées font prifes dans les terres pour arriver a ce modefte rendez-vous de chaffe. Servandoni (1) defiine & fait planter le jardin. Une maifon fimple fubfifte : mais en attendant qu'elle foit rebaiie, un meuble élégant la décore. Un jour qu'il faifoit grand chaud, la glacé qu'on faifoit venir de Paris vint k fondre, Richelieu fut outré de ce terrible accident, & donna ordre qu'on batit k 1'inftant même une glacière. Servandoni bien fêté, paree qu'on en avoit befoin, fournit de nouveaux defleins pour batir deffus cette'glacière un petit temple (z). II falloit faire une montagne dans un lieu très-plat, & le plaifir de hoire frais coüta cent mille écus. La chaffe fut gardée avec la tyrannie d'ufage. (1) Sa femme mourut vingt-cinq ans après, fans avoir pu obtenir le payement de ce qui étoit dü a fon mari pour une partie des ouvrages qui avoient été faits a Gennevilliers. (i) Ce qu'il y a de plaifant, c'eft qu'on furmonta ce temple d'une figure tournante, qui repréfentoit Mercure. On ne manqua pas de dire que «'étoit les armes du maitre do lï maifon.  «)1 Vit privit Le roï vint chalTer plufieurs fois , & trouva la plaine charmante, paree qu'il y tua en un jour plus de huit eens pièces. Le maréchal s'empreiTa de lui donner une fête trés-galante, oii madame de Pompadour fut la fouveraine. Comme premier gentilhomme de la chambre, il donna ordre aux acteurs des trois fpettacles de fe raffembler pour rendre cette fête plus compléte , & tous les talens de Paris concoururent aux plailirs du maitre & de la favorite. Le maréchal ne garda pas long-tems ce lieu de plaifance; il eut le malheur de tuer, par accident , un homme a la chaffe. Défolé de cet accident , il jette fes fulïls, jure de ne plus prendre cet exercice (i), & vend Gennevilliers au duc de Choifeul, qui renchérit encore fur la manière tyrannique dont il fit garder le gibier. Un feul trait fuffira. Cette plaine forme une prefqu'ifle, for~ mée par la rivière de Seine; elle eft gardée naturellement de ce cöté, hors le temps des grandes gelées oii la glacé permet aux lièvres de s'échapper. Que faifoit alors le duc de Choifeul ? II faifoit commander un détachement de Suiffes, dont il étoit colonnel, pour former une enceinte fur le bord de la rivière, afin de s'oppofer aux braconniers. Ces gardes avoient en même-tems ordre de tirer fréquemment des coups de fufil, afin d'épouvanter le gibier qui fe retiroit dans les terres, & qui, par ce moyen, n'approchoit pas des rives (i) Comment concilier cette bonté d'ame avec les acles de tyrannie qu'il a quelquefois exercés ? Ce n'eft pas le feu! trait qui montre combien les counifans font difGciles a définir,  du Maréchal d& Richelieu. 93 qu'il pouvoit franchir. Cette recherche méritoit d'être citée. Richelieu, toutes les fois qu'il revenoit a Paris, ne manquoit point de voir madame de la Popelinière. II obfervoit bien qu'un certain abbé, nommé de Sade, lui tenoit fidèlle compagnie : mais il ne chercha point a pénétrer fi elle fe confoloit avec lui de fes fréquentes abfences. II faifoit payer très-exaftement fa penfion. II eut même grand foin de cette femme, qui alors étoit attaquée d'un cancer au fein, dont elle mourut peu de tems après, & il parut aufli fenfible qu'il pouvoit 1'être a fa perte. Sans doute Richelieu lui devoit quelques larmes : il lui avoit donné une célébrité bien funefte pour elle. L'hiftoire de la cheminée tournante fut pendant plufieurs années 1'anecdote de tout Paris. La réputation du maréchal s'en étoit accrue prodigieufement; ce qu'il faifoit fembloit toujours nouveau; fa vie même paroiffant un phénomène, on ne pouvoit croire qu'il put furvivre a 1'année, & la fuivante étoit remarquable par quelques événemens finguliers. Bien des gens ont fpéculé fur fa mort plus de quarante ans avant qu'elle arrivat. Ce qu'il y a de certain, c'eft qu'il fut pendant plus de vingt ans menacé d'une mort prochaine, & fa vie ne parut fi longue au public que paree qu'on le croyoit toujours prés de mourir. Ce fut a 1'age de fbixante ans qu'il recouvra une fanté k toute épreuve. On auroit dit qu'il buvoit de l'eau de cette fbntaine merveilleufe qui rajeuniffoit : car il n'eut que 1'apparence de U vieilleffe; toutes fes aftions tenoient du jeune homme. On fayoit qu'il s'occupoit de chyrriie; &  94 Vu prlvée parmi la nombreufe collettion de remèdes qu'il avoit, on prétendoit qu'une liqueur, qu*il appelloit fon or potable, avoit le pouvoir de pro'.onger les jours. Les gens crédüles attribuèrent a cette liqueur ld longue exiftence du maréchal. CHAPITRÈ VII. Amoürs de Richelieu avec Annetta Brignolet. Fêtes données au roi par madame de Pompadour. La duchejfe de Lauraguais devient la maitrejje en titrt du maréchal. Ihtrigues de Cour, LE marquis de Brignolet, qui,pendant le féjour de Richelieu k Gênes, aVoit promis k fa femme Annetta de lui faire voir Paris, tint fa parole, & .vint defcendre a 1'hötel du maréchal qui demeuroit encore a la Place-Royale. Celui-ci eut tous les égards que méritoit la fceur de fa chère Pelinetta , & mit toute fon étude k lui procurer les agrémens de la cour & de la capitale. Annetta n'étoit peut-être pas auffi féduifante que fa fceur ; mais elle étoit auffi belle. Avec un cceur auffi tendre, elle avoit moins de principes & de craintes pour 1'avenir. Elle avoit déja vu Richelieu d'un ceil favorable; & les nouveaux foins qu'il lui prodigua, furent regus avec la même complaifance. II vit bien qu'elle feroit móins cruelle que Pelinetta, & qu'elle le dédommageroit des rigueurs qu'il avoit effuyées. Elle paffa fix möis dans fon hotel avec fa fille, qui fut depuis la princefle de Monaco: ce tems fut plus que fuffifant pour met*  du Murcohat di Rkheluu. «jj tre le maréchal dans le cas de ne plus rien defirer. Rien n'étoit fi agréable pOur lui, que d'avoir fa maïtrefTe dans fa maifon. Malgré cette comtuo dité, le maréchal, ennemi de la gêne qu'un voiiïnage auffi prochain pouvoit lui caufer, trouVa des moyens très-honnêtes de déterminer Annetta a prendre un hotel, plutöt qu'elle ne 1'eüt fait. Elle alla donc demeurer rue d'Anjou, fauxbourg St. Honoré. Elle refta fix ans a Paris, &Z pendant ce tems, Richelieu, toujours infidèle, mais cependant conftant, ne ceffa point de lui rendre fes hommages, 11 eft vrai que 1'Italienne lui montra 1'exemple d'une conftance de la même efpèce. Le maréchal, appellé a Verfailles par fon année de fervice, directeur-général né des fpectacles par fa charge, voulut commander a ceux que madame de Pompadour donnoit au roi pour occuper fes loifirs. Ce monarque indolent paffoit fon tems k la chaffe Sc dans les bras de fa maitreffe. Bientöt fon inconftance naturelle 1'en eut éloigné , li celle-ci, en femme adroite, Sc k qui tous les ffloyens font bons, ne 1'eüt enchaïné de nouveau , en fe faifant remplacer par de jeunes beautés qui ne faifoient que paroitre, pour affouvir les goüts de fon augufte amant. Si par hafard on le jvoyoit en diftinguer une plus particuliérement qu'une autre, elle étoit éloignée, Sc 1'habile favorite en fubftituoit de nouvelles. II n'y a jamais eu en Afie de plus véritable fultan que Louis XV. Madame de Pompadour s'étoit réfervé le foin dei 1'amufer par fon efprit. Des fpectacles particuliers d'un genre nouveau raffembloient chez elle une cour choifie, oü tout avoit pour but de réveület 1'ame blafée  Vie prlviz du monarque. Le duc de la Valière étoit Pordon* nateur de ces fêtes, 8c ce fut fur lui que Richelieu voulut Pemporter en qualité de premier gentilhomme de la chambre. L'affaire devint férieufe: le droit de faire donner telle ou telle pièce devant le roi 8c fa maitreffe, fut revendiqué, avec la plus grande chaleur, par un maréchal de France, qui n'auroit pas plus difputé 1'honneur de commander une armée. Enfin, après bien des difcuflions, on trouva heureufement des moyens de conciliation pour ne pas dépofféder Pun, Sc pour accorder quelque chofe a 1'autre. Si quelqu'un vouloit s'ennuyer k parcourir tous les in-folio qui ont été écrits fur de pareilles difputes, il ne pourroit pas s'empêcher de fourire, en voyant une querelle s'élever pour un prie-dieu placé un peu plus loin, un peu plus prés, pour un carreau mis dans un endroit plutöt que dans un autre, pour le droit de laver les mains, de donner une chemife, 8c de tant d'autres honneurs ferviles, dont ces hommes, qui fe croient au-deffus des autres, font fi fouvent des objets d'importance. Ce font réellement des enfans qui fe redreffent en jouant a la chapelle. Hé bien! ces jeux d'enfans ont tourmenté le fommeil de ces demi-dieux, 8c en ont fait mourir quelques-uns de chagrin; des fouverains ont pafte des femaines entières k rendre gravement des décifions fur de pareils objets qui partageoient les grands de 1'état. Madame de Pompadour avoit fait un choix particulier de fes acteurs. Elle étoit, comme de raifón, la première actrice elle-même, 8c chantoit dans tous les opéras. Elle avoit un talent très- ngréable; 96  du Maréchal de Richelieu. 97 agréable; & fi fes charmes ne l'euffent pas fixée prés du tröne, elle auroit pu figurer avec avantage fur unthéatre public. Elle jouoitdans tous les genres. Les feigneurs qui briguoient 1'honneur de lui faire leur cour, furent admis dans la troupe royale; & tel obtint fouvent une grace pour avoir bien chanté ou bien danfé. Le duc d'Ayen, depuis maréchal deNoailles, les marquis de la Salie» de Courtenvaux , de Langeron, furent préférés ; les deux premiers chantoient dans 1'opéra, & n'eurent pas lieu d'être mécontens de leur complaifance. La grande ducheffe de Brancas fut recue chanteufe, a la recommandation du duc d'Ayen, qui s'intéreffoit a elle. C'étoit la le canal des graces, & chacun s'empreffoit d'y recourir. L'amourpropre & la jaloufie inféparables du théatre, même en fociété, ne tardèrent point a faire naitre des difputes. II s'éleva une querelle trés - importante , pour un pas de danfe, entre meffieurs de Courtenvaux & de Langeron. Le premier, élève du grand Dupré, étoit premier danfeur; 1'autre le doubloit. Celui-ci prie, un jour, fon ami de lui céder h chaconne qu'il avoit danfé plufieurs fois; mais ce fut inutilement. Nouvelle inftance, avec auffi peu de fuccès. Courtenvaux prétend qu'étant premier danfeur, il doit faire ce qui lui plait, & malgré tous les accommodemens qu'on put propofer, il parut dans la chaconne. Ce refus conftant penfa être fuivi d'une affaire férieufe, que des amis arrangèrent. Les cabales étoient prefque auffi fréquentes parmi ces courtifans, que dans une troupe de comé» diens de profeffion. Les premiers choifis n'admirent qu'avec grande peine des jeunes gens dans la Tornt IL Q  His qui étoit entré au confeil, le maréchal répéta que le feul moyen de punir les Anglois de tout  du Marklial de Richelieu. tit ce qu'ils nous avoient fait, étoit de prendre Mahon. L'entreprife parut très-difficile k l'abbé. Richelieu demande trente mille hommes, & répond du fuccès. Madame de Lauraguais fupplie l'abbé de propofer 1'affaire au confeil : le lendemain il s'acquitte de la commiffionj & le projet,de nouveau , parut hafardé. Le roi avoit déja parlé de cette conquête au prince de Conti, qui avoit exigé cinquante mille hommes, fans répondre de réuffir. 11 fe récria fur le peu de troupes qu'on demandoit, & voulut favoir quel étoit le général li certain de fa victoire. Richelieu fut nommé, II ejl ajfe^ préfomptueux pour favoir dit, reprend le roi , & ajfe^ brave & htureux pour ne pas manquer d fa parole ; hé bien ! il commandera. Madame de Lauraguais vole chez le maréchal lui annoncer ctte heureufe nouvelle ; c'eit un premier triomphe qui lui promet encore de plus grands fuccès. Madame de Pompadour fut outrée du choix : elle publia par-tout que Richelieu étoit un fanfaron; cependant elle fe confola bientöt, efpérant qu'il devoit échouer. Elle parut même fatisfaite de* fa nomination , & le complimenta, avec toute Papparence de 1'amitié, fur la nouvelle grace qu'il recevoit du monarque. Ces deux perfonnages fe craignoient & fe ménageoient mutuellement; ils étoient comme deux amans qui fe brouillent & fe raccommodent fans ceffe. Quand on les croyoit le plus mal enfemble, on étoit étonné de les voir vivre dans une grande fami'liarité. Elle donnoit rarement une fête au roi, fans inviter Richelieu un des premiers; a Créci, a Bellevue, le maréchal étoit dans la plus grande  11% Fie privct ' • intimité; elle a vingt fois cherché a le perdre, & vingt fois il a fu parer adroitement les coups qui lui étoient portés. Leur conduite parut toujours un problême; & le maréchal eut befoin de toute fon adreffe pour ne pas échouer au milieu de tant d'orages. On lui avoit promis qu'il trouveroit k Toulon tous les préparatifs qui lui étoient néceffaires : mais la marquife & fes agens eurent grand foin de faire donner des ordres contraires. II falloit néceffairement fe venger ; & 1'honneur de 1'état, le fang des Frangois, la perte des finances, ne pouvoient entrer en comparaifon avec un fentiment aufli noble. II falloit que le maréchal fut couvert de honte, que fon expédition fut tournée en ridicule ; n'importe les moyens pour de li belles opérations ! MM. de Belle-Ifle & d'Argenfon fecondèrent parfaitement bien la marquife ; on fe réjouifToit d'avance de la retraite ignominieufe de Richelieu. II arrivé a Toulon le premier avril 1756, & voit bien qu'il eft trompé dans fon attente. Sa vigilance , fon a&ivité , réparent le mal ; il eft parfaitement bien fecondé par les" Marfeillois qui lui procurent une partie de ce dont il a befoin ; & le neuf, après avoir fait embarquer fes troupes fur des batimens de tranfports , il va coucher fur fon bord ; le fignal du départ eft donné le lendemain. Le döuze, une témpête difperfe fon efcadre , & le dix-huit, le débarquement fe fait dans 1'ifle de Minorque; aucun obftacle de la part des ennemis qui avoient abandonné la ville de Citadella, oü le maréchal vint coucher. A 1'approche des Frangois,  du Markhal de Richelieu. \ \ 3 Frangois, les Anglois évacuèrent la ville de Mahon , & fe retirèrent dans le fort St. Philippe que l'on regardoit comme imprenable. Le maréchal regut, le vingt-deux, un tambour de la part du général Blakenai, gouverneur du fort, quï demandoit, par lettre, la raifon pour laquelle les Francois étoient débarqués dans 1'ifle de Minorque : Richelieu lui répondit que c'étoit par la même raifon qui avoit engagé les efcadres Angloifes a attaquer les vaiffeaux du roi, fon maitre. Le maréchal alla reconnoitre par lui-même le camp qu'il voidoit faire occuper a fon armée ; & 1'après-midi même elle y entra. Pendant 1'établiffement des troupes, M. de la Galiffonière étoit toujours refté avec fón efcadre a la hauteur du port de Citadella, enfuite il mit a la voile, & dirigea fa marche k la hauteur du port de Mahon. Notre fujet n'eft point d'entrer dans tous les détails de ce fiège mémorable. II nous fufEra de dire que le maréchal s'y expofa comme un fimple foldat, qu'il montra une préfence d'efprit & un courage rares, & qu'il fut parfaitement bien fecondé par M. de la GalilTonière qui empêcha les Anglois de recevoir aucun fecours par mer. Le combat qui fe donna le 19 mai, k la hauteur de 1'ifle de 1'Aire, entre 1'efcadre de M. de la Galiffonière & celles des amiraux Bink &c Vouel, ou M. de la GalilTonière fut vainqueur, óta toute efpérance aux affiégés d'être fecourus, & hata la reddition du fort. Jufqu'a ce moment, malgré le fuccès des diverfes attaques, rien n'annongoit encore une Toute II. H  H4 Vu privét viöoife prochaine. Le feu des ennemis étoit toujours .très-vif, & l'on fe rejouiffoit a. Verfailles oit l'on avoit écrit que le maréchal commencoit k défefpérer de Pexpédition ; on ajcutoit même qu'il vouloit fe faire tuer. II alloit tous les jours obferver les ouvrages & 1'efFet des batteries, de la maifon d'un meünier, placée fur une hauteur. Les ennemis, qui vouloient troubler ces obfervations, tiroient fouvent contre cette maifon ; fille étoit criblée de coups de canons, que le maréchal y alloit encore ; & ce fut cette témérité qui 'fit dire qu'il ne vouloit pas furvivre a fa honte. Le maréchal étoit cependant bien loin de défefpérer de fon entreprife ; il étoit certain de la bonne volonté des troupes, & il mettoit a profit la plus petite occafion de faire quelques progrès. II voy.oit que la réuftite préfentoit mille difficultés ; mais en même-tems il trouvoit autant de moyens de les vaincre'. On réparoit avec une ardeur incroyable les dommages que les bombes & les batteries des ennemis occaiionnoient.. Le maréchal qui étoit convaincu qu'il falloit profiter du premier feu des Francois, attendoit avec impatience qu'il lui fut poflible de livrer un affaut. II vifitoit tous les jours les poftes les plus avancés. Une fentinell'e d'un des forts s'amufoit k tirer fur lui, & ce jour-la il entend fiffler la balie plus prés de fes oreilles. 11 s'approche d'un canonnier & lui demande s'il ne peut pas le défaire de ce faquin-la, qui peut être plus adroit une autre fois. Ce canonnier fervoit depuis trois jours fa batterie, fans avoir voulu être releyé. II fe nommoit Thomas, étoit déferteur du régi-  du Maréckat de Richelieu, \ i ^ ment de Nice ; fon régiment venoit d'arriver k Mahon ; & fachant qu'il auroit la tête cafiee, s'il étoit reconnu , il avoit voulu prévenir fon fort en fe faifant tuer: mais le deftin en avöit autrement décidé. Lui feul avoit échappé au fett meurtrier des ennemis ; il étoit fort adroit, fort aöif, & jamais batterie n'avoit été mieux fervie, quoique la plus expofée. Cet homme noirci par la poudre, couvert de fueur & de pouffière, défait & privé de nourriture' depuis deux jours > fe traine vers fon général, & lui promet que s'il manque le foldat ennemi du premier coup de canon, il n'échappera pas au iecond, Effectivement, il faifit le moment ou ce foldat étoit le plus a découvert ; le coup part , & l'on voir fon chapeau fauter en l'air. Le maréchal charmé de fon adreffe, voulut lui demander pourquoi il le voyoit trois jours de fuite ; mais le malheureux Thomas, épuifé de fatigue & de faim, étoit déja tombé fans connoifiancê auprès du canon qu'il avoit fi bien fervi. Le maréchal apprit alors qu'il n'avoit pas voultt être relevé; il le fitconduire a 1'höpital, & chargea un officier de lui rendre compte du motif qui avoit pu déterminer ce canonnier a fe conduire ainfi. Thomas garde le filence, &t ne veut parler qu'a fon général. Après être rétabli , il obtient la permiffion de fe préfenter chez lui. Thomas tombe a fes pieds , lui avoue fa faute» convient qu'il mérite la mort, & qu'il a voulu la rendre utile a fa patrie, en ne quittant point fa batterie oii tous fes camarades ont été tués. II le fupplie de lui éviter le fupplice, en lui donpant le pofte le plus dangereux qu'il promet de  116' Vic privée ■ garder, jufqu'a ce qu'il pcrde la vie en brave foldat, content de mourir, s'il épargne celle d'un de fes camarades. Le maréchal, touché diï repentir d'un fi brave homme, 1'afTure qu'il peut tranquillement rèprendre l'on fervice. II fe fit rendre enfuite un compte exacf de fa conduite. Tous les témoignages étant en faveur du canonnier, Richelieu, quelques jours' après, vint vifiter la même batterie qu'il continuoit de fervir avec une adreffe Sc une intrépidité incroyables; alors s'avangant vers lui, il lui préfenta un brevet de fous-lieutenant, en lui difant : Prenez, mon ami, c'eft la récompenfe du mérite. Cet homme, auffi brave officier qu'il avoit été bon foldat, fut fait enfuite capitaine; chaque endroit de fon corps étoit marqué par une bleflure. En 1777 il vint a Verfailles demander une penfion; il avoit trente-huit ans de fervice, tant comme foldat que comme officier. On fut furpris de ce qu'il ne follicitoit pas la croix de Saint-Louis; Sc ce brave homme parut étonné de la mériter. Le maréchal de Richelieu , qui connoiffoit mieux qu'un autre le prix de fes fervices , obtint pour lui cette récompenfe militaire, Sc recut chevalier ce brave Thomas qui doutoit' encore qu'il fut digne de cette grace (1). (1) Si tous ceux qui ont obtenu cette récompenfe , avoient eu autant de titre , on auroit plus de vénération pour la croix de Saint Louis ; mais malheureufement 1'homme qui la doit a une belle aüion , eft confondu avec un exempt de police, avec des gens qui, infcrits a la fuite d'un régiment, n'y paroiffent jamais.; avec d'autres qui Ie doivent a des maitreffes, a des protetlions de bureau. De-la eft né le peu d'égard , & fi l'on n'y remédié bientöt, l'aviliffemeat jetté fur un des ordres les plus refpe&ables, & la plus belle inftitution.  du Maréchal de Richelieu] 117 C'eft par de pareils traits que le maréchal fe fit aimer du foldat. Une autre anecdote de ce fiège , citée déja mille fois , & qu'on ne peut affez répéter, fait voir a quel point il avoit la connoiffance du cceur humain. II favoit que les Frangois aiment a être conduits par 1'honneur , & que ce mobile a plus de pouvoir fur eux , que toutes les punitions. La plupart de fes foldats , féduits par le bon vin qu'ils buvoient k Mahon, s'enivroient tous les jours. La prifon étoit infuffifante pour les retenir; & le confeil de guerre , craignant 1'infubordination , propofe au général d'en faire pendre quelques-uns des plus coupables, pour faire un exemple frappant, qui puiffe contenir les autres. Richelieu répond qu'il va tenter un dernier moyen. II fait aflembler 1'armée , paffe dans tous les rangs , en criant : Soldats , grenadiers, je déclare que ceux d'entre vous qui s'enivreront davantage , riauront pas Vhonneur de monter a Vaffaut que je vais livrer. Ce difcours, fait pour honorer les troupes & le général, produifit un effet merveilleux. Aucun foldat ne boit plus; il eft frappé de la punition qu'on doit lui infliger, & il ne veut pas être privé de la gloire de marcher le premier aux ennemis. On va voir ce que peuvent faire les Frangois bien conduits, &c quand ils ont confiance en leur commandant. L'affaut fe donne; les échelles fe trouvent trop courtes de plufieurs pieds. Le foldat n'eft point arrêté par cet obftacle; il monte fur les épaules de fon camarade; il gravit le long de la muraille : celui qui eft renverfé trouve vingt fitcceffeurs. Malgré le feu terrible des ennemis, on efcalade le H iij  ïi8 fót prïvlt roe, Sc les Frangois en reftent enfin les mairres. Le vieux général Blakenai, & la garnifon étourdie par cette audace incroyable, demandent k capituler. ' Le maréchal accorde aux ennemis les conditions les plus honorables. En examinant 1'état des troupes, leur nombre, la prodigieufe quantité de vivres, Richelieu ne peut concevoir que les ennemis fe foient rendus fi vite; & les Frangois, confidérant tout ce qu'ils ont franchi, ont peine k croire que ce font eux qui ont fait tant de prodiges. Richelieu dépêche fon fils, qui s'étoit diftingué dans cet aflaut, ainfi que le comte d'Egmont, fon beau-frere, pour annoncer au roi la prife du fort. La cour étoit alors a Compiègne, fk les ennemis du maréchal furent bien furpris d'une nouvelle qui le combloit de gloire. Le duc de Froncfac rec-ut pour récompenfe la croix de Saint - Louis , & le roi lui donna la furvivance de la charge de premier gentilhommè de la chambre. II étoit écrit qu'il ne feroit pas titulaire de fi-töt; on Pa vu long-tem s le doyen de tous les furvivanciers des charges de la cour. Madame de Lauraguais,, ivre de plaifir, glorieufe des louanges qu'on donnoit k fon amant, trouvoit encore qu'il étoit au-deflus de tout ce qu'on difoit de lui. Madame de Pompadour même , fiuprife d'un événement auquel elle ne s'attendoit pas, entrainée par Popinion publique, fit des chanfons en Phonneur du maréchal , Sc ne Pappella pendant long - tems que fon cher minorcain. Les miniftres, qui n'aimoient pas Richelieu,  I du Maréchal de Richelieu. 119 s'oppofèrent long - tems a ce qu'il vint a Paris jouir de fa gloire ; ils donnèrent pour prétexte que fa préfence étoit nécelïaire en Provence pour garantir les cötes des incurfions des ennemis. Ce fut alors que madame de Lauragais, qui découvrit le piége, courut chez tous les amis du duc & les fiens, pour rendre la cabale impuifïante. Elle fit tant, que, malgré d'Argenfon, le maréchal obtint la permifïïon de fe rendre k la cour. Alors tous fes ennemis difparurent pour un inftant; bien regu du maitre, chacun s?emprefTa de le complimenter, &c il recueillit amplement tous les fruits de fa viftoire. CHAPITRE X. Le maréchal de Riihci:.:u w rmpldCtr U madehal d'Eflrées ; il fav dei flogtls fgpUks datU VE-. leclorat d'Hanovn ; contrarie par le cabinct de Verfailles, il eft obligé d^mployer W temps précieux en négociationi; il perd fes avantaga, & cependant force U prince Firdinand a f retirer. T'i e maréchal de Richelieu, couvert des lauriers de Mahon , célébré dans toute la France , s'attendait bien k être employé dans la prochaine campagne. II rempliffoit cette année les fonftions de fa charge auprès du roi; mais il n'étoit pas difïïcile de 1'en exèmpter. - Les premiers jours de fon fervice furent remarquables' par le crime de Damiens. Le 5 janvier 1757, le roi recut un coup de couteau de ce fcélérat, qui, ayant 3a H iv  HO Vu privée tête troublée par la dévotion & les affaires du temps, prétendit n'avoir jamais eu deffein de tuer Louis XV, mais feulement de le Heffer, pour le ramener k récipifcence. ■ Cet affaffinat, comme on le fait, porta 1'effroi dans tout le royaume; les foupcons fe multiplièrent, & n'épargnèrent pas les têtes les plus illuftres. Madame de Pompadour fut éloignée; mais Richelieu , raffuré fur 1'état de fon maitre, qui étoit très-légérement bleffé, fut affez adroit pour voir qu'elle reviendroit bientöt plus puiffante que jamais. II s'échappoit du lit du roi pour aller confoler la favorite, & fans doute fi quelque chofe eut pu remettre parfaitement enfemble deux êtres qui s'accordoient rarement, cette conduite y auroit contribué, Le retour de madame de Pompadour qui, comme Richelieu 1'avoit prévu, ne tarda point k s'effeftuer, fut fuivi de 1'exil du garde-des-fceaux, M. de Machaut, & de celui de M. d'Argenfon. La marquife crut avoir a fe plaindre d'eux, & fit envoyer 1'un k fon chateau d'Arnouville, & 1'autre aux Ormes. Ce fut dans ce même tems que le maréchal, qm defiroit depuis long-tems fe rapprocher de fa fille, madame d'Egmont, acheta 1'hötel d'Antin, oü d fit des dépenfes confidérables. II demanda è la ville une petite portion de la rue, & on n'eut rien k refufer au vainqueur de Mahon. II V fit batir ce pavillon, que le public a appellé depuis pavillon d'Hanovre. Cependant la campagne s'ouvroit, & Richelieu reftoit oifif. Le maréchal d'Eflrées, qui avoit  du Markhal de Richelieu. 'tl'M été faire figner a Vienne une convention, par laquelle le roi de France s'obligeoit de faire pafler le "Wefer k fon armée pour entrer dans 1'électorat d'Hanovre, avoit été nommé général de cette armée. Le prince de Soubife, ami intime de la favorite, étoit k la tête des troupes Fraricoifes qui devoient joindre prés du Mein le prince de Saxe - Hilburghaufen , qui commandoit celle de 1'Empire. On fait que le maréchal d'Eflrées, qui avoit affaire au duc de Cumberland , fi connu par la perte de la bataille de Fontenoi, fe contenta d'inqidéter ce prince par différentes marches Sc contre -marches. II 1'avoit forcé d'abandonner fon camp de Bielefeld, pour repaffer le "Wefer, afin de couvrir l'éle&orat d'Hanovre. Cette marche lente ne fatisfaifoit pas 1'impatience des Frangois : on murmura; on trouva étonnant qu'un général, qui avoit cent mille hommes k fes ordres , fit auffi peu de progrès. A la cour, on cabala; la ducheffe de Lauraguais, furtout, ne négligea aucune occafion de fervir M. de Richelieu. Le roi avoit de la confidération pour elle , par le fouvenir de fa fceur madame de Chateauroux; Sc enfin elle vit toutes fes démarches cotironnées du fuccès. Madame de Pompadour même qui avoit a fe plaindre du maréchal d'Eftrées, qui, févère obfervateur de la difcipline , avoit fait pendre un de fes protégés , munitionnaire de vivres, convaincu de malverfation , fit hater fen rappel, Sc contribua k la nomination de Richelieu. On réfolut feulement de garder le fecret. II tranfpira cependant affez , pour que M. de Puifieux , beau-père de M. d'Eflrées, en fut  ui Vie privée infiruït; il lui écrivit en conféquenée : Vous étes deffervi ; on bldme votre conduite ; on dit que vous êtes timide ; on vous donne même déja un fuccejfeur; donne^ la bataille, il le faut abfolument. Si vous la gagne^, on vous regrettera ; ft vous la perde^, il nen fera ni plus, ni moins. Voila comme le fort d'une armée & la vie du foldat font fouvent foumis a des confidérations particulières! Cette lettre décida la bataille d'Haftembeck, oti d'Eflrées fut. vainqueur. C'eft a cette bataille que le comte de Maillebois, qui eft un excellent officier - général, mérita 1'indignation de tous les bons citoyens, pour n'avoir pas donné a propos. II étoit jaloux du maréchal; Sc, efpérant commander a fa place, il avoit voulu lui faire perdre la bataille. Cette affaire fut portée , long-tems après, au tribunal des maréchaux de France , qui le déclarèrent indigne d'obtenir jamais ce grade d'honneur. Ce fut la feule punition que fubït cet homme qui auroit dü porter fa tête fur un échafaud. Le malheureux Bink avoit été fufillé en Angleterre, pour une faute bien plus pardonnable; auffi cet exemple contint les chefs, & 1'impunité dont étoient certains les officiers Frangois, caufa tout le défaftre de la guerre. Ce qu'avoit prévu M. de Puifieux arriva. Le public, qui avoit blamé le maréchal d'Eftrées , qui 1'avoit regardé comme un homme pufillanime, n'apprit pas plutöt fa vicfoire & fon rappel, qu'il fe déchaina contre le minifière. D'Eftrées lui parut Ie plus grand général qu'on put choifir; Sc fa retraite, qu'on demandoit quelques jours avant, fut regardée comme le préfage des plus grands malheurs.  du Maréchal de Richelieu. '11^ La nomination du maréchal de Richelieu fut ignorée, même de la plupart de ceux qui compofoient le confeil. Ses équipages étoient déja en route pour fe rendre a Strasbourg, quand le chirurgien du maréchal de Belle-Ifle lui apprit, k Compiègne, le départ du maréchal de Richelieu; celui-ci le traita de béte &: d'ignorant, & ce ne fut que le foir que cette nouvelle , qui le contrarioit fort, lui fut confirmée. Cependant Richelieu fe rendoit a Strasbourg, fans favoir encore quelle étoit fa deftination; il defiroit depuis long-tems fe mefurer avec le roi de PrufTe, 8c il efpéroit remplacer le prince de Soubife , qui devoit, difoit-on, fuccéder a M. d'Eftrées. Voltaire, avec qui il entretenoit toujours correfpondance, après 1'avoir complimenté fur fa nomination , lui recommanda le roi de PrufTe qui traite, dit - il, les généraux frangois comme des marquis de comédie. Ce fut a Strasbourg que le maréchal apprit qu'il commandoit 1'armée de M. d'Eftrées. En arrivant, il regut tous les honneurs, 8c ne put s'empêcher de dire , en voyant l'ancien général abandonné de tous ceux qui , quelque tems avant, lui faifoient une cour aflidue : Cefl donc prefque toujours aux places que nous devons les hommages qu'on nous rend ! On n'ignore point avec quelle rapidité le maréchal de Richelieu fit chaque jour de nouveaux progrès. II marche au duc de Cumberland, le force de fe retirer , le prefie 8c 1'empêche de fe renfermer dans Stade. II a la gloire de terminer dans un mois, fans coup férir, la guerre dans cette partie; 1'armée ennemie ne pouvoit éviter d'être  12^ Vit privlt prifonnière de guerre. Ce fut alors que la politlque parut plus füre k 1'ennemi, que la réfiftance. Le comte de Linar propofa , fous la garantie du roi de Danemarck, la trop célèbre convention de Clofter - Seven , qui edt été, fans contredit , plus utile qu'une vicToire , fi elle eut été rédigée d'une manière plus claire. Elle fut lignée par le maréchal. On fait que toutes les troupes de Heffe, de Brunfwick, &c. s'obligeoient a ne plus fervir contre la France, de toute la guerre. On reproche au maréchal de n'avoir pas fait mettre bas les armes k cette armée; mais il avoit dépêché un courier k Verfailles, avec prière de lui envoyer , le plus promptement poffible , de nouvelles inftrucTions , & ce courier fut retenu très-long-tems. Soit que les objets, contenus dans la convention, euffent occafionné de longues difcuffions dans le confeil, foit plutöt, ce qui eft vraifemblable, que madame de Pompadour & les miniftres fuffent jaloux de la gloire plus brillante dont alloit fe couvrir le maréchal; il n'eut de décifion que quelques jours avant la bataille de Rofback. Nous croyons que 1'hiftoire le juftifiera, en prouvant qu'il étoit fans ceffe en correfpondance avec les miniftres qui le contrarioient dans fes opérations. Ces meflieurs prétendent de leur cabinet favoir mieux ce qu'il faut faire, que 1'homme qui eft fur les lieux , & qui eft k même de profiter des circonftances. D'ailleurs , le duc de Cumberland avoit été rappellé; & celui qui commandoit en fon abfence, n'avoit aucun pouvoir pour traiter; il fallut attendre 1'arrivée du prince Ferdinand qui lui fuccéda. Ce concours d'événemens fit manquer  du Maréchal de Richelieu, 115 Popération , 8c donna le tems aux troupes, quï fe difperfoient déja, de fe raffembler; ce qui eut lieu , fur-tout quand la déroute de Rosback fut connue. Les hiftoriens impartiaux ne manqueront pas de faire voir par la correfpondance qui exifte entré lui 8c le prince de Soubife, que ce dernïer n'auroit point été battu , s'il eut fuivi les confeils du maréchal. II ne ceffoit de lui écrire de fe méfier du roi de Pruffe, qui le furprendroit au moment oü ne il s'y attendroit pas; qu'il eut a fe tenir fur fes gardes, 8c k temporifer ; qu'il efpéroit pouvoir le joindre bientöt, 8c qu'alors ils feroient en force, pour aller le chercher jufqu'a Magdebourg. C'étoit le projet du maréchal; fes Iettres exiftent, 8c nous n'avangons rien que d'inconteftable. Ce qu'il y a encore de certain , c'eft que le roi de Pruffe avoit des efpions a Verfailles , car il favoit avant le maréchal de Richelieu, qu'il auroit ordre de faire prendre les quartiers d'hyver a fon armée. Ficher, déguifé en charbonnier, entendit dire k ce prince k Magdebourg ■ Demain M. de Richelieu recevra l''ordre d'évacuer Halberjlat^ ; je naurai plus d comhattre que ce petiï Soubife , & j'en fais mon affaire. On a foupgonné le maréchal de Belle-Me d'avoir une correfpondance avec lui, paree qu'il paffa un courier avec un paffe-port du maréchal, dont on ignoroit la deftination, 8c qu'on fut après s'être rendu au camp du roi de Pruffe. Quoiqu'il en foit, la perte de la bataille de Rosback fut la principale caufe de 1'inexécution de la convention de Clofter - Seven. Madame de  ï 26 Vu privêt Pompadour, défolée du défaftre arrivé au prince qu'elle protégeoit, témoigna fon chagrin k M. de Richelieu ; le roi lui écrivit aufli, lui manda qu'il falloit aimer fes amis dans le malheur , & qu'il eut a réunir a fon armée les débris de celle de M. de Soubife. Ce fut k Stervik, après avoir quitté Halberftatz, que M. de Richelieu apprit que M. de Soubife venoit d'être battu. Les ennemis fe rallièrent alors ; ceux qui étoient fur la Lair, & d'autres préts k pafler 1'Elbe fe réunirent, & le maréchal crut devoir marcher k eux avec ce qui lui reftoit de fon armée, pour voir s'ils vouloient exécuter la convention. Quoiqu'il eut regu ordre de la cour, trop tard comme nous 1'avons déja dit, d'acquiefcer aux interprétations que les ennemis avoient faites des termes de la capitulation, il penfa que le refte des troupes qu'il avoit, pourroit appuyer fon exécution, & lever les obftacles : mais les ennemis avoient eu le tems de fe raffembler fous Stade, &c le maréchal vit bien qu'il étoit imprudent de s'embarquer dans un pays qu'il ne cohnoiflbit pas, dans une fa'fcn rigoureufe, & d'aller attaquer une armée plus nombreufe que la fienne. II prit une pofition avantageufe, pour attendre les troupes qui devoient venir le joindre; puis alla k Drefle, & choifit Zei, dont le chateau & la ville étoient dans le centre de fon armée; le refte de fes troupes étoit pofté k droite &c k gauche , le long de la Lair. Le prince Ferdinand, qui avoit pris le commandement de 1'armée ennemie , he tarda point a. marcher contre le maréchal, qui fit toutes les difpofitions néceflaires pour fe bien défendre, fi ce  Ju Maréchal de Richelieu. 1x7 prince ofoit Pattaquer. Celui-ci fe contenta de refter en préfence; les deux armées campèrent chacune d'un cöté de la Lair, a la portee du fufil, jufqu'a la veille de Noël. Le maréchal ayant alors regu le renfort des troupes qu'il attendoit, fe difpofa, malgré le froid horrible qu'il faifoit, a paffer la Lair, &c k combattre le prince Ferdinand. Les troupes paffèrent la rivière avec la plus grande gaieté ; mais le prince Ferdinand décampa pendant la nuit, & fe retira fur 1'Elbe. Le maréchal ne put le fuivre , n'ayant rien de ce qui lui étoit néceflaire dans une faifon aufli horrible. II fit cependant, pour cet hyver, un projet de campagne , qu'il fut obligé de foumettre a la cour qui lui ordonna de prendre fes quartiers d'hyver. Alors il revint k Paris, & fut remplacé par le comte da Clermont. On ne peut fe diftimuler que fi le maréchal eut été fecondé par les miniftres , il auroit fait la plus belle campagne de toute la guerre. On voit par fes lettres k M. de Paulmy , alors miniftre de la guerre, èc k l'abbé de Bernis, qu'il préfageoit les malheurs qui font arrivés; qu'il les preffoit de fe déterminer, & que fouvent ils lui donnoient des ordres contrair es k fes opérations. Nous tenons ces faits d'un officier fort impartial, puifqu'il a été deffervi par le maréchal, fous les ordres duquel il étoit. Un reproche fondé qu'on peut faire k Richelieu, c'eft d'avoir permis k fon armée de commettre des vexations fans nombre, lors des incurfions qui fe firent dans la principauté d'Halberftatz, & autres. Le maréchal crut qu'il devoit punir ainfi des ennejnjs qui manquoient k leur  t2&* Vit privet traité; mais il n'en eft pas moins coupable d'avoir autorifé de tels défordres qui répugnent k 1'humanité. II paroit qu'ils furent affreux, puifqu'ils forcèrent le roi de Pruffe de faire écrire cette lettre, au maréchal, par fon frère , le prince Henri; elle eft datée du 30 janvier 1758. Monsieur, » Après les horribles défordres, vexations & déprédations que les troupes frangoifes viennent de commettre dans la dernière incurfion qu'elles viennent de faire dans la principauté d'Halberftatz, j'ai ordre du roi de vous avertir qu'on agira avec la même inhumanité & barbarie dans les terres des alliés du roi de France, & que défbrmais on reffentira fur les officiers frangois prifonniers, les indignes traitemens que vos troupes ont exercés envers les fujets de fa majefté ". » C'eft dans ces propres termes qu'elle a fouhaité que je vous faffe connoitre fes intentions". » Je fuis avec la plus parfaite eftime & la plus grande confidération : Votre affeótionné ami Henri de Pruffe. Cette lettre eft bien différente de celle qui lui avoit été écrite quelque tems avant par le roi de Pruffe. II eft vrai que ce prince n'avoit point encore gagné la bataille de Rosback. Elle eft trop connue pour la citer. On fait qu'il rendoit Richelieu médiateur de la paix; qu'il lui difoit que le neveu du grand cardinal de Richelieu étoit fait pour figner des traités, comme pour gagner des batailles;  4ti Markhal de Richelieu, ti^ fcatailles; & que celui qui a mérité une ftatue a Gênes, qui a conquisTifle de Minorque, malgré des obftacles immenfes , & qui étoit fur le point de fubjuguer la Balfe-Saxe, ne pouvoit rien faire de plus glorieux que de procurer la paix a 1'Europei On accufe le maréchal de s'être Ênrichi paf d'iromenfes contributions. Cette accufation nous devient fort indifférente, ck nous donnerions même des preuves de fa réalité> fi nous avions pu e» avoir. Comme on ne peut juger fainement que par des faits, nous avons pris des informatiöns très-exattes fur ce qui s'étöit paffé alors dans fa maifon. II eft certain qu'on auroit du s'appercevoir de cette augmentation de fortune; cependant le maréchal n'a fait aucune acquiütion ; il n'a point payé de dettes; il a dütrente mois de nour» riture a fes gens; & ce pavillon d'Hanovre, qui fembloit attefter fes exactions, n'a pas Coiité deux cent cinquante mille livres. II a pu peut-être apporter un million; notts écrivons cela au hafard : mais cette fomme n'eft rien en comparaifon des contributions énormes du maréchal de Villars fous qui il avoit appris fon métier. Oei\ k cette époque que fe terminent les atfións d'éclat du maréchal. On ne le verra plus qu'occupé de quelques miférables intrigues de cóur , d'étiquettes puériles, de fpetf acles, & fur-tout de filles. II n'a de célébrité qu'en fourniflant une Ion* gue carrière, malgré la multiplicité des plaifirs dont il a joui prefqtie jufqu'aux dernières anuées» On pourroit faire un livre intéreffant fur la néceflité de monrir k propos. Si Louis XV n'eüt point furvécu k fa maladie de Metz, qüe de pleurs Tornt II, I  13a Fit prhée n'auroit-il pas couté k la France! On n'auroit pas manqué de dire qu'il eut été le meilleur des rois; fon éloge auroit été tranfmis a nos enfans, & on n'auroit pu lire les détails de fa maladie & de fa mort, fans être attendri. Que de regrets n'euffentils pas fait naitre! Que le peuple ent gémi de quelque malheur , ces mots auroient volé de bouche en bouche! Ah ! Ji le bon Louis XV vivoit , on ne feroit pas Ji a plaindre 1 Hé bien, le bon Louis XV échappa au trépas, & ce fut pour perdre 1'amour de fes fujets! II feroit facile de faire bien d'autres applications. Si Richelieu eut été tué après la converrtion faite k 1'abbaye de Clofter-Seven , combien les fuites dé.aftrueufes de cette guerre, auroient fait regretter ce général! On auroit regardé fa mort comme la fburce de tous les défavantages qui fe font fuccédés fi rapidement. Qui auroit pu prévoir qu'il étoit deftiné a ne plus commander; qu'on devoit prendre le comte de Clermcnt, furnommé le général des bénédiclins, paree qu'il avoit 1'abbaye Saint-Germain-des-Prés, pour être mis k la tête d'une belle armée, bc fe faire battre de la manière la plus diflinguée , qu'a chaque campagne , un général enchériroit fur les fotfifes de fon prédéceffeur, & qu'a la fin on feroit la paix la plus honteufe, qu'on feroit encore trop heureux d'obtenir ? Si Richelieu n'eüt plus exifté, ce bon peuple, teffé de tant de calamités, qui fe feroit rappellé la prife de Mahon, qui a fait chanter tant de te Deum, la fuperbe campagne d'Hanovre, celle de Gênes , & la bataille de Fontenoi, fe feroit écrié : Ah! fi Richelieu eut vécu, tout cela ne feroit  du Maréchal de Rkhelieit. ty\ point arrivé. Que de rois , de généraux, de mi* niftres, n'ont peut-être laiffé une grande réputation , & d'éternels regrets , que paree qu'ils font morts jeunes ! Quelques luftres de plus auroierlt pu détruire une partie de leur renommee. CHAPITKE XI. Le maréchal de Richelieu va prendre poffcffion de fort gouvernement; il tient le plus grand état d Bordeaux ; nouvelles intrigues avec les femmes ; il fait remettre d une veuve, che^ laquelle il ne pouvoit pas aller, des hillets doux par le gardkn des capucins. Xje maréchal de Richelieu, rendu k Paris, juftifié a la cour par les lettres même des miniftres-, accufé dans prefque tout le royaume de s'être laiffé corrompre a prix d'argent par les ennemis , crut ne pouvoir mieux faire diverfiort aux défagrémens qu'il épröuvoit, qu'en allant k Bordeaux faire fon entrée , en qualité de gouverneur, II n'ignoroit pas qu'il étoit attendu avec impatience» & fon amour-propre étoit flatté des honneurs qu'il alloit recevoir, II mit, a cette cérémonie, tout le fafte qü'il put déployer, & confulta les plus anciens regiftres pour favoir quels étoient les droits, les prérogatives attachés k fa place. II arriva par Blaye, oü des barques, que la ville de Bordeaux avoit fait richement décorer , le conduifirent au port. Lorfqu'il parut , tous les batimens , tant étrangers que frangois, tirèrent de leur bord, &£  l$l Vie priviz le chateaü Trompette y répondit : une mufigue militaire précédoit fon vaiflèau ; &, en arrivant a la place royale, il trouva un are de triomphe, cü le parlement vint le recevoir Sc le haranguer. Enfuite il monte a cheval, paffe dans toute la ville, fuivi de la nobleffe de la province 8c de fa maifon, magnifiquement vêtue, qui étoit également k cheval, 6c fe rend k la cathédrale, ou 1'archevêque 6c le clergé vinrent au-devant de lui. Après le te Deitm, il eft reconduit dans le même ordre k 1'hötel du gouvernement que la ville avoit fait préparer. Jamais gouverneur n'avoit été auffi magnifique. II fembloit vouloir faire revivre ce fafte impofant qui avoit frappé fes premiers regards a la cour de Louis XIV. Revêtu d'une portion de Pautorité de fon fucceffeur, il crut devoir repréfenter d'une manière digne de fon maitre : il fut roi dans Bordeaux. Précédé d'une garde nombreufe, dont le capitaine étoit un trés-bon gentilhomme (1), il ne négligeoit aucune occafion de paroitre avecéclat. Al!oit-il a 1'églife, des muficiens, a fes gages, attendoient fon arrivée pour exécuter (1) On le difoit parent de madame de Brionne. La province payoit 12000 livres pour ce capitaine, qui, fix mois après , envoya a 1'intendant du maréchal une quittance de 6000 liv. pour deux quartiers de fes appointemens; celui-ci lui répond qu'il a mis un zéro de trop, & qu'il ne lui eft HÜ que 600 liv. Grande difcuffion de part & d'autre; il falJut voir 1'état de la maifon, oü il ne fe trouva employé que pour 1200 liv. II s'en plaignit au maréchal, qui lui répondit qu'il auroit des capitaines des gardes a 1200 liv., tant qu'il en voudroit. Le maréchal gardoit auffi pour lui 6000 liv. que la province donnoit pour le feereraire. Grand au-dehors , mefquin dans fon intérieur.  du Maréchal de Richelieu, 133 leur mufique ; des gardes entouroient fon priedieu; on voyoit par-tout 1'appareil le plus impofant. Quelques jours après fon arrivée, il donna dans fon jardin, un fouper de quatre eens couverts , oü les plus jolies femmes étoient réunies a la nobleffe & k la robe. On lui rendit un très-grand bal mafqué k la ville, oü un mafque vint lui parler fouvent. L'inconnu s'exprimoit avec graees , bc paroiffoit avoir beaucoup d'efprit. Le maréchal le prie de fe faire connoitre; il le fuit partout. Le mafque difparoit, revient enfuite avec un papier qu'il remet au maréchal, & s'échappe fans laiffer aucune tracé de fa fuite. II lit les vers fuiVaris : Quoique fous ce déguifement, Tu peux me connoitre aifément Aux feuls fentimens de mon ame : Si je te crains, je fuis Anglois; Si je t'aime , je fuis Frangois; Si je t'adore, je fuis femme. Ainfi le maréchal recevoit par-tout des preii-* ves d'amour & de refpeft. Si la campagne d'Hanovre préfentoit quelques fujets de le blamer, le vainqueur dë Mahon les faifoit difparoitre : on répétoit encore ces chanfons fi connues de toute la France; &c Richelieu ne paroiffoit dans Bordeaux , qu'au milieu des acclamations. Mais les grands qui faifoient fi peu de c-hofe pour être aimés , en faifoient fouvent encore moins pour continuer k 1'être. Ces tributs, ces hommages, tout leur paroiffoit dü. Content de ces marqués exté-  * 34 privée rieures qu'impofoit la contrainte, ils ne prenoient aucun foin pour conferver des cceurs qui s'étoient d'abord donnés k eux, & qui n'étoient enfuite repouffés que par leurs injuitices & leur orgueil. Rarement faifoient-ils un pas pour être aimés, mais prefque toujours cent pour fe faire haïr. Tel fut Richelieu k Bordeaux. Dans les premiers tems, ce ne fut que fêtes & plaifirs; il donnoit prefque tous les foirs des foupers de cent couverts. II étoit ordinairement feul d'homme a une table, entouré de vingt-neuf jolies femmes, II étoit galant avec toutes, leur adreffoit quelques mots agréables; & s'il en préféroit une, il cachoit avec tant d'art fon choix, qu'il ne pouvoit donner de jaloufie aux autres. II difpofoit fi bien les événemens , qu'il fe trouvoit en tête-a-tête avec celle qui avoit fait le plus d'imprefTion fur lui. Les plus faciies s'empreffèrent de remplir fes vues : elles volèrent au-devant de fes defirs; &, non contentes de les fatisfaire , elles voulurent que les plus fages n'eulfent rien a leiu reprocher, De-quoi ne viennent point a bout des femmes dans de telles difpofitions} Leurs raefures étoient fi bien prifes, que les femmes les plus honnêtes refioient, fans le vouloir, alternativement feules, avec le maréchal, qui, fort entreprenant, & ne croyant pas a la vertua manquoit rarement d'en triompher, _ Bientöt celles qui confervoient quelques principes , refufèrent 1'honneur d'être admifes a la table de Al le gouverneur, & peu a peu il fe trouva concentré parmi celles que 1'abnégation des mceurs reqdoit plus facües. Son hótel devint prefqu'un  du Maréchal de. Richelieu, 135 mauvais lieu que la pudeur n'ofoit plus approcher fans rougir. On fait que les Bordelois aiment avec paffion !e jeu de la maffe aux dez, que le parlement avoit profcrit plufieurs fois; ils trouvèrent chez Richelieu de quoi fatisfaire leur goüt, Sur des autels dreffés dans fon fallon, on facrifioit fouvent cent vittimes a cette paffion effrénée. Des négocians riches expofoient leur fortune aux hafards d'un cornet , des femmes ruinoient leur ménage pour courir la chance d'un dez, & des jeunes gens entrainés par 1'exemple, ne rougiffoient pas de vo~ ler leurs parens pour participer a ce jeu ruineux, On peut en donner une idéé, en difant que les valets-de-chambre du maréchal, partagèrent dans un carnaval pour quarante mille Hvres de cartes & de dez, C'eft le goüt du jeu qu'il a augmenté, qui forme déja un des griefs que les gens raifonnables ont contre lui, Enfuite le luxe qu'il étaloit fit naitre 1'envie de 1'imiter. Nous fommes tous portés a futvre 1'exemple qui nous frappe r &c rien ne féduit autant que 1'afpeft de 1'opulence & 1'attrait du plaifir. La dépenfe s'accrut dans chaque familie; les femmes qui ne ceffèrent jamais d'être tourmentées du defir de plaire, étudièrent plus particuliérement cet art fi raffiné & fi difpendieux de la toilette; les modes fe fuccédèrent, & les filles qui renchériffent encore fur celles qu'on invente, attirées dans Bordeaux par la facilité du gouverneur, admife même dans fon hotel, donnèrent bientöt le ton aux autres femmes , foit dans les affemblées, foit au fpettacle. . Le nombre s'en accrut prodigieufement, & lf 1 iv  Vu prhU fcandale a proportion. Qu'une courtifanne rut jolie, tout ce qu'elle pouvoit faire de mal reftoit impuni; elle venoit effayer 1'empire de fes charmes fur le maréchal, & elle en fortoit toujours vidtorieufe, & enhardie k braver de nouveau les loix. Les honnêtes gens s'en indignèrent; les femmes vertueufe évitèrent de paroitre en public, & la prévention que Richelieu avoit infpirée en fa faveur, s'effaca par degré. Qn eut d'ailleurs k lui reprocher par la fuite des actes d'autorité arbitraire trés - multipliés. II eut des querelles avec le parlement, pour avoir fait un ufage vexatoire des lettres de cachet dont Ü étoit tcnijours porteur. II eut même un procés contre hu , qu'il fit évoquer au confeil, oü la faveur lui donna raifon. De-la, la haine qu'il montra contre plufieurs de fes membres , & le plaifir qu'il eut a faire exécuter les ordres du roi qui détruifirent ce corps en 1771. On fut très-mécontent de la tyrannie avec laquelle il défendit le port d'armes, & de 1'inquifition de fes agens. Defpote redoute , ne fervant prefqvie que les femmes perdues, faifant exécuter fes ordres avec une extréme rigueur, il ne tarda point k fe faire détefter de toute la bourgeoifie : car' c'étoit toujours fur la claffe inférieure que fon defpotifme frappoit avec le moins de ménagement. II fit enfermer plufieurs perfonnes qui avoient feulement ofé bl^mer fa conduite. Enfin, il s'aliéna tous les cceurs; les femmes même, excepté labaffe claffe desfifes, ne virent plus dans le gouverneur qu'un débauché incorrigible, qui paffoit fes jours dans des plaifirs crapuleux, Elles furent fiin-tout indignées d'une ré-  du Maréchal de Richelieü. 137 ponfe qu'il fit k Pintendant qui vint fe plaindre k lui de la trop grande quantité de filles qu'il y avoit dans la ville. II repréfentoit au maréchal qu'il étoit a propos de faire un exemple , & d'enfermer celles qui fe conduiroient le plus mal peur contenir les autres. Pourquoi des exemptions, répondit-il ? Toutes méritent une égale punition , "& je veux les faire enfermer toutes ; pour cela , je vais ordonner qu'on ferme les portes de la ville. Cefarcafme fi indécent dans la bouche du dépofitaire de 1'autorité, ne devoit pas plaire k celles qui méritoient 1'exception. Aufii furent-elles furieufes avec raifon de fe voir atfimilées aux mcprifables protégées du maréchal. Cependant dans ce tems même oü il perdoit l'eftime des Bordelois, il avoit encore le talent de les fubjuguer, quand ils avoient occafion de lui parler. Ceux qu'il n'aimoit pas, févérement traités, n'avoient pas lieu de^changer de facon de penfer; mais les autres, même k travers fes vices, étoient forcés de voir un homme aimable. Avoit-il befoin d'eux? C'étoit un caméléon qui changeoit k chaque inftant de forme pour leur plaire. II foutenoit la nobleffe , & elle étoit prefque toute pour lui. Le parlement qui luttoit continuellement contre fon autorité, non pour 1'intérêt du peuple, mais pour la confervation de fes prérogatives, comptoit auffi dans fon fein nombre d'amis du gouverneur , k 1'époque même oü plufieurs de fes membres étoient difpofés a lui faire fon procés. Enfin, Richelieu tout haï qu'il étoit, n'avoit qu'a le vouloir pour recouvrer 1'amour qu'il avoit per du. II eut pour maitreffe madame Roufie , dont nous ayons déja parlé, qui étoit fille d'une ma-  138 Vit privée dame Capon de Montpelier, & qui remplacoit fa mère auprès du maréchal. Elle finit par être le canal d'une partie des graces que répandoit le gouverneur; & comme elle étoit paffablement intéreffée, elle tira bon parti de ce pofte lucratif. Richelieu avoit voulu connoitre tout fon gouvernement ; il alla jufques dans les Pyrennées; il tint magnifiquement les états a Bigore, &c ce fut dans un de ces voyages qu'il connut madame de Saint-Vincent, qui lui avoit déja écrit plufieurs fois pour fe réclamer de lui, comme fa parente. Sa mauvaife conduite (1) avoit forcé fon mari de la mettre au cóuvent k Tarbe; mais d'accord avec fa familie & l'évêque , le maréchal, a fa follicitation, 1'avoit fait transférer k un autre convent k Milhaud. Cette connoiflance légère fut la caufe de ce procés fi fameux dont nous ne tarderons point k parler. Le maréchal qui alloit tous les ans k Bordeaux paffer fix mois, y refta dix-huit mois, k compter de 1765. Quand il épröuvoit quelques défagrémens k la cour , il fe rendoit en Guyenne, ou nous avons déja dit qu'il étoit fouverain ; car il avoit fu réunir les deux autorités de gouverneur & de commandant. II s'étoit brouillé avec M. de Langeron, qui jouiffoit de cette dernière place, & avoit fi bien intrigué, qu'il lui avoit (1) Des gens, dignes de foi, affurent qne madame de Saint-Vincent, emportée par un tempérament plein de feu , non contente des intrigues qu'elle formoit , fe déroboir encore de fa maifon , fous le prétexte d'aller a la campagne -, & p;enant 1'habillement d'une fervante, en rempliffoit les fonftions dans une hötellerie , oü ics voyageurs multiplioient fes tonnes fortunes.  du Maréchal de Richelieu. 139 fait óter ce commandement dont il s'erhpara jufqu'a la mort de Louis XV. M. de la Groflay, gouverneur du chSteau Trompette étant mort, d fit nommer M. de Fumel qui commandoit dans la province pendant fon abfence, Non content du gouvernement oii il étoit logé k Bordeaux, il fit batir dans fon duché de Fronfac , dont il étoit voifin , un pavillon carré qui domine Liboürne. C'étoit-la qu'il recevoit les plus jolies femmes de la ville. La vue magnifique qu'on découvre, 1'élégance du lieu, tout infpiroit la volupté. II étoit k peine conftruit, qu'une jeune Sc charmante femme de Bordeaux en fit 1'inauguration. Elle étoit veuve, Sgée de vingt-deux ans, Sc vivoit dans la retraite chez un grand-vicaire, fon parent. Richelieu la vit plufieurs fois k la mefle qui étoit dite pour lui, Sc k laquelle elle fe plaifoit d'aflifter. II n'avoit point encore perdu fa première confidération. Les femmes le voyoient avec des yeux prévenus; fes exploits en tout genre fixoient leur attention , Sc pour elles il n'étoit pas moins célèbre en amour qu'en guerre. Elles croyoient toujours 1'appercevoir environné de myrthes & de lauriers. Cet ombrage diminuoit la tracé des ravages du tems. II étoit vif, fémillant, ne difoit rien que d'honnête : elles fe trouvoient conduites, prefque fans pouvoir s'en douter, de 1'admiration a des fentimens beaucoup plus tendres, Cette jeune veuve, dont nous n'avons pu découvrir le nom, parente aufli d'un évêque, ne connoifloit Richelieu que de réputation. La renommée en avoit exagéré 1'édat, Sc la folituds )  140 Vie privée oü elle vivoit, avoit encore grofli a fes yeux les objets de cette célébrité\ Son imagination étoit frappée de Pidée que c'étoit un homme extraordinaire ; ainfi elle étoit prévenue en fa faveur, avant de 1'avoir vu; ce fut a 1'églife que fes premiers regards s'attachèrent fur Ie maréchal. Le cortège nombreux dont elle le voyoit entouré , les refpeös & les hommages qui lui étoient adreffés, 1'autorité qu'il annoncoit, l'air affable avec lequel il recevoit ceux qui formoient fa cour, tout la confirma dans fon opinion favorable, & fit difparoitre cette prodigieufe diftance d'age, qui étoit entre elle &L lui. Elle le contempla comme 1'homme unique, & fes yeux, lancés fur lui a la dérobée, le fixèrent plus fouvent que 1'autel, qui jufqu'alors avoit regu fes vceux. Elle ne s'allarma point de ce fentiment; ce n'étoit que de 1'admiration, mais cette admiration lui procuroit du plaifir , & fon cceur n'avoit point encore connu de momens aufli agréables. Depuis affez long-tems, elle fe faifoit un devoir d'aller k cette meffe, &. le maréchal n'avoit point encore appergu cette beauté célefte qui étoit prévenue fi favorablement a fon égard. Un jour le hafard la lui fait diflinguer, & fes charmes produifirent bientöt leur effet. Ses agens lui rendent compte de la vertu de cette veuve, & de la vie retirée qu'elle mène. Richelieu trouve occafion de rendre vifite au grand vicaire qui le regoit avec le refpett dü a fon rang, mais qui eft allarmé de cet honneur; il croit remarquer que fa parente eft le but de fa vifite, & il fe promet bien intérieurement de la dérober aux pourfuites du gouverneur.  du Marêckal de Richelieu. 141 En conféquence, chaque fois que Ie maréchal fe préfentoit chez lui, il lui faifoit faire les excufes les plus refpecfueufes de ce qu'il ne trouvoit perfonne. Elles furent fi réitérées, que Richelieu nè put p'us douter que le grand-vieaire avoit pénétré les vues. II ceflè alors de lui faire aucune vifite , ne parle a qui que ce foit de fa jeune veuve, & fe conduit fi prudemment, qu'il éloigne tous les foupgons. Cependant il n'avoit pas changé de pro jet, &l il cherchoit tous les moyens de terminer une intrigue, dont le fuccès pouvoit flattcr fon amour-propre. La veuve venoit toujours k 1'églife quand il y étoit ; fes yeux qui rencontroient les fiens, y lifoient de 1'indulgence; quand ils fe baiffoient, une rougeur que la pudeur feule faifoit naitre, coloroit des joues auffi blanches que le lys. Le maréchal avoit trop 1'habitude de connoitre les femmes, pour ne pas voir que celle-ci fubifioit le fort des autres, &C qu'il ne lui falloit que des occafions pour être auffi foible. ü réfohrt de lui écrire : mais comment, &i par qui lui faire remettre fa lettre ? II apprend que le gardien des capucins, homme, d'une vertu intacte, dont les mceurs pures étoient connues, & qui jouiffoit de 1'eftime publique, étoit le directeur de la veuve, & qu'en cette qualité, il alloit fouvent chez elle ; il forme auffitöt le projet de fe fervir de fon miniftère. L*idée d'employer un capucin pour remettre des billets doux, lui parut auffi plaifante, que celle de pofféder cette jolie femme, lui étoit agréable; il ne voulut point tarder a la réalifer. II apprit que ce gardien étoit incorruptible; que les égards,  i4* Vu privit le plaifir de fervir un grand qui pouvoit lui être utile, 1'argent même, ne pourroient le déterminer k agir contre fes principes de probité* il fallut donc employer la rufe. II avoit un valet-de-ch imbre de confiance, k qui il dit un jour d'alier fe confeffer le foir, Cet homme, qui, depuis trente ans qu'il étoit k fon fervice, avoit été bien éloigné de recevoir un ordre femblable, crut que fon maitre plaifantoit, & lui répondit qu'il feroit fa confeflion générale avec la fienne» Le maréchal 1'inftruit de fes delfeins , le met au fait de la conduite qu'il doit tenir; & cet homme remplit a 1'inftant même le röle qui lui eft donné, II va trouver le gardien des capucins, lui dit que le repentir 1'amène k fes pieds, que fa réputation de probité a fixé fon choix , & qu'il le fupplie de venir au fecours d'un pécheur qui gémit de fes fautes. Le gardien, homme charita-' ble, quoique fort occupé, ne veut point éloigner un malheureux qui paroit frappé a ce pointIk d'un rayon de la grace; il 1'écoute & 1'encou-* rage k perféverer dans de fi bonnes difpofitions» Le valet-de-chambre lui avoue qu'il eft coupable de vol ; qu'il a dérobé plufieurs effets a madame ** (le nom de la veuve), & qu*il vou* droit bien lui faire rendre un premier paquet, n'ayant pas encore tous les effets qu'il a dérobés ; il ne croit pas pouvoir les confier a un homme plus refpeftable pour le remettre en main propre. Le capucin promet de fe charger de la reftitution, & engage le pécheur k chercher ce qui refte encore k reftituer, pour le rendre de même a madame * *, Le valet-de-chambre, enchanté  du Markhal dc Rkhdku. I43 èe voir le bon religieux feconder les projets de fon maitre, 1'affure qu'il va tacher de fe rendre digne du pardon qu'il veut obtenir, & le prie de remettre a la belle veuve elle-même le paquet qu'il lui confie. Le gardien fut exact a remplir la fonction dont il s'étoit chargé. II alla trouver, le même jour, madame * *, demanda a. lui parler en particulier , & lui dit que Dieu ayant touché le cceur d'un homme qui s'étoit égaré, il lui apportoit des effets qui lui avoient été dérobés. La veuve, étonnée d'une reftitution qu'elle n'a pas lieu d'attendre, ouvre le paquet, voit des rubans, de la dentelle, & trouve au fond une lettre. Son premier mouvement la porte k tout rendre ; mais un fecond plus vif &c naturel dans une femme, la curiofité la déterminé k s'inftruire plus particuliérement : elle garde ce qui lui eft donné. Le bon père, en la quittant, 1'affure qu'elle doit voir le doigt de Dieu dans ce qui arrivé , &£ qu'il lui rapportera avec la même exaótitude ct qui refte a rendre du vol qui lui a été fait. La veuve, reftée feule, balance encore fi elle décachetera la lettre; enfin tout fcrupule eft levé, elle la lit : le maréchal lui mandoit qu'il n'avoit pu la voir fans éprouver pour elle les fentimens les plus tendres; qu'il fent bien qu'il eft impardonnable de lui en avoir fait part, mais qu'il n'avoit pu réfifter au defir de lui apprendre qu'il n'aimoit & n'eftimoit qu'elle ; que fi 1'amour refpectueux, fidéle & fur-tout difcret, pouvoit ne pas lui déplaire, il juroit de 1'adorer toute fa vie, &c. Madame * *, déja , comme nous 1'avons dit,  144 Vit priv& prévenue en faveur du maréchal, fentit Jon Cóeltf palpiter en lifant cettte déclaration. Le moyen par lequel elle lui parvenoit, 1'allarmoit un peu i mais Richelieu lui écrivoit qu'il n'avoit pu en trouver un plus honnête pour ne pas la com* promettre; &c bientöt elle lui fut même gré de cette attention. La lettre fut lue plufieurs fois. Quelquefois elle fe blamoit de 1'avoir ouverte i mais toutes fes réflexions ne purent diminuer le plaifir qu'elle épröuvoit; elle crut cependant qu'il étoit prudent de ne plus aller a la meffe du maréchal, & elle combattit avec affez de fuccès pour y manquer deux fois de fuite, Richelieu n'en fut point inquiet; il connoiffoit trop les femmes pour ne pas favoir que celle-ci devoit éprouver quelques combats ; 8c pendant qu'ils étoient livrés, il s'étoit déja afTuré des moyens de remporter la viefoire. Dans le nömbre des femmes qui avoient été foibles avec lui, il apprit qu'il y en avoit une qui connoiffoit madame * *, & qui la voyoit quelquefois. II ya chez elle; quelques careffes la difpofent favorablement ; 8c quand il voit qu'il peut cömpter fur fon amitié, il lui fait 1'aveu de 1'intrigue ébauchée avec madame **, 8c de 1'envie qu'il a de la terminer. Cette femme aimoit affez qu'on ne put pas fe vanter de plus de vertu qu'elle, 8c après s'être fait un peu prier, elle confentit que les rendez/ vous fuffent donnés dans fa maifon. Le prix de cet arrangement fut que Richelieu auroit aufli quelques complaifances pour elle, 8c qu'ils vivroient enfemble amis ou amans, felon 1'occafion> bc le tout fans gêne. La  'du Markhal de Rkhelku, 145 La belle veuve, quï avoit fu réfifter jufqu'aïors a la tentation de retoumer a*la raeffe du maréchal, crut enfin qu'elle pouvoit y allef fan* danger. Celui-ci 1'appergoit, Si la regarde continueilement. Elle a les yeux fixés fur fon livre, & 1'air de prier avec la plus grande ferveur; rienne la diftrait. La meffe touche a fa fin, & un feul regard ne s'eft pas encore tourné vers lui; il en eft défolé, il eft prêt a croire que fa lettre a produit un mauvais êffet, quand la belle, en fe levant pour fe retirer, jette les yeux de fon cöté , rougit plus que jamais, Sc éprouve un tremblement affez fort pour être obligée de s'appuyer fur fa chaifè. Richelieu voit qu'il triomphe Sc fort avec plus d'efpoir que jamais. Rendu chez lui, écrit une nouvelle lettre que Phonnête gardien rend a la veuve dé la même fagon que la première, toujours lui difant d'admirer la miféricorde de Dieu qui ramène un pécheur dans la voie du falut. Le maréchal demandoit par ce billet un rendez-vous chez 1'amie ; mais la veuve étoit encore trop timorée pour fè décider k cette démarche. Richelieu 1'attendit inutïiement pendant plus de huit jours. II fallut encore implorer 1'afliftance du capucin pour avoir une réponfe. Le valet-de-chambre retourne au couvent Sc donne au père un petit coffre qui eft le dernier des effets k reftituer. II le prie en grace d'obtenir fon pardon. Le gardien 1'affure que madame * * eft trop bonne chrétienne pour ne pas oublier fa faute. L'homme infifte &c demande, pour fa tranquillité, un feul mot de la veuve qui lui apprenne fa grace : le capucin croit poui T'ome IL K.  ï^ó Vie privèe voir lui promettre une réponfe, & le quitte pour faire ce dernier meffage. 11 fait part a madame * * du defir que le coupable a d'obtenir fón pardon d'elle - même , & ajoute que, n'ofant paroitre devant elle, il voudroit bien avoir par écrit la confirmation de la grace qu'elle a accordée. La veuve dit au capucin qu'il peut fe charger d'annoncer qu'elle oublie tout, mais qu'elle ne voit pas la néceflité d'écrire. Le bon père lui répond que la charité chrétienne doit lui en faire une loi; que le Dieu de miféricorde fe laiffe toucher par le repentir, Sc que fa foible créature doit être au moins aufli indulgente que lui ; qu'un mot de fa part va donner la paix a un pécheur repentant , 8c qu'elle ne peut ni ne doit refufer ce qu'il demande. Madame * * fort agitée, combattue par le remord 8c par fon cceur, va k fon fecretaire 8c écrit en tremblant qu'elle pardonne la faute qu'on a commife, 8c qu'elle promet de fe rendre oü elle eft attendue. Elle donne le billet au capucin qui 1'affure que le ciel lui tiendra compte de ce qu'elle fait, 6c qui obferve, en la quittant, que 1'indulgence eft la première des vertus. Le valet-de-chambre étoit déja chez ce bon religieux ; celui-ci lui annonce qu'il a de quoi le tranquillifer, 6c lui remet la lettre de la veuve. Témoigner fa joie, remercier le père 6c le quitter, font 1'affaire d'un inftant ; il vole porter cette heureufe nouvelle a fon maitre qui fe rend le foir même chez fa confidente. Tous deux rirent beaucoup de la bonhommie du moine, qui portoit lui-même 1'annonce d'un rendez-vous, 6c  du Maréchal de Richelieu. Ï47 il fut décidé que le maréchal deVoit en eonfcience., faire un préfent au couvent. II envoya fur-lechamp deux louis au bon gardien de la part d'un inconnu, qui defiroit qu'on dit des meffes pour le fuccès d'une affaire très-importante. Nous ne parierons point de tous les combats de madame * * ; ce qu'il y a de vrai, c'eft qu'ils ne contrarièrent pas les defirs du maréchal/Elle fe rend chez fon amie, qui, après les difcours d'ufage, lui apprend que M. de Richelieu avoit quelque chofe a lui dire, relativement a un parent qu'elle a dans ie fervice. La veuve rougit en entendant prononcer ce nom , & balbutie qu'elle ignore ce que peut lui vouloir M. le gouverneur. Le maréchal qui avoit pafte dans un autre appartement a Parrivée de Madame * *, paroït alors : cette charmante femme qui fê re-* proche la démarche qu'elle fait, ne fait quelle contenance tenir ; fon trouble augmente encore, quand fon amie lui dit qu'une affaire la force de fortir un inftant, & qu'elle la laiffé avec M, le maréchal qui a befoin de lui parler. Elle veut fuivre fon amie; le maréchal la fup*" plie de 1'écouter : cette perfide amie étoit déja. loin; elle avoit fermé la porte , en leur difartt qu'ils pouvoient caufer tranquillement, qu'elle em~ portoit la clef, pour qu'ils ne fuffent point interrompus. La veuve alors vit bien qu'elle étoit perduev Elle veut ouvrir la fatale ferrure : mais fon im* puiffance la défefpère, & fes efforts font inütiles» Le maréchal eft a fes pieds : il la conjure de ne point s'allarmer, lui dit que c'eft une plaifante* rie de fon amie, & qu'il en veut profiter pour K ij  14S Vu privie Pafiurer qu'il n'aimera jamais qu'elle. En parlant, il veut agir : madame * * le conjure, les larmes aux yeux, de ne point abufer de la fituation oü elle eft, d'avoir pitié de fon déièfpoir, & bientöt elle occupe la place qu'il a quittée : elle eft k fes genoux en lui tendant les bras. Le maréchal la relève, la fait alfeoir, la fupplie de calmer fon agitation, lui repète que les intentions font pures, 6c met en ufage toute 1'adreffe qu'il poflede pour émouvoir les fens. La belle veuve s'attendrit; il a Part de lui faire oublier le danger qu'elle peut courir , 6c dans un moment de fécurité fes beaux yeux la trahiflent, en décélant Pardeur qu'elle éprouve ; Richelieu s'en appergoit aufli-töt, 6c tente un fecond effort. L'attaque fut rapide , 6c la vidToire compléte. C'étoit une des plus difficiles qu'il eüt remportées. Le premier pas fait, les autres fe fuivent avec rapidité. Madame ** retourna fouvent chez fon amie, qui lui devint d'autant plus chère qu'elle favorifoit fon penchant. Le pavillon de Fronfac venoit d'être terminé, & le maréchal voulut que le premier encens brülé dans ce temple , le fut en 1'honneur de la veuve. Son amie vint 1'engager a paffer quelques jours k la campagne avec elle ; le grand - vicaire y confentit, 6c fous ce prétexte, elles fe rendirent toutes deux a Fronfac oü le maréchal les attendoit.  du Maréchal dc Richelieu, 149 CHAPITRE XII. Suite des amours du maréchal; il forme d Paris une nouvelle intrigue avec une religieufe. Richelieu refufe d'être miniftre d la mort du maréchal de Belleijle ; la paix fe fait; mort de madame de Pompadour. M adame **', étonnée du fpettacle rrragnifique que lui procuroit la fuperbe vue du pavillon de Fronfac, le fut encore bien davantage des preuves d'arnour multipliées de fon amant. Son amie defcendoit fouvent a Libourne oü elle avoit des connoifTances , & pendant ce tems, Richelieu la confirmoit dans 1'opinion qu'il étoit en efFet un homme extraordinaire. Elle avoit pleuré un mari très-amoureux qui lui avoit été enlevé a Page de vingt-huit ans, & elle ne pouvoit concevoir qu'un homme qui en avoit plus de foixante, put réparer cette perte, même avec avantage. Son amour augmentoit chaque jour, mais ce bonheur ne fut pas de longue durée. Elle croyoit que Page du maréchal, & les charmes qu'elle poffédoit, devoit Paffurer de fa conftance : une année d'illufion fut a peine écoulée, qu'elle vit bien que le vieillard étoit incorrigible, & qu'il devoit mourir dans fon impénitence. Elle n'eut recours qu'a fa tendreffe & a fes prières, pour le ramener; il promettoit toujours : mais fes promeffes avoient toujours la même valeur, c'eft-a-dire qu'elles n'en avoient aucune. Elle apprenoit continuellement  t 5 O Vie privée qu'il étoit occupé de filles ou de nouvelles maïtreffes, Ses larmes peignirent fon défefpoir ; le maréchal y fut fenfible, fans fe corriger. Enfin, ne pouvant .plus vivre dans cet état d'anxiété qui altéroit fa fanté, elle réfolut de cacher dans la folitude le chagrin &c la jaloufie qui la confumoient. Après avoir encore effayé quelques tentatives qui ne furent pas plus heureufes, elle fe retira dans un couyent pour y pleurer k loifir, & fes erreurs & la perte qu'elle faifoit.. Richelieu parut furpris de fa réfolution, & 1'oublia bientöt. De nouvelles intrigues le retenoient a Paris, Une religieufe d'une ancienne familie connoiffoit madame de Mauconfeil, qui lui parloit quelque» pouvoit lui être utile. Cette religieufe qui n'avoit aucun grade defiroit être abbeffe; & M. de Richelieu, ami du cardinal de la Roche-Aymon, qm avoit la feuille des bénéfices, pouvoit lui pro curer cette grace. Madame de Mauconfeil lui recommanda cette dame; & la religieufe elle-même qui avoit de 1'efprit & qui écrivoit très-bien, crut que des lettres ingénieufement tournées acCéléreroient le fuccès de fa demande, Le maréchal lut avec plaifir les épitres qu'il regut. Le ftyle délicat qui y régnoit, lui fit augurer que la perfonne qui pouvoit dire de fi jolles chofes étoit faite pour en infpirer; il réfolut de lui rendre vifite. C'étoit une femme de trente ans, fraïche encore, qui faifoit voir de très-belles dents, qui avoit été confacréeau Seigneur, paree qu'elle n'étoit pas riche, & qui, ennuyée de la dépendance de la vie. monaflique, n'étant que firn-  du Maréchal de Richelieu. i 5 ï ple religieufe , étoit déterminée a tout facrifier pour obtenir de 1'autorité. Richelieu trouva fa converfation aufli fpirituelle que fes lettres, & il fit fur elle la même impreflion; ils fe féparèrent avec peine, & promirent de fe voir fouvent. Le maréchal, exact k tenir fa parole , venoit pafler tous les deux ou trois jours quelques heures avec la religieufe. Bientöt , dans le couvent, on envia le bonheur qu'elle avoit, de ce qu'un maréchal de France fi célèbre lui rendoit des vifites fi fréquentes. Le maréchal obferva que le refpect qu'il imprimoit empêchoit les autres religieufes de paroitre au parloir ou il étoit; il remarqua en même-tems qu'il y avoit une ouverture k la grille par ou l'on faifoit pafler les effets qu'on apportoit aux penfionnaires, & ces deux obfervations lui firent naitre 1'envie de féduire la religieufe, malgré les obftacles qui paroiffoient s'y oppofer, 11 régnoit entre elle & lui une amitié très-expreffive. La fervante du Seigneur écoutoit déja fans rougir les propos galans qui lui étoient adreffés. Rien ne lui faifoit perdre de vue fon objet , qui étoit d'avoir une abbaye, & Richelieu avoit toujours le fien, qui étoit différent. II lui baifoit les mains a travers la grille; mais c'étoit comme une goutte d'eau qui, loin de rafraichir celui quï a foif, ne fait que 1'altérer encore ; il fentoit Jfes defirs s'accroïtre en raifon des obftacles qui s'y oppofoient, Preffé de nouveau par la religieufe de parler pour elle a M. de la Roche-Aymon, il promet fes bons offices, aflure qu'il réuflira, mais demande faveur pour faveur; il la conjure de couronner fon amour. Elle fe récrie fur 1'énormité K iv  15? Vie privée du mal, & enfuite fur 1'impoffibilité de le commettre. Richelieu lui prouve qu'en ayant la clef de la petite porte de la grille, on pourra s'arranger de manière a fe contenter mutuellement. La religieufe répond que fa demande eft folie, & qn'elle aime mieux renoncer a ce qu'elle avoit efpéré. Le maréchal la quitte , en lui répétant qu'elle eft maitreffe de fon fort. 11 ceffe d'aller au couvent, bien perfuadé qu'il tecevra des nouvelles. Effeclivement, elle paffe «n mois a combattre; mais 1'ambition, plus forte que tous les raifonnemens, la déterminé a écrire un billet affez vuide de fens, qui fixe un rendezvous pour un jeudi, a quatre heures. Richelieu s'y rend, & lui demande fi elle eft plus raifonnable. La religieufe fait femblant de croire encwre que c'étoit une plaifanterie; mais le duc, qui lui tient une main, 1'affure qu'il 1'aime yéritablement, qu'il eft défolé de lui vendre un fervice , mais qu'elle ne doit en accufer que fa paffion , ce fentiment dont il n'eft pas le maitre va le rendre heureux ou malheureux pour la vie. Cette femme vit bien qu'il falloit fe décider, & il lui parut moins cruel de céder a des defirs qu'elle partageoit, que de refter fans pouvoir dans fon couvent; elle lui remit la clef de la grille, dont il promit de faire faire une femblable. La porte fut ouverte, & 1'ouverture fe trouva affez grande pour y paffer; on ferma les portes du parloir intérieur & extérieur, & le tems ne fut point perdu en de vaines difcufftoris. ^ Cette intrigue dura quelques mois. La religieufe, rendue a elle-méme, n'oublioit pas qu'une abbaye devoit mettre le comble a fon bonhevir.  du Maréchal de. Richelieu. 153 Le maréchal lui difoit que le cardinal étoit prévenu, Sc qu'elle touchoit au moment d'être nommée. Malheureufement pour elle, M. de la RocheAymon ne fe hata point de tenir parole ; d'un autre cöté, fon amant, qm étoit diffipé par mille occupatibns diverfes, qui voltigeoit de belle en belle , laffé de la contrainte d'un couvent, Sc d'une femme qui ne favoit qu'aimer, d'une femme dont la conquête n'avoit rien de piquant pour lui que la fingulariti , diminuoit infenfiblement fes vifites. Les lettres de la reclufe n'ayant plus le même charme pour lui, les reproches qui fuccédèrent lui déplurent, Sc il 1'abandonna aux regrets d'avoir payé d'avance un bien dont elle ne devoit jamais jouir. De fes anciens fentimens pour madame de Lauraguais , il lui étoit refté pour elle une tendre amitié , Sc il recevoit continuellement des preuves de fon attachement. S'il étoit quefiion a la cour de quelque chofe qui put lui être avantageux, elle cabaloit de tout fon pouvoir pour le lui faire obtenir. Le maréchal de Belle-Ifle, miniftre de la guerre, accablé fous le poids des affaires, défefpéré de les voir en ft mauvais état, Sc f>lus encore de la mort de fon fils, le comte de Gifors, qui donnoit les plus grandes efpérances, Sc qui fut tué a la tête des carabiniers, qu'il commandoit a la bataille de Crevelt, étoit fur le point de terminer fa longue carrière. II n'y avoit pas d'exemple plus capable de prouver que Pambition ne rend pas heureux. Madame de Lauraguais n'en crut pas moins que fon amant devoit lui fuccéder; elle vit les miniftres, madame de Pompadour, le roi  1^4 Vu privéi lui-même , & tout étoit difpofé en fa faveur, ouand M. de Belle-Iile mourut. Elle courut avertir Richelieu qu'il pouvoit fe mettre fur les rangs, & fut auffi furpriiè que fachée du refus qu'il fit d'entrer dans le miniftère. II tui objetta qu'ayant vu le peu de flabilité de ces places , il aimoit mieux refter favori du maitre que de s'expofer k perdre fes bonnes graces; que d'ailleurs, il n'y avoit qu'un premier miniftre, revêtu de toute 1'autorité, qui put remédier aux abus fans nombre qui s'étoient introduits dans tous les départemens. Perfuadé qu'il ne pouvoit pas 1'être, il croyoit que des confeils dans chaque partie étoient néceffaires; il difoit que Louis XIV, qui avoit fait de grandes chofes avec MM. Colbert, Louvois & Lionne, n'eut point éprouvé tous les revers qui 1'accablèrent enfuite , fi ces génies fupérieurs euffent été k la tête des confeils, paree qu'après leur mort, ces confeils auroient été imbus de leurs principes & de leur manière d'opérer; que Chamillard , dont 1'honnêteté & la probité étoient reconnues, fe feroit abandonné aux lumières qu'il y auroit trcuvé; M. de Pontchartrain n'auroit pas .perdu la marine, & le roi auroit facilement donné .la loi a 1'Europe ay commencement du fiècle, aulieu de tomber dans 1'état de crife oii il fe trouva «n 1709 , état dont il ne s'eft tiré que par miracle, & en effuyant les-plus grandes pertes. II prétendoit encore que M. le duc d'Orléans n'avoit eu une adminiftration fi admirable & fi admirée au commencement de fa régence, que paree qu'il avoit eu des confeils, qui n'avoient été détruits que par les avis de Lav & du cardinal Dubois. Ces deux miniftres lui avoient fait en-  du Maréchal de Richelieu. 15 j tendre que ces confeils accrédités pourroient lui nuire a la raajorité du jeune roi, 8c balancer Pautorité qu'il vouloit conferver. Selon lui, il y avoit une contradicTion dans les principes de 1'adminiftration qui donnoit un confeil au miniftre des affaires étrangères qui étoit le moins fufceptible d'en avoir. Le fecret fi néceffaire dans ce département, feroit bien mieux gardé par un feul homme, que par plufieurs; mais il infiftoit pour qu'on donnat des confeils aux miniftres de la guerre 8c de la marine. Quant k ce qui le concernoitperfonnellement, il déclara qu'il renoncoit k une place, ou les chofes étoient difpofées de manière k ne jamais réuftir, fur-tout ayant affaire k un public accoutumé a fronder, 6c k des pariemens en poffeflion de s'oppofer a tout. Ses repréfentations fur la néceffité des confeils, ne furent point écoutées, 6c M. de Choifeul déja miniftre des affaires étrangères, qui avoit fuccédé k la faveur de l'abbé de Bernis, par une délation bafle 6c méprifable qui lui avoit mérité les bonnes graces de madame de Pompadour, réunit ce département k celui dont il étoit déja en pofleffion. La paix ne tarda point k fe faire, 8c la France fit des réjouiffances publiques de ce qu'on venoit de figner fa honte aux yeux de- toute 1'Europe, II eft vrai cependant que les frangois battus dans Pinde , dans leurs Colonies , qui avoient vu leur marine fe détruire par 1'igaorance ou la jaloufie des chefs, qui avoient géroi de ce qu'en Allemagne, un général fuccédoit a 1'autre pour être vaincu, ou pour ne pas favoir profiter de la vicToire , avoient encore raifon de fe réjouir de la fin d'un  1^6 Vu prlvte fléau qui engloutifloit hommes, fortunes, honneurs, 6c dont la continuité ne pouvoit qu'augmenter leur mifère 6c leur opprobre. Ce n'étoit plus ce tems oii Louis XV élevé au-deffus de lui-même, par une femme qui aVoit un grand caracfère, avoit paru fortir de fon engourdiffement naturel, pour fe montrer k la tête de fes armées , 6c animer fes foldats que la préfence du fouverain faifoit voler fans ceffe k de nouvelles vi&oires. Maintenant, ce fultan apatique , du fein d'une honteufe volupté, a peine touché des malheurs que fa foiblefTe occafionne, abandonne les rênes de 1'Etat a une femme intrigante, qui ne place que fes créatures, ou des gens qui lui font baffement affervis. Un prince qui s'abaifTe au röle de protégé de la favorite , eft mis ignominieufement en déroute a Rosback, malgré la fupériorité de 1'armée qu'il commande; & des milliers de frangois périflent viftimes de fon imprudence : le roi lui écrit qu'il avoit parfaitement bien fait fon devoir, qu'il n'a été que malheureux ; la campagne fuivante, il eft employé , & il regoit aux yeux de 1'Europe indignée le baton de maréchal, pour prix de fes glorieux fervices. C'eft aux hiftoriens k entrer dans ces détails révoltans qui ont fignalé le règne de ce prince, qui, fans être méchant, aggrava les maux de la France a un point incroyable. Sa trop grande confiance dans les miniftres, dans fes maitretTes, fa mauvaife éducation , reproche éternel qu'on doit faire au cardinal de Fleuri, tout concourut k la perte du royaume. Madame de Pompadour contribua beaucoup a accélérer ces événemens défaftreux ;  du Murkhal de Richelieu. 157 elle voulut régner, & loin de tirer le monarque de fon engourdiffement habituel, elle ne s'étudia qu'a prolonger ce fommeil léthargique. Non contente d'avoir été deftinée eile-même a fes plaifirs, elle fe perfuada qu'il n'y avoit aucun moyen aviliflant pour conferver 1'afcendant qu'elle avoit pris fur fon efprit. Nourriffant a deffein le défordre de fon augufte amant,& fon goüt pour les femmes, fon dernier titre a la faveur , fut de lui raffembler de nouvelles victimes : le pare aux cerfs fut établi, monument honteux , mais célèbre de débauche & de dépravation, oü une partie de 'Por de la nation alloit s'engloutir; &c ce n'eft encore qu'une foible image de celui qui étoit dévoré par la favorite. Bellevue, Créci, & les rendez-vous des plaifirs du roi, furent autant de gouffres oü fe perdoit ce qu'on avoit prélevé fur la fubftance du peuple. Enfin, le ciel jette un regard de pitié fur cette -malheureufe nation : il frappe de mort 1'inftrument de tant de déprédations. Une maladie lente attaque madame de Pompadour; Part des médecins ne fait qüaccélérer les progrès du mal, & elle eft enlevée aux grandeurs, pour rentrer dans le néant. Chaque jour, le premier gentilhomme de la chambre remettoit au roi le bulletin de la malade, & cet infenfible monarque calculoit froidement le tems qu'elle aVoit encore a vivre. II apprit fa mort, fans être affecté ; l'on fait qu'il regarda de fon chateau de Verfailles paffer le convoi de cette maitreffe, qu'il avoit tant chérie , de cette amie avec laquelle il avoit Phabitude de vivre 9 fans témoigner la plus légere émotion,*  Vu privèe tj8 CHAPITRE XIIL Le maréchal de Richelieu reprend une maitreffe qui lui avoit été enlevéi par l'archevêque de Bordeaux, II va voir Voltaire • madame de Lauraguais l'accompagne jufqu'a Lyon. Richelieu fait la gageure de conduire une dévote jufquau dénouement de l'intrigue, & de labandonner. Rïchelieu de retour a Bordeaux oii il aimoit mieux demeurer, paree qu'il n'étoit éclipfé par perfonne, fe fit de nouvelles quereJles avec le parlement. II toléroit des maifons de jeu que ce corps s'obftinoit juftement a profcrire. Le moindre obftacle a fes volontés faifoit naitre dans fon cceur une haine irréconciliable, & la plupart des membres du parlement devinrent fes ennemis perfonnels. Une de fes grandes jouiffances fut de leur donner, en 1771, des preuves de fon anitnofité. On a déja dit que 1'eftime des Bordelois s'étoit fort altérée, & que le maréchal, qui préféroit le plaifir d'être craint & obéi , è celui d'être aimé, quoiqu'il eut tous les moyens de 1'être, continuoit k commander defpotiquement dans fon gouvernement , fans avoir égard aux remontrances qui le contrarioient Dans fes audiences publiques, les courtifannes étoient fouvent mieux accueillies que les plus honnêtes gens. C'eft a lui qu'eft arrivée cette aventure mife fur le compte d'un intendant de province.  du Maréchal de Richelieu. Ij§ Une fille très-jolie vint lui préfenter un placet. Le maréchal la trouvant fort de fon goüt, la fait entrer dans un cabinet particulier ; il la prend fur fes genoux, & lui dit qu'elle eft trop aimable pour demander rien qui foit injufte, qu'elle peut compter qu'il lui fera favorable , k condition , cependant, qu'elle ne fera pas févère. Mais, monfeigneur, vous n'y penfez pas, répond cette fille; vous n'avez pas examiné le fujet de mon mémoire.... Cela n'y fais rien , vous aurez juftice.... Je vous le promets... Et tout en 1'affurant de fa protection, il triomphe de fa réfiftance , fans lui donner le tems de s'expliquer. La fille fort, & laiffé le placet fur lequel le maréchal jette les yeux. 11 ne peut d'abord croire ce qu'il lit; il examine avec plus d'attention, & fa furprife ne fait qu'augmenter , quand il eft certain que ce mémoire n'eft autre chofe qu'une plainte contre un chirurgien qu'on accufe de n'avoir pas guéri la fuppliante , comme il s'y étoit engagé, &C qui demande un falaire trop coniidérable. Le maréchal , furieux, en fut quitte pour prendre des précautions contre le réfultat de fa converfation, en fe promettant bien de modérer une autre fois Pexcès de fa vivacité. Un autre de fes défauts étoit d'aimer & d'encourager les délations. II y avoit dans Bordeaux une quantité de gens qui ne lui faifoient leur cour qu'en lui fervant d'efpions. Dans fa maifon même, il falarioit particuliérement des valets qui lui écrivoient jufqu'a la plus petite chofe qui s'y paflbit; ces détails 1'amufoient : mais quelquefois trompé, il puniffoit des gens qui n'étoient pas coupables ; ce qui le faifoit d'autant plus détefter,  l6o Vie privk II vouloit aufli être inflruit de tout ce qui fe paflbit d'un peu important dans fon gouvernement ; & comme il examinoit toutes les affaires affez fuperficiellement, il avoit encore beaucoup de tems pour fe mêler de celles de la comédie. C'étoit-la fur-tout ce qui 1'occupoit. Un direcf etude province ne pouvoit entrer dans plus de détails que lui; tout étoit précieux quand il s'agiffoit de comédiens. Les actrices particuliérement, cette claffe de filles, qui a quelquefois la prétention de ne pas 1'être, bien cajolées, bien fêtées de papa. maréchal (c'eft ainfi qu'elles 1'appelloient,) avoient le privilège exclufif d'être bien infolentes, & de manquer impunément au public, quand elles étoient jolies. Non content des plaifirs continuels que lui procuroit le fpecf acle, le maréchal chercha les moyens d'en partager le produit. II aimoit 1'argent, & crut avoir fait une bonne fpéculation en devenant actionnaire fous un nom fuppofé. II agiota quelque tems avec les autres; mais voyant que 1'or ne circuloit pas aufli abondamment qu'il 1'avoit efpéré, il fe borna définitivement k 1'emploi glorieux, pour un maréchal de France, de chef fuprême du tripot comique. II avoit, depuis quelque tems, pour maitreffe, une Américaine très-jolie, dont il avoit été fort amoureux. Pendant qu'il étoit k Paris, elle oublia qu'elle lui avoit fait ferment de fidélité, & prit pour confolateur 1'archevêque de Bordeaux. Le prélat réfidoit dans ce moment; il difpofoit d'une portion abondante du bien de 1'églife ; & quoiqu'elle fut riche, notre Américaine épröuvoit que Partiele des fantaifies devenoit un befoin conti- nuel;  da Markhal de RkhültU, lét huel \ elle crut donc pouvoir partieiper fans crime a 1'héritage des prédeftinés. L'intérêt la rendit cornplaifante : & 1'amour fit un prodigue de 1'arche* vêquek Tous deux furent bientöt d'aceord \ mais Ié retour de Richelieu vint troubler leur bonheuf St leur tranquillitéi II apprend , par üh de fes efpions , que la char* mante Américaine eft aufli foible avec 1'archevêque, qu'elle 1'avoit été avec lui, Jaloux fans amöur, il trouve mauvais que le prélat jouiflè des mêmes droits que lui , Sc veut s'en vengen Sachant que monfeigneur a décidé de pafler la foirée Sc la nuit chez fon infidelle, il envoie la prier de lui donner a fouper pour le même foir, Comme cette foirée étoit confacrée k d'auttes occupations, Sc qu'en même-tems oiï ménageoit le maréchal, On prit le prétexte, pour le refufer, d'urte indifpofi-* tion qui obligeoit a garder le lit. Nouveau mef* fage de la part dü duc; nouveau refus accóm» pagné de mille excufes. Certain que fa préfence ne produira pas plus d'effet, il fe préfente néan* moins k la porte de 1'invifible, qui lui eft fermée i on le prie de pafler le lendemain ; il répond qu'il eft charmé que madame ** foit füre d'être guériè fi promptement, Sc qu'il viendra, le jour défigné 5, lui en faire fon compliment. II va a la comédie» une actrice le dédommage du rendez-vous qu'il n'a pu obtenir, Sa voiture reconduit la nymphe des coulifïes; Sc il donne ordre en même-tems a fon cocher d'aller fe pofter prés de la porte de 1'Américaine, d'y paffef la' nuit, Sc d'attendre la fortie du prélat, k qui il öff frira la voiture. Ce qu'il avoit prévu ne manqUa pas d'amvef * Tornè ÏL £,  tói Pu privée on crut le gouverneur chez la dame; & fes gens; qui firent beaucoup de bruit dans la rue, donnèrent une nouvelle preuve que leur maitre étoit en bonne fortune. C'en étoit affez pour fon amourpropre, mais pas affez pour fa vengeance. Le jour venoit de paroitre depuis quelque tems, quand le prélat fortit myftérieufement de chez fa maitreffe. II étoit enveloppé d'un manteau; perfonne ne 1'accompagnoit, & il cherchoit k fe dérober a tous les importuns. Les gens du duc 1'appercoivent; ils courent après lui, en criant: Monfeigneur , vous n'ire^ point d pied; non, vous n'ire^ pas ; permette^-nous de vous offrir la voiture de notre maitre ; ce fera lui faire plaifir. Plus ils crioient, plus Ie prélat vouloit fuir. Quelques marchands s'atiroupoient déja; Pembarras de 1'archevêque augmentoit toujours par Pobftination de ces officieux valets avec leur voiture, lorfqu'enfin il trouve un paffage qui le fouftrait heureufement k leur importunité. C'étoit le jour du maréchal. II favoit que la maladie devoit être terminée ; il fe rend chez la dame qui s'excufe de fon impoliteffe de la veille fur une indifpofition très-férieufe. Qui en doute, répond Richelieu ? Je connois votre maladie , fefplre qu'elle naura plus de fuite ; ce n'étoit qu'une indigefiion de prêtre. Monfeigneur l'arclievêque, continue-t-il, fans crfijfe ni mitre s'efi évadé de che^ vous ; & je viens gagner les indulgences , en approchant d'un lieu facré. L'Américaine eut peur que cette aventure ne fit du bruit, & connoiffant le maréchal pour un homme très-vindicatif, elle promit de facrifier le prélat, qui par état ne pouvoit pas parler fi haut.  du Maréchal de Richelieu, if5j D'ailleurs elle vouloit fe marier a un certain baron a qui elle defiroit cacher fes aventures. Richelieu approuva tous fes projets, la feconda même pour former les nceuds qu'elle avoit en vue, 6c eut le talent, le jour du mariage, de partager le premier les droits du baron. Nous avons dit qu'il donnoit de grands foupers, & qu'il étoit prefque toujours a une table particulière avec vingt-neuf femmes. Un foir il voulut que le nombre ne fut compofé que de celles qui avoient eu des bontés pour lui; il lui parut plaifant de les raffembler k un fouper. Lui feul pouvoit lesdéfigner; il en donne la lifte, 6c fon choix fut renfermé dans un cercle charmant. Aucune des invitées ne foupconnoit fa voifine d'avoir des droits auffi particuliers fur le gouverneur, &c chaque mot qu'il difoit étoit interprété par chacune d'elles en fa faveur. Comme il y avoit plufieurs traits de reffemblance entre elles, 8c que leur hiftoire étoit a-peu-près pareille , du moins pour le dénouement, il etoit facile k Richelieu de leur faire croire qu'il ne parloit que d'une feule, 6c toutes en même-tems avec un ris malin fixoient les yeux fur lui. Le repas fe paffa en équivoques qui 1'amufèrent beaucoup; mais k la fin du deffert, quand les domeftiques furent retirés, le héros de la fête crut pouvoir fe conduire avec moins de ménagement. II raconta des aventures qui lui étoient arrivées avec plufieurs de ces femmes, 6c il prit plaifir a obferver les mouvemens qui fe faifoient fur le vifage de celles dont il parloit. II leur dit enfuite qu'il avoit fait la nuit même le plus agréable rêve. » J'étois, continua-t-il, k table, comme je  ï64 Vit privét » me trouve, avec vingt-neuf femmes fur la beauté » Sc le mérite defquelles il étoit difficile de pro» noncer. Toutes n'avoient eu befoin d'aucun art » pour me plaire; Sc j'avois été affez heureux n pour fixer un moment leur choix. J'étois enivré » du bonheur de les réunir, Sc ne pouvant le » renfermer dans mon cceur, je ne pus réfifter t» au plaifir de leur faire entendre combien j'avois » été heureux par leur poffeflion. Je ne voulois » pas que mon indifcrétion put bleffer aucune » d'elles; cependant j'étois bien aife qu'elles con» nuffent toutes leur mérite particulier, Sc 1'é» tendue des faveurs qui m'avoient été prodiguées. » Admettez pour un inftant que ce foit vous, mef» dames; Sc je vais dire a chacune de vous ce » que j'adreffai a ces femmes que me donnoit fi » généreufement mon rêve Alors il leur rappelle tour-a-tour ce qui s'eft paffé entre eux, ce qu'il a obfervé de plus beau, ce que chacune d'elles faifoit de fingulier dans le tête-a-tête , Sc généralement tout ce qu'il avoit alors remarqué. Le tout étoit accompagné de complimens analogues au fujet. Quelques femmes baiffèrent les yeux; d'autres fe mirent a. rire. Cependant le filence qui dura long-tems fut interrompu par Richelieu, qui leur demanda ce qu'elles penfoient du fonge. Je penfe, reprit une femme, en fortant de table, que vous éüei un grand impertinent, & que ces vingt-neuf femmes avoient été encore plus folies, que vous nétiei indifcret. Cette fortie ramena la bonne humeur. Plufieurs d'entre elles firent affaut de politeffes, en fortant de la fajle k manger; aucune ne vouloit fortir la  du Maréchal de Richelieu, 165 première, 8c toutes difoient : L'lwnneur ejl du d l'ancienne; il faut chercher la date du manage. Le maréchal, de retour k Veriailles pour faire fon fervice, eut la douleur de voir périr a Fontainebleau un prince qui lui avoit donné mille marqués de bonté. II avoit joui des bonnes graces de M. le dauphin , fans ceffer d'être dans 1'intimité du roi fon père; car il avoit le talent de fe ménager dans les tracafferies de 1'intérieur, de manière a être également bien dans les deux cours. D'ailleurs 011 fait que M. le dauphin n'aimoit pas M. de Choifeul; 8c fans doute c'étoit un titre de plus que Richelieu avoit auprès de ce prince , puifqu'il étoit ennemi du miniftre, U blamoit hautement fes opérations; il prétendoit qu'il avoit perdu le militaire, qu'il agilfoit prefque toujours en étourdi, 6c ces déclamations devoient plaire k M. le dauphin, difpofé a écouter avec plaifir le mal qu'on difoit d'un homme qu'il dételtoit. Le dauphin étoit fujet k une forte tranfpiration aux pieds; elle fut interceptée par un trop long féjour dans un endroit humide. L'humeur reflua fur la poitrine, 8c caufa bientót des ravages affreux , 1'embonpoint de ce prince difparut, 8c il tomba dans une maladie de langueur qui effraya tous ceux qui lui étoient attachés. On le fupplia de donner tous fes foins k fa fanté; mais malheureufement il étoit dans un de ces momens ou malgré foi l'on prend la vie en dégout; il avoit effuyé des défagrémens de fon père, qui ne lui donnoit aucune preuve de confiance; il étoit mécontent de tous les changemens que faifoit M, de Choifeul, 8c voyoit avec peine qu'on multiplioit les impöts- pour augmenter les dépenfes des dé- L üj  i66 Vu privée partemens de la guerre & de la marine , oü ce miniftre plaooit fes créatures avec des appointemens confidérables. Prévoyant le malheur général , & la difficulté d'y remédier fous fon règne, toutes ces idéés entretenoient dans fon ame une mélancolie noire qu'il ne pouvoit pas vaincre. II defiroit la mort : mais fans doute il ne la croyoit pas li prochaine. II avoit donné précédemment fon portrait au maréchal; il lui en envoya un fecond qui avoit été fait dans cet état de dépériliement, en lui marquant : Cejl pour comparer le paffe au préfent; vous me trouvere^ bien changê; dans peu je le ferai davantage. Cependant les progrès de Ia maladie devinrent fi viclens, qu'il en fut lui-même effrayé. Soit que 1'afpect de la mort imprime toujours de la terreur même k 1'homme le plus courageux, foit que les idéés finiftres qui 1'obfédoient fuflent affoiblies, il recourut lui-même aux fecours qu'il avoit refufés , & demanda fi fon état étoit dangereux. II fut tourmenté de 1'inquiétude qu'il remarquoit; enfin 1'amour de la vie fe fit fentir, quand il n'étoit plus tems de prolonger fes jours, II vit cependant approcher fa fin avec fermeté, & montra une patience, une réfignatioa & une conftance qui av.gmentèrent les regrets de ne pas le voir monter fur le tröne. L'ouverture de fon corps prouva que 1'humeur interceptée s'étoit jettée fur le poumon. Le procés-verbal porte que la poitrine étoit remplie d'une eau rouffatre qui avoit corrodé tout le vifcère; le poumon étoit prefque totalement pourri & dé^ truit. Nous ne rapportons ce fait que pour éloigner entiérement le foupgon qui a été répandu,  du Maréchal de Richelieu. 167 que M. de Choifeul avoit fait empoifonner ce prince. Le public ne peut voir tomber une tête couronnée ou prête k 1'être, fans donner a fa chüte une caufe extraordinaire. Madame Ia dauphine a été vicfime d'une maladie que fa trop grande fenfibilité a fans doute rendu mortelle , mais dont font morts des milliers d'individus. Le duc de Choifeul mérite des reproches affez graves dans fon adminiftration, (ne fut-ce que fon exceffive prodigalité, fans doute impardonnable dans un moment oii 1'état étoit auffi obéré ,) fans lui imputer des crimes odieux qu'il n'a pas conimis. A peine le maréchal de Richelieu a-t-il fef mé les yeux k M. le dauphin, que la perte qu'il vient de faire ne 1'empêche pas de veiller aux droits de fa charge. II avoit été obligé de quitter Fontainebleau pour fuivre le roi, & il avoit laiffé le duc de Fronfac, préfider au cönvoi qui devoit conduire le malheureux prince k Sens. II y eW>d£s difcuflions; entre M. le duc d'Orléans , nommé pour commander la maifon militaire, & le premier gentilhomme qui avoit la prétention de repréfenter le roi, chacun vouloit donner 1'ordre aux troupes, M. le duc d'Orléans par-tout. Le gentilhomme lui accordoit ce droit au-dehors, mais prétendoit favoir au-declans, & ces premiers momens funèbres. fe paffèrent en débats , •au-lieu de regrets que ce trifte fpetfacle devoit faire naitre. Le maréchal recevoit des irapreffions fi legères de peines ou de plaifirs qu'elles ne tardoient point a s'effacer. II avoit pour fyftême, que la douleur ne remédiant a rien, c'étoit folie de s'y livrer. Bientöt un nouveau genre de plaifir Tap- L iv  ï 68 Vu privèt pelle, II apprend qu'une préfidente laide & devote avoit dit chez madame de Mauconfeil, qu'il étoit incroyable que tant de femmes euffent été aufli foibles avec M, de Richelieu, & qu'elle répondoit bien , quand il feroit encore jeune & féduifant, de lui montrer que toutes fes attaques feroient infructueufes. Elle ajouta que les femmes qui cédoient aux hommes le vouloient bien, & que fi tout fon fexe penfoit comme elle , ces hommes fi vains, fi indifcrets, qui jugent toutes les femmes défavorablement, paree qu'ils ont été trop bien regus par quelques-unes, finiroient par languir a leurs pieds, fans retirer autre chofe de leurs vceux & de leurs foupirs, que de la honte & du déph. Le maréchal la regarda comme une folie quï ne déclamoit contre les plaifirs de 1'amour, que paree qu'elle n'avoit pu en jouir, ou qui vouloit le piquer, en parlant fi hautement contre lui. Madame de Mauconfeil , qui vit bien que «ette petite animofité produiroit quelques fcènes amufantes, raflembla chez elle a diner les acteurs de cette comédie, & ne manqua pas de défigner au maréchal cette femme fi fure de fes principes. Sa laideur 1'effraya d'abord ; mais le plaifir de fe venger , fit difparoitre , pour ce moment, la difformité de fes traits. Placé k cöté d'elle, il redoubla de foins & de prévénances : la déyote en parut flattée, & elle s'accoutuma peu k peu au langage féducteur du maréchal. Celui-ci avoit mis dans fa tête de lui prouver qu'a föixante-huit ans il avoit encore le talent de plaire, & qu'il poffédoit, comme k trente, ce qui peut féduire une femme. II chercha fans af-  du Maréchal de Richelieu. 16$. fettation les moyens de paroitre aimable, & de briller ; la devote fe livra, fans réfléchir, aux fenfations qu'elle épröuvoit, & s'amufa beaucoup de tout ce que difoit Richelieu. Croyant paffer une partie de la foirée chez madame de Mauconfeil, fa voiture ne devoit la venir prendre qu'a huit heures; mai6 une pièce nouvelle de Favart, que madame de Mauconfeil aimoit beaucoup , changea fes pro] ets , & lui fit demander la permiflion de quitter la compagnie. Le maréchal offre aufli-töt de reconduire la préfidente. Son amie, qui trouve plaifant que, dés le premier jour, les affaires aillent fi vïte, engage la dévote , a qui elle fait mille excufes, d'accepter cette voiture. L'autre infifte ; enfin il eft convenu qu'elle 1'acceptera, mais qu'elle ira feule , & que le maréchal attendra le retour de fon carrofTe. II demande la permiflion d'aller faire fa cour; on ne peut refufer un homme qui nous oblige, & qu'on trouve déja très-amufant. Le maréchal, qui veut terminer promptement cette affaire, ne manque pas , le jour fuivant, de rendre fa vifite : il eft bien recu; on 1'engage k revenir ; peu k peu il devient néceflaire. II parle de 1'envie qu'il a de fe remarier, de trouver une femme refpectable & douce, qui lui tienne compagnie le refte de fes jours. En mêmetems il regarde la préfidente qui croit qu'il a des vues fur elle ; mais il déclare que , pour être bien certain qu'il ne déplait pas a celle qu'il choifira, il ne veut devoir qu'a fon amitié les droits que 1'hymen doit lui donner : la dévote fourit, en difant que c'eft fans doute un badinage, & qu'il eft trop honnête-homrae pour exi-  170 Vie privée ^er un pareii facrifice. Le maréchal infifte, pristend que fon bonheur y eft attaché, & protefte qu'il ne formera jamais d'engagement fans cette condition. II abandonne en même-tems la préfidente a fes réflexions. Elle combat quelques jours : la perfpettive d'être femme d'un maréchal de France la féduit; elle croit qu'il eft permis d'acheter cet honneur. lAomme d'ailleurs qui met k fa main ce prix, un peu cher a la vérité, réunit tant de graces , qu'elle fe perfuade que le crime eft moins grand d'être foible, qu'il ejl avec le del des accommodemens, 6c qué fi d'ailleurs elle commet une faute, elle aura le tems de 1'expier, Ce mortel dangereux pour fa vertu arrivé au moment oii elle eft prefque déterminée a lui céder ; il lui parle de. chofes indifférentes, 6c Partiele du mariage paroit être oublié. La dévote ne fait comment ramener la converfation fur ce fujet ; elle fe -contente de faire parler fes yeux. Richelieu 1'obferve, 6c veut la voir venir; il prétend avoir la gloire de triompher, fans que le premier pas vienne de lui. Enfin la préfidente, en foupirant, lui dit qu'elle' a rêvé qu'il étoit marié. Avez-vous rêvé en même tems, lui répond le maréchal, que ma femme a confenti de bonne grace k m'accorder, avant la célébration, des preuves de fa tendreffe ? La dévote rougit, 6c prétend que ces chofes-lè font fi extraordinaires qu'on n'y doit pas penfer. Richelieu 1'affure que rien n'eft fi naturel, 6c que, fans ce qu'il defire, il n'y a pas d'hymen k efpérer avec lui. Encore, fi on en étoit certain, reprit la dévote!... Et alors elle prit un air ten-  du Maréchal de Richelieu. 171 jdre, que le maréchal certifie n'avoir été qu'une fuite continuelle de grimaces. Enfin cette femme, fi füre d'elle, qui blamoit fi févérement les autres, fe rend a difcrétion. Le maréchal la conduit au dernier moment; il lui fait entrevoir le bonheur; alors la dévote s'écrie : Fous voye{ combien je vous aime ! je me damne pour vous. Et moi, je me fauve ( 1), réplique le maréchal, en prenant fon chapeau, & en s'échappant plus vite qu'il n'étoit entré. On peut juger de la fureur de cette femme, & de fon délefpoir quand elle apprit que cette aventure étoit publique. Ce fut dans ce même tems qu'il fe détermina a aller voir Voltaire a Ferney. II y avoit longtems qué celui-ci le follicitoit de venir vifiter fon hermitage, ik Richelieu crut ne devoir pas *eMer, Pms l°ng-tems un ami qui n'avoit pas négligé une feule occafion de le faire valoir. Madame-de Lauraguais auroit bien voulut 1'aceompagner ; mais un refte de bienféance 1'empêcha de fuivre fon amant jufqu'en Suifte. Elle prend le prétexte d'aller voir i'archevêque de Lyon, qui étoit fon parent, & voyage jufqu'a. cette ville avec fon cher Richelieu. Celui-ci, qui aimoit la fingularité d'une avanture plutöt que 1'aventure elle-même, s'arrapgea fi bien, que le palais archiépifcopal devint pour lui un temple commode, oü il put brüler quelques grains d'encens en 1'honneur de fa maitreffe, & d'une jalie femme de chambre qui la fuivoit. (1) Le mot devint célèbre» & oft ne manqua pas d'en faire ufage dans plufieurs roman-f,  IJl Vie prlvtt Vokaire le regut comme fon protecteur, fort héros, enfin comme 1'homme unique qu'il mettoit au-deffus de tout. On doit remarquer que, malgré fon intimité avec le maréchal, il le traitoit toujours avec un refpett qu'il n'a pas pour les autres gens de fon efpèce. C'eft de 1'admiration, de 1'enthoufiafme, Sc cependant il avoit vu le héros dans des momens oii il ne devoit plus 1'être pour perfonne. Témoin des petits foupers du duc dans la maifon des Porcherons, il avoit été a même de juger cet être fuperficiel, qui facrifioit tout au moment. Comment lui avoit-il impofé ? Ou Voltaire ne vit jamais que le cöté favorable du maréchal, ce qui eft difficile a concevoir, ou fon ton defpotique lui infpiroit de la crainte. Le poëte, qui avoit a-peu-près les mêmes principes que lui, qui aduloit tous les gens en place, qu'il méprifoit fouvent, qui étoit entrainé plutöt par les circonftances que par 1'amitié Sz. le mérite , ouvrit fon cceur k fon ami, Sc lui témoigna fes regrets d'être en quelque forte banni de la capitale. Ce n'eft pas qu'il ne préférat le féjour de fa charmante habitation; mais il étoit humilié, pour prix de fes rares travaux, quï avoient éclairé fon fiècle, d'être privé de la liberté de revoir fa patrie. II fe plaignit de Louis XV, qui avoit toujours été prevenu contre lui ; des pariemens , qu'il trouvoit plus rois que le fouverain ; des prêtres, qui vouloierit punir de mort tous ceux qui ofoient lever le voile dont ils couvroient leur fanatifme , qui le feroient tot ou tard affaffiner pour avoir démontré leur ignorance , leur fotirberie , Sc qui crioient a 1'impiété, paree qu'on blamoit leur conduite, Sc Pu-  du Maréchal de Richelieu. 173 fage qu'ils faifoient de leur fcandaleufe opulence. II fe plaignit auffi que, confulté , révéré comme le doyen 8c le père de la littérature, on ne le lailfoit pas moins dévorer pas un tas de reptiles acharnés fur lui. En un mot, jamais homme fupérieur & fait pour jouir de fa gloire, ne montra plus de jaloufie 8c de petiteffes dans fes chagrins. Richelieu paffa quinze jours a Ferney. Connoiffant mieux que perfonne le pouvoir de 1'amour-propre , il flatta continuellement celui de fon ami, & diffipa, par fa gaieté 8c fes éloges, les idees noires qui 1'affectoient. On paria fouvent des comédiens , que Voltaire trouva tous mauvais, ne fachant que déclamer des vers, fans jamais être le perfonnage qu'ils repréfentent; il excepta le Kain, qu'il regardoit comme le feul acteur tragique, & peut-être ne rendït-il juftice a fes talens, que paree qu'il croyoit les avoir développés 8c qu'ils étoient fon ouvrage.  174 Vie privée CHAP1TRE XIV. Le Comte du Barry fait connoitre au maréchal fa maitreffe, mademoifelle Lange; celui-ci lui donne d fouper dans fon pavillon du boulevard ; du Barry fait part de fes projets au maréchal qui en plaifante ; il fe démène tant qu il préfente mademoifelle Lange d le Bel; elle devient maitreffe du roi; on lui infpire de la haine pour M. de Choifeul ; mort de le Bel, occajionnée par une vivacité de Louis XV. I-i E maréchal voyoit continuellement fa fille, madame d'Egmont, & fon amitié étoit fi tendre pour elle, que, quand il étoit abfent, il lui écrivoit en chiffres compofés tout exprès pour cette correfpondance. II avoit d'abord été faché de la voir amie de M. de Choifeul, qu'il détefloit; mais tenant de lui le talent de féduire , «11e trouva bientöt 1'indulgence & le pardon dans le cceur de fon père. II profita même de cette liaifon avec le miniftre, pour obtenir, par le moyen de fa fille, des graces qu'il ne vouloit pas demander lui-même ; les protégés du maréchal devenoient ceux de madame d'Egmont, qui mettoit tant de charmes dans fes follicitations, qu'elle les voyoit prefque toujours couronnées du fuccès. Richelieu favoit tirer parti des plus petites circonftances, quand elles pouvoient feconder fes vues & fon intérêt. Depuis la mort de madame de Pompadour,  du Maréchal de Richelieu, ijk Louis XV, livré a quelques débauches particulières, n'avoit plus de maitreffe déclarée. Le maréchal, qui avoit d'abord blamé fon goüt pour madame d'Etioles, paree qu'elle n'étoit pas titrée, defiroit que le roi fit un choix parmi les femmes préfentées, fi trouvoit au-deffous du fouverain de defcendre dans une claffe fubalterne, prétendant que le te tre de maitreffe du roi étoit affez important pour n'être donné qu'a une femme de la plus haute nobleffe. La ducheffe de Grammont, fceur du duc de Choifeul, avoit bien fait toutes les avances néceffaires pour captiver le monarque; mais fort ton dur, fes formes peu agréables, la firent bientót exclure d'une place qu'elle ne devoit pas occuper; d'ailleurs le titre de fceur du miniftre étoit un motif de cabaler contre fon élévation. Richelieu , qui voyoit quelquefois fort mauvaife compagnie, avoit parlé du defir qu'il avoit de voir fixer le roi , devant le comte du Barry, homme trop connu pour s'amufer a parler de fa réputation. Aufii-töt la tête de cet intriguant, fertile en projets, enfante celui de fè débarraffer, en faveur du fouverain, d'une maitreffe dont il étoit las, & qu'il cédoit a fes amis quand il ne pouvoit leur payer fes dettes. II eft vrai que cette femme, nommée mademoifelle Lange , étoit très-jolie, & c'étoit fur une charmante tournure, &c des traits encore plus féduifans, que du Barry fondoit fes efpérances» il conduit 1'objet de fa grande fpéculation chea M. de Richelieu, qui la connoiffoit déja, & qui lui donne plufieurs fois a fouper dans ion pavillon du boulevard. Du Barry veut mettre le duc k portée de juger des beautés qu'il lui vante,  ï 76 Vit pnvec Sc finit par dire qu'il la deftine a Louis XV, celui-ci fourit de pitié, Sc 1'affure que, s'il n'a pas d'autres projets pour faire fortune, il ne la fera pas fi-töt. Du Barry, toujours frappé d'un preffentiment qui foutient fa confiance, prétend au contraire qu'il réuflira, Sc qu'il eft homme a porter luimême mademoifelle Lange dans les bras du roi, li perfonne ne veut 1'y conduire. Le maréchal a raconté vingt fois qu'il s'étoit beaucoup amufé , k ce fouper, de toutes les folies de du Barry , Sc qu'il lui avoit dit en plaifantant : Eh bitn! yas voir le Bel; peut-être , par fon moyen , ta favorite obtienira-t-elle, pour un jour , les honneurs du louvre. Dés le lendemain, du Barry fe trouve au lever du premier valet-de-chambre, Sc comme il avoit déja fait plufieurs propofitions a le Bel , celui-ci ne fut pas long-tems a deviner le motif de fa vifite. Effectivement, a peine font-ils feuls, qu'il dit k cet agent des plaifirs du maitre, qu'il vient lui parler d'une divinité, d'un ange, qu'aucune des femmes dont il a été queftion pour le roi ne lui eft comparable. Le Bel, accoutumé k fes exagérations, demande le nom d'une beauté li rare, Sc malheureufement la réputation de mademoifelle Lange détruit tout le bien qu'il dit de fa divinité ; il fort déconcerté, mais non pas fans efpérance. II fe flatte d'être plus heureux k Pavenir, Sc hafarde une feconde tentative : la porte de le Bel lui eft fermée. Du Barry, accoutumé aux affronts, ne croit pas devoir s'épouvanter de celui qu'il recoit, Sc de ceux qui lui (uccèdent, car le Bel eft toujours invifible  dü Maréchal de Richelieu. 177 invifible pour lui ; il fait que la tenacjté eft1 un moyen plus fur pour réuflir que le mérite &£ 1'efprit, & ne ié rebute pas ; il rencontre enfin le Bel , 1'obfède, & en obtient par importunité un rendez-vous pour le jour fuivant. Glorieux de Ce premier pas, du Barry n'oublie point, pour donner plus d'importance a fa vifite, de^ mener avec lui mademoifelle Lange ; il la préfente au valet-de-chambre : Je vous la laijfey dit -il, voye{, examinei; & fi ce n'ejl pas un compofé célejle, je confens d perdre Chonneur. II favoit très-bien qu'a cet égard, il étoit depuis long-tems k 1'abri de tout danger. Mademoifelle Lange, feule avec Pexamiteur , prend d'abord un air timide, & cet embarras relève encore des charmes , que le juge févère rte peut voir fans être ému. Enfin, la récipiendaire léve de beaux yeux fur lui ; &, par un mouvement involontaire, découvre un col parfaitement beau, auffi blanc que PaMtre, & le vieux valet-de-chambre ne put s'empêcher d'y appliquer un baifer. Mademoifelle Lange, quï avoit fa legon faite, n'oppofe aucune réfiftance k, le Bel : elle fe contente de dire : Si 'cc n'étoit pas vous ! Le bon homme tranfporté, convient que du Barry a raifon, & que rien de fi beau ne s'efi offert k fes yeux; tout s'arrange, & du Barry, inflruit de ce qui fe paffe, court chez Richelieu, lui annoncer que le Bel eft en extafe, &c que fa maitreffe ne va pas tarder a pafler de 1'appartement du valet-de-chambre dans celui du monarque» Cependant cet homme, tout féduit qu'il étoit, épröuvoit quelques remords. II avoit promis de mettrela nouvelle afpirante fur le paffage de S, M,;. Tome ƒƒ„ f4  Iy3 Vïc privH & il jugeoit, par fa vie paffee, que cette femme n'étoit pas trop digne d'être offerte au roi. Toutes fois fa promeffe 1'enchaine ; il s'imagine que Louis XV, s'il fait attention a mademoifelle Lange, n'aura qu'un moment de caprice pour elle, & il fe déterminé a la foumettre aux regards de fon maitre. La première fois, le roi n'y fit point attention. Mademoifelle Lange, toujours dirigée par fon intriguant, redouble de careifes envers le Bel, pour être placée plus favorablement encore. Le hafard la fert ; le roi 1'appercoit, fixe long-tems les yeux' fur elle, & demande, le foir, a le Bel, quelle eft cette femme dont il a remarqué le port & la tournure. Le Bel, entrainé par 1'amitié , rend d'elle un compte avantageux, & il eft bientöt décidé qu'elle aura avec le prince un entretien particulier. Du Barry, ivre de joie, vole une feconde fois raconter fon bonheur au maréchal qui commence a croire que ce fou-la peut être affez heureux pour parvenir a fes fins. Le roué (tout le monde fait qu'on nommoit ainfi ce du Barry) affure le maréchal que c'eft le moment de jouer quitte ou doublé; que fa petite Lange, exercée depuis long-tems, doit paroitre ce qu'elle eft au monarque blazé, accoutumé au refpeft jufques dans les bras de fes maitreffes; & qu'elle ne peut faire impreflion qu'en ne fuivant pas la route des autres. Le coup eft manqué, dit-il, fi elle ne produit pas une grande lénfation ; & il faut tout rifquer pour la produire. Richelieu abandonne cette grande affaire a un homme qui paroiffoit avoir des principes fi profonds.  du Maréchal de Richelieu. ty^ Mademoifelle Lange, endoófrinée de nouveau , & bien difpofée a tenter fortune, fe rend a 1'en» droit qui lui a été prefcrit. Perfonne n'ignore a quel point le roi fut charmé de cette nouvelle conquête, Ce qu'avoit prévu du Barry, devoit arriver. C'étoit une jouifTance d'un genre tout-a-fait neuf pour fa majefté, Le prince trouva ce qui étoit bien pré* cieux pour tui» Une femme qui avoit l'art de ranimer fes delirs; & il fe vit tranfporté dans un. monde inconnu, La fée, qui produifoit tant de miracles, devoit lui devenir plus chère de jour en jour. Ce goüt, que l'on croyoit paffager, devint une efpèce de paflion , c'étoit chaqite fois de nouvelles decouvertes qui paroitfoient admirables k Un homme ufé ; & l'on fut étonné de 1'afcendant rapide que prit fur le monarque une femme qui, felon les Vraifemblances, n'auroit pas dü le fixer plus d'un inftant. Ce fut alors que la tête de du Barry fé bouleverfa; il rêva tout ce qui eft arrivé depuis. Mk de Richelieu lui-même, etonné de cette aventure , Crut qu'après cela tout étoit poflible. II rendit vi* fite a la nouvelle fultane, & la vit feCrétement dans fon pavillon , non plus comme une petite grifette, mais Comme une femme qui pouVoit de» venir importante. 11 lui donna des confeils, la fflit au fait de la cour, & fuf-tout la prévint qu'il fal* loit redouter M. de Choifeul qui ne vetrok pas fon élévation fans jaloufie, & fa fceur qui avoit de ridicules prétentions a la place de favorite. Richelieu voyoit avec peine qu'une femme , d'un rang fi bas, fut fur le point de jóiter Uil grand röle : mais comme il étoit accoutumé k tirèr pattt M ij  l8o Vie privïe de tout, il ne vouloit pas manquer une occafion , telle qu'elle fut, de s'étayer. Le roué, après avoir rêvé long-tems, crut que fon fonge feroit imparfait, fi fa précieufe Lange ne devenoit pas maitreffe en titre. II confulte fon oracle, M. de Richelieu , qui eft effrayé de 1'entreprife, & qui, dans le fond de 1'ame, ne defiroit pas que les chofes allaffent jufqu'a ce point. Du Barry , habitué k n'être retenu par aucune confidération, lui certifie que les obftac1es font faciles a lever; qu'il a un frère borné, & intéreffé au point qu'il épouferoit fa vachère pour de 1'argent; que cet homme eft né tout exprès pour faire fon affaire, & qu'avant deux mois , mademoifelle Lange peut être comteffe; qu'étant titrée, la préfentation fuit de droit, & que tout fe trouve arrangé par cet heureux mariage. II convient que la nouvelle favorite n'eft pas encore propre au rèle qu'il lui deftine : mais en même-tems il fe félicite d'avoir dans fa familie tout ce qu'il faut pour affurer fon fuccès. Mademoifelle du Barry eft un mentor qui formeroit a 1'intrigue la femme la plus inepte; elle animeroit un marbre; & c'eft elle qui fera le reffort qui doit faire mouvoir la ftatue qu'il veut mettre en place. La paffion du roi augmentoit pour mademoifelle Lange; c'étoit un délire qui lui ötoit jufqu'au raifonnement ; il veut que tout rende hommage a la beauté qu'il idolatre; & il faifit avidement la propofition de mariage avec le comte du Barry. Nous ne rapporterons pas des faits trop connus. II nous fuffira de dire que le Bel, effrayé de 1'amour trop conftant de fon maitre, & plus encore de la préfentation d'une fille qu'il avoit k  du Maréchal de Richelieu. 181 peine ofé lui offrir, craignant les reproches qu'on pourroit lui faire par la fuite, prit la liberté de repréfenter au roi que, toute charmante que fut fa protégée, il avoit imaginé qu'elle ne devoit être qu'une paffade, & qu'il aimoit trop fon maitre pour ne pas 1'avertir que la préfentation d'une femme pareille fera murmurer toute la France. » Mon pauvre Dominique, lui répond le roi, (c'eft ainfi qu'il Pappelloit toujours) j'en fuis faché pour toi, fi cela te fait de la peine. Mais ta protégée eft adorable; j'en fuis fou : je veux lui donner une preuve publique de ma tendreffe ; elle fera préfentée, & perfonne ne dira mot". Le ferviteur infifte; emporté même un peu trop par fon zèle, il ofe lui faire voir le tort qu'il fe fera dans 1'efprit de fes fujets : Louis XV, impatienté, prend la pincette, & la levant fur fon confident, lui dit avec une forte expreftion de fe taire, ou qu'il va le frapper. Le Bel, accoutumé a tout dire a fon maitre, fut faifi d'effroi de ce ton impofant & du gefte expreflif: il refta pétrifié ! II étoit fujet a des coliques hépatiques; il fe fit une fi étonnante révolution dans fon corps, que le foir même, une violente attaque de cette colique le prit , & qii'en deux jours il mourut. Cette mort fut trés-naturelle; il ne s'empoifonna pas comme on le fait entendre dans la vie de Louis XV, 011, comme nous 1'avons déja dit, on trouve des faits controuvés dans tous les genres, Mademoifelle Lange ne put regretter un homme qui avoit voulu s'oppofer aux marqués peu réfléchies de la tendreffe du roi pour elle. II fut bientöt oublié, quoiqu'il lui eut fait monter le M üj  ï8i Vie privét premier degré qui la conduifit aux honneurs & a la fortune, Elle avoit un ennemi plus redoutable dans M, de Choifeul, qui crut avoir plus de talens pour perfuader; mais le roi, fatigué de toutes les remontrances, emporté par une paffion effrénée qu'il ne pouvoit vaincre, lui répondit que quand il le faifoit appeller, ou qu'il venoit travailler avec lui, c'étoit pour traiter des affaires générales de fon royaume, & non pas pour 1'ennuyer k difcuter celles de fon cceur. CHAPITRE XV. Madame du Barry ejl préfentêe, Elle fe fait attendrt lejour de la préfentation : Le roi eft dans untrouble inconcevable. M, de Choifeul ejl difgracié. Richelieu veut entrer au confeil, & ne peut y parvemr ; il veut au moins qu'un homme de Ja familie foit dans le minijlhre • & il fait nommer M. d'Aiguillon, Le maréchal ejl un des plus {élés ferviteurs de la favorite, PEMOiselle Lange, devenue comteffe du Barry par fon mariage (i) avec le frère de fon ancien amant, redouble de foins pour captiver le roi, Elle ne voyoit en lui qu'un fimple particulier \ elle agiffoit fans contrainte, & le ton de fa- (t) On fait comment ces fortes de mariages fe contractent. Ee mari, moyennam de 1'argent, figne qu'il ne peut pas même diner ce jour-la avec fa femme, & qu'il n'approchera. pas de quatre Jjeues de fa réfidence.  du Maréchal de Richelieu, 183 miliarité qu'elle avoit établi entre lui Sc elle paroiffant toujours nouveau au fouverain, il ne pouvoit fe palfer d'une femme qui lui infpiroit des fentimens ou des fenfations dont, jufqu'alors , il n'avoit pas eu d'idée. Tous les du Barry accoururent chez la favorite, Sc s'y établirent; ils la regardoient comme un bien a eux, fur lequel ils avoient tous des droits. II s'arrogèrent celui de lui donner des confeils, Sc dès ce moment le tréfor royal devint réellement leur caiffe particulière. La jeune comteffe, encore étonnée de 1'être, encore plus furprife de fe voir placée fi prés du tröne, ne connoifTant aucun ufage, neuve pour tout ce qui 1'entouroit, excepté pour fon royal amant , peu faite pour favoir de que.Ue manière il falloit fe conduire ala cour, écoutoit avidement les lecons qui lui étoient données. Ce fut pour cette étude particulière que M. de Richelieu lui fut utile. II vit bien que le coup étoit porté; que madame du Barry alloit régner; Sc 1'homme qui avoit a peine pris garde a mademoifelle Lange, devint le très-humble efclave de madame du Barry. II étoit alors de fervice ; il approchoit continuellement du roi. Témoin de fa foibleffe, de fon ravifTement, il fe garda bien de lui faire Ja plus légère remontrance : au contraire, il trouva comme lui madame du Barry une divinité, Sc lui dit qu'il étoit très-jufte qu'elle regCit des marqués particulières de la tendreffe de fa majefté. II avoit déja congu le projet de fe fervir de 1'afcendant de cette femme pour éloigner du miniftère M. de Choifeul , dont il étoit trés - jaloux , qu'il regardoit comme un brouillon en affaires, Sc qu'il accufoit hautement de perdre le militaire. Le pack de fa- M iv  184 Vu privie mille que les amis de ce miniftre vantoient avec tant d'emphafe, lui fembloit une puérilité en politique, paree que, difoit-il, les fouverains n'ont plus de parens ni d'amis, quand leur intérêt particulier les commande; tous les traités font bientöt rompus les armes a la main. II vaut bien mieux avoir, ajoutoit-il, des armées difciplinées, & de 1'argent dans fes corfres : c'eft le feul moven d'affurer la tranquillité d'un royaume, & de rendre le monarque puiffant au-dedans, Scredoutable au-dehors. C'étoit fans doute moins pour le bien de 1'état que par haine perfonnelle qu'il defiroit renverfer ce cololfe qui paroiffoit inattaquable, & dont les bras fembloient ceindre le royaume entier. Jufqu'alors, Richelieu trop politique pour fe déclarer Pennemi d'un homme puiffant dont il n'étoit pas aimé, avoit employé avec lui ces vaines démonftrations, ce langage & ce ftyle toujours vuides de fens dont les gens de cour femblent avoir la poffeffion exclufive. II avoit développé tout Part des courtifans qui, fans avoir jamais le courage d'être ce qu'ils font, attendent le moment décifif pour tomber aüx pieds de 1'idole ou pour 1'abattre. II crut que la faveur de madame du Barry failoit éclore cet inftant fi long-tems attendu, & il épia les plus petites circonftances pour en profiter. Pendant qu'on s'occupoit de la perte de M. de Choifeul , celui-ci fier du pouvoir dont il jouiffoit, comptant trop fur la pareffe du monarque qu'il débarraffoit par fon adivité de tout foin, de tout travail, perfuadé qu'il lui étoit abfolument néceffaire , glorieux de 1'ajliance qu'il ve-  du Maréchal de Richelieu. i8j noit de faire contracter avec la maifon d'Autriche, & fe croyant appuyé par elle de manière a ne pas craindre quelques légers orages qui pourroient ï'élever, ne fe mit point en peine des conciles fecrets tenus chez la favorite , & fon amourpropre lui fit croire qu'il étoit a 1'abri de tous les revers. D'ailleurs il ne pouvoit s'imaginer que le triomphe de madame du Barry fut de longue durée. Ses créatures qui lui remettoient toujours devant les yeux ce qu'il avoit fait pour la France, 1'affuroient en même-tems que cette femme retomberoit bientöt dans 1'état abject d'oü elle avoit été tirée, que le roi reconnoitroit tót ou tard 1'indécence de fa conduite, & qu'il ne pourroit jamais oublier ce qu'il devoit a un miniftre tel que lui. M. de Choifeul, difpofé a recevoir toutes ces impreflïons, malgré fon efprit, malgré toute la connoiftance qu'il avoit de la cour, fe fia trop fur fon crédit. Non feulement il n'eut aucuns ménagemens honnêtes pour la favorite; mais encore dans plufieurs circonftances, il lui témoigna du mépris. Enfin , il fe conduifit fi impoiitiquement, que madame du Barry qui n'avoit aucun motif de le haïr, & qui fuivoit machinalement les impulfions qui lui avoient été données , finit par devenir perfonnellement 1'ennemie d'un homme qui lui marquoit fi peu d'égards. Ainfi , l'on peut dire que M. de Choifeul fut vidtime de fa préfomption , qu'il perdit le miniftère, non pas, par "le glorieux motif de n'avoir pas voulu faire un pas vers une femme qu'il méprifoit, mais paree qu'il fe crut trop certain du befoin qu'avoit de lui le maitre, & qu'il étoit perfuadé que cette femme  186 Vu prlvèc bc que toute autre n'auroient jamais affez de pou« voir pour le déplacer. Cette fécurité étoit obfervée par Richelieu , & il fe crut alors certain du fuccès. II vit plus fouvent ce miniftre, bc on auroit dit qu'une amitié lincère quoiqu'étonnante fans doute, alloit fe fermer entr'eux. M. de Choifeul s'amufoit du retour du courtifan; & tout en fe méfiant de lui, rioit de fon impuiffante envie de lui nuire; il fe douta de quelques petites noirceurs qu'il attendit tranquillement, comme le roe qui voit venir fans inquiétude la vague qui va fe brifer a fes pieds. Enfin, ce jour dont on parloit fouvent, que les trois quarts des gens de la cour ne pouvoient fe perluader de voir arriver, fut défigné pour la préfentation de madame du Barry. L'allarme devint générale dans le parti contraire; M. de Choifeul fut lui-même étourdi du coup. Ayant fait encore quelques tentatives inutiles auprès du roi, il fut obligé de fe foumettre a la néceffité. Cependant il fe perfuada que cette humiliante préfentation n'auroit pas lieu , bc que le maitre auroit le tems de rougir de cette démarche incoufidérée. Mais le miniftre ne réfléchiffoit point affez que Richelieu qui calculoit fes intéréts bc fa vengeance ne quittoit prefque pas le monarque. Sa charge de premier gentilhomme dont il rempliffoit cette année les fonftions, lui donnoit alors une familiarité plus grande; c'étoit 1'ancien confident du fouverain , bc il étoit affez naturel qu'il fut conlülté dans une affaire de cceur. Le maréchal, malgré fon defir de voir la place de favorite occupée par une femme de qualité, croyant pouvoir compter  du Maréchal de Richelieu. 187 fur madame du Barry, & voyant la tête du roi exaltée pour elle, ne celfoit de lui parler de fes graces & de fa beauté. II 1'amufoit en lui raconrant 1'hiftoire des rois & empereurs qui n'avoient fuivis que 1'impuliion de leur cceur pour époufer même des femmes du rang le plus bas; & ilajoutoit qu'un roi de France pouvoit bien donner quelques diftinctions k une femme qu'il préféroit k toute autre. Louis XV écoutoit avidement fon favori, Sc fentoit diminuer avec lui la peine que lui caufoient les traces de chagrin qu'il appercevoit fur le vifage de fes enfans. La favorite de fon cöté, obfédoit le monarque, & malgré fes irréfolutions, la préfentation fut décidée. Ce grand jour arriva. Toute la cour étoit k Verfailles; il y avoit même des paris que malgré tout ce qui avoit été fait, madame du Barry ne feroit pas préfentée. On fait que les préfentations fe font le foir après 1'office. L'heure défignée arriva , Sc madame du Barry ne parut pas. Voila d'un cöté des vifages triftes, Sc de 1'autre des vifages rayonnans de joie. M. de Choifeul Sc Richelieu étoient dans la chambre du roi qui paroiffoit fort agité; il regardoit k chaque moment fa montre ; il étoit fur les épines , Sc le tems fuit, 8c pas de nouvelles. Dans ce moment, toutes les remontrances qui lui avoient été faites , reviennent a fon efprit; il paroit connoitre le ridicule de la fcène qui va fe paffer; on 1'entend marmotter entre fes dents, qu'il faut remettre la préfentation. M. de Choifeul triomphe : il croit que cette cérémonie retardée n'aura plus lieu; Sc Richelieu, dans un coin de la fenêtre, ne fait plus lui-même fur quoi compter,  i88 Vu prlvie Pendant ces alternatives fi cruelles pour les nns & les autres, madame du Barry retardée a Paris par un coeffeur, ne connoiffant pas les conféquences de Pattente qu'elle occafionnoit, occupée de paroitre plus belle encore, vouloit forcer •fes ennemis mêmes a la trouver jolie. Une heure de plus lui paroiffoit une milere pour perfectionner fa toilette. Cependant le roi eft fur le point de prononcer que la préfentation aura lieu un autre jour. II va regarder k la fenêtre, & ne voyant perfonne , il retombe dans des réflexions qui raniment 1'efpérance d'un des deux partis. Enfin, Richelieu appercoit une voiture; la livrée de madame du Barry paroit, & il vole annoncer au monarque 1'arrivée de la favorite. Auffi-töt les agitations du roi difparoiffent; le plaifir qu'il éprouve chaffe toutes les idéés noires qui 1'obfédoient. II fe promet cependant de la gronder; elle eft annoncée; il la trouve fi belle, fi célefte, fi radieufe, qu'il ne peut que 1'admirer. Richelieu k fon tour, jouit de Pair mécontent du miniftre. II regarde enfuite madame du Barry; & frappé de fa tournure élégante, & du ton noble qu'elle prend, il ne reconnoit plus cette petite Lange, qui venoit implorer fes bontés. Les gens mêmes qui étoient défefpérés de cette préfentation , furent forcés de convenir, que fi la beauté & 1'élégance font des titres pour approcher du tröne, madame du Barry devoit jouir de ce privilège. Nous n'entrerons pas dans des détails trop connus. Ce jour fut le triomphe déclaré du libertinage; & depuis ce moment, le roi perdit le peu  du Maréchal de Richelieu. 189 de confidération qui lui reftoit. Ce n'eft pas que madame du Barry fut une méchante femme : mais c'eft que le choix étoit réellement indigne d'un fouverain; c'eft qu'enfuite, cette femme pour qui la cour étoit un pays nouveau, fut obligée de fe laiffer conduire par des gens perveftis qui la trompoient fans cefie pour s'enrichir ou pour placer les mauvais fujets qui leur étoient dévoués. Ce n'eft donc point madame du Barry qu'il faut blamer principalement : ce font tous ces alentours qui 1'égaroient , 6c qui abufoient de fon bon cceur pour faire des injuftices. La première faute vint du roi; la feconde, des plats 6c avides courtifans qui obfédèrent la favorite. M. de Choifeul s'appergut enfin qu'il s'étoit égaré, en ne fuivant pas le char de madame du Barry; mais il ne pouvoit plus revenir fur fes pas : il crut qu'en redoublant d'activité , il fe rendroit plus néceffaire que jamais au fouverain; 6c dans les premiers tems, fon attente ne fut point, trompée. Le roi, habitué a fa manière précife de lui préfenter les affaires, a la clarté de fes idéés, qui, éloignant toute difcuflion , ne lui donnoit que la peine de figner, fit d'abord peu d'attention aux plaintes de fa maitreffe contre ce miniftre. On connoiffoit le dégout trés - décidé que Louis XV avoit pour la guerre : on lui fit entendre que M. de Choifeul, pour avoir plus de confidération 6c de pouvoir, ne ménageoit point affez les Anglois, 6c qu'il ne s'étudioit même qua leur fournir des occafions de recommencer les hoftilités. Ces premiers griefs impoierent au roi , qui,  1<)0 Vu privèc fatigué des délaftres de la guerre de 1756, avoit juré de n'en plus avoir; ils ne fuffirent pas cependant pour le décider au renvoi de fon minifi tre. Ce n'eft pas qu'il connüt 1'amitié : mais 1'habitude 1'entrainoit; il craignoit de ne pas rencontrer un miniftre aufli habile a lui éviter 1'ennui du travail; &, malgré toutes les accufations, il étoit réfolu de le garder. _ Richelieu, qui connoiffoit ce prince, prévoyoit bien qu'il n'auroit point affez de fermeté pour ré* fifter a tant d'attaques. Occupé d'avance du foin de faire nommer un miniftre qui lui convint, il n'étoit pas éloigné de faire tomber ce choix fur lui-même. Jufqu'alors il s'étoit contenté de régner dans fon gouvernement, & de féduire des femmes» II avoit été 1'ennemi d'un travail aflidu ; on a vu qu'il avoit négligé de profiter des intrigues de madame de Lauraguais, qui vouloit le faire fuccéderèM. de Belle-Ifle. Cette dame n'exiftoit plus; mais il fe reflbuvenoit de ce qu'elle avoit voulu faire pour lui. Sans éprouver les infirmités de la vieilleffe, il fentoit qu'il ne pouvoit plus s'occuper feulement a plaire; & ce qu'il perdoit d'une part, il le recouvroit du cóté de 1'ambition. S'il n'étoit point miniftre, il avoit réfolu d'obtenir au moins fon entrée au confeil. II avoit un concurrent dans fon parent, le duc d'Aiguillon, fi connu par fon procés avec M. de la Chalotais, & qui devoit au crédit qu'il avoit déja fur 1'efprit de madame du Barry, & a 1'amitié de Richelieu de n'avoir point été jugé par le parlement de Paris. Le maréchal, voyant 1'animofité de cette cour qui vouloit venger un des membres du parlement de Bretagne, & qui regardoit cette  du Markhal de Richelieu. it)t affaire comme la fienne propre, craignant d'ailleurs les fuites de cette vengeance pour fon parent , avoit engagé le roi, déja prévenu par fa maitreffe, a retirer toutes les pièces de ce procés des mains du parlement. Ce monarque toujours foible, conduit par fon averfion perfonnelle contre les gens de robe, fortit de fon caraftère pout faire un aft e de vigueur qui blefToit la juftice; M. d'Aiguillon, fans être abfous, fut fouftrait au glaive de la loi. Ce duc, qui peut-être n'étoit coupable que d'avoir voulu maintenir 1'autorité attribuée a fa place de commandant de la province de Bretagne, au détriment du pouvoir que prétendoit toujours s'arroger le parlement, comblé des bontés du roi, chéri de la favorite, loin de chercher une plus ample juftification , ne fongea qu'a profiter de fa faveur. II ambitionnoit la place du duc de Choifeul , & d'accord avec Richelieu & madame du Barry, il s'affocia le chancelier pour donner un ennemi de plus au miniftre qu'ils vouloient dépofféder. Le chef de la juftice avoit projetté d'anéantir les pariemens. Le roi, qui defiroit le fuccès de cette grande opération, croyoit ne pouvoir régner tranquillement que quand il n'éprouveroit plus de contradiftion de ces cours importunes. On lui perfuada que le miniftre étoit un de leurs plus fermes foutiens, & que tant qu'il feroit en place, fon influence empêcheroit la ruine des pariemens. Madame du Barry & Richelieu 1'emportèrent a la fin; le roi figna 1'exil de M. de Choifeul. Ce fut alors que Richelieu, qui n'ignoroit pas que la faveur de M, de Choifeul étoit un obfta-  *9X Vu privii cle a fon entree au confeil , employa tous les rnoyens pour 1'obtenir. II avoit renonce au mi-' niftère : mais il étoit charmé qu'un homme de fa familie eut un département, afin de jouir plus facilement des graces qui en dépendent; il ne vouloit qu'entrer au confeil pour donner fon avis, bc pour être inffruit de toutes les opérations. II croyoit mériter cette faveur au moins autant que M. de Soubife; mais il ne voulut point la folliciter lui-même. La favorite en fit la demande a fon royal amant, qui répondit, on ne fait trop pourquoi, n'ayant pas été toujours très-difficile dans fes choix, que M. de Richelieu étoit trop léger pour traiter d'affaires férieufes, bc qu'il étoit plus propre k menerune intrigue amoureufe, qu'a donner de fages avis dans un confeil. II oublioit, fans doute, qu'il s'étoit parfaitement bien conduit dans toutes fes négociations, & on ne peut attribuer ce refus qu'a un moment d'humeur. t Le maréchal, furieux de voir fes prétentions detruites, porta tous fes foins a faire au moins réuffir fon parent. M. d'Aiguillon , par fon appui, & plus encore par celui de madame du Barry, parvint donc k remplacer M. de Choifeul. Le maréchal avoit peine a fe confoler du refus qu'il avoit effuyé : ce qui 1'humilioit le plus, étoit que cette même grace qu'on lui refufoit, venoit d'être accordée k M. de Soubife; il croyoit avoir plus de droits que lui; & fans être injufte, on pouvoit, en effet, lui en accorder davantage. Prefque toujours heureux en négociation comme en guerre, on n'avoit k lui reprocher que fon goüt dominant pour les femmes; M. de Soubife, avec le même défaut, n'étoit connu que par une grande  dn Maréchal de Rkhelhiï. 193 'grande défaite. Richelieu avoit été 1'efclave des maitreffes du roi; M, de Soubife avoit été leur éternel complaifant. Ami de madame de Chateauroux, il fe donne a. peine le tems de la regretter, pour s'attacher ait char de madame de Pompadour; il lui donne k coucher k fon chateau de Saint-Ouen avec le roi; il ne fe fait citer que par fes prodigalités avec les filles de 1'opéra : Sc tout ce qu'il obtient, comme officier , comme général, n'eft dü qu'a fon intimité avec les maitreffes du roi, Sc a. la faveur dont il jouit auprès d'elles. Richelieu ne vit pas tranquillement cette préférence; & dans le fait, la balance devoit pencher de fon cöté. Ces défagrémens, auxquels il ne s*attendoit pas de la part d'un fouverain qui paroiffoit lui être fort attaché, altérèrent de nouveau fa fanté. On crut qu'il étoit attaqué dobftruaions; Sc le préfident de Gafcq lui écrit a ce fujet, » qu'habitué depuis long-tems par la trempe de fon ame & par les événemens multipliés de fa vie, aux fenfations les plus vives, peut-être ne s'eft-il pas ap» pergu que depuis deux ans il s'eft livré k un genre de réflexions, Sc k un état d'ame très-pro* pres a lui procurer toutes les fuites funeftes des maux chroniques; il lui confeille, loin de s'habituer a vivre avec fon ennemi, de chercher la caufe du mal; que fans cela on laiffé les chofes vieillir Sc empirer, & qu'il faut enfuite être réduit k la néceflité de fouffrir toute fa vie '\ Le tems calma la tête du maréchal; Sc le mo* ral guéri, le phyfique ne tarda pas a 1'être. II fit ufage d'une eau qui lui fit grand bien ; ce n'é» toit autre chofe que de l'eau diftillée d'opium , Tornt II. N  i n'en danfa pas moins. II eft vrai que le roi aflura que c'étoit fans conféquence. Mais au mariage de Monfieur, les mémoires furent renouvellés; les allarmes étant les mêmes, le monarque eut la bonté de répondre a fa fidelle nobleffe que la première femme qui danferoit, ne pourroit avoir pour cela plus de prétention. Telles étoient prefque toujours les graves occupations des courtifans. CHAPITRE XVI. Deflruciion des pariemens. Raifon qui portoit Richelieu a les kaïr; il ejl chargé de faire enregijlrer l'édit de fupprefjion du parlement de Bordeaux , & de la Cour-des-Aides de Paris ; fuite de fa conduite d la Cour. O N avoit déclaré a Louis XV qu'il falloit re-, noncer a tout efpoir de tranquillité dans le royaume, s'il ne prenoit fur lui de fupprimer les pariemens , dont les oppofitions perpétuelles le fatiguoient, & dont. les éternelles remontrances lui étoient fort a charge. Dans cette difpofition, il ne fut pas difficile de le déterminer. Madame du Barry, fans motif, d'Aiguillon , Maupeou, Richelieu , par vengeance, travailloient a hater le moment de cette deftrucfion.  du Maréchal d& Richditü. 197 Ce dernier venoic de préfenter un mémoire au roi fur un arrêt du parlement de Touloufe, rendu contre lui, toutes les chambres affemblées , le 31 aoüt 1769. II fe plaignoit vivement de 1'infulte qui lui avoit été faite , Sc il peignoit les membres de ce parlement comme des ambitieux qui vouloient envahir tous les pouvoirs. Le maréchal étoit 1'ami de M. d'Etigny, intendant de la généralité d'Auch; & croyant devoir fa protection k un homme qui avoit toujours été emprelfé d'exécuter fes ordres, il prit fait Sc caufe pour lui dans une affaire qu'il eut, en mourant, avec un fieur Caftera , confeiller au préfidial d'Auch, Sc en même-tems, lieutenant principal de l'éle&ion. M. d'Etigny avoit preté plufieurs fois de 1'argent au fieur Caftera, & il paroit que pour fe liquider avec lui, ce confeiller lui avoit vendu deux domaines-, probablement k vil prix. Ce qu'il y a de certain, c'eft qu'il intenta un procés a M„ d'Etigny, qui venoit de tomber malade; il voulut le faire interroger fur faits Sc articles, Sc entreprit de lui faire avouer que , quoi qu'il eut entre fes mains les reeonnoiffances des fommes qui lui avoient été prêtées, il étoit néanmoins vrai qu'il ne lui devoit rien. Le maréchal prétendit que des pourfuites fï déplacées contre un homme trés-malade, & fi digne de fes refpecf s & de fa reconnoiflance, fcandalifoit toute la ville d'Auch, & précipitoit les derniers momens de M. d'Etigny. Ce fut dans ces circonftances qu'ayant recu, dit-il, plufieurs plaintes de ce fait, mais plutöt en effet pour venger fon ami, il fit fignifier au fieur Caftera un ordre N iij  ie>$ Vu prlvce du roi de fe rendre a Bordeaux pour rendre compte de fa conduite, Caftera fe préfenta devant le maréchal, qui lui dit de garder la ville pour prifon jufqu'a ce que le miniftère en eut autrement ordonné. Caftera, fans avoir égard a fon ordre, retourne k Auch, Richelieu fort en colère, lui fait fignifier une autre lettre de cachet qui lui enjoint de fe rendre fous deux jours k Bordeaux, finon qu'il fera conduit au chateau de Lourdes. Forgé d'obéir, le confeiller refte plufieurs mois prifbnnier k Bordeaux , & par des foumifüons obtient du gouverneur la permifuon de retourner chez lui. II fuivit alors le procés qu'il avoit au parlement de Touloufe oü il fut queftion des ordres du roi qu'il avoit regus de M. de Richelieu. Les magiftrats s'irritèrent d'autant plus qu'ils avoient été donnés k un membre de la juftice, & ils rendirent un arrêt qui enjoignit k Caftera de remettre au greffe de la cour, les ordres du maréchal. Des commiflaires font nommés, & par lin arrêt du parlement du 31 aoüt, injon&ion & défenfe font faites k M. de Richelieu, de récidiver , le déclarant convaincu d'avoir excédé les hornes de fon pouvoir, abufé de 1'autorité k lui commife, d'avoir entrepris par des voies de fait, & par des ordres incompétemment & abufivement donnés, fur la liberté & la perfonne des citoyens, & notamment des magiftrats foumis k 1'autorité de la cour. On le menace de faire contre lui des informations, fi jamais il lui arrivé de donner de pareils ordres, & on borne toute fon autorité, toutes fes fonttions, dans le cas même, OÜ il arriveroh quelques faits graves, au foirj  du Maréchal de. Richelieu. 199 d'en avertir le procureur-général; la cour fe réfervant feule le droit de faire juftice. On fait défenfe en même-tems aux officiers des bailliages & fénéchauffées, d'obéir auxdits ordres du gouverneur & de les reconnoitre , avec injoncf ion de les adreffer incontinent au procureur-général. Ordonné que cet arrêt fera imprimé & affiché. On peut juger de 1'effet qu'il produifit fur le maréchal de Richelieu, accoutumé k être obéi fans contradicfion, & qui vouloit que tout pliat fous fa feule volonté; il cria au fcandale de ce qu'on ofoit attaquer ainfi un gouverneur de province, un maréchal, un pair de France. II eut bientöt raifon a la cour; & un arrêt du confeil annulla toute la procédure du parlement , qui féviffoit paree qu'il s'agiffoit d'un fuppöt de la juftice, &C qui jufqu'alors avoit gardé le fdence fur d'autres abus d'autorité. Le maréchal avoit quelques amis dans le parlement de Bordeaux; mais en général il n'en étoit pas aimé. Les individus déplaifoient moins k Richelieu que la puiffance du corps; il ne pouvoit fouffrir patiemment qu'une autre autorité put réfifter k la fienne. II avoit toléré le jeu dans Bordeaux , & ce fut une raifon pour que le parlement le profcrivit plus févérement. Le maréchal affectoit de donner a jouer chez lui; &, quand il étoit a Paris, les Bordelois accoutumés a fe livrer k cette paffion, établirent des jéux très-chers au "Waux-hall & chez différens particuliers; mais de nouvelles défenfes les forgoient de porter leur tripot jufques dans des cabarets. Un jour qu'ils étoient chez un nommé Cambon, au nombre de deux eens cinquante perfonnes, tant hommes que N iv  ÏOO Ftt privie femmes, on demanda des cartes : cet homme répondit que M, le premier préfident lui avoit déïendu d'en donner. On objecfe que fi le gouverneur étoit a Bordeaux, on joueroit bien chez lui; les femmes s'entêtèrent; on envoya chercher , malgré la défenfe, des cartes & des dez, & on joua un jeu énorme jufqu'a fix heures du matin. Le maréchal trouva plaifant qu'on fe fut moqué ainfi du parlement, & fut inftruit de cette fcène par un des membres de ce corps, dont plufieurs avoient été du nombre des joueurs. II n'eüt pas lieu d'être long-tems fatisfait de ce honteux triomphe : car il apprit que le parlement avoit réfolu de févir contre lui-même, a fon retour, s'il ne bornoit pas fon jeu a celui d'une fociété ordinaire, t Sa co!ère duroit encore, lorfqu'il fut chargé d'aller a Bordeaux faire enregiftrer la fuppreflion de cette cour : on peut juger de fa joie; ce n'eft plus un gouverneur qui va difputer d'autorité avec un parlement jaloux de la fienne, c'eft un maitre irrité qui vient 1'anéantir. II traita favorablement les magiftrats fur lefquels il pouvoit compter, & qui lui avoient promis de fuccéder è. 1'ancienne cour. MM. de Gafcq, Niquet, &c. furent excepté de la profcription générale; mais les autres furent traités fans ménagement, Richelieu poufia 1'indécence jufqu'a joindre le farcafme a la punition, & prefque tout Bordeaux fut révolté de fa légéreté, & du ton dur avec lequel il faifoit exécuter les ordres dont il étoit porteur. U faut cependant convenir que, toute haine a part, il étoit perfuadé que la deftrucTion des parïcmens étoit la chofe la plus avantageufe pour  du Maréchal de Richelleti» lot Ie royaume; il prérendoit que la magiftrature devoit néceffairement envahir toutes les autorités, & qu'il n'y avoit pas jufqu'au plus petit huiflier, pourvu qu'il fut adroit 6c frippon, qui ne fe rendit roi dans fon village. Un nouveau plaifir 1'attendoit k Paris. Le roi lui avoit écrit une lettre , qui fait voir k quel point il étoit content de 1'opération qu'on lui faifoit faire, & par laquelle il lui en joint d'aller, le 9 avril 1771, pofer les fcellés fur les greffes de la cour-des-aides. Richelieu, flatté d'avoir part k tous les événemens oü il falloit repréfenter, fe rend avec pompe au palais, accompagné de deux confeillers d'érat, MM. de la Galaizière 6c d'Ormeffon. II croit rendre un fervice fignalé; &, après avoir rempli fa miffion, il va rendre compte au roi de la foumiflion de cette cour, qui toutefois, en enregiftrant, a protefté contre 1'édit. II alTure Louis XV que c'eft le plus beau moment de fon règne (1), puifqu'il va déformais régner fans contradicfions &C fans remontrances. Le maréchal avoit préeédemment fecondé l'abbé Terray pour 1'enregiftrement de fes édits burfaux. Le parlement de Bordeaux ayant refufé 1'enregiftrement de plufieurs de ces édits, Richelieu eft chargé de concilier cette affaire. Autant il étoit altier quand il croyoit que la force pouvoit faire triompher 1'autorité ; autant il étoit doux, con- (1) La morgue des pariemens étoit pouflee au point qu'è Ia cour il étoir paffé en proverbe de dire, qu'il valoit mieux parler infolemment a la reine, que de matcher fur la robe «1'une préfidente.  ioi 'Vit privk ciliant, careffant même, quand il fentoit qu'il avoit befoin de gagner les efprits pour réuflir. II voit chaque membre du parlement en particulier, promet des récompenlès aüx plus intérelTés, de - 1'ayancement aux ambitieux, & parvient a. faire enregiftrer prefqu'unanimement des édits qui avoient révolté d'abord. L'abbé Terray lui en témoigna fa reconnoiffance de la manière la plus encourageante , en lui écrivant le 31 Aoüt 1770, de Lamotte-Tilly. » Si vous avez eu de la peine, monfieur le » maréchal, vous revenez aufli couvert de gloire, » & vous faites voir que vous n'êtes pas moins » habile dans le maniement des efprits que clans » le commandement des armées. M. Bertin vous » donnera connoiflance des ordres du roi fur ce » qui refte k faire, & qui eft totalement étran» ger a ce qui vient de fe pafler. Le courier de >> M. Bertin, qui arrivé k une heure après minuit, » & qui veut être k Paris demain de bonne heure, » prelfe & abrège ma réponfe. » Vous penfez jufte, en ne fixant point les » recouvremens. A 1'égard de la cour-des-aides, » je vais preffer 1'envoi d'une déclaration pour » les deux fois pour livres. II eft toujours bon » qu'elle enregiftre les vingtièmes; le refte viendra » après. Le bon fuccès de cette opération fait » efpérer qu'avec de la fermeté & de la fuite , » on viendra k bout de bien des chofes, & vous » devez voir déja comme moi la certitude de » 1'exécution de nos projets. Agréez Ie refpec» tueux attachement avez lequel j'ai 1'honneur » d'être, &c. ".  du Markhal de Rïchdleü. 20$ Le maréchal, qui avoit traité fort légérement Paffaire des pariemens, voyoit aufli très-fuperficiellement celle des impöts. II étoit perfuadé qu'un roi étoit le maitre de fouiller dans la bourfe de fes fujets , toutes les fois qu'il avoit befoin d'argent; qu'ils ne devoient pas fe plaindre, & qu'il falloit fe foumettre refpecf ueufement aux édits qui les dépouilloient. Les grands, en général, penfoient comme lui, & cela n'eft pas étonnant: les charges de 1'état pefoient légérement fur eux; ils obtenoient des graces qui les dédommageoient & au-dela, des fommes auxquelles ils étoient impofés. Les maréchal de Richelieu, arriéré de plus de vingt ans pour fa capitation, obtint d'abord la moitié de diminution fur fa dette ; enfuite, on lui donna des effets royaux, dont la valeur excédoit ce qui lui reftoit a. payer. Quand on jouit de pareils avantages, il eft facile d'exiger une aveugle foumiflion aux volontés du roi, ou plutöt de fes miniftres; mais quand on eft accablé de vexations de toutes les efpèces , il doit être permis de fe plaindre, & de fouhaiter la diminution d'un fardeau qu'on ne peut plus fupporter. M. de Richelieu, entiérement dévoué au fyftême de M, de Maupeou, avoit fort a cceur que le nouveau parlement de Bordeaux fut promptement compofé. II avoit fait nommer préfident M. de Gafcq fon ami, & il crut que tout alloit s'arranger tranquillement. II recut les nouvelles fuivantes de M. Niquet. » M. de Saint-Prieft vous aura dit, monfieur le maréchal, tout ce qui s?eft paffé ici, & toutes  ic>4 Vu prlvk les manoeuvres qu'on a employees pour féduire les fujets qu'on a pu. Les femmes, les moines , les confelfeurs même alloient de nuit, de porte en porte^, pour faire toutes fortes de propofitions; on a même offert de 1'argent. Quand on a vu qu'on ne pouvoit pas gagner ceux qui étoient fermes , on leur a écrit des billets qu'on leur a envoyés dans la nuit, en djfant que j'avois abandonné la partie, & que j'étois déterminé a ne pas accepter. On fut bientöt raffuré, paree que tous ces meffieurs envoyèrent chez moi. Mais ce qui vous furprendra le plus, N... qui avoit toujours été de concert, avec qui même j'avois pris des arrangemens pour qu'il préfidat la tournelle, qui me quitta, le famedi, dans les mêmes difpofitions, & qui paroiffoit auffi ferme que moi, m'écrit, le dimanche, une lettre des plus impertinentes pour me déclarer qu'il m'abandonnoit, & qu'il préféroit fon honneur k tout. S'il a cru fe faire un grand nom , il s'eft trompé : car il fait voir par fa défection que fa tête eft dérangée. S'il avoit été dans le fyftême depuis quelque tems, il n'y avoit rien k dire; mais changer dans un moment du blanc au noir, c'eft en vérité ce qu'on ne peut excufer. Au refte, j'ai été moins affligé, paree qu'il m'a déja fait des algarades très-fortes ". » J'ai compofé le parlement actuel de 3 2 membres fans les gens du roi, & je ne fuis pas en peine de compléter le nombre fixé avant Pouverture du parlement, foit des anciens , foit des frères & enfans de ceux qui font actuellement en place, & nous n'aurons pas befoin de recourir aux étrangers. Nous avons travaillé dans trois  du Maréchal de Richelieu. iO) chambres , le même jour. J'ai term 1'audicnce de la grand'chambre, jeudi; bc il ne manquoit aucun avocat , ni procureur. Nous avons rendu force arrêts, ainfi qu'aux enquêtes, bc tout ira bien ". » Si M. de Perigord étoit arrivé en mêmetems que M. de Saint-Prieft, ou que celui-ci eut eu des ordres pour empêcher les affemblées des chambres, le nombre auroit été complet dans k moment. Mais M. de Saint-Prieft , étant arrivé le vendredi, on courut toute la nuit; on fit des affemblées fecrètes; bc M. Rafin prépara des proteftations qu'on porta a l'aflemblée des chambres, le famedi matin; elles firent une grande impreffion fur les efprits foibles, bc me donna lieu de craindre que tous mes efforts ne foient inutiles. Vous jugez bien, monfieur le maréchal, que j'ai pafte bien des mauvais momens, jufqu'a ce que la befogne ait été parfaite. Je fuis très-flatté que vous foyez content de ma conduite, bc que vous n'ayez pas a vous plaindre d'avoir agi pour me mettre en la place oii je fuis. Je fouhaite que ma fanté me permettre de fuffire au travail préfent. Ce qu'il y a de plus flatteur pour moi, c'eft que j'ai recu beaucoup d'agrémens a la dernière affemblée des chambres, bc quoique je 1'aie rompue au moment oh je. vis qu'on alloit faire de nouvelles propofttions, on ne m'en a pas fu mauvak gré : ainft j'efpère que tout le monde fera content. J'ai 1'honneur ,. &c..." M. de Richelieu , occupé des affaires de la cour & de celles du royaume en général, avoit encore le tems de fe mêler de chofes moins effen-  loS Vit prhée tielles. Comme premier gentilhomme de la charti* bre, il s'étoit attribué la direttion de la comédie Italienne, après avoir eu long-tems fous fa férulê le théatre Fiancois. M. d'Aumont étoit chargé de la partie des menus; chacun des quatre gentilshommes s'étoit donné un département. Le fien lui plaifoit d'autant plus qu'il le mettoit a portée de jouer le röle de fultan au milieu d'uhe foule d'actrices. On peut croire qu'il en trouvoit peu de cruelles, étant continuellemertt a même de leur accorder des graces. II jugeoit les querelles des comédiens; & même ceux de province recouroient k fa jurifdiction. Préville, qui avoit le privilège de la comédie de Compiègne, obtint de M. de la Vrillière celui de Verfailles, a 1'expiration du bail de mademoifelle Montenfier qui en jouiflbit. Celle-ci , qui avoit été fous les ordres de M. de Richelieu, qui étoit encore jolie, & 1'avoit été davantage , recourut dans fon malheur k la protection du premier gentilhomme de la chambre qui lui devoit de la reconnoiffance. Préville, certain de fes talens, en pofTefïion de plaire au public , avoit cru pouvoir fe difpenïer de faire une cour trop fervile au fupérieur qui le voyoit par cette raifon d'un ceil moins favorable. Attendri des plaintes & des prières de mademoifelle Montenfier, le maréchal promet de lui rendre juftice, & de parler a Sbrigani. (C'eft ainfi qu'il appelloit Préville, qu'il traitoit d'intriguant qui vouloit tout envahir.)' Etfecfivement ce comédien eft fommé de paroitre devant fon tribunal; & le maréchal lui ©rdonne de lui apporter fon privilège de Verfail-  du Maréchal de Richelieu, roj les, lui difant qu'il vouloit examiner cette affaire. Préville obéit; mais il eut 1'imprudence de dire a quelqu'un, qui le rapporta au maréchal, que quand on garderoit 1'expédition de fon privilège, il étoit fur d'en avoir une copie quand il voudroit, puifque 1'original étoit dans les bureaux de la maifon du roi. Cette réflexion fit naitre au maréchal 1'idée de tout détruire. II part auffi-töt pour Verfailles, donne rendez-vous a la Montenfier chez M. de la Vrillière, & fe rend chez ce miniftre. » Qu'eft-ce donc, dit-il en entrant, M. le duc ? Vous dépouillez cette pauvre Montenfier, pour Préville qui devroit être riche. Ceft'eft pas ma faute, s'il mange tout; il réunit deux parts, & il a déja un autre privilège. On a furpris votre religion. Je ne vous quitte pas, que ce privilège de Verfailles ne foit révoqué & rendu a cette femme; c'eft une juftice ". La Vrillière lui objeéte que c'eft une affaire faite; que cette grace a été demandée pour Préville ; que le roi a vu cet arrangement avec plaifir, ot qu'il eft bien faché de ne pouvoir rien changer a ce qui a été arrêté. Le maréchal le quitte fans lui répondre , ck monte au bureau oii devoit être 1'original du pri- , vilège. II dit au premier commis de le lui remettre, qu'il a arrangé tout cela la-bas, qu'il eft d'accord avec M. de la Vrillière, qu'on va faire des changëmens, & que par conféquent il faffe defcendre un commis chez le miniftre. Ce chef lui donne 1'original; & Richelieu muni de cette pièce, trouve, en rentrant dans 1'appartement, la Montenfier qui étoit fort inqviiète, &i k qui il dit de fe raffurer.  ïe privét En abordant la Vrillière, le maréchal s'écrïe i » C'eft donc Ik, monfieur le duc, ce chiffon de papier qui vous arrêté! En vérité! peut-on faire tant de bruit pour fi peu de chofes ? Je fuis bien fïïr que vous ne pourrez pas réfifter a une jolie femme. Tenez! la voila, ajouta-t-il, en faifant entrer la Montenfier! vous lui couperiez le col, fi vous perfiftiez dans votre réfolution. Mais non ; mademoifelle , jettez-vous dans les bras.de M. le duc. Voila 1'original de ce privilège qui vous mine, & M. de la Vrillière me charge de le jetter au feu devant vous ". Auffi-tót le papier eft confumé. Le petit duc veut parler : le maréchal lui fait embraffer la Montenfier, lui dit que le plaifir d'obliger une jolie femme eft au-deffus de tout. » Mais encore une foisma parole d'honneur " I... » Bon i pour un comédien !... Ce ne fera pas Ja première fois que nous y aurons manqué tous deux envers de plus honnêtes gens ". En mêmetems il fonne, fait entrer le commis, bc la Vrillière encore tout furpris, ne fachant que dire, laiffe expédier un privilège k la Montenfier qui Pemporte k 1'inftant. On penfe bien que Préville ne re vint pas chercher 1'expédition du fien. On n'a cité cette petite anecdote , que pour faire voir avec quelle légéreté lé maréchal traitoit nombre d'affaires, peu importantes k la vérité; mais on lui a reproché d'avoir montré ce même défaut dans des momens oü il s'agiffoit cPobjets un peu plus férieux. II eft impoffible d'imaginer k quel point le roi étoit affervi par madame du Barry. On 1'avoit vü foupant chez elle, empêcher qu'on ne fervït d'auCun plat, quoique placé fur la table, paree que le potage  dt\ Markhal de Richelieu,, 209 potage de cette fultane n'étoit point encore arrivé» L'impatience Payant pris, il fe léve & traverfe une antichambre remplie de valets, potir aller arracher cette foupe des mains de celui qui Papportoit, & avoir le plaifir de la préfenter lui-même a fa favorite. Richelieu, témöin de plufieurs fcènes de ce genre, ne trouva plus rien d'aviliflant, pourvu^ qu'il put prouver a fon maitre combien ri hu étoit foumis, en refpeftant & prévenaiit jufqu'au moindre defir de l'objet de fon choix. Nous n'entrerons point dans ces détails trop connus, qui font a la honte des courtifans , & prouvent que Pintérêt feul eft le mobile des aftions de ces hommes qui onf plus de raifon qu'ils ne croient, en fe regardant comme une efpèce a part,. Nous nous arrêtcrons a Richelieu feul, & nous dirons que cet être fi altier, qui mettoit fi fouvent en-avant fes titres de pair & maréchal de France, de noble Génois, de gouverneur de la Guyenne, de premier géntilhomme de la chatn* bre du roi, fe croyoit très-honoré de porter le petit chien d'une fille, qu'il n'avoit pas crü dignö d'approcher un in/tam du monarque. Madame du Barry parut vouloir donner des fpeaacles chez elle , & cela pour imiter madame la dauphine , qui en avoit quelquefois dans fes appartemens : auffi-tót les fpeftacles de Paris, la mufique, tout accouroit a Penvi pour contribuef k fes amufemens (1). . L'otdönnateur de ees fêtes avoit fouvent 1'attention d'ajouter aux pièces repréfentées des éloges pour madame du. Barry. C'étoit fon bon cceur, fon affabilité, fa bienfaifance, que l'on vantoit. On auroit volontiers célébré iufau'a ft Vertu. 1 Tornt IU O  2IO Vu pavei En retour de tant de complaifancè, le vainqueur de Mahon obtenoit des graces , 6c fon degré d'intimité avec la favorite, lui donnoit plus d'importance auprès des miniftres. II devenoit confident de Maupeou, de l'abbé Terrai; il étoit initié dans ces myftères d'iniquité, ft communs dans ce tems-la. Cet abbé qui fe jouoit de la fortune des citoyens, qui cumuloit les impöts, qui faifoit manquer le roi fi légérement k fa parole 6c qui le déshonoroit, par fon manque de foi, aux yeux de PEurope entière , avoit dit, dans un comité particulier oii fe trouvoit Richelieu, 6c oü l'on parloit des plaintes du peuple : » II eft bien a plaindre ! on lui paie depuis longtems des intéréts qui ont abforbé le fond. Le roi ne doit légitimement prefque plus rien. Ainfi je ne vois plus , pour payer les dettes de 1'état , qu'une banqueroute générale , qu'il faut avoir 1'adrefTe de faire en détail; de facon qu'en quelques années, le roi fera quitte ". Ce habile financier prétendoit que la banqueroute étoit néceffaire une fois tous les fiècles, pour mettre 1'état au pair; qu'un roi ne riiquoit rien d'emprunter, paree qu'il étoit le maitre de ne plus payer les anciennes rentes qui avoient été fervies affez long-tems. On peut juger d'après les principes de cet homme , quel auroit été la fin de fon miniftère fous un prince qui les auroit goütés.  du Maréchal de Richelieu. % \ \ CHAPITRE XVII. Suite des détails fur la cour. Mort de Louis XK Richelieu va dans fon gouvernement, D u Barry qui n'étoit admis autrefois que pari grace chez le maréchal de Richelieu, devenu un perfonnage important par la faveur de fon ancienne maitreffe, paroiffoit alors chez fait comme un prote&eur qui prétendoit gouverner tout le royaume. A 1'en croire, il étoit le principe de tous les événemens. Sans fa pénétration, fa pré» voyance, fon ppiniatreté, la face des chofes n'auroit pas changé; la petite Lange eut refté inconnue, bc Choifeul feroit en place; les pariemens fubfifteroient , bc des dévots peut-être fe feroient emparé de 1'efprit du roi. Ce monarque lui devoit le bonheur de ne pas périr d'ennui; les provinces, de ne plus aller fi loin pour trouVer la juftice ; les courtifans, d'avoir un but fixe pour obtenir des graces; tout le monde , a. 1'entendre * lui devoit des remerciemens, & il ne pouvoit pas être trop récompenfé du bien qu'il avoit fait. Aufli parloit-il en maitre. Je donnerai, difoit» il, tel gouvernement a celui-la ; cette intendance k celui-ci; bc au milieu de ce fonge, il n'oublioit pas de commencer par fe faire donner beau» coup. Un jöur enivré de fa gloire & de fon bon» heur, il dit au maréchal qu'il ne lui manquoit plus qu'une chofe, c'étoit que fon frère mourut» Ma belle-fceur veuve, je la ferois époufer au O ij  li £ Vu priyée maitre; cela ne feroit pas long. Louis XIV s'efl bien maric k cette begueule & bigotte de Maintenon. J'aurois le plaifir de donner a un roi ma maitreffe pour femme : cela feroit piquant. Le maréchal rit beaucoup ; mais après tout ce qui s'étoit paffé , il n'étoit pas loin de croire que 1'intrigant pouvoit avoir raifon. Madame du Barry qui avoit été très-novice k ïa cour, s'étoit faite au ton de grandeur 8c d'opulence qui 1'entouroit; elle avoit faifi le jargon du pays, Sc ne paroiffoit plus ridicule, même k f es ennemis. Le paffé ne fut plus qu'un fonge importun qu'elle éloigna d'elle. Des femmes toujours prêtes k 1'aduler, 1'entretenoient fans ceffe de fon éducation foignée, 8c madame du Barry s'accoutuma tellement k leurs difcours, qu'elle fembla fe perfuader qu'elle avoit été dès fes premières années ce qu'elle étoit k préfent. Montée fi haut, il étoit affez naturel que la tête lui tournat un peu. Le roi la venoit voir matin 8c foir. Quand par hafard quelques affaires, ou une légère indifpoïition Pen empêchoit, il lui ccrivoit, 8c c'étoit un nommé de Serras qui avoit connu jadis mademoifelle Lange Sc que le maréchal de Richelieu avoit rapproché d'elle, qui étoit le commiffionnaire des billets doux. En même-tems il rapportoit k Richelieu ce qui fe paffoit chez madame du Barry; il lui diföit qui étoit chez elle, ce qu'elle faifoit, de quelle facon le roi lui avoit parlé; 8c pour récompenfer ce meffager de fes foins officieux, il !e fit gouverneur des pages de la chambre du roi; C'étoit cet agent qui avoit fait entendre k madame du Barry que perfonne n'étoit plus propre  du Maréchal de. Richelieu, 3.13 a entrer au eonfeil que M. de Richelieu; 6c cette femme voulut récompenfer fon bienfaiteur en lui obtenant cette grace. Le refus du roi n'avoit que fufpendu fa bonne volonté : mais le maréchal outré de la réponfe du maitre, fit dire k la favorite, toujours par cet homme, qu'il renoncoit a cette faveur. Ce meffager des demi-dieux, qui avoit déja obtenu une penfion pour fes fervices, devoit bientöt les voir récompenfer plus amplement, quand il eut le malheur de perdre un billet du roi. Juftement il étoit queftion d'une opération de chancelier contre les pariemens. M. de Maupeou le trouve par hafard dans la galerie. Comme il n'étoit point cacheté, il 1'ouvre, reconnoit 1'écriture du roi, & ne voyant pas k qui il eft adreffé, le porte a fa majefté, qui devient furieufe de la perte de fon billet, 6c qui ne veut plus fe fervir d'un commifüo.nnaire aufli peu foigneux. Le maréchal fut trés - faché de cet accident. Quoiqu'il fut bien regu chez madame du Barry, il étoit très-aife d'avoir un efpion auprès d'elle. II avoit fu par lui que le duc d'Aiguillon alloit la voir fouvent pendant qu'elle étoit au lit; il 1'avoit trouvé même un jour badinant affez librement avec elle : ce qui fit conjecturer k M, de Richelieu, que fon coufin jouoit avec cette favorite le même röle, qu'avoit anciennement rempli M. de Choifeul avec madame de Pompadour, circonflance qui n'avoit pas nui k fon avancement, II efpéra que celle-ci ne feroit pas plus défavorable k fon parent, 6c il ne fe trompa point, Le roi , au milieu de tous les plaifirs qu'on lui procuroit, épröuvoit quelquefois de 1'ennui 61 O iij  214 Vit privée même des remords : il eft vrai qu'ils n'étoient pas de longue durée. Un foir qu'il en étoit plus tourmenté, il demande k Richelieu comment il peut faire pour fe porter aufli bien , après avoir eu autant d'aventures? Le nombre des miennes n'eft pas ft grand, ajouta-t-il, & je fens mes forces diminuer tous les jours. Un peu de repos, lire , reprend le courtifan , vous rendra ce que vous avez perdu; c'eft mon remède , & il fera certainement bon pour vous. Alors ils parlèrent de leurs jeunes années; & le maréchal qui a rapporté cette converfation a madame de Mauconfeil, 1'afTura que le roi étoit défolé de vieillir, furtout dans un moment ou il avoit la plus aimable, & la plus féduifante maitreffe qu'il eut connüe. II lm' fit part enfuite de ce que fes enfans n'avoient pas pour elle tous les égards qu'elle méritoit, ou de ce qu'il voyoit bien que ceux qu'on lui rendoit étoient forcés. Cette converfation les mena par degrés a parler des affaires générales du royaume. Le roi convint qu'elles n'étoient pas en aufli bon état qu'elles pouvoient 1'être, & pouffa plufieurs foupirs : Que voule^-vous, reprit-il ? Quand on fait des fottifes, on ne m'écoute pas, Après tout, c'eft leur faute, & non pas la mienne., Ils font ce qu'ils veulent; cela ne doit plus me regarder, Quand on voyoit le roi un peu plus affeété, on redoubloit d'empreffement pour le diftraire ; les voyages de Saint-Hubert, de Choify, fe mulliplièrent. Les derniers fe paffoient rarement fans fpectaclei qui étoient uniquement deftinés pour madame du Barry. II ne fe jouoit prefque pas de pièees a Paris qu'on ne lui en fit hommage; on ne recevoit pas de débutans, qu'ils ne fuffent fou-  du Maréchal de Richelieu. ^ 115 mis a fa cenfure. Précédemment mademoifelle Raucourt qui avoit paru fur la fcène frangoife avec toute les prétentions d'une femme qui réuniffoit les talens les plus rares k la vertu la plus épurée (1), avoit été obligée de foumettre fa célébrité au goüt de la favorite, qui lui avoit fait préfent, fur les menus plaifirs, d'unhabit tragique de dix mille livres. II parut même charmant a madame du Barry de faire jouer chez elle k une princefTe, a une reine des couliiTes, de petits rö■ les, traveftie en homme. La faveur de l'adtrice augmentoit ; mais foit que la fultane craignit fa fraicheur, fa jeunefTe, qui pouvoient fixer 1'attention du roi , foit qu'elle ne fe crüt pas faite pour la voir fi fouvent, mademoifelle Raucourt ne conferva pas long-tems fes bonnes graces. Le mariage de M. le comte d'Artois oü la même prodigalité fut remarquée qu'aux précédens, fournifTant 1'occafion de donner de longues fêtes, fervit a diftraire un peu le monarque, qui, excepté les inftans oü il fe retrouvoit encore, pour affurer fon amie de fa tendreffe, étoit morne & ennuyé de tout. Cette amie voulut briller plus que 1'époufe de 1'héritier du tröne; & des diamans fans nombre ornèrent la robe de cour la plus magnifique. A 1'opéra, elle avoit une loge au-deffus de madame la dauphine, oü elle jouiffoit du plaifir d'être plus brillante que cette princefTe. Un jour, elle paffe dans une cour, k Fontainebleau, & des ris très-forts frappent 'fon oreille : (i) Le public ne fut pas long-temps dupe de cette plaiftnterie. O iv  II6 Vie prlvce elle leve la tête, & voit k une croifée du chateau la datiphine & madame, qui redoublent d'éclats, Elle les regarde fiérement, s'arrête un inftant; & foit qu'elle les force par fa contenance altière de fe retirer, ou plutöt que ces princeffes craigniffent de déplaire a leur grand papa en continuant la fcène, elles difparoilfent, Tout cédoit k 1'afcendant de madame du Barry. Ees princes, qui étoient revenus k la cour, plus condamnables fans doute de leur plate adulation, paree que, dans le commencement du moins, ils avoient voulu paroitre jouer un röle important, s'honoroient d'être admis dans 1'intimité de la fultane, Le prince de Condé, afiis prés d'elle , dans fes petits fpectacles particuliers, épioit tous les mots qui pouvoient lui être appliqués favorablement, poyr les applaudir avec tranfport. Le roi, qui afliftoit fouvent k ces comédies, jettoit fur lui un coup d'ceil de complaifance & de fatisfaftion; la favorite lui faifoit un léger figne de fa belle . main; &C le prince fortoit enchanté de s'être fi bienconduit. Un jour,on fubftitua, au vaudeville d'Annetu & Lubin que l'on jóuoit, des couplets en 1'honneur de madame du Barry; ce n'étoit qu'une fade adulation très-mal amenée; ces couplets ne valoient abfolument rien, & n'avoient d'autre mérite que d'être affez bien chantés par les acteurs de la comédie Italienne : le prince s'écria qu'ils étoient bien fupérieurs k la pièce. II étoit facile d'égarer 1'imagination d'une fem* me que tout le monde encenfoit a ce point. On rie peut la blamer de s'être quelquefois laiffé enivrer par la fumée ; la tête la mieux organifée n'auroit fouvent pas pu y réfifter. Elle n'a certai •  du Maréchal de Richelieu. ±\j nement pas fait autant de mal que madame de Pompadour, qui fe croyoit affez de génie & d'efprit pour gouverner le royaume, & qui fit naitre les événemens les plus défaftreux, Celle-ci bornoit fon ambicion a une toilette recherchée. Elle n'avoit aucune prétention ni même de goüt a fe mêler des affaires d'état qui 1'ennuyoient fort. Ce n'étoit que des intrigans parvenus a la dominer, qui la foreoient d'entrer dans ces myftères d'iniqui té. II faut même lui rendre la juftice qu'elle mérite; comme prefque toutes les femmes de fa claffe, elle avoit un bon cceur, & ce n'étoit qu'en lui perfuadant qu'elle feroit une bonne aCtion qui la feroit aimer de toute la France, qu'elle engageoit fon amant a commettre une injuftice, Le roi n'étoit plus qu'une efpèce de fantöme; chaque miniftre étoit plus roi que lui; aucun ne 1'ignoroit j & cette conviction étoit fi forte, elle étoit gravée fi bien dans 1'efprit de toute la cour, qu'on difoit que fi ces meftieurs entreprenoient de faire figner au fouverain fa deftitution, ils y parviendroient. Madame du Barry, dont on vouloit prolonger le règne, fut confeillée de ne pas attendre que le monarque vint a fe laffer d'elle, pour lui procurer d'autres jouiffances. On la mit au fait des procédés de madame de Pompadour; & comme il lui étoit indifférent que le roi lui fut fidéle, pourvu qu'elle püt briller a fon aife, elle ne tarda point a fuiyre le plan qu'on lui tragoit, Le maréchal de Richelieu 1'affura qu'il connoiffoit le roi depuis long-tems, & que le changement étoit un attrait piquant pour S. M. Aufli-töt elle trouva dans mademoifelle de Toiirnoh, qui étoit deve-  II8 Vu privêe mie fa nièce, un objet digne de fixer les regards du vieux fultan ; & elle le vit pafTer dans fes bras fans crainte ni jalonfie : au contraire, une amitié tendre parut fe former entr'elles. On dit que madame du Barry, connoiffant fa fupériorité dans un art que perfonne ne polfédoit comme elle , étoit certaine que toute affociation ne pouvoit lui nuire. Effeétivement fon amant, emporté par 1'inconftance, revenoit quelque tems après auprès d'elle, plus emprefïé de lui donner la pomme. On cherchoit tous les moyens de le diftraire, & quand la nature mettoit des bornes a fes facultés, on recréoit fon imagination par le récit d'aventures galantes. Richelieu devenoit alors Fhomme effentiel : perfonne ne pouvoit mieux que lui fournir une longue fuite d'épifodes plus piquantes les unes que les autres. II varioit fa nar-» ration de toute manière. Dans une de ces conférences , Louis XV qui rioit fort, dit en parlant du maréchal : C'ejl une vieille connoijfance de ma familie; car on Va trouve cacké fous le lit de ma mère. Richelieu répond que ce n'étoit qu'une plaifanterie; qu'il avoit eu trop de refpecf pour madame la ducheffe de Bourgogne... Bon, bon, du refpecl, repliqua le roi! on paffe par la-dejfus, quand on ejl jeune, & qu'on ejl aimé... Au furplus , vous faites bien d'être difcret ; car je ferois dicemment obligé de me fdcher, puifque c'étoit ma mère. II montroit cependant quelquefois un peu de fermeté... Le comte de Maillebois, jugé par les maréchaux de France, abfent depuis long-tems de la cour,' y avoit reparu k Compiègne , & n'ofoit pas reprendre les entrées de la chambre dont  du Maréchal de Richelieu. 115» il avoit joui. Le maréchal de Richelieu , qui étoit de fervice, favorifant M. de Maillebois, préfente au roi ce petit mémoire en faveur de fon ami : » Le comte de Maillebois repréfente a V. M., qu'il ne connoit pas d'exemple oü ceux qui ont joui des grandes entrées les aient perdues. M. de Lauzun même, après une difgrace & une prifon de quatorze ans, les obtint du feu roi, & les garda jufqu'a fa mort. Tous ceux qui ont des charges font intéreffés a la demande de M. de Maillebois qui fupplie V. M. de confidérer avec bonté que c'eft par refpeft, qu'en reparoiffant a Compiègne , il n'a pas repris les entrées de fa charge, quoiqu'après avoir confulté toute la cour a cet égard, il fut autorifé k croire qu'on ne perdoit jamais fes entrées Le roi écrivit au-bas de ce mémoire, qu'il remit au maréchal : Refufé. » Quelle différence voudroit-on mettre entre celui dont on auroit toujours été content, & celui dont on ne 1'auroit pas toujours été ? Qu'on ne m'en parle plus ". Quelque tems après il fut plus indulgent. Perfuadé qu'on ne 1'écoutoit pas au confeil , quand il s'agiffoit des affaires de fon royaume , il fignoit ayeuglément une quantité d'édits, plus abfurdes & pms tyranniques les uns que les autres. Dans les plus petits objets, la volonté des miniftres 1'emportoit fur la fienne. Un nommé Boifcaillau, chirurgien de fes armées, étoit parvenu jufqu'a lui, avec un mémoire , par lequel il demandoit le payement de quelques fommes qui lui étoient anciennement &C trés - légitimement dues. Le roi, furpris qu'elles  2.20 Vie prlvée n'euffent pas encore été acquittées, mit de fa main % au-bas du mémoire : » Mon controleur - général » fera payer, fous un mois, le montant du mé» moiré ci-deffus k Boifcaillau, a qui il eft bien » dü, &C qui en a befoin ". Ce chirurgien , muni de cet ordre, vole au controle général, & ne parvient qu'avec grande peine a voir l'abbé Terrai. II lui préfente fon mémoire , apoftillé de la main du maitre : l'abbé le regarde, & le lui jette » Mais, monfeigneur, » quand pourrai-je être payé? -—Jamais. — Mais » le bon du roi!... — Ce n'eft pas le mien. » — Mais fa majefté... — Qu'elle vous paie , » puifque vous vous adreffez k elle Sortez; » je n'ai pas le tems d'être étourdi davan» tage ". Cet homme pétrifié, ne fait plus k qui recourir. II s'adrelfe au capitaine des gardes , qui 1'éconduit; il va chez le maréchal de Richelieu , dont c'étoit alors 1'annéeen 1773. Ne pouvant le voir, il prie fon fecretaire de parler pour lui, &c de faire donner, par le maréchal, un nouveau mémoire au roi; il lui montre l'ancien fur lequel fa majefté avoit écrit. Ce fecretaire, neuf encore avec les grands, croyant qu'un mot du roi & un ordre abfolu, promet a Boifcaillau de faire fon affaire. II entre chez le maréchal, & lui dit que l'abbé Terrai vient de faire une chofe qui, ft elle étoit fue du roi, 1'expoferoit aux plus grands défagrémens; il lui conté alors ce qui s'étoit paffé. Richelieu lui rit au nez, en lui difant : » Vous » êtes un grand imbécile, de ne pas favoir encore » que la plus mauvaife protecf ion eft celle du roi. » Puifque l'abbé a prononcé, dites k Boifcaillau  dü Maréchal de Richelieu. m » qu'il n'aura rien, &c ne vous mêlez plus d'af» faires femblables (i) ". (i) Ou pourroit citer mille exemples du peu de cas que les miniftres ou les grands faifoient des imentions du roi; cette infolente conduite étoit même imitée par des premiers commis. Nous nous contenrerons de deux faits très-connus. Armand, célèbre comique de la comédie francoife, avoit amufé fi fouvent Louis XV, qu'un foir, en fortant du fpectacle , fa majefté lui dit a Choify : Armand, je vous fais cent fifloles de penfion. Le comédien , plus au fait de jouer fes röles , que de la forme dont ces fortes de graces s'expédioient, crut que la parole du roi fuffii'oit pour aller toucher au tréfor royal. L'année révolue, il s'y préfente avec une quittance, pour recevoir fa penfion. Connu de tous leis commis, il en eft fort accueilli j mais on ne peut le payer, paree qu'il n'eft pas fur 1'état. Surpris de ce refus, il va chez le duc d'Aumont qui étoit préfent, quand le roi lui avoit accordé cette grace, & lui raconte ce qui lui arrivé. >, Vous êtes un faquin, prononce «> gravement M. le premier gentilhomme de la chambre, ap■i prenez que c'eft moi feul qui dois vous faire avoir une n penfion, & que, ce que le roi vous a dit & rien c'eft la 3> même chofe. Ne m'importunez plus; vous n'aurez jamais » rien ". Armand va raconter fon aventure a fes camarades qui 1'engagent a faire inftruire fecrétement le roi de la conduite du duc. Louis XV ne 1'ignore plus, & fe contente de dire: Certainement je lui ai donnê une penfion ; qu'il s'arrange avec ie duc d'Aumont. Armand vit bien que tout étoit perdu. EfTectivement fon attente fut vaine pendant plufieurs années. Ce fut mademoifelle Cla.ron, aux pieds de laquelle étoit toujours M. d'Aumont, qui, long-tems après, engagea le duc a faire expédier le brevet de fon camarade ; & Armand r.e 1'obtint qu'a la confidération de 1'aclrice. II eft d'ufage de donner fix eens livres de penfion au doyen des valets-de-chambre-horlogers du roi. Le titulaire meurt; Louis XVI dit avec bonté a un nommé Pelletier , qui devenoit 1'ancien : Vous ave^ la penfion. Celui-ci, inftruit des ufages, va chez fon fupérieur, le premier gentilhomme de la chambre,' lui demander fon agrément pour cette penfion qui lui eft déja donnée. Ce fupérieur fait écrire au miniftre ; c'étoit M. Amelot, qui répond qu'il va mettre cette demande fous les yeux du roi, pour faire expédier le brevet.  li 2 Vit frivet Cependant le roi recevoit de petits avertiffe-* mens de la nature qui devoient 1'engager a fe ménager; il n'en tint compte, Sc il en fut bientöt la victime. Nous ne répéterons pas que, dans les bras même d'une jeune beauté, qui avoit été choifie pour ranimer fes fens prefque éteints , ma's qui, malheureufement pour lui, portoit le germe de la petite - vérole, il puifa cette fatale maladie qui le mit au tombeau. Nous ne dirons qu'un mot de ce roi, qui eft jugé depuis longtem:. , Sc qui prouva qu'un fouverain fans caractère peut être bien funefte a fes états, même avec de bonnes intentions. Foible Sc infouciant, il connoiffoit peu 1'amitié ; il voyoit fans chagrin difparoitre de fa cour des gens avec lefquels il vivoit depuis long-tems. Une ou deux fois pourtant, il parut donner des marqués de fenfibilité. Pelletier a donc pour lui le roi, le miniftre & le premier gentilhomme ; il fe croit certain de jouir bientöt ; il eft trompé dans fon attente. II avoit négligé de folliciter les bonrés de 1'Echevin, premier commis de la maifon du toi, perfonnage vain , infolent comme un parvenu qui n'a pas d'efprit, ( car il faut dévoiler toutes ces turpitudes , ) & le brevet n'eft point expédié. Six mois , un an fe paffent, fans qu'il puifle obtenir quelque chofe. Le premier gentilhomme écrit de nouveau au miniftre , qui, n'ayant d'efprit qu'avec fes premiers commis, n'ofoit les contrarier en rien. L'Eche■vin , intraitable , ne cédoit pas •, fon amour-propre eft bleffé , & il veut faire voir ce qu'on doit a un homme de fon importance. Le bon M. Amelot eft forcé de le laiffer faire, Pelletier, défolé . ne fachant plus quel parti prendre, importune fans ceffe fon fupérieur , & cherche a fléchir par fes excufes réitérées , le trop févère 1'Echevin. Enfin , le premier gentilhomme fe déterminé a faire une vifite au premier commis, Sc lui demande en grace de terminer cette affaire. L'Echevin , flatté de cette démarche , fit expédier , plus de deux ans après 1'obtention de la grace, un brevet qui devoit 1'ètre au plus tatd dans un mois.  du Maréchal de Richelieu. 123 II avoit figné des lettres de cachet pour exiler les pairs, qui avoient fait cette fameufe proteöation dans le tems de la deitruction des pariemens. Plufieurs des profcrits vivoient dans ion intimité. Le foir même de Pexécution de ces lettres, ils avoient foupé avec le monarque , qui, felon fa coutume, quand il difgracioit quelqu'un, leur avoit témoigné beaucoup d'amitié ; ils s'attendoient a partir dans la nuit même; leurs équipages étoient prêts. Le roi, au moment ou il alloit faire exécuter fes ordres, fut tourmenté, 6c jetta toutes les lettres de cachet au feu. Une autre fois, Louis XV étant dans 1'appartement d'un de fes favoris, entendit caufer vivement. Le bruit venoit de 1'appartement qui étoit au-deffous, 6c la voix montoit tellement par la cheminée, qu'on pouvoit entendre prefque toute la converfation. II s'agiffoit des pariemens, & les courtifans , qui étoient du parti de la magjftrature, croyant n'être pas entendus, ne fe gênoient pas pour parler légérement du monarque; ils le traitoient affez mal. Le roi n'étant pas maitre d'un premier mouvement, leur cria par la même cheminée : Continue^.1 le rol nen faura rien. Ces mots furent un coup de foudre ; la voix du maitre fut reconnue, 6c chaque interlocuteur fe crut per du. Le capitaine des gardes, qui étoit du nombre , ofoit a peine reprendre fon fervice ; les autres ne parurent qu'en tremblant: mais Louis XV, qui étoit habitué a vivre avec eux , 6c qui craignoit fans doute un trop grandx vuide, ne leur témoigna aucun mécontentement. Peu d'exemples viendroient k 1'appui de ceuxcij 6c il feroit bien plus facüe de le faire voir  114 Vie prlvêè égoïfte , ne tenant k rien , & confidérant fans émotion la perte ou 1'éloignement de ceux qui 1'approchoient. Richelieu fentit dans le premier moment toute la perte qu'il venoit de faire. Le fucceffeur k la couronne , habitué a voir en lui 1'efclave d'une femme qu'il méprifoit, le jugeant fur ce qu'il étoit alors , bc non fur ce qu'il avoit été , ne pouvoit pas le regarder d'un ceil favorable. Le maréchal fut atterré quand il apprit le retour de M. de Maurepas, qui devoit naturellement le haïr. II connoiffoit cet ancien fecretaire d'état, & n'avoit ni eftime, ni amitié pour lui; il étoit furieus qu'une circonftance inattendue (i) le remit en place; il prévoyoit que fes créatures feules feroient employées, bc difoit a fes amis qu'il ne feroit pas meilleur premier miniftre, qu'il n'avoit été miniftre de la marine. M. de Maurepas, très-jeune, avoit obtenu cette place On fait que quand un roi meurt d'une maladie épidémique , tous ceux qui l'ont approché ne peuvent paroitre de fix femaines devant fon fucceffeur ; c'eft 1'étiquette. Prefque toute la cour s'étoit montrée dans la chambre de Louis XVj & après fa mort, Ie jeune roi, ifolé a Choify, n'étant au fait de rien, livré a lui même, avoit befoin d'un mentor pour 1'inftruire de tous les ufages. Ses intentions droites le portent a demander un honnête homme dans lequel il puiffe mettre fa confiance : on lui nomme M. de Maurepas, que les dames tantes regardoient comme une vicïime de fa probité auftère, paree qu'il avoit été exilé a caufe de madame de Fompadour. L'éloge qu'on en fit, détermina le roi a lui écrire cette lettre fi flatteufe, par laquelle il 1'engageoit de revenir è fa cour. On avoit écrit a M. de Machault pour le même objet. Malheureufement, peut-être, le courier n'étoit pas eneore parti, & fa deflination fut changée.  du Maréchal de Richelieu. 215 place du régent, qui avoit voulu reconnoitfè en lui ce qu'il devoit au chancelier de Pontchartrain , fon oncle, qui 1'avoit fecrétement informé du teftament de Louis XIV. Richelieu difoit que le petit Maurepas , loin de s'inftruire des devoirs de fa plage, n'avoit cherché qu'a faire le bel-efprit; qu'il avoit dépenfé des millions, fans avoir jamais fu mettre la marine fur un pied convenable; qu'il étoit fuperficiel, inconféquent, prêt k rire de tout, & qu'on fe repentiroit bientöt de la faveur qu'on lui rendoit. Cependant le maréchal apprend fon arrivée; & comme tout eft changé, il s'emprefle d'aller compümenter le nouveau miniftre fur fon heureux retour. Richelieu, après avoir été grofïlr le nombre des courtifans de M. de Maurepas, crut aufli, les délais étant expirés, qu'il devoit fe montrer auprès du nouveau roi. II n'obtient pas un regard; mais il n'eft pas rebuté. La reine le recoit encöre plus froidement: il n'en court pas moins k toutes brides a Verfailles, pour recevoir des humiliations; on diroit que les plus grandes faveurs 1'engagent a y Voler. ' Après quelques tentatives, il fe déterminé a partir pour Bordeaux. Toutes fes connoiflances font perfuadées qu'il ne pourra furvivre au coup qui lui eft porté; que la mort de Louis XV doit accélérer lafienne; oncroitdéja le trouver changé, & cette année paroit être le terme de fon exiftence. Le maréchal en met bientöt un a leurs craintes. On le voit tout aufli calme, tout aufli tranquille qu'auparavant, s'occuper de la nouvelle falie de comédie qu'il faifoit conftruire a Bordeaux; on apprend avec furprife qu'il donne Tome II, p  Vie privéi de grands foupers oü de jolies femmes s'empreffent de le confoler. Les filles, le fpeöacle, tout le diftrait; il y donne, plus que jamais, fes foins; il parle de la mort de fon ancien maitre, comme d'un événement naturel; & les regrets qu'elle lui caufe, ne 1'empêchent pas de fe livrer au moindre plaifir qui fe préfente. Cette conduite étoit exatf ement conforme aux principes d'égoïfme qu'il s'étoit faits, comme il le dit lui-même dans le morceau qu'il a laiffé fur les aventures de fa première jeuneffe; morceau que nous plafons au commencement du troifième volume. On verra qu'il regarde comme la duperie la plus parfaite, d'abréger fes jours par trop de fenfibilité. CHAPITRE XVIII. Proces de madame de Saint-Vincent; détails fur cette affaire. On óte le commandement de la Guyenne au maréchal, & le roi ne veut pas quil aille dans fon gouvernement, d moins que le maréchal de Mouchy , qui y commande , n'y foit. Richelieu écrit au roi. Rétabliffement des pariemens ; jugement du procés du maréchal. Hifoire d'un nommé Colin. Tandis que M. de Richelieu retrouve dans fon gouvernement fes anciennes habitudes, & que, loin de la cour, il ne fonge plus qu'a s'amufer, une intrigante lui prépare k Paris des défagrémens d'un genre fingulier. Madame de Saint-  du Maréchal de Richelieu. 3,1,7 Vincent, dont nous avons déja parlé, mife au couvent par fon mari, transférée d'un lieu dans un autre, & enfin dans un couvent k Poitiers , par les follicitations du maréchal qui crut devoiï de la pitié k une femme, fa parente, qui, k fes yeux, n'étoit coupable que d'avoir été foible , madame de Saint-Vincent, dis-je , fait circuler dans Paris pour cent mille écus de billets foufcrits par le maréchal. Plufieurs avoient été négociés; & Rubis, frippier, en préfente un k Pintendant du maréchal, pour en recevoir le payement, Celui-ci, qui n'avoit pas connoiflance de cette dette , refufe de 1'acquitter, jufqu'a ce qu'il en ait écrit k fon maitre. Dans cet intervalle, s'annonce encore k Pintendant un autre homme qui lui demande fi le billet qu'il préfente lui fera bien payé; un troilième, un quatrième inconnus, viennent faire la même queftion. L'homme d'affaires du maréchal, épouvanté de cette multitude de créances, écrit de nouveau k M. de Richelieu, pour lui mander ce qui fe paffe. Richelieu lui répond que tous les gens, qui fe font préfentés, font des frippons ; qu'il faut mettre tout cela dans un cul de baffefoffe, & qu'au furplus il va arriver promptement, pour faire punir tous ces coquins-lè. II arrivé effectivement, & depuis il ne retourna plus a Bordeaux. Au-lieu de dire fimplement qu'il n'avoit pas fait de billets, que ceux qu'on lui préfentoit étoient contrefaits, & de laiffer le miniftère public chercher les auteurs du faux, le maréchal , mal confeillé par fes gens d'affaires, qui avoient leur intérêt k embrouiller celle-ci, comptant trop fur fon pouvoir, veut abfolument. re- P ij  ii8 Vit privk monter a. la fource de ces billets mis fous fon nom. Aufli-töt la police eft en 1'air; on démêle la fufée, & l'on découvre que madame de SaintVincent eft le premier agent de leur circulation; elle eft afïïgnée pour être ouïe. Mais M. de Richelieu , accufant la lenteur de la juftice, fait tant d'inftances auprès du lieutenant-criminel, qu'il Obtient un décret de prife de corps contre cette accufée & un nommé Cauron , qui avoit été fousfecretaire du duc, & qui vivoit continuellement avec madame de Saint-Vincent. Ils font conduits au Fort-l'Evêque. Le lieutenant de police, toujours vendu aux grands , quoique Richelieu ne jouit plus du même crédit, crut ne devoir rien refufer k un maréchal de France , & tous ceux qui furent défignés devinrent des viefimes de 1'autorité. Vedel, Benevent, l'abbé de Trans & autres , furent arrêtés ou décrétés d'ajournement perfonnel; il falloit que Richelieu trouvat des coupables, & il„fe conduifit dans cette circonftance avec la même légéreté qui lui a été tant reprochée dans d'autres occafions. De la manière dont cette affaire étoit entamée, il falloit auffi qu'il prouvat le crime de faux dont il accufoit madame de Saint-Vincent. Cet engagement étoit difficile a remplir : quand on contrefait une fignature, on ne prend pas ordinairement des témoihs. II n'étoit pas plus aifé de juftifier la complicité des accufés avec madame de Saint-Vincent, & néceffairement ce procés devoit trainer en longueur. Le public, vis-a-vis duquel Richelieu avoit dé-  du Maréchal de Richelieu. 3,19 mérité depuis long-tems, ne manqua pas de prertdre le parti d'une infortunée que le crédit du maréchal faifoit languir en prifon. La familie de cette femme, humiliée du traitement qu'elle épröuvoit , prit fait & caufe dans cette affaire, & Ri-, chelieu parut généralement avoir tort. Dans ce moment-ci même, nous connoiffons des gens qui font perfuadés que le maréchal étoit Fauteur des billets, & qu'il fut déchargé d'accufation par faveur. Nous avons promis de dire la vérité, & certainement notre plume ne fe fouillera pas d'un menfonge, pour honorer la mémoire d'un homme dont nous retracons indiftinctement les vices & les bonnes qualités; nous ne tenons point k fa familie, & notre témoignage ne peut être fiifpeft. Nous n'avons d'autre but, ni d'autre intérêt, que de raconter les faits avec exaftitude. Quand le maréchal de Richelieu recut les premières lettres de madame de Saint-Vincent, elle étoit au couvent, ou fon mari 1'avoit fait mettre pour raifon d'inconduite. II ne la vit que longtems après, & k fa follicitation. Ayant fu fon arrivée dans la ville ou elle demeuroit , elle lé pria de lui faire une vifite; cette vifite fut trèscourte, & fe termina par des honnêtetés. Madame de Saint-Vincent, alors , n'étoit ni fraiche , ni trés-jeune. Elle écrivit k M. de Richelieu, qui lui répondit plufieurs fois; enfin, il lui fit obtenir la liberté de fe rendre au couvent k Poitiers. Ce fut dans cette ville que le hafard lui procura la connoiffance de Vedel, major d'infanterie, k qui elle vanta beaucoup fon intimtfé avec M. de Riche-  ajo Vie prlyée lieu. Sachant que le maréchal devoit pafler par Poitiers pour aller a Bordeaux, elle lui témoigna tout le defir qu'elle avoit de le recevoir chez elle. Richelieu, facile avec les femmes, fe rendit k fon invitation. Seul avec elle, & fans defir d'en obtenir aucune faveur , il fe vit prefque forcé de céder k fes avances. II la comparoit plaifamment a madame Bouvillon dans le roman comique, qui veut féduire fon cher 1'Etoile. Le réfultat de la converfation fut de parler de fa détrefle, & Richelieu lui donna douze louis. Le maréchal a afluré que ce fut la première & la dernière fois qu'il fut honoré de fes faveurs, que vingt fois il s'eft reproché fa foibleffe avec une femme qui n'avoit rien pour lui plaire. Dès ce moment, elle fe crut autórifée a écrire plus fouvent; & le maréchal, excédé de lettres , lui envoyoit de tems en tems quelques fecours. II eft probable qu'elle ne les trouva pas fuffifans pour fatisfaire la cupidité d'un amant dont elle étoit folie, & qui recherchoit en elle plutöt J'utile que 1'agréable. Vedel, certainement, joue de toute maniere un méchant röle dans cette affaire : ou il a participé au faux de madame de Saint-Vincent, ou il 1'a engagé k profiter du crédit qu'elle lui difoit avoir fur 1'efprit de M. de Richelieu, ou enfin il fe faifoit payer continuellement les complaifances qu'il avoit pour elle. Quoiqu'il en foit, cette provencale eut alors recours k des talents, nés peut-être fans deflein dans la retraite, ceux de calquer 1'écriture k travers une vitre; elle en avoit déja fait ufage k Milhaud, ou elle avoit contrefait une lettre d'un médecin, Sc elle traita ce coup d'eflai de badi-  du Maréchal de Richelieu. l^i nage. Elle avoit, dans quelques lettres du maréchal , fa fignature , & elle prit les mots qui lui étoient néceffaires pour former un mandat de cent mille écus; cette feconde opération lui parut mériter plus d'attention. Elle follicite encore la proteffion de fon parent pour venir a Paris : elle en obtient la permiflion ; elle vient lui en témoigner fa reconnoiflance, &c multiplie fes vifites au point qu'elles finirent par déplaire au maréchal, paree que chaque fois elle le mettoit k contribution. Ceux qui ont connu Richelieu favent bien qu'il n'étoit pas généreux; k la fin, il ne devoit pas voir de bon ceil une femme qui recommengoit toujours k lui demander de 1'argent. Elle vint moins fouvent chez lui, & bientöt la mort de Louis XV la mit a même de faire éclore fes grands projets; elle crut que lè maréchal reftoit fans appui, & qu'il facrifieroit de 1'argent pour n'avoir pas le défagrément d'une affaire qui pouvoit lui faire tort. Nous avons oublié de dire que, n'ayant pas trouvé k fe défaire d'un mandat de cent mille écus, elle avoit fait plufieurs billets qui, tous réunis, formoient bien plus que cette fomme. Elle attendit que le maréchal fut k Bordeaux pour agioter fes billets , fur lefquels elle perdit beaucoup , comme il eft d'ufage , quoique M. de Richelieu fut trés-bon pour les acquitter. Voitè 1'hiftorique da cette affaire que l'on peut prendre pour un roman, fi l'on veut; mais nous défions le plus incrédule de ne pas fe rendre aux preuves que nous allons donner de la fauffeté des billets. Nous-mêmes avons été prévenus contre le P iv  13Z _ Vu prlvct maréchal, & ce n'eft qu'en éclairdffant les faits dont nous allons rendre compte, que nous avons reconnu la vérité. D'abord il n'eft pas vrai, comme on 1'a dit, que M. de Richelieu ait procuré madame de St. Vincent au roi, qui avoit donné cent mille écus au maréchal pour la payer de fa complaifance, & que ce dernier les avoit gardé pour lui. Madame de St. Vincent n'étoit ni jeune, ni jolie, quand elle vint a Paris. Ainfi, cette imputation fe réfute d'elle-même, Sc fans avoir befoin de plus longs détails. II eft auffi très-faux d'avancer que Richelieu, pour obtenir fes bonnes graces, lui avoit donné cette fomme. Ceux qui ont cru ce fait, encore une fois, ne connoiffoient pas le maréchal; il étoit bien éloigné d'être auffi libéral, Sc il n'étoit pas affez dépourvu de femmes pour les payer fi cher. II en avoit tous les jours de très-jolies, Sc on ne lui connoit aucun acte de générofité envers «lies. Madame Rouffe eft la feule a qui il eut fait une obligation de cent mille francs, quand il s'eft marié avec madame de Rothe: mais il avoit vécu très-long-tems avec cette femme; elle étoit fa maitreffe en titre, Sc encore cette obligation n'étoit-elle payable qu'après fa mort. , déja de fortes préfomptions. Enfuite il a été décidé par les experts, que les billets étoient calqués, paree qu'en les appliquant les uns fur les autres, on voyoit la même diftance entre chaque lettre de la fignature, le même trait, la même place des points; Sc il eft démontré qu'il eft phyfiquement impoffible de figner plufieurs fois fon nom, fans qu'il n'y ait pas quelque différence,  du Maréchal de Richelieu. 233 füt-ce la plus légère, dans 1'éloignement ou le rapprochement des lettres, ou dans quelque autre chofe de la fignature. Or, dans les billets attribués a Richelieu, les fignatures avoient toutes les mêmes dimenfions; elles étoient abfolument les mêmes. Madame de St. Vincent, propriétaire d'un mandat de cent mille écus, le montre a plufieurs perfonnes qui lui difent qu'elle ne pourra s'en défaire, s'il n'eft revêtu de 1'acceptation du banquier. Elle n'ignoroit pas que Peixotto étoit celui du maréchal, & bientöt fon nom paroit fur ce billet. Inquiétée fur la véracité de la fignature de ce banquier, elle convient que c'eft un barbouiüage qu'elle a fait. Or, je demande fi l'on s'amufe a faire un barbouiüage fur un mandat de cent mille écus. Elle partage enfuite ce mandat en plufieurs billets, & comme il lui étoit facile d'augmenter les libéralités du maréchal, elle en fit trois, monfans enfemble k la fomme de 420,000 fliv. La dépofition des témoins certifie qu'elle étoit encore alors propriétaire du mandat principal. Quand il feroit poflible de croire que le maréchal eut augmenté fes dons de 120,000 liv. peuton raifonnablement penfer qu'il ait eu la foibleffe de laiffer entre les mains de fa créancière, le billet primitif, & Péchange de ce même billet avec une addition auffi confidérable ? Madame de St. Vincent change de nouveau le mandat en dix billets de 30,000 liv. parmi lefquels il s'en trouve de datés du 8 mai, tandis qu'elle aflure elle-même que 1'opération indivifible  434 Vut privk de 1'échange, fe fit en février, mars ou avrll; Alors elle les fait négocier k vil prix; Sc par une fauffe lettre de M. de Richelieu, elle annonce encore k fes agens, de nouveaux billets qu'il avoit promis de figner. II falloit donner quelqu'apparence k tant de libéralités : madame de St. Vincent fait entendre qu'il s'eft paffé des chofes bien particulières dans fa première entrevue avec M. de Richelieu; & comme il étoit difficile d'attacher tant de prix k une aventure fi légérement décidée, elle avoue en rougiffant qu'il en étoit réfulté une grofTeffe. Non contente de cette fuppofition, elle fabrique une lettre du maréchal, qui convient être le père de Penfant en queftion , Sc qui prend 1'engagement de ne jamais abandonner la mère, ni le précieux gage de fa tendreffe. Elle fait lire cette lettre aux perfonnes les plus graves, & croit qu'en dohnant a fes billets une origine aufli humiliante , elle leur aflurera une exiftence plus authentique. Malheureufement pour elle, la date de cette lettre fuppofée ne s'accordoit point avec fon roman. Dans fon interrogatoire , elle eut grand foin de la fouftraire aux regards de fes juges, Sc de dire que cette lettre étoit un jeu de fon imagination, qu'elle n'avoit jamais été groflê, & que ce menfonge n'avoit été employé que pour tirer de 1'argent de M. de Richelieu. Quand elle fut arrêtée , fon défefpoir, les tentatives qu'elle fit pour fe fauver, fes exclamations réitérées, en difant: Je fuis perduel rien n'annon$oit la tranquillité de 1'innocence; tout déceloit une coupable.  du Maréchal de Richelieu. 235 Tous ces faits font confignés dans les réponfes de madame de St. Vincent; ce font fes aveux même qui fervent depreuves a ce que nous avons avancé. Main tenant j'interroge 1'ennemi le plus irréconciliable de M. de Richelieu, & je lui demande fi le propriétaire légitime d'un billet, contenant une fomme aulïï coniidérable, ira s'amufer a faire mettre delTus une fauffe acceptation ? Ce fut Cauron, fous-fecretaire du maréchal, qui avoit été renvoyé de chez lui, qui contrefit cette acceptation, paree qu'il connoiffoit parfaitement Vér criture de Peixotto. Que ce même homme, porté k croire Richelieu coupable, me dife fi une femme, qui avoue avoir contrefait 1'écriture du maréchal, pour s'amufer, ne peut pas être accufée d'avoir calque fa fignature pour des billets, quand tout s'accorde k attefter leur fauffeté ? Le rapport des experts, les preuves données ci-deffus, tout démontre auffi clair que le jour que Richelieu n'a jamais été 1'auteur des billets qui ont donné lieu k cette étonnante affaire. Elle ne devint auffi compliquée , que paree que le maréchal, accoutumé k agir defpotiquement, fit trainer dans des prifons plufieurs particuliers contre lefquels il pouvoit k peine avoir quelques foupgons. Nous avons déja dit que ïa manière, dont on entama ce procés, fut ineonféquente & très-légère. Dans le moment ou nous combattons l'opinion publique , ou nous nous montrons les plus zélés défenfeurs du maréchal, nous allons faire voir notre amour pour la vérité. Nous lui reprocherons une action bien plus odieufe k nos yeux, que celle de nier fa fignature, s'il eut fait les bil-  '136 Vi* privée Iets de madame de St. Vincent. Ce fut fon procés qui fit avoir quelques dédommagemens a 1'homme dont nous allons parler. II avoit donné la place de conciërge de fon pavillon du boulevard a un nommé Colin, qui avoit été valet-de-chambre de M. de Seignelay. Cet homme avoit une réputation de probité reconnue. Malheureufement pour lui, il s'abfenta un inftant pendant qu'on travailloit dans ce pavillon; 8c c'en fut affez pour qu'un des ouvriers eut le tems de prendre deux très-beaux vafes de porcelaine, garnis d'or, qui avoient été donnés au maréchal par madame de Lauraguais, qui venoit de mourir. Ce malheureux ne découvrit que le foir le vol qui avoit été fait, 6c conduit par les gens de la maifon qui atteftoient fon innocence, il fe jette aux pieds du maréchal a qui il avoue la perte de fes vafes. Celui-ci furieux, accoutumé a ne pas croire a 1'honnêteté, prétend que fon conciërge eft le voleur, & dans 1'inftant il écrit au lieutenant de police de le faire arrêter. Colin fut mené, le foir même, au chatelet oü le maréchal fit inftruire promptement fon procés. Le malheureux, du fonds des cachots, proteftoit de fon innocence; & comme effectivement on ne put le convaincre du vol, fon jugement refta fufpendu. Privé de fecours, il fut obligé de faire vendre tout ce qu'il poffédoit pour adoucir fon fort, 8c bientöt il ne lui refta plus que la mifere 8c le défefpoir. Huit mois après fa détention, on arrêta, chez un orfévre, un garcon treillageur, qui venoit y vendre, pour une fomme affez confidérable, de  du Maréchal de Richelieu. 237 1'or, fur lequel on appercevoit encore, malgré des foins pour 1'effacer, la tracé des armes du maréchal. On le mena chez un commiffaire, & il avoua , que travaillant k 1'hötel de Richelieu, il avoit profité del'abfence du conciërge, pour prendre deux vafes dont il avoit öté 1'or , & qu'il avoit enterré enfuite dans un coin du jardin. Conduit par la juftice a. 1'hötel, les deux vafes font fetrouvés dans le jardin, a Pendroit même qu'il avoit défigné; rien ne pouvoit mieux prouver 1'innocence de Colin. Le maréchal ne fit feulement pas une feule démarche pour fon élargiffement; mais encore , quand ce malheureux fe préfenta chez lui, il ne voulut pas le voir, trouvant fans doute au-deflous de lui de réparer le tort qu'il lui avoit caufé. Colin lui fait parler par fes valets-de-chambre; lui fait repréfenter 1'état 011 il eft; qu'il manque de tout; & le maréchal lui envoie dire, pour toute réponfe, qu'il le fera mettre a Bicêtre, s'il continue davantage a 1'importuner. Cet infortuné, privé de reflources, ne fachant plus comment fe placer, eft réduit a faire des commiftions dans un hotel garni. Enfin, il a occafion de porterdes lettres chez une femme; elle apprend, par la fuite, qu'il a été au fervice du maréchal de Richelieu, & elle s'emprefle de lui demander s'il ne fait pas quelqu'aventure de fon ancien maitre. Cet homme, tout occupé de la fienne, raconte fon hiftoire k cette dame qui en eft indignée. Elle étoit fenfible; elle prit intérêt a ce malheureux; & quand Paffaire de madame de St. Vincent éclata, elle voulut que Colin fit un procés au maréchal, pour lui demander des dommages & intéréts. Cet  2 3 8 Vie privêt homme n'ofe pas encore : la femme le raffure, lui dit qu'elle a un procureur excellent pour fuivre une affaire; qu'il ne doit s'inquiéter de rien; qu'elle fera toutes les dépenfes , & qu'elle veut que le vieux maréchal foit connu pour ce qu'il eft. Richelieu eft afïigné. Son homme d'affaire porte une boïte d'or au procureur, pour 1'engager a ne pas pourfuivre : mais celui-ci, guidé par cette femme généreufe que 1'indignation rend intraitable, dit qu'il n'en eft pas le maitre. Enfin , le maréchal, qui craignoit d'être timpanifé par le public , dont il étoit déja la fable, offre de faire trois eens livres de rente viagère a Colin, qui, pour ne pas courir les rifques d'un procés, les accepta promptement, & promit de fe taire. Ce malheureux n'en a pas joui deux ans. Cependant, au milieu de cette multitude d'incidens, le maréchal étoit tranquille : il voyoit fon procés en bon train; certain de fon innocence, & de la faveur qu'il doit trouver parmi les membres du nouveau parlement, il attendoit fon jugement, fans qu'aucune inquiétude put troubler fes plaifirs. Son fits, qui paroiffoit alors être plus d'accord avec lui, voulut célébrer ce raccom modement, en donnant, k fon père une petite fête k ce Gennevilliers , dont nous avons déja parlé , qu'il avoit acheté du duc de Choifeul, lors de fa difgrace. Le goüt du père & du fils étoit a-peu-près le même; il leur falloit des beautés faciles pour animer la gaieté d'un repas. Mademoifelle Raucourt & Virginie , de 1'opéra , furent choifies pour être les déeffes de ce feftin. Le maréchal,  du Maréchal dc Richelieu. 2,39 qui avoit 78 ans, fut jeune ce jour-la. comme on 1'eft a 25 : il danfa, joua a mille jeux avec ces divinités ; & , comme on avoit travaillé k ce pavillon, qu'il avoit jadis fait faire pour avoir une glacière, il voulut en aller admirer les ernbelliffemens tête-a-tête avec mademoifelle Raucourt. Ce n'étoit plus cette vertu févère, que le père conduifoit avec des piftolets dans fes poches: rien n'étoit devenu li humain. Ce pavillon elf affez élevé; le maréchal y vole; 1'actrice a beaucoup de peine k le fuivre. Ils reftent enfemble plus d'une demi-heure en contemplation , & mademoifelle Raucourt avoue k fon retour que ce qu'elle a vu de plus étonnant, c'eft le maréchal. Glorieux de cette affertion d'une femme qui devoit fe connoitre en mérite, Richelieu redouble de gaieté , & veut abfolument que mademoifelle Virginie vienne avec lui faire la même promenade. Ce ne fut qu'après de longues repréïëntations, qu'il remit ce pélerinage k un autre jour. On prétend que le duc de Fronfac , tout en paroiffant rire des folies de fon père , réfléchiffoit en lui-même, qu'avec un homme aufli verd, i'héritage étoit encore loin. A ces momens de diffipation fuccédèrent bientöt de nouvelles humiliations pour le maréchal. M. Bertin lui dit, de la part du roi, de ne plus aller dans fon gouvernement, que le maréchal de Mouchy n'y foit; celui-ci avoit été nommé au commandement dont Richelieu jouiffoit depuis long-tems : auffi-töt le maréchal écrivit aii roi mais fon épitre n'eut aucun fuccès.  240 Vie privie II crut au moins qu'il feroit plus heureux pour fon procés ; il étoit fur le point d'être jugé, quand il apprit que le roi rétablilfoit les pariemens fupprimé. D'abord il fe déchaina contre M. de Maurepas qu'il regardoit comme Fauteur de cette opération ; il prétendit que ce n'étoit que 1'envie de fe faire des créatures, qui avoit pu 1'engager k déterminer le roi a faire une démarche aufli inconfidérée, qui tourneroit également a fon défavantage bc a celui de la nation. II fallut cependant foufcrire a la néceflité ; Richelieu, malgré fon antipathie contre le parlement , va faire des vifites a fes nouveaux juges. Prefque tous les jours, il monte en voiture a fix heures du matin, pour aller les folliciter, II parvient a être accueilli favorablement de plufieurs, & il eft obligé de fermer 1'oreille aux duretés qu'il recoit chez les autres. Un jour, un confeiller lui dit nettement qu'il jugera contre lui ; qu'on ne doit avoir aucun égard pour un homme qui a porté le fer & la flamme dans le fancfuaire des loix. Richelieu lui répond tranquillement : » Vous parlez ainfi dans » ce moment, Monfieur ; mais vous êtes trop » jufte pour ne pas agir d'une autre manière, » quand vous ferez au palais ". Perfonne n'ignore tous les débats du parlement dans cette affaire, bc fon animolité perfonnelle contre le maréchal; elle fut au point que dans une féance, le feu prince de Conti , qui n'aimoit pas Richelieu, fut obligé de dire : » Meflieurs, nous ne fommes pas affemblés ici » pour chercher des torts a M. de Richelieu , » mais pour juger fi les billets de madame de  dit Maréchal de Richelieu. 241 » St. Vincent lont vrais öu faux ; & je déclare » que je dénonce tous ceux qui s'écarteront de » ce feul point de 1'affaire . t Nous ne citons ces faits que pour mettre en evidence que le maréchal n'a point été traité avec mdulgence par le parlement, qu'au contraire cette compagnie a mis de la févérité dans tous les points ou elle a pu 1'attaquer. Les billets , évidemment faux \ furent déclarés tels; & madame de St. Vincent fut condamnée k rembourfer ceux qui avoient été négociés. Elle n'obtint aucuns dommages & intéréts, quoique mife en prifon par le crédit du maréchal; elle fut même condamnée aux dépens : ce qui prouve bien que le parlement vit en elle 1'auteur des faux billets. L'arrêt enjoint k Vedel & k Bene* vent, d'être plus circonfpefts a 1'avenir, & cón* damne le maréchal aux dépens envers eux t efpèce de contradicfion. Én voici une bien plus grande : il enjoint également au fieur Cauron convaincu d'avoir fait la fauffe acceptation, Peixotto , d'être plus circonfpect a 1'avenir, de ne plus altér er des billets par de fauffes fignatüres, & con* damne le maréchal en dommages & intéréts , & aux dépens envers cet ancien fous-fecretaire! S'd étoit coupable , pourquoi lui accorder ces dommages-intérêts? C'étoit récompenfer un homme pour avoir commis un faux. t Les autres aCcufés furent déchargés d'accufa» tion ; le maréchal également condamné envers eux en des dommages & intéréts, &c aux dépens, Rien n'étoit plus jufte; il les avoit fait emprifonner la plupart > fans avoir pu juftifier qu'ils fuffent complices de madame de St. Vincent, Tome II, r>  241 Vi& Pr'lv^e II fut permis d'imprimer 50 exempiaires de Parrêt, dont 10 pouvoient être affiches; le tout aux fiaix du maréchal. On voit qu'il ne gagna que ce qu'il ne pouvoit pas perdre. II eft vrai que les billets étant déclarés faux , ce fut 1'effentiel pour lui : mais ïl perdit autant que s'il eut payé les cent mille écus. Les fraix que lui occafionna la recherche des témoins qu'il fallut faire venir de très-loin, furent excéffifs ; les dommages & intéréts ne furent point. épargnés ; la mafte des dépens monta ifès-haut : de facon que ft madame de St. Vincent, dans le commencement, eut voulu lui promettre de ne pas recommencer, il auroit encore mieux fait d'acquitter les billets de cette fauflaire, puifqu'il fe feroit épargné trois ans de peines & d'inquiétudes , & qu'il n'auroit point amufé fi longtems 4é public, qui, en général, n'étoit pas préVenu en fa faveur. .«RVyxii** -I!Oi': . ;•: • l.irilU- t>: fhb ' Ü  du Maréchal de Richelieu. 2.43 CHAPITRE XIX. Richelieu pafvient d fe faire des amis d la cour * il ejl moins mal vu du roi, & borne fon ambition d régir la comédie Italienne ; détails de fes plaifirs. II revoit Voltaire d Paris. II fe marie pour la troifihne fois, & épouj'e madame de Rhote; événement qui déterminé ce mariage. L E maréchal de Richelieu, voyant qu'il n'eft plus fait pour une cour nouvelle, n'a cependant point affez de courage pour prendre la réfolution de n'y plus reparoitre. II a 1'expérience qu'on réufiit fouvent par importunité, & il efpère eh bravant les défagrémens, parvenir a les faire ceffer. Tout perfuadé qu'il eft d'être mal dans Pelprit du roi, il va faire fa cour , fans prendre garde k Paccueil qu'il regoit. II fe rend chez les miniftres ; il leur témoigne tant d'attachemens , tant d'égards , il eft fi féduifant avec eux, qu'il eft admis peu k peu dans leur intiraité. M. de Maurepas lui-même, ceffe d'envifager un ennemi dans un vieillard encore aimable , qui cherche a le prévenir fur tout; la reine le regarde d'un ceil moins févère, & le roi s'accoutume par degrés a le voir approcher de fa perfonne. Le maréchal fatisfait de ces premiers fuccès, fe livre avec plus de plaifir k des détails de comédie, qui de tout tems 1'amufèrent beaucoup. Privé d'aller dans fon gouvernement, & d'avoir part k des intrieues de cour qui lui deviennent  244 Vie privéi prefque étrangères, il n'a plus d'autre occupation que la comédie Italienne. II faut qu'il commande quelque part, & il devient defpote chez les comédiens. Sa correfpondance politique avec fa fille madame d'Egmont, étoit ceffée en 1773 par la mort de cette charmante femme, qui réuniffoit les qualités aimables de fon père, fans en avoir les vices, & qui emporta dans la tombe tous les regrets de ceux qui la connoifToient. Madame de Mauconfeil, malgré fon goüt pour 1'intrigue, ne pouvoit rien a. la cour ; elle étoit réduite, ainfi que fon vieil amant, k cabaler k la comédie, faute de mieux , & aucun des deux ne perdit fon tems. Le maréchal, par le gain de fon procés, trouvoit plus de momens a donner k fes plaifirs. II n'étoit plus affecfé des chanfons ordurières & diffamantes , qui avoient été répandues contre lui ; chanfons dans lefquelles il étoit trainé dans la boue de toutes les manières. Mais fi d'un cöté il avoit été traité avec tant de rigueur, de 1'autre il avoit la confolation de voir qu'en Angleteire même, on lui rendoit plus de juftice. Ses amis, pour effacer jufqu'a la tracé d'un affaire ft defagréable, s'étoient empreffés de lui procurer un extrait du monologue de milord Catesbi, dans le drame du Juicide abjuré, oü il étoit queftion de lui. Le maréchal qui avoit coutume de prendre toujours le cöté favorable de tous les objets, ne vit plus que les éloges qu'il méritoit réellement, & oublia bien vite les injures bc les fatyres. Quand par hafard elles frappoient encore fes oreilles , un regard jetté fur ce monologue, qu'on ne fera  du Maréchal de Richelieu. 145 peut-être pas faché de fe rappeller, lui rendoit fon entière férérité. En voici 1'extrait : » La juftice n'eft qu'un vain nom ; l'homme 1'a fans ceffe dans la bouche , jamais dans le cceur. Notre Bing fut puni pour avoir caufé la honte de fa nation ; mais Sabran qui fit la gloire de la fienne, fut-il récompenfe? En vain, un grand prince deftiné au tröne, lui dit : Kous porte^ un beau nom, mals vos acllons font encore plus belles. Allié au fang royal, fes fervices n'en font pas moins oubliés. Réduit dans fa pauvreté k s'arracher des bras d'une époufe chérie, nouveau Bélifaire, il va, k la honte du fiècle, chercher aux pieds des Pyrenées une fubfiftance, que d'indignes miniftres ont la barbarie de lui refufer. Pourquoi une ingratitude ft atroce fous un roi bien-aimér Hélas ! ils ne peuvent pas tout voir; leur fort fut toujours d'être trompés , bien plus encore que les autres hommes ". » Ferdinand en fut un exemple bien frappant. Quand on vit k fa cour celui qui découvrit 1'Amérique, & qui le fit roi d'un nouvel hémifphère, pour prix d'un ft rare fervice, traité comme un criminel, chargé de fers , vicfime de 1'intrigue des courtifans, toujours jaloux du mérite qu'ils n'ont pas, Sc des éloges, des honneurs que regoivent ceux qui favent fe rendre utiles a 1'état » O Colomb ! illuftre perfécuté, créateur d'un nouveau monde , ta ftatue érigée a Gênes fera un monument durable qui reprochera aux fouverains leur injuftice. Mais fe corrigeront-ils ? Et le héros k qui, comme k toi, Gênes érigea une ftatue pour 1'avoir fauvée, qui prit fur nous Mahon , &c. bc qui dans cette journée fanglante de  246 Vu pr'ivtt Fontenoi, décida enfin la vittoire en faveur de Louis, toujours fidéle a fon maitre, dont il foutint 1'autorité contre un parti puiffant, livré aujourd'hui au relfentiment de ce même parti, facrifié a. une Meffaline chargée de crimes Sc d'infamie, faulfaire reconnue qu'on laiffe impunie, n'éprouve-t-il pas la même injufiice? Sc fi elle fe perpétue ainfi fous le meilleur des fouverains, comment fe flatter qu'elle cefle jamais a la cour des rois ? " C'étoit la le talifman qui, en rappellant au maréchal ce qu'il avoit été, 1'empêchoit d'imaginer qu'il eut pu perdre quelque chofe dans 1'efprit de fes concitoyens. II croyoit avoir affez fait pour que le fouvenir de fa gloire put impofer même a fes ennemis , Sc il vivoit tranquille au milieu des beautés peu févères qui venoient amufer fa vieilleffe. Il étoit perfuadé qu'il ne devoit compte de fes goüts qu'a lui-même, Sc qu'on n'avoit aucun droit de lui faire un crime de fa vie privée. Ses facultés fembloient toujours les mêmes, & les divinités qui, k 1'afpecT du vieillard, prétendoient rajeunir ce nouvel Efon , étoient toutes étonnées de voir qu'il n'avoit pas befoin du fecours de leurs charmes. Toutes les débutantes étoient inftruites du facrifice qu'il exigcoit. Les actrices recues, ignoroient encore moins qu'elles devoient payer 1'augmentation qu'elles demandoient; de fagon que le maréchal n'étoit occupé prefque tous les matins , qu'a1 donner Sc k recevoir. ■ Quoique madame Rouffe fut fa maitreffe en titre , cela ne 1'empêchoit pas de lui adjoindre  du Maréchal de Richelieu. 247 une foule de femmes de toute efpèce, Quelquefois les foirs, quand il fe trouvoit dans 1'inaction , il ötoit toutes fes marqués diftinctives , mettoit une redingotte commune, fortoit a pied par fon pavillon du boulevard, & alloit rendre vifite a ces beautés ambulantes, dont la rencontre eft fi fréquente dans Paris. D'autre fois même , il en faifoit venir chez lui, & fes laquais étoient furpris de voir fortir de chez monfeigneur , des femmes qui, la veille , ne leur avoient pas parues dignes de leur attention. Un foir , après une de ces promenades nocf urnes, fon valet-dechambre de garde, lui vit mettre fon épée fous fa redingotte , '& reprendre le même chemin du boulevard. Comme il étoit dangereux de le queftionner ou de le fuivre , il attendit fon retour avec inquiétude. Probablement il avoit eu quelque querellc: mais on n'a jamais fu comment elle s'étoit terminée; car il revint tranquillement, fans laiffer aucun indice de ce qui s'étoit paffé. Ces traits d'étourderie ne doivent pas furprendre clans le maréchal : il a dit vingt fois, pendant le cours de fon procés avec madame de SaintVincent , quand la familie de cette dernière fit répandre des mémoires fi affreux contre lui, qu'il aimeroit cent fois mieux que la provengale choifit un champion dans fa familie, pour terminer avee lui leur différend en champ clos, & quoiqu'il eut 78 ans, il étoit affez confiant & affez brave pour fe battre contre un jeune homme. Malgré fon gout pour le changement, goüt qui ne faifoit qu'augmenter avec 1'age, mademoifelle Colombe 1'ainée parut être la femme qu'il diftingua davantage. II fit/ faire fon portrait, & quand Q iv  2-4^ Vu privie cette afltricé manquoit au public ou k fes camarades (ce qui n'étoit pas rare), il répondoit aux plaintes qu'on venoit hu faire : Que voule^-vous que je lui difie? elle ejl fi belle! II avoit le journal fcandaleux de tout ce qui arrivoit aux actrices, & il s'amufoit beaucoup des tours qu'elles jouoient k leurs amans. Quand il apprenoit quequel quesuns avoient été rangonnés, il difoit affez plaifamment qu'il falloit bien que le prêtre vécüt de 1'autel. Au milieu de ces tumultueufes occupations, il s'avifa de vouloir donner k fa maifon un exemple de piété & de religion. Son ancien bibliothécaire , nommé Boquemare , homme d'efprit, & qui depuis plus de 60 ans étoit attaché au maréchal , courbé fous le poids des années, qui ne quittoit plus la chambre depuis long - tems , venoit d'être brülé par la faute des domeftiques. II parut en danger dés le jour même, & on crut qu'il falloit le réconcilier avec 1'églife, du fein de Jaquelle il s'étoit écarté depuis bien des années. Un capucin eft mandé : mais Boquemare , tout en jurant de fon mieux , a caufe des douleurs qu'il épröuvoit, trouva encore affez de forces pour perfiffler le moine, & 1'engager k retourner dans fon couvent oh il figurera mieux que dans fa chambre, On va prier le curé de Saint-Roch de venir au fecours d'un pécheur impénitent; mais toute fon éloquence ne put convertir Boquemare, Sc il alla rendre compte au maréchal de fa miffion : celuici lui dit alors que cette gloire lui eft réfervée, & qu'il eft bien certain que fon exhortation ne fera point auffi infruaueufe. Plein de confiance, il va chez fon bibliothécaire , & en montant  du Maréchal de Richelieu. 3.49 78 marches, il réfléchit qu'il manque k fa gloire de faire une converfion. » Qu'eft-ce donc, mon ami, mon ancien camarade , dit le maréchal, -en prenant la main du malade? On m'a rapporté que vous ne vouliez pas vous réconcilier avec Dieu. Allons! je fuis certain que, pour 1'amour de moi, vous allez vous confefter de vos frédaines , qui, ainfi que les miennes , font en bon nombre. Vous n'êtes pas dangereufement malade; mais cette petite formalité-la, fi elle ne guérit pas le mal, ne 1'augmente point. D'ailleurs vous n'ignorez pas qu'il taut donner un bon exemple dans une maifon ; & que, fi on eft maitre de croire ce qu'on veut, on ne 1'eft pas de fcandalifer tout le monde. Nous ne favons pas ce qui en eft la-haut; & il n'en coüte pas plus de faire ce qu'on demande. Le capucin eft la , je vais vous 1'amener ; ce fera Paffaire d'un moment ". » Monfieur le maréchal , reprit le mourant, il faut qu'un homme paroiffe , jufqu'au dernier moment, ce qu'il a toujours été. Je n'aime pas la confeftion, & encore moins ceux qui confeffent. Si vous étiez a ma place, & que j'allaffe vous tourmenter, vous m'enverriez plus que promener. Je fuis dans un moment oü je puis avoir la même franchife, en vous priant de me laiffer tranquille. Quand vous en ferez-la, vous verrez qu'il eft cruel d'être contrarie, & de ne pas mourir k fa fantaifie ". >> Mais, mon ami, 1'éternité eft fi longue! Dieu qui eft ft bon !.., » II ne m'aime point, ajoute JBoquemare; je ne lui ai jamais demande qu'une fainte apoplexie, & il me la refufe "!  2 5 O. Vic prtvce- Le maréchal eroit qu'il eft de fon honneur de Ie faire changer de fentimens; il le prêche de nouveau , lui parle avec toute l'ondtion d'un faint directeur ; &C les fpectateurs convinrent qu'il ne lui manquoit que le bonnet quarré & la foutane. Mais Boquemare récalcitrant, qui avoit trouvé fouvent que fon maitre étoit un peu comédien, ne put s'empêcher de lui ripofter qu'il 1'étoit beaucoup dans cette occafion. Le maréchal fut obligé de le quitter, ck de le laiffer mourir a fa manière. II trouve, en fortant, le capucin, a qui il dit: » II n'eft pas encore bien décidé; mais cela viendra peut-être. En tout cas, fi cela ne vient point, il faut fermer les yeux la - deffus. C'eft un bon homme qui n'a plus la tête a lui : & puis vous favez qu'il ne faut qu'un moment pour que la grace agiffe. Une contrition , in articulo mortis, vous fauve un homme : il 1'aura peut-être ; je 1'ai bien difpofé, ck c'eft prefque la même chofe que ce que vous auriez fait". Boquemare recut le capucin, ck raounit en plaifantant avec lui. Une autre fcène attendoit le maréchal en defcendant. II rencontre chez lui une débutante des Frangois, qui venoit faire fa cour au fupérieur. Elle avoit du talent; mais elle parloit un peu diffïcilement ck étoit petite; ce qui fit dire au maréchal qu'elle avoit la langue trop longue & les jambes trop courtes. Malgré ces défauts, le public paroiffoit trés-content d'elle. M. de Richelieu, en lui faifant fon compliment, trouva quelque chofe a redire fur fa manière de déclamer; elle étoit fimple, ck monfeigneur aimoit un peu 1'emphafe. II 1'aflüra que le bon goüt de la tragédie étoit perdu; que mademoifelle Lecouvreur ne jouoit  du Markhal de Richelieu. 15 f pas comme les actrices d'aujourd'hui; qu'il falloit faire fentir chaque vers; & il prétend qu'il veut k 1'inftant même lui donner une legon. II fe mit alors k déclamer le röle d'Emilie dans la tragédie de Cinna. Le maréchal avoit la voix haute & dans la tête, de fagon qu'en déclamant, cette voix produifoit des fons aigus & difcordans; il s'animoit pour donner de la chaleur; il multiplioit de grands gefles, qu'il accompagnoit, pour produire Te jeu muet de la fcène, de grimaces & de contorfions plus rifibles encore. II eft cependant enchanté de lui, dit k 1'aftrice de bien 1'obferver; que c'eft la fagon de réciter des vers des Baron, des Dufrêne, des Lecouvreur, des Champmelé; que c'eft la du talent. La malheureufe débutante étoit fur les épines; elle fuffoquoit de rire, Sc fe mordoit les lèvres, pour réftfter a la tentation. Heureufement la lecon fe termine, & M. de Richelieu croit qu'il lui eft dü un doublé falaire , comme premier gentilhomme de la chambre, Sc comme maitre de déclamation, II ne manque pas d'aller k la comédie le premier jour que cette aftrice eft annoncée; il monte k fa loge après la repréfentation, 1'affure qu'elle a fait de grands progrès, qu'elle a parfaitement profité de fes confeils, Sc qu'il eft bien faché de n'avoir pas le tems de lui en donner plus fouvent. C'eft de 1'aftrice elle-même que nous tenons cette anecdote. Si les rides fe multiplioient fur le vifage du maréchal, il ne perdoit point en vieilliffant de fon amabilité envers les femmes ; il n'en approchoit aucune qui ne fut enchantée de fon air galant, Sc de fes rcparties agréables.  ijt Vie privie La femme d'un confeiller du parlement de Rouen vint voir Paris; &r de toutes les curiofités qu'elle croyoit admirer, la vue du maréchal de Richelieu, dont elle avoit tant entendu parler , étoit ce qui la tentoit le plus. II ne fut pas difficile de lui faire voir au fpectacle cet homme célèbre. » Quoi, dit-elle! c'eft cette poupée, cette mine ridée, qui a tant fait parler 6c courir les femmes ! Mon Dieu, comme de loin on groftit les objets J Voila déja un de mes delirs bien vite éteint ! Cependant, fi le héros lui a fait une impreflïon fi défavorable, on lui alfure que fon hotel, qui renferme mille chofes précieufes fixera plus agréablement fes regards; le jour eft pris, 8c une perfonne qui connoiffoit un fecretaire fe charge de 1'y conduire avec une amie. On les mène dans les appartemens du haut, dont la magnificence les étonne. Defcendues enfuite dans celui du maréchal, qui venoit de fortir, elles admirent a leur aife les beautés qu'il contient : mais en entrant dans un grand cabinet, prés de la bibliothèque , le premier objet qui fe préfente a elles, c'eft le maréchal lui-même, qui étoit rentré par une porte dérobée, fans qu'on s'en fut appercu. Les dames fe retirent; le maréchal les fuit, en leur difant: » Je vois, mefdames, que vous êtes ici guidées feulement par la curiofité de voir mes appartemens; je defirerois qu'un autre motif vous y conduif it; je vous gêne: je me retire; je n'ai jamais fu mettre obftacle aux defirs de la beauté. Soyez libres chez moi ; examinez tout; je ne fuis plus rien, 8c me fauve ". En même - tems, il ouvre une porte du  du Maréchal de Richelieu. 1^3 jardin , 6c difparoit avec la célérité d'un jeune homme. » En vérité! il eft encore charmant, s'écrie Pétrangère! je vois bien qu'il a dü faire totirner bien des têtes; quand il parle, on ne s'apperooit pas qu'il eft vieux ". Une autre fois , il rend une vifite a une marquife , chez qui il n'avoit point encore été. Son coureur fe trompe, 6c 1'annonce chez une autre femme, dont 1'appartement étoit vis-a-vis celui de la marquife. En entrant, le maréchal voit qu'on s'eft mépris; il falue la femme avec grace, en lui difant:» Pardon, madame, de 1'étourderie de mes gens ! j'allois voir une jolie femme , 6c je ne fuis trompé que par le nom; recevez mes excufes de ma brufque vifite, 6c en même-tems croyez que je n'oublierai jamais de ma vie , que je dois des remerciemens au hafard de m'avoir procuré une vue auffi agréable ". II fort, en difant ces mots, & laiffé cette femme toute furprife de trouver un vieillard auffi galant. Elle déteftoit M. de Richelieu a caufe de fon procés; & nous fommes témoins que, depuis ce moment, elle changea de fagon de penfer. Si M. de Richelieu étoit toujours 1'adorateur des femmes, il n'en étoit fouvent pas moins ingrat envers elles. II avoit fans doute contribué k 1'avancement de madame du Barry; mais en mêmetems il avoit tiré parti de fon crédit, pour faire réuffir ce qu'il defiroit. II lui devoit encore plus de reconnoiflance , qu'elle n'avoit de remerciemens k lui faire, puifqu'il n'étoit pas la première caufe de fa fortune; & cependant, quoiqu'ii fe fut affiché pour fon chevalier , il 1'oublia dès  3^54 V'ü privée qu'elle -fut au couvent, & lui fit k peine quelques vifites a fon retour k Luciennes. Si ce n'étoit pas 1'envie de plaire a la nouvelle cour qui 1'éloignoit de cette divinité, auxpieds de laquelle il avoit brülé tant d'encens, il en faudroit conclure, qu'efclave des circonftances, il croyoit ne devoir aucun égard a ceux qui ne pouvoient plus lui être utiles. L'arrivée de Voltaire vint lui procurer de nouveaux plaifirs. Depuis long-tems , ce patriarche de notre littérature n'avoit vu la fcène francoife, fur laquelle fes ouvrages avoient été fi fouvent applaudis. On jouoit alors une de fes dernières tragédies; Irène, oü l'on appercevoit encore des étincelles de génie, captivoit les fuffrages; & l'on crut qu'un vieillard prés de fa tombe, malgré les décrets lancés contre lui, pouvoit, fans crainte, venir au milieu de fes adorateurs, & être le témoin de fes derniers fuccès. Le maréchal s'empreffe d'aller voir fon ancien ami. Ils parient de leurs erreurs, de leurs folies; & tous deux rajeunilfent un inftant par le fouvenir. Bientöt on prépare au poëte ce beau moment oü il fut couronné fur le théatre de la nation. Ce ne fut point la faveur, mais 1'ivreffe publique qui lui décerna la palme. Le fouverain le plus chéri , le plus digne de 1'être, n'auroit pu recevoir des hommages plus purs & plus multipliés. Richelieu, qui partageoit le triomphe de fon vieil ami, va lui témoigner tout le plaifir qu'il reffent de 1'accueil que le public vient de lui faire ; il croit que la tête de Voltaire eft aufli exaltée que la fienne; & il eft étonné de le voir chercher lui - même a éteindre la joie qu'il doit  du Maréchal dt Richelieu* 2,5 c, éptouver. Tous deux crioient plutót qu'ils ne parloient. Nous allons rapporter leur converfation qui eft bien propre k faire connoitre 1'ame de Voltaire. » Hé bien! mon cher Voltaire, dit le maréchal , vous devez être bien fatisfait! — Ils m'ont tué avec leurs couronnes; j'en ai un peu plus que les autres, Sc voila tout! — Mais , mon ami, ce tranfport univerfel, cette ivreffe générale, tout cela a dü vous faire un bien grand plaifir! — Monfieur le Maréchal, c'eft le triomphe d'Arlequin , en comparaifon des vötres. — Que dites-vous ? Si j'ai un petit coin dans Phiftoire, vóus y aurez la première place. — Elle ne fera donc pas faite par ce Clément Sc tous les barbouilleurs de fa claffe. •— Mon cher Voltaire , il n'y a point de Clément qui tienne! Ce jour-ci doit vous faire voir combien vous êtes aimé, combien on rend juftice k vos talens. Avez-vous vu ce concours de peuple qui fuivoit votre voiture ? cet enthoufiafme qui partoit du cceur, Sc qui n'étoit pas factice ? Ce n'étoit point 1'envie feulement d'applaudir, qui nous faifoit battre des mains : c'étoit un befoin impérieux qui nous commandcrit k votre afpetf ; c'étoit le grand-homme qui nous arrachoit une preuve démonftrative d'admiration, Jouiffez, mon ami, de ce beau moment; il fait votre éloge cV celui des Parifiens. — Je fais apprécier tout cela, M. le maréchal; n'en ont-ils pas fait autant pour ce malheureux fiège de Calais"? On voit k quel point cet homme-vraiment extraordinaire, qui a laiffé ft loin derrière lui tous ceux qui ont voulu fuivre la même carrière, qui a porté par-tout le flambeau de la philofo-  Ijé yit privêe phie, qui a fu amufer en inftruifant, enfin, qui a réufïi dans prefque tous les genres, avoit le malheur d'empoifonner tous les inftans de jouiffance que fes triomphes devoient lui procurer. Le maréchal paftoit peu de jours fans voir fon ami; ils avoient tant de chofes a fe dire, que leur converfation étoit toujours intéreffante. Voltaire laifToit fans ceffe paroitre le regret qu'il avoit de n'être pas demandé a la cour, oii il y croyoit aufli mériter quelqu'accueil; il avoit peine auffi a fe confoler de la mort de Lekain, qui avoit été mis en terre, le jour de fon arrivée. La tragédie ejl morte avec lui, difoit-il; il ne faut plus en faire. Tout le monde fait que cet homme célèbre ne jouit pas long-tems de fa gloire; & que M. de Richelieu crut le rappeller a la vie , en lui envoyant de fon opium préparé. Le remède fut infructueux; mais le public crut, comme nous 1'avons déja dit, quil avoit précipité la fin des jours de Voltaire. Le maréchal fut auffi fenfible k fa perte, qu'un homme qui tient k peu de chofe, peut 1'êrre. Ce qui le révolta le plus, ce fi.it le refus que fit le curé de Saint-Sulpice, de rendre les derniers honneurs k fon ami. » C'eft un cagot, dit-il , qui agit comme un homme qui ne fait pas fon métier. Au-lieu de crier au fcandale, & de confirmer par la mort même de Voltaire, que celui - ci a cru avoir raifon en écrivant auffi légérement contre la religion, il devoit, au contraire, s'enfermer avec lui, ne dut-il parler que de la pucelle! & publier enfuite que le poëte montroit la plus grande réfignation; qu'il mouroit répentant, &c comme un  du Maréchal de R'tchelleiU éff «n faint. Les gens d'efprit n'en auroient pas été ïa dupe; mais les imbéciles (&r le nombre en eft grand,) n'auroient pas manqué de crier au miracle, & de regarder le curé comme un grandhomme , d'avoir fait une fi belle converfion» Au contraire, defirant venger, non la religion , mais les gens a foutane, peints d'après nature par Voltaire , il a voulu continuer fa plate comédie, en refufant la fépulture a fon corps; il a cru punir Un cadavre. La fequelle noire a triomphé. Pauvres gens ! Le coup n'en eft pas moins porté. C'eft un enfant qui veut battre un marbre contre lequel il s'eft caffé la tête" M. de Richelieu déclama quelque tems contre cet événement; mais difiïpé par le plaifir, il oublia bientöt fon ami & le curé. II apprend qu'a Bordeaux on a tiré le canon pour Pintendant. Sévère obfervateur de 1'étiquette, ne pouvant plus aller réprimer lui-même Cet abus, il en porte fes plaintes au maréchal de Mouchy, qui lui répönd, qu'il trouve la canonnade auffi extravagante que lui; que fi elle étoif du chateau Trompette, il laveroit la tête a M. de Fumel; mais qu'elle eft partie des vaiffeaux , oit chaque particulier eft le maitre de faire canonnef une femme-de-chambre. >> Votre protégé Louis ? ajoute-t-il, a voulu faire fa cour, pour avoir de 1'argent pour le batiment de la comédie » & a pétardé en conféquence monfeigneur 1'intendant K Depuis long-tems, on prioit le maréchal de dief er quelques détails fur la vie, &c de permettre qu'on les rédigeat fous fes yeux ; plufieurs perfonnes s'offroient de tenir la plume : mais c'étoit toujours de nouvelles difficultés de fa part» 11 Tornt II, R  258 Vie privk a confié des matériaux a plufieurs particuliers qui en ont fait peu d'ufage; toutes les recherches faites dans fes papiers ont eu très-peu de fuite, paree que le maréchal n'en mettoit a rien. A dire la vérité, fes papiers furent difperfés, & ce fut a qui en réuniroit le plus; mais nous aflitrons le public que nous fommes feuls pofTeffeurs des manufcrits connus du maréchal. II avoit dit auffi a l'abbé de Voifenon , qu'il appelloit, d'après Voltaire, Yèvêque de Montrouge : » Un jour je me confefferai a vous, & je vous permets de révéler ma confeffion. Vous 1'écrirez, mon petit abbé; & mes péchés, embellis du charme de votre ftyle , deviendront agréable au public ". L'abbé accepta cet emploi avec plaifir, fe rendit plufieurs fois chez M. de Richelieu qui , toujours occupé de mille chofes différentes , négligea de tenir fa promeffe. Cependant, au milieu de fes plaifirs, il fe trouvoit quelquefois ifolé; il avoit fouvent parlé de fe marier, 5c il avoit été queftion de la préfidente Portail; enfuite il voulut choifir une jeune princefTe d'Allemagne : mais tous fes projets s'évanouiflbient bientót. Ce qu'il trouvoit de plus piquant dans ce dernier hymen, étoit de contracTer trois mariages fous trois règnes différens; car il tenoit toujours aux chofes fingulières. Une indifpofition très-grave le détermina enfin a choifir une compagne pour veiller k la confervation de fes jours. Une indigeftion le mit k toute extrêmité. On crut qu'il touchoit k fon dernier moment. Un homme monte a cheval, & court avertir fon fils qui chaflbit dans la plaine de Gennevilliers ; fes amis le regardent déja comme un nouvel héritier, & le duc vole recueillir les der-  du Markhal de Rkhelku. 155 miers foupirs de fon père, II le trouve fans connoiflance, pale, défiguré, les traits renverfés ; il 1'appelle en vain; le maréchal ne tient prefque plus k la vie. Le fils ne peut foutenir ce fpectacle déchirant, & va chez fon beau-frère , le comte d'Egmont, attendre que foi; père foit mort. Quoique frappé du coup qui le menace , il ne peut s'empêcher de réfléchir fur le bien immenfe qui 1'attend; 6c malgré lui, ces idéés de fortune diminuent un peu 1'accablement ou il eft plongé* II attend de moment en moment la fatale nouvelle : mais le ciel qui a pitié de fa douleur rend ce père tendre k la vie ; on lui annonce qu'il eft beaucoup mieux ; il va le voir; & le premier mot que lui dit le maréchal, c'eft : Je ne fuis pas encore mort; vous nhéritere^ pas cette fois-ck Quand M. de Richelieu reprit connoifiance , on lui avoit fait part de la vifite du duc de Fronfac ; & comme parmi ce qui 1'entouroit, il y avoit des gens peu portés pour lui, ils firent entendre au père qu'il étoit arrivé avec toute 1'avidité d'un héritier; ce qui avoit indifpofé un peu Ie vieillard qui, dès le lendemain, fit des vifites dans Paris. II avoit 1'habitude d'aller chez madame de Rhote, veuve d'un. colonel Irlandois , qui demeuroit aux Tuileries. Quoiqu'elle fut logée très-haut, cela n'effrayoit pas M, de Richelieu qui avoit du plaifir k trouver 1'amitié dans ce réduit élevé. L'accident, qui venoit de lui arriver , lui avoit fait fentir plus que jamais le befoin d'une femme com plaifante, qui prodigueroit fes foins k fa vieillelfe; il vit dans cette dame, 1'être qui lui étoit néceffaire, 6c bientöt lui propofa fa main. R ij  %6o Vie ptivée Madame de Rhote n'imagina pas qu'elle dut fe fefufer au bonheur de M. de Richelieu , ni que la tranquillité que lui donnoit un état obfcur , put Pemporter fur 1'exiftence brillante qu'on lui offroit, &C fur le plaifir d'être la femme d'un pair, doyen des maréchaux de France; car M. de Richelieu venoit d'avoir le Tribunal. Le mariage fut réfo'u, & le maréchal courut aufli-töt chez fon fils pour lui en faire part. Cette nouvelle parut le furprendre : il crut que fon pere vouloit faire une plaifanterie. Mais le maréchal 1'affure qu'il a fait un choix qui fera le charme de fa vieilleffe : il lui ajoute qu'il s'efl marié a fa fantaifie , & qu'il peut bien en faire autant; que d'ailleurs il ne doit pas craindre les enfans; que s'il a un fils, il en fera un cardinal , & qu'il doit favoir que cela n'a pas fait de mal a leur familie. Le mariage fut célébré au grand contentement du maréchal &t de madame de Rhote; & le marié, agé de 84 ans, fe conduifit beaucoup mieux ce jour-la, qu'il n'avoit fait avec fa première époufe-, quoiqu'il n'en eut alors que feize.  du Maréchal de Richelieu. CHAPITRE XX ET DERNIER. Le maréchal s'occupe entlérement du trlhunal & de la comédie; 11 va faire fon année de fervice d la cour ; 11 eft pendant quelque tems le feul des pre" miers gentilshommes de la chambre , en état de faire fes fonclions ; il n'eft point fidéle d fa dernlère femme; une ancienne maitrefie le fait fon légatalre univerfel. Affaire de M. Noê, d'Arthur. Le maréchal perd la tête; on lui óte le trlbunal; il meurt. L A maifon de M. de Richelieu prit une autre face depuis fon mariage. Ce torrent de filles ceffe d'y circuler; les comédiennes feules ont le droit d'approcher de leur fupérieur , & la maréchale encore étonnée de 1'état nouveau oü elle fe trouve, devient médiatrice des graces qu'il accorde. L'opéra-comique, cet enfant adopté par la Comédie Italienne, qui, après avoir couru de foire en foire, de tréteaux en tréteaux, avoit obtenu une exiftence fixe, venoit de chaffer fa mère, pour s'affocier a une nouvelle comédie Frangoife. Tout Paris defiroit une feconde troupe, & feconda d'abord les premiers effais de celle établie fur le théatre Italien. Mais le choix des fujets fut fi mal fait, que le public toujours peu conlülté, fe dégoüta bientöt d'un genre qu'il auroit defiré voir uni k 1'opéra, s'il eüt été mieux étayé. Les comédiens, toujours certains d'être les maitres avec un fupérieur qui ne pouvoit rien refu- R iij  2Óz Vu pavee. fer k une jolie femme, firent des régiemens a leur fantaifie, que le maréchal figna, comme s'il euffent été les fiens. Les intendans des menus, plus puiffans que les premiers gentilshommes , qu'ils menoient au gré de leurs caprices, appuyèrent ces régiemens iniques qui favorifoient leurs maïtreffes Sc leurs protégées. Les auteurs feuls, quoiqu'on difpofat de leurs intéréts, ne furent point appellés, Sc ils fubirent des loix fans les connoitre. I!s repréfentèrent en vain que Ia maffe générale des gens de lettres qui travailloient pour ce théatre, le faifoit abfolument fubfilter , puifque n'ayant aucun fond, il lui falloit continuellement des pièces nouvelles; que cependant tous les auteurs enfemble, n'avoient pas pour rétribution , ce que trois ccmédiens retiroient de leur part ; qu'ils ne partageoient pas dans les petites loges dont le produit étoit de quatre eens mille livres par an, Sc qu'il étoit jufte que leur fort fut a proportion de Ia part des comédiens qu'ils faifoient vivre fplendidement , Sc dont la plupart cependant avoient des dettes. Mais leur voix fe perdit dans le défert; ils n'avoient pas de femmes pour aller en députation appuyer leurs demandes; leur arrêt étoit prononcé : il fut exécuté. Ils furent moleftés par une doublé lecture, que ce théatre feul s'arrogea le droit d'exiger, par 1'indécence dont elles fe firent, par les tracafferies des diltributions & répétitions, & enfin par la rétribution injufie qu'ils retiroient, rétribution faite fans avoir établi la recette du jour Sc la dépenfe, Sc préfentée fur un chiffon de papier par un controleur. Quand par hafard  du Maréchal de Richelieu. 2.63 un auteur plus facrifié encore que les autres parvenoit a fe faire entendre du maréchal , il lui répondoit : Que voule?-vous ? ils ne font pas riches; ils nont eu cette année-ci', que vingt-quatre mille livres de part? bc Fauteur étoit obligé de fe retirer en fouhaitant, puifqu'il le falloit, que cette part montat a cent mille livres, pour retirer luimême quelque fruit de fes travaux. D'ailleurs , tout plaignant étoit éconduit par un ancien coraédien Italien, qui avoit eu 1'adreffe d'échapper k la profcription générale, qui étoit refté comédien , fans 1'être , puifqu'il ne jouoit plus , bc qui , connoifTant fon inutilité , s'étoit rendu nécelTaire en fe mêlant de tout. Plus Italien encore que les autres, fouple, rempant dans le befoin, il avoit été confervé par pitié, bc devint defpote, quand il fe crut appuyé du fupérieur. Cet homme adroit connut le foible du maréchal; il 'alloit chaque jour lui conter 1'anecdote fcandaleufe de la comédie , ce que telle actrice avoit fait, le réfultat de PalTemblée; bc le vieillard qui aimoit toujours les aventures gaillardes, prit tant de plaifir aux récits de ce baladin, qu'il lui devint abfolument effentiel, bc qu'il lui fut aufli néceffaire tous les matins, que fon thé , dont il avoit depuis long-tems contrafté 1'habitude. Or juge bien qu'un tel agent avoit toujours raifon ; bc c'étoit devant cette refpectable idole , que tout auteur devoit s'humilier, s'il vouloit être joué (1). (1) On prétend que cet ex-comédien , s'étaat épaulé d'un homme attaché au duc de Fronfac , moyennant quelques écus, des diners Sc des billets de comédie, parvint a ;voh le même empire fur ce duc, en ufant des mêmes moyens R iv  *&4 Vie prive'e Le maréchal, malgré les grandes occupations de la comédie Italienne, ne négligeoit pas les affaires du tribunal, D'un cöté , il trouvoit du plaifir, & de 1'autre il avoit de quoi fatisfaire fon goüt pour le luxe & les objets de repréfentation. II s'occupa d'abord de fe faire rendre avec oftentation, tous les honneurs dus a fa place; il fut flatté de voir une nouvelle cour reparoïtre chez lui, & il crut encore jouir de ces momens heureux , oh tout s'empreffoit k fatisfaire fa vanité, Toujours faftueux, il tint un état confidérable, & c'eft peut-être un reproche qu'on doit faire a fa nouvelle époufe, d'avoir fouffert qu'on dépenfat plus de cent mille livres par an, feulement pour la table; & le refte étoit a proportion. II falloit plutöt faire payer des créanciers a qui il étoit du depuis long-tems; il lui auroit été facile d'acquitter pour un million de dettes en huit ans; & au-lieu d'entendre les plaintes de ces mêmêmes créanciers , elle jouiroit aauellement du bonheur de les favoir heureux & foldés. Le maréchal avoit plus de 450 mille livres de rente. qn avec fon pere. On affure de plus que monfeigneur Ie duc & pair de France puifa deux mille écus dans la bourfe de lhiftrion, qui fe vantoit en conféquence de Ie mener a fa fantaifie. Qu'attendre d'un pareil fupérieur? Nous rencontrons beaucoup de gens étonnés de voir encore des premiers gentilshommes de la chambre, des intendans des me, nus-platfrs, figurer dans une loge qu'ils ne paient pas , en quahte de miniftres des fpeftacles , eux dont 1'adminiftranon a ete ft mauvaife. On dit auffi cfu'ils donnent toujours des billets , comme fupérieurs des comédies. Cela paroit a tout le monde contradictoire avec le nouvel ordre de *>;of?s,  du Maréchal de Richelieu. 265 En abandonnant 50 mille écus pour un objet aufli facré, il reftoit un revenu affez confidérable pour vivre encore fplendidement; & les anciens ferviteurs du maréchal, n'éprouveroient pas 1'incertitude cruelle de jamais toucher les legs qui leur ont été faits. M. de Richelieu qui, par les affaires du tribunal , fe trouvoit en relation avec tous les miniftres , alloit fréquemment è Verfailles, & trouvoit même les occafions d'y être utile. Ce n'étoit plus ce courtifan prefque profcrit de la cour; il y étoit vu comme un homme extraordinaire , qui bravoit toutes les infirmités de la vieilleffe. II vint faire fon année de fervice. II partagea avec fa femme tous les avantages de fa place; il recevoit les miniftres, alloit chez eux, & put fe croire encore fous le règne du feu roi par le crédit dont il jouiffoit. Louis XVI le recevoit avec bonté, & fe reffouvenoit, quelquefois, que fi ce vieillard avoit des torts, il étoit peu de courtifans qui euffent fait autant de belles chofes que lui. Par la fuite , quand la furdité du maréchal devint plus forte , le roi eut affez d'indulgence pour ne pas lui dire de quitter une jeune cour qui n'étoit plus faite pour fon age. Quelques légères humeurs paffagères 1'en avertiffóient quelquefois; mais M, de Puchelieu qui vouloit toujours tenir a quelque chofe, ne prenoit pas garde a ces peths défagrémens. La nature même de fon fervice devoit 1'engager k y renoncer ; il faut être long-tems debout : mais le plaifir qu'il épröuvoit fans doute k être auprès du roi, 1'empêchoit de s'appercevoir de fa laflitude, ou la lui faifoit fupporter.  z66 Vit privét Cependant par fois , la fatigue devoit être longue. Un foir il préfente, felon 1'ufage, la robede-chambre au roi. Sa majefté occupée a parler chaffe, ne 1'appercóit pas, & va caufer avec un chaffeur qui étoit du cöté oppofé; le maréchal, les bras tendus, le fuit en chancelant; le roi, plein de fon fujet, revint k 1'endroit d'oü il étoit parti. Le maréchal, toujours muni de la robe-dechambre , revient fur les pas de fon maitre qui fait encore quelques tours fans le voir; & cette fcène qui, fi on ofoit la comparer k une comédie , reffemble parfaitement k celle d'Hector dans le joueur, dura quelques minutes, Sc ne fut pas fuffifante pour déterminer M. de Richelieu, k tenoncer aux honneurs de préfenter une chemife Sc un chapeau. II étoit encore gloriéux d'avoir été appellé prés du roi, paree que tous fes camarades étoient malades. Lui feul, malgré fon Sge, fe trouvoit en état de les remplacer. Son fils giffoit dans fon lit, rongé de goutte Sc d'ennui; il va le voir en même-tems, Sc trouVe fingulier qu'un jeune homme foit déja fujet aux maux de la caducité. II lui dit qu'il faut du courage, Sc que quand il a la goutte k un pied, 'il fe tient fur 1'autre; en mêmetems pour le lui prouver, il refte plus d'une minute fur une jambe. Le duc de Fronfac n'avoit point affez de fes douleurs, fans être convaincu par cette belle èxpérience, que 1'héritage n'approchoit pas. Le maréchal alloit parler comédie chez M. de Maurepas; Sc comme ce miniftre aimoit pour le moins autant donner fon attention aux chofes agréables, qu'aux affaires, il en étoit bien ac«  du Maréchal de Richelieu. z6j cueilli. En qualité de premier gentilhomme, il s'empreffoit de faire jouer les pièces qui lui convenoient , &c il obtenoit quelques graces pour prix de fes foins & de fa complaifance. II fut même queftion un jour d'arranger un foupé avec mademoifelle Contat, qui avoit fait grande fenfation k la cour dans plufieurs röles, & fur - tout dans celui des folies amoureufes ; M. de Maurepas en parut épris; & on cherchoit a terminer le roman, en lui faifant payer les dettes affez nombreufes de cette aftrice , qui ne concevoit pas qu'on put vivre avec trente mille livres de rente. Le miniftre cependant trouva les dettes trop chères, ou n'eut point affez d'amour pour les acquitter. M. le comte d'Artois s'en chargea peu de tems après. M. de Richelieu étoit gouverné dans fon intérieur par fa femme, dont il ne pouvoit pas trop reconnoïtre les foins. La gouvernante la plus minutieufe n'auroit pas pu porter plus loin les attentions : elle écartoit jufques aux mouches qui venoient tourmenter fon époux; elle prenoit des précautions pour qu'il n'eüt pas occafion de fe livrer a fon ancien goüt, k ce goüt des femmes fi fouvent fatisfait; elle craignoit, avec raifon , qu'en altérant fes forces, il n'accélérat la fin de fa carrière; & en perdant un ami, elle fentoit bien que tout 1'éclat dont il brilloit, cefferoit de rejaillir fur elle. Cependant fon vieil époux trouvoit les moyens de mettre en défaut fa vigilance craintive. Quoique la maréchale fut prefque toujours témoin des audiences qu'il donnoit aux aftrices , il favoit faifir de petits momens favorables, & elle ne put  K><5 Vit privée éviter le fort de fes deux premières femmes. II prétextoit des affaires pour fortir feul, & pour donner des rendez-vous. II avoit regu plufieurs lettres d'une femme qui demeuroit dans le carrefour de la comédie Italienne. C'étoit une jeune beauté, ni veftale, ni touta-fait fille, qui, après lui avoir écrit pour 1'avancement d'un parent qu'elle avoit dans la connétablie, lui demandoit un rendez-vous chez lui. La dernière lettre étoit agréablement tournée ; elle donna envie au maréchal d'aller voir 1'objet qui réclamoit fes bontés. II charge fon laquais de confiance, nommé Quofimo, au fait de ces fortes de détails, de porter une réponfe a cette dame, d'examiner en même - tems fi elle eft jolie ; & dans ce cas, de lui dire qu'il ira demain a midi chez elle. Le rapport eft favorable. M. de Richelieu fort a 1'heure prefcrite , en annongant une vifite au maréchal de Biron, avec lequel il étoit alors en querelle, paree que ce dernier, en qualité de colonel des gardes-frangoifes, défignoit une place diftincTive pour fa voiture a la porte de tous les fpectacles , &c n'en vouloit pas fixer une pour celle du premier gentilhomme; mais cette affaire 1'inquiète peu dans ce moment : il fe fait conduire chez la dame qui 1'attend. II voit que fon homme ne 1'a pas trompé : il trouve une jeune blonde de vingt ans, bien faite, qui réunit de beaux yeux a la bouche la mieux ornée; tout invitoit k 1'amour en la voyant, &c le maréchal, qui avoit alors plus de 86 ans, fentit qu'il rajeuniflbit prés d'elle. II lui promet d'avancer fon parent, öc 1'afliire qu'il n'a rien k  du Markhal de Richelieu. 169 refufer a une auffi charmante perfonne ; mais en même - tems il la fupplie d'avoir pitié d'un bon vieillard, qui ne peut 1'admirer fans retrouver fon printems, & qui brüle de rendre hommage k des charmes qu'il appercoit. La dame croit que M. de Richelieu eft habitué a ces expreffions hyperbcliques; elle badine avec lui : mais le maréchal infifte, & exige fervice pour fervice. PoufTée a bout, la jeune blonde s'imagine qu'elle n'a pas de grands - rifques k courir; &t moitié curiofité , moitié envie de réuffir dans fa demande , elle s'humanife pour le bon vieillard; elle fe perfuade que 1'infidélité qu'elle commet ne fera pas grande. .. Quel fut fon étonnement! La métamorphofe eft compléte ; c'eft un jeune homme qui 1'adore, qui lui en donne des preuves réitérées, & qui la laifle furprife & ravie d'un tête-a-tête auffi inattendu. Nous tenons ce fait d'une de fes amies, k qui elle a dit : » qu'a vingt ans, on n'auroit pas pu fe mieux conduire que le maréchal". II eft certain qu'il n'éprouvoit prefque aucune infirmité de la vieillefte; un peu de furdité, qui augmentoit dans certains tems, étoit le feul tort de la nature envers lui: du refte, il en étoit Fenfant gaté. II montoit encore k cheval; il n'y avoit pas trcs-long-tems qu'il faifoit des courfes confidérables poür fon age ; il alloit diner k cheval k Conflans', chez 1'archevêque de Paris, M. de Beaumont, & revenoit de même au galop. II lui étoit réfervé de faire jufqu'a la fin de fa vie des chofes extraordinaires. II étoit très-lié avec M. de Beaumont; & ce monfeigneur qui excommunioit les comédiens, qui ne vouloit pas qu'on les mariat fans qu'ils renongaflent au théa-  2.7° rU pmct tre, qui exigeoit, pour leur accorder la fépulture, qu'ils fiffent en mourant amende honorable de leur profeflion, cet homme, toujours en convulfion quand il parloit de 1'anathême prononcé contre les hiltrions, vint un jour demander a fon ami un ordre de réception pour la comédie Italienne. Le maréchal, accoutumé a tout, fut étourdi de la demande ; il croit n'avoir pas bien entendu M. 1'archevêque , & le fait répéter : mais enfin il ne peut plus douter qu'il s'intéreffe a madame la Caille, dont il vante fhonnêteté, s'il n'a pas lieu d'en pröner les talens. L'état du protefteur, fon zèle apoftolique, la fingularité de fa demande , tout engagea le maréchal a figner fur-le-champ 1'ordre de cette actrice, dont il foutint la médiocrité, par attachement pour le prélat , envers & contre le public & les comédiens. II étoit encore réfervé au maréchal d'être fait légataire univerfel d'une femme, qui fe reflbuvenoit avec plaifir de quelques momens qui lui avoient été anciennement donnés. Cette dame , nommée Gayac, qui demeuroit a Compiègne , crut probablement s'honorer en léguant a-peuprès cent mille livres , fans compter le mobilier , a un grand feigneur , qui n'avoit pas befoin de cette augmentation de fortune, & en déshéritant un neveu fans fecours, qui étoit en apprentiflage chez un ouvrier. Le maréchal n'eut d'autre embarras pour recueillir cette fucceffion, que de terminer un différend qui étoit furvenu pour 1'héritage, entre lui & fon fils. La bonne dame avoit fubfiitué une partie de fon bien en faveur du duc de  du Maréchal de Richelieu, 5.71 Fronfac; & celui-ci, qui ne demandoit pas mieux que d'hériter auffi vite que fon père , vouloit entrer en jouiffance dans leNmoment; il contefta la délivrance du legs : cette petite altercation fe termina par un compromis d'avocats. Cependant, au milieu de ces démêlés, le pauvre neveu élevoit la voix; il avoit fait un mémoire, par lequel il réclamoit un bien qui devoit légitimement lui appartenir; il peignoit fa mifère, le befoin qu'il avoit d'être fecouru, & il tendoit les bras vers les légataires qui nageoieni dans 1'opulence. Ses plaintes furent inutiles ; la lol étoit contre lui, & le cri de la juftice & de llmmanité ne fut point entendu. On prétend que plufieurs perfonnes s'écrièrent alors, qu'elles feroient au défèfpoir d'être grands feigneurs a condition de penfer auffi mal. Le prince Henri de Pruffe vint a Paris , & le maréchal, toujours prêt a fe fignaler, lui donna une fête fuperbe dans fon hotel. II caufe avec lui de fes anciennes campagnes, des fautes qui ont été commifes, avec une préfence d'efprit qui étonne le général pruffien. M. de Richelieu, pour qui le roi de Pruffe avoit de la confidération, faififfoit toutes les occafions d'entretenir une correfpondance avec ce fouverain; il lui avoit écrit fur différens objets, & la derniere fois, ce fut pour lui recommander le comte de Chinon (actuellement M. de Fronfac,) qui alloit voyager en Allemagne. II avoit une prédilection particulière pour ce petit-füs. Croyant fa fucceffion meilleure qu'elle n'étoit, il 1'avoit fait fon légataire univerfel; il étoit enchanté des heureufes difpofitions qu'il annongoit, & difoit continuellement qu'il  lyi Vie 'privk auroit toutes fes bonnes qualités, fans avoir fes défauts (i). La réponfe que fit le roi de PrufTe au comte de Chinon, prouve a quel point il admiroit le cardinal de Richelieu, & qu'il efiimoit aufli les talens du maréchal. II s'informe du jeune comte, comment il fe nomme; & fur Ce qu'il lui dit qu'il s'appelle Chinon, le monarque reprend i Qu'eft-ce Chinon ? je ne connois pas ga. Monfieur, quand on porte un nom comme celui de Richelieu , on ne doit pas le changer pour un autre. On peut juger que la vanité du maréchal fut bien fatisfaite, quand il fut inftruit de cette anecdote. L'age altéroit peu-a-peu fes organes : mais il épröuvoit des difparates dans les idéés qui annoncoient le ravage des années. On s'en appergut la première fois a la comédie Italienne, oii il demanda : On ne s'avife jamais de tout, jotié par madame la Ruette & Cailleau, qui étoient retirés du théatre depuis bien long-tems; & cependant (i) Le maréchal voyoit jufte. Le jeune de Fronfac afluel 8 été très-hien élevé , & accoutumé dès 1'enfance, par un bon inftituteur , a connoitre que la naiffance & la fortune, qui devoient établir une différence entre les hommes, n'en formoient point affez , pour donner le droit d'humilier & de tyrannifer fes femblables. Tous ceux qui le connoiffent, peuvent répondre de fon honnêteté. II ne s'eft pas cru difpenfé du travail , & fait parfaitement cinq ou fix langues. Enfin on peut aflurer qu'il n'avoit pas befoin de la révolution , pour apprendre a penfer en homme jufte; & qu'en fucant le lait ariftocratique de la maifon de Richelieu, il a fit développer par 1'étude le germe des vertus du citoyen & du fage.  da Markhal de Richdkti. 273 dant en s'affoibliffant, il ne ceffoitpas d'être Buien. Tout éloigné de Bordeaux qu'il fut , il vouloit toujours y avoir de 1'influence. II avoit obtenu la permiflion d'y retourner, & faifoit tous les printems le projet d'aller voir la falie de fpectacle qu'il y avoit fait batir. Sa femme qui craignoit que le voyage ne lui fut nuifible, trouvoit le moyen de détourner ces idéés; mais le maréchal voulant fans ceffe les réalifer, s'occupoit comme autrefois des détails de fon gouvernement;, II avoit donné des ordres pour le fpecTacle, II défendit que les jurats allaflent dans fa loge; prefcrivit au fuiffe de ne laiffer entrer fur le théatre que ceux qui feroient de fervice, & voulut faire exécuter rigidement les régiemens qu'il donnoin Mi de Noé, maire de la ville, prétendoit au contraire, en cette qualité, avoir quelques droits fur la comédie; &c fur-tout, jouir de celui dei donner des ordres au fuiffe que la ville de Bordeaux payoit. En conféquence, il entre fur le théatre avec quelques jurats, le fuiffe lui en fefufe 1'entrée, le maire le roenace de la prifon, & malgré fa réfiftance, pénètre fur le théatre* La plainte eft aufli-töt portée au maréchal $ qui croyant fon autorité compromife, recouvre toutes fes forces & fa préfence d'efprit pour fe vengen II fait envifager le fuiffe comme une fentinelle qui a été forcée dans fon pofte, & croit devoir agir militairement avec M. de Noé. Chef du tribunal, il le fait mander pour rendre cariiptë de fa conduite. M. de Noé qui fe perfuadë que ce n'eft qu'une affaire de police, refufe d'obéir j & écrit au miniftre a ce fujet; La cönteftation eft portée aii cönfell i compOfi Tome IL S  274 Vie privée de gens a qui le maréchal a rendu quelques fervices , ou- qui veulent 1'obliger; & 1'affaire eft renvoyée au tribunal, pour en connoitre. Voilé M. de Noé entre les mains de fon adverfaire qui ufe de toute fon autorité pour le punir; il s'agit de fe venger : le maréchal eft aftif. A 1'expiration des délais, M. de Noé ne paroit point devant fes juges; les ordres les plus févères font donnés k toutes les maréchauffées de 1'arrêter par-tout oii il fera, & de le conduire pieds & mains liés k Paris. II fut obligé de fe fauver, de s'expatrier, & de ne reparoitre qu'après la mort de fon perfécuteur. Arthur, connu par fa manufacture de papiers, avoit acheté de M. d'Angivilliers un terrein fur le boulevard. Se croyant libre de difpofer d'un bien qui eft k lui, il fait batir la maifon qu'on y voit en face du pavillon appellé d'Hanovre. Le maréchal, en fe promenant, voit élever 1'édifice. Il avoit toujours eu affez de crédit, pour contenir tous ceux qui avoient voulu borner fa vue de Ce cöté, quoiqu'a dire la vérité , ce batiment ne le gênat en rien : il trouve mauvais qu'on batiffe de 1'autre cöté de la rue, fans fa permiflion; il croit avoir d'anciens titres ufurpés par le duc d'Autin; & fans être incommodé de la nouvelle conftrucfion , il prétend les faire valoir. Les gens de cette efpèce avoient toujours des hommes emprelfés d'exécuter leurs volontés, telles qu'elles fuffent, fans prendre fur eux de leur faire aucune repréfentation. Arthur eft afligné : il répond que M. d'Angivilliers lui ayant vendu un terrein appartenant au roi, c'eft probablement  du Maréchal de Richelieu. iys pour en faire ce qu'il voudra; que d'ailleurs le hatiment ne peut nuire a M. de Richelieu; Sc qu'il eft trop jufte pour faire fufpendre des trayaux dont le retard peut caufer beaucoup de tort a fa manufacture. ^ Richelieu ne voit qu'un homme qui ofe lui réfifter. Ses organes femblent fe ranimer ; & fans s'arrêter par 1'idée du mal qu'il va faire, il fait évoquer cette affaire au confeil. C'eft la qu'il étoit fur de trouver des amis; MM. de Vergennes Sc Bertin lui étoient vendus, Sc fa caufe devoit abfolument être excellente. Pendant ce tems, les travaux d'Arthur furent fufpendus; dix-huit mois s'écóulèrent, fans qu'il put attendrir le maréchal. II lui fit parler par tous ceux a qui il croyoit du crédit fur fon efprit; lui propofa des accommodemens; démontra qu'il lui faifoit le plus grand tort, pour le plaifir de lui en faire : le vieux Richelieu fut inflexible; il demanda une fomme d'argent confidérable; on. voulut qu'il y eut un jugement de prononcé, paree qu'il favoit qu'il lui feroit favorable. II ne fe trompoit pas. Le confeil, toujours voué k 1'autorité Sc aux grands, prononga en faveur du doyen des maréchaux de France, qui plaidoit contre un marchand de papier; le public cria : mais alors qu'étoit le public ? Arthur défolé, n'ofant pas encore faire connoitre fon mécontentement, renfermant fes juftes plaintes dans le fond de fon cceur , eut recours, de nouveau, k tous les amis du maréchal, Sc implora leur médiation. Enfin, on parvint a faire entendre a M. de Richelieu, qu'il alloit devenir la fable de Paris, s'il continuoit de maltraiter un entrepreneur fi connu • Sij  iy6 - Vie privée la crainte de voir reparoitre les libelles & les fatyres, que le procés de madame de Saint-Vincent avoit feit naïtre, fut le feul motif qui le porta k confentir a un accommodement. Arthur n'en fut pas moins vief ime d'avoir été trop voifin d'un grand feigneur. M. de Richelieu, qui recouvroit fes facultés morales pour être defpote, n'avoit plus la même énergie, quand on lui propofoit de réformer des abus. 11 favoit qu'on vendoit quelquefois chez lui les graces qu'il accordoit, & il ne s'en inquiétoit pas davantage. II recevoit continuellement des plaintes fur ï'adminiftration de la comédie Italienne; & il répondoit en riant, que la comédie Frangoife alloit encore plus mal, éi. que cela feroit pis quand fon fils auroit la conduite du fpectacle. II confioit k fa femme des détails qu'elle croyoit entendre, & les chofes alloient de mal en pis. Le public étoit obligé d'adopter des fujets qui avoient feulement la faveur du premier gentilhomme. Les talens étoient peu de chofes; c'étoit 1'intrigue qui faifoit réuflir. Les premiers acteurs jouoient quand ils le vouloient, & difoient infblemment au répertoire : Qu'on arrange le fpectacle de demain, paree que je vais d la campagne, ou je fais une partie de chaffe. Le public comptoit fur une pièce annoncée, &£ le comédien ou l'actrice fe moquoit de fon attente. Les auteurs revendiquoient les régiemens; & ces régiemens n'étoient fuivis, que quand ils convenoient aux comédiens. Enfin, les gens de lettres , qui les faifoient vivre, n'étoient pas plus écoutés que les garcons de théatre. On a entendu des comédiens dire : De quoi fe plaint tel auteur ? cefl un ingrat l  dit Maréchal de Richelieu. 2,77 nius lui avons fait gagner vingt écus , il y a un mois. Auffi n'eft-il pas concenable qu'il fe trouve des auteurs pour ce théatre. Ce font ces abus dont s'amufoit le maréchal, & qui font augmentés encore fous 1'adminiftration de fon fils, qui ont enfin forcé le public k vouloir être compté pour quelque chofe; k trouver mauvais qu'après cinq ou fix repréfentations, un acteur fe faffe doubler, & k déclarer qu'un comédien étant un homme deftiné k fes plaifirs, il ne lui eft pas permis de manquer k fes devoirs k volonté : qu'il eft jufte, quand il a des talens &c des mceurs, de le confidérer, de lui donner des preuves de bienveillance; mais que 1'équité exige en même-tems qu'il foit puni, quand il oublie qu'il eft payé pour amufer le public qui a le droit inconteftable d'accuèillir ou de chaffer un acteur , comme il a celui d'applaudir ou de fiffler une pièce. Les organes de M. de Richelieu s'affoibliflbient au point qu'il avoit de continuelles diftraftions; il ceffa de mettre de la fuite dans fes difcours , & c'étoit une machine ambulante qui difoit quelquefois jufte. II étoit fujet k des foiblefles; alors on le faifoit monter en voiture, & le mouvement lui rendoit une fanté parfaite. Bientöt il fut propofé de ne plus tenir le tribunal chez un homme qui n'avoit plus fa tête k lui. M. de Duras fut le premier k demander qu'il fut transféré ailleurs : le maréchal le fait, prend la plume, &t guidé par un fentiment impératif qui le réveille un inftant s il montre qu'il n'eft pas encore dénué d'énergie, Cela n'empêcha pas le tribunal de pafler chez M, de Contades, M, de Biron n'en voulant pas» Bien  3-7 $ Vu privèe, &c'. des gens ont prétendu que les maréchaux de France fe donnèrent un ridicule en dépouillant un vieillard dont le fentiment n'influoit en rien dans les affaires, & qui n'étoit point encore affez dépourvu de raifon pour ne pas aller fe réunir avec les autres par-tout ou ils s'affembloient. On lui conferva la vaine repréfentation; il eut toujours des gardes dans fon anti - chambre , & comme un autre Dandin qui veut abfolument juger , il crut chaque jour qu'il alloit fiéger. Dans des momens, il recouvroit la mémoire; parlant alors avec facilité, il étoit encore trés- aimable : mais fes idéés fe brouillant bientöt, il cherchoit ce qu'il vouloit dire; & fon impatience fe manifeftoit en même-tems que fon étonnement de n'être plus ce qu'il avoit été. La nature qui avoit tant fait pour lui, marqua enfin le moment de fa deftrucfion; un catarre qu'il ne put point expecTorer, le conduifit au tombeau; mais heureux jufqu'au dernier inftant, il n'eut point a fbuffrir des horreurs de la mort. II ne_conm.it pas fon état, & il ceffa de vivre tranquillement, fans éprouver les regrets de quitter la vie. On auroit dit que la nature, qui vouloit le fervir encore a fon heure fuprême, 1'avoit deftiné a mourir de Ia mort du jufte; elle fembla prendre plaifir a lui faire faire ce paffage qui nous effraie tant, fans qu'il s'en appercut, de même qu'il étoit arrivé dans ce monde. L'horofcope, qui lui fit craindre, toute fa vie, le mois de mars , ne fe réalifa pas, puifque le mois d'aout 1788, fut le terme de fa carrière. Fin du diuxiimc Volume.  P I E C E S JUSTIFICATIVES. $ iv   LETTRES DE MADAME DE TENCIN A M. DE RICHELIEU. Paris, ce 18 juin 1743. T J E vous ai annonce ce matin , par une lettre que j'ai fait remettre k la pofte, la réception des vötres, par le courier du maréchal. Mon frère vous rendra compte & k lui des avis qu'il a donnés. S'ils ne font pas fuivis, ce n'eft pas fa faute, il n'a rien a fe reprocher comme bon citoyen. Vous avez raifon de me dire, mon cher duc, que je raifonne & raifonnerai pantoufle , fi je veux conclure de certain caractère fur ce que j'ai vu & lu; il eft vrai que rien n'y reffemble. Ce que je vous ai mandé, par exemple, fur le choix qu'on a fait pour n'être pas trompé, fur le choix de.... ne vous paroitroit-il pas incroyable , fi vous ne connoifliez le terrein ? Mon frère eft fort déterminé k dire au roi qu'il eft trompé fur les lettres de la pofte. II en parlera auparavant k madame de la Tournelle. Peutêtre que cet avis fera favorable k Janelle : il n'y a rien de bon k faire que par lui. II ne faudroit cependant pas ceffer d'agir par la voie du Poiffonneaux. II faudra que vous fafliez agir fur ce plan mon frère; j'en ferai fürement de même : d fuffit que les lettres s'adreffent ici k quelqu'un de nom. II n'eft pas néceffaire que les lettres foient  iSx Lethes de Madame de Tencln nommées : il fuffit de fuppofer qu'elles font connues de celui a qui elles feront préfentées. Comme cette lettre ne partira pas par un courier du maréchal, je ne vous écris pas aufli a mon aife que fl c'étoit par cette voie. Je me méfie des couriers qui partent par ordre des miniftres. II faut pourtant que je vous fafte une confïdence, fur laquelle je vous prie de me garder le fecret: je ne veux pas faire de peine a madame du Chatelet, & je lui en ferois beaucoup,«4i ce que je vais vous dire étoit divulgué par quelqu'un qui put le favoir d'elle. Voici ce que c'eft : On a publié que Voltaire étoit exilé, ou du moins que fur la crainte de 1'être il avoit pris la fuite, mais la vérité eft qu'Amelot & Maurepas Tont envoyé en PrufTe pour fonder les intentions du roi de PrufTe a notre égard. II doit venir rendre compte de fa commiflion, & n'écrira point, dans la crainte que fes lettres ne foient interceptées par le roi de PrufTe a qui il doit faire croire comme aux autres, qu'il a quitté ce pays-ci très-mécontent des miniftres. S'il réuflit, ces meflieurs feroient bien attrapés, fi le roi de PrufTe déclaroit qu'il ne veut point pafler par leurs mains , & qu'il nommat madame de la Tournelle pour celle en qui il veut placer fa confiance. Je vous donne tout ceci fous le fecret; on m'a impofé la condition de n'en parler a perfonne au monde, mais je ne crois pas y manquer que de vous en parler : c'eft une reftricfion tacite que je fais toujours avec moi-même quand je m'y engage, furtout quand ce font des chofes qu'il peut être de quelque importance que vous fachiez. Madame du Chatelet vous le diroit fürement fi vous étiez ici,  d M. de Richelieu. 283 & ne vous 1'écrira point, dans la crainte que fes lettres ne foient vues. Elle croit que Voltaire feroit perdu, fi le fecret échappoit par fa faute. Ne fakes, je vous prie, jamais mine d'en être inftruit, du_moins par moi; car ce fecret eft a-peuprès celui de la comédie. Amelot a très-habilement écrit plufieurs lettres a Voltaire contre-fignées. Le fecretaire de Voltaire 1'a dit, & le bruit s'en eft répandu jufques dans les cafés. II eft pourtant vrai que la chofe ne peut réuftir que par une conduite toute contraire; que le roi de Pruffe, bien loin de prendre confiance dans Voltaire, fera au contraire, très-irrité contre lui , s'il découvre qu'il 1'a trompé, & que ce prétendu exilé eft un efpion qui va fonder fon cceur & abufer de fa confiance. II n'eft pas poflible que vous puifliez écrire a Voltaire, a moins qu'il ne vous ait écrit lui-même de la Haye : il feroit trop dangereux de lui écrire a Berlin. Le roi de Pruffe, qui en. ufe apparemment chez lui comme on en ufe ici, verrok votre lettre , a moins que vous n'ayez quelque voie füre, ce que je n'imagine pas. Surtout laiffez croire a. madame du Chatelet & k Voltaire, què vous avez appris la chofe par les petits cabinets, ou par quelqu'un qui écarté de moi les foupcons. Je fis fentir hier au foir k madame du Chatelet, que c'étoit vous qui, le premier aviez imaginé d'envoyer Voltaire; que vous aviez gagné le maréchal de Noailles, qui s'y étoit d'abord oppofé, & que vous aviez préparé d'ailleurs les chofes de facon, que les miniftres ne trouvaffent aucun obftacle quand ils le propoferoient au roi. M. Amelot & M. de Maurepas , font les feuls qui ont parlé k Voltaire. Je crois  284 Lettres de Madame de Tencin cependant qu'Orry eft dans la confidence ; je ne lais fi d'Argenfon y eft aufli. Pour mon frère, on ne lui a rien dit : il eft vrai que lorfqu'il en a parlé fur la publicité, on ne lui a pas rité. Maurepas lui dit : Ce n'eft pas pour négocier , comme vous pouvez bien penfer. Vous voyez paria , le cas que ces meflieurs font de Voltaire, & Ia récompenfe qu'il en peut attendre. Je n'ai pas encore dit ce trait la k madame du Chatelet, mais je le lui dirai. Elle croit que le roi de Prufle ne voudra pas négocier vis-k-vis le petit Amelot. Mais comment faire pour en inftruire le roi? Voila la difficulté; car Voltaire ne correfpond qu'avec Amelot : donnez-moi votre avis la-delfus. Quelle joie c'eüt été pour moi, mon cher duc, fi je vous avois vu arriver avec les étendards! je crois que je n'aurois eu de ma vie de plaifir plus fenfible. C'eft bien pour le coup que vous auriez été lieutenant-général; vous le ferez infailliblement k la fin de la campagne, & vous avez raifon de ne pas confentir qu'on fafle quelques démarches fur cela. Mais voici un cas oii l'on pourroit en faire ; c'eft s'il y avoit quelque charge vacante a la cour : le cas a failli arriver. M. de Rochechouart a été très-mal; je 1'appris, & je ne favois comment m'y prendre pour avertir madame de la Tournelle. Mandez-moi, je vous prie, fi je puis & dois faire quelque chofe en pareille occafion. II ne faut pas vous tromper fur le maréchal de Noailles. On publie ici qu'il auroit pu battre les Anglois & charger leur arrière-garde ; qu'il a perdu deux jours très-mal a propos. Les miniftres autorifent ces bruits & y donnent occa-  d Af. de Richelieu. vgj- fion. Maurepas ne s'y oublie pas; je fais qu'on a parlé de ce ton-la chez votre coufine d'Aiguillon , 6c que Maurepas a eu 1'indifcrétion de tenir le même langage a fes amis. Vous ne fauriez rendre un plus grand fervice a mon frère que de lui donner vos avis : il en profite tout du mieux qu'il peut ; mais en vérité le terrein eft bien mobile , on ne fait oü appuyer le pied. Vous ferez inftruit par lui-même des chofes qu'il a propofées. II a encore relevé, dans le dernier confeil, une bévue groflière d'Amelot, que les autres miniftres avoient laiffé pafler, quoiqu'elle put avoir les fuites les plus facheufes. Que penfez-vous de ce que je vais vous dire ? Le roi n'a pas répondu a deux lettres que mon frère lui a écrites, quoique la dernière fur-tout méritat du moins qu'il lui fit une politeffe. Vous vous fouviendrez que les deux derniers grimoires font par ordre de datte, 6c que par conféquent le dernier regu eft le quatrième, quoique le copifte ait mis un trois au commencement. II faut aufli, quand nous voudrons parler véritablement de tel ou tel, que nous ajoutions a leurs noms une épithète , comme : cette pauvre madame du Chatelet, ainfi des autres. Maurepas 6c les autres miniftres font toujours plus contraires a mon frère. Pour moi, je fuis perfuadée qu'ils le deffervent autant qu'ils peuvent dans leurs travaux particuliers. Quel remède k cela ? Je n'en vois aucun, que de continuer a faire fon devoir. Si le maréchal fouhaite de bonne foi d'aller en-avant, mon frère le fert fur les deux toits ; il opinera encore demain fortement fur cela. Je  3.86 Lettres de madame de Tenvm doute que les autres miniftres foient de fon avis, a moins qu'ils ne croient que le maréchal fera de travers Sc fe déshonorera ; car il faut que le maréchal & fes enfans foient bien perfuadés, une fois pour toutes, qu'ils feront tout leur poflible pour décrier un homme qui eft dans le confeil & qui parle au roi. M. de Mirepoix prend crédit ; il eft écouté. Le roi le regarde comme un homme fimple , Sc ne penfe pas que cette fimplicité cache une ambition déméfurée. Le roi a beaucoup de penchant a la dévotion. Quelqu'un qui le voit de prés, m'a dit qu'il étoit convaincu qu'il le feroit bientöt. En ce cas-la, gare madame de la Tournelle ! elle feroit bien fürement jettée au feu. Croyez-vous que mon frère doive continuer fes foins dans les occaftons importantes, malgré le peu d'attention que le roi paroit y faire ? Comme vous connoiffez fon génie Sc fon goüt, Sc que vous connoiffez aufli mon frère ; c'eft a vous a décider. Au refte , Chaban fait des merveilles, aufli bien que Marville; je leur ai donné les inftruótions que vous m'aviez données ; ils s'y conforment exacfement. Que dites-vous de ce que le fecret des lettres eft confié a Dufort ? II en a fait confidence aux trois miniftres: j'en juge de ce que les commis, même de Maurepas, en lont inftruits. Marville dira au roi ce qu'il fait des lettres; c'eft, je crois, tout ce qu'il y a de mieux pour le défabufer, Sc pour lui faire tourner fes vues fur Janelle. Je ne doute pas que les Anglois ne répandent de 1'argent ici ; c'eft un point bien important, Sc fur lequel le maréchal de Noailles ne doit nas garder le filence.  d M. de Richelieu. 187 S'il parloit le même langage que Poiflbnneaux, je crois qu'il feroit très-bien , & que vous devriez 1'y engager. L'abbé a dit la même chofe a madame de la Tournelle : refte k favoir li elle y a fait attention. Envoyez des lettres, comme je vous 1'ai mandé ; elle font toujours bonnes , puifqu'elles ne peuvent faire de mal. Dés que la comédie fera jouée fans nom d'auteurs, & qu'elle fera fous la protection de quelqu'un dont le nom foit connu , cela fuffit. Je vous envoie la réponfe a la lettre que vous m'aviez adrefTée. Je me flatte que la Motte eft toujours mieux ; mandez-moi exactement ce que vous en favez. Aftruc veut qu'il aille k Plombières: faites-l'y aller, au nom de Dieu. A propos d'Aftruc , ne vous donnez pas la peine de lui écrire ; vos compliments font fuffifamment faits par moi. Comptez fur des foins de fa part, tels que vous pourrez le defirer. Ma fanté va bien préfentement; je n'ai plus de fièvre ; &, ce qui eft bien plus effentiel, je ne fens plus de mal au foie. Je vous embraffe, mon cher duc. Je fuis agité par deux fentiment contraires: je voudrois qu'on fe battït, & je le crains a la mort. Vous favez que je vous aime, mais vous ne le favez pas au point ou cela eft. Je vous ai envoyé les chanfons par la pofte. L'ombre de Louis XIV eft, k ce qu'on dit, pleine de belles chofes, elle ne paroit pas encore. Verfailles, ce 22 juin 1743. Mon frère a dü vous écrire hier, mon cher duc, que nos grands fujets de joie ont été de  5.88 Lettres de madame de Tencitt peu de durée» On a cru avoir beaucoup gagné de déterminer le roi k faire quelque chofe fut la pofte ; mais , comme k fon ordinaire, il a fait tout de travers; & le mal n'eft pas moindre qu'il étoit. Les fecrets de la pofte font entre les mains de trois perfonnes : Maurepas, Amelot & Orry. Dufort n'agit que d'après leurs avis ; comme fermier , il a tout fujet de les menager : de faoon que le roi ne voit que ce qu'ils veulent; & il ne peut jamais être inftruit de la vérité. II faudroit qu'il eut un homme k lui , qui n'eüt aucune relation avec les miniftres qui auront toujours intérêt a ne faire voir que ce qui rte pourra pas leur nuire. Je ne fais jufqu'a quel point ce moyen de pénétrer dans le fecret des autres peut être approuvé: mis en ufage par Louis XIV, il a été bien perfectionné fous ce règne-ci : mais au moins, puifqu'on s'en fert, il faut qu'il puifle devenir utile au roi, & non pas feulement aux miniftres, pour le mieux tromper. II faudroit, je crois, écrire a madame de la Tournelle, pour qu'elle effayat de tirer le roi de 1'engourdiffement oii il eft fur les affaires publiques. Ce que mon frère a pu lui dire la-deflus, a été inutile ; c'eft comme il vous 1'a mandé, parler aux rochers. Je ne concois pas qu'un homme puifle vouloir être nul, quand il peut être quelque chofe. Un autre que vous ne pourroit croire a quel point les chofes font portées. Ce qui fe paffe dans fon royaume paroit ne pas le regarder : il n'eft affect é de rien ; dans le confeil, il eft d'une indifférence abfolue ; & dans le travail particulier, il foufcrit a tout ce qui lui eft préfenté. En vérité ! il y a de quoi fe défef- pérer  d M. de Richelieu, a8 pérer d'avoir affaire a un tel homme. On voit que dans une chofe quelconqué, fon goüt apathique te porte du cóté oit il y a le moins d'embarras, düt-il être le plus mauvais. Le maréchal de Broglie follicite fon retour en France : il veut faire une retraite précipitée qui ruinera toutes nos affaires ; & il paroït que le d'Argenfon le feconde , tout inepte qu'il foit, pour jouer un tour au maréchal de Belle-Me, qu'il détefle. C'eft a qui fera plus mal; & le maitre vóit tout cela de fang froid. Chacun vife ici a la première place, Maurepas fur-tout, tout médiocre qu'il foit; mais ce font ces gens-la qui fe croient les plus capables. On parle d'un accommodement entre 1'empereur & la reine de Hongrie, mais on doute qu'il puiffe avoir lieu; ce n'eft pas quand on a perdn fes avantages, & qu'on s'eft mal enfourné, qu'on peut tirer quelque parti pour fes alliés. Quand On auroit voulu faire exprès tout de travers, on n'auroit pas mieux réufli qu'on a fait. D'Argenfon paroit jouir de tout ce qui arrivé pour perdre M. de Belle-Me. On foupconne fort que notre ami Maurepas eft vendu au miniftère anglois, paree qu'il eft le premier a témoigner fon oppofition pour faire quelque chofe par mer. Il a cependant regu des fommes affez confidérables pour la marine qui n'eft pas dans 1'état oü elle devroit être. On fe contente de le dire, & voila tout. Le roi eft toujours fort aftidu auprès de madame de la Tournelle , qui cependant n'obtient aucune grace marquée. On dit qu'elle eft fiére tk ne veut rien demander. C'eft une femme qui an- Tome IL T  XCjO Lettres de madame de Tencin nonce de Pénergie, *& je crois que pour fon bien &c le notre , il feroit très-effentiel qu'elle put fe lier avec mon frère. Elle ne prend aucun parti; je fuis bien fachée que vous ne puifliez pas être toujours ici pour la déterminer a quelque chofe. Les nouvelles de la Bavière vont de mal en pis, comme vous le favez ; on ne fait par-tout que des fottifes : mais je crois qu'a la fin on en fera tant, qu'il y aura un bouleverfement dans toutes les affaires. On prétend que le roi évite même d'être inftruit de ce qui fe paffe, & qu'il dit qu'il faut encore mieux ne favoir rien, que c'apprendre des chofes défagréables. C'eft un beau fang froid ! je n'en aurai jamais tant , quoique cela me regarde bien moins que lui. Adieu, mon cher duc ! faites envoyer la lettre en queftion , comme je vous en ai prié. De Paffy, ce 14 juiller. MON frère a envoyé au roi 'le mémoire cijoint, &£ Vous yérrez, mon cher duc , combien il dêfirë qu'on falie la paix , puifqu'on réuflït fi mal a faire la guerre. Je penfe bien comme vous, qu'oh' peut encore humilier la maifon d'Autriche ; mais ' vous conviendrez avec moi que le premier coup eft manqué. On pouvoit faire une fuperbe campagne, & vous en avez vu le réfultat. Le projet du maréchal de Belle-Ifie étoit très-biên congu ; on auroit été a Vienne, au-lieu de fuir de la Bohème, & le roi de Pruffe n'auroit pas eu de raifon pour faire fa paix particulière. Dans le fait , ce prince a tenu fa pairole, en entrant dans la Siléfie , comme il 1'a-  d Af*, de RichsfieU, a^i Vols promis. Vous vous rappellez qu'alors nous dïmes vingt fois que la reine de Hongrie étoit perdue, & elle devoit 1'être: mais il falloit avoir un prince de la trempe de Frédéric. Quand il vous adreffa fon envoyé, pour pro» pofer au roi d'atraquer en même-tems la reine de Hongrie, quand il entreroit en Siléfie ; malgré mon defir de voir tóut en beau , je n'eus pas une trés-grande opinion de ce qui devoit arriver, a caufe de la non chalance du maitre. Vous devez vous reflbuvenir que , quand vous vous fïtes annoncer a Choify, dans un moment oü il étoit en tête-a-tête avec madame de la Tournelle, pour lui faire part des propofitions du roi de Pruffe, il ne mon tra aucun empreffement pour recevoir 1'envoyé qui vouloit lui parler, fans conférer avec les miniftres. Ce fut vous qui le preffates de vous donner une heure pour le lendemain j vous fütes étonné vous-même, mon cher duc , du peu de mots qu'il articula a cet envoyé, &t de ce qu'il étoit comme un écolier qui a befoin de fon précepteur ; il n'eut pas la force de rien décider ; il fallut qu'il recourut a fes mentors, qui, par leur lenteur, & par la manière dont ils difpoferënt les chofes, firent manquer 1'opération. Le roi de PrufTe jugeoit Louis XV d'après lui ; il crut qu'après avoir examiné les avantages qui devoient réfulter de cette guerre, il fe détermineroit lui-même ; &, gardant le fecret fur les préparatifs qu'il auroit fait faire , il n'en auroit déclaré 1'objet qu'au moment d'éclater. Mais il avoit mal yu, & il ne tarda point d'abandonner un altié dont il reconnoiffoit la nullité, quand il eut retiré tous ks avantages qu'il attendóit de la Campagne, i T ij  292 Lettres de madame de Tenan Comment, mon cher duc, en ayant été témoin de toutes ces chofes, pouvez-vous encore efpérer qu'on tire grand parti de la guerre ? Le meilleur qu'on puilfe prendre , felon moi, c'eft qu'on fafTe la paix, 8c je fuis bien du fentiment de mon frère la - deffus. Ce ne fera pas certainement celui de d'Argenfon, qui, voulant être de plus en plus en crédit, defirera la guerre, pour influer davantage dans le miniftère, Sc pour placer fes amis. S'il 1'emportoit, il faudroit alors que madame de la Tournelle prit la réfolution de parler au roi, pour qu'il prit d'autres mefures pour la campagne prochaine. Mon frère ne feroit pas éloigné de croire qu'il feroit très-utile de Pengager a fe mettre a la tête de fes armées. Ce n'eft pas qu'entre nous il foit en état de commander une compagnie de grenadiers : mais fa préfence fera beaucoup : le peuple aime fon roi par habitude , & il fera enchanté de lui voir faire une demande qui lui aura été foufflée; les troupes feront bien mieux leur devoir, Sc les généraux n'olëront pas manquer fi ouvertement au leur. Dans le fait, cette idée.me paroït belle, Si c'eft le feul moyen de continuer la guerre avec moins de défavantage. Un roi, tel qu'il foit, eft, pour les foldats 8c le peuple, ce qu'étoit 1'arche d'alliance pour les Hébreux ; fa préfence feule annonce des fuccès. On eft toujours très-mécontent du duc de Grammont ; or. prétend qu'il affure avoir eu des ordres de fon oncle pour attaquer ; il paroit cependant qu'excepté dans quelques têtes , le maréchal prend bien dans le public. On doit traiter Paffaii e de la Suède; 8c fi on  a M. de Richelieu. 293 lui donnera cinq eens mille livres fur un milliort qu'elle demande, refte de fix qui lui ont été promis pour trois ans. Je crains que votre filence ne foit caufé par vos occupations militaires, qui annonceroient une feconde affaire ; j'en fuis d'une inquiétude affreufe. Je fais que vous ne craignez pas plus de vous battre que d'attaquer un jolie femme, & je crains toujours d'apprendre une facheufe nouvelle; vous feriez bien mieux ici. Si vos coups de fuftls menoient a quelque chofe , je patienterois par néceflité; mais s'expofer a fe faire tuer pour rien, c'eft une fort vilaine plaifanterie, a laquelle je ne m'accoutumerai jamais. Raffurez-moi vite, & ne doutez pas de ma tendre amitié. Ce premier aoür. Il eft décidé, mon cher duc, qu'il n'y a rien de bon a faire ici : mon frère eft fi dégoüté de tout ce qui fe paffe , que je vous ai déja marqué que fans moi, il partiroit pouf Lyon. II n'eft; plus d'humeur a rompre des lances pour les intéréts de 1'état, quand il voit tóus les jours qu'ils ne touchent perfonne, pas même le fouverain. II a dü vous mander que d'Argenfon avoit écrit une lettre ridicule au maréchal ; que le roi 1'avoit fürement vue, & qu'il n'y avoit feulement pas pris garde. II voit que fes miniftres agiffent continuellement contre lui, & il a 1'air d'abandonner a leurs tracafferies un bon ferviteur qu'il aime; concluez de-la ce qu'on peut attendre de fon amitié? Je crois que, tant que le gouvernement fera tel qu'il eft, c'eft vouloir fe battre la tête contre les tours que d'entreprendre de faire T üj  194 Lettres de madame de Tencin quelque chofe; tous ceux qui travailleront avee le roi, feront toujours les maïtres dans leur tripot. Mon frère eft révolté, & je le fuis auffi, de ce qu'il n'a témoigné aucun refTentiment contre le maréchal de Broglie, qui, de 1'aveu de tout le monde, a fi mal fait fon devoir. Le maréchal de Belle-Ifle a raifon de dire qu'il eft impoffible de rien faire de bon, a moins de faire maifon neuve; il n'y a aucun miniftre qui ne foit de cent pieds au-deflbus de fa place. Ayez grand foin de brüler exadtement mes lettres , ou au moins de n'en point égarer; car je fens que j'ai befoin de foulager mon cceur , en vous difant tout ce que je penfe. Encore une fois, je fens malgré moi un fond de mépris pour celui qui laiffé tout aller felon la volonté d'un chacun. II n'y a pas d'exemple qu'un prince ne foit ému que très-foiblement, &z encore pour un inftant, foit du bien, foit du mal; il a befoin d'être gouverné. Le poids des rênes de 1'état eft trop pefant pour lui , & puifqu'il eft & fera toujours de neceffité qu'il les confie a quelqu'un, j'aurois beaucoup mieux aimé que ce fut k mon frère; cela eut été également plus utile pour vous : nous ne tenons a rien , & vous auriez eu fur nous toute 1'influence que 1'amitié peut donner, On m'aflure que c'eft cet empire que veut prendre par degré madame de la Tournelle. Je la crois plus faite qu'une autre pour réuffir; mais d faudroit qu'elle ne quittat pas fon trop foible amant, qui prendra d'un miniftre des idéés qu'il croira bonnes, & dont il ne voudra pas fe départir. Nous pourrions, je crois, lui être d'un grand fecours .- ft elle a ce projet, je crois bien qu'elle  d M. de Richelieu. 195 ne vous en écrira rien; mais fi vous étiez ici, vous pourriez découvrir s'il en eft quelque chx fe. Elle eft affez impérieufe pour vouloir dominer, 8c je ne ferois pas éloignée de croire qu'en fuccédant a fes fceurs , elle n'ait eu 1'ambition de prétendre a une plus grande autorité. Au furplus, il vaut mieux que ce foit elle qu'un autre , &c elle ne peut pas faire pis que ce que nous voyons: elle doit s'attendre a livrer un combat a mort avec les miniftres , 8c je defire de bon cceur qu'elle puiffe les terraffer; il faut pour cela • de la tenue dans fes idéés, 8c elle paroit en avoir. Les gens de bo'nne foi 8c qui voiënt jufte , ne peuvent qu'être très-contens d'elle. II faut d'abord, je crois, qu'elle tache d'obtenir la confiance entière du roi, poüf qu'il ne fe prévienne pas en faveur d'un miniftre qui lui.évitera la peine du travail. II n'aime pas a h'appéfantir fur les affaires , 8c tout homme qui Ku fera un tableau fidéle,.mais énergique, 'de la fïtua-' tion préfente, fera bientöt éconduit. On voit qu'il va au confeil pour la forme , comme il'fait tout le refte , 8c qu'il en fort comme jbulagé d'un fardeau qu'il eft las de porter. Une femme adroïté fait mêler le plaifir avec les intéréts généraux , 8c parvient, fans ennuyer fon amant, a lui' faire' faire ce qu'elle veut. Mon frère pourroit la voir. a ce fujet, 8C j'ai affez d'amóuf-propre pour croire que je pourrois être un des refforts principaü'x de la grande machine qu'elle a dèffein dé m'ettre en' mouvement. Qui mieux que vous, cher duc, peut la décider fur cela ? Je dois vous prévenir en amie qu'on cherche h vous mettre mal avec elle'; cn fent, 'qu'avec T iv  296 Lettres de madame de Tencin de 1'efprit, des connoiifances, & 1'amitié de Ia favorite , vous pouvez faire beaucoup, & c'eft ce qu'on ne veut pas. On juge bien que vous ferez trop fort étant uni avec madame de la Tournelle, & on cherche k vous en féparer, pour vous combattre avec plus d'avantage; je faurai d'oü le coup peut venir, & nous pourrons aifément le parer. Je ne ferois pas furprife que Maurepas trempat la-dedans; c'eft un homme faux, jaloux de tout, qui, n'ayant que de très-petits moyens pour être en place, veut miner tout ce qui eft autour de lui pour n'a voir pas de rivaux k craindre. II voudroit que fes collègues fuflent encore plus ineptes que lui, pour paroitre quelque chofe. C'eft un poltron qui crie toujours qu'il va tout tuer, & qui s'enfuit en voyant 1'ombre d'un homme qui veut lui réfifter; il ne fait peur qu'a de petits enfans : de même Maurepas ne fera un grand homme qu'avec des nains; il croit qu'un bon mot, ou qu'une épigramme ridicule vaut mieux qu'un plan de guerre ou de pacification. Dieu veuille qu'il ne refte pas longtems en place , pour nos intéréts & ceux de la France! Je vous manderai plus au long tout ce que j'apprendrai. Adieu, mon cher duc! Malgré toutes nos peines, nous ne parviendrons jamais k faire voir les chofes au roi avec des yeux éclairés; il eft entouré de gens qui abufent continuellement de fon autorité, & on diroit qu'il a juré de ne pas s'en appercevoir. Paris, ce 13 aoüt 1743. Je vous écris par un courier du maréchal. U  d AI. de Richelieu, 297 m'étoit bien néceflaire de pouvoir vous parler en liberté, mon cher duc ; j'ai amaffé bien des chofes différentes qu'il faut que vous fachiez; je les écrirai comme elles fe préfenteront a mon efprit. Je commence. L'abbé de Broglie a écrit a d'Argenfon que la pénitence de fon frère étoit affez longue, qu'il falloit lui permettre de venir a la cour, & que fi on ne le lui per mettoit pas, il y viendroit tout de même. D'Argenfon , étonné de ce ftyle , alla chez M. de Chatillon pour 1'engager k faire prendre patience au maréchal de Broglie. On lui a promis qu'il reviendroit en feptembre : il me femble qu'il faut en conclure que le maréchal a des lettres des miniftres, qui lui difent de ramener fon armée, ou qu'il en a de fon frère autorifé par les miniftres. L'inquiétude, le trouble même que d'Argenfon montra a la réception de la lettre de l'abbé , me fait croire qu'il a eu part, auffi bien que les autres miniftres , a la pitoyable conduite du maréchal. Si le roi étoit fervi fidélement par ceux qui font commis k la pofte, il feroit inftruit de tout ce qui s'eft fait fur cela, & fur bien d'autres chofes. Les plaintes contre d'Argenfon font générales. Le comte de Saxe eft un des plus forts plaignans. On dit tout haut qu'il ne fait pas un mot de fa befogne; qu'il eft fee, glprieux & inabordable. Je vous écrivis hier par le courier, fur Amelot. Je crois qu'il faut attendre votre retour pour frapper de grands coups. Je crains avec raifon, qu'on ne trayaille pour quelqu'autre que celui que vous voudriez. L'union ne peut être trop grande entre mon frère & le maréchal de Noailles. II n'y a que cette union qui puifle les mettre a couvert  298 Lettres de madame de Tencln de la mauvaife volonté d'ex - miniftres. C'eft a vous, mon cher duc, a la maintenir & a 1'augmenter. M. d'Aumont a écrit ici qu'il étoit dans la plus parfaite union avec M. d'Ayen. J'ai cru devoir vous en informer; mais vous fentez bien qu'il ne faut rien dire qui puifle faire des tracafferies, & que fi vous montriez que vous êtes inftruit, on remonteroit bien vite a la fource. Les miniftres décrient le maréchal de Noailles autant qu'ils peuvent. II doit être affuré qu'ils n'oublieront rien pour le culbuter. Ce que je vous avois mandé fur le befoin que madame de la Tournelle avoit d'argent, n'a eu aucune fuite. Sur la réponfe qu'on lui fit de ma part qu'il y avoit plufieurs moyens, & tous faciles de lui en faire avoir , mais qu'il falloit que le roi dit un mot , elle répondit qu'il falloit attendre; que le moment n'y étoit pas propre; que peut-être la chofe fe feroit tout naturellement de la part du roi. Je n'ai pas été fachée de ce retardement, paree que j'aime mieux, fi la négociation a lieu , qu'elle pafte par vous. Rien dans le monde ne reffemble au roi; il a peur que mon frère ne lui fafle faire ce qu'il voudroit s'il venoit k lui parler ; du moins je ne puis attribuer qu'a cette crainte, la conduite fingulière qu'il a avec lui. Les lettres vont toujours entre eux; il y répond affez réguliérement, & même plus qu'il ne faifoit; & tout cela n'aboutit a rien, ou du moins k pas grand'chofe. Les miniftres font trés - contens , aucuns ne s'embarraflent de la chofe publique. Le maréchal & mon frère font les feuls qui s'y intéreffent. II faut bien fe fervir de votre d'Argenfon; quoi-  d M. de Richelieu. 199 que vous le connoifïiez pour mauvais , quand vous êtes parti. II n'eft pas devenu meilleur, mais il faut prendre patience ck diffimuler : 1'éclat feroit encore pis, & votre pofition plus défagréable. II n'eft pas douteux que le roi s'accommode ik s'efl accommodé de ce qu'il trouve de bon, & k fa bienféance dans les lettres de mon frère ; vous en trouverez la preuve ft vous vous fouvenez de ce que vous y avez vu ck qui appartenoit au duc d'Ayen. Les droits de 1'amirauté defrüits, ont fait un très-bon effet dans le public. M. de Maurepas a dit k un de fes confidens , que c'étoit le roi qui lui avoit dit le premier, qu'il vouloit les fupprimer en totalité, mais que lui Maurepas avoit réglé la chofe comme elle paroit. On lui a repréfenté qu'il avoit eu grand tort de_ ne pas confentir a 1'abolition entière de ces droits ; il a répondu que c'étoit pour le bien, ck a appuyé fon fentiment, ou plutöt fon dire, par un fophifme. II eft bien aifé de voir qu'il a voulu faire fa cour a madame de Touloufe; auffi lui a-t-elle écrit qu'elle n'oublieroit jamais ce qu'il avoit fait pour fon fils , ck qu'un ami tel que lui ne pouvoit être confervé avec trop de foin. On parle toujours de Chavigny; je ne crois pas cependant qu'on le mette a la place d'Amelot ; mais je crois qu'on le fera travailler. II ferai aifé de s'en appercevoir; rien n'eft fi obfcur que ce qu'il écrit. Vous favez qu'il s'eft tenu dés" confeils a. Choify. Les lettres ont fait fïirement imprc-ffion a madame de la Tournelle; j'en juge, paree qu'une des chofes qu'on lui confeilloit, a eu lieu. Votre défunte poule eft très-bien a la cour de Maurepas; elle y foupe fouvent, ck a de grandes converfa-  300 Lettres de madame de Ttncln tions avec lui; les lettres 1'ont appris a madame de la Tournelle. Vous ne m'avez jamais parlé de Silhouette. Ne le voyez-vous pas? J'ai envie de lui écrire; Sc pour ne rien faire de mal a propos, je vous enverrai ma lettre ouverte; vous la cacheterez avec une tête. M. de Turgi veut avoir la croix de St. Louis. Comme je crois qu'il eft de votre intérêt de le garder auprès de M. votre fils, mon frère follicitera vivement cette croix. II en a parlé, non-feulement k d'Argenfon , mais au chef des bureaux ; je fouhaite bien vivement Ia réufïïte. Janelle fait affurément du mieux qu'il peut, & Marville fait très-bien. II parle convenablement quand 1'occafion s'en préfente, quoique ce ne foit pas auffi fortement qu'il faudroit. Suite de la lettre du ij aout '743. Ce 14 aout 1743^ Amelot a encore couché k Choify. II paroït que c'eft une diftinction que le roi a voulu lui donner ; car il avoit travaillé la veille , Sc ne travailla pas le lendemain. Voila la lettre pour Silhouette; elle ne contient rien, comme vous le verrez, que des généralités. Madame d'Armagnac m'a dit qu'il y auroit de 1'imprudence k dire les mauvais offices que les miniftres rendent au maréchal. Adieu, mon cher duc! Je vous embraffe Sc vous aime de tout mon cceur. Paris, ce 30 feptembre 1743. Je fuis charmée que vous foyez d'avis, mon  (t M. de RicMieu. £01 cher duc, que le rol ouvrira les yeux, mais que ce fera trop tard. Vous êtes bien bon de croire encore cela : je fuis plutöt füre qu'il ne les ouvrira pas; ou, s'il les ouvre jamais, qu'il n'en fera ni plus ni moins. II faudroit une déterminaifon, & il n'en aura dans aucun tems. Mon frère affure qu'il met les chofes les plus importantes, pour ainfi dire, k croix ou a pile dans fon confeil, & vous pouvez voir oü cela mene. Je fuis étonnée qu'avec votre fagacité, vous puiffiez conferver 1'ombre de 1'efpérance : mais vous êtes comme ces femmes qui parient toujours de ce qu'elles defirent, tout impoffible que cela foit. Souvenez-vous bien, mon cher duc, que le roi fera toujours mené , & plus fouvent mal que bien. On diroit qu'il a été élevé a croire que quand il a nommé un miniftre, toute fa befogne de roi eft faite, & qu'il ne doit plus fe mêler de rien : c'eft k celui qu'on lui a déftgné, a tout faire ; cela ne doit plus le regarder , c'eft 1'affaire de celui qui eft en place. Voila pourquoi les Maurepas, les d'Argenfon font plus maïtres que lui. Si on lui fait entendre qu'il a choifi un homme incapable, ou un frippon : n'importe, il eft ik, il y doit refter jufqu'a ce qu'un plus adroit le fupplante. Son autorité eft divifée méthodiquement, & il croit fur parole chaque miniftre, fans fe donner la peine d'examiner ce qu'il fait. Je ne puis mieux le comparer dans fon confeil qu'a M. votre fils qui fe dépêche de faire fon thême dans fa claffe pour en être plutöt quitte : aufti peuton dire que c'eft un confeil pour rire; on n'y dit prefque rien de ce qui intérefte 1'état, & après une lefture rapide de 1'affaire qu'on veut  302. Lettres de madame de Tencin traiter, on demande, k ceux qui font-la, leur avis fur-le-champ , quand il faudroit quelquefois une müre délibération pour prononcer. Cuix qui voudroient s'occuper férieufement du bien général , font obligés d'y renoncer , ou font dégoütés d'agir par le peu d'intérêt que le roi a lair d'y prendre, & par le filence qu'il garde. Je vous 1'ai déja mandé; on diroit qu'il n'eft pas du tout queftion de fes affaires. II eft bien malheureux qu'il ait été accoutumé de bonne heure k envifager celles de fon royaume, comme lui étant perlbnnellement étrangères. Ainfi, quoique vous en penfiez quelquefois & moi auffi, il fera toujours le même. Vous favez ce qu'on a fait pour Marceux : c'eft encore une nouvelle preuve de ce que je viens d'avancer; comment a-t-on ofé faire un pareil choix, & comment le maitre a-t-il pu y foufcrire ? cela dit plus que toutes mes phrafes. J'ai vu madame de Rohan qui m'a parlé cette fois - ci bien plus clairement fur votre compte. Elle vous diftribue tous les torts; & vous favez qu'un juge , qui n'entend qu'un avocat, a bien de la peine k ne pas fe laiffer prévenir par lui. Je ne fais ft au jufte vous en voulez finir avec elle ; mais elle me paroit très-déterminée a rompre avec vous. Je fais mon cher duc que vous favez vous conduire parfaitement; mais je croirois qu'il faut ménager une femme qui peut nuire, & qu'un ennemi de plus eft bon a éviter. Vous faites ft peu de fraix pour plaire, qu'il ne vous coütera pas beaucoup de foins pour hu öter toute idéé de vengeance, fi naturelle aux femmes. Madame de Boufflers a beaucoup parlé de vous  t£ Af. de Richelieu. 303 a mon frère, k ce qu'il m'écrit; il la trouve trésaimable, & c'eft une raifon pour que les lettres qu'elle doit vous écrire, vous paroitfent plus intéreffantes. II ne fait fi elle auroit quelque doute fur le maréchal de Noailles : car elle lui a demandé fi fes lettres vous parvenoient bien exactement ? Soupconneroit - elle de la mauvaife foi dans le maréchal? J'ai peine k le croire; on fait bien de regarder avec attention 1'endroit ou l'on met le pied : car on n'eft ici entouré que d'écueils; il eft bien difticile de ne pas tomber dans quelques-uns. La Mauconfeil eft toujours trés-bien avec la d'Argenfon; ils n'ont ceffé de fe voir a la petite maifon de Neuilly. Cette femme eft k toute main; Pintrigue eft fon élément. Elle court du d'Argenfon chez le maréchal de Coigny, elle veut ablölument fe donner un air important. Vous aurez toujours a volonté fa perfonne , mais non pas fon cceur : il eft aux circonftances, rarement a 1'amitié. A Parit, ce 8 novembre 1743. Je croyois que la lettre que je vous ai écrite partiroit par le courier du maréchal ; mais elle arriva trop tard a Fontainebleau. Je vous écris encore par Chavigny; il vous dira des chofes; il a vu par lui-même la pétaudière qui règne ici • queftionnez-le bien amplement, il vous en dira peut-être encore plus qu'a moi. Comptez que chaque miniftre eft maitre abfolu dans fon département; & comme il n'y a point de réunion , que perfonne ne fe communiqué ni ce qu'il fait, ni ce qu'il veut faire, a moins que  304 Lettres de madame de Tencin Dieu n'y mette viiiblement la main, il eft phy* liquement impoflible que 1'état nè culbute. Chavigny, qui a la plus mauvaile opinion d'Amelot, prétend qu'il a bien obfervé , pendant la dernière heure qu'il a été entre le roi 6c lui, la contenance du roi; il en conclut que le roi n'eft point mal difpofé pour Amelot, & que furement il gardera fa place. Les miniftres font déchainés contre le maréchal & mon frère : ils les craignent tous deux ; 6c comme ils ne peuvent ignorer que Ie maréchal a la confiance du roi , c'eft principalement a lui qu'ils s'attachent préfentement. Ils voudroient, du fond de leur cceur , qu'il fut battu par les Anglois; c'eft pour y par venir, qu'on 1'a traverfé depuis le commencément de la campagne. II eft vrai que d'Argenfon a fait le mal principal : mais comptez que les autres l'ont bien fecondé , & d'autant plus hardiment qu'ils n'y ont pas paru. Orry eft le plus dangereux; c'eft un homme qui, fous 1'apparence de la franchife, 6c même de la grofliéreté, cache beaucoup de fineffe 6c de rufe; il a d'ailleurs plus de tête que les autres Sc plus d'extérieur; 6c puis il n'eft pas douteux que le cardinal a prévenu le roi en fa faveur. Cet homme , qui fe voit en poffeftion des tréfors du royaume , dont il difpofe a fon gré, craint plus que tout que le roi ne foit éclairé fur fes voleries ; & comme il eft en poffeftion de dire tout ce qu'il veut, fous prétexte de dire la vérité, il dit au roi, dans fes entretiens particuliers, ce qui peut détourner fa confiance 6c de mon' frère &c du maréchal. D'ailleurs., il eft maitre des poftes par Dufort, qui eft fon très-humble valet, Ne dou- tez  d M, de Richelletl, 30$ tez pas que cette voie, qui lui eft ouverte , ne lui fourniflè les legons dont il a befoin pour parvenir a fon but. Je ne vois que vous qui puifliez remédier a. tout cela, en uniffant le maréchal Sc mon frère de Ia manière la plus intime. Mon frère, comme je vous 1'ai déja mandé, tiendra tous les engagemens que vous aurez pris pour lui. Au bout du compte, c'eft , de toutes les liaifons que les Noailles peuvent prendre, la plus convenable Sc la plus füre pour eux. Nous n'avons point de familie; nous ne tenons a la cour qu'a vous : le crédit de mon frère, s'il en avoit, fe borneroit donc k obtenir des chofes que vous devez obtenir par vous-même. Depuis que d'Argenfon s'eft livré au parti Coigny, il s'eft encore plus éloigné de mon frère, il ne lui dit abfolument rien ; il a craint avec raifon qu'il ne s'op-* pofat aux ordres ridicules qu'Ü a donnés a M. de Noailles. On fait valoir M. de Coigny a 1'excès; les troupes, dit-on, ont en lui une entière confiance, paree qu'elles font affurées qu'il paie de fa perfonne, Sc que le courage eft ce qui les frappe & ce qui leur en impofe le plusce difcours, tel que je viens de vous Pécrire, m'a été tenu hier par madame de du Muy. Vous vous fouviendrez qu'elle étoit livrée au Chauvelin, Sc qu'elle Sc fon mari le font aujourd'hui au controleurgénéral. Je fuis contente de Chavigny. J'ai lieu de croire, a plufieurs marqués, qu'il eft de trèsbonne foi des amis de mon frère, & qu'il fouhaiteroit le voir k la tête des affaires étrangères. II croit qu'on y viendroit furement par 1'Efpagne; qu'il faudroit que le roi d'Efpagne en écrivit a fon neveu : mais le pas eft gliffant, fi on n'ar« Tome IL V  yo6 Lettres de madame de Tencia rive pas par ce moyen, on eft fïirement culbuté. A propos, Chavigny vous dira qu'Amelot compte fur le maréchal : je crois qu'il le trompe; il faut pourtant que vous le fachiez. Une autre chofe qui me paroit plus importante qu'elle ne vous paroit peut-être, c'eft le froid qu'il y a entre le maréchal & du Vernay. On fait que les Paris ne font point des gens indifférens. Je les ai vus enthoufiafmés du maréchal; ils lui étoient attachés , & le feront toujours par préférence a tout autre, dés que le maréchal leur marquera de la bonté : mais comme ils font riches par-delfus les yeux, que leur ambition fe borne k faire le fils de Montmartel garde du tréfor , ils ne peuvent être pris que par 1'amitié ; ils ont beaucoup d'amis, tous les fouterreins poffibles, & de 1'argent a répandre; voyez après cela s'ils peuvent faire du bien ou du mal ? Le maréchal de Maillebois fe brouilla avec eux comme un fot, & entre nous je fuis perfuadé que cette brouillerie lui a plus nui que fa conduite. Je voudrois, s'il y a de la froideur entre le maréchal & du Vernay , que vous travaillafHez k les rapatrier. Vous leur rendrez a tous deux un bon fervice, & vous vous acquerriez des gens qui pourroient ne vous être pas inutiles ; tout fert en ménage , quand on a en foi de quoi mettre les outils en oeuvre. Au refte, je vous dis tout ce que je penfe, & tout ce qui vient au bout de ma plume; la confiance fans bornes eft la fuite de la véritable amitié ; celle que j'ai pour vous eft telle, que je ne fache perfonne qui puiffe 1'emporter dans mon cceur ; j'aime mon frère & ma fceur comme je vous aime, mais je ne les aime pas mieux. Mau-  d M. de Richdieu. repas a dit a Pont de Véle qu'il ne comprenoit pas mon frère, de trouver tant d'efprit a Chayigny, que pour lui il lui en trouvoit très-mé» diocrement; que de plus c'étoit un frippon. Mon frere a dit k Chavigny le premier article & n'a Ofé lui dire le fecond; je ne lui ai pas dit non plus, mais je le lui ai fait entendre. II me vient dans 1'efprit, qu'il faudroit .èfi*a~ ger le maréchal, & ly difpofer, a dire au rót qu'il feroit bon pour le bien' de fes affaires qu'il eut des conférences avec lui maréchal & av<5c mort frère. Si le roi étoit foutenu par la préfence du maréchal, il auroit peut-être moins peur de mort frère, & pourroit par-la s'accoutumer a lui. Le gafcon dit que madamede la Tournelle en a bonne opinion, qu'elle en parle comme d'un homme de tete & capable de bien entendre les affaires. Voici ceux qui font a la tête du parti Coigny ; d'Argenfon , madame de Mauconfeil, le marquis Matignon, qui conduit les intrigues &c qui fait répandre dans le public & dans les cafés les difcours qu'il veut accréditer; M. d'Enville pour épier dans les.petits cabinets. M. de Maurepas eft dans cettè cabale auffi bien que M. Amelot; mais c'eft lans fe concerter avec les autres : ils font porter au maréchal de Coigny les avis qu'ils veulent lui donner par la petite figure qui 1'écrit au.peïit Coigny. Je vous ai mandé qu'elle. avoit même voulu exiger du petit Coigny de lui envoyer la copie de toutes les dépêches du maréchal, & que le petit Coigny lui avoit répondu qu'il. ne le pouvoit pas, quelqu'envie qu'il eut de fatkfaire M. de Maurepas ; qu'il le prioit de confidérer que ce qu'il exigeoit de lui le perdroit au- Vij  308 Lettres di Madame de Tencin prés ctu roi, fi on venoit a découvrir leur intelligence; que fon père étoit très-attaché a Maurepas ; qu'il le feroit toujours, qu'il comptoit aufli entiérement fur lui. Ce qui vous étonnera, c'eft que M. l'évêque de Mirepoix eft pour Coigny, ou du moins contre le maréchal de Noailles; la raifon, c'eft qu'il croit tous les Noailles janféniftes. La du Chatelet court actuellement les champs; elle eft a Lille, oii elle eft allée pour être plus a portée des nouvelles de Voltaire dont elle n'a point regu de lettre depuis le 14. C'eft une tête bien complétement tournée ; elle me fait grand pitié malgré le mal que je lui veux de s'être tournée du cöté de Maurepas. On n'a pas dit le mot a Chavigny, de la négociation avec le roi de Pruffe ; elle eft pourtant en très-bon train , a ce que m'a dit la du Chatelet. Adieu, mon cher duc! Je ne vous parle plus de la princefTe : il ne faut pourtant pas fe brouiller avec elle, par les raifons que je vous ai dites. Le roi a écrit k Dufort qu'il vouloit que les extraits de lettres qu'il lui enverroit fuffent datés, & que le nom & le pays de ceux qui les écrivoient fuffent marqués. La marine a recu cette année 14 millions, ck n'a pas mis un vaiffeau en mer. Tirez fur cela vos conféquences. C'eft par-la qu'H faut attaquer le Maurepas. Da 9 o&obre. Depuis ma lettre écrite, j'en ai regu une de mon frère. II me mande que de Bets a vu madame de la Tournelle fous les aufpices du chevalier de Grille. La converfation n'a roulé que  d M. de Richelieu. 309 fur 1'idée dont je vous parle dans ma lettre : le roi furvint & interrompit la converfation qui doit fe reprendre ; je vous dirai ce qu'elle produira. J'aurois voulu qu'on vous eut entendu, & je 1'avois confeillé; mais il faut que le renouvellement du bail des fermes ait obligé de Bets k parler. Madame de Boufflers vous écrit; je 1'ai vue hier, & lui ai confeillé d'avoir un éclairciflement avec Madame de la Tournelle, d'avaler les dégouts , & d'aller fon chemin. C'eft Maurepas qui conduit la Lauraguais, qui fait toutes ces tracafferies. Si le maréchal n'y met ordre, les miniftres nous mangeront le gras des jambes; ils fe fortifient tous les jours. Mon frère n'écrit plus au roi ; il me femble qu'il fait mal : fi vous penfez de même, dites-le lui; il fera ce que vous lui confeillerez. Ce 20 mars 1744. Vous favez fans doute, mon cher duc, qu'il eft queftion que le roi doit prendre ce printems le commandement de fon armée; on dit que c'eft 1'ouvrage de madame de Chateauroux, qui a penfé comme mon frère, & qui a vu que c'étoit le feul moyen de rétablir les affaires. Vous devez bien penfer que cela ne tranfpire pas; ce que je puis vous dire, c'eft que madame de Chateauroux paroit plus contente d'elle dans ce moment. II eft facile de voir qu'elle a plus de crédit; &C quant a moi, je puis vous affurer que je fuis fort aife, en mon particulier, qu'elle s'en ferve aufli avan» tageufemenr. Voila donc le voeu de mon frère exaucé! & V iij  310 Lettres de madame de Tencin , &c. j'ai peine a croire. que madame de Chateauroux n'en ait pas eu connoiffance. Elle eft enfin parvenue a donner une volonté au roi; ce n'eft point un petit ouvrage, on doit lui en avoir obligation. Mandez-moi ce que vous pouvez favoir de particulier fur cet objet, pourvu que cela ne foit pas une vaine efpérance qui s'évanouilfe comme tant d'autres. Si le roi fait cette première démarche , il faut efpérer que 1'impulfion une fois donnée, fubfiftera quelque tems. On aflure qu'elle a employé les plus grands moyens pour réuflir ; cela fait 1'éloge de fon adreffe & de fon efprit. N'oubliez pas qu'il faut que mon frère obtienne quelque chofe, 8c qu'il eft tems, plus que jamais, de penfer a cela. II faut un département a un homme qui a envie de bien faire, 8c qui veut fervir fes amis. II eft queftion de M. de Belle-Ifle, mais on ne fait pas encore s'il fera employé; il eft bien avec madame de Chateauroux , 8c c'eft un préjugé en fa faveur. En tout cas, il a du talent, 8c s'il étoit moins confiant, il en auroit peut-être davantage. Mon frère vous fera part des grandes nouvelles politiques : car pour moi, je ne puis aujourd'hui que me livrer a mon amitié pour vous3 8c vous en aflurer pour la vie. J.  3n LETTRES' DE MADAME DU CHATELET A M. DE RICHELIEU. Je ne fais s'il eft flatteur de vous dire que vous êtes aufli aimable de loin que de prés ; mais je fais bien que c'eft un grand mérite pour une folitaire qui, en renongant au monde , ne veut point renoncer a 1'amitié, 8c qui feroit txès-fachée qu'une abfence néceflaire mit quelque lacune entre elle & vous. Vous favez aimer vos amis , non-feulement avec leurs défauts , mais même avec leurs malheurs, ce qui eft encore plus rare. C'en eft un grand fans doute que de ne pas jouir de votre commerce 8c des charmes de votre amitié ; de ne pas partager avec vous fes idéés, fes peines, fon bonheur, & je le fens dans toute fon étendue. Vous me faites efpérer que vous réparerez ce malheur autant qu'il eft en votre pouvoir , & cette efpérance adoucit les peines de 1'abfence auxquelles je m'accoutume d'autant moins que je crois votre cceur plus capable de regretter au milieu du brouhahas du monde & même des douceurs de 1'amour, les plaifirs de 1'amitié 8c de la confiance. J'efpère quitter Paris le %o , c'eft quitter un défert. Je ne puis vous exprimer le plaifir avec lequel je 1'abandonne; je crois que je ne regretterai que madame de Richelieu 6c vous, k Cirey. Je n'imagine de bonheur au-dela de ce- V iv  3 IZ Lettres dt madame du Chatelet lui que j'y goüterai, que celui que j'aurois k vous y raffembler. Plus je réfléchis fur la fituation de Voltaire & fur la mienne, & plus je crois le parti que je prend néceffaire. Premiérement, je crois que tous les gens qui aiment paffionnément vivroient a la campagne enfemble fi cela leur étoit poffible; mais je crois de plus, que je ne puis tenir fon imagination en bride que Ik : je le perdrois tot ou tard a Paris, ou du moins je pafferois ma vie k craindre de le perdre, & d'avoir des fujets de me plaindre de lui. Le peu de féjour qu'il y a fait, a penfé lui être funefte, & vous ne pouvez vous imaginer le bruit & le chemin qu'a fait cette pucelle. Je ne puis allier dans ma tête tant d'efprit, tant de raifon dans tout le refte, & tant d'aveuglement dans ce qui peut le perdre fans retour : mais je fuis obligée de céder k 1'expérience. Je 1'aime affez, je vous 1'avoue, pour ïacrifier au bonheur de vivre avec lui fans allarmes, ik au plaifir de 1'arracher malgré lui k fes imprudences & k fa deftinée , tout ce que je pourrois trouver de plaifir & d'agrément k Paris, La feule chofe qui m'inquiète & que j'aie k ménager , c'eft la préfence de M. du Chatelet. Je compte beaucoup fur ce que vous lui direz; la paix détruiroit toutes nos efpérances : mais je ne puis m'empêcher de la fouhaiter pour vous. Ma fituation eft affez embarraffante : mais 1'amour change toutes les épines en fleurs, comme il fera des montagnes de Cirey le paradis terreftre. Je ne puis croire que je fois née pour être malheureufe; je ne vois que le plaifir de paffer tous les momens de ma vie avec ce que j'aime, & voyez  d M. de Richelieu. 313 combien je compte fur votre amitié, par la confiance avec laquelle je vous parle de moi pendant quatre pages fans crainte de vous ennuyer. II elf affez infipide d'en revenir aux tracafferies du monde après cela : cependant j'en ai d'affez intéreffantes a vous mander. Cette pauvre madame de Modène a recu un ordre du roi très-dur, de partir avec fon trifte mari. Sur cela, elle eft partie pour Verfailles, a demandé une audience du roi : on la lui a refufée ; elle 1'a attendu comme il pafloit dans la galerie pour aller a la meffe, &c 1'a arrêté malgré lui, en lui difant : Sire , vous rende^ juftice d tous vos fujets; j'efpère que vous ne la refufere7^ pas d une princejfe qui a l'honneur de vous appartenir d'aujfi prés que moi. Le roi a paffé fans lui rien répondre ; le cardinal étoit derrière qui n'a rien dit : elle eft revenue a Paris fondant en pleurs, & jettant les hauts cris. Cela s'eft paffé aujourd'hui. Tout Ie monde s'attendrit fur fon fort, & la plaint. On croit qu'elle en partira cette fois plutöt; cela a bien l'air d'un parti défefpéré. On dit que dans le fond, M. de Modène eft bien aife qu'on la force a le fuivre. On dit de plus, que madame d'Orléans leur a offert de les loger au palais royal, fi fon mari vouloit refter. II veut aller voyager. On dit que 1'argent leur manque; cela attire toute 1'attention du public. Pont de Véle a madame de Luxembourg , (cette nouvelle eft plus gaie, vous me 1'avouerez,) ou du moins fe porte pour tel. II la prcnd pour une bonne fortune, & elle croit que le public eft obligé de lui en trouver plus d'efprit. Le pas de fix eft imprimé & défendu de par M. le lieutenant de police. Je ne ferois pas  314 Lettres de Madame du Chatelet fac'hée qu'il fut brdlé par 1'exécuteur de la hautejuftice, poiur montrer a madame de Brancas que ce fiècle-ci a des mceurs. Elle eft toujours a Dampierre. Je ferois charmée qu'elle eut un fond de goüt pour moi : car s'il n'eft pas fondé fur la raifon , il 1'eft du moins fur la loi du talion; car vous favez combien j'en ai pour elle : mais je crois que fur cela, comme fur fes voyages a Marville, vous êtes fa bouflble. On ne croiroit pas la fimple amitié de fon reflbrt, mais fon zèle embraffe tout. Cela s'appelle étendre les droits de fa charge. Madame de Rohan & madame de Boufflers font raccommodées & s'aiment a la folie. Je ne trouve pas felon 1'état des chofes, que cela foit décent k madame de Rohan ; on prétend qu'elle n'ignore pas que madame de Boufflers a dit cet hyver k tout le monde, qu'elle avoit fait fuivre M. de Boufflers, & qu'on 1'avoit vu fortir plufieurs fois de chez elle a 5 heures du matin , & qu'a. Paris ils fe voyoient chez une madame de Rabor qu'elle nommoit. Si M. de Boufflers 1'a fu, je ne fais comment il 1'a fouffert. On dit que madame de Rohan lui dit en fe raccommodant & en préfence de M. de Rohan : Madame, Ji ce font les propos du public qui vous font dejirer de vous raccommoder 1 avec moi, c'ejl me faire une bien plus grande injure que toutes celles que vous m'ave^ faites, de croire que je fuis capable de vous nuire dans Pefprit de votre mari. Ce qu'il y a de für, c'eft que j'ai foupé avec ces deux dames chez le cardinal, & qu'elles n'ont pas cefTé de chuchoter. M. d'Orléans offre 6000 liv. k Chaffe , & 10,000 liv. a mademoifelle Dufrefne; il n'aura pas de ceffe qu'il n'ait fait tomber  d Af. di Richelieu. 315 1'opéra & la comédie. Les directeurs ne favent plus de quel bois faire flèche. Le voyage de Marly eft remis au lendemain de la Notre-Dame d'aoüt, jufqu'a la veille de celle de feptembre. II n'y aura plus de Petit-Bourg & de Rambouillet. On croit madame de Vaujours grofie, dont la familie eft tranfportée de joie. La Magie de 1'amour , petite comédie d'Autreau prife des Veillées de Theflalie, a attiré beaucoup de monde, quoique déteftable : je 1'ai vue, mais j'avois pour compenfation Héraclius que je n'avois ni vue ni lue, & qui m'a enchantée; c'eft a mon gré le chefd'ceuvre de 1'efprit humain. Je ne fais fi j'ai tort ou raifon. J'ai foupé chez la petite Crevecoeur le même foir; elle m'a fort demandé de vos nouvelles & de celles de madame de Richelieu. Le duc de Bécheran y étoit, plus ridicide que jamais ; fes poches pleines de lettres de la Forcalquier a drolte , & de madame d'Aiguillon a gauche, qu'il n'a celfé de montrer. Je crois que je ferai obligée, malgré mon bon cceur, de 1'abandonner : il eft trop ridicule aufli 1 Je n'ai pas lu Ramfai : mais le jugement me paroit général. Vu mon goüt pour 1'hiftoire & pour les in-quarto, vous croyez bien que je ne le lirai pas. Je n'ofe quafi vous envoyer cette lettre; mais il faut que vous vous accoutumiez k mes bavardages; tout eft bon fous la toile. Adieu! mandezmoi de vos nouvelles. J'efpère que vous vous portez bien k préfent, mais je veux le favoir, & fi vous avez autant de plaifir a lire mes lettres, que j'en ai k vous les écrire.  316 Lettres de madame du Chatelet Je vous ai écrit avant hief; je n'ai pas une nouvelle k vous mander, mais il m'eft impoflible d'être plus long-tems lans répondre k votre lettre, fans vous dire le plaifir extréme qu'elle m'a fait. Je trouve dans votre efprit tous les agrémens, 8c dans votre fociété tous les charmes que tout le monde s'accorde d*y trouver : mais je fuis fure que perfonne n'a plus fenti que moi le prix de votre amitié; votre cceur a prévenu le mien. Je croyois qu'il n'y avoit que moi qui connüt 1'amitié d'une fagon fi vive , 8c j'enrageois toujours dans les marqués que je voulois vous en donner, tantöt par fcrupules, d'autres fois par crainte , toujours par défiance de moi-même. Je ne pouvois croire que quelqu'un d'auflï aimable, d'aufll recherché, d'aufli aimé, put fe foucier de démêler les fentimens de mon cceur d'avec tous mes défauts. Je croyois vous avoir connu trop tard pour obtenir une place dans votre cceur; je croyois aufli, je vous 1'avoue, que vous étiez incapable d'aimer avec fuite quelqu'un qui n'étoit pas néceflaire a vos plaifirs, qui ne pouvoit point vous être utile, 8c qui ne plaifoit point k votre maitrefle. Pardonnez-moi d'avoir penfé cela : vous favez fi tous les commerces auxquels on donne le nom d'amitié fi injuftement, ne font pas fondés fur ces relations. On a tout lieu de craindre que ce fentiment dont on fait tant de cas, ne foit un mot dont on fe pare fans le fentir : mais vous, homme unique, incomparable, vous favez tout allier; délicieufe amitié, ivrefle de 1'amour, tout eft fenti par vous, 8c répand le charme le plus doux fur vos belles deftinées. Je vous avoue que fi après m'avoir pour ainfi  a Ai. de Richelieu. 317 diré forcée k m'abandonner k mon amitié pour vous, & k la vérité de mon cceur, vous ceffiez, (je ne dis pas de m'aimer) mais de me le dire; li vous mettiez la moindre lacune dans votre amitié ; li les propos, ou les plaifanteries des gens k qui je plais aujourd'hui, & k qui je déplairai peut-être demain, faifoient la moindre impreffion fur votre cceur, je ferois inconfolable. Je fuis ainfi dans 1'amitié; 6c au travers de la plus extréme défiance de möi-même, mon cceur croit être en droit d'exiger les fentimens les plus inaltérables. Voltaire me paroit s'amufer a merveille en Lorraine, 8c j'en fuis ravie. Je ne fuis point comme le chien du jardinier; il a vu tous les princes & princeffes, a été au bal k la comédie, fait jouer fes pièces, répéter les aftrices, öc fur-tout il voit beaucoup madame de Richelieu, 8c m'en paroit enchanté. Je voudrois que vous paffafliez quelque tems k la campagne avec elle; fon caraftère mérite bien la peine d'être approfondi, 8c il y a peut-être peu de perfonnes qui gagnent plus k 1'être; elle eft trés-contente, très-fêtée, très-recherchée, 8c elle a un affez bon efprit, pour préférer des empreffemens fincères a des louanges fauffes 8c captieufes dont on 1'accableroit a Marly ou a Verfailles. Je fuis dans 1'étonnement d'être a Paris, au-lieu d'être k Luneville. J'attends avec ïmpatience qu'elle me mande fi je pourrois y aller; car je ferois ravie, je vous 1'avoue, de vivre entr'eux deux. Madame de Brancas m'adore depuis votre départ, 8c auffi je fais fa volonté tant qu'elle veut; j'y ai foupé prefque tous les foirs. Puifqu'elle fait les chofes, il eft inutile d'y mettre de la politique, ^de faire femblant d'être  3 18 Lettres de madame du Chatelet engagée, pour qu'elle ne s'appercoive pas du changement de ma conduite; vous favez que tout cela n'eft pas mon fort. Elle m'a rendu votre dernière converfation; elle dit que c'eft un piège que vous lui tendiez, & puis elle fe retourne, & exagère 1'enthoufiafme oii vous êtes de madame d'Autrec; elle prétend que vous êtes fujet a la maladie de 1'enthoufiafme : elle veut apparemment que je fois jaloufe des préférences que vous avez données a madame d'Autrec; mais je PafTurai que je lui cédois en toute humilité, les avantages de 1'efprit & de 1'imagination, bien füre d'avoir ceux du cceur. Je vous avouerai que je n'ai pu réfifter k 1'envie de me vanter avec elle d'avoir recu une lettre de vous de Strasbourg, & de lui en dire quelque chofe; c'eft la feule infidélité que mon amitié vous fera jamais. Mais vous n'auriez pu k ma place réfifter; vous pouvez compter qu'après madame de L... je fuis a préfent la perfonne du monde qu'elle ménage le plus. AfTurément, pour celle-ia, fi elle lui échappe, il y aura du malheur, car elle prend fes mefures de loin. Madame de Lauraguais eft tombée ; elle s'eft fait faigner hief , & doit aller,, dès qu'elle pourra fortir de Verfailles, a Dampierre, a St. Maur tk k Morville. M. de Forcalquier prend du lait paifiblement chez fon oncle, & s'en trouve trés - bien. On dit que madame d'Orléans veut abfolument que madame de Modène s'en ajlle; cela eft douloureux. On dit la paix faite. La | lettre de la de Seine eft imprimée avec des notes; je ne 1'ai pas vue ; on la vend pourtant publiquement au palais. II y a une note affreufe fur madame Portail; c'eft bien cela qu'il faudroit brüler par la,main du  d M. de Richelieu. 319 bourreau. La vie de M. de Turenne paroit, Se je ne 1'ai point lue. L'afFaire de madame de Naffau fait un bruit affreux. M. de Bomfin eft décrété d'ajournement perfonnel, un autre qu'on ne connoït point, de prife de corps, MM. de Pons & Bonnivet tout fimplement. Les dépofitions font affreufes; elle s'eft réfugiée a Verfailles; on a été dans fa maifon a Paris, pour la mener en prifon. Vous m'avouerez que l'on voit de fingulières chofes. Si vous voyez M. du Chatelet, comme je n'en doute pas, parlez-lui de moi avec eftime Sc amitié ; fur-tout vantez mon voyage, mon cou«rage, Sc le bon effet que cela fait dans le monde. Parlez-lui de Voltaire fimplement, mais avec intérêt Sc amitié, Sc fur-tout tachez de lui infinuer qu'il faut être fou pour être jaloux d'une femme dont on eft content , qu'on eftime , Sc qui fe conduit bien, cela peut m'être effentiel, II a un grand refpect pour votre efprit, Sc fera ai-^ fément de votre avis fur cela. Vous voyez avec quelle confiance je vous parle; vous êtes affurément la feule perfonne dans 1'univers, a qui j'ofe en dire autant. Mais vous connoiffez ma facon de penfer, Sc je compte que cette marqué de confiance augmentera votre amitié, fans rien prendre fur votre eftime. Je m'abandonne au plaifir de vous écrire ; ma lettre eft une converfation fort longue. Je crois même qu'il ne faudroit pas tant parler que cela , mais je ne fuis point fur mes gardes avec vous; je laifle aller ma main tant que mon cceur la conduit. Si vous n'aimez pas les longues lettres, je vous en écrirai de plus courtes; mais vous trouverez dans toutes la plus tendre Sc la plus inviolable amitié.  3 zo Lettres de madame du Chatelet Ce dimanche ïs. S i vous voulez le pas de fix, je vous Pen* verrai. II y a toujours bien a gagner, foit que ce foit votre imagination ou votre cceur qui parle ; il eft bien hardi de choifir, mais inoui que je préfère le dernier. Ce qu'il y a de bon avec vous , c'eft qu'ils ne vont jamais 1'un fans 1'autre. Quelque difficile que je fois a vivre, (& jevousavoue que je le fuis prefque autant pour mon ami que pour mon amant) je fuis bien contente de votre lettre. Vous viendrez donc voir le phénomène, deux perfonnes qui ont paffé trois mois tête-atête, & qui ne s'en aiment que mieux. Vous êtes fait pour n'être étonné de rien, & moi qui prends le parti de votre cceur même contre vous, je prétens que vous feriez digne de ce bonheur : on ne connoit pas fes forces ; 1'amour m'a fait connoitre les miennes : je vous jure que qui m'eüt dit, il y a deux ans, que je ménerois par choix la vie que je mène, j'en aurois été bien étonnée; mon cceur n'avoit pas d'idée du bonheur. J'avois beaucoup cherché & rencontré bien rarement les gens avec lefquels vous ave^ pris patience : il n'eft pas étonnant que vous les ayez trouvé plus fouvent que moi; ils vous fuivent toujours, je ne vous ai jamais vu fans ce cortège, &c ce n'eft pas le cas de dire retranche^ le fafle. Si ceci n'eft pas la théorie du fentiment: j'ai bien peur que ce n'en foit le perfiftlage. Je me reproche de mêler de la plaifanterie parmi des chofes fi facrées; mais vous favez tout entendre & tout démêler. Savez-vous que je n'ai fouffert qu'avec peine que vous com- pariez  • CHAPITRE XIII. Le maréchal de Richelieu reprend une maitreffe qui lui avoit été enlevée par l'archevêque de Bordeaux. LI va voir Foltaire; madame de Lauraguais l'accompagne jufqu'a Lyon. Richelieu fait la gageure  des Matières. 341 de conduire une dévote jufqu'au dcnouement de Fintrigue, & de l'abandonner. 158 CHAPITRE XIV. Le comte dit Barry fait connoitre au maréchal fa maitreffe, mademoifelle Lange; cclui-ci lui donne d fouper dans fon pavillon du boulevard ; du Barry fait part de fes projets au maréchal qui en plaifante ; il fe démène tant quil préfente mademoifelle Lange d le Bel; elle devient maitreffe de Louis XV; on lui infpire de la haine pour Af. de Choifeul ; mort de le Bel, occajionnée par une vivacité dc Louis XV. 174 CHAPITRE XV. Madame du Barry efl préfentée. Elle fe fait attendre le jour de fa préfentation. Le roi efl dans un trouble inconcevable. M. de Choifeul eft difgracié. Richelieu veut entrer au confeil, & ne peut y parvenir ; il veut aU moins quun homme de fa familie foit dans le miniftère ; & il fait nommer M. d'Aiguilloni Le maréchal eft un des plus %élés ftrviteurs de la favorite. 182 CHAPITRE XVI. Deftruciion des Pariemens. Raifon qui portoit Richelieu d les hair; il eft chargé de faire enregiftrer Vêdit de fuppreifton du Parlement de Bordeaux , & de la Cour-des- Aides de Paris ; conduite qu'il tient d la Cour. 196 CHAPITRE XVII. Suite des détails fur la cour. Mort de Louis XV. Richelieu retourne d Bordeaux, zii  34* Table des Matières. CHAPITRE XVIII. Procés dc madame de Saint-Vincent; détails fur cette affaire. On ótc le commandement de la Guyenne au maréchal, & Louis XVI ne veut plus quil aille dans fon gouvernement, d moins que le maréchal de Mouchy , qui y commande , n'y foit. Richelieu écrit au roi. Rêtabliffement des Pariemens ; jugement du procés du maréchal. Hifioire d'un nommé Colin. 226 CHAPITRE XIX. Richelieu parvient d fe faire des amis d la cour ; il ejl moins mal vu du roi, & home fon ambition d régir la comédie Italienne ; détails de fes plaifirs. II revoit Voltaire d Paris. II fe marie pour la troifïéme fois, & époufe madame de Rhote; événement qui déterminé ce mariage. 243 CHAPITRE XX et dernier. Le maréchal s'occupe entiérement du tribunal & de la comédie; il va faire fon fervice d la cour; il ejl pendant quelque tems le feul premier gentilhomme de la chambre, en état de faire les fonclions ; il n'efi point fidéle d fa dernière femme; une ancienne maitreffe le fait fon légataire univerfel. Affaire de Af. de Noé, £ Arthur. Le maréchal perd la tête; on lui óte le tribunal; il meurt. 261 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Lettres de madame de Tencin d M. de Richelieu. 281 Lettres de madame du Chatelet au même. 311 Fin de la table des matières du fecond volume.