CHARI-HS C AR RINGTON, ijifirairesfiblteur, 13. Faukoukg montmartre, 1'ARIS, IXc.     L A P A Y SANE' PERVERTIE, o u LES DANGERS DE LA V1LLE. Tornt I, Tank J, A   L A PAYSANE PER FE RT IE , o u LES DANGERS DE LA VILLE; Histoire v'Ursule R** , fxur SElmonl , le Papan , mise - au-jouf êüaprès les véritables LettRB^ dcf Perfonages : Par 1'Auteur du Paysan Perverti. TOME PREMIER. Imprimé A LA HA IE. Et fe trouve a Paris €he\la d.me Veuve Duchefne, libraire, en la rus Saintjaques, au Temple du Goüt. M.-dcc-l xxxi y.  L'LDITEUR AU LECTEUR. 7 %/ OF FR E avec confiance eet Ouvrageau Publiq : Que j'en-Jois l'Auteur, oa que j'aye mis Jeulement en-ordre les Lettres qui le compofent, ü n'en-efi pas moins-yrai, que les perfonages y parient commc ils le doiyent, &> que fans le fecours de la Joufaiption, on devineroit leur con. iition aleurflyle. Celui de Fanchon ejt£un naturel frappant, &■ c'ejl des Lettres de cette vertueuse Belle-faur 4e la Paysane , que j'atrens un fuccès mérite : la religioa , la tendrejfe paternelle, materndle , filiale , fraternette y bnllent d'un éclat pur & fans nuage On trouyerz dans cette Produclion , le fimple , l'attendriffant, le fublime , le terrible ; le vice y ejl peint hideus , la vertu, comme elle ajfifte devant le trène de Dieu ; on y voit lol naïveté , l'innocence, la perverfton , la yolupte', la débaüche, le remords, la pémtence , une conduite admirable &■ digne d'une Sainte, dans la mème Pefone, fans qu'elle chanfre de caradere ; le vice lui e'tait étranger» &■ la vertu naturelle; laiffèe a elle-mème , elle y r.evient. Que les petits Purifies critiquent, f'ih l'osent, & le iyle & les détails: tout cela part du cceur, &■ ih ne Is tonnatjfent pas ; ils n'ont que de l'efprit. ^ Cet Ouvrage (omplète le PAYSAN*  P RÉFA CE DE L'ÉDITEUR. Je reprens ici un titre qui m'appartient, On a prétendu traiter ce fujet d' imagination : mais la vérité , que j'avais par-de-vers mei , ejl bien-audejfus d'une ficlion mal-digérée. uiurejïe , je ne me plains pas du faible Imitateur qui, me croyant auteur des Lettres du Paysan Perverti , a voulu brocher une Piysane, comme il f'ejl figuré que j'avais' composé le Paysan Perverti: loin-de-la ! je youdrais qu'il eüt mieux réujji; on aurait en le plaisir de comparer le vrat avec le beau vraifemblable. Je dirai plus , je lui dois de la reconnaijfance , puifque la leclure de fon Ouvrage a tellement excit» l'indignation du bon Pierre R * * mon compatriote , que c'ejl le principal motif qui t'a aéicrminé a me communiquer fes découvertes , au fujet de fa Saur Uifule. Ainfi l'on peut regarder ce nouveau Recueil comme le complément du A 3  6 PRÈFACE DE I/ÉDITEUR. Paysan Perverti; & a ce titre 5 il ejl precieus ; car Urfule détaille fouvent, ce qui n'a étê qu'indiqué dans le Paysan; elle va dévoiler les fecrets de fa propre conduite, comme Femme ; on ver ra dans fa pctite vanité, dans la découverte qu'elle fait des fentimens de Jrfme Parangon, lorfque cette Dame fe les cackait encore a elle-méme } le principe de fa corruption fut ure , qui fe dcyclope peu- a-peu ' & dans chaqu'une de fes Lettres. L'intérêt, la coquetterie, le goüt d'une liberté indéfinie itoujfent infenjiblement fa délicateffè : tandis que le Corrupteur de fon JFrère, qui a fes yues , achève de la pervertir , dans Vefpoir qu'elle fervira au fuccès de fes dejfeins fuv JEdmond.  POINT-DE-VUE DES IV TOMES. Premier, sule, fur la demande de fon Frère Edmond , eft envoyée a la Ville , oü elle apprend d'abord la tromperie qu'on a faite a fon ïrère , en lui fesant épouser une Fille féduite par fon Maitre : Elle y eft elle-même tentée par eet Homme. Elle vient a Paris , ou elle eft troavée jolie , & recoit des Billets-doux , donc elle rend-compte a fa bellefoeur Fanchon. Elle voit les promenades, les fpectacles. Elle ose répondre a un Billet du Marquis , qui f'en-autorise. Elle a des préfentimens de fon prochaia malheur. Second. Urfule eft enlevée par le Marquis : il lui fait violence , & la tient enfermée dans une maison-de-campagne, jufqualuiitantoü Gaudét la découvre , & obtient des ordres pour la reprendre. Gaudét f 'arrange avec la Familie da Raviffeur, Sc fait donnet a la Jeune-perfonne une fomme confidérable : M.tne Parangon, quoiijueyertueuse, fait des confidences dangereuses. Urfule revient chés fes Parens, qui la recoivent avec tranfport. Elle retourne a Paris. Son Frète fe bat avec le Marquis : elle raimre fes Parens, qui aiment le courage emporté d'Edmond. Troisieme. Urfule met au monde un Fils d'après la violence que lui a fait le Marquis , fon raviiTeur. Gaudét lui écrit pour lacorrompre , par des vues doublement coupables. 11 1'empèche d'épouser le Marquis, & éloigne adroitement de ce mariage les Parens du Raviffeur : 11 la rendamourcuse d'on Yaurien : II emploie Lauro A 4  pour la tromper : II Ia détermine a fe IaifTei entretenir par le Marquis. Urfule parvenue a cepoint, la perverfion eft rapide : lilletrompe k Marquis , d'accord avec 1'Epouse de ce Seigneur: Elle donne dans la galanterie la plus lcandaleuse : Elle féduit fon Sédudteur luiinême ; & le livre a la débauche la plus rafinée. Elle veut excroquer au jeu , de-concert avec fon Frère Edmond , & elle fe proftitue a un Tripon qui lui montre a riler les cartes, mais qui la. trompe : elle eft ruinée en-une féance avec fon Frère. Elle a joué un tour fanglant a un ltalien ; pour fen-venger, illa faitenlever, la force d'épouser un porteur-d'eau , qui , déguisé en Seigneur , 1'avait entretenue & dupée. L'In- i fortunée eft réduite a une fituarion qui fait frémir : Le Nègre de 1'Italien lui fait violence : Quatrieme.Urfule éprouvede nouveües horreurs: Elie poignarde ie Nègre : Elle eft confinée dans un Lieu infame : elle f'en-échappe , Sc fabandonne enfuite volontairement: elie gagne nne maladie honteuse , & tombe en-lambeaux : On la traite : elle eft mise a 1'HöpitaI : elle revient a elle-même : elle fait une vraie pénitence: elle eft frappée des malheurs dc fon Trcre : Elle épouse le Marquis , & vit avec lui comme une Sainte : mais fes anciens crimes ne peuvent étre lavés que dans fon fang; elle eft poignardée par fon Frère , qu'elle recönnaït enrecevant lecoup mortel. Les trois corps, d'Urfule , de fon Frère , & de M.me Parangon font tranfportés a S** : on les inhume aux piéds. du Père & de la Mère d'Urfue.  LA PAYSANE PERVERTIE, OU LES DANGERS DELAVILLE; Histoirjs cTUrsule R** , miseait-jour d'après les ve'ritables LeTT ReS des Perfonages. AVIS TROUVÉ A LA TÊTE DU RECUEIL. M e s chers Enfans: Ma Femme, votre digne & bonne Mère ( dont Dieu aye l'ame dans fon fein paternel) ayant jufqu'a la mort gardé intacl le dépot des Lettres de fa Bellefaur Urfuie , ce n'a été que préte a rendre l'ame, qu'elle me Va remis. Au dernier voyage  ïo Paysane ïertertii. que j'ai fait a Paris , pour y voir le Comte mon neveu, & lui exposer les fruits de notre adminiftration d'Oudüü s & de fes bienfaits , je l'ai prié auffi de voir, f'il ne trouverait pas dans les papiers de feue fa pauvre Mère ( que Dieu luifajfe paix & mise'ricorde ) , quelques lettres qui puffent me fervir a vous donner d'utiles lef ons, & fur-tout de celles de votre tonne Mère. II a eu la bonté de fy préter, & il en-a trouvé un affés bon nombre, qu'il ma remises, & que j'ai rajfemblées dans cette liaffe, pour qu'elles demeurent dans notre Familie , comme un Livre inflruclif: Car on y verra que le principal défaut qui a perdu notre Familie , a étê l'intérct, fi ordinaire aux Gens'de-campagne , & qui efl fi apre en~ eux , qu'encore qu'ils ayent de I honneur , ils Ie font paffer avant tout: Et je fouhaite que ce fecond Recueil foit un préservatif pour les Filles qui fortiront de moi , dans tous les temps futurs } tant que le glorieus Royaume de trance fubjiftera. Je , fouffïgné, ai remis ces Lettres a m.rN.- E. jR" d'-l- -, pour qu'il lesfajfe imprimer comme les premières, figné Pi, H**.  Part e ï. iJ PREMIÈRE PARTIE * * N otre Sceur Urfule était , ainli qu'Edmond , ce qu'on peut voir de meilleur & de plus aimable; Sc ce fut a-caufê de leur exceilence que notre digne Père &C notre digne Mère les envoyèrent a la Viller. Sans plus parler d'Edmond , dont les malheurs ont fait tant de bruit dans le monde, ïe dirai ici d Urfule , que c'était la grace du visage & du corps; la douceur , la naïveté, la candeur du cara&ère ; la bonté du cceur ; la générosité de l'ame , comme elle m'ena donné des preuves dans le cours de fa vie , fur-tout avant fes chutes fi lourdes & fi épouvantables , & après, pendant larude pénitence qu'eile en a faite , comme on le verra par ces Lettres. Mais il convient , qu'avant de découvrir cette pauvre Sceur, tant regrettée ! Je montre quelle elle fut, lorfque la corruption des Villes , qu'habitent Ceux qui doivent lire eet Ouvrage , comme ils ont lu 1 autre, concernant mon pauvre Frère , navait pas corrompu & fangé en-elle 1'image de Dieu , gaté les beautés de la belle Nature , & qu'elle était encore telle que le Tout puifTant Tavait créée ; & que je leur falie voir , que tout ce qui a perverti  li Paysani perverti e. & vicié ma pauvre Sceur , était non dans ion cceur droit & fimple, mais dans vos Villes, ó Le&eurs, dans ce féjour de perdition , oü Ton na pu foufirir que cette belle Créature confervat fa noblefie native & fon excellence de cceur & d'efprit; pareequ'eile aurait fans-doute trop-humilié les Dirrbrmes d arae & de corps, dont les Villes font pleines !.... Mais pardonnez ce lang.ige a ma douleur! & qu'il me foit feu'ement permis de dire, que f, ma pauvre Sceur eut été moins belle, elle aurait été moins-attaquée, moins-tentée , mo.ns violentée par les Méchans, & que peut-être aurait-elle, avec la grace du Seigneur , échappé a la perver/ion. Dès fon enfance ; Urfule était déja aimable , tant par fa douceur , que par fa jolie figure ; ce qui la rendait 1'admiration de tout le monde : Et tous-Ceux qui venaient a la maison , chés nos chèrs Père & Mère, demandaient a la voir : Et on disait a notre Mère : — C'tft tout votre Porrrait; mais ene a en-outre quelque-chose d'angéliq , qu'eile ne tient que de Dieu-. C'eft ce qui fit qu'une Dam-, qui vint a-paffer par le pays , & qui logea chés nous, la demanda pour 1'emmener avec elle, promettant d'enavoir grard-foin , & de la traiter comme la Fille. Notre bonne Mère , tant qu'eile crut que la Dame ne parlait pas férieusement , y accordaitde bonne grace, en-riant, & notre refpechble Père, lui, y alait tout-  P A K. T I I I. IJ de-bon : mais quand elle vic que !a Dame fesait déja les arrangemens, &c qu'eile ne badinak pas , elle fe prit a pleurer : fi-bieu qu'il falut lailfer Urfule: ce que notre Père ne trouva pas bon ; & pourtant il ne vouluc pas lui donner le chagrin de lui óter de-fotce Une de fes Enfans: & depuis fouvent il enparlait: & c'eft ce qui a fait fans-doutc que jamais notre Mère ne f'eft depuis opposée au départ d'Edmond & d'Urfule , quand il a été queftion de les envoyer a la Ville : car cette excellente Femme fe fouvenait de ce que lui avait dit notre Père ; & elle regardait comme unechose très-vilaine & vicieuse, qu'étant Femme , elle alat contre les voloutés de fon Mari, qu'eile regardait comme fon Seigneur & Maitre, & auquel elle fesaic profeffion d'être foumise , non de parole feulement , mais d'efFet, comme elle en-a donné 1'exemple toute fa vie a fes Filles, mes très-chères Soeurs, Et a-mesure qu'Urfule grandilTait, elle devenait de plüs-en-plüs aimable & gentille, même de caradère ; fi-bien qu'tlle fesaic nos délices a tous : car elle était bonne , obligeante , prévenante ; & elle fe fut privé ■de fon nécelTaire pour nous le donner. Auffi Un-chaqu'un de nous Taimait-il, au-point qu'elleétait au-milieu de nous-tous, Frères 8C Sceurs , comme une petite Reine, que Chaqu'un craignait de mécontcnter. Et pareillemeut en était-il d'Edmond : c'étaient les deux Bien-aimés, non-feulement da  14 Paysane hrtemii, Père & Mère , mais de Frères & Sceurs. Ec encore que nous vïflïons bien tous qu'ils étaient plus aimés que les Autres, a cause de leurs gencilles faces & minois agréables, qui ne permetraient de leur parler comme aux autres Enfans ; fi pour-tant eft-il iur, qu'Auqu'un de nous n'en-fut jalous ; mais nous fentionsen-nous-mêmes que c'était une juftice qu'on leur rendait; & nous cherchions a-gagner leurs bonnes-graces: & ce qu'il y avait de merveilleus, c'eft qu'ils ne f'en-prévalaient pas: aucontraire, ils étaient d'autant plus accorts envers nous-tous, que nous les recherchions davantage : & quant a ce qui me regarde en - particulier , tout-fêtés qu'ils étaient, ils ne me parlaient qu'avec refpect, comme a leur Ainé , craignant de me déplaire, & recherchant entout mon approbation : car ils me disaienc fouvent , lur-tout Edmond : — Tu es i mes yeux 1'image de notre refpeótable Père; notre Père eft 1'image de Dieu ; & par-ainfi, Pierre , je vois auffi Dieu en-toi, & je t'honore & honorerai jufqu'au tombeau-. Et il m'a honoré , même dans fes égaremens. Et Urfule m'a honoré , même dans le temps qu'eile avait oublié Dieu , notre divin Père ; & jamais ni Elle, ni Edmond , n'ont dit une parole peu - refpectueuse k mon égard, non pas même une penfée n'eft jamais née dans leurs cceurs , qui ait fait brêche a leur amitié pour moi: Aulli les ai-je toujours tendrement portés dans  Parus T. if ïe mien , & ies y po terai-je jufqu'au tombcau Ec quand il fut qir ftion de les cnvoyer a la Vilie , quoiqu'Un-chaqa'un de nous ( hors taoi ) en rut envic , fi est ce p >urtant qu'én-nöus-laêrnes nous penlions tou- : —1 G'eft a Urfule , cYft Edmo-d qu'il y convieHt d'aier . Car fff ótivement , il n'y avait Auqu'un de Nous qui eüt autant de gertilieiTe de figure pour f y faire honneur , & fe faire aimer & recherclv r ; ni de noblelTe d'ame , pour 1'y montrer digne do notre fang ; ni de tendrelle filiale & fraternelle , pour l'y fouvenir de nous &C nous y fervir : Ainli , au d.fcours que tint notre refpeótable Père , un-!oir a-ta'nle : —1 J'ai de nombreus Enfans ; & il faut que Queïqu'un fe poulfe , pour aider &1outenir les Autres , qui a-faute de bim, tomberont & déchéeront , après moi: par-ainfi , j'enmcttrai Un ou Deux, a la Ville A ce difcours , disais-je , ainfi tenu a table enconverfant avec ma Mère , Un-chaqu'un de nous porta ies ieux fur Edmond & fur Urfule. Et Edmond le vit bien , ainfi qu'Urfule; & leurs beaux ieux pétil'ièrent du feu de la joie ; car il nous aimaient ten* drement; & ils ne voyaient pas les dangers qui les attendaient, mais feulement le fervice qu'ils pouvaient nous rendre. Et notre bon Père vit aufli tout ce qui fe pa(Tait dans les cceurs de fes Enfans ; & fa digne ame en-fut émue j car nous vimes des larmes  tS P A Y S A N E PERVERTI E. rouler dans fes ieux. 11 fe retourna du coté •de la cheminée , audelTus de laquelle étaic ïe portrait de fon Père , & il le regarda , comme f il 1'eüt confulté : Ec certainement le digne Homme lui rendaic hommage auFond de fon cceur filial , d'avoir de fi agréables & honnêtes Enfans, qu'Urfule &C Edmond : Ec oü eft-ce qu'on en-pourrait trouver qui fuffènt mieux-nés, mieux difposés, plus fpirituels, plus portés au bien!... Mais le Seigneur les a pris pour viótimes des fautes de la Familie ; il les a choisis comme deux Victimes fans macule ni tache, Sc il a dit au Malheur , Frappe , Et le Malheur a frappé. Que le faint-nom de Dieu foit beni! notre vie lui appartient, ainfi que nos Perfonnes, & il n'y a point a lui demander: Pourquoi m'as-tu traité ainfi? Et quand Edmond fut parti pour aler a la Ville , & qu'il eut commencé a m'écrire qu'il fy déplaisait, Urlule , qui avait toujours été du même fentiment que lui enroutes-choses } n'en-fut pas en-ca : car elle me dit: -— Mon Frère Pierre , je crois que mon Frère Edmond f'écoute trop dans fes dégoüts , & qu'il n'attend pas afles, pour voir f il ne fe fera pas: car il eft vif & impatient a la peine , & c'eft fon feul défaut; & il me femble , a moi, que je ne me découragerais pas fi vite-? Je penfai tout comme elle ; car nous approuvons fouvent ce qui nous eft contraire. Et quand Edmond commenca d'aimer un-peu la Ville, 6c qu'il dit qu'il  PARTII I, 17 qu'il f'y accoutumeraic, Urfule ne fe fentak pas d'aise : — Je retrouve enfin mon Frère , me difait-elle ( hélas ! elle ne Le retrouvart donc que pour le perdre !) & je le fecpnnais a fes nouveaux fentimens-. Et elle me difak fans-cefle de le foiliciter pour la demander, Et quand il la demirda , ele en-était d'une joie , que je trouvai trop-grande , moi , pauvre aveuglé , qui en-approuvais alors le motif 1 Et elle fe mourait d'envie d'al rak Ville : fi-bien que huitjoursaprèsla première Lettre oü. Edmond en parlait, f etant présenté un joli Garfon , fort-riche & un-peu de nos Parens , qui f'ouvnt a moi du deflein qu'il avait de demander Urfule , je lui en-fis la confidence a elle la première: Maiscomme elle favait que ce Jeune- homme était ai mé de notre Père , & qu'il 1'avait mainte fois desiré pour Gendre . elle eut-peur qu'il ne fut écouté ; c'eft pourquoi , elle me pria , les mains-jointes , de n'en-dire mot ehés nous , & de répondre au Garfon , qu'il n'y avait rien a-faire pour elle. Ce que je fis , par la grande envie que j'avais de la fatiffaire. A-la-fin , Edmond Ia demanda tont-debon , au nom d'une digne & refpedable Femme : & jamais je n'ai va d'aufli grand contentement , que celui de cette pauvre Viclime , qui alait la oïi le comeau de 1'Affliótion & le poignard du Malheur étaienï levés fur elle La propre nuit de fon départ ( car elle partit avant le jour) , il me Tomé I, JPartie I, &  1S Paysane perverti e. fembla , durant mon fommeil , que je la voyais garder nos Moutons , & qu'un grand Loup écant venu pour emporter la plus belle Brebis du troupeau , ma pauvre Sceur 1 avait voulu empêcher , & qu'il 1'avait emportée e'le-même : & comme je courais après , pour la déüvrer , le Loup fut changé en Homme, & je vis Urfule le carefler. Et j'avais-beau lui crier , — Urfule ! Urfule l c'eft un Loup-! elle ne m'écoutait pas ■ jufqu'au moment 011 étant redevenu Loup , il 1'avait dévorée. Je n'ai pas foi aux rêves ; mais je rapporte celui-la , a-caufe de fa fingularité a pareil jour. Je n'en-dirai pas davantage : ce lont aprésent les Lettres d'Urfule : qui vont fake fon hiftoire.  P A R T I E I. I , LETTRE PREMIÈRE. U R S U x E , a fes PÈRE & MÈRE. ( Son arrivêe a la ViUe. ) 16 oftobre 1749-" M on très-chèr Père & ma très-chèie Mère : Je vous écris ces lignes , pour vous présenter mes refpeds, 5c pour vous remercier de la bonté que vous avez eue de m'envoyer ici , Ou i'ai trouvé une Dame aimable &C refneétable , qui m'a prise en-amitié , & qui aime bien au'ïi mon Frère Edmond , qut eft un bon-cceur , & qui nous aime comme notre chère bonne Mère lui a recomm inde de nous aimer , quand il km) k Ville, & comme ell^ nous recommandait de longer a nous poufter tous les Uns les Autres , ennous attirant ou il ferair, pour nous rendre fervi e & nous procurer fes Connr liances, quand il en-aurait de bonnes; aulh fait-i!, & ie puis bien dire que ce n'cft p.* a-cause de mon ptit mérite que ïaimablemaoame Parangon m'aime , mais - caused Edmond, qui fe fait aimcr & bkn-veniï de tout &  ze Paysane perverti e. monde par fa douceur & fes bonnes-facons donc je fouhaite que vous receviez le con.' tentement & la j >ie , mon très"chèr Pére &c ma très-chère Mère , que Dieu béniffe , comme votre Fille fouhaite que vous lui donniez_ votre heureuse bénédiófcion. Je vous dirai qu'il y a ici une bonne Dame Canon ; qui m'aime bien auflï, & qui eft la tante de mme. Parangon, qui m'a mise chés elle , 011 je fuis fort-bien , avec deux autres jeunes Demoise'.les , en-attend int une Troisième , qui je desire beaucoup , car c'eft m1Ie. Fan~ chette C**, la fceur de mme. Parangon , qui eft jeune , comme le fait bien ma bonne chère Mère , car je crois qu'eile n'a que onze ans; & c'eft tant-mieux ! car les deux Demoiselles d'ici font trop fpiricuelles pour moi, & il me femble que je ferai plus a mon aise , quand j'aurai la jolie petite demoiselle Famhette, pour causer; car elle doit être bien-jolie , li elle tient de fa Sceur , & bienbonne ! ce qui me fera d'autant plus-agréable, que les deux Demoiselles, quifenommentmlles. Robin , fen vont retourner chés leurs Parens, & que je n'aurai plus que la Nouvelle. Autre chose ne vous puis mander, mon Frère vous ayant écrit mon arrivée ici (i) , & le pauvre petit frère Bertrand vous 1 ayant contée. Je fuis avec une refpeo- ( l ) Vorez ,, pour 1'arrivée d'Urfule a Ia ville, Ij. Lettre xxiy du Paysan , Tom,; I.  P a r t i i I. ir tueuse & filiale tcndreffè ' très-chèr Père 8c très-chère Mère, Votre tendre & toute-obéiflante- Fille , Ursüle R**. Je vous dirai, qu'aprèsma Lettre finie , mon Frère eft venu chés mme. Canon , & que j'ai entendu qu'il me demandait , pour aler chés mlle. Manon Palefiine ; mais; qu'on ne lui a pas accordé fa demande , ik que nous alons partir avec mme. Parangon. pour Seignelais, a deux lieues d'ici , ou nous refterons quelques jours, mme. Canon y ayant affaire pour vendre le refte du bien qu'eile y polléde , avant defe fixer a Paris. LETTRE II. ia novembre. U r s v x e , è M.MZ Parangon. ( Elle eft revenue au Viïïage , & elle f'ennuie ché* nous de la Ville.) JVIa d ame & très-refpeébble Amie; Je prcns la liberté de vous écrire, dans 1'ennui que me laiffe votre abfence ; car en■vérité , il me femble , que du-d'-puis que je vous ai vue , ce ne foit plus ici ches nous 3 puifque je m'y ennuie, &. m'y trouve étran*  ii Paysane pIRVIRTIÏ. gère ; mais que c'eft oü vous êtes qu'eft mort pays: aufli fuis-je bien-fachée de cette vilaine avanture qu'on a fait arriver a mon Frère , Sc" qui eft cause qu'on m'a remmenée , & je vous prie bien-inftamment, très-chère Madame , de me faire encore redemander ; fi pourtant c'eft votre bon-plaifir : mais envérité ce doit 1'être, puifque je ne fuis ici occupée que du fonhait de vous revoir SC d etre auprès de vous. Je voudrais favoir apréfent , ce que penfe & ce que fait la m1Ie. Manon ? Eile a dü être bien-attrappée! Je n'ai parlé de rien ici, qu'a ma Bellefceur future Fanchon , qui eft prudente , Sc qui fe comporte avec moi comme une véritable ■amie; Sc elle a été bien-étonnée de tout ca l & une chose qui m'a furprise de fa part 3 c'eft qu'eile a pris fon parti, de m0*. Manon je veux dire , d'après tout ce que je lui ai conté , tantöt en-l'excusant, Sc tantöt en-ne croyant pas ce qu'il y avoit de pis ; Sc elle m'a dit, qu'eile aimerait mieux mourir que d'en-ouvrir labouche : car elle dit , qu'une pauvre Fille eft déja aftés a-plaindre d'avoir été comme-ca attaquée par des Hommes fi fins , qui ont le deftlts d'elle , par leur age Sc leur expérience , Sc qu'il faudrait tout entendre & tout voii pour la juger. Mais moi, je fuis un-peuplus-rigoureuse , je vous 1'avoue , ma chè<-e Madame , Sc il n'y a expérience Sc finefle des Hommes quiy uenne; on voit bien quand ils nous veulent attrapper3 Sc ils ne nous attrapperaient pas} fiaous  PAJ.ÏI! I, x$ ïi'avions un tant-fait-peu envie d'être attrappées: ainfi je penfe au-fujet de m1Ie. Manon, tout-comme vous , Madame , & mlle. Tiennette (i); mais je fuis bien-aise que ma Bellefcrur penfe comme elle penfe , parce-que mon Frère aïné aura une bonne femme,& c'eft ce qu'il faut ici. Quant a mon Frère Edmond, je crois qu'il ne m'oublie pas auprès de vous, & qu'il me rappelle a votre fouvenir , toutes les fois qu'il a le bonheur de vous parler apart. 11 était jalous de moi; mais c'eft moi qui la fuis de lui a-présent , qu'il vous voit tous les jours, & que je ne vous vois plus, & je lui en voudrai, fi je le puis, f'il n'emploie pas tout pour me r'avoir, & me donner a Celle que lui & moi nous regaidons , comme notre Proteétrice. Qu'eft-ce qu'on veut a-présent que je falTe ici ? Envérité , j'y mourrais plutót fille , que de me voir faire la cour, comme la font nos Patauds, même Ceux qui veulent faire les Polis. Comme vous m'aviez demandé une-fois la manicre de faire ici i'amour, il faut, pendant que j'en-ai le temps, que je vous conté ca , ma chère Madame, quoiqu'on ne me 1'ait guère fait encore pour mon compte : mais j'ai vu caaux Fillesdu Vübge, & quelquefois a mes deux Sceurs-ainécs. Pendant le ( i) La Flateuse ! elle commence déja a-parle* comme elle croit qu'on veut qu'eile parle. Les Notes nonfignèes, ainfi que les titres dtsLeursSi Jvüt de Pierte ü**»  V4 Paysane pertertie.' jour , on ne fe dit rien ; mais cependant quand on fe rencontre , on fe regarde avec un rire niais , & on fe dit, — Bon jou , Glaudine, ou Matron < ■— Bonjou don , Piarrot, ou Toumas; ou Jaquot-, repond la Fille , en rougiilant d'un air gaüche , &c en-marchanï de-travers, un-peu plus-vïte qu'eile ne £.sait auparavant. Mais le beau , c'eft le foir. A 1'heureou fortentlesChauvefouris&lesChathuans, les Grands- garfons après leur fouper, ródent dans les rues , cherchant les Filles: Je dis les Grands-Garfons , .pareequ'on n'eft ici grand-garfon qu'a vingt ans paffes; & alors, on eft accepté a-payer la maïtrise au Mahre-garfon , c'eft-a-dire le plus-agé , ou le pius-ancien paffé-maïtre des Garfons; elle eft de vingt fous, qu'unGarfon eft quelquefois un an a amalTer dans notre pays, tant 1'argent y eft rare,! Les Grandsgarfons raftèmblent plusieurs maïtrises , comme trois ou quatre , & cela fert a les régaler un dimanche au-ioir , & a donner une danfe , au fon du hautbois. Si un Garfon f'immifcait de roder avant 1'arje de vingt ans, pour chercher une Maïtreffe le foir , ou avant d'avoir payé fa maitrifa, les Grands' garfons portent chaqu'un leur houflïne avec ^aquelle ils le rofferaient d'importancf-. Quant ""aux Maitres-garfons ils ont toute liberté ; ils ' vont \ toutes les portes, cherchant les Filles y ï^lurqu'a ce qu'ils aient trouvé une Mairreffe: o Et quand ils en ont trouvé Une , ils le déclajerent au Maïtre-garfon, qui en-donne av.i? tMX  P A R T I E I. 15 Itux Autres, en ces propres termcs: » Mes » Arais , Jaquot tel, ou Giles tel, va ; Mar« got, Jeanne ou Reine telle ; ainfi , au cas »> ou Perfonne n'aura jeté fis vues iur elle, » il ne faut pas le troubler ; mais le l .ilKr » tranqu 1'e , jufqu'a conclubion de mariage >» en-faee d'églife •>. Les autres Garfons rép iidënt l'-Un après 1'Autre , ck fily a rivalit', Celui quitftrival, le déclare. Le Maitreg rfon leur dit alors : » Mes Amis , jaloufie » 1 ■ vaut rien ; une Fille eft une Fille, &c il »» a plus d'une Fille dans le Village , voire » même dans les autres Villages ; par-ainfi , 1» je vous confeille de vous accorder, ou de » tirer a la courte-paille. aQuïl'aura» ? Et ordinairement les Garfons acceptent de tirer, & tout eft dit: mais f'ilsperfiftent chaqu'un , alors le Maitre-gnrfon fe borre a leur défendre les voies-de fait, fous peine, pourl'Aggreftèur , d'avoir tous les Garfons fur la corps, & d'être rofle. Et le Maitre-garfon leur dit: » Courez-en donc ï'avanture, & que » les Parens en-décident: mais quand i!s aun ront décidé , ainfi que la Fille , j'entens >» que le Refufé fe retire ». Et quand la Fille veutl'Un, & les Parens 1'Autre, lesGrandsgarfons ne fe mêlent pas de décider ; ils laiffent faire les deux Rivaux , en-défendant lêulement les voies-de-fait. Mais tout-cela eft rare: Le plus-fouvent, a-l'entrée de 1'hiver, les Garfons fe partagent les Filles , foit au fort , foit en-choisilTant , & Chaqu'un va, tout Ihivcr a Celle qui lui eft échue. Voil* Topte h Tank I. C  %6 Paysane perverti f. comrne les Filles font ici traites; ellesn'ont feulement pas la fatiffaclion de recevoir Celui qui leur plaïrait le mieux , & fouvent il faut qu'elles aient tout 1 hiver a-cóté d'elles , a la veillée, ou devant la porte , quand il fait clair-de-!une , un gros Pacant qu'eiles déteftent. Il faut a-présenr voüs dire, commeles Filles voient leur Galant, & ce qu'elles mettent du leur, en-fesant 1'amour. Les Gar^, fons vont vers la Fille, long-remps avant de parler aux Parens, pour voir li elle leur piaira » & fi ils lui plairont. Pour cela ils rödent quelquefois des mois entiers autour de la maisoli , avant de lui pouvoir parler. On en-cause dans le pays , & la Fille apprend que Piarrot ou Jaquot tel rode autour de la. maifon pour elle. Un-foir , par curiosité pure , elle prend un prétexte pour forrir , comme d'avoir oublié de fermer le poulaiU Ier , 1 ecurie aux Vaches, ou de leur avoir donné de la paille pour leur nuit, &ca. Les Parens n'en font pas la dupe : Si le Garfon leur convient, ils ne disent mot, & la Fille fort. Si au contraire i! ne leur agrée pas, \a, Mère ou le Père fe léve , repoulfe la Fiile fur fa chaise , ou fur fa felle, en-lui disant Tins^ te-la.; j'y vas moi-méme : & alors le Garion ,^ n< oyant pis fortir la Fille, pren* le parti aenut: dans la roaison , en-disanc aux Parens, V*lc\ rous m'pcrmttte d'approckcrde vote Fille ? Oa ne le rtfuse jamais ntt: on lui dit de fall'-oir. Il (e raer a-cócé d'e!le,_ §c on lui fait bonne ou mauyaiie mine, juf-  P A R T I E I. 47 ■è][u'a ce qu'il f'attire un refus, congu en ces termes: Tins-te chés vous. M.ishona laidë fortir la Fille le ioir , alors le Garlon 1'approche en-ciiinant: —. Ou. qu'vou ale^ donc , Jeanne ? — Donner de la paille aux Vaches. •— J'vas donc vou ainier ? — Ca n'ejl pas dz refus , Jaquot-. Ec il lui aiJe. Elle fon enfuite roos hs foirs, & elle trouve toujours Jaquot. On f'alTïc dans un coin obfcur : La Fi;le ou file, ou teil'e le chanvre , &abrsle Garfon lui aide, &oncau-e. Lesdimanrhes, on cau<;e fa :s rien faire , & c'eft ie jour oa le Girfon fe hizirde d'embrafler : il eft rare cependant que les Füles ne foient pas fages. Quand il commence a-faire froid , elle 1'invite a entrer a la raaison ; i! acceptï , fi elle lui a plu ; car c'eft un premier amour d'effai qu'i's ont la-fik jufqu'a ce moment. On fait ordinairement 1'amour dtiux nu trois ans , & il n'eft guère queftion de ma-iage le premier hiver (a-moins qu'il n'y ait milicè), & les Parens de la Fille ne f'avifent guère de faire au Garfon , la deman.de ordinaire , Qu'ejt- qu'tu viens faire ici, J.iquot ? que le fecond hiver de la fïéquentation. Quant a moi, ma chere Dam? , je vous dirai, que même avant d'avoir cu le bouheur de vous voir a la Ville, je n'avais aucun goüc pour cette manière de faire 1'amour; e'.l: m'a toujours déplu , & je ne vous ai p^rlé de ca , que pour vous obéir , imaginant que fi j'ai le bo'iheur de retourner aunrès de vous , j'aurai des choses plus-agréabks a vous dire, G t  %% Paysane perverti e. gui me feront infpirées par votre présence. Il faut pourtant que je vous avoue un petit fecret, dans cette Lettre , qui eft füre, & que Pcrfonne ne verra ici, pas même mon Frèrefliné; car je ne la montrerai qu'a Fanchon Berthier , qui fera ma bellefceur. C'eft que j'ai ici un Amoureus que je ne faurais fentir f Imaginez-vous un demi-Moniieur de Village , qui n'a des manch ttes que pour faire Jortir d'avantage Ia noirceur de fes mains brülées par le foleil; qui dit des, Ce n'eflpat P moi tant d'honneur ; J'ai di^ a mon Père , Sc autres femblables; qui par la groffeur du corps, reftemb.'e a ces gros tiileuls qui font devantla porte deségüfes, Sc dont 1'envelope eft auiTi groiTière; voila mon Amoureus d'avant que je partilTe ; & ce qui me met encore plus en-colère contre Ca , c'eft qu'on le nommeidun joli-garfon ; mes Parens euxmêmes, Sc les Payfans le nomment Monfieu, umquement a-caufe qu'il a des manchertes.. A mon retour ici, ce Monfieu ayant ouï-dire, que c'était pour y refter , il en-a montré une grofle joie , qui me le fait encore piüs detefter. Le Manant 1 fe réjouir de ce que je ne ferais pas avec vous! Oh ! je 1'abhorc plus que tout Homme au monde Je ne vous aurais pas parlé de Ca , fi je n'efpérais que cette raison vous engajera , ma trés-chere Dame , a me demander plus-vïre. Vrai, ce vilain Amoureus me paraït unde ces Satyres, dont j'ai lu 1'hiftoire chés vous, au bas d'une ^ftumpe. Mais je lajfle ce fujet desagréable ,  P A R T I E ï. 2? pour cohtinuer a répondre a vos aimables: queftions de bouche. Vo'ism'avezauffidemandé, Quelsécaient les goücs que j'avais dans ma jeuneffe , &£ mes orcupations, mon caraótère. & comme j'en-acilfus avec mes Frères & Sceurs , furtout avec Edmond ? Je vais, fi je puis, répondre a tout 9a , pour avoir le plaifir de vous écrire plus long-temps ; car il me femble que je vous parle , en vous écrivant; & j'ai eu li peu le temp? de vous parler a Au**. quC je n'ai pu vous répondre a la moitié des choses. Je vous dirai donc , que mes gouts onC toujours été audelfus de ceux de nos Paysanes; je n'aimass pas trop , ni leur mise, ni leurs occupations, & je fentais audedans de moi même , que j'avais du goüt pour q.uel* que-chofe de plus-diftingué , dont pourtant je n'avais auou'une conriailTance. Mais jufque la , qu'un-jour , mon Frère Edmond m'ayant dit , qu'il avoit rêvé , que mon Père n'était pas fon Père, mais qu'il était filsd'un Duc , qui 1'avait mis chés nous enpenllon ; en disant: ■—Garde-moi ce Fils, fans luiapprendre ce qu'il eft , & je viendraï le chercher UH-joür-; Edmond ; disais je, m'ayant conté ce rêve , moi, je le crus , &c je m'attendais tous les jours qu'un Duc viendrait chercher Edmond , pour 1'emmener dans un cairolTe : Et je lui fesais bien ma cour; ce qui ne m'étoit pas difficile, attenda qu'avant fon rêve , je 1'aimais déja le mkux de tous mes Frères & Sceurs. Cela me trotait C i  Jo Paysane perverti e. fi-bien dans la rite, que je fis auffi a mon tour lemême rêve : Il me fembla qu une Marquise venait me prendre, & qu'eile donrait \ mon Père & a ma Mère tout-plein , tout plein d'argent, en leur disant : — Tenez , voila pour avoir élevé ma Fiile , Sc I'avoir rendue fi gentille-. Et jetais biencontente de m'en-aler avec elle ; & elle me disait: Tu feras un-jour marquise comme moi, & non une Payfane ! viens , viens a mon chateau , ou ru auras de beaux habits, de beau linge-...: Je m'éveillai de joie, Sc je courus , dés que je fus levée , corner mon reve h mon Frère Edmond , qui me dit: —Dame ! fais-tu que 5a pourrait bien être ? Tiens, regarde , comme nous fommes plus johs qu'eux-tous, toi Sc moi-? Nous avions alors, lui treize ans, & moi dix. Quant a1 egard de mes occupations , je les choififlais! toujours a la chambre , Sc non k la campagne comme mon Ainée j j'aimais tous les jolis oiivrages d'aigüille , comme a-préfent*. Mon caraótère a toujours été doux ; mais j'aimais un-peu k commander , avant d'être tout a-fait raifonnable : a-présent, ce que je préfèrerais , ca ferait de vous obéir : je fuis unpeuvive, fiére, orgueilleuse; j'aimerais, a paraitre, a être riche... mais je crais que je L'ai déja dit, en-parlant de mes grüts. J'ai toujours tendrement aimémes Frères & mes Sceurs; mais principalement Edmond , Sc toute mon envie, fi jamais je fesais mon chemin , ca ferait d.c leur être ucile, & d'avois  P A R T I E L ft la doka , q'ie mon Père & frfa Mère diiTer.t le fair aax veillées, quand ilscausent entr'eux devant toute leur Familie : — Ceft pourtant notre fillé Urfule , qui procure telle & telle chofe ,\ fon Frère , a fa Sceur-'! Il me femble que je ferais bien-glorieuse , fi on disair. ca de moi, comme je ¥\u entendu dire dé vous, Madame , au iet d'Edmond & au mien. C'eft lur-tout a Edmond que je voudrais être prchtible , Ouoique je ne fache pas trop comment fa pourrait être. Je voudrais bien aulïi 1'êtr- I ma future Beiiefceur Fanchon : car vous ne faariez crdhé, Madame, comme c'eft ai : Jolie fille ! je crois pourtant que vous 1'avez vue au voyage a Au** ; car elle y était, comme vous (avez. Nous fommes amies dès 1'enfance ; car outre qu'il a toujours été ..u'eüe ferait ma belle-fceur , c'eft qu'eile eft la plus-jolie de tout le pays, & que je me trouvais plus-honorée d'être avec elle , qu'a, vee toutes les autres Filles. Et elle m'aimaitbien auili , ainfi que mon Fiére Edmond , tk je crois que fi Edmond avait été 1'ainé , pour refter au Village , elle n'en-aurait pas été rachée : car Pierre eft par-trop-férieus. Mais c'eft pourtant un bon-humain, quoique n'ayant pas cette aimable facon d'Edmond., Et une fois, que j'ai écrit ici en-cachette de tout le monde a Edmond , pour qu'il me fit venir a la Viile , c'eft Fanchon qui a porté ma Lettre a la pofte a V*** ; & quand Edmond eft venu , elle lui a redemandé ma Lettre, depeur qu'eile ne fut trouvée. Ie ne C 4  3* Paysane perverti e. fais pas fi vous 1'avez lue , Madame ; car elle était bien-fimple ! mais j- ne favais pas encore trop-bien écrire (.). Dans tous nos jeux &c dans tous nos amusemens, j'ai roujoius préféré Fanchon-a mes propres Sceurs. C'eft qu'elie eft fi aimabie , fi complaisante ! Etpuisnous nous disions tous nos petits fècrets. Par-exemple , a-présent, ellem'avoue, que Pierre notre Ainé lui infpire du refpeót, & qu'eile a plus de confiance en-lui, qu'elie n*en-aurait eu en-Edmond , quoiqu'elle eik peut-être eüt plus é'amitié pour le Dernier. De mon cöté, je vais toujours lui contant mes affaires & toutes mes penfées , & que je ne m'écarterai jamais de la crainte de Dii-u a la Ville , fous votre bonne protection , Madame. Mais voila une bien longue Lettre ! & mon papier eft fini. Je cefle donc , pour vous dire, que j'ai 1'honneur d'être avec le plus grand refpeót, Madame , Votre, &c.» ( i ) Elle ne f'eft pas retrouvee ; fans-doute parce5» el'e était tfop-fimple > Si que Fanchop 1'aur» -*x41ep.  Partie I. 3i LETTRE III. 9 oétobr». JtfME p A r a n g o n j au PÈRE B". (Elle redemande Urfule , &. nous fait la déclaratio* de la tromperie qu'on a faire a Edmond- ) Je félicite ma bonne-amie Urfule d'être retournée auprès de vous, Monfieur óc Madame : elie ne fauruit être micux. Cependant , Elle m'eft fi chère, & je m'y étais deja teilement attachée , que j'elpefe que vous me la rendrez bientót : car je ne. renoncerais pas volontieis au plaisir que fa fociété m'a procuré pendant le téiour qu'tlle a fait ici. Mais j'ai été charmée qu'elie vous accompagnat , pour fuppléer aux details , que je ne pouvais vous faire , & dans lelquels je ne me hasarderai jamais d'entrer par Lettre : tout ce que je puis vous dire , c'eft que fi j'ai fait manquer le manage d'Edmond avec ma Cousine, c'eft que je n'ai pas cru qu'il fut honorable poui lui , M même avantageus pour elle , dans fa posttion. Elle a eu le malheur, finon de manquer de fagefle , au-moins de manquer de courage , ou de bonheur, en fe laiflanc,  ?4 Paysane perverti e. trom per par un Homme, qui fans-doute a ernpioye des moyens audeifus des forces & des lumières d'une Jeune-fille : car ma Cousine eft honnête , & je I'ai connue trèseftimable. On ne change pas ainfi de caractere, m auffi promptement , & on ne fe lainerait pas feduire par un Homme-marié , ii ce Dermer n employait qu'une féduction ordinaire. Mais tout en-ex-usant ma pauvre Cousine , autant que je le dois, je «ai pa iourrnr qu on trompat un Jeune-Komme qui a droit a la pioteclion de Ceux qui lont amre ches eux ; & je me ierais crue r.res-coupabie, fi je ne 1'avais pasempêché, le pouvant. Je vous prie inftamment , Monfieur & Madame, degarder le filence ïur cette malheureuse avanture, & de me croire , avec tous les fentimens que vous meritez, Votre , &c.a C o t e t t e C** , f.me Parangon. T.-f. J'attens votre Urfule , & la mienne le plutót poffible : fakes-moi ce plaisir \ ) en lerai reconnailTante. A U R S U L E. J'efpère que ton Père voudra bien te lire Ces deux lignes : Je désire beaucoup ma bonne -amie Urluie , & je la prie de compter fur mc' tant que je vivrai.  P A R T I E I. 3/ lettre iv. 33 décembr». U r s u i e , a Fa n c hon B a rt n 1 e r. ( Elle eft retournée a la Ville , &. commence * laifler voir un-peu' de goüt mondain. ) Ma CHERE BoNNE-AMIEJ Nous-nous félicitons, mon Frère Edmond &c moi , du bonheur dont va jouir notre cher A?né , en-t'obtenant peur Femme : Tu étais déja notre Sceur par FafFeétion , & deplus mon Amie dès 1'enfance, a moi; je ne puis donc que bénir un mariage , qui va relferrer les nceuds qui nous uniflaient, 8c donner a l'Ainé de notre Familie une Compagne , telle que le fut pout notre bon Père , Barbe De-Bertro. Ma chère Bonne-amie ! tu vas avoir, de ton cöté, un bon Mari ï Pierre eft un garfon fage , craignant Ditu , n'ayant ni dans fes difcours , ni dans fes aótions, ni je crois dans fes plus fecrettes penfées, auqu'une idee puérile & frivole : tu es fcrieu^e , raisonnable , aimant l'occupation; vous ferez bien-aflbrtis. Mais, chère Sceur, & c'eft 1'avis de m.me Parangon, ne négligé pas un-peu de coquetterie dan*  jf? Paysane perverti F. ta mise , quand tu feras mariée ; les Femmes de chés nous 1'abandonnent trop-vïte! Tu es fi jolie , comme tu te mets! ne pounastu continuer !.... c'eft la fincère amitié que je te porte , qui me fait te parler comme ca, & aufti librement, desirant que tu fois toujours autantaimée , chérie & désirée de ton Mari, que tu 1'es a-présent, dumoins tant que ia jeuneffe durera ; & il y a lom d'ici qu'eile ceffe, Dieu-merci ? Je regarde ici , que m.me Parangon eft mise comme fi elle était fiile ; c'eft une propreté , un '°in ! • & ca fait beaucoup , chère Sceur: car enfin , fi une Femme eft négligée tfans fes habits & le foin d'etle-mèm", tout le monde la lailTe-!a ; aulieu que Celle qui eftpiaisante, agréable , comme m.me Parangon , porte la vie & la joie par-tout ou elle da-gue fe montrer. Je te dirai que cette jolie Dame me paraït irès-bien difposée pour mon Frere & pour moi, mieux que je ne iaurais te 1 eenre; mais jete dirai cade bouche, anotre entrevue prochaine ; car enfin , elle eftpro- chaine, cette fête tant desirée ! Je te dirai aullï, que j'ai vu m.lle Manon , fans qu'eile me vit: C'eft en-vérité une jolie Fille ! quel dommage (i) ! Mon Frère la regardait, fans favoir que je 1'examinais: je ne 1'en-crois pas fi dégcüté qu'on croirait bien , & que m.me Parangon le penfe ; car ( i) Ces points, &. toute la pon&uation , out él» JBis par le Leüeur d'épreutes.  P A R T I E I. 3? 51 Ia regardait , ce me femble, avec bien du plaisir ! Je ne fais pas, mais cette Fille la eft très-aimable, Sc fi fétais garfon , il me femble qu'une figure comme - ca me ferait oublier bien des choses ! Mais je fuis femme, & les Hommes ne font pas fi indulgens pour nous. Quant a m.me Parangon , elle a , je crois, des vues fort-avantageuses pour mon Frère , Sc je lui ai entendu parler de fa jeune Sceur, qui doit venir ici, comme fi elle penfait a lui pour elle. Mais m.11* Fanchette eft bien-jsune!... fi C*était 1'Ainée, qui fut encore fille... J'ai 1'autre jour laché ce mot-la dcvant Edmond. Oh ! li tu avais vus fes ieux ! ils auraient mis le feu a de 1'amadoue , comme ils ont briilé. LeGaillardl il lui en-faudrait!.... Mais pour revenir , la petite mlle. Fanchette C** eft bien-jeune , Sc 1'Aïnée eft bien-belle ! & m.lle Manon eft bien-/v'^z/a/2fe , comme on dit ici; je fens que mon Frère (qui eft auffile tien ), doitêtre bien-embarralfé! & envérité , je crois qu'il ne 1'eft pas pour un peu, ma chère Fanchon ! & plus je l'étudie , & plus je crois qu'il 1'eft , & qu'il doit 1'être. Je m'en- fuis fouvent apercue , Sc fur tout hiér, qu'il vit palfer m.,le Manon , Sc qu'un petit moment après il regarda m.me Parango:i , qui defcendit vers nous; dans un inftant ou elle tournait le dos, il porta fa main a fon front, avec un regard ! un gefte ! comme f'il avait dit , Oh ! que ne puis je!,.. Dumoins vojla comme j'entendais ca,,..  Paysane perverti e. Je te dirai auiïï, pour ne te rien cacher qu'un de ces jours, comme j'alais dans la chambre de m.me Parangon, j'y ai trouvé fon Mari, aulieu d'elle : j'en-ai véritablement eu peur, 8c j'ai fait un ah ! de frayeur: Il f'eft mis a rire , & m'a dit : — Ah-ah , vous avez peur de moi ! je ne vous aurais pas embralTée, mais vous le ferez pour vous apprendre- Oh ! comme il embrafie! quel Homme ! je 1'aurais battu , fi je 1'avais osé. La pauvre Manon ! comme elle a ou foufrrir avec eet Homrne-ia ! car envérité il eft impoffible qu'on 1'aime; il a des ieux , des facons Auffi fa Femme ne 1'aime-r- eüe guère, & je ferais tout-commeelle, fi j etais a fi place ; depuis ce qu'il m'a fait, je ne faurais plus le Jentir.... Comme je brbille! Adieu, & a te voir, petite Sceur ! Je ne montrerai cette Lettre a Perfonne d'ici ? c'eft bon pour d'autres , oü je n'aurai pas été fi fincère. Ta bien bonneamie , & Sceur Ursuie R.**. Mes Enfans : vous voyez comme cette pauvre Sosur commence detre légere, & comme fa tête eft déja remplie de mondanités ! Hélas! c'eft ainfi que la perverfion commence toujours a la Ville ; excusal!e d'abord , a ce qu'on croit; mais alant rapidement au dernier période.  P A R T I E I. 3J LET TRE V. 5 mars 1753. U r s u Z e , a Fanchon, fa bellefcrur. ( Elle commence a pénérrer bien des choses! ) J E fais, chère petke Sceur, que mon Frère d'ici écrit a con Mari, Sc je protïtc de l'occasion , qui eft füre, pour qu'on re remerte ma Lettre en-main-propre, & qu'eile ne foic vue que de Qui tu voudras. F.h-bien , ma chère Fanchon ? ce que je fentais dans mon cceur , Edmond le tentaic aulTi, Sc Manon était fa femme , que nous ne nous en-doutions pas plus ïci que chés nous! Tout cela f'eft fait par m.r Gaudét , que tu connais, & cela f'eft arrangé le plusiingulièrement du monde ! Heureusement que nos chèrs-bons Parens ont confenti a. ratifier ; & ils ont bien-fait, pour éviter le lcandale : car qu'aurait-on fait a mon Frère d'ici ? beaucoup de peine ! M.rae Parangon , la plus aimable des Femmes, a pris la chose on ne peut mieux; mais que dirait Edmond 5 f'il fe doutait feulement combien elle verie des larmes, dont elle me donne a moi ( Sc peut-être a elle-méme), une toute auue.  4» I*AY§AHE' PERVERTI B. Canse , que celle que je fais? Car enfin, elle avait fait venir ici m.lle Fanchette, pour amuser mon Frère d'une petite amourate, en-attendant les grandes amours : Sc elle me disait a moi, mais bien en-fecret: — Fanchette eft jeune j mais je la remplacerai quelques années, par mes attentions pour fon petit Mari, Sc enfuite elle le charmera par elle-même-. C'eft une grande bonté! mais je crois que la chère Dame f'attacheraic a Edmond plus qu'eile ne le voudrait, Pil n'y avait pas des empêchemens. Aulü , orï ne peut riep voir en Garfon , qui vaille notre Edmond , pas même ici: De jouren-jour il devient plus aimable, & le mariage ne lui a pas du-tout nui. Cependant je ne comprens rien a fa facon d'être Sc d'agir! Car il aime m.me Parangon , aupoint que fouvent je l'en-aurais cru amoureus , fi cela avait été poffibie, après enavoir épousé Une-autre, tant il marquait d'émotion en la voyant J mais fon mariage m'en-óte touteidée , Sc la reconciliation de m.ma Parangon avec fa Cousine, qu'il a faire ces jours-ci ( i), me tranquilise au fujet de m.me Parangon ; quoiqu'envérité, je crois que je 1'aurais excusé , fi ce n'eft pourtant 1'ortenfe de Dieu. Mais fon Mari (i) Dieu le béniiTe ! fans être (i) Voyez la Lettre XLVIII da PAYSAN. (a) Cela n'eft pas clair. Elle veut dire, que Bi.rae Parangon eft aitaable, qu'eile aurait excusé Lud,  P A R T I E I. 41 laid, car il eft bel-homrae aucomr lire , il h'eft guère aimable. Enfin , voila notre Edmond marié : fa Femme eft tous les jours avec nous ; & envérité il n'y a que m.me Parangon qui foit plus aimable qu'ell'-. Oh l fi tu voyais que de jolis petitcs mig-^rdises elle me fait ! J'en-avais vu faire a m.me Parangon ; mais ce n'était rien , comprré a ce que je vois , depuis que fa Cousine eit, avec nous , & qu'eile lui en-fait! m.me Parangon lui en-fait auiTi , ainfi qu'h nous , & mieux , je crois , que notre Bellefceur: c'eft charmant , & je m'y accoutume avec elles , fur-toutavec mfi& Fanchette, quï eft une aimable Enfant, & qui m'aime bien. M.me Canon ne goüterait pas trop tout ca ; mais nous reservons toutes ces jolies-choses , pour quand nous ne fommes que nous chc's m.me Parangon , oü nous paffons la moitié du remps ; ce qui eft; heureus ! car m.me Canon eft tanante. Je te dirai, ma chère Sceur , que c'eft 1'Épous? d'Edmond qui règle a-present ma mise, & je ne fais ni plus moins qu'eile r ce qui me va , a ce qu'on dit. Je fuis beauccup blanchie , mais h un-point que je n'aurais pas efpéré; car je fuis brune . ÖC fort brune, aumoirs par les :heveus: mais la Ville m'a donné une blancheur de peau 9 Jon Frère del'flimer: mais que m.r Parangon , 1'eft: li-peu, quoque iiel-homme , qu'elie ne ik.it fi eüf Holt excuser Manon. Jcwzs 1, Parüe Jt O  s,rl Faysane pervertie.' qui ne me rend pas reconnaiflable , au pris de ce que j'étais. Manon me témoigne bien de 1'amitié ! elle me dit quelquefois: —■ Vous êtes la Sceur bien-aimée de mon Mari; vous le remplacez quand il eft abfenc; je crois , d'ailleurs, par votre relTcmblance, le voir en fille a-cóté de moi-... Je porte a-présent des fouliers & des mu es 3 ou envérité je n'aurais pas cru pouvoir mettre le bout du piéd en-arrivant ici; iS faut que les miens f'y foient rappetiiTés , &C j'enfuis vraiment étonnée ! On me fait descomplimens de tout ca, & m.me Parangon la première. C'eft ce qui fait que je palTe d'agréables mornens du matin au foir, a aa'entendre que des clvoses gracieufes & qui font plaisir. Je te dirai, que je crois que ma petite ngure a fait ici quelqu'imprcffion. fur des Gens alTés comme-il-faut : on ne fe doute pas que je m'en-doute? & en-erTet3, je me comporte rommc fi jene m'en-doutais pas; car une Fille raifomrble doit ignorer ou paraitre ignorer ces choses-la : Et-puis,, j'ai ici de bons Am s & de bonnes-Amies; mon Frère, m.r Loi'eau, ma bonne &. chère Prcrteófcrice, ma Sceur Edmond , &c Xiennette , qui eft bien demoifelie, & charmante , comme tu le verras dans la Lettre de notre chèr Frère a ton Mari (i); touresces chères Perfones-la f'apercoivent pont: (i) C'tfl. li xiucme du. Païsan , g,. 240 O,-  Partij 1. 4; rooi de tout ce qu'il faut voir. Les Hommes me paratftent aimabies i;i: aüliëü que chés nous, leur rudeffe me les rendait odieus, & c'était fmcèrement que je les fuyais. Je n'-aurais pourtant pas haï ton Fiére, Pil euc vécus auffi , je ne fais qu'Edmond , qui lui fut comparablé, pour la douceur de la figure.... Je te conté tous mes petits fecrets, chère Sceur , & je ne te diguise rien : car je t'aime de tout mon cceur, & je ne veux pas avoir une penfée qui te foit cachée» J'embralTè nos chères Sceurs, & deux fois Chriftine , qui m'a toujours la ptüs-aimée. Tu diras uu-mot de ma Lettre a notre bonne Mère , & que je n'ouKÜe pas le refpect que je dois a notre bon Père , dont ton Mari eft le Lieutenant. Je t'embraiTe mille-fois. Ursule R**. F. f. Mon Frère m'a parlé de me mettre y pour la confcitnce , entre les mains du Père , fon Am: : j'y ferais alles portée ; c'eft un aimable Homme ; mais trop* peut-êtrè pour une Jeune-fille. Je cou» ïttkërai m.me Parangon la-dellus»  44 Pi? S. A Nï PERVER.Tr tl' LETTRE VI. io tnarj,. R'ponfe. (MaFemme lui remontre doucement, d'après mefc confeils. ) Ma tres-chère & crès-aimée Sceur :Je vous écris. avec bien du plaisir ; car quand on aime comme je vous fais , audéfiut de la converfacion , on aime h Pentretenir muetrement avec les Perfonnes qui nous font chères, & qu'on a tant & il longtemps chéries , qu'ellss ne peuvent parabfence , comme elles ne le pcurroient pat torts, f effacer de notre fouvenir: Tant-f'eu, faut que ca foit avec vous , chère Sceur j qu'aucontraire vous m'êtes, je crois, d'autant plus présente , en raison de ce que votre abfence me privé du plaiiir de voir en-vous ma plus chère Amie, & de-plüs ia Sceur du digne Piei re R** mon Ma-i, lequel a vu votre Lettre : & comme je vous dofs k: fincétité amant que 1'amitié , chère Sceur je vous dirai qua votre Frère-ainé , en-la lisant , a par trois ou- qüatre-fois froncé le fourcil: & !ur ce que je lui ai demandé , cequ'il y reprenait , il m'a répondu : — Qt nJeft quö légéieté : Urfule eft" légere , & cofont les Deux plus-légers de chés nous qu'oa  Partü T. 4f « envoyés a la Ville , Sc les plus-beaux ; cornme auffi les meilleurs-cceurs : Dieu les préserve 1 car je fuis quelquefois entranfe rapport a eux : Et je vous en-prie , ma chère Femme , en-vertu de 1'sffecliorr que vous me portez , Sc de celle que vous avez toujours eue pour le chèr Edmond Sc la trés chère Urfule , de leur écrire du fond de votre bon cceur ( car votre Frère ne me dit jamais que des choses honorables) , des difcours qui leur rapf èlent nos années premières ; Sc fi mal arrivait, je fens que ce relTouvenir me ft rait fondre en larmes , Sc il les y fera fondre auffi ; car leur cceur bonte terdre eft fecile a toucher-. J° n'ai rien retranché de fon difcours, ma chère Sceur , pas tant-feutement une fyllabe , Sc pendanc que le voila qui lit le Prophéte Jérémie , je vous écris. Chère Sc bonne Sceur ,^ ce mariage du chèr Edmond , Sc la manière 3 nous ont bier-furpris ici ! Mais la volonté de Dieu foit faire , Sc ce qui eft fait & approuvé de nos bons Père & Mère , ar.ête & clos nctre jup.em^nt ; car la voix dc D;eu parle par leur bouche : c'eft ce qui fair qu'auffitót que nouj avons fu leur approbation , mon Mari, Sc moi-même , n< us avons fair une Lettre (i) au rom de nos bons Père Sc Mère , pour donner toute fatifhction auchèr Sc bien-aimé Fr: re Sc a fa Femme (que (3 > Lï L.me. du Paysan , p.  4^ PAYSANE PERVERTI! D«u le veuille rendre heureus par elle, 8c elle heureufe par ui i ) & U ;n„:P V • palier ici les .fats de paques, & cmeWKtups avec : & je VOÜS puis g& * marguera, a la Femme du chèr Frère? toul les fennmens d'une bonne Sceur, & reï que ,e les dois z la Femme d'Edmond. Ouap a ce qm eft de vous perfonnellemen , tr'è . chere Sceur , que ne puis-je avoir Ie bonh ur de vous revo:r auffi ! En-bonne-vérS - fi £t°;STe:?' je V°US trou- un pent au emerillonné , comme quand vou* etes „ revenue avec nous, vou^n ave2 pa! t^rneE endeUXj°UrS d—maiso" p^! terne Ie que vous r^prenez votre air de bonte naive, qui vous va fi bien & "ous icnd fajoLe quece n'eft rien de le dire i fautlevou! Oh j ma chère Sceur Tl'„« fais pas fi vous g3gneza Ja blancheur de k V le, man ,e fais bien qö'ki , avec ™* S m°df6 'j VOIre 8ra»de paupière bai(£ votre parler doux & timide a vot.e £ retenue , votre marche posée & nZ* r gracieuseeWi vivc /v^ W^T^ encore , un aes p:us agréab{es Qb « ^« Bondieu aitmisfurla terre, pon don er I ^-nez-vous^^ quenousetions,quatredevosautresSceu45  P A R. T I B T. 47 Vieillard de cent ans, qui avait connu votre bon Père tout petir-garfon (i} ? I^ne nous connaillait pas! Sc pourtant il farrêta pous nous regarder toutes , Sc il dit : — Je ne fais pas! mais il fernble que ces traits-la de visage ne me font pas étrargers, & fi pourtant je ne les ai jamais vus ? mais je m'enlappelle de pareils , qui florilTaient il y a foixante ans , dans Magdelon R**, la plus-féante Sc la meilleure . comme la plusiplie des Filles de Nitrj ( & c'était votre bonne Tante aïnée de votre Père): je gajerais que voila fa Nièce ? (vous montrant.} Oh ! que vous avez de gentilleffe , aimable & revenante Fille ! Sc je crois bien que vous avez l'ame de Ceüe que vous représentez -r qui était fi bonne, fi douce , fi pieuse , fi parfaite en-modeftie Sc retenue , que.de Pafteur 1'en-a-citée , a 1'honneur Sc gloire de Dieu Sc de fes Parens : oui, voila fa modeftie , Sc fon regard gracieusement baifle.. Dieu vous bénjfte , belle & modefte Fille , dont la vue réjouit & enlève l'ame vers le Bondieu: foignez bien cette bthe & gr£cieuse image , qu'il a mise dans votre agréabh- tête , pour la faire fervir a fa. gloire , at au bonhei» d'Un de fes Enfans , qu'il vousgarde en fa toute-bonté : car il fe complait: dans fi joli Chéfd'ceuvre de fes djvines C ) II fe ijommait le Père Bratd urgent : Il centf.x ans lorfqn'il eft mort. C'eft le meme dont.U «fi garlé. dans h F'ie de mon. Fw.  4^ Paysane perteutu rnains-. Ec il vous donna fa bénédidion j que Dieuveuillerattfier. Vous étiez un-peu brune pourtant, & fi vous voyez aue vous n en-etiez pas moins-agréable. Quant a vos Sceurs d ies loua toutes, & leTreconnut, n?ais il les loua moins que vous; & il voulut rS ' m01 9uel9u'a«ention, dont je conlerverai toute ma vie le fouvenir : car if avait aufli connu mon Père tout-enfant <^uant a ce qui cft de votre parure, encore' que mon Mari ait froncé le fourcil k eet endrou, fieft ce que e penfe qu'il faut que vous foyiez comme on eft h la Ville & je crois que mon Mari . votre Frère, n'a réPris , par ion air , que le ton avec lequeï Vous en-parle2. Pardon , chère Sceur, fi je Vous parle moi-même avec tant de 1 berté' «ais voda des choses qui font moins dé rnoi , qUe de votre digne Frère, & même de votre^bonne Mère, qui tout-indulgenté qu elle eft, a pourtant quelques rraintes pour vous. Mms a rom-prendre, dans ce que vous mecnv-z, nos chèrs Parens font heureus trarn;'1V°"»qUe ^ f P"1^ fl*tS de re™* trarc. s; & moi, a-part , j'en-félicite leurs Dons & tendres cceurs. Qua. t k ce oui eft des PartK, ceft-H Ie ooint important & «ion M n a encore frorcé la Ie four il; maïs votre bonne M&een-a trrfW d'aisel & elle m a du : - Fanchon , ma chère fiite K Dru • le n ai auq.Vune inquimide , quoijue votre Mari en- ait ; car d'abord , je con»ais Unule, comme eLe eft bicn-sraignans Dieu j  P a r t i E I. 49 Dieu ; & eniuite je fais en quelies mairts qu'eile eft , &c que c'tft dans celles de la SageiTe même : &c quant a ce qui eft de fa nouvelle Bellefceur , rout-un-chaqu'un endit du bien a c'theuie ; par ainfi , ma chère Fine, Dieu lui pardonnera , &c ellefera' une bonne femme , incapable de rnauvais-exemple ; &-puis Urfule tft prévenue : Que je ferais joyeuse , de voir Quelqu'un de mes pauvres Enfans, filles 8c garfons , bienétablis k la Ville, pour , en-cas d'aftaires ici , avoir quelqu'un a nous, & a tous Vous-autres, qui nousferve & nousrecommande! car les pauvres Villageois fans ConnailTances font bien-mal-menés-! Vous voyez , chère Sceur , comme elle penfe , 8c c'eft d'après ces vues, bien d'une bonne Mère , qu'il faut envisager tout établillement & toute inclination. Én voila bien , ma chère-aimée Sceur ! &c je ne veux^ pas finir en vous avec toi, ma tres chère Urfule , que j'aime fi tendrement. Je t'embrafle, 8c te fouhaite, outre mille & mille biens , le fouvenir de ton attachée a jamais fans diminution, Fanchon Bert hier, f.= de Pierre R**. Tome I. Pariie 1. E  ƒ0 Paysane perverti e. LETTRE VII. 19 avril. La Mérhe, a ia Même. (Fanchon lui raconte la réception de Manon a 1* maisou paternelle. ) JE profite de 1 occasion de la chère Sceur Manon , que voila q'ii f'en-retourne avtc fon Mari, qui 1'eft venu chercher , comme tu fais, ma chère bonne-amie Urfule , pour t'écrire quelques mots, & te conter tout cequi f'eft paffe icia cette visite. Et d'abord, je te dirai , ma Fille , qu'on eft ici dans la joie d'autant-piiis , qu'on n'attendait pas cette visite fans quelque crainte , & même fans quelque répugnance : mais il le falait, & on aurair voul« en-être quittes. Le premier jour, loifque la fceur Manon arriva , avec fon Mari, Ion était dans un remuemer.tqui reflembiait a celui que cause la visite des Gabeliers: Voila Edmond qui entre , & qui de la porte , appercevant notre digne Père, f'incline, &-puis relève les ieux avec crainte, & comme attendant un mor, Ce mot eft venu: — Mon Fils, ou eft votre Femme-? AuiTitöt Edmond i'eft^ jeté fur la main de fon Père , & 1'a baisée; puis notre bonne Sc excellente Mère  P A R T I E I. ft 1'a embraflj la larme k 1'ce'l. Enfuite , toujours fans dire un autre m t , q ïe Mon. Père.' ma Mère! il eft alé chercher fa. Femme, que man Mari &c moi receviorjs de notre mieux , & fans nous p.irler, il 1'a menée par la main. Et des qu'eile a été fur le feuil d? la porte , avec cette grace que tu lui fais, que fa rougeur & une petits honte augmentaient, notre refpe&ab'e Père n'a pu tenir k ca ; il eft venu lui-même jufqu'aelle, & elle f'eft gliïlee a fes genous, lui prenant & baisant la main : mais le digne Homme 1'a bie:i-vïte relevée, en-lui disant, — Afléyons-nqus, ma Fille-, Et notre bonne ïvlère 1'a embralTée. Et voila que Mmon a commencé k parler: & c'était un charme que de 1'entendre ! tous nos Frères & Sceurs rangés debout autour d'elie fesaient un rond, Sc on 1'écoutait avec admiration: Elle a dit mille refpectueuses choses k notre Père Sc k notre Mère , touchant parci-par-la quelque-chose de fa faute, d'un air qui la fesaït fi bien excuser , que j'ai vu 1'heure 011 notre tout-bon Père alait lui demander pardon des idéés qu'il avait eues; car il avait la larme k 1'ccil; ainfi que notre bonne Mère. Et voila que lui-même a commencé a lui dire des choses gracieuses , & k app Ier Edmond fon Fils avec plus de complaisance , fans pourtant le tutoyer; & ce n'eft que quand tout ca a été fait, que la chère Sceur Manon f'eft mise k nous faire fes présens, conimencant par notre hor.orable Père, notre E z  5* Paysane PERVERTIE. bonne Mère , mon Mari, mei, & nos Frères Sc Sceurs , fuivant ie degré d'age, & tout cela fi bien & fi heureusement choisi , qu'il fcmblait que ce fut ce que Chaqu'un aurait désiré : il eft vrai qu'Edmond lui aura aidé a deviner , car il fair nos penfées comme nous-mêmes ; Sc elle donnait ca avec une grace & des paroles obligeantes, que notre honorable Père , qui eft tout- fenlibilité , n'a pu y tenir ; il f'eft levé, & il a été cacher quelques vénérables larmes qui f'écoulaient de fes ieux , en-dépit de lui ; & il n'y a forte de carefies qu'il n'ait enfuite faites a Edmond , jufqu'a 1'appeler fon cher Fils, ce qui n'étaic pas encore arrivé ; Sc mon Mari même en-a été traité comme jamais il ne le fuc; car le digne Yieillard le voyant tenir Edmond embialfé par ie corps, & causant ainfi avec lui, i! eft venu au-milieu deux , & a dit a fon Amé: — Pierre , vous portez le nom de mon honorable Père, & votre Frère porte le mien : mes Fils, ceci vous prefcrit la conduite k tenir: Pierre , aime ton Frère en-père ; & toi, Edmond , fcis mon image, & revère en-lui & ton Aïné , Sc le nom de mon Père , comme je revère la mémoire Sc le cher fouvenir de ce digne Horame; 1'Un de vous me retrace ma propreperfonne ; mais 1'Autre me retrace celle de mon tantregretté Père : bénis foyiez-vous, mes chèrs Enfans, dont 1'Un ranime Pierre, & donc 1'Autre ranimera Edme un-jour, & fera3 QjU'U y aura encore fur la terre 1'image du  P A R T I E I< fi meilieur des Pères, & du plus refpedlueus des Fils-. Nous n'avions jamais entendu un pareil langage fortir de fa bouche, & nous étions tout-attendris , même lesPlus-jeunes, óc jufqu'a Brigitte , qui ne f'attendrit pas aisément. Enfuite on a diné; & c'eft alors qu'on a vu les agrémens de la chère Sceur , qui ont femblé f'accroitre de jour-en-jour t & quand elle f'eft vue aimée ici, c'eft qu'eile a été fi aimable , que tous tant que nous fommes nous en-étions fous ; tk il n'eft apréfent Perfonne qui n'approuve Edmond ; car elle était non-resijlible , c'eft le mot de notre Père. Et un de ces jours, il a dit a fon Aïné : —- Mon Fils , je croirais qu'on f'eft trompé dans ce qu'on nous a dit, &C qu'il y a quelque-chofe la-delTous! car il n'eft pas poffible que cette aimable Créature ait été un inftant abandonnée de fon Créateur-! Mon Mari lui a répondu : — Auffi , cher Père , y a-t-il eu comme violence, encore plus que finelTe. — Ce mot me fait plaisir, mon Fils: oui, c'eft violence ; oh 1 je n'en-faurais un inftant douter, & je bénis Dieu , qui iave ma Fille Manon de cette tache-. Et depuis ce moment, il 1'a beaucoup plus appelée fa Fille. Elle , de fon cóté , f'eft mibe a devenir mignarde & careiTante envers lui , au-point que le refpeétable Vieillard dit avanliièr a fon Fils-ainé: —■ Jufqu'a ce moment, je vois que j'avais eu un fentiment injufte a - 1'égard d'Adam , notre premier Père , qui fuccomba, & je E i  J4 Paysane perverti e. fuh bien-aise de ne plus 1'avoir ; car il eft rotre Pere: eh ! comment eüt-il résifté a Eve ! die n'avait qu'a être comme Manon-f j u vois , ma chère Bonne-amie , que neus Wila tous bien reconciliés & unis; & ce qui pi en-fait plus de plaisir , c'eft que dans la veme, la chère Sceur eft une bonne & aimable Femme ; car elle ma dit fes feminiens les plus fecrets , qui font dignes & Kmables, dont je bénis Dieu, quoiqu'aufond ii fut a fouhaitcr que certaines choses tulient non-avenues: mais auffi, fanselles, notre cher Edmond ne 1'aurait peut-être pas eue ; & c'eft cette idee qui a fait grande impreilion fur nos chèrs Père & Mère. Ce n'eft pas qu'en-mon particulier, je ne tróuve les airs de Ville un-peu-extraordinaires: parexcmple , je m'apercois que la chère Sceur a une petite coquetterie avec tout !e monde : hier eile vit que Courtcou le berg-r la recardait avec admiration ; & elle fe mit a fe donner des graces , que !a tête en-tournait a ce pauvre Garfon, qui eft afles libertin, comme tous-ceux de Nitrj , dans ce moyen-age ; car du temps de la jeuneffe de votre Père & de mon Ayeul, ils ne 1'étaient pas tant: elle en-a de-même avec fon Beaupère ; mais cette coquetterie-la eft permise i avec mon Mari , avec nos Frères ; aulieu qu'eile y va fans facon avec les Femmes.... Tous nos Frères & Sceurs d'ici te desirenc bien & te faluent, car je t ecris a leur fu, mais faas montrer ma Lettre, Je te Drie de  P a r t i E T. SS présenter a la chère madame Parangon mes refpeótueuses amitiés, 8c mes tendreiTes a la p»tite m.lle Fanchette , dont je n'ai-garde de parler ici , &c tu m'entens ; il ne faut pas diminuer la joie qu'on a. Ta Sceur tendre & affeétionnée , autant & plus que fi elle était formée du mcme fang. Fanchon Berthier. LETTRE VIII. 26 mai, U r s v X e , d Fanchon. (Elle conté a ma Femme différentes. choses , oA 1'on voit comme dèflors elle f'accoutumait a voiï eii-Autrui des faiblefles excusaMes : de plus-forte* euffent été moins pervertiiïantes.) T A Lettre, que j'ai recue dans le remps , chère petite Sceur, m'a fait un grand plaisir , & paree-qu'eile venait de toi , & pat les récits que tu m'y fesais. Auffi , tout va de mieux-én-mieux depuis le reto ir de ma Belle-feeur Manon : 8c je te vais dire cela par ordre , car voici une Lettre qui fera longue , tant j'ai de choses a te marquer. D'abord, nous avons été de la noce de m.lle Tiennette & de m.r Loiseau , qui fouc E 4  f6 Paysane perver tif. heureusement mariés , & il faut 1'efpérer ; aubout de leurs peines: m.me Loiseau va me faire ici une nouvelle & bien-fincère Amie; car elle 1'était d'Edmond , ainfi que fon Mari, &tous-ceux qui 1'aiment, maiment auffi. Mais il faut te parler de la noce , de la Mariée , & de tout ce qui eft arrivé „ duftes-tu encore m'écrire vous, & me faire tes aimables remontrances, que je refpecte , & qui ne m'ennuieront jamais , parce-que je voudrai toujours en-profiter. J'étais priée de cette fête , & quoique IC.me Canon ne f en-fouciat pas, j'y ai été , m.me Parangon ayant fait entendre a. fa bonne Tante , que je ne pouvais m'encufpenfer. ■— Bon ! une noce oü il n'y a pas de Père , & ou la Fille eft mariée a neuf lieues de fon pays & de fa paroilTe! cela n'eft pas de bon-exemple! — Ma chère Tante , a repris m.me Parangon, c'eft une Fille a qui je fers de Mère autant que la fienne propre; il faut qu'Urfule lui ferve de Sceur-. Et tout-en-bougonnant, la bonn<5 Dame m'a dit de m'habiller. M.me Parangon m'a parée ; ce qui 1'a encore fait murmurer ; enfin il a été convenu que m.me Canon me mènerait elle-même ; car on la voulait auffi avoir (i). Après que m.me Parangon a été partie, m.me Canon f'eft mise a me donner ( i ) Pour le mariage de Loiseau Si de Tiennette» Voyez U Lettre Lil du PAYSAN.  P A R. T I E I. 57 des avis, tous fort-bons , mais alles inutiles j car on m'aurait ordonné de faire le contraire , que je n'aurais pu m'y resoudre : auffi n'ai-je pu me défendre d'un petit mouvement d'impatience , d'entendre tantrépéter ce que je fais auffi bien qu'eile, Enfin nous iommes parties , & en-arrivant, m.me Parangon a eu la bonté de venir me prendre , Sc de me mettre fous fa protedion contre 1'ennui: cette Femme-la , chère Sceur, a un je-ne-fais-quoi qui charme , & fa compagnie eft un plaisir , indépendamment de ce qu'eile vous dit Sc des careffes qu'eile vous fait; car il n'y a Perfonne qui caretTe comme elle ; &-puis elle a tant de charmes Sc de graces dans fon rire, qu'en-rianr avec elle, on y participe, car on 1'imite fans y penïer : avec cela , fes careffes doivent donner bien du reliëf a ce qu'on a de beau} car pour être careflee d'une auffi jolie Femme, il faut être aimable; outre que fon goüt donne un prix, Sc que d'être touchée par elle, c'eft acquerir de la valeur. C'eft, je crois, ce qui m'eft arrivé : car dès que j'ai paru être aimée d'elle , tout le monde a femblé m'admirer, fans-doute a cause de mon bonheur , Sc des Gens qui n'euuent pas fongé a moi, m'ont donné une obhgeante attention. Je me fuis même apercue , pendant que j'étais avec les Mariés , ( mais Perfonne ne Pen doute , ) qu'un Confeiller d'ici a parlé quelque-temps a m.me Parangon , en me regardant par intervale* , d'un  ƒ8 Paysane perverti e. air qui marquait beaucoup de bonne -volomé, & j'ai entendu qu'il disait : — Elle eft d'une beaiué unique-! Ma charmante Amie me rfgardait auffi , avec une fatiffaction , qui m'a fait comprendre , que le Confeiller lui disait du bien de moi. Mais je ne veux pas trop arrêter la-dsiTus ma penfée , depeur de vanité. M.m« Parangon eft enfuite revenue a-cóté de moi; car elle m'avaa laiffe auprcs des Mariés pendant cette petite converfation avec le Confeiller , & elle m'a parlé d'un ton fi tendre , fi péliétré, que je ne faurais dire combien il J'etait. La chère bonne Amie ! elle eft fi obiigeante, que plus elle fait de bien, oa p us elle a occasion qu'il en-arrive, 8c p!üs elle arme : c'eft un bien-excellent caraótère!... Le Confeiller a demandé a m.me Parangon la permiflion de danfer un menuet avec moi ? L'aimabie Dnme , qui f'eft biendoutée que je ne le favais pas , avait hésité: enfin , elle avait dit, que jetais a la Ville depuis trop-peu de temps, pour avoiraquis 1'aisance néceffaire, & qu'eile ne croyait pas devoir m'expoferdevant uneauliï nombreuse Afiemblée. Il n'a plus infifté que pour une contre-danfe , a qdoi la chère Dame a confenti. Elle m'a prévenue , quand elle a été au-près de moi, que m.' le Confeiller alait me pner. Il eft venu , & j'ai accepté unpeu honteuse. J'avais bien-regardé comme danfaient les Autres , 8c quand on m'a fait ihonneur de me demander mon goüt a j'ai  P A R T I I ï. S9 «ommé la contredanfe la plus-aisée que je venais de voir , dont je ne me fuis pas maltirée. Dès le lendemain on m'a donné un Mairre-de-danfe , & je fuisguidée par mon aimable Amie , par Manon, ou par mon Frère, qui danfe on-ne-peut-mieux.^ Cela me forme la marche , la rend plus-agréable , & on m'aiTure que j'ai meilleure-gia:e , depuis que j'apprens. J'ai un peu commencé par moi, dans cette Lettre , & j'y reviendrai encore a la fin : mais il faut parler d'Edmond & de fa Femme : & c'eft avec bien du plaisir; car ]e vais augmenter les fentimens que tu as pris pour elle, & ceux dont l'aftedbionnent nos cbèrs Père & Mère: C'eft qu'eile a eu pendant cette noce, une épreuve qui a fait briller fes vertueus fentimens : & envérité , la qualité de ma Sceur a-part, je 1'aime-aprésent pour elle-même autant que m.me Parangon. L'Homme que vous favez tous, ne f'eft-il pas avisé de chercher a lui parler en-tête-a-tête } Après y avoir bien effayé , il a enfin rétiffi ; il 1'a jointe fous un berceau de coudriers, qui eft dans fon jardin (l) > car la noce de m.lle Tiennetre f'eft faite chés fa bonne MaïtrelTe : Le motif qui avai t fait écarter notre Sceur , eft bien a fon avantage ; car , en-voyant le mariage de deux Amans qui ont toujours été fidèles 1'Un a1'Autre , & qui f'épousent fans reproche „ (i ) Voyez la Lettre LIL  *o Paysane pïr ve R Tfl.' ca lui a attendri le cceur, & elle f eft retirée a- 1'écart pour pleurer, tenant dans fa jolie main le portrait de fon Mari, qu'eile baisait & rebaisait, quand 1'Homme que tu fais^ 1'a jointe. Tu t'imagines bien comme ïl a été recu ! mais il eft fi effronté !... Elle 1'a voulu renvoyer : il n'a pas voulu f'enaler; fi-bien qu'ils fe font querellés: le meiU leur, c'eft que mon Frère avait fuivi fa Femme, & qu'il a tout entendu: Ils font revenus enfemble , bien-contens 1'Un de 1'Autre ; & mon Frère a tout conté a m.ma Parangon, pendant que j'étais avec.Manon , qui me fesait mille careffes, avec une émotion que je ne lui avais jamais vue. Mon Frère a ramené ^m.me Parangon auprès de nous, & il eft décidé que fa Femme paffèra la plupart du temps avec m.Ile Fanchette 8c moi, chés m.me Canon, qui y a confenti. J'ai fu ce qui f'était paffe par ma Sceur elle-même. Voila qui va bien jufqua-présent, & i! fembie, que pour être heureuse, je n'aurais qu'a refter comme me voila : maisce n'eft pas afles pour m.me Parangon: Elle veut me traiter comme fa Sceur , 8c que nous alions enfemble a Paris, fous la conduite de m.me Canon; elle m'a dit qu'eile avait pour cela difFérentes raisons , dont je crois foupconner une partie. D'abord foa Mari a encore taché de me parler, mais d'une drole de manière! Il f'était caché dans 1'efcalier de la falie a 1'appartement, qui eft obfeur , 8c comme je paffais, il m'a  Partie I. 6i prise par le milieu du corps , en me disanr, i— Eft-ce vous, Fanchette ? J'ai répondu, — Non , Monfieur, je fuis Urfule-. Mais il ne me lachait toujours pas ; & envérité , je ne fais ce qu'il me voulait faire : heureusement que m.1Ie Fanchette était dans le cabinet de fa Soeur, & comme je pariais forthaut, elle m'a entendue ; elle eft venue a moi , & il m'a lachée. — C'eft joli! mon Frère! de faire-peur aux Filles-! lui a-t-elle dit: 11 f'eft mis a rire. Oh ! c'eft un Homme bien terrible , & je le crains comme le feu! Il a des facons, il vous prend on ne fait commcnt, & agit comme jamais je n'ai vu Perfone. Quant a m.r Gaudét, dont je t'ai dit un mot dans ma dernière , je ne 1'aurai pas pour ce que tu fais ; m.me Parangon f'y oppose ; elie en-a dit fon avis a mon Frere bien - fortemenc , & p!üs que je n'aurais compté , car elle eft douce ; & elle m'a donné un bon VieiUard , qui la conduit elle même. Ce m.r Gaudét f'eft trouvé ici pendant la noce , & il me voulait parler : mais m.me Canon d un cóté , mon Amie de Parure, & même ma Sceur Manon, en-ont fi bi:n fu empêcher , qu'il n'a pu me joindre. Je penfe que le voyage de Paris me ferait avantageus; je le vois aux graces de la chère m.me Parangon , qui, dit-on , les doit au temps qu'eile a pafte a Paris ; mais moi, je lui crois tout 9a naturel: je te prie donc , d'en-parler a nos chèrs Père & Mère, comme d'une chose utile, 6c qui, fi tant eft que  6i Paysane pervertie, M. Ie Confeiller penfe a moi, me donnera le ton qu'il faudrait , pour entrer dans une Familie comme celle-la. Mon Fiére écric auffi a ce fujet a ton Mari (i) , avec , je crois, des détails plus-amples au-fujet de I'enrrevue du berceau. Le fecrer, je te prie, fur ce que je me doute du Confeiller ; car je mourrais de honte devant un Homme, fïït-ce mon Frère , qui faurait que j'ai eu ces idéés-la : il n'y a qu'avec toi que je penfe tout-haut; parce-que je fais comme tu es bonne , & que tu ne te moques de rien; mais que tu prens tout au-fèrieus, comme font toujours les bons cceurs (*.)« Nous fommes d.ms une fi grande intimité toutes-trois ici , m.me Loiseau , ma fceur Manon & moi, que nous paflbns enfemble tout le temps poffible ; & quand nous alons chés m.me Parangon , nous tachons d'y être routes enfemble, pour ne pas manquer une occasion de nous réünir : &c m.me Parangon a une fi grande confiance en-nous, qu'eile nous met quelquefois de fes fecrets , fans qu'Edmond le fache; comme le jour qu'eile lui arinonca fon deffein pour le voyage de Paris , & qu'eile lui paria fi-bien, au-fujet de m.r Gaudét. Mais cette-föi-lè , elle nous fit - paraïtre, paree ( i ) C'eft la Lll.rae du PaYSAN. (2) Belie Yérité ! la futise Sa la bonté fe réünif. ient en ce point, fans fe reflembler ; le perfifldge ut 1'ironie partent toujours d'un ruauvaïs-cceur.  Partie I. (■>*, qu'il n'y avait rien qui empêchat qu'il füc que nous 1'avions écouté : aulicu qu'hièr, il en a été autrement pour une converfation qu'eile a eue encore avec lui; car il ne fe rloute pas que nous 1'ayions entendue , m.me Loiseau & moi; ma foeur Manon n'écait pas encore atrivée. Voici ce que c'eft. On venait de nous apporter des chauüures neuves , a m.me Parangon , a m.1!e Fanchette & a moi: nous les avons eflayées : Edmond eft entré comme nous fmiffions; il a dit fon avis a m.me Parangon & a nous : enfuite comme nous nous retirions dans 1'autre chambre , j'ai entendu qu'il disait a fa Cousine le commencement d'un couplet de chanfon, ou je n'entendais pas fine (Te , mais m.me Loiseau , elle , a fouri ; c'était , Que ne fuis-je la fougère ! M.rae Parangon 1'a regardé très-férieusement; & voyant que nous avions entendu qu'il lui répondait : — Il m'eft impoffible d'avoir a votre égard d'autres fentimens : mais ils n'ont rien de criminel ; car j'aime Qui je dois aimer a-présent, comme je le dois : & je crois que quand il y aurait du mal, je ne pourrais pas changer : ce n'eftda qu'une matière grofiière ( lui montrant fa chauffure); mais depuis que cela vous a touché , c'eft un talifman , c'eft un être animé ; vous lui avez communiqué votre ame ; cela fait partie de vous, & C\ c'était en ce moment tout ce qui doit me refter de ma  6+ PAYSANE PERVERTI!, Cousine , j'en-feraisuntrésor, dont rien auflï ne pourrait me féparer-. M.me Parangon 1'a interrompu : — Loin que j'approuve ces ientimens, monCousin, je vous dirai qu'ils me bleflent fenfiblemenr , & je vous prie , au nom de notre amitié ; de ne m'en-jamais tenir de pareils : plus vous êtes aimable , plus vous-vous croyez fur de mes fentimens, ik comme parent, & comme ami, plus auffi vous devez vous abftenir de tout ce qui fent la galanterie : c'eft un vol que vous faites a votre Femme, pour une prcfqu'Ètrangère , & pis encore , pour la Femme d'un-autre Homme : Je veux bien qu'il y ait de la liaison entre nous, mais qu'eile foit pure comme le cceur de 1'Enfant , & telle qu'il le faut, peur donner bon-exemple a cette chère Sceur qui eft la-dedans, ainfi qu'a la mienne. ( Elie a fait un foupir ). Mon pauvre Edmond , nous fommes lies tous deux a des attachés différentes , & c'eft 1'ordre de Dieu que nous-nous y tenions : Je me tiens a la mienne , que vous connaifTez , la votre eft charmante , & vous devez bénir votre chaïne; car on peut dire, que vous avez une Epouse qui vous aime autant qu'eile le doit, & qui fent tout ce que vous valez-: c'était ce que je vous desirais , & mes fouhaits font remplis de ce cöté-la. Songez-donc bien , mon Cousin , a me confidérer, non-feulement comme votre Amie & votre Parente , mais auflï comme quelque-chose de plus ; j'ose prendrc ce titre avec vous, par le bien que  Partie T. 6$ 'que je vous ai voulu , & celui que je me proposais de vous faiie : je fuis même la cause df tout celui qui vous eft arrivé : j'enexige une reconnaiffance & je ne fuis pas affés généreuse , pour vous en-faire grace.... , Cette grace , a interrompu Edmond , ferait la plus cruelle des injuftices, & je n'enveux pas de cette nature-la-! Et je crois qu'il lui a baisé la main : car elle eft venue vers nous fort-agitée. Un inftant' après , elle tffc reffbrtie : Edmond était er.core la : Ils ont paru f'entretenir de bonne amitié : — Vous me réduisez a fuir ! — Votre fuite ne m'a pas désobligé , aucontraire : tout ce qui me rappelle a mon devoir , de votre part fur-tout , m'eft agréable , chèr Vous étes parfaite , & je ne le fuis pas; j'ai tout a craindre, 8c vous rien ; fi vous fuyez, c'eft par générofité pour moi. — J'aime a vous croire, même quand vous me fiatez.—Vous flater ! ah ! j'approche a-peine de la yérité. i—Jeveux vousen-croire: mais, chèrCousin, ne nous complimentons pas, & foyons fermes 1'un 8c 1'autre contre 1'ennemi de notre repos & de notre bonheur: vous aimez votre Femme.... —'Je 1'adore. — C'eft une vertu dans votre cceur; elle vous rendrarheureus.... Mais, mon chèr Edmond , prenezgarde aux fentimens trop-libies que cherche a vous infpirer votre Gaudét 1 je rens , comme vous , juftice a fes vertus morales ; ïl en-a , trop peut-être , pour votre bonheur , ou dumoins pour votre fureté ! car Tornt I. Tartte I„ F  4-6 Paysan e p e kjv e r t i e, Pi! était comme tant d'Autres de fes Pareils,, il ferait moins-dangereus pour vous! Je vot** drais r ouvoir rompre cette liaison ; —Seraisje digne de votre amitié , fi , quand on m'en ïnfptre , j'étais fi facile a en-rompre le doux lien ? Gaudét eft un Homme , comme on en-trouve p:u : la Nature ne ptoduit les Etres comme lui qu'un a un : c'eft un Ami comme il n'en-fut jamais, & fi vous le con«aiiliez comme il m'eft connu, il aurait votre eftime. Vous lui avez öté ma Femme ; il fait que vous l'avez empêché d'avoir ma Sceur: eh-bien , voulez-vous connaïtre fes feut'.mens ? Lisez : je vais vous lailTer cetteLettre ; ce fera fon titre juftificatif auprès de vous ; Lettre de Gaudét, a Edmond,, Je viens d'apprendre , cher Ami, que je fuis quitté. Que me fait cela ? je ne voulais diriger , que pour te rendre plus-heureus /• mais Ji c'efl la belle Parangon qui dirige a m& j>lace , elle féra cent fois mieux que moi. Je t'avouerai que je ne m'attendais pas que ta Femme aurait jamais ce Direcleur ld .' c'efi vour-quoi , je desirais de. l'étre : mais elle , elle y mon Ami l c'efl une divinité que cetteFemme ; c'efl la vertu , telle qu'eile doit être jour avoir des.autels même chés les Vicieus : abandonne- toi donc a fa conduite ; & Ji elle te disait ; Maïs Gaudét, il faudrait, je crois-: Zie- haïr, car elle ne peut dire que ce qui cfl le: wimx. I fa. boiic/te ef trop-belle , ptw qu'il eg».  Partie I. 67 forte jamais rien de mal. Qjant a ta charmante Saur , Elk a encore plus raifon -( eet Elle , c'eft m.me' Parangon ) ; un jeune Guide ne convient pas aux Jeunes filles : cependant, ji j'avais eu ta Sceur , je fais ce que j'aurais d& faire , & je l'aurais fait. Je l'aurais préservée de bien de petites idéés , qui font dans le caur d'une Belle , autant de petites étincelles , qui peuvent mettre le feu a la Jiintebarbe , & faire fauter la nef; mon experience ne lui aurait peutétre pas été inutile. Mon cher Edmond, connais-moi ; c'eft tout ce que je te demande ; une-fois bien-connu , je te tiens , & tu es a moi pour-toujours : ne t'ejjraie pas f je ne te veux a moi, que pour être tout a toi : 'Tu enauras des preuves en toute occasion , envers fi" contre tous. Mais (& je lêrépete) , f'Ufe trouye Quelqu'un plus capable , ou plus digne quemoi de te rendre heureus , je te :.edc. Cela n'eft pas , mon Ami: mais cela ferait dans une feule occafion ; c'eft fi tu étais libre , & la Célefte auffi ( tu fits Qui je veux dire ): alors tous-deux unis , je n'aurais plus que faire k toi , & je te dirais , adieu pour une dixaine i'années au moins. Je te fouhaite le bon-foir s & point de regrets : tout ce qui vient de cette: main , qui t'es fi chère , füt-ce du mal, je let recois avec resignation ( 1 ). Gaudét. { 1) Cetre Lettre n'a pas été mise dans ia PAYSA!* VERVERTI, parce-cjvi'Ürlule 1'avait cavcyée a- m» ï'es&rae ea-ongia-ii. I 3.  6S PaYSANI rERVERTJE.' ~1 — Le voila bien ! a dit m.me Parangon ; en-aclievant de lire: quelHomrne !... Voyezle donc; car c'eft un démon , Sc- il vous déterrerait par-tout: mais de la prudence L Sc fur-tout de 1 attacheraent aux excellens principes que vous avez recus de vos Parens-! Voila , ma très-chère Fanchon , oü nous en-fommes: car ce dernier trait eft d'hiér comme je te Par dit. Adieu , chère bonne' Amie, &c.3-.  LETTRE IX. 3 juin» U R S V Z E / [a la Même. (Elle parle de la manière dont Edmond fut terrafle de ma Lettre , au fujet de fa faute avec Laurote ( i ). ) Oh ! ma chère Sceur ! que ton Mari a écrit durement! la faute eft grande , mais le reproche eft trop-dur , pour un cceur. comme celui d'Edmond ! il eft éperdu , 8c ne fait que devenir 1 Je fuis la feule qui ai vu, & encore a ibn infu, la Lettre qu'iL vient de recevoir y & je ne fais fi j'en-dois. parler; car c'eft une chose qui n'eft pas de. nature a êtrecommuniquée , non-pas-même a m.me Parangon. ... ^ ......... « O mondieu '. que viens-je d'entendre L L'Homme chargé de la Lettre fait ce qu'eile contient, & il 1'a dit a la Femme d'Edmond l ii faut que je demande a 1'aler voir Eh!. comment donc ton Mari a-1- il fair cette faute lui Il y a quelque-chofè la-deflous, 6c vous verrtz que ca n'eft pas vrai, qu'on, (j ) La LV.me du. PAYSAN.  )o Paysane perverti e. aura mal compris: que notre Cousine ia Mère, aura interprêté le fiknee de fa Filie , a-cause qu'Edmond Fa bien-aimée dansnotre jeune age. Il faudrait que Laurote fut une grande misérable , d'avoir ainfi manqué de fagefiè ! elle ferait la f ule criminelle , & je ne la plaindrais pas : car un Garfon , a ce qu'il me femble , quand il trouvé une Fille faible , avance toujouis,, pour voir ou elle le réprimera: " ficlir.nr fort» bien , comme nous le disait hiér m.me Parangon , » que c'eft a nous qu'eft le róle « de resiftance , & fe tranquilisant h eet " égard abfolument fur nos bons principes i y & quand il voit que nous en-manquons, » il en-eft tout étonné : mais il preflè tou» jours la malheureuse Fille , par;e-qu'il y » a pour lui une véritable gloire a en triom» pher ; cela marqué fon mérite en-tcut» genre, fa beauté, fonefprit, fonadreftè,. » & fon talent de fe fiire aimer , qui ren» ferme toutes les autres qualités. C'eft donc » a nous a toujours resifter : puifque notre » gloire eft tout 1'opposé de celle des Homw mes; car quand nous lommes humiliées ^ » ils f >nt réellement exa'tés , quoiqu'en» veulent dire les Femmes-hommes de » notre fiècle » Ma chère Sceur, écris- moi ce qui en-eft, d'après de bonnes informations : & que je ralTure ici tout Ie monde. Oh ! fi tu favais ce que je fais , tu verrais bien qu'Edmond n'eft pas capabled'une chose cozanie celle-IL  Partie I. 71 On ne veut pas que j'aille voir ma Belle'fceur; Sc comme on fait tout, j'en-devine la raison : nous partons demain-matin pour Paris, m.lle Fanchette & moi: m.me Parangon vient de me 1'annoncer , comrne j'étais accourue auprès d'elle, pour m'informer. Je crois avoir entrevu Edmond „ a qui je n'ai pas demandé a parler , m'apercevant bien qu'on me le cachait. Il avait la main fur fon fror.t, & il cachait fon visage , comme lorfqu'on eft dans une prqfonde douleur. J'étais fi fachée de pamr fans ma Proteétrice , que j'en-ai pleuré : — Je pars, ik vous rr-ft ez- ! me fuis-je ecnee.. — II le faut-, m'a t elle dit! Cette avanture maiheureuse, qu'on me cacfte , avance notre départ , depeur que nous ne 1'apprenions f Sc encore pcut-être , depeur que^nos cheis Parens ne me faffent revenir. Adrelle-Hiov donc ta Réponfe a Paris ; Sc encore , ou >■ 11 faudra attendre que je te t'écnve , chere Sceur. Tout eft i:i en-combuftio.^ : je vois,. fans en faire-femblant , le tröuble qu'on veut me dérober ; car m.me Parangon e cache de moi ; mais je m'ap-rco;s qu e,le p! -ure Tout-a-l'heure , je 1'ai entendue 5, elle fe croyait feulé , Sc disait la larme a 1'ceil : — Dieu me punit cruellement l Sc peut - être un jour , moi - meme ferai-je 1'infortunée viótime de ce jeune Imprudent-! Eile disait cela avec des fangbts. Adieu ; j.e ca;hete bieiirvite,. Sc je:  72 Paysame pertirtiïj vais prier Ve^inier d'être plus prudent ani retour , qu'il ne 1'a été ici. Je vais donc paitir pour la grande Viue ! mais bien-triftement 1 j'ai le cceur feiré ! Fin de la première Fardé, Uk  L A P A Y S A N E PER VE RT IE , o u LES DANGERS DE LA VILLE; UlSTOIRE d'URSVZE R** , fxuf £'Edmond , le Paysan , mise - au-jou'P d'après les vèritabks L ET TRES det Perjonages : Par 1'Auteur du Paysan Perverti, TOME I. PARTIE II. ïmprimê A LA HA IE. Et fe trouve a PARIS Che^la cl.me Veuve Duchefne , libra'rc, en la rui Saintjaques, au Temple-du Goüt. M. - d cc. - l XX X I v.   LA PAYSANE PERVERTIE, OU LES DANGERS DE LA VILLE; HlSTOIRE SUKSVLE R** , miseau-jour d'après les véritables LETTRES ■ies Perfonages. SECONDE PARTIE. LETTRE X. 14 juin. Fa n c h o n , ■ a U R S U X E , { TaWeau de douleur, & Lettres de fauffeté , dont ma Femme lui fait-part. ) Chère Sceur. J'ai appris votre adrefiepar m.me Parangon , a un voyagc que nous avons fait a Au-** , pour voir le chèr Frère Edmond, qui eft bien malade : miis il faun  71? Paysanë fervertie. qu'il y air un-peu de mieux , puiique ja vous écns C'eft m.me Parangon qui nous avait mandes , comme vous lé verrez par la Lertre, cijointe... Hélas! ilyaeu bien des malheurs! la pauvre Manon ( Dieu lui faflè paix ), a fini douloureusement fes jours par un doublé poison , celui de la jalousie auiujet de ce que vous favez , & un-autre qui tue plus vite le corps.... Vous m'enrendez.... Cependant , ma tres-chère Sceur , vous aviez bien-raison, dans ceque vous m'avez marqué , qu'Edmond était incapable d'une actvon pareiile ! & ce nous eft , a mon Mari & a moi , une grande confolation ! quoiqu'Edmond ait démenti la Lettre de fon Ami qui le dit, j aime a en-croire ra* Gaud t de-préférence. Vous alez en-juger 5 je me fuis onparée de cette Lettre , pour la remontrer quelque jour h nos bons Père &c Mere , quand ils feront de fens-fraid : ce qui me fait croire qu'Edmond pourrait bien d;re ca , dans le delièin de ne pas faire paffer Laurote pour une Malheureuse , c'eft que fa Femme étant morte , il n'a plus de raisori de eraindre pour elle 1'effet de ce qu'on lui attri. bue, Mais moi, je regarde Ia Lettre comme b;en-:royab!e: car enfin, pourquoi m ,f Gaudét aurait-il fait une chose comme celle-la ? Je vous dirai que j'ai vu ici bien de^ doüleurs, dont je fuis charmée que vous h'ayiez pas eré térr.oin j car vous Tauriez été ; on vous aliit envoyer chercher pour redemeurer ÏCi, quand 011 a fu que vous étiez partie ;  Partie II. 77 cela a d'abprd fait différer; enfuite on a eupeur de facher m.me Parangon , en-lui marquant ds la défiance. Ma chère Sceur, le trifte Sc piteus fpectacle , qu'un Père vénérable qui maudit ! j'ai treffailii jufques dans les emrailles , en-l'entendant maudire , SC noüs-nous fommes tous-jetés a-genoux devant lui. Mais facolèrene fe calmoit pas; elle était encore animée par notre Cousine , la Mère de 1'Irfortunée : Notre Père voulait partij pour altr chatier Edmond; il alait, il venair,; il ne fe pofledait pas : eet orage fesait trembler; car il ne jetait lur noustous qu'un regard fombre. 11 a pourtant été a l église ; & on dit, car je ne 1'ai pas vu , qu'il f'eft mis a genous fur la tombe de fon Père, Sc qu'il f'y récriait feul, — Des Enfans! des Enfans 1 ó mon Dieu ! je vous ai demandé des Enfans, Sc vous me les avez donné dans votre fureur-! Et mon Mari, dit-on ( car il re m'en-a pas touché un mot , & je n'ai osé ,1'interroger la-clelTus) ; f'eft approché doucement & en tremblant derrière-lui, & il luï a dit, en-fe profternant, Sc baisaut la pouffière , — Non pas tous , mon Père-! Et le Vieillard vénérabie eft refté immobile i ce mot de fon Fils-aïné; il f'eft m plus d'ua quart-d'heure ; enfuite il a dit a fon Fiis : Béniflbns-en Dieu enfemble , mon Fils , fur la tombe de mon digne Père : Que Dieu puniffe le Coupable , &r.bénifte les Bons • — O mon Père ! f'eft écrié Pierre , fi vous n'avitz été mon Père , je vous au'ais fermé la G i  7? Paysane pervertie. bouche , au premier mot de ce maudilTon ! mais vous êtes mon Père , fur la tombe du votre , doublement facrée en ce moment-ici pour moi: mais veuillez retraóter, en-priant Dieu ; car mon pauvre Frère ferait perdu a jamais J Et le Vieillard f'eft mis a pleurer , & il a prié bas, fans répondre a fon Fi's , qui a bien vu qu'il retraclait : & ils font revenus enfemble , le Père f'appuyant fur le Fils, & le Fils tenant un bras pafte autour de fon Père, d'une freon d'amitié d'une part, & de iefpeó> de I'autre , qu'Unchaqu'un qui les voyait en-écait attendri ; car ils font bien-aimés, tant le Père que les Enfans ; & tout le monde d'ici disait, qu'Edmond n'était pas capable de ca. Mandez moi, chère Sceur , de vos nouvelles; car je me fens de 1'inquiétude pour vous, du-depuis que vous êres dans ce Paris; & il me femble a chaque Lettre qui vient de la pofte , qu'il peut y avoir dedans quelque malheur a votre fujet. O chère petite Sceur ! pauvre Brcbiette fi douce & fi jolie , au-milieu des Loups, que n'êtes-vous ici! Je vous rêve fouvent, 6c quoique je n'aye pas foi aux rêves , car mon Mari dit que ce font des chimères, fi eft-ce que je ne rêve qu'en-mal, èc ca ne me fait pas plaisir. Je prie tous les jours le Bondieu pour vous & pour Edmond, après mes devoirs (i), & avec bien de 1'ar- ( i) Elle veut dire , Après avoir prié pour fes Père &. Mere, Geus de lua .Mari, ik fua Mak lui-même.  Partie II. 7-> deur ; je vous allure ! Adieu , chère petite Sceur : & puiffé-je avoir de plus heureuses nouvelles de-peu eivca a vous mander ! Lettre de m.me Parangon , a Pierrot &c a fa Femme. Mo n chèr Pierre , & ma chère Fanchon : C'eft a vous que je m'adrefe de-préférence , pour vous annoncer la maladit ou le désefpott a réduit votre chèr Frère Edmond. Dès qu tl vous eut écrit la Lettre , qui vous annoncatt la mort de fa Femme (i) , une fièvre violente lefaisit, & dans la même foirée il eut le traujport. Je ne vous ferai pas les détails de ce cruel commencement de maladie , ou il disait des choses, tant au-fujet de l'Infortunee qu au mien, que je n'oublierai jamais. Je pms vous ajfurer que j'ai pris de lui les mêmes foins que f'Ü eut été mon Frère , comme il eft le votre ; car il eft le mien de cceur <& de volonté. Mais^ ne m'en-ayei aucune obligation ; l'humanite feule & mon panchant fuffisaient pour m'obliger d m'occuper de ce chèr Malade , & l'une bf l'autre ont été mon dédommagement. Ainfi, je laiffe ld ces détails , quotque jefache qu'il vous intérejfent beaucoup, pour vous entretentr du départ de mon Urfule ; que je regarde comme réellement a moi , autant par l'amitiè qu elie m'infpire , que par celle qu'eile a pour moi ; ii) La HX.me da PAÏSAN. G 4  So PAYSANE PERVERTI E. non que 'jeprétentie m'emparer de fon affeSiok, pour l'óter d vos ckèrs Parens & a vous , d. qui ellefera toujours , par la tendrejfe filiale ou frater tielle ; mais elle eji d moi , par te bien que je lui veux. Des que le malheur fut arrivé , je décidai fon départ, comme je fais qu'eile vous 1'a écrit; & ellefe conforma en-tout d ma volonté avec fa douceur ordinaire. Depuis qu'eile eft avec moi , je ne lui ai remarqué que des qualités , & pas un dé faut ; & voici l'idée que je me fuis formée de fon caraclère, Elle eft douce par tempérament : haute par l'éducation libre & républiquaine que vous a donnée votre Père. Elle regarde le deshonneur comme une tache materielle en quelque-forte , & dans fes idéés , elle ferait capable de dire le même mot qu'un Jeune-gentilhomme disait un-jour d'un Officier qui avait refu unfoujjlet: II f'approcha de Celui qui le venait de nommer , & lui dit avec un naïf étonnement: — II n'eft pas changé ! De-même ji Urfule voyait Une de ces Femmes deshonorées par leur inconduite , elle la confidérerait avec \n étonnement naïf, qui lui ferait demander , Si elle mange , boit & dort comme nous ? elle f'imaginerait quune Libertine devrait être tout-autrement conftituée qu'eile. C'eft une chose dont je me fuis apper^ue , a-l'égard de l'Infortunée que nous pleurons. Urfule était inftruite des premières : Auffi ne la regardaitelle d'abord qu'avec une curiofité de frayeur z mais lorjqu'elle 1'a connue particulièrement , elle aprispour elle la plus-tendt e amitié , une  Partij i I. eftime fincere , & tous les fentimens obligeans. Vous penfei-bien que j'en-étais charmée. Mals j'avais une crainte pour ma Jeune-amie , en~ qualité de Jon Injlitutrice & defafeconde Mère , pui [que je remplace a fon égard Barbe De~ Bertro : Je voulus favoir un-jour , fi elle ne regardait plus certaines fautes comme auffi graves qua fon arrivée ici : Je la queftionnai adroi cement, & voici comme je connus fa facoti de-penfer. —Tu aimes bien Manon, Urfule ! —heaucoup , Madame ! ~ C'eftbien; ilfautaimer ta Sceur. — Et votre Cousine. Et man Amie. —Ah ! ce titre-ld me la rend bien-chère !.... Voyez pourtant ■' c'efl avec raison que TÉvangile dit que les jugemens téméraires Jont un grand pêché ! — C'eft une belle vérité, ma Bonne-amie: mais comment l'appiiques-tu ici? — Par-exempic , Vous , mfl' Tiennette & moi , n'avons-nous pas cru que Manon était une Libertine ? Cependant , depuis que je la connais , je vois que cela ne fe peut pas , & que nos ieux nous avaient trompées : Elle agil tout-comme nous , elle parle de-même , elle eft faite de-même i ainfi , cela ne fauratt étre : j'ai bien vu que vous le penfie^ aujft , & je l'ai aimée au-doublé , d-caufe qu'eile n'a pas fait d mon Frère Edmond les vilaines choses que j avaiscrues d'abord, ainfi que vous-. Je nelui répondis rien ; mais je L'embrajfai, en-penfant tout-bas : Refpeclable & préckuse innocence combien ferait coupable Celui qui te por ter ait la première audnte > outre le pêché en-lui-mLinc>  52 Paysane perverti e. ce ferait encore une horrible facrilège Quand j'eus dis cela d Tiennette , afin qu'eile ne détruisit pas l'heureuse idéé qu avait Urjule ; cette bonne fille merépondit , qu'eile f en-était ■apercue , & qu'eile f était proposée de m'enfarler , pour me demander mes confiils. Vjus juge{ , d''après cela , chèr Pierre & chère Fanchon , fi je dois aimer mon Urfule , & avoir confiance en-elle ! Auftj lui ai-je donné ma Saur pour Campagne ; je veux qu'elles foient infêparables jujqu'd leur établijfement. II ne me refie plus qu'a vous parler de nos adieus , a-l'inftant de la féparation. Je nétais pastropdmoi , comme vouspenfe^. Quand Urfule fut qu'eile alaitpanir avec Fanchette, fous la conduite de m.m» Canon , elle me regardait avec des ieux interdits ; car je n'avaispas encore prononcé le mot , Je rede : Mais quand unefois j'eus dis ,^ .— II faut que je rejle d-causc d'Edmond-, je vis le bon-naturel d'Urfule , fonbon-caraclère , (In amitié pour moi , & fa tendrejfe pour fes Parens , dans fes regards & duns fa réponfe. Ses ieux devi/.rent humidss : Elle fit un mouvement les bras ét en dus , pour venir d moi : elle f'arrêta , me regarda tendrement , & me dit enfin. — Je pars , & vous rejïe{.' mais il le faut, & je vais être orfeline tout-d fait ; je n'aurai plus que la Saeur que vous m'avei donnéeCependant, per met te^moi de vous dire , qu'il eft jufte que je rejfente la douleur d'être éloignée de mon digne Père & de ma bonne Mère ; votre compagnie l'aurait trop-affaiblie ; ainfi je la fenürai, fine*  Partie II. ^? toecvtaisir, puifque la douleury eft contraire, dumoins avec contentement de la fentir : car toutes les fais que je fens cette heureuse douleur > de l'êloignement de ma bonne Mere Jur tout, cela merappelle de Qui j'ai le bonheur d itno iille , & de Qui j'ai l'honneur d'etre Amie-, Bh bien , mes chèrs Bons-amis , que penfayous de cette réponje , dans une Jeune-JMe ae dtxfept ans, élevh au Vtllage ƒ Mms quedis-je au VVage? l'éducntion que vous ont donnet chh vous , eet Homme que vous appele^ votro The, & cette Femme que vous appele{ votre Mère , & que moi je nomme des Anges , fni> plus penfer mille- fuis que celle des VtUes^. Man Urfule eft partie.... mais fat encore Edmond. 11 vous demande ; je vous destre : vene^ nous voir, & me confoler un-peu de mes privaten s par votre chère préfence. Que j'aime cette bonne Dame I qui tolt 6-bien me faire aimer ce que j aime tant Volei a-présent la Lettre de 1'Ami Edmond que je vous ai promise. Lettke de GaudIt, aEdmond, confervée par Fanchon (i). Mon très-chèr Ami : Aulieu d'emphyer de vaines confolations , comme les Amtsvulgai- ( , ) I! eft qoeffib» de cette Lettre dans la LX.ro* du Paysan.  *4 Paysane perverti e. res, j'ai couru % lafource du mal. Je me - ^ empare de l'efprit d'une Mère défoiée & d'une Fille innocente , dont l'Une ne favait que fe lamenter a grand bruit ; & dont 1'Autre vterge encore d'efprit, f'étonnait de la defolal tioti qu elle voyait autour d'elle: ~ Car enün ( c eft l'lnnocente qui parle ) , faire un Enfant n ejtpas tuer un Homme , ni voler , ni piller m meur e-le-feu, nibattre, ni méme feulement dire desinjures d Quelqu'un : J'en-ai vu qui en-ont fait , & elles en-ont été quittes pour une chanson qu'on a composéefur elles-. Surpris de ce langage , j'ai voulu pénétrer dans l'dme de la Jeune-perfone , & y voir , J'il était bienvrat que ceföt toi qui l'eüt mise dans Vembarras ; ó> tu penfes que je n'ai pas eu de peine d lamener a me dire ce que je désirais. Mais vu Jon tnnocence , elle m'a inftruit , fans le fa. TV Jf' Profité de mes avant ages fur cette fT^SV ' pour faire figner , dl'infu de Ja Mere , une lettre d tes Parens , qui ejt mcluse dans celle-ci , par laquelle elle f'accuse de t'avoir injuftement chargé de la moitiê de Ja faute. Mon motif, dans cette démarche , eft louable doublcment ; c'eft de te réconcilier avec ta Familie , par la certitude de ton innocence , & de rendre la tranquillité d ton Épou. se :^ auffi n'ai-je pas perdu un feul moment 3 Vj at preféré de partir fans te voir, d te voir ?u(-i[)aIófé.araU ,Ue Gaudét' ne dit Pas ici t0Bt£«  Partie I. fans tefervir. Adieu , chèr Edmond ; & ne te laijfepasprévenir : car j'ai bien des Ennemis ƒ mais ton inexpérience eft le plus-dangereus. jP.-f. Oftenfibilem hanc Epiftolam feci. Lettre de Laure , aux Parens d' Edmond , ( dictee par Gaudét). Mon chèr Cousin , & ma chère Cousine i Je vous ècris ces lig nes d l'infu de ma Mère JJ cfin de vous tranquiliser au-fujet de mon Cousin Edmond, que j'ai eu lafaibleffe d'accuser d ma Mère , crainte d'étre battue: mais la vérité eft, que ce n'eft pas lui qui m'a mal -fait; bien-aucontraire t car c'eft en ■ revenant un-jour du marchéd V*** , que m'étant arrétée fous des ver nes & des aulnes d l'ombre , & m'étant endormie, pendant que Robin broutait d'appétit, je m'éveillai d ce que me fesait un gros Blatêyer , qui m'avait furprise , & dont je ne pus me défendre. Mais comme je nejavais pas ceque c'était, je ne fuspasfi en-colère quejel'aurais cru , é je n'en dis rien tant-feulement a ma Mère , jufquau moment ou elle 1'a devine , & qu'avant tout, elle a été tout-juftement me nommer mon Cousin , en-disant, Encore ji c'était lui-.' Et moi, entendant ca , j'ai dit, ,que ce l'était. Enfuite elle a appris qu'il était marié , ce qui a fait tout le bruit. Voila tout , mon chèr Cousin & ma chère Cousine: ainfi je vous prie de n'en-point vouloir d mon Cousin  8tf Paysane perverti f. Edmond. J'ai l'honneur d'être avec refpec!, Votre três-humble & tres-obéijjante fer~ vante , L a vr e C**¥. Vous voyez, chère Sceur, que c'eft bienmalheureus qu'on ait accusé le pauvre Frère Edmond! LETTRE XI. jo juillef» M.m' Parangon, d U r s u l e. (La pauvre Dame montre toujours fon ton & faible cceur, £ms qu'eile f'en-doute ) J- ^ b m en-veux pas , ma bonne Amie , du long filence que j'ai gardé avec toi , quoique je t'eufle promis de t'écrire , & même de te voir bientót. Ton Frère a été malade , après ce que tu fais, puifque m.r Gaudét , qui eft a Paris, doit t'ennyoir parlé. Difpenfe-moi de tous les détails. J'ai vu Edmond aux portes de la mort; il eft meilleur que je ne crcyais, & fi , jé le regardais comme un bon-cceur. Ce pauvre Garlon ! ah , qu'il m'a touchée ! Il eft a-présent a S**, pour actiever de fe rétablir. J'cfpere le voir bientót de-ïetour ici. Lc  F A R T T E Hé tfoiladonc libre encore !.... Je ne lui dirai» pas ï lui-même , mais avec to: , ma Chere., je puis me donner un p> u plus de hberte j car tu vois bien que Fanchette (era ta Sceur: commence a 1'envisager fous ce: p >h>t-de-vue , & fflu cela te donne la confolation dont tu as besuin. Ma chère Urfule , le terrible iien que le mari?ge ! Lorfqu'on nous le propose , pour Ceux ou Celles qui nous font thèrs, nous devons bien hésiter L & c'eft ce que je fais a plus d un égard. Quant a 1'envie que j'ai de voir un-jour celui de ton Frère avec Fanchette, je m'y livre d'autant plus-volontiers, qu'il y a encore le temps de la réflexion. Et-puis , j'at dans 1'idée qu'il m'eft attaché, qu'il aimera un-peu ma Sceur par-rapport a moi, & unpeu aufli parce-quelle fera fort-jolie. N'eftce pas qu'eile le fera ? Dis-le-moi fincèrement , toi qui n'as pas les ieux prévenus d'une Sceur ! Je ne m'en-défcns pas; j'aimerais a voir mon Frère dans Edmond , &C a le nommer du même nom dont tu le nommes Il vient de me tomber une larme ! Hélas ! ne le nommerais-je donc jamais de ce nom fi chèr 1 II me femble entendre une voix qui me dit, non ! Mais tout cela n'eft que chimères de 1'imagination troublée. La mienne 1'eft beaucoup , &c je viens d'éprouver de terribles fecouf- fes! J'irai me calmer auprès de toi, chère Amie : prépare-moi un cceur bientendre pour recevoir tout le mien. Que Paris  Paysane perverti e. va m'être agréable avec toi ! J'y ferai libre £ je n'y verrai que ce qui me plait, mes deux Sceurs ; tout le refte du monde ne fera rien pour moi. Un-jour, ton Frère yviendra... Je voudrais que Fanchette eut quinze ans: on éft raisonnable a eet age-la car je crois que je 1 etais : ne 1 etais-tu pas auiTi ? nous les marierions, & nous ferions tous heureus. Adieu, ma FiHe. Je tai bien écrit des choses aufquelles je ne fongeais pas en-commencant; mais la Lettte eft faite, & ello partira. LETTRE XII. jo auguftei Réponfes d' U R S U L E , aux deux Lettres précédentes, ( Elle raconte fon arrivée , & comme la corruptioS règne dans les grandes Villes. ) M » : ATJ.adame et tres-chere amie : . Votre Lettre ma fait Ie plaisir que vous imaginez, d'avoir de vos précieuses nouvelles : quant aux choses triftes, je les favais déja , par la Lettre de ma Belle-fceur que je joins a celle-ci , & que je vous fupplie de me rapporter ; car elle m'eft chère, acause de la part d'oü elle vient. Je n'efpère pa?  Partie II. 89 pas de répönfe , mais votre vue , qui eft pour moi'le plus grand des biens. Nous fommt-sanivées très-heureusemenr. Paris, vu de la Scine , fait un fpcóbcle imposant & majeftueus: mais le dedans a fes desagrc'mens, ccmme vous akz voir , & comme fans-doute vous le favez. Nous fommes arrivées de grand-jour au port Saintpaul: Je fuis defcendue la pr< mière , plus-hardiment que je n'auraiscru. La bonne Dame Canon a eu-peur , en-me voyant aler fi resolument , & elle f eft écriée : — Pre- rez-garde , Urfule-!. Ce qui m'a fait- friflonner , je ne fais poQrquoi, Mes genpus ont tremblé , quand mes piéds ont touché la terre , comme fi celle de Paris me devait porter-malheur. Mais c'était de joie : car ce pays me plait beaucoup , & je fuis tres- fatiffaite de laCapitaie ; il ne me tnanque que la présence d'une Amie adorée , pour y être heureuse. Mais il faut que je vous dise un-mot des desagrémens dont j'ai parlé. D'abord la chère Dame Caron en-eft quelquefois de bien-mauvaise-humeur ! elle nous fait fouffrir de toutes les fotises qu'on nous dit , ou des complimens qu'on nous fait dans les rues. L'un de ces jours, un H< mme neus fuivait le foir, & nous disait je ne fais combien de choses 011 je n'ai rien compris : nous doublions le pas, ma chai ijnante petite Sceur & moi (je Pap; ■ llc aii depuis votre chère Lettre , mais cötnrne par-srnitié , fans lui en-dire k VI ' Tomé J, Tai üe II,  i Paysane fERVERTrr, mon frère Pierre: paree-que je voudrais -qu'eile fut furernenr remise , & enfecret.. A fa Belleftzur Fa n e h o n. (Voila qu'eile Jui parle, comme elle penfe: elle f, deja fait bien du chemin ! ) Ie teremercie, très-chère Bonne-amiev de ta lettre & de tes fentimens pour moi. Je me trouvé ici trés heureuse ; & comme tu le disais, ca été un coup-d'or , que m.me> Parangon , ma refpectable Prptedricé , SX'ait fait-pirtir , comme elle a fait : car',, ent re nous, il ne faut pas qu'on envoye a la Ville,, les Enfans qu'on veut qui demeurent au Vi.lage ; lesmanières des Villes font'tropagréables, pour qu on puifle enfuite trouver fupportables celles de Campagne ; outre quala Ville la.vie eft bien-plus douee ; & furtout qu'on y connaiï des plaisirs que rien nepeut compenfer au Village_ Je te parle a cceur-ouvert , chère petite Sceur , pour te guider dans. tout ce qui me concernera chés. nous& par 1'efpérance que j'ai que cet:e Lettre ne fera vue de perfone que de toi, & de la refpe&ible Dame qui te la fait parvenir. D'ap-ès mafacon de-penfer , je t'avouerai que je ne ferai pas fachée qu'on me trouve ua Parti j car tant qa'on eft fille, on dépenddï n yolonté de Père & Mère , & il ne tienc qu a eux derappeler leur Enfant auprès d'eux^ li qft cemin 4 que les Partis fe tiouvenc k k  Partie II. 9$ Ville plus facikment qu'au Village; peutêtre la corruption des mceurs en-eft-elle cause ; on regarde ici davantage a la figure , & on facrifie p!us-volontiers 1'incérêt au plaisir : au lieu que chés nous , tant-pis fi les deux ne fe trouvent pas réunis; car Pintérêt paffe avant tout. Pour moi, je ne fuis pas intéreflee: mais j'aimerais a trouver un bon Parti pour bien des raisons: c'eft d'abord que je fais le plaisir que cela vous ferait a tous; enfuite , que je fuis un-peu orgueilleuse , un-peu aimant a être paree : car la beauté eft un beau présent de la Divinité : ore fa charmante figure a m.me Parangon, elle fera toujours une excellente Dame , mais ce ne fera qu'une Femme ; aulieu que c'eft une Déefle , qui tient fixés fur elle ks ieux & les vceux du tout ' ce qui la connaït , fur-tout d'Edmond Sc d'Urfuk R**: qu'on t'ote ta jolie figure , ma chère Fanchon, ton Mari t'aimera encore peur tes qualités; mais te regardera t-il avec cette admiration & ce tendre fentiment de reconnoiftance envers Dien , qui t'a donnée a lui! Et pour parler aufti un -peu de moi, fi ■je n'avais rien , rien du-tout en ma faveur, Edmond aurait-il fongé a me procurer tou3 les avantages que je lui dois, & qui font fi grands , que k feul de m'avoir donnée a m.me Parangon , vaut la vie , & plus, ca£ c'eft le borheur : Quant a ce chèr Frère , tl faut auffi confidérer , que fa beauté donn-e bien du reiief a fes bonnes-qualitcs , & , cicis, lui attaché fes Amis 1 caj il en-a qui lwx  94 Paysane pervertii. font tout-dévoués, & une Protectrice , qu! veut i'élever jufqu'a elle, par le don d'un petic Trésor , que j'ai le bonheur d'avoir ici pour compagne. On peut donc légitimement avoir envied'être belle , de plaïre, & d'augmenter fa beauté: pour moi, je ne m'en faisauqu'un fcrupule , & j'y mets tous les foins que je puis, fans nuire a mes devoirs ; car je regarderais comme un mal d'y donner tour fon temps, & de ne forger qu'a cela. Après t'avoir ainfi parlé , chère Sceur , il convient que je témoigne tout ce que ta L-ttre m'a causé d'amertume, rtlativementau chèr Edmond ; tu fais tout ce qu'il m'eft : car fi je dois aimer mes autres^Frères comme frères & comme bons-amis t fur-tout Pierre R^*, je dois aimer Edmond comme Père ; oui , je dois partag-r le fentimer.t filial, entre notre \énérab!e Père , . & ce Frère fi bon a mon égard ; & telle eft ma position , que plus j'aime mon Fiére , & plus j'aime m.nie Parangon & la Ville; & que plus j'aime ma Protectrice & la Ville , plus faime mon Frère Edmond : ces deux fentimens rentrent 1'un dans 1'autre. A-présent je vais te parler de 1'Ami d'Edmond , Ami comme il n'y en-a point; je le vois par ce que tu me marqués a fon fujet, relativement a Laurette. Cette aéfcion dern,* Gaudét, fupposé qu'il ait trompé, je crois qu'on la peut excusex, en-faveur de fon amitié pour Edmond : car Edmond e a aimer Ü-bka, qu'on n'eft pas toujours maïcre de le  Partie II. 9f fervir comme 1'exaéte juftice le demande. Je te diiai, a cette occasion , que j'ai vu Laure : mais Perfcne ne le fait, pas même m.ma Canon. Nousétionsforties leuks, m.Us Fanchette & moi, pouraler a 1'égUse, m.me Canon étant"iridifposée : juftement k a porte de Sainteujiache , un Monfieur m'a^ faluée par mon nom : je ne le voyais pas , a-rause de ma calèche ; mais fa voix ne m'étais pas étrarigère. Je 1'ai voulu regarder , &aulieu de lui , j'ai vu Laurette dcvant moi , qui m'a embraffee. Elle eft jolie comme un cceur, & envérité je 1'ai aimée ; ce qui eft une nouvelle pteuve que la gentillefle eft un grand avantage ! nous avons causé , mais peu , acause du temps qui nous marquait, & les choses qu'elles m'a dites ne m'ont pas fut prises , car je m'en-doutais. Elle a tout-a-fait bonne- grke , malgré fon état , Sc elle èft très-formée pour le raisonnement : je ia verrai quelquefois, fi m.m#Parangon le trou vebon; nous-nous le fommes promises; m;is j'ai mis la condition que je viens de dire. Voi , pourtant , ma chère Sceur , ce que c'eft qu'une grande Ville! Nous voila que nous nous parions , Sc que Perfone ne le trouve-mauvais! fuppose notre Village, que de difcoun 1 II aurait falu palTer notre vie a nous regarder noir, ou nous txp >ser k mide desagr:mens. Jc dois jouir dans peu du bonheur d'avoir ici m.me Pafangon : Écris-rooi pai cette occasion, n ! vous qui avez de fi-bo» enx , voyez-donc voir (i ) , mon F ^ , fi vous ne verriez <^i) Voycidoncyo\r; facoji-de-rarler du Paysd'Uriule,  Partie IT. 99 pas la carriole defcendre la mdntagnc ? m'eft avis (1) que j: la vois ! — Non , ma Mè;e, il n'y a rien , que des charmes qui f'enreviennenr. — O mon Enfant ! c'eft la carriole !.,. Auguftin-Nicolas, ciens, viensdonc voir? NVft-ce pas-la la carriole I ■—Non , mi Mère , c'eft Colin Peupeu , en-chemiss; qui vienr.de la charrue-. Ec elle ne nous croyait quasi-pas; car la chère bonne Femme n'avait dans le cceur , 1'efpric &c les ieux que la carriole , & elle remontaita-tout moment, tant-plüs le jour f'avanc;ait: Et elle a auffi appelé notre bon F'ère vers le foir : — Mon Homme , la voila ! la voila-! Et le bon Vieillardeft monté, & on a vu qu'il fouriait: mais il a encore c\t bo::s ieux , & il a dit doucement, — Non , ma Femme , ce n'eft pas la carriole-: & il eft redefcendu , en-disant a Georget , qui arrivait bien-las: —Georget, va-t-en-donc audevant de tes Frères-, Et nous qui voyions comme il était las , nous avons dit a notre Père , — Mais il eft trop las, mon Père i — Eh-bien , Bertrand : Et Bertrand y a couru. Mais Georget y a voulu aler auffi , & il f'eft caché , pour qu'on ne le vit pas fortir , & il a dit a Bertrand, —Alons , alons, fuffent-ils a deux lieues; je monterai dans la voiture en-revenant, & ca me reposera comme dans mon lit-. Et ils y ont été; mais pas loin ; car quanr-&-quanc ( 1 ) II me Jemblc : ancien gallicifme. I X  ioo Paysane pervertie, que le jour tombait, & que notre 'bonne A*ere montait encore au perron , bien qu'on Ji'y yoyait plus goutte, & qu'eile nous appdait encore , (i-bien que notre bon Père 1 'eft ms a-rire, en-lui disant, — Ma Femme, rna Femme , ce n'eft pas vos Enfans qu'il faur appeler pour voir, majj adreffez-vous aux Oiseaus de-nuit; car il n'y a plus que les Chouettes & les Chauvefouris qui puiffent y voir-. Ce qui 1'a rendue honteuse; öï elledefcendait, quand on avu la Chienne Friquette , que mon Mari avait menée , qui eft venue a notre Pèie en - joie . comme quand il y a longtemps qu'eile ne 1'a vu. Et auffitöt notre bon Père a ouvert le Livre de To&ie, h Partiele du Chien , & il nous a dit a tous : — Alez audevant de vos Frères ; car ils arrivent-. Et notre bonne ïvière f'eft appuyée fur uous-deuxChriftine, & eLe y a couru comme elle pouvait; car les genous tremblaient. Et notre bon Père 1'a regirdée , ouvrant la bouclie , comme pour lui parler; mais il ne lui a rien dit: & fe tournant vers moi: — II faut la laifler faire : ma Fille , ne la quittez pas; car elle va revoir Celui qui nous a peinés ; & tantplus on 1'a peinée , tant-plüs elle aime: Dieu la veuiile bénir ! c'eft une bonne Femme-! Mais pendant tout-ca , voila que la carriole eft entree dans la cour : & Georget en-eftdefcendu, car Bertrand était a-piéd, menant les chevaux ; enfuite mon Mari^ £c-puis Edmond,... Et quand il a paru avec  Partie i ï. iet fa paleur , voila que notre bonne Mère f'ëft récriée , —Mon Fils ! ó mon pauvre Fils-i & la chère bonne-Femme tombait. Edmond eft venu 1'embraüer & la foutenir. — Mon pauvre Fils, je te revois! je mourrai contente ! mon chèr Fils-! & pat fon emprelfement a 1'embraiTer , elle ne le pouvait, car elle lui baisait les cheveux aulieü du visage , & quelquefois les mains; elle était comme; en-ivrefle Et voila les Mères: que Dieu eft bon d'avoir fait fi teudre les Mères !.... Et elle ne ceflait de dire , Mon Fils, comme; fi elie n'eüt eu que lui : auffi Edmond lui a-t-il dit, en-montrant fes Frères : — Les voila , vos Fils, & il n'y en-a pas Un la quï ne vaille mieux que moi : & voila votre digne Fils, mon chèr Aïné. — Je vous aime tous, a dit la bonne-Femme , en-fuf- foquant; mais mon Edmond , j'ai été deux jours a croire que je ne t'aurais plus-. Et auffi tor deux fontaines de larmes font forties de fes ieux ; ce qui 1'a foulagée : Ec Edmond & Pierre l'ont a eux-deux remmenée pardellbus les bras, & ils l'ont affise auprès de notre bon Père , qui f'eft gravement levé , en-voyant Edmond , & a d;t: •— Mes Fils, mes Filles , je fuis bien-aise, que vous voyiez ce cceur de Mère , a-cellefin que vous aimiez Dieu votre Père, comme elle vous aime... Bon-foir, Edmond. Mor», chèr Père-! & il f'eft mis a fes genous quasi. Et notre Pere 1'a embraffé , en-lui disant, — Je ne t'aurais pas embraffé coupable-, i 3  ioi Paysane pirvirtu. Et Edmond f'eft aufluót retiré, en-disant indtné , — Et je le fuis, mon Père-. A ce mot^ notre Père f'eft aiTis, le front févère, & n'a plus parlé qu'a mon Mari, dans. tcutes les queftipns qu'il a faites. Ce qui a quasi glacé notre bonne Mère. On a foupé, ik on f'eft alé coucher , fans qu'il ait redit une parole a Edmond, ni le lendemain nonp üs : mais comme Edmond empirait , mon Mari a parlé a fon Père , & ce bon Père a reparlé a fon Fils, mais fans le tutoyer : & i! a dit a-part a fon Aïné: — Pierre , c'eft une pauvre Femmelette qu'Edmond, & Ca fe croit Homme ! Ca n'a pas de nerf pour resifter au vice, & dès que quelque-chose plan a ^a, Ca fe laifte aler : mon Fils, ayons-en pitié ; car je m'étonne taat-fcufe. ment qu'il ait eu la force d'être vrai a fes dépens, & je trouve en-lui par-dela de ce que j'attendais-. Et il lui a reparlé depuis ce moment comme a-l'ordinaire , lui gardant une bonne remontrance, pour quand il fe portera mie ux. Voila, très-chère Sceur , ce que j'avais a vous raconter. Je vais remettre ma Lettre au Regratier, pour m.me Parangon , & fi j'apprens dans quelque-temps que_ cette bonne Dame ne foit pas encore partie , je récrirai des choses plus-nouvelles, que je lui ferai remettre avec celle-ci , pour qu'eile ait la bonté de n'en-faire qu'un paquet. Et quant a ce qui eft de Ia fanté d'Edmond, je trouve qu'il ferefaitd'un-joura-i'autre. J'ajoute, chère Sceur, que ma  Partie ft» 105 fituation eft telle qu'eile doit être en-mariage » pri.-z Dieu pour moi; je ne fuis paskans crainte , mais je fuis foumise & résignée. Si une Mère comme la votre eft fi-tendre , qu'eft donc Dieu , le meilleur des Pères, a qui je remets ma vie ! 5 novemtre. Je reprens aujourd'hui la plume , chère Sceur , paree que j'apprens, que m.me Parangon va partir auffirót le retour de mon Frère. Il nous a quittés il y a trois jours , après environ quatre mois de féjour ici, qut ont été nécelTaires pour rétablir fa fan té ; &c nous ne 1'avons vu partir qu'avec bien du regret ! car il nous avait r'accoutumés a lui , ainfi que notre bon père lui-même, qui le voyant inftruït, aimait a palier le temps a converfer avec lui fur toutes choses nouveües ; li- bien qu'on voit a-présent qu'il le trouve a-redire, car il va & revient fansceffe , f'arrêtant, en-fesant le tour de i'enclos , dans les endroits & fous les arbres , ou tui & Edmond f'afféyaient, & on die qu'on lui a vu les larmes aux ieux. Mais il faut , chère Sceur , vous raconter le départ d'ici. Il y a huit jours qu'Edmond f'oceupait a finir pour 1'église de Perci-le-fec ure Saint paul , qui en-eft le patron , commence depuis longtemps, quand un Monfieur quï paftait vint le demander a notre Père. ; ll eft la , Monfieur , qui travaille a la peinture d'un Saint-: Et il 1'y a conduit. Le I 4  104 Paysane perverti Monfieur a regardé le tableau , & il a-dir, Que fait Monfieur ici ; C'eft un meurtre qu il i enfevelifle dans un Viliage. Et notre Per^'^ui aime a tous notre avantage . i eft auffitot enflamé, & il a dit au Monfieur -Oh! il n'y reftera pas-! Et le Monfieur f'en-eft alé , après avoir diné k Ja maison , oü il a beaucoup parlé des Peintres , dont il nous a conté des hiftoires, que vous devez bien favoir, très-chère Sceur, étanta la fource. Et depuis ce moment, notre Père n'a fait que parler du départ d'Edmond , dont il femblait Péloigner auparavanf; & on voyait qu'Edmond n'enetait pas faché ; ce qui a fait foupgonner k mon Mari, que ce Monfieur pourrait bienetre venu de-concert avec lui, ou tout-aumoins avec m.r Gaudét; ce qui ferait afTés hn d'une part, & marqué d'amitiéde 1'autre : car enfin Edmond eft a-présent pour la Ville , & la Ville eft pour lui. Tour f'eft donc piéparé pour fon départ; & notre bonne Mère Peft mise k fe dépêcher de lui mettre tout en-bon-ordre; les jours n'étaient plus afTés longs, & elle nous fesait toutes veuler bien-tard: auffi Brigitte, un-foir qu'eile avait bien-envie de dormir, f'eftelle mise a lui dire, en-fon ftyle que tu connais : — Mondieu , ma Mère! on dirait que vous avez hate que mon Frère Edmond 1'en-aille , que vous nous faites tant dépê- e,n'1 fC voila 1ue la Pauvte bonne Mère 1 eftarxetée tout-court. — T'as raison, mon  Partie II. i©5 Ehfant-1 Et les larmes lui font cculées grofles des ieux. Mais elle f'eft remise a 1'ouvrage , en-disant: — Mieux vaut fe dépêcher, &C le voir tme heure de moins , qu'il ne lui faille quelque-chose, quand il n'y fera plus, a ce pauvre Enfant-! Enfin le trifte jour eft venu bien-vi'te ; & le foir de^ la veille vers la nuk , mon Mari eft entré , &c a dit a notre Père: — Mon Père, la carriole eft prête ; vous plaït- il venir voir fi rien n'y manque ? — Je m'en- rapporte bien a toi, Pierre ; tu es mon Fils attentif a tout , &C je n*ai fu encore du-depuis que tu es mon aide , te trouver en-defaut; outre que tu as travaillé pour ton Ami. — Oh !-oui i mon Père, vous 1'avez dit : mon Ami, autant que mon Frère. — Je le fais bien, mon Pierre , & il m'eft bien-doux de le dire , en ce moment, oü va venir la féparation-! Et notre bonne Mère écoutait tremblante & paie, comme fi on lui eut appris une nouvelle inattendue : & il faut dire que tous nous étions de-même. Et Edmond 1'a vu , & il a été embrafier notre Mère , puis moi , en-me disant: — Chère Sceur , je ne vais pas loin , ma Mère le fait ; & j'efpere revenir ici, a la belle-journée que vous nous préparez (i)-. Ce mot qu'il a dit-la , a bien-fait ; car notre Père a fouri, & notre bonne Mère m'a dit, — ll fonge h tout, & m'y fait fonger', ma chère Fille ! que ( i ) EUe était fort-avancee dans ia groffeiTe.  io<5 Paysane perverti e. Dieu le bér.ifte.' Et elle a paru un-peu corrfolée j car elle a dit, — Nous avons plus recu de biens de la main de Dieu , qu» nous ne méritons; pourquoi n'en-recevrions-nous pas lesmaux-? Cependant notre Père a été voir la charrette-couverte , & y a mis la main , quoique tout fut bien-arrangé , vculant avoir travaillé pour fon Fils j & il parfait a fon Ainé ni plüs ni moins que li c'eut été fon camarade , ]ui disant Toi, & fe familiarisant , fans mot de Fils, ni autre : mais a Edmond, illui disait Vous , & répétait avec complaisance le mot de mon Fils, plus-fouvent que de-coutume, & que le difcours ne femblait le demander. Je prenais plaisir a voir tout-cela, chère Sceur ; car c'eft un doux & agréable fpectacle, que la bonne- union d'une Familie l Et-puis notre Mère eft venue auffi voir Ia charrette-couverte, & ce qui était dedans pour afTeoir fon Fils: Et mon Mari lui a dit: — N'y manque-t-il rien, ma Mère? Oh-non , mon Fils, & ton pauvre Frère fera bien en-f'en-alant-. Et eet en-fen-alantla , n'a pas été fans un fanglot. Et-puis on. eft venu fe mettre a-table pour fouper. Chaqu'un était trifte & gardait le filence , au point que mon Mari, qui eft ferme , comme tu fais , a laiffé couler une larme , qu'Edmond a vue le premier, & il feft jeté a fon cou ,: fans rien-dire; & quand ils fe font quittés, tous-deux étaient eneau : ce qui a tellement attendri notre bon  Partie II. 107 Père, que les larmes lui roulaient dans le& ieux : Et montrant fes deux Fils a noustous, d'un gtfte fans parole, fa noble &C vénérable figure m'a paru celle d'un Dieu , comme dit fouvent Edmond, en-parlanr de lui. Et notre bonne Mère regardait ainfi fon digne Mari, avec admiration, & comme fi elle eut été non fa compagne de trente ans & plus, mais fa Fille. Et pas un mot de parole , pendant tout ca; nous n'avions, que des bondifiemens de cceur, fans rien trouver a dire , qui put exprimer nos penfées. Et voila que Pierre , mon honorable Mari , comme le plus-ferme a parlé le premier : — Edmond , mon chèr & aimé Frère, que je vais cefler de voir , & non d'avoir présent , car je te porte-la, comme uni avec toi de corps tk dame , telle eft la volonté de Dieu , que notre joie , notre bonheur & notre honneur foient en toi ; ainfi que la fatiffa&ion , repos & tranquilité de vieilleffe de nos chèrs Père & Mère ; garde-s-en le dépöt , & le conferve ; &C quand tu verras 1'Autre toi- même d'un-autre ftxe , image de notre bonne Mère , comme tu la portes fur ton visage de notre excellent 8c vénérable Père , dis-le lui, & fongez tous deux , que vous êtes la partie de nousmême qui eft a la Viile , & que tout ce que vous y ferez de bien , nous le ferons , & que tout ce que vous y feriez de mal,. nous le férions auffi , & en - porterions^ la bonte & la peine ; maia non, non ! auqu'un  ïg>8 Paysane perverti e. mal ne fortira de mon aimable Frère, image de mon Père; ni de mon aimable Sceur image terreftre de ma Mère, & ils feront d leur facon a la Ville, ce que font ici leurs venerables & faints Modèles. Amen-. Dès qu'ilaeu dit Amen, tous, & moi auffi, nous lommes écriés Amen, amen / Et notre Père 1 eft leve priant: Enfuite il a dit : — Mon Fils Pierre : vous venez de bien & dignement^ parler, & je béniffais a-l'inftant Dieu de m avoir donné un Fils tel que vous: Mes Enfans, voila votre fecond Père , quand je ne lerai plus; & moi-même je le regarde comme 1'image de Pierre R-*, mon digne 1 ere, & je le refpeóte a eet égard , quoique mon Fils. Edmond , mon Ami, ainfi que 1'eft ton Frère-aïné, tu vas nousquitter» que Dieu te bénifte , mon Fils , & qu'il mfpirea ton bon cceur de dignes fentimens, qui fallent ton borheur en cette vie , par 1'eftime des Honnêtes gens, & en 1'autre, devant le Dieu de miséricorde. Amen-. Enluite il 1'a embrafle , en le ferrant contre Ion fein paternel, & lui disant, — Porre ce paternel embraffement h Urfule quand tu la verras, & dis-lui, que 1'éloignement °un Enfant, ne fait que rendre plus-fenlible le^ cceur d'un bon Père : qu'il aime tous les Enrans , mais au-duuble dans l'abfence-. Et Ie bon Vieillard n'a pu retenir fes larmes i & il a même fangloté , en-disant, — Ces larmes font amères-! Puis il a pris lui-même Edmond, ik 1'a mis dans les bras de notre  Partie II. i« bonne Mère , a qui il a dit, — Femme , voila votre Fils; bénifT;z-le auffi-. Mais la bonne & excellente Femme n'a iépondu que par un long fanglot , qui nous a déchire l'ame ; & enfuite elle a dit: — N'ai-je donc mis au-monde mes chèrs Fnfans , que pour m'en-féparer! —Il le faut, ma Femme. — Oui, mon Mari ; mais excusez ma douleur; c'eft celle d'une Mère qui quitte fon Fils, & qui a quitté fa Fille. — Il nous enrefte, ma Femme, & de dignes. — Sans eux , mon chèr Mari, & fans vous, y ferai-je encore-! Et elle a baisé Edmond deux-fois, en - lui disant , — Chèr Fils , comme a dit ton Père , 1'abfence te fera aimer au-doubie des Autres: dis bien a ta Sceur, que fa pauvre Mère , a chaque-fois qu'eile voit fes chèrs Enfans , les compte comme le bon Pafteur fon troupeau, &C qu'eile dit, Il me manque Urfule, & que c'eft a chaque-fois un coup-de-po:gnard dans fon pauvre cceur. Oh! oh ! je dirai, a-présent tous les jours de ma vie : — II me manque Edmond ! il me manque Urfule! & je dévorerai mes larmes, pour. ne point attrifter ni le Père, ni mes autres Enfans, que Dieu bénilTe , car ils font bons tous, tous, & 1'Ainé eft la bénédiótion du Seigneur fur nous ; c'eft le fruit de la bénédiótion , que 1'honorable Pierre donna a fon Fils, votre Père, mes chèrs Enfans, la veille de notre manage-. Et il a femblé que ces mots 1'aienr, confolée: car la bonne & ex-.  iio Paysane per vertik, «llenre Femme f eft levée fereine , '& elle a dit: — Alons, mes Enfans, voyons fi nous n oublions rien pour votre Frère ; car demain-matin, on fera trop-prefle pour y Jonger-, Je paffe les petits détails , chère Sceur. Et le lendemain , dès le matin , notre 1 ere qui, f'éveille toujours de bonne-heure, 1 eft leve doucement , & il a été éveiller Edmond; car mon Man* était debout , & deja prêt: &-puis, fans que Quï que' ce ioit que moi les ait entendus , ib font fortis de la cour , les roues de la carriole roulant iur du fumier que mon Mari avait répandu jiufque dehors ; fï-bien qu'on ne la pas entendue : notre bon Père a monté dedans, Si je me fuis trouvée a la porte du prelfoir pu j'ai tendu les bras a Edmond ; qui ('eft jete a-terre pour me venir ferrer contre fon Sf"r- ~~ Urfule, lui ai-je crié, Urfule-! C eft tout ce que j'ai dit; car Ion Père le rappelait. Et ils font parris. Je ne me luis pas recouchée ; j'ai été I la porte de notre bonne Mère , oü j'ai attendu aftise qu elle f'éveillat. Ca n'a pas tardé d'une demi heure ; je 1'ai entendue fe lever & parIer. Auilitót je fuis entrée. — Déja vous , mf Fllle 1 en-votre état! il falait reposer: je m'en-vais 1'éveiller-, Je la retenais embrarTée • mais ellea été au lit d'Edmond , dans la petite" arj ' & elle y a taté' ~Ü eft levé! le lic eft froid ! il y a long-temps! — Ma bonne Mere , ils font... — Partis!... ah! je ne verrai plus monFÜs-1... Et elle eft quasi tombée fans  Partie II. Hf connaiflance. Tous nos autres Frères &C Sceurs , qui 1'avaient entendue, font venus, & ils lui ont dit un mot de moi. La bonne chère Femme ! elle f'eft raftïse tout-de-fuite, & elle a taché de rire , en-m'embraftant. Je lui ai dit tout bas: —11 vaut mieux pleurer, fi vous en-avez envie-. — Oh-oui! ma chère , chère Bru-! Et elle a pleuré ; & quand le jour a été grand , elle a été regarder partout, comme fi elle 1'y eüt du trouver. Enfin notre bon Père eft revenu ; & elle a été a la rencontre , en-lui disant afTés posément: — Sont-ils loin ? -— Bien a Saintbris, ma Femme , & votre Fils-ainé, a fon retour , vous rendra-compte de 1'heureus voyage (i)-. Ma chère & bien-aimée Sceur , voila tout ce qui f'eft paffe , &c ou vous n'avez pas été oubhée. Dieu vous bénilTe , & priez pour moi, chèie Bonne-amie. ( i ) Voila la Femme : il n'y a la ni caprices, ni faitlelTes: c'eft une maternelle tendrefle ; c'eft une joumiffion d'épouse ; une modefte retenue , une atten«ion a ne rien faire qui foit déplacé : O Femme ! cjue tu es refpectable avec c»s quahtés!,. ( L'Edüeur*  !u Paysane pervertie. LETTRE XIV. 20 novembre. M.ME Parangon, d U r s u l E , (Elle montre fon bon-coenr &. fa faible/Te..) 3VIE voila prête a partir , ma chère Fille: Mondieu que d'obftacles , quand on veut aler ou notre goüt & la raifon nous appellent! J'ai cru que je ne pourrais les vaincre ! Mais enfin ils le font. Il m'a falu attendre ici le retour de ton Frère , refter a fa portee, encas qu'il eut besoin de moi ; il a falu qu'il ménageat fon retour a la Ville , fans blelfer vos vertueus Parens : tout cela n'a pu fe faire tout-d'un-coup. Mais le voila de-retour , & rien ne fiiurait plus m'arrêter ; tu me verras dans la quinzaine. Chère Bonne-amie ! quelie refpectable Familie que la votre ! quand je ne t'aurais pas aimée , ce que je viens de lire me ferait tout entreprendre pour toi :^ c'eft une Lettre de ta Bellcfceur , ou plutot, c'eft un trésor de fenfibilité, qu'eile t'envoie. J'en-fuis ft touchée, que cela m'engaje a te donner la fuite du récit , je veux dire 1'arrivée de ton Frère auprès de moi: ne crois pas , ma chère Fille , que je puifle I egaler ! quelque-vifs & fincères que foient mes  Partie Iï. 113 mes fentimens, ils ne font que de g'ace auprès de ceux qu'exprime fi-bien Fanchon Berthier dans Ion ftyle naïf. Cependant , depuis le dernier malheur d'Edmond , les vues que j'ai pour lui, devant légitimer mon attachement, j'ose enfin m'y livrer Kiais je ne fuis toujours qu'une Étrangère ; 8c qu'eft-ce que la fimple aniitié , auprèsde la belle nature , dans la pureté , telle qu'eile exifte chès vous ? Ton Frère ne m'avait pas écrit fon aïrivée : j'étais feule le 5 de ce mois vers les 10 heures du matin , m.r Parangon étant a la campagne , lorfque j'ai entendu une carriole f'arrêter a la porte. J'ai envoyé Toinette (1) voir ce que c'était. Elle eft remontée auffitöt touteeftoufflée , — Madame ! Madame ! je crois que c'eft m.r Edmond-! Je voulais la gronder de la manière tftrayante dont elle m'annoncait une nouvelle agréable : mais j'ai fenti que j'étais fi troublée moi-même , qu'il y aurait eu de 1'injuftice. Je n'ai vu Edmond qu'afles pour le reconnaïtre , avant qu'il m'embrr.flat; car il eft venu comme 1'éclair ; il me prefiait vïvement contre fon cceur, me nommant tantct Madame , tantöt fa chère Cousine ; durefte , ne fachant ce qu'il disait. Je me laifiais docilement errbralTer ; je n'y fongeais pss, & je t'aftlire que je n'ai rien a me reprocher. Enfin , j'y ai fongé , afTés pour lui parler. Le bon Ainé eft entré. alors : ( !) Fille qui avait fuccédé a Tienxctte. Tcmc J, Paak Ü, K  114 P A Y S A N E rcRVÏRTIE,' Öh ! Cclui-la , je n'ai pas attendu qu'ils vinr a moi; j'ai été a lui, & c'eft moi, je crois, qui 1'ai embrafle , ou qui le lui ai rendu , n'importe , ca été de-tout-mon-cceur: mais je l'aurais embrafle dix-fois, fi j'avais eu lu ce qu'on r'écrit. — J'ai voulu defcendre ici, m'a dit Edmond : ce doit être ma premièrevisite ; l'Univers ne renferme que Vous, mes"Parens, & ce qui eft a nous a Paris-. Pierre m'a enfuite remis la Lettre pour toi,. toute ouverte ; ce qui m'a flatée i mais j'étais ?rop-occupée en ce moment pour la lire. J'ai dit a Pierre : —Mettez votre voiture fous la remise , & ötez le Cheval; je vous garde ici tous-deux jufqu'au foir, que vous irez enfemble chés Edmond, ou que vous refterez ici, a votre chois. — Il faut que je m'entetourne ,a dit Pierre ; mon Frère le fait-.— En ce cas, menez reposer votre Cheval, 8c je vais faire hater le diner-. I! y eft alé , après un petk rafraïchiflement verféde ma main.— Machère Cousine! a dit Edmond , je vousjevois doilc enfin, & je vous revois tel que je vias ici pour la première-fois , avec la robe de 1'innoeence & de la candeur 1 Laiflez-mol lire cette Lettre , lui ai-je dit ; car on le vent, je le vois. bien , & je fuis preflee de favoir ce qu'on y dit a mon Urfuie : 1'avczvous lue? — Non , ni fon Mari non-plüs 130U.S avons parlé tout le long du chemin fans. qu'il eo-ait été queftion Ma chère: Cousine, jcrenais, en-meretrouvantauprès, da iuïw Mais lisez;. iime fufEr de vcó-  Partie ï ï. rif que vous êces la : r ne vous interrompraï plus : je ne veux que tenir cette main : cela doit être permis aubcut de quatre mois, fans tirer a-conféquence, je vous en-alfure-! Je la lui ai laiifie, & j'ai lu. Enverité , je me fuis tout-a-fait oubliée durant cette ledure : car. Edmond a baisé ma main , fans que j'y fongealTe; j'étais fi touchée , que mes larmes coulaient. J'en-étaisaladerirèreligne, quand Pierre eft rentré, le D imeftiq ayant voulu fe charger du-furplüs des foins que demandait fon Cheval. Je n'étais plus a moi: je me fuis levée vivement , & j'ai été prendie votre Ainé par la main , eu-lui disant : Digne & refpe&able Frère , afféy„-z-vous-la , tout prés de moi, & regardez aulfi Colette C** comme une Sceur : car j'aime tendremenc Urfule , & j'en-fuis aimée ; que je la remplace en-ce moment a vos ieux; prenez-moi pour elle-, Il m'a répondu des choses trésagréables; car il a de 1'efprit : enfuite regardant fon Frère , il lui a dit: — Je reconnaisla ton bon-cceur. — Edmond vous chérit > & ne parle de vous qu'avec les fentimens que vous méritez 5 mais vous devez en- ce moment votre admiration a une-autre Perfonc — Qui donc cette bonne Créature , Mada»me, que je 1'en-remercie g — Votre Femme f, c'eft une digne Époufe! rencz; lisez cela-vousdeux , pendant que je vais donner un coupd'ceil au diner , &c faire un-peu la raénagère % ils ont lu lans-doute & a mon retour-, jgs jtes ai uouyés» enlacés* 1'Un avec rAatse;> E 2.  ti5 Pavsane tïrvertie.' la larmeal'ceil. —Voila comme j'aime a voir des Frères, leur ai-je die, 6c je veux ï mon tour faire un rédt a Urfule , en-lui annoneant mon arrivée ; j'y joindrai cette Lettre ; car il faut que ma Tante Canon la voye. Alons , bons Frères , venez m'honorer a" table de votre compagnie-. Nous avons dïné aftés vïte, enfuite les deux Frères fe font dit adieu : mais le pauvre Pierre ne pouvaic quitter Edmond; & il m'a dit a-deux-fois: "—Oh. ! Madame ! il n'a que vous, pour ioutien ; car je ne compte plus fur Perfone: & vos fi grandes bontés, il eft vrai, font audeflus de tout! mai; f'il les oubliait(ca ne fe peut pas ) , ou f'il en-mesusait, Dieu le punirait, 6c mon Frère ferait perdu !.... Adieu , très-honorée Dame ! adieu moi> Frère , car en arrivant tard, je döna rais de 1'inquiétude chès nous : je vous quitte , 6c permettez que je le dise, Madame, avec'uneégale peine tous-deux ; car je ne fais ou vous prenez ce qui vous fait tant aimer, mais ca eft en-vous, &jeiefens; comment Edmond ne le fentirait-il pas-! II f'eft arraché des bras de fon Frère , en-achevant ces mots, & il a monté dans la voiture, que Ie Domeftiq tena'it prête. Je te i'avoue , ma chère Fille , je regardais f eloigner un fi digne Fiom me avec autant d'intérêt que f'il eut été mon Frère , & deux larmes font veriues fur m,=s paupières. Pour Edmond, il le confidéraïc immobile , 6c il n'eft revenu a lui-même , que lorfque la voiture n'a plus. été en-vue» *  Partie II. 117 Nous avons enfuite causé familiérement : Edmond m'a d'abord parlé de toi: ca été fon premier mot; il eft vrai qu'il a joint le nom. de ma Sceur au tien , mais je ne te rendrai cette convérfation que de bouche. Adieu , chère Amie. Je voudrais bien être a Paris! c'eft mon refuge. Adieu. Pour M.LLE Fanchette. Chère petite Amie : Je fuis fur-le-point de partir, pour me rejoindre a toi &C a ta bonne-amie Urfule; & fur-tcut pour remercier ma chère Tante des foins qu'eile vous donne a toutes-deux : conrente-la bien, afin qu'eile ne fe repente pas de fa complaisance pour nous. Quant a moi, en-mon particulier, chère Petite , je ne fongequ'a ronbonheur, 8c j'efpère que fi Dieu me trouve digne de le faire, je le ferai. Si tu favais, chère petite Amie, combien je me trouve heureuse de t'avoir! oui, ma chère Fiile, tu es une feconde moi-même , 8c la moitié de ma vie 5 ton bonhc-ur & le mien ne font qu'un : mais je tacherai toujours que mon malheur , fi j'en-ai, n'ait rien de commun avec toi. Que j'aurai de plaisir a te carelTer, quand nous' ferons enfemble ! a te dire, & a te prouver que je t'aime ! Non, tu n'en-as pas d'idée. Ce n'eft pas qu'avec cette tendreffe , tu doives compter que je te pafte tes petits défauts, qui, je crois, font bien loin a-présent; mais je veux dire, f'ils fe remontraient; car j ; te desire prefque prfaite , & ce que la Natuie  kiS Patsase pirvektte. n'a pu faire en-moi, unie a la bonne éduca- tion , tacher de le faire en-toi. J'ai vu notre bon Papa cesjours-ci, & je lui ai bien parlé de toi: Voici fes propresparoles: — Ma Fille , je m'en-rapporte touta-fait a vous pour votre Sceur, & fur touc j'approuve fort le parti que vous avez pris de 1'envoyer a Paris, fous la conduite de la refpeólable m.me Canon , que j'ai toujours honorée , quoique nous ayions eu enfemble quelque refroidiffement autrefois : j'aime auffi que vous lui ayiez donnée pour compagnela jeune R** ; c'eft un Ange de douceur que cette Fille ; il n'y a qu'une voix en-fa faveur dans tout le pays, pour la pröner comme Ie pius-excellent Sujet de fon fexe. C'eft auffi mon fentiment ; car je 1'ai vue plusieurs-fois a S** chés fon Père, digne homme, & mon ami : ces Enfans-la ont recu de bons principes , & Fanchette ne peut que profiter avec Une d'entr'eux. Quant a tout le refte , elle eft jeune*, & il y a apparence qu'eile n'aurar que vous , quand il faudra 1'établir : foyea donc fa Mère , plus que fa Sceur; je vous en-donne 1'autorité-. Je ne faurais te dire, chère Petite, combiencedifcoursm'afaitde plaisir , & fur tout de ce que Papa me laiiTs maitrefle de ton établilfement , quand le temps en-fera venu. Je baisetes jolies joues de lis , & ta petite bouche de rose ; mais-. comme je fuis encore abfente , j'en-charpeUrfule.. Ta Bonne amie Sceur,.  Fauti! II. ii? LETTRE XV. Paris, 10 novembre*. G a u d É t ,. d Edmond. { II lui écrit qu'il 1'a fecondé ; il lui' annonce 1* naiffance de la petite Laure , &. lui parle mondainement d'Urfule. ) Q[uinze jours de bouderie; c'eft rout ce que je puis, mon Chèr ! encore y en-a-t-il douze que je délibère , f'il eft plus avantageus que je re boude , que de te marquer mon aff.dion : ce dernier parti 1'emporte ,. Edmond , parce-que je fuis un véritable Ami. Auffi ai-je resolu de te mettre a ton aise : Aime-moi , haïs-moi, je ne t'en-ferai pas n oins attaché : & pourvu que je te ferve, qu'importe > T'aimé-je donc pour moi ?. il n'y aurait pas a gagner , & la recette d'Epicure ne me produirait que des chardons...„ Encore te demandé-je pardon de ce mot de lepnKhe. En-dise ce pauvre Helvétius tout ce qu il voudra , je bruleiai fon Livre , f'il me to.r.be entre les mains , pour cela feu! 0 qu'il ne :roic pas a 1'amitiédesintérefiée: Qu* m'importe qu'il ait raison pour tout le monde r II a toi t pour. moi; car je la fens au-fundi  rib Paysane perverti e, de mon coeur. Me dira-t-il qu'eile n'y eft pas2 Qu'il 1'ose; je lui dirai, moi, Qu'il eu-a mentl... Mais trève de préambule & de juftification; ce n'eft pas le buc de ma Lettre , & j'ai bien autre-chose a te dire. Tu es père. Je te vois d'ici, car tu as un excellent cceur! tu baises ma Lettre , & tu bénis Gaudét : père d'une Fille charmante , qui reftemblera un-peu a fa Mère, un-peu a toi, un-peu a la gentille Urfule, un-peu, 'p crois, k Minerve Parangon ; c'eft dire, qu'eile aura tous les charmes & toutes les graces : en-effet, jamais je n'en-vis tant a une petite Créature a-peine ébaüchée. Laure fe porte bien ; &c fur-tout elle eft très-fatiffaite d'être débarrafiee d'un incommode fardeau. Je 1'ai un-peu formée ; elle fe propose de jouir dans la Capitale de toute fa liberté r mais j'aurai foin qu'eile n'en-abuse pas; & ce n'eft pas fon delfein. Quant k 1'Enfant, je refpcclerai ta propriété, en-me conformant k tes ordres , pour tout ce qui la concerne; mais fans te laifter auqu'un des foins, auqu'une des prines qui font les dépendances de la paternité. Je reviens k la Mère : Je n'ai jamais vu de Fille fi aimable ; c'eft un bijou ; elle va être plus charmante que jamais , j'en fuis fur. Quel eft le but de eet éloge ? De t'y faire penfer ? Non , envérité ! Garde ta liberté, c'eft mon avis; quant k Laure , je m'en charge : j'aurai un foin égal de fes mceurs &c de fon bonheur} &c f'il lui faut  Partie II. izï vm-jour un Mari, je !ni en-trouverai un ; mais pas mon Ami. D-* tous les Partis poffibles , Laure ferait le pire p)ur toi , a-présent. Mais c'eneftaffjs lï-d.lTus. Je t'embralfe. Toujours ton Ami, Gaudét. A-propos, un petit alinea d'Urfule. Je 1'ai vu , cette Fille charmante : ah ! mon Chèr, que je te félicite ! fi cette Fillela était répaudue dans un certain monde , il y aurait pour fairs fa fortune 5c la tienne ; honnêtemeit, car c'eft ainfi que je 1'entens : elle eft alles belle ou aftes jolie , je ne fais leque! , pour faire une paffion férieuse, SC tourner la têce. d'un Duc , tout comme celte d'un Homme du-commun. U eft fingulier, comme votre lang eft beau ! tout ce qui vous touche participe d'un certain charme, dont on ne peut fe défendre : je t'avoueraï que toi-même tu m'avois féduit d'abord par ta figure : Furmosum Paftor Coridort ardebat Alexin : Je me dis quelquefois , que Vénus étoit de votre Familie ; que fi nous vivions du temps de la guene de Trok , ou du bon aveugle Homere , je tenterais de ia prêcher, 5c que ce ferait l'objet de mes miflïons. Cette Fille-la ne doit jamais être la Femme d'un Flomme- du-commun , entens-tu , Edmond ? 5c f'il faut l'y fervir, je Fy fervirai : Je connais de p.ir le monde un certain Héritier d'une grande Familie (1).... (i) C'était le Marquis, qui va jouer un iï grand rólei Tome I, Parite II. L  lil PAYSANE PERVERTI!, Mais il n'eft pas encore cernps de m'ouvrir , meme avec toi. Avec Urfule, j'ai vu la Sceur de la déeffe Parangon : Cela fera charmant; un-peu plüs colorié que fa Sceur, mais moins touchante, en-étant peut-être plus-belle. C'eft un joli Couple de Graces , que Fanchette & ta Sceur ! la belle Parangon viendra fans-doute faire la troisième ; & il faut avouer que in.me Canon, qui couvera tout cela des ieux, ne reftemblera pas mal au Dragon du jardin cjes Hefpérides: mais celui-la ne gardait que des pommes-d'or, bien-audeffous de celles qui feront ici ! ^ J'adreffe cette Lettre chés m,me Parangon, ou je te crois a-préfenr. Ne m; fais pa°s de reponfe , & pour caufe. Adieu , chèr Ami. ( Cette Lettre tomba entre les mains de m.me Paran£ou , qui 1'ouvrit trompée par la forme de 1'adreffe : ïnains fes ieux f etant portés fur 1'article du mariage proposé pour Urfule , ellelelut, 5c tout en reconnaiiTant que Ia Lettre n'était pas pour elle, elle fut charmée qu'Edmond ne la vit pas en-entier: elle en-leva les deux dernières pages ; qui netenaient pas au refte, & il ne vit plus que ce qui regardait Laure; encore lorfqu'il 1'eut parcourue, tacha-t-elle de f'en-emparer , c'efl ce que dit une .Note a-demi-effacée , que je trouve aubas , Si lorfqu'elle fut a Paris, elle la remita m.me Canon, qui nous 1'a confervée. On peut lire dans le Paysan, Lettre LXIV, Tome I, 1'arrivée de Gaudét a A** > & fon estrevue avec Edmond. )  Partie II. u% LETTRE XVI. 35 décembrs. Edmond, d fes P È re s & MÈRES. { Son coeur conferve encore les apparences de fon innocence première. M o n trés - honoré Père , & ma ttèschère Mère : Agréfz les vceux & les hommages d'un Fils refpectueus , pour lecommencementde la prochaine année. J'ai heureusement pour vous la fouhaiter de "bonnes nouvelles k vous apprendre de la très-chère Sceur Urfule, auprès de laquelle eft aétuellement ma Cousine , ou plutöt notre feconde Mère , a ma Sceur & a moi. J'étais trop-méchant fansdoute Fan-pafte, pour mériter que le Ciel bénït mes prières pour vous : mais il m'a chatié dans fa juftice, en-me puniffant par oü je vous avois désobéi. Puifte cette nouvelle année vous être plus-agréable! au-moins il n'y a plus rien de caché dans le fond de mon cceur , fi ce n'eft un trésor inépuisable de tendrefte pour vous, mon chèr Père Sc ma très-chère Mère. Vous verrez par la copie de la Lettre ciL i  1x4 Paysane perverti e. incluse , que m.me Parangon m'a fit 1'hotlneur de m'écrire (i), les bonnes-nou velles que j'ai regues de Paris : Eft-il poffible, chèr Père & chère Mère , que je m'acquitte jamais de la reconnoiiTance que je dois a cette Femme, digne du trone , par fon panchant a bien - faire, autant que par fa beauté ? Non , cela n'eft pas poiïibfe , & tout ce que je pourrai , c'eft de mettre fes bontés fur la même ligne que les vótres : car elle m'obüge d'autanr plus, que ce n'eft pas tant dans mi Perfone, que dans celle d'Urfule, 1'image de ma bonne Mère ; cequï me lie bien- plus que fi tout fe fefait pour moi. Opendant , comb'en ne fait-elle pas pour moi-même . Auffi , foin de defirer de m'aquitter ,"je veux aucontraire lui toujours de voir, afin que ma reconnoiiTance foit pour moi un plaisir continuel, qui dure autant que ma vie: car il eft des Perfones dont nous aimons a être les obligés , paree-que nous favons qu'elles ont tr;>uvé tant de plaisir i nous faire-du-bien , que nous leur en-fommes plus-chèrs : Tels vous êt?s, chèr Père & chère Mère, a-l'égard de vos Enfans, 8c teil? eft m.me Parangon, pour ma Sceur &C pour moi. J'; pprens que le chèrF.ère alné va bientót vqusfa;rerenaitredansla Poftéritédu p'us-vertueusde vos Enfants: Permettez que je vous (i) Cette copie était tronquée ; n la trouvo «jitière dans le Paysan , Letue LXV.  Partie II. lij félicite , & que je répande mon cceur devant vous , dans une cir:onftance auffi heureüse. Que vous aurez de plaisir , & que je m'enpromets a voir votre fatiffaclion ! VqiU le plus-brau bouquet dont vos Enfans puiftenc vous orner, & il était jufte que ce fut de votre Aïnë que vous le recuffiez; puilqu'il a toutes vos vertus, & que nous le regardons comme votre Lieutenant a notre égard. J'ose , dans cette Lettre , qui vous_ eft adrêflee, lui faire mes félicitations, & j- le prie d'être perfuadé que ma joie ne cédera qua la iïenné , & a celle de la chère Sceur , fon Epoufe. C'eft elle qui fera contente dans quelques jours ! fenfible comme elle eft , chérilfant fon Mari, vous refpeétant, comme elle le fait, jamaiso.i n'aura vu de Mère plus tendrc , pas même la mienne , qui 1'eft infiniment. En atter.dant le bonheur de vous Voir , chèr Père & chère M-re , ainfi que mes Frères & Sceurs, je les embrafte rous, & je fais mille fouh.üts pour hur bonheur. Je fuis & ferai toute ma vie , avec le plus profond retpeót, & la plus vive tendrefle, &<.a. L 5  ti£ Paysane perverti e. LETTRE XVII. ad> décemlre. U r s ir x e , a F A N C H O N. < Ma Sreur copie un papier fecret de m.me Parangon , & montre qu'eile commence k n'être pas auffi lonne & naive qu'on la croyait : ce qu'on voit par les confidencts qu'eile fait i ma Femme. > F ■L> ll e eft id, chère Sceur : je la vois, mais elle ne me voit pas; car je t'écris encacherte d'elle, & de tout le monde : j'ai fait enlorte d'occuper Fanchette, & je fuis ieule. Cette Lettre-ci eft bien-importante 6c pour Edmond & pour moi ! Je comnience par lui. Il eft trop heureus; car je lais qu'il aime bien m.m* Parangon : or il en-eft aimé pour le moins autant, & c'eft parce-qu'elle 1'aime trop, qu'eile 1'a füi ■ c eft fon expreftion. Mais elle ne me 1'a pas dit : Je 1'ai vu par un brouillon de Lettre qu'eile a déchiré & jeté dans la cheminée. 1 our toute autre-chofe, je n'aurais pas été cuneufe : mais un morceau ou j'ai vu le nom d'Edmond & le mien , m'a donné de ja cunosité; j'ai ramaffé le papier , je 1'ai lu & je 1'ai copié, très-heureusement! car  Partie II. **7 un inftant après, elle eft venue elle-même le brüler : Voici ce que c'eft : * * Infortunee ! je cherche partout, non m le bonheur , mais le repos ; Sc le repos » me fuit. A Au** , je difais, le repos » mattend a Paris, dans les bras de ma » chère Urfule : a Paris , je regrette le temps » oü je voyais Edmond tous les jours , a y toutes les heures! Qui me rendra 1'in» nocence> Tout ce qui m'environne a le » cceur pur: moi, moi (eule , je nourris un » feu coupable, qui me confume , qui me » dévore Pardon, ma chère Urfule ! je » ne fuis pas une Safo... , ou fi je la fuis , » c'eft Faon, &c non Lef bie qui cause mes » foupirs... Oü megaré-je quelquefois > In« fortunée oü m'égaré-je Hélas ! je veux » tromper la nature & 1'amour ; je veux v que dumoins mon corps foit chafte» puit », que mon cceur ne 1'eft plus... Je 1'ai dii; » j'ai fui le chèr Ennemi de mon repos, de » mon innocence ; lui-feul m'a fait-fuir; Sc » je le porte dans mon cceur, eet Ennemi » que je fuis ! Pourquoi le fuir ?... Pour» quoi , Infortunée ? pour que tu fois la » feule coupable , & qu'il ne devienne pas » ton complice Quelquefois , je me » ïurprens a être jalouse de ma Sceur: je » m'eftorce a le deftiner pour elle : & peut» être ferais-je aujourd'hui au-desefpeir L 4  nS Paysane perverti e. » qu'il fut fon Mari! Que n'ai-je pas fbüf» fert, quand arriva 1'avanture de Laure !.... » Mais eile était fans intérêt pour moi, " quard elle éclata; ii était le Man d'Une» autre; que m'impcrrtait fa conftance pour » elle ?..... oui, j'ai fenti une fone de joie « coupable „. Mais, grand Dieu que » n'avais je pasfouffert, quand j'avais appris » fon mariage avec Manon ! &fi jen'eulTe 5" pas vu, qu'aufond , c'était encore moi » qui étais la fouveraine de fes penfées, » aurais-je pu y furvivre ? Je me fuis » vaincue; j'ai feint d'aimer Manon... Que * dis-je ? ne 1'ai-je donc pas aimée ?... Non , » r.ön , je ne 1'ai pas aimée , non L je le » fens, a ce que me fait éprouver Fan» chette : mon cceur 1'a repouffée, quand , »' a mes prtflantes foliicitations, elle m'a » die, qu'eile aimerait bien fon petit Mari. 9> Eh ! pouiquoi lui en-parler) Pourquoi *> mettre fitot dans fon cceur des idéés =» Je me la facrifle !.... Non , non , je furw morterai ma faibleffe: elle aura Edmond; s> elle 1'aura : je ne veux plus le voir ; je me w le promets, mon Dieu , devant vous : « puniffez-moi, fi je lui parle, fi je lui « écris: je tacherai de le bannir de ma *> penfée.... Il eft des rencontres fitales!.... » il vient chés mon Père , jeune encore : » hélas j'avais fon age ! il apporrait une » Lettre : fa naïveté , fon innocence , m'in» téreflerent : dès ce moment, je fentis »» qu'il était aimable ; ma penfée foccupa  Partie II. **# » de lui; 'ene féparai pas , devenue plus» grande , 1'idée de 1'amour de celle d'Ed- » mond On me miria: je crus que ce » devait être un Edmond pour moi, qu'un w Mari ; je me livrai tête-baiftée , comme » la Vidime conduite a l'autel... Ah! quelle » diftvrcrïcel'ourm)n malheur, je pal» fais un-.jour fur un grand-chemin ; je le » revo.s conduisant au lavoir les Br-bis de » fon Père : comme mon cceur fut tou.he y de fes graces naïves en-me laluant; de » fonemprflTement a racommoder la fan- » gle de mon Cheval ! (Mais j etais » mariée alors!) mon cceur fut touché d'une » (orte de compalïion : Tar.t de charmes &C » de graces feront ils perdus ? c'eft ie Fils » de 1'Amide mon Père ; il faut le prendre » chés nous ; il faut lui cionncr un ttat » plus doux Je fis-parler a % Parens ^ « je l'obtins pour le tcmps oü rimiient les » travaux de la campagne... Dieu me pumt » dès le premier pas : Jiétais r.biente quand » on me 1'envoya ; fa beauté , fon inro» cence , fa noble fécurité , teruèrent des » Ames vicieus^s , & on vouiut ie tromper l » on f'était haté de le faire venir , pour le » tromp-r! Moi, qui efpérais le rece- » voir, lui adoucir les .ommei cemensd'un » fejour étranger; i'inftruire, le former , » men-faire aimer comme bienfanrice , » je 1'txposai a tout ce qu'ont de dur 8c » d'amer les facons des Gens-des-Villes, » a-l'égard d'un jeune Campagnard qui vauc,  "tJO PAYSANE PERVERTI!' : Q-«en'a-t.il pas'fouft ! Cher Edmond! va, je t'en- » dedommagerai: ma Sceur fera ton Enouse ! » Ja tienne fera ma compagne, mon amie" a-jamais ; je ferai tout pour elle : & fur» tout elle aura un Mari qu\He aimera;... " ?«» Urfule « eile eft aimeë » deja , e le eft adorée ; les Vicieus la de» sirent; les Vertueus 1'adorent! mais elle » les igr.ore tous ! Le Frère & la Sceur font » egalement aimables Au-fond , mes » fentimens pour Edmond , font peut-être » un bonheur : que d'hommages intérefTés - ne moffre-t-on pas ! que d'Hommes » adroits m euflent peut-être entrainée dans » des chutes honteuses ! Edmond ma fou» tenue ; ,1 m'a fait dédaigner tous les Hom» mes; ils ne font que des monftres, com» pares a lui, & je fuis fans mérite dans » ma vertu a leur égard ; je la lui dois. " Lh~rd~n ^ 1'a-t il pas inutilement at» taquee? C—, plus-pcli, plus-ai» mable ayant toutes les graces qu'on ac» quiert a la Capitale, a-t-il pu vaincre » mon ind:rference ? que d'amour, cepen» dam? Mais Edmond était au-fond de » men cceur, legaidien de ma vertu. Oui, » je Jui dois de la reconnaiffance. Ah 1 que » ) aurais de plaiiir a lui montrer toute ceUe » qu rf m'irtfpire , fi O Malheureuse ' » quel fouhait alais-tu fermer! Edmond » n en-eft pas le complice ; non jamais fon » cceur ne fut fouillé par ce vccu coupa-  Partie II. 13* » ble ! Mais Gaudét ne peut-il pas le „ corrömpre ; Je 1'ai craint d'oü-vient eft» ce que je nele crains plus? D'oü-vientne » fuis-je pas fachée qu'il voye eet Homme » dangereus! Sondons mon cceur.... Bon» dieu ! ft c'était, parce-que je voudrais » qu'Edmond fut moins-vertueus , moins- „ timide ! Je ne fais ce que j'entreyois » au-fond de mon ame ; mais fi c'était-la »» mes vrais fentimens, je m'abhorrais moi» même ! Non , non , ce ne faurait être la » mon fecret desir : aucontraire, je luis » ralfurée par les principes d'Edmond ; un » Jeune-homme élevé par desParenscomme » les fiens, imbu de leurs maximes , ne » peut f'oublier Eh ! pourtant il f'ou- » blia , quand Laure Ah ! la cruelle » idéé ! & la cruelle anxiété , que celle ou » je me trouve ! Mais qu'importe le psfté ï » Tachons qu'il nous refte ; qu'il foit a » nous , a ma Sceur & a moi Mais , » auqu'un Objet ne fera-t-il d'impreftio» » fur fon cceur, en mon abfence ? Il eft » feul , a-présent ; il eft jeune , aimable , ». il a les pafïions vives, je m'en-fuis aper- » cue plus d'une-fois! Je dois me raf- » furer : il n'a pas recherché cette petite » Edmée ; il 1'eüt trouvée , f'il 1'avait bien » voulu : les Coquettes ne font pas dange» reuses pour lui.... tout doit me rafTurer. » Cependant, il ne faut pas que mon féjour » ici foit trop-long: que fais je Hélas! » je n'ai pas de Coi.ndente ; je n'en-fauraiS  tji Paysane perverti e. » avoir pour mes fentimens; je les cache a m tout 1'Univers , & je voudrais me les » cacher a moi-même... Cruelle fituation , k> qui fait trouver du plaisir a écrire , lors *• même qu'on fait, que c'eft envain !... >» v * Voila bien fes vrais fentimens ; & j'enfuis très-aise; car j'aime mieux devoir fon amitié a Edmond , qa'k toute autre cnuse : je ferais d'ailleurs charmée que m.lle Fanchette fut un-jour notre Sceur je t'avouerai que je 1'aimerais mieux que la Défunte , 6c parce-que c'eft la Sceur de m.me Parangon , & p.'rce-qu'il y avait dans 1'Autie qoslquech-ise qui répugnait a la délicatetfe : lei au contraire , c'eft tout honneur & pnfit ; car Fanchette ferariehe: Enfin, pui "qu'Edmond re peut pas être le mui de la chère m.me Parangon, H faut qu'd foit fon frère. En mon particulier , je ne 1'oublie pas auprès de la petite Fanchette ; je lui peins tout le monde en-laid hors Edmond ; & comme fa Sceur me leconde, ejle me croit autant que je puis desirer d'être crue. Ainfi , ma chère Sceur tu vois que eet aitachement pour notre chèr Frè;e , dans une Femme auftii ver.ueuse que m.ms Parangon., n'aura auqu'une mauvaise-fuite, &c qu'aucontraire , il en-aura de trés bonnes pour lui & pour moi ; ce qui , vu le bien que vous nous voulez tous, doit vous faire le plus grand plaisir ; & cc n'eft qu'a cette intention que  Partie II. i j $ je te le marqué. L'écrit copié n'eft aufli que pour te donner de bonnes preuves de ce que je dis, & te montrer 1'extreme confiance que j'ai en ta difcrétion ; te priant, après 1'avoir lu , de me le renvoyer , pour que je le garde précieusement. A-présent , il faut parler de moi. Je t'avouerai que je fuis un-peu curieuse; c'efl; ce qui fait que je fais bien des petites choses qu'on ne fe doute pas que je fache (i ). Telle eft par-exemple la recherche de m » Ji—(f—t, le confeiller : J'entendais hier m.me Parangon qui pariait de lui a fa Tante , & qui lui disait , qu'eile avait refusé un très-joli présent, qu'il voulait m'envoyer; & qu'il m'avait écrit une Lettre , qu'eile avait d'abord acceptée , mais que tout conlïdéré , il ne fah.it pas que je vifle; parcequ'on ne favait pas ce qui pouvait arriver; qu'un Homme de cette conriition-la , pouvait fe retirer, ce qui donnait toujours des chagrins a une Fille ! & qu'eile voudrait pouvoir me les éviter tous. M me Canon 1'a bien-louée de fa prud-nce ! &c moi , toutbas, je 1'ai remerciée de fes excellens fentimens a mon égard ; ils marquent tant d'amïtié, que j'en-ctais attendrie. M.me C'non a demandé a voir la Lettre , & elle a cherche fes lunettes pour ia lire: maiYne les trouvanC ( i ) Et c'eft la ccriosité qui. fit-pécher la première. Femme , notre bonne mère Eve !  *54 Paysane perverti e. pas allés vice , elle a prié fa Nièce de la lire elle-même : Et voici ce que j'en ai retenu. Lettre du Conseuler, a Ursule. M x rJ. ademo is ez z e Quoique je fois un Inconnu peur vous je viens d'obtenir de m.me Parangon la permijfion de vous écrire deux mots : cette refpeclable Dame , d qui vous êtes fi chère , connais mes fentimens , & elle f'eft chargée d'être mon interprète auprès de vous : fi donc j'écris , c eft pour vous rendre mon hommage en-perfone , & vous exprimer d'une manière exempte de tout foupgon d'adulation, l'eftime & le refipecl que vous m'ave{ infpirés. L'une & l'autre font l'effet d'une impreffion durable, & telle que vous deve[ la faire fur tous Ceux qui ont le bonheur de vous approcher , puifque l'abfence n'a contribué qu'd la creuser davantage, C'eft d l'honneur de vous obtenir pour compagne de mon fort que j'afpire. Je vous avouerai, Mademoifelle , qu'avant de m'abandonner fans reserve d mesfentimens , je me fuis informé de votre Familie , & que je n'y ai trouvé que des choses honorables, fous tous les points-de-vue poftibles, foit par les Ancétres , foit par les mozurs & la bonté de vos Auteurs les plus-proches , comme mJ votre Père & m.me votre Mère : C'eft d'après fes informations, que j'ai fuivi, avec un plat'  Partie II. 135 sir audejfus des termes que je pourrais em~ ployer , le panchant que vous m'infpirie^ , & que je me propose de m'honorer de votre paranté, aummnt autant que de la mienne. Voila, je crois , Mademoifelle , ce qu'un Honnêtehomme , tel que je fais profeffton de l'être , doit écrire d une Jeune-perfonne qu'il recherche, jiuffi ne m'en-permettrai je pas davantage ; me contentant d'ajouter , que je fuis & Jerai toute ma vie „ avec un dèvoüment parfait, Mademoifelle , Votre trés-humble , très-obéijfant ferviteur, & tendre Adorateur , H** confeiller. Il me femble , ma chère Sceur , que cette Lettre eft trés-bien , & qu'on ne peut écrire plus honnêtement : je 1'en-eftime foit , & fi mon bonheur veut que j'aye un aulïi honnête Mari, ma joie la plus-vive viendra de celle qu'en-relTentiront nos chèrs Pere &C Mère , de celle que vous en-aurez tous , ma Chère, lur-tout toi, avecquï mon inclination m'a toujours unie. Il me femble que notre digne Père ferait bien-content, lorfqu'il nous verrait a S**, honorés par tous ces Gensde juftice de V*Y* & desenvirons, qui nous regardent du haut de leur grandeur , & qui ie trouveraient alors bien-audeflous de nous! Je t'avourai, ma Bonne-amie, que cela me tente plüs que le mariage , quoique le Confeiller foit bel-homme a mes yeux , &C je crois aux yeux de tous Ceux qui le voieniv  i 5 6 Paysan! perverti e. A-présent que je t'ai dit tous mes petits fêcrets les plus importans, je puis bien t'endire d'autres, qui ne m'intéreffcnt pas autant , a-beaucoup-près. Toutes les fois que je fors, pour peu que je refte en-anière , on me gliffè des Billets, fur-tout de la part d'un certain Marquis, ou fe disant tel, qui m'a déja parlé. Je m'embarraiTe alles peu de pareiis melfages; & cependant j'en-fuis flatée , parce-que cela me ralfure au fujet de m.r le Conf iller ; je me dis, que n'étant pas le feul, il faut qu'il y ait quelque raison pour qu'on me tiouve aimable. Sans prendre de vanité , ce qui ferait bienfot a moi! je trouve du plaisir a tous les complimens que je recpis , de bouche , ou par écrit. Je lens pourtant qu'il ne faut pas avoir 1'air de lire les Billets; Sc voici comme je m'y fuis prise. J'ai gardé le premier qu'on m'a g'.iffé , comme fi je ne m'en-étais pas appercue , Sc j'ai eu bien foin de le mettre dans ma poche. Une amre-fois quand nous fommes forties, j'ai été attentive li on m'en-donnerait un nouveau : ca n'a pas manqué ; Sc moi je vous ai tiré le premier B.llet, que je ténais expres entre mes doigts, & je vous 1'ai déchiré en-mille pièces: par ce moyen , je fatiffais ma curiosité, endisant toutes les fornettes qu'on m'écrit, fans porter aucune att°inte a ma réputation. Je vais te copier quelques-uns de ces Poulets, chère petite Sceur , pour te donner une idéé de ce qui ie palTe ici, Sc de la manière dont on y déclare  Partie IT. 157 clare fes fentimens aux Fil'es fars !• s connaitre : fi j'osais m'inforrner , je ferais tlus-inftruite : mais ii me femble qu'on en agit avec toutes les Filles comme avec moi. Le Premier qui m'ait écrit , eft Celui qui m'a parlé : c'eft Quelqu'un d'importance , & fon air-de-diftinótion me le fesait refpeóter : mais je ris a-présent de mon refpect : voici de fon ftyle: Ier. BlLLET-DOTTX. Je ne fais , ma belle Demoiselle , avec quê vous étes ; Ji c'ejl votre Mère , votre Tante , votre Gouvernante , &c.a ; mais elie tjl inabordable: Ou vous étes d Quelqu'un depuijjant, comme un Minijlre , qui vous entretient enfecret , ou d Quelqu'un ie riche , qui ne laijfe rien d desirer d votre Maman : dans ce der nier cas ; je l'emporterai d coup-jür : je fuis diflingué autant qu'un Particulier peut l'être : ho~ nore^moi d'une Réponfe , que vous laijfere^ tomber , lorJque je vous ferai remettre unfecond Billet 1 je Jerai exacl d me conformer d vos intentions , quelque hautes qu'elles foient. Si pourtant vous étie[ encore neuve , j'avoürar que vous étes un trésor , que toute la. fortune de votre Serviteur , ne pourrait payer. Le M. de-***„ P.-f. Mon nom fera jignè x des que je connai-* trai vos intentions, Tu vois que c'eft uw ricfie Partf f mafs jiï préférerais le Conseflfcr, a-cause dn.plaisür Tomé i, Porde II, M  ï;3 Paysane perverti e, que cela ferait chés nous. M:me Canon eft en-eflret rebutante , & je crois qu'un Miniftre-d'Etat viendrait pour nous entretenir unmoment , qu'eile ne le permettrait pas. Il croit que nous appartenons a Quelqu'un de liche : efteófcivement , nous fommes trèsbien-mises, fur- tout depuis que m.11^ Parangon eft ici. II.* Billet-doux. On m'a fait entendre que vous ne recevie^ que des Gens-d'église , & que l'on voit fouvent un Moine aux environs de votre demeure, quelquefois en-habit de fon Ordre , & quelquefois mis en- Cavalier : a- moins que l'habit de Moine ne foit un déguisement ? J'efpère que votre Réponfe d mon premier Billet me donnera quelques lumieres : mais Jïje ne pouvais avoir eet avantage , réponde^ dumoins d celui ci : les diamans , les bijous , un ameublement fuperbe , un carrojje du der nier goüt , tout-cela elï pret: un mol , & une bourfe de mille- louis, ya précéder. Pour le coup, je commence a clouter que eela foit fincère! car , envérité , il faudrait y ïegarder a-deux-fois i Mais on ne jète pas ainfi i'srgent par les fenêtres!... En tout-cas, je voudrais avoir ici Chriftine : elle eft charmante ; elle aurait quelqu'un des Parcis donc il n tft pas poftible que je m'accommode t Celui-ci eft un Jeune-feigneur, aftés agréaMe i quuiqu'un peu voüté., Un pareil ma-  Partij II. 139 riage donnerait du reliëf a notre Familie, qui fut autrefois plus-relevée qu'eile n'eft. Mais voici le I I I.me BlLLET-DOUX. Quoi f vous ave^ déchiréma Lettre! fans ta lire ! tna-foi, c'eft m'óter tout efpoir , puifque c'eft me fermer la bouche , & me condamner fans m'entendre: fi celui- ci a le mêmefort, j'aurai recours d d'autres moyens , que je ne vous explique pas , & qui peut être Jerontplusejjicaces. Je n'en-fuis pas avec un attachement moins-fincere , Votre tout-dévoue, &c.a J'ai encore déchiré le fecond, en-recevanc ce troisième Biller , & ayant jeté un coupd'ceil dans un beau carrolfe, qui nous barrair le paftage, j'y ai vu le Jeune- feigneur vouté, qui fe mordait les doigts. Je favais que c'était lui: je me fuis approchée fans affectation , & je 1'ai entendu me dire : — Vous mettezau-desespoir 1'Amant le plus-tendre ! Ne pourrai-je vous intéreiTer ? Ah! daignezme lire ! Je 1'ai regardé avec le plus de colère que j'ai pu : mais en vérité , j'étais prefqu'attendrie : car un ft beau Parti causerais bien de la joie a nos chèrs Père & Mére ! En ce moment , m.me Canon , m'ayant jointe , il n'a plus rien dit, & nous avons pafte. Je fuis dans 1'attente de ces moyens aufquels il aura recours: nous veirons. En-voici a-présent d'hu Auue : U 1  Patsane pïrvemü, I.er Bjllet-doux du fecond Amant. Je fuis jeune , Madcmoiselle , mais d'u/ie Familie relevée , t> je puis faire mon chemin i; mais je fens qu'il me fdudrait tout le feu de vos beaux ieux pour m'animer ; votre vue , & le feu d'efpoir que j'ai de réiijfir auprès de vous., me piongent dans une langueur qui m'öte tout le courage : vous pouve^ être ma créatrice , & mettre dans mon cceur toute l'énergie que j'y ai quelquefois fentie. Je brülats de 1'amour. de la gloire ; je ne brüle plus que pour vous ! Que/s charmes touchans ! Ah ! Jij'étais ajfésfortuné four que vous me donnajjie^ un-moment d'audience , je crois que vous ferie^ contente desthoses que /e vous dirais ! Je fuis encore page , mais j'ai les plus brillantes efpérances. Je vous en-prie voye^-moi : Ji vous ave%_ un vieux IMari , je vous confalerai; Ji cejl un vieil Amant , je le tromperai : Ji vous n'ave^ Perfone , je fuis bien-fur de vous faire un-jour Comtejfe, Le malheur , c'efl que je n'ai que feiye ans ! mais je fuis orphelin , & les droits des. Tuteurs cejfeniplu tót que ceux de Per es. Je crains. de vous ennuyer : je finis , en jurar.t de vous adorer jujquau tombeau , & Ji vous ites cruelle , d'aler me faire tuer pour vous , i: kt première campagne que je ferai. Is Comte d&****-***L J'ai lu ce Billet avec plaisir, & je tavoue-r 3ai, que le lendemain le Jeune-homme m'enr»jant «mis un-autre , rue des-Prouvaivzs.^  Partie ï ï. if# j'ai déchiré un papier que j'avais pris a ce£ effèt , aulieu de celui de eet aimable Page ? car il eft charmant: mais comme dit la chanfon , C'eft un Enfant, c'eft un Enfant f II.i Billet du jeune Page. Je meurs d'inquiétude fur le fort de ma Lettre : L'ave^-vous lue ? Hé/as ! peut-être que non ! qui croirait que je fuis tendre Jous eet habit f Vjus aurei Penfé 1ue c'était quelque policonerie , & vous l'aure[ déchirée fans. la lire /.... Mondieu que je voudrais étre homme f & tout-au-moins Capitaine ou Colonel! je parierais un-autre langaje que celui de promeffes en-l'air , qui , je le fens trop , nepeuvent fairs auqu'uneimpreffion fur vous, dans tous les cas;: fi vous êies raisonnable ( ce que je crois ) , vous ajei mépriser & mon caeur & mes offres ; fivous étes intérejfée(ce que je ne crois pas ) , elles vous feront pitié: II faudrait que vous fuffie-^ fimple & naïve comme moi, pour que vous y fijfie{ attention : mais les Femmes le font-elles a Paris / Daigne[ me faire un mot de ré~ ponje , ddt-ce éire un-coup-de foudre: je veuxbien mourir ; mais je ne veux pas languir .c'eft votre intérêt , & quand on faura dans le monde que vous ave^fait mourir un Page d'amour , cela eft capable de mettre d vos pieds & la Ville & la Cour. Ce fera ma confolation ,. même en perdant la vie par vos rigueurs : car je vous aime plus que ma vie , £' ji c'était £ vous-même- que je la donnaffe , je ne la regretter ais pas,.  i^z-, PAYSANE riRTERTlS. Ce pauvre Enfant 1 II me fait pitié : maiS qu'y faire !... J'ai encore gardé ce Billet, &C déchiré un-autre chiffon de papier. Ill.me BlLLET-DOUX DU PAGE. Je der ais m'y attendre, Mademoiselle : un Jeune-homme tel que je fuis , n'eft pas fait pour étre écouté dans ce jïècle ou tout eft vénal t & le ricke Financier , qui vous a gliffe un Billet hiér , eft fürement mieux-regu que moi Ah Dieu , aimer fi tendrement, & ne pouvoir efpérer !... Mais hé/as ! que fais-je ? les exprefi jions de ma douleur ne front fues que de moi ! Je m'arréte ; je n'ai plus qu'd mourir. Il m'a pourtant écrit encore, parce-que je n'ai rien déchiré en-prenant ce troisiéme Billet , & que je lui ai jeté un coup-d'ceil, qui ne marquait pas de colère. J'ai envérité eupeur qu'un fi aimable Jeune-homme ne fe fit du mal par désefpoir. Il m'en-remercie dans fon quauième Billet, que je garde auffi. Un-autre Adorateur de mes charmes appétiffans ( c'eft le ter me qu'il emploie ), eft le parfait opposé de Celui-ci: j'avoüiai que fi fon mérite était uni a celui du Page, je ferais toutedéterminée. Figure-toiun gros Homme rond , tout-d'or des piecls-a-la-tête ; ayant une figure rouge & fraïche , malgré qu'eile date de cinquante ans, & un vcntre comme une demi-tonne de bourgogne. Il m'a aufli envoyé de fon ftyle : je ne fais comme le$  Partie II, 'fff Femmes de ce pays-ci le trouvent; mals pour mol , fans m'y connaitre beaucoup , je présume qu'il doic leur paraicre très-perfuasif. I.er Billet du Financier. VoUS hes adorable , Mademoiselle ; & quoique je le fa:ke tres-bien , j'imagine que vous le Jave[ encore mieux. Cependant, je le fais , pour ma partie , aufi-bien qu'il ejl poffible ; & la preuve , c'efl la maniere dont je vais vous apprécier : Je vous ferai dou^emillelivres de rentes , affurées pour toujours, & je vous en-donner ai quarante par an, tant que vous voudre^ vivre avec moi. Je ne fais qui vous étes; mais votre mine ejl diablement éveillée ! Cependant , je ne crois pas que vous ayie^ encore eu plus d'un Amant ou deux ; je vois cela au peu d'ajfurance de vos regards. Vous étes ce quit me faut : je n'aime pas d briser la glacé , pas plus qu'd avoir une Femme ji courue , qu'on ne puiffe être fur de lagarder huit jours : Je veux être conjtant; c'efl ma manie d moL Vous étes charmante f & je ne doute pas que vous nefajjie^ de brillantes Conquêtes : c'efl ce qui me fait me dépêcher de vous prendre : la Foule pourraity venir , fi vous étic^ plus connue. Au premierfigne de bienveuillance de votre part, je fuis a vos ordres. On ne doit rien mênager pour l\ Beauté, düt-on , pour l'enri~ chir & fatiffaire fes caprices, pi lier & voler tout le monde*  144 Paysane pervertie. Envérité celui-ci me tente encore ! Ctf ferait un mariage bien-avantageus, que celui qui me donnerak quarante mille-livres de rentes, &c qui m'en lailferait douze , fi je venais a perdre mon Mari! Cependant j ai fuivi a fon égard, la même conduite qu'avec les Autres , afin d'avoir un fecond Billet, qui n'a pas manqué : Il.d Billet du Financier. Je crains , Mademoifelle , que mon. Billet d'avanhier ne foit pas tombé entre vos mains :. c'efl ce qui fait que je vous en-fais remettre un fecond , ou je vais vous renouveler les propositions que renferme le premier. ( Elles étaient les mêmes). Mais comme je me fuis informé de vous , & que n'en-ai regu que de bonstémoignages , j'ajouterai quelque-chose d ce que je viens de vous marquer : On m'a dit que vous n'aviei^ encore eu Perfonne : cela mérite quelque conjidération ; car je vous préfère ainfi , quoique j'aie dit au contraire dans ma première (fuppofé que vous l'ayie^ recue ) ; les hommes f'expriment toujours de cette ma'iière , quand ils croient avoir affaire a une Femme ufagée , afin de ne paraitre pas trop exiger ; mais au-fond x ils font charmés de n'être pas pris au mot& d'avoir l'étrenna d'un Jeune-caur. Je vous ferai cinquantemille-livres par an , & quinye perpétuelles.. Je fuis un galaat- homme , qui n'aurai que les procédés les plus-konnêtes x & qui ne ferai jamais votre tyranx mais Votre Ami,.  Partie II. 14/ En-recevant ce Billet , je déchirai le premier , fuivant ma petite politiqne. Dès le lendemain , j'en-recus un troisième : miis il était écrit d'une manière différente des deux autres. III.me Billet du Financier. D E meilkures informations , depuis que vous ave^ déchiré ma Lettre , m'ont appris aujujle ce que vous étie^ •' je vous demande pardon de mes propositions , dans le cas ou vous aurie[ lu ma première & ma feconde Lettre : je f'erai enforte que vous lisie^ celle-ci. Je fais que vous étes une Jeune-perjone honnête , qui étes d Paris avec m.me votre Tante & mfle votre Sceur, ou votre Cousine. Je ne voudrais pas qu'on put me reprocher d'avoir cherché d féduire une Fille honncte ; je me retire ; vous priant , au-cas ou il fe présenter ait un Parti fortable pour vous épouser, de fonger qu'il y a d'excellens émplois d Lx difpofitiqn de Votre ferviteur , * * } rue * * * * , hotel de * * *. J'ai lu cette Lettre en-préfence de la Dame qui me 1'a remife, parce-qu'clle m'ena priée : Je n'y concois pas grand'chose; fi ce n'eft qu'apparemment les Financiers n epoufent que les Filles qu'ils n'eftiment pas. Cela n'eft guère fiateur ! Mais ce qu'il y a de risible , c'eft un Tomé I. Partie II. N  146 Patsane pervertie. vieux, vieux Seigneur, car il eft décore",' qui m'a parlé a 1'église , le jour que j'y aï vu le Financier & mon Page : (le Marquis n'eft pas dévot apparemment; il n'y vient jamais! ) Je me fuis un peu prétée , enparaiflant vouloir éviter mon Page & mon Financier. qui cherchaient a me glifter une Lettre. J'ai favorisé le Nouveau-venu, parceque m'appercevant-bien qu'il avait envie de me parler, j'ai été curieuse de favoir ce qu'un Homme de eet age pouvait avoir a dire a une F:ile du mien : Je me fuis mise un-peu en-arrière de m.me Canon & de m.me Parangon, afin de n'être pas vue. Il f'eft approché de mon oreille , & m'a parlé un iangaje comme celui des Opérateurs des places publiques ; & ce qui m'a furprife, c'eft que c'était de 1'amour : — Voi fiete bella cotne oun Ange-: j'ai manqcé deux-fois de lui rire au nez : mais le refpeót pour le lieu oü j'étais m'en a empêchée. J'ai même changé de place , & j'ai été me mettre entre Fanchette , & fa Sceur ; ce qui a fait plaisir a mon Page. En-fortant, le Vitiilard m'a giifle un Billet, que je n'ai pas fait-femblanc de fentir. BlLLET-doux d'un Seigneur Italien. Ma belle Mignone : Voila doux femaines que je vous fouis par-tout, fans pouvoir vous faire counaitre mes fentimens , & la boune-  Partie II. 147 Voulonté qut je me fens pour vous : car je defire de faire voftre fortoune, fans qu'il vous en-coute rien dou vojlre , que quelques bontés pour moi. Si je favais come vous étes , ji c'efl vojlre Mère ou vojlre Tante qui vous condouit par-tout avec elle, & qu'eile efpèce de Femme qu'eile ejl, je me ferais adrejjé d elle come il convient, c'ejï-d-dire la bourfe d'oune main , & oun contrat de l'altre, pour loui affourer ploüs encore: mais cette Femme ne veut rien. entendre. Dans le cas ou vous aurie^ quelqu'oun, engaje^-la , je vous prie , d me le faire favoir , ou écrive^-le-moi vous-même ; on pourrait farranger : car vous vak[ vojlre pesant d'or , Mignone, & il n'eft pas oune chose que vous n'oujfie^ de moi : Je Jouis en-attendant voftre Réponfe , Tout d vous , le S*** D.-S.—/. Celui-la ne m'a pas tentée, & un pareil Mari, fut il prince , me paraïtrait plutöt un malheur qu'un avantage : mais comme tout le monde n'a pas mon goüt, & que le bien vaut toujours fon prix , je voudrais avoir ici une ou deux de mes Sceurs, les p!usjolies , perfuadée qu'elles feraient biencóc un bon mariage. Parle-s-en chés nous, ma chère Sceur : de mon cöté , je fonderai m.me Parangon, & je t'écrirai ce qui fera décidé. Tu dois avancer, chère Amie : j'ai, a ton fujet, les meilleures efpéranccs; grande 8c bien-faite comme tu 1'es, ce ne fera qu'urj N x  i4§ Paysane perverti e. jeu; car les grandes Femmes ont bien-moins de pcine,dit-on , 6c de rifques a courirquel^s Petites. Je te fouhaite un Fils: mais fi c'eft une Fille , ton Mari n'aura pas a fe plaindre ; car il aura le doublé d'une excellente Femme. Je joins a cette Lettre les fouhaits de la nouvelle année, pour nos chers Parents 6c pour toi : présente - leur mes vceux avec mes refpects, & mes tendreftes k nos Frères 6c Sceurs. J'apprens que m.r le Confeiller eft ici. LETTRE XVIII. »o février. Réponfe. (Fanchon lui donne de bons avis : NaiiTance de mon Fils , & ce qui f'eft-pafle de la part de mo,i refpectable Père. ) V oila huit jours que je fuis mère d'un Fils, ma très-chère Sceur , 6c c'eft k vous que )' donne le premier moment , oü je puis tenir une plume avec quclqu'afturance. Je me fuis très-bien-portée pour ma fituation : mais on m'a rendu autant de (oins que fi j'avais été k 1'agonie : cela m'auraic impatientée , fans le motif , qui était fi agréable 6c obligeant, que j'ai eu autanc de plaisir a me yair foignée, que fi j'en-*.  Partie II. 149 avais eu besoin : a-la-fin, on me laifle unpeu fur ma bonne-foi, & je vous écris, ma chère Urfule 5 car votre dernière Lettre me tient fur le cceur du-depuis que je 1'ai recue , & j'efpère, qu'une Réponfe me foulagera, en-vous ouvrant ma penfée. D'abord , ma très-chère Sceur , j'ai bien reiu vingt fois le petit écrit de m.me Parangon : & je trouve ca bien-dit, bien-tourné ! Oh ! la chère Dame! comme eile épanche fes ientiments ! Il parait qu'eile a écrit ca comme notre Père dit que le Roi David fesait fes Pfeaumes, oir il exhaiait tous fes fentimens , fes repentirs 8c fes combats : Il me femble a moi , d'après mon petit jugemenr, que la chère Dame n'a rien a fe reprocher; car il n'eft pas crime d'être tentée, mais de fuccomber a la tenration , & c'eft ce qui n'arrivera jamais, f'il plait a Dieu : mais, chère Sceur , encore que j'aye eu bien du plaisir a lire & relire ce débordement de fon bon cceur, fi eft-ce pourtant que je ne fais trop fi nous 1'avons eu légitimement ; car pour ca , il le faudrait tenir d'elle : ce que je ne dis pas pour vous blamer, chère Sceur, mais pour vous dire ma penfée. Quant a ce que vous dites de la manière aont vous mettez bien Edmond dans 1'efprh de m.Ue Fanchette , je n'y trouve qu'a iouer , puifqu'elle fera fa petite Femme, & qu'il 1'aimtra chèrement, j'en - fuis füre , vu qu'il aime déja fi refpeébueusement fa Sceur ; 8c que ce mariage nmocentera bien des fentiments, N 3  ijo Paysane perver.tie. qui vont-&viennent a-travers-champ. Pour quant a ce qui eft du Confeiller , tout ca eft bel & bon, & je crois que 9a réuiïïra , vu fa Lettre ; ce qui me donne une grande joie, a-caufe de nos chèrs Père & Mère; qui encore qu'ils n'ayent pour eux auqu'unes xlées mcndaines, ont pourtant envie que leurs Enfans fe pouflent; ce qui n'eft que 1'tftet de la grande amitié qu'ils leur portent, & non d'autre-chole : mais je voudrais encore que nous évuffions légitimemene cette Lettre-la, que je fuis pourtant bienaife d'avoir; & je ne fais trop comment arranger tout-ca. Pour-a-1'égard des Admirateurs que vous fait votre gentiliefte , ca eft tout-nature! , puifque dès ici , vous étiez trouvé fi-jolie , que plusieurs Jeunes-gens du Bourg on dit, qu'ils palferaient par une forêt en feu , f'il le falait, pour aler a Urfule R*** f & p0ur Favoir en-mariage. Et vous-vous fouvenez-bien de ce jour que nous revenions de fiener au Vaudelannard t avec Edmond , vous , Madeion Polvê , Marie-Jeanne Lévéque , Marion Fouard , &C moi, que des Meffieurs de Noyers a-cheval nous rencontrèrent , & qu'ils f'arretèrent a nous examiner, quoique jeunettes : L'Un dit, — Il y a de johes Fillettes dans ce paysci 1 — Corbleu ! mon Ami, dit 1'Autre (il me femble 1'entendre encore ), voi donc ce minois la ! ( vous montranr.) — Il eft vrai, reprit 1'Autre, qu'eile eft gentille ! c'eft un beau fang ! — Gentille ! dit un Troisième ,  Partie II, 15! elle eft belle !... Mademoifelle, qui êtes-vous? ■—Je fuis Urfule R.** , Monfieur , a vous fervir , que vous répondites en-rougïffant. •— Ah ! je ne m'étonne pas.' c'eft une petite Cousine-! Et ils delcendirent tous pour vous embralTcr, &c ils nous comp'imentèrentauftï toutes, jufqu'a moi, dont ils demandèrenc le nom. Et fur ce que nous ne répondions pas, Marion , la plus-hardie, le dit. — Ah ! c'eft la petite fiile d'un Honnête-homme! dit Un : je la croyais votre Sceur, ma petite C'»uiine ? — Oh-non , Monfieur ; mais elle le fera, quand elle fera grande ; car mon grand Frère Pierre dit comme-ca, qu'il ne voudra jamais en-avoir d'Autre que Fanchon Berthier, qui eft d'Honnêtes-gens , & dont le Grandpère eft un faint Homme-. Vous voyez , ma chère Sceur, qu'il n'eft pas furprenant, que vous foyez regardée & contemplée 'la que vous étes aujourd'hui, cu 1'on fe connait mieux qu'en-n'un lieu (1), en-gentillefte de figure : mais je trouve unpeu a-redire (& pardon de ma fincère dictie) a la mnnière dont vous gardez & lisez les Billets-doux, & dont vous écoutez ce que disent lturs Ecrivains; car il me femb'e qu'il y aurait bien-la quelque danger ; &C je vous prierais, fans vous 'déplaire , de vouloir en-toucher deux mets a m.me Parangon; ( 1 ) Facon de parler da pays, qui fignifie, tilicux que nulk-part. N 4  151 Paysane perverti e. fur-tout, de ce vieux Jargonneur l'talien 3 qui m'a fait friftonner fans que je fiche pourquoi; je fuis fachée que vos gentilles oreilles 1'aient écouté. Quant a ce qu'ils font comme Partis, je ne fais fi 1'on ferait fon iaiut avec tous ces Gïns-la; pour moi, je fuis pour m.r le Confeiller , ainfi que vous. Le Richard M. de***, qu'eft-ce que c'eft? Ca écrit drólernent ! Ce langaje-la ne me levient pas, je ne fais non-plus pourquoi. Le jeune Page eft hardi comme un Page , t nvérité! ik il n'y a rien de folide la dedans; Ca eft trop-jeune , & Ca n'a pas d'état; Ca fera un Freluquet, qui laifferait-la une Femme un jour, pouraler courir de garnison en-garnifon, comme les Officiers des cazernes de Joigny, tk d'ailleurs. Je ne fais pas ce que vous veut dire Celui que vous appeiez le Financier; un Financier eft fans-doute un Floffime de la finance , ou de 1'argent; cela eft utile : mais la Lettre de m.r le Confeiller eft d'un honnête tk digne Homme ; je fuis de votre avis fur fon compre. Quant a ce que vous ajoutez de Quelqu'une de nos Sceurs a mettre auprès de vous; j'en-ai voulu toucher un mot d'abord a notre Mère , qui m'a clos la bouche , & m'a bien priée de n'en-rien dire a notre Père; ainfi c'eft une chose a ne plus penfer. Voila que je viens de répondre a toute votre Lettre , chère petite Sceur : il ne me refte qu'a vous recommander de faire-usage de votre fageffe & prudence, que vous pofiédez a un aufti  Partie H. ijj naut-point que les agrémens du corps ; & c'eft dire qu'il ne vous manque rien de ce coté-la : car je tremble toujours, en-fongeant a tout ce qui arrivé, ou peut arriver de ma! > Paris. Je vais quant-a-préfent vous parler unpeu de i-^us, de i'heurcus événement, &c d Edn?.,«u , qui nous quitte demain matin, apiès avoir pafte chés nous huit jours, qui ne r.ous fembicnt a tous qu'une minute , tant il nous amuse & nous plaït : Ce qui a fait dire ce matin en-riant a notre bon Père, en - parlant a notre digne Mère : — Ma Femme, tant-plüs il vous plaït , & vous paraït agréable en-fes difcours & en-fes connaiflances ; tant-plus vïte le devons-nous renvoyer ou il a pris tout ce mérite-la , afm qu'il f 'en-remplifte davantage , & fa (Te unjour i'honneur de notre vieilleffe, comme notre excellent Fils-aïné en-fera le foutien & la douceur: Et-puis fongez que vous avez une Fille , dont ce Fils, que vous voudriez garder , eft 1'appui; li-bien qu'il eft a-propos de dire , que la vraie place d'Edmond , n'eft pas dans votre giron , oü vous le teniez tout - a - 1'heure , comme un Enfant alaitant , mais au prés d'Urfule , dont je le crée Tuteur & Père en-mon abfence-. Ce qui a h-fort touché notre excellente Mère, qu'eile f'eft mise a dire, prefqu'en-iouriant, — O mon Mari 1 vous parlez toujours endigne Père & en-Homme fage, dans tout Ce que vous dites; mais en-ce moment vous  ÏJ4 Paysane perverti e. paffez tout: car ce difcours me va droit I l'ame, & me montre mon vrai devoir ; par ainfi , je fuis la première a dire, & fermement a mon Edmond : Mon chèr Fils, c'eft demain qu'il faut partir-. Mais je ne fais quelle vertu onteu ces derniers mots, qu'elie» qui paraiflait fi ferme, ne les a pu finir, fans que la larme n'ait briilé fous fa paupière. Elle a pourtant fait bonne-contenance , Sc notre Père 1'a deux-fois appelée Débora ; •— Voila une vertueuse 8c ferme Débora i c'eft Débora par le courage; & il fouriait en-deifous , de eet air, qui nous laiffe entrevoir encore comme il était agréable enfourire dans fa jeuneffe ; car Edmond eft fon vivant portrait, &c c'eft pour cela , que cette bonne Mère, qui aime fi tendremtnt tous fes Enfans, aime plus mollement & plus enfantinement Edmond; ce qu'eile fait auffi pour vous, chère Urfule ; car en-vous font fondus les traits d'Edmond, avec ce féminin agrément, qui mignardise davantage la beauté ; & malgré ca , vous avez encore 1'empreinte de votre digne Mère, non fi matéritllement que Brigitte , mais fpirituellement, par l'air du visage , lts ieux , le parler, & mille autres choses, qui font que notre Père dit quelquefois , depuis votre abfence : — En-Uifule eft notre portraiture unie & confondue , pour marquer visiblement , mes chèrs Enfants, qu'Homme & Femme corjoints par mariage ne fo: t qu'un ; Sc c'eft la plus-belle preuve que le Bondieut en-a donnée dans notre maison-.  Partie II. 15 qui marqué bien de la coquetterie ! ) Comme je ne fais guère mes Lettres qu'encacherte , ma chère Sceur , afin de pouvoir parler plus librement, j'écris par petits intervales , & il n'eft pas dit que tu auras cette Lettre a trois jours de la date , comme cela pourrait être, fi je la finiflais aujourd'hui. Je t'accuse d'abord la réception de la Lettre que m'écrivit mon Frère ; elle eft fort-courte, & je te la copie : Lettre  [Partie II. ïSt Lettre q'Edmohd. Je pars pour S**, ma Bonne-amie , fur une Lettre du cher Ainé(i) , qui me mand:; l'heureus accouchement de fon Epouse , nbtra Sceur auffi tendre , que fi elle était du même fang. Je craignais ce moment ; on craint toujours pour ce qu'on chêrit: & c'ejl doublement que j'aime Fanchon Berthier , pour elle-méme , & d-cause demon Frère , qui fei.tirait beaucoup plus qu'eile tout ce qui pourrait arriver de mal d fon aimable Moitié. Ainfi , réjouis-toi , avec nous , chère Sceurette , de ca qu'eile va bien , & représente-toi la joie qu'on doit avoir eue chés nous , d la venue de ce Nouveau-né, ijfu de deux Perfones fi mêritantes , fi chèr ies , & fi iignes de l être. Jj ne t'en-marquerai pas davantage d ce fujet ; car je pars : je ne fermer ai pas non plus ma Lettre , fans dire un mot de notre Détffe , & de de fa charmante Sceur. La Première a fur moi des droits inaliênables ; ils font étayés par tout ce qui peut les éterniser: & quant d la Seconde , elle m'occupe déjd bien-plüs qu'on ne croit ƒ Fais-leur ma cour d toutes-deux , fur-tout h l'Ainée , qui tient mon fort dans fa main , &• celui de ce que j'ai de plus-chèr , de ma Saur„ Adieu, Bonne-amie. Je pars , & je jerei chés nous , auprès de nos chèrs Parens , demain k deux heures-&-demie : c'eft l'heure oit tu rece- (i) La LXVIII-me Si dernière du T, '■ 1, 3a Paysa n. Tomé I. Tank IL O  i6z Paysane perverti e, vras ma Lettre , & furement je leur parle* rai de toi , & de ce que je te dis en-jznifi fant. Il n'y a qu'amitié , tendreffe , bonne-intelligence dans la Familie oü tu es entree, Sc que tu rens aujourd'hui fi heureuse, chère Fanchon ; je fuis fure que tous nos Frères Sc Sceurs écriraient a ton fujet, comme Edmond vient d'écrire-la , fils étaient a-même de le faire. Je vais a présent te parler de la Lettre de notre refpecFable & digne Père a m.me Parangon , au fujet de m.^Fanchette : je crois. que tu 1'as vue ; mais dans le doute , je te lat vais copier , comme celle de mon Frère.. MADAMEi Cette-ct ejl pour auoir lyhonneur de vous, demander vne grace , mais dejia oclroyée par vojlre refpeclable Père , mon digne Amj , che^ lequel ie me me fuis tranfpurté le iour mefme de la naijfance de l'Enfant dont ejl accouchée ma Pru fentme de mon Fils-aifne', d cetle-fin de: faire repréfenter mJle Fanchette , voflre aimable Sceur , comme mareine dudicl Enfant ,. par Chrifiine , t*vne de mes Filles : I'ejpere r Madame , obtenir de vous le mefme agrément „ ainfi que de mJ1" voflre Sozur , vous fupphant de me faire vn mot de vojlre main , qui m'aaclo~ nise d meg/orijier de voflre confentement d towtes-deux. Ie ne traicle point d'autre molièredatiACette Lettre 3 Madame , cette-ci ejlant a£~  Partie II. rtfj fe[ importante pour la remplir feule: fi ce nfefi pourtant , que ie vous fais mes tres-humbles remercimens de vos incomparables bontés pour ma Fille que vousaue^ par deuers vous : agrèeqles , je vous en-fupp/ie , Madame , d raiso/z de leur parfaicle kumilité, & du profond refpecl avec lequel i'aj l'honneur d'ejlre , Madame , Voflre trh-humble, tris-obéiffant & trh~ obligé firuittur E. R**. M.me Parangon , dès qu'eile eur ach-v? der lire cette Lettre , vint a nous, la joie clans les ieux , & demanda 1'agrément de fa jeune Sceur , qui le donna de la manière la plus obligeante , demandant même f'il falait partir : fa Sceur 1'embratTa en-fouriant, & mer dit de rendre témoign ge des difpofitions de fa chère Fanchette ; & el: s fe félicitèrenn toutes-dc ux decequetu ponais lernêm^norri'. que ta petite Commère: ce qui faitqu'elies éfpèrent que vous aurez fdr appeler 1'EnfanC Edmond Fra/icois. M.me Parangon mit auftïtot Ia main n la plume , pour écrire ce qusr vcici: ( mais il faut te prévenfr que la Lettre' que vous avez recue n'eft pas la moiré de cequ'eile avait écrit : c'eft pourquoi je vais rela Remettre ici en-entier: car elle m'en-a laiGÊ le brouil.'on): O *  1^4 Paysane per v er t ie. R b r o n s e de m.ve Parangon, au Père R** C'EST avec unvraiplaisir , Monfieur, quema Sceur & moi nous acceptons Vhonneur que vous. nous ave^ fait a toutes deux , dans une cérémonie auffi augufie que celle du baptême de l'Ainé de votre premier Fils : Vous ave[ bien-voulu vous reldcher de votre droit, en-faveur du Second, qui pourrait être loin de vous , lorfque fin tour ferait venu , & vous ave^ penfè que Ferfone ne pouvait être plus qêlé pour vous , après lui, que ma Sacur & moi. Vous nous ave%_ rendu-juftice, Monfieur , '& vous en-verrie[la< preuve , fi nous avwns le pïaifir d'étre auprès. de vous. » En-ejfêt , qui peut fiutérejfer da» vantage a vous , a Edmond, d toute votre » chère Familie, qu'un,e Femme qui fe propose. » d'y placer fa Soeur , & de devenir elle-même " la fceur d'un de vos Enfans , & par lui de tous les Autres ? Oui , mon chèr Monfieur. » il**,. vous que. f honoré i> comme un digne. " Vieillard , & comme un excellent Père , & » comme l'Ami du mien , le plus doux de mes » vaeux , celui que j'avais déja exprimé d Ed~ » mond avant fon mariage avec ma Cousine « c'efl de 'tul donner dans ma Sceur une-autre » moi-même , de nous üni'rpar-ld , & de fer» rev des nozuds qui durent autant que notre „ vie. Mien nepourrd les briser , & l'intérét ,. „ ce boutcfeu des fociétés humaïnes , n'aura. „ auqu'unpoüvoir fur la notre; la fortune der  Partie It. i&y " ma Sceur fera la mienne , & tout ce que je " pojféde , je n'aurai de plaisir d le conferver » que pour elle. C'efl un engajement que je juis " bien-aise de prendre avec vous , par cette " Lettre , dans une occasion , ou de vous» même , vous ave{ cherché d établir quelques » rapports entre ma Sceur & votre Fils Ed» mond. Je fuis charmée d'avoir occasion de » vous avouer que ces rapports font réels , » qu'ils exiftaient déja, & qu'ils Jont mon ou» vrage. Le temps ou ils feront abfolument » réalisés , n'arrivera jamais aftfés tót , au » gré de mes desirs , foye^-en fur , mon chèr " Monfieur » Fanchette & moi nous fommés dans les mêmes fentimens ; j'ai fouvent occafion de m'en-ajfurer. Votre aimable Fille , machère & conjlante Amie Urjule , en-efl le témoin irréprochable. C'eft avec ces fentimens , que je fuis , & ferai toute ma vie , Monjieur > Votre y &c.a Voila tout ce que renfermait Ia Lettre écrite dars le premier mouvement de joie ; mais enfuite , m.me Parangon , fans changer d'avis , 1'a trouvée trop-exprtffive ; c'eft. ce qu'eile m's dit a moi-même. Tu vois , chère Sceu', que rous nos projets rle bonheur ne font pas des chimères: car m.1,e Fanchette eft un excel'ent parti, m.me Parangon n'ayanc pas d'Enfans 3 outre qu'eile eft riche de fa. feule pordon. io mars. Je te fers a ton goüt, je le fais, ma chère  5rès aux compiimens , qui t'intére^ent moins. Re9ois pourtant ceux que je te fais , ils le m rue c par le cceur dont ils partent, & je fuis d'une joieinconcevablf, depuis que ta chèr Lettre ne me laifle auqu'un doute fur le bonheur de ton Mari & fur ta fanté. Tout ce qui m'approche & tout ce qui a rapport a moi f'en-eft aperju ; j'ai été plus-resignée ave: M.me Qznon, plus-tendreavecma Proteólrice, plusgaie , plus-folle , avec m.1,e Fanchette , & plus humaine envers mes adorateurs : car j'en-ai toujours, & ils ne font qu'accroitre:: mais ce qu'il y a d'agréable, c'eft qu'on f'adreiTe auffi a mes deux Compagnes ; car Fanchette grandit beaucoup, & fe formetrèsvïte r ie vais t'amuser de totft cela; avec toi , je fuis fi icère, & fansauqu'une reserve; aulieu que je ne crois pas qu'il faille tout dire a Ed mond j e'eft un Homme quoique mon frère. Mestroisou quatre Amoureus me donnent touji urs des Lettres & Celui qui devait mourir de desefpoir (e porte a-merveilles :: c'eft que dans ma )oie , il m'eft arrivé un-jour de lui fourire : ce qui lui a fait tant de plaisir, que d pu;s ce moment la , il a un teint charmant. Je t'avouerai qu'auparavant il étaic fort-pale, Sc il efta-croire qu'il était forttourmenté ; cela peut arriver , & je n'y vois «eó d'extraordinaire. Mais ce qui doit le coru  Partie It. i6j trarier , c'eft qu'avec m.me Parangon , qui eft moins économe que fa Tante , nous ne fortons plus qu'en-voiture. Je crois pourtant en-deviner la raison : c'eft qu'on la courtise auffi :■ je t'en-parlerai tout-a-fh-ure : elle m'a bien-caché qu'eile eut des Adorateurs,. & je les fais; je t'en-parlerai tout-a-l'heure : elle prend le bon-moyen pour ne les pas entendre , ni recevoir leurs Billets. Mon pauvre Page, que nos forties en-carroffe contrarient, met fon efprit a la torture pour me parler, ou me faire parvenir fes Lettres, &c il y réüfïu, parce-que j'y aide un-peu d'ailleurs, nous fortons tk rentrons toujours aux mêmes heures: il fe trouve a la porte , il me dit un mot, ou me glifle fon poulet, fans pourtant que je le prenne. Je n'entens plus parler demon Vieillard. Mon Prometteurde richefles (c'eft le Financier, qui m'avait écrit qu'il fe retirait), ne fe r. tire pas; il eft parvenu hier jufqu'a m.me Canon , tk dans un difcoursfort-long&fort enfigouriqfacequ'elle a dit a m.me Parangon) il lui a fait des propositions de mariage pour moi affésembrouülées. S'il ne f'eft pas clairement expliqué , que demandait-il ? Aur fte, j jn'en-fuis pas fachée , tk je m'en-tiens ï Celui que tu fris.. Quant ï mon premier Ador.tteur qui eft eet Homme de-hiute-condition , Celui-la ne parle pas de mariage , mais d amour , de la plusdrole de manière du monde. Il fenomme le Marquis de-*** •, il n'eft ni beau ni iaid de figure malgré qu'il foit un-peu. marqué aa  16*5 Pats ane perverti f. b a une épaule ; mais on déguise cette tache qui paraït néanmoins , en-dépit des veftes matelaftees. Il continue a me parler de fes moyens-plus-efficaces: Qu'il les employedoncï Ce qu'il y a de fingulïer , c'eft que Perfone ne fe doute ici de tout cela : quant k moi, je m'en-amuse , parce-qu'envérité, il n'y a pas 1'ombre du danger pour mon cceur. Cependant , comme je ne faurais plus efpérer d'avoir ici une de mes Sceurs, je vais ceftèr de prendre part k tout eet enfantillage. Ce qui m'a fait rire, & ne m'a pas furprise, c'eft, comme je te le disais tout-a-l'heure , que m.me Parangon ait fa part-de ces hommages; car, fi j'en-crois fa conduite s on f'eft expliqué avec elle beaucoup plusclairement de-bouche que par-écrit. Ce n'eft pourtant pas Pair de m.me Canon, qui fait qu'on fe frotte aux Perfones qui paraiftent fous fa garde : car elle a 1'encolure d'un vrat Cerbère (comme tu ne fais pas ce que c'eft, Cerbère eft le Chien qui garde la porte des Enfers chès les Payens.) Mais avec fon air rebarbatif, elle a quelque-chose de fi comiq dans fa mise Fanchette , elle eft trop-jeune, & elle a d:ja trop de cette aimable langueur , qui la rendra fi dangereuse un-jour: Pour toi, je ne fais, mais ta figure vaudrait mieux en-Madeleine encore un-peu galante : Ma foi, il me falait Edmée, & je 1'ai trouvée-la fort-a-propos ! M.r Parangen , qui ne la connait pas, a trouvé la tête admirable! Il en-a fait honneur a mon imaginat.on , & il m'allure que j'ai dans 1'efprit les plus belles de la Nature. Pour lui, qui f'était reservé un Saintjofepk, pour mettre a chapelle qui fait le pendant de celle de 1''Annonciation, il a jugé a-propos de fe peindre trait pour trait, je ne fais a quelle mtention. Dans un - autre tableau a nousdeux , oü nous avions Pfyché, pourfuivie par Vénus , déguisée en-Furie ; il a donné a la Furie les traits de m.me Canon , au plusmturel : moi, j'ai fait Pfyché, fous ceux d'une Femme que nous adorons : mais ici mr. Parangon m'avait dit de prendre legrand portrait de la chambre-a-coucher , pour modèle. On me flatte que je 1'ai furpaffé , quoique m.r Parangon regarde ce portrait comme fon chéf-d'ceuvre. C'eft que j'avais bien-mieux dans le cceur les traits que rSV Se teaVab,eau eft a-présent a m.r D. 2". fc-la-Eourdeniie. 178a.  Partie II. 179 je devais rendre fur la toile, que lui dans les ieux, & que c'eft lc cceur , pus que 1'ceil, qui conduit la main. Voila toutes les nou vel! es que je te puis donner, chère bonneAmie. O Tie mon hommage a m.me Parangon & a m.lle Fanchette. P. f. Vous ne voyez pas m.r Gaudét i Nous fomtnes fort-bien enfemble : c'eft un bon ami. S'il veut te parler en-particulier , mafoi, il faut t'y prêter, & n'en rien dire. Quant a laure, je fais que vous vous voyez alTés fouvent , & qu'il te donne fes avis par elle, comme nous en-étions convenus dès ici; tu ne faurais mieux-faire que de les tuivre a-la-lettre. Il ferait heuieus qa'elle fut admise chés vous.  *So Paysane perverti e. LETTRE XXI. 28 avrih Fanchon, ■ < TT * ö 1/ .R J T/ £ £> (Ma Femme lui parle de notre Sceur Brigitte, & d'un kruit facheus au-fujet d'Edmond. ) Y 1 j'ai fi-longtemps dirTéré a vous répondre , très-chère Sceur, ce n'eft ni par indiftérence, ni que je me fo;s ma!-portee ; aucontraire, ma fanté ne fur. meiüeure enauqu'un temps. Mais c'eft que iattendais que mon Mari eut des nouveilés de fon Frère. Et juftement il en-a eu ets jours-ici, ainfi que des vótres, très-chère Sceur: car le chèr Frère Edmond nous a tranlcrit votre Lettre (1): ce qui me fait croire qu'il pourrait y avoir quelque petit retentum , comme dit notre Père, de fa part, ou de la votre • Quoi-qu'il-en-foit, ma chère Urfule, j'atrendrai la-deffus ce qu'il vous plaira de me marquer : & quant a moi, je vais vous dire les nouvelles d'ici : car bien qu'elles ne foient pas auflTi brillantes , que celles que vous me donnez , fi eft-ce pourtant qu'eiles ne lailTeront pas de vou- intéreflèr, par Ia ï\'lIElk {e tr°uve d*ns ia lx xi,1ee du païs^s »  Partie II. bonté que vous avez de bien-interptêter ce que j'écris, tk auffi par les chofes en-ellesjnêmes : c'eft qu il f'agit de notre Sceur Brigitte, qui eft recherchée-enmariage , par un bon tk honnête Garfon , J. Marfignj, que vous connaiffez. Mais je vous avouerai, ma chère Sceur , que malgré la mode du pavs , qui n'eft pas galante , je n'ai^ jamais vu de pareilles amours : Et votre Frère-aïné en-rit quelquefois lui-même. Brigitte eft bonne, umple, n'entendant finefte a rien , prenant tout a-la-lettre. Marfignj eft demême ; ils ne font pas phis feseurs de complimens ni de careffes 1'Un que 1'Autre : Pourtant ils ont envie de fe plaire ; mais je m'imagine que c'eft d'après ce qu'ils veulent être 1'Un envers 1'Autre , par-la-fuite: Marfignj ne recherche pas Brigitte, paree qu'eile eft alles gentille ; mais paree que c'eft une bonne-ménagère : & il plaït a fa Maïtreffe , parce-qu'il eft infatigable au travail , fobre & prefqu'avare : D'après cela , quand le Garfon vient ici faire 1'amour, il commence a fe mettre en-vefte , ou en-chemise , & travaille comme quatre a nous aider: 1'autrejour, en-moins de deux' heures, il nétoya le toït aux Moutons, oü il y avoit bien trente voitures d'engrais, ik en-quittant, il reïufa un verre-de-vin , que notre bonne Mère lui portait. Pendant ce temps-la , Brig;tre , qui travaille roujours afles, fe taait a tout ranger; car pour donner dans la vue de fon Amoureus , elle ne veut pas des  ïSz Pavsane pervertie. ouvrages tranquiles ; el!c fair les plus lourdi des Servantes ou des Filies-de-journée : Sc cjuand 1'Amoureus & li MaitrefTe n'en-peuvenc-plus,üs fe regardent un-peu en-deftous, pour voir Celui qui eft le plus las ; fansooute , parce-que c'eft Celui-la qui eft le Plus-agrésble. Voila comme fe paftent toutes les visites de J. Marfïgnj : A fa Maïtrefle, pas un mot; mais k mes Sceurs & k moi, c eft toujours quelques politeffes k fa mamere; il nous óte tout des mains, pour empecher de Ie porter, & nous repouftè «-fort, que 1'autre-jour Chriftine manqua a en tomber , en-nous disant, — öttz-vous de-la! vous n'auriez pas feulement la force de porter une paille : voyez-moi-i Quant k ia Ma-trefle, il la verrait plier fous !e faix, qu'il n'y mettrait pas la main, & il nous dit d'un air de vanterie : — C'eft que ca fait une Fille vertueuse (i), celle la ! ck nonpas vous-autres , qui n'êtes que des Mauviettes-! Notre chèr Père rit de le voir, mais a-part; car devant nous , il tient fon feneus, ne voulant pas qu'un Homme qu'il le propose de donner pour feigneur & maitre a fa Fille-ainée, foit envisagé de fes autres Enfans fous un jour qui le leur rende moins-refpecFable. Voila toutes nes nouvelles d'ici, chere Sceur. Quant k ce qui eft du chèr Frère Edmond, phy%. Vemeuse> dan« le P»ys. f'gnifie Jont au-  Partie IT. 185 il paraït fe bien piaire a la Ville de mieuxen-mieux : mais il park de m.lle Edmee a fon Frère-ainé d'une manière qui nous donne bien a penfer ! Ce n'eft pas qu'il me foit avis qu'il y ait rien a craindre de ce ccté-la ; car voici une occasion , je crois , qui va montrer qu'il n'y a point' de mal fans bien : c'eft que cette grande attaché qu'il a pour m.me Parangon , nous répond que rien ne Ie fera écarter des vues qu'a fur lui cette excellente Dame. Ie ne fais pourtant ce qu'a chanté un Jeune Gautherin de N** , qui eft clerc-de-procureur a Au**, lequel eft venu voir fon Père la femaine paffee ; il a comme parlé d'une hiftoire d'Edmond , avec une Demoifelle, voisine de m.r Parangon, qui paffe pour une grande Coquette • il a dit que votre Frère en-était bien venu , ainfi que de la Mère , ou Bellemère , & qu'on en-parfait un-peu dans la Ville, difant, qu'il était bientót confolé de fa Femme. Mais vous verrez que tout-ca n'eft que des bruits fans fondement ; &-puis d'ailleurs, Gautherin n'a pas dit qu'Edmond fafte du mal avec cette Demoiselle. Autre-chose n'ai a vous mander, très-chère Sceur: car pour quant a ce qui eft des choses que vous me marquez dans votre Lettre , je fens que je n'ai pas affés vu le monde, pour vous donner mes confeils , & je me renferme, dans ce que j'ai entendu dire 1'un de ces jours a mon Mari, au-fujet de ce que Gautherin avait dit a fon Frère : — Les Gens d'ici qui  Paysanepervehtie. veulent juger de la Ville , d'après ce qu 1I3 voient dans notre Village, font de pauvres Aveugles qui parient des couleurs, ou des Sourds qui veulent juger des fons : les choses ne fe font pas tout-a-fait-la comme ici; &puis d'ailleurs, mon Frère eft bon & fage; al fait ce qu'il faut faire Sc ne faire pas! Par-ainfi} moi, qui le connais, mieux que ces Gens la , je me tiens coi, attendant pour juger, que je me fois informé a mon Frère Iui-meme (1)-. Quant a ce que vous marquez dans votre Lettre a Edmond , qui neus eft venue de fon écriture, je 1'ai trouvée bien-jolie , & fpirituellement faire, & je voudrais pouvoir écrire cornme-ca. Je vous quitte en-ce moment,'ma trèschere Urfule, pour mon Fils que voiia qui i eveille , & je ne fermerai ma Lettre qu'apres lui avoir donné ce qu'il demand?.... II eft joli comme tout, chère petite Sceur; Sc tous le croirez, quand vous faurez que ceft bien-plüs ie portrait de fon Oncle que de lon Pere : ce qui vient, je crois, de ce qui f eft pafté au- fujet d'Edmond , pendant que 1 Enfant était dans mon fein ; car j'avais f 1 ) Voila comme ma trop-^rande confiance en«ion Frere metrojnpaitl Car a-demi-favant de ce qu fe paffe a la Ville , je erdyais présomptuewement tout favoir ; & , avais en-outre ïorgueil de penfer . que les Miens formés du même fang que moi, ne pouvaieat fa.llir. J'avais pourtant du contraire un Lauretre réCent' dans la fau,e d'Edmond avec toujours  Partie II. i8f toujours Edmond devant les ieux du corps ou de 1'efprit pendant la mal«di>. Or vous favez bien qu'Edmond &c vous, vous-vous reftèmbkz; & par tout cela , vous voyeg que mon Fils eft très-joli. Adieu , chère, bonne-amie Sceur. Quand donc vous verrai-je ? LETTRE XXII. ij mai. ÏT- R S V ZE, d Fanchon. ( La voila qui f'émancipe a recevoir des Lettres de fes Amoureus , 8t a y répondre. ) N o u s avons eu ici bien de l'inq-.i'étudc ces jours-ci . ma chère Sceur ! m.me Parangon f'enfrrmait feule, & nous ne la revoyons jamais que les i-ux rougis de larmes: m.1,e Fanchette & moi , nous ne favions qu'en-penfor: mais. enfin, elle eft plus calme. Je < royais pouvoir découvrir la caufe de ce ch grin vif ; mais cela ne m'a pas été poffible , & il faur renoncer a te donnet des lumieres la-deffus pour ne te parler que de moi. D'abord, je te dirai, que la copie de ma Lettre a notre Frère Edmond , r.'était pas trortquée, comme tu le crois; je me tiens fur la reserve avec les Hommes, co.T.me Tomé I. Partie II, Q^  ï%& Paysanepervertie. ïe te 1'ai déja marqué-, je ne parle qu'engénéral, & je te reserve le particulier. Le Marquis, dont je t'ai déja parlé , m'a écrit deux nouvellês Lettres , que j'ai un-peu imprudemment recues; car je présume qu'il 1'eft appercu que je les voulais garder. La, première eft fur un ton afTés cavalier ; la feconde eft fur une toute-autre note : Entre nous, fi j'alais devenir marquise , ce ferait une fortune bien-audeffus de nos efpérances! Mais il ne me plaït pas, voila le mal , 8c le Confeiller me plaït davantage. Je crois pourtant que cela ne pourra nuire a mes -affaires, que le Confeiller fache qu'un Marquis m'a fait des propositions de mariage j & c'eft pour cela que j'ai mieux recu ce Galant que les Autres. Voici la première de ces deux nouvellês Lettres : jy me Lettre du Marquis de-**¥. Vo 17 S étes charmante , Mademoifelle ï je vous 1'ai déja écrit plus d'une fois , & mes regards vous l'ont dit plus de cent : mais vous paraijfe^ ne pas faire attention d ce langaje éloquent : il faut vous en-parler unautre. Je vous ai marqué que j'étais riche ; aue je fuis de condilion ; je vais aujourd'hui Jisner cette Lettre de mon vrai nom. Je vous adore , & je vous propose tel arrangement que vous voudre^ ; il n'en-efl point que je •tie tienne , pourvu qu'il vous rende riche & Aeureusc. Vqus me paraijje^ de l'honnê'ttt  Partie II. 187 bourgeoisie , malgré Vair extraordinaire de votre Gouvernante , Mère , Tante , ou Bi~ sayeule , je ne fais lequel : mais fi vous ckerche^ une fituation honnéte, elle ejl trouvée; je fuis d vous , & vous poure^ difposer de Votre dévouê ferviteur , Le Marquis de *** y me Lettre. MaDEMOISEZIE : Le premier Billet que j'ai pris la liberté de vous écrire , ejlfi heureusement parvenu entre vos mains , que j'attendais une Réponfe : mais votre filence , & de plus exacles obfervations qu'il a occafionnées , m'ont fait comprendre , que je m'étais mépris , non d mes fentimens , qui feront éterne/s, mais dans l'idée que j'avais prife de vous , par vos alentours : Je ferais au-dèsefpoir , Mademoiselle', de tendre des piéges d la vertu d'une Jeune-perfonne honnéte , & digne de la plushaute confidération , telle que vous étes en-ejftt: ce qui doit naturellernent resulter de la découverte que j'ai faite , c'efl, non d'éteindre mon. amour , mais de règler mes fentimens. Je vous offre un mariage fecret, d-cause de ma Familie , mais cimentépar tout ce que pourront nous dicler des Perfones prudentes & desintérejfées. Je n'af pi re , Mademoiselle , qu'a vous donner un titre dont vous étes digne . & fi vous mepermette[ un moment d'entretien avec vous , ou avec Quelqu'un dans qui vous ayie^ confiance , je dètailkrai le refte des arrangemens ; fur-tout O*  1 SS Paysake perverti f. ta manïère dont je me propose de découvrir a mtt Familie un mariage, qu'eile ne m'aura pasprocuré. Je fuis en - attendant Fhonneur d'une: Réponfe , tres - refpechieufement , Mademoifelle,. Votre trls-humble , &c.a' Voici ma Réponfe ala fëconde.de ces deux: Lettres: Monsieur : L'honnêteté' de votre fecond' Sillet , me détermine a y répondre non pour accepter votre proposition , ce qui ferait trophardi pour une Fille de mon dge , & dans la. position ou je me trouve ; mais feulement pour vous remercter del'hormeur que vousmefaitesz je fais , Monfieur , que votre proposition ne peut avoir été- détcrminée que par des fentimens très^ honorables pour moi: Cependant, j ene pui s que vous en-témoigner une jlérile reconr.aiffance ,. attendu que ma Familie a des vues pour mon étabVjfèment, qui font iris-avantageuses. J'ai cru devoir cette Réponfe d un Homme de votnenaijfance & de votre mérite , qui penfe d moi, pour que vous ne prenie^plus.despeines inutiles*. Je fuis avec une parfaite confidéraüon ,. Mewjieur , Votre tris-humble> Ursuiu K*** Le lendemain du fecond Billet , ayant aptrcu a-cotéde moi s leg;ise le Laquaisqai me 1'avait glilfé , je 1'ai regardé un-infiaus.>  Partie II. 189 pour lui faire-entendreque jelereconnaiffais> & tirant auffitöt mon mouchoir , ma Réponfe eft tombée devant lui. Comme ede était cachétée , il a compris ce que c'était; il 1'a ramaftée très-adroitement, & f'eft dérobé. Un-inftant après en-levant les ieux de fur mon Livre , j'ai vu le Marquis devant moi. Il m'a fait a la dérobée, un rrgard fuppliant, auquel j'ai répondu par une légère inc'.ination, qui a paru le comblcr de joie. Les choses enfont la. Il parait que 1'Amant de m.me Parangon , Celui dont je t'ai rapporté la Lettre , a auffi recu quelques éclairc-fflmers bifcornus ; car ne pouvant réüilir pour 1'Ainée , il f'eft proposé pour la Cadette , avec de mag^-fiques propofitions. Il eft vrai que Fanchette devient de jour en-jour plus charmante , & je ne fuis pas ftirpiise de cette Conquête. Il a écrit a fa Sceur, t* a elk-même. Fanchette fe fentant donner un Bill.t. m'a dit tout-bas: — On fe trompe ; je crois que ca te regarde , car je m'apercois qu'on t'cn donne de temps-entemps-. J'ai prodigi' usement rougi , moi qui me croyr.is li füre de n'être pas vue dans mes petitsarrangemens! Si Fanchette ntavak rerr.is le Bil'et, certainer ent je le déchirais; mais elk 1'a gaidé. Lorfque nous avons été a la maison , elle m'a dit: — Voi ce qu'on t'écnt : je ne fuis pus curieuse , & je ne d*mande a rien f.voir. — Qui te dit que c'eft poi'r mo; ? —Mais, jé~t*èn-ai vu do. ner la Réponfe en-tirant ton mouchoir... MarsÜ5  Ï5>0 PA y sa ne perverti e. — Eh-mondieu! ma chère Fille, c'eft pour toi! regarde ! — Mais, oui! ah ! c'eft dróle, lisons, lisons: Lettre a m.Ue Fanchette. J'ai appris ce matin que votre charmante Soeur était mariée d un Jeune-homme trés-ai mable , & qu'eile adore, comme elle en-eft adorée. Cette découverte me détermine d m'adrejjèr d vous , jeune & charmante Perfone : je l'écris d m.m* votre Saeur , &je lui própose pour vous les mêmes conditions que pour elle. Soye^ per* fuadée que votre bonheur fera ma feule occupation , dès que j'aurai le bonheur d'avoir une Réponfe favorable. Je n'ai jamais rien vu de fi beau que vos ieux , comme je n'ai rien vu de fi voluptueus que ceux de votre Saeur : mais ily a des causes pour cela que j'ignorais : il nefaut pas troubler la félicité des cozurs qui font d'accord. Si vous étes furprise que je fois inftruit, je puis d'un mot faire cejfer votre étonnement : je connais Un de vos campatriotes , le Chevalier Gaudét-d' Ar ras, qui a une jeune & charmante Epouse , dont les attraits m'avaient d'abord fubjugué: mais les Femmes de votre pays font Ji tendres & fi fidelles , qu'en-me desefpérant par leurs rigueurs, elles me donnent la plus grande euvie d'en-trouver Une qui ait le cceur libre , & que je puijfe remplir. Je ne faurais mieux m'adreffer qu'a vous , qui étes la Sceur de l'Ami le plus intime du Chevalier : ainfi yous voyei, Madenaiselle , que ce n'eft plus  Partie II. i?r vu Inconnu qui vous écrit, £> qui vous qff're zoute fa fortune & fa Perfone. Je fuis avec refpecl, Mademoiselle , Votre, &c.a Nous n'avons pas trop compris ce que voulait dire cette fin ; car m.1!e Fanchette n'a ni Frère , ni ne connaït de Chevalier Gaudétd'Arras ; & il y a bien Chevalier: d'ailleurs, il a une jolie Femme , & cela neus empêche de conjeóturér une erreur dans le mot chevalier. Comme je ne ferme pas ma Lettre aujourd'hui , fi quelque-chose fe découvre , je 1'y ajouterai. 38 maio Depuis la date du commencement de ma Lettre , nous avons découvert, que c'était a moi , & non a m.lle Fanchette qu'on envoubit : le Monfieur m'a parlé, pour fe plaindre de ce que je ne lui fesais pas réponfe : mais je garde pour moi cette découverte , afin que ma jeune Compagne ne dise rien, en-fe croyant intéreflee pour fon compte au-filence : car j'obferve que nous avonsbeau être fages , & ne pas avoir envie de profiter de nosConquêtes, nous fommes toujours flaté'S d'en-faire, & ceia nous occupe très-agréablement. Quant au Marquis, il 3 tenté de me faire accepter quelques présens, que je n'ai eu-garde de prendre, Ah-dieu £ je n: le ferais pas , qumi j'aurais envie du mariage fecret qu'il me propose 1 Ilectvoir  ipï Paysane pervertir. d'un Homme , c'eft .me honte a laqueile je ne me fens pas difposée a defcendre jamais (i). VI.me Lettre du Mar q.u is; a Ursule , en lui envoyant un présent. MADEMOISELLE ; ExcusERBZ-roUS la médiocrité de la bagatelle que je vous envoie ? Vous étes fi belle , que vous n'ave^ pas besoin de ce qui pourrait donner plus d'éclat d vos charmes : avec la fimplicité de la Nature, ils jont tropfürs de tout foumettre : Mais, ji vous étes trop riche en- attraits , pour que eet écrin ait un prix d vos ieux , ma pajfion ejl fi. vive & ji tendre , qu'eile a besoin de ce petit foulagement. JJaigne-r donc agi éer unefaible marqué de mon dévoüment refpeclueus : elle ferait beaucoup plus-conjidérable , fi j'osais me jlater qu'eile fut acceptée : mais je ne compte que fur fi médiocrité, pour me fauver la honte d'un refus , qui me mortifierait cruellemeut ! Je fuis avec le plus profond refpecl , Maaemoiselle , Votre , &c.a J'ai renvnyé le pr'sent , qui m'avait été glifté \ 1'églisc, & j'ai eu le trrnps de dire ( i ) Helas ! hélas ! il n'y a que peu-de-temps qu elle n aurait pas voulu écrire , £i elle a écrit 1 au  Partie II. igj au Laquais, avant d'avoir lu la Lettre; Qus je ne prétendais p s mortiti.r Ion Maïtre par un refus, mais lui faire entendre que ja ne pouvais rien accepcer. J'ai gardé la Lettre trés fciemment : Auffi , lorfque le Marquis f'eft offert a ma vue, ne m'a-t-il paru qu'affiigé , mais nullement en colère. Le même jour, mon petit Pag; f'eft rrouvé tout-près de moi, comme je monnis la dernière encarroffe , Sc il m'a dit: —Je fuis Lieutenant d hiér ; je ferai mon chemin rapidement, ft vous voulez me faire feulement la promefle de m'être fidelle ? — Alez , lui ai-je dit; je vous attens lieutenant-général, Sc alors nous verrons-. J'ai laché cela pour m'en-débarralfer , & même , je 1'avoue , pour ne pas éttinrlre l'envie de bien-faire dans un jcme Genti.homme : Il 1'a pris au-frieus ; il a baifé ma robe , comme j'entrah dans la voiture, Sc je I ai vu très-fuiffait, J'en fuischarmée ; avant qu'il en-foit la , il m'aura oubiiée, Sc je ne lui aurai pas fait un refus tropdur : car je n'a.me causer de peine a Perfone. Je ne te dirai rien de mes autres Amans, pas m5mï de mon Financier , tout risible qu'il eft. Mais je t'avouerai que j'ai couié une partie de ta Letire pourmontrer a d:fférentes Pi rfones d'ici les amour de notre bonne Sceur Brigitte: on les a trouvées plaisantes , Sc ï'o i en-a beaucoup ri ; a-l'exception de m.me Parangon , qui les a louées, avec une forte d'attendnffement. Elle m'a dit tout a 1'heure, Tome I. Partie II. R.  x 94 Paysane perver. ti e. qu'eile devait écrire a Edmond : & cetre corï^ fidence a été accompagnée d'un foupir, qui m'a fait-comprendre qu'il lui donne quelques nouveaux chagrins. J'ai témoigné de 1'inquiétude; & il m'a femb'.é , par fa réponfe , qu'Edmond contrarie encore fon plan favori, 11 faut que ce foit cette Voisine de m.me Parangon , dont tu m'as dit un mot; car pour Edmée , quoique trés aimable , m.lle Fanchette , qui la vaut aumoins pour la figure , la paffe pour la nailTance , la fortune, & toutes les autres convenances. T.-f. La triftefTe de m.me Parangon 1'engajant a fe dtffiper , je t'apprendrai que nous avons été a une belle Comédie , qui m'a fait répandre des larrres. C'eft Laure qui nous en-a donné 1'idée , en-m'offrant fa loge : Pen-ai parlé a m.me Parangon , qui a'abord r,e f'en-fouciait pas , mais qui enfuite nous a donné cette marqué de complaisance a fa Sceur & a moi. Le titre de la pièce eft la Gouvernante, &C m.me Canon la trouve bonne.  Partie II. 19 c LETTRE XXIIL a juin. Gaudét, d Edmond. { Le Corrupteur d'Edmond lui marqué ici fa coupa11e St féduétrice amitié, fur-tout vers la fin de f» Lettre. ) Er n fi n j'ai vu les rrois Gracas, qu'en-punition de leur pruderie, fans-doute, Vénus a mises fous la garde d'Aleóto. La cé:efte Parangon avait un petit air languiflant, qui la rend adorable , & ferait tourner la tête h un Anachorèce. Urfule m'a furpris; elle eft: embellie audela de toute imagination, & fa reftémblance avec toi femble f'être perfectionnée : mais til y gagnés: Je ne crois pas qu'il y ait ici un Homme bien-organisé qui puifte la voir impunémenr. Quant a m.I!e Fanchette, c'eft: une mignature, & il eft bien-fingulier, qu'un Homme qu'on a flaté de quelques efpérances , dont cette petite Divinitéeft 1'Objet, puifte porter des desirs ailleurs '. Il faut qu'il foit diablement fenfuel, & enclin aux plaisirs aótuels comme un Sauvage ! ( Cependant, f'il les aime , il fait ou les prendre : mais eet Homme-laeft un Sfinx pour moi; il me donne a-tout-moment a deyjner des énigmes , oü je ne puis rien R 1  P A Y-S A N E PERVERTI E. comprencire. ) ll parait que fi j'ai été admis dans ie fanctuaire d-s Graces, c'eft parcequ'on avait besoin de moi : on m'a fait une entiere confidence de ce que je favais déja , & j'ai eu deux heures de tête-a-tête avec Ja p.us bife Bouche & ies plus beaux Ieux du monde, ceux d'UrfuIe peut-être exceptés. J'ai répondu comme je le devait. En-conféquence , j'ai afturé la belle Pan.ngon , que 1 emploierais toute ma capacité pour vous ieryir tous-deux. En-effet, je fins ron ami, & je crois que tu me rens ia juftice de n'enpas douter : Or il eft du devoir d'un véritable Ami d'obliger par toutes fortes de moyens, Celui qu'il aime; & c'eft ce que je me propose de faire toujours pour toi, lorlque 1'occasion f'en - présentera : car on re doit pas hésiter a causer une mortifi -atjcn paffagère a fon Ami , quand elle doit eire fuivie d'un avantage réel. Jai causéuneétrange furprise aux Dames, en-p-raiffant chés elles en-habit-de-cavaiier: c'eft celui que je porte ici le plus hab:tuellement , pour éviter lefcandaie : Je me luis fait annonc r fous le nom du Chevalier Gin .ét-d Arras , qui venait de ma part. M.me Parangon ne me reconnaiftait pas : j'ai parlé , m. n rire , mes tics , tout cela ne me démafquaii point envore : je me fuis enfin exphqué. Uïfijje m'a dt. que.le m'aimait mieux comme-ca, tk n !'e Frnchette , que j era's p us jo'.i. Je fu.s fl. e e ces petits ccmpumens; cai j'ai auffi ma cuq.;uurie A  Partie IT. 197 mon Chèr, rour-'omrr.e j'ai ma phi!ofophinit a être le Roi , en-ceffant d'être luimême , & d'avoir fes propr-s per.fées , c'efta-dire !on ame : pour le corps on n'y tient pas. C'eft que ce changement lerait une véritable mort, dont r heureus ou milheuttos , nous avons tous horreur. - uffi n'aiie rien vu de plus (ot que nos lóis coatte lefuicide ; c'eft 1 acte d'un Fou , cV piétendre donntr des lois aux Fous, c'tft être fage comme eux. Si j'étais Roi, fe tuerair qui v udrait. &c il pourrait bien arriver que ces Fous. que les obftacles irritent, ne le tueraient p-.s; c'eft un eflai que je propose. L'apaihique tolérance tft une vertu fi digne del'Homme , que je voudrais qu'on 1'étendit a tout; qu'on (ouftrit puitmment , fans chagrin . fans humeur , lans eet infupportable égoïfme , qui empoisonne teut, que Chaqu'un foit heureus a fa manière ; car il eft certain , qu'en - voulant rendre heureus les Hommes , d'une manière contraire a te R 5  T5»S Paysane i-ervertii. qui leur plak j c'eft les rendre fouverainemem malheureus. Ceci faic un-peu contre moi; non pas dans ce que tuvois a-présent, mais dans ce que tu ne tarderas pas a voir. Je m'exphque donc: c'eft qu'il eft des fotises deftructives du bonheur , & qui 1'empoisonnent pour la vie ; de cei!es-la , parexemple , il faut en-préserver fes Amis, par ia pc rfuasion , par la violence, par la fourbe , par tous les moyens poftibles. Si mon Ami ctait alfés malheureus , pour qu'il lui falüt un meurtre , un viol, une incendie pour être heureus aduellement, certes je ne fouftrirais pas qu'il füt heureus dans cette manière de voir, qui empoisonnerait le refte de la vie, f'il avait 1'atrocité de fe fatiffaire. Des vceux, des engajemens éternels font du même genre. Et pourquoi fe lier irrévocablement a une Femme, par-exemple ,avant lage qui nous rend habitudinaires ? N'eftce pas de gaité-de-cceur, chercher un repentir : 11 faut laifter ces engajemens aux Automates, qui , a-la-vérké , composent lestrois-quarts du Genre-hnmain; ces Gensla , montés comme une pendule, vont machinalement pendant leur mariage , contens de retrouver chés eux une Femme qui les recoive & les héberge : c'eft moins leur Epouse que leur Hóteife & leur Nourrice, qui leur donne a manger , du plaisir & des Enfims. Mais Ceuxqui penfent, & dans qui f'eft de-bonne heure Adévelopée cette énergie , qui diftmgue 1'Ètre raisonnable de la.  Partie II. I95> Brute | il doivent fe conferver libres, 8c ne fe vendre a la fociété , pour-ainfi-dire, que lorfqu'elle les paie ce qu'ils valent. Jufqu'a ce ra >Eoeat, qu'ils vivent pour eux ; ils font les Fleurs du Genre-humain; plus ces Beurs font belles, plus elles ont droit de ne pas être utiles: ou plutót leur beauté eft leur utilité i c'eft 1'honneur qu'elles font ï 1'Efpècehumaine , qui les acquite de leur devoir focial. Auffi ai-je entendu dire a Quelqu'un qui connaiffait Voltaire , que ce Grandhomme avait cette idéé de lui-même: idéé philosophique & fublime peu-dangereuse , paree que très-peu d'Hommes ont droit de 1'avoir. Je veux te mettre au-rang de ces Hommes diftingués du Vulgaire: c'eft mon but ; voila ce que je me propose de faire de toi: Quelqu'un me demandera , D'oü-vitnt que j'ai ce but i D'oü-vient je m'attache ainfi a ton bonheur , a ta gloire , pour enf lire d pendre mon bonheur & ma gloire ? Voici ma réponfe. Je t'aime. Mais les Ames de boue qui m'interrogeut , ne connailfenc fans-doute pas 1'amitié. Eh-bien, j'ai un iyftême, & je veux le prouver. Quel eftil , me dira-t-on ? Que fans tous les impuiffans étais que d'imbéciies Moraliftes ont prétendu donner a la vertu , on peut la pratiquer ; qu'eile peut fublifter avec tous les plaisirs , fi-fort-prohibés par toutes les feótes philosophiques & n-iigieuses: Je veux montrer , que rooi, audelfus de tous les préjugés, je' fui&j en-d-pit Ülldveüus, l'orade R 4  aco Paysane pervertie. nouveau de nos Phüofophês, un Ami fur ; dt sintert ffé ; que je pratique tous ces rcles avec le quels les préttndus Wrtueos ont jeté de la pouilïère aux ieux du Genre-hu -nain , d une manière plus-parfaite qu'eux. Je t'ai trouvé : Je me fuis dit, Voila 1'Homme qu'il me faut pour être mon Omar. Je n en-, ferai pas un Enthousiafte , mais il ferait propre a 1'être ; & je veux qu'il r.e foit que raisonnable : je Yéprendrai de 1'amour de h raifon ; je lui monrrerai qu'elie eft feule le guide a fuivre ; je foulerai aux piéds le préjugé devant lui , & quand j'aurai tout fait , je lui dirai : — Jouis , tu as une an e fnte pour jouir ; ma jouiftance a moi, c'eft de voir la rienne-. Et il jouiia. II me falait une ame fenlible ; je te 1'ai trouvée : li me faiaic cependanc un Efprit tellement entiché des piéjugés, qu'ils fuftVnt une feconde nature : tu avais ces préjugés-la. Y en-eut-il jamais de plus ridicules que les tiens au-fujet des Femmes ? & lorfque pour t'agguerrir , je prêtai les mains au projet de Parangon, ne m'étais-je pas reservé un rnoyen de calfation ? 11 était excellent, Sc j'aurais bien-fu tourner ton bonhomme de Père, fi la mort n'était venue, ou fi la néceffité 1'avait exigé. Je te 1'ai déja dit, je te le répète ; les Femmes font une monnaie, qui doit paffer de main-en-main : fi la monnaie f'use , fi 1'empreinte f'eftace , tantpis pour elle ; nous n'y perdons pas un fou ; nous la changeons. Va , mon Ami , fans  Partie II. 201 moi, tu érais enterré longtemps avant d'avoir rer.du ia ne! ik. la Baron ( 1) ; voila ma recette: a tous us btuux fentimens pour tes belles Ig orai ces , t'-s r-f ects pour tes Parangp-. res, je dirai toujours, Recipe la Baron; & en-cas cie-pis r^. GaüdÉt. A-propos, j'ai tr mve le lecret d'enrKanter Al cto- Canon , pour la f .ire al r avec Urfule & ies deux autres Gra es aux Italieus, 1'on dom it 1'Ik-des-Fous , pièces pii il y a du rar..ctère. La femaine c'auparavant, je les avais attirées aux Francais , perfuadé qu'un fermon du R.-P. lachaujfée , intnuié IaGouvernante , apprivoiseiait avec le Théatre Altdo-Canon. C'tlt un point important, que ta Sceur voye nos fpeótacles! ils la rendront moins begueu'.e. Adieu, mon chèr Edmond. J'ai le fcalpel en mam ; je vais talier, couper , trancher jufqu'au yif: ma Divinité l'ordonne , je -e lui desobéis jamais. Tout a toi. ( 1 ) Au fujet de cette Fille , voyez le PAYSAK, 3T. II, au commencement du vol.  aoz Paysane perverti e. LETTRE XXIV. 25 juin. U r s u z e , d Fanchon. ( La voici qui montre de l'arabition. ) T -* L y auroït tant de nouvellês a t'apprendre ma Bonne-amie-fceur, que fi je vouIais dire tout ce qui regarde les Autres, apeine trouverais - je la place de mettre un rnot de ce qui me concerne en-particulier: J'ai ecrit a Edmond, pour lui annoncer le retour de m Parangon : je présume que vous avez vu cette Lettre, & je ne la copierai pas (r) : m.'k Fanchette f'y joint a moi; c'eft une finefle de ma part; car je me doutais déja de ce qui n'eft plus un myftère : Edmond fongeait férieusement a Edmée. Convenons que ce chèr Frère eft encore bonace , aumoins dans fes inclinations amourcufes : je me fens, moi, plus ambitieuse , & plus capable de facrifier mes goüts a la fortune... peut- être parce-qu'ils ne font pas encore bien-vif. Ma charmante Amie eft partie enfin : oh ï ( 1 ) Elle fe trouve dans la LXXVUI.me dn Paysan, r. II.  Partie II. 203 je 1'adore Celle-l\, fans politique , toutcomme je t'aime , ma chère Fanchon. Mon Frère m'a écrit fon heureuse arrivée : cette Lettre-la eft charmante , & je vais te la mettre ici tout-au-long; tu verras par la mille-choses que je répéterais mal (1). . . Il faut avouer que m.me Parangon eft paffionnément aimée de mon Frère ; & je ne faurais leur faire un crime de leur mutuel attachement; il eft fi-bien règlé , dans fon excès même , que 1'exemple ne peur. que m'en-être avantageus. Voila donc tout le monde encore une-fois content ! Je ie fuis en mon particulier , au-dela de toute expreffion , de 1'heureuse idéé qui eft venue a Edmond , de procurer a deux de nos Frères de meilleurs Paitis qu'ils n'auraient pu en-trouver dans le pays ; cac tous n'auraient pas eu te même bonheur que ton Mari, ma chère Fanrhon. Peut-être cependant cette alliance pourrair.-elle porter quelqu'ombrage au Confeiller : mais je m'eninquiette peu , & je voudr^s qu'il en-prït de 1'humeur , je lui ferais voir , que je ne fuis pas au-dépourvu. Cir, ma très-chère Sceur , j'épiouve une grande perplexité ! Ce m.r le Marquis continue a me faire fa cour ; & je ne faurais m'empêcher de (1) C'eft la LXXIX. du Paysan , T. II, (Quoi- que les renvois fuient toujours fatiguans , il faut fe rappeler que le présent Ouvrage coropiette 1'autre. )  4o4 Paysane khvertie. reconnaïtre , que pour un Homme de fa iorte, il ie comporte envers moi , d'une manière tnen - refpeéhieuse ! C'eft de lui qu'eft i'oftre obiigeante dont il eft qucftion a Ja hn de la Lettre de mon Frère , que je tenyoie, Il f'eft trés-bien comporté en-cette occasion (i). J'étais d'?bord toute honteuse de ce qu'il en-était témoin < mais enfuke, J en_ai eté charmée , il auia vu par-la , qu'il n tft pas le feu! de fon avis. Nous av ns vu m.r Gaudét : il m'a dit a-Ia-derohée beaucoup de choses giacieuses, , i!.pa"It 9,le c'eft ,ui ie fait appeler Je Chevalier Gaudét-d'Arras : Il eft fortken fous ce déguisement, qui ne parait nas extraordinaire ici , oü 1'on fait qu ii f'eft tait feculariser. Il faut en-exceprer m me Canon, qui a fulminé. 11 m'a exhortée a ionger a la fortune : » — Elle ne fe pré» lente a vous , Mademoiselle , que de la « manière qui convient a une Jeune-perfone » auflï vertueuse qu'eile eft belle; j'en-fais » queique-chose , & je m'intérefle méme » pour un de vos Prttendans: mais de tous " [e,s Pa.rtIS ' ie nepouse que le votre ; pré» ferez le plus-avantageus, fans égard a la » recommandation -». Voila fes propres paroles II eft inftruit de la recherche du Confeiller ; il m'en-a parlé a mots-couverts; & moi, je lui ai glifte deux mots au fujet , ^ '2 £'eft ''?ffre de fon carroffe après la fcène des Tudenes. Voyez T. II, du Païsan.  Partie II. i — Ca n'eft pas ca , ma Bonne-amie ! mais c'eft que je veux te faire entendre , que pour nons-autres , ces deux Frères-la valent mieux que Celui d'ici : voila tout : Edmond eft trop monfieur, 8c j'aimerais mieux , dixfois , fi j'érais a ta place , m.1 Bertrand que m.r Edmond. Voi comme il eft doux 8c modefte ! Dame ! c'eft qu'Ca n'a pas de faquinerie I ■—J? ne crois pas que fon Fiére S 3,  Ui PAYSANE P-ERVER.TIF.' d'ici en-ait! —Je n' dis pas tout-a-fanr ca : mais pourtant Ka-ais qu'il en-a un tant-fait-peu !. mais ca n'eft pas faute ; car, dans c' pays-ci, ou d'vient comme les Autres enles fréquentant-. Le lendemain , les trois Frères letournèrent chés le Père-Servigné , & on paffa encore la journée enfemble ; fi-bien qu'on ala, voir une autre vigne fuperbe , &-puis dela goüter dans un jardin du faubourg a1'ombre fous les arbres du Père-Servigné.. Georget était bien-content de tout-ca , outre que Catherine lui revenait tout-a-fait ; & il aurait bien-voulu que Bertrand eut été accepté comme lui: mais Edmond les reienait, Catherine & lui, quand ils lui disaiene qu'ils falait parler. Voila comme 5a fe paffa > a cette première visite: car la troisième fête au-matin, nos Frères partirent pour f'enrevenir ici. A leur arrivée , notre Père & notre Mère, ainfi que nous-tous, qui les attendions avec ïmpatience , nous avons été bien-joyeus de les voir. Ec Georget nous a dit en-entrant : —Bonne nouvelle ! & nous venons de voir un digne Homme ; un H mme tout-comma notre bon Père: Sc je ne faurais trop dire de bien de lui, Sc de fes FiÜes, toutesdeux. fans exception, ainfi que de notre Frère , qui nous a fait plus comme a fes Enfans> que comme a des Frères-. L5-d (Uis notre Père f'eft levé, Sc a dit : —Beni-foit ÏLdaaond y Sc que fa bonté envers fes Frères.  Partie II. ii^ le recouvre un-jour, f'il fait quelque faute f je vousen-prie ,mon Dieu-! Et notre bonne Mère a dit: —Ecoutez bien , mes Enfans y la bénédiéh'on de votre Père-! Après ga , Bertrand a parlé, comme étant le cadet. Ec ïl a conté, comme Edmond les avait endoótrinés fur ce qu'ils devaient faire , leur confeillant les plus petites choses , comme les plus grandes. Et quand il a été queftion d'Edmée , il a dit a notre bonne Mère , qu'il ne pouvait bien en-faire k louange , qu'en-disant , qu'eile était la plus-aimable & revenante Fille qu'il eüt vu en-fa vie; ayant de la facon de fa Sceur Urfule , & de m.""* Parangon elle-même, fans pourtant leur reffembler: Et qu'il ne pouvait penfer comment avait pu faire fon Frère , pour fe délibérer d'un pareil amour en-fa faveur , vu que lui en-cas pareil ne le pourrait. Georget, lui, a parlé des héritages du Père-Servigné x & comme il paraifTait ikhe & a fon aise, béniffant Edmond , qui fongeait ainfi a fes Freres, & les procurait oü ce qu'il falait qu'ils fuflent procurés, puifque des Demoiselles ne leur auraient pas cqnvenu , & que pourtant ces deux Filies-la étaient auffi riches 8c aufïi grac;euses ö£ fpiruuelles que des Demoiseiles. Quinze jours par-après, ros deux Frères font encore alés voir leur' Miitrtffes. Mais & leur arrivée , il y avait bien du rabat-jois pour le pauvre Bettrand L Un riche Monfieur avait demandé Edmée ; & k Père , qui  ü4 Patsane tervertie. voyait 1'avantage de fa Fille , & qui ne favaïe iien-de-rien au-fujet de Bertrand , 1'alaic peut- être donner : mais Catherine l*en-a empêché , a-force de le prier : Edmée ellemême , qui comptait fur Edmond , fe desolait, & fesait parler fa Sceur , n'osant lien dire , que refuser avec tïmidité. La-dtffus Edmond , a qui nos Frères font venus le dire , a été trouver le Père , 8c a parlé-net pour Bertrand : Ce bon & chèr Homme a vu plus d'agrément pour fes Filles a épouser les deux Frères , & ce motif feul 1'a déterminé au refus du Monfieur. Mais dès que le Père a eu le fecret de 1'échange qu'Edmond voulait faire , il 1'a bien-vite dit a fa Fille-cadette , qui n'y comprenait rien : il a bien falu qu'Edmond lui exp'iquat tout cela ; 8c il 1'a fait. Mais quelle peine ! avec quelle adreffë il a tourné 9a ! Oh ! il a bien de 1'efprit (1)» d'après ce que nous ont conté nos Frères. Mais , il a pourtant tout arrangé le mieux du monde , Sc la pauvre Edmée mutant par la crainte de fa Sceur , que pour complaire \ fon Père , & parce-que Bertrand reffemble a Edmond qu'eile ne peut plus avoir , a confer.ti a-demi. Mais il faut tc dire a-présent, que ce beau Cavalier , qui ia demandaic, était m.r Gaudét ; & comme il ne pouvait 1'épouser , il eft en-être , qu'il ne voulait qu. Poter a ( 1 ) Voye-t ces détails dans la Lettre LXXX me du Pay sas , T. II.  Partie II, : nr Edmond , a-celle-fin de lui faire-faire un mariage plus-foitable au train-de-vie qu'il faut qu'il mène dans le monde. Edmond a fu tout-ca de fon Ami lui-même , & il nous 1'a écrit par une Lettre (1) qui vaut quasi un fermon , & oü il y a tant de choses que je ne fais pas , que je ne me trouve pas partie capable d'en-juger. Au troisième voyage de nos deux Frères , tout a été décidé : c'eft m.me Parangon ( a qui il faut apparemment que nous devions toujours), qui a parachevé de faire confentir Edmée a recevoir Bertrand comme fon Futur. Nos Frères , a leur retour ici, nous onr appris cette heureuse nouvelle , & que le jour était pris. On a donc publié les bans , & le temps arrivé, nous avons tout préparé, afin de partir pour Au**, ne devant laiffer a la mafson que Celui qui eft le plus en-état d'y remplacer tout le monde. La veille au foir , notre Père nous a lu dans la fainte Bible , 1'hiftoire du mariage d'Ifaac avec Rebecca , & de celui de Tobie avec Sarah , fille de Ragiiel, afin de donner a nos deux Frères une inftrué&on indireóte. Enfuite il f eft levé , Sc nous voyant tous autgur de lui, en-ce moment de joie, il nous a dit : — Mes chèrs Enfans, voici, je crois, d'heureus maring-s , que la bonté de Dieu nous prépare : Priez tous Dieu en-cet inftant pour Celui qui nous les a piocufés; c;.r ce pauvre ( i ) La LXXXI me du PAYSAK, T. II,  Ü6 Paysane perverti e. Sc chèr Enfant eft embarquë fur une mèr tempêtueuse , Sc battue de l'orage & des vents-. Et il f'eft mis a-genous le premier , & il a prononcé la prière : » Mondieu, qui » m'avez fait père de ces Enfants , faites » auffi, je vous fupplie, que tous & un" chaqu'un d'eux fe portent au bien envers » vous & envers le Prochain : mais, prin» cipalement, Dieu d'Abraham, difaacSc » de Jacob , jetez un ceil de clémence & de » miséricorde fur le pauvre Edmond , que f vous m'avez donné dans votre faveur Sc » bonté , pour doubiement porter mon *> nom , comme mon Fils-aïné porte dou» blement celui de mon digne Père , Sc " daignez ratifier les vceux que forment, la » face profternée, votre Serviteur, Sc toute » fa Familie, qui vous honore Sc vo'js conw nait comme ion vrai Dieu , pour Edmond » R** , expofé a la Ville aux dangers de la » féduétion du monde ; & pour Urfule " R** 3 fife de votre Serviteur Sc de votre » fervante Barbe , mon épouse, qui eft rem» plie de votre fainte crainte , Sc qui vous a » fervi tous les jours de fa vie en-humilité , » remplilfint tous fes devoirs de Femme Sc » de Mère, afin que certe chère Enfant foic » préservée des embüches du monde Sc des » Méchans: Daigr.ez , Seigneur, pareiile» ment exaucerles vceux finfcères, que font » en-union avec moi , mon Fils-aïné Pierre » R**, porte-nom de mon digne Père (le « placiez-vousdans votrefein!) Gecrge R*** C dons.  Partie II. Hf * (dont veuillez benir 1c mariage!) Bertrand ■» Rw, naïf Sc fimple comme le jeune ™ Tobie,(dont veuillez benir auffi le mariage!) Auguftin-Nicolas R**, adolefcent , Sc „ Charles R**, encore dans 1'innocence: „ Ainfi aue mes Filles, Brigitte R**, Mar» the R**, Marianne R**, Chriftine R**, Claudine R**, Elisabeth R** & Cache» rine R** ; tous vos humbles ferviteurs Sc « fervantes, qui vous prions pour notre Fils » & notre Fille, notre Frère Sc notre Sceur, » qui font a la Ville , afin que vous les pré» serviez de pécher , Sc les mainteniez dans » votre fainte crainte , Sc en-tout bien Sc » vertu envers les Hommes , jufquJau der» nier moment de leur vie. Amen-". Et f étant levé , il a fait avancer nos deux Frères deftinés au mariage , comme il avait fait a mon Mari, la veille du notre , devant le portrait de Pierre R** fon Père : Sc\\, il leur a dit: "— Mes Fils, prêts ientrer dans n le faint état de manage , rendons nos ref» peóts & devoirs a mon digne Pèie, Sc « ayonsd'abord fa bénédict-ion Puis, je » vous donne la mienne: Je les benis, Mon» dieu , de mabénédiótion parternelle; que yi votre divine Clémence Sc Majefté la rati» fie , comme elle le fait toujours a Fégard w des bons Pères Sc des bons Enfans! Amen-»% Et tous nous répétions Amen ; auqu'un de nous ne manquant de f unir de cceur Sc d'aff> étion a tout ce que fesa.it ce bon & refpectable Père-de-famille. Terne I. Tartte II. T  11$ Paysane pervertie.' Le lendemain nous fommes partis pour Au**; & ca été une des plus agréables noces qu'on puiffe voir, a commencer de Pinftant de 1'arrivée de nos Père & Mère, jufqu'au déparr. Toutes les louanges qu'on me fesait d'Edmée Sc de Catherine ne me donnaient pas d'idée de ce que j'ai vu , en-l'Une de franchise aimable , en-l'Autre de bonté , beauté , décence , douceur, & de tout ce qui eft vertu de Femme , fans en-omettre Ia momdre. Pour vous donner une idéé, trèschère Sceur , de ce mariage, & de tout ce qui f'eft paffé , tracé par une plume meilleure que la mienne , je vais vous tranferire ici la Lettre qu'Edmond a écrite a mon Mari pendant les noces ; car ce Garfon-la n'oublie rien, Sc f'ila quelquts défauts, il faut dire qu'il les rachète par bien des qualités! (i ) Voila un récit bien-agréablement circonftancié ! mais il faur y ajouter quelque-chose, que m'a dit Edmée , Sc que notre Frère ne peut ni ne doit favoir. C'eft qu'Edmée , enie donnant k Bertrand , a exigé de lui la'promeffe , qu'il confentirait a n être tout-a-faic fon Mari, que quand elle n'aurait plus de raisons a lui opposer. Et ces raisons (admire un-peu la délicateife de cette aimable Sceur! ) c'eft qu'eile aime encore Edmond , & qu'eile veut tout-a-fait 1'arracher de fon cceur , avant d'être a fon Mari comme femme; en- . C'-i^l?"5 ne rapporton» pas cette Lettrê, qns ei b XJÜÜÜIJ.mt 4» Païsan , j, ƒ/,  Partie II. 219 ■atcendant , elle n'y eft quexomme bonneamie. Je n'approuve pas abfolument ca , _& je lui en-ai die mon fentiment , qui lui a fait iraprelÊon , & elle m'a fait-dire par fa Sceur, qu'eile y penferair. Ce qui m'a portee a être fi rigoureuse en-fon endrest, c'eft une feconde Lettre d'Edmond que nous venons de recevoir , & que je ne vous envoie pas, ma chère Sceur. 15 augiifte. Je continue ma relation , pour vous dire, qua nos deux beliefceurs viennent d'arriver ici, avec leurs Maris , & qu'elles font 1'admiration de tout le Village : car Edmée eft fi •jolie , qu'eile embeHit fa fceur : & Cel!e-ci eft li entendue pour le ménage, qu'eile en-a donné des lecons. a notre pauvre Brigitte , qui en-eft toute étonnée. A Au**, c'eft la Sceur Georget ( nous 1'appelons comme ca , & Edmée la Sceur Bertrand ) c'eft la Sceur Georget qui eft la Mère : car les deux ménages n'en-font qu'un avec le Père , qui eft ■toujours chèf &c maïtre : notre digne Père a donné la-deffus fes ordres a fes deux Fils y avant de partir , d'un air & d'un ton qui ie font toujours obéir. Cela r.'était pas ditficile a 1'égard de ikrtrand , mais Georget eft unpeu têtu 5 auffi elt-ce a lui que notre Père & maitre a 'orincipalement fignifié fa volonté. En-récompenfe , il eft comme maïtre de fon Frère , &c Catherine eft comme maitrefie d'Edmée ; & les deux douces Brebtettes , Bertrand & Edmée, ne demandent pas mieux T 2  210 Paysane perverti que d'obéir, ils re requèrent que ia douceur dans le commandement. Ainfi touc va bien. Notre bonne Mère ne peut fe laffer de careffer fon Edmée; & tout-a-l'heure , la bonne & excellente Femme nous a appelées Catherine & moi: — Mes chères Brus, nous a-telle dit , pardonnez-moi fi je careffë tant votre Sceur ; mais c'eft qu'eile eft fi mignardóne, qu'on ne f'en-faurait empêcher.... EtPuis.;. c'eft... qu'eile me vient d'Edmond, qui 1'a tant aimée !... Et la chère Femme ne fe pouvait tenir; car dès qu'eile dit le nom de fon pauvre Edmond & de fa pauvre Urfule , elle les cherche d'abord des ieux , tout autour d'elle , & comme elle ne les trouve pas , on voit les larmes rouler dans fes ieux ; & tout ce qu'il y a a faire , c'eft d'en-dire tant de bien, tant de bien , qu'on les porte aux nues ; & elle fe raffeoit touc doucement en-écoutant 5a , finiffant par dire , toute-joyeuse : — N'eft-ce-pas que ga fait de beaux & bons Enfans-? On dit oui. Ec elle fe met a conter tout ce que vous avez fait de bien dans votre jeuneffe; enfuite quelqu'uns de vos petits tours , qui la font fourrire ; & nous avons foin de rompre la converfation , quand elle en-eft la : car ga finirait par vous pleurer : Ca fait une Femme fi fenfible , que depuis votre abfence , elle a besoin de toute forte de ménagemenc. Ainfi fa Bru Edmée nous fait bien du plaisir k tous , tant a-cause de fon propre mérite , qul-cause de cette bonne Mère, & nous la  Partie II. iiï esreffbns tous comme elle ; fi-bien qu'Edmée ne fait oü fe fourrer ; elle va , pour fe déiivrer de nous , auprès de fon Mari: c'efl: pis: elle va auprès de notre Père : oh-damela , Perfone n'eft fi osé que de 1'approcher. Et on voit que le Vieillard la regarde avec complaisance , ne 1'appelant que la Fille de mon Ami, & lui disant par-fois, qu'eile eft le don le plus beau que lui ait fait fon Fils Edmond. — Et nous , mon Père , a dit Catherine en-riant, & me montrant > —■ Vous , mes chères Filles J ah ! vous êtes ce dont je remercie le Ciel; car 1'Une & 1'Autre avez le mérite que j'ai toujours desiré dans Celles qui feraient mes Brus : mais il ne m'irait pas de vous louer ! ma Bru Fanchon ( que Dieu la conferve !) m'a donné tout ce qu'on peut donner a un Beaupère, le bonheur de mon Fils, & mon Porte-nom, dans mon Petitfils; que Dieu la béniffe ! mais ma bouche fe refuse a louer fon mérite, a-cause de fa pudeur & modeftie. Quant a vous, ma chère Catherine , vous êtes auffi la Fille de mon Ami, & la bonté , la joie , qui fiégent fur vos lèvres & dans les traces de votre rire , indiquent le bon & innocent cceur dont elles fortent : mais je loue Edmée , non qu'eile foit moins modefte que fon Auiée Fanchon & fon Ainée Catherine , mais elle eft a mes ieux comme les jolis Enfans, qu'on flate , qu'on careffe, & qu'on loue fans y penfer , & par la force du vrai. -— O mon Père, a dit Catherine, j'ai badi-  212 Pats ane r'RtuTiE, né (& pardon de ce que je 1'ai osé avec vous 0 car je connais votre cceur; il eft fur vos lèvres, & votre amitié pour Edmée eft toutcomme celle de notre bonne Mère , c'eft qu'eile vous vient de votre Edmond ; & je vous le pardonne; car Ca fait un Fripon qui gagne tout ie monde , & moi la première : f'il ne vaut rien , je vous en-avertis ! Ah E qu'il en-fait-long ! (Et notre bon Père a comme ri). —Pour ce qui eft de cette Sceur Urfule , dont j'entens parler ici li fouvent: Elle eft auffi jolie que ma Sceur Urfule i car voila comme on .loue Edmée s n'eft-ce pas auffi une Fine-mouche, qui aura fait lacapone auprès de fa bonne Mère, pour f'empnrer de tout fon cceur ? Mais vous êtes juftes tous-deux , & vous nous le partagez également a tous: car je fuis fure , qu'Edmée ni Urfule ne vous font pas plus chères que moi, qui fuis un-peu élruiisuse , mais qui porte le cceur fur Ia main-. Ce babil a beaucoup plu a notre Père, a qui ^ tont ce qui vient des deux Sceurs parait bon & excellent; il était touc ému de joie & de plaisir , de f'entendre parler avec cette liberté. Ainfi tu vois, ma chère Bonne-amie-fceur, que nous ne manquons pas d'agrément , depuis que nous avons ici ces deux aimables Femmes. Je te dirai que mon Fils vient a-tftfr» veilles. Edmond nous vient d'envoyer deux Enfans, qu'il me charge d'élever enfemble. J'aime ion attcudoia.. Voici ce qu'il ta%.  Partie II. ii-ï écrit a leur fujet: • I. / L'un eft un dépot qu'une Mourante m'a corifié , f'en rapportant d mon honneur & J mon humanité ; j'ai fon tien : 1'Autre eft la Fille d'une Parente d qui j'ai óté l'honneur ; je lui dois plus que fi elle était ma Fille légitime: Éleve^ , chère Sceur , ces deux Enfans > jufqu'a ce que je puiffe m'en-charger : je me propose de les unir un-jour ; c'eft ma plus chère efpérance , & le feul fujet de confolation que j'aie , lorfque je penfe d eux. L'honneur & la nature me font une loi de les aimer , & jamais , je l'efpère , je ne manquerai a l'honneur ni d la nature. Il ne m'écrit que cela ; 5c le Billet n'a nï adrefle ni iïgnature. J'ai été bien-étonnée que vous ayiez été a la Comédie , Sc que m.me Canon ellemême vous y ait ménées ! Je n'en-ai parlé a Perfone d'ici : ca aurait fait dire certaines choses que je n'aime pas a entendre. Mais prenez-garde , chère Sceur, au Monde Sc a fes pompes, a quoi vous avez renonce au batême 1 Et pardon de ce que je vous dis ca.  324 Paysane r e r v e r t i e. LETTRE XXVI. ji angufte\ U r s u i e , d Fanchon. (Elle parle imprudemment au Marquis , qui Iu£ annonce ce qu'il veut faire pour 1'avoir i lui..) T ' e s heureuses nouvellês , que tu me donnés, chère Sceur, m'ont causé la joieJa plus-vive : j'ai fenti combien je vous aimais , par 1'intérêt que j'ai pris a tout ce. qui vous regarde. Je fuis au comble de la joie, qu'Edmée foit ma beliefceur , & (Vje te le dis tout-bas) que ce n'ait pas été endevenant femme d'Edmond : je lui era-aurais un- peu voulu avec cette qualité, aulieu qu'aprésent, je n'ai rien qui m'empêche de me livrer a mes tendres fentimens pour elle & pour fa Sceur, que je te remercie de m'avoir fait connaïtre, par tes peintures naïves. Avec cette Lettre, je t'en-envoie deux autres pour les deux Sceurs : je n'ai pu les leur adreffer» n'étant pas fuffisamment inftruite de la manière de mettre Padreffe. Je t'avouerai, ma chère Bonne-amïefceur , que je commence a concevoir de grandes efpérances pour mon Frère Edmond j ou pour moi-même : Le Marquis trouve fouyent le moyen de me parler : ayec de  Partie II, u§ Vargent on fait tout , en-ce pays-ci. Hiér,il m'a juré que fi je confemais au mariage fecret, qu'il m'avait proposé, il feraitquitter la peinture a mon Frère , & lui donnerait d'abord une lieutenance dans fon Régiment , & de-la, le ferait monter rapidement au grade de Capitaine, Cette promefle m'a flatée : qu'il ferait charmant en-uniforme. Le Marquis voyant que je ne me déridait pas „ il m'a dit en-riant : — Voulez- vous donc me réduire a faire de vous une Héroïne de Roman ? a vous fiire enlever-ï J'ai répondu en riant auffi , Que c'était un röle auqtfel je ne me fentais point appelée. Tu vois que je lui parle. Envérite je n'aurais pas eu cette complaisance pour un Homme, düt-il me faire ducheffe : Mais, quand on a parlé d'illuftrer le nom de mon Père & de ma Familie, dans un Frère que j'aime fi tendrement , j'ai prêté 1'oreille , & j'emploie de petites fineffes pour me dérober a mes deux Surveillantes; car je me cache autant de Fanchette que de m.me Canon , par des motifs qui ne font pas les mêmes, comme tu pen fes. Ce n'eft pas que je ne puffe engajer Fanchette au fecret ; elle m'aime affés pour cela; mais je m'en-fais fcrupuie. SI elle eft femme de mon Frère un-jour , je veux qu'il la recoive pure , comme elle eft. fortie du fein de fa Mère (i), autant pour (i) Infortunée ! que ne te conserves-tu. dons? pure toi-mènie 1  ïlS PiYSANEP ERVERf IEÏ le corps que pour la penfée. C'eft en-alaMC leule a 1 eglise, & aux dévotions de ce pV-r" > ( & "on pas quand je vais aux ipect icles _) que je trouve moyen de parler au Marquis ; mais ce n'eft jamais que deux mots, en-paffant; je parais en-crainte, lors meme que je n'y fuis pas. Adieu , ma chère Bonne-amie-fa-ur : tu cacheteras les deux Lettres. Lettre d UnsuLe , a Catherine. Cezle-ci , ma très-chère Saeur , eft pour vous témoigner la joie que j'ai rejfentie , enapprenant le bonheur de mon Frère Georget , & qu'une auffi méritante Ferfone que vous l'étes, était entrée dans notre Familie : Perrnette{-moi de m'en-féliciter , & de me recommander d votre tendre ajfeclion de Sceur , dont je desir* ardemment que vous m'honorie^. fe fuis avec le plusfmcère attachement, ma trèschère Sceur, Votre , &c.* De la Même , i Edmée. C'est avec leplus vifemprejjkment , très2 chère Saeur , que jefaisis le premier moment ou je fuis inftruite de votre mariage avec mort Frere Bertrand, pour vous exprimer combien j'en-fuis glorieuse & fatiffaite. Je ne vous ai qu'ent revue une-fois d Au** : mais c'en-eft effes , pour que je fiche que vous étes audejfus de te-***,  ^ Paysane pertertie.' combien je m etais abusé, vous ne verrez en-moi qu'un Efclave rampant , qui ne levera fur vous fesregards chargés de honte & de douleur, qnelorfque vos ieux adoucis le lui permettront. Je fuis avec un éternel dévouement, Votre , &c.a Le Marquts de-***. LETTRE XXXIV. a6 feptembre» U r s u i e , d Laure. ( Elle crie envain au-fècours> ) A W m'adreffer , dans la firuationcruelle ou je me trouve, entre les mains d un Homme aiïes peu délicat Ah 1 je 1'abhorre ! Jufte Dieu ! qui m'aurait dit... Ma chere Parente , fi cette Lettre te parv.ient, engaje m.* Gaudét a me fecourir !. je me mem s Je fuis, k ce que je puis entrevoir , &c fi 1'Homme qui te rendra cette Lettre ne me trahit pas, rue de-la-chaujféeA,nUn> dans une maison isolée, ayant un jardin dont les maroniers font très-grands , & ou il y a des Statues , entr'autres une Venus voyantexpirer Adonis, qu'unSanslier vient de blefler, Adieu  Partie III. * LETTRE XXXV. 27 feptembre. Gaudét, è Laure. { II montre a nu fon ame , fans idéés de morale nï de frein , St. découvre a-demi qu'il eft complice du rapt! ) Edmond vient d'arriver avec m.me Parangon ; je refte avec eux tout le jour , & peut être la huit. Ne fois pas inquiète, ma Chère a beures après. Je ne voulais écrire que fur une carré , & j'alais te 1'envoyer ; mais j'ai été cbligé de les accornpagner , avant de pouvoir parler a mon Laquais. En-l'attendant , \ notre retour ici , je vais te mettre au fait de ce qui fe paffe. C'eft pour moi un fpectacle bien-fingulier, & que je puis d;re toutneuf, que celui d'une Femme vertueuse, auprès d'un Homme qui, felon elle, lui as manqué eiTencieUtment, obligée néanmoins, par la plus terrible des cataftrofes , de fufpendre & fes reproches &c fa douleur, pour Toccuper de la douleur de eet Homme, qui 1'a mise au-desefpoir. La célefte Paran-  *o Patsane perverti e. gon , a dans cela même, une grace' particuliere, & qill n'appartient qu'a el'e • C'eft un air timoré , allié a je ne fais quelle 'efpèce de founre de componótion & d'humilité tout-a-fait angehq ; elle craint de déplaire , tout en-voulant n'exciter pas de crirriinels öeurs Jetais reellement curieus de la voir, apres fon accident! Pour Edmond , il m'a rait lentir, paria manière dont il en-aait iuccombe fans cefter d'être eftimée : j ai vu dans fes regards , qu'il 1'honore autant qa auparavant la chute. La plus décente mamere pour une Femme , & la meilleure a tous egards d'accorder des faveurs, eft de ie laifter faire violence. J'imagine que eelt la qu en-eft a-présent la charmante Urluie: Je ne m'en-chagrinerais pas, ou Plutot, je t avouerai que j'en-ferais enchanté, li cela pouvait la rendrc marquise : ce ferait un millier de peines pour moi, & de difficultes pour Edmond, d'épargnées fur la route: qu il doit tenir. Mais c'eft-la ce qu'il faut favoir Ce malheureus Homme de ' lautrejour, avec fa Lettre perdue, (ou que peut-etre le Marquis n'aura pas voulu que je recuffe ) , m'aurait inftruit de ce ?Uelle Pfnfe!; Voila f,x grands jours, lans compter les nuits, qu'eile eft entre fes mains Mais j'entens la belie Parangon , qui rev.ent auprès de moi Je 1'enfrevois qui rencontre Eamond... II 9 voulu lui prendre  Partie III. W la main ; elle 1'a retirée & la voila qui lève.les ieux au ciel! Il n'y a pas de Femme au monde qui foit fi belle qu'eile 1'eft, dans cette attitude ; fi pourtant il ne faut pas en-excepter Urfule , fans-doute a- cause de la grandeur de fes ieux lis viennent. Adieu. LETTRE XXXVI. 9 oétobra. Xe Même, d la Même. (II eft toujours le même , St ne fe déguise pas aveé fa Complice. ) u r s v l e eft trouvée. Je remets a ce foir les détails. Elle était dans un véritable désefpoir. Le Marquis a rcmpli mes vues, & il n'a rien ménagé : La pauvre Fille eft.... comme la belle Parangon. Jen-fuis forttouché : mais les efpérances que je concois, me donnent d'autres idéés qui me diftraient: elle fera marquise , ou j'y perdrai tout mon repos. L'acFion eft noire : tant-mieux I 11 faudra davantage pour la laver. Heureusement la Fille eft belle; & f'il fe pouvoit.. ( car je crois qu'on n'a pas mis fa pudeur a une feule épreuve ) cela ferait bien-mieux encore. Je fais des vceux fincères , pour qu'il n'y ait rien eu de fait a-drmi. A ce foir , mon Ange.  ü Paysane perverti e. LETTRE XXXVII. 15 oéïobre. V r s it z e , au Marquis. (Hélas ! 1'honneur & la pudeur font encore toutpuiffans fur fon ame 1 ) O N veut que je vous écrive : fe Ie fai's: par dererence pour Ceux k quï je ne puis ni ne dois rien refuser s mais , commenr avrz-vous osé le dcmander ! Vous que j'abhorre & que je dois abhorrer : Vous rn avez enlevé ce que j'avais de plus-précieus -y lans certe infulte cruelle , je ferais peut-être reconnaiflante de 1'honneur que vous vouliez. me faire: a-présent, j'aimerais mieux mourir que de recevoir votre main: vous avez trouvé le fecret de me rendre indigne d'un infame RavilTeur , & je me tiens pour telle ; je ne nourrit que ma douleur & mon desefpoir. Voila tout ce que peut vous eenre, Votre infortunée Victime , Ursule R**.  Partie III. ij LETTRE XXXVIII. 18 oftohre, La Méme , d Laure. ( Elle lui fait le récit de fon malheur.) J^. pprens a connaitre les Hommes, ma Cousine; je te dois cette lecon pour tous les mouvemcns que tu t'es donnée a mon fujet : Voici une partie de ce que tu ignores : joins-y ce que tu fais, & envoie le tout a ma Bellefccur Fanchon. J'étais dans un ttouble inexprimable , causé par les Lettres de deux Perfones qui me font chères , lorfque m.me Canon m'apporta celle de m.r Gaudét. —Encore une Lettre, me dit-elle : cela finira fans-doute aujourd'hui ! Je lus cette Lettre , & je ne fus pas effrayée de 1'avis qu'eile contenait; je m'étais déja promis d'employer les plus grandes précautions : mais toutes mes idéés ne fe portaient que fur l'exacFitude a bienfermer la nuit les portes & ies croisées. Un inftant après vint la tienne , qui me fut donnée avec beaucoup d'humeur; ce qui fit que je la présentai a la bonne Dame, enTui disant, que la précédente contenait un pareii avis. Je la lui lemis de-même. Elle  '4 Paysane pïrvertif, fecoua la tête, & die : — Voila un fo't buiu nage ! Comme il fesait très-beau, immédiatement après le diner, m."><= Canon proposa daler prendre Pair fur le boulevard, aioutant, que nous rentrerions de bonneheure, & bien avant la nuir. Nous partïmes en-voiture afin d'arriver a la promenade lans etre lalles : comme nous montions encarrode , le Marquis nous aborda , & falua relprótueurement m.™ Canon. Il lui présentait la main pour monter ; mais elle évita de la prendre. Pour moi, j acceptai cette pohtelie, & pour déguiser un-peu Phumeur de m.me Canon , je fburis a ce Traïtre. m.u= Fanchette en-fit autant, & nous partïmes , M.^ Canon fut de trés-mauvaise humeur. Je Pen-blamais; infenfée! elle erait plus-fage que moi... Nous ne fimes que deux ou trois tours, & avant encore apercu le Marquis qui nous faluait , elle voulut f'en-revenir. Nous navions pas eu la précaution de garder notre Cocher: Nous ne trouvames point de voiture : mais le pavé etait fi net, & nous étions fi peu fatiguées d une promenade d'une demi-heure, que nous fumes charmées, Fanchette & moi, de nous en-retourner a-pied. —Nous marcherons dumoins dans les mes , me disait tout-bas ma jeune & chère Compagne, fi nous ne marchons pas au boulevard-. Nous causions enfemble, alant environ dix pas devant M.»e Canon, qui tenait le bras de la Cuisimere... Notre converfation nous in-  Partie III. iy terelTait. Je témoignais a ma jeune Amie les inquiétudes que me donnaient les deux Lettres que j'avais recues avant les vótres-, elle me répondais par fes conjetlures. N ius étions ainlï parvenues jufqu'a la rue des-Billettes , je crois, f'en-nous appercevoir du chemin , lorfque nous-nous fentimes poulfées par des Hommes-de-campagne , qui Ie batraient. m.lle Fanchette errrayée, fit un mouvement en-arrière , du cöté de m.me Canon , Sc m'abandonna au-milieu d'eux. C'était ce qu'ils demandaient: ils ne laiftèrent de libre que 1'efpace qui était entre un carrolfe &C moi : j'y ai été pour me fauver, rroyant y avoir vu Quelqu'un. C'eft alors que deux de ces Hommes m'ont enlevée de terre , &C m'ont jetée dans la voiture , en-me disant: — Entrez-la , vous nous gênez-. J'ai cru bonnement, que c'était pour fe débarralTer de mei: j'ai paru céder comme fi j'eufte été d'accord avec eux : cependant, j'ai fait un cri. Les deux Hommes font auffitót montés ap-ès mei ; car je n'ai trouvé Perfone dans la voiture ; il falait qu'on fut forti par 1'autre port'.ère, qui était ou verte, nous avons roulé avec une rapidité que je n'ai jamais vue. J'ai voulu imposer a ces Scélérats par un ton de dignité : mais ils m'ont feimé la bouche a m'étouffer, r.u-point que je me fuis évanouie. Je ne fuis revenue a moimême , qu'en-defcendant de voiture, dans la cour de la maison ou 1'ón me conduisait. Je me fuis débattue, Le marquis f'eft pré»  ï6 Paysane perverti e. senté en-riant. Je 1'ai regu d'un air de courroux & de hiuteur, en lui disant: —Votre conduite eft indigne d'un Homme de votre condition , Monfieur le Marquis! —Je vous adore : pardonnez. —Je vous pardonnerai chés m.me Canon : mais ici, jamais. —Vous êtes chés votre Mari : je jure fur mon honneur , que vous n'en-fortirez que ma Femme. :—Les moyens que vous choisifFez ne vous réuffirons pas, Monfieur; jamais la violence n'a loumis le cceur d'une Femme ; le mien fur-tout fe révolte contre une entreprise auffi hardie, auffi coupable que la votre. —Mon entreprife eft criminelle , je le fais, fur-tout envers vous que j'adore : mais après 1'éclat qu'eile va faire, il ne vous refte plus qu'a vous donner a moi. —'Jamais, Monfieur! c'eft mon dernier mot-. Il f'eft mis a mes genous; je 1'ai repoufïé. J'ai voulu fortir. On m'a emportée dans une pièce éclairée par des bougies. L'excè? de ma douleur, & la frayeur oü j'étais, m'ont causé un long évanouiflément ; & le Marquis a eu la baffeffe &c 1'indignité... En-revenant a moi , je me fuis trouvée dans les bras de eet Homme odieus, qui me traitait comme la dernière des Créatures. Mes forces m'ont eHcore abandonnée ; car je voulais lui arracher les ieux. Je ne fais comme font les autres Hommes, mais fils agilfent tous comme le Marquis... II appelait fes attentats des hommages; je 1'entendais, fans avoir la force de parler , Sc ce Malheureus fouiliait toutes les parties de mon  Partiê III. 17 corps , par ces criminels hommages. Je fuis reftée mourante. Il f'en-eft enfin appercu a n'en-pouvoir plus douter ; car je penfe qu'auparavant il n'en croyaic rien. Il a été oHigé d'avoir recours a deux Femmes a lui. Elles l'ont effrayé fans-doute par ce qu'elles lui ont dit de ma fituation. Il a envoyé chercher un Médeein , qu'on a conduit jufqu'auprès de moi les ieux bandés» J'ai entendu qu'il disait : — Du repos ; calmer fon efprit, ou je ne répons pas de fa vie-. Je n'ai plus vu alors que des Femmes autour de moi, & peu-a-peu j'ai repris mes> fens. Le lendemain-matin , je n'avais encore rien pris depuis la veille : les deux Femmes m'ont preffée d'avaler quelques cordiaux , «Sc du confommé. Je refusais. Elles ont ie- giné de me menacer de faire entrer le Marquis, & j'ai pris tout ce qu'eile' ónt voulu. Je me fuis peu-a-peu fortifiée pendant deux jours, fans voir mon cru i Raviffeur.. On me présenta une Lettre d- lui le fecond ou le troifième jour , &■ on me fit entendre qu'il falait ab^olument la lire : J'obéi entremblant: mais je ne pus trouver la force de faire une réponfe, qu'on exigeait. Ofs me laiffa tranquile; cV moi-même je contribuais a me tranquiliser , en-fongeant que lai maladie m'ötanr ce qui pouvait exeiter fa* paffion du Marquis, je n'en-avais- plus fiers a redouter! mais je me trompais.. Dés qu'il crut 1 d-même ne plus avoir a eraindie pous' Tams IL Partie IXL li  J§ Pavsanepeb.ver.tie. ma vie , il me fit donner un - foir une potion calmante , disait - il!, qui me procura un profond fommeil , dont il abusa : Je m'éveillai dans fes bras , & f'il faut 1'avouer, mesfens d'accord avec lui... Cette circonftance ne fitqu'augmenter mon desefpoir. Je 1'accablai de reproches ; je voulus attenter a ma vie , a la fienne; fes foumiffions ne fesaient que m'irriter, & me mettre en-fureur. 11 fJéloigna : les Femmes revinrent, & me tinrent les propos les plus-finguliers , par leur erTronterie. Les Infames me félicitaient. Je gardai un filence de mépris öc d'indignation. Enfin , le Marquis voyant qu'après fon nouvel attentat , il y avait deux jours que je n'avais pris de nourriture , il me fit offrir la liberté , fi je voulais avaler quelque chose : je me laiflai gagner : je pris avec indifference , ce qu'on me donna ; j'aurais fu que c'était du poison , que je l'aurais pris demême. Je fit fommer le Marquis de me tenir fa promeffe. Il vint lui-même me dire qu'il y confimtait : qu'on alait m'habiller. Mais hélas ! je n'eus pas la force de me remuer, & on me fit resoudre a me laifTer fortifier durant quelques jours. Je demandai jn.^e Fanchette, ou toi, ma Cousine. Le Marquis me représenta que c'aurait été le perdre, que de divuiguer un pareil fecret. 11 exigea en-même temps de ma paroled'honneur, que jamais je ne porterais de plainte contre lui: Je répondis, qu'il mavak  'Partie III. 19 oté 1'honneur. Il infifta. Je promis tout ce qu'il voulut. Mais j'eus enfuite continuellement a me défendre de fes entrepiises, & il me fit des trahisons de plus d'une efpece. Je me rétablis enfin , afTés pour me lever; & le Marquis , aulieu de tenir fa parole , alait fans-doute recommencer fes attentats, quand un foir , j'entendis beaucoup de bruit a la porte de ma chambre. Mes deux Geor lières alèrent voir ce que c'était. Au même inftant oü elles ouvrirent la porte, je vis mon Frère fe précipiter dans la chambre , i'ceuil égané. ll m'apercut, & vint fe jeter dans mes bras. ■—Ah ! mon chèr Edmond 1 Je ne dis que ce mot, & je m'évanouis.... En revenant a moi-même, je vis m.r Gaudéc & m.me Canon : on me donna tous les ferours qu'exigtait mon état, & on attendic que je fufie remise cie eet affiut, pour me tranfoorter. Je n'avouai mon malheur a mon Frère, qu'a mon arrivée chés m.me Canon. O Dieu ! quelle fureur ! II me repouffa de fes bras ! un-inftant après , il vint fur moi fondant en-larmes : La fureur recommencait bientót: II fit le rerment de me venger, düt-il y périr... Ah ! puille-t-il ne me pas venger ! Voila ma trifte avanjure ! Elle ne fait pas honneur aux fi-ntimens du Marquis de-*** ! Adieu, ma Cousine. Cr ans tous les Hommes : j'aurais juré que le Marquis était honnéte. B z  20 Patsanh perverti e. LETTRE XXXIX. 20. ociobre. G a v d E T , a Edmond. ("II le veut calmer par le récit des arrangement avantageus qu'il a faits pour Urfule. ) D U calme ! de la tranquilité ! Tu ne m'écoutes pas; tu me liras peut-être ! A quoi flrvent les menaces , 1'emportement, la fureur ï Je fuis de fens-froid , je vois mieux les choses qu'un Homme hors de lui-même. Cette avanture eft malheureuse; mais 1'ilTue en-peut être ta fortune & celle de ta Sceur, fans que 1'honneur de"cette Dernière y perde rien : c'rft a quoi je travaille : tout eft conclu. Jfai droit d'exiger quelque complaisance de ta part: c'eft moifeul qui ai découver: ta Sceur , par mes foins infatigables, en-fesasit fuivre en mêmetemps les démarches de trois Hommes que je foupconnais, un Financier , un vieux Seigneur it.dien , & le Marquis. Que mon zèle aumoins me donne quelqu'empire fur ton efprit , & que le fuccès de mes démarches t'infpire quelque reconnaififince-! Hiér, j'ai vu la Familie duüarquis, 3c  Partie III. 2 r muni d'une Lettre affés longue d'Urfule a Laure , j'ai parlé comme peut le faire a des Coupables, un Homme qui tient la preuve du crime ; comme le doit 1'Amï des Offenfés. On 1'a pris fur un ton de hauteur. Je me fuis concentré ; j'ai gardé deux minutcs ce teirible filence qui précède 1'éruption enflamée des palTions, & comme un-autre Flaminius, j'ai dit : —Je ne vous donne qu^un qu^rt-d'heure , rous-puiffans que vous étes, qu'un quar-d'heuie , pour m'accorder tout ce que je vais vous demander : après eet inftant fatal expiré , je n'écoute plus rien, & vous verrez a quel Homme vous avez a f. ire. ( On a. fouri e'édaigneusementj... C'eft ï Celui qui f'eft fait donner les ordres pour rrprcndre la Demoiselle . qui pouvait les étendre jufqu'au Marqu-s, & qui cependant lui a fait grace... Je vous préviens d'avance que je n\ xige pas un mariage ; c'eft a 1'Honneur \ vous dire la detTi s ce que vous avez afaire-. Ces derniers mots ont révtillé 1'attcrrtion. Le Comte m'a dit : ■—Que demaudez-vous donc; —Une fortune pour la Demoiselle, qui la dédommage d'un mariaj e qu'on était prêt si faire , & dont j'ai toutes les pre; ves : 1.: jeune Magiftrat de province qu'eif' alait épr . ser , a cent-milie ecus aumoifts; il me faut un don pareil pour la Demoiselle , afin qu'eile puifte vivre dans 1'indépendarce le refte de fes jours,. £ elle veut, & que la connaiflance de vot;c;  ïi Paysane tervirtie. Fils ne la retienne pas dans un état audeflous de celui qu'eile aurait eu. C'eft bien-affés qu'il 1'empêche d'obtenir la qualité d'épouse d'un honnêce-Homme , celle de Mère defamille, fans que fon action la condamne encore a vivre dans 1'indigence , fi'le , & déshonorée ,... pent - être enceinte : car , voici la conduite du Marquis... Trois attentats commis,... & un dont on ne parle pas... La conduite d'un Forcéné... Parlez, ou j'imprime cette Lettre , avec des notes de ma facon ; je ne m'en-tiens pas-la ; je fais agir des Amis auffi puiffants que Vous & que les Vótres, aupiè; d'un Prince proteébeur des Innocens & veng: urdes crimes... Mais, je fens que je me fuis peut-être tropvivement exprimé , en-pa;lant a des Gens- d'honneur Ma demande eft jufte : Je préfere de vous avoir pour Juges, a vous avoir pour P.-rties. Je ne fuis cependant autorisé par Perfone : Ses Parens font au-desefpoir ; un Frère qui eft ici, ne refpire que le fang & la vengeance : mais terminons, & mon meilleur moyen auprès de ces Gens-Pa , fera notre traité : il le faut éblóuiflant pour la Familie ; il faut qu'il la détermine a intimer fes ordresau Fils: Ce Jeune-h^rnme, plein de cceur, de la plus heur- use figure , propre a tout, trouverait des Proteótcurs, & furtout des Protecfrices : j'ose vous inviter a le prévenir : Il n'y a point ici de honte : réparer un crime honore le Réparateur , prefqu'aatant que l:s plus fublimes vertus-..,  Partie III. 2$ i—Monfieur, a dit le Comte , après avoir lu ia Lettre d'UrfuL, fi j'avais deux Fils, je facrifierais Celui-ci a la vengean< f ublique : mais je n'en-ai qn'un-. Li Fam He au Comte, qui f'était aflemblée pour m'entendre , a p .ré le même langaje : 'e Marquis a elfuyé les plus cruels repro-hes. On eft enfuite convenu , qu'on m'accorderait ma demande. Je te fais grace de quelques difcuflïons , pour en-venir au fait. On m'a dicté un écrit , pour le faire figner a ta Sceur. Je 1'ai tracé de ma main , tel que le voici: " Je fouffigné , Urfule R**, fille mi» neure , agée fde dixhuit ans trois mois , » de- présent a Paris, oü ma Familie m'a » envoyée, fous les aufpices de m.me Pa» rangoa , ->mie demadire Familie , & fous » la conduite de la refpeóiable Dame Canon , » fa Tante, reconnais , Qu'ayant été en» levée par des Pnysans , dans la rue des» BMcttes , a Paris, jYi été heureusement » rencontrée & délsvrée par rn.rle Marquis » d , qui me trouvant évanouie &c w fans connaiffan.e , m'a conduite dans » une petite-makon a lui appartenante, du » cóté de la ChaujJee-d'Antin , oü il m'a » mise en-füreté. Qu'étant revenue a moi , » ledit fieur Marquis m'a parlé avec ref» peet , foumiffion & tendrefle ; Que fur » la demande que je lui ai faite , d'être » renaenée chés m.me Canon ; il f'eft mis » en-devoir de me fatiffaire; mais que ma  24 Paysane pervertiê, » faibleffe , causée par la frayeur , 8c par fa » fièvre qui f'était alumée , ne 1'ayant pas » permis, il a continué de me gardcr , en" ufantavec moi de la manière la p'us obli» geante : Qu'a - la - vérir> , il m'a parlé » d'amour , mais comme peut le faire un » Honnéte» homme : Que je 1'ai paisible» ment" écomé : Qu'un-jour n'ayant pas w bien-compris ce qu'il me disait, & ayant » donné une marqué d'acquiefcement , » ledit fieur Marquis trompé , penfa que *> je confentais a couronner fa tendrcffe , & » ie conduisit en-conlequence , tandiS que » moi, encore effrayée de mon enlèvement, " 8c croyant que 1'aótion du Marquis en» était une fuite , j'ai perdu 1'usage de » mes féns; fituation dont le Marquis ne » f'tft point ap.rcu.... Qu'après l'injure in" volontaire qu'il m'avait faite , le Marquis *> m'a exprimé fes regrets de Ia m.mière la » plus-vive & la plus-viaie; Que pour ré» parer, autant qu il eft en-! li , 8c qu'il » convient a un Fils de-fam!l!e encore fous » l'autorité de fes Farens, le mal que j'avais » foutfert par fon erreur , il a promis d'en~ » gajer fes Parens a me faire !e capital de » quinze-mille livres de rentes; que j'ai » promis d'a:cepter , en-lui dé'ivrant fa » présente reconnailTance, pour fervir & » valoir en toute occurrence oü elle fera » néceifaire. Fait a Paris, ce'* oétobre 17". » Approuvé l'écriture. Ursulf. R**. J'ai fait figner .etre décharge a ta Sceur.,.. coming  Partie III. zy comme une Lettre a tes Parens , oü je Ia priais de mettre fa fignature pour les tranquiliser : Elle ignoie ce qu'eile a reconnu , tk je crois qu'il eft a-propos qu'eile n'enfoit pas de-fitót inftruite. Le mal eft fait: en-exigeant un prix aufti fort , pour acheter le iilenee d'Urfule , je n'ai pas feulement en-vue de lui-faire un fort, mais de diminuer aux ieux du monde , & d'une Familie diftingnée , la diftance que ie rang & les richefles mettent entre ta Sceur & le Marquis de-*** : Cent-mille écus font une dot honnéte ; tk fi 1'attentat avait des fuites; qu'un Fils , par-exemple , vint appuyer des droits légitimes , nous pourrions prétendie un miriage : c'eft un plan que je n'aban» donne pas ; aucontraïre , toutes mes démarches , tk en-particulier celle-ci , tendent a le réaliser ( i ). Ainfi, mon Chèr , il f'agit ici d'acquiter la parole-d'honneur que je viens de donner aux Parens du Marquis, en-leur remettant la déclaration, & enrecevant d'eux , en-bons effets, la fomme convenue : Je la place fur-le-champ; paree qu'un Notaire de ma connaiflance fe trouve avoir un-fonds très-avantageus a-vendre a1'amiable: 1'acquisition produira audela de 1'intérêt ordinaire : c'eft une excellente occasion ! Les vendeurs partent pour les ( i ) Tl eft a croire qu'il avait favorisé 1'enlèvejnent dani cette vue : mais il changera d'idées > Bal)ieureusement! Tornt II. Tank IIL C  PAYSANE PERVHTIt.' Colonies , & ils font enchanrés d'emporter une lomme ronde avec eux ; cette confideration leur a fait rabbattre du prix une vingtaine de mille-francs. Ce nou vel acre vient d erre figné par Urfule , en-ma présence : ainfi tout eft fait : Je compte fur ton amsne fur quelque reconnailfance pour mes loins ; iur la coniidération de ton intérêt: ie d:s plus de ta fureté : car avec la déclaration d Urfule , la Familie , en-cas de vengeance , re perdrait furement. Je fuis, Ton fidéle Ami, \ toute épreuve. P.-/ Le Confeiller vient dJarriver : de la prudence avec eet Flomme < Mon intention eft de ménager tous les Partis, de Jes tromper Cd le faut, & de n'être utile qua toi.  Partie III. 27 LETTRE XL. 10 novembre. U r s 77 z e , d Fanchon. {Elle raconte fon malheur a ma Femme, h en. reconnait la cause : Enfuite elle met fon ame ar.u , disant ce qu'eile a tü dans la Lettre a Laure. ) C 'est entre la mort & la vie, que je t'écris, chère Scear: mais je crois pour-tan: que je fuis mieux : dumoins j'ai plu; d; :cu rage. Quel trifte fort m'attendait a Pari ! & quel a été ie terme de m:s trop-mon iaiVs efpérances ! j'ai perdu.... ce qu'on nerecouvre jamais, & j'envie le fort de ces Filles que je regardais comme bien- au d-(Tous de moi, mais qui font a-présent audelïus; elles ont 1'honnneur, & je ne 1'ai plus !.... On a beau me dire , que la violence La violence faite a Thsmar ne lui óta pas moins fa qualité de fille, & i'Infortunée paffa fes jours dans la honte & dans la douleur !... Chère Amie I je ne veux pas que tu faches mes malheurs par d'Autres que par moi; on pourrait te les affaiblir , en-te les racontant'; je veux te les peindre tels qu'ils me font arrivés. Ils font une punition du Ciel ; fi je n'avais^ pas fouri au crime , aürait-il jamais osé porter Ia main fur moi ! Tu Ie C z  *S Paysane perverti e. (ais, je ménageais le Marquis; j'ai fait Ia faute de lui répondre par écrit, de lui parler : on ne fe doute pas ici des torts que j'ai tas: mais je lts fais, moi, & ils ent toujours été 1'une des causes de mon désefpoir. Bienplus, j'étais avertie que 1'odieus Marquis devait entreprendre quelque-chose contre moi dans la journée , & mon cceur f'eft gonflé d'orgueil; j'ai eu ia vanité de me confidérer d'avance comme une Héroïne enjevée , qui n'aurait qua dire un mot, pour fe faire obéir par fon Raviffeur : Je n'ai rien craint, rien redcutée ; je me croyais trop-adorée , pour qu'on osat entreprendre que'.que-chose qui put me déplaire. J'ai été plus lom , j'aibravé un ferrement-de-cceur , que j'éprouvais depuis deux jours; & qui f'était augmenté depuis la foirée des échelles-de-corde , dont je i'ai parlé. Que je fuis punie de ma vanité fote, & de mon irnprudent orgueil! Tu vas en-juger par mon récir. Tu, fais, ma chère Sceur, que j'étais dans une lïtu3tion finguliére , lorsque je t'écrivis ma deinière Lettre, précisément la veille de mon malheur: Je ne crois pas aux préfentimens: d'ailleurs mes inquiétudes avaient pour objet deux autres Perfones , au-fujet defquelles je ne fuis guère tranquillisée: je t'endirai deux mots en-finiffanr. Nous partimes de bonne-heure pour aler a la promenade , a-cause du beau-temps: Je ne m'étais jamais fentie tant de vanité que ce jour-la ; pas un Homme qui ne f'arrêtatpour nous regarder,  Partie 11 ï. tf 'm.lle Fanchette & moi, &qui ne nousadrefsat des choses gracieuses.... J'ai payé chèr ee plaisir frivole ! Le Marquis neus fuivait, &c fans-doute il fut témoin de cette admiration qu'on nous marquait; peut-être hata-tclle 1'exécution de fon deffein , en-donnant plus d'aótivité a fa criminelle paffion.,.. A notre retour, il m'enleva. Je ne voulus ni critr , ni me défendre. Je n'avais même aucune frayeur ; mais je m'appercus bientórj que j'avais affaire a de vils Agens , qui exécutaient leurs ordres en-automates : 1'état gênant oü ils me mirent, en-me ccuvrant la bouche, & même les ieux , me fit évanouir. Je reviens a moi chés le Marquis : il fe présenta en-riant: Je le traitai comme il convenait a une Femme outragée , qui parle a un Homme dont elle fe croit la maitreffe adorée., J'exigeai qu'il punit fes Agens. Il les a effectivemer.t punis , de la manière la plus complette , a ce qu'il me parait. Mais je me fis tort par la ; il crut m'avoir fatiffaite, & lorfque j'exigeai ma liberté, je reconnus que les Hommes ne nous font pas auffi foumis , malgré leurs adulations , qu'ils tac'nent denous le perfuader ; je ne fus pas obéie a beaucoup-près! je te 1'avouerai, je m'abaiffai aux prièresles plus humbles , jufqu'a pro'mettre d'écouter fes vceux , f'il voulait me rendre a m.me Canon. Je vis dans fes ieux qu'il avait d'autres deffeins; une frayeur puéri!e, fuccéda auffitót a mon excès d'audace je m'évanouis. L'infame (■ c'eft le nom qu'tt C 3  ?o Paysane perverti e. merite), m'a die enfuite, qu'il croyait que je 1'avais fait expres. Il abusa de ma tufte fituation , pour faeisfaire fa brutslité. J'étais entre la mort & la vie ; car j'avais une conraiftance confuse de ce qui fe pafTait : je voulais m'écrier; & je fentaisque ma langue etmthée. Enfin, je repris-connaifiance. Mon pj mier mouvement fut de le déchirer: Je fis un effort qui épuisa mes forces, ou plutot qui me montra que je n'en-avais plus. Il eft impoffib'ie dexprimer h combien d indignifés je fus exposée dans cette trifte fituation: le Malheuieus agiffait comme fi j'euffè été fa Complice.... J'entenclais fes expreffions, & ma langue ne pouvait fe déiier pour le déraentir. Mais 1'excès de mon desefpoir le toucha enfin , ou le rebuta , je ne fais lequel. IJ paffa dans une-autre pièce , $c il dit ïout-haut a deux Femmes, la honte de notre fexe, qui le fervent dans fesdébauches, —. "Voyez-donc ce qu'eile a ! je crois envérité qu'eile eft réellemenc évanouie-. Elles le regardèrént en-ricannant , & elles vinrenc auprès de moi ; je les voyais , je les entende , mais jé ne pouvais leur parler. L'TJne me tata le pouls, & elle fit a 1'Autie un figne alarmant: —Elie fe meurt! ceci eft iérieus! il faut le dire a Monfieur !... Celle a qui 1'on parlait fe prie a rire , en-répondant une chose très-groffière. Elle ala tróuver le Marquis; Il revint, je crus qu'il alait infulter a mon malheur ; mais il fit un gefte de desefpoir 3 & il leur a die: — Ne négligez-  Partie 111 5* Tien ! Ah-dieu ! fi j'étais afTés malheureus pour causer fa mort, je ne me le pardonnerais pas! — Bon ! répondit la Pius-méchante des deux Femmes , c'eft une Bégueule ï eft-ce qu'on meurt de ces choses-la-! Le Marquis la fit-taire , & on me laifFa tranquiile , par 1'ordre d'un Médecin , qui ne m'aborda que les ieux bandés , je crois y mais je n'en-fuis pas abfolument füre,apré-;enr. Les Femmes me forcèrent, paf toutes fortes de moyens, a prendre ce qui m'était ordonné ; j'avais une fi grande frayeur du Marquis, que dès qu'on prononc-.it fon nom , je trelfaillais; elles f'enap;rcurent. & elles cmployèrent ce moyen , pour rn'obliger a recevoir tout ce qu'elles me presentaient; la menace de faire entrer le Marquis m'eüt fait avaler du poison. Je me remis un-peu. Lorfqu'on vit que j'avais recouvré toute ma connaiifar.ee , on me présenta une Leure du Marquis , que je rejetai avec indignation. — Lisez fa Lettre, me dit une des Femmes , ou il va paraitre lui même. Je lus donc cette odieuse Lettre , que j'ai retrouvée dans mes poches, & que je t'envoie. Lettrê du Marqttis, a Ursule. L'Amant le p!us-tendre& leplus-reftpectucus , malpré les dpp&e&c'ês contraires, obtie^dra-i-il que vous vouu. 7 te vuir un inftant Mademoiselk ?' II.ne. pittend, que vous ruffurer Jur ies iiranges idees que vous' ave^prises  }1 Paysane perverti e. de lui & de fa conduite avec vous. Votre fttuation me met au - desefpoir ; je n'aurais jamais penfe' qu'une Fille auffi raisonnable , put f'abandonner d des frayeurs , ajfés vives , pour la mettre d deux-doigts du tombeau; & comme Ji ce n'était pas ajfés de fes peines trop-réelles , les chimères de fon imagination lui en-fournijjent de plus - cruelles encore: Quoi! vous ave{ penfé..... Mais non, vous ne l'ave-7 pas cru , & les reproches que vous m'ave[faits , étaient une fuite du délire. Vous ites , Madtmoiselle , telle que vous étes entrée chés moi ; rajfurey-vous , & ne croye[ pas d des attentats qui n'ont eu de réalité que dans votre imagination. C'eft pour vous tranquiliser la-dejfus , connaiftant toute votre délicaleffe , que je prens la liberté de vous écrire : l'horreur que je vous infpire , d'après ces idéés faujfes , ces réves , que vous croye[ des réalités , m'empêche de me présenter devant vous : mais une-fois desabusée , & votre fanté ajfés fortiftée pour qu'on puiffe vous tranfporter fans danger , moi-même j'irai prendre vos ordres , pour vous remener chés votre Gouvernante , & m'exptser d tout ce que lacolère pourra lui fuggérer. Voila , Mademoiselle , votre vraie Jituation , & mes véritables difpositions. Je fuis avec tê plus profond refpecl fi" Uléévoument le plus abjolu , Votre, £'c,a  Partie III. 35 On me demandait une Réponfe a cette Lettre , ou plutöt on 1'exigeait : mais, malgré tous mes efforts , je ne pus parvenir a la commencer. J'étais abforbée dans mes réflexions , Sc ma tête encore faible , fe fatiguait a tacher dé rendre vraifemblable ce que le Marquis m'écrivait. Ne pouvant rien débrouiller , je trouvai plus court Sc plus-confolart de le croire, Sc cette crédulité me tranquilisa beauroup mieux que tout le rede. G'était fon but fans-doute. Mais l'abcminab!e Homme ne me rappelait des portes de la mort , que pour m'y faire retomber par la plus-indigne des brutalités. 11 vint me voir , Sc par les refpeds les plus afftctés > par fes regrets, par fes larmes, il me raffura davantage encore. J'alais abfolumei.t mieux le lendemain : mais le fommeil fuyait loin de mes paupières , Sc j'étais fort-agitée. II me propoia lui-mêiT.e unepotion calmante que j'acceptai. Elle me procura un profond fommeil, qui ne finit que par une fituation dans laquelle je ne m'étais jamais tröuvée, foit que ce fut 1'effet de ce qu'on m'avait fait prendre , ou qu'eile eut une toute autre cause. En-m'éveillant, le Marquis était a mon égard le plus coupable des Hommes: cependant ... je fecondais fon crime, malgré moi, comme f'il y eut dans moi une autre volonté contraire a la mienne Il a même osé depuis m'af- furer que je lui avais rendu un baiser.... Si je 1'ai fait, mon ame n'y a point eu de pait,  34 Paysane perverti e. & cetre malheureuse connivence de mes fens n'a fervi qu'a redoubler mon desefpoir, lorfque ma raison a été rcvenue. Jamais il n'y eut de fureur égale a la mienne } je voulais tuer 1'Infame ; j'aurais , je crois, attente a ma propre vie , fi j'en-avais eu la liberté. Je 1'entendais qui disait, en-fe retirant, après m'avoir laiflee entre les mains des deux Femmes: —C'eft une inconcevable Fille-! ' Ces deux Malheureuses, loin de me confoler , emrepnrent de me faire honte de mon desefpoir ; elles me raillèrent crueilement, & fi j'avais cru le Marquis capable de penfer & de parler comme elles , je ne fais ce que je férais devenue : Mais lorfque leurs propos eurent porté mon indignation au plus haut-point, & que j'eus imposé filence aux deux Créatures de la manière la plus-propre k m'en-faire obéir, un Laquais du Marquis les flt-fortir de ma chambre , & j'entendis qu'il les traitait avec une févérité réelle. Auffi ne reparurent-elles plus devant moi; deux Autres, fort-jeunes Sc très-naïves leur furent fubftituées. Malgré eet adoucilfement ( fi 1'on pouvait en-donner k des peines comme les miennes), j'envisageais ma fituation avec desefpoir ; je voyais que le Marquis avait resolu de me garder, pour aftouvir entiérement fa paffion , & paffer fucceffivement avec moi , de la violence aux foumiffions, comptant qu'enfin , je me ferais k mon foit; je pris le parti de  Partie III. 35 ne plus tien recevoir de leurs mains , qui prolongeat ma vie. On me lailïa d'«bord afTés tranquile , efpérant qu'en-ne me preffant pas, & feignant de ne pas Papercevoir de mon d'lfein , le besoin me ferait bi- mot accepter fans honte, ce que je n'ourais pas' encore refusé. Mais la journée Pétant écoulée , on marqua de 1'inquiétude : je le voyais aux mouvemens qui fe fesaienr autour de moi. Le Marquis parut enfin lui même , &c fans m'approcher de trop-près , il me pria de prendre quelque-chose. — Je ne veux rien de vous que la mort, lui dis-je ; tout autre don qui viendra de votre part m'eft odieus-. En-même-temps je fis un mouvement de desefpoir , qui 1'obligea de difparaiire. Je iefusai conftamment durant la nuit & le lendemain de prendre auqu'une rourriture. Ce fut alors qu'il m'ofTrit maliberté. Cette promefTe ébranla ma resolutiou ; je ne voulus pas avoir a me reprocher d'y „voir été; infenfible. J'acceptai quelquechose , & j; le fommai aufïitót de tenir fa parole» Mais je ne pus moi-même faire au qu'un mouvement fans m'évanouir , tant ma faibleffe était grande ! Je vis le Marquis en-larmes; il me les carhait, & ce fut ce qui me donna moins d'horreur pour lui. Je continuai de recevoir les fecours qu'on apportait a ma fituation , & je me fortifiai enquelques jours. Je fis de-nouveau prefTer le Marquis de me tenir fa parole : mais il éludait toujours fous quelque prétexte. Enfin »  %4> Paysane perverti e. un foir , il vint auprès de mon lir, & après beaucoup d'excuses & de proteftations, il me déelara qu il n 'attendait que ma convalefcence, pour me tenir fa parole, au-fujet du mariage fecret, qu'il m avait proposé i qu'il medonnerait toutes lesaffurances d'une prompte ratification. Je rejetai fon offre. 11 jura pour-lors que ma liberté dépendait de moi , mais a ce prix , & qu'il aimerait mieux me voir périr que d'abandonner fes efpérances. Il me tourmenta ; il m'effraya même par les plus-terribles menaces (dumoins dans mes idéés). Je fléchismalgré moi. Nous en-étions la (& voici un fecret que je n'ai révélé a Perfone, pas même a m.me Parangon , ni a Laure, a laquelle dans mon premier rrouble , j'ai écrit ce même récit) , quand je vis entrer un Prêtre & quatre Témoins. On effayade me lever : on y parvint, en-me foutenant, on me para même , & on me conduisit dans une chapelle , oii le Prêtre nous donna la bénédiótion des Mariés. Je dis oui, ne fachant ce que je fesais. Le Marquis paraiffait tranfporté d'autant de joie que j'avais de douleur. Je fuis revenue, & 1'on m'a remise au lit : II a paffe la journée auprès de moi , ne. fouffrant pas que je recuffe auqu'un fervice que de fa main. J'en-conviendrai , je me resignais a mon fort , & je cherchais a prendre pour un Homme que je regardais comme mon Mari, les fentimens que j'alaia  Partie II ï. 57 lui devoir. Il a pronte de ces difposidons, qu'il a devinées dans mes regards , & par un demi-fourire qui m'eft échappé fur quelque-chofe qu'il disait. Il f'eft mis a genous devant mon lit•, il a pris ma main ; il 1'a baisée la larme a 1'ceil, en - roe disant : 1—Non, belle Urfule, non , ma chère Femme, vous ne me haï'fTez pas! dites-moi, que vous ne me haïiiez pas ? — Aumoins, ai-je répondu , votre démarche d'aujourd'hui m'oblige-t-elle a étouffer la haine, £ j'en-ai eu-, 11 ne m'a répondu que par des tranfporrs, & me voyant alfés bien difposée, il f'eft mis auprès de moi, disant qu'il était mon Mari, Sc que c'était fon droit. Je me fuis trouvée hors d'état de lui resifter : qu'aunis-je dit' J'ai cédé , Sc malgré ma faiblelfe , il a falu fouffrir tout ce que eet Homme a voulu. Il m'a donc eue enfin de mon aveu... Je fentais néanmoins quelquechose qui m'inquiétait : non que je doutafie de la vérité de mon mariage , mais j'avais une inquiétude fans motif clair; je me demandais, fi ce qui venait de fe paffer était un fonge ? J'ai (oupé avec lui , avec aftes de tranquilité. Il alait fans-doute fe remettre au lit avec moi, lorfque j'ai entendu un grand bruit a la porte de ma chambre. Les deux Femmes que je croyais renvoyées par le Marquis , font venues lui dire , que c'était des Gens-armés, avec la Garde. Sans fe troubler, dumoins en-apparence, le Marquis a dit d'ouyrir : mais en-même-temps  ?S Paysane f ! r v t r t i f. 51 a difparu p?r une porte-dérobée. Lej deux Femmes ont ouvert, & fe font évadécs facilernent; parce-que mon Frère & Ceux qui 1'accompagnaient, n'ayar t d'abord fongé *lu'a nioi, ils leur en-ont laiffé teut le temps. J'ai été furprise de la conduite du Marquis, & j'attendais qu'il revïnt pour f'expiiquer. Ainfi je n'ai pas dit un mot de mon prétendu mariage , ni a mon Frère, ni a m.r Gaudét: mais ce Dernier m'ayant demandé, Si le mariage, fecret était fait ? Sur ma réponfe affirmative, il m'a recommande de garder le filence la-defius, en-me disant : —- J'ai des raisons pour croire que c'eft un faus-mariage, qui d'ailleurs ne vaudrait abfelument rien, quand c'aurait été un véritable Prêtre. Mais je m'en-informerai, & je ttendrai le Marquis par-la , mieux que fi Je mariage était valide... Je me fuis abf>lument abandonnée a la conduite de 1'Ami de mon Frère , fur-tout quand j'ai fu que c'était lui qui avait découvert ma prison , & obtenu les ordres pour m'en-tirer. Je ne te déguise rien , ma chère Sceur; mais je te demande le plus-profond fecret. Je me trouve dans une fi étrange conjonciure , que je n'ose ni parler, ni louer , ni blamer Perfone, pour que cette conduite ne fatTe pas une impreffion défavorable pour moi, je feins d'être plus abforbée que je ne la fuis, Je redoute d'ailleurs la colère d'Edmond , & les dangers oü elles peuvent 1'exposer, mCi que nos chèrs Parens , fur qui le  Partie III. jji contrecoup de fon imprudence retomberait: je lui diffimule autant qu'il eft en-moi, les torts du Marquis, & li je 1'avais pu , il aurait ignoré tout ce qui f'eft pafle dans 1'intérieur de la petite-maison. Pour m.r Gaudét, c'eft la prudence même : je fuis inftruite de toute fa conduite , parce-qu'oa en-parle a-cóté de moi, dans des temps oü Pon me croït aftoupie : elle eft tres adroite , il me dédommage aumoins par tous les moyens poffibles : car il ferait bien-honteus & bien-desefpérant de n'être revenue a Paris, que pour être la viétime d'une brutalité, fans que rien compenfat la perte irréparable que j'ai faite. J'apprens que j'ai quinzemille-livres de rente. Je n'oubiierai jamais ce fèrvice , que je dois a m.r Gaudét, & ma douleur, toute-vive qu'eile eft , ne me rend pas infenfible au bien qu'il m'a procuré. Si je m'étais vendue , & que ce fut le prix de mon innocence , j'en-aurais honte , & ni nos chèrs Parens, ni vous ne pouiriez me revoir ; mais ce ne font que des répararions trop méritées, malheureusement!... On peut d;re que eet Homme eft un Ami eftènciel: tandis que les Autres parient, il agit, & va droit au but. Car fi, desormais, je fuis réellement 1'épouse du Marquis, ou fi le Confeiller (ignorant fe qui f'eft paffe, k 1'enlèvement-près), fe détermine jamais a conclure, je crois que ma dot aidera beaucoup a les décider 1'Un & 1'Autre ! m.r Gaudét m'a fait entendre qu'il avait eu ce  4® Paysane perverti e. doublé mocif en-vue : vrai, cec Homme-la eft a tout; & f'il avait entrepris de me faire duchefte, avant mon accident, je crois qu'il y aurait aisément réüffi. C'eft ce qui fait que dans tous nos entretiens particulitrs, je recommande a mon Frère , de fe tenir attaché a m.r Gaudét, quoi qu'on lui dise : fa conduite le regarde; mais fes fervices nous obligent; il eft capable d'en-rendre de toute efpèce , &c nous lui devons infiniment de reconnaiftance le lendemain. Comme j'en-étais hiér a la page précédente de ma Lettre, j'ai recu la visite de m.r Gaudét. Mon mariage eft faus; 1'Homme-en-prêtre était un Domeftiq. du Marquis : m.r Gaudét a fait cette découverte , par le moyen des deux Jeunes-filles qu'on m'avait données en-fecond pour me fervir, quoiqu'elles ne fuflent pas du fecret ; car elles n'avaient pas vu le mariage : mais m.r Gaudét, qui avait des foupcons, leur ayant demandé tout-uniment , Lequel des Gens du Marquis était en-Prêtre , le jour de ma délivrance , elles l'ont nommé , fans connaitre le motif de ce déguisement. . une heure après. Lorfque m.r Gaudét a été parti, on m'a annoncé m.r le Confeiller. On m'a dit qu'il était déja venu plufïeurs fois. La converfation que nous avons eue eft fingulière! Après  Partie III. 4.1 Après m'avoir témoigné 1'intérêt qu'il prend a ce qui me touche , j'ai vu qu'il voulait pénétrer plus-avant avec moi, qu'il n'avaic fait avec m.me Parangon & mes autres Amis. Je me fuis trouvée très-embaffée. Mentir me répugnait; d'ailleurs le menfonge nous met toujours audeffous de Celui a qui nous mentons, füt-ce le dernier des Laquais; car nous craignons qu'il ne découvre la vérité, & qu'après avoir fu le menfonge, il ne nous méprise. Cela eft encore plus vrai d'une Fille avec fon Amant : le menfonge , dans cette pontion , eft , je crois , égal au manque de fageffe , pour la honte dont il la peut couvrir : Voici comme je me fuis tirée.. Le Confeiller, après les complimens, m'a dit : — L'état oü je vous vois, prouve que vous avez eu beaucoup a fouffrir du Marquis, Mademoiselie ? —Et de mon desefpoir , Monfieur. —Quel indigne moyen.... d'arracher des faveurs? —Ce ne font pasdes faveurs que la violence arrache. —Je le fais, Mademoiselie ; mais j'ai employé ce terme, faute d'autre: Le Marquis f'eft rendu bien-coupable ! —Audela de ce que vous pouvez imaginer , imaginer , Monfieur, & fes propos;tions de mariage-fecret n'ont pas été le moindre de fes torts. — Il employait ce moyen ? — Certainement, &c route la violence d'un Homme empoité par une" paffion criminelle ? —Et quelle reffouice: aviez-vous , contre fes attaques? —Mes* krmes , les inftances , les prières , Fetas TameJL Portie 1Ü.. D  41 PAYSANE PERVERTI!. déplorable oü je me fuis trouvée , par de iréqi eiics évanouiffemens. — Vous vous êtes. évanouie ? — Au point que deux Femmes qu'il m'avait données pour me fervir, ne pouvaient me quitter. —Elles ne vous quittaient pas ? —Non, Monfieur, ni jour nï nuit; & lorfque le Marquis venait, elles étaient toujours prêtes a venir au moindre mot. ( C'eft la vérité, mais les Malheureuses me trahilfaient.) —N'a-t-il rien osé... C'eft comme magiftrat, & comme ayant du crédit ici que je vous fait cette queftion- ? J'ai feint de me trouver-mal, en-lui répondant: — Le fouvenir des exces du Marquis... Je ne me trouve pas bien, Monfieur , fonnez.._ Il a fonné... —Cette image , ai-je repris, comme égarée, ötez-la ! —Oü ? —La aux p'éds de mon lit... Retire-toi, Monftre!.... Ne-m/approche pas-!... On eft entré. —Elle eft dans le délire-! a dit le Confeiller avec errroi. Par cette adreffe je m'en-fuis débarïafiee , ians avoir répondu a fa queftion d'une manière qui 1'éclairat, & fans avoir menti. Si pouitant un jour , il f'agiffait rééllement de mariage entre lui & moi,, je crois que je ferais le menfonge : car fa Perfone m'a toujours convenu ; &-puis , je ne pers pas de-vue 1'urilité dont cette allianceferait a notre Familie, & le relièf qu'eile sous donuerait dans le pays. Ie jour luivant;. le viens d'avoir une longue conyafatiorji  Partie III. 43 avec m.nie Parangon. O ! ma chère Sceur! que de fecrcts elle m'a dévoilés ! Ils (ont tels que je ne lui ai rien caché non plus: je lui ai ouvert mo> cceur domme a toi-même.. Je vais feulement te rendre-compte de ce qui la concerne. E-tle croit que ce qui vient de m'arriver eft une jufte punition du Ciel , dont elle f'a-cuse the-même d'être 1'auteur, ainfi que mon Frère : 'c'eft fondante en larmes qu'eile f'eft chargée de tout mon malheur. Hélas! je fuis plus coupable qu'eile ( (i Quelqu'un 1'eft , outre le Marquis ) ! & mon or- gueil a fait bieo-plüs que toutes les fautes étrangères! Je ne t'ai rien déguisé , & tu as vu que je n'ai pas toujours été prudente... La vanité eft présomptueuse, & quand le Vice eft le gardien de la Vertu , il eft aisé d'endormir la Sentinelle. Elle eft groffé..... Mais de Qui ?... oh ! ma Chère !... 1'oseraife dire ? d'Edmond !... Elie a fubi le même traitement que moi la violence.... Mon Frère !... ma chère Fanchon ! Ah! tous les Hommes fe reffemblent ! Edmond f'être porté a eet excès , avec unc Femme.... Ia. Sceur de fa Prétendue Voici le récit de cette vertueuse Dame; car elle 1'eft pluss que jamais: * f- yy—Ma chère Urfule : Je vois darts tour ce qui vous eft arrivé , beaucoup plus loiiï «iue vous& que tout Ie monde r non queD i  44 Paysane pervesïie, ï'aie plus de pénétration ; mais je fuis plusinftruite. Eft - il pofïible , ma. chère Fille , que tu fois la vidtime des fautes d'Autrui!..... Mais Dieu eft jufte ; il nous punit par des vues profondes , convenables a fa divine fagelfe , tk toujours de-manière , que fi nous favions tirer avantage de la punition, elle nous ferait profitable par fes effets Ma chère Urfule.... je fuis fans-doute la cause deton malheur , ou dumoins, je partage cette- funefte influenee avec Edmond Nous fommes, lui & moi, les plus viles des Créa- t.ures Je nourris depuis long-temps un panchant criminel pour ton Frère..... O mon Amie ! je puis te faire cetaveu aujourd'hui, que ton accident te met hors des atteintes de la féduófion Ce n'eft pas que je me fois ,, avant notre faute , avoué jamais ce penchant coupable ; aucotTtraire, je me le déguisais, de toutes les manières, tk lorfque 1'évidence fe présentait a mon efprit, je fuvais: mais je fuyais auprès de toi, tk fanslefavoir, fans, que je le fuffe bien-clairement moi-même* ta préience nourriiTait un feu que je croyais éteindre par. ton arnitié. Durant mon féjour, ici avec toi, j'ai tour-a-tour éprouvé tout ce que. 1'amour & la jaloufie ont de plus-crueL Je le deftinais a ma Sceur: rien.ne paraiifaic devoir empêcher leur union , tk cette affu-jance , objet de tous mes desirs, aulieu de combler mes vceux , me rendait jalouse de Fanchette! Jamais, jamais mon.Amie, ce: feudment.affreus n'a été.écoutc; mais je 1'a-r-  Partie 11 ï. '4$ Vais, & j'étais obligée de le combattre : un premier mouvement , dans certaines occasions , me portait a haïr ma Rivale dans Fanchette, a la lepouffer, lorfqu'elle venaic mecareffer: Mais, ma chère Urfule, c'était précisément dans ces occasions que je lui prodiguais ces careffes fi vives, qui ont fouvent excité ton admiration : je me punilfais moimême, & mon coupable cceur, en-fesant tout le contraire de ce qu'il eut desiré. » Je me laffai d'être avec vous : ma folie paffion , portée a fon comble , par la nouvelle qu'Edmond aimait une Fille pour laquelle il avait eu du goüt, ne me laiifait plus de repos: Je gagnai a ce furcroït de fupplice , il rendit mon cceur a la nature , &c je plaignis Fanchette , comme fi elle avait fenti a ma manière la perte qu'eile alait faire : tu Fas vue arrosée de mes larmes , que tu attribuais a de plus-purs motifs. Je partis. J'arrivai. Edmond vint audevant de moi: & fon premier regard , fut celui de 1'amour. On ne f'y. trompe pas, fur-tout quand on eft coupable ioi-même. Ce regard me remplit de joie. J'ofai penfer , j'osai me dire : —Je fuis aimée-. Au premier moment de liberté, il ne me laiffa plus de doute. Il m'apprit que fa paffion pour Edmée m'était immolée cfe la manière la plus-complette. Je nageai dans une forte de volupté : Je la croyais innocente ; je m'y livrai toute encière. Edmord paraiffait enivré ! que je le trouvais aimable ! li f'était formé depuis mon abfer.ce. 3 héias i  'afi PAfSAME PERVERTI E. aux dépens de fes mceurs! mais je 1'ignorais t il f'était formé ; & moi , je crus devoir quitter le ton pédagogue que j'avais toujours eu avec lui; nous-nons mimes a-l'üniffon. J'étais enchantée de retrouver dans Edmond un Homme-fait, aulieu d'un timide Protégé. J'admirai comment , f'il reprenait encore fon ancienne manière , ce n'était plus que pour m'exprimer plus-refpeótueusement des fentimens d'eftime , de reconnaiffance & d'amitié. Je me livrai avec une fécurité dangereuse , a la plus traitreflé des paffions, & je fus quelquc-temps dans la plus-douce fituation de ma vie ; car le refte en-eft empoisonné ! Jamais je n'avais été fi heureuse auparavant 1... Je ne fais fi c'était de lui-même , ou par des confeils érrangers ; mais Edmond tint une conduite très-adroite :. refpectueus en-apparence , mais tendre , il m'arrachait tous les jours de nouvellês faveurr fans que je puffe m'en-offenfer. Comment I'aurais-je fnupconné ! mon cceur, d'accord avec lui, bien loin de chercher a le trouver coupable, en-rejetait 1'idée avec horreur. Je m'accusais d'être chimérique, f'il me furvepait quelques doures. Je m'accoutumai donc infenfiblement a fa conduite , & nous étions. déja beaucoup plus-familiers qu'il ne convient \ une Femme de 1'être avec Tout autre que fon Mar,, 'orfqu'Edmond hasarda quelques libertés qui m'éclairèrent. Je les reprimai. Il fe plaignit, comme de la plus grande kijuftice j je me calmai> Il en-abusa,. C'eft b  Partie 11 ï. '47 jmrche des Hommes; ils ne reculent jamais '■ ]t 1'ai appris a mes dépens. Ne pouvant plus douter de fes vues, je 1'évitai , mais fans le haïr. Le pouvais-je , quand je portais dans mon fein le complice.... Et je 1'y porte encore : mon cceur me trahilfait !..., Il m'écrivit (()• Ma Réponfe fut, felon moi, foudroyante : Mais je n'aurais pas dü la faire , ni avouer que j'avais furpris une Lettre de ce même Gaudét que tu nommes ton Sauveur : & qui 1'eft en-effet , mais qui n'en- eft pas moins la cause première de tous nos maux : cela mettait entre Edmond & moi trop de familiarité , en-me donnantl'air d'une Femme curieuse & peut-être jalouse. Je payai chérement cette imprudence!..,. Nous nous reconciliames encore ; ma facilité a pardonner enhardifiait a m'offenfei: ou plutöt, je n'aurais|dü ni me fa.her, ni me reconcilier:: une Femme eft perdue, lorfqu'elle en-vient a ces alternatives, qui donnent également prise fur elle , en-montrant fon fort ou fon. fa ble , ce qui la flate ou ce qui lui déplait..... Un jour le plus cruel de ma vie !.... je 1'avaisd'abord cru le plus beau , mais les Hommes empoisonnent tout !.... un-jour Edmond était avec moi refpectueus s raisonnable. Nous-nous parlions comme un Frère & une Sceur , de nos projets; le plaisir que je trouvais 3 eet entretien , me dbnnait de 1'eftime ( i) La LXXXV.me , T. IT, du PAYSAN : voyeas wiffi la LXXXVIU 8» la LXXXXIX.me Lettres..  4^ Paysani hrvutie.' pour moi même, & je me complaisais a f* fentir. Infenfiblement Edmond changea de ton : je m'en-apercevais ,. mais je ne lui en- voulais pas Eh ! pouvais-j-e prévoir ! Ramenarst tout a me; idees pour ma Sceur , je foufFrais des choses plus-hardies que je n'en-avais encore rolérées. Edmond f'émancipait de-plus en-plus. Aveuglée , je nele reprimais que malgré moi, & fans-doure avec trop de molkfle. Cependant ies mains f'égaraient fur moi; elles prefTaient tout ce qu'elles' pouvaient preffer Je les arrêtai, & dans- un mouvement involontaire , non-réfléchidumoins, je ferrai dans les miennes ces mains brülantes. Ah-dieu ! quel orage j'excitai.. Edmond perdit toute retenue dans fes difcours ; il me fit des reproches ; oui, il me reprocha ma vertu ! Faible venu, hélas ï déja détruite par mes coupables complaisances !;.. Il attaqua les droits des Épous , il me montra toute la corruption de fon cceur, 8c je n'ens-fus pas effrayée ! je lui répondis avec douceur, en-raisonnant avec lur: je citai la religion , les lois; je ramenai 1 idéé de Fanchette pour qu elle me fervït de bouclier , mais je le fis trop tendrement; en-disant que je voulais être heureuse par elle, c'était avouer que j'aimais!.., je ne le fentais pas! Edmond ie fentit!... Enfin, j'eus 1'imprudence de me retranchtr derrière mon Mari! ma bouche, chafte jufqu'alors, osadirc, Voudriez-vousme paitager avec Un-autre t C'était dire, fi Ut veux, je fuis a toi..,. Je fentis que je m'égarais.i,  Partie III. 49 m'égarais; j'eus encore recours a Fanchette, a toi ; toutes-deux vous me ferv'tes ; je fis un tableau touchant de notre union future , qui charma Edmond. Il devint paisible comme un Agneau. Il fit plus, il me jura de ne me jamais montrer de coupables desirs : il me nomma fa Sceur, fa Sceur chérie (nom facré qu'il profanait! le Ciel Fen-a puni entoi , ma chère Urfule ! ) — Vous voila comme il convient , lui dis - je : vous êtes mon Frère ! vous me nommez votre Sceur; ace titre, nous pouvons nous aimer fans crime. Mon chèr Edmond, croyez moi, le crime n'eft pas la route du bonheur ; car fi j'entends bien ce que c'eft que le crime , c'eft tout ce qui eft contraire a la maxime , de ne pas faire d Autrui, ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fit : dès qu'une-fois nous avons violé cette règle , il n'y a plus rien de facré a notre égard, & tout le monde peut nous infulter avec juftice: nous fentons a quoi nous expcse le tort que nous-nous fommes donnés, & nous fouffrons de notre crainte , a-défaut du remords: Nous avons beau nous le diftimuler, crier afies haut contre les Autres, pour ne pas entendre le crï de notre propre confcience, nous retombons dans nous mêmes , nous ne pouvons nous eftimer , & nous ne fommes pas heureus; fuffions-nous des Gaudéts, nous ne faurions 1'être : Aufti voyez-vous que pour être fupportable a lui-même, votre Gaudét a des. vertus ; il f'en-donne le plus qu'il peut Torne II. Partie III. E  fO P A Y S A N E PERVERTI E, afin de tenir la balance égale , & de fe procurer autant d'eftime de lui-même , qu'il a fujet de fe mépriser en-ceitaines occafions, Combien ferait-il plus heureus, Pil n'avait que des vertus ! O mon chèr Edmond ! tachez de profiter de 1'exemple , tout-mauvais qu'il eft, de votre dangereus Ami; imitez-le en-ce point, d'être fur qu'il n'y a de bonheur que dans la vertu : lui-même , chose étrange ! ne veut que de ce bonheurla ! Obfervez qu'il ne féduirait pas une Femme-mariée , lui qui violefes autres devoirs avec une forte de frénésie. On ne faurait dire de lui, qu'il n'a rien de facré : au contraire : il refpeófce tout ce qui bouleverierait lefyflémtfocial (ce font les termes que j'ai entendus fortir de fa bouche, en-parlant a mon Mari) : Ainfi, Gaudét ne fera pas adultère , ni voleur, ni homicide , ni fainéant, ni traïtre , ni parjure a fes Amis, ni même a aucun Homme , quoiqu'il le foit a Dieu : c'eft un Être qui fut fait pour être bon , & que fon état, la compagnie de fes Semblables a perverti: Il veut vous rendre heureus a fa manière, mon Frère: M:us voyez-la , fa manière, & concluez: Gaudét fe doiane des vertus, pour fe lef er , en-quelque-forte , & compenfer le mal qu'il fait: fi je me donr.ais fes vertus, en-évitant fes vices; ne ferais-jc pas infiniment plusfage que lui ? voila , ce me fernble , une conclusion néce(faire & tiès-heuieuse ? Enfuite, vous pouvez encore tirer un parti,  Partie III. fl excellent de fa conduite : Gaudét f'abftient d'un crime, le plus-grand de tous, peutetre! Il a de bonnes raisons •, des raisons abfolument humaines ; eet Homme ne faurait en-avoir d'autres •, Gaudét eft prudent, quoique paffionné ; eet éloignement de 1'adultère , eft fondé fur 1'expérience d'Autrui, peut êcre fur la fienne propre : profitons de eet expérience , fans nous embarraftèr comment il peut 1'avoir acquise ; on peut en cela 1'imiter aveuglcment-. " Je me perdais, comme tu vois , enbeaux raisonnemens , fans faire attention , qu'Edmond f'était mis a mes genous, qu'il baisait mes mams. Ses difcours a-la-vénté, démentaient fes aótions : mais ü n'en-était pas moins paffionné. Il me nommait faSreur; il me jurait qu'il adorait Fanchette. Il me ptit u^ baiser pour elle. Je fentis bien que c'était pour moi : mais je crus qu'il ne falait pas que je fiftè fem'olant de m'en-apercevoir ; & d'un air d'aisance , de confiance , je lui rendis fon baiser , me proposant de me lever , & de nous féparer a-l'inftant.... O ma chère Urfule , ce fatal baiser a été de 1'huile jetée fur un brasier dévorant; la flame a jailli , elle m'a envelopée , confumée !... Ton Frère n'a plus été un Homme; il eft devenu comme une Bete féroce Je ne pouvais revenir de mon étonnement; a-peine j'en-croyais la réalité. Je me fuis détendue. Il m'a meurtrie. — Périr, oa vou? pofte Jer-! Les menaces, l'emportement, E z  ƒ2 Paysane perverti e. la force , la rage, voila fes moyens J'ai fénti, que plus je résifterais , plus je le rendrais forcené.... J'ai cédé , je 1'avoue , non a 1'amour , ma confcience ne me le reproche pas, mais a la rage. Satiffais-toi, penfais-je; mais de ma vie, je ne te reverrai : va, je me punirai de t'avoir enhardi-1 Il a triomphé Je ne te le dirais pas, ma chère Urfule, fans ton malheur ; mais.... je ne veux plus te rien cacher Accsblée de douleur , forcée ... je fentis que j'aimais le Coupable, & mes ïéns me trahirent comme avait déja fait mon cceur : : Tout eft pour lui ! penfai-je , dès que je pus penfer : Que refte-t il donc a la vertu : hélas! rien , que ma faib'.e raison " 11 fe mit enfuite a-mes genous; & par les expreffions les plus-tendres , mais les plus emportées. il me jurait que la jouiffance h'avait pas été fon but ; qu'il avait voulu joindre fon ame a la mienne Je ne répondais pas , oppreffêe , anéantie. Il a continué; & le Coupable a osé f'adrelfer a la Divinité même, qu'il venait d'offenfer, 8c lui demander ... de me rendre mère !..., Il eft exaucé, mais ce ne faurait être qu'un don de colère Il eft venu me prendre un baiser. Je 1'ai repoufTé de la main ; & comme fi toute résiftance était faite pour exciter les Hommes, il a renouvelé fon oftenfe, prefqu'avec autant d'emportement.... ? Ce nouvel attentat m'a cruellemenr.  Partie I li. 5frUée J'ai entendu venir Quelqu'un. Edmond f'eft caché : c'était mon Mari..... Je 1'avouerai , 1'excès de ma honte m'a fait évanouir , en-voyant 1'Offencé : Revenüe a moi-même, je ne me connaiffais plus. J'ai dit quelques extravagances, fans-doute y on m'a crue folie : Mais je n'étais qu'accablée de douleur , d'avoir perdu ...... hélas i toute la douceur de ma vie , que j'attendais dEdmond.... J'ai laifie croire de moi tout ce qu'on a voulu ; je n'ai pas été fachée d'efrrayer le Coupable , par 1'idée qu'il aurait de ma fituation; tk comme il ne feeroirait pis entendu, de lire dans fon cceur, pont voir, f'il y avait des remords. Il y en-a eu , ma chère Urfule : Il m'a juré que ;a~> mais il n'entreprendrait rien contre ma vertu-ï il en-a fait le ferment a Dieu-même. Mais j 'avais moi-même excité ces remords. Comme il me croyait en-délire; lorfqu'il venait auprès de moi, je voyait fon abatement i j'en-ai été touchée ; mais pour creujer 1'impreffion , j'arTecbais les plus-grands écartsdu ütlire. Enfuite , je lui prenais les mains ; je les baisais , je le fuppliais de m'épargser..... L'effet de ces fcènes répétées était terrible fur iui. J'y ai mis le comble , en-paraiflant recouvrer ma raison : mon premier mot a été delebannir févèrement de maprésence!... Oh ! que eet ordre m'a couté ! mais il le falait 11 ne m'a plus revue feul : mais il revenait avec tous Ceux qui entraitnt aupiès de mei, & lans oser me parler } il E J  54 Paysane tervertii. éta'it ie plus-emprefle a me rendre tous les iervices que ma fituation exigeait. » Je me fuis rétablie. Fidelle a mes resolutions, je n'ai plus fouffert qu'Edmond m'approchat, & quelque peine que me causat cette privation , elle devait être éternelle. Je voyais fa douleur, fon desefpoir. J'entendais fouvent les difcours qu'il tenait feul; il voulait me fuir, & ne le pouvait pas, f'écriait-il. J'ai cru devoir le calmer , par une Lettre que voici: » Cezle que vous ave^ji cruellement ou~ tragée , nevousévite, Edmond, ni par haine , ni par rancune : c'efl par raison & par devoir : Eile vous évitera toujours. Vous l'ave[ voulu !... fon bonheur vous était d-charge y peut-être fa vie.... La dernière échappe au danger , mais l'autre ejl perdu pour toujours, U'aggravei pas Ja peine ! c'eft l'Offenfée , qui vous prie de ne pas tant vous occuper de votre crime , que des moyens efficaces de le réparer ,■ par une conduite fans reproche ; nous-nous fommes perdus , Edmond, plus de confiance , ou il n'y a plus d'innocence, plus de douceur , plus d'amitié: tout ejl détruit , tout ejl éteint ; il ne refle plus que le viceJ'ai mérité mon fort. Mais tel ejl mon cceur , que ji je pouvais encore vous rendre Heureus par la vertu , je le ferais. Mais je fens que je ne le puisplus....^ Vous avei tout renverjé!.... vous étes le plus coupable des Hommes , &....je fuis votre Complice/...^, Edmond, voila votre crime le plus,  Partie III. grand ! Vous ave^ commis un forfait que les loix puniffent du dernier fupplice , & non-feulement , vous m'en-ave^ rendue i'objet & la viclime , mais vous ave^fait de moi votre Complice !... Ingrat, vous m'avs^ óté mon innocence , pourprix de la tendre amitiéque je vous por t ais , & que.... je ne faurais étoujfer, vous m'avex avilie au rang desplus-méprisable Créatures , en fesant retomber fur ma tête, toutes mes faible'ffes paffées !... Était - ce d Vous de m'en-punir, vous qui en-étie^l'Objet!... Mon Cousin ! jeteiun coup-d'aeil fur votre conduite ; envisage^-la defens-froid, & juge\-vous... Ne perde^ cependant pas courage : répare^ votre faute , & feconde^ mes refoiutions: Elles font de ne jamais vous voir tête-d-tête , & de vous aimer comme auparavant Bondieu ! que fats-je. Ma Lettre était commencée , pour vous parler comme le doit une Femme , que vous aver^ déshonorée & je jinis comme unejdible Amante ! Je m'en-punir ai. » Après avoir écrit cette Lettre , "'je la Jéchirai , netrouvar.t pas qu'il fut a propos de 1'envoyer : mais je ne la brülai pas, n'ayant pas en-ce moment de feu dans ma chambre, a-cause de la faison. Toinette entra , qui m'ayant diftraite par quelque-chose, me la fit-oublier. Je fortis avec elle. A. mon retour , je la cherchai, & ns la retrouvai plus. J'cnetaisdans la plus grande inquiétude , quand ayant ouvert une commode oü je ferrais mes chauflures, je trouvai deux choses qui m'éE f  r6 Pats ane pervertie, tonnèrent infiniment. C'était ma Lettre, & la Réponfe , placées dans une paire de iouliers dedroguet blanc , que j'avais le jour.... de mon malheur. Je les pris, & j'apercus en-même-temps les traces d'un égarement fougueus J i lus la Répcnfe , que Voici: Je me conforme, ma Divinité, aux ordra que vous m'ave^ donnés , & que vos ieux Ont la cruauté de me répéter chaque jour : mais dumoins , lorsque vous êtes fortie , ne peut ■ il m'être permis de venir dans le temple que vous habite^ ; Oui , j'y viens , & j'y rens hommage , d ce qui m'eft la chose la plus-facrée , après vous , votre parure elle a un charme cêlefte , qu'eile tient de rous.... J'ai trouvé ce Billet déchiré dans votre cheminée ; je 1'ai lu ; jy répons j mais je n'ose le garder ; je vous le remets , puisqu'il n'était plus deftiné d m'être envoyé. Cependant , vous-vous êtes occupée de moi ! oh ! cette idéé eft le premier plaisir que j'éprouve depuis longtemps ! Eila ouvert mon cceur d un fentiment inêpuisabie de tendrejfe , & j'ai prodigué mes adorations d tout ce qui vous touche /... Oui, fi j'en-étais le mahre , je changerais mon fort , avec celui de ces choses inanimées ; je m'anéantirais ; mais ce ferait d votre Jervice , & l'anénatijfement ferait un bonheur f Femme adorée f foye%_ cruelle , j'y confens : mais laijfe-^-moi vous ttdorer , dumoins en - votre abfence.' ne m'ia~  quelle j'avais mis ma complaisance: il me punit de ma gloire & vanité , que j'avais mise dans cette pauvre Ciéamie , a-cause de fa gentilleffe: Oc 1'a enlevée-, A ce mot, nous avons tous pouifé un cri de douleur &: de desefpoir: Ei Un-rhaqu'un des Garfons a offert de courir au-fecours de ta Sceur; mon Mari fur-tout. E: notre Pè e nous a dit: ■—Mes Enfans j.'appren quevotre Frère Edm .nd & la b nne m.me Parangon foot partis : Et-ils feront plufque .was, &plüique moi-méme, qui ne con-  Paysane pervertie. naiffons pas ce pays-la : fans quoi je partïrais tout-auflitöt-. Ec ie bon Vieillard f'eft mis a genous , & nous a die de nous f mettre, pour entendre la lecture du Chapitre de Job , oü Dieu envoie les maux a ce laint Homme; & notre Père nous 1'a lu en-pleurant; & après qu'il 1'a eu lu, il f'eft levé, & il a dit a notre bonne Mère : .— Ma Femme , confolez-vous, & coignez un-peu vos larmes; Dieu nous 1'a donnée , Dieu nous 1'a ötée , que fon faint nom foit béni: mais il faut efpérer qu'il nous la va rendre : car votre Fils Edmond , aótif & vigilant, eft a fa pourfuite ; & ce bon Fils, je le connais, n'aura ni repos ni trève qu'il ne l'ait retrouvée : Et vos Fils, que voila , qui viennent nous apprendre ce malheur, fèraient bien-partis avec lui , fi cela était néceifaire : mais il leur a dit, qu'il fuftisait , & qu'il avait a Paris m.r Gaudét, homme de crédit & d'efprit, qui en-ferait plus qu'eux-tous-enfemble ; fans compter que la bonne Dame Parangon partait avec lui. Reconfortez-vous donc un-petit-brin ; car votre Fille fera fauvée.-. Ce difcours a donné un-peu de courage a notre bonne Mère , & elle f'eft mise a queftionner fes deux Fils Georget & Bertrand. Mais ilsn'ont pu lui rien dire, finon qu'Edmond était tout hors de lui-même, & qu'il fe dépêchait, dépêehait, a-celle-fin de partir plüs-vite, n'écoutant rien de ce qu'on lui disait d'auue-chose ; & leur disant i eus r:  Partie IIL 'fi i— Mes chèrs Frères, répondez de ma Sceur fur ma vie a nos chèrs Père & Mère-. Ec a ce moe, fur ma vie , notre bon Père f'eft levé, les bras tendus vers le Ciel , enf'écriant: — Mondieu ! béniffez ce bon Fils , qui eft de name & de fer, pour feivir fes Frères 8c Sceuis !.... Si eft-cebien, que c'eft lui qui 1'a demandée pour aler a la Ville : mais tant-f'en-faut que je le faffe auteur du mal qui arrivé , qu'aucontraire , je 1'en-regarde comme le réparateur; c'eft un malheur, un malheur envoyé par Dieu-même, pour nous éprouver , 8c ou notre Fils Edmond n'a part qu'innocemment, & pour le réparer. — O mon Mari! vous avez raison , a dit notre Mère; & nous ferions bien-injuftes, fi nous mettions le malheur de fa Sceur fur ce pauvre Fils, qui n'en peut-mès; & fi pourtant vous voyez qu'il le croit, 8c qu'il vous répond d'elle fur fa vief O fi j'alais perdre mes deux pauvres Enfans ! Mon dieu ! ayez picié de mon Fils 8c de ma Fille-! Et voila que nous avons eu huit ou dix grands jours de mortelle inquiétude ; jufqu'a-temps que foir venue la Lettre d'Edmond a mon Mari , qui nous a appris qu'Urfule était retrouvée ; mais victime d'un Brutal... Cette nouvelle a porté d'abord un rayon de joie ; • & dès que mon. Mari eut lu y Notre Sozur eji retrouvée (i) notre bonne ti.) Voyez la XCIV in Paysan , T. II..  7?, PAYS ANE T> Ë R V ï R T I ' E.' Mère f'écria , Dieu foit béni ! & notre Père ajouta , Et qu'il béniffe notre Fils ! Mais enfuite .... tout le monde a baiffé les ieux , & peut-être y en-avait-il qui euffent mieux aimé apprendre fa mort Et qu ind on en-a été a la groffe fomme que m.r Gaudéta fait donner , fans qu'Edmond y eut part, fi ce n'eft par 1'amitié que lui porte M.s Gaudét, & fans que notre Sceur le fut, notre bon Père en-a fait la remarque, & il a eu la bonté de demander a ion FiN-aïné , ce qu'il en - penfait, comme f'il avait eu peur de fe tromper ? ■— Je dis, mon Père, a répondu le bon Pierre, que voila un grand malheur autant en-train d'être bien-réparé qu'il peut 1'être ; &c que fi m.r Gaudét eft fils du iiècle, comme 1'Evangile le dit de 1'Intendant infidèle , il eftenrore plus-piudent & plus-fage que eet Intendant. Si le mal nous eft venu par ia demande q r'Edmond a fait de notre Sceur, pour aler a la Ville, c'eft auflï par lui que vient touie la réparation; car c'eft pour lui qu'agit fon Ami, & non pour nous, qu'il ne connaït pas: Et quant a ce qui eft de la fomme toute la manière de m.* Gaudét marqué 1'eftime qu'il a nour nous, & fa croyance a nas fentimens d'honneur, püifqu'il nous cache tant ce qui pourrait nous blefler dans une chose d'honneur , qu'il rae.'ommode par Fintèrêt, autant qüe r.rcommoder (e peur.. Voüa , mon Pèie, quel eft mon féiltiment.. 1— Je 1'apnrouve, roon Eils-ainé ; car c'eft auOGï  Partie II T. 7$ auffi le mien •, & ga aurait été , je crois, celui du vénérable Pierre R** (que Dieu mette en-fa gloire-!) On a enfuite achevéde lire la Lettre , oü Edmond parle de 1'étac d'Urfule ; des bons-foins de m.me Parangon, tant envers la Sceur , qu'envers le Frère , & oü il f'exprime a ce fujet d'une facon bienvive ; de 1'atrivée du Confeiller , ainfi que de toüt le refte. J'ai enfuite recu une longue Lettre d'Urfule , qui m'a bien-touchée , &c bien fait-faire des réflexions: mais je me fuis bien donnée-de-garde de la montrer a Perfone ; elle eft ferrée pour jamais en-un lieu oü on ne pénétrera pas de mon vivant. J'enai pourtant dit queique-chose a mon Mari, me doutant bien qu'il en-viendrait un-autre. Et c'eft auffi ce qui eft arrivé: On a recu une Lettre d'avis, que m.r Gaudét avait adreflee au très-chèr Père Ed " R**, & qui n'était qu'un fimple avis du jour de 1'arrivée a Au**, & du nombre" des Perfovies qui venaient: fi-bien que mon Mari eft parti au-devant de ces chères Perfones , avec nos deux Frères d'Au** , cV leurs Femmes , qui étaient venues les joindre, & qui étaient reftées pour confoler.nos bons Père tk Mère dans leur aftliótion. Et le même foir , nous avons vu tout le monde arriver. Notre bon Père tk nctre chère Mère ont été audevant, par envie de-revoir plutöt leur pauvre Fille , & par révérence pour m.me Parangon tk pour m.r Gaudét,- qu'ils ont recus, ainfi que 1'a marqué mon Mari Tornt II. Partie III. G  74 Paysane perverti e, a fon Frère. Et quand ils ont vu Urfule un-peu palote, mais fi jolie , qu'ils ne Font pas reconnue , & qu'ils l'ont demandée, quoiqu'elle fe levat pour les venir embralTer, ils ont tous-les-deux fondus en-larmes; 8C ils 1'embralTaient, puis la regardaient émerveillés , fur-tout notre bonne Mère, qui ne ceflait de dire : — O ma chère Enfant ! je ne m'étonne pas! O Madame 1 a-t-elle dit a m.me Parangon , cachez-vous , vous & votre aimable m.lle Fanchette, quand vous ferez ï Paris ! car au premier jour , il vous en-arriverait tout-autant-! M.me Parangon , pour réponfe a laifle couler deux larmes, qui nous ont navré le cceur , 8c nous-nous fommes tous emprelfés a la confoler ; 8C notre Père lui-même, lorfqu'elleaentré , la fait afleoir dans le grand fauteuil qui vient de fon Père , & oü il ne fe met jamais par refpect, 8c la, il a fléchi un genouil devant elle, en-cisant: — Belle Dame , encore qu'il ne convienne de fléchir le genouii, fi ce n'eft devant Dieu 8c fes Saints ; fi eft^cc qu'on voit reluire en-vous tant de grace 8c de rayons divins, que je ne crois faiilir, en-vous départant eet hommage: d'autant que je vous demande humblement pardon des peines que vous ont causées mes Enfans (i). ' ( i ) Je n'ai rien dit encore du langaje de mon Père, qui paraiüa d'un-autre fiècle aux Ignorans de fe qui ett dans les campagnes isolées : c'eft qu'on y pwliit le langaje d'ü-y-a 200 an.s, il n'y a pas ving*  Partie III. 7J' Monfeut , a répondu la Dame , je Iespardonnerais avec bien de la joie , fi t mees ecaiein fans oftenfe du Seigneur : mais il eneft^ que je ne faurais me pardonner k moimem?-. Ec elle a encore pleuré. Ce qui la rendaic fi belle &c fi touohante, que tous uolis en-étions émerveillés. Enfuite notre Père a cherché des ioux m* Gaudét; car il hVa.it' pu encore fonger qu a Urfule & i iyj ine p *_ «ngon. Et voyant un Bel-homme en-habit violet a-boutons d or, il Jui a demande, oü donc était le Révérend ? — C'eft moi, mm cher Monfieur R** • permettez que j'embrahe en-vous le refoectable Père du mailleur de mes Amis-. Et il la accollé ; puis il a embrafle cordialement notre Mère ; puis nous-tous fans exception auqu une, & moi-meme en-disant : — J'embraflè Edmond dans Chaqu'une de ces chères Perfones-. Notre Père la regardé & écouté ; puis il a dit a m.me p^angon : — Dites , Madame , fi mon Fils mérite tant d'amitié ? - Oui, bon Père ; 8c vous oouvez m'en-croire, carjene Ie flaterais pas. — Peut-êcre , a dit mS Gauetet, etes-vous fürpris, Monfieur , de m > voir ious eet habit ; mais les démarches qu* 1'ai été obligé de faire , 8c la compagnie d; ces Dames le rendept néceffaire: en-cavalier, on impose aux Faquins ; fous mon hVb't années, a-cause des Bibles antiques qn'oti y lit Cel'e de moaPere eft de 1551 , mais èditee par des Cath«> G 1  j6 Paysane perverti e. ordinaire , ils m'euftent ri au néz , & euftent Peut-êcre infulté Celles qui marchaient fous rnon efcorte. En-bon Chrétien , je pardonne les injures, quand je n'ai pu les éviter; mais en-Homme prudent, je préfère de m'en-garantir, a les pardonner. — Vous en-avez , Monfieur , deda prudence , a dit notre Père, & d; la fi parfaice en toute votre conduite , que vous êtes pour nous un objet d'admuation. — Vous voyez , mon Sauveur , a dit Urfule, qu on a i :i de vous la même idee que moi : il ne vous refte plus qu'a mériter 1'admiration la plus fiateuse-. Et je crois qu'eile a jeté un coup-d'ceil fin fur m.me Parangon. On avait préparé un beau fouper, qui a été plus gai que nous ne le comptions ; rar m.r Gaudét a tant d'efprit, qu'il n'a pas laifte règner la mélancolie; aucontraire , il n égayé jufqu'a m.me Parangon , qui paraiffdlt, la plus-trifte tk la plus-enfoncée en-elle-même. Elle a fouri deux-fois; tk elle lui a même dit: — Je conviens de tous vos talerls; vous Êtes un Homme aimable, uniq. peut-être ! ah ! m.r Gaudét } qu'il vous en-coüterait peu , fi vons le vouliez ! Mon Mari a ce mot, a regardé la belle Dame , & lui a fait comme un ferrement de main , que j'ai entrevu , parce-que j'étais la plus-près d'eux, Voila , ma chère Cousine , ce qui f'eft paflé le premier jour de i'arrivée. Le lendemain , je me fuis rendue la première auprès d'Urfule | elle dormait. J'ai pafte dans la chambre d> m,ms Parangon, Je i'ai trouvée debout,  Partie III. 77 Elle m'a fait-figne qu'eile alait fordravec moi» pour ne pas réveiiler m.lle Fanchette. Je 1'ai menée chès nous; ou elle m'a fait tant d'amitiés, tant de iouanges, tant de careffes, qu'eile aurait amolli mon cceur ; li je 1'avais tu de pierre ou de fer. Je n'ai jamais fenti de ma vie une li grande ouverture de confiance : j'ai répondu a bien de petites queftions qu'eile m'a faites. Enfuite , apparemment qu'eile a, été contente de moi; car elle m'a fait fes confidences, & entr'autres qu'eile était enceinte: & elle m'a demandé fur fon état des confeils, que je lui ai donnés avec grande fatiffaétion. Voila ce que vous paraiflèz desirer de favoir a fon fujet. Quant h fa fanté, je ne fuis pas fans crainte ; elle a un fond de chagrin , qui a certains mots qu'on lache fans y penfer , quand on n'eft pas au-fait, lui rirent auffitóc les larmes des ieux. La pauvre chère Dame l tant de mérite & de beauté , & n'être pas heureuse ! FIélas ! que de regrets doivent avoir Ceux qui l'ont afiligée ! Elle m'a parlé de ce que vous aviez été enfemble a la Comédie , avec Urfule , & eile en-a regret; car elle penfe qu'eile a offenfé Dieu , par toutes ces choses-la , & que dans certaines circonftances, on doit plutót matter 1'efprit & la chair , que de leur donner leurs plaisirs, Aurefte , elle parle de vous en-bons termes; allurant que vous vivez fort-honnêtemenc avec la Cousine votre Mère } que vous refpeclez. Ce mot m'a fait plaisir , ma chère Laurote. Quant a notre pauvre Urfule , elle. G 5  78 PAYSANE; flRVERTIE. f'eft éveillée tard , & elie fera bien-plutêt rétsblie que m.me Parangon. Cependanr, depuis huil jours que les voila ici, elle ne paraït pr.s fe remettre vite. Je la foupconne dans 1'état qu'on craint d'une part , pendant que de i'autre, on voudrait voir , fi ca n'amènerait pas une.chose glorieuse & réparatoire. Ja crois pouvoir affurer mon Frère , que f'il eft de Ceux qui desirent (puifque le mal eft fait; que la chcsefoit, qu'eile eft. Pour-a-l'égard de m.1,e Fanchette , c'eft une Enfant fi aimable , fi douce , fi innocente, & fi fpirituelle. malgré ga , qu'eile fait ici 1'admiration & 1'amour de tout le mosde. J'ai eu avec Urfule une converfation a fon fujet. Son fentiment ferait qu'on profitat du demeurement ici, pour faire ie mariage d'Edmond. Et fi mon F?ère ajme nos Père & Mère, & veut calmer la fecouffe qui leur vient d'arriver , ce ferait de faire ce mariage , fans f'anêter a toute raison contraire, que nous ne trouvons bonnes ni Urfule ni moi. Je vois alfés comme penfe la bonne Parangon , pour répondre de fon confentement: quoiqu'elle ait beaucoup d'efprit , c'eft une Brebiette ; & jamais elle r.e pourrait fe refuser a faire ce plaisir a notre pauvre Mère : qu'Edmond voye donc , f'il veut mettre la joie dans l'ame a fa bonne Mère, qui 1'aime tant J Je vous prie , trèschère Cousine , de lui faire entendre ga : Urfule fe joint a moi , pour 1'en prier , & toutes-rleux nous' fen-priön's quasi a genous, Autre-chose ne puis vous maiider t très-chère  Partie III. ' 79 Cousine ; finon que Ceux d'ici qui faveur que je vous écris, comme mon Mari, Urfule , & Edmée notre Bellefceur , qui eft revenue hiér , vous prienr d'accepter leurs amiriés, comme celles de bons Parens &c Parentes. Et moi, je fuis, &c.8 LETTRE XLIII. 35 décembre. Gaudét, a* Edmond. .( II 1'erapache de fonger a un honnéte mariage par des motifs adroits. ) ^ r tu desires d'être encore père, tu' le fer.is , & tu le feras, par la belle Parangon : tu peux y compter : elle fe conferve ; fa conlcience timorée lui ferait un crime d'exposer, ce qui lui vient d'une part tropchère , pour qu'eile ne 1'aime pas audela de toute expreffion. Quant a certain mariage , ^ dont j'ai découvert qu'on te parle d'ici, dans une Lettre furtive, mon avis eft négatif. J'ai d'autres vues: & la belle Parangon eile-même. ne f y prêterait que par-complaifance. Voudrais - tu lui ravir tout efpoir , dans la (ituation oü elle eft ? Il y aurait de la cruaucé ! Atteas mon retour: ns te rens G 4  to Paysane perverti e. a auqu'une follicitation. Les Femmes ne l'ont pas afles bien conduit jufqu'a-présent pour que tu les écoutes. Sur tout ne dérange pas mes projets au-fujet du Marquis, par ta bravoure enfantine , comme toutes tes autres vertus. Car envérité , tu n'es qu'un grand Enfant. Ce qui ne veut pas dire que tu manques d'efpric; au-contraire , tu tv. as beaucoup; mais il te manque du génie, pour embraffér 1'en-femble d'un projet. Celui que j'ai formé eft le plus-vafte que Tête humaine ait jamais concu , & le plus fcabreus. La réülTite en-ferait certaine , fi j'avais un Second> mais il ne faut pas encore te 1'exposer. Lorfque je paraitiai retrograder, tu croiras tout perdu, & tu te troraperas; il me faudrait un Génie comme le mien , pour me feconder , ou un Automate : tu n'es ni 1'un ni l'autre , tk tu es entêté comme ie font les Sots , quoique tu ne fois pas fot. En-efTet, qu'eft - ce qu'un Sot ? C'eft un Homme d'un efprit botné , dont les vues font courtes tk qui fe les croit fort-longues, prévenu en-fa faveur , afles bouché pour croire tout connaitre , tout favoir , tk qui ne fait rien : n'ayant pas affés de lumières pour voir fes défauts & fon incapacité ; hardi par ignorance , jufqu'a 1'effronterie; ne rougilfant jamais, paree qu'il manque de fentir, tk que fon orgueil ftupide 1'empê' he de f'appetcevoir qu'il fait mal : méchant, parce-qu'/l manque d'entrailles & que la fenfibilité eft en-lui auffi ebtuse que  Partie III. Sï, les lumières de fon efprit font obfcures : dans mille choses, n'en - faisiftant qu'une comme les Animaux , & ne voyant qu'eile , y tendant en ■ dépit des obftacles , mêmeinfurmontables; réüffiffant par-la quelque. fois, & n'en - devenant que plus fot, la vanité étant .le comble de la forise. Edmond aucontraire , eft fenfible a 1'excès, & ne leflemble quelquefois au Sot , que par le trop de ce que ce Dernier n'a pas : Mon Ami eft pénétrant; il a i'efprit jufte, un difcernement exquis, il voit le vrai but, pourvu que les choses ne foient pas tropcompïiquées; fon impatience naturelle 1'offufquerait : il ne faut pas noh-plüs que les choses a faire , queiqu'av.inrageuses qu'elles foient, blefleftt les préjugés de Ion éducation ; il fe cabre nloss , & il reflemble dans cette fituarion au Sot, comme deux gouttesd'cau, Par-exemple, (1 je lui dérouyrais mon plan dans fon en tier , je fuis fur qu'il y apporterait le plus grand obfta.de : non par fotise , mais par une lorte de magnanimité qui lui eft naturelle. Mais il faut favoir diftinguer les vertus, & les employer apropos. Turenne , fous Louis-xiv , avait besoin de cette malignité, qui ne vent rien que de noble : elle alait a-merveillè a ce vaillant Guenier: Mais donnons cette vertu, dans le même genre , a Louvois , die aurait perdu 1'Ecat : c'était pourtant deux Grandshommes : mais il falait que le Miniftre eut des vertus bien-différéntes du Gutrrkr ; ces  Si Paysane perverti e. vertus qu'un Préjugifte eut regardé comme des vices , & qui n'en-étaient que plusfr.bümes, parce-qu'il falait une ame forte pour les avoir a ce degré... Laifte-moi donc agir, Edmond : Ta Sceur eft ce qu'il faut qu'eile foit. Si cela fe confirme , je la remmène, ainfi que la belle Parargon , qui doit fe cacher , comme tu penfes! & je h'aurai ni repos ni trève , que je n'aie re'üffi , ou fait quelque-chose de mieux. Car, que m'importe comment ta Sceur tk toi vous foyiez heureus ? ï'unum necejfarium , eft de Pêrre. Adieu. Je me dépêche, pour pronter d'une occasion. P.-f. N'avoue rien a Laure de ce qnï regarde m.me Parangon : je ne lui enparlerai de ma vie : Elle eft un - peu indifcretie ; mais elle n'a que ce défaut-l3.  Partie III. 8$ ( « ) Voyez la XCVII.me da PAYSAN , T. IL LETTRE XLIV. io janvier. U r s u i e , d Edmond. ( La voila qui f'ennuie du ton qui règne chés noj Pere St Mère , &, qui découvre des difpositions, que hous n'aurions pas foupconnées ! ) O N a recu ta Lettre & ta relation (1), chèr Ami : La dernière m'a plus fait de plaisir qu'on ne f'en-doute chés nous ; elle m'a fait efpérer que tu étais tianquiie , & que je n'avais plus de nouveaux malheurs a craindre. Nous fommes a Au¥* depuis deux jours : m.me Parangon f'y montre aprésent, pour èn - difpataitfe enfuite avec plus de füreté ; je dois l'accompagner. Mais nous ne voyons qu'un certain monde , &c nous paffons les journées chés m.me Canon. Fanchette fort avec cette Dernière , poitr tout ce qu'il faut que nous ayions avant notre départ. Nous avons eu a S** bien du lamentable ; & je t'avoue , que moi, qui ne fuis pms faite a ce ton , j'en-ai par-deffus les  $4 Paysane f brvirtie. ieux. J'ai été charmée de I'abfcence que nous procure notre petit voyage; & dans 1'excès de mon ennui, je ne fais en-vérité, fi je ne pardonnerais pas au Matquis une fituation, qui m'obiige de retourner a Paris: La vertu eft aimable , mais il faut un-peu 1'égayer , & chés nous, elle ne fe mdntrc que la larme a l'ceuil, Avec. cela , fi vous prenez le moindre foin de cette pauvre figure, vous . vous artirerez des apoftrofcs fans-fin : Je ne m'étonne pas ! Vous êtes coquette ! Voila ce que les Coquettes f'attirent! On n'ose rien répondre : mais je fonge h\ mes quirze-röille livres, & je me confole. Tu vois par le ton que je prens dans cette Lettre, qu'il ne faut pas que tu voyes hs choses au dernier tr?giq , & que tu ferrailles avec le Marquis, fi tu le rencontre. Parlons un-peu de tes affaires. L'aimable Femme eft groffe : c'eft un -point afturé : elle en-°ft fans-doute fachée ; mais ne crains rien de fa douleur; je fui^ bien fa re qu'eile ne voudrait pas qu'un pouvoir furnaturel lai en-oiat la cause : ainfi , ton chagrin a toimême doit f'éclaircir & devenir moiris-fombre; il ne te doit refter que la douleur de 1'ofFenfe faite a Dieu : je te le répète, quar.t a l'aimable Femme, tu lui as fourni une occasion d'exercer agréablement ie rtfte de fa vie fa précieuse fènfibilité. Mais il eft un-autre point que je veux traiter. Ma charmante Compagne, eft j.une, belle , innocente, héritière en-totalué de  Partie III. 8y m.me Canon , qui më le dit encore hier, Sc qui desire ton mariage avec elie : Fanchette te rendra heureus, je puis t'en répondre, f'il eft dans la nature de ton cceur qu'une Femme puifte faire ta félicité. Donne-moi cette aimable Sceur. Cela eft jeune , tu la formeras a ta fantaisie ; tu ne feras pas gêné, comme tu le ferais avec m.me Parangon , Ci eile était veuve , Sc que tu 1'épousaffes; jamais tu ne ferais que fon humble efclave ; a-moins que tu n'imitalfes ces Brutaux qui liumilient d'autant leur Femme, qu'ils lui doivent davantage : viens ici. M.r Giudk nous a quittés; il eft chés fes anciens Confrères. C'eft un chèr Ami, que j'aime de tout mon cceur ; mais il faut nous cachcr de lui pour ce mariage. Arrivé a 5**, fans t'arrêter ici ; fais m'en-dire un-mot enpaftant ; nous te fuivrors le lendemain , nous concluerons , & tu reviendras marié embrafter ton- Ami : car il faut qu'il fok des fêtes; Sc tu verras qu'il en-fera le plusagr 'able aflaisonnement. Tout le monde ici desire ce mariage , & tu es fur de causer une fatiffaccion générale : ce motif ne fera pas impuilfant fur ton cceur, naturellement bon. Viens donc, mon chèr Ami - frère : nous repartirions tous-enfemb!e pour Paris, & j'y demeurerais chés vous jufqu'a 1'évènement, ou un mariage , avec un agrément iufini. Le confeiller eft fort-aimable: mais je t'ayouerai que file Marquis en-agiflait comme  S6 paysane- pf.1ue ütie, il convient, & qu'il te filüt un fitcrifice, je te le ferais. ou tout-autre : II me fuffira toujours de favoir qu'une chose t'cft .éellement avantageuse pour que je me facrifie. Je 1'ai dit a notre Ami commun , qui m'a fondée plus d'une-fois a ce fujet , & qui loue fort mes dispositions a ton égard. Adieu, mon chèr Edmond : & crois que je me féhcirerai toute ma vie de ce qu'a fait ton amitié s pour ta rendre Sceur. U r s v L E. P.-f. Renvoie-moi cette Lettre , ou garde-la pour me la rendre , depeur d'accident. LETTRE XLV. 29 janvier. - Réponfe. (II envelope l'annonce de fon duel , en-repondant fur ce qu'Uriule lui a marqué.) • Tout ce que tu m'écrls, ma chère Urfule , eft raisonnable: mais je fuis dans une paffe qui ne me permet pas d'y fonger. Ainfi, abandonne ces chimères, pour ne r'occuper que de toi. J'ai mes defTeins , dont rien ne peut me détourner: ma fame eft ourdie; il faut que je fuiye ma deftinée.  Partie III. 87 Je ne faurais cependant m'empêcher de te rmrquer la fatiffaction que m'a donné un mot de ta Lettre , au-fujet du Marquis. S'il t'épouse, c'eft mon meiileur ami ; j'oubhe touc. Le mariage eft le batême du viol; il doit 1'etFacer. En-effet , ce crime change alors de nature ; aulieu d'être un coupable attentat, digne de tous les chatimens, ou de toutes les fureurs de la vengeance, parcequ'il a humilié une Familie dans ce qu'eile a de p'us-délicat , 1'honneur d'une Fille, il re devient plus que 1'effet d'une paffion infurmontable , obligeante , flateuse: loin de bieder 1'honneur de la Fille, il élève aucontraire un trofée a fes charmes. Le feul qui foit digne des tiens, ma Sceur , c'eft le mariage , avec le titre que le Marquis feul peut te procurer : Ta beauté aifés féduisante pour cela ; & quoique ton Frère, cent-f is j'ai fenti ,xque tu ne pouvais causer des paffions médiocres. Tu fiuras dans peu ce qu'on a droit d'artendre du Marquis ; & alors, quoi qu'il en-foit, je te recommande de partir, & de venir te présenter ici a la Familie. Situ as un Fils, & que la chose ait tourné d'une certaine facon, elle pourra 1'adopter : Si-c'eft le contraire (O, elle fera fans-doute le mariage : mille raisons ( 1 ) Edmond feul f'entendait ici: Si je tue , la Familie privèe d'Hèritier , pourrait adapter ton Fils; fi je jus tuè , la Familie fera Jans-doute U mariale ; Voih Is fens.  PATSANE rERVERTII, que je ttfis pourront l'y engafjer; & je prens dès aujourd'hui des précautions pour cela. J'ai des idéés que j'ai mises par'écnt, &c qui feront rendues a Guidét, pour qu'il agifte , lorfqu'il en-fera temps. Ce papier eft tout-prêc, tk cacheté, entre les mains de Laure, qui ne doit le remettre , que dans une circonftance , que j'aurai foin de lui faire connaïtre. Adore pour moi ma véritable , ma feule Epouse , mais en-filence. Quant a la charmants Fanchette , que n'aije un Second-moi-même digne d'elle a lui donner ! Que n'ai-je deux corps avec une feule ame, qui les animat en-mêrr;e-temps ! elle en-aurait un. Adieu , chère Sceur, Tu iauras dans peu combien je t'aime , a n'enpouvoir douter. Prie nos chèrs Parens de m'aimer , & de fe fouvenir de leur hls E.DMOND, LETTRE XLVH.  Partie Hl. % LETTRE XLVI. i févriet» U r s u l e , a Edmond. (Elle flate lepanchant d'Edmond , &. lui ouvre foiï cceur, déj* gaté, au.fujet de 1'adultère. ) JEnvéritÉ, mon Ami, tu es parvenu a me donner les plus cruelles inquiétudes , par la manièie dont ta Lettre eft tournee t Mais avar.t de faire auqu'une démarche imprudente , fonge auparavart a tout ie chagrin que tu donnerais aux Perfcnes qui te font lts pus rhères ! M.me Parang ti» déja larguifl nte, ne pourrait fupporter mi nouveau msdaeur ; tk fi tu 1'aimes, comme je n'en laurais di uter , tu lui épargneras ure fumoit de peines. Je la regarde avec plus d'attention, depuis que j'ai recu ta Lettre ik je vois qu'en-eftet , quand --.n IVme , il eft impoftible de celftr dt 1' iméf. Ne parlons dorc plus de rr..ll« Fanchette ; mais de? fa Sceur. Corferve- toi pour elle. Qjïe :a;t., on ce qui peut arr vet ? Son Mari n'eft pas; ir mortel.,.. . J'o erais même dire queiquechde de-plus. n cela rouvait a!er dans lat feou he d'u F i;.... Mais potfrejooi non ?.., Je ne Patrais prs dit il y a fix ree s ; mais Tam IL Fartie III, H  Paysane perverti e. imiourd'hui, je puis parler, ce me femble,' auffi librement qu'une Femme. Je crois, qu'il eft certains Maris, a qui leurs Epouses ne dnivent rien , ou très-peu de chose. Je raiTemble dans mon efprit tout ce qu'il faudr.iit être pour mériter certain traitement j enfuite ,. je trouve que m.r Parangon eft tout-cela au plus-haut degré.... J'ai reso'.u de te fervir auprès de mon Amie. Cela te convient-il? Parle ? Je ferai tout ce qui pourra t'obiiger. M.r Gaudét me paraït dans le même deflein ; il m'en a touché quelquechose; mais comme en-craignant de f'ouvrir a une Bégueule , telle qu'il me croit encore. Envisage donc l'avenirqui t'attend , comme 1'amitié te le prépue , chèr Ami, & calmetoi, par reconnaiftance pour tant de Perfones qui vont travailler a ton bonheur. Jer te previens qu'on veut chés nous que je refte maitrefle abfolue de mon revenu: c'eft dire > quetu en-feras le maitre. Adieu. Je voudrais déja que cette Lettre fut entre tes. mains; & tu fens de quelle conféquence il eft qu'eile me revienne ! JP-.f. Nous fommes toujours a Au**" Neus n'avons vu qu'unc-fois m.r Parangon ; fon état nous difpenfc de lui rendrevisite , tk 1'empêche de venir chés nous.. Touüe monde dit , que c'eft bien-fair..  Partie III. jr LETTRE XLVII. 3 février. G a v u e t , d Edmond. (Idéés vraies fur le duel. ) J E commence ex-abrupto ; je vais pirler comme je t'aime. Le duel, Edmond, eft une actionbafle, nn acte degradant, qui ravale 1'Ecre raisonnable a la condition des Brutes. Ose l'analyser : qu'eft-il? Un mouvement féion , qui porte 1'Homme a chercher a ravir la vie de 1'Homme dont il fe prétend ofFenfé, enexposant la fienne propre. Les Peuples mqdernes mettent de la nobleffe dans cette action ; mais il y a Ia un renverfement abfolu d'idées; car c'eft la plus-atroce de routesj j'y vois 1'alTacinat, & le luidde. L'aflacuiat f'y trouve: car Celui qui provoque, ou accepte le duel , efpère tuer; fouvent il f'eft préparé , pour être plus-fur de fon fait. Le fuicide y eft également , en-;e qu'il faudrait être fou , pour ne pas compter fur la poffibilité d'être tué : le Duellifte fait donc alors le facrifice volontaire de fa vie a la paffion qui le domine. Or fi Ie fuicide & 1'aiTacinat font deux actes illégitimes, le Gentilhomme-fiancais , qui met fon hor.H i  >)% - Paysan ë pervektie.' neur a venger fes injures particuiières par ce moyen, ne peur être un Homme d'honneur, qu'autant qu'une loi du Prince tk de !a R ligion aura autorisé le fuicide & t'aflacinat: jufqu'au moment ou cette loi fera portee, le Duellifte eft ie plu;-coupabie tk le plusvil des Hommes. A-i'appui de cette affertion , vient la connaiflance que j'ai eu occasion de prendre du caraétère des plus-déterminés Dueiliftes. Je les ai trouvés des laches a leurs dcrniers momens ; je' les ai trouvés des la:hes après la victoire , lorfqu'il faiait fe dérober aux pourfuites; je les ai trouvés des laèhes dans les affaires même d'honneur , comme on les appelle fi improprement; je me fuis apercu , que 1'excès de crainte de la mort , les potrait a fe fufciter quelques affaires , aufquelles ils f'ctaient préparés , pour infpirer ure ht-ute idéé de leur ourage , tk pouvdr être laches tranquilement le refte deleurs jours: je les ai trouvés auiii rhauvais Officiers & mauvais Soldats en campagne,., qu'ils étaient bravaches en-garni(on , &C loin du dnger. Le Plus-faquin des Dueiliftes que j aie vu, était un cernin P—, qui fur que Ceux qui 1'accompagnaient, avaient ordre de prcserver fa vie , & qu'il en-ferait quitte pour quelques gouttes de fang , pouftait fon Adv rfairepar des injures, & la plus-fanglante ironie : 11 fe b ttit v il' fut blefle: efTr-yé , comme une Femm. lette „ 3 la.v.ue de fon Ging , il fe h4ta ie remontes.  P A R-T I E III. 95 dans la voiture qui 1'attendait , & donna les foins les plus-inquiets a une blefture qui n'avait qu'effleuré la peau. Une aurre fois , je fuivaisfur le Quai-du-Lgüvte, deux jtunes Officiers en-femefcre , qui , accompagnés de trois de leurs Camara les , alaient fe battre dans les Champs-Éilfées : Celui qui avait provoqué 1'Autre , était pa!e , tremb.ant, & Tuus-cinq fesaient tant de bruit, que tout le mMnde^ depuis le Pont-Henri jufqu'aux Tuiknes, fut mftmitde leur fut ut combat & de ce qui 1'avait occasionné. Paimi dix-mille Ames qui furent mises dans la confidence, il f'en-trouva Uiie, heureusemeht i quiempêhi le combat, a la gran 'e fitifratftion des Combattans. ious les D;eiliftes font en-général de mauvais-fujets; c'eft ure vérité certaine : p ur lesaviiir, je n'ai besoin ni des lois du Priuce , ni de celle de la religion; je re -veux emp'.oyer que le fer.s-commun. L.'origine des du Is , tant cherchée , n'eft autre que les combats en-champ-clos , ordonné p r des Militaires ignorans» trop-peu verfés dans 1'ex. rcice de leur rai pour cmpêchcr quele Malin n'tüt Ie' temps de. le tenter. Quant a rr.oi, je fuis tout-a-la fois très-affligée, & fort-en-colère contre Edmond. Le Marquis ne m'a jamais dép'.u , quoiquf je l'aie fait croire a eet Etourdi, pour écarter de lui certains (oupcons : car on eit bi-n-embarrafTée avec ces Fous-la !..... Je fuis pourtant touchée de fon amitié pour moi r je vois que m.me Prrangon m'en-veuc un-peu de iui être fi chère : je le devine k quelques exp eiïions. Comme la r.ature perce en-dépitde la vertu la plus-épurée !... Adieu, chère Bonne-amie fceur. Ne dis rien a nos> Père & Mère : on me rei.omm.ande de te ie marquer. 1ETTRÊ xlïx,.  Partie III. 97 LETTRE XLIX. de Pari» ) li février. Le Même, d la Même. (Elle nous rafiure au-fujet d'Edmond.) "V^ous pouvez tranquiliser nos chèrs Pa-rens, ton Mari & toi, très-chère Sceur. Touc eft arrangé , & le Marquis n'en-mourra pas. Edmond f'eft: comporté en-Homme-d'honneur , & fon combat n'a rien qui puiife lui faire-tort; il a pafte mes efpérances (i). Enpartant d'ici, nous comptions toutes fur m.e Gaudét: cependant il n'a rien fait: il n'en-a pas eu le temps fans intrigues, fans protection , par la feule éloquence perfuasive de ies difcours , de fa beauté, de fon intéreftante langueur, m.me Parangon, dès le lendemain de fon arrivée , a tout obtenu. Elle a d'abord parlé au Marquis , qui était chès fes Parens. 11 a fu d'elle qu'on pourluivait mon Frère : & c'eft lui-même , qui a fléchi fa Familie irritée , en fesant de fon Ennemi le plus-bel éloge. On a pardonné. Juge de notre joie , ( i ) Voyez ce récit, dans les XCVIII && C.me6 Lettres du P.AYSAN, T. II. Tome II, Partie III. I  5)8 Paysane perverti h. en-apprenant cette nouvelle , modeftemene racontée par m.me Parangon ! M.r Gaudét, qui desapprouva't auparvant le duel avec tant de force, a été enfuite le plus-ardent apologifte d'Edmond , contre m.me Parangon , ell;-même , qui perfifte dans fon fentiment a ce fujet. Mais on allure qu'eile a parlé fur un ton b en différent au Père du Marquis , après eri avoir obtenu la grace d'Edmoni ! Elle lui a fait entendre , qu'il n'eft auqu'un Juge , qui eut osé condamner un Frère , en - pareille occasion Je ferme ma Lettre , a-cause de 1'heure, Adieu , ma chère Fanchon. LETTRE L. ■i mars. Réponfe. ( Comme nos Père &. Mère furent contens du coa. rage &i de la magnanirnité d'Edmond; & ma Femma elle-mème parait 1'approuver dans fa vengeance. ) M A très-chère Sceur: A-celle-fm de vous faire une Réponfe plus-ample , j'ai attendu que nous évuffions quelqu'autre nouvelle : ne doutant pas que le chèr Edmond délivré , ne nous écrivit lui-même fa délivrance : Et c'eft ce qu'il vient de faire, par une Lettre a mon  Partie III. 99 Mari (i) , lequel 1'a regue en-tremb'ant , mais qui 1'a enfuite folemncilement lue, par ordre de notre Père , devant toute la Familie alfemblée. Et ce qui nous a fait a tous la plus-grande joie , ca été qu'Edmond n'ait pas tué ; mais qu'après le combat , il foit humainement venu offrir & donner fecours au Bleffé. A eet endroit, notre refpecrable Père f'eft levé , & mon Mari f'eft arrêté de fa lecture , croyant qu'il alait parler : mais le digne Homroe murmurait bas, commeprianc Dieu: & enfuite il a dit a mon Mari : —. Continuez, mon Fils-. Et quand enfuite notre bon Père a entendu le refte de ce combat ; comme notre Frère a porté le Blelfé ; comme il lui a dit qu'il ne lui en-voul ut plus, & que le fang qu'il veniit de perdre était le feu! qu'il eut de mauvais; comme il a demmdé au Marquis, f'il croyait qu'il eut dü fe battre > & comme le Marquis lui a répondu , qu'il le croyait, & qu'il lui pardonnait fa mort , qu'il avait méritée plus-ignominieuse ; comme il a voulu qu'Edmond 1'embraflat; comme il lui a offert fa bourfe ; & comme Edmond 1'a refusée •, lebon Vieiüard, en-entendant tout ca , f'eft encore levé fuffoqué, &: nous a dit: — Mes Enfans, voila de grandes &c belles choses ! & Dieu a tiré le bien du. mal, dont je bénis fon très-faint nom ! car voila de grandes & belles choses i & plüt-a { i) La C.ree du Paysan , T- II. * . : ■  ïeo Paysane perverti e.' Dieu que ce Marquis, qui n'a le cceur auqu'unement gaté , reparar. fon offer fe envers ma Fille, comme il vient de le faire dignement, en-la Perfone de mon Fils! tk Dieu, pour ce , daigne conferver fes jours! Mais mon Edmond f'eft comporté d'une faccn grande & digne; & je voudrais que mon vénérable Père fut en-ce monde pour en-être témoin : Et quoiqu'il le voit du féjour des Juftes , ou il eft : Par-ainfi, qu'Edmond foit pardonné de lui & de moi , pour les ehagrins que fon cceur vif nous a causés! Car les cceurs vifs causent des angoilfes & des ehagrins ; mais ils les guarilfent avec un baume de joie: aulieu que les cceurs dormans comme les eaux croupilfantes , ne causent que langueur mourante & nauséique , fans jamais plaifir auqu'un. Continuez , mon chèr Pierre : car vous êtes cceur vif auffi , mon Fils; mais du-depuis que vous êtes, je n'ai trouvé en-vous & par vous que liefte & plaisir, fans jamais ombre de peine, fi ce n'eft en-votre maladie , quand nous faillimes de perdre envous notre bras droit, tk le repos de notre vieilleffe-. Et mon Mari a continué. Et il a lu de m.me Parangon ; que notre Père a bénie , en-entendant, comment cette bonne & chère Pame avait parlé. Et il femblait qu'il la voyait, quand elle a été le foir dans 1'alfemblée des Dames, & qu'eile a fi-bien parlé, «ommant m.lle Fanchette, — Je lui deftinais ma Sceur-. — Oh! plut-a-Dieu , que nous ^öITïüns a ce beau jour, a dit noue bonne  Partie III. ioï Mère , & que je vllTe au rang de mes Filles j la chère & aimable d.lle Fanchette ! mon Filg m'en-paraïtrait encore plus-aimable ; & je compterais , en-pardeffus, tout ce qu'il m'a déja donné a;Auw-, Et la réponse des Dames a bien fait-plaisir a notre bon Père. Et quand il a entendu que toutes les Dames voulaienc qu'il fit leur portrait ; il a dit : — Bien ± bien ! voila que Dieu me rend au-dela de mesf efpérances-! Et-puis les réflexions d'Edmond enfuite , lui ont encore fait-plaisir; car il 1'a loué ; & tout ce que dit-la Edmond , lui at plüsdonné de contentement, que jamais nous* ne lui en-avons vu prendre : Cette joie-la ? chère Sceur , vous regardait tous deux. Mais> il a été un-peu mécontent d'un mot qui ter-> mine : Ah ! Pierre ! je ne te dis pas tout ƒ parce-qu'il a eu peur qu'il n'y ait encore quel* que-chose. Mais moi , qui en-fait la fignifiance, je 1'ai rafTuré , de mon mieux en-di-* sant, que ce n'était rien qui dut inquiéter , au-fujet de querelles ou de dangers de fa vie , que j'en-étais certaine ; & que ca n'avait de rapport qu'a fon mariage. Apiès ca , nous? avons parlé mon Mari ik moi des nouvellês que nous avions eues auparavant que de favoir le bout des choses , tk que vous aviez; recommandé de ne pas dire , qu'on n'eüc réüffi , nous affurant qu'on y alait touc employer : ce qui a bien fait plaisir a nos chèrs Père Sc Mère, que vous ayiez eu cette attention-la : car ils ont dit, en-fe rsgardant I'ua-l'autre; — Nous avons de bons-Enfans j  ïoz Paysajne ïervertie. que Dieu les béniffe tous, ainfi qu'ils nous aiment Sc refpectent-! Quant a ce qui eft de ce qui vous regarde , très-chère Sceur, il faut que je vous recommande de vous componer Pa ©ü vous êtes , a votre plusgrand avantage, qui fera toujours cc qui fera le plus de plaisir ici. Si j'en-étais crue, moi qui érais pour le Confeiller , avant ce qui eft arrivé, je ferais a-présent pour le Marquis : Et je le tranche net, chère Sceur , une Fille deit épouser , 1'Homme qui 1'a appiochée , ou Perfone. Songez bien a cela. Ce n'eft ni la gloire , ni 1'honneur de 1'alliance qui me tiennent ; c'eft la raison Sc le bon fens. Ne croyez pas que vous feriez auffi bien avec m * le Confeiller , que fans ca ; les Hommes ont des mémorarés terribles, dans ces occasionsla , & on voit fouvent grise-mine quand leur premier feu eft paffé ! Et-puis il y a je ne fais-quoi qui répugne a 1'imagination d'une Femme , d'avoir un Enfant d'autre part , tandis qu'eile eft mère d'une autre Familie ; ca lui partage le cceur , & ca lui bleffe h toutmoment le fouvenir. C'eft mon idéé; & je crois celle de mon Mari, que j'ai mis fur ce chapitre-la , a mots-couverts. Quant a ce qui eft d'Edmond , je vois que c'eft un Homme-du-monde , Sc fait pour le monde : Et j'ai aftes bien goüté ce que m'a dit m.r Gaudét , en-me parlant a fon fujet , — Je forme Edmond pour être dans les Villes , ce qu'il faut qu'on y foit : ma conduite avec Bertrand ou Georget ferait différente; Sc celle  Partie III. ioj avec vos Frères d'ici , ne reffemblerait pas encore a cette dernière. Mais il y a deux Hommes qui m'étonnent : votre Mari Sc votre Beaupère. Le Premier eft d'un fens Sc d'une nobleffc , que je n'ai trouvée nullepart: le Second eft un véritable Partriarche , plein d'honneur Sc de confiance dans tout le monde , qu'il juge d'après fa belle ame. Je ne parle pas de vous, ni de votre Bellemère: des Femmes de votre forte ne fe trouvenc qu'ici. Quant a Urfule , elle a besoin de mes lecons , unies a celles de m.me Parangon-. Par ce que je vous marque-la , chère Sceur , vous voyez qu'Edmond n'eft mal dansl'efprit de perfone, ici a-moins que ce ne foit un-peu dans celui de fon meilleur Ami , après fon Père: car mon Mari, dans toutca , hors quand fon Père parle , eft toutpenfif, & on voit qu'il n'a pas la tranquillité d'efprit au-fujet d'Edmond , ni peut-être de vous: Et il eft faché de ce qu'Edmond voit lés comédies Sc divertilFemens mondains : c'eft vous dire qu'il les craint encore plus pour vous. Je fuis avec une tendre amitié de Sceur, &c.» I 4  ï04 Paysane perver-tte.' LETTRE LI. 3 )«»* G A V D Ê T , « 17" R S 17 Z E. ( Adreffe du Corrupteur, pour faire aler jufqu'a \S Saeur, ce qu'il a dit au Frère, &t pis encore. ) JE fuis en-commerce de Lettres avec votre Frère , Mademoiselie : & quoique nous foyions dans la même Ville , nous traitons par écrit. Comme votre fituation présente vous privé de tous les divertiffemens &c de tous lts plaisirs, je penfe que la leclure de notre correfpondance vous diftraira , &C pourra vous inuruire: j'ai gardé le brouillon de mes Lettres , & je vais vous copier les fiennes, ainfi que deux de la belle Parangon , qu'il a bien voulu me confier. {Ici Gaudét place tout au long les Cl, CII, CIII, CIV, CV, CVI.mes Lettres du Paxsan , T. II,, Vous voyez que 1'adorable Parangon ne dédaigne pas d'entrer en-lice avec moi, 8c je veux bien vous prendre pour juge , quoique je puiffe vous foupconner d'un-peu de partialité. Dans votre Familie on' a de la piété,  Partie III. icy comme ros militaires ont de 1'honneur ; c'eft une forte d'efprit-de-famille. Elle y eft onctueuse, touv.hante , Sc la fource de mille vertus fociales , telles que la bonté , la foi, 1'honneur, la bonne - opinion des Autres, la candeur. Cette piété naturelle Sc vraie , eft ce qu'il faut a une Familie de Village, pour être honorée , confidérée, en-un-mot pour être heureuse avec des Gens bonaces, Sc qui , fi quelquefois ils font impies, n'ont pas affés de lumicres pour 1'être par principes. Mais a la Ville, c'eft tout autre-chose! votre piété, telle qu'eile exifte dans la maison paternelle , ne ferait qu'un ridicule. Eneffet, la piété eft ici bien différente de la vraie piété, elle participe du parri que fuivent les Dévots , dont voici le caraclére général: Ils méprisent tout le monde, parcequ'ils croient les autres Hommes capables de tous les vices; ils font défians par cette raison , Sc d'un orgueil infupportable : comme ils n'ont qu'un feul frein , la religion , qu'ils ne connaiffent ni 1'honntur, ni la récipiocité , ni 1'intérêt patriotiq (ils y fubftituent celui de leur feite), üs f'irnnginent que dès qu'on n'a pas leur frein, on n'en-a plus: ils n'ont pas d'idée d'une vertu philosophique ; ils méprisent même dédaigneusement cette forte de vertu : ce qui leur eft commun avec Ceux qui n'étant pas dévots , comme les F¥* , les S*** , Sc d'autres Mauvais-fujets de cette efpèce , ont pris le langaje de la dévotion par intérêc,  ic<5 Paysane perverti i. par fourberie , par baffeffe, & calornnïenr la phiif sophie , pour en-imposer aux Chefs d'une Clique. Perfuadés, que tout ce qui les entoure, n'eft que tison d'enfer, les Dévots font fans pitié : ils brüleraient, poignarderaient quiconque ne penfe pas comme eux , fi la fageffe des lois civiles ne les en empêchait; a leurs ieux, ce ne ferait avancer que de quelques années les fupplices de 1'enftr aux Réprouvés , qui ne font pas leur prochain. Voila pour les Dévots engénéral. Ils fe fubdivisent enfuite en-deux fectes: les Rigoriflts &c les Reldchés. Les Premiers fesant Dieu atroce comme eux , penfent qu'il ne fe plait que dans les larmes, les gémiffemens & les fouffrances de fes Enfans : Partisans d'un fatalifme, contradictoire dans leurs idéés, ils nient la liberté de nos aótions, & par-conféquent leur irioralité ; ils affurent que nous ne pouvons rien de bien par nous-mêmes; & ils n'enprécipitent pas moins au fond de 1'enfer les malheureus Humains, pour une infinité de crimes imaginaires. Ceux-ci font les plusorgueilleus des Dévots : ils fe guindent a une perftction ridicule, & de-la ils infultent au refte des Hommes qui valent mieux qu'eux : Dès qu'on rit, dès qu'on f'amuse foit au fpectacle , foit a la promenade , foit a table, ou a quelqu'autre joüiftance , ils vous damnent : Un d'entr'eux , appelé Nicole, refpirait avec délices 1'odeur des latrines  Partie III. 107 Sc des voieries, pour mortifier fa chair par le fens de 1'odorac: quelle folie ! Les Reldchés font plus-humains : mais ils re prennent que 1'écorce de la religion ; ils en-fort une vraie momerie ; ils ne veulent que des fignes extérieurs, & durefte , ils fe livrent a tous leurs panchans, comme fils n'avaientauqu'un frein : felon eux, une falutation, en-paffant devant 1'image de la Vierge, efFace tous les péchés , &c-a ll eneft cependant, parmi ces Derniers, qui ont une piété délicieuse , inconnue des Sots; elle confifte a trouver fon bonheur dansles pratiques extérieures de la Religion, qui donnent le contentement du cceur, Sc la parfaire quiétude de l'ame : quand ces Dévots-la. ont été a la meffe , qu'ils ont récité leurs prières, fait quelques aumènes, vous les voyez fatiffaits.öê radieus; ils mangent avec plaisir & fans fcrupule les mets les plus-délicats; ils ne méprise que faiblement le refte du Genre-humain ; ils font compariffans, &c* Il eft dans cette claffe: d'Heureus, par la religion , diff'rens degrés: J'en-ai connu qui jouilfaieiit d'une béaiitude complette, ou a-peu-prés : C'étaient de bonnes-ames , qui attachaient a leuts pratiques une importance d'autant plusgrande, qu'ils étaient perfuadés que Dieu les voyait, les écoutait avec plaisir, Sc fesait grace, en-leur faveur , a une infinité de misérables Pécheurs fans dévotion : ce commerce intime avec 1'Etre-fuprême les ravif-  VoS Paysane pervertte. fait : Ils 1c croyaient fouverainement bon jj & ne fongeaient a lui qu'avec des tranfports d'amour. Deforte qu'on voit dans ces deux feótes une grande inconféquence ! Ier Rigorifte , pour achever d'être abfurde , fe fait un Dieu cruel, qu'il force fes Partisans d'aimer par-deffus toutes choses, fous peine de 1'enfer ; tandis que le Relaché, qui a la piété véritable , tout en-foutenant que eet amour n'eft pas abfolument nécelfaire (parce-qu'en-effet il eft impoffible a tous les Hommes de le reffentir ) , eft néanmoins le feul qui aime Dieu. D'après cette exposition vraie , bello Urfule , vous voyez ie parti qui vous refte £i prendre. Soyez Femme-du-monde , &c n'err.bralfez auqu'une fecFe, a moins que vous ne foyiez fufceptible d'être de celle des heureus Dévots , qui aiment un Dieu indulgent. C'eft la feule idéé de 1'Etrefuprême qu'il eft a-propos de conferver. J'aurais peut- être bien-fait de n'en-pas dire davantage a Edmond : Car votre Frère eft un grand-enfant, comme je crois le lui avoir insrquc : ce qui ne fignifie pas qu'il manque d'efprit; mais il fent trop-vivement , &c même trop puérilement; c'eft-a-dire , qu'il fe laiife mollement entrainer , comme lesEnfants , a tout ce qui 1'affeóte : je ne le trouve tenace, que dans fon goüt pour la belle Prude , que j'aime & révère autant que fi elle ne 1'était pas. Cela fait deux fingulièrs Etres, que le fort a la raffemblés i U  'Partie III. i0£ faut avouer qu'ils font bien-faits pour fe tourmenter ! L'Une a beaucoup de vertu , Sc encore plus d'amour : L'Autre a les paffions fougueuses, mais l'ame faible; il ne peut que violer, ou langoureusement foupirer aux piéds de fa Belle : il a d'ailleurs des idees a lui : par-exemple, la manie de la paternité le polfède (i) : il a manque fa vocation ; le fort aurait dü le faire naïtre Commandeur des Croyans ; il aurait eu de quoi fe fatiffaire avec un nombreus Serrail, Sc il aurait donné de 1'ouvrage a fon Succelfeur , f'il avait falu faire-écrangler Tou:cela. Aurefte, cette manie eft peut-être la plus-noble ; Sc li j'en-ris, c'eft qu'il faut rire de tout. La belle-Prude va le fervir a fon goüt : Et il faut avouer qu'avoir un Enfant de cette Vertu-cardinale (patfez-moi 1'exprelfion) , eft un ragout auquel Perfone ne ferait indifférent. Je fens cela : je vois combien il fera glorieus pour Edmond d'avoir a lui un petit Etre qui lui fera commun avec elle : c'eft un lien bien-fort que celui-la !... C'eft auffi , Mademoiselie , ce qui doit vous déterminer a nous lailfei em« ployer tous nos efforts, pour vous faire marquise. Qu'importe que le Marquis vous ( i ) C'eft une belle manie que celle-la ! elle eft fondée fur la nature : les Enfans font d'autres nousmêmes & nous immortalisent: Nous vivons en-eux : les anciens Heros tuaient les Enfans avec les Pères, poHranéantir leurs Ennerois tout-entiers. ( L'Êd'H^  ito Paysane perver ti e. plaise ou non ? C'eft fon titre que vous épouserez , & le Père de votre Enfant que vous lierez a vous. Soyez-füre que votre Fils ( fi c'en-eft un) vous rendra le Marquis fupportabie, le haïfïiez-vous a la rage : c'eft une expérience que toutes les Femmes ont faites. Ces Héros de 1'ancienne Grèce, qui violaient les Filles, tuaient leurs Pères , la plupart du temps, pour les avoir, en-étaient d'abord abhorrés : mais les avaient-ils rendues mêres, ils en étaient chéris. Ainfi, que le plus ou moins de goüt ne vous arrête •pas. Aurefte , le Marquis n'eft pas votre unique reflource : vous en-aurez mille dans ce pays-ci; & je vous aimerais autant Ninorr, que Marquise , fans vos Parens & votre Frère (i). Une-autre chose , que j'ai grande envie de vous dire depuis long-temps , &c que la gêne qu'on met a nos entretiens m'a encore empêché de pouvoir vous communiquer ; c'eft qu'il faut vous lier, Edmond & vous , de-manière, que 1'Un porte 1'Autre a la fortune ; & le moyen le plus-limple pour cela , c'eftNd'agir, lui , comme f'il •n'avait en-vue que votre avantage; & vous, que le iien/Dans tout ce que vous ferez , il faudra toujours vous dire : Qu'en résultera-t-i' pour mon Frère? Je vou$ prédis qu'il n'y a pas de meilleur moyen de faire votre chemin 1'Un & 1'Autre , & de vous ( i ) Ceft bien ce qu'il veut: mais il n'osait pat W oue du preaiier-coup.  Partie ÏII. nr rendre-heureus a-jamais: en-penfant a vorte Frère , voas ferez-misux vos affaires , qu'enne penfaut qu'a vous-feule : & Lui , enfacrifianr tour pour vous mettre dans une lituation brillante ( i ) , travaillera plus-efHcacement pour lui-même que f'il vous oubliair. Que des rmais ce fo t-la votre pierrede touche , a chaque-fois que vous aurez un parti a prendre C'eft ce qui fait que je ne penfe point-du-tout au Confeiller , qui ne peut que vous enterrer a Au¥* , & vous öter au monde , pour lequel vous êtes faite (2), J'entrevois fous le pttit air malade, que vous avez a présent , qu'apiès votre liberté, vous ferez plus-br.llante que jamais: Rjflurtz- vous fur la perte que vous avez faite ; votre fleur renaiira de fa cendre , &C vous alez avoir une faison , ou vous ferez plus-agréabie Demi-femme que Fille. Vous pouvez en-avoir fait 1'obfervation , fur les Femmes Si les Filles de ce pays-ci : quant a moi, je me fuis plustrès-fouvent ala faire fur les Nouveiles-mariées:Filles,c'étaientde belles fieurs ; mais un-peu apres, & trop-vives encouleur : Femmes, elles joignaienr a leurs attraits quelque-chose d'un-peu fatigué , ( 1 ) Pourquoi la mettre dans une lituation brillante ! Jamais , jamais les élévations &t les furtunes fubites ne fe font faites avec un coeur ou des mains pures! i ( a ) Au monde ! a Sathan ! ilpatle clair enfin J Siais il ia.it a qui il parle. -  iiz Paysanipervertie. mais fi delicieus , qu'elles infpiraient dixfois plus de volupté que dans leur première fraïcheur. C'eft par cette raison , que dans ce pays-ci, oü les Bon gourmets en-plaisir , fentendent bien-autrement a ce qui leur convient, que par tout ailleurs , une Belle n'en-eft que plus-recherchée , quand elle eft Femme : il ne faut pas croire qu'il y ait-li une perverfité morale, & un efpoir de plaisirs plusfaciles, a-l'abri des conféquences ; cela y entre bien pour quelque-chose ; mais le phyfiq eft une cause plus-puiftante & toujours durable (i). En-effet , la Femme a quelque-chose de mol & de voluptueus, dans fa démarche , dans fes manières , quï lui vient de la connaiffance du plaisir & de 1'habitude de le goüter, que n'a pas la Fille , ou que Celle-ci, lorfqu'elle f'eft furtivement échappée , n'a goüté que très-imparfaitement: aulieu que la Femme f'abandonne a eet air qu'eile fe doute qu'eile a ; parce-qu'elle fe croit, avec raison , difpeniee de la prude reserve des Filles. C'eft a prendre eet air que je vous invite , apiès votre liberté: comme le Marquis a eu la bonté de fe comporter de-manière avec vous, que vous n'avez auqu'un tort, vous ne rifquez rien de fentir un-peu la Femme; Sc ( i ) Juftiiïe tous lts desordrss, Miserable ! ta xéüffiras mieux par-!a , tu le fais trop , que f» tu disais: . Faites mal-! (,sf le roal eft Jpujourt £  t* A R T I É III. II? ïi l'on approfondiffait, qu'on découvrft, elr bien , qu'en- ferait-il ? Je creis qu'il n'y a rien de li glorieus pour une Femme , ni qut la rende li intéreffante, qui excite davantage les desirs que fa beauté fait-naitre , que d'avoir été...., ce que vous avez été par le iViarquis. Le Violeur eft odieus: mais la Violée eft toujours intéielfante. Il lui refte une forte de virginité , que les Hommes ne trouvent pas moins-délicieuse a moiffonner que 1'autre; celle du confentement du cccur„ Et ils ont raison. Vous n'en-feriez donc que plus-excitante , & peut-être même plusmariable. Mais ne portons pas encore nos vues jufques-!a. Les circonftances nous détermineront. En-attendant, foyez fike, que plus vous acquerrez de légèreté , de ce ton abfolument opposé a la bonhommiede votre Familie , fi peu faite pour la figure noblement voluptueuse qui m'y parait héréditaire » & plus facilement vous fubjuguerez , & le Marquis , & Tous-ceux que vous aurez intérêt de fubjuguer. J'ai décidé que nou» ferions enfemble un petit cours de philoscphie morale : vous m'entendrez mieux que votre Frère , & c'eft par vous que je veux. aler a lui (i). ( i ) Bc-ndieu ! en.quelFes mains voila ma pauvrsü Sceur!.... En-effet , les Seducleurs de toute efpèce „ trou\ent toujours mieux leur conrpte auprès de» Femmes, qu'auprès des Hommes-: les Premiei&s fünt plus aisées. a perfuader & a ïeiidie folies» Terne IL Partie UI, &  ii4 Paysane peryertie. Mais c'en-eft affés pour votre fituation : après votre liberté, nous traiterons plus-amplement les matières qui Poffrent a mon efprit. Je fuis, Mademoiselie , Votre tout dévoué. LETTRE LU. 4 juin. Réponfe. (La voila qu'eile prend auffi Gaudét pour guide ► 1'Infortunée ! ) S'il y a chés moi de la partialité , chèr Mentor (comme vous nomme mon Frère), c'eft apparerr.mert en-votre faveur qu'eile fera. Trop couvaincue de vos bonnes-intentions , pour Edmond tk pour moi, je ne puis que bien-interprêter tout ce que vous me direz. Ainfi , quoiqu'il fe trouve dans votre Lettr,- des choses qui m'étonnent unpeu , cependant d après 1'idée fi-bien fondée que j'ai prise de vcus, je vous foumets ma raison , comme étant le plus-éclairé. J: présume d'ailleurs,_comme vous 1'avezdit dansune-aut:e qcc;ï o , que vous proportionnez les inftruct'ons que vous avez a donner, aux Peifor.es tk aux circonftanres ou elles fè uouyent, En eftetce qui eft bon a 1'Une „  Partip IIL nr ferait fouvent nuisible a 1'Autre , & c'eft: rnal 1'entendre que de donner a Toutes les mêmes lumieres. Voila mes difpositions a votre fujet s elles doivent vous mettre a-l'aise, pour tout ce que vous avez a m'écrire desormais. De mon cöté , je ne manqueraï pas de vous confulter en-tout. D'abord , il eft certain que j'ai grande envie d'épouser le Marquis. Je ne crois pas que vous ayiez été la dupe de mesdédains (i). Mais je fens qu'il faut, pour que eet Homme ne me méprise pas , après le mariage , me faire beaucoup prier : c'eft a vous a travailler de-facon qu'il me prie beaucoup. Je feindrai de préférer le Confeiller , dont au fond , je ne me foucie plus , & dont je ne faurais ms foucier, puifqu'en- m'épousant, il femblerait qu'il m'aurait fait une doublé grace. Par vos foins ( & c'eft un éternel fajat de reconnaiffance ), je ne crois pas me voir jamais obligée d'en-recevoir d'auqu'un Homme. Mais pour être füre du fecret de ma conduite , il faut tromper mon Frère lui-même au-fujet de mes vraies difpositions. Je veux êrre agréée de la Familie du Marquis, priée par elle : L'idée que vous m'avez donnée de mon rcrrice, me fait croire que j'en-vaux la peine ; ou je refterai Fille. Je goüte fort c^tte aftbciation d'intérêts que vous me proposez avec mon Frère , 5c (i) Voyez ces difficultés dans le PaïSAH ,7". il-  n$ Pats ane v e r. v e r t r t2 je vous lalaifterai entièrement diriger. Parm? les principes qu'on m'a donnés chés nous , &c que vous paraiflez regarder avec une forte de mépris, il en-eft un cependant, qui cadre avec les vues que vous avez pour mon Frère : On y inculque aux Filles, que tant qu'elles ne font pas mariées , elles doivent fe facrifïer pour leurs Frères , qui feuls perpétueront le nom qu'elles portent. Vous. me permettrez aumoins de conferver ce. principe la? Quant a vos Lettres de controverfe , fi vous avez cru m'amuser par-la , non : toutcela me parait des idées-creuses: excellentes. pour occuper des imagmations trop-fenliblesj, comme celle de m.me Parangon : mais pour moi , il me faut quelque-chose de plusmatériel dans mes amusemens. Je vous parle. a-cceur-ouvert, fachant combien vous me voulez de bien , par celui que vous m'avea déja procuré. . Cette Réponfe ne f'eft pas; fait-attendre, ma promptitude vous prouve: le cas que je fais de tout ce qui vient de votre.parc, la controverfe exceptée. Jë vous falue».  Partie ITT. ii-/ LETTRE LUI. 15! juin. La Méme , d Laure. ( Origine de la corruption d'Urfule. Et voila comme le premier mariage de mon-pauvre Frère fut auflj la perte de ma Saeur ! ) IE touche au terme crainr & desiré. La Belle - dame vient de mettre-au-jour une Eille , jolie , jolie , il faut la voir ! Elle en-eft folie. Je crois que je ferai de-même , & pour ma fanffaction , je voudrais une Fille ; pour mon ambition un Fils. La Sagefemme de m.me Parangon dit que j'aurai un Fils. Je la prendrai plutöt qu'un Accoucheur ; car je penfe comme la Belle-dame , qu'il faut avoir de la pudeur jufque dans ce moment-la. Paffons a une autre-chose. Je voudrais bien favoir quelle eft ta politique avec tous les Hommes ? Je tiens la mienne de ma feue Bellefeeur Manon, qui m'a trèsbien endoctrinée pendant le peu de temps que j'ai vécu avec elie. Son principe étaic qu'il faut fi rarement leur dire ia vérité , qu'on pourrait employeryfl/^/'j , aulieu de rarement \ car il n'arrive piefqu-. jamais qu'eile nous foit avantageuse: qu'il fiut les txemper poux leur bien autant que pour le  ii8 Patsani perverti e. notre , leur montrer toutes les veitus qu'ils nous fouhaitent; & fi nous ne pouvons les avoir, en-prendre le mafque. Je commence a mettre ces maximes affés bien en-usage. Je trompe Edmond , fur mes difpositions : je trompe le Marquis; je trompe le Confeiller ; aide-moi un-peu a tromper m.r Gaudét, en-me fesant confidence des moyens que tu emploies ? Tu me demanderas , Qui m'a rendue fi fine > Mon fexe tk les exemples que j'ai devant les ieux. Il n'eft. pas jufqu'a ma Bellefoeur Fanchon , qui ne trompe un-peu fon Mari; car je fuis bienfüre qu'eile ne lui montre pas toutes les Lettres qu'eile recoit de moi , tk qu'eile va chercher elle-mêmea V***. La Belle-dame ne trompe-t-elle pas le fien ? Et Manon t comme elle trompait ce pauvre Frère, fi vif, fi emporté, pour des torts qui ne le touchent pas d'auffi-près ! Refte toi, Cousine: comment trompes-tu ? Les lumières que tu me donneras me feront très-utiles ! M.r Gaudét me veut former : je me trouve bien comme je fuis: mais je ferais charmée de lui laiffer la gloriole de croire qu'il m'a formée. Aidemoi donc a lui d- nner cette fatiffaction , je t'en-prie ! G'pendant, depeur que tes confidences ne foient perdues, attens que mon trifte jour foit palfé l Entre-nous , je le redoute un-peu ! mourir avant vingt ans, parce-qu'il a plu a un Oftrog th de fatiffaire la paijion que nous lui avons in^pirée , c'eft un-peu dommage i Je ferai mon poffible  Partie III. 119 pour échapper. Tu étais plus-jeune , & te voila. Je t'embralïè , ma Pouponne, & t'aime de tout mon cceur. LETTRE LIV. 16 juin. Réponfe. ( Tricherie ! car cette Lettre fut dictee en-partie par Gaudét, plus-fin que cette pauvre Fine ï Portrait de Gaudét.) O N dit que je fuis fine ; mais tu me dames le-pion , mon aimable Cousine ! Je fiats pourtant charmée que tu m'aies écris comme tu 1'as fait, cela me met a-l'aise , &-je vais te parler a-cceur-ouvert. Je fuis de ton avis; & tu penfes tres jufte, quand tu fupposes que je trompe m.r Gaudét, & que je le mine. IJ faut te faire fon portrait: Il tit de lui; car il fe connait; mais j'y mettrai du mien quelques traits , que j'éerirai differemment; remarque-les. Il eft pour 1'cfprit comme pour la figure , tu as vu dans fes traits, qui font tous gracieus, quelque chosededur, dont on nepcut fe rendre-raison: quoique tres-bien fait, dfe ramaffe quelquefois en-peloton, dans fon fauteuil, & alors il a Vair d'un Ours ;  't$.0 PAYSANE fERVEHTIE, Son cara&ère eft 1'enjouement , l'aimable faïté : mais au-milieu des failliee de fa belleumeur, il lui échappe ou une exprejjion dure, ou une ironie fanglante : ll eft bon, 8C il eft fin ; deux qualicés prefqu incompat;bles. Il eft bon-ami; mais quelquefois fa conduite a toutes les apparences de la perfidie ; il trahit pour fervir; 8c femblcble a ces. Somnambules qui marchent en-füreté fur Ir haut d'un toit , tant qu'on ne les éveille pas , il vous fert en-eftet, fi vous ne vous apperceve^ pas de fa trahison; mais fi vous le rernarquez",, Sc que vous le troubliez , tout eft perdu , & la perfidie a fon ejfet naturel: Il n'eft pas vindicatif, a moins que ce ne foit pour venger un Ami, une Amie „ & que cette vengeance ne leur foit réellemsnt utile : alors, ilal'air du plus-atroce des Hommes , & ilfe comporte de-même ; car comme il eft fans préjugés ,■ rien ne peut 1'arrêter , que la raison , dont il écoute toujours la voix : Voila 1'Homme.. Conduis toi avec lui en-conféquence de ce portrait, le plus-vrai qui fut jamais. Quant, a moi, voici ma manière a fon égard. Je ne joüte pas avec lui de finefte ; il f'enappercevrait, 8c je ferais fa dupe , comme bien-d'Autres: mais je lui dis clairement ce que je ne veux pas, ou ce que je veux: je le dis fermement. Ordinairement il cède au pre-mier mot, 8c fe conforme a. mes volontés r comme a ces évènemens qui partent de Causes-ïupérieures, &c qu'on ne faurait empê -her, Quelquefois;,  Partie III. fxt Quelquefois , mais rarement, il forme des objections. Si je 1'écoute , il me fubjugue : mais fi je 1'arrête dès le premier mot, enrépétant, je le veux, il me répond, :: Cette raison-la vaut mieux que toutes les miennes» & cela fera Malgré ta finefTe , Cousine , je te confeille d'employer ma recette: c'eft unconfeild'Amie. Ce quirendcetteconduite fans inconvéniens avec m.r Gaudét , c'eft qu'il ne connaït rien d'illicite , que ce qui eft contraire a 1'avantage de la Perfone qu'il fert : mais auffi , comme il eft fort-éclairé , fouvent on le croirait fcrupuleus : II faut alors 1'écouter , & on a la fatiffaction d'être convaincu ; on eft forcé de 1'approuver , de vouloir & de penfer comme lui. D'après cela , tu vois f'il a beaucoup de peine a conduire Edmond ! Cent-fois moins que toi & moi (i). Ainfi, ma Chère , que ce caractère décidé ne t'effraie pas : c'eft un Guide fur, que Celui quinebionche jamais, qui, f'il tombe quelquefois, ne le fait , qu'en-vous disant, — Vous voulez que je tombe & tomber avec moi; je vais le faire pour vous complaire ; prenons-garae a nous faire-mal! vous m'avertirez quand vous voudrez vous relever , & marcher plus-ferme- (i ) II faut encore ici psévenir le Leéteur , que Laure, ou plutót Gaudét, trompe Urfule: c"eft le contraire: qu'étaient-ce que des nneifes de Fillette» pour Gaudét 1 Edmond était dix-fois plus-difficile a conduire. (L'Edi.teur. Terne II. Partie III. L  111 PaYSANE PERVËR.TIE. ment-. Adieu , chère Consine. Je te fouhaite bien audela du trijle jour (comme tu le jiommes); qui ne fera cependant pas fi trifte; car il fera naïtre dans ton cceur la joie du danger paffe, celle d'avoir un Fils, &C Ê'efpoir d'un heureus mariage. Fin de Ia troisieme Partie,  L A PAYSANE P ERVERT IE , o u LES DANGERS DE LA VILLE; 'BlSTOIRE v'URSUZE R * * , /(BUT d'Edmond , le Paysan , mise - au-jour d'après les vèritables LETTRES des Perjonages : Par 1'Auteur du Paysan Perverti. TOME II. PARTIE IV. Tmprimê A LA HA IE. Et fe trouve a P A R I S €he\ la d.me Veuve Duchefne , libraire, en la net Saint ')aques, au Tewple-du Goüt. M.- dcc-ixx x iy,   LA PAYSANE PERVERTIE, OU LES DANGERS DE LA VILLE; HlSTOIRE (C URS Ul e R * * , mise" au-jour £ après les véritables Lett Re$ des Perfonages. QUATRIEME PARTIE. LETTRE LV. }0 juia; Laure, d Gaudét. ( Urfule a un Fils.) C'est un Fils. Elle eft aufti-bien qu'on peut 1 etre : je la garde , puifque Fablenee de la belle Dame me laiffe une liberté entière* L }  ji6 Paysane fervertie. Edmond eft venu. Je lui ai montré fon Neveu , en lui disant , —C'eft un Fils-» Il a paru tranfporté de joie. Envérité, j'enai ri. Mais au-fond , il a raison. Le Marquis f'eft présenté trois-fois a la porte : elle a refusé de le voir. Elle en-a envie, cependant, depuis que c'eft un Fils. Elle veut le nourrir. Je m'y oppose. Il faut ici le poids de votre autorité. J'ai fait prendre les précautions pour cacher ce que vous appelez la valeur d'une Nègreffe, la gloire,d'une Sauvage 3 & la-honte d'unè jolie Européane: Nous avions la trois Agneaux tout-prêts, qui ont été inhumainement excoriés : je n'aurais pas été capable d'y confentir ; mais le foin de notre beauté nous rend cruelles. Je finis par ce mot, qui porte fentence,  Partie III. af LETTRE LVI. même jour. Gaudét, d la cruelle L a u r X. (Adrefle da Méchant Gaudét , pour empêcheï Urfule d'alaiter. ) JVÏille complimens a l'aimable Cousine : ma joie égale la fïenne & celle du Marquis, que je viens de voir avec Edmond. On ne peut les faire-tairc ; ils parient enfemble ; ils fe coupent la parole ; n'y font auqu'une attention , & quand vous leur répondez a une queftion importante , ils vous en-foni une frivole. C'eft tout ce que je puis endire a-présent a 1'heureuse Persone. Quant a vous, cruelle Laure, j'ai a vous gronden Nourrir fon Fils eft le de voir d'une Mère, & ce ientiment fi naturel, fi légitime devait naïtre dans le cceur de la méritante Perfone auprès de laquelle vous êtes. Voila ce que je penfe. La jeune & charmante Maman a du vouloir ce qu'eile veut. Refte a favoir , fi nous rlevons nous y opposer. Je trouve que vous avez décidé la queftion un-peu-vïte, Mademoiselie Laure , & comme une véritable Etourdie. Je voudrais être-la pour vous endemander les raisons. Je fuis füre que vous n'en-donneriez que de frivoles comme vouskL 4  «iS Paysane pervertie? meme : la confervation de quelques attraitsjj la gêne , oh ! fur-tout la gêne, la privation des plaisirs. Mais la jeune Maman ne confentira jamais a perdre-de-vue 1'Objet de fa tendreffe : elle a d'ailleurs fous les ieux un trop-bel exemple pour ne pas 1'imiter entout : fon Amie , fa Déeffe, la Belle-dame fait nourrir fa Fille fous fes ieux ; elle lui rend tous les foins de mère, a-Fexceptior» de celui de 1'alaiter; parce-que 1'alaitement laiffe certaines traces , que certaines Perfones , comme la Belle-dame & l'aimable Maman ont des raisons de ne pas conferver fur elles. Voila, charmante Etourdie, ce qu'il falait dire a la petite Maman, & non pas ce que vous avez dit fans-doute. Le parti que la Belle-dame a pris, eft le feul a prendre , voila mon avis, & je fais chercher a-présent ce qu'il nous faut. C'eft une Fille que j'ai vue un de ces jours , de 1'age de la petite Maman , affés jolie , douce, qui, n'a eu qu'une faibleffe, & par inclination. Je vous 1'enverrai tantdt. Elle reftera dans la maison, & outre qu'on fera ainfi tout ce qu'on doit, on aura de-plüs le mérite d'une très-belle charité envers cette pauvre Fille. P.-f. Sur un papier féparé. -Pu vois, ma Belle , comme il faut f'y prendre , pour amener ces Petites-perfones a ce qu'on veut. Gaje que ma Lettre a produit fon efFct 5 Tu m'en-diras des nouvellês.  Partie IV. n$ LETTRE LVII. i juillet. M.mt Parangon, d U r s zr z e. ( Elle lui donne de véritablement Bons confeils.) JN^A très-chère Amie : J'apprens avec une joie inexprimable , que la terrible crise eft paffee : c'eft a 1'amitié la plus-tendre & la plus vive a t'en-féliciter. Mais, chère Amie, c'eft de ta conduite a&uelle que va dépendre tout le refte de ta vie. Je ne te porteraï certainement pas a 1'ambition; on peut être heureuse fans être marquise : mais tu as un Fils ; il t'impose deux devoirs principaux , effenciels tous-deux : le premier, de lui donner le lait de fa Mère; le fecond , de légitimer fa naiffance. Graces au Ciel, tu n'as rien a te reprocher , & ta fingulière position eft toute a ton avantage : mais quel présent que la vie , fi tu ne donne pas a ton Fils une place parmi les Citoyens l Si par ta faute , il defcend audelfous du rang de fon Père , audeftbus même du tien ! Il faut ici de la vertu & quelqu'adreffe , ma chère Fille : ne ten fie pas uniquement a ta beauté ; emploie tous les moyens légitimes de captiver non-feule-  ijó Paysane pervertïe. men: le Marquis, mais de gagner encore 1'eftime de fa Familie. Le premier de tous ces moyens, c'eft de nourrir ton Fils, de ne vivre, de ne refpirer que pour lui , de le tenir d'une facon qui le rende aimable 3 & qui enchante une Familie orgueilleuse 8c puuTaute. Tu feras mille-fois plus intéreffante aux ieux du Marquis lui-même , ton Fils fur ton fein , qu'avec la plus-brillante , parure. Ce n'eft pas que je te confeille de te négliger de ce cótéda ; au-contraire, il faut que la propreté de ta Perfone foir plus recherchée que jamais. Je fais que c'eft une recommandarion inutile avec toi. J'elpère te pouv-)ir rendre une visite demain. Ma chère Urfule , fi tu répons a mes vues , nous alons être plus-unies que jamais, li faut rappeler Fanchette de fon Couvent nous n'avons plus de raisons de la tenir éloignée de nous, 8c peut-être fera-t-il plusfur, vu la prudence de cette chère Enfant, de lui faire nos confidences ; non pas entières pour moi ; cela n'eft pas néceffaire, mais pour tout ce qui peut lui être dit. Adieu , ma plus chère Amie. JP.-f. C'eft au mariage que tu dois tendre. J'infifterais davantage encore; mais je crois que c'eft le vceu général, 8c que Perfone n'a ici des vues en-deffous.  Partie IV, 151 LETTRE LVIU. 15 juillet. U r s u i e , d Laure. ( Elle desire d'épouser le Marquis, &. fe plaint de ce que Gaudét f'y oppose, ) C^tjoiq_ue vous en-disiez , les raisons de m.me Parangon valaient mieux que les vótres ; je le lens a n'en-pouvoir douter. Cependant elle f'y eft rendue , & au-moyen de ce que la Nourrice demeurera ici, je puis me donner les mêmes avantages , que fi je nourriffais mon Fils. Le Marquis m'impaciente , Edmond auffi ; je les brufque tous-deux. 11 n'y a qu'une chose a me dire, aulieu de fadeurs; un ban a 1'église &c un contrat chés le Notaire. Je vis le Marquis avec plaisir , au-retour du batême; & envérité , f'il avait eu de 1'efprit , c'était le moment de me parler mariage : ll n'en-dit pas un mot. Auffi dut-il f'apercevoir de ma froideur, lorfqu'il nous quitta. Je fouhaiterais que m.r Gaudét voulüt me fervir unpeu a ma manière , plutöt qu'a la fienne. Je ne fuis pas contente de notre dernier entretien : Je te prie de lui dire cela férieu«ement. Ce qu'il me propose eft trop-éloigné  ÏJ1 PAYSANE HRTERTII.' de ma facon-de-penfer & de mon caraclère i il a falu tout ce que je lui dois de confrdération , pour m'empêcher de lui répondre durement. J'ai resolu de feindre d'aimer le Confeiller, pour exciter Ia jalousie du Marquis. Ce mariage tant offert, il n'en-eft plus queftion ! Cela me piqué. C'eft le moment , a ma première fortie , & je ne devrais quitter ma chambre , que pour aler a 1'autel. Voila ce que je veux : dis - le k m.* Gaudét. F.-f. Il m'a fait entendre qu'il avait eu pare a mon enlèvement : fi je n'épouse pas, quel était donc fon but ? LETTRE LIX. 16 juillef. Réponfe. { Laure , de-concert avec Gaudét > lui confeille une lineffe dangereuse. ) Tu as raison, chère Cousine, & je viens de le dite k 1'Homme dont tu te plains a jufte - titre. Ses réponfes font pitoyables ! Toujours ce qui eft plus-utile k ton Fiére ! Envérité ! les Hommes croient que nous ne devons exifter que pour eux ! Voici mon avis, k moi : Je rebuterais le Marquis , aupoint qu'il faudrait qu'il f'expliquat; & lork  Partie IV. 133 qu'il aurait parlé-net , je ferais la dédaigneuse; j'irais jufqu'a lui dire , a dire a fes Parens, f'ils me proposaient fa main , que ï'ai de la repugnance pour lui. Je vois a cela de grands avantages ! la Familie te preffera; elle t'honorera ; le Marquis fè croira trop-heureus que tu le prennes parcomplaisance, & comme tous ces Gens-la n'ettiment les Femmes qu'a-proportion des difficultés, tutetrouveras confidérée, chérie, après ton mariage. Effaie de cette recette. Quant aux confeils, ceux h fuivre ne font ni ceux de m.r Gaudét, ni ceux de la Belledame, dumoins en tout, mais les miens. Je t'embraffe. Ne crains pas que ce mariage puifle man-» qucr i ton Fils le rend infaillible.  ij4 Paysane perverti*. LETTRE LX. »5 juillet» U R S TJ X e , d M.MZ P A R A N G O N , ( Comment elle refuse le Marquis, en-voulant accepter ; Gaudét ne lui fesant-faire les propositions ■ que lorfqu'il fait qu'elles feront fans effet. ) Enfin, il eft queftion de mariage „ ma chère Madame, & vous voyez que les confeils de Laure ne font pas ffmauvais! car je les ai fuivis a la-lettre. J'ai eu la plusbelle occasion du monde hiér de faire la fiére, la dédaigneuse , & je ne 1'ai pas laiffée échapper: La Mère du Marquis m'eft venue rendre-visite. Elle m'a lailTé entrevoir, qu'on avait un établiftement en-vue pour le Marquis, & qu'on craignait que je n'y apportaffe obftacle. Je me fuis trouvée piquée de cette ouverture , 8c j'ai été charmée que les confeils de Laure vin (Tent a-l'appui de ma vanité bleftee. —Non, Madame, ai-je répondu , je n'apporterai pas d'obftacles a vos vues : ma fituation eft très-affligeante ! m.rf votre Fils ne m'infpire abfolument rien du-tout, & fa violence a été auffi cruelle qu'eile le pouvait être, puifque rien "e 1'a certainement adoucie. Je vous dirai plus*  Partij IV. i;| jl eft un autre Homme, vertueus, modefte, fans torts a mon égard , qui m'aimait & mon infu avant mon malheur ; qui depuis , n'a pas changé : c'eft a eet Honnête-homme que mon cceur fe donnerait, f'il pouvait fe donner. Voila, Madame, la vérité nue; je vous parle comme je ferais a ma Mère elle-même-. La Comteffe a aggravé la peine que je reffentais, en-me careifant; j'ai vu que ma réponfe lui fesait-plaisir, Elle a demandé mon Fils : Marie 1'a apporté. La Comteffe a paru charmée de fa figure 8c de fes petites graces enfantines; elle 1'a careffé fort long - temps. J'attendais qu'eile alait changer de langaje avec moi. Point-du-tout! Elle m'a demandé 1'Enfant. J'ai répondu , que j'aimais trop mon Fils pour men priver: ( Elle aurait dü entendre ce que cela voulait dire : mais voyant qu'eile ne me comprenait pas, j'ai ajouté : ) Je le veux élever enfant, Madame : mais je ferais charmée que la Familie de fon Père lui conferyat cette bonne-volonté , pour quand il iera prêt d'entrer dans le monde : Je le remettrais alors très-volontiers, foit a fon Père , foit a vous, Madame; après avoir fait naitre & nourri dans fon cceur les tendres fentiments qu'une abfence entière empêcherait d'y germer pour celle qui 1'a mis au monde. Car je renoncerais plutót a tout efpoir de bonheur, qu'aux fentimens naturels que me devra cette Créature innocente. Et ne croyez cependant pas, Madame, que je me les  ï?*» Paysane pervertie. approprie feule ; fans aimer m.r 'e Marquis, je connais fes droics ; il peut être fur que je pénétrerai fon Fils du refpeót. légitime & de la piété filiale dus a un Père-. Après un langaje fi clair, & qui marquoit fi-bien mes difpositions , je m'attendais que la Comteife alait aumoins les louer; ou que peut-être même , touché de la facon-depenfer de la Mère, & de la beauté 'du Fils (car il eft charmant), elle alait me parler de mariage : mais aucontraire, elle f'eft rendue , comme fi mon but avait été qu'eile fe rendit a mon refus (i). _ Je fuis au desefpoir que votre indifposition ne vous ait pas permis de vous trouverla; je fuis füre que vous auriez éclairé cette Mère , & que vous 1'auriez amenée oü je la veux. Marquez-moi, f'il n'y a rien dans ma conduite qui vous déplaise , ou qui ne tende pas au but que je me propose, dans ma position présente. Le Marquis reparle de mariage très-ardemment, c'eft un point de gagné. Mais moi, dois-je fupplier la Mère de eet Homme de me faire épouser fon Fils > Je ne le crois pas. J'attendrai encore quelque-temps. Il faut que je fois prelfée : c'eft ce que je dis a Edmond , & il me feconde afles bien de ce cóté-li. Je fais , malgré ma jeuneffe, qu'une Femme de mon (i) Voyez au fujet du Fils d'Urfule, les Lettret CIX, CX ct CXI du Païsau, T. II, état  Partie IV. «3 êtzt rifque le tout pour le tout, en-épöUaaut un Jeune-feigneur. Je vous fouhaite un prompt rétabliffêment , &: fur-tout la tranquilité d'efprir, Ni vous, ni moi ne pouvons commander aux évènemens, & notre volonté , qui n'y a pas eu de part, pourrait feule nous rendre coupables : mais dans ce cas - la même , faudrait-il nous desefpérer? Nous n'avionsqu'une raison d'être attachées a la vie > la voila doublée ; confervons-la. LETTRE LXI. 26 juillefv G a u d s t , au Comte de-***) Tere du Marquis. (Adreffe mondaine & ruse du Corrupteur, ponff fervir le Frère aux-depens delaSosur, &t rempli»d'autres vues iecrètes.) M onsieur le Comte: I l m'eft facile de vous donner les initrue^ tions que vous me faites-demander : Je connais la Familie de la Jeune-perlone, comme; la mienne. Ce font de Bonnes-gens T dont 1'origine eft peut-être égale a la votre , mais la fituation présente bien-inférteure! ce fonsTome IL Tartie lVr te  i $8 Paysane perverti e.' des Laboureurs, tant Ie Père que les EnfanS reftés au Viiiage de S**. Quant a la Jeuneperfone, fa figure eft charmante, & tout le fang de cette maifon eft beau. Le carac- « tére de la belle Urfule eft parfait , il n'y a pas-la de candeur affectie ; tout eft franchise : c'eft la vertu même , avec tous fes épouvantails j le Marquis aiméou non, ferait fur de fa Femme , fi une-fois il lui avait donné ce titre honorable. Voila, je crois , Monfieur le Comte , exactement tout ce que vous voulez favoir. A-présent me fera t-il permis d'ajouter un mot audéla de vos queftions > J'ose 1'efpèrer de votre indulgence. Le Marquis eft père, & il 1'eft d'un Fils. Il me femble qu'il n'y aurait pas k hésiter k conclure un mariage , qui donne un étit k votre Petitfils. Vous n'avez auqu'une objection \ faire contre la Mère ; tk elle a un million de plaintes k faire contre fon Raviffeur. Il eflt vrai que vous avez donné une fo^te fomme: vous avez lameté fon filence; auffi ne reclamera t elle jamais contre vous le fecours de la loi: mais ce ferait un bien-trifte avantage pour vous même , fi vous avi»z auffi acheté le droit de profcrire votre fang ? Il n'y avait pas de fi s , pas même d'apparence de groffeffe, quand l'arcord a été fait par moifeul, tk k l'infu non-feulement de la Demoiselle , mais de toute fa familie. J'ai fait xatifier depuis, non fans peine : mais f'il y avait eu un fils s moi-même je n aurais ven]*  Partie IV. 159 me prêter a auqu'un arrangement , & faurais attendu , de la crainte fondée d'une dénonchtion au Miniftère public, un mariage , que je n'attens aujourd'hui que des fentimens naturels d'un Père pour fes Enfans. Je fais que le Marquis peut trouver un Parti plus-avantageus, qu'une fille avec quinze a feize mille livres de rente «pmais je fais auffi , qu'il ne trouvera fürement pas le bonheur ; qu'il 1'a chafle loin de lui pourjamais , par fon attentat fur la fille d'un citoyen , qu'il a violée , retenue malgré elie chés lui plus de dix jours, mise a deuxdoigts du tombeau : ll aura toujours cette image devant les ieux : & f'il devenait afles endurci pour 1'écarter , il n'écartera pas celle de fon fils ; ni vous-même, Monfieur le Comte, ne réüffirez pas a 1'écarr.er. Voila ce que ma confeience m'oblige de vous dire. D'un autre cóté , je fens que c'eft un mauvais-mariage , pour un Homme comme le Marquis de*** : qu'il aura un Frère a avancei; une familie nombreuse a protéger, a aider : qu'un mariage dans une familie égale a la fienne , lui procurera des avantages fi confidérables , qu'il eft impoilïble de les négliger : qu'enfin, il aura d'autres fils , dont 1'origine fera également illuftre par les deux Sources de leur exiftance. Comment faire dans une pareile orcurrence ? N'y aurait- il pas moyen de tout concilier J Je le crois; &c voici celui que j'imagine. M i  140 PAYSANE rïRVHRTIl'; Les filles ne font rien dans les maisonS nobles ou roturières; elles en-fortent pour n'y rentrcr jamais. La tache faite a la familie R**, par ia violence fur une fille de cette maison, tombe donc bien-plüs fur les males, &c fur-tout fur celui de ces males, qui eft a Ia capit3le, & connu dans le monde, ou pret 4» 1'être, que fur la fille elle-même , qui d'ailleurs me paraït prefque-dédommagée. Ainfi , pour n avoir rien a fe reprocher, & que des Gens auffi relevés que vous 1 'êtes, ne fe trouvent pas un tort réel avec des Gens audeffous d'eux , je proposerais , mais comme un fimple projet, que je foumets a votre examen, que m.r le Marqui3 épousit, pour fa fortune & fon avancement , la Perfone-de-diftin&ion que vous avez en-vue ; & que pour réparer fes torts3 relativement a la Perfone qu'il a deshonorée , il rendit au Frère plus-qu'il n'a öté a la Sceur. Ce Frère , Monfieur le Comte, eft un beau-garfon , capable de faire honneur a fon Protecteur par fes qualités , par fa belle figure , par fes fentimens nobles & diftingués. Il faudrait le faire-entrer au fèrvice , lui faire-avoir une compagnie, lorfqu'il en-ferait temps : a-moins que vous ne pjéféraffiez de lui faire un fort dans la robe ; car il eft propre a tout; je choisirais même ce dernier parti. La finance ne doit pas vous -nqUiéter c'eft un article dont je me charge, avec le fecours des autres Amis de ce Garfon méritant: car il eft adoré de tout ce qui le  Partie IV. 141' connait. J'imagine que la protection que lui donnerait m.r le Marquis, & vous-même, Monfieur le Comte , vous honorerait autant que lui, & ferait briller aux ieux de rout le monde votre grandeur-d'ame & votre juftice : Votre gloire ferait ici d'autant plus pure , que vous n'encourreriez pas, auprès des Gens-de-qualité , le blame de vous être mesallié dans votre fils uniq. Je viens, comme un Avocat-général , de plaider le pour & le contre : voila toutes les raisons pofïibles : c'eft vous qui faites la fonótion de Juge : prononcez. J'efpère , Monfieur le Comte, que vous recevrez en-bonne - part ce que je prens la liberté de vous marquer, & que vous y verrez le langaje d'un Homme également fidéle a 1'amitiéqu'ilajurée a la familie R**, & a la confidération refpedtueuse qu'il doit a la votre. J'ai 1'honneur d'être, &c* P.-f. J'écris également a-l'infu du Frère &C de la Sceur. Un feul cas détruirait la feconde partie de ma Lettre: c'eft celui oü le Marquis n'aurait pas de Fils du mariage projeté : Mais ne vient-il pas de faire fes preuves .'  'l41 PAYSANE PERVERTI!, LETTRE LXII. 37 juillet. Réponfe. [ On voit ici comment va 1'arranger le refur d'Urfule. ) I-Jes motifs que vous m'exposez, Monfieur , ont fait fur moi 1'impreffion que méntait leur importance. Il ne f'agit que d'un point, c'eltde déterminer le Marquis, & d'exciter la générosué de la Demoiselle , au-point de lui faire - refuser mon FiL. Si vous y réuffiflcz, nous-'ious cngajons , ma Familie & moi, a faire-avancer le Frère, & a le fervir de tout notre crédit. Nousnous conduirons d'après le fuccès de vos démarches. Votre arTeótionné ferviteur Le Comte de-w.  LETTRE LXIIT. 39 juillet. \Replique. ( Gaudet a tout préparé ; il eft fur de fon fait. ) T'espère, Monfieur le Comte, que fi vous voulez faire après demain, une démarche auprès de la Demoiselle , avec m.r votre Fils, vous aurez la fatifiaction que vous desirez. J'y ai travaillé avec une ardeur infatigable : heureus de concilier 1'honntur d'une familie refpeétable , avec 1'intérêt du pluschèr de mes Amis. Je fais que le Marquis doit vous prefTer vivement demain ou anrès: Vous pourrez céder en-app rence, & dela verft enfmhle chés la Demoiselle: Il eft elfenckl qu'il y foit, & fur-tout que vous n'ayiez pas d'entretien particulier avec elle hors de la présence de m.r votre Fils. On eft faché contre lui; on ne 1'eft pas contre vous; aucontraire , on vous refpeóte & 1'on vous honore autant que vous le méritez , c'eft-a-dirt infiniment, & comme le fait Votre , &c*  *ï44 Paysane perverti e^ - fm* =Hg> LETTRE LX IV éctite avant le» deux précédentef» Laure, d U r s u x E. {Elle centinue a fervir les defleins de Gaudét. } T TJ touches , fi tu Ie veux, chère Cousine , au moment desiré de te montrer fous le jour Ie plus - favorable k la familie du Marquis : On eft fur-le-point de te demander folemnellement: c'eft 1'inftant de la fièrté , ton mariage ne fen- fera pas moins, il eft ïmmanquable , a-cause de ton Fils ; mais il fera beaucoup-plus-heureus. Je te préviens= qu'un de ces jours , tu auras la visite de m.r le Comte, & que le Marquis doit employer devant lui les raisons les plus-fortes pour te.déterminer. C'eft k toi d'arranger tes refus de manière, qu'ils te donnent urt nouveau reliëf, fans décourager ton futur. Cette occasion eft unique ; il ne faut pas la laifler échapper. Je crois que m.r Gaudét te verra eet après midi: tache de favoir fora femiment, fans lui dire le tien. LETTRE LXVr  Partie IV. 14? LETTRE LXV. jo juillet. V r s xx z e p d M.ME Parangon, { Elle fe doute de la fupercherie. ) , très-chère Amie , une Lettre que Lnure m'érrivit il y a trois iours: je vais enfuite vous faire part de la converfation que j'ai eue avec m.r Gaudét. Mais lizez d'abord la Lettre de Laure. L'Ami de mon Frère eft venu fur les quatre heures. .— A quand ie mariage ? — Je l'ignore; on n'en-dit mot. — Si, 1'on en-parle fort chés m.r le Comte de-***: tout le monde le desire , & vous en-êies la maïtreffe. — Ji ne vous cacherai pas que j'en-fuis ravie. 1—Cela eft fort naturel! Comment vous proposez-vous de vous conduire ? — Mais d'accepter tout-uniment. — C'eft un parti fage : ce mariage de vrait être fait! — Je le penfe ! — J'acccpterai le Marquis; je le dois aprésent. — Certainement c'eft un de voir, 3cause de votre Fils, & vous devez vous iacrifier. — C'eft bien un facrifice, je vous allure ! — C'eft auffi , je crois , ce qu'il faudra faire-fentir vivement! —■ je n'y man- queraipas. — Il ferait drlicieus de desefpérel fpmcll Portie IV. N  146 Patsake perverti e. le Marquis, en-le refusant, aumoins d'abord ? — C'eft ce que je me propose. i— A vorre place, je n'accepterais qu'avec m.r Ie Comte en-particulicr ? — Cette idee eft excellente, & je veux en-profiter. — Je lui fcrais-entendre, que c'eft autant par le refpecr. qu'il m'infpire , & la haute confideration que j'ai pour lui, que pour 1'intérêc de mon Fils > — C'eft juftement ce que j'avais penfé. — Nous fommes d'accord; parce-qu'en-effet, la raison dicte cette conduite , dans la position ou vous êtes-, &c.« Mon Amie, ne fe pourrait-il pas que m.e Gaudét 8c Laure euffent des vues particulieres, pour faire échouer le projet de mon mariage ? Je leur trouve un air endeffous depuis quelque temps. J'ai resolu de les attrapper ( fi tant eft qu'ils me trompent), & d'accepter, après quelques difEcultés affésvives. Votre avis la-deffus, je vous piieï P.-f. Je crois cependant que je les foupconne-a tort. Quel ferait le motif de m.» Gaudét, par exemple ? Pour Laure, peut- être un-peu d'envie Encore , elle eft ma Cousine , &c mon mariage lui fera plus de bien que de mal. Je crois que je fuis foupconneuse ? J'en-ferais fachée j cela marquerait que je fuis méchante, & que je juge les Autres d'aprèsmoi.  Partie IV. 147 LETTRE LXVI. même josr. Réponfe. ( M.me Parangon donne le feul confeil a fuivre. ) A ccepte , ma chère Urfule , fans faire même ces difficultés aufquelles tu parais tenir : voila mon avis. Ce n'eft pas que je foupconne m.r Gaudét de te trahir : mais eet Homme a une manière de faire le bien de fes meilleurs Amis, qui fouvent eft fort-m-uvaise! Il le pourrait qu'il eut quelque deHè in fecret, tel qu'il ne lui eft pas avantageus qui foit connu. Comporte-toi en-cette occasion, d'après mes avis ; car il n'y a qu'une cho?e de certain ici; c'eft que tu as un Fils, auquel il faut donner un état, une familie , un titre en-un-mot, Sc qu'un Fils eft tout pour fa Mère. Elle doit lui tout immoler, hors 1'honneur: mais la vie & le bonheur font au nombre des facrifices a lui faire ; fans cela, elle n'eft pas mère , elle eft maiatre. N 1  I48 P aysane perverti e. LETTRE XLVII. 31 juillet. Laure, a G a v d s t. ( Jalousie de femme contre Urfule. ) Tes projets font renverfés, 1'Ami, fi tu n'y mets ordre : Urfule vient d'accepter. Tout-alait-bien d'abord ; elle a dit au Marquis les choses les plus-dures \ entr'autres , qu'eile avait de la répugnance pour lui.- J'aulais cru qu'il alait fe cabrer a un mot fi dur ; point-du-tout! il a répondu avec une modéution , dont un Homme de fon age , de ion rang (je pourrais ajouter , de fon caraclère) ne me parailTait guère fufceptible,:: Ma- demoiselle, en-ave\-vouspour votre Fils ? 31 eft certain que la Familie du Comte n'eft point pour ce mariage ; il faut les aider , dans cette circonftance, & faire cnforte que cette petite Tête refusc abfolument? a-moins que tu n'aimes mieux laiffer terminer. Voici néanmoins 1'occasion de dévclopper les reffources de ton génie. Edmond fera négligé, li Pon n'a plus rien a attendre de fon crédit fur 1'efprit de fa Sceur, pour 1'éloigner du mariage. J'aurais bien encore un autre motir, pour t'engajer a agir: c'eft que m.Ue ma Cousine eft naturellexaent un-peu fiére ;  'P a x t i e IV, I49 fi elle devient marquise , je ne pourrai plus la regarder. Je la connais , cela en* viendra la: A chi fa legger »ella fronte il moflro. Mets ordre a cela , jé t'en-prie , n'importe. par quel motif; car je fais que tu es audefliis de mes idees , que tu nommes des femmillages ( 1 ). Je foupconne m.me Parangon d'être fon guide en cette occasion ; car Urfule penfait comme nous. LETTRE LXVIII. 5 augufle. Réponfe. (il va fiiire féduire Urfuie par Hn ieau, lot Ss mauvait fujet. ) «J'ai depuis long-temps en-main un Maüvais fujet, prefqu'auffi be.iu qu'Edmond , mais qui en-eft tout i'opposé par le caractèrö &c les fentimens: c'eft une ame baffe > crapuleuse , que j'ai maintenue balfe &crapuleuso avec autant de foin , que je cherche a élever celle d'Edmond : Cela n'eft bon qu'a ftirc du mal j & je 1'y emploierai, pour que cette ( 1 ) Voyez; Ia Lettre CX du Pay»an , X /& N 3  ito Paysane pirvertie. ame nulle foir bonne a quelque-chose. 'Ta inviteras ce vil Perfonnage , que j'ai donné pour é!eve lors de mon départ, au Maitre d'Ur ule , a un bal chés Coulon , faubourg Saintgermcin : la falie eft affés bien , pour que tu y conduises ta Cousine & fon Frère : car j'im.'gine qu'eile n'irait pas feule. Tu diras a Lagouache (c'eft le nom de mon vil ïr.ftrumert), qu'il f'agit de plaire a Urfule: le Sot danfe bien ; tache qu'il ne parle pas j excite en-lui la lubricité , le bas-intcrêt ; fais luire 1'efpoir d'un fuccès facile , & ne lui cache pas qu'Urfule a fait un enfant; cela enhardit les Sots, & quelquefois les Gens-» d'efprit. Tu auras foin de faire remarquer a ta Cousine les graces du Fat 3 de vanter fon mérite ; tu lui apprendras qu'il eft élève'de fon Maïtre , & tu lui feras-naïtre 1'envie d'en-faire Ion émule. Une-fois prise , quand la fotise paraïtrait, elle n éteindrait pas 1'amour ; cette paffion métamorphose la bêtise en-aimsble fimplicité. Tu vois , ma chère Laure, que je ne fuis jamais en-défaut, &c que j'ai une pièce pour tous les trous. Je finis par cette jolie phrase, qui t'appaitient.  Partie IV. iji LETLRE LXIX. 35 augufte'. U r s u z e , d Laure. {Comment Gaudét lui fait-refuser le Marquis pas Lbertinage: Elle parle enfuite des hals, ces dangereuses Afiemtlées, fi fatales auxmoeuxs! Ji des Comédies.) Il eft envéïité très-aimable ce jeune Elève , que m.r Gaudét a donné a mon Maïtre-depeinture. Quelle grace il avait hiér a la danfe ! Tout le monde 1 admirait. Je t'avouerai aujourd'hui tout-bonnement, qu'il m'avaic frappée , le premier jour oü je le vis chés Coulon , quoique le foir , je n'aie pas voulu en-convenir. C'eft qu'envérité j'étais hon-» teuse qu'il eut fait fur moi, a une première- fois , une impreffion fi vive Oui , la préférence marquée qu'il ste donnait, m'a flattée; car envérité , il n'y avait rien-li qui le valüt qu'Edmond : mais mon Frère n'eft pas un Homme ordinaire ; c'eft, je crois , le plus-bel-homme du monde : mais aptès lui, c'eft m.r Lagouache : ce qui me flatte extrêmement. Je t'ai beaucoup d'obligation du genre de plaisir que tu m'as fait-connaïtre au bal: je N 4  Itl PAYSANE PER VER-IE. n'avais qu'une idee imparfaite de eet amusement , que ie préfère au bal de l'Opéra ? cc dernier n'eft qu'une cohue. A-la-vérité , le déguisement favorise une infïnité d'avantures , & donne une liberté , qui doit-être un agrément lans prix aux ieux des Gens que les bienféances contraignent : mais outre qu'il faut , pour en-jouïr , aler frequemmenr a ces Alferablées , je trouve encore qu'il eft nul pour toi & pour moi: Tu jouis de ta liberté ; moi je n'ai pas le goüt des avantures ; il faut pour cela, être duchelfe , marqube, ou fille-entretenue. Mais a nos bals bourgeois , ou 1'on va fans mafque; oir 1'on eft conhaiffance après deux aflèmblées , oü 1'on voit ce qu'il y a de plus-élégant dans les deux-iexes, parmi les Gens qui nous afiortifTent, c'eft je te 1'avoue, un paffetemps charmant , •& c'eft dommage , qu'il faille en-faire-myftère k m."» Canon ! car mon Frère invente toujours un prétextc , pour m'avoir. Aurefte , peut-être cette gêne & ce myftère y donneraient-ils un prix , fi ce n'était pas un obftacle , pour mener Fanchette.. Car il n'eft envérité pas poffible d'y conduire cette jeune & charmante Enfant ! 1'on y fait Sc 1'on y dit des choses trop libres. Hiér r mon Frère, qui n'eft affurément pas fortgrave , a froncé deux foisde föurcil , & j'ai vu I'inftant oü il alait coller d'un revers-demain contre le mur , ce faquin efteminé qui danfait avec tant de lubricité , lorfqu'il f'eft avisé de toucher la gorge a fa Danfeusc.  P A R T I ï IV. 1 ƒ3 M.r Lagouache m'en-a paru aulTï fort-fcandalisé ; cep?ndant il a calmé mon frère , enlui parlant a-l'oreille. A cela pres, c'eft charmant , & je regrette de n'avoir pas -connu phitót ce üivertitfement-la : on y brille , pour peu qu'on ait de figure ; on recoit de la part des Hommes polis mille compümens déiicats, dits d un air qui en-doublé le prix, & m.r Lagouache y'eft mieux que Perfonne, je crois ? Qu'en-dis-tu ? L'un de ces jours , Edmond eft venu me prendre pour aler aux Francais. Tu fais que j'ai déja vu avec lui, 1' Opéra , oü tout m'a ennuyé , jufqu'aux danfes •, car j'ai cinq a fix-fois demandé a mon frère ce qu'on applaudilfait (i). lt me gardait les Francais pour la bonne-bouche. On donnait le Négociant, ou le Bienfait rendu > 8c les Foliesameureuses. La première de ces deux pièces, que le tumuhe de la cabale m'a empêchéd'entendre auiTj-bien que je l'aurais voulu , m'a fait beaucoup de plaifir : elle exprime une action généreuse , & m'a paru calquée d'après un événement réel. Un Négociant de Bordeaux, a prêté centmille-écus a un Comte : il veut faire épouser la Fille de fon Débiteur a fon Neveu : mais ni le Comte, ni ( i ) On a totalement changé Tanden genre de ianfe de VOpéra , en .changeant la musique : cette heureuse rêvolution pour le gout, a éte opérée par. m.r le Chevalier Gluck , St par les f.rs Naverre, ^ Gordel, Vejiris,. 8c,c.a  ÏJ4 PAYSANË rERVÏRTIE. fa Fille ne f en-foucient. L'Oncle , qui Ce voit-mal recu , menace d'exiger fon paiemenc; ce qui abaiffe la morgue du Comte & de fa fille Angélique : mais ( Verville le Neveu ) , a vu chès le Comte , une Julie , amie d'Angélique , auffi jolie , & fur-tout moins fiére; il en-eft devenu amoureus , & pour 1 'épouser , il fait prêter au Comte les centmille-écus qu'il doit a fon Oncle. Ce Dernier n'ayant plus de droit a faire valoir auprès du Noble orgueilleus , confent au mariage de fon Neveu avec l'aimabl» Julie. Les Folies-amoureuses m'ont fort-amusée , il faut en-convenir. Je ne vois pas d'ou-vient on contraint toujours les Amans ï Qu'cft-ce que cela fait aux Ccturs-de-bois , que 1'on f'aime ? Je crois qu'ils font jalous de ce qu'on eft plus-heureux qu'eux ? Auflï approuvé-je de tout mon cceur les Amans qui trompent ces Surveillans maulfades, & qui fe rendent heureus en-dépit de leurs précautions. Je ne f urais dire combien je m'intéreftais a la \eune-Agathe, quand je la voyais tromper ion vieux & jalous Tuteur Albert. Je tremblais qu'eile ne fut découverte (i) ? ( i) Toutes les lecons que le» Comédies ordinaires, Hommees du bon-genre par les Freron , les Querlon , & en-général par les Partisans dn comiq , font contraires aux bonnes-mceurs. Qu'eft-ce, par-exemple , que le Tureur-duvé, ou la Alaisot-d-deux pones ! Le comiq, qui resulte d'un tour joué, marqué toujours mne ame méchante; je préférerais le Drams, a ua  Partie IV. 15 ƒ Heureusement elle ne 1'a pas été. Veuille 1'amour nous donner , ma chère Laure , un femblable fuccès en pateille occasion ! A-propos, notre Maïtre nous a mis aux prises , m.r Lagouache & moi, pour une copie de Lebrun : C'eft un moyen tableau pour la grandeur , mais fublime pour 1'exécution : m.r Lagouache 1'a emporté. Je n'en fuis pas fachée , & je craignais plus la victoire , que je ne la desirais , je te 1'avoue. Je fuis riche ; fi le Marquis fe rebute, j'obligerai fa familie Quant au Confeiller , je ne l'aime que dans l'imaginatioa d'Edmond , a qui je 1'ai fait croire Si je fesais 1'avantage d'un jeune Artifte aimable, &c qui peut faire fon chemin ? qu'en-dis-tu, Cousine ? Nous avons ici le confentement de r.os Parens ? Il faut confulter m.r Gaudét : f'il eft a Paffy , je veux lui écrire , èc fuivre en-toiu fes confeils. P.-f. Je me cache en-ceci de m.me Parangon : d'ailleurs, elle part fous peu dejours. •areil comiq , 81 je fcrais du fentiment de m.r Ie Marquis de-Condorcet, qui a loue ce genre , en pleine Académie-Fxangaise. Pleürer d'attendrirTement eft uu ■vrai plaisir, &. le plus-vif de tous. C'eft le fentiment général des Hommes desintérefles , a qui la prévenvention n'a pas fait-prendre un parti qu'ils veulent foutenir a quelque prix que ce foit. ( L'EdiUur,)  1$G PAYSANÏ rUVHMIÏ. LETTRE L X X. len demain» Laure, d Gaudét. ( Elle fe moque de fa Dupe. ) Elle y donne a plein-collier , ma-foi! Je ne l'aurais pas crue fi facile a tromper, ni fi. prompte a prendre-feu , laCommère! Ton Lagouache lui a tourné la tête en-moins do huit-jours. Il eft vrai, que le Maïtre a fait la copiedu Tableau , qu'eile croit du fat: mais ce n'eft pas-la ce qui la décide. Je t'envoie fa Lettre. Fais-lui réponfe , ou a moi. Cela m'humilie un peu , &c doit t'humilier aulli -y tes talens vont refter fans emploi, &c leur vicFoire acfuelle n'a rien de flatteur , grace » la danfe.  Partie IV. 157 &^mm***e*m* qu'eile n'aura plus a prétendre a 1'honneur de fon fexe, fera toute a celui de fon Frère: j'aurai foin alors de lui montrer fa vraie lituation , & de lui indiquer 1'illuftration d'Edmond comme le feul moyen d'en-fortir. Je remplirai fon efprit Sc fon cceur du desir d'une gloire propre aux filles de fon état , d une Courtisane-généreuse , d'une MarionDelorme , d'une Ninon-De-Lenclos; je me fervirai fur-tout d'une Nouvelle, que je viens de voir dans le Mercure, oü un certain De~ Terlieu trouve la plus-veitueuse des femmes, ou dumoins la plus-généreuse , dans une fille-galante. Je voudrais alors porter les choses encore plus-loin , Sc quand il n'y aura plus qu'a la déterminer a lervir abfolument fon Frère , pouvoir 1'intéf effer a lui au-point de faire tous fes efforts , pour monter oü d'Autres font parvenues ( Lacupe ie ieux lignes enyiron.) Ce ferait le meilleur & le plur-für moyeli de remplir toutes mes vues. Après cela ; je voudrais que le Marquis, devenu veuf , Sc fans Enfans , épousat Urfule , pour légitimer un Fils uniq : c'était mon premier but , en-fuggérant au Marquis de 1'enlever, endirigrant comme je 1'ai fait, toute la conduite qu'il a tenue avec elle. Voila de vaftes projets ! J'ai refolu de les remplir par tous les moyens ; en-un mot, de voir tout ceque 1'on peut faire en bra-  i. fa fortune , fon honnneur , un rang audeftus de cc qu'eile pouvait jamais prétendre, a Qui ? a un Inconnu , fans mérite , vil , bas, qui n'a pour lui qu'une jolie & platte figure ; car il a les yeux & le menton bètes Je me repens de t'avoir fecondé ; car je doute que fans moi , tu euifes réufll y toute-fubjuguée qu'eft Urfule : 1'ambition parle quelque-fois bien-haur!..... Il eft vrai que le dernier coup frappé (je veux dire cette mort du Fils) , lui enlève abfolument toute efpérance de marquisat, & que nous la tenons: mais il falait ce coup-la , & tu m'en-dois 1'invention : c'eft moi qui ai tout fait: Nous verrons ta reconnaiffance. T.-f. Un autre avantage ; c'eft que la Belledame part ces jours-ci: ne ferait-ce pasIe moment d'écrire h Urfule cette Lettre dont tu m'as parlé fur la pudeur ? Les. Parties-de fpeétacles que nous fesons faire , Edmond & moi, ont déja préparé tout ce que tu diras la-deifus , p srticuliè— ment lesComédiesdu GrandiJJlme Molière, qui font bien les plus-impudeutes qu'on puilfe voir, après celle ieNicolet; YEcoledes-Jklaris , Gcorge-Dandin ï'Ecole-des—  Partie IV. r£j; Timmes , montrent a notre fexe 1'erTronterie recompenfée. Je ne dis rien des Folies amoursuses , & de ce tas de pièces des Comédiens-Auteurs : celles de Plaute , ( que je lis depuis huit-jours ), tant accusées d'obfcénité } font bien-moinsindécentes ! LETTRE LXXIII. 15 feptenvbre-, Gaudét, d U r s u 1 e. (II combat la pudeur , la chaftetéi toutes les vertus.} s le trouble & Ia perplexité oü vous êtes, charmante Urfule, prête a prendre un parti définitif, je penfe que peut-ecre: vous pourriez vous trouver arrêtée par des confidéf ations, qui, f'opposant a vos goüts, ne feraient que vous tourmenter, fans vous emp-cher de les fatiffaire enfin. Mais quelle fatiffaction que celle empoisonnée par leremords!... Je me crois donc obiigé, a-tout-événement, de vous applanir les difficultés , & en-véritable Ami, de vous öter les épines qui entcurent la rose du plaisir r emquelqu'endroit qu'eile croilfe. Si vous; devenez Marquise , mes lecons vous fetvisont, jour vous venggr des immanquables 0- 2.  164 P ATS ANE PERVERTI!*.' infidélités de votre Mari : fi vous ne PéW ras, & que vos intentions vous portent, foit ri mener une vie libre , foit a vous cnoisir un beau Jeune-homme pour mari, ce que je me propose de vous dire dans cette Lettre vous tranquiiisera-, enrvous mettant d accord avec vous-même ; ce qui. de tous les avantages eft le plus precieus. La queftion que je vais examiner dans cette Lettre , eft , ce qu'on doit aux convenances, & même a ce qu'on nomme la pudeur dans votre fexe. Rien de (i-futile , dans le vrai , que la eonvenance , fi importante aux ieux des Sots. Définiflons-la : On nomme eonvenance , tout ce qui donne a nos aótions un. vernis qui les rend agréables aux Autres , &c fait qu'elles ne choquent en-rien leurs. idéés , leurs préjugés, 1'usage , &ra. Ainfi votre mariage avec le Marquis , eft trèsconvenabie pour vos Parens & p;;ur vosAmis, qui ne voient dans cette a'iiance, que lts avantages qu'ils tireront de votre* illuftratibni foyez heureuseou malheureuse,. c'eft ce qui leur importe peu; cela n'influec-n-ritn fur la eonvenance de ce mariage av leurs yeux. Pour ia famiile du Marquis, le même mariage n'eft pas clans ta eonvenance -T aucontraire ! & fi on venait a le contraéter, ce ne ferait qu'a-raison de la eonvenance; de 1'Enfant : mais f'il n'exiftait plus, touteeonvenance cefieraitanxieux de certe familie,-, & il n'y faudrait plus ionger..  Partie IV. téf. Après 1'efpoir que vous avez eue d'être Marquise , toute autre alliance paraitra hors de eonvenance a vos Parens : & (I par-exemple , vous aimiez un beau-Jeune homme , peu-förruné, il eft certain qu'ils f'opposeraient de tout leur pouvoir au deflein que vous formeriez de 1'épouser ; vous eftuieriez a cec égard tant de tracafleries, que le plus - fur pour votre repos, ferait d'y renoncer. J'abandonne donc ici également les deux hypothèses de votre mariage avec le Marquis, & avec un jeune Amant r que vous prendrirz fans fortune par inclinarion. Un pareil mari, a quï fa femme a fait un fort, pour 1'ordinaire , eft un diiTipateur , qui la réduit bientót a la misère: ce qui a fa cause non-feulement dans le moral , mais dans le phyfiq même ; unHomme regardant comme mal mérirée la fortune , & comme mal-acquis le bien qu'il tient de fa femme; Mais j'ai une autre hypothese favorite r C'eft ceile que vous refterez übre, comme vous avez commencé ; que vous vivrtz? heureuse , & fesant des Heureus , qui vous paieront leurs plaisirs , en - fatiffefant tous vos caprices. Le fort d'une Souveraine eft moins agréable que celui d'une pareille femme ; elle eft Souveraine ellemême , ik avec" votre beauté , elle peut aler h tout. En-admettant cette hypothese , que je desïre qui foit la votre , tant joar votre avant'age que pour celui de votre  'ï66 Paysan e perverti e. Frère, il faut vous mettre-a-l'abri des préju gés de cette éducation mefquine , fi fatale a Edmond jufqu'a ce jour , & qui m'a donné tant de peine ! De toutes les chimères de vertus aufquelles vous m'avez paru le plus atcachée , jufqu'a ce jour , les deux principales out été la pudeur Sc la pudicité. Ce font auffi ces deux fantómes que je veux chaffer Sc bannir fi loin de vous, qu'ils ne reviennent jamais (1). La pudeur n'eft pas plus-naturelle aux femmes , qu'aux femelles des animaux Qu'eft-ce en-eftet, que ce fentiment varué, qui fait fuir une femelle , pour exciter le male davantage ? C'eft un fentiment faétice , Sc qui 1'était déja , dès le temps d'Esacus , fils de Priam , dès le temps oü Dafné fuyair Apollon. Si la fuite a été naturelle , ca été uniquement lorfque le male était hideus, ou d'une espèce monftrueuse &. méJangée; ou d'une couleur trop-différente, encore entraitil, pour ce dernier artide , déja un-peu de fac~fcice,un peu de préjugé dans la pudeur. Que fesait d'impudent, ou de ma! , une femelle qui, attaquée par un male qui lui plaisait , fe rendait fans combat ? Kien , je penfe ; fi ce n'eft que le mie rempliflait fon defir plus paihblement ; qu'il n'outrak pas lajou: [fance , Sc qu'il fe comportait plus phy- ( t ) Eh ! Malheureus , quand elle n'aura plus nipudeur, ni pudicité, dans-tes1 principes même, » qui p!aira-t-elk.l  Partie IV. tSjsïquement. Qu'eft-ce que la pudeur de nos femmes d'aujourd'hui ? finon I'affaisonnemeut du vice, dans le cas oü la jouiffance avec ce-qu'on-aime , ou ce-qui-plait, ferait un crime : penfée abfurde,' blasfématoire, puifqu'elle eft injurieuse a la Nature. La pudeur n'eft donc, en-physique, qu'un êtrede-raison , &c en morale, plutöt un vice qu'une vertu, fous quelque point-de-vue qu'on la considère. Elle n'eft qu'un moyen d'aigüiser le desir, de le potter audela du ton naturel des organes: & fous ce pointde-vue, peut-être devez-vous conferver une pudeur coquette. La pudeur, qui, dit-on , nous fait porter des habits , & couvrir notre nudité , n'eft pas bien-nommée ; c'eft politique qu'il falait dire : celle qui fait voiler le visage des Vierges , n'eft qu'un rafinement de luxure dans ceux qui en-ont établi la loi, afin que la Vierge tentat davantage; ou , afin que 1'Homme , qui ne la peut voir qu'en-l'épousant , comme a Ia Chine, fe détermine plus-facilement a contraéter le lien du mariage. La coquetterie , parmf nous , tire fes plus grands avantages de ce qui fut d'abord annexé a la pudeur : c'eft par Us habits , q j'on embrllit les formes, qu'on en crée même d'agréab'es ; par les habits, une maigre qui bleflèrait nos regards & nous repouffl-rait, parait avoir la taille fine; au lieu d'un fquélette décharné , elle ne nous fait voir , par une illusion heuteuse, qu'un corps délicat, recouvert j»as  't^S PaVsane f er VEftTrr.*,' Ies étorfes les plus élégante*. La coifure, un corfet rallemblant, une rube bien-faite, une jupe agréablement flotante, une chaufTure fïögnoné fe variant tous les jours , cela renouvelle la même femme, & la change fans-cetfe (avanrage infini ! le changement étant dans les méts & dans les plaisirs de Famour , Ie reflort le plus efRcace de Ia nature ). Ajoutez que la parure devenant Perfet des goüts factices, il arrivé que lorfque ces ds miers font fatiffaits a un certain point , la parure excite plus que les appas naturels. Ainfi quand la mode fera qu'on ait des hanches faétiees, qui falfent danfer la jupe en-mardrant, qui donnent au mouvement du corps un branie lafcif, alors, un homme qui aura pris vivement ce goür, en-voyant une femme avec ce cofthume porté jufqu'au ridicule, éprouvera des desirs ardens, beaucoup plus-vifs que ceux infpirés par la nature •, ü biülera de les fatiffaire avec celle qui fera mise ainfi. Il arrivera même de-la , que les Laiderons qui auront ce genre de parure, i'enflameront piüfque la beauté. Un-aurrè aime-t-i! la ferme moderne des chauflures de nos femmes ? plus une d'entr'elles aura un foulier bienpointu , un taion bien-haut & bien-mince, plus eet homme ie paffionnera ; il ira jufqu'au d iiire , comme on er-a vus Par tout-ctla , vous voyez, belle Urfule, que la prétendue pudeur e!t une pölktque , ou ïtn. vice , & que fa plusrgrande utilité eïï en faveur;  Partie IV. i&> en-faveur des catins. Elle peut auffi être utile aux femmes , qui veulent conferver le goüt qu'elles ont infpiré filles a leurs maris: fous ce dernier point-de-vue , vous en-ferez usage , pour piaire davantage : mais vous n'y ferez pas aftreinte en-efclave, comme fi elle érait un devoir , ou feulement une vertu. Je paffe a-présent a un autre article plus important, la pudicité. D'abord, on ne faurait difconvenïr que ce que les Moraliftes nomvneni%npudicité, ne foit un acte non feulement légitime , mais néceffrire. Cependant , avant d'aler jüus-loin , diftinguons. Il y a une pudicité, qui eft vertu ; c'eft la pudicité naturelle, qui confifte a ne pas outrer la faculté de jouir : la détruire, par un usage immo léré, c'eft un crime, comme tous les autres excès, comme 1'ivrognerie, la gourmandise, (vices infarnes., qui ravalent celui qui les a , fortaudeffous des animaux). Mais la jouiffance modérée eft le plus-bel appanage que la Nature nous ait donné : c'eft le baume de la vie. Ainfi , belle Urfule , n'ayez auqu'un fcrupule de vous-y Iivrer en créature raisonnable , de faire un , ou même des heureus; loin d'être vile & coupable , vous ferez alors une imarr/* plus-parfaite de la Divinité même. C'eft fous ce point-de-vue que la Grèce confidéra Phryné , Laïs, & le; autres grandes tóurtisannes, qui fe font illuftrées par le plaisir, autant que les Héros par la Tome II. Partie. iV. P  tjo Paysane perverti e. vertu. Mais remarquez qu'elles ne f'aviliffaient pas comme une Cléopatre , comme une Meffaline , en portant a 1'excès , Sc audela des bornes, le don de leurs faveurs. Nos proftituées de Paris , font, pour la plupart, de viles , d'exécrables créatures, non par leur état, mais par la manière infame dont elles en-remplifTent les fonctions. Soyez Laïs, foyez Phryné , Urfule, ou cette Flora des Romains , autremenc Acca-LaurjM)tia , a laquelle ils élevèrent des autels, tandis que Lucrèce n'en-a jamais obtenus : Mais ne foyez pas Meflaline , ne faites pas du plus-beau des états, un vil, un infame métier ; n'y outragez pas la Nature , mais PrêtrelTe fidelle, embelliffez-!a par la volupté; c'eft tout ce qui vous eft permis. Votre honneur & la confervation de vos charmes y font intéreffés: vous devez être avare de vos faveurs comme une Prude, a-proportion de ce qu'elles valent & de ce que vous petdriez, en-fanant trop-tót vos appas. C'eft en-prenant des idéés faines fur la pudicité , que vous-vous garantirez de ce trifte fentiment, qui met fouvent aux-abois votre pauvre chèr Frère, Sc qui empoisonne tous fes plaisirs par le remords ; tachons que les vötres foient purs: Sc pour cela mettez-vous bien dans 1'efprit, que la vraie chafteté n'eft pas le célibat, mais cette jouilfance modérée, que les Femmes grecques deraandent h, Vénus, dans Ylphigénie  Pamii IV. 171 d'Euripide (1) Par-exernple , pour ce qui me regarde , je fuis fur que vous avez quelquefois eu de monftrueuses idees a mon fujet. Mais examinons les choses en-ellesmêmes : J'aime Laure ; elle m'eft attachée, finon fidelle : La loi par laquelle je 1 aime, efl la loi éternelie de la nature, qui m'a fait Homme : celle qui me 1'interdit, eft une loi humaine, folie , injurieuse a la Divinité : voila. pourquoi je la brave : fans cela , ayez afles bonne opinion de moi, pour croire que je 1'obferverais. Je ne fais donc qu'une action iégitime ; je rempiis même un devoir, par des raison fecrettes, en-aimant Laure ; ce devoir m'obligera peutêtre un-jour a faire k une autre Perfone certaines propositions... II y a un Peuple fur la terre , ce font les Nègres de Guinée , ce même Pays qui vend tant d'Infortunés aux Européans , pour les envoyer crever de travail en-Amérique: chés ce Peuple , le premier , plus autorisé des plaisirs, c'eft cette même jouilfmce, dont les Européans , je crois par impuiffance , ont fait le plus grand des crimes (dumoins leurs Moranftes, li ce ne font pas leurs Légiflaceurs). Eu Guinée , tout fe rapporte a ce plaisir, les inftitutions religieuses, les divertiftlmens publiqs, & jufqu'aux fondations pieuses des Mourans : i'a&e repro- (1) Act. II, fc. 1 , choeur des Chalciennesr P i  'T72 Paysane perverti e," du&if eft regardé comme le plus-beau , & comme le plus-agréable a la Divinité. Noncontens de f 'y livrer , pour aiguiser encore ce goüt,'dans leurs danfes , ils tracent tous les geftes de la lubricité: 1'Homme & la femme qui figurent enfemble paraiffent (e provoquer , pour fe leurrer mutuellement , jufqu'a ce qu'enfin les desirs portés a-l'excès, Chaqu'un foit obligé de fe dérober, d'aler a-l'écart , goüter des délices audeffus de 1'imagination. Qu'un Miftïonnaire Européan arrivé fur le lieu de la danfe, il fe figne , & la regarde comme un invention du Démon , pour corrompre ces pauvres Peuples. Si je me trouvais auprès de eet Homme , je lui ferais une queftion : —■ Pourquoi cette danfe , le feul plaisir de ces pauvres Nègres ( y compris ce qui la fuit) eft-elle une chose horrible ! — Parce-qu'elle eft impudique. — Pourquoi une danfe impudique eft-elle une chofe horrible ? ■—Parceque la loi de Dieu la défend. — Pourquoi la loi de Dieu la défend-elle? (Ici mon Homme commence a être embaralfé ; mais je veux bien 1'aider :) Vous me direz , — Parce-qu'elle eft capable d'alumer les paffions, de les porter a-l'excès, & d'égarer 1'Homme : f'il entre en-frénésie , il va farmer d'un poignard , pour écarter les RJvaux, il va tuer, maffacrer, ou 1'être. — Trèsbien ! — Vous par!ez-la, pour les Peuples chés qui ces inconvéniens peuvent arriver: Mais avec ces pauvres Négres, chés lefquels  Partie IV. 17? jamais ils n'arrivent, pour-quoi leur danfe eft-e!le abominacion-? ( lei mon Homme fait un cercle vicieus, .& dit ) , — Parceque c'eft mal, — Pourquoi cela eft-il mal? — Parce-que c'eft impudiq , & que Dieu le défend-. Il ne peut fortir de-la ; des raisons , il n'en-a plus: paree qu'en-effet , il n'y en-a pas. C'eft que la danfe des Nègres, qui fait leur plaisir & leur bonheur eft trèslégitime , ainfi que ce qui la fuit. De-même, lorlque la femme de Quelqu'un de leurs petits Chefs vient a mourir, & qu'eile fonde deux , quatre, ou douze Abélérés , ( Fillesde-plaisir ) , pour le repos de fon ame , cette acFion eft traitée d'infame par nos Prêtres; tk de fainre par les luxurieus Marabous (1) , des Nègres. Je fuis cependanc ici de l'avis de nos Prêtr.rs: il en-coute ordinairement la vie a ces Abélérés; parce-qu'étant vouées, elles ne peuvent refuser Persone : on les épuise en peu de temps , & elles péritTent. La loi des Peuples policés contre la luxure, ne fut originairement, qu'une loi de police , une loi contre la publicité de 1'acte ; la religion en-porta une autre contre fon excès. Tout alait bien jufques-la : car la publicité a des ineonvéniens, tant pour la Jeuneffe , (1 ) II fe trompe : les Marabous ou Mathuis font les Prêtres des Nègres-mahométans , ches quï on na fonde pas des Abélérés: ceux des Nègres idolatres, les leuls qu'on vende &l qui aient 1'inflitution ,des Abélérés, fe nomment Caritas, ou Singhdlis. L'Eiiu P i  174 Paysane perverti e. non encoie formée , que pour les Persones de tous les ages. L'excès reprimé par la religïon , eft toujours condamnable: mais quant •enfuite , outrant ces deux lois , ces fous de Tlndouftan fontï'venus faire une vertu du crime du célibat; quand ils ont, en-véritables enthousiaftes, fait regarder 1'aóte comme tin crime , on les aurait fort-embarafles, fi on les avait obligés d'endéduire les raisons! Du refpecf. pour eet acte faint, je fens qu'il en-faut : c'eft pourquoi j'abhorre la preftitution qui 1'avilit, le profane : mais j'abhorre prefqu'autant la pruderie 8c le purifme prétendu , quirefusentabfolument: La pudeur, la pudicité , ne font au-fond que des vertus paffives, de véritables ahftractions; toujours audeflous des vertus aétives ; ne les eftimons donc que ce qu'elles valenr. Conc'uons enfemble, belle Urfule, de ces principes que je viens de poser, quelle eft la conduite que vous avez a tenir. Ne vous rnéprhez pas vous-même , lorfque vous aure-z cédé, en-créature raisonnable ; aucontraire eftimez-vous, comme ayant fait une aólion lou.tble , naturelle , comme ayant difpenfé le plus grand des bienfaits: car f'il 1'eft en-lui-même , il le fera beaucoup plüs de votre part, a vous , qui êtes fi belle, que les déücesque vous procurez, doivent-être centuples. Donnez-vous des. vertus, qui étayent, aux ieux des Préjugiftes, vctre conduite libre de préjugés ; on  Partie IV. ij$ a toujours des vertus; quand on f'eftirne foi même , & qu'on eft fondée a fe croire eftimable. Je ne prétens pas , charmante Fille , que vous defcendiez audeflous de votre grade , de perfeófcion du fexe ; aucontraire , je veux vous y maintenir , en-vous écartant de la route tortueuse & pleines d'épines, qu'a prise la prude Parangon. Elle eft vertueuse , fans être heureuse : c'eft une duperie. Mon but , a vorre égard , c'eft que vous foyiez vertueuse & heureuse: heureuse par le plaisir; vertueuse, en-ne-fesant que des actions louablej en - elles-mê mes, eftimables, obligeante?. Acqueiez du crédit, pour porter votre Frère auffi-loin que fon mérite peut aler.... , & pour obliger tous Ceux qui vous approcheront. Déterrer des Malheureus pour les fecourir Mais je traiterai ailleurs cette importante matière. Si [mon plan réütliffait, & qu'a force de Connaiffances illuftres , vous mon- taffiez..,.. jufqu'a la Cour ( lacune) quel champ vafte! Quelle fortune pour Edmond l Voyez le ( lacune.) Ce doit être-la , je crois, le but de tous vos desirs : c'eft le terme des miens. Il vous faut, pour cela , belle fille, acquérir le plus qu'il vous fera poffible 1'usage du Grand-monde : auffitöt après l'extinclion du préjugé , vous aurez d'autres choses a détruire, des qualités a prendre. Quittez votre franchise naturelle , mais gardez-en l'air , qui va fi bien a votre genre de beauté , qui la rend fi féduisante 1 P 4  176 Paysane perverti e. Accoutumez-vous a contraindre vos desirs & fi vous en-avez a-présent de trop - vifs , fatiffaites-les3 pour connaicre com'oien c'eft peu de chose > que certains caprices , quand on peut les fuivre jufqu'au-bout. Quand il n'y a plus rien a attendre d'une femme, on la trouve dix fois-moins belle, paree que J'imagination n'a plus rien a faire : pour quoi n'en ferait-il pas autant d'un Homme ? En-voiia beaucoup , charmante Urfule L Mais j'ai tant de zèie pour votre véritable bonheur, que je vous parle , comme je ne ferais pas encore a votre Frère. Tout a vous» jP. f. Un-jour , je pourrai bien vous donnet du refpect. Que n'y fuis-je déja 1  Partie IV. 177 LETTRE LXXIV. ig oétobre. U r s u z e , k M.me Parangon. ( Derniers bons-fentimens d'une pauvre Abandonnée; encore la paffion en-elt-elle le motif. ) M A. très-chère Amie : La fituation oh je me trouve enfin parvenue , m'étonne l Mon fils eft mort! Quoi ! de toutes ces brillantes efpérances que j'avais concues , il ne me refte plus rien ! rien!... Mon frère désolé me reproche le tort que je me fuis fait, comme fi je lui avait fait a lui-même: quelqu'ennuyeus , quelque-fatiguart qu'il foit (ur eet éternel chapitre de fes remontrances , je ne puis m'empêcher d'en-aimer le motif. Envérité, je me crois la dupe de quelque menée fecrette ! Mais quels enfont les Auteurs ? Qui foupconner , a-moins que ce ne foient mes meiileurs Amis, dont les vues ont toujours été fi pures ?.... Il eft des inftans oü je fuis tentée de renoncer a toute ambition, & de me jeter dans les bras d'un Epous qui me doive la fortune que je puis lui faire : tranquile, finon heureuse, dans la médiocrité, je partagerais mes inftans entre mon Mari, mon Frère , & vous.  ï?S Pavsane perVêrtïe,' Mais )t crains Edmond! Il ne veut pas en-* tendre parler de médiocrité pour moi. Cependant , quai-je a efpérer, après la mort de mon fils?.... Vous avez vu ma douleur: elle n'avait d'abord qu'un objet, ce chèr Enfant: mais depuis, combien d'autres f'y font.joints, fans que celui-Fa foit arTaibli !... Je n'ai plus ici que Laure , a qui je puilfe parler de ce qui m'afilige , encore fuis-je obiigée de lui déguiser fa plupart de mes fentimens : la facon de-penfer de cette Parente me paraït abfolument différente de la mienne. Je diffimule, Sc fouvent je parais approuver des choses que je fuis très-fêchée qui foient arrivées. Je n'ai de véritable confeil k prendre que de vous 5 ceux de mon Frère font impoilibles a fuivre a-présent. Votre aimable Fanchette commence k f "ennuyer fort de votre abfence: elle eft ici la feule Persone dont la compagnie me plaise toujours. Edmond nous donne tous fes momens de liberté : mais f'il faut vous parlervrai, je vois plus de complaisance Sc d'amitié , que d'amour , dans les foins qu'il rend k la charmante Fanchette. Je lui en-ai touché un mot 1'autre-jour. Il ne m'a d'abord répondu que par un foupir. Enfuite , il m'a dit k 1'oreille , quoique nous fuffions feuls: ■—■ Mes inclinations font engajées ailleurs-. Je 1'ai regardé avec étonnement ! Un-inftant après , je lui ai-dit: ■— Vous qui prétendez que dans tous mes desirs, dans tous mes goütSj je ne dois avoir que la raison pour  Partie IV. tff guide , i! me femble que vous ne feriez pas mal de garder le confeil pour vous. — Oh ! moi! c'eft aut,re chose, ma Sceur ! j'éprouve un fentiment invétéré, profond : dès que je 1'ai eu parfaitement connu, je me fuis dit a moi même : — Voila un amour qui fera le d, ftin de ma vie-, Il 1'a fait Sc le fera,. Gaudét f'agitera , fe tourmentera , intriguera ; un regard de cette femme , détruira fon ouvrage, f'il eft contraire a ce que ce regard m'ordonnera. Je puis lui tout facrifier, hors mon amour. Voila mon derrder mot. Quant a m.!le Fanchette , de toutes les Jeur.es-Persones qui font au monde, Sc a marier, elle eft Celle que je préférerais: c'eft encore-la une vérité aulti certaine,, que le Soleil eft père du jour. — Mais que n'épousez - vous cette Personne , qui: vous eft fi chère ; — Elle eft engajée. — Et vous 1'aimez.... je veux dire , & vous refuscz. un établiffement , qui la fatifferait peutêtre? — Non, il ne la fatifferait pas. L'amour eft clair-voyant: le mien a vu , que fa vertu f'indignait de mes fentimens, mais que fon cceur était pour moi: oui, j'en-fuis fur; elle relfentirait une peine fecrette fi j'en-épcusais Une-autre, quelle qu'eile fut-. Voila fa réponfe, que j'ai combattue comme j'ai pu. Ces fentimens n'empêchent pas qu'il n'ait fait le portrait de m.1Ie Fanchette & le mien , en-véritable Amant, c'eft-a-dire,très-flaté. 11 me jure que c'eft comme il nous voit. Il a réellement un talent décidé: les dernièles;  ï8o Paysane perverti e. preuves qu'il nous en-a données font encore plus-frappantes que celles que vous avezvues. Mais dois - je vous faire cette confidence-la ? fi ce n'érait pas celle d'un Peintre, la conduite d'Edmond ferait inexcusable.... 11 a profité de certaines circonftances, pour nous voir fous Vhabit, des Graces , m .lle Fanchette & moi, &c c'eft en-cet état qu'il nous a rendues fur la toile. M.lle Fanchette m'a paru un chéd'ceuvre. Il ne nous a pas montré ces tableaux ; nous les avons vus chés lui par-hasard, en - fouillant, par-tout, pour chercher quelque Lettre qui m'éclairat fur fes difpositions. J'en-ai eftecFivement trouvé une, oü il était queftion de nous : j'y aï vu fon fe.-ret, & j'aidécouvert les tableaux: Fanchette eft en Hébé ; il doit vous 1'en,voyer, a ce que j'ai vu écrit derrière Ia toiie : Pour le mien , j'ignore ce qu'il veut en-faire : J'avais bien envie de m'en-emparer: mais comme mon nom n'y eft pas , qu\ft-ce que cela me fait ? On dirait que je n'ai pas de chagrin , a la manière dont je traite cette bagatelle. Héias ! faibles Mortels! une mouche nous diftrait, & c'eft un grand avantage fans-doute! Comme j'ai formé le deftein d'envoyer a ma Bellefceur Fanchon le récit de tout ce qui m'eft arrivé depuis ma dernière qu'elie ait recue , je vous 1'adreffe afin que vous le voyiez avant de le lui faire-parvenir ; je fuis bien-aise qu'eile connaifle les motifs de toute ma conduite.  Partie IV. i8i' A ma Sceur Fanchon. (Elle lui donne des nouvellês de fon Fils > 8tc. ) Il y a un temps fi-confidérab'e. que je ne t'ai éent , chère cceur, que je crains de pafler dans ton efprit pour t'avoir oubliée! mais ilnen-fera jamais rien, je t'allure. J'ai eu tant d'inquiétudes & de foins difFérens , depuis que je fuis ici, qu'a-peine ai-je trouvé ie temps d'être a moi-même. Je fuis un-peu • pius tranquiie enfin: mais eft-ce un avantage , lorfque je vois échouer tous les projets qu'on avait foimés, pour me procurer un établifTement avantsgeus, & que toutes les cirronftances parainent fe réüiiir contre moi > C'eft ce que tu vas voir par le récit que je me propose de te faire ki de tout ce qui f'eft paffe. En-arrivant a Paris, ma fituation exigeait que je vécufte dans la retraite: mais prelfée par mon Frère , je confenti: a recevoir les visites du Marquis: C'était indiquer clairement mes intentions a fon (ujet. Cependant je ne luitrouvai pas d'abord un certain emprelTement pour le mariage». Mes Amis me confeiilèrent de marquer de la fièrté : j'enmarquai beaucoup , & je m'en-trouvai bien: le Marquis paria. Ayant eu un fils, je rö^ardai moi-même mon mariage comme a(F:ré. M'ds il y eut alors de grandes difficulrés de la part de la famile du Marquis : j'en-rus piquée , au-point que dans un moment de  t'Si Paysane perverti e, ■dépit , j'alai jufqu'a leur dire , que j'avais de la répugnance pour le Père de mon fils, Sc que je ne l'épouserais qu'a des conditions trés dures , comme d'entrer dans un Couvent, après que j'aurais donné un état a 1'Enfant, auquel feul je me ficrifiüs. Cette conduite futapprouvée ici de tout ie monde, a 1'exception de m.me Parangon, qui la trouva outrée , Sc de mon Frère qui auraic voulu que j'euHfe dit oui, tout-d'un coup. Mais je croyais devoir fuivre les confeils d'un Homme nlus-prudent & plus expérimenté que lui. On me demanda en-mariage. Mais on f'arrêtait aux moindres objections: Sc la vérité eft , que jamais la familie du Marquis n'a-en 1'intention que ce mariage fe fit. La preuve en-va paraïtre par la fuite de mon récit. Un jour m.me la Comteffe fa Mère vint voir mon Fils. Elle me le demanda. Je lui dis mes raisons pour le garder, & elle f'y rendit. Mais quelque-temps après, elle revint a-la-charge: malheureusement mes Amis avaient agité devant moi 1'importante queftion, fi je devais confier mon Fils a, cette Dame ?& ils f'étaient décidé pour 1'affirmative. Je le confiai donc. 11 fe portait a-merveille , & trois femaines après on vint m'annoncer fa mort. Edmond doute que cette mort foit vraie : moi, je desire qu'eile foit faulfe : mais dans les deux cas, il eft bien - dur pour moi d'être privée de mon Fils, & de perdre pas fa mort , ou par fa  Partie IV. 185' fbuitraclion , 1'efpérance d'un mariage quï aurait porté la joie dans ma Familie Il eft une chose que j'attens encore, pour être entièrement convaincue de la mort de 1'Enfant; c'eft le mariage du Marquis , que Laure vient de m'annoncer. Si ce mariage f'accompüt, je n'aurai plus a douter de mon doublé malheur ; & comme il ne faut pas f'abandonner au desefpoir, je faisirai les moyens de confolation que le fort ou mes Amis me présenteront. Quant au Confeiller , je n'y ai jamais férieusement compté , depuis qu'il connaït mon accident. Ainfi , je ne le regrette pas: on me marqué auffi , qu'il va fe marier. Je lui fouhaite bien du bonheur! Edmond me tourmente beaucoup ! Ce pauvre Frère, plus occupé de mes intéréts que des fiens , eft désolé de ce que mes deux mariages échouent. Mais je veux tacher de le rendre plus-raisonnable & moinsambitieus pour moi. Il continue d'être fortlié avec le Marquis , & je ne fais-trop ce qu'il en- résultera. Je me deguise un-peu avec lui ; c'eft-a-dire, que je donne a mes chagrins bien-réels, des causes confoimes aux idéés qu'il a de la fituation de mon cceur: mais je me laffe de cette faulTcté , touteobiigeante qu'eile eft , & je veux un de ces jours, le faire-lire au fond de mon ame... Il vient de me dire que le Marquis eft marié C'eft avec une Jeune-perfone de la première qualité , belle, riche.,.. Touc  1^4 Patsane perverti e. eft fini de ce cóté-la ! mon cctur Te gonfle..r Ah ! j'ai perdu mon Fils Edmond va vous écrire. Il doit me montrer fa Lettre.... deux heures après. La -voila (i ). Je viens de la lire , Le Marquis eft marié ?... On 1'a trompé , en- lui-fesant croire la mort de mon Fils Je ne me trouve fenlible , en-ce moment, qu'a cette heureuse nouvelle! Je fuis encore mère.... Mais je ne dois plus rien au Marquis.... Il m'aime cependant.... Il fulmine de la tromperie qu'on lui a faite ! Il le feint peut- être Il ferait caffer fon mariage ,.... f'il n'avait pas d'Héritier Ce cruel Homme veut me tenir toute ma vie en-fufpend ! Enfin la Lertre d'Edmond vous apprendra des choses bien-étranges, & m'apprend a moi-même , que mon Frère a pénetré mon fecret. Mais je ne 1'avouerai que pour me venger du faible Marquis , f'il m'aime , ou du Perfide , f'il me trompe. Quant au Confeiller , fon mariage m'eft abfolument indifférent, fur-tout après 1'heureuse affurance que je fuis encore mère. Adieu , chère Sceur. Je comptais faire ma Lettre plus-longue: mais je fuis trop-troublée. P.-f. d m.mt Parakgon. Voila bien des choses , ma généreuse & tendre Amie , ( O La CXVI.rae du Paysan , X. IL que  Partie IV. iS5r que j'igncrais au-commencem°nt de ma Lettre ! Vous les voyez par ce'.le qui eft incluse dans la votre. Cependant, je ne vous copierai pas celle d'Edmond qui m'imtruit; elle eft envérité fingulière ! mais lorfque je vous reverrai, je vous parlerai d'une visite que j'ai recue d'un Oncle du Marquis. Il f'eft prefque-mis a mes genous, pour me prier d'engajer fon Neveu a bien-vivre avec fa Femme : il m'a dit auiïi, que fa paffion pour moi avoit des titres fi refpeótablés, qu'd n'avait osé la condamner , lorfqu'il iui en-avait parlé , & qu'il avait teint, pour ne le pas heurter , de donner dans des maximes tres-crimini lies , devant mon Frère : mais qu'il les desavouait devant moi. Une réflexipn me vient : li le Marquis m'aime , comme il mele paraïr» d'après la visite de fon O iele , pourquoi n'a-t il pas renu plus- f. rm;! Je crois qu'on m'a fait-commettre ur.e grande faute , en m'obligeant de lui marquer de la répugnance ! Si je lui avais parié d'après mon ccear, il aurait été comblé; jamaisil n'eüt épousé une autre femme ; il aurait décidé fa familie Je fais trabie !. mais eft .-e par ie fort, ou par les Hommes I Adieu, chère Bonne-amie! mon Fils» exifte , Sc j'ai enco.e un cceur. Torna II, Partie IK £>.  i&S P a y s a n e p e'r vertu.' LETTRE LXXV. 34. oclobrea G a u d e t , Laure. ( Cet Efprit-tenlateur conduit tout a la perdition. ) J E viens d oter Ie dernier azile a Ia mariageomanie d'Urfule : j'ai parlé de-facon au Confeiller, fins paraitre moins-zélé pour Urfule & pour fa familie, que je 1'en-ar dégoüté. Ceft a un foupei chés mr. DeCh***: j'ai feint de boire un-peu audela de la mesure de 1'Homme prudent ; & dans cette iyreffe fimulée , j'ai divulgué, preuve en-mam , au-moyen d'une certaine Lettre qu'TJrlule t'a écrite (1), certains fecrets de Belle. J'ai retiré adroitement ma Lettre , après qu'on en a eu lu ce que je voulais. Le voila marié de ce matin. Il épouse une Coqu -tte fierTée: cet Homme a une étoile qui le domihe furieusement!.... Le pauvre Homme aime encore Urfule, tout-en-fulrninant contr'elle ; & réellement il m'a faitpitié. Mais f'il m'avait importé que la Sceur de mon Amie fe mariat , c'aurait-été au Marquis, &c non a ce petit Robineau provincial. J'écrirai demain a Edmond (z), { 1 } C'ea-h XXVIir.me de ce Recueil(3j La CXVl.me du Païsaü, T. Ila  Partie ï V. 1S7 Sc je Ie renverrai aux détails que je te fais. Tu fais comme il faudra les rendre : ma Lettre fera égarée , ou tout ce que tu voudras. Il était efTenciel que je partiife ! La Belle-dame nouait 1'intrigue , Sc le mariage f'accompliffait. Que de peines! Le fort me doit un fuccès glorieus; il ne me le donnera pas, jel'achète. Dès-queje pourrai m'échapper d'ici, je retournerai oü mon cceur Sc mes affaires m'appellent. Je ne crains pas grand'chose a-présent du Marquis. Que fera-t-il ? Il n'enlèvera plus; Sc quand il le ferait ? féduira-t-il ; Je le voudrais. Entretiendra-t-il ? A-la-bonne-heure. Il faut donner de la p. a. c. a ce faquin de Lagouache, nous n'avons plus besoin de ce Drole-la» Commence a le dctruire dans Pefprit de ta Cousine. Les G—ons ne font bons a-rien dans auqu'un cas ; a-moins qu'il n'y ait encore une vertu bien raboteuse a applanir» P.-f. Crois-tu que nous foyionsfoup9onnés ? examine cela: je t'envoie un brouiilon de Lettre, que tu mettras au-net , pour Urfule ; je le crois néceffaire, pour parer a tout ( 1 ). < 1) C'efl ]a Lettie fuivante.  ïSS Paysane pervertiii LETTRE LXXVr. 19 oétobrai L a vr r e , a U R S U Z e. (Elle lui fait des remontrances trompeuses.) T J L n'y a de par le monde Cousine , des Itres fmguliers , fur-tout parmi les Joliesfemmes, lorfqu'eiles font fi.k-s a-marier !; J'en-connais Une qui eft charmante ! c'eft une Grace , une Hébé ; tu ne poums temt pêcher d'en-convenir , li je la nom mais : mais c'eft bien la plusriinguiière petite Créature qu'on puilfe imaginer! Oubliant qu'eile eft faite pour être adorée , de Divinité , elb vient de defcendre au rang de fimple Mortelie, & c'eft-elle qui adore hurnblement une efpèce de Beau qui n'a pour iui que le fuffragede fapropre fatuité , joint a celui, de fa trè^humble Servante ; ( car il ferait peu exaér de dire fa Maitrejfe). Tu ne ierais. pas capable d'une pareille inconféquence , toi , Cousine ? tu fais-rrop ce que tu vaux pour cela. Mais je voud.ais bien que tu cannuffe Celle dont je parle ; tu lui dirais tor* fentiment, & je fuis füie qu'il aurait du poids fur fon efprit: il faut que je vous faffem& sanruillaucj ;. j'airjie beaucoup cms:  Partie IV, it-f Jolie-perfonne , quoique trè;-aifurée que j'ai peu de crédit fur fon efprit; car elle eft paffablement orgueilleuse , ou entêtée ( ce qui, je crois , eft fynonyme ) : avec cela, cile me fait 1'honneur de me croire f >rr-inférieure a - elle en - efprit , en - mauières „ en-ufige du monde , en-capicité pour les bons - confeils , autant qu'en - charmes : pour ce dernier point, je ie lui paffe „ elle a raison. Je ne lui di^pute qu'un arricle, paree que jr le puis, fans mortifier fa vanité ; c'eft 1'expérience ; je m'en-crois beaucoup plus qu elle ! Mais elle f'en-confo era facilement, 1'expéricnce ne va pas aux Jolies Femmes; c'eft quelque-fois 3 leur ég ad, un fi-vilain mot ! j'ai vu des filles qui i'entenaimt pour offenfées comme de ia plus grolfe injure Mais je revirns a l'Adonis. Jene lui dü ure pas non c üs les graces: peuiêtre-mèm- lui fuppos- rais je de 1 amoi r ; car la Jo!ie-perronne eft firire ^our en-infpirer ^ fur -on Homme-planie , Homme-pierre ; je lui en-foppos rais , dis-j. , fi je r e croyais pas le ca-ur de ce Beau gar!"on , li rempli de luimême , que je regarde comme impoifible qu'il puilFe y ioger Hei fent:m<-ns p ur ua autre Obj< t , quelqua mable 8c quelque mérit nt qu'il fut. Il f rait md-heureus pour ma J une-amie, avec tous fes attnics & vingt ans, d'aler aimer fans 1'ê re , e'le qui a été fi. fouventadoréefiirsy répondre ! pa 'e eocore fi elie avait h cinquantaine , 8c qu'eile eut: médti k colète de Vénus par une longue  19© paysane perverti!. fuite de cruaucés , ou de perfidies ! Mais hélas ! elle eft neuve la Relle-enfant, a un petit échec prés, que lui a fait éprouver un trait perfide décoché par 1'Amour. Car Ier petit Traïtre voyant bien qu'eile ferait invulnérable , f'il 1'attaquair. de franc-jeu , f'eft avisé de fubftituer la force a fes armes ordinaires , Sc ce Dieu fi faible , a eh-juger par fa ftature, qui n'emploie avec les Victimes de fa déloyauté , que la féduétion du plaifir, f'eft avisé d'en-useravec elle comme un Hercule, ou comme un Grenadier , entré par la brêche , dans une Ville prise d'affaut. Ah! cela eft-fort-mal de fa part ! Il paraït qu'il f'en repent aujourd'hui: mais qu'eile prenne-garde ! fes douceurs font plus-daugereuses , que fes violences , &c je crains ici , pour elle, les premières bien-davantage! Je fuis très-parfaitement, la fimple Sc bonne Laure^  Partie IV. ïgv LETTRE LXXVII. io novembre.» Réponfe. ( Urfule avoue fa folie paffion pour un Vaurien, .)■ (->'en-est trop Cousine , & je me lalTe d'être contrariée dans tous mes gotits. Je ne fais envérité , ceque tu as voulu dire l II eft certain que m.r Gaudét eftime m.r Lagouache , & que cet aimable Jeune- Homme lui a paru cligne des fentimens que j'ai pris pour lui. Ce n'eft pas a moi , d'ailleurs , deshonorée par une violence, abandonnée enfuite de fens-froid , rejetée par une Familie , a faire tant la renchérie. Je 1'aime ; le bonheur m'attend avec lui: voila mon dernier mot: & fi vous me contrariez , je fuis ici ma maitrefie , je fais le parti qu'il me conviendra de prendre. Je fuis réeiiemenc piquée ; & fi je ne repoulfais la penfée qui f'eft déja présentée deux-fois , je te foupconnerais de ce que je ne veux pas écrire , mais que je te dirais fostbien,  PAYSANE PERVERTI!. LETTRE LXXVIII. io novembre-. Replique. (Laure eft parvenue a. fon but, d'entêter Urfule pour Lagouache. ) D oucsment ! Comme tu t"échaurT;s , avant d'êrre fure qu'il eft queftion de toi ï Mais fupposons-ie pour un ii ftant: Eh-mondieu 1 aime ton Automate ! qui t'en-empêche ? Je t'ai dit mon avis i tu gardes le lilence : un qunrt-d'heure après , tu parais fu- rieuse ! Je t'écris en-plaisantant: tu ré- pom par des foupcons Je vous aime trop „ pour me brouiiier avec vous pour ii-peu de chose l M.r Lagouache ! ah ! c'eft un parti., 9a ! qu'Edmond fera content ! comme il f'honorera d'avoir pour Btaufrère m.r Lagouache ! Il le présentera par-tour, mais enlui recommandant de garder le iiler.ce : car entre nous, m.r Lagou.xhe eft un fot, une vraie machoire. J'ai en-vérité la plus-mince opinion de ton gpüt ,. depuis que tu t'es coiféede ce faraud la: cai c'eft un vrai faraud de faubourg. Tu étais en colère tout-a1'heure : ehbien, moi, a-présent, j'y fuisdix-fois plü'q ie toi , tk fi m.r Lagouache était la , je lui dirais ce que je t'e.:ris a Ion fujetj & i'ilosaicrepliquer x un bon fouffet  Partie IV. '195 fur fon ftupide museau , lui marquerait le cas que je fais de lui. Tu peux lui m ontrer ma Lettre ! Mon-dieu montre-la lui; tu m'ob'igeras. Va , fi ton mariage a manqué, m.r Gaudét f'en confole : il a d'autres vues pour toi , qu'il faura faire réüiTir , & qui feraient déja remplies , fi tu n'étais pas d'un bégueulifme provincial, qui reff mble comme deux-gouttes-d'eau a la bêtise. Je te parle franc ; c'eft que je fuis franche, &c que j'enrage de voir-faire des fottises a une grande fiile, qu'on mène cornme une Enfant , a qui i'on fait-accroire tout ce qu'on veut, & qui ne voit que ce qu'on lui montre , en lui disant, regarde ! Oh ! que j'aurais honte, de m'être enmourachée comme9a d'un Nigaud , d'un Balourd , d'un Pleütre , d un Butord , d'un Imbécile fans talent , fans fortune , d'un Crane fans cceur , fans ame; incapable de tout, hors du mal! fi c'était un Edmond , encore encore ! mais un Lagouache ! fi ! fi-donc !... . Mortre-lui ma Lettre , je te le répète , & crois moi jalouse après , fi tu veux. Je te déclare que je préférerais eens fois Nég'ret : juge d'après cela de mes tendres f ntimens pour ta Brute ! Je t'aime pourtant, puifque je t'écris ainfi. Ta Cousine Laurette. Tome II, Partie IK R  ï94 Paysane perverti LETTRE LXXIX. 15 novemlra., U r s zr 1 e , d Lagouache-. ( La voila qui fe montre folie &. fans retenue. ) T M. out le monde eft ici contre vous ; je vous refte feule ; mais je tiendrai-bon contre tout le monde , & fur-tout contre mon Frère , quoique je I'aime tendrement. Je viens d'avoir avec lui une prise très-violente a votre fujet. Tachez de le gagner par les moyens que vous croirez les plus-convenables: il eft bon , 8c fi vous lui montrez les bonnes qualités que je vous crois , vous-vous-enferez un Ami. Quant a mon cceur , foyezen-für; il eft a vous pour-jamais , & je ne vous en-aurais pas accordé la plus-forte preuve , fi je n'avais une ferme resolution de devenir votre femme. C'eft ma première faiblefle : mais je ne m'en-repentirai jamais, puifqu'elle eft une faveur de 1'amour le plustendre. Je dois écrire a mes Parens , non pour avoir leur aveu , que peut-être ils refuseraient, mais je leur parlerai dans ma Lettre d'un établiffement qui fe présente pour moi. Nous-nous fervirons de leur confèntetement déja donné, dés qu'ils m'auront fait  Partie IV. i^y ene Réponfe a-peu-près felon mes vues. Si tout f'oppose a mes desirs, vous favez ce que je vous ai promis; je le tiendrai. Adieu , mon chèr Amour ? je n'aimerai jamais que toi. F.-f. Viens ce foir a minuit (i) lettre lxxx. 20 novembre. U r s v i e , d Fanchon. f Elle tache de gagner ma Femme par des diico«re trompeurs. ) CjTraces au Ciel, ma chère Sceur : après toutes mes peines , je refpire enfin , puifque le Marquis tk le Confeiller font mariés tous-deux ! je n'y penfe plus. Il n'y avaitt pas que ces Partis-la dans le monde : peutètre n'eft-ce pas en-épousant des Gens , qui fe croient audeffus de nous, qu'on peut efpé- (1) O! 1'tnfortunée ! a quelle corruption la voila defcendue ! Elle donr.e un rendévous criminel , lans fe fouvenir ni de Dieu , ni de fon honneur, ni de (es Père & Mère , ni de tous fes pauvres Fières 8a Soeurs qu'eile deshon ire ! ni de fa digne Amie, qu'eile trompe hvpocritement!,.,.. R z  'jj>6 Paysane perverti rer de vivre heureus en ménage ; j'ai toujours quï-dire , que la douce égalité aiïortiffait bien-mieux. C'eft le cas ou je me trouve & je t'avouerai , que je préfère un Mari, auprès duquel, je n'aurai pas toujours le röle d'une obligée : il me femble qu'il n'y a rien de fi-fatiguant, a-!a-longue , que ce röle-la , & qu'il fuffit feul, pour rendre une Femme très-malheureuse. Je trouve ici un jeune Peintre , ami de mon Frère , eftimable, rempli de belles qualités Sc de talens, auquel je desireiais de m'unir , fi c'eft ' comme je le penfe , le bon-plaisir de nos chèrs Père & Mère. Il fe nomme m.r Lagouache , & il eft de trés-bonne familie. Je te dirai, que ma rupture avec le Marquis ne les a pas brouillés mon Frère & lui; loin de-la , ils fe voient tous les jours; Sc comme mon Frère demeure a 1'étage audeffus_ de moi, il ne f'en-pa(fe guère que je n'aie leur visite. Je me conforme a 1'ufage du Grand-monde , avec le Marquis, & je lui parle, comme f'il n'était rien arrivé entre nous. De fon cöté, il me débite des galanteries d'usage , & qui ne fignifïent rien ; je les recois avec des expreffions de la même valeur : mais comme il eft le plus-riche Sc le plus-puiffant, il f'avance quelquefois davantage, & il me disait un de ces jours: — Croyez , Mademoiselie , que f'il avait dépendu de moi, vous feriez mon épouse , &c que fans la tromperie qu'on m'a faite , en-me perfuadant la mort de mon fils 5 ja-  Partie IV. 197 mais je n'aurais eu la complaisance de me conformer aux vues de ma familie. Dans le fond , je fais tout ce que je vous dois : la moitié de ma fortune ne m'acquiterait pas avec vous: Auffi , brulé-je d'envie de faire pour vous tout ce qui dépendra de moi. Je youdrais que vous euffiez un carrolfe , un domeftiq , une maison. Je puis , fans déranger mes affaires , mettre a cet objet , foixantemille francs par an , & vous m'obligenezde prendre ce train-de-vie, qui vous convient , comme a la Mère de mon fils. Car certainement, fi je n'en-ai pas d'autre , ou que mon Epouse ne me donne que des filles , il fera mon Héritier , & j'aurai pour cet effet tecours a la bonté du Prince. Il n'y aura aucun obftacle 1-craindre du cöté ma Familie ; car mon Père & mes deux Oncles font dans les mêmes fentimens ; je fuis le dernier Male de ma maison. Ainfi , je voudrais que vous prilïïez dès-a-présent un ton, qui indiquat que la Mère de mon fils eft une femme du premier mérite. Votre beauté ne vous donnera que des Admirateurs , &C aucun Détraóteur , après vous avoir vue , n'osera ouvrir la bouche , vous êtes fi parfaite en-appas & en-graces , que fans avoir les puilfantes raisons que j'allègue , fans amour pour vous , fans desirer de retour de votre part, je vous offrirais encore les mêmes choses , pour mettre dans un jour digne d'elle une femme propre a faire l'orne- R i  19$ PAYSANE PERVERTI!. ment de la Société , lorfqu'elle voudra fV montrer-. Il fait plüs; il me preffe, il preffe mon Frere d'accepter ces propositions. Mais je ne yois pas que je doive le faire; du moins juiqu a ce qu'il y ait Hen de croire que le Marquisn'aura pas d'autre Fils: Car pourIrrs, comme il le dit, ce ne ferait pas de juique je recevrais, ni pour lui que je brillerais; tout c: la n'aurait que mon Fils pour objet. Un Enfant de ce rang-la , f'il obtenait celui de fon Père, mériterait, exigerait même que fa Mère eut un tiain cenveïisble, & qu'eile ne demeurat pas dans une obfcunté dont il aurait a rougir. Tout-cela me met dans un furieus embarras! D'un coté, mon cceur me follicite pour un établilFement oü je ferai tranquile , mais prive'e de mon Fils : de 1'autre , je vois 1'aisance i une vie diilipée, bruyante même , qui n'eft pas fans attrait, mais qui pourrait offrir un coté desavangeus aux ieux des critiqs févères. Je crois que pour éviter les dangers de toute efpèce que je prévois , il vaudrait mieux me marier. Je te prie, chère Sceur , d'en-toucher un mot a nos bons Père Sc Mère , & de les engajer a m'envoyer leur aveu, pour m'en-fervir , en-cas d'un avantage réel a mon égard, &c de 1'avis de mes amis.  Partie IV. 199 LETTRE LXXXI. 1 décembre. Rcponje. ( Ma Femme exposé les préfentimens de nos Parens fur les malheurs qui menacent Urfule St Edmond.) Vos deux dernières Lettres , chère Sceur (1), dont une m'eft venue par renvoi de m.me Parangon , ont été vues de mon Mari , quoique ce ne fut pas mon intention. Je ne faurais que vous témoigner le plus grand chagrin de tout ce qui vous arrivé , ma très-chère Sceur , & de la tournure de vos affaires ; & il eft certain que fi ca venait a la connaiffance de nos chèrs Père & Mère, ils en-feraient bien-marris! mais nous comptons bien de le leur cacher , en-leur lisarft nous- même les Lettres, & paffant tout ce qu'il y aurait de plus-chagrinant : Efpérant, qu'avant que tout-9a fe découvre a leurs ieux , il y aura quelque bonne - nouvelle températive du mal pai le bien. Et d'abord ils n'approuvent pas votre inclination pour t» ■ ( 1 ) Ces deux Letfres annoncées comme retro»vées, dans la CXX.me du PAYSAN, T. II, font la précédente , &. cell< qu'on a lue cUns la LXXI\ .me Lettre du présent Rscueil. R 4  iOO Paysane perverti e. m.' Lagouache , & ils en-chargent mon Man de le marquer au chèr Frère Edmond; auquel ils enjoignent de f'y opposer en-leur nom. Par-ainfi , ma très -chère bonne-amieSceur, c eft une chose a quoi vous ne pouvez plus bonnement penfer. Quand-a 1 egard de ce que vous me marquez de m.rie Marquis, ce font-li choses a quoi nous ne nous entendons auqu'unement mon Mari ni moi; ii ce n'eft que 9a ne nous paraït pas bon : & votre Frère ainé a la-deftus des doutes qui le tourmentent jour & Buit; fans pourtant oser juger que ca foit du mal C'eft ce qui fait qu'il écrit en-grand attendriffement de coeur au chèr Frère Edmond (1) ; car il 1'a ferré , & moi auffi , chère Sceur; & rous-fommes comme en-crainte tous-deux de quelque grand malheur qui vous pourrait bien arriver a 1'Un ou a 1'Autre , ou h tousdeux. Et je vous prie donc , chère Bonneamie -feeur , ainfi que le trés-chèr Frère. Edmond , par la révérence que tous tant que nous fommes devons a la vieilleife de nos bons Père & Mère, de prendre biengarde a ne pas leur donner des chagrins , qui deviendraient mortels a leur age ; & tout-au - contraire, de ne chercher que ce qui peut les fLter & leur faire-plaisir. Hier, chère Sceur, notre bon Père était debout fur ia porte du jardin , rêveur & penfif; (1) La CXX.me du Paysan , T. IL  P A R T I I IV. 201 Sc notre bonne Mère le regardait. Et eile me dit : ■— Fanchon , votre Père paraït rêveur & penfif; & fi crois-je que je viens de voir une larme couler de fis ieux-' Mon Mari était-la. A ce mot, il fe léve tk court a fbn Père; & le voyant ne fe pas remuer, quoiqu'il f'approchat tout-près, & que la larme coulait, il feft tenu arrêté, attendant que fon Père lui pariat, alant, revenant &C rödant autour de lui A-la fin , il 1'a vu, & il lui a dit : — Mon Fils, en-cettc même place , je viens d'avoir en-penfée , qu'un malheur menacait mes Enfans qui (ont a Paris. C'eft un mot des Lettre- d'Urfule qui me 1'a fait venir : Tu m'as lu , qu'on lui ofFre foixante-mille livres par année!...,. O mon Fils! il y a un nuage entre ces deux Enfans-la tk moi, qui me cache leur malheurarrivé, ou pret a arriver. —Non, non, mon Père , a-dit Pierre ; il n'y a que ce que je vous ai lu de vrai. —Mais tu ne le faurais pas, mon Pierre! —Si-fait, mon Père ; ou 1'Un ou 1'Autre écrivent, tantöt a ma Femme, tantöt a moi. — Mon Fils , voi cette place ; elle me tire fouvent des larmes ! c'eft-la ou j'ai, il y a cinq ans, donné des inftru&ions a ton Frère , avant que de 1'envoyer a la Ville ; tk c'eft en-la même place , que j'ai parlé a Urfule , un an après, lui recommandant la fagefle tk 1'honneur, avec la fainte crainte de Dieu : O mon Fils! ton Frère & ta Sceur ont-ils confervé 1'honneur & la fagefle, avec la fainte crainte de  4oz Paysane perverti e. Dieu !... Héias! hélas! que je crains qu'ertles voulant avancer, je ne les aie envoyés ï leur perdition-!.... Et fes larmes ont coulé. Mon Mari la embraffé au-milieu du corps, en-lui disant : —Mon très-honoré Père, calmez vos paternelles douleurs! Edmond eft bon FÜs & bon Frère, & il conduira la jeuneüe d'Urfule : & moi, de ma part, je Vous promets de leur écrire tendremenc, pour encore les y exhorter : Car vous favez, Ties-chèr Père, que fils vous honorent, reipecfent & chériffent, comme auteur de leur vie , après Dieu , dont vous êtes le Lieutenant a-notre égard ; ils m'aiment, moi, comme leur Aïné , & votre Lieutetenant : & jamais ni 1'Un ni 1'Autre ne m'a volontairement contrifté ; car iis favenc qu'ainfi que je rcfpeóte Père & Mère dans leurs faintes & refpeétables Persones, ainfi les aimé-je plus-familièrement dans chaqu'un & chaqu'une de mes Frères & Sceurs, & fur-tout en-eux-deux , la paternelle & maternelle reftemblance : Par ainfi, très-chèr Père 1 accoisez-vous, & vivez' en-Heffe aumilieu de vos refpedleus Enfans. —Pierre, a dit le Vieillard , mes jours f'avancent, & je fuis déja au nombre des Anciens: je'ne demande qu'a defcendre en-paix dans le tombeau de mes Pères : mais il m etait-avis tout - a - 1'heure , que j'y defcendrais avec amertume ! — Dieu le détourne , mon Père! a crié votre Frère-aïné; & ca ne fera ni par Edmond, ui par Urfule, ni par auqu'ua  Partie IV. de nous, très-chèr Père-! Er ils n'ont plus rien dit : mais ils f'en-font venus a la maifon , le Fils foutenant fon Père , qui paraiffait plus-calme. Vous voyez par ce petit récit , ma très-chère Sceur , tout ce que vous pourriez donner dé joie & de contentement a ce bon Père, ainfi qu'a notre fi-bonne Mère ! qui , tous les jours parle de vous , comme fi elle n'avait que vous de Fille : C'eft, dit-elle , qu'eile voit les Autres, & que fes ieux nous parient; mais qu'eile ne vous voit pas, & qu'il faut bien que fa langue faffe-mention de vous, puïfqu'elle ne vous voit , ni ne vous entend. Confultez-vous donc avec le chèr Frère Edmond , pour voir ce qui pourra être le mieux , afin de complaire aux chères, Perlones.  ag4 Paysane perverti e. LETTRE LXXXII. ia décembrs. U r s u z e , a Lagouache. (Elle lui annonce qu'il n'eft pas accepté de nor Parens, &. qu'il peut 1'enlever. T ■M^J E refjs de mes Parens eft abfolu , mon chèr Am_>ur : il faudra en-venir a ce que nous avons projèté. Je ne fuis inquière que du chagrm que je vais causer a mon Frère. II faudra que je difparaiffe feule , afin qu on n'ait auqu'un foupcon a ton fujet: car mon Frère eft terrible dans fes premiers momens. Si je n'étais pas brouillée avec Laure, ïcause de toi , j'aurais recours k elle : mais il n'y faut pas fonger.... J'aurais pourtant envie de la fonder adroitement , fans me decouvrir. Je vais lui écrire. Il faudroit nous tenir a-portée de donner de mes nouvelle» a mon Frère, fi 1'on voyait que cela fut néceflaire : car je le connais. Prépare tout : l'argent ne te manquera pas. Il n'y a qua louer dans la Cité, chés certa Femme de la rue du - ham - Moulin : c'eft un quartier perdu , dont les rues font un labyrmthe , oü rien n'eft de fi-aisé que de ie dérober aux ieux des Curieus, Sc des  Partie IV. iof Efpions, fi 1'on eft fuivi. Tu vois , Bonami , combien tu m'es chèr, puifque rien ne m'arrête : l'ère , Mère , Frère ( tk tu fais ce que c'eft qu'un Frère comme Edmond ! ) je te facrifie tout. On n'eft pas digne d aimer tk de l'être , f'il eiF*quelque chose dans le cceur qui balance 1'Objet aimé. Il faut être tout a lui , cfc que notre vie , notre honneur ne nous foient pas plus-chèrs, que fon honneur tk fa vie. C'eft dans ces fentiments que je t'embraffe. Adieu. LETTRE LXXXIII. même jour. La Mème , d Laure, ( Elle feint de lui demander confeil.) Ma chère Cousine : J'ai fi peu de rancune, fur-tout avec les Perfonnes do;t je fais que je fuis aimée , autant que je les aime, que tu vas être mon confeil, en une circonftance bien-lcabrense ! Il fagit de mon mariage, avec ce mr. Lagouache , que tu n'aimes pas, & que j'aime beaucoup. Je pourrais profiter du confentemcnt que j'ai ici , & c'eft ce que je me propose : on fera caffer le manage apiès fi 1'on veut : mais  aoS Paysane perverti e. alors je n'en-aurai pas-moins le droit de vivre avec lui, & de le regarder comme mon véritable Epous: tu*fais que dans ces occasions , nous fommes auffi autorisées a marquer de 1'attachement pour 1'Homme auquel nous-nous fommes déja dornées , qu'il nous eft indécent de le faire dans une autre positron. Parle-moi vrai, & fans auqu'une'prévention : Que me confeilles-tu ? Pèse , je t'en-prie , les choses avec impartialité : J'aime , je fuis aimée : les conditions font égales : Je ferai la bienfairrice de mon Mari: Or tu fris que dans ces occasions , 1'autorité nous eft entièrement dévolue ; & laiflè-moi faire, je fuis Femme, & je ne cèderai pas mes droits. 11 y a trois müle-ans , de comptefait , que les Femmes plus-riches que leurs Maris, les font trembler ; je le lisais 1'autre jour dans les Comédies de Plaute, qu'a fi mauffadement défigurées ce faquin de Gueudeville. Or , la comédie eft la peinture des mceurs. Tu vois que je ferai heureuse , beaucoup-plüs que fi j'eulfe épousé le Marquis , ou le ConfellerJ'attends bien-férieusement ton avis pour me décider. Ta tendie Amie-Cousine, Ursule R^¥,  Partie IV. 207 LETTRE LXXXIV. même jour. Réponfe. ( Elle lui réponiZ d'après les vues de Gaudét, qu'elie favait.) J ir ais t'embraffer, chère Amie, aulieu de te répondre par-écrit, fi je n'étais pas retenue chés moi pour la maladie de ma Mère : mais je ne veux pas que ma réponfe en-foit difFéréc. Le parti de te marier , avec le confentement donné pour Un-autre eft mauvais, abfolument mauvais : Sc pour te marquer qu'il n'y a auqu'une animosité dans ma facon-de-voir , je vais te donner un autre confeil, qui ne te fiattera pas moins. Dilparais avec Lagouache , Sc force ton Frère a faire ton mariage , par cette démarche hardie ! fur-tout, aie foin qu'il ne puifte pas douter que tu es avec lui, & que tu as tout accordé. Voila mon avis. Je t'aime de tout mon cceur. Laure,  io§ Paysane perverti e. LETTRE LXXXV. 13 décembre. Tj A TT R E , a- G A U D E T. (Cette Lettre, par fon langaje, déeouvre la trame de Gaudét. ) XJrsule fort de chés moi : D'après un confeil que je lui avais donné par-écrit, elle eft venue me voir : elle va difparaitre avec la Lagouache ; 'n'eft-ce pas ton avis ! Mais il me femble que cela paurrait nuire aux vues fur le Marquis , & aux projets que tu formes ? Il eft néceffaire que tu fois bientót ici : car, a parler-vrai, je ne vois pas le fin de tout eek Elle en-eft folie , &c je crois que tout eft dit entr'eux. N'était-ce pas-la tout ce que tu prétendais! Va , je te répons qu'eile eft afies agguerrie a-présent, pour recevoir tes infinuations! il ne f'agit plus que d'éteindre cette paffion, ce qui, je crois, ne fera pas difficile. J'ai vu fon Automate ; il y travaille lui-même; car il Ja traite fort-leftement; mais 1'expreffion eft impropre , c'eft grollièrement qu'il falait dire. Elle en-rit, & regarde cela comme des naïvetés charmantes II eft avantageus qu'eile en-rie ; car fi elle les prenait férieusement- bien,  Partie IV. io$ bien, elle ferait plus-éloignée de fa guérison : mais elle les fent, puifqu'elle en-rit, autant peut-être pour les excuser aux Autres qu'a elle-même. Je deviens profonde , comme tu vois, depuis que tu m'as appris a. chercher les causes de tout. Maman va-mieux , fans être bien. Moi, je m'ennuie : les Amis d icï ne font pas recréatifs, avec tout ce qu'il faudrait pour 1'être. Edmond, par-exemple, iera charmant , quand il n'aura plus d'inquiétudes pour fa Sceur. Tire-le de ce mauvais pas. Réponfe , & viens; a-moins que tu fulfes auffitót arrivé qu'une Réponfe. LETTRE LXXXVI. ia décembre. Réponfe. ( Gaudét n'eft pas toujours le maïtre d'arrêter , oü il veut, Ie mal qu'il fait. ) JE répons , & j'arriverai dans p»u. II ne faut pas que l'efcapade d'Urfule avec Lagouache feff cfue , mais qu'elie foit prête a f'effeótuer , & qu'E imond averti par toi, en-empeche. InftFuis-le par un motd'écrit* a-1 inftant oü Urfule fera fur-le-point de* févader. Si .-'était un enlèvement qui n'eüc pas fon aveu , a-la-bonne-heure, cela ferait notre affaire da-s un fens. Jufqu'a ce moment, tout va felon met, desirs; mais votci Twe JI. Rsrsie IV. S  2io Paysane perverti e. la crise! J'efpère que tout ira bien. J eens au Marquis : cela vaut peut-être mi^ux quede lui parler , & je tarherai de cirer parti de mon abfeence. Du coté de ce Seigneur „ a-présent qu'il n'eft plus queftion de mariage , un-peu plus ou moins d'honnêteté ou de vertu , comme tu voudras, n'eft pas une chose a laquelle il regardera : Pouwu que Lagouache foit expulfé , 8c qu'Urfule lui refte, il fera content. Or je connais Lagouache , & je fuis fur qu'il donnera d ins le piége- que je lui fais tendre par le Marquis. J ecrïs auffi a Edmond , &c tu ferasrendre ces deux Lettres , après les avoir lues. F.-f. Je travaille beaucoup ! j'ai de grands defieins , 8c je fuis ici avec des Hommes qui peuvent les faire réülTir. Que de choses fur le tapis ! je fouffre loin de vous-ious, rmis \ peine ai-je le temps de fentir que je foutfre (i). (i) J'ignnre de quoi il veut parler ; on était alcfs, & la fin de 1753,  Partie IV. au LETTRE LXXXVIL même jour. G A U JO É T , au M A R Q I S D e-**. ( II veut perdre Urfule tout-a-fait. ) M onsietjr: A-l instant oü vous recevrez ma Lettre, vous ferez fort-agité , fans-doute , & vous croirez qu'Urfule eft perdue ? C'eft tout le contraire. II n'eft pas pollïble qu'une Filled'efprit comme elle fupporte deux-jours defuite le tête-a-tête d'un Lagouache; faraud du dernier ordre , brutal, & capable , aubout de vingtquatre-heures de la traiter enFille. Urfule eft 4 vous, après cette efcapade , fi vous favez vous y prendre. Mon confeil ferait , qu'après avoir découvert la fugitive (ce qui ne fera pas difficile ) , vous la fiifiez carher avec fon Frère dans une pièce, d'oü elle pourrait entendre la proposition fuivante, faite pir vous a Lagouachei ■ Ah-ca, mon Ami, tu fais que j'aime Urfule : il f'agit de me la céder : que «*.. foit enne nous une affaire de finance-? Le Sot vous répondra quelque bêtise , mais füiemem desagréable a. Urfule , que ia S i  zix Paysane perverti e.' bafleife révoltera, parce-qu'elle a l'ame haute & fiére. S'il fe fait-valoir, Sc qu'il vous dise 1'équivalant du mot de Pécour (1) , ferrezlui le bouton , & vous verrez bientót le plat Personage en-venir a tout-ce que vous ex'gerez. Il faudra que la manière dont il vous cédera Urfule, foit bien-infultante pour elle. Qjand tout cela (era fait, montrez les plus-belles, les plus-généreuses difpositions;, Sc vous aurez enfin a fouhait une fille parfaite, autant que femme peut 1'être. Vous favez nos conventions pour le Frère : c'eft un Jeune-homme capible de tout : il faut le pouffer. J'ai changé d'avis pour le Militaire : cela aurait été bon, fi vous euffiez fait la folie du mariage avec fa Sceur ! il aurait bien-falu iliuftrer votre Paysane par ce brillant Jeune-homme ; car il aurait fait fon chemin , je vous le jure: mais le Fiére de votre MaitretTe ferait déplacé, oü votre Beaufrère aurait été vu de bon-eeil. Je penfe a la robe. C'eft une autre carrière qui a fes ïlluftres , & fur tout un pouvoir, qui m'a fouvent tenté : cela eft fans prétension, SC il n'y aura pas de déboire a craindre, . Pour revenir i Lagouache , je lui écris, ainfi qu'a Edmond. Je ne veux rien laiffer a faire au hasard, Sc j'ai pour maxime ce ( i ) Le Comédien Pécour , favori de Ninon ^ répondit au Comte de Choiseu.il; Jê coraraande bij, C«i"fs j ou vans feryfiA.  Partie IV. n j beau vers de Lucain , cité par Voltaire, comme valant feul un Poème-épiq : NU aclum reputans , Ji quiifuperejjet agendtim (i), Nous voila dans la crise : ne perdons pas courage : quelques égratignures de - plus que recevra la Beile ne la déchireront pas. Je fuis avec une respectueuse coniïdération j Monfieur le Marquis , Votre &c* P.-f. Je ferai enforte , au-moyen de mes intelligences avec Marie , la Nourrice , de prévenir tout ce qui pourrait blefler en rien votre délicatelTe. Comptez-ladelTus (i). ( i ) Penfant n'avoir rien fart, f'il lui reftait s faire. ( 2 ) On verra comme le Marquis pouvait y corup» ter 1 Gaudét U-ompe tout lc monde.  zi4 Paysane ïervertie. LETTRE LXXXVIII. même jour. Le Même , d Edmond. (Le Corrupteur fait fervir tout Ie monde a fés méchantes vues. ) Il eft certain, mon Ami, par ce que j'apprens ici, que ta Sceur aimeLagouache: mais il ne i'eft pas moins que tu dois être inébranlable dans ton opposition. Je lais que tes Parens t'ont donné plein-pouvoir a ce fujet, ,& que loin d'envoyer leur confentement , ils o;it écrit tout le contraire : j'ai fait-prendre des informarions aüpfès de ton Frère-ainé. Pour que la détenfr foit plus-^frirace, notifiëla un-peu plus fermement qu'<-l'ordmaire: on dirait, quand tu parles a Urfule , que tu es un de-fes Adorateurs ! Si mil:;'"4 toutce'.a , elle f'obftinait, & qu'il arrivat quelqoe cho-e de décisif , il faudrait employer le Marquis , pour avoir raison de ce L'gouache. Mon avis ferait qu'on le tentat , pour lui faire abandon -er Uru'e , & qu'eile fut témo;n leerrt de cette achet4. Tu fensqu'aprè- cela , notre pian doit fexécuter , afin d'oter a ta Scear rette fureur du mariage , qu; voas avez tour-a-tour} i-inoins que ce  Partie IV. zi f ïie fut ton avis , qu'elie fe mariat au Premier-venu. La Belle-dame vit a Au** dans une retraite abfolue : elle ne voit Perfone , pas même fon Mari (dit-on). Quant a lui, je le trouve très-changé. On le dit atteint d'une maiadie dangereuse. J'ai vu la Petite Edmée-Coktte a-l'infu de fa Mère : c'eft une charmante Enfant! fi elle a le cceur fait comme tous les Enfans-d'amour , que de féücité elle promet a fes Adorateurs futurs ! On ignore par- faitement le myftère de cette maternité , comme tu penfes ! c'eft la fï'le d'une Amie de Paris , qu'on nomme m.me .fetó: ne connaitrais tu pas cette Dame-la ? J'admire commei.t la prudente Parangon a rifqué cet anagn.mme ! Mais voila re qu'on gagne a bien établir fa réputation d'abord : quelque méchant que foit le monde , il ne foupconne jamais le mal, quan d notre conduite , notie caractère ou nos difcours n'en-ont jamais donné 1'idée. C'eft une petite obfervation que j'ai-faite quelquefois a nos belles Calomniées , qui vont par-tout étalant leurs grande^ douleurs. Je demandais un jour a la jolie Vill**, avant fa petite vérole : — Mais d\:ü-vi<-nt donc cet acharnement contre vous! Car enfin, la beauté concilie les cceurs & ne les aliène pas; — Vous-vous trcmpez, me répqndit-elle ; les Femmes la jaiousents. les Hommes cherchent a 1'humilier , parcequ'elle nous met trop audeffus d'eux. J'ai suêiae oblerve plus de joie fur le yisage do  iifj Paysane pervirtih, certains Hommes lorfqu'on dénigrait devant eux une Jolie femme , que fur celui des femmes elies-mêmes. —Cela eft très-bien Vu } Madame : Mais dices-moi, 1'avanture avec m.r D** eft elle-vraie ? — Non certainement! — Je le crois: mais n'avez vous jamais été en tête-a-tête avec lui ? — Si, plusieurs fois. — Eft-il vrai qu'un-jour vorre Mari ait écouté a la porte, & qu'il foit rentré furieus ? — Oui : mais il avait tort : Un Homme dit toujours des douceurs a une femme , & je ne pouvais en-empêcher. —■ Eft-il vrai qu'une autrefois , il vous prelfaic du genouil en-jouant, au-point que la table fut prête k fe renverfer , & qu'une Dame ayant levé le tapis — Oui, mais tout- cela prouve qu'il m'aime , & non que je 1'écoute ? — Votre main était fous la table ? •— Elle était fur mes genous: — Ce n'eft pas ce que dit la Dame : mais qu'y fesaitelle , fur vos genous ? les deux mains ont affaire fur la trble quand on joue aux c u tes ? — Oh ! vous épiloguez fur tout! — Vous voy-z, M dame , qu'on n'a point parlé fans en avoir fujet; le fujet tft faus, je le veux j mais il a qu"lqu'apoarence. Ne favez vous pas , que m.me P****, qui eft aujourd hui deshonorée , n'en a pas fait d'avanrage ? fon Mari forrait, la lailfant avec .n.r D-mej ; il f'arrêta fur 1'efca'ier ; il entend't aubout de triisminutrs tornier la imailède fa femme, fur le parquet, comm- fi Quel [u'un avait enlevé le corps a une cextaiue hauteur: il rentra 3  Partie IV. 217 rentra, & avec la modération d'un Mart indigné de fe voir préférer un Magot, il fe contenta d'empêcher la conclusion. —» Remettez-vous, Monfieur, dit-ilau Galant: & vous, Madame, foyez prudente. Il fit enfuite fortir le Galant , &c ne dit pas un mot de plus a fon Epouse. Mais une malheureuse femme-de-chambre était témoin de la fcène ; toute la Ville Pa fue , & m.me P**** paffe pour une Je reviens a la Belle-prude m.me Parangon : elle a eue la plus-grande attention a ne jamais dunnerprise fur elle; voila pourquoi il n'y en-a aucune. Contente , lorfqu'elle a eu dans fa maison fon obfcur Adonis, elle fe livrait a la douceur de 1'aimer , fans que Perfone enjasat, f'en-doutat: eh ! qui fe fut alé-imaginer , qu'un jeune Paysan , fans usage du monde, dont le mérite , tout-réel qu'il était, fe cachait fous une groffière envelope , captïvait la plus-belle femme de la Ville ? Celle qui fuyait tous les hommages, & même tous les Hommes ? Une véritable paffion „ comme la fienne , eft la fauvegarde la plusfüre de 1'honneur, quand une femme a Ie bonheur d'avoir affaire k un Jeune-homme modtfte... Je te fers a ton goüt, en-te parIant de la Belle dame. Mais c'en-eft afles, Revenons a Urfrle. Tout ce qui fe paffe ne m'óte auqu'une de mes idéés pour Pa venir; aucontraire ; Sc f'il faut te parler vrai, je ne fuis pas faché que ta Sceur use un-peu fon cceur j ceü: Totua 11, farue W, T  Paysane perverti e* un état que celui de 1'amour , par lequel il faut paffer tot ou tard : c'eft une doure erreur a vingt-ans ; c'eft une impardonnable folie a quarante. J'ai connu de ces Dragons de-vertu , qui tant qu'elles ont été aimables & Jeunes, rebutaient tous les Adorateurs:. c'eft qu'elles voyaient bien qu'il leur en* reviendrait Deux, pour Un qu'elles renyoyaient , & elles fe reservaient tout bas la liberté de choisir: mais quarante ans font venus avec cette coquetterie ; les Amans ont difparu ; il n'y a plus eu de chois a faire : alors, mes folies fe font éprises d'un jouvencau , qui brüloit „d'un feu-de-paille, qu'elles ont payé pour les tromper, & qui les a trompées. Si donc ta Sceur n'a pas encore eu la petite vérole de 1'amour , qu'eile1'aye : c'eft mon avis.. JP-.f. Il refte entre les mains d'Urfule un certain confentement de tes Parens, dont il faut te faisir par-précaution..  Partie IV, LETTRE LXXXIX. mème jour. 'Le Même , d Lagouache. ( Gaudét fe fert auffi du Fat qu'il méprise. ) Puisque vous avez le bonheur d'être: aimé d'Urfule ; Monfieur , c'eft la fervir fans-doute , qus d'entrer dans vos intéréts. Vous favez que j'y luis depuis longtemps: mais en-cette occasion iur-tout, je dois vous en-donner des preuves. Il f'agit de rendre heureuse la Sceur de mon Ami ; Pour cela , il faut que vous la connaiffiez parfaitsment. M.lle Urfule eft une fille hautey capricieuse, inconftante , & plus-inconlequeote encore. Il faut la matter pour fon propre avantage , autant que pour le votre, & lui montrer ce que vous êtes, dès avant le mariage: car fi vous attendiez après, Sc qu'tllefe crüt trompée, elle ne manquerait pas de moyens, pour fecouer le joug , & de Proteétions pour vous faire punir ; outre que moi-même je prendrais alors fon partï contre vous. Songtz-donc, a vous conformer a ce que je vous prefrris. Si vous 1'averr!el1ement fubjuguée , elle ne vous en-fera; que plus - acquise} fi vous n'avez fait fiu' T *  zio Paysane pervertif.' elie qu'une impreflaon légere, vous éviterez le malheur d'être un-jour renfermé, dans. le cas ou vous viendrez a lui déphire. L'intérêt que je prens a vous, m'engaje a vous présenter les choses fous leur vrai point-devue. Je vous confeillerais de lui faire- faire quelque démarche décisive , comme de quitter la. maison de m.ms Canon , pour aler avec vous : fur-tout difparaiffez avec elle, pour qu'il n'y ait pas de doute : ces démarches inconfidérées de fa part , feront unjour des armes contr'elle entre vos mains,. Marquez-moi , & fur-'e-champ , a quel point vous en-êtes avec elle. 11 ne ferait pas mal non-plus que vous écriviffiez une Lettre adreflee a.Elle, mais qui tombat en-d'autres' mains , comme dans celles de m.lle Laure y par laquelle vous paraitriez vous faire-preffer au fujet de 1'enlèvement , ou de la fuite , comme vous voudrez. J'eipère que vou& vous conformerez en-tout aux avis de Votre affectionné.. T-f. Renvoyez-moi ma Lettre. Le confeil que je vous donne eft de la plus-grande conféquence : foit de ma part, foit de celle d'Urfule. Vous connaiffez ma.prudence , 8c mon pouvoir-  Partie IV. *«' LETTRE X C. même jour» Ï7 ü J u l e , k Lagouche. ((Elle lui donne rende vous pour 1'enlever. ) Trouve-toi ce foir avec un carrolfe & Ia porte de la maison : je drfcendrai fans bruit , entre^dix, onze heures, ou minuit;. mais foit pret dès les dix heures. Mon Frère f eft emparé, il n'y a qu'une heure, du confentement de mes Parens, & il n'y a pas efpérance de le ravoir de fes maim. Il y a toute apparence qu'il venait de recevoir une Lettre, que je foupconne d'-chés nous, de m.r Gaudét , ou de m.me Parangon.. Peut être que ^ main il ne ferait plus temps,. J'emporterai avec moi ce que j'ai de plus* précieus. Sur tout ne manque pas ! A ce foir , mon Ami.  122 Paysane perverti e. LETTRE XCI. même jour. Réponfe. (II répond d'après Ia Lettre qu'il 2 recue de Gaudet.) Foin des fames depui que je te connes jé plu de calTetete qu'an toute ma vie vla quinz jour que tu me tourmante pour tanlevé ma foi anleve toi toi ma-me jé bel afire dalé me faire des affaires acose de toi i lais vrai que je teme mes on a bo emer les jans cant ilia du rifque ferviteur inci giré fi je peu ou finon je niré pas ces bin drol qui falie faire tout ce que tu veu i fot faire oei un peu ce que je veu moi é jefpaire que tu le fera canc nou ceron marié met tais fi joli qui fo bien te pardoné inci giré a leure dite mes ne me fet pascroqué le marmo pandan deuz heures o moins je t'cmbralfe. Lagouache. R-.f. de Laure , a laquelle cette Lettre fut , remise : Je viens a-l'inftant de recevoir une Lettre de m.r L gouache, qui m'eft adreffée, fous enveli pe, pour que je te la fade parvenu-j. chère Cousine ; je 1'ai copiée  Partie IV. %%% exaétement dans fa belle orthographe, car je garde 1'original , pour le montrer a m.r Gaudét, & le faire rougir de fora Protégé. Je te demande pardon de cette petite liberté : mais il y a envérité pour rire de ton Chois! ton goüc pour les Beauxefprits , eft décidé; te voila Ninon i Adieu. Tu me feras favoir de tes nouvellês , j'efpère ? Je garde tous les fecrets. qu'on me confie ; je divulgue tous ceux. que j'attrape. LETTRE XCII. même jour» Lagouache , d Pastourel, fon Ami. ( II montre fa baffeife &. fa poltronnerie- ) M A foi cet a fe foir que je la quiens com ia fera la nuit é con ne let pas fe qui peut arriver trouve toi pas loin de fa porte pour que cil anvet queq chofe jus quècun pour me fecouri car voi tu ge ne me fi o Fames que de la bonne forte è puis fon frere qui ais une lame dame i fbt prende garde un peu a foi dan les cas com celui ou me voila i fodra avoir avec toi cin ou fi de nos camarade je vous rledorrmageré de tou fa «m queq j.oui je. fiu ben faché que tu naye;  224 Paysane perver.tie. pas été che toi je tores dit ben dot chose car je ne fuis pas fan zavoir de linquiétud o fujet de ce que tu me marquede mr Godai qui ais un hom qui a lais bras Ion gai peur qui gniait queq finece caché ladfous il y a oei le marqui de*** par tout fa i fo que mais bons zamis fe rrouve a porté de me fecouri can ca cera fai ma foi vog la galair tan quel pourra voger la fill eft riche queq i: nfque don Lagouache. Tin de la Partie IV, & du Terne II,