BIBLIOTHEEK UNIVERSITEIT VAN AMSTERDAM 01 2579 9049    L A DESTRUCTION DE LA LIGUE.   L A DESTRUCTION DE LA LIGUE, OU LA RÉDUCTION DE' PARIS, PIECE NATIONALE EX QV A T RE ACT ES. A AMSTERDAM. 1 7 8 2.   JP 3R. £ ¥ JL C fco C'est a la poéfie dramatique qu'il appartient d'animer 1'hiftoire languiflante & froide dans fes narrations; de retracer avec précifion & vérité les événemens les plus faits pour inftruire les fiecles futurs , en leur expofant les tableaux des Calamités paffées; calamités toujours piêtes a renaïtre, &C que les hommes ne pourront éviter qu'en rejetant les opinions abfurdes de leurs ancétres, &: en gcmiflant fur leur aveuglement & leur frënéfie. C'eft un miroir immortel, oü 1'homme appercoit combien il lui importe de diffiper Terreur toujours li funeöe & toujours ü prompte a dominer la plus nombreufe portion du genre humain. On a voulu peindre dans ce drame Pépoque la plus défaftreufe & la plus extraordinaire de nos annales. Jamais le fanatifine, dans aucun fiecle , ne leva une tête pkis hideufe & plus triomphante. La foule des a iij  vj P R E F A C E. événemens , le cara&ere des perfonnages, les combats opiniatres de la politique & de la fuperfution, les talens , les erreurs, le courage & les crimes , tout fait tableau ; & ce tableau n'efl: pas indifférent a tracer. H expofera , dans un jour évident, par quel üngulier hafard efl: monté fur le tröne de France le pere de la dynaftie régnante. On aimera, je crois, a contempler de quel orage fut agité & battu le tronc nu & dépouillé , qui, reverdiffant depüis , a étendu s branches & fes fuperbes rameaux fur ^eurs trönes de 1'Eürope : haute fortune qu'eüe ne contemple aujourd'hui qu'avec des yeux jaloux. Mais a quoi tenoit - il alors que la France ne prït une autre forme & une toute autre combinaifon ? Tous les efprits étoient ardens & fiers a 1'excès, avoient une volonté forte & déterminée. Tous les bras étoient vigoureux & annés-, laforce, 1'opiniatreté j r^nthounaime , rout annoncoit la vie du corps politique • pourquoi cette force immenfc ne fut-d!e d-Hgée, dans ce fied«  P R E F A C E. de barbarie , par des idees faines 8c des principes reftaurateurs de la liberté ? Pourquoi un peuple a-t-il épuifé fa conftance pour des chimères, au lieu de conquérir des avantages réels 8c qui étoient alors en fa puiflance ? Ainfi , par une oppofition fatale &C trop bien marquée dans Phiftoire, le courage 8c les lumieres ne fe rencontrent jamais enfemble. L'intrépidité foutenue appartient a tel fiecle , 8c ce n'eft qu'une force aveugle qui fe meut au hafard. Les idéés politiques 8c juftes naiffent dans un autre fiecle , Sc les bras font énervés , amollis , les ames foibles , dégradées , fans vigueur 8c fans cara&ere. Les tems de nos guerres civiles font ceux oü, malgré le fanatifme , le philofophe aime a reconnoitre du moins des ames fortes , hardies , paffionnées , 8c il regrette alors que ces rares vertus de 1'homme n'aient pas été appliquées avec plus de difcernement a des caufes vraiment grandes, patriotiques 8c dignes de fa valeur. Ainfi le fanatifme de ce fiecle doit étre doua iv  vlij P R E F A C E. blement en horreur aux philofophes, en ce qu'il a corrompu ce qu'il y a fouvent fur Ia terre de plus utile k un peuple opprimé & généreux; la guerre civile. Nos voifins font fortis triomphans avec la liberté, de ces mêmes guerres oü s'agitoient leurs nobles courages. L'Angleterre , la Hollande , la Suifle , &c. ont racheté de leur fang les droits d& 1'humanité ; & nous, après tarrt d'efforts, de combats, lorfque ces mêmes convulfions révéloient la force des individus & le tempérament robufle de 1'état, las, affaifles, retöiru bant fur nous - mêmes , nous avons ployé fous le joug de Richelieu , vingt - deux ans après tant d'exemples de fermeté & de conftance. On s'étoit égorgé pendant trentecinq ans pour des illufions; & Ia nation ayant 1'épée ou poing , ne fut ni connoitre ni ra.ifonner fes vrais intéréts politiques. Remontons a 1'origine de cette ligue fameufe qui pouvoit régénérer letat & ne fit quele troubler; qui'fut d'abord inftituée par les plus fages motifs, & dégénéra par le fanatifme des  P R E F A C E. IX prétres; qui eut de grands hommes & de véritables patriotes pour appui, & qui enfuite fe perdit honteufement dans 1'abfurdité des querelles théologiques. Tachons de découvrir ce que les hiftoriens timides, prévenus ouadulateurs, ont craint d'expofer. A uncertain éloignement,les vraies caufes des événemens difparoifient, & Pon ne voit plus que les couleurs prédominantes qu'il a plu a certaines plumes trompées ou vénales de donner aux objets. Appuyons-nousfur les faits ; cherchons furrout quelle étoit alors la difpofition d'efprit des peuples; elle laiffe une empreinte vifible, & la vérité nue a une énergie qui lui eft perfonnelle. L'adminiftration paternelle de Louis XII fut malheureufement de courte durée. Malgré plufieurs fautes politiques , il laifla le royaume riche , bien cultivé ; & la culture eft le gage le plus affuré de 1'heureufe population. En jetant les yeux fur fon fuccefleur, ce bon roi, dont on doit bénir la mémoire, & qui fe connoiffoit en hommes, s'écrioit,  s P R E F A C E. en foupirant: Oh ! nous travaillons en vain i ce gros gartjon nous gdtera tout, II ne propbétifa que trop bien. Francois Ier n'eut aucune des qualités néceflaires pour gouverner un état. II eiï eut même de funeftes. Une bravoure déplacée , un efprit diflipateur , une préfomption orgueilleufe , du gotit pour une domination arbitraire , un fafle prodigue, «ne avidité coupable féparerent dès lors les intéréts du prince de ceux de fes peuples. Son amour pour les arts naiffans tenoit plutot a la paflion du luxe qu'a celle de l'humanité; ce ne font pas, en effet, les tableaux, les flatutes, les palais, la mufique , les vers & les chanfons , jouifiances particulieres des exaéteurs & des déprédateurs publics , qui établiflent le bonheur d'une nation. Les écrivams eux-mémes fe font trompés trop fré« quemment a ces marqués équivoques. Mats la poftérité de Francois Ier n'occupa Ie trone que pour en êire 1'opprobre, Quatre regnes déteftablés & fucceffifs, marqués par tont zt que le crime öf le yice  P R E F A C E. x) ont de honteux' & de funefte , écraferent le royaume; & dans 1'efpace de quarantedeux ans , ce ne fut qu'un enchaïnement 'de violences , de cruautcs & de perfidies. La molleffe de Henri II & fon abnégation devant la ducheffe de Valentinois & fes favoris; la puérile foiblefle de Fran9ois II aux genoux des princes de Guife & de leurs créatures; la fërocité & la démence de Charles IX; ( i ) les débauches infames de Henri III , fes viles fuperftitions, fes profafions immenfes ; tous ces rois pervers ( I ) Le maflacre de la S. Barthelemi fut Ie crime du tróne ; ce crime fut médité pendant fepc années entre les deux cours de Charles IX & de Philippe lï. Charles 'IX a figné le maf. facre de la S. Barthelemi , dans t'agêèa les plus mauvais rois ont eu des vertus & de la fenfi, bilité ; il a tiré fur fes propres fujets , & de coupables hiftoriens ont voulu 1'excufer furkm age & le plaindre. Ce qui prouve qu'il n'etoit que barbare , & non fuperftitieux , c'eft qu'il avoit donné des ordres expres pour fauver les ]outs&'AmbroifeParc, fon premier chirurgien, Sa raifon étoit, qu'il ne falloit pas öter la vi§ a un hommc qui pouvok lui conferver la fienng,  xij P R E F A C E. dégraderentla majefté royale , la nation fran9oife & rhumanité. Ilsoffrenta la main équitable de Phiftoire une phyfionomie propre k y graver la honte ; car cV<< doit une flétriffure particuliere a ces grands ennemis de la patrie , qui la déchirerent du haut de leur tröne. Catherine de Médicis avoit, pour étendre fon autorité , d'ün cöté le poifon , & de 1'autre une troupe de filles galantes pour corrompre , énerver les princes de Ia cour , & attirer a elle tous les fecrets; elle cherchoit Ia pierre philofophale avec fes forciers & fes fouffleurs ; & non moins avide de fouler le peuple avec fes trai tans Italiens, elle envoyoit le roi faire enregiltrer au parlement les édits que cette infame troupe avoit fabriqués. Le roi alloit, avec une forte d'intrépidité, affronter la haine & le mépris des peuples. Les hommes font bien patiens ; mais k la fin, quand ils font trop outragés, ils fe réveillent de leur lethargie , deviennent furieux & réagifient contre un pouvoir tyran»  P R E F A C E. *itj nique. Les défaftres publics prouvent toujours que le gouvernement eft trés - mauvais. Tous les ordres de 1'état, également mécontens, fe fouleverent prefqu'a la fok Voila ce qui donna de la force & du cara&ere a la ligue naiflante ; ck )e crois découvrir fa véritable origine dans 1'extrême malheur des peuples. Différens prétextes échaufFerent fans doute les efprits; mais tous parurent fe réunir contre le trfine. Les vrais motifs des guerres civiles pe furenr pas la difcnft du catkoücifme. II faut lire, dans les écrits du tems , de quelle haine jufte & violente on étoit animé contre les enfans de Catherine de Médicis , & les plaintes aiguës qu'on jetoit de toutes parts. Le peuple appercut alors le duc de Guife, brave, généreux , magnanime , populaire , gémiffant fur fon oppreffion, le confolant, Ie foulageant; on le vit comme le protecteur de la nation & le réclamateur de fes droits oubliés. II y avoit le parti des politiquts, qui ,  xlv P R E F A C E. pour être le moins nombreux , n'en avoit pas moins d'influence fur les efprits ; tous Jes proteftans non fanatiques , tous ceux qui penfoient , furent de ce parti qui tendoit réellement a la réforme des vexations émanées du tröne ; le duc d'Alencon fe mit a la tête ; le roi de Navarre & le prince de Condé , reputés catholiques, fe rangerent fous le même étendard; plufieurs hommes vertueux, diftingués par leurs lumieres, embrafferent ce parti, & notamment le fage & brave Lanoue, qui, d'après des confeils müremerit pefés , fit recommencer la guerre civile. De quelque maniere enfin que 1'on envifage la ligue dans fes commencemens, on ne peut la confi• dérer que comme un combat entre la ty•rannie & la liberté. La preuve la plus authentique, c'eQ. qu'en un inftant tout devint foldat en France , d'un bout du royaume a 1'autre. Payfans, bourgeois , artifans , tous fe jeterent avec a?deur dans cette guerre civile ; ce qui démontre  f REF ACE. XV que les hommes étoient parvenus a ce degré d'impatience de leurs maux , ou , las de foufFrir , ils tranchent leurs liens avec le glaive. On les vit échanger leur vie contre le feul efpoir du foulagement. ( i) Quand vous verrez la tyrannie , l'anarchie n'eft pas éloignée. Nous ferons quelques réflexions fur la guerre civile. C'eft la plus affreufe de toutes , fans doute ; mais c'eft la feule , peut - être , qui fok utile ck quelquefois néceffaire. Quand tin état eft parvenu a un certain degré de dépravation & d'infortune , il eft agité de mille maux intérieurs. La paix, qui eft le plus grand bien , lui eft échappée, & cette paix ne peut plus être malheur-eufement que 1'ouvrage de la guerre civile. II faut alors la ( i ) Tandis que le peuple fe foulevoit en France', les religionnaires des Pays-Bas, partifens généreux des droits de 1'homme, commenctrcnt les attroupeaiens. On les appeila d'abord des gucux, & ces gueux braverent Fhilippe II & fo«derent la république de Hcllande.  xvj P R E F A C Ë. conquérir les armes a la main, pour rétablir Féquilibre. La nation qui fommeilloit dans une inaftion molle , fentiment habituel de Fefclave , ne reprendra fa grandeur qu'en repaffant par ces e'preuves terribles, mais propres k la régénérer. Ce n'eft qu'en tïrant 1'épée que le citoyen pourra jouir encore du privilege des loix; privilege cjue le defpote vcudroit enfevelir dans un éterne-1 filence. Deux nations voifines & égales en force, qui fe font la guerre , ne gagnent, après de longues fecoufles , qu'un épuifement mutuel. Elles fe choquent d'une maniere toujours funefte; elles font dans 1'impuiflance de fe fondre 1'une dans 1'autre, & la guerre conféquemment ne fait qu'accroïtre & irriter leurs bleffures. L'auteur de CEfprit des loix dit que la vie des états eft comme ceüe des hommes. Deux nations armées fe font donc des maux irréparables, & Ie fang eft verfé dans d'inutiles bataitles. Mais la guerre civile eft une efpece de fievre qui éloigne une dangereufe ftupeur tk raffennit fouvent  P R E F A C E. xvij few vent le principe de vie. Les intéréts de cette guerre font toujours connus ; chaque efprit les difcute, & après les attentats tyranniques , elle deviënt meme inévitable, paree qu'elie rentre alors évidemment dans le cas de Ja défenfe naturelle , & que clfacun eft appellé a foutenir fes droits. Une criminelle neutralité devient méme impofTible aux citoyens. L'ambition, la folie , la vaine gloire des conventions de familie, des traités obfcurs ou bizarres > des intéréts prefque toujours étrangers aux peuples, font les autres guerres. La guerre civile dérive de la nécefïïté & du jufte rigide ; le droit inconteftable étant violé , la guerre réparatricef devient légitime , paree qu'il n'y a plus d'autres moyens pour la partie léfée. Cette guerre que j'appellerois ( i ) facrée , eft vrai, ment entreprife pour le falut de 1'état. Quant aux fuites , rarement font - elles funeftes al (i ) Sik ticl la permet, c'eji pour la liberte'.Volt. b  xviij ' PREFA CE. ce même état. Les nations fortent redoutables de ces débats inteftins. Les lumieres politiques font plus répandues, les bras plus fermes & plus exercés. La fureur & la violence de cette guerre la rendent même de courte durée ; elle ne connoit pas ces temporifations cruelles, diftées par des chefs tranquilles au fond de leurs cabinets; elle ne connoit pas ces reprifes qui éternifent les combats & font couler goutte a goutte le fang des hommes. Le fang coule a propos & éïancé de veines généreufes ; la querelle eft promptement vuidée ; 1'état tombe , ou eft réparé. Voyez 1'hiftoire : prefque toutes les guerres civiles, en élevant les ames, en fortifiant les couraees , en répandant la vertu helliqueufe dans tous les efprits , en les échauffant pour la patrie , ont amené la liberté républicaine; les loix étouffées rer.aiftent parmi le bruit des armes. Chaque individu ftipule hautement pour' fes propres intéréts, 8t la nation armée pour la grande  PREF AC E. MS caufe du rétabliffement de fes droits, leve une tête florifiante Sc en impofe a fes voifins lorfqu'on la croit enfevelie fous fes ruines. C'eft ce qui eft arrivé dans 1'empire romain, en Angleterre , en Hollande , Sc dans tous les états qui jouifïent aujourd'hui de quelque Hberté; c'eft ce que nous ne tarderons pas a voir en Amérique, oü fe jettent les fondemens d'ime république nouvelle Sc vafte , qui deviendra 1'afyle du genre htimain , foulé dans 1'ancien monde. ( i ) Toutes ces fecoufles politiques ont produit (l) On ne prononce point icï fur la légitimité ou rillégitimité de l'infurreiftion des cololonies anglo-américaines. C'eft encore un problême politique & des plus difficiles a réfoudre. La vidtoire décidera la queftion beaucoup mieiix que tous les raifonnemens. C'eft dans cinquante années qu'on fera dans le véritable point de vue pour connoitre & apprécier les avanta^es de cette guerre civile, fi déraifonnable dans fon origine, mais qui doit s'abfoudre elle-même pour perdre a jamais les couleurn d'une révolte cou» pable ou du moins précipitée. b ij  xx PREF A C Ë. par - tout des charigemens heureux ; mais par une exception fatale , la France n'a point recueilli le fruit rle fes Iongues difcordes. C'étoit le moment pour elle , après tant d'inftabilité , de prendre une forme permanente : elle étoit dans une crife oü tout annoncoit la vigueur & la force ; mais les perfonnages de la guerre civile , ck même les corps aflemblés, en s'agitant de tant de manieres, ne furent point faire un feul pas vers la hberté. Indifférens , ou plutöt aveugles fur leurs intéréts, les peuples ne furent ni les connoitre , ni les étudier, ni même les deviner par inftinft ; inftinft qui a appartenu aux nations les plus groflïeres, capables des plus grandes chofes dans destems encore plus ténébreux. J'ai cherché vainement, dans les écrits de ce tems - la , fi je ne rencontrerois pas quelque trait qui tendu a indiquer ces circonflances comme fa-vorables pour opérer une révolution falutaire : 1'éciipfe de 1'efprit humain a eet égard eft totale & profonde ; tous ces écrivairts  PREF ACE. xx' fe débattent entre des mots vuides de fens, oublient les privileges eflentiels de 1'homme , , ne parient que de la mejfe, & ne tremblent que pour elle. Ces fameux états tenus a Blois , ces aflemblées nationales, devant lefquelles s'anéantit la majefté royale , 8c qui dans leur folemnelle convocation auroient pu rétablir le royaume, en réprimant les abus les plus dominans , perdirent le tems en déplorables difputes; au lieu de défendre les droits du peuple, ils s'occuperent de la tranflubftantiation Sc du concile de Trente. II s'agifToit de la caufe la plus noble, la plus importante , fans doute , de réparer les maux antiques , faits a la patrie. Ces idees furent a peine appercues ou indiquées; le miférrable efprit de controverfe gata tout. Ils agiterent qu'il ne falloit qu'une religion , puifqu'il n'y avoit au ciel qu'un Dieu. Ils parierent néanmoins , comme par hafard , de punir les traitans & les mlgnons , de fupprimer tous les impöts arbïtralres ; mais plus b iij  xxij RREF ACE. coupables que s'ils n'en euffent point parlé , ils abandonnerent ces grands objets fi intéreffans a examiner & a débattre. En lifant leurs cahiers , on croiroit être aflis fur les bancs de Ia Sorbonne & y entendre Ie jargon des ergoteurs , au lieu du langage des hommes d'état. Le fier duc de Guife, 1'idole de Paris, & qui avoit merité cette idolatrie par fes quaütés hëroïques & popülaires , plein d'audace & de courage , touchant du pied les degrés du tröne , mit a profit cette haine univerfelle contre Henri III, & fondée fur les plus grands motifs qu'une nation puifie avoir ; mais il méprifa trop fon roi. II n'ap. per^t ni fa haute fortune, ni toute la faveur du peuple ; il perdit 1'occafion de régner fur la nation , qui déja fadoroit. Guife , content d'avoir aviü le tröne par la fupériorité de fon génie, témporifa ou dédaigna de s'y afleoir. II emporta dansle tombeau, aux yeux du peuple, le nom d'un héros magnanim'e. On crut qu'il n'avoit pas vouhj  P R E F A C E. xxilj acheter une couronne par un crime qui lui auroit été fi facile , & dont il auroit été abfous par la voix publique, & peut - être même par la voix de la poftérité. ( i) Le foible Henri III (2 ) pendant ce tems ( i ) On a donné a Crorwel le nom d'ufurpateur ; il s'élanca d'un gradin bien plus bas que celui ou étoit Guife: mais n'a-t-on pas porté a la cour de France & publiquement le deuil de 1'ufurpateur ? ( 2 ) On dévoroitd'avancele tróne de Henri III qui, quoique jeune, n'avoit point d'enfans , & qui n'avoit plus de frete. Catherine de Médicis croyoit facilement en exclure le roi de Navarre & le prince de Condé pour caufe de proteftantifme. Elle vouloit donner la couronne au duc de Lorraine , fon gendre. Le duc de Guife de fon cöté fongeoit a reléguer le roi dans un couvent , & a régner a fa place. II auroit mis en - avant lë Cardinal de Bourbon il auroit appuyé fur le droic de proximité; puis renverfant d'un coup de pied Ie fantóme, il fe feroit montré aux yeux du peuple difpofé déja, par 1'amour qu'il avoit fului infpirer , a le recevoir. Henri III de fon cötéregardant le royaume comme un patrimoine, comme une ferme qu'il pouvoit démembrer a fa voloncé, n'étoit pas éloigné de le partager en faveur de fes mignons ; & Joyeufe & d'fipernoa devoient y avoir la meilleure part. Henri III appelloit Joyeufe & d'Epernon fes enfans. h iv  XXIV P R E F A C E. fe mcmrant en public avec des petits chiens qu'il portoit pendus a fon cou dans un panier, dépenfant des fommes immenfes pour desjïnges , des perwquets , des moines & des mignons , déja tondu dans 1'opinion publique & enfermé dans un couvent d'après le voeu général , non moins ridicule qu'odieux, répondit a fon adverfaire en le faifant affafliner. II n'imagina pas d'autres moyens pour retenir la couronne qui chanceloit fur fa tête : mais ce fut pour lui un crime de plus, qui ne fit qu'augmenter 1'exécration pubüque. U parut avoir frappé fon fouveram: des- lo.rs le cri univerfel dirigea contre lui le couteau dont bientöt un jacobin lui ouvrït le flanc 5 & la France entiere, dans l'ivreffe de Ia joie & de la vengeance, applaudit au régicide. ( i ) ( i ) La mort des Guifes infpiraau peuple ure telle douleur, elle fut (i générale, «Wonde' fluecelui qui lid 1'hiftoire ne peut s'empêcher 'SS W» : peuple regardoit ces deux frerès  P R E F A C E. XXV Quelle lecon pour les rois prévaricateurs! Lesenfans de Catherine de Médicis, comme frappés de la malédidtion des peuples , defcendirent tous au tombeau avant le tems, & fans lignée. La mort moiffonna dans leur jeune age , & Charles IX, & Henri 111, & les ducs d'Alencon & dAnjou, & toute cette race de mauvais & d'indignes princes, qui n'eurent cl'activité que pour le mal. La nation fe regarda bientöt comme délivrée d'un fléau qui préparoit fa ruine entiere. Tout retentitïbit de cris d'alégrefle; c'étoit peut-être le moment,pendant eet interregne, de réuhYivles droits de la nation. Elle étoit remife k elleméme; elle ne connoifToit pas alors les vertus hérofques de Henri IV, qui étoit pour elie comme le foutien de fes droits & de falibertc, & 1'on crioit tout haut, Dieu cteigne la racedes Valois ! Jamais peuple ne jeta un cri plus unanime. Ce régicide fut regardé , non.feulement en France, mais encore en Italië , comme une aétion vertueufe; & 1'on compara le parricide, les unsa Judith & a Eléazar, les autres aux plus grands hommes da 1'antiquité.  xxvj P R E F A C E. dans le plus grand éloignement. On avoit détefté Ia maifon de Valois; on n'aimoit gnere plus la maifon de Bourbon ; on la regardoit, difent tous les hiftoriens, comme une branche égarée, perdue & bdtarde. Tous les voeux étoient pour les Guifes qui étoient populaires & montroient du génie. Henri IV n'étoit aux yeux du peuple qu'un proteftant qui rencbériroit bientöt fur les attentats d'un roi catholique, & qui de plus détruiroit la meffe dans Paris. Le fang des Guifes exift oit encore; on Ie faifoit remonter jufqu'a Charlemagne , & ce fang verfé fous fes yeux & pour fa caufe fembioit devoir lui devenir encore plus cher. Mayenne avoit a venger Ces deux freres tués k Blois. Seul refte de cette maifon formidable ■, il ne rigura point pour un chef de parti d'une maniere ferme & décidée. En vain fa mere lui redémandoit fes hls maïïacrés; en vain la veuve du duc & fa fceur crioient vengeance ; en vain la nation ceffoit ■d'être royalifte : calme , irréfolu, modéré , ü fembioit redouter d'ctre élü roi. N'ayant  P R E F A C E. xxvij ritn de commun avec le fang bouillant de fes freres, il n'étoit pas né pour fe trouver dans cette grande crifé de 1'étar. Mayenne, avec plus de fermeté & d'audace, auroit pu- mêttre la couronne fur fa tète. Les ducs , les comtes , &c. la noblefTe enfin étoit toute prête a fe vendre. En donnant des gouvememens, en prodiguant les places les plus éminentes aux plus ambitieux , en poufïant le roi de Navarre a toute outrance , il eft probable qu'il auroit réufli. Le jeune duc de Guife , fon neveu , enfenné pour iors , n'auroit pas nui a fes defieins; mais Mayenne, d'aüleurs habile capitaine, n'avoit point d'activité, 8c il ne connut pas le prix des momens. La nation clans cette forte épreuve , pleine du fentiment de fes maux Sc douée du plus grand reflort, égara fon courage , 8c ne fut point étabiir ni même propofer une forme de gouvernement qui éloignat les défaftres paffes , dont le peuple avoit fait une fi longue & fi cruelle expérience; elle ne fongea point  xxviij PREFACE a oppofer une jufte réfiftance a ce pouvoir énorme qui depuis Louis XII avoit foulé ck avih 1'état. Déplorable aveuglement du fiecle ! fatale erreur! La France ayant a choifir, a nommer fon monarque , ne concut aucune idéé politique. Armée, forte , vigoureufe , couverte d'acier , elle fe jeta dans le dédale épineux des difputes théologiques, & s'enfonfant dans ces routes tortueufes, elle oublia le fer qu'elle tenoit, & Pépoque la plus heureufe & la plus rare pour dreffer un contrat focial. Henri IV tira I'épée pour régner. Mais ce qui le juftifie, c'eft que laforce alors répondoit a la force, & qu'il oppofoit le glaive au glaive. Le fuccès du prétendant étoit plus que douteux. Ses droits, quoique légitimes, pouvoient être annullés par la volonté des peuples, par leur opiniatre réfiftance, ou par le cours des événemens; 1'afcendant terrible de la religion , les anathémes multipliés, & qui invitoient les poignards du fanatifme , pouvoient encore a leur défaut 1 eloigner a jamais  P R E F A C E. xxi* du tröne. II eut alors accepté bien volontiers toutes les conditions qu'on lui eut impofées. II avoit. de Phéroïfme; il eut commandé avec jpie a une nation libre : elle pouvoit, en lui mettant ia couronne fur la tête , lui diöerun contrat généreux , qu'il eut figné avec ncblefTe. Mais que lui enjoignit-on ? Ce qui étoit le plus indifférent pour le gouvernement d'un état, de fe faire catholique & £entendre tous les jours la mefj'e. Ce fut 1'unique condition qu'on lui impofa ; & 1'on crut alors avoir gagné un point de législation important, un gage éternel de lafélicité publique. Les grands, plus habiles & plus laches, vendirent a beaux deniers comptans leur fervile obéiffance , &C ne fongerent qa'a drefler des traités particuliers. Henri IV promit tout ce qu'on voulut, ( i ) s'engagea a payer les fommes les (i) Les négociations entreprifcs a Rome pour obtenir du pape 1'abfolution de Henri ,font vraiment incroyables ; 6; 1'on a peine a imaginer 1'inPiexibilité du pape & la néceffité oü fe trouvoit un roi de France de cette abfolution.  jrxx PREFACÈ. plus' fortes ; & chaque homme en place dans cette anarchie tumultueufe , ne fuivant que des intéréts petits & fordidës , parut méconnoitre ou piutöt méprifer 1'intérêt général. Qu'arriva-t-il ? Ie défpotifme de Richeüen, contre Ia nature éternelle des chofes, fortit du fein de ces guerres civiles ; il en fortit pour punir ce même peuple qui avoit eu le courage de s'armer, de tnourir, & qui en combattant valeureufement pour des opinions flén!es, n'avoit pas fu compofer un raifonnement utile. ( i ) Vingt-deux années après , Richelieu devoit régner ; ce Richelieu qui biifalatêtede ces mêmes grands qui s'étoient vendus, eux & leur poftérité. Ce cardina!, (I ) Richelieu ne fut cue facrifier. Henri IV ou un autre grand homme auroit fait fubfilkr enfemble les deux reliaions, en permettant a une trqifieme & a pjufieute de s etablir. Mais Richelieu calcula quelle moitié de I'état il écraferoit,pourla fubordonner' a 1'aurre; & 1'afcertdant de fon cruel caracterc fut pris pour du génie: génie funefte, qui ne fut qu'optcr entte, les attentats.  PRE FACE, xxxj avec Paudace d'un prêtre qui n'a ni patne ni enfans , ofa détruire tous les poids- intermédiaires; ck Louis XIV, dont il applanit la trop fuperbe route , entra enfuite en bóttes ck le fouet a la main au milieu des dépofitaires, des'organes ck des gardiens de nos loix ( qui en 1'abfence des états généraux les. fuppléoient néceffairement). 11 leur défendit jufqu'a des nmontrances; ck depuis , quand ces corps de magiftrature , vains fimulacres de nos antiques libertés, ckfrappésdu mépris royal , vinrent repréfenter humblement aux genoux du monarque fes vexations, fes injuftices, fes erreurs , fes profufions, ckc. le monarque répondit théologiquement , en les chaflant de fon palais : je ne dols aucun compte a la nation , je ne tiens ma couronne que de Dieu. Arrêtons - nous; ck confidérons préfentement dans le peuple qui fouffrit tant ck qui ne gagna rien , examinons la force des préjugés de ce fiecle , la lenteur des vraies connoiflances, ce qu'occafionne Pabatardiffe-  XXX1J PRIFACL ment des efprits & combien il eft néceffaire qu'ils foient éclairés par les lumieres de la bienfaifante philofophie qui s'oppofe de tout fon pouvoir aux fervitudes nationales. Tandis que, privé d'une utile clarté, ce peuple faifoit des prodiges de valeur qu'il auroit pu mieux employer , le cardinal Granvelle , appuyé de ce Philippe II, ennemi farouche de toute liberté civile , politique & religieufe* vouloit le furcharger encore du fardeau de rinquifition , & il y tendoit les mains , fouffraht de la famine & plongé dans les horreurs de la guerre. Et a quoi fe bornoient les réclainations de ce peuple vaillant, a ce cri général & inconcevable , comment recevoir un hérétique dans le tróne de faint Louis ? Quelle étoit donc cette horreur invincible pour leproteftantifme? Le catholicifme avoitil jamais établi les moindres libertés de ce peuple ? Au contraire , c'étoit un nouveau jong ultramontain & honteux, ajoaté a tant d'autres.. Le peule ne fongea ni au pafte foeal, ni a fes privileges, ni k fes frffichifesj Pour  P R E F A C E. xxxiij Pour être roi de France, difoit - on alors, il ejl plus nècejfaire d'être catholique que d'être homme. Tous les adhérens de Henri étoient traités de criminels'de lefe - majefïi divine & humaine; termes devenus depuis fi familiers aux fanatiques de toutes les feétes. Henri monta fur le tröne après s'être battu en vrai foldat. Paris lui ouvrit fes portes , renoncant tout - a - coup a fon ardente opiniatreté ck fatisfait d'avoir défendu courageufement la tranlTubftantiation. La France devint fa conquête ; il en acheta des pardes démembrées par la cupidité des grands qui les retinrent quelques années, ck qui ne rougirent pas enfuite de les lui vendre, pour ainfi dire , une feconde fois. On ne voit pas fans furprife que leurs defcendans aient ofé appeliQïfidelité, amour, ce qui n'étoit alors qu'une avarice déguifée fous les dehors les moins trompeurs. Voyez les Mémoires du tems. Le bon Henri fe trouva dans PimpuilTance d'acquitter fes promefles, tant on lui avoit impofé de conditions pécuniaires ck onéreufes. I| $  xxxïv P R E F A C E. avoit déja payé trente-deux millions k cette nobleffe vénale & intéreflee, qui lui avoit fait acheter fa refpe&ueufe foumiffion. Henri eut befoin , fans doute, des qualités d'un négociateur pour concilier les Francois, les Allemands, les Anglois, les Hollandois qui fervoient dans fon armee. II avoit a étouffer 1'envie 5c la jaloufie de ces grands qui fe faconnoient déja a Part du courtifan. Etablir Funion parmi tant de fujets de difcorde, devenoit un ouvrage qui exigeoit une adrefle peis commune; il Peut. 11 pardonna , il oublia les injures paflees; il f jt un bon roi fur le tröne paree qu'il avoit effuy e' la mauvaife fortune, & qu'il avoit re$u la meilleure éducation, celle des revers. II avoit fouvent manqué du néceffaire; il fongea dans la fuite k ceux qui en manquoient. II fut trois ans prifonnier d'état; il ne convertit point fon autorité en defpotifme. II avoit hafardé fa vie dans les batailles ; il fut étre clément après la viftoire. 11 avoit vuplus d'une fois le poignard levé fur fon fein j ilrefpefta le fang des hommes. S'il. cha?Jgea de religion, ce fut plus par  P R E F A C'Ëi xxxir politique que par convi&ion. Nous avons des témoignages non équivoques de fa facon dé penfer. En butte aux poignards des catholiques , outragé par les papes qui, connoiflanf bien leur fiecle, lancoient du haut du Vaticart ces foudres qui retentifloient alors dans toute' 1'Europe , décrié par ces frénétiques déclamateurs fi éloquens pour le peuple , laffe de leurs violences &t de leurs perfidies, il écrivoit k Corifande d'Andouin : tous ces ajjajïns , tous ces empoifonneurs font tous papifles, & vous êtes de cette religion ! Taimerois mieux me faire Tuic. II expofa les raifons politiques de fon changement a Elifabeth , reine d'Angleterre : il mandoit a Gabrielle d'Eftrées , en parlant de fon abjuration, c'eft demain que jé fais le faut périlleux. II eft probable qu'en perfévérant a n'embrafler d'autre fyftême que celui des combats, Henri IV auroit pu monter fur le trónë fans faire abjuration. Les proteftans alors euffent redoublé de zele, d'attachement & de' courage; ils ne fe feroient pas refroidis -y Sï e $  xxxvj P R E F A C E. les catholiques, frappés bientót de fon héroïque conftance , auroient eu un refpeft qu'ils n'eurent pas; car ils attribuerent a 1'intérêt le changement de Henri IV. Cet intérêt étoit trop fort en effet, pour qu'il ne laiffat pas dans les efprits quelques doutes fur la fincérité de cette converfion. Ajoutons que ce prince vaillant auroit pu rendre par fa fermeté un éternel fervice a la France , en 1'afTranchiffant du joug de Rome ; joug qu'il pouvoit brifer avec 1'épée de la vi&oire; joug méprifable ck non moins funefte, qui depuis alluma dans ce royaume tant de querelles abfurdes ck théologiques, 1'opprobre de la raifon, & la caufe des plus longues ck des plus inconcevables fureurs. La révocation de 1'édit de Nantes, dont les fatales fuites font inappréciables, la perfécution des réformés , les débats du janfénifme 6k du molinifme prolongés jufqu'a nos jours;ces erreurs pitoyables ck cruelles font gémir fur la nation Franc,oife qui, avilie ck perdue dans ces queffions ridicules , parut oublier tout Ie refle a la face de 1'Europe qui n'eft point encore revenue de fon long étonnement. La  P R E F A C E. xxxvlj religion proteftante , étouffant dans 1'origine ces guerres honteufes ck déshonorantes, auroit conduit le royaume a un degré de liberté , depopulationckde force qui a paffé chez nos yoifins, devenus puiffans par nos mépnfes. On a beaucoup loué Henri IV, ck 1'admiration a été jufqu'a 1'idolatrie; mais cette idolatrie , née feulement depuis un demifiecle, étoit fille du reffentiment qui vouloit créer une forte oppofition avec le caraftere des rois vivans. II eft toujours bon a une nation d'établir un fantóme qu'elle pare de toutes les vertus qu'elle voudroit infpirer h fes monarques; c'eft une convention adroite , utile & dès lors refpeftable. D'ailleurs , ce modele de la royauté fert de fatire indirefte pour toutes malverfations; ck les ëloges publiés , prodigués au roi défunt, deviennent de véritables lecons qui peuvent toucher 1'efprit diftrait des monarques ck leur faire comprendre le voeu général. Gardons-nous donc d'affoiblir une opinion feite pour en impofer a fes fucceffeurs ck leur donner le feul frein c iij  xxxviij PREFACE. qu'ils puiffent recevoir aujourd'hui. Ils feront toujours affez grands, s'ih imitent Henri IV dans^phmeurs de fes héroïques qualités. C'eft donc pour faire voir aux hommes comhen des idéés religieufes mal entendues entratnent d'erreurs poüdques & nuifent a la fèhcitè nationale, qu'on a entrepris ce drame tableau fidele des aftions & des préjugés de nos ancêtres braves & trompés. Ah , qu'il eft infenfé, ce zele abominable , jaloux d'un culte unique, attaquant les refracties par le fer & le feu, femant la divifion dans 1'état & la difcorde dans les families! & quelle piété facrilege que celle qui foule aux pieds 1'humanité & fait un crime même de la compaffion.'L'homme le plus anti-philofophe pourra-t-il regarder jamais comme religieux Francois Ier, qui faifok brüJer Jes prQ_ teftans a Paris, tandis qu'il les foutenoit, les foudoyoit en Allemagne & fignoit des traités avec eux?, Mais les inconféquences monftrueufes font les moindres traits qui caradéïifent le. fanatifme. Qu'elle foit doac préfentée Tous fes véri-  P R E F A C E. xxxlx tables"; traits , cette vile & méprifable fuperftition ! C'eft le feul moven de préferver 1'homme des erreurs multipüées oü il eft toujours prêt a retomber par cette pente qu'il a a faire parler le ciel, & a mêler les paffions les plus atroces , telles que la haine, 1'ambition & la vengeance, au fublime & pur intérêt de la religion, calme & compatiffante par fon augufte nature. II y avoit un monflre qui dominoit la race humaine, a dit Lucrece il y a prés de deux mille ans. L'humanilétdégradée fe courboit devant fonfceptre fiupide ; il répandoit la terreur qui ne convient quaux ejclaves ; il fembioit cackerfa tête, & tonner du haut des régions de £ empirie; mais il parut un homme qui, fans effroi, ofa porter la vue fur ce monflre, & qui reconnut qui c' étoit un vainfantóme. Cet homme étoit Epicure. Malgré Epicure , le monftre a reparu triomphant dans plufieurs fiecles: il fe plait dans les ténebres épaifles de la barbarie; il redoute la moindre clarté, qu'il voudroit  xl P R E F A C E. étouffer ; il eft a craindre qu'il ne domine encore quelques parties de 1'Europe. Ne le voit - on pas en ce moment relever fa té"te hideufe en Efpagne , & tenter d'y rétablir le tröne infernal de la fainte inquifition ? N'a-t-il pas enchainé tout récemment dans les cachots , & couvert d'une chemife enfoufrée , le vertueux Olavidès, pour avoir fait du bien aux hommes , pour avoir tenté d'apporter a fon pays des idees utiies 6k faines ? N'a-t-il pas contredit en Pologne les principes de la liberté civile & religieufe ? Le glaive nu doit veiller dans la main du philofophe, toujours en fentinelle pour épier les approches ck les tentatives du monftre , pour le pourfuivre, le percer, lui faire fentir dans fes entrailles déchirées le fer qu'il redoute ck qu'il mord en écumant de rage. Point de repos, point de treve ; 1'étendue des maux paffes , les longues plaies non encore cicatrife'es, faites a Fhumanité', 1'influence que des idees méprifablesck même méprifées ont eue & ont encore fur plufieurs fouverains de 1'Europe ; 1'efpece de joug qu'ilsportententrembiant,  p R E F A C E. xlj & qu'Us n'ofent fecouer, par une füite de Fancien vertige dont le monftre a frappé la terre entiere : tout doit engager 1'écrivaina foutenlr la maffue en Fak , h la faire tomber a coups redoublésfur le fanatifme , qui denos jours encore ne prend le langage du ciel que pour tromper ou opprimer les hommes. Mais en le peignant fous fes horribles couleurs, en montrant dans un jour éclatant combien il a éloigné 1'homme de fa véritable dignité &c de fes plus chers intéréts, on n'a point prétendu faire rejaillir furie iculteincorruptible que tout homme doit h 1'Etre fuprême , le mépris & le dédain que la raifon attaché aux opinions dogmatiques. On ne fe confoleroit pas d'avoir porté quelqu atteinte ala morale évangélique , a la religion épurée faite pour parler a tous les efprits droits & a tous les cceurs fenfibles. 'La beauté de cette religion débanaffee des ombres qui défiguroientfaface majeftueufe, fera d'autant plus de progrès qu'elle fera mieux connue, & fa fimplické fera toujours le caraftere defavéri-  P R E F A C E. table grandeur. C'eft a Ia philofophie qu'il appartient de la reftituer dans fon origine puré & facre'e. La philofophie expofera fes avantages réels; le premier eft de refpefter les caufes premières, de ne point vouloir inutilement lever le voile qui les couvre, de démêler Fintention de la Divinité dans les principes évidens de la morale, d'adorer au lieu de murmurer. La religion apporte aux hommes 1'idéö de Ia vertu dans 1'image du grand Être : elle créeau lieu de détruire, elle admire au lieö d'expliquer ; elle éleve 1'ame en écartant les chimères du hafard ; elle confole le foible' & foutient le jufte , en leur montrant 1'égalité des êtres & hm future perfedtion ; elle annonce enfin a 1'univers les réparations d'ün malheur paffager, en lui dévoüant un Dieu vivant clans 1'éternité. Les fyftêmes antireligieux fe repoufTent & fe contredifent; la religion unit les adorateurs de 1'Être fuprême , qui n'ont plus qu'une même penfée & une même efpérance. La nature, fous I'afpeftde la religion, eft confidérée comme  P R E F A C E. xïujf un fyftême clair & fimple, oü Fordre des chofes a une bafe, oü 1'enchainement & le but fe manifeftent , oü 1'inquiétude & 1'agitation des efprits ceffent, oü 1'ame appiryée fur 1'efpérance, voit une clarté qui la guide a travers les incertitudes qui fatiguent les autres hommes ; & tandis que toutes les opinions qui contredifent la connoiffance & 1'adoration de 1'Être fuprême,foulevées comme les flots d'unemer en furie, fe précrpitent dans un abyme qui les dérobe a nos regards ;le fyftême de la religion épurée, dont Socrate fut 1'apótre & le martyr, dont MarcAurele fut le pontife furie trêne du monde, dont Jean - Jacques Rouffeau fut 1'apologifte de nos jours, augufte & toujours égal,sV var.ce a travers les fiecles, conquiert une multitude de fages profélytes , paree qu'il n pour inébranlables appuis la foi qui convient a la foiblefte & a 1'ignorance humaine, la eharité qui unit les mortels & fait qu'ils fe pardonnent, & 1'efpoir qui fortifie & agrandit le ceeur de i'homme.  PERS ON NA GES, Henri iv SUL LI. B iR O N. MONTMORENCI. l ANGL ois , guartenier, officier de villel HILAIRE pere , bourgeois notable de Paris. Madame HILAIRE Ja femme hilaire fils. Madame HILAIRE , mere d'Hilaire pere. VARADE , reileur des jéfuites, ligueur GUINCESTRE, curè deS. BaJelemi\ lig. AUBRY, curè de S. Andrl-des-Arcs, ligueur, TURIAF, lig ueur. HALFRENAS , ligueur. MONTALIO, ligueur. BUSSI-LE-CLERC, gouverneur de la BaJlUfa ANROUX, ligueur fubalterne. LOUCHARD , ligueur fubalterne. LlGUEURS SUB ALTERNES. Satellites. LANCY, officier fervant dans Parmee du roti Mlle. LANCY, fa file. Un OFFICIER ami de Lancy. suisses a la jolde de la ville. Satellites de la ligue. L'atlion ft paffe d Paris lazi&zz mars im.  L A DESTRUCTION DE LA LIG UE, OU LA RÈDUCTION DE PARIS, P I E C E NATIONALE En quatre aftes. ACTE I. C Le thiatre reprefente une falie meublée dans le cnflume dutems : onyvoit deux por tes. üune eft fermêe , l'autre eft entr'ouverte. Cette dernlere donne dans une autre chambre qu'on entrevoit. Ce logement fait parut de la maifon d'Hilaire. ) A  i LA DESTRUC Tl ON SCÈNE PREMIÈRE, HILAIRE perè, HILAIRE fils. £ Hilaire pere s1 avance par la. porte a demi ouverte ; il ejl fuivi de fon fils. 11 lui fait jigne de ne pas faire du bruit. lis marchent doucement ; leuts pas font tremblans. 'lis vont vifiter en jilence fi la porte ef bien fermée. Le pere prend fon fils par la main, la ferre avec tendreffe , le regarde les larmes aux yeux , & lui dit d'unc voix altêrée & foible : ) H i L a i r e pere. Ne faifons point de bruit , mon nis... ,, Si 1'on frappe , taifons-nous & gardons-nous bien d'ouvrir . . . Une foule de malheureux , prefles par la famine, abandonnés au défefpoir, errent de tous cötés. Les uns cberchent a ravir le pain de force ; les autres vous déchirent 1'ame par leurs gé*  D E LA LIG V E. $ nuffemens lamentables : & ce n'eft qu'aux fiens, dans ces momens extrêmes, que 1'on doit quelque pkie. ... Si nous allions heurter a quelques portes, elles feroient de fer.. i O mon cher fils! comment te trouves-tu ? . Tu me paraïs bien plle..'. Prends, prends ce qui nous refte, . . , è ton age on fupporte moins le befoin.Ne me défobéis pas, quand je t'ordonne de vivre. Hilaire fils. Ce n'eft pas le befoin qui me tourmente ; mon pere , mais 1'ordre que vous me donnez de prendre fur votre part : portez a ma mere U laiffez-moi. . . C'eft vous, hébsl que mon ceil voit dépérir chaque jour: 6>c vous voulez que je vive! H ï l a i r e pere. N'augmente point nos douleurs: . . Si tu veux les appaifer, cede i ce que j'exige... Hilaire fils. O jour épouvantable! Nous nous difputons tous trois a qui prendra le moins de nourritu re! Vous uniffez votre autorité a ■ A ij  4 LA DESTRUCTION celle c!e ma mere; je vis, Sc vous mourez... Vous avez beau me Ie déguifer, je ne le vois que trop. .. Mon pere , je ne vous fuis plus qua charge en cette maifon. . . Hilaire pere. Toi, a charge, mon fils , toi ? Hilaire fils. Je dévore ce qui vous appartient, la fubfiftance de mon pere, de ma mere , Sc de celle encore qui vous a donné Ie jour. . . Ah ! je ferois dénaturé fi je reftois plus longtems. LaifTez - moi errer par la ville, y chercher des alimens. . . J'en trouverai. Hilaire pere , fe jetant dans les bras de fon fils. Non , mon fils, non , tu n'en trouveras point, Sc tu te précipiteras au-devant de la mort. Hilaire fils. Et elle nous dévorera ici Ientement. . ; Hilaire pere. Nous avons Pefpérance... Notre fidele ferviteur nous rapportera ce qu'il aura trouvé...  DELALIGUE. 5 Ne franchis point cette porte. Au-dela font la rage ck Ie défefpoir ; refte avec nous, ta préfence du moins nous confole. ( On entend un coup de marteau. ) On frappe; fdence , mon fils. Ce n'eft pas notre domeftique , je n'entends point fon fignal, . . Retenons nos pas ; que tout foit muet ck annonce une maifon déferte. HlLAlRE fils , prêtant une oreille attentive. On redouble.. . Chaque coup me perce 1'ame ck me trouble d'effroi. (Au- dehors de la porte une voix s'écrie : ) Ouvrez , par miféricorde ; ouvrez, au nom de Dieu : ouvrez , je vous en conjure ! Hilaire fils , fe dêgageant des bras de fon pere & voulant courir a la porte. C'eft fa voix. . . c'eft elle. . . Ah, moa pere! HlLAlRE pere , le retenant. Paix, paix , mon fils. . . Que veux - tu faire ? Hilaire fils. Elle eft la kqui nous implore. C'eft elle A üj  $ LA D E S T RU C T I O N .—— ,r que je viens d'entendre. . . Lancy ! . . La laifferons-nous expirer de befoin k cette porte ? Hilaire pere. Quoi, la fille de ce traïtre ? Hilaire fils, C'étoit votre ami. Hilaire pere. II ne 1'eft plus depuis qu'il iert le Béarnois. Son bras aide a 1'homme qui nous affiege , nous affame. . , Hilaire fils. Sa fille eft innocente ; viclime & non complice , elle fouffre de ces horribles calamités... Vous la trouviez autrefois fi noble , fi intéreflante. N'eft - ell« plus votre filleuïe chérie ? Et puis , eft - ce, dans ces cruelles extrêmités, un moment pour la haine ? Hilaire pere. Je ne la hais point, mon fils; mais que puis-je pour elle ? Dois - je livrer a une étrangere notre dernier morceau ? Hilaire fils. Etrangere ! , .. Elle fouffre. . . Qu'eüe  B E LA LI GUZ. 1 Lmpenfera. .. Ne fongez point a mot, mon pere-, je lui Wé ma part. . . Imprudent ! tu ne fais pas tout ce ^ m'encoüte.Non,tudois vivre , p-e que ta vie eft la nötre. Sa vie eft aufli la mienne... . Elle pen Jli.lorfqucjW,!.. Non non-, tous e tou mensde 1* Éüm ne m obligero.ent pomt... C " ^ - , mon par- ft fait entendre. ) Hilaire , n ;ain me laifferez-vous donc mounr fur e ,„> Ouvrez , au nom de feuil de votre porte ?...Uuv , - ie vous en hippee, . « plre , n'- li taiint ,U „nrte ciud ouvre avec la plus court vers la porti au grande aiUcn. Vous allezentrer,chere Uncy..- venez,au milieu de nous.  8 LA DESTRUCTION SCÈNE IJ. HILAIRE pere, HILAIRE fils, Mlie. L A N C Y. HlLAlRE fik, prenant dans fes bras Milt. Lancy & /a foutenant dans fa foibleffe. 31a voici , mon pere , Ia voici. Rejerezla > repoüflez-la. Ah ! fi vous aimez votre fils , regardez-Ia plutot comme votre fille. (// la fait ajfeoir ; elle veut fe jeter aux genoux de fon parrain qui Cen empêche , la foutient & la fait affeoir. ) Mlle. Lancy voulam fe jeter une ficondt fois a fes pizds. Mon cher parrain, ayez pitié de mol... HlLAlRE pere , püvenant fon attitude. Pauvre fille ! Non , tu n'es point coupable comme ton pere. , . Dans quel état te revois-je ! .. . Comme le malheur nous a tous changés !  DELALIGUE. 9 Mile. lancy, priu k/e trouver mal, & portant la mam jur fon cceur. Helas! helas! le befoin. . . {Hilairefils, kees mots, leve les bras & les yeux préapitamment au ciel , & court par la porte entrouverte. ) H 1 L A I K- E pere. II va t'apporter le feul pain qui nous refte. . . Dans quel moment viens-tu! Nous fommes tous réduits, comme toi, a la plus hornble difette. MUe. Lancy. Que j'expire avant vous. . . Vous ét» le feul parent qui me refte en cette ville ; prés de vous, je me raflure contre la terreur de mourir. . . Je n'ai vu autour de moi que des mourans. Tout ce qui m'approchait n'eft plus... Faut-il donc que je meure auffi!... . . . H I L A I E- E fils , revenant la refpiratwn agite'i, & donnant k Lancy un morceau de gros pain noir. Tenez, prenez. .. Lancy ! helas!.. .  Jo LA DESTRUC TIQN Mlle. Lancy. C'eft me rendre a la vie. II y a trois jours que je n'ai mangé. . . (Elk mange avidement. Hilaire foupire , fe duourne & sèloigne ; fon fils va a lid , le preffe dans fes bras , comme pour le remercier de ce qu'il a fait pour Lancy. Ils parient bas. ) Hilaire pere. O Dieu! quand 1'expiation de nos crimes aura-t-elie mis fin a cette punition célefte ? Hilaire fils. Prenez foin d'elle , mon pere , ck laiflezmoi foitir. J'irai , conduit par mon courage, & je rapporterai quelques alimens. Ii ne faut plus compter fur notre domeftique ; il devroit être de retour. . . Son zele ne nous aura fervi de rien; 1'infortuné aura fuccombé fans doute au milieu de la rage d'une multitude afFamée. . . Je fuis plus jeune , plus adroit , plus robufte ; je ferai plus heureux dans mes recherches... Ne me retenez plus ; demeurez avec ma mere, ck regardez Lancy comme de la familie. . .  D E LA L1GUE. ii Hilaire pere. Tu veux t'expofer! Je t'accompagne , mon fils • je ne t'abandonnerai point feul a ta fougue imprudente. . . Eh bien, nous umrons nos forces; & foutenus Pun par 1 autre... Hilaire fils. Ah, voici ma mere ! {Apart impatkmment.) Elle va retarder ma fortie . . SCÈNE III. Les Afteurs précédens, Mad. HILAIRE. Mad. HlLAlRE allant a Mik. LANCY. T'accours : j'ai entendu fa voix. Vous avez bien fait d'ouvrir a cette chere enfant. Je 1'ai toujours aimée; & tant que j'aurai quelqUe crédit, elle ne fera jamais regardée ra comme étrangere. Mlle. Lancy. Ah 1 ma chere marraine, . . "je renaï.s..  12 LA DESTRUCT10N Mad. Hilaire. Tu as donc fongé a nous au milieu de cette calamité générale ? . . . Quand cefïerat-elle ? Helas! nous y fommes piongés comme toi. (Aprhs un JiUnce. ) Je vois tes yeux abattus, tes joues fillonnées par les larmes.. . Tu viens feule, helas! .. . ton filence. je 1'entends. . . il ne faut point te demander ce qu'eft devenue ma pauvre amie. Mlle. Lancy. f Ma chere tante n'eft plus, Sc j'ai été bien prés de la fuivre , je le defirois. ..Ha plu au ciel de vous rendre fenfible a mes prieres. . . Ma tante m'a toujours fervi de mere; votre nom fut toujours dans fa bouche, maigré les débats qui nous féparoient. . . Elle m'a dit, en mourant , de venir vous trouver; que fürement vous auriez pitié de moi. . . Ses derniers vceux du moins ont été exaucés. Mad. Hilaire. Guerre malheureufe! tu as brifé les liens les plus chers; le parent repoufle fon par ent,  DELAL1GUE. 13 1'ami fon ami. . . Que de défaftres effroyables, fans ceux , hélas, qui fe préparent! Mlle. Lancy. Vous avez du moins pour confolation un cpoux, un fils , une mere ; ck mol, je ne fais quel eft le deftin de mon pere ; aucune nouvelle n'a foulagé ma douleur inquiete... II a cru devoir foutenir la caufe de Henri... Eft- il mort en combattant pour lui? Cruel devoir ! il eft forcé d'obéir a fes fermens. Combien fon cceur doit fouffrir fur le fort de fa fille , de fes concitoyens j de fes amis! Hilaire pere. De fes amis? . . . Porteroit-il 1'audace jufqu'a s'en croire encore dans cette ville ? Conferve-t-on quelques droits fur le cceur de fes concitoyens , en les afliégeant pour fervir la caufe d'un prince hérétique , que 1'églife rejette de fon fein, ck qui conféquemment n'a plus aucun droit au tröne ? Mlle. Lancy. Ah, mon parrain! qu'il y auroit de chofes a dire la - deflus! . .  i4 LA D E S T RU CT I O N Hilaire pere. Je confens a vous diftinguer de lui , ma fille, a caufe de votre fexe , 6c fur-tout de votre age. Je ne vous enveloppe point dans la haine qüe je lui voue; car il s'eft élevé entre nous deux une barrière éternelle. Eh! qui 1'eüt dit que nos ames différeroient un jour a ce point ? ( Mlle. Lancy & Hilaire je regardent douloureufement.) Qu'il ferve un ufurpateur; qu'il écrafë les murs qui 1'ont vü naïtre ; qu'il aide a faire un monceau de cadavres de tous les malheureux habitans dé cette ville: je mourrai du moins fans lui pardonner. Oui, j'aime mieux expirer ici dans les angoifTes de la famirie , que de vivre comme lui au rang des réproüvés de la feftë de Henri. Mlle. Lancy. Ah ! connoiffez-le mieux, mon parrain, & he 1'outragez pas. Hilaire fils, a voix bajjet O chere Lancy ! pardonne. . .  bÈLALlGUE. n Mad. Hilaire, "a fin ipoux. Ménagez du moins vos termes en prefence de fa fille infortunée , & ne 1 obhgez pasacondamnerfon pere. . . Eh ! s d faut ie dire, nous fommes tous aiTez a plaindre * fans aagraver eneore nos malheurs par le ttimelt pénible de la haine. Cette tune e guerre , qui dépuis fi long-tems arme les Francois, fait plus que répandre le fang-, elle divifeceuxquis'aimoient^euxqmv^ent fous le mêmetoit dans une tranqudle union... Tandis que le carnage enfanglante les ren* partsde la ville , on fe difpute avec acharnement dans 1'mtérieur des mailbus Et que produifent ces inimitiés particulieres? De nouvelles atrocités... Si Henri a des droits a lacouronne,Pourquoiles lui ravir , fous prétexte de 1'éclairer ? Qu'on fort piftedabordi fon égard; d le fera fans doute envers Rome & 1'églUe. On tourne,1e. fa contre lui, & 1'on voudroit quil fc percer le flanc ! Au lieu de couvnr la face du royaume de tant de meurtres, neut-d  16 LA D E S T RU CT I O N pas mieux valu le laiffer régner ? ... Vous frémiflez, mon cher époux ? Hilaire pere. Oui, je frémis de vos paroles inconfidérées. .. Ce n'eft pas d'aujourd'hui. . . Mad. Hilaire. Je puis me tromper ; mais quoi, après tout, au milieu de ces diflenfions éternelles, Dieu eft - il plus adoré , la religion mieux fervie , la charité plus obfervée ? Allez, il faut que cette guerre foit impie, puifque le ciel nous en punit fi cruellement. Malheur a qui a pu 1'entreprendre! malheur a qui la continue ! malheur a qui. . . Hilaire fils , arrêtant fa mere. Au nom de la tendrefïe que vous avez pour moi, ma mere , laiflez la ces difputes interminables, & ne les renouvellez pas. Vous le favez, elles irritent mon pere & ne le changent point. On ne les entend jamais fans de nouveaux fujets de douleur & de larmes. . . N'avons-nous pas aflez de foupirs a donner a notre fatale fituation , fans  DELAL1GVE. ff fans agiter encore ces triftes querelles. Confervons 1'amitié , la paix, Ja concorde, puif-* que tout le relle nous eft ravi. . < Nous difputons ! & la famine nous dévore; neus difputons ! &f nous oubiions les moyens da fubfifter. Ici je ne f'ais que languir 5 ne m§ retenez plus. . . Hilaire pere. Et les penis qui vont t'environner. . . Hilaire fils, Attendrons-nous ici une mort affreufe ck lente ? Voici ie moment de tout hafarder* Hilaire pere. Nous ne nous quitterons point. Mlle. LANCY les arrctant. Ah! gardez - vous de fortir. Tous ceux qui errent dans les rues portent la rags dans le regard comme dans le cceur; on prodigue Tor fans pouvoir rencontrer le plus groflier aliment. On n'entend que les cris d'une foule féroce qui fe difpute la chaif des animaux immondes. On les dévore fans* horreur, & je n'ai entendu, en traverfaat B  18 LA DESTRl/CTION la ville, que des plaintes lugubres qui per- coient a travers les murailles. Mad. Hilaire, k fon époux & a fon fils. Songez fur - tout qu'il eft défendu , fous peine de la vie , de gémir de la mortalité ou de parler de paix. Quiconque ne proféreroit que ces mots , il faut fe rendre, feroit faifi fur-le-cbamp ck précipité a 1'inftant même au fond de la riviere. . .(i) Tremblez de dire un feul mot fur les calamités pubüques. Mlle. Lancy. Cela eft bien vrai. . . Des foldats de h ligue courent en troupes menacantes, écartent tout ce qui s'affemble, ck le moufquet repoufle dans 1'enceinte des maifons les malheureux , pales ck défigurés, qui implorent queique fecours. Chacun eft barricade; ( i ) II y avoit des arrcts qui défendoienf^/oz/s peine de la vie de f ariër de paix. On occupoiü le peuple de fermons , de procefiions , de faluts; les PariSiens fouft'roient une erpcce de mort lente, & les maifons des jcfuites & des capucins tegergeoieiit de bied,  DE LA LIG U E. 19 il n'y a rTouvert qie ies temples , oü les ferm ms des mmiftres des autels promettent la rhanne du ciel a ceux qui foupirent après du pain. , Hilaire pere. Les criants confolareurs de 1'églife , en dérobant aux vrais fideles 1'image des maux prélens qui ne doivent être que paffagers , affermiiTent la foi , ioutiennent 'e courage , préfervent nos autels ; & Dieu qui vpit notre conftance , fera que d'un moment a 1'autre la yille fera miraculeufement délivrée... Oui , la mannc tornbera plu'öt que. .. H 1 l a i a e fils- Cet efpoir trompa long-tems notre profonde mifere, & la farnine, malgré 1'attente des plus prochains fecours, n'en marche pas moins tête levée dans cette capitale & moif-, fonne ious nos yeux... HlLAlRE pere , finurrompant. Va , mon cher fils , crois - moi, c'eft ert redoublant la ferveur des prieres , c'eft en les umffant en chceur dans les procefiions B ij  10 LA D EST RUCT10 N publiques, que les vceux d'un peuple entier monteront jufqu'au ciel, Sc lui feront une fainte violence. Hilaire fils. Et moi, oferai-je expofer ma penfée ? Ces proceflions religieufes Sc militaires , oü le crucifix Sc les bamieres font mêlés aux arquebufes Sc aux haüebardes, oü les fabres Sc les furplis fe touchent, oü les habits pontificaux font furchargés de cuirafles , oü le fommet des mitres marche dd niveau avec la pointe des nioüfqaets , oü enfin le plainchant des pfeaumes eft accompagué par de brufques Sc fréquentes décharges qui expofent la vie des fpeéfoteurs ; toutes ces pieufes Sc nouvelles cérémonies font faites fans doute pour exalter 1'imagination du peuple : mais je crains qu'elles n'y aient déja produit .une impreffion trop profonde , propre a le rendre opiniatre , Sc, pour tout dire, amoureux de fes malheurs. Hilaire pere. Ils vont finir, mon nis, fi lé peuple acheve  DELALIGUE. n conftamment ce qu'il a commencë pour 1'intérêt de l'éghTe & de letat. Hilaire fils. Ils vont finir , dkes-vous ? Et les afïïégeans, toujours maitres des environs, ne font pas repoufles, & 1'échelle du vainqueur eft encore aux pieds de nos murailles. On ne peut s'échapper dans la campagne, ni faire entrer des provifions dans la ville. La contagion menace de mêler bientöt fes horreurs a celles de la famine. . . Ah ! mon pere , votre ceil fe courrouce & s'enflamme. . . Je n'en dirai pas davantage ■. Hilaire pere. Tu feras bien , mon hls •, car tes difcours m'affligent; & la famine qui tue les corps, me paroit cent fois moins hideufe que 1'héréfie qui tue les ames. Ces calamités, te disje , feront pafTageres; & notre fainte religion attaquée , mais triomphante , comme 1'ont prédit les prophetes, fera raffermie fur de nouveaux fondemens. B üj  %t LA D ESTRUCT10N Hilaire fils. Adieu ma mere , c'efl: votre fubfiitance que nous allons chercher. Mad. Hilaire. Que la prudencc vous guide ; ne vous écartez pas trop au loin , & craignez de tomber dans les corps-de-gardes avancés. Hilaire pere. Nous ne tenterons point d'aller jufques la. Hilaire fils, d Mlle. Lancy. Adieu chere Lancy. Quel tems pour s'aimer ! Que font devenus les jours ou nos peres, alors amis, nous deftinoient 1'un a 1'autre ! La guerre civile a tout détruit, . . Heureux ceux qui ne font plus ! . . J'avancois avec tant de joie dans la carrière de la vie; je touchois au terme defiré. . . Mais la guerre , la famine , tous les fiéaux réunis, n'ont pu defïécher ni tarir au fond de mon cceur le fentiment inaltérab'e qui y efi caché, (Avec attendnjfement. ) Adieu Lancy. ( On entend un cenaïn bruit. j  DE LA L I G U E. 23 Mad. Hilaire. Arrêtez. ,. onvient... ils font plufieurs... prêtons 1'oreille. HlLAlRE pere , aVec exclamaüon. Ah , bénis foient les miniftres du Seigneur ! . . • Qüoi ! tu ne reconnois pas leurs voix ? . . . Eh ! ce font nos défenfeurs , nos amis , nos conlblateurs. . . C'eft le ciel qui les envoie. Je ne fors qu'après les avoir entendus. . .' Refte, mon fils, refte. . . Ils nous apportent fans doute d'heureufes nouvelles; car ils ne viennent jamais ici fans nous prêter le courage & les lumieres qui les animent & les guident. Mad. Hilaire. Qui, toujours des efpérimees & rien de plus.. . Que vont-ils aujourd'hui nous annoncer ? ( Hilaire pere va Uur ouvrir la porte , les recoit & ks falue afeclueufement. ) B iv  14 LA DESTRUCTIO SCÈNE IV. Les Afteurs précédens, V A R A D E, GUINCESTRE, AUBRY. GuiNCESTRE, entrant Jur la J'cene. Salut au bon fidele Hilaire, vrai catholique, zélé pour la religion , charitable ennemi des huguenots , & que le ciel, conféquemment, ne laiflera point ici bas, fans ouvrir fur lui les tréfors infinis de fes miféricordes. V A R A D E. Mais , quoi ! vous femblez tous bien émus.. . Pourquoi vos vifages fbnt-ils altérés k ce point ? ... Qu'avpz - vous donc ? A U B R y. Vous étiez tous deux prêts a fortir; c'étoit fans doute pour aller dans les temples , invoquer la foudre fur la tête du relaps hérétique. . . Allez, mes amis, le tonnerre pe tardera pas k tomber fur lui.  DE LA LIG V E^ 15 Hilaire pere. Le befoin nous tourmerite •, notre familie eft nombreufe , notre domeftique nous roanque, ck j'allois, avec mon fils , chercher les moyens de trouver quelque nourriture , afin de ne pas vair quelqu'un des nötres augmenter demain la foule des moribonds ou celle des morts. A u b r y. Quant a ceux qui meurent , mes bons amis, il ne feut pas les pleurer : féliciiezles plutót de leur heureufe fin; leurs ames s'envolent droit au ciel , puifqu'ils expirent dans les bienheureux fentimens de la bonne caufe. . . Vous pouvez fortir; mais n'affichez point de regrets fur tout ce qui s'eft paffe : tous ces événemens étoient arrêtés dans les décrets de la Providence , ck doivent tourner au pront de la religion. GüINCESTRE , du ton d'un infpirè. II vaut mieux cent fois mourir en martyrs que de vivre en hommes tiedes. Ce fie^e fera une chofe mémorable dans les  ï6 la d e st ructi o n faftes de Féglife. Louange éternelle a tous les fideles qui ont eu ia foi & la conftance ! Ils feront tous comptés panni les faints du martyrologe , ces héroïques défenléurs de la catholicité ! V a r a d e. O mes enfans ! quelle gloire pour PéV glife de triompher d'un hérétique comme Henri! Nous aurons bientöt un roi catholique ; & favez-vous que notre falut éternel dépendoit de notre réfiilance ? Tout le royaume étoit excommunié , s'il eut fouffert a fa tête le Navarrois ; mais le faint pere porte la France dans fon fein, & du milieu de Rome il a veillé a la fauver du plus épouvantable , du plus affreux défaftre , du danger d'êre proteftante. . . Qu'il fera beau , dans quelques jours , d'avoir réfifté i 1'ennemi de nos autels & d'avoir fauvé la foi des vrais croyans ! Hilaire pere, d fa familie. Oh, que j'ai de joie a les entendre! Comme ils rempliflent mon ame de confo-  DELJL1GUE. 27 latuw pures, de force & d'efpérance ! Om, réglife triomphera , & nous avec elle. Mad. HilaireMais, meOieurs, arriveront-lls enfin ces fecours defirés & fi long-tems attendus? . . Pendant ce te.ns les royaliftes font toujours les maüres ; ils font dans 1'abondance, & nous gémiflbns dans la famine. Le légat, le duc de Mayenne , les feize , les prédicateurs, du haut de leurs chaires , nous promettent conftamment des merveilles, & rien n'avance que la douleur & la mortalité. 11 faut que vous foyez les premiers abufés ; car chaque fois que vous venez nous vifiter , vous nous apportez des nouvelLes que vous croyez vraies; & non - feulement elles ne fe vérinent point, mais c'eft toujours le contraire qui arrivé , & qui trompe notre mutuelle attente. V a r a d e. L'armée qui vient délivrer la ville , marche a grands pas; on l'apper?oit déja, quoique dans le lointain , du haut des tours. On voit killer des lances. . . C'en eft fait ? le bied ,  a8 LA DESTRUCTION la fanne, les tonneaux de vin , les vivres de toute efpece vont entrer a grands flots par les portes, avec la foule vi&orieufe des foldats. Vous ferez bien récompenfés de votre conflance; car le pain ck la viande feront pour nen. Alors on ne verra de tous cötés que fétes , plaifirs , divertifTemens, oü 1'on fe ré;ouira ( en honnêtes chrétiens s'entend ). Après-demain toute Ia villefera illuminée, 6k Yen chantera, en aclions de graces , un beau Te Deum dans 1'églife cathédrale. . . Sur ma parole, je vous y ferai bien placer. . . Le foir, doublé rang de lampions fur vos fenetres. Mad. Hilaire. Nous avions déja loué des fenétres pour voir paffer le roi prifonnier, lorfque Mayenne écrivoit a Paris qu'il le tenoit ( i ) , &k qu'il ne pouvoit lui échapper qu'en fautant da4is la mer. A u b r y. Plöt a Dieu qu'il fe fut noyé alors ! Mais (1) C'eft un trait hiftorique.  DE LA L 1 G U E. 19 fi la foudre ne 1'ccrafe , il fera errant clans le monde , le front marqué du fceau de la réprobation. .. Encore un peu de courage , tc nous touchons a la fin de tout ceci: on a un peu fouffert, d'accord ; cinquante ou foixante mille hommes font morts de faim ; mais prélentement ils tiennent au ciel pour récompenfe la palme glorieufe du martyre, & je regarde comme les plus infortunés ceux qui reflent fur tene ; car ils n'ont pas, cc mme eux , 1'alTurance de la beatitude éternejle. Mad. Hilaire. Ah ! meffieurs , je ne difpute point contre vous; mais fi 1'on avoit pu conciüer avec 1'intérêt de la foi 1'intérêt d'une ville auffi grande , auffi peuplée , éviter de tels défaftres, fi longs, fi terribles, fi défolans... Femm«s,enfans, vieillards, tous innocens, hélas, ont fuccombé dans les fouffrances! HlLAlRE pere, bas a fa femme. Paix, mon époufe, paix. Vous attirerez fur votre tête 1'anathême de 1'églife & le courroux du ciel. IJ ne nous a préfervés juf-  30 LA D E STRUCTIO K qu'ici que paree que nous nous fommes montrës foumis & réfignés. . . Prenez patience. A u B R Y. Mais nous fouffrons comme vous , madame , & plus encore , j'ofe le dire ; car, exténués de fatigues & de courfes, nous allons porter en tous lieux des confolations a nos freres ; \\ n'y a que le zele pour la religion qui nous prête des forces miraeuleufes, & qui nous falTe oublier nos propres befoins; nous montrons la férénité de 1'ame dans les momens les plus pénibles : & pourquoi ? Paree que nous regardons toujours le ciel, & non la terre. GUINCESTRE. Allez, 1'ange exterminateur defcendra du baut du ciel avec fon glaive enflammé, plutöt que de laifTer vivre Henri fur le tröne de France. . . je vous 1'affure au nom de Dieu même. HlLAlRE fils, d'un ton ferme. Meffieurs , les plus magnifïques paroles ne nourriflent point; Sc fi vous n'avez encore  DELALIGUE. jf pour fecours que de trompeufes efpérances a diftribuer, je crains bien que 1'aveugle défefpoir ne s'empare d'un peuple affamé , ck qu'il ne fe porte au malheur de reconnoïtre un roi proteftant qui lui donnera du pain. VARADE, d'un ton de voix adouci. Ecoutez, jeune homme : il vous faudrok plus de réfignation a la volonté célefte; mais puifque le befoin vous domine , ck que Dieu , a ce que je vois , ne vous a pas accordé le courage dont il gratifie fes élus chéris, nous aiderons a votre foiblefle. . . Suivez-moi en fecret •, k condition toutefois que vous maudirez de tout votre cceur le Navarrois, que vous le haïrez, comme vous le devez : je vais vous faire donner d'une certaine nourriture de mon invention , laquelle une fois prife , foutient fon homme pour trots jours au moins. . . c'eft de mon invention , vous dis-je. . . Hilaire hls, avec un cri dejoie. Eft-il poflïble ! Vous nous donneriez de quoi nous nourrir ?  32 LA 'DESTRUCTIO V G u i n cestr.e, avec une cenaine dignité. Oui, ayez toujours confiance en nous , & ne murmurez point mal - k - propos. Sans votre grande jeuneffe. . . Mais nous vous pardonnons. . . Vous pouvez même aller tous de ce pas avec lui , en prenant la précaution de le fuivre de loin , afin de ne point faire de jaloux. Chacun de vous obtiendra fa portion ; vous en rapporterez même au logis; & comme la nature humaine eft fragile , vous vous trouverez ainft en état d'attendre le grand jour qui ne tardera pas a luire. Mad. Hilaire, finclinant. Mille aftions de graces vous foient rendues , généreux bienfaiteurs ! Nous fommes prêts a vous fuivre. . . J'en rapporterai pour fa mere ; elle a quatre - vingts ans paffes , meffieurs. . . Elle vient de s'affoupir un peu. . . Je ne craindrai plus fon reveil! . .. J'aurai quelque chofe k lui offrir. C'eft un grand miracle que le ciel a accompli fur elle 3 en nous la confervant jufqu'a ce jour. Hilaire  DE LA L I G U E. 35 HlLAlRE pere, d fa familie. Vous le voyez, mes enfans, vous Ie voyez, le ciel n'abandonne jamais ceux qui efperent en lui. . . Vous avez blafphérué bien a tort, je vous reprenois a jufte titre. Ah ! croyezen toujours les miniftres infaillibles de 1'églife. HlLAlRE fils, aux trois prétres. Pardonnez a nos plaintes indifcretes , k nos murmures... . La douleur m'égaroit. Mlle. Lancy. Ah ! fi ce fecours étoit arrivé hier feulement , ma pauvre tante. . . Ah , Dieu ! j'aurois pu la retirer des bras de la mort. .. Elle eft morte, meffieurs, en louant votre zele , en vous béniflant , en priant Dieu pour le falut de cette , ville qu'elle attendoit de vos prieres efficaces. A u b R y , du ton d'un infpiré. Vous voyez que les paroles des mourans font éclairées du jcur nouveau dans lequel ils vont entrer. La religion a loulevé a fes yeux le voile de 1'avenir; elle G  34 LA DESTRUCTION a vu le triomphe prochain de 1'églife; les frémifTemens de 1'enfer ne prévaudront point contre fa bafe inébranlable. Allez. . . conduifez-Ies , difcret Varade; nous vous atten* drons oü vous favez; le fcientifique Grinceftre va refter avec moi; nous avons quelques difpofitions a prendre pour la fête folemnelle qui le célébrera. Je veux qu'on s'en fouvienne long-teuis, & que les yeux de tous les fideles foient éblouis de fa pompe & de fa magnificence.. (Mlle. Lancy fe joint d Mad. Hilaire qui marche en lui donnant le bras ; Hilaire fils prend la main de fon pere, & ils fuivent, avec une ejpece de tranfport de joie, Varade qui fort le premier. ) SCÈNE V. GUINCESTRE, AUBRY. ( Vers le commencement de cette fcene , on voit Mad, Hilaire la grand'~ men , qui,  D E LA L I G V E 35 du fond di la- chambre , s'avance d pas lents d la porte entfouverte, le dos courbé & appuyée fur une canne ; elle s'arrête, en prêtant toreillt aux difcours des deux curis ligueurs , qui ne l'appercoivent point. Cette femme qui eft dgée, doit avoir Cair refpeclable, ) AuBRY, après un füenee. Savez-vous qu'on a affez de peine a leur perfuader de fe tóffer mourir de faim ? guincestre. Le zele s'eft étrangement refroidi depuis le jour de la Saint - Barthelemi. C'étoit la le bon tems. A u b r y. Oui; 1'on faifoit alors du peuple tout ce qu'on vouloit. guincestre. Aujourd'hui 1'on rencontre des raifonneurs; mais, en allant ainfi de maifons en maiions ranimer le courage des paticns , nous renverferons infailliblement les projet* C ij  16 LA DESTRUCT10 N 'V>'' —————— de Henri. La ville , vous le voyez , fe foutient, & bien contre fon attente. II fe verra forcé de lever le fiege, & nous ferons délivrés a jamais de lui fk de fa race. A U B R Y. Ce diable d'homme - la a de Ia vigueur au moins. Sa tête reffemble a fon bras. Comme il a ripofté a Sixte-Quint ! Comme il s'eft battu a Arques! Comme il a négocié a Rome ! Habile dans fes marches , après avoir commandé en capitaine, il fe bat en foldat. Nous pouvons bien le renclre odieux , mais non méprifable. Ce n'eft point la un Henri III. Entre nous , nous ferions - nous jamais imaginé, au commencement de cette guerre , qu'il en feroit venu tout feul au point oü il en eft ? GUINCESTRE. Non, par ma foi. De fon cöté il fait faire auffi des miracles ; mais c'eft avec 1'épée... II eft vrai que, pour être aux portes de la capitale, il n'eft pas encore dedans. Notre parti eft bien plus fort qu'il ne penfe. Nous  DELAL1GUE. 37 lui avons afïbcié toute la populace. Fiere de eet honneur , elle y répond en mourant de bonne grace. Le feu du fanatifme, échappé de 1'encenfoir , brüle mieux que jamais. C'eft un vrai plaifir que d'attifer fes flammes, que d'être témoin de leurs rapides progrès; tant que les efprits feront enflammés a ce point, nous n'aurons rien a craindre. Que revient - il a Henri d'être viftorieux , lorfque 1'opinion publique eft foulevée contre lui ? C'eft un homme qui s'épuife par fes efforts même, & qui nnira par tomber fur fes trophées. A u B R Y. Mais, il vife a fe faire aimer, paree qu'il feut bien que la force d'un monarque eft nulle tant qu'elle n'eft pas dans le cceur de fon peuple. Comment lui enlever ce pouvoir qu'il fe ménage, car enfin de jous en jour ( ne nous le diffimulons pas) il devient cher a plufieurs ? GUINCESTRE. ïi faut renouveller 1'accufation qui nous  3§ LA D E ST RUCTI O N a fervi a anéantir fes qualités héroïques. A u B R Y. Nous avons les infinuations des confefJïonnaux. . . ( i ) GuiNCESTR E. C'eft la qu'il faut le peindre comme un homme qui détruiroit la derniere mefle dans Paris, s'il montoit une fois fur le tröne. A u B R Y. Bien dit.. . Mais, avouez que c'eft un bon peuple , un peuple benin , que celui qui ne craint rien tant au monde que de n'avoir plus de mefies. Préférer la famine a cette privation , & repouffer des vicfoires avec un tel prétexte, eft un prodige non moins e'tonnant. . . Ce qui doit nous inquiéter le plus , c'eft cette prétendue abjuration de faint Denis. ( i ) Les confefleurs exigeoienc des pénitens qu'ils regardafient le décret de la Sorbonne , qui excluoit Henri du tröne, comme m oracle du Saint - Ffprit, & qu'ils euffent a s'y conformer au» dtpens de leur vie.  DE LA L I G U E. 39 GUINCESTRE. Voila le coup que nous redoutions. II a été fort habile ; mais nous avons de quoi parer a ce tour d'adreffe. En préfentant cette converfion comme fauffe & diffimulée , en la dénoncant comme une nouvelle hypocrifie , un menfonge public fait au ciel & a la terre , un piege politique pour établir plus fürement le proteftantifme en France , nous 1'arrêterons fur les degrés du tröne. . . A U B R Y. Mais, il faut perfuader cela , & tout le monde n'a pas la même chaleur pour nous croire. GUINCEST RE. Tu fais que 1'on eft toujours éloquent pour la multitude, lorfque 1'on crie hautement au nom de Dieu & de la religion ; le peuple s'émeut alors comme par enchantement; il ne lui faut pas d'autre argument que celui-ci: le pape ne regoit point cette abjuration. Alors le glaive que Henri tient C iv  40 LA D E S T RUCTIO N dans les combats, fe brifera contre le glaive de la parole que nous armons du haüt des chaires. Les efprits feront terrafles ; dociles a nos impreffions , ils n'agiront plus que conformément a nos volontés ; après tout ce qui s'eft fait, on peut tout fe promettre; nous di&erons a 1'impétueux Boucher le texte de quelques fermons; avec une oórave il fera perdre a Henri Ie fruit de deux batailles. II a embrafé les cerveaux a S. Méry; & en fortant de la , le peuple va quelquefois plus loin qu'on n'auroit fu le prévoir. . . Tout autres que nous feroient épouvantés de tels fuccès. A u b r y. Comme nous nous réjouirons, quand une fois la fainte ligue aura chaffe les Bourbons ! Rome nous devra beaucoup , & s'acquittera magnifiquement felon le profit que nous lui aurons fait faire ( i ). . . Aldobrandin n'eft ( i ) C'eft ce même Aubry qui , après Ia mort deSixte-Quint,dit publiquement en chaire : Dieu nous a détlvrc's d'un mézkantpape ; s'il eut ve'cu  DE LA L 1 G U E. 41 pas fi rufé que Sixte - Quint, Sc confentira de bonne grace a partager. Landriano m'a pfomis pour ma part une place éminente. . . . GUINCESTRE. Mon cher Aubry , fans 1'efpoir d'une fortune élevée 8c qui nous fafie dominer le vulgaire , qu'aurions-nous befoin de nous intérefler a ce grand changement ? 6k que nous importeroit au fond que tel ou tel homme vint a remplir le tröne ? Tous les chefs de la ligue marchent a des intéréts particuliers, Sc les noms de patrie Sc de religion ne font plus que pour les efprits créduies du peuple. C'eft un beau morceau a vendre ou a démembrer que la couronne de France. Qu'en penfez- vous ? A u B R Y. Une auffi belle opération ne s'ofFre pas toujours. plus long-tcms, il eüt fallu prècher dans Paris contre le fouverain pontife. C'eft que le pontife , fur la fin dc fes jaurs, avoit refufé de fecourir la ligue.  4ï LA D E ST RU CTIO N GUINCESTRE. Mettre le tröne en quatre, fruftrer Henri de fon royaume , fe partager fes belles provinces , s'enrichir de fes dépouilles & les diftribuer en différens lots; les circonftances ne font - elles pas favorables ? Ceux qui veuIenten profiter,le fententbien ; & fans 1'imprudente divifion furvenue entr'eux, le partage feroit confommé il y a long-tems. A u B R Y. C'étoit la feule chofe qui püt leur nuire. Ils auroient dü fe hater. GUINCESTRE. I!s n'ont été politiques qu'a demi. . . Mais tout n'eft pas défefpéré, s'ils perfiftenr. A u B R Y. Pour moi , je ne reviens point de ce peuple , qui dans la difette chante des pfeaumes de toutes fes forces ; qui, périflant d'inanition , vole entendre des fermons, ranime une voix éteinte pour crier a l'kérétiqut ; qui, dans 1'intérieur de fes maifons, fè difpute avec emportement, 1'un pour le  DE LA LIGUE. 43 légat , 1'autre pour Guife ; celui - ci pour Mayenne ... 11 y va de bien bonne foi: Sc comment eft-il dupe a ce point ? . . . GUINCESTRE. Quand on a bien préparé la machine qui doit monter les cerveaux, ils font difpofés a 1'enthoufiafme, Sc 1'on doit calculer alors 1'extraordinaire Sc le merveilleux, comme les chofes naturelles Sc poflibles. D ailleurs , ce peuple éternellement étranger a. fes vrais intéréts, femble né pour être afTervi; tant il s'y ptête avec facilité. C'eft un immenfe troupeau que chacun fe difpute pour le tondre k fon gré \ il s'abandonne bénignement aux cifeaux; fa toifon le furcharge , Sc qui I'en débarraffe eft toujours bien venu.. . A U B R Y. II eft vrai qu'il ne connoit guere que la mutinerie, &c qu'il a un goiit décidc pour la fuperftition. . . GUINCESTRE. C'eft la ce qui 1'enchaine au fol qu'il broute innocemmerit. Ayons foin de i'en-  44 LA D E S T RU CTI O N tretenir dans fon imbécillité native. Etoiiifons 1'aurore d'une raifon qui voudroit percer par intervalles. Qu'il ne penfe jamais que d'après nous. En fondant notre autorité fur fon imagination ardente Sc foible, craintive Sc crédule, notre pouvoir régira fes efprits,Sc notre autorité s'élevera fans peine au-delTus du pouvoir des rois. . « A u B R Y. Toute ma crainte eft, qu'enfin ce peuple n'ouvre les yeux ; il ne faudroit qu'une lueur rapide Sc fatale pour lui faire appercevoir ce tas de menfonges que nous avons fabriqués. . . S'il alloit raifenner, que deviendrions-nous ? GUINCESTRE. Ta crainte eft juftement fondée. II eft une invention récente , que j'ai toujours jugée très-dangereufe , Sc dont les conféquences n'ont pas encore été appercues par nos fublimes fages. A u B R y. Quel eft eet objet nouveau, deftrufteur  DE LA LIGUE. 45 de notre antique & formidable pouvoir? Je cherche & n'appercois pas. . • GuiNCESTRï. L'imprimerie. . . y êtes-vous ? A u b r y. II eft vrai. GUINCESTRE. Je 1'ai prédit. . . cette découverte nous portera malheur. Elle a commencé" par nous être utile ; elle finka par nous faire fauter. Tous ces imprimés, forgés par des plumes vénales que nous lachons contre Henri &c fa fefte , pourront un jour être anéantis par d'autres a fa louange , & qui n'étant pas payés, feront bien meilleurs. II n'y a plus d'aftions fecretes devant cette langue rapide , univerfelle, indeftrudible. . . . Songez a la fatyre Ménippée ; fi cela étoit lu , fi cela étoit entendu généralement. . . A u b r y. La frayeur me faifit. . . Heureufement que fur mille , il n'y en a qu'un tout au plus qui fache lire : mais n'importe ; des  46 LA DESTRUCTION ce moment je vais publier que la lefture concluit néceflairement a i'héréfie , a 1'incréduhté , a la révolte, a tous les crimes. . . GUINCESTRE. J'ai toujours confeillé de mettre les plus dures entraves aux progrès de rimprimerie, de renoncer même aux avantages paffagers qu'elle pouvoit procurer , afin de détourner l'attention de fes prodigieux effets; car on pourroit, en donnant une certaine dire&ion aux esprits , les mener au point diamétralement oppofé , oü nous voulons les conduire. Si cette force immenfe eft une fois tournee contre nous, il ne fera plus en notre pouvoir de I'arrêter; elle difperfera nos opinions, comme un vent irnpétueux diffipe un monceau de paille légere. A u B R Y. Si jamais , comme je 1'efpere , je monte a certaine place , je ne ferai content que lorfque j'aurai aboli la deruiere prefte. . . GuiNCESTRF. Tant que jen verrai une dans 1'Europe,  DE LA LIGUE. 47 je frémirai dans la crainte que la raifon humaine ne rallume fubitement fon flambeau. A U B R Y. On ne fonge point affez a ce que vous venez de dire, & il faudroit a nos chefs la fupériorité de votre coup - d'oeil. GUINCEST RE. N'augmentons point cependant nos alarmes. Ce n'eft, pour le moment aftuel, qu'un danger imaginaire. L'état oü la France eft réduite, ne laifie rien a craindre de fi - tot. Elle eft trop malade pour vouloir faire 1'efprit fort. Le pef.t peuple fur-tout ne s'en relevera de long-tems. II eft tellement imprégné d'une falutaire & profonde ignorance , que dans mille ans d'ici la chaine des préjugés dont il eft garrotté ne fera point encore ufée, & qu'il la trainera a demi rompue, en baifant fes débris , & en regrettant qu'elle ne foit pas entiere. A U B R Y. Gardons toujours la même marche. Tant que nous faurons étudier & conduire les carac-  48 LA D E S T RU CTI O N teres felon les rangs , & déguifer les vrais motifs qui nous font agir , nous retarderons la funefte époque. GUINCESTRE. Confolons les uns par 1'efpoir de la couronne du martyre; effrayons les autres avec les mots d'anathéme & de Rome; aux moins aveugles promettons des places qui flattent leur ambition ( I ) ; Sc quant a cette tourbe infenfible , fur laquelle il y a peu de prife, faifons-lui fentir le fouet de la terreur , en la précipitant indifFéremment dans les cachots ou dans la mort. A U B R Y. Tu n'excelles pas mal dans ton röle toi , Sc tu pofledes au fuprême degré 1'art de te contrefaire. ( i ) Les meines & les prêtres régnoient nonfeulement fur le peuple, mais fur la nation ; & ce qui le prouve, c'eft que le duc deParme, ce grand genéral , voulut mourir en habit de capucm, & ordonna qu'on mit 1'infcription fuivante fur fon tombeau : Bk jacct frater Alexander Farnefm capucinus. GUINCESTRE.  DE LA LIGUE. 40 G U I N C F. S T IJ. E. Et toi , ton mafque eft excellent ! Selon ceux a qui tu parles , on voit ton vifage abfoiument changer. Tantot ta voix eft menacante , ton ceil enflammé , ton gefte roide & dur; tantót ton regard eft doux ; ta paro!e humble , careflante ; ton front charitablement baiffé; & lorfque dans ces temsci tu contrefais Tair famélique , exténué, ïnourant, on diroit que tu vas rendre 1'ame, fur - teut lorfque tu prends la quinte de ta petite toux feche. . . A U B R Y , prenant Fair en qucfiion & toujjant. Comme cela, n'eft-H pas vrai ? GUINCESTRE. Admirable ! en véiité , admirable ! . . « Tu ne te vois pas toi - même. . . Je te le répete , tu ne fais pas a quel point tu excelles. . . A U B R Y , avec emphafe. Parler au peuple eft une forte d'éloquence que les plus grands cleres de ce monde ne D.  50 L A D E ST RU CT I O N connoiffent pas toujours, & a laquelle ils font bien inhabiles , quand les circonftances les y forcent. lis n'ont pas la langue qu'il faut alors; car cette langue - la ne s'apprend point dans le cabinet. GüINCESTR È. II n'y a rien de plus plaifant que de te voir , après t'être bien raflaffié avec nos p'rovifions cachées , de te voir , dis - je , prendre tout de fuite, en fortant, un vifage fi alongé que 1'on diroit que tu vas tomber au bout de la rue. Comment fais - tu pour figurer fi bien tes jambes chancelantes, pour être a Ia fois fi pale & fi bien portant ? AüBRY ,fe dkournant, appergoit la mere Hilaire qui étoit rejlée debout d les entendre. Son front efl indigné; elle ejl appuyèe fur fa canne. ( D'un ton embarrafle & fourd.) Paix, paix , paix ! Une femme eft la qui nous écoute,  DE LA LIGUE. 5* guincestre, tournant la têti & fiott* qant myftiruufimtnt lts fourcils. Elle nous auroit entendus > A u B r y. Mais, il y a toute apparence. Mad. Hilaire grand'-mere , avec laplus grande indignatïon. Oui , je vous ai entendus , miférables que vous êtes , & je viens d'apprendre a vous connoltre. Je vois en vous les fieaux de ma trifte patrie. Allez , il y a long-tems que je foupconnois confufément les horribles intrigues que votre bouche a dévoilées. J'ai vu naitre la ligue. J'ai vieilli au milieu des défaftres qu'elle a enfantés. Que ceux qui font encore aveugles n'ont-ils affifté , comme moi, a 1'entretien qui vient de démafquer vos ames infernales ! guincestre. Bonne femme. . . prenez garde k ce que vous dites. . i Bonne femme, fi 1'on n'avoit pitié de votre age. , , r P >j  5* LA JDESTRUCT1ÖN A u b r y. Vous oubliez qu'on pourroit vous punir fur la place. . . Mad. Hilaire grand'-mere. Me punir ? Laches que vous étes , me punir ! . . . Qui de vous aura le courage de me delivrer des courts mcmens qui me rellent a vivre? . . Auteurs de la mifere publique , quels maux particuliers vous refte-il encore a faire? La mort eft le feul bienfait qui parte de vos mains, & vous ne Paccoïdez qu'avec une cruauté lente. . , Ofez trapper du dernier coup la femme mfortunée que vous faites mourir depuis li long-tems. J'ai perdu cinq enfans dans ces malheureufes guerres que votre génie hypocrire a allumées. Un feul me reftoit, helas! ck-je nc le vois plus , ni lui, ni fa femme, ni fon fils. . . Me vcila prés de mes bourreaux. Un crime de plus ne doit pas les intimider. Ils ont appris k afTafiiner les miens: qu'ils m'afTaflinent a mon tour. Mon plus grand fuppüce feroit.. d-'envifager plus long-  DE LA LIGUE. 53 tems les monltres qui ont défolé mon pays, les mönftres fortis du gouffre des enfers ; & quand, helas! ö mon Dieu, y rentreront-iis pour ne plus perfécuter les humains ? A u B R Y , la menagant. Si je m'en croyois. . . GUINCESTRE, le retenant. Retirons - nous. . . Laiffons cette vieille femme a elle-même. Que peut-elle avec fa voix caffée, expirante ? . . Dans une heure elle ne fera plus. A u B R Y , lui jetara un regard furieux. Puiffe - t - elle a 1'inftant même expi- rer ! . • • GUINCESTRE,d la porte. Si toutefois elle ne mouroit pas dans lë jour. . . Je m'entends. Viens, Aubry , yiens. . • Sortons.. f 1 D' üj  54 LA DES TRUCTION SCÈNE VI. Mad. HI L A ï II E grand - mere, feulc. O MON Dieu ! ayez pitié de Ia France! En quel'.es mains je la laifTe ai mourant! L'étranger , le citoyen , c'eft k qui déchirera fes entrailles! Pauvres Francois, comme vous avez été les viftimes de vof.e crédulité ! Vous étiez faits pour êrre heureux; ck vous livrant a une folie fuperftition , vous n'avez fu ni reconnoïtre les impofteurs, nï repoufler vos tyrans. . . Voici la quatrevingt - troifieme année que je fupporte la vie: ö mon Dieu ! les quinze dernieres me font devenues les plus ameres par les horreurs que j'ai vu commettre en votre faint nom. Les crimes de l'hypocriiïe ont affez fatigué mes yeux ; ils ne demandent plus qu'a fe fermer. . . Je mange le pain des jeunes ck des forts, le pain de mes enfans , moi, rehut inutile ck fardeau fur la terre...  D Ê LA LIGUE. 55 Je demande d'aller a vous, 6 mou Dieu ! Que votre volonté foit feite ; mais envoyezmoi la mort , la mort, la mort , ö mon Dieu, la mort! C'eft la grace que j'implore de votre miiericorde, & je vais 1'attendre avec confiance aux pieds de cette croix, oü chaque jour de ma vie je vous ai offert Fhommage de mon amour. ( Elle fort a pas lents, & paffe dans la chambre voifine yd'ou elle eft fortie. ) D iv  56 LA DESTRUCTJON ACTE II. Le théatre nprcfeme le camp de Henri. Le roi ejl dans une tente plus èlevèe que celles qui font autour. Des foldats moment lagarde aux environs. SCÈNE PREMIÈRE. Henri feul, dans fa tente. Non, je ne puis me réfoudre a donner Faflaut. J'en redoute les horrribles fuites.. . Trop de lang a déja coulé. Epargnons ceux qui reviendront a moi dès qu'ils me connoitront. . . C'eft un peuple bon, qui fe Hvre a la mort par égarement. II a été écbauffé , féduit , trompé par les ennemi-s de fon bonheur. Sauvons-le, malgré lui, & perdons , s'il le faut , une couronne , plutót que de livrcr au fer cette cité immenfe , peuplée de ftir.mes , d'enfans, c:e  DE LA LIGUE. 57 vieillards. . . Ah ! je frémis de cette feule image. . . Non , ce ne fera pas moi qui verferai le fang francois. . . H m'eft trop précieux. Qu'ils deviennent ou non mes fujets , je clois les épargner. {II appelU.) Monfieur de Montmorenci ! SCÈNE II. HENRI, MONTMORENCI. Montmorenci. Sire ? Henri. Qu'on ne difpofe point i'affaut que j'avois ordonné. . . J'ai changé d'avis. M O n T m o r e n Cl. Sire , les afliégés , rebelles a vos bienfaits, ont fait rejeter le pain par - deflus les remparts. Henri, vivtment. Je fuis fur qu'ils en manquent. En vaia  58 LA D E S T RU CTI O N Mayenne veut me faire croire le contraire par cette feinte; je ne veux pas que le peuple foit Ia viftime de cette fauffe politique. Je fais que la famine les dévore. Autant que je Ie pourrai , mon ami , je fournirai des vivres a ces malheureux. . . Faites dire a tous ceux de mon armée qui ont des parens dans Ia viüe , que je leur permets de leur porter des vivres. M o n t m o r e n c i. Sire , pourvu qu'ils ne s'arment point contre vous de vos propres bienfaits. « . Henri. Quand un peuple immenfe éleve jufqu'a moi fes lamentables cris , je ne puis endurcir mes entrailles, en me rendant fourd a fes plaintes. Que des fanatiques abufent de 1'efprit crédule de ces infortunés, c'eft a moi de les fauver de leur propre délire. Je fens que je fuis leur pere, & qu'H m'eft impofiïbie de ne point partager leurs maux. Allez, & proclamez mes ordres.  'DE LA LIGUE. 59 SCÈNE III- HENRI', SULLL Henri. Eh bien, mon cher Rofni , caufons en fecret. . . Ils ont de la peine a me croire catholique. Ils s'obftinent a dire que je ne puis être abfous que par le pape ,& régner conféquemment que fous fa bonne volonté. S u l l i. Sire , le moyen de rendre vains tous le's foudres du Vatican, c'eft de vaincre : alors vous obtiendrez aifément votre abfolution. Mais , fi vous n'êtes pas viftorieux, vous demeurerez toujours excommunié. Henri. J'aurois déja vaincu ; mais j'aime ma ville de Paris; c'eft ma fille ainée. Ie fuis jaloux de la maintenir dans fa fplendeur. II auroit fallu la mettre a feu ck a fang. Les chefs de la ligue ck les Efpagnols ont fi  6o LADESTRUCTION peu compaffion des Parifiéns! Ces pauvres Parifiens l Ils n'en font que les tyrans ; mais moi, qui fuis leur pere tk leur roi, je ne puis voir ces calamités fans en être touché jnfqu'au fond de Pame , & j'ai tout fait pour y apporter remede, tout jufqu'a apprendxe par cceur & répéter le catéchifme qu'ils m'ont donné. ( i ) S u L L i. Vous avez bien fait, Sire ; on n'appaife pas autrement des théologiens. Allez, I'action la plus agréable a Dieu fera toujours d epargner le fang des hommes & de mettre fin aux maux qu'ils endurent, foit par ( i ) L'archevêque de Bourges lui fit réciter pluficurs fois fon catéchifme ; on lui impofa des obligations pcrfonne'les d'entendre la mcffe tous les jours, ufagc conftamnient fuivi par fes fiiccefteürs; dapptodia des facremtnsaa moins quatre fois ïan, gf de rappeller les jc'jhites. Ce dernier article eft remarquable. Hetiri devoit paffer pour hypöcrite aux yeux du catholique pour iugrat aux yeux du calviniite , pour avare aux yeux du courtifan : il n'eft rien de tout csla, wix yeux du phücfophe.  DELALtGUE. 6i «veuglement, fok par opiniatreté. Henri. Mais n'y auroit - il pas eu plas d'héroïfme ck de fermeté a foutenir le proteftantifmé, a le faire monter avec moi fur le tröne, ck a donner ainfi a mes fu'jets une religion plus fimple , plus épurée , plus propre a détruire les nombreux ck incroyables abus de 1'autorité facerdotale ? S u l l i. Si cela eut pu fe faire fans hafarder votre couronne, fans plonger la France clans une guerre interminable , il eut été-bien avantageux a 1'état de recevoir de vous le principe de fa félicité ck de fa grandeur, &c d'anéantir le germe des fatales difcordes que Rome nous envoie ; mais il s'agit évidentment de foumettre d'abord la capitale, afin de poufler les ennemis du centre du royaume vers la frontiere. Henri. Cette abjuration a couté beaucoup a mon cceur.  6% LJDESTRUC7I0N S ulli, Elle étoit nécelTaire. . . II faut entrer dans Paris. Henri. Vous avez été le premier a me confeiller d'aller a la meiTe, ck vous êtes refté proteftanr. S ulli, Je 1'ai du. Ils haïfïbient votre religion , ck non votre perfonne ; il falloit que vous fuffiez catholique. II m'étoit permis , a moi, de demeurer fidele a la loi de mes peres. Henri. Je me fuis reproché plus d'une fois ma foibleffe ; je ne m'en confole que par I'idée que ma converfion rétablira la paix. Eh ! quene facrifie -1 - on pas a ce grand intérêt? S u l l i. Les efprits ne font pas préparés encore pour un heureux changement. . . Point de remords, Sire ! les rois doivent dominer les re! igions , ck ne s'attacher qu'a celle qui , compofée d'élémens purs, découle du fein de la divinité , dont ils font ici bas les  D E LA LIGUE. 6"}' images , quand ils font éclairés , fermes & bienfaifans ; ils doivent être au-deffus de ces pratiques fuperftitieufes qui aviliffent la raifon , abatardiffent les peuples , leur o tent leur énergie & leurs vertus. C'eft a eux de préparer de lob k leurs fujets un culte raifonnable , digne de 1'homme, & de faire tomber, foit par le mépris , foit par une fageffe attentive , ces querelles miférables qui ont tant de fois enfanglanté la terre^; c'eft ainft que , législateurs fublimes & prévoyans , ils deviennent les bienfaiteurs du genre humain. Henri. Que ne puls - je 1'être fous ce point de vue , & faire avancer mon fiecle vers la vérité! Mais, né dans une religion qui a ren du a la raifon humaine une partie de fa liberté , je me trouve forcé de rétrograder , entrainé par la barbarie qui m'environne de toutes parts ; me voüa obügé d'embraffer un culte chargé d'abfurdités révoltantes. Eh! que deviendra le bien que je voidois faire au^ hommes }  64 LA DESTRUC T1 O N Sul t i, Vous en ferez beaucoup , en parohTant céder au torrent contre lequel i! n'y avoit point de digues. II faut aller d'abord au plus prefle , & terrafler Ie fanatifme qui fous vos yeux égorge vos fujets. Donnez - lui lé Kgnal qu'il demande pour appaifer fes fureurs; touchez les autels oü il doit tortiber vaincu & défarmé , ótez - lui fon poignard & fes flambeaux. . . Une meffe entendue doit enchainer Ie monftre & prévenir 1'effufion du fang. Entendez Ia mefle, & regardez ce peuple, tantót infenfé , tantót furieus, comme un peuple d'enfahs qu'il faut conduire par les illufions qui lui font cheres. Henri, avec cffzction. Toi , mon chef Rofni, que rien n'obüge a ce facrifice; toi, difpenfé de t'immoler, refte fidékment attaché a Ia religion rérormée. Le poids de ton nom , tes vertus , ta male probité te rendent chef d'un parti que je ne puis plus favorifer trop oiwertement, mais auquel je ferai toujours attaché de  DE LA LIGUE. 65 de cceur ck d'efprit; non qu'il foit exempt de la fange qu'il a contra&ée par fon voifmage avec le papifme , mais il fecouera le refte de fes viles fuperftitions, ck 1'on verra naitre bientöt une religion que la dignité de la raifon humaine pourra avouer fous le regard de la divinité. S U L L I. Prince ! ft je fais lire dans 1'avenlr, & voir la marche de 1'efprit humain , il faut que 1'idole de Rome tombe par degrés ; les abus ck les lumieres conduiront un jouf la France au proteftantifme ; ck le proteftantifme lui - même ayant épuré fon culte, montrera enfin a 1'univers les vrais adorateursdeDieu en efprit Sc en vérité. Alors, dégagée d'un mélange ridicule & honteux , la religion fortira éclatante ck pure , le front élevé vers les cieux. Elle enchainera fans effort les efprits droits ck les cceurs vertueux qui chériront fes attraits chaftes ck nobles, eux qui fe refufoient aux idees aviliflantes ck injurieufes , fous lefquelles on C  66 LA D E ST RUCTIO N ofoit repréfenter Ie Créateur de l'univers ck le Pere augufle des hommes. Henri. Heureux le prince qui pourra préfider a cette époque, 6k qui fera favorifé dans ce grand changement par les lumieres nationales autant que j'ai été arrêté par la démence ck le fanatifme! S V L t i. Uri de vos defcendans, Sire, une de ces ames fortes & généreufes que la Providence tient en réferve, chez qui 1'amour du bien devient paffion , qui concoivent, veulent ck exécutent les grandes entreprifes, brifera le joug de ces tyrans religieux qui rempIhTent les efprits de chimères myftiques , 6k dont 1'opulence oifive mine les forees de Fétat: ck la France alors, délivrée du principe fecret de fa deftruction , reprendra fon luftre & fon éclat. Henri. PuifTe-t-il faire ce qu'il ne rn'efl pas permk de tenter au milieu de tant d'efprits farou-  DE LA LIGUE. 67 ches , amoureux de leur fervitude ! Ce royaume dégradé par fa fatale union avec Rome , ne reprendra 1'afcendant naturel qu'il devroit avoir fur tous fes voifins,que quand il aura adopté une réforme urgente qui profcrive , ck le tribui immenfe ck annuel payé a la chaire de faint Pierre , ck le célibat fcandaleux des prêtres, ck cette armét inutile de cénobites, ck toutes ces chaines arbitraires ck bizarres qui altentent également aux privileges de 1'homme ck du citoyen. $ V i. li. Le teras ck la raifon réaliferont les mouvemens généreux de votre cceur. . . vos enfans, vous dis-je , fe fouvenant de vous, rendront a 1'homme la liberté que 1'atrocité des fiecles barbares lui ont ravie; ck la puiffance imaginaire de Rome , réduite a fa jufte valeur , n'excitera plus que la rifée des fages. Henri. Pen accepte 1'augure , mon cherRofni; mais mes amis ne diront - ils pas que j'ai cédé a 1'intérêt, au defir de régner ? - . e n  6% LA D E S T RU CTIO N S ulli. Vous auriez été coupable, lorfque le vaiffeau de 1'état étoit battu d'une fi furieufe rempête , de n'avoir point porté la main au gouvernail. II n'appartenoit qua vous de Ie fauver. Reftaurateur de Ia France, non, ils ne vous feront pas ce reproche. Ils favent qu'un roi fe doit, avant tout, au repos de fon pays ; qu'il n'eft point hypocrite pour donner Ie change au fanatifme. . . Eh ! mon cher maitre, n'eft - ce pas Ie même Dieu que nous adorons, le Dieu qui nous commande de chérir les hommes & de leur faire tout le bien qui eft en notre pouvoir ? . . C'eft le même évangile , c'eft-adire , la même morale que vous reconnoiffez pour la mettre en pratique.. . Le refte, Sire , eft une vaine difpute de mots. Henri. Sans doute , mon cher Rofni ; &r ceux qui adorent le même Dieu, qui fuivcm la ' morale augufte de 1'évangile , devroient bien enfin fe réunir, s'embrafler, & le re^aider  DE LA LIG U E. 69 comme fïeres. . . Eh! ne le font - ils pas , puifqu'ils font d'accord fur les mêmes devoirs , & qu'ils honorent les mêmes vertus? S U L t I. Un culte auffi raifonnable , auffi fimple , auffi pur , choqueroit trop 1'ambition ck 1'orgued des prêtres catholiques qui ont furchargé la religion de monitruofités étrangeres. Ils ont befoin d'égarer 1'efpnt de 1'homme dans la confufion ténébreufe de leurs dogmes ck de leurs mytteres. Henri. Comme mes vceux impatiens hatent le jour oü la France fera éclairée , oü 1'efprit de perfécution ceffera, oü,faute de controverfiites, tombera 1'aliment fantaftique de ces débats hontenx! ... En attendant, foyez bien für , mon cher Rofny , que fidele a mes principes éutant que je le pourrai fans rallumer les divifions m les difcordes , j'établirai la tolérance dans mes érats; elle feule fait la gloire ck la force des empires. E üj  7o LA DESTRUCTIO N S JJ L L I. Vous le devez, Sire , & par humanité, & par {agefTe , & par reconnoiffance, & même par politique. Henri. Ah , mon cher Romy! je ne penfe tout haut fur ces matieres qu'avec vous. . . Qui plus que moi doit détefter le fanatifme ? Que de fois j'ai vu le couteau levé contre mon fem ! J'ai toujours devant les yeux 1'infortuné Coligny fanglant & déchiré , ( i ) que fes vertus & fa probité n'ont pu fauver de la férocité des catholiques. . . Ils me tueront, mon ami, ils me tueront: mais n'importe , je véux tenir les deux religions clans ma main, - ( i) Cohgny eiit été le feu! homme propre a etabhr en France me conftitution libre ; fa vertu étoit forte, lorfque celle des autres ployoit aux' circonftances. Le poignard des maitacreurs de la inuit de la S. Barthelemi avoit plongé dans Ie torn. beau le plus généreux défenfeur de la liberté des peuples; 1'Hofpita! étoit plus attaché è Fau, torite royale qu'a.u peuple.  DE LA LIGUE. 7* & je n'en protégerai pas moins, jufqu'au dernier foupir, ceux dont je fois obligé de me féparer. ( 1 ) r S u l l i. AgüTez & marchez toujours fous 1'ceil de Dieu , c'eft alïez pour ne plus craindre les hommes. Henri. Oui, je me remets tout entier a la Providence. ( Après un filmce.) J'aibefoin, pour < 1) Henri IV donna le fameux édit de Nantes, Vévoqué par la dure intolérant de Louis XIV L'état des proteftans étoit fixe en France iL éto ent fatisfaits&tranquilles, & eet edit etrnt tout-a-la-fois 1'ouvrage de fa fageffe de fa reconnoiffance , de fon attachement & de fa tolerance pourquoi faut-il que le fanatifme le plus aveugle ait detruit ce monument de concorde?La pldie profonde fake a la patrie , n'eft pas encore fermee Se nos jours: eh,quelleeft doncla ^ureufc conftitution de notre gouvernementqu un feu homme trompé ou orgueilleux puifle faire a la Patrie des maux fi longs & prefqu'irreparables! Comment une volonté erronée & barbare regne t-elle encore follement apres lu!, quand ü eit defcendu au tombeau, charge des reproches de J3 faine partie de la nation? E iv  72 LA D EST RU CT10 N rendre mon peuple heureux, d'un homme qui ait vos lumieres & votre fermeté ; car il y a bien des malfaiteurs ï combattre. .. Savez- vous quel eft le terme de mes fouhaits, le but defïré de mes travaux ? C'eft de faire enforte , mon ami, que tout cultivateur , jufqu'au moindre payfan,mette tous les dimanches h poule au pot. (s) Toutdérivede ( i ) Herin IV, comme le fait le moindre cf. toyen voulo.t que tout payfan eüt une poule au pot tous les dtmanches. Eh bien , voila tout-aa-fo.s le thermometre & le réfultat d'une bonne leg.slat.on. On entaflé les raifonnemens a perte dc vue. Lepayfan a-t.il la poule au pot ? Vétat cli luen admm0: ne Pa-t-il pas ? Mat tf mal gouverne. Rois travaillez pour faire entrer fa poate au pot, vo.Ia votre vraie gloire ' Ie ne fais pourqnoi M de Voltaire s'obftine a trouver ceïe cxpreflion triy.ale.ee que fes copiftes n'ont pas manque de repeter. L'auteur de la Henriade au rajt.il voulu que Henri IV eüt fait une periode fnvph & vra.e, telle que le cceur 1'a diclie. J'ai voulu la confucrer comme une des plus belles qu, foient tort.es d'une bouche royale. Charles IX zr^Lqs:^r5des chiensde chafre&  D E LA LIGUE. 7* la, mon ami, la joie, la fanté, la force, la population, les bénécMions envoyées au ciel, & qui retombent fur la tête des rois. . . AUez , j'ai bien vos maximes dans le cceur. S u l l i. Généreux prince, ayez conftammerit le courage de faire le bien;car il eft toujours difficile a faire , au milieu de ces hommes avides, de ces courtifans orgueilleux, qui ne voient qu'eux & jamais le peuple... Henri. Ne me cachez jamais la vérité , mon cher Rofny. Je la defire , je la cherche, Sc me crois né pour 1'entendre. S u l l i. Sire, je vous prouverai mon dévouement abfolu, en ne vous déguifant jamais rien de ce qui pourra intérefler votre gloire ou le bonheur de vos peuples. (11 fort.)  74 LA D E S T RU CTI O N S C E N E I V. Henri, feul. V V O i L a 1 homme qui m'aidera a porter Ie fardeau de la royauté; il ne flatte pas, il eft févere; tant mieux. II aura Ie courage de me repréfenter mes fautes; il n'y 3 qu'un ami qui puiffe fe charger d'un tel emploi. Graces a Dieu, j'en ai trouvé un. . . Dans quelle fituation je me trouve ! Obligé tout - a - lafois de tirer 1'épée & de feindre aux pieds des autels, il faut conquérir tk fauver en même tems mon royaume ! Quel fiecle! Le fecerdoce combat la royauté ; le fanatifme tïent fon poignard fufpendu fur ma tête , Sc paroit ne pas vouloir manquer fon coup. Un pape m'ordonne d'un ton abfolu de defcendre du tröne. Mayenne , les Seize , le rufé Philippe, ( 1 ) les décrets de la Sorbonne Langlois. La garnifon les égorge. B i r o n. Et les prêties fouffrent de telles horreurs ? Langlois. Les prêtres appellent ceux qui meurent des martyrs. B i r o n. Et ces infortunés fo croient tels > Langlois. Xeux qui furvivent parient de la gloire de les imiter ; on promene le faint facrement dansles rues, pour fortifier les courages. Voila le pain qui les nourrit. Si un homme tombe dans la foule en expirant de beibin , encore une ame dans le del, s'écrie le prêtre , 'tér ioulfleï-vous-en anc moi. Venei, mes amis ; F  Bi LA DESTRJ7C7I0N tcuchons tous fes vêtemens, & prions-le d'interccderpour nous. B i r o n. Pauvre patrie !... L'humanité fainte a de'ferté les autels; oü s'eft elle refugiée ? ,,Langlois. Dans le cceur de Henri. SCÈNE VIII. HENRI, BIRON, LANGLOIS. H e n r i, d Langlois. JPrends cette bourfe & cette lettre. L'argeat pour toi, la lettre pour Briftac. Langlois. Je ne prendrai ni 1'un ni 1'autre. Henri. Pourquoi ? Langlois. J'expofe ma vie pour mon roi avec plaifir, même avec joie. Je ne Ia, vendrois pas pour  DE LA LIGUE. 83 tout 1'or du monde. Si vous me renvoyez a M. de Briffac , j'y retourne , mais fans lettre. Henri. Sans lettre ? ... Langlois. Oui , je ferai arrêté , interrogé , fouillé.. .. Dites-moi ce que vous voulez qu'il fache ; il le faura de vive voix... Songez que, quand j'aurai votre fecret, j'en ferai plus maitre au milieu des tourmens , que la famine n'eft maitreffe des entrailles qu'elle dévore. Henri, après un Jlknce. Ami, je fens en ce moment que je ne fuis pas fi grand que toi. La nglöis, s'ïnclinant. Henri fera toujours le héros de la France ; ck mon premier devoir eft de mourir pour elle ck pour lui. Henri. Eh bien ! dis au gouverneur que Henri favoit bien qu'il auroit toujours lieu de chérir M. de Briffac autartt qu'il Fa conftamment • F ij  $4 LA D ESTRUCT10 N eftimé... ( A voix ba/Je.) Ajoute que j'arriverai demain a la porte S. Denis a quatre heures du matin. Langlois. A quatre heures du matin ? ... Cela iuffit, Sire , je lui rendrai vos propres paroles. Henri. Echappe aux gardes , aux efpions. Langlois, avec une modejle & noble fermeté. J'échapperai. (i) ( i ) On a voulu conferver le nom de eet officier de ville , attaché a la caufe de Henri. L'hiftoire ne négligé que trop les noms obfeurs, pour tout attribuer aux noms connus. C'eft au philoi'ophe a rendre enfin juftice a qui elle eft due. Langlois contribua tout autant que Briflac k 1'entrée de Henri , & Ion nom ne doit plus être léparé du nom qui a prevalu fous la plume des hiftoriens toujours attentifs a flatter 1'homme en place. Langlois paroit même avoir fervi Henri d'une maniere plus ddïntéreffée & plus noble.  DE LA LIGUE. 8f SCÈNE IX. HENRI, BIRON. Henri. Eh bien , mon ami, que dites-vous de eet homme - la ? B i r o n. Sire , je ne fuis pas encore revenu de mon étonnement; mais il faut qu'il foit né quelqu'un. Henri Quelqu'un! C'eft un Francois! Vous aufli vous auriez 1'injuftice commune a tous les grands, qiri ne veulent croire a l'élévaüon des fentimens que dans les rangs les plus diftingués ? La générofité , la noblefle, la franchif'e appartiennent auflï aux claffes inférieures. Je 1'ai éprouvé plus d'une fois. J'ai trouvé des fecours dans la plupart de ceux que 1'orgueil dédaigne. Oui, oui, c'eft le peuple qui eft franc, qui oblige & qui aime... Je vois que F iij  86 LA D EST RUCT1 O N vous ne connoiflez point la nation. Non, mon ami, non, vous ne connoiflez pas ce bon peuple. II eft léger , mais fincere; il eft fur-tout fenfible, &il m'adoreroit, s'il pouvoit deviner ce que je fens pour lui Je vous 1'avoue : fi je n'étois jaloux de fon amour , de cette 'affeétion vive qu'il fait fi bien témoigner, fi je n'avois formé le plan de répa-? rer fes malheurs, de le rendre heureux , ne croyez pas que je tinfTe contre le tourment d'en voir périr un fi grand nombre j mais il s'agit de prévenir le démembrement du joyaume. Sans ce puiffant motif, certainement, très-certainement je leverois le fiege , & m'en irois vivre dans mon petit royaume de Navarre. La , je ne voudrois pas de grands a ma cour , excepté deux ou trois que vous êtes, & que je me plais a reconnoitre comme m'étant vraiment attachés ... Le refte ... ah ! Ie refte Savez-vous que Ie plus infortuné des hommes , le plus trompé, le plus ennuyé, feroit le fouverain qui ne feftSt eiiyironné, qui ne régneroit que fur dö  D E LA L 1 G U E. 87 grands feigneurs ? Mais en voila affez ladeflus ... Donnez ordre que les généraux fe rendent ici. SCÈNE X. Henri, f^L QtuEL eft donc le terme fixé par la Providence aux défaftres de ce royaume ? ... O Dieu, qui lis dans les cceurs , tu vois le mien! Si la couronne affertnie. fur ma tête peut fauver eet état divifé, en proie a 1'étranger, ck commencer le repos.de la France, fais que je regne, 6 mon Dieu ! que j'anéantiffe les projets de la cour d'Efpagne', que j'opere la diffolution entiere de la ligue! Si au contraire ,1a mofleiTe, 1'infenfibilité, 1'oubli de mes devoirs devoient me faifir fur le tröne ck corrompre mon coeur ( en ce moment fenfible ck voulant le bien ) , fais que je n'y monte jamais ! Fais y afteoir 1'homme le mieux né pour gouverner la nation, ck lui F iv  88 LA DESTP.UCTIO N rendre fon cara&ere & fa gloire !... C'eft le moins indigne de ce rang fuprême , qui, aux yeux de ta juftice , doit 1'occuper. SCÈNE XI. HENRI , LES CHEFS DE L'A R M É E. He n r i , aux Chefs. ]VÏes amis , que chacun de vous fe rende a fon pofte Vous ferez avancer les trou- pes pendant Ia nuit, mais dans le plus grand filence. Mefurez tellement votre marche, que vous ne vous préfentiez qu'a quatre heures du matin aux portes de Paris. Une ombre favorable couvrira nosarmes. La, vous donnerez le fignal que j'indiquerai. Si les portes s'ouvrent , fi les barrières tombent , vous entrerez en filence ; vous paflerez dans les rues en ordre de bataille , mais les tambours muets, en vous emparant des places  DE LA LIGUE. $9 & carrefours. . . Défarmez ceux qui réfifteronf, mais épargfcez le farlg francois ! & que ce foit plutót un triomphe pacifique qu'une entree militaire. Songez que les Parifiens font mes enfans, & faites qu'il ny ait point d'autres violences commifes que celles que la plus grande néceffité pourroit autorifer. Un Chef. Sire, nos vies font a vous , Sf nous répandrons notre fang avec joie. Mais nous fongeons aux périls de 1'entreprife. II ne faut qu'une barricade pour couper toute comraunication. Une main forcenée pêut mettre en mouvement tout ce peuple & caufer un affreux maffacre. D'ailleurs, la trahifon fut de tous tems 1'arme favorite de la ligue. LailTeznous les dangers , Sire •, & quand nous aurons établi nos potles, votre majefté s'avancera au milieu du corps de fa nobleffe. Henri. Mes amis , je dois être le premier a la charge, le dertüer a la retraite Je com-  oo LA DESTRUCTION bats pour ma gloire & pour ma couronne. Un autre Chef. Votre courage, Sire, nous fait trembler. C'eft a nous a mourir pour vous; a vous, Sire , de vivre pour régner fur la France ; & nous ofons dire que ce vous eft un devoir, Henri. Eh bien ! le tout entre vos mains. ... Je veux que les plus déterminés ligueurs perdent leur férocité en ma préfence. C'eft au moment que je ferai maïtre de la capitale & que je pourrai me venger d'eux , qu'ils reeonnoltront que mon cceur eft porté naturellement a pardonner a fes ennemis. Un autre Chef, d demi - voix. Puifle-t-il ne plus fetrouver de ces monftres fanatiques , s'éiancant de 1'ombre des autels , pour fignaler leurs religieufes perftdies!  DE LA LIGUE 91 SCÈNE XII. ACTEURS PRÉCÉDENS, UN NOUVEAU CHEF. Le nouveau Chef. Sire , les Pariliens échappés ou renvoyés de la ville , & fauvés de la famine par vos bienfaits, demandent a porter a vos pieds les témoignages de leur amour & de leur reconnoiffance. Henri. Qu'ils viennent tous a moi! Que ne puis-"]e lesarracher tous a la mort, au prix de mon fang ! II eft bien tems que mes fujets refpirent après tant de calamités ! Seront-elles éternelles, grand Dieu ! Puiffe le feu de la guerre civile s'éteindre pour jamais!  92 LA DESTRUCTION SCÈNE XIII. HENRI, LES CHEFS DE SON ARMEE , FOULE DU PEUPLE. foule du peuple. c UIRE , ayez pitie de nous , ayez pitié de nous, Sire ! . . . Une Voix qui do mine. Vous êtes bon; ne nous laiffez pas mourir. Une autre Voix. Oui, vous avez un bon cceur. .. Faitesnous encore dpnner du pain ; que nous en portions k nos femmes, a nos enfans , qui pleurent, qui Ianguiffent , qui périfient. Une autre Voix. Vous aimez les Parifiens, fauvez-les, fauvez - nous tous! H e n r i. Mes amis, la ville aura des fecours; je lui ai envoyé des vivres, je lui en enverrai encore.. . la famine cefferai  DE LA -LIGUE. 9; FOULE du PEUPLE. On nous tue clans la ville , & 1'on ne nous laiffe pas fort». Nous n'elpérons plus qu'en vous, nous n'elpérons plus qu'en vous! Un Homme du peuple. Au moment oü je vous parle, Sire , H n'y a perfonne clans Pari-s qui n'ait des morts ou des mourans dans fa maifon. U n AUTRE. Nous ferions morts comme eux, fi vous n'aviez eu pitje de nous. U n AUTRE. Ils mourront tous jufqu'au dernier dans la ville , fi vous ne prenez pitié d'eux , comme vous avez pris pitié de nous. Henri. O mes enfans, mes enfans!... je fauverai la ville, & malgré elle... je vous le promets. FOULE du PEUPLE. Sauvez nos peres, nos meres, nos freres, nos enfans! lis font Francois. . . Hs vous béniront. . .  94 LA D EST RU CT10 N Un Homme du peuple. Ils vont périr fi vous ne les fecourez. .; C'eft un mlracle fi nous vivons. U n autre. Oui, Sire , ils font réduits a broyer les os des morts pour en faire du pain. U n autre, jetant au roi un morctau de pain. Tenez, Sire, voyez par vous - même, en voici un morceau... U n autre. Ne vous a -1 - on pas caché , Sire, qu'une malheureufe mere avoit roti fon enfant?... Henri, fe cachant le vifage. Vous m'arrachez les entrailles, mes amis; arrêtez. ,. Toutes ces horreurs vont cefïer... Je fuis auffi malheureux que vous 1'êtes; je fouffre a moi feul tous les maux des habitans de cette ville. . . Us finiront... Un Homme du peuple. Nos maux finiront, dit Ie bon roi, nos maux finiront!  D E L A L 1 G U E. 95 Henri. Oui, je vous le jure devant Dieu, vous aurez bientöt la paix. foule du peuple. Nous aurons la paix , nous aurons la paix, dit le bon roi. Henri. Oui, allez porter aux votres ck des confolations ck des fecours. (A fes Officiers.) Que 1'on donne du pain a tous ces infortunés; qu'on leur en donne en abondance -, en en abondance, entendez- vous? ck qu'ils le partagent avec tous ceux'qui fouffrent. Un Homme du peuple. Vive le bon roi qui nourrit fes ennemis ! Cri du peuple. II nous donne du pain 1 II eft catholique. Autre Cri du peuple. II nous donne du pain; il doit régner. Autre Cri du peuple. II n'eft point huguenot ! Prions Dieu pour lui ! . . .  p6 LA DESTRUCTION Cri général. Viv'e le roi! vive le roi! vive le roi! Henri , raitrant dans fa ttnte & s'effuyant les yeux. Que Dieu difpofe de moi felon fa volonté ! II faut dans vingt - quatre heures que la vdle foit fauvée , ou que je renonce k Ia couronne. AL.lt,  D E LA L I G U E. $7 ACTE III. Le thbatre repréfente la maifon d'Hilaire, SCÈNE PREMIÈRE. LANCY , UN OFFICIER. Jls font enveloppés tous deux d'un large manteau qui les déguife ; on appergoit qu'ils font chargés de pains. Ils paroifent fatL gués. Ils entr'ouvrent leurs manteaux en entrant. Lancy. uelle défolation répandue dans cette? ville! . . . Encore perfonne ici! ... Plus 'de parens ! . . plus d'amis! Tous les Iiens de la tendrefle 5c de 1'araitié font rompus..; J'ai parcouru tous les lieux oü je pouvois la rencontrer. . . Vaines recherches! Grand Dieu , n'eft - elle plust Voici la vingtiem* G  98 LA D ESTRU CT I O N maifon que je vifite : & qu'ai - je vu ? quel fpeétacle d'horreur ! Des couleuvres & des ferpens engendrés dans les décombres de ces demeures défertes , & qui rongent les cadavres reftés fans fépulture. . . . Ceux qui vivent reffemblent a des fpeftres. N'avonsnous pas traverfé des rues oü des infortune's couchés fur le ventre broutoient 1'herbe rare , a Fexemple des animaux ? Quel courage ou quelle opiniatreté anime donc ce malheureux peuple ? L'Ofbicier. Autant nous fommes touchés de compaffion fut le fort des affiégés , autant kurs tyrans fe montrent infenfibles. Le murmure & la plainte leur font défendus. Ils réfervent leurs gémiffemens pour le filence des ténebres , dans la crainte d'être punis comme réfraftaires aux ordres qui défendent de demander la paix. Lancy. Ils veulent éternifer la guerre ; mais ces prêtresqui 1'ordonnentne combattent pas..,  DE LA LIGUE. 99 O ma fille , ma fille ! oü te trouverai - je !. . Arriverols-ie trop tard ! . . Mon ami , je vous fatigue, en vous aflociant a mes dernieres recherches; mais pardonnez a ce cceur paterne!; U pounuit les traces de Ion enfant... Elle n'eft pas ici. . i Dieu ! oü eft-elle? L' O f f I c I e r. Le chemin que nous venons de faire eft pénible 5 je 1'ai entrepris fans peine pour un intérêt auffi cher. Mais fongez auffi , que fi le roi confent a ce que 1'on porte des vivres k ces infortunés , il ne veut pas que 1'on s'abfente trop long-tems. Lancy. II me faut donc délefpérer de pouvoir la fecourir ! Helas! elle expire peut - être de befoin dans un coin obfcur de cette ville, tandis que j'ai la de quoi lui -racheter la vie. . . La bonté de Henri fera donc infructueufe envers ce que j'ai de plus cher au monde ! . . II m'a fallu 1'image bien préfente de ma fille , pour ne pas jeter tout ce pain k cette foule de moribonds qui ache- G ij  100 LA D ES T RUCTIO N voient d'expirer en fe gorgeant d'une nourriture infefte. ... o mon ami, quel moment pour mon cceur, fi je la retrouvois! Quelle joie de la ferrer contre mon feln , de voir fon front reprendre fes couleurs , de la contempler renaiffante entre mes bras! Je ne voulois que eet inftant. .. Le ciel me Ie refufe, & il faut abandonner cette ville fans pouvoir du moins embrafier fes triftes reftes. . . Mon devoir m'eft bien dur; & il n'y a qu'un roi comme le notre pour qui 1'on puiffe faire de tels facrifices. L'officier , montrant la chambre voijint. J'ai cru entendre de ce cóté quelques gémifiemens étouffés. . . Parcourons toute cette enceinte , & retirons - nous, fi nous n'y trouvons pas 1'objet de votre tendreflc alarmée. Lancy. Je n'avance qu'en tremblant, je redoute le plus grand des malheurs. Je la demande ck frémis de la rencontrer. . . (Ils entrent dans la chambre, & après u%  DE LA LIGUE. 101 ctrtain intervalle , on voü paroüre Hilaire p£re Juivi de 'fa femme & de Mlle. Lancy. ) SCÈNE II. HILAIRE pere, Mad. HILAIRE, Mlle. LANCY. Mad. Hilaire, dans le plus grand dêfordre & le plus grand défefpoir. RevenONS mourir ici, cher époux.. . Les barbares! eft - ce ainfi qu'ils foulagent I Ah! qu'ils égorgent plutöc, ils feront moins cruels. Quelle eft donc cette horrible invention de leur déteftable génie ? ., Dieu! je me meurs. . . Hilaire pere. Ma femme ! ils en ont frémi les premiers... Mais la néceflité les contraint comme nous. Mad. HlLAlRE, avec force. La néceflité ! Expirons cent fois avant cjue d'v toucher ! Quel abominable outrage G iij  ioi LA DESTRUCTION fait a la nature! . . Dieu ! . . J'ai cru entendre crier dans mon fein. . . Voila donc ceux qui fe difoient nos amis , nos protecteurs ! . . Ils appëllent des bienfaits ! . . Ils ont pu ! . . L'oferoit - on imaginer ! . . Horr b'e mets que tout mon caurarepoufle encore plus que ma bouche , c'eft ton fouyeni. qui me rend la mort douce Sc defirable ! Hilaire pere. Vois Ia main vengereffe du ciel appefantie fur cette ville , puifque les miniftres des autels ne font pas étrangers a de tels défaftres. Mad. Hilaire. Eux ? Ah , je commence a voir & a croire ! . . Allez , ils ont pêtri pour nous _ cette paté exécrable , compofée d'offemens humams , arrachés aux cimetieres; mais ils vivent dans 1'abondance, en nous contemplant mourir d'un ceii dérifoire ou indifférent. Hilaire pere. Plains - les , mais fans les outrager.. .  DE LA LIGUE. 103 Mad. H i l a i r e, Je dans les bras de Mlle. Lancy, & la tenant fortement embraffee. Ah ! mon fils , mon fils , oü es - tu ! Viens, viens affifter a mes derniers momens ! . . G'en eft fait; je ne puis plus foutenir la lumiere... Non , elle m'eft odieufe... Hilaire pere. II s'eft échappé malgré mes cris, ck je n'ai pu voir de quel eöté il a tourné fes pas. Mad. Hilaire. Ainfi il me faudra mourir douloureufement , ck fans pouvoir 1'embraffer encore une fois... Auroit - il touché de fes levres... Dieu! je fuccombe a cette feule image. . . Hilaire pere. Je vais me rejeter dans la foule, le chercher ck vous 1'amener. . . Ici du moins 1'on n'entend point les blafphêmes épouvantables de ceux qui perdeut leur ame , en cédant Lachement au défefpoir.. . Et la palme du ciel qui nous attend , n'eft - elle rien? . . , G iv  Ï04 LA DESTRUCTION Mlle. Lancy. Allez, mon cher parrain , allez. Ramenezle , fauvez- le; il fe perdra fans vous. Mes maux fembloient s'adoucir a fa vue; mais , puifque nous allons expirer , je vais vous révéler tout 1'amour que je lui porte ; il n'y a plus a diflimuler fur le bord du cercueil, & c'eft dans les bras de fa mere que j'avoue ce fentiment pur & caché au fond de mon cceur : vous le lui direz, je vous en conjure; c'eft dans cette idee feule que je confens k quitter la vie. . . Mad. H i l a ï R E. O ma fille ! que Ie ciel prolonge tes jours & retranche des miens! J'ai trop vécu oui , trop long-tems.... Mlle. Lancy. Mere infortunée , fouffrez-vous plus que moi? ... J'ai un pere que fon devoir entraine fous les drapeaux de Henri; il donne la mort ou la recoit ; c'eft a regret qu'il fait couIer le fang des Parifiens. ... O déteftable  BE LA LIG U E. 105 guerre civile, tu fépares donc les cceurs les plus faits pour s'aimer!... Hilaire pere. Indignes Francois , qui fervez fous uit princeennemide la religion, oppreffeurs de voscompatriotes, venez jouir de notre douleur; venez vous féliciter du fuccès coupable de vos armes! Et toi, cruel Lancy , qui as tiré 1'épée contre nous, viens favourer nos tourmens ; viens contempler ta fille dans les angoiffes de la crainte & les approches de la mort!... Je fuis plus humain que toi; je me fuis fouvenu que j'avois élevé fon enfance ; je lui ai ouvert ma maifon , je ne l'ai pas rejetée de mon fein. Que dis-je ! je la fépare de toi en ce moment, & je la chéris avec autant de tendreffe & d'amour que j'ai de haine pour toi.... (11 preft dans fis bras fon époufe & Mlle. lancy. On voit Lancy qui fort de la chambre voifine avec Cofficier.)  iccT LA DESTRUCT10N SCÈNE III. LANCY, HILAIRE pers, Mad. HILAIRE, Mlle. LANCY, L' O F F I C I E R. Lancy, la joh & la furprife fur le vifage. (/est elle ! mon ami, c'eft ... la voici... Je Tuis le plus heureux des peres Mlle. Lancy , fe précipitant dans fes bras. Mon pere !... je ne croyois plus obtenir du ciel cette faveur inficme. Hilaire pere, avec une pieufe indignation. Eft-ce bien toi que je revois en ces lieux ? Lancy, voulant Cembrajfer. Ah , mon ami! Hilaire pere , le repouffam. Moi, ton ami! Suis-je 1'ami d'un trairre a fa religion ck a fa patrie ? d'un homme qui s'eft rangé contre nous, qui nous affiege, qui  BE LA LI G U E. loj c~ombat fes concitoyens ? Toi, mon ami ! toi, foldat de Henri ! Lancy. Je ne fuis point traïlre a ma religion, ni a mes concitoyens.... Avant peu tu en feras convaincu. Refpefte le nom d'un héros que tu connois mal. C'eft mon roi légmme ; il doit être le vötre atous , & pour votre bonheur. Hilaire pere. Lui , qui nous enferme dans ces murs avec toutes les horreurs de la guerre & de la famine ! lui, auteur de tous les crimes qu'elles entrainent!.. . Lancy. Les vrais auteurs de la guerre civile font les impofleursquila perpétuent, qui ont fafcinó vos yeux.... Hilaire pere. Tranchons la. Que t'importe aujourd'hui notre exiftence, notre infortune? Sors, & laifle - nous mourir.  ioS LA DE STRUCTIO N Lancy. Non: vous ne mourrez point ... & toi qui fus mon ami, ton efprit eft droit, je le toucherai, je 1'efpere.. .. Hilaire pere , s'doignaxt. Ofes tu ?... après Lancy. Oui, j'ofe. ... Dis moi : quel eft le but de cette Ligue contre votre fouverain ? Qu'a* t-elle fait pour 1 etat ? Depuis trente-neuf années de guerre , c'eft-a-dire, de défolation , de ruines , de meurtres , d'incendies, de pillages, la France n'offre que plaies fanglantes, & force la pitié de fes ennemis les plus cruels! Ah ! il faut un roi comme Henri , pour la fauver du précipice oü tout 1'entraine. Tu connois bien peu fon ame, fi tu ne la crois pas fenfible. Tu n'as point vu couler fes pleurs , au récit de vos maux; tu ne fais point comme il les partage , Sc combien il fouffre de votre aveuglement. II ne peut fe réfoudre a prendre d'aflaut cette ville rebelle. II veut la préferver d'un carnage  DE LA LIGUE. io$r affreux; &fa fenfibUité va plus lob encore, il voudroit pouvoir nourrir la ville enl'affiégeant. II rifque fa vidoire, il hafarde fon tröne, en laiffant paiTer fecrétement des vivres. "Hilaire pere. C'eft en vain que ta voix infidieufe cherche anous perfuader des bienfaits imaginaires.... Regarde autour de toi; ou eft donc le témoignage de cette prétendue démence? Réponds.... Lancy. Mon arrivée en ces lieux.... Si tu me vols en cette ville , apprends que c'eft par fa permiflion. Cet ami & moi, nous fommes venus tous deux, chargés de pains pêtns en fa préfence, arrofés de fes pleurs, & que je viens de dépofer chez toi, prés de ta mere. Hilaire pere. Quoi! des alimens, & de fa main!.. Nous «urions la des alimens ?... Ma mere auroit... Lancy. Je ï'ai trouvée défaillante , Si j'ai cu le bonheur de la rappeller a la vie»  Iio LA DESTRUCTIO N Hilaire pere , avec le cri de Fame. Tu m'as rendu ma pauvre mere!... toi! L a n c y. Oui, allez vivre tous , en béniffant le roi qui vous donne la vie ! Ce pain a été fait, vous dis-je, fous fes yeux, & il y a mêlé fes larmes. Ce n'eft pas la feule grace qu'il deftme a fes enfans. Vous verrez d'autres effets de fa générofité. Elle embraffera tous ceux qui reviendront k lui ; il ne veut que le repos de la France ek fa félicité ... Mais cachez ces provifions k la recherche avide du foldatque vous payez pour vous défendre, ck qui erre néanmoins dans la ville qu'il met au pillage, le fer ck les flambeaux k la main Tant que le fiege durera, je veillerai k votre fubfiftance Hilaire, voila comme je ré- ponds k tes outrages! Hilaire pere. Je demeure confondu ! O mon fils, oü estu?.... L'Officier, rompue; les autorités fubalternes & les dojninations arbitraires dévorant tout & remplacant la majefté royale. O mon ami ! il étoit ému jufqu'aux larmes, en déplorant ces vites erreurs de la fuperflition qui dénature 1'homme. Mais elle a transformé vos Ügueurs en tigres cruels : fanatiques , cupides, intéreffés au défordre, ils ont foif du pillage & des déprédations; ils fe font vendus a 1'étranger , & n'appercoivent pas même 1'éfclavage qui va les enchainer. Allez, un jour viendra que vous regretterez , mais trop tard , d'avoir écouté ces organes d'impofture, ces miniftres de défolatioös.... Je ne puis ett dire davantage ... Adieu , ma fille. H  tï4 LA D Ë S TRt/CTION Mlle. Lancy. Et vous nous abandonnez , vous notre libérateur !... Encore quelques inomens... de grace LANCY, avec tendrejfe. Crains , ma fille , crains de faire perdre 2 ton pere , en un feul jour, trente années d'honneur. Je cede au devoir ; cedes- y a ton tour. Epargne - moi tes larraes , ou répands-les fur cette malheureufe cité. Et vouss mes amis , barricadez-vous , & mettez vos provifions a 1'abri du foldat féroce. On lui a donné le droit de dévafter, & vous ne pouvez réprimer le défordre affreux qu'il exerce en vos propres murs. ... Ah ! revenez au bon roi; je vous y exhorte au nom de la paix ... Adieu. Puiffiez - vous m'entendre ! ( 11 fort avec Vofficier, & 1'on ferme la porte que lxon barricade enfuiee. )  DE LA LIGUE. 115 SCÈNE IV. HILAIRE pere , Mad. HILAIRE grand' - mere , Mad. HILAIRE, Mlle. LANCY. Hilaire pere. O PrOVIDENCê! préferve-nous de ce dernier malheur! .. La foi feroit perdue... Mais , mon fils ne revient point. . . Pourquöi ai - je perdu la tracé de fes pas ! . . . Nous avons de quoi. . . (On voit dans lnfond la grand'- mere Hilaire qui s avance , portant des pains dans fon tablier. Mad. Hilaire la foutient. ) Mad. HlLAlRE grand'-mere. Mes enfans , venez partager ce bienfait inattendu. C'eft le ciel qui vient de nous I'cnvoyer par les mains du généreux Lancy; 11 nous fauve la vie a tous. .. Mais, jene vois pas mon petit - fils. Le cher enfant nous manqu<\ Prenez une nourriture dont vou& Hij  l\6 LA DESTRUCTION (levez avoir tous grand befoin, & puis vous irez le chercher, de peur que fon courage imprudent. . . Je veux le revoir. HlLAlRE pere, prenant les pains & les dijlribuant. Et vous , ma mere, vous qni avez du* fourTrir plus que nous, prenez. Mad. Hilaire gtand'-mere. Lancy a pris foin de moi. . . mais je crains d'avoir furpafïe mes forces. Cette nourriture prife trop précipitamment. . . Je fens Ia ( en mettant la main fur fon eflomac ) un poids. . . Et toi, ma chere Lancy ,ne te laifie point abattre. .. Mlle. La n c y , tenant un morceau de pain. & tarrofant de larmes. Non , je ne puis. .. je ne puis. . . je ne mangerai point qu'il ne foit de retour. Je ne confentirai a vivre que quand je le reverrai, Mad. Hilaire. Ma mere , ce bienfait nous devient inutile , fi le ciel ne nous Ie ramene pas.  , DE LA LIGUE. 117 HlLAlRE pere, s'arrctant. Oui, ma main tombe; ma main ne portera aucun aliment a ma bouche , tandis que loin de nous , mon fils fouffre. . . Je ne veux pl«s de ces fecours , s'il ne les parta^e. . . Le cruel! nous quitter au moment oü la Providence nous exauce. . . Ah ! fon intention étoit bonne: il vouloit nous foulager. . . Le ciel m'a donné un bon fils. Au péril de fes jours , il fe précipite dans quelque danger pour nous rapporter de quoi vivre. Mais qu'entends - je ? on monte ; qui vient ici ? Ce font des voix confufes. ( En étoufant un cri. ) Ah ! mon Dieu 4 mon Dieu ! ce font les Suiffes. . . Qu'allons nous devenir • . . Mad. Hilaire. Les Suiffes ! . . Nous fommes perdus. (On entend plufieurs voix confufes & ter- ribles qui difent:) C'eft ici , c'eft ici. En es - tu bien fur ? — Je te le dis. Oui , c'eft ici ; je ne trompe point. —: Entrons. — De force ou de gré. H iij  iiS LA DESTRUC T10N SCÈNE V. ACTEURS précédens , SUISSES armis de fabres & portam des fiambcaux, Des Voix menacantes. O v>r v v r e z J ouvrez. . . ouvrez a fin* tant même. . . Bs fe font enfermés, bon figne.. AHons , k toi. .. V-ite. La hache ici.., Brifons , coupons , enfoncons les portes. C On entend les coups de hache qui briferj les portes. ) Redouble. . . Alions, bien. .. Encore. Bon... Dépêche - toi. . . Nous y voila... tout va tomber. Hilaire pere. Cachons notre pain. (II le cache & en mange quelques morceaux.) Mad. Hilaire. J'expire de terreur. . . \\s brifent les verroux, rompent les barreaux, détachent les gonds. . .  D E LA LIGUE. n9 Mad. Hilaire grand'-mere. Cachez-vous dans ma chambre. . . Je m'oppoferai feule a eux. . . En me voyant, ils auront peut-être pitié de mon age. HlLAlRE, errant fut la fiene. Dois-je m'armer.... exciterleur fureur... ou iupplier ces barbares ?.. ( La porte tombe ; les Suiffes entrent , armés de haehes , de moufquets ,& portant des fiambeaux. ) Mad. Hilaire , Mlle. L a n c y , premier afpeil. Mon Dieu ! . . mon Dieu!. . Ciel ! miféricorde! . . Quels fronts ! Le premier Suisse. Gardez de réfiftër. . . Votre pain, votre pain, ou la mort. Hilaire, qu'on faifit. Barbares , nous en manquons. Autre Suisse. C'eft ce que nous allons voir. Autre Suisse. Eft-ce bien ici? . H w.  ïio LA DESTRUCTION Autre Suisse. Oui, oui, te dis - je. . . Je les ai vu entrer tous deux; ils portoient du pain fous leurs manteaux; c'étoient deux officiers. . . Je les aurois bien attaqués , mais j'étois feul alors. Autre Suisse. Bon ; furretons. . . Vifitons tous les coins & recoins. Autre Suisse. Suivez-moi, vous, dans cette autre cbambre. . . & que rien n'en forte. (Mad. Hilaire grand'-mere ejl d la porte de cette chambre ; un Suife la renverfe. ) Paflons, paflans, voyons par - tout. HlLAlRE pere , relevant fa mere. Inhumains! qui ne refpe&ez point la vieillefTe, eft - ce a notre vie que vous en voulez ? Je fuis défarmé. Satisfaites votre rage, Mad. Hilaire. Laches brigands ! qui défolez la ville au lieu de" la défendre , eft-ce pour de pareils attentats'qu'on vous a payés ? Sont - ce la, les  DE LA LIGUE. ui fecours que vous devez aux citoyens ï U n Suisse. Voila de belles raifons f XI nous faut des vivres , entendez-vous, de gré ou de force. Plusieurs Suisses, tnmvant du pain dans la chambre voifzne, avec une joie férocc. Camarades, en voici... en voila, camarades! ... en voici, . . TJn autre Suisse. Bonne trouvaille , ma foi. (Voyant les pains quon apporte.) Ah , ah , ah! Bon, bon , bon! . . • Bonne capture. . . Mad. H i l a i r e , d genoux , avec Mlle. Lancy. Ah ! partagez avec nous au moins ; ] ai une mere, j'ai un fils. . . une mereagée... fes cheveux blancs. . . U n Suisse, le fabre nu fur leurs têtes. N'en cachez - vous point ? ( H les fouiüt.) Par la mort! . .. Mad. Hilai r e , Mlle. L a n c y, d*m mortes de peur. Vous voyez.,.  ui LA DESTRUCTION Le même SurssE. Cel! qu'il en faut, & pour nous, & pour nos camarades qui font a 1'autre bout de Ia ville a faire Ia même expédition; nous nous réjoindrons , & c'eft avec eux que nous partagerons. . . Hilaire pere. LaifTez-nous un feul pain... un feul... Regardez cette femme courbée fous le poidj des années. . . C'eft ma mere. . . Prenez pitié d'elle au moins, refpeftez fon age. Plusieurs Suisses. Emportons tout. — Vraiment , voila de belles paroles. — Nous n'en avons pas encore aflez pour nous & les nótres. Hilaire pere, fe relevant. Tuez - moi fur la place, ou rendez- mos un feul pain. Un Suisse. Allez, vous êtes bien heiireux encore d'en avoir, & nous ne vous laiftbns la vie, que par ce qu'en enfon$ant vos portes, nos  DE LA L 1 G U Ef 12$ peines n'ont pas été mutiles ; car fans cela... point de quartier. HlLAlRE pere , avec la fureur du défefpoir. J'en aurai, barbares'-, i'en aurai, ou vous me tuerez. . . Tuez , tuez- moi. .. ( U fi jette fur eux pour avoir un pain , les femmts fi jettent entre lui & les Suifes; les Suiffes le repouffent & fourient de fa foibleffe. ) Plusieurs Suisses. Laiffe , il peut a peine fe foutenir. . Epargne - le , nous fommes les plus forts. ( Un jeune Suijfe jette du pain a la jeune lancy , comme touché de fon état. Un vieux le ramaffe, en lui difant d'un ton dur:) Que fais - tu ? . . . Eft - ce ta fceur ,. . dis? &c n'ai-je pas la mienne ? Le jeune Suisse, gémijfant. Je ne puis rien. . ,  114 LA DE STRUCT ION SCÈNE VI. HILAIRE pere , les deux dames HILAIRE , Mlle. LANCY. Tous quatre fout accablés & dans des poflures différentes. Mad. Hilaire. Dans quelle extrêmité plus horrible fommes - nous retombés ! Mlle. Lancy. O mon pere , ne nous aviez - vous donc apporté ce pain , tréfor fi rare , que pour qu'il nous fut ravi 1'inftant d'après par ces barbares ! Hilaire pere. Mon courage eft abaltu. . . Tant d'adverfités m'accablent enfin. . . Je n'y réfifte plus. . . O nouveau fpeftacle de douleur !. . Ma mere. . . Elle eft comme anéantie. (Ils prodiguent tous leurs foins A la grandmere,)  d e la l i g v e. tij Mad. Hilaire grand' - mere. Ah, mon fils ! k peine puis-je parler. . 2 Dieu m'exauce. . . Jemourrai dans vos bras. Hilaire pere. Si vous mourez , nous vous fuivronsJ Mad. Hilaire grand' - mere. J'ai fini ma carrière; mais la votre doit s'étendre : 'j'ai quelque chofe d'important k vous dire, & je ne fais fi j'en aurai le tems &laforce. .. 11 faut que je vous éclaire... Les momens me font précieux. Hilaire pere. De quoi voulez-vous parler , ma mere? Mad. Hilaire grand'-mere. Tu auras peine k le croire; ta bonne-foi, ta candeur.. . Mes enfans , j'ai entendu . . Ecoutez-moi, mon fils. Ici k cette place même. . •  H6 LA DE STRUCTION SCÈNE VII. ACTEURS précédens, HILAIRE fils, Hilaire fils, dans la doukur V V ous me revoyez . . . hélas ! & je ne vous apporte aucun fecours. .. Mais... Hilaire pere. Ah, mon fils, d'oü viens-tu? Mlle. Lancy. Graces, Dieu puiflant, qui nous 1'as rendu» Mad. Hilaire. Pourquoi t'es - tu féparé fi long-tems de nous? Hilaire fils. Ah , ma mere, vous dirai - je ce qui m'eft arrivé ! En aurai - je Ja force ? J'ai couru aux remparts de la ville. J'avois appris que 1'ony diftribuoit des fecours. O quel étonnement! les afliégeans nourriffoient les affiégés , & c'étoit par ordre de Henri. J'ai crié aux földats , « mes amis, donnez-moi du pain pour une  Ichéri, pour une mere tendre , pour une „ fille célefte,dont lepere eft pan» vous, " » pour la fille du généreux Lancy . . V l mt zrace, donnez - nous du pain , «ftému.ilme pnifente »n p».» a» 1»» . « ,ecaehe;je le p?effe fe <°°° °»>? vole pour vous rappeer... D« fcto,feoJ.qui «ren. da» ceue ville, fe.e.teut T J.MaWeeumataAmedepoudfc, M eubeau défeudre votre *_> ;Klafeeurdudéfefpoir;ilsou.devore Lues ye«. «pain quUevo.ttele foute J^^^*y.TP,,,fc no J«les feees pour aller ravulanoru- nM,e a Wauce & Ua vredleffe ■ Pe» karmpor,e„tleserl,,lespn=res&leU« mes;asfourpr&safa»eco»lerle6ug, Üft dans norrevdleq». les a appelles , ,ui les foudoie, ,uhabiten. ees ennenus  n8 LA DESTÏtUCTlON inteftms , plus dangereux, plus cruels que Ceux qui écrafent nos murailles. Hilaire pere. Ah , mon fils ! que me dis - tu ? Ils font entrés ici de méme; ils ont tout enlevé. .. Le ge'néreux Lancy nous avoit apporté la vie... C'eft la mort qui nous refte. Hilaire fils. Le brave Lancy a paru dans ces lieux ? (A demi. voix.) Ah , que ne 1'ai-je fu, Sc que ne 1'ai - je fuivi! . . Hilaire pere. Regarde . .. vois ces gouds abattus, ces verroux forcés , cette porte brifée , tout le défordre de ces lieux.. . Notre mere en eft demi - morte d'effroi. HlLAlRE fils, dun ton ferme & dècidé. C'eft donc au malheur qu'il appartient de nous éclairer! ... Ah , mon pere ! j'ai vu le tableau le plus hornble. . . Mais de quelle horreur précieufe & falutaire il a pénétré mon ame !.. Je Pofe'rai dire, on nous trompe, on nous abufe ; nous fommes féduits. . . HlLAIB.E  DÉ LA LIGUE. m Hilaire pere. Que dis - tu ? H i l a i b- e fils. C'eft dans un indigne efclavage que U ligue prétend nous retenir. Donnerons-nous les mains k notre propre fervitude? Sortons de eet état de mifere & de lacheté. . . Que le fceptre enfin foit remis aux mains du roi iégitime. i ; Hilaire pere. Eft-ce mon fils qui parle ? Ciel! H ï l a i r e filsHenri eft doué de toutes les qualités róyales. II faudroit le choifir, quand même les loix fondamentalesduroyavrme ne nous 1'auroient pas donné. Allez , tout mon clefir aujourd'hut eft de le voir entrer triomphant dans cette' ville aux acclamations de tout fon peuple. H i l a i r e pere. Comme la mifer.e & 1'infortune font chaiï-ger de langage! .. Tu es dans le délire , moncher fils... i  130 LA D E ST RU C riO N Hilaire fils, impétueufement. Non , c'eft plutöt. . . Les ligueurs , vous dis - je, font des barbares & des importeurs qui fe moquent tout bas de notre crédulité. Eh, quels fecours abominables ont-ils ofë vous offrir , eux qui fe difoient vos amis I Répondez. . . Hilaire pere. Ils fouffrent comme nous. Réduits k Ia même extrêmité , que peuvent-ils dans cette effroyable difette ? Hilaire fils. Allez, elle n'exifte pas pour eux. Hilaire pere. Ne perdons pas du moins la conftance & la foi. Faut - il devenir coupables paree que la faim nous confume ? & pour quelques courts momens qui nous reftent k vivre , trahirons - nous 1'augufte croyance de nos peres, en nous liant aux huguenots ? . . . Seroit-ce mon fils que j'aj élevé dans mon fein, qui s'egareroit k ce point , qui renieroit le nom catholique ? . . .  DE LA LIGUE. 131 Hilaire fils. Mon pere , je faurai mourir pour la foi de 1'églife quand il le faudra -, j'aime ma religion , mais j'aime auffi ma patrie : défabufez - vous fur les motifs qui font agir la ligue. L'ambition ardente U eachée en eft 1'ame : ce n'eft point a la perfonne de Henri qu'on en veut, c'eft a fon royaume. Contemplez 1'ouvrage des ligueurs; ils aiment mieux voir périr un peuple entier que d'accepter la paix qui leur eft offerte. Ils la redoutent, paree qu'elle finiroit leur tyrannique empire. Ils viennent nous exhorter avec un air hypocrite a fupporter la famine, tandis qu'a 1'écart ils calculent les avantages qu'ils retirent de notre révolte... Hilaire pereNotre révolte? . . . Oü fuis-je ! . i Ah, fi tu n'étois pas mon fils ! Hilaire fils. J'ai vu notre fidele férvitéur couché dans la foüie des. morts. II a perdu la vie en difputant de quoi nous foulager , U les 1 ')  I3i LA DESTRUCTION coups qui font per^é pouvoient s'étendre jufqu'au cceur de votre fils. . . Vous ignorez encore ce qui vient de fe pafTer.. . Grand Dieu ! quels tyrans implacables , qüels monftres n'en feroient attendris & ne confentiroient pas au plus grand , au plus entier facrifice pour la prompte ceffation d'un tel fiéau! . . Ecoutez êk tremblez. . . Une femme,.. faut - il donc que ma boucbe vous 1'apprenne! .. une femme , une mere, dans cette démence inconcevable qu'infpire le tourment de la faim , a tué fon enfant, a fait rotir fes membres palpitans , a voulu porter a fa bouche. . . Mais la nature trahie , outragée, reprenant bientöt tous fes droits , elle eft morte de douleur fur cette affreufe nourriture. . . 'Mad. Hilaire, Mlle. Lancy. O tems ! ö jour d'horreur! H*l l a i r e pere. Voila le crime de 1'hérétique : que Dicy I'en punifte.  DE LA LIG U E. 133 Hilaire fils, fortemem. Voila le crime de la ligue. . . Mes trois freres ont péri dans les fections qu'elle a fufcitées ; ck vous , mon pere , vous qui dans tous les tems en avez {buffert , vous ne voulez pas reconnoitre des agens vendus a 1'étranger ? Faut-il que toute votre familie périffe , pour vous ouvrir les yeux ? HlLAlRE pere , avec une douleur concentrée. ' Tes paroles me font bien plus cruelles que la faim que j'endure. Hilaire fils. Depuis long - tems, mon pere , je nourriffois ces idéés , ck je n'ofois, par refpeft , les exprimer , de peur de heurter vos opinions. Mais le jour de la vérité eft enfin venu , ck je ne crains plus de la produire dans tout fon éclat. Ils verront , vous dis - je , le trépas du dernier Francois plutót que de renoncer a leurs vues ambitieufes. . . Cette ligue , fur laquelle vous ofez fonder de fi grands intéréts, qu'eft-elle au fond ? Une horrible Sc tumultueufe confufion , un anws  134 LA DESTRUCTION de diverfes têtes capricieufes , enfantant chaque jour ordonnances , édits , plans nouveaüx , changés a tous momens. II s'y engendre tant de jaloufies , de haines , dè deffeins oppofés ; les prétentlons font ft contraires & s'entre - choquent tellement, qu'il fera impoffible de jamais les concilier. Hilaire pere. Arrête. . . Tu as fucé un mauvais lait, mon fils, &: ton égarement fera 1'amertume de mes derniers jours. . . La gloire de nos autels fut toujours attachée a leloignement des huguenots. Ils ont toujours tenté de renverfer 1'état politique du royaume. Reviens de tes erreurs: la jeuftefTe n'eft que trop fujette a fe laifter féduire par d'éblouiffantes nouveautés. . . Ne vois - tu pas que dans ces tems orageux , notre religion n'a été foutenue que par la fainte ligue ? Henri III a déshonoré le tröne ; il vouloit faire un bücher immenfe de cette capitale; ( i ) tu (0 II paroii prouvé par Phiftoire , que Henri III,  DÉ LA LI G U E. 135 le fais , tu Pas détefté avec tous les vrais citoyens. Le Navarrois , fon allié , refpectera - t - il le privilege de nos autels ? Entrant a main armee , Phérétique renverfera toutes nos libertés. . . Hilaire fils. Eh ! il fe puniroit lui - même; il détruiroit fon pouvoir. D'ailleurs il ne peut plus être confidéré , comme hérétique, s'étartf foumis a 1'églife & ayant fait abjuration publique. après avoir ètêfoiblc, paffa a Pantre extrêmité & devint furieux. A la tête d'une armee de quarante mille hommes , il médita la ruine de la capitale , comme le foyer de la rebellion ; maislmmême en étoit le principal auteur. 11 s ecna , dit- on , en regardant Paris des hauteurs oeSaintCloud , oü il étoit campé : encore quel qv es jours, <è$ on ne verra ni tes maifons, ni tes muraiUcs, mais feulemcnt le lieu oü tu auras été. Le pcignard de Clément parut donc aux yeux des l arifiens avoir fauvé la capitale & le royaume. Jamais la mort du plus odieus tyran ne fut appnle avec deplus grands tranfports de joie. Henri 111 avoit donc réelleraent bleffé & irrite la nation, I iv  I36 LA BEST RUCT ION Hilaire pere. Fauffe grimace ! Rufe affeéfée ! Aftuce de guerre ! II foudroie nos muraitles , affiege nos autels , ck fa converfion pafferoit pour fincere !.. Si cette abjuration n'étoit pas un pur a£te de politique , il eik donné des preuves d'une feumilïion parfaite au légat de Rome ; mais il eft hérétique au fond de 1'ame. Hilaire fils. C'eft a Dieu feul qu'il appartient de feruter les cceurs ck de juger s'ils font finceres ou diffimulés. Pour nous , croyons au ferment du brave Henri. Hilaire pere. Non, je n'y crois point; c'eft un nouveau parjure. .. . Cette abfolution enfuite a été donnée contre toutes les regies ; ck d'ailleurs > elle n'a pas été ratifiée par le pape. Hl l a i r e fils. Le pape ! Et Henri a promis devanr Dieu i . . . Le fouverain pontife peut bien  DE LA LIGUE. 137 vouloir 1'éprouver ; mais il ne peut s'empêcher de le reconnoïtre. H I L A i a E pere. ' l Quand il le reconnoitra, alors il Hilaire pere & fils. Nous fommes dans vos bras. Mad. H il a i r e grand' - mere , fe foulevant & retombant. Mes chers enfans ! . . Mon Dieu! Hilaire pere. Elle expire. ( Ici fe fo'u un grand filence ; les quatre perfortnages doivent former un tableau pathétique.) Mad. Hilaire. Ne nous abandonnons pas a la douleur ; cher époux. Hatons - nous d'exécuter fes volontés dernieres. ( A Mlle. Lancy.) Lancy, arrachons - les du trifte objet qui les confume. . . Je crains qu'ils rfy fuccombent. Hilaire pere , avec défefpoir. LailTez- moi expirer a fes pieds... O mon Dieu! (llprie. ) K ij  J48 LA D EST RU CT10 N Mad. Hilaire. II te refte une époufe , un fils : fiipporte la vie pour eux. Hi l a i r e pere , après un long Jilence , s'éloignant du corps de fa mere. Vous 1 'exigez... Rendons- lui les derniers devoirs , & quittons cette ville. Je me fouviendrai de fes dernieres paroles. Elles ne leront pas vaines. . . Je me rends a vous , mes enfans. Oui, foyons royaliftes. . .(Sa familie le preffe dans fes bras , avec les témoignages de la reconnoiffance. Levant les mains au ciel & contemplant fa mere. ) Je ne t'entendrai donc plus, ö femme refpectable , ö bonne mere ! . . Tu meurs dans ce calme paifible qui n'appartient qu'a Ia vertu. Et moi, la douleur , la honte, le regret d'avoir été abufé , toutes les paflions triftes , pénibles, agitent mon ame. . . Je me trouvois ft heureux d'avoir encore ma mere , de lui payer mon tribut de refpeéf. & d'amour! Je me flattois de 1'accompagner de mes foins dans une vieillefle encore plus  DE LA LIGUE. 149 avancée. Ces longs troubles, cette femine , ces attentats m'ont ravi de fes années celles qui m'étoient les plus cheres , celles oü j'aurois pu m'acquitter envers elle de tant de foins prodigués a mon enfance! Ame célefte! le corps que tu as habité n'infpire aucune terreur a ton fils. ( II fi jette fiur le corps de fia mere.) II fut le ternple des vertus douces & courageufes. C'eft un dépot que la terre ne gardera pas long-tems, & que le ciel doit recevoir. Tu m'as inftruit, tu m'as ouvert les yeux ; c'eft ton dernier bienfait: il vivra dans ma mémoire , & je me trouve pénétré d'une horreur inexprimable, en découvrant 1'affreux tableau qui m'eft enfin dévoilé. Hilaire fils, avec impetuofué. Vous pleurez !. . . Et moi, témoin de fon trépas haté par ces barbares , je jure fur ce corps facré de venger fa mort. Ses derniers mots, defcendus au fond de mon cceur , y ont déployé une force toute nouvelle. . . Je jure de pourfuivre les Seize K üj  15° LA DESTRUCTION & les Efpagnols , de m'armer contre ces ïnfames opprelTeurs , de mettre un frein a leur atrocité , de me dévouer tout entier au roi légitime, de fermer la bouche a ces cruels théologiens qui ont travaillé a éteindre dans le cceur des catholiques toute fidélité a leur fouverain , & qui, rompant les liens néceffaires de 1'obéiiTance & de la fubordination, établiffant une autre autorité que celle du prince, ont été caufe de tous les maux horribles qui ont couvert le royaume; je jure enfin d'écrafer le ferpent du fanatifme, qui s'eft replié de tant de manieres pour exhaler fes poifons. Je remets a Dieu qui m'a protégé jufqu'ici,ck dont je crois fuivre en ce moment 1'augufte & fainte voix , je lui remets ma vie entiere, la confacrant a mes concitoyens. Si la mort m'enleve , mon trépas du moins ne fera pas infruétueux ; mes jours auront été prodigués pour ma patrie. Que je fois en butte a tous les traits des ennemis de la France, qu'elle foit fauvée! . . . Adieu; vous  DE LA L I G U E. 151 entendrez tous parler de moi : je rejoins le pere de Lancy. Hilaire pere. Mon fils ! que ton courage héroïque foit plus calme. Mad. Hilaire. Hilaire ! que ta vertu ne foit pas ïmprudente. Mlle. Lancy. Allons tous enfemble nous jeter dans le camp du roi. HlLAlRE fils , dans la plus grande agitation. Non ; je veux être feul. Sa mort fera vengée , vous dis - je. . .O mes amis, mes concitoyens! vous me verrez, vous m'entendrez ; accourez tous a mes cris douloureux; venez vous joindre a mon défefpoir; venez, & délivrons la patrie de fes horribles perfécuteurs. (Jl fort fans youloir run entendre.) fes* K iv  ijl LA DESTRUCJION SCÈNE VIII. HILAIRE, Mad. HILAIRE, Mlle. LANCY. Mlle. Lancy. Il va obéir a fes tranfports ; il nous quitte , il va fe perdre. Mad. Hilaire. Hélas ! Hilaire pere. Que le Seigneur le couvre de fes ailes^ pour récompenfer fa piété filiale ! Je ne compte plus fur un bras de chair , & n'efpere plus qu'en Dieu. Mlle. L a n c y. Quoi, tant d'aflauts m'étoient réfervés! Et comment pourrai - je les fupporter! Tous les traits de la guerre civile font venus fe réunir contre moi; & pourun moment d'efpérance, la crainte & la terreur m'agitent fans celTe... Mais, que vois - je ! les voici  D E LA L I G U E. 15? en core. Ah , grand Dieu ! ils amenent queUques nouveaux défaftres. . . ( On voit une foute de fatellites armés. ) SCÈNE IX. ACTEURS précédens , AUBRY, fuivi des fatellites des Seire. A U B R Y. Entrez , entrez , vengeurs des catholiques ck de nos faints autels.. . Nous avons entendu foutenir dans cette coupable maifon, qu'un hérétic{ue relaps, impénitent, chef, fauteur, défenfeur public des hérétiques , foi - difant roi de France ck de Navarre , condamné ck excommunié par le pape, pouvoi? avoir quelque droit a la couronne ; ck comme une telle propofuion eft vifiblement abfurde, fchifmatique , erronée , blafphématoire , facrilege , remplie d'impiété , ck didée par un efprit de révolte contre 1'églife ck de fédition contre  154 LA DESTRUCT 10 N les vrais citoyens , nous venons a Peffet que, défendant les privileges des catholiques, vous faffiez juftice felon votre charge qui eft de trainer en prifon ces malheureux hérétiques, comme chatiment préliminaire du fupplice qui leur eft deftiné. ( Les fatellites environnent Hilaire & fa familie, & les chargent de ckaines.) Hilaire pere. Impofteur barbare , c'eft toi qui te difois mon ami !.. A u b r t. Dieu 1'emporte. Sa caufe... Hilaire pere. La caufe de Dieu ! Monftre! j'ai été trop crédule. J'ai mérité mon malheur. Mais je m'éleve au-deftus de tes fureurs. Je ne m'attendris que fur ces femmes. Tu fignales contre elles tes laches vengeances. Va, j'ai le droit de te méprifer au fond de mon ame ; mais mon fils, du moins , mon fils eft a 1'abri de tes coups. C'eft une viétime chere qui t'eft échappée. (Lui montrant le corps de fa mere.')  DE LA LIG U E. x^5 Affouvis ta rage. Regarde ! ce n'eft pas la cent minieme viftime que tes pareils ont immolée. Jouis d'un fpeftacle fait pour ton cceur ; repais - en tes avides regards... Acheve : ton triomphe ne fera pas long... A U B R Y , d part. La vieiUe eft morte ; mais elle a parlé. ( Haut. ) Que le corps de cette femme, décédée dans des feminiens hérétiques , foit privé de la fépulture des fideles. Elle eft réprouvée également ck de 1'églife ck de Dieu , ck livrée a cette heure a la damnation éternelle. Que fon corps foit trainé a la voirie , en attendant qu'il reffufcite pour rejoindre aux enfers fon ame abominable Hilaire pere, enchainê, avec fureur. Démon c!e la terre ! quel que foit le jugement de Dieu fur elle , va , il y aura toujours un efpace ihfini entre fon ame ck la tienne. Les tourmens que tu inventes id bas , les büchers que ta rage allume , tu voudrois en poufler, en attifer les flammes jufques dans un monde inconnu; mais c'eft  I56" LA DESTRUCTION la qu'un Dieu t'attend! Ce Dieu que tu blafphéïnes , jugera qui de nous aura mieux fuivi les famtes loix qu'il a données aux hommes. Tu ofes faire de 1'Être fupréme le miniftre obéiffant de tes fureurs; ck lorfque la mort, malgré toi , fecourable aux malheureux , te dérobe ck t'enleve tes vidimes, tu voudrois 1'établir bourreau éternel de tes vengeances! Tu le confonds donc avec les monftres vils qui te fervent & t'environnent!.. Va , fi tu ne trembles point devant fon ceil ouvert, tu n'en reflentiras pas moins le poids redoutable de" fa iuftice. A U B R Y. Délivrez-moi de ces huguenots. Plongezles dans les plus affreux cachots, ck que mes ordres foient exécutés en tout point. ( On entraine Hilaire , fa femme & Mlle. Lancy. ) ( On enleve le corps de la vieille; & les fatellites , en Cenlevant, fe difent entfeux : ) Alavoirie ; c'eft une damrjée ;a la voirie.  DELAL1GUË. 157 ACTE IV. ( Le théatre repréfente Uintérieur de la Baftille; (i) fur le cóté droit eft un cachot éclairé foiblement par une groffe lampe Jufpendue en-dehors. La grille du cachot laiffe appercevcir Hilaire , fa femme & Mlle. Lancy , enchainés d differentes difances, & dans des attitudes qui laiffent douter s'ils refpirent encore. Le cóté gauche de la ( 1 ) La Baftille ne fe rendit que quelques jours après. Ces ir.fortunées vidtimes ne pouvoient être qu'au Chate'.et. Le Chatelet eft aujourd'hui une prifon des tribunaux juridiques ; mais on a voulu imprimer ala Baftille 1'horreur dont toutcitoyen eft pénétré pour cette prifon d'état. Depuis lors, le cardinal de Richelieu & Louis XIV y ont entarïe aiïez de malheureux pour que ce mot rende a la poftérité un fon terrible ; & comme je me fiatte que cette piece, a 1'aide du fujet, vivraquelque tems, je veux , s'il eft potiible, que dans deux cents ans le mot de BaJHUe fafle treflaillir d'horreur & d'effroi notre dernicre génération : voila pourquoi j'ai placé ma fcene dans ce pakis de ia vengeancc.  158 LADESTRUCTION prifon forme jufquts fur le devant de la fcene un lieu flparè, dont la vcüte s'enfonce dans les tinebres ; elle eft d demi êclairée , & laijfe voir une partie de Ja profondeur. Sur le devant de cette partie de la prifon , eft une table gothique fans nappe, fur laquelle on voit des pieces froides , du boeuf falé, de gros pains, des cruch.es de vin. Plufieurs ligiuurs mangent & boivent , fe parient d demi voix & en gefticulant ; ce demi -filence eft inttrrompu par les cris plaintifs des prifonniers , dont la voix perce la voute. ) ■»»———giMiiiiiii 1 ir~—i-r"nr-"mi SCÈNE PREMIÈRE. TROUPE DE LIGUEURS SUBALTERNE S. Un LlGUEUR , verfant du vin d un a-utre. l\. TOI, Louchard.. . a toi, Anroux... Tu as vigoureufement aidé a porter la chalTe de  DE LA LIGUE. ifcj fainte Genevieve , qui fait tomber de la pluie danslaféchereffe, & qui a plus forte raifon dpit empêcher le Béarnois d'entrer clans Paris. .. Tes Iarges épaules ployoient fous le faix... Reprends des forces , pour reporter demain la patronne... Elle ne fauroit manquer de faire le miracle qu'on lui demande. (i) Un autre Ligueur. Je fuis tout en eau... J'ai affez crié dans les rues de Paris contre le roi de Navarre , pour boire un coup. louchard. J'ai exhorté tout le monde a faire un maffacre général des royaliftes , & a dire que le paradis feroit ouvert a tous les exécuteurs de cette bonne oeuvre; mais chaque jour il y a duretèchementdans la foi... II fut un tems ou 1'on auroit fervi avec plus de zele la fainte. union. Qu'en dis-tu , Anroux ? ( i) On fit des proceffions oü la chafTe de fainte Genevieve fut portee , pour obtenir par fon interceffion la délivrame du Béarrwu.  l6*o LA D E ST RUCTIO N A n r o u x. II eft bien vrai ; mais il ne faut pas défefpérer. . . J'ai répandu par - tout que nous avions des magafins darmes , des lances a feu, de la poix & toutes fortes de matieres combuftibles toutes prêtes, pour embrafer ckconfumer Ia ville, fi 1'on ne pouvoit au* trement en fermer 1'entrée au Navarrois... Ces menaces ont fait leur effet. L o u c h a r d. Je ferai plus que des menacesmoi: qu'on me laiffe aair. C'eft moi , mes amis, qui , aidé d'ün brave jéfuite , ai renverfé de mes mains , il y a deux ans, 1'échelle cbargée d'hommes préts a s'élancer fur le rempart du quartier Saint - Jacques ; j'ai fait manquer 1'efcalade. J'ai réveülé le corpsde - garde; & les tambours, grace a moi , ont fonné 1'alarme. . . (i) Un Ligueur lui vcrfant d boire. Fort bien ! Pour cela bois un coup. ( i ) G'sit un fait hifloricjue. * Un  DE LA LIGUE. itï Un autre Ligueur. Ma foi, me voila bien repó. Un autre Ligueur. Le vin des Efpagnols eft fort bon. II donne courage a la befogne. plusieurs voix fortant des cachocs, dont quelques - unes font éteintes. Ayez pitié de nous! . . . ayez pitié dè nous! . . t Une Voix seule. Ou rendez-nous la vie.. . ou donnez-nous. tout - a - fait la mort ! Plusieurs Voix. Au nom de Dieu... au nom de PhumaJ nité au nom de tout ce qui peut vous être cher prenez donc compaffion de nous! louchard. / Oui, oui, pitié de vous , miférables buguenots ! Crevez * crevez ; allez a tous les diables. A n r o u x. J'aurois olutót pitié d'un ehien. ... Qu'ils L  16i LA DESTRUCTION crevent ces damnés d'hérétiques... autant de places nettes pour ceux qui viendront. LOUCHARD. Mais , meffieurs, voici Pheure d'aller entendre a Saint - Merry le curé de SaintBenoit. ( i ) C'eft un bien habile homme que ce prédicateur. Quel foudre d'éloquence ! Comme il tonne contre les royaliftes! Comme il terraffe 1'héréfie ! Comme il défend la caufe de Dieu ! II a prouvé au doigt Sc k 1'ceil que la converfion du Béarnois n'étoit que feintife , hypocrifie, ck" que fon abfolution le rendoit encore plus damnable qu'auparavant. C'eft avec des traits tirés des faintes Ecritures, qu'il rapproche les tems ck les lieux ; ck les exemples héroï- ( i ) Jean Boucher, curé de S. Benoit, prêchant a S. Merry. Nous avons encore les fermons de eet énergumene; il s'y trouve des morceaux eloquens. II paroifïoit intimement perfuadé de la fubverfion de 1'églife & de 1'état, fi Henri IV vertok a monter fur le tróne. L'éloquence de ce tems-la a une originalké brufque & véhémenfce qui n'appartient a aucun autre fiecle,  DELALtGUE. 16$ ques qu'il offre a la multitude , font bien ehoifis, vous en conviendrez. Ah! que n'eftil plufieurs auditeurs comme Barrière , qui fut mettre a profit toutes ces faintes exhortations ! On ne faifit pas fi bien aujourd'hui le fens des divines Ecritures ; elles ordonnent manifeftement la mort des impies. Si le fuccès n'a pas fuivi 1'afte méritoire de celui qui s'étoit dévoué pour la caufe commune , fon ame, mes amis , n'en eft pas moins devant Dieu ; 8c c'eft du haut du ciel qu'il nous exhorte aujourd'hui a l'imiten A N R O u Xk 11 faudroit douze prédicateurs* de cette force pour bien toucher les cceurs, car ils font endurcis ; mais les grands talens font rares. . . . Allons, je ne veux pas manquer' le fermon. II prêcheroit dix heures de fuite, que je 1'écouterois avec la même attentiqn. Quel ftyle ! quelle véhémence ! . . . Meffieurs , s'il fe trouvoit dans 1'affemblée quelqu'hérétique qui parut ne point goöter fes difcours , ayez foin de le fuivre de 1'ceil, L ij  164 LADESTRUCTION ck qu'au fortir de Pégüfe il foit arrêté 6k enlevé fur-le-champ. .. . Prenez-y garde. .. Troupe de Ligueurs , en tumuhe. Oui, oui, nous n'y manquerons pas; & ceux qui s'aviferont de dormir, nous foutiendrons qu'ils ont ri. U n Ligueur. Nous aurons 1'oreille en Pair , ck Pceil fur 1'alTemblée ; laiffez - nous faire. SCÈNE II. BUSSI-LE-CLERC, VARADE, MONTALIO, AUBRY. ( Des qu'ils arrivent, les Ligueurs jübalternes fe levent avec refpecl, fe tiennent debout, & Pon fert de nouveaux plats fur une table plus large & plus commode. ) bussi-le-clerc, aux Ligueurs fubalternes. Presfntemeïjt que vous avez repris des forces, retournez tous a vos poftes.. -  DE LA LI G U E. Efpionnez les diicours , devinez les regards, & Interprétez jufqu'au füence. Au moindre foupcon,amenez ici pêle - mfile & fans dimnftion, ceux dont la phyfionomie feroit équivoque. II vaut mieux arrêter dix perfonnes que de laiffer échapper un hérétique ... Allez , il y aura de la place pour tout le monde.... Je fais creuier quelques cachots de plus, & ce fera bientöt fait.. . Parlez avec emphafe de nos partilans ; cxagérez leur nombre & leur force , &C venez me rendre compte de tout. ( Les Ligueurs fubalternes faluent, & vont pour fortir. II les anke. ) Faites fur - tout comme' fi vous étiez exténués par la famine ; & quand vous ferez auprès de quelque bon catholique prêt i rendre 1'ame d'inamtion , prenez garde que votre fon de voix ne trahitte le bon repas que vous avez fait. (Les Ligueurs fubalternes fe retirent. ) L lij  166 LA D E STRUCT10 N SCEN E I I I. ACTEURS précédens, BUSSI-LE-CLERC, Bussi-le-CleRc. E H bien ! meffieurs , nos provifions , comme vous voyez , ne manqueront pas de fi - tot. Vos craintes étoient bien frivoles. J'ai mis ordre k tout, ck j'ai le plaifir de vous annoncer que nous avons des vivres pour fix mois. Varade, fouriant. Bon ! fix mois ! . . . L'éleftion qui va fe laire, dérerminera 1'armée qui nous délivrera du Béarnois. Les troupes de Philippe II ne retourneront pas k Madrid fans coup férir. Ses intrigues ont amené k lui les fecréts des princes, ck du fond de fon cabinet il fuit de l'oeil tous les mouvemens de fEurope. Sa puifTance eft un coloffe qui peut repqfer fur plus d'un tröne k la fois ; fes émpm* fiQttans 6f fur - tout fes tréfors  D £ LA LIG U E. 167 acheveront le refte. Cette vieille bi fiEqw •, Joi puérile & ridicule , fera annullée ^de plein droit. L'infante Ifabelle , fille d'un roi catholique, fuccédera k la couronne , & don„era fa main k un prince du fang. Vous voyez que déja les troupes de Philippe font maitrefies de la capitale ; & 1'on ne fauroit leur porter trop de vénération , car elles protegent 1'églife en confervant le catholicifme fur le trone. Bussi-le-Clerc. Pour jouir d'un fi grand avantage, on peut bien foumettre la France k une domi- nation étrangere, Eh ! qu'importe après tout celui qui aura la couronne en rite, pourvu qu'il regne fuivant notre volonté ? M o n t a l i o. Mais, meffieurs, auroit - on jamais pu s'imaginer que le Navarrois eüt réfifté^fi long-tems k cette foule d'ennemis , k 1'or des Efpagnols , au glaive de Mayenne, aux foudres de Rome , k 1'enthoufiafme. fréné- tique de tout un peuple? Rien n'a pulW L iv  ï68 LA DESTRUCTION timider. Cet homme • la eft d'une intrépidité qui me fait toujours frémir. Nous ne ferons jamais tranquilles tant qu'il vivra. A u b r y, C'eft ce que j'ai toujours dit. Ne chantons pas trop vi&oire. II a un bras & une fanté de fer: aucune fatigue n'abat fon courage. II faut le voir dans les batailles. II eft par - tout. Son aflivité le multiplie. C'eft unetêteforte ,unetête, entrenous, comme il en auroit fellu une a notre parti. Depuis la mort de Guife, nous n'avons guere eu que des laches ou des infenfés. . . II faudra s pour 1'abattre, fe porter a des réfolutions, j'ofe le dire , extrémes. M o n : t a l i o. Meffieurs, ce qui m'intrigue Ie plus, c'eft cette abjuration faite a S. Denis. II s'eft fervi, cette fois , de nos propres armes. C'eft un tour adroit de fa part, qui peut trancher bien des difficultés ; & le chemin de la mefte pourroit fort bien devenir la route du tfóne.  DE LA LIGUE. 169 Varade. II a été trés-bien conieillé. . . C'eft une rufe , pour un foldat, a laquelle nous ne nous attendions pas ; mais , malgré cette démarche , il n'en eft pas encore au point qu'il s'imagine : il faut que le fouverain pontife prononce 1'abfohuion , afin qu'elle foit valide aux yeux de teglife , & Clément VIII ne fe conduit pas aifément. Quand il ne feroit que temporder , felon la politique italienne la plus commune, il le meneroit encore loin. . .Savez-vous d'ailleurs, meffieurs, quelles font les formules prefcrites ? C'eft ici vraiment que nous 1'attendons.,, J'en ris d'avance. bussi - le - Clerc. Nous ne foinmes pas trop au fait; mais plus on inveptera de difficultés, plus nous pourrons nous fiatter de la viftoire. . . mostalio, a Varade. Vous pouvez détailler ici fans crainte tous les attiftces que Rome compte efflployer.. . Enfeignez - nous,,,  ïjo LA DESTRUCTION Varade, avec cmphafe. Eh bien , meffieurs , fachez que , pour que Henri de Bourbon foit abfous, il faut que fes repréfentans fe mettent préalablement a genoux ,a lavue de tout le monde, devant le pape ; qu'ils foient frappés fur les épaules de fa baguette , comme pénitens publics, tandis que le chceur récitera le Miferere, ( i ) dont le chant précede ordinairement le fupplice des criminels ; & pour parvenir a eet avantage - la feulement , il y ( i ) On prétend que la même cérémonie fut répétée a Paris par le légat , que Henri IV y comparut enperfonne, & qu'il y fut traite' comme fes ambafTadeurs 1'avoient été a Rome, II eft vrai que le légat eut la comphtifance de ne frappet que léuérement le roi de fa baguette , & qu'il ne lui en donna, die Brantome, que jufquW vitulos. Ricn ne put épargner cet'te humiliation a Henri IV; & après avoir long - tems négocié avec Rome par le miniftere du cardinal d'OlTat, il confentit enfin a la génufiexion & au coup de baguette. Les réformés taxerent Henri IV de mollede, & *iirent qu'il s'étoit foumis d la gaulack. C'étoit , a ce qu'il nous femble , acheter un peu trop cher Ie plaiftr & le danger de' régner.  BE LA LIGUE. 171 aura des conditions fi amples, fi dures, fi extrêmes , dont j'ai déja pris foin d'envoyer le modele , que toutes ces obligations perfonnelles révolteront un caraétere auffi vil que le fien. . . II n'y tiendra pas, & je vous le garantis encore non abfous dans trente ans. montalio. Tant mieux ! Qu'il foit toujours hérétique , cela eft trés - important pour nos intéréts. A u b r y. J'ai furieufement déclamé contre lui toute la journée; j'en ai gagné une altération. . , ( 11 boit. ) m o n t a l i o. Je fuis infatiable aujourdfhui. En courant exhorter les autres a fouffrir la difette, on gagne un violent appétit. ( // mange.) Büssi-le-Clerc Allons, mes amis , prenons force & cou->rige ; vive la ligue ! Les Bourbons étant  172 LA D E ST RU CT I O N hérétique?, ne peuvent occuper le tröne. Chafles a jamais eux & leur poftériré.. . ( i ) Vous fouvenez-vous , quand j'ai amené ici tout le parlement comme un troupeau de moutons ? Ces vieilles robes noires, fi redoutées, fi redoutables , n'ont pas fait la plus légere réfifiance. ( 2 ) Je rirois bien , fi un jour j'allois tenir de même le Navarrois! C ■ ") Les prédicateurs prenoient pourtexte de Jeurs fermons : De luto faas eripe nos, Do mine s & ils traduifoient ainfi pour ie peuple : Seigneur, debourbonnex-nous par un effet de votre mijv'ricorde, dcbourbonnez-nous, Seigneur. Ce miférable calembour fit grande fortune ; tant le peuple hauToitiSr rejetoit la maifon de Bourbon, pour idolatrer les Guifes. (2I Le parlement donna, le 28 iuin 1593, ce fameux arrêt, par lequel il réclamoit les loix fondamentales du royaume, & notamment la loi falique. II s'oppofoir. a ce qu'on mit fur le tröne de nos rois une maifon étrangere. Cet arrêt fut alors d'un très-grand poids dans la balance, & la fermere du parlement ne contribua pas peu a faire monter Henri fur le tróne de France. II ne feroit pas difficile de prouver que les pariemens ont foutenu Sc augmenté en tout tems les prérogatives royales.  DE LA.LIGUE. 173 Je ferois homme ï 1'arrêter tout comme un autre. montalio. Et pourquoi pas? Bussi - le - Clerc. II ferok fous bonne garde , je vous cn réponds. Les députés du confeil des Douze lui feroient fon procés a huis clos , pour éviter le fcandale , comme aux confeillers. . . Eh , meffieurs! n'a-t-il pas entretenu commerce avec les hérétiques , avec les ennemis de la religion & du royaume? . . Jugez-le vous-mêmes. La loi eft formelle. • , La tête fur 1'échafaud. montalio. Oh ! cela iroit fans difficulté. Varade. Mais le tout feroit de 1'arrêter ; & ü n'eft pas aifé a prendre. ( 1 ) ( 1 ) Henri IV ayant affronté tant de périls, „e fut bleffé qu une feule fois a la retraite du pont d'Aumale. U requtun coup de feu dans les  174 LA D ES TJ117CTI0 N A u b r y, riant. Bien dit. . . Mon avis a moi , eft qu'il faudroit imaginer un moyen plus court 6c plus fur ; un moyen autorifé fur - tout par quelqu'exemple puifé dans les faintes Écritures ; il n'en manque point, comme vous favez. . . Mais , je le répete en gémiftant, on ne fait point prendre un parti décifif. On eft trop circonfpeér. dans de pareilles circonftances. Varade. Ces mêmes circonftances exigent que 1'on attende encore. A u b r y. Vous le voulez , foit. (. Préfentant un morceau a Varade.) Avouez que c'eft un grand plaifir d'avoir de quoi manger , lorfqu'on entend dehors crier famine. reins: la bleffure fut légere. II admit dans la fuite parmi fes gardes lefoldat qui Pavoir bleue. Quand canon du fufi auroientdonnéune toute autre face a la Fr.nce & a 1'Europe , on fe rerd dans Pencnainement incompréhenfible des événemens.  DE LA LIGUE. 17$ Varade. Meffieurs! les priföns nous fervent de fortereffes, en attendant que les palais nous fervent de récompenfe. A u b r Y. Bonne prédi&ion ! Mais faifons qu'elle f© réalife. . . SCÈNE IV. ACTEURS précédens , GUINCESTRE, & plufieurs autres Ligueurs dijlingués. ( Ils entrent, ferment la porte, & joignent la. table, oü on leur fait place.) guincestre, d Aubry , en entrant. T u les as fait arrêter ? A u b r y. Je t'ai dit que j'en faifois mon affaire. Nos fatellites ont invefti la maifon , Sc y font entrés fans autres formalités, II s'eft  LA DE STRUCT10 N répandu en déclamations vagues que je n'ai point écoutées. . . Je les ai fait jeter clans un cachot oü je doute qu'ils refpirent encore» guincestre. II étoit a craindre que 1'on ne vint k dbruiter nos difcours. II ne faut qu'une voix pour en ameuter cent , puis mille , puis tout un peuple ; & celui que nous dominons eft ft inconftant! .. Et cette vieille eft morte ? A u b r y. Oh! très-morte... & de plus a la voirie. guincestre. Bon , tout eft en regie. ( S'ajféyant a ld tablc.) Préfentement je fuis k vous, mef-' fieurs. Bussi-le-Clerc Et toi, qu'as-tu fait, Guinceftre, depuis que nous nous fommes quittés ? guincestre. J'ai couru par-tout pour intimider ceux qui font enclins k parler de capitulation. Quand quekj.u'un crioit, la paix la paix i & qu'iï  DÉ LA L 1 G U E. 17? qu'il ne valoit pas la peine d'être arrêté , trente voix , jointes a la mienne , abforboient ce foiblemurmure , en criant bien plus haut i mort, mort aux Idches chrétiens qui parient deferendre! J'ai répandu que les flambeaux „'attendoient quele fignal pour conmmer les maifons , fi lesParifiens fe montroient fans foi & découragés ; & tout en même tems je leur donnois la ferme efpérance de repouffer les aiTaillans. Enfin , maitrifant a mon gré les imaginations craintives , j'ai gravé dans les ames les impreffions les plus unies a nos projets. J'ai parlé avec ce ton qui foumet les plus incrédules; je leur ai montré descouvois nombreux & imaginaire* qui font a la veille , difois-je , de rafrnkhir' la ville. Hs font fouffrans,'par conféquent difpofés a croire : les acclamations de joie fortoient, je ne fais comment,de leurs poitn- nes épuifées. Bussi-le-Clerc. Mayenne eft auffi d'une lenteur... Ce« bomme-la eft inexplicable. . • toujours «vM  SjS LA DES TRUCTION certain.. . II fera bien d'arriver promptemenf, ck avec une bonne armee : autrement nous ferons un coup de défefpoir , kck alors on verra beau jeu. A U B R Y. Je fuis de eet avis. Pour punir 1'irréfolution de Mayenne , il n'y aura qu'a lacher cette populace obéifTante ck féroce , ck 1'armer de flambeaux. Prompte a s'émouvoir, elle fe répandra comme un torrent \ elle ne connoit plus de frein , dès qu'elle eft une fois livrée a fa fougue... Le Navarrois , en entrant dans la ville , n'y trouvera plus que des ruines ck des cendres. GUINCESTRE. Ce fera la notre derniere reflource ; mais il ne faut pas Pemployer encore. Ne détruifons pas aujourd'hui imprudemment ce qui pourroit nous appartenir demain. J'ai concu de nouveaux foupcons qu'il faut que je vous confie. J'appréhende des ititrigues de la part de plufïeurs de nos chefs. Malgré la confiance que nous fommes obligés de témoigner  DE LA LIGUE. 179 au gouverneur, j'ai lieu de me méfier de lui. On trame , on négocie fecrétement. Si Briffac alloit faire fa paix a nos dépens, s'il alloit vendre les clefs... 11 faut que toutes fes démarches foient éclairées. A ü B R Y. Vos craintes font fondées. Je n'aime point Briffac , ck ne lui ai point vu donner le gouvernement de cette ville avec plaifir. Depuis peu fur - tout, il a changé différens poftes, ck cela doit inquiéter... Je ne fais trop ce qu'on en doit penfer. Varade. Meffieurs , ne vous forgez point de chimériques terreurs. II faut fa voir envifager les divers événemens d'une guerre eivile d'un ceil ferme, fans crainte ck fans audace. Les Seize , fous main, ont tenu une affemblée, il eft vrai, mais fous les aufpices même de Briffac ; ck cette circonftance décifive doit calmer vos alarmes. Biiffac n'en eft pas moins gardé a vue ; car il pourroit faire fes arrangemens particuliers , par foibleffe ou par •M ij  i8o LA bESTRUCTlON amHtion. On a mis Halirenas & Turiaf a fa fuite ; ils ont avec eux des gens déterminés : ils font tous déguifés ; leurs poignards 1'en■vironnent, fans qu'il s'tn doute... Au moindre foupcon , c'eft rait de lui. A u b r y, avec emphafe. Voila ce qui s'appelle prévoir avec génie. Varade. S'il vous faut un ceil vigilant & toujours ouvert , repofez-vous fur moi , j'ofe le dire ... Mais qui nous vient encore ? A u b r y. C'eft Turiaf lui-même & Halfrenas. SCÈNE V. ACTEURS précédens, TURIAF, HALFRENAS. ( En entrant, ilsft dègager.t de leurs manteaux & pofent leurs pe;gnards fur la tahle, ) Varade. Ei h bien , mes amis ! oü en fommes nous }  Z> E LA LIGUE. 181 Bussi-le-Clerc. Sachons ce qui s'eft paffe de nouveau. ( Tout k mondt ft Uvt & écoute en fiknee.) turiaf, milieu des Ligueurs. Raflurez-vous ; tout eft tranquille ck dans 1'ordre : nos craintes étoient va'mes. Briffac obfervé de toutes parts, n'a laiffé échapper aucun figne de trahifon; mais on ne faurök jamais pécher par excès de vigilance. Nous avons épié fes moindres acYions ; nous avons fuivi tous les mouvemens qu'il s'eft donnés ck qui nous inquiétoient. Tous font favorables a la défenfe de la ville. II n'y a eu aucune forte de communication entre lui ck 1'armée ennemie •, fes difpofitions y font même contraires. Nous vous avions promis de ne pas le quitter de vue qu'il ne fut rentré chez lui; il eft préfentement dans fon hotel, ck va prendre du repos. Mais quatre efpionsvveilleront a fa porte. Nous allons profiter du moment oü il fommeillera, pour fermer un peu 1'ceil; car nous tombons de laftitude. . . II n'y a rien a craindre pour cette nuit, nous en fommes garans, ^ i  x8i LA D ESTRV CT10 N Bussi-le-Clerc. En cas d'alerte, nous ferions bientöt éveiiïés & fous les armes. Turiaf. Vous pouvez dormir tranquilleraent. A u b r y , a Halfrenas & Turiaf. Mais dans quelle bonne rencontre vous étes-vous donc trouvés, que vous ne voulez rien prendre ? halfrenas, avec une certaine dignitê. Nous fortons de chez Landriano. A u b r y. Ah, je ne m'étonne plus! II eft pour le moins auffi bien fourni que nous. Turiaf. Je vous en réponds.... Je lui devois rendre un compte exa£ï de notre marche. II m'a fort applaud'i. Nous nous fommes entretenus de nouveaux projets,au confeil defquels vous ctes invités pour demain a dix heures. Varade. J'en étois déja inftmit.. . Nous nous y  DE LA LI G U E. i%j r^dTons. Allons, mes amis, a demain a dix Jieures. GüIllCESTRE, faluant Vara.lt. A demain , vénérable. . • Toi , viens , mon cher Aubry : nos travaux , k nous, fe prolongent quand les autres repofent. Nous n'avons pas encore tout achevé. Allons nous rendre k notre pofte ordinaire. Dans quelques jours, nous ferons amplement dédommagés de nos fatigues joumalieres. ( lis fe falumt en fe flparant, les uns pafant par une porte, les autres pat une autre.} SCÈNE VI. HILAIRE pere, Mad. HILAIRE, Mlle. LANCY, après un filence. Mlle. LANCY, du fond des cachots, avec. un long foupir. O MON Dieu ! . . . oü fuis-je? H I L A I R E pere. Lancy ! . . tu refpires encore!... Infor-, M iv  i«4 LA DESTRUCTIÖN tunée ! . . . Ton fexe ck ton age n'ont point attendri tes boutreaux ! Mlle. Lancy. Les barbares ! comme ils vous ont traité ! comme ils ont traité votre époufe! Hilaire pere. Aura - t - elle fuccombé dans 1'horreur de ces lieux ? Chere époufe, unique amie!... tu ne m'entends donc plus ! ... Mad. Hilaire. Hilaire ! mon époux ! mon ami ! ... Je renais a ta voix ! Hilaire pere. O nouveau^ tourment ! je frémis de vous entendre. Je fuis coupable de ne vous avoir pas crus plus tót. ... Je fuis la caufe de vos maux. ... Je voudrois réunir fur moi feul tous ceux qui vous accablent. . . O malheureufe compagne , fi je pouvois feulement te toucher la main, ia prefier clans la mienne, pour dernier témoignage de ma tendrefTe !.'. Ne pouvant te voir, je te^tends du moins les bras.  DE LA LIGUE. 185 Mad. H 1 L a 1 b- eLes miens font brifés fous la pefanteur des chaines , & mes efforts font vains... Et toi, pauvre Lancy 1 chere fille , toi 1'objet des vceux conftans de mon fils, voila donc ta deftinée !.. Pourquoi es-tu venue au-devant de ton malheur! . . Hilaire eft abfent de ce lieu d'horreur. . . Mais 1'efpérance de le rcvoir s'éteint, hélas, avec ma vie! ... Mlle. Lancy. Sonimage ne m'abandonne point... Mes derniers foupirs s'adrefferont k lui. .. Q/d vive , Sc que j'expire... Je fens plus que jamais combien mon cceur étoit a lui.... Yous le dire en mourant, afin qu'il 1'apprenne de vous après ma mort, eft une efpece de confolation qui me foulage en ces momens... Oui, j'étois née pour 1'aimer ... Sc je meurs. ( lei on entend le bruit éloignè des tambours. Bruit fourd & confus. ) H i t a i R E pere. Quel bruit fourd interrompt le filence de cette affreufe folitude?  ï8ó" LA D E STRUCTIO N Mad. Hilaire. Le fon du tambour femble réfonner au loin , & vient mourir fous ces voütes lu« gubres. Hilaire pere. Ecoutons ! On diroit des foldats qui marchent en ordre de bataille. Mad. Hilaire. Si c'étoient les foldats de Henri, de ce prince magnanime !... Mlle. Lancy. Des cris de joie femblent percer confufe'* ment a travers ce tumulte. Cris desPrisonniers qui occur. pent le haut de la prifon. Délivrez - nous ! Nous périffons ! Nous périfTons ! Délivrez - nous ! UneVoix seule. Sauvez-nous ! Nous mourons ! Hilaire pere. Entends - tu les cris de nos compagnons d'infortune ?...  'DE LA LI G V E. 187. Mad. Hilaire. Ils augrnentent ma terreur. . .. C'eft a Coup für quelqu'événement extraordinaire. Hilaire pere. Jelecrois...Mais, hélas! féparés des Vivans, nous ne pouvons favoir ce qu. fe paffe au-deffus de nos têtes... Et toi, Lancy, ma chere fille, que penfes-tu? Mlle. Lancy. C'eft peut-être 1'appareil de quelqu'affaut, oü le fang va couler encore.. . O Dieu , épargne mon pere ! Hilaire pere. Nous fommes dans ces mêmes antres oü ils ont trainé ces vénérables magiftrats que leurs mains meurtrieres ont ofé attacher a un infame gibet. ( l ) Ligue odieufe , déiolation de ma patrie , je te confondois avec 1'augufte religion!. .Ah! je le vois trop tard , 1'on s'eft toujours fervi du nom de Dieu, pour faire le malheur des hommes... (O Fait hiftorique fufifamment connu.  ïS8- LJDESTRUCTION Pardon , 6 mon Dieu! j etois trompé. Ta loi feule eft adorabie ; ta loi ne commande qu'amour, que charité. . . Toute autre eft diftée par 1'impofture. . . Les perfides , comme ils fontdoux, flatteurs, hypocrites, quand ils veulent perfuader ! Comme ils font cruels , féroces , dénaturés , quand ils ont Ia force en main ! . . . Je ne 1'aurois jamais cru. ( Un bruit très-fort fe renouvelle & s'approche jufqu'aux portes. On entend un geolier ouvrir ; il traverfe la fcene , va flapper d une porte : il eft fuivi d'Aubry qui arrivé d la même porie d la hdte, & qui appelle a haute voix le gouverneur de la Baftille. Le gouverneur defcend , accompagné de Turiaf & de Halfrenas.)  DE LA LIGUE. 189 SCÈNE VIL ACTEURS précédens, BUSSI" LE-CLERC, TURIAF, HAL- FRENAS, AUBRY. Bussi-le-Clerc, k Aubry. EHbien,qu'ya-t-" donc? Vous ft» tout interdit, votre vifage eft altére. halerenas. Parlez-nous donc. A u b r y. Que je reprenne haleine j j'ai peine i ,r,« fpns Des troupes que je retrouver mes lens. , \ „econnois point, a la faveur destenebres ferépandent dans tous les quartiers, & s'emparent,les drapeaux au vent , des places & des carrefours. Bu s si- ts.-Ci.fiac. Seroit-il poflible ? Turiaf. Mais ce ne peut être que 1'armée que  ioo LA DESTRUCTION 1'on attendoit... RemeKez-vous. . . Aubry, avec colere. Et non , non , vous dis-je. . . J'ai des 'yeux. . ; Ce ne ne font pas la les foldats de la ligue. SCÈNE VIII. ACTEURS précédens , GUINCESTRE. GuiNCESTR e, arrivant hors a"haleine. Nou s fomtnes perdus; Ia ville eft livrée; les portes font ouvertes a Henri. Ces tambours que vous entendez, ce font fes trou- pes Briffac nous a trahis. . . Turiaf. O fureur ! malheureux que je fuis: . i Mon poignard étoit ft prés de fon cceur; pourquoi ai - je différé de frapper! Halfrenas. J'avois un pieffentirrrent confus; que ne  DE LA LIGUE. 191 1'ai - je écouté ! • • • Comme il a fu nous trgmper 1 O rage ! (// enfonce fon poignard dans une porte,comme i'd affaffinoit Briffac. Aubry. | Rougiffez de 1'avoir été. . . SCÈNE IX. ACTEURS précédens , VARADE» V a r a d e , en entrant. IN D l g n e s ck laches efpions! . . Remettez a de pareilles gens le fort des états ! Que n'ai-je pu tout voir, tout examiner f tout fuivre de mes propres yeux ! ( 1 ) M) Lecardinal de Pellevé mourutdrdW*, en apprenant que le roi étoit errtre dans la ville. Les capucins,leS jéurites & les chartten* refuferent de P"er Dieu pour le roi; & le falvum fac reeem ne fut chanté par eux que fept ou {uitjes après. Henri eut le bon rfpmde le. laiffer faire, moyen plus court & plus tacne.i s !e chantèrent d'eux -mêmes, paree qu'on ne le leur avoit pas ordonne.  191 LA DESTRUCT10N Halfrenas. Vous étiez vous - même dans la plus parfaite fécurité. . . Varade, avec un cri fourd. Eh , oui, d'apiès vos malheureufes inftruftions ... Je me détefte , je me méprife moi - même de vous avoir écoutés. Briffac s'eft vendu au Navarrois. Henri entre victorieux. . . Quelle honte pour notre parti! Et comment n'avons - nous pas fu prévoir que BriiTac céderoit a la foif de 1'or &t. de la faveur ? Bussi - le - Clerc. Mais nous pouvons tenir quelque tems dans cette forterefTe , canonner la ville; & qui fait encore ce qui arrivera ? Varade. Efpoir inutile ! Nous fommes environnés &. fans défenfes. Le peuple ignore même ce qui s'eft paffe ; il s'éveille a peine. . . Briffac attendoit les troupes qu'il avoit fait cacher. . . Les portes s'ouvrent a fon ordre , les barrières tombent , & les foldats roya- lifles  DE LA LIG V &■ >m liftes i'ont entrés en filence.; ils fe font em» parés fans bruit des places & carrefours. (i.) La bravoure anime un feul corps-de-garde .efpagnol, qui veut s'oppofer au paflage. Ce corps fidele eft enveloppé & maffacté.. a O) Henri s'avance au milieu d'un gros corps de noblefle. Mais , ce qui m'indigne le plus , r x ■) Le lendemain de fon entree a Pans, le roi ayant fait venir a fon diner le fecretaire Nicolas eros réjoui ,dit Brantome , bon compagnon, d'un efprit facétieux : M. Nicolas lui die le rot, quel parti fuiviez-vous pendant les trcubles . 1— A la vérité, Sire , i'avois quitte le fakü pont fuivre la lune. Mais que dis-tu de me voir k Paris comme fy fuis ? - Je dis, Sire , qn on a rendu a Cé'ar ce qui appartenon a Cefar-, comme il faut rendre a Dieu ce qui appartient a Dieu; Vmtre-Saint-Gris 1 on ne me Va pas rendu a moi, on me l'a bien vendu. (2) Outre le corps-de-garde efpagnol, il y eut deux ou trois bourgeois tués, ce qui affligea le roi. II a répété fouvent qu il auroit voulu racheter pour beaucoup la vie de «s trois c, toyens, pour avoir la fatisfadion de faire dire a la poftérité, qu'il avoit pris Paris fans repandre du fang. Voila de ces traits qu on aime * trouver & a citer, N  194 LA D É ST RU CTJON c'eft que cette marche rèffemble moins a une entree militaire qu'a un tricmphe pacifique; on le diroitaffermi furie tróne depuis longtems. Le croirez - vous ? après une fi longue réfiftance, & marquée par tant d'a&es de courage, pas un feul catholique , vengeur de la religion & de I'état , n'a tendu une chaine, n'a élevé une barricade; pas une feule main furieufe ou défefpérée n'a fu lancer de deftiis un toit une pierre, une poutre , une tuile. II ne falloit qu'un coup tiré par un brave & digne citoyen , pour mettre tout en mouvement & fauver la ville & la France. Quel peuple! II n'aura jamais une bafe ftable.., Cris du Peuple. Vive Henri! Viftoire au grand roi! Cris des Prisonniers , qui percent la voute. Vive Henri! Vive celui qui nous délivrel guincestre. J entends la hache qui enfonce les portes. Cris du Peuple. Vive Henri! Vi&oire au grand roi l  DE LA LIGUE. 195 Halfrenas. Entendez - vous ces cris ? O rage ! Oü nous fauver ? bussi-le-clerc; Puifqu'il faut céder pour le moment , cédons. Venez , fuivez-moi toüs. .. Je vous menerai par les détours d'un fouterrein qui nous conduira d'un cóté favórable; notre retraite fera dans 1'armée de Mayenne , &C de la , plUs furieux , plus intrépides , nous lui fufciterons de nóuveaux enhemis. Cris des Prisonniers. Vive Henri! Vive le prinee qui nous délivre! aubry, jeiant ün ait farouche fur les cachots. Si nous égorgions nos prifonniërs ? Varade. Ce n'eft point la une reffource, .. Eft - ce un fang vil qu'il faut s'amufer a répandre ? guincestre. Öéteftable Navarrois, je voue a tói & a ta race un.e haine éternelle ! N ij  196 . . . Ciel! . .. Oferions-nous 1'efpérer ? . . O clémence divine ! . . O mon Dieu! ... De quelle incertitude je fuis agitée ! Hilaire pere. Paix, ma chere époufe , paix. .. Gardonsnous de nous faire entendre. . . Je tremble comme toi. . . Un efpoir inattendu frappe mon cceur. . . Mais craignons encore. . . Les monftres qui nous oppriment ne font pas éloignés. . . üs pourroient revenir fur leurs pas... Quel bruit!... Eft-ce notre délivrance ou notre mort qui s'approche ? ( On entend brifer les dernieres portes, dies tombenu Vofficier Lancy entre d la tete N iij  198 LA D E S T RUCTI O N d'une troupe de foldats armês comme lui de haches & dèpées ; le bruit des tambours & des troupes fe fait toujours entendre. ' SCÈNE XI. ACTEURS précédens, LANCY, SOLDATS ARMÉS. LANCY , avant que la porte tombe toutd -fait, avec une forte exclamation. H ILAIRE, cher Hilaire , refpires - tu dans ces horribles lieux ? ( lis ripondent tres - fortement dun feul cri : ) Oui, oui, nous y fommes. Lancy. Ah! mon ami, oü es - tu ? oü eft - elle ? Toutes les Voix. Ici, ici, ici. Mlle. Lancy. C'eft fa voix , c'eft mon pere, c'eft lui..,  D Ê LA LIGUE. 199 L A N C Y , fe prkipuant avec fa fuite dans le cachot. Je laretrouve,manlle... Je viens aflea * tems. . . U joie me fuffoque. ( A Ja fuiu.) Aidez-moia foulever , a brifer fes chalnes. . . Je ne puis parler. (Cet endroit dt la prifon ft rernplit de pru fonnitrs diüvrls & de foldats liberateurs. On a enfonct toutes lts portes. lis s embrafftnt. On entend d difrens intervalles les cris de : Vive Henri , vive Henri . mêlés du bruit des tambours & des tromptttts.) pRISONNIERS ET SOLDATS , itmbraftant dans la prifon avec ame. Monami...Monfrere...Moncoufin... Mononcle. ..Monbienfaiteur... ( Lancy avec fa file , Hilaire avec fa femme , ^ formentfurledevantdelafceneuntabuau muet & touchant. Les foldats les porten* fur les bras. lis font immobiles de Jai~ fifjment.) (Aprhs un repos.)  aoo LA DJZSTRUC7IQ N Lancy, d Hilaire. Mon ami , quel momentComme cPun mftant a 1'autre le fort de cette malheureufe ville eft changé ! ... En vous quit«ant, je p'efpérois pas fi-tót vous revoir. .. A peine fuis-je de retour au camp, que ï'ordre arrivé aux troupes de marcher vers les remparts. Je gémiffois d'être forcé encore une fois de rougir mon épée du fang de mes compatriotes. Nous comptions aller a 1'aiTaut... Quel a été notre étonnement & notre joie! Les portes s'ouvrent a I'approche de Henri, Briflac lui préfente les clefs4 tout fe foumet : les fa&ieux difparoiftent. . . Nous avancons. . . Non ; ce n'eft point une ville qui fe foumet a fon vainqueur; c'eft un roi paifible qui entre en triomphe dans fa capitale. . . Entendezvous ces cris d'alégrefle ? . . . Us vont aux pieds des autels rendre hommage au Dieu des armées d'une vidoire d'autant plus chere a fon coeur qu'elle ne lui coute point de &ng„ Le Louvre va recevoir fon rei. La  DE IA LI G U E. roi pompe du monarque eft dans ïivrefle de tout un peuple qui 1'adore & le bénit. Tous les veftiges de la guerre civile font effacés •, il n'en refte plus la moindre tracé. L'abondance fur cent chars couronnés de verdure apporte k la ville fes dons variés. L'artifan dans eet mftant même peut reprendre paifiblement fes travaux accoutumés. L'ordre regne comme $% n'eüt jamais été interrompu. .. Viens , mon cher Hilaire , viens contempler ce miracle , viens apprendre k connoitre Henri. . . Ne te refufe pas, ]c t'en fupplie, au bonheur de 1'aimer comme nous. Hilaire pere. Ah, que me dis-tu! Vas, je fuis bien défabufé. . . Viaime crédule de cette ligue perfide, je fuis trop éclairé fur fes nombreux aftentats; & ft tu me vois ici, c'eft qu'on a voulu étouffer la voix qui alloit divulguer les plus affreux complots. Lancy. Embraffons - nous encore. . . Viaoire  ioï LA DESTRUCTlö N entiere ! . . . Le cceur de^ mon ami nous efr rendu. . . II eft délivré de la féduéïion des traitres... Allons jouir de ce doublé triomphe. Hilaire pere. Hélas, pourquoi faut - il que mon fils fe foit écarté de nous ! . .. II ne manque a ma ]oie que de le revoir. Mad. Hilaire. O mere défolée , que vas-tu devenir ? Que t'importe un jour ft beau , fi ton fils ne Ie partage ! Mlle. Lancy. Ah , mon pere ! ces momens ceflent d'être fortunés par 1'abfence d'Hilaire.,. Je vous 1'avoue comme je le fens. Mad. Hilaire. Que nous le revoyions !.. . C'eft a ce feulprix que tous nos maux pourront être effacés. L a n c y , a fa fille. Je vous ai toujours regardés comme def» tinés 1'un pour 1'autre. . . Que le ciel vous. raftemble, ck je confens a vous unir.  DE LA LIGUE. 2oy Mad. HilaireCet efpoir eft bien flatteur; mais le ciel nous accordera -1 - U cette derniere marqué de la miféricorde ? Lancy. Et fur quel fondement vous défefpérezvous? Heft jeune, plein de force & de courage ; il ne manque point, d'ailleurs, de pru. dence. . . Armez - vous plutót de confiance , & telle que vous devez la concevoir , après t3nt d'heureux miracles. Pourquoi fe plaire dans des idees funebres , quand tout annonce la clémence du ciel ? Le changement que vous venez d'éprouver n'eft-il pas un temoignage des graces toujours inattendues que la Providence tient en réferve ? Mad. Hilaire. J'efpere en elle; je 1'ai toujours adorée ; mais la crainte eft la plus forte ; un pret fentiment fecret & fatal me dit que je ne le verrai plus. ( Aprh un fiknct on voa pa,würc Bilairefils.)  104 LA DESTRUCTION Lancy, s'écriane. II eft trompé , il eft trompé, ce preflentiment. . . Le voici ! SCÈNE XII et der n IER e. ACTEURS précédens, HILAIRE fils. HlLAlRE fils, fe jetant èperdument dans les bras de fa mere. Ïls vivent encore, & je fuis dans leurs bras : Mad. Hilaire. Mon enfant! ... Hilaire pere;, Mon fils ! ... Mlle. Lancy. Cher Hilaire ! .. . Hilaire fils. Ah , Lancy ! .. . Ah, mon pere ! . . Quel coup du ciel ! .. . Nous voila tous réunis, neus voila tous heureux !. . . Oui, le ciel  DE LA LIGUE. *<* m'a récompenfé d'avoir été un des foldats de Henri. Sa caufe étoit jufte; je me fuis rangé fous fes drapeaux, prêt a verfer mon fang pour le libérateur de la patrie. Je 1'ai vu , ce grand roi que nous refufions de connoitre; ce roi que d'indignes faftieux nous peignoient fous de fi noires couleurs. Mon pere ! d'un feul regard il n'a attaché a lui pour jamais. Ce n'eft point un enneml courroucé qui cherche la vengeance , c'eft un monarque bienfaifant qui veut commencer le bonheur du peuple. II n'a fallu que fa préfence pour réveiller le patriotifme dans le cceur des Parifiens. Vous ne favez pas comme il recoit tous ceux qui vont a lui, avec quel ton affable il répond a leurs demandes. Sous des traits guerriers on reconnoit un bon prince, un cceur frangois, le mefleur des hommes & des rois ; &C 1'impofture vouloit le dépouiller de fon hiritage. . . Venez, venez tous jouir du plaifir de le voir. Allons tous nous réunir »u tranfport de ceux qui 1'entourent.- On  106* LA DEStRUCTION accourt, on le voit, ck 1'on ne peut fe raf» faffier de le voir, 6k 1'on ne peut fe dé» fendre de 1'aimer. C'eft qu'il a ce front ouvert , oü la grandeur s'allie a la générofité; il femble pere de cette foule immenfe qui 1'environne ; fon gefte , fon regard , tout dit qu'on peut 1'approcher ; il a enfin la confianpe du héros. Laijfe^, laijfei les venir a moi , dit - il, ils font affamés de voir un roi. , . Au Louvre, foulevant une tapiflerie qui le cachoit, il a dit: qu'il n'y ah point de voile entre mon peuple & moi! J'ai embrafie fes genoux; il a daigné me fourire. Je ne pouvois m'arracher d'auprès de lui; j'étois dans une ivrefle dont je ne fuis forti que pour fonger a vous. Défefpéré de ne plus vous trouver, j'errois par.» tout en vous cherchant , lorfqu'un ami , témoin de votre derniere infortun^*, vient de précipiter ici mes pas. . . J'entre avec la terreur ck 1'effroi. .. Je vous embrafie avec joie , ck je bénis mille fois le ciel qui a mis fin k nos maux , en nous réuniflant , ea  D E LA LIGUE. 107 nous donnant un bon roi & la paix. (O Nouveaux Cris du peuple. Vive k grand Henri 1 Vive le grand Henri ! L a N C Yi Entendez-vous ces nouveaux témoignages de 1'ivreffe publique? . . Ils nous appellent. . . Ne formons plus qu'une famdle ; allons nous jeter aux pieds du grand roi , £e nom qu'on lui donne lui eft dó.; Ü eft 1'exprefiion de 1'amour qui ne s'accorde qu'a la bonté. Elle va s'afteoir avec lui fur 111 Henri IV marchant vers la catbédrale, étoit preffé par la foule de tous les cótés. Les capitaines 5es gardes voulurent faire retirer cette multitude lur lui Faciliter le paffage ï non, leur d t - , Se feUe ft*:* quatre - ving,^ans ni£ venueprendre par la tête & m a baifu Se metïant a?able a 1'hötel - de-ville pour Kuiper, 1 dit «■ 1ïnt & en regardant fes pieds, qu'il s etoi cotté en vena.ua Paris, mais qu'il n'avoit point nerdu fes pas. C'eft alors qu'il pouvo.t direa foreïlc de Ces amis: Paris vaat bien unc mejfe.  icS LA DESTRUCTION le trène ; les exploits guerriers les plus célebres difparoifFent devant cette nouvelle gloire que lui attribue la clémence. Mad. Hilaire. Jour mille fois heareux qui nous réunit! Hilaire pere. C'eft fortir du tombeau pour revenir a Ia vie. Lancy. Oh , que d'a&ions de graces vdus devez au ciel, ma chere fille .' Mlle. Lancy. Du moment que je vous ai revu , mon pere, mon ame eft en prieres & loue Ie Maïtre fuprême des événemens. Ce qu'Hilaire vient de nous expofer m'a vivement touchée, & chaque mot qu'il a prononcd élevoit un hymne au fond de mon cceur. O mon Dieu ï oui, j'aurai toujours confiance en votre miféricorde. . . Je retrouve en un moment tout ce que j'avois perdu. . . Hilaire fils,