P e t i t e efquiiïè de la fuperftition a i'agonie: Convulfions qui Pagitent dans les bras du fanatifme , de la momerie, du defpotifme, de Pintolérance; dernières fureurs avec lefquelles elle vomit les fèces de fon affreux venin, avant que de céder la vicloire a la raifon & a Phumanité, encore repouflees par une foule de grands & de petits ennemis du bon-fens & de la paix. Refpedt, vénération pour notre fiècle, & pour fon illuftre devife ! Mais pour les monftres a tête foible & dure , qui avec des contorfions ridicules fe préfentent encore ca & la pour dire anathême au diviu fymbole de ce fiècle; qui avec une joye maligne voudroient effacer la devifé de eet'- 'heureux age , la plus belle qui/fót,j_a^^pu en faire Pobjet de la fatyre & dé liïjfypjgfè; qui, tandis que Phumanité s'efforce de**'foülever fa tête , ne rougiffent pas encore de lui jetter du fable aux yeux & des chaines au cou: ... a de tel monftres, dis-je, farcafme & ridicule jufqu'a ce qu'ils foient devenus des hommes l  Plüt - a Dieu que Pauteur de cette véridique hiftoire n'eüt fait que rêver, & que nous n'euffions pas vu de nos jours, que nous ne viflïons pas encorè a préfent même, fur la face de la terre, les fcènes qu'il décrit! Heureufement, ou malheureufenient plutót, qu'elles font conftatées dans mille autres écrits courans par le monde : ce qui n'empéche pas que ceux qui les ont lus, ne trouvent ici infiniment plus de quoi s'édifier, que dans plufieurs autres romans a la mode. C'eft par un excès d'humanité que notre auteur, Ie plus humain dés humains, n'a pas décliné les noms de tous les héros dont il fait mention, ni même cité les monumens oü ces noms font confignés. Ce n'eft que dans le cas d'impénitence finale, qu'il fe réferve de lever le voile ; car il ne défefpére pas même de la poffibilité de la converfion des perfécuteurs, tant politiques qu'eccléfiaftiques : d'oü Pon voit que c'eft encore 1'homme du monde doué de la foi Ia plus röbufte, de la charité la plus vive, & de Pefpérance la .plus imperturbable.  CHAPITRE PREMIER, eü Ion trotive un commcncement comme dans toutes les autres hifioires. D A N s le Duché de Baviére, non loin de la grafle Ahbaye de la Fcmjardière *) , vivoit un ieune homme a qui la nature avoit infufé dans le coeur une dofe compléte, de vraie droiture allemande , & dont elle avoit Jefté la tète d'un bon grain bienpefé pris de la mafje générale du fens-commun. Toujours gai, droit, fincére , & faiiant tout ie bien qu'il pouvoit dans fa petite fphère, il s'étoit fait aimer de tout le monde fans y penfer; & d'autant plus même , que fes èxcellentes qualités *) L'on fait que dans la Iangue grecque prefque tous les noms propres, tant des hommes que des licux, étoient Egnificatifs. Or la langue allemande , 1'nne des langues vivantes qui ont le plus de chofes communes avec la plus belle des mortcs poflêde entr'autres cette même particularité. Par cxemple le nom allemand de 1'abbaye dont il eft ici queftioji , eft Wanfthauftn , c'eft-a-dirc , la maifon despanfes oudes Iarges bedaincs. A 3  ) 6 ( morales ne fe peignoient pas bien avantageufement dans les linéamens trés - irréguliers du vi•fage difgracié qu'il préfentoit par - tout. C'étoit un front chargé de monticules oifeux , que bordoient par en - bas deux fourcils noirs, épais, hé» rifles> plus bas une lèvre inférieure épaiffe d'un pouce ; puis la partie faillante de toute face humaine ou autre, le nez, étoit retroulfé a un point , qu'il auroit pafle en Afrique pour un prodige de perfection, & qu'il ne donnoit au porteur rien moins que 1'air d'un Européen. Cependant perfonne ne s'étoit encore avifé de foupejonner fous eet affemblage bizarre rien de haïifablë ou de méchant. II eft vrai que pour lors ön n'avoit pas encore imprimé la fcience phyJïognomique , pour fervir a la comioijfance du cceur bumain , & a propager Pamour de Vhumamté. * ) Son père étoit bailÜ d'un village appartenant a la Fanfardière : vieux foldat, qui avoit fait la guerre de Part quarante fous PempereurCW/ej VIL avoit fait campagne dans 1'armée combinée de Ba* vière & de France, & a la malheureufe retraite de Frague a Eggre fous le maréchal de Bellisle. avoit eu le nez & les oreilles gelés , comme tout *) Livre exiftant réellement fons ce titre-la, & autre que le célebre traité de la phyfionomie parM. Lavutcr, miniftre du St, Evangile, a Zurich en Suiffe.  ) 7 ( le refte de 1'armée franqoife. Ce qu'il y eut de pis , c'eft que les cruels effets du froid le mirent encore abfolument hors d'état de travailler a fe procréer une ligne de defcendance. En revanche il avoit appris a parler le franqois a tort & a travers , comme s'il fut né fur la rive gauche du Rhin; & par deflus cela il s'étoit formé les manières, il avoit acquis cette politefle, cette adreflè, qui dans fon pays étoit pour lors une aulli grande rareté, que peut 1'ètre aujourd'hui 1'antique fimplicité allemande. Doublement mutilé , le bonhomme ne pouvoit plus fe flatter de mourir jamais dans le lit d'honneur. Par bonheur pour lui, il exifte des concordats entre la nation allemande & le Pape, dans lesquels il eft ftipulé, que fa majefté impériale - apoftolique - romaine, pourra , dans les tems critiques & cas de néceflité , accorder des lettres de pain, en vertu desquellesun ou deux invalides bien eftropiés feront requs dans quelque chapitre ou monaftère opulent, pour y finir leurs jours, comme les autres , en buvant, mangeant , & digérant. Muni d'une bonne lettre de pain, notre héros étoit donc venu a la Panfardière prélènter fa face défigurée. On la recut en fe grattant l'o^ reille ; mais comme on lui trouva infiniment plus de favoir - vivre que Pon ne s'y étoit A4  ) 8 ( attendu, il fut inftajlé en pen de tems dans 1'emploi de valet de chambre de la perfonne même de fa révérence monfeigneur 1'abbé. Mangeant bien, buvant mieux , il végéta quelques annees dans le plus profond repos , s'accommodant a merveilles. a tous les caprices , rats , quintes , qui paffoient par la tète. de fa révérence , &quicohque a connu quelque prélat allemand , doit favoir que ce n'eft pas la une petite affaire ; allégeant a Monfeigneur le travail de la digeftion par des quolibets & des hiftoriettes ; en un " mot, fe mettant dans les bonnes gracesdu prélat a un tel point, qu'il en obtint la régie d'un petit village , a une condition cependant, qui étoit d'époufer une certaine fille a laquelle fa révérence avoit jüfqu'alors confié le foin de blanchir fon Hnge. L'invalide , tout invalide qu'il étoit, ne fe le fit pas dire deux fois , & ï'on procéda fans marchander a la célébration. Le foir, a la vérité, quand il fut quefiion d'aller fe coucher , il ne manqua pas de raconter a la manée , combien 1'hiver étoit rude en Bohème, & de pefter un peu contre le maréchal de Bellisk ; en revanche il but quelques coups de plus, puis fe mit tranquillement a coté de fa nouvelle moitié , qui en dépit de tout le froid de Bohème ne lui fit pas moins préfent, peu de tems après , d'un poupon. Le bonhomme  ) 9 C ne fe fentoit pas de joye, & tout fier de s'être furpafle lui - même, il donna au nouveau - né , en dépit de toutes les mouftaches des Pandoures, le nom de Fauftin , fans fe piquer de compter trop exacfement le cours de la lune, fans même fe mettre en peine de toutes les obfigations qu'il pouvoit avoir aux bontés de fa révérence. La maifon de la Panfardière, jouiifoit depuis nombre d'années' ' d'une puilfante réputation de . doÖrine & de fóence ; car elle avoit un profeflèur de phyfique, & deux péres qui avoient pris leur? grades en théologie. Auffi toutes les années, a certaines époques, y agitoit-on vigoureufement les grandes queftions du focinianifme & de 1'arianifme, du pélagianifme , fémipélagianifme , & cryptopélagianifme , du déisme & du naturalifme ; dè la prédeftination & de la fcience moyenne ; de gratia fanitatis & de gratia medicinali, de la grace extérieure & de la grace intérieure , de la grace-gratuite & de la grace fanclifiante, de la grace aduelle & de la grace habituelle , de la grace verfarile & de la grace congrue , de la grace coopérante & de la grace concomitante , de la grace efficace qui n'eft point efficace, & de la grace fuffifante qui nefuffit jamais, &c. üc. Le profeffeur de phyfique faifoit profeffion de 1'écledifme , ne s'attachoit a aucun fyftême, prenoit quelque pièce de chacun  ) ip c pour ne fe brouiller avecperfonne, &fouffroitfans peine qu'on le traitat de néotérique (novateur ); enfin il ne laiffoit pas d'ètre utile au révérend père Abbé & aux autres révérends fes confrères, en leur faifant paflèr agréablement mainte ennuyeufe après-dinée , foit a voir éle&rifer les chats de la maifon, foit a mettre des moineaux & des chauves-fouris a la torture fous le recipiënt de la machine pneumatique, &c. Dès que le jeune Fauftin eut appris de fon père affez de francois pour ètre en état de lire les contes de ma mère 1'oie , & qu'il eut commencé a mettre le nez dans le rudiment, 1'abbé de la Panfardière , en confidération des anciens fervices que lui avoit rendus la mère, pritlefils a 1'abbaye pour Ie pouifer dans les études; car pour lors en Bavière , c'étoit Pufage de mettre dans les études tout ce qui pouvoit feulement fe procurer un manteau, C'eft au père Boniface que fut confié le jeune étudiant. Or le père Boniface étoit un homme, qui dans tous les frocs & les capuchons des bords du Danube, du Lech, & de Vlmt, pouvoit dire n'avoir pas fon pareil. C'étoit lui qui avoit monté 1'école du village; il lifoit plus d'allemand & de franc,ois que de latin; il avoit même foufcrit pour les nouveaux journaux & lesfeuilleshebdomadaires, & pour comble il cnvoyoit de tems en tems fous  ) ii c un nom déguifé quelques morceaux a inférer dans les collections du pays: ce qui lui attiroit les railleries de fes confrères , & lui faifoit donner parmi eux le fobriquet de pere Bel-elprit , ( ou comme ils difent, Bellettrifte.) II inftruific donc Faufiin dans la géographie &l'hiftoire tant des hommes que de la nature; mais fon étude favorite étoit la philofophie , & fes principes les plus familiers étoient les effets de la vraie fageffe, favoir la propagation des lumières, 1'inftruction du peuple , la tolérance , 1'aclivité politique, la fimple raifon dans tout. CHAPITRE SECOND. Efqiüffe de notre Jiècle. Les lumières ont déja percé fi avant aujourd'hui, difoit a Fauftin le pere Boniface, que c'eft un yrai bonheur d'ètre né dans notre fiècle. Nous avons des écoles de province & des. académies, des journaux & des magazins , des bibliothèques & des recueils; des gazettes politiques, littéraires , économiques , de médecine , de théatre ; des almanacs & des portefeuilles , des encyclopédies & des didtionnaires de fciences , des lexiques & des aunales, des inftituts de philantropie & de prédica-  ) 16 ( rus s'écrièrent: graces! graces aux lumières de notre fiècle ! Arriva la - defliis un bref qui fupprimoit vingtquatre jours de fête : nouveau cri de joye des deux philofophes. A merveilles ! dit Fauftin , voila juftement ce que j'attendois ; c'eft une belle occafion que le ciel m'envoie,- pour mettre a mon tour la main a 1'ceuvre. C'eft mon père qui doit faire la proclamation du bref ; je veux de mon coté haranguer les payfans, les guérir de leurs pieux & anciens préjugés, & les exhorter au travail. II falloit voir les 'payfans , bouche béante, & ouvrant de grands yeux, écouter la proclamation du bref de notre faint père le Pape , baiffer Poreille quand ils entendirent les ordres du fouverain qui leur enjoignoient de s'y conform er , fecouer la tête quand Faujlin eut commencé fa harangue , & le planter la avant qu'il en eut feulement achevé Pexorde , captatio bsnevolentLz. Je m'attendois bien a cela, murmura le père de Faujlin. Encore rien de gaté, répondit celui - ci; il ne s'agit que de leur donner Pexemple, & nous n'y manquerons pas dès qu'il arrivera une des fètes fupprimées. Elle arriva en eifet; les payfans vinrent a Péglife, comme de coutume , & la trouvant fermée fe mirent a injurier le pape  ) w ( médiation , & pria fon mari de lahTer paffer la ritiit au malheureux fugitif dans quelque coin. Pas mème fous un arbre qui m'apartienne , reprit en jurant le payfan, & il chafla Faujlin de fa maifon. Tout confterné de Paventure il gagna une hauteur voifine d'un bois, & fe coucha fur le gazon au pied d'un hètre touifu. Ah ! père Boniface ! dit - il avec un foupir , ou vous m'avez trompé , ou nous le fommes tous les deux. Vous couchez en prifon, & moi a la belle étoile, & le tout pour avoir travaillé a faire percer la lumière! & tout-cela dans le fiècle philofophique ! Puis il fe mit a rèver fur ce qu'il deviendroit, & tout au milieu de fon chagrin , il s'endormit profondément. A fon réveil ia première chofe qui lui vint dans la tète, fut le fouvenir de Munich. C'eft la qu'il faut aller , fe dit-il a lui-mème ; il y a une académie des fciences tout récemment formée; s'il exifte en eifet quelques veftiges de lumières dans le Duché, ce doit être a Munich, ou nulle part. On ne manque pas un dimanche de nous parler en chaire des habitans de cette vide ; nos curés de village les traitent impitoyablement dans leurs prönes de modernijles, d'indifférentiftes, d'athées, &c. preuve fuffifante de leur facon de penfer philofophique. En difant cela il fe léve & prend la ruute de la capitale.  ) *3 ( II étoit déja nuit tpmbante quand Faujlin entra dans Munich. Comme il vouloit paifer par une rue étroite , il la trouva barrée par une foule de gens attroupés qui faifant retentir les injures & les imprécations s'amufoient a jetter force cailloux aux fenètres d'une maifon de trés - peu d'apparence. Parmi ces affiégeans il remarqua des gens de différent acabit; on voyoit qa & la briller le galon ; les habits noirs, les foutanes, les perruques rondes, y étoient en plus grand nombre. La pluie de pierres ne ceffa que quand il h'y eut plus veftige de fenëtre. Alors parut un corps de cavalerie démontée, qui difperft les lapideurs de tous étages, & rendit le paffage libre. Le lendemain toute la ville ne parloit d'autrc chofe; la haute & baffe populace étoit diviféc en deux partis qui s'efcrimoient pro & contra. Quel eft 1'homme a qui Ton a fait une fi mauvaife plaifanterie ? demanda Faujlin a fon hóte. Eft ce que vous en favez quelque chofe 'i demanda celui-ci a fon tour. Vraiment , reprit Jfagftl, fy èatiï Comment, vous y étiez ! inter-.ivement; je voudrois pour le meüleur tonncau do ma cave avoir aufli affifté a la cérémonie, ,1'y euffe travaillé de bon cceur. pas refté les mains dans les poehes , a ce que je penfe ? Hélas ! 6 fait, dit iTgjtgfa ; i B i'igiiOM mème encore a cette heure B 4  ) H ( fi 1'infortuné méritoit eet outrage. S'il le méritoit!' dit 1'hote en coJère ; on ne lui a fait que trop de grace; il falloit détruire de fond en comble ce repaire infernal, & enterrer toute la nichée fous les ruines. N'eft ce pas un de ces nouveaux do&eurs, un de nos réformateurs, qui favent tout, qui corrigent tout ? en un mot, un de ces apötres lans miflion, de ces prètres fans foutane, de ces académiciens ? Celui-ci nous a mis d'abord 1'évangile a la nouvelle orthographe ; a préfent il veut réformer les écoles, inventer un nouvel A B C, nous faire apprendre un nouveau catécliifme, & tout bellement , fans qu'il y paroiffe, nous faire trouver luthériens un de ces matins. Ma is nous n'y fommes pas ! II ya encore a Freyfmgue *) des gaillards qui ne fe laiifent pas endormir , & qui lui mettront le pouce dans 1'ceil. Entre nous , camarade, vieille bière & vieille croyance , c'eft encore ce que nous avons en Bavière de meilleur. Fauftin fe frottoit les yeux & les oreilles, & fe tatoit de tout coté, pour fe bien convaincre qu'il voyoit & entendoit réellement, & que fes fens ne lui faifoient point illufion. II étoit a cent mille lieues du pays ou il croyoit ètre. Enfin cependant, fe dit-il a lui-mème, il faut bien que *) Petite villeoii réfule 1'évéque qni s'intitule d'Augsbourg. Voyea lettres d'un voyageur francais fur l'Memagnc, z Vol,  ) ü ( eet académicien penfe réellement en philofophe» puilqu'il travaille a éclairer la nation; par conféquent c'eft mon homme. Et fans autre information il va trouver le pauvre académicien, qui aux dépens de fes fenètres avoit rétabli 1'orthographe de 1'évangile. C'étoit 1'homme le plus aimable, le plus poli, le plus aifable; il fit a Faujlin 1'accueil le plus gracieux , & lui offrit fes fervices avec chaleur. Fauftin lui circonftancia fa pitoyable hiftoire, & finit fon récit par une condoléance fur la lapidation de la veille. Ne parions pas de cette bagatelle , reprit 1'académicien; ce n'eft encore que la troifième fois que 1'on me fait eet honneur-la ; ainfi vous voyez que notre académie nous eft tout aufli inutile qu'a vous votre bonne volonté. Tout ce que nos auteurs répétent a 1'envi fur nos lumières , fur notre tolérance ; fait fans doute honneur a leur cceur : mais, dans le fait, on fe preife un peu trop de donner a notre fiècle le furnom de philofophique. Car enfin , eft-ce la peine de tant le próner, quand on fonge que fur un efpace de mille lieues quarrées il fe trouvera peut-être une dixaine de perfonnes qui auront aifez de tète & de courage pour travailler a expulfer la barbarie, mais aufli qui pour recompenfe feront lapidées par tout le refte de la nation ? Nous aurons beau travailler, nous n'y ferons que de 1'eau claire ,  ) *7 ( faqon de penfer telle que vous 1'avez , cette langue ne fauroit devenir nuifible entre vos mains; vous vous en lervirez comme d'un véhicule pour la raifon, comme d'un contrepoifon précifément contre la contagion des prétentions francoifes qui nous gagne. L'académicien produifit donc Faujlin dans quelques bonnes maifons , pour y donner des leqons , & le jeune homme accoutumé a un genre de vie peu fomptueux , vivoit trés- content du petit produit de fon métier de précepteur , qui cependant, comment 1'on fait, ne va pour Fordinaire qu'au tiers des gages d'un laquais. II couroit d'une porte a 1'autre pour ne pas manquer fes beures; n'épargnoit point les révérences quand il en falloit faire pour obtenir fes honoraires du mois ; écoutoit patiemment les impertinences des femmes de chambre dédaigneufes, fe laiffoit rudoyer par maint laquais ou coureur galonné du haut en bas, & fe confoloit de tout cela en voyant que fes'peines n'étoient pas tout a fait fans fruit & que fes éléves prenoient du gout pour la vérité. Le hafard lui fit faire la connoiiTance d'un jeune fils de marchand , nommé Traubach, fraichement de retour de 1'univerfité óülngpljladt. Mème faqon de penfer , mème goüt pour "les fciences, mème pafiion pour le beau & le vrai, il n'en falloit pas tant pour en faire en peu de tems  ) 28 ( des amis intimes; mais Traubach avoit un avantage, c'étoit un peu plus de connoüfance du monde. Ils pa/lbient les heures entieres a raifonner fur les révolutions de 1'empire des lettres, fur les guerres littéraires, furies infurcediotis du fenscommun , fur la furieufe défenfe & les terribles forties du fanatifme, enfin fur le fuccès que le premier avoit obtenu par le fecours de la philofophie. Saus doute , difoit Faujlin, qu'a Ingoljladt c'eft 1'age d'or tout pur de la raifon viètorieufe, & Cl Munich eft le temple des lumières, Ingoljladt doit en être le fanduaire. Uniquement confacré aux Mufes, élóigné du luxe de la cour, du tumulte d'un public corrompu , des intrigues d'un clergé ambitieus , c'eft la que 1'on peut fe rerifermer dans le fanduaire de la raifon & de 1'hu- manité Que tu és loin de la vérité ! répondoit Traubach. C'eft précifément eet éloignement de la politeife & de la délicateife d'une cour brillante, d'un public nombreux , agité,' inquiet, dont les pafiions, les intéréts, les opinions, les vues , fe croifent de mille manières, occafionnent mille chocs, mille frottemens entre les individus , c'eft , dis-je, 1'éloignement de ce tableau animé , dont la contemplation peut feule former le vrai philofophe , qui laüfe les idéés bornées a un petit uombre, renfermées dans une étroite fphère ,  ) *9 ( n'enfante que de vaines dilputes de collége, de la pedanterie, des bagatelles favantes , & pas 1'ombre de faine philofophie. II eft vrai que depuis que 1'on s'eft débarraffé des peres , on n'a pas laiifé de faire quelques bonnes chofes; mais il refte toujours la leur docleur obfcurus, qui s'eft fait didtateur de la république littéraire, s'eft maintenu a force d'obfcurité dans une elpèce de delpotifme, & s'eft emparé de force des rënes du bon-fens national pour le diriger a fa maniere. *) Ainfi, a parler vrai, il y a en eff'et plus de lumières ici qu'a Ingoljladt. Pour convaincre Faujlin de la vérité de cette démonftration, Traubach le conduifit dans un petit cercle d'amis qui tenoient leurs alfemblées fans cérémoniel, & dont les membres firent paroitre tant de lumières & d'elévation de génie , que Faujlin enchanté ne doutoit plus d'ètre né réellement dans le fiècle philofophique. Tout a coup , on entendit crier dans toutes les rues : Miracle! miracle ! *) Ce diftatetir, un certain Stattler , exjéïuite , après avoir régné longtems 1'ons le titre de doifteur ebjcurui, a cependant cédé depuis le haut - bout a d'autres.  ) 30 ( CHAPITRE CINQUIEME. La Comêdie des Diables. JEn ce tems-la, un vénérable vagabond, nommé Gajfner, prètre de fon métier, s'amufoit dans un coin de la Sonde *) a chaffer les diables & a faire d'autes miracles. Une pauvre femme qui mendioit , étant allée a Ellwang avec deux bequilles, & n'en ayant rapporté qu'une, elle s'avifa de crier au miracle dans les places de Munich , & tout Munich répéta : Miracle ! II ne manquoit plus que ce trait a notre fiècle philofophique , dit Traubach. En effet, voila un vilain tour , ajouta Faujlin ; il faut que j'en écrive au pere Boniface; mais je le plains, il va ètre a la torture ; car, felon le grand philofophe , philofophie & miracle fpnt deux chofes abfolument incompatibles. Le parfum de la fainteté de Gajfner fe répandit au long & au large; les autres prètres monterent dans leurs tribunes, crierent viètoire, & pulvériferent les efpritsforts ; enfin le Seigneur, dans ces tems critiques pour fon Églife, avoit fufcité, un prophéte en Ifrael, afin de confondre les incrédules, & afin de rétablir la foi orthodoxe * ) Voyez lettres d'un voyageurs- francois fnr rAUenia!;ne, Ier. Vol.  ) ?i ( dans fon premier éclat; ils invitoient les peuples a en rendre graces a Dieu. Dès-lors on vit reparoitre les revenans , les forciers , les efprits, qui depuis longtems avoient ceffé de faire parler d'eux} & tout ce que les diables de 1'ivrognerie , de la débauche , de la luxure, avoient affligé de goute, d'épilepfie , de fpafme , de fciatique, &c. tout cela fe trainoit ou fe faifoit trainer a Elhvang, pour fe faire chaffer ces diables du corps. Les fages mêmes ne pouvoient plus fe refufer a Pévidence. On ne voyoit que poffédés ; hommes , animaux, denrées , tout fe trouvoit endiablé; les exorcifeurs avoient a peine le tems de refpirer , & 1'on n'ofoit plus boire que de 1'eau benite. Ce n'étoient que charmes & contrecharmes , enchantemens & défenchantemens , encenfemens , fumigations, exorcifmes , bénédiclions , onctions , afperfions, fignes de croix par milliers fur tout ce qui fe trouvoit entre le ciel & la terre. Les Princes-Évêques de Salzbourg & de Mayence effayerent de parler raifon dans leurs lettres paftorales aux fidèles; mais les moines & les prètres ne difcontinuèrent pas pour cela de donner au diable tout ce qui exiftoit, afin de fe faire payer par tout ce qui exiftoit pour chaffer le diable. Des gens riches & de condition fe laifferent perfuader qu'ils étoient malades , & enfuite qu'ils  ) ( avoient été guéris. Plufieurs qui étoient réeilement malades, firent des voyages a grands frais; puis pour ne pas fe faire huer a leur retour & fe confoler eux même?, ils fe perfuaderent & perfuaderent a tout le monde qu'ils étoient guéris. Gajfner fe vit béatifier & canonifer de fon vivant j fon portrait gravé fut expofé dans les églifes, révéré dans les maifons, avalé en pillules, employé en fuppolitoires , donné en médecine au bétail , en peifaires & en topiques aux jeunes filles pour les préferver des vapeurs. Enfin Faujlin & Traubach n'y purent plus tenir ; ils partirent pour Ellwang, afin de voir par leurs yeux & de mettre le doigt fur la chofe. A piè , a cheval, en charettes, en chaifes de pofte, en voitures a fix chevaux , on couroit de toute part a Ellwang, & les routes étoient couvertes de voyageurs, tous malades de faqon ou d'autre , fourfrans dans le corps & dans Pame; & courant a la pilcine de Siloè pour y trouver le falut de Pun & de Pautre. Les aubergiftes , boulangers , traiteurs , maitres de poftes, ne fe ïaifoient point d'en dire merveilles , d'autant plus que les prodiges de Phomme de Dieu fe réalifoient dans leur poche , par Paffluence qui leur venoit de tous les cercles du faint empire Romain. l Dès  ) 3S C ble de notre philofophifme ! En vérité notre académicien qui fait fi bien la véritable orthographe de 1'évangile, a raifon : il falloit aller plus loin avant que de crier fi haut. CHAPITRE SIXIÈME. Danger plus grand que k premier. E n arnvant a Munich , ils lurent quelques morceaux de 1'ouvrage intitulé: Littérature de VAL lemagne catholique *). De mieux en mieux! s'écria Traubach en fermant le livre j Gajfner &ces meffieurs n'ontqu'a continuer, & nous ferons bientöt tout lumières. Pour la gloire & Vutilité de la nation ! c'eft en vérité s'y connoitre ! Puis; par des patriotes catholiques ! mais c'eft - la un nonfenfe. Oui, oui, c'eft un non-fenfe, répëta Fauftin. Quelques jours après celui-ci vint tout triomphant trouver fon ami Traubach , & lui montrer une brochure excellente , juftement fur Gajfner le thaumaturge, par un favani théatin qui déja pendant fix années avoit fait fes preuves contre un moine rubicond , bien nourri, au nez bourgeonné, champion infatigable de la forcellerie *) C'eft en efFet le titred'un livre, dont tout le monde toari, ne nifement le contenu. °  ) 39 C fans ètre grand forcier. Je foühaite , -dit Traubach , que cette brochure fafle quelque effet. Elle en fera, elle en doit faire reprit vivement Fauftin. Oui dit Traubach, mais dans quelfens ? Je tremble pour 1'auteur. La mémoire de ce qui s'eft paffé tout récemment eft encore trop fraiche ; & croyez vous qu'aux yeux du public il y ait des raifons contre les décifions & les fotifes émanées de tribunaux entiers ? N'a-t-on pas en 17^2 brülé dans fa ville épilcopale de Würtzbourg, a la grande édification de la fameufe Univerfité , une pauvre idiote fous le nom de forciere! N'a-t-on pas fait en 1766, a Bouchloé en Souabe, du nommé Longanus, un capitaine de forciers , quoiqu'il ne fut que membre d'une bande de Bohémiens, afin d'en faire un exemple ? N'a-t-on pas . . . , . Fauftin trouvoit cent raifons pour une qui prouvoient démonftrativement que le moment étoit venu oü le public alloit ouvrir le yeux , & qu'enfin alloit commeneer le fiècle philofophique pur. Plein de cette heureufe confiancê , il regagnoit fon logis, contemplant dans fon imagination fe triomphe univerfel de la raifon , lorfque ce grand fpedacle fut troublé par la rencontre la plus imprévue. Au détour d'une rue il fe trouva nez a nez de 1'auteur même de la divine brochure , & le favant étoit fuivi d'une troupe de gens qv C 4  ) 4° ( Ie huoient criant i pleine tête : ennëmi du diable? ennemi des forciers ! ennemi de 1'enfer» & Port répétoit de toutes lesfenêtres : ennemi de 1'enfer! A ces cris notre zélateur tout honteux rangea la muraille & fe glifla dans un caffé , ne fachant que penfer. La feuille d'avis avec privilege élec. toral étoit devant lui fur la table; il la prit pour fe diltraire, efpérant y trouver la notice de quelque chofe qui fit honneur a la raifon, quelque tracé en un mot du fiècle philofophique, qui lui rendit un peu d'elpoir & de confolation. Mais quel nouveau coup de poignard quand il jettales yeux fur un article quicontenoit un relevé authentique des régiftres criminels de la feule régence de Bourghaufen, fourni par une perfonne de marqué, par lequel relevé il étoit prouvé que pour ce feul diftrict, dans 1'intervalle de 1748 a 1776, le nombredes perfonnes bvrées par les juges aux bourreaux fe montoit a onze mille ï II fe rapella avec douleur que c'eft juftement a 1'an 1748 que 1'on fixe le commencement du fiècle philofophique. II lui prit fantaifie d'apprécier avec quelque exaèlitude les influences bienfaifantes de la déeife de la juftice, & prenant un crayon il fit le calcul fuivant par régie de trois. Si dans le diftrict feul de Bourghaufen il y a eu dans un eipace de 28 ans 11,000 perfonnes  ) 4i ( égorgées folemnellement & dans toutes les formes, il faut, felon les loix de la proportion, compter dans le mème efpace , au petit pié, pour Straubingen 12,000 malfaiteurs, pour Landsbout 12,000 , pour Munich 15-,000, pour le haut Palatinat 10,000. Ce qui fait urie fomme de f 0000 affaffinats judiciaires pour le feul efpace de 28 annies , compofant le premier tiers du fiècle philofophique ; de forte que fi Pon continue avec la mème devotion d'immoler des viétimes fur les autels de Paveugle déeife, il fe trouvera que de 1748 » 1848 , ou dans tout le cours de cetilluftre fiècle, on aura pendu, décapité , roué , brülé , écartelé , tiré a quatre chevaux , &c. &c. &c. dans un petit canton de 729 nulles quarrés , deux cent vingt mille créatures humainesj fans faire mention du nombre encore plus grand de ceux qui dans d'affreux cachots auront été tourmentés des horreurs de la faim, dévorés par les infecles , étouffés par le mauvais air, pourris dans Pordure, torturés a la queftion Viétoire a la railbn ! Viétoire a Phumanité ! Mais en revanche nous avons 28,709 églifes bien rentées, dans lefquelles nous pouvons fort a notre aife dire ou faire dire, pour le repos de toutes ces ames , autant de  ) 4* ( de profundis nous plaira, & c'eft toujours une confolation. , Fauftin avoit le cceur navré , & cette dépopulanon juridique de fa chère patrie 1'affligeoit . au point qu'il rèvoit jour & nuit aux moyens d'y remédier. Enfin il fit un petit livre, dans lequel il démontroit la difproportion extréme du nombre des moines & autres eccléfiaftiques avec celui des habitans, le ridicule & 1'abfurdité de leur dodrine, commentóit un certain paifage de Phiftoire univerfelle de Schlager * ) & prouvoit clairement que toutes les femmes de Paleftine veuoient au monde & mettoient au monde comme les autres filles d'Eve. La fcandale fut grand ; quelques moines & quelques folliculaires affamés crièrent a Phéréfie; le corps entier des bonnets quarrés demanda qu'il fut fait perquifition de 1'auteur , & les inftances furent fi vivement poulfées a la cour parun exjéfuite , que Fauftin couroit le plus grand danger. Traubach en fut bientót inftruit, & fachant qu'entre toutes les haines des plus dangereufes nl2,Cfb7r0fefreU, deM'^' ™P™ deplufïeurs ouvrages plemsdera.fon entr'autres d'un recueil périodique de notiees pohbques onpnales, infïniment curieufc , recueil marqué au Z nl^-T f.f5 f°lide' & di*ne d'êtte ™n„u chez nous qinl ne reft probablement , quoique 1'on en fade beaueoupdafage dans le ******* hijlo^ue qui paroit toute*  ) 4? ( créatures terreftres, la haine la plus formidable eft celle des prédicateurs de la charité, il n'eut pas plutöt appris ce qui fe palfoit qu'il courut fe munir d'une chaife de pofte ; puis fans perdre un inftant, il fe rendit chez fon arni, lui aida a faire fon paquec , 1'embarqua dans la voiture, & lui fit prendre le chemin des portes. Mais que fais - tu - donc ? demanda enfin le pauvre auteur en fe voyant en rafe campagne. Je te tire des griffes monacales, répondit Traubach. Mon père a des affaires en Italië , qui m'obligent a en faire le voyage ; je te menerai a Venife , ou 1'hydre noire ne t'attrapera pas : les Luftriffimes out le fecret de la tenir un peu en échec. Et la-deffus toujours roulant fans regarder derrière , 1'on tira droj* vers les frontières du Tyrol. CHAPITRE SEPTIÈME. Itinêrairc philofophique. Vifion fuivie d'un exil. M ais comment peut-il fe faire , difoit Fauftin , que dans le règne des lumières il fe joue des fcènes de ténébres comme tout ce que j'ai vu ? Paffe pour être chaffé de la Panfardière; mais ce que je ne faurois comprendre en aucune faqon, c'eft que, pour avoir voulu aider un peu  ) 44 ( au triomphe de la raifon , je fois contraint de fuir de ma patrie ! Je le comprens bien , moi, dit Traubach. C'eft le cas de tous ceux qui, commt? Pompée, s'avifent de pénétrer dans le fandtuaire, & n'y trouvant rien , mettend a nud 1'embon. point des flamines du rien devant les yeux des yénérateurs du rien. La profanation du fandtuaire étoit punie dans 1'ancienne alliance par 1'excommunication , &l'on en étoit quitte pour prendre quelques bains; mais dans la nouvelle alliance, fous la loi d'amour , il n'y va que des fers, de la prifon, de la mort .... II longèrent la fameufe muraille de St. Martin, *) & tout Infpruk crut fermement que c'étoit 1'archange 51?. Raphael qui ramenoit par deifus les rochers le coureur de daims Maximilien qui s'étoit égaré. Le gouvernement s'y trouvoit fort embarrafl'é d'un procés de forcellerie qui avoit pris nailfance a Lienz d'une paire de culottes , & que les fuppóts trés - éclairés de la juftice favoient fi bien mettre a profit, que déja la moitié des habitans languiifoit dans les fers. *) Grand rocher taillé k pic, h qui la reffemblance a fait donner ce nom; 1'Empereur dont il eft queftion s'y Fourvoya réellement etant a la chafle, & d'après la nature des lieux 1'on ne put eomprendre m comment il y étoit entré ni comment il en étoit forti.  ) 4f C Trente , ce célébre monument de la fupériorité du bon-lens tudefque ( & catholique ) , leur fournit la matière de bien des réflexions. II parlèrent avec une pitié mëlée d'étonnement de Pobéiifance fervile avec laquelle un tiers de VEurope courbe la tête Ibus le joug du code impolitique & bizarre compilé il y a 300 ans dans cette bicoque, par quelques barbes grifes, a qui le St. Père envoyoit chaque' lèmaine régulièrement le St. Efprit dans une valife , pour donner au diable, en vertu de 1'infpiration immédiate, tout honnête homme qui épouferoit fa commère, ou dineroit un vendredi avec une foupe au lard. Ils arrivèrent a Vérone-/)\xi\ement comme on y célébroit la fète de Pane. PArchévêque, a la tête du clergé en corps, entonoit Phymne : Orientis partibus Adventavit afinus Pulcber & fortijjimus , &c. Des pays d'orient vint un ane puiflant, de belle allure , &c. faite a la gloire du faint baudet qui eut Phonneur unique d'être le premier porte-Dieu, après Satan. La précieufe tête du bienheureux quadrupède , enrichie d'or & de pierredes , étoit expofée a la vénération du peuple; & quiconque a force de heurter , prelfer , coudoyer la foule, étoit affez heureux pour arriver au repofoir & y baifer  ) 46 ( pieufement la machoire rniraculeufe du baudet, obtenoit a chaque application des lèvres indulgence plénière pour lept années & autant de carêmes. Lorfqu'ils paffèrent a Mantoue , ils trouverent tout le peuple agenouillé devant une tafle de cryftal, paree qu'un moine a beface s'étoit avifé de dire dans un fermon qu'elle étoit pleine du vrai Tang forti de Ja 'plaie faite dans le coté gauche du crucifié par la lance de Longin. A Parme ils entendirent un légat a latere, qui a des conditions onéreufes & odieufes levoit 1'interdit & révoquoit 1'excommunication fulminée par rimbécille Rezzonico contre le duc du lieu & fon pays. k'Modène ils furent extrèmement édifiés par la fuftigation de quatre citoyens , que la fainte inquifition, avec 1'agrément du Père de la patrie , faifoit fouetter publiquement & enyoyoit aux galères , après avoir confifqué leurs biens & déclaré leurs enfans batards * ). A Ferrare ils alfifterent a la publication d'un •bref du Pape, faite par le cardinal - vicaire , par lequel le St. Pere fulminoit Panathême contre quiconque auroit 1'audace de dire que cette province eft un fief de 1'empire. ") La réhabiütatiou a eu lieu en 1780 après la mott du duc.  ) 47 ( Mais ayant pafle malheureufement devant 1'églife de St. francais a Fadoue, ayant lu fur le frontilpice 1'infcription fuivante : Exaudit quos non audit & ipfe Deus.' n Si Dieu n'écoute pas , verjez , Francois exauce ! „ & n'ayant pu retenir quelques exclamations qui furent entendues , ils virent bientót a leurs troufles les bandits que le féraphique provincial des capucins tient a fes gages; plus d'un ftilet leur effleura la peau ; a peine eurent-ils le tems de fe mettre fur la Brenia pour ne pas devenir les vidimes d'une capucinade. Quel dommage pour un fi beau pays! s'écria Traubach ; fans cela ce feroit le vrai paradis terreftre. 11 faut avouer, dit Faujlin avec un fou_ pir, que je ne me ferois point encore attendu a des chofes fi diamétralement qppofées a 1'elprit de notre fiecle. Les articles Tridentins, Pabfolution de Parme , les flagellations de Modène, les bandits féraphiques , je ferois tenté de prendre tout cela pour des vifions, fi tout cela ne faifoit pas Pobjet de la profonde vénération de peuples entiers. Traubach Pengagea a reprendre courage, lui paria , pour le confoler , des fages ordonnances de la république fur les terres de laquélle ils fe trouvoient alors , & des mefures qu'elle  ) 48 ( avoit prifes contre les coups d'autorité de Porgueilleufe Rome. Enfin tout en faifant ces colloques ils fe trouvèrent au beau milieu de la place de St. Mare. Jamais ils n'avoient été aufli exademeiit examinés , fouillés & vifités; & pour comble de précautions, un elpion de police les fuivit & ne les quitta plus des yeux. -C'étoit juftement la fin du carnaval j ils ne furent pas peu étonnés de trouver la une bande de grande/fes efpagnoles , de préfidens francois , de -lords anglois, d'excellences & d'alteifes allemandes , ailleurs tyrannilant les provinces, inquiétant les rois , foulevant la populace , menant des troupeaux d'hommes a la boucherie , ou didant des loix a VEurope, & la, traveftis en pantalons , en arlequins , en gilles , danfer, cabrioler , faire mille folies , fe délalfer en un mot, fous un vifage poftiche, de la repréfentation du grand - homme, fe livrer a des farces dont ils logeroient les auteurs aux petites-maifons dans leur patrie. Faujlin & Traubach palferent la quelque femaines dans le plus parfait repos. Ils ne manquoient pas un jour d'aller a Popéra bouffa ou féria, & ne manquoient pas non plus d'en revenir toujours bien & düment confpués, en conféquence du beau privilege qu'ont les nobles Fantaloni de cracher  ) 49 -( cracher tout a leur aife du haut de leurs loges au vifage & fur la tête de leurs concitoyens du parterre quoique républicain. Chaque jour, a la grande édification de leurs atnes , ils pouvoient paffer a volonté , ou des tréteaux de Polichinel débitant fes impertinences fur une place publique, a ceux d'un exégète décharné prêchant la pénitence a quelques pas de la fur la menie place , pour la plus grande commodité des auditeurs : ou vice verft* Ils fe promenoient tous les jours en gondole, vifitoient les arfenaux , les antiquités, les monumens des arts, & n'ofoient s'étonner que par la penfée feulement, foit de la follicitude extraordinairement inquiète & févère du gouvernement pour les vains propos des politiqueurs , foit de la fingulière facilité avec laquelle il " expédioit annuellement dix a douze mille privilèges de courtifanes. Cependant arriva le grand jour de 1'afcenfion, auquel, comme tout le monde fait, fe font les époufailles du doge avec la mer au nom de la république. Faujlin & Traubach fe mirent dans une gondole, fur laquelle fe trouvoient déja un anglois , un franqois, óc deux autres inconnus. II faifoit le plus beau tems du monde; le golfe doré par les rayons du foleil & battu par des milliers de rames , offroit Je coup d'ceil le plus D  ) fo ( brillant. Le corps entier des nobles \ tout fier d'avoir trouvé un empereur ( Charles - quint ) qui' fe foit lailfé noblifier par eux; puis d'un autre coté celui des dames, non moins flattées de s'entendre nommer reines de Dalmatie, étaloient au grand jour toutes leurs magnificences. Enfin parut le Boucentaure éclatant de dorure , portant le doge & tout le magiftrat in pontificalibus. L'acte fut paffé, comme a 1'ordinaire , avec toute la gravité requife pour la cérémonie d'une alliance auffi importante. Le doge ftipula qu'il fe marioit avec la mer au nom de la férenillime répuplique, sn témoignage de la domination fouveraine & exclufive qui appartenoit a celle-ci fur celle-la; en même tems il jetta 1'anneau nuptial dans les flots , & le tout fut confirmé du fuffrage unanime de la populace, donné par acclamation. Voila une plaifante idéé ! dit le francois; je veux être pendu fi ce n'eft quelqu'un de nos gafcons qui a inventé ce mariage. C'eft bien la gafconade ou la pantalonade la plus majeftueufe qui fe fafie dans le monde > & a propos , les nouveaux mariés couchent-ils enfemble ? Le doge & fes nobles mériteroient bien du moins, répondit Panglois, qu'on leur donnat une couple de fois la cale *) pour les accoutumer aux embraf- *) La cale mouillée, efpèce de chatiment employé fur les vaiffeaux, qui confifte a plonger par plufieurs reprifes le coupable dans 1'eau,  ) n ( femens de k mariée. Les fouverains de la mer ! .. avec leur couple de vieilles carcalTes de vaüTeaux de' ligne, & autant de chébeks poucris ! fe proftituer tous les ans comme des échapés de Bedlam paree qu'un poète croté leur a fait jadis tournetla tète avec une couple de daclyles ! * ) 11 faut convenir , ajouta Traubach , que cette folemnité ne fait pas honneur a la philofophie des Luftriffimes. La deifus ils mirent pied a terre & gagnerent k plus prochaine auberge , ou ils débouchoient déja une bouteille de Montepoulciano, lorfqu'ils fe virent faifir au collet par quelques sbirres qui les conduifirent dans un cachot. Le lendemain ils furent produits devant le fénateur Arcibalordo, qui du ton le plus froid leur demanda : qui étes - vous pour ofer raifonner fur nos ufages ? En difant eek , il fit un fignal, un rideau fut tiré , & Pon vit un cadavre attaché a une potence. L'apparition fut accompagnée d'une voix terrible, qui dit : telle eft la recompenfe de ceux qui jugent nos loix ! — Cependant Pon fit *) Viierat adriacis Vendam Neftunus in undis Stare urbem , & toti pottere jura falo. Malheureufement les Vénitiens prirent au fe'rieiix ce diftiqtie dn verfificateur Sannazar, & lui payèrent cent ducats pour chaque Ters, en recompenfe de fa flateufe hyperbole, D z  ) ( grace aux malheureux ; le franqois & 1'anglois en furent quittes pour un an de féjour fur les galères, Faujlin & Traubach pour décamper dans les vingtquatre heures. Hé bien ! dit Faujlin en foupirant, nous voila tout aufli mal ici avec la tolérance politique , que chez nous avec la tolérance religieufe. Bienheureux encore, dit Traubach, d'en fortir a fi bon marché ! Je le crois bien , reprit Faujlin; mais ou irai - je a préfent ? Les docleurs théologiques, les littérateurs de PAllemagne catbolique , & les exjéfuites me ferment le chemin de ma patrie : en Italië, je tombe des nues .... Traubach lui donna quelques lettres de recommandation pour Naples; ils jurerent en s'embraifant de ne jamais s'oublier ni s'abandonner, & fe quitterent. Traubach reprit le chemin d''Allemagne, Faujlin s'embarqua pour Ancone. CHAPITRE HUITIÈME. Maifon volante. Congrêgations. Jubilé. u N E bande déguenillée de gueux aux yeux hagards fe prelfoit fur le port a la defcente du batiment; ils affaillirent les palfagers, en leur  ) ff ( demandant Paumóne d'un ton brufquè & mena<;ant. faujlin la leur donna en tremblant , & fe hatade fortir de Ia,ville pour fe rendre a Loretto. II grimpa la montagne , faifi d'un faint refpect. Le parvis du temple étoit couvert dans toute fon étendue d'échopes & de boutiques remplies des précieufes bagatelles & des jouets facrés de la fuperftition. Toute 1'enceinte de Féglife étoit flanquée de pièces de canon. Des gardes étoient poftées aux portes de la fainte café de Nazareth , & avoient alfez a faire de repouffer a force de bourrades les dévots & dévotes qui vouloient gratter un peu de pouffière des briques dont les murailles faintes font conftruites: fans cette précaution il y auroit déja long-tems que cette dévotion deftrudtive auroit fait écrouler la maifon fur fes fondemens. L'huile, les cierges & 1'encens qui brülent perpétuellement dans Fintérieur, le remplilfent d'une vapeur épaiife qui ne permet pas d'y entrer fans être faifi de vertiges. Auffi n'y voit-on que les fymptómes & les accès les plus violens de la fièvre du fanatifme. Défaillances , yvrelfes , extafes , gémiffemens , cris de joie , foupirs brülans, pleurs , fanglots , geftes & attitudes qui correfpondent a ces diverfes fituations de 1'ame, voila ce qui frappe de toutes parts les yeux & les D ?  ) f4 ( oreilles. La foif facrée de 1'or a fu entafier dans ce lieu fingulier, des monts de richeflès. A tous les coins on voit des chérubins d'or planant fur fa tête , defquels le vifage riant femble fe railier des vains erforts que font les Princes féculiers pour abolir les pélerinages & réformer les abus eccléliaftiques. Les fouverains catholiques , qui ont un peu a cceur le falut de leur ame , ne manquent pas d'y entretenir chacun leurs moines chargés d'expedier dans la fainte cafe de Naiareth les crimes publics & fecrets dont ils fouillent le diadême, foit dans le cabinet, foit dans leurs ferrails. Faujlin , après avoir tout obfervé, fe retira dans une auberge. II y vit trois étrangers entr'autres , qui avouant humblement la foibleffe de leur intelligence , difoient ne pouvoir comprendre comment une volée d'anges céleftes avoit transporté la fainte maifon depuis Nazareth jufqu'en Dalmatie d'abord, & enfuite, par-deifus le golphe, jufqu'a la place ou elle eft adtuellement. L'aubergifte , dont le génie étoit bien d'une autre trempe, leur confirma le fait en jurant fur fon honneur. Un doux abbé eut la charité de le leur prouver par la tradition. Mais ayant témoigné par quelques objedtions qu'il leur reftoit encore quelque foibleife d'intelligence, Pabbé fe retira. Au milieu de la nuit on entendit ktout-a-coup du bruit dans la  ) ff C maifon; 1'abbé'entra fuivi d'une demi-douzaine de sbirres, qui enlevèrent les étrangers. Le lendemainmatin onles vit attachés au carcan pendant deux heures , puis recevoir f o coups de fouet fur les épaules, & enfin les mains liées derrière le dos trainés a Citta - nova aux travaux des fortifications, le tout pour les conforter dans la foi, & furtout par grace fpéciale. Faujlin frappé comme d'un coup de foudre^ a ee fpedacle, & auffi confterné que s'il eut été de la partie de Citta-nova, fit de ce moment un padte avec] fa langue, comme fit autrefois Job avec fes yeux, afin de ne jamais ouvrir la bouche pour parler a un Italien de tolérance , de lumières, de raifon, de philofophie. II s'achemina lentement vers la fainte cité , qui fuivant le rapport d'un certain Nafon ( le poète Ovide ) juchée jadis fur fept collines jettoit de la des regards de fouveraine fur le refte du monde. La route leconduifit par Tolentino, fabrique originale du fameux pain de ce nom avec lequel les RR. PP. Auguftins a la grand manche n'ont encore öté ni donné a nos payfans & a nos veaux la plus petite des maladies dont il doit depuis fi long-tems les guérir. La il trouva dix grandes fournaifes embrafées comme la fournaife de Babylone quand les trois jeunes Juifs y exécutoient D 4  ) f8 ( . l'afTemblée pour rejetter la propofition , & le propofant fut interdit pour trois ans. La congrégation de VIndex avoit juftement fous fes griffes dans ce moment, le traité de Lochjlein fur les immunités eccléfiaftiques ; celui de Pereira fur la puiffance épifcopale, & un nouveau volume du Febronius. Ils fe mirent foixante & dix a fuer fur les titres & préfaces pour les défigurer en latin curial de Rome , & après en être enfin venus a bout , il fut annoncé dans le chanip de Mars, tirbi & orbi, a la ville & a 1'univers , que les fufdits livres étoient des ouvrages de ténèbres, des ceuvres de fatan, des couleuvres infernales qui rongeoient témérairement les fondemens du faint - fiège , que tous ceux qui auroient 1'audace de les vendre, acheter, colporter , lire ou tenir chez eux, étoient excommuniés tpfo fa&o, laU fententU, & livrés de ce moment au diable & a fes anges pour le tems & pour 1'éternité. La congrégation de la propaganda avoit formé le projet d'envoyer des Miffionaires dans les Isles ÜOtaheiti, pour convertir ce pays-la , & faire en forte que les dames, au lieu de donner leurs faveurs au premier profane pour un clou, en ufent dorénavant comme d'un cas réfervé a 1'égbfe. La difficulté étoit de trouver un ordre monafhque qui fut en état de les dédommager  ) H ( ma/fes informes de chair , fans graces & lans vie, en horreur aux deux fexes fans apartenir a aucun .... Triomphe de Ia raifon ! s'écria Faujlin, fiècle philofophique ! Mais que fait-on de ces ëtres fans exiftence ?~On les fait chanter pour vous ravir en extafe. Si cependant il s'en trouve un qui n'acquière pas une voix convenable, on le fait prètre ; mais il n'oferoit dire la melfe fans avoir dans fa proche le complément de fa perfonne bien embaumé : ainfi 1'a décidé un faint concile. Ces hommes hors de Phumanité, ces machines chantantes vont de Naples a Fétersbourg , de Lisbonne a Vienne, courent le monde vendant des trills & des fredons , amalfent de 1'argent, & finiifent par acquérir des marquifats ou des duchés. Je fuis lur le point de partir pour Naples , ou monfeigneur le duc Farinelli , chevalier de 1'ordre de Calatrave, &c. &c. qui entr'autres terres poiféde une très-belle feigneurie auprès de Bologne > a quelques falies a faire- peindre. Cependant on n'entendoit parler que de meurtres & d'affalfinats dans la ville fainte. II ne fe paffoit pas de jour que 1'on ne pêchat dans le Tibre des cadavres mutilés, ou que 1'on n'en rencontrat fous fes pieds dans les rues au point du jour. Faujlin commenc.a de trembler pour lui- mème,  ) 72 C les chébeks & la cargaifon, fit encTlakier nuds fur fes bancs de rameurs les turcs prifonniers, & emmena avec luia/« Valette, en qualité d'efclaves, les filles circaffiennes ou autres qui fe trouvoient abord. Amerveille! difoit Faujlin en lui-mème j c'eft a nos chevaliers - moines qu'il apartient naturellement de jurer aux turcs une haine implacable , de même que le droit de leur courre fus en pleine paix , de prendre leurs vailfeaux , & de les réduire eux mèmes a 1'efclavage ; mais fi les turcs s'avifent de nous rendre la pareille, nous les traiterons de barbares, & qui plus eft' nous les excommunierons fans miféricorde, & ce' fera tres - bien fait. Un ufage auftï chrétien lui faifoit naitre les réfiexions en foule, & pour s'y fivrer plusalon aife , il paffa les barrières, & s'égara dans la campagne jufqu'affez avant dans la nuit. Un orage mèlé de pluye , qui furvint , le contraighit de rebrouffer chemin a la hate. Tout prés de la porte il rencontra une bande d'archers & de foldats qui trainoient en ville une file de prifonniers, en les accablant d'outrages & de mauvais traitemens; ceux - ci fouifroient fans rien dire & matchoient, & le ftacas des chaines retentilfoit lugubrement dans les ombres de la nuit.  ) 73 ( Le lendemain c'étoit dans toute la ville une rumeur générale , que 1'on avoit furpris une loge de francs-maqons en pleine féance , & que tous les membres , avec leurs fignaux & leurs inftrumens diaboliques , étoient entre les mains de la juftice. Le fils d'un charbonnier de VAbbroutze, nommé Pallante , devenu miniftre , & qui n'aimoit que les beaux garqons , avoit fu par 1'entremife de quelques traitres raflembler des francsmaqons dans une maifon, & n'avoit pas eu grandpeine a furprendre enfemble ces infortunés. Neuf d'entr'eux étoient tombés dans fes filets; il furent jettés dans les plus noirs cachots, & aufiltót pourfuivis au criminel. La vile ambition des prètres & des courtifans s'applaudiifo.it en fecret des fuccès de la fourbe , & triomphoit de voir 1'ordre étouffé dés fa nailfance par 1'infamie & les fupplices, les défenfeurs de 1'humanité découragés, déconcertés dans leur projet de mettre le roi lui - même au nombre de leurs initiés, de le dégager a la fois des lifières de la fuperftition & des liens de la cabale, enfin de lui faire voir la Itimière , & d'en faire un fouverain régnant par lui mème. On tourmenta les infortunés de toute manière pour en arracher des aveux qu'ils ne pouvoient pas faire ; on mit en oeuvre la menace & la flaterie; on les traina  ) 74 ( de cachot en cachot, & deux d'entr'eux périrent dans les horreurs de la prifon. Cependant 1'amour & le vin , a qui nous devons tant de joye & tant de chagrin, firent quelque cholè en faveur des opprimés. En effet, s'il y a une puüTance capable de faire tomber le mafque de deffus le vifage du fourbe, & de mettre a nud les honteux replis de fon cceur, ce doit ètre celle de 1'amour & du vin. Sur le fein pantelanti d'une nymphe , la nature le rend malgré lui parjure au ferment du crime, & lui fait perdre de vue 1'éclat des recompenfes promifes a fa trahifon ; 1'argent mème qu'il a recu pour fe taire, ^ïangé en Hots de nedar qui lui arrofent le gozier, fert a délier fa langue menfongère, & en fait fortir d'afFreufes vérités. Les fcélérats fubornés par Pallante ne purent fe taire; & il fut obligé de fe débarraffer de quelques-uns par le poilon. Un honnète avocat écrivit une apologie pour les frères opprimés j & Tanoucci eut la petitelfe de faire brüler Pécrit par la main du bourreau , tandis que Papologifte étoit contraint de prendre la fuite. La fète de St. Janvier approchoit. Perfonne n'ignore la légende de ce faint & la pieufe fcène qu'en a tirée le clergé de Naples pour en faire une comédie anniverfaire le jour  ) 77 ( profines, fi le favant, fécondé de quelques ara», ne fe fut haté de le faire difparoitre. U arriva au logis le vifage tout fanglant. Mais les efpions de Pallante avoient déja remarqué Fauftin , lors de la combuftion publique de 1'apologie, paree qu'il n'avoit pu s'empècher de parler de cette affaire avec aifez de hberté. Us ne doutèrent plus pour ce coup que ce ne fut un franc-macon , & ils le dénoncèrent comme tel. Pallante ravi d'avoir entre fes mains un étranger fur lequel fa rage put s'exercer avec moins deprécaution, donna ordre d'enlever Faujlin dés la nuit même dans fon lit, &de le conduire au fort St. Elmo. Heureufement le favant en eut vent par une voie indireéte; il ie rend fur le port a 1'inftant, trouve un batiment prêt a faire voÜe , fait marché avec le capitaine , court chez Faujlin, & lui demande fi par hafard il n'aimeroit pas mieux s'embarquer pour Gènes fain & fauf, que d'aller boire une dofe Vacant* topham dans la prifon, ou quelque cbofe de mieux encore. Fauftin, dont 1'intelligence fiï perfedlionnoit, comprit d'abord de quoi il étoit queftion , & fans balancer prenant congé de 1'honnëte marchand qui 1'avoic accueilli , il fuivit le favant qui lui rendoit un fi important fervice. Le génois étoit prêt a lever 1'ancre; Fauftin ferrant  ) 84 ( Vous faites - la en vérité une lingulière demande ! Efpagne & Bavière, Bavière Sc Efpagne ! Cela ne parle -1- il pas de foi - mème ? ne fentezvous pas 1'harmonie confonante de ces deux nomsla ? D'ailleurs , connoiflèz - vous ailleurs un pays de bénédidion comme VEfpagne , oü 1'on ne fait que faire des figues, des meions, des oranges, des grenades .p Et puis la Siërra confine a VAndaloufie ; or vous n'étes pas la fans avoir goüté de ces bons vins andalous , & du Malaga Sc de VAlicantei cela vaut peut-être bien la bière de Kehlheim Sc de 7b/z ? Et c'eft tout de bon qu'il y a des proteftans parmi les colons ? Affurément , tout de bon ; des Luthériens & des Calviniftes , an moins pour un quart du tout. Mais , au moins , n'y a - t - il point la de patriotes catholiques qui aient imprimé une littérature de la Siërra - moretia catholique, afin d'empêcher que 1'on ne fe tolère & qu'on ne vive en paix, afin de perpétuer le règne de la fuperftition , & d'injurier les hommes qui penfent ? Apparemment que chacun peut-avoir fa littérature a la Siërra; mais d'imprimée, je n'en ai pas encore entendu parler. Au refte nous regardons comme patriote 1'homme qui fait fon devoir Sc fe rend utile a fon pays, Sc il peut-  ) 9i ( me flatte point d'ètre aufli fortuné dans la vraie patrie des champions du pucélage des femmes accouchées, & dans deux jours je me regarde comme un homme brülé. Voila donc tout ? dit Tellendorf en fouriant ; eh bien, fi je ne me trorape , je vous ai parlé XAranda & XOlavidès ; c'en étoit aflez pour vous raflurer contre la peur des fagots bénits & des griffes de 1'hydre facrée. On les lui a rognées de faqon que , fi elle donne encore quelque coup de patte a travers la populace , du moins elle ne peut plus déchirer perfonne. C'eft le Kon dans Pyrame & Thysbé. On peut dater Ion enterrementde 1'année 1761 ; depuis ce tems-la, fon ombre röde encore un peu dans les provinces y & y épouvante quelques foibles ; mais ce n'eft qu'une ombre. Fauftin ne fe rendoit point encore a tout cela, & il ne fallut pas moins que le témoignage unanime de tous les enröleurs, & d'autres preuves aufli démonftratives, pour le tranquilliier. On y réufilt néanmoins ; mais, ajouta-t-il en s'approchant de 1'oreille de Tellendorf, vous ne m'avez pas dit que nous menions^ a la Siërra un certain ledteur de controverfe a barbe rouife ? Comment Faites- vous cadrer cela avec Partiele 77 du code nouveau ?  ) 9* ( J'ai été obligé de le prendre contre mon gré pour tranquillifer nos bonnes gens a qui la mefle eft aufli néceffaire pour vivre qu'aux caftillans les plus zèlés ; il n'a pas été poflible de trouver d'autre aumönier pour le moment ; mais laüTez nous feulement arriver; nous aurons foin de lui, & je vous donne ma parole que dans les vingt-quatre heures il lui faudra mettre bas fon vilain fac a corde , ou . . . . On approchoit déja des cótes d''Efpagne, lorfqu'on vint a découvrir un curlaire tfAlger qui cinglanta pleines voiles donnoit la chaife aux colons. Sur un foible batiment de transport, avec peu de monde & peu de canon, le capitaine ne crut pas devoir attendre le barbaresque, & forqa de voiles pour gagner le port de Barcelone. Cependant tout étoit fur fon bord dans la confternation. Les femmes fe tenoient collées a leurs maris; les jeunes filles prioient pour la confervation de leur virginité; les enróleurs juroient & facroient en bon bavarois ; les Elpagnols fe frottant la mouftache firent vccu de commander 200 meifes a Barcelone pour les ames du purgatoire, s'ils réchapoient de I'aventure; 1c capucin lifoit la collecte pro felici fucceffu belli contra infideles, excommunioit les corfaires , & donnoit a fes gens 1'abfolimon in articulo mortis. Fanfiin fe frappoit le  ) 93 ( front, & s'en vouloit'fincèrèment de la fantaifie qui 1'avoit porté a s'embarquer. Écoutez, dit-il tout bas k Tellendorf, fi les pendards réuffiflènt a nous accrocher , mettonsle feu a la fainte-Barbe ! il vaut encore mieux fauter en Pair que de fe laiifer trainer en Barbarie , dans un pays oü il n'y pas une étincelle de lumières , pas l'ombre de philofophie ; car pour le triomphe de 1'humanité, que je ne vois que dans les livres, je n'ofe plus en parler. Enfin dans ces nids de pirates , bètes & chretiens, c'eft tout un* & en attendant que les RR. PPTrinitaires ayent mendié de quoi nous racheter, nous aurons le tems de recevoir tant de baftonades fur les mollets & fur la plante des pieds, ' que les bons pères ne trouveroient plus a répéter que des cadavres. Tope' répondit Tellendorf; car aufli bien, h la bonne notre-dame ne nous aide, foit la blanche d'Èttal, ou la ^XAltewtting , nous fommes des gens expédiés. Ah fi ces voleurs de Turcs ; dit Fauftin, avoient feulement deux gros de philofophie, j'aimerois autant me paifer de la noire & de la blanche ! L'algérien ferroit de prés ; mais le vent etant refté conftamment aux Efpagnols , ils fe virent en un moment fous le canon du port, ce qui forqa  ) 104 ( fique redeur de Salamanque .' Demain je perds mon nom , ou tu feras le fecrétaire XOlavidès. Le comte fut très-joyeux de trouver un Allemand pour eet emploi ; ]es chicanes que lui fufcitoient fes compatriotes, les cabales qu'ils formoient perpétuellement contre lui , les lui avoient rendu tous odieux & fufpeds; il accepta Faujlin avec le plus vif empreffement, & celui-ci après avoir embraifé Tellendorf & Thurrigk, & donné quelques larmes au fouvenir de fon père avec fon ancien camarade, partit au bout de quelques jours pour revenir a Séville avec le comte. On ne fauroit dire comment fon cceur treflaillit de joye & de plaifir, lorsqu'entré en fondions, il vint a ouvrir une lettre du grand philofophe, de Voltaire lui-même. II la Int au comte d'une voix altérée & tremblante , a peine pouvoit - il achever. Le comte lui demanda s'il fe trouvoit mal , ou fi par hafard il craignoit de s'expofer en lifant les lettres du philofophe incrédule de Ferney, fi décrié, fi calomnié ? Eh grand Dieu ! s^écria le hon Faujlin', c'eft de joye, M. le comte, c'eft de plaifir que je ne puis parler. Quoi! une lettre du grand philofophe , de celui qui a éclairé le monde , du génie créateur qui alluma en Europe le flambeau' de la tolérance & de la  ) loy ( philofophie , qui rétablit dans leurs droits la raifon & Thumanité, en un mot du père de notre fiècle philofophique, ainfi que me Pa démontré inconteftablement Ie révérend père Boniface ! . . . Et la - deffus il fit au comte le tragique récit de fon aventure avec fon cher maitre. Le comte en prit d'autant plus d'amitié pour Fauftin , qu'il fut convaincu par-la de fa faqon de penfer ; bientót il n'eut plus de fecret pour lui, & lui abandonna toute fa correfpondance. On répondit a Voltaire, qui récrivit bientót en difant au comte mille chofes flatteufes a 1'occafion de fon code pour la colonie, & finüToit par ces termes " Pour le bonheur de VEfpagne, il ne lui fau„ droit que quarante citoyens qui penfalfent „ comme Olavidès. „ Ah! je favois bien, difoit Fauftin , que le père Boniface avoit raifon ! La raifon triomphe; Phumanité , la philofophie reprennent leurs droits : mais ce n'eft ni en Bavière ni en Italië ; c'eft fur les bords fi décriés duGuadalquivir. Puis il alloit répétant a tout le monde , pour h. gloire de fon maitre, ce que le grand philofophe lui avoit écrit. Quelques femaines après, le comte retourna a la Siërra & y mena Fauftin dont il ne pouvoit plus fe paffer. Tellendorf alloit repartir pour  ) io6 ( VAUemagm. Fauftin profita de 1'occafioti pour écrire a fon ami Traubach qu'en dépit de Gajfner, des préJats, des exjéfuites , des articles tridentins, de Sr. Antoine de Padoue & du fénateur Arcibalordo , cependant le fiècle philofophique n'en exiftoit pas moins réellement; qu'au refte il étoit en correfpondance avec le grand philofophe, & que li Traubach vouloit paffer fes jours dans le fein lumineux de la philofophie , il n'avoit qu'a fe rendre a la Siërra. Enfuite il demanda au bon Thurrigk des nouvelles du révérend père Simpen, capucin. C'eft un franc vaurien , dit le vieux foldat, ou je ne fuis pas Bavarois. Au Fotofi ! dit Fauftin, au Potofi.' Nous lui avons bien fait quitter, continua Thurrigk , 1'accoutrement féraphique ; mais tu fais le proverbe : Renard quitte fa peau pour tromper de plus beau. C'eft Phiftoire du flibuftier théologique. Nous avons , pour de bonnes raifons , interdit les meilës de morts ; mais le dróle qui a befoin d'argent pour avoir des filles, cherche toujours a vendre des meffes , & nous a déja fufcité quelques difficultés , jufqu'a nous voir même a la veille d'une mutinerie. Cependant il s'eft fi bien diverti dans fes faints travaux qu'il a déja gagné la goute ; mais il ne cherche ' pas moins a efcroquer des meffes. Enfin j'ai été obligé de lui faire fignifier qu'a la première fottife je le ferois partir pour le Potofi.  ) iïo ( CHAPITRE DIX-SEPTIÈME. Nouvelle manier e degagner les indulgences. X l s n'étoieüt pas encore partis lorfque Panniverfaire de la naifiance de la princeife des AJluries arriva , & fut folemnifé par un magnifique combat de taureaux , auquel devoit affifter, felon Pétiquette , toute la familie royale , avec les principaux membres du clergé. Faujlin s'y rendit auffi pour jouir de ce fpecïacle nouveau pour lui , & d'ailleurs , de tous les individus ayant ufage de jambes , pas un ne manqua d'y faire comparution ; il n'y eut fi pauvre diable qui ne vendit ou ne mit en gage fon lit & fes chemifes pour y figurer, 6c Pon y voyoit jufqu'a des femmes avec des enfans a la mammelle. Avant que la boucherie commencat , on n'oublia point la fage précaution de munir les toréadors d'une abfolution ab omni vinailo excommunicationis & interdiSi , de mème que du trèsfaint viatique , & pendant le combat on eut foin de faire tenir un moine pourvu des faintes huiles dans une loge voifine, afin de voler en cas de befoin au fecours des mourans avec le facrement de 1'extrème-onclion. Heureufement ce cas n'arriva  ) III ( point pour cette fois; mais les toréadors n'en étoient pas moins lancés par les taureaux jufqu'a dix ou douze piés en l'air , les chiens gifoient éventrés, les taureaux égorgés rendoient des torren s de fang & d'écume; toutes les belles dames & les demoifelles délicates battirent des mains dans leurs loges & s'amulèrent divinement. Les" francifcains de Madrid avoient formé le projet de batir une nouvelle églife ; & après avoir araalfé pour eet eflet des aumónes confidérables , avoient demandé un fubfide a fa Majefté. Le Roi leur avoit accordé le bénéfice de huit combats de taureaux pour cette ceuvre pie , & c'étoit juftement le dernier de ces huit. Or a chaque fois ils avoient pris la précaution de faire afficher par-tout, & principalement fur le champ de bataille , une annonce édifiante conque en ces termes : " Quiconque affiftera aujourd'hui au combat „ de taureaux, gagnera dix années d'indulgences. „ II fe trouvoit la des fpedateurs de toutes les nations. Un francois parut prèt a fe trouver mal, & regrettoit les cabrioles de Vejh-is ; un anglois préféroit fes lutteurs; un italien en faifant cent grimatfes ne parloit que d'excommunier tous ces bourreaux-la, & de faire venir des caftrats a leur place. Un allemand demanda  lourdement pourquoi les efpagnols , au lieu de faire les Donqtiichottes avec quinze-cent taureaux par an , n'en faifoient pas plutöt des bceufs pour labourer leurs déferts\ Meffieurs , Meïïieurs , leur dit Faujlin, nous fommes dans le fiècle philofophique. CHAPITRE DIX-HU1TIÈME. Philofophie de la quenouille. n fin le comte & Faujlin partirent. Ils trouvèrent le bon vieux Thurrigk mort , & donnèrent des larmes a ce brave Vieillard. Olavidès avoit pour valet de chambre un allemand nommé Linguen, qui avoit luivi en Portugal le marquis Fombal au retour de fon ambalfade de Vienne, & que la disgrace de ce miniftre avoit forcé de prendre la fuite. II s'étoit réfugié a la Siërra morena , oü fe trouvoient beaucoup de fes compatriotes. Faujlin toujours grimpé fur fon hippogryphe , & le faifant caracoler a chaque occafion jufqu'a ce que la béte le culbutat, ne manqua pas de voir a loifir fon compatriote , pour le queftionner fur le Portugal & lavoir a .quel degré étoient portées les lumières dans ce royaume.  ) II? ( royaume. Voici la fubftance des réponfes de Linguen. Le premier coup d'autorité que frappa la devote reine Marie après la mort de Jofeph, ce fut d'écrafer le feul homme de fa cour qui fut digne du nom de miniftre philofophe , favoir le marquis Pombal, Sc avec lui toutes fes créatures , amis, défenfeurs, &c. Pombal étoit chargé de bien des anathêmes ; il avoit chaffé les loyoliftes , mis le clergé a contribution, rogné la portion des moines , réprimé la noblelfe mème j & par conféquent s'étoit fait des ennemis jurés , non feulement de tous ces corps orgueilleux, mais encore de chaque individu chaffé , ou taxé , ou rogné , ou réprimé. Le marquis tombé , tout ce qu'il a détruit reifufcite, tout ce qu'il a créé retombe dans le néant, tout ce qu'il a élevé s'abaiffe , tout ce qu'il a abailfé fe relève. Tous les vauriens qu'il avoit privés de la liberté , la recouvrent, & vont s'alfeoir a la porte de toutes les églifes criant vengeance contre 1'exminiftre, & demandant 1'aumóne. Le vieux entèté d'évèque de Coïmbre, fut tiré de fa prifon & ramené en guenilles a la cour, ou la reine & le général lui bailërent les mains. . . . Enfin tout y va comme auparavant, a la portugaife, Sc c'eft tout dire. H  ) iH ( Vous faurez auflï, monfieur Fauftin, qu'il n'y a en Portugal, ( dont vous connoilfez 1'entendue , ) que neuf - cent couvent de moines, & aifurèment ce n'eft pas beaucoup , attendu que les révérends pères lont les gens du monde qui aiment le plus a fe divertir de toutes' les manières, qui ont le plus de facilités pour le faire, & qui en ufent ou en abufent le plus. II faut compter en généjal un moine fur onze habitans de ce royaume. Ce font des évêques qui préfident au département de la guerre, des moines qui compofent le confeil fecret, & le cher figisbée lpintuel, le révérend père confeifeur , qui eft premier - miniftre. Ce vénérable moine eft né d'un faifeur de favon de Coïmbre , & a le mérite d'ètre Pindividu le plus borné, le plus content de lui-mème, le plus orgueilleux, le plus bigot, le plus infoutenable qui exifte depuis le cap de Finisterre jufqu'a la pointe èüAlgarve. Aufli fa fouveraine pénitente a-t-elle la plus grande confiance en lui. II n'y a pas long-tems que la reine fe trouvant incommodée, fon médecin lui demanda difcrétement, entr'autres chofes , li fa Majefté avoit fes régies. Le confeifeur - miniftre Pinterrompit d'un air févère,& répondit pour elle \ fansdoute, monfieur, fans doute : tant le ré vérend veille avec foin fur la confcience & les chenüfes de la chère fille en Jéfus- Chrijl!  ) lïf ( II faut que ce foit-la , dit Faujlin, cette philofophie de la quenouille dont m'a tant parlé le père Boniface, & il paroit que la reine & fon fac-totum la polfèdent a fond. Apparemment que 1'on n'a d'ailleurs dans le royaume ni philofophie de tous les états , -comme chez nous , ni encore moins une philofophie de la vie ordinaire ? — Ni mème de long-tems ! répondit Linguen. CHAPITRE DIX-NEUVIÈME. Hijloire connue. Sur ces entrefaites le comte Olavidès requt un mémoire détaillé contenant des plaintes fur la conduite du capucin Simpen. Entr'autres il avoit publié a la Siërra, contre les plus exprelfes défenfes , les billets d'abfolution , *) & quelques jours après un colon alfez aifé étant venu a mourir, il avoit tellement animé la populace , qu'elle alla en fureur brifer les portes du clocher & mettre toutes les cloches en branie; enfuite *) Billets imprimés fur du papier brouillard, que les cours A'Effagne & de Portugal débiteut pour de 1'argent a leurs fujets pour la rémiffion des péchés. La première en envoye prés Je quatre millions en Amérique, & y gagne environ un million de féfos, H 2  ) i%6 ( de quoi Simpert avoit célébre une mefle de requiem folemnelle, & le même foir s'étoit fi bien diverti avec 1'argent qu'on lui donna pour fa peine , que le lendemain il fut trouvé étendu au milieu rd'une rue, dormant dans 1'ordure. Le comte voyant qu'il ne pouvoit plus fe dif. penfer de chatier ce moine d'une manière exemplaire, & fentant que la préfence étoit nécelfaire pour prévénir les fuites funeftes de ces écarts , aufli bien que pour apprendre a fes colons que les morts n'avoient que faire d'argent , ne différa plus de fe mettre en route avec Faujlin. Ils alloient monter en voiture, lorlqu'une eftaffette arriva de Madrid au grand galop. Olavidès étoit appellé a la cour, parceque 1'on vouloit faire ériger la ftatue de fa Majefté au milieu de la Siërra, comme un monument éternel de la création de cette colonie. A cette nouvelle le comte ravi de joye lè jette dans la voiture avec fon fécrétaire & fon valet de chambre, & emporté par quatre' étalons tfAndaloufte vole vers les bords delféchés du Mancanarès. Ils roettent pied a terre, ils changent d'habits pour paroitre a la cour, & font prêts a fortir lorfqu'ils voyent entrer la fainte hermandad, qui les arrète au nom de la fainte Inquifition. Olavidès palit , dit a Faujlin en allemand : fuyez ! allez  ) n8 ( 2.° De s'ètre fait peindre tenant" a la main une eftampe de Vénus & de Vamour. J.° D'avoir dit que St. Augufiin étoit un pauvre homme, St. Thomas d'Aquin & St. Bonaventtire des pédans, qui avec leurs abfurdités fcholaftiques avoient retardé les progrès de 1'efprit humain; enfin que la régie des chartreux étoit un inftitut barbare. 4.0 D'avoir défendu les meffes de requiem , & la fonnerie pour les morts. A de fi grands crimes , il n'y avoit pas de rémiflion a elpérer. Aufli , après avoir été déclaré formellement hérétique , dépouillé jufqu'a la ceinture, contraint de réciter les fept pfeaumes pénitentiaux, & fuftigé pendant ce tems-la par quatre Oints du Seigneur armés de verges , les biens comme preuve démonftrative de fon héréfie, furent confifqués par le faint tribunal; il fut banni a perpétuité de la cour, de Lima, de Séville & de la Siërra - morena, enfin confiné pour huit années dans un cloitre, ou il doit pour pénitence lire tous les jours la profeflion de foi du frère Louis de Grenade, Vincrédule fans excufe du père Seneri, réciter le faint rofaire, & fe confeffer tous les mois. La commiflion des juges qui prononcèrent une fi admirable fentence fur la tête du fcélérat Olavi-  ) lil ( 1'efprit humain ! Serviteur a Ylberie f difoit le valet de chambre. Ah! mon cher Linguen, interrompit Fauftin , au nom de notre amitié , épargne moi le fouvenir de ce pays-la. Oui, s'il n'y reftoit pas encore un fi grand nombre de nos compatriotes, je jurerois lur la place , au nom de notre illuftre patron faint Brenno & de fon poiffon, de ne jamais plus penfer a ce nid de vers luifans, a ce bourbier infect de 1'ignc- rance , ace Mais nos malheureux compatriotes !' vidlimes mfortunées de tant de promelfes trompeufes ! Que tu és heureux, brave Thurrigk , de n'avoir pas été témoin de cette horrible tragédie du fanatifme! . . . O triomphe de la raifon, & de 1'humanité! o fiècle philofophique ! O père Boniface, oui! . ... fi vous avez été mis en prifon, pardonnez ! mais vous 1'avez peut-être bien un peu mérité , pour m'avoir tant vanté les prétendues lumières de notre fiècle ! .... Ah malheureux! fi le cher Traubach alloit fe laiffer tenter par mon invitation, & fe jetter dans les griffes du monftre qui m'a décluré ! .... Je n'ai qu'un parti a prendre pour en empêcher ; c'eft d'aller en Bavière, de courir de ville en ville, de village en village , comme autrefois les miflionaires jéfuites, & de crier a haute voix , que la Ioterie & la caiffe  ) 122 ( ont fait banqueroute. Je dirai fur les toits, que 1'hydre recouvre toute fes tètes; que fes büchers a peine éteints fe rallument, que fon haleine empeftée fait de Plbérie un défert; que la vérité, la bonne foi, 1'induftrie, les arts s'éloignent d'elle, & que 1'épaüTe fumée fortant des büchers qui bordent fes cötes , y étouffe au débarquement le génie & la penfée même C'eft au milieu de ces jérémiades que le vailfeau entra dans la rade de Br eft. II s'y trouvoit pour lors une puilfante efcadre prète a mettre a la voile 5 mais les officiers fe faifoierü la petite guerre entr'eux : c'étoit ja guerre des épaulettes. Les habits rouges des vailfeaux royaux ne vouloient abfolument pas fouffrir que les habits rouges des vailfeaux marchands fulfent ornés de houpes femblables a celles qu'ils portoient. Déja une demidouzaine de ces braves s'étoient battus & mal menés pour ce beau fujet de querelle. Envain 1'amiral les avoit exhortés a ne pas oublier leur devoir & le fervice de la patrie pour de pareilles bagatelles. Envain recevoit-on avis fur avis du départ d'une Hotte angloife de la Jamaïque pour Briftol, riche de plus de vingt millions &foiblement convoyée : les épaulettes royales, quelque maigres que fulfent leurs bourfes, n'auroient pas voulu d'un empire, dès qu'il falloit le con-  ) 125 ( eela fignifioit. L'homme noir lui apprit que fa majefté trés - chrétienne comptoit hériter de fa fucceffion. Je ne vous entens pas , dit Faujlin , je compte bien, moi, ne pas faire de teftament, eft ce donc que fa majefté très-chrétienne peut s'approprier ma fucceffion ab intejlato ? Oui, monfieur, dit le notaire , car fa majefté trèschrétienne , en vertu du droit d'aubainc , fe trouve très-naturellement 1'héritière univerfelle de tout ce qui vous appartient. De quel code , reprit Fauftin , eft pris ce droit-la, s'il vous plait, monfieur le notaire ? Ce n'eft pas du code trèschrétien, fans doute ? Pardonnez moi, monfieur, pardonnez moi, repartit 1'homme noir, & il fe retira. En vérité , dit Fauftin a fon camarade , voila qui me confond. Le droit d'aubaine tiré du code très-chrétien ! Et c'eft pourtant a cette nation que nous devons Vefprit des loix ! . . Comment! ni Montefquieu , ni le grand philofophe , ni Pami des hommes, n'ont eu alfez de crédit fur 1'efprit de leurs compatriotes, pour obtenir qu'un pauvre étranger au lit de la mort put fermer les yeux chez eux avant que de fe voir pillé & depouillé au nom du roi ? Je ne vois plus pourquoi 1'on fait tant de bruit de 1'influence toute- puüTante de ces melfieurs, ou du triomphe prétendu dont  ) ia6 ( Phumanité leur feroit redevable ! Pour moi, je crois que cette aubaine eft tirée du code noir, ou du droit d'Alger , ou enfin du code trèstartare. Et vous, ami Linguen, comment trouvezvous la chofe ? Je trouve , répondit Linguen, que Pami Torik avoit raifon lorfqu'il s'écrioit en mangeant fa fricaffée de poulets : " Cela n'eft pas généreux, de s'emparer des dépouilles d'un malheureux voyageur qui vient chez vous dans la bonne foi; non , fire ! j'en attefte le ciel, cela n'eft pas jufte, & je fuis faché d'ètre obligé de faire ce reproche au monarque d'une nation fi civilifée, fi polie , fi célèbrée pour fon humauité & fes fentimens. „ Au bout de deux jours monfieur le notaire reparut pour voir fi les deux étrangers n'avoient pas encore fait leur devoir & cédé leurs guenilles a Phéritier univerfel. A propos , monfieur , lui dit Fauftin , eft - ce que le régiment de RoyaL Bavière eft aufli foumis au droit d'aubaine ? Non, monfieur, répondit le fcribe. — Eh bien , monfieur, je fuis aufli bavarois Bavarois ? dit le notaire en ouvrant de grands yeux; ah, c'eft une autre affaire! vous pouvez mourir ou vivre a votre bon plaifir; vos effets font libres : car meflieurs les Bavarois font de longue date nos  ) i27 ( bons amis, & leur régiment eft un fort bon régiment : que ne le difiez - vous d'abord ? — Que ne le demandiez vous ? reprit Faujlin. Et moi, monfieur, dit Linguen d'un ton d'a£ Furance, encouragé par le fuccès de fon ami , je fuis brandebourgeois, & je penfe que Ie grand Frédéric a 1'honneur d'être connu de monGeur le notaire ? Et monfieur eftbrandebourgeois? reprit 1'homme de loi ; tant-pis , monlieur , tant - pis ! c'eft-adire que vous étes de ces braves , de ces héros de Rofsbach ? Eh bien votre bagage eft confit qué fans retour dés que vous aurez fermé les yeux, & cela comme de raifon : vraiment la majefté aura encore long-tems a confifquer, avant -qu'elle foit dédommagée par les voyes de droit des beaux fervices d'argent de nos princes du lang & de toutes les croix de faint - Louis qu'elle a perdus a Rofsbach & a Créfeld ! Tant que votre grand Frédéric traitera nos armées a la Rofsbach, nous aurons fur vous le droit d'aubaine; il n'y a rien a dire la-contre. Cependant Fauftin fe rétablit bientót, Linguen ne tarda guère plus long-tems , & leurs chemilès n'eurent point 1'honneur d'appartenir a fa majefté très-chrétienne en vertu du droit d'aubaine.  ) 1^8 ( Dès qu'ils purent fortir, ils coururent chez Aranda, qui leur témoigna le plus vif intérêt, tant pour eux que pour leur maitre, & appuya fes difcours d'une bourfe de cinquante louis-d'or. En fe retirant ils paifèrent aux champs élyfées , & y trouverent une brillante affemblée de cordons bleus & rouges qui fe promenoient. Qu'en difent \ts grenouilies ? demandoient les uns avec un fouris moqueur. Elles coajfent a 1'ordinaire, répondoient les autres. Faujlin demanda a un promeneur du commun , de qui vouloit parler la bonne compagnie qu'il voyoit la. C'eft, lui répondit-on a 1'oreille, du public de Paris; on 1'a honoré de ce fobriquet a la cour, & on ne 1'y nomme plus autrement. Ha ha ! dit Faujlin, voila une remarque utile aux étrangers amateurs de votre langue : Pacadémie a-t-elle mis . ce gallicifine dans fon dictionnaire ? Parbleu , dit le francois, n'eft - ce donc pas alfez que la cour nous proftitue ainli a haute voix en préfence de tous les étrangers , & faut-il encore que nous 1'imprimions ? Saus doute, reprit Fauftin , que les grenouilles le leur rendent bien, & fe demandent auffi entr'elles, que font les cicognes? Tfch! tfch! interrompitle francois ; nous nous garderons bien de leur aller dire qu'ils ont des becs de cicognes; lans quoi ils ne manqueroient pas de nous croquer. Qui  ) ( Qui fe feroit attendu , dit Faujlin k Linguen en s'en allant, a une pareille expreilion dans la bouche des grands d'une nation qui vante ellemème fa politeife d'un bout du monde a 1'autre ? Et encore, traiter ainfi le public de la première ville du monde , de la bonne ville de Paris! C'eft tout ce que j'aurois pu attendre de la part de fes harangères & de fes fiacres. Voila ce qui s'appelle une populace en cordons, & c'eft ici apparemment cette philofophie de la canaille dont j'ai entendu parler. Allons donc aulfi entendre coalfer les grenouilles. Ils entrèrent dans un caffé. Faujlin vit fur une table les petites affiches de Paris , prit la feuille, & la parcourut aves emprelfement, dans Pefpoir d'y voir de grandes chofes. Point du tout; c'étoient des annonces de modes ridicules ou de fades brochures, & le pire fe trouvoit a la fin, oü on lifoit : " Une perfonife defireroit trouver un emploi de io a 12 mille livres de revenus , oü il n'y auroit rien a faire. » " On demande a acheter une charge au parlement , qui n'exige acune connoiffance des affaires: la finance eft chez le notaire Maillot. „ « Qiielqu'un cherche un place de 4000 livres d'appointemens que Pon puiife manger a Paris* I  ) 134 ( colonois, Brükner fe réjouit fincèrement de rencontrer Faujlin; il le mit a le promener dans 1'univers parifien , & lui fit paffer fous les yeux tout le beau & le laid , le bon & le mauvais qui le compofent. Faujlin trouvoit toujours que l'un étoit a 1'autre dans la proportion des intéréts au capital , a-peu-près de 3 1 pour cent. Faujlin avoit beaucoup entendu vanter par le père Boniface & beaucoup lu avec lui les chefsd'ceuvre de Corneille, de Voltaire & d'autres ; de plus on lui avoit fouvent parlé d'une certaine demoifeile Clairun & d'un nommé Le Kam : ainlï la première chofe qu'il voulut voir , ce fut la comédie francoifc. La piece qui fe jouoit, étoit de cette marchandife commune du théatre franqois, oü 1'on trouve beaucoup de déclamation & de fentences, undialogue bien fait, mais point d'action. Faufiin qui venoit de lire les pièces de Lejfing & de Mxller, fut bientót raifafié de ces froides & féches péripllrafes ampoulées , & alla voir 1'opéra, oü il trouva beaucoup de magnificence & d'éclat. Cependant il fut un peu frappé de la différence qu'il voyoit entre les bergers charmans des coulifles §c les payfans des campagnes, &il lui vint dans 1'efprit de s'informer combien ces gofiers flütés & ces gigots fi aiertes coütoient bien par an a entretenir. Briikner lui dit que la dépenfc totale  ) ÏJf ( de ce fpeclacle royal alloit a 700,000 liv. chaque année. Ainfi , reprit Faujlin , cette farce théatrale confume a-peu-près le revenu de toute une province. C'eft a la lettre, continua Brükner, & encore les parifiens ont la bonhommie de regarder cela comme une bagatelle ; ils s'étonnent de bonne foi que des mellieurs comme un Noverre , un Vejlris , des hommes uniques dans le monde , puilTent fe contenter de la part entière : tandis que ce qui caufe 1'étonnement de la plupart des étrangers , c'eft que 1'on ne fafle pas. une petite réduclion fur les parts de ces fyrènes & de ces cabrioleurs, afin d'avoir un demi-million par an a employer pour procurer aux grenouilles parifiennes au moins de 1'eau faine & potable , au lieu de leur laiiler dépenfer 2,700,000 livres par an pour fe procurer une eau empoifonnée par les égouts, les immondices , les boucheries, les teintureries , &c. Quelques jours après le feu prit a la falie de la comédie, & dans le tumulte 1'une des acftrices perdit la vie. C'étoit une bonne fille, dilbit le parterre , c'eft en vérité dommage qu'elle foit allée au diable fi tót! Ceci eft un badinage , fins doute ? demanda Faujlin a Brükner. Ces mefïieursci , répondit-il, peuvent bien en rire; mais il n'en eft pas moins vrai que depui le Rhin juf- 1 4  ) ij« c qu'aux Pyrenees & dans toutes les terres de la domination franqoife , les comédiens font excommuniés. — Comment? — Eh oui, excommuniés, trés - excommuniés , & qui plus eft excommunicatione lata fententite .... Mais, fi je ne me trompe , toute la cour de fa majefté trés - chrétienne , leurs majeltés ellesmèmes , &, qui plus eft, les premiers prélats, peux en un mot qui ont en main la puiifauce des clefc, tout cela va, dit-on, bon an mal an, régülièrenient a la comédie, & ne laüTe pas de s'y amufer ? — Et quand ils la joueroient même , comme cela n'eft pas rare '< N'importe; le diable n'y perd' rien; les couliifes n'en gémilfent pas moins fous le poids des anathèmes ; excommunicatio major, excommunkatio ipfo fa&o , excommunicatio lata. fententia, tout cela tombe fur la tête des héros & des héroïnes que vous voyez ; en un mot quiconque fe montre ici ou fe fait entendre fur les planches, pour de Pargent, que ce foit pour faire des roulades ou des entrechats, pour débiter de la farce ou de la déclamation , chauifant le cothurne ou le brodequin, appartient de droit a fatan & a fes auges , corps & ame. — Et les taiens ne peuvent pas garantir de ce .funefte fort ?  ) m ( — Touü Paris en eft convaincu. —Eh mais! comment donc n'y rougit-on pas de laiffer fubfifter ce monument du fanatifme monacal & des tems d'ignorance & de fuperftition ? Excommunier les comédiens, croire que les excommuniés vont au diable , & payer les comédiens pour qu'ils Te faflent damner par ceux qui les payent ! voila dans ces meifieurs a tonfure des conrradidions qui ne fentent ni les lumières du fiècle philofophique, ni les libertés de Péglifi gallicanè. Et ce chef-d'oeuvre national, Pencyclopédie, quoi ! elle n'a pas eu feulement affez d'influence fur 1'elprit de la nation pour lui faire abjurer au moins ces fottifes trop frappantes, trop vifibles ? — Bon ! 1'encyclopédie ! elle eft a la Baftille. ---A la Baftille? L'encyclopédie a la Baftille ? — Oui, mon cher compatriote, l'encyclopédie en propre perfonne , depuis. A jufqu'a Z, eft confignée & écrouée a la Baftille. Louis XV 1'y a mife, & elle y pourrira avant qu'on s'avife de 1'en tirer. L'encyclopédie a la Baftille! adieu donc enfin fiecle de lumières ! adieu triomphe de la raifon & de la philofophie ! Quelques jours après les deux allemands , en fe retirant chez eux , entendirent grand bruit  ) -39 C dans la me voifine de celle ou ils logeoient , & virent une troupe de valets & de chambrières» chacun la bouteille a la main, fe preflant a la porte d'une maifon. Faujlin s'approcha d'une brunette chargée d'une phiole a large ventte , qui fe tenoit un peu a 1'écart, & lui demanda fi 1'on donnoit la pour rien du vin, ou de 1'eau de Luce, ou quelque autre liqueur précieufe. Oui, & non, monfieur, dit la fille de joye ; on ne donne pas, mais on vend ici une liqueur qui eft fort au delfus de 1'eau de Luce , & de tous les vins ou liqueurs du monde ; tenez , c'eft comme Paris & votre village. L'homme qui demeure ici eft un homme divin ,• il n'a pas inventé la poudre , mais quelque chofe de bien plus admirable ; toutes les autres découvertes ne font que des bagatelles en comparaifon.—Eft il bien polfible, ma chère enfant ? — Eh oui , monfieur , c'eft la vérité même : M. le Docteur nous a fait un préfent qui va ut plus que tout ce que 1'on peut tirer des trois Indes, que tout les vinaigres & toutes les pommades. Et comment cela s'appelle-t-il donc ? Ejjence de galanterie. Voila un nom charmant a la vérité ; mais h .quoi eft - ce que cela fert ?  ) H° C Ah, monfieur, c'eft aufli la plus charmante chole du monde , la plus néceflaire aujourd'hui. Comment ? Pour le fiècle philofophique ? Phifo lo fiècle .... pêché phifolophique .... oui, monfieur, juftement, pour le pêché phifolophique. Eh ! feroit-ce par hafard une eflence pour guérir de la fuperftition, de 1'intolérance , ou pour adoucir le defpotifme monacal ? Voila a-peu-près les maladies de notre pauvre fiècle philofophique. Encore fiècle phifolo ... Je ne vous comprens pas trop, monfieur; tout ce que je puis vous dire , c'eft que ce que vous pburrez imaginèr de plus excellent n'eft rien auprès de cette eflence; & tenez, fi vous en avez befoin, comme je le penfe, je vous aurai rendu un fervice ; n'allez pas plus loin ; c'eft un préfervatif admirable , infdilliblë, contre cette maladie que vous favez , en un mot, c'eft teffence de galanterie. Ah, mon enfant! quoi! contre ce petit préfent que le nouveau monde a fait a Panden par le canal de Paventurier Colombo ? Je n'en fais rien, monfieur, mais en un mot comme en cent , c'eft contre la vérole ; & fi vous voulez m'en croire, attendez moi ou indiquez moi votre logis, j'aurai 1'honneur de vous en fournir. C'eft la chofe la plus fimple du monde.  > 147 ( voir le grand philofophe face a face, de lui parler, enfin, de remporter de cette entrevue quelque trait mémorable. Pour y réuffir , il s'avifa de fe faire annoncer comme le fécrétaire du comte Olavidès, & en effet on lui fixa 1'heure & le jour oü il pourroit avoir fon audience. On peut juger s'il fut exacl, mais malheureufement il fe trouvoit chez le philofophe des grands - feigneurs de la cour , Fauftin fut remis au lendemain. Le lendemain le philofophe fut indifpofé ; il n'étoit pas vifible. Le fur-lendemain il fut de mauvaife humeur , & perlonne n'entroit. Le jour fuivant & ceux d'après, ce fut la même chofe, tant & fi bien que le pauvre fécrétaire du comte cloitré vint a défefpérer totalement de pouvoir en venir a fon honneur. A chaque fois Pattente du jour heureux le mettoit dans une émotion prodigieufe , Papproche du moment lui donnoit prefque des convulfions ; puis tout a coup fon efpérance fruftrée & les élans de fon cceur répercutés brufquement par un renvoi, faifoient une telle impreflion fur fes nerfs , qu'a la fin il en tomba dans une mélancolie profonde , qui fe tourna en férieufe maladie. L'infatigable & honnète Brükner le voyoit regulièrement foir & matin; foir & mafin le K %  ) i6? C mais attendons, n'excommunions pas encore ; voici des gens connus , a ce qu'il paroit i ne faifons pas encore de bruit L'académie difoit : comment n'avons nous pas fu cela ? Comment s'y font-ils pris ? comment ont-ils fait ? — Et 1'on queftionnoit les ajlronautes ou aéronautes , qui étoient les plus aimables gens du monde , & répondoient a tout , autant que faire fe pouvoit. — Enfin dites nous donc, qu'eftce que cela ? — Eh c'eft un globe de toile & de papier. — Oui, mais qu'y a-t-il dedans ? — Mais , rien , probablement. — Rien ! point d'air ? — Si fait, du gaz, — Ah oui, juftement, c'eft cela : du gaz ! du gaz ! de Pair inflammable! oui, oui, nous le lavions bien ! . . . . Et voila un courier qui arrivé de VerfaiJles ventre a terre Meffieurs , meffieurs ! .. . . dit - il tout elfoufflé , puifque vous étes bien venus jufqu'ici, faites encore quatre petites lieues, & venez rendre vifite a fa majefté qui feroit charmée de vous voir. — Sitót dit, fltót fait > les aéronautes reffoufflent dans leur planète, regrimpent dans leur canot, & les voila volant du coté de Verfailles. Et Blanchard qui étoit dans un coin , un grand chapeau fur les yeux, envelopé de fon manteau, n'ofant foufler, n'ofant montrer le nez , tombe a la renverfe en L 2  ) ( voyant la machine s'enlever majeftueufement dans les airs, fans ailes de moulin a vent, & de dépit part pour Rouen dans la minute. On les fuit de loin; Faujlin 8c Brükner fuiven, auffi, caufant a droite & a gauche avec ceux qui fe trouvoient - la. En vérité , dit Faujlin, voila ce qui s'eft jamais inventé de plus grand, de plus extraordinaire. — Mais, répondit un académicien, voila ce que 1'on a dit jadis de la poudre, voila ce que 1'on a dit de la boulfole , voila ce que 1'on a dit de 1'imprimerie : c'eft-ce que 1'on a dit auffi probablement du premier vailfeau , de la première barque\ «Sec. — N'importe , voila la première nation du monde; nulle autre ne s'eft élevée 11 haut. — Un anglois entendit, «Sc dit fièrement : Newton a trouvé les loix de la pefanteur ; c'étoit a des tètes de girouettes qu'il convenoit de trouver celles de la volatilité. - C'eft juftement ce que je voulois dire, monfieur, répondit poliment un autre franqois. — Ceci n'eft pas nouveau, dit un cuiftre en perruque fèche; Elie a volé par le moyen du feu, Fhaéton a volé, Dédale «Sc Icare ont volé , Simon le magicien «Sc St. Pierre ont volé , «Sc plufieurs de no» franqois fe font caifé les jambes en volant. D'ailleurs le père Lana en a parlé; il décrit un navire qu'il prétend fur ouï-dire avoir été enlevé  >. léf ( par quatre globes vuidés d'air. — Mais celui-ci en eft plein , lui dit-on. — N'importe , c'eft la mème chofe. — Cela n'eft bon a rien , dit un géomètre ; la machine a tant de piés cubes ; la toile coüte tant, le papier tant , le gaz tant, le navire tant, la monture tant; tout cela eft trop cher. Et puis le vent, & puis la pluye, & puis .... C'eft un enfant qui vient de naitre, interrompit modeftement un américain ; nous verrons ce qu'il deviendra, il n'y a qu'a le bien éduquer. — II faut Penvoyer a Pacadémie , dit quelqu'un. — Je m'en charge , dit le valet de chambre d'un prince du fang Cependant on arrivé a Verfailksi on débarque en préfence de la cour i le grand - maitre pré* fente les voyageurs a leurs majeftés; leurs majeftés les embtalfent. Le lendemain lespapetiers fe rembarquent fur 1'élément invifible pour amufer les princes; ils vont dix fois du nord au fud, mais par une fatalité fingulière , ils ne pouvoient revenir du fud au nord; néanmoins c'étoit toujours beaucoup que d'ètre allé du nord au fud. — Un courtifan s'approcha du Roi & lui dit : Sire i quelle gloire pour votre majefté ! Ainfi les grands monarques font naitre les grandes chofes! II faut faire frapper une médaille pour perpétuer la mémoire d'une découverte qui furpalfe tout ce qui L 3  ) i«« ( s'eft découvert jufqu'a préfent. — Mais, obferva judicieufement fa majefté , eft-ee qu'elle ne fe perpétuera pas d'elle-mème ? — Oui, fans doute, Sire! mais il faut que le regne de votre majefté en foit illuftré. — H a raifon , c'eft bien dit ! crièrent tous les autres a la ronde. — Et 1'on frappa une belle médaille oü 1'on fit aux ajlronautes 1'honneur de mettre leurs noms dans un coin au deffous de celui du monarque dont le regne devoit ètre illuftré. La médaille fut diftribuée gratis ; Faujlin & Brükner eurent chacun la leur. Dés le foir mème ce valet d'un prince du fang, qui s'intérelfoit pour Pacadémie auprès de fon maitre, lui dit en le déshabillant : Monfeigneur , il faut que V. A. R. s'embarque dans les airs; voici encore pour elle une belle occafion de fe diftinguer. Je crois que tu as raifon, dit 1'altelfe; & dés le lendemain le prince monta dans 1'atmofphère, oü ne rencontrant point d'anglois , il creva fon ballon d'un coup de lance quand il fe vit fur la grande route de 1'empire de la hine. Alors le brave prince revint triomphant comme de la Manche, & les parifiens de s'écrier : ah quel prince ! vite, que 1'on frappe une autre médaille, & qu'au lieu de CL & R. 1'on dife aujourd'hui Ctr. 8? R. - Toute-fois la médaille n'eut pas lieu.  ) 1*7 ( CHAPITRE VINGT - SIXIÈME. Médecine philofophique , ou antiphilofophique. Ordonnance fur les Rosny. Nouveau College. Fa ustin & Brükner revinrent a Paris a pied en attendant qu'ils eulfent une voiture volante , & ils raifonnoient fur les caufes & les effets de 1'aéroftatiline, lorfqu'a la première barrière ils apercurent 1'afficheur grimpé fur fon échelle , & le crieur a deux pas de lui , qui faifoit retentir aux oreilles de la populace : Ordonnance fur les Rofnys! Et le peuple du Badaudois ne favoit plus ce que c'étoit que des Rofnys, & par conféquent ne comprenoit ni ce que 1'homme public criant vouloit lui dire , ni ce que 1'homme public ordonnant vouloit lui faire dire. Brükner lui-mème y étoit embarraifé , quoiqu'il connüt bien le phénomène du roi qui eut un ami & de 1'homme qui put ètre Pami d'un roi. Mais Fauftin qui poifédoit fon Voltaire fur le bout du doigt, mit fur le champ Brükner au fait de cette inftitution paternelle, qui date du tems de ce phénomène unique dans Ion genre; après quoi L4  > m ( ce cas-la, nous pouvons donc partir , reprit Faujlin. — C'elt bien mon avis, dit Brükner , & tenez , je parie que nous n'arriverons pas a Cologne fans avoir vu iür le chemin dix mauvaifes imitations de la magnifique expérience du navire volant, & une foule de magnétifeurs du bout du doigt. — Cela pourroit bien ètre , dit Faujlin. — Vous verrez, vous verrez ! dit Brükner. Le lendemain ils partirent. En effèt ils n'eurent pas fait dix lieues qu'ils virent déja un ballon brul er a dix piés de terre. Dans la ville vpifine un autre rouloit par terre au lieu de s'enlever. Ventre a terre ! s'écria un plaifant; c'elt bien aller, morbleu ! — C'étoit du moins toujours fe mouvoir. Ailleurs c'étoient des Phqétpns au. naturel, qui brüloient au milieu des airs , & quelquefois venoient embrafer Ia terre. Tantöt ils rencontroient une paroiife de village en proceflion, le curé a la tête, afpergeant & exorcizant un ballon qu'ils avoient trouvé bbhdiflant au milieu d'un champ oü il étoit tombé : tantöt une troupe de payfans , a coups de pierres & de fourches, en attaquoit un autre, qu'ils avoient attendu a fa defcente , & après 1'avoir mis hors de combat, ils le trainoient devant les juges pour répondre de fa conduite. Enfin ils en virent tant qu'ils n'y penfoient plus,, ft ce M 3  > 194 C avancés. Les criminels même détenus dans le* cachots, & qui n'attendent que le moment de monter fur Péchafaut, n'ont qu'a fe faire profélytes pour devenir les plus honnêtes gens du monde , & faire effrontément figure. Vicloire a la raifon & a Phumanité ! dit Faujlin ; ó fiècle tolérant , fiècle philofophique ! Et que fait donc enfin ie père de la patrie, le prince, le fouverain, au milieu de tout cela ? — A la vérité , on lui fait lacher par-ci par-la quelque décret pour réprimer ce qui eft trop criant; mais comme , au lieu de s'y conformer , chacun s'étudie avec Tom a faire tout le contraire fans la moindre difficulté , il eft évident que ce n'eft qu'une comédie , une pure farce pour amufer la populace & lui jetter de la poudre aux yeux. Pour achever le tableau édifiant que vous venez de nous faire, dit Brükner a 1'homme gris , n'oubliez pas, je vous prie, de nous inftruire auffi de votre affaire perfonnelle. Cela ne fera pas long, dit le candidat. J'ai donc, comme je vous 1'ai déja dit, écrit un méchant petit livre , qui ne contenoit,, Dieu merci, que la vérité toute pure , & mème accompagnée de beaucoup de difcrétion. II n'en fallut pas. navantage pour faire dreifer les cheveux a la tête des patriarches de Sion , qui trembloient  ) I9Ï ( déja de perdre leurs penfions, s'ils ne fe hatoient de faire un exemple pour prouver a la cour toute leur dévotion a fes volontés. Ils me citérent a leur tribunal, me rayèrent de leur tableau, me déclarèrent incapable d'exercer déformais aucune fomflion du miniftère , & menacèrent du mème traitement tous ceux de leurs fubordonnés qui s'aviferoient d'ofer écrire un feul mot furies affaires de religion dans le Palatinat. De plus il préfentèrent au féréniffime un mémoire pour le fupplier ex officio de faire punir févèrement 1'imprimeur qui avoit ofé mettre fous prefle un ouvrage fi abominable , par lequel toute 1'Allemagne feroit inftruite de la honteufe indolence avec laquelle le fanhédrin palatin laiifoit fes frères en Jéfus-Chritt en proye a la violence , a la rapine, a roppreflion. • • • • Et eet imprimeur , étoit-ce un palatin ? Non , c'étoit un faxon. Et vos cappes noires vouloient le faire punir! II faut donc que leur baifelfe ou leur orgueil les ait bien aveuglés ! Ne connoilfent- ils donc aucunes bornes a leur influence deftructive , & s'imaginent- ils que leur miférable mémoire va mettre en feu 1'empire romain ? II feroit plaifant vraiment que 1'on n'ofat plus imprimer en Saxe que les fottifes fcellées du fceau de la régencf N %  ) ^ ( palatine & de fon clergé! M. "W—d doit avoir bien ri de voir quelques infectes de Manheim , qui vouloient étendre leurs cornes jufqu'a Leipzig, & le refte de 1'Allemagne doit bien s'en ètre diverti! Au refte voila qui me donne de belles elperances pour nos braves bavarois, & 1'ami Traubach doit avoir de belles chofes a m'apprendre ! CHAPITRE VINGT - NEUVIÈME. Malêdi&ions théologiques. Capiitinades. Fébronius. X-/E batiment ayant mouillé une couple de jours a Mayence, les voyageurs dès la première fbirée entendirent murmurer fourdement au fujet d'un certain Ifeubiehl, qui s'étant avifé d'expliquer dans un livre fimplement & clairement un paflage de la bible, avoit donné échec ~4* ( - ^ \> Face du ciel & de la terre , & du refte de 1'é- quipage qui applaudiifoit ! ' Au bout' de quelques jours de route, les africayis trop reflèrrés furent attaqués d'une maladie contagieufe qui en fit périr plufieurs. Les autres indignés firent du bruitj le eapitaine Durcaïllou, pour les tenir en refpect, fit pointer contre la porte la bouche d'une pièce de canon chargée a poudre feulëment , & y fit mettre le feu. Les malheureux , étourdis du coup & de la . fumée , rëfterent quelque temps en paix ; mais leur patience étoit déja excédée depuis longtemps, & leur défefpoir porté au dernier période ; ils recommencèrent a faire du bruit. Alors Dur - caillou en fureur fit charger les pièces avec du plomb haché,, des cloux, des ferrailles, des éclats de verre, & des têts de porcelaine , & de nouveau faire feu impitoyablement fur les negres. Que 1'on fe repréfente les cris, les hurlemens, les gémifTemens de ces malheureux! Ce qu'il y eut de pis, c'eft que baignés de lang, blelfés & déchirés , on les laiffa fouffrir & périr fans fecours dans les plus douloureufes convulfions: c'étoit, difoit-on, pour fervir d'exem.ple aux autres. Dur - caillou kók un homme qui.kvoit du monde, du favoir-vivre,' & qui n'ignoroit pas que la politeflè européenne a fait paifer en  ) H9 ( mode générale cette manière d'agir; comme le favent aufli. les belles dames qui après avoir paifé quelques années dans les plantations dé leurs maris, reviennent s'applaudir en Enrope d'avoir elles-mèmes fait écrafer entre les cylindres des meules a coton des nègres qu'elles forqoient -a coups de fouet de s'y précipiter eux-mèmes *). Au milieu de ces exécutions , le vaiifeau dévoyé au fud, par les courans , s'écartoit de quelques centaines de lieues de fa route. Les provilions commenqoient a manquer ; 1'eau mème tiroit a fa fin. Le eapitaine craignant que 1'on ne put arriver de litót a la Jamaïque, fit fur le champ jetter a la mer cent cinquante nègres , pleds & poings liés & une pierre au cou , précaution admirable pour empècher qu*ils ne puflent nager. De 'cette manière le batiment allégé gagna enfin Port-royal. II venoit d'y avoir une fédition parmi les noirs du canton, qui font en très-grand nombre. Ils ^) Rien de plus littéralementri'rai que cette anecdo'te abominable; & pour la reudre un peu vraifemblable aux leiSeurs que rhonnêteté rend incrédules, ils fauront que la perfonne qui e'crit ceci, & qui a connu la dame en France, e'prouve elle-méme en ce moment de la part d'un.traitle, philofophe & homme d'efprit, des chofes dont 1'horreur n'eft guères inférieure a cette barbarie inconcevable, & qui ont leur fource dans des difpofitions de cceur parfaitement analogues fi celles de la dame. ( No te dey 1'auteur, )  avoient mis le feu aux plantations, & s'étoient enfuis dans les bois. II fut donc queflïon d'aller a la chalfe aux nègres; on ralfembla pour eet eifet des foldats, des chaife'urs , des chiens & d'autres nègres auffi. Ce n'étoit pas tout-afait une partie de plaifir, comme • a Visie de ' Trance * ), mais elle n'en fut que plus animée ; on relanca les africains comme des pièces de gibier, & ceux qu'on ne put prendre, furent tués comme des lièvres. On parvint a fe faifir de l'un des chefs de la révolte; i] fut pendu a un arbre, non pas par le cou, comme font les bourreaux de métier , mais par un bras , en amateurs rafinés, afin qu'il eut le temps de fè reconnoitre & de fe voir dévoré tout vif par les oilèaux de proie. Faujlin , au milieu de ces fcènes infernales, défefpéré de fon impuiifance , reftoit immobile, ( * La chalTe aux cerfs eft févèrement prohibée dans cette isle : mais la chafTe aux ferfs ou aux hommes, en revanche, y eft permil'e -i tout le monde; on y cdnduitles dames, & elles s'yamnfent beaucoup. ( Dans l'antiquité, 1'efclavage n'étoit pas fi dur i beaucoup prés , quoi qu'il en foit refté des traits horribles: il u'eft donc pas improbable que le progrès des lumières a caufé ceux de la barbarie. S'il y a quelque chofe fi conclurede la contre les écrivains qui touchés (ie fe mifére du peuple, croyent qu'il feroit plus heureux s'il étoit encore efclave , au moins cela ne conclut-il rien pour 1'opinion contraire. De nom ou d'eftet, le peuple eft toujours efclave , & toujours malheureux ),  > 2fl C Kiuet, pétrifie, plus mort que vif. II. maudiifoit a chaque minute celle oü il avoit accepté la.' commiffion de Monyful, & quelque eftime qu'il eut pour lui d'ailleurs, il fe ' fentit hors d'état de pouvoir vivre plus long-temps chez un homme qui tenoit des efclaves , & par conféquent contribuoit a autorifer & encourager ce commerce déteftable, avec toutes fes fuites. II prit la ferme réfolution de repaffèr en- Europe; & dans cette penfée, il s'achemina du coté d'une maifon de campagne oü étoit Monyful , afin de lui faire part de fon delfein. Chemin faifant il raifonnoit ainfi: CHAPITRE TRENTE - SEPTIÈME. Le monologue. Si un particulier faifoit a fon voifin la millième partie du mal que nos aimables compa„ triotes a'Europe font a leurs voïfins XAfrique „ & XAmérique, il feroit pendu fans miféricorde «. Quoique cette pendaifon ne foit pas bien förè dans certaines conditions, le magatin hanovrien épuife dans ce peu "de lignes tout ce que Pon peut dire fur 1'enlèvement, la vente, la torture & Püifaffinat des efclaves... Ainfi voila les noms  ; c facrés de religïon , 'de nature, d'humanité, de charité, joués, profanés, proftkués , foulés aux pieds dans toute la force du terme ! En Europe on ne parie que de population, on n'écrit que fur la population; onpropofe des prix pour faire trouver les moyens les plus efficaces de diminuer le nombre des infanticides ; les cabinëts, les antichambres, les palais, font pleins de faifeurs de projets fur le bonheur public; & ici, les mèmes fpéculateurs jettent impitoyablement des enfans a la voirie fur le fable de la mer, ou a la gueule des monftres marins. Par conféquent , s'il y a quelque part un refte de nature & d'humanité , c'eft dans les livres $ Europe qu'il faut le chercher, mais non pas ailleurs. Et la religion , la douce, la divine, la bien- faifante religion du Chrift.' Si ces marchands & Ces tyrans d'efclaves ne font pas de véritables atbées, trés - certainement il n'y en a nulle part. La pieufe reine de Portugal croiroit le monde a deux doigts de fa perte , fi elle oublioit de dire foir & matin fes patenótres d'un .bout a 1'autre, & de s'exorcizer avec de 1'eau-bénite ; mais fes marchands d'épices aux Indes & au Bréfil écrafent très-peu chrétiennement des milliers de créatures humaines, pour lui faire faire de bons  ) m ( en Earope. Le riche breton ne fut guère plus flatté de cette réponfe que feu le Don Quichotte macédonien de celle du cynique infouciant qui lui dit de ne pas Ie priver du foleil. Mais il fit auffi comme Pautre , bonne contenance ; fouhaita le plus heureux voyage a fon ami, lui fit préfent de foo guinées, lui donna une affignation fur la banque de Londres pour toucher une penfion viagère de cinquante livres fterling. & par-deffus le marché , lui loua dans un vaiffeau une chambre a fes frais pour le voyage jufqu'a Portfmouth. Faufiin fi bien pourvu remercia Monyful a fon tour, prit congé de lui, fe rendit a bord, & perdit bientót de vue 1'isle de la Jamaïque, fans pouvoir chaffer de fon efpnt les malheureux efclaves africains. Le batiment mouilla encore a Nete-Yor/c, & pendant le temps qu'il fallut pour y prendre ce qu'on y étoit- allé chercher, Faufiin fe promenoit dans la ville. Tout-a-coup il entend la caiffe d'un crieur public, il' s'approche, il entend : ,j II eft arrivé nouvellement des allemands fur „ le Triton; ceux qui en voudront acheter n'ont ,j qu'a fe rendre a bord; on en fait bon marché ". Cette malheureufe annonce verfa du vinaigre dans toutes lés playes de fon cceur; il fe rap-- R  ) af8 ( pela tout a la fois les deux cótes oppofées de YAfrique, Alger & la Guinee, avec toutes les horreurs qui fe commettent de part & d'autre; puis tout-a-coup il lui vint dans 1'idée qu'il pourroit bien ètre lui-mème un de ces nouveaux venus a vendre; mais fa bourfe gonflée de gui«ées lui rendit bientót 1'affurance, «Sc a ce fentiment fuccéda 1'idée délicieufe qu'il pourroit bien fè faire qu'il fut en état d'acheter une couple de fes compatriotes: fur le champ il prend le chemin du port, goütant d'avance la volupté divine d'arracher un malheureux a la détreffe. Cependant il lui vint quelque doute fur 1'annonce, & il craigtiit d'avoir mal entendu. II ne pouvoit douter que 1'on ne vendit des africains , & c'étoit a fes yeux une tache horrible fur la face glorieufe de notre fiècle ; lui-mème il avoit été brocanté par une fille de joie, fous le prétexte d'un fermon de controverfe, & cela fentoit tout aufli mauvais. Mais enfin une vente publique d'allemands !... Cela lui paroiffoit aufli trop fort, «Sc pour le coup il ne trouvoit plus moyen de concilier cela d'aucune manière avec 1'exiftence du fiècle philofophique. II doubla le pas afin de s'en éclaircir plutót. Arrivé a bord on le conduifit dans 1'entrepont, «Sc la il trouva un groupe affex -femblable  ) XS9 ( a celui qu'il avoit vu a Gènes, allant peupler la Sierra-morena. Ces infortunés, féduits par la peinture d'un pays de cocagne, s'étoient embarqués tout bonnement pour la Penfyhanie. On eut bien foin de ne leur parler desfrais du paflage qu'aux approches de New-Tork, & fur la réponfe que 1'on favoit d'avance, ils fe trouvèrent devenus un article de la pacotille du eapitaine pour s'être promenés en mer avec lui. Faujlin parcourut la troupe d'un coup-d'ceil, & appercevant dans un coin un homme affis qui ne paroiifoit pas plus s'inquièter de fon fort que s'il n'avoit pas été queftion de lui, il conclut tout de fuite, par la force de fa judiciaire, que ce devoit être ou un grand philofophe , ou un plus grand butor encore. II s'approcha pour le confidérer , & plus il le regardoit, plus il s'attachoit encore a démèler ce qui lui paroiifoit fi extraordinaire. Enfin, après un grand quart-d'heure de Gontemplation muette, il s'écrie : c'eft lui! c'eft lui! & fe jette au cou du père Boniface. — Ah! ne diifimulez pas* mon cher maitre , c'eft vous, c'eft vous-même ! mais au nom de Dieu, comment peut-il fe faire que vous foyez vendu en Amérique, après avoir été mis en fourrière dans la dode abbaye de la Panfardière , paree que vous aviez une bibliothèque phüofophique ? R 2  ) 26o ( — Cela feroit trop long, mon cher Faufiin* d'ailleurs je fens que la joie, Pétonnement, la furprife de vous trouver ici, & dans 1'aifance, comme il paroit, prennent trop fur mes facultés, pour que je puiife vous fatisfaire fur le champ; de plus, il va peut-ètre venir un acheteur qui m'enlevera avant que Un acheteur ! Vous enlever! Et fur le champ Faufiin appelle le marchand, demande le prix de 1'homme qu'il montre, met huit guinées dans la main du vil brocanteur, emmène le père Boniface a fon auberge , le remonte de pled en cap après mille nouvelles embralfades, le fit fonger au repos. Le lendemain , après un bon déjeuner * 1'angloife, Faufiin fe mettoit en devoir de commencer fon hifloire , lorfque Pon entendit le fignal de la frégate deftinée pour Fortfmoulh , pouf annoncer qu'elle alloit mettre a la voile. Ainli ils fe rendirent a bord, & ' comme il faifoit beau, ils s'affirent fur le pont dans un endroit a 1'écart, ou Faufiin , en qualité de difciple, commenqa par payer le tnbut a fon maitre. II lui fit donc le détail tragi-conhque des aventu■res tant principales qu'épifodiques de fa vie, foit a la honte, foit a la gloire de notre fiècle philofophique , dans le mème ordre que la deftinée les lui avoit départies, depuis la cruelle fépara-  ) 261 ( tioit du maitre & du difciple, dans, 1'abbaye de la Panfardière, jufqu'a leur rencontre a Kew-Tork. Cette première litanie expédiée, bien & duement pourvue de fes glofes , commentaires, notes marginales, parenthèfes , profopopées , éloges & imprécations d'ufage, ^Boniface entra fur la fcène, & entrètint fon ami plufieurs jours durant de fes dits & faits héroïques. II lui raconta donc comment-, après avoir vu expuHer fon cher Faufiin de 1'abbaye qui avoit été fa nourrice , il avoit été mis plufieurs femaines en pénitence au pain 6c a 1'eau, a 1'abri des traits de la lumière; puis enfin rendu au jour, paree que dans toute la vafte & nombreufe maifon de la dode Panfardière, il ne fe trouvoit pas un autre homme que lui qui fut en état de rédiger un théme pour 1'école & de 1'orthographier; qu'enfuite il avoit profité de fa liberté recduvrée pour écrire une dilfertation dans laquelle il prouvoit qu'il étoit plus utile de s'adonner a 1'étude de 1'économie, de la phyfique & des mathématiques, que d'étudier une polémique fcandaleufe 8c une féche dogmatique. Que ces propofitions avoient paru aux deux ergoteurs gradués, d'un exemple très-dïngereux; fur quoi ils. avoient jugé néceifaire de le déclarer obftinatum & incorrigibilem, & pris la eharitable réfolution de le R l  ) l6l ( confiner dans une petite celluie fort obfcuré pour le refte de fes jours, le tout in interitum carnis, nt fpiritiu falvus fit in die Domini, comme ils difoient. Pendant que cela fe tramoit a fon infu, les •charitables pères cherchoient a lui infpirer de la fécurité en fe contentant de difputer avec lui amicalement, «Sc de le combattre avec des paffages édifians de la fainte écriture & des fairits pères, canons, conciles, «Sc autres lieuxcommuns. Mais Boniface fe douta de ce qui fe paifoit , & jufte la veille du jour de Pexécution , il dglogea fans trompette, & s'éloigna des faints parvis. II erra quelque tempsqa & la , & fut deux fois fur le point d'ètre pris par des efpions déguifés que Pordre avoit fait courir après lui. Enfin il gagna la Hollande, tomba entre les mains des marchands de nègres européens, fut racheté par un honnète Juif, vint a Londres, y fit quelque temps le' métier de majtre de langue ; puis dépouillé par des hrigands, & fans reffource , il avoit pris le parti de s'embarquer pour i'Amérique oü il ne s'attendoit pas a ètre vendu , 8c bien moins encore racheté par fon cher & ancien difciple. Depuis la paix ftHubertsbourg 8c celle de Paris, reprit Fauftin d'un ton emphatique «Sc en fouriaut, le vrai fiècle philofophique exifte fur la terre! Ou bien eft-c«? que eek  ) ( ne feroit pas tout-a-fait vrai ? Vraiment non, dit Boniface, pas tout-a-fait: mais — mais — Mais oui, continua Faujlin ,ilya une foule de diffipateurs avides , d'ufuriers , de petits grandshommes , d'envieux , de calomniateurs , d'hypecntes , de fourbes, de flatteurs , de parafites , de pédans, de gobeurs de mouches , de brouillons, de perfécuteurs , de jongleurs , de fauxprophètes, de bonzes , de faquirs , de dévotes , de courtifans, de foux de cour, &c. &c. qu1 ont pouvoir & intérèt de couper les ailes au bon génie , & de s'oppofer aux progrès de 1'efprit humain : voila le myftère. " Pas tant, pas tant, mon bon ami, dit Boniface. Ce n'eft pas que lorfqu'on s'avife de mettre la tète a la fenêtre , 1'on n'apperqoivq dans le monde d'autres chofes que quand on ne 1'a étudié que dans les livres: mais quoique le plus grand des philofophes depuis qu'il y en a fur la terre, 1'immortel Voltaire, ait été jetté a la voirie & la philofophie avec lui; quoique la crête de nos coqs-d'Lz^e théologiques s'enfle a la vue d'un écrit antifanatique , comme celle de leurs fréres emplumés a la vue d'un pan d'écarlate; quoique nos réformateurs en théorie aient entonné la trompette d'un demi-fiècle trop tót pour annoncer 1'époque de la i propagation R 4  ) 267 ( Leur première fortie fut confacrée au théatre. Oir donnoit une tragédie, qui n'étoit point de Chelifpêre, mais de quelqu'un de fes imitateurs, qui fe croient obligés en confcience de faire a chaque acte au moins une exécution exemplaire , comme de poignarder, empoifonner, aifaffiner l'un des perfonnages : a quoi le parterre n'épargna pas plus le tintamarre des applaudiflemens, qu'un parterre efpagnol a un combat de taureaux quand il elf bien fanglant. Un pauvre acteur , qui étoit foible pour la fureur, & n'avoit pas alfez fait 1'enragé pour ètre goüté dans les grands emplois , s'avifa de hafarder au moins un róle de moindre importance : mais une grèle de pommes, de poires , d'oranges- & d'ceufs pourris , le relanca bientót dans la coulüTe. Ün autre le remplaqa , la boucherie alla fon train, & finit tout jufte quand il n'y eut plus perfonne en vie fur la fcène; au moyen de quoi, chacun fe retira extrèmement fatisfait du fpedtacle. Le lendemain les pélerins voulurent vifiter réellement les tombeaux des philofophes. Us fe rendirent a la célébre abbaye de Wejhninfter, ou les comédiens & les rois , les Stuarts & les Garriks repofent cóte-a-cöte fraternellement. Les voyageurs ne firent en effet pas plus d'attention aux rois qu'aux comédiens, attendu que  ) 268 ( tsomédiens & rois c'étoit pour eux Ia mème chofe. Ils cherchoient des yeux le ilege des philofophes & leurs urnes facrées; ils en découvnrent bientót une quantitéj au milieu defquelles celle de Nioiitonn fe diftinguoit fingulièrement. Ils cherchèrent Pope ; Pope n'y étoit pas. Un breton fe trouvoit la; ils lui en demandèrent la raifon.... Le tombeau de Pope ! s'écria le breton, en mefurant des yeux les deux étrangers de la tête aux pieds: non, meffieurs, point de Pope ici; le boifu Pope eft mort Popijle * ); il n'y a point a Wejlminfler de place pour lui. O la nation philofophe! dit Faujlin d Boniface , en tournant le dos au breton, ö la nation tolérante ! Si Pope étoit mort cheval de pofte ou coureur d'un duc , il auroit un monument d'albatre ; mais il eft mort catholique , c'eft autre chofe! Le plus philofophe des poétes, 1'ami, le connoiifeur des hommes, on lui refufera une froide pierre après fa mort, paree qu'il aura eu le malheur d'aller a la melfe !. . . La-deffus il décrivit plus particulièrement a Boniface le fuperbe maufolée qui eft dans le pare du duc Abingdon a Wejlminjler , & finit par fes lamentations *) On prononce en anglois Papa & Papijle.  ) ( ordinaires fur le fiècle prétendu philofophique , aufli bien que fur la plus philofophe des nations. Ce font les fèces de Pancienne barbarie, difoit Boniface. Ce trait date,des temps du fana_ tifme :depuis le bill du lord Saville, on a bien d'autres idéés ! Et la réponfe du breton a qui nous avons parlé, dit Fauftin, de quel age date-t-elle ? Oh ce n'eft qu'un feul particulier, répliqua Boniface; toute la nation a applaudi au bill de lord Saville. Mais, dit Fauftin , ce doit être un excellent homme, que ce lord Saville ; je fuis bien cu-' rieux de le voir. Rien de plus aifé, dit Boniface; nous n'avons qu'a nous rendre a fon hotel, & nous y promener quelque temps; nous le verrons revenir du parlement. A peine y avöient-ils été cinq minutes, qu'ils virent arriver une bande de furieux qui fe mirent en devoir de mettre le feu a la maifon du lord & de la jetter par terre. On les voyoit déboucher de toutes les rues voifines, trainant au bras des filles dejoie, la bouteille a la main, dans tout le défordre de la rage la plus abandonnée. Dans un inftant les portes & les fenéttes furent enfoncées, tous les meubles jettés  ) 27° ( dans la rue , & entaffés en bücher auquel ils mirent le feu, de mème qu'a la maifon. Les proftituées formoient le cercle autour de cette fcène, amarant les incendiaires , buvant a leur^ fanté , courant ca & la, &* criant a pleine tète -.houtza.' houtza ! point de papifme ! Dieu me damne c'eft un chien de papifte ! bravo ! a bas la maifpn ! brülons fa barraque ! il a fait le bill des papittes; il a voulu amener le pape de Rome a Londres; il n'eft pas chrétien , quoiqu'il foit bon anglois; la religion paffe par-deifus tout, '& Ie falut de 7iotre chère ame • n'eft-ce pas John / . . . Eh oui, Betty ! tète & mort ! la religion ! la religion ! Dieu me damne! point de papifme ! houtza.' Ah grand Dieu ! qu'eft-ce que ceci! balbutioit Boniface tout étourdi a Faujlin. Eh ! c'eft apparemment la St. Barthelemi protejlante, balbutia Faujlin a fon tour. Ils ne furent pas curieux de voir la fin ; ils s'enfuirent gagnant leur auberge a toutes jambes. Cependant dans toutes les rues 1'on n'entendoit qu'un cri : point de papifme ! houtza ! & c'étoit autant de coups de tonnerre qui retentiifoient aux oreilles des deux fuyards. Ils cherchoient toutes les rues les plus détournées, ils fe trouvèrent fur le Moorfield. La étoit une autre bande de fanatiques enragés , qui s'occupoient a mettre a bas la chapelle des ca-  ) 271 ( thohques, dont toutes les maifons étoient déja en feu. Les juges de paix accouroient le livre a la main, lifant a ces furieux les loix contre les féditieux ; mais ils furent battus & cbaffés: ils revinrent avec la garde de police; on leur cria de .ne pas avancer, s'ils ne vouloient pas ètre jettés eux-mèmes dans le feu avec tout leur cortège. Faufiin & Boniface trembloient fi fort qu'a peine pouvoient-ils marcher; ils fe trainoient de rue en rue , les genoux foibles & chancelans , prèts a tomber a chaque cri de houtza i point de papifme.' Leur mauvaife étoile & leur trouble les conduifirent encore devant le parlement, & c'eft la qu'ils virent la fureur & le fanatifme portés au dernier période , au dernier excès. Plus de vingt mille enragés, ayant lord Gordon a leur tète, livroient alfaut a 1'hötel parlementaire , & commencoient a en faire fauter les portes. Dans le moment on vit arriver un grand nombre de lords , tant eccléfiaftiques que laïques , qui fe rendoient au parlement. Les féditieux fe jettèrent fur les chevaux & les voitures, en arrachèrent les fénateurs, les repréfentans de la nation , les renverferent par terre , les maltraitèrent , les pillèrent , demandant a grands cris & en faifant mille menaces , que le  ) 272 C bill du papifme füt fupprimé , & jörant que 11 on le laiüoit palier , ils alloient arracher le cceur a tous les amis des papiftes & leur en battre les joues. Ce fut un grand bonheur qu'il n'y eut point de phyfionomiftes parmi ces fupplians armés ; nos deux catholiques étoient 11 troublés, fi erfarés , tellement hors d'eux-mèmes , qu'on n'auroit pas manqué de lire évidemment le papifme fur leur vifage. Ils tournèrent promptement a gauche, fans regarder derrière eux , & s'efquivèrent fans ètre remarqués. Mais ils ne favoient oü ils alloient , & au lieu de prendre ie chemin de 1'auberge , ils prirent celui du port, ou ils trouvèrent un autre détachement de 1'armée orthodoxe, occupé a traiter les deux chapelles érigées pour 1'ufage des batimens étrangers, comme ils avoient traité la maifon du lord Saville^ On envoya des troupes pour contenir les féditieux; mais les foldats jettant leurs chapeaux en 1'air, leur crioient bravo ! & tranquillement les regardoient faire. Le démon du fanatifme eft déchainé , difoit Faufiin a demi-voix ; fa rage eft partout répandue ; fauvons-nous ! a préfent du moins nous ne manquerons plus le chemin. Ils parvinrent eu effet a gagner leur logis; ils fe glifférent dans leur chambre .tremblans &: décolorés, fe  } *73 ( fe verrouillèrent , fe barricadèrent, comme s'ils eulfenc été au milieu des hordes tartares, & fe jettèrent fur le lit a demi-morts , entendant toujours fous leurs fenètres retentir de toutes parts le cri effroyable : houtza ! houtza! point de papifme ! Quelle fcène épouvantable pour un fiècle comme le notre , pour un fiècle tolérant, philofophique , éclairé! difoit Boniface d'une voix entrecoupée. C'eft, vous dis-je , la St. Èarthelemi des proteftans , répondit Fauftin. Eh tant pis ! tant pis! reprit Boniface. Eh bien que faire ? demanda Fauftin , puifqu'enfin nous y fommes. — Suivre le confeil que nous donne le grand philofophe pour ces fortes d'occafions. Quand le fanatifme, ditil, s'eft une fois emparé d'un peuple, le mal eft incurable ; il faut fuir , & attendre que l'orage foit paifé. L'efprit de la philofophie eft le feul remède qui puifie calmer peu-a-peu la fermentation : ni les loix ni la religion ne peu vent rien contre cette pefte des ames; celle ci mème, au lieu de fervir de panacée , fe change en poifon dans un cerveau attaqué de ce mal contagieux. Ces miférables ne fe repréfentent qu'Aod maifacrant le roi Eglon, Samuel coupant le roi Agag en morceaux : ils ne favent pas que ces deux exemples, jadis refpeélables, font aujour- S  ) 274 ( d'hui 1'horreur des gens fenfés. Et les loix, que pourroient-elles contre un peuple que fa prétendue religion a rendu furieux ? Vous avez vu ce qui eft arrivé aux ]uges de paix portant le code a ia main pour arrêter des incendiaires. Et en effet 1'on doit s'y attendre ; ces malheureux font bien intimement convaincus que le zèle qui les anime eft au-delfus de tottes les loix , & que leur enthoufiafme imbécille eft le feul mouvement auquet ils doivent obéir. Vous avez entendu des proftituées, la bouteille d'une main , le brandon dans Pautre, parler en jurant du falut de leur chère ame. Qu'oppofer a des gens qui vous crient en fureur qu'il vaut mieux obéir i Dieu qu'aux hommes, & qui croient ferme. ment gagner le ciel en vous aifalfinant ? Fuir! fuir! s'écria Faujlin, fuivre le confeil du père Voltaire, & attendre que la férénité reparoiife. Ils s'arrètèrent a cette réfolution philofophique y & cherchèrent a fe guérir , par le repos, de leur douleur, de leur épouvante & de leurs fatigues. Vers les dix heures du foir le tumulte recommenca tout-a-coup, plus terrible encore que pendant le jour ; les cris redoublés de houtza ! point de papifme.' reportèrent la terreur dans Pame des deux philofophes. Ils étoient bien  ) *7ï ( déterminés a refter fidèles a leur réfolution, d'attendre la firénité. Mais foudain ils entendirent crier au feu ! au feu! Ils fautèrent a bas du lit, s'habillèrent a la hate , defcendirent dans la rue, & virent un fpeétacle qui de tous ceux qu'ils avoient vus jufqu'a préfent étoit peut-ètre le plus honteux pour notre fiècle : la chapelle de rarabaifadeur de Sardaigne en feu , & tombant en ruine, les fanatiques enragés trainant dans la rue les vafes, les ornemens, les images , les livres , & faifant du tout un feu de joie. Le feu gagnant les maifons voifines , quelques perfonnes fenfées voulurent fe mettre en devoir d'en armer le progrès. On amena des pompes > Faujlin & Boniface fe mirent a travailler > mais les furieux fondirent fur les travailleurs a grands coups de poings & de batons , & les deux allemands s'enfutrent chez 1'envoyé Bavarois. Ils ne s'y trouvèrent pas mieux: une autre bande de fanatiques vint attaquer la chapelle & la piller. Boniface s'avila de vouloir fauver quelques vafes facrés; on les lui arracba des mains pour les jetter au feu en poulfant des cris de joie. Boniface s'approchant du bücher cherchoit a retirer des flammes un fuperbe milfel qui n'étoit pas encore entamé: un eoup de crolfe de fufil-, qui lui fut appliqué S 2  ) 276 ( fur la tète, le coucha par terre a coté da bücher. Faufiin voyant tomber fon maitre, ne penfa qu'a le retirer comme il put de deifous les pieds de la foule , & convaincu qu'il n'y avoit rien a faire contre un peuple en fureur, a qui un excès de fanatifme faifoit oublier tous les droits les plus facrés, il fe hata de regagner le logis, en reportant avec mille peines Boniface fur fon lit. Le pauvre homme avoit perdu les forces & la parole, & pour furcroit de malheur, Faufiin fut obligé d'attendre jufqu'au lendemain matin pour trouver un chirurgien. Le chirurgien enfin arrivé, viftta le malade qui étoit un peu revenu a lui, & trouva le crane offenfé , en conféquence de quoi, il déclara que Boniface n'avoit pas trois jours' a vivre. Boniface. recut fon arrèt avec la plus grande réfignation , & ne defira plus autre chofe avant fa mort, que la confolation de voir mettre fin a une fcène fanatique digne des temps les plus ténébreux de la fuperftition , mais li honteufe pour notre fiècle. Son vceu fut rempli; Faufiin lui annonqa le furlendemain que la cour avoit envoyé des corps de troupes, qui étoient parvenus a rétabhr la tranquillité, après le mailacre de 400 perfonnes , & un dommage de plus de 20 mil-  ■ ) 277 ( ïions d'écus en batimens incendiés. Dieu foit loué! dit Boniface en foupirant. Eh quoi ! mon cher maitre , continua Fauftin, m'allez-vous donc abandonner ? Vais-je refter feul ici, oü après tout ce que nous avons fouffert en fi peu de temps, j'ai peut-ètre encore mille maux a endurer , puifqu'en dépit de toutes nos académies, de nos écoles, de nos plulofophes & de nos philofophies, le démon de la barbatie règne fous chaque zóne, fous chaque gouvernement , dans chaque fecfe , dans chaque fociété, comme vous Pavez éprouvé vous-mème. Apprenez-moi donc a concilier tout cela avec votre doéttine de la Panfardière. Lorfque j'ai eu le bonheur de vous rencontrer a New-Tork a un encan de tètes allemandes, j'étois fur le point de rejetter pour jamais le dogme de 1'exiftence du fiècle philofophique, comme, dès mon féjour a Munich , 1'académicien orthographeur & 1'ami Traubach mé 1'avoient déja confeillé. Vous avez fu ranimer en moi une flatteufe efpérance > vous avez voulu me ram ener au milieu de la nation philofophe pour me raifermir tout-a-fait contre 1'incrédulité, & voila que la plus philofophe des nations vous affaffine a coups de crofiè de fufil dans une fédition excitée par le lèul fanatifme ! - C'en eft bien alfez , je penfe , pour S 3  > *78 ( vous démontrer k vous-mème, ó mon chèr maitre , que le démon de 1'intolérance & de la perfécution eft encore plus puiffant que le bon génie de la tolérance & des lumières. Ainfi, cher philofophe , fouffrez que nous abandonnions ce dogme premature,- avouons que ce fiècle n'eft pas encore celui du triomphe de la raifon & du bon fens. Permettez que je forte de ce rève trop Jong & trop menfonger, que je renonce a cette douce & cruelle illufion, que je me réveille enfin avec la perfuafion intime que le règne de 1'humanité n'eft pas encore arrivé, & que je m'arme un peu mieux de patience & de précaution contre les événemeils funeftes qui m'attendent fans doute encore. Ah! ne me faites pas ce chagrin! répondit Boniface d'une voix mourante; ne me laiflez pas emporter au tombeau 1'idée délolante que vous ayez abandonné ma dodrine favorite! Vous voyez que j'ai réfifté moi-mème a tout, & que j'ai eu le courage de la conferver jufqu'a ce moment 5 je compte bien lui mourir fidéle & 1'emporter avec moi dans la tombe. Imitez-moi, mon cher FauJIinl croyez-moi, efpérez , foyez perfuadé qu'elle eft fur le point de fe réalifer, peut-ètre mème plutöt que vous ne penfez ; je vous alfure que V-on ne datera pas 1'an 1800 avant que 1'on  ) *79 ( ait vu cette heureufe époque, tout au moins dans notre chère patrie. Elle a au fud & au nord deux monarques, qui, fi le ciel vous accorde encore des jours , vous feront chanter dans une douce extafe : enfin, enfin la raifon Temporee , 1'humanité triomphe, voici le fiècle philofophique! Oui, mon ami! oui, mon cher difciple ! ce temps viendra , ce temps approche.... j'ai vécu dans eet efpoir je meurs.... & je 1'efpére plus que jamais adieu Boniface expira en prononcant ces paroles. Faufiin les regarda comme prophètiques , comme un oracle de la divinité, fcellé du martyre de fon bienheuteux maitre. Après eet événement & tout ce qui s'étoit paifé, il étoit naturel que Fauftin conqüt beaucoup d'indifférence pour la nation philofophe. 11 ne penfa plus ni aux mónumeris des grands hommes, ni aux maufolées des chevaux, & dans la crainte d'une feconde fcène gordonique, il profita du premier batiment qu'il rencontra pour fe rendre a Hambourg, & dela a Berlin, felon la deftination du feu P. Boniface'. S 4  ) 280 ( CHAPITRE QUARANTIÈME. 'Le fymbole des Rois. FAuJlin fs plut affez a Hamhourg. II paffa au théatre plufieurs foirées délicieufes , & fi de la comédie il fut allé droit a la pofte pour continuer fa route, il eut emporté 1'opinion la plus avantageufe de cette ville. Mais fon mauvais Génie le fit entrer dans une églife, paree que c'eft la qu'il efpéroit trouver des traces plus certaines & moins équivoques de tolérance & de lumièresPar un fecond malheur, cette églife étoit celle de Ste. Catherine. Le vénérable pafieur Johann Melchior Gceiz parut dans la lice facrée , & prejiant pour texte le paffage qui fe trouve dans St. Jean, chap. ié, jr. 25 1&24, il prouva que les luthériens font les feuls mortels qui puiifent être agréables a Dieu Faujlin envifageoit attentivement 1'homme de Dieu , & cherchoit a reconnoitre fi ce ne feroit pas par hafard le P. Simplician Hahn, qui auroit changé de furplis ; comme le nommé Fidler, qui ci-devant révérend père ledeur chez les moines Auguftins & aujourd'hui prolélyte , a changé le ton de fa cornemufe polémique , & envoye  ) a8i ( tous les papiftes au Diable , comme il y aveit jadis envoyé tous les proteftans, conduite alfez ordinaire aux prorélytes, par la raifon d'EtatCe n'étoit point le père Hahn, mais le vrai Pierre de l'églife luthérienne, le glaive de la parole a la main pour couper 1'oreille a tout Malchus hétérodoxe. Plus le vénérable prédicant pénétroit avant dans fon texte, plus fes poumons orthodoxes s'évertuoient; fon éloquence couloit a grands fiots , & contre les catholiques ,& contre les réformés, & contre le théatre , «Si contre Leffing , & contre le fyftême d'éducation de Campe, & contre tout ce qui n'étoit pas a la Gtstz. Ce chet-d'oeuvre de l'un des matadors de l'églife évangélique, fit fur Fauftin tout 1'effet qu'il devoit; il le nota iur fes tablettes comme faifant un pendant admirable' au favant père Hahn, & ajouta au-delfous le couplet connu, qu'Abbt a fait a fa louange. (N.B. qu'en allemand lemot Gietz fignifie idole ). „ Voyez Gxtz! fur fa large face „ Vous ne verrez plus la pudeur; „ A fa voix notre populace „ Tremble d'une fainte frayeur; „ Hambourg prodigue fes hommages w A Yidole qu'il s'éleva; „ Ainfi Juda, malgré fes Sages, „ Fit un veau d'or, & 1'adora.  ) 2%2 ( Cependant il voulut favoir comment il pouyoit fe faire que 1'on y chantoit une melfe de requiem. Comme il ne voyoit point de convoi, il s'informa en fortant pour qui 1'on faifoit ce fervice: a fon grand étonnement, il apprit que c'étoit pour feu le célébre Voltaire, & par ordre de Sa Majefté. II rentre a 1'inftant, s'agenouille au pied de 1'autel, & récite dévotement fon de profundis pour le grand philofophe , penfant que fes annales de 1'empire pouvoient bien lui avoir mérité quelque féjour dans le purgatoire, & rendu ce petit fecours nécelfaire. Puis comparant le noble procédé d'un Roi proteftant avec celui du grand-voyer mitré de Paris, il fe fentit extrêmement confolé, & commenqa a fe perfuader que la prophétie du père Boniface pourroit bien en erfet s'accomplir.  ) 288 ( faut-il que ce ne foit encore qu'un beau rève & un pieux defir ! „ Telle croyance qu'on voudra ! „ La frobité! £5? rien de plus Prètez 1'oreille , 6 grandsl écoutez , vous tous, puiffans de la terre! écoutez le Salonion du nord, le philofophe couronné. Donnez-nous la liberté de confcience , foyez tolérans comme Frédéric \ Soyez grands , foyez fiers , ayez un orgueil digne de vous , & rougiffez de vous laiffer furpaffer par des hauteffes mahométanes, qui avec un évangile militaire , une loi de fang, la doctrine du fabre, depuis des fiècles cependant pratiquent la tolérance, & Ia prêchent en vain d'exemple a toutes les Majeftés, tant Catholiques, que Très-fidéles ou Très-chrétiennes, aux Alteffes & aux magnifiques Seigneurs : qui a coté du tróne du mahométifme, reqoivent & laiffent papiftes, luthériens, calviniftes, focmiens anabaptiftes , piétiftes , manichéens , quiétiftes,' grecs , arméniens , qurekres, pélagiens, cophtes, hébreux, bramiftes * ) , conf uciens , payens ,• déifles , naturaliftes , indifférentiftes , matérialiftes, riéniftes ou nulliftes, enfin tous les ijies & les iens du monde, fe fréquenter, commercer, * ) Ailorateurs de Bram». vivre  ) 289 ( yivre enfemble & mourir en paixj s'il le peu^ vent, & jamais fe quereller. Lailfez-nous a nous-mème le foin de faire notre propre falut, en travaillant ici - bas en braves citoyens au falut de 1'Etat. Rendez infame le métier de profeifeur armé de la dogmatique; tout honnête homme a la vraie dogmatique au fond de fon coeur. S'il y a des gens qui ne croientni a la conception immaculée, ni'auconcile de Trente, ni a la fainte chapelle de Loretto , ni a 1'infaillibilité du pape , ni au fang de St. Janvier, qui ne font point dire de meifes, qui n'y vont mème pas , & lifent plus volontiers Hontheim & Voltaire , que Thomas-d'Aquin & Boufembatim, ne les vexez point , ne les perfécutez point, ne les privez point des droits civils, n'envoyez pas , comme Wejihoff, des caporaux pour les faire communier a coups de baton , & fur-tout ne fouffrez pas que vos prètres faifent le vceu d'exterminer toutes les autres communions. Criez leur avec le grand Frédéric: „ Que les „ prètres donnent 1'exemple de la tolérance ; car „ on ne leur permettra jamais d'exercer la per-< „ fécution ". Examinez, remontez a la fource de cette rage de controverfe, de ce zèle fans T  ) 29° ( bornes pour Puntte de croyance ; vous trouverez le reflbrt moteur de cette terrible machine orthodoxe dans la vanité, Porgueil , la préfomption, 1'arrogance , 1'ignorance, la rage de dominer, la ftupidité, 1'avarice fordide & 1'ambition des prètres. Eux feuls font les dodeurs-de la populace de tous les rangs; ils lui infpirent leur fanatifme, & vous favez les horreurs qu'il peut engendrer, ou mème qu'il ne manque jamais de produire : vous n'avez oublié ni la gufinanade, ni la St. Barthelemi, ni le gordonifme , &c. &c. &c. Tantum Religio potuit fuadere malorum ! 5, Eft-ce 1'amour de Dieu qui commit tant d'horreurs ? Vous ririez d'un tyran qui s'aviferoit de vouloir qu'il n'y eut qu'une feule & unique mefure dans fes états pour les bottes, les fouliers & les culottes de fes fujets : il en eft pourtant de mème de la chauifure & du vêtement de notre ame , & prétendre que tous les fujets d'un empire, fans exception, mefurent leurs idéés , leurs conceptions , leur foi, fur la mème forme dogmatique , n'eft une chofe ni moins fultanique ni moins abfurde. Imitez donc le fage Frédéric : faites infcrire  ) 291 ( en lettres d'or au frontifpice de tous vos-temples & de tous vos palais : „ Liberté de croyance .' 3, Et probité fur tout " / CHAPITRE QUARANTE - UN1ÈME. Seconde reconnoiffance. (cependant la Renommee publioit en Allemagne & dans toute VEurope les fages ordonnances & les grandes aclions de Jofeph le. bienaimé. On apprenoit trait fur trait, & tous marqués au coin du génie le plus éclairé, le plus humain ; des loix, des a&ions qui ne pouvoient ètre que les émanations d'un efprit philofophique qui embralfe tout dans fon immenfe fphère ; on voyoit exécuter des chofes qui jufqu'alors avoient été regardées comme de beaux rèves, comme de fimples vceux des borts citoyens , ert ün mot, comme des demi-miracles. D'abord c'étoit la publication d'une tolérance univerfelle: a cette nouvelle Fauftin he fe fentoit pas de joie. Graces, louange a la philofophie de notre fiècle ! s'écria-t-il pour la première! iois depuis qu'il fit cette exclamation a la Pan- T i  ) 292 ( fardière avec le père 'Boniface, 'après la fuppreffion de la Société & des jours de fète. II ne douta plus que fon cher maitre ne fut un faint, un prophéte ; au moins le tint-il pour plus infaillible que 1'évêque-chapelier, entouré de fes 72 calotes rouges. Déja il 1'avoit trouvé véridique a 1'égard du monarque du Nord ; il s'étoit convaincu par lui-mème de 1'incorruptible philofophie de Frédéric ; il lui reftoit a fe convaincre aufli du triomphe de la raifon & de 1'humamté dans le Snd. II prit le parti d'aller a la foire de Léipzig, afin de prendre des informations a ce fujet, des marchands qui s'y rendoient de Hongrie, dCAutriche & de Bohème, étant réfolu , felon ce qu'il apprendroit, d'aller faire quelque féjour a Vienne même, afin de contempler aufli le grand Joseph face a face. En arrivant fur la frontière de Saxe, il entendit publier un décret électoral, qui permettoit aux catholiques de faire des acquifitions territoriales, d'aquérir même le droit de bourgeoifie , & qui leur rendoit plufieurs autres privileges réfervés depuis long-temps aux feuls proteftans : Faafrin fentit confirmer fa croyance k 1'oracle prophétique de Boniface. Arrivé a Léipzig, il s'informe , il cherche des hongrois, des autrichiens, '& il s'eatretient avec  ) 29? C eux : tous lui apprennent que 1'infatigable aeefie aux cent langues n'avoit publié que des vérités, «Si qu'elle en avoit encore pour cent autres langues. II écoutoit & ne fe lalfoit pas; enfin dans la joie de fon cceur, il court au café de Richter,, demande une carafe de nectar, rerapjit fon verre fans s'affeoir, 1'élève d'une main , tenant fon chapeau de 1'autre , & avec des yeux humides , d'une voix entrecoupée, il porte a tous les afliftans la fanté du grand Joseph : puis cette libation faite , il s'affied pour refpirer , & favourer la douce & puiifante joie qui s'emparoit de fon ame. Tout le café, furpris de cette apparition, s'affemble autour de lui, dans la perfuafion que c'étoit quelque infortuné qui venoit de recevoir de 1'Ami des hommes quelque grand bienfait perfonel. Tous 1'interrogeoient, tous l'apoftrophoient; on lui faifoit mille queftions a la fois , & quand il eut eu en ce moment la parole plus libre que fon émotion ne la lui laiifoit , il lui eut été impolfible de fatisfaire tout le monde. Eh oui! meffieurs, eh oui! leur dit-il enfin , le grand JosEPH m'a fait plus de bien qu'a vous tous ; il a guéri a la fois toutes les plaies de mon cceur ; il Pa délivré tout d'un coup du poids immenfe des douleurs qui s'y étoient accumu- T 3  ) 494 ( lees & entalfées jufqu'a préfent fans interruption dans tous les coins des deux hémifphères. Qu'il vive ! qu'il vive! ce monarque bienfaifant! Je vous porte une feconde fois fa fanté. Parmi les étrangers qui écoutoient Faujlin d'un air étonné , l'un entr'autres, qui s'étoit avancé jufqu'auprès de lui , le confidéroit avec la plus grande attention & le fixoit de Pceil le plus avide. Soudain il lui faute au cou, & s'écrie a fon tour: Oui, frère! oui! qu'il vive, le Titus allemand, les délices du genre-humain , notre cher , notre immortel Joseph ! Et vive auffi le père Boniface, le pröneur du fiècle philofophique ! Et vive a fon tour le brave Faujlin , notre frère, notre ancien ami, notre fidèUe camarade, que la Providence me rend enfin après me 1'avoir enlevé au mariage aquatique de Vetiife .' — Ciel! c'eft Traubach ! — Eh oui! c'eft lui-mème! — Et ils fe tenoient embraifés fans pouvoir prononcer une feule parole. Enfin un peu revenus a eux, ce furent queftions fur queftions , réponfes fur réponfes , qui fe croifoient fans fuite & fans ordre; puis des tranfports.de joie & de furprife, & cent mouvemens dont ils n'étoient pas maitres. Mais pour favourer a loifir la fatisfaction inexprimable qu'ils reifentoient de s'ètre retrouvés, Traubach con-  ) »9f ( iuifit Fauftin dans fon logis, oü après s'ètre embraffés de nouveau, ce digne ami lui paria enfin le premier. Eh bien, cher ami! apprens-moi donc comment les Hots orageux de la deftinée font balotté jufqu'a préfent fur la furface de ce globe! Dis-moi tous les inftans agreables ou douloureux que tu as éprouvés! comment apres une fi longue féparation nous nous trouyons a Léipzig, dans cette grande facforerie delelprit, de la fcience, de la littérature allemande. Ah mon ami! répondit Fauftin , j'ai fans doute elfuyé de bien mauvais quarts-d'heure j tu fauras tout. Et la-deffus , après un prologue aufli pnthétiqueque le comportoit 1'occafion, d eomxnenqa le long récit de fes deftinées, reprenant le fil Ha féparation de Venife, racontant eniuite ce qu'il avoit vu a Ito, ce qu'il avoit fouffert •i Nopte, comment il avoit figure tnftement dans unauto-da-fé,8c la fe rappellant la commiflion qu'il avoit donné a Tellendorf pour Traubach, il voulut favoir fi elle avoit été faite, apprit qu'oui, mais que fon ami ne s'étoit pas fenti du goüt pour chercher une patrie dans le voifinage de celle de Don-{Mchotte. 11 reprit fon narré , paria des cruelles fcènes de Fans a 1'occafion du grand philofophe, puis de ft guedfon, puis des nuages épais qui obfcurcüfent T 4  ) 296 C les bords du Rhin; puis dit comment il étoit devenu amou«eux, comment il avoit été vendu aux Heffois , conduit en Angleterre & en Amérique comme foldat, en Afrique comme commis, gagné des guinées & une penfion en tuant une couleuvre & réveillant un iiomme, acheté Boniface a 1'encan, enterré ce cher père a Londres, après 1'avoir vu aüommer d'un coup de crofTè de fufil au pied d'un bücher allumé par Je fa- natifme le plus furieux — Et croyoit-il toujours au triomphe univerfel de la raifon, de 1'humanité, en un mot, au fiècle philofophique ? interrompit Traubach. II eft mort fidéle, répondit Fauftin; il avouoit bien avoir reconnu moins de philofophie, de tolérance , d'humanité , dans le monde que dans les livres, en un mot que 1'époque des lumières univerfelles avoit été annoncée un peu trop tót: mais il foutenoit que les Hammes de 1'intolérance, du defpotifme, de la fureur , encore ardentes prefque par toute la terre , n'étoient foufflées que par Fambitton & 1'avarice & 1'orgueil d'une foule d'hypocrites & de flatteurs, tonfurés & non tonfurés, courtifans & non courtifans, qui devoient bientót difparoitre. Son dernier foupir fut Paffurance qu'il me donna, que nous verrions certainement le fiècle philofophique, mème avan la fin du dix-huitième fiècle, & que du móins  ) 297 ( en Allemagne, il exiftoit deux monarques poffédant la vraie philofophie dans la tête & dans le cceur, qui ne manqueroient pas ' de rétablir la raifon & 1'humanité dans tous leurs droits : enfin il a emporté au tombeau & m'a lailfé a moi-mème.le confolant efpoir que cette époque n'étoit pas éloignée ... II avoit raifon , dit Traubach en Finterrompant; elle a comraencé en effet. Cette époque fi defirée , fi long-temps attendue. fi glorieufe pour VAllemagne, date de 1'ari m. dcc lxxx; 1'ère de la raifon, annoncée par Boniface, apns naiifance au règne de notre JoSEPH. Que la Providence nous le eonferve! Et nous, fi ere! foyons fiers d'ètre allemands , & réjouiifons-nous d'ètre nés dans ce fiècle, comme te Pa dit il y a longtemps le père Boniface dans la dodle abbaye de la Panfardière. En effet, dit Faujlin: j'ai déja vu le monarque du nord, & vérifié la moitié de la prophé- tie de mon ancien maitre H faut que tu voyes aufli celui du fud, reprit Traubach , tu verras que Boniface ne pouvoit te le peindre aufli digne d'admiration qu'il Peft en effet. Je t'emmène, a Vienne, oü j'ai fixé mon féjour pour jamais, afin Comment! tu demeures a Vienne ? interrompit Fauftin. Eh oui! mon bon  ) 298 ( ami; répondit Traubach, peu après mon retour d'Italie , je perdis mon père, & 1'héritage qu'il m'a laiffé me fuffit pour mener une vie aifée, quoique fans luxe ; je demeurai encore quelque temps a Munich, après fa mort; mais enfin fous le nouveau gouvernement du Rhin- les chofesont pris de jour en jour une tournure fi antiphilofophique , que j'ai pris le parti de battre en retraite, & de me fixer fbus un méridien plus éclairé. Au refte , nous parierons a loifir de tout cela; tu apprendras dans quelle trifte fituation fe trouve notre pauvre petite patrie Bavaroife, & la grande révolution que des étrangers ont opérée après la mort de Max , dans nos tètes, nos bourfes , nos librairies, nos cenfures, &c. Pour le moment il s'agit d'autre chofe; tiens-toi prèt a partir, & fuis-moi au pied du tröne de la philofophie & de 1'humanité. Ainfi donc, dit Faujlin, c'eft bien férieufement, bien tout de bon, que la tolérance règne ici aujourd'hui ? Encore de 1'incrédulité ? répondit Traubach. Mais, reprit Faujlin , quand on a . . . . Je t'entends, continua Traubach , le miracle doit te paroitre grand après tout ce que tu as vu & éprouvé; mais tu dois m'en croire, il eft fait, & tu n'en croiras bientót qu'a toimème .. .. A merveille! dit Fauftin; mais... . •  ) 299 ( Eh! point de mais, mon ami! interrompit Trau. lach ; ne fais-tu pas ce que dit la comtefle Orfma ? Tous les mais... * Eh oui! tous les mais , reprit Faujlin; cependant les défenfeurs de 1'immaculée , ces braves champions en foutane, qui tous les ans au 8 décembre prononcent toujours leur formidable fpondeo, juro, voveo , de foutenir jufqu'a la mort, de la plume , de la parole & du bras, Panden dogme jéfuitiqüe de la très-myftérieufe & très-inconcevable immaculée conception , comme ils vont me donner la colique quand ils viendront a dccouvrir mon incrédulité pour un fi grand myftère'( C'eft donc la que le bat te bleffe? répondit Traubach avec un fourire ; dors en paix, mon bon ami, dors en paix! L'immaculation a difparu de YAutriche. Jofepb, qui fe donne la peine de penfer par lui-mème, a banni-de tous fes Etats cette vieille & ridicule queftion fcholaftique; il a lavé YAutriche de cette tache du moyen age; il a extirpé cette mauvaife herbe plantce par Hildebrand. -~ Et Jofeph en eft venu a bout! — Oh! très-a-bout, je t'aifure , & a telles enfeignes , que dans fon décret particulier pour Pabolition de ee ferment püéril, il dit: „ Comme M 1'importance du ferment exige au moins qu'il  ) 300 ( ;, ait pour objet & pour bafe une vérité dé3> montrée , & pour motif une vraie néceffité, 35 & comme ces deux conditions ne fe trou„ vent point remplies dans le ferment prèté pour 3, l'inimaculation , nous voulons que ce ferment 35 foit dorénavant fuppnmé pour jamais , «St dé33 fendons de le prononcer déformais fous peine 33 de notre difgrace , &c ". Eh que Dieu le rende au grand Jofeph ! s'écria Faufiin: mais qu'ont dit les nobles champions, avec la moinaille qui forme le gros de leur armée , qu'ont-ils dit a cette irruption fubite dans leur domination dogmatique ? Ne fontils pas entrés en campagne, pour ne pas devenir parjures , «Sc n'ont-ils pas mis vie «5c biens en jeu pour la défenfe de leur ridicule chimère ? Eh que tu es bon ! dit Traubach; pourvu que ces preux chevaliers touchent régulièrement leurs revenus , «Sc que leurs goujats enfroqués bien nourris puiffent de temps en temps s'amufer avec quelque vierge non-immaculée , ils ne fe foucient pas autrement de 1'immaculation. Grand bien leur faife ! dit Faufiin, «Sc que graces foient rendues a la philofophie de notre fiècle! — Oui! oui! répéta Traubach , graces lui foient rendues! La-delfus ils firent les préparatifs de leur voya-  ( ) 30i ( ctp . &■ leur ioie ne fut troublée que par le petit fcandale que leur donna la ville de Léipzig, toute éclairée qu'elle ett, ils turent lort etonnés que dans eet entrepot des fciences, dans le centre mème du commerce des lumières, 1'on kt affez intolérant, alfez petit, alfez orthodoxe, pour défendre au brave Zollilwfre d'écrire en titre de fon livre de cantiques : a htfage de la Communauté réformée ; & cela paree qu'ainü 1'ont décidé felon leur bon plaifir, les fages pafteurs luthériens de la Pleijfe f CHAPITRE QUARANTE-DEUXIÈME. Hiftoire de Traubach. Assis dans la voiture, & nageant dans cette douce joie dont la juftice & la vérité , auffitöt quelles fe montrent quelque part, inondent le cceur de ceux qui 1'aiment & qui ont foupiré longtemps après elle ; pleins d'une délicieufe impatience de paifer bientót les frontières de YAutriche, ce fut ce moment que Traubach choifit pour raconter a fon ami ce qui lui étoit arrivé depuis leur féparation. „ Long-temps , dit-il, je reftai fur le port, fuivant d'un ceil humide le batiment qui te por-  ) ?oa ( toit a Ancone; long-temps je fèntis mon cceut échauifé de nos derniers embralTemens; & quand I je t'eus enfin perdu de vue , je renouvellai en I moi-mème mon ferment de ne jamais t'oublier i & de refter éternellement ton ami. Banni comme I toi par le mème arrèt de 1'inexorable Arciba- 1 lordo, je quittai aulii la dominatrice des mers I & 1'époufe d'un bras de la Méditèrranée , pour me rendre«a Milan. ,, Je trouvai déja le fiège des antiques Lom- i bards rempli d'un tout autre efpnt qu'il n'eft ordinaire de voir dans le pays ou, comme dit | Voltaire , les chevaux font encore tous les ans 1 leur compliment aux anes. Les arts & les fcien- I ces y florilfoient, & le génie du tudefque Fir- 1 tnian répandoit la lumière fur toute cette belle contrée. J'y paifai quelques mois d'une vie dé- I licieufe; enfin, me trouvant fi prés des frontières des célèbres Helvétiens, il fallut bien leur faire une petite vifite. „ Je vins donc dans la patrie du fameux Jea;*Jacques Roujfeau, dont je me faifois 1'image la plus philofophique , & il faut avouer que les apparences étoient alfez féduifantes. Les perruquiers & les épiciers lifoient VEfprit des Loix, & les belles déclamations de 1'éloquent Raynal; les J dames feuilletoient ¥ Encyclopédie ; les jeuneS  ) 3°j c meffieurs étoient tous en un certain point , de vrais Emiles, & outre-pafloient encore les leqons de leur pédagogue. Ma,s ma joie fut de courte durée. Un beau foir voila une bande de reprefentans qui en rencontre une de négatifs. On s'accroche, on difcourt; on cite d'abord le contrat focial, pmsMontefquieu, enfin 1'on en vint a un autre genre d'argumens, on fonna le tocfin , on fe coucha en joue, on fit feu de part & d>autre Je me hatai de fortir de la repu- blique. . „ Tu devines d'avance que je pris droit le chemin de Ferney ou Fernex. Je voulois voir auffi le grand philofophe, dont tu m'avois encore donné une fi haute idée. Par malheur on venoit de publier a Paris une critique terrible de fon hijioireuniverfelk, & cette petite aventure avoit mis papa grand-homme de fi mauvaife humeur , que perfonne ne pouvoit lui parler. Je me vis donc obligé de prendre congé fans audience, cependant je vis avant de partir la johe é*life que le philofophe avoit fait batir, avec Pinfcription philofophique: Deo er exit Voltaire, ornée d'ailleurs avec une fimplicité non moins philofophique, n'ayant qu'un autel de marbre , fur lequel étoit un crucifix. „ Deli je me rendis a Motiers-Travers, & je  ) 304 C m'y logeai dans la mème chambre oü Jean-Jacques avoit écrit les lettres de la Montagne , &lbn épitre philofophique a 1'orthodoxe Chrijiophe au bonnet a deux pointes , & d'oü il avoit été chaffé peu après par le pafteur du lieu , le tolérant Montmolin. Je pouffai plus loin & m'embarquai fur le lac de Biel ou Bienne, pour voir 1'isle oü Jean-Jacques fit pendant quelque temps le Robinfon Crttfoé, & je puis t'avouer bien fincèrement que je n'éprouvai pas le moindre paroxyfme de la ridicule vanité qui enfle le cceur des jeunes meffieurs fuiflès quand ils ont fait les deux pélerinages dont je viens de te parler. „ Etant a Neufchatel, je voulus profiter de 1'occafion, & je fis chez le libraire Fauche une petite pacotille de ces livres que 1'on n'ofe pas imprimer chez nous , paree qu'ils attaquent d'un peu trop prés quelques papalifmes, & quelques autres phantómes , tant dogmatiques que politiques * ). Dela je pris a 1'eftj je vis quelques Démagogies microfcopiques s'occupant férieufement a faire brüler de petites brochures , dans lefquelles quelque honnête patriote leur con- * ) Depuis ce temps les griffes du monftre fe font étendues jufque dans la retraite du libraire Fauche, ont femié fa bontique, 1'ont amendé comme le dernier des efclaves du defpotifme, &ont fouillé hontcufement Tafyle de la liberté, qui cependant avoit déja délogé, dit-oiu .  ) *o? ( feilloit de rogner un peu les portion's clauftrales pour avoir de quoi ériger des écoles, & faire inftruire leurs petits garqons. „ J'aurois bien voulu voir le payfau philofophe de Zürich , & le marchand philofophe auili; mais ni l'un ni 1'autre ne fe trouva au logis. Je me contentai donc d'acheter leur panégyrique, & je partis pour Appenzell. k Aujjern Rhoden , dans ce canton , il règne une orthodoxie d'un genre qui n'a pas fon pareil dans le monde , a ce que je crois; c'eft une orthodoxie d'almanac. Je demandai a un miniftre pourquoi les gens dê fa paroiife vouloient toujours être de onze jours plus jeunes que les autres. II me donna pour raifon que c'étoit un pape qui avoit réformé le calendrier tel que les autres 1'employent, & que pour eux , ils aimoient beaucoup mieux ignorer toute 1'année s'ils étoient dans le printemps ou dans 1'été, que d'apprendre tout cela d'un pape. Je lui obfervai que prefque tout le bied qu'ils tiroient de la Souabe & des rives du Bodenfée, croiifoit en terrain catholique , femé & recueilli par des mains papiftes, & que le pain catholique qu'ils en mangeoient ne les ayant pas encore catholiftés, le bon almanac, en leur apprenant exadement le vrai quantiéme du mois, ne pouvoit pas offenfer davantage leurs con- V  ) ?f* c ta marotte de triomphe de la raifon, de lumières univerfelles , ou que. fais-je comment tu baptifois ces beaux rèves. „ j'arrivai a Munich comme notre bten-airne Maximilien étoit a Partiele de la mort, tandt* que Senfiel & Branka ne ceflbient de menttrau public par leurs bulletins confolans. Ce bon prince mourut donc entre les mains de deux charlatans, & fut regretté du peuple comme peu de princes doivent efpérer de 1'être. J at meme lieu de croire que eet événement contrtbua beaucoup a la mort de mon père , qui ne tarda pa, de le fuivre. Nous eumes donc un nouveau gouvernement, &"nous vimes fièger des confeffeurs dans le conleil fecret. Auffi ne tarda-t-on pas de remarauet viftblement WnBuence de la mecbancete exjéfuitique, &de pur dépit, par la feule tu•dignation que je reifentois de leurs tndtgnes manoeuvres, je pris le parti de me remettre en voyage , afin de me diftraire de Ces idees cruelle* Te pris le chemin de la Trance. En paifant par le Wurtemberg, j'jr trouvai un'édit nouvellement publié en faveur de 1'orthodoxie. On y déclamoit puilfamment conr tre les doctrines erronées , les innovatie™ les réformes prétenties, le prétendu favotr de k V4  ■ ) ?I6 ( « Ce petit compliment fit froncer le fourcil aux vénérables du confiftoire liégeois, a qui pas une ame ne s'étoit encore avifée d'adreUer le momdre petit vers complimenteer. En vertu de la pinffance des clefs, ils le hatèrent de clouer a la porte de Péglife une petite malédidtion eccléfiaftique , oü il étoit parlé de brebis galenfes, de blafphêmes, Üécrits féditieux, de propofttions fcandaleufes, tVincrédulité contagieufe, de philofophie infenfée, & autres expreifions fubftaucielles de cette force, tirées du grand idiotique de Porthodoxie : & dont 1'épilogue étoit 1'excommunication folemnelle du complimenteur & du complimenté. C'étoit me dire d'aller planter le piquet ailleurs,- j'obéis. „J'eus occafion de connoitre a Coblentz l'un des plus hypocrites bigots & des plus grands fchoufts de toute VAllemagne, le fui-difaut abbé Beek. *) MJe traverfai le Falatinat ventre a terre , & le plus vite qu'il me fut poïïible. L'anecdote du pafteur Trnnk, 1'accueil fait a Vhiftoire du defi *) II y a plus d'un an que M. Beek eft a Strtubpurg, oü il fe Fait aimer & eftimer généralement; ainfi il faut que 1'on art mis ' int le eompte de eet abbé plufieurs chofes fauiTes , ou du moins auxquelles il rfa point eu de part.- cequi eft d'autantplus vraifcmhlablB que le bien que nous en difons ici, nous ne le tenons «juedu témoignage public, fa perfonne nous étant incoanue.  ) 3i7 ( potifme allemand, par M. Fifcher, la fondation d'un nouveau couvent de nonnes a Mannheim , da tranfplantation d'une nouvelle race monacale» celle des vénérables Lazariftes , hypocrites émules des jéliites, Péducation des allemands confiée a trois prètres qui ne favoient pas même la lan- gue tout cela me donnoit des ailes aux talons. 3, Je ne m'attendois a rien de »bon dans AugJbtrnrg; notre paiTage dans cette ville au retour des miracles cYEllwang, étoit encore trop fraichement empreint dans ma mémoire. Les révérends peres Mertz & Tfeiler, vendent encore, comme jadis, leur orviétan polémique ; Mertz , conformément a 1'utile & louable coutume établie, prècha contre la tolérance & fes illuftres défenfeurs , mais avec tant d'abfurdité, tant d'infolence , tant d'impudence, tant de groflièreté, qu'il n'y eut pas un honnète auditeur qui ne s'étonnat comment on laüfoit impunément profaner la chaire de vérité par une bouche fi impure & li calomnieufe f . . * Les deux amis arrivèrent a Prague ; 8c Traubach raconta a Faujlin comment certains fots de qualité & certains fchoufts a calote noire , avoient réulli a y ériger le tröne d'une inquifition littéraire , comment elle menaqoit d'exterminer  ) 2*7 ( ble par la ledture de la correrpondance de ce prince avec 1'éleÖeur de Trèves, que Traubach lui recommanda encore comme l'un des documens les plus importans pour 1'hiftoire du fiècle , comme quatre lettres qui 1'emporte fur tous les in-folio & les in-quarto griffonnés fur cette matière par les plumes vénales des prètres, des moines & des autres vils efclaves du Valkan, a prendre du temps de la monarchie XHildebrand jufqu'a 1'augufte écrivain; comme 1'oracle des princes catholiques; comme le code de la raifon & de la vraie politique. Aufli firent-elles 1'impreffion la plus profonde fur le bon Faujlin. 11 ne revenoit pas de fon étonnement en voyant les miférables fubterfuges des caudataires de la cour de Rome ; mais il celfoit de s'étonner du fort de Hontheim en voyant le mème potentat antifébronien jouer dans cette correfpondance le róle le moins fait pour un prince de 1'Empire, pour un membre diftingué du corps germanique. 11 ne pouvoit comprendre comment un grand prince pouvoit defcendre de fa dignité jufqu'a fouffrir qu'un miférable embryon d'abbé, vendu * la papimanie, parie en fon nom au plus illuftré des Empereurs, un langage fi vil, fi dégoutant, fi abfurde, fi barbare ! 11 ne put s'empêcher de rire en lifant les cinq queftions fcholaftiques X4  ) ( 17. Les églifes purgées de tout Je faite introduit ci-devant , comme nourrüTant le fanatifme, fentant le théatre , fortifiant la fuperftition, plein de puérilité & de ridicule. 18. Multiplication & réforme des écoles dansles villes & dans les campagnes. 19. Emploi des biens eccléfiaitiques fuperflus , a Pentretien des pauvres & des malades. 20. Les airs de contredanfes prohibés dans la mufique d'églifej introduction d'un chant allemand dans le fervice divin. 21. Réforme de la procédure judiciaire, &c. &c. &c. A chaque article Traubach joignoit un petit commentaire pour faire fentir a fon ami tout le prix de ces opérations, faites depuis 1'année 1780, ainfi que beaucoup d'autres, a la grande fatisfaclion des philofophes & des amis de 1'humanité. Faujlin s'écria avec Klopjiok: „ Quel Roi finit jamais par oü Joseph commence? Dès-lors le Bien-aimé devint tout-a-fait Pidole de fon cceur, & en bannit pour jamais le fouvenir de tout ce qu'il avoit fouffert depuis fon départ de la Panfardière jufqu'a fon féjour a Londres, & a la fois de tous les ennemis de la tolérance, du bon fens , des lumières , de 1'humanité, de la philofophie, qui lui avoient fait palfer de fi mauvais quarts-d'heure. En  ') 33^ ( ta-t-il , qui difoit n'aguère d'un ton dogmatique , comme du haut du tróne de Dieu même : „ Rex ego fum Regum ; lex eji mea maxima legum.'... Combien il doit avoir fouffert quand il lui a fallu de fes propres yeux regarder ici d'un air d'indifférence toutes ces innovations! Comme il doit depuis lors bouder fur fes fept collines, en voyant 1'aftre de la philofophie déja levé , s'avancer fur YAllemagne, fans que ni fes conjurations ni fes foudres puiifent en interrompre la carrière ! Voltaire parloit lans doute en prophéte , «Sc la vérité tonnoit par fa bouche quand il crioit aux vils apótres des ténèbres: „ Miférables, tremblez ! la raifon va paroitre. C'eft a préfent que fa lumière brille a tous les yeux, «Sc les miférables qu'elle épouvante la niaudiifent envain en grincant les dents. On a fecoué le joug; 1'évêque de Latran eft remis au niveau de fes frères dans le Seigneur; & M. Angufte-Loiiis Schktzer n'oubliera pas d'inférer dans la prochaine édition de fon hijioire wüverfelle , la remarque que le pape , fi puiüant dans les fiècles antérieurs, étant tombé malade de confomption depuis le règne de Philippe-leBel, enfin après diverfes oonvulfions caufées  ) 339 ( par Luther & Voltaire, en eft mort & trépaffe fous le tègne de Jojeph II. Plus j'y penfe , continua Faujlin, plus je luis étonné du courage de Jofeph , d'avoir ■ ofé ^attaquer & oombattre avec tant d'audace ces epouvantails de tous les fiècles, le fanatifme & la fcperftition! Je ne vois mème pas, 3e ne deVine pas la fource ou U a puifé tant d'heroifme. II y a , dit Traubach, un certain vers de Voltaire, qui dit beaucoup; le voici: „ Qui conduit des foldats, peut gouverner des prétres. Ce pourroit bien ètre la la clef de Pémgme «& Phiftoire mème confirme eet oracle: Pheroilme & la fuperftition ont toujours été en raifon inverfe Pune de 1'autre; toujours un prince 1> chea été Pefclave du facerdoce; un héros Pa toujours fait trembler. On pourroit donc pofer pour règle , que dans un Etat le militaire & le clergé partagent 1'empire, de facon que tout ce que l'un n'en a pas eft entre es mains de Pautre; ce font des antipodes en fait de raifon. Au refte , pour fentir toute Pévidence de ce vers du grand philofophe, il n'y a qu'a jetter un regard fur Pétat aftuel de YEurope; mettre , par exemple, en parallèle YAutriche & la FruJfe P Y z  ) 340 ( avec VEfpagne & la Bavière Tant il eft vrai de dire que , quiconque fait comnfander des armees, peut le faire obéir des prètres , & paria raifon contraire , quiconque eft incapable du premier, ne viendra jamais a bout du fecond. Ainfi s'écouloient les jours pour les deux amis, dans une joie qui croilfoit a chaque pas | a mefure qu'ils découvroient quelque nouvelle preuve de 1'eiTor heureux qu'avoit pris infenfiblement le génie viennois, jadis fi relferré, fi a 1'étroit, tellement enveloppé d'épais brouillards. II vint une idéé a Fauftin, & il la communiqua fur le champ a fon ami : ce fut de fe fervir dans la date de leurs lettres a leurs amis , d'une nouvelle Ere, qu'ils nommeroient Vère Jofephine, & qui commenceroit a 1'année 1780.' Traubach y confentit,' en fouhaitant que 1'ufige d'une chronologie fi glorieufe pour YAllemagne, y devint univerfelle , mais avouant qu'il ne 1'efpéroit pas. Toutefois , ajoute-t-il , en attendant que notre patrie élève ce monument de fa reconnoiifance au plus prand de fes bienfaiteurs , au foftaurateur de la liberté de penfer, au reconciliateur des fecles ennemies, au défenfeur des droits de la patrie contre les évèques de  ) 34* ( Rome, de ceux de la raifon contre les pédans , les grimauds & les apótres de la fuperftition, de ceux de 1'humanité contre la chicane & les oppreffions des fou&yrans , établilfons de ce momeht pour notre ufage particulier 1'année 1780 pour 1'année du falut, pour pierre angulaire du fiècle philofophique, comme une époque que les générations futures folemniferont a jamais, a jamais, & que les annales de 1'humanité célébreront a 1'égal de celles de Séfofiris, de Fohi, dCOrpheus, &Autouin & de Marc-Aurèle ! A cette rélolution bien prife , conclue & arrètée, les deux amis en joignirent une autre; ce fut de paffer le refte de leurs jours dans, l'heureufe ville qui poffédoit le bienfaiteur de YAllemagne, de faire bourfe commune, & de fondre enfemble , l'un fa rente viagère fur Londres & le refte de fes guinées , 1'autre le revenu de fes fonds placés fur la banque de Vienne. Depuis ce moment ils vécurent en paix dans la capitale, comme frères , comme amis, qui plus eft, fe palfant leurs petits défauts, & par ce moyen confervant la plus intime union. Les lieux qu'ils vifitoient le plus, étoient le théatre national, la bibliothèque impériale, & la boutique du libraire Krans, & ils en rempor-  ) 542 ( toient toujours au logis une nouvelle fource de fatisfaction. Avec leurs petits revenus , ils vivoient dans cette heureufe indépendanee qui eft 1'objet du vceu de tout philofophe. Ils alloient Ibuvent aufli a YAugarten, uniquement a caufe de la divine infcription, qui femble élever 1'ame a la hauteur de celle du prince qui 1'a dictee ; plus fouvent encore au Prater , ou fous les orabrages hofpitaliers de chènes aufli antiques que le monde , ils fe félicitoient de leur exiftence , levoient les yeux & les mains vers le ciel, & lui demandoient de longues années pour Jofeph, le Titxis allemand , les délices du genre-humain. , lis jettoient dans 1'avenir des regards pleins de la plus flatteufe efpérance , «Sc comptoient les heureufes années qui doivent mettre le comble a Ia félicité de YAllemagne. A chaque nouveau pas que faifoit le grand Jofeph dans cette divine carrière, ils embraifoient fa ftatue avec tranfport, & s'écrioient dans 1'excès de leur joie a Penvi Pun de Pautre : c'eft fous le règne de Jofeph que nous verrons le triomphe univerfel de la raifon «Sc de 1'humanité ; c'eft lous lui que commence le fiècle des lumières, le fiècle de la tolérance , en unmot le vrai Siècle Philosophique. F I K.    FAUSTIN O u LE SIÈCLE PHILOSOPHIQ.UE. A AMSTERDAM. M D C C LA.XXIV.  ) ra ( tion, des écoles d'arts & métiers, des écoles d'humanités , des écoles de droit , des colléges fuivant 1'ordonnance, des mufeum, des lycées , des journaux & des romans pour le peuple; des livres élémentaires &pédagogiques ; des fociétés économiques, patriotiques, littéraires , typographiques; des cabinets deleéture, des bibliothèques deledture , des clubs, des caveaux,des tabagies politiques & littéraires, &c. Nous avons la philofophie de la nature , la philofophie de l'hiftoire , la philofophie de la religion , philofophie du chriftianifme , philofophie rurale en habit de fleurs, philofophie de la vie commune , philofophie pour tous les états , philofophie de la quenouille , & même une philofophie de la canaille. Naturellement toutes ces philofophies ne font par reftées fans effet & fans quelque influence; auffi avons nous des philofophes a revendre : philofophes du monde , philofophes fans le favoir , philofophes amoureux , philofophes mariés , philofophes fans philofophie , marchands philofophiques , favetiers philofophiques , ravaudeurs philofophiques, fouverains philofophes, payfans philofophes .... en un mot , mon cher Faujlin, nous fommes dans le vrai fiécle fhilofophique. Mais , mon révérend pere , difoit Faujlin , dites - moi donc a quelle époque précife a commence le fiècle philofophique. Eft-ce avec 1'année 1700  ) lï ( tout jufte ? II me femble que dans les hiftoires que vous m'avez fait lire, on ne trouve rien de trop philofophique a cette époque. Vous avez raifon , répondoit le père Boniface •* mais les lumières ne marchent pointtrop exadement d'après la chronologie. C'eft a 1'an 1748 que 1'on pourroit, a proprement parler, fixer le commencement de 1'Ere philofophique. Alors parut Paurore du beau jour qui depuis la paix de Paris & (VHuhertsbourg * ) a brille dans tout fon eclat. Depuis ce moment tous les peuples de la terre font devenus des peuples de frères ; depuis ce moment les nations travaillent a 1'envi Pune de Pautre a s'éclairer; depuis ce moment toutes les tètes fermentent du pur amour de la raifon , tous les cceurs font altérés de la foif de la vérité & de 1'humanité; depuis ce moment c'eft entre les fouverains a qui favorifera le plus dans fes Etats la tolérance , la liberté de penfer , a qui délivrera fes peuples de la fuperftition , de la barbarie, de 1'ignorance , du fanatifme , de la chicane , de la fottife, de la mifère ; de ce moment, mon bon ann' , date la vidoire de- la raifon & *) Ceux qui i;rent les gazrites favent que c'eft un chateau fitué en Saxe, oü la paix Fut fignée en 1763 entre la France & la Pruffe ; or ilans cèt intervalle d'une vingtaine d'années les fciences ont iafiniment gagné , comme il eft évident.  'j H ( de 1'humanité; de ce moment date le fiècle des lumières , le fiècle philofophique. Et quel fut donc Pheureux, le divin enchanteur tombé du ciel, dont le fouffle diffipa 1'épais nuage qui couvroit 1'Europe ? — A cette nouvelle queftion de Faujlin, le père rougit un peu. Ce fut, répondit-il en héfitant, ce fut. . . il faut bien que je 1'avoue a la honte de notre nation,... ce futun étranger, unfranqois, en un mot legrand VoLtaire , le plus grand des philofophes depuis qu'il exifte une philofophie. Voltaire dit: quelalumière foit! — & lalumière fut. Plus heureuxqu'Orphée , il fit plus qu'enchanter les Furies: il métamorphofa des monftres intolérans , fanatiques , & fanguinaires, en êtres humains & fociables; il enchanta les puiffans de la terre , & ouvrit leur cceur aux douces imprellions de la bienfaifante philofophie: alteffes & majeftés, princes & feigneurs, tous s'empreffoient de Pavoir pour ami & pour guide , & tout ce que fon génie créateur enfantoit fous les ómbrages facrés de fes bofquets philofophiques dans le petit pays de Gex, paffoit auflitöt en loi depuis le Languedoc jufqu'a la nouvelle Zemble. Une fois la carrière ouverte & la route tracée, nous nous y précipitames, nous autres allemands, avec toute la roideur germanique , & fi la France  ) If ( a eu le petit avantage de nous devancer, nous le regagnons bien aujourd'hui par la foule de nos philofophes & de nos illuminés. Enfin, fi le conlèntement univerfel eft le figne de 1'évidence, ii n'y a qu'a voir comment tous les nouveaux écrits s'accordent fur ces principes, & dès-lors rien de plu6 évident que Je triomphe de la philofophie. Faujlin n'avoit pas une tète de fer ; facile d'ailleurs & crédule comme un bon & vrai Bavarois, il étoit tout oreilles, tout lumières, tout philofophie. II n'avoit garde de contredire père Boniface, ou de rejetter , d'examiner même la monnoie qu'il recevoit de fon Mentor. II n'avoit plus qu'un feul défir qui étoufïoit tous les autres , celui de voir Penchanteur , de connoitre Voltaire , de fe bien pénétrer de fes principes, & de contribuer un jour , s'il étoit poffible, de fon petit lopin au progrès des lumières & de la tolérance. CHAPITRE TROISIEME. ,A.lors parut la bulle : notre feigneur t§ fauveut Jéfus - Chrijl, &c. L'ordre des Jéfuites tomba. A ce grand pas de la philofophie, Boniface & Fauftin treflaillirenfc de joye, & tous deux en cho- Beau zèle mal recompenfé.  ) i7 ( Pape & leur curé ; puis, ne lachant que faire , allèrent délibérer aux cabaret, en vuidant quelques fioles de brandevin. Voici le moment, dit Faujlin a fon père ; il fout en profiter; une pointe d'ivreffe réveille la bonne humeur , & jamais tête en bonne humeur ne regimbera contrc la raifon. Couvert de fon habit des champs , il prend une pioche fur Pépaule, fort fuivi des valets de fon père, paffe devant le cabaret, & va fe rendre a un jardin fitué dece coté-la , oü ils commencerent a planter de jeunes arbres, & a travailler a une cloture. Tout-a-coup un bruit, un tumuke épouvantable retentit- du cabaret jufqu'a leurs oreilles; les payfans en fortent furieux , fe précipitent dans le jardin en jurnnt , arrachent & brifent les paliiïades , les arbres Faujlin fe met en devoir de leur démontrer que leur procédé étoit contre la raifon & les lumières. A bas le luthérien! crièrent ceux qui étoient derrière , & dans un clin d'ceil le philofophe fe trouva étendu fur fes arbres brifés. Le Bailli arrivé hors d'haleine pour fauver fon fils; un poing vigoureux appuyé fur fa poitrine , le couche par terre a demi - mort ; les valets avoient décampé ; les payfans continuèrent de meurtrir Faujlin de coups, mirent tous fes outils en pieces', & retournerent tranquillement au cabaret, jurant de par tous les faints du paradis, de laiffer plutgt pourrir B : .  ) -8 ( leurs grains fur la place, que des les enlever un jour de fète fupprimée. Fauftin fut contraint de garder le lit. Le père Boniface lui lut le Mahomet de Voltaire , puis le traité fur la tolérance, & enfin la vifion de Babouc. Ces remèdes confortèrent fon ame abattue , & 1'ufage de bons confommés , fuivis de quelques verres de vin vieux, rendit a fes nerfs leur première élafticité , de faqon qu'il ne lui refta bientót de cette fcène intolérante & antiphilofophique, que le trifte fouvenir. Pour le vieux invalide, il devint de jour en jour plus foible; la violence du coup lui avoit occafionné une hémorrhagie de poitrine, dont il mourut au bout de quelques femaines avec de violentes douleurs. Comment puis - je faire cadrer cela avec le fiècle philofophique ? dit Faujlin les larmes aux yeux au père Boniface. Moi prefque alfommé de coups; mon père réellement affafliné; eft-ce donc la cette tolérance, ces lumières tant vantées de notre fiècle ? Eh oui précifément, répondit Boniface : car, fi les princes catholiques n'avoient pas affez été éclairés pour demander au Pape la fuppreflion de 24 jours de fète , ni le pape affez pour 1'accorder, a la vérité , votre vieux père ne feroit pas mort, & vous n'auriez pas été roué de coups de poing  ) -9 ( par des payfans ivres, mais aufll la lache fuperftition feroit encore bien plus avant enracinée dans le cceur du peuple; or cette conquète de la philofophie vaut bien la peine qu'on Pachéte de quelque petit facrifice. Ainfi ne faites point de reproche ala philofophie de notre fiècle; réjouiflèzvous plutöt d'avoir eu 1'honneur d'être 1'un de fes martyrs. Pour fe confoler pleinemeht de eet accident, ils fe mirent a relire fans interruption les oeuvres du grand philofophe. Un jour ils avoient juftement fous lesyeux Veffai fur Vhiftoiregénérale, lorfque le R. Père Abbé, fuivi des deux do&eurs en Théologie , entra & les furprit. Le livre fut confifqué, & Pon procéda fur le champ a un examen inquifitorial de töute la bibliothèque du père Boniface. Au grand fcandale des deux révérends gradués , ils trouvèrent une foule de livres grands & petits au frontifpice defquels on' lifoit en grolfes lettres les noms de Voltaire, Helvetius, Montef quieu , &c. A la vérité ce n'étoit pour eux que du noir & du blanc; mais c'en étoit affez de lire a leur tète des noms auflï abominables pour juger du contenu. Celui qui les révolta le plus , ce furent les queflions fur l''encyclopédie. Car en lifant les vies des philofophes modernes de Zabouefnig , petit mercier a Augsbourg, ils avoient B z  • ) 20 ( appris que les encyclopédijles étoient, en bloc, let apvtres du diable, & ï'encyclopédie même la bible de Beëlzebub. *) Mais ils fe fentirent bien plus dévorés du zèle de Ia maifon du feigneur, quand ils aperqurent en bel & bon allemand les lettres fur le monachifme, les poéfies de Haller, les mivres du philofophe de Sans - Souci , VAgathon de Wieland , la nouvelle apologie de Socrate, la vie & les opinions de maitre Sebaldus Nothanker, * * ) &c. Pour abréger les formalités , toute la bibliothéque du père Boniface fut condamnée au feu, & lui-même déclaré incapable de toute foncfion publique , enfermé dans un cachot noir au pain & a Peau jufqu'a nouvel ordre, & enfin fon digne difciple Faujlin banni fur Pheure même & a perpétuité de toute Pétendue des territoires de la haute & baife juftice de la docte & orthodoxe abbaye de la Panfardiere. CHAPITRE QUATRIEME. Bivouac. Lapidation. Raifonnemens. Dotlor obfcurus. JR.akemïut une femme rejette la prière d'un jeune homme quand elle le voit errer lans *) Propres termes du livre de maitre Zuhouefnig. **) Tous ces livres font réellement des ouvrages célébres en Allemagnc, & plufieurs d'entr'eux ont été traduits cn franqois»  ) *1 ( fecours a la bonne aventure : c'eft une prérogative du coeur, qu& poflede fur nous le fexc des graces & de la bonte. Faujlin courut fans regarder derrière lui, s'éloignant de 1'abbaye & gagnant les confins de. fon territoire. Mourant de chaleur , de foif & de laffitude, il atteignit fur le foir un petit village , & abordant une payfanne il la pria de lui donner un peu de lait, & quelque coin pour paifer la nuit ; 1'un & 1'autre lui furent accordés. Jamais fouper ne lui avoit paru plus délicieux. Pendant qu'il rafraichiifoit d'un lait pur fes entrailles altérées, le payfan du logis revint des champs, & le mit a queftionner le voyageur. Faujlin raconta en peu de mots comment , par un beau zèle pour le bien des gens de fon village , il s'étoit livré a 1'étude des fciences avec la louable\intention de les éclairer autant qu'il feroit poffible. Serois - tu peut - être le dröle qui le dernier jour de fète voulut nous féduire & nous faire travailler ? demanda le payfan. C'eft moi-mème, dit le bon Fauftin. Ah c'eft donc toi! reprit le ruftre rougiflant de colère ; c'eft toi-mème , & tu ofès encore te préfenter devant mes yeux! hors d'ici ! fors de ma mailbn ; Dieu me préferve de coucher fous le mème toit avec un efprit fort, un athée , un fors de chez moi! La bonne villageoife interpofa fa B l  ) 2,6 ( tant que notre clergé s'occupera plus de fe remplir la bourfe que la tète , tant que les freres d'armes du preux chevalier don Inigo gouverneront nos dames & nos miniftres , enfin tant que la grande armee des frocs fera fur pié , ou du moins qu'elle ne fera pas toute compofée de pères Bonifaces. Faujlin demanda alors a Pacadémicien s'il ne pourroit pas lui ouvrir quelque voie pour lui faire gagner fa fubfiftance, & lui étala pour eet eftet tout fou nugaziu fcientifique. Vous favez Phiftoire, repondit Pacadémicien , vous favez'la géographie, Phiftoire naturelle, voila déja qui eft fort bon ; a force de peines & de foins j'ai réufii enfin a infpirer a bien des gens quelque goüt pour les fciences. Vous favez le franqois, voila qui vaut encore mieux , quoique j'aimaffe bien mieux que vous ifeufllez pas befoin ici de cette relfource. Car tant que nos Meflieurs rougiront de parler la langue de leur pays , tant que nos dames auront des vapeurs a la feule vue des caractères allemands, tant qu'elles feront venir de France des anes tonfurés & des files émérites pour faire de leurs enfans les poupées les plus babillardes, les plus vaines , les plus minaudières, les plus ignorantes, les plus fottes , les. plus ridicules , il ne faut pas efpérer que les lumières s'incorporcnt dans la nation. Au refte, avec une  ) w ( Dès une demi-lieue a la ronde au tour d'JE7/wang , on étoit arrêté a chaque pas, par les mendians , les efcrocs, les filoux, cortège ordinaire, des faifeurs de miracles; & a Pombre du laint, tous ces gens-la ne faifoient pas mal leurs affaires. Les deux amis percèrent comme ils purent cette ligne de circonvallation, & arrivèrent enfin au magazin des miracles , précifément dans le fort des opérations. La fcène étoit difpolee exactement comme un théatre de bateleurs. La le prophéte., au moyen du magnétifme & de 1'electricité, favoit produirtf & arrèter alternativement differentes elpèces de oonvulfions dans des fujets déja èleétrifés par le feu d'une imagination fanadque. Le prétendu Ipécifique univerfel étoit le nom de Jesus , par le moyen duquel il guérijfoit les paralytiques, les boiteux, les borgnes, ks aveugles , les fourds , lesmuets £f? les morts même en peu de jours. * ) Entr'autres on y voyoit plufieurs femmes attaquées d'hyftérifme, qui fous le nom de polfédées jouoient avec le faint homme les fcènes les plus édifiantes pour les ames pures & fideles. Mais n'a - t - on pas auffi vu jadis a Paris , dit Faujlin a Traubacb, une troupe de faifeurs de miracles ? Hélas ouï ! répondit - il. Je crois , * ) Propres termes des naïves rélations qui coururent dans le tems. €  ) H ( reprit Fauftin, qu'il étoit queftion d'une certaine bulIe qu'un certain parti vouloit décrier par des miracles opérésen faveur de la doctrine oppofée ? juftement, dit Traubacb, & c'eft encore ici une bulle, & cette bulle interdit a certaines gens de s'habiller -ifune certaine facon , & par les miracles que vous voyez , le ciel doit démontrer que ladite bulle eft a la fois ridicule , abfurde , fubreptice , tyrannique, injufte , enfin que dans le monde catholique il n'exifte perfonne qui fache aufiï babilement confelfer les pécheurs couronnés, ou qui puiiTe les abfoudre avec d'aufli pleins pouvoirs, que les gens dont le coftume eft changé par la bulle nouvelle. Mais , reprit Fauftin, a 1'époque oü les parifiens ont vu des miracles, ce n'étoit pas encore le fiècle philofophique ? Et voila la. différcnce , dit Traubach. Le faint bateleur, pour donner un nouveau luftre a fes repréfentations, les faifoit fouvent au milieu de la nuit , a la lueur des flambeaux & des cierges. Du refte, il fe faifoit affifter par des médecins dont les yeux clairvoyans nerpouvoient ètre trompés; de notaires publics apoftoliques immatriculés , qui controlloient, enrégiftroient paraphoient chaque miracle ; & le peuple fermoit la Icène, admirant, applaudiffant, & chantant le Te Deum.  ) n c Mais ce qui frappoit & embarraifoit le plus Fauftin, c'étoit la préfence de deux évèques par la grace de Dieu & la conceffion du faint fiège apoftolique de Rome , princes du faint - empire Romain, &c. &c. *) accompagnés d'un très-cé]èbre théologien proteftant. Les deux Prélats , portant fur le vifage tous les fymptómes de la vénération la plus profonde, & afin de pouvoir comparoitre , lors de la prochaine canonifation du faint homme , en qualité de témoins oculaires & irrécufables, regardoient ; tandis que de fon coté le bonhomme de miniftre , grand connoiffeur du cceur humain , lunettes fur le nez, 1'apocalypfe a la main, admiroit dans les rufes jéfuitiques le doigt miraculeux du Tout-puiffant. Votre révérence n'ignore pas , dit Fauftin en s'approchant de GaJJher , que nous vivons dans je fiècle des lumières , dans le fiècle philofophique; mais il nous manque néanmoins encore un fyftème de religion dont la bafe foit démontrée a toute VEurope avec ces traits d'évidence qui feuls peuvent mettre un terme a toutes les difputes théologiques. Or vous étesl'homme , le prophéte, Penchanteur a qui la Divinité a remis la baguette miraculeufe entre les mains. AUez a Gcettingue , partez , opérez y vos prodiges en pleine académie, *) Ceux de Freyjiague & de Rcitisbcnr.e. I C 2  ) 36 ( appellez-y celles de Londres, de Berlin, de Pétersbotirg, de Paris , & pour écarter la populace prenez un régiment de cuiraffiers Hanovriens qui fbrmera le bataillon quarré autour de 1'illuftre aflèmblée. Ces tètes ftoides & póintilleufes une fois convaincues par leurs propres yeux, il faudra néceflairement que les têtes volcaniques de nos théologiens arrètent d'elles mèmes leurs éruptions, & que les beaux difcours des elprits forts prennent fin. En un mot, c'eft a vous qu'eft rélervée la gloire de fermer la porte du temple de Janus Le thaumaturge, au lieu de répondre , prit une de fes poffédées, & commanda au diable d'exercer fa puilfance fur elle ; a 1'inftant la malheureufe le jette en fureur fur Faujlin , lui déchire le vifage, & fi un capitaine tiAnfpacb , qui étoit- la pour le bon ordre, ne fut pas venu au fecours, le diable femelle auroit arraché les deux yeux au harangueur. II en fut quitte pour une bleffure aflez profonde au deffus de 1'ocil gauche, & le commandant des efprits infernaux fut fur k place revétu du titre d'Aumönier de la Cour par 1'un des deux Princes-Évêques. Une démonftration aufil palpable des lumières pbilofophiques de notre fiècle, ne laiffoit rien a defirer. Les deux amis fe hatèrent de reprendre  ) 57 ( le chemin de Munich. En paifant a Augsbourg ils entendirent deux controverfiftes prècher avec tant d'emphafe & de chaleur , que dès le mème foir il y eut un tumulte dans le fauxbourg StJaques , oü un garqon de métier, catholique , eut bras & jambes rompus, & en revanche trois luthériens furent précipités dans les foifés de la ville. Qiiel bonheur de vivre dans le fiècle philofophique ! die Traubach avec un fourire amer. II n'y a pas plus de fix mois-que j'en étois convaincu, répondit Faujlin ; mais depuis que j'ai un peu lu dans le livre du monde , ma foi eft beaucoup altérée. Je le crois bien , reprit Traubach; c'en eft aifez d'un GaJJner pour la détruire entièrement; non pas que le fiècle philofophique ne peut encore produire une couple de jongleurs de fon efpèce ; mais que tout le monde coure après, des gens mème qui paffent & fe donnent pour habiles, des phyfionomiftes, * ) des médecins , des notaires , de fages Évèques ! . . . . & que j'aie une maudite cicatrice fur 1'ceil gauche, interrompit Faujlin , comme un monument ineftaqa- *) Le célébre miniftre proteftant deugné ici, & dont il eft queftion plus haut, doit avoir Fait le célébre traité de In fbyjc nomie, & de 1'apocalypfe un poème épique ou myftique d'une vingtaine de chants fous le titre de Jéfus - Mcjicis, ontre une quantité d'autres ouvrages plus ou moins connus. c ?  ) f6 ( leur beau trio. Tout ie couvent étoit occupé a faire cuire ces infipides craquelins ; déja les tonnes pleines de la drogue pieufe fe voyoient prètes a ëtre expédiées par centaines, & fur une grande partie de ces tonnes on lifoit en groifes lettres : in Bavariam ( en Bavière.) Plus Faujlin approchoit de Rome, plus il rencontroit de compagnons de voyage. De Poueft & du fud, de 1'eft & du nord , les caravanes arrivoient comme des nuées de fauterelles , fur les rives fangeufes & inledes du Tibre. La c'étoient des capuchons noirs, ici des fcapulaires bigarrés , plus loin des folives en croix chargées fur Pépaule, ailleurs des chaines aux pieds; les uns avoient des pois dans leurs fouliers; les autres faifoient deux pas en avant & reculoient d'unj plufieurs même fe trainoient fur les genoux. Faujlin s'informoit toujours de chacun ou il alloit; on lui répondoit toujours , au faint Jubilé. Arrivé enfin dans la grande ville , c'étoit un tumulte , un charivari, une foule, un embarras inexprimable de plus de deux- cent- mille etrangers de tous les pays catholiques, qui venoient chercher indulgence plénière. Faujlin entra dans plufieurs églifes. Au milieu de la rotonda il trouva un homme qui après avoir refté long-tems dans 1'attitude de la plus profonde admiration, s'écria  ) 17 ( enfin en allemand : divin! inimitable ! On eft toujours faifi d'une agréable furprife lorfque fous un ciel étranger & au milieu d'une nation inconnue , on a le bonheur de rencontrér quelqu'un de fon pays. Faujlin ravi de trouver un allemand, & qui plus eft, felon toute apparence, un allemand de gout, adrefle aulfitót la parole a la perfonne dont la bouche lui avoit fait entendre des fons fi cbers. Celle-ci non moins encbantée lui répond avec le mème emprelfement , lui apprend qu'il eft peintre, natif de la Francome, ayant été long-tems a Schleifsheim & a Münich. C'en fut affez pour les lier d'amitié , & le brave peintre fervit a fon compatriote de Cicerone. Ils vifitérent toutes les congrégations. Celle de la Rota venoit de faire imprimer en 60 volumes in - folio , une nouvelle édition de fes décifions. Deux mille exemplaires étoient deftinés pour les couvents & les confiftoires d'AJlemagne i les univerfités de Strasbourg & de Heidelberg avoient foufcrit d'avance. Dans la congrégation des Rits, un des membres avoit propofé la queftion, favoir , fi dans le rituel apoftolique ou étiquette papale, il ne feroit pas plus honnète , que le ferviteur des ferviteurs de Dieu préfentat a fes frères fa main a baifer , au lieu de fa pantoufle. II n'y eut qu'un cri dans  ) S9 ( des vigoureux matelots anglois. Après de virs débats entre les généraux des ordres mendians , les RR. PP. carmes obtinrent enfin le privilège exclufif de travailler a incorporer les othaïtiennes a la fainte églife. 11 arriva un envoyé extraordinaire de Roi de Pologne pour fe plaindre de ce qu'une armée des fauterelles venues d'Afie , étoit entree fur fes territoires & menaqoit de tout dévorer. Le Pape excommunia folemnellement les fauterelles dans Péglife de fainte Marie-Majeure, fcella Panathème avec Panneau du pècheur , Penvoya en Pologne, & fe fit donner dix mille rixdaler pour la fulmination. Le moment arriva d'ouvrir le faint-Jubilé. Seize Ëvêques étrangers dont qelques-uns étoient allemands, fe préfentèrent montés fur des mules: & aidérent au vicaire de Dieu a ouvrir la porte fainte. En recompenfe de leurs bons fervices, le vicaire les créa évêques in partibns infideïium, Pun a Lampfaque, Pautre a Abdère, celui-ci a Paphos, celui-la a Babylone , &c. Tout fiers de leurs nouveaux titres ils partirent, non pour aller dans leurs Évêchés imaginaires, mais pour retourner trottant dans leurs pays, & ne manquent pas de s'intituler encore de nos jours dans leurs mande.  ) 6o ( mens & lettres de difpenfe, évêques de Lampfaque & de Babylone. Le comte Cafati de Milan fe préferita avec de beaux titres en parchemin oü étoient établis fes droits fur dix principautés de la Pakjline; le St. Père les lui confirma fur le tombeau des faints Apótres, excommunia les ufurpateurs , '& donna au comte plein - pouvoir de les chaffer de fes prétendus États enTerre-fainte, oü ils font encore. CHAPITRE NEUVIÈME. Commerce de laine & de chiffons. a t r e évèques d'Allemagne envoyèrent des députés au S. Père , pour obtenir le Pallium. II fut délivré pour chacun un lez d'étoife de laine, au prix de 48,000 rixdaler comptant, la pièce. Oh! oh ! s'écria Faujlin; c'eft ici vraiment que les brebis portent des toifons d'or ; c'eft bien autre chofe que jadis en Colchide. Hélas oui! dit le peintre , & ce négoce de laine coüte gros a notre pays , furtout avec Ia louable coutume qu'ont nos chapitres d'élire toujours pour porter la pièce d'étoffe un vieillard cacochyme, afin qu'il ait plutöt befoin d'un fucceffeur. Mettons pour  ) él ( le règne de chaque évèque, 1'un portant 1'autre » quinze ans , & c'eft beaucoup trop pour la plude ces illuftres décrépits > nous trouverons pour 1'efpace d'un fiècle trente-fix vacances de fièges métropolitains , & trois fbis autant de fièges épifcopaux; par conféquent, comme chacun doit avoir les épaules chaudes , voila 4,000,000 de rixdaler que Rome tire dans un fiècle des Etats catholiques XAllemagne pour le feul article des mantelets. Et puis nos économiftes , nos réformateurs fomptuaires , nous reprocheront a tout propos quelques milliers d'écus que nous envoyons annuellement en France pour en faire venir des bouteilles de Champagne pour nous & des blondes de Lyon pour nos femmes ! Ce font pourtant, après tout, des effets réels, de belles & bonnes marchandifes. Je leur confeille d'employer leur rhétorique contre le luxe de la quincaillerie eccléfiaftique , des guenilles de laine, des chiffons de papier , qui nous coütent tant de milions avec lefquels les fignori de la Daterie payent leurs fignora en fe gaulfant de nous. Hs pourroient bien s'exercer auflï contre le luxe des jubilés , ajouta Fauftin; carje crois que 1'on en veut moins au cceur de tous ces pénitens qu'a leurbourfe. Ah fans doute ! reprit le peintre;  ) 6z ( mais voila ce que c'eft que d'avoir domus des États en propre a un fouverain de 1'autre monde ; fes fujets ont oublié comment on tra. vaille pour vivre dans celui-ci; alors il a fallu multiplier les reflburces » le prince-prètre afouillé dans fes tréfors fpirituels, il en a tiré les indulgences, les cas réfervés, les jubilés ; d'abord il fuffifoit d'un jubilé dans un fiècle pour nourrir ce peuple de mendiansj mais bientöt il en a fallu deux: aujourd'hui avec quatre ils meurent encore de faim. Et toutes ces bonnes ames orthodoxes ont la complaifance de quitter leurs affaires, d'abondonner leurs families , pour venir faire leur cour a des fainéans qui en rient prefque tout haut Patience ! dit Faujlin, nous voici dans le règne de la raifon. CHAPITRE DIXIÈME. Mufique italienne. Cavernes de voleurs. &c. T J-V E s deux Allemands allèrent un jour a Pégüfe de St. Pierre, oü ils virent le St. Père baifer les pieds d'un St. Pierre de bronze , & tout le peuple fuivre fon exemple. Faujlin s'extafioit a  ) 6? ( Ja rrmfique , & admiroit fur-tout le chant. Quoi! dit le peintre , & moi je gémis a chaque fois que j'entens les louanges de la divinité dans la bouche de pareils chantres. Fauftin étoit tout étourdi. Comment ! reprit le peintre avec chaleur; des chapons, des êtres mutilés, défigurés! devenus 1'excrément de la nature ! Quoi! Phorrible invention de la jaloufie la plus tyrannique, née dans les honteux ferrails oü des Sardanapales afiatiques outragent habituellement 1'humanité, ferviroit d'ornement a nos théatres , & feroit introduite en triomphe jufque dans les temples mème du Pere des hommes ! Fauftin ouvroit de grands yeux; & n'étoit pas encore au fait. - Ce font des caftrats , mon cher pays, puifqu'il faut vous le dire , des caftrats , dont le fauifet vous met en extafe. Dans le diviri pays de Pltalie , & fur-tout dans ÏÉtat eccléfiaftique, il fe mutile , année commune, quatre mille enfans males , ou environ. Vous avez vu en Tyrol & en Bavière roder d'un village a Pautre des chatreurs de cochons, avec leur fiflet ? Eh bien c'eft la mème chofe dans ce pays-ci pour les créatures humaines. II meurt toujours les cinq fixièmes de ces malheureufes vidtimes, foit entre les mains de leurs bourreaux , foit des fuites de 1'opération; le refte forme avec le tems des  ) 6S ( même, & fe rappellant que fon compatriote devoit aller a Naples, il alk un matin le trouver pour lui propofer d'être de la partie. II le trouve au lit , malade ; plus effrayé encore, il attend & n'ofe prefque demander ce qui s'eft paifé. Le peintre avoit été attaqué la veille fur le pont de PAngelo , bleifé d'un coup de ftilet, & volé. Ah ciel! s'écria Fauftin , & que dit le médecin de la blelfure ? Le médecin ! reprit le malade, il faudroit en trouver. Comment ? dit Fauftin tout furpris. Eh oui, mon cher; dit le peintre, vous favez que je fuis luthérien ? Eh bien, allez fur la place de ; vous y lirez une ordonnance du St. Père affichée, en vertu de laquelle aucun médecin n'oferoit voir un hérétique malade paifé le troifième jour, a moins que celui-ci ne fe faife orthodoxe. Or vous favez .... Fauftin étoit déja forti. Nous fommes dans le fiècle de la tolérance ! difoit-il, & il couroit chez un chirurgien, a qui Péclat d'un fequin fit ailëment oublier les affiches du St. Père, & a qui deux autres inlpirèrent tant de zèle que le peintre fut bientöt en état de partir pour Naples. La même nuit , Fauftin toujours plein du fiècle philofophique , rèva qu'un prince luthérien mangeoit au milieu de Rome le pain facré felón le rit prefcrit par les articles d'Augsbourg, & que E  ) 66 ( les cardinaux du facré collége avoient trouvé la comédie prefque auffi belle que celle dont ils avoient dabord régalé le prince *). C'eft une horrible plaie de /'Italië, difoit le peintre en route a Faujlin, que 1'affaifinat. Malheur a quiconque a des richefles ou des talens diftingués ! II doit néceiTairement blefler les yeux de 1'envie , & ce monftre a toujours a fon fervice une ■ foule de bandits qui font métier de vivre du fer & du poifon. Ils n'y font pas beaucoup de faqon : ils vous aifaffinent en pleine rue, puis entrent tout fimplement dans la première églife ou dans le cloitre le plus voifin , qui par le droit d'afyle font de vrais repaires de brigands, de vraies cavernes de voleurs , furtout dans VÉtat de Péglife. Pour en tirer un fcélérat, il faut avoir la permiflïon du curé, du prieur, de 1'évêque, & pendant que 1'on follicite renvoyé de 1'un a 1'autre, les prètres & les moines trouvent cent moyens de frauder une fi lente juftice , en faifant évader 1'aiTaffin , «St de plus en lui donnant pour quelques fcoudis fon abfolution de la peine & de la coulpe , afin qu'il puiffe continuer ert paix le métier. Mon ami, répétoit Faujlin, nous fommes dans le fiècle philofophique. *) Le roi de Suède a vérifié ce rêve prophétique, en perfonne & »la lettre, rl Paques dernier 1784,  ) 67 ( Ils arrivèrent au palais du duc Farinelli. Sou alteffe étoit partie pour Madrid, oü elle devoit recevoir de Sa Majefté Catholique les 18,000 piaftres d'ordinaire pour fix aria. Comment!" dit Faujlin, 18,000 piaftres pour fix roulades ! voila un débouché commode pour les mines du Pérou & du Chili. Allons en attendant, dit le peintre, chez fon alteife monfeigneur le duc de SanDorato ; fa terre n'eft pas loin d'ici. Ils n'eurent point 1'honneur de trouver fon alteife a la maifon pour le moment ; le prieur d'un couvent de dominicains voifin avoit invité monfeigneur a venir chanter une litanie en payant. Et les moines mendians auftl, dit Fauftin, payent des ducs pour leur chanter des litanies ! C'eft le Signor Cafarello , lui dit le peintre a 1'oreille ; il a aulft gagné un duché avec fon gozier ; mais il n'a pas renoncé au métier pour cela .... Enfin fon alteffe entra : le peintre fe mit au travail, & Fauftin prit le chemin de la ville de Naples. E 2  ) 68 ( CHAPITRE ONZIÈME. Dents abbatues. Sang & eau. Apbtres de la lumière. Ï-Jn héraut accompagné de deux trompettes & d'une garde a cheval, fut le premier objet qui frappa les yeux Faujlin. Ce héraut lifoit fur toutes les places un édit du roi, par lequel les francs-macons , avec leurs adhérens, protecleurs, receleurs, défenfeurs, &c. étoient notés d'infamie, déclarés incapables de tout emploi, privés a jamais du droit de bourgeoifie, chaifés du pays & condamnés partout oü ils feroient faifis , aux prifons, aux travaux publics, aux galères , &c. Enfin on y renouvelloit la bulle odieufe par laquelle le favant & fage Lambertini livroit au diable , corps & ame, tout 1'ordre entier des francsmacons, par 1'excommunication. Faujlin épouVarité de tant d'anathèmes civils & eccléfiaftiques fulminés au fon du tambour , ne voyoit ni n'entendoit, tant cette fureur bizarre contre un Ordre qui compte parmi fes membres les plus grands princes d'Allemagne , étoit pour lui une chofe mconcevable ! ,  ) 69 ) Cependant il alla remettre les lettres de recoraraendation : Traubach 1'avoit adreifé k une bonne mairon de commerce , & il y recut un meilleur accueil qu'il ne s'y étoit attendu. 11 y trouva occafion de faire connoüTance avec un favant de la ville, & malgré fon vocu fait a Loretto , il céda bientótala tentation de lui parler tolérance, philofophie, lumières. —Lumières! philofophie! dit le favant napolitain; & comment avez-vous pu vous attendre a en trouver dans un pays qui a encore dans fon fein plus de 900 repaires pour la gueuferie en froc, oü le peuple engrailfe autour de 18000 mendians privilégiés , révirés , écoutés , lefquels doivent naturellement avoir grand foin que la nation n'y voye pas plus clair? Le nombre de ceux qui penfent par eux mêmes, eft infiniment petit, & n'ofe pas fe montrer au jour. 11 le faut bien, dit Faufin; autrement je n'aurois pas entendu a mon arrivée , donner a fon de trompe aux diables & aux bourreaux d'honnètes citoyens qui tiennent loge a 1'orient. Mais, ne lifez-vous donc point nos journaux, nos magazins, nos écrits philofophiques , nos livres de .... ? $7os travaux critiques & philofophiques ! répondit le favant avec un fourire ; eft-ce que vous avez cru que 1'on en connüt ici ? que 1'on föt E?  ) 70 ( même le nom vos génies, de vos réformateurs ? Quoi pas un de nos livres ! pas le nom de quelqu'un de nos grands hommes ? Non , rien de tout cela n'a franchi les Alpes; c'eft tout au plus fi quelques-uns de nos médecins ont entendu parler de Linnée & de Halier Et Je plus grand des philofophes , celui qui le premier fit naitre la lumière , le grand, 1'illuftre Voltaire, quoi ! n'aura-t-il pu lui-mème percer dans ces ténébres paJpables ? On peut en avoir entendu parler ; mais pour fes écrits , vous ne les trouverez,.ici nulle part, très-heureufement pour nombre d'honnètes gens, qui pour courir après la vérité ne manqueroient pas de fe précipiter dans un abyme d'infortunes. Nous avons le trifte exemple d'un chanoine ficilien , homme d'un jugement folide & pénétrant, qui , au lieu de courir , comme fes confrères, de maifon en maifon le jour & la nuk pour tranquillifer les confciences féminiues de tout age, s'eft livré a 1'étude de Ja nature. II s'eft fait entr'autres un objet favori d'obferver les révolutions de PEtna : par 1'état des différentes couches de la lave, il a cru pouvoir conclure que ce volcan, & par conféquent toute la Sicile , par conféquent toute Pltalie , par conféquent toute PEurope, par  ) 7i C conféquent, &c. devoit avoir au moins vingt mille ans d'antiquité i a-peu-prés comme 1'on devine 1'age d'un gros tronc d'arbre par le nombre des cercles tracés dans fon plan coupé. Or , comme vous voyez, il s'enfuivroit de la qu'un certam patriarche fauvé des eaux fe feroit mécompté de quatorze mille ans feulement : & cependant, défendu au monde fous peine d'excommumcation. d'ètre plus vieux que de foixante fiècles ! Aufli le trés-orthodoxe archevêquq & cardinal Branchtforte fe hata-t-il d'intimer au chanoine naturalifte , fous le fceau facramentel , tres - exprefies défenfes de faire imprimer cette vérité. Le pauvre Récoupéro s'eft montré docile, & s'eft contenté de le dire en paifant a 1'oreille du breton Brydone ; mais celui-ci a eu 1'indifcrétion de publier i„ H.ms la relation de fes voyages , & aujourd'hui 1'obfervateur eft confiné dans un trou , d'oü il ne verra de fa vie les couches de lave'de PEtm , quand le chapeau rond & lui auroient encore deux cents autres fiècles a vivre. Faujlin ne manqua pas de remercier le favant du bon avis; puis, comme il le fentoit la poitrme un peu opprelfée , il alla fe promener fur le port, afin de refpü er a fon aife. Dans le moment entroit une galère malthoife conduifant deux chebeks turcs. Le chevalier qui avoit fait la prife vendit E4  ) 7S ( de la fête, non plus que 1'adrefle avec laquelle il fait profiter de 1'occafion pour frapper les coups les plus hardis. Faujlin , conduit par fon favant, fe rendit avec le peuple dans 1'églife métropolitaine, pour voir le miracle du fang bouilIpnnant. II n'avoit vu a Loretto que des fymptómes de fanatifme; mais a Naples il vit le monftre en perfonne , dans toute la fureur & fa folie. Des flots de peuple fe prelfoient autour de 1'autel, fur lequel la fainte carcalfe devoit faire bouillonner fon prétendu fang. Tout le monde attendoit dans un filence mèlé d'inqmétude. II fe forma autour des moines un peloton épais de la plus vile populace des deux Siciles, les yeux hors de la tête , 1'haleine en fufpens , le cceur agité , les joues enfiammées & Tanguilfant d'impatience : . . • Le fang ne voulut point couler. De défefpoir ils fe frapperent la poitrine a grands coups, en s'écriant : ó le plus grand des faints! laiife couler ton fang précieux ! Sainte Trinité! prie le trés - faint Janviev de faire bouillonner fon fang! .... Ce fut en yam , le fang reftoit immobile. Enfin ils perdirent tous patience , & ne fachant plus que faire fe mirent a injurier le faint. Vifage de platre ! s'écrioientils, veux - tu faire ton miracle ? vilaine carcalfe! . .. &c. Ils finirent par menacer le faint opiniatre  ) 76 r de le jetter fans miféricorde dans la mer, s'il ne vouloit pas contenter fon monde. Gependant il ne plaifoit pas encore aux moines de faire obéir le faint. II faut qu'il y ait par-ici des hérétiques ! dirent quelques - uns d'eux en jettant des regards inquiets fur la foule. Quoi ? des hérétiques! répondit-on du milieu de la populace; eft - ce que la ville n'eft pas pleine de francs-maqons, race plus maudite que tous les hérétiques enfemble ? Ce font les francs-maqons, ces tifons d'enfer , qui attirent fur nous la colère du faint; tant qu'il y aura parmi nous de ces renégats, le fang ne corner point, le grand faint nous aura en averfion ! Les moines n'attendoient que ce moment. Une fainte rage qui parut fur leurs faces enflammées, fut le fignal de leur approbation; & dans 1'inftant on vit une troupe de furieux fe jetter qa & la, comme des loups enragés , fur ceux dont les geiles & les grimaces n'avoient pas été aifez expreflives, les frappant en aveugles, arrachant leurs vétemens , & les expulfant demimorts du faint lieu. Faujlin ayant laiifé remarquer quelque mécontentement de ce procédé , il fut apoftrophé d'un coup de poing dans le vifage, qui lui abbattit deux dents de la machoire lupérieure, & il etit peut-ètre payé pour tous les  ) 78 ( la maiii de fon libérateur, lui exprima fa reconnoiïfance plus par fes regards que par fes paroles; puis il monta a bord du batiment, qu'un vent frais de fud fit cingler leftement vers Gènes la fuperbe. Immobile fur le pont, il refta long tems fans voir ni entendre , infenfible a la magnificence du foleil couchant, dont le disque mobile fe réfléchiifoit dans chaque vague. Enfin revenant de fon étourdiffement, il fe réfugia dans fa cahute , fe jetta fur fon hamak, & commenca un monologue fur fes infortunés. O lumières de notre fiècle ! ö philofophie ! triomphe de la raifon! triomphe de 1'humanité" . . . , ö trop crédule Voltaire / .... Et vous, favans de mon pays, fans doute que vous ne comprenez dans votre Europe éclairée, ni le royaume des moines & des caftrats, des indulgences, & des marchands tonfurés d'étoffe de laine, ni le pays oü 1'on fe marie avec la mer, ni celui oü les fquelettes font bouillonner leur fang, & oü 1'on jette les francs-macons a la voirie. C'eft toi, bon académicien de 1'évangile orthographii, c'eft toi feul qui as raifon ; il failoit aller plus loin avant que de crier fi haut. Le vent continuant d'ètre favorable , ils virent dès le lendemain la cöte feptentrionale de 1'isle  ) 79 C de Corfe. L'étendue de cette isle donna a Faujlin une haute idee du commerce de Gènes, en lui rappellant la vente que ce noble gouvernement avoit faite a la France du fol & du ciel de cette isle , avec fes braves habitans, corps &biens, de la même faqon qu'un Fabriquant génois paffe un ballot de velours au compte d'un marchand de Hambourg ou de Londres. CHAPITRE DOUZIEME. Nouvelle Baviere dans la Sierra-Morena. *Pv NïlN 1'on découvrit la fuperbe ville , & 1'afped impofant du magnifique amphithéatre qu'elle forme fur la mer, ne fit qu'augmenter la mauvaife humeur de Faujlin contre la léfine de fes habitans. On mit pied a terre; Faujlin röda quelque tems dans la ville avant que de choifir une auberge. Du fond d'une longue rue il vit venir a lui deux jeunes payfans, qui jargonnoient allemand , mais dans un dialede affez groffier, & chantoient une chanfon populaire qu'il fe fouvint d'avoir entendu très-fouvent en Bavière. II leur paria le patois de leur pays , pour leur demander par quel hafard ils fe trouvoient la, &  ) 80 ( s'ils n'étoient pas de fon pays. Ils répondirent par un oui accompagné du plus énergique juron bavarois que Fauftin eut entendu de fa vie, & ajoutèrent en redoublant d'énergie, qu'ils vou- loient de par tous les D s'embarquer pour PEfpagne. Faujlin ne comprenoit pas oü des gens de fon pays pouvoient avoir pris 1'idée de courir le monde, & ne vouloit pas les en croire. Mais ils lui racontèrent en deux mots comment leurs champs ayant été totalement dévaftés par les lièvres & Jes perdrix d'un braconnier titré du voifinage, & leur journées volées par les corvées perpétuelles auxquelles les forcóit un tyran de Prélat , ils s'étoient trouvés hors d'état de payer les impöts , & conféquemment avoient été chaffés de leurs maifons & dépouillés de leurs biem par le père de la patrie, felon Pufage. Mais, redemanda Faujlin, pourquoi aller juftement en Efpagne , & non pas plutót en Hongrie? II y fait encore meilleur vivre qu'avec des pouilleux récitant le chapelet d'un air fombre, & toujours entourés des efpions de la fainte Hermandad. Eh ne favez-vous donc pas, reprit le plus age des deux, que Pon fait un paradis dans ce pays-la ? N'avez - vous pas entendu parler de la  ) 8i C la loterie érigée par le Roi d'Efpagne pour les laboureurs aftands ? .. . tenez , liïèj donc ! La-deflus il «re un papier de fa poche. Fauftin lit , trouve en effet une invjtation de la part de S. M. catholique d'aller s'établir dans fon royaume, avec des condidons avantageufes. Son étonnement croüfoit a chaque ligne, & quand il vint a lire que 1'on offroit les mèmes avantages aux Proteftans auffi, il ne pouvoit en croire fes yeux. II eft vrai que , felon 1'annonce,, les catholiques devoient ëtre préférés, quand mème ils auroient été notés, piloriés , fouettés, marqués , &c. aux proteftans de la réputation la plus intacïe ; mais Faujlin paifoit bien cette vetille au Roi catholique. Enfin il fut pétrifié tout - a - fait quand il vit au bas la fignature du Lieutenant - Colonel Thurrigle. — Thurrigk ! s'ecria-t-il, le LieutenantColonel Thurrigk ! . . - feroit-ce donc . . . mais non , cela ne fe peut pas Enfin feroit - ce par hafard notre brave pays Thurrigk qui dans la guerre de Pan quarante expédia tant de pandoures avec le partifan Gefchrey ? U camarade & 1'amiintime de mon père, & qui en a tant fait, tant eiTuyé avec lui ? C'eft lui-même, répondirent-ils a la fois , c'eft notre pays Thurrigk. Et fautant de joye ils prennent Fauftin chacun par un bras pour le conduire a 1'auberge oü étoit leur rendez-vous.  ) .82 ( 11 s'y trouvoit environ deux cents ames, hommes , femmes & enfans, la plupart d'un vifage maigre & décharné, la mifère & la douleur empreintes fur le front, & laüTant percer au travers un léger rayon d'elpérance. Ils venoient de la Souabe, du Falatinat du Rhin & de quelques autres petites monarchies voifines, mais Ia plus grande partie venoient de Bavière. Les chefs & enróleurs étoient des officiers réformés & des étudians déja avancés en age , tous gens madrés, qui connoiffoient a fond le pays & fes habitans , fachant les moyens des s'infinuer dans 1'efprit des malheureux opprimés par les prêtres ou par les feigneurs , & leur faire de belles promeifes pour les porter a abandonner une patrie devenue odieufe. Fauftin s'adreifa au principal chef, Tellendorf, jadis cornette dans les grenadiers a cheval de Bavière , afin de favoir de lui par quel hafard la loterie & la caüTe de la nouvelle colonie , & le Lieutenant Thurrigk , fe trouvoient en rapport. Cela eft tout fimple , répondit Tellendorf; a la vérité, comment ou pourquoi notre mangeur de pandoures Thurrigk, ci-devant adjudant en Bavière , s'eft trouvé transplanté en Ffpagne, c'eft ce que je ne faurois vous dire. Mais il n'eft pas moins vrai que le rufé compère y a fait une  ) 8? ( bonne affaire, dont nos compatrioles peuvent profiter , & vous auffi par conféquent. Le comte d'Aranda, fac-totum de la cour de Madrid, a pris la fantaifie de former une petite peuplade dans la Siërra morena, a la place des- troupes de brigands & d'afraffins qui ont fait une fi mauvaife réputation a ce canton ; il en a digéré tout le plan avec le comte Olavidès affiftant de Séville , qui eft bien le plus charmant feigneur de la terre, & qui a beaucoup goüté la chofe. Notre. Thurrigk s'eft trouvé la , s'eft offert pour affembler des colons, & on lui a donné plein pouvoir pour cette partie. Vous devinez bien qu'il n'a pas eu befoin de beaucoup d'efforts , furtout dans la grande difette de 1771. 11 avoit eu affez d'occafions de connoitre tout le pays dans le plus grand détail lorsqu'il étoit dans le militaire; il favoit les repaires de tous les tyrans & fous-tyrans, tant oints que non - oints , avec calotte ou fans calotte, qui ont 1'excellente politique de piller leurs fujets & de les chaffer par bandes du pays. Nous autres, comme anciens camarades , il nous a employés pour le feconder, & nous lui amenons de tems a autre une batelée pleine , comme vous voyez. Et comment vit-on donc dans la nouvelle colonie ? F 2  ) 8f ( d'ailleurs ètre proteftant ou catholique tout comme bon lui femble. Quant aux brouillons & aux fanatiques inquiets, ils n'oferoient fe montrer parminous; ils feroient traités précifément comme des empoifonneurs, & on les enverroit aux mines du Potofi par le premier vaüTeau. Eh Dieu nous en garde ! ü n'y a & n'y aura jamais dans toute notre Siërra - morena, un petit bout de capuchon long comme le doigt. Tenez, lifez feulement Partiele LXXVII du code qui a été fait tout exprès pour notre colonie. « Défenfes expreifes font faites de fonder ou „ introduire dans la nouvelle colonie aucune „ efpece de moines ou de couvent de 1'un ou de „ 1'autre fexe, fous quelque prétexte ou déno„ mination que ce puilfe ètre , comme d'hopital ■> „ de miflion, de confrérie , ou autre quelconque i 3> la direclion fpitituelle des colons devant ètre „ purement & fimplement entre les mains des „ curés & vicaires du diocèfe , comme les affaires „ temporelles ferontt confiées aux foins des „ juges & confeils érigés pour la colonie. » F 3  ) 86 ( CHAPITRE DOUZIÈME. Favjlin cohn. Puijfance des Clefs. 3E N F I N voici donc des lumières, de la vra-ie philofophie; voici tout de bon le triomphe de la raifon ! s'ecrioit le bon Faujlin. Une colonie allemande dans 1'orgueilleufe Efpagne 7 Et qui plus eft, une colonie de diverfes fectes ! Point de haine , point d'idiots , point de prélats , point d'exjéfaites ! En Efpagne .' dans ié pays dont nos géographes, nos nouvelliftes , nos voyageurs , font 1'objet perpétuel de leur rifée , que Pon nous repréfente comme le refuge de Pignorance, de la fuperftition, du fanatifme , de la pareife , de la fottife , de Pintolérance ! O père Boniface ! fi vous étiez ici , pour lire le code de la Siërra - moréna, quel plaifir n'aunez vous pas! Puiffe-t-il vous en parvenir quelque nouvelle dans votre cul de bafle foife, fuppofé que vous y languifliez encore ! Elle vous en fera un paradis .... Et vous, brave académicien de Porthographe evangélique, que n'étes - vous fur les confins de VAnialonfie ! Vous n'y trouveriez point de frères en Jéfus-Chrijl qui briferoient vos fenêtres & dénigreroient votre réputation.  ) 87 ( Enfin le brave jeune homme, tout plein de la nouvelle colonie philofophique, tfAranda , d'Olavidès, de Thurrigk, du contraire frappant qu'il voyoit entre Madrid & Munich , entre la Panfardière & la Siërra - moréna , ne balanca plus de fe faire infcrire au nombre des colons. Telkndorf, avec toute la joye d'un enróleur qui voit tomber dans fes filets, lorfqu'il n'y penfoit pas, un fujet dont il y a quelque parti atirer; Telkndorf, dis-je, lui prit la main, la fecoua , & y appliquant la fienne avec toute 1'énergie allemande, lui dit avec tranfport: vive notre vieux Thurrigk! Quelle joye pour lui de revoir le fils de fon ancien camarade ! Allons , venez ! vous favez autant de langues que fi vous aviez préfidé a la conftrudlion de la tour de Babel ; vous étes 1'homme qu'il nous faut , vous pouvez nous rendre les plus importans fervices. Le vent ayant fauté a 1'eft trés a propos, le tranfport partit avec la recrue , & cingla droit vers Cadix. Faujlin fit connoüTance avec fes compagnons de voyage , s'informant de leur profeffion, de leur pays , du degré de lumières qui y regnoit, des caufes de leur émigration. Or il fe trouvoit que 1'un , pour avoir eu la fcélératelfe de tuer un lièvre qui mangeoit fes choux , s'étoit vü con- F 4  ) 88 ( damné par Ja n'oblé & magnifique diredion Fupérieure des chaiFes & forèts, Fous la préfidence de Fon excellence Mr. le Baron de Landrauch , a deux hèures de carcan avec le bois de cerf Fur la tête, puis a recevoir trente-iix coups d'étrivières, & enfin a quitter le pays. Un autre s'étant Furchargé par malheur d'une demi - livre de tabac de contrebande, Ja Fuprème diredion des douanes 1'avoit attelé pour deux années a Ja charrette , après Pavoir débarraiFé de tous Fes biens pour le mettre plus a Fon aife. ün troifième ayant négligé de prendre un billet de confeflion de Paques & de payer la rétribution ordinaire , avoit été dénoncé en pleine chaire par le vénérable pafteur, comme un Fcélérat endurci dans Pincrédulité, & livré a 1'abomination de toute la communauté. Voila, dit fauftin, voila qui Fent bien certains cantons du Fud de Pempire romain; j'ai moi-mème été témoin de Fctnes toutes Fembables , accompagnées de toute la gravité de la juftice & de 1'orthodoxie. Au mot d'orthodoxie , un capucin s'approcha des interlocuteurs, & préFentant Fa barbe roufFe demanda fi quelqu'un de la compagnie avoit quelque choFe a alléguer contre 1'orthodoxie. fauftin un peu étourdi de Papparition de la barbe, aufli bien que du ton d'aiFurancc que montroit le porteur,  ) 89 ( lui demanda a fon tour , fi fon emploi lur le vaiifeau étoit de maintenir 1'orthodoxie. Non pas précifément , dit le capücin 5 mais il eft toujours bon & falutaire d'attirer la bénédiélion du ciel fur fa tête en fe fortifiant dans la foi; car il eft écrit: fi quelqu'un ne croit point & n'écoute point 1'églife, qu'il foit traité comme un payen & un publicain. fauftin , de plus en plus fcandalifé , prit la liberté de demander poliment au révérend , quelle étoit 1'origine, 1'objet & la fin de la fainte orthodoxie, & s'il avoit 1'honneur de parler a un compatriote. Non pas, Monfieur, non pas ! reprit le capucin; je n'ai point 1'honneur d'ètre né a coté d'une tonne de bière bavaroife ; je fuis de la ville libre & impériale d'Aiigsbourg i je me nomme frère Simp ert, & je vais en Efpagne avec mes compatriotes catholiques pour veilfer au falut de leurs ames. J'ai été lecfeur de controverfe; je connois toutes les anciennes & les nouvelles héréfies, & je compte avec cette fcience profonde faire ma fortune dans ce pays-la. Souvent il rode des loups fous les habits de pafteurs & de brebis; mais j'ai un nez , un nez qui fent 1'hstérodoxie de dix lieues a la ronde  ) 9° ( La nuit fépara les combattansJ Faujlin fe retira en fecouant la tête , & fe promit bien , fi la fouquenille brune n'étoit pas partie pour le Fotofi dans les huit premiers jours après fon arrivée, de retourner tout droit a la Fanfardière , prix pour prix. II s'endormit dans , ces triftes réflexions. Le lendemain a fon réveil, il fut frappé comme d'un coup de foudre en fe rappellant la fainte inquifition. Malheureux que je fuis !, s'écria-t-il, j'ai oublié de m'informer de ce point importanti courons chez Tellendorf ! Mon bon ami, lui dit il, jeviens vous dire une nouvelle,- je crois que nous n'acheverons point le voyage enfemble. Eh comment donc ? dit Tellendorf. Hélas oui ! reprit Faujlin ; avec vos figues & vos oranges , votre Alicante & votre Malaga , & fijrtout en lifant votre 77eme article, j'ai oublié tout net que la mort m'attendoit la a la defcente. II n'y a pas a balancer , & trés - férieufement , mon ami , quelque regret que j'en aie , il s'agit de me mettre a terre au premier port. Mais enfin expliquez vous donc, dit Tellendorf; je ne vous devine pas. Comment ! c'eft que j'ai le malheur de ne pas croire a la conception immaculée,- or fi j'ai échappé a la fainte inquifition de Munich , je ne  ) 94 ( le marabout de virer de bord & de reprendre la route de' Barbarie. A cette vue on entendit fur le batiment un cri de joye univerfel. Ce font des forciers , des efprits, que ces coquins - la ! dit le cornette : ma bonne m'a bien toujours dit qu'on s'en défaifoit a force de conjurations , & il faut convenir que nous y avons travaillé tous avec grand zèle; nous leur en avons donné de toutes les couleurs; ils s'en retournent bien & duement conjurés, & je gage que fans cela nous les aurions encore a nos trouifes. Sans doute, dit le capucin , il faut des anathèmes Sc des conjurations, mais non pas de profanes imprécations ; ces incrédules ne font expulfés que par les faintes malédictions approuvées & autorifées par 1'Églife infaillible , & prononcées par la bouche d'un Oint du Seigneur. Jurer eft jurer; répondit vivement Fauftin ; 1'approbation n'y fait rien ; cardinal ou caporal, peu importe ! Mais comment peut-il fe faire que dans notre fiècle tolérant Sc écJairé , la fainte Eglife & fes prètres aient des malédiétions a prononcer ? De ma vie je n'entendis le R. P. Boniface maudire quelqu'un, ou lui dire anathème : & la prètrelfe mème de Delphes, quoique idolatre , répondit aux Athéniens qu'elle étoit prètreife pour bénir & non pour maudire. 'II eft  ) 9S ( vrai que je ne comprends pas plus comment le* monarques chrétiens de tEurope, qui eft le féjour des lumières , s'avifent de le pointer leurs canons a la tête les uns des autres , au lieu d'employer leurs vaüTeaux de ligne & leurs pièces de trentefix a culbuter ces nids de pirates; encore moins comment ils ne rougiiïent par de fournir des munitions a ces ennemis de 1'humanité, de les animer contre leurs frères en Jéfus-Chriji, enfin de leur payer des tributs annuels fous le nom de préfens, comme les fauvages font des olfrandes au diable , afin qu'il ne leur falfe point de mal! Ah! fans doute, reprit le père barbu, il eft bien honteux pour nos Princes d'imiter fi mal les exemples illuftres qu'ils ont requs. Si nous avions aujourd'hui des Jofué, des Saul, des David, ou les faints héros des croifades , nous verrions encore la chrétienté porter le fer & le feu dans ces contrées barbares, & y détruire tout homme pilfant contre une muraille, omnem mingentem ad parietem. Des chiens ! des damnés ! qui ne connoiifent ni le grand faint Francois d'AIJife, ni le bienheureux frère Matthieu BaJJI, 1'illuftre inventeur de nos capuchons pointus! Cependant, mon cher monfieur, fachez que le droit de maudire appartient exclufivement a la fainte Églife, & que c'eft en ce point que confifte proprement la puijfance des Clefs.  ) 96 ( , Qu'a cela netienne ! dit Faujlin ; & il tourna le dos a 1'apótre de malédidion. CHAPITRE QUATORZIÈ ME. Immunités de ce monde; paffeport de l'autre; affiches & dédicaces. On n'eut pas plutöt mis pied a terre a Barcelone, que les pieux Elpagnols coururent chez les révérens pères carmélites, porter le prix des 200 meiïès vouées pour les ames du purgatoire ; car tout le monde fait que le faint fcapulaire apporté du ciel par la vierge Marie fur le mont Carmel, eft comme une autre tête de Médufe pour pétrifier & envoyer au diable tous ceux qui font a Dieu les cinq prières par jour ordonnées par Mahomet. II fut donc célébré un grand fervice pour les morts dans 1'églife des fcapulaires ; mais un cas imprévu troubla la folemnité. L'un des affiftans , s'occupant a confidérer les mille & un ex-voto qui couvroient les murailles, s'étoit fenti un dévotion toute particuliere pour une médaille d'argent qui pendoit au bas de l'un de ces pieux monumens. Un père s'appercut de de ce mouvement, & au lieu d'en ètre édifié, il  ) 97 C il fit un figne a deux des plus robuftes frères du couvent , lefquels en conféquence de ce figne , empoignèrent le dévot, «Sc le conduifirent au prieur. / Fauftin s'approcha comme les autres. Le réverend père demanda au médailleur lequel des deux il aimoit mieux , ou d'ètre livré a la juftice féculière, ou de fe foumettre a la fainte, corredion paternelle des religieux ? Faujlin tirant le maladroit par la manche, lui confeilla de choifir le premier parti. Mais le refped du froc étoit fi puifiant fur le pauvre Efpagnol, qu'il s'abandonna aux bons pères & s'en remit a leur charité, 1 .... . i _ r. .. „.,/T%A<- Les bons & chantables peres ie mem aux™ mettre nud comme la main , le lièrent étendu lur unbanc, & s'armant des courroyes de cuir dont ils ceignent leurs cbaftes reins , ils le corrigèrent avec tant de difcrétion que le malheureux déchiré de la tête aux pieds , épuifé a force de hurlemens , perdit connoiffance. Faujlin leur ptouva par vingt paifages des meilleurs philofophes que ce procédé étoit contre 1'humanite , & menaqa de porter la chofe au confeil du roi & au comte SAranda. Ace nom les bons pères en fureur fe préparèrent a recommencer. Eneffet, a peinele malheureux avoit - il eu le tems de refpirer, qu'ils s'acharnèrent avec une nouvelle r G  ) 98 ( rage fur fon corps fanglant, & après lui avoir mis les os a nud, ils le jettèrent hors du couvent. II expira au bout de cinq heures a leur porte. Nous avons nos exemtions & nos immunités ! difoient les bons pères. Faujlin, la larme a 1'ceil & 1'horreur dans 1'ame, regagna le bord avec une bien momdre opinion des lumières Elpagnoles. II n'eut pas la force d'ouvrir la bouche jufqu'au lendemain, qu'il en paria a Tellendorf. Celui-ei lui débita les phrafes les "'plus lubftantielles & les plus confolantes , & le conduifit ainfi julqu'a Cadix & a Séville. En effet, quand il arriva dans ce port, l'a&ivité qu'il y trouva, le coup d'ceil animé de tant de nations diverfes liées par le commerce <& la' confiance , fans diftinction de fedes & d'opinions, lui allégea beaucoup le cceur. Mais comme 1'on ne devoit point s'y arrèter, on fe mit en route fur le champ pour Séville. Fauftin pouifoit toujours fon cheval a coté düWnette , «St ils s'entretenoient fans ceffe de la nouvelle colonie «& du brave comte Ola. vides. Ils eurent le chagrin de ne le point trouver a Séville; il étoit a la Siërra morena , oü il avoit eu a publier quelques régiemens importans. Cependant , comme la faifon étoit très-chaude, il y eut lëjour a Séville. Tellendorf fit promener  ) 99 ( Fauftin dans cette ville jadis magnifique, aujourd'hui un peu dépeuplée. — Eh quoi ! dit Fauftin , a chaque pas un porte-foutane , comme s'il en grëloit! Je le crois bien ! répondit Tellendorf; il y a ici de gros bénéfices, autour de quatre mille & plus , pour le clergé féculier feulement. y Dans une feule ville ! Et le régulier ? Je le crois a-peu-près complet; c'eft-a-dire que depuis St. Bafile & les pères de la Thébaïde jufqu'aux Bartholoméens d'Ingoljladt, il n'y apas d'ordre ou familie monacale qui n'ait ici un couvent de l'un & de 1'autre fexe. — Jufte ciel ! .... Et combien en comptezvous donc dans tout le royaume XEfpagne ? Trois mille cent - foixante - neuf, de compte fait. • . ... De faqon que fur chaque deux milles quarres & demi, 1'on eft fur de trouver régulièrement une de ces fourmillières ? Précifément. f Ils paifoient pour lors devant une eghle lur la porte de laquelle fe lifoit en grolfes lettres : ia Pon délivre aujourd'hui une ame du purgatoire. Fauftin partitd'un éclat de rire , Tellendorf lui dit de ne pas fe faire remarquer, de peur que ce peuple dcvot n'envoyat fon ame remplacer dans le pur- G %  ) 100 ( gatoire celle qui alloit en fortir. Oh ! reprit Faujlin, c'en eft trop aufli, il ne manquoit plus que d'afficher encore a la porte le paflèport de cette ame, que le prieur du couvent aura lans doute recu du ciel. — Rien de plus férieux ici, ajouta le cornette Nous fommes cependant, dit Faujlin, dans le fiècle philofophique. ... Et pourrai-je au moins rire a la comédie ? car nous y irons, j'efpère ? — A la bonne heure, dit Tellendorf. * A 1'heure dite les deux allemands fe rendirent au théatre. Faujlin lut Pafliche en entrant : " A la fouveraine du ciel, „ A la mère du Verbe éternel , j, A 1'étoile polaire de toutes les Elpagnes, ,j a la confolatrice , „ a la fidéle proteclrice de la nation Eipagnole, ,j a 1'honneur & gloire de la trés - lainte vierge M A R I E , „ pour fon bénéfice, ,5 & pour la propagation de fon culte, „ la troupe des comédiens de cette ville donnera „ aujourd'hui N une repréfentation de la „ pièce comique , intitulée : N A N IN E. „ 5, On verra aufli le fandango danfé par le „ célébre italien , & la falie du Ipecfacle fera 3, illuminée.  ) 101 ( I „. Eft-ce la une pafquinade ? dit Faujlin immobile d'étonnement, ou qu'eft-ce enfin? Eh quoi ! c'eft un trait a 1'efpagnole; voila tout. A vous voir perdre la tète fur chaque bagatelle qui n'eft pas dans les mceurs bavaroifes, on diroit que vous n'avez jamais perdu de vue le clocher de votre village. _.. Bagatelle ! L'étoile polaire des Eipagnols k coté de Nanine ! puilqu'ils le veuleut, j'y confens : mais c'eft bien 1'idée la plus originale que j'aie encore vue jufqu'a préfent , que la dédicace d'une comédie de Voltaire & d'un fandango * ) a la fainte vierge Marie. Vive Voltaire & fa philofophie ! Quelque avide qu'il fut de gloire, en voila plus qu'il n'en vouloit; car il ne s'attendit certainement jamais que fes comédies feroient jouées en Efpagne au benefice de la vierge Marie. Au relte, fi la fuperftition & le fanatifme n'avoient pas ici de fymptömes plus terribles que des dédicaces burlefques, faimerois cent fois mieux 1'ignorance ëfpagnole que les lumières de certain pays. La pièce , fans ètre précifément de la plus grande fainteté , fut jouée ; on y fifla, on y battit des mains, on y bailla, chacun felon fon *) Pour favoir ce que c'eft que le fandango, danlè très-lafcive & très-ufitée en Efpagne , voyez le voyage de Thiknefs , traduit de 1'anclois, G 5  ) ioz ( gout , & le tout au benefice & a la globe de la bienheureufe vierge Marie, aufli bien que pour la propagation de fon culte. L'illumination ne fut pas des plus fuperbes , & iaiifoit encore quelques coins obfcurs" , ou 1'on entrevoyoit des grouppes occupés a réciter dévotement & fans bruit , des hymnes de Vénus a 1'Jioaaeurj de Marie. Le lenderrmin la caravane reprit la route [de la Siërra, oü elle arriva en peu de jours. CHAPITRE Q.UINZIEME. Ohvidès Voltaire. Meffes des morts. Fa usto en arrivant fut mené par Tellendorf chez le Gouverneur, & vit enfin le fige Olavidès, „ Que 1'enfer en courroux, le crucifix en main , „ Maudit, pourfuit, menace , excomraunie en vain. „ Auprès de lui étoit le vieux Thurrigk , & tous les deux s'occupoient des affaires de la colonie. Dès que Fauftin leur eut été préfenté & fe fut fait connoitre, le Lieutenant - Colonel tranfporté de joye fe jette a fon cou , & après mille embraffades le recommande dans les termes les plus  ) m ( forts au comte Olavidês. Monfieur le comte, lui dit-il, vous voyez ce jeune homme : eh bien , fans le fecours de fon père , jamais nous ne nous ferions connus; je n'ouplierai jamais la iournée dUferek, oü ce brave camarade me fauva la vie , au moment ou le fabre d'un Croate alloit me déconfire. Et la - deifus il recommence fes embraifades avec une une nouvelle ardeur. Fauftin lui ouvrit fon cceur, & lui fit le recit exact de fes aventures , depuis le jour oü il.fut chafle de la Panfardiére jufqu'a la fète de lamt Janvier a Naples. Eh bien ! lui dit Thurngle , tu as donc aufli appris a les connoitre , les renards tonfurés! Ils font toujours les mëmes qu'ils étoient dans la guerre de quarante , & dans un efoace de trente-fix ans ils n'ont rien perdu de leurs mauvaifes inclinations. Mais patience , mon bon ami, prens courage; tu fais que perfonne n'eft prophéte dans fa patrie ; te voici avec nous» nousauronsfoindetoi; dis moi leulement, quels font tes moyens , tes vues ? Fauftin en rougilfant dit : j'écris paffablement , je fais ma langue & quelque peu de latin , defranqois, d'italien , de géographie , &c. Je m'imaginois que 1'on pourroit bien faire de moi un maitre d'école. Ventre-bleu ! s'écria Thurrigle, un maitre d'école! & tu en fais plus, dix fois plus que le magm- G 4  ) io7 ( . . A peine y avoit-il vingt-quatre heures que le comte étoit a la Siërra, qu'il requt ordre de fe rendre a la cour fans perdre de tems pour rendre compte de la nouvelle colonie. Olavito partit fur le champ pour Madrid, & Fmjhtt k fuivit. CHAPITRE SEIZ1ÈME. Vers luifans. La première nouvelle qu'ils apprirent en arrivant dans la-capitale , c'eft le déparr XAranda pour la France; ce fut un coup de foudre pour Olavidès. La feconde, pire encore que la première, que la fainte inquifition , qui languiffoit dans l'inaétion depuis le 17 novembre lf6i, avoit repris toute fa vigueur & toute fa pompe , avec fa cour enfroquée. Déja elle s'étoit emparee d'un avocataccufé de tolérance , qui tout d'un coup s'étoit trouvé mort dans les prifons. Olavidès trembla ; Faujlin fe fentit -couvert d'une fueur froide. Cependant le comte inftruifit la cour de ce qui concernoit la colonie , & 1'on parut fatisfait de fa conduite. Mais il apprit fous main que le reverend père Shnpert 1'avoit accufé auprès du grand-  ) io8 ( inquifiteur d'avoir défendu la fonnerie aux enterremens , & mème les mefles de morts, de ne point aller aconfeffe, d'ètre hérétique, efprit-ibrt, indifférentifte, naturalifte , déifte & athée. Olavidès alla trouver le grand-inquifiteur pour 1'affurer de la pureté de fes fentimens. Le Stauzius efpagnol le recut avec un fourire hypocrite, leva le nez en 1'air, fit quelques grimaffes , fe mordit les lèvres pendant que le comte s'excufoit, fit quelques tours dans la chambre d'un air fier, & le congédia enfin en 1'aifurant froidement qu'il avoit 1'honneur de connoitre Mr. le comte. Faujlin d'un air myftérieux s'informoit de tout coté pour tacher de découvrir par quel fecret les révérens pères dominicains avoient fii rétablir leur formidable tribunal & leurs facrés büchers. II ne pouvoit obtenir de réponfe ; tantót. on le contentoit de hauffer les épaules a Tes queftioni; tantót on lui répondoit que c'étoit une punition du ciel, tantót que c'étoit une grace du Très-haut. Enfin s'étant trouvé un jour dans une petite lociété d'hommes refpe&ables , il y entendit raconter en confidence que le Roi s'étant réveille en furfaut il n'y avoit pas long - tems dans une nuit orageufe, avoit vu fon cabinet rempli des Hammes infernales, & qu'étant tombé malade par une fuite de fa frayeur , Ja fainte vierge  ) 109 (! immacnlée lui étoit apparue en fonge pour lui dire qu'il ne guériroit de cette maladie qu'après avoir fait voeu de rétablir 1'inquifition. Charles fit le vceu entre les mains de 1'immaculée , puis fe réveilla , & 1'inquifition en même tems. Faujlin fortant de la courut chez Olavidèt pour lui raconter le trait , qu'il regardoit comme un conté. Seroit-ce une fatyre, une pafquinade , une ficfion monacale pour amufer le peuple ? . . . Rien de tout cela , dit le comte; c'eft la . chofe la plus férieufe du monde; 1'apparition , le fonge, le vccu, font des faits. Le feul avantage que nous avons , c'eft de favoir que ces {lammes épouvantables fortant du gouffre infernal, fe réduifent a une poignée de vers luifans , & que le röle de la vierge immaculée a été trèsbien joué par le gros père confelfeur Ofma. De la le vceu, de la le monftre reifufcité. La raifon & 1'humanité triomphent aujourd'hui par tout le monde, dit Fauftin; mais comme je ne crois pas plus qu'autrefois a 1'immaculée conception, je pourrois devenir une feconde fois le martir de la philofophie. Ne retournerons-nous pas bientót a notre colonie, oü il n'y a point de vers luifans ni de grand inquifiteur ? C'eft bien mon delfein, dit le comte, mais il faut que j'écrive toute cette farce au comte Aranda , & je vois qu'il faut fe temr prèt a tout.  ) n7 ( trouver Aranda! & fort avec la troupe des fatellites. FaujUn dans fon trouble étoit tombé fur un fiège, & y refta long-tems fans voir ce qui fe paifoit autour de lui. Enfin il revenoit a lui, & commenqoit a fe lamenter, lorfqu'un autre familier du faint-office entre accompagné , 1'enlève avec le valet de chambre , & les loge tous les deux dans un trou que le foleil ni la lune n'éclairoient jamais de leurs rayons. On connoit 1'excellente forme de procédure du tribunal monacal. Après avoir langui dans des cachots dont le feul alpeét fait gétnir 1'humanité, les martyrs du bon - fens & de la bienfaifance furent reproduits a la lumière, & 1'on fe mit ert devoir de mettre leur efprit a la torture après que leur corps avoit été alfez matté. On célébra un auto-da-fe a huis clos, auquel il n'aflifta que deux cents des premiers matadors de la cour. Olavidès revétu d'un fac jaune , dépouillé des ornemens de 1'ordre de St. Jaques, tenant a la main un cierge de cire verte , fut accufé : i.° D'avoir fait dans fes voyages connoiifance avec Voltaire & avec Roujfeau; d'avoir eu commerce de lettres avec eux ,• & d'avoir requ une lettre oü Voltaire lui écrivoit que PEfpagne feroit trop heureufe d'avoir quarante citoyens qui penfaifent comme le comte. ( Faujlin perdit connoiffance. ) H 3  ) H9 ( dès, étoit compofée, outre les membres du clergé, des illuftres perfonnages fuivans : favoir, monfeigneur le duc de Grenade, monfgr. le duc de Solferino, mfgr. le duc de Moncada, le comte Coronna , trois confeillers du fouverain confeil de Cajlille , deux confeillers des finances , deux confeillers du confeil des Indes, deux confeillers des ordres du Roi , & un membre du confeil de guerre ; a ce corps refpedtable étoit attachée une longue queue de prélats , de do&eurs, de prêtraille & de monacaille. Quant a, Faujlin & a Linguen , comme 1'on préfumoit qu'ils n'avoient pas manqué d'infpirer a leur maitre le damnable efprit d'héréfie qui regne en Alkmagne , ou qu'au moins ils devoient avoir eu part a fes fecrets fans les avoir révélés a la fainte inquifition, ils eurent aufli 1'honneur d'ètre fouettés a huis\ clos, condamnés a faire pénitence quinze jours au pain & a 1'eau dans tous les exercices fpirituels , a faire le pélerinage de NotreDame tfOviédo pour s'y faire abfoudre , & a quitter enfuite le pays pour n'y plus rentrer. Ils auroient bien voulu prendre le chemin de Bayonne pour gagner la France tout de fuite* mais comme leurs paifeports étoient expédiés pour Oviédo, ils furent contraints d'aller rendre leurs hommages a la bienheureufe vierge du pays. H4  ) 120 ( Enfin, après s'ètre fait abfoudre dans les formes, ils allèrent a St. Sébajlien, & fe mirent fur le premier vaüTeau qui fit voiles pour Brejl , ne fachant rien de mieux pour le moment que d'aller a Paris trouver Aranda , & lui demander fecours. Faujlin regardoit fans celfe derrière lui pour voir fi la fainte inquifition ne s'étoit pas ravifée & n'envoyoit pas a leurs trouffes un yacht pour les ramener a Madrid. Dans la terreur qu'elle lui avoit infpirée, il n'ofoit pas mème hafarder un mot de plainte fur le fupplice qu'on lui avoit fait fouffrir. Ce ne fut qu'en touchant aux cótes de France qu'il commenqa de reprendre haleine , & de refpirer librement. CHAPITRE VINGTIÈME. Guerre des épaulettes. Académie de timmaculée. J-J enie foit la patrie des beaux - efprits ! s'écria Faujlin a haute voix, en étendant fes bras vers le rivage dont on approchoit; falut a la patrie des Moniejquieu , des Diderot, des Dalembert, des Helvetius, & du grand philofophe , de 1'immortel Arouet ! Salut au berceau de 1'encyclopédie , le chef- d'ceuvre , le non flus ultra de  ) 12? ( quérir avec les épaulettes qu'on vouloit leur donner pour auxiliaires. Cette importante alfaire fut débattue dans dix féances du confeil de 1'amirauté, & il fut enfin décidé que les habits rouges royaux auroient fur 1'épaule gauche une belle frange d'or pur; tandis que celle des habits rouges auxiliaires ne feroit que de foye avec trois fils d'or. Auffitöt 1'efcadre partit, courut chercher les bretons, ne les trouva plus, & revint triomphante avec la nouvelle qu'ils étoient depuis long-tems a Briflol. Fauftin, qui avec fon compagnon de malheurs & de voyage s'étoit mis fur un autre batiment allant au Havre de grace , trouvoit tout^ cela fort extraordinaire. Comment ! diloit-il a fon ami, un corps entier de meffieurs aufli éclairés, "perdre des momens précieux dans des querelles d'enfans ! Je fais bien que cette nation légere s'occupe fouvent tres-férieufement de bagatelles; mais vingt millions mis dans la balance contre une épaulette d'or, ne laiffent pas de faire une bagatelle de quelque poids. Au refte il faut que ce foient de jeunes gens qui vouloient caifer leurs dents de lait contre de vieux militaires aguerris ; car je les ai tous vus frifés a Paimable étourdi. Ils arrivèrent au Havre , & n'y ayant rien a faire ; ils pouflerent fans s'arrêter jufqu'a Rouen.  ) i*4 C Juftement on y faifoit une grande proceflion folemnelle , qu'accompagnoit une file confidérable de maigres perfonnages revétus du manteau dodoral. fauftin s'infornia de quoi il s'agiffoit: on lui dit que c'étoit Vacadémie de la conception immaculée. Partons , partons, dit Fauftin en fe tournant vers Linguen ; tous ces corps immaculés ne craignent point les macules de fang! Et ils prirent la route de Paris. CHAPITRE VINGT ET UNIÈAIE. Code noir, Gcdlicifme. Journal de Paris. A KRiVÉs dans la capitale,' haralfés d'un aufli pénible voyage , accablés du fentiment profond & cruel que réveilloit en eux le fouvevenir toujours préfent de 1'infortuné Olavidès, pleins de 1'efFroi que leur avoit inlpiré le zèle adif des défenfeurs de la conception immaculée , enfin après avoir été témoins & patiens dans un auto-da-fé, ils fe trouvèrent incommodés : ou le feroit a moins. Auflitót ils virent arriver un uotaire qui fans compliment fe mit en devoir de drefier inventaire de leur petit avoir. Fauftin par une curiofité naturelle, s'infornia de ce que  ) ijo ( iatis avoir beaucoup de fonclions a remplir ; 1'on en offre une fomme raifonnable, „ " On orïie 30,000 liv. d'une charge qui, fans alfujettüTement , fourniffe la facilité d'être de toutes les parties de la cour. „ " .Le fieur Bronot, homme d'affaires , eft chargé de vendre une commifllon d'officier a 1'armée, laquelle rend beaucoup & n'oblige point a fortir de Paris. » " Un gentilhomme de province cherche un emploi dans la capitale, qui doune de la conftdération , & rapporte quelque argent; il ne voudroit pas que les fonclions en fuifent bien pénibles. „ Ne fuis-je pas rouge iufqu'au blanc des yeux ? demanda Faujlin a fon ami. Eh oui en vérité , dit Linguen ; mais pourquoi donc ? Eft ce que 1'on auroit déja mis dans ce journal 1'honneur que nous avons eu a Madrid d'ètre feifés en cérémonie dans un auto da fè en préfence de la cour 'i — Et quand cela s'y trouveroit ? reprit Faujlin : Je voudrois que tout 1'univers en fut informé; la honte en» fera pour le prètre Ofm* Sc pour les afiaflins facrés de 1'inquifition. Non , mon ami, je rougis en ce moment pour la nation francoife, paree qu'elle ne rougit point ellemême d'afficjier aux yeux de 1'univers, Sc de  ) W ( •onfigner dans fes papiers publics, cette infame vénalité des charges , qui 'étouffe a la fois le génie , 1'induftrie , 1'honneur, le patriotifine. Quoi! l'un veut un emploi de 12000livres, & cela fans avoir rien a faire ! Un autre pour pot leder une charge au parlement , n'a qu'a en configner la finance chez un notaire , & pas le mot de fa capacité ! * ) Quelle mine peut-on faire en lifant de telles demandes ? celle de Démoerite ou celle d'Héraclite ? Et celui qui ofe hafarder de telles annonces , eft-ce le bon - fens qu'il a perdu , ou 1'honneur , ou la pudeur ? Faut-il rire du gouvernement qui écoute admet de femblables réquifitions, ou pleurer fur un peuple qui voit vendre pour quelques miférables pièces d'or , au premier ignorant ou au premier vaurien qui peut les donner, le droit de difpofèr de la fortune, de 1'honneur & de la liberté de fes concitoyens, ou enfin féliciter ce peuple de ce que chez lui 1'argent donne infailliblement la capacité & la vertu a ceux qui le poffèdent ? Faut il s'étonner a préfent que les Calas, les Sirven & d'autres innocens, aient été condamnés au ") On fait que lorfque Schltezer pour la première fois infe'ra .lans fon jeurnal quelques palTages de cette nature pris a la lettre■ des petites affiches de Paris, quelques perfonnes trèsrefpedables d' Memag»e crurent que ce n'étoït qu'unc fatyre & non point un fait, I %  ) m ( dernier fupplice par les parlements d'une nation chez laquelle on pouffe 1'effronterie jufqu'a demander publiquement 1'achat d'une charge dans le premier de ces pariemens, qui n'exige aucune connoiifance des affaires 'i O raifon ! ó humanité ! Jufqu'a quand ferez-vous ridiculifées & outragées par des hommes méprifables, «Sc quand obtlendrez-vous la vicloire dont on m'a tant parlé ? Faut-il que la même nation qui a produit Voltaire , ait aulR un droit d'aubaine, une capitale peuplée degrenouilles & despetites-affichesi Apropos, mon cher Linguen,, avez-vous entendu parler danp-notre monde littéraire du fiècle philofophique? , . Non pas que je me fouvienne , répondit Lmgum. Dans mon pays natal, j'etois encore trop jeune; puis, quand je me trouvai a Viênne, le cataïogue des livres. défendus pefoit net pres de trois' livres poids de mare, d'ailleurs il y avoit uia cordon de troupes formé fur les fronnères de la Suijfe & de la Saxe pour faifir & arreter toute feuille de papier oü fe trouvoit autre chofe oue ce qui étoit dans la cervelle du reverend Le confeifeur. Par conféquent il ne pouvoit pas Le beaucoup queftion de lumières dansce temsli Depuis lors , étant en Portugal avec Pombal, il ne m'eft jamais rien tombé d'imprimé entre les mains que les édits royaux & 1'almanac de la  ) m < cour. Ainls vous voyez .... Tant mieux pour vous , dit Faujlin ; quand on n'a pas été bercé de trop grandes efpérances, on n'eft pas expofé au cruel regret de les voir fruftrées. Mais cette nation - ci me paroit au refte trop fingulère pour ne pas mériter que nous nous arrètions quelques femainesal'obferver. C'eft bien dit, ajo.uta Linguen. CHAPITRE V1NGT-DEUXIÈME. Excomminicatio lata fententia. Effence de galanterie. «Ta d i s il n'y avoit pas de coin dans le monde ou 1'on ne rencontrat des franqois enfeignant la langue & cherchant des aventures. Aujourd'hui les allemands les ont remplacés , & 1'on en trouve en cette qualité fous tous les méridiens de la fphère. Fauftin en rencontra donc un de cette efpèce a Paris, qui a 1'aide de Gottfched faifoit écorcher par les langues délicates des parifiens notre ■ Viéland, Klopejloque ( Êlopfok ) Le-finge (Lejfmg ) &c. II fe nommoit Brükner, étoit originaire de Bavière & né a Cologne , oü fon père étoit venu a la fuite du prince Clément, lorsqu'il fut nommé a eet élecforat. En bon I 3  ' ) m ( — Rien au monde. Perfonne ne pouvoit mieux s'y prendre que la célébre Clairon. Après avoir recu dans fes bras tant d'abbés, tant de prélats vénérables , adorée en un mot de tout ce qui avoit part a la puinance des clefs , elle avoit lieu d'en efpérer quelque faveur a fon tour ; après avoir requ toute la fainte églife dans fon giron , elle devoit naturellement s'attendre a ètre admife elle-mème dans le giron de 1'églife; enfin on ne pouvoit employer mieux Ion corps pour le bien de fon ame, que la pauvre Clairon ne 1'avoit fait. Eh bien , qu'arrive-t-il ? Elle fait préfenter pour eet eftet une requète par fon avocat; aulïïtót toute la communauté chicanière crie a 1'impiété , raye de fon tableau le faifeur de requète & lui interdit de défendre Pinnocence, la veuve & Porphelin; tandis que de fon coté le grand Chrijïophe au front d'airain 1'excommunioit encore par deflus le marché, & 1'envoyoit au diable avec fa protégée. Mais la Clairon s'en eft bien vengée ; elle leur a rendu anathème pour anathème , & de ce moment a excommunié fans retour de fa toilette & de fon lit tout ce qui porte la tonfure. — Maiseft-ce que 1'on ne croit donc pas a Paris au fiècle philofophique, au fiècle des lumières, au triomphe univerfel de la raifon & de Phumanité ?  Vous vous en frotterez oü il faut, & vous vous trouverez tout d'un coup en état de braver les plus dangereux combats . . • Comment! invulnérable comme un autre AchiUe fortant du Styx, comme un autre Perjie avec la tète de la Gorgone , comme .... Tout comme il vous plaira ; mais tenez , ce n'eft pas pour rire ; voyez toute cette magmfique Kvréei voila le valet de chambre de M. le duc de celui de M. le comte de. .. .... • celui de I'évèque de ... • celui de madame la princeife de .... En un mot voila les trois quarts de notre première nobleife qui envoye ala provi, fion , la pourvoyeule M pendant la der- nière grande revue , en a fait prendre tous les deux jours un gros baril pour fa maifon de «ampagne. Et la-delfus la porte fe trouvant bbre, la bru; nette s'y élanqa d'un faut, fans faire la reve- rence. . , a Eh bien ! dit Linzuen, voila qui n eft pas fi mal; avouez que fi la chofe eft vraie, 1'mvention fait honneur au fiecle philofophique , & de par Cupidon, voila de quoi nous confoler de n'avoir pas trouvé la pierre philofophale ni Por potable. Si cette officieufe brunette savife feulement de prendre des commiffions pour la  ) 142, ( Bavière, vous verrez que notre docteur parifien dans Pefpace de vingt-huit ans confervera plus de vies , que les docleurs en droit de Bourghaufen, Munich , Landshout, Straubingue & Amberg , n'en ont détruit dans le même intervalle * ). Mafoi, vous avez raifon , dit Faujlin, & je crois qu'il faudroit en écrire a Pami Traubach, auffi-tót du moins que nous ferons un peu plus liïrs de la chofe , & qu'il n'y aura plus a craindre la-deifous un tour de paiTe-paflè a Ia francmfe. Ils allèrent donc trouver Brükner , & lui contèrent la chofe. Mais oui, dit il, on en parle depuis quelque tems affez férieufement; il doit y avoir eu des expériences authentiques, & faites en préfence de témoins. Au refte , Dieu merci ! je n'en fais rien par moi-même; mais il feroit a fouhaiter fans doute que .1'on dut ce contre-poifon a la même nation qui a empoifonné du mal qu'il guérit prefque tout 1'univers par fes chevaliers errans , & même tout récemment les isles tfOthaheïti a peine découvertes. Ah les malheureux ! s'écria Faujlin ; quoi ! déja chez ce peuple charmant .' la vérole dans ces isles fortunées, oü la beauté prodigue généreufement fes faveurs pour un clou ! ... Hélas oui! . . . *) Voyez la page 40 , . .  ) Hl ( Je plains de tout mon cceur ces infortunés infulaires ; mais au moins les trés - révérends pères carmélites .... ah ah ah! il faut que j'en rie . . . . avec leur refervatum ecclefiaftkum ! .... vous leur rendrez un grand fervice en vérité , fi vous leur envoyez de Peffence pour parfumer le faint fcapulaire. Brükner , qui n'entendoit rien a cette profopopée , s'étonnoit des rapports que fon ami mettoit entre les RR. PP. carmélites & les O-ta-hitiens, entre le refervatum ecclefiaftkum Sc la cacomonade, Ho ! dit Fauftin , c'eft qu'il y avoit'une grande querelle a Rome de mon tems , pour le privilege exclufif du commerce des cloux avec les belles otahitiennes , & les RR. PP. carmélites , au jugement de la propagande, Pont obtenu au préjudice de tous leurs confrères de la beface , & mème des majtelots anglois, qui avoient pour eux la poffeffion, & qui ne toucheront plus au refervatum ecclefiaftkum. Hélas ! peut - ètre que Peffence de notre voifin le docleur en galanterie leur parviendra trop tard , & que le poifon aura tout a fait dépeuplé ces isles, de forte qu'il n'y aura plus qu'un Te Deum a chanter fur leurs cadavres pour célébrer le triomphe univerfèl de 1'humanité ! Mais a propos, comment aomme-t-on donc le brave patron franqois qui s  ) H4 ( ipéculé fur cette nouvelle plantation en O-tabiti ? C'eft un fort honnête homme, qui en recompenfe eft aujourd'hui revétu de la dignité d'amiral. Mais ne 1'a-t-on pas tout au moins obligé d'envoyer dans ces isles , a fes dépens, une cargaifon de médicamens & un régiment d'efculapes ? En mettant pied a terre , on lui a préfenté en cérémonie la croix de St. Louis. Pour avoir empoifonné d'ici a tout jamais des peuples entiers ? Que faire ? a chofe faite , confeil eft pris. Voila qui eft fort fage, fans doute; mais le bon St. Louis, que doit-il dire de fe voir ainfi logé CHAPITRE VINGT - TROISIÈME. Apparition & difparition du grand philofophe. Girouette philofophique. Batards légitimes & non pas légitimés. Fa ustin & Linguen étoient a Deine levés un matin qui avoit fuivt une " nuit  ) Hf ( iiuïfc affez joyeufe , lorfqu'ils virent entrer Brükner avec un air plus gai, plus animé qu'a 1'ordinaire. Grande nouvelle ! s'écria-t-il en entrant; grande , grande , grandiffime nouvelle ! — Et qu'eft- ce donc ? — parleras-tu ? — disdonc vite ! quoi ? Le grand philofophe ... Eh bien ! quoi ? Voltaire ? Le grand philofophe eft a Paris. Faujlin tombe a la renverfe fur un fiège; Linguen demande quand, comment, pourquoi, .. . &c. Brükner répond a tout cela. Faujlin n'écoutoit ni n'entendcit > touta coup il fe léve : allons, dit il, conduis moi, méne-moi fur le champ voir le grand -homme> il faut que je le voie , il faut que je lui parle, il faut que je m'éclaire, que je m'inftruife , que je fache de lui 11 c'étoit pour rire ou tout de bon qu'il nous a chanté le fiècle philofophique; s'il a fait la fatyre oii 1'hiftoire de notre tems , en nous parlant continuellement de tolérance & d'humanité. Je veux lui dire comment j'ai été foulé aux pieds a coté de mon père mort , chaffé de la Panfardière , de Munich , de Vénife , de Rome , de Naples , de Madrid i je veux lui montrer ma balafre fur 1'ceil & la place de mes dents , «Sc mon dos tout couturé; je veux Peut-ètre a-t-il apporté une dilfertation philofophique fur le droit d'au- K  ) H6 ( baine & les charges qui fe vendent pour ne rien faire. Allons, montrez moi fon hotel , afin que dans la fuite je le trouve tout feul. Ils allèrent donc dans la rue de Beaune a 1'hotel du marquis de Villette , une foule prodigieufe rempliffoit la rue & crioit : Vive Voltaire ! vive Voltaire .' Faujlin déja ému, tranfporté , fut tout a coup faifi d'un tel enthoufiafme, qu'oubliant & la Panfardière & Munich , & le fénateur Arcibalordo, & le père Ofma, & 1'excommunication lat Quel heureux tems , quel heureux pays, que celui oii dans chaque lieu 1'on trouvera un arbre de guérifon, & oü il n'en coütera au pauvre comme au riche , que la peine de venir s'afleoir fous fon ombre falutaire pour recouvrer la fanté, ou mème, comme il arrivera fans doute dans la fuite des tems , pour tenir la maladie conftamment éloignée ! Oui, oui! le bon Rofny & fon digne ami prendront plaifir a voir ce nom , tout refpedable qu'il eft , remplacé par un autre auquel 1'on doit une fi brillante époque! J'envierois trop la gloire francoife fi ce n'étoit pas un Allemand , un Souabe , qui lui a fait le don précieux de la plus nouvelle, ou peut-ètre de la plus ancienne , mais du moins de la plus utile & de la plus admirable des doctrines. C'eft vraiment un Gajfner, mon bon ami, mais Un Gajfner philofophe , un Gajfner raifonnable,  ) '79 ( bienfaifant : c'eft a la fois Gajfner & fon oppofé. Mais a propos de Gajfner, dit enfin Brükner, remarquez - vous comment tous les gens raifortnables & inftruits ont été perfuadés que ce thaumaturge hypocrite opéroit tous fes preftiges au moyen de 1'élecfricité & du magnétifme ; & comment enfuite tous les gens inftruits ont nié qu'il y eut un magnétifme capable de produire aucun effet analogue a ceux des fanatiques convulfionaires, a 1'utilité prés! Hélas ! reprit Faujlin , j'ai vu d'un figne, d'un regard, un prêtre Souabe déchainer un diable femelle contre moi, & 1'on ne voudroit pas qu'un philofophe Souabe polfédat dans fes bienfaifantes mains une pareille puiifance fur le nerf de la nature pour le falut des humains ! — II eft vrai, ajouta Brükner, que 1'on eft infiniment plus difficile a accorder quelque pouvoir de ce genre aux médecins & aux philofophes qu'aux foi - difant miniftres du ciel. "Dans le fiècle dernier , plufieurs favans ont hafardé quelque chofe de femblable; ils ontéchoué, foit faute d'encouragement , foit faute de folidité dans leurs notions. — Mon ami, reprit Faujlin, jadis quelques hommes furent s'élever dans les airs , il n'en faut pas douter : dans la fuite & encore de nos jours on a fait mille tentatives infructueufes & ridiculifées pour retrouver eet Mz '  ) iSo ( art perdu ; on n'y croyoit plus, malgré le bateau volant j & voila que nous avons vu de nos yeux naviger dans les airs ! Croyez-moi, nous avons retrouvé la médecine philofophique , & le feul moyen d'empècher qu'elle ne fe perde encore pour les fiècles a venir , c'eft 1'admirable ordonnance fur les Rofnys. CHAPITRE VINGT - SEPTIËA1E. Vieux - oing. A- H fi nous avions a préfent un navire aérien pour nous envoler a Cologne ! dit Faujtin en rentrant a Paris ; mais je penfe qu'il faut remettre notre voyage : voila tant de merveilles que ceci vaut bien la peine de prolonger notre féjour; il Buit voir ce que tout cela deviendra. Je ne crois pas, dit Brükner, que de long-tems cela devienne autre chofe , ni que 1'on voye de fitót revenir au nord ceux qui auront navigé au fud fous un ballon. — Et les arbres magnétiques ? ajouta Faujiiu. — Eh bien , répondit Brükner , on viendra bientót en planter chez nous; vous y verrez oeut-ètre dès notre arnvce des Baquets, des Kofochordes , des Métempfychofes , &c. — En  ) i8a C n'eft que les chapeaux a la Montgolfier & les rubans au ballon fur la tête des Dames , les leur rappelloient de tems a autre. Mais ce qui les faifoit rire plus que tout le refte, c'étoit de voir dans les principales villes certains perfonnages préfentant le doigt, maniant la baguette de fer, fixant les gens du regard, tenant baquet, &c. Et le public des provinces qui ne voyoit pas opérer de grandes merveilles rioit tout haut des teneurs de baquet & de leurs grimaces. — Attendez, attendez ! difoit Fauftin tout bas , vous verrez les Rojhys, & le nouveau collége. — Us arriveren, a Rheims. Ne voulez-vous pas voir la célefte fiole d'huile qu'un pigeon apporta du ciel a St. Remy pour facrer les Rois Francois ? dit Brükner a demi - voix a 1'oreille de Fauftin. — Ces meffieurs veulent rire, leur dit le maitre de pofte en s'approchant d'eux : ces contes-la ne font plus de notre tems ; les moines mème qui gardent la vieille ampoulle n'y croyent plus. - Ce n'eft pas la ce qui m'étonne, dit Fauftin > mais pourquoi votre Roi ne manque-t-il jamais de venir ici pour fe faire couronner comme s'il ne 1'étoit pas ; & pour guérir les écrouelles qu'il ne guérit pourtant pas ? - Oh, oh ! répondit le maitre , il y a d'excellentes raifons pour cela : d'abord  ) -8j ( c'eft qu'un Roitelet plein de foi a la fainte huile diftillée du ciel, s'en fit grailfer a la même place il y a je ne fais combien de fiècles. — Voila qui eil peremptoire , dit Fauftin. --- Enfuite c'eft que les gens a tonfure qui 1'ont fait venir du ciel, favent bien pourquoi, & ne font pas fi fots que de 1'y renvoyer. C'eft que le clergé tient encore les fouverains a la lifière , & qu'il a peur qu'elle ne lui échappe; c'eft qu'il fait que 1'on craint fes clameurs., fes bravades, fon effronterie , & que 1'on aime mieux louvoyer que de lui rompre droit en vifière ; c'eft que par toute la terre habitable il en coüte plus de peines pour détruire un préjugé qui flatte 1'orgueil du facerdoce , qu'il n'en coüta pour nettoyer les étables ÜAugias célébres par leurs ordures C'eft que -- Eh mon cher monfieur ! interrompit fauftin, en voila plus qu'il n'en faut pour que 1'on relpecte a jamais votre divine ampoulle , puifqu'il n'en a pas tant fallu pour la faire defcendre du ciel; il vous refte a nous donner , fi cela ne vous incommode pas, une idéé de 1'effentiel & du fublime de cette difpendieufe cérémonie. A dire vrai, répondit le maitre de pofte , vous me demandez la une chofe fur laquelle mon intérêt & celui de mes confrères ne me permet- M 4  ) is4 ( troit guères de parler a coeur ouvert; mais nous favons d'avance & par expérience que tout ce que 1'on dira n'y fera ni bien ni mal. Cette cérémonie elf fort férieufe, fort pieufe , mais elle a aufli fon coté foible. Le Roi fait femblant de dormir; il fe jette a genoux aux piés des Evêques; on le graiife de 1'huile célefte; il jure aux prêtres fur tout ce qu'il y a de facré,' de pourfuivre a mort & a fang ceux qu'il leur plaira de lui nommer; fur quoi le clergé lui fouhaite la force du rhinocéros ; & tout eft dit. . Père Arottet, dit Fauftin a Brükner en s'en allant, nous apprend quelque part que la raifon , avec fa compagne la tolérance, voyage a petites journées du nord au fud : croyez vous que les deux voyageufes foient venues aRheims ? II me femble au moins , dit Bruiner , que notre maitre de pofte doit les avoir vues quelque part. A la bonne heure, reprit Fauftin ; mais le Roi trèschrétien, qui jure folemnellement de percer avec 'la corne du rhinocéros des infortunés errans & paifibles que les tonfurés batifent du nom d'hé- rétiques ? Mais père Arouet dit auiïï , répliqua Brükner, que c'eft ici le royaume des contradicfions dans tous les genres imaginables.  ) iSf C CHAPITRE VINGT - HÜIT1ÈME. Défenfes pubtiques de s'aimer foi - même. Saint-Pierre a droite , faint - P a u l a gauche , une mitre épifcopale avec la croix & Pépée en fautoir , le livre de Papocalypfe avec les Pept fceaux & un agneau dormant deffus . . . tout cela grolTièrement deffiné & affiche contre un mur, étoit accompagné de 'ces mots : is . . . par gar la grace de Dieu Évèque de Spire, en vertu de la puuTancè qu'il a recue de Dieu , ordonne fans rire , & fous peine de perdre charges, emplois , bénéfices , honneur , liberté, bonnes graces du prince - pafteur , falut de ce monde & de Pautre, a tous fes efclaves tant laïques qu'eceléfiaftiques, que nul d'entr'eux ne s'avife de foutenir & avancer dans un imprimé, fans fa fouveraine permiffion, que deux fois deux tont quatre : de mème en vertu de fa puiifance de damner les gens , défend a qui que ce foit d'avoir ou d'écrire d'autres opinions que celles de fon fifcal & confeifeur exjéfuite N.. . . Fauftin, fuivant fa coutume , ne put s'empêcher d'ètre choqué d'une affiche auffi peu philofophique,  ) i86 ( & ne manqua pas de s'informer auprès du beaufrère de Brükner de la raifon pourquoi 1'on mettoit ainfi les prejfes a la prejje. Ce n'étoit pas autrcment un favant que ce beaufrère; mais une longue pratique de Parithnietique 1'avoit habitué a tout calculer; puis il tiroit des réfultats , des fommes, faifoit des glofes a fi facon. Ce brave Spirois lui conta donc ainl'i la chofe. " II y a un honnête homme d'eccléfiaftique nommé Wiehrle qui s'occupe a Baden de philofophie pratique. Or dans une difpute, théfe ou conférence , il s'eft avife de foutenir qu'il étoit permis a 1'homme de s'aimer foi - mème , que li 1'on pouvoit rendre fon exiftence meilleure fans empirer celle de perfonne , c'étoit une fottife que d'y manquer; que s'il arrivoit un cas de befoin oü. il fallüt travailler ardemment a la propagation des fidèles, il pourroit ètre permis de faire fructifier deux femmes , a Pexemple des anciens patriarches, du fage Salomon & de 1'homme felon le cceur de Dieu (David. ) Le vénérable fifcal exjéfuite & fes braves camarades fe font trouvés vivement choqués de voir un fimple clerc dire aux gens des chofes plus fenfées que tout ce que la révérende compagnie leur avoit jamais dit depuis le moment de fa naiflance jufqu'a celui de fa mort. En conféquence ils ont  ) i87 C tanttourné, retourné, flairé, taté le Wiehrkriana & par deflus* & par deffous, & pardevant & par derrière , qu'a la fin ils ont eu le bonheur d'y éventer & découvrir 1'épicuréifme tout pur , le fpinofifme en corps & en ame, & beaucoup d'autres ifmès de cette efpèce. Pfeins de la joye de cette découverte , ils la déférèrent a quelques Univerfités voifines, qui déclarèrent in Fontifificalibus que le philofophe pratique étoit traitre a la religion , Panathématizèrent comme tel , le traiterent de petit philofophatre, de corrupteur des moeurs , de novateur , déclarèrent fes propofitions refpectivement fauifes , erronées , mal fonantes, fcandaleufes, ofenfives des oreiües fieufès, contraires au droit naturel & a la parole de Dieu , fentant 1'héréfie, voifines de 1'héréfie, tout k fait hérétiques & impies ; & pardeifus le marché reprochérent a un docteur allemand d'avoir parlé fa langue dans fes théfes. Eh malheureux que nous fommes ! s'écria Faujlin i eft-ce donc que le démon de 1'intolérance apartout étendu fa griffe infernale ? Faut-il trouver ici une kyrielle d'anathémes qui feroit honneur a la congrégation de Vindex & a 1'inquifition même de Madrid ? Mais les deux univerfités, comment les nomme-t-on ? — Strasbourg & Heidelbsrg. — Ah je ne m'en étonne pas; je les aj  ) iSS ( trouvées a Rome fur la lifte des foi!fc,riplions pour 1'édition qui s'y fait des déciuons de la congrégation de la roue ( rota. ) Voila le noeud de 1'affairejces meffieurs n'ont que des dccifions a la Roue, Sc voudroient de tout leur cosur y voir expirer ceux contre lefquek ils les prononcent. — Et le prélat par la grace de Dieu ? . . . . il rit diffribuer une feuille volante pour avertir paternellement tous les bonnets de nuit orthodoxes de ne jamais s'écarter leur vie durant des pieux documens de leurs nourrices ; puis avec toute la douceur théologique & toute la charité chrétienne, on dépouilla le novateur Wiehrle de tous fes titres & ernplois, «Sc Fanathème lancé contre lui retentit par tout le diocèfe. Après eet éclaircirfement, Fauftin fe fentant encore fortement attaché a fon petit individu , comme tant de braves gens de ce monde, n'eut rien de plus prefTé que de fortir d'un pays oa 1'on excommunioit tous ceux qui s'avifoient d'avoir quelque affe&ion pour leur propre perfonne. II entra dans le Palatinat, Sc comme dès fon arrivée fur les frontières de Erance il avoit appris la mort de fon bon prince Max , auffi bien que le paffage du pays fous la domination palattne, il fe propöfa de connoitre un peu cette maifon-ci, de mème que 1'état des pays qu'elle gouvernoit.  ) '89 ( . / . On doit voir ici beaucoup plus clair, dit FauJin; je ne vois partout qu'écoles, fociétés, académies théodoro-palatines ; &c. Je remarque furtout une grande émulation parmi les contrefadteurs, qui fans doute , en volant les éditeurs tant voifins qu'éloignés , & en vendant a bon marché ce que les autres ont acheté bien cher , ne peuvent avoir pour but que de répandre la fcience & la lumière. Je ne fais trop qu'en penfer, répondit Brukner ; j'ai déja oui dire il y a longtems qu'il y avoit bien de la contrebande dans cette petite monarchie. Academies de peinture & de fculpture , fociétés foi-difant patriotiques ou économiques, écoles de toute efpèce, en un mot de toutes ces brillantes bagatelles dont s'enorgueilliflent aujourd'hui les gouvernemens & les réformateurs , vraiment on n'en manque pas ici, & 1'on y employé mème de belles & hornes fommes. Mais demandez ce que toutes ces lanternes - magiques ont fait de bien réel ? L'une de ces coteries , environnée d'une troupe charmante tiHebés & de Ganymèdes fans voile > dans les jardins de Schwetzingue , y étudie la belle nature fur fes chefs - d'ceuvres d'une manière aulfi utile qu'agréable; une autre bée aux étoiles , ne manque pas une aurore boreale, découvre des alfres inconnus a Paris & a Berlin , & lait  ) 190 ( trompetter fes découvertes dans toutes les gazettes', une troifième invente tous les fix mois une nouvelle méthode de fumer les terres & de planter les pommes de terre ; une quatrième a déja inventé plus d'une vingtaine de nouvelles dénominations d'impóts; «Sec. Mais pénétrez un peu dans le pays , écoutez le payfan , 1'économe pratique , 1'homme impartial , & voyez ce que les braves palatins ont tiré de profit ou de lumière de toute cette théorie théodoro - palathie f Avez-vous jamais entendu dire que 1'on défertat par milliers un pays oü 1'on fe trouvoit bien , ou tout au moins palfablement ? Or quand on voit des elfaims d'habitans quitter de fang froid une contrée fur laquelle notre bonne mère nature a verfé tant de faveurs, je demande fi c'eft une preuve alfez palpable & aifez démonftrative qu'il y a dans le gouvernement des vices, «Sc des vices elfentiels. C'eft le cas du Palatinat. Du Java a YAmérique feptentrionale, du Gange au Wolga, partout vous trouverez des palatins. — Eh oui vraiment! Nous en avions aufli a Ia Siërra - morena , dit Faujlin en 1'interrompant. Quant a la tolérance, continua Brükner, je ne vous en dis rien ; vous en avez déja un petit échantillon dans 1'affaire de Wiehrle a la faculté de Heidelberg; vous aurez encore peut-ètre d'au*res occafious de juger de eet article.  ) m ( Ils arrivèrent a Mannheim avant que la troupe de 1'opéra fut partie pour Munich; ils affiilèrent a la dernière repréfentation, & s'informèrent combien coütoit tout ce batelage dans un pays qui ne rend pas plus d'une couple de millions d'écus, & qui a perdu dans quelques mois des milliers d'habitans; on leur répondit : 2,00,000 florins comptant. Eh ciel ! dit Brükner; on rit de voir un Roi de Trance avec 400 millions de revenus , dépenfer 700,000 livres pour fon opéra ; mais quand on voit un comte palatin avec fes deux millions d'écus dépenfer prefqu'autantque legrand monarque pour ce jeu d'enfans, pour le coup il faut pleurer, il faut gémir. Ils reftèrent peu. Faujlin fe trouvant aflïs dans un bateau a coté d'un homme d'alfez bonne mine, vétu d'un habit gris un peu ufé, dans une petite ville au deflbus de Mannheim , il profita de 1'occafion , & le tata un peu ; puis trouvant qu'il étoit du nombre des ftipendiaires de la religion , il fe mit auffitot a lui parler de tolérance & de lumières. Ah! dit 1'homme gris avec un profond foupir, ne profanons pas ces noms facrés, tant que nous ferons dans un pays ou ils ne font que le fignal de la perfécution & de la violence ! Vous ne voyez en moi rien moins qu'un martyr de leurs droits éternels ; je fuis le candidat H — n :  ) ( J'ai écrit un petit livre fur la nouvelle difcipline eccléfiaftique des réformés dans le Falatinat Ah ! s'écria Fauftin en 1'interrompant, fouffrez que je vous en falfe mon compliment. — C'eft vraiment bien Ia peine ! mon cher monfieur , reprit le candidat 5 plaignez plutót en moi un malheureux profcrit, forcé d'errer déformais fans relTburce. — Cela n'eft pas poffible ! s'écria Fauftin; & les chofes en feroiënt-elles donc venues fur ce point en Alternatie au degré d'horreur dont j'ai entendu parler ca (Sc Ia ? —Ecoutez, dit 1'homme gris. La cour eft afTiégée de fripons exjéfuites & non exjéfuites, qui Pont aveuglée au point delui faire prendre la ferme réfolution d'opprimer tout-t-fait les communions réformées, en dépit de toute conftitution & capitulation. La régence la fecondea nierveilles pour cetobjet, & en eft venue au point de ne plus rougir ni des plus honteufgs rufes, ni des reproches les plus crians. Toutes les charges, places, emplois , graces, &c. fe prodiguent aux plus miférables perfonnages, aux plus vils ignorans ; il fuffit qu'ils aillent a la meife & difent le chapelet. On fait aux Proteftans les plus pitoyables chicanes ; on les opprime par les fraudes les plus infames. Plufieurs n'obtiennent la permiffion de fe marier qu'a condition d'éiever tous leurs  ) '93 ( leurs enfans dans la communion catholique. — La plupart des confeillers eccléfiaftiques , adminiftrateurs, infpecfeurs, &c. font des créatures de la cour , flatteurs bas & rampans, qui pour quelques écus qu'elle leur jette tant qu'ils ne murmurent point contre fon plan, laifTent écorcher leur troupeau fans pudeur. Si par hafird quelque honnète homme de la vieille roche veut dire un mot, bientót les menaces & les mauvaistraitemens le forcent malgré lui au filence. Cette intolérance religieufe, jointe aux vexations de tous les autres genres dans le goüt afiatique, font des caufes toutes fimples des nombreufes émigrations des honnêtes - gens du pays, qui vont par milliers chercher un gouvernement plus humain. — — Mais enfin, a ce compte la, il faut qu'en peu d'années le pays devienne défert ? — Point du tout : le profélytifme eft un moyen tout aufli excellent d'y remédier & de remplacer les émigrans. Les voleurs, les filoux , les banqueroutiers, les vagabonds, les fripons de deca & de dela le Rhin*, des fcélérats fignalés & dénoués dans les feuilles publiques, toute cette engeance accourt dans le Palatindt, va a la meffe, s'arme d5un rofaire , fait le figne de la croix, & dés lors les voila foutenus, fecourus, protégés , employés, N  ) i97 C au faifeur Xefai fur Eramanuel les noms de loup fous la peau de brebis &de raifonneur impudent, traitoit fon effai d'oeuvre de ténébres, plein de poifon & d'abfurdité,fentant 1'hérefie a pleute bouehe, & enfin foudroyoit quiconque oferoit le lire ou feulement le garder, des plus gro.es excommunications ipfo fatlo. Fier de cette déclaration exemplaire du pafteur des^rs, le ™ake AeMaymCe ,atte" peine le lendemain pour afiembler fon etat-major, compofé duvicaire-lieutenant, ou porte-banmere dufifcal. du prévöt, &c & tenir un confeü de guerre, dans lequel il déféra un boulange oui a 1'inftigation du diable avoit donne furies oreilles a un cbantre du ehapitre, lequel dans un petit accès d'ivreffe vouloit expliqüer la legende ii la jolie boulangère; fur quoi 1'excommun-cation en grand format fut lancée contre le bou. :rPeu%ourtois dans 1'églife de *. Eüenne, défenfe faite aux fidèles de le faluer, de lm parIde le fréquenter, enfin ordre de e jetter Uavoirie dès qu'il feroit mort, felon 1 ancien ufage de 1'églife catholique, au nom du feigneur en cas toutefois qu'il ne voulut pas achetet de fon vivant fon abfolution au prix ordinaire, mais comptant & fans rabais. N ?  ) i98 ( II y a la une chofe qui m'étonne , dit Faujlin au départ; je fais bien que le droit d'excommunier & de maudire eft aujourd'hui le jus gladii de notre divin facerdoce ; depuis qu'un honnète capucm fouabe m'a démontré fur un vailfeau efpagnol que ce droit conftituoit proprement ce que 1'on appelle la puijfance des clefs , je fens qu'il n'eft plus tems de les empêcher de maudire & damner a volonté tout ce qui marche fur deux jambes, le tout fpirituellement, bien entendu ! c'eft a dire , invifiblement, ou fans reiation au corps des maudits , qui appartient a 1'État & non pas a 1'églife laquelle doit ètre aifez contente d'avoir pour fa part & portion > plus noble moitié de ces damnés, favoir leur ame. Mais qui eft-ce qui lui a donné le droit de défendre aux gens de parler a un excommuuié ? Au pié de la lettre, un excommuuié eft un hommè qui n'appartient point a notre églife. Or c'eft un malheur commun aux Turcs, aux Juifs , aux payensj & cependant je n'ai pas oui dire en core que le St. Père fe foit avifé de défendre afesfujets d'emprunter de Pargent des Ifraéhres, tout excommuniés qu'ils font. Comment donc un vicaire allemand s'avife -t- il de défendre a des allemands d'aller fe promener avec un honnete allemand que le chef de 1'églife a re-  ) '99 ( tranché de fes troupes pour un foufflet donné en temps & lieu ? Ce font des monumens du fiècle de Hildebrand, répondit le candidat; ce font des ufurpations éccléfiaftiques, des attentats a la majefté des louverains par les prétendus vicaires du Chnft , qui n'ont qu'un cri, favoir : extra ecclefiam mdla falus ! qui dans leurs oraifons théologiques fatiguent le ciel de voeux ardens pour 1'extirpation des héréfies , puis de leur coté ne manquent pas de taxer d'héréfie tout ce qui ne fe range pas a leur fantaifie, & d'accumuler fur la tète des hérétiques les anathêmes temporels & fpirituels. Oui vraiment, reprit Faujlin, ce font-la des attentats aux droits des fouverains , & je m'étonne toujours que notre fiècle en offre des exemples auffi od,eux. Que 1'églife ferme fa porte au nez de ceux qui ne lui abéüfent pas , ce font fes affaires; mais fes arrèts ne doivent pas franchir les muts de fon enceinte , & ne fauroient priver perfonne des droits de citoyeit. Attendez ! dès que nous ferons a Cologne , je veux écrire une diflèrtation fur ce fujet, & démontrer que 1'excommunication n'a aucune force hors de l'en:einte du temple, nul effet fur les corps, nulle efficace pour priver les excommuniés du moindre N 4  ) 200 ( de leurs droits civils & temporels. Dieu fait comme Peter Hammet va s'empreflèr de me 1'imprimer.' Arrivés a Bingheu , le cabaretier leur demanda s'ils ne vouloient pas aller a Spaabrüken pour voir le miracle que le révérend père prédicateur des capucins devois y opérer le lendemain. Au mot de miracle , Faujlin refta comme pétrifié; mais 1'hóte aifura , aulfi vrai que fon vin n'étoit point frelaté, que 1'on ne manquoit jamais de faire tous les ans un miracle a Spaabrüken au jour & a 1'heure marquée. Bruiner & le candidat furent curieux de voir ce tour de gobelets ; mais Faujlin refufa d'ètre de la partie , & montrant a fes amis la cicatrice qu'il avoit au deifus de Poeil gauche & qui datoit du tems des miracles d'Ellwang , puis la place des deux dents qu'on lui avoit caifées' a Naples a Phonneur de St. Janvier & de fon précieux- fang, il renouvelJa fon vceu de ne plus affifter de fa vie a pareille fète. Cependant fes deux amis lui répondirent fi pofitivement du refte de fes dents & de Ion oeil droit, de mème que de fes autres membres, qu'il fe laiifa perfuader d'aller faire une vifite aux révérends pères fans haut - de- chauifes, & de devenir témoin de leur puilfance miraculeufe. Ils trouvèrent déja raffemblés une foule de fainéans du voifinage , la plupart ivres , & les  ) 201 ( autres s'enivrant en attendant le miracle. Ce moment arrivé, ce fut un poffédé qui pamt fur£ fcène; i cette apparition Faujlin trembla de tous fes membres, dans la crainte de voir recommencerlafcènede Gaftner. Cependant les chofes fe paTeren* fins bruin le diable en forme d huon delle fortit paifiblement des culottes d un drole affez bien nourri, qui du refte jouort fi mal fon róle , avoit des convulfions fi fbibles , fe demenoit fi nonchalamment, qu'il étoit bien affe de voir qu'il n'en étoit qu'a fon début. Suivit une fille aveugle que Pon fe nut . exorcizer patiemment jufqu'a ce qu'elle eut ouvert les yeux, ee qui étoit vraiment un grand miracle; mais un bien plus grand fans contrecht c'eft que fur le champ elle reconnut tous les fonts qui peuploient 1'églife ; faint Uurent fur fon Li, faint Roch avec fon chien, faint Fr^ots fe roulant dans la neige , faint Antoine prechant aux poiffons, & autres. Elle connoiffoit encore mteuxl'argent que le peuple crédule hu donnoit de forte qu'a la première pièce qu elle requt elle s'écria: ce n'eft qu'un creutzer ! --Aureueies affiftans bien convaincus que puifqueTe bon Dieu venoit de faire un miracle en leur préfence, M devoient ètre conféquemment en état de grace, fe haterent tous d'aller s'en réjouir au cabaret  ) 202 ( oü 1'on but amplement a la fanté du capucin miraculeus, ( car nous autres allemands nous buvons encore a Ja fanté des gens. ) Et fi nous faifions auffi un miracle, nous ? fe mit a dire Faujlin dans un accès de zèle philofophique : fi „ous rendions la vue a ce peuple aveugle, & fi nous lui faifions voir claira travers les fraudes monacales ? Oui! dit le candidat, t vous voulez favoir ce que c'eft qu'ètre lapidé, vous n'avez qu'a en effayer. Ceci rappellant a nufim ie R. P. provincial de Fadoue & fes féraphiques bandits, il fèntit tout a coup refroidir Ion zèle, & ne penfa qu'a regagner le batiment avec fes compagnons, qui firent avec lui un chorus de lamentation fur 1'effronterie des féraphiques , & fur ie triomphe univerfel de la raifon > ce qui dura jufqu'a Coblentz oü ils mirent pied' a terre. La ils trouvèrent grand tumulte & grand bruit dans toutes les rues qui conduifoient a EhrenbreitJlem. Le gazetier de Coblentz , avec fon copifte, avoit été conduita la citadelle par ordre fupérieur, & logé dans un petit endroit très-frais, très-für, & d'une obfcurité favorable au repos, en recompenfe de ce qu'il avoit dit fans détour dans fa feuille une grande vérité , favoir que Febronius * 1'age de quatre- vingts ans n'avoit point écrit  ) ( de Ta volonté ni de fa tête la rétraftation du terrible volume avec lequel il avoit pulvérifé le fiège romain; mais qu'il 1'avoit copiée d'après la formule a lui envoyée , fous la fulmination de mille menaces , par le prètre a triple couronne & fon preftolet a calotte rouge , a la réquifition de fon propre prince - archevêque. Toute la ville favoit de refte que cette ridicule rétractation avoit été fabriquée au Vatican & envoyée toute cbaude a Trèves ; & néanmoins on avoit le front de mentir .impudemment au nez du public entier par ordre de monfeigneur, & de tirer des conclufions jéfuitiques de cette pièce équivoque. Fauftin demanda au candidat comment il fe pouvoit, que dans ces contrées du Rhin, dont on vantoit les lumières, 1'on ne put faire un pas qu'au milieu des ténèbres de l'ignorance, dans les filets de la fraude , & lous le joug du defpotifme civil & eccléfiaftique ! — Rien de plus fimple , lui répondit-il : les grands feigneurs du pays ont recu leur éducation des mains des moines; ceux-ci ne fauroient aimer la lumière, &le peuple ne peut que fe laiifer mener parie nez tant par les uns que par les autres. Quant a 1'affaire que voici, je vais vous la dire en deux mots.  ) *0f ( Vous faurez qu'il y a quelqu'un par ici qui depuis longtems eft tourmenté de la fantaifie de fe coirfer d'un chapeau rouge, & qui pour eet cftet ne ceife de róder autour du vieux marchand de chapeaux , de le folliciter en public & en fecret, de le flatter & de lui faire Ja cour, fans avoir pu encore obtenir cette bienheureufe emflure. Or vous devinez aifément qu'a force d'ailer & de venir fans coifure , on s'enrhume a Ja fin ; cela donne de 1'humeur , & quand on eft de mauvaife humeur, on donne des ordres fouverains a-peu-près comme vous voyez. Mais tant - pis ! dit Faujlin; au refte il paroit que ce gouvernement - ci fent encore un peu le Polonois. Quelques gens fimples, reprit le candidat, auroient bien voulu que le vieillard Hontheim eüt tenu tête a toute la bande ultramontaine, aux dépens du repos du peu qu'il lui refte de jours. Mais Hontheim penfoit a-peu-près comme Je philofophe Helvetius lorfque la cabale jéfuitique le forca de rétracter fon excellent ouvrage de Pefprit. Quand on eft étendu par terre devant le Moufti, qui fronqant le fourcil vous demande & vous crie : „ chien de chrétien ! crois-tu que le faint prophéte fit le voyage de la lune fur un ane, que Salech changea une pierre en chameau ? „ ce n'eft pas le moment de citer a fa révérence  ) 20f ( turque Bitfon ou 1'abbé Pluche. Ils m'ont arraché un défaveu ; c'eft comme fi un voleur de grand chemin m'avoit forcé le piftolet fur la gorge de lui faire une lettre de change. Mon livre n'en exiftera pas mdins. SU contient quelque vérité , tant mieux ! peut-ètre fe fera-t-elle entendre quelque jour ; peut-ètre aufli que non; cela dépend des circonftances. Galilée, un cierge a la main, fut contraint de défavouer une vérité a la face des autels : en eft-on moins convaincu aujourd'hui de cette mème vérité ? Trèseertainement toute ma réfiftance n'eüt-pas ajouté a mes principes le degré de certitude le plus léger. II y a eu des martyrs de Terreur, & la mort de fes apótres ne la pas changée en vérité. „ Voila ce que répondit Helvétius aux tètes a 1'évent de Paris , qui de leurs boudoirs lui reprochoient tout a leur aife de s'ètre honteufement dédit. Voici de même ce qu'écrivoit Hontheim a un ami dans la circonftance pareille. " J'ai en un certain fens défavoué mon livre de Jufiintts Fébronius , comme un prélat bien plus habile que moi , Fenélon, défavoua le fien , c^efta- dire,pour éviter des querelles odieufes &inutiles. Mais ma rétraétation ne fauroit nuire, foit a préfent, foit a 1'avenir, au monde ou a la religion , ni ètre de quelque utilité au fiège  ) 209 ( ment & tout naturellement cette petite contradiétion apparente , par 1'araour fans bornes qu'il avoit infpiré a ce jeune cceur quoique plein de fon Créateur. Un jour ü arrivé chez Claire , & ne la trouve pas au logis. Jaloux & méfiant comme un nouvel amoureux, il foupqonna d'abord quelque affaire de galanterie , & fongea fur le champ a profiter de 1'occafion pour s'en éclaircir; il fe mit a vifiter toutes les armoires, tremblant d'y trouver quelque billet doux , quelque poulet galant, ou quelque chofe de cette nature. II fut affez heureux pour ètre trompé dans fon attente ; mais il trouva quelque chofe de bien plus fingulier, de plus inoui , de' plus inattendu pour lui. Après avoir tout fouillé , tout fourragé, fa mairt tomba enfin fur une petite caffette qu'il ouvrit. Elle contenoit une phiole , & fur cette phiole il lut pour étiquette t Vinaigre de virginitê. II confidéra, retourna, flaira ce vafe étonnant de tous les cotés, pour découvrir ce que ce pouvoit ètre que ce vinaigre incompréhenfible. Enfin il apperqut un papier qui contenoit tout le myftère & la recette curieufe. Un franqois habile , comme il y en a tant, avoit fait cette miraculeufe découverte pour mótamorphofer en pucelles toutes neuves, les Flores, les Qiiartilles, les Laïs, les O  ) 2IO ( Phrynésde notre fiècle, qui a 1'aidede eet aflringent unique & parfait, pourroient tous les jours recouvrer & redonner ce qu'elles avoient déja perdu mille & une fois. Le galant inventeur avoit fans doute commencé par faire de toutes les parifiennes autant de veftales; puis par un elfet de la politeife innée de la nation, il avoit laüTé parvenir fa précieufe liqueur jufqu'aux bords du Rhin, pour y rétablir tout ce qui avoit befoin de 1'ètre. Faujlin , qui n'avoit point oublié 1'elfence de galanterie de Paris, ne favoit plus laquelle de ces deux découvertes il devoit le plus admirer. Cette eau de Léthé qui rendoit invulnérable aux traits les plus empoifonnés du perfide amour , n'étoit point une bagatelle fans doute ; mais 1'aftringent parfait qu'il avoit fous les yeux , dont quelques goutes pouvoient transformer fur riieure en nonnette pudique la première Meffaline du jour , faifoit a fon gré prefque pencher la balance. O découvertes vraiment miraculeufes ! O 1'aimable peuple , s'écria-t-il enfin , qui fait au monde de tels préfens ! Quels précieux tréfors pour un fiècle rafiné, galant comme le nötre! Quel Pendant qu'il s'extafioit en mo- nölogue , Claire rentra. Faujlin, qui n'ofoit penfer a tout 1'ufage qu'elle en pouvoit faire , ne  ) 211 ( put s'empècher de lui demander, d'un ton un peu aigre-doux , fi Paftringent parfait tenoit parole. La belle , fans fe déconcerter , lui dit en riant aux éclats, qu'elle avoit acheté toute la pacotille par pure * ) curiofité. II étoit bien aifé de j'uger du caraclère de la belle par celui du vinaigre; & pour peu que Faujlin eut pu réfléchir, il n'y avoit pas a balancer pour lui. Mais " Sageffe , amour, au ciel fe fréquentent peut-être; Mais ici-bas, Ces déïtés ne fe connoiffent pas. ,} 1 Une pluie de baifers délicieux lui eut bientót fait perdre la mémoire du vinaigre fufpect , & rejettant lui-mème de fon efprit des idéés cruellès, il but jufqu'a la lie dans la coupe de la volupté. II y avoit quelques femaines qu'il s'enivroit de délices qui, oütre leur charme naturel , avoient encore pour lui celui de la nouveauté; il oublioit la philofophie & le fiècle des lumières , lorsqu'un jour Pami Brükner lui apporta *) Si par une femblable curiofité , très-pardonnable fans doute, quelque belle vouloit aufli connoitre la chofe deplus prés, on 1'avertit que le maguzin de Baldinger 1'inftruira exa&ement du nom du marchand , du prix des dofes , de la fac.on de s'en fervir , &c. O x  ) 212 ( une lettre imprimée , qui le tira de fon alfoupiifement. La loge des francs-macons d'Aix-taChapelle avoit répandu une circulaire pour riclamer raffiftance des autres loges affociées. Le capucin Schouft [ coquin , gredin ] , de moitié avec un dominicain , du haut de la chaire oü 1'on entend encore tous les jours des arlequins & des faifeurs d'épigrammes , s'étoit avifé de tomber fur le corps de 1'ordre & de fes membres, avoit tonné contre eux , les avoit traité de forciers & de fcélérats , avoit affuré a fon auditoire qu'eux & tout ce qui les concernoit étoient dévolus a Satan , excité , conjuré mème, les fidèles d'exterminer cette maudite engeance, & réuflï en partie alfez pour que la populace infultat effeètivement quelques frères. Le magiftrat mème avoit pris Palarme a cette criaillerie monacale , & fur le champ avoit publié un mandat , oü s'appuyant des excommunications déja lancées contre eet ordre, il faifoit expreiTes défenfes , fous peine d'une amende de 300 florins d'or , & de' banniifement, de recevoir un franc-maqon dans .aucune maifon, & bien plus d'y lailfer tenir loge. Le R. P. Schouft prodigua les torrens de fon éloquence capucinale pour diftribuer des éloges a ces fénateurs abdéritains , & rendit fon nom fi fameux que depuis  ) 214 ( eccléiiaftiques ; Wejlhoff ne lui prouvoit que trop fon erreur ! U vit, il lut en frémhTant la proclamation du fynode de Volberg, par lequel il étoit enjoint , fous peine de damnation, a tous les pafteurs dft duché de Berg & de Jutiers , que fans égard pour aucun humain, ils euifent a employer leur puiifance coa&ive contre tous ceux qui ne feroient point exacts a fréquenter régulièrement l'églife & la communion. Enfuite il y étoit établi une échelle de punitions graduées d'aprés le véritable efprit de 1'évangile, favoir : pour la première abfence, amende pécuniaire ; pour Ia feconde, dépofition de tout emploi eccléfiaftique ,• pour la troifième dénonciation par nom & furnom du haut de la chaire ; pour la quatrième , exclufion ou excom» munication de la communauté chrétienne avec les titres de payen & de publicain : enfin il 1'on mouroit dans ces circonftances , on n'étoit point enterré en terre fainte. Le decret fe terminoit en leur enjoignant de dénoncer au prince-électeur , ceux qui ne tiendroient pas compte de ces menaces & chatimens, comme des fujets dangereux & pernicieux a 1'État, dignes de punition corporelle , & de banniifement. Or 1'infpecfeur Wejlhoff , a qui fon grofche de confeffion manquoit fouvent, & indigné fuu  ) »>T ( tout de ce que perfonne ne prenoit goüt a fes fermons, adrelfa a PElecbeur une requète oü, en conféquence du décret du fynode , il faifoit des plaintes amères fur ce que tout le monde n'étoit pas exaci au fervice & a la communion chaque femaine; avertilfoit le prince que 1'affiftance da bras féculier etoit néceifaire pour forcer des pécheurs endurcis de venir a 1'églife , & le fupplioit de lui envoyer des officiers , des fergens & des dragons , pour conduire fes ouailles évangéliques a coups de canne & de bourrade au bercail de Jéfus-Chrift. Sa demande lui fut accordée , & il fut laché un refcript par lequel il étoit enjoint aux commandans des troupes qui étoient dans le pays, de marcher a la première réquifition de chaque vénérable pafteur, fans s'informer s'il avoit torc ou raifon, afin de feconder de tout leur pouvoir la fainte prelfe évangélique. Faujlin étourdi ou réveille, fe rappelloit tantöt les deux gradués de la Panfardière, tantót les prélats & les exjéfuites de Munich , tantót les pères de l'églife déraifonnant a Trente, tantót les capucins de Padoue, puis 1'abbé de Loretto, puis la congrégation de l''Index, puis le cardinal Branciforte, le R. P. Ofma, le digne père Simpert, le grand Chrijlophe au front d'airain , puis Spire, Ov4  ) 2l€ ( puis Mayence, puis Coblentz, enfin le R. P. Gredin & 1'infpecteur Wejihojf : & tout fon embarras étoit de décider oü étoit dans cette dégoutante litanie le Gredin le plus méprifable. Après y avoir penfé & repenfé , il ne put refufer la première place parmi ces pharifiens de la nouvelle loi, au cofaque évangélique Wejlhoff. Puis dans 1'amertume de fon cceur il adreiTa la plus ardente prière au Génie de la tolérance , pour que de fon calice d'amour fraternel il lailfe tomber quelques goutes fondantes fur les cceurs de caillou du haut & bas clergé des trois fecles du Falatinat, afin qu'il ne défhonore plus le fiècle & la patrie par ces fcènes odieufes. s'ètre ainfi allégé le cceur, Faujlin retourna fe jetter entre les bras fa belle , qui lui fit la propofition de la conduire a Mühlheim pour la fète-Dieu prochaine. II dui demanda quel amufement 1'on trouvoit la pour un fi faint jour. Ah mon cher ! lui dit Claire, on y prèche CHAPITRE TRENTE - UN1ÈME. Sottifes des deux cote's.  ) 217 ( la controverfe, & rien au monde ne m'amufe davantage. Faujlin a cette réponfe ouvnt de grands yeux , & pouvoit a peine en croire a fes oreilles ; mais enfin il ne faut pas difputer des goüts; ainfi il fe eontenta de lui jurer par fon amour qu'il avoit la plus grande averfion pour les combats de taureaux controverfiftes : fur quoi il lui raconta les pauvretés de ce genre qu'il avoit eu la fatisfaclion d'entendre a Augfpourg , & les malheurs qui s'en étoient enfuivis. Mais Claire avoit trop a cceur le fermon de controverfe, & chercha a le ralfurer en lui apprenant que c'étoit le pere Simplicien Hahn , Ion compatriote , trés-favant Auguftin, qu'ils auroient le bonheur d'entendre &qui fe tireroit de la fi délicatement, que fans doute il en feroit lui-mème enchanté. D'ailleurs, elle lui annonqa une partie de campagne qui devoit fuccéder a cette partie de controverfe, puis un fouper en bonne compagnie. Fauftin , quelque dégout qu'il fe fentit d'avance pour le père Simplicien Hahn & fon excellente polémique , ne put cependant refufer abfolument a fa bien - aimée de 1'accompagner fur le champ de bataille théologique ; mais il eut foin de fe munir de quelques pelotes de coton , afin que fi la : tournure de 1'éloquence du favant Auguftin venoit  ) 318 ( a fentir trop le Mertz * ), & que la foule s'oppofat a ce qu'il put gagner la porte , il eut au moins la reflburce de fe boucher les oreilles. Claire mit de la partie un foi-difant coufin , & 1'on partit pour Mühlheim. L'églife étoit déja pleine , il fallut travailler dans la foule «Sc de droite «Sc de gauche pour faire placer la jolie controverfifte le plus prés de la chaire qu'il étoit poffible. Le R. P. Hahn parut; Fauftin crut voir le père Ofma en corps «Sc en ame. Le champion orthodoxe éleva fa voix , «Sc prouva de toute la force de fes poumons , auffibien que des yeux & du poing, que nul proteftant ne pouvoit être fauvé. II paria des deux réformateurs Luther & Calvin , les apella doétement tifons d'enfer, apötres de fatan , féducteurs des limples , aifura qu'ils avoient trempé leur plu me dans le puits infernal , pour y conduire «Sc précipiter des millions d'ames pour toute une éternité, «Sec. «Sec. Fauftin étoit fur fa chaife comme fur un brafier ardent; il fe tournoit a droite «Sc a gauche ; dix fois il fut fur le point de donner tout haut un démenti au favant homme , «Sc dans fon angoiife il oublia jufqu'a fon coton. Des torrens de fueur *) Certain prédicateur controverfifte h Angsbouyg, dont 1'élo ne lui dites - yous pas encore qu'il auroit befoin d'un régiment Óui, oui ! in'terrompit Fauftin, pour formër autour de lui le bataillon quarré dè peur que la foule des fidèles né l'étouffe. .... juftemën't! dit le eapitaine. — Eh ! mon ami Traubach pëüt vous certifiër tout cela ; ajouta Fauftin, il y étóit aufli. ÏJe Lunten fehvoya Fadjüdant, ëh lui difant quSl s'itbit trorhpé. Puis revènant a Fauftin, ' il lui 'apprit que le eapitaine tfAnfpach étoit luimème qui depuis loirs étoit entré au fervice de Heffe. Fauftin lui rendifc dfe vivës actions de gracès de lui avoir fauvé deiix fois la vie ~s puis tömbant a les piés, il le éonjüra de vouloir bien lui apprëndre au moins par quèlle raifon il lui avoit fallu endüifer un uniforme & fairë Texercice , pour 'retroüver fon bienfaiteur. Par la raifon la plus limpie , répondit le brave eapitaine 3  ) 229 ( celle des efclaves africains ? Et puis nous rions des héros vagabonds des croifades , nous nous moquons des princes d'alors qui envoyoient par milliers leurs fujets périr dans les déferts de Syrië, pour engraiifer du fang europeen le maigre fol de la Paleftine , & pour tout fuccès, conquérir le pays pour un autre ! Mais au moins les foux de ce tems-la 1'étoient volontairement ; on ne les trompoit point par des rufes abominables ; de plus ils avoient quelque dédommagement dans Pet poir du Paradis qu'ils étoient bien furs de gagner fur la parole de leurs prètres; tandis que nous autres malheureux, pour quelques livres fterling , on nous envoye rouler dans les neiges des Huroris, fans que nous ayons feulement la cönfolation de nous battre pour gagner le ciel ! Le bon eapitaine laiifoit Fauftin évaporer fa bile fans Pinterrompre , en confidération de la cruelle perfidie qu'on lui avoit faite. II eut encore la complaifance de 1'encourager, lui promit de 1'avancer le plutót poifible. Fauftin lui paria un peu de fes voyages , & au fujet de fon aventure de Naples, lui montra fa machoire dégamie. De Lunten étoit.aufli franc-maqon, & voyant d'ailleurs que fon nouveau foldat fe trouvoit hors d'état de déchirer la cartouche faute de dents, ce qui le rendoit incapable de fervice , il le fit fur le P 3  ) 2? N F I N le régiment fe mit en marche. De punten traitoit Faujlin moins comme fon foldatque comme fon ami , & lui faifoit raconter le long de la route toutes fes aventures, depuis celle ftEllveqng jufqu'a celle de Cologne. En arrivant k Cajfel, Faujlin vit une foule d'ouvriers «ecupés a démolir la faqade d'une églife toute ueuve , qui venoit d'ètre achevée. II demanda i fon eapitaine fi 1'on faifoit la des édifices eomme a la comédie, oii le mème jour les voit naitre «Sc difparoitre. De Lunten lui raconta que Jes luthériens ayant obtenu a force de fupplications la permifiion de fe batir une églife d'après  ) n\ c leur fyftème , & Payant coriftruite en effet, les réformés n'avoieut pu fouffrir que cette églife eut 1'air d'une églife : qu'en cpnféquence ils avoient tant lamenté , crié, prié , préché, cité, injurié , qu'a la fin ils avoient phtenu un décret qui ordonnoit aux luthériens de mettre bas la facade de leur églife , & de la d.éfigurer de faqon que la phyfionomie en füp totalement me? connoilfable a 1'extérieur. Je reconnois-la le fiècle de la, tolérance , Je fiècle philofophique, dit Faujlin; dans le ternps que vous me fauvates des diables, ÏÏElhvang , pareille chofe m'auroit bien étonné ; mais depuis, ce temps j'ai beaucoup appris; entr'autres j'ai connu le candidat H — n, j'ai lu la proclamation du fvnode de Juliers; je commence a connoitte le monde. Mais a propos ! eft-il vrai, comme le dit un certain magazinier a trifte mine , que dans la Heffe les officiers militaires ont féance dans • le confiftoire ? Au tant que je puis favoir, répondit de Lunten, on n'a pas encore établi ce falutaire uföge, quelque défirable qu'il fut. Dans le fond nous ne ferions qu'ufer de juftes repréfailles; ecclefia pr#ce/Jït. N'a-t-on pas vu des évèques dans les confeils de guerre , de? moines a la tète des Etats? ' &ic. II n'v auroit rien a dire quand on yerroit au- P 4  ) W ( jourd'hui des généraux préfider dans les conflftoires, des raaréchaux - de - campdevenir auditeurs *de fynodes , &c. Ce ne feroit que le droit du talion ; car ce-n'eft pas la peine de diftinguer que des prètres romains fiègeoient jadis dans des aifemblées profanes , & qu'aujourd'hui des officiers proteftans donneroient le ton dans des affemblées proteftantes. Le clergé fera toujours clergé; il voudra toujours ètre indépendant de 1'État, & rendre néanmoins TÉtat dépendant de lui , c'eft 1'efprit du corps. C'étoit alórs Page d'or des moines , aujourd'hui c'eft Page d'or des foldats ; & fi 1'on examine les chofes de prés , je compte bien que 1'humanité fera plus refpeclée par les foldats, qu'elle ne Pa éte par les moines ou prètres , de quelque couleur, coftume, feéhr ou acabit que Pon veuille les confidérer. CHAPITRE TRENTE- QJJATRIÈME. Autre pays, autres mceurs. O R D R E enfin arriva de marcher fur le Wéfer, de le defcendre, & de fe rendre en Angleterre , pour paffer en Amérique. Avant le départ, on confia a Fauftin la caiffe du régiment.  Ce ne fut pas précifément cette place qui lui rendit plus fupportableiidce de quitter fbnhémifphère natal; mais il fe faifoit une vraie joie de faire connoiifance avec la plus philofophe des nations européeqnes , & enfuite avec les b$ns Qtiakres de Fhiladelphie les plus humains des mortels. La marche ne fe fit pas fans qu'il y eut des coups de baton appliqués , des tètes arquebufèes , des épaules déchirées a coups de baguettes, & autres femblables minuties du droit héroïque de la guerre i le tout parceque pendant la traite il y. avoit eu bien des tourterelles féparées de leurs tourtereaux, & que ceux-ci fe trouvoient inviuciblement forcés a faire demi-tour a droite, pkr une vertu magique ou force magnétique fupérieure, qui les ramenoit auprès de leurs moitiés, & les éloignoit des moiifons de lauriers crus dans ( les neiges du Cc.nada. Ce fut au milieu de ces petites guerres civiles que 1'on arriva a Bremerlehe , 011 1'on embarqua les foldats comme des harangs faurs fur deux batimens de transport angloisj mais 1'état-major, la caifle & le caiflier, auffi bien que de Lunten, furent mis a bord de la ftégate d'efcorte. Et Voiles au vent!  ) 2?4 ( lis n'étoient pas a cinquante tnilles du rivage , que 1'on fignala un vaiffeau en mer de deffus la frégace. Le eapitaine , jeune anglois plein de feu, qui ne demandoit qu'a rencontrer des francois , crut d'abord que c'étoit un batiment ennemi , de cette nation; & lui donna chaffé. On le reconnut bientót pour un hollandois neutre; ainfi il ne s'agiflbit plus que d'une vifite exacte, car le eapitaine ne demandoit pas mieux que de trouver de la contrebande, pour haper le batave. Pas un fétu de contrebande; ce n'étoit que fromage , fiokfifch ( morue ) , & autres denrées hollandoifes. L'anglois fe mordoit les lévres de dépit, & pour punir le pauvre neutre d'avoir fruftré fes efpérances , il donna ordre a fes gens de lier les hauts puiffans feigneurs , depuis le eapitaine jufqu'au dernier mouffe , a,plat ventre fur les canons, de mettre a nud leurs énormes poftérieurs, & de diftrib^er a chacun vingt-cinq coups de cable bien appliqués. Les Myn-herren reprélentèrent humblement aux impérieux bretons combien ce procédé indecent étoit injurieux pour des poflérieurs refpectables , comme aufli pour les hauts & puiffans feigneurs des Étatsgénéraux ; enfin combien il étoit contraire a la politeffe d'un fiècle comme le nótre , a 1'humanité d'une nation philofophe comme meffieurs les bretons, &c. &c. &c.  ) m ( Toutes ces remontrances & reprélentations, avec tout ce qu'ils purent ajouter, eurent le fort ordinaire des remontrances & reprélentations. Les phlegmatiques hollandois furent par voie de faït Hés fur les canons , le eapitaine a la tète, leurs modèftes poftérieurs expofés a 1'air & au foleil, & régalés chacun de vingt-cinq horions a 1'angloife. Cette belle expédition faite, le breton continua fon chemin , & les hollandois étrillés fe remirent en pié comme ils purein. 'Voila qui n'eft pas .trop philofophique pour un anglois , dit Faujlin a fon eapitaine , après la farce achevée ; on pourroit le palier tout au plus a des marocains, ou a des algériens, ou a quelques - unes des nations que nous nommons barbares. Je ne fais trop. qui vaut le mieux , d'avoir le devant écorché par un diable a la Gajfner , ou le derrière meurtri par un cable anglois fans favoir pourquoi. II y a toute apparence que notre God-damn de eapitaine ne s'eft pas trop rompu la tète fur le traité du droit des gens de fon compatriote Houtchefon. Quand ils arrivèrent a Portsmouth , le procés de Keppel étoit a fa fin. On fit préfent a 1'amiral d'une boite d'or; la ville fut illuminée ; ceü.\ qui n'éclairèrent pas leurs fenètres, les eurent bien & duement lapidées, & pour contribuer k cette belle oeuvre patriotique , plus d'un noble  ) 2?6 ( mylord envelopé dans Ja redingote de fon palfrenier fe mèla parmi la canaille , défiant les plus brutaux des matelots au noble exercice de jetter des pierres & de cafler des vitres. Comme la troupe fut obligée de féjourner en attendant J'arrivée d'un corps tfAnfpach , de Lunten proflta de 1'intervalle pour faire avec Faujlin une petite courfe a cheval dans le pays. Ils pouiïèrent jufqu'a Wiltshire, 8c y apperqurent un monument fuperbe d'albatre d'Angleterre au milieu d'un beau pare. II faut, dit Faujtin , que ce foit-la k fepulture de quelque grand philofophe ; c'eft apparemment celle de Loke , ou de Schaftesbnry, ou de Bolingbrooke, ou enfin de quelque génie de cette volée. Alfurément, dit le eapitaine , ce doit ètre quelque chofe de fem'blable. PJeins de cette idéé, ils s'approchèrent tous deux avec refped du maufolée } Faujlin mit pied a terre pour lire 1'épitaphe. II lifoit, puis relifoit, tournoit le monument, cherchoit, revenoit, puis relifoit, exanjinoit .... Mais cela n'eft pas poifible ! difoit-il. — Et quoi donc ? dit le eapitaine.—Un cheval ! . . . . continuoit Faujlin. De Lunten voulut voir ^ fon tour, & defcendit. C'étoit en effet 1'épitaphe d'un cheval, le maufolée d'un cheval, d'un gris-pommelé fuperbe , qui ayant eu 1'honneur de porter mylord  ) »»7 ( Abyngdon pendant la vie , repofoit la noblement après fa mort dans le pare de fon maitre reconnoiffant. A cette chute, fe regardant l'un 1'autre, les deux allemands fe prirent a rire d'un rire inextinguible. Eh mais! quoi donc enfin ? dit Faujlin ; qu'avons nous tant a rire 'i N'a-t-on pas vu un cheval créé conful de Rome par un empereur ? Ah vraiment , répondit de Lunten , cette autre folie étoit plus digne de pleurs que de ris. Joye & repos , s'écria Faujlin , au bienheureux quadrupède , dans les verdoyantes prairies de ÏElyfée .' Qu'il paiffe avec le bceuf Apis, 1'aneife de Balaam, &l'ane immortelauquel Vérone éleva un monument facré ! Joignons y donc, continua de Lunten , les trois cents renards de Satnfon , ïes ours du prophéte Elie, le Boucéphale d'Alexandre , & le petit chien de Tobie remuant la queue, & le Rojjinante de Don Qtiichote, Sc le cerf de St. Hubert, & le cochon de St. Antóine, Sc le chien de St. Roch Ainfi parcourant l'hiftoire facrée & profane pour former au coureur anglois une fociété digne de lui , ils arrivèrent a un bourg oü fe trouvoit préparé un bücher aufli haut pour le moins que celui oii 1'on fit rotir a Conjlance fur le Bodenfée le faint perfonnage Hans Houfs ( Jean Hus.) Le premier mouvement de Faujlin fut de faire un grand figne de croix, comme tout bon catho-  ) ( lique fe figne quand il aperqoit quelque part Jes traits corporels de 1'efprit inférnal. II fe crut transporté tout a coup en Efpagne paf un malin enchanteur , & déja il tournoit bride pour piquer des deux Sc s'éloigner de cette apparition comme de Pavant-coureur d'un auto-da-fe^ , lorsque de Lunten le prenant par le bras 1'alfura qu'ils étoient éncöré dans 1'enceinté de 1'isle philofophique » dans la patrie du peuple philofophe. Tout cela ne faifoit que confondre les idéés de Fauftin; il ne pouvoit s'expliquer a quelle fin , a quel ufage , dans quelle vue ce bois entaifé en cérémonie , entouré d'une foule de gens qui paroilfoien't de bonne humeur , & attendoient gaiment la fin de Paventure , fautant , eau fan t córhme autour d'un feu de joie ! II demanda donc aux plusvoifins, fi quelque perfonnage célébre devoit fubir la Pépreuve du feu. C'eft YAntéchrift , leur répondit-on ; nous allons le grillet commè uh boudin ; & puis Port fautoit de plus belle. Faufiin plus impatient encore qu'auparavant, ne comprenoit pas ce qu'il y avoit de réjouiifant a préparer la grillade de YAntéchrift. II demanda a une autre perfonne quel étoit le malheureux qui alloit ètre martyrifé par un fupplice horrible qui n'apartenoit qu'aux fiècles d'ignorance & de barbarie. C'eft VAntéclmft s lui  ) *4° ( ce que Pantéchrift fut complètement réduit en cendres. 'Faufiin n'étoit pas encore revenu a lui, & ne fuivoit de Lunten que machinalement fur lé chemin qui reconduifoit a Portsmouth. Ce fpe&acle lui paroiifoit , de tous ceux de ce genre qu'il avoit vus , le plus honteux pour notre fiècle éclairé. Plus il y penfoit, plus il en étoit révolté , & il finit par en voujoir, non aux anglois ni a-leur ufage ridicule, mais a fon ancien maitre , le père Boniface, de ne lui avoir pas dit un mot - de toutes ces fottifès. II étoit piqué a un tel point qu'il menaqa, a la première de ce genre qu'il obferveroit encore, foit dans une nation , foit dans une fociété d'hommes quelconque, de renoncer pour jamais au dogme & a la croyance du fiècle philofophique. CHAPITRE TRENTE+- CINQUIÈME. Juftement un auto dafé. I^A traverfée en Amérique fut la chofe du monde la plus infignifiante; il n'y eut pas la moindre ■ tourmente , ni la plus petite aventure. Les recrues furent prefque tous pris du mal de mer , & Faufiin y paifa comme les autres; eet accident occa-  ) M ' c \ occafionna quelque dérangement fur le bord mais la diète & un peu de foin rétablirent tout le monde. A peine étoient-ils débarqués a Netvyork, qu'il arriva ordre de faire partir fins délai pour la Jamaïque , & de-la pour Penfacota, le régiment ou fe trouvoit Faujlin. On fe , remit donc en'" mer, & le pauvre garqon fut pour cette fois lérieufement malade ; il ne comptoit plus pouvoir feulement arriver a 1'isle; confolé par les converfations amicales de De Lunten, il étoit déja tout rélïgné a ètre jetté dans la mer avec" une pierre,attachée aux pieds, & enfeveli dans 1'eftornac de quelque monftre marin comme dans un tombeau vivant. L'on cingloit donc joyeufement vers la Floride , lorfque tout-a-coup on apperqut une efcadre efpagnole qui arrivoit vent-arrière , fous les ordres de Don Solano. A cette vue les frégates de convoi prirent la fufte , & les batimens de tranfport les fuivirent de leur mieux. Ma'.heureufement celui ou fe trouvoit Faujlin a cette fois , étoit très-mauvais voilier, & tomba entre les mains des efpagnols , qui le conduifirent a Couba. A peine 1'efcadre eut-elle mouillé, que deux révérends pères dominicaius qui étoient fur \ë  ) H2 ( vahfeau amiral, & membres de la fainte inquifition , fe préfeatèrent chez le commandant & lui annóncèrent qu'il étoit prifonnier du faint office. Don Solano indigné menaqa les moines infolens de les faire mettre eux-niêmes aux fers ; mais les orgueilleux enfroqués prononcèrent d'un air humble & benin les mots terribles d'hérétique & d'excommunié, & plaigmrent humainement 1'amiral de fe trouver deformais incapable de commander la moindre barque de fa majefté catholique , tant qu'il ne fe feroit pas foumis a leur puiifance. Acetarrèt funefte, Solano voyant trembler fes foldats devant les formidables dominicakis, n'eut rien de mieux a faire que de s'abandonner bon gré malgré a leur difcrétïon. Auffi-tót ils indiquèrent pour le lendemain un auto-da-fé, dans lequel Don Solano, fur fon propre vaiifeau amiral & en préfence de toute fon efcadre, a genoux devant les pères, & tenant un cierge de cire noire a la main, fit humblement amende honorable pour avoir , dans le parfage de Cadix a Conba , cherché a prendre quelque idéé du commerce des européens dans les deux ludes, en Jifant le livre infernal de 1'impie abbé Raynal, au lieu de réciter fon chapelet devotement foir & matin. Après quoi il fut folemnellement abfous, & finit par faire publiquement fa pro-  ) Hl C feflion de foi, en jurant du refte dé ne jamais ouvrir de fes jours un livre que la fainte inquifition n'auroit pas reconnu pour orthodoxe. Tout malade qu'étoit Faufiin, il fe fit cependant porter fur le pont pour voir cette fingulière fcène de notre fiècle philofophique , & après avoir vu en miniatute une cöpie de fa propre aventure & de celle de fon cher maitre Olavidès , il fe remit en foupirant dans fon lit. Peu de temps après il y eut une échange de prifonniers, avec la condition ordinaire que les échangés ne ferviroient plus pendant toute la durée de la guerre. II fallut donc les reconduire a la Jamaïque , d'oü on les fit repaifer en Angleterre par le premier vahfeau , a 1'exceptioii des malades qui menaqoient de périr dans la traverfée, & de ce nombre fut Faufiin. CHAPITRE TRENTE - SIX1ÈME. Sauvages d'Europë. Ij'air de terre, Peau fraiche, & les fruits exHellens de 1'isle, fur-tout les délicieux ananas, rendirent bientót la fanté & les forces a la plupart des malades. Alörs Faufiin penfa a ce qu'il deviendroit. Ses mceurs honnètes & aimables  ) HS ( pas mème lorfqu'après avoir été vendu lui-mème il marchoit n'aguère la tète balie entre deux caporaux fchlagueurs, pour joindre fon régiment. Après un voyage ailez pénible , mais de peu de durée , le batiment arriva fur les cötes de Guinee. En approchant, Fauftin fe fentoit • le cceur ferré, comme s'il eüt été a la preife fous une malfe de plomb: Du pont du vaiffeau , il jettoit de triftes 'regards qa & la fur cette cóte de lang que 1'on nomme encore la cöte-d'or , & ne trouvoit point d'autre raifon pour autoriler ce titre , que les tonnes d'or qu'elle coüte annuellement aux européens. II vit bientót^ arriver une petite troupe de noirs ? hommes & femmes, les mains liées derrière le dos, & un baillon dans la bouche pour étouffer leurs cris douloureux. A *coté d'eux étoient portés quelques facs remplis de petits enfans , entaffés les uns fur les autres comme des lapins que 1'on porte au marché, & a. qui la faim, la foif, les heurtemens, le défaut' de fefpiration , arrachoient des gémilfemens fourds. Ce fpectacle fit faigner le cceur de Fauftin; il fe fit promptement mettre a terre, afin d'ètre a portée de foulager ^s'il étoit poffible ces malheureufes créatures. Le eapitaine anglois, nommé Stonsheart [ Dur - caillou ] acheta toute la paco0-3  ) *h ( ragouts, fans que la dévote fouveraine, ou fort corifèil myftique de confcienöe , penfe a mettre ordre a cetce cuifine , ou trouve la fauce mauvaife. Les fages maïtres de la Sorbonne a Paris onC tant de galimathias théologique a débiter, tant de propofitions mal-fonantes a paifer par, 1'alembic, tant ,de brochures philofophiques a faire brüler , que ce feroit un miracle li elle avoit le temps de parler de ces bagatelles du nouveau monde. C'eft la mème chofe du fynode orthodoxe de ' Dordrecht', il a d'office, comme tous les fynodes & fynodilles orthodoxes deqa & dela la ligne, des chofes bien plus fublimes, plus relevées , plus importantes a fynodizer ,-rabacher, refaiTer , des prédicants a dépofer, des abrégés dogmatiques a cenfurer, &c. avant qu'il puiife trouver le moment de repréfenter a fes confrères républicains combien il eft indigne d'eux de vendre leurs -femblables comme des bètes de fomme , & de les traiter beaucoup plus mal. ' ii faut rendre juftice fans doute au zèle treschrétien des- mifllonnaires danois ; mais avant de courir-fus aux partifans de Lingam, on ne les auroit point blamé de dire quelques mots a leurs honnêtes marchands d'efclaves de ce précepte 11  ) 0 ( oublié , fi répété, fi bien fu , fi mal exécuté j qui renferme en deux mots toute la loi & les .prophètes : Diliges, &c. Et quant a nos philofophes anglois d'ici, qui parient tant de liberté , qui font fi fiers de ce quils appellent la leur, qui , apparemment pour en avoir une plus forte portion, en privent tant de milliers d'efclaves gémiifans fous leur verge de fer, je ne m'étonne point que VA~ tiiér'iqite du nord ait voulu fecouer leur joug : ce n'eft encore qu'une bien petite partie de ce qu'ils ont a expier! Quelle contradiction inconcevable ! Paroit - il fur Pautre hémifphère, .dans l'un des parcs dans lefquels on Pa divifé, un feul feuillet de papier qui dife autre chofe que^ce qu'il eft ordonné de dire ou de penfer dans le pare oü fe trouve renfermé 1'auteur, quel tumulte, quel bruit aux quatre coins ! Pariemens , fynodes , confiftoires, facultés , hauts & bas tribunaux, tout s'émeut, tout s'aifemble, tout crie haro fur le téméraire , "tout a la fois répéte ï a Pennemi des rois ! -a Phétérodoxe ! a 1'hérétique ! a Pin> crédule ! au féducf eur ! &c. &c. On prouve qu'il trouble 1'Etat, tandis qu'a peine une douzaine d'exemplaires de fa brochure font fortis de la boutique de fon libraire, pour ètre oubliés au  ) *W ( bout de quelques femaines; on jette les hauts cris fur le foi-difant philofophe , qui'bouleverfe 1'ordre civil, brife tous les liens fociaux, &c. &c. Mais quand il s'agit des liens fociaux brifés ea effet & dans la pratique , des'droits de'l'mjmanité foulés aux pieds avec. mille horreurs plus qu'infernales , la chaire eft muette , les tribunaux n'ont rieri a dire; pariemens, fynodes, confiftoires, facultés, confeils , polices , tout cela eft tranquüie & ne remueroit pas le bout du doigt. II s'eft bien trouvé par-ci par-la quelques particuliers alfez courageux, alfez vivement indignés , pour ofer en toucher quelque chofe ; mais les hommes qui ont réellement la puiffance en main , tant noirs que bigarrés, tonfurés ou a toupets, tous reftent.fort tranquilles entre les bras de leurs fauteuils , favourant a loifir leur café adouci avec une poudre blanche , & fe bourrant le nez d'une poudre brune-, fans penfer feulement aux malheureux dont les fueurs & le fang ont arrofé les productions qui chatouillent leurs organes fi délicieufement. Aifurément on ne peut nier que nous n'ayons le fiècle philofophique; mais il paroit alfez clair aufli que les vrais & feuls athées font les marchands d'efclave-s & ceux qui 'les imitent  ) 2f6 C CHAPITRE TRENTE - HU1TIÈME. Père Boniface a Vencan. Fa uftin en étoit la.de fon monologue , lorfqiril èntra dans un petit bois qui confinoit au pare de Monyful. En approchant , il voit fon marchand endormi au bord d'un ruiifeau , dont le doux murmure avoit provoqué fon fommeil. II ne voulut point/ le troubler, & prenoit le chemin de la maifon , lorfqu'il appercut tout-a-coup line de ces grolfes couleuvres qui font li multipliées a la Jamaïque, rampant le long du ruiffeau & s'approchant du. dormeur. II pouife un cri, éveille fon ami, & tous deux lachent fur la béte une charge de plomb coupé , li heureufement qu'elle s'enfuit avec des fiflemens horribles t & faifant mille replis t dans le fort du bois. Monyful fauta au cou de fon libérateur, lui rendit graces avec les expreïïions les plus vives, & le preifant de lui demander ce qu'il voudroit pour un li grand bienfait, il lui offrit fon amitié , fa maifon , fa table, fa bourfe. tout ce qui étoit a fon pouvoir. Fauftin fe borna a le prier de lui proeürer les moyens de repalfer au plutöt ■ . en  ) 264 ( des lumières j il y a cependant, mori cher fauftin , il y a encore, & fur-tout en Allemagne, un grand nombre, que dis-je ? une génération entière d'hommes éclairés & courageux , dont les efforts non interrd>mpus opèreront enfin le grand oeuvre de 1'expulfion de 1'intolérance & de la fuperftition, & la délivrance du genre* humain. Rappelez-vous feulement 1'alfurance fiatteufe que donna , felon le récit du grand philofophe, la raifon en voyage aux groifes tètes a perruque de Bavière & ÜAutrichei „ meflieurs , >, leur dit-elle, je fuis la fille du temps, & j'atM tens tout de mon père ; il vous apprendra » un jour a me connoitre & a me chérir". A cette déclaration pleine de chaleur, Faujliu acheva de reconnoitre fon ancien maitre & 1'embralfa de nouveau. Eh bien oui, lui dit-il, nous efpérerons ! C'eft aufli tout ce qu'il y a de mieux i faire; nous efpérerons que le jour n'eft pas loin oii les divines voyageufes retourneront les vieilles perruques. En actendant, décidez ce qu'il nous faut faire: ma bourfe eft a vous comme a moi, aufli bien que ma penfion viagère de Londres} nous partagerons comme frères, & vivrohs en comrnun. II faut d'abord retourner en Allemagne, dit Boniface, il n'y a pas a balancer; mais non pas,  ) m c a mon avis, dans une province catholique. Ah non vraiment! interrompit Faufiin, car fi les benoits difeurs de chapelet vous découvroienC une fois, il y auroit du criminel ; ces bonnes gens mettroient en mouvement le ciel & les enfers , pour maintenir 1'honneur du monachifme. Auffi irons-nous droit a Berlin. Sous la protecVion du grand Frédéric, nous pourrons penfer & croire ce que nous voudrons, vivre en paix . & oublier a jamais tous les exjéfuites , les prélats, les littérateurs de VAHèmagm catholique, & autres Schoufts de ce genre , dont,nous rirons a notre tour. CHAPITRE TRENTE - NEUVIÈME . Triomphe du Fanatijme. .A.RRIVÉS a Portfinouth, Faufiin vouloit profiter du départ d'un' vaitfeau qui alloit a Ham. bourg, & gagner au plus vite Berlin. Mais Boniface témoigna une fi grande envie de voir eneore quelques momens la patrie & la demeure de tant de célèbres philofophes anglois , qu'il détermina Faufiin a faire avec lui une feconde fois le voyage de Loudres. Mais vous favez, lui  ) z66 ( difbït Faujlin, que ces gens-la brulent tous les ans en cérémonie notre faint père le pape, a la honte de notre fiècle.'Mais vous favez aulfi , répliquoit Boniface, que c'eft la le tombeau des pères de la philofophie moderne , des Baconn , des. Hiohtonn, des Stèele , des Adiffonn , des Loke , des Souift, des Bolingbroke, & de notre imcomparable Pope. Un pélerinage comme celui-ci eft fans contredit plus méritoire & plus utile a la bonne caufe , que ceux de Rome au temps d'un jubilé, de St. Jacques, de Mar'wzell, ou &Altewztting. D'ailleurs Loudres a toujours été le refuge le plus alfuré des philofophes perfécutés dans le refte de VEurope, & notre grand philofophe lui-mème y chercha un afyle contre les cris de la Sorbonne & du parlement franqois. Enfin la nation du monde la plus philofophe , c'eft inconteftablement la Bretonne, mon ami; elle commence a donner de grands exemples de tolérance. Du temps que j'étois a Londres , lord Savitle. avoit déja obtenu un biil du parlement , pour rendre aux catholiques des privilèges & des facultés dont ils avoient été privés ignominieufement depuis des fiècles. A de fi puiifantes raifons, il n'y avoit rien a oppofer. Dans trois jours les deux allemands fe trouvèrent dans une auberge de la rue ducale è Londres.  ) a8f ( Le féjour de cette ville devenoit chaque jour plus fatisfaifant pour Faufiin. II voyoit par-tout les heureux effets de la philofophie d'un grand monarque, & 1'influence bienfaifante d'une tolérance illimitée. II fit la connoiflance de plufieurs perfonnages diftingués , entr'autre du favant Damm, accufé d'héréfie pour fa traducfion du nouveau tellament, & dépofé de fon emploi , mais jouilfant toujours des émolumens par ordre du Roi; & du favant Teller , que fon propre frère a traité fi fraternellement; & de beaucoup d'autres encore. Pour le coup il ne douta plus que Boniface a Partiele de la mort n'eüt en effet recu 1'efprit prophétique ; fon feul regret étoit de ne Pavoir plus a fes cotés. , Du fein de ce repos philofophique, il s'éleva tout-a-coup une tempète , qui dérangea toutes ces tètes fi bien montées. L'églife luthérienne étoit dans 1'ufage immémorial de chanter au fervice du foir, avec la gravité la plus ftupide, le beau cantique qui commence par ces mots : „ Ja dorment les bocages, „ Les vaches & les veaux, &c. Quelques perfonnes lenfées défirant qu'on ne chantat plus de fottifes dans le faint lieu, fe donnèrent la peine de compofer de nou veaux.  ) 286 ( cantiques qu'un proteftant d'aujoürd'hui püt lire fans rougir. Jamais chant n'a fait tant de bruic qu'en fit celui-la : quatre Communautés s'affemblèrent pour défendre 1'ancienne orthodoxie , crièrent au focinianifme, injurièrent le nouveau livre de cantiques & fes auteurs, s'en prirent mème a leurs maifons, & pouffèrent la fottifè jufqu'a porter au pied du tröne une affaire aulfi ridicule , fous la conduite d'un mereier fanatique. Cette guerre de chanfons rappella a Faujlin la guerre des épaulettes a Brefiy & déja il étoit prêt a dire dans fon dépit r c'eft par-tout comme chez nous! II mettoit déja dans la mème cathégorie les fages défenfeurs de la burlefque rimaillerie avec ceux de 1'immaculation , & il commenqoit a défefpérer tout de bon qu'il y eut. fous la calote des cieux un feul cotn de terre oü quelque rayon de lumière puifle-entrer dans la tète du publier lorfque tour-a-coup, a travers ces crialleries abfurdes, il parut une réfolution ducabinet, la plus mémorable, la plus refpectable, la plus divine de toutes les réfolutionsde cabinet qui ont paru depuis qu'il exifte des cabinets & des réfolutions; faite pour ètre le fymbole des puiffans de la terre, & peignant toute la grandeur d'ame de 1'immortel protecteur de l-'humanité duquel elle eft émanée.  ) 487 ( „ Chez MOi,dit-il, il est libre a chacuïc 3, d'avoir telle croyance que bon lui „ semble : je n'exige que la probite Ainfi parie le ciel ! ainfi paria le grand Frédéric ! O faint Boniface! s'écria Faujlin, a la lecfure de eet oracle immortel; graces te foient rendues, ó martyr de la tolérance, de ce que tu m'as envoyé a Berlin ! Voila donc un Roi philofophe ! II y paroit bien , qu'il a correfpondu avec Voltaire, qu'il a fucé la doctrine fublime du plus grand des philofophes depuis qu'il exifte des philofophes, en un mot qu'il a fenti la vérité des principes humains de Voltaire, & trouve digne de lui de les réduire en pratique! Le mercure allemand en dira ce qu'il voudra; il eft beau , oui, il eft beau , il eft divin de voir des philofophes devenir rois, ou des rois pratiquer la philofophie ! La terre feroit un paradis, fi les prétendus pères des peuples penfoient tous comme le grand Frédéric. Mais il n'y a que lui, malheureufement, il n'y a que lui I Deux encore qui lui refferablent, deux feulement, & la raifon triomphe, & 1'humanité commence fon régne immortel, & nous voyons naitre enfin tout de bon le fiècle des lumières, le fiècle de la tolérance, le fiècle philofophique! Hélas !  ) *o6 ( • , fciences. Nous nous garderons bien de rien innover, me di(*il ; nos femmes & nos enfans nous tiennent plus a cceur que le calendrier grégorien. II n'y a pas encore bien long-temps que dans un fynode nos prédéceffeurs s'avilèrent de le propofer ; mais Noifeigneurs les payfans n'eurent pas plutöt vent de la propofition, qu'ils fe hatèrent de faifir une quarantaine de gi'égorianilles, les ealfèrent aux gages, & les elcortèrent jufqu'au-dela des frontières; ainfi vous voyez , ajouta-t-il en finiifant, s'il ne vaut pas mieux encore ètre en arrière ou en avance de quelques jours pour la date d'une lettre, que de mourir de faim avec fa familie. „ Je fus tout-a-fait de fon avis, & je le quittai pour prendre la route de Confiance. Que n'étois-tu la, mon bon ami! je fus fur le point de voir une nouvelle hulliade. Un général de mendians arriva en pompe, monté fur un ane., donnant des indulgences a droite & a gauche, & diftribuant a toutes les ouailles fidèles de Chrifi de faintes guenilles a loifon, felon 1'ufage des befaciers. La populace fe prelfoit autour du fripier, Sc ne doutoit pas que fes bénédiclions ne fulfent d'une bien plus grande vertu que de la main d'un évêque ou du cuié du lieu ; de forte qu'excepté 1'églife oü le commandant en chef  ) 507 ( de toutes les capuches avoit établi Ta boutiqué de quincaiijeries bénites, toutes les autres furent défertes. „ Tous les gens fenfës furent révoltés de cette Farce; quelqu'un d'eux écrivit une lettre philofophique fur le jongleur barbu , afin d'apprendre au peuple a méprifer les tours dë paife - palfe au moyen defquels il cherchoit a 1'éloigner de fes légitimes patteurs , pour 1'attirer a fa gibecière monacale. Bien loin de luien favoir gré, il fut affigné a cornparoitre a rofficial, & la , de la part de Tévêque , requt une verté réprimande, pour avoir eu 1'infolence de défendre les droits de monfeigneur & de la religion, puis fut condamné a huit jours de pénitence au pain & a 1'eau dans un couvent, paree qu'il aVoit paru avoir le fens commun. „ Dans 1'indignation que me donnd cette nouvelle fcène de ftupidrté monacale, j'allai a la cathédrale dans 1'intentioii d'y faire quelques oraifons jaculatoires a & Houf* afin que fans rancune, par les lucarnes du ciel qu'il habite aujourd'hui, il laüfe échapper quelques traits de lumière fur les cervelles téilébreufes du vénéra, ble fanhédrirt qui jadis fit un feu de joie pour fon départ. J'y trouvai une devote proceffiori de pé'enns des cantons fouabes voifins, qui dé^ Va  ) ?o8 ( filoit folemnellement devant la chaire au bas de laquelle eft placée 1'image de Houff, de grandeur naturelle , & chaque pélerin , pieufement & avec un faint zèle, crachoit au vifage du brave défunt. * ). „ Cependant je fis connoiiTance avec un brave profeffeur du lieu, qui n'eft pas tout-a-fait de la clafTe curiale, mais qui, lans ètre précifément grand adorateur de Voltaire, ne laifTe pas de penfer très-philofophiquement. Ayant fu gagner fa confiance , je le priai de m'expliquer pourquoi nos évèques avoient fi fouvent la baffeffe ou la ftupidité de perfécuter ceux mème qui prenoient leur parti contre les violences papales, & contre les dragons enfroqués, auxquels la cour vaticane en remettoit 1'exécution; & pourquoi encore on fouffroit que des bandes de fanatiques ignorans vinffent en cérémonie profaner la cathédrale , en crachant au vifage d'un innocent, dont le fupplice étoit nctfoirement injufte. * ) Cette confpdion e'toit une pieiife pratique fubfiftante depuis tres-long-temps -r de forte que la ftatue de 1'honnête martyr fe trou•va tellement défigurée ala fin, qu'on fut obligé en 1780 de la faire enluminer a neivf, Depuis ce temps on a un peu négligé de la cou= vrir d'exerémens peftoraux, du moins parmi les habitans de Conftancei mais il arrivé encore fouvent j aux jours de grande folemnité, que 1'on voit venir en file de longues proccflïons de la populace orthodoxe de la Souabe, pour rendre a l'homme de Dieu cette efpèce d'hommage.  ) 309 ( „ Au lieu de me répondre, il prit en fouriant un livre fur Ion bureau, & me pria d'en lire quelques pages. C'étoit le bénédictionel de Conjlance {Bewdiiïionale Confiantienfe, juxtarituale vomanum reformatum & approbatum; editio nova 1781 ). Déja étourdi du titre , je me mis a lire. La première bénédicfion étoit conque en ces termes : „ Quiconque ofera fe fervir d'un autre „ BénêdiBionel, eft interdit ". Enfuite venoient bénédicfions des lieux d'ou 1'on veut écarter le diable; bénédictions des étables , des granges, des chambres a coucher; bénédictions du lit rwptial, des draps du lit, de la chemife de la mariée, des culottes de 1'époux, des jupons de 1'époufe; puis des conjurations contre les moineaux, les hiboux, les rats de champs, les charenfons, les fauterelles, &c. dont. voici la formule: „ Je vous exorcife & vous conjure, par le „ nom du Dieu tout-puilfant, races maudites des „ moineaux, des araignées, des chenilles, des „ punaifes, & autres engeances nuifibles, afin „ que vous ayez a déloger fur le champ & fans „ délai de ces prés, de ces jardins, de ces champs, „ de ces maifons, arbres, lits, &c. & a vous „ retirer dans des lieux ou vous ne puilfiez „ nuire a aucun ferviteur de Dieu ; & je vous V 3  ) 3io ( „ maudis afin que vous foyez maudits quelque „ part que vous ailliez. „ Je vous exorcife , ó diables , de par Dieu „ le père , afin que vous purgiez de toutes cho- fes nuifibles, les champs , les jardins, &c. „ Je vous conjure , ó bêtes qui par la puif„ fance magique du diable nuifez aux hommes ,, & a leurs biens, au nom de Dieu le Père , „ Dieu le Fils , Dieu le Saint-Efprit, de vous „ retirer, & de ceifer d'endommager les her„ bes , bleds , gens mariés , &c. Que vous „ foyez difperfées & privées de toute force ou „ puilfance de nuire, & que la main du Dieu „ tout-puiffant vous extermine, &c. &c. " „ Je fermai le livre corrigé & approuvé, & fans demander d'autres éclaircilfemens fur Pétat des lumières dans le fanhédrin de Conjlance, je ferrai en riant la main du profelfeur, & je pris congé. Allons , allons, interrompit Faujlin , fi jufqu'a Conjlance, fur les rives du Bodenfée, on exorcife les fauterelles au nom de la très-Sainte-Trinité , j'avois grand tort de m'étonner quand j'entendis a Rome de pareilles conjurations. „ Pour moi, mon bon ami, continua Traubach, je fouriois de temps en temps en faifant la comparaifon de tous ces cxtrialifmes, avec ta chimère ou  ) J& ( philofophie moderne; on y recommandoit au clergé Ie faint repos myihque , la formule de Concorde, & les livres fymboliques , fous la. même peine , en cas d'infidélité , qui fut infligée a 1'honnète magifier Sebaldus Nothanker, lorfqu'ü eut 1'audace de s'écarter des phrafès fymboliques *), Enfin défenfes étoient faites d'imprimer mi feuil, let de papier dans toute 1'étendue du Wurtèmberg ,, fans 1'approbation du confiftoire & de la faculté de Tubingue. „ J'arrivai a Strasbourg, dans un moment peu fatisfaifant pour moi : cette ville célébroit jufte, ment la révolution du fiècle écoulé depuis le jour oü elle fe vendit a la Trance. Je fuis trèsperfuadé que toutes les félicitatioité que j'enteir dis faire en public & en particulier, étoient les plus fincères du monde ; je ne doute pas non plus des heureux effets du mélange du fang franqois au fang germanique : mais dans le fond un bon allemand , comme je me piqué de 1'ètre, ne pouvoit guère fe trouver a telle fète fans y gagner une bonne colique; ainfi je me dérobai promptement a cette briljante folemnité. „ A Paris, je me divertis alfez pendant quelques temps des frivolités de cette dróle de nation 5 *) Voyez le livre intihllé : La vie Sjf les opinions dc Magijler Sebaldus Ncthcmkcr*  ) m ( mais mon amufement fut bientót gaté. — Linguet, 1'annalifte, qui de fon fouet philofophique chatiant les pachas chrétiens, vengeoit les droits de 1'humanité, étoit enfeveli a la Baftille. D'Argenville , qui par ikvie privée de Louis XV avoit appris aux rois qu'ils doivent trembler au fon de la trompette hiftorique, & que les fumées journalières du vil encens qu'on leur prodigue tant qu'ils refpirent , s'évanouiifent avec leur dernier foupir, étoit defcendu a fon tour dans la foffe aux lions de la nouvelle Babylone— Mercier , le rèveur philofophique & le peintre de Paris, avoit pris le mème chemin avec fon Tableau. — Raynal les eut fuivi, fi de bons avis donnés a temps ne lui eurfent fourni les moyens de s'échapper des toiles parlementaires > il en fut quitte pour fubir dans fon livre 1'épreuve du feu, qui ne lui grilla ni un cheveu ni une vérité. — „ Au milieu de tout ce noir, parut une aurore boréale qui me rendit toute ma joie: ce fut 1'annonce du plan de Beaumarchais pour élever a Voltaire un monument éternel, par une magnifique édition compléte des ceuvres de ce prince des philofophes ; & pour furcroit de plaifir, j'appris qu'elle devoit fe faire dans notre chère Allemagne : mais le bonnet L deux pointes de  ) 3H ( Vienne lacha auffi-tót dans le public une bourde théologique , par laquelle fes ergoteurs , en bons jlatores btxrbariei, s'erforqoient de maintenir , s'il étoit poffible , 1'empire de leur bonne déeife nóur, ricière, & d'empècher que le bon lens ne fe réveille. 53 Après des preuves'aufli éclatantes des lumières franqoifes & de la liberté du pays, je ne crus pas un plus long féjour néceffaire pour m'inftruire. Comédie , ballets, opéra , foires, concerts, bateleurs, arlequins, tout cela n'étoit pour moi d'aucun prix, & je n'y pouvois plus rire quand je fongeois a la raifon & a la vérité gémiifantes dans des prifons contiguës a ces temples d'une ridicule & faufle joie, ou forcées de s'en éloigner en pofte a grandes journées. Je fongeai donc a reprendre la route de ma patrie ; mais comme je me fouciois peu de revoir les jubilations équivoques de la fète féculaire de Strasbourg , je tournai vers les Pays-bas, & vifitai en palTant les bains célèbres de Spaa. - 53 Quelques jours plutót, j'y aucois trouvé le philofophe Raynal; j'aurois pu lui faire la defcription du magnifique feu de joie que 1'on avoit fait de fon hijloire des Indes au bas du grand efcalier du palais de Paris, a la grande édifieation des crocheteurs , fiacres & polilfons de  ) 3l1 ( la eapitale & de fes fauxbourgs. Mais il étoit déja pavti, & tvès-heureufement pour lui. Un jeune poètereao, auffi implacable ennemi du fanatifme, de 1'intolérance, de la moinene, & du defpotifme , que toi, lui & moi, lui'avoit lait un petit'compliment d'adieu au nom de Ja nymphe de Spaa, qui le félicitoit de la vifite de Umpereur & du prince Henri de Frujje, & lui fouhaitoit un redoublement de courage puur défendre les droits facrés de 1'humamté. Voic, fes vers: „ Salutavous, 6 Princes tnagnanimes ! „ Qui déchirant le bandeau de Terreur, „ Suivez le cri de vos ames fublimes, „ Et des humains cimentez le bonheur. " Oui ! des Germains Pefpérance première, ■ " Le bon Jofeph aux préjugés fatal; „ Du plus grand Roi que YEurope révere, l Ce fier Henri le frère & le rival, l Sourds aux clameurs des rives de la Seine , „ Aux bords fleuris de mon humble fontame „ Des vils cagots font bien vengé , KaynaP. * ) Malgré les entreticns Batteurs de i*mp«nr avec Vabhé *j£ a 1U, 1'ou v,ent cependant de P^M^^ m* peu, fon Hilhire philofophique, apparemment pour de bon ï rSns. Du refte Raynal a rec,u la perrniffion de eere Vair de France, cependant dans un efpace hnute, & le pb, lofophefans défianee a cru devoir s'empretter den uier.  ) pi ( tous les bons livres & toutes les têtes penfantes, commept les Jibraires & les lecteurs étoient deja réduits au défefpoir , lorfque tout-a-coup la glorieufe Therèfe extermina le monftre ultramontain & fon tnbunal, d'un fouftle de fa bouche divine CHAPITRE^ QTJARANTE - TROISIÈME. Les hups & les renards: moïneries & contre-' moineries. JEt quand tu revis notre pauvre patrie , deman da Faujlin, dans quel état y retrouvar-cu la tolérance & les lumières? Aux derniers abois ! répondit Traubach ; Etfi animus meminijfe horret, cependant il faut bien t'en rendre compte d'une manière fatisfaifante , avdnt que de dire adieu a ce malheureux pays. j> Tu ne fais que trop comment peu après ton départ 1'inquifition relfufcita tout-a-coup en Efpagne .... ( Tout cceur d'homme doit un foupir au nom de ce tribunal dételfable , & Faujlin eu pouifa deux....") A 1'apparition de 1'hydre eccléfiaftique relfortie du puits de 1'abyme, un de nos braves allemands, le fécrétaire Tfaupfer, chanta une ode pleine d'énergie , dans laquelle il  ) 3*9 ( dépeignoit la béte infernale avec tous fes véritables tiraits &caractères, & toute VAllemagne applaudit au vengeur de 1'humanité & de la religion, tout rétentit d'éloges & d'encouragemens. „ Tou:-i-coup ne voila-t-il pas un des enfans de 1'apötre du glaive Dominique , le R. P. Joft i qu» • fe met dans la tète de tranfplanter 1'inquifmoit en corps & en ame des bords du Tage fur ceux du Rbin , & qui ne rougit pas de préfenter a ce fujet une requète imprimée au père de la patrie ! Dès le moment ce ne fut qu'un écho dans les journaux, les gazettes, les brochures. Tfaupfer ehanta une foi-difant palinodie , & de toutes parts le fouet de la fatyre fangla le Torquemada de Bavière. „Vint la nouvelle régence; vint le tumulte gordonique de Londres. ( Autre foupir de Fauftin , accompagné d'un requiefcat in face pour le' cher Boniface . ... ) Tfaupfer nous fit préfene d'une excellente differtation fur la tolérance & la finit le triomphe de la railon. Les exjéfuites montèrent en chaire, & fkent retentir le tonnerre des anathëmes des malédidlions fur la tète des apologiftes de la tolérance. Tfaupfer, comme fufped d'hétérodoxie , fut obligé de faire en public fa confeffion de foi , & du refte on ' fe propofa de lui donner tant de befogne a la  ) J20 ( chancellerie , qu'il n'eüt pas du temps de refte pour éerire des vers. Le collége de la èenfure fut a fon tour vertement cenfuré, pour avoir approuvé 1'impreffibn des écrits tolérantiques. On paria de faire une tradudion de Papologie de la St. Barthelemi par Caveimc ; & le moteur de toute cette machine > c'étoit le confeifeur Trank, avec coni'brs.... — A propos, que fait le DoBor oèfcurus a Ingoljladt ? „ Le dodeur obfcur XIngoljladt n'eft plus 4 Ingoljladt; mais demande-moi fi fon fucceifeur n'eft pas le doSor obfamor ou obfcuriljlmus, je ne iaurois trop en faire le parallèle. Or, pour eu revenir a nos exjéfuites, ils en firent tant & de toutes les couleurs , qu'a la fin ils gatèrent eux-mêmes leurs affaires, comme autrefois. Meffieurs les prélate, leurs ennemis naturels & lecrets, découvrirent a la lueur des ducats un fentier détourné , qui les conduifit a un cotillon lavori , lequel entendoit a merveille le modus in rebus, &le refte fe devine de foi-mème. Pour fe mettre a 1'abri de 1'orage venant de 1'eft, . qui menacoit toutes les tètes a capuchons,'ils s'empreffèrent de s'offrir a prendre fur leur compte toute la partie de 1'éducation nationale, auelques poignées de louis-d'or femées a propos fervirent admirablement  ) ?2i ( admirablement a mettre cette idee dans un jour avantageux. La noblefie convoitoit depuis longtemps la riche dépouille des Loyoliftes. Enfin 1'on en prit fix millions , & 1'on en fonda un priorat malthois, pour faire de nos jeunes feigneurs autant de héros anti-mufulmans. Pour le coup , on remercia les exjéfuites, & avec eux le dodeur obfeurus : les autres moines virent les rènes de 1'efprit national confiées a leurs mains novices ; & c'eft ainfi qu'a travers mille intrigues fourdes, mille fourbes, mille rufes, mille chemins couverts & détournés, 1'argent, les femmes & la /rocaille ftupide, font reftés maitres du champ de bataille. On a chaffé les renards; mais, comme dit le grand philofophe , on a livré leur patrimoine aux ours & aux loups. Le chemin du cloitre, que ton petit écrit & d'autres femblables avoient prefque fait oublier, s'eft vu fréquenté plus que jamais; les poftulans arrivoient par efcadrons entiers , & la patrie, dans le filence d'une attente pleine d'angoiffe, foupire de voir fes efpérances trompées. Quant au fucceffeur du dodeur obfeurus , voici quelques thèfes de fa facon qui te ferviront de données pour juger s'il mérite 1'épithète d'obfcurior ou abfurdior. Selon lui', „ il eft de foi „ que notre volonté n'en faifoit qu'une avee  ) 222 ( j, celle^ftAdam, & que par conféquent nous 5, avons tous pêché moralement avec lui ; que ,, Dieu ne veut pas que tous les hommes foient ,, fauvés; que tout Pufage que Pon peut faire „ de la raifon en théologie , c'eft pour démon„ trer la néceffité d'une révélation, & faire des jj fyllogifmes, &c. &c. " Un étudiant s'étant avifé d'argumenter contre ces thèfes , fuivant Pufage, peu s'en fallut qu'on ne lui fit faire publiquement la profelfion de foi. En général, le grand but de tous ces mouvemens de zélotypie, le grand objet auquel vifent toutes ces tètes anti-philofophiques, c'eft de garantir Pexécution du décret du cabinet émané a 1'occafion de Pelfor philofophique du fécrétaire Tfaupfer, dans lequel il eft dit exprelfément: » Que Pon s'oppofe par tous les moyens ima3, ginables , a ce que , par la malheureufe li33 berté de penfer qui s'établit par-tout, Panj> cienne & précieufe orthodoxie de la Bavière ,3 ne fe trouve défigurée par un mélange infor33 me de toutes forces de religions Tout cela arriva dans le temps mème ou nous paiTames fous un nouveau gouvernement du coté du Rhin, qui jouiifoit malgré cela d'une telle réputation, que Pon s'en promettoit je ne fais combien de belles chofes pour le bien public.  ) W c „ A Mannheim, avoit-on déja dit, on n'eut M fait que rire de 1'ode de Tfaupfer, & 1'on en „ eut badiné avec meffieurs les aumóniers eux„ mèmesj voyez-un peu, ajoutoit-on, comment „ on a 1'air plus trifte & plus refrogné fur le „ Danube que fur le Rhin " .' Et après tous ces difcours imprimés a la face de YAlïemagne , ce font les puiffans du Rhin qui font venus fur le Danube faire un auto-da-fé pour 1'ode de Tfaupfer.... Faujlin & Traubach, après quelques petites imprécations pour le fcbottft Jojl, après maints foupirs d'un patriotifme ardent au fujet de la Tfaupfériade, de la langue malthoife & du triomphe de la moinerie dans leur patrie, finirent par réciter du fond du cceur la prière jaculatoire de leur compatriote. „ Fille du ciel! divine Tolérance ! ó toi, qui „ née des playes du Sauveur lorfqu'il expiroit „ fous les coups du Fanatifme intolérant, refferres „ les liens de la fraternité entre les trois églifes „ de la Germanie! Toi 1'amante de Frédéric, & „ qui couvres de tes alles les puiffans Etats de „ ce prince qui t'aime ! Toi enfin qui accourant „ a la voix male de Jofeph, vas porter ta lu- „ mière vers YAutriche, & y faire naitre 1'age „ d'or ! ö ! daigne au moins en paffant jetter ™ un regard favorable fur ce coin de terre, X 2  ) 3H ( „ d'oü l'Humanké en pleurs invoque tonfecours! „ Dirige ton vol fur ces contrées affligées, & » d'un coup de ton aile chérubique , renverfe le „ monftre ennemi des hommes; fais-le rentrer „ dans les enfers d'oü il fortit, arrache le glaive „ des mains des furieux qu'il égare , & dont il „ alluma le zèle barbare, & infpire leur cette „ douceur & cette maguanimité qui te foumet„ tent tous les cceurs des mortels ! CHAPITRE QUARANTE - QUATRIÈME. Vues riantes. ]\^Ais as-tu vu , reprit Fauftin , les autres parties de notre cercle '< Quelle figure y fait-on?.... Comme dans des évèchés , répondit Traubach ; car tu fais qu'il ne refte pas autre chofe. Oui, dit Fauftin : mais celui de Saltzbourg fait un gros appendix qui me paroit devoir fortir de ta régie ; on s'y eft diftingué en plufieurs occafions; rappelle-toi feulement la lettre paftorale a 1'occafion des diableries de GaJJher. II eft vrai, reprit Traubach, Saltzbourg doit faire une exception; c'eft alfurément la partie du eerde de Bavière la plus éclairée , & fi Jofeph n'étoit pas a Vienne, j'aurois volonders fixé mon  ) ( féjour a Saltzbourg. La cour «Sc la ville y font également éclairées , également tolérantes ; c'eft bien la meüleure pate de peuple qu'il y ait; pavent & circenfes! avec du pain «Sc des hiftnons , tu n'en trouveras point de meilleure humeur depuis Hambourg jufqu'a St. Veit fur le Flaumi & heureufement ce font deux chofes dont le bon prince ne le laüfe jamais manquer : auffi viton très-philofophiquement dans ce pays-ia. Ce n'eft pas qu'il n'y ait une couple de vieux ferrailleurs controverfiftes , qui, tout en jurant contre la goutte, n'en font que plus entêtés champions de 1'immaculation; une couple de. chenapans théologiques, qui vont furetant dans tous les coins «Sc recoins , fans ceife a 1'affüt d'un huitième, d'un fixième , ou d'un quart d'héréfie, ou enfin d'une demie , ou mieux encore , d'une héréfie toute entière; efcroquant ca & la quelque propofition offenfive des oreilles pieufes , ou tel autre brinborion orthodoxe de cette efpèce; mais cela ne figriifie rien. La cour n'y prend pas garde , & a fon exemple perfonne ne s'en appercoit, ou ne veut s'en appercevoir. Depuis qu'une couple de capuchons de la plus pauvre efpèce fe font avïles de griffonner des mauièresd'apologies, «Sc ontbafardé même la que. ftion: fi Temper eur a droit de faire ce qu'il fait, X 3  depuis ce temps-la , dis-je , le public accueille tous les pédans de cette clafle avec de grands éclats de rire. Traubach voulant donner a fon ami la fatisfaction de lire la lettre paftorale de Saltzbourg, il la chercha dans fon équipage. Tiens , lis , lui dit-il ; voici une pièce également intérelfante pour 1'hiftoire iïAllanagne , pour la religion & pour 1'humanité, une pièce qui enfeigfie avec une clarté & une évidence inimitables , par ou il faut s'y prendre & quels agens il faut employer d'abord , quand on veut changer les opinions des peuples & former de nouvelles générations plus éclairées que leurs ancètres : & une pièce auffi , comme tu le penfes bien, qui n'a pas manqué d'ètre couronnée , d'obtenir le prix, mais lm prix comme les académies n'en donnent point depuis qu'il exifte des prix académiquës. Apprens que Jofeph II, Jofeph lui-mème fa fait diftnbuer a tous les évèques de fes Etats, en leur recommandant vivement les principes qui y font expofés. Faufiin lut, & plus il avancoit, plus il le fentoit ému, plus il croyoit a 1'oracle de Boniface , plus il étoit pénétré d'amour, de refpect, de vénération , pour le plus grand des Empereurs. Mais ces fentimens furent portés au com-  ) fi* t déduites par Ie Trévirien d'un ton d'écolier , mais il goütoit une fatisfadion extreme en voyant 3a manière charmante dont le queftionneur étoit expédié dans les réponfes de 1'Empereur, qui • lui parurent a tous égards , les meilleures , les plus cathégoriques , les plus exquifes, les plus précifes, les plus péremptoires que 1'on put faire a de pareilles chimères monacales. Enfin il relifoit, recommencoit, ne fe lafToit point, tant 1 & tant qu'il vint a favoir les quatre lettres de Jofeph par cceur d'un bout a 1'autre. Heureux, mon ami , s'écria-t-il enfin dans l'emhoufiafme qu'elles lui avoient infpiré , trois fois heureux, comme difoit Boniface, ceux qui font nés dans ce fiècle ! Boniface fut un prophete , quand il m'annonca les deux monarques du nord & du fud ! Et toi, tu as parlé comme 1'oracle de Delphes, quand tu as fixé 1'époque du fiècle philofophique enAllemagne a 1'année joféphine 1780. CHAPITRE QUARANTE - CINQUIÈAIE. La Philofophie fur le tröne. T JL outes ces lecfures , tous ces dialogues conduifirent a Vienne les deux voyageurs. Ils ne remarquèrent point d'autres traces du voyage inutile  ) 3*9 ■ C de 1'évèque rómain dans cette ville, que les infcriptions deifinées a perpétuer la mémoire' de ce fingulier événement. Voila des monumens, dit Traubach, qui apprendront a la poftérité que Tous Jofeph II, Rome fut dépouillée de la plus grande partie de fes ufurpations fur YAllemagne catholique; qu'il arrèta 1'influence que le talifman fpirituel donnoit au vieux des fept montagnes fur les cabinets, les tréfors & les filés allemands ; que le vicaire de Dieu , celfant de 's'oublier & commencant de venir a réfipifcence , ne balanca pas de faire une vifite fraternelle a un autre vicaire de Dieu , pour conferver une partie des prétentions que fes prédécelfeurs avoient eu le fecret de lui acquérir pendant une longue fuite de fiècles. ' Leur première courfe fut a VAugarten. Faujlin lut 1'infcription: „ Jardin de plaifance , deftiné a „ Vufage de tous les Hommes , par celui qui fait „ les ejlimer ". Bofquets facrés , s'écria-t-il , dé'licieux monument de la philofophie fur le tróne ! quellè joie , quelle volupté , de refpirer fous ces ombrages un air pur, d'y errer a coté du fublime ami de 1'humanité! — Cette infcription lui parut plus belle que toutes celles inventies & mïfes en lumière par les académies qui "s'intitulent: des infcriptions , &c.  ) 33o ( Que penfes-tu, dit Traubach , d'un certain projet mis en avant par un alfez bon nombre de perfo images grands & petits, fa vans & ignorans', clercs & laïques, &c. & auquel même on doit déja travailler , dit-on ? II s'agit de réunir les trois communions chrétiennes de 1'Empire , en un mot de mettre, comme 1'on dit, trois tètes dans un bonnet. Faufiin fe prit a nre, & regardoit Traubach. Eft-ce tout de bon ? demanda-t-il ? — Je te dis qu'on y travaille peut - ètre déja ; répondit Traubach. Comment! a réduire au mème taux , a la mème mefure, a étalonner, pour ainfi dire, les intéréts , les opinions, les idéés, les intelligences, les perfuafions, de tant de millions de tètes! a détruire , dans un fens , la tolérance que 1'on a eu tant de peine a établir! a rentrer dans le for fpirituel & intérieur des confciences, tandis que 1'on en a tout exprès abjuré la connoilfance afin de venir a bout de porter les dirférens feetaires a vivre comme frères dans ce monde-ci ? a fabriquer de gré ou de force un édifice platré qui ne dureroit pas une demi-génération , & auquel fuccéderoit une confufion pire cent fois que la première? De bon gré, il y en auroit pour jufqu'a la fin du monde : de force . ,. ,,  ) ip < c'eft cruellement fe contredire , & chanter une bien honteufe palinodie. II V avoit cent fois plus I de poffibilité de réunir jadis les églifes grecque & romaine: voyez ce qui en eft arrivé! Un ouvrage bien plus faifable fans doute, quoique difficile, bien plus utile auffi, bien plus preffant, bien plus digne des efforts des fauteurs & des coopérateurs de cette rénnion inutile & extorquée, plus propre enfin a les immortalifer , ce feroit de travailler a porter tous les princes & tous les gouvernemens acfuels a établir chez eux & a y maintenir a jamais une tolérance plénière, qui feroit dans un fens bien fublime la vraie indi^ence plénière. Eh ! bon Dieu! qu'on laaP* au catholique fa meife, au luthérien fa confeffion publique & générale, au calvinifte la prédeftinatión , a 1'hébreu fa circoncifion , au mahométan fon'alcoran , au déifte fon déifrae , a 1'abrahamite fon patriarchifme , &C &c. & vous les rendrez tous bien meiileurs amis les uns des autres, que fi vous vouliez leur faire ajufter aduellement leurs idéés a la mème dogmatique commune , en donnant a l'un d'eux lapréférence Cc la préémiuence exclufive fur tous. Qye l'un ne foit ni plus favorifé ni plus oppnmé que 1'autrei que 1'on ne regarde toutes leurs petites difputes d'école , que comme les combats de coqs  ) 33* ( des anglois , & tout ira bien. Si par 1'effet de cette fraternité entretenue pendant des fiècles , il arrivé que quelques fectes oubliant leurs petites difterences fe réuniifent peu-a-peu , & peut-ètre toutes a la fin , a la bonne heure! Mais bidons faire au temps. Les cailloux brifent leurs angles par le frottement & par le roulement non interrompus des eaux qui les entrainent , & prennent tous une forme a-peu-près femblable : peut-ètre ne'faut-il pas défefpérer que les opinions anguleufes de la fcholaftique & de la dogmatique n'aient un jour le mème fort. Mais cette opération feroit auffi ridicule a tenter aujourd'hui, qu'inutile & impoffible dans 1'exécution; & dans le funds, je fuis bien loin de croire que le fage Jofeph ait penfé férieufement a ce mariage de lectes illégitime, & nuifible a coup fur préciférrient paree qu'il n'a point d'utilité. A dire vrai, ajouta Traubach , je ne le penfe pas plus que toi, & je parierois que dans la fource 1'idée part de quelques cerveaux théologiques a projets , qui fous un prétexte Ipécieux fe font flattés de féduire les gens bien intentionnés , afin de regagner d'un coté ce qu'ils perdoient de 1'autre , de 1'intrigue , du brouillamini, & de 1'argent ; jamais homme qui connoit fon efpèce & le monde n'y donnera les mains.  ) ; m~ ( A propos, dit Fauftin, j'oublie vraiment de te faire une queftion des plus importantes : que devient la littérature de VAllemagne catholique ? II eft bien aifé de le deviner, reprit Traubach : rien au monde de plus pitoyable! les imbécilles compilateurs catholiques femblent avoir formé une conjuration contre toute propagation de lumières ; ils compilfent tout ètre raifonnable qui s'avife d'attaquer leurs .idoles. N'ont-ils pas eu 1'audace de s'en prendre jufqu'a Eybel luimème , * ) qu'ils ont appellé très-énergiquement le fatan du monachifme, & infulté de la manière la plus grollière , pour avoir découvert aux Viennois la nudité honteufe de la vieille idole romaine? Laiffons donc, reprit Fauftin , les littérateurs catholiques & autres fchoufts de eet acabit dans 1'oubli & 1'obfcurité d'ou il ne peu vent plus fortir, 11 ce n'eft pour ètre plus infames encore qu'il ne le font; & fais-moi, je t'en prie , lé détail de ces hauts faits dont la renommée a retenti dans tous les coins de VEurope, qui répandent une lumière éclatante fur toute VAllemagne , & en immortalifant notie cher Emperëur, * ) M. Eybel, confeiller provincial a Lintz, a compote' plufieurs ouvrages , dans lefquels il difcute a fond les queftions c.oncernant le pape & les prétention du S. fiège; ils ont beaucoup fervi a éclairer le public, Sc fait beaucoup d'honneur a ee favant magiftrat»  ) ?J4 C rendent notre Germanie un objet de vénération pour les autres parties du monde. Traubach, de la plénitude de fon cceur animé du plus ardent patriotifme , lui fit une efquilfe philofophique de tout ce que le fage Jofeph avoit déja fait pour éclairer les peuples & les rendre tolérans. ï. Abolition des farces eccléfiaftiques nommées procellions , de mème que des formules ridicules de prières, & des dévotions nocturnes oü Pon facrifioit plus a la déelfe Aphrodite qu'a aucun faint du paradis. 2. Réforme de la cenfure de librairie, d'après les principes de la raifon: entr'autres, les livres apartenant aux particuliers déclarés exempts de toute vifite & de tout examen dans toute Pétendue de la monarchie. j. Tous les ordres de moines émancipés de leurs généraux romains , & dépendant feulenient de leurs évêques nationaux. ( Premier canal fermé ). 4. Le droit de difpenfer dans les cas matrimoniaux attribué aux feuls évëques ; défenfes de faire veair des difpenfes de Rome. ( Second canal fermé). J". Suppreflion des mois papaux, des annates , des collations romaines , &c. ( Troifième canal comblé ).  ) JJf ( 6. Plorer protégé contre les cabales de Migazzi * ) ; les bulles in ccena Domini & unigenitus, arrachées de tous les ntuels. 7. Edits pour établir la tolérance dans toute la monarchie. 8. SuppreiTion de. la fainte inutilité des ordres contemplatifs des deux fexes. 9. Les Juifs rétablis dans les droits de 1'humanité. ïo. Abolition de la fervitude perfonnelle dans toute la monarchie. 11. Les moines employés au miniftère des ames, & par-la rendus a des devoirs dignes de 1'homme , après les avoir rendu dignes de les remplir. 12. Abolition du ferment féditieux que prêtoient les évêques au feul évèque de Rome. I?. Abolition du ferment chimèrique qui fe prètoit pour la défenfe de 1'immaculée conception de Marie. 14. Abolition des cas réfervés & autres ftratagèmes burfaux de la cour de Rome. i,. Etablilfement de temples pour les proteltans, comme preuves parlantes d'une fmcère tolérance. 16. Les fianqailles faites entre des enfaus hors d'age nubile , décJarée? nulles- * ) Arehevêque de Vienne,  ) 357 ( En entrant dans 1'éjlife de la cour, & a la vue de la religieufe fimplicité qui y régnoit, aufli-bien que du crucifix ühique qui en ornoit Vunique autel , ils fe rappellèrent 1'églife de Ferney: Faufiin fur-tout en :onclutque 1'Ëmpereur , en imitant le grand philofophe d'une manière auffi marquée & auffi publique, avoit plus fait pour la gloire de celui dont il s'avouoit par-la le difciple, qu'en faifant entrer fa voiture dans la cour du chateau de Ferney , au rifque de gendarmer des efprits non mürs encore. Mais malgré toute la fainteté du lieu , il leur fut impoffible de fe défendre tout-a-fait contre 1'envie de rire qui les prit quand ils ouvrirent le nuffel, & qu'ils y virent collées 1'une contre 1'autre les pages oü étoit la canonifation de Hildebrand, fous le nom de Grêgoirê VII, que Grégoire XIII , contre tout refpect , ofa mettre au rang des Saints , & dont Benoit XIII vouloit mème inférer 1'office dans le bréviaire : la chofe leur parut encore plus divertiffante que rexcommunication des fmterelles a Rome & è Confiancê. jj Enfin grace en nos jours a la philofophie , „ Qui de YEurope au moins éclaire une partie! s'écria de nouveau Fauftin. Et eet homme , ajoü- Y