Hiftoire et Anecdotes de la Révolution Frangoife depuis l'avénement de Louis XVI. au tröne jusqu' a 1'époque de fa mort Tome premier, contenant les faits depuis 1'avénement de Louis XVI. au tróne jusqu' a la fin de 1'année 1789. Amfterdam, 1794.   Sojnmaire de la première Section. f~^ara£tère de Louis XVI, de Marie-An^ toinette d'Autriche, du Comte de Mau~ repas. Gardes des Sceaux, Monjieur, frére du Roi; le Comte d' Artois; le Prime de Condè ; le Duc de Bourbon; le Duc ff Ënghien. Tribunal des Maréchaux de France. Prévots des Marchands. Colonels des Gardes francoifes. Controleurs généraux des finances, Ciugny, Taboureau, Turgot, Necker. Mini/tres de la Guerrey le Comte du Mey, St. Germain Montbarry, Ségur. Miniftres des affaires étrangéres, le Comte de Vergennes, le Comte de Montmorin, Lejj'art. Miniftres de la mai~ fon du Roi et du Département de Paris, Amelot, le Baron de Breteuil. Lieutendns de police, le Noir, Thiroux de Crofne. Prélat chargé de ia feuille des bénêfices, A Mar-  Marbeuf évéque aVAutun. Directeurs des Oeconomats. Le Duc d'Orléans, la Fayette, le Chevalier de Bouffiers. Réfurme d'une partie de la Maifon du Roi par St. Germain. Réfléxions fur le Progrés du Luxe. Guerre d'Amérique en faveur des Infurgens. Compte rendupar Necker en 17 81. Fleury lui Juccéde. D'Ormejjbn. Ségur Minijïre de la guerre. Cajiries miniftre de la marine, Colonne-, ïArchévêque de Touloufe. Première AJJemblèe des Notables. Le Comte de Brienne Miniftre de la Guerre. Confeil de la Guerre; Guibert Rapporteur; Ordonnance dite de Hiërarchie. AJJemblée des Notables. Troubles dans differens Provinces. Rappel de Mr. Necker. Seconde AJJemblée des Notables. Opinion du Conjeil du Roi en 1788. Convocation des^Etats Généraux; Cboix des Députés dans les dijférens Ordres. LAbbé Maury. Le Comte de Mirabeau. Demandes énoncées dans les Cayers. Pre,  Préface. J'entreprens de dévoiler les caufes et les effets de laRévolution francoife. Je fens combien cette tache eft pénible, et tous les obftacles que je dois rencontrer. Je n'ai pas la témerité de croire que j'aye pu les furmonter. II ra'a pam cependant qu'un des meilleurs moyens de parvenir a mon but étoit de tracer les différens Cara&éres du Souverain, des Princes, des Miniftres et d'autres Perfonnages qui ont eu une pare aftive dans le Gouvernement et dont la Conduite a accéléré la Révolution. On A ij dé-  P R E F A C E. découvrira les Replis du coeur humain et le jeu de toutes les paffions, qui, quoique n'agiflant que dans une Sphére circonfcritc, ont de 1'Influence fur toutes les Gaffes des Citoïens. On verra comment ce Peuple francois, autrefois le modéle des autres Nations par fa douceur, fon affabilité et fa bonne éducation, eft devenu le plus atroce et le plus féroce qui éxifte dans 1'Univers. Mais fi dans des Momens de troubles le vil Carattére d'une Partie du Peuple s'eft dévéloppé d'une maniére fi révoltante, j'efpére encore que le malheur qui 1'accable et un Gouvernement fage le raméneront a de bons principes , et le feront rentrer dans les Sentiers de la Vertu. Mais  P R E F A C E. Mais qui établira un Gouvernement prudent et modéré? C'eft un Problême que le tems et les circon* ftances peuvent rcfoudre. Contentons nous d'efpérer! L*ordre doit renaitre apres un Bouleverfemcnt total. Si la Partie exécrable de la Nation s'eft liguée pour précipiter le Roïaume dans 1'abime, croyons qu'a 1'aide des Puiffances étrangéres les vrais amis du trone et de la Monarchie fauront a leur tour y faire regner les loix, 1'ordre et la juftice. Je commence mon Tableau en tracant le Caraótére du Souverain, celui de la Reine et des Princes de la familie Roïale. L'auftére verité a guidé mon Pinceau. Elevé loin de Ia cour, je ne connois ni 1'adulation ni la flatterie. Si j'ai parlé avec franA iij chife  PREFACE. chife des défauts des Grands, je rends également juftice a leur Vertus. 1'Obfervateur impartial diftinguera facilement la pureté de mes vues et de mes Intentions , et reconnoitra fans peinc que fi je n'ai rien caché, c'eft par le defir fincére de contribüer par des éxemples frappans a 1'avantage et au Bonheur futur de mes Concitoïens. Lcdu-  L'éducatiön de Louis XVI. fut confiée au Duc de la Vauguyon, homme honète, mais trés borné. Le choix des Sous-gouverneurs ne répondit pas d'avantage a 1'importance de leurs fon&ions. L'évêque de Limo^es^ fon Précepteur, etoit un écclefiaftique vertueux mais dépo'urvu des talents nécéflaires pour former 1'éfprit et le Cara&ére d'un Souverain. La Mort précoce de M. le Dauphin inflüa beaucoup fur fcducation de fes filsj et c'eft peutêtre a ce malheur que nous devons ceux dont la France eft accablée. Ce Prince avoit des Vernis, de laReligion, delafermeté, une Politique vafte et étendue; et tout faifoit préfager qu'il feroit un jour le moA iv déle  8 HISTOIRE ET ANECDÜTES dele des Rois. Une maladie de langueur 1'enleva a la fleur de fon age au grand Regret de toute la France. Louis XVI. avoit peu d'Inftrudion, infinement de méfiance de foi-mêmej point d'ambition ni d'élévation d'ame, et il étoit incapable de prendre un parti dans des circonttances délicates ou la té, mérité nième devient fouvent une qualité néceffaire. Ses maniéres étoient grot fières ; 011 peut même dire, dégoutan, tes. Sa démarche et fon regard n'annon?óiènt pas le Rang quil occupoit. Ce Pnnce avoit cependant 1'ame honète et les Jntentions les plus pures ; mais fa fojblelfe 1'a rendu le joüet de toutes les paifions de la Reine et de fes Mini. Itres. II eut été un honnète Bourgeois de la Rüe St. Denis , bon pére, bon ami;^ mais incapable d'attentions et des procédés et ne fachant pas s'attirer 1'affedlion de ceux qui 1'envirronnoient. (Talent bien effentiel pour un Souverain.) Louis XVI. avoit une Paffion décidéepour la chalfej eet éxercice paroif- foit  DE LA REVOLUTION FRANCOISE. 9 {bit lui être devenu nécéflaire. II n'eut jamais de Gout pour le jeu ni pour les femmes. Ce n'étoit qu' avec regret qu'il s'engageoit a faire des Dépenfes extraordinaires. Mr. Dangivillers Intendant des Batimens profita de fon Crédit et de la facilité du Monarque pour propofer des conttr-uctions confidérables et des embelliflemens difpendieux, fous prétexte, que dans un grand Etat il falloit encourager les arts et les talens. 11 ne fallut pas moins que cette Perfpe&ive pour le déterrniner a facrifier des Sommes confidérables en Conftructions et en Acquifitions. Le Commencement de fon régne débuta fous le plus heureux aufpices, et rien ne lui eut été plus facile que de fe faire adorer de fes fujets fatigués de V infouciance et de 1'apathie de Louis XV, et auxquels un nouveau régne préfentoit une perfpeélive de bonheur. Mais la Conduite de la Reine et des Courtilans, la Dilapidation des finances qui en fut la Suite, et la perte du reA v fpeét  IO HÏSTOIRE ET ANECDOTES fpect et de la Confidération préparérent les événemens funeftes qui Tont conduit a 1'échafFaut. Ce Prince étoit digne d'un meilleur fort; et cette éxécution barbare provoquée par les plus infames fcclérats fera toüjours une tache inefiacable pour la Nation francoife. Louis XVI. vouloit fincérement le bonheur des francois ; mais il manqua toüjours de la fermeté neceifaire pour en trouver les moïens. II a démontré évidemment qu'il n'y a pas de plus grand malheur pour un peuple que d'étre gouverné par un Souverain fans caraclére. S'il eut montré de fénergie et de la réfolution lors de fon arrivée a Varennes et a Tépoque des malheurefes journées des zo. Juin et 10 Aout 1792, il feroit encore furle tróne et auroit épargné Ie fang de beaucoup de fidéles Sujets. Mais fon ame irréfolue le fit héfiter conftament lorsqu'il falloit agir. Ce Monarque ne manquoit cependant pas de Courage. II a\rgit un grand fond de piété et de Religiori. Son Teftament et fa mort  DE LA REVOLUTION FRANCOISE. 11 mort héroïque et chrétienne en ont convaincu 1'Univers et doivent lui attirer les Regrets de toute ame fenfible et honnète. Marie Antoinette oVAutriche Marie Au. r ■ 1 ; i toinette n avoit que ieize ans lorsqu el- XAutt-u le époufa le Dauphin, depuis cht. Louis XVI. Marie Théréfe Sa Mére 1'avoit élevée avec beaucoup de Soin ; mais 1'interieur de fa Cour etoit trifte. Son extréme Dévotion y avoit répandu une teinte lugubre peu convenable au Caraclére d'une jeune Perfonne vive etirréflechie. Auffi dés les premiers momens de fon arrivée en Franqe cherchat-elle a s'affranchir des génes et des régies de 1'étiquette (moïens fi neceflaires pour attirer le Refpeél et la Confideration.) La Société des Dames du palais de la feüe Reine qui avoient pafle a fon Service, ne convenoit en aucune maniére a fon age et a fes gouts. (i) Elle (i) La ComtelTe de Noaillejk depuis Maréchale de Mouchy, fa Dama d'atours étoit -elle dont les confeils fatiguoient le plus  12 HrSTOIRE ET ANECDOTES Elle eüt dans le Commencement de fon Manage des liaifons avec des Perfonnes fubalternes, entr'autres, avec Mesdames de Mifery et Campan fes femmes de chambre, qui profitérent de cette faveur momentanée pour faire accorder des Graces a tout ce qui tenoit a leur familie. Le foible Louis XV. laiifoit flotter les Rènes du gouvernement et vivoit crapuleufement avec Mde. ju Barri. Ou fait qu'elle dit un jour a qe Monarque: prenés garde, que cette petite rouffe ne fe fajfe troujjer dans qaelque Coin: Propos auffi indecent que déplacé, et que la Reine ne lui a jamais pardonné. — A peine Louis XVI. fut-il monté fur le tróne, qu'elle chercha a s'emparer de toute fa Confianee. Elle reüffit au point que la Reine. Elle 1'avoit fttrnommée Madame Etiquette et lui fit eflïiier tant de Défagrémens, qu'elle fut obligée de douner fa Démifïïon. La Duchefie de Mailly lui fucceda. Mais cette femme vertueufe fe trouva déplacé dans une Cour auffi corrompüe. Elle fe retira, et fut remplacée par la Comtefle d'Ofiun.  DE LA REVOLUTION FRANCOISE- 13 que tous les emplois, de quelque nature qu'ils fuflènt, n'étoient accordés qu'a fa recommandation ou a celle de fes favoris. Marie Antoinette etoit belle, aimablej vive etenjoüée; mais elie avoit peu d'efprit et de difcernement. L'abbe de Vermont, qui avoit été envoié a Vienne pour lui fervir de Leéteur et lui donner quelques notions de la Cour de France , avoit une grande Part a fa confiance. Elle eut des Bontés particuliéres pour Mesd. de Lambaüe; de Fitzjames, d'Hénin, d'OJfun; mais perfonne ne joüit d'une plus grande faveur que la Duchelfe de Polignac cette liaifon avoit dégénéré en Paffion. Dans un moment d'épanchement réciproque de tendreife et d' affedtion la Reine dit a fa favorite de la tutoïer. La favorite adroite fe jetta a fes genoux en lui difant;'e fadore. Son credit immenfe ne fit qu'augmenter par le foin qu'elle eut de fervir les gouts et les Pailions de la Reine et de lui ménager des entrevues avec ceux qui paroiffoient lui etre agréables — D'ail-  14 HISÏ01RE ET ANECDOTES D'aillieurs, il faut favoüer avec douleur, la Reine n'avoit pas fu fe concilier 1'amour et 1'eitirae du Peuple. Ses exceifives prodigalités, la facilité avec laquelle elle faifoit accorder des Penfions a tout ce qui 1'entouroit, fes entrevües miftérieufes a Trianon, ft conduite au Bal de 1'Opéra, et fur- tout fes Promenades nodurnes fur la terraife de Verfailles qui ont dure plufieurs étés: toutes ces circonftances reünies ne rétracoient plus aux yeux des Franqois la Grandeur et la Majefté d'une Reine héritiére de Marie Therefe. On la voïoit fouvent, dans le Négligé le plus fimple, accofter le Soir fur la terraife de Verfailles de fimples Particuliers, mème des Commis de Bureaux. Toutes les femmes de la Cour imitérent eet éxemplej et fi ces Promenades étoient innocentes, les apparences au moins pouvoient donner des Soupcons. Le Roi qui prenoit quelquefois part a ces Plaifirs, parut fur la terraife en Redingotte grife et Bonnet rouge. II engagea une que- relle  DE LA REV0LUT10N FRAN£OISE. I 5 relle avec les marmitons du Grand Commun, qui le pourfuivirent dans les corridors du Chateail en le frappant a coups de torchons jusqu' a ce qu'il fe fut nommé. Cette avanture defilla les yeux du Roi et lui fit interdire ces Affemblées indécentes. Dés 1'lnftant oü Louis XVI. eut pris les Rénes du Gouvernement, il rapella le Comtei,* Maurepas pour ëtre fon Confeil, et ce Viellard remplit les fonaions de premier Miniftre , fans en avoir le titre, jusqu'a la fin de 1781» Époque de fii Mort. II avoit été employé aux affaires dés fa plus tendre jeunelfe , fut adjoint a feize ans a fon Pére, et remplit les fondtions de Miniftre en titre a dix-huit. II eut fucceffivement le Département de la Maifon du Roi et de la Marine. La Marquife de Pompadour provoqua fa Disgrace pour quelques couplets fatyriques qu'il s'étoit permis fur fon Compte. Enfuite on lui 'permit de venir habiter fa  l6 HIST01RE ET ANECDOTES fa Terre de Pontchartrain pres de Verfailles. II avoit de la fortune et entretenoit des Correfpoiylances avec les Miniitres et les Courtiians. Madame Adélaïde, qui 1'avoit toüjours aimé, le fit préférer a M. de Machault pour etre le Confeil de Louis XVI., dans le Moment meme ou un Courier alloit être expedié a Armenonville pour rappeler eet ancien Garde de Sceaux qui avoit été recommandé au Roi dans un écrit de fon Pere qui lui fit remis a Son Avénement au Trone par 1'eveque de Verdun (Nicolai.) M. de Maurepas étoit un vrai francois dans toute 1'étendue du terme: aimable , léger, infouciant, facrifiant tout a une plaifanterie, accoutumé a fe laiüer diriger par Mde. de Maurepas qui avoit la plus grande Inflüence fur fon efprit, le Miniftre fans jugement traitoit toutes les affaires de PEtat avec moins de Réfléxion peut être qu'on ne dirigeroit 1'arrangement d'un Spectacle ou 1'économie d'une maifoii. Ce caraclére découvre la raifon des fautes mul- tipli-  DE LA REVOLUTION FRANcOISE. 17 tipliées, tant morales que politiques qui fe font commifes pendant qu'il joüiffoit de la confiance du Roi. C'eft a Lui qu'on dut le mauvais choix des Miniftres , des Généraux et des Commandans des armées navales (1). Le Roi fuivoit aveuglement les Confeils de M. de Maurepas, celuici ceux de fa femme, elle étoit dirigée par des Prètres intriguans et par M. Maifon de Pézay, petit fils d'un Commis du Controle général (a), qui fous 1'égide de fa Pro- (1) M. de la Touche - Tréville, Chef d'Efcadre, inftruit et expérimenté avoit e'té défigné Commandant de la Plotte, qui devoit fe rendre aux Isles en 1780. L'influence de M. de Maurepas et les follicitations de Thiéry premier Valet de Chambre du Roi, lui firent fubftituer M. de Grafie Gendre deThiéry, on connoit les Suites défaftreufes de ce choix et L'ifiue de fon Combat avec_ 1'Amiral Rodney, qui porta un coup fatal a la Marine francoife.' (2) Dans le cours de fa faveur, il fe fit une Généalogie et prétendit defcendre B  18 HISTOIRE ET ANECDOTES Protedtrice et du Gout que le Roi paroif fok prendre pour lui, auroit fait une fortune briljante fi la mort n'avoit mis un terme a fa Profpérité nailfante. Ainfi Louis XVI., avec les meilleurs Intentions, étoit trompé journellement, et ces Erreurs aggravoient la mifere du Peuple. Le Chancelier Meaupeou, ennemi déclaré des anciens Pariemens, éprouva la Disgrace du Monarque a Son Avénement au tróne; mais il rcfufa conftament de donner la Démiffion de fa charge. On fe contenta de lui retirer les Sceaux qui furent confiés a M. hsherbes,a" de Malesherbes (i). Ce des Majfoni di Italië. II prit aufli le titre de Marquis. Tl avoit époufé peu avant fa mort la fille d'un pauvre Gentilhomme d'Auvergne nommé Murat. Elle etoit tres jolie, et encore plus aimable. A la mort du Marquis de Pézay elle ob- tint 1500. Livres de Peufion, et on lui avoit donné cent mille écus pour favori- fer Son mariage. (l) C'eft ce meme Magidrat qui, a la fin de fa Carrière, a eu 1'honneur d'ètre un  DE LA REVOLUTION FRANCOISE. IQ, Ce Magiftrat vertueux fit Garde des quelques Régiemens utiles pour Sceauxle Soulagement des Prifonniers et 1'abolition de la torture en matiére criminelle. II s'éleva fur-tout contre 1'abus des lettres de Cachet. Ses Intentions pures furent méconnües. On le repréfenta comme un homme foible et pufillanime, et il fut remplacé par M. Hüe de Mirosmesnil, MtrosmtS' Prefident au Parlement de Pa- „u Garde ris. Ce Magiftrat avoit de la <*« Sceaux. Réputation et de 1'Intelligence. Mais il devint comme les autres Miniftres 1'aveugle Inftrument des volontés de la Reine (quoi qu'il n'eut pas le Bonheur de lui plaire). II étoit lié avec le Comte de Vergennes, qui le maintint en Place plus qu'il n'auroit pu 1'efpérer d'apres cette Circonftance. Lorsque 1'Archevéque de Touloufe fut nommé premier Miniftre, il fit donr B ij ner des Defenfeurs officieux du malheureux Louis XVI., et qui s'eft offert volontairement pour en remplir les fonfHons.  2 O HISTOIRE ET ANECDOTES M de la- ner ^es Sceaux a M. de Lamoignon moignon Préfident au ParleGarde des xnent de Paris, qui jusqu'alors avoit joiü de 1'eftime et de la Confideration publique. Mais fon Projet d'établiflement de Cour pléniére, 1'exil du Parlement de Paris de plufiers autres Cours fouveraines de Province et tout les Plans défaftreux qu'il avoit combinés avec 1'Archeveque de Touloufe, 1'on fait a jufte titre abhorrer de la Nation. On affuroit que fes Affaires étoient fort dérangées, et peut-être avoit il choifi ce moïens pour les rétablir. N'ofant plus paroitre en Public aprés avoir été renvoyé peu avant 1'époque de la Révolution , il fe retira dans une de fes terres oü. il fe rendit juftice en fe brulant la Cervelle. II fut remplacé par M. Barentin, premier Préfident de la Cour des Aydes, homme médiocre dans toute 1'étendüe du terme. Monfimr Monfieur frere du Roi, frereiuRei. eft ce]uj jje tous les Princes de  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 21 de la Familie royale qui a le plus d'Éfprit et d'Inftru&ion, ce qui lui avoit donné de la Propenfion pour la Seöe de Novateurs qui en général etoit compofée de gens des lettres. II avoit adopté les Idéés de M. Necker, et fon Bureau, a la derniére Aifemblée des Notables, vota formellement pour la doublé Repréfentation du tiers État et 1'opinion par tète. Plufieurs de fes Courtifans adoptérent la meme Opinion , notamment M. de Montesquiou fon premier Écuyer, qui, apres avoir dérangé fes Affaires a un point exceffif, devint le plus vil Démocrate pour tacher de les rétablir. Le Marquis de Noailles, le Comte de Chabrillan , les Princes de Montbarey et St. Mauris Capitaine des Suiifes de fa Garde et plufieurs autres cherchérent a propager cette Doclrine, chacun dans fa Sphére. Quoique Monfieur eut de la Pénétration et du Jugement, il étoit accoutumé a fe lailfer conduire, et dans plufieurs circonftances il a prouvé qu'il B iij n'avoit  22 HISTOIRE ET ANECDOTES n'avoit pas afles de fermeté ni de Caraclére. La Démarche qu'il fit a 1'Hotel de Ville de Paris en Decembre 1789. et Pindiiférence apparente avec la quelle il a vu immoler Favras, qui s'étoit facrifié j pour lui,- pourroient faire tord a fa réputation, fi fa bonté et fa fenfibilité dans I plufieurs circonftances n'étoient fuffifa- I ment connues. Lorsque le Roi partit pbur Varennes, il eut le Bonheur de s'é- i chaper par la Route de Mons, et depuis cette Epoque il a été un de plus acharnés ennemis de la Révolution. Si Monfieur pouvoit renoncer a fa Liaifon avec Mde de Balby (*) et fe diriger par fa pro- (*) Madame de Balby eft fille de Mad. de Caumont ancienne Gouvernante des en- i fants de France , elle avoit époufé le Comte de Balby noble Génois; quelques années aprés fon mariage, il la furprit dans un tête a tète trop intereflant avec le Comte Francois de Jaucourt, et manifefta fa colére d'une maniere violente; tout Paris retentit des Plaintes de Madame de Balby, elle obtint facilement par J le Crédit de fa familie une lettre de Ca-  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 23 propre Impulfion, on pourroit efpérer que les Franqois n'auroient qu'a fe loüer de 1'Influence de fes Confeils, ou de la Sageife de fon Gouvernement. Mr. le Comte tfArtois réü- Mr. ucomte nit tous les agrémens extéri- XArt0Ueurs. II a de la Grace et de rAmabilité dans 1'efprit. Mais aïant mené jusqu'a L'époque de la Révolution une vie tres diffipée, et meme diifolüe, il avoit peu de connoilfances politiques, peu d'Inftrudion et de jugement. Sa Pofition malheureufe a muri fa tète et fon Caraélére. II a montré de la fermeté, du Courage et de la Perfévérance. S'il avoit pu maitrifer fon Gout pour les femmes et s'envirroner d'une Societé des Gens fages et prudens, on ne doute pas que ce Prince ne fut fufceptible de joüer une Róle honorable et diftingué. Dans fa jeunelfe il s'eft livré a toute 1'eiferB iv vefcen- chet pour faire enfermer fon mari, comme ayant donné des preuves de démence, et fe débaraffa irrévocablement de eet obfervateur incommode.  24 HISTOIRE ET ANECDOTES vefcence de fes Paffions. II a aimé avec Fureur le jeu, les Femmes, la Chaife; a dépenfé des Sommes tnormes en acquiquifitions et en Batimens. Quoique la Dépenfe de sa Maifon fut plus confidérable que celle de beaucoup de Souverains de 1'Europe, on ne croit pas éxagérer en articulant formellement que fes Dépenfes fuperflues ont couté a 1'État plus de cent Millions. On doit donc regarder fes énormes Déprédations comme une des caufes qui ont accéléré la Revolution. L'expérience, 1'age et la Raifon le raméneront fans doute a de meilleurs Principes et feront oublier les Erreurs de fa Jeuneife. Ses Enfans Meffieurs les Ducs d'Angouleme et de Berry ont été trés bien élevés par M. le Comte de Sérent Gentilhomme honête et vertueux. On efpere que 1'épreuve de 1'adverfité et fes Confeils en feront des Princes d'un Mérite diftingué. Monfieur le Prince de Condê avoit de fa plus tendre jeuneife eet Amour de  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 25 de la Gloire héréditaire dans la Branche de fa Maifon. II a fait quelques Campagnes avec Succès, fous la Dire&ion d'Officiers Generaux experimentés, entr'autres, du Marquis de Monteynard. Ce Prince a de 1'Inftruétion et de 1'Efprit, accompagnés de beaucoup de timidité, de méfiance et d'un air de referve qu'on pourroit prendre pour de la Hauteur. Son extérieur et Son Abord font peu fcduifans , et il a besoin d'étre connu pour qu'on diftingue Son Mérite. La Conftrudtion du Palais Bourbon et les Dépenfes qu'il a faites a Chantilly le mirent dans le Cas d'avoir recours a des Emprunts et de folliciter les faveurs du Gouvernement. (Je parlerai dans la Suite de la Vente des Droits quafi Régalims du Clermontois , Opération ruineufe pour 1'Etatj. II avoit obtenu précédemment des Indemnités confidérables pour la Suppreffion de quelques Droits attachés a la Flace de Grand Maitre de la Maifon du Roi et s'etoit fait accorder a cette Epoque la place de Colonel Général de 1'InB v fan-  2 6 HISTOIRE ET ANECDOTES fanterie franqoife et étrangére. Ce Prince etoit Gouverneur de la Province de Bourgogne ou fes Agens-Subalternes fe permettoient des Éxadions dont il ne doit pas être accufé perfonellement (*). La (*) Le Prince de Condé avoit en Qualité de Gouverneur de la Province de Bourgogne une Compagnie des Gardes a Cheval pendant qu'il y faifoit fon féjour; les Capitaines des Gardes ver.doient ces emplois qui affranchiffoient les poflefleurs du Payement dés Impots ; au bout de quelques années ils accordoient des brevets de Vétérance aux titulaires, et la jouiflance des Privileges pour revendre les mêmes charges; cette Compagnie étoit compofée de plus riches Proprietaires ou fermiers, qui au moyen de 1'éxemption faifoient fupporter au Peuple leur Portion contributive des impots. M. le Prince de Condé dont 1'ame eft noble et généreufe ignoroit fans doute ces abus, il dépenfoit pendant la tenue des Etats de Bourgogne plus que ne lui rapportoient les émoluments de Gouverneur en trois ans , et y répandoit beaucoup d'argent en  DE LA REVOLUTION FRANCOISE. 27 La Reine ne 1'airnoit point, II s'eft raaintenu a Son Egard dans les Limites de ia Déference et du Reipeét fans rechercher fa Protection. II fe bornoit a vivre honorablement a Paris et a Ghantilly. C'étoit le feul Prince qui accueillit et requt les militaires. II a quitté laFranqe au commencement de la Révolution, et depuis cette Époque a montré beaucoup de Courage, de conftance et de fermeté. H a ralfemblé et entretenu pendant long tems a fes Dépens un Corps de Gentilshommes. L'utilité de cette Réünion et de eet appareil militaire dont il a cherché a s'environner , eft plus qu'équivoque. Mais on ne peut que le loüer d'avoir témoigné un grand Attachement a fon Souverain et a la Monarchie, d'avoir foutenu les fatigues de la Campagne et fa Pofition malheureufe avec en Oeuvres de bienfaifance. Dans le cours du cruel hyver de 1788- ü envoya 112,000 Livres pour les pauvres de la Ville de Dijon, et fit diftribuer des fommes confidérables dans le refte de la Province.  2 8 H1ST0IRE ET ANECDOTES avec Intrépidité , et d'avoir fouftrait a la mifére nombre de Gentilshommes francois. Mr. u Duc Mr. le Duc de Bourbon a ie Bourbon., un Exterieur agréable, beaucoup d'afFabilité et d'envie de plaire. II a montré du Courage et du Caraclére dans plufieurs Circonftances. Ce Prince a aimé paflïonnement les femmes et la Chafle et s'eft livré a ces Gouts fans Moderation. II eft donc impoflible qu'il ait acquis de 1'Inftruction et des Connoiifances. Ses Difpofitions naturelles et 1'école de 1'adverfité lui feront fentir qu'il doit réparer le tems perdu en vaines Diffipations, pour fuivre avec honneur et Gloire les traces de fes Ancêtres. M. u Duc Le Duc iEngbien eft d'E,:sbien. forfc j£Une> S()n Educadon ne paroit pas avoir été trop foignée. II aime aiüli beaucoup les femmes et paroit préférer la Société des étourdis a celle des gens fenfés. On efpére qu'il prendra des Idees plus fai- nes  DE LA REVOLUTION FRANCOISE. 29 nes fous les yeux de Son Pére et de M. le Prince de Condé qui lui doivent des Soins et des Confeils. La Place de Doren du Tribunal des Maréchaux de ïran- des Mari, qe étoit occupée par le Maré- ckaux de chal de Clermont Tonnerre, viel- ***** lard refpedtable qui avoit fervi avec Diftinftion fous Louis XIV. et Louis XV. et etoit Marechal de Franqe depuis 1747. C'eft lui qui par le Droit de fa Place a rempli les fondtions de Coné- ftable au Sacre de Louis XVI. Le Maré- chal de Richelieu lui fucceda en 1781. On connoit la vie et les Avantures de ce célebre Courtifan (*). Les Affaires militaires et les Que- relles et Difcuffions entte Gentilshom- mes rélatives au poiut d'hon- neur fe décidoient au Tribunal dcs Mar/. des Maréchaux de Franqe. Le cH^ de Rapporteur et les Sécrétaires avoient (*) II a paru tui Ouvrage intitulé Mémoires de Richelieu qui denne a eet égard tot» les Renfeiguements poffibles —  3° HJSTOJRE ET ANECDOTES avoient la plus grande Influence dans les Decifions et on pouvott les regarder a juite titre comme les arbitres des Partjes intereifées. H éxiftoit auffi dans les Provmces des Lieutenans des Maréchaux de Franqe, qui achetoient ces Emplois et devoient être les Médiateurs des Nobles pour ces mémes affaires; mais on s en rapportoit rarement a leur Décifion. Prévct des La Place de Prévót des Marchands. Marchands, qui préfidoit le Corps municipal de Paris, étoit remphe par M. de Caumartin, qui avoit ete Intendant de Lille. C'étoit un hom*e tres vain, aflés borné, mais joüilfant dune Reputation d'Honnêtété, Aprés avoir éxercé long tems cette Place, il fut remplacé par M. Pdletier de Morfontaine, Intendant de Soiflbns, protégé de la Reine. Homme d'efprit, mais plein de manies, de vanité , de foiblefles et de caprices. H avoit formé de beaux etabhiïemens k Soi^ns , plus pour fe crcer une Réputation, que par des Vües dutffite publique. 11 étoit Anglomane au  DE LA REVOLUTION FRANqOlSE. 31 au fuprème dégré et avoit arrangé avec Go ut fes jardins de Morfontaine. II étoit trés dérangé et efperoit fans doute réparer fa fortune en occupant la Place de Prévót des Marchands. U eut aifés de Prudence pour la quitter peu avant la Révolution et eut pour Succeïfeur M. de Fleifelles ancien Intendant de Lyon, homrae vertueux et joüiiTant d'une grande Réputation de Probité. Son Dévouement aux Ordres et aux Volontés de la Cour 1'ont rendu viclime de fon Zêle. 11 fut mailacré inhumainement en Juillet 1789, le meme jour que M. de Launay -Gouverneur de la Baftille. . La charge importante de C££ des Colonel des Gardes francoifes francoifes. étoit occupée par le Maréchal de Biron depuis 1745- Cet" te troupe joüiffoit d'une médiocre Confideration militaire, fur tout depuis la Bataille de Dettingen. Le Maréchal de Biron y avoit rétabli 1'ordre et la difcipline, et on ne peut diffimuler que cette troupe, jadis tres défordonnée , ne fervit  32 HISTOIRE ET ANECDOTES feryit utilement pour la Police et la Sureté de Paris. Un grand Malheur pour une troupe eft, d'habiter une Capitale auffi étendüe ou elle pompe le Germe de tous les vices, contrade des liaifons dangeureufes et perd abfolument ce nerf et ce courage qui doivent faire la Bafe du Caradére militaire. _ Les Officiers achetoient des Emplois dans ce Corps; ils ne vivoient point avec leurs Soldafs et les connoiifoient a peine. Hs avoient un moïen commode de parvenir aux Grades par Ancienneté fans en remplir les fondions. Ils ne portoient jamais leur Uniforme qu'a Verfailles et a quelques éxercices préalables a la Revue ou on en voyoit plufieurs arriver en Wisky, errant de Battaillon en Bataillon et de Compagnies en Compagnies pour chercher leur Place. Cette troupe n'étoit contenue que par la Police confiée aux bas Officiers et a quelques membres de 1'état major. Les foldats regardoient le Maréchal de Biron comme leur Bienfaiteur, et  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 33 et effecttvement il s'étoit conftament 00 cupé de tout ce qui pouvoit être a leur Avantage. A fa mort fa place fut donnée au Duc du Cbatelet, Colonel du Regiment du Roi Infanterie. Cet homme trés borné, tres vain, apres avoir été un mediocre Négociateur (*), cherchoit a fe créer une réputation militaire. II commenqa par mécontenter les Officiers en les aftreignant a une difcipline rigoureufe et en les obligeant d'aller réguliérement aux Appels. II pouifa la minutie jusqu'a faire mettre a la muraille de vieux Capitaines devenus Officiers généraux, agés de plus de foixante ans. Son Efprit mesquin et parcimonieux voulut enfuite pénétrer dans les plus petits détails fous Prétexte de réformer des abus. II priva les Soldats de beaucoup de Douceurs et d'Agrémens, que leur avoit procuré fon Pré- (*) M. Du Chatelet avoit été longtems Ambafladeur de la Cour de France en Angleterre. «• c  34 HISTOIRE ET ANECDOTES Jrédéceflèur. II fe chargea de leun founiir des Provifions, et on le foup-. qonna d'avoir cherché a faire des béne- toces ïiiicites malgré la fortune dont il joümoit. Le Mécontentement éclata dans toutes les claffes. Les Soldats avoient des liaifons intiraes avec tous les citoièns de Paris. La plupart - y avoient choifi leur femmes, leurs Protedeurs, leurs maitreifes. On ne doit donc pas être furpris qu'au moment de la Révolution cette troupe ait abandonné Son Souverain, pour foutenir le Parti du Peuple. Depuis long tems on avoit trouvé le moven de corrompre les Soldats. Necker, le Duc d'Orléans et fes Adhé, rans leur avoient prodigué de 1'argent. Les Officiers n'avoient ni leur Eftime ni la Confidération néceifaire pour les contenir. En un Inftant ils arborérent 1'Étendart de la Révolte, on les vit attaquer la Baftille et fe transformer en Gardes nationales par un vil Motif de Cupidité et 1'Amour de la Licence. La  DE LA REVOLUTION FRAN?OISE. 35 La Place de Controleur Controleur Général des finances qu'occu- generauxdes poit 1'Abbe Terray , tut con- Cfa fieé a M. de Clugny auparavant Intendant de St. Domingue. II avoit des Connoiflances et de Pefprit ; mais il ne refta que peu de mois en Place, et fournit un Exemple trés rare d'un Miniftre mort dans 1'éxercice de fon emploi. Mr. Taboureau, ancien Taboureau. Intendant de Valenciennes, lui fuccéda. C'étoit un homme vertueux et honëte, mais dont les Vües n'étoient pas aifés étendues, ni le Caradtére alfés ferme pour remédier aux Défordres des finances. II fut remplacé par M. Turgot. Turgot, qui s'étoit acquis une grande Réputation de Probité et d'intelligence dans le Limoufin. Cette Provinqe, dont il avoit été Intendant pendant long tems,- lui devoit fa Profpérité. 11-y avoit fait ouvrir plufieurs grandes Routes et avoit formé différens établiifeC ij mens  36 HISTOIRE ET ANECDOTES mens publics trés utiles. II étoit lié avec 1'Abbé Baudot et les autres Coriphées de la Secle des Economiftes. Leurs vües et leurs Plans ne pouvoient convenir a un Etat gangrené. Les reriiédes qu'il voulut adopter n'étoient que des palliatifs a un mal que 1'avidité des Courtifans rendoit incurable. Auffi fon nom ne paifera a la Poftérité que comme celui d'un homme a Projets. Le public lui a cependant 1'Obligation d'avoir allégé et accéléré les Service des Diligences et Meifageries qu'on avoit furnommées Turgotines. On fentit enfin qu'il falloit trouver un homme fupérieur qui put rétablir le Crédit public, faire une exacte Diftribution des Impots et établir ce Niveau il défiré entre la Recette et la Dépenfe, Operation qu'on avoit tenté en vain d'éxécuter depuis long tems. C'eft Neder. gl^g qUe parut jl£ Afec£gr? qui de fimple Commis de la Maifon Théluifon étoit devenu un Banquier confiderable: Homme dévoré d'am- bition  DE LA REVOLUTION FRANCOISE. 37 iibition , et qui ne négligeoit aucuns Ijmoïens cle fe créer une Réputation. jlApres avoir bouleverfé le Gouvernement de Genéve fa Patrie, il étoit venu s'établir a Paris oü quelques mémoires et jlProjets lus a une Aflemblée d'Adionnaifres de la Compagnie des Indes 1'avoient fait connoitre. Son Opulence et fes Liaifons avec le Maréchal de Caftries et d'autres Courtifans le firent regarder comme le feul homme capable de fauver la France. Sa Religion 1'éxcluoit du Miniftére. II parut d'abord fous le titre modefte de DireI deur Général des finances fans avoir entrée au Confeil. Sa femme s'appelloit Churchaud et etoit fille d'un maitre d'école de Vévay. La vanité de Necker la fit i defcendre d'une ancienne maifon d'Italie, nommée Churcbaudi. C'eft fous ce 1 nom qu'il a fait graver des Epitaphes i pompeufes a 1'humble Maitre d'école. Sa i fille unique a époufé le Baron de Stael 1 Ambaifadeur de Suêde. Cette femme ; tenoit un Bureau d'efprit et inoculoit fes C iij Prin-  38 HISTOIRE ET ANECDOTES Principes démagogiques a tous les jeunes Révolutionnaires admis dans fa Société. Ceft la oü les Narbonne, Lameth, Vidtor Broglie, Barnave ont puiifé les Dogmes qu'ils venoient débiter a 1'Aifemblée conftituante. Nous paiferons aux Détails de 1'Adminiftration de M. Necker aprés avoir parlé de la Maniere dont les autres Départemens furent occupés. Immédiatement aprés la ffiSS * Mort de Louis xv-fon Succef- Ze Comte du feur appella au Miniftére de la Muy. Guerre le Comte Au Muy, Menin de feu M. le Dauphin qui 1'aimoit particuliérement et 1'avoit recommandé a fon fils dans une efpéce de Teftament qui lui fut remis a fon Avénement au trone. Le nouveau Miniftre étoit un homme vertueux, mais fans talens. II aporta un efprit minutieux et des vues parcimonieufes dans une Adminiftration qui demandoit un Génie vafte et étendu. Les Opérations de fon Miniftére fe bornérent a dédoubler quel-  DE LA REVOLUTION FRANCOISE. 39 quelques Régimens de quatre Bataillons a faire des Régiemens économiques fur rhabillement et la chauifure des troupes et a obtenir un Bref du Pape pour permettre aux militaires de faire gras les Vendredis et Samedis. Aprés avoir époufé une Chanoinelfe de Neufs aullï trifte que lui et avoir fait une Promotion de Maréchaux de france ou il s'étoit claffé, il mourut peu regretté a la Suite de 1'Operation de la pierre. Plufieurs concurrens fe mirent fur les Rangs. Le Roi nomma aprés un aifés long Intervalle le Comte de St. Ger- Le Comte de . , . St.Germatn. main; ce qui fit dire a Mr. Ie Comte d'Artois : le nouveau Miniftre n'aura pas la Pierre, car il-y-a long-tems qu'on le Sonde. Mr. de St. Germain (*) etoit retiré depuis long-tems a Lauterbach en Alface. 11 avoit envoyé peu avant fa Nomination des Mémoires fur le Militaire, fon Prédéceifeur les avoit lus au Roi et lui en avoit faits connoitre 1'auteur. St. Ger? C iv main, (*) Son nom de familie etoit Lampinet.  40 HISTOIRE ET ANECDOTES main, aprés avoir été Jéfuite et Régent du Collége a Vefoul, avoit embraifé 1'état militaire. II y avoit fait une fortune briljante 5 puisqu'il étoit lors de fa retraite Lieutenant Général et Cordon rouge. II contribua a fauver les Débris de 1'Armée a Rosbach. Quelques mécontentemens et des Démêlés avec le Maréchal de Broglie 1'engagérent a quitter 1'armée aprés f AfTaire de Corbach. 11 renvoïa fa Décoration militaire et fe retira en Dannemarck, ou il obtint le Grade de Feld Maréchal, apres avoir donné une nouvelle Conftitution a 1'Armée qui n'étoit conforme ni a la Situation politique ni aux mceurs du Païs. II placa le fruit de fes Économies a Hambourg. UnBanquier le ruina, et il vivoit d'une Maniére tres retirée dans fon hermitage lorsqu'on vint lui annoncer qu'il etoit Miniftre de la guerre. II communiqua au Roi un Plan vafte et étendu qui pouvoit convenir a certains égards, paree qu'il détruifoit entiérement les Corps a Priviléges et établiibit 1'ordre, la difcipline et 1'éco-  DE LA REVOLUTION FRANCDISE. 41 |; réconomie dans une Armee énervée. Ce ji Plan fut d'abord adopté. Mais St. Gerj| main qui n'avoit aucun ufage du Monde , et encore moins de la Cour, eut la mal adreffe de le communiquer a quelj ques militaires. Dés l'Inftant on chercha I & oppofer des Obftacles a fes Projets. ] On intrigua auprés du Roi et de la Reine. |! On éxalta les fautes qu'il avoit commiI fes en Dannemarck; et lorsqu'il propofa il au Roi la réforme des Régimens d'état major, le Roi lui dit que dans un grand I Etat il falloit de grandes Places. Son I Plan fut ainfi fucceffivement tronqué. II I n'eut pas le courage de donner fa Démiffion, et il ne refta de tous fes Projets J qu'une formation et des Ordonnances I rélatives a la Cavalerie qui méritent 1'apj probation des Connoiifeurs. II avoit le Projet, en réformant I toute la Maifon du Roi, d'appeler fucceffivement pour la Garde du Souverain tous ! les Régimens de troupes de ligne; et ' on ne peut difconvenir que ce Projet ne 1 fat trés bien conqu, en ce qu'il auroit C v fait  42 HISTOIRE ET ANECDOTES fait connoitre et paifer fous les yeux du Souverain tous les fujets de fon Armee. Mais les diiférens Chefs de la Maifon militaire du Roi trouvérent les moïens de faire échoüer des vues auffi fages. Peu aprés on lui propofa de prendre un Adjoint. II ne fentit pas qu'il alloit fe donner un Succeffeur. Aprés avoir eifiiié pendant un an les Plailanteries des Courtifans et tous les désagrémens poffibles , il fe retira, laiffant le le Prince Miniftére de la Guerre au de Monthar- prince de Montbarrey. rey' Les alliances de fa femme avec Mde- de Maurepas lui procurérent ce Pofte éminent. Car Montbarrey étoit un Miniftre incapable et crapuleux. (Ses Maitrelfes MUes. Renard, Courcennay et autres vendoient publiquement les emplois.) II fe fit cependant des Créatures en accordant une foule de graces; mais fon Immoralité demontrée et un trait de Cupidité de MeIle. Renard le firent renvoïer au bout de deux ans de Miniftére. Le Comte d'Asfeld petit fils du Maré-  DE LA REVOLUTION FRANcOISE. 43 Maréchal (*) et trés mauvais fujet, avoit promis 40,000. Livres, pour étre nomme cordon rouge. II en avoit déja donné 20,000, et Montbarrey le préfenta dans fon travail. Le Roi qui connoiifoit fa Ré. putation le raïa avec humeur de la Lifte. Melle Renard ne voulut point rendre 1'argent. D'Asfeld fe plaignit hautement, et alla mème chés Mr. de Maurepas. Ses clameurs parvinrent jusq'aux Oreilles du Souverain, qui renvoya le Miniftre. Montbarrey eut le talent, pendant fon Miniftére, de fe faire créer Chévalier des Ordres et grand d'Éfpagne d'obtenir la Survivance du Grand Bailliage d'Hagenau, un Logement luperbe a 1'Arfenal, de marier fa fille au Prince héréditaire de Nalfau - Saarbruck et de fe faire combler d'autres graces qu'il ne de- voit (*) Le Maréchal d'Asfeld obtint ce grade en 1733. pour la prife de Philipsbourg. Lorsque le Maréchal de Benvick fut tué, il fe trouvoit le plus ancien Lieutenant Général et commanda 1'Armée jusqu'a la Reddidon de la Place.  44 HISTOIRE ET ANECDOTES voit qua 1'Intrigue. II etoit exceffivement vain, quoique fon Origine fut tres connüe. II defcendoit d'un célébre Avocat (St. Maurice) et non St. Mauris, qui en ifoo. fit paroitre un Code renommé en Franche-Comté. Le fils de eet Avocat féduifit Melle. de Vatteville, Demoifelle d'une Ancienne maifon de cette Province. La familie délibéra fi on le feroit pendre ou il on lui pardonneroit. Le Parti de la Clémence prévalut, et on lui obtint facilement des Lettres de Nobleife dont Charles-Quinte etoit comme on fait, trés prodigue. Depuis cette Époque, cette familie avoit toüjours contraöé de belles Alliances. L<* Mariage du Prince de Montbarrey avec Melle. de Mailly contribua le plus a fa fortune. II avoit acheté précédemment un Diplome de Prince du St. Empire qui en fatisfaifant fa vanité le rendoit 1'objet des plaifanteries de fes compatriotes. II a été un des coopérateurs et Agens fubalternes de la Révolution en contribuant a fomenter une fcilfion dans 1'Ordre de la  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 45 la Nobleife de Franche-Comté (*) et en employant tous les raoïens de SéducKon, même de 1'argent, pour fervir les Intentions de Monfieur et les Projets de Necker qui croyoient par ce moïen obtenir plus d'Inflüence et diriger- defpotiquement toutes les Députations aux Etats généraux qu'on avoit alors le Projet de convoquer. M. de Montbarrey, méprifé de tous les Partis, vit actuellement dans une Retraite obfcure et ignorée. Son fils, le Prince de St, Mauris, qui avoit propagé les mêmes Principes , aprés avoir été (*) La Noblefle de Franche Comte raffemblée a Befancon demandoit la Convocation de fes Etats particuliers, tels qu'ils éxiftoient avant la conquête de cette Province. Préalablement a la Nomination des Députds, Vingt deux membres de eet Ordre proteftérent contre cette Délibération et adoptérent 1'arrdté du Confeil du mois de Décembre 1788. et la Réünion des Ordres par Bailliage. C'eft M. de Montbarrey qui fut un des principaux moteurs de cette Sciffioni  46 HISTOIRE ET ANECDOTES été renvoïé de Coblentz ou il venoit, difoit-il, abjurer fes erreurs, partage le méme fort. Miniftre Le Miniftére des Affaires des Affaires étrangeres occupé par le Duc étrangéres d'Aiguillon fut confié au Com- Le Comte de Vergenues. te »e Vergmnes. Ce Particulier d'une origine obfcure fe nommoit Gravier. Son Pére etoit Maitre des Comptes 'a la Chambre établie a Dijon. Son frére époufa une Kiéce de M. de Chavigny (*), qui d'intriguant Subalterne (") Ce Chavigny avoit été envoï'é è Londres en' Qualité d'éspion fous la fin du Régne de Louis XIV. II eut 1'audace de fe cacher fous la Table du Confeil privé de la Reine Anne, et inftruifit la Cour du Projet qu'avoit cette Souveraina de fe détacher du Parti des Alliés. Cette Découverte importante ranima les Efpérances de Louis XIV. et 1'engagea a continüer la Guerre au lieu de négocier. Chavigny obtint quelque tems aprds 1'ambaflade de Suifle pour récompenfe de fes Services.  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 47 1 alterne étoit devenu Ambafladeur en li Suifle. II s'attacha le jeune Gravier a qui il reconnut de la Prudence, de la | Difcretion et de 1'aptitude pour le travail. I Aprés avoir été chargé d'affaires dans I quelquels cours d'Allemagne et en Suede, lü fut nommé Ambafladeur a Conftantinople. II s'y conduifit avec Prudence et Adreflè , et engagea le Divan a déli clarer la Guerre a la Ruffie et a 1'Empe:|reur fans emploïer les fommes énormes I que M. de Choifeul avoit mifes a fa Dispofition pour en féduire les membres. Une Circonftance qui lui avoit attiré des désagrémens contribua depuis a fon éxaltation. Le Comte de Vergennes vivoit avec la veuve d'un médecin grec et en avoit eu deux enfans. Sans 1 avoir oftenfiblement la qualité de fa femlme3 elle faifoit les honneurs de fa maifon. L'ambaifadrice de Hollande étanü invitée a un Bal que donnoit le Comte de Vergennes, refufa d'y paróitre et d'y mener fes filles fous Prétexte qu'elles ne devoient point danfer avec des Ba- tards.  48 HISTOIRE ET ANECDOTES tards. Cette circonftance détermina le Comte k époufer leur mere fans avoir demandé 1'agrément de la Cour» M. de Choifeul qui avoit 1'ame et le Cara&ére d'un Defpote, le rappella fur le champ. Apres avoir paifé quelques années dans la Retraite, il obtint 1'ambaifade de Suéde ou il contribua a la Révolution de 1772. et parvint a gagner la confiance du Roi. Ce Souverain fe trouva en France a la Mort de Louis XV. L'éloge qu'il fit du Caractére et des Qualites du Comte de Vergennes détermina M. de Maurepas a propofer aü Roi, de lui confier le Miniftére des Affaires étrangéres. Le Comte de Vergennes étoit accoutumé au travail. II avoit beaucoup de Pénétration, encore plus de Diffimulation et d'adreife. A-en juger par Son extérieur et par fa Converfation, on lui auroit fuppofé peu d'efprit et de connoiffances; mais il étoit véritablement hom- | me de Cabinet. Avide et intéreifé, il .; ne chercha qu'a faire fa fortune et celle li de  DE LA REVOLUTION FRANCOISE. 49 de fa familie; et fa prétendüe Réputation j de Probité s'eft évanouïe aux yeux de la jPoftérité. Aïant été nommé Préfident I du Confeil des finances peu aprés la mort de M. de Maurepas, au-lieu de chercher j a remédier aux abus, il a toléré les Di- lapidations et a fafciné les yeux du Roi en promettant des améliorations fur les iRevenus et des Diminutions de Dépen| fes. S'il eut été un homme intégre, il leut parlé avec courage et fermeté a ce jMonarque, lui eut dévoilé la Profondeur I du mal et ne feroit pas prêté a étre 1'InIftrument des Dilapidations de la Reine, ides Princes et des Courtifans. J'alléguerai comme une preuve de la Cupidité du Comte de Vergennes, 3dans le tems qu'il étoit Préfident du IConfeil des finances, 1'acquifition limulée 1 qu'il fit de la Seigneurie d'Hazebrouck idans la Lorraine Allemande. La Réüinion de cette Terre provenoit de difféirens échanges faits avec les Princes voiifins et, fuivant 1'ufage, au Détriment D de  50 HISTOIRE ET ANECDOTES ■ de la France (*). Le Comte de Vergennes fe fit concéder cette Terre valant k peu prés 60. mille liv. de Rente. Mais fachant bien que cette Polfeffion n'etoit pas ftable, il fe fit expédier en mème tems au tréfor royal une quittance de 18- cent mille Liv. fans-.y avoir jamais verfé cette Somme. Le Régime de la Gabelle n'étoit pas introduit dans la Seigneurie d'Hazebrouck. II demanda a la Ferme générale 300. mille liv. d'indemnité pour rétablilfement de ce Droit, tandis que des Commiifaires n'avoient eftimé eet objet que 60 mille Liv. II preifa (*) La Comtefle de la Layen avoit fait un éehange tres avantageux avec la France. Le Comte de Vergennes lui fit accorder indépendament 20,000 Livres de Penfion réverfible fur la tête de fes deux filles. C'eft ainfi que eet homme, qu'on croïoit intégre, difpofoit des fonds de 1'Etat. Le Prince de Nafiau-Saarbrück obtint auffi des Dedommagemens pour le Territoire qu'il cédoit, tandis que celui que lui abandonnoit Ia France étoit d'une valeur infiniment fuperieure.  DE LA REVOLUTION FRANC.OISE. 51 tprefla fucceffivement les Contröleurs GéInéraux de Fleury et D'ormeifon de lui «faire accorder par la ferme la Somme Iqu'il défiroit, et n'aïant pu obtenir cette «marqué de leur complaifance, il contriIbua a les faire renvoïer en les peignant «au Roi comme des Miniftres incapables. IC'eft auffi pendant qu'il étoit Préfident jjdu Confeil des finances que fe font pro. pofées et confommées ces Donations ou léchanges ruineux du Comté de Féneaftrange en faveur du Duc de Polignac idu Marquifat d'Hatonchatel en faveur de JM. de Calonne; 1'acquifition du Comté |ide Sancerre vendu par M. d'Espagnac, Iquoiqu'elle ne fit d'aucune utilité au GouIvernement, et enfin 1'acquifition des iDroits quafi Régaliens du Clermontois céjdés par M. le Prince de Condé qui, injdépendament de la Somme enorme de 7,500,000 Livres païee comptant, ob[mt une Penfion annuelle de 600,000 livres, revenu qui excédoit de beau:oup celui que pouvoit produire 1'étaisliifement des nouveaux droits dans le D ij Cler-  52 HISTOIRE ET ANECDOTES Clermontois et les Seigneuries de Dun, Jametz et Stenai ; puisque ce Prince s'étoit réfervé le Produit utile de ce Païs et n'avoit cédé que quelques Droits honorifiques et celui d'introduire le Régime fifcal établi dans le Refte de la France , au Préjudice des habitans qui furent exceiiivement mécontens. On ne doit pas étre furpris, d'après cette circonftance, de les avoir vu les plus zélés Partifans de la Révolution. Le Comte de Vergennes, profitant de Paften dant quil avoit aquis fur 1'efprit du Roi, fit placer dans le Corps diplomatique plufieurs de fes parents qui n'avoient ni capacité ni talents. Le Préfident de Vergennes fon frere fut nommé Miniftre, plenipotentiaire en Suilfe, ou il renouvella 1'alliance de la France avec les Cantons en 1777. II obtint des gratifications immenfes et le titre d'ambaifadeur pour ce fervice. II fut enfuite envoyé a Venife pour céder fa place a M. de Polignac. M. Garneran de Montezan ancien Confeiller au Parlement  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 53 iement Maupeou qui avoit époufé la fille du Préfident de Vergennes fut des Piiiftant de fon mariage Aliniftre prés 1'Electeur de Treves enfuite Envoyé a Munich enfin jusqu'a du Vivier, beaufrere du Comte de Vergennes, parvint par fon Crédit a 1'emploi de Miniftre plenipotentiaire prés les Cercles du BasRhin (*). Le Comte de Vergennes non D iij con- (*) Cet étranger parloit a peine francois, et étoit d'une Bêtife confommée. II joüoit a Condantinople Ie Röle de Maitre d'hotel, pourvoyeur de la Maifon du Cte. de Vergennes. II dut etre etrangement furpris de fe voir transformé en membre du Corps diplomatique. Peu de tems avant la nomination de du Vivier, le Comte de Vergennes fit créer pour fon Neveu qui etoit alors maitre des requétes, une place trés inutile d'intendant des Impofitions, cet emploi valoit plus de 100,000. Livres de rente, il fut fupprimé par 1'Archevêque de Toulouze. Ce Vergennes eft devenu un des Zélés Profelites de la Révolution, et membre du Département de Paris.  54 HISTOIRE ET ANECDOTES content de ces avantages accordés a fa familie follicita pour fon fils la place de Capitaine des Gardes de la Porte du Roi fans avoir obtenu 1'agrément du Marquis de Sablé, Propriétaire de cette charge, qui eut aifés de Dignité pour donner fur le champ fa Démiffion. Son ambition étoit de fe faire créer Duc héréditaire, et il alloit obtenir cette faveur s'il n'étoit mort au mois de Janvier 1787 5 peu avant 1'alfemblée des Notables. le Comte 11 fut remplacé par le de Monu Comte de Montmorin , c'y morin, devant Menin du Roi et Am- baifadeur a Madrid, homme trés vain et borné, qui s'eft retiré du Miniftére deux mois apres 1'acceptation de la Conftitution en 1791. lefard, C'eft M. de Lejfard, alors Miniftre des finances, qui lui a fuccédé, Ses Intrigues tortueufes et 3a méfiance qu'il avoit infpirée a 1'affemblée nationale Pont conduit dans les Prifons d'Orleans, d'ou ü eft forti le 7.  I DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 55 7. 7bre 1792. pour être transféré a Paris. Lorsqu'il paflbit prés POrangerie de Verfailles, la Populace difperfa les GarI; des, s'empara des Prifonniers et fur cin|i quante deux on maffacra cinquante parii mi lesquels fe trouvoit le malheureux '. Leifard. Le Miniftére de la Mari- Jr ne fut confie a M. de üartines, tines mm. |: qui de Confeiller au Chatelet ft™ de /« étoit devenu Lieutenant de Po- Manneii lice, emploi dont il s'acquiti toit avec beaucoup d'Intelligence et qui lui donnoit des rapports journaliers avec j les Miniftres, quelques fois même avec le Roi. Cet homme parut au deifous il de fa place dans ce nouveau Départe1 ment. II n'étoit que 1'aveugle Inftru1 ment des volontés de la Reine, et il ne refte que trés peu de Régiemens ou i Ordonnances, qui puiifent rappeller fon i Souvenir. Les marins lui reprochoient fon Impéritie et le peu d'égards qu'il témoignoit aux anciens Officiers. D iv Le  56 HISTOIRE ET ANECDOTES Miniflrtsie Le Département de Paris Ïa MRoÏZ et de la Maifon du Roi' Mim" du Defar- ftére fans contredit le plus tement de agréable, fut occupé après la Amelot. Retraite du Duc de la Vrilliere par M, Amelot, auparavant Intendant de Bourgogne, homme exceffivement borné, ignorant et libertin. Mais fa mére avoit été amie intime de M. de Maurepas, et il paifoit même pour être fon fils. Les Actrices le regrettent encore comme un Protedteur zélé qui échangeoit des Penfions pour leurs fa7 veurs {*). Immédiatement après la Mort de Mr. de Maurepas, le Miniftre Amelot qui avoit perdu fon Protecteur et fon Appui, et qui étoit tombé dans un état d'anéantilfement et d'imbécillité par une Ze Baren de Suite de fes débauches, fut remBrtteüii. placé par le Baron de Breteuü. Ce (*) Son fils a été depuis la Révolution Directeur de la Caifle de 1'Extraordinaire, et par conféquent un des plus ardens Déraocrate5.  1 DE LA REVOLUTION FRANfOBE. 57 Ce Miniftre avoit été longtems emploïé avec Succes dans la partie Di- ,plomatique et venoit de quitter 1'ambaflade de Vienne, II avoit été un des '! Plénipotentiaires du Traité de Tefchen, et s'étoit acquis par ce moïen la faveur de Marie Théréfe qui défiroit ardem- i ment la paix. Elle 1'avoit recommandé a la Reine qui aimoit beaucoup Mde- de < Matignon fa fille. Elle s'emprelfa de I lui donner un Département, et c'étoit :| précifement celui ou il pouvoit la fervir ! plus efficacement. Le Baron de Breteüil < avoit de 1'efprit, du caradére, de la fer1 meté, quelquefois même de la dureté, j fur tout avec ceux qu'il croïoit être fes | Inférieurs ; mais c'étoit un Courtifan ij adroit et delié. II fe conduifit avec 'I Prudence au milieu d'une Cour corrom1: püe. Voïant qu'il ne pouvoit arrêter le Progrés du mal, il fuivit le torrent, : obéit aveuglement aux Volontés de la Reine, continua a diftribuer des Lettres de cachet, s'occupa de 1'augmentation de 1 fa fortune quoiqu'elle fut immenfe. II D v fu$  58 HISTOIRE ET ANECDOTÈS fut chargé un Inftant du Portefeuille de la guerre pendant une vacance du Miniftére et fe fit donner fur le charrfp le Gouvernement de Maubeuge quoi qu'il n'eut aucun titre a cette faveur, puisqu'il n'avoit fervi que trés peu de tems dans le Corps de la Gend'armerie. Pendant fon Miniftére il fit ouvrir a grands frais une Route pour conduire a fa Terre de Dangeu et dans toutes circonftances fut tirer un grand Parti de fa faveur. Le Caradtére altier du Baron de Breteüil ne put fe plier a adopter les vües et les Plans de L'archevêque de Touloufe ni a être dans une efpéce de Dépendance de ce premier Miniftre. II fe retira en 1788, et fut remplacé par M. Laurent de Villedeiiil, homme de Robe. Le Comte de St. Prieft, cy devant Ambaifadeur a Conftantinople et en Suede, lui a fuccédé en 1789. Le Comte de St. Prieft eft le dernier Miniftre qui ait foutenu fon Caractére et fa Dignité pendant la Révolution, 11 a lutté jusqu'au dernier moment  j DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 59 ment contre la fadion démagogique; et" iï le Roi avoit fuivi fes Confeils, il eut probablement montré la vigeur néceifaire dans plufieurs Circonftances. Le Baron de Breteüil eft un Néigodateur habile. 11 a des vües fages l et étendües, de la fermeté et du CaraJdére. Sa conduite, depuis la Révolution, lui a merité 1'approbation et Pi. ftime de vrais Amis de la Monarchie. ',On 1'a accufé d'ètre un des Partifans du [Projet d'établiifement des deux Chambres; mais il eft plus que douteux qu'il jait jamais manifefté fes idéés a cet jégard. * Les hommes d'État et les Miniftres habiles font rares, Le Baron de Breteüil eft 1'un et 1'autre, et peut - être icelui qu'il feroit utile de placer a la tête des affaires fi 1'ordre fe rétablit en france. La Place du Lieutenant iieutemns ide Police de la Ville de Paris, de Police, iqui avoit beaucoup de Rélation avec la Partie du Miniftére qu'occu- poit  6O HiSTOIRE ET ANECDOTES poit le Baron de Breteüil, a été renuj plie pendant long tems par: M.UNoir. M> lg mK n ayoit le taknt nécelfaire pour s'acquitter de; ces fonclions pénibles et importantesl mais il étoit un des plus zélés fauteurs; du Despotisme et diftribüoit avec unej coupable facilité des lettres de cachet:: toüjours pret a fervir les Paffions deSj Grands, on peut le regarder comme uw. de ceux qui a augmenté la Haine du: Peuple de Paris contre le Gouvernement., Lorsqu'il quitta fa place, il obtint pouri Récompenfe celle de Bibliothécaire du: M.Thivoux et eut Pour Succelfeur M. de Crosne. Thiroux de Crosne qui avoitl été long tems Intendant de Province. Aprés la mort du Cardinal de lai JU. de Mar- Rocheaymont, le Roi confia la: beuf, chargé Feuille des Bénéfices a M. de de la Feuille ]^arbeuf Evèque d' Autun. Ce: dts Bénéfices. n '\ . ir . rrelat etoit Grand Vicaire de: Bourges lorsque M, de Maurepas-y fut éxilé. II fut plaire au Mi- i niftre I  DE LA REVOLUTION FRANqOÏSE. 6 I niftre disgracié et a fa femme tant par tfon efprit que par la maniére dont il fit lies honneurs du Palais épifcopal. A fon .'Rappel, M. de Maurepas n'oublia pas ices Services , en 1'élevant a un Pofte que dans d'autres circonftances il n'auiroit pu efpérer. Le Miniftre ne difpofoit d'aucun bénéfice important fans avoir pris les OrJdres de la Reine, qui confultoit toüjours L'Abbé de Vermond. Ainfi on ne doit ipas lui attribüer diredement d'avoir placé iplufieurs fujets médiocres a la téte des Diocéfes (*) — L'évêque d'Autun avoit fbeaucoup de Politeife, de 1'inftrudion et lun extérieur agréable. On 1'accufoit de fauifeté. II étoit fujet a des vapeurs jqui 1'obligeoient de s'enfermer fréquemiment. On lui reproche fon Gout pour pluCO La Dépravation des Moeurs d'une grande partie des ecclefiaftiques, leur futilité et leur profonde Ignorance n'ont pas peu contribué a accdlerer la ruine de leur ordre et a rendre le Peuple indifferent fur fon fort et celui de la Religion.  62 HISTOIRE ET ANECDOTES plufieurs Chanoineffes qui aux yeux du Public paifoient pour être fes maitreifes. Mais on fait que la Médifance s'exerce fouvent fans Sujet et fur des Apparences fréquemnient trompeufes. Le Roi n'airaoit pas M. de Marbeuf, qui éprouva fouvent de fa Part des Scènes violentes d'humeur et de brusquerie. II eut la conftance de refter en Place, et pendant le Cours de fon Miniftére il fe fit donner 1'Abbaïe d'Orval valant 80 mille liv. de Rente, 1'archevèché de Lyon, et fe fit nommer Commandeur de 1'Ordre de St. Efprit. Mr. Benin. Mr- Bertin, cy-devant Intendant de Lyon et Agent du feu Roi pour fes Négociations pécuniaires, avoit confervé un petit Département compofé des Harras, des manufaéhires et des affaires de quelques Provinces. Ce Miniftére inutile fut réüni au bout de quelques tems au Département des Affaires étrangéres, et on conferva a M. Bertin la qualité de Miniftre d'Etat. Son frére étoit Receveur général des Parties cafüelles. Cette  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 63 te Charge fut fupprimée en 1787 avec quantité d'autres charges de Receveurs généraux des finances, par les Confeils de M. Necker. Mais bientót aprés ces emplois furent rétablis. M. de Marville, ancien Confeiller d'Etat, avoit la Diredion des Dire£{turt Oeconomats , emploi lucratif des OeeotiO' et important. M. d'OrmeiTon maUavoit celle de la Maifon de St. jUmvitte. Ivyr. C'eft lui, qui a été depuis Controleur général, place oü il a deploïé peu de talens. M. Feydeau de Bron, d'abord M.Feydeax Intendant de Bourgogne, en- de Bron' fuite de Caën, fuccéda a M. de Marville en 1785. Je n'ai point parlé et ne parlerai pas de M. le Prince de Conti ni de M. de Penthiévre, qui n'ont pris aucun Parti pendant la Révolution. Le premier eft actuellement a Marfeille avec la partie Je la familie de Bourbon reftée en Franqe. [1 fubit la peine düe a fes incertitudes. Le Duc de Penthiévre vient de mourir au  64 HISTOIRE ET ANECDOTES au mois de Mars, 1795. C'étoit uri Prince vertüeux et charitable et d'une Pieté rare dans le Siècle de 1'irréligion. II mérite d'ètre regretté, fur tout de la clalfe indigente du Peuple dont il étoit le Bienfaiteur et 1'appui. Il exifte deux hommes dont le Caractére demande a étre développé avec plus d'étendüe, comme aïant été des principaux auteurs ou Coopérateurs T „ „„ de la Révolution. Ces étres' ZeDucdOr- • hans. font le Duc d Orkans et le Mar¬ quis de la Fayette. Le Duc d'Orléans a avoüé lui même en dernier lieu qu'il étoit fils dun Cocher et que le fang d'un vrai SansCulotte (*) couloit dans fes veines. II eft certain que fa mére avoit une conduite (*) Dénomination nouvelleinent inventie, et qui défigne les gens de la lie du Peuple qui fe font transformés en fatellites de la Révolution. Ils font a&uellement les janniflaires de la Capitale et de toutes les grandes Villes du Roïaume,  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 65 i duite tres dépravée et qu'elle eft morte de maladies qui-en étoient la Suite. Son Pére, apres avoir eu plufieurs maitreifes, avoit fixé fon choix fur mde. de ! Monteifon veuve d'un Gentilhomme tres : pauvre. Cette femme avoit de 1'efprit et de 1'amabilité. Soit qu'elle lui fit défirer fes faveurs ou qu'il-y attachat un ! plus grand prix qu'a celles des femmes idont il avoit joüi jusqu'alors, elle parf vint a captiver 1'efprit de ce Prince au ipoint qu'il lui propofa de 1'époufer. Waïant pu aprés maintes démarches réïstérées obtenir 1'agrément de la Cour, 1 elle confentit enfin a 1'époufer a la Main\tmon a condition qu'il fe fixeroit dans I la Maifon qu'il lui avoit fait batir a la jchauifée d'Antin. Ce Prince foible et é indolent - y adhéra, et dés cet inftant lelie s'empara de toute fa confiance. ii 1: abandonna alors le Palais royal a fon fils, i: en difant a fon Chancelier 1'abbé de BreIteüil, depuis long tems je ne Vhabite plus. ICe Courtifan, défolé de voir qu'il perjdoit le peu de, confidération qui lui resE toit,  66 H1ST0IRE ET ANECDOTE5 tuit, lui répondit: Ceft égal, Monfeigneur; le public Vous y fuppofoit toüjours. Mde, de Monteflbu , pour lui faire oublier fon ancienne fplendeur, lui perfuada qu'il avoit le gout des fpeclacles et de 1 la mufique. Elle lui compofa un excel- f lent Orcheftre et choifit des Acteurs dans fa fociété. Le Prince ne dédaignoit pas de jouer des róles a manteau et de païfan dont il s'acquittoït a merveille. II a vécu ainfi plufieurs années dans la retraite et dans 1'oubli. Ce Prince avoit Noblelfe de Lorraine le choifit pour un iide fes répréfentans aux Etats généraux; 8mais n'étant capable d'aucun travail afifidu, ni de réfléxions férieufes et n'a:iïant pas la facilité d'improvifer, il a ra;;rement paru a la tribune. Le feul dis» ccours qu'il ait lu, étoit deftiné a reclaimer la joüiflance perfonnelle des bénéifices eccléfiaftiques, parceque cet objet irinterreifoit. II fe rangea d'abord du iparti des diffidens, voulut enfuite fe ; rallier a la majorité de la Noblelfe; et voyant qu'il n'avoit la confidération ni ll'eifime d'aucun parti, il s'eft retiré k ! Rheinsberg, chés le Prince Henry qui aimoit fon Genre d'efprit et a bien voulu lui  8O HISTOJRE ET ANECDOTES lui accorder un Azile et foo. Loüis ddj Penfion. C'eft par égard pour un étrangerl diltingue par ion eiprit et les connoii-ti fances que j'ai placé le Chevalier del Boufflers dans le nornbre des perfonna-a ges qui ont coopéré a la révolution. ! Ni fon exiftence, ni fes ouvrages, ni faü conduite ne devoient fixer les yeux furjj lui. II n'a et n'obtiendra jamais aucunejj confideration réelle ou politique. Ses| oeuvres font celles d'un Sybarite aimable,a léger, iniouciant, & jamais il ne palfe-a ra aux yeux de la pofterité pour un Phi-|j lofophe, pour un homme d'Etat ou unffl Legislateur. II eft tems de découvrir une desjj caufes principales de la Révolution. Si Loüis XVI, a fon avénement aujij tröne, eut été dirigé par de bons con-i feils, il auroit cherché a foulager fon ia peuple des impots les plus onéreux, al lui procurer du travail et des moïens de n fubfiftance a bon marché et a captiverji fpécialement 1'attachement - de fon Ar-i mée il  DE , LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 8l Jmée, objet qu'un Monarque habile ne doit jamais perdre de vüe. Mais loin de fuivre des vües fages, on tronqua fle plan de M. de St. Germain eton n'en profita que pour ré- „ R(f°rmf f j AuneFartie former une partie des troupes ie la jjfai. i.particuliérement attachées a fa /"«» du Roi IMaifon, entr'autres, les deux tar St-Ger- ttittin. (Compagnies des Mousquetaif,res, celles des Grenadiers a Icheval, les Compagnies des cbevaux lé|gers et des Gendarmes de la Garde qui Ifurent réduites a fo. Maitres chacune. |Les Gardes du Corps, les Carabiniers, jla Gendarmerie et les Gardes franqoifes Ifubirent auffi diverfes réformes et des ichangemens qui occafionérent du Méconitentement. Le crédit des Chefs fauva fide la réforme les deux Compagnies de Ichevaux- légers et des Gendarmes qui fjdevoient fubir le même fort que celles tj de Mousquetaires. Ainfi M. de St. Gerimain , qui avoit le projet de facrifier itous les corps a Privilége, ne put pas tjexécuter fon plan, et 1'Etat ne fe trouF va  82 HiSTOIRE ET ANECDOTES va pas foülagé par les traïtement de Réforme accordés a tous les individus jusqu'f a leur remplacement. L'inftitution vicieufe des Colonel s en fecond fema du dégout dans toutes] les claffes du militaire. Ces emploisj furent donnés a de jeunes courtifansj dont 1'uniquè mérite confiftoit fouvent al avoir danfé agréablement au Bal de lal Reine. Ils commandoient d'anciens Of-] ficiers fans aucun égard ni ménagement.J Les jeunes Capitaines prétendoient tousj a ces emplois. On créa en même temsi une immenfe quantité de places de Ca-j pitaines reform és attachés aux différen-j tes armes, et ont eut a la fuite des vil-J les de guerre et des Régimens une nuée d'Officiers fans aclivité, fans talent, quil deploïoient un fafte infültant et tous les ! ridicules de la fatuité innée chés la plu-1 part des franqois. Les anciens et bra-t ves militaires gémiifoient en filence etc prevoïoient dés lors la diifolution de lajl Monarchie. Lei  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 83 Le Luxe qui n'eft pas Réflexions jcontenu dans de juftes bornes f£hU jeft un avant - coureur certain Luxe. |de la décadence des Empires. ÏSous le regne de Louis XVI, ce fléau Jdévaftateur s'introduifit dans toutes les jclafles. La Noblelfe de province venrdoit fes terres pour venir poftuler le iftérile honneur de monter dans les carofilès et de chalfer avec le Roi; celle de la Cour arrachoit a force de baifeifes et d'intrigues des places et des penfions. jLes gens de finance affichoient un luxe qui auroit a peine pu convenir aux Souverains les plus puiifans. Chaque ferimier général ou Receveur général des Wfinances opulent faifoit la chére la plus Idélicate, avoit des équipages fomptueux, fles plus riches ameublemens, des maiStreifes, des petites maifons et des jaridins anglois. " Les Evèques et les Abtóbés commendataires, au lieu de fe conStenir dans les bornes de la décence et :de la (implicité qu'éxigeoit leur état, Ivivoient a Paris loin de leurs fiéges et F ij de  84 HISTOIRE ET ANECDOTES de leurs bénéfices et y contractoienC fouvent des dettes immenfes. Les Actrw ces et les filles renommées de Paris dé-: penfoient plus de cent mille écus par anti et finiifoient par périr de mifére. Quanm tité de families infortunées gémiifent era core de la banqueroute frauduleufe duil Prince de Guéméné. Elle montoit ai plus de 40. millions. Les St. James J Serrillyj Bouffé et nombre d'autres firent des faillites énormes. Telles font lesii fuites du luxe , de la prodigalité, deiH Pabus des richeifes. On citera icy deux traits d'un luxeii ridicule. Ste James, Trésorier de la Mari-.t ne, fit extirper un rocher énorme d'unu feul bloc pour le placet dans fon jardin anglois. Semblable a la bafe de la Statüei du Czar Pièrre , on fut obligé d'inventer des machines pour transporter cette: maife, et quarantes boeufs fe relayoient pour la conduire. Louis XVI. qui ren-i contra par hazard ce rocher , ne put s'empecher de témoigner fon méconten- tement  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 85 ■cement de ce nouveau genre de folie. — Mde. de Matignan donnoit trente fix mille francs par an a M^le Bertin, célébre marchande des Mode, pour qu'elle lui fournit tous les jours un nouveau bonnet. Les grands Seigneurs, et jusqu'aux iplus petits propriétaires qui cherchoient ■k les imiter, faifoient garder les capitaineries et leurs chaifes avec une rigeur inoüie. Comment le peuple n'auroit-il Las été révolté de femblables excès? JTandis qu'il manquoit fouvent des den^óes de première néceffité, il voïoit les grands nager dans le fafte et 1'opulence, et lui refufer fouvent des fecours et des tconfolations qu'une ame fenfible fe plait a répandre dans 1'azile des malheureux. ^Mais 1'abus des richeifes endurcit tous lies coeurs; il dispofe a 1'apathie, a 1'égoisme, et le franqois poiféde ce dernier Jvice au füpréme dégré. C'eft par une fuite de cet égoïsme et de cette foif de 1'or que nombre de particuliers, fur' tout a Paris, vendoient ; leurs fonds ou dénaturoient, leur capiF iij taux  86 HISTOIRE ET ANECDOTES taux pour les placer dans les emprunts viagers ouverts par le gouvernement, trouvant ainfi un moïen facile de doisbler leur revenu. Cette claffe de citoïens a provoqué la Révolution et s'eft mife a la téte de toutes les émentes et aft femblées populaires pour foutenir les plus grandes injuftices, telles que la fuppreffion des droits féodeux (qui ne devoit jamais étre éxigée a force armee), 1'ufurpation des biens du clergé, la création des affignats. Ennernis déclarés des propriétés et des propriétaires, ces rentiers viagers et les Capitaliftes, dont tout le bien étoit placé fur 1'Etat, craignant 1'eifet d'une banqueroute devenüe néceflaire, ont creufé 1'abime oü ils ne tarderont pas a étre enfevelis, en faifant anéantir 1'ordre, la difcipline et les lois, dont 1'exacle obfervation peut aiTurer feule la fureté et le bonheur de la fociété. Mais un événement plus eifentiel encore contribüa a préparer la chute de 1'Empire franqois en aggravant les impots  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 87 'pots et la maffe des dettes de 1'Etat et en introduifant dans toutes les claffes de principes de liberté et de Guerred 0mejfl„. I $ Ormejfon, qui au moment de ! fa Préfentation au Roi lui dit, , qu'il étoit bien jeune pour occuper cet , emploi. Tont mUux; lui dit le Monari que; mus vivrons plus longtems enfemble. . Cette réponfe ne fe vérifia pas. II fut ren-  94 HISTOIRE ET ANECDOTES renvoïé aut bout de quelques mois foit parcequ'il avoit fait preuve de la plus extreme impéritie, ou paree qu'il n'avoit pas voulu fe préter avec alfes de complaifance aux déprédations de la Reine et des courtifans. M. de Maurepas étoit mort a la fin de 1781. Le Roi n'avoit pas juge a propos de le remplacer. M. de Vergennes fut celui des Miniftres qui parut avoir le plus de part a fa confian* ce et qui fut nommé Préfident du Confeil des finances. Dans Ie cours de cette SS.fr\Mj' année le Miniftére de la Guer- mjlre ie la Guerre. re pa»a a M. de Ségur, qui avoit perdu un bras a la Bataille de Lauffeld et avoit été depuis Commandant en fecond en Franche-Comté. C'étoit un homme mediocre, fort brusque, trés entété et enclin a la débauche. Ses enfans, qui avoient de Pefprit de Société et encore plus le talent d'iutriguer, s'étoient addrelfés a la Reine qui lui avoit fait obtenir cette place qu'il ne méritoit aifurement pas. Le  DE LA RÉVOLUTION FRANqOlSE. 05 Le Miniftére de la marine Caflria avoit été donné a M. de Caftries Miniftu {a la Sollicitation de M. Ne- deh Ma' v ring. fcker). Ce nouveau Miniftre I avoit une réputation peu méritée: Car lil n'étoit que vain et borné et ne reüïniflbit aucune des connoiflances néceflaiIres pour remplir un emploi auffi imporjtant. Auffi la marine ne fit que dépérir jentre fes mains. M. M. de Caftries et de Ségur ne s'oubliérent pas. Ils comirnencérent par propofer a fa Majefté une promotion de Maréchaux de france oü il fe firent comprendre. Le Maréchal de I Caftries donna fa démiffion lorsque 1'ar'■ chéveque de Touloufe fut appellé au Miniftére. Ce Prélat le déteftoit, et conI tribüa particuliérement a faire réformer I la Gendarmerie dont il étoit Comman3 dant en Chef. Le Miniftére de la Mas rine fut confié alors a M. de la Luzerne I Commandant a St. Domingue. A 1'époque de la Retraite de M. Id'Ormeifon en 17855 on lui donna un 1 Succeifeur que 1'opinion publique n'avoit certai-  96 HISTOIRE ET ANECDOTES certainement pas défigné. Cet; Colonne. homme étoit M. de Calonne (*;, courtifan fpirituel et adroit qui ii afpiroit depuis long-tems a cette Place.. II aflura la Reine et les Princes fes beaux- j fréres que le tréfor roïal feroit a leur dis- ■ pofition. II perfuada a M. de Vergen- j nes qu'il avoit des plans d'économie et! d'ar- (*) M. de Calonne etoit fils du Premier Préfident du Parlement de Douay, il ] avoit acheté dans fa jeunéffe une charge J de maitre des Requêtes , et avoit paffe' enfuite en Bretagne en qualité de Procurenr Général d'une commiffion defignée j pour juger la conduite du Duc d'Aiguil- I Ion; dans le cours de cette affaire fa I conduite fut tres partiale et contribua a ' 1'exil de M. de la Chalotais et d'autres Magiflrats et Gentilhommes; ce qui 1'avoit fait détefter dans cette Province. Son dévouement aux volontés de la Cour lui valut 1'Intendance de Metz; il obtint enfuite celle de Lille. M. de Calonne étoit aimable et féduifant, avoit beaucoup de gout pour la Réprefentation et la j dépenfe, fa fortune étoit tres dérangée J lorsqu'il fut appellé au Controle Général.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 97 d'arrangement qui augmenteroient les reveuus de 1'Etat fans furcharger le \ peuple. Le Roi feul lutta quelque i tems; mais fa foiblelfe ne put réfifter Icontre plufieurs attaques réitérées : M. de Calonne fut nommé. II débuta par cun emprunt de 50 millions rembourfables en plufieurs années. II créa une caiife d'amortilfement. Tous les préambules des Edits émanés de fes bureaux étoient féduifans par le ftile et les promeifes de ne point augmenter les impots. Pour elfiïer de remplir cet engagement, il eut recours au moïen le plus honteux, et qui précede ordinairement la décadence des Etats. Je parle de la refonte des Louis, reifource pitoïable en elle méme qui ne fervit qu'a enrichir quelques fripons de Directeurs de monnoies , et fur tout un nommé Bourdelois, Procureur Général de la Cour des monnoies de Paris (*), (créature de Calonne (*) On ne fe contenta pas de diminuer le poids des nouveaux Louis-d'or, mais on C en  98 HISTOIRE ET ANECDOTES Calonne qui avoit vécu publiquement avec fa femme a Metz dans le tems qu'il-y étoit Intendant.^ A cette époque, la prodigalité du nouveau Controleur Général fut pouifée au comble. La Reine dépenfoit des Sommes énormes a Trianon et a St. Cloud, dont elle venoit de faire 1'acquifition, le Roi s'etoit fait céder Ramboüillet par M. le Duc de Penthiévre et embelliiToit ce féjoun Monfieur en altéra encore ie titre. Cette moniioye francoife étoit Ja plus pure et la plus eftimée apres les Ducats, fon titre étoit de 22. Karats et quelques centiémes d*or fin. Lors de ia refonte fous prétexte d'y amalgamer 1'alliage m'ceflaire, connu en ftile monétaire fotis le nom de tetnêde, il fe trouva que qitantité de Louis ne contenoient plus que i g. Karats d'or fin. C'eft principalement a Strasbourg et a Paris que fe commit cette friponnerie. Le Directeur de Strasbourg Bayerlc, etBordelois fe trouvérent inculpés; ils prétendirent avoir recu des Ordres du Controlleur Général. Cetté aiTaire n'a jamais été éclaircie, ni jugée et perfonne n'a été puni dün vol manifefte.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 99 fieur achetoit Brvmoy, St, Affife et 1'Isle ! Adam. M. le Comte d'Artois, indépendament de diiférentes acquifitions ruineuJifes, fit batir une petite maifon appellée 1 Bagatelle dans ie bois de Boulogne. II avoit parié cent mille écus avec la Reine que le Batiment feroit achevé et meubié i| en moins de fix femaines. Plus de quatre eens ouvriers-y travailloient même la nuit a la lueur des flambeaux, et pluifieurs-y perdirent la vie. Indépenda! ment de ces dépenfes, il perdoit des fommes immenfes au jeu et a des paris ) de courfes de chevaux, et il donnoit de 1'argent a Profufion a fes différentes maitreifes. La Noblelfe de la Cour et 1: même celle de Province imitoit cet éxemple. Pour-y fuffire, on demandoit I des penfions, dés gratifications, des aliéjnations des domaines de la Couronne. Le controleur*général , croïant maintenir fon crédit, accordoit tout. Le peuple qui voïoit la mifere s'accroftre, commenqoit a murmurer. Pour le calmer momentanément, un Edit fupprima la corG ij vée  IOO HISTOIRE ET ANEGDOTES vée dans toute Pétendue du Ro'ïaume, et la main morte dans tous les domaines du Roi: faveur illufoire: car il n'y avoit pas quatre terres domaniales oü cet aflerviffement fut introduit, et 1'impót repréfentatif de la corvee pefoit abfolument fur le peuple, puisqu'il confiftoit uniquement en une augmentation du 6e. de la taille. On invitoit les Seigneurs laïques et ecclefiatfiques a affranchir leur vaifaux de ces droits onéreux; mais peu d'entre eux voulurent s'y préter. Mr. Necker avoit propofé de créer des Adminiftrations provinciales dans tout le Roïaume pour diminuer le pouvoir arbitraire des Intendans et faire répartir les impots d'une maniere plus égale. Les premiers eifais dans le Berry et dans la haute Guyenne fufent aiTés heureux. Plufieurs Provincés demandérent le mème régime; d'autres réclamoïent leurs anciens états qui avoient été fupprimés. La doublé repréfentation accordée au tiers-état dans la formation de ces  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. IOI ji ces Aifemblées flattoit fon amour propre orfenle des privileges dont le clergé et ; la Noblelfe joiüifoient depuis long-tems. |;Les écrits philofophiques de Voltaire, | de Rouifeau, de Diderot, de d'Alembert, de 1'Abbé Raynal et d'autres Aui teurs moins célébres circuloient dans toutes les mains. Ces écrits dangereux firent fermenter les tètes des gens peu i éclairés. On parloit hautement de la ■iréforme des abus. Des troubles éclatéi rent dans quelques provinces. La Noblelfe qui n'approchoit pas de la Cour étoit :■ elle même a la tète des mécontens. Les Pariemens refuferent d'enregiftrer les Edits portant création de nouveaux Imjpóts; et quoiqu'ils fe fuifent arrogé ce jdroit depuis des Siécles, ils prétendirent i qu'il n'y avoit que les Etats Généraux I qui puifent les établir légalement. i LVchevèque de Touloufe rarchevêque (Loménie Brienne) (*) homme AeTouhufe. G iij am(*) L'archcveque de Touloufe, transferé & l'archivêché de Sens, a eu la bafleife de preter le ferment que 1'aflemblée éxi- geoit  102 HISTOIRE ET ANECDOTES ambitieux , entreprenant et defpote, étoit entré au Confeil et étoit devenu peu aprés premier Miniftre par le crédit de 1'Abbé de Vermond, lecleur de la Reine, dont il avoit été autrefois le protecteur. Pour éviter" les remontrances reïtérées du Parlement, il commenqa par faire éxiler celui de Paris. C'eft alors que fe renouvellérent ces Scènes fcandaleufes du Despotisme le plus abfolu. Le geoit des prêtres conftitutionels, pour conferver fa place, le nom des trois Apoftats qui ont fuivi fon exemple merite d'ètre connu pour qu'il soit a jamais not. té d'infimie: ils s'appellent Jarente Evêque d'Ork:ans, et Savisnes Evéque, de Viviers, Talleyrand- PérigordEvèque d'Autun qui avoit été le premier a propofer a rAflemblJe la preftation du Serment donna fa démidion pour fe livrer plus a fon aife è la débauche, a des fpéculations de Commerce, et a 1'Agiotage fa pafïïon favorite; il réfufa d'abord de facrer les Eveqitts intrus et répondit plaifament a ceux qui le prelToient, a la bonne heure je jure mais je ne facre pas. II fe preta enfuite aux vües de l'affemblée.  ] DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 103 Le palais fut envirronné de Gardes francoifes et le Comte d'Agont, Major de ce .corps, bien digne par fon efprit et fon Caradtére d'étre un vil Agent du Defpotisme, enleva du milieu des chambres 1 aifemblées Mrs. d'Epréménil etGoëlard de iMontfabert, dont le premier fut éxilé a 1'Isle Ste Margueritte. L'un et 1'autre ne voulurent oppofer aucune réfiftence. 1O11 fe contenta de protefter. Le Duc vd'Orléans, qui dès lors cherchoit a gagner jl'affection du peuple et a rétablir la Réiputation, paria avec fermeté contre 1'enregiftrement des impöts propofés au Lit .de juftice. Le Roi revint a Verfailles :itrès mécontent, ainfi que Monfieur, qui > avoit été préfenter les mêmes Edits k ifenregiftrement de la Chambre des comptes. Le Comte d'Artois éprouva une 1: Scène plus desagréable. Des Gardes : qui 1'avoient accómpagné a la Cour des !Aydes, oü il s'étoit rendu pour le même objet, aïant frappé quelques gens du peuple, furentpoursuivis, un de fes pages fut aifailli a coup de pierres et obligé de fe G iv fau-  104 HISTOIRE ET ANECDOTES fauver, et ce n'eft qu'avec peine qu'on empècha la foule de brifer fa voiture. Le Comte d'Agout obtint pour récorn-| penfe de fa fervile obéïifance le cordon ' rouge et le Gouvernement de Valencien-I nes. C'eft ce même d'Agout qui a eu 1'audace de fe battre contre M. le Prince de Condé fon Bienfaiteur (dont il étoit Capitaine dés Gardes) pour des Propos relatifs a M<3e. de Courtebourne. L'archevêque de Touloufe, de concert avec le Garde des Sceaux (Lamoi- : gnon), propofa la Création d'une Cour pléniére cotnpofée de Notables Perfonnages choifis par le Roi, qui devoient fanclionner tous les Impóts. C'étoit I dans ce Confeil, dont la lifte ne préfen- j toit que des Courttfans fauteurs du Despotisme, que devoient fe traiter toutes I les grandes queftions d'Etat et les projets de réforme qu'il annonqoit. Le Parlement de Paris ne céda point. On fut obligé de renoncer a 1'établiifement de la Cour pléniére et a un Edit portant Créa- j tion d'un droit de timbre qui-y étoit \ an-  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 105 annéxé. Pour fe procurer des relfour> ces momentanées, on réduifit les penfi- ons, on donna quelqu'extentions a la j taille et a la Capitation, on s'empara ;de 1'argent deffiné a la confection des 'chemins qui refterent négligés. Ces reifources paifagéres étant bien ;,infuffifantes, on fe détermina ^ a convoquer une Ajfemblée de AjfembUc '' Notables, compofée de Dépu- des Notub. atés de toutes les Provinces, les' Ides villes principales et de i quelqes membres des Cours fouveraines, ,ipour leur communiquer différens plans :|rédigés par M. de Calonne qui en 1 améliorant et perfeétionnant la perception i des impóts indirects , devoient établir | cette Balance fi defirée entre la recette iet la dépenfe. On-y reproduifoit enI core ce Projet d'établilfement du droit de timbre. Les Notables, aprés avoir • l été aifemblés prés de trois mois, et s'ètre || divifés en différens Bureaux préfidés par Ides Princes du fang, ne formérent au- cune délibération. Ils demandérent a G v con-  IOÖ H1ST0IRE ET ANECDOTES connoitre précifement la quotité du de-J| ficit, et comme on ne leur préfenta a-i cet égard que des apperqus infidéles et| qu'on s'étoit imaginé qu'il s adopteroient f aveuglément tous les plans du contro- 1 leur Général, on termina cette première !« aflemblée fans avoir rien conclu, et on jij fentit que la Convocation des Etats Gé- I néraux devenoit néceffaire. M. de Calonne, qui de concert ;i avec le Comte de Vergennes avoit pro-1 voqué cette aifemblée de Notables qu'il jj avoit cru difpofée a fuivre aveuglément !i les volontés de la Cour, fut cruellement i trompé. Plufieurs Bureaux, entr'autres, & celui de M. le Prince de Conti qui mon- | tra le plus d'énergie , demanderent fon | Renvoi comme étant un Miniftre diflipateur et n'aïant pas la confiance de la nation. Les partifans de M. Necker qui 1 étoient en grand nombre, profitérent de I ce moment pour propofer au Roi de le ij rappeller comme étant le feul capable I de rétablir les finances par fon intelligenpe et Je fufTrage de 1'opinion. Les £ in-  DE LA RÉVOLUTION FRANf OISE. 107 intrigues de 1'archevêque de Touloufe, •dont le cara&ére altier ne pouvoit fouffrir iaucun concurrent, Péloignérent encore iquelque tems. II ne fut rappellé qu'a Jpépoque de la retraite de ce Prélat au Irnois de ybre 1788- La Reine confentit enfin avec peine a éloigner M. de Calonme. II fut renvoié le 8 Avril 1787? et fe retira d'abord dans la terre d'Hatonichatel en Lorraine. Mais les accufakions fondées s'étant multipliées contre slui, et le Roi lui aïant demandé fa démif Jfion de la Charge de Tréforier de Pordre jdu St. Efprit en lui témoignant fon méicontentement, il prit le parti de fe reti|rer en Angleterre oü il époufa la Veuve Jde M. Micault d'Harvelay, Garde du Itréfor Roïal qui lui avoit laifle une for|[tune immenfe. L'archevèque de Tou\ loufe prit alors la diredion des finances avec un empire abfolu. II avoit imaginé qu'il trouveroit de la foumiffion dans touites les Clalfes, qu'on confentiroit facinlement a Pétabliifement de la Cour-pléiniére qui devoit confentir et énregifter tous  108 HISTOIRE ET ANECDOTES tous les impots, au lieu des Cours fouveraines dont il-craignoit la réfiftance. La france entiére s'éleva contre cet établiifement. Le Roi voulut en vain déployer fon autorité, il fut obligé de céder. La fufpenfion de paiement et les rétenües qu'on fit fur les rentes et les penfions achéverent de mécontenter tout le monde. On reconnut 1'incapacité de 1'Archevèque en matiere de finance, et il perdit la confiance du Roi. Dans le courant des années 1787. et 1788. toutes les paffions fe developpérent. II fe forma differentes Aifemblées de la Noblelfe, du Clergé et du Tiers-état. Ces alfemblées, et mème les villes les plus confidérables envoïérent des Députations pour demander la réforme des abus, 1'égale répartition des Impöts et la convocation prochaine des Etats généraux. Le Clergé et la Noblelfe, en formant la derniére Demande, faifoient des Proteftations contre tout ce qui attaquoit leurs Privileges. Ces réferves irritérent le tiers état qui com- men~  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. IOQ menqoit a fentir fa force, et qui demanda une Repréfentation égale a celle du Clergé et de la Noblelfe a la prochaine iconvocation des Etats Généraux. L'archevéque de Touloufe devenu i premier Miniftre profita de fon crédit pour fe faire créer Cardinal a la PréfenItation du Roi de Pologne, et prit le tijtre de Cardinal de Loménie, mais il ne irecut la Barette qu'aprés fa retraite du \ Miniftére. Son frére, le Comte de £e Comtt Brienne , fut nommé Miniftre de Brienne ! de la Guerre, et on établit un ****** r In Lruerre. ! Confeil de Guerre pour reron- ConfM de I dre toutes les Ordonnances et 1* Guerre. jrégler différens objets relatifs ! sl ce département. Le Comte de Guibert au- £e Comtt i teur alfés eftimé en fut nom- de Guibert mé Rapporteur et Rédacteur. Tl fournit un exemple rare en : france d'un homme élevé par fon mérite. Sans ètre d'une Naiifance diftin- : guée , il parvint a avoir un Régiment. On  IIO HISTOIRE ET ANECDOTES On a de lui un Eflai de Taétique et d'autres écrits qui lui valurent une place d'Académicien. Cet Officier eft mort au commencement de la Révolution aprés avoir elfiïié des désagrémens marqués a 1'aifemblée BailUagére de Bourgcs, pour avoir manjfeltc des opinions trop révolutionaires. Le Comte de Guibert fit paroitre en 17SS1 au nom du Coufeil Ordonnance dela Guerre, (1)16 Ottfo lliance dite de volumineide ifltitulée llitrar'rarc "' chie dts différens Gradss militairss. Jamais Ordonnance ne fut rendüe lous des aufpices moins favorables et fous un afpect moins politique. Jusqu'alors un ufige ancien et quelques régiemens particuliers arfuroient tous les emplois d'Officiers a la Clalfe des Gentilhommes. On éxigeoit même des preuves de cent ans de Noblelfe, comme fi la défence d'un Grand État devoit être exclufivement le partage d'une Claife de citoïens que fon éducation, fes ridicules et fes travers ren- doient  I DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 11i doient fouvent la moins propre a ce gen:re de Service. L'ordonnance de Hiéraricbie conftcra ce Principe d'une maniére folemnelle et établit des diftinctions hui miliantes entre les Officiers de la Clalfe ides Gentilshommes et ceux dits de fortune , qui tout au plus pouvoient eïpérer de parvenir par les A&ions le plus éclatantes au grade de Capitaine, fins étre ;mëme titulaires. Non content de révolter cette claffe d'Officiers tirée du corps des foldats, jet de révolter par conféquent les foldats eux mèmes, on fema un genre de divijfion funefte parmi les autres Officiers, ] en établiffant une ligue de démarcation . entre la Nobleffe de Province et celle de la Cour. Un article de l'ordonnance ijréformoit les Colonels en fecond; mais j a leur place on créa des Majors en fecond, emplois encore plus abufifs et qui devoient être réfervés a ceux qui par : leur naiffance, ou leur place a la Cour étoient .dejlinés a obtenir le commandement des Ré\gimens. On ofa articuler ces mots tam pour  112 HISTOIRK ET ANECDOTES pour les Majors en fecond que pour les : emplois de Capitaine et Sous-Lieutenant j de remplacement, et cela dans un moment ou une fermentation dangereufe éxiftoit dans tous les Corps de 1'Etat. Auffi cette ordonnance fut-elle reqüe avec indignation, et elle prépara des lors la diifolution de 1'Armée. On paria auffi d'un projet d'ordonnance fur les délits et peines, dontl'un i des articles devoit, dit-on, obliger les Officiers de paróitre aux différens éxercices avec une chaine au bras lorsqu'il j leur auroit été infiigé la punition des ar- réts de rigeur. On ne fe contenta pas i de faire paroitre une foule de rtglemens auffi abfurdes qu'impolitiques: Le confeil de la guerre réforma les compagnies j des Gendarmes et chevaux légers, les gardes de la porte du Roi, et fur tout j le corps entier de la Gendarmerie ou les citoïens aifés trouvoient un débouché pour placer leurs enfans et les faire parvenir aux grades militaires, fans avoir d'emplois dans les troupes de ligne dont , ils  DE LA RÉVOLUTION FRAN£0:SE. 113 ils étoient exclus. Tous ces particuliers défoeuvrés et fans perfpedive d'obtenir d'autres places retournerent dans leurs families et leurs provinces; Ils-y firent retentir leurs juftes plaintes,. et attiferent le feu de la difcorde et du mécontentement. 11 fembloit que le Gouvernement prenoit tous les moïens d'accélérer fa chute et de rendre la révolu- 1 tion plus désaftreufe. On comptoit fans doute que les futurs Etats Généraux n'aboutiroient a rien, et ne ferviroient qu'a établir le defpotisme fur des bafes encore plus ftables. Les courtifans calculoient déja les moïens d'augmenter les émolumens de leurs places et leurs penfions; ils intriguoient pour obtenir des fuifrages aux prochaines aifemblées. Mais ces ètres bornés calculoient bien peu les progrès des lumiéres et de l'efprit humain gangrcnés et corrompus jusqu'au fond du :coëur. Ils s'imaginoient diriger a leur |volonté les voeux et les fuffrages du peuple et en impofer encore par leur H jargon  114 HIST01RE ET ANECDOTES jargon et leur fafte infultant, qui ne pouvoient faire impreffion que fur les yeux et l'efprit des Sots. Puiife la leqon lévére que leur a donné la révolution, les corriger s'il eft poifible, et leur prouver que la Religion, les moeurs, 1'exacte obfervation des loix et le bonheur de tous les citoïens généralement quelconques doivent faire la bafe de tout bon gouvernement. 11 - y - eut auffi quelques Trouhks troubles pendant la tenüe des nJtl Etats de Bretagne et de Bourvïncts. gogne, En 1787* et 1788» des Deputés de la Noblelfe de cette première Province qui vinrent a la Cour réclamer avec leur véhémence ordinaire contre des abus d'autorité, en éprouverent fur le champ 1'effet; ils furent enfermés a la Baftille. La Nobleffe de la Province de Bourgogne réclama des privilèges tombés en défuetude, en- i tr'autres, celui de nommer i'élu de cet; ordre, droit, que s'etoit arrogé le Gou4i verneur de la Province depuis 1740,: II  DE LA RÉVOLUTION PRANqÖISE. 115 II- y-eut une fcëne trés vive entre le Préfident de Bévy et Plntendant Amelot. Le Prince de Condé, en temporifant, parvint a calmer les efprits, et fuivant Pufage antique cette tenüe d'Etats fe palïa comme les autres en fêtes et en tepas fomptueuXj et fans qu'on eut discuté ni décrété rien d'elfentiel. Dans le cours de 1'été de 1788. le confeil de la Guerre propofa de raifambler des camps d'inftruction; 1'un en Flandres commandé par le Prince de Condé, 1'autre prés Metz fous les ordres du Maréchal de Broglie. Le Miniftre de la guerre devoit - y paroitrc, mais en Septembre 1'archevéque de Sens (*) 'dont tous les projets avoient échoüé, fe ietira du Miniftére, et fon frere donna fa dcmilfion et obtint le commandement de la Province de Guyenne. II fut ; remplacé par M. de PuiJJègur. H ij Le I , (*") L'archevêque de Touloufe avoit pafte" a rArclievêché de Sens a la mort du |. Cardinal de Luynes.  116 HISTOIRE ET ANECDOTES Le Roi auroit pu profiter du raifemblement de fes troupes pour regagner leur affection qui n'étoit pas abfohiment perdüe; mais cette viie eifentielle a la veille d'une tenüe d'Etats Généraux lui échappa, et les Camps fe levérent fans qu'on eut accordé aucune gratification a 1'armée, ou qu'on lui eut témoigné quelque marqué de Satisfaction de la part du Souverain. Rttftel de ' M- Necker aïant été rap* M. Necker. pellé lors de la retraite du Cardinal de Loménie , engagea le Roi a convoquer une nouvelle aifemblée de Notables pour difcuter dirférentes Qiieftious préalables a la tenüe des Etats généraux. Le Parlement de Paris transféré a Troyes, oü il avoit cependant continué a rendre la Juftice, fut rappelé. Les Pariemens de Province qui avoient celfé leurs fonctions , les reprirent, et on commenqa a avoir quelque lüeur d'efpérance que les troubles s'appaiferoient. La  DE LA RÉVOLUTION FRANfOISE. 11 7 La première Queftion que j-M. Necker propofa. a 1'Affem- A^Se"yAt blée des Notables fut, fous &es Notab. quelle forme on convoqueroit les Etats Généraux. Son projet étoit dès lors de faire accorder une doublé repréfentation au tiers-état; mais tous les bureaux, excepté celui préfidé par Monfieur, opinérent pour la conyocation fuivant les anciennes formes. foute l'aifemblée demanda auffi a connóitre préalablement la quotité du déficit. M. Necker, qui avoit intérèt a le : cacher, ne donna aucune folution. D'après quelques renfeignemens , peut-etre erronés, on calcula qu'il pouvoit être de 114 a if6. millions de différence annu, elle entre la recette et la dépenfe. C'eft a cette première fomme que M.,Necker fa fixé a 1'ouverture des Etats généraux. Ce qu'il - y - a de certain, c'eft que la iprofondeur du mal n'a jamais été conniie; et cette feconde Aifemblée de Notables fe fépara encore fans avoir rien termioé, H ijj Au  118 HISTOIRE ET ANECDOTES Opinio» du Au mois de Decembre Con/eii du 1788. M. Necker fit paróitre Rot en ]e fameux Arrèté du confeil qui établiflbit la doublé repréfentation en faveur du tiers-état, et qui indiquoit le projet de réünion des ordres pour opiner par tète dans quelques circonftances, ce qui étoit abfolument contraire aux anciens ufages oü on avoit toüjours opiné par Ordre et dans des chambres féparées. Cependant cette Opinion avoit trouvé des partifans. La Noblelfe du Dauphiné, a une affemblée particuliére, avoit voté de cette maniére. M. Mounier, membre de 1'alfemblée conftituante , en étoit Sécrétaire et propageoit adroitement cette doctrine. Depuis long-tems une grande Partie de la Nation franqoife cherchoit a imiter les modes , les ufages et le coftumes Anglois. L'inftitution des Clubs a été une fuite de cette manie. Ces alfemblées, deftinées d'abord a la lecture des papiers publics, devinrent bientöt le Théatre des  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 'II9 Ides discuffions les plus véhémentes contre le Gouvernement. En vain le Mijniftre du département de Paris et le Lieu|tenant de Police cherchérent a les diffoudre, le norabre des aggrégés ne fit jque s'accróitre, et bientót aprés la Réfvolution les Clubs des prétendus amis |de la conftitution, tant a Paris que dans lies villes de Province, anéantirent les Jautres fadlions et parvinrent a dominer jtoute la France de la maniére la plus arfbitraire et la plus despotique. Notre lexemple doit éclairer les Souverains fur ileurs vrais intéréts et les engager a furI veiller toutes les affemblées , dont la I plupart ne vifent qu'a la deftruction de JPordre, de la Religion, du Gouvernejment et de la propriété. L'agitation et la fermentation qui Irégnoient dans toutes les Claifes, et Iplus encore le défaut de Crédit et PimIpoffibilité de pouvoir fournir a la dépen|fe de PEtat déterminérent M. Necker a propofer au Roi de convoquer Cmvocation j trés promptement les Etats Ge- ,jej Etats HIV né- Généraux.  120 HISTOIRE ET ANECDOTES néraux. L'époque de raflemblée fut annoncée au May 1789- a Verfailles, fous prétexte que eela faciliteroit les rapports irïtimes qui devoient éxifter entre le Souverain et 1'ailemblée, et dans le fait Necker croïoit dominer les Etats Généraux en leur faifant refpirer 1'air gangréné de la cour. Cette Politique mal, adroite a été cruellement trompée, puisque c'eft le peuple de Paris, dirigé par la faction d'Orléans, qui a fucceffivement maitrifé le monarque et 1'alfemblée. La Convocation des illèmblées Bailliagéres fe fit trés prompteCM* d,t menu Le clergé et la Nob. Jjeputes dans _ , ° les différens le"e apporterent peu de choix Ordres. et de difcernement dans leurs élections. Necker avoit accor. dé aux curés une repréfentation perfonnelle. Cette clafTe d'Ecclefiaftiques, parmi lesquels il fe trouvoit quelques fujets honnêtes et vertueux, étoit en général compofée d'ètres trés vains, bornés, fouvent fans moeurs , et presque toüjours fans éducation ni ufage du monde.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOlSE. 121 I de. Leur amour propre fe touva flatté, i de fe voir transformés en legislateurs, et I les nominations du Clergé, dans la majorité | des Baillages, fe trouvérent compofées de I curés Quelques Evèques-y eurent part par une fuite de leur crédit ou de leurs intrigues. Auffi cette aifemblée ne put pas compter fix fujets diftingués dans 1'ordre I du Clergé. Plufieurs membres pouvoient avoir des connoiifances et de Pin. ftruction; mais ils n'étoient point orateurs et n'avoient pas le talent nécef. feire pour improvifer, ce qui entrainoit Ifouvent beaucoup de fuffrages (*). L'abbé Maury eft mè- ^am me le feul qui ait conftament putte contre Porage avec une intrépidité fans égale. Sa conduite lui a mérité une élévation et une fortune ausquelles il n'auroit ofé prétendre fous Pancien régime. Cet Ecclefiaftiaque, H v d'une (*) 1'Archéveque d'Aix (Boisgelin) et 1'Abbé de Montesquiou agent du Clergé, ont été du nombre de ceux qui fe font diftingués.  122 HISTOIRE EI' ANECDOTES d'une extraction trés ordinaire, avoit pré-J ché avec iücces a Paris, La nature lui avoit accordé des Organes trés vigou-J reux, et fon éJoquence étoit foutenüèfl de beaucoup de nerf et de caractéreJ plutót que de fenfibilité'. L'abbé Maury etoit tres inftruit. 11 écrivoit purement; avoit obtenu une place a facadérrae franqoife et une Abbaïe confidérable. On a dit que fes moeurs n'avoient pas été trés pures jusqu'a cette époque ; mais leur diifolution n'avoit pas été pouffeé jusqu'au Scandale. II a frondé conffament et avec fermeté les entreprifes du tiers-état contre le Trójie, 1'autel et la Monarchie et a foutenu les droits du St. Siége fur Avignon et le Comtat Venaiffin qu'il a plu a 1'alfemblée d'ufurper. Le Pape, pour le récompenfer, Pa crée j Archevèque de Nicée, Bibliothécaire du Vatican et fon Légat au couronnement de PEmpereur Franqois U; et il lui réferve fans doute la pourpre romaine pour prix de l'attachement qu'il a montré pour la Religion, pour fon Ordre et pour le j St. Siége. La I  (! DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 123 La Noblelfe de la cour qui par fes jcharges, fes alliances et fes polfeffions javoit de 1'mfluence dans les Provinces, parvint a obtenir des fuifrages en pro- jftiettant d'aider de fon Crédit les indiividus fans recommandation , en faifant jefpérer la réforme des abus, etfur-tout ! en manifeftant un attachement fans bordes a fon Ordre. C'eft ainfi qu'on fé;duiiit les crédules gentilshommes cam1 pagnards, qui confioient leurs plus chers intéréts a des êtres accoutumés dés leur r enfance a tromper leurs femblables et ! chez lesquels la flatterie et la diffimu- lation étoient des défauts innés. On : cornptoit cependant quelques fujets dii ftingués dans le nombre des Deputés de la Noblelfe. M. M. de Clermont-Tonïinerre, Cazalés, Lally - Tollendal, d'EIpresménil, le Comte d'Antraigues et plu* fieurs autres parloient avec facilité, et ïfans être de profonds législateurs, ils ^avoient une éloquence naturelle qui de- voit plaire dans une grande Alfemblée. IM. le Duc d'Orléans fe fit nommer De,  124 HISTOIRE ET ANECDOTES Député de Crespy en Valois, et nom- ; bre de fes partifans réünirent des fufFrages foit a Paris, foit dans d'autres Bail- . liages. Mr. le Prince de Condé parut ; defirer que fes adherents reuniflent leurs i fuffrages, pour le faire nommer Dé-. puté du Baillage de Dijon. Quoiqu'il { eut été trés politique d'oppofer le crédit j de ce Prince a la fadlion d'Orléans dont: il étoit 1'antagonifte le plus décidé, lel Parlement qui dominoit Paifemblée Bail-. liagére s'oppofa a fon admiiTion et fit: nommer un de fes membres. Le tiers-état apporta beaucoup plusi de fcrupule et de difcernement dans le: choix des fes députés. La plupart d'enJ tre-eux étoient des Avocats diftingués,, des gens verfés dans la connoiffance dui monde et des affaires, et fur-tout les: ennemis le plus acharnés de Panelen GouJ vernement. On ne doit donc pas ètra; furpris des avantages que fes orateurs: ont obtenus, fur tout après avoir réüfft a occafionner une fciffion dans les deu^ premiers ordres, Maisi  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 12$ Mais une acquifition encore plus précieufe pour le tiers-état fut celle du Comte de Mirdbeau. Le Comte 11 étoit fils d'un ancien Gentil- beaUé homme de Provence nommé Riquetti, qui s'étoit a donné a la Culture des lettres. Mirabeau avoit été d'abord Sous-Lieutenant dans la Légion de Lorraine pendant la guerre de Corfe en 1769. Sa lacheté et fa mauvaife conduite le firent renvoyer. A fon retour a Aix il époufa une fille de condition, diiiipa fa dot, la fit périr de chagrin et de mifére, et contrada des detteS immenfes. Son pere le fit enfermer d'abord au chateau d'if, il parvint a féduire la femme du Géolier fut transferé enfuite au chateau de Dijon et en fin a celui de Joux en Franche-Comté. 11 avoit fait connoilfance a Dijon avec Mde Le Monnier femme d'un Préfident a laChambre des Comptes de Dole, déja célébre par| fon procés avec M. de Valdahon qui avoit voulu enlever fa fille. Mirabeau féduifit Mde. le Mounier et la détermina a quit-  12 6 HISTOIRE ET ANECDOTES a quitter foil mari après avoir volé fes| diarnans et d'autres effets précieux. J Elle habitoit alors Pontarlier, et MirajJ beau étoit au Chateau de Joux d'oü il I avoit la permiflion de fortir par un erfetl de la tolérance du Commandant. Soni| projet réliflit. Mde- le Monnier fe ren-dit eii Suilfe, et Mirabeau, après avoir 1 vécu avec elle quelques femaines , lui ij vola a fon tour ce dont elle avoit dépoüil-1 lé fon Mari et la mit dans le cas de régrettet toute fa vie d'avoir écouté les I confeils d'un fcélérat, Le Parlement de Befanqon condamna I Mirabeau a être décapité comme coupable de Vol, de féduciion et de Rapt. II fut en confequence exécuté en éffigie, Après avoir abandonné Made , le Monnier, Mirabeau s'étoit réfugié en Hollandej d'ou fon pere le fit enlever par un efpion de police nommé Jacquet, ayant obtenu préalablement une lettre de cachet pour le faire enfermer a Vincenrtes, oü il refta quelque tems. A la mort de fon pére, le Baron de Breteüil le fit mettre en  . DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 127 HÉ liberté. Pour fe mettre a 1'abri de fes créanciers, il fe retira en Allemagne et en Prulfe. 11 paroit par fes lettres ■jqu'il étoit chargé de quelque miffion fescréte de la part du Gouvernement. Ses lettres fur la Prulfe font écrites d'un ftile {dégoutant. II n'y-a aucune nuance de .jpudeur ni d'honnêtteté. Elles ne témoi■jgnent aucuns égards pour les Souverains et les Gouvernemens. II finit toüjours fl)ar mendier quelque place qui lui donne Jun caradére et une repréfentation condvenable. 11 a traduit ou compofé apendant fon Séjour en Prulfe un ouvrage volumineux fur la Monarchie PruffienJttie, et avoit précédement écrit des LetlÈres fur la Prifon de Vincennes et diiféjrens mémoires relatifs a fes affaires, Ses iprodudions annoncent du génie et de fi'originalité; mais en général le ftile eii jeft peu foigné, et elles ne peuvent jaitnais lui donner une grande réputatioii •dans la république des lettres. Son pèffé avoit fait plufieurs ouvrages eftiméSj fintr'autres s un Livre intitulé Vami des . hom*  12 8 HISTOIRE ET ANECDOTES hommes. C'étoit un ètre atroce qui cherchoit a couvrir fes vices du masqué de la vertu. II a perfécuté fa femme de la manière la plus barbare, a dotiné la plus mauvaife éducation a fes enfans. On connoit la vie du Comte de Mirabeau. Le Vicomte de Mirabeau (*) fon frère étoit auffi un affes médiocre fujet; ivrogne, crapuleux et dérangé. II avoit dilapidé les fonds de la caiife du regiment de Tourraine dont il etoit Colonel, et avoit été fufpendu de fes fondtions. Son efprit, fes faillies et fes intrigues, malgré fa mauvaife réputation, le firent nommer député de la Noblelfe d'Auvergne. II fe retira en 1790. de ralfemblée nationale et vint en Allemagne fe mettre a la tète des Contre-Révolutionaires. Malgré le peu de moïens qu'a- voient (*) le Vicomte de Mirabeau avoit fervi en Amérique fous M. de Rochambeau. II etoit auffi brave et entreprenant, que fon frere etoit lache, il eft facheux qu'il n'ait jamais pu avoir de 1'ordre et de la Conduite»  DE LA RÉVOLUTION FRANQOISE. 129 voient les Princes émigrés, il en obtint de fommes trés confidérables pour la levée d'une légion nombreufe compofée en grande partie de déferteurs, d'efcrocs et de mauvais fujets (*). Le Vicomte de Mirabeau eft mort en 1792. fur les bords du Rhin. Sa Légion faifoit partie de 1'armée de M. le Prince de Condé , compofée d'environ fooo. Franqois émigrés. Tout Paris a été imbu de Phiftoire et des avantures de la Marquife de Cabris fille du Marquis de Mirabeau j ce qui prouve que ce prétendu philofophe auroit mieux fait d'appliquer a fa familie la théorie qu'il enfeignoit. Le comte de Mirabeau avoit une figure ignoble et dégoutante, emblême des (*) Je n'entends pas parler des Officiers fous cette Dénomination, et dans le fait au bout de quelque tems cette Légion du Vicomte de Mirabeau s'eft épurée, par la défertion et après qu'on eut congédié nombre d'individus fufpeéts ou vicieux. I la théorie qu'il enfeignoit.  130 HISTOIRE ET ANECDOTES des vices dont fon ame étoit le repaire. II avoit des yeux fpirituels annoncant la lubricité et la fcélératelfe. Mais la nature Favoit doüé d'une force extraordinaire, d'un bel organe et d'une éloquence féduifante, fur tout pour le peuple. Aïant été une des viclimes du despotisme, puis qu'il avoit été enfermé une partie de fa vie par lettres de cachet, il etoit un des plus dangereux antagonjftes de Pancien Gouvernement. 11 devint 1'ennemi juré de la Noblelfe qui avoit eu le mal-adrelfe de refufer de le récevoir aux Etats de Provence oü fa familie avoit des poifeffions. 11 vint s'établir a Marfeille a la fin de 1788- y vendit du drap pendant quelques jours, harangua le peuple et fe mit a la tête d'une émeute qui-en impofa au Comte de Caraman Commandant en Provence, qui fut obligé de fe retirer avec les troupes qu'il avoit amenées d'Aix pour la calnier. Mirabeau devint Pidole du peuple de Marfeille par le zèle et 1'activité qu'il déploya dans cette circonftance, et il n'éprouva  DE LA RÉVOLUTION PRANqOISE. 131 n'éprouva aucuns obftacles pour être nommé Député du tiers état de Provence. II fe préfentera fouvent des occalions de parler de lui dans la relation 1 des opérations de Paffemblée conftituante. Les Cahiers contenant les Bemanin pouvoirs et les inftruclions don- enoncéet nées aux différens Députés fu- *"'f l" \ rent bientót redigés. Ils s'ac- : cordoient presque tous fur les < points principaux, favoir: Que la france étoit et continue» roit d'ètre un Gouvernement Monarchique héréditaire de male en male. Que les alfemblées des Etats Généraux feroient périodiques. Qu'a ces Alfemblées feules appartenoit le droit d'établir, confentir et proroger les impóts. Que les Minjftres feroient alTujétis a la plus fbricte refponfabilité. I ij Qu'on  132 HISTOIRE ET ANECDOTES Qu'on anéantiroit jusqu'au nom de Lettres de cachet. Le tiers - état demandoit 1'abolition totale des privileges et diftin&ions pécuniaires du Clergé et de la Noblelfe,- mais peu de cachiers demandoient la fuppreflion de ces Ordres. 11 etoit enjoint aux Députés du tiers-état de provoquer par tous les moïens poffibles la réünion des chambres et 1'opinion par téte. Les Cahiers du Clergé et de la NobleiTe en général excepté de celle de Paris intra muros, prescrivoient aux Députés de n'opiner jamais que par ordre et dans des Chambres féparées. Quoiqu'il-en foit, il paroit que les trois Órdres etoient d'accord fur les bafes principales. Tel étoit véritablerfient le voeu du peuple alfemblée librement. On étoit loin de prévoir alors que les Députés s'arrogeroient le droit de méprifer leurs mandats et de créer d'abord une conftitution vicieufe et incohérante en 1791. et que quelques fcélérats pro- fite-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOJSE. 133 fiteroient enfuite des troubles et de 1'A; narchie pour anéantir la Monarchie, faire périr un Roi vertueux fur 1'échaffaud et établir un Gouvernement qu'ils appellent républicain, dont on ne connoit ni la bafe ni les principes que pour avoir vu fe manifeffer pendant fa durée une fuite d'horreurs et les attentats le plus inoüis. Fin ie la première Seclion. I üj Hiftoire   Hiftoire et Anecdotes de la RévoIutionFran§oife depuis 1'avenement de Louis XVI. au tröne jusqu'k 1'epoque de fa mort. Tome I. Secliott feconde.   137 Section Seconde. Sommaire. \ fluverture des Etats généraux. Dijcours | ^ de M. Necker. Séparation des Ordres. i Afiemblée Nationale. Séance du 2 o. jfuin. | Réünion des Députés du Clergé et de la Nob\lejje. Rafifemblement de troupes dans les enIvirons de Paris; Maréchal de Broglie. iRenvoi de M. Necker. Démijfwn des Mi\nifires. Infurreition du Peuple, 14. failliet, attaque et prife de la Bafiille. Lauïnay, Flejfelles, Fouïon, Berthier, Bailli, iMaire de Paris. La Fayette, Commandant ^Général. Ementes dans les Provinces, Briigandages: aLuxeüil, aLure, a Geywiller. iPillage de l'Hotel de Fille de Strasbourg; IKlingling, Fuite des Princes et des Courttifans, FaÜion Républicaine, Monarchiens. IRoyaliftes. Rappel de Necker, Bézenval. \Nouveaux Miniftres. Embarras des finances. Clermont- Tonnerre. Lally- TolI v len-  138 H1ST0IRE ET ANECDOTES lendall. Séance du 4. Aout; abolition de tous les droits féodaux; cbajfe et pécbe, Capitaineries. Motifs de la Révolution. SuppreJJJon des dimes. Veto fufpenjif accordé au Roi. IndiviJibÜité de la Monarchie. Quejlion fur la Succeffon de labranche d'Efpagne. Contribution patriotique. Droits de ïhomme. Difette et fermentation a Paris; Régiment de Flandres. Garde nationale de Verfailles. Repas des Gardes du Corps; dènonciation a VAffemhlée; matinée du 5. Ottobre; Maillard; 40. mille femmes de Paris partent pour Verfailles. Monnier, IJévêque de Langres, Retour du Roi. Députation des femmes. Arrivée de la Fayette a la tête de la Garde nationale de Paris. Acceptation des Droits de Phomme. Maffacre des Gardes du Corps. La Reine fe trouve dans le plus grand danger. Réveil de la Fayette. Départ du Roi pour Paris. Départ de plufieurs Députés. Arrivée du Roi a thotel de Fille; harangues. 11 fe rend au Chateau des Thuilleries. Recherche des Injiigateurs des forfaits commis les 5. et 6. Ottobre. Le Duc  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 139 Duc ctOrléans; fon départ poier VAngleterre. jfournalijies et folliculair es. Difette fadcice a Paris; Maffacre d'un Boulanger. Roi des francois. Biens du Clergé dévolus a la Nation. Réfléxions fur fon Ad' miniftration. Source dis Impots indiretts abfolument tarie. AJfgnats. Dons patriotiques. Notte fur F ouvrage de Mr. Gir- , tanner. Les Miniftres ne peuvent étre choijis dans l'AJfemblée. Citoïens attifs et non aÜifs. Qiialités requifes pour avoir droit de fuffrage et être élu repréfentant ; du peuple. Nouvelle divifion de la France ; Départemens , DiftriÜs , Cantons, i Municipalités. Réfléftions fur les Ajfem- I blees populaires. Juifs. Proteftans. Réligion. Rabaud de St. Etienne. Dom Gerle, Clergé de france. Penfions, abus. Exemples, Camus, Archivifte de TAjfemblée. Troubles a Toidon, a Marfeille, en Corfe. Événement a Senlis. Arrefta- ; tion , proces et jugement du Marquis de Favras. Jugement de Bézenval. Monfieur paroit a l'bótel de Fille de Paris. 1 Réfléxions fur la conduite de ce Prince. Obfer-  140 HISTOIRE ET ANECDOTES Übfervations fur la traitte de Négres. Troubles U la Martinique, a St. Dominque. Députés des Colonies, Goüi dArcy, Cocberel. ConcluJIon. Arrivé a 1'époque de 1'ouverture des Etats généraux, je n'entrerai pas dans le détail des débats et des féances. Nombre d'ouvrages et de journaux-en ont fait une rélation fidéle. II fuffira de rapporter les principaux évènemens qui ont eu lieu a Verfailles, a Paris et dans 1'intérieur du Roïaume. On trouvera dans cet ouvrage des anecdotes particuliéres qui répandront de la lumiére fur la conduite du Roi, de fes conleils et des différens membres de Paf- lemblee. Les apperqus mettront a portée de fuivre les progrés de la révolution et d'en marquer le caractére. Je fuis obligé d'écrire fans avoir beaucoup de matériaux et fans avoir compilé lesouvrages, qui ont paru dans le tems. Mais j'ai été témoin oculaire de  DE LA RÉVOLUTION FRANf OISE. 141 de la plus grande partie des faits que je rapporte: ma mémoire qui jusqu'a préfent a été fidéle, et des nottes exacles que ma pofition m'a permis de prendre me ferviront feules. S'il m'échappoit quelqu'anachronisme ou quelqu'inéxa&itude, je réclame 1'indulgence du Lecteur, et j'ofe 1'aflurer que ces fautes ne feront pas communes. Les Etats généraux ne 0uverture s'ouvrirent que le 5. Mai 1789- iesEtatsgéO11 avoit préparé une falie n(rauxdans 1'intérieur du chateau de Verfailles pour donner a cette alfemblée tout 1'appareil et la folemnité néceffaires. Les trois ordres y parurent dans des places diftindtes et feparées, et avec des coftumes différens, conformément aux anciens ufages (*). Aprés avoir entendu le (*) L'aflemblée fe rendit procefïïonellement a l'Eglife de St. Louis oü elle entendit la MeflTe. M. de la Fare évêque de Nancy prononca un difcours rélatjf aux circonftances.  143 HISTOIRE ET ANECDÜTES le Difcours du Roi et d'autres Difcours de notables perfonnages, Necker, ,| a caufe de la foiblefle de fa . voix, fit lire par un Sécrétaire un long et ennuïeux verbiage qui ne répondoit nullement a 1'importance des objets qu'on devoit difcuter., Séfaration t^q trois ordres fe féparérent et des Ordres. , ,, . , . procederent, chacun dans leur chambre refpective, a la vérifieation des pouvoirs des différens membres. Le tiers-état envoïa dés la première féance une députation aux deux au^es ordres pour les engager a procéder a cette vérification en commun; mais la plus grande partie de leurs membres rejetta cette propofition. II régnoit déja du désordre et de la désunion dans les ordres du Clergé et de la Noblelfe. Le tiers-état feul procédoit avec prudence et méthode; et voïant que les Séances fe perdoient en difcuffions inutiles, il fit déclarer aux deux autres chambres, qu'il repréfentoit la majorité du peuple francais et qu'il les invitoit a fe réunir pouri  DE LA RÉVOLUTION FRAN£OISE. 143 pour s'occuper d'objets qui devoient affurer fon bonheur. Le 17. Tuin, la chambre 1 p Air AjjemhUe du tiers-état fe qualifia Ajjem- Nationale, liét Nationale. Le 20. Juin, la falie de &f( iu fes féances fe trouva environ- 20. juin. née de foldats qui en defendoient 1'entrée. Tous les membres fe rendirent alors au jeu de paume et firent le ferment folemnel de ne fe féparer que lorsque la nouvelle conftitution feroit achevèe. Le furlendemain 149. membres de la chambre du clergé fe réünirent au tiers-état. L'évêque d'Autun (Talleyrand Périgord) étoit a la tëte; la plus grande partie des autres étoient des curés. Des runiant ue ccllc icumuu PalTëmblée Nationale nomma M. Bailly CO Pour f°n Préfident, et on délibé- ra (*) M. Bailly étoit membre de 1'académie des Sciences, diftingué par fes Connoiffances en Aftronomie; mais il a prouvé qu'il étoit un médiocre législateur, et peu capable d'ètre a la tête du Cofps municipal de Paris.  144 HISTOIRE ET ANECDOTES ra unanimement que la nation ne païeroit plus d'autres impots que ceux que j les Repréfentans auroient confentis. Elle forma un autre arrèté bien plus favorable pourlesCapitaliftesduRoïaumeet la gran- 1 de partie des habitans de Paris, qui fut la Garantie folemnelle de toutes les dettes de PEtat Le Roi fatigué de toutes ces difcuffions fe détermina a aifembler les ordres dans la grande falie le 25. Juin. Cette féance mécontenta tout le monde. II | ordonnoit aux trois Ordres de voter féparément dans leurs chambres, en leurs enjoignant cependant de fe réunir lorsque le bien de PEtat paroitroit Péxiger. Le réglement annéxé a fon difcours fut Ju par le Garde des fceaux Barentin. Le ! peuple qui étoit aflembleé témoigna fon mécontentement au Souverain lors de fon retour dans ion appartement. Les deux i premiers ordres fe féparérent; mais le ! tiers-état relta en poffeffion de la falie | et refufa d'en fortir malgré Pinvitation j du Marquis de Brézé Maitre des Céré- i monies. ,  DE LA RÉVOLUTION FRAN?OISE. 145 monies. Tel fut le premier coup porté i a 1'autorité roïale. Le 25. Juin, le Duc d'Orléans a la i tète de 47. membres de 1'Ordre de la NobleiTe , la plupart grands Seigneurs ou comblés des faveurs du Souverain, fe réünit au tiers-état. Ce lache révolutionaire avoit ameüté le peuple et efpéroit intimider les autres membres de la Noblelfe et les déterminer a Paccompagner. II voulut parler; mais la frayeur le faifit: il fe trouva mal, et en ouvrant fa vefte pour lui faire prendre Pair, on trouva qu'il étoit plastroné. i L'arche\'èque de Paris et plufieurs autres membres de 1'ordre du Clergé et de la Noblelfe furent pourfuivis et infultés, tandis que le Duc d'Orléans et Necker étoient reconduits avec enthoufiasme et les plus vives acclamations. Enfin, fur les invitations réiRéunion des terées du Roi, les trois ordres trois Ordres. reunirent. Le Marquis de la Qyeille et le Marquis de Damas d'Anlezy eurent feuls le courage K de  146 HISTOIRE ET ANEGDOTES de refter fidéles a leurs commettans et a leurs mandats, et fe retirérent de l'Affemblée. C'eft ainfi que s'opéra la delfruction des deux premiers Ordres de 1'Etat, et qu'on fit écrouler en un inftant et fans réfléxions les fondemens de la Monarchie. Bodin Orateur des Etats généraux tenus a Blois, difoit que la Nobleffe étoit le Nerf de l'Etat; mais la Noblelfe en 1$%). ne relfembloit pas a cette de 1789. Celle - ci en avoit au plus le nom et les préjugés. Sa conduite pufillanime, fes projets auffi mal ourdis que mal conqus, la baflelfe et la cupidité d'une grande partie de fes membres lui ont fait perdre toutte efpece de confideration non feulement parmi la Nation franqoife, mais même aux yeux de tous les peuples de 1'Europe. II n'eft pas douteux qu'il n'éxiftat dés-lors un projet de faire arrêter le Roi, de nommer le Duc d'Orléan sLieutenant-Général du Roïaume et de faire rnaifacrer quelques membres de 1'ordre du  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 147 du Clergé et de la NobleiTe a qui on fuppofoit de 1'énegie et du caractéré. 5 Mirabeau avoit conduit ce plan avec adrefle. Le peuple lui étoit dévoué et prêt a exécuter ce qu'on lui prefcriroit. La lacheté du Duc d'Orléans fit avorter ce complot qui peut-être auroit réüffi, tant la frayeur s'étoit emparée de 1 tous les efprits. On confeilla au Roi de faire cer1 ner la ville de Paris d'un grand nomI bre de troupes. Les motifs apparens ; étoient d'y affurer la tranquillité et les j moïens de fubfiftance , de prévenir les i émeutes populaires et les fuites de Pe[ fprit de parti. Le vrai but étoit de fubjuguer le t peuple, de düToudre 1'Aflemblée et de fai< re rentrer le Roi dans toute la plénitude I de fon pouvoir qu' oncherchoit a l attaquer. Pour former le camp ^T«»"«- * •!* inent de trou. i autour de Paris, on chomt en fes dansles ; grande partie des Régimens envWons de : étrangers, comme étant moins Faris' i fufceptibles d'ètre féduits et K ij cor-  148 HISTOIRE ET ANECDOTES corrompus que ne 1'étoient les troupes nationales. „ . Le Maréchal de Broglie (*) Maréchal f ö v J de Broglie. fut nomme Generaliliime de cette Armée. II avoit une grande Réputation militaire pour avoir eu des fuccés dans la guerre de fept ans et avoir gagné la bataille de Bergen. Mais ces fuccés étoient dus en grande partie a fon frere, homme a grand caradére, génie vafte et entreprenant. Le Maréchal de Broglie, féparé de ce confeil, paroiflbit n'avoir plus les mèmes talents militaires. On en fit 1'éxpérience au (*) Le Maréchal de Broglie réuniflbit a une ancienne expérience beaucoup de prudence et de fagefle, lorsqu'il voulut déployer de la fermété, il éprouva conftament des entvaves de la part du Roi. C'eft en vain qu'il chercha k déterminer ce Monarque è pafler la Revue de fes troupes, et a leur donner des marqués de farisfacliion. Cette mefure fut négligée, elle eut pu prévenir des grands malheurs.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 149 | au Camp de Vauffteux, en 1788, 011 il fit diverfes grandes manoeuvres et évolutions mal combinées. Le Général Luckner qui commandoit un Corps de I 12000. hommes, trouva le moïen de I prendre une pofition d'oü. il eut pu anéI antir 1'armée commandée par le MaréI chal et lui prouva fa fupériorité pour I 1'éxécution des grandes manoeuvres et les I Principes de la haute tactique. Le Mail réchal de Broglie débuta par envoïer des I patrouilles dans tous les quartiers de Paris , fur tout au Palais roïal. II fit diffoudre les groupes et les alfemblées pof pulaires et fit arrêter divers particuliers : qui fe permettoient des Réfléxions fur Ia : pofition des affaires. Ces précautions féi véres ne firent qu'irriter le peuple de ! Paris. Le Duc d'Orléans fit circuler de | 1'argent dans tous les quartiers, fur> tout dans le Faubourg St. Antoine (*). Lii j On (*) La populace de ce quartier avoit pillé quelque tems auparavant fans aucun motif la manufadture de Papiers de Revei.1hon qui entretenoit plus de trois eens Ouvriers.  150 HISTOIRE ET ANECDOTES On s'attacha a corrompre les troupes et a leur faire, perdre la difcipline et laSubordination. Un effain de proftituées, des chanots remplis de vin et des émifTaires chargés de diftribuer de 1'argent fe répandirent dans le camp: Bientöt le Régiment de Toul-Artillerie et d'autres Corps fe mirent. en infurrection et refuférent obéïlfance a leurs Officiers. Le Regiment des Gardes franqoifes étoit déja gagné. Pour mettre le comble a Peffervefcence du peuple, le Roi eut la Senvoi de maiadrejfe de renvoïerM. Necker JU. Necker. devenu ndole du peuple. Le Démijjto» 12. Juillet les Miniftres MontdesMini- ■ la Luferne, Puifégur ftres. ' _ , ° et St. Prieft eurent Ordre de donner leur démiffion. A peine cette nouvelle fut-elle connüe a Pa- *SKfcT ris (iue le peuple ne connut plus de bornes. On fonna le tocfin, on courut aux Armes. Bientót Parfénal, 1'hótel des Invalides et les boutiques d'armuriers furent pillés, et de pai-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 151 i paifibles citoiens fe trouvérent transförI més en Soldats. La Maifon de St. LazaI re oü on fuppofoit un magafin de Bied, I fut aifaillie, et les prifons forcées. Enfin 011 fe permit tout ce que 1'anarchie et la licence effrénée peuvent infpirer de plus répréhenfible. Ces excés étoient encouragés par des agens du Duc d'Orléans, qui répandoient adroitement des nouvelles faites pour allarmer le peuple. Tantót on annonqoit que 1 f,000. hommes étoient entrés a Paris et égorgeoient indiftinctement tous les Bourgeois, tantöt que les Députés du tiers-état étoient arrétés et transférés a la Baftille. Le Prevót des Marchands, lesEchevins et des Députés des différens quartiers de Paris aifemblés a 1'hotel de Ville formérent un comité permanent et députérent a 1'afTemblée nationale pourqu'elle demandat au Roi le renvoi des troupes, en amarant que les citoiens fe chargeroient de la garde de cette Ville. Le Roi s'y refufa, et cette mefure impolitique ne fit qu'irriter le peuple K iv qui  l$2 HiSTOIRE ET ANECDOTES qui demandoit des armes a grands cris. M. de Flelfelles, Prevöt des marchandsen promit et chercha a gagner du tems pour qu'on put faire arriver les troupes et mettre un frein a la fédition (*). Le 14. Juillet on répandit le bruit que le canon de la Baftille devoit tirer fur la ville et fur le peuple. Cette forterelfe importante étoit commandée par M. de 1'Aunay, homme incapable et puK iij filla(*) Le 13. Juillet Mr. le Prince de Lambesc a la tête du Regiment Royal - Allemand vöulut düfiper un attroupement confidérable qui s'etoit formé fur la place de Louis XV. et dans le jardin des Tnilleries, fa troupe fut aflaillie a coups de pierre, pourfuivit et obligée de fe replier; il fe vit dans la neceffité de frapper un particulier agé qui cherchoit a fermer le pont-tournant pour couper fa retraite, et il le blefla légérement; cet acte de prudence a été repréfenté comme un trait de férocité et de barbarie. Apres fon départ le chatelet avoit commencé une procédure criminelle contre luy, mais fa juftification étant évidente, il n'y eut aucun Jugement prononcé.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 15 3 fillanime qui avoit acheté 1'emploi de IGouverneur du Marquis de Jumilhac. La garnifon confiftoit en quelques invailides et trente Suifles du regiment de Sailis-famade fous les ordres de M. deFliie. jLa populace et nombre de Soldats des | Gardes franqoifes qui avoient abandon|né lachement leur Souverain et leur devoir, fe portérent a ,f"Tf f r Pnfe de la la Baftille. Les chaines du pre- BuJluie. mier pont-levis furent abattües a coups de hache. Les SuilTes tirérent plufieurs coups de fufil qui blelférent quelques perfonnes; mais le désordre et la preffion d'une foule innombrable en firent périr beaucoup d'autres. Launay fe détermi- Launay. na enfin a rendre la Baftille fous la promefle folemnelle qu'on n'at. tenteroit a la vie d'aucuns des individus de la garnifon. Mais a peine le peuple eut-il pénttré dans la cour de cette forterelfe, que le gouverneur, presque tous les officiers de 1'Etat Major et la plupart des Invalides furent arrêtés, conduits a K v 1'hótel  154 HISTOIRE ET ANECDOTES rhötel de Ville et égorgés. Leurs tètes furent porties au bout de piqués dans: toutes les rües de Paris. ön trouva, dit-on, dans la. poche de M. de Launayj un billet de M. de Fleflelles qui lui difoit de fe défendre, qu'il alloit arriveri des fecours. On arrêta un courier qui i portoit des ordres de la Cour! M ieFkf- a rhótel de ville. M. deFleffelles étoit déja fufpect au peuple. On cria hautement qu'il étoit un traitre. Cet infortuné fut malfacré en même tems que les autres victimes fur la place de 1'hötel de Ville. Quelques jours après, I Btrtbier, Berthier Intendant de Paris, Foulon. et Foulon fon Beau-pére fu- [ rent arrêtés. Le premier prés Compiégne, 1'autre a Viry ou il s'étoit caché, ils furent conduits 1'un et 1'autre a Photel de Ville et malfacrés. FouIon (*) avoit eu 1'inhumanité de dire a des \ (*) Foulon joüiflbit d'une trés mauvaife réputation, s'étoit enrichi par des moïens hon-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 155 des païfans qui demandoient du pain dans un moment de difete : Si vous riavês pas du pain, mangés de Fberbe. ^ Ce propos barbare ne fut point oublié. Les païfans qui Parrètérent', le couvrirent de chardons et lui en mirent dans la bouche. On détacha une lanterne pour le pendre fur la Place de Gréve: elle fe trouva trop foible; il fut malfacré après avoir vu immoler fon Gendre (*). C'eft depuis cette Epoque que le peuple de Paris devenu féroce menaqoit de fon cour- honteux. H avoit été Commiflaire des guerres et Intendant d'Armée, place qui lui avoient donné le moïen de faire une fortune imraenfe. Le Roi 1'avoit nommé Miniftre de la guerre le 12. Juillet, 1789- (*) Lorsque Foulon fut maiïacrc, la corde du révertn're a la Place du quel on vouloit le fufpendre, cafla trois fois. On 1'étrangla, et le peuple barbare le mit en piéces et fe baigna dans fon fang. Sa tite, celle de Beniner et leur coeurs furent portés en triomphe dans les rües de Paris fur des piqués.  156 HISTOIRE ET ANECDOTES courroux et de la lanterne tous les Indi-| vidus qui lui déplaifoient. Ce mot a lal Lanterne eft devenu une efpéce de plai-p fanterie dans la Bouche de ces CanniJn bales. Le Roi apprit ces triftes nouvellesJs II fe rendit a 1'alfemblée pour demanderjj confeil et appui, et fe détermina a paroi-I tre a 1'hótel de ville de Paris le 17.JU1I-I let. II approuva tout ce qu'avoit faitï le peuple, mème la défection des Gar-I des (*) franqoifes; autorifa la créationl de la Garde nationale de Paris, promitfl de renvoïer les troupes fur le champ eti de rapeller M. Necker et les anciens I Miniftres. L'apparence de cordialité etl d'aftection qui regnoit dans fon difcours I et dans fes maniéres parut fatisfaire le I peuple. II fut applaudi et reconduit en 1 triomphe; et Parchevèque de Paris, pour I cé- I (*) Quatre compagnies reflérent fidéles a | leur Souverain et continuéirent a fervir 4 }j Verfailles. Presque tous les autres Sol- | dats s'engagérent dans la Garde nationale | de Paris.  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 157 célébrer la réconciliation du monarque avec fon peuple, propofa de chanter un Te Deum a notre Dame, ce qui fut unaninement adopté. Pendant 1'intervalle du 14-au 17 Juillet, M. Bail- BaiüyMaU ly avoit été nommé Maire de re de Paris. Paris par le Comité permanent, et M. de la Fayette Com- La F■ Ut mandant de la Garde nationale Commanqui avoit arboré la Cocarde (*) dantGénéraL compofée des couleurs de la Livrée d'Orléans, bleue, blanche et rouge. Tels furent les premiers efforts du peuple contre le defpotisme! D'après ces Succés, on auroit dü adopter un plan fage et modéré; mais la paffion ne calcule pas, On crijt qu'on le feroit rentrer facilement fous le joug, et les diverfes tentatives #ne firent que 1'irriter. A peine eut-il connu fa force, qu'il fentit que rien ne pouvoit y réfifter. II a (*) Le Roi lui même accepta celle qui lui fut préfentée par Bailly, et, attacha fur le champ a fon chapeau.  158 HISTOIRE ET ANECDOTES a fini par anéantir 1'autorité roïale établies. depuis tant de fiécles, fans lutte, ni réJ Gft-mre ro-nnnrl-innilPPi! la nart de CeUxil qui par état auroient dü la defendre. Après la prife de la Baftille, lest émiffaires du Duc d'Orléans fe répandi-l rent promptement dans les provinces (*).| lis y foulevérent facilement les crédulesj habitans contre le Clergé et la Noblefle.i On répandit des billets imprimés oü ill étoitl (*) i. Pour dender le peuple a s'armer avecè plus de promptitude, laplus grande partien des députés du tiers-état ecrivirent dansl leur provinces, qu'il etoit parti des hor-I des de Brigands de Paris avec le projet de& piller et incendier toutes les propriét:s;l d'autres fuppofoient des dangers imagi-t naires, des complots, des trahifons. Vol-r fius député de Dijon m'anda a les commet-fe tans qu'on avoit détouvert une nouvelle! confpiration des poudres pour detruirefi l'aflemblée. Ces abfurdités étoient accu-I eillies avec avidité par des payfans aufTil fimples qu'ignorans, et bientöt au Heup de fe tenir fur la défenfive, ils devinrent|: aggrefleurs a 1'inftigation des ces mêmesfe députés.  DE LA RÉVOLUTION FRANCO SE. 159 étoit permis de la part du Roi de vifiter les Chateaux et les Monaftéres fous prétexte qu'il y avoit des magafins d'armes. Les arfenaux, les citadelles et chateaux forts furent attaqués par le peuple dans beaucoup de provinces. On forma une Garde nationale dans les grandes villes a 1'inftar de celle de Paris. Tous les révoltés portérent la cocarde tricolore et obligérent les nobles et les prètres, a qui ils avoient donné Podieufe qualification d''Ariflocrates, d'adopter ce figne de la rébellion. Les provin- j^nsUsPto ces d'Alface, de Franche- vbteeu Comté , le Maconnois , le Bourbonnois, le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, la Bretagne furent en proie a la fédition et au pillage. (On n'entrera pas dans le détail de toutes les fcénet. d'horreur qui fe commirent et de tous les excés auxquels fe livra une populace effrénée). Quantité de maifons religieufes et de ^iganiages. chateaux furent pillés, et plufieurs même brülés et démolis} les mal- heu-  IÓO HISTOIRE ET ANECDOTES heureux propriétaires furent maffacrés, leurs femmes violées, leurs enfans mutilés; ceux qui avoient été alfés heureux pour échaper chercherent en vain un afile en france, la crainte et 1'effroi avoient glacé tous les coeurs: errant dans les bois et de chaumiére en chaumiére, ils gagnérent les païs étrangers fans fecours, ni moïens de fubfiftance. C'eft en Franche-Comté, en Alface et dans le Maconnois fur- tout que fe commirent les plus grandes horreurs. Les païfans de Franche - Comté demandérent a main armée 1'abolition de la main morte ou des droits féodaux qui la repréfentoient; ils brulérent toutes les archi- ves, faccagerent et démolirent Tillage de les chateaux. L'hótel de ville lvüU de de Strasbourg fut pillé pendant Strasbourg. trois jours confécutifs, fans que M. M. de Rochambeau et Klingling(*) Commandans, ni la Garnifon-y oppo- (*) Les piéces du procés du Pere de M. de Klinglin, Préteur de Strasbourg fe trou- voient  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. IÓI oppofaflent le moindre obftacle. L'Abbaïe de Geywiller Brisa»iasts fut dévaftée par les païfans de liu^fi' la vallée de St. Amarin prés Luxeüil. Thann, et celles de Lure et Luxeüil en Franche - Comté par les habitans des Vosges. Aucuns de ces excés ne furent réprimés ni punis (*). Les Muni- voient a 1'hötel de Ville. II étoit accufé de concuflion et de dilapidation des fonds appartenans a la Ville. II étoit mort a la Citadelle de Strasbourg avant le jugement de fon affaire. L'intérét de fa familie étoit d'en anéantir jusqu'a la moindre tracé. On ne doit donc pas être furpris de l'inaöivïté de M. de Klinglin, Lieutenant de Roi de Strasbourg, qui fut tranquille fpectateur du pillage, de l'hötel de Ville. II avoit ordonné aux Soldats de n'oppofer aucune réfiftance au peuple. L'incendie des Archives et autres papiers dura trois jours. (*) Le Baron de Wittinghoff, qui fut envoïé dans la haute Alface fit pendre prévotalement quelques païfans furpris en flagrant délit. C'eft le feul Général qui L dans  IÓ2 HIST01RE ET ANECDOTES Municipalités elles mêmes les autorifoient. Si par hazard on arrétoit quelquesuns de ces Brigands, ils étoient mis en liberté le lendemain par leurs compagnons qui forqoient tous les cachots, les prifons, les maifons de force. Ils - y trouvoient de zélés adhérens de leur caufe qui ne demandoient que rapine et pillage. Les troupes de ligne qu'on envoïa pour réprimer les Brigands, fe couduifirent avec foibleife. La plupart des Commandans de province et des Villes, les Intendans et tous ceux qui devoient avoir quelqu'autorité, fe fauvérent ou fe cachérent. Comme ces Brigands n'avoient point de chefs avérés ni aucune place fixe et qu'ils étoient en mouvement pendant le tems de la récolte, ces excés fe calmérent au bout de quelques fe-. maines, fur-tout après la féance du 4. Aout. Le dans toute la france ait ofé montrer de la ferraeté. II a été maflacré avec les prifonniers d'Orléans le a.Sept. 1792.  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 163 Le Comte d'Artois, le <* Prince de Condé, le Baron de p„-„cw lt Breteüil qui avoit confeillé les Ats Courtimefures violentes que la Cour fanSm vouloit adopter, le Maréchal de Broglie, le Duc et la DuchelTe de Polignac et nombre d'autres courtifans prirent le parti de fuir pour fe foustraire a la fureur du peuple. On les accufoit a jufte titre de contrarier les intentions bienfaifantes du Roi, d'avoir provoqué le rallemblement des troupes et d'ètre des ennemis déclarés du tiers-état. II eft certain que dans ces momens de crife leur vie ou leur liberté auroit pu courir quelques dangers. Mais n'y-avoit • il pas de la lacheté a abandonner leur fouverain dans des circonftances auffi périlleufes? Ne lui devoient-ils pas le facrifice de leur exiftence, et n'y-auroit-il pas eu plus de gloire de partager fon infortune et fes dangers, que de chercher a fe mettre en fureté en abandonnant le pofte oü 1'honneur et la reconnoilfaiice auroient du les retenir. Ces réfléxions L ij fe  164 HISTOIRE ET ANECDOTES fe préfentent naturellement, et doivent I donner des lumiéres fur le caractére des fel courtifans. Ce ne fut qu'avec peine que bi le Comte d'Artois, la DuchefTe de Poli- ü gnac et fes adhérens trouvérent le moïen jij de s'échapper du Roïaume en prenant I des noms fuppofés. On commencoit a i arrèter arbitrairement dans toutes les Vil- jl les, et bientót après on éxigea des paf-; feports dont 1'ufage eft aduellement introduit en france, quoiqu'ils contrarient abfolument les principes de liberté qu'on défiroit adopter dans cet Etat. La fadion d'Orléans n'aïant pu réuffir a detruire Pancien gouvernement et a placer fon Chef a la tête de la Nation révoltée, par un effet de fa timide irréfolution, fut obligée de changer fon i plan et fes projets. Jamais cependant circonftances n'avoient été plus favorables pour 1'éxécution des delfeins criminels du Duc d'Orléans. Tout le peuple de Paris lui étoit dévoüé et avoit promené fon bufte et celui de Necker en triomphe le i j. Juillet. Plufieurs voix Pa-  13Ë LA RÉVOLUTION FRAN?OISE. I 65 E 1'avoient même proclame Roi. S'il ie fut 1 montré ce jour-la, il eut certainement été ij le Chef de la Révolution. 11 avoit de 1: nombreux partifans dans les Provinces, a '1'armée, et plufieurs membres de Pafifemblée nationale étoient fes créatures ou adhérens et lui avoient gagné beauicoup de fuffrages. Mais il ne fut pro1 fiter d'aucuns de ces avantages, et il ne 1 lui refta que la honte d'avoir échoué et le mépris de toutes les clalfes. Les membres de la faction d'Orléans , qui ne défiroient qu'anarchie et j désordre, fe ralliérent pour chercher a anéantir la Ro'ïauté, détruire les Ordres i privilégiés et établir un gou- r,/ ,,. ■ TV/T' Fnction Ré- i vernement Rcpublicain. Mi- tublicai„eé i rabeau, 1'Abbé Siéhes, Chapetj.pelier, Barnave étoient a la tête de cé i parti. II y eut une autre fa) dion, celle des Monarcbiens, chiens_ ] qui défiroient un- gouverne1 ment monarchique limité, et 1'établilfe| ment d'un Sénat permanent qui auroit re1 préfenté la chambre haute du Parlement L üj d'An-  r ■ l66 HISTOIRE ET ANECDOTES d'Angleterre. Clermont-Tonnerre, Mounier, Lally-Tollendall et Maloüet étoient i de zélés partifans de cette fecte. Une: ttoifléme fa&ion (car ont peut 1'appeller i ainfi) défiroit la Continuation du defpo-, tisrae, craignoit ]a réforme des abus etj la fuppreffion des priviléges. El- j Roïaliftes. \e s'étoit décorée du titre de Ro- \ ïalijie, et étoit compofée de prèsque tous les membres du haut clergé et de beaucoup de ceux de Pordre de la I Noblelfe, imbus des anciens préjugés que le tems, les lecons puifées dans 1'hiftoire et les changemens produits pari les circonftances aftuelles ne pouvoient j corriger. A 1'époque de la création de la Gar- { de nationale dans tout le Roïaume, il | s'établit des comités militaires et de correfpondance dans toutes les villes, et: bientót aprés la translation de ralfem-i blëe nationale a Paris les zélés partifans i de la révolution formérent un i clbi»"Ja~ C]ub' 1ui Pritle nom de Ja'1 cobins, du lieu ou fe tenoient i fes !  DE LA RÉVOLUTION FRANfOISE. 167 fes féances. C'eft dans cette alfemblée que fe difcutoient et fe préparoient tous les projets de décrets, les ufurpatioiis et attaques contre le Gouvernement, les ordres et les propriétés. Tous les citoïens étoient admis a ces féances fous prétexte de s'inftruire. On-y accüeilloit les plus laches délations et calomnies. Bientót des émilTaires de cette Société fe répandirent dans les provinces. Ils-y propagérent leur doctrine et formérent des clubs correfpondans avec celui de Paris, jusques dans les plus petites villes du Roïaume. Les citoiens fans inftrucf ion, fans moeurs et fans pudeur étoient les coriphées de ces alfemblées; et comme il formoient la clalfe la plus nombreufe, on les vit atterrer bientót et anéantir tous les autres clubs qui voulurent s'élever contre la doctrine et les principes qu'ils répandoient. C'eft ainfi que d'un bout du Roïaume a Pautre il s'établit une liaifon et des rapports intimes entre tous les ennemis déclarés de la fociét-é, de Pordre et des propriétés. 3Tant L iv que  IÓ8 HISTOÏRE ET ANECDOTES que ces Sociétés fubfifteront, on ne peut efpérer ni paix, ni repos interieur. L'honneur, la vie, la fortune des citoïens font entre leurs mains; et jamais la nation francoife n'eut a gémir fous un despotisme plus épouvantable que fous celui des Jacobins. La liberté de la prelfe produifit une foule de journaux et des pamphlets qu'on répandoit parmi le peuple. Presque tous provoquoient Pinfurre&ion et le désordre. Ceux qui ne répandoient qu'une faine morale ou des réfléxions fur les atrocités qui fe commettoient, furent bientót prohibées par un effet de la tyrannie des Jacobins. Le Roi, conformément a fa promefle, avoit envoïé un cou- wüklr ^ rier * M- Necker Pour le raP" peller au Miniftére. II le trouva a Basle. La vanité ne put réfiffer a cet appas. Necker fe crut 1'arbitre des deftins de la France. Si 1'ambition ou 1'orgueil ne 1'avoient pas égaré, il eut pu fe couvrir de gloire aux yeux de la pofté-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 169 jpoftérité en refufant de reprendre un 1 emploi dans un Roïaume ruiné, défor; ganifé, en proïe au desordre et a 1'anarIchie: fes fautes paffées auroient.été effafcées, et on auroit fuppofé qu'il n'avoit 1 pu éxccuter un plan qu'il méditoit depuis I long-tems pour le rétablirfement des fi] nances. II s'imagina dominer 1'alfemblée par fon crédit, festalens, fon éloquence. j Le peuple lui étoit dévoué; mais ce pré] tendu philofophe auroit du favoir que fa | faveur eft auffi verfatile que légére, et I que la volonté et le pouvoir du SouveI rain étoient abfolument anéantis. Son I retour fut une efpéce de fète publique. I Tous les citoïens couroient en foule auj devant de lui, 1'appelloient le Sauveur 1 de la France. Le peuple a Vefoul et a 3 Langres détella fes chevaux pourt trainer | fa voiture. Son triomphe fut d'une I courte durée. Aprés avoir elfuïé penI dant dix huit mois tous les dégouts et J toutes les mortifications poffibles, avoir i fait preuve de la plus grande incapacité l et n'avoir préfenté que des reifources les L v plus  I 70 HISTOIRE ET ANECDOTES plus pitoïables pour récablir les finances, 1'alfemblée nationale 1'obligea de fe retirer en 1790. II fut arrèté long-tems a Arcy-fur- Aube, et le même peuple qui Pidolatroit quelques mois auparavant, 1'accabla d'injures, caifa les glacés de fon Caroife et le pourfuivit a coups de pierres. Necker a fon retour parut a 1'hötel de ville de Paris. 11 fe fit accompagner par plufieurs membres de 1'Alfemblée, entr'autres, par Mr. de Clermont-Tonnerre. II fut requ avec acclamation et enthoufiasme, et effaïa de profiter de cet inftant pour obtenir la liberté de M. de Bézenval fon compatriote qui avoit été i arrèté par le peuple a BrieComte-Robert. M. de Bézenval, Lieutenant Colonel des Gardes fuiffes et Commandant des provinces de 1'intérieur, (emploi qui jusqu'alors n'avoit jamais été confié a un étranger) étoit un homme d'une extraction ordinaire du Canton de Soleure. 11 étoit d'une taille avantageufe, et quoiqu'agé avoit encore une belle figure. II avoit un efprit orL ginal  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 171 ginal et avoit plu a la Reine par quelques plaifanteries et des quolibets que fon accent et fon caractére d'étranger faifoient tolérer. II vivoit publiquement avec Mad. de la Suze, jeune et jolie femme. Sa fortune lui donnoit la facilité de réunir une Société choifie et agréable. En qualité de Commandant des provinces de 1'intérieur il fe trouvoit dans le cas de concourir a 1'éxécution de tous les plans de la Cour relatifs a la dilfolution de 1'alfemblée, a 1'iuveftilfement de la capitale et aux événemens des 13 et 14. Juillet. II avoit envoïé de couriers et des ordres a M. M. de Flelfelles, Launay, et a plufieurs Commandans de Corps. 11 n'en falloit pas davantage pour le rendre fufpedt au peuple qui 1'accufoit d'avoir cherché a trahir la Nation. II fut arrèté dans fa fuite et conduit a Brie-Comte-Robert ou il étoit gardé foigneufement. II n'éxiltoit pas de preuves légales contre lui. Necker avoit obtenu fon élargilfement des repréfentans de la commune; mais le peuple  172 H1ST0IRE ET ANECDOTES peuple refufa d!éxécuter cet arrèté, et dès cet iriftant 1'opinion favorable qu'il avoit de lui, changea. M. de Bézenval refta long-tems en prifon et fut enfin délivré par jugement du Chatelet a qui Paifemblée avoit attribué le pouvoir de juger les crimes de léze-Nation. Au moment de 1'arrivée de M. NeEmbarras cker, il ne fe trouvoit que itsfinaucts. ,0o,ooo. Livres en numéraire au tréfor roïal, et environ deux millions de Billets de la cailfe d'escompte. II propofa a Paifemblée de faire prèter trente miilions pour les befoins urgens du mois d'Aóut, d'autorifer un emprunt de cent vingt cinq millions dont le quart devoit ètre fourni en numéraire, le refte en contrats ou effets roïaux fufpendus. Cet emprunt, quoiqu'avantageux pour les prèteurs, ne fut pas rempli. On fut obligé d'avoir recours a la création des afiignats dont on pariera par la fuite. Pour donner une nouvelle preuve -de fa fincérité et de fon défir de maintenir 1'union et 1'accord avec 1'alfemblée, le  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 173 le Roi choifit des Miniftres Nouveaux dans ion Sein parmi ceux qui Minifim. avoient une réputation de pa-, triotisme, de modération et de probité. M. Champion de Cicé , Archevèque de Bordeaux, fut nommé Garde des Sceauxj M. de la Tour-du-Pin, Miniftre de la Guerre , et le Maréchal de Beauveau, partifan de M. Necker, quoique n'étant pas de Paifemblée, fut appellé au confeil. Ce choix qui ne fatisfaifoit pas les ambitieux, ne produifit pas un trés bon effet fur l'efprit d'aucun parti. Lorsque le Roi fe détermina a paroitre a 1'hötel de ville de Paris, il fe fit accompagner par les Orateurs les plus diftingués de Paifemblée et par ceux a qui on fuppofoit le plus d'influence fur l'efprit du peuple, entr'autres, ^ par M.'M. de Clermont- Tonnerre Tonnerre.' et Lally-Tollendall. Le premier étoit petit fils du Maréchal Due de Clermont-Tonnere. Son extérieur étoit agréable. II avoit beaucoup d'eIprit, de 1'éloquence naturelle, de la péne*  174 HIST01RE ET ANECDÜTES pénétration, et beaucoup de facilité pour apprendre ce qu'il défiroit. Son éducation avoit été peu foignée. II avoit vécu conftamment avec des poëtes lubalternes, des fécrétaires et des gens en fousordre qui, en le comblant d'éloges, avoient achevé de lui pervertir le goüt et de lui faire négliger les connoiifances effentielles et utiles qu'il auroit pu acquérir. Avec tous les avantages que la nature lui avoient donnés , il lui manquoit du tad et un jugeraent fain. Qiioi qu'il fut comblé des graces de la Cour, puisqu'il en avoit obtenu plus de 24000. Livres de rente en-y comprenant la dot de Melle. de Sorans qu'il avoit époufée, il étoit devenu un des plus zélés antagoniftes de Panden gouvernement. 11 avoit fait circuler plufieurs écrits avant la convocation des Etats généraux. La réputation qu'il s'étoit acquife par la hardieife avec la quelle il déclamoit contre les abus, la grace et 1'aifance avec lesquelles il s'énonqoit, le firent nommer Préfident de  de Paifemblée electorale de la NobleiTe = de Paris intra muros. (*) 11 s'acquitta trés bien de cette fonétion et fut nommé député. Qyoiqu'il Ine fut pas du parti d'Orléans, il fut |un des 47. députés de la noblelfe qui fe réunirent au tiers-état (**). Etant jmèmbre du Comité de conftitution il {avoit efpéré ainfi que plufieurs de fes jcollégues, qu'on adopteroit le projet d'éBtabliiTement des deux chambres et qu'il ijn'éprouveroit aucuns obftacles pour ètre •membre de la Chambre haute. Ses proljets et ceux de fes collégues aïant échoüé, p] voulut fe rallier avec la partie de 1'af1 femblée qui avoit cherché a lutter conwtre les novateurs, et qu'on défignoit fous (*) Les aflemblées éleétorales de Paris éto* ient divif.es en deux clafles diftinétes et féparées : celle de la Ville s'appelloit intra muros j celle de la banlieue fe nommoit extra muros.. (**) Cette preuve de patriotisrae et le talent qu'il avoit de réfumér les opinions avec précifion et clarté le firent nommer deux fois Préfident de 1'affemblée,  176 HISTOIRE ET ANECDOTES fous le nom de cóté droit. Les deux partis le regardérent alors comme un homme inconféquent, fans principes et fans caractére, et il perdit dès lors toute fa réputation et fon influence. II chercha a former un troifiéme parti, compofé de quelques membres qui avoient eu une opinion auffi verfatile que la fienne et qu'on défigna fous le nom d'impartiaux: s'appercevant, mais trop tard, qu'il ne pouvoit plus jouer un röle principal dans l'aifemblée, il eut 1'ambition de former un Club monarchique et de fe mettre a la tète de ce club. Cette nouvelle invention irrita les Jacobins qui devinrent fes perfécuteurs. II fut infulté plufieurs fois et pourfuivi par le peuple. Les membres de fon nouveau club furent attaqués, obligés de fe fauver, et fa fociété fut détruite. La haine des Jacobins Fa pourfuivi jusqu'au tombeau: il a été marfacré le 10. Aout, 1792. quoiqu'il n'eut ni paru au chateau, ni adopté ouvertement le parti du Roi. Telle a été la fin malheureufe de ce jeune pré- fom-  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE, 177 fomptueux qui avoit la vanité de fe croire un nouveau Solon. Clermont-Tonnerre étoit un homme trés immoral. La vie obfcure qu'il menoit avoit fervi a cacher fes vices. Son extérieur et fon éloquence en impofoient. Aux yeux du vulgaire il paifoit pour un citoïen vertueux et pour un favant et profond Législateur; aux yeux de ceux qui avoient fuivi ft vie privée, c'étoit un étourdi, un inconféquent, fans religion, fans morale ni principes, et dont l'efprit feul pouvoit faire tolérer les écarts. II avoit fait imprimer fes opinions. On-y trouve peu de vues neuves ou de projets utiles. Les difcours qu'il a prononcés pour prévenir 1'ufurpation du Comtat d'avignon forment un Volume. Lally-Tollendall étoit un laUy.Tvtbatard adultérin du fameux lendall. Comte de Lally, Commandant dans Pinde, qui avoit été éxécuté* par Arrêt du Parlement de Paris en 1763. comme coupable de concuffions, véxations, tyrannie. Son fils avoit cherché M par  t?g HISTOIRE ET ANECD0TE9 par toutes fortes de moïens a faire réhabüiter fa mémoire. II -y avoit interene la Reine, et on lui avoit rendu la plus grande partie du bien de fon pére qui avoit été confisqué au pront de PEtat. II avoit paiTé plufieurs annees a ■ compofer des écrits en fa faveur; et après avoir été renvoïé de tribunaux en tnbunaux, ü vint a Dijon ou cette affaire devoit être jugée définitivement par le Parlement. Q plaida lui-mème fa caufe ; avec fenfibUité et éloquence. Les femmes et les jeunes conieillers pnrent parti pour lui. Mais il avoit un antagonifte acbarné, Duval dEspresménil confeiller au Parlement de Paris, qui foutenoit la validité du jugement parcequen Pattaquant-on eut fletn la mernoire de Duval de Leyrd fonOncle Chef du Confeil de la compagnie des Indes. D'ailleurs on ne doit pas fe diifrmuler qu'il éxittoit des preuves multipliees dabus d'autorité, de dilapidations et de violences atroces commifes par le Comte de Lally. Le jugement fut confirme C elt en  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 179 en vain que Tollendall a cherché a perfuader que le Parlement avoit prononcé un Arrèt inique pour ne point mortifier le Parlement de Paris : cette calomnie ne pouvoit être acciieillie que par fes Partifans. Lally- Tollendall avoit beaucoup d'éloquence naturelle, le travail facile et une Logique féduifante. Le Roi Pavoit fait reconnoitre par lettres patentes comme fils et héritier du Comte de Lally. 11 fe préfenta a Paifemblée électorale de Paris et fut nommé Député fans aucuns oblfacles. C'étoit un des partifans de rétablüfement des deux chambres. 11 efpéroit, ainfi que Clermont-Tonnerre, être un des membres du Sénat permanent que les Monarchiens défiroient établir, et qui devoit repréfenter les Etats généraux qu'ils avoient le projet de ne faire alfembler qu'a des époques périodiques. Ces delfeins n'aïant pu réüfiir, il prit le parti de fe retirer après la journée du f. Octobre et a fait paroitre plufieurs écrits pour juftifier fes Opinions et fa conduite. On croit qu'il M ij eut  180 HISTOIRE ET ANECDOTES eut du refter a fa place. Telle étoit la marche que lui préfcrivoient fon devoir et fon ferment, et que d'autres de fes Collégues ont cru devoir fuivre, puisqu'ils s'étoient décidés a refter a Paifem¬ blée apres la reunion des ordres. Dans le courant du mois de Juillet, il arrivoit de tous cötés les rapports les plus effraïans au Roi et a l'ailëmblée nationale fur la Situation des provinces. Les pvr.ps. les vinlenr.es et les Rripandapres fe continuoient avec impunité dans la plus grande partie du Roïaume. II n'yeut presque aucune ville qui n'éprouvat plus ou moins de fermentation, et nulle part en n'avoit les moïens de contenir le peuple et de faire celfer la Licence. Les troupes de ligne étoient fans volonté et fans énergie, la crainte et 1'effroi avoient paralyfé le cours de la juftice. Les citoïens amis de 1'ordre et de la paix auroient du fe rallier; mais la plupart d'entre-eux étoient en fuite ou fe tenoient cachés. Ce qui paroitra furprenant, c'eft, que quoique tous les anciens  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. i 8 l ciens Tribunaux fulfent en activité il n'ayent ofé déployer 1'autorité néceflaire pour arrèter le cour de ces atrocités. I La chambre des Vacations du Parlement I de Roüen eft la feule qui ait eu le couI rage de févir contre un chef de Brigands. I Le nommé Bordier, acteur du Théatre ! des variétés , qui avoit joüé un róle principal dans toutes les émeutes de PaI ris, avoit été envoïé a Rouen pour cherI cher a y provoquer la fédition, rélatiI vement aux fubfiftances dont le peuple ij craignoit de manquer. II avoit déja un i nombreux cortége et alloit gagner le port ( pour faire piller des batteaux chargés || de Bied. Des commiifaires du Parle• ment le firent arrèter: il fut convaincu, I jugé et exécuté dans vingt quatre heures. | Voila le dernier triomphe de la juftice : et des loix. Par-tout ailleurs la rapine, le brigandage, les forfaits les plus atroces font reftés impunis. L'alfemblée qui avoit armé le : peuple, cherchoit inutilementles moïens I de faire celfer les désordres. On {e deM iij ter-  182 HISTOIRE ET ANECDOTES termina enfin a faire paroitre une déclaration des droits de 1'homme et a ufer du foiblè moïen d'une proclamation. Target faifbit la lecture Séance du , , . . . , 4. Aout. de cet ecrlt *e 4- Aout, lorsqu'a huk heures du Soir, dans un moment d'effervescence et fans aucune difcuifion ni réfléxions préalables, plufieurs membres propoférent de faire le facrifice de tous les priviléges des or'dres, des provinces (*) des villes, et celui Une des Provinces qui a perdu le plus a la fuppreffions des priviléges, eft certainernent la Province d'Alface. Elle païoit des impots trés mod.rés. Les garnifons confidérables qu'on-y entretenoit-y répandoient beaucoup d'argent et maintenoient les denrées a un prix avantageux pour le cultivateur. Elle joüiflbit du privilége exclufif de la culture du tabac. Quantité de denrées tirées de 1'ctranger, telles quelefucre, les épiceries, les toiles, y- entroient fans païer aucuns droits, et fe répandoient enfuite dans le Roïaume par un commerce interlope. Les départemens des hauts et bas Rhin païent a&u- elle-  DE LA RÉVOLUTION FRANQOISE. 183 lui des diftinctions perfonelles; ■ ^ d'anéantir tout le fiftème du ré- lie tout ies gime féodal , tous les droits droits feo- feigneuriaux qui-en dérivo- daux' ient, qui étoient repréfenta- tifs de la main-morte ou qüi portoient Fempreinte de la Servitude, le cha^e H droit de chafle et de pêche ex- Pêche. clufif, comme étant le feul M iv moïen ellement prés de buit millions par au d'impót territorial et mobilier. Les droits fur les produftions et marchandifes ctrangéres, fe percevant a 1'extréme frontiére, c'eft encore une nouvelle véxation qu'éprove 1'Alface. Le feul avantage dont • joüifle le cultivateur eft un effet de la fupprefiion des dimes et de la liberté de la chafle. Car on ne peut regarder comme un bien 1'acquifition illégale des fonds du clergé dont les ufurpateurs feront tót ou tard dépoiiillés. 'Onpeut donc croire que le patriotisme qui exifte en Alface n'eft qu'ephémére et faélice, produit de 1'ignorance ou de 1'éxaltation de quelques têtes fanatiques, et qu'il s'évanoüira dés que le cïtoïen paifible et ho, nête trouvera un protecteur et un appui»  184 HISTOIRE ET ANECDOTES moïen de fatisfaire le peuple et d'arrèter fa fureur. Cette propofition fut accüeillie avec transport par la majorité de 1'affemblée compofée de nonpropriétaires; on la décréta par acclamation. II fe palfa alors une fcéne qui doit éclairer le philofophe fur le vrai caradére des franqois. Les cardinaux, les Évèques, les chevaliers des Ordres et les membres le plus confidérables de 1'ordre de la Noblelfe s'emprelferent a 1'envi de monter a la Tribune pour y faire hautement le Sacrifice de tous leurs droits et prérogatives. Chacun cherchoit a furpaifer fon Voifin en générofité. Le Comte de Virieu arriva un des derniers et dit, que femblable a Catulle qui ne pouvoit offrir qu'un' moineau, il venoit propofer la deftruction des colombiers (*), et des pigeons qui faifoient, un grand tort a 1'agriculture. Tous les mem- (*) Le Comte de Virieu n'avoit point de colombicrs , et trés peu de propriétés, Ce Sacrifice de fa part étoit un perfifflage de Ia générofité des autres députés.  - DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 185 membres avoient quitté leur place; on couroit dans la falie, on fe prelfoit, on s'embralfoit. Cette féance devint une véritable orgie et ne finit qu'a quatre heures du matin. C'elt ainfi que s'écroula 1'échaffaudage antique et refpectable du régime féodal, et qu'on acheva de détruire les derniers appuis de la Monarchie. Sans égard a leurs Mandats et a la fidélité düe a leurs commettans, fans ■ avoir aucune autorité ni million pour cet objet, des députés ignorans, foibles, ou dont les fumées du vin et le tumulte de raffemblée avoient attaqué les orgai nes, renoncérent a ce qui ne leur appartenoit pas," ils accordérent au peuple plu? qu'il ne déliroit, et préparérent dés lors le malheur de la nation en lui apprenant qu'aucune prérogative, aucune | propriété et aucuns droits n'étoient ficrés, 'IPour cèlébrer les événemens du 4. Aout, ion propofa de frapper des médailles, de inommer Louis XVI. le Reftaurateur ds ! la Libertê francoife; et 1'archevëque de [Paris trés prodigue de Te Deum, fit la M v mo-  ï86 HISTOIRE ET ANECDOTES motiou d'en chanter un le lendemain. Ces trois propofitions furent décrétées par acclamation. Les fuites de cette féance ne fervirent qu'a perpétuer le défordre dans tout le Roïaume. A peine fut-on que ralfemblée avoit aboli le droit de cbaife, que le peuple fe répandit dans les grains et dans les forêts, fur-tout dans les environs de Paris oü les c«pit™''- capitaineries (*) et les plaifirs du Souverain et des Princes étoient gardés avec une rigueur (**) extréme. On-y détruifit tout le gibier in- dépen- (*) Les Capitaineries, deftineés aux plaifirs du Roi, s'étendoient a une trés grande diftance de la capitale et fervoient plutót a 1'agrément des courtifans qu'a celui du Monarque. Le Gibier-y détruifoit dans le fait une partie de la récolte. (**) La rigueur des lois de la chafle dans les Capitaineries etoit telle, qu'un homme paflfoit plufieurs mois en prifon pour avoir tui un Licvre, et qu'en cas de récidive on 1'envoïoit aux galéres. II falloit remédier a ces abus, mais avec prudence et précautjon.  ' DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 18? I dépendamment du tort irréparable fait a 1 la récolte, et il arriva des accidens qui f furent occafionnés par la maladreife ou | 1'étourderie des Braconniers. Les parcs E et les propriétés du Souverain ne furent (j pas mème refpectés. On tira jusques | fous les fenètres du Chateau de Verfail1 les du coté du Pare, et plufieurs de fes t gardes - chalfes furent tués. Dans pluIj fieurs provinces les païfans, après avoir I enlevé les armes dans les Chateaux et I dans les maifons des Seigneurs , exigeI rent la rétroceffion des droits qui venoi ient d'ètre abolis et dont la perception, I difoient-ils, étoit illegale depuis nomi bre d'années. Non contens de fe faire >l donner de 1'argent, il voloient fréquemr ment la vaiffelle et les meubles qui pouvoient leur convenir. Des forèts accori dees pour droit de triage furent envahies let coupées fans formalité par nombre de iCommunautés. Le détail de ces nouiveaux excés feroit trop long a rapporter. ill eft tems de détourner un inftant les lyeux, de ce tableau affligeant, quoique la  188 HISTOIRE ET ANECDOTES la Suite des événemens en préfente encore de plus douloureux. 11 éxiffoit fans doute des droits dont 1'abolition etoit nécelfaire. Tels étoient ceux qui dégradoient fefpéce humaine oü qui établiiToient des diftindtions humiliantes parmi les différentes clafles de la Société. Les corvées réelles, la mainmorte et nombre de Droits ou d'lmpóts qui mettoient des entraves a la liberté individuelle, a la circulation des denrées et au progrés du commerce , devoient être abolis; mais la plupart de ces droits avoient été légitimement acquis, foit par des Services réels rendus a 1'Etat, foit par des facrifices pécuniaires : leur fupprelfion devoit être graduelle, fucceffive , pefée avec maturité et réfléxion, et devoit toüjours être précédée d'une jufte indemnité. On defiroit depuis long-tems des régiemens fixes et moins févéres pour la chafle et la pêche qui ne devoient pas être la propriété exclufive d'une feule claife de citoïens,] mais il ne falloit jamais en abandonner Ij 1'ufage.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 189 1'ufage au caprice et a la volonté du peuple, et donner a d'honnètes et de laborieux campagnards le défir de fe transformer en une horde de Braconniers (*). II eft un principe avéré dans toute fociété: c'eft que tous les citoïens quel- coiv (*) Si 1'aflemblée nationale avoit eu réellement pour but de faire le bien de 1'é* tat et du peuple, elle n'auroit pas fupprimé fans réfléxions les ciixmes et tous les droits feigneuraux; les droits purement honorofiques, ceux de chafTe et de pêche, et plufieurs autres limités d'apres des principes de juftice, n'étant point a charge aux citoyens. La vente des biens du Clergé et des Dotnaines du Roi qui etoit deja projettée auroit été beaucoup plus avantageufe, fi ces droits, •euffent été confervés. En fupprimant les dixmes qui formoient une grande partie de la propriété du Clergé, on a chargé 1'Etat des fraix du culte, ce qui forme une Dépenfe de plus de ao. milions par an, dont la plus grande partie eft fupportée par les proprictaires. La fuppreffion des dixmes a leur avantage, ne leur préfentoit donc qu'u» bienfait fimulé.  190 HISTOIRE ET ANECDOTES conques doivent être fufceptibles d'être admis a tous les emplois. On s'étoit écarté de cette loi; mais au lieu de la réformer par des moïens violens, Pattention des législateurs auroit du fe porter a faire accorder au mérite et a la vertu ce qui étoit précédemment 1'appanage de la vanité et de 1'intrigue. Telle étoit la régie qu'on auroit du fuivre dans un Etat qu'on vouloit régénérer. Mais des lors qu'on a voulu exclure d'une maniére irrévocable les caftes anciennerhent privilegiées, tous les emplois du gouver. nement font devenus le partage de gens fans moeurs, fans pudeur, dont 1'effervefcence et la fureur contre tout ce qui préfentoit 1'alpecf de Phonèteté faifoient le feul mérite. Le peuple opprimé fous Pancien régime, au lieu d'obtenir adouciifement a fes maux, gémit fous un esclavage d'autant plus dur, qu'il eft lous le jong de gens féroces, fans humanité et fans pudeur. Puiife fon malheur lui donner du courage et de 1'énergie et 1'arrèter au bord du précipice oü des Scélérats Pont entrainé! On  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 191 On peut articuler en général que les principaux mobiles de.la Mot;fs ie Révolution francoife ont été la Révolulamifére, 1'orgueüil, la vanité tionet 1'ambition. La mifére de la plus grande partie du peuple lui faifoit défirer avec ardeur 1'amélioration de fon Sort. On s'eft fervi de ce moïen pour le porter a tous les excés, en lui perfuadant que toutes les innovations n'avoient d'autre but que fon bonheur. L'orgueil et la vanité des riches négocians et des capitaliftes leur faifoient voir avec envie des claifes privilegiées qui occupoient presque tous les emplois ausquels ils ne pouvoient atteindre. Hs ont cherché a niveller tous les états pour fubftituer 1'ariftocratie des richelfes a celle de la naiifance, efpérant que leur Or leur procureroit les moïens de dominer le peuple et de joüer a leur tour un röle diftinIgué dans le gouvernement. L'ambition dominoit les individus dans tous les états: les militaires voïoient dans la révolution les moïens de parvenir i tous  192 IIISTOIRE ET ANECDOTES tous les grades; le dernier homme de :i loi fe voïoit transformé en juge ou en i adminiftrateur ; le cultivateur aifé, re- I vétu de 1'écharpe municipale, fe voïoit I au deifus de fon Seigneur, fon araour I propre lui faifoit chérir les nouvelles in- .i ftitutions. Tous ces ambitieux ne pré- p voïoient pas, qu'ils feroient a leur touri 1'objet de 1'envie de ceux qui afpiroient.1 aux mêmes places, et que 1'accord etl 1'union ne pouvoient fubfifter dans unl Etat oü toutes les paffions fe heurtoient 1 réciproquement. La conféquence natu-i relle du bouleverfement total occafionné I par la révolution a été, que ceux qui 1 formoient la claife la plus nombreufe du I peuple francois, des ètres fans proprié-I té, fans moeurs, fans principes et fans.1 mérite fe font emparé de tous les era I plois en exclüant ceux qui avoient été I les premiers a s'emparer des dépoüilles I d'autrui. On peut fuivre la vérité de l cette alfertion dans le choix des députés I a 1'aflemblée nationale. L'alfemblée cou-1 ftituante étoit compofée en grande partie |; de  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 193 de gens inftruits, d'hommes de loi célé: bres, de riches négocians, de cultiva; teurs éclairés, Ils ont été remplacés par (| des êtres fans foi et fans pudeur, prèsI que tous flétris dans 1'opinion publique, li a qui 1'effervefcence tenoit lieu de ta! lens. Enfin la convention préfente mainj tenant le tableau d'un repaire de Briï gands, couverts d'opprobre, propageant | ouvertement le germe de tous les viI ces et des crimes , fe glorifiant de n'aj voir ni religion, ni morale, ni pudeur. 1 Tels font aduellement les législateurs i de la Nation francoife , qui fouifre leur 9 despotisme avec plus de patience que 1 celui des Rois. Que faut-il donc pour | 1'éclairer , puisque fon malheur et fa j honte ne lui font pas ouvrir les yeux? I II eft tems de fuivre les opérations de I 1'affemblée. Une Suite de la féance I du 4. Aout fut 1'abolition des fa^f™ h dimes, qui fut prononcée quelI ques jours aprés. Le Clergé, 1'ordre de N Mal.  194 HISTOIRE ET ANECDOTES Malte, plufieurs villes (*), des hopitaux et des communautés féculiéres et réguliéres perdirent ainfi une notable partie de leur propriété dont on les depoüilla fans aucune indemnité pour en gratifier les propriétaires de fonds. L'Etat fe chargea du rembourfement des dim es inféodées ; mais par une luite des formalités qu'on éxigeoit et des difficultés qu'on elfüioit pour prouver 1'inféodation, cette indemnité promife devint illufoire pour Ja plupart des polfeifeurs des dimes, (*) La ville de Strasbourg avoit 1400 mille livres de Rente. La fuppreflion des Dimes, Oftrois, péages a reduit fon revenu a 200,000 Livres. Ses depenfes annuelles montent a 400,000 Livres. Tous les citoïens étoient repréfentés dans fon ancienne adminiftration. Son commerce étoit florifTant. La révolution a ruiné cette Ville, et cependant elle y a de nombreux partifans, fur tout parmi les Luthériens qui ont acheté les biens du Clergé et qui fe font fait nommer & toutes les places municipales et adminiftratives.  1 DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 195 1 dimes, et trés peu d'entre' eux ont ob1 tenu leur rembourfement. Lorsque M. Necker imagina les emI prunts dont j'ai parlé, M. de la Cóte, I Deputé de la NobleiTe du Charolois, proI pofa d'hypothéquer les biens du clergé I pour leur fureté. Cette motion fut reI jetteé pour le moment; 'mais Mirabeau I la reproduilit peu aprés en demandant I que le clergé fut falarié. L'aifemblée I avoit fixé 1'intérèt des emprunts propo| fés par le Miniftre a 4* pour 100. ' Ils ne furent point remplis , et les J befoins de TEtat fe multiplioient. La I recette , depuis quelques mois , étoit ] presque nulle. La perception des im! pots indirects étoit anéantie par une fuite de 1'infurrection du peuple qui avoit détruit les barrières, cbafle les commis et percepteurs des droits de la ferme dans Ipresque tout le Roïaume. Necker fe plaignit amérement a 1'aifemblée de ce qu'on cherchoit a lui faire perdre la con1 fiance de la nation, et de ce qu'en détruii fant la perception des impöts on ne s'ocN ij cupoit  196 HISTOIRE ET ANECDOTES cupoit pas des moïens de les remplacer: j les repréfentations de ce cenfeur incommode furent trés mal accüeillies. Les e troubles et 1'anarchie continuoient a Pa- l ris. Les affemblées tumultueufes mena- I qoient hautement les membres de PaiTem- I blée (qu'on regardoit comme dévoüés a $ 1'ancien gouvernement) s'ils n'adoptoient I pas les idéés et les projets de Mirabeau, Ü qui étoit confidéré comme le protecteur I du peuple. II arrivoit journellement des I lettres et des petitions qui menacoient I ces députés. C'eft ainfi que 1'alTemblée i qui avoit voulu éviter le despotisme du j Monarque , étoit tombée fous Pempire » bien plus dangereux d'une populace effrénée. Dans le courant du mois d'Aout et I au commencement de Septembre, on 1 difcuta quelle efpéce de concours devoit li avoir le Souverain pour la formation des I loix. On étoit d'accord de lui accorder I le droit de Véto. Cé droit pouvoit être I abfolu, limité ou fufpenfif. Après plufieurs délibérations, on décréta dans les pre-  DE LA RÉVOLUTION PRANqOISE. IQ7 premiers jours de Septembre que l'alfemblée nationale fubfifteroit perpétuellement; que la durée de chaque aflemblée feroit de deux ans; qu'il n'y auroit qu*une feule chambre; que le Roi auroit un droit de Veto fufpenjif, ^/"^ pour les décrets propofés par Cordé au l'affemblée, pendant la durée de deux législatures. On avoit décrété préalablement que la déclaration des Droits de 1'homme feroit imprimée k la tëte de la conftitution: on avoit elaifé parmi ces droits celui de la liberté abfolüe du culte, en difant que perfonne ne feroit inquiété pour fon culte et fes opinions religieufes, pourvü qu'il ne troublat pas fordre public. Le Roi avoit fandlionné le i8- ybre les décrets du 4«ie Aout. 11 auroit défiré faire quelques obfervations; mais on éxigea impérieufement fon eonfentement et on annonqa que l'alfemblée ne fe fépareroit pas qu'il ne fut obtenu; ce qui dut lui faire préfiger de quel effet feroit le Veto qu'on vouloit lui accorder. N üj La  198 HISTOIRE ET ANECDOTES La populace de Paris, 1'une de plus ignorantes et des plus groffiéres de la terre, promenoit dans les rües un mannequin qu'elle appelloit Veto, croïant que ce mot étoit Synonime de Souverain et on finfifoit par le brüler fur la place du palais roïal. Les fubfiftances commenqoient a manquer. L'inquiétude du peuple croiffoit. Le Roi, après avoir fait des facrifices confidérables en emploïant 1'argent de fa caifette a des achats de grains, fe détermina a envoïer la vaüTelle et celle de la Reine a la monnoïe, ce qui formoit un objet de plus de 1,200,000. Livres. Les Miniftres et d'autres grands Seigneurs imitérent cet éxemple. On avoit décrété le if. Sept. que la Franqe étoit une Monarchie, une, indivifible; la couronne inaliénable et héréditaire de male en male dans la Maifon de Bourbon. La perfonne du Roi fut déclarée inviolable (*). Le (*) Telle étoit fans doute la volonté de la nation entiére, a Pexception de quelques mal-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 199 Le Duc d'Orléans, qui préparoit i peut-être déja les forfaits du f et 6 Oétobre ' et qui vouloit juger jusqu'oït s'étendoit fon crédit fur les membres de 1'aifemblée, fit agiter pendant plufieurs séances la rl queftion de la fucceifion de la guejiig„j-ttr Branche de Bourbon établie fur iaSuccejion jle tróne d'Espagne qui en ao ^ w iceptant cette couronne, avoit gMm I renoncé a 1'expectative de celle I de France; rénonciation que tous les pub_ liciftes regardent avec raifon comme nul. jle. L'alfemblée, aprés de fongs débats, s'en tint a fon premier décret, en-y ajou- tant la claufe, qu'elle rientendoit rien pré| juger fur Veffet des renonciations- Le Duc d'Orléans ne fut nullement fatisfait; et 1 c'eft peut-être la conduite de 1'aifemblée . dans cette circonftance qui 1'a empèché 1 de confommer les crimes qu'il méditoit, i et qui devoient lui frayer le chemin du ' Trone. N iv A la malheureux qui ont détruit le gouvernement fans que perfonne ait ofé faire la moindre réfiftance.  200 HISTOIRE ET ANECDÜTES A la fin du mois de Septembre, Necket revint encore a 1'aflemblée pour parlet de la fituation des finances. Suivant: fon ufage, il étoit toüjours queftion de lui dans fes difcours. II y expofoit les Services qu'il avoit rendus, les facrifices qu'il avoit faits, qui commenc,oient a être païés d'ingratitude. 11 Patriotiaut. finlt Par Pr°po^r une Contnbution libre et volontaire du quart du revenu de tout propriétaire aïant plus de 400 Livres de rente. Cet impót devoit fe païer en trois ans; et pour donner 1'éxemple, il offrit fur le champ 100,000 Livres pour le quart de fon revenu préfumé. Cette relfource palfagére, et bien au delfous des circonftances, indiquoit le peu de génie et de connoilfances de Necker; car cet impót I qui, au lieu d'ètre libre et volontaire, J eft devenu tyrannique et véxatoire par ! un effet d'un décret du 10. Aout 1790. » qui permettoit aux municipalités de re- i étifier les quotes qui paroitroient notoi- > rement infidéles, n'a cependant pas pro-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 201 produit plus de cent millions dont la plus grande partie a été acquittée par des abandons de dettes ou de rentes fur 1'Etat. Le ier Oclobre, l'alfemblée décréta une grande partie des Droits Drgits ie de ihomme (*). Comme ils nemme. N 5 ont (*) Je ne crois pas abufer de la patience du le&eur, en lui préfentant quelques obfervations relatives aux droits de 1'homme: L'article porte (que tous les hom. mes naijfent et demeurent égaux en droits') cette décifion des nouveaux L:'gislateurs fupofe, que tous les hommes en naifianc aportent, une égalité abfolue, en vertu de la quelle ils doivent jonïr pendant leur vie d'une égalité de droit parfaite; mais cette Suppofition eft faufTe et purement chimérique. Un homme naiflant et vivant, n'eft égal a aucun autre homme ni phifiquement ni moralement. II ne 1'éft pas phifiquement, puisqu'il y a toüjours en naiflant une ditK'rence fenfible entre la conftitution et les forces phifiques de 1'un et de 1'autre, et que cette difFérence fubfifte, paroit, et fe dévelope encore  202 HISTOIRE ET ANECDOTES ont été imprimés ou gravés par-tout, il encore mieux pendant la vie. L'homme ne nait pas moralement égal a un autre. j La différence de fa conftitution et de fes forces morales paroit moins au moment de fa naiflance, mais cette différence fe remarque de plus en plus pendant le cours de la vie, et fe developpe par la différence d'éducation, ou des facultés intellectuelles. La différence phifique et morale de chaque homme naiflant et vivant doit être la mefure des droits réels | de chacun; d'oü il réfulte que tous les hommes ne naifient pas égaux en droits. Le premier article de la declaration des droits de l'homme renferme donc une er- j reur manifefte. Les nouveaux legislateurs ajoutent 'a ce premier article que les diftinótions fociales ne peuvent être \ fondées que fur 1'utilité commune ; en prenant 1'utilité commune pour baze de toutes les diftinclions fociales. Les novateurs n'ont pas vü qu'ils détruifoient eux mêmes le principe évidemment faux : qu'ils venoient d'tablir,l'égalité des droits. Puisque 1'utilité commune eft la regie des diftjnétions, aux quelles chaque homme peut  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 203 il fuffira de dire que ces maximes font en grande partie des fophismes, et qu'on a tiré de fauifes conféquences de principes vrais en eux mêmes. S'il étoit queftion de donner des loix a un peuple ifolé fortant des mains du créateur, il feroit fans doute néceifaire de faire précéder ce code d'une déclaration des droits de l'homme réüni en fociété. Mais parler ce langage a la Nation franqoife, uné des plus vicieufes et des plus corrompües de 1'univers, et prétendre la ré-génèrer par ce moïen, c'étoit avoir une idéé bien fublime de 1'empire de la raifon et de la Philofophie fur des coeurs gan- peut parvenir dans la focieté, il s'enfuit que celui qui peut phifiquement et moralement contribuer le plus a 1'utilité commune aura plus de droits a y parvenir, les forces phifiques et morales de chaque homme etant inégales, il ne peut plus y avoir entre'eux égalité de droit. 11 feroit inutile d'entrer dans des pluslongues difcuffions, chaque article ne préfentant qu'une fuite de paradoxes dérivant du premier principe.  204 HISTOIRE ET ANECDOTES gangrénés. L'homme inftruit et éclairé a lu avec dédain cet étalage pédantesque de la fcience de ces prétendus Législateurs, et les cinq fixiémes du peuple Franqois n'y-ont rien compris et ont continué a fe livrer avec plus d'audace a la licence et au désordre. On porta cette déclaration au Roi pour obtenir fa San de n'obéir qu'a la loi et aux ordres qu'il : leur donneroit en conféquence. Ce SerI ment fut réitéré avant fon entree a Ver1 failles. Le bruit de fon arrivée s'étant jrépandu, toutes les troupes avoient repris leurs poftes. La Garde nationale fut reciie avec transport et fe plaqa en | bataille devant la Grille du Chateau. A minuit M. de la Fayette monta dans Fap| partement du Roi, 1'engagea a donner des Ordres pour que les Gardes du Cprps 4 qui étoient en bataille dans la Cour, fe (ïetiraffent. Alors les compagnies du ^Icentre reprirent leurs anciens poftes fans tbruit ni violence. Le peuple fe raifem-, jbla encore fous les balcons du chateau. ■ On tira quelques coups de fufils aux Gar|des du corps qui fe retiroient. Le Roi let la Reine furent obligés de paroitre et KM. de la Fayette parlant en leur nom Iet par leur ordre promit au peuple de Paris que le Roi s'occuperoit de moïens ; :de lui procurer de fübfiftances; il ajoujita qu'il n'avoit jamais eu le projet de «s'éloigner, comme on avoit cherché a le faire  224 HISTOIRK ET ANECDOTES faire croire; qu'il approuvoit la démar* j che du peuple et de la Garde nationale I qui témoignoient du zéle et de 1'arfectiort < pour fa perfonne, et qu'il les engageoit a aller prendre du repos. M. de la FaJ yette fit toutes les difpofitions néceifai-j res pour que tout rentrat dans 1'ordre.l La fatigue et le mauvais tems engagérent tous les citoïens a chercher a fel mettre a 1'Abri, et environ une heurel après fon arrivée il remonta au chateau,| engagea le Roi et la Reine fatigués duj tumulte de cette journée a fe retireri dans leurs appartemens et décida Mou-ji nier préfident de 1'aifemblée a-y retour-i ner pour lever la féance, ce qui fut exé-J cuté. Avant deux heures tout le mon-l de étoit retiré. II régnoit le plus grandf calme dans les environs du chateau, et? M. de la Fayette ne prévoïant aucun dan-i ger rentra chés lui pour fe repofer. Si ce Général n'étoit point un des) complices du Duc d'Orléans, on ne peuti fe diffimuler que fa conduite a été trésl équivoque. II avoit répondu au Roi de. la  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 225 la Sureté de fa perfonne, et fans prévoir les inconvéniens qui pouvoient réfulter d'un amas confus de peuple. Répandu dans tous les quartiers de Verfailles, il fe retire et ne reparoit que lorsque les rebelles poulfés par la rage avoient eu le tems d'éxécuter leurs infames projets. Quelques raifons qu'il ait cherché a alléguer pour juftifier fa conduite, fon Sommeil dans cette circonftance ne paroit pas excufable. A cinq heures du matin on entendit battre des appels dans la Cour du Chateau. Quelques compagnies de la Garde nationale s'aifemblent: plufieurs déterminés parcourent les rües de Verfailles en criant, cour ons au Chateau, tuons les Gardes du Corps: les femmes qui fe chauffoient dans la cour du Chateau fe réveillent: il fe gliife parmi elles nombre de bandits déguifés: bientót la populace attaque la première grille ou il-y avoit un pofte de Gardes du corps décidés a ne pas Pouvrir: une feconde Colonne fe porte a la feconde Grille ou étoient les anciens Gardes franP qoifes  226 HISTOIRE ET ANECDOTES qoifes qui livrent le paifage: le peuplel furieux court fur les Gardes du corps,J qui venoient de recevoir un nou vel ordre j de M. d'Aguefleau, Major de ce corps,! qui leur défendoit de la parti Maf acre duRoi de tirer et d'oppofer au-1 des Gardes ,rn , _ du Corps. culle rehltance; pluüeurs den-f tr'eux font maflacrés; d'autresj vont porter 1'allarme dans 1'interieur dul chateau et y chercher un réfuge dans la I Salie oti étoient leurs Camarades. Ils I cherchent a s'y barricader. Des hommes I armés de haches enfoncent les portes,! culbutent les bancs et pourfuivent de I tous cötés ces malheureufes vief imes. I (II a été avéré par nombre de dépofi-1 tions, que le Duc d'Orléans, Mirabeau,! le Duc d'Aiguillon, Barnave et plufieurs { autres étoient mêlés parmi cet attroupe-l ment et dirigeoient la marche f La Reine fe des atTaffins.) Bientót la foule i trouve dans r » 1 { le plus grand spotte a l'appartemeiit de la danger. Reine. On trouve le moïen i de la faire réveiller pendant I que les Gardes du corps oppofent la plus ji vive '  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 227 vive réfiftance. M. de Varicourt eft maffacré a la porte de fon Antichambre. M. de Miomandre de Ste. Marie, après avoir averti une femme de chambre de la Reine du danger qu'elle couroit, revient a fon pofte. II fe place au travers de la porte tenant fon mousqueton en avant, et réfifte pendant plufieurs minutes a ces furieux. II fuccombe enfin. On lui arrache fon mousqueton, 011 lui en donne plufieurs coups fur la tète dont 1'un lui fend le crane, et on le lailfe fur la place le croïant mort. La Reine n'aïant eu que le tems de prendre un léger vétement, gagne 1'appartement du Roi en traverfint 1'oeil de boeuf. En-y arrivant elle ne trouve plus fon époux, qui aïant entendu du bruit et plufieurs coups de fufils tirés dans le chateau, avoit été la chercher par un paifage dérobé. Le Souverain apprend qu'elle vient de fe fauver chés lui. A peine a-t'il quitté 1'appartement de la Reine, que plus de deux eens monftres-y pénétrent en proférant P ij des  22 8 HiSTOIRE ET ANECDOTES des juremens et des imprécations cxécrables: Nous voulons lui arracher le coeur, nous voulons manger le foye de cette g. . . et faire des cocardes de fes boyaux, crïoient hautement les femmes et les bandits qui les accompagnoient. Défespérés de la voir échappée ils fe jettent fur fon lit, le percent de mille coups, mettent les matelats en piéces. Pendant cet intervalle un homme noir a longe mouftache, armé d'une hache et aïant les bras retrouffés, parcouroit les cours et les appartemens, et après avoir coupé les têtes de plufieurs Gardes du corps, il cher- j choit de nouveaux fujets d'éxcercer fa barbarie. Ce monitre avoit beaucoup de confidération parmi la populace qui le fuivoit avec attention. Son afpedt hideux et fes propos fanguinaires Pavoient fait choifir pour chef de ces tigres altérés de fang. — Un nombre confiderable des Gardes du corps s'étoient rétranché dans 1'oeil de boeuf. Des Grenadiers de la Garde nationale de Paris vinrent frapper a la porte en  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 229 en leur ordonnant d'ouvrir. Prévoïant que toute réfiftance feroit inutile, M. de Chevannes, commandant du potte fe préfente: Si vous cherchés des ViÜimes, ditil, frappés moi le premier: „Nous ne „venons pas pour vous égorger, répon„dirent les Grenadiers; nous venons „pour venger la nation que vous avés „outragée et pour vous obliger a porter „la cocarde nationale que vous méprifés: „nous fommes d'ailleurs prèts a vous dé„fendre contre les efforts de la popula„ce.„ Dans Pinftant plufieurs Gardes du corps prirent des bonnets de grenadiers; ceux ci fe couvrirent de leurs chapeaux, et ils s'embralférent cordialement. Les Gardes du corps affurérent qu'ils avoient toüjours porté la cocarde affeélée a leur uniforme et que les projets de contre-révolution qu'on avoit fuppofé qu'ils devoient éxécuter étoient des contes abfurdes. Dans cet intervalle une foule de peuple s'étoit ralfemblée fous le balcon de 1'appartemént du Roi et éxigeoit avec empire qu'il parut fur le champ. P iij M.  230 HISTOIRE ET ANECDOTES Réveildi h M- de la Fayette, réveil. Fayette. Ié de fon fommeil léthargique, s'étoit rendu au chateau et avoit paru étrangement furpris de tout ce qui étoit arrivé. 11 chercha en vain a diifiper 1'attroupement et exhorta le Roi a paroitre pour demander la grace de plufieurs de fes gardes qui avoient été fiiifis par le peuple et étoient au moment d'ètre maifacrés. Quelques uns d'entr'eux en uniforme national et en bonnets de grenadiers parurent fur le balcon en criant, vive la Nation. Le Roi d'une voix tremblante , demanda grace pour ceux qui étoient arrètés. Le peuple fe détermina a 1'accorder et té. moigna a grands cris fon défir de voir la Reine contre laquelle la fcélératelfe vomiflbit des éxécrations. Son courage ne 1'abandonna pas. Elle parut avec le Dauphin et Madame, que la Marquife de Tourzei leur Gouvernante avoit arnenés peu auparavant dans 1'appartement du Roi. M. de la Fayette fut obligé de porter la parole pour elle et de pro- met.  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 2 31 mettre qu'elle donneroit des preuves de fon patriotisme et s'occuperoit du bonheur du peuple. Elle entendit avec fang froid les injures les plus atroces et vit plufieurs forcenés diriger leurs armes contre elle. Les fufils avoient été tellement moüillés , que les amorces ne purent prendre, ce qui fit échoüer leur infame projet. Un inftant après les émiifaires du Duc d'Orléans répandus dans la foule engagérent le peuple a demander au Roi de fe rendre fur le champ a Paris. II fut obligé de le promettre. M. de la pavette en fignifia 1'alfurance de la part du Roi, qui étoit trop troublé pour parler, il alfura qu'il partiroit fous 1'efcorte de la garde nationale de Paris. Gette promeife folemnelle calma l'effervefcence du peuple. Mais pendant ce tems on avoit pillé Photel des gardes du corps. Un détachement de plufieurs d'entr'eux qui fe rendoient au chateau, avoit été environné par le peuple; et on délibéroit fur la raardere de les égorger, lorsque M. de la Fayette a la tète d'une comP iv pagnie  232 H1ST0IRE ET ANECDOTES pagnie de Grenadiers, parvint a les deJivrer. On les avoit pourfuivis jusques dans les hopitaux ou plufieurs furent maffacrés. Les femmes s'étoient emparé des chevaux qu'elles avoient trouvés dans leur hótel et parcouroient les rües au galop. Elles eurent la barbarie de porter fous les yeux du Roi la tête de deux de fes gardes qu'elles avoient placées au bout de deux lances. Le plus grand nombre des gardes qui avoient pu fe ré ünir a cheval étoit parti pour Ramboüillet par ordre du Roi fous la conduite du Duc de Guiche, Capitaine de Service. Tel eft 1'apperqu fuccint des horreurs qui le commirent dans les journées des f. et 6. Ocfobre. Ceux qui défireroient de plus amples détails peuvent confulter nombre d'ouvrages qui ont rapporté ces Forfaits, et furtout la procédure du chatelet relative a cette affaire. II n'eft pas douteux que le Duc d'Orléans, Mirabeau et tous les membres du  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 333 \ du parti républicain n'aïent été les prin] cipaux moteurs de ces atrocités. II eft | démontré qu'on vouloit attenter a la vie du Roi et de la Reine et placer le Duc d'Orléans fur le tróne, ou lui conférer la Régence. Le Ciel fit échoüer ces coupables delfeins. II réfervoit de plus longues et de plus cruelles fouffrances a 1'infortuné Louis XVI. Dés que Mounier Préfident de Paf. I femblée eut appris que le peuple fe raf. | fembloit au chateau, il s'emprelfa de fe 1 rendre a la Salie des féances et de faire I convoquer les députés. II apprit un inI ftant après que des malheureux s'étoient I rendus chés lui pour Palfaffiner. Plu. | fieurs autres députés furent pourfuivis et I menacés jusques dans la Salie de Paf. I femblée. Cette circonftance, les hor. j reurs qui s'étoient commifes et dont I Pimpunité paroilfoit alfurée , 1'audace et I Pinfolence des auteurs de ces 1 forfaits décidérent plufieurs dé- ^ufilL zL | putès a fe retirer. De ce nom- putés. 1 bre furent M. M. Mounier, P v Lally-  2 34 HIST01RE ET ANECDOTES Lally - tollendall, Türckheim , BrefTey député de la NobleiTe du Baillage de Dijon, le Comte d'Antraigues et plufieurs autres que leur mérite, leurs talens et leurs connoiflances rendoient recommandables a tous égards. Plufieurs Evèques furent infultés et coururent même le danger de perdre la vie. L'archevèque de Paris, TEvèque de Langres fe retirérent et fe mirent a 1'abri de la fureur d'un peuple qui avoit eu Paudace de crier jusques dans le fein de 1'aflemblée, point de Clergé, point d'Evêques, a bas les Calotins. Mounier eft un des députés qu'on dut regretter le plus. 11 avoit été fécrétaire de 1'aifemblée du Dauphiné, avoit infinirnent d'éfprit, le travail facile, une Logique faine et des viies droites. II s'eft conduit avec infiniment de prudence et de fermeté pendant les journées des f. et 6. Odtobre, et a prouvé beaucoup de refpect et d'attachement pour la perfonne du Roi. 11 a fait paröitre plufieurs écrits, entr'autres, un expolé de fa conduite qui mérite d'ètre lu. Mounier avoit  DE LA RÉVOLUTION FRANC01SE. 235 avoit de 1'ambition. II étoit partifan de 1 1'établiflement des deux chambres et fe I croïoit fur d'obtenir une place dans le Sé| nat permanent. Les Républicains déI joüérent fes projets et ceux de fes adi hérens; et il n'a pas fu dilfimuler dans 1 fes écrits, que le .regret d'avoir vu I échoüer fon plan a eu beaucoup d'inflüenI ce fur les motifs de fa retraite. A peine l'aifemblée fut elle inftrui\ te que le Roi fe décidoit a fe rendre a | Paris, qu'elle nomma une députation de I cent membres pour Paccompagner. Ces I députés étoient a la nomination du PréfiI dent. II voulut en vain en exclure Mi1 rabeau, qui lui dit a 1'oreille: Fous ne ï favés donc pas Hnfluence que^ fai fur le J peuple? Cette confidération prévalut, Ce1 lui qui avoit provoqué 1'alfalfinat du Roi 1 vint encore Pinfulter dans fon malheur, {i Le peuple lui rendoit des honneurs, tan'i\ dis qu'il traitoit fon Souverain comme {! un Captif. Le Roi avoit promis de partir a | midi. 11 étoit prés d'une heure, et les voi»  336 HISTOIRE ET ANECDOTES voitures n'étoient pas prètes. L'impatience du peuple devint extréme et pouvoit fe manifefter d'une maniere violente. On fit arriver trés prompxf^lJ" tement les caroifes, et le Roi ïltïsï" y monta fur le champ. II étoit précédé de toute la populace de Paris qui chantoit et danfoit. On portoit devant fa voiture au bout des piqués les tètes des Gardes du corps, et on avoit la barbarie de les lui montrer a chaque inftant. La Reine entendit proférer les propos le plus infultans. Elle foutint ces outrages avec fon courage ordinaire. Le Roi avoit dans fa voiture le Maréchal de Beauveau, M. de la Fayette,- M. le Duc de Brilfac et quelques autres Seigneurs de la Cour. Lorsque le caroife s'arrètoit, il ne pouvoits'empècher de manifefter de la orainte. II répéta fréquemment a M. de la Fayette, vous repondès de moi; prenés-y garde: troïès vous qu'ils ne me fajjent pas de mal? Son apathie et fon infouciance a tous autres égards paroiifoient extrémes. II ne donna  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 237 1 donna pas le moindre figne de fenfibiliI té et ne manifefta pas une jufte indignaI tion en le voïant traité avec le plus fouI verain mépris. II fe plaignit de ce qiion I ne l'avoit pas laiffê diner a fon aife. — TelJ le fut la feule réflexion que fe permit 1 un Monarque degradé, humilié et trainé | comme un captif par fes fujets. Le corI tége reffa plus de fix heures en route. Le Roi avec la familie roïale fe 9 décida a loger au chateau des Tuileries. ] Ce palais n'avoit pas été habité depuis plus I de cent ans. On n'y trouva rien de ce j qui étoit agréable ou mème nécelfaire i pour la demeure d'un Souverain. II pa■ roit que cette circonftance avoit frappé | finguliérement Louis XVI., puisqu'il a I eu foin de la rappeller avec amertuma i dans la déclaration qu'il fit remettre a 1 Tanemblée lors de fon départ pour Va1 rennes. Tel étoit le caractére de cet il infortuné monarque. Tout ce qui affec1 toit fon phifique paroüfoit le frapper beaua! coup plus que ce qui eut du toucher I fon coeur et fon ame. II étoit cepen- dant  2 38 HISTülRE ET ANECDOTES dant bon, humain et charitable; mais jamais il n'a fu faire paroitre a fon avantage les bonnes qualités dont la nature 1'avoit doüé. La Garde nationale de Paris s'empara des avenues des Tuileries. Les fidéles gardes Suiifes fuivirent auffi le Monarque et prirent leur pofte dans le chateau. Depuis cette époque, les malheureux gardes du corps, qui lui avoient donné des preuves fignalées de zéle et d'attachement, ne reparurent plus devant lui. Ils furent par la fuite fe rallier a Coblenz autour de fes fréres, qui en voulant les ramener a main armée en france, ne leur ont fait éprouver qu'une fuite d'adverfités et d'infortunes. Tel eft en général le Sort de tous ceux dont 1'éxiftence dép end des Grands. Leurs Maftres font-ils dans la profpérité; ils en obtiennent a peine un régard: deviennent ils malheureux; ils fe trouvent abandonnés fans regret ni pitié. . . , , Le Roi fut defcendre a Arrivée au Roia i'hótel Phötel de ville. Plufieurs il Ville. V0\x  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 239 voix eurent la barbarie de crier fur la place de Gréve, a la lanterne: il parut effraïé. M. de la Fayette le ralfura en 1'engageant a promettre au peuple qu'il fixeroit fa réfidence dans la capitale: il le promit en héfitant, et autant que cela fe pourroit. Aprés avoir entendu les haran- tarangues. gues de Bailly et de Moreau de St. Méry, qui étoient de nouveaux outrages (puisqu'on le remercioit de ce qu'il faifoit rentrer la ville de Paris dans le privilége (*) de poiféder la perfonne du Souverain et qu'il fe déterminoit librement a vivre au milieu de ce bon peuple) le Roi fe rendit Lt Roi ft .... 1 » 1 rend au apres mmuit au chateau des chateau ies Tuileries. Le lendemain il Tuikrits. requt de nouvelles Députations qui durent également le mortifier, puisqu'en lui temoignant du Refpeól en apparence, on lui faifoit fentir avec dureté fa dépendance et fa captivité. L'af (*) Comment pouvoit-on parler d'un privilége exclufif, puisqu'ils avoient tou» été abolis a la Séance du 4 Aout?  24O HISTOIRE ET ANECDOTES L'alfemblée nationale délibérai qu'elle tiendroit fes Séances a Paris, et; s'établit provifoirement dans la grande I Salie de 1'Archevèché en attendant qu'on\< eut préparé le manége des Tuileries qu'elle I choifit pour le lieu de fes Séances. Elle I prolongea cependant Ion Séjour a Ver- | failles jusqu'au 20 Ocfobre. Depuis Pin- I ftant de la Captivité du Roi et de la (; translation de 1'aifemblée a Paris, il n'é- | xifta plus aucune efpéce de liberté dans j fes Déliberations. On forma une infi- 1 nité de Comités oü fe préparoient tous les Décrets. Les Députés patriotes avoient la majorité dans ces Alfemblées, et | leurs opinions étoient di&ées par le Club :. des Jacobins, qui commenqa alors a fe I former et acquit fur le champ la plus 3 grande prépondérance. Les galeries éto- I ient remplies de gens foudoïéspour ap- I plaudir ou hüer au gré des Jacobins les j députés qui paroüfoient a la Tribune. Les DifculTions qui auroient du être fa- I ges, calmes et conformes a la dignité I des repréfentans d'une grande Nation, | dégé- :  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 241 dégénérérent en écoles de controverfes oü les Injures et les menaces étoient fou~ vent prodiguées, C'eft de cette maniére qu'on difpofa de 1'honneur, de la proprieté de la liberté et même de la vie de nombre des citoïens du Roïaume: car Paifemblée s'étoit arrogé tous les pouvoirs, excepté celui de faire le bien, et elle-en ufoit avec un defpotisme inoüi jusqu'alors. Nous allons fuivre fes principales Opérations. Peu aprés 1'arrivée du Roi a Paris, on fit des recherches des i„jiiga. pour découvrir les auteurs et tems des inftigateurs des Forftits qui s'é- ^ff '"'"toient commis les 5. et 6. Octo- oilobre. bre. La Fayette, qui avoit intérèt a ne point être clalfé parmi les complices , fuivit cette trame d'iniquités, et il fut prouvé que le /0,/("^ Duc d'Orléans et fes adhérens en avoient été les moteurs. On agita au Confeil du Roi, fi on feroit arrèter ce Prince ou 11 on Pobligeroit a s'éloigner Q. de  24? HISTOIRE ET ANECDOTES de Paris. Ce dernier parti prévalut. II eut une audience particuliere du Roi qui i le chargea d'une miilion pour 1'Angleter- . re, en lui ordonnant de quitter la Capitale dans 1'efpace de vingt quatre heu- , res, Le Duc raiPembla fes amis, qui d'un accord urtanime lui confeillérent de ne point obéir: Ils lui repréfentérent cette circonftance comme pouvant fervir fes delfeins et pouvant lui faire récupérer toute fa popularité, et lui répondirent de tous les événemens. II adopta d'a- , bord leurs idees; mais la frayeur le faifit au moment de Péxécution. II écrivit pendant la nuit a Mirabeau que fon projet étoit charigé, qu'il alloit s'éü'P«rt d« loigner. \\ partit en effet fur Duci OrU- ° * « * 11» i ans pour le champ. Le Rol d'AngleterfAngletem. re lui fit attendre long-tems fon audience, le traita avec i trés peu d'égards et de confidération et ne lui paria que de la malheureufe pofition du Roi. Le Duc d'Orléans refta plus de fix mois en Angleterre, et ne put jamais obtenir une feconde audience. On  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 243 On attribua au Chatelet la recherche et la pourfuite des crimes qui s'étoient commis a Verfailles. Ce Tribunal commenqa une longe procédure qui n'eut aucune fuite. Des commiiTaires vinrent dénoncer a PAifentblée le Duc d'Orléans et Mirabeau comme fortèment impliqués dans cette affaire, en lui demandant la permilfion de les décréter. L'Aifemblée fe réferva de juger la validité des Inculpations, et aprés des délais confidérables , fur le rapport de Chabroud, elle décréta qu'il n'y - avoit lieu a inculpation contre ces deux membres. Les dépofitions imprimées prouvent évidemment le contraire : le témoignage de Chabroud et le jugement de l'Alfemblée ne pourront jamais difculper ces deux Scélérats aux yeux du public impartial. Le Duc d'Orléans avoit promis quarante mille écus et douze mille liv. de rente a Chabroud s'il parvenoit a le tirer de ce dédale ténébreux; mais au lieu de tenir fa parole, il fe contenta de lui donner, et avec beaucoup de peine, la mpdique fomme de deux mille écus. Qjj Pour  244 HISTOIRE ET ANECDOTES Pour entfetenir la fermentation parmi le Peuple de Paris, on faifoit paroitre T ,.„ nombre de Tournaux, de Pam» Journaltjtes , et phlets et d'autres ecnts qu on FoUkulaim. diftribuoit avec profufion jus- qu'a la porte de Paifemblée. On-y parloit de confpirations, de trahi- fons, de projets d'alfaffiner les députés, et ces abfurdités étoient accueillies par les fimples et crédules habitans de la Capitale. Les Carra, Marat, Gorfas, Camille-Desmoulins et autres folliculai- res fe permettoient les déclamations les plus outrées contre le Roi, la Reine, les Miniftres et les membres les plus diftingués de 1'aifemblée. Rien n'étoit facré pour eux, et plus leurs écrits éxaloient la fu- reur et la rage, plus ils étoient accueillis. On crioit jusques fous les fenètres des Tuileries un Teftament de Marie Antoinette qui étoit un tilfu d'obfcénités et d'horreurs. L'alfemblée toléroit ces infames écrits fou prétexte qu'elle avoit décrété la liberté de la prelfe. II - y avoit dans tous les Caffés, dans les promenades et  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 245 et autres lieux publics des orateurs fou. doïés qui fe permettoient les propos les plus révoltans contre tout ce qui tenoit a 1'ancien gouvernement, et qui ameü- toient le peuple. C'eft par ces moïens qu'on parvint a 1'égarer complétement et a lui faire perdre tout Refpeét. pour la Religion, 1'Ordre et les Moeurs. Le lendemain de 1'arrivée du Roi a Paris il-y avoit une abondance de bied au marché; mais bientót après la difette fe fit fentir. (On- ^ en attribua la cüule au Clergé ris, dont Paifemblée avoit alors le projet d'envahir les biens.) Un Majfucre malheureux Boulanger qui de- 'étoient attribué indépendament le contrefeing et la franchife de leurs ports de lettres. Plufiers mernbres renouvelerent fouvent la motion, que tous les Députés eüifent a remplir gratuitement leurs foncfions: Cette propofition ne fut jamais accüeillie. Ils continuérent a vivre aux dépens du fes lettres et celles des miniftres, ainfi que toutes les proclamations. Tel eft en général le défaut des auteurs étrangers, n'aiant aucune connoifiance desmoeurs, des ufages et des auteurs du Pais dont ils veulent ecrire 1'hiftoire, ils rafiemblent des matériaux fans gout ni difcernement, en font une compilation informe, et fouvent infidéle. L'ouvrage de M. Girtanner mérite cependant des éloges dans quelque circonftances. Parmi beaucoup d'inéxactitudes et de détails faftidieux, il y a de reflexion fages et judicieufes, qui annoncent que 1'auteur eft un homme inftruit et éclairé.  DE LA RÉVOLUTION FRANfOISE. 265 du peuple, a occuper fouvent les Séances de leur diffenfions perfonelles et de Débats inutiles. L'intérèt eft 1'écueil contre lequel vint fe brifer ce Civisme brulant que la plupart d'entr'eux exhaloient dans leur difcours et leurs écrits (*). L'ambition de Mirabeau n'étoit pas fatisfaite de joüer un róle prépondérant dans 1'aifemblée et d'avoir acquis la plus grande popularité; il coraptoit fe fervir R v de (*) J'afliftois a une Séance le Vendredi faint, 1791, Un Députc propofa de faire une oeuvre pieufe et charitable en donnant aux pauvres le traitenient du è raffemblée I pour ce jour. Cette motion trouva peu d'accüeil, et on la renvoya au Comité des fecours publics qui ne fit jamais aucun rapport fur cet objet. Ce trait me rappelle 1'anecdote de deux dcvotes qui au commencement du Carême agitoient, quelle feroit la maniére dont elles pourroient fe mortifier et faire une chofe agréable a Dieu. Aprés une Jonge énumération de toutes les Privations qui pou. voient avoir lieu: le meilkur -parti a prendre ( dit la plus agée) — eft de faire jeuner nos Gens.  266 HISTOIRE ET ANECDOTES de ces moyens pour faire fentir a. la cour combien il feroit important de fe 1'attacber: il vouloit être Miniftre, et toutes fes démarches étoient calculées pour parvenir a fon but. Au commencement de Novembre il propofa a ralfemblée de décréter que les Miniftres pourtoient être choifis parmi fes membres et continiier a-y avoir Séance. II déploïa toute fon éloquence pour étayer fon Opinion, en repréi'entant combien il étoit important de referrer les liens qui devoient éxifter entre le Souverain et ralfemblée, ce qui établiroit un rapport intime entre ces deux pouvoirs et accéléreroit la marche de toutes les affaires: que les membre» de raifemblée pourvus de talens et de connoiifances devoient les employer le plus utilement au Service de 1'état, et que les places de Miniftres les mettroient a portée de prouver leur zéle et leur patriotisme. L'exemple de 1'Angleterre, cü les Miniftres font presque toüjours membres du Parlement , lui fournilfoit une nouvelle autorité. Mais on péné- tra  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 267 tra facilement fes vües ambitieufes, et 1'aifemblée décréta presque a Punanimité, que pour alfurer d'une maniére folemnelle fa liberté et 1'indépendance de fes fuffrages, aucun Mini- Les Min}_ ftre ne pourroit être choifi dans flresnc putton Sein. Quelque tems après Wlt Hrt ,, , , ckoifis dans elle decreta menie, qu aucun i'9jftmbl(e. de ces membres ne pourroit accepter une place quelconque a la no» mination du Roi, que deux ans après la clóture de Paifemblée conftituante. Ces Décrets prouvent que toutes les ames n'étoient pas corrompues , et qu'il éxiftoit encore dans Paifemblée un germe de Dignité et de Probité. Les factieux fe dédommagerent bientót des entraves qu'on venoit de leur donner, en rendant le peuple 1'arbitre et le difpenfateur de toutes les places importantes. L'alfemblée décréta auffi quelles feroient les qualités nécelfaires pour avoir droit de fuffrage dans les alfemblées primaires, pour être membre des Corps Adjriiniftratifs et pour être élu repréfentant du  268 HISTOIRE ET ANECDOTES du peuple dans 1'aflèmblée législative. Après avoir établi dans le préambule de la Conftitution que tous les hommes étoient égaux en droit, par une Inconféqnence qui lui étoit naturelle, elle fépara le peuple francjois en deux clafles: celles des citoyens actifs et des Citnyens citoyens non actifs. Les pre- aHifs et non . r aèifs miers lont ceux qui payoient une impofition égale a la valeur de trois journées de travail, et devoient être les feuls qui auroient Droit _ ,. de Suffrage dans les alTemblées guahtcs re- a quifes pour primaires: pour être membre avoir droit ^es Corps Adminiftratifs, il faltt SfS loit Payer une Impofition égale npréftntant a la valeur de dix journées de du Peuple, travail; et enfin pour être membre de 1'alTemblée législative, il falloit être agé de vingt ciiiq ans, pofféder une propriété fonciére et 'payer une Impofition equivalente a un mare d'argent. Ces régies privoient du droit de fufFrage plus de la moitié des Citoyens du Royaume qui compofent la Clafle  DE LA RÉVOLUTION FRANqOlSE. 269 Clafle des Soldats, ouvriers, domeftiques, valets; celle des pauvres et des mendians, des Juifs , de ceux qui avoient fait faillite etc. Elles étoient diamétralement oppofées au fiitème de Liberté et d'égalité qu'on vouloit établir. Lorsque le Gouvernement franqais, ne repofant fur aucunes bafes certaines, a été abfolument détruit et remplacé par la plus vile Démocratie et 1'anarchie la plus complete, on n'a pas manqué de les abolir entiérement et d'admettre tous les citoyens indiftinctement quelconques dans les alfemblées, ce qui les a rendu le théatre du désordre et de lJ* licence et en a éloigné irrévocablement tous les citoyens tranquilles et honnëtes, L'affemblée eut agi plus conféquemment en confacrant le principe, que la propriété donnoit feule droit aux éledlions et ala repréfentation nationale. Mais peut être dés lors la fa&ion qui dirigeoit fes opérations s'occupoit elle de la Deftrucfion et de ranéantiifement graduel de toute Polfeffion. Les événemens fubféquens dé-  270 H1ST0IRE ET ANECDOTES démontrent la vérité de cette Réflexiorui Un travail important occupa un: grand nombre de féances de Paifemblée. Ce travail étoit la nouvelle di-; Nouvelle ii' .r . t _ vifwn ie la viiioit topograpnique de laFranFrance. ce. On ne peut fe diifimuler que cette Opération ne préléntat de grands avantages, le territoire de la france etant divifé précédemment d'une maniére auffi abfurde que bizarre et qui contrarioit fouvent la marche de toutes les autorités. 11 éxiftoit plufieurs Villages peu confidérables, faifant partie de trois provinces dirferentes (*). Le Duché de Botirgogne par éxemple, avoit des parties enclavées dans les autres provinces ou Généralités dont le Régime étoit abfolument différent du fien. Les divifions des Diocefes étoient tóut auffi, extra- (*) Le Village d'Orville, fur la grande Route de Dijon a Langres, et qui ne contient pas 40. feux, étoit de la Province de Bourgogne, de Champagne et de Franche-Comté. On pourroit citer plufjeurs divifions de Villes et de Villages qui paroitroient auffi extraordinaires.  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 271 extraordinaires. A Pégard des droits de la ferme, ils étoient établis fous dirferentes dénominations trés bizares. On diftinguoit les païs de grande et petite Gabelle, de quart bouillon, de provinces étrangéres, les païs d'Aydes et de Traites foraines. Cet enfemble préléntoit un cahos qu'il falloit débroüiller cn établiifant des limites uniformes, ftables et fimples. Le but de 1'aifemblée étoit d'interelfer tous les citoyens au nouveau régime qu'elle vouloit introduire. 11 étoit donc néeeifaire de multiplier les divifions, les Adminiftrations et les places pour préfenter une perfpeéhve d'ambition et d'intérêt a tous les individus. Aprés de grands débats, on décréta que le Royaume de France feroit divifé en 83. Départements, en-y com- D(fartl. prenant la ville de Paris et fon menu, Diarrondiifement qui formoient flri£ihc»"- _ , ,,r , , tons MtmU un Departement, et 1 Isle de ci*ifitA< Corfe qui en formoit un autre. Les Départemens étoient fubdiyifés en Diftricts au nombre de 5-, 7, ou 9, fuivant leur étendüe ou Population. La tot*. tes dénominations trés bizares. On di-  272 HISTOIRE ET ANECDOTES totalité des Diftricts étoit de 74?. Les Diftricts fe partagoient en Cantons, et les Cantons en Municipalités. Le nombre des Municipalités, dont on créa 1'établilfement pour le plus petit village, montoit a environ 44. mille. On calcula quel etoit le nombre des députés a 1'alfembïée legislative que devoit fournir chaque département, et, pour partir d'aprés des bafes juftesj on en fixa la proportion en raifon compofée de 1'étendüe, de la population et de la quotité de la contribution. La totalité des députés que devoient fournir les différens départemens, fut fixée a 747. Les Adminiftrations des Départemens étoient compofées de 24 membres et d'un procureur Général Sindic. Ces membres ne devoient s'alfembler qu'un mois par an; mais le Confeil du département compofé de huit membres étoit permanent. Les diftriétts étoient compofés de douze membres et d'un Procureur Sindic qui devoient être alfemblés quinze jours par ?n, et quatre d'entr'eux formoient le confeil  DE LA RÉVOLUTION FRAN£OISE. 273 Confeil permanent. Ces membres devoient fe renouveller a 1'alternative. Les municipalités dans les Villages les moins confidérables étoient compofées d'un Maire, de deux Officiers municipaux, du Frocureur de la Commune et de douze notables qu'on convoquoit quand on ralfembloit le Confeil Général de la Commune. Dans les Villes, les nombre des Officiers Municipaux et des notables étoit beaucoup plus confiderable. — Les citoyens actifs des diiférentes municipalités devoient fe rendre dans 1'endroit le plus a portée du centre de leur arrondiifement, qu'on avoit défigné comme Chef-lieu du Canton, pour-y procéder a toutes les élections. Sur cent citoyens on nommoit Un élecleur: tous ces électeurs fe réiinilfoient foit dans le Cheflieu du Diftrict, foit dans la Ville oit le Département étoit établi, pour s'occuper de la nomination des membres des corps législatifs ou adminiftratifs, ou de celle des Juges des Tribunaux et autres< emplois dont le choix appartenoit au S peuple  274 H1ST0IRE ET ANECDOTES peuple. C'eft par cet enchainement que tout citoyen actif fe trouvoit membre eifentiel du Gouvernement, puisque fon fuffrage étoit néceifaire pour la formation . de tous les corps a qui 1'autorité nationale étoit confiée. Rêfiêxiomf«r Mais dès le Principe les les AjjembKes paffions, la cabale et 1'intrigue topulaires. fe gerent dans ces aifemblées. Elles furent dominéés par les clubs des Jacobins jusques dans les endroits les plus reculés de la france, et toutes les places ne furent confiées qu'a leurs plus zêlés adhérens. Un citoyen qui n'étoit pas affilié a ces clubs, étoit certain d'ètre maltraité et privé d'une maniére violente du droit de donner fon fuffrage. C'eft ainfi que la minorité de la Nation, et certainement ce qu'on peut-en appeller a jufte titre le rebut, parvint par fa perfévérance, fon activité, le plus vil efpionage et la délation a dominer le peuple entier. II n'éxiftoit aucun point d'appui, aucune autorité légitime autour de la quelle un bon citoyen put  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 275 püt fe rallier. La divifion, la méfiance et Fégoisme régnoient dans toutes les clalfes; les Jacobins feuls alloient a leur but. On ne doit pas ètre furpris de Pefpéce d'infouciance et de timidité avec lesquelles on a flécbi fous leur Defpotisme, ceux qui ont voulu oppofer de la réfiltance a cette oppreffion ayant toüjours été lachement abandonnés et vief im es de leur zèle. L'alfemblée nationale, en créant ce nouvel ordre adminiftratif, avoit eu le projet d'intéreifer a fes plans et a fes Opérations un grand nombre de Citoyens. Les Départemens, les Diftrictts, les Municipalités étoient chargés de donner des Renfeignemens fur la valeur et 1'étendue des biens nationaux, d'en faire la vente, de former les cadaftres du territoire de leur arrondilfement, d'établir les nouveaux impots, de juger les réclamations des différens particuliers. Ce travail immenfe demandoit un nombre inüm de Coopérateurs. Ainfi, indépendament des Adminiftrateurs, on fut obS ij ligé  276 HISTOIRE ET ANECDüTES ligé d'employer une quantité de Commis, de Scribes, de Commiifaires qui tous avoient des honoraires afsès confidérables pour les dédommager de la perte des places qu'ils occupoient fous Tanden régime. Tous ces ètres s'intéreflérent avec ardeur aux progrès de la Révolution. lis - y trouvoient une fource d'honneurs, de confidération et de richelfe. Les Officiers municipaux étoient autorifés a porter des décorations extérieures confiftant en écharpes tricolores ornées de différentes efpeces de franges qui défignoient la nature de leurs fondions. Ils étoient placés les premiers a toutes les cérémonies publiques. On leur avoit attribüé les jugemens des affaires de police, et même celles concernant les délits commis a la chalfe et a la pêche. C'eft ainfi que des payfans groffiers, fans aucunes connoiflances ni Inftrudion, devenoient fouvent les arbitres du Sort et de la fortune des Citoyens (*). Les Adminiftra- teurs. (*) Dans les Villages et dans plufieurs Villes même , ils abufoient de leur autorité  ! DE LA RÉVOLUTION FRANC.01SÊ. 277 j teurs de Diftrict avoient une grande Inj fluence dans la Répartition des impóts. ; Ils pouvoient favorifer a leur gré lesComI munautés ét les particuliers. Ils donI noient leur avis fur toutes les réclamaI tions , demandes ou requêtes , étoient chargés de la confection et réparatiou I des chemins, et particuliérement de la vente des biens nationaux. Quoique les adjudications fe filfent en public elles étoient fujettes a la plus grande partialité et a la faveur. Nombre d'Adminiftrateurs ont trouvé dans ces abus des .fources de richeffe et de fortune. Les Départemens avoient la haute Infpe&ion fur les Diftricts. Les Adminiftrateurs jugeoient fouverainement toutes les requêtes , repartiifoient les impóts entre les Diftricts et jouilfoient d'un pouvoir S iij presté avec le Defpotisme le plus revoltant. Mais leur empire ne pouvant durer que deux ans, les autres citoyens fouffroient fans murmurer, efperant fe dodommager des Véxations qu'ils effuïoient, et d'opprimés qu'ils étoient, devenir oppreffeurs a leur tour.  278. HJST01RE ET ANECDOTES presque abfolu dans 1'étendüe de leur territoire. Leurs Opérations et leur conduite n'étoient fubordonnées qu'a la cenfure du corps législatif. Ces roüages et cette chaine gradüelle d'autorités dépendantes les unes des autres étoient beaucoup trop compliquées pour qu'on püt efpérer qu'elles fe maintiendroient chacune dans leur fphére et concoureroient a 1'envi au bonheur du peuple et au bien de TEtat. Peu après. leur établilTement, il s'éleva dans presque toute la France les Débats les plus fcandaleux. Les Diftricls étoient en guerre ouverte avec les municipalités, qui cherchoient a envahir leurs fonctions ou leurs pouvoirs. Les Départemens caffoient ou fufpendoient a leur gré les differentes adminiftrations, et s'arrogeoient fouvent Tautorité reTervée au Corps législatif. On envoyoit alors fréquemment des Commilfaires de 1'aifemblée qui deftituoient les Officiers municipaux ou les Adminiftrateurs, et les remplac,oient par des foncfionnaires pro- vifo.  DE LA RÉVOLUTION FRAN?OISE. 279 vifoires malgré les droits du peuple qui avoit feul celui d'éledion. Le pouvoir législatif envahiiToit le peu d'autorité accordée au Chef du pouvoir éxécutif qui n'avoit aucun moyen de défendre fa perlonne et la foible portion d'autorité qui lui étoit refervée, parcequ'on 1'avoit privé de fon plus folide appui, la confiance et 1'affedion du peuple. Ce tableau défaftreux préfentoit 1'afped de la désorganifation d'un grand Empire. La fa. gelfe des loix, la modération, la prudence devenoient des moyens inutiles a employer au milieu d'une Nation immorale qui ne connoiflbit plus aucun frein ni aucunes bornes au pouvoir qu'elle s'étoit arrogé, et dont elle ne vouloit plus fe départir pour en confier 1'éxercice a des autorités légitiment établies. Malgré la défunion qui éxiftoit parmi tous les pouvoirs, on les voyoit fe réünir avec le plus grand zêle lorsqu'il étoit queftion de détruire tout ce qui tenoit a 1'ancien régime et lors qu'il S iv fal-  2 8o HISTOIRE ET ANECDOTES falloit attaquer les perfonnes et les propriétés de ceux qui n'approuvoient pas ouvertement les Opérations de Paifemblée. 11 regnoit alors le plus parfait accord dans toutes les adminiftrations et des Communautés ou des particuliers infultés, véxés, perfécutés ne trouvoient aucun efpoir d'obtenir protection ou juftice. jai/s. Les Juifs, connus en fran¬ ce fous le nom d'Avignonois, d'Efpagnols et de Portugais (*), firent deman- (*) Les Juifs Avignonois et Portugais, fur tout ceux qui étoient établis a Bordeaux, avoient des moeurs, des ufages et des coftumes abfolument differents du refte de cette Nation. M. M. Gradix et Peixotto tres riches Négotians jouifToient de la meilleure réputation et avoient rendu de grands fervices a 1'état, foit en faifant des avances d'Argent ou des approvifionements confidérables pour le Service de la marine et des Armées dans des années dcsartreufes. Ils foulageoient tous les malheureux et répandoient des aumö ■ nes abondantes parmi le peuple. — n n'avoit  DE LA RÉVOLUTION PRANqOISE. 2 8 I demander a 1'alfemblée de leur confirmer le droit de bourgeoife dont ils avoient joüi jusqu'alors dans les Villes qu'ils habitoient, par un effet des priviléges accordés par le Souverain. Des étrangers feroient furpris d'apprendre que ce fut 1'Evèque d'Autun qui fe chargea de cette propoGtion. Mais leur étonnement ceifera bientót lorsqu'on faura que ce jeune Ecclefiaftique étoit 1'ètre le plus immoral, fpeculateur avide, fans principe, fans Réligion. II étoit enclin a la Débauche, faifoit des Dépenfes exceffives, et s'étoit fait payer par les Juifs, pour faire cette motion en leur faveur et 1'étayer du crédit de tout-le parti Républicain. Les députés d'Alfaee, qui craignoient que cette propofiS v tion voit manqué a M. Gradix que, trois voix pour être Député a raffemblée Nationale. Le Public de Bordeaux lui accordoit une entiere confiance. Ce Particulier et d'autres de la même Gaffe méritoient i tous égards d'être diftingués de la vile efpece de Juifs repanduë en Alface, en Lorrai»e et dans les trois Evêchés. —  2 82 HISTOIRE ET ANECDOTES tion ne fut décidée pour toute la Nation Juive établie en Alface et dans la Lorraine allemande, firent les plus vives Repréfentations. Ils expoférent les malheurs ausquels ces provinces feroient expofées fi on accordoit aux Juifs les mèmes droits qu'aux autres citoyens, puisqu'ils fe trouveroient propriétaires des plus helles poifeffions de ces provinces qui leur fervoient d'hypothéques pour des fommes confidérables qu'ils avoient prètées. Les Juifs , ajoutérent-ils, forment une Nation au milieu d'une autre Nation. Ses moeurs, fes ufages, fa Religion ne peuvent pas permettre de Ier affimiler au refte du peuple franqois; ils ne peuvent contribüer de leurs perfonnes a la défenfe de PEtat, et Jofeph II., qui avoit eifayé de lever un Régiment de Juifs en Bohème, fut obligé d'abandonner cette entreprife. On répondit a ces argumens, que les Juifs Portugais et Avignonois étoient en trés petit nombre en france, que leurs moeurs et leur culte étoient abfolument différens  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 283 pens de celui des Juifs allemands, que la plupart d'entre-eux étoient de riches négocians qui dans des tems de détrefle avoient rendu des fervices fignalés a TEtat, et qu'il ne s'agiiToit que de confirmer les Droits qui leur avoient été accordés précédemment. La propofition faite en leur faveur fut acciiillie et décrétée, et dans le fait elle ne paroiflbit fujétte a aucun inconvénient. Dans le tems oü on difcutoit les différens articles de la declaration des Droits de Thomme, Rabaud Rabaui ie de St. Etienne Miniftre prote- st.Etlmne. ftant Député a TafTemblée nationale , chercha a obtenir une reconnoif fmce formelle de Tadoption de tous les cultes et de leur éxercice public. Après de longues Difcuffions, on décréta un Article alTés ambigu, conqu en ces termes : perfonne ne doit étre inquiétépourfes Opinions même religieufes pourvu que leur manifejiation ne trauble pas 1'ordre public ètabli par la loi. Quel-  2 84 HISTOIRE ET ANECDOTES Dom Gerk. Quelque tems aprés, Dom Gerle, Chartreux, Député a PAffemblée, propofa de décréter que la Religion catholique, apoftolique et Romaine feroit la feule Religion dominante de 1'Etat. Cette motion trouva des Apologiftes, et encore plus de Contradicteurs. On repréfenta que la Religion catholique étoit dans le fait confiderée comme la Religion dominante de 1'Etat, puisqu'a 1'exclufion des autres cultes, les Salaires de fes Miniftres étoient claffés dans le nombre des dépenfes de 1'Etat j qu'une Déclaration formelle pourroit reffufciter les haines et les divifions qu'entraine la diverfité d'Opinions en matiére de Religion, et qu'il falloit fe contenter de Pavantage qu'avoit la Religion Catholique fur tous les autres cultes. Dom Gerle retira fa motion. Proteftans. Les Proteftans, qui avoient "~* été conftamment periécutés depuis la révocation de 1'Edit de Nantes, et avoient obtenu avec beaucoup de peine en 1787. les moyens de faire confrater  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 285 flater leur éxiftence civile, chercfiérent ? fe dédommager de 1'oppreffion oü ils avoient vécu. Le nombre des non catholiques en france étoit de prés de deux millions. lis profitérent de leur afcendant dans les villes oü leur feöe avoit de la prépondérance. A Nismes, a Montauban, a Montpellier et dans d'autres parties des provinces méridionales, les emplois importans furent confiés a des Proteftans: la Garde nationale fe divifa en deux partis, et il-y eut des rixes fanglantes et mème des maifacres occafjonnés par la haine qu'infpire la différence de Religion: les Proteftans furent? presque toüjours triomphans, et Paifemblée qui avoit le projet de femer la divifion dans PEglife Catholique, faifoit toüjours pencher la balance en leur faveur. Leur entreprife ayant été couronnée du fuccés, ils cherchérent a étendre leur empire, et Pexercice public de la Religion Catholique devint auffi dangereux dans quelques villes, que 1'auroit été aupatavant celui du Culte des Proteftans. Bien-  2gó HISTOIRE ET ANECDOTES Bientót aprés, l'aifemblée décréta une nouvelle formule de ferment que tous les Eccléfiaftiques catholiques fonctionaires publics furent obligés de prê~ ter. Ce ferment étant contraire au dogme de la Religion et a 1'obéilfance Clergé de due au Pape, il s'établit un Fra»ce. Schisme dans 1'Eglife Gallicane. Les Prètres qui prétérent le ferment furent nommés Conftitutionels; on apella les autres Réfraclaires. Les Catholiques fuivant leur opinion ou le cri de leur confcience, fe diviférent également en deux partis, mais bientót le parti conftitutionel étayé de tout le pouvoir de l'alfemblée accabla le parti réfractaire. Le Roi lui-même fut contraint de communier en 1791. de la Main du Curé de St. Germain 1'Auxerrois prètre Conftitutionel. Tous ceux qui avoient refufé de préter le ferment furent obligés de quitter leurs fiéges et leurs bénéfices. Non feulement on leur refufa le modique traitement qui leur avoit été accordé, mais ils furent maltraités et perfé- cutés  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 2 87 cutés par tout. On les accufoit de fornenter les troubles et les mécontentements dans les Provinces, et il n'y-eut forte de Calomnie qu'on n'inventat pour les rendre odieux au peuple. Enfin en 1792. ces malheureufes Viétimes de leur attachement a la Religion furent obligés de quitter le Royaume, ou d'ëtre transferés a la Guyane franqoife; dans le cas ou ils auroient violé leur exil ils étoient condamnés a dix ans de prifon. Doit il y avoir une Reli- RdigU». gion dominante dans un grand Etat tel que la France? Cette queftion a été vivement débattue et eft fufceptible de beaucoup d'interprétations diiférentes. Mon opinion particuliére eft, que pour affurer la profpérité d'un grand Empire, il faut une feule Religion dominante , et que fon culte public doit être alfuré et protégé par les loix de PEtat. Les autres Religions peuvent être tolérées, mais fans aucun éxercice public qui puüfe in*, diquer la différence des opinions et du culte.  '2 88 HISTOIRE ET ANECDOTES culte. Telle eft la feule liberté que peut éxiger la confcience , et c'eft le moyen d'éviter les dilfentions et commotions inteftines qu'entrainent toüjours 1'ambition et 1'orgueil des diftèrentes fedes. En reconnoiifant une feule Religion dominante , je penfe que tout citoyen, quelque foit fon culte, doit être admiffible a tous les emplois. On avoit commis une grande faute en france en privant les proteftans de cet Avantage. Les mêmes loix prohibitives fubfiftent en Angleterre contre les Catholiques. Elles devoient être bannies d'un Pays qui a une des meilleures conftitutions poffibles, puisqu'elle eft fondée findes Principes de juftice et de liberte. On a dèja modifié en Irlande les loix contre les Catholiques, et on efpére que cet adouciflement s'étendra en Angleterreoü leur nombre eft bien moins confidérable. Un des grands abus qui éxiftoit en france, et un de ceux qui a accéléré la Révolution, eft la facilité avec laquelle on  DE LA RÉVOLUTION FRANfOISE. 2 89 on accordoit des Penfions et pinfl0ns, des gratifications. LorsqueM. Necker rendit Ton Compte en 1781. les Penfions s'élevoiènt a la Somme de vingt huit millions. Sous fes fuccelfeurs, et particulierem ent fous le Miniftèr de M. de Calonne, la Dilapidation devint exceffive. Indépeiidement des Penfions accordées par les Miniftres des différens Départemens, il-en éxiftoit d'établies fur les fermes, fur les fonds des Pays d'état et fur nombre d'autres caiifes ou établiffemens publics. Pour-en connoitre toute Pétendue et en fixer la quotité, Paifemblée fit les recherches les plus fcrupuleufes et obligea les Penfionaires de produire leurs titres. Elle décréta enfuite Pimpreffion de la fitte des Penfions, En parcourant avec attention cette lifte, on voit avec combien de Partialité et de faveur on difpoloit du tréfor public. Les anciens militaires, les vrais et fidéles foutiens de PEtat, ceux qui avoient facrifié leur fang et fouvent leur fortune entiére pour fervir la Patrie, avoient a T peine  2QO HISTOIRE ET ANECDOTES peine les Secours néceiTaires pour aifurer Abus. *eur éxiftence: des Courtifans, les grands Seigneurs, tous les gens attachés a la cour dans les emplois les plus iubalternes , tels que ceux de valet de chambre, de valet de Garderobe, de berceufe, de remüeufe , ou fous toute autre dénomination, s'étoient crée des fortunes aux dépens de 1'Etat. Les acteurs et les Actrices avoient jusqu'a iooui2 mille Livres de Penfion, independement de leurs honorairesjdesChefs debureaux, au bout de dix ou douze ans d'éxercice de leur emploi, obtenoient 30. ou 40. mille Livres de Rente: un Officier indigent, au bout de trente ou quarante ans de fervice, avoit a peine 600 Livres. La maifon de Noailles cumuloit a elle feule en penfions, gratifications, Gouvernemens ou autres emplois plus de if. eens mille Livres. La Maréchale de Mirepoix avoit plus de 80. mille Livres de penfion annüelle, indépendament des gratifications énormes qu'elle avoit qbtenües a differentes époques. II  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 291 11 falloit mettre un frain a ces désordres. Un membre de Paifemblée, M. Camus, diftingué par fon Adivité et par 1'Ardeur avec laquelle il fe livroit au travail, propofa des loix févéres pour la Rédudion des Penfions; presque toutes les graces accordées par la Cour furent anéanties ou réduites. On ne pouvoit plus réünir des penfions fur différens Départemens ni cumuler de traitemens de plufieurs elpéces ; tout fonctionaire public en adivité ne pouvoit obtenir de penfion; le traitem ent de rétraite étoit fixé fuivant le nombre des années de fervice, mais perfonne ne pouvoit-y prétendre qu'aprés avoir été employé au moins trente ans; au bout de cinquante ans de fervice, on devoit joüir de la totalité de fes appointemens. Ces loix, auffi fages que bien calculées , fe trouvent dans le Code des décrets de 1'affemblée oü ceux qui le défireroient peuvent-en connoitre les détails. Pour donner une idéé de la maniére dont on créoit une fortune aux courti. T ij fans,  292 H1ST01RE ET ANECDOTES fans, je citerai quelques éxemples.> J'obferverai que le Comte Stanislas de Clermont-Tonnerre, dontjevais parler, n'avoit aucun crédit perfonnel, et que ce fut uniquement pour favorifer fon mariale qu'on lui accorda les avantages que je vais rapporter: II avoit, comme filleul du feu Uwu. Roi de Pologne Stanislas, IOoo Au moment de fon Mariage, il obtint fur les fonds de la Guerre, pour les fervices du Maréchal de Tonnerre une Penfion de joop 11 avoit été attaché deux ans a 1'Ambaifade de Vienne, et le Baron de Breteüil lui avoit fait obtenir des gratifications annüelles de 4000 A Pépoque de fon mariage, il obtint fur les fonds des affaires étrangéres, une Penfion de 3000 Monfieur Frere du Roi, le nomma Gentilhomme d'honneur furnuméraire, et lui accorda fur le champ ie traitement annüel de cet emploi, rapportant. 40OO II  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 293 II époufa Melle. de Sorans fille d'un Gentilhomme de Franche-Comté qui n'avoit jamais rendu de grands fervices a 1'Etat (*). Pour favorifer le mariage de cette jeune perfonne trés jolie et intéref fante, le Roi accorda une Gra- Livres. tification de 120,000 Mde- Elizabeth lui donna une place de Dame pour 1'accompagner, dont lesémolumens étoient de 4000 Enfin le Comte de Clermont obtint dans cemème tems 1'emploi de Colonel en fecond qui rapportoit - - 1800 Tous les parens du Comte de Clermont-Tonnere avoient des emplois ou des penfions confidérables, et fa maifon étoit certainement une des moins en faveur. La Reine trouva que le Chevalier de Coigny, frére du premier Ecuyer du T iij Roi (•*) Sa mere étoit Dame pour accompagner Mde Elifabeth, femme adroite et féduii'ante; fon nom de familie étoit Maillé,  2 94 HISTOIRE ET ANECDOTES Roi, n'avoit pas aifés de fortune. On lui donna la méme année. 24,000 De Penfion, et la Reine Livres. obtint pour lui. - 24,000 De rente fur les biens de 1'ordre de Malte , quoiqu'il n'eut point fait fes voeux (*). Le 0\ v ; Le Chevalier de Coigny avoit indépendaraent de ces avantages, des chevaux et des voitures de la petite écurie du Roi a fa difpofition, parceque fon frére étoit premier Ecuyer. C'étoit un grand abus que celui de la quantité des chevaux qu'on entretenoit dans les écuries du Roi, de la Reine et des Princes pour le Service ou 1'agrément des Courtifans, qui en ufoient avec leur indifcrétion ordinaire. Le Roi feul avoit plus de 2400. chevaux fous les Ordres du Grand, et du premier Ecuyer, fans-y comprendre les chevaux de Chaffe deftinés aux Gardes du Corps. En parcourant une des écuries, je fus trés furpris de voir quatre beaux Coureurs, défignés avec 1'étiquette de chevaux de M. VAbbê de Baliviére. L'écuyer qui m'eccompagnoit, m'apprit que  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 2 95 Le Chevalier d'Efcars, depuis Baron d'Efcars, étoit Capitaine des Garde* de M. le Comte d'Artois , emploi trèé lucfatit, et Colonel de fon régiment des Dragons. II avoit été toniuré dans fa jeuneife et avoit obtenu une Abbaïe de 25,000 Livres de rente. On fe propofa de lui faire époufer la fille du Banquier de la Cour la Borde. Pour lui conferver le revenu de fon Abbaye, on obtint un Bref du Pape qui réüniifoit cé bénéfice a PEvèché de Qyebec en Canada (Siége qui n'éxiftoit pas, puisque ce territoire eft au pouvoir des Anglois) T iv et que cet Abbé qui avoit la charge d'Aumonier ordinaire du Roi, aimoit la chaffe et 1'éxercice du clieval, et qu'on lui avoit choifi ceux qui étoient les plus doux et les mieux dreffés. M. 1'Abbé Cornu de Baliviére jouiflbit cependant d'une Abbaie de plus de 60,000 Livres de rente, et auroit pu fe procurer des chevaux par fes propres moyens. Nombre de Seigneurs et de femmes attachés a la Cour jouiffoient de la même faveur que cet Abbé.  2 0 6 HISTOIRE ET ANECDOTES et on nomma le Chevalier d'Efcars Adminiftrateur des biens de PEvêché. On n'avoit jamais ufé de ce moyen depuis le Miniftére du Cardinal de Richelieu, qui 1'avoit inventé pour réünir fur fa tète une quantité des bénéfices. Le Duc de Polignac (*) avoit des droits litigieux fur le port et les marchés de Bordeaux. Ces objets rapportoient tout au plus 10. ou 12,000 Livres de rente- 11-en propofa 1'échange avec le Roi, qui lui donna en remplacement le Comté de Feneftrange dans la Lorraine - Allemande valant plus de 60,000 Livres par an, et oü il-y avoit des forêts fuperbes. On avoit recrée pour le Duc de Polignac un emploi trés inutfle, fupprimé depuis la disgrace du Duc C) Xe nom du Duc de Polignac eft Chalencon, un de fes ancêftres avoit epoufé 1'héritiere de la maifon de Polignac et en avoit pris Ie nom. M. M, d'Afpeft portoicnt auffi le nom de Polignac, les uns et les autres prétendoient être les vrais Polignac, quoique cette maifon fut éteinte depuis longteras.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 297 Duc de Choifeul. Cette place étoit celle de Directeur général des poftes et relais. Cet emploi augmentoit les frais de PAdminiftrations des poftes de 1,200,000 Livres par an fans aucune utilité reélle. La DuchelTe de Polignac avoit obrenu des gratifications trés confidérables. Dés le commencement de la Révolution elle a abandonné la Reine fa bienfaitrice et a emporté la plus grande Partie de Pa fortune en Italië. Un grand nombre de Courtifans les plus en faveur ont imité cet éxemple. Les Miniftres retirés, dont le nombre s'augmentoit tous les jours; leurs femmes, leurs enfans avoient obtenu des Penfions confidérables, des gratifications, des, emplois. L'impitoiable Camus (*) T v pour- (*) Camus a été nommé en 1792. membre de la Convention nationale et a voté en 1793. pour la mort du Roi. 11 étoit un des Commiflaires envoyés au mois d'Avril pour faire arrèter le Général du Mourier, qui profita d'un refte d'attachement de fes troupes pour 1'envoyer pri- fon-  298 HISTOIRE ET ANECDOTES pourfuivit ces abus avec un acharnement fans égal. La plupart de ces dons furent fupprimés , et des families, dont toute 1'éxiftence et la fortune étoient fondées fur des bienfaits de la Cour, fe trouvérent réduites a la mendicité. Camus avoit été Avocat du Clergé et de 1'ordre de Malte, et un des plus zèlés défenfeur des droits de ces deux Corps. II devint leur plus ardent perfécuteur. Travailleur infatigable, il étoit en même tems membre des Comités des finances, d'Aliénation, Préfident du Comité des penfions. On le voioit fuivre les replis tortüeux ou s'étoient cachées les dilapidations de revenus de PEtat. fonnier a M. le Prince de Cobourg avec fes Collégues et le Miniftre de la Guerre Bournonville. Camus a été enfermé a la forterefle d'Ehrenbreitftein prés Coblenz et vient d'être transferé a Egra. Telle eft ordinairement le fort de tous les fcélérats. La juftice divine et humaine met un terme a leurs forfaits, et les replonge dans le néant d'ou jis n'auroient jamais du fortir.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 299 tat. C'eft lui qui denonqa 1'éxiftence du Livre rouge qui etoit entre les mains du Roi, et ou étoient confignées quan, tité de dépenfes fecrettes. 11-en éxigea la repréfentation. M. Necker, aprés 1'avoir refufé long-tems, engagea le Roi a céder aux inftances de 1'Affemblée, en demandant que les dépenfes particuliéres fakes par Louis XV. et infantes* dans ce Livre ne fuffent point divilguées. Celles depuis 1'avénement de Louis XVI. au trone montoient a environ 300. millions. Les détails de cette énorme dépenfe prouvent que cette fomme n'avoit fervi qu'a alimenter la cupidité des Courtifans. Indépendament des dépenfes fixes des différens Départements, on engageoit le Roi a figner des Ordonnances de comptant fur le tréfor royal dont la Quotité et 1'emploi n'étoient jamais déterminés. L'adminiftration des finances eft un dédale ténébreux ou les gens les plus éclairés fe font égarés. Le Comité des finances de 1'Affemblée nationale étoit eompofé de foixante quatre  300 HISTOIRE ET ANECDOTES quatre membres, et fubdivifé en différentes feclions. On diftinguoit dans ce nombre des gens du phis grand mérite, tels que M. M. leBrun, d'Ailly, Anfon, Vernier, Garefcher. Malgré tous leurs efforts réünis et les recherches fans nombre qu'ils ont faites dans tout le Royaume , on n'a jamais pu déterminer précifément 1'étendue de la dette publique en france. On n'a eu a cet égard que des extraits partiels ou des appercusj mais jamais on n'a préfenté a la Nation un tableau fidele de fes dettes acfives et paffives. Comment, d'aprés cet éxemple, ajouter foi aux écrits contradictoires de M. M. Necker et Calonne qui n'ont fervi qu'a obfcurcir et fafciner les yeux des calculateurs ? Leurs Mémoires reifemblent a des recettes de Charlatans d'opinion différentes, qui s'accufent réciproquement de déguifer la verité et de ne pas connoitre Ja caufe du mal. Quels qu'aient été les foins de 1'affemblée, la dilapidation et le désordre fe font propagés plus que jamais dans les  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 3OI les finances. On a liquide ou payé des dettes de 1'Etat fans ordre, méthode ou principes. On a aboli les anciens impóts avant d'avoir trouvé un moyen certain de les remplacer. La facilité avec laquelle on a crée des Affignats a fervi a entretenir la plus criante dilapidation. Les Banquieurs, les Courtiers, les Agioteurs, les Entrepreneurs et Fourniifeurs des armées, les Miniftres, les Comniis des bureaux, les Commilfaires des guerres, les tréforiers et leurs agens ont fait les fortunes les plus fcandaleufes. Ainfi 1'argent du peuple, bien loin d'ètre emploié utilement, n'a fait que changer fon cours: au lieu de fervir a alimenter le fifte des Courtifans, il a enrichi tous les intriguans qui fe font couvert du masqué du patriotisme. M. de Montesquiou (*), aprés avoir été le plus (*) M. de Montesquiou a paffé une partie de fa vie a faire des Généalogies et a coppofer des Memoires pour prouvec qu'il étoit Fezenfac, defcendant en ligne djrede  302 HISÏOIRE ET ANECDOTES plus vil courtifan et avoir extorqué des fommes incalculables en abufant du crédit qu'il avoit auprés de Monfieur, frére du Roi, s'étoit ruiné avant la Révolution: il devint le plus ardent démocrate pour réparer fa fortune. Ses fpéculations ont réüfli. II étoit affocié avec 1'évèque d'Autun, 1'Abbé d'Efpagnac et plufieurs autres Agioteurs. Cette Compagnie directe de Clovis. II e'toit chamarré d'ordres de Chevalerie. Malgré fa hauteur et fa vanité, il a voté un des premiers pour 1'abolition de 1'ordre de la Noblefle. — En 1792. il fut nommé Général en Chef de 1'armée du Midi et fit la conquête de la Savoye. Après avoir conclu les marchés le plus fcandaleux pour les fournitures de fes troupes et volé le tréfor national, comme il avoit pillé celui du Prince qu'il fervoit dans le tems de la profperité, il s'eft fauvé clandeftinement dans le moment ou la Convention qui fufpeöoit fes intentions, alloit le faire arrèter. On ne fait dans quelle partie de la terre il cache actuellement fa honte et le produit de fes turpitudes.  DE LA RÉVOLUTION FRANfOISE. 303 gnie accapara en entier 1'emprunt de I2f millions créé au mois deDécembre 1784. dont les Contrats fe vendoient fur la place avec une perte confidérable. A peine cette opération fut elle confommée, que Montesquiou , au nom du Comité des finances propofa a ralfemblée de rembourfer cet emprunt au pair, en repréfentant que le paiement des intéréts devenoit onéreux a 1'Etat. Si on eut adopté ce projet, fa Compagnie eut gagné vingt millions. Quelques membres de l'AiTemblée inftruits de cette manoeuvre, firent rejetter cette propofition. Mais il fe trouva quantité de circonftances qui réparérent la mortification qu'il venoit d'eifuier. On achetoit les décrets. Les Rapporteurs des Comités fe faifoient payer leur fuffrage. Les citoyens étoient obligés de donner de 1'argent pour faire liquider leurs charges ou rembourfer leur dettes: fans ce moyen on rejettoit leur demande ou on mettoit des obffacles a leurs fuccés. C'eft ainfi que la plupart des membres de 1'aifemblée, trés indi- gens  304 HISTOIRE ET ANECDOTES gens avant la révolution, fe font créé des fortunes dans un court efpace. Camus, 1'auttére Camus lui mème, n'a pas été a 1'abri du foupqon. Sans faire mention des fommes qu'il a pu fe procurer d'une maniére flljcite (ce qui ne peut jamais être conftaté d'une maniére pofitive,) il fit créer pbur Camus, Ar- une P*ace inamovible d'Arehivifie de chivifte de 1'Aifemblée avec des VAjfemblée. appointemens de 6000 Livres indépendament des fraix de bureaux et du payement des Commis et fécrétaires qui étoient a fa Nomination. II établit les Archives dans le Cloitre des Capucins de la rüe St. Honoré et s'y réferva un logement fpacieux et commode. Ces dépenfes fe firent aux dépens du tréfor public. Cette preuve d'intérèt efface aux yeux de la poflerité le luflre de fes vertus 'républicaines. A la fin de 1'année 1789. il éclata „ ., , des troubles a Toulon et k Troulles i " Toulon. Marfeille. Le Comte d'Albert de Rions Commandant de la marine  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 305 marine avoit fait mettre en prifon deux ouvriers du port. Le peuple éxigea impérieufement leur fortie. Le Comte d'Albert voulut en vain s'y oppofer: les troupes de la marine refuférent obéiflance; la Garde nationale prit le parti du peuple; quelques Officiers de la marine furent blelfés griévement, et le Comte d'Albert retenu prifonnier dans fon appartement. Quelque tems aprés il fut obligé de fe rendre a Paris pour juftifier fa conduite au prés de PAlfemblée nationale, quoiqu'il n'eüt fait qu'ufer de 1'autorité qu'il devoit avoir fur tous les employés du port. A Marieil- fTffi l le, il-y-eut une émente oc- Marfeille. cafionneé par la cherté des fubfiftances. La Garde nationale et le Régiment d'Erneft-Suilfe-en vinrent aux mains: il-y-eut quelques tués et blelfés de part et d'autre. Les Suiifes fe conduifirent avec valeur et prudence et finirent par rétablir 1'ordre. Quelques mecontens provoquérent des rixes entre les habitans et les troupes de lig- TroMls n U ne Cerfe.  306 HIST01RE ET ANEGDOTES ne en Corfe, et en général il n'y-avoit presque aucune partie du Royaume oü la divifion d'intérèt et d'opinion n'occalionat des querelles fanglantes. f3S? A Senlis>le jour oiL la Gar_ de nationale, faifoit bénir fon drapeau, un horloger tira un coup de fufil fur la troupe qui paflbit fous fes fenètres et bleffa un citoyen. Les Gardes nationales et le peuple fe jettérent en foule chès lui. A peine-y furent-ils entrés , que ce malheureux qui avoit dispofé de la poudre dans fa maifon, la fit fauter et s'enfevelir fous fes ruines avec foixante autres victimes. Dans plufieurs parties du Royaume, et fur tout dans les Provinces méridionales, les Gardes nationales des différens Départemens fe réünirent. Celles de Lanquedoc, du Vivarais, de la Provence et du Dauphiné jurérent de vivre liIres ou mourir , de fe préter aide et affiftance pour maintenir la Conftitution et les décrets de raffemblée nationale. Lorsqu'ils proférérent Ge Serment, ils étoient plus de  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 307 de vingt mille, et bientót cet éxemple fut imité dans le refte de la france. Ces Alfemblées de Gardes nationales s'appellérent Fédération et donnérent 1'idée de la réünion générale des députés de tout le Royaume le 14. Juillet 1790. anniverfaire de la prife de la Baftille et du rétablilfement de la liberté. Les Journaliftes maintenoient 1'inquiétude du peuple de Paris, en répandant continuellement des bruits de contre - révolution, de trahifon, d'alfaffinats. Le 24 Décembre le Corgité des recherches fit arrèter Thomas de Mahis, Marquis de Favras (*) et Vidtoire - EdwigeU ij Caro- (*) Thomas de Mahis fe faifoit appelier Marquis, et n'étoit peut-être pas Gentilhomme. C'étoit un grand abus en france que celui des titres et des qualités ufurpées. J'articule formellement, pour 1'inftruction des étrangers, que perfonne en france n'avoit le droit de porter le titre de Marquis, de Comte, de Vicomte, de Baron, que lorsque lui ou fes ancêtres avoient obtenu des lettres patsa-  308 HISTOIRE ET ANECDOTES Caroline , Princeife d'Anhalt - Schaumbourg, fon époufe. Favras étoit accufé d'avoir voulu lever un Corps de ContreRevolutionaires, d'avoir cherché a enlever le Roi et la familie royale et faire égorger le même jour M. M. Necker, patentes duement enregifln'es dans les Cours Souveraines de la Province, qui érigeoient fes terres en Comté, Marquifat ou Baronie en fa faveur. Celui qui achetoit une terre érigée en Comté ou Marquifat pour le Vendeur, n'avoit point le droit déïporter le titre de Comte ou de Marquis. Les freres ou les enfans d'un Comte et d'un Marquis ne devoient point porter le titre de Comte et de Marquis comme ils le faifoient ordinairement; les Cours Souveraines leur auroient fupprimé cette qualité qu'on ne leur paffoit qu'a la porte de 1'Opcra et dans les Antichambres. On peut affirmer que fur cent francois. qui prenoient un titre, il n'y en-a pas'quatre qui euifent réellement le droit de le porter. Le Roi accordoit quelque fois le Brevet de Duc aux fils ainés des Ducs et Pairs et a quelques Seigneurs, et rarement celui de Comte ou Marquis a des Gentilhommes.  DE LA RÉVOLUTION FRANffclSE. 300 cker, Bailli et la FayetteJil Le Chatelet fuivit 1'inftrudtion de ce Procés. Favras étoit un intriguant qui avoit fervi quelques années dans les SuiiTes de la Garde de Monfieur. Pendant la journée du 5 OcTobre il s'étoit adreffé a M. de St. Prieft (*) en Paflurant qu'il avoit des moyens de favorifer la fuite de la familie royale. II eut 1'indifcrétion de dire dans 1'anti-chambre du Roi que douze eens perfonnes étoient a fes Ordres et prètes a tout entreprendre. II U iij s'adrelTa (*) Mr. de St. Prieft étoit un homme trop prudent pour ajouter aucune foi au Projet de Favras. II 1'écouta d peine et lui fit une réponfe trés vague. Mirabeau dénonca quelque tems après ce Miniftre, pour avoir dit aux femmes qui fe plaignoient de la Cherté des fubfiftances pendant la journée du 5 Oclobre: lorsque ■vous aviés un Roi, vous ne manquies pas de pain , aüuellement que vous en • avès douze eens, allés leur - en demander. Mr. de St. Prieft étoit trés attaché au Roi et pouvoit lui donner de bons confeils. Auffi raffemblée 1'a conftamment perfecuté jusqu'a 1'époque de fa retraite.  310 HIS#31RE ET ANECDOTES s'adreifa a unlfteigneur de la Cour (qui'1 a eu le Courage de ne point nommer dans fes interrogatoires) et lui demanda cent Loüis pour éxécuter fon projet. Ce Seigneur etoit le Duc de BriiTac, qui un inftant aprés lui remit cet argent. On doit juger d'aprés ce trait de 1'étendüe des moyens de Favras, puisqu'il étoit obligé d'avoir recours a ce modique emprunt pour opérer une Contre - Révolution. Favras ne joüiifoit d'aucune confidération, et n'étoit point connu a la Cour. Pour fuppléer a la modicité de fa fortune, il donnoit a joüer a Paris, et cette reifource le mettoit en état de tenir une maifon opulente. Les Agens de Monfieur 1'avoient chargé de faire un emprunt de deux millions pour ce Prince, peu avant fon arreffation , et on ne manqua pas, a raifon de cette circonftance, de répandre le bruit qu'il étoit a la tête de la confpiration de FavProcès et ras. Le procés de cet infor- jugewent du , ^ promptement inftruit Marquis de 1 L Favras. le i8Fevrier, 1790. Le Cha- telet,  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 311 telet, fur le rapport de M. Quatre-Mere, jugea que Favras avoit trahi la Nation en communiquant a divers Officiers, banquiers et autres perfonnes des projets de Contre-Révolution, et le condamna en confequence a faire amende honorable a la Porte de 1'Eglife notre Dame et enfuite a être pendu. La féance préalable a fon jugement dura tres long-tems. Le peuple entouroit la Salie d'audience, menaqoitles Juges, et fans la Protecfion de la Garde nationale il eut forcé les portos et malfacré Favras dont il demandoit la tète a grands cris. On ne peut fe diffimuler que le Chatelet ne fe foit conduit avec infinement de partialité dans le cours de cette affaire. Les juges refuferent conftamment d'entendre les témoins a la décharge de Favras, et ne requrent les dépofitions que de fes accufateurs. Peutêtre crut on néceifaire de facrifier cette victime pour calmer 1'effervefcence du peuple et fauver plufieurs autres citoyens qui lui étoient fufpects. Mais une paU iy reille  312 HISTOIRE ET ANECDOTES reille confidération doit-elle jamais avoir de 1'influence fur l'efprit des juges, qui doivent ètre impajjibles comme la Loi? Le peuple les menacoit hautement pendant qu'ils alloient aux opinions. Mais n'eut-il pas été plus glorieux de mourir avec Courage, que de facrifier fon honneur? Favras, pendant fon interrogatoire et au moment de fon éxécution, a conftamment alfuré qu'il n'étoit coupable d'aucuns des crimes dont on 1'accufoit. II eft mort avec le calme et la férénité qu'inlpire 1'innocence (*), La poftérité doit le regarder comme un imprudent, vidime d'un attachement Huis bornes a fon Souverain, et non comme un criminel qui eut cherché a attenter a la (*) Le peuple fe porta en foule a fon éxécution, qui eut lieu dans Ia foirée du 19 Fevrier. II temoigna fa joïe par fes cris barbares et fanguinaires. Le cadavre auroit eté décliiré et mis en piéces fans la réfiftance de la Garde nationale. On le délivra a fa familie, qui le fit inhumer a la paroiffe S. Paul.  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 313 a la vie ou a la liberté de fes concitoyens. Mde- de Favras, qui étoit refté en prifon jusqu'a 1'époque du fupplice de fon Mari, obtint alors fa liberté. Elle éprouva les marqués les plus touchantes d'interèt et de fenfibilité de la part de plufieurs de fes concitoyens. Un inconnu lui envoya une fomme de 200,000 Livres. Le Roi lui alfura une penfion fur fa caifette. Les Miniftres lui promirent des emplois pour fes enfans. Un grand nombre des particuliers lui offrirent avec autant de graces que dc délicatelfe, fervices et fecours. A peu prés a cette même époque, le Chatelet termina le procés de Mr. de Bézenval, qui étoit arrèté depuis longtems. II protefta contre la procédure, paree qu'étant Officier Suiile au fervice de france, il ne pouvoit d'après les Capitulations ètre jugé que par la Prevóté ou par les Officiers de fon Corps. Ses Confeils produifirent fa défenfe et prouvérent qu'il n'avoit fait qu'éxécuter les U v Ordres  314 HISTOIRE ET ANECDOTES Ordres du Maréchal de Broglie Commandant en Chef le raifemblement de troupes prés Paris, fans qu'il eut jamais donné directement aucun ordre contraire a la liberté du peuple. Le jujugementde gement du Chatelet le déclara Bhtnvai. innocent> MaisBézenval, ac- coutumé a 1'opulence, et dont la vie avoit été un cours d'agrément et de profperité, ne put foutenir 1'épreuve du malheur: il mourut de chagrin quelques mois aprés être forti de prifon. Des que Monfieur eut apMonfieinfa. pris i'arreftatión de Favras, il tel de la VU- s'emprelfa de fe rendre a i'Hóie de Fatis. tel de Ville. Ce Prince y pro- nonqa un difcours pour fe disculper d'avoir eu aucune part aux projets imputés a-Favras. 11 aifura que les circonftances ayant mis des entraves au payement exaét des dépenfes de fa maifon, il avoit été obligé d'avoir recours a un emprunt de deux millions, et que fes Agens lui avoient indigué Favras * comme pouvant feconder fes delfeins par  DE LA RÉVOLUTION FRANqOlSE. 315 par les liaifons qu'il avoit avec plufieurs maifons de commerce; qu'en conféquence il avoit autorifé cette négociation, mais fans avoir parlé ou écrit a ce particulier qu'il n'avoit pas vu depuis 1775"; 1'année même oü il avoit quitté 1'emploi qu'il occupoit dans fa maifon militaire. Monfieur eut foin de rappeller fes Opinions en faveur de la caufe du peuple, pendant raffemblée des Notables. II protefta de fon attachement a la Conftitution et affura que le titre le plus honorable et le plus glorieux pour lui étoit celui de premier citoyen de Paris. Bailli répondit a Monfieur en exaltant fes vertus civiques et les démarches qu'il avoit faites pour affurer le bonheur de fes concitoyens. II eut foin d'orner fon difcours de ces phrafes que 1'adulation confacre a la vanité des grands. Non content d'avoir fait cette démarche, Monfieur écrivit a 1'affemblée Nationale pour éloigner jusqu'a la moindre tracé des foupqons qui pouvoient cxifter fur fes rapports avec Favras. Ou ne  3i6 HISTOIRE ET ANECDOTES ne peut diffimuler que ce PrinEeflexion ce a peut être manifefté dans duitt ie cette circonftance trop de foibMonfieur. lelfe et de crainte; fes mo- tifs pouvoient fans doute être louables, mais le public ne juge jamais que fur les apparences. S'il etoit inftruit des projets de Favras, fon honneur lui prefcrivoit de Pavoüer avec franchife. Ses dépofitions en fa faveur euifent pu fauver cet infortuné, et dans tous les cas Pintervention de Monfieur dans le cours de cette affaire eut été pour lui un puiffant appui. A fuppofer qu'il n'eut pas la moindre connoilfance de fes delfeins, ne devoit-il pas méprifer la calomnie? En-y attachant de 1'importance, c'étoit un moyen fur de 1'accrediter et de réalifer les foupqons au lieu de les éloigner. Le premier Prince du fang ne devoit jamais chercher a captiver les fuffrages de fes concitoyens par des moyens qui peuvent paroitre au deifous de 1'élevation qui convenoit a fon rang et a fon Caracfére. Le  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 317 Le désordre qui régnoit en france s'étendit promptement dans les Colonies, ou Pefclavage eft devenu une néceflité. Par une fuite de la propagation des principes de liberté, il fe manifefta dés le mois d'Aout 1789, une révolte effrayante a la Martinique. Les Né- Trouues « gres de plufieurs habitations laMartiniavoient formé le projet d'égor- que' ger tous les blancs, de piller et de détruire leurs propriétés. Le chef de ce complot, nommé Mare, eut Paudace d'é-crire au Gouverneur et a PIntend.ant de cette Isle pour demander Paffranchiifement de tous fes femblables (*), confor- mément (*) La queftion de 1'afFranchilTement des Négres et de la fuppreffion de la traitte a été agitée long-tems au Parlement d'Angleterre. Mais au lieu de décidet fur le champ un objet auffi important (comme on 1'auroit peut être fait en France) on-en-a ajourné la folution jusqu'en 1'année 1800. - II eft fans doute aflligeant pour 1'humanité de penfer qu'il exifte une claffe d'hommes, que la nature  31 8 HISTOIRE ET ANECDüTES mément aux principes décrétés par 1'af- iem- a, pour ainfi dire, condamné a naitre ferfs. Mais quand on penfe que les Africains font les êtres les plus malheureux dans leurs pays natal, que la mifére et le défaut de fubfiftances obligent les parens a faire le commerce revoltant de la propriété de leurs enfans , la raifon cédera fans doute a la fenfibilité. Le Négre transporté chés un colon riche et dans une habitation confiderable, y trouve tous les adouciffement poffibles è fa malheureufe condition. La nourriture-y eft faine et abondante. Le travail n'yeft jamais forcé. On-y-encourage la population. Chaque individu a même Une demi-journée par femaine qu'il peut employer a fon profit, et ordinairement une portion de terrein dont il tire parti pour fe procurer quelques objets d'agré* ment ou même de luxe. Le négre fe diftingue-t - il par fa fidélité, par fon afliduité, par fon talent? II eft affranchi et peut devenir a fon tour proprictaire. Les fautes font punies avec rigueur. Mais a cet égard on a fouvent éxagéré la feverité des économes et des Commandeurs. II  DE LA RÉVOLUTION FRANqOlSE. 319 femblée nationale, en menaqant en cas de II eft trés rare qu'im Négré condamné au foüet ne puiflfe pas fur le champ continüer fon travail aprés avoir fubi la peine. C'eft en vain qu'on chercheroit a remplacer les punitions ufitées dans les Colonies. Des êtres fans imagination, fans morale, fans aucune. idéé des devoirs de la fociété, et qui paroiffent n'avoir d'autre rapport avec 1'efpéce humaine que par leur ftrudlure et les befoins phifiques, ne font pas fufceptibles d'être guidés par 1'honneur et les feutimens. C'eft par une application erronée de quelques maximes philofophiques qu'on a cherché a intéreffer des êtres crédules et bornés en faveur de la condition des Négres. Quant a la liberté, quel eft 1'Européen qui n'eft pas obligé de faire le facrifice de la fienne pour payer a la fociété le tribut de fon induftrie ou de les talens? C'eft a cette condition qu'il recoit un falaire proportionné a fon travail. La claffe trés peu nombreufe de ceux qui naiffent avec une fortune acquife, eft obligée d'embraffer- un état ou une profefïïon; ou fi quelques individus fe vouent i  320 HISTOIRE ET ANECDOTES •le refus de raettre toute la Colonie a feu et i une nullité abfoliie, ils n'obtiennent dans le monde ni confidération ni agrément, et 1'indifférence de leurs concitoy^ns les accompagne. Les devoirs des Législateurs leur prefcrivoient fans doute de s'occuper de 1'adoucifTement du fort des Négres opprimés par les petits propriétaires , que la cupidité engage & traiter ces malheureux comme des bêtes de fomme. Ces exemples, heureufement trés rares , doivent être réprimés avec févérité et prévenus par des juftes loix. Mais une mefure auffi peu politique que la deftruöion de Pesclavage et la fuppreffion de la traite, ne peut avoir lieu dans un pays ou le travail des Négres ne peut être remplacé par aucuns moyens quelconques. L'anéantiffement des Colonies et la perte du Commerce avantageux qu'elles procurent, feroient la fuite inévitable de cette mefure. On - en a fait la trifte expérience a St. Dominque, oü les muldtres et les Négres, dont la proportion relativement aux blancs eft de as a i, ont profité d£. la fupériorité du nombre.  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 321 et a fang. M. deDamas, Commandant en Chef, fe conduifit avec beaucoup d'intelligence et de fermeté. H fit marcher des troupes de ligne dans li partie de 1'isle ou la révolte avoit éclaté: plufieurs Négres furent arrétés, les armes a la main , et pendus fur le champ. Leur chef et quelques autres rebelles fe fauverent dans les montagnes, oü ils fe joignirent au petit nombre de negres marrons qui exiftent dans cette Colonie, mais dont la pofition ne leur permet de faire aucune excurfion hoftile accompagnée de fuccés. La rébellion éclata d'une maniére encore plus funefte a St Domingue. li-y-eut plufieurs St_ Domitfm combats entre les blancs, les &ut, mulatres et les negres. Le travail dans plufiers habitations fut fufpen- du, bre pour égorger ïeurs anciens maitres, dévafter leurs poffeffions et fe livrer a tous les excés que dictent la férocité et la barbarie. X  322 HISTOIRE ET ANECDOTES du, des atteliers entiers défertérent, Dans le quartier du petit Goave un membre du Confeil, M. Ferrand, fut maifacré, et pour imiter 1'exemple du peuple de Paris, on porta fa tète en triomphe dans les rües de la ville. Ces malheureux événemens furent reprimés pour le moment; mais ils devinrent le prélude de la guerre- civile , qui fe manifefta dans les Colonies par un effet des manoeuvres de plufieurs membres de 1'affamblée. J'en rapporterai dans letems 1'origine et les fuites funeftes. Peu après 1'ouverture des Etats généraux on vit paroitre des re- BeputeS des ,r , „ „ . Colonies. preientans de diverfes Colonies qui demanderent d'avoir féance a Paifemblée Nationale. Ces députés n'avoient pas été nommés légalement par les habitans. Ils s'étoient fait donner des pouvoirs par quelques propriétaires reünis a Paris. L'aifemblée qui defiroit augmenter fon influence, accüeillit favorablement leur demande. Elle décréta que les Colonies faifoient partie de  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 323 de 1'Empire franqois , et ils furent admis. Parmi les ambitieux qui s'introduiiirent ainfi dans Paifemblée fe trouvoit M. de Goüi $Ar- Geüi XAr' cy (*) qui n'aiant pu réünir des cy' fuffrages en france, s'étoit crée député d'un autre hémisphere. C'eX ij toifc (*) A la fin de 1791 Goüi d'Arcy voulut joüer le róle de Gén:'ral. Le Miniftre Narbonne 1'cnvoya pour difïïper un attrouperaent prés Compiegne, qui s'oppofoit a la libre circulation des bleds et a la navigation fur la riviére d'Oife. Arrivé a peu de diftance des révoltés, on lui dit qu'il -y avoit du danger, et au lieu de fe mettre a la tête des troupes de ligne et des Gardes nationales qui étoient a fa difpofition, pour attaquer quelques brigands, il revint k Paris fous prétexte qu'il n'avoit pas des pouvoirs et inftrudions fuffifantes. Ce fut le Général Wittinghoff qui fe chargea de cette expédition, et qui montra le courage et la fermeté nécéffaires en pareille circonftancc. A fon arrivée Pattroupement fe difperfa fans oppofer beaucoup de réfiftance.  324 HISTOIRE ET ANECDOÏES toit un être trés vain; fans efprit, fans talent, qui par fon importunité obtenoit fouvent la parole. II a fait imprimer fes Opinions, qui heureufement font enfevelies dans le plus proCocherel. fond oubli. M. de Cocherel fon Collegue, député de St. Domingue, etoit un homme de mérite, trés inftruit de tout ce qui avoit rapport aux affaires des isles. Mais lorsque l'affemblée s'occupoit de quelqu'objet qui-y etoit rélatif, on écoutoit rarement les députés des Colonies: on les accufoit d'intérêt et de partialité, et c'etoient les membres les plus ignorans de ralfemblée, corrompus par des factieux foudoyés pour ruiner le commerce des Isles, qui diefoient tous les décres. Conclufion. Tels font les principaux événeraens qui fe font paffés pendant 1'année 1789- Ceux que j'aurai a pxéfenter dans  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 325 dans le Cours des années fuivantes ne feront pas moins intéreifans, et pourront faire naitre de férieufes réfléxions i ceux qui voudront bien lire cet ouvrage avec attention. Fin fez 157<5 pag. 149 — 1 1788 — i"78 id. note — 4 Reveilhon — Reveillon pag. 150 —17 la luferue — la luzerne p. 152 note— 7 pourfuivit — pourfuivie id. —10 1'aunay — launay pag' 155 — 3 du pain — de pain p. 157 note—2 et, attacha— et 1'attacha pag. 165 — 18 Siehes — Sieyes pag. 168 — 21 la vanité —fa vanité pag. 169 — 19 détella —• détela pag. 178 — i9Duvaldeleyril— leyrit pag. 180 — 16 en n'avoit — on n'avoit p.iSonote—6 honorofiques — honoriqfiues pag. 190—19 —un adouciflement pag. 204— Io plurieurs — plufieurs pag. 208 — 10 efcalade — efcalada pag. 208 — derniere jusqu'a— dus qu'a X iv pag.  Errata.' pag. 209 Ugne 24. Caffés lifez CafTés. pag. 213 — 14 mife — mis pag. 215 — 21 chaffé •— caiïe pag. 216 — 11 matin — matin pag. 225 — 15 déterminés — fcélérats pag. 229 —25 avèe empire — impérieufement pag. 244 — 23 fou — fous pag. 250 — 6 feptemb. — Septembre pag. 252 — 19 Rigeur — Rigueur pag. 256 — 22 Referverent — Reffe'rèrent p. 262 note—1 o il fauroit feu,— il auroit feu p.2Ö4note— 13 de — des pag. 273 — 6 du — d'un idem — 9 les — le pag. 289 — 6 Miniftêr — Miniftére pag. 291 — 1 frain — frein pag. 299 — 10 divilguées — divulguées pag. 301 — 8 Banquieurs — Banquiers pag. 306 — 14 s'enfevelir — s'envelit pag. 319 — 2 nigré — negre pag. 320— 11 doivent — devoient